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LETTRES INEDITES
JEAN JACQUES ROUSSEAU.
t^> I\/X« v-'
LETTRES INÉDITES
DE
JEAN JACQUES ROUSSEAU
MARC MICHEL REY,
PUBLIEES
J. BOSSCHA,
tE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DES PAYS-BAS
AMSTERDAM, l'A RIS,
FRÉDÉRIC MULLER. FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS *C«
1858:
Les éditeurs se réservent le droil Se réproduction.
«Vr„lf
i i i 'IMPKI Vil RIE DE < \ SPIH FILS
PRÉFACE.
Jean Jacques Rousseau dans plusieurs endroits de ses
écrits fait Pelage de Mare Michel Rey, libraire d Am-
sterdam, dont il avait fait la connaissance à Genève en
1 754. Ayant confié à Rey la première publication de la
plupart de ses ouvrages, il a été sensible aux procédés
généreux de cet Jwnnëte homme. Il loue son exactitude
et sa probité ; il parle de Rey comme dun bienfaiteur
qui lui est cher ; il se plaît à reconnaître que ce fut sur
la proposition de Rey qu'il résolut décrire les Mémoires
de sa vie; il se déclare attaché à lui d'une amitié véri-
table et il consent, lui qui avait abandonné ses /tropres
enfants , à être le parrain dun des enfants de Rey. En
se rappelant ces fruits dune relation plus intime que
VT PREFACE.
ne Test ordinairement celle d'un auteur avec son libraire,
personne ne sera surpris d'apprendre que la tenir lettn
de Rousseau à Rey qui a vu le jour, n'est qu'un morceau
détaché dune correspondance qui a été soustraite jus-
qu'ici à la connaissance du public. C'est la part que le
plus célèbre de ces d£ux hommes a eue à cette corres-
pondance que je viens offrir à V étude de la vie et des
écrits de Jean Jacques.
Les lettres de Rousseau à Rey ont été trouvées dans
une masse de papiers provenant de la succession de M. Elie
Angély. Né à Bergerac en 1722, M. Angély s'était
établi à Amsterdam, où, devenu un des chefs de la
maison de, commerce Texier, Angély et Massac , il décéda
en 1797. A la mort de Rey, qui eut lieu le b Juin
1780, il avait été avec MM. Jean Texier et Jean Hu-
bert Rilliet chargé de Vexècution testamentaire et de
l'acquittement des obligations du défunt. C'est ainsi que
les archives de Rey passèrent entre les mains des héri-
tiers d Angély.
Ce dépôt g fut religieusement conservé. On pouvait
//résumer que des papiers relatifs aux entreprises d'au
libraire tel que Rey, contiendraient des détails curieux
PREFACE. VII
pour Phistoire du mouvement littéraire qui précéda la
Révolution de 1789. Non-seulement P imprimerie de la
Hollande l'emporta, au milieu du Dix-huitième siècle , sur
celle de tous les autres pays pour la beauté du papier
et la netteté des caractères , mais la liberté dont jouissait
la librairie en Hollande permettait aux auteurs de pu-
blier ce qui était interdit ailleurs. Mais ce qui a sur-
tout préservé les papiers de Reg d'une destruction totale,
ce fut une tradition de famille qui portait que parmi ces
lettres, ces notes et ces chiffons, se trouvaient des auto-
graphes de Rousseau.
Ce ne fut cependant qu'en 1844 que P héritière du der-
nier des Angély entreprit de fouiller plus soigneusement
dans le dépôt de manuscrits qui lui était laissé. A sa
//ronde *ot /.fart ion , elle découvrit que cem qui s'y trou-
vait de la ne /'m qui avait écrit la Nouvelle Héloise sur-
passait de beaucoup ce que la tradition en avait fait
supposer. Bien que les copies sur lesquelles les compo-
siteurs de Rey avaient travaillé pour t 'impression eussent
disparu, on trouva en revanche une série de lettres de la
main de Rousseau, pleines de détails sur la publication
et la correction de ses ouvrages, empreintes cU tous les
VIII PREFACE.
traits de son caractère, et écrites dans ce style inimi-
table qu'on lui connaît.
Mais ces lettres, fallait il les publier? — Non que
personne puisse réclamer en faveur de I" mémoire dt
Rousseau là discrétion de I" postérité: au contraire,
■plus on introduit le public dans son intimité pour ex-
pliquer son caractère, plus on entre dans les intentions
ih, mes de cet homme extroordinoire qui a don/"' aux
Mémoires de sa vie le titre de Confessions avec la de-
vise "Intus et in cute."
Ne fallait-il qias cependant appliquer ici là leçon a\
M Pétitain, qui au sujet de Rousseau a dit: "Ilest temps
"enfin de mettre un terme à cette multiplication de lettres
"posthumes"? — Parmi Us 1 63 lettres quecontient cevolum* .
il en est sans dm/te qui n'offrent qu'un médiocre intérêt,
et, pour la plupart des gens dit monde, le recueil entier
pourra paraître insignifiant. Mois en considérant la ques-
tion au point de vue de la Critiqué Philologique foi cru
que les lettres de Rousseau à Ttey devaient échapper au
verdict de M. Pétitain. Après le travail de M. Musseî-
Pathay et de M. Pétitain lui-mêm< ; après que M. Victor
Cousin a mis en évidence combien ce puissant ouvrier du
PREFACE. IX
style , par ses défauts comme par ses qualités , est un
excellent sujet d "études , pourvu qui on tâche d'assister pour
ainsi dire à son travail et de surprendre ses artifices (');
et après que M. Saint-Marc Girardin, dans un cours fait
pendant trois ans à la Sorbonne a démontré, qu'étudier
la vie et les ouvrages de Rousseau c'est étudier des pro-
blèmes curieux et dignes d'attention , de notre temps sur-
tout (2), fai cru pouvoir nC appuyer sur V autorité de ces
littérateurs distingués, en offrant du fond de la Hollande
cette curiosité littéraire aux gens de lettres en France.
Je n'ai donc attendu que quelques moments de loisir pour
ranger les manuscrits, les copier et les livrer à Pim-
pression.
Quant aux éclaircissements que fy ai ajoutés, il eût
été facile de les multiplier-, mais pour celui qui a étudié
les écrite de Rousseau, chaque détail, chaque réflexion,
chaque jugement s'encadrera aussitôt dans son sou-
venir.
(i) Voir l'article Du manuscrit de VEmile dans le Journal des savants.
Sept. L848.
(2) Un résumé de ce cours a été publié dans la Revue des deus Mondes.
Janvier L852.
Il
X PREFAf'K.
Le document inédit sur les derniers moments de Rous-
seau, qiûon trouvera à la suite de ces lettres, a tard
de rapports aux relations qui ont existé entre fauteur
et son libraire d? Amsterdam, que le lecteur rïy verra
que le complément de ce recueil.
Amsterdam, 1857. j. BOSRCHA.
SOMMAI R E.
I. Lettres ayant rapport à la publication du Discours
sur l'inégalité.
page
Introduction 1 .
1. Paris, 8 Nov. 1754. Projet d'orner l'édition d'une vignette. Correc-
tion du texte 3 .
2. // 16 // // Il s'impatiente de ne pas recevoir de nouvelles. 5.
3. // 17 ii ii II s'inquiète de ce que le secret de la publication
du Discours ait transpiré à Genève 5 .
4. // 22 // // Détails typographiques et corrections 6.
5. h 12 Dec. // Avis pour l'Abbé Yvon de'suivre exactement le
Manuscrit dans ses corrections 7 .
6. // 3 Janv. 1755. Remarques siu1 l'impression et la correction de
l'ouvrage. Il gronde au sujet d'une lettre à
M11? Le Vasseur. Il prépare l'impression de
son Dictionnaire de Musique 8 .
7. " 21 // // Corrections 11 .
8. // 1 Févr. // Envoi d'un dessin pour la vignette. Indication
pour l'envoi de lettres 13.
9. Sans date, reçue le 11 Février 1755. Envoi d'additions 13.
10. Paris, 20 Févr.1755. Corrections 14
11. // 23 // // Corrections et additions 16 .
12. // 6 Mars // Corrections. Il prévient Rey qu'il doit tâcher
d'obtenir la permission d'introduire l'ouvrage
en France. Muf Le Vasseur a reçu un présent
de Rey 18.
13. h 20 // // Corrections. Jugement sur le dessin d'une vignette. 20.
14. a 23 // // L'ouvrage, qui ne contient rien de blâmable doit
paraître partout en même temps, fine s'effraye
pas des discours qui courent à son sujet . . , ,
XII SOMMAIRE.
page
15. Paius, lu Avril 1755. Corrections. Pourquoi il u«' peu! 3e charger
d'obtenir la permission d'introduire l'ouvrage
eu France 23
16. // 29 Mai u Lettre pleine d'humeur et de plaintes au sujel
des lenteurs de Rey , etc 25 .
17. // 19 Juin // Difficultés pour introduire l'ouvrage en France.
Le Discours sera traduit en Anglais 27.
II. Lettres ayant rapport à la publication de la Lettre à
d'Alembert sur les théâtres.
page
l.NTKODUCTION 29.
18. Montmorenci, 9 Mars 1758. Réponse à une proposition de voyage en
Hollande. Les Principe» du droit de
la Guerre ne sont point prêts. U oflre
un autre manuscrit; un troisième est entre
les mains de Rey 3"-' ■
19 15 Avril // L'amitié de Rey lui est une consolation
dans ses soulfrances. Dispositions au sujet
de l'envoi du manuscrit 33 .
20. // H Mai // N'ayant pas de réponse, il se plaint du
temps perdu. Précautions qu'il prendra
pour faire parvenir à Rey le manuscrit. 35
21. // 31 // '/ Il reproche à Rey d'être plus exact à payer
qu'à écrire. Ses motifs pour exiger le
secret de la publication. La correction de
l'ouvrage l'inquiète 30 .
22. n 17 Juin // Il recommande à Rey la droiture et la
franchise. Remarques sur la ponctuation.
sur la hardiesse de l'ouvrage et sur la
manière de l'introduire en France 3'J.
23. '/ 21 u u Envoi d'additions. Appel à l'amitié et
au jugement de Rey -i~.
24. '/ ~'3 7 u Arrangements pour l'euvoides exemplaires
destine.- 1 m m- l'auteur. 11 ne veut pas qu'on
corrige ses fautes 1-1 .
25. /< 28 ■ // Corrections H'1
26. 5 Juillet </ Rey doit envoyer des exemplaires à d'Alem-
bert et à S1. Lambert -ly.
27. u 11 défend ce qu'il a écrit contre les chan-
gements du correcteur. L'harmonie du
rtyle doit être consultée avant la l
tion 5ii
SOMMAIRE. XIII
page
28. Montmorenci, 12Juilletl758. Corrections. Il CBt content de l'exactitude
de Rey 53
29. /' '.'i1 a a II a île l'humeur, et après avoir querellé
son Imprimeur, il cherche à l'apaiser.. 55.
30. // 10 Août // Différend entre Itousseau et le correcteur
au sujet d'une phrase 57 .
31. i/ '.i Sept, a II est dans l'inquiétude. Ses ennemis le
trahissent 60
32. // 13 '/ '/ Il n'est tranquillisé qu'en partie. Ses rela-
tions avee Diderot. Projet d'un recueil
général de ses écrits.. Il a achevé la Nou-
velle Héloïse. Difficultés qui s'opposent à
son voyage en Hollande 01 .
33. 21 Oct. // Il se plaint que l'ouvrage a été distribué
trop tard. Il réclame son droit d'auteur
pour la réimpression. Projet d'un recueil
général 64 .
34. // "2~!FéYr.l759. Proposition pour la réimpression de dinx
ouvrages que Rey a imprimés 66 .
35. // 14 .Mars " Il s'explique au sujet de la réimpression
de ses écrits et propose ses conditions pour
la Nouvelle Héloïse. La préface de
Julie sera un ouvrage séparé. Addition
à la Lettre à d'Alembert G7 .
III. Lettres écrites pendant que la Nouvelle Héloïse
était sous presse.
page
I NTRODUCTION 71 .
36. Montmohenci, 2 Mai 1759. Envoi de la deuxième partie du manuscrit. 75.
37. v 1 Juin // Il se plaint amèrement de ce qu'il ne reçoit
pas d'urgent 7."> .
38. // 21 ii h II a reçu un premier payement. Réflexions
sur le recueil général et la seconde édi-
tion de la Lettre à d'Alembert. Il pro-
pose d'omer la Nouvelle Héloïse de
planches 76 .
39. h 6 Anût. // Il propose de résilier son accord avec R
40. // 5 Sept. // Envoi de la troisième partie 79.
41. // 7 Oct. // Il a encore de l'humeur SO.
42. /.' 20 a ii Envoi de la quatrième partir. La Curiosité
Française ne doil pas être mise trop long-
temps à L'épreuve B]
X ] V S< JMMAIRE.
page
43. MoNTMOKBNCl,15Déc. 1759. Précautions pour l'envoi des épreuves... 82.
44. // 18 Janv.l7CU. Envoi de la dernière partie et de la pré-
face 84 .
45. u 30 // a Sur l'envoi des épreuves 85
46. „ 6 Mars » Il ne veut pas qu'on corrige ses fautes,
et indique une correction à faire 85.
47. „ 10 Avril h II reçoit les épreuves par M. de Haies-
herbes 87 .
48. // 17 // // Il ne veut pas de vignettes; il voudrait
des estampes 88.
49. // 24 u u II ne veut pas sa devise sur le titre 89.
50. // 8 Mai // Difficultés qu'il éprouve pour la correction
des épreuves 90 .
51. // 11 u u Même sujet. 11 ne répondra ni àd'Alem-
bert ni à personne 91.
52. // 18 // // Il est mécontent; il a reçu une proposi-
tion pour se défaire du manuscrit 92.
53. // 22 // // Des feuilles qu'il a reçues ou non reçues. 93.
54. // 25 u ii En faisant pour Rey la copie de l'ouvrage,
il a beaucoup changé 94 .
55. // 28 u ii II est très-exact à corriger les épreuves
et conseille à Rey d'achever promptemcnt . 96
56. // 8 Juin u II a négligé de corriger sur son manuscrit
les changements qu'il a faits dans la copie.
Il a reçu la Comédie des Philosophes.
et il gardera vis-à-vis ses agresseurs un
éternel silence 97 .
57. // 15 // // Il rejette une correction proposée. Il a
appris que Formey a fait imprimer sa let-
tre à Voltaire 99
58. // 22 /' // Précautions pour l'envoi des épreuves. . .100.
59. // 29 // // Sur le titre L02.
60. // 6Juille1 ii 11 refuse formellement que sa devise -oit
sur le titre 103.
61. // 17 u Avis sur l'arrangement du titre 104.
62. // 24 h u Avis sur des vignettes. Jugement sur la
correction de la Première Partie L05.
63. // 27 // u D accuse la réception de quelques feuilles. 106
64. u 28Aoû1 - 11 corrige toujours à la hâte L07.
65. // 31 u // Envoi d'une feuille de réserve L07
66. // ! Sept, Sur Les frais de la correspondance. Envoi
d'une lettre pour Former. Dispositions
pour l'envoi des exemplaires 108.
67. u 14 a u La quantité de faute- énormes ledésole.109.
68. u 50cl. I.e retard delà publication L'afflige.. ..110
SOMMAIRE. XV
page
69.Montmohenci,18 Févr.1761. Au sujet de la réimpression de la Julie
ilarendn cénérnsité nom" orénéivunté nmiu
il a rendu générosité pour générosité, mais
il se plaint de l'indiscrétion de Rey. La
Préface est en vente 111
IV. Lettres écrites à l'occasion de l'impression du
Contrat Social.
page
Introduction 113.
70. Montmorenci, il Août 1761. 11 désapprouve une édition de ses Oeuvres
Diverses. Réponse sur la part que Rey
a demandée à l'impression de V Emile.
Offre du manuscrit du Contrat Social. 115.
71. // '■! Sept. // Il insiste sur son droit de faire de ses écrits
une édition générale. Il a un exemplaire
corrigé , avec des changements, de la Nou-
velle Héloise, pour une nouvelle édition. 11? .
72. v 14 Oct. // Arrangements pour l'envoi du manuscrit
et de l'argent. Il ne veut pas d'argent pour
l'exemplaire corrigé de la Nouvelle Hé-
loise 119 _
73. // 31 // u II prépare le paquet pour M. Duvoisin. .121.
74. u 7 Nov. u M. Duvoisin a reçu le paquet. Proposition
d'un arrangement pour une réimpression
de la Nouvelle Hêloise 121 .
75. // 29 // u L'accident arrivé au porteur du manuscrit
lui fait de la peine. Proposition d'une
entreprise à faire dans le plus grand se-
cret. Il souffre d'un accident qui peut
abréger sa vie 123.
76. // 23 Dec. // Quelle est la nature de l'accident dont il
souffre. Il n'est plus question de l'entre-
prise proposée. Son ouvrage exige de
l'attention et de la diligence 125.
77. a 27 // u Sur l'envoi des épreuves et de ses additions.
L'ouvrage pourra paraître avant l'Emile,
ce qui serait avantageux pour le libraire. . 1 36 .
78. // 30 // // Rey peut compter sur son exactitude. Ci-
vilités L27 .
70. tî.lanv. 1.762. Il est sensible à la bonne volonté de Rey
envers Thérèse. Sa santé ne lui permet
pas de penser à une grande entreprise.
Envoi d'une addition 1 29,
XVI SOMMAIRE.
page
80. MOOTJKOBENCI, 9 Janv.1762. Envoi d'une addition 131 .
81. ii 13 // il II est dans les plus vives alarmes par la
résolution de Rey de ne plus lui envoyer
d'épreuves 13] .
82. u 2:5 11 a II est touché des procédés de Rey, mais
il veut rester indépendant de tout enga-
gement. Réponse à la proposition de Rey
d'honorer sa mémoire après sa mort. La
nature du mal dont il souffre ne permet
pas une opération 132.
83. i Pévr. " Il désire des exemplaires de ses écrits
réimprimés. Sa correspondance devient
dispendieuse. Il souffre toujours 136.
84.. 17 11 11 Sa devise ne doit être mise qu'à la tête
du recueil général. Il ne se reconnaît que
l'éditeur de la Julie 137 .
85. // 18 /' 11 Etourderie de Rey. Arrangements pour la
pension viagère de Thérèse. Proposition
au sujet des deux derniers volumes de
V Emile 138.
86. // 20 // 11 II est découragé 111 .
87. // 25 // 11 II renonce à la proposition au sujet de
V Emile. Particularités sur Thérèse et les
intentions de Rey à l'égard d'eUe. 11 veut
mourir garçon 142
88. // 28 // // Il ne veut pas se mêler de l'introduction
de l'ouvrage en France; mais il n'y voit
rien de plus fort que dans ses autres
écrits L48
89. 11 Mars < Substitution d'une note à une autre vers
la fin de l'ouvrage. Avis sur l'acte de la
pension de Thérèse. Arrangements pour
la distribution des exemplaires de l'ouvrage.
Proposition au sujet de V Emile 145.
90. 11 Suppression d'une note sur les mariages.148.
91. // 18 // 11 II réclame son droit d'auteur contre
Néaulrne et contre Rey. Jugement sur
M. de Malesherbes. Il consent à être le
parrain d'un enfant de Rey 148
02. // 25 // " Précautions pour l'introduction de l'ou-
vrage en France. Réponse .1 une propo-
sition de Rey. 11 demande ce qu'il doit
faire comme parrain L51
93. I Avril u II demande qu'on lui passe les compliments
et les formalités. Si 1' Emile et le Contrat
SOMMAIRE. XVII
page
Social ne paraissent pas en même temps,
cela nuira à ce dernier ouvrage. L'acte
pour la pension de Thérèse est approuvé. 152.
94. Montmorenci,23 Avrill762. Son aversion pour la formule ordinaire de
terminer les lettres. Il s'alarme sur le
succès de l'ouvrage. Il veut convenable-
ment fêter la naissance d'un futur filleul. 154.
95_ ;/ 9 Mai u El se réjouit de la naissanee d'une filleule.
L'acte de la pension de Thérèse a été reçu.
Elle est très-reconnaissante ; mais elle doit
apprendre à signer son nom. Il s'alarme
toujours sur le succès de l'ouvrage 150.
qq „ 29 Mai // Le Contrat Social est défendu en France.
Cependant l'auteur n'a pas passé les bornes
d'une discussion philosophique. Quant à
l'imprimeur, on ne pourra le priver de son
bien par voie de confiscation 159 .
97. Môtibes-Travees, 23 Août 1762. Réponse aux offres de Rey. Il est af-
fligé du placard des Etats- Généraux des
Pays-Bas contre l'Emile et de ce que les
exemplaires du Contrat Social , envoyés
en France, n'ont pas été admis 102.
98. Môtiebs, 5 Sept. 1702. Il demande ses exemplaires 165.
99. i, 8 Oct. u II est indigné de l'affront que les Etats-
Généraux lui ont fait. Proposition au sujet
des Mémoires de Russie 165.
10o. // 10 iNuv. u La manière dont M. Duvoisin a censuré
le Contrat Social est un sujet de plaintes.
Le Roi de Prusse lui a fait faire des
offres 171-
V. Lettres écrites pendant que la Réponse à l'Archevêque
de Paris était sous presse.
Introduction
101. Môtieks, 1 Dec. 1762. ( Caractère de l'écrit dont il désire la publication.
Arrangements pour l'envoi et L'impression du
page
169 .
manuscrit.
.173.
102. n 20 // u Importance de l'ouvrage, qui exige tous les
soins île Rey. Proposition pour prévenir l'abus
des contrefaçons. Llrecommande à Rey lesou-
vrages de VIoultou cl de Etoustan 176
XV1JI SOMMAIRE.
page
103. Môtiebs, 8Janv.l763. Il a envoyé le manuscrit et propose des chan-
gements. Sortie contre Formey. On fait une
édition générale de ses oeuvres. Lettres- qui
courent sous son nom. mais qu'il n'a pas écrites.
Sortie contre la séquelle Voltairienne ISO.
104. » "29 // // Il veut supprimer l'ouvTage et demande le ren-
voi du manuscrit. S'il est trop tard, il recom-
mande l'insertion de quelques corrections. ... 184 .
105. // 5 Févr. // Sujets de mécontentement. 11 a le coeur
navré 187 .
106. // 19 // // Sut la distribution des exemplaires etc 191.
107. " 28 // h Même sujet. Il songe à une édition générale
de ses écrits 192 .
108. " 28 Mars // Regrets de ne pas avoir supprimé l'ouvrage
à temps. L'abbé De la Porte s'est chargé de
l'édition de ses oeuvres que fait Duehesne.
Proposition au sujet d'un présent de ce li-
braire 193 .
VI. Lettres ayant rapport aux intérêts particuliers de l'auteur
et de Rey et à une édition générale des écrits
de Rousseau.
page
Imtkoductioh 196.
109. MÔTiEiis. 1 Oct. 1703. Invective contre Formej el Néaulme. Sa mo-
dération quant au prix de se- manuscrits. Il
dei ient indolent L97.
110. h 28 Dec. » Critique d'un livre que Rey Ma envoyé. Le
comte Bentinck lui a témoigné son appro-
bation de l'Emile 199.
111. h 17 Mars 1704. Il promel un Mémoire sur l'édition générale
de ses écrits, et répond à plusieurs articles
d'une Lettre de Rey 202.
112. " L3 Mai v Envoi du Mémoire, et témoignage d'amitié. 205.
Mémoire sur l'édition générale 206.
113. ,/ •_>() // // Sujets de mécontentement. Sur son portrait ei
la réimpression de ses Oeuvres 209.
SOMMAIRE. XIX
VII. Correspondance concernant les Lettres écrites
de la Montagne.
page
INTRODUCTION 212.
114. Môtiers, 9 Juin 1764. Difficultés pour Eey à imprimer cet ouvrage.
L'auteur propose ses arrangements et demande
le secret 213 .
115. // 1 Juillet // Envoi de la première partie du manuscrit . .216.
116. h 15 // // Changements dans le manuscrit. Sur Fenvoi
de livres et d'estampes 216 .
117. Yverdun, 1 Août // Il veut la couronne civique sur le titre 219.
118. Môtiers, 27 // u Raisons pourquoi l'ouvrage doit paraitre au
commencement de Décembre et pourquoi il ne
déplaira pas en France 220 .
119. // 3 Sept. // Soupçon qu'on intercepte les paquets de Rey.222.
120. Champ-du-Moulin, 9 Sept. 1761. Précautions contre l'infidélité des
Postes 222.
121. Môtiers, 17 Sept. 1764. Corrections. Il prêche encore la diligence et
l'exactitude . . 225 .
122. NEUFcnâTEL, 1 Oct. 1764. Mêmes sujets 226.
123. Môtiers, 8 Oct. 1764. Nécessité de cartons et d'une plus grande di-
ligence encore 229
124. // 22 // >/ Inquiétude au sujet des cartons et de l'arrivée
des exemplaires de l'ouvrage à leur destina-
tion 232.
125. u 29 // ii Nouveau sujet d'inquiétude. Témoignage d'ami-
tié et de reconnaissance 234
126. // 5 Nov. // Corrections. Nouvelles alarmes que l'ouvrage
sera défectueux et viendra trop tard
127. a 10 // u Même sujet. Intrigues de Voltaire auprès du
Duc de Praslin 238 .
128. u 12 a u Encore une correction 241 .
129. v 31 Dec. u II y a des fautes. Fureur que l'ouvrage com-
mence à exciter chez les ennemis de l'auteur.
Etourderie de Rey; reconnaissance de Rous-
seau 241 .
130. n 28Janv.l765. L'ouvrage est défendu à Berne. L'auteur à
reçu des marques de faveur des Comte3 Ben-
tinck 244
131. a 16 Févr. v On a brûlé son livre à la Haye. Ses amis ne
sont que des parleurs. Les entrepreneurs d'une
édition générale de ses ouvrages sont effrayés.
Règlement d'un compte. Civilités 345
XX SOMMAIRE.
VIII. Lettres écrites dans les dernières périodes de la vie
de Rousseau.
page
Introduction 24^.
132. Motif, us, 8 Mars 1765. Tlan d'une édition générale Je ses écrits.
L'ouvrage qui contiendra l'histoire de sa vie.
est commencé
133. » 27 Avril // Il ne pourra recevoir Madame Rey à Môtiers.
Témoignage d'amitié. L'impression générale
de se3 ouvrages trouve beaucoup d'obstacles.
L'histoire de sa vie selon son projet sera un
livre unique: proposition préalable pour la
publication 25G
134. '/ 13 Juin " Avis de la réception d'une lettre du comte
Bentinck 259
135. Isliî >St. I'ieriïe, 12 Sept. 1765. A Môtiers on a forcé de nuit sa mai-
son. Il fera pour Rey une copie de la Reine
Fantnsqt/c. Précautions contré l'infidélité des
Postes 259.
136. '/ 18 Oct. 1765. Il a reçu l'ordre de quitter le terri-
toire où il se trouve. Incertitude sur le lieu où
il se rendra. Avis sur l'édition de ses écrits. 201 .
137. STRASBOURG, 10 Nov. 1765. Il ne perd pas tour à fait l'espérance de
pouvoir se rendre en Hollande 264.
138. '/ 25 // // Il est de très-mauvaise humeur de ce que
Rey lui a envoyé quelqu'un pour le conduire
en Hollande 265 .
139. '/ 1 Dec. v Envoi d'une copie de la Heine Fantasque.
Plan de voyage 266 .
140. Paris "1 " n La copie de la Reine Fantasque qu'il a
envoyée est exacte. Il s'excuse de ne pas venir
en Hollande. Il se rendra avec M. Hume en
Angleterre 267
141. (.'iii.-wk r. 3 Mars 1766. 11 a dû quitter Londres. Eloge de M. Hume.
Il ne veut plus se mêler de ses écrits. Ses
articles de Musique dans l'Encyclopédie sont
faits à la bâte. Pourquoi il n'a pas voulu
passer par la Hollande 268
142. \\ ootton, 23 Avril 1766. (Voir les recueils des Oeuvres Complctes)
Il a rompu tout commerce de lettres. Conseil
d'amitié. Sortie contre Hume. Précaution pour
la correspondance 27]
143. // 10 Dec. L766. Désir de recevoir des nouvelles ci la pen-
sion de Thérèse
SOMMAIRE. XXI
page
144. Fleujiy sous Meudon, 15 Juin 1707. Il a revu pour Rey une édition
du Devin du Village. Payement de la pen-
sion. Il ne veut plus lire que des livres de
botanique 273 .
145. Ouûteau de TniE, 28 Dec. 1707. Il accepte la dédicace d'une traduc-
tion de Platon. Il vit dans une honnête aisance
et s'occupe de botanique 275 .
146. ii 11 Juin 1708. Sur l'impression d'uno lettre de
M. de Graffenried. Effusion de douceur 280 .
147. Monqttin, 31 Janv. 1769. Il est content de son mariage et fait Téloge
de Thérèse. Chiffon volé à M. Du Peyrou. La
botanique l'amusera jusqu'à sa dernière heure.
Attendrissement pour, sa filleule 288
148. h 27 Avril 1709. Rey ne doit plus lui parler des Mémoires
de sa vie. Avis pour le recueil do ses écrits.
La coupe de la Nouvelle Héloïse en six par-
ties doit rester telle qu'elle est faite dès le
commencement 287 .
149. // 11 Juin 1769. Réponse un peu sèche à plusieurs articles
d'une lettre de Rey 289.
150. ii 29 Nov. 1709. Témoignage d'amitié et de reconnaissance.
Il veut renoncer à sa manie pour la botanique.
Regret de ne pas avoir refusé la dédicace de
la traduction de Platon 290 .
151. Lyon, 7 Juin 1770. Remercîments. Il a fait la connaissance de M.
Bruyset 293 .
152. Paris, 26 Juillet il M. De la Tour est le seul qui l'ait peint res-
semblant. Formule générale dont il se sert pour
dater ses lettres 294
153. // 2 // ii Ramsay et Liotard en faisant son portrait ont
été guidés par des manoeuvres, dont De la Tour
est incapable 290 .
154. // 21 Mars 1771. L'assiduité de son travail ne lui permet pas de
le prolonger par des lettres 297 .
155. ii 9 Juillet// Il ne veut pas travailler à l'Encyclopédie de
Rey 298.
156. a 30 Août // Sur un livre que Rey lui a envoyé 299 .
157. » 11 Oct. // Il a perdu sa mémoire .300.
158. u 22 Mai 1772. Il est alarmé de la nouvelle d'un malheur ar-
rivé ù. Amsterdam 301 .
159. // 1-1 Juin // Sur l'éducation des Biles de Rey. Il ne recon-
naît pour son oiivrairr que les premières édition.-»
do ses écrits 301 .
160. '/ 28 Févr. 1773. Remercîments au sujet de la pension 303
161. " 15 Sept. - Il n'a plus de correspondance suivie :;,|i
XXII SOMMAIRE.
page
162. Pari?, 11 Oct. 1773. Renvoi de manchettes. Sur l'édition que Rey a
faite du Devin du Village. Il ne se souvient
presque plus du contenu de V Emile. La Nou-
velle Héloise est le seul de ses écrits qu'il re-
liroit avec plaisir. Il a fait passer un magnifique
exemplaire de ses écrits dans la Bibliothèque
du comte d"Egmont 306 .
163. // 16 Dec. u Quiproquo au sujet d'un exemplaire de la Nou-
velle Héloise 308 .
CONCLUSION
ayant rapport a la mort de Rousseau.
page
Introduction 309.
Lettre écrite d'Ermenonville le 8 Août 1778 par M. de Girardin à Rey.315.
ERRATA DANS LES NOTES.
Page 4. note 2, 1. 8, devant, lisez de.
u 201, u 1, 1. 18, un Professeur nommé Allemand, lisez: le Profes-
seur Jean Nicolas Sebastien Allamand. Dans la
même note on trouve citée la lettre N°. 130 comme
prouvant In faveur dont jouissait Rousseau auprès du
comte Charles Bentinck ; il faut y ajouter le N°. 136.
I.
LETTRES
AYANT RAPPORT A LA PUBLICATION
DU
DISCOURS SUR L'INÉGALITÉ.
.Le titre de l'ouvrage dans l'édition originale
est ainsi conçu : "Discours sur l'origine et les fon-
dements de l'inégalité parmi les hommes: Par
J. Jacques Rousseau, Citoyen de Genève. Non
in depravatis y sed in his quae secundum naturam
se habentj considerandum est quid sit naturale.
Aristot. Politic. L. 2. A Amsterdam, chez
Marc Michel Rey. M.DCC.LV." - La question
que l'auteur traite dans ce Discours fut pro-
posée en 1753 par l'Académie de Dijon en ces
termes: "Quelle est l'origine de l'inégalité parmi
"les hommes et si elle est autorisée par la loi
"naturelle?" Rousseau qui n'avait publié alors
que son Discours sur T'influence des Lettres et le
Devin du Village, ne pouvant méditer à son aise
que sub dio et en marchant, passa huit jours
à Saint-Germain, s'enfonçant dans la foret pour
approfondir le sujet. Le Discours qui en fut le
résultat, et où il attaque l'inégalité des condi-
1
tions sociales, ne fut point couronné comme l'avait
été trois ans auparavant celui où il attaque les
Sciences et les Arts. L'ouvrage couronné de
l'abbé Talbert a été publié en 1754. Le 1er Juin
de la même année, Rousseau entreprit un voyage
à Genève, dont il a donné les détails dans
ses Confessions, mais qui, comme il Fa avoué
ailleurs, fut fait en partie pour solliciter du Con-
seil de Genève la permission de dédier son Dis-
cours à la République. Avant son départ de
Paris, il avait déjà esquissé une Epître Dédica-
toire qu'il acbeva à Cbambéry, où il l'a datée
du 12 Juin 1754. Après avoir reconnu, pendant
son séjour à Genève, l'impossibilité d'obtenir
ce qu'il désirait, il résolut de publier et la Dédi-
cace et le Discours sans en avoir fait aucune
communication aux Magistrats. Il rend compte
de ses motifs clans une lettre à M. Perdriau
(28Nov. 1754), qui se trouve parmi la Correspon-
dance publiée dans les recueils de ses Œuvres.
Ce fut à cette occasion que Rey, qui pour ses
affaires se trouvait à Genève, sa patrie, y lit la
connaissance de Rousseau et obtint un eng'affe-
© ©
ment préalable pour l'impression du Discours.
Pour presser cette affaire ^ Rey se rendit au mois
d'Octobre à Paris et reçut le manuscrit, pour
l'imprimer aussitôt après son retour à Amsterdam.
Alors commença la correspondance dont les lettres
de Rousseau forment ce recueil.
1.
A Paris, le 8 Novembre 1754.
J'espère, Monsieur, que cette Lettre vous trouvera
arrivé en bonne santé et notre affaire en train.
On m'a écrit que M. Soubeiran (*) n'avoit point voulu
faire le cartouche dont vous l'aviez fait prier par M.
Maistre jusqu'à ce qu'il sût quels attributs on y vouloir
ajouter. De sorte que pour avoir voulu faire mieux
que bien il est à craindre qu'il ne fasse rien du tout:
car le tems se passe et si vous attendez après ce des-
sein , les allées et venues de Lettres prolongent si fort
le tems que je vous conseille de faire faire un dessein tel
quel sur les lieux qui sera toujours bien, pourvu que le
dessein soit simple et le blason exact. J'ai cependant
écrit à M. Soubeiran afin de gagner du tems et je lui
ai marqué que je ne voulois point d'attributs &c.
Je joins ici une correction qui est essentielle quoiqu'elle
ne soit que de peu de mots , et comme le lieu où elle
va est déjà barbouillé par des renvois, j'ai jugé à propos
de joindre ici l'alinéa entier afin que vous ayez la
bonté de le substituer à celui du manuscrit.
Je prens part à la joye que ressentira Madame Rey
de votre heureux retour dont j'attens la nouvelle avec
impatience. Faites agréer mes respects à cette chère
épouse et ne m'oubliez pas non plus auprès de M. l'Abbé
Y von. (') Je vous embrasse de tout mon cœur et suis
(i) Pierre Soubeyranj Directeur de l'académie de dessin à Genève, sa patrie.
Il a gravé, étant à Paris, plusieurs pièces d'après différents maîtres et la
plupart des pierres gravées antiques du cabinet du Roi, dans l'ouvrage de
P. .1. Mariette, Traité des pierres gravées (Paris L750, 2 vol. in fol.).
(") L'abbé Yvon est l'auteur des articles de l'Encyclopédie Dieu ei âme.
Ces articles lui attirèrent la disgrâce de Voltaire et des Encyclopédistes. Voyez
la lettre de Voltaire à d'Alembert d. 9 Oct. 1755.
1-
très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur
J. J. Rousseau. ( ' )
Page première du Discours, premier alinéa: ôtez
l'alinéa en entier et substituez-le de cette manière. (2)
(i) Je reproduirai le nom chaque fois que la lettre est sic-née: il y eu a
qui ne le sont pas.
(2) Je donne un fac-similé du reste de la lettre. Il est curieux de voir
combien de fois l'auteur a refait la phrase pour trouver, à défaut de sim-
plicité dans la pensée , l'expression qui produirait le plus de clarté. Dans le
manuscrit que Rey avait emporté de Taris le passage était déjà barbouillé pur
des renvois. A ce qui s'y troiivait en dernier lieu, l'auteur veut d'abord
substituer la correction que présente le fac-similé. Mais là encore xine partie
est substituée à une première ébauche, devenue presque illisible. Au dessous
de la rature, je crois .apercevoir ce qui suit: que j'aurai à parler devant
l'homme et que c'est à des hommes que je vais -parler: car il n'y a i u pas
moins de courage à la proposer qu'à la résoudre et ceux qui font connoitre
la vérité sur de pareilles matières, ne s'honorent pas moins que ceux qui
l'osent soutenir." Cette rédaction ne le satisfaisait pas encore: on voit qu'il
l'a rayée. Je n'ai pas trouvé Le manuscrit de la correction à laquelle il s'est
définitivement arrêté; mais un morceau de la feuille, sur laquelle la lettre e>t
écrite, a été détaché et je ne doute pas que ce morceau n'ait servi au com-
positeur. Il y aura lu le passade tel qu'il se trouve dans l'édition de 1755;
"C'est de l'homme que j'ai à parler, et la question que j'examine m'apprend
"que je vais parler à des hommes, car on n'en propose point de semblables
"quand on craint d'honorer la vérité. Je détendrai donc avec confiance la
"cause de l'humanité devant les sages qui m'y invitent, et je ne serai pas
"mécontent de moi même si je me rends digne «le mon sujet et de mesjuges."
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IVlA-Yt.tH-*-'
3.
A Paris, le 16e Novembre 1754.
Je ne puis vous cacher Monsieur, l'étonnement où
je suis de ne recevoir aucune de vos nouvelles. Il pour-
roit arriver que vous m'eussiez écrit et que votre Lettre
eut été perdue ; vous me ferez plaisir de me faire dire
par quelqu'une de vos correspondances ce qu'il en est
à cet égard. Si vous avez quelques feuilles à m'envoyer,
servez vous aussi de quelqu'un pour me les faire tenir
et je leur rembourserai le port. Vous devez compren-
dre que j'ai des raisons pour cela. Bonjour, Monsieur,
je sais que vous êtes arrivé en bonne santé, et je
suppose que vous avez receu ma précédente Lettre.
J. J. Rousseau.
3.
A Paris, le 17e Novembre 1754.
Enfin, Monsieur, j'ai receu votre lettre et M. Pissot (')
m'a aussi montré la sienne par laquelle je vois avec
chagrin que des vétilles vous retardent tandis que par
votre faute il nous importe d'user de la plus grande
diligence. J'apprends de Genève que votre lettre à
M. Maistre y a mis tout le inonde aux champs, de sorte
que je ne serois pas surpris qu'on employât toutes les
voyes possibles pour arrêter votre Edition, ce qui me
fâcheroit d'autant plus qu'il y a en Angleterre deux
copies du manuscrit dont je puis bien répondre pourvu
(') Libraire à Paris dont Jean Jacques se plaint amèrement dans ses ('mi-
fvxstons et surtout dans sa lettre ù M. Xieps (•"> Avril 1759). Dans une lettre
au libraire Guérin il qualifie de bêtise son imprudence d'avoir laissé impri-
mer quelques uns de ses écrits à Pissot.
6
que vous fassiez usage de la vôtre, mais dont je ne
répondrais pas qu'on n'abusât un jour à son défaut.
Voici donc ce qu'il me semble que vous avez à faire.
C'est de garder sur cet écrit le plus profond secret qu'il
vous sera possible, ou du moins de n'en parler que
comme d'une Edition que vous voulez préparer à loisir,
et cependant d'user en secret de la plus grande dili-
gence pour l'imprimer et le répandre avant toute tra-
casserie. Vous avez vu vous même si j'ai d'autre motif en
cela que l'amour de la vérité et de la vertu: mais j'avoue
qu'autant j'abhorre la publication des livres dangereux,
autant je liais la maligne discrétion des médians ou la
pusillanimité des petits esprits. Vous voilà bien averti :
C'est à vous maintenant à vous conduire comme vous
jugerez le plus convenable pour votre intérest et pour
l'honnêteté. Bonjour, Monsieur, mille respects à Made.
votre Epouse. Je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
4.
A Paris, le 22e Novembre 1754.
Je viens de recevoir, Monsieur, avec les essais de
caractères votre lettre du 16 par laquelle vous me
marquez que vous ne commencerez le travail que je
croyois fort avancé qu'après avoir receu ma réponse;
désormais je ne m'en mettrai plus en peine et vous
irez aussi posément que vous le jugerez à propos.
Gardez vous bien, je voua prie, do mettre les notes
sous le texte; ce seroil le moyen de tout gâter. (')
(') L'auteur explique pourquoi il a çejeté Les notes à ta fin du Discoure
dans un Avertissement sur les notes, qui dans L'édition de L755 se trouve
après La Préface.
J'aurois fort voulu que la Dédicace ne fut pas en Ita-
lique. (•') Je trouve les lignes trop écartées dans le
texte du Discours. Mais vous avez vos raisons pour
mettre beaucoup de blanc et je ne veux pas vous gêner.
Je ne vous parle point des énormes et nombreuses fau-
tes puisque vous n'aviez pas fait corriger; je dois
pourtant vous prévenir qu'il y en a une dans l'épigraphe
du titre, sic pour sit, et que dans la Préface, ligne 13 (2)
il se trouve je ne sais comment un mot pour un autre ,
démêler la source pour connoître (3) la source; je vous
prie de regarder si la faute est dans le manuscrit et
en ce cas de la corriger.
Faites je vous prie mes complimcns et remercîmens
à M. l'Abbé Yvon ; assurez Madame Iîev de mes respects ,
et croyez que je suis de tout mon cœur, Monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur
J. J. Rousseau.
Je remarque qu'il y a (comme dans la Préface ligne
7 en remontant où il manque un et) des fautes qu'on
ne peut corriger qu'en faisant attention au manuscrit
parcequ'elles mutilent la période sans ôter le sens; vous
aurez la bonté d'engager M. l'Abbé Yvon de ne poinl
corriger sans consulter le manuscrit.
A Paris, le 12e Décembre 1754.
Quoique, n'ayant pas de vos nouvelles. Monsieur,
"expérience lirait appris à ne pas croire étourdiinent
(M Roy s'est conformé au désir de l'auteur par une nouvelle composition.
<a Dédicace dans L'édition de L755 n'est pas en Italique.
f-'i La ligne 18 est devenuo la 2] ""'.
l 'i 11 a rayé le mol découvrir nn'il avail écril en premier lieu.
que vous travaillez à notre affaire comme vous me
l'avez promis , je vous envoyé pourtant par précaution
une addition essentielle que je vous prie d'avoir l'œil
à faire placer exactement. J'en aurai encore une ou
deux pour la suite du Discours, mais vous vous pres-
sez si peu que ce n'est pas la peine de rjie presser.
Quoique je n'aye pas l'honneur d'être connu de M.
l'Abbé Y von, je vous prie de vouloir lui dire combien
je suis sensible à ses bontés et le remercier derechef
des soins qu'il veut bien se donner pour notre besogne.
11 y a dans cet ouvrage plusieurs phrases incorrectes
que j'ai laissées à dessein, ainsi il ne faut que suivre
fidèlement le manuscrit. Donnez-moi des nouvelles de
votre santé, de celle de Madame Rey, recevez mes
embrassemens et présentez lui mes respects.
J. J. Rousseau.
Quand vous aurez quelque chose à m'envoyer vous
me ferez plaisir de profiter de toutes les occasions qui
pourront éviter les frais de la poste sans incommoder
personne.
0.
A Pakis, le 3'' Janvier 17' 55.
•l'ai enfin receu, Monsieur, les trois premières feuilles
<|iii m'ont été apportées de l'hôtel de Soubise sans que
j'en sache davantage; je suppose que les pacquets en
sont contresignés et ne content rien de port; car si
le port se paye, je ne souffrirai pas que personne le
paye pour moi. Ed pareil cas, vous pourrez m'adresse!-
les feuilles suivantes en droiture, on bien attendre
quelque occasion de voyageur; ou bierj vous servir ^\v
l'adresse suivante: .1 Monsieur /.<■ Blanc pour remettre
9
à M. François Mussard ('). A Paris. Il n'est pas néces-
saire que mon nom y soit. Mais il suffira de porter le
pacquet cacheté à M. Paul Renoird et le prier de le
joindre aux envois qu'il fait à M. Le Blanc. Tout Lien
compté, j'aime autant que vous me fassiez directement
la pluspart de ces envois ; mais il faut envelopper vos
feuilles avec un peu plus de soin: car celles-ci me sont
arrivées toutes rongées et percées. Voici maintenant
mes observations sur votre travail.
Le caractère est très beau, et le papier me paroîtroit
beau aussi, si la première feuille n'enlaidissoit les autres.
11 ne faut pas que rien venant de moi présente une ap-
parence trompeuse. Ainsi, Monsieur, faites s'il vous
plait que la première feuille soit semblable aux autres
ou les autres à la première; au moins pour celles qu'on
tirera désormais. Le mot Dédicace au haut des pages
est ridicule ; il ne falloit rien que le chiffre , ou les mots
Epitre dédicatoire (2). Les mots Magnifiques , très ho-
nores Sçc. sont tantôt en lettres capitales et tantôt en
petites lettres, ce qui ne fait pas un bon effet. L'asté-
risque page 10 qui doit indiquer une note, n'est point
répété à la marge avec un chiffre, de sorte qu'on ne
sait à quelle note il renvoyé (3). Je n'ai trouvé que
deux fautes dans les lettres; l'une page 32 serez pour
seriez (4) et l'autre pag. 41 ligne 3 en remontant sont
le plus pour sont les plus (5). Quant à celle-ci , comme
(i) Voyez les Confessions P. II. L. VIII.
{2j Le mot Dédicace est resté au haut des pages.
(3) Ce n'est pas page x mais ix de l'édition que la note est indiquée par
un chiiïe répété à la marge.
(4) Les pages dans l'édition no sont pas cotées comme l'autour les cite dans
ces lettres. Quand il cite la page 34 c'est p. 37 de L'édition. Mais il semble
que la phrase où se trouvait le mot seriez a entièrement disparu.
' Il insiste dans la suite de la lettre pour que cette correction se fasse.
Le passage se trouve p. 4"> de l'édition et on y lit encort : préférences qui
sont le plus de notre goût.
10
il n'est question que d'une 6- à ajouter et que eela se
peut faire aisément en pliant la feuille, vous m'obligerez
beaucoup d'y faire faire cette petite correction. Les fau-
tes de ponctuation sont innombrables. Quand j'ai désiré
qu'on suivît exactement le manuscrit je n'entendois pas
parler de la ponctuation qui y est fort vicieuse. Priez
M. l'Abbé Yvon de vouloir bien la rétablir dans les
épreuves suivantes. Je vois que vous n'avez point en-
core vos vignettes ; je vous prie de m'envoyer des épreu-
ves sitôt que vous les aurez. En relisant les feuilles
j'y retrouve d'autres fautes que je n'avois point apper-
çues comme état pour Etat à chaque moment, p. 14 seu-
lement pour seulement ('). p. 23 Jmircux pour heureuse.
p. 33 modeste Sfc. (2). Je me confirme par ces obser-
vations dans l'opinion où j'étois déjà que les gens de
génie et d'esprit , ceux qui font eux mêmes les meilleurs
livres, sont les moins propres à corriger les épreuves
des autres, et je vous avoue que eela m'épouvante un
peu pour la suite de notre besogne; en voyant trop
promptement ce qui doit être sur le papier, on regarde
moins attentivement sans le vouloir ce qui s'y trouve
réellement.
Il faut que je vous gronde pour la lettre qu'a receue
de vous Mlle. le Vasseur. Si cette lettre avoit passé'
par mes mains elle ne Fauroii jamais vue: mais puis-
qu'elle sait que vous lui destinez un présent, quoique
fort mal à propos, je ne veux donner la mortification
ni à vous ni à elle de vous le faire renvoyer: elle
(M Ce mol ne Be trouve nulle pari dans celte partie du Discours. Je snp
pose que l'auteur avait écrit p. 16: "elle (la Naturel raid forts et robuste»
seulement ceux i/»i sont bien constitués, et fait périr (mis les autres,"
ci qu'après il a Bupprimé le mut seulement,
(-) .le ue trouve pas les passages auxquels ces deux corrections ne
rapportent.
11
me charge de vous en faire d'avance ses très-humbles
remercîmens.
Je prépare mon Dictionnaire de Musique pour le
mettre sous presse l'Eté prochain; mais il faut que je
voye l'exécution de ce que vous avez entre les mains pour
savoir à quoi m'en tenir à l'avenir. D'ailleurs , le prin-
cipal débit de cet ouvrage sera probablement en France,
et comme rien n'empêche qu'il n'y soit imprimé, pour
peu que vous eussiez là dessus d'indifférence, je ne serois
pas fâché de le donner ici sous mes yeux.
J'attends de vos nouvelles à votre loisir et à celui de
votre imprimeur; n'oubliez pas je vous prie, quand on
pliera la 3e feuille, de faire ajouter Vs page 41 et tâ-
chez par votre exactitude à venir que nous n'ayons besoin
de carton nulle part. Je vous enverrai mes additions
quand vous approcherez des feuilles où elles doivent
entrer.
Bonjour, Monsieur, bien des respects à Madame.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
7.
A Taris le 24 Janvr. 1755.
J'ai receu, Monsieur, votre second pacquet à mon
adresse contenant les trois feuilles suivantes. Comme
les frais de la Poste sont énormes , peut être pourrez
vous me les éviter désormais à l'aide du Billet ci-
joint.
Je suis fort content du caractère et même de la cor-
rection, à La ponctuation près. Il y a cependant une
faute dans chaque feuille qui se peut facilement cor-
12
riger à la plume en pliant la feuille, et vous me ferez
un sensible plaisir de les faire corriger exactement (').
La première est à la 4e. feuille p. xlvii. ligne 7e.
c'est donc à tous effacez donc.
La 2e. mérite de l'attention et demande du soin: si
vous aviez la patience de la corriger vous même, ce
seroit le seul moyen qu'elle fut bien réparée.
Elle est à la 5e feuille p. lxviii, ligne 8:
des uns, ou est porté mettez des uns; on est porté.
Pour cela, après avoir légèrement effacé avec un canif
la liaison de Vu il faut avec la plume transporter la
liaison en haut pour changer Vu en n puis ajouter un
point sur la virgule.
La troisième est à la 6e feuille B, page 11, ligne
troisième en remontant.
Conforme lisez conformé; comme il n'est question que
d'un accent, le garçon peut l'ajouter aisément en pliant
la feuille.
Je laisse les autres fautes parcequ'elles ne sont pas
importantes , et qu'un lecteur attentif ne sauroit s'y
tromper.
Bonjour, Monsieur, je vous embrasse et vous recom-
mande instamment l'exactitude afin de n'avoir pas be-
soin de carton.
J. J. Rousseau.
(') Ce n'est pas à la plume, mais par de* cartons, que Les corrections ont
été laites. Page I.iv on lit dans la Dédicace: C'eut à VOUS; p. Lxxxiv dans
la Préface: des uns; on est porté, et dan- le Discours p. L3, ligne troisième
en remontant conformé. La Beule minute de* lettres de Rey que j'ai trouvée
es! -si réponse à la lettre An S-'< Février (N°. Ll). On j lit: "Dans le com-
mencement favois dessein de corriger à lu main les fautes que vous m'in-
diquiez ■ mois il y en a trop pour pouvoir y satisfaire."
13
8.
Vous trouverez ci joint, Monsieur, le dessein du car-
touche aux armoiries de la Répc. que M. Soubeiran m'a
fait tenir pour vous l'envoyer; je vous prie qu'il soit
gravé avec soin (').
Comme vous êtes encore loin des notes , je ne me presse
pas de vous envoyer quelques additions que j'ai à y
faire. Quant aux feuilles que vous m'enverrez désor-
mais , je vous prie que ce soit sous le couvert de Mon-
sieur Dupin de Chenonceaux Fermier Général, à V Hôtel
des Fermes du Roy , à Paris (2).
Bonjour, Monsieur, je vous embrasse de tout mon
cœur, je vous prie de saluer pour moi Madame votre
Epouse et Monsieur l'Abbé Yvon.
J. J. Rousseau.
A Paris, le lr. Fevr. 1755.
0.
Monsieur Rey est prié de veiller à ce que ces additions
soient exactement rapportées en leur lieu; il vaudroit
(») Voyez No. 13.
(2) Le Fermier Général, dont Rousseau indique l'adresse est Claude Dupin
mort en 1769, auteur de quelques ouvrages d'économie rurale. Il avait épousé
en secondes noces une demoiselle Fontaine, qui, sous le nom de Madame Du-
pin , a publié quelques écrits de morale , et qui par son urbanité envers les
gens de lettres est devenue une des femmes célèbres du dix-huitième siècle.
Ello a employé Jean Jacques à transcrire ses manuscrits et lui a confié pen-
dant quelque temps l'éducation de son fils. Près de Chenonceaux, sur la rive
du Cher, Diane de Poitiers avait bâti un magnifique château sur un empla-
cement que Henri II avait acheté pour elle. Ce Béjour délicieux était devenu
la propriété de M. Dupin, et ce fut là que Madame Dupin reçut les hommes
de lettres de son temps, Rousseau, Fontenelle, Buffon, Montesquieu, Voltaire.
Elle v mourut en 1800 à l'âge de près de 100 ans.
14
beaucoup mieux les omettre que de les mal placer, ei
la moindre faute nous réduirait à l'embarras de cartons.
Je ne me presse pas d'envoyer les additions pour les
notes, voyant clairement depuis longtemps que Mon-
sieur Rey a beaucoup d'affaires plus pressées que la
mienne (*).
10.
J'ai receu, Monsieur, vos trois derniers envois con-
tenant les feuilles C, D, E, F et G, sur lesquelles
vous avez ci-joint mes observations, quant à ce que
vous me marquez du pacquet précédent , non seulement
j'en ai payé le port taxé 5 livres 12 sous, mais je suis
certain que le pacquet avoit été ouvert et recacheté d'une
empreinte de votre chiffre qu'on avoit eu la patience de
tirer; c'est pourquoi , quoique la feuille C me soit venue
depuis en bon état et franche par la même voye, je vous
prie de ne vous plus servir désormais que de la der-
nière adresse que je vous ai donnée et par laquelle
vos envois me parviennent exactement et sûrement.
NB. (8) Feuille C, page 24, ligne trois. Plusieurs
en trouvent qui êfc. il faut: plusieurs en trouvent-ils gui,
quoique cette façon de parler soit un peu sauvage,
comme elle fait un sens tout différent j'ai eu nus rai-
sons pour L'employer, et je me souviens très-bien que le
mot ils u'est pas omis dans le manuscrit. Ainsi je vous
prie de ne pas manquer de le rétablir à l'aide d'un carton.
(') Ces lignes se trouvent écrites de la main de Rousseau sur an petit mor-
ceau de papier plié en tonne de lettre, cl portanl l'adresse ordinaire .1 Mon-
sieur Monsieur Mure Michel Rey Libraire. A Amsterdam. Rej y a
annoté liccciic le Xl'fcvr. 1?.'>">.
routes Les fautes marquées dans cette lettresonl corrigées dans l'Edition.
La première correction plusieurs en trouvmt-ils se lit p. '.'<;.
15
Même feuille p. 34 , 1. 8 , de tans un mot de deux ,
et dans la ligne suivante la quelle deux mots pour un.
P. 38, 5e ligne en remontant: matin pour main, ligne
suivante connoissances , nécessaires, lisez connoissances
nécessaire sans virgule et sans s, parce que nécessaire
ne se rapporte pas à connoissances mais à degré.
Feuille D , p. 46 , ligne 3 en remontant ces pour ses.
Feuille E, p. 61, ligne 7 conditions , je faites un point
de la virgule.
P. 62, ligne 8, extience lisez existence.
P. 70, ligne 4, comme un être, lisez pour un EtreQ).
Feuille F, p. 76 , ligne 7, pourroient, lisez poavoicnt.
Le reste est assez correct à la ponctuation près qui
est partout très négligée.
Vous me marquez que mes 60 exemplaires seront
exactement corrigés: c'est ceux là où la correction est
le moins nécessaire puisqu'elle y sera aisément suppléée
par moi ou mes amis. Mais c'est pour le public qu'il
faut corriger avec soin. Du reste, les corrections in-
dispensables sont en petit nombre jusqu'à présent; et
il n'y en a qu'une dans les 5 dernières feuilles , qui- est
la première notée ci derrière, qu'il faille faire néces-
sairement. Vous pouvez négliger les autres.
A l'égard des six premières feuilles. Il y a dans la.
feuille 4e page xlvii le donc à effacer, ligne 7. Feuille 5,
page lxviii, ligne 8, des uns; on est à substituer au
lieu de des tins, on est , c'est à dire un point à ajouter
et un u à changer en n.
Je vous abandonne toutes les autres fautes des 11
premières feuilles à condition que vous aurez soin de
faire corriger exactement ces trois là dans tous les
exemplaires, soit ;ï In main, soit avec des cartons.
(') \; -■ nota Rey :i éci-il : se trouv<
16
Vous aurez la semaine prochaine les additions et
changement pour les notes, auxquelles je juge que vous
ne serez pas sitôt.
En relisant cette lettre, je trouve les corrections
exactes , mais un peu embrouillées. Je ne laisse pas de
vous l'envoyer espérant que vous mettrez plus de soin
à corriger le texte qu'à presser l'édition.
Bonjour, Monsieur, je vous embrasse de tout mon
cœur.
J. J. Rousseau.
A Paris, le 20 Fevr. 1755.
H. (')
Puisque vous voulez , Monsieur, me dédommager de la
lenteur par l'exactitude, ayez, je vous prie instamment.
la plus grande attention aux remarques et additions
suivantes.
Feuille H, page 111, ligne 3, naturelle lisez mu-
tuelle. Ce changement est indispensable et ne peut se
faire qu'avec un carton.
Môme page, pre. ligne, amena lisez amène. On peut
faire un e de Ma.
A la page 112, ligne prc. immédiatement derrière la
précédente s'accoutume lisez s'accoutuma, on peut faire
un a de Me (2).
Je me borne à ces trois corrections quoiqu'il n'en
(') Je n'ai trouvé que deux fragments de la lettre qui contenait les addi-
tions pour les notes que Rousseau avait promises dans la précédente. I
deux morceaux de papier, dont l'un est la moitié d'une feuille qui a été coupée
en deux. La moitié qui manque a sans doute été' donnée an compositeur,
ad morceau ne contient que l'épilogue de la lettre.
(-) Ces trois corrections ont été faites par des cartons. Voir les pages lis,
119 et 120 de l'édition.
17
manque pas d'autres à faire dans cette feuille. Je suis
fâché de l'embarras que tout cela vous donne, mais je
ne puis me résoudre à dire de pareilles absurdités, ei
je compte bien que vous ne les laisserez pas.
Passons maintenant aux notes.
Note I aux deux tiers environ il y a
Or il fallait absolument, ce me semble, que ce privi-
lège fût interprété tf'c. (').
Changez ainsi cet endroit
Quand Hérodote ne nous apprendroit pas la restric-
tion qui fut mise à ce privilège, il faudrait nécessaire-
ment la supposer; autre me ut Otanès Sfc.
Même note 7, dans l'alinéa suivant qui commence
par ces mots je ne répéterai point ici etc. Je ne me sou-
viens pas si entre ces mots son plus charmant ouvrage
et ceux-ci que les sauvages etc. j'ai répété le mot goûts.
S'il n'y est pas il faut l'y mettre. (2)
A la fin du même alinéa après ces mots auquel Us
sont destinés ajoutez de suite ce qui suit.
Que seroit-ce si f entreprenois de montrer V espèce hu-
maine attaquée dans sa source même, et jusques due* le
plus saint de tous les liens, où Von n'ose plus écouter la
nature qu'après avoir consulté la fortune, et où le désordre
civil confondant les vertus et les vices, la continence de-
vient une précaution criminelle, et le refus de donner la
rie à ses semblables, un acte d'humanité? Mais sans
déchirer le code qui couvre tant d'horreurs, contentons
(') On voit que l'auteur en écrivant cotte note dans son premier manuscrit
avail oublié qu'Hérodote interprète en effet le privilège accordé à Otanès, en
ajoutant à son récit (III. 83) qu'encore de son tempe la maison d'Otanèa
jouissait d'une pleine liberté pourvu néanmoins qu'elle ne transgressât en
rien les lois du pan*.
(2) Il y est p. 234.
■1
18
nous ^indiquer le mal auquel Vautres doivent apporter
le remède. (')
Qu'on ajoute à tout cela <j'<?.
Tout à fait à la fin, de la môme note 7, après ces
mots, trop petit pour ses habitons, ajoutez l'alinéa suivant.
Voilà, Monsieur, mes corrections et additions; don-
nez vous tout le tems de faire les unes avec soin et
de bien mettre les autres à leur place. Je ne puis
vous cacher que si vous laissez subsister les fautes que
je vous ai indiquées et celles qui probablement se feront
encore, non seulement l'ouvrage dont vous êtes chargé
fera du tort à l'auteur, de quoi il se soucie fort peu,
mais nuira infailliblement à l'Edition , chose qui m'in-
téresse beaucoup plus quoiqu'elle ne regarde que vous,
parce que je ne me consolerois jamais d'avoir fait faire
en ma vie une mauvaise affaire à un honnête homme.
Bonjour, je vous embrasse. J. J. Rousseau. Ce 23 févr.
12. (■)
Feuille K, page 139, ligne 7, repentirent il faut res-
sentirent ce sont deuxss à substituer à un p. Je ne vois
pas que cela puisse se corriger à la plume, ainsi je
vous demande un cartou pour cela; n'y manque/ pas,
je vous en prie (3), c'est la seule faute dont je vous
demande la correction dans ces deux feuilles.
(i) Le passage se lit en effet p. 334 o< 235 mais an lieu de ses semblables
il y ;i son semblable.
(2) Cette lettre avait été écrite bot deux feuilles. Je n'ai pas trouvé la
première.
(3) Il n'y a pas manqué. La correction se trouve, p. 1 4'.» de l'édition.
11)
Quoique vous me rassuriez sur les fautes qui restent
dans l'Edition, et dont je ne doute pas qu'il ne faille
imputer quelques unes au manuscrit; je vous avertis
pour la dernière fois qu'il y en a sept ou huit qui exi-
gent nécessairement des cartons , de ce nombre est celle-
ci-dessus. Je vous ai envoyé à mesure la note de celles
que j'ai observées. Si par hasard vous aviez égaré ces
errata avec mes lettres, vous n'auriez qu'à me le mar-
quer, et je tirerois derechef un errata des fautes essen-
tielles pour vous l'envoyer.
Je suppose que le Discours est fini et que vous êtes
aux notes , mais je dois supposer que les vignettes ne
sont pas gravées puisque vous ne m'en avez point en-
core envoyé d'épreuve. Pour prévenir une faute presque
immanquable, je dois vous avertir que vers la fin de
la note 8 , il y a dans un endroit ces mots tourbe
Philosophesque. Je vous prie d'avoir attention que l'im-
primeur mette ainsi, et non pas troupe philosophique. (')
J'ai en effet remarqué plus de correction , à la ponc-
tuation près , dans les trois dernières feuilles. Mais gare
les notes. N'oubliez pas note 9 de marquer exactement
l'endroit du frontispice, et dans le frontispice de coter
la page où est cet endroit.
Quoique nous ne soyons pas prés de la fin, je dois
vous prévenir de deux choses ; l'une que la permission
est une chose essentielle sans laquelle je vous prie, à
moins que vous ne vouliez exposer ma personne, de
ne point introduire mon ouvrage en France. Pour avoir
cette permission, vous pouvez agir de concert avec
M. Pissot, quant à moi je ne ferois qu'y nuire plustot
que d'y servir, et il convient de toute manière que je
ne m'en môle pas.
(') Tourbe philosophesque se lit p, 261.
20
L'autre est qu'aussitôt que l'ouvrage sera achevé d'im-
primer, je vous prie de faire toute la diligence possible
pour en faire parvenir par la plus prompte voye autre
que la poste, vingt-cinq de mes exemplaires à Genève
à l'adresse de M>. Marc Chappuis négociant. Vous
sentez qu'il convient que ces Exemplaires soient dis-
tribués avant la publication de l'ouvrage. Ils doivent
être aussi fort corrects.
Il y a longtems que Mlle. Le Vasseur vous auroit écrit
pour vous remercier de votre présent, si je ne lui a vois
conseillé d'attendre encore afin de vous en accuser en
même tems la réception; ainsi ne vous en prenez qu'à
moi si elle tarde si longtems à s'acquitter avec vous de
son devoir.
Bonjour, Monsieur, bien des respects à Madame votre
Epouse. Je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
Ce 6 Mars 1755.
13.
A Paris, le 20 Mars 175."'.
Pour commencer, Monsieur, par l'article de ma pré-
cédente lettre qui vous fait de la peine, tout ce que je
puis et dois répondre à vos observations , c'est de vous
prier de la regarder comme non écritte à cet égard (1)
Je ne vous renvoyé point la feuille N. c'est à dire
(') Probablement l'article qui avait fait île la peine à Rey, Be trouvait dans
la partie perdue de la lettre précédente. On ne doit pas s'étonner que lù\ se
sentit quelquefois blessé de l'amertume des réflexions de Rousseau. Veut-on
Bavoir les soins qu'il prenait pour éviter des fautes, roici ce qu'il écril dans
sa réponse à la lettre du 28 Février, dont j'ai trouvé la minute: ./< suis mor-
tifié <!<■ voir que malgré tous nos soins il y ait encore des fautes; lu
feuille que je vous envoyé « été lui' pur quatre personnes différentes: peut-
être sera-t-elle mieux, je le souhaite.
•n
Pépreuve, les fautes qui s'y trouvent sont si légères
que ce n'est pas la peine de vous en faire payer le port
pour cela. Si vous donnez au reste la même attention,
ce ne sera pas non plus la peine de m'en envoyer les
('■preuves.
Je remarque aussi avec plaisir que vous avez bien
mis mes additions à leurs places.
Page 184, à la fin de la ligne 3, ajoutez un point
sur la virgule.
Pages 188, ligne 10, 189, ligne 1, et 190, ligne 6,
en remontant , debout est un seul mot.
Pag. 192, ligne 2, ne font jxis lisez ne sont pas.
Voilà tout. Quand vous aurez fait tirer cette feuille
N renvoyez-la moi, je vous prie, avec les autres.
Le cartouche aux armes de Genève, n'est pas de si
bon goût que celui de M. Soubeiran. Cette grosse
joufflue de Liberté n'a guéres l'air noble et fier, et les
symboles qui l'environnent sont d'un petit genre. La
vignette me paroît aussi trop grande et si la votre ne
faisoit pas une espèce de contre-sens avec l'ouvrage, je
l'aimerois bien autant. Faites comme vous jugerez à
propos. (')
L'idée de l'errata m'étoit venue depuis longtems;
mais qui est-ce qui regarde un errata? Apres tout;
les fautes essentielles se bornent jusqu'ici à sept ou
huit dont trois ou quatre demandent des cartons et les
autres se peuvent aisément corriger à la main: nous
abandonnerons le reste à la critique des sots.
Je n'ai rien de plus à vous dire pour aujourd'hui. Mes
complimens , je vous prie, à M. l'Abbé Yvon, mes
respects à Madame Rey et recevez mes amitiés.
.1. .1. Rousseau.
lJ Voyez La lettre suivante
22
14.
A Paris, le 23 Mars 1755.
Quoique je n'aye point aujourd'hui, Monsieur, de
réponse à vous faire , je crois devoir vous dire que quand
vous enverrez un Exemplaire à Monsieur de Males-
lierbes, vous devez le prier, soit qu'il accorde la per-
mission , comme je l'espère , soit qu'il la refuse , de ne
point laisser sortir cet Exemplaire de ses mains, pré-
caution également utile pour votre intérest et pour ma
sûreté en ce qu'elle ôtera les moyens de contrefaire
l'édition à ceux qui pourroient en être tentés. Vous
m'avez marqué que personne que moi seul n'avoit com-
munication de vos feuilles , et celles que vous m'en-
voyez ne sont sorties ni ne sortiront point de mes
mains; ainsi nous sommes encore parfaitement les
maîtres de l'ouvrage; il faut faire en sorte que personne
n'en abuse. Pour cela je vous conseille de distribuer
votre édition de telle sorte et de combiner si bien le
tems, qu'elle paroisse partout au même moment. N'ou-
bliez pas l'Angleterre, le seul pays où, selon moi, l'ou-
vrage, s'il est bon, sera estimé ce qu'il vaut. Je
crois même que vous ne feriez pas mal de l'y faire
annoncer dans quelques Papiers publics.
En regardant mieux votre vignette de la liberté, je
nie suis raccommodé avec elle, et vous me ferez plaisir
de l'employer. (1)
Si j'écoutois les discours qu'on tienl dans ce pays-ci,
ils seroient propres à nfelTrayer; niais l'estime que je
dois au gouvernement sous lequel j'ai l'honneur de vivre
iM On ;i renoncé depuis au projet d'orner L'édition de quelque vignette.
Mai* la vignette de la Liliertc -a été employée aprèa pour le Contrat Social.
Voyez La Lettre N°. 79.
23
suffit pour me rassurer. Mon ouvrage ne contient rien
de blâmable en quelque pays que ce soit, et l'on res-
pecte trop en France le droit des gens pour punir un
Etranger d'avoir soutenu en pays étranger les maximes
de son pays. Au surplus, quoique je n'aye aucun droit sur
votre Edition, j'espère que vous ne la répandrez point en
France sans en avoir préalablement obtenu la permission.
Bonjour, Monsieur, je vous embrasse de tout mon
cœur et suis très parfaitement, Monsieur, votre très-
humble et très-obéissant serviteur
J. J. Rousseau.
15.
M. Chappuis nie marque, Monsieur, que si vous
n'avez point de voye particulière en vue pour l'en-
voy de mes exemplaires à Genève, il faut, sous son
adresse, envoyer le pacquet par le Chariot de Poste à
Francfort où vous chargerez un de vos correspondans
de l'expédier de même à M. Louis Respinger à Basle,
qui le lui fera parvenir promptement. Vous ferez s'il
vous plaît le pacquet de trente exemplaires au lieu de
vingt cinq.
Vous trouverez ci-derrière la note du petit nombre
de fautes qui doivent être corrigées dans le texte, soit
à la main, soit avec des cartons. Vous pouvez faire
un errata des autres ('): mais il vaudrait encore mieux
les laisser tout-à-fait que de négliger la correction de
celles que je vous indique. (2)
Je ne puis me charger de la commission que vous me
(') Il n'y a pas d'Errata dans L'Edition.
i ." Elles ont été toutes corrigées par des cartons.
-n
donnez auprès de M. de Malesherbes , parceque je me
regarde en France comme un homme qui n'a rien de
commun avec l'ouvrage que vous imprimez: faites à cet
égard comme si je n'existois pas. C'est tout ce que je
puis vous dire. Bonjour, Monsieur, je vous embrasse
«le tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
Le 10 Avril 1755.
En réfléchissant à ce que vous m'avez marqué, je ne
puis m'empêcher de vous dire qu'il ne me paroît pas
(pie vous ayez pris la bonne voye pour obtenir la per-
mission que vous demandez : ce n'est guères l'usage que
le Magistrat les accorde par écrit ; ainsi je doute que
vous receviez réponse: c'étoit par un tiers qu'il falloit
la faire demander ('). J'ai du regret de ne pouvoir me
mêler de cette affaire, mais je ne vous crois pas assez
injuste pour m'en savoir mauvais gré.
pageLXvm,l. 8, des uns, ou est
11, 1. 3 en rem. conforme j
111, 1. 1, amena
Id. 1. 3, naturelle
112, 1. 1, .•saccotittn/r,
139, 1. 7, repentirent
lisez
(/, .s uns : on est.
confuiut<'.
amène,
mutuelle,
s 'accoutuma.
\ ressent in' nt.
Rey avait eu rai-un de s'adresser directement an Président de la Cour dea
Aides chargé de la Direction de la Librairie. La réponse qu'il reçut de Males-
herlies en date du 2 Avril, tout en n'accordant pas la permission définitive,
••avant que d'avoir vu ce Discours eu entier", lui donna la perspective qu'i]
pourrait faire entrer ses deux ballots (un de 1500 et un de 2000 exemplaires),
pourvu qu'il nommât ceux à qui il comptait les adresser. La démarche deRej
lui a ouvert de- relations avec le noble défenseur de boni- \\ I. qui ont duré
même après la retraite de ce célèbre magistrat, témoin quelques pièces
- i/t Lamoignon <U Malesherbes, un billet de -a main sans date, el
doux lettres autographes, l'une de Paris du 26 '.' 776, L'autre de Ma-
lesherbes du 7 (>cr. L777.
25
10.
A Paris, le 29 Mai 1755.
N'entendant plus, Monsieur, parler de mon ouvrage
et ne recevant plus de vos nouvelles, trouvez bon que
je vous donne des miennes pour la dernière fois.
Quand vous vous chargeâtes de mon manuscrit, vous
savez la préférence qu'une espèce d'engagement anté-
rieur me fit vous donner sur M. Bousquet qui m'en
offrant beaucoup davantage que je ne vous en avois de-
mandé et que je n'en ai receu de vous, croyoit faire un
très-bon marché. Vous receûtes ce manuscrit au mois
d'Octobre et promîtes de le rendre public au mois de
Janvier au plustard. Vous m'écrivîtes aussi sur les in-
stantes prières que je vous avois faites, que l'Edition
seroit sans faute. Au bout de huit mois , cet ouvrage
qui devoit être prêt en six semaines est encore à pa-
raître, il est hérissé de fautes de Typographie, et après
avoir imprimé le texte à votre mode, vous vous êtes
avisé de m'envoyer des épreuves des notes , c'est à dire
de la partie dont je me souciois le moins. Je ne vous
parle point de la gasconnade à Mlle. Le Vasseur. Votre
lettre l'avoit mise aux champs; je l'ai apaisée par une
autre robe à la place de celle que vous lui annonciez ;
je vous sais, quant à moi, beaucoup plus de gré de ne
l'avoir pas envoyée qu'elle de l'avoir promise, et je vous
déclare que vous l'enverriez très-inutilement parce qu'as-
surément elle ne seroit pas receue.
A la suite de tout cela, il est arrivé comme je
Pavois prévu, que l'exemplaire que vous aviez envoyé à
M. de Malesherbes a couru Paris, le bruit en est venu
jusqu'à Genève, on y est persuadé que l'ouvrage paroîl
ici et l'on s'indigne avec raison qu'il soit offerl aux
26
étrangers avant ceux à qui il est dédié. J'ai écrit là-
dessus à M. de Malesherbes qui a Lien voulu me ren-
voyer l'exemplaire : ainsi quand l'ouvrage sera public , je
vous charge de lui en renvoyer aussitôt un des miens,
soit qu'il accorde ou non la permission; car j'ai toujours
peine à croire qu'il vous la donne par écrit. Quoi qu'il
en soit, le bruit de cette édition retenue dans votre
magasin ne fait pas un meilleur effet ici qu'à Genève:
l'on est persuadé que l'ouvrage s'est trouvé si mauvais
que je suis occupé à le raccommoder et le retoucher sans
cesse. Comme cette mauvaise réputation ne nuira qu'au
débit c'est plus votre affaire que la mienne. Mais ce
qui me touche c'est la mauvaise opinion que mes com-
patriotes ont de mes procédés, et le votre est si extra-
ordinaire, que, quoi que je puisse dire, on me croira
toujours de connivence avec vous. Quelque difficile qu'il
me puisse être de deviner là-dessus vos raisons , je vous
avertis que je suis las d'en être la dupe. Vous ne
l'êtes pas assez pour retenir ainsi toute une édition si
vous ne trouviez mieux votre compte à la supprimer
qu'à la répandre: mais comme je ne vous ai donné moD
manuscrit que pour le publier et que vous n'en voulez
rien faire, vous ne sauriez trouver mauvais que j'y
pourvoye d'une autre manière. J'écrirai demain en An-
gleterre à ce sujet, et je vous préviens que si votre
édition n'est publique à Amsterdam avant le pr. de
Juillet, vous en verrez paroître une à Londres lepr. d'Août,
car il n'y a point d'imprimeur qui ne fasse aisément
en quatre semaines ce que vous n'aurez pu faire en
huit mois.
Je suis. Monsieur, votre trés-humble et fcrés-obéis-
sanl serviteur
.1. .1. Rousseau.
27
17.
A Paris, le 19 Juin 1755.
J'ai receu, Monsieur, votre lettre du 5 de ce mois.
Votre apologie m'a fait pitié et vos reproches m'ont
fait rire: car c'est moi sans doute que vous désignez
par ceux qui vous contrecarrent auprès de M. de Ma-
lesherbes et de qui vous ne devriez pas l'attendre. Mon
cher Monsieur Rey, tâchez de mettre dans vos affaires
un peu de la vivacité que vous mettez de trop dans
vos propos et tout n'en ira que mieux.
M. Pissot dit avoir obtenu de M. de Malesherbes une
permission pour le débit de cet ouvrage; ainsi en vous
adressant à lui, cette difficulté est levée. Il se fait
fort aussi d'empêcher qu'on ne l'imprime ici, et quant
à lui, j'espère qu'il aura égard à la déclaration que je
lui ai faite et que je tiendrai de ne le voir jamais et
de ne plus faire d'affaire avec lui s'il l'imprime lui-même.
Il est très simple que M. de Malesherbes n'accorde
nommément et verbalement la permission qu'à un li-
braire de ce pays-ci , afin de pouvoir tout d'un coup ar-
rêter le débit si l'ouvrage venoit à faire un mauvais effet.
Au surplus je n'accepte point les ménagemens pour ma
personne que vous me faites si durement valoir. Je vous
ai déjà marqué de tenir pour nulle la prière que je vous
en avois faite et d'en user à cet égard comme si je
n'étois pas au monde. Ne me vantez donc plus des sa-
crifices que je refuse.
M. le syndic Saladin étant venu à Paris, je lui ai
remis à son départ pour être présenté au conseil l'Exem-
plaire que M. de Malesherbes m'a renvoyé. Ce qui suffit
de ma part pour vous affranchir désormais de toute gène
sur Le débit de votre Edition.
28
Mon cousin Rousseau de Londres m'a écrit depuis
plusieurs mois qu'on se proposoit de traduire mon Dis-
cours en Anglois et me demandoit où l'on pouvoit l'avoir.
Je ne lui ai point encore répondu. Je lui marquerai
quand la traduction sera faite de me l'envoyer à exa-
miner et la retiendrai suffisamment pour vous faire
gagner tout le temps nécessaire. A l'égard de l'édition
de Londres, je vois de reste que vous n'avez pas été
assez simple pour en prendre l'alarme.
Mille respects à Madame votre Epouse, je pense que
vos lettres en seroient mieux si vous les lui montriez
avant de les envoyer. Dispute à part, je vous embrasse-
dé tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
II.
LETTRES
AYANT RAPPORT À LA PUBLICATION
DE
LA LETTltE À d'à L E M B E B T
SUR LES THEATRES.
Après la publication du Discours sur VinégaliU
la correspondance est interrompue pendant près
de trois ans. Dans cet intervalle } Rousseau,
habitant l'Hermitage, n'a fait imprimer aucun
ouvrage séparément. Il travaillait à ses Insti-
tutions Politiques, et lorsqu'il quitta cette de-
meure le 15 Décembre 1757; h Nouvelle Héloïse
était loin d'être achevée. Cependant peu de jours
avant son départ de l'Hermitag'e ayant reçu la
visite de Rey, il lui lut une partie des lettres
de Julie ; et un nouvel engagement pour l'impres-
sion de ses écrits en Hollande fut le résultat de
cet entretien. La partie de l'Encyclopédie où se
trouve l'article Genève venait alors de paraître,
mais Rousseau ne la reçut qu'après son établis-
sement à Montmorency. Dans cet article, d'Alemr
bert, qui en était l'auteur, attaqua les Genevois
particulièrement sur deux points: il compromit
30
les pasteurs de la cité de Calvin en faisant de
leur religion un soeinianisme parfait rejetant tout
ce qu'on appelle mystère révélé, et au sujet des
théâtres on y lisait le passag*e suivant: "On ne
"souffre point de comédie à Genève : ce n'est pas
"qu'on y désapprouve les spectacles en eux-mêmes,
"mais on craint le goût de la parure, la dissi-
pation, le libertinage que les troupes de comé-
"diens apportent avec elles. Cependant ne serait-il
"pas possible de remédier à cet inconvénient par
"des lois sévères et bien exécutées sur la con-
duite des comédiens? Par ce moyen, Genève
"aurait des sj)ectacles et conserverait ses mœurs :
"les représentations théâtrales formeraient le g*oût
"des citoyens, leur donneraient une finesse de
"tact, une délicatesse de sentiments qu'il est bien
"difficile d'acquérir sans ce secours." —
Ce passage était évidemment écrit sous les in-
spirations de Voltaire, qui s'étant fixé en 1755
à Ferney et voulant introduire des représenta-
tions théâtrales dans les murs de Genève, ren-
contra une forte opposition de la part des amis
des anciennes coutumes de la République dans
le Conseil d'Etat et le Consistoire. Rousseau,
ayant lu l'article , "indigné — comme il écrit —
"de tout ce manège de séduction dans sa patrie"
ne voulait pas, parceque son nom se trouvait
parmi ceux des auteurs de l'Encyclopédie qu'on
lui imputât d'autres sentiments que les siens.
Dans sa Lettre à d'Alembert il désapprouve
l'introduction d'un théâtre de comédie au sein
31
d'une République dont la sauvegarde était, à
son avis , la dignité personnelle et la sévérité des
mœurs. Le titre de son ouvrage est ainsi conçu:
"J. J. Rousseau citoyen de Genève à M. d'Alem-
"bert, de l'Académie Françoise, de l'Académie
"Royale des Sciences de Paris, de celle de Prusse,
"de la Société Royale de Londres, de l'Acadé-
"mie Royale des Belles-Lettres de Suède, et de
"l'Institut de Bologne, sur son Article Genève
"dans le VIIrae Volume de l'Encyclopédie, et par-
ticulièrement sur le projet d'établir un théâtre
"de Comédie en cette ville. — DU meliora piis,
"erroremque hostibus illum. — A Amsterdam,
"chez Marc Michel Rey. MDCCLVIII." On voit
que par ce titre même il fait valoir sa simple
qualité de citoyen de Genève contre les préten-
tions d'un membre de plusieurs Académies, et tout
en exagérant le danger, il en avertit sa patrie,
en prenant pour épigraphe le vers de Virgile,
où, après avoir indiqué comment le vin, au lieu
d'être un remède, amène les dernières horreurs
de la peste, le poè'te ajoute cette imprécation:
"Dii meliora piis erroremque hostibus illum."
(Georg. L. III. vs. 513.)
La Lettre à d'Alembert eut un succès im-
mense, et Voltaire en prit occasion pour couvrir
Rousseau d'injures. Ce ne fut qu'en 1766 et se-
condé par la pression de la Diplomatie Française
que Voltaire réussit à établir le premier théâtre
•à Genève.
32
18.
A Montmorexci le 9 Mars 1758.
Je suis si malade, mon cher Rey, que je ne pourrai
vous écrire une longue lettre, et qu'à moins d'un mira-
cle, je ne vous écrirai pas longtemps ('). C'est vous
dire assez qu'il n'est pas question de voyage. D'ailleurs,
votre proposition m'eût fort convenu, et ne doutez pas
que si Dieu me rendoit la santé, je n'allasse avec plaisir
vivre et travailler avec vous.
Mes Principes du droit de la guerre ne sont point
prêts. Mais j'ai un autre ouvrage qui l'est, que je vous
offre à la place, et qui bien que plus petit de Volume,
vous doit , à mon avis , convenir encore mieux. Je ne
puis pas, mon cher, vous en dire le titre; et je vous
demanderai même le plus profond secret quand vous en
serez dépositaire. Il ne me convient pas non plus de
faire une estimation de l'ouvrage. Tout ce dont je puis
vous assurer c'est que le sujet en est agréable, et que
quoiqu'il intéresse notre patrie (2) en particulier il est fait
pour plaire à tout le monde et pour trouver des lecteurs
dans tous les états, à moins qu'on soit rebuté par la
faute de l'Auteur. Vous me donnerez trente Louis de
mon manuscrit, et comme vous ne pouvez l'imprimer
qu'en Juin, vous voudrez bien me faire d'avance un
mot de réponse afin que je prépare une copie au net pour
vous être livrée en Mai.
A l'égard de l'autre manuscrit , je consens à le garder
jusqu'en .Janvier prochain. Si je vis encore et (pie je
sois mieux, j'irai peut être y veiller moi-même. Si je,
(t) Au commencement 'lu dixième Livre ili's Confessions on trouve lea
détails de .«n position.
(2) Roy était natif de Genève.
33
ne suis plus, comme il y a grande apparence, j'aurai
soin de le déposer en des mains qui puissent vous le
faire passer, et par la môme voye vous pourrez recevoir
aussi la collection pour une édition générale. Par quel-
que voye que vous me répondiez, ayez soin que votre
lettre soit plus soigneusement fermée que la précédente,
et gardez-moi le secret sur le manuscrit que je vous
offre. Adieu, mon cher Rey, il me semble que je re-
grette un peu plus la vie, depuis que vous m'avez donné
Vidée d'aller la passer avec vous. Je salue votre digne et
respectable femme, et vous embrasse de tout mon cœur.
MIIe. Le Vasseur vous remercie de vos bontés et vous
assure de son respect. Sa mère est à Paris.
19.
A Montmorenci le 15 Avril 17")H.
Je ne saurois vous dire, mon cher Rey, que je suis
mieux ; au contraire mon mal fait toujours du progrès .
mais je m'accoutume à souffrir, et cela revient presque
au même; je n'ai plus besoin de remèdes, mais de pa-
tience jusqu'à la fin de ma vie, qui vraisemblablement
ne doit pas être fort éloignée. Votre souvenir et votre
amitié sont une consolation pour moi, et puisque vous
vous intéressez à mon état je vous en donnerai volon-
tiers des nouvelles de tems en tems.
Mon manuscrit est prêt('); vous le ferez retirer quand
il vous plaira, ou s'il le faut absolument, je tâcherai
de le porter à Paris. Je vous prie seulement dans l'un
(*) Il avait composé la Lettre dans l'espace de trois semaines, au m
Février, pendant un hiver assez rude, dans un donjon ouvert, qu'il avait au bout
du jardin où était son habitation m Montmorency [Conf, L. X.) C'est donc
après l'avoir retouchée ei mise au nel çrn'il écrit: "mon manuscrit est prêt."
;;
et l'autre cas de m'avertir quelques jours à l'avance, afin
que je le relise avant de le donner. Non seulement
vous pourrez me nommer, mais mon nom y sera et
en fera même le titre; le profond secret que je voua
demande est seulement jusqu'au moment de la publica-
tion , et cela , comme vous pourrez voir par le manu-
scrit, par les raisons les plus importantes pour l'ouvrage
et pour l'auteur. Je vous repète (') qu'il sera remis
cacheté à votre correspondant sans avoir été vu que de
moi seul, je souhaiterais même que ce correspondant
fût sûr et ne fût pas françois ; j'exclus surtout nommé-
ment Mrs. Diderot et De Leyre (2). Ne m'écrivez plus,
non plus , sous le pli de ce dernier ; votre correspondant à
Paris peut m'envoyer vos lettres par la poste AMontmorenci
et s'il le faut , vous pouvez nie les y adresser vous-même.
Vous m'avez promis d'imprimer mon ouvrage dans
le mois de Juin; je n'imagine pas que vous me fassiez
traîner comme l'autre fois; mais si vous me manquiez
de parole, vous me réduiriez au desespoir, et vous por-
teriez un grand préjudice à vous-même; car c'est un
ouvrage du moment qui ne sera plus rien, 'donné hors
de son tems. Je vous conjure de songer à cela et de
vous arranger si bien qu'il n'y ait plus de mauvaises
excuses. Je n'ose parler de la correction; j'en tremble
d'avance. Ah! si j'avois des forces! Mais c'est
une folie d'y penser dans l'état où je suis. Nous ver-
rons le printems prochain , si je vis encore.
Adieu, mon cher, mille reinercîmens et respects à
Madame Etey et recevez ceux de M"'-. Le Vasseur. Vous
avez des ennemis en ce pays-ci, car on n'y dit pas du
bien de vous. Cependant si je vous trouve exact et
(i) Il semble donc qu'entre la précédente el celle-ci . il 3 ;i une lcftre perdue.
(2) Voyez sa lettre à Deleyre du 3 Oct. 1758.
35
franc dans tous vos procédés, comme je l'espère, tau t
que je vous conviendrai, nous ne nous quitterons plus,
en dépit d'eux; je vous embrasse de tout mon cœur
J. J. Rousseau.
20.
A Montmobenci le 14 May 17")ft.
Il y a un mois que je vous écrivis pour vous donner
de mes nouvelles, comme vous aviez paru le désirer,
[tour vous dire que mon manuscrit étoit prêt, et pour
vous prier de le mire retirer de manière que le secret
m'en fût gardé jusqu'au moment de la publication. Au
surplus, je vous disois que je prétendois si peu garder
l'anonyme que mon nom commençoit le titre même de
l'ouvrage. Enfin je vous exposois la raison pour la-
quelle je désirois que pour cette fois vous me tinssiez
parole et que cet écrit fût imprimé le plus promptement
qu'il se pourroit et dans le mois de Juin comme vous
me l'aviez promis. Depuis ce tems je n'ai point en-
tendu parler de vous, d'où je conclus ou que ma lettre
ne vous sera pas parvenue ou que votre réponse est
égarée, car de supposer que vous me laissiez dans l'at-
tente sans pouvoir disposer de mon manuscrit, c'est ce
qui n'est pas imaginable et que je ne saurais penser de
vous. Je prends donc 1© parti de faire mettre pour
plus de sûreté cette lettre à Paris à la grande Poste , et
quant à votre réponse, vous pouvez l'adresser à Mon-
sieur Coindet (') chez M. Vernet Banquier rite Michel-
(') On connaît le portrait que l'auteur dea Confessions a donné de son com-
patriote Coindet, jeune homme de goût qui a été chargé du dessin et de la
gravure des planches de la Nouvelle Héloïse, bon garçon, mais qui -
nait à l'affût de tous les protecteurs de son ami Rousseau. Parmi les quatre
lettres publiées de Rousseau à Coindet, il y a un chef-d'œuvre : r'c>t la lettre
de Wootton du 21 .Mars 1766.
3
36
h'- Comte n Paria. Après avoir attendu le temps suf-
fisant pour que cette réponse puisse me parvenir, si je
n'en reçois point, je me tiendrai libre de tout engage-
ment avec vous, et me consolerai du tems que vous
tn'avez fait perdre en le sacrifiant à ma parole et à l'hon-
nêteté. Adieu, Monsieur, je vous embrasse de tout mon
cœur.
J. J. Rousseau.
Depuis ma lettre écrite, j'ai pris d'autres mesures
pour hâter soit avec vous, soit avec d'autres, l'exécution
d'un ouvrage dont le sujet souffre du retard de sa pu-
blication. J'envoye mon manuscrit en Hollande, et il
vous sera remis par la même personne qui vous remettra
cette lettre; vous pouvez le garder et l'examiner durant
vingt-quatre heures au bout desquelles vous aurez la
bonté de le rendre, s'il ne vous convient pas, enveloppé
et cacheté comme il vous sera remis; s'il vous convient,
vous en remettrez le prix à la même personne , et v< >us
garderez l'ouvrage, à condition de ne perdre pas un
moment pour l'impression et la publication ; soit que
vous vous en accommodiez ou non , je crois parler à
un honnête homme et je vous demande un secret in-
violable sur le titre et le contenu. Adieu, répondez-
moi, je vous prie, par la même voye.
81.
A Montmorenci le .°>1 May 1758.
Vous m'avez fait faire de mauvais sang, mon cher
Kcy, dans un tems où je n'avois pas besoin d'ajouter
de nouvelles inquiétudes à nies maux et à mes afflic-
tions de toute espèce. L'attente et l'incertitude sont les
37
fléaux de nia vie, la pauvreté n'est rien auprès des
peines de l'âme et j'aimerois beaucoup mieux que vous
eussiez été moins exact à me payer et un peu plus
à m'écrira Soyez le du moins à l'exécution de vus
promesses et dédommagez-moi de vos lenteurs passées
par votre diligence et votre attention à l'avenir.
Je n'ai pas dessein de vous imposer un silence qui
vous puisse être préjudiciable, je me borne sur le se-
cret que je vous ai recommandé à deux choses: la pre-
mière que vous ne le rompiez que le plus tard qu'il se
pourra sans nuire à vos intérêts; la seconde qu'avant
d'écrire soit ici, soit à Genève, soit à vos correspon-
dans , vous m'écriviez à moi préalablement, afin que je
prenne les devants auprès de M. d'Alembert, et qu'il
apprenne de moi le premier que j'ai écrit contre lui,
car c'est là la première et la principale raison du silence
que j'exige de vous. Au surplus je ne m'oppose point à
la requête que vous voulez présenter à Genève pourvu
qu'elle soit en votre seul nom , et que je n'y entre pour
rien. Quant à M. de Malesherbes , je doute qu'il ac-
corde l'entrée de cet ouvrage; il est vrai que je doutois
aussi pour le précédent et qu'il l'a accordée contre mon
attente; puissiez-vous être aussi heureux cette fois.
La correction de l'ouvrage que vous allez imprimer
m'importe et m'inquiète plus que je ne saurois vous
dire. 11 m'est impossible quant à présent d'aller y veiller;
mais il ne l'est pas que vous me fassiez parvenir les
épreuves comme ci-devant, et j'aurai soin de vous ren-
voyer les corrections l'ordinaire suivant aussi exacte-
ment que si j'étois à Paris. M. Coindet vous enverra
L'adresse dont il faut vous servir pour cela , et si l'ouvrage
est en train avant que sa lettre vous arrive, vous pour-
rez eu attendant vous servir de la même adresse ci-
devant employée de M. Dupin de Chenonceaux fermier
38
général du Rot/, à Pilote! des fermes à Paris. Quand
même les épreuves ne pourraient me parvenir à tems,
ou que vous ne pourriez attendre les corrections pour
faire tirer, il faudrait toujours m'envoyer ces mêmes
épreuves afin qu'on pût du moins réparer par des car-
tons les fautes essentielles qu'il importe le plus de ne
pas laisser passer. Voici en attendant quelques clian-
gemens que je vous prie de faire sur la copie avec
toute l'attention possible. Donnez-vous, je vous en
prie, la patience de les faire à tête reposée et de bien
vous assurer du sens auparavant; car s'il y en avoil
quelqu'un que vous ne comprissiez pas bien, il vau-
drait mieux l'omettre que le faire de travers. Lisez
aussi la remarque qui est à la fin de la feuille (').
Vous n'oublierez pas que vous m'avez promis soixante
exemplaires dont la moitié est pour Paris et l'autre pour
Genève. S'il ne vous est pas trop onéreux d'en faire
tirer une demi-douzaine en beau papier, vous m'obli-
gerez beaucoup.
J'apprends que M. Coindet a receu la lettre de change
et je ne doute pas qu'il n'y soit fait honneur, ainsi je
vous en remercie comme d'une chose receùe, et l'on a
dû vous dire en vous remettant le manuscrit que vous
auriez pu ne donner de l'argent quïi votre commodité.
Je suis fâché qu'il vous en ait coûté pour le port; c'est
encore une chose que je n'exigeois pas et ce n'est pas
ma faute si le pacquet ne vous est pas parvenu tout
à l'ait franc. Adieu; mes amitiés à Madame Rey. Je
compte sur vos promesses; souvenez-vous que ce qui
m'intéresse le plus an monde est actuellement dans vos
mains.
1 1 1 .li' n'ai |'a.- trom é cetli li
39
22.
A MoxTMOUENCi le 17 Juin 1758.
Je receus seulement hier, mon cher Rey, votre pae-
quet et votre lettre du 6. Ils passent par les mains
d'une femme, et les retards sont inévitables par cette
voye , à cause de la négligence ordinaire à ce sexe.
D'ailleurs on s'est plaint de la grosseur du pacquet,
et vous avez eu d'autant plus de tort d'y mettre votre
Supplément, (') dont pourtant je vous remercie, que
naturellement vous deviez supposer qu'il ne m'étoit pas
inconnu. Ne vous servez donc plus de cette adresse,
ou faites vos pacquets d'une feuille ou deux tout au
plus. M. Coindet a dû vous envoyer d'autres adresses
entre lesquelles vous pourrez partager vos envois afin
que personne ne soit surchargé.
Je vois que vous vous faites quelque reproche secret
sur mon compte et la peine qu'il paroit vous faire me
donne meilleure opinion de votre caractère que si vous
n'aviez eu aucun tort avec moi. Mon cher Rey, si cet
aveu vous coûte je ne l'exige pas de vous et ne vous
en aimerai pas moins; mais jamais homme qui versa
son cœur dans le mien ne se repentit de sa droiture
et de sa franchise. Hélas ! que mon anie trop confiante
n'en peut-elle dire autant des autres.
J'ai bien du chagrin que mes changemens n'aient pu
arriver à tems et que je ne puisse revoir vos épreuves.
Je suis assez content de la correction, et comme il faut
être juste, je me fais un plaisir de vous le dire. Je vous
prie même d'en remercier de nia part celui qui revoii nie
I ' • Vbj ez la note 2 à la lettre suivant)
40
feuilles; il a de l'intelligence et de l'attention. 11 va
pourtant des petits points ajoutés après certains mots
aux pages 27 et 48. Je vois bien pourquoi on les a
mis, surtout ces derniers, mais je ne les aime pas, (')
et je vous prie qu'on n'en mette plus , si ce n'est qu'on
les trouve dans la copie; je trouve aussi les virgules
trop multipliées, il ne faut pas dans la même phrase
marquer des mêmes signes des divisions différentes; cela
I nouille tout à fait le sens.
Vous me parlez de recommencer tout de nouveau,
comme si vous ignoriez combien je crains de vous con-
stituer en frais. Ne parlons plus de choses impossibles.
Je me passerai d'épreuves , puisqu'il le faut , excepté
seulement la Préface dont il faut m' envoyer une épreuve
absolument, parce qu'il y a des changemens indispen-
sables que je ne saurois l'aire sans cela, n'en ayant
pas une copie exacte. Faites donc composer cette pré-
face d'avance, je vous prie, afin que j'aye le teins de
la revoir a mon aise sans causer de retard à l'exécu-
tion du reste.
J'espère que vous serez à tems d'employer ce que je
vous envoyé, et surtout la note latine que je voudrais
bien voir à sa place (2). A l'égard des autres chan-
gemens et additions, vous pourrez, comme vous le pro-
posez, en faire une espèce d'errata à la lin de l'ouvrage,
en disant par un avis en votre nom, qu'ayant receu
ces additions et changemens trop tard pour être em-
;'i Pag. 27. "Le Théâtre rend lu vertu aimable... Il opère un grand
prodige défaire ci '/ne In nature et lu raison finit avant lui! Les
médians sont hais sur lu .•«■eue... Sont-ils aimés dans lu S
l'iuj. is. Non... je le soutiens." On ;i reproduit les pointa dans les éditions
ultérieures.
i ) Bile se trouve pag. 828. i V-t i;i traduction latine 'l'un
Platon 'le ll,r /.il, III
41
ployés dans le texte , vous croyez faire plaisir à l'auteur
et au public de les placer à la fin (').
Si M. de Maleslierbes vous refusoit l'entrée de cet
ouvrage, vous seriez bien injuste de vous en prendre à
moi après la conversation que nous avons eiie là-dessus
cet hiver à FHermitage (2) : mais après tout, excepté la
note b page 6 (3) que j'aurois adoucie par égard pour
vous si j'avois eu les épreuves, cet ouvrage n'est point
comparable en hardiesse au précédent , tout au plus
on pourra exiger de vous quelque cartons, et autant
que mes sentimens et la matière le pourront souffrir
vous me trouverez toujours prêt à consentir à tout ce
qui favorisera vos intérêts. Au reste on sera toujours
à tems de recourir à cet expédient si l'on y est forcé,
il n'est point à propos d'en parler d'avance.
J*ai receu bien exactement l'argent de votre lettre
de change. Il est très sûr que vous étiez le maitre de
rassembler cet argent à votre commodité, et que cela
étoit spécifié dans la lettre au correspondant qui vous
remit le MSc. Le terme des vingt-quatre heures tom-
boit seulement sur la nécessité de vous déterminer,
et vous conviendrez qu'il n'y avoit rien là que de rai-
sonnable et d'honnête.
Adieu, recevez les remercîmens et respects de
M11.6 Le Vasseur, et assurez des miens Madame Rey.
(!) C'est ec qu'il a fait. Les additions, qu'on a fait entrer depuis dans le
texte même , sont précédées dans l'édition originale de l'avis suivant :
" Mr. Rousseau m' ayant adressé les corrections et les additions suivantes
pour être placées en leur lieu , je n'ai pu les y faire entrer, ces feuilles
étant déjà toutes imprimées. Je crois faire plaisir au public et remplir
les vues de V Auteur en les ajoutant à la fin de son ouvrage. A Am-
sterdam le 15 Juillet 1758."
(2) La conversation à l'Hermitage doit avoir eu rapport à l'entrée de ses
ouvrages en France en général.
P) C'est la note qui commence ainsi; ••// Jàut se ressouvenir que j'ai a
répondre à an Auteur oui n'est pas Protestant."
A 2
Permettez moi de vous recommander derechef la plus
sévère exactitude. Si vous saviez combien il m'im-
porte que cet ouvrage soit correctement imprimé,
j'espère de votre bon cœur que vous ne regretteriez pas
la peine que vous prendrez pour cela.
23.
A Montmorenci, le 21 Juin 175S.
J'ai receu, Monsieur, vos cinq premières feuilles, et
je suppose que F et G seront arrivées par le Courrier
d'avant-hier, mais elles ne me sont pas encore parve-
nues. Je continue à être content de la correction ,
cependant la dernière me paroit un j)eu moins bien,
et je voudrois fort que vous ne vous négligeassiez pas
en avançant.
Je vous envoyé un changement pour la fin de la
préface que je vous prie de substituer à celle qui y
est. Comme je n'en ai pas une copie exacte ni exacte-
ment cotée, je ne sais pas bien la page et l'alinéa
où ce changement se rapporte; tout ce que je sais c'est
que cet alinéa qu'il faut supprimer, ainsi que tout ce
qui suit, commence par les mêmes mots que ce que
je vous envoyé pour y être substitué. La difficulté des
envois me fait renoncer à l'épreuve même de la pré-
face. J'espère mon cher Rey, que je ne me repentirai
pas de cette confiance. Vous ave/ trop de jugement
pour ne pas sentir combien il m'importe que ce mor-
ceau soit de la dernière correction. J'aimerois mieux
qu'il y eut cent fautes dans l'ouvrage q'une seule dans
la préface. J'attends <I<mic de votre amitié pour moi
que vous voudrez bien y donner toute votre attention.
4:;
Votre correction de tort pour tour est très-bien ('),
et je vous en remercie. Je vous en remercierais de
meilleur cœur encore si je ne craignois de vous encou-
rager à en faire d'autres. Pour Dieu, laissez plustôt
ce qui est mal dans le manuscrit, car vous pourriez
y substituer quelque mieux qui me désoleroit.
Vous trouverez une autre addition derrière la feuille
ci-jointe que vous pourrez insérer dans son rang parmi
celles dont vous ferez la note à la fin de l'ouvrage;
à moins que vous ne soyez encore à tems je
ne sais ce que je dis, j'ai déjà la feuille.
Je vous réitère la prière de ne plus m'envoyer de
pacquets par la voye de M. de Chenonceaux. La gros-
seur du premier nous a ôté cette ressource. Puisque
ce ne sont point des épreuves, ces envois ne sont plus
si pressés. J'aime mieux que vous attendiez quelque
occasion favorable et les recevoir plus tard, que d'im-
portuner les gens.
Je n'ai point encore écrit à M. d'Alembert, en lui
écrivant , je ne manquerai pas de lui parler de vous.
Je connoissois le Supplément aux Journaux que vous
m'avez envoyé, et j'en avois déjà dit mon avis à
l'Auteur. Hors un ton de satyre que je n'aime pas, j'y
trouve du jugement et le style en est plein de chaleur;
mais il est inutile d'en parler plus au long, l'auteur
occupe une place qui ne saurait se concilier avec la
continuation de cet ouvrage. J'ai peur que vous n'ayez
de la peine à le remplacer {-).
(') Probablement dans le passage qui se trouve pag. CO: "le tort tic
Molière n'est pas d'avoir fait du Misanthrope un homme colère et bilieux,
mais de lui avoir donné des fureurs puériles."
{") Au sujet du Supplément aux Journaux voici l'extrai< d'une Lettre
écrite àRey eu date du 28 Sept. L758: J'ai lu votre Supplément. Me per-
mettez-vous di vous dire librement ce (pie feu pen.tr.' il y a tir l'esprit
par-ci pur la, mais sur le tout c'est un mauvais ouvrage, et qui s'il
44
Adieu, mon cher Rey, je ne saurois vous dire com-
bien je suis charmé de n'avoir point à me plaindre,
et à vous inquiéter. Au reste il y aura désormais de
la générosité à vous de bien mire en ce point, car
fissiez vous mal, j'ai résolu de ne plus me fâcher de
rien. Si vous aviez quelque chose de pressé à me dire,
il n'y a point d'inconvénient que vous m'écriviez direc-
tement par la poste.
24.
A Moxtmokenci le 23 Juin 1758.
Je recuis à l'instant, mon cher Rey, avec votre lettre
du 15, la fin de la préface, le carton et la dernière
feuille , le tout en épreuve que je vous renvoyé corrigée,
excepté le dernier feuillet de la préface qui est bien.
L'errata ne contient pas le quart de ce qu'il devroit
avoir. Mais il faudroit tout relire, et je n'en ai ni le
continuait sur ce ton là pourvoit vous attirer des affaires désagréables.
Une critique tranchante, injuste , sans ménagement, l'impiété répan-
due à pleines mains, un acharnement général contre tout le monde;...
en vérité l'Auteur n'y pense pu-. Surtout il est bien étrange que dans
une fueille qui doit servir comme de supplément au Journal dis Savons
et aux mémoires de Trévoux il décrie ces deux ouvrages comme étant
tout ce qu'il y a île plus mauvais. Croit-il que vous êtes intéressé à faire
tomber des ouvrages périodiques que vous imprimez vous-même? En vé-
rité cela est de bien mauvais sens. En vous procurant un petit profit,
il vous coupe la gorge in effet. Ce rCest j>as léi ce que cous demandiez.
Fous désiriez sans doute une critique sage et mesurée de ces deux jour-
naux (et assuré/ut ni toi pourroit in faire une telle) et ensuite quelques
anecdotes de Littérature oui ne s'y trouvent point. Mois l'Auteur a
paru ne couloir sacrifier qu'à soi envie et à son goût pour le persif-
flage." — La Letti e I d'un personnage qui, Bans être auteur, n'a pas été
pour rien dans le mouvemenl littéraire de son temps, el qu'il l'an. Irait faire
connaître s'il s'agissait de l'histoire de la Librairie en Hollande au dix-huitième
siècle.
45
teins, ni le courage. Je suis convaincu que vous avez
fait de votre mieux, et c'est assez pour que je sois
content. La seule faute qui me tient encore au cœur
est sont pour sent de la page 155: elle est corrigée dans
l'errata; mais je vous avoue que je voudrais bien qu'elle
pût l'être dans le texte (1).
M. d'Alembert m'a fait dire que M. de Malesherbes
lui avoit envoyé les feuilles pour lui demander son avis
et que vous auriez la permission, ainsi je tiens cette
affaire faite.
Vous me dites que vos envois pour Genève et Paris
partiront le premier d'Août; j'ai peine à croire qu'ils
soient prêts pour ce tems-là. Quoi qu'il en soit, je vous
prie de joindre au premier, vingt-cinq de mes exem-
plaires, dont un en beau papier, sur le titre duquel,
afin qu'il ne puisse être changé, vous écrirez Pour la
Bibliothèque de Genève. Vous adresserez le tout à
M. le ministre Vernes.
Les 35 autres exemplaires, vous les joindrez, s'il
vous plaît sous mon adresse, à votre envoi pour Paris.
(Je vous prie qu'ils soient brochés.) Vous aurez la
bonté de me marquer le nom et l'adresse de votre
correspondant et le tems à peu près de l'arrivée, afin
que je les fasse retirer chez lui par notre messager.
Je ne suis pas assez fou pour exiger une édition sans
faute, je n'en sache point de telle; mais je voudrais
qu'on ne corrigeât pas mes fautes à moi, sans savoir
s'il me convient qu'elles soient corrigées, ce qui n'em-
pêche pas , comme je vous le répète de bon cœur, qu'à
tout prendre, je ne sois fort content, surtout de votre
complaisance et de votre bonne volonté. Quant à ce
que vous me marquez que vous renoncez à l'édition de
(') "Elle l'est an moyen 'l'un carton
4(1
mes écrits (qui no sont pas mes œuvres) à moins que
je n'aille les corriger, j'ai pris cela dans le sens obli-
geant. Mais cette Edition n'est pas maintenant celle
qui me tient le plus au cœur. Commençons par nous
débarrasser de celle-ci avant de parler d'une autre.
J'attends encore la feuille de l'épreuve que je vous
renvoyé, et celle de la préface quand elle sera tirée.
N'oubliez pas surtout l'exemplaire par la poste à
M. d'Alembert, ce qui réduira à 34 l'envoy de Paris.
Bonjour, mon cher Rey, je vous embrasse de tout mon
cœur.
25.
A Montmorknci le 28 Juin 1758.
Je reçois à l'instant avec la feuille K votre lettre
du 22 par laquelle vous me marquez n'en avoir pas
receu des miennes depuis celle en date du 6. Je vous
en ai pourtant écrit plusieurs depuis; dans l'une je
vous envoyois une note latine pour être ajoutée à la
page 136 du MSc. (') dans une autre j'avois joint une
lin de préface à substituer à celle que vous avez (2).
Si vous n'avez pas receu ces lettres , suspendez , et
marquez-le moi, afin que je vous renvoyé ces change-
mens et additions, surtout par raport à la préface qu'il
ne faut absolument point imprimer telle que je vous
l'avois d'abord envoyée.
J'étois content de la correction de vos premières
feuilles; il n'en est pas de même des dernières; les
fautes vont en augmentant et si ce progrès continue.
(i) C'e8l la lettre du I .' Juin que I r<-\ n'avail reçue que le '!'■'■■
m i 'est lu lettre 'lu 21 Juin que Ro\ ne pouvait avoir le 22.
47
la fin de l'ouvrage ne sera pas reconnoissable. Eu voici
quelques unes qui peuvent se corriger à la plume ou au
canif; et une pour laquelle il faut absolument un carton.
Feuille C, pag. 42, ligne 6 qrand-maitre. Effacez le
tiret avec un canif (*).
Feuille H, page 114 pénultième ligne. Changez le
premiers/s en point. Cette correction est indispensable
par plusieurs raisons que je n'ai pas le tems de détailler,
et comme il n'est pas possible d'espérer que vous ayez
la patience de faire ce changement à la plume , et qu'un
errata ne suffit pas, je vous demande ici un carton,
avec cette ligne ainsi rétablie
nous fera point de mal, si plus rien ne nous (2).
Feuille K, p. 150, ligne 3, celle ajoutez une s celles
car ce pronom ne se rapporte pas au mot vie, mais au
mot mœurs (3).
Page suivante 151, ligne 7 en remontant Ces pour-
quoi, il faut Tes pourquoi; changez donc le C majus-
cule en un T.
Les deux dernières corrections peuvent se faire aisé-
ment à la plume (4).
P. 156, ligne 2, est coupable, est dépravée, il faut
est coupable et dépravée. Il suffit de mettre cette der-
nière correction en errata (s).
J'ai souligné les mots du texte non pas pour les
mettre en Italique mais pour les distinguer de ce que
je vous écris.
(') La correction est marquée dans l' Errata à la fin du volume.
(2) Le carton a été accordé.
(3) La correction est dans l'Errata.
(■*) On voit que Rey n'aimait pas les corrections à la plume. Il a marqué
la dernière aussi dans l'Errata.
(5) Il a donné un carton, parceque la faute suivante que l'auteur indique,
-c trouvant p. 155, les deux corrections on I pu être faites en réimprimant le
même feuillet.
4 s
Page précédente 155, ligne 10 de la note, qui ne
sont il faut, qui ne sent; ce contresens est insuppor-
table, à l'aide d'un trait de plume et d'un petit coup
de canif j'ai facilement changé cet o en e sur ma feuille,
si vous n'aviez pas la patience d'en foire autant à toutes,
il faudroit encore un carton (').
Je me borne à ce petit nombre de corrections , parce
que ce sont celles que j'ai le plus à cœur, et que j'es-
père que vous voudrez bien y faire attention.
Adieu, mon cher Monsieur, si vous avez receu mes
lettres, accusez m'en au plustôt la réception, je vous
prie, afin de me tirer d'inquiétude. Si vous ne les avez
pas receùes, marquez-le moi promptement afin que
j'y supplée sans délai. Je vous embrasse de tout mon
cœur.
J'oubliois de vous dire que j'ai écrit à M. d'Alem-
bert et que je lui ai parlé de vous selon votre intention.
Il doit être content de ce que je lui ai dit en votre
nom (2).
Je vous ai marqué dans mes précédentes de ne pins
m'envoyer vos pacquets à l'adresse de M. de Chenon-
ceaux ; je vous en réitère la prière. 11 vaut mieux
suspendre vos envois jusqu'à d'autres occasions. Quant
à vos lettres vous pouvez les adresser à M. Coindel
ou à moi en droiture.
(•) Le carton y est.
(2) Rousseau avait écril à d'Alemberi trois jours auparavant. Cette lettre,
datée du 25 Juin 1758 esl imprimée dans le recueil de m>s ouvrages. 11 n'y
a pas un seul mot au sujel de Rey. Peut-être était-ce dans an post-scriptum
qu'on n'a pas jugé a propos de publier.
49
26.
A Montmorency, le 5 Juillet 1758.
Ne recevant plus rien de vous , mon cher Rey, j'en
conclus que vous avez enfin receu les lettres par les-
quelles je vous marquois de ne plus m'envoyer de
feuilles à l'adresse de M. de Clienonceaux ; mais cela
ne devroit pas pourtant vous empêcher de m'écrire.
Ne manquez pas , je vous prie , aussitôt que l'ouvrage
sera fini et avant la publication, d'envoyer par la poste
un de mes exemplaires à M. d'Alembert, et de l'adres-
ser à M. de Malesherbes, qu'il en a prévenu, et qui
le lui fera remettre.
Je voudrois bien que vous pussiez trouver quelque
voye sûre pour en faire tenir un autre exemplaire à
M. de St. Lambert ' , chez Made. de St. Lambert à Nancy.
Je voudrois, s'il étoit possible, que cet exemplaire lui
arrivât franc de port, et que vous me donnassiez avis
de ce que ce port auroit coûté, afin que je vous le fisse
rembourser, enfin, je voudrois que vous prissiez la
peine de donner avis à M. de St. Lambert de cet envoi
que vous lui faites de ma part, afin qu'il le fît retirer.
Tout cela suppose quelque occasion pour cet envoi,
si vous n'avez nulle relation avec Nancy, j'attendrai
que M. de St. Lambert revienne, ou je lui enverrai
cet écrit d'ici (1).
Ne recevant plus de feuilles ni de lettres, je n'ai plus
rien à vous dire sinon que j'attends de vos nouvelles,
et que j'espère que vous aurez fait attention aux chan-
(') C'est ce qu'il a fait. Il écrit au Xm' livre des Confessions: "Si tôt que
mon ouvrage fut imprimé et que f en eus de.? exemplaires j'en envoyai
un à St. Lambert.'' On se rappelle ce qui s'est passé entre l'auteur et St. Lam-
bert au -Mijot île cet envoi.
I
50
gemens et corrections que je vous ai envoyés. N'oubliez
pas le carton p. 114, et par occasion ayez soin d'ajouter
dans cette même page, ligne 3, une virgule après le
mot bons, (*).
Je vous recommande aussi Yo à changer en e p. 155,
lio-ne 10 de la note (2). Si vous n'avez pas la patience
ou le tems de faire les cliangemens indiqués sur tous
les exemplaires , faites-les au moins sur ceux que vous
destinerez pour Paris et pour Genève, encore pouvez-
vous vous en dispenser pour les miens; je les y ferai
moi-même ouïes y ferai faire. J'ai regret à votre peine;
je la voudrois épargner; mais quand on n*est pas déjà
trop beau, il est bien triste d'être encore défiguré.
Adieu, mon cher Rey, je vous embrasse et vous charge
de mes honneurs à Madame Rev.
2?.
A Montmorenci, le 8 Juillet 1758.
Je n'ai receu qu'avant-hier , mon cher Rey. votre
parquet adressé à M. Coindet, contenant les deux
feuilles M et N, la Préface, et un mot de lettre du 28.
A l'égard de la feuille L que vous dites m'avoir en-
voyée par M. Dupin, elle ne m'est point parvenue, et
si vous y aviez joint quelque chose par écrit qu'il im-
porte que je sache, vous ferez bien de me le répéter.
.l'ai bien peur que vous n'ayez confondu M. Dupin
fermier général avec M. Dupin de Chenonceaux aussi
fermier général. Si vous aviez suivi exactement l'adresse
(') Le carton n'a pas été oublié et la virgule y est ajoutée.
(2) Voyez la lettre précédente p. 4-.
51
que je vous ai envoyée, cela ne seroit pas arrivé. J'en-
verrai demain à Paris exprès pour m'informer de ce
pacquet. Ne vous pressez pas de me renvoyer la
feuille L , jusqu'à ce que je vous marque par un
autre courrier si en effet la pr.e est perdue sans retour.
Voici de nouvelles corrections non moins indispen-
sables que les précédentes, mais j'ai moins de regret
à votre peine depuis que je vois que vos fautes vien-
nent d'avoir voulu corriger les miennes et de vous être
mis en tête qu'on parle mieux françois à Amsterdam
qu'à Paris. Au reste afin que vous ne m'accusiez ni
d'humeur ni d'entêtement, je veux bien vous rendre
raison des leçons que je suis forcé de rétablir.
1. Préface. Page xvm, pénultième ligne, accueillerez
il faut accueillirez comme j'avois mis premièrement par-
ceque c'est l'usage des gens qui parlent bien, et puis
parceque l'analogie le demande , attendu qu'on ne dit
pas vous /aillerez et vous cueillerez ; enfin parceque
la pénultième syllabe de ce mot doit être appuyée par
un accent, et qu'un e muet n'en sauroit comporter.
Changez donc cet e en i. Cette faute est si choquante
à la place où elle est que , si malheureusement la Pré-
face étoit déjà tirée, il faudroit absolument un carton
pour rétablir ce mot (1).
Comme j'espère qu'elle ne l'est pas, je vous prie aussi,
même page, ligne 6, de mettre simplement Lecteur.
au singulier, et d'ôter VO (2).
(') La Préface n'était pas encore tirée. On y lit en effet accueillirez. Dans
la lettre qui suit , il insiste de nouveau à ne pas oublier de mettre ainsi. Voir
encore le N°. 29. On voit donc combien on a eu tort, dans les éditions qui
ont succédé à l'édition originale, d'y substituer accueillerez. Dès à présent,
dans les éditions qui suivront, il faudra rétablir la leçon de la copie de l'auteur,
qu'il a défendue si chaudement.
(2) C'es< ce qu'il y a.
1
52
Je voudrais Lieu encore que vous pussiez faire en
sorte que la citation latine de la page xvi n'eut pas
besoin de tourner (').
2. Page 186 , ligne 5 en remontant , femmes , je n'avois
point mis cette s, ôtez-la; vous me direz qu'elle est fort
indifférente, et vous avez raison quant au sens; niais
outre que le singulier est plus élégant, ce plurier ajoute
dans la phrase une syllabe qui en gâte absolument
l'harmonie, et l'harmonie me paroit d'une si grandi1
importance en fait de style que je la mets immédiate
ment après la clarté, même avant la correction (?).
3, Page 181 , ligne 4, javois mis, il faudra, vous ave/,
mis, il faudrait. Ce changement , non plus , n'altère pas
le sens, et c'est tant pis, car on ne le prendra pas pour
une faute d'impression. Or, voyez quelle chaîne de so-
Lécismes il étend sur les tems qui suivent. Rétablis-
sez donc il faudrait), comme vous pourrez, et ne vous
en prenez qu'à vous même de la peine que je vous
donne malgré moi. Quand l'ouvrage sera fini, je vous
enverrai la note des fautes dont je ne vous parle pas,
et vous en serez étonné.
Vous avez tort de m'envoyer vos pacquets par la poste
à vos fraix, puisque ces pacquets n'étant pas des épreu-
ves, j'aurois attendu patiemment, comme je vous l'ai
marqué, que vous trouvassiez quelque occasion pour
me les faire tenir. Heureusement nous approchons de
la fin, et je ne pense par qu'il vous reste encore beau-
coup d'envois à me faire par la poste.
Quand vous serez prêt à faire vos envois je vous
(i) C'est le passage du livre «le l'Ecclésiastique que Rousseau avaii
pour annoncer publiquement sa rupture avec Diderot. La uotese lit eu entier
à la page xv.
(2) Rej y a pourvu en mettant dans ['Errata "femmes lises femme."
f3) Il y esl pourvu dans l' Errata.
marquerai comment je souhaite de partager mes exem-
plaires; en attendant, je vous prie de ne pas oublier
M. d'Alembert avant que l'ouvrage paroisse (f), ni, s'il
y a moyen, M. de St. Lambert à Nancy quand il pa-
roitra. Adieu, mon cher Rey, je vous embrasse de tout
mon cœur.
28.
A Montmorencj, le 12 Juillet 1758.
Je reçois à l'instant, mon cher Rey, la feuille P et
j'ai receu toutes les précédentes.
Je ne me rends pas sur le Tes pourquoi de la
page 151 (2), je suis sûr d'avoir fait un T, mais
peut-être assez ressemblant à un C pour qu'on ait pu
confondre. C'est l'affaire d'un trait de plume au haut de
la lettre. A l'égard de plus pour point p. 114 (3) je ne
doute pas que la faute ne vienne de moi , puisque vous
me le dites. Je voudrois bien pourtant qu'elle fût cor-
rigée, et si vous consentez d'y faire un carton , je consens
de bon cœur d'en porter les fraix.
Je suis fort content des dernières feuilles ; elles ont
autant d'exactitude qu'on en doit raisonnablement at-
tendre. Voici tout ce que j'ajouterai quant à présent aux
corrections que je vous ai ci-devant envoyées.
(') Il ne l'a pas oublié, témoin deux lettres autographes de d'Alembert,
datées du 18 Juillet et du 1 Septembre. Dans la première il remercie Rey de
l'envoi d'une partie de l'ouvrage de Rousseau et le prie de ne point perdre
de temps à lui envoyer le reste; dans l'autre il lui mande qu'il a écrit à
M. de Malesherbea pour le prier de vouloir donner la permission d'introduire
librement l'ouvrage en France.
(2) Voyez la note 4 au N°. 2ï> , p. 47.
Voyez le X". 25, note 2, p. 47.
54
P. 167, dernière ligne îfis, lisez Jils (').
P. 170, 7e ligne en remontant; grand lisez grands.
P. 175, lig. 8, vingt-quatre. Il faut un tiret.
Tout cela n'est rien, et vaut à peine le soin d'être
mis en errata. Il n'en est pas de même de la correc-
tion suivante à mettre à la fin parmi les changemens.
Je vous l'ai peut-être déjà envoyée, mais comme je
n'en suis pas sûr, je vous la renvoyé afin qu'elle ne
soit pas omise , en convenant que la bévue est de moi.
P. 207, ligne première de la note. Platon dans sa
République. Lisez , Platon dans ses Loix (-).
Voici encore une correction qui n'est pas importante ,
mais si facile à faire que ce n'est pas la peine de
laisser une phrase louche. P. 240 , lig. 4 en remontant
rendez les, ajoutez un tiret, rendez-les; comme c'est la
dernière page de la feuille, ce tiret peut très facilement
s'ajouter en la pliant (3).
Au sujet de la préface je vous sais bien mauvais gré
de ne m'avoir dit clairement si ce que vous m'avez
envoyé étoit une feuille ou une épreuve ; car dans le
dernier cas , j'aurois fait bien des changemens , avec
lesquels j'ai craint de vous embrouiller ou chagriner
dans le premier. C'est une affaire faite, il n'y faut pins
penser. Toutefois de manière ou d'autre n'oubliez pas
accueillirez au lieu d? accueillerez dans la pénultième ligne.
Pag. 230, prc. ligne de la note; il y a deux lettres
omises au mot cuiller. H falloit selon le manuscrit
met i re cuillier dans le texte, et cuillère ou cuillière qui
est le vrai mot, dans la note, bagatelle pour L'errata (*).
(i) Cette correction et les Jeux qui suivent son) indiquées dans l' Errata.
(2) La correct ion se trouve dans l'Avis de l'imprimeur dont j'ai fait men-
tion au N°. 22, page -11. note 1.
(*) Elle est dans l'Errata.
(l) Elle v est.
55
Je vous remercie de l'intérêt que vous voulez Lien
prendre à mon état. Je suis toujours mieux l'été , ce-
pendant le mal fait son progrès et naturellement l'hiver
prochain ne doit pas me laisser revoir le printems. Si
Dieu me laisse vivre , je suis bien éloigné de renoncer à
notre projet ; mais commençons par nous tirer de l'affaire
qui nous occupe et puis nous parlerons d'autre chose.
Adieu, mon cher Rey, mes honneurs et amitiés
à Madame Rey. M1Ie. Le Vasseur vous assure de son
respect et moi je vous embrasse de tout mon cœur.
Comme je suis prompt et que chaque faute que
j'apperçois me donne un moment d'humeur qui passe,
je suis bien aise de vous répéter à vous et à votre ami,
que je salue et remercie, qu'à tout prendre je suis fort
content de la correction. Il s'en faut beaucoup que l'autre
Discours ne soit aussi bien.
29.
A Montmorenci, le 20 Juillet 1758.
Après un ordinaire d'interruption j'ai receu par
M. Coindet la feuille Q tout ouverte ; en sorte que sans
savoir s'il me convient qu'il les voye, il ne tient pus à
vous que mes feuilles ne courent tout Paris avant de
me parvenir. Passons. Vous me dites dans votre
lettre du 29 du mois dernier (pie vous donnez trop
d'attention aux petits changemens qu'on fait pour qu'ils
si lient mauvais, et que s'il arrive qu'on puisse se
tromper vous suivrez plustôt ma copie. Si tout cela est.
bien vrai, prenez donc la peine de me justifier le chan-
gement suivant p. 243, ligne 1<>, y// pèse tout à la
5,6
balance du jugement , jusqu'à la plaisanterie. Pour éviter
cette queue traînante j'avois mis, qui pèse tout jusqu'à
la plaisanterie à la balance du jugement. Je trouve ma
phrase élégante et harmonieuse, la vôtre dure et plate.
A moins que vous ne me donniez une bonne raison
de cette correction, je vous prie de rétablir par un
carton la leçon de ma copie ('). Dans le même carton
p. 224, ligne 11, connu, il faut conçu ou conceu; est-ce
encore là une correction de votre façon, et avez-vous
jamais entendu dire, conno'dre pourquoi fyc? (s).
Autre correction , page suivante 245 ligne 3. J'avois
mis , Elle ne doit donc point ajouter fyc. comme la con-
séquence ne s'est pas trouvée assez claire pour vous ,
vous avez supprimé le donc (3). En vérité, je ne sais
plus si je suis un Auteur qu'on imprime ou un Ecolier
que l'on corrige. Eh ! Monsieur Rey, laissez-moi porter
mes fautes , sans y en ajouter encore de votre façon.
Vous dites que vous attendez ma réponse sur la
préface. Je n'ai pas perdu un moment pour vous ré-
pondre là-dessus, et j'y suis revenu dans deux lettres:
je vous dis donc pour la troisième fois que vous pouvez
la tirer telle qu'elle est, excepté le mot accueillerez
dernière page pénultième ligne, au lieu duquel il faut
accueil! irez; excepté encore, 0 Lecteurs, même page,
4e ligne en remontant, à la place de quoi il faut
simplement, Lecteur; enfin, excepté le partage de la
citation latine entre deux pages, que je voudrois faire
entrer tout entier dans la page xv ( ; ).
Je vous ai parlé de M. d'Alembert , et de L'exem-
(M Le carton y est avec la leçon de l'auteur. Voyez les raisons du correc-
teur et la réponse de Rousseau au No. 30.
(3) Le même oarton a rétabli conçu.
(■') Le mol (Imir n'y esl pas, et la suppression, l'aile eu dépil de l'auteur,
n'étant pas marquée dans l'Brrata, >'est propagée dans toutes !<•- éditions,
(•)) Voyez au N". 87, page •"■'-'. la note 1.
0<
plaire qu'il attend par la poste à l'adresse de M. de Ma-
lesherbes ; je vous ai encore parlé de celui que je vous
ai prié, si vous en trouviez l'occasion, de faire tenir
à M. le Marquis de Sf. Lambert à Nancy. Vous ne
me répondez rien à tout cela ('). Je vous ai tant écrit
de lettres que je n'en sais pas le compte, et j'ai j)eur
qu'il n'y en ait de perdues.
Adieu , mon cher Rey , à présent que je vous ai un
peu querellé, je vous embrasse de tout mon cœur, et
je sens bien que c'est votre tour d'être facile ; car on
boude toujours quand on a tort, c'est la règle. S'il ne
faut pour vous appaiser que supprimer le carton , j'y
consens de bon cœur, à condition pourtant que vous
mettrez conçu dans l'errata.
30.
A Montmorenci , le 10 A oust 1758.
Votre silence inattendu , mon cher Rey , m'oblige à
vous rapeler l'état où est demeurée notre correspon-
dance afin que nous puissions nous entendre.
La dernière lettre que je vous ai écrite étoit du
23 Juillet et dut être mise a la poste le lendemain,
jour de Courrier, par M. Coindet à qui je la remis en
main popre. Cette lettre contenoit l'épreuve de la feuille
R avec celle du carton, corrigées, et des dispositions
sur l'envoy de mes exemplaires que je supposois devoir
partir avec les vôtres le pr. de ce mois, comme vous
me l'aviez promis.
Le lendemain du départ de nia lettre, j'en receus une
(') Yovcz au N°. 27. p. 58, note I.
58
de vous, sans date, dans laquelle vous nie disiez qu'au
moyen de l'attention que je de vois faire aux dates de
vos lettres il étoit inutile de me répondre à bien des
choses. Vous m'annonciez encore la feuille du titre,
ou avec votre lettre, dans laquelle elle ne s'est point
trouvée, ou avec la lettre R tirée, dont vous attendiez
l'épreuve que vous avez dû recevoir.
Dans cette même lettre étoit la réponse de M. le Cor-
recteur, à laquelle je viendrai tout à l'heure. Depuis
ce tems, je n'ai receu ni la feuille du titre, ni la
lettre R, ni aucune lettre de vous. Seulement M. d'Alem-
bert m'a fait dire il y a plus de huit jours qu'il avoit
receu l'ouvrage entier, ce qui m'a fait voir qu'il étoit
mieux servi que moi. Vous m'enverrez le reste des
feuilles à votre commodité, et m'expliquerez quand il
vous plaira toutes ces Enigmes. Je vous avoue que
je ne serois pas fâché d'apprendre enfin ce qu'est de-
venu mon ouvrage.
Je vous dirai que je crois les intentions de M. le Cor-
recteur meilleures que ses raisons et qu'il eût peut-être
mieux valu ne point faire de réponse que d'en faire
une pareille. Il est question de l'inversion qu'il a jugé
à propos de faire p. 243, 1. 16 (').
Il dit que mon tour de phrase formoit un hiatus vio-
lent. Il n'y a dans cette phrase aucune espèce d'Hia-
tus. Au contraire , il y a élision , comme il arrive dans
la langue françoise toutes les fois qu'un mot finissant
par un e muet est suivi d'un autre mot commençant
par une voyelle.
Il dit que rien n'est plus dur «pie ces 1 syllabes
réunies, santerie à: je réponds que je n'y trouve pas
la moindre dureté et que j'ai peine à croire que per-
') Voyez au ft". 38, p. r>r>. 1m unie 1.
59
sonne au monde y en trouve; je réponds encore que
toutes les fois qu'il s'agit de nombre et d'harmonie , il
faut entendre les sons et les quantités dans leur
phrase entière puisque leur effet à l'oreille dépend de
ce qui précède et de ce qui suit. Or lisez ces 4 syllabes
dans ma phrase et vous les trouverez très-bien cadencées.
Il dit que son tour ni le mien ne sont pas tolérables,
cet aveu seul le condamne. Car s'il est jamais permis
de toucher au texte d'un auteur contre son gré , il faut
au moins que ce ne soit que pour faire parfaitement
bien ; mais comment peut-on se permettre une correction
qui de l'aveu même de celui qui la fait n'est pas tolérable ?
C'étoit, dit-il, pour faire éviter le bâillement. Mais
il n'y a point de bâillement dans ma phrase; il a
donc fait mal pour ôter une faute qui n'existoit pas.
Bien loin d'accorder que mon tour ne soit pas tolérable,
je le soutiens élégant , harmonieux , régulier ; je n'ose
rien dire du sien , sinon que je suis sur ce point de
son avis. Comme c'est ici une question de fait, j'offre
à M. le Correcteur de faire avec lui le pari qu'il lui
plaira; de soumettre ma phrase et le jugement qu'il
en porte à celui de l'Académie françoise; si elle me
condamne , j'aurai perdu.
Si M. votre ami a quelque chose à répliquer à cela,
je le prie de le faire ; sinon je voudrois qu'il convînt
franchement qu'il a tort. Au reste toutes les fois qu'il
sera question de science et de raison je suis prêt à
déférer à ses lumières. Mais quand il s'agit de style,
je veux qu'on me laisse le mien jusques dans mes fautes.
A ces conditions je me tiendrai toujours fort honoré
qu'il daigne revoir mes ouvrages et m'en dire son avis.
Adieu, mon cher Rcy, j'attends de vos nouvelles
à votre loisir et vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. ROUSSEAI •
60
31.
A Montmorenci , le 6 7bre 1758.
Depuis votre lettre du 21 Aoust, mon cher Rey,
que j'ai receue en son tems , j'attendois chaque ordi-
naire des nouvelles de la réponse de M. de Males-
herbes à votre dernière lettre : mais n'en recevant point,
je suppose que vous n'en avez point receu vous-même,
et il me reste toute l'inquiétude d'un événement que
je crains qui ne tourne à votre préjudice. N'ayant plus,
et ne voulant plus avoir aucun commerce avec Paris,
j'ignore absolument ce qui s'y passe; mais je ne puis
douter que je n'y aye beaucoup d'ennemis irréconcilia-
bles , d'autant plus dangereux que sous un air d'amitié
ils se cachent pour me nuire et ne me pardonneront
jamais le mal qu'ils m'ont fait; ils me trahissent à
couvert; moi je les méprise ouvertement, ce n'est pas
le moyen d'être épargné. Si vous receviez les coups
qu'on me porte, ce peut bien être pour moi une afflic-
tion de plus; mais comme je n'ai nul moyen de les
parer, et qu'il n'y a point de ma faute dans votre
malheur, je ne puis que vous en plaindre et non pas
y remédier. Donnez-moi, je vous prie, des nouvelles
de tout cela, telles qu'elles puissent être; l'inquiétude
et le doute sont toujours pour moi pires que le mal.
Je suis mieux que cet hiver; mais c'est un mieux
qui tient à la saison et je vous avoue que je doute-
fort que l'hiver prochain se passe sans quelque accident
qui rompe les projets de voyage que je pourrois avoir
laits d'avance. D'ailleurs, simon malheur vous poursuit,
il ne convient pas que j'aille vous exposer à de nou-
velles pertes, et il n'est pus apparent que nous soyons
mieux traités une nuire fois que celle-ci. Au surplus,
61
mon dessein d'aller vous voir est toujours le même ;
mais je ne veux m'y livrer que d'une manière satisfai-
sante pour tous deux, et, encore une fois, il faut voir
le succès du présent ouvrage avant de parler d'une
autre entreprise.
Adieu, mon cher Rey, vous pouvez continuer à
m'écrire en droiture, surtout si vous avez quelque
chose d'agréable à me dire; car pour des chagrins
inutiles , je vous avoue que j'en ai autant que j'en
puis porter. Adieu derechef, mille amitiés à Madame
Rey, je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.
Mlle Le Vasseur vous remercie de l'honneur de votre
souvenir et vous assure de son respect.
32.
A MoxT.MORENcr, le 13 7br.° 1751.
Votre billet du 3 de ce mois m'a tranquillisé en
partie. Cependant il me revient de toutes parts que
beaucoup de gens ont lu mon ouvrage et qu'il est
comme publié à Paris. De sorte que quand vos exem-
plaires arriveront, il sera déjà usé et personne ne s'en
souciera plus. Je ne doute pas môme qu'il n'en pa-
roisse des critiques avant l'ouvrage. Je ne sais si cet
arrangement peut être utile au libraire; mais je sais
qu'il ne peut être agréable à l'auteur, ni avantageux
à l'effet du livre. Je n'assure pas non plus qu'il y ait
à cela de votre faute, tout ce dont je suis sûr c'est
qu'il n'y a pas de la mienne; puisque non seulement
les feuilles que vous m'avez envoyées ne sont pas sor-
ties de mes mains , mais que je ne les ai lues à pas
une ame, pas même à M. Coindet An surplus je ré-
62
ponds bien de M. d'Alembert , mais non pas des gens
à qui il peut avoir prêté un écrit. Quand je vous
priois de lui envoyer un exemplaire avant la publica-
tion , je n'entendois pas trois mois d'avance. Autre
chose encore, c'est que je doute que M. Durand se
charge de vos exemplaires, attendu qu'il est le libraire
de M. Diderot, et que j'ai découvert depuis l'hiver
dernier que le Philosophe Diderot tient des discours
horribles de son ami Rousseau et lui fait en secret tout
le mal qu'il peut. Or, moi qui ne fais rien en secret
de ce qui regarde autrui, j'ai rompu ouvertement. Je
sens bien qu'en tout je suis porté à mettre les choses
au pis , ce système n'est pas consolant, mais il est 1<>
fruit de l'expérience.
Je n'entens rien à votre projet de réimprimer une
partie de mes écrits déjà publiés, et d'omettre les
autres, et précisément ceux qui ont eu le plus grand
succès, comme la réponse au Roi de Pologne, la Pré-
face de Narcisse &c. Vous savez que mon dessein est
de faire une Edition générale, d'y joindre plusieurs piè-
ces nouvelles que j'ai en manuscrit et plusieurs addi-
tions que j'ai faites à ce qui est déjà imprimé. Si vous
voulez vous charger de cette édition, comme nous en
étions convenus, je vous enverrai des manuscrits bien
nets, et des exemplaires bien corrigés. J'estime que le
tout fera quatre bons volumes in-douze. Si cette entre-
prise vous convient, il n'est question que de nous ar-
ranger pour cela; je passerai l'hiver à mettre le tout
en ordre, et vous pourrez avoir la copie avant Pâques.
Si vous vous obstinez à votre petite édition incomplette,
je ne m'y oppose pas, et j'offre même de la revoir.
Mais vous ne trouverez pas mauvais que je lasse lu
mienne de mon côté. Car je vous avoue que n'étanl
plus en état de travailler, ce m'est une idée douce de
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laisser avant ma mort un bon recueil de ce que j'ai
fait. Au reste, l'ouvrage dont je vous ai lu quelques
morceaux est entièrement achevé , il est en six parties ,
et si vous aimiez mieux commencer par celui-là, cela
dépendra de vous.
Répondez-moi naturellement sur tout cela; usez avec
moi de ma franchise. Déterminez-vous sur le mieux
pour votre avantage et croyez que je serai toujours
content de ce qui vous conviendra.
Je ne puis rien vous dire sur mon voyage auprès de
vous, que le tems de le faire ne soit venu. Je suis
faible; l'hiver m'ôtera infailliblement le peu de forces
que l'été m'a rendues, je ne puis croire qu'au printems
je sois en état de me déplacer. D'ailleurs ce voyage ne
peut qu'être extrêmement dispendieux, je ne puis le
faire à demeure qu'après avoir vu par moi-même si le
séjour me convient ; il faut donc compter sur le re-
tour. Menant Mlle Le Vasseur , c'est une double dépense,
et où mettre mes meubles , que faire de mon petit mé-
nage. Ne la menant pas , le petit ménage va toujours
son train, le loyer court toujours, celui de la bonne
vieille, beaucoup d'autres dépenses que je ne puis évi-
ter. Tout cela m'effraye: je crois que le parti le plus
sage est de rester dans ma solitude, de vous envoyer
des copies bien nettes, de faire un bon accord avec le
correcteur auquel je ferai à chaque ouvrage un présent
pour ma part quand je serai content de lui; enfin de
chercher pour l'envoy des épreuves quelque voye gra-
tuite qui ne sera pas difficile à trouver. Voilà mon avis :
mandez-moi le votre sur tout cela. Adieu, Monsieur
et Madame Rey, je vous salue et vous aime tous
ileux de tout mon cœur.
i;i
1*3.
A Montmobenci, le 24 81":' 1758.
J'ai receu, mon cher Rey, le 19 de ce mois votre
lettre du 12 par laquelle vous m'annoncez l'arrivée de
mon ouvrage à Paris. En effet il y est en vente depuis
le 2 de ce mois, je l'appris le 7, par hasard; le 8 et
le 9, je fis retirer mes exemplaires ; ils ont été distribués
les jours suivans, et tous ceux à qui j'en ai fait pré-
sent ne m'en ont su aucun gré parce qu'ils en avoient
déjà, et qu'ils ont peine à s'imaginer qu'un ouvrage
se publie huit jours avant que l'auteur en sache rien
et qu'il ait ses propres exemplaires.
Un libraire de Paris est venu me voir et me proposer
de consentir qu'il réimprimât ce dernier écrit. J'ai dit
ce qu'il falloit ; cependant je le crois disposé à passer
outre ; ainsi j'ai cru devoir vous en avertir, afin que
vous puissiez prendre là-dessus les mesures qui vous
paroitront convenables. Au reste, quoiqu'en livrant un
Manuscrit à un libraire, je ne prétende pas m'ôter le
droit après la première édition de le réimprimer de un ni
côté toutes les fois qu'il me conviendra, vous pouvez
être sûr qu'à l'égard de ce qui s'est imprimé chez vous,
je n'userai jamais de ce droit sans vous en avertir
d'avance, et jamais en aucune manière, quand vous en
userez honnêtement avec moi.
On me fait de Genève de justes plaintes d'y voir
arriver mon écrit si tard, et publier plus tard qu'à
Paris. Quand je leur dis que la balle a resté deux
mois et demi en route et que vous avez prévu d'avance
qu'elle y rcsteroit ce teins là, on me répond que cela
n'est pas possible, et l'on attribue tout cela à prétexte
et à mauvaise volonté de nia part; mon cher Key. j'ai
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la discrétion de ne vous faire aucune plainte, mais il
nie semble qu'à bien des égards j'avois mérité plus
d'estime, plus de confiance et de meilleurs procédés.
Vous n'avez pas besoin de moi pour réimprimer ce
dernier ouvrage; il suffira d'y faire rentrer les change-
mens et corrections qui sont à la fin, et d'avoir sur
le tout , si vous pouvez , plus d'exactitude qu'à l'ordi-
naire.
A l'égard du recueil général, je vous répète que tout
sera prêt à Pâques prochain , et que si même vous voulez
commencer plustût, vous en serez le maître. Je suis
d'avis de mettre au premier volume les pièces de Théâtre
et autres petits ouvrages, afin qu'on trouve toujours
mieux en avançant ('). Le quatrième tome contiendra
l'ouvrage que vous venez d'imprimer , et une autre pièce
encore manuscrite sur le même sujet, que je viens
d'achever.
Que si vous aimiez mieux commencer par l'ouvrage
dont vous avez vu quelque chose, je l'aimerois mieux
aussi. Il est fini, et contient six parties dont la pre-
mière est la plus grande et la dernière la plus petite.
Voici mes conditions. Le recueil contiendra quatre
volumes in-12°. Peut-être cinq; plusieurs nouvelles
pièces, et quelques additions aux autres. Vous me
donnerez pour cela soixante Louis (2).
Le prix des lettres est déjà fait à quinze Louis chaque
partie, ce qui fait quatre-vingt-dix louis.
Si vous vous sentez en état d'entreprendre ces deux
ouvrages et de les achever l'été prochain , que de mon
côté je passe cet hiver aussi bien que j'ai passé l'été,
(1) Plus tard il a changé d'avis comme on verra par une note que je pu-
blierai ci-après parcequ'cllc date de l'an 1765.
(2) Rey a ('frit à cet endroit au crayon : "f en ay payé 55 Louis OU 1820 II.''
66
j'irai ce printems veiller moi-même à l'exécution, et si
le séjour me convient je pourrai rester avec vous.
A l'égard des termes pour les envois réciproques,
comme je ne suis pas si défiant que vous, et que je
juge des autres âmes par la mienne, je vous enverrai
de la copie quand il vous plaira et autant qu'il vous
plaira, vous m'enverrez de votre côté de l'argent quand
vous voudrez et ce que vous voudrez. Ma seule con-
dition est que, soit que vous vous chargiez des deux-
entreprises ou d'une des deux seulement, soit que j'aille
auprès de vous ou que je demeure ici , le tout sera
acquitté sans qu'il en manque un sol le premier de
Septembre 1759. Je vous laisse réfléchir là-dessus. Vous
pourrez me répondre à votre loisir. Mais je veux une
réponse précise, et votre parole; je m'en tiens aussi
sûr que si j'avois l'argent.
Adieu, mon cher Rey, mes amitiés et respects à
Madame Rey. Mlle Le Vasseur vous remercie de l'hon-
neur de vos complimens; elle vous fait les siens, et
moi je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
34.
A Montmobenci, le 22 Fevr. 1759.
Ne voulant pas, Monsieur, être juge dans ma propre
cause, avant d'user du droit que je crois avoir d'em-
ployer dans le recueil de mes écrits les deux que vous
avez imprimés, j'ai résolu de consulter sur ce cas des
gens désintéressés dont l'intégrité ne soit pas suspecte.
Mais auparavant encore, ma répugnance à laisser à
personne contre moi des mécontentemens même injustes.
me porte à vous faire la proposition suivante.
67
Fixez sur l'argent que j'ai receu de vous quelle somme
vous voulez que je vous rende afin que je puisse em-
ployer ces deux écrits dans mon recueil, sans que vous
ayez mal fait vos affaires avec moi, ni que vous m'es-
timiez injuste envers vous. Ayez l'honnêteté, je vous
prie, de me faire une prompte réponse, car je suis
dans le cas d'avoir à prendre des arrangemens là-dessus.
Bonjour, Monsieur, je vous souhaite tous les hiens
possibles et j'assure Madame Rey de mon respect,
J. J. Rousseau.
:*5.
A Montmorenci, le 14 Mars 175'.».
Je réponds, mon cher Rey, à votre lettre du 27 fev.
Vous n'agissez pas imprudemment de vous en re-
mettre à ma discrétion au sujet de la réimpression
des deux écrits de ma composition que vous avez im-
primés, dans le recueil général que je désire faire. J'ai
eu tort de ne m'être pas expliqué avec vous, et sur
votre dernière lettre j'ai résolu de ne plus songer à ce
recueil que nous ne nous soyons mieux expliqués ; car
sûrement il y a du malentendu entre nous. Vous avez
raison de ne vouloir pas payer deux fois les mêmes
ouvrages; mais moi je n'ai pas tort de ne vouloir pas
vous faire présent de deux ans de mon tems, car je
n'ai de ressource pour vivre que mon travail, et tandis
que je revois mes écrits, il faut que je dîne. Je pren-
drai la liberté d'ajouter que des pièces nouvelles dont
je compte augmenter ce recueil il n'y a point de libraire,
hors vous, dont je n'eusse à l'instant les soixante Louis
que je vous demande pour le tout. Mais il n'est paf
maintenant question de cela, venons an pins pressé
68
Je veux tenir l'engagement que j'ai pris avec vous
au sujet de la Julie. J'ai examiné l'état du manuscrit,
et ne le trouvant pas assez net pour vous être envoyé
dans cet état, je prends le parti de le recopier en entier,
et je vous enverrai la copie partie par partie à mesure
qu'elle sera faite (1). Je compte que la première partie
partira le dernier du mois prochain , et je tâcherai de
vous envoyer les autres de mois en mois en sorte que
vous ayez receu le tout dans le courant de novembre
au plus tard.
De votre côté vous m'enverrez de l'argent à votre
commodité , pourvu seulement que le tout soit acquitté
avant la fin de l'année présente. Je me suis relâché
de trois mois, je ne puis prolonger davantage; si vous
n'êtes pas sûr de pouvoir remplir cette condition ne
vous chargez pas de mon manuscrit. Voici les autres
conditions que j'ajoute (2).
L'ouvrage sera imprimé en beau papier, avec le plus
srrand soin , caractère et format dont nous conviendrons ;
O 7
vous m'enverrez les épreuves aux adresses que je vous
donnerai, et vous attendrez pour faire tirer les feuil-
les que je vous renvoyé l'épreuve corrigée, ce que je
ferai ponctuellement l'ordinaire après celui où je l'aurai
receue.
On suivra exactement mon manuscrit, l'orthographe,
la ponctuation, même les fautes, sans se mêler d'y
rien corriger.
Vous ne ferez point paroitre l'ouvrage par parties.
(l) Voilà donc l'origine des nombreuses différences qu'on a remarquées entre
les deux manuscrits autographes de la Noitrcllr Héloïse qui existent en
France avec le texte imprimé. En recopiant son ouvrage il est impossible
cra'un écrivain commo Rousseau ne corrige beaucoup. On verra la preuve
qu'il l'a fait dans les N°? 54 el 56.
(s) L'honoraire était déjà ttxé à 90 Louis Voye N°. 88.
69
mais tout à la fois , et cela pour votre intérêt autant
que pour le mien; attendu que les premières parties
sont foibles et mauvaises , et qu'il n'y a que les der-
nières qui puissent les faire valoir.
Vous m'enverrez ici mes soixante exemplaires, je n'en
destine aucun pour Genève , et je voudrois même que
vous n'y en envoyassiez aucun pour votre compte.
Il me reste à vous dire pour prévenir de nouveaux
malentendus, que j'ai fait un écrit sur les Romans
que j'intitulerai peut-être, pré/ace de Julie, mais que
je n'entens point imprimer avec cet ouvrage, et qui
n'en doit faire partie en aucune manière; et que je
me réserve le droit de faire imprimer où et quand
bon me semblera comme un ouvrage appartenant à
moi seul.
Si toutes ces conditions vous conviennent, je n'ai
pas besoin de nouvelle réponse; si elles ne vous con-
viennent pas, ayez soin je vous prie de m'en prévenir
avant le premier envoi.
Autre chose. Vous avez réimprimé ma lettre à
M. d'Alembert; mais puisque vous ne m'en avez pas
envoyé un exemplaire je me flatte que l'édition n'est
pas encore publique. Quoi qu'il en soit, j'ai un chan-
gement à faire qui n'est pas considérable, mais qui
m'importe. Je vous prie de vouloir bien faire un
carton, même deux s'il le faut, pour cela, et avoir soin
que ce carton soit à tous les exemplaires que vous en-
verrez en France. Que si vôtre envoi étoit déjà fait, je
souhaite ni plus ni moins que le carton soit fait et mis
à deux ou trois exemplaires que je vous prie de în'en-
voyer ainsi corrigés. C'est une affaire qui m'intéresse
personnellement. Voici 1<- changement.
Page 7:î de la pM Edition, ligne 8, après ces
70
mois femmes sans mœurs , ôtez les huit lignes sui-
vantes et substituez leur ce qui suit (4).
"Ce sont eux qui les premiers ont introduit ces
grossières équivoques, non moins proscrites par
le goût que par l'honnêteté, qui firent longtems
l'amusement des mauvaises compagnies , rembar-
ras des personnes modestes (2) , et dont un meil-
leur ton, lent dans ses progrès, n'a pas encore
purifié certaines provinces. D'autres auteurs,
plus réservés (3) dans leurs saillies, laissant les
premiers amuser les femmes perdues , se chargè-
rent d'encourager les filoux. Regnard un des
moins libres (4) n'est pas le moins dangereux.
C'est une chose incroyable &c."
Adieu, mon cher Rcy, je me réjouis de tout mon
cœur du rétablissement de Madame votre Epouse, je
l'assure de mon respect et vous embrasse bien sincè-
rement.
J. J. Rousseau.
(!) On voit quelle est l'origine Je la variante que M. Pétitain a remarquée
dans le texte à l'endroit où se trouve ce passage. M. Didot dans son édition
de 1801 a reproduit le texte de la première édition.
(2) Après avoir écrit ce mot, il l'a rayé pour le changer en chastes. Enfin
il a rétabli modestes.
(3) Il avait écrit en premier lieu moins choquant.
i1' Au lieu do moins libres il avait écrit premièrement plus modestes
III.
LETTRES
ÉCRITES PENDANT QUE
LA NOUVELLE IIELOÏSE
ÉTAIT SOUS PRESSE.
Aucun ouvrage de Rousseau n'a rempli autant
de moments de sa vie, que la Nouvelle Héloise.
Pendant l'été de 1756 il jeta sur le papier quel-
ques lettres sans suite et sans liaison, fruits de
ses souvenirs de jeunesse et de son imagina-
tion. Il esquissa ensuite le plan pour en faire
un ouvrage en règle. Pendant deux ans, tour-
nant et retournant ses rêveries dans sa tête, il
prit un intérêt d'enfant à mettre ses brouillons
au net sur le plus beau papier doré, employant
de la poudre d'azur et d'argent pour sécher
l'écriture, et de la nonpareille bleue pour coudre
ses cahiers. A peine avait-il achevé son roman,
qu'il en fit une copie pour Madame d'Houdetot
et une autre pour Madame de Luxembourg-.
Ayant résolu de publier ce qu'il appelle, "une
espèce de ces livres efféminés, qu'il avait si du-
rement censurés", cette résolution h- jeta dans
un trouble que ne lui donna jamnis aucun do ses
1-1
écrits. L'incertitude du succès que son livre aurait
auprès du public le mit dans une exaltation
continuelle pendant les vingt mois que la presse
de Rey fut à l'imprimer. Après la publication , il
y fit de nouveaux changements. Enfin, dans la
Correspondance que nous publions pour la pre-
mière fois, il affirme, que dans un âge plus
avancé, alors qu'il ne se souvenait presque plus
du contenu de l'Emile , sa Julie était le seul
ouvrage qu'il relisait avec plaisir.
La prédilection que Rousseau avait pour cet
ouvrage ayant dû donner un essor particulier
aux mouvements de son esprit , il est à regretter
que les lettres à Rey n'offrent que peu de détails
de ce qui se passait en lui pendant qu'il y
mettait la dernière main. La correspondance eût
porté bien d'autres traces , et plus instructives,
de ses efforts pour faire de son texte un chef-
d'œuvre de diction , si la facilité de l'envoi do
épreuves, qui se misait par l'intermédiaire de
M. de Malcslierbes , ne lui eût pas donné l'oc-
casion de marquer amplement en marge de chaque
épreuve tout ce qui avait rapport à la correction
de son livre, au lieu d'envoyer d'avance dan- ses
lettres à Rey les changements qu'il méditait.
Or, ces épreuves ont disparu avec Le manuscrit
sur lequel ont travaillé les compositeurs.
Cependant les lettres à Rey jettent une lu-
mière suffisante sur la marche de la composition
du texte en général. On a remarqué que les deux
copies de la Nouvelle Héloïse qui existent en
73
France , écrites de la main de l'auteur, offrent
presque à chaque page de nombreuses différences
avec le texte imprimé. La Correspondance l'ex-
plique: Rousseau avait copié fidèlement son ma-
nuscrit pour Madame d'Houdetot et pour Ma-
dame de Luxembourg", mais dans une nouvelle
copie qu'il a faite pour Rey il a introduit de
nombreux changements, et peu après la publi-
cation, il a encore indiqué sur un de ses exem-
plaires des changements assez considérables pour
une nouvelle édition.
Un engagement préalable entre Rousseau et
Rey au sujet de la Nouvelle Héloïse avait été
fait à l'Hermitage au mois de Novembre 1758.
Les propositions ultérieures de Fauteur se trou-
vent dans la lettre N°. 35 , que j'ai rangée parmi
celles relatives à la Lettre à d'Alembert, parce
qu'elle contient un supplément à cet ouvrage.
Les envois de la copie ont commencé au mois
d'Avril de 1759. Le premier envoi contenait un
modèle de titre sur une feuille in-8°, la seule
de la copie qui ait été retrouvée. On y voit deux
variantes, moderne et aux pieds. Voici comment
Rousseau avait d'abord tracé le titre pour l'im-
ï'vimeUr: JULIE
ou
LA MODERNE HÉLOISE.
LETTRES
DE DEtOi 4MANS, IIAMTANS D'UNE PETITE VILLE. AUX PIEDS DBÊ AI.I'l's,
RECUEILLIES ET PUBLIÉES
PAR J. .1. ROI SSEAU.
riU-.MlKKK PARTIE.
Non la conobbfl il mondo , mentre I-
ConobiU' i" ch' » pianger qui rimasi.
74
Le mot moderne est rayé par un simple trait ,
et au-dessus, Rey a écrit nouvelle. Au revers
de la feuille on lit ce qui suit: "NB. Il ne
"faut pas imprimer les Lettres de suite comme
"elles sont dans le manuscrit, mais chaque Let-
tre doit recommencer une pag-e, et pour ne pas
"laisser trop d'espaces blancs, il faut tâcher de
"faire finir la Lettre précédente le plus près
"qu'il se pourra du bas de la pag'e. — La pré-
"face étant ici incorrecte et barbouillée je l'ai
"recojnée plus au net à la fin de cette pr? partie,
"où il restoit du papier blanc. — Tous les ren-
vois qui sont au bas des pages sont en notes."
L'édition originale a un double titre. Le faux
titre porte: "Julie ou la Nouvelle Héloïse.
Tome Premier." Le vrai titre est ainsi conçu:
"Lettres de deux amans, Habitans d'une petite
ville au pied des Alpes. Recueillies et publiées
par J. J. Rousseau. Première partie. Non hi
conobbc il mon do , mentre Vebbe: ConobilV io eli
a pianger qui rimasi. Petrarc. A Amsterdam
chez Marc Michel Rey. MDCCLXL"— On verra
parles lettres qui suivent, que pour l'arrange-
ment du titre Rousseau s'en est rapporté à Rey
et que celui-ci de son côté s'est conformé aux
désirs de l'auteur.
m. o
Voici, mon cher Rey, la 2e partie de la Julie (2).
Mon plancher étant prêt à tomber, j'ai été obligé de
rassembler au grenier toutes mes guenilles et paperasses,
et de me loger chez un paysan voisin en attendant
qu'on raccommode ma chaumière. Ainsi n'ayant pas votre
lettre sous la main , je n'y puis répondre, et je suppose
que la réponse ne presse pas. Avec la 3e partie et
peut-être plustot, je vous écrirai plus au long. Adieu,
mon cher Rey, je vous embrasse de tout mon cœur.
37.
A Montmorenci, le pr. Juin 1759.
Au mois de février dernier M. Rey m'écrivit qu'il
me feroit payer trente Louis en mars ; mars s'est écoulé,
et je n'ai rien receu.
En avril il m'écrivit qu'il alloit m'envoyer le plus
d'argent qu'il pourroit ; avril s'est écoulé et je n'ai
rien receu.
Dernièrement après avoir receu déjà deux parties de
la Julie, le même M. Rey me marque qu'il écrit à je
ne sais qui de me faire payer en mai quatre cents livres:
mai s'est écoulé et je n'ai pas receu un sol.
M. Rey me réitère la promesse que les 2160 Ib seronl
payées avant la fin de l'année. Je ne conçois pas bien
(i) Ce billet est sans date. Rey y a marqué qu'il c=t du S .Mai 1759 et qui
le eachel portail la devise Vitam impenderc vero. Parmi les lettres qui sui-
vent, il y en a dont les originaux ont encore >q cachet.
(-) Il comptai! envoyer la première partie le dernier d'Avril. V03
lettre X" 35, Je n'ai pas trouvé la lettre qui se rapporte à cet envoi.
76
comment ne payant rien clans le cours de l'année tout
se trouvera acquitté à la fin.
Je ne suis point homme d'intrigue. Je ne veux me
mettre ni voleur ni emprunteur. Je n'ai pour vivre
que le produit de mon travail. Si M. Rey continue à
me faire des promesses, il faudra que je meure de faim.
Un nommé Cliappuis (') associé de M. M. Bousquet
a débité dans Paris que j 'a vois étrangement rançonné
M. Rey; que j'en avois extorqué plus de quatre mille
livres; que j'étois un Arabe, un Juif. Je conseillerais
a Monsieur Rey pour éviter sa ruine de n'avoir plus
d'affaire avec moi et de vouloir bien me renvoyer les
deux parties de la Julie pour lesquelles il m'a déjà tant
promis d'argent. Je le salue de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
38.
A Moxtmorexci, le 21 Juin 1759.
En réponse à votre lettre de l'onze de ce mois, je
vous dirai, Monsieur, que le 17 j'ai receu les 400 ft>
montant de la lettre de change qui m'avoit été envoyée
quelques jours auparavant par M. de Saint-Venant et que
vous m'aviez annoncée pour le courant de mai. Je ne
puis rien vous dire de plus jusqu'à ce que j'aye vu si
les autres payemens se feront plus exactement selon
la note que vous m'avez envoyée. Quant aux copies,
n'en soyez point en peine, quoique je sois dans les
(*) Parmi les liaisons qu'il fil ;i Genève en 1754 il nomme dans le Ville Livre
des Confession* "ChappuiSj commis el successeur de Gaunecourt, qu'il voulu!
"supplanter, el qui bientôl fui supplanté lui-même." La Correspondance
publiée contient deux lettres à M. Marc Chappuis, daté< d< Motiere du 12
Mai L763.
77
embarras des massons, du déménagement, du l'emmé-
nagement, je vous promets que vous n'attendrez point
et que je serai aussi exact que vous.
Je suis bien aise que vous songiez à vous mettre en
train pour ce recueil. Que le caractère et le format ne
vous arrêtent pas, car je m'en rapporterai volontiers
à votre choix pourvu que le papier soit beau et le
caractère net et bien lisible. Il me semble que je con-
tinuerois à préférer la forme octavo pour le repos de
la vue. La seconde édition de ma lettre à M. d'Alem-
bert est très-vilaine. J'espère que vous ne la prendrez
pas pour modèle. Si vous vouliez m'envoyer un essai
du format, du papier, et du caractère que vous comptez
employer, je vous en dirois mon avis. Quand vous
me marquerez que vous serez prêt à commencer je vous
enverrai l'adresse pour les épreuves. Je ne vous ai
point parlé des planches parce que c'est une entre-
prise considérable que probablement vous ne vous sou-
cieriez pas de faire. Il faudroit pour tout l'ouvrage
douze planches dont les sujets sont charmans et propres
à être traités supérieurement par M. Boucher peintre
célèbre de ce pays ('). J'ai calculé que les dessins et
la gravure dans la perfection que l'entreprise exige se-
roient une affaire d'une centaine de Louis. Il est vrai
que cela feroit un recueil admirable et sûrement trés-
recherché. Les planches seules feroient le succès du
livre (2) , mais encore une fois j'ai compris qu'il étoit
inutile de vous faire cette proposition. Toutefois si
contre mon attente elle étoit de votre goût, vous y
(>) François Boucher, qu'on a nommé le peintre des grâces. Il est mort
vn 1770.
(2) Les estampes qui se trouvent dans l'édition de Rey sont de l'invention
de Hubert François Danville Gravelot, mort en 177-''. qui a fait beaucoup
lessins pour différents ouvrages de littérature.
78
seriez encore à teins, car les sujets des planches sont
tous écrits , et M. Bouclier a déjà donné son consente-
ment; il ne reste que le choix des graveurs, qui seroit
bientôt fait. En vérité il ne se seroit pas fait en es-
tampes un recueil plus agréable et plus intéressant dans
ce siècle.
J'ai vu il y a quelques jours M. de la Broùe qui
ne m'a point dit que son nouveau collègue fut encore
arrivé. Ne doutez pas que tous ceux qui viendront me
voir de votre part ne soient toujours bien receus.
Bien des remerciemens et des salutations de ma part à
M. Auboin, et des respects à Madame Rey que je suis
charmé de savoir rétablie. Bonjour, Monsieur, je vous
embrasse de tout mon cœur.
39.
A Montmorenci, le G Aoust 1759.
Le mois de Juillet est passé, mon cher Rey, sans
(pie j'aye entendu parler de vous. Ainsi voici depuis
notre dernier traité la quatrième fois que vous m'avez
manqué de parole. En vérité je ne puis me résoudre
à vous imputer un procédé si mal honnête. J'aime mieux
l'attribuer à la situation de vos affaires qui ne vous
permet pas de remplir avec moi vos engagemens, et
à la mauvaise honte qui vous empêche de m'en taire
l'aveu. Cela supposé, je crois devoir vous tirer de
l'embarras où vous paraissez être, en vous proposa ni
de résilier notre dernier accord et de nous rendre réci-
proquement, moi l'argent et vous la copie, que nous
avons receu. Si vous voulez me renvoyer par la poste
on autrement les deux premières parties de la Julie,
je vous renverrai de mon côté les quatre cent francs
7 i»
que vous m'avez fait tenir ou je les rendrai en recevanl
ces deux parties à celui qui me les remettra. L'argent
est prêt et sera compté sur-le-champ. Si peut-être vous
étiez retenu par le scrupule de l'embarras où vous m'avez
pu mettre, tranquillisez-vous; je n'aurai dans cette occa-
sion que le chagrin de ne pas faire affaire avec vous ; au
surplus je ne puis vous dissimuler qu'il se présente une
occasion de disposer de mon ouvrage beaucoup plus avan-
tageusement qu'avec vous. Mais j'espère que vous me
connoissez assez pour croire qu'une raison d'intérêt ne
me détermine pas dans la proposition que je vous fais;
remplissez vos conditions et je suis prêt à remplir les
miennes; je veux seulement que vous sachiez que s'il
convient à vos intérêts de rompre notre marché, cela
ne conviendra pas moins aux miens et que si vous con-
tinuez à ne tenir aucun compte de nos arrangemens
vous me mettrez dans la nécessité d'en prendre d'autres.
Faites-moi, je vous prie, une réponse prompte et dé-
cisive, ou votre silence m'en servira. Je vous embrasse,
mon cher Rey, de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
40.
J'ai receu , Monsieur , avant-hier le montant de votre
seconde remise et vous recevrez ci-joint ma 3e partie.
Vous pouvez compter toujours sur la même exactitude
de ma part, et désormais je me contenterai pour vous
accuser la réception d'un nouveau payement, de vous
faire un nouvel envoi, jusqu'à conclusion de l'un et
de l'autre. Adieu, Monsieur, je vous embrasse de tout
mon cœur.
Montmorenci , le .") 7lir.f' 1759.
80
Votre M. de Saint- Venant m'a écrit une singulière
lettre. Il me paroit que les leçons lui coûtent moins à
donner que les écus.
41.
A Montmorenci , le 7 SbT.e 1759.
J'ai receu , Monsieur , de M. de Saint- Venant une
troisième remise de quatre cents livres laquelle a été
exactement payée. Je n'attends pour vous envoyer ma
4e partie que l'avis que la 3e vous est parvenue. Vous
qui prononcez que j'ai tort de ne pas accuser à M. de
St. Venant la réception d'un envoi que je vous accuse
à vous même, ne devez pas croire avoir raison de garder
envers moi le silence en pareille occasion, et il n'est
pas naturel que je hasarde consécutivement tout mon
ouvrage par la poste, sans savoir s'il vous parvient: je
ne vois pas d'ailleurs de votre part des signes d'em-
pressement pour imprimer ce recueil qui me fassent
imaginer le moindre préjudice à ce retard.
Au reste, vous serez averti qu'il y a un autre
M. Rousseau à Montmorenci, que pour me distinguer
de lui, il faut ajouter après mon nom Citoyen de
Genève, et ne point faire mention de St. Denis dans
l'adresse, parce qu'alors les lettres s'arrêtant à ce bureau
souffrent un retard. Adieu, Monsieur; j'attends de vos
nouvelles à votre loisir et vous embrasse de tout mon
cœur.
J. J. Rousseau.
SI
42.
A MONTMOBENCIj le 20 8,,r.'' 1759.
Je reçois dans L'instant, Monsieur, votre lettre du lo,
et voilà ma 4e partie. Les autres suivront dans leur
tems avec la même exactitude.
L'inégalité des parties est en effet un inconvénient,
mais il est inévitable ; on ne sauroit mesurer cette
espèce de travail à l'aune. Des coupures mieux faites
importent plus , même pour vous , que des volumes plus
égaux. Au surplus, la différence n'est pas si grande
qu'en resserrant sa composition dans les parties plus
longues et l'étendant dans les plus courtes , un impri-
meur intelligent ne la rende très-supportable.
Je suis bien aise que vous me marquiez que vous
enfermez sous la clé les parties de ce recueil à mesure que
vous les recevez. Cela me rassure sur la crainte des
communications indiscrètes , et me confirme dans la réso-
lution de ne point écouter les rapports du tiers et du
quart. On dit que vous êtes maintenant occupé d'en-
treprises plus importantes qui vous feront négliger celle-
là. Faites ce qui vous paroitra le mieux pour votre
intérêt , le mien seroit plustot que ce recueil parût
tard que tôt ; mais je dois vous dire qu'il est attendu
ici depuis longtems avec quelque sorte d'impatience
qu'une longue disette de Romans doit naturellement
augmenter. Mais comme il y a maintenant sous presse
plusieurs ouvrages de cette espèce, et que la vivacité
françoise ne s'occupe pas longtems du même objet,
il est à croire que la curiosité sera éteinte avant que
vous vous soyez mis en état de la contenter. Je de-
vois à vous et à moi cet avertissement . du reste je
vous répète que je trouverai bon tout ce que vous
6
82
ferez à cet égard pourvu que vous exécutiez l'ouvrage
avec soin.
Je vous salue , Monsieur , et vous embrasse de tout
ii mn cœur.
J. J. Rousseau.
43.
A Montmoeenci, le 15 Xl,r.e 1759.
Je vous ai expédié, Monsieur, l'ordinaire dernier
la 5e partie de la Julie en vous accusant la réception
du 4e payement; il faut maintenant répondre à votre
lettre du 27 8brc.
Je n'ai rien à dire aux raisons de vôtre retard pane
que personne ne connoit mieux votre intérêt que vous-
même; cependant je doute que ce retard vous tourne
à compte; parce que l'ouvrage ne vaut certainement
pas le bruit qu'il fait, et qu'après l'avoir si longtems
vainement attendu, je crains qu'on ne s'en dégoûte en
le voyant paroitre.
Je suis fort en peine de la manière dont vous me
ferez parvenir les épreuves; car au prix exorbitant dont
on a renchéri les postes, les ports de lettres ne me
deviennent déjà que trop onéreux et, si quand elles ne
sont pas bien pressées, vous trouviez quelque occasion
comme autrefois jusqu'à Paris, vous m'obligeriez beau-
coup. Quant aux épreuves, les ports directs par la poste
absorberoient et au-de-là tout l'honoraire que vous
m'avez d.onné pour cet ouvrage. Il n'y faut pas penser.
Cependant s'il ne vous étoit pas trop onéreux d'entrer
dans cette dépense non par de l'argent mais par des
exemplaires, j'essayerois d'entrer dans quelque arran-
gement avec Mrs. des Postes pour modérer les ports
83
des pacquets et rendre cette voye pratiquable. Si M.
de Malesherbes avoit ses ports francs , ce que j'ignore,
ne pourriez -vous sans indiscrétion lui adresser les épreu-
ves afin qu'il vît l'ouvrage à mesure et le prier de me
les faire parvenir. Il m'a toujours témoigné de la bonté
et s'il consentoit à cet arrangement je lui écrirois vo-
lontiers pour l'en remercier. En attendant que quel-
qu'une de ces voyes puisse avoir lieu, vous pouvez
m'envoyer les échantillons et même les premières épreuves
sous les adresses ci-après ; mais il faut avoir pour cela
les attentions suivantes.
1. Faire tous vos pacquets petits et chacun d'une
feuille seulement, ou de deux tout au plus.
2. Envelopper le pacquet d'un simple fil cacheté ou
de deux bandes de papier, sans que mon nom y pa-
roisse; puis plier le tout dans une seule enveloppe à
l'adresse indiquée. Le pacquet me parviendra quoique
mon nom n'y soit pas ; cela est convenu d'avance.
3. Si vous joignez un billet au pacquet, faites en
sorte que ce billet ne contienne rien d'où l'on puisse
inférer que le pacquet n'est pas pour la personne à la-
quelle il est adressé. Quand vous serez obligé d'écrire
quelque particularité qui me désigne, écrivez à part et
directement à mon adresse.
4. Servez vous alternativement des deux adresses et
n'employez pas la même deux fois de suite. Il seroit
même à désirer que le cachet ne fût pas le même, ni
l'écriture de la même main.
Voilà, moucher Rey, bien des soins pour un homme
aussi vif que vous. Si vous n'en oubliez que le quart,
je n'aurai pas trop à me plaindre.
1. A Monsieur de Chenonceaux, fermier général du Roy,
à l'Hôtel des fermes. A Paris.
84
2. A Monsieur Lecointe secrétaire de M. le Gardes-des
Sceaux de Machault. A Arnouville, par Paris.
Vous me ferez plaisir de choisir pour échantillon la
préface, parce que j'ai quelque changement à y faire
et que je n'en ai point de copie exacte. J*ai aussi
plusieurs changemens à foire dans le texte, ils sont peu
considérables , mais nécessaires et assez nombreux, mar-
quez moi si vous aimez mieux que je vous les envoyé
à part, ou que j'attende à les marquer dans les épreuves.
Je serai fort aise de vous voir à votre voyage dans
ce pays, et je ne serois pas même fâché de savoir dans
quel tems à peu près vous vous proposez de le faire.
Ce voyage, outre vos autres affaires, peut n'être pas
inutile pour vous et pour moi. Bonjour, mon cher Rey,
je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
44.
J'aî receii , mon cher Rey, votre dernier payement
ei voici ma dernière partie avec la préface dans L'étal
où elle doit l'ester, et les principaux changemens; ils
sont tous dans la première partie: mais cela ne doit
pas vous empêcher d'imprimer si vous voulez la seconde
en même tems; car les changemens que j'ai a y faire
sont peu de chose et ne sont pas (Luis le commence-
ment. J'aurai soin de vous envoyer à tems ceux que
je pourrai faire dans la suite; mais je n'en prévois pas
beaucoup et j'espère que si les épreuves sont correctes
de votre côté, il n'y aura du mien que quelques mots
à changer qui n'embarrasseront guèivs.
J'attends que vous me disiez ce que vous aura répondu
85
M. de Malesherbes avant de prendre des arrangemens
avec Mrs. des Postes ; car je voudrais bien vous épargner
des fraix. En attendant suivez pour vos envois mes
indications précédentes en commençant par la première
adresse &c. J'attends un pacquet au premier jour.
Adieu, Monsieur, je vous embrasse. Mes respects à
Madame Rey. Wt Le Vasseur me charge de vous as-
surer des siens.
J. J. Rousseau,
A Montm. le 18 Janvr 1760.
45.
Ce mot n'est que pour vous prier, Monsieur, de ne
rien m'envoyer du tout à l'adresse de M. de Clienon-
ceaux. Je ne me soucie pas même trop non plus que
vous vous serviez de l'autre, cependant je ne l'exclus
pas de même. J'espère que vous avez receu ma 6e partie
et que j'aurai bientôt de vos nouvelles. Je les attends
pour proposer un arrangement avec Mrs. des Postes , au
cas que M. de Malesherbes n'en ait pas pris avec vous.
Adieu, Monsieur; je vous embrasse.
J. J. Rousseau.
Montmorenci le 30 Janvr. 17G0.
40.
A Montmorenci, le 6 Mars 1760.
J'ai receu, Monsieur, avec votre lettre du 28 Fevr.
L'échantillon du caractère et format que vous ave/ choisi.
Le caractère est forl bien; je pense que vous prendrez
86
le petit-romain pour les notes, afin qu'elles soient li-
sibles.
Le format me paroit trop étroit pour sa longueur ou
trop long pour sa largeur. A moins qu'il n'y ait à
cela des proportions fixes, ce que je ne sais pas, je
crois que vous en pouviez prendre une plus élégante.
Je ne sais si le papier de l'échantillon est celui que
vous comptez employer; il me paroit assez vilain. Au
reste, faites pour le mieux; je vous laisse le maître de
tout; mais j'espère que vous voudrez bien me faire tirer
quelques exemplaires en beau papier.
Le titre courant des pages ne doit point être Lettres
de deux amans $'c, mais, La nouvelle Hcloïse. C'est
aussi le titre qu'il faut substituer à celui de la seconde
partie et des suivantes.
J'ai aussi receu précédemment votre billet dupr. Févr.
où vous avez mis ces mots: Je tous ai mandé par le
canal de M. de Malesherbes qu'il a accepté ma p>ropo-
sition. Cela supposoit une autre lettre venue par le
canal de M. de Malesherbes. J'ai toujours attendu cette
autre lettre , et ne l'ai point reçue. Ainsi si elle conte-
noit quelque chose qui fût nécessaire à dire, répétez-
le moi. J'écris aujourdhui à M. de Malesherbes pour le
remercier.
Je vous conjure de faire corriger les premières épreu-
ves avec soin afin que je ne sois pas dans la nécessité
de trop barbouiller les miennes; d'autant plus qu'ayant
oublié la pluspaxt des signes de correction, je ne suis
pas trop sûr de me faire bien entendre. Que l'on cor-
rige exactement les fautes de l'imprimeur, mais surtout
qu'on laisse toutes les miennes. On doit croire que je
sais assez de françois pour avoir rendu l'ouvrage plus
correct , si je l'avois voulu.
Ne me faites point d'excuse de vos retardement
87
Comme il n'y a point de ma faute, je puis vous en
Laisser courir les risques sans inquiétude. C'est une
affaire à démêler entre vous et le public impatient et
rebuté. Faites donc à votre aise et sans vous inquiéter
de moi. Je vous embrasse , Monsieur, de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
Voici pour la prc. partie un changement peu consi-
dérable, mais important, et que je vous prie de faire
à l'instant de peur qu'il ne s'oublie.
P. 174 vers le milieu après ces mots
"Quelle est donc cette gloire insensée dont vous faites
tant de bruit?"
ôtez ce qui suit jusqu'à la fin de l'alinéa, et sub-
stituez-y ces mots
u celle de servir un Prince, et d être à charge à F Etat." (').
Je dois vous avertir aussi, pendant que j'y pense,
que quand le mot de Monsieur s'écrit en abrégé , il n'y
faut point d'r MX mais seulement une M et un point .
M. Je vous avertis de cela parce que dans ma lettre
à M. d'Alembert on a constamment mis dans l'imprimé
cette r qui n'étoit point dans la copie.
47.
A Montmoiienci , le 10 Avril 17<i<>.
Voici, Monsieur, votre première épreuve corrigée; je
vous prie de vouloir faire la plus grande attention aux
(i) Le passago se lit dans la lettre LXII. Eu corrigeant l'épreuve, l'auteur
doit avoir substitué le mot homme au lieu de /'rince. On lii déjà dans
L'édition originale: "celle 'le servir un homme, et d'êtn à charge à V Etat."
88
corrections. J'aurois voulu vous éviter le port du retour
de la feuille, et c'est ce que je ferai quand les épreuves
seront assez correctes pour que sans les renvoyer je
puisse indiquer les fautes ; mais leur nombre dans celle-ci
m'a fait craindre de ne les pouvoir indiquer assez clai-
rement.
A mesure que vous ferez tirer les feuilles, je vous
prie de vouloir bien m'en envoyer une avec les épreuves
des suivantes , afin que je voye s'il n'y reste point des
fautes assez considérables pour exiger des cartons, ce
que j'espère qui n'arrivera pas si vous voulez bien y
donner vos soins.
Il n'est pas nécessaire de mettre une enveloppe, à
mon adresse; il suffît d'adresser seulement les feuilles
à M. de Malesherbes qui doit les voir, et qui étant
prévenu veut bien prendre le soin de me les faire tenir.
Je ne puis répondre ici à la lettre que vous m'an-
noncez avec la seconde épreuve, parce que je ne l'ai
pas encore receue. Je finis donc. Monsieur, en vous
embrassant de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
48.
Voilà, Monsieur, votre 2e feuille. Jusqu'ici je su^
assez content de la correction, surtout parce qu'on >
laisse les fautes que j'y veux laisser.
Votre projet de vignettes ne me rit pas trop. Les
vignettes aux titres des livres rendent ces titres confus,
e1 c'est ce qui arrivera infailliblement à la première
partie dont le titre esi un peu chargé. D'ailleurs il
l'audioit trouver des sujets relatifs au caractère de l'ou-
vrage H c'esl ri' qui n'est point aisé. Il faudroit (pie
89
les figures fussent élégantes et légères , et c'est ce que
la vignette du discours sur l'inégalité (') ne me laisse
espérer ni de vos dessinateurs ni de vos graveurs. En
général les figures, et surtout celles qui demandent de
l'expression sont très-difficiles à rendre dans des vignettes
parce que l'espace est trop petit. Dans un recueil tel
que le nôtre des vignettes maussades gâteroient tout,
C'étoient des estampes qu'il nous falloit; tous les sujets
en étoient piquans : elles auroient été charmantes ; c'eût
été peut-être le plus agréable recueil d'estampes qu'on
eût fait en ce siècle, et je suis très-sûr qu'elles seules
eussent fait la fortune du livre. Au reste, comme ex-
cepté la pre. partie les titres des autres laisseront beau-
coup de blanc, si vous y voulez mettre des vignettes
envoyez m'en des épreuves , je vous en dirai mon avis.
Bonjour, Monsieur, je vous embrasse.
Montmorenci, le 17 Avril 1760.
Souvenez-vous, je vous prie, d'envoyer vos pacquets
sous la seule enveloppe de M. de Malesherbes , sans y
mettre une autre enveloppe à mon adresse.
40.
Voici, Monsieur, votre 3e Epreuve. Je vous les ren-
verrai toutes puisque vous l'aimez mieux ainsi.
Je ne suis pas d'avis que vous orniez de ma devise
le frontispice de ce roman. Je ne vois pas trop ce
qu'elle feroit là, et d'ailleurs il me paroit de mauvais
goût que le titre d'un livre de cette espèce soit bigarré
de latin, de françois et d'italien. Au reste je trouve la
(') Voyez la note au No. 1 I.
90
plaisanterie si bonne que j'aurai soin de vous en faire
honneur dans le public en temps et lieu. Je vous em-
brasse , Monsieur , de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
A Montmorenci, ce 24 Avril 1760.
50.
A Montmorenci, le 8 Mai 1760.
Il m'est impossible, Monsieur, de vous renvoyer les
épreuves avec plus d'exactitude et de diligence que
je l'ai fait jusqu'ici; car je les ai toujours renvoyées
par le Courrier immédiatement suivant celui où je les
ai reçues.
Par exemple, l'épreuve E m'est arrivée Limdi 5 au
soir, et l'épreuve F le lendemain; je les mets aujourdhui
jeudi à la poste de Montmorenci, afin qu'elles partent
de Paris par le Courrier de demain. J'en ai usé et en
userai de même pour toutes les autres. Si donc elles
ne m'arrivent pas ou ne vous retournent pas en teins
dû, ce n'est pas ma faute.
Je suis content des premières feuilles, et quand je
le suis j'ai grand plaisir à le dire; c'est dommage qu'on
ne me donne pas ce plaisir plus souvent. Il y est pour-
huit resté plusieurs fautes et il y a des corrections qui
ont été transposées et où l'on ne m'a pas entendu. Cela
m'a l'ait prendre le parti de les numéroter quand il y
en a plusieurs sur la même ligne dans les pages Verso.
Malheureusement je suis souvent l'on embarrassé pour
me faire entendre, ne sachant pas les signes, et déplus
le papier boit extrêmement, ce qui rend les corrections
très-embrouillées quelquefois, -'e vous prie instamment
91
qu'il n'en soit fait aucune qu'on ne soit très-sûr de
m'avoir entendu. J'aime mieux qu'on laisse les fautes
que de les mal corriger. Bonjour, Monsieur; je vous
embrasse.
51.
A Montmorenci , le 1 1 Mai 1760.
Vous m'envoyez des épreuves pleines de fautes hor-
ribles , sur du papier qui boit si fort qu'on n'y sauroit
écrire; cela n'est-il pas désolant? Précisément cela tombe
sur la feuille G qui avec la suivante est celle de tout
l'ouvrage dont la correction importe le plus ('). J'ai
fait ce que j'ai pu pour rendre mes corrections claires ;
mais je sens qu'il faut bien de l'attention et de la bonne
volonté pour les trouver telles. Je vous supplie instam-
ment qu'on y veille avec le plus grand soin , surtout
pour ces deux feuilles, où, indépendamment des fautes,
je suis forcé de faire beaucoup de cliangemens. S'il y
a quelque chose sur quoi vous restiez en doute , renvoyez
plustot une seconde épreuve; car quoiqu'il arrive il faut
que ces deux feuilles soient correctes, et il faut s'il
vous plait , vous résoudre à y faire autant de cartons
qu'il y restera de fautes.
Soyez très-sûr qu'il n'y aura point de retard de ma
part. Ayant receu hier fort tard cette épreuve j'y ai
passé la nuit pour la renvoyer ce matin afin qu'elle
soit à tems à Paris pour le Courrier de demain.
Je n'ai pas songé à répondre à M. d'Alembert ; j'es-
père ne jamais répondre ni à lui ni à personne. Quand
(') La feuille G dans l'édition originale contient les Lettres XXXVI — XLVI1
rie la Première Partie. On verra dans la lettre qui suit que l'auteur fait valoir
L'importance surtout de la feuille II ; elle contient les lettres XLVIII — LIV.
92
j'ai dit mon sentiment et mes raisons , j'ai fait mon
devoir. Ceux qui sont d'un avis contraire font fort bien
de dire aussi leurs raisons. Au surplus c'est au public
à juger: Qu'il juge.
Mlle. LeVasseur vous remercie de l'honneur de votre
souvenir, et moi, Monsieur, je vous saliie et vous em-
brasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
52.
A Montmokenci, le 18 Mai 1760.
J'ai receu hier, Monsieur, votre pacquet du 10 con-
tenant les 2. premières feuilles du 2e Tome. Je les lais
repartir aujourdlmi corrigées. J'ai eu la même exacti-
tude pour toutes les autres feuilles; l'épreuve E n'a
point été retardée par ma faute, et je ne comprends
rien du tout à vos reproches, sinon que d'une ligne
légèrement écrite vous me coûtez des pages d'éclaircis-
sement. Mais j'ai toujours dû m'attendre qu'après qua-
torze mois de retard vous feriez si bien qu'enfin le
retard seroit sur mon compte. Patience. Quelque jour
peut-être nous saurons les raisons de vos procédés,
auxquels quant à présent je ne comprends rien du tout.
Vous dites avoir fait partir le S l'épreuve II ;ivec la
bonne feuille D. Ce pacquet ne m'esl point parvenu
et je n'ai rien receu du tout l'ordinaire dernier. J'écris
à M. de Malesherbes pour savoir s'il lui est parvenu.
Dans le doute qu'il soit perdu je vous conseille pour
éviter de plus grands délais de me renvoyer par dupli-
cata celte épreuve H. et même la bonne feuille D afin
qu'il n'y ait point «le déficil dans nui suite. Jusqu'à
présenl j»' n'ai que 1rs •"> premières feuilles.
93
s
Dimanche un M. de ht Bastide (') que je ne commis
point mais qui publie à Paris des feuilles périodiques
vint me voir et m'offrir deux cents louis du manuscrit
de la nouvelle Héloïse si je voulois m'en défaire. Je
lui dis que ce manuscrit n'étoit plus à moi, qu'il vous
appartenoit, mais quej'avois lieu de croire que vous n'y
étiez pas fort attaché. Là-dessus il me demanda votre
adresse et mon consentement si vous étiez d'humeur
de faire affaire avec lui; je lui dis que quant à moi je
ne m'y opposerois point. Il repartit là-dessus parois-
sant disposé à vous écrire. Voilà tout ce que j'en sais.
Je vous embrasse, monsieur, de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
Il n'est pas nécessaire de mettre aux pacquets une
enveloppe à mon adresse ; attendu que M. de Males-
herbes a la bonté d'y en faire ajouter une autre con-
tresignée, et qu'ainsi la votre ne sert de rien.
53.
A Montmorenci, le 22 Mai.
J'ai receu hier au soir avec votre billet du 15 cette
('■preuve et je vous la renvoyé ce matin malgré une mi-
graine horrible qui m'empêche d'ouvrir les yeux. J'ai
toujours fait la même diligence; ainsi je vous prie de ne
perdre plus le tems à nie la prêcher; car il me sera toujours
impossible de renvoyer les pacquets avant de les recevoir.
Votre envoi du 8 lequel contenoit l'épreuve H et la
(>) J. F. de Bastide, auteur d'un Journal le Monde comme il est, dans le-
quel il voulait, bon gré mal gré, insérer tous les manuscrits ,1e Rousseau.
Conf. L. Xi. La correspondance publiée contient deux lettres ù 51. .le Bastide.
94
bonne feuille D ne m'est point parvenu et ne se trouve
point. Ainsi je le regarde comme perdu, et j'ai pris le
bon parti de vous prier par le Courrier précédent de
me renvoyer la même chose par duplicata. Surtout
gardez-vous, je vous supplie, de faire tirer cette feuille
H avant que j'en aye corrigé l'épreuve; car c'est celle
de tout l'ouvrage qu'il importe le plus de faire passer
sous mes yeux.
Je ne vous envoyé pas les corrections pour les autres
parties, parce que je n'en prévois pas de considérables,
et qu'ayant négligé de coter sur ma copie les pages de la
votre, vous auriez beaucoup de peine à trouver les renvois.
Je n'ai encore que quatre bonnes feuilles savoir les
trois premières , et la cinquième ; j'attends d'avoir toute
une partie pour la relire de suite et vous en dire mon
avis. Je souhaite de tout mon cœur qu'il n'y ait pas
de faute assez considérable pour exiger des cartons , car
je n'aime point à vous donner de l'embarras; Bonjour,
Monsieur; je vous embrasse
J. J. "Rousseau.
J'oubliois de vous dire que le papier boit si forl que
n'y pouvant faire de correction lisible avec la plume je
me suis avisé de les faire avec du crayon. Je crains
que le crayon ne macule dans le transport, mais je n'y
saurois que faire. Je ne vois point d'autre expédient.
54.
A Montmorenci, le 25 Mai 1760.
J'ai receu hier au soir votre parquet du 1!) contenanl
la bonne feuille F et réprouve K que je vous renvoyé
ce matin corrigée. Il n'est |>as étonnant qu'il m'échappe
95
des fautes; car pour les corriger il faudroit relire plu-
sieurs fois l'épreuve à tête reposée, et à peine ai-je le
tenis de la bien lire une ; surtout celle qui m'arrive le
samedi , et quand il faut encore vous écrire. Quoi qu'il
en soit, j'aime mieux que vous laissiez mes fautes,
que de faire des corrections qui ne soient pas sur le
MS. parce qu'il vous est impossible de distinguer sû-
rement les fautes qui m'échappent de celles que je veux
laisser.
Le paquet contenant la bonne feuille D et l'épreuve
H n'est point retrouvé. Ainsi pour corriger cette épreuve
j'en attends le duplicata; je dois même vous prévenir
qu'il y a tant à travailler sur cette épreuve que je
pourrois bien êtve forcé d'en retarder le renvoi d'un
courrier ce que je tâcherai pourtant de ne pas faire.
Je voudrois bien vous envoyer d'avance les corrections,
mais il m'est presque impossible de vous les indiquer
exactement par la raison que je vous ai déjà marquée,
et je crains les qui-pro-quo. D'ailleurs en faisant votre
copie sur la mienne j'y ai changé beaucoup de choses
dont je ne me souviens plus, et qui sont mieux que
les changemens que je pourrois faire aujourdhui; de sorte
que ce n'est que sur l'épreuve même que je peux juger
de la leçon qui est à préférer. Au reste, les chan-
gemens seront beaucoup moindres dans les parties sub-
séquentes qu'ils n'ont été dans la première. Il m'en
tombe actuellement un sous la main pour la 3e feuille
de la 2e partie: je vous l'envoyé à bon compte, et vous
embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
96
55*
A Montmorenci, le 28 Mai 1760.
.Voici , Monsieur, les épreuves L et M que j'ai receues
hier au soir avec la bonne feuille G qui est bien.
Mais gare H que j'attends toujours et qui j'espère m'ar-
rivera le Courrier prochain, si vous avez eu soin de
m'en expédier le double aussitôt que je vous ai donné
avis de la perte du pacquet qui la contenoit.
Vous assurez que j'ai 8 épreuves. Je n'en avoispas
une' hier au soir à huit heures; à neuf j'ai eu ces deux-ci ;
je les renvoyé à dix ce matin; à midi je n'en aurai
plus, et il en a toujours été de même quand vous avez
tant fait que d'en envoyer deux dans le même pacquet:
ce qui n'est encore arrivé que deux fois.
J'ai eu une explication avec M. de Malesherbes au
sujet du pacquet perdu. J'ai quelque soupçon qu'il s'est
égaré dans ses bureaux. Quoi qu'il en soit, il veut bien
désormais faire fermer les pacquets en sa présence. Vous
voyez par mes dates qu'ils m'arrivent en tems dû. et
par mou exactitude, ils doivent, sauf accident, vous
retourner de même. Ne vous on prenez donc ni à
M. de Malesherbes ni à moi si votre impression ne
va pas aussi vite que vous le souhaiteriez. Si vous
vouliez finir en Octobre il falloit commencer assez tôt
pour que la chose lut faisable. Selon votre propre calcul
il vous faudroit quatre feuilles par scniaip.es pour ache-
ver au mois d'Octobre et à peine en pouvez-vous faire
ti'ois. Quand j'ai bien voulu ne vous pas reprocher votre
négligence ci votre lenteur vous avez abusé de ma pa-
tience et vus finissez par me la reprocher, de ne re-
fuse pas d'essuyer les reproches que je mérite pourvu
que vous nie disiez en quoi j'ai tort.
07
Je ne dois cependant pas vous cacher qu'il vous im-
porterait plus que vous ne pensez d'achever prompte-
ment et de distribuer avant l'hiver; car outre que la
réputation de ce recueil commence à chanceler et qu'on
n'en voudra plus s'il tarde à paroitre , je sais qu'il doit
paroitre durant l'hiver des nouveautés capables d'ab-
sorber l'attention du public. Je vous conseille de faire
tous vos efforts pour les prévenir. C'est la dernière
fois que je vous en parlerai. Adieu.
J'ai eu beau sécher le papier avec le plus grand
soin. I] boit toujours.
50.
MM. le 8 Juin 1760.
J'ai receu hier avec l'épreuve 0 du Tom. 2 que je
vous renvoyé corrigée, les feuilles B du même Tome et
J du premier.
Je me doutois bien que vous trouveriez difficilement
les places des corrections que je vous avois envoyées,
parcequ'ayant corrigé sur votre copie beaucoup de
choses que j'ai négligé de corriger sur la mienne, je
suis exposé à vous renvoyer à des lieux déjà changés.
D'ailleurs comme je me souviens d'avoir été assez con-
tent des changemens que je faisois sur votre copie, il
peut arriver que la leçon que je substitue, vaut moins
que celle que vous avez déjà, et ce pourroit bien être
le cas des pages 01 et t>2 de la présente ('preuve; si
doue voyant que mon renseignement ne s'accordoil pas
avec votre texte vous m'eussiez transcrit la partie du
même texte à la quelle se rapportait ma nouvelle cor-
rection, j'aurois été en état de comparer les deux cor-
7
98
rections et de choisir la meilleure; mais n'en ayant
rien fait, vous m'avez mis dans la nécessité de lier et
rapetasser le tout comme j'ai pu. Quoiqu'il en soit, vous
voyez 1" inconvénient de vous envoyer les corrections
d'avance. Il faut désormais nous contenter de les faire
sur les épreuves et d'en faire le moins qu'il se pourra.
Le pacquet est bien certainement perdu; et c'étoit
de tout l'ouvrage celui qu'il importait le plus qui ne
le fut pas. Qu'il y a de gens qui se tourmentent pour
mal faire! Pour moi je suis très-déterminé a ne ja-
mais -faire de mal à personne et au surplus à ne
plus me tourmenter de rien. J'ai lieu de croire que
M. do Malesherbes est aussi fâché que nous de cette
perte. Il a pris le parti de faire désormais fermer les
pacquets devant lui. Aussi m'arrivent ils plus exactement.
M. Duchesne m'avoit aussi envoj'é la Comédie des
Philosophes, mais ne jugeant pas à propos d'accepter
ce présent, je la lui ai renvoyée avec une lettre qu'il a
eu l'indiscrétion de rendre publique, ce qui pourtant
ne me fâche nullement ('). Quant à ce qui me regarde
personnellement j'ai peu à me plaindre de cette pièce.
Si l'on m'y donne quelques ridicules dont je ne me
soucie guère, on y joint des louanges dont je ne nie
soucie pas davantage, mais que je voudrois mériter. Je
crois pourtant par beaucoup d'autres considérations que
vous avez très bien fait de ne la pas imprimer (").
Il ne faut jamais qu'un honnête homme prête son
ministère à des satires et Ados libelles. Comment avez-
vous pu vous imaginer que je voulusse répondre à
(i) Il l'a même insérée dans ses Confessions L. X.
p) L'auteur de la lettiv que j'ai citée dans la note S au No. 23, dans une
autre lettre à Itcy en date 2 Juillet 1760, après avoir t'ait mention de Rous-
Beau, écrit: "Je vous approuve beaucoup de n'avoir pas réimprimé les
Philosophes par considération pour Cet honnête homme."
99
M. Palissot ni à qui ce fut? quoi qu'on puisse dire de
moi je garderai vis à vis de mes aggresseurs un éternel
silence. Si ma conduite me condamne, ma plume ne
me justifiera pas; si ma conduite me justifie, je suis
assez justifié. Bonjour, je vous embrasse.
J. J. Rousseau.
57.
Je vous suis obligé de votre remarque sur les libéra-
teurs de la Suisse. Je crois pourtant qu'il sera mieux
de ne rien changer à la phrase , par ce qu'un entretien
entre gens de condition ne demande pas toute l'exac-
titude historique (') , qu'il faut que ces noms barbares
passent comme un trait, et que la phrase est tellement,
eadencée que l'addition d'une seule sillabe en gâteroit
toute l'harmonie.
Continuez avec des points puisque vous le jugez à
propos; mais recommandez au compositeur d'en faire
les tramées moins longues.
On me mande que M. de Formey a fait imprimer
à Berlin une grande lettre sur la providence , que j'écrivis
en 175(3 à M. de Voltaire. On ajoute qu'il dit avoir
trouvé cette lettre chez les libraires de Berlin, d'où
l'on infère qu'elle a dû être imprimée en Hollande (2).
(') Le sujet de la lettre LXII est l'entretien Je Milord Edouard Bomstou
avec les pères de Julie et de Claire. La phrase où se trouvent les noms des
libérateurs delà Suisse s'y lit ainsi: "Les Furst, les Tell . /es Stouffacher
étoient ih gentilhommesl Quelle est donc cette gloire insensée $■<?. voyez
ci-dessus N°. 46. On voit combien l'auteur a pris ce passage à coeur.
^2) On se rappelle ce que Rousseau a écrit là-dessus dans ses Confessions.
Au sujet de cette affaire j'ai trouvé dans la Correspondance de Rey une lettre
d'un_ami de l'Abbé Trublet, qui en date 9 Juillet 1760 écrit à Rey: •iPour
T*
100
Si vous en avez quelque connoissance vous m'obligerez
de me marquer ce qu'il en est. Car il m'importe de
remonter à la source et de savoir par quelle voye cette
lettre que je ne destinois point à l'impression a pu
parvenir à M. de Formey.
J'ai receu avec votre lettre du 9 les deux bonnes
feuilles L M et l'épreuve P que je vous renvoyé.
Vos nouvelles vignettes me paroi ssent jolies et d'assez
bon goût. Cela vaut mieux que les anciens placards.
Je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
Montm. 15 Juin 1760.
58.
22 Juin.
En réponse à votre lettre du 16 à laquelle étoit jointe
l'épreuve A T. 3, que je vous renvoyé, je vous dirai que
votre pacquet du 2 contenant ce me semble l'épreuve
C du T. 2 m'est parvenu dans si mi tems, et que la
dite épreuve fut remise le 5 à la poste de Montmorenci
pour partir de Paris le lendemain; ainsi c'est avec rai-
son que vous ne me faites point de reproche; car
jamais envoi de votre part n'a été jusqu'ici retardé dans
mes mains.
J'espère que le dit pacquet vous sera parvenu le
Courrier suivant , et que, si cela n'étoit pas, vous aurez
la lettre de M. Rousseau, M. Formey l'afait réimprimer élans ses Lettres
suri' (tut 'présent des sciences et des moeurs, lettres 48 et H. en y joignant
quelques notes, et il dit dans une espèce d'avant-propos qu'il l'a trouvée
chez 1rs Libraires de Berlin. Cette lettre de M. Rousseau est tris cu-
rieuse. J'en ai une autre en MS. qu'il a écrite à Voltaire dans uni'
nuire occasion dont les copies dénient été mutilus; mais /non e.ri /n/i/air,
,i e/é corrigé par lui même."
101
pris le parti de me renvoyer ce qu'il contenoit par
duplicata. Si nos pacquets se perdent à la poste, où
se perdent-ils, et qu'y faire? 11 faudra prendre Le parti
de les réclamer, de se plaindre, et qu'avancerons-nous?
rien: car qui sait où ils se sont perdus? Ce qui est
très clair est qu'au moins celui-ci n'est pas resté dans les
bureaux de M. de Malesherbes , puis qu'il n'a pu s'égarer
qu'au retour. M. de Malesherbes m'a envoyé la lettre
que vous lui avez écrite et m'a marqué qu'il avoit le
soin de me faire expédier les pacquets à leur arrivée.
Ainsi dussions-nous en perdre encore , il est inutile de
l'en importuner davantage.
Voici je crois ce qu'il faut que nous fassions désor-
mais l'un et l'autre; c'est jusqu'à la fin de l'impres-
sion, soit qu'il y ait des envois soit qu'il n'y en ait
pas, 1°. d'écrire un mut à chaque ordinaire sans jamais
y manquer. Car de cette manière quand l'un ou l'autre
ne recevra rien, il en pourra conclure qu'il y a sûre-
ment lettre ou pacquet égaré ou retardé ; 2°. de mettre
nos lettres ou pacquets à la poste nous-mêmes ou de
ne les y faire mettre que par des gens sûrs. Pour vous
épargner quelque partie du port j'ai quelquefois envoyé
vos pacquets à la poste de Paris par occasion. Je ne
le ferai plus; mais tous mes pacquets seront mis à la
poste de Montmorenci par moi-même ou par Mile. Le Vas-
seur; 3°. il faut tenir par devers soi note de ce que
contient chaque pacquet qu'on envoyé, afin que s'il est
égaré, on sache d'abord ce qui doit être renvoyé par
duplicata. Si ces précautions ne suffisent pas, je ne
sais qu'y faire autre. Je suis exact, je l'ai toujours
été, je le serai tant qu'il me sera possible. Voilà tout
ce que je puis vous dire. Je vous embrasse de tout
mon cœur.
.1. .1. Rousseai
L02
50.
Ce 29 Juin 1760.
J'ai receu hier au soir avec votre lettre du 22 les
feuilles C et D du T. 2. , l'épreuve ci-jointe et le mo-
dèle du titre. Je le trouve trop confus , et je crois qu'on
y peut remédier en plusieurs manières ('). 1°. Il y a trop
de lettres capitales; ces mots habitans dune petite ville
au pied des Alpes seront mieux en caractère Romain
et ceux-ci recueillies et publiées, en caractère Italique.
2°. Vous avez laissé une place immense pour la vignette :
il ne faut point de vignette; l'épigraphe même entre
deux petits fleurons doit en tenir lieu. 3°. Je suis d'avis
que le titre se partage et qu'il y en ait deux au lieu
d'un. Le premier n'aura que ces mots "Julie ou la
nouvelle Héloïse. Première partie." Le second titre
comprendra le reste. En un mot, il faut absolument
trouver quelque expédient pour que le titre simple ou
double contienne tout ce que j'y ai mis, et pourtant
qu'il ne soit pas confus.
Je ne puis rien vous dire encore sur la correction.
Vous savez que j'attends le reste de la première partie
pour la lire de suite et toute entière, mais dans les
bonnes feuilles de cet ordinaire je viens d'appercevoir
une grosse étourderie qui me fait bien de la peine.
Patience; le mal est sans remède. Mais pour Dieu ne
vous négligez pas et soyez attentif jusqu'au bout. Je
vous embrasse •!<■ toui mou cœur.
J. J. Rousseau.
Le pacquel m'esl arrivé en mauvais état. L'épreuve
(') Voyez ci '!<■ -" p
103
n'est pas trop maltraitée, mais les bonnes feuilles ont
été fort mouillées et sont presque pourries.
60.
Ce 6 Juillet 17 GO.
J'ai receu hier avec les deux épreuves que je vous
renvoyé, les deux dernières bonnes feuilles du T. 1. et
le cartouche où vous avez fait insérer ma devise.
J'ai été fort surpris que vous ayez tenu assez peu de
compte de mon opposition pour aller votre train et faire
graver cette vignette sans m'en parler ('). J'ignore
quelles sont en cela vos raisons; vous ne pouvez igno-
rer qu'on n'a jamais vu deux épigraphes sur le titre
d'un livre, et combien c'est un étalage pédantesque de
chamarrer de latin et d'italien le titre d'un livre d'amour.
Quoiqu'il en soit, non seulement je ne consens point
(pie ma devise soit à la tête de ce livre dont je me
déclare serdement l'éditeur ; mais de plus je m'y oppose
formellement, et si votre dessein est de passer outre
malgré votre promesse et mon opposition , je vous con-
seille d'y bien penser auparavant.
Si vous avez à mon refus l'égard que vous me devez
et auquel j'ai lieu de m'attendre, voici ce que je vous
conseille pour que votre vignette ne soit pas perdue.
Faites effacer la devise, et puis ôtant à droite et à
gauche deux petits feuillages à côté du mot impendere
substituez y les deux vers italiens de l'épigraphe les-
quels dans le fond disent la même chose que vous voulez
dire avec la devise, et le disent mieux. Je vous ren-
voyé voire cartouche ainsi changé, bien entendu que
iM Voyez la lettre N°. t9.
104
la gravure sera plus nette et donnera le moyen de
mieux séparer les mots. La ponctuation s'est barbouil-
lée; mais vous la retrouverez exacte sur le titre im-
primé d'où vous ôterez ces deux mêmes vers quand ils
auront été transportés dans la vignette.
Si vous suivez mon conseil et que vous doubliez le
titre comme je vous ai marqué ci-devant, alors il n'y
aura plus de confusion et le coup d'œil sera très agréa-
ble ('). Adieu je vous embrasse.
NB. il faudra me renvoyer une épreuve delà vignette
ainsi changée avant de la tirer.
61.
Ce 17 Juillet 1760
Votre titre ainsi partagé nie paroit mieux. Mais il
me semble que les mots première partie devroient être
dans le vrai titre efc que dans le faux titre vous pour-
riez mettre Tome I. Cette addition au titre pourroit
vous obliger de baisser un peu l'épigraphe et peut-être
de supprimer tout à l'ait la. vignette; mais ce qui nie
paroitroit encore mieux seroit de mettre ces mots ha-
bitans dune petite ville au pied des Alpes en caractère
courant et plus petit; ce qui vous feroit gagner assez.
d'espace pour ajouter les mois Première partie sans
baisser l'épigraphe, il faudroit aussi dans le faux titre
que le mot OU lit seul la seconde ligne et que ces trois
mots Iji nouvelle Héloïse lissent la troisième ligne. Je
m'en rapporte à vous; arrangez 1'- tout pour le mieux.
Voilà vos Jeux épreuves H et J Je la troisième par-
|M Voyez . i dessus p. ; i.
105
tic; mais je ne comprends pas pourquoi vous achevez
cette 3e. partie avant la seconde. Je vous embrasse de
tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
62.
Comme depuis quelque tems je reçois fidellement un
envoi par chaque ordinaire , et qu'étant quelquefois hors
de chez moi quand je vous écris , je ne puis pas me res-
souvenir exactement des feuilles que j'aireceues, lorsque
je vous renvoyé vos épreuves vous devez tenir pour
accusée la réception des feuilles que vous m'avez mar-
qué les accompagner. S'il arrivoit que je ne reçusse
rien par un Courrier, je vous en donnerois avis aussi-
tôt, et vous en devez faire de môme si vous ne recevez
pas chaque pacquet dans son tems; car je vous les
renvoyé tous exactement par le Courrier suivant.
Voici les épreuves K et L, T. 2 que j'ai receues avec
les deux bonnes feuilles marquées dans votre lettre
du 17. L'épigraphe gravée dans le cartouche est fort
bien. Il n'y a rien à changer à cette vignette , et vous
pouvez dès à présent faire tirer le titre de la première
partie selon votre dernière épreuve corrigée sur ce que
je vous ai marqué dans ma précédente. A mesure que
la gravure de la vignette s'usera à force de tirer, vous
aurez soin de la faire retoucher afin que l'épigraphe
soit toujours lisible. Je suis d'avis que cette vignette
ne soit qu'au titre du premier volume et du dernier.
Aux autres volumes il convient de mettre d'autres pe-
tites vignettes sans figures et sans épigraphes (1).
i'i C'osl ce que Rej ;i fait.
106
Vous revenez à la charge sur la devise latine. Je
vous déclare une fois pour toutes que je ne veux pas
qu'elle entre dans ce recueil de quelque manière que
ce soit. Je vous prie de vous le tenir enfin pour dit.
J'ai relu la première partie et j'en suis content aux
dernières feuilles près qui sont pleines de mutes gros-
sières, les quelles me paroissent avoir été faites en re-
maniant. Je vous prie de faire désormais attention à
cela. Je vous salue, Monsieur, de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
Ce 24 Juillet 17 GO.
03.
Ce 27 Juillet 17G0.
J'ai receu hier les quatre bonnes demi-feuilles H,
I , K , L du Tome 3 et deux épreuves K du même tome,
dont je vous en renvoyé une corrigée. Cette double
épreuve de la même feuille me fait juger qu'en aura
fait quelque qui-pro-quo en votre absence, et qu'au
lieu d'une de ces deux épreuves on aura voulu m'en-
vroyer celle de la dernière feuille du même tome, lequel
en effet se trouvera bien petit ; mais je ne saurois qu'y
l'aire. J'espère recevoir après-demain cette dernière
épreuve au moyeu de laquelle tout le t. 3 se trouvera
corrigé. Je vous embrasse, Monsieur, de tout mon
cœur.
J". J. RorssKAV.
107
64.
Ce 28 Aoust.
Je viens de recevoir votre pacquet du 21. Je ne vous
renvoyé point le duplicata de l'épreuve A , T. 5 , parce
qu'ayant ci-devant receu et renvoyé une épreuve sem-
blable, je suppose que vous l'aurez receue depuis. J'ai
les 3 premières parties complètes au titre près , et les
4 premières feuilles de la 4e. Ainsi je ne pense pas qu'il
me manque aucun autre pacquet depuis le premier;
mais il y en a souvent de retardés , et comme je m'y
attends je me garde toujours une épreuve d'avance pour
remplir le vuide et afin que chaque courrier vous
apporte quelque chose pour ne pas laisser vos ouvriers
oisifs.
Comme le peu de teins que j'ai me force toujours de
corriger à la bâte, je vous prie d'y regarder après moi
avec un grand soin. Je vous embrasse.
65.
31 Aoust 1760.
Point de pacquet aujourdhui. Sur l'expérience du
passé, j'espère qu'il ne sera que retardé. Voilà donc
la feuille de réserve afin que vos ouvriers ne restent
pas oisifs. Je vous embrasse.
108
00.
Je vous ai envoyé par exprès une épreuve à la poste
de Paris l'ordinaire précédent, et je vous renvoyé celui-
ci l'épreuve K T. 4 que je viens de recevoir, et à
laquelle je joins l'épreuve de la préface afin que vous
ayez au besoin de quoi occuper vos tireurs. Car pour
l'épreuve E T. 5 je ne puis vous la renvoyer que l'or-
dinaire prochain, attendu que j'ai plus à y travailler
qu'il ne me reste de tems pour cela. Les bonnes feuilles
sont pleines de finîtes; ce que j'attribue en partie à ce
que je n'ai pas assez de tems pour bien examiner les
épreuves.
Je suis bien fâché de votre rhumatisme; ne vous
fatiguez point tandis qu'il dure à joindre des lettres
à vos envois, à moins de nécessité absolue. Je nie
plains que vous m'ayez cru capable de recevoir le
remboursement des petits fraix indispensables dans cette
correspondance. Mais il est vrai que s'il étoil questioD
de m'envoyer directement les pacquets je n'en pourrois
supporter la dépense sans m'incommoder beaucoup. Ce-
pendant, quand vous aurez quelque épreuve qui presse,
vous pourrez essayer de me l'envoyer en droiture: mais
n'y joignez pas de bonnes feuilles pour ne pas gros-
sir le pacquet.
Voici une lettre pour M. de Formey que je vous
prie de lui faire parvenir.
J'espère (pie vous aurez eu l'attention de me l'aire
tirer quelques exemplaires en beau papier. -Je voudrais
aussi que vous prissiez mieux vos mesures que pré-
cédemment pour que mes exemplaires me parvinssent
avant que l'ouvrage lut en vente, et vous m'obligeriez
beaucoup si vous pouviez nie les envoyer OU partie
109
d'iceux tout brochés; car n'étant pas à Paris, c'est un
grand embarras et un retard inévitable de les faire
brocher avant de les faire distribuer. Sans compter que
je n'aime pas qu'ils tombent avant le tems entre les
mains du relieur.
Bonjour, Monsieur, je vous embrasse de tout mon
cœur.
J. J. Rousseau.
Ce 7 7br? 1760.
Vos bonnes feuilles sont pleines de fautes énormes
dont plusieurs font des contresens qui me désolent, et
ce qu'il y a de plus étonnant c'est que je suis sûr que
plusieurs de ces fautes n'étoient point dans les épreuves.
Je juge qu'on les aura faites en remaniant. Quelque
ridicule qu'il soit de mettre un Errata dans un Roman,
je vois avec bien du chagrin que nous ne pourrons
nous en passer dans celui-ci. Comme cet Errata sera
fort ample, je pense que nous pourrions le mettre à la
tête du tome 3 pour le grossir toujours d'autant. Qu'en
pensez-vous? (1).
J'ai receu toutes les épreuves dont vous me parlez
dans votre lettre du 8 et comme je vous les ai toutes
exactement renvoyées, j'espère que vous les aurez receues
de même. Adieu, je vous embrasse.
J. J. Rousseau.
Ce 14 7blf 1760.
i1 11 ny a nulle part d'Errata,
lit)
68.
A Montmorexci , le 5 8,J1? 1760.
Rien n'est venu, comme vous voyez, voilà un retard
bien cruel; je ne vous l'attribue pas; je suis persuadé
qu'il y a. un pacquet dans les bureaux de M. de Ma-
lesherbes; mais qu'y faire? Je me suis déjà plaint; je
n'y puis plus revenir. Je vois qu'il y a une fatalité
sur ce livre pour qu'il ne paroisse pas avant l'hiver;
au moyen de quoi tout est perdu; ce n'est pas ma
faute.
Selon votre lettre du 25 7bî-e vous deviez le 29 m'en-
voyer
D E du Tome 6 épreuves
F du Tome 5 bonne feuille
0 du Tome 4 bonne feuille.
Voilà donc le duplicata qu'il faut préparer pour me
Tenvoyer par le Courrier prochain en cas que le pacquel
soit perdu; mais j'espère qu'il ne sera que retardé. S'il
me venoit ce soir, en envoyant demain matin un ex-
près à Paris, je serois encore à tems pour le faire met-
tre à la poste. Mais comme les bureaux de M. de Ma-
lesherbes sont fermés le dimanche je n'ai jamais rien
receu ce jour-là, et je n'espère pas ce soir être plus
heureux : mais je juge qu'il nie viendra double pacquel
le courrier prochain, et je vous marquerai jeudi ce
qu'il en sera. Préparez doue votre duplicata, mais ne
l'envoyez pas jusqu'à ce tems-là.
S'il me vient quatre épreuves en deux pacquets,
comme je ne présume pas que vos pressiers tirent plus
d'une feuille par jour, je garderai un des pacquets jus-
qu'à Vautre ordinaire, et ainsi de courrier en courrier.
111
Au moyen do cet arrangement j'aurai plus de tems
pour revoir les épreuves, et s'il survient encore un
retard j'en remplirai le vuide, en sorte que jusqu'à la
fin de l'édition vous serez sûr, quoi qu'il arrive , d'avoir
un pacquet à chaque courrier. Si vous jugez à propos
de m'envoyer des épreuves directement, faites le sans
scrupule. Dans une occasion de cette importance il ne
faut pas regarder à quelque dépense de plus.
Voilà , mon cher, tout ce que je puis faire pour sup-
pléer autant qu'il est en moi à l'inexactitude des en-
vois. Je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
69.
A Montmorenoi, le 18 Fevr. 1761.
Je reçois avec plaisir, Monsieur, la nouvelle de votre
heureuse arrivée ('); quoique vous m'ayez donné en
plus d'une occasion de justes sujets de plainte, je n'ai
point cessé et ne cesserai point de prendre à vous le
plus véritable intérêt.
Sur votre acquiescement à la réimpression de la Julie
qui s'est faite en France (2) et au présent qui m'a été
fait à cette occasion, je pensai qu'en vous offrant <hj
partager ce présent je me ferois le mérite d'une géné-
rosité que vous n'accepteriez pas , et je pensai à vous
faire la même honnêteté et même plus grande d'une
autre manière en vous cédant pour mille francs un
manuscrit dont j'aurai toujours deux mille francs et
(M En Décembre 1760 Rey a fait un voyage à Paris, d'où il est allé voir
Rousseau à Montmorency.
{-) C'est la réimpression que M. de Jlalesherbes fit faire en France, au profit
Je Rousseau. Conf. L. X.
112
même cent louis quand il me plaira. Vous acceptâtes
le marché à condition Lien stipulée de ma part que
cette affaire se consommeroit entre nous dans le plus
grand secret. Cependant j'apprends qu'avant de partir
vous avez dit à tout le monde que vous emportiez un
manuscrit de moi. En vérité, Monsieur, en voilà trop
aussi, et je n'ai que trop lieu de me croire libre de
mes engagemens avec un homme qui tient si mal les
siens. Je vous propose , et il convient , de rompre le
marché que nous avions fait pour le manuscrit en ques-
tion, et des mille francs que j'ai receus, de Robin je
vous en offre cinq cens de très bon cœur. Vous ne
devez même vous faire aucun scrupule de les accepter;
car en vendant mon manuscrit son prix à un autre,
j'y gagnerai moi-même encore au moins cinq cent francs.
J'attends votre réponse pour prendre là-dessus mes
derniers arrangemens.
J'ai receu l'extrait que vous m'avez envoyé et je
vous en remercie; il est fort sagement et fort bien fait.
Ma préface en forme d'entretien est imprimée et pu-
blique depuis deux jours ('); je suppose que Duchesne
vous l'aura envoyée; c'est pourquoi je ne l'envoyé pas
par la poste à cause des fraix.
Bonjour, Monsieur, mes respects à Madame Rey. Je
suis fâché que nous ne puissions pas continuer à nous
accommoder ensemble; mais après six ans de patience1.
on se lasse, et quant à moi je suis à bout. Je vous
salue de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
(') Dans la lettre N<>. ">."> il avait déjà averti Rey, que cette préface Berah
un ouvrage séparé.
IV
LETTRES
ÉCRITES A L OCCASION DE L IMPRESSION
CONTRAT SOCIAL.
jLes lettres qui forment cette partie de notre
recueil datent de la période de la vie de Rous-
seau , où parurent les deux ouvrages qui ont le
plus remué le monde. Après le succès de ses
premiers écrits , poursuivant la carrière littéraire
où, selon sa propre expression, de dispute en
dispute il s'était engagé , il arrive dans X Emile
et le Contrat Social aux dernières conséquences
de ce qu'il avait soutenu dans son premier Dis-
cours devant l'Académie de Dijon.
Quant à Y Emile, on se rappelle que l'auteur,
sur les instances de Madame de Luxembourg,
avait laissé à cette dame le soin de faire inijnïmer
cet ouvrage. Il avait exigé seulement que l'im-
pression se fit en Hollande par le libraire Jean
Néaulme, dont il avait fait la connaissance chez
le libraire Guérin au village de Saint-Briee à un
quart de lieue de l'Hermitage. Sachant que son
8
111
manuscrit contenait des choses tellement hardies,
que l'ouvrage entier ne pourrait jamais être permis
en France, il avait fait son livre pour être im-
primé en Hollande. Mais pendant son séjour à
l'Hermitage n'ayant j)as entretenu ses relations
avec Rey, Guérin l'avait pressé de traiter avec
Néauline. On commença par en faire deux édi-
tions à la fois, l'une chez Ducliesne à Paris,
l'autre chez Néaulme à Amsterdam. Mais le
libraire de Paris se trouvant à chaque pas arrêté
par les observations d'un Censeur, que la Direc-
tion de la Librairie lui avait imposé , et INeaulme
par la crainte de publier un livre dangereux,
Rousseau reconnut qu'il avait eu tort de ne pas
confier son manuscrit à Rey, et celui-ci redoubla
de zèle pour s'attacher un auteur dont les écrits
lui procuraient de si grands avantages. On en
trouvera les preuves dans la partie de notre
recueil, qui a rapport à la publication du Con-
trat Social.
Rey a fait de ce dernier ouvrage deux édi-
tions en même temps, l'une grand in 8°. dont
l'auteur a vu les épreuves, l'autre in 12°. Il est
intitulé: "du Contrat Social ou Principes <lu
Droit Politique, par J. J. Rousseau, citoyen
de Genève. — Foederis aequas Dimmus leges.
Aeneid. XI. A Amsterdam chez Marc Michel
Rey. MDCCLXII." — Dans le titre de la petite
édition il y a une fuite d'impression Decamus
au lieu de Dicamus.
115
70.
A Montmorenci, lo 9 Aoust 1761.
Puisque vous avez fait, Monsieur, sans ma partici-
pation une édition de mes ouvrages, même de ceux
qui ne vous appartiennent pas , et que par un privi-
lège obtenu (1 ) vous m'avez dépouillé autant qu'il étoit
en vous du droit de les faire imprimer où il me plai-
roit, vous devez vous soucier tout aussi peu de mon
agrément pour l'exécution que pour l'entreprise; et,
que l'édition me paroisse bien ou mal faite, c'est ce
qui sûrement vous est très-égal. D'ailleurs, vous étant
mon libraire, si je gardois le silence, tout le monde
supposerait que cette édition s'est faite sous mes yeux,
et l'on m'en imputeroit les fautes ; on supposerait que
je n'ai pas voulu corriger les endroits qui demandent
correction. Ainsi vous avez dû supposer que, bonne
ou mauvaise, cette édition ne passerait pas sans être
desavouée; vous avez pris votre parti là-dessus, et Y en-
voi que vous voulez me faire d'un exemplaire me parait
la chose du monde la plus inutile.
Je n'ai point répondu à vos précédentes lettres parce
que depuis longtems je suis malade , peu en état d'écrire,
et que vous les avez remplies de choses si peu sensées
que le silence est la seule réponse qui leur convient.
(') Le Privilège accordé par les Etats de Hollande est du 29 Janvier L761.
Le titre du Recueil est Oeuvres diverses de Mr. J. J. Rousseau. Les deux
premiers volumes, grand in-douze , contiennent le Discours sur le rétablis-
sement des sciences et des arts, avec trois réponses de l'auteur à diverses
critiques, Narcisse, lettre sur la Musique Françoise, le Devin du Village,
discours sur V Economie Politique, Projets de Paix perpétuelle, discours
sur l'inégalité, lettre à Mr. d'Alenibert H lettre de celui-ci eu réponse. Ces
deux volumes ont été suivis par le Contrat Social, la réimpression delà
Nouvelle Héloïse ■ •( de l'Emile.
S"
116
Je n'ai qu'un seul exemplaire du Devin du village
dont je ne veux pas me défaire , et les corrections que
vous demandez demandent une attention et des soins
que je ne suis pas à présent en état d'y donner.
Je ne puis rien vous dire sur la part que vous sou-
haitez de prendre à l'impression du traité de l'éduca-
tion; ce n'est point moi qui me mêle de cette entre-
prise, et je ne sais si ceux qui s'en mêlent pensent
assez bien de vos procédés pour vouloir vous y donner
part; quant à moi je ne m'y opposerai point et toute
votre conduite passée n'a pu détruire encore ma bien-
veillance et mon inclination pour vous.
Mon traité du Droit Politique est au net et en état
de paroitre. Tous les sujets de plainte que vous m'avez
donnés ne m'empêchent point de me souvenir de renga-
gement que j'ai pris avec vous et des raisons de retour
d'honnêteté qui me l'ont fait prendre. Si cet ouvrage vous
convient et que vous vous engagiez à le faire exécuter
diligemment et avec soin, vous pouvez le faire retirer au
prix convenu; car (''tant copié sur du plus fort papier
d'hollande le volume est t rop gros pour être envoyé par la
poste ('), et je ne veux pas m'en dessaisir sans argent.
Comme il est divisé par livres et chapitres, il faudra
prendre un format 8°. et surtout de beau papier, car
j'ai à cœur la belle exécution de cet ouvrage, le der-
nier qui sortira de mes mains, fie n'ai pas besoin de
vous réitérer (pie je nie réserve le droit de l'insérer
dans le recueil de mes écrits; cela étant convenu de
(') On verra par les lettres qui suivent qu'il B'agii du manuscrit 'pie Rous-
Beau a rein;-- au Ministre Duvoisin pour L'envoyer à Etey, el don< il raconte
l'aventure au Livre XImedea Confessions. Ce qu'il qualifie ici de gros vo-
lume, dans son récil il le «lit si petit qu'il ne remplissait pas la poche île
M. Duvoisin. Or, ce qui excède les proportions d'un paquet destiné pour la
peul très bien se dire pi de la capacité d'une poche
117
tous les autres. Répondez-moi promptement , je vous
prie; comme ce livre est cité dans le traité de l'édu-
cation, il convient qu'il paroisse auparavant, et je n'ai
que le tems qu'il faut pour cela. Je vous salue, Mon-
sieur, de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
71.
A Montmorenci , le 2 7'"';' 1761.
Vous prétendez , Monsieur , dans votre lettre du
17 Aoust que parce que d'autres libraires vous contre-
font comme vous les contrefaites , vous êtes en droit
de vous emparer de tous mes ouvrages , même de ceux
qui ne sont pas à vous , et de m'ôter autant qu'en vous
est, par un privilège, le droit de les faire imprimer
où il me plait; de sorte que vous voilà en Hollande
seul propriétaire de tous mes ouvrages , et ce qu'il y a
d'inconcevable est l'air d'assurance avec lequel vous me
soutenez que tout cela vous appartient légitimement,
quoique des ouvrages mêmes dont j'ai traité avec vous
j'aye eu toujours soin de me réserver le droit d'en faire
une édition générale et d'y faire entrer tous ceux que
je vous ai cédés. Est-ce donc là , Monsieur, la manière
dont vous répondez à l'honnêteté que j'ai eue d'em-
ployer tout mon crédit pour empêcher en ce pays la
contrefaction des dits ouvrages, soins que j'ai remplis
par bonté , par amitié pour vous , sans que vous eussiez
aucun droit de l'exiger. Ce qui ne vous a pas em-
pêché de venir tout en furie, sur le simple soupçon
d'une édition de la Julie qui ne s'est point faite, nie
soutenir que ma probité étoit engagée A empêcher ab-
solument cette édition. 11 est certain que je L'ai
1 L8
empêchée ainsi que la contre faction de la lettre a
M. cl' Alembert , et il est certain que je n'étois point
obligé à cela. Je vous apprends, Monsieur, puisque
nous l'ignorez, que, quand je vous ai vendu un manu-
scrit, c'est votre affaire et non pas la mienne d'empê-
cher qu'on ne contrefasse ailleurs votre édition. Mon
devoir à la plus grande rigueur est seulement de ne
favoriser ces contrefactions en aucune manière, et c'est
aussi ce que j'ai été bien éloigne de faire jusqu'à pré-
sent, et que je ne ferai point à l'avenir. Mais quant
à l'édition générale de mes ouvragés, elle n'est point
votre bien mais le mien, tant parce qu'elle en contient
beaucoup qui ne vous ont jamais appartenu, que parce
tnie je me la suis toujours réservée, et qu'il n'y a dans
les marcliés que ce qu'on y met. Cette édition. Mon-
sieur, me tient fort au cœur, soit pour ma réputation,
à cause de l'exactitude et de la correction que j'espère
y mettre ; soit pour mon aisance, étant ma dernière
ressource pour avoir du pain quand mes infirmités nie
laissent hors d'état d'en gagner. Si dans le teins, vous
voulez entrer dans les arrangemeus qui se prendront
pour la faire, je vous y verrai concourrir avec plaisir, et
'Cspère cpie vous vous en trouverez bien. Si clans la
rigueur de votre usurpation vous voulez faire valoir
votre privilège, il faudra bien tâcher de se passer de
vous.
.J'ai un exemplaire revu et corrigé avec soin pour
une nouvelle édition de L'Héloïse; il y a même quel-
ques petits changemens , retranchemens et additions. Je
consens de bon cœur à vous l'envoyer; quand vous voudrez
faire votre édition, vous n'aurez qu'à me marquer par
quelle voye. Duresteje n'entends pas refaire cet ouvrage;
il n'est point destiné- pour les jeunes gens.
A fégard de mon truite du Droit Politique je me
1 i:>
contente qu'il soit public en Mars 1762, pourvu qu'au
moins une fois en votre vie vous me teniez parole. Je
vous recommande derechef cette édition qui me tient
au cœur. A l'égard du manuscrit il est tout prêt et
vous le ferez retirer quand il vous plaira , rien ne presse.
Je vous salue, Monsieur, de tout mon cœur, et sou-
haite que nous nous entendions mieux à l'avenir que
par le passé.
J. J. Rousseau.
A Montmokenci, le 14 8b™ 1761.
(Je n'est point par dédain , Monsieur, que je n'ai pas
accepté le tonnelet de hareng que vous m'aviez envoyé
par M. Hérissant, mais comme je ne suis point à pré-
sent en état de manger du hareng, c'eût été un présenl
perdu; je ne vous en suis pas moins obligé que si je
Pavois receu.
J'aimerois beaucoup mieux que vous fissiez retirer le
manuscrit chez moi, et que l'argent me fût remis par
la même personne, car j'ai de la répugnance à aven-
turer ainsi un manuscrit plus ample et plus correct que
le brouillon qui m'en reste, et que je ne pourrois plus
rétablir tel qu'il est s'il venoit à s'égarer; d'ailleurs je
manque en cette saison d'occasions pour faire retirer
commodément de l'argent à Paris. Cependant faites
comme il vous plaira, je tâcherai de m'accommoder à ce
qui vous conviendra le mieux: mais si vous prenez le
parti de m'envoyer l'argent par lettre de change, je vous
prie de le partager en deux, à divers jours d'échéance;
parce que notre messager est un homme très-sûr. mais
que le chemin ne l'est pas. surtoui eu cette saison qu'il
120
revient de nuit , et qu'il ne faut pas mettre tous ses
œufs dans un panier.
Je vous ferai parvenir aussi par M. Le Clerc ou par
la voye que vous aurez prise, mon exemplaire corrigé
de la Nouvelle Héloïse ; vous vous moquez de nr offrir
de l'argent pour cela. Si vous voulez m'en envoyer
quelques exemplaires, à la bonne heure: si je trouve
votre nouvelle édition belle et bien correcte , je la prô-
nerai dans ce pays-ci et je tacherai de l'y faire re-
chercher.
Faire une édition générale de mes écrits d'ici à quinze
mois , c'est trop tôt; je ne saurais être prêt pour ce
tems-là, et d'ailleurs il faut laisser le tems au traité
de Téducation , et aux Principes du Droit Politique ,
de paroi tre et de se débiter. Ce seroit voler le libraire
chargé du premier ouvrage que de ne pas lui laisser
le tems d'épuiser l'édition pour laquelle il a traité.
Je suis fort sensible au souvenir de M. Auboin ; quand
vous le verrez ou que vous aurez occasion de lui écrire
je vous prie de lui dire bien des choses pour moi.
Bonjour, Monsieur, malgré les orages passés j'oublie tout
et je vous embrasse d'aussi bon cœur que jamais.
J. J. Rousseat.
.le m'apperçois que le dos de la feuille que j'ai prise
est griffonnée ; je vous prie de pardonner cet le étour-
derie (1).
(') Puisque d'un écrivain tel que Rousseau fcoul jusqu'au griffonnage peut
avoir il'' L'intérêt . le voici: "le livre est à ses ordres ainsi que l'auteur; je
rassemblera'/ même tout ee i/iii se trouvera (te parties éparseS pour éviter
la peine de les faire copiei .et je souhaite que ces essais de ma jeunesse..."
121
73.
A Montmorenci, le 31 8br.e 1761.
J'attends, Monsieur, jeudi prochain M. Duvoisin qui
veut bien m'apporter lui-même l'argent en question,
dont je lui ferai quittance comme vous le désirez. En
attendant je prépare le pacquet ci-joint dans lequel vous
trouverez le manuscrit en question et l'exemplaire cor-
rigé de la Nouvelle Héloïse. Je vous prie de me tenir
averti du tems où vous voudrez commencer d'imprimer,
et je vous recommande l'exécution de ce dernier ouvrage.
Je connois M. Brown; je verrai avec plaisir son
ouvrage; je vous remercie de vouloir bien me l'envoyer.
A l'égard des entreprises dont vous me parlez je n'y
puis songer qu'après m'être débarrassé du traité de l'édu-
cation qui n'est pas encore en train. Je suis bien aise
aussi de voir comment vous vous comporterez au sujet
de ce dernier ouvrage, et si je suis content j'espère
que ce ne sera ni la dernière ni la plus importante affaire
que nous aurons à traiter ensemble.
Je suis fâclié que la santé de Mad. Rey ne soit pas
bonne , conservez la vôtre , car quand on l'a perdue on
ne la recouvre pas aisément. Pour moi je ne fais plus
que languir et joindre un jour à l'autre, sans savoir
quand cela finira. Adieu, Monsieur, je vous embrasse
de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
74.
A Montmorenci, le 7 9b,;e 1761.
Hier, Monsieur Duvoisin prit la peine de venir m'ap-
porter les mille francs dont je lui fis un rcceu comme
vous l'avez désiré; je lui remis le manuscrit enveloppé
122
et cacheté, avec l'exemplaire corrigé de la Nouvelle
Héloïse , et il me promit de vous envoyer le tout bien
enveloppé et conditionné la semaine prochaine. Il me
demanda de quoi traitoit l'ouvrage qu'il jugea que
contenoit le pacquet que je lui remis , je lui dis , de
matière de politique, et nous en restâmes là sur ce point.
Ainsi , Monsieur, voilà une affaire arrangée ; vous trou-
verez le manuscrit très-net, en très-bon état; reste
à voir si vous voulez au moins pour cette fois que je
me loue de l'exécution dans ce qui vous regarde; sur-
tout quant à la diligence et à la correction. Il faudra
penser d'avance au moyen de me faire parvenir les
épreuves ; car directement par la poste les fraix en sont
excessifs.
A propos de votre nouvelle édition du Roman , Du-
chesne doit vous proposer un arrangement qui me pa-
roit d'autant plus convenable que cela vous sauveroit
une autre édition que lui ou d'autres ne manqueront
pas de faire en ce pays ('), c'est d'échanger avec vous
des estampes contre des exemplaires. Des planches
contrefaites n'approcheront jamais de la perfection des
siennes, et de plus il y en aura deux nouvelles dont
je lui ai promis les sujets, savoir un frontispice à la
tête du premier tome, et un autre sujet à la place de
la dernière qui ne vaut rien. Que cela vous convienne
ou non, ce dont je vous prie instamment c'est que cette
dernière édition soit belle et correcte; au moyen de quoi
elle anéantira Imites les autres, et elle aura cours par-
tout comme la première.
Bonjour, Monsieur; je vous recommande tout denou-
(i) Dans mu- lettre du I Mnvs 1768 Duohesne écrii à Rey: J'apprends par
M. Néaulme que vous dites que je vous ai contrefait VHêloîse: j'aurais
pu le faire comme Lyon, Rouen, Bordeaux, Avignon, Liège <i mitres
lieux, peut-être même chez vous, l'ont fait; mais rein n'est pas
123
veau mon dernier ouvrage; quoiqu'il ne soit pas de
nature à se répandre aussi promptement qu'un roman,
j'espère qu'il ne s'usera pas de même et que ce sera
un livre pour tous les tems , s'il n'est pas rebuté par
le public. Le format de la lettre à M. d'Alembert et
même un caractère un peu plus gros y pourroit être
convenable. Je m'en rapporte là-dessus à votre choix:
mais surtout de beau papier. Je vous embrasse de tout
mon cœur.
J. J. Rousseau.
75.
A Montmorenci, le 29 9b^ 1761.
M. Duvoisin m'a fait, Monsieur, le détail de l'ac-
cident qui lui est arrivé à la barrière et des suites de
cet accident. Il m'en parle avec tant de regret que je
ne puis me résoudre à lui témoigner toute la peine que
cela m'a fait, mais elle est fort grande. Le meilleur
remède à cela dépend de votre diligence, mais je n'en
espère plus de vous. Cependant votre intérêt même y
est très-grand; car plus on parlera d'avance de cet
ouvrage et plus son entrée en France deviendra diffi-
cile. Au lieu que s'il étoit prêt sans qu'on en sût rien
je ne doute point qu'il n'entrât sans peine.
Je remets à une autre fois la réponse à divers articles
de votre lettre pour passer à un point plus important.
Supposant l'exécution et publication de l'ouvrage qui
est entre vos mains pour le tems où vous me l'avez
promise, seriez-vous en état, si le cas y échoit, de
faire une entreprise plus considérable pour le printems
prochain, laquelle demande A la fois la plus grande
diligence et le plus grand secrel ? car je VOUS avertis
124
qu'il est question de parer coup à une trame odieuse,
et que tout seroit perdu si le moindre vent de votre
entreprise parvenoit à un seul de vos confrères et à
qui que ce soit. Au reste je n'imagine pas que dans
le moment présent aucune entreprise piùsse être plus
avantageuse au libraire, plus utile aux hommes et plus
honorable à l'auteur que celle dont il est question. Mais
je vous répète qu'elle n'est praticable qu'à force de di-
ligence et de secret. Je ne m'engage point encore et
je ne le puis pas sitôt; je vous consulte seulement
pour savoir si je pourrois compter sur vous au besoin.
Voyez , pensez , répondez et brûlez ma lettre.
Vous n'imagineriez pas que l'homme qui vous écrit
est dans le plus triste état du monde; qu'un accident
qui lui est arrivé il y a quelques jours doit naturelle-
ment lui abréger la vie et ne lui en laisser espérer que
quelques mois ('). Toutefois cela ne diminue rien de
mon zèle pour l'affaire que je vous propose ni n'en
rend l'exécution impraticable. Je vous avoue même que
je mourrois plus content si je la voyois en train.
J'approuve que vous m'adressiez les épreuves direc-
tement par la poste; c'est la voye la plus prompte et
la plus sûre. Adieu , mon cher Rey. J'aime à penser
que mes écrits et mon nom ont contribué à vous en
faire un et à commencer votre fortune. Je vous dirai
plus, c'est que je suis persuadé qu'il ne tiendra qu'à
vous de l'achever avec moi; mais de grâce, devenez
prudent et soigneux.
J. J. Rousseau.
(') On peut voir quel étaii cet accident dans la lettre qui suit et dans une
autre à M. Moultou, en date du 12 Décembre, publiée dans ses Oeuyresj
Partie Correspondance,
125
76.
A Montmorenci, le 23 10,,r.e 1761.
L'accident qui probablement me coûtera la vie ne
tient point à la probité. On ne me force point à rien
faire contre elle, et jamais on ne force un honnête
homme à cela. C'est, Monsieur, une sonde qui s'est
rompue au col de la vessie et dont la pièce restée au
passage est le noyau d'une pierre dont le progrès com-
mence à se faire sentir. La suite n'en est pas difficile
à prévoir.
Il n'est plus question, j'espère, du projet dont je
vous avois parlé, lequel étoit fondé sur un soupçon de
trahison dont je croyois avoir des indices, et sur lequel
je crois à présent m'être trompé. La suite ne tardera
pas à m'apprendre à quoi m'en tenir, et si l'affaire
tourne mal, je vous expliquerai le tout. Quant à présent
je ne le puis sans m'exposer à compromettre injuste-
ment la réputation d'un honnête homme.
Je crains que mon mal empiré ne me mette hors
d'état de revoir les épreuves de l'ouvrage qui est entre
vos mains. En ce cas , il faudroit consulter sur les
lieux un homme de lettres qui eût de l'intelligence,
de la probité, de l'attention et de la bienveillance
pour l'auteur : et vous tâcheriez de m'envoyer les bon-
nes feuilles par quelque voye moins dispendieuse que
la poste , afin que s'il falloit absolument quelques car-
tons ou errata , on y fût à tems avant que le livre fût
public. Donnez vos soins, je vous supplie, à la cor-
rection de cet ouvrage, car je crois qu'il en vaut la
peine. Faites aussi attention qu'on n'aille pas mettre
polit \ique au lieu àepolitie, partout où j'ai écrit ce der-
nier nx>t: mais qu'on suive partout le manuscrit à la
126
lettre, jusques dans les fautes. Vous le trouvez petii
pour un volume; cependant il est copié sur le brouillon
que vous avez jugé devoir en faire un , et même le
chapitre sur la religion y a été ajouté depuis.
Au reste mon intention n'a jamais été que ce livre
ne portât pas mon nom, mais seulement que le secret
en fût gardé jusqu'à la publication. Mais à présent que
la chose est sue à Paris, vous pouvez, si vous voulez,
en parler à vos correspondais. Je me remets de tout
à votre prudence et vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
J'ai déjà vu quelques feuilles du traité de l'éducation
mais il va très-lentement. Si le vôtre pouvoit paroitre
auparavant, vous feriez à mon avis un coup de partie:
car il est à craindre si les deux ouvrages paroissent
ensemble, que le petit ne soit étouffé par le grand.
?7.
A Montmorenci, 27 10,,r.c 17G1.
J'ai receu hier au soir, mon cher Rey, votre ('preuve
A et je vous la renvoyé aujourdhui; Ton ne sauroit
être plus diligent. J'ai répondu ci-devant à votre lettre
du 7, ainsi je n'ajouterai rien, sinon que puisque vous
avez commencé de m'envoyer les épreuves je vous prie
de continuer: car je vois que votre correcteur est très-
peu attentif, et qu'elles ne peuvent se passer de mon
inspection. A l'égard des bonnes feuilles, la poste est
si dispendieuse qu'il ne faut s'en servir qu'au défaut
de toute autre voye. A propos de cela, j'ai oublié de
vous remercier et de vous charger de mes remercimens
127
pour M. Auboin pour la brochure que vous m'avez en-
voyée, mais ayant été mise à la poste à Paris, elle
m'a coûté trente sols de port de Paris ici. Par le mes-
sager l'Epine elle ne m'eût coûté que 4 ou 5 sols.
Si le papier de l'épreuve est celui de l'édition, j'en
suis fort aise et je vous en remercie ; si malheureuse-
ment il ne l'est pas , je vous prie au moins de faire
tirer quelques uns de mes exemplaires sur ce même
papier-là.
Vous avez ci-à-côté une petite addition que je vous
prie de faire insérer soigneusement dans sa place (').
Je ne me souviens pas bien de la place où est le cha-
pitre , mais vous le reconnaîtrez facilement^ à son titre
dans la table qui est au commencement de la copie.
J'aime mieux vous envoyer ainsi d'avance les additions
quand elles me viennent , que de les mettre sur les
épreuves , à cause des remaniemens.
Je crois que vous prenez un excellent parti en vous
hâtant d'imprimer afin que cet ouvrage paroisse avant
le traité de l'éducation. Vous avez tout le tems, si
vous n'en perdez point. Je vous embrasse de tout mon
cœur et salue Madame Rey. MHe Le Vasseur vous assure
de son respect.
J. J. Rousseau.
78.
Ce 30 10'":c 1761.
Voilà , mon cher Rey, votre épreuve B que j'ai reçue
avant hier avec une lettre sans date; je l'ai revue
avec soin et j'espère n'y avoir point laissé de faute.
(') La moitié do la feuille sur laquelle l'addition était écrite, a été arra-
chée pour servir au compositeur.
128
11 n'en est pas de môme de l'épreuve A qu'il fallut
renvoyer presque sur le champ pour ne pas perdre un
Courrier et que je n'ai revue qu'avec distraction et
souffrant beaucoup. Ce qui me console est que vous
avez suppléé à l'attention que je n'y ai pu donner.
Vous m'annoncez que je ne recevrai rien par le Courrier
prochain à cause des fêtes; par conséquent je ne vous
renverrai rien par le Courrier qui suivra celui-ci. Au
reste comptez sur mon exactitude , et croyez que s'il
arrive que vous ne receviez pas vos épreuves à joui-
nommé , ce ne sera jamais ma faute.
Quand je vous demandois des exemplaires sur ce
papier, je ne l'a vois pas vu au jour; il est trop mince;
vous m'en pouvez donner de plus fort qui ne soit pas
moins fin, et je vous en serai obligé.
J'approuve fort vos changemens, mais je trouve le
format trop large pour sa longueur. C'est un petit mal
et je pense bien qu'il n'y a plus de remède.
Je vous remercie de vos souhaits de bonne année.
Comme ma vie n'est plus marquée que par la souffrance,
mon meilleur jour sera le dernier. Ne doutez pas réci-
proquement du sincère intérêt que je prends à vous et
à votre famille. Je vous embrasse de tout mon cœur
et vous prie d'embrasser pour moi Madame Rey et vos
enfans.
Voici un petit papier que je vous prie de faire tenir
à M. Neaulme le plustôt qu'il se pourra. Du veste je
vous confirme qu'il ne tient qu'à vous que L'ouvrage
que vous imprimez se publie et lasso son effet avant
que le traité de l'éducation soit en état de paroitre.
Adieu, mon cher Eey, je vous salue de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
129
70.
6 Janvier 1762.
Je vous renvoyé, mon cher Rey, l'épreuve C quej'ay
receue hier avec votre lettre du 31 10bre. Je suis fort
touché de votre bonne volonté pour Mlle Le Vasseur et
je vous en remercie de tout mon cœur tant en son nom
qu'au mien. Je ne crois point qu'une offre faite de si
bonne grâce ait besoin quant à présent d'être assurée
par un engagement, et il suffit que, pour ma tranquil-
lité, je sache qu'en cas de malheur cette bonne et hon-
nête tille trouvera en vous un bienfaiteur.
Comme il faut laisser faire leur effet aux deux ouvra-
ges que j'ai maintenant sous presse et donner le tems
aux éditions de se débiter, et que d'ailleurs je n'ai
maintenant ni la santé ni le loisir de songer à une
plus grande entreprise, je renvoyé à un autre tcms de
conférer sur l'édition générale de mes écrits dans la-
quelle doivent entrer les changemens et nouvelles pièces
qui peuvent la faire valoir. Si Dieu dispose de moi
avant que mes arrangemens soient pris là-dessus, vous
ne serez pas oublié pour cela, et je préviendrai là-
dessus de mes intentions ceux qui seront chargés de
les exécuter. C'est même ce que j'avois déjà mit c< s
tcms passés quand mon état empiré me menaçoit d'une
mort plus prochaine que peut-être elle ne viendra. Je
sais que des personnes qui me veulent du bien ont le
dessein d'honorer ma mémoire par des écrits publics:
mais pour ma vie il est difficile qu'elle soif mise en
état de paroitre, parce qu'elle est mêlée de beaucoup
de faits qui en sont inséparables et qui compromet-
froient le serret d'autrui. il n'y a rien sur tout cela
de mûr ni de décidé quant à présent; mais nous en
reparlerons.
9
130
M. Duvoisin doit venir me voir aujourd'hui ou demain.
S'il vient aujourd'hui, je lui remettrai ce pacquet, sinon,
je le mettrai ce soir à la poste à tout événement: car
si malheureusement il étoit retenu demain encore, je
n'y serois plus à tems , et je ne veux pas qu'un seul
Courrier soit retardé par ma mute.
Vous avez ci-joint une seconde addition que je vous
prie de faire insérer à sa place (1). Adieu, mon cher
Rey, je vous embrasse de tout mon cœur.
Addition à insérer dans le chapitre intitulé: de la
Monarchie entre l'alinéa qui commence par ces mots :
Nous avons trouvé par les rapports généraux , el l'alinéa
suivant qui commence par ceux-ci: Pour qu'un Etat
monarchique, moyennant laquelle addition, il faut au
premier de ces deux alinéa s'arrêter au mot substituts
et retrancher les deux ou trois lignes qui suivent, jus-
qu'aux mots forme éludée inclusivement; puis interpoler
l'alinéa qui suit.
Mettez si vous voulez la vignette du Discours sur
l'inégalité. Mais il y a là une grosse jounue de liberté
qui a l'air bien ignoble. Est-ce que le graveur ne
pourroit pas la retoucher, et lui donner un peu plus
de dignité (2).
(i) l,:i partie de la fouille qui contenail l'alinéa , .1 été retranchée.
("1 i:*'.\ .1 employé la vignette pour L'édition in-12°. Pour l'antre, grand
in-8°., il en a fait graver, d'après le même dessein, une autre, où la Liberté
est un peu moins joufflue.
131
80.
0 Janvier 1762.
N'ayant point receu la lettre que vous dites m'avoir
écrite par M. Duvoisin, je me contente en vous ren-
voyant l'épreuve D d'y joindre l'addition ci-dessous,
que je vous prie d'insérer en son lieu, et je vous
embrasse.
Dans le chapitre intitulé Des suffrages, l'alinéa qui
commence par ces mots Je réponds que h. question doit
être couché de la manière suivante, et la note ci-dessous
y doit être ajoutée.
SI.
A Montmorenci, le 13 Janvr. 1762.
Je reçois à l'instant, mon cher Rey, votre lettre du
7 par laquelle j'apprends avec effroi le parti que vous
prenez de ne plus m'envoyer d'épreuves. Je vous avoue
que cette résolution me fait trembler. 0 mon ouvrage!
mon cher ouvrage! que va-t-il devenir, à moins que
vous n'ayez choisi pour le revoir le plus honnête, le
plus patient et le plus intelligent des hommes? Sur des
matières si graves on n'a jamais assez tout pesé, et je
sens bien que le dernier coup d'œil que j'aurois jeté
sur cet écrit y étoit absolument nécessaire. Mon cher
Rey. soyez de la dernière attention, je vous conjure, et
si malgré cela il nous faut Av> cartons, comme je n'en
doute point, préparez vous du moins l\ les faire de lionne
grâce et même à faire couper le feuillet cartonné de
9 "
132
peur qu'on ne néglige d'y substituer le carton. Je vous
avoue que je suis dans les plus grandes alarmes sur
votre résolution sans pourtant vous en savoir mauvais
gré : car je sens combien d'embarras, de lenteurs et de
fraix cela peut épargner. Si je suis trompé en bien
sur l'exactitude, je vous en saurai gré toute ma vie.
Vous me dites de vous envoyer mes additions: mais
comment faire? J'en trouve plusieurs sur mon brouil-
lon, mais je ne me souviens plus de celles que je vous
ai envoyées, et je ne sais plus comment indiquer les
autres sur votre manuscrit. Les épreuves me rendoient
plus confiant, bien sûr s'il y avoit quelque qui-pro-quo
de l'y corriger. N'ayant plus cette ressource, je n'ose
plus rien vous envoyer, et l'ouvrage restera défectueux
à bien des égards.
Ne manquez pas du moins de m'envoyer régulière-
ment les bonnes feuilles, afin que s'il s'y trouve des
fautes essentielles nous soyons à tems de les corriger
par des cartons ou par un errata. Je vous embrasse
J. J. Rousseau.
S'il vous vient quelque doute important, écrivez-moi,
et suspendez le tirage de cette feuille-là, jusqu'à ma
réponse.
82.
Ce 23 Janvier 1762.
Voici, mon cher Ivey, les ('preuves F et G (pie j'ai
receues hier au soir avec votre lettre du 18. J'ai reçu
aussi la bonne feuille A et j'attends B comme vous me
le marquez.
Je suis touché et charmé de votre procédé ;ï l'égard
] 33
de Mlle Le Vasseur et je vous réponds que je m'en ser-
virai utilement, et honorablement pour vous, pour fermer
la bouche à tous ceux qui pourront me reprocher de
renouer avec vous après les mécontentemens passés.
J'espère que cette affaire publiée en ce pays-ci, comme
elle le sera par mes soins lorsqu'elle sera terminée,
changera bien avantageusement l'opinion qu'on y a de
vous.
Vous savez, comme je vous l'ai dit bien des fois,
que dans les infirmités dont Dieu m'afflige, ne pouvant
plus travailler, je n'ai pour ressource le reste des jours
qu'il lui plaira me laisser sur terre que le produit de
mes écrits et du recueil général que je compte en don-
ner dans trois ans si je vis jusqu'à ce temps-là. Je
dois vous dire encore que dans mon traité avec Du-
chesne, on y a inséré une clause de préférence en sa
faveur pour la dite Edition. Je laissai cette clause en
ce tems-là, ayant en quelque sorte rompu avec vous.
et quand nous avons renoué il n'étoit plus tems de
l'ôter. Cependant comme elle est couchée d'une manière
qui ne m'engage pas beaucoup, j'en tiendrais peu de
compte si je n'étois pas content de l'exécution du livre
qu'il a entre les mains: de [dus, en lui faisant bon
parti de mon Dictionnaire de musique qui fait une af-
faire à part, j'espère le faire aisément renoncer au reste:
et le pis aller seroit enfin, s'il n'y avoit pas moyen
«le faire autrement, d'imprimer à la fois, au moyen d'un
accord à faire entre vous, ce recueil à Paris et à Am-
sterdam: bien sûrs, je pense, d'un débit suffisant des
deux côtés, et de prévenir aussi par là bien des con-
trefactions. Quoiqu'il en soit, j'ai cru vous devoir toutes
ees explications afin que vous sentiez que ce que vous
voulez faire pour M"! Le Vasseur, doit être , comme vous
entendez vous-même, indépendant de tout engagement
134
de ma part. Et je crois, au surplus, que vous me con-
noissez assez pour être sûr de toute ma volonté et des
soins que je prendrai pour la mettre à exécution.
11 y a pour la publication de ma vie, même après
ma mort, de grands obstacles qui ne sont pas faciles
à lever, mais ne pourroit-on pas faire quelque chose
d'équivalent qui satisferoit de même la curiosité du
public et pourroit contenter également l'honnête désir
que vous avez d'honorer ma mémoire? On ne peut pas
traiter cela par lettres; nous n'en pouvons guères con-
férer qu'à votre premier voyage, si Dieu me conserve
jusqu'à ce tems-là. Tous ces arrangemens-là ne sont pas
l'a lia ire d'un jour.
Après m'être expliqué avec vous sur tout ceci, ve-
nons à rengagement qu'indépendamment de tout cela
vous voulez bien prendre en faveur de M".e Le Vasseur.
Avez-vous lu, mon cher Rey, la note que j'ai ajoutée
dans le 3e tome de Julie, à l'exemplaire que je vous
ai envoyé? Cette note contient la raison qui me fait
désirer quelque changement dans l'arrangement de votre
bienfait (1). J'aimerois mieux que la pension viagère
que vous voulez lui faire fût moindre, et qu'elle com-
mençât à courir d'une époque fixe indépendante de ma
mort, comme par exemple qu'elle ne fut que de deux
(') La unie à la iHirc.W de lii Troisième partie, qui ne se trouve pas dans
la première édil on, ence ainsi: "Nos situations diverses déterminent
et changent malgré nous toutes les affections de nos coeurs: nous serons
vicieux et méchants tant que iiiin.< aurons intt rêt à l'être, et malheu-
reusement les chaînes dont /mus sommes chargés multiplient cet intérêt
autour <!e //nus. L'effort de corriger te désordre de nos désirs est presque
toujours vain, cl rarement il est vrai. Ce qu'il faut changer, c'est moins
nos désirs que les situations qui les produisent. Si nous voulons devenir
lions, ôtons hs rapports '/ni nous empêchent de l'être, il n'y a pas
d'autre moyen. ./< /« voudrais pas pour tout nu monde avoir droit à
In succession d' autrui , surtout di pei'sonnes qui dcoroient m'êtn chères}
car que suis-/,- quel horrible voeu Vindigei ■ ' tn'arracher.''
cents francs ou cinquante écus , et qu'elle commençât à
courir du p1'. Janvier 1763. Je sais bien que la pâture
fille a le cœur trop bon pour aspirer au moment de
jouir de sa pension, mais moi-même je me saurois en
quelque sorte mauvais gré, ne faisant plus rien sur la
terre , d'y être un obstacle à votre bienfait. En un mot,
cet arrangement, s'il n'a rien qui vous répugne, me
rendroit l'esprit plus content ; parlez-moi là-dessus à
cœur ouvert à mon exemple.
Vous voulez que je vous parle de mon état. Qu'aurois-
je de nouveau à vous en dire? Je souffre continuelle-
ment et surtout la nuit. Malgré l'accident qui m'est
arrivé, je ne puis suspendre un seul jour l'usage des
sondes sans que l'urine soit tout à lait supprimée.
Vous parlez d'opération. Cela seroit bon si mon mal
unique étoit cette sonde cassée; en ôtant la pièce je
serois guéri; mais puisqu'indépendamment , je porte
un mal de vessie depuis mon enfance, lequel ne fait
qu'augmenter de jour en jour, vouloir tailler une vessie
dans cet état, qu'est-ce faire autre que vouloir rester
dans l'opération? Mort pour mort, j'en aime mieux
une autre que celle-là. Quand je serois guéri de la
pierre, je n'en serois pas moins infirme qu'auparavant.
11 n'est pas raisonable de tenter une opération en pa-
reil cas. Mon cher Roy, il faut se résigner, se ménager,
ne point se tourmenter, ne vouloir point guérir malgré
La nature, et vivre en paix autant qu'il plaira à Dieu.
Mille respects à Madame Rey; je vous embrasse tic
tout mon cœur
J. J. Rousseau.
Je n'aime pas ces réglets en fleurons dont vous avez
séparé le texte 'les note-:: L'œil les confond avec des
lignes d'écriture; un réglel toul uni vaudroil beaucoup
loi;
mieux. Voici encore un petit papier pour M. Néaulme;
je vous remercie de celui que vous m'avez fait par-
venir.
83.
Ce 4 Fevr. 1762.
Je suis surpris, mon cher Rey, qu'il reste tant
d'épreuves en route, puisqu'aucune n'a été jusqu'ici
retardée de mon côté. Vous me marquez de ne rien
attendre par le Courrier prochain; cela étant, n'attendez
donc rien non plus par celui qui suivra celui-ci.
Je n'ai rien à faire, quant à présent, au Discours sur
l'inégalité ('), je voudrois seulement quïi chaque fois
que vous réimprimez quelqu'un de mes écrits vous m'en
envoyassiez deux ou trois exemplaires. Quant à la Julie,
vous me ferez plaisir quand elle sera imprimée de m'en
envoyer cinq ou six. Vous ne nie dites point si elle
est sous presse.
J'ai eu le plaisir de voir 31. Duvoisin la semaine
dernière: il pourra vous dire comment je lui ai parlé
de vous.
Si vous pouviez m'envoyer les (''preuves deux à deux
cela feroit quelque économie: car pour chaque épreuve
ie pacquet me coule quarante sols de port, et il ne me
coûte qu'un écu quand il y en a deux. Croiriez-vous
qu'il m'en coûte cinq cents francs par an en ports do
lettres? Tous les désœuvrés de Fiance et de L'Europe
m'écrivent par la poste, et qui pis est exigent des ré-
ponses; tous les petits auteurs de Paris m'envoyent de
i'1 llcv faisait alors la réimpression de ce Discours. Il a Lnséri oetti
non de L762 dan on premier recueil des Oeuvres Diverses, co recueil n'étant
qu'un ;*s.~c m I ii :ilj-<- de quelques écrits do l'auteur tels qu'ils ont été imprimés
i \ ■ < la note p. l L5.
137
même leurs misérables brochures, me font payer 40 à 50 c.
de port d'un présent que je ne payerois pas 10 c. chez
le libraire et dont je ne donnerois pas un liard , et par
dessus le marché il leur faut un remercîment.
Voici une addition importante que je vous prie de
placer avec soin ('). Je vais toujours traînant sans
beaucoup empirer; mais je ne puis plus absolument
pisser qu'à l'aide de la sonde. Adieu.
84.
17 Fevr. 1762.
Je n'ai pas encore receu, mon cher Rey, de bonne
feuille par un ordinaire, et depuis que M. Duvoisin
m'est venu voir, il ne m'a point non plus donné de ses
nouvelles, mais comme il m'a jusqu'ici envoyé régu-
lièrement les bonnes feuilles, je présume qu'il se porte
bien. Pour moi je continue à mener la plus triste vie
du monde , et je commence à trouver cela bien long ;
la volonté de Dieu soit faite.
Vous ne m'avez point envoyé l'épreuve de votre vignette
que vous m'aviez promise. Je dois vous prévenir <jue
si vous y avez mis ma devise comme vous aviez fait
autrefois, il la faut absolument ûter, parce qu'il y a
déjà une épigraphe et qu'il n'en faut pas deux: ma
devise ne doit être qu'à la tête de mon recueil général.
N'allez pas non plus dans la nouvelle Edition de la
Julie, si vous y mettez revue et corrigée, ajouter, par
l'auteur: car vous devez savoir que je ne me reconnois
point pour tel, mais seulement pour Editeur. Je vous
embrasse.
(') L;i partie de la lettre, "i L'addition Be trouvait, a été retranchée pour
li' compositeur,
1 38
85.
Ce 18 Fevr. 1762.
Je ne puis vous exprimer, mon cher Rey, avec quelle
surprise j'ai vu que vous aviez décacheté la lettre de
M. Néaulme et que vous me donniez une excuse si
mince d'une action si grave. Je crois, comme vous
m'en assurez, que vous n'avez point lu la lettre, mais
il n'en résulte pas moins que vous n'avez nulle idée
de la conséquence de cette fracture, et que vous ignorez
combien le dépôt d'une lettre cachetée est un dépôt
sacré. Je ne vous en sais donc pas plus mauvais gré,
mais je ne puis vous cacher que si j'avois eu l'idée
(comme j'aurois très-bien pu l'avoir), de vous confier
des papiers cachetés, pour n'être ouverts qu'après ma
mort, avant de prendre ce parti-là, j'y penserois main-
tenant à deux fois.
On me dit que l'acte que vous voulez bien passer en
laveur de Mu? Le Vasseur ne peut être passé que dans
le pays ou vous êtes par devant un notaire du lieu et
selon l'usage établi par les loix. Ainsi il faut que vous
ajoutiez à votre générosité la peine de l'aire passer vous-
même cet acte, et quant aux fraix, nous ferons si vous
voulez qu'ils entrent en compensation du port des épreu-
ves que vous aviez promis de me rembourser et qui
réellement ne laissent pas de me couler. Mais vous
n'avez pas fait attention à ce que je vous ai marqué
que je souhaitois, que le tems de ma mort ne servît
d'époque à rien, et je persiste dans le même senti-
ment. Ainsi laites la pension plus petite et prenez un
terme fixe durant Lequel elle commence à courir pour
la vie de M" Le Vasseur indépendamment delà mienne.
En conséquence de ce procédé qui m'a beaucoup touché
139
le cœur, je souhaite sincèrement, mon cher liey, de
me rapprocher tellement de vous que je n'aye plus rien
à faire avec d'autres libraires , et sûrement il ne tiendra
pas à mui que ce projet n'ait lieu pour le reste de ma
vie et même après. Dès à présent je ne désespère pas
d'exécuter celui dont je vous ai parlé il y a deux mois
et sur lequel j'ai maintenant à vous consulter.
Les deux premiers volumes du traité de l'éducation
seront achevés dans peu d'imprimer ici; mais les deux
derniers encore mieux écrits et plus intéressans à la
lecture sont pleins de choses hardies et fortes qui mal-
gré toute la faveur du magistrat ne peuvent qu'élever
des difficultés dans ce pays. En ne me prêtant point
aux moj^ens de lever ces difficultés je les puis rendre
insurmontables ('), auquel cas Duchesne n'a d'autre
parti à prendre que de publier ces deux premiers vo-
lumes, et de faire imprimer les deux autres par Néaulme.
Or, ce que je puis faire ici pour que cette affaire vous
revienne, c'est de résilier mon marché avec Duchesne
pour la moitié de mon ouvrage et de vous substituer
en son lieu et place pour cette même moitié. Alors
Duchesne sera obligé de faire avec Néaulme la même
résiliation. L'édition de Néaulme débitée, il vous sera
aisé de traiter avec lui de son droit pour la suite;
Duchesne n'ayant que deux volumes et ne pouvant im-
primer les deux autres, ne s'avisera pas de faire une
seconde édition de ces deux volumes pour un livre qui
en aura quatre; ce seroit le moyen de n'en pas vendre
un seul exemplaire, on ne lui permettra pas de contre-
Caire ce qu'on ne lui aura pas permis d'imprimer ci
je ne doute pas même (pie tant que 31. de Malesherbes
i') Mu relus, ni de faire les changements, que Le Censeur, i|ui avait déjà
i !'■ i - !^ d changemem an leuj premiers vol -. indiquerait aux
derniers.
i4(»
sera en place je n'aye le crédit d'empêcher cette contre-
faction. Ainsi vous , joignant à votre droit sur les deux
derniers volumes celui de Xéaulme sur les deux pre-
miers pour les pays étrangers, et l'ouvrage ne se réim-
primant pas à Paris, vous vous eu trouverez unique
propriétaire n'ayant payé que la moitié du prix de la
copie. Au reste que cet arrangement ait lieu ou non,
je crois toujours pouvoir vous répondre d'un débit prompt
et sûr de vos deux volumes, quelque forte qu'en soit
l'éditiou.
Pesez mûrement ce que je vous propose et si l'affaire
vous agrée, répondez-moi promptement. Auquel cas
songez d'avance à vos fournitures de papier et à vous
ménager deux presses pour pouvoir imprimer les deux
volumes à la fois et les faire paroitre peu de tems
après les premiers, afin de ne pas laisser au public le
tems <le se refroidir sur cet ouvrage. Au reste, songez
que cette affaire-ci est absolument entre vous et moi
et demande le plus grand secret: car je vous préviens
qu'en quelque lieu que s'impriment ces deux volumes,
si les Jésuites viennent à l'apprendre ils remueront ciel
et terre pour l'empêcher à cause de leurs collèges,
quoique dans l'ouvrage entier il ne suit pas fait la
moindre mention d'eux.
Songez cependant que la proposition que je vous tais
est toujours conditionnelle: car mon traité avec Duchesne
avant été fait de bonne foi de part et d'autre, si les
obstacles qui s'opposenl à son exécution pouvoienl se
lever sans mutiler l'ouvrage, je ne pourrois en con-
science m'opposer à son exécution. Mais si pour l'in-
térêi de Duchesne, il falloit détériorer mon livre, je ne
serois nullement tenu de faire en sa faveur ce à quoi
je ne me suis point obligé, et voilà le cas où je me
trouve.
141
Voici votre épreuve M, dans laquelle je suis bien
fâché de n'avoir pas le tems de transcrire plus nette-
ment la note qui répond à la page 190 ('). J'espère
pourtant qu'avec beaucoup d'attention Ton pourra par-
venir à la déchiffrer exactement. Faites tirer une se-
conde épreuve à cause de cette note, et faites-là, je
vous prie, examiner avec soin par un homme de lettres
à cause des deux passages latins. Je vous avoue que
je suis un peu inquiet de cette note, à cause que vous
avez laissé passer une faute dans celle de Calvin (2).
J'ai ajouté une autre note p. 187; mais comme il y a
place pour l'une et pour l'autre, elles n'exposeront à
aucun remaniement; ainsi si cette feuille n'est pas aussi
correcte que les autres , ce sera la faute de l'imprimeur
et la vôtre. Adieu, je continuerai de revoir les épreuves
qui me viendront ; mais comme je me sens plus acca-
blé qu'à l'ordinaire, je pourrai ne vous pas écrire de
quelque tems.
J. J. Rousseau.
86.
Ce 20 Fevr. 1762.
Voici, mon cher Rey, votre épreuve N. J'ai receu
jusques à ce jour sept bonnes feuilles; c'est je pense
tout ce qu'il y a eu de tiré jusqu'à présent. Je suis
dans le plus grand souci sur ce dont je vous ai parlé
l'ordinaire dernier; je ne suis plus le maître de mon
livre: j'ignore encore le train que les choses prendront,
niais je vois de toutes parts des embarras qui me dé-
fi i. s qu'il cite sont celles de !'■ lil n rand-iri-8vo.
i-'i n n'v a d'aul re fa >oution ire cette faute
ne se trouve pas
142
soient. Malade et accablé, je crois que je vais prendre
le parti de laisser tout aller comme il pourra, puis-
qu'aussi bien je m'y tourmente inutilement. Gardez-
moi le secret sur tout ceci , je vous prie. J'espère que
cet ouvrage-ci me consolera un peu de l'autre, et je
désire ardemment qu'il vous soit aussi avantageux que
les précédens. Malheureusement la matière est un peu
ingrate. Profitez du moment que je suis à la mode en
Angleterre pour y en envoyer beaucoup. Mille amitiés
et respects à Madame Rey. Adieu, mon cher Rey, je
vous embrasse.
87.
Ce 25 Fevr. 1762.
Les difficultés que vous me proposez , mon cher Rey,
dans votre dernière lettre sans date, me font renoncer
au projet que j'avois formé au sujet du traité de l'édu-
cation; ma bonne volonté me rendoit facile ce qui ne
Fétoit pas, et j'aurois à lever de mon eût,'' tant d'ob-
stacles que, puisque cela ne vous fait pas une per-
spective assez lucrative pour en valoir la peine, il vaut
mieux abandonner tout à la fortune et laisser aller les
choses comme elles voudront.
Le nom de ma gouvernante est Thérèse Le Vasseur,
tille de François Le Vasseur, officier de la Monoye
d'Orléans, âgée de 41 ans, étant née en 1721 : à l'égard
des particularités que vous dites ignorer, il n'y en a
point d'autres, que je sache, relatives à celle affaire-là
si ce n'est de motiver votre bienfait par le désir que
vous avez de me donner un témoignage de gratitude
pour l'avantage que vous avez tiré du choix que j'ai
fait de vous pour mon libraire, et par celui que vous
avez que j'aurois de mon côté de récompenser ma
143
Gouvernante de ses bons et fidèles services et des soins
qu'elle m'a rendus dans mes longues infirmités. Mais
j'ai peur que ce mot de particularités ne cache un autre
sens, et que vous ne vous soyez imaginé comme beau-
coup d'autres que j'étois marié avec elle ; auquel cas
vous avez du supposer que ne voulant pas recevoir vos
dons directement, je n'étois pas fâché de les recevoir
indirectement par elle; supposition qui ne feroit pas
grand honneur à ma franchise ni à ma délicatesse.
Quoi qu'il en soit, si c'est là votre idée vous pouvez
garder vos dons, car j'ai vécu et mourrai garçon, et
n'y prends d'autre intérêt que celui d'assurer quelque
ressource à cette bonne et honnête fille : et même quand
vous persisteriez dans votre bonne intention , je préfé-
rerais à présent , malgré ma répugnance , votre premier
projet; car il vaut encore mieux que vous pensiez faire
une pension à ma veuve qu'à ma femme. Je vous
embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
88.
28 Fevr. 1762.
Le détail que vous me faites, mon cher Rey, des
inconvéniens attachés à l'impression de mes écrits m'a
paru si effrayant que je serois inexcusable de vous ex-
poser davantage à de pareils risques. Ainsi je ne vous
en parlerai plus.
J'ai bien du chagrin que la feuille M, celle précisé-
ment que je vous avois le plus recommandée à cause
de la note, soit précisément celle qui a le moins été
revue : je l'attends avec impatience pour juger des car-
tons dont elle peut avoir besoin.
144
Je trouve votre titre trop confus. il faudrait que
l'œil y distinguât trois parties bien séparées par dv±
blancs. 1°. Le titre de l'ouvrage. 2°. le nom et le titre
de l'auteur. 3°. l'épigraphe, et que cette épigraphe ne
se confondît point dans la vignette. Arrangez cela . je
vous prie, du mieux que vous pourrez.
Faites attention dans la table à ce que j'ai marque
sur les titres des livres , qui doivent être autrement
disposes que les titres des chapitres. On a coté les
chapitres sur les pages du manuscrit pour ce qui n'étoit
pas encore imprimé. J'ai changé ces numéros sur l'im-
primé dans les bonnes feuilles qui me sont parvenues
jusqu'ici, mais je n'ai pu aller jusqu'au bout Veillez
exactement , je vous prie, à ces changemens; car rien
n'est plus désagréable au lecteur que de trouver de faux-
renvois dans les tables. Vous ne pourrez, par cette
raison, tirer la feuille du titre que quand tout l'ouvrage
sera composé.
Ne vous souvient-il plus que nous avons eu une ex-
plication verbale sur l'introduction de cet ouvrage en
France, et qu'il a été expressément convenu entre nous
que je ne m'en mêlerois pas? Si j'avois alors dix rai-
sons pour cela, j'en ai maintenant dix-mille, et je n'ai
que trop d'autres embarras sans celui-là. Je ne puis
ni ne veux rien demander là-dessus à M. de Males-
herbes; mais je ne présume pas que si vous vous ad-
dressez à lui par une lettre respectueuse, vous le trou-
viez mal disposé. Comme je ne suis point sorti dans
cet ouvrage des considérations générales, je n'y vois
rien de plus fort que dans nies autres écrits, ni qui
doive le faire voir en ce pays de plus mauvais œil.
En tout cas cet inconvénient sera compensé pour vous
en rendant aussi les contrefactions en France plus dan-
gi reuses. Sitôt qu'il sera imprimé, ne manquez pas
145
d'en envoyer de ma part un exemplaire à M. de Males-
herbes par la poste , et rien n'empêche , si vous le jugez
à propos, que vous ne lui écriviez même auparavant.
M. Duvoisin qui vint jeudi diner ici avec M. Boullier
m'apprit que Mad. Rey étoit grosse. Je vous en fais
mon compliment de tout mon cœur, et à elle aussi,
espérant que tout ira bien , et que vous n'en aurez que
redoublement de bonheur dans votre famille. Je vous
embrasse.
J. J. Rousseau.
89.
A Montmorenci, le 1 1 Mars 1762.
Voici, mon cher Rey, vos dernières épreuves, où j'ai
retranché la dernière note devenue inutile depuis que
le sort de nos malheureux est décidé, et sur laquelle
on vous auroit peut-être fait de plus grandes difficultés
pour l'introduction que sur le reste de l'ouvrage. A
cette note j'en ai substitué une autre qui la vaut bien,
et qui va mieux à la racine du mal ('). Je vous prie
instamment d'avoir la plus grande attention à la cor-
rection de cette note et de la page qui s'y rapporte,
tant à cause de l'importance de la matière , que parce
que les fautes à la fin d'un ouvrage se remarquent
encore plus que partout ailleurs.
Je ne comprends rien à la difficulté que vous fait le
notaire sur la forme de l'acte en question. Il est de
toute notoriété qu'un tel acte n'a besoin pour être valide
que d'être fait selon les formes du pays où il est passé;
quand même il devroit valoir ailleurs. Ainsi donc si
votre acte est bon et valide en Hollande, il le sera par
i'i Voyez sur cette note Les trois Lettres qui suivent.
Kl
140
tout l'univers , et même quand il s'agiroit de s'en
servir en France, ce qui n'est pas; car bien que pour
faciliter à cette bonne fille la jouissance de votre
bienfait vous lui fassiez payer sa pension en France,
ce n'est pourtant jamais en France, où vous ne de-
meurez pas et où ne sont pas vos biens , qu'elle auroit
droit de vous la demander. Il pourrait arriver tout
au contraire que les formes dont cet acte devroit
être revêtu dans ce pays n'étant pas les mêmes que
celles dont il doit être revêtu en Hollande ne servi-
raient , y étant employées , qu'à lui ôter sa force par
tout pays.
Nous voici donc enfin au bout de notre entreprise:
je suppose que, l'ouvrage imprimé, vous allez prendre
vos derniers arrangemens pour vos envois, et je ne vois
plus d'inconvénient que vous l'annonciez, si vous voulez,
dans les gazettes , ce que je n'exige pourtant ni ne con-
seille; j'y consens seulement, si cela vous convient.
Dans votre envoi pour Genève vous aurez la bonté d'y
mettre douze de mes exemplaires, adressés à M. le
Ministre Moultou. Dans votre envoi pour l'Angleterre,
(si vous n'avez pas là de correspondant affecté , je vous
conseillerais de vous adresser à M. Becket qui a fait
traduire la Nouvelle Héloïse; mais qui probablement ne
fera pas traduire celui-là qui n'est que pour les savons,
et peut cependant lui donner du cours à la faveur de
l'autre) je vous prie d'y joindre aussi un de mes exem-
plaires à l'adresse de mon cousin Jean Rousseau, au
café de Sams proche la Bourse : un à Monsieur de
Maleslierbes par la poste, connue je vous l'ai marqué
ci-devant, et tout le reste à mon adresse pour faire
ici mes distributions; mais je vous demande la galan-
terie quêtons mes exemplaires .soient cousus, car c'esi
un embarras et un retard considérable pour gens qui
147
ne sont pas du métier, et surtout pour moi qui ne suis
pas à Paris, de faire brocher tout cela.
Jusqu'ici je n'ai point vu de fautes assez considé-
rables pour exiger des cartons ni même un errata. Dès
que j'aurai receu les dernières bonnes feuilles, je relirai
le tout attentivement, et si j'y trouve quelque chose
à faire, je vous le marquerai sans perdre de tems.
M. Duvoisin vint il y a une quinzaine de jours diner
ici avec M. Boullier qui s'est chargé de ma part de
bien des amitiés pour vous.
Je crains que le Traité de l'Education ne puisse
achever de s'imprimer ici, et qu'on ne soit forcé de
n'en donner d'abord que la première moitié ; cette pre-
mière moitié est imprimée, mais je tâcherai d'en différer
la publication jusqu'après celle du Contrat Social. Il y
a dans la dernière moitié un morceau détaché , le plus
considérable de tout l'ouvrage , qui dans une absolue
nécessité, peut très-bien s'imprimer séparément et sous
un autre titre. Mais je ne prendrai jamais ce parti-là
qu'on ne m'y force. M. Néaulme ne sait rien de tout
ceci, n'en parlez ni à lui ni à personne. Attendons en
silence. Il faudra bien enfin que je sache à quoi m'en
tenir. Au reste j'ai des ressources toutes différentes .
et si cette affaire ne vous paroit pas assez sûre, vous
ne devez £>as craindre de me laisser dans l'embarras.
Comment va la grossesse de Madame Rey? donnez-
m'en de tems en tems des nouvelles, car j'y prends
un véritable intérêt. Adieu, je vous embrasse de tout
mon cœur.
J. J. Rousseau.
lo ■
148
90.
MM., 14 Mars 1762.
Je vous prie, mon cher Rey, si vous y êtes encore
à tems, de supprimer la dernière note sur les maria-
ges ('). Et môme fallût-il un carton pour cela, je vou-
drais à tout prix que cette note fût supprimée, pour
votre avantage comme pour le mien. Recevez mes ex-
cuses de ce nouvel embarras , mais je ne vous le donne
pas sans raison. Je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseai .
Voici deux ordinaires que je ne reçois point de bonnes
feuilles; la dernière que j'ai receue est la feuille 0.
01.
MM., 18 Mars 1762.
J'ai receu, mon cher Rey, avec vos feuilles P et Q
vos lettres des 6 et 10 de ce mois, par la première
desquelles je vois que vous vous oppose/ au privilège
que sollicite M. Néaulme pour le Traité de l'Educa-
tion (2); mais quoique je vous sois obligé de ce que
vous faites en cela dans la vue de m'obliger, je ne sau-
rois concevoir en vertu de quel droit vous pouvez faire
de votre chef une pareille opposition ; cet ouvrage n'étant
ni en tout ni en partie un de ceux pour lesquels j'ai
traité avec vous. 11 est bien vrai que M. Néaulme par
(«) La note ;i été supprimée.
(2) Les Etats de Hollande avaienl accordé, le LO Mars, à Jean Néaulme,
sur sa demande, un privilège absolu pour l'impression de TEmUe.
149
un privilège absolu usurpe un droit qu'il n'a pas, en
n'exceptant point l'impression générale de mes écrits
que je me suis toujours réservée à moi seul, abandon-
nant seulement aux libraires avec qui j'ai traité le droit
d'imprimer séparément ceux que je leur ai cédés ; mais
outre que M. Néaulme est trop raisonnable pour me dis-
puter jamais l'usage de ce droit, comment vous oppo-
seriez-vous à son privilège, vous qui lui en avez donné
l'exemple, non seulement sur les écrits que je vous ai
cédés avec la même réserve, mais même sur ceux aux-
quels vous n'aviez aucun droit ? Je vous ai laissé faire,
quoique l'honnêteté du moins eût exigé que vous me
demandassiez mon consentement, et je le laisse faire
de même, bien persuadé que vous êtes trop équitables
l'un et l'autre pour, dans l'occasion , vous prévaloir de
votre usurpation pour me disputer mon droit. Il est
vrai que si mon ouvrage étoit supprimé ou mutilé à
l'impression, comme sur des indices équivoques j'en ai
conceu ci-devant le soupçon , (à ce que j'espère , très-
mal à propos,) ce seroit alors une autre affaire; parce
que, quand un auteur cède un manuscrit à un libraire
c'est pour le publier et non pour le supprimer. Mais
comme il est a présumer que j'avois pris une alarme
sans fondement, il l'est aussi que je n'aurai point à
recourir aux expédiens embarrassans dont il a été ques-
tion ci-devant. Ainsi dépêchez-vous , de grâce, de retirer
votre opposition , et qu'il ne soit plus question de cela,
de peur que nous ne soyons accusés d'avoir ensemble
quelque connivence malhonnête et dont nous ne sommes
capables ni vous ni moi.
Je vous remercie des exemplaires que vous m'envoyez
par la caisse de M. de Malesherbes. Ce magistrat peur
laisser quelquefois sur lui trop d'empire à des gens qui
ne le valent pas, mais il n'a pas avec vous le tort dont
loi»
vous l'accusez , puisque l'édition dont vous vous plaignez
n'a été permise qu'à votre ayant-cause, afin qu'elle ne
pût vous nuire, et qu'elle n'a été faite que pour mas-
quer la vôtre où l'on a trouvé des choses qu'il auroit
fallu retrancher. Au reste, si Robin en a encore
mille exemplaires , il faut qu'il les tienne furieusement
cachés; puisque je sais beaucoup de gens qui écrivent
et ont écrit en Hollande, pour avoir des exemplaires
de la première édition , faute d'en trouver à Paris.
M. de Malesherbes est certainement un homme juste et
bien intentionné , mais qui, dans la place qu'il occupe,
ne peut pas toujours faire tout le bien qu'il voudroit,
et alors ce n'est pas à lui qu'il faut s'en prendre. Ne
manquez pas de lui envoyer de ma part un exemplaire
du Contrat Social par la poste. Du reste je persiste au
retranchement de la note que j'avois mise à la fin, et
de celle que j'y avois ensuite substituée; mais je serois
bien aise d'avoir les épreuves où étoient ces deux notes,
qui pourront trouver leur place autre part.
Je suis sensible à l'honneur que vous me faites de
m'inviter à tenir votre enfant; si j'étois sur les lieux,
je ne balancerais point à l'accepter, et même je ne puis
me résoudre à me refuser absolument à ce témoignage
de votre estime. Mais comme vous n'êtes pas le premier
qui m'ait fait cette proposition, il faut nécessairement
qu'en l'acceptant je m'expose à quelque embarras que
je voudrais bien éviter. Si cependant vous y tenez à
certain point, mon plus grand désir est de vous com-
plaire, et vous pouvez disposer de moi. Dieu veuille
amener les choses à bien. Je vous embrasse de toul
mon cœur.
J. J. Rousseau.
151
02.
MM., 25 Mars 1760.
L'adresse de l'Epine , messager de Montrnorenci, que
vous me demandez, mon cher Rey, par votre lettre du
15, est rue St. Germain PAuxerrois à F Hôtel de Gram-
mont et il part de Paris quatre fois la semaine, savoir
les Lundis , Mardis , Jeudis et Samedis à deux heures.
Puisque vous voulez n'annoncer le Contrat Social
que lorsqu'il sera à Paris , il ne sera peut-être pas né-
cessaire d'envoyer un exemplaire à M. de M. si long-
tems à l'avance , de peur qu'étant vu par d'autres, ils n'y
forment plus de difficultés qu'il n'en ferait lui-même.
Il suffit que vous combiniez si bien les choses pour
qu'il ait ce livre avant toute autre personne et quinze
jours avant le public. J'attends encore les feuilles T et
V et celle du titre. Puisque vous avez fait faire une
nouvelle vignette vous m'obligerez de m'en envoyer
une épreuve à part pour la mettre dans mon porte-
feuille. H y a bien des difficultés à ce que vous me
proposez dans votre lettre du 17 au sujet de l'événe-
ment auquel ma première note supprimée avait rapport.
La plus insurmontable est mon état qui ne me permet
plus aucune espèce de travail assidu. Une autre est
(pie je n'ai point les pièces et instructions nécessaires
pour parler pertinemment sur ce sujet, et que la voye
de la poste est trop dispendieuse et trop suspecte pour
s'établir là-dessus des correspondances. Cependant je
vous avoue que la matière est si belle et si tentante
pour le zèle de l'humanité que, si j'avois le moindre
espoir de rassembler les papiers nécessaires, je rêverois
quelquefois à cela, et mon intention ne seroit pas en
pareil cas de m'en tenir à un simple narré.
152
Témoignez, je vous prie, à Madame Rey le tendre
intérêt que je prends à son état , j'espère qu'elle s'en
tirera heureusement pour elle et pour la petite progé-
niture. J'ai déjà répondu ci-devant à votre obligeante
proposition, sur laquelle je vous laisse le maître de
disposer de moi, ajoutant seulement cette considération,
(pie ma situation me rappelle bien des fois le jour que
donner à un enfant un parrain dans mon état, c'est
ne lui en point donner du tout. Si malgré tout cela
vous persistez, marquez-moi en pareil cas ce que j'ai
à faire, car, sur mon Dieu, je n'en sais pas le moin-
dre mot; je vous embrasse.
J. J. Rousseai.
Oïl.
Ce 4 Avril 1762.
J'accepte bien volontiers , mon cher Rey, la commère
que vous me proposez et si elle me fait l'honneur aussi
de m'accepter, j'en serai fort aise('); marquez-moi de
grâce ce que j'ai à faire, car je n'en sais rien; mais je
vous préviens que je ne saurois écrire de lettre de com-
pliment à personne et bien moins encore à quelqu'un
que je ne connois pas. Ainsi sauvez-moi cette formalité.
J'ai receu hier le reste de l'ouvrage, mais je crains
bien que par votre faute vous ne tombiez dans l'in-
convénient que j'avois prévu. Vous faites votre envoi
par mer, il n'arrivera jamais avant que le Train'' de
L'Education paroisse du moins en partie, à moins que
l'on ne me trompe, ce que je ne puis présumer; el si
(') C'était M""'. Dumoulin, dont il eet fait mention 'huis les lettres qui sui-
vent.
153
ces deux ouvrages paroissent ensemble, à cause de la
matière ingrate et propre à peu de lecteurs du Contrat
Social , il sera infailliblement étouffé par l'autre. Voyez
donc si, après avoir tant lanterné, vous ne feriez pas
mieux à présent de renvoyer la publication jusqu'à
l'hiver prochain.
Je vous ai déjà marqué ci-devant mon avis conforme
au vôtre sur l'envoi d'un exemplaire à M. de M. Mais
un autre envoi d'un exemplaire bien conditionné qu'il
faut faire avant celui-là et qui ne sera pas sujet au
même inconvénient est à l'adresse suivante :
A Monseigneur
Monseigneur le Maréchal Duc de l/uxembourg
à Paris.
Si quand vous ferez cet envoi vous avez à m'écrire,
vous pourrez joindre une lettre pour moi dans le pac-
quet; ce sera toujours un port épargné.
Voici votre projet d'acte ('); le style m'en paroit un
(i) L'acte dont la minute écrite par Key se trouve encore jointe à l'ori-
ginal de cette lettre, appartient à l'histoire de la vie de Rousseau; il était ainsi
conçu :
"Aujourd'hui/ le etc. jour dit mois de etc. 1762 devant moi Mtre Thierry
Daniel De Morales, Notaire public à Amsterdam , admis par ta cour
de Hollande et en présence des témoins bas nommés.
fut présent Mr. Marc Michel Rey , marchand libraire en cette ville,
et de moi notaire, connu, lequel de sa bonne §■ libre volonté désirant de
donner un témoignage de gratitude pour l'avantage que Mr. J. J. Rous-
seau, citoyen de Genève actuellement demeurant à Montmorency a fait
au Sr. comparant de le choisir pour son Libraire et du profit que lui
comparant en a retiré , et y voulant répondre le dit Sr. M. M. Rey,
(irait jugé convenable défaire un don entre-vifs pur firme de donation
pure simple et irrévocable pour lui , ses hoirs OU ayant eu use, en la
meilleure forme que donation puisse valoir, d'une somme de 300 Ih an/.
de France par année en fureur île Mad'"'. Thérèse Le Vasseur, file de
Mr. François Le Vasseur officier de lu monnaye d'Orléans, et gouver-
nante du dit Sr. J. J. Rousseau et commencera la dite donation à courir
154
peu embarrassé; mais cependant je n'y vois nulle omis-
sion essentielle, il est vrai que je suis très ignare en
ces matières. Faites pour le mieux selon vos bonnes
intentions. Au reste, je vois avec attendrissement que
malgré le changement de disposition, vous voulez faire
la libéralité toute entière. Cependant je ne consens point
(pie la pension coure dès cette année, durant laquelle
il est sûr que M"? Le Vasseur ne seroit pas exposée à
manquer de pain, quand même je mourrois demain.
Je fais des vœux pour l'heureuse délivrance de Ma-
dame Rey et je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
04.
A Montmorenci , le 23 Avril 17G2.
En réponse à votre lettre du 12 je vous envoyé ci-
joint une lettre pour Madel].e Dumoulin que vous lui
remettrez si vous le jugez à propos , en la prévenant
que je n'ai qu'une formule pour tout le monde, que
je ne me dis serviteur de personne pas même eu
écrivant aux Princes et aux Dames de quelque rang
du premier Janvier 1703 et cela pour répondre au désir que M. Roua-
seau a de récompenser la dite !>"■'. Le Vasseur pour les longs \ fidèles
services fy soins qu'elle a rendus au dit Sr. Rousseau dans ses infirmités
et qu'elle lui rendra encore journellement , roulant le dit Sr. donateur
que li dit don annuel île 300 B> de Fr". soit et demi ure appartenant et
qu'il sera payé par chaque année à la dite 2>"*. Le Vasseur, sa rie du-
rant, par lui Sr". comparant et après son décès par la retire, héritiers
mi a liant caii.se, obligeant pour l'accomplissement cl maintien du présent
acte de donation entre-vifs, pour lui et pour si s héritiers tous les biens
présents §• avenir sous les obligations et soumissions à tous qui ces pré-
sentes verront ; le tout conformément au.r loi.r et droits.
Ainsi fait et passé u Amsterdam en présence des comme
témoin. .
155
qu'elles soient. Si vous craignez que cette simplicité
dans ma lettre ne la choque, ne la lui donnez pas;
niais je ne puis changer ma forme pour qui que ce soit,
et c'est pour cela que , quoique M. le Prince de Conti
m'ait honoré de deux visites, je n'ai jamais voulu ha-
sarder de lui écrire (').
J'ai aussi receu par le pacquet de M. le M^ de Luxem-
bourg, avec votre lettre du 15, les deux feuilles de votre
édition in-12. Quoique le papier ne soit pas beau et
que le caractère des notes soit vilain, je la trouve au
surplus jolie et commode, et si vous pouviez m'envoyer
le reste pour compléter un exemplaire, cela me seroit
plus convenable à porter dans la poche que l'8V0 et
vous me feriez plaisir.
J'ai vu l'exemplaire de M. de Luxembourg, le pa-
pier est très-beau; j'espère que celui de M. de Males-
herbes sera de même, et je crois qu'à tout risque vous
devez l'envoyer sur-le-champ, si vous ne l'avez déjà
fait. J'espère que M. Durand me donnera avis de l'ar-
rivée de son envoi quand il l'aura receu. Jusqu'ici il
n'est pas plus question à Paris de cet ouvrage que s'il
n'existoit pas. Je vous avoue que je suis pour vous,
et vu la matière , dans de grandes alarmes sur le suc-
cès ; ce n'est pas ici un Roman que tout le monde
(') C'est ce qu'il écrit le 23 Avril, et le 17 Juin il adressa au Prince de Conti
la lettre qui a été publiée dans ses Oeuvres diverses où Veto, qui la termine
remplace la formule: Votre très-humble et très- obéissant serviteur. Mais
entre ces deux dates se trouve le décret de prise de corps porté par le parle-
ment de Taris contre l'auteur de V Emile, et on sait la part que le Prince
de Conti a eue aux mesures qui l'ont soustrait aux poursuites qui devaient
eu résulter. D'ailleurs on nesauroit lire cette lettre du 17 Juin 1702 au Prince
il'1 Conti, sans remarquer dans la phrase finale l'artifice de l'auteur, de ne
pas si; dire le serviteur du Prince, sans cependant s'abstenir de la formule
ordinaire. Au reste, Rousseau n'a pas toujours eu la même aversion pour
cette expression usitée en style épistolaire: les premières lettres à Kcy que
nous avons publiées eu fournissent la preuve.
156
puisse lire; et je tremble que vous n'ayez trop hasardé
d'en faire deux éditions. Vous ne m'avez point marqué
si vous aviez fait votre envoi pour Genève et dans quel
teins à peu près vous estimiez qu'il dût arriver.
M. de Maleslierbes m'a envoyé mes trois exemplaires
dont je vous remercie. Je n'ai point encore ouvert le
mien, mais M. et Mad. de Luxembourg à qui j'ai donné
les deux autres les ont trouvés pleins de fautes épou-
vantables; c'est une épargne bien mal entendue pour un
libraire qui tire au grand que celle d'un correcteur.
V-ous ne me dites point à quoi en est la 2e édition de
la Julie.
Je suis charmé que tout continue d'aller bien pour
i "événement futur. Remerciez-en pour moi Madame Rey
et dites-lui que j'entends qu'elle me donne un tilleul qui
ait de la santé pour lui et pour son parrain. Au reste
ne sachant rien de ce qu'il faut faire , je vous réitère
la prière de faire pour moi les choses convenablement,
et de ne pas épargner ma bourse en choses d'usage.
Le parrain prétend distribuer ici des bonbons, il espère
qu'à Amsterdam vous ne le rendrez pas plus chiche.
Je vous embrasse ainsi que Madame Rey de tout mon
cœur.
J. J. Rousseau.
<J5.
A Montmorenci, le 9 Mai 17G2.
J'apprends, mon cher Rey, avec la plus grande joye
l'heureuse délivrance de votre chère épouse, et la nais-
sance de ma filleule bien aimée ('): et où aviez-vous
(•) Bile reçut les noms de Julie Elisabeth, Elle inouru à Utrecht le 11 Juin
L792, sana avoir été mariée.
157
donc pris que j'aimais mieux un garçon? il n'est pas
possible que j'aye rien voulu dire de semblable; j'ai
peut-être nommé un fils parce que cela est plustot dit,
mais il est sûr que pour mon goût j'aurois préféré une
fille, et ne me seroit-il pas cent fois plus agréable de
voir autour de moi une jolie enfant aimable comme sa
mère , flatter et carresser toute la journée son bon homme
de parrain , qu'un gros étourdi qui ne feroit que me
tempêter aux oreilles en se moquant de toutes mes
radoteries? Souvenez-vous qu'où qu'elle soit je prétends
toute chose cessante que vous couriez tout à l'instant
lui donner deux baisers de ma part, et que vous char-
giez sa maman de deux autres qu'elle lui rendra aussi
de ma part la première fois qu'elle la verra. Mille
choses aussi, je vous prie, à Mademoiselle Dumoulin
avec laquelle je vous remercie de m'avoir mis en droit
d'entretenir quelque relation. J'espère que Madame Rey
voudra bien me dispenser, quant à présent, d'une ré-
ponse expresse ; elle doit être sûre que mon cœur répond
bien à tout ce qu'il lui a plu m'écrire d'obligeant.
J'ai reeeu avec votre lettre du 28 Avril l'acte de la
pension que vous voulez bien faire à M11? Le Vasseur
avec une libéralité dont je suis extrêmement touché et
qui, avec toute la reconnoissance de cette pauvre fille,
vous assure de ma part un attachement qui vous est
bien dû. Elle doit et veut vous écrire pour vous faire
ses remerciemens ; mais sa plume a été tort négligée, il
faut qu'elle se remette afin que vous puissiez lire son
écriture, et qu'elle commence, ainsi que votre don l'y
oblige, par apprendre à signer son nom (').
(') Cinq lettres signées pur la veuve de Rousseau, niais écrites d'une autre
main, se tnnmut parmi les papiers provenant de la succession de Rey. Ces
lettres ont rapport au payement de sa pension (postérieurement à la mort de Rey)
e1 Himt écrites de l'ii Plessis Belleville, à l'exception d'une qui es! de Paris.
158
Je l'aurois déjà envoyée à Paris porter votre lettre
et une copie de l'acte à Messrs. Van den Yver si je
savois leur adresse , mais vous ne me l'avez point donnée,
et Paris est bien grand. Si d'ici à quelques jours il ne
me vient pas quelqu'un de qui je puisse apprendre cette
adresse, je prendrai le parti de leur envoyer leur lettre
par la poste, supposant que des Banquiers y seront
suffisamment connus , et M"? Le Vasseur ira une autre
fois se présenter.
M. de Malesherbes m'a marqué avoir receu l'exem-
plaire que vous lui avez adressé de ma part. Le cœur
plein de votre procédé, je lui ai répondu en lui parlant
uniquement de vous; nous verrons dans peu au sujet
du Contrat Social l'effet qu'aura produit ma lettre.
M. de M. est bon et bienfaisant , mais malheureusement
il ne peut pas toujours écouter son bon cœur et ses
lumières, ni faire toujours ce qu'il voudroit bien. Yniis
ne me marquez point si l'envoi est en route par terre
ni dans quel teins à peu près il doit arriver à Paris.
Souvenez-vous que si cet ouvrage paroit ici en même
tems que le Traité de l'Education et qu'il en soit offus-
qué, ce sera bien votre faute; car vous avez été assez
averti.
J'aurai dans quelques jours Mrs. Duvoisin, de Tavel
et Fagel ('); ils seroient déjà venus si j'avois été en
Elles portent les dates du 27 Avril L780, L8 Janvier 178] . 2 Décembre 1783,
2 Décembre 1785 et 38 Novembre 17SG. Les cinq signatures, qui pourraient
bien être les seules écritures qui existent de Thérèse Le Valeur, son! assez,
curieuses pour en donner un fac-similé. On les trouvera rangées suivant
l'ordre chronologique des lettres. En les voyant, ou se sent porté à croire que
Rousseau a regardé l'écriture de sa femmo d'un oeil très-indulgent pour
qu'il ait pu mettre dans ses Cou fissions qu'elle écrivait passablement.
(i) Le lecteur connaît déjà M. Duvoisin de l'aventure au sujet du manu
sorit 'lu ('ont m t Social (N°. 73 74et76). Ministre Protestant du Pays de Vaud,
il était Chapelain de l'Hôtel de Hollande à Taris. Le Page! dont il s'agit ici.
est François Fagel , le disciple du célèbre Philologue Ruhnkenius et du Philo-
; *-J~a hUfrSK çy y mm /ou $$ c <* u. •
2-
5 '
159
état de les recevoir. J'espère avoir le plaisir de boire
avec eux à votre santé. Je trouve plaisant que vous
ne vouliez pas que je vous rembourse de vos frais, et
que vous prétendiez me rembourser des miens ; restons
quittes sur cet article si vous voulez , je présume que
j'y gagnerai plus que vous. Adieu, je vous embrasse
du meilleur de mon cœur. Donnez-moi des nouvelles
de Madame Rey et de ma filleule.
J. J. Rousseau.
00.
A Montjiorenci, le 29 Mai 1762.
Il est décidé, mon cher Rey, que mon traité du
Contrat Social ne sauroit être admis ni toléré en France,
et les ordres les plus sévères sont donnés pour en empê-
sophe François ïlemsterhuis. Ce dernier a honoré sa mémoire en publiant une
Description philosophique du caractère de feu M. F. Fagel. Né le
11 Sept. 1740 et mort le 23 Août 1773, il était le père des cinq frères dont
le dernier survivant, le Général Robert Fagel, est mort en 18ûG à Taris, où
pendant nombre d'années il avait été Envoyé Extraordinaire et Ministre Plé-
nipotentiaire du Roi des Pays-Bas. — Mais qui est le troisième convive que
Rousseau espérait faire boire à la santé de Rey? En lisant le nom detavki.
on se rappelle le premier amant de Madame De Warens, celui qui inspira à
cette malheureuse femme les principes dont il avait besoin pour la séduire.
Or, peut-il y avoir eu quelque rapport d'existence entre ces deux personnages .?
D'après les papiers de Rey, celui-ci avait eu des relations avec quatre .MM.
Tavel (non De Tavel). F. 8. ou Fr. Tavel, qui en 1777 séjournait depuis plu-
sieurs années à La Haye, a obtenu pour Rey, des Etats de Hollande, un privilège
pour l'impression des Oeuvres de Rousseaxi, privilège qui rencontrait des dif-
ficultés, parce que Rey y avait fait entrer l'Emile. Tavel réussit cependant,
secondé par le greffier Fagel, le père de François. Ce M. Tavel avait un
frère, vivant en Suisse, don! le fils, par sa recommandation, a joui à Amster-
dam des bienfaits de Rey. Un autre Tavel, qui avait été Gouverneur chez.
M. Cliflbrd â Amsterdam, vivait al or.- à Londres, donnant des leçons de Latin,
de Français et d'Histoire. Probablement c'est le premier de ces quatre Tavel,
que Rousseau désigne dans sa lettre.
160
cher rentrée. Nous devons . vous et moi . nous soumettre
à cette décision que nous n'étions pas obligés de pré-
voir d'avance, rien ne nous obligeant, nous républi-
cains, à être instruits exactement des maximes d'un
gouvernement Royal, mais rien ne nous dispensant
aussi de nous y conformer dans le ressort de l'Etat,
sitôt qu'elles nous sont notifiées.
Mais il ne s'ensuit pas delà que vous deviez ôter mon
nom d'un livre que je m'honore d'avoir fait, qui ne
contient rien que de très-convenable aux sentimens d'un
honnête homme et d'un bon citoyen, rien que je veuille
désavouer, rien que je ne sois prêt à soutenir devant tel
tribunal compétent que ce puisse être. Je sais . quant
à ma personne, à ma conduite, à mes discours, l'obéis-
sance et le respect que je dois au gouvernement et aux
loix du pays dans lequel je vis, et je serois bien fâché
qu'à cet égard aucun François fût mieux dans son de-
voir que j'y suis. Mais quant à mes principes de doc-
trine, à moi Républicain, publiés dans une République,
il n'y a en France ni magistrat, ni tribunal, ni parle-
ment, ni Ministre, ni le Roy lui-même, qui soit même
en droit de m'interroger là-dessus et de m'en deman-
der aucun compte. Si l'on trouve mon livre mauvais
pour le pays, on peut en défendre l'entrée, si on trouve
que j'ai tort, on peut me réfuter: voilà tout.
Que votre amitié ne vous inspire donc aucune alarme
pour ma personne. On connoit et l'on respecte trop ici
le droit des gens pour le violer d'une manière odieuse
envers un pauvre malade dont le paisible séjour en
France n'est peut-être pas moins honorable au gouver-
nement qu'à lui. Au surplus, en quel lieu du monde
est-on à couvert de l'injustice des hommes ? Mon uni-
que soin a toujours été et sera toujours de faire en sorte
que personne au monde ne puisse me l'aire du mal
161
justement. Le reste passe mes forces, et je ne m'en
inquiète pas. Je demeurerai donc.
Quant à ce que vous disent les Srs. Dessaint et Saillant
dans leur prc lettre, que la plus grande grâce qu'on
pourroit obtenir seroit celle du renvoi, et dans la se-
conde que décidément on ne rendra pas un seul exem-
plaire, je vous avoue que je n'y comprends rien. Sur
quel principe de raison pourroit-on se fonder pour vous
retenir ainsi violemment votre Lien? Je ne conçois pour
moi que deux cas qui pussent autoriser une telle vio-
lence par voye de confiscation. Le premier, si vous
aviez introduit furtivement votre envoi dans le Royaume
à rinsçu du Magistrat. Le second , si l'ouvrage étoit
une satire ou un libelle contre le gouvernement. Votre
lettre au magistrat et l'envoi d'un exemplaire vous
mettent hors du premier cas, et la nature même de
l'ouvrage vous met hors du second; puisqu'un livre
où l'on n'examine les gouvernemens que par leurs prin-
cipes et par les conséquences nécessaires de ces prin-
cipes , ne peut avoir nul trait à aucun gouvernement
particulier qui ne soit applicable à tous les autres gou-
vernemens de même espèce, et que rien de ce que j'ai
dit des gouvernemens monarchiques ne peut être vrai
en France qu'il ne soit vrai de même en toute autre
monarchie. Je n'ai donc ni passé ni pu passer les bor-
nes d'une discussion purement philosophique et poli-
tique; et ce seroit avoir d'étranges idées que de pré-
tendre nous ôter à nous autres républicains le droit
d'examiner et discuter les fondemens et les défauts du
gouvernement monarchique en général, tandis que les
Ecrivains royaux remplissent tous les jours leurs livres
de tant o!" indécences et de bêtises contre le gouverne-
ment républicain. Les Etats Républicains ('tant tout
aussi souverains que les Rois, on ne doit pas moins de
11
162
respect aux uns qu'aux autres. Redemandez donc vos
balles et on vous les renverra sûrement.
Vous savez avec quelles restrictions et conditions j'ai
toujours traité avec vous par rapport à la France, ce-
pendant je ne refuserai jamais d'entrer en compensa-
tion de vos pertes à cet égard et je ne veux point
d'autre arbitre que vous-même de la part que j'en dois
supporter. Emile et non pas Emilie paroit ici depuis
quelques jours et me donne bien des embarras. Adieu,
mille choses à Madame Rey, à MadclIe Dumoulin, à
toute la famille; je vous embrasse, il faut finir.
J. J. Rousseau.
À Môtiers-traveks par NEUFCHâTEL, 23 Aoust 1762.
Je reçois à l'instant, mon cher Rey, votre lettre du
22 Juillet et je me hâte d'y répondre. J'ai suivi, dans
la crise où je me sms trouvé , ma constante maxime
dans toutes mes disgrâces , qui est de ne point impor-
tuner mes amis de mes doléances, mais d'attendre que
ceux qui sont de bonne volonté se présentent d'eux-
mêmes, n'ayant plus, d'ailleurs, le bonheur d'être un
homme assez obscur pour pouvoir rester longtems caché
à ceux qui veulent me trouver. Vous vous êtes montré
parmi ceux-ci, je vous en remercie, quoique je ne
sois pas, quant à présent, dans le cas de profiter de
vos offres. Au reste je dois vous avertir que les trois
lettres dont vous me parlez ne me sont point parvenues.
Je présume qu'elles étoient dans un pacquet qui m'a
été adressé de Paris et qui s'est perdu en route. Si
M. Duvoisin m'a écrit, sa lettre a eu le même sort;
je vous prie de l'eu aviser eu lui faisant mille amitiés
L63
et respects de ma part; afin que s'il m'a écrit quelque
chose qui exigeât réponse, il ne soit pas surpris de
n'en point recevoir.
Je suis charmé d'apprendre que Madame Rey est bien
rétablie et jouit ainsi que vous et M11? Dumoulin d'une
1 tonne santé. A l'égard de ma filleule j'espère qu'elle
se rétablira. Que s'il plaisoit à Dieu d'en disposer dans
un âge où l'on ne sent ni la mort ni la vie, quoique
ce fut un lien de moins entre nous, je compte que
ceux d'amitié qui nous unissent n'en seroient nulle-
ment relâchés.
On voit dans la gazette d'Hollande les raisons pour-
quoi M. Néaulme n'a pas débité Emile dans le pays.
Je n'aurois jamais cru qu'un gouvernement aussi sage
que le vôtre eût imité le stupide exemple de la troupe
moutonnière sans daigner faire examiner mon livre par
quelque homme qui eut au moins le sens commun ( ' ).
Je m'arrête , car ce n'est pas à moi qui suis partie à
faire mes réflexions sur tout cela. Je sais des person-
nes sensées qui écrivent pour et contre moi, si quel-
qu'une d'elles s'adresse à vous de ma part comme je
le présume, je vous prie de les traiter le mieux que
vous pourrez. Mais ce qui me fâche en tout ceci c'est
qu'au moyen du placard des Etats généraux, je ne vois
plus la possibilité de faire avec vous cette Edition gé-
nérale qui me tient plus au cœur que jamais, et de
laquelle je vais uniquement m'occuper. Car pour des
retranchemens au morceau en question, je n'en veux
point faire.
Je suis affligé du renvoi des balles du Contrat Social ;
il eût été horrible qu'on les eût gardées; mais je sens
bien que vous perdez toujours beaucoup à ce renvoi.
(i) Voyez la nolo à la lcttri
1 1 '
164
Quand vous aurez occasion de faire quelque envoi à
Genève ou en Suisse, faites-moi le plaisir d'y joindre
une douzaine de mes exemplaires , surtout ceux en beau
papier; faites des autres ce qu'il vous plaira. J'aurai
soin de faire retirer le pacquet dans le lieu où vous
l'aurez adressé. Je n'ai ici ni le Contrat Social ni
Emile, et j'aurois grand besoin de les avoir. Si la
nouvelle édition de l'Héloïse est achevée vous m'obli-
gerez d'y en joindre aussi deux ou trois exemplaires:
je suis très-empressé de la voir.
Je suis ici à demeure au moins pour cet hiver; j'ai
avec moi M11? Le Vasseur qui m'est arrrivée il y a
quinze jours et qui vous assure de son respect. Lors-
qu'il surviendra quelque changement dans ma situation
je vous en avertirai ; je crains les rigueurs des hivers
en ce pays, mais il faut se soumettre à la nécessité.
J'ai supporté fort bien la fatigue du voyage, mais je
l'ai bien payé depuis que je suis arrivé. Quand est-ce
que tout ceci finira? Donnez-moi de tems en tems
de vos nouvelles, dites-moi sincèrement quel effet mon
ouvrage a fait où vous êtes et en Angleterre. S'il
s'écrit quelque chose relatif à moi, faites m'en part,
s'il est possible. Me voici dans une situation où toutes
les nouvelles littéraires me deviennent intéressantes.
Plût à Dieu qu'elles n'eussent jamais parlé de moi!
Marquez-moi tout ce qui vous intéresse, car cela m'in-
téresse aussi. Etes-vous quitte de cette maudite goutte?
Elle fait souffrir, et cela est triste, mais elle montre
au moins qu'on se porte bien d'ailleurs, et quelquefois
qu'on ne s'est que trop bien porté. J'espère que si
vous venez à Genève, vous tâcherez de passer par
Môticrs. Adieu, je vous embrasse et tout ce qui vous
esi cher.
J. J. \l
165
08.
Je prie Monsieur Marc Michel Rey, Libraire à Am-
sterdam, de remettre au porteur du présent billet les
exemplaires du Contrat Social qu'il m'a destinés, et je
le salue de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
A Motiers, le 5 7h™ 17G2.
09.
A Motiers, le 8 8bI.e 1762.
Je suis charmé , mon cher Rey , d'apprendre par votre
lettre du 9 7br.c de bonnes nouvelles de vous et de tout
ce qui vous est cher. L'intérêt que vous, Madame Rey
et Mademoiselle Dumoulin prenez à mes peines con-
tribue beaucoup à m'en consoler. Vous savez comment
on m'a traité dans la patrie. Voilà le coup qm m'a
porté la mort au fond du cœur. Je regarde tout le
reste comme des jeux d'enfant: j'avoue cependant que
je n'aurois pas cru les Etats généraux capables de la
lâcheté qu'ils ont commise en cette occasion. Violer
ainsi ses engagemens en révoquant un privilège; et
parce que le parlement de Paris ose insulter une puis-
sance souveraine , cette puissance souveraine reconnoit
publiquement la juridiction du parlement de Paris, et
se soumet à sa censure? ('). En vérité cela ne se
(') Ceci n'est pas tout-à-fait juste. D'abord le privilège do l'Emile n'a pas
été accordé ni révoqué par les Etats généraux, mais par les Etats de Hol-
lande et de Westfrise. Puis, l'arrêt de la Cour du Parlement de Parie qui a
condamné Y Emile, étant du 9 Juin 1762, et le livre ayant été lacéré et
brûlé dans la cour du Palais par l'Exécuteur de la Hante Justice, le Vendredi
11 Juin, il est vrai que la condamnation du Parlement a précédé celle des
Etat? do Hollande, mais il w s'en Buit pas, que les Etats de Hollande- se
soient soumis ù la censure du Parlement de Paris. Voici ce qui est arrivé.
166
conçoit pas. Mon cher Rey, je vous suis sincèremenl
attaché, mais je le ^suis encore plus à mon honneur: j'ai
plus de fierté que Leurs Hautes Puissances et une
fierté plus légitime. Je ne consentirai jamais que le
recueil de mes écrits s'imprime en Hollande, qu'il ne
s'y imprime avec approbation, et que l'injuste auront
Le 23 Juin 1762, les Etats de Hollande et de Westfrise, sur la proposition de
leur Grand-Pensionnaire P. Steyn, connu par son zèle pour la doctrine de
l'Eglise Régnante, résolurent que, puisqu'ils avaient accordé le 10 Mars ù
Jean Néaulme, libraire d'Amsterdam, un privilège pour imprimer l'Emile,
et que ce livre contenait plusieurs maximes pernicieuses et contraires à la
Parole de Dieu, les Magistrats d'Amsterdam seraient invités à s'en informer
et à suspendre préalablement la publication de ce livre. Les magistrats d'Am-
sterdam répondirent le 22 Juillet par l'envoi d'un mémoire, contenant des
Considérations des Pasteurs de l'Eglise Wallonne d'Amsterdam , auxquels
ils avaient confié l'examen de l'ouvrage. Ce mémoire, qui existe encore aux
Archives du Royaume à La Haye, où il a été trouvé par les soins toujours
obligeants des savants Archivistes MM. R. C. Bakhuizen van den Brink, et
L. P. C. van den Bergh, est daté du 29 Juin et signé J. Samuel Châtelain.
J. J. Pcsmazures, P. J. Court onne, J. H. François et J. S.Vernède, le sixième
Pasteur M. de Cliaufepié ayant été empêché de prendre part à l'examen. 1 tan-
ce mémoire, les Pasteurs, considérant que le but de leurs remarques les dis-
pense de relever tout ce qu'il y a dans l'ouvrage de condamnable relativement
à L'Education et à la Politique, se bornent à démontrer par la citation de plu-
sieurs passages, que dans lo système de Religion que l'auteur présente dans
La Profession de Foi du Vicaire Savoyard, il y a un pur Théisme et encore
un Théisme tronqué, que tontes les révélations indistinctement j sont attaquées,
et que, la religion du Vicaire Savoyard et celle du Citoyen de Genève étant
uniformes , celui-ci l'emporte encore en impiété et en profanation, et que l'ou-
vrage entier est capable de produire les plus sinistres effets, particulière-
ment pour les jeunes gens en les portant ù l'irréligion et au vice. La
conclusion du mémoire est ainsi conçue: "Puis donc qu'il a été imprime
dans notre province, avec un privilège (qui ne peut qu'avoir été surpris I
il scroit extrêmement à souhaiter que l'autorité de nos augustes souve-
rains intervînt pour arrêter ce mal. A cet te. fin la voie des Cartons nous
paroit insuffisante, parce que le venin est trop généralement répandu.
Ainsi nous est imons que l'unique parti qu'il y aurait à prendre, ce s.
voit que le privilège fût révoqué , qu'on déf ndit sous de sévères peines
l'impression et le débit de ce livre dans notre pays, en le condamnant
avec flétrissure , que cette condamnation fût mise dans les gazettes, de
même qu'y a été mise celle du parlement de Paris, et que dans les jour-
naux qui S'impriment dans notre /narine, . fût insère par ardre sanrem,
167
qui m'a été fait ne soit réparé par un privilège authen-
tique et aussi honorable que la précédente révocation
a été insultante. Que les fous et les médians brûlent
mes livres tant qu'ils voudront , ils n'empêcheront pas
qu'ils ne vivent et qu'ils ne soient chers à tous les
gens de bien. Quand ils ne se réimprimeroient jamais,
ils n'en iront pas moins à la postérité et n'y feront
pas moins bénir la mémoire du seul auteur qui n'ait
jamais écrit que pour le vrai bien de la société et pour
le vrai bonheur des hommes.
Je n'ai point encore receu les Contrat Social que vous
m'adressez par M. Fauche. Je vous remercie de vou-
loir m'éviter les ports. Il est certain que dans mu
situation j'ai besoin d'économie , mais je voudrois bien
que ce ne fût pas à vos dépens. Vous avez eu grand
tort de n'en pas d'abord faire un envoi plus considé-
rable en Suisse; cela a fait qu'il s'y est vendu d'abord
un prix exorbitant, et que lorsqu'il a manqué l'on
s'est hâté de le contrefaire.
Je voudrois bien , si vous venez en ce pays , être
instruit du tems de votre départ et de votre marche;
j'espère que vous vous arrangerez pour passer ici. Parmi
les affaires dont je puis avoir à vous parler, il est ques-
tion d'un manuscrit qui appartient à la veuve d'un
officier Allemand au service de Russie, et qui est entre
un avertissement à peu près semblable à l'écrit ci-dessus. C'est ce que
nous osons attendre du zèle de nos maîtres pour l'avancement de la gloire
de Dieu, pour l'honneur de notre sainte religion , et pour le bien >!■
leurs sujets." Les Etats de IloUandc et de Wcstfrisc , suivant l'avis do
MM. les Pasteurs, ont pris le 30 Juillet une Résolution, par laquelle le pri-
vilège pour imprimer l'Emile, obtenu par Jean Xéaulmo et cédé par celui-ci
à Mare Michel Itey, est révoqué, avec saisie des exemplaires et défense à qui
que ce soit, do réimprimer, de vendre, de distribuer ou de traduire le dii
ouvrage, sous peine d'une amende de mille florins et d'une correction arbi
traire, même par prise de corps. Cet arrêt a été publié, entre autres, dan-.
Nederlandsche Jaarboeken 1762
L68
les mains de Mylord Maréchal, lequel en fait cas. Il
m'en a parlé plusieurs fois, et voici ce qu'il m'en dit
flans sa dernière lettiv. Les mémoires de Russie dont
je roux ai parlé sont écrits par un officier, confident du
Maréchal Munich, bien instruit , et qui étoit à la guerrt
contre les Turcs et contre les Suédois: il étoit à Péters-
bourg quand Biron, Duc de Courlande, fut arrêté et ce
fut lui qui F arrêta. Il quitta la Russie quand Munich
fut envoyé en Sibérie. Il a joint à son ouvrage «n état
de F Empire de Russie. Mon frère (c'est Mylord Keith,
Felt-Maréclial) qui étoit en Russie pendant tout ce tems-là,
m^assuroit que les faits étoient vrais. A regard du style,
je le crois assez bien, et si je ne me trompe, M. de Mau-
pertuis Va corrigé, car fauteur étoit Allemand. La vew, d,
cet officier a les plans des batailles, et autres, que je rïaipas.
J'ai songé à vous, mon cher Rey, pour cette entre-
prise; reste avoir s'il vous convient de vous en char-
ger. C'est ce que vous pourrez examiner à votre pas-
sage. Vous pourrez voir le Manuscrit chez Mylord.
ou si vous aimez mieux, je le prierai de me l'envoyer,
et vous le verrez ici.
Je suis vraiment peiné de tous les désagrémens,
faux-frais et contrefaçons qui peuvent vous rendre
onéreux le Contrat Social. Je voudrois bien que vous
y trouvassiez votre compte; cet ouvrage fait assez de
bruit, ce me semble, pour que malgré les éditions
contrefaites , les vôtres ne restent pas à votre charge;
je le désire de tout mon cœur. Nos montagnes sonl
déjà couvertes de neige. J'ai froid, je suis triste, je
pisse mal; à cela près tout va passablement vu la si-
tuation. Mille amitiés et respects à vos Dames; baisez
pouT moi la chère petite. Je vous embrasse de tout
mon cœur.
.). -I. Rousseau.
y.
LETTRES
ÉCRITES PENDANT QUE
LA RÉPONSE A L'ARCHEVÊQUE DE PARIS
ÉTAIT SOUS PRESSE.
On lit dans le titre de l'édition originale :
"Jean Jacques Rousseau, citoyen de Genève, à
Christophe de Beaumont, Archevêque de Paris,
Duc de St. Cloud, Pair de France, Commandeur
de l'ordre du St. Esprit, Proviseur de Sorbonne
etc. — Da veniam si quid liber lus diœi} non ad
contumeliam tuam, sed ad defensionem meam.
Praesumsi enimde gravit ate et prudent ia tua, quia
potes considerare quantum mihi respondendi ne-
cessitatem imposueris. Aug*. Epist. 2S8 ad Pas-
cent. — A Amsterdam, chez Marc Michel lley.
MDCCLXIII." — En lisant le passage des
Confessions qui se rapporte à cet écrit, dans le
XIIme Livre, passage qui est un commentaire
de l'épigraphe du titre, on voit que l'auteur,
en écrivant ses Confessions était content de sa
170
réponse à l'Archevêque. On sait, par une let-
tre à M. Moultou du 26 Février 1763, qu'avant
de connaître le succès que l'ouvrage aurait, il
s'est reproché d'avoir, dans un moment d'im-
patience, envoyé au libraire Rey, cette espèce de
réponse qu'il avait barbouillée sans se rappeler
qu'il n'est pas permis de s'échauffer en parlant
de soi. On verra par les lettres qui suivent sous
les Nos. 10-4 et 108 qu'en effet il en a voulu
arrêter la publication.
171
100.
A Môtiebs, le 16 9b™ 1762.
J'ai receu depuis peu de jours, mon cher Rey, les
12 exemplaires du Contrat Social que vous m'avez
envoyés par la voye du Libraire de Neufchâtel , et
presque en môme tems votre lettre du 23 8b^e par la
voye de Lauzanne. Comme je n'avois pas encore ré-
pondu à celle du 28 7hr.e, je joindrai le tout ensemble
dans cette réponse et je la commencerai par les remer-
cîmens que je vous dois.
L'extrait de la lettre de M. Duvoisin du 19 7,Ji:c
m'afflige pour lui et pour moi qui me sentois si porté
à l'estimer et à l'aimer. Je vois qu'il est comme les
autres Ministres , et que les autres Ministres sont comme
les Prêtres, dont je les avois sottement distingués jus-
qu'ici; tous ces gens-là, à quelques-uns près, sont
gens de même farine ou plustût de même son ; ils
ménagent ceux qui ont le vent en poupe, et tombent
rudement sur les opprimés. Je puis vous prouver la
mauvaise foi de M. Duvoisin par sa lettre même. Il
fait dans Emile, dit-il en parlant de moi, le plus beau
portrait de la morale de V Evangile, et dans le Contrat
Social, il le représente comme nuisible à la société. Vous
conclurez de là que c'est surtout à cause de ce der-
nier ouvrage qu'il ne sait comment m'écrire; mais il
Favoit lu avant mon départ, il m'en avoit parlé, il
auroit souhaité, disoit-il, que j'y eusse ajouté quelques
mots en faveur de la morale Evangélique; au surplus
il ne m'en avoit pas fait plus mauvaise mine , il ne m'en
avoit pas témoigné moins de considération, d'estime et
d'amitié; et cet homme qui ne sait pas maintenant com-
ment m'écrire, savoit bien huit jours avant le décret
172
comment venir diner chez moi. Concluez que ce sont
mes malheurs et non pas mes livres qui m'attirent de
sa part des censures si cavalières , et qu'il n'eût sûre-
ment pas faites de ce ton là il n'y a que six mois.
Vous me parlez de ma vie. On nie fournit, comme
vous voyez, d'amples mémoires pour l'augmenter, niais
on se garde Lien de me laisser le loisir et la tranquil-
lité nécessaires. Je suis bien loin de pouvoir mainte-
nant songer à cela. Mon cher Rey, je veux foire pour
vous tout ce qui me sera possible, mais je ne saurois
faire au-delà. Depuis six mois ma vie est devenue
malheureusement un ouvrage d'importance qui demande
du tems et des réflexions. Quand vous viendrez me
voir nous en parlerons.
Il faut malgré moi reprendre la plume: vous voyez
que j'y suis forcé. Je ne sais si le triste état de ma
santé me permettra d'achever un écrit que je médite.
Il sera convenable et respectueux, mais ferme; la per-
sécution ne peut m'avilir: voyez s'il vous convient de
l'imprimer. En ce cas , il faut du secret et de la diligence.
Répondez-moi là-dessus le plus tôt que vous pourrez,
et mandez-moi de quelle voye vous jugez à propos que
je nie serve pour vous faire passer mon manuscrit. Si
vous y voyez quelque inconvénient, parlez librement afin
que je me pourvoye ailleurs; car je serois au désespoir
de vous compromettre. L'ouvrage en lui-même ne le
sauroit; mais quand on est de mauvaise humeur on se
tache de tout. Je n'ai pas bien compris si les 12 exem-
plaires du Contrat Social que vous dites m'envoyer par
M. Druilhet et dont je n'ai pas encore entendu parler.
sont différens des douze que vous m'avez envoyés par
le libraire. En ce cas là, ils sont de trop; cependant
ils pourront dans la suite trouver leur place, niais
quant aux (rois exemplaires du ( 'outrât Social que vous
173
y avez joints, ils me sont absolument inutiles, ayant fait
venir de Paris mes livres où j'en avois quelques-uns.
Ainsi marquez-moi à qui vous voulez que je les remette;
en attendant ils resteront chez moi à votre ordre, lors-
qu'ils seront venus.
Je suis vraiment pénétré de tous vos accidens; ils
ajoutent au sentiment de mes peines ; mais il n'y a
point de commerce qui n'ait ses revers ; j'espère que
tout se rétablira à votre satisfaction. J'ai marqué à
Milord Maréchal que vous n'étiez pas maintenant dis-
posé à vous charger du Manuscrit dont il m'a parlé.
Je suis ici très-bien traité, et le Roi m'a fait faire des
offres très-obligeantes, dont je ne suis pas, quant à
présent, dans le cas de me prévaloir. Mille amitiés et
respects aux chères commères , embrassez pour moi ma
filleule, et comptez sur toute mon amitié depuis que
j'ai si bien reconnu la vôtre.
101.
A Môtiers, 1 10'";e 1762.
Je profite, mon cher Rey, du départ de M. de l'Orme,
notre compatriote, pour la Hollande, pour vous entre-
tenir encore d'une affaire sur laquelle je vous ai écrit
il y a près d'un mois par la poste ('), et comme n'ayant
point de réponse je crains que ma lettre n'ait été in-
terceptée, celle-ci lui servira de duplicata.
Il s'agit d'un écrit dont je vous ai parlé et qu'il con-
viendroit s'il étoit possible de donner au public secrè-
tement et promptement. Quoique cet ouvrage roule
sur ma défense au sujet de ce qui s'est passé, je crois
(') C'est la lettre .lu 16 Novembre N°. 100.
174
qu'on peut l'imprimer partout sans se compromettre,
et surtout en Hollande, parce que. sans y prendre les
puissances à partie, je ne discute l'affaire qu'avec les
Prêtres et seulement quant à l'orthodoxie, matière sur
laquelle il est assurément bien permis à l'innocent de
se défendre lorsqu'il se renferme dans les bornes de
décence et d'honnêteté que je me suis prescrites, quoi-
qu'on les ait si violemment franchies avec moi.
Il y a deux mois que je me suis enfermé pour tra-
vailler à cet ouvrage, et comme je ne perds pas un
moment, même aux dépens de ma santé, je compte
être en état de vous l'envoyer vers les Rois ou au
plustard dans six semaines. J'estime qu'il pourra faire
environ sept ou huit feuilles d'impression, plus ou
moins. Le format octavo me paroit le plus convenable,
je souhaite que le papier soit beau, le caractère net,
avec un autre caractère bien distinct pour les notes,
et surtout que vous apportiez à la correction le plus
grand soin, car l'affaire m'intéressant personnellement
et n'étant pas en état de revoir les épreuves, je ne
puis trop vous recommander de les revoir, de les relire,
et si vous prenez un correcteur, de l'engager à la plus
grande attention; mais surtout n'allez pas prendre un
homme d'Eglise, car tout seroit perdu. De mon côté
je m'occuperai à rendre ma copie si correcte, qu'en
vous y conformant en tout vous soyez sûr de n'avoir
laissé que les fautes que j'aurai voulu faire.
Il m'importe extrêmement que cet écrit paroisse Le
plustôt qu'il se pourra, et je pense qu'il vous sera
très-aisé, si vous le voulez, de le faire paroi tre avant
Pâques et j'y compte. Une raison de retard c'est quand
l'ouvrage est imprimé de l'envoyer partout avant de
le mettre eu voûte, pour prévenir Les contrefaçons. Ceci
me fail penser que vous pourriez par un même expé-
175
(lient les prévenir et user de diligence. Ce seroit de
faire un accord avec deux ou trois libraires en divers
lieux, lesquels imprimeroient en même tems que vous
et sur vos feuilles tirées, en sorte que le tout pour-
rait paroitre en même tems , et que sur les contrefa-
çons que vous ne pouvez éviter vous auriez du moins
retiré un bénéfice qui vous payeroit tous vos frais. Il
me semble que cet arrangement bien concerté seroit
avantageux à tout le monde, préviendrait les risques
et' pourrait épargner bien des embarras. Voyez.
Quand môme vous auriez répondu à ma précédente
lettre , ne tardez pas un moment je vous prie , de ré-
pondre à celle-ci ; car votre autre lettre peut être égarée
ou retardée , et tant que je serai dans l'incertitude je
n'oserai vous envoyer mon manuscrit. Je voudrais bien
aussi que vous m'indiquassiez quelque voye pour vous le
faire parvenir sûrement par autrui ; car je crains bien
que si l'on voit mon écriture et mon cachet sur un
gros pacquet, il ne soit ouvert.
En attendant, s'il vous convient de vous charger de
cet ouvrage, faites tous vos apprêts d'avance afin de
ne pas perdre un moment aussitôt que vous aurez receu
le manuscrit. Je voudrais pour la vignette du titre,
ma devise en trois lignes , comme elle est sur mon ca-
chet, entourée d'une couronne civique; la couronne
civique étoit de chêne; il faut que les feuilles et le
gland soient si bien faits qu'on ne puisse pas s'y trom-
per. Employez pour cela un bon dessinateur et gra-
veur (').
Adieu mon cher Rey, j'embrasse toute la chère fa-
mille, et surtout le Papa mille fois.
J. J. Rousseau.
(2) Il a renoncé depuis à ce projet. Voyez la lettre qui suit.
176
Je suis si plein de cette affaire que j'oubliois de
vous accuser la réception de la caisse que vous m'avez
expédiée contenant 12 Contrat Social et 3 Emile.
Comme j'avois déjà receu le précédent envoi, celui-là
me devient superflu et il m'en restera du moins
2 Emile et 10 Contrat Social à votre disposition. Je
vous remercie de toutes vos attentions, mais j'entends
que tous vos frais vous soient remboursés.
102.
A Môtiees, le 26 10'".v 1762.
Cette Lettre n'ayant pu partir le jour
de sa date , je vous préviens que le
Manuscrit partira le Samedi pr. Janvier
1763.
En réponse, mon cher Rey, à votre lettre du 14 de
ce mois, je vous annonce pour la huitaine mon manu-
scrit par la poste. Comme il est écrit très-serré sur
du papier pareil à celui-ci, il ne fera pas un pacquel
énorme, et pour plus de diligence j'enverrai le tout
à la fois. Je vous recommande derechef la correction
la plus attentive; vu surtout que le tout est extrême-
ment entremêlé de citations tantôt en guillemets et
tantôt en Italique, et que le moindre qui-pro-quo feroiï
un galimatias indéchiiirable. Ce n'est pas ici une af-
faire de littérature, c'est de mon honneur, c'est de ma
sûreté qu'il s'agit, ainsi je m'attends de votre part à
tous les soins de l'amitié pour qu'il n'y reste pas une
faute: il est bien triste que je ne puisse pas voir les
«''preuves de celui de mes ouvrages qui m'importe le
plus. ,Te n'épargne rien pour rendre mon manuscrit
177
correct, c'est à vous à ne rien épargner pour y rendre
l'imprimé conforme. Je suis fâché que le format 8°.
ne vous convienne pas, d'autant plus que l'écrit étant
adressé à un homme de considération cela seroit plus
honnête; mais puisque cela ne vous convient pas je
n"insistc point là-dessus. Je voudrais, mon cher Rey,
que ma situation me permît de vous faire présent de
mon travail, je ne prendrai du moins pour en régler
le prix que votre probité et votre amitié; vous m'en
donnerez ce qu'il vous plaira, et quand il vous plaira.
Quoique vous ne me parliez point de la lettre que
je vous ai écrite par M. de Lorme, je suppose que vous
l'avez receue; cependant pour plus de sûreté, je vous
reparlerai de ce qu'elle contenoit. Je vous y exposois
nies idées pour prévenir l'abus des contrefaçons: ce
seroit de vous entendre avec des libraires en différens
pays à qui vous enverriez vos feuilles à mesure que
vous les imprimiez , et vous pourriez tirer votre édition
à moindre nombre pour la consommer dans le pays
ou aux environs. Je verrais à cela des multitudes
d'avantages. Car de cette manière vous feriez du moins
une partie du profit des contrefacteurs en traitant avec
eux, et eux-mêmes y trouveraient leur compte soit en
servant le public avec plus de diligence, soit parce-
qu'imprimant avant que l'ouvrage fût public, ils seraient
sûrs qu'un autre ne leur couperait pas L'herbe sous les
pieds; vous préviendriez des longueurs infinies, en ce
que vous ne pouvez mettre votre Edition en vente
que quand tous vos envois sont arrivés, ce qui peut
avoir, surtout en cette occasion, un grand inconvénient;
car il pourrait paroitre tel ouvrage dans l'intervalle, qui
rendrait le mien absolument hors de propos. Mutin
en vous abonnant A Paris avec Robin ou quelque autre.
;~i Lyon avec Bruiset ou quelque autre, vous prévien-
12
178
driez l'inconvénient de ne pouvoir entrer votre édition
en France par celles que vous y feriez (aire: il est
bien plus aisé d'entrer une feuille par la poste qu'un
ballot. Pense/ à cela, je vous prie; si vous pouvez
trouver quelque moyen d'user de plus de diligence que
par le passé, vous me rendrez un service très-essentiel,
et vous vous en rendrez un aussi en mettant en vente
dans la bonne saison.
Je vous priois aussi de- taire graver pour vignette
ma devise dans une couronne de chêne; mais si cela
n'est pas fait ne le faites pas; car l'ouvrage porte une
autre épigraphe beaucoup plus convenable, avec laquelle
ma devise seroit hors de propos. Si vous l'avez t'ait
graver vous pourrez avec quelque envoi m'en faire par-
venir le cuivre et je vous rembourserai vos fraix (').
Le secret n'est nécessaire qu'afin qu'on n'arrête pas
\oire travail. Du reste quand vous serez une fois en
train vous en userez comme votre prudence vous dictera.
Je ne puis pas , mon cher Rey, envoyer les trois
exemplaires d'Emile à M. Du Villard, parce (pie ce
livre est défendu à Genève, et qu'il ne faut jamais
désobéir aux loix dans son pays, ni dans aucun autre
tant qu'on y demeure. Ces trois exemplaires et six du
Contrat Social sont toujours chez moi à votre disposition.
Il s'est fait à Genève quelques écrits pour et contre
moi , à quelques-uns desquels qui ne sont pas encore
imprimés je m'intéresse. L'un de ces écrits est de mon
ami intime; s'il s'adresse à vous, je vous recommande
le [dus grand soin dans l'exécution de son ouvrage.
('"est M. le Ministre Moultou. Je vous le nomme dans
le plus grand secret, et je compte ce secret en sûreté
elle/. Volls.
(' i Voyez la unie au \". 11*.
179
Un autre Ministre, nommé M. Etoustan, a fait une
défense du Christianisme contre mon dernier chapitre
du Contrat. J'ai vu cet ouvrage et il est très-bon,
quoiqu'un peu impétueux pour la liberté. Comme celui
qui l'a composé est plein de vertu, de talens, de mé-
rite et très-pauvre, je souhaite que son manuscrit lui
vaille tout ce qu'il peut lui valoir, et je souhaiterais
qu'il vous convînt de vous en charger, sans vous mettre
en peine de ce qu'il est contre moi, car il est à cet
égard écrit très-convenablement et l'auteur mérite de
l'appui.
J'ignore encore si je vous enverrai mon Manuscrit
en droiture. Peut-être m'adresserai-je à Messieurs Pour-
talés à Neuchâtel pour l'expédier à un correspondant
qui vous le remettroit à Amsterdam, et auquel vous
en rembourseriez le port. Si je l'envoyé en droiture ,
je crains que mon écriture et mon cachet ne tentent
les curieux. Quoi qu'il en soit, je vous l'enverrai de
manière ou d'autre d'aujourd'hui en huit. Ainsi je vous
prie par le courrier suivant de m'en accuser la réception
ou de me marquer que vous ne l'avez pas receu; car
jusqu'à ce que je le sache en vos mains, je serai de
la plus grande inquiétude. Cet ouvrage dont le travail
est fort peu de chose m'a pourtant extrêmement fatigué,
de sorte que j'ai grand besoin de repos. Adieu, très-
cher Rey, mille choses à vos Dames, je vous embrasse
de tout mon cœur.
Mettez d'avance toute chose en train pour qu'en ar-
rivant, mon ouvrage soil mis à l'instant sons presse.
12
180
103.
A Môtiers , le 8 Janv. 17<i.i.
Samedi, premier de ce mois, je fis partir, mon cher
Rey, mon manuscrit comme je vous l'avois annoncé,
par l'entremise de Mrs. Pourtalès et Compe. qui l'ont
adressé à l'un de leurs correspondans à Amsterdam
pour vous être remis, et auquel vous ou moi aurons
soin d'en rembourser le port; je ne vous parlerai plus
de l'exécution de cet ouvrage ni du soin qu'il m'im-
porte que vous donniez à la correction ; je vous ai dit
là-dessus tout ce que j'avois A dire, et votre amitié
pour moi vous en dit sûrement encore plus. Je vous
réitère seulement la prière de m'en accuser la réception
ou si vous ne l'aviez pas receu, de m'en avertir sans
retard.
Comme c'est la première fois que j'ai fait imprimer
un Ecrit sans revoir les «''preuves, il restera dans celui-
ci bien des défectuosités qu'on ne peut guères voir
que sur l'imprimé; je me rappelle même des corrections
à faire que je ne peux pas vous indiquer, soit parce
(pie je n'ai pas toujours coté sur mon brouillon les
pages de la copie, soit parce qu'ayant fait «les chan-
gemens en transcrivant, je ne me souviens plus de ce
que j'ai mis. Voici pourtant deux petites corrections
que je crois pouvoir vous indiquer à peu près et que
je vous prie de tâcher de mettre à leur place.
La première est vers le haut de la page 3 où j'ai
mis ce qui suit ou quelque chose d'approchant.
tu cédant pas plus à leurs opinions qu'à leurs volon-
tés , et gardant la mienne aussi libre que ma raison.
( >r la faute consiste en ce que opinions et volontés
étant tous deux féminins, on ne voit pas auquel des
181
deux la mienne se rapporte; ce qui rend la phra.se
amphibologique et louche, chose que je hais souverai-
nement. Pour ôter cette amphibologie , il faut faire que
l'un des deux substantifs soit masculin; car alors ce
pronom la mienne se rapportera nécessairement à l'autre.
Otez donc le mot opinions et mettez à la place le mot
préjugés y et la correction sera faite; Ç) mais il faut
regarder quelques lignes plus haut et plus bas si le
même mot préjugés ne s'y trouveroit pas; car ce seroit
un inconvénient qu'il fût répété deux fois en peu de
lignes (-). Je vous explique la raison de ce change-
ment, afin que, s'il y a autrement, vous ne fassiez que
ce qui sera nécessaire, ou que vous ne fassiez rien du
tout.
La seconde correction à faire est, je pense, à la page 51
ou près de là; voici comment est dans mon brouillon
le passage qu'il faut changer.
et comme on auroit tort en La punie de borner à quatre
pieds la stature naturelle de Vhomme,je ne suis pas assez
ignorant dans l'histoire des peuples pour fixer la mesure
des âmes humaines sur celle des gens que je rois autour
de moi.
Cette tournure est mauvaise, et voici celle qu'il y
faut substituer.
et comme on s abuserait en Laponie de fixer à quatre
pieds la stature naturelle de Thomme, on ne s' abuserait
pas moins parmi 'nous de fixer la mesure des âmes hu-
maines sur relie dis gens (pie l'on voit autour de soi (3).
(*) La correction à été faite. Le passage se trouve dans L'alinéa commen-
çant Ainsi va flottant le sot public, pag. 1 de l'édition originale.
(2] M. Victor Cousin a démontré que Rousseau, par un scrupule e
d'éviter les répétitions de mots, a quelquefois, en s'efforçant de trouver un
équivalent, substitué à ce qui était bien un mol d'une acception différente.
(Jj Le passage se trouve comme l'auteur L'a corrigé p. 90 de L'édit. orig.
dans L'alinéa commençanl Quelque attestés tjm soient.
L82
Je vous prie de transporter exactement ces deux cor-
rections à leur place. J'ai souligné les passages pour
les distinguer dans ma lettre; mais vous comprendrez
bien qu'ils ne doivent pas être en italique.
Vous savez sans doute que M. Neaulme l'ait mutiler
mon Emile par le laborieux M. Formey qui ne craint
pas, par une entreprise inouïe jusqu'ici dans la littéra-
ture, de s'emparer de mon vivant de mon propre bien,
pour l'estropier et le défigurer à son gré et peut-être y
fourrer sous mon nom ses sottes pensées ('). Voilà les
brigands qui s'appellent Chrétiens , et moi qui chéris
la justice et respecte en tout les droits d'autrui, je suis
l'impie et l'homme abominable. Ils ont raison, s'ils
sont Chrétiens, je ne le suis pas.
On dit que M. l'Abbé de la Porte et M. Duchesne
ont entrepris tout ouvertement une édition générale de
tous mes écrits en douze volumes in 8°. Ainsi nie voilà
(') MM. du Musset-Pathay et Pétitain affirment, d'après une déclaration do
Formey lui-même, que le libraire Neaulme étant sur le point d'être condamné
à une forte amende au sujet de l'Emile, n'obtint grâce qu'à condition de
donner sur-le-champ une autre édition purgée de tout ce qui pourroit don-
ner matière à scandale, et que ce fut pour tirer Neaulme de cet embarras
que Formey arrangea l'Emile Chrétien, consacré à l'utilité publique. 11 ré-
sulte d'un examen des actes officiels des Etats de Hollande, d'où est tiré aussi
ie récit qu'on trouve dans la note (1) à la lettre X". 09, qu'en L763 , .'eau
Neaulme, inquiet des préventions défavorables qui pourraient uaitre dans le
Public à son égard au sujet de V Emile, s'est adressé aux Etats de Hollande
pour leur témoigner ses regrets d'avoir entrepris la publication de cet ouvrage,
et son aversion pour les maximes de l'auteur, qu'il n'avait connues, disait il. que
par le livre déjà imprimé. Tout en affirmant qu'il n'avait pas vendu i
exemplaire de ['Emile, il lit part aux Etats que, pour rétablir sa réputation
el pour réparer le mal qu'il pourrait avoir causé, il avait confié l'on-,
un savant Théologien pour le revoir, et il demanda un privilège pour ce livre,
dont le litre serait /-• véritable Emile etc. L'ouvrage parut avec un avertis-
sement ique 'le Neaulme et une introduction de Formey. Le titre
i i tbli Emile, consa i" a l'utilité publique, rédigé par .Mr. Forinej .
iii' du Philosophe < hrétien, duquel on a joint <\>^ noie.- critiques sur dif-
férons endroits qui en sont susceptibles. Amsterdam, 1763."
183
loin de mon compte sur l'édition générale par laquelle
je comptois finir pour avoir du pain. Au défaut de cette
ressource, il en faudra chercher je ne sais où: car pour
mendier et recevoir l'aumône de qui que ce soit, je
suis parfaitement déterminé à mourir de faim plustôt
que de jamais en venir là. Ce qui me console, est que
ces Mrs. n'ont ni les additions ni les pièces manuscrites
en assez grand nombre, qui pourroient faire valoir mon
édition.
Vous savez sans doute qu'on a fourré sous mon nom,
dans une édition contrefaite du Contrat Social , une
lettre à laquelle je n'ai aucune part et que je n'ai même
jamais vue. On fait aussi courir je ne sais combien
de lettres manuscrites qu'on m'attribue, et qui sont ou
supposées ou falsifiées par mes ennemis au point d'être
méconnoissables. Voilà, mon cher Rey, les honnêtes
gens à qui j'ai affaire. Cependant cette séquelle Vol-
tairienne s'est tellement emparée de tous les journaux .
de toutes les gazettes, mercures et autres papiers pu-
blics, qu'il n'y a de place que pour leurs insultes et
calomnies, et que la voix de l'opprimé ne sauroit y
pénétrer. Ne pourriez-vous point trouver quelque dé-
bouché pour faire entendre au moins une fois mes pro-
testations et désaveux sur tout cela (')?
Je suis malade, excédé, triste; j'aurois grand besoin
d'un peu de tranquillité et Ton ne m'en laisse point.
Adieu, mon cher Rey, plaignez-moi et aimez-moi.
J. J. Rousseau.
Mes salutations je vous prie à Madame Rey et à
Mademoiselle Dumoulin. J'embrasse vos enfans.
1 On pourrra voir pai la Lettre V1. LOS commonl Ltej a tâché de satis-
faire à ce désir, ol avec nue!
184
Je vous demande pardon de vous coûter tant déports
de lettres; elles étoient toutes nécessaires, et je vais
maintenant m'arrêter.
Antre petite correction que je me rappelle en ce
moment.
page 50 n'eut point enfinpéri sur I" roue. Otez enfin.
Dans la date de la lettre j'ai mis 18 XljFe au lieu
de 18 Ul"'e. Je vous prie de changer cela.
104.
A Môtiers, le 29 Janv. 1763.
Je vous demande pardon, mon cher Rey, de mes
continuelles importunités , mais je suis dans un extrême
souci sur l'écrit que je vous ai envoyé; en y revenant
de sang froid, je le trouve peu digne de l'impression;
les disgrâces ont achevé de m'ôter le peu de génie qui
me restoit; d'ailleurs, quoique je m'y sois beaucoup
fatigué, j'ai fait cet ouvrage trop à la hâte; et je le
trouve si froid, si plat, si peu correct, que je crains
qu'il ne lasse plus de tort que de bien à ma réputa-
tion ('). Si vous en pensez comme moi, et que vous y
soyez encore à teins, supprimez-le, je vous prie, et
vous pourrez me renvoyer le Manuscrit par M. de Lorme
ou me l'apporter quand vous viendrez, afin que je voye
à loisir ce qu'on en peut faire. Si l'impression est déjà
commencée, faites-y du moins insérer les corrections
marquées ci-derrière, et veillez, je vous conjure, à ce
que ces corrections se lassent exactement; il les faut
1 Ceci s'accorde avec- .-, qu'il écrit à bol ami Moidtou en date du
vrier 1763 e1 ;'i M. de *** le 6 Mars 1768 Ces deux lettrée se trouvent dans
|i recueil des < ieu\ rea Diva si -
185
absolument, fallût-il des cartons pour cela; car il s'agit
de supprimer deux alinéa pleins d'inepties, et qui ne
peuvent demeurer. S'il arrivoit que vous eussiez déjà
envoyé votre feuille imprimée à d'autres , envoyez-leur
aussi la même correction, et recommandez-la leur for-
tement, de même que la correction de tout l'ouvrage.
Car si à mes platitudes, l'imprimeur ajoute encore des
contresens, je suis coulé à fond, cela est sûr. Adieu,
cher Rey, compatissez à mes inquiétudes; il est cer-
tain que les chagrins m'ont affoibli l'esprit. Je vous
embrasse et tout ce qui vous est cher.
J. J. Rousseau.
Manuscrit, page 25.
NB. L*alinea qui commence par ces mots ; Il y a
donc deux manières fyc. doit être augmenté et changé
de la manière suivante, où vous observerez que tout
cet alinéa demeure tel qu'il est, excepté le mot maté-
rielle qui est ôté, et à la place duquel est substitué le
mot instrumentale. J'ai seulement mis une addition qui
doit être ajoutée de suite à la fin de ce même alinéa ,
comme ci-aprés (').
[Il y a donc deux manières de concevoir l'origine des
choses; savoir, ou dans deux causes distinctes, l'une
vive et l'autre morte, l'une motrice et l'autre mue,
l'une active et l'autre passive, l'une efficiente et l'autre
instrumentale; ou dans une cause unique qui tire d'elle
seule tout ce qui est et tout ce qui se fait. Chacun
de ces deux sentimens, débattus par les métaphysiciens
(-') Le passa<r<\ ici que l'auteur L'a corrigé, se trouve pag. 4.1 de l'édition
originale.
L86
depuis tant de siècles, n'en est pas devenu plus croya-
ble à la raison humaine; et si l'existence éternelle et
nécessaire de la matière a pour nous ses difficultés,
sa création n'en a pas de moindres:: puisque tant d'hom-
mes et de philosophes , qui dans tous les tems ont
médité sur ce sujet, ont tous unanimement rejeté la
possibilité de la création , excepté peut-être un très-
petit nombre qui paroissent avoir sincèrement soumis
leur raison à l'autorité; sincérité que les motifs de leur
intérêt, de leur sûreté, de leur repos, rendent fort
suspecte, et dont il sera toujours impossible de s'assu-
rer, tant que Ton risquera quelque chose à parler vrai, j
NB. Après cet alinéa ainsi augmenté, supprimez
les deux suivans, et passez tout d'un coup à celui qui
commence pas ces mots: S'il y a donc un principe éternel
et unique des choses, dans lequel au lieu de s'il y a
(loin- vous mettrez suppose qui/ y ait et vous commen-
cerez ainsi à la suite de l'alinéa que je viens de tran-
scrire
[Supposé qu'il y ait un principe éternel et unique &c. |
et le reste comme dans le Manuscrit.
NB. 11 y a dans cette même page 25 une note que
je crois composée de deux alinéa, dont le premier
commence ainsi on à peu près.
Au reste, celui qui ne connoit <jue deux substances,
ne 'peut <('''.
11 lanl retrancher la fin de cet alinéa depuis ces
mots // ne s'agit point d'entrer en discussion avec Platon,
jusqu'à cenx-ci inclusivement, menu selon lui que dans
Vesprit de Dieu. De sorte que ce même alinéa qui
linissoif par ces derniers mois, finira niaiiilenant par
187
ceux-ci: que leur stature. Le deuxième alinéa tle cette
même note doit demeurer tel qu'il est (1).
Il se pourroit qu'en transcrivant j'eusse inséré cette
note dans le texte, comme j'ai fait quelquefois. En ce
cas , il faut faire dans le même endroit du texte le
même retranchement que je viens d'indiquer dans La
note.
Je sais que mes indications demandent de l'atten-
tion pour les suivre, mais il m'est impossible de les
rendre plus claires, et je suis très-sûr qu'en y faisant
une attention suffisante, tout se trouvera placé comme
il faut.
Si vous avez quelque chose à m'envoyer, vous ferez
bien de vous servir du retour de M. de Lorme; c'est
un honnête homme, que je crois très-sûr.
105.
A Môtiers, le 5 Février 17(33.
J'ai lu avec surprise, mon cher Rey, l'article que vous
avez mis sous mon nom dans la gazette. Cet article est,
surtout relativement à Duchesne , d'une violence et d'une
indécence qui n'a rien d'égal; vous m'y faites compro-
mettre le magistrat même, d'une manière qui ne peut
que m'attirer sa haine et m'ôter tous les amis qui
m'étoient restés en France (2). Je ne m'imaginois pas
(i) Vok-i La note telle qu'elle se trouve p. -44 de l'éd. mïg. "Celui qui ne
connoit que deux substances, ne peut non plus imaginer que deux prin-
cipes, et le terme, or plusibubs , ajoute dans l'endroit cité, n'est là
qu'une espèce d'explétif, serrant tout-au-plus à faire entendre que l,
nombre de ces principes n'importe pas plus à connaître que leur nature.'
(2) Rousseau lui-même, dans sa lettre du 8 Janvier (N°. 103), avail engagé
Rey à publier dans quelque Journal ses désaveux sur les contrefaçons et les
r.il,-ilirutiun> .le se- tVriu. 11 fiilliiit <lonc. pour pouvoir juger de la valeur
188
que vous feriez passer les termes d'une lettre qui ne
s'adresspit qu'à vous, dans un avis au public; j'en
voulois bien un, mais conceu d'une autre manière: vous
m'avez porté le dernier coup par ce peu de lignes ; vous
m'avez fait plus de mal que ne m'en ont fait le Par-
lement, l'Archevesque et la Sorbonne. car ils ne m'ont
ôté aucun ami et vous mêles ôtez tous. D'ailleurs pour-
quoi dire, et qui pis est me faire dire à moi-même
contre toute vérité, que vous êtes le seul qui puissiez
donner l'édition générale de mes Ecrits? De sorte que.
lorsque je voudrai procéder à cette Edition, dernière
ressource qui me reste pour vivre, si m mis ne pouvons
convenir vous et moi et si je ne puis rompre l'espèce
d'engagement que j'ai pris avec un autre, le public,
qui ne sait pas nos conventions, trompé par ce faux
avis, me regardera comme un fripon, qui viole ses
traités avec vous, tandis qu'au contraire vous n'avez
d'autre titre sur la collection de mes Ecrits que celui
reproches, connaître l'article qui occasionna son emportement. Après
bien des recherches, faites sur l'indication <le M. Ambroise on a trouvé l'avis
Minant dans la Gazettte d'Amsterdam du Mardi 25Janvier L763. "Le public
est averti que sans l'aveu ni la participation <l< M. Rousseau, citoyen
de Genève, on fait actuellement mutiler son Emile, dans la vue appa-
remment i/e le publier, ainsi tronqué et défiguré, sous le titre de Nou-
veau traité d'éducation, annoncé il y a quelque temps et qu'il désavoue
d'avance. Il est ob/'ajé de protester aussi contre l'entreprise formée par
un libraire de Paris d'y donner tout ouvertement une édition générale
di' ses écrits en 12 vol. 8°.; entreprise qu'il ne peut cependant remplir.
puisqu'il n'a ni lis additions ni lis pièces manuscrites en grand nombre
qui devroient entrer duos une édition générale : entreprise d'ailleurs
qui violeroit à divers égards lis loix du pays. M. M. Ile;/, libraire à
Amsterdam, est le seul qui puisse donner cette édition générale. De
plus on avertit que dans une édition ciott refaite du Contrat Social il a
été inséré une lettre éi laquelle M'', liousseiiu n'a aucune part et qu'il
n'a même jamais rue. Enfin l'on fait courir sans son mua une infinité
ili lettres manuscrit! s supposées ou falsifiées par ses ennemis ou point
d'être méconnaissables." — On voil que Rej s'est servi des propres termes
que Rousseau avait employés dans sa leur..
1 89
qu'il vous a plu d'usurper par un privilège obtenu
sans mon aveu et auquel vous n'aviez aucun droit. Je
vous avoue que dans les disgrâces qui m'accablent, je
ne m'attendois pas à celles qui me viennent de vous. ^
Non content de cela, vous vous plaisez pour ainsi
dire à m'accabler d'une autre manière, en imprimant
et publiant tout ce qui s'écrit contre moi de plus in-
jurieux; je ne parle pas seulement de l'extrait du Jour-
nal de Trévoux, dont je regarde l'auteur comme un
chien enragé qui très-heureusement ne peut mordre que
mes habits; mais dans le recueil de mes propres écrits
vous fourrez les pièces de mes adversaires pour les taire
lire au public malgré lui. Je suis persuadé que^c'est
l'indignation que cause ce mélange à ceux qui s'inté-
ressent à moi, qui leur a fait imaginer une édition de
mes œuvres où l'on ne vît que mes œuvres et où mon
nom ne servît point d'arme à mes ennemis contre moi-
même. Mais quelle fantaisie d'aller mettre le décret
du Parlement dans une réponse à l'Archevesque où il
n'est point question du Décret du Parlement: Le man-
dement même de l'Archevesque ne sera pas mieux place
avec ma lettre puisque, mes citations étant tirées de
l'édition in-4o, il n'y en aura pas une qui cadre avec
votre édition in 12, laquelle ne servira par conséquent
qu<à faire croire que j'ai toujours cité faux, quoique
j'aye toujours cité juste. Je comprends bien que ce
n'est pas pour me nuire, mais seulement pour augmen-
ter vos profits «pie vous me traitez si mal; aussi 11 ai-
je rien à vous dire que ce que le public dira comme
m0i5 savoir que c'est gagner de l'argent d'une manière
bien peu honnête.
Je vous ai envoyé dans ma dernière un changement
qui 1Ue tient au cœur et auquel vous ferez, j'espère,
toute l'attention requise. Je persiste à trouver cet écrit
190
foible et mauvais. Quand on parle de soi il n'est pas
permis d<- s'animer et de s'emporter comme quand on
défend en général la cause des mœurs et de la justice.
Cela fait aussi qu'on est froid en voulant être modéré.
Mais comme il n'est pas possible que FArchevesque
s'offense d'une défense aussi honnête et aussi mesurée,
je suis très-persuadé que cet ouvrage ne peut compro-
mettre ni vous ni moi, et surtout dans le moment
présent où FArchevesque est bien éloigné d'avoir le
crédit que vous vous imaginez. Cependant je ne crois
point que Bruiset accepte vos feuilles; car je lui ai
proposé il y a quelques semaines ma réponse à la Sor-
bonne, (sans lui dire pourtant précisément ce que c'étoit)
parce que les fréquentes citations et l'exactitude qu'elles
demandent ne permettent pas que cet écrit s'imprime
autrement que sous mes yeux; mais sur ce que je lui
ai marqué seulement que c'étoit une défense d'Emile,
il n'a pas osé s'en charger.
Vous pouvez m'envoyer les feuilles par la poste si
le retour de M. de Lorme est trop éloigné pour qu'il
puisse s'en charger: mais ne m'envoyez plus votre Jour-
nal de Trévoux. Qu'ai-je à faire d'un écrit sans esprit
et sans raison, où je ne vois que des brutalités et des
injures. Adieu, mon cher, j'ai le cœur navré, j'ai le
corps accablé de maux, je ne connois plus dans la vie
que peine et souffrance, et vous augmentez encore tout
cela. Mais n'importe, un acte honnête efface tout dans
un cœur tel que le mien, de ne cesserai point de vous
aimer, et j'embrasse de tout mon cœur, vous et toute
\otre famille.
J. J. Rousseau.
M"'; Le Vasseur vous assure de ses respects.
19]
100.
A Môtiers, le 19 Févr. 17G2 (63).
Je reçois en cet instant, mon cher Rey, avec votre
lettre du 8 vos deux feuilles A. B. dans lesquelles je
n'ai pas remarqué jusqu'ici de faute considérable et
cela m'a fait grand plaisir. Dans l'intervalle que cette
lettre m'est venue, vous en avez dû recevoir deux des
miennes, l'une desquelles contenoit un changement con-
sidérable que vous n'aurez plus été à teins de faire,
puisqu'il commençoit à la fin de A. et qu'elle étoit
tirée avant que vous eussiez receu ma lettre. Laissez
donc la chose comme elle est plustôt que de vous expo-
ser à quelque bévue et de faire des cartons qui ne
s'ajusteroient pas. Peut-être n'aurez-vous pas receu ces
deux lettres, peut-être même ne recevrez-vous pas
celle-ci; car le Commis de la Poste gagné par quel-
qu'un du pays, ouvre toutes mes lettres et supprime
ou retarde celles qu'il lui plait. Depuis que j'ai décou-
vert cette fraude , je travaille à y mettre ordre et j'es-
père qu'avec le tems l'affaire s'éclaircira et les lettres
supprimées se retrouveront; en attendant il faut le
laisser faire; mais peut-être perdrai-je encore bien des
lettres avant que mon tour vienne. Il ne supprime pas
celles que je reçois pour n'en pas perdre le port; ainsi
vous pouvez continuer à m'écrire directement.
Sitôt que votre brochure sera achevée et que vos
envois seront expédiés, ayez la bonté d'en envoyer par
la poste deux exemplaires à 31. le M81, de Luxembourg,
et deux à M. de Malesherbes , en leur marquant que
c'est de ma part ; dans votre envoi pour Genève , mettez-
en douze à l'adresse de M. Moultou, et dans votre
envoi pour Neufchâtel, vingt-quatre à la mienne.
192
mais de grâce qu'ils soient tous brochés, et point de
l'arrêt du Parlement ni du mandement de l'Archevesque,
dans tout cola (1). Si vous aviez quelque moyen de
m'en faire passer par quelque voye plus courte, vous
me feriez grand plaisir, mais je n'oserois l'espérer.
J'ai envoyé à M. Fauche à NeufcMtel les trois
Emiles que vous m'aviez envoyés et 6 Contrat Social
qu'il débitera pour votre compte. Vous n'avez rien à
me payer pour la nouvelle édition de la Julie, mais
si vous pouvez m'en envoyer quelques exemplaires,
vous me ferez plaisir.
Je suis très-fâché du soin que vous prenez de faire
courir partout un avis aussi mal conçu que celui que
vous avez mis dans la gazette d'Amsterdam. Il m'a
ôté, comme je l'avois prévu, tous les amis que j'avois
en France jusqu'au dernier. Il ne m'y en reste plus :
et voilà l'ouvrage de cet indécent et fougueux avis.
Je suis charmé que tout aille bien dans votre famille:
pour moi le temps plus doux ne m'amène aucun soula-
gement, et je suis destiné à souffrir, le reste de ma
vie, tous les maux du corps et de L'ame qu'un malheu-
reux peut supporter. Je vous embrasse.
J. J. Rousseau.
107.
À Môtiers, le 28 Févr. 1763.
Vendredi dernier, mon cher Rey , j'espérois recevoir
vos ilvux dernières feuilles; rien ne vint : j'espérois les
(i) Rey avail inséré après le titre dans les exemplaires destinés à être
vendus l'arresi delà cour de parlement qui condamne l'Emile, el le Man-
dement df V Archevêque portanl condamnation de l'Emile. Rousseau B'en
est plaint dans la lettre précédente; il désire donc que ces pièces ne soient
pas dans les exemplaires dont il parle.
1 93
recevoir du moins aujourd'hui; rien n'est venu. De
sorte que ne recevant plus aucune nouvelle de vous
et ne pouvant savoir ce qui vous arrête, je suis en
suspens et ne sais plus que répondre à ceux qui de
toutes parts me parlent de cet ouvrage.
Je vous ai marqué précédemment à qui je souhaitois
que vous envoyassiez en mon nom des exemplaires ;
mais j'ai oublié mon cousin Jean Rousseau à Londres
au café de Sams, proche kt bourse. !Ne sachant aussi
comment lui faire passer l'incluse, je prends le parti
de vous l'adresser, vous priant de lui donner cours.
Si vous avez quelque voye pour Edimbourg, faites -en
aussi passer un de ma part à M. David Hume. Je
vous en ai demandé pour moi 24 exemplaires ; mais
tout calculé il est impossible qu'ils me suffisent ; ainsi
je vous prie d'en ajouter encore douze si vous êtes
à tems, et si vous n'y êtes pas, de m'assigner du
moins quelque Libraire, Fauche ou autre, qui puisse
me fournir ceux qui me manqueront.
Je serai charmé de vous embrasser ici cet été. Je
voudrais que vous pussiez entrer pour quelque chose
dans l'arrangement de mon édition générale, à laquelle
il est bientôt tems de songer pour ne m'occuper plus
qu'à la grande affaire de ma vie, s'il m'en reste assez
pour l'exécuter. Ne m'oubliez point auprès de mes
chères commères, baisez pour moi ma filleule. Bon-
jour, mon cher Rey.
108.
Môtiers, 28 Mars 17G3.
J'ai receu mon cher Rey, les envois que vous m'avez
laits par M. Rilliet, et qu'il m'a envoyés tic Pontar-
13
L94
lier n'ayant pas le tems de passer ici. J'ai voulu me
concerter avec M. Fauche pour la distribution de mes
exemplaires, afin de ne la pas faire assez longtems
avant la sienne pour que quelqu'un pût tenter une
contrefaction; il n'a pas daigné m'honorer d'une réponse;
ainsi ne sachant quand son envoi arrivera, j'ai distribué
le mien à mes amis et connoissances. 11 y a contre
moi une mauvaise volonté dans Neufchâtel et dans
Berne, qui se manifeste tous les mois dans leur sot
Mercure; je suis sûr qu'ils défendront mon ouvrage;
j'en ai prévenu le dit Fauche; c'est apparemment pour
cela qu'il ne m'a pas répondu.
Mrs. de Malesherbes et de Luxembourg ne m'ont poinl
accusé la réception de leurs exemplaires (1): c'est une
suite du mauvais effet de l'avis dans la gazette. Qu'y
faire? Il n'y a plus de remède. Cela fait que j'ignore
absolument si l'ouvrage paroit, ou quand il paroitra,
ce qu'on en dit, ce qu'on en pense, et cependant cela
m'intéresse extrêmement, comme vous pouvez compren-
dre. Pourquoi donc ne me tenez-vous averti de rien?
Que puis-je savoir dans ces montagnes? Les bruits lit-
téraires ne pénètrent pas jusqu'ici. De grâce, dites-
moi tout; l'inquiétude me tue. Vous savez que j'ai
voulu supprimer l'ouvrage. Que n'avons-nous été A
tems !
Duchesne va son train. Il a fait comme vous, il
ne s'est pas embarrassé de mon consentement pour
entreprendre; mais sachant que je me plaignois beau-
coup, il m'a écrit et fait écrire. J'ai appris que c'étoit
l'Abbé <!c la Porte qui se chargeoH de l'édition, et cela
n'a pas laissé de me faire plaisir. Mettez-vous à ma
(') S'il faut eu croire Coindet, dans une lettre inédite àRey du 1 Avril.
l'exemplaire envoyé à M. de Malesherbes avait été arrêté à la Poste.
195
place. Je vois courir partout des Editions de mes
écrits défigurées et pleines de fautes, à commencer par
la vôtre. Ne dois-je pas être bien aise que, puisque
tout le monde m'imprime sans mon aveu, je sois im-
primé du moins d'une manière plus correcte et qu'un
homme de lettres ait soin de l'édition. Aussi puisque
je ne puis empêcher tant d'éditions avant la mienne, je
vous déclare que je suis plus content de celle-là que
d'une autre, et je ne puis même, si elle est aussi bien
faite qu'ils le disent, m'empêcher de le témoigner. Il n'en
faut pas moins d'ailleurs pour ramener des gens aigris
dont j'ai besoin. Duchesne m'offre, quand son édition
paroitra, un présent de cinquante Louis. Quant à cet
article , je vous en remets l'absolue décision. Voulez-
vous que j'accepte ou que je refuse , et si j'accepte
voulez-vous partager avec moi? Je ne ferai là-dessus
que ce que vous jugerez convenable ; c'est à vous seul
à prononcer. Soyez bien sûr que votre avis sera suivi.
Je me flatte de vous voir cet été ; puissé-je être assez
bien pour me livrer tout entier au plaisir de vous re-
cevoir. Je suis maintenant dans un triste état, et
n'espère guères qu'il devienne meilleur. A tout événe-
ment marquez-moi le tems précis de votre voyage et
de votre séjour. Car si je me rétablis un peu, j'ai un
voyage à faire en Suisse et je le réglerai sur le vôtre.
J'embrasse tout ce qui vous appartient , et vous nussi.
L3
VI.
LETTRES
AYANT RAPPORT AUX INTÉRÊTS PARTICULIERS
DE L'AUTEUR ET DE REY,
E T A U N E É D I T 1 0 N GÉNÉRALE
DES
ECRITS DE ROUSSEAU.
Les cinq lettres qui suivent sont écrites pen-
dant son séjour à Motiers où Rousseau voyant
journellement diminuer le petit capital qu'il
avait acquis, songeait à s'assurer des moyens
de subsistance pour y finir ses jours. Rey était
venu l'y voir pendant l'été, et la correspondance,
interrompue pendant six mois, recommence après
cette visite.
197
100.
A Môtiers, le pr. 8br? 1763.
Votre lettre, mon cher Rey, du 25 Aoust, étant
retournée d'ici à Francfort avant de me parvenir , ne
m'a été rendue que fort tard, ce qui rend aussi le re-
tard de ma réponse plus excusable. J'y vois avec grand
plaisir que vous êtes arrivé en bonne santé et que tout
le monde se porte bien chez vous ; car quant aux
maux que l'éruption des dents cause à la petite, je
les regarde comme si passagers que j'espère qu'elle en
est délivrée à l'heure que j'écris. Vous avez trouvé
beaucoup d'affaires , tant mieux ; beaucoup de travail
doit faire beaucoup de profit. J'avois craint que les
faillites dont parloient les gazettes ne vous nuisissent;
mais si ce n'est que par contre-coup , le mal n'est pas
grand et selon toute apparence les choses ne tarderont
pas à reprendre leur cours.
Le projet du S1'. Néaulme seroit d'un coquin s'il
n'étoit d'un sot, mais la bêtise de ce projet en excuse
la méchanceté. C'est certainement depuis que le monde
existe la première fois qu'on s'est emparé publiquement
d'un livre du vivant de l'auteur pour en ôter son nom
et y eu mettre un autre. Heureusement il n'est pas
à craindre que le cafardage du S1'. Formey attire beau-
coup de souscripteurs, et je parierois bien qu'il n'en
aura pas un seul en France. Au cas que cette entre-
prise s'exécute , ce que je ne saurois m'iinaginer, faites
en sorte de m'en faire parvenir le plustot que vous
pourrez un exemplaire, de serai curieux de me voir
paré des nobles et saintes pensées du S1'. Formej :
cela me réjouira.
Ce que ce misérable ose débiter effrontément sur la
198
vente de mes ouvrages achèveroit de me dégoûter du
métier d'auteur quand je n'y aurois pas renoncé pour
d'autres raisons. Il dit que la copie de l'Emile a été
vendue au poids de l'or, cela peut être vrai à la lettre,
mais il fait entendre par là qu'on a extorqué de cette
copie un plus grand prix qu'elle ne valoit ; comme si
les auteurs les plus médiocres ne vendoient pas tout
couramment leurs manuscrits à Paris sur le pied de
quinze cents livres le volume , qui est tout ce (pie j'ai
receu du mien. Comme si, même avant la conclusion
de mon traité, je n'avois pas pu tirer neuf mille francs
du même ouvrage, offerts par un autre libraire par le
canal du Curé de Groslay. Il dit que vous m'avez
très-Lien payé, cela est vrai dans le sens que vous
m'avez payé très-exactement et tout ce que je vous ai
demandé; mais cela fait entendre que vous m'avez
payé très-chèrement, et cela n'est pas vrai, puisque
vous n'avez imprimé aucun de mes ouvrages, notam-
ment la Nouvelle Héloïse, dont je n'eusse pu très-aisé-
ment avoir le double de ce que vous m'en avez donné.
Mais puisque ma modération ne m'est d'aucun honneur
dans le public, je ne serai désormais que juste, et Les
manuscrits qui me restent me seront pavés ce qu'ils
valent, ou ne verront jamais le jour.
Je trouve aussi fort obligeant le soin que prend Le
dit Xéaulme de mettre mon livre en étal de n'avoir
que des admirateurs; il ne faut pour cela que l'illus-
trer de la touche de M. Formey. Ce grand auteur
daignera faire rejaillir sur mon ouvrage un peu de
L'admiration qu'on a pour les siens !
J'ai receu depuis quelque tems Le manuscrit i\u
Baillif d'Echallens : je vous ai prévenu qu'il m'étoil im-
possible de Le Lire si vite; marquez-moi quand vous
voulez que je vous L'envoyé. Il y a beaucoup d'éru-
199
dit ion dans ce livre, mais il me paroit furieusement
long et lourd.
Ni mon état ni les importuns ne me permettent
maintenant aucun travail. Je verrai s'il m'est possible
de mettre quelque chose en état pour ce printems , au
cas que j'aille en Ecosse. Le découragement me rend
plus indolent de jour en jour. Je ne suis encore dé-
cidé sur rien; sitôt que je le serai je vous le manderai.
Mille amitiés et respects à mes bonnes et aimables
commères, j'espère toujours leur rendre quelque jouî-
mes devoirs en personne, et peut-être ce printems.
Adieu, mon cher Compère; je suis forcé de finir ici
ayant comme un étourdi commencé ma lettre sur une
demi-feuille et n'ayant pas le courage de la recopier.
M"? Le Vasseur a fait votre commission près de Mad.
De Lorme et vous salue de tout son cœur.
110.
A Môtiers, le 28 I0b\e 1763.
J'ai lu en grande partie, mon cher Rey, le gros
livre que vous m'avez fait adresser; j'y ai trouvé une
érudition prodigieuse et plusieurs points de critique
bien et savamment discutés; mais l'ouvrage est écrit
d'un très-mauvais ton et d'une diffusion à faire perdre
patience à l'Allemand le plus flegmatique. L'auteur
veut être léger, et souvent il n'est que bouffon; quand
il veut plaisanter, il injurie, et le désir d'égayer son
sujet le rend souvent ennuyeux de peur d'ennuyer.
D'ailleurs l'échaffaudage offusque l'édifice ; il s'épuise
à préparer sa matière, et comme il aime mieux dé-
molir que bâtir, il employé un volume et deux tiers à
renverser les systèmes des autres avant d'avoir dit un
200
seul mot du sien. Son ouvrage semble composé de
plusieurs dissertations isolées, qu'il a liées tant bien
que mal, et qu'il a mises après coup sous un ritiv
commun en y ajoutant une queue postiche. La mul-
titude de choses curieuses que ce livre renferme doit
le faire aimer des savants et de ceux qui aspirent à
l'être; mais je doute qu'il puisse être goûté du public.
Vous m'avez demandé mon avis: le voilà. Si l'auteur,
pour lequel au reste j'ai conçu beaucoup de considé-
ration, le sait, il me prendra en haine, j'en suis bien
sûr; et cependant si cet auteur étoit mon meilleur ami.
je ne lui parlerais pas autrement.
Je renverrai l'ouvrage comme vous me le marquez :
c'est-à-dire que je le remettrai dans sa petite caisse à
celui qui me l'a remise, mais sans être emballé comme
il étoit; car c'est un soin que je serois bien embarrassé
de prendre: il arrivera de là que ceux qui remballe-
ront pourront voir ce que c'est. Comme il pourroit y
avoir à cela quelque inconvénient , j'attendrai pour pren-
dre ce parti que vous ayez eu le tems, si vous ne l'ap-
prouvez pas, de me marquer ce que je dois faire.
J'apprends avec grand plaisir que toute votre famille
se porte bien; voilà ressentie!. Quant aux chagrins
que vous donnoient vos affaires au moment que vous
écriviez, j'espère que ce sonl des peines passagères.
finies au moment que je vous réponds. Au pis aller,
la santé est toujours la grande affaire, elle donne le
moyen de surmonter enfin le chagrin. Je suis charmé
de ce que vous me marquez de la petite ; mais je n'ap-
prouve pas que vous n'osiez la faire marcher de peur
de lui Paire mal. Laissez-la marcher si elle en a la
force el l'envie, mémo au risque de la voir tomber
quelquefois; c'esl de l'en empêcher qui peut lui faire
du mal.
201
Je vous prie de faire de ma part une visite de re-
merciement à M. le Comte de Binting et de lui dire
que l'approbation des hommes qui pensent comme lui
me console de bien des disgrâces. Je ne pense pas
qu'il eût eu besoin de mes avis pour bien élever sa
famille , il est de ceux qui savent trouver la règle en
eux-mêmes (1). Mais malheureusement les gens à qui
mon livre seroit le plus nécessaire , sont précisément
ceux qui le goûtent le moins.
Je voudrais avoir tout ce qu'il y a de traduit de
l'histoire universelle moderne, et le 4e Tome in-4° de
l'Histoire naturelle; faites-moi le plaisir de joindre cet
(!) Dans la haute société des Pays-Bas plusieurs esprits étaient disposé* à
prêter l'oreille aux idées nouvelles de Rousseau et de son temps. De ce nom-
bre étaient William Comte Bentinck, Seigneur de Iîhoou et Pendrecht, et son
frère Charles. Nos philologues connaissent le brillant éloge dont Ruhnkeniua
a honoré ces deux frères dans son Eloijutm Hemsterhusii : "Non habet
patria proceres illustriores , prudentiores et bonis artïbus ad omnem
humanitatem magis excultos, quant f retires Guilielmum et Carolum Ben-
tïiiclùijs.'' Ils étaient fils de Hans William Bentinck, qui suivit Guillaume III
en Angleterre, et qui, devenu Comte de Portland, fut le chef de la maison
Comtale de Bentinck. Issus du second mariage que celui-ci avait contracté
avec la lille de William Temple, ils étaient frères consanguins du Bentinck
qui, en 1710, est devenu Duc de Portland. L'ainé des deux frères, le Comte
William, qui, en 173'?, épousa la fille unique et héritière du dernier Comte
d' Aldenbourg , a contribué puissamment à l'élévation de la maison d' Orange
en 1743 et se distingua comme homme d'état et diplomate. C'est lui dont
parle Rousseau dans cette lettre. Curateur de l'Université de Lcide, il voyait
souvent, outre le célèbre helléniste Tibère Hemsterhuis et son i\\< François,
un Professeur nommé Allemand, et tous deux ainsi que le Greffier Pagel favo-
i la publication des oeuvres de Bonnet, que Rey imprimait. Lorsqu'en
L773, Diderot, se rendant en Russie pour voir l'impératrice Catherine 11,
passa parla Hollande, afin de négocier avec Rey L'impression de ta collection
ouvrages, il logea à la Haye chez le Prince Gallitzin . et le Comte Wil-
liam le reçut à sa table, à sa maison de campagne Sorgvliet, sur la chaussée
eveningue. C'était autrefois le modeste séjour du poëteCats, que Guil-
laume Ml ;i\;iit acheté pour en faire présent au Comte de Portland. La lettre
\". L3U prouve que Hou.— eau reçut aussi des marques de faveur du Comte
Charles. Parmi ceux qui accueillirent avec empressement les écrits, dan.- le
goûl lu temps, était aussi le 61s du Comte William , Seigneur d- Varel.
202
envoi au premier que vous ferez en ce pays ; vous pou-
vez tirer sur moi la valeur, ou l'inscrire jusqu'à la
première affaire que nous ferons ensemble, à votre
choix; mais marquez-moi toujours le prix pour mon
arrangement. Mes salutations et respects à mes aima-
bles commères. Adieu , mon cher compère , je vous
embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
Mille salutations de We. Le Vasseur.
111.
A àIôtiers, le 17 Mars 1764.
Ne soyez pas surpris, mon cher Compère, de mon
long silence; ma situation en ôte presque tout le re-
proche à ma paresse, et si je ne vous écris guères,
en revanche il y a peu de jours où je ne parle ici de
vous, et surtout avec M11? Le Vasseur qui ressent cou une
elle doit toutes vos bontés. J'apprends avec grand
plaisir le bon état de toute la famille, et surtout de
ma petite filleule et de sa bonne maman, avec laquelle
je n'ai plus guères d'espoir de faire connoissance en
Hollande. Seroit-il impossible que nous la tissions ici?
Mille choses de ma part, je vous en prie, pour elle
et pour Madelle Dumoulin.
Certaines propositions qui m'ont été laites sur L'édi-
tion générale de mes écrits me font comprendre que
cette entreprise esl mûre, et qu'il est tems de l'exé-
cuter. Elle est pour moi de grande importance, puis-
que, hors d'état de travailler désormais, il faut qu'elle
suffise pour me donner du pain aussi longtems qu'il
203
plaira à la Providence de me laisser encore sur la terre
livré à mes infirmités. Mon cher Compère, je souhaite
de tout mon cœur que nous puissions là-dessus pren-
dre des arrangemens qui nous conviennent à tous deux
et terminer cette grande affaire ensemble. Ce qu'il y
a de sûr, c'est qu'à conditions égales vous aurez non-
seulement la préférence, mais qu'un léger désavantage
ne m'empêchera pas de traiter avec vous. Je le dois
à vos honnêtetés et encore plus à l'amitié qui règne
entre nous; que si cependant cette entreprise ne vous
paroissoit pas praticable aux conditions qu'il me con-
vient d'y mettre avec vous et que je puis y mettre
avec d'autres , vous êtes de votre côté trop raisonnable
pour désapprouver que je m'ôte une fois pour toutes le
souci de manquer de pain pouvant y pourvoir d'une
manière honnête et juste. Je compte là-dessus vous
envoyer dans une quinzaine de jours un petit Mémoire
sur lequel vous aurez tout le tems de vous (sic) réfléchir.
J'ai renvoyé à M. Engel son ouvrage par la même
vuye qu'il m'étoit parvenu. M. Bitaubé m'envoya dans
le tems sa brochure. Je ne connois rien de si plat
et de si mal raisonné que cet écrit; il est toujours à
côté de la question, et il fait le plaisant d'un air si
gauche qu'il m'a fait plus de mal au cœur que de
chagrin en le lisant. Soyez persuadé que si je voulois
faire encore à quelqu'un l'honneur de lui répondre, je
ne choisirois pas de pareils barbouillons. Le seul homme
qui m'ait attaqué et qui ait paru m'entendre est M.
l'Evêque du Puy. Je crois que si vous vouliez imprimer
in-12 son instruction pastorale , vous en aimez le débit.
En pareil cas, en m'en donnant avis, je vous enverrois
une petite noie pour y joindre.
L'édition de Duchesne est faite: j'ignore si elle est
publique. Dans l'avis qu'on m'avait donné et que Mais
204
fîtes mettre dans la gazette, il s'agissoit de 12 volumes;
niais Duchesne ne m'a parlé que de 5 contenant seu-
lement les œuvres mêlées. Il n'y a d'autres nouveautés
qu'un essai sur l'imitation théâtrale que Coindet avoit
eu Faddresse de faire entrer dans son marché des es-
tampes de la Julie avec la préface en dialogue. Du-
chesne l'a réclamé et je le lui ai envoyé. Quant aux
50 louis dont je vous avois parlé, il les a remis à
quelqu'un pour me les faire tenir, et depuis trois mois
ce quelqu'un m'en a gardé le secret; je n'en ai ni avis
ni argent. Au reste je suis très-persuadé que Duchesne
ne m'en a point imposé, et qu'il a bien réellement
remis la somme. On a gravé à Paris mon portrait en
plusieurs façons. Duchesne entre autres l'a fait graver
en habit françois et en habit arménien sur l'original
peint par la Tour. Si j'étois plus à portée je vous en-
verrais l'un et l'autre; mais sans doute ils vous sont
déjà jiarvenus.
Je n'ai point encore receu l'ouvrage de M. Roustan
et lui-même ne l'a pas receu à ce qu'il me marque.
Vous savez probablement qu'il part pour l'Angleterre.
Vous me ferez plaisir de joindre un exemplaire de son
ouvrage à l'envoi que je vous ai demandé, si celui que
vous destiniez pour la Suisse n'est pas encore parti.
de semis bien aise que les livres fussent cousus: mais
-i cela rend le transport plus incommode, vous pouvez
les envoyer en feuilles.
Voilà je crois réponse à tous les articles de votre
dernière lettre à quoi vous en demandiez. Je suis forcé
de finir celle-ci: car L'heure du Courrier presse. Adieu,
mon cher Compère, j'embrasse tout ce qui vous est
cher, et vous particulièrement,
d. .). Rousseau.
205
Il n'est plus question de Robinson, je n'ai plus ni
courage ni force pour aucun travail. Ce sera assez s'il
m'en reste pour revoir ce qui est fait.
112.
A Môtiers, le 13 May 1764.
Dans le triste état où je vis depuis plusieurs mois ,
mon cher compère, il est si ridicule de faire des
projets pour l'avenir que l'abattement m'ôtoit le cou-
rage d'écrire le mémoire que je vous avois promis. En
voici toutefois une esquisse tracée à la hâte , mais qui
vous suffira pour juger si l'entreprise peut vous con-
venir ou non; car dans cette affaire vous devez con-
sulter uniquement votre avantage, étant sûr quant à
moi d'en trouver toujours au moins d'équivalens ; mais
nos anciennes liaisons renforcées par l'honneur que
vous m'avez fait en me choisissant pour compère, la
générosité dont vous avez usé envers Mu? Le Vasseur,
et encore une certaine bienséance pour vous et pour
moi me font désirer beaucoup que le parti vous con-
vienne , et qu'ayant été jusqu'ici mon libraire , vous
continuiez à l'être jusqu'à la fin. Outre que cette
entreprise bien concertée, bien conduite et bien exé-
cutée ne peut que vous distinguer honorablement dans
votre profession , et comme cette édition sera complète
et l'unique dont je me sois mêlé, elle doit avoir par
cela seul un prix qui la rendra toujours recherchai de.
Consultez-vous donc et m'écrivez librement votre sen-
timent.
Comme il y a longtems que je n'ai receu de yos
nouvelles, donnez-m'en, je vous prie, un peu en détail
de ma petite filleule, de mes chères commères, et de
206
toute votre famille. .Saluez de nia part tout ce qui
vous appartient et recevez, mon cher Rey, mes salu-
tations et amitiés.
J. J. Rousseau.
N'oubliez pas , lorsque vous ferez en ce pays quel-
que envoi , l'histoire universelle moderne et le quatrième
tome de l'histoire naturelle. J'aimerois mieux que les
volumes fussent cousus, mais si cela vous est plus
commode de les envoyer en feuilles, vous le pouvez. A
L'égard du prix, il m'est égal que vous le tiriez sur
moi par lettre de change, ou que vous en teniez note
pour la première affaire que nous ferons ensemble;
mais marquez-le-moi toujours en argent de France ,
afin que je puisse compter avec moi. S'il y avoit dans
vos quartiers quelques jolies estampes en portraits, fi-
gures ou paysages , vous pourriez en ajouter quelques-
unes. Vous vous souviendrez aussi que l'exemplaire
que j'ai de mes œuvres est incomplet, et qu'il nie
manque le Tome troisième que vous avez promis de
m'envoyer.
MÉMOIRE.
Il s'agit d'une Edition générale de mes écrits, la-
quelle ne contiendra absolument que mes écrits, el
dont on ôtera par conséquent toutes les pièces de mes
adversaires et autres que M. Rey et d'autres Libraires
ont mises dans le recueil de mes œuvres.
La diminution que ces retranchemens feront dans
le volume de l'ouvrage sera compensée et au delà par
les nouvelles pièces que je compte y ajouter.
J'estime que la collection de tout ce qui esl imprimé
207
et manuscrit donnera six volumes in-quarto de la
grosseur et du caractère à peu près de ceux de l'his-
toire naturelle de M. de Bufîbn , et tels que l'Héloïse
en fera deux et l'Emile deux autres.
La distribution pourra se faire à peu près de cette
manière.
Le premier volume contiendra les pièces qui se rap-
portent à la politique et à- la morale.
Le second et le troisième pour l'Héloïse.
Le 4e et le 5e pour l'Emile.
Le 6e contiendra les pièces de théâtre , ouvrages de
littérature, lettres et mémoires.
Ainsi les nouveautés seront distribuées dans le pre-
mier et le dernier volume.
Pour remédier à l'inégalité des volumes , on ajou-
tera à chacun une table des matières que je ferai
moi-même, et que j'aurai soin d'étendre ou resserrer
selon que la grosseur du volume l'exigera.
Avec l'édition in-quarto il s'en fera une autre en
18 volumes in-douze qui auront de trois en trois une
table semblable à celle de l'in-quarto.
Je compte 18 à 20 Planches pour l'in-quarto dont
la pluspart des dessins déjà faits seront suivis et nous
aurons un homme de goût pour diriger ceux qui restent
à faire; M. Rey pourra mettre ou ne mettre pas des
estampes dans l'édition in-12 selon qu'il lui conviendra
le mieux.
Je fournirai un exemplaire exactement corrigé ou
une copie très-correcte de chaque ouvrage; mais je ne
puis , vu l'état de ma santé , m'engager à aller corriger
l'édition moi-même; je pourrois tout au plus, si j'avois
du relâche, faire un voyage pour la mettre en train.
mais c'est un engagement que je ne saurois prendre;
car il ne dépend pas de moi de le tenir.
208
Sur le plan que je viens d'exposer, on m'offre dix
mille francs pour l'exécuter et cela dans un lieu à ma
portée qui n'est ni Paris ni Genève. M. Rey sent bien
qu'avec le même avantage de sa part il aura la pré-
férence.
Je veux faire plus. Comme cette somme ôtée de son
commerce pourroit l'incommoder, je lui propose un autre
arrangement, qui, vu mon état, n'est pas de ma part
fort raisonnable , mais qui sufrit , quoi qu'il arrive, pour
m'ôter le souci de manquer de pain.
J'ai besoin de cent louis en commençant, à quoi
ajoutant une pension viagère de huit cents francs qui
commencera de courir à la même date, je suis content.
Je souhaite que M. Rey le soit aussi d'une proposition
que le seul désir de l'arranger me suggère. Que si cet
arrangement ne lui convient pas , qu'il en propose
d'équivalens , je les accepte; mais je suis infirme, hors
d'état de travailler désormais , et il faut que je me
délivre de la crainte de mourir de faim.
J'avois pensé à une autre proposition. C'étoit de
prendre avec M. Rey l'engagement de ne plus rien
donner au public que par son canal et de lui fournir
gratuitement tout ce que je pourrois composer à L'ave-
nir pour la presse. Mais premièrement comme c'étoii
m'exclure désormais toute autre ressource, cela eût
exigé de sa part un traitement plus avantageux quand
j'aurois été pour ainsi dire à ses gages. D'ailleurs, en
[n'engageant à lui donner tout ce que je l'émis, je ne
voudrois pas pour cela m'engager à travailler: tant s'en
faut, je suis bien déterminé désormais à ne plus rien
faire, et cette oisiveté ne l'accommoderoit pas. Ainsi
pour éviter toute gêne de ma part et tout mécontente-
ment delà sienne , je crois qu'il vaut mieux s'en tenir:!
ce qui concerne notre édition. .l'attends son avis sur cela.
209
J'avois oublié de dire que parmi les pièces nouvel-
les , qui doivent entrer dans notre édition , il y en a
quelques-unes que M. Rey pourroit publier à part avant
l'édition générale, et qu'il pourroit même précéder d'un
avertissement qui l'annonceroit au public. Cela dé-
pendra de lui.
113.
A Môtiers, le 26 Mai 1764.
Il faut avouer, mon cher Rey, que vous avez une
terrible tête; sur l'historique que je vous fais des
50 louis que M. Duchesne a remis pour moi en main
tierce, ne voilà-t-il pas déjà que vous voulez prendre
ma procuration et agir pour moi? Ce n'est pas la pre-
mière fois que vous avez voulu vous fourrer à toute
force dans mes affaires sitôt que vous en avez été in-
struit et sans que je vous en priasse. Cela n'est pas
bien. Quand je vous fais des confidences d'amitié, il
ne faut pas pour cela vous porter aussitôt pour mon
tuteur ni me susciter comme vous avez déjà fait avec
M. Moultou des tracasseries dont je n'ai pas besoin
parmi tant d'autres chagrins. De grâce, une fois pour
toutes , laissez-moi le soin de mes affaires , puisque je
ne radote pas encore, et ne vous en mêlez que quand
je vous en prierai.
Vous avez encore fait un autre coup de votre tête en
prévenant M. l'Evêque Du Puy de la petite note dont
je vous avois parlé et dans laquelle je ne voulois point
paroitre. Elle se rapportoit à un endroit que je n'ai
pas le tems de chercher, dans lequel il fait entendre in-
directement niais clairement (pie j'ai obtenu par sur-
prise et supercherie le privilège d'Emile. Ce qui est si
14
210
peu vrai que ce privilège a même été demandé et obtenu
sans mon consentement. Comme vous êtes à portée
de savoir la-dessus la vérité mieux que personne, j'avois
dessein de tourner en votre nom une note sous ce pas-
sage, dans laquelle vous auriez pu, sans offenser M.
de Pompignan, relever la légèreté avec laquelle ces
beaux défenseurs du Christianisme, non contens d'at-
taquer les ouvrages , chargent les auteurs sans scrupule
d'imputations injurieuses et fausses , qu'ils n'avancent
pas ouvertement à la vérité , mais qu'ils ont grand
soin de faire entendre. Je serois bien fâché qu'on vit
jamais rien de pareil dans les écrits d'un impie comme
moi! Du reste laissons-là cette note. Ce n'est pas la
peine de l'employer.
Sitôt que je sus que Duchesne faisoit graver mon
portrait, je lui écrivis pour le prier instamment de ne
le pas placer à la tête de mes œuvres ; il me l'a pro-
mis. Quand il ne me tiendroit pas parole, j'aurois
droit d'espérer que vous ne l'imiteriez pas en cela.. e1
vous ne sauriez me faire un plus grand chagrin que
de l'y mettre. Du reste si vous voulez le faire graver
et le débiter à part, je ne l'empêche, pourvu que mon
nom n'y soit pas, mais seulement ma dévise, comme
dans les deux gravures que Duchesne a fait faire, l'une
en habit françois et l'autre en arménien. Ces gravures
ne sont bien ni l'une ni l'autre et ne me ressemblent
pas. Si vous en faisiez faire une autre il faudroit la
composer sur les deux. Il m'en a envoyé un petit
nombre d'épreuves qui ont été bientôt distribuées. Si
absolument vous ne pouvez pas lis trouver, je vous
les procurerai l'une et l'autre; mais je snis étonné de
cette difficulté puisque tout le Royaume en fourmille,
et qu'il en a sans exagération été débité plus de dix
mille. Si vous le laites graver el qu'on puisse au-des-
211
sous du portrait placer ma devise dans une couronne
de chêne dont vous m'avez fait voir le dessein, ce
sera une galanterie que vous ferez à l'original et dont
il ne se croit pas indigne.
Je n'ai, quant à présent, rien à changer au pr. tome
de mes œuvres que vous vous proposez de réimprimer.
Je vous conseille seulement de voir auparavant l'édi-
tion de Duchesne ; elle contient plusieurs pièces qui
ne sont pas dans la vôtre , et même quelques-unes
que je n'approuve point qu'il ait mises dans la sienne.
Du reste je n'aime point que vous me disiez que vous
n'avez tiré votre édition qu'à mille. Vous n'avez sûre-
ment pas été si fort que cela. Je n'ai jamais voulu
vous interroger sur ces choses-là, sachant bien que
vous ne m'accuseriez pas juste , et ne voulant pas vous
mettre dans le cas de m'en imposer.
Recevez les respects et salutations de Mu? Le Vas-
seur et saluez de ma part tout ce qui vous est cher.
Je vous embrasse , mon cher Compère , de tout mon
cœur.
J. J. Rousseau.
14
VIL
CORRESPONDANCE CONCERNANT
LES
LETTRES ÉCRITES DE LA MONTAGNE.
YJ Emile avait été brûlé à Genève peu de jours
après l'avoir été à Paris. Le Procureur Général ,
Jean Robert Tronchin, venait de discuter cette
mesure dans un écrit qu'il avait intitulé Lettres
écrites de la campagne. A cette apologie d'une
sentence qui avait frappé sans jugement et sans
défense l'ouvrage et son auteur à la fois, Rous-
seau, parodiant le titre de l'écrit de Troncliin,
répondit par ses Lettres écrites de la montagne.
D'après l'aveu qu'il en a fait dans ses Confes-
sions, il n'a confié cet ouvrage à Rey qu'après
l'avoir envoyé à Avignon , selon le conseil de
Dastier, qui lui avait parlé beaucoup de la liberté
de la presse dans cette ville. Mais à Avignon ,
aucun libraire n'osa s'en charger. Rey en fit
deux éditions en même temps , une in-8° et une
in-12°. Le titre est: "Lettres écrites de la mon-
tagne par J. .T. Rousseau. — Vitam impendere
vero. — A Amsterdam, chez Marc Michel Rey.
MIHVLXIII."
213
114.
A Môtiers, le 9 Juin 1764.
J'ai, mon cher Compère, un nouvel ouvrage à vous
proposer. Mon manuscrit est tout prêt : mais deux
raisons m'engagent à vous consulter avant de vous l'en-
voyer. La première et la plus importante est que cet
ouvrage, étant mon apologie et celle de la bourgeoisie
de Genève , ne sauroit être agréable au petit Conseil
ni aux Ministres , et qu'en l'imprimant vous risquez
de déplaire à ces gens-là ; si vous aviez intérêt à les
ménager il ne vous conviendrait peut-être pas de courir
ce risque.
Ma seconde raison est que cet ouvrage sera difficile
à imprimer correctement, à cause de la quantité de
notes , de citations , de chiffres , de guillemets dont il
est entremêlé et qui demandent le plus grand soin de
la part de l'imprimeur et du prote ou correcteur, et
cependant c'est de tous mes écrits celui dont l'exacti-
tude et la correction m'importent le plus ; mon honneur,
mon repos , ma sûreté même en dépendent ; une faute,
un contresens , un quiproquo sont capables de tout
gâter. Je ne cesserai de trembler sur l'exécution jus-
qu'à ce que la dernière bonne feuille me soit parvenue.
Il faudra donc que vous braviez la mauvaise humeur
de certaines gens, et que vous donniez une attention
extraordinaire à la chose. Ajoutez que la diligence
importe tellement qu'il faut absolument que l'ouvrage
soit inutile ou qu'il paroisse dans le mois de Novembre
au plus tard. Voyez si à toutes ces conditions il vous
convient d'entreprendre cette affaire et répondez-moi
le plustôt qu'il vous sera possible; car j'attends votre
résolution pour prendre la mienne.
2U
L'ouvrage est en deux parties que j'estime faire
ensemble à peu près retendue du Contrat Social. Le
prix en sera le même, et si vous le trouvez trop fort
après avoir vu l'ouvrage , vous diminuerez ce qu'il vous
plaira.
Je souhaiterois beaucoup un format 8° et un carac-
tère un peu gros ; cependant si vous voulez absolument
prendre le format et le caractère des œuvres , j'y con-
sens : l'essentiel est l'exactitude et la correction.
Je diviserai le manuscrit en deux envois; savoir, la
première partie en recevant votre réponse , et la seconde
en recevant l'avis de la réception de la première. En
attendant, supposant que le parti vous convienne , pré-
parez toute chose, afin qu'à la réception du premier
envoi vous mettiez tout de suite la besogne en train.
Le grand éloignement qui me met hors d'état de
revoir les épreuves est un si grand inconvénient que
cela seul me dégoûteroit du travail. Voyez cependant
si à force de soins vous ne pourriez pas suppléer à
l'inspection de l'auteur. Je ne vous demande que de
suivre fidèlement la copie en toute chose, même dans
les fautes qui peuvent s'y trouver. Je supplie très-
particulièrement ma chère commère de vouloir bien après
la dernière correction suivre encore avec vous l'épreuve
et la comparer au manuscrit sans se presser. Je vous
promets que si l'édition peut se faire sans grosse faute,
ou je mourrai à la peine ou j'irai vous embrasser tous
ileux.
Vous aurez dans la première partie, qui est la plus
grande de quoi occuper suffisamment vos ouvriers en
attendant la seconde. Vous m'enverrez chaque lionne
feuille sitôt qu'elle sera tirée, afin que j'aye le teins de
bien L'examiner, et de voir si quelques cartons sont
nécessaires.
215
Soit que vous acceptiez ou non, je vous demande
sur cette affaire le plus grand secret. Quand l'impres-
sion tirera à sa fin, vous pourrez vous entendre avec
vos correspondans comme à l'ordinaire, mais sans vous
expliquer sur la nature de l'ouvrage, de peur que des
intrigans, qui s'en défient déjà, ne fassent jouer des
ressorts pour en arrêter la publication.
Je m'explique d'avance sur chaque article, afin qu'à
la réception de votre réponse je puisse vous expédier
mon manuscrit sans y joindre de lettre pour ne pas
grossir le pacquet. Bonjour, mon cher Compère, j'em-
brasse ma chère commère, ma petite filleule et toute
votre famille, et j'attends -sans retard votre réponse.
J. J. Rousseau.
Vous aurez vu sans doute ma prétendue lettre à M.
l'Archevêque d'Auch. Cette fourberie sortie de la bou-
tique de M. de Voltaire n'a trompé personne à Paris (').
(') Rousseau a désavoué sa prétendue réponse à l'Archevêque d'Auch dans deux
lettres publiées parmi la Correspondance dans les recueils de ses Oeuvres:
une à il. de P. du 23 Mai 17G4 et une à M. * * * du 28 Mai 170L Au sujet de
la dernière de ces deux lettres commençant par ces mots: C'est rendre un vrai
service à un solitaire etc., Voltaire écrivant à DamilaviLle demande s"ilest vrai
que c'est à Duclos qu'elle était adressée. Les papiers de Rey que nous pos-
sédons pourront donner la réponse. Le libraire Duchesne à Paris écrit à son
confrère d'Amsterdam en date du 10 Août 17G4: Toutes réflexions faites
relativement an volume du Contrat Social et de la Lettre à Christophe,
il faut faire le volume purement sans aucun ajouté des ouvrages de
V Evcque JJupin ou d'autres à moins que vous n'ayez tout cela sous la
main, et que vous croyiez que vis augmentations rendront le volume.
plus intéressant. Je vous prierai de mettre seulement la petite lettre
que m'a écrite ^f. Jiousseuu à V occasion de sa prétendue Lettre àl' Ar-
chevêque d'Auch, que j'ai ait restée à MM. Arhstée; mais je vous
pi le d'ij corriger une faute, qu'il y a au nom de l'Archevêque: c'est
Momtillet et non Du Tillbt comme il est écrit dans lu lettrede M. Bous-
seau." — Eh bien! dans un volume d'une édition des Oeuvres de Rousseau
faite par Rey, se trouve la lettre du 28 Mai L764 commençanl par C'est rendre
mi vrai service à un solitaire rie. et le nom de l'Archevêque y est écrit
216
J'espère qu'elle trompera peu de gens où vous êtes.
Mais dans nos provinces on est si bête que quand un
écrit porte le nom d'un Auteur, on ne peut se persua-
der qu'il ne soit pas de lui.
115.
A Môtiers, le pr. Juillet 17G4.
Je reçois votre lettre du 20 Juin , et je vous expédie
ci-joint la première partie de mon manuscrit. Je vous
expédierai la seconde sitôt que j'aurai avis de la ré-
ception de celle-ci. Je me recommande à vous, mon
cher Compère; faites de bonne besogne: l'honneur de
votre ami et le bien de votre patrie sont entre vos
mains. Quant à l'argent, vous me le ferez tenir à
votre commodité ; rien ne presse. J'embrasse ma chère
commère, ma petite filleule et vous.
J. J. Rousseau.
110.
A Môtiers-travers, le 15 Juillet 1764.
Le 2. de ce mois, mon cher Rey. je lis partir à votre
adresse la première partie de mon manuscrit; si d'au-
jourd'hui eu huit je reçois, comme je l'espère, avis de
MiiNTii.LET. La lettre que Voltaire croyait être adressée à Duelos est donc
>-i'!lo indiquée par Duchesne, qui la nomme une petite lettre, par rapport à
la Réponse à Christophe Beaumonl et aux autre- pièces qui devaient com-
poser le volume. On verra par le V1. L28 que Rej n'a pas publié la lettre
de Duchesne sans la permission de l'auteur. Cependant l'édition où Rej a fait
la correction que Duchesne lui avait indiquée, n'a pas. à ce qu'il parait, servi
de type aux éditions qui ont suivi, puisque dans les recueils '1rs Oeuvres de
Rousseau l'Archevêque d'Auoh est toujours nommé I>u Tillet.
217
sa réception , je ferai partir le même jour la seconde
et dernière partie contenant trois cahiers.
En attendant, comme vous pourriez avoir déjà mis
en train l'ouvrage, je joins ici une addition et une cor-
rection: toutes deux peu importantes, mais que je
vous prie cependant de placer avec attention dans un
ouvrage où l'exactitude et la justesse sont essentielles.
Changement page 30 (').
au lieu de ces mots:
Je me perds , je me noyé dans cet océan d injures et
de bêtises. Tirons de cet abîme un seul fyc.
mettez ceux-ci:
Je me -perds , je m'embourbe au milieu de tant de bê-
tises. Tirons de ce fatras un seul <jV.
Addition page 45.
A la fin de l'alinéa qui finit par ces mots :
car enfin un mort peut n'être pas mort ( ).
ajoutez ceux-ci à la suite du texte :
Voyez le livre de M. Bruhier.
De sorte que l'alinéa ainsi augmenté finira de cette
manière :
car enfin un mort peut n'être pas mort ( ). Voyez
le livre de M. Bruhier (2).
J'ai trouvé aussi quatre vers qui vont si bien à la
(') Le passage se trouve, tel que l'auteur l'a corrigé, dans la Seconde Lettre
h fait partie de L'alinéa qui commence par "Comment les suivre" page 69
de l'édition originale in-12°.
(-) La citation du livre de Bruhier {sur l'incertitude des signes de ht
mort) se trouve dans la Troisième Lettre.
218
première partie que je vous prie de les mettre en Epi-
graphe au titre; les voici:
Quod si accusator alius Sejano foret,
Si testis alius, judex alius denique;
Dignum faterer esse me tantis malis,
Nec bis dolorem delenirem remediis.
J'aurai soin de chercher aussi une épigraphe à la
seconde partie, afin que l'une soit comme l'autre.
Si l'envoi des livres que je vous ai demandés n'est
pas encore fait, je vous prie d'en retrancher le Tome IV
de Buffon; car on ni' envoyé de Paris ce Tome relié,
avec les Tomes Xet XI. Si l'envoi est déjà fait, mar-
quez-moi si , sans vous être à charge , ce livre ne pour-
rait pas être remis pour votre compte à quelque libraire
de ce pays. Autrement je l'aurai à double.
Lorsque vous m'enverrez de l'argent, ce qui n'est
point pressé, vous aurez soin d'en déduire le prix des
livres que vous m'avez envoyés. Mes remercîmens à
M. votre fils des estampes dont il veut bien me faire
le cadeau. S'il s'en débite quelques jolies en paysages
ou en portraits , vous m'obligerez de m'en faire l'em-
plette, et de me les envoyer par occasion. J'embrasse
de tout mon cœur ma chère commère, ma filleule, tous
vos enfans et leur Papa.
J. J. Rousseau.
Ayez soin de m'envoyer vos bonnes feuilles à mesure
que VOUS les tirerez. Ne pourroit-on pas imprimer
l'ouvrage par demi-feuilles, afin que, s'il s'en trouvoit
quelqu'une qu'il fallût absolument refaire, la dépense
et le retard fussent moindres?
219
117.
A Yverdun, le pr. Aoust 1764.
A la rception de votre lettre du 13, je fis partir, il
y a huit jours , mon second et dernier pacquet; je compte
que vous le recevrez aujourd'hui ou demain, et que
notre affaire est maintenant en train ou ne tardera pas
d'y être. Je vous ai envoyé des épigraphes pour les
titres ; en y mieux pensant , je juge à propos de sup-
primer ces épigraphes et de mettre uniquement pour
vignette la couronne civique dont il a été parlé, avec
ma devise au dedans ('). Je vais faire une tournée
qui sera peut-être de quelques semaines : ce qui ne doit
pas vous empêcher de m'envoyer vos bonnes feuilles
à mesure que vous les tirerez; je compte en trouver
quelques-unes à mon retour.
J'ai rencontré en venant M. Babu, que j'ai été fâché
de ne pas recevoir comme j'aurois fait si je me fusse
trouvé chez moi; je vous remercie du pacquet dont il
(i) La couronne civique n'est pas sur le titre. La devise vitam impendere
vero v est entourée de petits fleurons. Mais la couronne de cliéne entourant
la devise se trouve sur le titre d'une édition de l'Emile formant le 7 nie volume
des Oeuvres de Rousseau, chez Jean Néaulme à Amsterdam 177:2, avec Pri-
vilège. Il est à remarquer que ce n'est pas Néaulme qui a donné cette édi-
tion, quoique son nom soit sur le titre, mais Iiey qui s'est servi de la gra-
vure qu'il avait fait taire pour la Réponse à l'Archevêque de Taris. Voyez
No. 102. Jean Néaulme au commencement de l'année 1764 s'est retiré à
Berlin. Après avoir passé plus de 50 années dans la librairie, voyant le com-
merce suivre un train, à son avis, contraire aux intérêts des honnêtes gens,
il a publié son Catalogue d'une nombreuse collection de livres en tout
genre, rares et curieux, propres à satisfaire 1rs amateurs et à fournir
une partie (le ee qui manque aux grandes Bibliothèques , lesquels se ven-
dront dans Berlin etc. Cependant la vente n'a pas eu lieu à Berlin, mais
;'i La Haye, le 2-4 Juin 1765 et jours suivants, par les libraires N.vanDaalen
et B. Gihert. qui aux 5 volumes du Catalogue que Néaulme avait publiés,
en ont ajouté ou «ixinur.
220
étoit chargé et que je l'ai prié de remettre en passant
à M"? Le Vasseur. Vous ne me parlez point de l'his-
toire universelle ; auriez-vous oublié cet article? Je vous
réitère la prière de me l'envoyer par la première occa-
sion et d'en déduire le prix sur mes honoraires. Bon-
jour, mon cher Compère. Portez-vous bien et tout ce
qui vous appartient.
J. J. Rousseau.
118.
A Môtiers , le 27 Aoust 1764.
Je receus il y a huit jours, mon cher Compère, la
première épreuve, et j'attendois aujourd'hui deux ou
trois feuilles; je n'ai rien receu du tout. Si vous aile/.
de ce train, l'ouvrage ne sera pas imprimé dans un an:
cependant vous m'avez promis que l'ouvrage seroit pu-
blic en Novembre, et il est de la plus grande impor-
tance et à moi et à la chose et à nombre d'honnêtes
gens qu'il paroisse à Genève et à Paris au commence-
ment de Décembre au plustard. Si cela n'arrive pas .
vous me ferez, je vous l'avoue, un des plus grands
chagrins que je puisse recevoir en ma vie. Prenez d
vos mesures, je vous en conjure, et faites entrer dans
votre calcul les retards des mauvais chemins et tous
les accidens qui peuvent retarder la marche de vos en-
vois , afin qu'il ne vienne alors ni si ni mais qxù n'aient
été prévus , et qui feroient tout manquer.
Vous avez pu voir que l'ouvrage est tourné de ma-
nière qu'il ne s'y trouve rien qui pui>sc déplaire à la
France ei aux Catholiques. Cela vous met à portée de
pouvoir aisément, pour peu que vous y travailliez, l'aire
passer VOS envois à Paris; car il est certain (pie le
221
Magistrat, à moins de prévention on de partialité, doit
naturellement en permettre le débit , et que la Cour doit
même en être bien aise, puisqu'il ne s'y trouve rien
que d'honorable à la Médiation. Le but des trois der-
nières lettres est en effet d'instruire les puissances mé-
diatrices, à la garantie desquelles il paroit qu'on sera
forcé d'avoir recours. Tâchez donc que l'ouvrage se
répande en France et surtout à Paris ; mais quand vous
l'annoncerez à vos correspondans , n'en parlez que comme
de mon apologie sur la Eeligion , sans parler en aucune
façon du Magistrat de Genève, de peur qu'on ne nous
suscite quelque obstacle de ce côté-là. Vous voilà
bien prévenu sur tout; c'est à vous à voir maintenant,
quelle activité l'intérêt de la justice , de la patrie et de
vos amis peut vous donner sur tout cela.
J'aurois un petit changement à faire dans la seconde
partie, page 172, à la fin du premier alinéa. Jevoudrois
mettre ainsi cette fin : ("vous aurez joui d'un bonheur
"bien rare, et dont vos oppresseurs ne paroissent guère
"alarmés") (').
Cela n'est pas trop bien, et peut-être ce qui y est
est-il mieux, mais je ne m'en souviens pas. Vous ju-
gerez et vous choisirez. Je voudrais faire entendre avec
finesse que les Magistrats comptent sur le crédit de
Voltaire à la Cour; mais il me semble que j'ai employé
le mot de Chefs, et ce mot ne doit absolument pas
rester, parce qu'il est équivoque. Il faut avoir égard
à l'harmonie de la phrase; si vous avez encore le tems
de m'envoyer cette phrase avant de l'imprimer, faites-
le; sinon mettez comme ci-dessus, à moins que
(') C'est ainsi quo la phrase se trouve en effet dans la Neuvième Lettre.
Il<\ :i cVrii sur l'original de cette lettre, en marge, probablement comme
une phrase qu'il trouvait dans le manuscrit: --c'est sur quoi l'on voit bien
'/nr vos chefs ne comptent pas."
222
ce qui y est ne suit manifestement mieux. Je tous
embrasse et tout ce qui vous est cher.
J. J. Rousseau.
119.
A Môtiees, le 3 7br.e 1764.
Depuis votre lettre du 10 Aoust qui accompagnoit
la première Epreuve, je n'ai rien receu de vous, et comme
je ne puis présumer qu'après avoir commencé l'impres-
sion de cet ouvrage vous l'ayez planté-là, je juge par
ce silence que vos pacquets sont interceptés. Voyez
là-dessus, mon cher Compère, ce qu'il convient défaire.
Je pense qu'il faudrait, si nous sommes dans ce cas,
ne plus rien m'envoyer directement , mais nous servir
d'une autre adresse, et que votre écriture ni votre ca-
chet ne parussent point sur les pacquets. La voye par
laquelle cette lettre vous sera remise me paroit bonne.
Servez-vous en, mon cher Compère, si vous jugez à
propos; mais surtout ne continuez pas à m'envoyer les
feuilles directement , car il vaudroit mieux que je ne
les visse point que de ne les voir qu'après d'autres. Si
vous jugez qu'il n'y ait point eu de pacquets inter-
ceptés, le cas est différent; mais alors sachant (pie l'ou-
vrage doit parôitre dans un tems préfix, votre conduite
est bien étonnante. Je vous embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
120.
Au Champ-du-Moulin, le '.) 7hrf 1764.
Il faut d'abord, mou cher Compère, vous mettre au
fait de l'état des choses, et de la raison pour laquelle
je vous ('cris par In France.
22;î
Le 20 Aoust je receus avec votre lettre du 10 l'épreuve
de votre première feuille, et vous m'annonciez dans peu
les deux ou trois autres feuilles consécutives ; cependant
depuis cette première épreuve je n'ai plus rien receu de
vous, ce qui me fait présumer que vos pacquets ont été
interceptés, n'étant pas possible d'imaginer qu'ayant
commencé l'impression d'un ouvrage qui doit être pu-
blic en Novembre vous laissiez tout là sans même
daigner m'en avertir.
Comme les lettres que je vous ai écrites peuvent avoir
eu le même sort, je dois vous dire aussi que huit jours
après la réception de la dite épreuve, je vous écrivis
pour vous en accuser la réception et pour vous indiquer
un léger changement à faire vers la fin de la seconde
partie. Enfin, Lundi dernier, trois Septembre, je vous
écrivis sous couvert de Mrs. Pourtalès , vous indiquant
la même voye pour me faire parvenir votre réponse et
vos feuilles si vous le jugiez à propos.
Maintenant que la continuation de votre silence me
confirme dans tous mes soupçons sur l'infidélité des
postes de Suisse , je prends le parti de vous écrire par
la France , et je pense que nous ne saurions mieux
faire que d'établir par là notre correspondance en toutes
choses qui demandent du secret, surtout par rapport
aux affaires de Genève. Mais il faut pour cela que
vous ayez à Paris un correspondant sûr, qui reçoive
vos pacquets et qui les affranchisse jusqu'à Pontar-
lier. C'est une précaution indispensable pour qu'ils
me parviennent, attendu qu'accablé de ports de lettres
inutiles, j'ai écrit là-dessus à Mrs. les fermiers gé-
néraux des postes et qu'en conséquence de la prière
que je leur en ai faite, toutes les lettres à mon
adresse qui ne sont pas affranchies jusqu'à Pontarlier
sont mises an rebut à Paris. Comme cette voye vous
peut être embarrassante et dispendieuse, nous ne nous
en servirons qu'en choses nécessaires; mais c'est le
cas où nous sommes dans cette occasion plus (m'en
nulle autre, puisque vous jugez bien que ce n'est qu'à
très-mauvais dessein qu'on intercepte vos envois et
qu'il est de la plus grande importance et à moi et à
tout un corps très-estimable, que mon ouvrage et surtout
la seconde partie ne tombe point entre les mains de
mes oppresseurs avant d'être sous les yeux du public.
S'il arrivoit, du reste, qu'en conséquence de la décou-
verte qu'ils auront i'aite de notre besogne, ils fissent
jouer des machines dans votre gouvernement pour en
empêcher la publication, je crois que vous trouveriez
une protection sûre à leur opposer dans Messieurs les
Comtes de Bintink que je sais être bien intentionnés
pour moi ('). Vous êtes prudent et sage pour faire
au besoin ce qu'il convient.
Sur tout ce que je viens de vous exposer, vous
pouvez juger de ma situation, et du besoin que j'ai
d'un prompt éclaircissement sur un silence aussi inquié-
tant que le vôtre et sur d'aussi cruels contretems qui
nous causent peut-être dans la perte du tems un pré-
judice irréparable.
Mon adresse par la voye de Paris doit être conçue
exactement en ces ternies, ni plus ni moins.
A Monsieur
Monsieur J. J. RorssK.w
à Môtier-Travers
par Pontarlier.
J'embrasse ma chère commère, et vos enfans, surtout
(■) Voir la note au N». 110.
225
ma petite filleule dont je suis charmé d'apprendre le bon
état; je vous salue et vous embrasse aussi de tout
mon cœur.
J. J. Rousseau.
121.
A Môtiers, 17 7'"." 1764.
J'apprends , mon cher Rey , par votre lettre du 7
que vous avez été malade. Je suis affligé de votre
mal , et tandis que vous souffriez de vos douleurs , j e
souffrois, moi, de votre silence; comme vous aurez pu
voir pas les lettres que je vous ai écrites par différentes
voyes. Si vous eussiez daigné me faire écrire au moins
deux mots, vous m'eussiez épargné de cruelles inquié-
tudes.
Il y a dans la feuille B page 20 une omission
d'autant moins pardonnable qu'il ne falloit que lire
pour la sentir. Ligne 6 en remontant il y a
résulte celle des sentimens sur la Religion en
et il faut :
résulte celle des sentimens sur la Religion, dune
part en
Ces deux mots omis rendent un carton nécessaire
pour que la phrase ait un sens.
Quant à la correction de la page 172, mettez-la
comme je vous l'ai envoyée par lettre, car le mot chefs
ne doit absolument pas rester.
Si je croyois que l'ouvrage ne pût être public à Ge-
nève avant Noël, j'aimerois beaucoup mieux qu'il ne
le fût point du tout; car publié après, il peut faire du
mal et ne peut faire aucun bien. S'il n'y a pas d'autre
moyen, il ne faut pas balancer à en envoyer par les
13
226
chariots de poste ou par d'autres voyes diligentes quoi-
que dispendieuses, au moins une centaine d'exemplaires
de l'Edition in-12, pour moins d'embarras et de frais:
on vendra ces exemplaires tout ce qu'on voudra , et en
annonçant le grand envoi comme suivant de près, cela
empêchera les contrefaçons. Il faut absolument, en un
mot, qu'à quelque prix que ce soit l'ouvrage paroisse
à Genève avant Noël, ou vous me donnerez le plus
grand chagrin que je puisse recevoir et vous causerez
un mal irréparable. Je vous conjure de penser à cela.
Lorsque vous annoncerez l'ouvrage en France, il ne
faut pas simplement l'annoncer comme Apologie sur
la Religion mais faire entendre qu'elle n'est que contre
les ministres de Genève et qu'il n'y a pas un seul
mot contre les Catholiques. Je ne doute point (pie sur
la lecture de l'ouvrage le magistrat n'accordât sans
difficulté une permission tacite.
Sitôt que vous pourrez m'expédier l'histoire univer-
selle vous me ferez plaisir, car j'en ai besoin.
J'attends avec la dernière impatience de vos nouvelles.
et j'espère surtout que je saurai à quoi m'en tenir sur
l'envoi de Genève, et que vous pourvoirez efficacement
pour l'avenir qu'il n'y ait plus de retards. Je me suis
assez bien porté durant mon voyage, mais de retour
à Môtiers me voilà tout aussi mal qu'auparavant. Je
vous embrasse.
J. J. Rousseau.
\2:>.
A NEUFCHaTEL, le lr 8*"? 1764.
Je reçois, mon cher Compère, avec votre lettre du
21 7b.ro la suite des feuilles jusqu'à L. inclusivement ,
227
et j'y vois avec un déplaisir inexprimable que vous
m'annoncez à cause d'une foire une interruption de
près d'un mois. Si cette interruption avoit lieu, il seroit
absolument impossible que mon ouvrage fût imprimé,
non-seulement au commencement de Novembre comme
vous me l'avez promis , mais à la fin , et par conséquent
impossible aussi qu'il fût public à Genève avant Noël
comme il doit l'être absolument. Je ne sais quelle
étrange fatalité me poursuit dans l'impression de mes
ouvrages; mais je sais que si celui-ci manque au tems
et à l'occasion , je ne m'en consolerai de ma vie et que
j'abjurerai pour le reste de mes jours un malheureux
talent qui ne m'attire que des douleurs sans pouvoir
être utile à personne.
En calculant l'impossibilité que votre envoi pour
Genève fût fait à tems par les voyes ordinaires, j'ai
vu qu'il falloit absolument se servir de quelque autre
moyen et j'ai écrit en conséquence. Si des personnes
connues s'adressent à vous pour cela, je vous prie
de concerter avec elles tout ce qui sera faisable pour
que mon travail ne soit pas perdu et que l'ouvrage
n'arrive pas après coup.
Je ne vois point d'inconvénient que vous traitiez
avec Ducliesne, et même cela vous ôtera l'embarras de
l'introduction, s'il arrivoit que M. de Sartine fût d'assez
mauvaise humeur pour s'y opposer; quoiqu'assurément
il n'y ait rien dans l'ouvrage qui doive déplaire en ce
pays-là, et qu'il y ait beaucoup de choses qu'on y
doit lire avec plaisir.
Je vous ai demandé ci-devant un carton pour une
des deux premières feuilles. En voici deux autres en-
core plus nécessaires ; je vous prie de les faire faire avec
soin, et de veiller à ce qu'il en soit fait de correspon-
dais dans l'Edition in-12 si, comme il est fcrès-appa-
15 •
2 2! s
rent, les mêmes fautes s'y trouvent. Cette édition in-1 2
doit être faite avec d'autant plus de soin que pour La
facilité du transport ce sera probablement celle que
vous enverrez de préférence à Genève. Ainsi je vous
la recommande particulièrement.
La faute qui demande le deuxième carton est aux
pages 77 et 78 dont les deux notes sont transposées;
il faut les remettre Tune à la place de l'autre; cette
correction est très-essentielle (').
Le troisième carton est pour un mot omis à la
page 135 où le mot sûrement est omis ligne 5 après
le mot juger. Prenez garde que le mot juger se trouve
dans la ligne 4 et dans la ligne 5, et que ce n'esl
qu'après le second que le mot sûrement doit être ajouté.
Voici ces deux lignes, telles qu'elles doivent être (2).
Loix de la nature, pour en juger il faut con-
noitre ces Loix, et pour en juger sûrement il
faut les
Je suis fâché, mon cher Compère, que vous ne jouis-
siez pas de votre santé ordinaire. Donnez-moi des
nouvelles de votre état et ménagez-vous. Pour moi je
sens les approches de l'hiver. Je suis chagrin, je suis
malade, et je suis encore plus inquiet. Mille amitiés
à vos Dames. J'embrasse ma filleule et son papa.
J. J. Rousseau.
M. Philibert Cramer m'a écrit au sujet de l'argent
que son parent s'est chargé de me remettre, mais il
m'est tout aussi difficile de le taire venir de Genève
(') Après ces nuits sur l'original, Rey a écrit cette parenthèse [c'est vous
qui avez fait l'erreur). 11 a ê l'erreur, comme les autres.
(2) Rey a. marqué ici : Le mot <i manqué dans le MSc.
22\)
que d'Amsterdam. Je verrai pourtant d'arranger cette
affaire tandis que je suis à Neufehâtel, et sitôt qu'elle
sera en règle, je vous le marquerai.
123.
A. Môtiers, le 8 8bi:e 1764.
Je vois, mon cher Compère, par votre lettre du
28 7bi;e que l'omission de la page 20 étoit dans le
Manuscrit: c'est ma faute, je n'ai rien à dire. Cepen-
dant comme il faut également d'autres cartons, si vous
y vouliez ajouter celui-là , vous me feriez grand plaisir :
sinon nous nous contenterons de corriger cette faute
dans l'errata, car il en faudra un, indépendamment
des cartons , malgré votre attention dont jusqu'ici je
suis content.
Les cartons nécessaires sont jusqu'à présent au nom-
bre de trois , ce qui n'est pas trop sur treize feuilles.
Le premier page 20, ligne 6 en remontant, il s'agit
d'ajouter entre les deux derniers mots de cette ligne
ces deux autres mots omis: d'une part. C'est la faute
du manuscrit.
Le second carton est pour les pages 77 et 78 dont
les deux notes sont transposées , de sorte qu'il faut
reporter chacune des deux à la place de l'autre. Cette
correction est indispensable.
Le troisième carton est pour la page 135 ligne 5
où entre le mot juger et le mot il vous ferez insérer
le mot sûrement qui a été omis: en sorte que le pas-
sage doit être dans la ligne 5 de cette manière et pour
en juger sûrement il faut les. La tante vient sans doute
de la ressemblance de cette ligne avec la précédente,
qui ;! fait équivoquer le compositeur.
280
Je remarque à la page 167, ligne 10, une quatrième
faute pour laquelle je ne vous demande pas un carton,
et qu'il suffira de corriger dans l'errata de cette manière,
page 167, ligne 10, indiscrètement, lisez indistinc-
tement (*).
Je vous prie en faisant faire les cartons de veiller
soigneusement à deux choses. L'une qu'en corrigeant
la faute on n'en laisse pas glisser quelque autre , et
que le carton soit correct. L'autre chose que je vous
recommande est de veiller à ce que les mêmes cartons
se fassent exactement dans l'édition in-12 aux places
correspondantes. Il faut veiller d'autant plus soigneu-
sement à cette édition in-12 qu'à cause de la facilité
du transport et de la diligence qu'il y faut mettre , elle
sera probablement celle que vous enverrez à Genève.
Je vous avois marqué qu'il seroit suffisant pour notre
objet que l'ouvrage arrivât à Genève à Noël. Vous
allez voir par l'extrait suivant d'une lettre de M. Jacques
Vieusseux, combien je m'étois trompé.
"Nous estimons d'une absolue nécessité d'en rece-
voir 500 exemplaires sur la fin de Novembre.
Nous nous en chargerons au prix des marchands,
et l'expéditeur n'en devra point envoyer ici d'autres
avant la fin de l'année , il fout qu'ils soient bro-
chés et tout prêts à se produire. Comme cela ren-
dra l'arrangement difficile dans une balle, je pense
qu'il faudra les mettre dans une caisse exactement
fermée, couverte d'une toile cirée avec un bon
emballage par dessus et marquée VJ X". 1, ei devra
être expédiée sous le nom de Draperie ordinaire
à l'adresse de Mr. Marc Ramadier lils à Franc-
Ci Une note ^<r l'original indiq |ue indiscrètement se trouvai! dans
le M8
231
fort, avec ordre de me la faire parvenir en toute
diligence. Si la caisse part plus tard que ce mois-ci,
il faudra la remettre à im chariot de poste, en
traitant du mieux possible pour le prix de la voi-
ture. Ayez la complaisance de marquer à votre
ami de m'aviser de l'expédition, de me remettre
le compte , et de ne pas tirer sur moi pour le paye-
ment parce que j'aurai soin de lui faire remise."
J'écris aujourdui à M. Vieusseux qu'on ne doit pas
s'attendre à la diligence sur laquelle on acompte; mais
que je vous prie de faire toute celle qui vous sera
possible, que du reste je le prie et lui conseille de se
concerter directement avec vous pour l'envoi. Je vous
fais la même prière ne pouvant m'occuper de tous ces
tracas dans lesquels ma médiation est inutile. Je sou-
haite que mon ouvrage aille à Paris et s'y répande,
mais il ne m'importe pas qu'il y paroisse en un tems
prëfix comme à Genève.
M. Philibert Cramer m'a écrit de la part de son
parent. Je suis aussi embarrassé à faire venir mon
argent de Genève que d'Amsterdam. Il m'eût été bien
plus commode de tirer sur vous par lettre de change.
Du reste cela n'étoit point pressé. Les j)orts des pac-
quets me ruinent, le dernier m'a coûté 48 batz et j'en
suis déjà pour 36 francs. Il n'y a ni modération ni
règle ici dans les postes. Une autre fois il faudra s'ar-
ranger autrement.
Vous auriez bien fait de faire entrer mon Hist.
univers, dans l'envoi que vous avez fait à M1S. Pour-
talès ; ils m'ont donné une adresse pour Francfort, mais
je l'ai perdue.
Vous pouvez imprimer ma lettre du 28 May (1). Si
(') Voyez la note au X". 1 14.
232
vous traitiez avec Duchesne pour qu'il imprimât à Paris,
vous feriez un moindre profit sans doute, mais vous
éviteriez bien des embarras. Dans un voyage que j'ai
fait à Neufchâtel, j'ai perdu une lettre que je vous écri-
vois et dont celle-ci n'est que le duplicata. J'en suis
Tort en peine. Je vous plains d'avoir la fièvre; je l'ai
aussi, mais la mienne est continue avec un rhume et
d'autres maux. Mes salutations. Je vous embrasse.
J. J. Rousseau.
124.
A Môtiers, le 22 81'1? 1764.
J'ai, mon cher Compère, avec votre lettre du 12,
jusqu'à G inclusivement de la seconde partie. Je vois
avec grand plaisir que vous continuez de meilleur train
que vous n'avez commencé, et si vous poursuivez ainsi
je commence à croire que nous pourrons paroitre à tems
surtout si vous vous arrangez, comme j'espère, avec
l'auteur de la lettre dont je vous ai précédemment en-
voyé l'extrait.
Vous devez avoir receu l'indication cle trois cartons
à l'aire dans la première partie; exécutez ceux-là fidè-
lement et je n'y en demande point d'autre. Mais voici
un errata que vous aurez soin d'y placer au commen-
cement. J'y ai marqué avec des croix Les fautes qui
demandent des cartons et qu'il faudra, par conséquent,
effacer de l'orra ta.
Je suis assez content de votre exactitude et je vous
suis sensiblement obligé d'y en mettre plus qu'à l'or-
dinaire; mais je suis bien mécontent de mes propres
étourderies. En voici une dans la seconde partie qui
lait une grossière contradiction sur un point essentiel,
233
et qui me force par conséquent à vous demander un
carton. C'est à la page 22. Vous verrez dans le feuillet
ci-joint le changement qu'il s'agit de faire, et ce chan-
gement est absolument nécessaire. Ce sera, je l'avoue,
un carton de plus; mais quatre cartons sur vingt-huit
feuilles ne sont pas après tout un embarras bien con-
sidérable, et quand nous en aurions bien quatre encore
à faire sur le reste, ce qui, j'espère, n'arrivera pas,
ce ne seroit jamais qu'une feuille sur le tout, ce qui
est peu de chose.
Comme il n'est pas possible qu'il ne se glisse quel-
ques nouvelles fautes dans l'édition in-12 , je voudrois
fort que ce fût celle in-8° que vous enverriez à Genève;
car c'est là que l'ouvrage sera le plus sévèrement éplu-
ché et que toutes les fautes porteront coup. Tâchez
de verser l'in-12 en Hollande et en Allemagne. C'est
là qu'on n'aura pas besoin d'y regarder de si près.
Puisque vous ne pouvez pas ni'envoyer mes exem-
plaires auparavant , il faudra se contenter de les avoir
avec vos envois; en voici la distribution. Un pacquet
de quinze avec l'envoi pour Genève. Autant avec l'en-
voi pour Neufehatel ; car je suppose que vous ne man-
querez pas d'en envoyer à Fauche. Autant avec l'en-
voi pour Paris. Sur chaque pacquet vous écrirez pour
routeur, et je vous prie que tous les exemplaires soient
cousus, douze de l'in-8° et trois de Tin-douze.
Outre cela, j'en voudrois faire passer un à Londres
à mon Cousin Jean Rousseau , Café de Sams près de
la Bourse; un autre à Mylord Mareschal, à Berlin, avec
un petit billet où vous lui marquerez que c'est de ma
part. En voilà 47 de placés ; j'en retiens encore trois
dont je vous marquerai la disposition dans la suite.
M. Philibert Cramer m'ayant écrit qu'il étoit chargé
de me remettre les treize cents francs, j'ai de son con-
234
sentement tiré sur lui une lettre de change; je ne
doute pas qu'il n'y fasse honneur. Il m'a marqué qu'on
disoit que je faisois imprimer un ouvrage en Hollande.
Si vous ne m'avez pas gardé le secret, cela peut avoir
de grands inconvéniens. Rien ne sauroit calmer mes
inquiétudes que je ne sache l'ouvrage arrivé à ses
différentes destinations. Il ne contient rien qui doive
déplaire en France; mais je sais que M. de Sartine
n'est pas trop porté pour moi.
Mille salutations à vos Dames. Il y a longtems que
vous ne m'avez rien dit de ma filleule; j'espère qu'elle
se porte bien, et qu'on lui parle quelquefois de son
pauvre Parrain qui n'a que des malheurs en ce monde,
ce qui le rend inutile à tout. Je vous embrasse.
J. J. Rousseau.
125.
A Môtiers, le 29 8b,:e 1764.
Quelque pressée, mon cher Compère, que soit la
publication de mon ouvrage, je ne puis approuver la
résolution que vous avez prise de le faire partir avant
d'avoir fait passer sous mes yeux tout l'imprimé et
d'avoir attendu ma réponse; car vous devez comprendre
que sur une matière aussi grave, il y a des fautes
d'inadvertance <>u d'impression qui peinent être de la
plus grande conséquence et qu'il ne faut pas laisser
courir. Celle que je vous ai marquée dans ma précé-
dente est dans ee cas; c'est une bévue de l'auteur, il
est vrai: mais connue elle l'ait une contradiction into-
lérable avec la suite, il tant absolument la corriger.
Mais comment s'y prendre si nous avez déjà l'ait partir
l'ouvrage? votre expédienl «le faire un carton après
235
coup et de l'envoyer par la poste ne me paroi t pas
trop sûr; car les relieurs (') qui sont paresseux et
qui se soucient fort peu que mon ouvrage soit correct
ou non, ne trouvant pas le feuillet coupé, ne se don-
neront pas la peine de placer le carton. Ayez soin du
moins, si le carton est déjà parti, de recommander
particulièrement à ceux à qui vous adressez l'ouvrage
de ne lâcher aucun exemplaire sans le carton. Que s'il
n'est pas parti encore, voyez si peut-être il ne seroit
pas plus sûr de faire cette correction par Errata au
commencement de la seconde partie; car il est à croire
que n'ayant rien à couper, les brocheurs placeront plus
sûrement l'Errata que le carton. Comme que ce soit,
je vous demande en grâce que cette faute soit corrigée,
surtout dans tous les exemplaires qui paroitront à Ge-
nève; car la contradiction dont il s'agit suffîroit pour
y décréditer entièrement l'ouvrage, et quel parti n'en
tireroit-on pas contre moi?
Je vous envoyé le modèle de l'Errata que vous met-
trez à la seconde partie; si vous avez corrigé cette
faute par un carton, il faudra toujours faire un errata
pour la seconde faute, car elle fait un Lien ridicule
contresens. Vous êtes vous arrangé avec M. Vieusseux
pour le premier envoi? Je le désire. Au reste, faites
ce qui vous convient le mieux.
J'ai tiré sur M. Philibert Cramer une lettre de change
et comme je n'en entends plus parler je suppose qu'elle
est payée et j'ai déjà receu l'argent. Si j'étois moins
pressé, je vous enverrois aujourd'hui le receu de M11.0 Le
Vasseur.
Si notre affaire va bien , je ne refuserai pas , mon
cher Compère, l'augmentation que vous avez lnonnê-
(') Lise/.: brocheurs.
236
fceté de m' offrir. Tous vos procédés sont d'un galant
homme, et je crois qu'en nous passant mutuellement
quelques petites étourderies nous 230iivons l'un et l'autre
nous applaudir de nous connoitre. Je vous ai fait
honneur en toute occasion de ce que vous avez fait pour
Wle. Le Vasseur; et je ne me tairai pas non plus quand
l'occasion s'en présentera sur ce dernier procédé. Ayez
soin de passer en déduction le prix de l'Histoire uni-
verselle.
J'attends dans huit jours la fin de l'ouvrage, et je
voudrois que de votre côté vous attendissiez pour l'en-
voi des corrections huit jours après cette lettre, afin
que s'il se trouve encore quelque chose à faire aux
dernières feuilles vous puissiez tout faire partir à la
fois. Mille salutations et respects à mes chères Com-
mères; j'embrasse ma filleule et son papa.
J. J. Rousseau.
120.
5 9*?
Je reçois en ce moment, mon cher Compère, votre
dernier pacquet, et je suis frappé d'étonnemeni à la vue
de votre Errata, Qu'avez-vous donc fait de celui que
je vous ai envoyé? Comment avez-vous pu vous résou-
dre à faire partir cet ouvrage avant d'avoir receu et
placé mes dernières corrections?
Je vous en ai ci-devant envoyé deux pour la seconde
partie. Je vous les envoyé pour la troisième t'ois, puis-
que vous ne m'en parlez point ; car soit par cartons
soit par Errata, il faut absolument qu'elles soient em-
ployées.
237
La première page 22, ligne 11 au lieu de ces
mots.
Avant d'avoir assez affermi leur puissance , ils vou-
lurent usurper le droit de mettre des impôts.
mettez ceux-ci à la place.
Ils avoient doucement usurpé le droit de mettre
des impôts. Avant d'avoir assez affermi leur puis-
sance, ils voulurent abuser de ce droit.
L'autre faute est page 99, ligne 12, ôtez ne.
Voyez comment vous ferez si l'ouvrage est déjà parti
pour que ces corrections le suivent et qu'il ne se débite
point sans elles.
Vous me marquez que vous ferez partir tout ce que
vous pourrez de l'ouvrage pour Genève le 27 8bï° et le
reste huit jours après. Vous devez comprendre que la
première partie est inutile sans la seconde , et qu'il ne
faut absolument pas que ni à Genève ni à Paris elles
paraissent séparément.
On me mande de Paris qu'un exemplaire des Lettres
écrites de la Montagne y court , ce qui me fait une
peine excessive; si vous m'eussiez consulté, vous n'auriez
pas envoyé cet ouvrage si fort à l'avance à M. de Sar-
tine. Duchesne qui croit que l'ouvrage que vous lui
I imposez est autre chose, vient de m'écrire là-dessus,
et je lui ai répondu comme il convenoit par le cour-
rier d'hier (').
(>) Voici ce quo Duchesne écrivail à Rey le 25 Oct. "Touchant l'ou-
vrage de M. Rousseau il court un (exemplaire) d'un ouvrage déjà fini
de cet auteur, intitule: Lettres écrites de lu montagne 80. Lu pur-
238
Instruisez-moi de vos dernières dispositions et des
arrangeniens que vous avez pris pour mes exemplaires.
Je ne vous en demandois pour Paris que quinze, et
je vois qu'il m'en faudra bien vingt. Je vois avec
douleur qu'après tant de soins pour la correction et
pour la diligence, l'ouvrage sera défectueux et arrivera
trop tard. Mes inquiétudes là-dessus seroient moins
pardonnables si elles ne regardoient que moi seul. Je
vous embrasse.
J. J. Rousseau.
Voici encore une omission que j'aperçois , seconde
partie, page 22, première ligne pour ainsi, lisez pour
ainsi dire.
Page 48, ligne 3 de la note 1707, lisez 1713 (').
127.
10 9b™ 1761.
Après une lecture attentive de toutes les feuilles de
mon ouvrage, je m'en tiens définitivement à l'Errata
que je vous envoyé (2) ; mais il faut absolument que
vous fassiez en sorte qu'il soit employé, surtout pour
tout ce qui sera débité en France et A Genève. Pour
cela vous pouvez en faire un feuillet que vous sub-
stituerez en forme de carton à celui qui contient votre
singulier Errata et qui fait supposer qu'à cola près
ticulier très-respectable m'" assuré l'avoir vu; l'exemplaire est venu par
la ponte du côté de Lyon. Ne seroit-ce pas l<) l'ouvrage que vous m'avez
proposé?''
(') Voyez la Lettre suivante
-• Dana l'édition in-12, toutes Les fautes que L'auteur a indiquées mit été
corrigées, il n'y a pas d' Errata.
239
l'ouvrage est correct. Vous enverrez ce carton ou son
modèle à ceux que vous aurez chargé du débit de l'ou-
vrage, les priant d'en faire imprimer un semblable, et
de faire en sorte qu'il soit employé dans tous les exem-
plaires qui sortiront de leurs mains.
A l'égard de l'édition in-12 , comme je ne l'ai pas
je n'en saurois coter les pages correspondantes pour
y faire les mêmes corrections; ainsi il faut nécessaire-
ment que vous preniez ce soin vous-même, et je vous
prie d'y donner toute l'attention nécessaire pour que
les numéros de page et de ligne soient exacts. Il faudra
de même envoyer le modèle de ce carton in-12 à Ge-
nève et à Paris, recommandant qu'il soit exécuté avec
le même soin que celui de l'in-8°.
Vous avez le tems encore de pourvoir à tout cela
avant que l'ouvrage paroisse , et je vous prie instam-
ment que le modèle que je vous envoyé soit exacte-
ment suivi, ni plus ni moins; que si par hasard vous
avez déjà fait et envoyé l'errata sur mes corrections
précédentes, vous pouvez vous en tenir là: mais je me
souviens que dans ma dernière lettre j'avois mal à
propos marqué un changement de 1707 et 1713. C'est
1707 qui est le bon, et qui doit rester.
Si vous m'eussiez consulté sur votre envoi à M. de
Sartme, vous ne vous seriez pas exposé au refus que
vous avez essuyé, et l'exemplaire qu'il a n'auroit pas
déjà couru. Je sais que M. de Sartine, très-partial
contre moi, est livré à mes ennemis. Malgré la solli-
citation de M. Astier, à l'estime duquel je suis très-
sensible, je n'augure guères mieux des dispositions de
M. le Duc de Praslin. M. de Voltaire, tout-puissant
auprès des deux frères, est l'ennemi le plus implacable
que j'aye, et que puisse avoir la Bourgeoisie de Ge-
nève. Ainsi toutest contre nous , hors le droit, la justice
et la vérité. Et qu'est-ce que tout cela vis-à-vis de
l'intrigue et du crédit?
Comme je suppose que vous aurez déjà disjiosé de
l'envoi de mes Exemplaires, je n'ai plus rien à vous
dire là-dessus : sinon que les soixante que je me
réserve ordinairement ne seront pas de trop en cette
occasion.
Je proposerai à M. Vieusseux de distribuer pour mon
compte douze de ceux que vous lui avez expédiés, et
je lui en renverrai autant des miens à la place quand
ils seront arrivés. J'espère que vous en aurez envoyé'
à Paris au moins quinze comme je vous en ai prié,
et <pie vous me manderez à qui ils sont adressés afin
cpie j'en dispose; car je compte toujours que, permis
ou non, l'ouvrage entrera, comme vous vous en êtes
l'ait fort. Vous n'oublierez pas non plus l'exemplaire
pour mon cousin à Londres , ni celui de Mylord Ma-
réschal. Quand je saurai combien il vous en reste pour
mon compte , je pourrai vous en marquer l'emploi.
De quelque manière que M. le Duc de Praslin air
répondu, si vous ne lui avez envoyé que la première
partie il faut lui envoyer aussi la seconde. Il peut être
utile qu'elle passe sous ses yeux, et il ne tant pas
qu'il puisse croire qu'on l'a voulu surprendre.
Nous voilà, je crois, à peu près en règle sur cette
affaire. Ainsi, à moins d'éclaircissemens nécessaires, je
vais cesser de vous écrire pour quelque teins en atten-
dant la. publication de l'ouvrage. Je suis excédé de
fatigue, d'inquiétude et de lettres; j'ai besoin d'un
peu de repos, ei je pense que vous en avez besoin
aussi. ^Ics honneurs à vos Dames , j'embrasse la petite
et son papa. Tout à vous.
J. J. Rousseau.
241
Voici le receu de M1!6 Le Vasseur que j'ai oublié de
vous envoyer plustôt. Si vous savez l'adresse de
M. Roustan , je vous prie de lui envoyer aussi un Ex.
de ma part.
128.
12 9bf« 1764.
En réparant, mon cher Compère, l'oubli du receu de
Mu<: Le Vasseur dans ma lettre d'avant-hier , je vous
envoyé en même tems un article omis dans F errata de
la seconde partie. Cette correction est absolument né-
cessaire parce que le ne qui a été ajouté et qui n'étoit
sûrement pas dans la copie me fait dire précisément
le contraire de ce que je veux dire.
2e Partie page 99, ligne 12 qui ne fut arme, effa-
cez ne (').
Me rapportant au surplus à ma précédente, j'attends
des nouvelles de vos envois pour la France et vous
embrasse de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
120.
31 10'»? 1764.
J'ai receu, mon cher Compère, votre dernière lettre
sans date et vos erratas qui ne sont pas plus fidèles
que les autres, surtout l'in-12 où l'Italique et le Ro-
main sont tellement confondus qu'on n'y comprend
(') La correction a été faite. Le passage se trouve (Lettre VIII) dans l'alinéa
commençant II n'y a "point d'Etat au monde etc.
n;
2A-1
rien. Dans le- passage changé de la page 235 , on a
mis un mais qui n'est sûrement pas de ma façon. Il y a
p. 80 une autre faute que je n'ai découverte qu'après coup
et qui fait le plus cruel contre-sens. C'est ligne 18 impru-
dence pour impudence. Cette r de trop est tuante (1).
J'apprends que l'on contrefait cette édition à Yverdun.
Assurément c'est bien votre foute. Pourquoi en avoir
envoyé si peu dans ce pays?
Qu'est donc devenu votre envoi pour Paris? Est-il
péri dans la mer, est-il englouti dans la terre? J'ai
receu hier une lettre de Duchesne qui ne m'en dit pas
un mot (2). Il faut avouer que je suis bien chanceux.
Il faut que le pays pour lequel j 'a vois expressément
fait cet ouvrage soit le seul où il ne peut parvenir.
On ne sauroit exprimer la fureur que cet ouvrage
excite à Genève chez les ennemis de la liberté et chez
les miens. Vernes vient de publier contre moi un libelle
qui fait frémir et qui doit faire bien du tort et du
déshonneur à mes adversaires. Quant à moi, je puis
vous jurer qu'il ne me fait aucun chagrin. Je suis
(') Ello est restée cette r tuante. On lit toujours dans l'alinéa de la Hui-
tième Lettre commençant Et qu'on ne dise pas etc. imprudence pour im-
pudence.
(2) Cependant Ducliesne, qui s'était arrangé avec Rey pour le débitde l'ouvrage
en France , mettait une grande activité et employait toute sorte de ruses pour
faire entrer des exemplaires à Paris, en secret. "Potii'quoi — écrivit-il —
votis ai-je demandé que les ira-12 fussent plies comme les i/i-S" de notre
volume? parce que ne pouvait foire entrer cela que très-difficilement, *t
pur les carrosses des Seigneurs de la Cour, lis paquets i/ui ont la forme
îles in-S°, m-4° ou in-fol. sont /dus aisés à arranger dons les fonds des
carrosses que les wi-12° '." Mais le principal envoi se lit par mer, par Rouen
et par Dunkerqne. Ce fut seulement le 28 Janvier 17G5 que Ducliesne put
('crire à son confrère d'Amsterdam: "Je dois VOUS informer qu'enfin nos
affaires sont eu sûreté. Ce n'est pas sans bien des peines et des dépenses
que l'on est parvenu au point île les déposer à quelques lieues d'ici; il
,n est entré et ueee les précautions nécessaires. Les /iresi ns que M. Iïous-
seau vouloit faire ont été faits."
243
très-aise de laisser, comme j'ai dit dans l'ouvrage,
L'arme de la calomnie et de la satire à mes ennemis.
Dans l'envoi que vous m'avez fait dans la balle de
Fauche vous avez fait un quiproquo qui m'a rendu
bien penaud. C'est qu'au lieu des Tomes 8 et 9 de
l'Histoire universelle moderne dontj'avois précisément
le plus de besoin vous m'avez envoyé les Tome 8 et 9
de l'Histoire universelle ancienne que j'avois déjà.
Avouons ,. cher Compère, que vous et moi serons jus-
qu'à la fin deux vrais étourdis. Tâchez de voir com-
ment nous pourrons faire, vous pour m'envoyer les
deux volumes qui me manquent, et moi pour vous
renvoyer les deux que j'ai de trop, et qui doivent vous
dépareiller un exemplaire. Vous ne m'avez pas mar-
qué le prix de ces neuf volumes; marquez-le moi, je
vous prie, et comment je puis vous le faire tenir.
M. Vernéde d'Amsterdam s'est chargé à Lyon de
quelques chiffons que j 'envoyé à ma filleule et à mes
chères commères. J'ai chargé Mad. Boy de la Tour,
mon amie, de cette petite emplette. Je souhaite que,
ne pouvant être riche, elle soit du moins de bon goût.
A petit mercier, petit panier, cher Compère. Bien en-
tendu que le petit mercier c'est moi; car le panier ne
sauroit être trop grand pour le mérite des Dames.
Je reçois avec bien de la reconnoissance le beau pré-
sent d'estampes que me fait M. votre fils ('). Je me
propose de lui écrire pour le remercier; mais le mo-
ment de crise où je suis redouble tellement mes tracas
que la tête m'en tourne: et je suis obligé de finir
brusquement en vous embrassant <1<' tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
(3) François Bernard , mort en Juin 1780 , peu de jours après son père. Le
cadet des deux fils de Etey, [saac, s'étant établi aux Colonies Hollandaises
.■ii Amérique est mort ,'i Demi
16*
244
J'oubliois de vous marquer que le mot ainsi, omis
dans les deux éditions est à celle in-8° à la page 52
de la pre partie, ligne première, et à l*in-12 page 254,
ligne trois en remontant.
130.
A Môtiebs, le 28 Janv. 170.').
Voici, mon cher Compère, la réponse à la lettre que
vous m'avez envoyée au commencement de ce mois.
Je sais qu'il y a deux Comtes de Bentinck (') et qu'ils
m'honorent l'un et l'autre de leurs bontés; mais je ne
sais comment distinguer l'un de l'autre par l'adresse
des lettres. Vous m'obligeriez de m'envoyer ces adresses
bien distinguées. Vous savez qu'on a très-sévèrement
défendu à Berne les Lettres écrites de la Montagne.
Vous ne sauriez concevoir à quel point la rage du
Conseil de Genève et des pantins qu'il l'ait jouer à
Berne et ailleurs est portée contre moi. Il ne faut
pas moins que l'honneur que j'ai d'être sujet du Roi
et que la protection dont il m'honore pour me croire
en sûreté dans le lieu que j'habite, et je ne réponds
pas de ce qui pourra m'arriver quand je mettrai le
pied sur le canton de Berne. Dieu soit béni, je m'at-
tends à tout, mais j'ai trop vécu. Baisez nia petite
tilleule au nom de son malheureux parrain. Je salin
vos Dames et vous embrasse.
.1. 4. Rottsseau,
P) Vovfz lu note au N '• L10.
245
131.
A Môtiers, le 1G Févr. 1765.
J'ai receu, mon cher Compère, les deux lettres que
vous m'avez écrites du 23 Janv. et du 5 Févr. avec
toutes les copies de lettres que vous y avez jointes sur
l'histoire de la brûlerie de mon livre à la Haye Ç)r Je
serois assurément bien fâché que tous ces petits jeux
d'enfans mal élevés vous portassent du préjudice; mais
comme je crois le Magistrat d'Amsterdam trop judi-
cieux et trop équitable pour concourir à de pareilles
inepties, je vous avoue que je me serois fort passé de
toutes ces copies qui me coûtent de gros ports et ne
(t) Des recherches faites dans les archives de la Cour de Hollande ont fuit
connaître, que le 11 Janvier 17G5, cette Cour, qui avait déjà fait brûler le Diction-
naire Philosophique et d'autres livres, ayant appris par son Président Me. Wig-
bold Slicher que le libraire Rey à Amsterdam venait d'imprimer certain livre,
intitulé Lettres écrites de la Montagne par J. J. Rousseau , qu'on disait
contenir plusieurs passages choquans, ordonna au Procureur Général de prendre
là-dessus ses informations. Celui-ci rapporta le 17 que, pour répondre aux;
ordres de la Coiir, il avait fait défendre et saisir le dit ouvrage, dont on
avait trouvé dix exemplaires. Sur ce rapport et les conclusions prises par le
Procureur Général, la Cour prononça le 21 Janvier un arrêt où, considérant
que dans le livre incriminé l'infaillibilité de l'Ecriture Sainte est mise en
doute, et que les miracles du Sauveur et de ses Saints x\pôtres y sont l'objet
rie moqueries profanes, impies , fades et licencieuses tendant à miner les fon-
dements de la vraie Religion; considérant d'ailleurs que ce livre a pour but
de justifier les maximes pernicieuses de l'Emile ou de l'Education, ouvrage
défendu par ordonnance des Etats de Hollande comme étant un livre au plus
haut degré impie, seandaleux , outrageant et profane, et puisque le respect
dû à la Majesté Divine iinpi.se à la Justice le devoir de donner ouvertement
une marque éclatante de son indignation , et signaler par un exemple son
horreur contro quiconque écrit, imprime, vend et concourt à la distribution
de livres aussi abominables, ordonne que le dit livre scandaleux et blasphé-
matoire (ergerlyk en God-ontecrend bock) sera lacéré et brûlé sur l'écbaf-
fand par les mains du bourreau [omme ter plaatse toaar men gewoon is
crimineele justifie te dm n . door de handen van d> n scherpregter te ivordt »
gelacereerd en vervolgens verbratid).
246
m'intéressent guères. Beaucoup de gens, même en place,
me veulent du bien et blâment le mal qu'on me fait,
je le veux croire; mais que m'importe tout cela, je
vous prie? puisque de tant d'honnêtes gens il ne s'en
trouve jamais un seul qui me défende contre aucun
outrage , et qui me préserve d'aucune iniquité. Plaindre
un homme dans ma situation quand on peut le servir,
c'est outrager à sa misère. Ainsi laissez à tous ces
Messieurs leurs condoléances. Si mes ennemis se con-
tentoient de parler, mes amis pourroient s'en contenter
aussi. Mais tandis que les uns sont actifs et infatiga-
bles, les autres ne sont que des parleurs. Que Dieu
Les bénisse; leurs beaux discours ne m'ont jamais
guéri de rien. Ainsi ne m'en faites plus payer le port;
car le jeu n'en vaut pas la chandelle.
Voici aussi une copie qui vous prouvera que cette
plate singerie ne m'affecte pas beaucoup en elle-même;
mais ce qu'il y a de réel et de désagréable est qu'elle
m'ôte la seule ressource qui me restât pour avoir du
pain, il s'étoit formé ici une Compagnie pour l'im-
pression générale de mes ouvrages qui m'assuroit une
subsistance honnête. Le Conseil d'Etat avoit donné
son agrément, tout alloit bien, et l'acte émit prêl â
passer, quand le. nouvelle (pie mon livre avoii été brûlé
en Hollande a l'ait révoquer la permission tacite, ei
les entrepreneurs incertains de l'avenir ne veulent pas
se constituer en d'immenses avances sans avoir lâ-
dessus une sûreté qu'on refuse de leur donner. lani
l'effroi de ce qui s'est fait en Hollande a saisi tous
le- esprits. Vous concevez que ne pouvant l'aire ici
cette entreprise, je ne puis plus espérer do la faire nulle
part : ainsi s'il arrivoH ((Ue j'eusse le malheur de
vieillir, me voilà réduit à l'alternative la plus décidée
do mendier ou de mourir de faim. Vous voyez que
247
cette petite opération dont on plaisante à la Haye n'est
pas si visible pour moi.
Fauche à qui j'ai fait demander le mémoire d'un
compte que je lui dois, m'a fait dire qu'il attendoit
pour faire ce compte de savoir si c'étoit vous ou moi
qui paierions le port des exemplaires que vous m'avez
envoyés; qu'il vous en avoit écrit, et qu'il attendoit
votre réponse. Il est sans contredit très-juste que je
paye ce port. Cependant comme jusqu'ici vous m'avez
toujours fourni tous mes exemplaires francs de port .
si vous vouliez aujourd'hui qu'il en fût de même, je ne
disputerais pas là-dessus; mais comme qu'il en soit de
cet article, faites -moi toujours le plaisir de me mar-
quer comment je dois vous faire tenir les 108 Livres de
l'Histoire universelle. Voulez-vous que je les remette
ici à Fauche? Voulez-vous les tirer sur moi à vue:
vous le pouvez et j'y ferai honneur. J'ai quelque argent
à recevoir à Paris de Duchesne, je pourrois vous en-
voyer un billet sur lui ; choisissez.
Quoique je regrette les ports de vos copies de lettres ,
je ne les regretterai jamais, mon cher Compère, quand
il s'agira de recevoir de vos nouvelles et des témoignages
de votre amitié. J'envoye un baiser à ma filleule et
mille salutations et respects à sa maman, et à sa
marraine que j'espère être bien rétablie. Saluez aussi
M. votre fils; je n'oublie pas que je lui dois un remer-
cîment; mais je suis accablé, je n'ai pas un moment
pour reprendre haleine. Je vous embrasse.
J. J. Rousseau.
VIII.
LETTRES ÉCRITES
DANS LES DERNIÈRES PÉRIODES
DE LA
VIE DE ROUSSEAU.
Après les Lettres écrites de la Montagne, la cor-
respondance de Rousseau avec son libraire d'Am-
sterdam n'offre plus l'intérêt qui s'attache aux
impressions d'un auteur pendant la première
publication d'un de ses écrits. Le seul ouvrage
publié encore de son vivant, son Dictionnaire
de Musique, parut à Paris chez la Veuve Du-
chesne, à qui il l'avait vendu, et ses derniers
écrits^ les Considérations sur le Gouvernement
de Pologne, les Dialogues } et les Rêveries n'onf
vu le jour qu'après sa mort.
241)
Quant au petit conte la Heine Fantasque, on
verra par les lettres que nous publions pour
la première fois, que l'édition que Rey en a
donnée , a été faite sur un manuscrit corrigé avec
soin par l'auteur lui-même.
Pour l'estimation du texte du Devin, du Vil-
lage, tel que Rey l'a imprimé , les Nos. 144 et
1&2 pourront être utiles. Mais si les lettres
qui suivent n'offrent qu'un médiocre intérêt pour
l'étude philologique des ouvrages du grand écri-
vain j on y trouvera néanmoins jdoui* la connais-
sance de l'homme et pour la recherche de tout-
ce qui se rapporte à sa vie et à ses pensées , des
détails qui méritent de l'attention.
250
132.
A Môtiers, le 18 Mars 1705.
Mon cherj Compère , le violent orage que le voisinage
de Genève excite ici contre moi me force à chercher un
dernier asile où je puisse mourir en paix. Cet asile
est trouvé et malheureusement loin de me rapprocher
de vous il m'en éloigne, j'en ai du regret; mais il faut
céder au sort.
Il me reste le souci de pourvoir à ma subsistance, et
comme je le puis sans profiter gratuitement de vos
offres, je désire seulement de consulter avec vous ce
qui se peut faire ; vous y entrerez en ce qui vous con-
viendra relativement à mes vues; si elles ne se rappor-
tent pas aux vôtres, je m'arrangerai autrement; ou
plustôt je fais dès à présent mes arrangemens indé-
pendans de vous, afin que vous soyez absolument libre.
L'entreprise qui se faisoit ici pour l'impression géné-
rale de mes ouvrages étoit faite par une Compagnie
de commerçans très en état de faire les avances, et qui
déjà se trouvant assez forts par eux-mêmes n'avoient
receu plusieurs d'entre eux que par complaisance et à
ma sollicitation. M. Du Peyrou avoit été le médiateur
de notre traité. Il étoit tel qu'au moyen d'une somme
payée une fois pour toutes en commençant . cette somme
parles soins de M. Du Peyrou me produisoit seize cents
francs de rente viagère, qui est la somme que je dé-
pense annuellement depuis que je vis dans mon mé-
nage, c'est-à-dire depuis dix-sept ans. Réguillat de
Lyon étoit à la tête de l'exécution. Toute la collection
étoit distribuée en 6 volumes Ln-quarto, et en 16 ou
1 s Ln-douze, selon la distribution donl je joins ici la
note.
251
Cette affaire étant manquée pour le présent , l'attente
d'une autre occasion, et le désavantage de ne pouvoir
exécuter l'entreprise sous les yeux de l'auteur même
doit la rendre moins lucrative pour ceux qui l'entre-
prendront et pour lui-même; c'est ce que je sens si
bien que , quoique M. Du Peyrou m'offre de prendre
le tout à lui seul aux mêmes conditions , je ne crois
pas pouvoir profiter de cette offre qui me paroit plus
relative à mon avantage qu'au sien. Mais voici com-
ment je m'arrangerois pour me procurer la même rente
viagère en mettant au rabais cette entreprise, mais
en y en ajoutant une autre, soit conjointement, soit
séparément , qui compensât la diminution du produit.
1. Je remettrai le recueil tant des manuscrits que
des imprimés , corrigé , distribué par volumes et prêt
à mettre sous presse, et celui qui le recevra, maître
de l'imprimer ou faire imprimer quand il voudra ,
m'assurera une pension viagère de mille francs qui
commencera de courir en recevant le recueil; moyen-
nant quoi, si dans le cours de ma vie je compose
quelqu'autre ouvrage , l'article suivant excepté , et que
je le mette sous la presse , je m'engage à ne le donner
qu'à lui et à le lui fournir gratuitement.
2. Il reste la grande entreprise de ma vie et des
pièces qui s'y rapportent. Entreprise qui doit être sé-
parée de la précédente ; parce que , quand même ma
vie seroit écrite, on ne peut la mettre sous la presse
qu'au bout d'un nombre d'années dont on conviendra,
à cause des choses importantes qu'elle contiendra ,
surtout depuis quelques années en ça, et des person-
nes en place qui seroient compromises, ce que je ne
veux pas l'aire et que celui qui se chargera de cette
entreprise doit éviter pour lui-même.
L'ouvrage est déjà commencé et je vois à vue de
252
pays <|ul' ce sera un ouvrage aussi considérable que
singulier. Car jamais homme n'aura fait une entre-
prise semblable et ne l'aura exécutée comme je me
propose de le faire; j'ai de quoi, et l'abondance de
mes matériaux m'étonne moi-même.
Le recueil seul des lettres, mémoires, et pièces jus-
tificatives composera du moins deux forts volumes in-
octavo, et je ne doute pas que la vie même, à ne la
prendre que jusqu'ici, ne passe la même étendue: mais
c'est aussi une entreprise longue à exécuter et qui de-
mande plus de tranquillité qu'on ne m'en a laissé
jusqu'ici; c'est à me procurer ce loisir et cette tran-
quillité que je travaille. Quant aux lettres originales,
il faudra pour qu'au besoin elles servent de preuves .
qu'elles soient mises dans un dépôt public.
Il faut, mon cher, que ma vie me fasse vivre, ei
par conséquent qu'elle me procure annuellement les six
cents francs qui manquent à l'article précédent pour
fournir à mon nécessaire. L'inconvénient que j'y vois
est que tout cela forme de grandes avances qui ne ren-
treront qu'au fcems de l'exécution; mais cette exécution
en revanche, si l'on en choisit bien le moment, quand
toutes les clameurs seront apaisées, doit rendre un
produit immense entre les mains d'un homme intel-
ligent.
Voyez , mon cher Compère, s'il vous convient de
prendre à votre part une de ces deux entreprises ou d'y
entier. Si l'accord n'est pas l'ait au moment de ma
retraite, il pourra s'achever par l'entremise de 31. Du
Peyrou, et si vous trouvez des changemens à faire' à
ce plan pour le rendre plus convenable, je ne demande
pas mieux (pie de m'y conformer.
Comme tous les événemens de ma vie sont sujets
aux crises et aux révolutions les plus imprévues, je
2:>:\
voudrais qu'à tout hasard vous nie donnassiez des in-
structions un peu détaillées sur la manière de me rendre
auprès de vous le plus commodément et aux moindres
frais qu'il est possible, et que vous me donnassiez des
adresses sur la route de gens qui pussent m'aider et
me conseiller au besoin.
Mes livres m'embarrassent beaucoup. Je pourvois
peut-être m'en défaire ici d'une partie , mais il me
faut quelqu'un qui se charge du tout. Le nombre en
est augmenté d'un bon tiers depuis votre voyage. Voyez
si comme vous me l'aviez fait entendre vous pourriez
vous charger de ce fardeau-là.
Je n'ai point envoyé les 108 Livres à M. Chappuis
à Lausanne; j'ai pensé que si vous vouliez bien les
déduire sur la pension de MIle. Le Vasseur pour cette
année , cela me seroit plus commode et reviendroit au
même. Vous sentez qu'au moment présent l'argent
m'est nécessaire; cependant grâce au ciel il ne me
manque pas encore; ainsi ne soyez pas en peine de
moi, mais répondez-moi le plustôt et le plus décisive-
ment que vous pourrez sur tous ces articles , afin que
nous ne perdions pas de tems en négociations inutiles.
Vous ne m'avez point marqué si vous aviez receu
la réponse à M. le Comte G. de Bentinck (') que je vous
ai envoyée et si vous la lui aviez fait tenir. Mille
choses de ma part à vos Dames. Si je suis privé du
plaisir de voir ma filleule, je ne puis vous dire quel
regret ce sera pour moi. Mais il suffit que mes vœux
me portent d'un côté, pour que le sort m'entraîne
d'un autre. Je vous embrasse.
J. J. R
(') G. Guillaume ou William. Voyez la note an N». no.
254
NOTE DES PIÈCES
ET
DE LEUR DISTRIBUTION DANS L' ÉDITION IN-4°.
Tome I.
Discours sur l'inégalité.
Discours sur l'économie politique.
Du contrat social.
Extrait de la paix perpétuelle.
Extrait de la Polysynodie.
Jugement sur la paix perpétuelle.
Jugement sur la Polysynodie.
Traduction du pr. Livre de l'Histoire de Tacite.
Tome IL
La Nouvelle Héloïse, et les pièces qui s'y rapportent.
Tome III.
Emile, jusqu'à la fin de L'alinéa qui suit la profes-
sion de foi.
Tome IY.
La suite d'Emile.
Lettre à M. l'Archevêque de Paris.
Lettres écrites de la Montagne.
Tome V.
Lettre à M. d'Alembert.
De l'imitation théâtrale.
Discours sur la première vertu du Béros.
Discours qui a remporté le prix à Dijon-
255
Réponse à un Ecrit anonyme dans le Mercure de
France.
Lettre sur une réponse à M. Gautier.
Réplique au Roi de Pologne.
Dernière réponse de J. J. Rousseau.
Préface de Narcisse.
Narcisse. Comédie.
* L'engagement téméraire. Comédie.
* Les Muses galantes. Opéra.
Le Devin du Village. Intermède.
* Pygmalion , Scène Lyrique.
* Emile et Sophie, ou les solitaires. Fragment.
* Le Lévite d'Epliraim.
* Lettres à Sara.
* La Reine fantasque. Conte.
* Traduction de l'Apocolokintosis de Sénèque.
Tome VI.
* Sur la Musique. Article du Dictionnaire.
* Sur l'Opéra, Article du Dictionnaire.
* Mémoire lu à l'Académie des Sciences l'an 1742.
Lettre sur la Musique françoise.
* Réponse à M. Rameau.
* Essai sur l'origine des langues.
* Lettres et Mémoires sur divers sujets.
Table Générale.
NB. Les articles précédés d'un Astérisque sont encore en Manuscrit.
Comme les Tomes 3 et 4 contiennent toutes les pièces
défendues en Hollande, on peut y supprimer ces deux
volumes sans gâter au surplus l'Edition, dont on peut
seulement changer les titres.
256
133.
A Môtiers, le 27 Avril 176"i.
Tout est changé dans ce pays à mon égard, mon
cher Compère, et les ministres ont fait tant de sottises
qu'ils ont enfin forcé le gouvernement d'ouvrir les yeux.
Outre cela, la protection du Roy confirmée dans cette
affaire et les constantes bontés de Mylord Mareschal
me mettent en état d'habiter dans ce pays, malgré Les
saintes fureurs du Clergé, aussi tranquillement que
dans tout autre. Cependant ma résolution est toujours
de n'y pas rester et j'en serois déjà parti si mon état
me permettoit d'entreprendre un voyage; mais soit la
continuation de la mauvaise saison, soit les continuel-
les tracasseries de notre prêtraille, mes maux empires
ne me permettent à présent de songer à aucun voyage,
et voici bientôt le huitième mois que je passe enfermé
dans ma chambre sans avoir pu mettre le pied dans
la rue deux ou trois fois. S'il plaisoit à la providence
de disposer d'une vie qui n'a plus pour moi que des
peines, j'irois volontiers chercher dans l'autre la paix
qu'on ne veut pas me laisser dans celle-ci.
Je voudrois de tout mon cœur être en état de pro-
fiter des arrangemens de Madame Rey qui regardent
son séjour et celui de ma filleule auprès de moi. Mais
toute cette année est pour moi si orageuse, mon sort
est si incertain, j'ai tant de courses à faire, tant de
gens doivent me venir voir, que je ne puis absolument
disposer avec certitude d'un seul moment de mon teins.
Quand même je resterois dans ce pays, il faut de toute
nécessité que je quitte Môtiers, el la recherche d'un
logement qui me convienne et L'embarras d'un démé-
nagement nfoceuperoient seuls tout entier quand je
257
n'aurois pas autre chose à faire. A l'égard de l'hiver,
c'est le rems de mes souffrances, obligé de porter des
sondes presque continuellement je suis hors d'état de
voir personne durant toute cette saison, surtout des
femmes. Voilà des obstacles qui me chagrinent, mais
qu'il ne dépend pas de moi de lever. Il faut espérer
que je serai plus heureux une autre année; mais je ne
puis disposer de moi celle-ci.
Je reconnois dans vos offres votre amitié et votre
générosité ordinaire. Je suis si sûr du bon cœur avec
lequel vous me les faites que je m'en prévaudrais avec
confiance au besoin. L'impression de mes écrits dans
ce pays a trouvé des obstacles qui probablement ne se
lèveront pas; mais quand elle auroit lieu il ne dépen-
droit pas de moi de vous faire entrer dans la société
qui en a formé l'entreprise. Cette Compagnie se trouve
déjà trop nombreuse et lorsqu'elle se forma j'eus déjà
toutes les peines du monde d'y faire entrer M. d'Yver-
nois de Genève qui est mon ami. Les fonds ne leur
manquent pas et ils ne veulent pas perdre leurs peines
à force de diviser leurs profits. Mais cela n'empêche-
roit pas qu'il ne leur fût très-avantageux et très-agréa-
ble que vous voulussiez bien vous intéresser à leur
succès et qu'ils ne traitassent bien volontiers avec vous
seul pour le débit de l'Angleterre et de la Hollande.
A l'égard de l'histoire de ma vie, plus je médite
sur cette entreprise , plus je vois que je ne puis l'exé-
cuter comme je me le propose sans en renvoyer la pu-
blication à un tems fort éloigné. Si je veux montrer
la vérité telle qu'elle est, j'ai à dire tant de choses,
qui intéressent tant de gens et même des gens en
place, qu'il n'y a que le cours des ans qui puisse me
permettre de parler sans déguisement; à moins de
cela m»>n entreprise est manquée, et je nr ferai qu'une
17
258
vie ordinaire, masquée et plâtrée; au lieu que dans
mon projet je ferai une chose unique, et, j'ose dire,
une chose vraiment belle. Je m'en fais un objet si
important que j'y consacre le reste de ma vie; mais
il ne convient absolument point à vos intérêts et à
ceux de votre famille que vous commenciez par de
continuelles avances qui ne rentreront peut-être qu'à
vos enfans. Tout ce que je puis faire pour concilier
le bien de la chose avec le désir que j'ai que l'ouvrage
ne s'exécute que par vous, c'est de prendre dans mes
arrangemens de telles mesures que, lorsqu'il sera tems
de mettre l'ouvrage sous presse, vous en ayez la pre-
mière offre, qu'on s'adresse premièrement à vous ou
à votre fils et qu'il ne passe à un autre libraire qu'au
cas que vous ne puissiez ou ne vouliez pas l'exécuter.
Cela même a ses difficultés encore; car il m'importe
que le manuscrit ne puisse être lu de personne au
monde jusqu'au tems de l'exécution: mais nous verrons.
Voici le receu de M3Ie. Le Vasseur; recevez ses remer-
cîmens et ses respects. Vous m'obligerez dans vos en-
vois dans ce pays de ne pas oublier les Tomes 8 et 9
de 1 Hist. univ. moderne , et de me marquer à qui je
dois remettre les deux de l'ancienne. Mille salutations
à vos Dames. J'irai certainement voir à Vevay Made-
moiselle Dumoulin si elle y vient et que je sois en-
core ici. Vous ne m'avez point marqué si vous aviez
receu les chiffons qui ont été remis par Made. Boy
de la Tour de Lyon à M. Vernéde. J'embrasse la chère
enfant et son papa.
259
134.
A Môtiers, le 13 -Juin 1765.
Trouvez bon , mon cher Compère , que je vous recom-
mande M. le Justicier Bovet et M. Jequier qui vont
à Amsterdam recueillir une succession. Vous m'obligerez
de vouloir bien leur procurer les connoissances néces-
saires et leur donner vos conseils pour cette affaire.
J'ai receu avec votre lettre du 31 May celle de
M. le Comte G. de Bentinck (1). J'en renvoyé la ré-
ponse au retour des montagnes où je vais passer quel-
ques jours.
Mille salutations à vos Dames. J'embrasse ma fil-
leule, toute votre chère famille, et son bon papa.
J. J. Rousseau.
135.
A I'Isle St. Pierre, le 12 7lji;e 1765.
Sans doute, mon cher Compère, vous n'ignorez pas
les malheurs qui me poursuivent et qui m'ôtent le
loisir de vous écrire comme je voudrois. Le Ministre
de Môtiers ne pouvant me faire excommunier a pris le
parti plus prompt et plus sûr de me faire assassiner, et
il a trouvé plus de facilité à disposer d'une bande de
coupe-jarrets que des anciens de son consistoire. In-
sulté , hué, maudit dans tous les chemins, menacé
même des armes à feu, je laissois dire la canaille, et
j'allois mon train toujours seul et sans armes, comme
à mon ordinaire. Comme cette sécurité en imposoit
(M Voir la note page "-' :
17
260
de jour à ces bandits, ils ont trouvé l'expédient de
forcer de nuit ma maison, d'enfoncer mes portes, de
casser mes fenêtres et de lancer des pierres jusques
dans ma chambre et tout près de mon lit ('). Les
choses étant venues à ce point, je me suis enfin déter-
miné à m'éloigner de ce chef de brigands et d'aller,
s'il est possible, chercher, un lieu sur la terre où l'on
veuille bien me laisser mourir en paix. Je ne sais
point encore où je me fixerai. Je suis hors d'état d'aller
vous voir, du moins pour le moment. Je suis malade,
accablé de soins, j"ai besoin de respirer. Je voudrois
qu'on me laissât clans cette solitude, du moins pour
cet hiver; mais s'il reste quelque humanité parmi les
hommes, ce n'est pas moi qui la trouve. Cependant,
malgré tous mes embarras, prévoyant que vous enten-
driez parler des attentats de ces misérables, et que
vous pourriez être en peine de moi , je suis bien aise
de vous rassurer et de vous dire qu'au moins je suis
en sûreté, et que, quant à présent, je n'ai besoin de rien
que d'un asile. Je ne puis répondre à votre dernière
lettre, parce que je ne l'ai pas avec moi. Si vous
n'aviez pas été si pressé de votre édition générale de
mes ouvrages, j'en aurois pu faire la mienne et prendre
avec vous des arrangemens pour cela. Mais je ne serai
de longtems en état d*y penser. Quant à la Reine Fan-
tasque, on n'en a que des copies très-défectueuses. Si
vous n'en êtes pas pressé, je vous en ferai une copie
plus ('tendue et plus exacte; mais c'est ce que je ne
puis pour le moment, n'ayant pas ici mes papiers, .le
fais cette lettre d'avance et pourtant fort à la hâte, ne
(!) Fur cetfo attaque nocturne, qui ;i été révoquée en doute, voyez In note
de 51. Petitain an passage des Ctntfessions [Livre Ml) où Ronssean en fail
un récit détaillé.
261
sachant encore quand je pourrai la faire partir. J'ai
tant éprouvé d'infidélités et de vexations dans les postes,
que j'avois, dès Môtiers, renoncé à cette voye qui me
devient impossible ici. En attendant que je sois fixé,
vous pouvez lorsqu'il sera nécessaire m'écrire à l'adresse
de M. du Peyrou à Neufchâtel , et pour éviter les en-
veloppes, il suffira de faire une croix au haut de la
lettre. Ce signe lui suffira pour connoitre qu'elle est
pour moi. Je suis bien fâché, si Mad11? Dumoulin
passe à Môtiers, de ne m'y pas trouver pour la recevoir.
M"? Le Vasseur y est encore pour vendre ou emballer
mes effets; elle fera ce qu'elle pourra pour l'accueillir
à ma place. Mille tendres embrassemens à ma chère
filleule, et à tout ce qui vous appartient; je vous fais,
mon cher Compère, les miens de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
130.
A l'Isle St. Pierbe au lac de Bienae, le 18 8bl.e 1765.
Cette Isle, mon cher Compère, est en effet dans
l'Etat de Berne, et même appartient en propre à leurs
Excellences ; ainsi vous pouvez croire que je ne m'y
étois pas réfugié sans avoir pris du côté du Gouver-
nement toutes les sûretés raisonnables qu'on m'y lais-
seroit en paix. Cependant, au moment où je m'y at-
tendois le moins , j'ai receu Tordre d'en sortir et de
tout l'Etat de Berne. On a choisi le moment des ven-
danges où presque tous les membres du Gouvernement
étoient absens pour me porter à la sourdine ce der-
nier coup qui, j'ose le dire, excite une indignation
générale parmi tout ce qu'il y a de respectable dans
Le pays. Mais c'est ici comme chez vous: les bons
262
crient et ne font rien ; les médians ne disent rien ,
mais agissent. La partie n'est pas égale. îl n'est pas
difficile de voir d'où le coup part, et les Magistrats
de Genève se donnent bien de la peine pour me forcer
à leur dire encore une fois leurs vérités. Quoi qu'il en
soit, il faut partir et s'éloigner une bonne fois de cette
fatale Suisse qui m'a si bien payé de mon amour pour
elle. Dans toute autre saison, je ne délibérerois pas et
je prendrais à l'instant le parti de me rendre auprès
de vous; mais je suis si sûr de ne pouvoir supporter
l'hiver où vous êtes, et il est si probable que dans
une si longue et si pénible route pour un infirme, je
n'arriverai pas sans tomber malade par ces premiers
froids dans des pays où je ne commis personne et dont
je ne sais pas la langue, que cette entreprise m'enraye
et que je ne sais à quoi me déterminer. Il n'y a que
l'Angleterre où je sois sûr de vivre tranquille et où
des Ministres assassins ni des Magistrats corrompus
ne pourront me chercher querelle. Je suis déterminé
à m'y rendre s'il m'est possible ('); mais vu mon état
et la saison, je suis incertain sur le tems et sur la
route. Je ferai tout mon possible pour me mettre en
état de passer chez vous; mais il faut pour cela que
je trouve un compagnon de voyage; car comment tenter
d'aller seul? C'est à quoi il ne faut pas penser. Si
l'on me laissoit ici plus longtems et que je fasse plus
fixe (Lins mon projet, je vous dirois: venez me pren-
dre. Vous nie l'avez offert et je suis sûr que vous le
feriez avec plaisir; mais outre L'indiscrétion qu'il y
auroit à vous tirer de vos affaires et A vous fatiguer
ainsi, peut-être avant votre arrivée serois-je forcé de
m) on lii dans aea Confessions: "Croyant partir pour Berlin, je partis
m effet pour l' Angleterre. "
263
prendre mon parti, ou vous me trouveriez tout à fait
sur le grabat et liors d'état de faire route par l'aug-
mentation du froid. Il ne faut pas , mon cher Com-
père, dans cette incertitude songer à vous déplacer;
mais, à tout événement, jetez les yeux sur quelque
petite chambre commode et chaude et ne soyez pas sur-
pris si vous me voyez arriver moi ou mon petit équi-
page au moment où vous vous y attendrez le moins.
J'ai toute la considération possible pour M. Charles
de Bentinck (2), mais je veux être logé chez moi. En
attendant que je délibère et que j'arrange mes petites
affaires pour un second déménagement, si vous avez
quelque nouvelle instruction ou adresse à me donner
sur la route et pour vous expédier mon bagage, vous
me ferez plaisir de me l'envoyer le plustôt possible.
Si d'autres projets la rendent inutile, ce sera un petit
malheur.
Il est vrai que l'accord pour l'édition de mes écrits
est une affaire faite; mais je connois trop bien M. du
Peyrou pour n'être pas sûr que si d'autres arrangemens
me convenoient mieux, il renonceroit avec plaisir à
ceux qu'il n'a pris que par amitié pour moi. Malheu-
reusement l'ordre dans lequel vous avez commencé
votre édition n'est point celui qui convient pour la
mienne , et d'ailleurs mes écrits m'ont causé tant de
malheurs que je ne puis les revoir sans la plus grande
répugnance. C'est désormais une matière dont il ne
m'est plus possible de m'occuper. Quand je vous ai
parlé de l'édition de Duchesne c'est parce qu'elle con-
tient des pièces de moi qui ne sont pas ailleurs; mais
je n'ignorois pas qu'elle étoit fautive, et je n'ai jamais
pensé que vous y prendriez ni la prophétie ni aucune
(i \ oir la note au N". L10.
264
pièce qui ne soit pas de moi ('). Ne cherchez pas
à grossir votre recueil, n'imprimez que ce que j'ai fait,
et c'est par là précisément que votre édition sera
recherchée (-). Je n'oublierai pas la Reine fantasque,
et si je vous vais voir nous pourrons reparler de tout
cela.
Ecrivez-moi promptement si vous voulez que votre
lettre me trouve encore ici. Vous pouvez continuer à
m'écrire sous le pli de M. Du Peyrou: M. Jeannin
qui vous a écrit est son secrétaire. Les difficultés, la
fatigue, le froid auront bien de la peine à me re-
buter de vous aller voir, tant j'ai d'empressenient
d'embrasser ma chère filleule et ses bons parens. Croyez
que si je prends un autre parti, il faudra que j'aye
bien reconnu que celui-là m'est impossible.
Je prends le parti de laisser ici Mlle Le Vasseur
avec mes effets, jusqu'à ce que j'aye une résidence
fixe. Je vous écris sans ordre et sans suite: niais ni
vérité, je suis dans un tumulte qui ne nie laisse pas
à moi. Je vous embrasse, mon cher Compère, de tout
mon cœur.
J. J. Rousseau.
137.
A Strasbourg, le 10 9"':c 1765.
Je n'ai, mon cher Compère, vu le prompt départ
du porteur de ce billet, que le teins de vous donner
(M Quelle est donc lu Prophétie? \a\ petite lu-oeluire intitulée Lu Yh'ntn
de Pierre de In Montagne dit le Voyant? mais il a reconnu dan- -. -
Confessions qu'elle étaii -unir de sa plume.
(-') Rey cite ce passage dans un Vvertàssement à la tête de sa nouvelle
édition des Oeuvres de Rousseau qu'il a dédiée à Du Poyrou.
265
un petit bonjour et de vous marquer combien j'ai de
regret que le mauvais tems les mauvais chemins et
mon mauvais état m'ôtent le plaisir d'aller jusqu'à
vous. Je ne sais point encore quel parti mon état
et la saison me permettront de prendre, mais je ne
perds ni le désir ni même tout à fait l'espérance d'al-
ler vous embrasser. Mille choses à ma chère Com-
mère et à sa chère fille. ■ Que ne suis-je à portée de
recevoir les caresses de cette aimable enfant. Bon-
jour mon cher Compère.
13S.
A Strasbourg, lé 25 9bi;e 1765.
Je reçois , mon cher Compère , avec autant de sur-
prise que de chagrin votre lettre du 16. Votre am-
bassadeur s'en retournera comme il sera venu. (') J'en
suis fâché, mais ce n'est assurément pas ma faute. Je
ne suis point en état de voyager à présent; il ne fait
pas le tems pour cela; me trouvant bien ici, je n'ai nulle
envie d'en partir sitôt, et lorsque j'en partirai je doute
malgré mon envie que ce soit pour aller à Amsterdam.
Il fait le froid le plus rigoureux que j'aye senti depuis
bien des années; j'ose à peine mettre le pied dans la
rue, et vous ne laissez pas de m'écrire de me mettre
en route avant l'hiver, comme si nous étions au mois
de Juillet. Vous m'avouerez que tout cela n'est pas fort
raisonnable. Je ne conçois pas ce qu'a pu vous écrire
M. Ravalet; mais à lire votre lettre on croiroit que je
suis ici caché dans un trou de taupe. Permettez-moi
(') Deux jours après, il écrivit à M. de Luze: l'Rey m'a envoyé son com-
mis, pour m' emmener en Hollande', il s'en retournera comme il est venu."
266
de vous dire que je ne suis point un homme qui se ca-
che, et que je n'ai pas besoin de me cacher. Je suis
assurément sensible à votre empressement , mais em-
barrassé de votre étourderie. Vous auriez dû sentir que
quand un homme est en âge de raison Ton ne dispose
point de lui sans le consulter. Si j'étois en état de
payer le voyage de votre homme, il n'y auroit que
demi-mal, mais en vérité je suis hors d'état de soute-
nir cette dépense, d'autant plus que tous mes amis par
des soins indiscrets et par d'immenses ports de lettres
semblent de toutes parts se réunir pour achever de
me ruiner. Au reste il n'est point encore arrivé mais
suivant vos lettres nous l'attendons d'une heure à l'au-
tre , et je suis inquiet de savoir s'il aura pu supporter
le voyage par le froid extrême qu'il fait. J'ai un vrai
regret, mon cher Compère, à ne pouvoir me rendre au-
près de vous , mais cela est impossible dans cette saison ,
et dans toute autre je dépends de tant de choses que
je ne puis compter sur rien. Je fais mes plus tendres
embrassemens à mon aimable petite rilleule, à sa bonne
maman et à tout ce qui vous appartient. Tout à vous,
cher Compère de tout mon cœur.
J. J. Rousskai.
.M. Ravalet n'est plus ici depuis longtems.
130.
A Strasbourg . le 1er 10b™ 1761.
Je suis très-fâché, mon cher Compère, de vous ren-
voyer votre Commis comme il esl venu; mais il le
faut bien, puisqu'il m'est absolument impossible de sou-
tenir la route de la Hollande dans cette saison sans
■2\u
être roué sur terre ou gelé sur l'eau. Je vous envoyé
en même tems la Reine fantasque que vous n'impri-
merez point, s'il vous plait, sans l'avertissement, et
pour cause. La copie n'est pas fort nette, mais elle est
correcte. Je souhaite fort , surtout si vous la faites
imprimer à part , d'en pouvoir revoir une épreuve. Vous
pourrez, si vous voulez, me l'adresser chez la veuve
Duchesne à Paris où je compte passer une partie de
l'hiver; de là, je me rendrai à Londres d'où étant plus à
portée de vous aller voir lorsque je serai tout à fait
établi en Angleterre , j'espère me procurer un plaisir
auquel il ne faut pas songer pour ce moment. J'em-
brasse mille fois ma chère Commère et toute votre fa-
mille, surtout ma filleule et son cher Papa.
J. J. Roussp;ai'.
140.
A Pakis, le 31 10^c 1761.
J'ai, mon cher Compère, votre lettre du 8. J'espère
que M. Potinius vous sera retourné sans accident et
vous aura remis une copie de la Reine fantasque plus
exacte et en meilleur ordre que celles qu'on avoit au-
paravant. J'ai désiré sincèrement de vous aller joindre;
indépendamment de la rigueur de la saison, j'avois pour
prendre une autre route des raisons trop longues à dé-
duire, mais trop solides pour les négliger. Je passe
maintenant avec M. Hume en Angleterre, d'où j'aurai
soin de vous donner de mes nouvelles et mon adresse,
aussitôt que je sciai iixé.
Pourquoi attendez-vous impatiemment mon Diction-
iKiiiv de Musique? Auriez-vous dessein de le contre-
268
faire? J'en serais fâché premièrement pour vous; parce
que cet ouvrage, étant fait sur la Musique françoise
et selon le système de Rameau, doit avoir peu de cours
dans l'étranger. D'ailleurs je verrai toujours avec peine
que vous ne soyez pas bien avec la veuve Duchesne,
parce que je vous aime tous deux, et que j'avois pour
d'autres tems certaines vues utiles pour l'une et pour
l'autre, dans lesquelles j'aurais bien désiré de vous voir
entrer de concert.
J'embrasse tendrement ma chère petite filleule et sa
maman. Il m'eût été bien doux d'aller me reposer et
me consoler dans le sein de votre famille. Mais soumis
aux lois de la nécessité, je suis accoutumé depuis
longtems à lui sacrifier tous mes desseins. C'est là,
cher Compère, de quoi me plaindre et non pas de quoi
me quereller. Je vous salue de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
141.
A Cuiswick, le 3 Mars 17G6.
J'ai receu toutes vos lettres , mon cher Compère ;
c'est malgré moi que je vous écris si tard et si peu.
Mais jusqu'à ce que mon habitation soit fixée et mes
tracas un peu débrouillés, je ne puis écrire que pour la
plus absolue nécessité. J'ai été obligé de sortir de Lon-
dres oti j'étois absolument accablé de visites, et je ne
tarderai pas à m'en éloigner davantage, par la même
raison. J'ai beau soupirer après la solitude dont j'ai
besoin dans mon état; je ne la puis trouver nulle part.
J'ai rempli votre commission près de M. Hume, qui
me charge de vous remercier et de vous saluer; c'est
un digne homme et un bon ami à qui j'ai de grandes
269
obligations. Le connoitre seulement par son beau
génie, c'est ne le connoitre que par la moitié de son
mérite (').
Je vous prie, mon cher Compère, de ne me repar-
ler jamais ni de souscription ni d'aucune impression de
mes œuvres. Si vous êtes tenté de faire cette entre-
prise , adressez-vous à M. du Peyrou. Pour moi je ne
veux plus entendre parler de ma vie de rien qui ait le
moindre rapport à mes écrits. A l'égard de la Reine
fantasque, si vous voulez la donner à part, je n'em-
pêche; mais je ne veux m'en mêler en aucune façon,
pas même pour une estampe. Je vous avoue même que
vous me feriez plaisir de différer à d'autres tems la
publication de cette folie. Il importe à mon repos que
je sois oublié du public ou du moins qu'il ne voye plus
rien de moi qui le fasse souvenir que j'existe. Toutefois,
vous êtes le maître de ce barbouillage. Il est à vous;
usez-en comme il vous plaira. Mais il m'importe au
moins que l'on sache que je n'ai nulle part à sa pu-
blication (2).
Je suis fâché de vous avoir inutilement prié de ne
point contrefaire l'ouvrage que Guy imprime. Je con-
viens que je n'en avois pas le droit. Il faut vous laisser
faire ce qu'il vous plaira. Vos plaintes contre Duchesne
et les siennes contre vous m'apprennent qu'il ne fout
(•) La rupture, qui a fait tant d'éclat, suivit Je près cette effusion d'estime.
Au sujet de la brouillerie entre ces deux écrivains célèbres, je lis dans une
lettre du Professeur J. N. S. Allamand (le même qui dans la note au N°. 110
a été nommé par erreur Allemand) à Rey en date du 27 8ept. 17GG: "j'en tiens
l'histoire de lu première main, et je les condamne tons deux: M. Rous-
seau pour avoir conçu mal à propos des .soupçons sur lis sentimens d,-
M. Il unie à son égard; et celui-ci pour n'avoir pas eu pitié d'un homme
que l<s persécutions de toute espèce qu'U a eues à soutenir jusqu'à pré-
sent, ont rendu soupçonneux et ombrageux jusqu'à lu petitesse."
(") Voyez lu note au numéro suivant.
270
jamais se mêler des affaires de libraire à libraire: sûr
qu'on n'en peut jamais avoir que du chagrin. Je dois
cependant vous avertir que c'est un mauvais projet
pour votre intérêt que celui d'imprimer les articles de
Musique de l'Encyclopédie. Ces articles faits à la hâte
ont été refondus et augmentés à loisir, et si quelqu'un
les imprimoit sous mon nom dans l'état informe où ils
sont dans l'Encyclopédie , je serois obligé de protester
contre cette entreprise, et de renvoyer au Dictionnaire
qui est sous presse à Paris.
Quand vous aurez quelque occasion de me faire pas-
ser un exemplaire de la nouvelle Edition que vous faites
de mes Ecrits , vous me ferez plaisir de vous en pré-
valoir. Vous pourrez, si je ne suis plus à Londres ou
au voisinage, faire remettre le paequet à mon adresse
chez Mrs. de Hondt et Becket , ou chez Messieurs Lu-
cadou <f Drake in the Union-Court Broad-Street , qui
veulent bien se charger en ce pays de mes affaires.
C'est chez ces M1S. , puisque vous me le demandez , que
vous pourrez quand il sera tems faire payer la pension
que vous faites à M11? Le Vasseur, et dont j'aurai soin
de vous faire passer les quittances.
J'aurois voulu, mon cher Compère, passer par votre
pays pour avoir le plaisir de vous embrasser ainsi que
Madame Rey et la chère filleule de l'oncle Rousseau :
mais outre que j'ai eu de bonnes raisons pour passer
par la France, je vous avoue que je me suis senti une
répugnance invincible à [tasser par un pays où sans
rime ni raison, sans ombre d'intérêt ni de justice, on
m'a de gayeté de cœur traité plus injustement, plus
malhonnêtement , plus brutalement même que dans
les pays où j'avois les plus violons ennemis person-
nels. Je puis excuser à certains égards ce qui s'étoit
t'ait à Paris et A Genève; mais ee qui s'est fait
271
en dernier lieu en Hollande est méprisable et in-
fâme ('). Je n'aurois pu regarder qu'avec l'indignation
qu'ils méritent des gens capables de pareilles lâchetés.
Il ne faut point aller dans un pays dont on méprise
les maîtres. Cela n'est ni bienséant ni prudent. J'em-
brasse tendrement ma chère petite nièce; je souhaite
ardemment que mon sort se fixe et que ma juste in-
dignation se calme, afin de pouvoir un jour faire le
voyage pour aller voir cette chère enfant et sa mère,
à qui je vous prie de dire mille choses de ma part.
Tout à vous.
142.
A Wootton, le 23 Aoust 1766.
(*)
(') Voyez la note au N°. 131.
(*) Cette lettre ayant été imbliée dans les recueils des Oeuvres Complète*)
île Rousseau, partie Correspondance , nous avons jugé ne pas devoir la repro-
duire. Il est vrai qu'en plusieurs endroits on y a fait , en l'imprimant , des chan-
gements; mais les variantes des deux textes ont exclusivement rapport à la
correction du style. Le seul point remarquable est le passage où l'auteur se
montre fâché de ce que Rey a imprimé la Reine Fantasque. Ce passage ne
se trouve pas dans l'original. On sait maintenant par les lettres que nous
publions sous les Nos. 139 et 140 . que Rey a fait cette édition du consente-
ment de l'auteur et que pour la faire, celui-ci lui avait envoyé une copie
corrigée de sa propre main. Mais le X°. 141 nous apprend que Rousseau ne
voulait pas qu'on sût qu'il avait eu part à la publication.
•21-2
143.
A Wootton, le 20 10bi:e 1766.
Je répondis, mon cher Compère, en tems dû à la
lettre que vous m'écrivîtes le 5 Aoust, et j'eus soin
de vous marquer mon adresse sûre. Comme j'entrois
dans des détails qui probablement dévoient vous en-
gager à quelque réponse, et que cependant je n'ai receu
de vous depuis lors aucun signe de vie, je commence
à craindre que vous ne soyez malade , ou que ma lettre
ne vous soit pas parvenue; ce qui pourroit facilement
être , vu que ne pouvant vous écrire directement d'ici,
je suis forcé d'avoir à Londres des entrepôts qui ne
sont pas toujours sûrs. Tirez-moi donc de peine, je
vous en prie, et sur votre état et sur le sort de ma
lettre , afin que je sache sur ces deux points à quoi
m'en tenir.
Je ne me suis point prévalu sur vous , comme vous
me l'aviez permis pour l'année courante, de la pension.
de Mu? Le Vasseur; mais cette année étant à sa fin,
j 'envoyé à M. Rougeinont, banquier à Londres, un billet
signé d'elle qui vous servira de quittance , et sur lequel
je vous prie de payer les 300 francs de l'année prête
à éehoir, à celui qui vous le remettra. Je vous priois
(Lins ma précédente lettre de ne vous servir de la vove
de Mrs. Becket et de Hondt pour aucune chose qui
me concernât , et je vous réitère In même prière, ayant
de très-fortes raisons pour cela.
Donnez-moi, je vous prie, amplement de vos nou-
velles, de celles de Mad. Rey, de tout ce qui vous
appartient et surtout de nia chère filleule que j'em-
brasse de tout mon cœur ainsi que son cher papa.
J. J. Rousseau.
273
Voici l'adresse exacte sous laquelle vous pouvez
în'écrire. Les ports sont ici prodigieusement coûteux
et lorsque vous aurez des occasions pour Londres vous
me ferez plaisir d'y faire mettre vos lettres à la poste
au lieu de les mettre à celle d'Amsterdam directement.
Toutefois écrivez en droiture quand vous ne pourrez
pas faire autrement. Vos lettres me feront toujours
plaisir, quelque port qu'elles puissent me coûter.
A Monsieur
Monsieur Davenpoiit,
A Wootton Askburnbay.
Derbyskire
Angleterre.
Notez qu'il n'y a pas besoin d'enveloppe , ni que mon
nom paroisse en aucune sorte; avec l'adresse précédente
exactement observée, la lettre me parviendra et ne sera
vue que de moi.
144.
A Fleuuy sous Meudon ('), le 15 Juin 1767.
Je profite, mon cher Compère, du départ de M. Du
I'cyrou pour vous donner enfin de mes nouvelles et
vous demander des vôtres ; ce que je n'ai pu faire
plustût , vu ma situation et mes courses. Quand je
serai plus tranquille, je vous écrirai plus au long1. J'ai
(') C'est donc bien la maison de campagne du Marquis de Mirabeau, à
deux lieues de Paris, où il s'était rendu, comme l'a remarqué Petitain. Mus-
Bet-Pathay doutait encore si ce pouvait être Fleury-aous-Chaumonl dans lo
voisinage de Trie-le-Château.
1S
274
quelque lieu d'espérer que je trouverai enfin le repos
que je cherche et dont j'ai si grand besoin. Donnez-
moi de vos nouvelles , de celles de Madame Rey, et de
ma chère filleule que je charge M. Du Peyrou d'em-
brasser pour moi. Vous m'avez envoyé à corriger une
mauvaise édition du Devin du Village où il y a autant
de fautes que de notes. Tout ce que j'ai pu faire dans
l'agitation continuelle où j'ai vécu, a été de recouvrer
un exemplaire de la première Edition , que je vous
envoyé. Il n'y a pas beaucoup de fautes d'impression.
J'en ai corrigé quelques-unes, et les autres ne s'aper-
cevront pas. Il m'est impossible de m'appliquer, et
ma tête affaiblie ne me le permet plus. J'ai pensé que
le voyage de M. Du Peyrou fournissoit une occasion
commode pour le payement de l'année courante de la
pension de Mu.e Le Vasseur, qui vous assure de son
respect, et je lui ai remis le receu de la dite année
dont vous pourrez lui remettre l'argent en échange, si
cela vous est égal ; sinon vous pouvez sans inconvé-
nient attendre qu'elle soit échue; car ce n'est pas qu'il
y ait rien de pressé. Je n'ai point receu l'envoi de
livres que vous aviez fait à M. Lucadou et il n'est pas
nécessaire que vous m'en fassiez un autre, étant résolu
de ne plus rien lire de ma vie excepté des livres de
botanique, pas même mes propres écrits. J'attends,
moii cher Compère, de vos nouvelles par M. Du Pey-
rou qui vous dira plus amplement des miennes, et je
vous embrasse de tout mon cœur.
J. .1. Rousseau.
275
145.
Au CHâTEAU de Trie par Gisors, le 28 7br.e 1767.
Il y a longtems, mon cher Compère, que vous au-
riez receu mes remercîmens de votre papier , et de mes
nouvelles , si M. du Peyrou à qui je voulois remettre
ma lettre n'eût été attaqué ici d'une goutte remontée
qui l'a mis en grand danger et qui l'a retenu plus de
deux mois de plus qu'il n'avoit compté de rester (').
Grâce au ciel il est en pleine convalescence , et comme
il se propose de partir dans quelques jours avec un
ami qui l'est venu joindre à ma prière, je prépare cette
lettre pour la lui remettre, attendu qu'on ne peut
écrire d'ici en droiture en Hollande. Il seroit à sou-
haiter, mon cher Compère, que vous eussiez un cor-
respondant sûr à Paris ou à Rouen par lequel nous
pussions avoir des nouvelles l'un de l'autre, et qui se
chargeât de recevoir nos lettres et de nous les faire
passer. Les vôtres me parviendront en quelque endroit
(') On ne lira pas sans intérêt le passage suivant, extrait d'une lettre quo
Du Peyrou écrivit de Neufchâtel à Key en date du 8 Février 1768 : "J'ai
liasse auprès de notre citoyen dix semaines au lieu de huit jours que
je lui avois destinés. Mais ces dix semaines ont été bien cruelles pour
son amitié, pour moi et sa tranquillité , puisque je les ai passées dans
uti état de danger assez éminent ou de faiblesse, suite de la maladie.
Je, peux dire que c'est à ses soins tendres et éclairés que je dois la vie.
Je l'ai quitté, il y a un mois, en le laissait! assez bien pour la saison
rigoureuse que nous avions alors. Je lui avais porté de Paris son Dic-
tionnaire de Musique qui alloit paraître et dont il ne m'a pas paru
bien satisfait, vu la quantité de fautes d'impression qu'il y a remar-
quées. Il a dû vous écrire pour des Livres de Botanique qui font
aujourd'hui son unique passion. L'asile que lui a accordé un Prince
bienfaisant et son ami, simble assurer sou repos, et la pension du Roi
d'Angleterre qui lui est payée ma /gré sa sortie du royaume, le met à
couvert de tous les besoins. Voilà, Monsieur, ce qui sûrement vans in-
téressera, eu entre attachement a sa personne."
18 •
27G
de France qu'elles soient mises à la poste sous cette
adresse, V. M. Renou au Château de Trie par Gisors.
Vous comprenez , mon cher Compère , que ceci n'est
que pour vous, et que vous ne devez montrer cette
lettre à personne. Car quoique je sache bien qu'on n'ig-
nore pas où je suis, je ne veux pas qu'on puisse dire
avoir cette connoissance de mon fait (1).
Je me réjouis de tout mon cœur de la bonne santé
de ma chère Commère , de ma chère filleule et de toute
votre famille. La mienne est passable malgré mes in-
firmités , et j'ai soutenu mieux que je n'aurois espéré
les fatigues et les angoisses que m'a données la maladie
de M. du Peyrou. J'apprends avec grand plaisir que
votre goutte vous laisse du relâche; je voudrois bien
que cela vous donnât le courage de faire encore un
voyage en France avant que ma filleule fût en état de
vous y suivre, ce qui ne peut guère être avant trois
ou quatre ans d'ici. J'ai le plus vrai désir, mon cher
Compère, de vous embrasser au moins encore une fois
avant la mort. S'il arrivoit que ne vous sentant pas
le courage de faire encore des voyages vous envoyassiez
en ce pays à votre place M. votre fils , engagez -le à
ne pas manquer de me venir voir. Je serai charmé
de faire connoissance avec lui.
Votre amitié, mon cher Compère, m'est trop chère
pour ne pas accepter avec plaisir et reconnoissainv
l'hommage public que vous voulez bien m'en l'aire en
me dédiant une de vos traductions de Platon (*). Si
(') En acceptant L'asile que le Prince de Conti lui offrit dans son château
de Trie, situé à une deuii-lieue de Gisors, Rousseau prit le nom supposi de
Renou. "11 paroil — 'lit Petitain — que le prince, pour sauver au moins les
apparences, avoit désiré qu'il prit cette précaution."
(2) Il s'agit île la traduction de GrBOTT. Au sujet de cette dédicace je lis
dans une lettre de Grou à Rej en date de Paris, 1'.' Oct. 1709: "J'ai été tris-
277
c'est un honneur que vous n'avez voulu faire à personne,
c'en est un aussi que je n'ai voulu recevoir que de
vous. Lorsque vous aurez achevé votre édition de mes
ouvrages, si vous m'en voulez envoyer un exemplaire
complet vous me ferez plaisir. Je crois qu'il faudra,
pour prévenir toute difficulté, que vous tâchiez d'ob-
tenir pour cela le consentement de M. de Sartine, et
quoique je n'aye point l'honneur d'être dans ses bonnes
grâces, j'ai peine à croire qu'il veuille le refuser. J'ai
laissé en Angleterre les volumes que vous y aviez en-
voyés.
J'accepte avec très-grand plaisir vos bons soins pour
mes fournitures de Livres de Botanique. Car on ne
trouve presque rien dans ce genre à Paris. Je vous
envoyé ci-joint une note de ceux dont j'aurois besoin
et j'en ai même mis plus que je n'en voudrais acquérir
à la fois, afin que vous puissiez me pourvoir de ceux
qui vous tomberont sous la main. Je les ai rangés
dans l'ordre où je les voudrois acquérir si j'avois le
choix , c'est-à-dire les premiers par préférence et seu-
lement deux ou trois à la fois. Car quoique je vive
dans cet asile avec une honnête aisance, grâce aux
bontés de Sa Majesté Britannique (4) et à celles du
sensible au témoignage flatteur que MM. Muhnkenius et Valckenaer ont
rendu à mu traduction (des Loix et de la République) , et je vous prie
de leur en faire passer /es assurances de ma reconnaissance. Mais je ne
VOUS cacherai pas , Monsieur, que j'ai été surpris et affligé de voir mon
ouvrage dédié à Jean- Jacques Rousseau. Il me semble qu'il était de la
bienséance de me prévenir sur une pareille démarche , que je n'aura. s
certainement pas approuvée. J'espère que vous ne vous offenserez point
de cette déclaration que je dois à mon état et à mu façon de penser.
On verra dans la lettre No. 150 que Rousseau n'était pas plus content de
cette dédicace. Le manuscrit <!<• la traduction de Grou a été vu par Valcke-
naer et Etubnkenius, et retouché par François Hemsterhuis. Les remarques
■ le ces savants eut été envoyées au traducteur.
1 Ce témoignage de reconnaissance au sujet de la pension du roi d'An-
2 7. S
maître de la maison , comme ma situation présente
m'assujettit à beaucoup de dépenses , je n'en puis faire
que très-peu pour mon goût pour les plantes, quoi-
qu'il me subjugue à tel point qu'il devient une passion
d'enfant. On a beaucoup de plantes étrangères dans
le pays où vous êtes; ne connoitriez vous personne
qui eût la cliarité de m'en envoyer quelques-unes sèches
bien conditionnées avec les noms de Linnaeus pour
augmenter mon petit herbier.
Bonjour, mon cher Compère, je vous embrasse et
toute votre chère famille de toute la tendresse de mon
cœur.
L'Herboriste de Made. la Duchesse
de portlaxd.
Bien des remercîmens et salutations de votre jîension-
naire. J'oubliois de vous dire qu'elle a receu les trois
cents francs. Vous avez envoyé à Guy une feuille du
Dictionnaire de Musique; il croit que vous avez receu
cette feuille de moi. Il me connoit bien mal. Si vous
réimprimez cet ouvrage mon honneur en restera taché;
vous savez si c'est avec justice. Rendez hommage à
la vérité. Je vous prie de l'aire agréer mes vifs remer-
cîmens à ces généreux Seigneurs (') qui veulent bien
m'offrir un asile.
flctcrro , est remarquable. Le 4 Avril il avoit écrit à du Peyrou: Si cous
saviez coin meut , par qui et pourquoi cette pension m'est venue, vous
m'en féliciteriez moins." Un an après il se décida à y renoncer.
1 Probablement les comtes Bentinck, Voyez N°. 134 e1 L86.
279
LIVRES A ACQUERIR.
Remberte Dodonaei ■ — ■ stirpium historia' Pemptades
sex. f°.
Lobelii Plantarum icônes.
Tabernaemontani icônes plantarum.
J. J. Scheutzer Iter alpinum. 4°.
Haller, Iter helveticmn. 4°.
Morisson, de Plantis umbelliferis. 4°.
Flora Prussica. 4°.
C. Clusit, rariorum plantarum historia. f°.
C. Linnaei fundamenta botanica. 8°.
Ejusdem critica botanica. 8°.
_,. , _ Oelandicum ) Qn
Eiusdem Iter. < _ , ,. S 8°.
( Gotlandicum)
Mon dessein n'est pas d'acquérir tous ces livres à la
fois, mais seulement quatre ou cinq de ceux qui se
trouveront le plus aisément sous la main.
280
140.
A Trie, le 11 Juin 1768.
Quoique je n'aye pas encore receu, mon cher Com-
père, le petit envoi que vous m'avez fait par M. Dan-
diran , je savois son arrivée à Paris même avant la
réception de votre lettre, et quoique ce ne soit pas la
ce que j'attendois , je vous en fais cependant mes re-
mereîmens , et en particulier du livre que vous avez
l'ait imprimer. Quant à l'autre et à ceux que vous
pourriez trouver dans la suite, vous aurez la bonté
d'en déduire le prix sur la pension et je le rembour-
serai à votre pensionnaire, afin d'éviter des envois et
renvois d'argent. Je suis surpris que de tous les livres
dont je vous avois envoyé la note vous n'en ayez pu
trouver qu'un seul. 11 me semble que si j'étois à Am-
sterdam, j'y trouverais dans une matinée tous ceux dont
j'avois besoin. Cependant ne vous hâtez pas de cher-
cher davantage. Quant à présent cela n'est pas pressé.
Je ne puis consentir à l'impression des lettres que
vous a envoyées M. de Graffenried par l'unique raison
(pie je ne consentirai de ma vie à l'impression d'aucun
écrit sorti de ma main ni de rien qui me regarde,
laissant de tout mon cœur le champ libre à l'adroite
et puissante ligue faite pour détruire ma réputation.
Parcette raison, je ne vous renvoyé pas les lettres, dont
la copie est d'ailleurs si fautive que les imprimer sur
une pareille copie seroil les défigurer, de sais cepen-
dant un gré infini à M. de Graffenried de ses bonnes
intentions : je suis plein delà plus véritable estime pour
son caractère, et je conserverai toute ma vie un sou-
venir plein de reconnoissance de la manière généreuse
et courageuse dont il s'est comporté envers moi en exé-
281
cutant à regret l'ordre de son souverain. Je vous prie
de lui faire quelque mention de moi quand vous lui
écrirez.
La lettre venue d'Amérique est un tissu de bêtises;
ce n'est pas la peine de recevoir de si loin pareille
marchandise; on en trouve de reste autour de soi.
Soyez circonspect, je vous prie, à recevoir des pacquets
à mon adresse. Quand vous voyez des adresses bizarres,
des lettres qui ont circulé par des mains infidèles et
qui ont été vingt fois décachetées , ne recevez rien de
cela. Mais comme il ne faut pas non plus croire
que la terre soit uniquement couverte de fourbes et do
fous , je ne voudrais pas me refuser dans l'occasion la
consolation d'apprendre que quelque honnête homme
sensé s'intéresse à mon sort. Je m'en importe bien
à votre discernement pour faire le triage , et je trou-
verai même très-bon que vous ouvriez les lettres quand
vous serez en doute sur leur contenu. Bien entendu
que vous tiendrez note des ports.
Je lis avec intérêt et attendrissement tout ce que
vous me marquez de ma petite filleule; plus, revenu
des illusions que je m'étois faites, je me détache des
faux amis et de la vie, plus je sens que je m'attache
à cette chère enfant; j 'aurais été charmé de la voir
et de vous voir, en particulier, pour vous parler d'elle,
et si vous eussiez pu l'amener j'en aurais été comblé ;
niais nia situation précaire et toujours incertaine ne
me laisse compter sur rien dans l'avenir. J'irai si mon
état me le permet faire quelques courses de botanique (')
(l; Du consentement de son hôte, le l*rince de Conti, il s'est rendu, pour
-ijXT un peu, à Lyon d*où il est parti le 21 .Juillet pour aller herbo-
riser dans les montagnes du Dauphiné, accompagné de quelques botanistes
dont la compagnie paraissait lui faire beaucoup de plaisir. C'est ce qui résulte
de deux Lettres de Du Peyrou n Ftey, du S Juillet et du SSept. L768. "Quant
2H2
et il n'est pas sûr qu'elles nie ramènent ici. Ainsi ,
supposé que vous puissiez venir, il se pourroit que vous
ne me trouvassiez pas, et puisque votre voyage est
encore incertain ne me faites entrer pour rien dans ce
qui peut le déterminer. Toutefois si vous venez avant
la mauvaise saison , vous pourrez du moins trouver ici
Mlle Renou votre pensionnaire qui vous donnera de mes
nouvelles et à moi des vôtres au cas que je ne sois
pas de retour. Ceci répond d'avance à ce que vous me
marquez de M. Auboin, avec lequel je serois charmé
de renouveller connoissance et que j'aurois même pré-
venu si j'avois eu son adresse. J'en dis autant à
plus forte raison de ma commère Mademoisselle Du-
moulin dont vous auriez dû me donner l'adresse et
dont je vous la demande la première fois que vous
m'écrirez. S'il m'étoit possible de la voir à son passage,
ce me seroit je vous assure un vrai plaisir, et si j'étois
instruit de sa marche je ferois mes efforts pour cela.
Vous voulez que je vous parle de moi. Que vous en
dirois-je qui ne contristât votre amitié. J'espérois jouir
ici du repos où vous m'y croyez ; mais puisque malgré
la protection, les bontés et j'ose dire l'amitié du maître
de cette maison, on ne m'en laisse pas jouir chez lui,
vous pouvez croire qu'on ne m'en laissera jouir nulle
part et je n'en espère plus sur la terre. Mais si je
n'ai point de repos, j'aurai du moins des consolations
à ses ouvrages — écrit Du Peyrou — je doute fort qu'il cm/tente à
leur publication pendant sa vie < t il me paroit totalement dégoûté
du métier d'auteur." L'intimité qui régnait entre Rousseau e< Du Peyrou
donnera quelque intérêt au passage suivant, extrait d'une de ces lettres:
"Je suis réduit comme vous, Monsieur, a désespérer que jamais il puisse,
une sa façon de voir les choses, parvenir à u» état de paix et de tran-
quillité, et je crains que uns voeux pour son bonheur ne soyent aussi
inefficaces que l'ont été mes e(f'<>r/s pour lui assurer la paix et l'indé-
pendana ■"
283
très-douces tant que j'aurai de bonnes nouvelles de
vous, mon cher Compère, de ma bonne et aimable
commère Madame Rey que je salue et embrasse de
tout mon cœur, et de ma petite filleule que je vous
charge aussi de baiser pour moi sur les deux joues , et
de lui dire que je veux qu'elle m'écrive dans six mois
une jolie petite lettre bien tournée, bien -écrite et toute
de sa façon. Bien des salutations à M. votre fils et
à toute votre famille.
Quand môme je ne serois plus ici , en m'y écrivant
et continuant de vous servir de la même adresse vos
lettres me parviendront également. Cependant si vous
n'avez rien de pressé , autant vaut attendre mon retour
ou que j'aye une autre demeure fixe. Votre pension-
naire vous remercie de votre bon souvenir et vous salue
et vous aime de tout son cœur ainsi que votre Com-
père et ami
Renou.
147.
A Monquin, le 31 Janvier 1769.
Votre lettre du 9 de ce mois, mon cher Compère,
m'a fait un plaisir infini. Je suis enchanté de celle
de ma filleule. Que ne puis-je répondre au long à l'une
et à l'autre ! Mais un mal d'estomac fort extraordinaire,
accompagné de fièvre, d'enflure et d'étouffement m'em-
pêche de me baisser et d'écrire sans souffrir beaucoup ;
ainsi je suis forcé d'être bref. J'ai quitté Bourgoin
pour venir sur la hauteur respirer un air plus sain et
boire de meilleure eau. Un des plus vrais plaisirs
dont je sois susceptible encore seroit celui de vous
embrasser et cette chère enfant; mais ma situation s'y
oppose pour des raisons trop longues A détailler et
284
(|iie vous pouvez aisément comprendre. Ainsi , mon
cher Compère, je vous le dis et bien à regret, ne ve-
nez-pas; aussi bien selon toute apparence arriveriez-
vous trop tard.
Non seulement je suis très-content de mon mariage ;
mais c'est un devoir que je me reprocherais de n'avoir
pas rempli, quoiqu'assurément je n'en eusse pas con-
tracté rengagement auparavant. Vingt-cinq ans d'atta-
chement , de services et de soins dans mes maladies .
la vérité de son amitié pour moi dont j'ai appris à
connoitre la valeur et la rareté n'auroient pas encore
suffi pour m'amener-là ; mais voyant son attachement
et son zèle à l'épreuve de nies adversités; la voyant
déterminée à partager ma destinée jusqu'à la fin et à
nie suivre partout dans ma détresse , j'ai dû faire au
moins que ce fût avec honneur. Elle n'est pas sans
défauts, parce que personne ne l'est; mais son carac-
tère sûr, ses excellentes qualités que je n'ai trouvées
qu'en elle seule méritoient assurément toute la récom-
pense qu'il étoit en mon pouvoir de lui donner. Dans
le fond, c'est une récompense bien mince, puisqu'an
moment que je viendrai à lui manquer il ne lui restera
pour vivre que le tribut de votre gratitude. Je vous
avoue, mon cher Compère, que je désirerois ardem-
ment que vous la connussiez assez pour lui rendre la
justice qu'elle mérite, qu'elle pût après moi se réfugier
auprès de vous, et finir ses jours près de ma filleule,
afin que deux personnes qui me sont si chères, qui
toutes deux portenl mon nom, et sont ensemble dans
mon cœur, ne fussent point séparées après ma mort;
mais il eût fallu pour cela des aiTangemons que je
désirois, mais que je ne suis plus en état de faire;
et d'ailleurs je prévois assez d'obstacles qui empèche-
roni ma veuve d'arriver jusqu'à vous. Ainsi je me
285
vois forcé de laisser son sort comme le mien, unique-
ment à la direction de la providence , n'osant pas même
et ne pouvant désirer qu'elle accepte sa subsistance
de telle main qui peut-être osera la lui offrir.
Je ne puis comprendre par où est parvenu à Lau-
sanne l'ancien chiffon que vous me marquez y avoir
été imprimé. C'est un vol dont je désirerois extrême-
ment découvrir la source et qui j'en suis très-sûr, fâche
M. Du Peyrou encore plus que moi. Ce qui m'étonne
est qu'il ne m'en ait point averti. Il semble que c'étoit
la première chose qu'il devoit faire; mais je conçois que
la honte de s'être laissé voler l'a retenu. Du reste à
ce qui est public, il n'y a plus de remède. Personne
n'a plus besoin du consentement de l'auteur pour le
réimprimer. Tout le mal que j'y vois est qu'un pareil
torche-cul n'en vaut pas la peine (1).
(!) Au sujet de cette affaire, voir dans la Correspondance publiée la lettre
à M. Lalliaud du 18 Février 1769, et les lettres à Du Peyrou des 18 Jan-
vier et 28 Février même année. Pour en compléter l'histoire, voici l'extrait
d'une lettre de Du Peyrou à Pey écrite le 6 Mars 17G9: "M. Rousseau,
m'avoit écrit au sujet de la pt(hlication de son discours sur la vertu
du Héros, imprimé, disoit-il , à Lausanne. Je V ignorois , mais fétoi.i
sûr qu'on ne m'avoit pas (fait) le larcin de son manuscrit qui se trou-
vait dans le paquet où 2f. Rousseau l'avait mis lui-même et que je n'avois
pas ouvert jusqu'alors. Ce manuscrit est donc chez moi, et après avoir
reçu un exemplaire de l'imprimé, je me suis confirmé dans l'idée que
j'avais déjà marquée éi M. Rousseau : c'est que le vol s'était fait avant
que les papiers fussent déposés chez moi; et la preuve c'i-st que l'im-
primé est parfaitement conforme au manuscrit tel qu'il était avant les
corrections et additions que l'auteur y a faites depuis, <t qui changent
totalement cet ouvrage. D'ailleurs, l'omission d'un ou deux paragraphes
entiers , prouve que le larcin a été fait éi la hâte par le copiste. J'ai
marqué tout cela à M. Rousseau pour lui servir de renseignement pour
le tems où le val lui a été fait et parvenir ensuite à la connaissance du
voleur. De plus , on n'a fait (pie réimprimer et Lausanne ce Discours
qui se trouve imprimé dans l'Année Littéraire de Fréron , année 17fi8
Tome VII, d'où l'éditeur de Lausanne l'a tiré. Je n'ai point encore ré-
ponse île M. Rousseau sur ces détails que je lui ai donnés et mesure que
je les ai acquis.''
286
Un m'a marqué que l'année échue de la pension de
ma femme lui viendroit par Genève. A la bonne heure
pour cette fois; mais pour l'avenir, je voudrois bien
qu'elle ni moi n'eussions plus aucune sorte de relation
à Genève, et par exemple, j'aimerois mieux Lyon si
cela vous étoit égal.
J'ai receu votre envoi par M. Dandiran. Il m'a fait
très-grand plaisir, et je vous en remercie. Quant aux
livres de botanique marqués sur ma note que vous pou-
vez avoir recouvrés, je serois fort aise de les recevoir
par la voye de Marseille à l'adresse de Made. Boy de
la Tour à Lyon , si je croyois que ceci fût encore long;
car la botanique m'amusera jusqu'à ma dernière heure;
mais comme l'état où je suis ne sauroit durer, ni finir
par la guérison sans miracle, il me paroit inutile de
tenter cet envoi; toutefois si vous le faites, ou qu'il
soit déjà fait, déduisez-en le prix, je vous prie, ainsi
que du précédent sur la pension de ma femme, soit
de l'année échue ou de la courante.
Je ne puis me lasser de relire la charmante lettre
de ma filleule. Je voudrois embrasser cette aimable
enfant dix fois pour chaque ligne, et je me suis déjà
surpris plusieurs fois à pleurer comme un enfant moi-
même en la relisant. Elevez-la de façon qu'elle soit
aussi sage et vertueuse qu'aimable; parlez-lui quelque-
fois de son parrain de façon qu'elle en aime la mé-
moire. Je me plais à penser qu'elle nous fera honneur
et nous honorera un jour l'un et L'autre, et que je
vivrai dans son souvenir. Vous devez avoir bientôt
Mademoiselle Dumoulin: je me recommande à celui de
Madame Rey et au sien. Je salue bien tendremenl
vos enfans, et vous embrasse, mon cher Compère de
tout mon cœur.
Renoi .
287
En m'écrivant tout simplement à Bourgoin en Dau-
phiné votre lettre me parviendra dans ma solitude.
Ma femme vous salue de tout son cœur; elle vous
promet de bien remplir tous les devoirs que vous lui
rappelez, et j'ajoute qu'elle n'a pas besoin qu'on les
lui rappelle. En voulant être bref j'ai rempli mes trois
pages ; il est vrai que j'y ai mis plusieurs jours.
148.
A Monquin, le 27 Avril 1769-
J'ai, mon cher Compère, votre lettre du 16 Mars,
ainsi que la précédente sans date , mais que vous me
rappelez dans la dernière sous la date du 11 Févr.
Je suis sensible à tous les témoignages d'amitié qu'elles
contiennent, et ce seroit un grand plaisir pour moi de
vous voir; mais je suis obligé de vous réitérer qu'outre
les inconvéniens pour vous d'un si grand voyage, il
en auroit aussi pour moi qui me font désirer que vous
ne veniez pas.
Ma petite Jeannette est charmante ('); il est bien
cruel pour moi de ne pouvoir embrasser cette chère
enfant. C'est une consolation qui me seroit trop douce
pour qu'il me soit permis de l'espérer. Ma vie, mon
cher Compère , n'est qu'un tissu de privations ; et c'en
est ici une des plus sensibles. Je ne suis pourtant pas
content de la seconde lettre; elle est dictée, cela est
sûr; quand elle m'en écrira une tout entière de son
estoc, je promets de lui répondre.
Quand vous me suggérâtes le projet d'écrire les mé-
(') Le nom do p;i filleule était Julio Elisabeth. Il la nomme donc Jeannette
du nom du parrain.
288
moires de ma vie, je n'imaginois guère que ce projet
adopté trop légèrement m'attireroit les calamités qui
en ont été l'effet. Ne me reparlez jamais de cette
entreprise; si vous m'aimez ayez regret de me l'avoir
suggérée, et si vous m'en reparlez, attendez-vous à
n'avoir aucune réponse sur ce point.
Vous devez avoir à présent Mlle Dumoulin auprès
de vous. Je vous en félicite tous. J'espère qu'entre
Madame Rey elle et vous , il sera souvent fait mention
d'un homme bien fâché de ne pouvoir cultiver de plus
près l'amitié de ces Dames ainsi que la vôtre.
Vous pouvez dédier à qui bon vous semblera le re-
cueil que vous avez fait de mes écrits. N'ayant pris
aucune part au recueil je ne veux pas me mêler
de la dédicace ('). J'espère que vous n'y aurez pas
fait entrer la dernière pièce dont vous m'avez parlé
et que je ne puis avouer en aucune sorte, M. Du Peyrou
qui a comparé l'imprimé à l'original déjà très-piètre
m' ayant assuré que ce torche-cul a été tronqué, mutilé,
estropié dans l'impression , de façon qu'on n'y recon-
noit plus mon ouvrage (2). Je me souviens que dans
une de vos éditions de la Julie pour égaliser les vo-
lumes et les mettre en 4 tomes vous les avez coupés
différemment.. Passe pour cela pourvu que la coupe
des six parties ne soit point changée de ce qu'elle
étoit dans la première Edition. Il est essentiel que
(i) Rey a dédié sa nouvelle édition des Oeuvres de Rousseau (Amst. 1 7 T l'.
XI Vol. gr. in-8°.) à M. Ru Peyrou, comme étanl presque le seul ami do
l'auteur avec qui il eût quelque relation. L'épître dédicatoire est du 1 Mai
1769. Mais une lettre de Du Peyrou à lîey. du •"! Février 1770 contient In
passage suivant: "Si vous m'en eussiez prévenu à tems,je vous aurois
conseillé un nom plus illustre, cl nui n'eût point déparé cet ouvrage.
Le Prince de Conti eût été celui que je vous eusse indiqué."
(2) Voyez la note an X". 1 !7.
289
cette coupe reste la même; si vous l'avez changée,
avertissez que c'est contre mon intention.
Si vous avez à m'envoyer quelques livres de bota-
nique, M. le Comte des Charmettes (') qui vous re-
mettra cette lettre, voudra bien peut-être avoir la bonté
de s'en charger. Adieu, mon cher Compère. Ma santé
est meilleure. Recevez et distribuez mes salutations et
celles de Madp. Renou. Je vous embrasse.
149.
A Monquin, le 11 Juin 1769.
J'ai receu, mon cher Compère, vos deux dernières
lettres; j'ai répondu à la première par occasion, je ré-
ponds à la seconde; j'ai eu plus d'exactitude avec vous
qu'avec personne, et plus même que vous n'en devez
attendre dans la suite , vu que rien ne me coûtant plus
que d'écrire, je n'écris plus que pour le pressant besoin.
J'apprends avec grand plaisir que vous et Madame
Rey et toute la famille, et surtout ma filleule, êtes
tous en bonne santé, que Madu.e Dumoulin est arrivée
et qu'on pense toujours à moi chez vous quelquefois.
Distribuez-y, je vous prie, mes embrassemen s , amitiés ,
salutations , et faites de ma part tout ce que vous savez
que je voudrais pouvoir faire moi-même.
Je n'ai point l'honneur de connoitre M. Poucet ni
les Confédérés de Pologne, et je ne mêle pas des choses
où je n'entends rien.
Je ne connois point non plus M. Tuilier de Genève
et ne sais ce qu'il me veut avec son graveur et sa
médaille. Je ne veux ni de l'un ni de l'autre. Je ne
(i) De Oonzié, dont quelques lettres à Rey ont été conservées.
10
290
suis point, et surtout dans ce siècle, un homme à
médailles, et quand j'en serois , j'aimerois mieux être
de ceux dont on demande pourquoi ils n'ont point de
médailles , que de ceux dont on demande pourquoi ils
en ont.
Je ne sais ce que contient votre épître dédicatoirc
dont vous n'avez pas jugé à propos de me faire part (').
Mais de quelque façon qu'elle soit tournée, je vous prie
instamment de la supprimer et de ne pas abuser d'un
moment de complaisance et d'imprudence que mon amitié
pour vous a pu m'extorquer (2).
Je serois assurément fort aise de vous voir et de
vous embrasser; mais quoique j'aye ci-devant désiré ce
voyage, ma situation présente m'a fait changer d'avis,
et vous m'obligerez de n'y plus songer. Ce long, fa-
tigant, et coûteux voyage ne vous seroit d'aucun avan-
tage, et me seroit plus nuisible qu'utile. Je vous crois
trop mon ami pour y persister à mon préjudice.
Made. Renou vous remercie de votre bon souvenir, de
votre bonne amitié, et vous assure de la sienne. Je
suis , mon cher Compère , de bien bon cœur tout à
vous.
RjENOU.
150.
A Monquin, par Bourgoin , le 23 9t>re 17'!'.».
Je suis inexcusable, mon cher Compère, de vous
accuser si tard la réception de votre lettre du 20 Juin
(i) C'est une «'pitre dédicatoirc de Itcy à Rousseau.
(2) Du Peyrou se trompait donc, en écrivant à Rey le 3 Février 1770 : "Ce
que vous lui dites, est si bien senti par tous ses lecteurs et exprime en
même faux si l>ia> l'honnêteté de votre âme que je suis persuadé que
notre ami en sera content."
291
et des envois que vous nous avez faits tant à MacR Re-
nou qu'à moi par la même voye. L'indolence et la pa-
resse qui croissent avec les années et les chagrins, no
m'excusent pas , mais elles me subjuguent. Prenez-moi,
mon cher Compère, tel que je suis, puisque j'ai le
malheur de ne pouvoir être autrement.
J'apprends avec grand plaisir que vous vous portez
bien ainsi que Made. Rey et toute votre famille.
M. de Conzié m'a écrit que ma petite filleule étoit
très-aimable, je vous exhorte ainsi que sa maman à
perfectionner par une sage éducation l'œuvre de la
nature. Je prends l'intérêt le plus vif à cette chère
enfant. Le désir de la voir va dans mon cœur jusqu'à
l'inquiétude. Je n'espère pas pouvoir satisfaire ce désir,
mais si jamais vous en trouvez l'occasion je m'y prê-
terai, quoi qu'il arrive, avec le plus tendre empresse-
ment. Je ne pense plus sur votre voyage comme je
faisois dans ma dernière lettre; je vois et je sens chaque
jour davantage que tout ce que je sacrifie à mon repos
ne m'y mène point, et que ce que j'avois pris pour de
la prudence n'étoit que de la pusillanimité.
Je vous félicite d'avoir auprès de vous Mademoiselle
Dumoulin; que ne puis-je partager avec vous ce plaisir?
Celui de vivre auprès de vous et d'elle contribueroit
beaucoup à la douceur de ma vie , ou plustôt il la feroit
toute entière. Mais ce n'est pas un espoir assez à ma
portée pour qu'il me soit possible de m'en flatter.
Je suis fort sensible à votre générosité en faveur de
Made. Renou; elle me charge de vous en témoigner
aussi sa reconnoissance. Tant que je vis il convient
qu'elle partage ma fortune. Quand je ne vivrai plus ,
je doute qu'elle songe beaucoup à la sienne; mais je
désire ardemment qu'elle ne pâtisse jamais. Elle vient
de faire une maladie dans laquelle elle n'a poinl eu
1!) ■
292
d'autre médecin que la nature ni d'autre garde que
moi, et qui par cette raison a été aussi courte que vive ;
elle est bien rétablie à présent.
Les livres de botanique que vous m'avez envoyés
m'ont fait grand plaisir et surtout le Clusius qu'on
trouve difficilement. Ils m'auroient fait plus de plaisir
encore s'ils ne fussent arrivés au moment où j'étois
prêt à renoncer à cet amusement pour lequel ils m'ont
encore un peu prolongé le goût. J'y renonce désor-
mais pour bien des raisons, mais surtout parce que
j'ai senti qu'il m'absorboit tout entier, qu'il me relâ-
clioit le cœur, m'attachoit trop à la vie oisive et soli-
taire , et m'empêchoit de remplir d'indispensables de-
voirs que je ne puis négliger sans me manquer à moi-
même. Je me trouve une assez considérable collection
de livres de botanique et un herbier dont je veux nie
défaire afin d'écarter de moi toute occasion de retomber
dans cette manie qui étoit devenue pour moi une véri-
table passion d'enfant ou plustot de vieux radoteur;
puisqu'il est constant qu'on n'apprend plus rien à mon
âge et que si j'apprenois quelque chose un jour c'étoit
en oubliant ce que j 'avois appris la veille. Vous ne
m'avez point marqué comme je vous en avois prié le
prix des livres que vous m'avez envoyés. Il n'est pas
possible qu'ils ne coûtent que les six francs (pie vous
avez déduits sur la pension de ma femme pour cette
minée. Vous me ferez plaisir de me mettre en régie
à cet égard, afin que je sache à quoi m'en tenir.
Je vous remercie d'avoir bien voulu me dédier 1rs
loix de Platon. Je suis sensible à votre bonne inten-
tion et à l'honneur que vous m'avez fait: mais si j'en
avois été le maître, cette dédicace n'auroit point eu
lieu. Je ne commis du tout point railleur de cette
traduction, mais je ni' puis vous dissimuler que les
293
notes en sont d'un homme injuste, malintentionné et
de mauvaise foi.
Mes salutations, je vous prie, et celles de Made. Re-
nuu à Made. Rey, à Madu! Dumoulin et à toute votre
famille. Je vous embrasse, mon cher Compère, de tout
mon cœur.
Renou.
151.
Î Pauvres aveugles que uuus sommes!
Ciel, démasque les imposteurs,
Et force leurs barbares coeurs { 1 7 6 ' ( ''
A s'ouvrir aux regards des hommes.
Depuis mon arrivée à Lyon j'ai voulu, mon cher
Compère, de jour en jour vous écrire, tant pour vous
remercier de votre bon souvenir que pour vous accuser
la réception des deux exemplaires de votre dernier
recueil et de l'année courante de la 2iensi°n °^e ma
femme; j'en ai été toujours détourné par des survenans
et par d'autres tracas. Prêt à partir pour un petit
voyage, je ne veux pas du moins quitter Lyon sans
vous donner et à ma chère Commère, et à ma petite
filleule un petit signe de vie. Je n'ai pas en ce moment
vos lettres sous les yeux pour y répondre article par ar-
ticle, et même je n'en aurois pas le tems. Je ne peux pas
non plus vous parler de votre édition n'ayant pu la
parcourir, parce qu'elle étoit en feuilles; si vous m'eus-
siez envoyé ces deux exemplaires brochés, cela m'au-
roit donné plus de facilité à Les examiner et même à
Us rapporter ici, au lieu que la difficulté de les porter
(i) Sur cette manière de dater ses lettres, voyez la lettre suivante et la note
de .M. Petitain à la première lettre dans la Correspondance où se trouve
bizarrerie.
294
à Lyon m'a forcé de les laisser à Bourgoin, jusqu'à
ce qu'il vienne une occasion favorable de les faire re-
lier et d'en disposer. Je vous suis obligé de m'avoir
recommandé à M. Bruysset; il a eu pour moi toutes
sortes d'attentions et c'est une connoissance fort bonne
à faire et fort agréable à cultiver ('). Vous avez, mon
cher Compère , les remercîmens , salutations et amitiés
de ma femme; faites agréer les miennes à ma chère
commère et à Mademoiselle Dumoulin. J'embrasse de
tout mon cœur ma filleule et son cher Papa. Si vous
effectue*; le voyage que vous avez projeté pour cette
année, il n'est pas absolument impossible que nous
nous trouvions rajmrochés. Ainsi soit-il.
J. J. Rousseau.
152.
r Pauvres aveugles que nous sommes !
\ Ciel, démasque les imposteurs,
26
A Paris, <*?. * , , , > Juillet
-»■■*■ ' ^' jEt force leurs barbares coeurs l _
' A s'ouvrir aux regards des hommes. > ' '
Votre lettre du 18., mon cher Compère, m'a été
remise par M. Dandiran. Je suis affligé de votre goutte.
Je serois fâché que les suites me privassent du plaisir de
vous voir à Paris. Vous me demandez si je m'y fixerai (*).
(') Dans une lettre à M. Moultou du 80 Mai 1762, qui fait partie de la
Correspondance publiée dans sos Oeuvres, il se plaint de manoeuvres arti-
ficieuses de M. Bruysset, Libraire à Lyon, qui a contrefait V Emile.
('-) On sait qu'il s'y est fixé. A cause de la lacune qui existe dans cette
partie de l'iustoire de sa vie, l'extrait suivant peut avoir quelque intérêt. Le
Comto de Conzié écrit de La Haye à Rey en date du 17 Mai 177-: "J'ai
vu notre ami Jean Jacques à Paris, et avec un vrai plaisir, m' ayant
assuré qu'il étui/ très-content de son sort. Je l'ai trouée plus gros (/ne
je ne l'avais jamais vu. Je ne lui desirerois outre chose pour sou /mu-
heur, sinon tju'i/ comparit (comprît?) un peu plus les faibles inséparables
de l'humanité et qu'il en méprisât moins la plupart des individus."
295
Je vous réponds que je ne sais jamais aujourd'hui ce
que je ferai demain.
Je vous suis obligé de l'exemplaire relié de votre
dernière Edition que vous voulez bien me destiner. Il
est vrai que je ne serai pas fâché de la parcourir à
mon aise; mais il n'est pas nécessaire pour cela que
les volumes soient reliés, il suffit qu'ils soient cousus.
Je ne suis nullement de l'avis de ceux qui vous ont
marqué que mon portrait fait par M. Liotard étoit par-
faitement ressemblant , et ce ne sera sûrement pas de
mon consentement que vous le ferez graver. M. de la
Tour est le seul qui m'ait peint ressemblant, et je ne
puis comprendre pourquoi vous voulez transmettre à
un autre la commission que vous lui aviez donnée.
Quoi qu'il en soit, je préférerai toujours la moindre
esquisse de sa main aux plus parfaits chefs-d'œuvre
d'un autre, parce que je fais encore plus de cas de sa
probité que de son talent.
J'apprends avec grand plaisir que tout se porte bien
chez vous. Je serai plus content encore en apprenant
que vous vous portez bien vous-même. Saluez et em-
brassez de ma part vos Dames et ma petite filleule que
je me réjouis fort de voir. Ma femme vous remercie
et vous salue de tout son cœur.
La manière de dater que vous avez vue à la tête de
ma précédente lettre et que vous voyez à celle-ci est
une formule générale que depuis plusieurs mois j'em-
ploye dans toutes mes lettres sans aucune exception.
Soyez sûr que je ne daignerois pas écrire à ceux que
je croirois en mériter l'application.
Bonjour, mon cher Compère, je vous salue avec
amitié.
•1. .1. Rousseau.
296
15;*.
, Pauvres aveugles que nous sommes !
,j \ Ciel, démasque les imposteurs, ( n _ ^ „A
X^AKIS, <Et fmm lpl]l.s hnl.iiarps ,,npllrs ( 17-5/0.
Et force leurs barbares coeurs
s'ouvrir aux regards des hommes.
J'ai receu, mon cher Compère, l'exemplaire magni-
fiquement relié (') que vous m'avez fait passer, qui
contient le recueil de mes écrits et de ceux de mes
adversaires. Vous avez fait là une dépense dont je
vous fais mes remercîmens de tout mon cœur, mais
que je trouve cependant déplacée. J'ai fait la grande
entreprise de relire tout ce recueil encore une fois en
ma vie. mais je ne l'exécuterai probablement que cet
hiver.
Puisque vous vouliez me faire graver, projet qui du
reste n'a jamais été de mon goût, j'ai pensé qu'il va-
loit mieux que vous m'eussiez ressemblant que dé-
figuré; c'est pour cela que j'ai préféré M. de la Tour
comme incapable de se prêter aux manœuvres qui
ont guidé le pinceau de Ramsay et les crayons de
Liotard.
C'est pour s'amuser à m'impatienter qu'on fait courir
Je bruit que je travaille à un dictionnaire de botanique,
à un opéra, à que sais-je quoi. J'ai pris le parti de
les laisser dire sans me fâcher et sans même prendre
la peine de les démentir.
J'apprends avec bien du déplaisir que la lièvre a
encore repris Madame Rey. Nous entrons dans la sai-
son (hs fièvres : il seroit bien cruel que la sienne lui
durât jusqu'à L'entrée de l'hiver; je lui conseille autant
1) •■J'ui donné moi-même ù M. Rousseau les oeuvres reliées < n tna-
roquin." Letti-i Ms. de V. Tli. s. Le Clerc, Paris L6 Loûl 1770.
297
d'exercice qu'elle en pourra faire: c'est le meilleur
moyen de renvoyer ce mauvais hôte. Vous ne doutez
pas, mon cher Compère, du plaisir que j'aurai à vous
voir avec ma filleule ; mais vous ne devez consulter
pour le tems que la convenance de votre santé et de
vos affaires. Adieu, mon cher Compère, je vous em-
brasse et ma chère commère à qui je souhaite un
prompt rétablissement; embrassez aussi pour moi la
petite. Ma femme vous remercie et vous salue. Mille
amitiés à Mademoiselle Dumoulin.
154.
A Paris, 24 Mars 1771.
Ce n'est pas tout à fait volontairement , mon cher
Compère, que j'ai resté si longtems sans vous écrire;
le cours de mes lettres a été arrêté pendant plusieurs
mois par une fraude des facteurs qui s'entendoient peut-
être avec je ne sais qui.
On y a mis ordre depuis quelques jours et l'on m'a
l'ait assurer que la chose n'arriveroit plus. Ainsi je
commence de bien bon cœur à rouvrir avec vous ma
correspondance sans cependant vous promettre de la
rendre bien exacte, vu que l'assiduité de mon travail
me rend très-pénible de le prolonger encore par des
lettres.
J'apprends avec grand plaisir que vous et tout ce
qui vous intéresse jouissez d'une bonne santé. Ce
plaisir est un peu modéré par l'espérance frustrée de
vous voir cette année à Paris et d'y embrasser ma
filleule. Faites ce qui vous conviendra davantage, mé-
nagez votre santé durant les fatigues d'une si longue
298
route et ne restez point tout ce tems sans me donner
de vos nouvelles. Je suppose que vous ne mènerez
point la petite avec vous à Vevai, quoique vous m'eus-
siez flatté de l'amener à Paris.
Ma femme est bien sensible à votre attention et
vous salue ainsi que Madame Rey et ma filleule qu'elle
est fâchée de ne pas embrasser ici. Vous devez d'au-
tant moins vous presser de lui faire tenir les 300 liv.
que l'année n'étant pas échue, elle n'y comptoit pas
sitôt. Ainsi pourvoyez à vos affaires et ne vous pres-
sez pas. La petite a eu bien du courage de se laisser
arracher quatre dents d'un même jour, mais pourquoi
cette opération? il n'y avoit qu'à les laisser tomber.
Je l'embrasse de tout mon cœur ainsi que sa bonne
maman et son cher Papa; mes salutations à Made-
moiselle Dumoulin. Je suis aussi, mon cher Compère,
tout à vous.
J. J. Rousseau.
155.
A Paris, le 9 Juillet 1771.
J'ai été plus fâché que surplis, mon cher Compère,
d'apprendre que vous ne passeriez pas ici connue vous
l'aviez projeté. J'espère que cette lettre vous trouvera
dans les l'êtes au sein de votre famille et je m'en ré-
jouis fort, surtout si, comme je L'espère aussi, vous
avez trouvé Madame Rey eu meilleure sauté qu'elle
n'a été durant votre voyage. Pour ma petite filleule,
elle est encore dans l'âge où le tempérament se ren-
force par les épreuves qu'il essuyé: puisqu'elle a bien
supporté celle des dents et de la coqueluche, il est à
présumer qu'elle n'eu aura plus guères, ou qu'elle \
2!)!)
résistera. Je ne me souviens pas si elle a eu la petite
vérole.
Je vous souhaite bien du succès dans votre Ency-
clopédie, mais je ne peux pas y travailler. Je ne sais
pas même pourquoi après mes résolutions, qui vous
sont connues, vous avez pris la peine de m'en parler.
Ma femme vous remercie de votre bon souvenir et vous
salue. Je salue Madame Rey et toute votre famille,
et suis aussi, mon cher Compère, tout à vous.
J. J. Rousseau.
15G.
A Paris, le 30 Aoust 1771.
J'ai receu, mon cher Compère, le paquet que vous
avez adressé pour moi à M. Capperonnier. Quoique je
ne lise plus rien que des livres de Plantes, j'ai voulu
pour vous complaire parcourir le livre que vous m'avez
envoyé. Vertuchou, Monsieur Rey, le docte et profond
ouvrage que vous avez imprimé là ! Voilà ce qu'on
appelle un livre utile, surtout pour l'auteur. Je vous
en fais mon compliment ainsi que de tous les autres
de même acabit qui s'impriment chez vous par préfé-
rence, et je vous en souhaite de tout mon cœur le
plus grand débit.
Ma femme a receu, en mon absence, l'année de la
[tension que vous avez eu la bonté de lui faire tenir
et me charge de vous en remercier.
Je me réjouis d'apprendre que la petite Jeannette
se trouve bien de l'air d'Utrecht; j'espère qu'il la re-
mettra entièrement et que Mademoiselle Dumoulin ne
se sentira plus de sa chute. Vous ne me dites rien
de Madame Rey; ce qui me l'air présumer que sa santé
300
est bonne, ainsi que la vôtre et celle de toute votre
famille; je le souhaite ainsi de tout mon cœur et vous
salue de même.
J. J. Rousseau.
Ma femme vous fait bien des salutations.
lai,
A Paris, 14 8b? 1771.
Ma femme me demande, mon cher Compère, si je
vous ai remercié de sa part de sa pension de Tannée
courante que vous lui avez fait remettre cet été par
M. Dandiran. Comme je ne m'en ressouviens point
du tout, et pas même si je vous ai écrit depuis ce
tems-là, je prends le parti de m'adressera vous-même
vous priant, si j'ai déjà rempli ce devoir, d'excuser l'im-
portunité d'y revenir, et si je ne l'ai pas fait de trouver
bon que j'y supplée, quoiqu'un peu tard, dans cette
lettre; la perte totale de ma mémoire ne me laissant
plus ressouvenir chaque jour de ce que j'ai fait la veille,
je suis toujours en doute de ce qu'il faut faire, et aime
mieux faire deux fois ce qui convient, quand je m'en
souviens, que de risquer de l'omettre.
Comment vous portez-vous, et Madame Rey et
Mad1K: Dumoulin et toute votre maison? Votre petite
Jeannette est-elle enfin rétablie? et l'avez-vous fait re-
venir? La nouvelle mariée est-elle contente?^). Parlez-
moi, mon cher Compère, de tout ce qui vous intéresse
et que VOUS pouvez me dire, bien SÛT qu'il ne me sera
(') Jeanne Marguerite) fille aînée de Rey, mariée à Auguste Charles Guil-
laume W. Lssenbruch.
301
jamais indifférent. Mack de Trudaine m'a dit qu'elle
vous avoit parlé de moi, et que vous lui aviez dit que
j'étois de votre connoissance. Je lui ai répondu qu'il
«'■toit vrai que vous me connoissiez autre fois. Adieu,
mon cher Compère, bien des salutations à vos Dames
et à vos enfans, et recevez celles bien sincères de ma
femme et de son mari.
J. J. Rousseau.
158.
A Paris, le 22 May 1772.
J'apprends, mon cher Compère, le malheur horrible
arrivé dans votre ville (1). Quoique je ne pense pas
que vous soyez allé vous fourrer là, je suis inquiet ce-
pendant de vous et des vôtres. Un mot de vos nou-
velles dans cette circonstance me tranquillisera et me
fera grand plaisir.
150.
A Paris, le 14 Juin 1772.
Je profite du retour de M. Pourtalés et de son offre
obligeante pour vous envoyer le receu ci-joint avec les
remercîmens de ma femme et les miens.
J'ai frémi au récit du danger qu'ont couru Madame Rey
et Monsieur votre fils, et vous voyez que ce n'étoit pas
sans raison que j'étois inquiet. Je ne vois rien que de
(i) Le 11 Mai 1772, lo théâtre d'Amsterdam était devenu la proie des flam-
mes. L'incendie ayant éclaté pendant une représentation, coûta la vie à plu-
sieurs personnes qui y assistaient. On verra par la lettre qui suit que .Ma-
dame Rey el le jei Uey ont couru ce danger.
302
satisfaisant dans le détail que vous me faites de l'état
présent de votre famille et en particulier de ma petite
filleule. Je vous assure que je serois fort aise de voir,
d'embrasser cette chère enfant, d'être témoin de ses
progrès et d'y contribuer s'il m'étoit possible. Mais
dans ma position tout ce que je puis faire est d'ap-
plaudir à vos soins que je trouve bons et bien enten-
dus. Je n'aspirerois pas à voir Jeannette devenir une
grande danseuse : qu'elle sache bien pondérer sa marche ,
ses mouvements et se présenter avec grâce ; c'est tout ce
que je désirerois sur ce point; mais quant aux autres
arts d'agrément, tels que la Musique, les instrumens,
le dessin &c, j'approuve fort que vous preniez quel-
que peine et fassiez quelque dépense pour lui en in-
spirer le goût. J'envisage encore moins dans ces talens
l'agrément de la société qu'un supplément pour s'en
passer. Il est important à un homme , encore plus
à une femme, d'avoir en soi des ressources pour se
suffire dans la retraite, pour s'y occuper agréablement
sans avoir sans cesse besoin du concours d'autrui, et
de n'être pas réduit toute sa vie à la triste alternative
des gens du monde , de la dissipation ou de l'ennui.
Je n'ai nul changement à faire ni à l'Emile ni à
aucun de mes écrits. Ne reconnoissant pour mienne
que la première édition de chacun d'eux , je ne prends
aucun intérêt aux éditions postérieures et n'ai pas
même le tems d'examiner celles que je suis à portée
de voir ('). J'ai pourtant toujours recommandé les
(') Il faut excepter cependant les éditions faites sur des copies revues par
l'auteur lui-même. Ainsi par exemple, on a vu par les lettres X"\ 71, 72 el
73 que Rousseau a envoyé à Rey pour une nouvelle édition un exemplaire
corrigé do La Nouvelle Héloïse. Sur cet exemplaire, Rey a réimprimé l'ou-
vrage et il en a fait les Volume.- Y et Y I de la première collection qu'il a
donnée des Oeuvres diverses '/<■ Mr. Rousseau dont le premier volume parut
303
vôtres par préférence, persuadé que vous êtes incapable
de vous prêter à aucune infidélité. Au lieu que toutes
celles qui se font et se feront en France portent tous
les caractères de perfidie et de réprobation qui m'as-
surent qu'elles sont infidèles, falsifiées, et faites avec
les plus sinistres intentions. C'est ce que vous pouvez
déclarer hautement en mon nom à toute la terre dans
les mêmes termes, sans crainte d'être désavoué (').
Vous voilà devenu grand-Papa, je vous en fais mon
compliment et à tout ce qui vous appartient, La mul-
tiplication des familles d'honnêtes gens est un bienfait
à la société humaine. Mes salutations et amitiés, je
vous prie, à Madame Rey, à Mademoiselle Dumoulin
à Monsieur votre fils et à toute votre famille. Bonjour,
mon cher Compère , ma femme et moi vous saluons
de tout notre cœur.
J. J. Rousseau.
A Paris, le 28 Fevr. 1773.
Hier, mon cher Compère , un commis de M. Dandiran
m'apporta de votre part , quoique sans aucune lettre
de vous à moi adressée, trois cents livres pour l'année
déjà en 1762. En comparant le N°. 143 où Rousseau ne désavoue que la coupe
des parties, il faut admettre que le texte de cette édition doit servir de base
aux éditions ultérieures.
(') Deux ans plus tard il a compris les réimpressions de Iîey dans la mémo
condamnation quo celles de France, dans sa Déclaration relative à dif-
férentes réimpressions de ses ouvrages, faite à Paris le 23 Janvier 1771.
Cette protestation n'a pas été publiée pour la première fois en 17S9 par
M. de Barruel Beauvert, comme le croit M. Petitain; elle a été insérée dans
La Gazette de littérature, des sciences et des arts No. 12, du Samedi 19 Fé.
vrier 1771. Voyez encore la unir au N". 163.
304
courante de la pension que vous faites à ma femme,
et dont elle me charge de vous faire ses remercîmens.
J'ai eu le plaisir d'apprendre dernièrement de vos
nouvelles par M. votre gendre qui m'est venu voir
deux ou trois fois durant son séjour à Paris. Cela a
prévenu l'inquiétude que votre silence auroit pu me
donner sur votre santé. S'il arrivoit cependant que j'en
eusse encore quelquefois des nouvelles par vous-même,
ainsi que de Madame Rey, de ma filleule et de toute
votre famille, je les apprendrois toujours avec autant
de plaisir et d'intérêt que lorsque nous nous commis-
sions le mieux. Ma femme et moi vous saluons de
tout notre cœur, et vous souhaitons, mon cher Com-
père, une bonne santé, de même qu'à Madame Rey et
à tout ce qui vous appartient,
J. J. Rousseau.
Je n'ai pas répondu à la dernière lettre de ma fil-
leule, parce que mes occupations ne me permettent
plus d'écrire que pour les occasions nécessaires; mais
je l'aime et l'embrasse de tout mon cœur.
161.
A Paris, le 15 7hr.
J'aurois dû, mon cher Compère, vous prévenir de
deux arrangemens relatifs à ma situation présente qui
m'interdit toute occupation oiseuse. L'un de n'avoir
plus de correspondance suivie et de ne faire de réponses
aux lettres que je reçois que quand elles sont néces-
saires. L'autre de ne répondre aux propositions qu'on
peut me faire que lorsque je les accepte; lorsque je ne
les accepte pas, je ne réponds point, et cela doit s'en-
305
tendre: ainsi mon silence alors est l'équivalent de
non. Tout ceci n'empêche pas que je ne reçoive tou-
jours avec plaisir de vos nouvelles et de vos lettres
et que je n'y réponde même quelquefois. Mais si vous
voulez ric-à-ric à chaque lettre une réponse, je ne puis
promettre de vous contenter sur ce point là. Il v a
encore une autre chose. C'est que lorsqu'il m'arrive
de répondre, c'est quelquefois si long'tems après la let-
tre receue que, quoique je la garde pour y faire réponse ,
ne sachant plus où je l'ai mise, et ne me souvenant
pas de ce qu'elle contient, je m'en passe pour répon-
dre, et ma mémoire me sert si mal que je suis sujet
à répondre tout de travers. Dieu veuille qu'il n'en
soit pas ainsi aujourd'hui.
Ce dont je me souviens fort bien, c'est du plaisir
que m'ont fait les bonnes nouvelles que vous m'avez
données de votre santé et de toute votre famille. La
lettre de la petite Jeannette m'a fait grand plaisir
aussi. Le caractère de sa main se forme à merveille ,
et je ne doute pas que vous n'ayez pourvu à ce que
celui de son âme se formât de même. Vous avez bien
fait de la mettre dans un meilleur air pour renforcer
sa constitution; mais c'est toujours un inconvénient
qu'elle soit loin de vos yeux et de ceux de sa mère.
Je ne lui écris pas , parce que rien n'est plus inutile,
et je suis fâché que ma situation ne me permette pas
de lui donner des marques de souvenir plus agréables
qu'un vain bavardage. Je vous prie de faire mes sa-
lutations à Madame Rey, à Mademoiselle Dumoulin et
à toute votre famille. Ma femme vous remercie de
votre bon souvenir et nous vous saluons, mon cher Com-
père, l'un et l'autre de tout notre cœur.
J. J. ROTJSSEAI .
20
306
162.
A Paris, le 11 8brf 177::.
Je suis bien honteux, mon cher Compère, de ré-
pondre si tard à votre dernière lettre sans date qui
m'a été remise par M. Robin avec les envois que vous
y avez joints. Je dois des remercîmens particuliers à
Mademoiselle Jeannette pour le joli cadeau qu'elle a
travaillé pour moi, et pour la jolie lettre qu'elle y a
jointe. Je suis fâché qu'un travail si mignon ne soit
pas à mon usage. Vous ne pouviez ignorer que depuis
plus de vingt ans j'ai quitté toutes ces brillantes gue-
nilles , et quand elles conviendroient à ma situation .
ce n'est pas à l'âge où tout homme sensé les quitte
que je voudrais les reprendre. J'ai donc le regret de
ne pouvoir porter ces manchettes que j'accepte néan-
moins de tout mon cœur; mais pour que l'ouvrage
de ma Jeannette ne soit pas perdu, je la prie de l'of-
frir de ma part à M. son frère aîné qui m'a jadis en-
voyé de belles estampes. Je les remettrai pour vous
les faire parvenir à M. Dandiran la première fois que
je le verrai, ou à la première personne qui me viendra
de votre part.
J'ai parcouru le Devin du village que vous avez
fait graver. Quoi que vous en disiez, il fourmille de
fautes. Il se peut que j'en aye laissé plusieurs dans
L'exemplaire (pie je vous avois l'ait passer; mais il est
certain que votre graveur en a l'ait beaucoup qui n'y
étoient pas.
Quant à l'Emile, je ne sais quand je pourrai me
mettre à le lire: c'est pour moi une terrible corvée,
et presque inutile; car je n'ai plus qu'un souvenir bien
confus de „ son contenu. 11 n'y a qu'un seul de mes
307
écrits que je relirois encore avec plaisir. C'est l'Héloïse.
J'ai essayé de la relire; mais l'exemplaire qu'on m'a
prêté étant d'une édition faite en France, pleine de
contre-sens ridicules et de fautes d'impression faites
exprès, il m'a été impossible de soutenir cette lecture
et il a fallu l'abandonner à la moitié du pr. volume.
Il faut là-dessus que je vous fasse ma confession au
sujet du magnifique exemplaire que vous m'avez fait
remettre ('); cet exemplaire étoit trop beau pour pou-
voir me rester. M. le Comte d'Egmont m'avoit prié
de lui rassember une collection de mes écrits des bonnes
éditions. Je fis ce que doit faire un auteur quand on
s'adresse à lui pour cela, et dans l'impossibilité de
retrouver un exemplaire de chaque pièce de la première
Edition, je fis porter chez lui mon bel exemplaire qui
est ainsi passé dans sa bibliothèque. Cela m'a valu
quatre ou cinq très-belles estampes encadrées , dont
Mad°. la Comtesse d'Egmont me fit le cadeau, les
quelles font l'ornement de ma chambre, et dont je
ferois volontiers celui de la vôtre si vous vouliez les
agréer. Au reste de ce bel exemplaire je ne regrette
que l'Héloïse ; mais il Fauroit fallu moins brillante
pour qu'elle pût me rester.
Précisément lorsque je vous félicitois d'être délivré
de votre goutte, vous en étiez attaqué de nouveau et
bien cruellement, à ce que me disent ces Messieurs.
J'espère pour cette fois que vous en êtes tout de bon
quitte, ayant appris et par eux et par votre lettre que
vous étiez en bon train de guérison. Bien des saluta-
tions A vos Dames et A toute votre famille; j'embrasse
ma filleule; ma femme et moi vous saluons, mon cher
Compère, de tout notre cœur.
J. J. Rousseau.
(') Voyez la mit.' an N". L53.
20 *
308
103.
A Paris, le 16 10"? 1773.
J'ai receu hier, mon cher Compère, avec votre lettre
et celle de ma filleule, l'exemplaire de THéloïse que
je vous avois demandé, et je vous en remercie. Vous
me marquez que vous m'envovez l'édition originale,
l'exemplaire que j'ai receu est d'une édition très-diffé-
rente. Vous me ferez grand plaisir de me marquer,
et même le plus tôt qu'il sera possible , si ce quipro-
quo vient de vous; car je désire extrêmement et pour
vous et pour moi de savoir à quoi m'en tenir sur cet
article (1). La présente n'étant pour autre sujet, je la
finis, mon cher Compère, en vous embrassant de tout
mon cœur.
J. J. Rousseau.
(i) Rey ayant reçu cette lettre le 22, y a répondu le même jour, comme
il l'a marqué sur l'original. Le 24 du mois suivant. Rousseau écrivit la Dé-
claration dont-il est fait mention clans notre noie auN°.1593 page 303. Si la
réponse de Roy étoit connue, on pourrait expliquer, comment l'exemplaire d«>
la Nouvelle Héloïse, envoyé par Rey, a donné lieu à Rousseau d'écrire dana
sa Protestation, qu'il s'est convaincu par ses propres yeux que les réim-
pressions de Rey, contiennent exactement les mêmes altérations, sup-
pressions , falsifications que celles de France, et que les unes et les autres
ont été faites sur le même modèle et sous les mêmes directions.
CONCLUSION.
Nous avons vu Rousseau , poussé par son humeur
misantliropique , soupçonner Rey d'être complice
de ses persécuteurs , qu'il signale dans sa Décla-
ration relative à différentes réimpressions de ses
ouvrages comme déjigurant ses livres par la plus
cruelle malignité. D'ailleurs, à partir de 1772 ^ il
avait pris la résolution de ne plus écrire qu'en
cas d'absolue nécessité. Ainsi donc s'éteignit sa
correspondance avec Rey: on n'a trouvé , dans
l'espace de temps qui sépare le 16 Décembre 1773
du 2 Juillet 1778, jour de sa mort, aucune trace
de lettres écrites de sa main. Si le payement
annuel de la pension accordée j)ar Rey à sa
femme peut avoir donné lieu à quelques lignes
d'acquit, elles étaient trop insignifiantes pour
être conservées.
Après avoir donné tout ce qui s'est trouvé
de la main de Rousseau dans les papiers do
310
Marc Michel Rey, nous croyons ne pas devoir
soustraire à la connaissance du Public un docu-
ment puisé à la même source , se rattachant aux
relations qui ont existé entre Rousseau et Rey,
quoique ayant plus particulièrement rapport à
l'accusation de suicide dont le soupçon plane
toujours sur la mémoire de l'auteur de l'Emile.
Il s'agit d'une lettre de M. de Girardin, celui
dont les instances avaient engagé Rousseau à
venir habiter les jardins d'Ermenonville. Cette
lettre fut écrite à Rey un mois après la mort
subite de Rousseau, afin de dissiper les bruits
sinistres qui se répandaient sur cet événe-
ment.
Nous pensons que le récit, qui en fait le sujet
principal, est bien propre à exciter la curio-
sité de ceux qui s'intéressent à l'histoire de la
mort de Rousseau. Mais nous devons plus par-
ticulièrement appeler l'attention sur la première
partie de cette lettre, pour y faire remarquer trois
points qui semblent prouver que M. de Girardin,
en traitant des affaires de Rousseau, n'a pas
toujours dit la vérité, soit qu'il ne l'ait point
connue, soit qu'il n'ait pas voulu la dire. Or,
le jugement qu'il faut porter sur le caractère de
M. de Girardin , et sur la véracité de ses asser-
tions , domine la question sur le genre de mort
du célèbre écrivain.
311
Le premier point à remarquer dans la lettre
que nous publions, est le passage où M. de Gi-
rardin dit à Rey que le seul revenu fixe de
la veuve Rousseau se borne à la pension que
Rey lui avait accordée. Voici la preuve que
M. de Girardin savait, qu'outre la pension de Rey,
la veuve en aurait une de Du Peyrou. Rey ayant
communiqué ce passage à Du Peyrou, celui-ci
y répondit de Neufcbâtel le 7 Décembre: "La
chose qui me paroit étrange, c'est V assertion de
M. de Oerardin (sic) au sujet des revenus de
Mm.e Rousseau. Il doit si peu ignorer que les
600 LL. de pension viagère constituée à M. R.
sont réversibles pour 400 LL. à sa veuve, que des
ma première lettre en réponse à celle par laquelle
il nCannonçoit la mort de notre honorable ami, je
lui mandai cet arrangement et lui remis pour
Mm.e Rousseau une lettre de L 300 pour les six
premiers de Vannée échus en Juillet, en lui disant
que 31m? Rousseau pouvoit de six en six mois-
toucher chez mes banquiers deux-cents livres, que
ceux-ci avoient ordre d'acquitter sur son reçu.
Voilà le fait , et jf ai peine à arranger les choses
comme elles vous sont rendues." — Sur cette con-
testation Rey envoya la lettre même de M. de
Girardin à Du Peyrou, qui lui répondit le 16 Jan-
vier 1779 en témoignant qu'il était excessive-
ment surpris de la lettre de M. de Girardin.
312
" Vous allez juger cuits même, écrit-il. Le 14 Juillet,
répondant à 31. de Gerardin sur Vavis cruel qu'il
m'avoit donné de la mort de notre Jean Jacques
je lui mandai , ainsi qu'à la veuve, la réversion de
L 400 de rente en sa faveur sur les L 600 con-
stituées au profit de M. Rousseau et dont je fournis
un ordre pour mes Banquiers avec L 300 échues
à 31. i?. qu'il n'a voit pas alors encore touchées.
Cette lettre a été répondue le '2'2 Juillet et mention
Il est faite des L 400 de pension. Comment donc
imaginer que le 8 Aoust suivant 31. de G. vous
écrirait comme il Va fait?
Le second point qui met en doute la vérité
d'une partie de ce que M. de Girardin avance
dans sa lettre , a rapport au manuscrit des Con-
fessions. Il écrit qu'on n'a trouvé que très-peu
de manuscrits dans les papiers de Rousseau,
et que l'écrit particulier dont Rey avait lait
mention, et qui ne peut être que les Mé-
moires de sa vie, se trouvait en pays étranger,
en y ajoutant: "Si tant est qu'il eanste encore."
Or, on connaît deux manuscrits des Confessions,
dont l'un se trouve à Paris, l'autre à Genève.
On se rappelle qu'un de ces deux manuscrits a
été offerl par la veine Rousseau à la Convention
comme étant trouvé dans les papier.- de son mari.
Où était dune ce manuscrit lorsque cette lettre
fut écrite.' La veuve l'a-t-elle dérobé aux yeux
313
de M. de Girardin, ou M. de Girardin en a-t-il
dissimulé l'existence en écrivant à Rey?
Le troisième point a rapport à l'affection que
Rousseau a si souvent témoignée dans ses lettres
à Rey envers sa filleule. La fille de Rey, dont
Rousseau était le parrain, et qu'il aimait à nom-
mer sa Jeannette, a vécu jusqu'en 1705, comme
nous l'avons marqué dans la note au N°. 95.
Eli bien! dans une lettre de Du Peyrou à Rey,
écrite de Nenfchâtel le 14 Novembre 1778, on
lit: "Dites-moi, je vous prie, s'il est vrai que la
Jilleule de notre ami Jean Jacques a fini sa car-
rière. Je vous le demande par la raison qui ayant
parcouru les lettres que J en ai reçues, pour con-
noitre toutes ses intentions et les pouvoir remplir,
foi trouvé qu'il me disoit dans une de ses lettres,
de disposer à sa mort de ce quefavoisen mains,
comme je le croirois le plus convenable aux intérêts
de sa veuve et de sa filleule, ainsi qu'à Vhon-
neur de sa mémoire. Jai mandé cela à M. de Gé-
ra rdin qui m'a répondu qu'il falloit se conformer
à ses dispositions, mais que sa Jilleule dont il ne
cou noissoit pour telle que votre fille, avoit fini ses
jours. Je n'en doute point; mois il me convient
d'en être certioré par vous." — Voulant prouver
ce qu'il avait allégué des intentions de son ami
Jean Jacques, Du Peyrou communiqua à Rey,
dans une lettre du L G Janvier 1779, les paroles
314
mêmes d'une lettre que Rousseau lui avait
adressée } datée de Bourgoin le 12 Janvier 1769,
moment où se croyant à sa fin, il dicta sa lettre,
qu'il put achever lui-même le lendemain''' Yoiei le
passage cité par Du Peyrou, où Rousseau lui
déclare ses dernières volontés: u Quant à ce qui
est entre vos mains , et qui peut être complète par
ce qui est dans celles de la Dame à la marmelade
de fieurs d'orange, je vous laisse absolument le
maître d'en disposer après moi de la manière qui
vous paroitra la plus favorable aux intérêts de ma
reure, à ceux de ma filleule, et à V honneur de ma
mémoire" Après avoir cité ces lignes de son
ami. Du Peyrou poursuit ainsi: u C'est d'après
ces dispositions que f ai informé M. de Gérard in
qu'il falloit répartir le revenant bon des ouvrages
de 31. Rousseau entre la veuve et la filleule, sur
quoi il m'a appris la perte que vous aviez faite de
cette chère enfant." Que faut-il donc penser de
M. de Girardin, qu'en écrivant à Rey sur les
intentions de Rousseau à l'égard de la veuve ,
il n'ait même pas fait la moindre allusion à
celles que Rousseau avait témoignées à l'égard
de sa filleule ? Croyait-il sincèrement qu'elle était
morte? et qui l'avait donc trompé? Il n'y a que
la Veuve sur qui tombe le soupçon. Mais à dé-
faut de preuve certaine qu'au moment où il écri-
vait sa lettre à Rey, M. de Girardin ail connu
315
les dernières volontés de Rousseau en faveur de
la fille de Rey, on n'a pas le droit de tirer de
sa réticence des conclusions qui pourraient faire
douter de la loyauté de son caractère. Toujours
est-il que l'avis positif qu'il a donné à Du Pey-
rou, de la mort de la filleule de Rousseau, nous
mot dans l'alternative d'admettre ou dans le
caractère de M. de Girardin une crédulité qui
ajoutait trop légèrement foi aux propos de Ma-
dame Rousseau, ou bien que M. de Girardin est
pris en flagrant délit de dissimulation.
Soit qu'on admette avec Musset-Pathay, que
M. de Girardin ait couvert d'un voile les derniers
moments de son hôte pour cacher un suicide, soit
qu'on le juge incapable d'une pareille dissimula-
tion, et qu'avec Pétitain, on défende la mémoire
du célèbre écrivain contre le soupçon d'un accès
suprême d'une maladie mentale, le document que
nous publions pourra fournir des arguments aux
deux partis dans la discussion. Nous laissons le
lecteur, qui voudra entrer de nouveau dans un
examen de tous les détails qui s'y rapportent,
porter lui-même un jugement : nous n'avons
voulu que nous acquitter du devoir que le dépôt
des papiers de Rey semblait nous imposer.
316
LETTRE
M. DE G1KARDIN A 3IARC MICHEL RET.
Ermenonville par Senlis, 8 Aoust 1778.
Je réponds tout à la fois , Monsieur, aux deux lettres
que Mme Rousseau a reçues de vous, dont la dernière
m'a été adressée pour elle par M. de Pontarlez, maire,
qui m'a demandé de venir ici et que j'y recevrai avec
plaisir et affection comme votre ami et celui de
M. Rousseau. Il ne reste dans ce moment de fixe à
sa malheureuse femme que le bienfait qu'elle tient de
vous avec reconnoissance; mais son mari Tayaut confié
à mes soins, je tâcherai de faire en sorte qu'ayant
perdu tout son bonheur en ce monde , elle y trouve du
moins son repos et ses besoins , en attendant que nous
puissions faire usage pour la mémoire de son mari et
pour elle de la ressource la plus convenable. Ce seroit
de faire une nouvelle édition de ses ouvrages, et c'est
dans cette vue que d'après les intentions de Mm.e Rous-
seau, je m'occupe maintenant à réclamer de sa pari tous
les papiers épais qu'ila laissés ou remis dans différents
pays. Car il s'en est trouvé fori peu ici; soit qu'il
les ait brûlés ou dépaysés. Dans le cas où je pourrai
réussir à connoitre une suffisante quantité pour former
celte nouvelle édition pour L'avantage de sa veine, vous
devez être bien persuadé, Monsieur, que ses sentiments
317
pour vous, ainsi que les miens, nous porteront bien
volontiers à vous donner toutes sortes de préférence.
Quant à l'écrit particulier dont vous nous parlez, il
est en pays étranger , si tant est qu'il existe encore (1).
L'intention formelle de M. Rousseau a été que dans
aucun cas il ne pût paroitre que longtemps après sa
mort et celle de toutes les personnes intéressées. C'est
à cette condition expresse qu'il a été remis. Je sais
le nom du Dépositaire (2), et si jamais il venoit à
trahir la confiance de l'amitié, ce seroit une infamie,
de laquelle j'aime encore à penser qu'il n'y a point
d'homme qui fût capable (3).
Les bruits ou plutôt les vaines rumeurs qu'on a
affecté, je ne sais pourquoi, de répandre, vous font
désirer quelques détails positifs sur les derniers moments
de M. Rousseau (4). Eh bien! Monsieur, soyez bien sûr
d'abord que ce ne fut aucune inquiétude ni souci qui
l'engagea à quitter Paris , mais uniquement sa passion
pour la campagne et pour la botanique qui l'y avoit
ramené, et il avoit donné la préférence à l'amitié (5).
Tout paroissoit ici contribuer à son contentement, et
nous étions tous heureux de son repos. Après tant de
persécutions, il eût été bien juste qu'il eût pu goûter
(i) On a vu par la lettre N°. 133 que Rousseau avait désiré que la publi-
cation de ses Confessions se fît par Rey: celui-ci avait donc droit d'en parler.
('-) Moultou de Genève.
(3) En cachant l'existence du manuscrit trouvé parmi les papiers de Rous-
seau, M. de Girardin aurait-il voulu prévenir qu'on ne tâchât de s'en em-
parer et qu'on n'en fit un usage contraire à la volonté de l'auteur.' Le m,. lit'
aurait, été Louable, mais la précaution inutile. L'infidélité a été commise par
le manuscrit de Genève.
(4) Nous avons vu que Rey a envoyé cette lettre à Du Peyrou et que celui-
ci a fait ses observations sur la première partie. Sur la seconde partie,
Du Peyrou, dans Bes lettres à Rey, garde an profond silence.
(») M. Flamanvillc lui avait offert d'habiter une des deux terres qu'il pos-
sédait en Picardie et en Normandie.
318
plus longtems le loisir et la tranquillité. Mais hélas!
Dieu ne l'a pas permis. En peu d'instants il a passé
de la meilleure santé en apparence à une mort rapide.
Il en a senti l'approche avec la tranquillité d'un homme
juste toujours prêt à mourir. "Vous pleurez , disoit-il à
sa femme, pleurez-vous dune mon bonheur? bonheur
éternel que les hommes ne troubleront plus. Je meurs
tranquille, je n'ai jamais voulu de mal à personne et
je dois compter sur la miséricorde de Dieu." ('). Tels
ont été ses derniers mots , et pendant deux jours qu'il
est resté mort sur son lit, on eût toujours dit qu'il dor-
moit paisiblement du sommeil de l'homme vertueux,
tant son visage conservoit l'image de la sérénité de
son âme Il a été ouvert ; les médecins ont trouvé
toutes les parties parfaitement saines, et n'ont reconnu
d'autre cause de sa mort qu'un épanchement de céro-
sité (s) sanguinolente sur la cervelle, ce qu'ils nom-
ment Apoplexie céreuse. — Dans le plus bel endroit
du pays est un petit lac environné de coteaux couverts
de bois. Au milieu de ce lac est une île plantée de
peupliers. C'est là qu'avec les formalités requises lui
a été érigé un monument simple et convenable.
0 mon cher et bon Monsieur Rey! vous avez fait
aussi de votre côté des pertes cruelles ; vous êtes dans
l'affliction ainsi que nous (3). Pleurons donc ensemble
nos pertes irréparables. Celle de M. Rousseau Pesl
(') Voilà donc une autre version des dernières paroles de Rousseau en cor
tradictàon encore avec la Veuvo écrivant à M. de Corancez "i7 est mort sans
prononcer une seule parole." Mais pour évaluer la confiance que méritent
les lettres de Thérèse Le Vasseur, voyez notre note au \" 95, p. 157.
('-') Nous laissons l'orthographe vicieuse au lieu de sérosité et sêrevSC.
(•) La mort lui avait enlevé sa femme. En écrivant donc au pluriel des
pertes croc/les, M. (le Girardin peut avoir fait allusion à la mort supposée
de la tille de Rey dont Rousseau avait éfé le parrain.
319
pour ma famille et pour moi. Eh puissions du moins
pleurer en paix, car les méchants et les affaires sont
deux grands tourments en ce monde.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très-humble
et très-obéissant serviteur. Girardin.
o
BINDSMG LIST FEB 15 1945