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Full text of "Lettres inédites de Jean Jacques Rousseau à Marc Michel Rey"

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(INIV.OF 

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in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lettresinditesOOrous 


LETTRES    INEDITES 


JEAN    JACQUES    ROUSSEAU. 


t^>  I\/X«    v-' 


LETTRES     INÉDITES 


DE 


JEAN  JACQUES  ROUSSEAU 


MARC   MICHEL    REY, 


PUBLIEES 


J.    BOSSCHA, 

tE    DE     L'ACADÉMIE    DES   SCIENCES    DES    PAYS-BAS 


AMSTERDAM,  l'A  RIS, 

FRÉDÉRIC  MULLER.     FIRMIN  DIDOT  FRÈRES,  FILS  *C« 

1858: 

Les  éditeurs  se  réservent  le  droil  Se  réproduction. 


«Vr„lf 


i  i     i  'IMPKI  Vil  RIE    DE    <       \     SPIH         FILS 


PRÉFACE. 


Jean  Jacques  Rousseau  dans  plusieurs  endroits  de  ses 
écrits  fait  Pelage  de  Mare  Michel  Rey,  libraire  d Am- 
sterdam, dont  il  avait  fait  la  connaissance  à  Genève  en 
1 754.  Ayant  confié  à  Rey  la  première  publication  de  la 
plupart  de  ses  ouvrages,  il  a  été  sensible  aux  procédés 
généreux  de  cet  Jwnnëte  homme.  Il  loue  son  exactitude 
et  sa  probité  ;  il  parle  de  Rey  comme  dun  bienfaiteur 
qui  lui  est  cher  ;  il  se  plaît  à  reconnaître  que  ce  fut  sur 
la  proposition  de  Rey  qu'il  résolut  décrire  les  Mémoires 
de  sa  vie;  il  se  déclare  attaché  à  lui  d'une  amitié  véri- 
table et  il  consent,  lui  qui  avait  abandonné  ses  /tropres 
enfants ,  à  être  le  parrain  dun  des  enfants  de  Rey.  En 
se    rappelant  ces  fruits  dune  relation  plus   intime  que 


VT  PREFACE. 

ne  Test  ordinairement  celle  d'un  auteur  avec  son  libraire, 
personne  ne  sera  surpris  d'apprendre  que  la  tenir  lettn 
de  Rousseau  à  Rey  qui  a  vu  le  jour,  n'est  qu'un  morceau 
détaché  dune  correspondance  qui  a  été  soustraite  jus- 
qu'ici à  la  connaissance  du  public.  C'est  la  part  que  le 
plus  célèbre  de  ces  d£ux  hommes  a  eue  à  cette  corres- 
pondance que  je  viens  offrir  à  V étude  de  la  vie  et  des 
écrits  de  Jean  Jacques. 

Les  lettres  de  Rousseau  à  Rey  ont  été  trouvées  dans 
une  masse  de  papiers  provenant  de  la  succession  de  M.  Elie 
Angély.  Né  à  Bergerac  en  1722,  M.  Angély  s'était 
établi  à  Amsterdam,  où,  devenu  un  des  chefs  de  la 
maison  de,  commerce  Texier,  Angély  et  Massac ,  il  décéda 
en  1797.  A  la  mort  de  Rey,  qui  eut  lieu  le  b  Juin 
1780,  il  avait  été  avec  MM.  Jean  Texier  et  Jean  Hu- 
bert Rilliet  chargé  de  Vexècution  testamentaire  et  de 
l'acquittement  des  obligations  du  défunt.  C'est  ainsi  que 
les  archives  de  Rey  passèrent  entre  les  mains  des  héri- 
tiers d Angély. 

Ce  dépôt  g  fut  religieusement  conservé.  On  pouvait 
//résumer  que  des  papiers  relatifs  aux  entreprises  d'au 
libraire  tel  que   Rey,   contiendraient  des  détails   curieux 


PREFACE.  VII 

pour  Phistoire  du  mouvement  littéraire  qui  précéda  la 
Révolution  de  1789.  Non-seulement  P  imprimerie  de  la 
Hollande  l'emporta,  au  milieu  du  Dix-huitième  siècle ,  sur 
celle  de  tous  les  autres  pays  pour  la  beauté  du  papier 
et  la  netteté  des  caractères ,  mais  la  liberté  dont  jouissait 
la  librairie  en  Hollande  permettait  aux  auteurs  de  pu- 
blier ce  qui  était  interdit  ailleurs.  Mais  ce  qui  a  sur- 
tout préservé  les  papiers  de  Reg  d'une  destruction  totale, 
ce  fut  une  tradition  de  famille  qui  portait  que  parmi  ces 
lettres,  ces  notes  et  ces  chiffons,  se  trouvaient  des  auto- 
graphes de  Rousseau. 

Ce  ne  fut  cependant  qu'en  1844  que  P  héritière  du  der- 
nier des  Angély  entreprit  de  fouiller  plus  soigneusement 
dans  le  dépôt  de  manuscrits  qui  lui  était  laissé.  A  sa 
//ronde  *ot /.fart ion ,  elle  découvrit  que  cem  qui  s'y  trou- 
vait de  la  ne /'m  qui  avait  écrit  la  Nouvelle  Héloise  sur- 
passait de  beaucoup  ce  que  la  tradition  en  avait  fait 
supposer.  Bien  que  les  copies  sur  lesquelles  les  compo- 
siteurs de  Rey  avaient  travaillé  pour  t 'impression  eussent 
disparu,  on  trouva  en  revanche  une  série  de  lettres  de  la 
main  de  Rousseau,  pleines  de  détails  sur  la  publication 
et  la  correction  de  ses  ouvrages,  empreintes  cU    tous  les 


VIII  PREFACE. 

traits  de  son  caractère,    et  écrites   dans  ce  style  inimi- 
table qu'on  lui  connaît. 

Mais  ces  lettres,  fallait  il  les  publier?  —  Non  que 
personne  puisse  réclamer  en  faveur  de  I"  mémoire  dt 
Rousseau  là  discrétion  de  I"  postérité:  au  contraire, 
■plus  on  introduit  le  public  dans  son  intimité  pour  ex- 
pliquer son  caractère,  plus  on  entre  dans  les  intentions 
ih,  mes  de  cet  homme  extroordinoire  qui  a  don/"'  aux 
Mémoires  de  sa  vie  le  titre  de  Confessions  avec  la  de- 
vise "Intus  et  in   cute." 

Ne  fallait-il  qias  cependant  appliquer  ici  là  leçon  a\ 
M  Pétitain,  qui  au  sujet  de  Rousseau  a  dit:  "Ilest  temps 
"enfin  de  mettre  un  terme  à  cette  multiplication  de  lettres 
"posthumes"? — Parmi  Us  1 63  lettres  quecontient  cevolum* . 
il  en  est  sans  dm/te  qui  n'offrent  qu'un  médiocre  intérêt, 
et,  pour  la  plupart  des  gens  dit  monde,  le  recueil  entier 
pourra  paraître  insignifiant.  Mois  en  considérant  la  ques- 
tion au  point  de  vue  de  la  Critiqué  Philologique  foi  cru 
que  les  lettres  de  Rousseau  à  Ttey  devaient  échapper  au 
verdict  de  M.  Pétitain.  Après  le  travail  de  M.  Musseî- 
Pathay  et  de  M.  Pétitain  lui-mêm<  ;  après  que  M.  Victor 
Cousin  a  mis  en  évidence  combien  ce  puissant  ouvrier  du 


PREFACE.  IX 

style ,  par  ses  défauts  comme  par  ses  qualités ,  est  un 
excellent  sujet  d "études ,  pourvu  qui  on  tâche  d'assister  pour 
ainsi  dire  à  son  travail  et  de  surprendre  ses  artifices  ('); 
et  après  que  M.  Saint-Marc  Girardin,  dans  un  cours  fait 
pendant  trois  ans  à  la  Sorbonne  a  démontré,  qu'étudier 
la  vie  et  les  ouvrages  de  Rousseau  c'est  étudier  des  pro- 
blèmes curieux  et  dignes  d'attention ,  de  notre  temps  sur- 
tout (2),  fai  cru  pouvoir  nC appuyer  sur  V autorité  de  ces 
littérateurs  distingués,  en  offrant  du  fond  de  la  Hollande 
cette  curiosité  littéraire  aux  gens  de  lettres  en  France. 
Je  n'ai  donc  attendu  que  quelques  moments  de  loisir  pour 
ranger  les  manuscrits,  les  copier  et  les  livrer  à  Pim- 
pression. 

Quant  aux  éclaircissements  que  fy  ai  ajoutés,  il  eût 
été  facile  de  les  multiplier-,  mais  pour  celui  qui  a  étudié 
les  écrite  de  Rousseau,  chaque  détail,  chaque  réflexion, 
chaque  jugement  s'encadrera  aussitôt  dans  son  sou- 
venir. 


(i)  Voir  l'article  Du  manuscrit  de  VEmile  dans  le  Journal  des  savants. 
Sept.  L848. 

(2)  Un  résumé  de  ce  cours  a  été  publié  dans  la  Revue  des  deus  Mondes. 
Janvier  L852. 

Il 


X  PREFAf'K. 

Le  document  inédit  sur  les  derniers  moments  de  Rous- 
seau, qiûon  trouvera  à  la  suite  de  ces  lettres,  a  tard 
de  rapports  aux  relations  qui  ont  existé  entre  fauteur 
et  son  libraire  d?  Amsterdam,  que  le  lecteur  rïy  verra 
que  le  complément  de  ce  recueil. 

Amsterdam,  1857.  j.    BOSRCHA. 


SOMMAI  R  E. 


I.     Lettres  ayant  rapport  à  la  publication  du  Discours 

sur  l'inégalité. 

page 
Introduction 1 . 

1.  Paris,  8  Nov.    1754.  Projet  d'orner  l'édition  d'une  vignette.  Correc- 

tion  du  texte 3 . 

2.  //       16       //         //       Il  s'impatiente  de  ne  pas  recevoir  de  nouvelles.    5. 

3.  //        17       ii         ii       II  s'inquiète  de  ce  que  le  secret  de  la  publication 

du  Discours  ait  transpiré  à  Genève 5 . 

4.  //       22      //        //       Détails  typographiques  et  corrections 6. 

5.  h       12  Dec.       //       Avis  pour  l'Abbé  Yvon  de'suivre  exactement  le 

Manuscrit  dans  ses  corrections 7 . 

6.  //         3  Janv.  1755.  Remarques  siu1  l'impression  et  la  correction  de 

l'ouvrage.  Il  gronde  au  sujet  d'une  lettre  à 
M11?  Le  Vasseur.  Il  prépare  l'impression  de 
son  Dictionnaire  de  Musique 8 . 

7.  "       21      //         //       Corrections 11 . 

8.  //        1  Févr.      //       Envoi  d'un  dessin  pour  la  vignette.    Indication 

pour  l'envoi  de  lettres 13. 

9.  Sans  date,  reçue  le  11  Février  1755.    Envoi  d'additions 13. 

10.  Paris,  20  Févr.1755.  Corrections 14 

11.  //        23       //       //       Corrections  et  additions 16 . 

12.  //  6  Mars     //       Corrections.    Il    prévient  Rey    qu'il  doit  tâcher 

d'obtenir  la  permission  d'introduire  l'ouvrage 
en  France.  Muf  Le  Vasseur  a  reçu  un  présent 
de  Rey 18. 

13.  h        20      //      //      Corrections.  Jugement  sur  le  dessin  d'une  vignette.  20. 

14.  a         23       //       //       L'ouvrage,  qui  ne  contient  rien  de  blâmable  doit 

paraître  partout  en  même  temps,  fine  s'effraye 
pas  des  discours  qui  courent  à  son  sujet .  .  ,  , 


XII  SOMMAIRE. 

page 

15.  Paius,  lu  Avril  1755.  Corrections.     Pourquoi   il   u«'   peu!    3e  charger 

d'obtenir  la   permission    d'introduire    l'ouvrage 
eu  France 23 

16.  //        29  Mai      u       Lettre  pleine  d'humeur  et  de  plaintes  au  sujel 

des  lenteurs  de  Rey ,  etc 25 . 

17.  //        19  Juin     //       Difficultés  pour  introduire  l'ouvrage  en  France. 

Le  Discours  sera  traduit  en  Anglais 27. 


II.    Lettres  ayant  rapport  à  la  publication  de  la  Lettre  à 

d'Alembert  sur  les  théâtres. 

page 

l.NTKODUCTION 29. 

18.  Montmorenci,  9  Mars  1758.  Réponse  à  une  proposition  de  voyage  en 
Hollande.  Les  Principe»  du  droit  de 
la  Guerre  ne  sont  point  prêts.  U  oflre 
un  autre  manuscrit;  un  troisième  est  entre 
les  mains  de  Rey 3"-'  ■ 

19  15  Avril  //  L'amitié  de  Rey  lui  est  une  consolation 
dans  ses  soulfrances.  Dispositions  au  sujet 
de  l'envoi  du  manuscrit 33 . 

20.  //  H  Mai       //       N'ayant  pas  de  réponse,  il  se  plaint  du 

temps  perdu.  Précautions  qu'il  prendra 
pour  faire  parvenir  à  Rey  le  manuscrit.  35 

21.  //  31     //        '/       Il  reproche  à  Rey  d'être  plus  exact  à  payer 

qu'à  écrire.  Ses  motifs  pour  exiger  le 
secret  de  la  publication.  La  correction  de 
l'ouvrage  l'inquiète 30 . 

22.  n  17  Juin      //       Il  recommande  à    Rey  la    droiture  et    la 

franchise.  Remarques  sur  la  ponctuation. 
sur  la  hardiesse  de  l'ouvrage  et  sur  la 
manière  de  l'introduire  en  France 3'J. 

23.  '/  21     u        u       Envoi  d'additions.     Appel  à  l'amitié  et 

au  jugement  de  Rey -i~. 

24.  '/  ~'3     7         u       Arrangements  pour  l'euvoides  exemplaires 

destine.- 1  m  m-  l'auteur.  11  ne  veut  pas  qu'on 
corrige  ses  fautes 1-1 . 

25.  /<  28      ■         //       Corrections H'1 

26.  5  Juillet  </      Rey  doit  envoyer  des  exemplaires  à  d'Alem- 

bert et  à  S1.  Lambert -ly. 

27.  u       11  défend  ce  qu'il  a  écrit  contre  les  chan- 

gements   du  correcteur.     L'harmonie    du 

rtyle  doit  être  consultée  avant    la  l 

tion 5ii 


SOMMAIRE.  XIII 

page 

28.  Montmorenci,  12Juilletl758.  Corrections.  Il  CBt  content  de  l'exactitude 

de  Rey 53 

29.  /'  '.'i1     a         a       II  a  île  l'humeur,  et  après  avoir  querellé 

son  Imprimeur,   il  cherche  à  l'apaiser..   55. 

30.  //  10  Août     //       Différend  entre  Itousseau  et  le  correcteur 

au  sujet  d'une  phrase 57 . 

31.  i/  '.i   Sept,    a       II  est  dans  l'inquiétude.    Ses  ennemis  le 

trahissent 60 

32.  //  13     '/        '/       Il  n'est  tranquillisé  qu'en  partie.  Ses  rela- 

tions avee  Diderot.  Projet  d'un  recueil 
général  de  ses  écrits..  Il  a  achevé  la  Nou- 
velle Héloïse.  Difficultés  qui  s'opposent  à 
son  voyage  en  Hollande 01 . 

33.  21  Oct.     //       Il  se  plaint  que  l'ouvrage  a  été  distribué 

trop  tard.  Il  réclame  son  droit  d'auteur 
pour  la  réimpression.  Projet  d'un  recueil 
général 64 . 

34.  //  "2~!FéYr.l759.  Proposition  pour  la  réimpression  de  dinx 

ouvrages  que  Rey  a  imprimés 66 . 

35.  //  14  .Mars    "       Il  s'explique  au  sujet  de  la  réimpression 

de  ses  écrits  et  propose  ses  conditions  pour 
la  Nouvelle  Héloïse.  La  préface  de 
Julie  sera  un  ouvrage  séparé.  Addition 
à  la  Lettre  à  d'Alembert G7 . 


III.    Lettres  écrites  pendant  que  la  Nouvelle  Héloïse 

était  sous  presse. 

page 

I  NTRODUCTION 71 . 

36.  Montmohenci,  2  Mai    1759.  Envoi  de  la  deuxième  partie  du  manuscrit.  75. 

37.  v  1  Juin      //       Il  se  plaint  amèrement  de  ce  qu'il  ne  reçoit 

pas  d'urgent 7."> . 

38.  //  21     ii        h       II  a  reçu  un  premier  payement.  Réflexions 

sur  le  recueil  général  et  la  seconde  édi- 
tion de  la  Lettre  à  d'Alembert.  Il  pro- 
pose d'omer  la  Nouvelle  Héloïse  de 
planches 76 . 

39.  h  6  Anût.    //      Il  propose  de  résilier  son  accord  avec  R 

40.  //  5  Sept.     //      Envoi  de  la  troisième  partie 79. 

41.  //  7  Oct.      //       Il  a  encore  de  l'humeur SO. 

42.  /.'  20     a       ii      Envoi  de  la  quatrième  partir.  La  Curiosité 

Française  ne  doil  pas  être  mise  trop  long- 
temps à  L'épreuve B] 


X  ]  V  S<  JMMAIRE. 

page 

43.  MoNTMOKBNCl,15Déc.  1759.  Précautions  pour  l'envoi   des  épreuves...   82. 

44.  //  18  Janv.l7CU.  Envoi  de  la  dernière  partie  et  de  la  pré- 

face    84 . 

45.  u  30    //         a      Sur  l'envoi  des  épreuves 85 

46.  „  6  Mars     »       Il  ne  veut  pas  qu'on  corrige  ses  fautes, 

et  indique  une  correction  à  faire 85. 

47.  „  10  Avril    h      II  reçoit  les  épreuves  par   M.  de  Haies- 

herbes  87 . 

48.  //  17     //         //       Il  ne  veut  pas  de  vignettes;   il  voudrait 

des  estampes 88. 

49.  //  24    u        u      II  ne  veut  pas  sa  devise  sur  le  titre 89. 

50.  //  8  Mai      //      Difficultés  qu'il  éprouve  pour  la  correction 

des  épreuves 90 . 

51.  //  11     u        u       Même  sujet.  11  ne  répondra  ni  àd'Alem- 

bert  ni  à  personne 91. 

52.  //         18    //        //      Il  est  mécontent;    il  a  reçu  une  proposi- 

tion pour  se  défaire  du  manuscrit 92. 

53.  //  22     //        //       Des  feuilles  qu'il  a  reçues  ou  non  reçues.  93. 

54.  //  25     u        ii      En  faisant  pour  Rey  la  copie  de  l'ouvrage, 

il  a  beaucoup  changé 94 . 

55.  //  28     u        ii       II    est  très-exact  à  corriger  les  épreuves 

et  conseille  à  Rey  d'achever  promptemcnt .   96 

56.  //  8  Juin      u       II  a  négligé  de  corriger  sur  son  manuscrit 

les  changements  qu'il  a  faits  dans  la  copie. 
Il  a  reçu  la  Comédie  des  Philosophes. 
et  il  gardera  vis-à-vis  ses  agresseurs  un 
éternel  silence 97 . 

57.  //  15     //        //       Il  rejette  une  correction  proposée.     Il  a 

appris  que  Formey  a  fait  imprimer  sa  let- 
tre  à  Voltaire 99 

58.  //         22    /'        //      Précautions  pour  l'envoi  des  épreuves. .  .100. 

59.  //  29     //        //       Sur  le  titre L02. 

60.  //  6Juille1  ii       11  refuse  formellement  que  sa  devise  -oit 

sur  le  titre 103. 

61.  //  17  u       Avis  sur  l'arrangement  du  titre 104. 

62.  //         24    h       u      Avis  sur  des  vignettes.   Jugement  sur  la 

correction  de  la  Première  Partie L05. 

63.  //         27    //        u      D accuse  la  réception  de  quelques  feuilles.  106 

64.  u         28Aoû1      -       11  corrige  toujours  à  la  hâte L07. 

65.  //         31    u        //      Envoi  d'une  feuille  de  réserve L07 

66.  //  !  Sept,  Sur  Les  frais  de  la  correspondance.  Envoi 

d'une    lettre    pour    Former.     Dispositions 

pour  l'envoi  des  exemplaires 108. 

67.  u         14    a        u      La  quantité  de  faute-  énormes  ledésole.109. 

68.  u  50cl.  I.e  retard  delà  publication  L'afflige..    ..110 


SOMMAIRE.  XV 

page 
69.Montmohenci,18  Févr.1761.  Au  sujet  de  la  réimpression  de  la  Julie 

ilarendn  cénérnsité  nom"  orénéivunté   nmiu 


il  a  rendu  générosité  pour  générosité,  mais 
il  se  plaint  de  l'indiscrétion  de  Rey.  La 
Préface  est  en  vente 111 


IV.    Lettres  écrites  à  l'occasion  de  l'impression  du 

Contrat  Social. 

page 
Introduction 113. 

70.  Montmorenci,  il  Août  1761.  11  désapprouve  une  édition  de  ses  Oeuvres 

Diverses.  Réponse  sur  la  part  que  Rey 
a  demandée  à  l'impression  de  V  Emile. 
Offre  du  manuscrit  du   Contrat  Social.  115. 

71.  //  '■!  Sept.     //       Il  insiste  sur  son  droit  de  faire  de  ses  écrits 

une  édition  générale.  Il  a  un  exemplaire 
corrigé ,  avec  des  changements,  de  la  Nou- 
velle Héloise,  pour  une  nouvelle  édition. 11?  . 

72.  v  14  Oct.      //       Arrangements  pour  l'envoi  du  manuscrit 

et  de  l'argent.  Il  ne  veut  pas  d'argent  pour 
l'exemplaire  corrigé  de  la  Nouvelle  Hé- 
loise  119  _ 

73.  //  31     //         u       II  prépare  le  paquet  pour  M.  Duvoisin.  .121. 

74.  u  7  Nov.      u       M.  Duvoisin  a  reçu  le  paquet.  Proposition 

d'un  arrangement  pour  une  réimpression 
de  la  Nouvelle  Hêloise 121 . 

75.  //  29    //        u      L'accident  arrivé  au  porteur  du  manuscrit 

lui  fait  de  la  peine.  Proposition  d'une 
entreprise  à  faire  dans  le  plus  grand  se- 
cret. Il  souffre  d'un  accident  qui  peut 
abréger  sa  vie 123. 

76.  //  23  Dec.      //       Quelle  est  la  nature  de  l'accident  dont  il 

souffre.  Il  n'est  plus  question  de  l'entre- 
prise proposée.  Son  ouvrage  exige  de 
l'attention  et  de  la  diligence 125. 

77.  a  27     //         u       Sur  l'envoi  des  épreuves  et  de  ses  additions. 

L'ouvrage  pourra  paraître  avant  l'Emile, 
ce  qui  serait  avantageux  pour  le  libraire. .  1 36 . 

78.  //  30     //         //       Rey  peut  compter  sur  son  exactitude.  Ci- 

vilités   L27 . 

70.  tî.lanv.  1.762.  Il  est  sensible  à  la  bonne  volonté  de  Rey 
envers  Thérèse.  Sa  santé  ne  lui  permet 
pas  de  penser  à  une  grande  entreprise. 
Envoi  d'une  addition 1  29, 


XVI  SOMMAIRE. 

page 

80.  MOOTJKOBENCI,  9  Janv.1762.  Envoi  d'une  addition 131 . 

81.  ii  13     //         il       II  est  dans  les  plus  vives  alarmes  par  la 

résolution  de  Rey  de  ne  plus  lui  envoyer 
d'épreuves 13]  . 

82.  u  2:5     11        a       II  est  touché  des  procédés  de  Rey,   mais 

il  veut  rester  indépendant  de  tout  enga- 
gement. Réponse  à  la  proposition  de  Rey 
d'honorer  sa  mémoire  après  sa  mort.  La 
nature  du  mal  dont  il  souffre  ne  permet 
pas  une  opération 132. 

83.  i  Pévr.    "       Il  désire  des   exemplaires   de  ses    écrits 

réimprimés.     Sa   correspondance  devient 

dispendieuse.   Il  souffre  toujours 136. 

84..  17  11  11  Sa  devise  ne  doit  être  mise  qu'à  la  tête 
du  recueil  général.  Il  ne  se  reconnaît  que 
l'éditeur  de  la  Julie 137 . 

85.  //  18     /'        11       Etourderie  de  Rey.  Arrangements  pour  la 

pension  viagère  de  Thérèse.  Proposition 
au  sujet  des  deux  derniers  volumes  de 
V  Emile 138. 

86.  //  20    //         11       II  est  découragé 111  . 

87.  //  25     //        11       II   renonce  à  la  proposition  au  sujet    de 

V Emile.  Particularités  sur  Thérèse  et  les 
intentions  de  Rey  à  l'égard  d'eUe.  11  veut 
mourir  garçon 142 

88.  //  28    //        //       Il  ne  veut  pas  se  mêler  de  l'introduction 

de  l'ouvrage  en  France;  mais  il  n'y  voit 
rien  de  plus  fort  que  dans  ses  autres 
écrits L48 

89.  11  Mars    <       Substitution  d'une  note  à  une  autre  vers 

la  fin  de  l'ouvrage.  Avis  sur  l'acte  de  la 
pension  de  Thérèse.  Arrangements  pour 
la  distribution  des  exemplaires  de  l'ouvrage. 
Proposition  au  sujet  de  V Emile 145. 

90.  11  Suppression  d'une  note  sur  les  mariages.148. 

91.  //  18     //         11       II   réclame    son    droit    d'auteur    contre 

Néaulrne  et  contre  Rey.  Jugement  sur 
M.  de  Malesherbes.  Il  consent  à  être  le 
parrain  d'un  enfant   de   Rey 148 

02.  //  25  //  "  Précautions  pour  l'introduction  de  l'ou- 
vrage en  France.  Réponse  .1  une  propo- 
sition de  Rey.  11  demande  ce  qu'il  doit 
faire  comme  parrain L51 

93.  I  Avril    u      II  demande  qu'on  lui  passe  les  compliments 

et  les  formalités.  Si  1'  Emile  et  le  Contrat 


SOMMAIRE.  XVII 

page 
Social  ne  paraissent  pas  en  même  temps, 
cela  nuira  à  ce  dernier  ouvrage.    L'acte 
pour  la  pension  de  Thérèse  est  approuvé. 152. 
94.  Montmorenci,23  Avrill762.  Son  aversion  pour  la  formule  ordinaire  de 
terminer  les    lettres.     Il  s'alarme  sur  le 
succès  de  l'ouvrage.    Il  veut  convenable- 
ment fêter  la  naissance  d'un  futur  filleul. 154. 
95_  ;/  9  Mai      u      El  se  réjouit  de  la  naissanee  d'une  filleule. 

L'acte  de  la  pension  de  Thérèse  a  été  reçu. 
Elle  est  très-reconnaissante  ;  mais  elle  doit 
apprendre  à  signer  son  nom.  Il  s'alarme 

toujours  sur  le  succès  de  l'ouvrage 150. 

qq  „  29  Mai  //  Le  Contrat  Social  est  défendu  en  France. 
Cependant  l'auteur  n'a  pas  passé  les  bornes 
d'une  discussion  philosophique.  Quant  à 
l'imprimeur,  on  ne  pourra  le  priver  de  son 
bien  par  voie  de  confiscation 159 . 

97.  Môtibes-Travees,  23  Août  1762.  Réponse  aux  offres  de  Rey.  Il  est  af- 

fligé du  placard  des  Etats- Généraux  des 
Pays-Bas  contre  l'Emile  et  de  ce  que  les 
exemplaires  du  Contrat  Social ,  envoyés 
en  France,  n'ont  pas  été  admis 102. 

98.  Môtiebs,     5  Sept.   1702.  Il  demande  ses  exemplaires 165. 

99.  i,  8  Oct.        u       II  est  indigné  de  l'affront  que  les  Etats- 

Généraux  lui  ont  fait.  Proposition  au  sujet 

des  Mémoires  de  Russie 165. 

10o.  //  10  iNuv.  u  La  manière  dont  M.  Duvoisin  a  censuré 
le  Contrat  Social  est  un  sujet  de  plaintes. 
Le  Roi  de  Prusse  lui  a  fait  faire  des 
offres 171- 


V.     Lettres  écrites  pendant  que  la  Réponse  à  l'Archevêque 
de  Paris  était  sous  presse. 


Introduction 

101.  Môtieks,  1  Dec.  1762.  ( Caractère  de  l'écrit  dont  il  désire  la  publication. 
Arrangements  pour  l'envoi  et  L'impression  du 


page 
169 . 


manuscrit. 


.173. 


102.  n  20  //  u  Importance  de  l'ouvrage,  qui  exige  tous  les 
soins  île  Rey.  Proposition  pour  prévenir  l'abus 
des  contrefaçons.  Llrecommande  à  Rey  lesou- 
vrages  de   VIoultou  cl  de  Etoustan 176 


XV1JI  SOMMAIRE. 

page 

103.  Môtiebs,  8Janv.l763.  Il  a  envoyé  le  manuscrit  et  propose  des  chan- 

gements. Sortie  contre  Formey.  On  fait  une 
édition  générale  de  ses  oeuvres.  Lettres-  qui 
courent  sous  son  nom.  mais  qu'il  n'a  pas  écrites. 
Sortie  contre  la  séquelle   Voltairienne ISO. 

104.  »         "29     //         //       Il  veut  supprimer  l'ouvTage  et  demande  le  ren- 

voi du  manuscrit.  S'il  est  trop  tard,  il  recom- 
mande l'insertion  de  quelques  corrections. ...  184 . 

105.  //  5  Févr.    //       Sujets    de    mécontentement.     11   a    le    coeur 

navré 187 . 

106.  //        19    //        //       Sut  la  distribution  des  exemplaires  etc 191. 

107.  "        28     //        h       Même  sujet.    Il  songe  à  une  édition  générale 

de  ses  écrits 192 . 

108.  "         28  Mars     //       Regrets  de   ne  pas  avoir  supprimé  l'ouvrage 

à  temps.  L'abbé  De  la  Porte  s'est  chargé  de 
l'édition  de  ses  oeuvres  que  fait  Duehesne. 
Proposition  au  sujet  d'un  présent  de  ce  li- 
braire   193 . 


VI.    Lettres  ayant  rapport  aux  intérêts  particuliers  de  l'auteur 

et  de  Rey  et  à  une  édition  générale  des  écrits 

de  Rousseau. 

page 
Imtkoductioh 196. 

109.  MÔTiEiis.  1  Oct.    1703.  Invective  contre  Formej   el  Néaulme.  Sa  mo- 

dération quant  au  prix  de  se-  manuscrits.  Il 
dei  ient  indolent L97. 

110.  h        28  Dec.      »      Critique  d'un  livre  que  Rey  Ma  envoyé.  Le 

comte    Bentinck  lui   a   témoigné  son  appro- 
bation de  l'Emile 199. 

111.  h        17  Mars  1704.   Il  promel   un  Mémoire  sur  l'édition  générale 

de  ses  écrits,    et  répond  à   plusieurs  articles 
d'une  Lettre  de  Rey 202. 

112.  "        L3  Mai       v      Envoi  du  Mémoire,  et  témoignage  d'amitié. 205. 

Mémoire  sur  l'édition  générale 206. 

113.  ,/        •_>()    //        //      Sujets  de  mécontentement.  Sur  son  portrait  ei 

la  réimpression  de  ses  Oeuvres 209. 


SOMMAIRE.  XIX 

VII.     Correspondance  concernant  les   Lettres  écrites 
de  la  Montagne. 

page 

INTRODUCTION 212. 

114.  Môtiers,  9  Juin  1764.  Difficultés  pour  Eey  à  imprimer  cet  ouvrage. 

L'auteur  propose  ses  arrangements  et  demande 
le  secret 213 . 

115.  //  1  Juillet  //      Envoi  de  la  première  partie  du  manuscrit .  .216. 

116.  h        15     //        //       Changements  dans  le  manuscrit.    Sur  Fenvoi 

de  livres  et  d'estampes 216 . 

117.  Yverdun,  1  Août    //      Il  veut  la  couronne  civique  sur  le  titre 219. 

118.  Môtiers, 27     //        u      Raisons   pourquoi  l'ouvrage  doit  paraitre  au 

commencement  de  Décembre  et  pourquoi  il  ne 
déplaira  pas  en  France 220 . 

119.  //  3  Sept.     //       Soupçon  qu'on  intercepte  les  paquets  de  Rey.222. 

120.  Champ-du-Moulin,  9  Sept.  1761.  Précautions  contre  l'infidélité  des 

Postes 222. 

121.  Môtiers,  17  Sept.  1764.  Corrections.  Il  prêche  encore    la  diligence  et 

l'exactitude . .  225 . 

122.  NEUFcnâTEL,  1  Oct.  1764.  Mêmes  sujets 226. 

123.  Môtiers,   8  Oct.   1764.  Nécessité  de  cartons  et  d'une  plus  grande  di- 

ligence encore 229 

124.  //        22    //        >/      Inquiétude  au  sujet  des  cartons  et  de  l'arrivée 

des  exemplaires  de  l'ouvrage  à  leur  destina- 
tion  232. 

125.  u        29    //        ii      Nouveau  sujet  d'inquiétude.  Témoignage  d'ami- 

tié et  de  reconnaissance 234 

126.  //  5  Nov.     //       Corrections.    Nouvelles  alarmes  que  l'ouvrage 

sera  défectueux  et  viendra  trop  tard 

127.  a        10     //        u       Même  sujet.   Intrigues  de  Voltaire  auprès  du 

Duc  de  Praslin 238 . 

128.  u        12    a         u       Encore  une  correction 241 . 

129.  v        31  Dec.      u       II  y  a  des  fautes.  Fureur  que  l'ouvrage  com- 

mence à  exciter  chez  les  ennemis  de  l'auteur. 
Etourderie  de  Rey;  reconnaissance  de  Rous- 
seau  241 . 

130.  n        28Janv.l765.  L'ouvrage  est    défendu  à  Berne.     L'auteur  à 

reçu  des  marques  de  faveur  des  Comte3  Ben- 
tinck 244 

131.  a        16  Févr.     v       On  a  brûlé  son  livre  à  la  Haye.  Ses  amis  ne 

sont  que  des  parleurs.  Les  entrepreneurs  d'une 
édition  générale  de  ses  ouvrages  sont  effrayés. 
Règlement  d'un  compte.   Civilités 345 


XX  SOMMAIRE. 


VIII.    Lettres  écrites  dans  les  dernières  périodes  de  la  vie 

de  Rousseau. 

page 

Introduction 24^. 

132.  Motif, us,  8  Mars  1765.  Tlan   d'une  édition   générale    Je  ses   écrits. 

L'ouvrage  qui  contiendra  l'histoire  de  sa  vie. 
est  commencé 

133.  »         27  Avril     //       Il  ne  pourra  recevoir  Madame  Rey  à  Môtiers. 

Témoignage  d'amitié.  L'impression  générale 
de  se3  ouvrages  trouve  beaucoup  d'obstacles. 
L'histoire  de  sa  vie  selon  son  projet  sera  un 
livre  unique:  proposition  préalable  pour  la 
publication 25G 

134.  '/         13  Juin      "       Avis  de  la  réception   d'une  lettre  du  comte 

Bentinck 259 

135.  Isliî  >St.  I'ieriïe,  12  Sept.  1765.  A  Môtiers  on  a  forcé  de  nuit  sa  mai- 

son. Il  fera  pour  Rey  une  copie  de  la  Reine 
Fantnsqt/c.  Précautions  contré  l'infidélité  des 
Postes 259. 

136.  '/  18  Oct.  1765.  Il  a  reçu  l'ordre  de  quitter  le  terri- 

toire où  il  se  trouve.  Incertitude  sur  le  lieu  où 
il  se  rendra.   Avis  sur  l'édition  de  ses  écrits. 201  . 

137.  STRASBOURG,  10  Nov.  1765.  Il  ne  perd  pas  tour  à  fait    l'espérance  de 

pouvoir  se  rendre  en  Hollande 264. 

138.  '/  25     //       //       Il  est  de  très-mauvaise  humeur  de  ce  que 

Rey  lui  a  envoyé  quelqu'un  pour  le  conduire 
en  Hollande 265 . 

139.  '/  1  Dec.    v       Envoi  d'une  copie  de  la  Heine  Fantasque. 

Plan  de  voyage 266 . 

140.  Paris "1     "      n      La  copie  de  la  Reine  Fantasque  qu'il  a 

envoyée  est  exacte.  Il  s'excuse  de  ne  pas  venir 
en  Hollande.  Il  se  rendra  avec  M.  Hume  en 
Angleterre 267 

141.  (.'iii.-wk  r.  3  Mars  1766.  11  a  dû  quitter  Londres.  Eloge  de  M.  Hume. 

Il  ne  veut  plus  se  mêler  de  ses  écrits.  Ses 
articles  de  Musique  dans  l'Encyclopédie  sont 
faits  à  la  bâte.  Pourquoi  il  n'a  pas  voulu 
passer  par  la    Hollande 268 

142.  \\  ootton,  23  Avril  1766.  (Voir  les  recueils  des  Oeuvres  Complctes) 

Il  a  rompu  tout  commerce  de  lettres.  Conseil 
d'amitié.  Sortie  contre  Hume.  Précaution  pour 
la  correspondance 27] 

143.  //  10  Dec.     L766.    Désir  de  recevoir  des  nouvelles  ci  la  pen- 

sion de  Thérèse 


SOMMAIRE.  XXI 

page 

144.  Fleujiy  sous  Meudon,  15  Juin  1707.  Il  a  revu  pour  Rey  une  édition 

du  Devin  du  Village.  Payement  de  la  pen- 
sion. Il  ne  veut  plus  lire  que  des  livres  de 
botanique 273 . 

145.  Ouûteau  de  TniE,  28  Dec.  1707.  Il  accepte  la  dédicace  d'une  traduc- 

tion de  Platon.  Il  vit  dans  une  honnête  aisance 
et  s'occupe  de  botanique 275 . 

146.  ii  11  Juin  1708.    Sur   l'impression  d'uno   lettre   de 

M.  de  Graffenried.  Effusion  de  douceur 280 . 

147.  Monqttin,  31  Janv.  1769.  Il  est  content  de  son  mariage  et  fait  Téloge 

de  Thérèse.  Chiffon  volé  à  M.  Du  Peyrou.  La 
botanique  l'amusera  jusqu'à  sa  dernière  heure. 
Attendrissement  pour,  sa  filleule 288 

148.  h  27  Avril  1709.  Rey  ne  doit  plus  lui  parler  des  Mémoires 

de  sa  vie.  Avis  pour  le  recueil  do  ses  écrits. 
La  coupe  de  la  Nouvelle  Héloïse  en  six  par- 
ties doit  rester  telle  qu'elle  est  faite  dès  le 
commencement 287 . 

149.  //  11  Juin    1769.  Réponse  un  peu  sèche  à  plusieurs  articles 

d'une  lettre  de  Rey 289. 

150.  ii  29  Nov.  1709.  Témoignage  d'amitié  et  de  reconnaissance. 

Il  veut  renoncer  à  sa  manie  pour  la  botanique. 
Regret  de  ne  pas  avoir  refusé  la  dédicace  de 
la  traduction  de   Platon 290 . 

151.  Lyon,    7  Juin  1770.  Remercîments.    Il  a  fait  la  connaissance  de  M. 

Bruyset 293 . 

152.  Paris,  26  Juillet  il       M.    De  la  Tour  est  le  seul  qui  l'ait  peint  res- 

semblant. Formule  générale  dont  il  se  sert  pour 
dater  ses  lettres 294 

153.  //         2     //         ii       Ramsay   et  Liotard  en  faisant  son  portrait  ont 

été  guidés  par  des  manoeuvres,  dont  De  la  Tour 
est  incapable 290 . 

154.  //       21  Mars  1771.  L'assiduité  de  son  travail  ne  lui  permet  pas  de 

le  prolonger  par  des  lettres 297 . 

155.  ii        9 Juillet//       Il  ne   veut  pas  travailler  à   l'Encyclopédie   de 

Rey 298. 

156.  a      30  Août    //       Sur  un  livre  que  Rey  lui  a  envoyé 299 . 

157.  »      11  Oct.       //       Il  a  perdu  sa  mémoire .300. 

158.  u       22  Mai    1772.  Il  est  alarmé  de  la  nouvelle  d'un  malheur  ar- 

rivé ù.  Amsterdam 301 . 

159.  //      1-1  Juin     //       Sur  l'éducation  des   Biles  de  Rey.   Il  ne  recon- 

naît pour  son  oiivrairr  que  les  premières  édition.-» 
do  ses  écrits 301 . 

160.  '/      28  Févr.  1773.  Remercîments  au  sujet  de  la  pension 303 

161.  "      15 Sept.     -       Il  n'a  plus  de  correspondance  suivie :;,|i 


XXII  SOMMAIRE. 

page 

162.  Pari?,  11  Oct.   1773.  Renvoi  de  manchettes.  Sur  l'édition  que  Rey  a 

faite  du  Devin  du  Village.  Il  ne  se  souvient 
presque  plus  du  contenu  de  V Emile.  La  Nou- 
velle Héloise  est  le  seul  de  ses  écrits  qu'il  re- 
liroit  avec  plaisir.  Il  a  fait  passer  un  magnifique 
exemplaire  de  ses  écrits  dans  la  Bibliothèque 
du  comte  d"Egmont 306 . 

163.  //       16  Dec.     u      Quiproquo  au  sujet  d'un  exemplaire  de  la  Nou- 

velle Héloise 308 . 


CONCLUSION 

ayant  rapport  a  la  mort  de  Rousseau. 

page 

Introduction 309. 

Lettre  écrite  d'Ermenonville  le  8  Août  1778  par  M.  de  Girardin  à  Rey.315. 


ERRATA  DANS  LES  NOTES. 

Page    4.  note 2,  1.     8,  devant,  lisez  de. 

u  201,  u  1,  1.  18,  un  Professeur  nommé  Allemand,  lisez:  le  Profes- 
seur Jean  Nicolas  Sebastien  Allamand.  Dans  la 
même  note  on  trouve  citée  la  lettre  N°.  130  comme 
prouvant  In  faveur  dont  jouissait  Rousseau  auprès  du 
comte  Charles  Bentinck  ;    il  faut  y  ajouter  le  N°.  136. 


I. 

LETTRES 

AYANT  RAPPORT  A  LA  PUBLICATION 

DU 

DISCOURS    SUR    L'INÉGALITÉ. 


.Le  titre  de  l'ouvrage  dans  l'édition  originale 
est  ainsi  conçu  :  "Discours  sur  l'origine  et  les  fon- 
dements de  l'inégalité  parmi  les  hommes:  Par 
J.  Jacques  Rousseau,  Citoyen  de  Genève.  Non 
in  depravatis  y  sed  in  his  quae  secundum  naturam 
se  habentj  considerandum  est  quid  sit  naturale. 
Aristot.  Politic.  L.  2.  A  Amsterdam,  chez 
Marc  Michel  Rey.  M.DCC.LV."  -  La  question 
que  l'auteur  traite  dans  ce  Discours  fut  pro- 
posée en  1753  par  l'Académie  de  Dijon  en  ces 
termes:  "Quelle  est  l'origine  de  l'inégalité  parmi 
"les  hommes  et  si  elle  est  autorisée  par  la  loi 
"naturelle?"  Rousseau  qui  n'avait  publié  alors 
que  son  Discours  sur  T'influence  des  Lettres  et  le 
Devin  du  Village,  ne  pouvant  méditer  à  son  aise 
que  sub  dio  et  en  marchant,  passa  huit  jours 
à  Saint-Germain,  s'enfonçant  dans  la  foret  pour 
approfondir  le  sujet.  Le  Discours  qui  en  fut  le 
résultat,  et  où  il   attaque  l'inégalité  des  condi- 

1 


tions  sociales,  ne  fut  point  couronné  comme  l'avait 
été  trois  ans  auparavant  celui  où  il  attaque  les 
Sciences  et  les  Arts.  L'ouvrage  couronné  de 
l'abbé  Talbert  a  été  publié  en  1754.  Le  1er  Juin 
de  la  même  année,  Rousseau  entreprit  un  voyage 
à  Genève,  dont  il  a  donné  les  détails  dans 
ses  Confessions,  mais  qui,  comme  il  Fa  avoué 
ailleurs,  fut  fait  en  partie  pour  solliciter  du  Con- 
seil de  Genève  la  permission  de  dédier  son  Dis- 
cours à  la  République.  Avant  son  départ  de 
Paris,  il  avait  déjà  esquissé  une  Epître  Dédica- 
toire  qu'il  acbeva  à  Cbambéry,  où  il  l'a  datée 
du  12  Juin  1754.  Après  avoir  reconnu,  pendant 
son  séjour  à  Genève,  l'impossibilité  d'obtenir 
ce  qu'il  désirait,  il  résolut  de  publier  et  la  Dédi- 
cace et  le  Discours  sans  en  avoir  fait  aucune 
communication  aux  Magistrats.  Il  rend  compte 
de  ses  motifs  clans  une  lettre  à  M.  Perdriau 
(28Nov.  1754),  qui  se  trouve  parmi  la  Correspon- 
dance publiée  dans  les  recueils  de  ses  Œuvres. 
Ce  fut  à  cette  occasion  que  Rey,  qui  pour  ses 
affaires  se  trouvait  à  Genève,  sa  patrie,  y  lit  la 

connaissance  de   Rousseau  et  obtint   un  eng'affe- 

©  © 

ment  préalable  pour  l'impression  du  Discours. 
Pour  presser  cette  affaire  ^  Rey  se  rendit  au  mois 
d'Octobre  à  Paris  et  reçut  le  manuscrit,  pour 
l'imprimer  aussitôt  après  son  retour  à  Amsterdam. 
Alors  commença  la  correspondance  dont  les  lettres 
de  Rousseau    forment  ce  recueil. 


1. 


A  Paris,  le  8  Novembre  1754. 

J'espère,  Monsieur,  que  cette  Lettre  vous  trouvera 
arrivé  en  bonne  santé  et  notre  affaire  en  train. 

On  m'a  écrit  que  M.  Soubeiran  (*)  n'avoit  point  voulu 
faire  le  cartouche  dont  vous  l'aviez  fait  prier  par  M. 
Maistre  jusqu'à  ce  qu'il  sût  quels  attributs  on  y  vouloir 
ajouter.  De  sorte  que  pour  avoir  voulu  faire  mieux 
que  bien  il  est  à  craindre  qu'il  ne  fasse  rien  du  tout: 
car  le  tems  se  passe  et  si  vous  attendez  après  ce  des- 
sein ,  les  allées  et  venues  de  Lettres  prolongent  si  fort 
le  tems  que  je  vous  conseille  de  faire  faire  un  dessein  tel 
quel  sur  les  lieux  qui  sera  toujours  bien,  pourvu  que  le 
dessein  soit  simple  et  le  blason  exact.  J'ai  cependant 
écrit  à  M.  Soubeiran  afin  de  gagner  du  tems  et  je  lui 
ai  marqué  que  je  ne  voulois  point  d'attributs  &c. 

Je  joins  ici  une  correction  qui  est  essentielle  quoiqu'elle 
ne  soit  que  de  peu  de  mots ,  et  comme  le  lieu  où  elle 
va  est  déjà  barbouillé  par  des  renvois,  j'ai  jugé  à  propos 
de  joindre  ici  l'alinéa  entier  afin  que  vous  ayez  la 
bonté  de  le  substituer  à  celui  du  manuscrit. 

Je  prens  part  à  la  joye  que  ressentira  Madame  Rey 
de  votre  heureux  retour  dont  j'attens  la  nouvelle  avec 
impatience.  Faites  agréer  mes  respects  à  cette  chère 
épouse  et  ne  m'oubliez  pas  non  plus  auprès  de  M.  l'Abbé 
Y  von.  (')   Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur  et  suis 

(i)  Pierre  Soubeyranj  Directeur  de  l'académie  de  dessin  à  Genève,  sa  patrie. 
Il  a  gravé,  étant  à  Paris,  plusieurs  pièces  d'après  différents  maîtres  et  la 
plupart  des  pierres  gravées  antiques  du  cabinet  du  Roi,  dans  l'ouvrage  de 
P.  .1.  Mariette,  Traité  des  pierres  gravées  (Paris  L750,  2  vol.  in  fol.). 

(")  L'abbé  Yvon  est  l'auteur  des  articles  de  l'Encyclopédie  Dieu  ei  âme. 
Ces  articles  lui  attirèrent  la  disgrâce  de  Voltaire  et  des  Encyclopédistes.  Voyez 
la  lettre  de  Voltaire  à  d'Alembert  d.  9  Oct.   1755. 

1- 


très  parfaitement,  Monsieur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur 

J.  J.  Rousseau.  (  '  ) 

Page   première    du    Discours,    premier    alinéa:  ôtez 
l'alinéa  en  entier  et  substituez-le  de  cette  manière.  (2) 


(i)  Je  reproduirai  le  nom  chaque  fois  que  la  lettre  est  sic-née:  il  y  eu  a 
qui  ne  le  sont  pas. 

(2)  Je  donne  un  fac-similé  du  reste  de  la  lettre.  Il  est  curieux  de  voir 
combien  de  fois  l'auteur  a  refait  la  phrase  pour  trouver,  à  défaut  de  sim- 
plicité dans  la  pensée ,  l'expression  qui  produirait  le  plus  de  clarté.  Dans  le 
manuscrit  que  Rey  avait  emporté  de  Taris  le  passage  était  déjà  barbouillé  pur 
des  renvois.  A  ce  qui  s'y  troiivait  en  dernier  lieu,  l'auteur  veut  d'abord 
substituer  la  correction  que  présente  le  fac-similé.  Mais  là  encore  xine  partie 
est  substituée  à  une  première  ébauche,  devenue  presque  illisible.  Au  dessous 
de  la  rature,  je  crois  .apercevoir  ce  qui  suit:  que  j'aurai  à  parler  devant 
l'homme  et  que  c'est  à  des  hommes  que  je  vais  -parler:  car  il  n'y  a  i  u  pas 
moins  de  courage  à  la  proposer  qu'à  la  résoudre  et  ceux  qui  font  connoitre 
la  vérité  sur  de  pareilles  matières,  ne  s'honorent  pas  moins  que  ceux  qui 
l'osent  soutenir."  Cette  rédaction  ne  le  satisfaisait  pas  encore:  on  voit  qu'il 
l'a  rayée.  Je  n'ai  pas  trouvé  Le  manuscrit  de  la  correction  à  laquelle  il  s'est 
définitivement  arrêté;  mais  un  morceau  de  la  feuille,  sur  laquelle  la  lettre  e>t 
écrite,  a  été  détaché  et  je  ne  doute  pas  que  ce  morceau  n'ait  servi  au  com- 
positeur. Il  y  aura  lu  le  passade  tel  qu'il  se  trouve  dans  l'édition  de  1755; 
"C'est  de  l'homme  que  j'ai  à  parler,  et  la  question  que  j'examine  m'apprend 
"que  je  vais  parler  à  des  hommes,  car  on  n'en  propose  point  de  semblables 
"quand  on  craint  d'honorer  la  vérité.  Je  détendrai  donc  avec  confiance  la 
"cause  de  l'humanité  devant  les  sages  qui  m'y  invitent,  et  je  ne  serai  pas 
"mécontent  de  moi  même  si  je  me  rends  digne  «le  mon  sujet  et  de  mesjuges." 


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9. 


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IVlA-Yt.tH-*-' 


3. 

A  Paris,  le  16e  Novembre  1754. 

Je  ne  puis  vous  cacher  Monsieur,  l'étonnement  où 
je  suis  de  ne  recevoir  aucune  de  vos  nouvelles.  Il  pour- 
roit  arriver  que  vous  m'eussiez  écrit  et  que  votre  Lettre 
eut  été  perdue  ;  vous  me  ferez  plaisir  de  me  faire  dire 
par  quelqu'une  de  vos  correspondances  ce  qu'il  en  est 
à  cet  égard.  Si  vous  avez  quelques  feuilles  à  m'envoyer, 
servez  vous  aussi  de  quelqu'un  pour  me  les  faire  tenir 
et  je  leur  rembourserai  le  port.  Vous  devez  compren- 
dre que  j'ai  des  raisons  pour  cela.  Bonjour,  Monsieur, 
je  sais  que  vous  êtes  arrivé  en  bonne  santé,  et  je 
suppose  que  vous  avez  receu  ma  précédente  Lettre. 

J.  J.  Rousseau. 


3. 

A  Paris,  le  17e  Novembre  1754. 

Enfin,  Monsieur,  j'ai  receu  votre  lettre  et  M.  Pissot  (') 
m'a  aussi  montré  la  sienne  par  laquelle  je  vois  avec 
chagrin  que  des  vétilles  vous  retardent  tandis  que  par 
votre  faute  il  nous  importe  d'user  de  la  plus  grande 
diligence.  J'apprends  de  Genève  que  votre  lettre  à 
M.  Maistre  y  a  mis  tout  le  inonde  aux  champs,  de  sorte 
que  je  ne  serois  pas  surpris  qu'on  employât  toutes  les 
voyes  possibles  pour  arrêter  votre  Edition,  ce  qui  me 
fâcheroit  d'autant  plus  qu'il  y  a  en  Angleterre  deux 
copies  du  manuscrit  dont  je  puis  bien  répondre  pourvu 


(')  Libraire  à  Paris  dont  Jean  Jacques  se  plaint  amèrement  dans  ses  ('mi- 
fvxstons  et  surtout  dans  sa  lettre  ù  M.  Xieps  (•">  Avril  1759).  Dans  une  lettre 
au  libraire  Guérin  il  qualifie  de  bêtise  son  imprudence  d'avoir  laissé  impri- 
mer quelques  uns  de  ses  écrits  à    Pissot. 


6 

que  vous  fassiez  usage  de  la  vôtre,  mais  dont  je  ne 
répondrais  pas  qu'on  n'abusât  un  jour  à  son  défaut. 
Voici  donc  ce  qu'il  me  semble  que  vous  avez  à  faire. 
C'est  de  garder  sur  cet  écrit  le  plus  profond  secret  qu'il 
vous  sera  possible,  ou  du  moins  de  n'en  parler  que 
comme  d'une  Edition  que  vous  voulez  préparer  à  loisir, 
et  cependant  d'user  en  secret  de  la  plus  grande  dili- 
gence pour  l'imprimer  et  le  répandre  avant  toute  tra- 
casserie. Vous  avez  vu  vous  même  si  j'ai  d'autre  motif  en 
cela  que  l'amour  de  la  vérité  et  de  la  vertu:  mais  j'avoue 
qu'autant  j'abhorre  la  publication  des  livres  dangereux, 
autant  je  liais  la  maligne  discrétion  des  médians  ou  la 
pusillanimité  des  petits  esprits.  Vous  voilà  bien  averti  : 
C'est  à  vous  maintenant  à  vous  conduire  comme  vous 
jugerez  le  plus  convenable  pour  votre  intérest  et  pour 
l'honnêteté.  Bonjour,  Monsieur,  mille  respects  à  Made. 
votre  Epouse.    Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


4. 

A  Paris,  le  22e  Novembre  1754. 

Je  viens  de  recevoir,  Monsieur,  avec  les  essais  de 
caractères  votre  lettre  du  16  par  laquelle  vous  me 
marquez  que  vous  ne  commencerez  le  travail  que  je 
croyois  fort  avancé  qu'après  avoir  receu  ma  réponse; 
désormais  je  ne  m'en  mettrai  plus  en  peine  et  vous 
irez  aussi  posément  que  vous  le  jugerez  à  propos. 

Gardez  vous  bien,  je  voua  prie,  do  mettre  les  notes 
sous    le    texte;    ce   seroil    le  moyen  de  tout  gâter.  (') 


(')  L'auteur  explique  pourquoi  il  a  çejeté  Les  notes  à  ta  fin  du  Discoure 
dans  un  Avertissement  sur  les  notes,  qui  dans  L'édition  de  L755  se  trouve 
après  La  Préface. 


J'aurois  fort  voulu  que  la  Dédicace  ne  fut  pas  en  Ita- 
lique. (•')  Je  trouve  les  lignes  trop  écartées  dans  le 
texte  du  Discours.  Mais  vous  avez  vos  raisons  pour 
mettre  beaucoup  de  blanc  et  je  ne  veux  pas  vous  gêner. 
Je  ne  vous  parle  point  des  énormes  et  nombreuses  fau- 
tes puisque  vous  n'aviez  pas  fait  corriger;  je  dois 
pourtant  vous  prévenir  qu'il  y  en  a  une  dans  l'épigraphe 
du  titre,  sic  pour  sit,  et  que  dans  la  Préface,  ligne  13  (2) 
il  se  trouve  je  ne  sais  comment  un  mot  pour  un  autre , 
démêler  la  source  pour  connoître  (3)  la  source;  je  vous 
prie  de  regarder  si  la  faute  est  dans  le  manuscrit  et 
en  ce  cas  de  la  corriger. 

Faites  je  vous  prie  mes  complimcns  et  remercîmens 
à  M.  l'Abbé  Yvon  ;  assurez  Madame  Iîev  de  mes  respects , 
et  croyez  que  je  suis  de  tout  mon  cœur,  Monsieur, 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

J.  J.  Rousseau. 

Je  remarque  qu'il  y  a  (comme  dans  la  Préface  ligne 
7  en  remontant  où  il  manque  un  et)  des  fautes  qu'on 
ne  peut  corriger  qu'en  faisant  attention  au  manuscrit 
parcequ'elles  mutilent  la  période  sans  ôter  le  sens;  vous 
aurez  la  bonté  d'engager  M.  l'Abbé  Yvon  de  ne  poinl 
corriger  sans  consulter  le  manuscrit. 


A  Paris,  le  12e  Décembre   1754. 
Quoique,    n'ayant    pas    de  vos  nouvelles.    Monsieur, 
"expérience    lirait   appris    à    ne  pas  croire  étourdiinent 

(M    Roy  s'est  conformé  au  désir  de  l'auteur  par  une  nouvelle  composition. 
<a  Dédicace  dans  L'édition  de  L755  n'est  pas  en  Italique. 
f-'i  La  ligne  18  est  devenuo  la  2]  ""'. 
l 'i   11  a  rayé  le  mol  découvrir  nn'il  avail  écril  en  premier  lieu. 


que  vous  travaillez  à  notre  affaire  comme  vous  me 
l'avez  promis  ,  je  vous  envoyé  pourtant  par  précaution 
une  addition  essentielle  que  je  vous  prie  d'avoir  l'œil 
à  faire  placer  exactement.  J'en  aurai  encore  une  ou 
deux  pour  la  suite  du  Discours,  mais  vous  vous  pres- 
sez si  peu  que  ce  n'est  pas  la  peine  de  rjie  presser. 
Quoique  je  n'aye  pas  l'honneur  d'être  connu  de  M. 
l'Abbé  Y  von,  je  vous  prie  de  vouloir  lui  dire  combien 
je  suis  sensible  à  ses  bontés  et  le  remercier  derechef 
des  soins  qu'il  veut  bien  se  donner  pour  notre  besogne. 
11  y  a  dans  cet  ouvrage  plusieurs  phrases  incorrectes 
que  j'ai  laissées  à  dessein,  ainsi  il  ne  faut  que  suivre 
fidèlement  le  manuscrit.  Donnez-moi  des  nouvelles  de 
votre  santé,  de  celle  de  Madame  Rey,  recevez  mes 
embrassemens  et  présentez  lui  mes  respects. 

J.  J.  Rousseau. 

Quand  vous  aurez  quelque  chose  à  m'envoyer  vous 
me  ferez  plaisir  de  profiter  de  toutes  les  occasions  qui 
pourront  éviter  les  frais  de  la  poste  sans  incommoder 
personne. 

0. 

A  Pakis,  le  3''  Janvier  17' 55. 

•l'ai  enfin  receu,  Monsieur,  les  trois  premières  feuilles 
<|iii  m'ont  été  apportées  de  l'hôtel  de  Soubise  sans  que 
j'en  sache  davantage;  je  suppose  que  les  pacquets  en 
sont  contresignés  et  ne  content  rien  de  port;  car  si 
le  port  se  paye,  je  ne  souffrirai  pas  que  personne  le 
paye  pour  moi.  Ed  pareil  cas,  vous  pourrez  m'adresse!- 
les  feuilles  suivantes  en  droiture,  on  bien  attendre 
quelque  occasion  de  voyageur;  ou  bierj  vous  servir  ^\v 
l'adresse  suivante:  .1  Monsieur  /.<■  Blanc  pour  remettre 


9 

à  M.  François  Mussard  (').  A  Paris.  Il  n'est  pas  néces- 
saire que  mon  nom  y  soit.  Mais  il  suffira  de  porter  le 
pacquet  cacheté  à  M.  Paul  Renoird  et  le  prier  de  le 
joindre  aux  envois  qu'il  fait  à  M.  Le  Blanc.  Tout  Lien 
compté,  j'aime  autant  que  vous  me  fassiez  directement 
la  pluspart  de  ces  envois  ;  mais  il  faut  envelopper  vos 
feuilles  avec  un  peu  plus  de  soin:  car  celles-ci  me  sont 
arrivées  toutes  rongées  et  percées.  Voici  maintenant 
mes  observations  sur  votre  travail. 

Le  caractère  est  très  beau,  et  le  papier  me  paroîtroit 
beau  aussi,  si  la  première  feuille  n'enlaidissoit  les  autres. 
11  ne  faut  pas  que  rien  venant  de  moi  présente  une  ap- 
parence trompeuse.  Ainsi,  Monsieur,  faites  s'il  vous 
plait  que  la  première  feuille  soit  semblable  aux  autres 
ou  les  autres  à  la  première;  au  moins  pour  celles  qu'on 
tirera  désormais.  Le  mot  Dédicace  au  haut  des  pages 
est  ridicule  ;  il  ne  falloit  rien  que  le  chiffre ,  ou  les  mots 
Epitre  dédicatoire  (2).  Les  mots  Magnifiques ,  très  ho- 
nores Sçc.  sont  tantôt  en  lettres  capitales  et  tantôt  en 
petites  lettres,  ce  qui  ne  fait  pas  un  bon  effet.  L'asté- 
risque page  10  qui  doit  indiquer  une  note,  n'est  point 
répété  à  la  marge  avec  un  chiffre,  de  sorte  qu'on  ne 
sait  à  quelle  note  il  renvoyé  (3).  Je  n'ai  trouvé  que 
deux  fautes  dans  les  lettres;  l'une  page  32  serez  pour 
seriez  (4)  et  l'autre  pag.  41  ligne  3  en  remontant  sont 
le  plus  pour  sont  les  plus  (5).    Quant  à  celle-ci ,  comme 

(i)  Voyez  les  Confessions  P.  II.  L.  VIII. 

{2j  Le  mot  Dédicace  est  resté  au  haut  des  pages. 

(3)  Ce  n'est  pas  page  x  mais  ix  de  l'édition  que  la  note  est  indiquée  par 
un  chiiïe  répété  à  la  marge. 

(4)  Les  pages  dans  l'édition  no  sont  pas  cotées  comme  l'autour  les  cite  dans 
ces  lettres.  Quand  il  cite  la  page  34  c'est  p.  37  de  L'édition.  Mais  il  semble 
que  la  phrase  où  se  trouvait  le  mot  seriez  a  entièrement  disparu. 

'  Il  insiste  dans  la  suite  de  la  lettre  pour  que  cette  correction  se  fasse. 
Le  passage  se  trouve  p.  4">  de  l'édition  et  on  y  lit  encort  :  préférences  qui 
sont  le  plus  de  notre  goût. 


10 

il  n'est  question  que  d'une  6-  à  ajouter  et  que  eela  se 
peut  faire  aisément  en  pliant  la  feuille,  vous  m'obligerez 
beaucoup  d'y  faire  faire  cette  petite  correction.  Les  fau- 
tes de  ponctuation  sont  innombrables.  Quand  j'ai  désiré 
qu'on  suivît  exactement  le  manuscrit  je  n'entendois  pas 
parler  de  la  ponctuation  qui  y  est  fort  vicieuse.  Priez 
M.  l'Abbé  Yvon  de  vouloir  bien  la  rétablir  dans  les 
épreuves  suivantes.  Je  vois  que  vous  n'avez  point  en- 
core vos  vignettes  ;  je  vous  prie  de  m'envoyer  des  épreu- 
ves sitôt  que  vous  les  aurez.  En  relisant  les  feuilles 
j'y  retrouve  d'autres  fautes  que  je  n'avois  point  apper- 
çues  comme  état  pour  Etat  à  chaque  moment,  p.  14  seu- 
lement pour  seulement  (').  p.  23  Jmircux  pour  heureuse. 
p.  33  modeste  Sfc.  (2).  Je  me  confirme  par  ces  obser- 
vations dans  l'opinion  où  j'étois  déjà  que  les  gens  de 
génie  et  d'esprit ,  ceux  qui  font  eux  mêmes  les  meilleurs 
livres,  sont  les  moins  propres  à  corriger  les  épreuves 
des  autres,  et  je  vous  avoue  que  eela  m'épouvante  un 
peu  pour  la  suite  de  notre  besogne;  en  voyant  trop 
promptement  ce  qui  doit  être  sur  le  papier,  on  regarde 
moins  attentivement  sans  le  vouloir  ce  qui  s'y  trouve 
réellement. 

Il  faut  que  je  vous  gronde  pour  la  lettre  qu'a  receue 
de  vous  Mlle.  le  Vasseur.  Si  cette  lettre  avoit  passé' 
par  mes  mains  elle  ne  Fauroii  jamais  vue:  mais  puis- 
qu'elle sait  que  vous  lui  destinez  un  présent,  quoique 
fort  mal  à  propos,  je  ne  veux  donner  la  mortification 
ni    à  vous   ni    à    elle   de    vous    le    faire    renvoyer:    elle 


(M    Ce  mol  ne  Be  trouve  nulle  pari  dans  celte  partie  du  Discours.    Je  snp 
pose  que  l'auteur  avait  écrit  p.   16:  "elle  (la  Naturel  raid  forts  et  robuste» 
seulement  ceux  i/»i  sont  bien  constitués,  et  fait  périr  (mis  les  autres," 
ci  qu'après  il  a  Bupprimé  le  mut  seulement, 

(-)    .le    ue    trouve   pas    les    passages    auxquels    ces    deux    corrections    ne 
rapportent. 


11 

me  charge  de  vous  en  faire  d'avance  ses  très-humbles 
remercîmens. 

Je  prépare  mon  Dictionnaire  de  Musique  pour  le 
mettre  sous  presse  l'Eté  prochain;  mais  il  faut  que  je 
voye  l'exécution  de  ce  que  vous  avez  entre  les  mains  pour 
savoir  à  quoi  m'en  tenir  à  l'avenir.  D'ailleurs  ,  le  prin- 
cipal débit  de  cet  ouvrage  sera  probablement  en  France, 
et  comme  rien  n'empêche  qu'il  n'y  soit  imprimé,  pour 
peu  que  vous  eussiez  là  dessus  d'indifférence,  je  ne  serois 
pas  fâché  de  le  donner  ici  sous  mes  yeux. 

J'attends  de  vos  nouvelles  à  votre  loisir  et  à  celui  de 
votre  imprimeur;  n'oubliez  pas  je  vous  prie,  quand  on 
pliera  la  3e  feuille,  de  faire  ajouter  Vs  page  41  et  tâ- 
chez par  votre  exactitude  à  venir  que  nous  n'ayons  besoin 
de  carton  nulle  part.  Je  vous  enverrai  mes  additions 
quand  vous  approcherez  des  feuilles  où  elles  doivent 
entrer. 

Bonjour,  Monsieur,  bien  des  respects  à  Madame. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.    J.    Rousseau. 


7. 

A  Taris  le  24  Janvr.  1755. 

J'ai  receu,  Monsieur,  votre  second  pacquet  à  mon 
adresse  contenant  les  trois  feuilles  suivantes.  Comme 
les  frais  de  la  Poste  sont  énormes ,  peut  être  pourrez 
vous  me  les  éviter  désormais  à  l'aide  du  Billet  ci- 
joint. 

Je  suis  fort  content  du  caractère  et  même  de  la  cor- 
rection, à  La  ponctuation  près.  Il  y  a  cependant  une 
faute   dans  chaque  feuille  qui   se  peut  facilement  cor- 


12 

riger  à  la  plume  en  pliant  la  feuille,  et  vous  me  ferez 
un  sensible  plaisir  de  les  faire  corriger  exactement  ('). 

La  première  est  à  la  4e.  feuille  p.  xlvii.  ligne  7e. 
c'est  donc  à  tous  effacez  donc. 

La  2e.  mérite  de  l'attention  et  demande  du  soin:  si 
vous  aviez  la  patience  de  la  corriger  vous  même,  ce 
seroit  le  seul  moyen  qu'elle  fut  bien  réparée. 

Elle  est  à  la  5e  feuille  p.  lxviii,  ligne  8: 
des  uns,  ou  est  porté  mettez  des  uns;  on  est  porté. 
Pour  cela,  après  avoir  légèrement  effacé  avec  un  canif 
la  liaison  de  Vu  il  faut  avec  la  plume  transporter  la 
liaison  en  haut  pour  changer  Vu  en  n  puis  ajouter  un 
point  sur  la  virgule. 

La  troisième  est  à  la  6e  feuille  B,  page  11,  ligne 
troisième  en  remontant. 

Conforme  lisez  conformé;  comme  il  n'est  question  que 
d'un  accent,  le  garçon  peut  l'ajouter  aisément  en  pliant 
la  feuille. 

Je  laisse  les  autres  fautes  parcequ'elles  ne  sont  pas 
importantes ,  et  qu'un  lecteur  attentif  ne  sauroit  s'y 
tromper. 

Bonjour,  Monsieur,  je  vous  embrasse  et  vous  recom- 
mande instamment  l'exactitude  afin  de  n'avoir  pas  be- 
soin de  carton. 

J.  J.  Rousseau. 


(')  Ce  n'est  pas  à  la  plume,  mais  par  de*  cartons,  que  Les  corrections  ont 
été  laites.  Page  I.iv  on  lit  dans  la  Dédicace:  C'eut  à  VOUS;  p.  Lxxxiv  dans 
la  Préface:  des  uns;  on  est  porté,  et  dan-  le  Discours  p.  L3,  ligne  troisième 
en  remontant  conformé.  La  Beule  minute  de*  lettres  de  Rey  que  j'ai  trouvée 
es!  -si  réponse  à  la  lettre  An  S-'<  Février  (N°.  Ll).  On  j  lit:  "Dans  le  com- 
mencement favois  dessein  de  corriger  à  lu  main  les  fautes  que  vous  m'in- 
diquiez ■  mois  il  y  en  a  trop  pour  pouvoir  y  satisfaire." 


13 


8. 

Vous  trouverez  ci  joint,  Monsieur,  le  dessein  du  car- 
touche aux  armoiries  de  la  Répc.  que  M.  Soubeiran  m'a 
fait  tenir  pour  vous  l'envoyer;  je  vous  prie  qu'il  soit 
gravé  avec  soin  ('). 

Comme  vous  êtes  encore  loin  des  notes ,  je  ne  me  presse 
pas  de  vous  envoyer  quelques  additions  que  j'ai  à  y 
faire.  Quant  aux  feuilles  que  vous  m'enverrez  désor- 
mais ,  je  vous  prie  que  ce  soit  sous  le  couvert  de  Mon- 
sieur Dupin  de  Chenonceaux  Fermier  Général,  à  V Hôtel 
des  Fermes  du  Roy ,  à  Paris  (2). 

Bonjour,  Monsieur,  je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur,  je  vous  prie  de  saluer  pour  moi  Madame  votre 
Epouse  et  Monsieur  l'Abbé  Yvon. 

J.  J.  Rousseau. 

A  Paris,  le  lr.  Fevr.   1755. 


0. 


Monsieur  Rey  est  prié  de  veiller  à  ce  que  ces  additions 
soient  exactement  rapportées  en  leur  lieu;  il  vaudroit 


(»)  Voyez  No.  13. 

(2)  Le  Fermier  Général,  dont  Rousseau  indique  l'adresse  est  Claude  Dupin 
mort  en  1769,  auteur  de  quelques  ouvrages  d'économie  rurale.  Il  avait  épousé 
en  secondes  noces  une  demoiselle  Fontaine,  qui,  sous  le  nom  de  Madame  Du- 
pin ,  a  publié  quelques  écrits  de  morale ,  et  qui  par  son  urbanité  envers  les 
gens  de  lettres  est  devenue  une  des  femmes  célèbres  du  dix-huitième  siècle. 
Ello  a  employé  Jean  Jacques  à  transcrire  ses  manuscrits  et  lui  a  confié  pen- 
dant quelque  temps  l'éducation  de  son  fils.  Près  de  Chenonceaux,  sur  la  rive 
du  Cher,  Diane  de  Poitiers  avait  bâti  un  magnifique  château  sur  un  empla- 
cement que  Henri  II  avait  acheté  pour  elle.  Ce  Béjour  délicieux  était  devenu 
la  propriété  de  M.  Dupin,  et  ce  fut  là  que  Madame  Dupin  reçut  les  hommes 
de  lettres  de  son  temps,  Rousseau,  Fontenelle,  Buffon,  Montesquieu,  Voltaire. 
Elle  v  mourut  en  1800  à  l'âge  de  près  de  100  ans. 


14 

beaucoup  mieux  les  omettre  que  de  les  mal  placer,  ei 
la  moindre  faute  nous  réduirait  à  l'embarras  de  cartons. 
Je  ne  me  presse  pas  d'envoyer  les  additions  pour  les 
notes,  voyant  clairement  depuis  longtemps  que  Mon- 
sieur Rey  a  beaucoup  d'affaires  plus  pressées  que  la 
mienne  (*). 

10. 

J'ai  receu,  Monsieur,  vos  trois  derniers  envois  con- 
tenant les  feuilles  C,  D,  E,  F  et  G,  sur  lesquelles 
vous  avez  ci-joint  mes  observations,  quant  à  ce  que 
vous  me  marquez  du  pacquet  précédent ,  non  seulement 
j'en  ai  payé  le  port  taxé  5  livres  12  sous,  mais  je  suis 
certain  que  le  pacquet  avoit  été  ouvert  et  recacheté  d'une 
empreinte  de  votre  chiffre  qu'on  avoit  eu  la  patience  de 
tirer;  c'est  pourquoi ,  quoique  la  feuille  C  me  soit  venue 
depuis  en  bon  état  et  franche  par  la  même  voye,  je  vous 
prie  de  ne  vous  plus  servir  désormais  que  de  la  der- 
nière adresse  que  je  vous  ai  donnée  et  par  laquelle 
vos  envois  me  parviennent  exactement  et  sûrement. 

NB.  (8)  Feuille  C,  page  24,  ligne  trois.  Plusieurs 
en  trouvent  qui  êfc.  il  faut:  plusieurs  en  trouvent-ils  gui, 
quoique  cette  façon  de  parler  soit  un  peu  sauvage, 
comme  elle  fait  un  sens  tout  différent  j'ai  eu  nus  rai- 
sons pour  L'employer,  et  je  me  souviens  très-bien  que  le 
mot  ils  u'est  pas  omis  dans  le  manuscrit.  Ainsi  je  vous 
prie  de  ne  pas  manquer  de  le  rétablir  à  l'aide  d'un  carton. 


(')  Ces  lignes  se  trouvent  écrites  de  la  main  de  Rousseau  sur  an  petit  mor- 
ceau de  papier  plié  en  tonne  de  lettre,  cl  portanl  l'adresse  ordinaire  .1  Mon- 
sieur Monsieur  Mure  Michel  Rey  Libraire.  A  Amsterdam.  Rej  y  a 
annoté   liccciic  le  Xl'fcvr.   1?.'>">. 

routes  Les  fautes  marquées  dans  cette  lettresonl  corrigées  dans  l'Edition. 
La  première  correction  plusieurs  en  trouvmt-ils  se  lit  p.  '.'<;. 


15 


Même  feuille  p.  34 ,  1.  8 ,  de  tans  un  mot  de  deux , 
et  dans  la  ligne  suivante  la   quelle  deux  mots  pour  un. 

P.  38,  5e  ligne  en  remontant:  matin  pour  main,  ligne 
suivante  connoissances ,  nécessaires,  lisez  connoissances 
nécessaire  sans  virgule  et  sans  s,  parce  que  nécessaire 
ne  se  rapporte  pas  à  connoissances  mais  à  degré. 

Feuille  D ,  p.  46 ,  ligne  3  en  remontant  ces  pour  ses. 

Feuille  E,  p.  61,  ligne  7  conditions ,  je  faites  un  point 
de  la  virgule. 

P.  62,  ligne  8,  extience  lisez  existence. 

P.  70,  ligne  4,  comme  un  être,  lisez  pour  un  EtreQ). 

Feuille  F,  p.  76  ,  ligne  7,  pourroient,  lisez  poavoicnt. 

Le  reste  est  assez  correct  à  la  ponctuation  près  qui 
est  partout  très  négligée. 

Vous  me  marquez  que  mes  60  exemplaires  seront 
exactement  corrigés:  c'est  ceux  là  où  la  correction  est 
le  moins  nécessaire  puisqu'elle  y  sera  aisément  suppléée 
par  moi  ou  mes  amis.  Mais  c'est  pour  le  public  qu'il 
faut  corriger  avec  soin.  Du  reste,  les  corrections  in- 
dispensables sont  en  petit  nombre  jusqu'à  présent;  et 
il  n'y  en  a  qu'une  dans  les  5  dernières  feuilles ,  qui-  est 
la  première  notée  ci  derrière,  qu'il  faille  faire  néces- 
sairement.   Vous  pouvez  négliger  les  autres. 

A  l'égard  des  six  premières  feuilles.  Il  y  a  dans  la. 
feuille  4e  page  xlvii  le  donc  à  effacer,  ligne  7.  Feuille  5, 
page  lxviii,  ligne  8,  des  uns;  on  est  à  substituer  au 
lieu  de  des  tins,  on  est ,  c'est  à  dire  un  point  à  ajouter 
et  un  u  à  changer  en  n. 

Je  vous  abandonne  toutes  les  autres  fautes  des  11 
premières  feuilles  à  condition  que  vous  aurez  soin  de 
faire  corriger  exactement  ces  trois  là  dans  tous  les 
exemplaires,  soit  ;ï  In  main,  soit  avec  des  cartons. 


(')    \;  -■  nota  Rey  :i  éci-il :  se  trouv< 


16 

Vous  aurez  la  semaine  prochaine  les  additions  et 
changement  pour  les  notes,  auxquelles  je  juge  que  vous 
ne  serez  pas  sitôt. 

En  relisant  cette  lettre,  je  trouve  les  corrections 
exactes ,  mais  un  peu  embrouillées.  Je  ne  laisse  pas  de 
vous  l'envoyer  espérant  que  vous  mettrez  plus  de  soin 
à  corriger  le  texte  qu'à  presser  l'édition. 

Bonjour,    Monsieur,  je  vous  embrasse  de   tout    mon 

cœur. 

J.  J.  Rousseau. 
A  Paris,  le  20  Fevr.  1755. 


H.  (') 

Puisque  vous  voulez ,  Monsieur,  me  dédommager  de  la 
lenteur  par  l'exactitude,  ayez,  je  vous  prie  instamment. 
la  plus  grande  attention  aux  remarques  et  additions 
suivantes. 

Feuille  H,  page  111,  ligne  3,  naturelle  lisez  mu- 
tuelle.  Ce  changement  est  indispensable  et  ne  peut  se 
faire  qu'avec  un  carton. 

Môme  page,  pre.  ligne,  amena  lisez  amène.  On  peut 
faire  un  e  de  Ma. 

A  la  page  112,  ligne  prc.  immédiatement  derrière  la 
précédente  s'accoutume  lisez  s'accoutuma,  on  peut  faire 
un  a  de  Me  (2). 

Je  me   borne   à   ces  trois    corrections  quoiqu'il    n'en 

(')    Je  n'ai  trouvé  que  deux  fragments  de  la  lettre   qui  contenait  les  addi- 
tions pour  les  notes  que  Rousseau  avait  promises  dans  la  précédente.    I 
deux  morceaux  de  papier,  dont  l'un  est  la  moitié  d'une  feuille  qui  a  été  coupée 
en  deux.     La  moitié  qui    manque   a  sans  doute   été'  donnée   an  compositeur, 
ad  morceau  ne  contient  que  l'épilogue  de  la  lettre. 

(-)  Ces  trois  corrections  ont  été  faites  par  des  cartons.    Voir  les  pages  lis, 
119  et  120  de  l'édition. 


17 

manque  pas  d'autres  à  faire  dans  cette  feuille.  Je  suis 
fâché  de  l'embarras  que  tout  cela  vous  donne,  mais  je 
ne  puis  me  résoudre  à  dire  de  pareilles  absurdités,  ei 
je  compte  bien  que  vous  ne  les  laisserez  pas. 

Passons  maintenant  aux  notes. 

Note  I  aux  deux  tiers  environ  il  y  a 

Or  il  fallait  absolument,  ce  me  semble,  que  ce  privi- 
lège fût  interprété  tf'c.  ('). 

Changez  ainsi  cet  endroit 

Quand  Hérodote  ne  nous  apprendroit  pas  la  restric- 
tion qui  fut  mise  à  ce  privilège,  il  faudrait  nécessaire- 
ment la  supposer;  autre  me  ut   Otanès  Sfc. 


Même  note  7,  dans  l'alinéa  suivant  qui  commence 
par  ces  mots  je  ne  répéterai  point  ici  etc.  Je  ne  me  sou- 
viens pas  si  entre  ces  mots  son  plus  charmant  ouvrage 
et  ceux-ci  que  les  sauvages  etc.  j'ai  répété  le  mot  goûts. 
S'il  n'y  est  pas  il  faut  l'y  mettre.  (2) 

A  la  fin  du  même  alinéa  après  ces  mots  auquel  Us 
sont  destinés  ajoutez  de  suite  ce  qui  suit. 

Que  seroit-ce  si  f  entreprenois  de  montrer  V espèce  hu- 
maine attaquée  dans  sa  source  même,  et  jusques  due*  le 
plus  saint  de  tous  les  liens,  où  Von  n'ose  plus  écouter  la 
nature  qu'après  avoir  consulté  la  fortune,  et  où  le  désordre 
civil  confondant  les  vertus  et  les  vices,  la  continence  de- 
vient une  précaution  criminelle,  et  le  refus  de  donner  la 
rie  à  ses  semblables,  un  acte  d'humanité?  Mais  sans 
déchirer  le   code  qui  couvre  tant  d'horreurs,  contentons 

(')  On  voit  que  l'auteur  en  écrivant  cotte  note  dans  son  premier  manuscrit 
avail  oublié  qu'Hérodote  interprète  en  effet  le  privilège  accordé  à  Otanès,  en 
ajoutant  à  son  récit  (III.  83)  qu'encore  de  son  tempe  la  maison  d'Otanèa 
jouissait  d'une  pleine  liberté  pourvu  néanmoins  qu'elle  ne  transgressât  en 
rien  les  lois  du  pan*. 

(2)    Il  y  est  p.  234. 

■1 


18 

nous  ^indiquer  le  mal  auquel  Vautres  doivent  apporter 
le  remède.  (') 

Qu'on  ajoute  à  tout  cela  <j'<?. 

Tout  à  fait  à  la  fin,  de  la  môme  note  7,  après  ces 
mots,  trop  petit  pour  ses  habitons,  ajoutez  l'alinéa  suivant. 


Voilà,  Monsieur,  mes  corrections  et  additions;  don- 
nez vous  tout  le  tems  de  faire  les  unes  avec  soin  et 
de  bien  mettre  les  autres  à  leur  place.  Je  ne  puis 
vous  cacher  que  si  vous  laissez  subsister  les  fautes  que 
je  vous  ai  indiquées  et  celles  qui  probablement  se  feront 
encore,  non  seulement  l'ouvrage  dont  vous  êtes  chargé 
fera  du  tort  à  l'auteur,  de  quoi  il  se  soucie  fort  peu, 
mais  nuira  infailliblement  à  l'Edition ,  chose  qui  m'in- 
téresse beaucoup  plus  quoiqu'elle  ne  regarde  que  vous, 
parce  que  je  ne  me  consolerois  jamais  d'avoir  fait  faire 
en  ma  vie  une  mauvaise  affaire  à  un  honnête  homme. 
Bonjour,  je  vous  embrasse.   J.  J.  Rousseau.    Ce  23  févr. 


12.    (■) 

Feuille  K,  page  139,  ligne  7,  repentirent  il  faut  res- 
sentirent ce  sont  deuxss  à  substituer  à  un  p.  Je  ne  vois 
pas  que  cela  puisse  se  corriger  à  la  plume,  ainsi  je 
vous  demande  un  cartou  pour  cela;  n'y  manque/  pas, 
je  vous  en  prie  (3),  c'est  la  seule  faute  dont  je  vous 
demande  la  correction  dans  ces  deux  feuilles. 


(i)    Le  passage  se  lit  en  effet  p.  334  o<  235  mais  an  lieu  de  ses  semblables 
il  y  ;i  son  semblable. 

(2)  Cette    lettre   avait   été  écrite   bot    deux  feuilles.    Je  n'ai  pas  trouvé  la 
première. 

(3)  Il  n'y  a  pas  manqué.     La  correction  se  trouve,  p.  1 4'.»  de  l'édition. 


11) 

Quoique  vous  me  rassuriez  sur  les  fautes  qui  restent 
dans  l'Edition,  et  dont  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  faille 
imputer  quelques  unes  au  manuscrit;  je  vous  avertis 
pour  la  dernière  fois  qu'il  y  en  a  sept  ou  huit  qui  exi- 
gent nécessairement  des  cartons ,  de  ce  nombre  est  celle- 
ci-dessus.  Je  vous  ai  envoyé  à  mesure  la  note  de  celles 
que  j'ai  observées.  Si  par  hasard  vous  aviez  égaré  ces 
errata  avec  mes  lettres,  vous  n'auriez  qu'à  me  le  mar- 
quer, et  je  tirerois  derechef  un  errata  des  fautes  essen- 
tielles pour  vous  l'envoyer. 

Je  suppose  que  le  Discours  est  fini  et  que  vous  êtes 
aux  notes ,  mais  je  dois  supposer  que  les  vignettes  ne 
sont  pas  gravées  puisque  vous  ne  m'en  avez  point  en- 
core envoyé  d'épreuve.  Pour  prévenir  une  faute  presque 
immanquable,  je  dois  vous  avertir  que  vers  la  fin  de 
la  note  8 ,  il  y  a  dans  un  endroit  ces  mots  tourbe 
Philosophesque.  Je  vous  prie  d'avoir  attention  que  l'im- 
primeur mette  ainsi,  et  non  pas  troupe  philosophique.  (') 

J'ai  en  effet  remarqué  plus  de  correction ,  à  la  ponc- 
tuation près ,  dans  les  trois  dernières  feuilles.  Mais  gare 
les  notes.  N'oubliez  pas  note  9  de  marquer  exactement 
l'endroit  du  frontispice,  et  dans  le  frontispice  de  coter 
la  page  où  est  cet  endroit. 

Quoique  nous  ne  soyons  pas  prés  de  la  fin,  je  dois 
vous  prévenir  de  deux  choses  ;  l'une  que  la  permission 
est  une  chose  essentielle  sans  laquelle  je  vous  prie,  à 
moins  que  vous  ne  vouliez  exposer  ma  personne,  de 
ne  point  introduire  mon  ouvrage  en  France.  Pour  avoir 
cette  permission,  vous  pouvez  agir  de  concert  avec 
M.  Pissot,  quant  à  moi  je  ne  ferois  qu'y  nuire  plustot 
que  d'y  servir,  et  il  convient  de  toute  manière  que  je 
ne  m'en  môle  pas. 

(')    Tourbe  philosophesque  se  lit  p,  261. 


20 

L'autre  est  qu'aussitôt  que  l'ouvrage  sera  achevé  d'im- 
primer, je  vous  prie  de  faire  toute  la  diligence  possible 
pour  en  faire  parvenir  par  la  plus  prompte  voye  autre 
que  la  poste,  vingt-cinq  de  mes  exemplaires  à  Genève 
à  l'adresse  de  M>.  Marc  Chappuis  négociant.  Vous 
sentez  qu'il  convient  que  ces  Exemplaires  soient  dis- 
tribués avant  la  publication  de  l'ouvrage.  Ils  doivent 
être  aussi  fort  corrects. 

Il  y  a  longtems  que  Mlle.  Le  Vasseur  vous  auroit  écrit 
pour  vous  remercier  de  votre  présent,  si  je  ne  lui  a  vois 
conseillé  d'attendre  encore  afin  de  vous  en  accuser  en 
même  tems  la  réception;  ainsi  ne  vous  en  prenez  qu'à 
moi  si  elle  tarde  si  longtems  à  s'acquitter  avec  vous  de 
son  devoir. 

Bonjour,  Monsieur,  bien  des  respects  à  Madame  votre 
Epouse.    Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 
Ce  6  Mars  1755. 

13. 

A  Paris,  le  20  Mars  175."'. 

Pour  commencer,  Monsieur,  par  l'article  de  ma  pré- 
cédente lettre  qui  vous  fait  de  la  peine,  tout  ce  que  je 
puis  et  dois  répondre  à  vos  observations ,  c'est  de  vous 
prier  de  la  regarder  comme  non  écritte  à  cet  égard   (1) 

Je  ne   vous  renvoyé  point  la  feuille  N.    c'est  à  dire 

(')  Probablement  l'article  qui  avait  fait  île  la  peine  à  Rey,  Be trouvait  dans 
la  partie  perdue  de  la  lettre  précédente.  On  ne  doit  pas  s'étonner  que  lù\  se 
sentit  quelquefois  blessé  de  l'amertume  des  réflexions  de  Rousseau.  Veut-on 
Bavoir  les  soins  qu'il  prenait  pour  éviter  des  fautes,  roici  ce  qu'il  écril  dans 
sa  réponse  à  la  lettre  du  28  Février,  dont  j'ai  trouvé  la  minute:  ./<  suis  mor- 
tifié <!<■  voir  que  malgré  tous  nos  soins  il  y  ait  encore  des  fautes;  lu 
feuille  que  je  vous  envoyé  «  été  lui'  pur  quatre  personnes  différentes:  peut- 
être  sera-t-elle  mieux,  je  le  souhaite. 


•n 

Pépreuve,  les  fautes  qui  s'y  trouvent  sont  si  légères 
que  ce  n'est  pas  la  peine  de  vous  en  faire  payer  le  port 
pour  cela.  Si  vous  donnez  au  reste  la  même  attention, 
ce  ne  sera  pas  non  plus  la  peine  de  m'en  envoyer  les 
('■preuves. 

Je  remarque  aussi  avec  plaisir  que  vous  avez  bien 
mis  mes  additions  à  leurs  places. 

Page  184,  à  la  fin  de  la  ligne  3,  ajoutez  un  point 
sur  la  virgule. 

Pages  188,  ligne  10,  189,  ligne  1,  et  190,  ligne  6, 
en  remontant ,  debout  est  un  seul  mot. 

Pag.   192,  ligne  2,  ne  font  jxis  lisez  ne  sont  pas. 

Voilà  tout.  Quand  vous  aurez  fait  tirer  cette  feuille 
N  renvoyez-la  moi,  je  vous  prie,  avec  les  autres. 

Le  cartouche  aux  armes  de  Genève,  n'est  pas  de  si 
bon  goût  que  celui  de  M.  Soubeiran.  Cette  grosse 
joufflue  de  Liberté  n'a  guéres  l'air  noble  et  fier,  et  les 
symboles  qui  l'environnent  sont  d'un  petit  genre.  La 
vignette  me  paroît  aussi  trop  grande  et  si  la  votre  ne 
faisoit  pas  une  espèce  de  contre-sens  avec  l'ouvrage,  je 
l'aimerois  bien  autant.  Faites  comme  vous  jugerez  à 
propos.  (') 

L'idée  de  l'errata  m'étoit  venue  depuis  longtems; 
mais  qui  est-ce  qui  regarde  un  errata?  Apres  tout; 
les  fautes  essentielles  se  bornent  jusqu'ici  à  sept  ou 
huit  dont  trois  ou  quatre  demandent  des  cartons  et  les 
autres  se  peuvent  aisément  corriger  à  la  main:  nous 
abandonnerons  le  reste  à  la  critique  des  sots. 

Je  n'ai  rien  de  plus  à  vous  dire  pour  aujourd'hui.  Mes 
complimens ,  je  vous  prie,  à  M.  l'Abbé  Yvon,  mes 
respects  à  Madame  Rey  et  recevez  mes  amitiés. 

.1.  .1.  Rousseau. 

lJ   Voyez  La  lettre  suivante 


22 


14. 

A  Paris,  le  23  Mars  1755. 

Quoique  je  n'aye  point  aujourd'hui,  Monsieur,  de 
réponse  à  vous  faire ,  je  crois  devoir  vous  dire  que  quand 
vous  enverrez  un  Exemplaire  à  Monsieur  de  Males- 
lierbes,  vous  devez  le  prier,  soit  qu'il  accorde  la  per- 
mission ,  comme  je  l'espère ,  soit  qu'il  la  refuse ,  de  ne 
point  laisser  sortir  cet  Exemplaire  de  ses  mains,  pré- 
caution également  utile  pour  votre  intérest  et  pour  ma 
sûreté  en  ce  qu'elle  ôtera  les  moyens  de  contrefaire 
l'édition  à  ceux  qui  pourroient  en  être  tentés.  Vous 
m'avez  marqué  que  personne  que  moi  seul  n'avoit  com- 
munication de  vos  feuilles ,  et  celles  que  vous  m'en- 
voyez ne  sont  sorties  ni  ne  sortiront  point  de  mes 
mains;  ainsi  nous  sommes  encore  parfaitement  les 
maîtres  de  l'ouvrage;  il  faut  faire  en  sorte  que  personne 
n'en  abuse.  Pour  cela  je  vous  conseille  de  distribuer 
votre  édition  de  telle  sorte  et  de  combiner  si  bien  le 
tems,  qu'elle  paroisse  partout  au  même  moment.  N'ou- 
bliez pas  l'Angleterre,  le  seul  pays  où,  selon  moi,  l'ou- 
vrage, s'il  est  bon,  sera  estimé  ce  qu'il  vaut.  Je 
crois  même  que  vous  ne  feriez  pas  mal  de  l'y  faire 
annoncer  dans  quelques  Papiers  publics. 

En  regardant  mieux  votre  vignette  de  la  liberté,  je 
nie  suis  raccommodé  avec  elle,  et  vous  me  ferez  plaisir 
de  l'employer.    (1) 

Si  j'écoutois  les  discours  qu'on  tienl  dans  ce  pays-ci, 
ils  seroient  propres  à  nfelTrayer;  niais  l'estime  que  je 
dois  au  gouvernement  sous  lequel  j'ai  l'honneur  de  vivre 

iM  On  ;i  renoncé  depuis  au  projet  d'orner  L'édition  de  quelque  vignette. 
Mai*  la  vignette  de  la  Liliertc  -a  été  employée  aprèa  pour  le  Contrat  Social. 
Voyez  La  Lettre  N°.  79. 


23 

suffit  pour  me  rassurer.  Mon  ouvrage  ne  contient  rien 
de  blâmable  en  quelque  pays  que  ce  soit,  et  l'on  res- 
pecte trop  en  France  le  droit  des  gens  pour  punir  un 
Etranger  d'avoir  soutenu  en  pays  étranger  les  maximes 
de  son  pays.  Au  surplus,  quoique  je  n'aye  aucun  droit  sur 
votre  Edition,  j'espère  que  vous  ne  la  répandrez  point  en 
France  sans  en  avoir  préalablement  obtenu  la  permission. 
Bonjour,  Monsieur,  je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur  et  suis  très  parfaitement,  Monsieur,  votre  très- 
humble   et  très-obéissant  serviteur 

J.  J.  Rousseau. 


15. 


M.  Chappuis  nie  marque,  Monsieur,  que  si  vous 
n'avez  point  de  voye  particulière  en  vue  pour  l'en- 
voy  de  mes  exemplaires  à  Genève,  il  faut,  sous  son 
adresse,  envoyer  le  pacquet  par  le  Chariot  de  Poste  à 
Francfort  où  vous  chargerez  un  de  vos  correspondans 
de  l'expédier  de  même  à  M.  Louis  Respinger  à  Basle, 
qui  le  lui  fera  parvenir  promptement.  Vous  ferez  s'il 
vous  plaît  le  pacquet  de  trente  exemplaires  au  lieu  de 
vingt  cinq. 

Vous  trouverez  ci-derrière  la  note  du  petit  nombre 
de  fautes  qui  doivent  être  corrigées  dans  le  texte,  soit 
à  la  main,  soit  avec  des  cartons.  Vous  pouvez  faire 
un  errata  des  autres  ('):  mais  il  vaudrait  encore  mieux 
les  laisser  tout-à-fait  que  de  négliger  la  correction  de 
celles  que  je  vous  indique.  (2) 

Je  ne  puis  me  charger  de  la  commission  que  vous  me 


(')  Il  n'y  a  pas  d'Errata  dans  L'Edition. 

i ."    Elles  ont  été  toutes  corrigées  par  des  cartons. 


-n 


donnez  auprès  de  M.   de  Malesherbes ,  parceque  je  me 

regarde  en  France   comme   un  homme  qui  n'a  rien  de 

commun  avec  l'ouvrage  que  vous  imprimez:  faites  à  cet 

égard  comme  si  je  n'existois  pas.     C'est  tout  ce  que  je 

puis   vous  dire.     Bonjour,   Monsieur,  je  vous  embrasse 

«le  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 
Le   10  Avril  1755. 

En  réfléchissant  à  ce  que  vous  m'avez  marqué,  je  ne 
puis  m'empêcher  de  vous  dire  qu'il  ne  me  paroît  pas 
(pie  vous  ayez  pris  la  bonne  voye  pour  obtenir  la  per- 
mission que  vous  demandez  :  ce  n'est  guères  l'usage  que 
le  Magistrat  les  accorde  par  écrit  ;  ainsi  je  doute  que 
vous  receviez  réponse:  c'étoit  par  un  tiers  qu'il  falloit 
la  faire  demander  (').  J'ai  du  regret  de  ne  pouvoir  me 
mêler  de  cette  affaire,  mais  je  ne  vous  crois  pas  assez 
injuste  pour  m'en  savoir  mauvais  gré. 


pageLXvm,l.  8,  des  uns,  ou  est 
11,  1.  3  en  rem.  conforme  j 

111,  1.  1,  amena 
Id.    1.  3,  naturelle 

112,  1.  1,  .•saccotittn/r, 
139,  1.  7,  repentirent 


lisez 


(/,  .s  uns  :  on  est. 
confuiut<'. 
amène, 
mutuelle, 
s 'accoutuma. 
\  ressent  in' nt. 


Rey  avait  eu  rai-un  de  s'adresser  directement  an  Président  de  la  Cour  dea 
Aides  chargé  de  la  Direction  de  la  Librairie.  La  réponse  qu'il  reçut  de  Males- 
herlies  en  date  du  2  Avril,  tout  en  n'accordant  pas  la  permission  définitive, 
••avant  que  d'avoir  vu  ce  Discours  eu  entier",  lui  donna  la  perspective  qu'i] 
pourrait  faire  entrer  ses  deux  ballots  (un  de  1500  et  un  de  2000  exemplaires), 
pourvu  qu'il  nommât  ceux  à  qui  il  comptait  les  adresser.  La  démarche  deRej 
lui  a  ouvert  de-  relations  avec  le  noble  défenseur  de  boni-  \\  I.  qui  ont  duré 
même   après  la   retraite    de   ce   célèbre   magistrat,     témoin   quelques    pièces 

-  i/t  Lamoignon  <U  Malesherbes,  un  billet  de  -a  main  sans  date,  el 
doux  lettres  autographes,  l'une  de  Paris  du  26  '.'  776,  L'autre  de  Ma- 

lesherbes du  7  (>cr.   L777. 


25 

10. 

A  Paris,  le  29  Mai  1755. 

N'entendant  plus,  Monsieur,  parler  de  mon  ouvrage 
et  ne  recevant  plus  de  vos  nouvelles,  trouvez  bon  que 
je  vous  donne  des  miennes  pour  la  dernière  fois. 

Quand  vous  vous  chargeâtes  de  mon  manuscrit,  vous 
savez  la  préférence  qu'une  espèce  d'engagement  anté- 
rieur me  fit  vous  donner  sur  M.  Bousquet  qui  m'en 
offrant  beaucoup  davantage  que  je  ne  vous  en  avois  de- 
mandé et  que  je  n'en  ai  receu  de  vous,  croyoit  faire  un 
très-bon  marché.  Vous  receûtes  ce  manuscrit  au  mois 
d'Octobre  et  promîtes  de  le  rendre  public  au  mois  de 
Janvier  au  plustard.  Vous  m'écrivîtes  aussi  sur  les  in- 
stantes prières  que  je  vous  avois  faites,  que  l'Edition 
seroit  sans  faute.  Au  bout  de  huit  mois ,  cet  ouvrage 
qui  devoit  être  prêt  en  six  semaines  est  encore  à  pa- 
raître, il  est  hérissé  de  fautes  de  Typographie,  et  après 
avoir  imprimé  le  texte  à  votre  mode,  vous  vous  êtes 
avisé  de  m'envoyer  des  épreuves  des  notes ,  c'est  à  dire 
de  la  partie  dont  je  me  souciois  le  moins.  Je  ne  vous 
parle  point  de  la  gasconnade  à  Mlle.  Le  Vasseur.  Votre 
lettre  l'avoit  mise  aux  champs;  je  l'ai  apaisée  par  une 
autre  robe  à  la  place  de  celle  que  vous  lui  annonciez  ; 
je  vous  sais,  quant  à  moi,  beaucoup  plus  de  gré  de  ne 
l'avoir  pas  envoyée  qu'elle  de  l'avoir  promise,  et  je  vous 
déclare  que  vous  l'enverriez  très-inutilement  parce  qu'as- 
surément elle  ne  seroit  pas  receue. 

A  la  suite  de  tout  cela,  il  est  arrivé  comme  je 
Pavois  prévu,  que  l'exemplaire  que  vous  aviez  envoyé  à 
M.  de  Malesherbes  a  couru  Paris,  le  bruit  en  est  venu 
jusqu'à  Genève,  on  y  est  persuadé  que  l'ouvrage  paroîl 
ici    et    l'on    s'indigne    avec  raison    qu'il    soit    offerl    aux 


26 

étrangers  avant  ceux  à  qui  il  est  dédié.  J'ai  écrit  là- 
dessus  à  M.  de  Malesherbes  qui  a  Lien  voulu  me  ren- 
voyer l'exemplaire  :  ainsi  quand  l'ouvrage  sera  public ,  je 
vous  charge  de  lui  en  renvoyer  aussitôt  un  des  miens, 
soit  qu'il  accorde  ou  non  la  permission;  car  j'ai  toujours 
peine  à  croire  qu'il  vous  la  donne  par  écrit.  Quoi  qu'il 
en  soit,  le  bruit  de  cette  édition  retenue  dans  votre 
magasin  ne  fait  pas  un  meilleur  effet  ici  qu'à  Genève: 
l'on  est  persuadé  que  l'ouvrage  s'est  trouvé  si  mauvais 
que  je  suis  occupé  à  le  raccommoder  et  le  retoucher  sans 
cesse.  Comme  cette  mauvaise  réputation  ne  nuira  qu'au 
débit  c'est  plus  votre  affaire  que  la  mienne.  Mais  ce 
qui  me  touche  c'est  la  mauvaise  opinion  que  mes  com- 
patriotes ont  de  mes  procédés,  et  le  votre  est  si  extra- 
ordinaire, que,  quoi  que  je  puisse  dire,  on  me  croira 
toujours  de  connivence  avec  vous.  Quelque  difficile  qu'il 
me  puisse  être  de  deviner  là-dessus  vos  raisons ,  je  vous 
avertis  que  je  suis  las  d'en  être  la  dupe.  Vous  ne 
l'êtes  pas  assez  pour  retenir  ainsi  toute  une  édition  si 
vous  ne  trouviez  mieux  votre  compte  à  la  supprimer 
qu'à  la  répandre:  mais  comme  je  ne  vous  ai  donné  moD 
manuscrit  que  pour  le  publier  et  que  vous  n'en  voulez 
rien  faire,  vous  ne  sauriez  trouver  mauvais  que  j'y 
pourvoye  d'une  autre  manière.  J'écrirai  demain  en  An- 
gleterre à  ce  sujet,  et  je  vous  préviens  que  si  votre 
édition  n'est  publique  à  Amsterdam  avant  le  pr.  de 
Juillet,  vous  en  verrez  paroître  une  à  Londres  lepr.  d'Août, 
car  il  n'y  a  point  d'imprimeur  qui  ne  fasse  aisément 
en  quatre  semaines  ce  que  vous  n'aurez  pu  faire  en 
huit  mois. 

Je  suis.   Monsieur,  votre  trés-humble  et  fcrés-obéis- 
sanl  serviteur 

.1.  .1.  Rousseau. 


27 

17. 

A  Paris,  le  19  Juin  1755. 

J'ai  receu,  Monsieur,  votre  lettre  du  5  de  ce  mois. 
Votre  apologie  m'a  fait  pitié  et  vos  reproches  m'ont 
fait  rire:  car  c'est  moi  sans  doute  que  vous  désignez 
par  ceux  qui  vous  contrecarrent  auprès  de  M.  de  Ma- 
lesherbes  et  de  qui  vous  ne  devriez  pas  l'attendre.  Mon 
cher  Monsieur  Rey,  tâchez  de  mettre  dans  vos  affaires 
un  peu  de  la  vivacité  que  vous  mettez  de  trop  dans 
vos  propos  et  tout  n'en  ira  que  mieux. 

M.  Pissot  dit  avoir  obtenu  de  M.  de  Malesherbes  une 
permission  pour  le  débit  de  cet  ouvrage;  ainsi  en  vous 
adressant  à  lui,  cette  difficulté  est  levée.  Il  se  fait 
fort  aussi  d'empêcher  qu'on  ne  l'imprime  ici,  et  quant 
à  lui,  j'espère  qu'il  aura  égard  à  la  déclaration  que  je 
lui  ai  faite  et  que  je  tiendrai  de  ne  le  voir  jamais  et 
de  ne  plus  faire  d'affaire  avec  lui  s'il  l'imprime  lui-même. 
Il  est  très  simple  que  M.  de  Malesherbes  n'accorde 
nommément  et  verbalement  la  permission  qu'à  un  li- 
braire de  ce  pays-ci ,  afin  de  pouvoir  tout  d'un  coup  ar- 
rêter le  débit  si  l'ouvrage  venoit  à  faire  un  mauvais  effet. 
Au  surplus  je  n'accepte  point  les  ménagemens  pour  ma 
personne  que  vous  me  faites  si  durement  valoir.  Je  vous 
ai  déjà  marqué  de  tenir  pour  nulle  la  prière  que  je  vous 
en  avois  faite  et  d'en  user  à  cet  égard  comme  si  je 
n'étois  pas  au  monde.  Ne  me  vantez  donc  plus  des  sa- 
crifices que  je  refuse. 

M.  le  syndic  Saladin  étant  venu  à  Paris,  je  lui  ai 
remis  à  son  départ  pour  être  présenté  au  conseil  l'Exem- 
plaire que  M.  de  Malesherbes  m'a  renvoyé.  Ce  qui  suffit 
de  ma  part  pour  vous  affranchir  désormais  de  toute  gène 
sur  Le  débit  de  votre  Edition. 


28 

Mon  cousin  Rousseau  de  Londres  m'a  écrit  depuis 
plusieurs  mois  qu'on  se  proposoit  de  traduire  mon  Dis- 
cours en  Anglois  et  me  demandoit  où  l'on  pouvoit  l'avoir. 
Je  ne  lui  ai  point  encore  répondu.  Je  lui  marquerai 
quand  la  traduction  sera  faite  de  me  l'envoyer  à  exa- 
miner et  la  retiendrai  suffisamment  pour  vous  faire 
gagner  tout  le  temps  nécessaire.  A  l'égard  de  l'édition 
de  Londres,  je  vois  de  reste  que  vous  n'avez  pas  été 
assez  simple  pour  en  prendre  l'alarme. 

Mille  respects  à  Madame  votre  Epouse,  je  pense  que 
vos  lettres  en  seroient  mieux  si  vous  les  lui  montriez 
avant  de  les  envoyer.  Dispute  à  part,  je  vous  embrasse- 
dé  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


II. 

LETTRES 

AYANT  RAPPORT   À  LA  PUBLICATION 

DE 

LA     LETTltE     À     d'à  L  E  M  B  E  B  T 

SUR    LES    THEATRES. 


Après  la  publication  du  Discours  sur  VinégaliU 
la  correspondance  est  interrompue  pendant  près 
de  trois  ans.  Dans  cet  intervalle }  Rousseau, 
habitant  l'Hermitage,  n'a  fait  imprimer  aucun 
ouvrage  séparément.  Il  travaillait  à  ses  Insti- 
tutions Politiques,  et  lorsqu'il  quitta  cette  de- 
meure le  15  Décembre  1757;  h  Nouvelle  Héloïse 
était  loin  d'être  achevée.  Cependant  peu  de  jours 
avant  son  départ  de  l'Hermitag'e  ayant  reçu  la 
visite  de  Rey,  il  lui  lut  une  partie  des  lettres 
de  Julie  ;  et  un  nouvel  engagement  pour  l'impres- 
sion de  ses  écrits  en  Hollande  fut  le  résultat  de 
cet  entretien.  La  partie  de  l'Encyclopédie  où  se 
trouve  l'article  Genève  venait  alors  de  paraître, 
mais  Rousseau  ne  la  reçut  qu'après  son  établis- 
sement à  Montmorency.  Dans  cet  article,  d'Alemr 
bert,  qui  en  était  l'auteur,  attaqua  les  Genevois 
particulièrement  sur  deux  points:   il  compromit 


30 

les  pasteurs  de  la  cité  de  Calvin  en  faisant  de 
leur  religion  un  soeinianisme  parfait  rejetant  tout 
ce  qu'on  appelle  mystère  révélé,  et  au  sujet  des 
théâtres  on  y  lisait  le  passag*e  suivant:  "On  ne 
"souffre  point  de  comédie  à  Genève  :  ce  n'est  pas 
"qu'on  y  désapprouve  les  spectacles  en  eux-mêmes, 
"mais  on  craint  le  goût  de  la  parure,  la  dissi- 
pation, le  libertinage  que  les  troupes  de  comé- 
"diens  apportent  avec  elles.  Cependant  ne  serait-il 
"pas  possible  de  remédier  à  cet  inconvénient  par 
"des  lois  sévères  et  bien  exécutées  sur  la  con- 
duite des  comédiens?  Par  ce  moyen,  Genève 
"aurait  des  sj)ectacles  et  conserverait  ses  mœurs  : 
"les  représentations  théâtrales  formeraient  le  g*oût 
"des  citoyens,  leur  donneraient  une  finesse  de 
"tact,  une  délicatesse  de  sentiments  qu'il  est  bien 
"difficile  d'acquérir  sans  ce  secours." — 

Ce  passage  était  évidemment  écrit  sous  les  in- 
spirations de  Voltaire,  qui  s'étant  fixé  en  1755 
à  Ferney  et  voulant  introduire  des  représenta- 
tions théâtrales  dans  les  murs  de  Genève,  ren- 
contra une  forte  opposition  de  la  part  des  amis 
des  anciennes  coutumes  de  la  République  dans 
le  Conseil  d'Etat  et  le  Consistoire.  Rousseau, 
ayant  lu  l'article ,  "indigné  —  comme  il  écrit  — 
"de  tout  ce  manège  de  séduction  dans  sa  patrie" 
ne  voulait  pas,  parceque  son  nom  se  trouvait 
parmi  ceux  des  auteurs  de  l'Encyclopédie  qu'on 
lui  imputât  d'autres  sentiments  que  les  siens. 
Dans  sa  Lettre  à  d'Alembert  il  désapprouve 
l'introduction   d'un  théâtre   de    comédie  au    sein 


31 

d'une  République  dont  la  sauvegarde  était,  à 
son  avis ,  la  dignité  personnelle  et  la  sévérité  des 
mœurs.  Le  titre  de  son  ouvrage  est  ainsi  conçu: 
"J.  J.  Rousseau  citoyen  de  Genève  à  M.  d'Alem- 
"bert,  de  l'Académie  Françoise,  de  l'Académie 
"Royale  des  Sciences  de  Paris,  de  celle  de  Prusse, 
"de  la  Société  Royale  de  Londres,  de  l'Acadé- 
"mie  Royale  des  Belles-Lettres  de  Suède,  et  de 
"l'Institut  de  Bologne,  sur  son  Article  Genève 
"dans  le  VIIrae  Volume  de  l'Encyclopédie,  et  par- 
ticulièrement sur  le  projet  d'établir  un  théâtre 
"de  Comédie  en  cette  ville.  —  DU  meliora  piis, 
"erroremque  hostibus  illum.  —  A  Amsterdam, 
"chez  Marc  Michel  Rey.  MDCCLVIII."  On  voit 
que  par  ce  titre  même  il  fait  valoir  sa  simple 
qualité  de  citoyen  de  Genève  contre  les  préten- 
tions d'un  membre  de  plusieurs  Académies,  et  tout 
en  exagérant  le  danger,  il  en  avertit  sa  patrie, 
en  prenant  pour  épigraphe  le  vers  de  Virgile, 
où,  après  avoir  indiqué  comment  le  vin,  au  lieu 
d'être  un  remède,  amène  les  dernières  horreurs 
de  la  peste,  le  poè'te  ajoute  cette  imprécation: 
"Dii  meliora  piis  erroremque  hostibus  illum." 
(Georg.  L.  III.  vs.  513.) 

La  Lettre  à  d'Alembert  eut  un  succès  im- 
mense, et  Voltaire  en  prit  occasion  pour  couvrir 
Rousseau  d'injures.  Ce  ne  fut  qu'en  1766  et  se- 
condé par  la  pression  de  la  Diplomatie  Française 
que  Voltaire  réussit  à  établir  le  premier  théâtre 
•à  Genève. 


32 
18. 

A    Montmorexci  le  9  Mars   1758. 

Je  suis  si  malade,  mon  cher  Rey,  que  je  ne  pourrai 
vous  écrire  une  longue  lettre,  et  qu'à  moins  d'un  mira- 
cle, je  ne  vous  écrirai  pas  longtemps  (').  C'est  vous 
dire  assez  qu'il  n'est  pas  question  de  voyage.  D'ailleurs, 
votre  proposition  m'eût  fort  convenu,  et  ne  doutez  pas 
que  si  Dieu  me  rendoit  la  santé,  je  n'allasse  avec  plaisir 
vivre  et  travailler  avec  vous. 

Mes  Principes  du  droit  de  la  guerre  ne  sont  point 
prêts.  Mais  j'ai  un  autre  ouvrage  qui  l'est,  que  je  vous 
offre  à  la  place,  et  qui  bien  que  plus  petit  de  Volume, 
vous  doit ,  à  mon  avis ,  convenir  encore  mieux.  Je  ne 
puis  pas,  mon  cher,  vous  en  dire  le  titre;  et  je  vous 
demanderai  même  le  plus  profond  secret  quand  vous  en 
serez  dépositaire.  Il  ne  me  convient  pas  non  plus  de 
faire  une  estimation  de  l'ouvrage.  Tout  ce  dont  je  puis 
vous  assurer  c'est  que  le  sujet  en  est  agréable,  et  que 
quoiqu'il  intéresse  notre  patrie  (2)  en  particulier  il  est  fait 
pour  plaire  à  tout  le  monde  et  pour  trouver  des  lecteurs 
dans  tous  les  états,  à  moins  qu'on  soit  rebuté  par  la 
faute  de  l'Auteur.  Vous  me  donnerez  trente  Louis  de 
mon  manuscrit,  et  comme  vous  ne  pouvez  l'imprimer 
qu'en  Juin,  vous  voudrez  bien  me  faire  d'avance  un 
mot  de  réponse  afin  que  je  prépare  une  copie  au  net  pour 
vous  être  livrée  en  Mai. 

A  l'égard  de  l'autre  manuscrit  ,  je  consens  à  le  garder 
jusqu'en  .Janvier  prochain.  Si  je  vis  encore  et  (pie  je 
sois  mieux,  j'irai  peut  être  y  veiller   moi-même.     Si  je, 

(t)    Au  commencement    'lu  dixième   Livre  ili's    Confessions  on    trouve  lea 
détails  de  .«n  position. 

(2)  Roy  était  natif  de  Genève. 


33 

ne  suis  plus,  comme  il  y  a  grande  apparence,  j'aurai 
soin  de  le  déposer  en  des  mains  qui  puissent  vous  le 
faire  passer,  et  par  la  môme  voye  vous  pourrez  recevoir 
aussi  la  collection  pour  une  édition  générale.  Par  quel- 
que voye  que  vous  me  répondiez,  ayez  soin  que  votre 
lettre  soit  plus  soigneusement  fermée  que  la  précédente, 
et  gardez-moi  le  secret  sur  le  manuscrit  que  je  vous 
offre.  Adieu,  mon  cher  Rey,  il  me  semble  que  je  re- 
grette un  peu  plus  la  vie,  depuis  que  vous  m'avez  donné 
Vidée  d'aller  la  passer  avec  vous.  Je  salue  votre  digne  et 
respectable  femme,  et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 
MIIe.  Le  Vasseur  vous  remercie  de  vos  bontés  et  vous 
assure  de  son  respect.    Sa  mère  est  à  Paris. 


19. 

A  Montmorenci  le   15  Avril   17")H. 

Je  ne  saurois  vous  dire,  mon  cher  Rey,  que  je  suis 
mieux  ;  au  contraire  mon  mal  fait  toujours  du  progrès . 
mais  je  m'accoutume  à  souffrir,  et  cela  revient  presque 
au  même;  je  n'ai  plus  besoin  de  remèdes,  mais  de  pa- 
tience jusqu'à  la  fin  de  ma  vie,  qui  vraisemblablement 
ne  doit  pas  être  fort  éloignée.  Votre  souvenir  et  votre 
amitié  sont  une  consolation  pour  moi,  et  puisque  vous 
vous  intéressez  à  mon  état  je  vous  en  donnerai  volon- 
tiers des  nouvelles  de  tems  en  tems. 

Mon  manuscrit  est  prêt(');  vous  le  ferez  retirer  quand 
il  vous  plaira,  ou  s'il  le  faut  absolument,  je  tâcherai 
de  le  porter  à  Paris.     Je  vous  prie  seulement  dans  l'un 

(*)    Il   avait  composé  la  Lettre  dans  l'espace  de  trois  semaines,  au  m 
Février,  pendant  un  hiver  assez  rude,  dans  un  donjon  ouvert,  qu'il  avait  au  bout 
du  jardin  où   était  son  habitation  m  Montmorency    [Conf,  L.  X.)   C'est  donc 
après  l'avoir  retouchée  ei  mise  au   nel  çrn'il  écrit:   "mon  manuscrit  est  prêt." 

;; 


et  l'autre  cas  de  m'avertir quelques  jours  à  l'avance,  afin 
que  je  le  relise  avant  de  le  donner.  Non  seulement 
vous  pourrez  me  nommer,  mais  mon  nom  y  sera  et 
en  fera  même  le  titre;  le  profond  secret  que  je  voua 
demande  est  seulement  jusqu'au  moment  de  la  publica- 
tion ,  et  cela ,  comme  vous  pourrez  voir  par  le  manu- 
scrit, par  les  raisons  les  plus  importantes  pour  l'ouvrage 
et  pour  l'auteur.  Je  vous  repète  (')  qu'il  sera  remis 
cacheté  à  votre  correspondant  sans  avoir  été  vu  que  de 
moi  seul,  je  souhaiterais  même  que  ce  correspondant 
fût  sûr  et  ne  fût  pas  françois  ;  j'exclus  surtout  nommé- 
ment Mrs.  Diderot  et  De  Leyre  (2).  Ne  m'écrivez  plus, 
non  plus ,  sous  le  pli  de  ce  dernier  ;  votre  correspondant  à 
Paris  peut  m'envoyer  vos  lettres  par  la  poste  AMontmorenci 
et  s'il  le  faut ,  vous  pouvez  nie  les  y  adresser  vous-même. 

Vous  m'avez  promis  d'imprimer  mon  ouvrage  dans 
le  mois  de  Juin;  je  n'imagine  pas  que  vous  me  fassiez 
traîner  comme  l'autre  fois;  mais  si  vous  me  manquiez 
de  parole,  vous  me  réduiriez  au  desespoir,  et  vous  por- 
teriez un  grand  préjudice  à  vous-même;  car  c'est  un 
ouvrage  du  moment  qui  ne  sera  plus  rien, 'donné  hors 
de  son  tems.  Je  vous  conjure  de  songer  à  cela  et  de 
vous  arranger  si  bien  qu'il  n'y  ait  plus  de  mauvaises 
excuses.    Je  n'ose  parler  de  la  correction;  j'en  tremble 

d'avance.    Ah!  si   j'avois  des  forces! Mais  c'est 

une  folie  d'y  penser  dans  l'état  où  je  suis.  Nous  ver- 
rons  le  printems   prochain ,   si  je  vis  encore. 

Adieu,  mon  cher,  mille  reinercîmens  et  respects  à 
Madame  Etey  et  recevez  ceux  de  M"'-.  Le  Vasseur.  Vous 
avez  des  ennemis  en  ce  pays-ci,  car  on  n'y  dit  pas  du 
bien  de   vous.     Cependant   si  je    vous   trouve   exact  et 


(i)  Il  semble  donc  qu'entre  la  précédente  el  celle-ci  .  il  3  ;i  une  lcftre  perdue. 
(2)  Voyez   sa  lettre  à   Deleyre  du  3  Oct.  1758. 


35 

franc  dans  tous  vos  procédés,  comme  je  l'espère,  tau t 
que  je  vous  conviendrai,  nous  ne  nous  quitterons  plus, 
en  dépit  d'eux;  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur 

J.  J.  Rousseau. 
20. 

A  Montmobenci  le   14  May  17")ft. 

Il  y  a  un  mois  que  je  vous  écrivis  pour  vous  donner 
de  mes  nouvelles,  comme  vous  aviez  paru  le  désirer, 
[tour  vous  dire  que  mon  manuscrit  étoit  prêt,  et  pour 
vous  prier  de  le  mire  retirer  de  manière  que  le  secret 
m'en  fût  gardé  jusqu'au  moment  de  la  publication.  Au 
surplus,  je  vous  disois  que  je  prétendois  si  peu  garder 
l'anonyme  que  mon  nom  commençoit  le  titre  même  de 
l'ouvrage.  Enfin  je  vous  exposois  la  raison  pour  la- 
quelle  je  désirois  que  pour  cette  fois  vous  me  tinssiez 
parole  et  que  cet  écrit  fût  imprimé  le  plus  promptement 
qu'il  se  pourroit  et  dans  le  mois  de  Juin  comme  vous 
me  l'aviez  promis.  Depuis  ce  tems  je  n'ai  point  en- 
tendu parler  de  vous,  d'où  je  conclus  ou  que  ma  lettre 
ne  vous  sera  pas  parvenue  ou  que  votre  réponse  est 
égarée,  car  de  supposer  que  vous  me  laissiez  dans  l'at- 
tente sans  pouvoir  disposer  de  mon  manuscrit,  c'est  ce 
qui  n'est  pas  imaginable  et  que  je  ne  saurais  penser  de 
vous.  Je  prends  donc  1©  parti  de  faire  mettre  pour 
plus  de  sûreté  cette  lettre  à  Paris  à  la  grande  Poste ,  et 
quant  à  votre  réponse,  vous  pouvez  l'adresser  à  Mon- 
sieur   Coindet  (')  chez  M.   Vernet  Banquier  rite  Michel- 

(')  On  connaît  le  portrait  que  l'auteur  dea  Confessions  a  donné  de  son  com- 
patriote Coindet,  jeune  homme  de  goût  qui  a  été  chargé  du  dessin  et  de  la 
gravure  des  planches  de  la  Nouvelle  Héloïse,  bon  garçon,  mais  qui  - 
nait  à  l'affût  de  tous  les  protecteurs  de  son  ami  Rousseau.  Parmi  les  quatre 
lettres  publiées  de  Rousseau  à  Coindet,  il  y  a  un  chef-d'œuvre  :  r'c>t  la  lettre 
de  Wootton   du  21   .Mars   1766. 

3 


36 

h'- Comte  n  Paria.  Après  avoir  attendu  le  temps  suf- 
fisant pour  que  cette  réponse  puisse  me  parvenir,  si  je 
n'en  reçois  point,  je  me  tiendrai  libre  de  tout  engage- 
ment avec  vous,  et  me  consolerai  du  tems  que  vous 
tn'avez  fait  perdre  en  le  sacrifiant  à  ma  parole  et  à  l'hon- 
nêteté. Adieu,  Monsieur,  je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

Depuis  ma  lettre  écrite,  j'ai  pris  d'autres  mesures 
pour  hâter  soit  avec  vous,  soit  avec  d'autres,  l'exécution 
d'un  ouvrage  dont  le  sujet  souffre  du  retard  de  sa  pu- 
blication. J'envoye  mon  manuscrit  en  Hollande,  et  il 
vous  sera  remis  par  la  même  personne  qui  vous  remettra 
cette  lettre;  vous  pouvez  le  garder  et  l'examiner  durant 
vingt-quatre  heures  au  bout  desquelles  vous  aurez  la 
bonté  de  le  rendre,  s'il  ne  vous  convient  pas,  enveloppé 
et  cacheté  comme  il  vous  sera  remis;  s'il  vous  convient, 
vous  en  remettrez  le  prix  à  la  même  personne ,  et  v<  >us 
garderez  l'ouvrage,  à  condition  de  ne  perdre  pas  un 
moment  pour  l'impression  et  la  publication  ;  soit  que 
vous  vous  en  accommodiez  ou  non ,  je  crois  parler  à 
un  honnête  homme  et  je  vous  demande  un  secret  in- 
violable sur  le  titre  et  le  contenu.  Adieu,  répondez- 
moi,  je  vous  prie,  par  la  même  voye. 


81. 

A  Montmorenci   le  .°>1  May  1758. 

Vous  m'avez  fait  faire  de  mauvais  sang,  mon  cher 
Kcy,  dans  un  tems  où  je  n'avois  pas  besoin  d'ajouter 
de  nouvelles  inquiétudes  à  nies  maux  et  à  mes  afflic- 
tions de  toute  espèce.    L'attente  et  l'incertitude  sont  les 


37 

fléaux  de  nia  vie,  la  pauvreté  n'est  rien  auprès  des 
peines  de  l'âme  et  j'aimerois  beaucoup  mieux  que  vous 
eussiez  été  moins  exact  à  me  payer  et  un  peu  plus 
à  m'écrira  Soyez  le  du  moins  à  l'exécution  de  vus 
promesses  et  dédommagez-moi  de  vos  lenteurs  passées 
par  votre  diligence  et  votre  attention  à  l'avenir. 

Je  n'ai  pas  dessein  de  vous  imposer  un  silence  qui 
vous  puisse  être  préjudiciable,  je  me  borne  sur  le  se- 
cret que  je  vous  ai  recommandé  à  deux  choses:  la  pre- 
mière que  vous  ne  le  rompiez  que  le  plus  tard  qu'il  se 
pourra  sans  nuire  à  vos  intérêts;  la  seconde  qu'avant 
d'écrire  soit  ici,  soit  à  Genève,  soit  à  vos  correspon- 
dans ,  vous  m'écriviez  à  moi  préalablement,  afin  que  je 
prenne  les  devants  auprès  de  M.  d'Alembert,  et  qu'il 
apprenne  de  moi  le  premier  que  j'ai  écrit  contre  lui, 
car  c'est  là  la  première  et  la  principale  raison  du  silence 
que  j'exige  de  vous.  Au  surplus  je  ne  m'oppose  point  à 
la  requête  que  vous  voulez  présenter  à  Genève  pourvu 
qu'elle  soit  en  votre  seul  nom ,  et  que  je  n'y  entre  pour 
rien.  Quant  à  M.  de  Malesherbes ,  je  doute  qu'il  ac- 
corde l'entrée  de  cet  ouvrage;  il  est  vrai  que  je  doutois 
aussi  pour  le  précédent  et  qu'il  l'a  accordée  contre  mon 
attente;  puissiez-vous  être  aussi  heureux  cette  fois. 

La  correction  de  l'ouvrage  que  vous  allez  imprimer 
m'importe  et  m'inquiète  plus  que  je  ne  saurois  vous 
dire.  11  m'est  impossible  quant  à  présent  d'aller  y  veiller; 
mais  il  ne  l'est  pas  que  vous  me  fassiez  parvenir  les 
épreuves  comme  ci-devant,  et  j'aurai  soin  de  vous  ren- 
voyer les  corrections  l'ordinaire  suivant  aussi  exacte- 
ment que  si  j'étois  à  Paris.  M.  Coindet  vous  enverra 
L'adresse  dont  il  faut  vous  servir  pour  cela ,  et  si  l'ouvrage 
est  en  train  avant  que  sa  lettre  vous  arrive,  vous  pour- 
rez eu  attendant  vous  servir  de  la  même  adresse  ci- 
devant  employée  de  M.  Dupin  de  Chenonceaux  fermier 


38 

général  du  Rot/,  à  Pilote!  des  fermes  à  Paris.  Quand 
même  les  épreuves  ne  pourraient  me  parvenir  à  tems, 
ou  que  vous  ne  pourriez  attendre  les  corrections  pour 
faire  tirer,  il  faudrait  toujours  m'envoyer  ces  mêmes 
épreuves  afin  qu'on  pût  du  moins  réparer  par  des  car- 
tons les  fautes  essentielles  qu'il  importe  le  plus  de  ne 
pas  laisser  passer.  Voici  en  attendant  quelques  clian- 
gemens  que  je  vous  prie  de  faire  sur  la  copie  avec 
toute  l'attention  possible.  Donnez-vous,  je  vous  en 
prie,  la  patience  de  les  faire  à  tête  reposée  et  de  bien 
vous  assurer  du  sens  auparavant;  car  s'il  y  en  avoil 
quelqu'un  que  vous  ne  comprissiez  pas  bien,  il  vau- 
drait mieux  l'omettre  que  le  faire  de  travers.  Lisez 
aussi  la  remarque  qui  est  à  la  fin  de  la  feuille  ('). 

Vous  n'oublierez  pas  que  vous  m'avez  promis  soixante 
exemplaires  dont  la  moitié  est  pour  Paris  et  l'autre  pour 
Genève.  S'il  ne  vous  est  pas  trop  onéreux  d'en  faire 
tirer  une  demi-douzaine  en  beau  papier,  vous  m'obli- 
gerez beaucoup. 

J'apprends  que  M.  Coindet  a  receu  la  lettre  de  change 
et  je  ne  doute  pas  qu'il  n'y  soit  fait  honneur,  ainsi  je 
vous  en  remercie  comme  d'une  chose  receùe,  et  l'on  a 
dû  vous  dire  en  vous  remettant  le  manuscrit  que  vous 
auriez  pu  ne  donner  de  l'argent  quïi  votre  commodité. 
Je  suis  fâché  qu'il  vous  en  ait  coûté  pour  le  port;  c'est 
encore  une  chose  que  je  n'exigeois  pas  et  ce  n'est  pas 
ma  faute  si  le  pacquet  ne  vous  est  pas  parvenu  tout 
à  l'ait  franc.  Adieu;  mes  amitiés  à  Madame  Rey.  Je 
compte  sur  vos  promesses;  souvenez-vous  que  ce  qui 
m'intéresse  le  plus  an  monde  est  actuellement  dans  vos 
mains. 


1 1 1  .li'  n'ai  |'a.-  trom  é  cetli    li 


39 


22. 


A  MoxTMOUENCi  le   17   Juin   1758. 

Je  receus  seulement  hier,  mon  cher  Rey,  votre  pae- 
quet  et  votre  lettre  du  6.  Ils  passent  par  les  mains 
d'une  femme,  et  les  retards  sont  inévitables  par  cette 
voye ,  à  cause  de  la  négligence  ordinaire  à  ce  sexe. 
D'ailleurs  on  s'est  plaint  de  la  grosseur  du  pacquet, 
et  vous  avez  eu  d'autant  plus  de  tort  d'y  mettre  votre 
Supplément,  (')  dont  pourtant  je  vous  remercie,  que 
naturellement  vous  deviez  supposer  qu'il  ne  m'étoit  pas 
inconnu.  Ne  vous  servez  donc  plus  de  cette  adresse, 
ou  faites  vos  pacquets  d'une  feuille  ou  deux  tout  au 
plus.  M.  Coindet  a  dû  vous  envoyer  d'autres  adresses 
entre  lesquelles  vous  pourrez  partager  vos  envois  afin 
que  personne  ne  soit  surchargé. 

Je  vois  que  vous  vous  faites  quelque  reproche  secret 
sur  mon  compte  et  la  peine  qu'il  paroit  vous  faire  me 
donne  meilleure  opinion  de  votre  caractère  que  si  vous 
n'aviez  eu  aucun  tort  avec  moi.  Mon  cher  Rey,  si  cet 
aveu  vous  coûte  je  ne  l'exige  pas  de  vous  et  ne  vous 
en  aimerai  pas  moins;  mais  jamais  homme  qui  versa 
son  cœur  dans  le  mien  ne  se  repentit  de  sa  droiture 
et  de  sa  franchise.  Hélas  !  que  mon  anie  trop  confiante 
n'en  peut-elle  dire  autant  des  autres. 

J'ai  bien  du  chagrin  que  mes  changemens  n'aient  pu 
arriver  à  tems  et  que  je  ne  puisse  revoir  vos  épreuves. 
Je  suis  assez  content  de  la  correction,  et  comme  il  faut 
être  juste,  je  me  fais  un  plaisir  de  vous  le  dire.  Je  vous 
prie  même  d'en  remercier  de  nia  part  celui  qui  revoii  nie 

I  '  •   Vbj  ez  la  note  2  à  la  lettre  suivant) 


40 

feuilles;  il  a  de  l'intelligence  et  de  l'attention.  11  va 
pourtant  des  petits  points  ajoutés  après  certains  mots 
aux  pages  27  et  48.  Je  vois  bien  pourquoi  on  les  a 
mis,  surtout  ces  derniers,  mais  je  ne  les  aime  pas,  (') 
et  je  vous  prie  qu'on  n'en  mette  plus ,  si  ce  n'est  qu'on 
les  trouve  dans  la  copie;  je  trouve  aussi  les  virgules 
trop  multipliées,  il  ne  faut  pas  dans  la  même  phrase 
marquer  des  mêmes  signes  des  divisions  différentes;  cela 
I  nouille  tout  à  fait  le  sens. 

Vous  me  parlez  de  recommencer  tout  de  nouveau, 
comme  si  vous  ignoriez  combien  je  crains  de  vous  con- 
stituer en  frais.  Ne  parlons  plus  de  choses  impossibles. 
Je  me  passerai  d'épreuves ,  puisqu'il  le  faut ,  excepté 
seulement  la  Préface  dont  il  faut  m' envoyer  une  épreuve 
absolument,  parce  qu'il  y  a  des  changemens  indispen- 
sables que  je  ne  saurois  l'aire  sans  cela,  n'en  ayant 
pas  une  copie  exacte.  Faites  donc  composer  cette  pré- 
face d'avance,  je  vous  prie,  afin  que  j'aye  le  teins  de 
la  revoir  a  mon  aise  sans  causer  de  retard  à  l'exécu- 
tion du  reste. 

J'espère  que  vous  serez  à  tems  d'employer  ce  que  je 
vous  envoyé,  et  surtout  la  note  latine  que  je  voudrais 
bien  voir  à  sa  place  (2).  A  l'égard  des  autres  chan- 
gemens et  additions,  vous  pourrez,  comme  vous  le  pro- 
posez, en  faire  une  espèce  d'errata  à  la  lin  de  l'ouvrage, 
en  disant  par  un  avis  en  votre  nom,  qu'ayant  receu 
ces  additions    et  changemens    trop  tard  pour  être    em- 


;'i   Pag.  27.  "Le  Théâtre  rend  lu  vertu  aimable...  Il  opère  un  grand 
prodige   défaire  ci    '/ne   In    nature   et  lu    raison  finit  avant   lui!     Les 

médians  sont   hais  sur  lu  .•«■eue...  Sont-ils  aimés  dans  lu   S 

l'iuj.  is.  Non...  je  le  soutiens."  On  ;i  reproduit  les  pointa  dans  les  éditions 
ultérieures. 

i  )    Bile    se  trouve  pag.    828.    i  V-t  i;i  traduction   latine   'l'un 
Platon  'le   ll,r     /.il,    III 


41 

ployés  dans  le  texte ,  vous  croyez  faire  plaisir  à  l'auteur 
et  au  public  de  les  placer  à  la  fin  ('). 

Si  M.  de  Maleslierbes  vous  refusoit  l'entrée  de  cet 
ouvrage,  vous  seriez  bien  injuste  de  vous  en  prendre  à 
moi  après  la  conversation  que  nous  avons  eiie  là-dessus 
cet  hiver  à  FHermitage  (2) :  mais  après  tout,  excepté  la 
note  b  page  6  (3)  que  j'aurois  adoucie  par  égard  pour 
vous  si  j'avois  eu  les  épreuves,  cet  ouvrage  n'est  point 
comparable  en  hardiesse  au  précédent ,  tout  au  plus 
on  pourra  exiger  de  vous  quelque  cartons,  et  autant 
que  mes  sentimens  et  la  matière  le  pourront  souffrir 
vous  me  trouverez  toujours  prêt  à  consentir  à  tout  ce 
qui  favorisera  vos  intérêts.  Au  reste  on  sera  toujours 
à  tems  de  recourir  à  cet  expédient  si  l'on  y  est  forcé, 
il  n'est  point  à  propos  d'en  parler  d'avance. 

J*ai  receu  bien  exactement  l'argent  de  votre  lettre 
de  change.  Il  est  très  sûr  que  vous  étiez  le  maitre  de 
rassembler  cet  argent  à  votre  commodité,  et  que  cela 
étoit  spécifié  dans  la  lettre  au  correspondant  qui  vous 
remit  le  MSc.  Le  terme  des  vingt-quatre  heures  tom- 
boit  seulement  sur  la  nécessité  de  vous  déterminer, 
et  vous  conviendrez  qu'il  n'y  avoit  rien  là  que  de  rai- 
sonnable et  d'honnête. 

Adieu,  recevez  les  remercîmens  et  respects  de 
M11.6   Le  Vasseur,   et  assurez  des   miens  Madame  Rey. 

(!)  C'est  ec  qu'il  a  fait.  Les  additions,  qu'on  a  fait  entrer  depuis  dans  le 
texte  même ,  sont  précédées  dans  l'édition  originale  de  l'avis  suivant  : 
" Mr.  Rousseau  m' ayant  adressé  les  corrections  et  les  additions  suivantes 
pour  être  placées  en  leur  lieu  ,  je  n'ai  pu  les  y  faire  entrer,  ces  feuilles 
étant  déjà  toutes  imprimées.  Je  crois  faire  plaisir  au  public  et  remplir 
les  vues  de  V Auteur  en  les  ajoutant  à  la  fin  de  son  ouvrage.  A  Am- 
sterdam le  15  Juillet  1758." 

(2)  La  conversation  à  l'Hermitage  doit  avoir  eu  rapport  à  l'entrée  de  ses 
ouvrages  en   France  en  général. 

P)  C'est  la  note  qui  commence  ainsi;  ••//  Jàut  se  ressouvenir  que  j'ai  a 
répondre  à  an   Auteur  oui   n'est  pas  Protestant." 


A  2 

Permettez  moi  de  vous  recommander  derechef  la  plus 
sévère  exactitude.  Si  vous  saviez  combien  il  m'im- 
porte que  cet  ouvrage  soit  correctement  imprimé, 
j'espère  de  votre  bon  cœur  que  vous  ne  regretteriez  pas 
la  peine  que  vous  prendrez  pour  cela. 


23. 


A  Montmorenci,  le  21  Juin   175S. 

J'ai  receu,  Monsieur,  vos  cinq  premières  feuilles,  et 
je  suppose  que  F  et  G  seront  arrivées  par  le  Courrier 
d'avant-hier,  mais  elles  ne  me  sont  pas  encore  parve- 
nues. Je  continue  à  être  content  de  la  correction , 
cependant  la  dernière  me  paroit  un  j)eu  moins  bien, 
et  je  voudrois  fort  que  vous  ne  vous  négligeassiez  pas 
en  avançant. 

Je  vous  envoyé  un  changement  pour  la  fin  de  la 
préface  que  je  vous  prie  de  substituer  à  celle  qui  y 
est.  Comme  je  n'en  ai  pas  une  copie  exacte  ni  exacte- 
ment cotée,  je  ne  sais  pas  bien  la  page  et  l'alinéa 
où  ce  changement  se  rapporte;  tout  ce  que  je  sais  c'est 
que  cet  alinéa  qu'il  faut  supprimer,  ainsi  que  tout  ce 
qui  suit,  commence  par  les  mêmes  mots  que  ce  que 
je  vous  envoyé  pour  y  être  substitué.  La  difficulté  des 
envois  me  fait  renoncer  à  l'épreuve  même  de  la  pré- 
face. J'espère  mon  cher  Rey,  que  je  ne  me  repentirai 
pas  de  cette  confiance.  Vous  ave/  trop  de  jugement 
pour  ne  pas  sentir  combien  il  m'importe  que  ce  mor- 
ceau soit  de  la  dernière  correction.  J'aimerois  mieux 
qu'il  y  eut  cent  fautes  dans  l'ouvrage  q'une  seule  dans 
la  préface.  J'attends  <I<mic  de  votre  amitié  pour  moi 
que  vous  voudrez  bien  y  donner  toute  votre  attention. 


4:; 

Votre  correction  de  tort  pour  tour  est  très-bien  ('), 
et  je  vous  en  remercie.  Je  vous  en  remercierais  de 
meilleur  cœur  encore  si  je  ne  craignois  de  vous  encou- 
rager à  en  faire  d'autres.  Pour  Dieu,  laissez  plustôt 
ce  qui  est  mal  dans  le  manuscrit,  car  vous  pourriez 
y  substituer  quelque  mieux  qui  me  désoleroit. 

Vous  trouverez  une  autre  addition  derrière  la  feuille 
ci-jointe  que  vous  pourrez  insérer  dans  son  rang  parmi 
celles    dont  vous   ferez  la  note  à  la  fin  de  l'ouvrage; 

à  moins  que  vous  ne  soyez   encore  à  tems je 

ne  sais  ce  que  je  dis,  j'ai  déjà  la  feuille. 

Je  vous  réitère  la  prière  de  ne  plus  m'envoyer  de 
pacquets  par  la  voye  de  M.  de  Chenonceaux.  La  gros- 
seur du  premier  nous  a  ôté  cette  ressource.  Puisque 
ce  ne  sont  point  des  épreuves,  ces  envois  ne  sont  plus 
si  pressés.  J'aime  mieux  que  vous  attendiez  quelque 
occasion  favorable  et  les  recevoir  plus  tard,  que  d'im- 
portuner les  gens. 

Je  n'ai  point  encore  écrit  à  M.  d'Alembert,  en  lui 
écrivant ,  je  ne  manquerai  pas  de  lui  parler  de  vous. 

Je  connoissois  le  Supplément  aux  Journaux  que  vous 
m'avez  envoyé,  et  j'en  avois  déjà  dit  mon  avis  à 
l'Auteur.  Hors  un  ton  de  satyre  que  je  n'aime  pas,  j'y 
trouve  du  jugement  et  le  style  en  est  plein  de  chaleur; 
mais  il  est  inutile  d'en  parler  plus  au  long,  l'auteur 
occupe  une  place  qui  ne  saurait  se  concilier  avec  la 
continuation  de  cet  ouvrage.  J'ai  peur  que  vous  n'ayez 
de  la  peine  à  le  remplacer  {-). 

(')  Probablement  dans  le  passage  qui  se  trouve  pag.  CO:  "le  tort  tic 
Molière  n'est  pas  d'avoir  fait  du  Misanthrope  un  homme  colère  et  bilieux, 
mais  de  lui  avoir  donné  des  fureurs  puériles." 

{")  Au  sujet  du  Supplément  aux  Journaux  voici  l'extrai<  d'une  Lettre 
écrite  àRey  eu  date  du  28  Sept.  L758:  J'ai  lu  votre  Supplément.  Me  per- 
mettez-vous di  vous  dire  librement  ce  (pie  feu  pen.tr.'  il  y  a  tir  l'esprit 
par-ci  pur  la,  mais  sur  le   tout   c'est    un  mauvais  ouvrage,  et  qui  s'il 


44 

Adieu,  mon  cher  Rey,  je  ne  saurois  vous  dire  com- 
bien je  suis  charmé  de  n'avoir  point  à  me  plaindre, 
et  à  vous  inquiéter.  Au  reste  il  y  aura  désormais  de 
la  générosité  à  vous  de  bien  mire  en  ce  point,  car 
fissiez  vous  mal,  j'ai  résolu  de  ne  plus  me  fâcher  de 
rien.  Si  vous  aviez  quelque  chose  de  pressé  à  me  dire, 
il  n'y  a  point  d'inconvénient  que  vous  m'écriviez  direc- 
tement par  la  poste. 


24. 

A  Moxtmokenci  le  23  Juin  1758. 

Je  recuis  à  l'instant,  mon  cher  Rey,  avec  votre  lettre 
du  15,  la  fin  de  la  préface,  le  carton  et  la  dernière 
feuille ,  le  tout  en  épreuve  que  je  vous  renvoyé  corrigée, 
excepté  le  dernier  feuillet  de  la  préface  qui  est  bien. 
L'errata  ne  contient  pas  le  quart  de  ce  qu'il  devroit 
avoir.    Mais  il  faudroit  tout  relire,  et  je  n'en  ai  ni  le 


continuait  sur  ce  ton  là  pourvoit  vous  attirer  des  affaires  désagréables. 
Une  critique  tranchante,  injuste ,  sans  ménagement,  l'impiété  répan- 
due à  pleines  mains,  un  acharnement  général  contre  tout  le  monde;... 
en  vérité  l'Auteur  n'y  pense  pu-.  Surtout  il  est  bien  étrange  que  dans 
une  fueille  qui  doit  servir  comme  de  supplément  au  Journal  dis  Savons 
et  aux  mémoires  de  Trévoux  il  décrie  ces  deux  ouvrages  comme  étant 
tout  ce  qu'il  y  a  île  plus  mauvais.  Croit-il  que  vous  êtes  intéressé  à  faire 
tomber  des  ouvrages  périodiques  que  vous  imprimez  vous-même?  En  vé- 
rité cela  est  de  bien  mauvais  sens.  En  vous  procurant  un  petit  profit, 
il  vous  coupe  la  gorge  in  effet.  Ce  rCest  j>as  léi  ce  que  cous  demandiez. 
Fous  désiriez  sans  doute  une  critique  sage  et  mesurée  de  ces  deux  jour- 
naux (et    assuré/ut  ni    toi  pourroit  in  faire  une  telle)  et  ensuite  quelques 

anecdotes  de  Littérature  oui  ne  s'y  trouvent  point.  Mois  l'Auteur  a 
paru  ne  couloir  sacrifier  qu'à  soi  envie  et  à  son  goût  pour  le  persif- 
flage."  —  La  Letti  e  I  d'un  personnage  qui,  Bans  être  auteur,  n'a  pas  été 
pour  rien  dans  le  mouvemenl  littéraire  de  son  temps,  el  qu'il  l'an. Irait  faire 
connaître  s'il  s'agissait  de  l'histoire  de  la  Librairie  en  Hollande  au  dix-huitième 
siècle. 


45 

teins,  ni  le  courage.  Je  suis  convaincu  que  vous  avez 
fait  de  votre  mieux,  et  c'est  assez  pour  que  je  sois 
content.  La  seule  faute  qui  me  tient  encore  au  cœur 
est  sont  pour  sent  de  la  page  155:  elle  est  corrigée  dans 
l'errata;  mais  je  vous  avoue  que  je  voudrais  bien  qu'elle 
pût  l'être  dans  le  texte  (1). 

M.  d'Alembert  m'a  fait  dire  que  M.  de  Malesherbes 
lui  avoit  envoyé  les  feuilles  pour  lui  demander  son  avis 
et  que  vous  auriez  la  permission,  ainsi  je  tiens  cette 
affaire  faite. 

Vous  me  dites  que  vos  envois  pour  Genève  et  Paris 
partiront  le  premier  d'Août;  j'ai  peine  à  croire  qu'ils 
soient  prêts  pour  ce  tems-là.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  vous 
prie  de  joindre  au  premier,  vingt-cinq  de  mes  exem- 
plaires, dont  un  en  beau  papier,  sur  le  titre  duquel, 
afin  qu'il  ne  puisse  être  changé,  vous  écrirez  Pour  la 
Bibliothèque  de  Genève.  Vous  adresserez  le  tout  à 
M.  le  ministre  Vernes. 

Les  35  autres  exemplaires,  vous  les  joindrez,  s'il 
vous  plaît  sous  mon  adresse,  à  votre  envoi  pour  Paris. 
(Je  vous  prie  qu'ils  soient  brochés.)  Vous  aurez  la 
bonté  de  me  marquer  le  nom  et  l'adresse  de  votre 
correspondant  et  le  tems  à  peu  près  de  l'arrivée,  afin 
que  je  les  fasse  retirer  chez  lui  par  notre  messager. 

Je  ne  suis  pas  assez  fou  pour  exiger  une  édition  sans 
faute,  je  n'en  sache  point  de  telle;  mais  je  voudrais 
qu'on  ne  corrigeât  pas  mes  fautes  à  moi,  sans  savoir 
s'il  me  convient  qu'elles  soient  corrigées,  ce  qui  n'em- 
pêche pas ,  comme  je  vous  le  répète  de  bon  cœur,  qu'à 
tout  prendre,  je  ne  sois  fort  content,  surtout  de  votre 
complaisance  et  de  votre  bonne  volonté.  Quant  à  ce 
que  vous  me  marquez  que  vous  renoncez  à  l'édition  de 

(')  "Elle  l'est  an  moyen  'l'un  carton 


4(1 

mes  écrits  (qui  no  sont  pas  mes  œuvres)  à  moins  que 
je  n'aille  les  corriger,  j'ai  pris  cela  dans  le  sens  obli- 
geant. Mais  cette  Edition  n'est  pas  maintenant  celle 
qui  me  tient  le  plus  au  cœur.  Commençons  par  nous 
débarrasser   de  celle-ci  avant  de  parler  d'une  autre. 

J'attends  encore  la  feuille  de  l'épreuve  que  je  vous 
renvoyé,  et  celle  de  la  préface  quand  elle  sera  tirée. 
N'oubliez  pas  surtout  l'exemplaire  par  la  poste  à 
M.  d'Alembert,  ce  qui  réduira  à  34  l'envoy  de  Paris. 
Bonjour,  mon  cher  Rey,  je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 


25. 


A  Montmorknci  le  28  Juin  1758. 

Je  reçois  à  l'instant  avec  la  feuille  K  votre  lettre 
du  22  par  laquelle  vous  me  marquez  n'en  avoir  pas 
receu  des  miennes  depuis  celle  en  date  du  6.  Je  vous 
en  ai  pourtant  écrit  plusieurs  depuis;  dans  l'une  je 
vous  envoyois  une  note  latine  pour  être  ajoutée  à  la 
page  136  du  MSc.  (')  dans  une  autre  j'avois  joint  une 
lin  de  préface  à  substituer  à  celle  que  vous  avez  (2). 
Si  vous  n'avez  pas  receu  ces  lettres ,  suspendez ,  et 
marquez-le  moi,  afin  que  je  vous  renvoyé  ces  change- 
mens  et  additions,  surtout  par  raport  à  la  préface  qu'il 
ne  faut  absolument  point  imprimer  telle  que  je  vous 
l'avois  d'abord  envoyée. 

J'étois  content  de  la  correction  de  vos  premières 
feuilles;  il  n'en  est  pas  de  même  des  dernières;  les 
fautes  vont  en  augmentant  et   si  ce   progrès  continue. 


(i)  C'e8l  la  lettre  du  I .'  Juin  que  I r<-\   n'avail  reçue  que  le  '!'■'■■ 
m  i  'est  lu  lettre  'lu  21  Juin  que  Ro\   ne  pouvait  avoir  le  22. 


47 

la  fin  de  l'ouvrage  ne  sera  pas  reconnoissable.  Eu  voici 
quelques  unes  qui  peuvent  se  corriger  à  la  plume  ou  au 
canif;  et  une  pour  laquelle  il  faut  absolument  un  carton. 

Feuille  C,  pag.  42,  ligne  6  qrand-maitre.  Effacez  le 
tiret  avec  un   canif  (*). 

Feuille  H,  page  114  pénultième  ligne.  Changez  le 
premiers/s  en  point.  Cette  correction  est  indispensable 
par  plusieurs  raisons  que  je  n'ai  pas  le  tems  de  détailler, 
et  comme  il  n'est  pas  possible  d'espérer  que  vous  ayez 
la  patience  de  faire  ce  changement  à  la  plume ,  et  qu'un 
errata  ne  suffit  pas,  je  vous  demande  ici  un  carton, 
avec  cette  ligne  ainsi  rétablie 

nous  fera  point  de  mal,  si  plus  rien  ne  nous  (2). 

Feuille  K,  p.  150,  ligne  3,  celle  ajoutez  une  s  celles 
car  ce  pronom  ne  se  rapporte  pas  au  mot  vie,  mais  au 
mot  mœurs  (3). 

Page  suivante  151,  ligne  7  en  remontant  Ces  pour- 
quoi, il  faut  Tes  pourquoi;  changez  donc  le  C  majus- 
cule en  un  T. 

Les  deux  dernières  corrections  peuvent  se  faire  aisé- 
ment à  la  plume  (4). 

P.  156,  ligne  2,  est  coupable,  est  dépravée,  il  faut 
est  coupable  et  dépravée.  Il  suffit  de  mettre  cette  der- 
nière correction  en  errata  (s). 

J'ai  souligné  les  mots  du  texte  non  pas  pour  les 
mettre  en  Italique  mais  pour  les  distinguer  de  ce  que 
je  vous  écris. 

(')  La  correction  est  marquée  dans  l' Errata  à  la  fin  du  volume. 

(2)  Le  carton  a  été  accordé. 

(3)  La  correction  est  dans  l'Errata. 

(■*)  On  voit  que  Rey  n'aimait  pas  les  corrections  à  la  plume.  Il  a  marqué 
la  dernière  aussi  dans  l'Errata. 

(5)  Il  a  donné  un  carton,  parceque  la  faute  suivante  que  l'auteur  indique, 
-c  trouvant  p.  155,  les  deux  corrections  on I  pu  être  faites  en  réimprimant  le 
même  feuillet. 


4  s 

Page  précédente  155,  ligne  10  de  la  note,  qui  ne 
sont  il  faut,  qui  ne  sent;  ce  contresens  est  insuppor- 
table, à  l'aide  d'un  trait  de  plume  et  d'un  petit  coup 
de  canif  j'ai  facilement  changé  cet  o  en  e  sur  ma  feuille, 
si  vous  n'aviez  pas  la  patience  d'en  foire  autant  à  toutes, 
il  faudroit  encore  un  carton  ('). 

Je  me  borne  à  ce  petit  nombre  de  corrections ,  parce 
que  ce  sont  celles  que  j'ai  le  plus  à  cœur,  et  que  j'es- 
père que  vous  voudrez  bien  y  faire  attention. 

Adieu,  mon  cher  Monsieur,  si  vous  avez  receu  mes 
lettres,  accusez  m'en  au  plustôt  la  réception,  je  vous 
prie,  afin  de  me  tirer  d'inquiétude.  Si  vous  ne  les  avez 
pas  receùes,  marquez-le  moi  promptement  afin  que 
j'y  supplée  sans  délai.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 

J'oubliois  de  vous  dire  que  j'ai  écrit  à  M.  d'Alem- 
bert  et  que  je  lui  ai  parlé  de  vous  selon  votre  intention. 
Il  doit  être  content  de  ce  que  je  lui  ai  dit  en  votre 
nom  (2). 

Je  vous  ai  marqué  dans  mes  précédentes  de  ne  pins 
m'envoyer  vos  pacquets  à  l'adresse  de  M.  de  Chenon- 
ceaux  ;  je  vous  en  réitère  la  prière.  11  vaut  mieux 
suspendre  vos  envois  jusqu'à  d'autres  occasions.  Quant 
à  vos  lettres  vous  pouvez  les  adresser  à  M.  Coindel 
ou  à  moi  en  droiture. 


(•)  Le  carton  y  est. 

(2)  Rousseau  avait  écril  à  d'Alemberi  trois  jours  auparavant.  Cette  lettre, 
datée  du  25  Juin  1758  esl  imprimée  dans  le  recueil  de  m>s  ouvrages.  11  n'y 
a  pas  un  seul  mot  au  sujel  de  Rey.  Peut-être  était-ce  dans  an  post-scriptum 
qu'on  n'a  pas  jugé  a  propos  de  publier. 


49 
26. 

A  Montmorency,    le  5  Juillet  1758. 

Ne  recevant  plus  rien  de  vous ,  mon  cher  Rey,  j'en 
conclus  que  vous  avez  enfin  receu  les  lettres  par  les- 
quelles je  vous  marquois  de  ne  plus  m'envoyer  de 
feuilles  à  l'adresse  de  M.  de  Clienonceaux  ;  mais  cela 
ne  devroit  pas  pourtant  vous  empêcher  de  m'écrire. 

Ne  manquez  pas  ,  je  vous  prie ,  aussitôt  que  l'ouvrage 
sera  fini  et  avant  la  publication,  d'envoyer  par  la  poste 
un  de  mes  exemplaires  à  M.  d'Alembert,  et  de  l'adres- 
ser à  M.  de  Malesherbes,  qu'il  en  a  prévenu,  et  qui 
le  lui  fera  remettre. 

Je  voudrois  bien  que  vous  pussiez  trouver  quelque 
voye  sûre  pour  en  faire  tenir  un  autre  exemplaire  à 
M.  de  St.  Lambert ' ,  chez  Made.  de  St.  Lambert  à  Nancy. 
Je  voudrois,  s'il  étoit  possible,  que  cet  exemplaire  lui 
arrivât  franc  de  port,  et  que  vous  me  donnassiez  avis 
de  ce  que  ce  port  auroit  coûté,  afin  que  je  vous  le  fisse 
rembourser,  enfin,  je  voudrois  que  vous  prissiez  la 
peine  de  donner  avis  à  M.  de  St.  Lambert  de  cet  envoi 
que  vous  lui  faites  de  ma  part,  afin  qu'il  le  fît  retirer. 
Tout  cela  suppose  quelque  occasion  pour  cet  envoi, 
si  vous  n'avez  nulle  relation  avec  Nancy,  j'attendrai 
que  M.  de  St.  Lambert  revienne,  ou  je  lui  enverrai 
cet  écrit  d'ici  (1). 

Ne  recevant  plus  de  feuilles  ni  de  lettres,  je  n'ai  plus 
rien  à  vous  dire  sinon  que  j'attends  de  vos  nouvelles, 
et  que  j'espère  que  vous  aurez  fait  attention  aux  chan- 

(')  C'est  ce  qu'il  a  fait.  Il  écrit  au  Xm'  livre  des  Confessions:  "Si  tôt  que 
mon  ouvrage  fut  imprimé  et  que  f  en  eus  de.?  exemplaires  j'en   envoyai 

un  à  St.  Lambert.''   On  se  rappelle  ce  qui  s'est  passé  entre  l'auteur  et  St.  Lam- 
bert au  -Mijot   île  cet  envoi. 

I 


50 

gemens  et  corrections  que  je  vous  ai  envoyés.  N'oubliez 
pas  le  carton  p.  114,  et  par  occasion  ayez  soin  d'ajouter 
dans  cette  même  page,  ligne  3,  une  virgule  après  le 
mot  bons,  (*). 

Je  vous  recommande  aussi  Yo  à  changer  en  e  p.  155, 
lio-ne  10  de  la  note  (2).  Si  vous  n'avez  pas  la  patience 
ou  le  tems  de  faire  les  cliangemens  indiqués  sur  tous 
les  exemplaires ,  faites-les  au  moins  sur  ceux  que  vous 
destinerez  pour  Paris  et  pour  Genève,  encore  pouvez- 
vous  vous  en  dispenser  pour  les  miens;  je  les  y  ferai 
moi-même  ouïes  y  ferai  faire.  J'ai  regret  à  votre  peine; 
je  la  voudrois  épargner;  mais  quand  on  n*est  pas  déjà 
trop  beau,  il  est  bien  triste  d'être  encore  défiguré. 

Adieu,  mon  cher  Rey,  je  vous  embrasse  et  vous  charge 
de  mes  honneurs  à  Madame  Rev. 


2?. 


A  Montmorenci,  le  8  Juillet  1758. 

Je  n'ai  receu  qu'avant-hier ,  mon  cher  Rey.  votre 
parquet  adressé  à  M.  Coindet,  contenant  les  deux 
feuilles  M  et  N,  la  Préface,  et  un  mot  de  lettre  du  28. 
A  l'égard  de  la  feuille  L  que  vous  dites  m'avoir  en- 
voyée par  M.  Dupin,  elle  ne  m'est  point  parvenue,  et 
si  vous  y  aviez  joint  quelque  chose  par  écrit  qu'il  im- 
porte que  je  sache,  vous  ferez  bien  de  me  le  répéter. 
.l'ai  bien  peur  que  vous  n'ayez  confondu  M.  Dupin 
fermier  général  avec  M.  Dupin  de  Chenonceaux  aussi 
fermier  général.  Si  vous  aviez  suivi  exactement  l'adresse 


(')  Le  carton  n'a  pas  été  oublié  et  la  virgule  y  est  ajoutée. 

(2)  Voyez  la  lettre  précédente  p.  4-. 


51 


que  je  vous  ai  envoyée,  cela  ne  seroit  pas  arrivé.  J'en- 
verrai demain  à  Paris  exprès  pour  m'informer  de  ce 
pacquet.  Ne  vous  pressez  pas  de  me  renvoyer  la 
feuille  L ,  jusqu'à  ce  que  je  vous  marque  par  un 
autre  courrier   si  en  effet  la  pr.e  est  perdue  sans  retour. 

Voici  de  nouvelles  corrections  non  moins  indispen- 
sables que  les  précédentes,  mais  j'ai  moins  de  regret 
à  votre  peine  depuis  que  je  vois  que  vos  fautes  vien- 
nent d'avoir  voulu  corriger  les  miennes  et  de  vous  être 
mis  en  tête  qu'on  parle  mieux  françois  à  Amsterdam 
qu'à  Paris.  Au  reste  afin  que  vous  ne  m'accusiez  ni 
d'humeur  ni  d'entêtement,  je  veux  bien  vous  rendre 
raison  des  leçons  que  je  suis  forcé  de  rétablir. 

1.  Préface.  Page  xvm,  pénultième  ligne,  accueillerez 
il  faut  accueillirez  comme  j'avois  mis  premièrement  par- 
ceque  c'est  l'usage  des  gens  qui  parlent  bien,  et  puis 
parceque  l'analogie  le  demande ,  attendu  qu'on  ne  dit 
pas  vous  /aillerez  et  vous  cueillerez  ;  enfin  parceque 
la  pénultième  syllabe  de  ce  mot  doit  être  appuyée  par 
un  accent,  et  qu'un  e  muet  n'en  sauroit  comporter. 
Changez  donc  cet  e  en  i.  Cette  faute  est  si  choquante 
à  la  place  où  elle  est  que ,  si  malheureusement  la  Pré- 
face étoit  déjà  tirée,  il  faudroit  absolument  un  carton 
pour  rétablir  ce  mot  (1). 

Comme  j'espère  qu'elle  ne  l'est  pas,  je  vous  prie  aussi, 
même  page,  ligne  6,  de  mettre  simplement  Lecteur. 
au  singulier,  et  d'ôter  VO  (2). 


(')  La  Préface  n'était  pas  encore  tirée.  On  y  lit  en  effet  accueillirez.  Dans 
la  lettre  qui  suit ,  il  insiste  de  nouveau  à  ne  pas  oublier  de  mettre  ainsi.  Voir 
encore  le  N°.  29.  On  voit  donc  combien  on  a  eu  tort,  dans  les  éditions  qui 
ont  succédé  à  l'édition  originale,  d'y  substituer  accueillerez.  Dès  à  présent, 
dans  les  éditions  qui  suivront,  il  faudra  rétablir  la  leçon  de  la  copie  de  l'auteur, 
qu'il  a  défendue  si  chaudement. 

(2)  C'es<  ce  qu'il  y  a. 

1 


52 

Je  voudrais  Lieu  encore  que  vous  pussiez  faire  en 
sorte  que  la  citation  latine  de  la  page  xvi  n'eut  pas 
besoin  de  tourner  ('). 

2.  Page  186 ,  ligne  5  en  remontant ,  femmes ,  je  n'avois 
point  mis  cette  s,  ôtez-la;  vous  me  direz  qu'elle  est  fort 
indifférente,  et  vous  avez  raison  quant  au  sens;  niais 
outre  que  le  singulier  est  plus  élégant,  ce  plurier  ajoute 
dans  la  phrase  une  syllabe  qui  en  gâte  absolument 
l'harmonie,  et  l'harmonie  me  paroit  d'une  si  grandi1 
importance  en  fait  de  style  que  je  la  mets  immédiate 
ment  après  la  clarté,  même  avant  la  correction  (?). 

3,  Page  181 ,  ligne  4,  javois  mis,  il  faudra,  vous  ave/, 
mis,  il  faudrait.  Ce  changement ,  non  plus ,  n'altère  pas 
le  sens,  et  c'est  tant  pis,  car  on  ne  le  prendra  pas  pour 
une  faute  d'impression.  Or,  voyez  quelle  chaîne  de  so- 
Lécismes  il  étend  sur  les  tems  qui  suivent.  Rétablis- 
sez donc  il  faudrait),  comme  vous  pourrez,  et  ne  vous 
en  prenez  qu'à  vous  même  de  la  peine  que  je  vous 
donne  malgré  moi.  Quand  l'ouvrage  sera  fini,  je  vous 
enverrai  la  note  des  fautes  dont  je  ne  vous  parle  pas, 
et  vous  en  serez  étonné. 

Vous  avez  tort  de  m'envoyer  vos  pacquets  par  la  poste 
à  vos  fraix,  puisque  ces  pacquets  n'étant  pas  des  épreu- 
ves, j'aurois  attendu  patiemment,  comme  je  vous  l'ai 
marqué,  que  vous  trouvassiez  quelque  occasion  pour 
me  les  faire  tenir.  Heureusement  nous  approchons  de 
la  fin,  et  je  ne  pense  par  qu'il  vous  reste  encore  beau- 
coup d'envois  à  me  faire  par  la  poste. 

Quand  vous    serez   prêt  à    faire    vos  envois   je  vous 


(i)  C'est  le   passage  du  livre  «le  l'Ecclésiastique  que  Rousseau  avaii 
pour  annoncer  publiquement  sa  rupture  avec  Diderot.    La  uotese  lit  eu  entier 
à  la  page  xv. 

(2)  Rej  y  a  pourvu  en  mettant  dans  ['Errata  "femmes  lises  femme." 

f3)  Il  y  esl  pourvu  dans  l' Errata. 


marquerai  comment  je  souhaite  de  partager  mes  exem- 
plaires; en  attendant,  je  vous  prie  de  ne  pas  oublier 
M.  d'Alembert  avant  que  l'ouvrage  paroisse  (f),  ni,  s'il 
y  a  moyen,  M.  de  St.  Lambert  à  Nancy  quand  il  pa- 
roitra.  Adieu,  mon  cher  Rey,  je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 


28. 

A  Montmorencj,  le  12  Juillet  1758. 

Je  reçois  à  l'instant,  mon  cher  Rey,  la  feuille  P  et 
j'ai  receu  toutes  les  précédentes. 

Je  ne  me  rends  pas  sur  le  Tes  pourquoi  de  la 
page  151  (2),  je  suis  sûr  d'avoir  fait  un  T,  mais 
peut-être  assez  ressemblant  à  un  C  pour  qu'on  ait  pu 
confondre.  C'est  l'affaire  d'un  trait  de  plume  au  haut  de 
la  lettre.  A  l'égard  de  plus  pour  point  p.  114  (3)  je  ne 
doute  pas  que  la  faute  ne  vienne  de  moi ,  puisque  vous 
me  le  dites.  Je  voudrois  bien  pourtant  qu'elle  fût  cor- 
rigée, et  si  vous  consentez  d'y  faire  un  carton ,  je  consens 
de  bon  cœur  d'en  porter  les  fraix. 

Je  suis  fort  content  des  dernières  feuilles  ;  elles  ont 
autant  d'exactitude  qu'on  en  doit  raisonnablement  at- 
tendre. Voici  tout  ce  que  j'ajouterai  quant  à  présent  aux 
corrections  que  je  vous  ai  ci-devant  envoyées. 


(')  Il  ne  l'a  pas  oublié,  témoin  deux  lettres  autographes  de  d'Alembert, 
datées  du  18  Juillet  et  du  1  Septembre.  Dans  la  première  il  remercie  Rey  de 
l'envoi  d'une  partie  de  l'ouvrage  de  Rousseau  et  le  prie  de  ne  point  perdre 
de  temps  à  lui  envoyer  le  reste;  dans  l'autre  il  lui  mande  qu'il  a  écrit  à 
M.  de  Malesherbea  pour  le  prier  de  vouloir  donner  la  permission  d'introduire 
librement  l'ouvrage  en  France. 

(2)  Voyez  la  note  4  au  N°.  2ï> ,    p.  47. 
Voyez  le  X".  25,  note  2,  p.  47. 


54 

P.  167,  dernière  ligne îfis,  lisez  Jils  ('). 

P.  170,  7e  ligne  en  remontant;  grand  lisez  grands. 

P.  175,  lig.  8,  vingt-quatre.    Il  faut  un  tiret. 

Tout  cela  n'est  rien,  et  vaut  à  peine  le  soin  d'être 
mis  en  errata.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  correc- 
tion suivante  à  mettre  à  la  fin  parmi  les  changemens. 
Je  vous  l'ai  peut-être  déjà  envoyée,  mais  comme  je 
n'en  suis  pas  sûr,  je  vous  la  renvoyé  afin  qu'elle  ne 
soit  pas  omise ,  en  convenant  que  la  bévue  est  de  moi. 

P.  207,  ligne  première  de  la  note.  Platon  dans  sa 
République.    Lisez ,  Platon  dans  ses  Loix  (-). 

Voici  encore  une  correction  qui  n'est  pas  importante , 
mais  si  facile  à  faire  que  ce  n'est  pas  la  peine  de 
laisser  une  phrase  louche.  P.  240 ,  lig.  4  en  remontant 
rendez  les,  ajoutez  un  tiret,  rendez-les;  comme  c'est  la 
dernière  page  de  la  feuille,  ce  tiret  peut  très  facilement 
s'ajouter  en  la  pliant  (3). 

Au  sujet  de  la  préface  je  vous  sais  bien  mauvais  gré 
de  ne  m'avoir  dit  clairement  si  ce  que  vous  m'avez 
envoyé  étoit  une  feuille  ou  une  épreuve  ;  car  dans  le 
dernier  cas ,  j'aurois  fait  bien  des  changemens ,  avec 
lesquels  j'ai  craint  de  vous  embrouiller  ou  chagriner 
dans  le  premier.  C'est  une  affaire  faite,  il  n'y  faut  pins 
penser.  Toutefois  de  manière  ou  d'autre  n'oubliez  pas 
accueillirez  au  lieu  d?  accueillerez  dans  la  pénultième  ligne. 

Pag.  230,  prc.  ligne  de  la  note;  il  y  a  deux  lettres 
omises  au  mot  cuiller.  H  falloit  selon  le  manuscrit 
met i re  cuillier  dans  le  texte,  et  cuillère  ou  cuillière  qui 
est  le  vrai  mot,  dans  la  note,  bagatelle  pour  L'errata  (*). 

(i)  Cette  correction  et  les  Jeux  qui  suivent  son)   indiquées  dans  l' Errata. 
(2)  La  correct  ion  se  trouve  dans  l'Avis  de  l'imprimeur  dont  j'ai  fait  men- 
tion au  N°.  22,  page  -11.  note  1. 
(*)  Elle  est  dans  l'Errata. 
(l)   Elle   v   est. 


55 

Je  vous  remercie  de  l'intérêt  que  vous  voulez  Lien 
prendre  à  mon  état.  Je  suis  toujours  mieux  l'été ,  ce- 
pendant le  mal  fait  son  progrès  et  naturellement  l'hiver 
prochain  ne  doit  pas  me  laisser  revoir  le  printems.  Si 
Dieu  me  laisse  vivre ,  je  suis  bien  éloigné  de  renoncer  à 
notre  projet  ;  mais  commençons  par  nous  tirer  de  l'affaire 
qui  nous  occupe  et  puis  nous  parlerons  d'autre  chose. 

Adieu,  mon  cher  Rey,  mes  honneurs  et  amitiés 
à  Madame  Rey.  M1Ie.  Le  Vasseur  vous  assure  de  son 
respect  et  moi  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Comme  je  suis  prompt  et  que  chaque  faute  que 
j'apperçois  me  donne  un  moment  d'humeur  qui  passe, 
je  suis  bien  aise  de  vous  répéter  à  vous  et  à  votre  ami, 
que  je  salue  et  remercie,  qu'à  tout  prendre  je  suis  fort 
content  de  la  correction.  Il  s'en  faut  beaucoup  que  l'autre 
Discours  ne  soit  aussi  bien. 


29. 

A  Montmorenci,  le  20  Juillet  1758. 

Après  un  ordinaire  d'interruption  j'ai  receu  par 
M.  Coindet  la  feuille  Q  tout  ouverte  ;  en  sorte  que  sans 
savoir  s'il  me  convient  qu'il  les  voye,  il  ne  tient  pus  à 
vous  que  mes  feuilles  ne  courent  tout  Paris  avant  de 
me  parvenir.  Passons.  Vous  me  dites  dans  votre 
lettre  du  29  du  mois  dernier  (pie  vous  donnez  trop 
d'attention  aux  petits  changemens  qu'on  fait  pour  qu'ils 
si  lient  mauvais,  et  que  s'il  arrive  qu'on  puisse  se 
tromper  vous  suivrez  plustôt  ma  copie.  Si  tout  cela  est. 
bien  vrai,  prenez  donc  la  peine  de  me  justifier  le  chan- 
gement suivant   p.    243,   ligne    1<>,   y//  pèse  tout  à  la 


5,6 

balance  du  jugement ,  jusqu'à  la  plaisanterie.  Pour  éviter 
cette  queue  traînante  j'avois  mis,  qui  pèse  tout  jusqu'à 
la  plaisanterie  à  la  balance  du  jugement.  Je  trouve  ma 
phrase  élégante  et  harmonieuse,  la  vôtre  dure  et  plate. 
A  moins  que  vous  ne  me  donniez  une  bonne  raison 
de  cette  correction,  je  vous  prie  de  rétablir  par  un 
carton  la  leçon  de  ma  copie  (').  Dans  le  même  carton 
p.  224,  ligne  11,  connu,  il  faut  conçu  ou  conceu;  est-ce 
encore  là  une  correction  de  votre  façon,  et  avez-vous 
jamais  entendu  dire,  conno'dre  pourquoi  fyc?  (s). 

Autre  correction ,  page  suivante  245  ligne  3.  J'avois 
mis ,  Elle  ne  doit  donc  point  ajouter  fyc.  comme  la  con- 
séquence ne  s'est  pas  trouvée  assez  claire  pour  vous , 
vous  avez  supprimé  le  donc  (3).  En  vérité,  je  ne  sais 
plus  si  je  suis  un  Auteur  qu'on  imprime  ou  un  Ecolier 
que  l'on  corrige.  Eh  !  Monsieur  Rey,  laissez-moi  porter 
mes  fautes ,  sans  y  en  ajouter  encore  de  votre  façon. 

Vous  dites  que  vous  attendez  ma  réponse  sur  la 
préface.  Je  n'ai  pas  perdu  un  moment  pour  vous  ré- 
pondre là-dessus,  et  j'y  suis  revenu  dans  deux  lettres: 
je  vous  dis  donc  pour  la  troisième  fois  que  vous  pouvez 
la  tirer  telle  qu'elle  est,  excepté  le  mot  accueillerez 
dernière  page  pénultième  ligne,  au  lieu  duquel  il  faut 
accueil!  irez;  excepté  encore,  0  Lecteurs,  même  page, 
4e  ligne  en  remontant,  à  la  place  de  quoi  il  faut 
simplement,  Lecteur;  enfin,  excepté  le  partage  de  la 
citation  latine  entre  deux  pages,  que  je  voudrois  faire 
entrer  tout  entier  dans  la  page  xv  ( ;  ). 

Je   vous   ai  parlé  de   M.  d'Alembert ,  et  de  L'exem- 

(M  Le  carton  y  est  avec  la  leçon  de  l'auteur.  Voyez  les  raisons  du  correc- 
teur et  la  réponse  de  Rousseau  au  No.  30. 

(3)  Le  même  oarton  a  rétabli  conçu. 

(■')  Le  mol  (Imir  n'y  esl  pas,  et  la  suppression,  l'aile  eu  dépil  de  l'auteur, 
n'étant  pas  marquée  dans  l'Brrata,  >'est  propagée   dans  toutes  !<•-  éditions, 

(•))  Voyez  au  N".  87,  page  •"■'-'.  la  note  1. 


0< 


plaire  qu'il  attend  par  la  poste  à  l'adresse  de  M.  de  Ma- 
lesherbes  ;  je  vous  ai  encore  parlé  de  celui  que  je  vous 
ai  prié,  si  vous  en  trouviez  l'occasion,  de  faire  tenir 
à  M.  le  Marquis  de  Sf.  Lambert  à  Nancy.  Vous  ne 
me  répondez  rien  à  tout  cela  (').  Je  vous  ai  tant  écrit 
de  lettres  que  je  n'en  sais  pas  le  compte,  et  j'ai  j)eur 
qu'il  n'y  en  ait  de  perdues. 

Adieu ,  mon  cher  Rey ,  à  présent  que  je  vous  ai  un 
peu  querellé,  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  et 
je  sens  bien  que  c'est  votre  tour  d'être  facile  ;  car  on 
boude  toujours  quand  on  a  tort,  c'est  la  règle.  S'il  ne 
faut  pour  vous  appaiser  que  supprimer  le  carton ,  j'y 
consens  de  bon  cœur,  à  condition  pourtant  que  vous 
mettrez  conçu  dans  l'errata. 


30. 

A  Montmorenci  ,  le  10  A  oust  1758. 

Votre  silence  inattendu ,  mon  cher  Rey ,  m'oblige  à 
vous  rapeler  l'état  où  est  demeurée  notre  correspon- 
dance afin  que  nous  puissions  nous  entendre. 

La  dernière  lettre  que  je  vous  ai  écrite  étoit  du 
23  Juillet  et  dut  être  mise  a  la  poste  le  lendemain, 
jour  de  Courrier,  par  M.  Coindet  à  qui  je  la  remis  en 
main  popre.  Cette  lettre  contenoit  l'épreuve  de  la  feuille 
R  avec  celle  du  carton,  corrigées,  et  des  dispositions 
sur  l'envoy  de  mes  exemplaires  que  je  supposois  devoir 
partir  avec  les  vôtres  le  pr.  de  ce  mois,  comme  vous 
me  l'aviez  promis. 

Le  lendemain  du  départ  de  nia  lettre,  j'en  receus  une 

(')   Yovcz  au  N°.  27.  p.  58,   note   I. 


58 

de  vous,  sans  date,  dans  laquelle  vous  nie  disiez  qu'au 
moyen  de  l'attention  que  je  de  vois  faire  aux  dates  de 
vos  lettres  il  étoit  inutile  de  me  répondre  à  bien  des 
choses.  Vous  m'annonciez  encore  la  feuille  du  titre, 
ou  avec  votre  lettre,  dans  laquelle  elle  ne  s'est  point 
trouvée,  ou  avec  la  lettre  R  tirée,  dont  vous  attendiez 
l'épreuve  que  vous  avez  dû  recevoir. 

Dans  cette  même  lettre  étoit  la  réponse  de  M.  le  Cor- 
recteur, à  laquelle  je  viendrai  tout  à  l'heure.  Depuis 
ce  tems,  je  n'ai  receu  ni  la  feuille  du  titre,  ni  la 
lettre  R,  ni  aucune  lettre  de  vous.  Seulement  M.  d'Alem- 
bert  m'a  fait  dire  il  y  a  plus  de  huit  jours  qu'il  avoit 
receu  l'ouvrage  entier,  ce  qui  m'a  fait  voir  qu'il  étoit 
mieux  servi  que  moi.  Vous  m'enverrez  le  reste  des 
feuilles  à  votre  commodité,  et  m'expliquerez  quand  il 
vous  plaira  toutes  ces  Enigmes.  Je  vous  avoue  que 
je  ne  serois  pas  fâché  d'apprendre  enfin  ce  qu'est  de- 
venu mon  ouvrage. 

Je  vous  dirai  que  je  crois  les  intentions  de  M.  le  Cor- 
recteur meilleures  que  ses  raisons  et  qu'il  eût  peut-être 
mieux  valu  ne  point  faire  de  réponse  que  d'en  faire 
une  pareille.  Il  est  question  de  l'inversion  qu'il  a  jugé 
à  propos  de  faire  p.  243,  1.   16  ('). 

Il  dit  que  mon  tour  de  phrase  formoit  un  hiatus  vio- 
lent. Il  n'y  a  dans  cette  phrase  aucune  espèce  d'Hia- 
tus. Au  contraire ,  il  y  a  élision ,  comme  il  arrive  dans 
la  langue  françoise  toutes  les  fois  qu'un  mot  finissant 
par  un  e  muet  est  suivi  d'un  autre  mot  commençant 
par  une  voyelle. 

Il  dit  que  rien  n'est  plus  dur  «pie  ces  1  syllabes 
réunies,  santerie  à:  je  réponds  que  je  n'y  trouve  pas 
la  moindre    dureté   et   que  j'ai   peine  à  croire  que  per- 


')  Voyez  au  ft".  38,  p.  r>r>.  1m  unie  1. 


59 

sonne  au  monde  y  en  trouve;  je  réponds  encore  que 
toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  nombre  et  d'harmonie ,  il 
faut  entendre  les  sons  et  les  quantités  dans  leur 
phrase  entière  puisque  leur  effet  à  l'oreille  dépend  de 
ce  qui  précède  et  de  ce  qui  suit.  Or  lisez  ces  4  syllabes 
dans  ma  phrase  et  vous  les  trouverez  très-bien  cadencées. 

Il  dit  que  son  tour  ni  le  mien  ne  sont  pas  tolérables, 
cet  aveu  seul  le  condamne.  Car  s'il  est  jamais  permis 
de  toucher  au  texte  d'un  auteur  contre  son  gré ,  il  faut 
au  moins  que  ce  ne  soit  que  pour  faire  parfaitement 
bien  ;  mais  comment  peut-on  se  permettre  une  correction 
qui  de  l'aveu  même  de  celui  qui  la  fait  n'est  pas  tolérable  ? 

C'étoit,  dit-il,  pour  faire  éviter  le  bâillement.  Mais 
il  n'y  a  point  de  bâillement  dans  ma  phrase;  il  a 
donc  fait  mal  pour  ôter  une  faute  qui  n'existoit  pas. 
Bien  loin  d'accorder  que  mon  tour  ne  soit  pas  tolérable, 
je  le  soutiens  élégant ,  harmonieux ,  régulier  ;  je  n'ose 
rien  dire  du  sien ,  sinon  que  je  suis  sur  ce  point  de 
son  avis.  Comme  c'est  ici  une  question  de  fait,  j'offre 
à  M.  le  Correcteur  de  faire  avec  lui  le  pari  qu'il  lui 
plaira;  de  soumettre  ma  phrase  et  le  jugement  qu'il 
en  porte  à  celui  de  l'Académie  françoise;  si  elle  me 
condamne ,  j'aurai  perdu. 

Si  M.  votre  ami  a  quelque  chose  à  répliquer  à  cela, 
je  le  prie  de  le  faire  ;  sinon  je  voudrois  qu'il  convînt 
franchement  qu'il  a  tort.  Au  reste  toutes  les  fois  qu'il 
sera  question  de  science  et  de  raison  je  suis  prêt  à 
déférer  à  ses  lumières.  Mais  quand  il  s'agit  de  style, 
je  veux  qu'on  me  laisse  le  mien  jusques  dans  mes  fautes. 
A  ces  conditions  je  me  tiendrai  toujours  fort  honoré 
qu'il  daigne  revoir  mes  ouvrages  et  m'en  dire  son  avis. 

Adieu,  mon  cher  Rcy,  j'attends  de  vos  nouvelles 
à  votre  loisir  et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.    J.    ROUSSEAI  • 


60 
31. 

A  Montmorenci  ,  le  6  7bre   1758. 

Depuis  votre  lettre  du  21  Aoust,  mon  cher  Rey, 
que  j'ai  receue  en  son  tems ,  j'attendois  chaque  ordi- 
naire des  nouvelles  de  la  réponse  de  M.  de  Males- 
herbes  à  votre  dernière  lettre  :  mais  n'en  recevant  point, 
je  suppose  que  vous  n'en  avez  point  receu  vous-même, 
et  il  me  reste  toute  l'inquiétude  d'un  événement  que 
je  crains  qui  ne  tourne  à  votre  préjudice.  N'ayant  plus, 
et  ne  voulant  plus  avoir  aucun  commerce  avec  Paris, 
j'ignore  absolument  ce  qui  s'y  passe;  mais  je  ne  puis 
douter  que  je  n'y  aye  beaucoup  d'ennemis  irréconcilia- 
bles ,  d'autant  plus  dangereux  que  sous  un  air  d'amitié 
ils  se  cachent  pour  me  nuire  et  ne  me  pardonneront 
jamais  le  mal  qu'ils  m'ont  fait;  ils  me  trahissent  à 
couvert;  moi  je  les  méprise  ouvertement,  ce  n'est  pas 
le  moyen  d'être  épargné.  Si  vous  receviez  les  coups 
qu'on  me  porte,  ce  peut  bien  être  pour  moi  une  afflic- 
tion de  plus;  mais  comme  je  n'ai  nul  moyen  de  les 
parer,  et  qu'il  n'y  a  point  de  ma  faute  dans  votre 
malheur,  je  ne  puis  que  vous  en  plaindre  et  non  pas 
y  remédier.  Donnez-moi,  je  vous  prie,  des  nouvelles 
de  tout  cela,  telles  qu'elles  puissent  être;  l'inquiétude 
et  le  doute  sont  toujours  pour  moi  pires  que  le   mal. 

Je  suis  mieux  que  cet  hiver;  mais  c'est  un  mieux 
qui  tient  à  la  saison  et  je  vous  avoue  que  je  doute- 
fort  que  l'hiver  prochain  se  passe  sans  quelque  accident 
qui  rompe  les  projets  de  voyage  que  je  pourrois  avoir 
laits  d'avance.  D'ailleurs,  simon  malheur  vous  poursuit, 
il  ne  convient  pas  que  j'aille  vous  exposer  à  de  nou- 
velles pertes,  et  il  n'est  pus  apparent  que  nous  soyons 
mieux   traités  une   nuire  fois  que   celle-ci.    Au  surplus, 


61 

mon  dessein  d'aller  vous  voir  est  toujours  le  même  ; 
mais  je  ne  veux  m'y  livrer  que  d'une  manière  satisfai- 
sante pour  tous  deux,  et,  encore  une  fois,  il  faut  voir 
le  succès  du  présent  ouvrage  avant  de  parler  d'une 
autre  entreprise. 

Adieu,  mon  cher  Rey,  vous  pouvez  continuer  à 
m'écrire  en  droiture,  surtout  si  vous  avez  quelque 
chose  d'agréable  à  me  dire;  car  pour  des  chagrins 
inutiles ,  je  vous  avoue  que  j'en  ai  autant  que  j'en 
puis  porter.  Adieu  derechef,  mille  amitiés  à  Madame 
Rey,  je  vous  aime  et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Mlle  Le  Vasseur  vous  remercie  de  l'honneur  de  votre 
souvenir  et  vous  assure  de  son  respect. 


32. 

A  MoxT.MORENcr,  le  13  7br.°   1751. 

Votre  billet  du  3  de  ce  mois  m'a  tranquillisé  en 
partie.  Cependant  il  me  revient  de  toutes  parts  que 
beaucoup  de  gens  ont  lu  mon  ouvrage  et  qu'il  est 
comme  publié  à  Paris.  De  sorte  que  quand  vos  exem- 
plaires arriveront,  il  sera  déjà  usé  et  personne  ne  s'en 
souciera  plus.  Je  ne  doute  pas  môme  qu'il  n'en  pa- 
roisse des  critiques  avant  l'ouvrage.  Je  ne  sais  si  cet 
arrangement  peut  être  utile  au  libraire;  mais  je  sais 
qu'il  ne  peut  être  agréable  à  l'auteur,  ni  avantageux 
à  l'effet  du  livre.  Je  n'assure  pas  non  plus  qu'il  y  ait 
à  cela  de  votre  faute,  tout  ce  dont  je  suis  sûr  c'est 
qu'il  n'y  a  pas  de  la  mienne;  puisque  non  seulement 
les  feuilles  que  vous  m'avez  envoyées  ne  sont  pas  sor- 
ties de  mes  mains ,  mais  que  je  ne  les  ai  lues  à  pas 
une  ame,  pas  même  à  M.  Coindet    An  surplus  je  ré- 


62 

ponds  bien  de  M.  d'Alembert ,  mais  non  pas  des  gens 
à  qui  il  peut  avoir  prêté  un  écrit.  Quand  je  vous 
priois  de  lui  envoyer  un  exemplaire  avant  la  publica- 
tion ,  je  n'entendois  pas  trois  mois  d'avance.  Autre 
chose  encore,  c'est  que  je  doute  que  M.  Durand  se 
charge  de  vos  exemplaires,  attendu  qu'il  est  le  libraire 
de  M.  Diderot,  et  que  j'ai  découvert  depuis  l'hiver 
dernier  que  le  Philosophe  Diderot  tient  des  discours 
horribles  de  son  ami  Rousseau  et  lui  fait  en  secret  tout 
le  mal  qu'il  peut.  Or,  moi  qui  ne  fais  rien  en  secret 
de  ce  qui  regarde  autrui,  j'ai  rompu  ouvertement.  Je 
sens  bien  qu'en  tout  je  suis  porté  à  mettre  les  choses 
au  pis ,  ce  système  n'est  pas  consolant,  mais  il  est  1<> 
fruit  de  l'expérience. 

Je  n'entens  rien  à  votre  projet  de  réimprimer  une 
partie  de  mes  écrits  déjà  publiés,  et  d'omettre  les 
autres,  et  précisément  ceux  qui  ont  eu  le  plus  grand 
succès,  comme  la  réponse  au  Roi  de  Pologne,  la  Pré- 
face de  Narcisse  &c.  Vous  savez  que  mon  dessein  est 
de  faire  une  Edition  générale,  d'y  joindre  plusieurs  piè- 
ces nouvelles  que  j'ai  en  manuscrit  et  plusieurs  addi- 
tions que  j'ai  faites  à  ce  qui  est  déjà  imprimé.  Si  vous 
voulez  vous  charger  de  cette  édition,  comme  nous  en 
étions  convenus,  je  vous  enverrai  des  manuscrits  bien 
nets,  et  des  exemplaires  bien  corrigés.  J'estime  que  le 
tout  fera  quatre  bons  volumes  in-douze.  Si  cette  entre- 
prise vous  convient,  il  n'est  question  que  de  nous  ar- 
ranger pour  cela;  je  passerai  l'hiver  à  mettre  le  tout 
en  ordre,  et  vous  pourrez  avoir  la  copie  avant  Pâques. 
Si  vous  vous  obstinez  à  votre  petite  édition  incomplette, 
je  ne  m'y  oppose  pas,  et  j'offre  même  de  la  revoir. 
Mais  vous  ne  trouverez  pas  mauvais  que  je  lasse  lu 
mienne  de  mon  côté.  Car  je  vous  avoue  que  n'étanl 
plus  en  état  de  travailler,  ce  m'est   une  idée  douce  de 


63 

laisser  avant  ma  mort  un  bon  recueil  de  ce  que  j'ai 
fait.  Au  reste,  l'ouvrage  dont  je  vous  ai  lu  quelques 
morceaux  est  entièrement  achevé ,  il  est  en  six  parties , 
et  si  vous  aimiez  mieux  commencer  par  celui-là,  cela 
dépendra  de  vous. 

Répondez-moi  naturellement  sur  tout  cela;  usez  avec 
moi  de  ma  franchise.  Déterminez-vous  sur  le  mieux 
pour  votre  avantage  et  croyez  que  je  serai  toujours 
content  de  ce  qui  vous  conviendra. 

Je  ne  puis  rien  vous  dire  sur  mon  voyage  auprès  de 
vous,  que  le  tems  de  le  faire  ne  soit  venu.  Je  suis 
faible;  l'hiver  m'ôtera  infailliblement  le  peu  de  forces 
que  l'été  m'a  rendues,  je  ne  puis  croire  qu'au  printems 
je  sois  en  état  de  me  déplacer.  D'ailleurs  ce  voyage  ne 
peut  qu'être  extrêmement  dispendieux,  je  ne  puis  le 
faire  à  demeure  qu'après  avoir  vu  par  moi-même  si  le 
séjour  me  convient  ;  il  faut  donc  compter  sur  le  re- 
tour. Menant  Mlle  Le  Vasseur ,  c'est  une  double  dépense, 
et  où  mettre  mes  meubles ,  que  faire  de  mon  petit  mé- 
nage. Ne  la  menant  pas ,  le  petit  ménage  va  toujours 
son  train,  le  loyer  court  toujours,  celui  de  la  bonne 
vieille,  beaucoup  d'autres  dépenses  que  je  ne  puis  évi- 
ter. Tout  cela  m'effraye:  je  crois  que  le  parti  le  plus 
sage  est  de  rester  dans  ma  solitude,  de  vous  envoyer 
des  copies  bien  nettes,  de  faire  un  bon  accord  avec  le 
correcteur  auquel  je  ferai  à  chaque  ouvrage  un  présent 
pour  ma  part  quand  je  serai  content  de  lui;  enfin  de 
chercher  pour  l'envoy  des  épreuves  quelque  voye  gra- 
tuite qui  ne  sera  pas  difficile  à  trouver.  Voilà  mon  avis  : 
mandez-moi  le  votre  sur  tout  cela.  Adieu,  Monsieur 
et  Madame  Rey,  je  vous  salue  et  vous  aime  tous 
ileux    de  tout  mon  cœur. 


i;i 
1*3. 

A  Montmobenci,  le  24  81":'  1758. 

J'ai  receu,  mon  cher  Rey,  le  19  de  ce  mois  votre 
lettre  du  12  par  laquelle  vous  m'annoncez  l'arrivée  de 
mon  ouvrage  à  Paris.  En  effet  il  y  est  en  vente  depuis 
le  2  de  ce  mois,  je  l'appris  le  7,  par  hasard;  le  8  et 
le  9,  je  fis  retirer  mes  exemplaires  ;  ils  ont  été  distribués 
les  jours  suivans,  et  tous  ceux  à  qui  j'en  ai  fait  pré- 
sent ne  m'en  ont  su  aucun  gré  parce  qu'ils  en  avoient 
déjà,  et  qu'ils  ont  peine  à  s'imaginer  qu'un  ouvrage 
se  publie  huit  jours  avant  que  l'auteur  en  sache  rien 
et  qu'il  ait  ses  propres  exemplaires. 

Un  libraire  de  Paris  est  venu  me  voir  et  me  proposer 
de  consentir  qu'il  réimprimât  ce  dernier  écrit.  J'ai  dit 
ce  qu'il  falloit  ;  cependant  je  le  crois  disposé  à  passer 
outre  ;  ainsi  j'ai  cru  devoir  vous  en  avertir,  afin  que 
vous  puissiez  prendre  là-dessus  les  mesures  qui  vous 
paroitront  convenables.  Au  reste,  quoiqu'en  livrant  un 
Manuscrit  à  un  libraire,  je  ne  prétende  pas  m'ôter  le 
droit  après  la  première  édition  de  le  réimprimer  de  un  ni 
côté  toutes  les  fois  qu'il  me  conviendra,  vous  pouvez 
être  sûr  qu'à  l'égard  de  ce  qui  s'est  imprimé  chez  vous, 
je  n'userai  jamais  de  ce  droit  sans  vous  en  avertir 
d'avance,  et  jamais  en  aucune  manière,  quand  vous  en 
userez  honnêtement  avec  moi. 

On  me  fait  de  Genève  de  justes  plaintes  d'y  voir 
arriver  mon  écrit  si  tard,  et  publier  plus  tard  qu'à 
Paris.  Quand  je  leur  dis  que  la  balle  a  resté  deux 
mois  et  demi  en  route  et  que  vous  avez  prévu  d'avance 
qu'elle  y  rcsteroit  ce  teins  là,  on  me  répond  que  cela 
n'est  pas  possible,  et  l'on  attribue  tout  cela  à  prétexte 
et  à  mauvaise  volonté  de  nia   part;  mon  cher   Key.  j'ai 


65 

la  discrétion  de  ne  vous  faire  aucune  plainte,  mais  il 
nie  semble  qu'à  bien  des  égards  j'avois  mérité  plus 
d'estime,  plus  de  confiance  et  de  meilleurs  procédés. 

Vous  n'avez  pas  besoin  de  moi  pour  réimprimer  ce 
dernier  ouvrage;  il  suffira  d'y  faire  rentrer  les  change- 
mens  et  corrections  qui  sont  à  la  fin,  et  d'avoir  sur 
le  tout ,  si  vous  pouvez ,  plus  d'exactitude  qu'à  l'ordi- 
naire. 

A  l'égard  du  recueil  général,  je  vous  répète  que  tout 
sera  prêt  à  Pâques  prochain ,  et  que  si  même  vous  voulez 
commencer  plustût,  vous  en  serez  le  maître.  Je  suis 
d'avis  de  mettre  au  premier  volume  les  pièces  de  Théâtre 
et  autres  petits  ouvrages,  afin  qu'on  trouve  toujours 
mieux  en  avançant  (').  Le  quatrième  tome  contiendra 
l'ouvrage  que  vous  venez  d'imprimer ,  et  une  autre  pièce 
encore  manuscrite  sur  le  même  sujet,  que  je  viens 
d'achever. 

Que  si  vous  aimiez  mieux  commencer  par  l'ouvrage 
dont  vous  avez  vu  quelque  chose,  je  l'aimerois  mieux 
aussi.  Il  est  fini,  et  contient  six  parties  dont  la  pre- 
mière est  la  plus  grande  et  la  dernière  la  plus  petite. 

Voici  mes  conditions.  Le  recueil  contiendra  quatre 
volumes  in-12°.  Peut-être  cinq;  plusieurs  nouvelles 
pièces,  et  quelques  additions  aux  autres.  Vous  me 
donnerez  pour  cela  soixante  Louis  (2). 

Le  prix  des  lettres  est  déjà  fait  à  quinze  Louis  chaque 
partie,  ce  qui  fait  quatre-vingt-dix  louis. 

Si  vous  vous  sentez  en  état  d'entreprendre  ces  deux 
ouvrages  et  de  les  achever  l'été  prochain ,  que  de  mon 
côté  je  passe  cet  hiver   aussi  bien  que  j'ai  passé  l'été, 


(1)  Plus  tard  il  a  changé  d'avis  comme   on    verra  par  une  note  que  je  pu- 
blierai ci-après  parcequ'cllc  date  de  l'an  1765. 

(2)  Rey  a  ('frit  à  cet  endroit  au  crayon  :  "f  en  ay  payé  55  Louis  OU  1820  II.'' 


66 

j'irai  ce  printems  veiller  moi-même  à  l'exécution,  et  si 
le  séjour  me  convient  je  pourrai  rester  avec   vous. 

A  l'égard  des  termes  pour  les  envois  réciproques, 
comme  je  ne  suis  pas  si  défiant  que  vous,  et  que  je 
juge  des  autres  âmes  par  la  mienne,  je  vous  enverrai 
de  la  copie  quand  il  vous  plaira  et  autant  qu'il  vous 
plaira,  vous  m'enverrez  de  votre  côté  de  l'argent  quand 
vous  voudrez  et  ce  que  vous  voudrez.  Ma  seule  con- 
dition est  que,  soit  que  vous  vous  chargiez  des  deux- 
entreprises  ou  d'une  des  deux  seulement,  soit  que  j'aille 
auprès  de  vous  ou  que  je  demeure  ici ,  le  tout  sera 
acquitté  sans  qu'il  en  manque  un  sol  le  premier  de 
Septembre  1759.  Je  vous  laisse  réfléchir  là-dessus.  Vous 
pourrez  me  répondre  à  votre  loisir.  Mais  je  veux  une 
réponse  précise,  et  votre  parole;  je  m'en  tiens  aussi 
sûr  que  si  j'avois  l'argent. 

Adieu,  mon  cher  Rey,  mes  amitiés  et  respects  à 
Madame  Rey.  Mlle  Le  Vasseur  vous  remercie  de  l'hon- 
neur de  vos  complimens;  elle  vous  fait  les  siens,  et 
moi  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


34. 

A  Montmobenci,  le  22  Fevr.  1759. 

Ne  voulant  pas,  Monsieur,  être  juge  dans  ma  propre 
cause,  avant  d'user  du  droit  que  je  crois  avoir  d'em- 
ployer dans  le  recueil  de  mes  écrits  les  deux  que  vous 
avez  imprimés,  j'ai  résolu  de  consulter  sur  ce  cas  des 
gens  désintéressés  dont  l'intégrité  ne  soit  pas  suspecte. 
Mais  auparavant  encore,  ma  répugnance  à  laisser  à 
personne  contre  moi  des  mécontentemens  même  injustes. 
me  porte  à  vous  faire  la    proposition  suivante. 


67 

Fixez  sur  l'argent  que  j'ai  receu  de  vous  quelle  somme 
vous  voulez  que  je  vous  rende  afin  que  je  puisse  em- 
ployer ces  deux  écrits  dans  mon  recueil,  sans  que  vous 
ayez  mal  fait  vos  affaires  avec  moi,  ni  que  vous  m'es- 
timiez injuste  envers  vous.  Ayez  l'honnêteté,  je  vous 
prie,  de  me  faire  une  prompte  réponse,  car  je  suis 
dans  le  cas  d'avoir  à  prendre  des  arrangemens  là-dessus. 
Bonjour,  Monsieur,  je  vous  souhaite  tous  les  hiens 
possibles  et  j'assure  Madame  Rey  de  mon  respect, 

J.  J.  Rousseau. 


:*5. 

A  Montmorenci,    le  14  Mars  175'.». 

Je  réponds,  mon  cher  Rey,  à  votre  lettre  du  27  fev. 

Vous  n'agissez  pas  imprudemment  de  vous  en  re- 
mettre à  ma  discrétion  au  sujet  de  la  réimpression 
des  deux  écrits  de  ma  composition  que  vous  avez  im- 
primés, dans  le  recueil  général  que  je  désire  faire.  J'ai 
eu  tort  de  ne  m'être  pas  expliqué  avec  vous,  et  sur 
votre  dernière  lettre  j'ai  résolu  de  ne  plus  songer  à  ce 
recueil  que  nous  ne  nous  soyons  mieux  expliqués  ;  car 
sûrement  il  y  a  du  malentendu  entre  nous.  Vous  avez 
raison  de  ne  vouloir  pas  payer  deux  fois  les  mêmes 
ouvrages;  mais  moi  je  n'ai  pas  tort  de  ne  vouloir  pas 
vous  faire  présent  de  deux  ans  de  mon  tems,  car  je 
n'ai  de  ressource  pour  vivre  que  mon  travail,  et  tandis 
que  je  revois  mes  écrits,  il  faut  que  je  dîne.  Je  pren- 
drai la  liberté  d'ajouter  que  des  pièces  nouvelles  dont 
je  compte  augmenter  ce  recueil  il  n'y  a  point  de  libraire, 
hors  vous,  dont  je  n'eusse  à  l'instant  les  soixante  Louis 
que  je  vous  demande  pour  le  tout.  Mais  il  n'est  paf 
maintenant  question  de  cela,  venons  an  pins  pressé 


68 

Je  veux  tenir  l'engagement  que  j'ai  pris  avec  vous 
au  sujet  de  la  Julie.  J'ai  examiné  l'état  du  manuscrit, 
et  ne  le  trouvant  pas  assez  net  pour  vous  être  envoyé 
dans  cet  état,  je  prends  le  parti  de  le  recopier  en  entier, 
et  je  vous  enverrai  la  copie  partie  par  partie  à  mesure 
qu'elle  sera  faite  (1).  Je  compte  que  la  première  partie 
partira  le  dernier  du  mois  prochain ,  et  je  tâcherai  de 
vous  envoyer  les  autres  de  mois  en  mois  en  sorte  que 
vous  ayez  receu  le  tout  dans  le  courant  de  novembre 
au  plus  tard. 

De  votre  côté  vous  m'enverrez  de  l'argent  à  votre 
commodité ,  pourvu  seulement  que  le  tout  soit  acquitté 
avant  la  fin  de  l'année  présente.  Je  me  suis  relâché 
de  trois  mois,  je  ne  puis  prolonger  davantage;  si  vous 
n'êtes  pas  sûr  de  pouvoir  remplir  cette  condition  ne 
vous  chargez  pas  de  mon  manuscrit.  Voici  les  autres 
conditions  que  j'ajoute  (2). 

L'ouvrage  sera  imprimé  en  beau  papier,  avec  le  plus 
srrand  soin ,  caractère  et  format  dont  nous  conviendrons  ; 

O  7 

vous  m'enverrez  les  épreuves  aux  adresses  que  je  vous 
donnerai,  et  vous  attendrez  pour  faire  tirer  les  feuil- 
les que  je  vous  renvoyé  l'épreuve  corrigée,  ce  que  je 
ferai  ponctuellement  l'ordinaire  après  celui  où  je  l'aurai 
receue. 

On  suivra  exactement  mon  manuscrit,  l'orthographe, 
la  ponctuation,  même  les  fautes,  sans  se  mêler  d'y 
rien  corriger. 

Vous  ne  ferez  point   paroitre  l'ouvrage  par  parties. 


(l)  Voilà  donc  l'origine  des  nombreuses  différences  qu'on  a  remarquées  entre 
les  deux  manuscrits  autographes  de  la  Noitrcllr  Héloïse  qui  existent  en 
France  avec  le  texte  imprimé.  En  recopiant  son  ouvrage  il  est  impossible 
cra'un  écrivain  commo  Rousseau  ne  corrige  beaucoup.  On  verra  la  preuve 
qu'il  l'a  fait  dans  les  N°?  54  el  56. 

(s)  L'honoraire  était  déjà  ttxé  à  90  Louis    Voye     N°.  88. 


69 

mais  tout  à  la  fois ,  et  cela  pour  votre  intérêt  autant 
que  pour  le  mien;  attendu  que  les  premières  parties 
sont  foibles  et  mauvaises ,  et  qu'il  n'y  a  que  les  der- 
nières qui  puissent  les  faire  valoir. 

Vous  m'enverrez  ici  mes  soixante  exemplaires,  je  n'en 
destine  aucun  pour  Genève ,  et  je  voudrois  même  que 
vous  n'y  en  envoyassiez  aucun  pour  votre  compte. 

Il  me  reste  à  vous  dire  pour  prévenir  de  nouveaux 
malentendus,  que  j'ai  fait  un  écrit  sur  les  Romans 
que  j'intitulerai  peut-être,  pré/ace  de  Julie,  mais  que 
je  n'entens  point  imprimer  avec  cet  ouvrage,  et  qui 
n'en  doit  faire  partie  en  aucune  manière;  et  que  je 
me  réserve  le  droit  de  faire  imprimer  où  et  quand 
bon  me  semblera  comme  un  ouvrage  appartenant  à 
moi  seul. 

Si  toutes  ces  conditions  vous  conviennent,  je  n'ai 
pas  besoin  de  nouvelle  réponse;  si  elles  ne  vous  con- 
viennent pas,  ayez  soin  je  vous  prie  de  m'en  prévenir 
avant  le  premier  envoi. 

Autre  chose.  Vous  avez  réimprimé  ma  lettre  à 
M.  d'Alembert;  mais  puisque  vous  ne  m'en  avez  pas 
envoyé  un  exemplaire  je  me  flatte  que  l'édition  n'est 
pas  encore  publique.  Quoi  qu'il  en  soit,  j'ai  un  chan- 
gement à  faire  qui  n'est  pas  considérable,  mais  qui 
m'importe.  Je  vous  prie  de  vouloir  bien  faire  un 
carton,  même  deux  s'il  le  faut,  pour  cela,  et  avoir  soin 
que  ce  carton  soit  à  tous  les  exemplaires  que  vous  en- 
verrez en  France.  Que  si  vôtre  envoi  étoit  déjà  fait,  je 
souhaite  ni  plus  ni  moins  que  le  carton  soit  fait  et  mis 
à  deux  ou  trois  exemplaires  que  je  vous  prie  de  în'en- 
voyer  ainsi  corrigés.  C'est  une  affaire  qui  m'intéresse 
personnellement.     Voici   1<-  changement. 

Page    7:î    de    la   pM   Edition,    ligne   8,    après    ces 


70 

mois  femmes  sans  mœurs ,  ôtez  les  huit  lignes  sui- 
vantes et  substituez  leur  ce  qui  suit  (4). 

"Ce  sont  eux  qui  les  premiers  ont  introduit  ces 
grossières  équivoques,  non  moins  proscrites  par 
le  goût  que  par  l'honnêteté,  qui  firent  longtems 
l'amusement  des  mauvaises  compagnies ,  rembar- 
ras des  personnes  modestes  (2) ,  et  dont  un  meil- 
leur ton,  lent  dans  ses  progrès,  n'a  pas  encore 
purifié  certaines  provinces.  D'autres  auteurs, 
plus  réservés  (3)  dans  leurs  saillies,  laissant  les 
premiers  amuser  les  femmes  perdues ,  se  chargè- 
rent d'encourager  les  filoux.  Regnard  un  des 
moins  libres  (4)  n'est  pas  le  moins  dangereux. 
C'est  une  chose  incroyable  &c." 

Adieu,  mon  cher  Rcy,  je  me  réjouis  de  tout  mon 
cœur  du  rétablissement  de  Madame  votre  Epouse,  je 
l'assure  de  mon  respect  et  vous  embrasse  bien  sincè- 
rement. 

J.  J.  Rousseau. 

(!)  On  voit  quelle  est  l'origine  Je  la  variante  que  M.  Pétitain  a  remarquée 
dans  le  texte  à  l'endroit  où  se  trouve  ce  passage.  M.  Didot  dans  son  édition 
de  1801  a  reproduit  le  texte  de  la  première  édition. 

(2)  Après  avoir  écrit  ce  mot,  il  l'a  rayé  pour  le  changer  en  chastes.  Enfin 
il  a  rétabli  modestes. 

(3)  Il  avait  écrit  en  premier  lieu  moins  choquant. 

i1'  Au  lieu  do  moins  libres  il  avait  écrit  premièrement  plus  modestes 


III. 

LETTRES 

ÉCRITES    PENDANT    QUE 

LA     NOUVELLE     IIELOÏSE 

ÉTAIT    SOUS    PRESSE. 


Aucun   ouvrage  de  Rousseau  n'a  rempli  autant 
de  moments  de  sa  vie,  que  la  Nouvelle  Héloise. 
Pendant  l'été  de  1756  il  jeta  sur  le  papier  quel- 
ques lettres  sans  suite  et  sans  liaison,  fruits  de 
ses    souvenirs   de  jeunesse   et  de   son  imagina- 
tion.   Il  esquissa  ensuite  le  plan  pour  en  faire 
un  ouvrage  en  règle.    Pendant  deux  ans,  tour- 
nant et  retournant  ses  rêveries  dans  sa  tête,  il 
prit  un  intérêt  d'enfant  à  mettre  ses  brouillons 
au  net  sur  le  plus  beau  papier  doré,  employant 
de   la    poudre   d'azur   et    d'argent    pour    sécher 
l'écriture,  et  de  la  nonpareille  bleue  pour  coudre 
ses  cahiers.    A  peine  avait-il  achevé  son  roman, 
qu'il  en  fit  une  copie  pour  Madame  d'Houdetot 
et   une    autre    pour    Madame    de    Luxembourg-. 
Ayant  résolu  de  publier  ce  qu'il  appelle,   "une 
espèce  de   ces  livres  efféminés,  qu'il  avait  si  du- 
rement censurés",  cette  résolution    h-  jeta    dans 
un  trouble  que  ne  lui  donna  jamnis  aucun  do  ses 


1-1 

écrits.  L'incertitude  du  succès  que  son  livre  aurait 
auprès  du  public  le  mit  dans  une  exaltation 
continuelle  pendant  les  vingt  mois  que  la  presse 
de  Rey  fut  à  l'imprimer.  Après  la  publication ,  il 
y  fit  de  nouveaux  changements.  Enfin,  dans  la 
Correspondance  que  nous  publions  pour  la  pre- 
mière fois,  il  affirme,  que  dans  un  âge  plus 
avancé,  alors  qu'il  ne  se  souvenait  presque  plus 
du  contenu  de  l'Emile ,  sa  Julie  était  le  seul 
ouvrage  qu'il  relisait  avec  plaisir. 

La  prédilection  que  Rousseau  avait  pour  cet 
ouvrage  ayant  dû  donner  un  essor  particulier 
aux  mouvements  de  son  esprit  ,  il  est  à  regretter 
que  les  lettres  à  Rey  n'offrent  que  peu  de  détails 
de  ce  qui  se  passait  en  lui  pendant  qu'il  y 
mettait  la  dernière  main.  La  correspondance  eût 
porté  bien  d'autres  traces ,  et  plus  instructives, 
de  ses  efforts  pour  faire  de  son  texte  un  chef- 
d'œuvre  de  diction ,  si  la  facilité  de  l'envoi  do 
épreuves,  qui  se  misait  par  l'intermédiaire  de 
M.  de  Malcslierbes ,  ne  lui  eût  pas  donné  l'oc- 
casion de  marquer  amplement  en  marge  de  chaque 
épreuve  tout  ce  qui  avait  rapport  à  la  correction 
de  son  livre,  au  lieu  d'envoyer  d'avance  dan-  ses 
lettres  à  Rey  les  changements  qu'il  méditait. 
Or,  ces  épreuves  ont  disparu  avec  Le  manuscrit 
sur  lequel  ont  travaillé  les  compositeurs. 

Cependant  les  lettres  à  Rey  jettent  une  lu- 
mière suffisante  sur  la  marche  de  la  composition 
du  texte  en  général.  On  a  remarqué  que  les  deux 
copies  de    la    Nouvelle   Héloïse  qui  existent   en 


73 

France ,  écrites  de  la  main  de  l'auteur,  offrent 
presque  à  chaque  page  de  nombreuses  différences 
avec  le  texte  imprimé.  La  Correspondance  l'ex- 
plique: Rousseau  avait  copié  fidèlement  son  ma- 
nuscrit pour  Madame  d'Houdetot  et  pour  Ma- 
dame de  Luxembourg",  mais  dans  une  nouvelle 
copie  qu'il  a  faite  pour  Rey  il  a  introduit  de 
nombreux  changements,  et  peu  après  la  publi- 
cation, il  a  encore  indiqué  sur  un  de  ses  exem- 
plaires des  changements  assez  considérables  pour 
une  nouvelle  édition. 

Un  engagement  préalable  entre  Rousseau  et 
Rey  au  sujet  de  la  Nouvelle  Héloïse  avait  été 
fait  à  l'Hermitage  au  mois  de  Novembre  1758. 
Les  propositions  ultérieures  de  Fauteur  se  trou- 
vent dans  la  lettre  N°.  35 ,  que  j'ai  rangée  parmi 
celles  relatives  à  la  Lettre  à  d'Alembert,  parce 
qu'elle  contient  un  supplément  à  cet  ouvrage. 
Les  envois  de  la  copie  ont  commencé  au  mois 
d'Avril  de  1759.  Le  premier  envoi  contenait  un 
modèle  de  titre  sur  une  feuille  in-8°,  la  seule 
de  la  copie  qui  ait  été  retrouvée.  On  y  voit  deux 
variantes,  moderne  et  aux  pieds.  Voici  comment 
Rousseau  avait  d'abord  tracé  le  titre  pour  l'im- 

ï'vimeUr:  JULIE 

ou 

LA   MODERNE   HÉLOISE. 

LETTRES 

DE    DEtOi    4MANS,    IIAMTANS    D'UNE    PETITE    VILLE.  AUX    PIEDS    DBÊ    AI.I'l's, 
RECUEILLIES  ET  PUBLIÉES 

PAR  J.   .1.    ROI  SSEAU. 

riU-.MlKKK    PARTIE. 

Non  la  conobbfl  il  mondo  ,  mentre  I- 
ConobiU'  i"  ch'  »  pianger  qui  rimasi. 


74 

Le  mot  moderne  est  rayé  par  un  simple  trait , 
et  au-dessus,  Rey  a  écrit  nouvelle.  Au  revers 
de  la  feuille  on  lit  ce  qui  suit:  "NB.  Il  ne 
"faut  pas  imprimer  les  Lettres  de  suite  comme 
"elles  sont  dans  le  manuscrit,  mais  chaque  Let- 
tre doit  recommencer  une  pag-e,  et  pour  ne  pas 
"laisser  trop  d'espaces  blancs,  il  faut  tâcher  de 
"faire  finir  la  Lettre  précédente  le  plus  près 
"qu'il  se  pourra  du  bas  de  la  pag'e.  —  La  pré- 
"face  étant  ici  incorrecte  et  barbouillée  je  l'ai 
"recojnée  plus  au  net  à  la  fin  de  cette  pr?  partie, 
"où  il  restoit  du  papier  blanc.  —  Tous  les  ren- 
vois qui  sont  au  bas  des  pages  sont  en  notes." 

L'édition  originale  a  un  double  titre.  Le  faux 
titre  porte:  "Julie  ou  la  Nouvelle  Héloïse. 
Tome  Premier."  Le  vrai  titre  est  ainsi  conçu: 
"Lettres  de  deux  amans,  Habitans  d'une  petite 
ville  au  pied  des  Alpes.  Recueillies  et  publiées 
par  J.  J.  Rousseau.  Première  partie.  Non  hi 
conobbc  il  mon  do ,  mentre  Vebbe:  ConobilV  io  eli 
a  pianger  qui  rimasi.  Petrarc.  A  Amsterdam 
chez  Marc  Michel  Rey.  MDCCLXL"—  On  verra 
parles  lettres  qui  suivent,  que  pour  l'arrange- 
ment du  titre  Rousseau  s'en  est  rapporté  à  Rey 
et  que  celui-ci  de  son  côté  s'est  conformé  aux 
désirs  de  l'auteur. 


m.  o 

Voici,  mon  cher  Rey,  la  2e  partie  de  la  Julie  (2). 
Mon  plancher  étant  prêt  à  tomber,  j'ai  été  obligé  de 
rassembler  au  grenier  toutes  mes  guenilles  et  paperasses, 
et  de  me  loger  chez  un  paysan  voisin  en  attendant 
qu'on  raccommode  ma  chaumière.  Ainsi  n'ayant  pas  votre 
lettre  sous  la  main  ,  je  n'y  puis  répondre,  et  je  suppose 
que  la  réponse  ne  presse  pas.  Avec  la  3e  partie  et 
peut-être  plustot,  je  vous  écrirai  plus  au  long.  Adieu, 
mon  cher  Rey,  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


37. 

A  Montmorenci,  le  pr.  Juin  1759. 

Au  mois  de  février  dernier  M.  Rey  m'écrivit  qu'il 
me  feroit  payer  trente  Louis  en  mars  ;  mars  s'est  écoulé, 
et  je  n'ai  rien  receu. 

En  avril  il  m'écrivit  qu'il  alloit  m'envoyer  le  plus 
d'argent  qu'il  pourroit  ;  avril  s'est  écoulé  et  je  n'ai 
rien  receu. 

Dernièrement  après  avoir  receu  déjà  deux  parties  de 
la  Julie,  le  même  M.  Rey  me  marque  qu'il  écrit  à  je 
ne  sais  qui  de  me  faire  payer  en  mai  quatre  cents  livres: 
mai  s'est  écoulé  et  je  n'ai  pas  receu  un  sol. 

M.  Rey  me  réitère  la  promesse  que  les  2160  Ib  seronl 
payées  avant  la  fin  de  l'année.   Je  ne  conçois  pas  bien 


(i)  Ce  billet  est  sans  date.  Rey  y  a  marqué  qu'il  c=t  du  S  .Mai  1759  et  qui 
le  eachel  portail  la  devise  Vitam  impenderc  vero.  Parmi  les  lettres  qui  sui- 
vent, il  y  en  a  dont  les  originaux  ont  encore  >q  cachet. 

(-)    Il  comptai!   envoyer   la  première   partie   le   dernier  d'Avril.     V03 
lettre  X"   35,    Je  n'ai  pas  trouvé  la  lettre  qui  se  rapporte  à  cet  envoi. 


76 

comment  ne  payant  rien  clans  le  cours  de  l'année  tout 
se  trouvera  acquitté  à  la  fin. 

Je  ne  suis  point  homme  d'intrigue.  Je  ne  veux  me 
mettre  ni  voleur  ni  emprunteur.  Je  n'ai  pour  vivre 
que  le  produit  de  mon  travail.  Si  M.  Rey  continue  à 
me  faire  des  promesses,  il  faudra  que  je  meure  de  faim. 

Un  nommé  Cliappuis  (')  associé  de  M.  M.  Bousquet 
a  débité  dans  Paris  que  j 'a vois  étrangement  rançonné 
M.  Rey;  que  j'en  avois  extorqué  plus  de  quatre  mille 
livres;  que  j'étois  un  Arabe,  un  Juif.  Je  conseillerais 
a  Monsieur  Rey  pour  éviter  sa  ruine  de  n'avoir  plus 
d'affaire  avec  moi  et  de  vouloir  bien  me  renvoyer  les 
deux  parties  de  la  Julie  pour  lesquelles  il  m'a  déjà  tant 
promis  d'argent.     Je  le  salue  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


38. 


A  Moxtmorexci,  le  21  Juin   1759. 

En  réponse  à  votre  lettre  de  l'onze  de  ce  mois,  je 
vous  dirai,  Monsieur,  que  le  17  j'ai  receu  les  400  ft> 
montant  de  la  lettre  de  change  qui  m'avoit  été  envoyée 
quelques  jours  auparavant  par  M.  de  Saint-Venant  et  que 
vous  m'aviez  annoncée  pour  le  courant  de  mai.  Je  ne 
puis  rien  vous  dire  de  plus  jusqu'à  ce  que  j'aye  vu  si 
les  autres  payemens  se  feront  plus  exactement  selon 
la  note  que  vous  m'avez  envoyée.  Quant  aux  copies, 
n'en    soyez  point    en   peine,    quoique  je   sois  dans   les 

(*)  Parmi  les  liaisons  qu'il  fil  ;i  Genève  en  1754  il  nomme  dans  le  Ville  Livre 

des  Confession*  "ChappuiSj  commis  el  successeur  de  Gaunecourt,  qu'il  voulu! 

"supplanter,    el    qui    bientôl    fui    supplanté  lui-même."     La    Correspondance 

publiée  contient   deux  lettres  à  M.  Marc  Chappuis,  daté<     d<    Motiere  du  12 

Mai   L763. 


77 

embarras  des  massons,  du  déménagement,  du  l'emmé- 
nagement, je  vous  promets  que  vous  n'attendrez  point 
et  que  je  serai  aussi  exact  que  vous. 

Je  suis  bien  aise  que  vous  songiez  à  vous  mettre  en 
train  pour  ce  recueil.  Que  le  caractère  et  le  format  ne 
vous  arrêtent  pas,  car  je  m'en  rapporterai  volontiers 
à  votre  choix  pourvu  que  le  papier  soit  beau  et  le 
caractère  net  et  bien  lisible.  Il  me  semble  que  je  con- 
tinuerois  à  préférer  la  forme  octavo  pour  le  repos  de 
la  vue.  La  seconde  édition  de  ma  lettre  à  M.  d'Alem- 
bert  est  très-vilaine.  J'espère  que  vous  ne  la  prendrez 
pas  pour  modèle.  Si  vous  vouliez  m'envoyer  un  essai 
du  format,  du  papier,  et  du  caractère  que  vous  comptez 
employer,  je  vous  en  dirois  mon  avis.  Quand  vous 
me  marquerez  que  vous  serez  prêt  à  commencer  je  vous 
enverrai  l'adresse  pour  les  épreuves.  Je  ne  vous  ai 
point  parlé  des  planches  parce  que  c'est  une  entre- 
prise considérable  que  probablement  vous  ne  vous  sou- 
cieriez pas  de  faire.  Il  faudroit  pour  tout  l'ouvrage 
douze  planches  dont  les  sujets  sont  charmans  et  propres 
à  être  traités  supérieurement  par  M.  Boucher  peintre 
célèbre  de  ce  pays  (').  J'ai  calculé  que  les  dessins  et 
la  gravure  dans  la  perfection  que  l'entreprise  exige  se- 
roient  une  affaire  d'une  centaine  de  Louis.  Il  est  vrai 
que  cela  feroit  un  recueil  admirable  et  sûrement  trés- 
recherché.  Les  planches  seules  feroient  le  succès  du 
livre  (2) ,  mais  encore  une  fois  j'ai  compris  qu'il  étoit 
inutile  de  vous  faire  cette  proposition.  Toutefois  si 
contre   mon   attente  elle  étoit   de   votre  goût,  vous   y 


(>)  François  Boucher,  qu'on  a  nommé  le  peintre  des  grâces.  Il  est  mort 
vn  1770. 

(2)  Les  estampes  qui  se  trouvent  dans  l'édition  de  Rey  sont  de  l'invention 
de  Hubert  François  Danville  Gravelot,  mort  en  177-''.  qui  a  fait  beaucoup 
lessins  pour  différents  ouvrages  de  littérature. 


78 

seriez  encore  à  teins,  car  les  sujets  des  planches  sont 
tous  écrits ,  et  M.  Bouclier  a  déjà  donné  son  consente- 
ment; il  ne  reste  que  le  choix  des  graveurs,  qui  seroit 
bientôt  fait.  En  vérité  il  ne  se  seroit  pas  fait  en  es- 
tampes un  recueil  plus  agréable  et  plus  intéressant  dans 
ce  siècle. 

J'ai  vu  il  y  a  quelques  jours  M.  de  la  Broùe  qui 
ne  m'a  point  dit  que  son  nouveau  collègue  fut  encore 
arrivé.  Ne  doutez  pas  que  tous  ceux  qui  viendront  me 
voir  de  votre  part  ne  soient  toujours  bien  receus. 
Bien  des  remerciemens  et  des  salutations  de  ma  part  à 
M.  Auboin,  et  des  respects  à  Madame  Rey  que  je  suis 
charmé  de  savoir  rétablie.  Bonjour,  Monsieur,  je  vous 
embrasse  de  tout  mon  cœur. 


39. 

A  Montmorenci,  le  G   Aoust  1759. 

Le  mois  de  Juillet  est  passé,  mon  cher  Rey,  sans 
(pie  j'aye  entendu  parler  de  vous.  Ainsi  voici  depuis 
notre  dernier  traité  la  quatrième  fois  que  vous  m'avez 
manqué  de  parole.  En  vérité  je  ne  puis  me  résoudre 
à  vous  imputer  un  procédé  si  mal  honnête.  J'aime  mieux 
l'attribuer  à  la  situation  de  vos  affaires  qui  ne  vous 
permet  pas  de  remplir  avec  moi  vos  engagemens,  et 
à  la  mauvaise  honte  qui  vous  empêche  de  m'en  taire 
l'aveu.  Cela  supposé,  je  crois  devoir  vous  tirer  de 
l'embarras  où  vous  paraissez  être,  en  vous  proposa  ni 
de  résilier  notre  dernier  accord  et  de  nous  rendre  réci- 
proquement, moi  l'argent  et  vous  la  copie,  que  nous 
avons  receu.  Si  vous  voulez  me  renvoyer  par  la  poste 
on  autrement  les  deux  premières  parties  de  la  Julie, 
je  vous   renverrai   de  mon  côté  les   quatre  cent  francs 


7  i» 

que  vous  m'avez  fait  tenir  ou  je  les  rendrai  en  recevanl 
ces  deux  parties  à  celui  qui  me  les  remettra.  L'argent 
est  prêt  et  sera  compté  sur-le-champ.  Si  peut-être  vous 
étiez  retenu  par  le  scrupule  de  l'embarras  où  vous  m'avez 
pu  mettre,  tranquillisez-vous;  je  n'aurai  dans  cette  occa- 
sion que  le  chagrin  de  ne  pas  faire  affaire  avec  vous  ;  au 
surplus  je  ne  puis  vous  dissimuler  qu'il  se  présente  une 
occasion  de  disposer  de  mon  ouvrage  beaucoup  plus  avan- 
tageusement qu'avec  vous.  Mais  j'espère  que  vous  me 
connoissez  assez  pour  croire  qu'une  raison  d'intérêt  ne 
me  détermine  pas  dans  la  proposition  que  je  vous  fais; 
remplissez  vos  conditions  et  je  suis  prêt  à  remplir  les 
miennes;  je  veux  seulement  que  vous  sachiez  que  s'il 
convient  à  vos  intérêts  de  rompre  notre  marché,  cela 
ne  conviendra  pas  moins  aux  miens  et  que  si  vous  con- 
tinuez à  ne  tenir  aucun  compte  de  nos  arrangemens 
vous  me  mettrez  dans  la  nécessité  d'en  prendre  d'autres. 
Faites-moi,  je  vous  prie,  une  réponse  prompte  et  dé- 
cisive, ou  votre  silence  m'en  servira.  Je  vous  embrasse, 
mon  cher  Rey,  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

40. 

J'ai  receu ,  Monsieur ,  avant-hier  le  montant  de  votre 
seconde  remise  et  vous  recevrez  ci-joint  ma  3e  partie. 
Vous  pouvez  compter  toujours  sur  la  même  exactitude 
de  ma  part,  et  désormais  je  me  contenterai  pour  vous 
accuser  la  réception  d'un  nouveau  payement,  de  vous 
faire  un  nouvel  envoi,  jusqu'à  conclusion  de  l'un  et 
de  l'autre.  Adieu,  Monsieur,  je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 

Montmorenci  ,  le  .")  7lir.f'  1759. 


80 

Votre  M.  de  Saint- Venant  m'a  écrit  une  singulière 
lettre.  Il  me  paroit  que  les  leçons  lui  coûtent  moins  à 
donner  que  les  écus. 


41. 

A  Montmorenci  ,  le  7  SbT.e  1759. 

J'ai  receu ,  Monsieur ,  de  M.  de  Saint- Venant  une 
troisième  remise  de  quatre  cents  livres  laquelle  a  été 
exactement  payée.  Je  n'attends  pour  vous  envoyer  ma 
4e  partie  que  l'avis  que  la  3e  vous  est  parvenue.  Vous 
qui  prononcez  que  j'ai  tort  de  ne  pas  accuser  à  M.  de 
St.  Venant  la  réception  d'un  envoi  que  je  vous  accuse 
à  vous  même,  ne  devez  pas  croire  avoir  raison  de  garder 
envers  moi  le  silence  en  pareille  occasion,  et  il  n'est 
pas  naturel  que  je  hasarde  consécutivement  tout  mon 
ouvrage  par  la  poste,  sans  savoir  s'il  vous  parvient:  je 
ne  vois  pas  d'ailleurs  de  votre  part  des  signes  d'em- 
pressement pour  imprimer  ce  recueil  qui  me  fassent 
imaginer  le  moindre  préjudice  à  ce  retard. 

Au  reste,  vous  serez  averti  qu'il  y  a  un  autre 
M.  Rousseau  à  Montmorenci,  que  pour  me  distinguer 
de  lui,  il  faut  ajouter  après  mon  nom  Citoyen  de 
Genève,  et  ne  point  faire  mention  de  St.  Denis  dans 
l'adresse,  parce  qu'alors  les  lettres  s'arrêtant  à  ce  bureau 
souffrent  un  retard.  Adieu,  Monsieur;  j'attends  de  vos 
nouvelles  à  votre  loisir  et  vous  embrasse  de  tout  mon 
cœur. 

J.  J.   Rousseau. 


SI 


42. 


A   MONTMOBENCIj   le   20   8,,r.''   1759. 

Je  reçois  dans  L'instant,  Monsieur,  votre  lettre  du  lo, 
et  voilà  ma  4e  partie.  Les  autres  suivront  dans  leur 
tems  avec  la  même  exactitude. 

L'inégalité  des  parties  est  en  effet  un  inconvénient, 
mais  il  est  inévitable  ;  on  ne  sauroit  mesurer  cette 
espèce  de  travail  à  l'aune.  Des  coupures  mieux  faites 
importent  plus  ,  même  pour  vous ,  que  des  volumes  plus 
égaux.  Au  surplus,  la  différence  n'est  pas  si  grande 
qu'en  resserrant  sa  composition  dans  les  parties  plus 
longues  et  l'étendant  dans  les  plus  courtes ,  un  impri- 
meur intelligent  ne  la  rende  très-supportable. 

Je  suis  bien  aise  que  vous  me  marquiez  que  vous 
enfermez  sous  la  clé  les  parties  de  ce  recueil  à  mesure  que 
vous  les  recevez.  Cela  me  rassure  sur  la  crainte  des 
communications  indiscrètes ,  et  me  confirme  dans  la  réso- 
lution de  ne  point  écouter  les  rapports  du  tiers  et  du 
quart.  On  dit  que  vous  êtes  maintenant  occupé  d'en- 
treprises plus  importantes  qui  vous  feront  négliger  celle- 
là.  Faites  ce  qui  vous  paroitra  le  mieux  pour  votre 
intérêt ,  le  mien  seroit  plustot  que  ce  recueil  parût 
tard  que  tôt  ;  mais  je  dois  vous  dire  qu'il  est  attendu 
ici  depuis  longtems  avec  quelque  sorte  d'impatience 
qu'une  longue  disette  de  Romans  doit  naturellement 
augmenter.  Mais  comme  il  y  a  maintenant  sous  presse 
plusieurs  ouvrages  de  cette  espèce,  et  que  la  vivacité 
françoise  ne  s'occupe  pas  longtems  du  même  objet, 
il  est  à  croire  que  la  curiosité  sera  éteinte  avant  que 
vous  vous  soyez  mis  en  état  de  la  contenter.  Je  de- 
vois  à  vous  et  à  moi  cet  avertissement  .  du  reste  je 
vous    répète    que   je    trouverai    bon    tout    ce    que  vous 

6 


82 

ferez  à  cet  égard  pourvu  que   vous   exécutiez  l'ouvrage 
avec  soin. 

Je  vous  salue ,  Monsieur ,  et  vous  embrasse  de  tout 
ii mn  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


43. 

A  Montmoeenci,  le  15  Xl,r.e  1759. 

Je  vous  ai  expédié,  Monsieur,  l'ordinaire  dernier 
la  5e  partie  de  la  Julie  en  vous  accusant  la  réception 
du  4e  payement;  il  faut  maintenant  répondre  à  votre 
lettre  du  27  8brc. 

Je  n'ai  rien  à  dire  aux  raisons  de  vôtre  retard  pane 
que  personne  ne  connoit  mieux  votre  intérêt  que  vous- 
même;  cependant  je  doute  que  ce  retard  vous  tourne 
à  compte;  parce  que  l'ouvrage  ne  vaut  certainement 
pas  le  bruit  qu'il  fait,  et  qu'après  l'avoir  si  longtems 
vainement  attendu,  je  crains  qu'on  ne  s'en  dégoûte  en 
le  voyant  paroitre. 

Je  suis  fort  en  peine  de  la  manière  dont  vous  me 
ferez  parvenir  les  épreuves;  car  au  prix  exorbitant  dont 
on  a  renchéri  les  postes,  les  ports  de  lettres  ne  me 
deviennent  déjà  que  trop  onéreux  et,  si  quand  elles  ne 
sont  pas  bien  pressées,  vous  trouviez  quelque  occasion 
comme  autrefois  jusqu'à  Paris,  vous  m'obligeriez  beau- 
coup. Quant  aux  épreuves,  les  ports  directs  par  la  poste 
absorberoient  et  au-de-là  tout  l'honoraire  que  vous 
m'avez  d.onné  pour  cet  ouvrage.  Il  n'y  faut  pas  penser. 
Cependant  s'il  ne  vous  étoit  pas  trop  onéreux  d'entrer 
dans  cette  dépense  non  par  de  l'argent  mais  par  des 
exemplaires,  j'essayerois  d'entrer  dans  quelque  arran- 
gement   avec    Mrs.  des  Postes    pour    modérer  les    ports 


83 

des  pacquets  et  rendre  cette  voye  pratiquable.  Si  M. 
de  Malesherbes  avoit  ses  ports  francs ,  ce  que  j'ignore, 
ne  pourriez -vous  sans  indiscrétion  lui  adresser  les  épreu- 
ves afin  qu'il  vît  l'ouvrage  à  mesure  et  le  prier  de  me 
les  faire  parvenir.  Il  m'a  toujours  témoigné  de  la  bonté 
et  s'il  consentoit  à  cet  arrangement  je  lui  écrirois  vo- 
lontiers pour  l'en  remercier.  En  attendant  que  quel- 
qu'une de  ces  voyes  puisse  avoir  lieu,  vous  pouvez 
m'envoyer  les  échantillons  et  même  les  premières  épreuves 
sous  les  adresses  ci-après  ;  mais  il  faut  avoir  pour  cela 
les  attentions  suivantes. 

1.  Faire  tous  vos  pacquets  petits  et  chacun  d'une 
feuille  seulement,  ou  de  deux  tout  au  plus. 

2.  Envelopper  le  pacquet  d'un  simple  fil  cacheté  ou 
de  deux  bandes  de  papier,  sans  que  mon  nom  y  pa- 
roisse; puis  plier  le  tout  dans  une  seule  enveloppe  à 
l'adresse  indiquée.  Le  pacquet  me  parviendra  quoique 
mon  nom  n'y  soit  pas  ;  cela  est  convenu  d'avance. 

3.  Si  vous  joignez  un  billet  au  pacquet,  faites  en 
sorte  que  ce  billet  ne  contienne  rien  d'où  l'on  puisse 
inférer  que  le  pacquet  n'est  pas  pour  la  personne  à  la- 
quelle il  est  adressé.  Quand  vous  serez  obligé  d'écrire 
quelque  particularité  qui  me  désigne,  écrivez  à  part  et 
directement  à  mon  adresse. 

4.  Servez  vous  alternativement  des  deux  adresses  et 
n'employez  pas  la  même  deux  fois  de  suite.  Il  seroit 
même  à  désirer  que  le  cachet  ne  fût  pas  le  même,  ni 
l'écriture  de  la  même  main. 

Voilà,  moucher  Rey,  bien  des  soins  pour  un  homme 
aussi  vif  que  vous.  Si  vous  n'en  oubliez  que  le  quart, 
je  n'aurai  pas  trop  à  me  plaindre. 

1.       A  Monsieur  de  Chenonceaux,  fermier  général  du  Roy, 
à  l'Hôtel  des  fermes.   A  Paris. 


84 

2.       A  Monsieur  Lecointe  secrétaire  de  M.  le  Gardes-des 
Sceaux  de  Machault.     A  Arnouville,  par  Paris. 

Vous  me  ferez  plaisir  de  choisir  pour  échantillon  la 
préface,  parce  que  j'ai  quelque  changement  à  y  faire 
et  que  je  n'en  ai  point  de  copie  exacte.  J*ai  aussi 
plusieurs  changemens  à  foire  dans  le  texte,  ils  sont  peu 
considérables ,  mais  nécessaires  et  assez  nombreux,  mar- 
quez moi  si  vous  aimez  mieux  que  je  vous  les  envoyé 
à  part,  ou  que  j'attende  à  les  marquer  dans  les  épreuves. 

Je  serai  fort  aise  de  vous  voir  à  votre  voyage  dans 
ce  pays,  et  je  ne  serois  pas  même  fâché  de  savoir  dans 
quel  tems  à  peu  près  vous  vous  proposez  de  le  faire. 
Ce  voyage,  outre  vos  autres  affaires,  peut  n'être  pas 
inutile  pour  vous  et  pour  moi.  Bonjour,  mon  cher  Rey, 
je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


44. 

J'aî  receii ,  mon  cher  Rey,  votre  dernier  payement 
ei  voici  ma  dernière  partie  avec  la  préface  dans  L'étal 
où  elle  doit  l'ester,  et  les  principaux  changemens;  ils 
sont  tous  dans  la  première  partie:  mais  cela  ne  doit 
pas  vous  empêcher  d'imprimer  si  vous  voulez  la  seconde 
en  même  tems;  car  les  changemens  que  j'ai  a  y  faire 
sont  peu  de  chose  et  ne  sont  pas  (Luis  le  commence- 
ment. J'aurai  soin  de  vous  envoyer  à  tems  ceux  que 
je  pourrai  faire  dans  la  suite;  mais  je  n'en  prévois  pas 
beaucoup  et  j'espère  que  si  les  épreuves  sont  correctes 
de  votre  côté,  il  n'y  aura  du  mien  que  quelques  mots 
à   changer  qui  n'embarrasseront  guèivs. 

J'attends  que  vous  me  disiez  ce  que  vous  aura  répondu 


85 

M.  de  Malesherbes  avant  de  prendre  des  arrangemens 
avec  Mrs.  des  Postes  ;  car  je  voudrais  bien  vous  épargner 
des  fraix.  En  attendant  suivez  pour  vos  envois  mes 
indications  précédentes  en  commençant  par  la  première 
adresse  &c.     J'attends  un  pacquet  au  premier  jour. 

Adieu,  Monsieur,  je  vous  embrasse.  Mes  respects  à 
Madame  Rey.  Wt  Le  Vasseur  me  charge  de  vous  as- 
surer des  siens. 


J.   J.   Rousseau, 


A  Montm.  le  18  Janvr  1760. 


45. 

Ce  mot  n'est  que  pour  vous  prier,  Monsieur,  de  ne 
rien  m'envoyer  du  tout  à  l'adresse  de  M.  de  Clienon- 
ceaux.  Je  ne  me  soucie  pas  même  trop  non  plus  que 
vous  vous  serviez  de  l'autre,  cependant  je  ne  l'exclus 
pas  de  même.  J'espère  que  vous  avez  receu  ma  6e  partie 
et  que  j'aurai  bientôt  de  vos  nouvelles.  Je  les  attends 
pour  proposer  un  arrangement  avec  Mrs.  des  Postes ,  au 
cas  que  M.  de  Malesherbes  n'en  ait  pas  pris  avec  vous. 
Adieu,  Monsieur;  je  vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 

Montmorenci  le  30  Janvr.   17G0. 


40. 

A  Montmorenci,  le  6  Mars  1760. 

J'ai  receu,  Monsieur,  avec  votre  lettre  du  28  Fevr. 
L'échantillon  du  caractère  et  format  que  vous  ave/  choisi. 
Le  caractère  est  forl  bien;  je  pense  que  vous  prendrez 


86 

le  petit-romain  pour  les  notes,  afin  qu'elles  soient  li- 
sibles. 

Le  format  me  paroit  trop  étroit  pour  sa  longueur  ou 
trop  long  pour  sa  largeur.  A  moins  qu'il  n'y  ait  à 
cela  des  proportions  fixes,  ce  que  je  ne  sais  pas,  je 
crois  que  vous  en  pouviez  prendre  une  plus  élégante. 
Je  ne  sais  si  le  papier  de  l'échantillon  est  celui  que 
vous  comptez  employer;  il  me  paroit  assez  vilain.  Au 
reste,  faites  pour  le  mieux;  je  vous  laisse  le  maître  de 
tout;  mais  j'espère  que  vous  voudrez  bien  me  faire  tirer 
quelques  exemplaires  en  beau  papier. 

Le  titre  courant  des  pages  ne  doit  point  être  Lettres 
de  deux  amans  $'c,  mais,  La  nouvelle  Hcloïse.  C'est 
aussi  le  titre  qu'il  faut  substituer  à  celui  de  la  seconde 
partie  et  des  suivantes. 

J'ai  aussi  receu  précédemment  votre  billet  dupr.  Févr. 
où  vous  avez  mis  ces  mots:  Je  tous  ai  mandé  par  le 
canal  de  M.  de  Malesherbes  qu'il  a  accepté  ma  p>ropo- 
sition.  Cela  supposoit  une  autre  lettre  venue  par  le 
canal  de  M.  de  Malesherbes.  J'ai  toujours  attendu  cette 
autre  lettre ,  et  ne  l'ai  point  reçue.  Ainsi  si  elle  conte- 
noit  quelque  chose  qui  fût  nécessaire  à  dire,  répétez- 
le  moi.  J'écris  aujourdhui  à  M.  de  Malesherbes  pour  le 
remercier. 

Je  vous  conjure  de  faire  corriger  les  premières  épreu- 
ves avec  soin  afin  que  je  ne  sois  pas  dans  la  nécessité 
de  trop  barbouiller  les  miennes;  d'autant  plus  qu'ayant 
oublié  la  pluspaxt  des  signes  de  correction,  je  ne  suis 
pas  trop  sûr  de  me  faire  bien  entendre.  Que  l'on  cor- 
rige exactement  les  fautes  de  l'imprimeur,  mais  surtout 
qu'on  laisse  toutes  les  miennes.  On  doit  croire  que  je 
sais  assez  de  françois  pour  avoir  rendu  l'ouvrage  plus 
correct  ,   si    je  l'avois   voulu. 

Ne    me    faites    point    d'excuse    de    vos    retardement 


87 

Comme  il  n'y  a  point  de  ma  faute,  je  puis  vous  en 
Laisser  courir  les  risques  sans  inquiétude.  C'est  une 
affaire  à  démêler  entre  vous  et  le  public  impatient  et 
rebuté.  Faites  donc  à  votre  aise  et  sans  vous  inquiéter 
de  moi.  Je  vous  embrasse ,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

Voici  pour  la  prc.  partie  un  changement  peu  consi- 
dérable, mais  important,  et  que  je  vous  prie  de  faire 
à  l'instant  de  peur  qu'il  ne  s'oublie. 

P.  174  vers  le  milieu  après  ces  mots 

"Quelle  est  donc  cette  gloire  insensée  dont  vous  faites 
tant  de  bruit?" 

ôtez  ce  qui  suit  jusqu'à  la  fin  de  l'alinéa,  et  sub- 
stituez-y ces  mots 

u  celle  de  servir  un  Prince,  et  d  être  à  charge  à  F  Etat."  ('). 

Je  dois  vous  avertir  aussi,  pendant  que  j'y  pense, 
que  quand  le  mot  de  Monsieur  s'écrit  en  abrégé ,  il  n'y 
faut  point  d'r  MX  mais  seulement  une  M  et  un  point  . 
M.  Je  vous  avertis  de  cela  parce  que  dans  ma  lettre 
à  M.  d'Alembert  on  a  constamment  mis  dans  l'imprimé 
cette  r  qui  n'étoit  point  dans  la  copie. 


47. 

A  Montmoiienci ,    le   10  Avril   17<i<>. 

Voici,  Monsieur,  votre  première  épreuve  corrigée;  je 

vous  prie  de  vouloir  faire  la  plus  grande  attention  aux 

(i)  Le  passago  se  lit  dans  la  lettre  LXII.  Eu  corrigeant  l'épreuve,  l'auteur 
doit  avoir  substitué  le  mot  homme  au  lieu  de  /'rince.  On  lii  déjà  dans 
L'édition  originale:  "celle  'le  servir  un  homme,  et  d'êtn  à  charge  à  V Etat." 


88 

corrections.  J'aurois  voulu  vous  éviter  le  port  du  retour 
de  la  feuille,  et  c'est  ce  que  je  ferai  quand  les  épreuves 
seront  assez  correctes  pour  que  sans  les  renvoyer  je 
puisse  indiquer  les  fautes  ;  mais  leur  nombre  dans  celle-ci 
m'a  fait  craindre  de  ne  les  pouvoir  indiquer  assez  clai- 
rement. 

A  mesure  que  vous  ferez  tirer  les  feuilles,  je  vous 
prie  de  vouloir  bien  m'en  envoyer  une  avec  les  épreuves 
des  suivantes ,  afin  que  je  voye  s'il  n'y  reste  point  des 
fautes  assez  considérables  pour  exiger  des  cartons,  ce 
que  j'espère  qui  n'arrivera  pas  si  vous  voulez  bien  y 
donner  vos  soins. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  mettre  une  enveloppe,  à 
mon  adresse;  il  suffît  d'adresser  seulement  les  feuilles 
à  M.  de  Malesherbes  qui  doit  les  voir,  et  qui  étant 
prévenu  veut  bien  prendre  le  soin  de  me  les  faire  tenir. 

Je  ne  puis  répondre  ici  à  la  lettre  que  vous  m'an- 
noncez avec  la  seconde  épreuve,  parce  que  je  ne  l'ai 
pas  encore  receue.  Je  finis  donc.  Monsieur,  en  vous 
embrassant  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


48. 

Voilà,  Monsieur,  votre  2e  feuille.  Jusqu'ici  je  su^ 
assez  content  de  la  correction,  surtout  parce  qu'on  > 
laisse  les  fautes  que  j'y  veux  laisser. 

Votre  projet  de  vignettes  ne  me  rit  pas  trop.  Les 
vignettes  aux  titres  des  livres  rendent  ces  titres  confus, 
e1  c'est  ce  qui  arrivera  infailliblement  à  la  première 
partie  dont  le  titre  esi  un  peu  chargé.  D'ailleurs  il 
l'audioit  trouver  des  sujets  relatifs  au  caractère  de  l'ou- 
vrage H    c'esl   ri'  qui    n'est    point   aisé.      Il  faudroit    (pie 


89 

les  figures  fussent  élégantes  et  légères ,  et  c'est  ce  que 
la  vignette  du  discours  sur  l'inégalité  (')  ne  me  laisse 
espérer  ni  de  vos  dessinateurs  ni  de  vos  graveurs.  En 
général  les  figures,  et  surtout  celles  qui  demandent  de 
l'expression  sont  très-difficiles  à  rendre  dans  des  vignettes 
parce  que  l'espace  est  trop  petit.  Dans  un  recueil  tel 
que  le  nôtre  des  vignettes  maussades  gâteroient  tout, 
C'étoient  des  estampes  qu'il  nous  falloit;  tous  les  sujets 
en  étoient  piquans  :  elles  auroient  été  charmantes  ;  c'eût 
été  peut-être  le  plus  agréable  recueil  d'estampes  qu'on 
eût  fait  en  ce  siècle,  et  je  suis  très-sûr  qu'elles  seules 
eussent  fait  la  fortune  du  livre.  Au  reste,  comme  ex- 
cepté la  pre.  partie  les  titres  des  autres  laisseront  beau- 
coup de  blanc,  si  vous  y  voulez  mettre  des  vignettes 
envoyez  m'en  des  épreuves ,  je  vous  en  dirai  mon  avis. 
Bonjour,  Monsieur,  je  vous  embrasse. 

Montmorenci,  le  17  Avril  1760. 

Souvenez-vous,  je  vous  prie,  d'envoyer  vos  pacquets 
sous  la  seule  enveloppe  de  M.  de  Malesherbes ,  sans  y 
mettre  une  autre  enveloppe  à  mon  adresse. 


40. 

Voici,  Monsieur,  votre  3e  Epreuve.  Je  vous  les  ren- 
verrai toutes  puisque  vous  l'aimez  mieux  ainsi. 

Je  ne  suis  pas  d'avis  que  vous  orniez  de  ma  devise 
le  frontispice  de  ce  roman.  Je  ne  vois  pas  trop  ce 
qu'elle  feroit  là,  et  d'ailleurs  il  me  paroit  de  mauvais 
goût  que  le  titre  d'un  livre  de  cette  espèce  soit  bigarré 
de  latin,  de  françois  et  d'italien.  Au  reste  je  trouve  la 

(')   Voyez  la  note  au   No.    1  I. 


90 

plaisanterie  si  bonne  que  j'aurai  soin  de  vous  en  faire 
honneur  dans  le  public  en  temps  et  lieu.  Je  vous  em- 
brasse ,  Monsieur ,  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 
A  Montmorenci,  ce  24  Avril  1760. 


50. 

A  Montmorenci,  le  8  Mai  1760. 

Il  m'est  impossible,  Monsieur,  de  vous  renvoyer  les 
épreuves  avec  plus  d'exactitude  et  de  diligence  que 
je  l'ai  fait  jusqu'ici;  car  je  les  ai  toujours  renvoyées 
par  le  Courrier  immédiatement  suivant  celui  où  je  les 
ai  reçues. 

Par  exemple,  l'épreuve  E  m'est  arrivée  Limdi  5  au 
soir,  et  l'épreuve  F  le  lendemain;  je  les  mets  aujourdhui 
jeudi  à  la  poste  de  Montmorenci,  afin  qu'elles  partent 
de  Paris  par  le  Courrier  de  demain.  J'en  ai  usé  et  en 
userai  de  même  pour  toutes  les  autres.  Si  donc  elles 
ne  m'arrivent  pas  ou  ne  vous  retournent  pas  en  teins 
dû,  ce  n'est  pas  ma  faute. 

Je  suis  content  des  premières  feuilles,  et  quand  je 
le  suis  j'ai  grand  plaisir  à  le  dire;  c'est  dommage  qu'on 
ne  me  donne  pas  ce  plaisir  plus  souvent.  Il  y  est  pour- 
huit  resté  plusieurs  fautes  et  il  y  a  des  corrections  qui 
ont  été  transposées  et  où  l'on  ne  m'a  pas  entendu.  Cela 
m'a  l'ait  prendre  le  parti  de  les  numéroter  quand  il  y 
en  a  plusieurs  sur  la  même  ligne  dans  les  pages  Verso. 
Malheureusement  je  suis  souvent  l'on  embarrassé  pour 
me  faire  entendre,  ne  sachant  pas  les  signes,  et  déplus 
le  papier  boit  extrêmement,  ce  qui  rend  les  corrections 
très-embrouillées  quelquefois,    -'e  vous  prie  instamment 


91 


qu'il  n'en  soit  fait  aucune  qu'on  ne  soit  très-sûr  de 
m'avoir  entendu.  J'aime  mieux  qu'on  laisse  les  fautes 
que  de  les  mal  corriger.  Bonjour,  Monsieur;  je  vous 
embrasse. 


51. 


A  Montmorenci  ,  le  1 1  Mai  1760. 

Vous  m'envoyez  des  épreuves  pleines  de  fautes  hor- 
ribles ,  sur  du  papier  qui  boit  si  fort  qu'on  n'y  sauroit 
écrire;  cela  n'est-il  pas  désolant?  Précisément  cela  tombe 
sur  la  feuille  G  qui  avec  la  suivante  est  celle  de  tout 
l'ouvrage  dont  la  correction  importe  le  plus  (').  J'ai 
fait  ce  que  j'ai  pu  pour  rendre  mes  corrections  claires  ; 
mais  je  sens  qu'il  faut  bien  de  l'attention  et  de  la  bonne 
volonté  pour  les  trouver  telles.  Je  vous  supplie  instam- 
ment qu'on  y  veille  avec  le  plus  grand  soin ,  surtout 
pour  ces  deux  feuilles,  où,  indépendamment  des  fautes, 
je  suis  forcé  de  faire  beaucoup  de  cliangemens.  S'il  y 
a  quelque  chose  sur  quoi  vous  restiez  en  doute ,  renvoyez 
plustot  une  seconde  épreuve;  car  quoiqu'il  arrive  il  faut 
que  ces  deux  feuilles  soient  correctes,  et  il  faut  s'il 
vous  plait ,  vous  résoudre  à  y  faire  autant  de  cartons 
qu'il  y  restera  de  fautes. 

Soyez  très-sûr  qu'il  n'y  aura  point  de  retard  de  ma 
part.  Ayant  receu  hier  fort  tard  cette  épreuve  j'y  ai 
passé  la  nuit  pour  la  renvoyer  ce  matin  afin  qu'elle 
soit  à  tems  à  Paris  pour  le  Courrier  de  demain. 

Je  n'ai  pas  songé  à  répondre  à  M.  d'Alembert  ;  j'es- 
père  ne  jamais  répondre  ni  à  lui  ni  à  personne.    Quand 

(')  La  feuille  G  dans  l'édition  originale  contient  les  Lettres  XXXVI — XLVI1 
rie  la  Première  Partie.  On  verra  dans  la  lettre  qui  suit  que  l'auteur  fait  valoir 
L'importance  surtout  de  la  feuille  II  ;  elle  contient   les   lettres    XLVIII — LIV. 


92 

j'ai  dit  mon  sentiment  et  mes  raisons ,  j'ai  fait  mon 
devoir.  Ceux  qui  sont  d'un  avis  contraire  font  fort  bien 
de  dire  aussi  leurs  raisons.  Au  surplus  c'est  au  public 
à  juger:    Qu'il  juge. 

Mlle.  LeVasseur  vous  remercie  de  l'honneur  de  votre 
souvenir,  et  moi,  Monsieur,  je  vous  saliie  et  vous  em- 
brasse de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


52. 

A  Montmokenci,  le   18  Mai  1760. 

J'ai  receu  hier,  Monsieur,  votre  pacquet  du  10  con- 
tenant les  2.  premières  feuilles  du  2e  Tome.  Je  les  lais 
repartir  aujourdlmi  corrigées.  J'ai  eu  la  même  exacti- 
tude pour  toutes  les  autres  feuilles;  l'épreuve  E  n'a 
point  été  retardée  par  ma  faute,  et  je  ne  comprends 
rien  du  tout  à  vos  reproches,  sinon  que  d'une  ligne 
légèrement  écrite  vous  me  coûtez  des  pages  d'éclaircis- 
sement. Mais  j'ai  toujours  dû  m'attendre  qu'après  qua- 
torze mois  de  retard  vous  feriez  si  bien  qu'enfin  le 
retard  seroit  sur  mon  compte.  Patience.  Quelque  jour 
peut-être  nous  saurons  les  raisons  de  vos  procédés, 
auxquels  quant  à  présent  je  ne  comprends  rien  du  tout. 
Vous  dites  avoir  fait  partir  le  S  l'épreuve  II  ;ivec  la 
bonne  feuille  D.  Ce  pacquet  ne  m'esl  point  parvenu 
et  je  n'ai  rien  receu  du  tout  l'ordinaire  dernier.  J'écris 
à  M.  de  Malesherbes  pour  savoir  s'il  lui  est  parvenu. 
Dans  le  doute  qu'il  soit  perdu  je  vous  conseille  pour 
éviter  de  plus  grands  délais  de  me  renvoyer  par  dupli- 
cata celte  épreuve  H.  et  même  la  bonne  feuille  D  afin 
qu'il  n'y  ait  point  «le  déficil  dans  nui  suite.  Jusqu'à 
présenl  j»'  n'ai  que  1rs  •">  premières  feuilles. 


93 


s 


Dimanche  un  M.  de  ht  Bastide  (')  que  je  ne  commis 
point  mais  qui  publie  à  Paris  des  feuilles  périodiques 
vint  me  voir  et  m'offrir  deux  cents  louis  du  manuscrit 
de  la  nouvelle  Héloïse  si  je  voulois  m'en  défaire.  Je 
lui  dis  que  ce  manuscrit  n'étoit  plus  à  moi,  qu'il  vous 
appartenoit,  mais  quej'avois  lieu  de  croire  que  vous  n'y 
étiez  pas  fort  attaché.  Là-dessus  il  me  demanda  votre 
adresse  et  mon  consentement  si  vous  étiez  d'humeur 
de  faire  affaire  avec  lui;  je  lui  dis  que  quant  à  moi  je 
ne  m'y  opposerois  point.  Il  repartit  là-dessus  parois- 
sant  disposé  à  vous  écrire.  Voilà  tout  ce  que  j'en  sais. 
Je  vous  embrasse,  monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  mettre  aux  pacquets  une 
enveloppe  à  mon  adresse  ;  attendu  que  M.  de  Males- 
herbes  a  la  bonté  d'y  en  faire  ajouter  une  autre  con- 
tresignée, et  qu'ainsi  la  votre  ne  sert  de  rien. 


53. 

A  Montmorenci,  le  22  Mai. 

J'ai  receu  hier  au  soir  avec  votre  billet  du  15  cette 
('■preuve  et  je  vous  la  renvoyé  ce  matin  malgré  une  mi- 
graine horrible  qui  m'empêche  d'ouvrir  les  yeux.  J'ai 
toujours  fait  la  même  diligence;  ainsi  je  vous  prie  de  ne 
perdre  plus  le  tems  à  nie  la  prêcher;  car  il  me  sera  toujours 
impossible  de  renvoyer  les  pacquets  avant  de  les  recevoir. 

Votre  envoi  du  8  lequel  contenoit  l'épreuve  H  et  la 

(>)  J.  F.  de  Bastide,  auteur  d'un  Journal  le  Monde  comme  il  est,  dans  le- 
quel il  voulait,  bon  gré  mal  gré,  insérer  tous  les  manuscrits  ,1e  Rousseau. 
Conf.  L.  Xi.   La  correspondance  publiée  contient  deux  lettres  ù  51.  .le  Bastide. 


94 

bonne  feuille  D  ne  m'est  point  parvenu  et  ne  se  trouve 
point.  Ainsi  je  le  regarde  comme  perdu,  et  j'ai  pris  le 
bon  parti  de  vous  prier  par  le  Courrier  précédent  de 
me  renvoyer  la  même  chose  par  duplicata.  Surtout 
gardez-vous,  je  vous  supplie,  de  faire  tirer  cette  feuille 
H  avant  que  j'en  aye  corrigé  l'épreuve;  car  c'est  celle 
de  tout  l'ouvrage  qu'il  importe  le  plus  de  faire  passer 
sous  mes  yeux. 

Je  ne  vous  envoyé  pas  les  corrections  pour  les  autres 
parties,  parce  que  je  n'en  prévois  pas  de  considérables, 
et  qu'ayant  négligé  de  coter  sur  ma  copie  les  pages  de  la 
votre,  vous  auriez  beaucoup  de  peine  à  trouver  les  renvois. 

Je  n'ai  encore  que  quatre  bonnes  feuilles  savoir  les 
trois  premières  ,  et  la  cinquième  ;  j'attends  d'avoir  toute 
une  partie  pour  la  relire  de  suite  et  vous  en  dire  mon 
avis.  Je  souhaite  de  tout  mon  cœur  qu'il  n'y  ait  pas 
de  faute  assez  considérable  pour  exiger  des  cartons ,  car 
je  n'aime  point  à  vous  donner  de  l'embarras;  Bonjour, 
Monsieur;  je  vous  embrasse 

J.  J.  "Rousseau. 

J'oubliois  de  vous  dire  que  le  papier  boit  si  forl  que 
n'y  pouvant  faire  de  correction  lisible  avec  la  plume  je 
me  suis  avisé  de  les  faire  avec  du  crayon.  Je  crains 
que  le  crayon  ne  macule  dans  le  transport,  mais  je  n'y 
saurois  que  faire.    Je  ne  vois  point  d'autre  expédient. 


54. 

A  Montmorenci,  le  25   Mai  1760. 

J'ai  receu  hier  au  soir  votre  parquet  du  1!)  contenanl 
la  bonne  feuille  F  et  réprouve  K  que  je  vous  renvoyé 
ce  matin  corrigée.    Il  n'est   |>as  étonnant  qu'il  m'échappe 


95 

des  fautes;  car  pour  les  corriger  il  faudroit  relire  plu- 
sieurs fois  l'épreuve  à  tête  reposée,  et  à  peine  ai-je  le 
tenis  de  la  bien  lire  une  ;  surtout  celle  qui  m'arrive  le 
samedi ,  et  quand  il  faut  encore  vous  écrire.  Quoi  qu'il 
en  soit,  j'aime  mieux  que  vous  laissiez  mes  fautes, 
que  de  faire  des  corrections  qui  ne  soient  pas  sur  le 
MS.  parce  qu'il  vous  est  impossible  de  distinguer  sû- 
rement les  fautes  qui  m'échappent  de  celles  que  je  veux 
laisser. 

Le  paquet  contenant  la  bonne  feuille  D  et  l'épreuve 
H  n'est  point  retrouvé.  Ainsi  pour  corriger  cette  épreuve 
j'en  attends  le  duplicata;  je  dois  même  vous  prévenir 
qu'il  y  a  tant  à  travailler  sur  cette  épreuve  que  je 
pourrois  bien  êtve  forcé  d'en  retarder  le  renvoi  d'un 
courrier  ce  que  je  tâcherai  pourtant  de  ne  pas  faire. 

Je  voudrois  bien  vous  envoyer  d'avance  les  corrections, 
mais  il  m'est  presque  impossible  de  vous  les  indiquer 
exactement  par  la  raison  que  je  vous  ai  déjà  marquée, 
et  je  crains  les  qui-pro-quo.  D'ailleurs  en  faisant  votre 
copie  sur  la  mienne  j'y  ai  changé  beaucoup  de  choses 
dont  je  ne  me  souviens  plus,  et  qui  sont  mieux  que 
les  changemens  que  je  pourrois  faire  aujourdhui;  de  sorte 
que  ce  n'est  que  sur  l'épreuve  même  que  je  peux  juger 
de  la  leçon  qui  est  à  préférer.  Au  reste,  les  chan- 
gemens seront  beaucoup  moindres  dans  les  parties  sub- 
séquentes qu'ils  n'ont  été  dans  la  première.  Il  m'en 
tombe  actuellement  un  sous  la  main  pour  la  3e  feuille 
de  la  2e  partie:  je  vous  l'envoyé  à  bon  compte,  et  vous 
embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


96 


55* 


A  Montmorenci,  le  28  Mai  1760. 

.Voici ,  Monsieur,  les  épreuves  L  et  M  que  j'ai  receues 
hier  au  soir  avec  la  bonne  feuille  G  qui  est  bien. 
Mais  gare  H  que  j'attends  toujours  et  qui  j'espère  m'ar- 
rivera  le  Courrier  prochain,  si  vous  avez  eu  soin  de 
m'en  expédier  le  double  aussitôt  que  je  vous  ai  donné 
avis  de  la  perte  du  pacquet  qui   la  contenoit. 

Vous  assurez  que  j'ai  8  épreuves.  Je  n'en  avoispas 
une'  hier  au  soir  à  huit  heures;  à  neuf  j'ai  eu  ces  deux-ci  ; 
je  les  renvoyé  à  dix  ce  matin;  à  midi  je  n'en  aurai 
plus,  et  il  en  a  toujours  été  de  même  quand  vous  avez 
tant  fait  que  d'en  envoyer  deux  dans  le  même  pacquet: 
ce  qui  n'est  encore  arrivé  que   deux  fois. 

J'ai  eu  une  explication  avec  M.  de  Malesherbes  au 
sujet  du  pacquet  perdu.  J'ai  quelque  soupçon  qu'il  s'est 
égaré  dans  ses  bureaux.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  veut  bien 
désormais  faire  fermer  les  pacquets  en  sa  présence.  Vous 
voyez  par  mes  dates  qu'ils  m'arrivent  en  tems  dû.  et 
par  mou  exactitude,  ils  doivent,  sauf  accident,  vous 
retourner  de  même.  Ne  vous  on  prenez  donc  ni  à 
M.  de  Malesherbes  ni  à  moi  si  votre  impression  ne 
va  pas  aussi  vite  que  vous  le  souhaiteriez.  Si  vous 
vouliez  finir  en  Octobre  il  falloit  commencer  assez  tôt 
pour  que  la  chose  lut  faisable.  Selon  votre  propre  calcul 
il  vous  faudroit  quatre  feuilles  par  scniaip.es  pour  ache- 
ver au  mois  d'Octobre  et  à  peine  en  pouvez-vous  faire 
ti'ois.  Quand  j'ai  bien  voulu  ne  vous  pas  reprocher  votre 
négligence  ci  votre  lenteur  vous  avez  abusé  de  ma  pa- 
tience et  vus  finissez  par  me  la  reprocher,  de  ne  re- 
fuse pas  d'essuyer  les  reproches  que  je  mérite  pourvu 
que  vous  nie  disiez   en  quoi  j'ai   tort. 


07 

Je  ne  dois  cependant  pas  vous  cacher  qu'il  vous  im- 
porterait plus  que  vous  ne  pensez  d'achever  prompte- 
ment  et  de  distribuer  avant  l'hiver;  car  outre  que  la 
réputation  de  ce  recueil  commence  à  chanceler  et  qu'on 
n'en  voudra  plus  s'il  tarde  à  paroitre  ,  je  sais  qu'il  doit 
paroitre  durant  l'hiver  des  nouveautés  capables  d'ab- 
sorber l'attention  du  public.  Je  vous  conseille  de  faire 
tous  vos  efforts  pour  les  prévenir.  C'est  la  dernière 
fois  que  je  vous  en  parlerai.     Adieu. 

J'ai  eu  beau  sécher  le  papier  avec  le  plus  grand 
soin.     I]  boit  toujours. 


50. 

MM.    le  8  Juin   1760. 

J'ai  receu  hier  avec  l'épreuve  0  du  Tom.  2  que  je 
vous  renvoyé  corrigée,  les  feuilles  B  du  même  Tome  et 
J  du  premier. 

Je  me  doutois  bien  que  vous  trouveriez  difficilement 
les  places  des  corrections  que  je  vous  avois  envoyées, 
parcequ'ayant  corrigé  sur  votre  copie  beaucoup  de 
choses  que  j'ai  négligé  de  corriger  sur  la  mienne,  je 
suis  exposé  à  vous  renvoyer  à  des  lieux  déjà  changés. 
D'ailleurs  comme  je  me  souviens  d'avoir  été  assez  con- 
tent des  changemens  que  je  faisois  sur  votre  copie,  il 
peut  arriver  que  la  leçon  que  je  substitue,  vaut  moins 
que  celle  que  vous  avez  déjà,  et  ce  pourroit  bien  être 
le  cas  des  pages  01  et  t>2  de  la  présente  ('preuve;  si 
doue  voyant  que  mon  renseignement  ne  s'accordoil  pas 
avec  votre  texte  vous  m'eussiez  transcrit  la  partie  du 
même  texte  à  la  quelle  se  rapportait  ma  nouvelle  cor- 
rection, j'aurois  été  en  état   de  comparer  les  deux  cor- 

7 


98 

rections  et  de  choisir  la  meilleure;  mais  n'en  ayant 
rien  fait,  vous  m'avez  mis  dans  la  nécessité  de  lier  et 
rapetasser  le  tout  comme  j'ai  pu.  Quoiqu'il  en  soit,  vous 
voyez  1" inconvénient  de  vous  envoyer  les  corrections 
d'avance.  Il  faut  désormais  nous  contenter  de  les  faire 
sur  les  épreuves  et  d'en  faire  le  moins  qu'il  se  pourra. 

Le  pacquet  est  bien  certainement  perdu;  et  c'étoit 
de  tout  l'ouvrage  celui  qu'il  importait  le  plus  qui  ne 
le  fut  pas.  Qu'il  y  a  de  gens  qui  se  tourmentent  pour 
mal  faire!  Pour  moi  je  suis  très-déterminé  a  ne  ja- 
mais -faire  de  mal  à  personne  et  au  surplus  à  ne 
plus  me  tourmenter  de  rien.  J'ai  lieu  de  croire  que 
M.  do  Malesherbes  est  aussi  fâché  que  nous  de  cette 
perte.  Il  a  pris  le  parti  de  faire  désormais  fermer  les 
pacquets  devant  lui.  Aussi  m'arrivent  ils  plus  exactement. 

M.  Duchesne  m'avoit  aussi  envoj'é  la  Comédie  des 
Philosophes,  mais  ne  jugeant  pas  à  propos  d'accepter 
ce  présent,  je  la  lui  ai  renvoyée  avec  une  lettre  qu'il  a 
eu  l'indiscrétion  de  rendre  publique,  ce  qui  pourtant 
ne  me  fâche  nullement  (').  Quant  à  ce  qui  me  regarde 
personnellement  j'ai  peu  à  me  plaindre  de  cette  pièce. 
Si  l'on  m'y  donne  quelques  ridicules  dont  je  ne  me 
soucie  guère,  on  y  joint  des  louanges  dont  je  ne  nie 
soucie  pas  davantage,  mais  que  je  voudrois  mériter.  Je 
crois  pourtant  par  beaucoup  d'autres  considérations  que 
vous  avez  très  bien  fait  de  ne  la  pas  imprimer  ("). 
Il  ne  faut  jamais  qu'un  honnête  homme  prête  son 
ministère  à  des  satires  et  Ados  libelles.  Comment  avez- 
vous   pu   vous    imaginer    que  je    voulusse    répondre   à 


(i)  Il  l'a  même  insérée  dans  ses  Confessions   L.  X. 

p)  L'auteur  de  la  lettiv  que  j'ai  citée  dans  la  note  S  au  No.  23,  dans  une 
autre  lettre  à  Itcy  en  date  2  Juillet  1760,  après  avoir  t'ait  mention  de  Rous- 
Beau,  écrit:    "Je  vous  approuve  beaucoup  de   n'avoir  pas  réimprimé  les 

Philosophes  par  considération  pour  Cet  honnête  homme." 


99 

M.  Palissot  ni  à  qui  ce  fut?  quoi  qu'on  puisse  dire  de 
moi  je  garderai  vis  à  vis  de  mes  aggresseurs  un  éternel 
silence.  Si  ma  conduite  me  condamne,  ma  plume  ne 
me  justifiera  pas;  si  ma  conduite  me  justifie,  je  suis 
assez  justifié.     Bonjour,  je  vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 


57. 


Je  vous  suis  obligé  de  votre  remarque  sur  les  libéra- 
teurs de  la  Suisse.  Je  crois  pourtant  qu'il  sera  mieux 
de  ne  rien  changer  à  la  phrase ,  par  ce  qu'un  entretien 
entre  gens  de  condition  ne  demande  pas  toute  l'exac- 
titude historique  (') ,  qu'il  faut  que  ces  noms  barbares 
passent  comme  un  trait,  et  que  la  phrase  est  tellement, 
eadencée  que  l'addition  d'une  seule  sillabe  en  gâteroit 
toute  l'harmonie. 

Continuez  avec  des  points  puisque  vous  le  jugez  à 
propos;  mais  recommandez  au  compositeur  d'en  faire 
les  tramées  moins  longues. 

On  me  mande  que  M.  de  Formey  a  fait  imprimer 
à  Berlin  une  grande  lettre  sur  la  providence ,  que  j'écrivis 
en  175(3  à  M.  de  Voltaire.  On  ajoute  qu'il  dit  avoir 
trouvé  cette  lettre  chez  les  libraires  de  Berlin,  d'où 
l'on  infère  qu'elle  a  dû  être  imprimée  en   Hollande  (2). 


(')  Le  sujet  de  la  lettre  LXII  est  l'entretien  Je  Milord  Edouard  Bomstou 
avec  les  pères  de  Julie  et  de  Claire.  La  phrase  où  se  trouvent  les  noms  des 
libérateurs  delà  Suisse  s'y  lit  ainsi:  "Les  Furst,  les  Tell .  /es  Stouffacher 
étoient  ih  gentilhommesl  Quelle  est  donc  cette  gloire  insensée  $■<?.  voyez 
ci-dessus  N°.  46.    On  voit  combien  l'auteur    a  pris  ce  passage  à  coeur. 

^2)  On  se  rappelle  ce  que  Rousseau  a  écrit  là-dessus  dans  ses  Confessions. 
Au  sujet  de  cette  affaire  j'ai  trouvé  dans  la  Correspondance  de  Rey  une  lettre 
d'un_ami  de  l'Abbé  Trublet,  qui  en  date  9  Juillet  1760  écrit  à  Rey:    •iPour 

T* 


100 

Si  vous  en  avez  quelque  connoissance  vous  m'obligerez 
de  me  marquer  ce  qu'il  en  est.  Car  il  m'importe  de 
remonter  à  la  source  et  de  savoir  par  quelle  voye  cette 
lettre  que  je  ne  destinois  point  à  l'impression  a  pu 
parvenir  à  M.  de  Formey. 

J'ai  receu  avec  votre  lettre  du  9  les  deux  bonnes 
feuilles  L  M  et  l'épreuve  P  que  je  vous  renvoyé. 
Vos  nouvelles  vignettes  me  paroi ssent  jolies  et  d'assez 
bon  goût.  Cela  vaut  mieux  que  les  anciens  placards. 
Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

Montm.   15  Juin   1760. 


58. 


22  Juin. 


En  réponse  à  votre  lettre  du  16  à  laquelle  étoit  jointe 
l'épreuve  A  T.  3,  que  je  vous  renvoyé,  je  vous  dirai  que 
votre  pacquet  du  2  contenant  ce  me  semble  l'épreuve 
C  du  T.  2  m'est  parvenu  dans  si  mi  tems,  et  que  la 
dite  épreuve  fut  remise  le  5  à  la  poste  de  Montmorenci 
pour  partir  de  Paris  le  lendemain;  ainsi  c'est  avec  rai- 
son que  vous  ne  me  faites  point  de  reproche;  car 
jamais  envoi  de  votre  part  n'a  été  jusqu'ici  retardé  dans 
mes  mains. 

J'espère  que  le  dit  pacquet  vous  sera  parvenu  le 
Courrier  suivant ,  et  que,  si  cela  n'étoit  pas,  vous  aurez 

la  lettre  de  M.  Rousseau,  M.  Formey  l'afait  réimprimer  élans  ses  Lettres 
suri' (tut  'présent  des  sciences  et  des  moeurs,  lettres  48  et  H.  en  y  joignant 
quelques  notes,  et  il  dit  dans  une  espèce  d'avant-propos  qu'il  l'a  trouvée 

chez  1rs  Libraires  de  Berlin.  Cette  lettre  de  M.  Rousseau  est  tris  cu- 
rieuse. J'en  ai  une  autre  en  MS.  qu'il  a  écrite  à  Voltaire  dans  uni' 
nuire   occasion  dont  les  copies  dénient   été   mutilus;    mais   /non  e.ri  /n/i/air, 

,i  e/é  corrigé  par  lui  même." 


101 

pris  le  parti  de  me  renvoyer  ce  qu'il  contenoit  par 
duplicata.  Si  nos  pacquets  se  perdent  à  la  poste,  où 
se  perdent-ils,  et  qu'y  faire?  11  faudra  prendre  Le  parti 
de  les  réclamer,  de  se  plaindre,  et  qu'avancerons-nous? 
rien:  car  qui  sait  où  ils  se  sont  perdus?  Ce  qui  est 
très  clair  est  qu'au  moins  celui-ci  n'est  pas  resté  dans  les 
bureaux  de  M.  de  Malesherbes ,  puis  qu'il  n'a  pu  s'égarer 
qu'au  retour.  M.  de  Malesherbes  m'a  envoyé  la  lettre 
que  vous  lui  avez  écrite  et  m'a  marqué  qu'il  avoit  le 
soin  de  me  faire  expédier  les  pacquets  à  leur  arrivée. 
Ainsi  dussions-nous  en  perdre  encore ,  il  est  inutile  de 
l'en  importuner  davantage. 

Voici  je  crois  ce  qu'il  faut  que  nous  fassions  désor- 
mais l'un  et  l'autre;  c'est  jusqu'à  la  fin  de  l'impres- 
sion, soit  qu'il  y  ait  des  envois  soit  qu'il  n'y  en  ait 
pas,  1°.  d'écrire  un  mut  à  chaque  ordinaire  sans  jamais 
y  manquer.  Car  de  cette  manière  quand  l'un  ou  l'autre 
ne  recevra  rien,  il  en  pourra  conclure  qu'il  y  a  sûre- 
ment lettre  ou  pacquet  égaré  ou  retardé  ;  2°.  de  mettre 
nos  lettres  ou  pacquets  à  la  poste  nous-mêmes  ou  de 
ne  les  y  faire  mettre  que  par  des  gens  sûrs.  Pour  vous 
épargner  quelque  partie  du  port  j'ai  quelquefois  envoyé 
vos  pacquets  à  la  poste  de  Paris  par  occasion.  Je  ne 
le  ferai  plus;  mais  tous  mes  pacquets  seront  mis  à  la 
poste  de  Montmorenci  par  moi-même  ou  par  Mile.  Le  Vas- 
seur;  3°.  il  faut  tenir  par  devers  soi  note  de  ce  que 
contient  chaque  pacquet  qu'on  envoyé,  afin  que  s'il  est 
égaré,  on  sache  d'abord  ce  qui  doit  être  renvoyé  par 
duplicata.  Si  ces  précautions  ne  suffisent  pas,  je  ne 
sais  qu'y  faire  autre.  Je  suis  exact,  je  l'ai  toujours 
été,  je  le  serai  tant  qu'il  me  sera  possible.  Voilà  tout 
ce  que  je  puis  vous  dire.  Je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 

.1.  .1.    Rousseai 


L02 
50. 

Ce  29  Juin   1760. 

J'ai  receu  hier  au  soir  avec  votre  lettre  du  22  les 
feuilles  C  et  D  du  T.  2. ,  l'épreuve  ci-jointe  et  le  mo- 
dèle du  titre.  Je  le  trouve  trop  confus ,  et  je  crois  qu'on 
y  peut  remédier  en  plusieurs  manières  (').  1°.  Il  y  a  trop 
de  lettres  capitales;  ces  mots  habitans  dune  petite  ville 
au  pied  des  Alpes  seront  mieux  en  caractère  Romain 
et  ceux-ci  recueillies  et  publiées,  en  caractère  Italique. 
2°.  Vous  avez  laissé  une  place  immense  pour  la  vignette  : 
il  ne  faut  point  de  vignette;  l'épigraphe  même  entre 
deux  petits  fleurons  doit  en  tenir  lieu.  3°.  Je  suis  d'avis 
que  le  titre  se  partage  et  qu'il  y  en  ait  deux  au  lieu 
d'un.  Le  premier  n'aura  que  ces  mots  "Julie  ou  la 
nouvelle  Héloïse.  Première  partie."  Le  second  titre 
comprendra  le  reste.  En  un  mot,  il  faut  absolument 
trouver  quelque  expédient  pour  que  le  titre  simple  ou 
double  contienne  tout  ce  que  j'y  ai  mis,  et  pourtant 
qu'il  ne  soit  pas  confus. 

Je  ne  puis  rien  vous  dire  encore  sur  la  correction. 
Vous  savez  que  j'attends  le  reste  de  la  première  partie 
pour  la  lire  de  suite  et  toute  entière,  mais  dans  les 
bonnes  feuilles  de  cet  ordinaire  je  viens  d'appercevoir 
une  grosse  étourderie  qui  me  fait  bien  de  la  peine. 
Patience;  le  mal  est  sans  remède.  Mais  pour  Dieu  ne 
vous  négligez  pas  et  soyez  attentif  jusqu'au  bout.  Je 
vous  embrasse  •!<■  toui   mou   cœur. 

J.  J.   Rousseau. 
Le  pacquel  m'esl   arrivé  en  mauvais  état.    L'épreuve 

(')  Voyez  ci  '!<■  -"    p 


103 

n'est  pas  trop  maltraitée,  mais  les  bonnes  feuilles  ont 
été  fort  mouillées  et  sont  presque  pourries. 


60. 

Ce  6  Juillet  17 GO. 

J'ai  receu  hier  avec  les  deux  épreuves  que  je  vous 
renvoyé,  les  deux  dernières  bonnes  feuilles  du  T.  1.  et 
le  cartouche  où  vous  avez  fait  insérer  ma  devise. 

J'ai  été  fort  surpris  que  vous  ayez  tenu  assez  peu  de 
compte  de  mon  opposition  pour  aller  votre  train  et  faire 
graver  cette  vignette  sans  m'en  parler  (').  J'ignore 
quelles  sont  en  cela  vos  raisons;  vous  ne  pouvez  igno- 
rer qu'on  n'a  jamais  vu  deux  épigraphes  sur  le  titre 
d'un  livre,  et  combien  c'est  un  étalage  pédantesque  de 
chamarrer  de  latin  et  d'italien  le  titre  d'un  livre  d'amour. 
Quoiqu'il  en  soit,  non  seulement  je  ne  consens  point 
(pie  ma  devise  soit  à  la  tête  de  ce  livre  dont  je  me 
déclare  serdement  l'éditeur  ;  mais  de  plus  je  m'y  oppose 
formellement,  et  si  votre  dessein  est  de  passer  outre 
malgré  votre  promesse  et  mon  opposition ,  je  vous  con- 
seille d'y  bien  penser  auparavant. 

Si  vous  avez  à  mon  refus  l'égard  que  vous  me  devez 
et  auquel  j'ai  lieu  de  m'attendre,  voici  ce  que  je  vous 
conseille  pour  que  votre  vignette  ne  soit  pas  perdue. 
Faites  effacer  la  devise,  et  puis  ôtant  à  droite  et  à 
gauche  deux  petits  feuillages  à  côté  du  mot  impendere 
substituez  y  les  deux  vers  italiens  de  l'épigraphe  les- 
quels dans  le  fond  disent  la  même  chose  que  vous  voulez 
dire  avec  la  devise,  et  le  disent  mieux.  Je  vous  ren- 
voyé voire  cartouche  ainsi  changé,  bien    entendu  que 

iM  Voyez  la  lettre  N°.   t9. 


104 

la  gravure   sera    plus    nette   et    donnera    le   moyen   de 

mieux  séparer  les  mots.  La  ponctuation  s'est  barbouil- 
lée; mais  vous  la  retrouverez  exacte  sur  le  titre  im- 
primé d'où  vous  ôterez  ces  deux  mêmes  vers  quand  ils 
auront  été  transportés  dans  la  vignette. 

Si  vous  suivez  mon  conseil  et  que  vous  doubliez  le 
titre  comme  je  vous  ai  marqué  ci-devant,  alors  il  n'y 
aura  plus  de  confusion  et  le  coup  d'œil  sera  très  agréa- 
ble (').    Adieu  je  vous  embrasse. 

NB.  il  faudra  me  renvoyer  une  épreuve  delà  vignette 
ainsi  changée  avant  de   la  tirer. 


61. 

Ce   17  Juillet    1760 

Votre  titre  ainsi  partagé  nie  paroit  mieux.  Mais  il 
me  semble  que  les  mots  première  partie  devroient  être 
dans  le  vrai  titre  efc  que  dans  le  faux  titre  vous  pour- 
riez mettre  Tome  I.  Cette  addition  au  titre  pourroit 
vous  obliger  de  baisser  un  peu  l'épigraphe  et  peut-être 
de  supprimer  tout  à  l'ait  la.  vignette;  mais  ce  qui  nie 
paroitroit  encore  mieux  seroit  de  mettre  ces  mots  ha- 
bitans  dune  petite  ville  au  pied  des  Alpes  en  caractère 
courant  et  plus  petit;  ce  qui  vous  feroit  gagner  assez. 
d'espace  pour  ajouter  les  mois  Première  partie  sans 
baisser  l'épigraphe,  il  faudroit  aussi  dans  le  faux  titre 
que  le  mot  OU  lit  seul  la  seconde  ligne  et  que  ces  trois 
mots  Iji  nouvelle  Héloïse  lissent  la  troisième  ligne.  Je 
m'en  rapporte  à  vous;  arrangez  1'-  tout  pour  le  mieux. 
Voilà   vos  Jeux  épreuves   H  et  J   Je  la    troisième  par- 

|M  Voyez  .  i  dessus  p.  ;  i. 


105 

tic;  mais  je  ne  comprends  pas  pourquoi  vous  achevez 
cette  3e.  partie  avant  la  seconde.  Je  vous  embrasse  de 
tout  mon  cœur. 

J.  J.   Rousseau. 


62. 


Comme  depuis  quelque  tems  je  reçois  fidellement  un 
envoi  par  chaque  ordinaire ,  et  qu'étant  quelquefois  hors 
de  chez  moi  quand  je  vous  écris ,  je  ne  puis  pas  me  res- 
souvenir exactement  des  feuilles  que  j'aireceues,  lorsque 
je  vous  renvoyé  vos  épreuves  vous  devez  tenir  pour 
accusée  la  réception  des  feuilles  que  vous  m'avez  mar- 
qué les  accompagner.  S'il  arrivoit  que  je  ne  reçusse 
rien  par  un  Courrier,  je  vous  en  donnerois  avis  aussi- 
tôt, et  vous  en  devez  faire  de  môme  si  vous  ne  recevez 
pas  chaque  pacquet  dans  son  tems;  car  je  vous  les 
renvoyé  tous  exactement  par  le  Courrier  suivant. 

Voici  les  épreuves  K  et  L,  T.  2  que  j'ai  receues  avec 
les  deux  bonnes  feuilles  marquées  dans  votre  lettre 
du  17.  L'épigraphe  gravée  dans  le  cartouche  est  fort 
bien.  Il  n'y  a  rien  à  changer  à  cette  vignette ,  et  vous 
pouvez  dès  à  présent  faire  tirer  le  titre  de  la  première 
partie  selon  votre  dernière  épreuve  corrigée  sur  ce  que 
je  vous  ai  marqué  dans  ma  précédente.  A  mesure  que 
la  gravure  de  la  vignette  s'usera  à  force  de  tirer,  vous 
aurez  soin  de  la  faire  retoucher  afin  que  l'épigraphe 
soit  toujours  lisible.  Je  suis  d'avis  que  cette  vignette 
ne  soit  qu'au  titre  du  premier  volume  et  du  dernier. 
Aux  autres  volumes  il  convient  de  mettre  d'autres  pe- 
tites vignettes  sans  figures  et  sans  épigraphes  (1). 

i'i  C'osl  ce  que  Rej   ;i  fait. 


106 

Vous  revenez  à  la  charge  sur  la  devise  latine.  Je 
vous  déclare  une  fois  pour  toutes  que  je  ne  veux  pas 
qu'elle  entre  dans  ce  recueil  de  quelque  manière  que 
ce  soit.     Je  vous  prie  de  vous  le  tenir  enfin  pour  dit. 

J'ai  relu  la  première  partie  et  j'en  suis  content  aux 
dernières  feuilles  près  qui  sont  pleines  de  mutes  gros- 
sières, les  quelles  me  paroissent  avoir  été  faites  en  re- 
maniant. Je  vous  prie  de  faire  désormais  attention  à 
cela.    Je  vous  salue,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

Ce  24  Juillet  17 GO. 


03. 

Ce  27   Juillet  17G0. 

J'ai  receu  hier  les  quatre  bonnes  demi-feuilles  H, 
I ,  K ,  L  du  Tome  3  et  deux  épreuves  K  du  même  tome, 
dont  je  vous  en  renvoyé  une  corrigée.  Cette  double 
épreuve  de  la  même  feuille  me  fait  juger  qu'en  aura 
fait  quelque  qui-pro-quo  en  votre  absence,  et  qu'au 
lieu  d'une  de  ces  deux  épreuves  on  aura  voulu  m'en- 
vroyer  celle  de  la  dernière  feuille  du  même  tome,  lequel 
en  effet  se  trouvera  bien  petit  ;  mais  je  ne  saurois  qu'y 
l'aire.  J'espère  recevoir  après-demain  cette  dernière 
épreuve  au  moyeu  de  laquelle  tout  le  t.  3  se  trouvera 
corrigé.  Je  vous  embrasse,  Monsieur,  de  tout  mon 
cœur. 

J".     J.     RorssKAV. 


107 

64. 

Ce    28  Aoust. 

Je  viens  de  recevoir  votre  pacquet  du  21.  Je  ne  vous 
renvoyé  point  le  duplicata  de  l'épreuve  A ,  T.  5 ,  parce 
qu'ayant  ci-devant  receu  et  renvoyé  une  épreuve  sem- 
blable, je  suppose  que  vous  l'aurez  receue  depuis.  J'ai 
les  3  premières  parties  complètes  au  titre  près ,  et  les 
4  premières  feuilles  de  la  4e.  Ainsi  je  ne  pense  pas  qu'il 
me  manque  aucun  autre  pacquet  depuis  le  premier; 
mais  il  y  en  a  souvent  de  retardés ,  et  comme  je  m'y 
attends  je  me  garde  toujours  une  épreuve  d'avance  pour 
remplir  le  vuide  et  afin  que  chaque  courrier  vous 
apporte  quelque  chose  pour  ne  pas  laisser  vos  ouvriers 
oisifs. 

Comme  le  peu  de  teins  que  j'ai  me  force  toujours  de 
corriger  à  la  bâte,  je  vous  prie  d'y  regarder  après  moi 
avec  un  grand  soin.    Je  vous  embrasse. 


65. 

31  Aoust  1760. 

Point  de  pacquet  aujourdhui.  Sur  l'expérience  du 
passé,  j'espère  qu'il  ne  sera  que  retardé.  Voilà  donc 
la  feuille  de  réserve  afin  que  vos  ouvriers  ne  restent 
pas  oisifs.     Je  vous  embrasse. 


108 


00. 


Je  vous  ai  envoyé  par  exprès  une  épreuve  à  la  poste 
de  Paris  l'ordinaire  précédent,  et  je  vous  renvoyé  celui- 
ci  l'épreuve  K  T.  4  que  je  viens  de  recevoir,  et  à 
laquelle  je  joins  l'épreuve  de  la  préface  afin  que  vous 
ayez  au  besoin  de  quoi  occuper  vos  tireurs.  Car  pour 
l'épreuve  E  T.  5  je  ne  puis  vous  la  renvoyer  que  l'or- 
dinaire prochain,  attendu  que  j'ai  plus  à  y  travailler 
qu'il  ne  me  reste  de  tems  pour  cela.  Les  bonnes  feuilles 
sont  pleines  de  finîtes;  ce  que  j'attribue  en  partie  à  ce 
que  je  n'ai  pas  assez  de  tems  pour  bien  examiner  les 
épreuves. 

Je  suis  bien  fâché  de  votre  rhumatisme;  ne  vous 
fatiguez  point  tandis  qu'il  dure  à  joindre  des  lettres 
à  vos  envois,  à  moins  de  nécessité  absolue.  Je  nie 
plains  que  vous  m'ayez  cru  capable  de  recevoir  le 
remboursement  des  petits  fraix  indispensables  dans  cette 
correspondance.  Mais  il  est  vrai  que  s'il  étoil  questioD 
de  m'envoyer  directement  les  pacquets  je  n'en  pourrois 
supporter  la  dépense  sans  m'incommoder  beaucoup.  Ce- 
pendant, quand  vous  aurez  quelque  épreuve  qui  presse, 
vous  pourrez  essayer  de  me  l'envoyer  en  droiture:  mais 
n'y  joignez  pas  de  bonnes  feuilles  pour  ne  pas  gros- 
sir le  pacquet. 

Voici  une  lettre  pour  M.  de  Formey  que  je  vous 
prie  de  lui  faire  parvenir. 

J'espère  (pie  vous  aurez  eu  l'attention  de  me  l'aire 
tirer  quelques  exemplaires  en  beau  papier.  -Je  voudrais 
aussi  que  vous  prissiez  mieux  vos  mesures  que  pré- 
cédemment pour  que  mes  exemplaires  me  parvinssent 
avant  que  l'ouvrage  lut  en  vente,  et  vous  m'obligeriez 
beaucoup    si    vous    pouviez    nie    les    envoyer    OU    partie 


109 

d'iceux  tout  brochés;  car  n'étant  pas  à  Paris,  c'est  un 
grand  embarras  et  un  retard  inévitable  de  les  faire 
brocher  avant  de  les  faire  distribuer.  Sans  compter  que 
je  n'aime  pas  qu'ils  tombent  avant  le  tems  entre  les 
mains   du  relieur. 

Bonjour,  Monsieur,  je    vous  embrasse  de  tout   mon 
cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

Ce  7  7br?    1760. 


Vos  bonnes  feuilles  sont  pleines  de  fautes  énormes 
dont  plusieurs  font  des  contresens  qui  me  désolent,  et 
ce  qu'il  y  a  de  plus  étonnant  c'est  que  je  suis  sûr  que 
plusieurs  de  ces  fautes  n'étoient  point  dans  les  épreuves. 
Je  juge  qu'on  les  aura  faites  en  remaniant.  Quelque 
ridicule  qu'il  soit  de  mettre  un  Errata  dans  un  Roman, 
je  vois  avec  bien  du  chagrin  que  nous  ne  pourrons 
nous  en  passer  dans  celui-ci.  Comme  cet  Errata  sera 
fort  ample,  je  pense  que  nous  pourrions  le  mettre  à  la 
tête  du  tome  3  pour  le  grossir  toujours  d'autant.  Qu'en 
pensez-vous?  (1). 

J'ai  receu  toutes  les  épreuves  dont  vous  me  parlez 
dans  votre  lettre  du  8  et  comme  je  vous  les  ai  toutes 
exactement  renvoyées,  j'espère  que  vous  les  aurez  receues 
de  même.     Adieu,  je  vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 
Ce    14  7blf   1760. 


i1     11  ny  a  nulle  part  d'Errata, 


lit) 
68. 

A  Montmorexci  ,  le  5  8,J1?    1760. 

Rien  n'est  venu,  comme  vous  voyez,  voilà  un  retard 
bien  cruel;  je  ne  vous  l'attribue  pas;  je  suis  persuadé 
qu'il  y  a.  un  pacquet  dans  les  bureaux  de  M.  de  Ma- 
lesherbes;  mais  qu'y  faire?  Je  me  suis  déjà  plaint;  je 
n'y  puis  plus  revenir.  Je  vois  qu'il  y  a  une  fatalité 
sur  ce  livre  pour  qu'il  ne  paroisse  pas  avant  l'hiver; 
au  moyen  de  quoi  tout  est  perdu;  ce  n'est  pas  ma 
faute. 

Selon  votre  lettre  du  25  7bî-e  vous  deviez  le  29  m'en- 
voyer 

D  E  du  Tome  6  épreuves 

F  du  Tome  5  bonne  feuille 

0  du  Tome  4  bonne  feuille. 

Voilà  donc  le  duplicata  qu'il  faut  préparer  pour  me 
Tenvoyer  par  le  Courrier  prochain  en  cas  que  le  pacquel 
soit  perdu;  mais  j'espère  qu'il  ne  sera  que  retardé.  S'il 
me  venoit  ce  soir,  en  envoyant  demain  matin  un  ex- 
près à  Paris,  je  serois  encore  à  tems  pour  le  faire  met- 
tre à  la  poste.  Mais  comme  les  bureaux  de  M.  de  Ma- 
lesherbes  sont  fermés  le  dimanche  je  n'ai  jamais  rien 
receu  ce  jour-là,  et  je  n'espère  pas  ce  soir  être  plus 
heureux  :  mais  je  juge  qu'il  nie  viendra  double  pacquel 
le  courrier  prochain,  et  je  vous  marquerai  jeudi  ce 
qu'il  en  sera.  Préparez  doue  votre  duplicata,  mais  ne 
l'envoyez  pas  jusqu'à  ce  tems-là. 

S'il  me  vient  quatre  épreuves  en  deux  pacquets, 
comme  je  ne  présume  pas  que  vos  pressiers  tirent  plus 
d'une  feuille  par  jour,  je  garderai  un  des  pacquets  jus- 
qu'à Vautre  ordinaire,  et  ainsi  de  courrier  en  courrier. 


111 

Au  moyen  do  cet  arrangement  j'aurai  plus  de  tems 
pour  revoir  les  épreuves,  et  s'il  survient  encore  un 
retard  j'en  remplirai  le  vuide,  en  sorte  que  jusqu'à  la 
fin  de  l'édition  vous  serez  sûr,  quoi  qu'il  arrive ,  d'avoir 
un  pacquet  à  chaque  courrier.  Si  vous  jugez  à  propos 
de  m'envoyer  des  épreuves  directement,  faites  le  sans 
scrupule.  Dans  une  occasion  de  cette  importance  il  ne 
faut  pas  regarder  à  quelque  dépense  de  plus. 

Voilà ,  mon  cher,  tout  ce  que  je  puis  faire  pour  sup- 
pléer autant  qu'il  est  en  moi  à  l'inexactitude  des  en- 
vois.    Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


69. 

A  Montmorenoi,   le  18  Fevr.  1761. 

Je  reçois  avec  plaisir,  Monsieur,  la  nouvelle  de  votre 
heureuse  arrivée  (');  quoique  vous  m'ayez  donné  en 
plus  d'une  occasion  de  justes  sujets  de  plainte,  je  n'ai 
point  cessé  et  ne  cesserai  point  de  prendre  à  vous  le 
plus  véritable  intérêt. 

Sur  votre  acquiescement  à  la  réimpression  de  la  Julie 
qui  s'est  faite  en  France  (2)  et  au  présent  qui  m'a  été 
fait  à  cette  occasion,  je  pensai  qu'en  vous  offrant  <hj 
partager  ce  présent  je  me  ferois  le  mérite  d'une  géné- 
rosité que  vous  n'accepteriez  pas ,  et  je  pensai  à  vous 
faire  la  même  honnêteté  et  même  plus  grande  d'une 
autre  manière  en  vous  cédant  pour  mille  francs  un 
manuscrit    dont  j'aurai    toujours  deux   mille    francs   et 

(M  En  Décembre  1760  Rey  a  fait  un  voyage  à  Paris,  d'où  il  est  allé  voir 
Rousseau  à  Montmorency. 

{-)  C'est  la  réimpression  que  M.  de  Jlalesherbes  fit  faire  en  France,  au  profit 
Je  Rousseau.    Conf.  L.  X. 


112 

même  cent  louis  quand  il  me  plaira.  Vous  acceptâtes 
le  marché  à  condition  Lien  stipulée  de  ma  part  que 
cette  affaire  se  consommeroit  entre  nous  dans  le  plus 
grand  secret.  Cependant  j'apprends  qu'avant  de  partir 
vous  avez  dit  à  tout  le  monde  que  vous  emportiez  un 
manuscrit  de  moi.  En  vérité,  Monsieur,  en  voilà  trop 
aussi,  et  je  n'ai  que  trop  lieu  de  me  croire  libre  de 
mes  engagemens  avec  un  homme  qui  tient  si  mal  les 
siens.  Je  vous  propose ,  et  il  convient ,  de  rompre  le 
marché  que  nous  avions  fait  pour  le  manuscrit  en  ques- 
tion, et  des  mille  francs  que  j'ai  receus,  de  Robin  je 
vous  en  offre  cinq  cens  de  très  bon  cœur.  Vous  ne 
devez  même  vous  faire  aucun  scrupule  de  les  accepter; 
car  en  vendant  mon  manuscrit  son  prix  à  un  autre, 
j'y  gagnerai  moi-même  encore  au  moins  cinq  cent  francs. 
J'attends  votre  réponse  pour  prendre  là-dessus  mes 
derniers  arrangemens. 

J'ai  receu  l'extrait  que  vous  m'avez  envoyé  et  je 
vous  en  remercie;  il  est  fort  sagement  et  fort  bien  fait. 

Ma  préface  en  forme  d'entretien  est  imprimée  et  pu- 
blique depuis  deux  jours  (');  je  suppose  que  Duchesne 
vous  l'aura  envoyée;  c'est  pourquoi  je  ne  l'envoyé  pas 
par  la  poste  à  cause  des  fraix. 

Bonjour,  Monsieur,  mes  respects  à  Madame  Rey.  Je 
suis  fâché  que  nous  ne  puissions  pas  continuer  à  nous 
accommoder  ensemble;  mais  après  six  ans  de  patience1. 
on  se  lasse,  et  quant  à  moi  je  suis  à  bout.  Je  vous 
salue  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

(')  Dans   la  lettre  N<>.  ">.">  il  avait  déjà   averti  Rey,    que  cette  préface  Berah 
un  ouvrage  séparé. 


IV 

LETTRES 


ÉCRITES     A     L  OCCASION    DE     L  IMPRESSION 


CONTRAT    SOCIAL. 


jLes  lettres  qui  forment  cette  partie  de  notre 
recueil  datent  de  la  période  de  la  vie  de  Rous- 
seau ,  où  parurent  les  deux  ouvrages  qui  ont  le 
plus  remué  le  monde.  Après  le  succès  de  ses 
premiers  écrits ,  poursuivant  la  carrière  littéraire 
où,  selon  sa  propre  expression,  de  dispute  en 
dispute  il  s'était  engagé  ,  il  arrive  dans  X Emile 
et  le  Contrat  Social  aux  dernières  conséquences 
de  ce  qu'il  avait  soutenu  dans  son  premier  Dis- 
cours devant  l'Académie  de  Dijon. 

Quant  à  Y  Emile,  on  se  rappelle  que  l'auteur, 
sur  les  instances  de  Madame  de  Luxembourg, 
avait  laissé  à  cette  dame  le  soin  de  faire  inijnïmer 
cet  ouvrage.  Il  avait  exigé  seulement  que  l'im- 
pression se  fit  en  Hollande  par  le  libraire  Jean 
Néaulme,  dont  il  avait  fait  la  connaissance  chez 
le  libraire  Guérin  au  village  de  Saint-Briee  à  un 
quart  de  lieue  de  l'Hermitage.    Sachant  que  son 

8 


111 

manuscrit  contenait  des  choses  tellement  hardies, 
que  l'ouvrage  entier  ne  pourrait  jamais  être  permis 
en  France,  il  avait  fait  son  livre  pour  être  im- 
primé en  Hollande.  Mais  pendant  son  séjour  à 
l'Hermitage  n'ayant  j)as  entretenu  ses  relations 
avec  Rey,  Guérin  l'avait  pressé  de  traiter  avec 
Néauline.  On  commença  par  en  faire  deux  édi- 
tions à  la  fois,  l'une  chez  Ducliesne  à  Paris, 
l'autre  chez  Néaulme  à  Amsterdam.  Mais  le 
libraire  de  Paris  se  trouvant  à  chaque  pas  arrêté 
par  les  observations  d'un  Censeur,  que  la  Direc- 
tion de  la  Librairie  lui  avait  imposé ,  et  INeaulme 
par  la  crainte  de  publier  un  livre  dangereux, 
Rousseau  reconnut  qu'il  avait  eu  tort  de  ne  pas 
confier  son  manuscrit  à  Rey,  et  celui-ci  redoubla 
de  zèle  pour  s'attacher  un  auteur  dont  les  écrits 
lui  procuraient  de  si  grands  avantages.  On  en 
trouvera  les  preuves  dans  la  partie  de  notre 
recueil,  qui  a  rapport  à  la  publication  du  Con- 
trat Social. 

Rey  a  fait  de  ce  dernier  ouvrage  deux  édi- 
tions en  même  temps,  l'une  grand  in  8°.  dont 
l'auteur  a  vu  les  épreuves,  l'autre  in  12°.  Il  est 
intitulé:  "du  Contrat  Social  ou  Principes  <lu 
Droit  Politique,  par  J.  J.  Rousseau,  citoyen 
de  Genève.  —  Foederis  aequas  Dimmus  leges. 
Aeneid.  XI.  A  Amsterdam  chez  Marc  Michel 
Rey.  MDCCLXII."  —  Dans  le  titre  de  la  petite 
édition  il  y  a  une  fuite  d'impression  Decamus 
au  lieu  de  Dicamus. 


115 

70. 

A  Montmorenci,  lo  9  Aoust  1761. 

Puisque  vous  avez  fait,  Monsieur,  sans  ma  partici- 
pation une  édition  de  mes  ouvrages,  même  de  ceux 
qui  ne  vous  appartiennent  pas ,  et  que  par  un  privi- 
lège obtenu  (1  )  vous  m'avez  dépouillé  autant  qu'il  étoit 
en  vous  du  droit  de  les  faire  imprimer  où  il  me  plai- 
roit,  vous  devez  vous  soucier  tout  aussi  peu  de  mon 
agrément  pour  l'exécution  que  pour  l'entreprise;  et, 
que  l'édition  me  paroisse  bien  ou  mal  faite,  c'est  ce 
qui  sûrement  vous  est  très-égal.  D'ailleurs,  vous  étant 
mon  libraire,  si  je  gardois  le  silence,  tout  le  monde 
supposerait  que  cette  édition  s'est  faite  sous  mes  yeux, 
et  l'on  m'en  imputeroit  les  fautes  ;  on  supposerait  que 
je  n'ai  pas  voulu  corriger  les  endroits  qui  demandent 
correction.  Ainsi  vous  avez  dû  supposer  que,  bonne 
ou  mauvaise,  cette  édition  ne  passerait  pas  sans  être 
desavouée;  vous  avez  pris  votre  parti  là-dessus,  et  Y  en- 
voi que  vous  voulez  me  faire  d'un  exemplaire  me  parait 
la  chose  du  monde  la  plus  inutile. 

Je  n'ai  point  répondu  à  vos  précédentes  lettres  parce 
que  depuis  longtems  je  suis  malade ,  peu  en  état  d'écrire, 
et  que  vous  les  avez  remplies  de  choses  si  peu  sensées 
que  le  silence  est  la  seule  réponse  qui  leur   convient. 


(')  Le  Privilège  accordé  par  les  Etats  de  Hollande  est  du  29  Janvier  L761. 
Le  titre  du  Recueil  est  Oeuvres  diverses  de  Mr.  J.  J.  Rousseau.  Les  deux 
premiers  volumes,  grand  in-douze ,  contiennent  le  Discours  sur  le  rétablis- 
sement des  sciences  et  des  arts,  avec  trois  réponses  de  l'auteur  à  diverses 
critiques,  Narcisse,  lettre  sur  la  Musique  Françoise,  le  Devin  du  Village, 
discours  sur  V  Economie  Politique,  Projets  de  Paix  perpétuelle,  discours 
sur  l'inégalité,  lettre  à  Mr.  d'Alenibert  H  lettre  de  celui-ci  eu  réponse.  Ces 
deux  volumes  ont  été  suivis  par  le  Contrat  Social,  la  réimpression  delà 
Nouvelle  Héloïse  ■  •(  de  l'Emile. 

S" 


116 

Je  n'ai  qu'un  seul  exemplaire  du  Devin  du  village 
dont  je  ne  veux  pas  me  défaire ,  et  les  corrections  que 
vous  demandez  demandent  une  attention  et  des  soins 
que  je  ne  suis  pas  à  présent  en  état  d'y  donner. 

Je  ne  puis  rien  vous  dire  sur  la  part  que  vous  sou- 
haitez de  prendre  à  l'impression  du  traité  de  l'éduca- 
tion; ce  n'est  point  moi  qui  me  mêle  de  cette  entre- 
prise, et  je  ne  sais  si  ceux  qui  s'en  mêlent  pensent 
assez  bien  de  vos  procédés  pour  vouloir  vous  y  donner 
part;  quant  à  moi  je  ne  m'y  opposerai  point  et  toute 
votre  conduite  passée  n'a  pu  détruire  encore  ma  bien- 
veillance et  mon  inclination  pour  vous. 

Mon  traité  du  Droit  Politique  est  au  net  et  en  état 
de  paroitre.  Tous  les  sujets  de  plainte  que  vous  m'avez 
donnés  ne  m'empêchent  point  de  me  souvenir  de  renga- 
gement que  j'ai  pris  avec  vous  et  des  raisons  de  retour 
d'honnêteté  qui  me  l'ont  fait  prendre.  Si  cet  ouvrage  vous 
convient  et  que  vous  vous  engagiez  à  le  faire  exécuter 
diligemment  et  avec  soin,  vous  pouvez  le  faire  retirer  au 
prix  convenu;  car  (''tant  copié  sur  du  plus  fort  papier 
d'hollande  le  volume  est  t  rop  gros  pour  être  envoyé  par  la 
poste  ('),  et  je  ne  veux  pas  m'en  dessaisir  sans  argent. 
Comme  il  est  divisé  par  livres  et  chapitres,  il  faudra 
prendre  un  format  8°.  et  surtout  de  beau  papier,  car 
j'ai  à  cœur  la  belle  exécution  de  cet  ouvrage,  le  der- 
nier qui  sortira  de  mes  mains,  fie  n'ai  pas  besoin  de 
vous  réitérer  (pie  je  nie  réserve  le  droit  de  l'insérer 
dans  le   recueil    de   mes  écrits;  cela    étant  convenu   de 


(')  On  verra  par  les  lettres  qui  suivent  qu'il  B'agii  du  manuscrit  'pie  Rous- 
Beau  a  rein;--  au  Ministre  Duvoisin  pour  L'envoyer  à  Etey,  el  don<  il  raconte 
l'aventure  au  Livre  XImedea  Confessions.  Ce  qu'il  qualifie  ici  de  gros  vo- 
lume, dans  son  récil  il  le  «lit  si  petit  qu'il  ne  remplissait  pas  la  poche  île 
M.  Duvoisin.  Or,  ce  qui  excède  les  proportions  d'un  paquet  destiné  pour  la 
peul  très  bien  se  dire  pi  de  la  capacité  d'une  poche 


117 

tous  les  autres.  Répondez-moi  promptement ,  je  vous 
prie;  comme  ce  livre  est  cité  dans  le  traité  de  l'édu- 
cation, il  convient  qu'il  paroisse  auparavant,  et  je  n'ai 
que  le  tems  qu'il  faut  pour  cela.  Je  vous  salue,  Mon- 
sieur, de  tout  mon    cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


71. 

A  Montmorenci ,    le  2  7'"';'  1761. 

Vous  prétendez ,  Monsieur ,  dans  votre  lettre  du 
17  Aoust  que  parce  que  d'autres  libraires  vous  contre- 
font comme  vous  les  contrefaites ,  vous  êtes  en  droit 
de  vous  emparer  de  tous  mes  ouvrages ,  même  de  ceux 
qui  ne  sont  pas  à  vous ,  et  de  m'ôter  autant  qu'en  vous 
est,  par  un  privilège,  le  droit  de  les  faire  imprimer 
où  il  me  plait;  de  sorte  que  vous  voilà  en  Hollande 
seul  propriétaire  de  tous  mes  ouvrages ,  et  ce  qu'il  y  a 
d'inconcevable  est  l'air  d'assurance  avec  lequel  vous  me 
soutenez  que  tout  cela  vous  appartient  légitimement, 
quoique  des  ouvrages  mêmes  dont  j'ai  traité  avec  vous 
j'aye  eu  toujours  soin  de  me  réserver  le  droit  d'en  faire 
une  édition  générale  et  d'y  faire  entrer  tous  ceux  que 
je  vous  ai  cédés.  Est-ce  donc  là ,  Monsieur,  la  manière 
dont  vous  répondez  à  l'honnêteté  que  j'ai  eue  d'em- 
ployer tout  mon  crédit  pour  empêcher  en  ce  pays  la 
contrefaction  des  dits  ouvrages,  soins  que  j'ai  remplis 
par  bonté ,  par  amitié  pour  vous  ,  sans  que  vous  eussiez 
aucun  droit  de  l'exiger.  Ce  qui  ne  vous  a  pas  em- 
pêché de  venir  tout  en  furie,  sur  le  simple  soupçon 
d'une  édition  de  la  Julie  qui  ne  s'est  point  faite,  nie 
soutenir  que  ma  probité  étoit  engagée  A  empêcher  ab- 
solument   cette    édition.      11    est    certain    que    je    L'ai 


1  L8 

empêchée  ainsi  que  la  contre  faction  de  la  lettre  a 
M.  cl' Alembert ,  et  il  est  certain  que  je  n'étois  point 
obligé  à  cela.  Je  vous  apprends,  Monsieur,  puisque 
nous  l'ignorez,  que,  quand  je  vous  ai  vendu  un  manu- 
scrit, c'est  votre  affaire  et  non  pas  la  mienne  d'empê- 
cher qu'on  ne  contrefasse  ailleurs  votre  édition.  Mon 
devoir  à  la  plus  grande  rigueur  est  seulement  de  ne 
favoriser  ces  contrefactions  en  aucune  manière,  et  c'est 
aussi  ce  que  j'ai  été  bien  éloigne  de  faire  jusqu'à  pré- 
sent, et  que  je  ne  ferai  point  à  l'avenir.  Mais  quant 
à  l'édition  générale  de  mes  ouvragés,  elle  n'est  point 
votre  bien  mais  le  mien,  tant  parce  qu'elle  en  contient 
beaucoup  qui  ne  vous  ont  jamais  appartenu,  que  parce 
tnie  je  me  la  suis  toujours  réservée,  et  qu'il  n'y  a  dans 
les  marcliés  que  ce  qu'on  y  met.  Cette  édition.  Mon- 
sieur, me  tient  fort  au  cœur,  soit  pour  ma  réputation, 
à  cause  de  l'exactitude  et  de  la  correction  que  j'espère 
y  mettre  ;  soit  pour  mon  aisance,  étant  ma  dernière 
ressource  pour  avoir  du  pain  quand  mes  infirmités  nie 
laissent  hors  d'état  d'en  gagner.  Si  dans  le  teins,  vous 
voulez  entrer  dans  les  arrangemeus  qui  se  prendront 
pour  la  faire,  je  vous  y  verrai  concourrir  avec  plaisir,  et 
'Cspère  cpie  vous  vous  en  trouverez  bien.  Si  clans  la 
rigueur  de  votre  usurpation  vous  voulez  faire  valoir 
votre  privilège,  il  faudra  bien  tâcher  de  se  passer  de 
vous. 

.J'ai  un  exemplaire  revu  et  corrigé  avec  soin  pour 
une  nouvelle  édition  de  L'Héloïse;  il  y  a  même  quel- 
ques petits  changemens ,  retranchemens  et  additions.  Je 
consens  de  bon  cœur  à  vous  l'envoyer;  quand  vous  voudrez 
faire  votre  édition,  vous  n'aurez  qu'à  me  marquer  par 
quelle  voye.  Duresteje  n'entends  pas  refaire  cet  ouvrage; 
il  n'est  point   destiné-  pour  les  jeunes  gens. 

A  fégard  de   mon   truite  du   Droit    Politique  je  me 


1 i:> 

contente  qu'il  soit  public  en  Mars  1762,  pourvu  qu'au 
moins  une  fois  en  votre  vie  vous  me  teniez  parole.  Je 
vous  recommande  derechef  cette  édition  qui  me  tient 
au  cœur.  A  l'égard  du  manuscrit  il  est  tout  prêt  et 
vous  le  ferez  retirer  quand  il  vous  plaira ,  rien  ne  presse. 
Je  vous  salue,  Monsieur,  de  tout  mon  cœur,  et  sou- 
haite que  nous  nous  entendions  mieux  à  l'avenir  que 
par  le  passé. 

J.  J.   Rousseau. 


A  Montmokenci,  le  14  8b™  1761. 

(Je  n'est  point  par  dédain ,  Monsieur,  que  je  n'ai  pas 
accepté  le  tonnelet  de  hareng  que  vous  m'aviez  envoyé 
par  M.  Hérissant,  mais  comme  je  ne  suis  point  à  pré- 
sent en  état  de  manger  du  hareng,  c'eût  été  un  présenl 
perdu;  je  ne  vous  en  suis  pas  moins  obligé  que  si  je 
Pavois  receu. 

J'aimerois  beaucoup  mieux  que  vous  fissiez  retirer  le 
manuscrit  chez  moi,  et  que  l'argent  me  fût  remis  par 
la  même  personne,  car  j'ai  de  la  répugnance  à  aven- 
turer ainsi  un  manuscrit  plus  ample  et  plus  correct  que 
le  brouillon  qui  m'en  reste,  et  que  je  ne  pourrois  plus 
rétablir  tel  qu'il  est  s'il  venoit  à  s'égarer;  d'ailleurs  je 
manque  en  cette  saison  d'occasions  pour  faire  retirer 
commodément  de  l'argent  à  Paris.  Cependant  faites 
comme  il  vous  plaira,  je  tâcherai  de  m'accommoder  à  ce 
qui  vous  conviendra  le  mieux:  mais  si  vous  prenez  le 
parti  de  m'envoyer  l'argent  par  lettre  de  change,  je  vous 
prie  de  le  partager  en  deux,  à  divers  jours  d'échéance; 
parce  que  notre  messager  est  un  homme  très-sûr.  mais 
que  le  chemin  ne  l'est  pas.  surtoui  eu  cette  saison  qu'il 


120 

revient  de  nuit ,  et   qu'il   ne  faut  pas  mettre  tous   ses 
œufs  dans  un  panier. 

Je  vous  ferai  parvenir  aussi  par  M.  Le  Clerc  ou  par 
la  voye  que  vous  aurez  prise,  mon  exemplaire  corrigé 
de  la  Nouvelle  Héloïse  ;  vous  vous  moquez  de  nr offrir 
de  l'argent  pour  cela.  Si  vous  voulez  m'en  envoyer 
quelques  exemplaires,  à  la  bonne  heure:  si  je  trouve 
votre  nouvelle  édition  belle  et  bien  correcte ,  je  la  prô- 
nerai dans  ce  pays-ci  et  je  tacherai  de  l'y  faire  re- 
chercher. 

Faire  une  édition  générale  de  mes  écrits  d'ici  à  quinze 
mois ,  c'est  trop  tôt;  je  ne  saurais  être  prêt  pour  ce 
tems-là,  et  d'ailleurs  il  faut  laisser  le  tems  au  traité 
de  Téducation ,  et  aux  Principes  du  Droit  Politique , 
de  paroi tre  et  de  se  débiter.  Ce  seroit  voler  le  libraire 
chargé  du  premier  ouvrage  que  de  ne  pas  lui  laisser 
le  tems  d'épuiser  l'édition  pour  laquelle  il  a  traité. 

Je  suis  fort  sensible  au  souvenir  de  M.  Auboin  ;  quand 
vous  le  verrez  ou  que  vous  aurez  occasion  de  lui  écrire 
je  vous  prie  de  lui  dire  bien  des  choses  pour  moi. 
Bonjour,  Monsieur,  malgré  les  orages  passés  j'oublie  tout 
et  je  vous  embrasse  d'aussi  bon  cœur  que  jamais. 

J.  J.  Rousseat. 

.le  m'apperçois  que  le  dos  de  la  feuille  que  j'ai  prise 
est  griffonnée  ;  je  vous  prie  de  pardonner  cet  le  étour- 
derie  (1). 


(')  Puisque  d'un  écrivain  tel  que  Rousseau  fcoul  jusqu'au  griffonnage  peut 
avoir  il''  L'intérêt  .  le  voici:  "le  livre  est  à  ses  ordres  ainsi  que  l'auteur;  je 
rassemblera'/  même  tout  ee  i/iii  se  trouvera  (te  parties  éparseS  pour  éviter 
la  peine  de  les  faire  copiei  .et  je  souhaite  que  ces  essais  de  ma  jeunesse..." 


121 


73. 

A  Montmorenci,  le  31  8br.e  1761. 

J'attends,  Monsieur,  jeudi  prochain  M.  Duvoisin  qui 
veut  bien  m'apporter  lui-même  l'argent  en  question, 
dont  je  lui  ferai  quittance  comme  vous  le  désirez.  En 
attendant  je  prépare  le  pacquet  ci-joint  dans  lequel  vous 
trouverez  le  manuscrit  en  question  et  l'exemplaire  cor- 
rigé de  la  Nouvelle  Héloïse.  Je  vous  prie  de  me  tenir 
averti  du  tems  où  vous  voudrez  commencer  d'imprimer, 
et  je  vous  recommande  l'exécution  de  ce  dernier  ouvrage. 

Je  connois  M.  Brown;  je  verrai  avec  plaisir  son 
ouvrage;  je  vous  remercie  de  vouloir  bien  me  l'envoyer. 

A  l'égard  des  entreprises  dont  vous  me  parlez  je  n'y 
puis  songer  qu'après  m'être  débarrassé  du  traité  de  l'édu- 
cation qui  n'est  pas  encore  en  train.  Je  suis  bien  aise 
aussi  de  voir  comment  vous  vous  comporterez  au  sujet 
de  ce  dernier  ouvrage,  et  si  je  suis  content  j'espère 
que  ce  ne  sera  ni  la  dernière  ni  la  plus  importante  affaire 
que  nous  aurons  à  traiter  ensemble. 

Je  suis  fâclié  que  la  santé  de  Mad.  Rey  ne  soit  pas 
bonne ,  conservez  la  vôtre ,  car  quand  on  l'a  perdue  on 
ne  la  recouvre  pas  aisément.  Pour  moi  je  ne  fais  plus 
que  languir  et  joindre  un  jour  à  l'autre,  sans  savoir 
quand  cela  finira.  Adieu,  Monsieur,  je  vous  embrasse 
de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

74. 

A  Montmorenci,  le  7  9b,;e  1761. 

Hier,  Monsieur  Duvoisin  prit  la  peine  de  venir  m'ap- 
porter les  mille  francs  dont  je  lui  fis  un  rcceu  comme 
vous  l'avez  désiré;  je  lui  remis  le  manuscrit  enveloppé 


122 

et  cacheté,  avec  l'exemplaire  corrigé  de  la  Nouvelle 
Héloïse ,  et  il  me  promit  de  vous  envoyer  le  tout  bien 
enveloppé  et  conditionné  la  semaine  prochaine.  Il  me 
demanda  de  quoi  traitoit  l'ouvrage  qu'il  jugea  que 
contenoit  le  pacquet  que  je  lui  remis ,  je  lui  dis ,  de 
matière  de  politique,  et  nous  en  restâmes  là  sur  ce  point. 
Ainsi ,  Monsieur,  voilà  une  affaire  arrangée  ;  vous  trou- 
verez le  manuscrit  très-net,  en  très-bon  état;  reste 
à  voir  si  vous  voulez  au  moins  pour  cette  fois  que  je 
me  loue  de  l'exécution  dans  ce  qui  vous  regarde;  sur- 
tout quant  à  la  diligence  et  à  la  correction.  Il  faudra 
penser  d'avance  au  moyen  de  me  faire  parvenir  les 
épreuves  ;  car  directement  par  la  poste  les  fraix  en  sont 
excessifs. 

A  propos  de  votre  nouvelle  édition  du  Roman ,  Du- 
chesne  doit  vous  proposer  un  arrangement  qui  me  pa- 
roit  d'autant  plus  convenable  que  cela  vous  sauveroit 
une  autre  édition  que  lui  ou  d'autres  ne  manqueront 
pas  de  faire  en  ce  pays  ('),  c'est  d'échanger  avec  vous 
des  estampes  contre  des  exemplaires.  Des  planches 
contrefaites  n'approcheront  jamais  de  la  perfection  des 
siennes,  et  de  plus  il  y  en  aura  deux  nouvelles  dont 
je  lui  ai  promis  les  sujets,  savoir  un  frontispice  à  la 
tête  du  premier  tome,  et  un  autre  sujet  à  la  place  de 
la  dernière  qui  ne  vaut  rien.  Que  cela  vous  convienne 
ou  non,  ce  dont  je  vous  prie  instamment  c'est  que  cette 
dernière  édition  soit  belle  et  correcte;  au  moyen  de  quoi 
elle  anéantira  Imites  les  autres,  et  elle  aura  cours  par- 
tout comme  la  première. 

Bonjour,  Monsieur;  je  vous  recommande  tout  denou- 

(i)  Dans  mu-  lettre  du  I  Mnvs  1768  Duohesne  écrii  à  Rey:  J'apprends  par 
M.  Néaulme  que  vous  dites  que  je  vous  ai  contrefait  VHêloîse:  j'aurais 
pu  le  faire  comme  Lyon,  Rouen,  Bordeaux,  Avignon,  Liège  <i  mitres 
lieux,  peut-être  même  chez  vous,  l'ont  fait;  mais  rein  n'est  pas 


123 

veau  mon  dernier  ouvrage;  quoiqu'il  ne  soit  pas  de 
nature  à  se  répandre  aussi  promptement  qu'un  roman, 
j'espère  qu'il  ne  s'usera  pas  de  même  et  que  ce  sera 
un  livre  pour  tous  les  tems ,  s'il  n'est  pas  rebuté  par 
le  public.  Le  format  de  la  lettre  à  M.  d'Alembert  et 
même  un  caractère  un  peu  plus  gros  y  pourroit  être 
convenable.  Je  m'en  rapporte  là-dessus  à  votre  choix: 
mais  surtout  de  beau  papier.  Je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 

J.   J.   Rousseau. 


75. 

A  Montmorenci,    le  29    9b^  1761. 

M.  Duvoisin  m'a  fait,  Monsieur,  le  détail  de  l'ac- 
cident qui  lui  est  arrivé  à  la  barrière  et  des  suites  de 
cet  accident.  Il  m'en  parle  avec  tant  de  regret  que  je 
ne  puis  me  résoudre  à  lui  témoigner  toute  la  peine  que 
cela  m'a  fait,  mais  elle  est  fort  grande.  Le  meilleur 
remède  à  cela  dépend  de  votre  diligence,  mais  je  n'en 
espère  plus  de  vous.  Cependant  votre  intérêt  même  y 
est  très-grand;  car  plus  on  parlera  d'avance  de  cet 
ouvrage  et  plus  son  entrée  en  France  deviendra  diffi- 
cile. Au  lieu  que  s'il  étoit  prêt  sans  qu'on  en  sût  rien 
je  ne  doute  point  qu'il  n'entrât  sans  peine. 

Je  remets  à  une  autre  fois  la  réponse  à  divers  articles 
de  votre  lettre  pour  passer  à  un  point  plus  important. 
Supposant  l'exécution  et  publication  de  l'ouvrage  qui 
est  entre  vos  mains  pour  le  tems  où  vous  me  l'avez 
promise,  seriez-vous  en  état,  si  le  cas  y  échoit,  de 
faire  une  entreprise  plus  considérable  pour  le  printems 
prochain,  laquelle  demande  A  la  fois  la  plus  grande 
diligence  et    le  plus  grand    secrel  ?    car  je  VOUS   avertis 


124 

qu'il  est  question  de  parer  coup  à  une  trame  odieuse, 
et  que  tout  seroit  perdu  si  le  moindre  vent  de  votre 
entreprise  parvenoit  à  un  seul  de  vos  confrères  et  à 
qui  que  ce  soit.  Au  reste  je  n'imagine  pas  que  dans 
le  moment  présent  aucune  entreprise  piùsse  être  plus 
avantageuse  au  libraire,  plus  utile  aux  hommes  et  plus 
honorable  à  l'auteur  que  celle  dont  il  est  question.  Mais 
je  vous  répète  qu'elle  n'est  praticable  qu'à  force  de  di- 
ligence et  de  secret.  Je  ne  m'engage  point  encore  et 
je  ne  le  puis  pas  sitôt;  je  vous  consulte  seulement 
pour  savoir  si  je  pourrois  compter  sur  vous  au  besoin. 
Voyez ,  pensez ,  répondez  et  brûlez  ma  lettre. 

Vous  n'imagineriez  pas  que  l'homme  qui  vous  écrit 
est  dans  le  plus  triste  état  du  monde;  qu'un  accident 
qui  lui  est  arrivé  il  y  a  quelques  jours  doit  naturelle- 
ment lui  abréger  la  vie  et  ne  lui  en  laisser  espérer  que 
quelques  mois  (').  Toutefois  cela  ne  diminue  rien  de 
mon  zèle  pour  l'affaire  que  je  vous  propose  ni  n'en 
rend  l'exécution  impraticable.  Je  vous  avoue  même  que 
je  mourrois  plus  content  si  je  la  voyois  en  train. 

J'approuve  que  vous  m'adressiez  les  épreuves  direc- 
tement par  la  poste;  c'est  la  voye  la  plus  prompte  et 
la  plus  sûre.  Adieu ,  mon  cher  Rey.  J'aime  à  penser 
que  mes  écrits  et  mon  nom  ont  contribué  à  vous  en 
faire  un  et  à  commencer  votre  fortune.  Je  vous  dirai 
plus,  c'est  que  je  suis  persuadé  qu'il  ne  tiendra  qu'à 
vous  de  l'achever  avec  moi;  mais  de  grâce,  devenez 
prudent  et  soigneux. 

J.  J.  Rousseau. 


(')  On  peut  voir  quel  étaii  cet  accident  dans  la  lettre  qui  suit  et  dans  une 
autre  à  M.  Moultou,  en  date  du  12  Décembre,  publiée  dans  ses  Oeuyresj 
Partie  Correspondance, 


125 
76. 

A  Montmorenci,  le  23   10,,r.e  1761. 

L'accident   qui  probablement   me  coûtera  la  vie  ne 

tient  point  à  la  probité.  On  ne  me  force  point  à  rien 
faire  contre  elle,  et  jamais  on  ne  force  un  honnête 
homme  à  cela.  C'est,  Monsieur,  une  sonde  qui  s'est 
rompue  au  col  de  la  vessie  et  dont  la  pièce  restée  au 
passage  est  le  noyau  d'une  pierre  dont  le  progrès  com- 
mence à  se  faire  sentir.  La  suite  n'en  est  pas  difficile 
à  prévoir. 

Il  n'est  plus  question,  j'espère,  du  projet  dont  je 
vous  avois  parlé,  lequel  étoit  fondé  sur  un  soupçon  de 
trahison  dont  je  croyois  avoir  des  indices,  et  sur  lequel 
je  crois  à  présent  m'être  trompé.  La  suite  ne  tardera 
pas  à  m'apprendre  à  quoi  m'en  tenir,  et  si  l'affaire 
tourne  mal,  je  vous  expliquerai  le  tout.  Quant  à  présent 
je  ne  le  puis  sans  m'exposer  à  compromettre  injuste- 
ment la  réputation  d'un  honnête  homme. 

Je  crains  que  mon  mal  empiré  ne  me  mette  hors 
d'état  de  revoir  les  épreuves  de  l'ouvrage  qui  est  entre 
vos  mains.  En  ce  cas ,  il  faudroit  consulter  sur  les 
lieux  un  homme  de  lettres  qui  eût  de  l'intelligence, 
de  la  probité,  de  l'attention  et  de  la  bienveillance 
pour  l'auteur  :  et  vous  tâcheriez  de  m'envoyer  les  bon- 
nes feuilles  par  quelque  voye  moins  dispendieuse  que 
la  poste ,  afin  que  s'il  falloit  absolument  quelques  car- 
tons ou  errata ,  on  y  fût  à  tems  avant  que  le  livre  fût 
public.  Donnez  vos  soins,  je  vous  supplie,  à  la  cor- 
rection de  cet  ouvrage,  car  je  crois  qu'il  en  vaut  la 
peine.  Faites  aussi  attention  qu'on  n'aille  pas  mettre 
polit \ique  au  lieu  àepolitie,  partout  où  j'ai  écrit  ce  der- 
nier nx>t:  mais  qu'on   suive  partout  le  manuscrit   à  la 


126 

lettre,  jusques  dans  les  fautes.  Vous  le  trouvez  petii 
pour  un  volume;  cependant  il  est  copié  sur  le  brouillon 
que  vous  avez  jugé  devoir  en  faire  un ,  et  même  le 
chapitre  sur  la  religion  y  a  été  ajouté  depuis. 

Au  reste  mon  intention  n'a  jamais  été  que  ce  livre 
ne  portât  pas  mon  nom,  mais  seulement  que  le  secret 
en  fût  gardé  jusqu'à  la  publication.  Mais  à  présent  que 
la  chose  est  sue  à  Paris,  vous  pouvez,  si  vous  voulez, 
en  parler  à  vos  correspondais.  Je  me  remets  de  tout 
à  votre  prudence  et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

J'ai  déjà  vu  quelques  feuilles  du  traité  de  l'éducation 
mais  il  va  très-lentement.  Si  le  vôtre  pouvoit  paroitre 
auparavant,  vous  feriez  à  mon  avis  un  coup  de  partie: 
car  il  est  à  craindre  si  les  deux  ouvrages  paroissent 
ensemble,  que  le  petit  ne  soit  étouffé  par  le  grand. 


?7. 


A  Montmorenci,  27    10,,r.c  17G1. 

J'ai  receu  hier  au  soir,  mon  cher  Rey,  votre  ('preuve 
A  et  je  vous  la  renvoyé  aujourdhui;  Ton  ne  sauroit 
être  plus  diligent.  J'ai  répondu  ci-devant  à  votre  lettre 
du  7,  ainsi  je  n'ajouterai  rien,  sinon  que  puisque  vous 
avez  commencé  de  m'envoyer  les  épreuves  je  vous  prie 
de  continuer:  car  je  vois  que  votre  correcteur  est  très- 
peu  attentif,  et  qu'elles  ne  peuvent  se  passer  de  mon 
inspection.  A  l'égard  des  bonnes  feuilles,  la  poste  est 
si  dispendieuse  qu'il  ne  faut  s'en  servir  qu'au  défaut 
de  toute  autre  voye.  A  propos  de  cela,  j'ai  oublié  de 
vous  remercier  et  de  vous  charger  de  mes  remercimens 


127 

pour  M.  Auboin  pour  la  brochure  que  vous  m'avez  en- 
voyée, mais  ayant  été  mise  à  la  poste  à  Paris,  elle 
m'a  coûté  trente  sols  de  port  de  Paris  ici.  Par  le  mes- 
sager l'Epine  elle  ne  m'eût  coûté  que  4  ou  5   sols. 

Si  le  papier  de  l'épreuve  est  celui  de  l'édition,  j'en 
suis  fort  aise  et  je  vous  en  remercie  ;  si  malheureuse- 
ment il  ne  l'est  pas ,  je  vous  prie  au  moins  de  faire 
tirer  quelques  uns  de  mes  exemplaires  sur  ce  même 
papier-là. 

Vous  avez  ci-à-côté  une  petite  addition  que  je  vous 
prie  de  faire  insérer  soigneusement  dans  sa  place  ('). 
Je  ne  me  souviens  pas  bien  de  la  place  où  est  le  cha- 
pitre ,  mais  vous  le  reconnaîtrez  facilement^  à  son  titre 
dans  la  table  qui  est  au  commencement  de  la  copie. 
J'aime  mieux  vous  envoyer  ainsi  d'avance  les  additions 
quand  elles  me  viennent ,  que  de  les  mettre  sur  les 
épreuves ,  à  cause  des  remaniemens. 

Je  crois  que  vous  prenez  un  excellent  parti  en  vous 

hâtant  d'imprimer  afin  que  cet  ouvrage  paroisse  avant 

le  traité  de  l'éducation.    Vous  avez  tout    le   tems,   si 

vous  n'en  perdez  point.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon 

cœur  et  salue  Madame  Rey.  MHe  Le  Vasseur  vous  assure 

de  son  respect. 

J.  J.  Rousseau. 


78. 

Ce  30  10'":c  1761. 

Voilà ,  mon  cher  Rey,  votre  épreuve  B  que  j'ai  reçue 
avant  hier  avec  une  lettre  sans  date;  je  l'ai  revue 
avec  soin  et  j'espère  n'y  avoir  point  laissé   de  faute. 


(')  La  moitié  do  la  feuille  sur  laquelle  l'addition  était   écrite,   a  été  arra- 
chée pour  servir  au  compositeur. 


128 

11  n'en  est  pas  de  môme  de  l'épreuve  A  qu'il  fallut 
renvoyer  presque  sur  le  champ  pour  ne  pas  perdre  un 
Courrier  et  que  je  n'ai  revue  qu'avec  distraction  et 
souffrant  beaucoup.  Ce  qui  me  console  est  que  vous 
avez  suppléé  à  l'attention  que  je  n'y  ai  pu  donner. 
Vous  m'annoncez  que  je  ne  recevrai  rien  par  le  Courrier 
prochain  à  cause  des  fêtes;  par  conséquent  je  ne  vous 
renverrai  rien  par  le  Courrier  qui  suivra  celui-ci.  Au 
reste  comptez  sur  mon  exactitude ,  et  croyez  que  s'il 
arrive  que  vous  ne  receviez  pas  vos  épreuves  à  joui- 
nommé  ,  ce  ne  sera  jamais  ma  faute. 

Quand  je  vous  demandois  des  exemplaires  sur  ce 
papier,  je  ne  l'a  vois  pas  vu  au  jour;  il  est  trop  mince; 
vous  m'en  pouvez  donner  de  plus  fort  qui  ne  soit  pas 
moins  fin,  et  je  vous  en  serai  obligé. 

J'approuve  fort  vos  changemens,  mais  je  trouve  le 
format  trop  large  pour  sa  longueur.  C'est  un  petit  mal 
et  je  pense  bien  qu'il  n'y  a  plus  de  remède. 

Je  vous  remercie  de  vos  souhaits  de  bonne  année. 
Comme  ma  vie  n'est  plus  marquée  que  par  la  souffrance, 
mon  meilleur  jour  sera  le  dernier.  Ne  doutez  pas  réci- 
proquement du  sincère  intérêt  que  je  prends  à  vous  et 
à  votre  famille.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur 
et  vous  prie  d'embrasser  pour  moi  Madame  Rey  et  vos 
enfans. 

Voici  un  petit  papier  que  je  vous  prie  de  faire  tenir 
à  M.  Neaulme  le  plustôt  qu'il  se  pourra.  Du  veste  je 
vous  confirme  qu'il  ne  tient  qu'à  vous  que  L'ouvrage 
que  vous  imprimez  se  publie  et  lasso  son  effet  avant 
que  le  traité  de  l'éducation  soit  en  état  de  paroitre. 
Adieu,  mon  cher  Eey,  je  vous  salue  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


129 
70. 


6  Janvier  1762. 


Je  vous  renvoyé,  mon  cher  Rey,  l'épreuve  C  quej'ay 
receue  hier  avec  votre  lettre  du  31  10bre.  Je  suis  fort 
touché  de  votre  bonne  volonté  pour  Mlle  Le  Vasseur  et 
je  vous  en  remercie  de  tout  mon  cœur  tant  en  son  nom 
qu'au  mien.  Je  ne  crois  point  qu'une  offre  faite  de  si 
bonne  grâce  ait  besoin  quant  à  présent  d'être  assurée 
par  un  engagement,  et  il  suffit  que,  pour  ma  tranquil- 
lité, je  sache  qu'en  cas  de  malheur  cette  bonne  et  hon- 
nête tille  trouvera  en  vous  un  bienfaiteur. 

Comme  il  faut  laisser  faire  leur  effet  aux  deux  ouvra- 
ges que  j'ai  maintenant  sous  presse  et  donner  le  tems 
aux  éditions  de  se  débiter,  et  que  d'ailleurs  je  n'ai 
maintenant  ni  la  santé  ni  le  loisir  de  songer  à  une 
plus  grande  entreprise,  je  renvoyé  à  un  autre  tcms  de 
conférer  sur  l'édition  générale  de  mes  écrits  dans  la- 
quelle doivent  entrer  les  changemens  et  nouvelles  pièces 
qui  peuvent  la  faire  valoir.  Si  Dieu  dispose  de  moi 
avant  que  mes  arrangemens  soient  pris  là-dessus,  vous 
ne  serez  pas  oublié  pour  cela,  et  je  préviendrai  là- 
dessus  de  mes  intentions  ceux  qui  seront  chargés  de 
les  exécuter.  C'est  même  ce  que  j'avois  déjà  mit  c<  s 
tcms  passés  quand  mon  état  empiré  me  menaçoit  d'une 
mort  plus  prochaine  que  peut-être  elle  ne  viendra.  Je 
sais  que  des  personnes  qui  me  veulent  du  bien  ont  le 
dessein  d'honorer  ma  mémoire  par  des  écrits  publics: 
mais  pour  ma  vie  il  est  difficile  qu'elle  soif  mise  en 
état  de  paroitre,  parce  qu'elle  est  mêlée  de  beaucoup 
de  faits  qui  en  sont  inséparables  et  qui  compromet- 
froient  le  serret  d'autrui.  il  n'y  a  rien  sur  tout  cela 
de  mûr  ni  de  décidé  quant  à  présent;  mais  nous  en 
reparlerons. 

9 


130 

M.  Duvoisin  doit  venir  me  voir  aujourd'hui  ou  demain. 

S'il  vient  aujourd'hui,  je  lui  remettrai  ce  pacquet,  sinon, 
je  le  mettrai  ce  soir  à  la  poste  à  tout  événement:  car 
si  malheureusement  il  étoit  retenu  demain  encore,  je 
n'y  serois  plus  à  tems ,  et  je  ne  veux  pas  qu'un  seul 
Courrier  soit  retardé  par  ma  mute. 

Vous  avez  ci-joint  une  seconde  addition  que  je  vous 
prie  de  faire  insérer  à  sa  place  (1).  Adieu,  mon  cher 
Rey,  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 


Addition  à  insérer  dans  le  chapitre  intitulé:  de  la 
Monarchie  entre  l'alinéa  qui  commence  par  ces  mots  : 
Nous  avons  trouvé  par  les  rapports  généraux ,  el  l'alinéa 
suivant  qui  commence  par  ceux-ci:  Pour  qu'un  Etat 
monarchique,  moyennant  laquelle  addition,  il  faut  au 
premier  de  ces  deux  alinéa  s'arrêter  au  mot  substituts 
et  retrancher  les  deux  ou  trois  lignes  qui  suivent,  jus- 
qu'aux mots  forme  éludée  inclusivement;  puis  interpoler 
l'alinéa  qui  suit. 

Mettez  si  vous  voulez  la  vignette  du  Discours  sur 
l'inégalité.  Mais  il  y  a  là  une  grosse  jounue  de  liberté 
qui  a  l'air  bien  ignoble.  Est-ce  que  le  graveur  ne 
pourroit  pas  la  retoucher,  et  lui  donner  un  peu  plus 
de  dignité  (2). 


(i)   l,:i  partie  de  la  fouille  qui  contenail  l'alinéa  ,  .1  été  retranchée. 

("1  i:*'.\  .1  employé  la  vignette  pour  L'édition  in-12°.  Pour  l'antre,  grand 
in-8°.,  il  en  a  fait  graver,  d'après  le  même  dessein,  une  autre,  où  la  Liberté 
est  un  peu  moins  joufflue. 


131 
80. 

0  Janvier  1762. 

N'ayant  point  receu  la  lettre  que  vous  dites  m'avoir 
écrite  par  M.  Duvoisin,  je  me  contente  en  vous  ren- 
voyant l'épreuve  D  d'y  joindre  l'addition  ci-dessous, 
que  je  vous  prie  d'insérer  en  son  lieu,  et  je  vous 
embrasse. 

Dans  le  chapitre  intitulé  Des  suffrages,  l'alinéa  qui 
commence  par  ces  mots  Je  réponds  que  h.  question  doit 
être  couché  de  la  manière  suivante,  et  la  note  ci-dessous 
y  doit  être  ajoutée. 


SI. 


A  Montmorenci,  le  13  Janvr.   1762. 

Je  reçois  à  l'instant,  mon  cher  Rey,  votre  lettre  du 
7  par  laquelle  j'apprends  avec  effroi  le  parti  que  vous 
prenez  de  ne  plus  m'envoyer  d'épreuves.  Je  vous  avoue 
que  cette  résolution  me  fait  trembler.  0  mon  ouvrage! 
mon  cher  ouvrage!  que  va-t-il  devenir,  à  moins  que 
vous  n'ayez  choisi  pour  le  revoir  le  plus  honnête,  le 
plus  patient  et  le  plus  intelligent  des  hommes?  Sur  des 
matières  si  graves  on  n'a  jamais  assez  tout  pesé,  et  je 
sens  bien  que  le  dernier  coup  d'œil  que  j'aurois  jeté 
sur  cet  écrit  y  étoit  absolument  nécessaire.  Mon  cher 
Rey.  soyez  de  la  dernière  attention,  je  vous  conjure,  et 
si  malgré  cela  il  nous  faut  Av>  cartons,  comme  je  n'en 
doute  point,  préparez  vous  du  moins  l\  les  faire  de  lionne 
grâce  et   même  à  faire   couper   le   feuillet   cartonné   de 

9  " 


132 

peur  qu'on  ne  néglige  d'y  substituer  le  carton.    Je  vous 

avoue  que  je  suis  dans  les  plus  grandes  alarmes  sur 
votre  résolution  sans  pourtant  vous  en  savoir  mauvais 
gré  :  car  je  sens  combien  d'embarras,  de  lenteurs  et  de 
fraix  cela  peut  épargner.  Si  je  suis  trompé  en  bien 
sur  l'exactitude,  je  vous  en  saurai  gré  toute  ma  vie. 

Vous  me  dites  de  vous  envoyer  mes  additions:  mais 
comment  faire?  J'en  trouve  plusieurs  sur  mon  brouil- 
lon, mais  je  ne  me  souviens  plus  de  celles  que  je  vous 
ai  envoyées,  et  je  ne  sais  plus  comment  indiquer  les 
autres  sur  votre  manuscrit.  Les  épreuves  me  rendoient 
plus  confiant,  bien  sûr  s'il  y  avoit  quelque  qui-pro-quo 
de  l'y  corriger.  N'ayant  plus  cette  ressource,  je  n'ose 
plus  rien  vous  envoyer,  et  l'ouvrage  restera  défectueux 
à  bien  des  égards. 

Ne  manquez  pas  du  moins  de  m'envoyer  régulière- 
ment les  bonnes  feuilles,  afin  que  s'il  s'y  trouve  des 
fautes  essentielles  nous  soyons  à  tems  de  les  corriger 
par  des  cartons  ou  par  un  errata.     Je  vous  embrasse 

J.  J.  Rousseau. 

S'il  vous  vient  quelque  doute  important,  écrivez-moi, 
et  suspendez  le  tirage  de  cette  feuille-là,  jusqu'à  ma 
réponse. 


82. 

Ce  23   Janvier   1762. 

Voici,  mon  cher  Ivey,  les  ('preuves  F  et  G  (pie  j'ai 
receues  hier  au  soir  avec  votre  lettre  du  18.  J'ai  reçu 
aussi  la  bonne  feuille  A  et  j'attends  B  comme  vous  me 
le  marquez. 

Je  suis   touché  et   charmé  de  votre  procédé  ;ï  l'égard 


]  33 

de  Mlle  Le  Vasseur  et  je  vous  réponds  que  je  m'en  ser- 
virai utilement,  et  honorablement  pour  vous,  pour  fermer 
la  bouche  à  tous  ceux  qui  pourront  me  reprocher  de 
renouer  avec  vous  après  les  mécontentemens  passés. 
J'espère  que  cette  affaire  publiée  en  ce  pays-ci,  comme 
elle  le  sera  par  mes  soins  lorsqu'elle  sera  terminée, 
changera  bien  avantageusement  l'opinion  qu'on  y  a  de 
vous. 

Vous  savez,  comme  je  vous  l'ai  dit  bien  des  fois, 
que  dans  les  infirmités  dont  Dieu  m'afflige,  ne  pouvant 
plus  travailler,  je  n'ai  pour  ressource  le  reste  des  jours 
qu'il  lui  plaira  me  laisser  sur  terre  que  le  produit  de 
mes  écrits  et  du  recueil  général  que  je  compte  en  don- 
ner dans  trois  ans  si  je  vis  jusqu'à  ce  temps-là.  Je 
dois  vous  dire  encore  que  dans  mon  traité  avec  Du- 
chesne,  on  y  a  inséré  une  clause  de  préférence  en  sa 
faveur  pour  la  dite  Edition.  Je  laissai  cette  clause  en 
ce  tems-là,  ayant  en  quelque  sorte  rompu  avec  vous. 
et  quand  nous  avons  renoué  il  n'étoit  plus  tems  de 
l'ôter.  Cependant  comme  elle  est  couchée  d'une  manière 
qui  ne  m'engage  pas  beaucoup,  j'en  tiendrais  peu  de 
compte  si  je  n'étois  pas  content  de  l'exécution  du  livre 
qu'il  a  entre  les  mains:  de  [dus,  en  lui  faisant  bon 
parti  de  mon  Dictionnaire  de  musique  qui  fait  une  af- 
faire à  part, j'espère  le  faire  aisément  renoncer  au  reste: 
et  le  pis  aller  seroit  enfin,  s'il  n'y  avoit  pas  moyen 
«le  faire  autrement,  d'imprimer  à  la  fois,  au  moyen  d'un 
accord  à  faire  entre  vous,  ce  recueil  à  Paris  et  à  Am- 
sterdam: bien  sûrs,  je  pense,  d'un  débit  suffisant  des 
deux  côtés,  et  de  prévenir  aussi  par  là  bien  des  con- 
trefactions.  Quoiqu'il  en  soit,  j'ai  cru  vous  devoir  toutes 
ees  explications  afin  que  vous  sentiez  que  ce  que  vous 
voulez  faire  pour  M"!  Le  Vasseur,  doit  être ,  comme  vous 
entendez  vous-même,  indépendant  de  tout  engagement 


134 

de  ma  part.  Et  je  crois,  au  surplus,  que  vous  me  con- 
noissez  assez  pour  être  sûr  de  toute  ma  volonté  et  des 
soins  que  je  prendrai  pour  la   mettre   à  exécution. 

11  y  a  pour  la  publication  de  ma  vie,  même  après 
ma  mort,  de  grands  obstacles  qui  ne  sont  pas  faciles 
à  lever,  mais  ne  pourroit-on  pas  faire  quelque  chose 
d'équivalent  qui  satisferoit  de  même  la  curiosité  du 
public  et  pourroit  contenter  également  l'honnête  désir 
que  vous  avez  d'honorer  ma  mémoire?  On  ne  peut  pas 
traiter  cela  par  lettres;  nous  n'en  pouvons  guères  con- 
férer qu'à  votre  premier  voyage,  si  Dieu  me  conserve 
jusqu'à  ce  tems-là.  Tous  ces  arrangemens-là  ne  sont  pas 
l'a  lia  ire  d'un  jour. 

Après  m'être  expliqué  avec  vous  sur  tout  ceci,  ve- 
nons à  rengagement  qu'indépendamment  de  tout  cela 
vous  voulez  bien  prendre  en  faveur  de  M".e  Le  Vasseur. 
Avez-vous  lu,  mon  cher  Rey,  la  note  que  j'ai  ajoutée 
dans  le  3e  tome  de  Julie,  à  l'exemplaire  que  je  vous 
ai  envoyé?  Cette  note  contient  la  raison  qui  me  fait 
désirer  quelque  changement  dans  l'arrangement  de  votre 
bienfait  (1).  J'aimerois  mieux  que  la  pension  viagère 
que  vous  voulez  lui  faire  fût  moindre,  et  qu'elle  com- 
mençât à  courir  d'une  époque  fixe  indépendante  de  ma 
mort,  comme  par  exemple  qu'elle  ne  fut  que  de  deux 

(')  La  unie  à  la  iHirc.W  de  lii  Troisième  partie,  qui  ne  se  trouve  pas  dans 

la  première  édil  on,  ence  ainsi:  "Nos  situations  diverses  déterminent 

et  changent  malgré  nous  toutes  les  affections  de  nos  coeurs:  nous  serons 
vicieux  et  méchants  tant  que  iiiin.<  aurons  intt  rêt  à  l'être,  et  malheu- 
reusement les  chaînes  dont  /mus  sommes  chargés  multiplient  cet  intérêt 
autour  <!e  //nus.  L'effort  de  corriger  te  désordre  de  nos  désirs  est  presque 
toujours  vain,  cl  rarement  il  est  vrai.  Ce  qu'il  faut  changer,  c'est  moins 
nos  désirs  que  les  situations  qui  les  produisent.  Si  nous  voulons  devenir 
lions,  ôtons  hs  rapports  '/ni  nous  empêchent  de  l'être,  il  n'y  a  pas 
d'autre  moyen.  ./<  /«  voudrais  pas  pour  tout  nu  monde  avoir  droit  à 
In  succession  d' autrui ,  surtout  di  pei'sonnes  qui  dcoroient  m'êtn  chères} 
car  que  suis-/,-  quel  horrible  voeu   Vindigei  ■  '  tn'arracher.'' 


cents  francs  ou  cinquante  écus ,  et  qu'elle  commençât  à 
courir  du  p1'.  Janvier  1763.  Je  sais  bien  que  la  pâture 
fille  a  le  cœur  trop  bon  pour  aspirer  au  moment  de 
jouir  de  sa  pension,  mais  moi-même  je  me  saurois  en 
quelque  sorte  mauvais  gré,  ne  faisant  plus  rien  sur  la 
terre ,  d'y  être  un  obstacle  à  votre  bienfait.  En  un  mot, 
cet  arrangement,  s'il  n'a  rien  qui  vous  répugne,  me 
rendroit  l'esprit  plus  content  ;  parlez-moi  là-dessus  à 
cœur  ouvert  à  mon  exemple. 

Vous  voulez  que  je  vous  parle  de  mon  état.  Qu'aurois- 
je  de  nouveau  à  vous  en  dire?  Je  souffre  continuelle- 
ment et  surtout  la  nuit.  Malgré  l'accident  qui  m'est 
arrivé,  je  ne  puis  suspendre  un  seul  jour  l'usage  des 
sondes  sans  que  l'urine  soit  tout  à  lait  supprimée. 
Vous  parlez  d'opération.  Cela  seroit  bon  si  mon  mal 
unique  étoit  cette  sonde  cassée;  en  ôtant  la  pièce  je 
serois  guéri;  mais  puisqu'indépendamment ,  je  porte 
un  mal  de  vessie  depuis  mon  enfance,  lequel  ne  fait 
qu'augmenter  de  jour  en  jour,  vouloir  tailler  une  vessie 
dans  cet  état,  qu'est-ce  faire  autre  que  vouloir  rester 
dans  l'opération?  Mort  pour  mort,  j'en  aime  mieux 
une  autre  que  celle-là.  Quand  je  serois  guéri  de  la 
pierre,  je  n'en  serois  pas  moins  infirme  qu'auparavant. 
11  n'est  pas  raisonable  de  tenter  une  opération  en  pa- 
reil cas.  Mon  cher  Roy,  il  faut  se  résigner,  se  ménager, 
ne  point  se  tourmenter,  ne  vouloir  point  guérir  malgré 
La  nature,  et  vivre  en  paix  autant  qu'il  plaira  à  Dieu. 
Mille  respects  à  Madame  Rey;  je  vous  embrasse  tic 
tout  mon  cœur 

J.  J.  Rousseau. 

Je  n'aime  pas  ces  réglets  en  fleurons  dont  vous  avez 
séparé  le  texte  'les  note-::  L'œil  les  confond  avec  des 
lignes  d'écriture;  un  réglel    toul    uni  vaudroil  beaucoup 


loi; 

mieux.  Voici  encore  un  petit  papier  pour  M.  Néaulme; 
je  vous  remercie  de  celui  que  vous  m'avez  fait  par- 
venir. 


83. 

Ce  4  Fevr.  1762. 

Je  suis  surpris,  mon  cher  Rey,  qu'il  reste  tant 
d'épreuves  en  route,  puisqu'aucune  n'a  été  jusqu'ici 
retardée  de  mon  côté.  Vous  me  marquez  de  ne  rien 
attendre  par  le  Courrier  prochain;  cela  étant,  n'attendez 
donc  rien  non  plus  par  celui  qui   suivra  celui-ci. 

Je  n'ai  rien  à  faire,  quant  à  présent,  au  Discours  sur 
l'inégalité  ('),  je  voudrois  seulement  quïi  chaque  fois 
que  vous  réimprimez  quelqu'un  de  mes  écrits  vous  m'en 
envoyassiez  deux  ou  trois  exemplaires.  Quant  à  la  Julie, 
vous  me  ferez  plaisir  quand  elle  sera  imprimée  de  m'en 
envoyer  cinq  ou  six.  Vous  ne  nie  dites  point  si  elle 
est    sous    presse. 

J'ai  eu  le  plaisir  de  voir  31.  Duvoisin  la  semaine 
dernière:  il  pourra  vous  dire  comment  je  lui  ai  parlé 
de   vous. 

Si  vous  pouviez  m'envoyer  les  (''preuves  deux  à  deux 
cela  feroit  quelque  économie:  car  pour  chaque  épreuve 
ie  pacquet  me  coule  quarante  sols  de  port,  et  il  ne  me 
coûte  qu'un  écu  quand  il  y  en  a  deux.  Croiriez-vous 
qu'il  m'en  coûte  cinq  cents  francs  par  an  en  ports  do 
lettres?  Tous  les  désœuvrés  de  Fiance  et  de  L'Europe 
m'écrivent  par  la  poste,  et  qui  pis  est  exigent  des  ré- 
ponses;  tous  les  petits  auteurs  de  Paris  m'envoyent  de 

i'1   llcv  faisait  alors  la  réimpression  de  ce  Discours.    Il  a  Lnséri   oetti 
non  de   L762  dan     on  premier  recueil  des  Oeuvres  Diverses,  co  recueil  n'étant 
qu'un  ;*s.~c m I ii :ilj-<-  de  quelques  écrits  do    l'auteur  tels  qu'ils  ont  été  imprimés 

i      \  ■  <     la  note  p.   l  L5. 


137 

même  leurs  misérables  brochures,  me  font  payer  40  à  50  c. 
de  port  d'un  présent  que  je  ne  payerois  pas  10  c.  chez 
le  libraire  et  dont  je  ne  donnerois  pas  un  liard ,  et  par 
dessus  le  marché  il  leur  faut  un  remercîment. 

Voici  une  addition  importante  que  je  vous  prie  de 
placer  avec  soin  (').  Je  vais  toujours  traînant  sans 
beaucoup  empirer;  mais  je  ne  puis  plus  absolument 
pisser  qu'à  l'aide  de  la  sonde.     Adieu. 


84. 

17  Fevr.  1762. 

Je  n'ai  pas  encore  receu,  mon  cher  Rey,  de  bonne 
feuille  par  un  ordinaire,  et  depuis  que  M.  Duvoisin 
m'est  venu  voir,  il  ne  m'a  point  non  plus  donné  de  ses 
nouvelles,  mais  comme  il  m'a  jusqu'ici  envoyé  régu- 
lièrement les  bonnes  feuilles,  je  présume  qu'il  se  porte 
bien.  Pour  moi  je  continue  à  mener  la  plus  triste  vie 
du  monde ,  et  je  commence  à  trouver  cela  bien  long  ; 
la  volonté  de  Dieu  soit  faite. 

Vous  ne  m'avez  point  envoyé  l'épreuve  de  votre  vignette 
que  vous  m'aviez  promise.  Je  dois  vous  prévenir  <jue 
si  vous  y  avez  mis  ma  devise  comme  vous  aviez  fait 
autrefois,  il  la  faut  absolument  ûter,  parce  qu'il  y  a 
déjà  une  épigraphe  et  qu'il  n'en  faut  pas  deux:  ma 
devise  ne  doit  être  qu'à  la  tête  de  mon  recueil  général. 
N'allez  pas  non  plus  dans  la  nouvelle  Edition  de  la 
Julie,  si  vous  y  mettez  revue  et  corrigée,  ajouter,  par 
l'auteur:  car  vous  devez  savoir  que  je  ne  me  reconnois 
point  pour  tel,  mais  seulement  pour  Editeur.  Je  vous 
embrasse. 


(')  L;i  partie  de  la  lettre,    "i  L'addition  Be  trouvait,    a  été  retranchée   pour 
li'  compositeur, 


1  38 
85. 

Ce  18  Fevr.   1762. 

Je  ne  puis  vous  exprimer,  mon  cher  Rey,  avec  quelle 
surprise  j'ai  vu  que  vous  aviez  décacheté  la  lettre  de 
M.  Néaulme  et  que  vous  me  donniez  une  excuse  si 
mince  d'une  action  si  grave.  Je  crois,  comme  vous 
m'en  assurez,  que  vous  n'avez  point  lu  la  lettre,  mais 
il  n'en  résulte  pas  moins  que  vous  n'avez  nulle  idée 
de  la  conséquence  de  cette  fracture,  et  que  vous  ignorez 
combien  le  dépôt  d'une  lettre  cachetée  est  un  dépôt 
sacré.  Je  ne  vous  en  sais  donc  pas  plus  mauvais  gré, 
mais  je  ne  puis  vous  cacher  que  si  j'avois  eu  l'idée 
(comme  j'aurois  très-bien  pu  l'avoir),  de  vous  confier 
des  papiers  cachetés,  pour  n'être  ouverts  qu'après  ma 
mort,  avant  de  prendre  ce  parti-là,  j'y  penserois  main- 
tenant à  deux  fois. 

On  me  dit  que  l'acte  que  vous  voulez  bien  passer  en 
laveur  de  Mu?  Le  Vasseur  ne  peut  être  passé  que  dans 
le  pays  ou  vous  êtes  par  devant  un  notaire  du  lieu  et 
selon  l'usage  établi  par  les  loix.  Ainsi  il  faut  que  vous 
ajoutiez  à  votre  générosité  la  peine  de  l'aire  passer  vous- 
même  cet  acte,  et  quant  aux  fraix,  nous  ferons  si  vous 
voulez  qu'ils  entrent  en  compensation  du  port  des  épreu- 
ves que  vous  aviez  promis  de  me  rembourser  et  qui 
réellement  ne  laissent  pas  de  me  couler.  Mais  vous 
n'avez  pas  fait  attention  à  ce  que  je  vous  ai  marqué 
que  je  souhaitois,  que  le  tems  de  ma  mort  ne  servît 
d'époque  à  rien,  et  je  persiste  dans  le  même  senti- 
ment. Ainsi  laites  la  pension  plus  petite  et  prenez  un 
terme  fixe  durant  Lequel  elle  commence  à  courir  pour 
la  vie  de  M"    Le  Vasseur  indépendamment  delà  mienne. 

En  conséquence  de  ce  procédé  qui  m'a  beaucoup  touché 


139 

le  cœur,  je  souhaite  sincèrement,  mon  cher  liey,  de 
me  rapprocher  tellement  de  vous  que  je  n'aye  plus  rien 
à  faire  avec  d'autres  libraires ,  et  sûrement  il  ne  tiendra 
pas  à  mui  que  ce  projet  n'ait  lieu  pour  le  reste  de  ma 
vie  et  même  après.  Dès  à  présent  je  ne  désespère  pas 
d'exécuter  celui  dont  je  vous  ai  parlé  il  y  a  deux  mois 
et  sur  lequel  j'ai  maintenant  à  vous  consulter. 

Les  deux  premiers  volumes  du  traité  de  l'éducation 
seront  achevés  dans  peu  d'imprimer  ici;  mais  les  deux 
derniers  encore  mieux  écrits  et  plus  intéressans  à  la 
lecture  sont  pleins  de  choses  hardies  et  fortes  qui  mal- 
gré toute  la  faveur  du  magistrat  ne  peuvent  qu'élever 
des  difficultés  dans  ce  pays.  En  ne  me  prêtant  point 
aux  moj^ens  de  lever  ces  difficultés  je  les  puis  rendre 
insurmontables  ('),  auquel  cas  Duchesne  n'a  d'autre 
parti  à  prendre  que  de  publier  ces  deux  premiers  vo- 
lumes, et  de  faire  imprimer  les  deux  autres  par  Néaulme. 
Or,  ce  que  je  puis  faire  ici  pour  que  cette  affaire  vous 
revienne,  c'est  de  résilier  mon  marché  avec  Duchesne 
pour  la  moitié  de  mon  ouvrage  et  de  vous  substituer 
en  son  lieu  et  place  pour  cette  même  moitié.  Alors 
Duchesne  sera  obligé  de  faire  avec  Néaulme  la  même 
résiliation.  L'édition  de  Néaulme  débitée,  il  vous  sera 
aisé  de  traiter  avec  lui  de  son  droit  pour  la  suite; 
Duchesne  n'ayant  que  deux  volumes  et  ne  pouvant  im- 
primer les  deux  autres,  ne  s'avisera  pas  de  faire  une 
seconde  édition  de  ces  deux  volumes  pour  un  livre  qui 
en  aura  quatre;  ce  seroit  le  moyen  de  n'en  pas  vendre 
un  seul  exemplaire,  on  ne  lui  permettra  pas  de  contre- 
Caire  ce  qu'on  ne  lui  aura  pas  permis  d'imprimer  ci 
je  ne  doute  pas  même  (pie  tant  que  31.  de  Malesherbes 

i')   Mu   relus, ni    de  faire  les  changements,    que  Le  Censeur,    i|ui  avait  déjà 

i !'■  i -  !^  d    changemem    an      leuj   premiers  vol -.  indiquerait  aux 

derniers. 


i4(» 

sera  en  place  je  n'aye  le  crédit  d'empêcher  cette  contre- 
faction.  Ainsi  vous ,  joignant  à  votre  droit  sur  les  deux 
derniers  volumes  celui  de  Xéaulme  sur  les  deux  pre- 
miers pour  les  pays  étrangers,  et  l'ouvrage  ne  se  réim- 
primant pas  à  Paris,  vous  vous  eu  trouverez  unique 
propriétaire  n'ayant  payé  que  la  moitié  du  prix  de  la 
copie.  Au  reste  que  cet  arrangement  ait  lieu  ou  non, 
je  crois  toujours  pouvoir  vous  répondre  d'un  débit  prompt 
et  sûr  de  vos  deux  volumes,  quelque  forte  qu'en  soit 
l'éditiou. 

Pesez  mûrement  ce  que  je  vous  propose  et  si  l'affaire 
vous  agrée,  répondez-moi  promptement.  Auquel  cas 
songez  d'avance  à  vos  fournitures  de  papier  et  à  vous 
ménager  deux  presses  pour  pouvoir  imprimer  les  deux 
volumes  à  la  fois  et  les  faire  paroitre  peu  de  tems 
après  les  premiers,  afin  de  ne  pas  laisser  au  public  le 
tems  <le  se  refroidir  sur  cet  ouvrage.  Au  reste,  songez 
que  cette  affaire-ci  est  absolument  entre  vous  et  moi 
et  demande  le  plus  grand  secret:  car  je  vous  préviens 
qu'en  quelque  lieu  que  s'impriment  ces  deux  volumes, 
si  les  Jésuites  viennent  à  l'apprendre  ils  remueront  ciel 
et  terre  pour  l'empêcher  à  cause  de  leurs  collèges, 
quoique  dans  l'ouvrage  entier  il  ne  suit  pas  fait  la 
moindre  mention  d'eux. 

Songez  cependant  que  la  proposition  que  je  vous  tais 
est  toujours  conditionnelle:  car  mon  traité  avec  Duchesne 
avant  été  fait  de  bonne  foi  de  part  et  d'autre,  si  les 
obstacles  qui  s'opposenl  à  son  exécution  pouvoienl  se 
lever  sans  mutiler  l'ouvrage,  je  ne  pourrois  en  con- 
science m'opposer  à  son  exécution.  Mais  si  pour  l'in- 
térêi  de  Duchesne,  il  falloit  détériorer  mon  livre,  je  ne 
serois  nullement  tenu  de  faire  en  sa  faveur  ce  à  quoi 
je  ne  me  suis  point  obligé,  et  voilà  le  cas  où  je  me 
trouve. 


141 

Voici  votre  épreuve  M,  dans  laquelle  je  suis  bien 
fâché  de  n'avoir  pas  le  tems  de  transcrire  plus  nette- 
ment la  note  qui  répond  à  la  page  190  (').  J'espère 
pourtant  qu'avec  beaucoup  d'attention  Ton  pourra  par- 
venir à  la  déchiffrer  exactement.  Faites  tirer  une  se- 
conde épreuve  à  cause  de  cette  note,  et  faites-là,  je 
vous  prie,  examiner  avec  soin  par  un  homme  de  lettres 
à  cause  des  deux  passages  latins.  Je  vous  avoue  que 
je  suis  un  peu  inquiet  de  cette  note,  à  cause  que  vous 
avez  laissé  passer  une  faute  dans  celle  de  Calvin  (2). 
J'ai  ajouté  une  autre  note  p.  187;  mais  comme  il  y  a 
place  pour  l'une  et  pour  l'autre,  elles  n'exposeront  à 
aucun  remaniement;  ainsi  si  cette  feuille  n'est  pas  aussi 
correcte  que  les  autres ,  ce  sera  la  faute  de  l'imprimeur 
et  la  vôtre.  Adieu,  je  continuerai  de  revoir  les  épreuves 
qui  me  viendront  ;  mais  comme  je  me  sens  plus  acca- 
blé qu'à  l'ordinaire,  je  pourrai  ne  vous  pas  écrire  de 
quelque  tems. 

J.  J.  Rousseau. 


86. 


Ce  20  Fevr.  1762. 


Voici,  mon  cher  Rey,  votre  épreuve  N.  J'ai  receu 
jusques  à  ce  jour  sept  bonnes  feuilles;  c'est  je  pense 
tout  ce  qu'il  y  a  eu  de  tiré  jusqu'à  présent.  Je  suis 
dans  le  plus  grand  souci  sur  ce  dont  je  vous  ai  parlé 
l'ordinaire  dernier;  je  ne  suis  plus  le  maître  de  mon 
livre:  j'ignore  encore  le  train  que  les  choses  prendront, 
niais  je  vois  de  toutes  parts  des  embarras    qui  me  dé- 


fi    i.  s  qu'il  cite  sont  celles  de  !'■  lil    n     rand-iri-8vo. 

i-'i   n  n'v  a  d'aul  re  fa  >oution  ire  cette  faute 

ne  se  trouve  pas 


142 

soient.  Malade  et  accablé,  je  crois  que  je  vais  prendre 
le  parti  de  laisser  tout  aller  comme  il  pourra,  puis- 
qu'aussi  bien  je  m'y  tourmente  inutilement.  Gardez- 
moi  le  secret  sur  tout  ceci ,  je  vous  prie.  J'espère  que 
cet  ouvrage-ci  me  consolera  un  peu  de  l'autre,  et  je 
désire  ardemment  qu'il  vous  soit  aussi  avantageux  que 
les  précédens.  Malheureusement  la  matière  est  un  peu 
ingrate.  Profitez  du  moment  que  je  suis  à  la  mode  en 
Angleterre  pour  y  en  envoyer  beaucoup.  Mille  amitiés 
et  respects  à  Madame  Rey.  Adieu,  mon  cher  Rey,  je 
vous  embrasse. 


87. 

Ce  25  Fevr.  1762. 

Les  difficultés  que  vous  me  proposez ,  mon  cher  Rey, 
dans  votre  dernière  lettre  sans  date,  me  font  renoncer 
au  projet  que  j'avois  formé  au  sujet  du  traité  de  l'édu- 
cation; ma  bonne  volonté  me  rendoit  facile  ce  qui  ne 
Fétoit  pas,  et  j'aurois  à  lever  de  mon  eût,''  tant  d'ob- 
stacles que,  puisque  cela  ne  vous  fait  pas  une  per- 
spective assez  lucrative  pour  en  valoir  la  peine,  il  vaut 
mieux  abandonner  tout  à  la  fortune  et  laisser  aller  les 
choses  comme  elles  voudront. 

Le  nom  de  ma  gouvernante  est  Thérèse  Le  Vasseur, 
tille  de  François  Le  Vasseur,  officier  de  la  Monoye 
d'Orléans,  âgée  de  41  ans,  étant  née  en  1721  :  à  l'égard 
des  particularités  que  vous  dites  ignorer,  il  n'y  en  a 
point  d'autres,  que  je  sache,  relatives  à  celle  affaire-là 
si  ce  n'est  de  motiver  votre  bienfait  par  le  désir  que 
vous  avez  de  me  donner  un  témoignage  de  gratitude 
pour  l'avantage  que  vous  avez  tiré  du  choix  que  j'ai 
fait  de  vous  pour  mon  libraire,  et  par  celui  que  vous 
avez    que  j'aurois    de  mon    côté    de   récompenser  ma 


143 

Gouvernante  de  ses  bons  et  fidèles  services  et  des  soins 
qu'elle  m'a  rendus  dans  mes  longues  infirmités.  Mais 
j'ai  peur  que  ce  mot  de  particularités  ne  cache  un  autre 
sens,  et  que  vous  ne  vous  soyez  imaginé  comme  beau- 
coup d'autres  que  j'étois  marié  avec  elle  ;  auquel  cas 
vous  avez  du  supposer  que  ne  voulant  pas  recevoir  vos 
dons  directement,  je  n'étois  pas  fâché  de  les  recevoir 
indirectement  par  elle;  supposition  qui  ne  feroit  pas 
grand  honneur  à  ma  franchise  ni  à  ma  délicatesse. 
Quoi  qu'il  en  soit,  si  c'est  là  votre  idée  vous  pouvez 
garder  vos  dons,  car  j'ai  vécu  et  mourrai  garçon,  et 
n'y  prends  d'autre  intérêt  que  celui  d'assurer  quelque 
ressource  à  cette  bonne  et  honnête  fille  :  et  même  quand 
vous  persisteriez  dans  votre  bonne  intention ,  je  préfé- 
rerais à  présent ,  malgré  ma  répugnance ,  votre  premier 
projet;  car  il  vaut  encore  mieux  que  vous  pensiez  faire 
une  pension  à  ma  veuve  qu'à  ma  femme.  Je  vous 
embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.    J.    Rousseau. 


88. 


28   Fevr.  1762. 


Le  détail  que  vous  me  faites,  mon  cher  Rey,  des 
inconvéniens  attachés  à  l'impression  de  mes  écrits  m'a 
paru  si  effrayant  que  je  serois  inexcusable  de  vous  ex- 
poser davantage  à  de  pareils  risques.  Ainsi  je  ne  vous 
en  parlerai  plus. 

J'ai  bien  du  chagrin  que  la  feuille  M,  celle  précisé- 
ment que  je  vous  avois  le  plus  recommandée  à  cause 
de  la  note,  soit  précisément  celle  qui  a  le  moins  été 
revue  :  je  l'attends  avec  impatience  pour  juger  des  car- 
tons dont  elle  peut  avoir  besoin. 


144 

Je  trouve  votre  titre  trop  confus.  il  faudrait  que 
l'œil  y  distinguât  trois  parties  bien  séparées  par  dv± 
blancs.  1°.  Le  titre  de  l'ouvrage.  2°.  le  nom  et  le  titre 
de  l'auteur.  3°.  l'épigraphe,  et  que  cette  épigraphe  ne 
se  confondît  point  dans  la  vignette.  Arrangez  cela  .  je 
vous  prie,  du  mieux  que  vous  pourrez. 

Faites  attention  dans  la  table  à  ce  que  j'ai  marque 
sur  les  titres  des  livres ,  qui  doivent  être  autrement 
disposes  que  les  titres  des  chapitres.  On  a  coté  les 
chapitres  sur  les  pages  du  manuscrit  pour  ce  qui  n'étoit 
pas  encore  imprimé.  J'ai  changé  ces  numéros  sur  l'im- 
primé dans  les  bonnes  feuilles  qui  me  sont  parvenues 
jusqu'ici,  mais  je  n'ai  pu  aller  jusqu'au  bout  Veillez 
exactement ,  je  vous  prie,  à  ces  changemens;  car  rien 
n'est  plus  désagréable  au  lecteur  que  de  trouver  de  faux- 
renvois  dans  les  tables.  Vous  ne  pourrez,  par  cette 
raison,  tirer  la  feuille  du  titre  que  quand  tout  l'ouvrage 
sera  composé. 

Ne  vous  souvient-il  plus  que  nous  avons  eu  une  ex- 
plication verbale  sur  l'introduction  de  cet  ouvrage  en 
France,  et  qu'il  a  été  expressément  convenu  entre  nous 
que  je  ne  m'en  mêlerois  pas?  Si  j'avois  alors  dix  rai- 
sons pour  cela,  j'en  ai  maintenant  dix-mille,  et  je  n'ai 
que  trop  d'autres  embarras  sans  celui-là.  Je  ne  puis 
ni  ne  veux  rien  demander  là-dessus  à  M.  de  Males- 
herbes;  mais  je  ne  présume  pas  que  si  vous  vous  ad- 
dressez  à  lui  par  une  lettre  respectueuse,  vous  le  trou- 
viez mal  disposé.  Comme  je  ne  suis  point  sorti  dans 
cet  ouvrage  des  considérations  générales,  je  n'y  vois 
rien  de  plus  fort  que  dans  nies  autres  écrits,  ni  qui 
doive  le  faire  voir  en  ce  pays  de  plus  mauvais  œil. 
En  tout  cas  cet  inconvénient  sera  compensé  pour  vous 
en  rendant  aussi  les  contrefactions  en  France  plus  dan- 
gi  reuses.     Sitôt   qu'il    sera    imprimé,  ne   manquez  pas 


145 

d'en  envoyer  de  ma  part  un  exemplaire  à  M.  de  Males- 
herbes  par  la  poste ,  et  rien  n'empêche ,  si  vous  le  jugez 
à  propos,  que  vous  ne  lui  écriviez  même  auparavant. 
M.  Duvoisin  qui  vint  jeudi  diner  ici  avec  M.  Boullier 
m'apprit  que  Mad.  Rey  étoit  grosse.  Je  vous  en  fais 
mon  compliment  de  tout  mon  cœur,  et  à  elle  aussi, 
espérant  que  tout  ira  bien ,  et  que  vous  n'en  aurez  que 
redoublement  de  bonheur  dans  votre  famille.  Je  vous 
embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 

89. 

A  Montmorenci,  le  1 1  Mars  1762. 

Voici,  mon  cher  Rey,  vos  dernières  épreuves,  où  j'ai 
retranché  la  dernière  note  devenue  inutile  depuis  que 
le  sort  de  nos  malheureux  est  décidé,  et  sur  laquelle 
on  vous  auroit  peut-être  fait  de  plus  grandes  difficultés 
pour  l'introduction  que  sur  le  reste  de  l'ouvrage.  A 
cette  note  j'en  ai  substitué  une  autre  qui  la  vaut  bien, 
et  qui  va  mieux  à  la  racine  du  mal  (').  Je  vous  prie 
instamment  d'avoir  la  plus  grande  attention  à  la  cor- 
rection de  cette  note  et  de  la  page  qui  s'y  rapporte, 
tant  à  cause  de  l'importance  de  la  matière ,  que  parce 
que  les  fautes  à  la  fin  d'un  ouvrage  se  remarquent 
encore  plus  que  partout  ailleurs. 

Je  ne  comprends  rien  à  la  difficulté  que  vous  fait  le 
notaire  sur  la  forme  de  l'acte  en  question.  Il  est  de 
toute  notoriété  qu'un  tel  acte  n'a  besoin  pour  être  valide 
que  d'être  fait  selon  les  formes  du  pays  où  il  est  passé; 
quand  même  il  devroit  valoir  ailleurs.  Ainsi  donc  si 
votre  acte  est  bon  et  valide  en    Hollande,  il  le  sera  par 

i'i  Voyez  sur  cette  note  Les  trois  Lettres  qui  suivent. 

Kl 


140 

tout  l'univers ,  et  même  quand  il  s'agiroit  de  s'en 
servir  en  France,  ce  qui  n'est  pas;  car  bien  que  pour 
faciliter  à  cette  bonne  fille  la  jouissance  de  votre 
bienfait  vous  lui  fassiez  payer  sa  pension  en  France, 
ce  n'est  pourtant  jamais  en  France,  où  vous  ne  de- 
meurez pas  et  où  ne  sont  pas  vos  biens ,  qu'elle  auroit 
droit  de  vous  la  demander.  Il  pourrait  arriver  tout 
au  contraire  que  les  formes  dont  cet  acte  devroit 
être  revêtu  dans  ce  pays  n'étant  pas  les  mêmes  que 
celles  dont  il  doit  être  revêtu  en  Hollande  ne  servi- 
raient ,  y  étant  employées ,  qu'à  lui  ôter  sa  force  par 
tout  pays. 

Nous    voici  donc  enfin   au  bout  de  notre  entreprise: 
je  suppose  que,  l'ouvrage  imprimé,  vous  allez  prendre 
vos  derniers  arrangemens  pour  vos  envois,  et  je  ne  vois 
plus  d'inconvénient  que  vous  l'annonciez,  si  vous  voulez, 
dans  les  gazettes ,  ce  que  je  n'exige  pourtant  ni  ne  con- 
seille; j'y    consens  seulement,    si   cela  vous    convient. 
Dans  votre  envoi  pour  Genève  vous  aurez  la  bonté  d'y 
mettre   douze   de  mes   exemplaires,    adressés    à   M.   le 
Ministre  Moultou.    Dans  votre  envoi  pour  l'Angleterre, 
(si  vous  n'avez  pas  là  de  correspondant  affecté  ,  je  vous 
conseillerais  de  vous    adresser  à  M.    Becket  qui  a  fait 
traduire  la  Nouvelle  Héloïse;  mais  qui  probablement  ne 
fera  pas  traduire  celui-là  qui  n'est  que  pour  les  savons, 
et  peut  cependant  lui  donner   du    cours  à  la  faveur  de 
l'autre)  je  vous  prie  d'y  joindre  aussi  un  de  mes  exem- 
plaires à  l'adresse  de  mon  cousin  Jean    Rousseau,   au 
café   de   Sams  proche    la  Bourse  :  un   à   Monsieur   de 
Maleslierbes  par  la    poste,  connue  je  vous  l'ai  marqué 
ci-devant,    et   tout   le  reste  à  mon   adresse    pour    faire 
ici   mes  distributions;  mais  je  vous  demande  la   galan- 
terie quêtons  mes  exemplaires  .soient  cousus,  car  c'esi 
un  embarras  et    un  retard  considérable  pour   gens  qui 


147 

ne  sont  pas  du  métier,  et  surtout  pour  moi  qui  ne  suis 
pas  à  Paris,  de  faire  brocher  tout  cela. 

Jusqu'ici  je  n'ai  point  vu  de  fautes  assez  considé- 
rables pour  exiger  des  cartons  ni  même  un  errata.  Dès 
que  j'aurai  receu  les  dernières  bonnes  feuilles,  je  relirai 
le  tout  attentivement,  et  si  j'y  trouve  quelque  chose 
à  faire,  je  vous  le  marquerai  sans  perdre  de  tems. 

M.  Duvoisin  vint  il  y  a  une  quinzaine  de  jours  diner 
ici  avec  M.  Boullier  qui  s'est  chargé  de  ma  part  de 
bien  des  amitiés  pour  vous. 

Je  crains  que  le  Traité  de  l'Education  ne  puisse 
achever  de  s'imprimer  ici,  et  qu'on  ne  soit  forcé  de 
n'en  donner  d'abord  que  la  première  moitié  ;  cette  pre- 
mière moitié  est  imprimée,  mais  je  tâcherai  d'en  différer 
la  publication  jusqu'après  celle  du  Contrat  Social.  Il  y 
a  dans  la  dernière  moitié  un  morceau  détaché ,  le  plus 
considérable  de  tout  l'ouvrage ,  qui  dans  une  absolue 
nécessité,  peut  très-bien  s'imprimer  séparément  et  sous 
un  autre  titre.  Mais  je  ne  prendrai  jamais  ce  parti-là 
qu'on  ne  m'y  force.  M.  Néaulme  ne  sait  rien  de  tout 
ceci,  n'en  parlez  ni  à  lui  ni  à  personne.  Attendons  en 
silence.  Il  faudra  bien  enfin  que  je  sache  à  quoi  m'en 
tenir.  Au  reste  j'ai  des  ressources  toutes  différentes . 
et  si  cette  affaire  ne  vous  paroit  pas  assez  sûre,  vous 
ne  devez  £>as  craindre  de  me  laisser  dans  l'embarras. 
Comment  va  la  grossesse  de  Madame  Rey?  donnez- 
m'en  de  tems  en  tems  des  nouvelles,  car  j'y  prends 
un  véritable  intérêt.  Adieu,  je  vous  embrasse  de  tout 
mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


lo  ■ 


148 

90. 

MM.,   14  Mars  1762. 

Je  vous  prie,  mon  cher  Rey,  si  vous  y  êtes  encore 
à  tems,  de  supprimer  la  dernière  note  sur  les  maria- 
ges (').  Et  môme  fallût-il  un  carton  pour  cela,  je  vou- 
drais à  tout  prix  que  cette  note  fût  supprimée,  pour 
votre  avantage  comme  pour  le  mien.  Recevez  mes  ex- 
cuses de  ce  nouvel  embarras ,  mais  je  ne  vous  le  donne 
pas  sans  raison.    Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.   Rousseai  . 

Voici  deux  ordinaires  que  je  ne  reçois  point  de  bonnes 
feuilles;  la  dernière  que  j'ai  receue  est  la  feuille  0. 


01. 

MM.,  18  Mars  1762. 

J'ai  receu,  mon  cher  Rey,  avec  vos  feuilles  P  et  Q 
vos  lettres  des  6  et  10  de  ce  mois,  par  la  première 
desquelles  je  vois  que  vous  vous  oppose/  au  privilège 
que  sollicite  M.  Néaulme  pour  le  Traité  de  l'Educa- 
tion (2);  mais  quoique  je  vous  sois  obligé  de  ce  que 
vous  faites  en  cela  dans  la  vue  de  m'obliger,  je  ne  sau- 
rois  concevoir  en  vertu  de  quel  droit  vous  pouvez  faire 
de  votre  chef  une  pareille  opposition  ;  cet  ouvrage  n'étant 
ni  en  tout  ni  en  partie  un  de  ceux  pour  lesquels  j'ai 
traité  avec    vous.    11  est  bien  vrai  que   M.  Néaulme  par 


(«)  La  note  ;i  été  supprimée. 

(2)  Les  Etats   de  Hollande  avaienl   accordé,  le  LO  Mars,  à  Jean   Néaulme, 
sur  sa  demande,  un  privilège  absolu  pour  l'impression  de  TEmUe. 


149 

un  privilège  absolu  usurpe  un  droit  qu'il  n'a  pas,  en 
n'exceptant  point  l'impression  générale  de  mes  écrits 
que  je  me  suis  toujours  réservée  à  moi  seul,  abandon- 
nant seulement  aux  libraires  avec  qui  j'ai  traité  le  droit 
d'imprimer  séparément  ceux  que  je  leur  ai  cédés  ;  mais 
outre  que  M.  Néaulme  est  trop  raisonnable  pour  me  dis- 
puter jamais  l'usage  de  ce  droit,  comment  vous  oppo- 
seriez-vous  à  son  privilège,  vous  qui  lui  en  avez  donné 
l'exemple,  non  seulement  sur  les  écrits  que  je  vous  ai 
cédés  avec  la  même  réserve,  mais  même  sur  ceux  aux- 
quels vous  n'aviez  aucun  droit  ?  Je  vous  ai  laissé  faire, 
quoique  l'honnêteté  du  moins  eût  exigé  que  vous  me 
demandassiez  mon  consentement,  et  je  le  laisse  faire 
de  même,  bien  persuadé  que  vous  êtes  trop  équitables 
l'un  et  l'autre  pour,  dans  l'occasion ,  vous  prévaloir  de 
votre  usurpation  pour  me  disputer  mon  droit.  Il  est 
vrai  que  si  mon  ouvrage  étoit  supprimé  ou  mutilé  à 
l'impression,  comme  sur  des  indices  équivoques  j'en  ai 
conceu  ci-devant  le  soupçon ,  (à  ce  que  j'espère ,  très- 
mal  à  propos,)  ce  seroit  alors  une  autre  affaire;  parce 
que,  quand  un  auteur  cède  un  manuscrit  à  un  libraire 
c'est  pour  le  publier  et  non  pour  le  supprimer.  Mais 
comme  il  est  a  présumer  que  j'avois  pris  une  alarme 
sans  fondement,  il  l'est  aussi  que  je  n'aurai  point  à 
recourir  aux  expédiens  embarrassans  dont  il  a  été  ques- 
tion ci-devant.  Ainsi  dépêchez-vous ,  de  grâce,  de  retirer 
votre  opposition ,  et  qu'il  ne  soit  plus  question  de  cela, 
de  peur  que  nous  ne  soyons  accusés  d'avoir  ensemble 
quelque  connivence  malhonnête  et  dont  nous  ne  sommes 
capables  ni  vous  ni  moi. 

Je  vous  remercie  des  exemplaires  que  vous  m'envoyez 
par  la  caisse  de  M.  de  Malesherbes.  Ce  magistrat  peur 
laisser  quelquefois  sur  lui  trop  d'empire  à  des  gens  qui 
ne  le  valent  pas,  mais  il  n'a  pas  avec  vous  le  tort  dont 


loi» 

vous  l'accusez ,  puisque  l'édition  dont  vous  vous  plaignez 
n'a  été  permise  qu'à  votre  ayant-cause,  afin  qu'elle  ne 
pût  vous  nuire,  et  qu'elle  n'a  été  faite  que  pour  mas- 
quer la  vôtre  où  l'on  a  trouvé  des  choses  qu'il  auroit 
fallu  retrancher.  Au  reste,  si  Robin  en  a  encore 
mille  exemplaires ,  il  faut  qu'il  les  tienne  furieusement 
cachés;  puisque  je  sais  beaucoup  de  gens  qui  écrivent 
et  ont  écrit  en  Hollande,  pour  avoir  des  exemplaires 
de  la  première  édition ,  faute  d'en  trouver  à  Paris. 
M.  de  Malesherbes  est  certainement  un  homme  juste  et 
bien  intentionné ,  mais  qui,  dans  la  place  qu'il  occupe, 
ne  peut  pas  toujours  faire  tout  le  bien  qu'il  voudroit, 
et  alors  ce  n'est  pas  à  lui  qu'il  faut  s'en  prendre.  Ne 
manquez  pas  de  lui  envoyer  de  ma  part  un  exemplaire 
du  Contrat  Social  par  la  poste.  Du  reste  je  persiste  au 
retranchement  de  la  note  que  j'avois  mise  à  la  fin,  et 
de  celle  que  j'y  avois  ensuite  substituée;  mais  je  serois 
bien  aise  d'avoir  les  épreuves  où  étoient  ces  deux  notes, 
qui  pourront  trouver  leur  place  autre  part. 

Je  suis  sensible  à  l'honneur  que  vous  me  faites  de 
m'inviter  à  tenir  votre  enfant;  si  j'étois  sur  les  lieux, 
je  ne  balancerais  point  à  l'accepter,  et  même  je  ne  puis 
me  résoudre  à  me  refuser  absolument  à  ce  témoignage 
de  votre  estime.  Mais  comme  vous  n'êtes  pas  le  premier 
qui  m'ait  fait  cette  proposition,  il  faut  nécessairement 
qu'en  l'acceptant  je  m'expose  à  quelque  embarras  que 
je  voudrais  bien  éviter.  Si  cependant  vous  y  tenez  à 
certain  point,  mon  plus  grand  désir  est  de  vous  com- 
plaire, et  vous  pouvez  disposer  de  moi.  Dieu  veuille 
amener  les  choses  à  bien.  Je  vous  embrasse  de  toul 
mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


151 
02. 

MM.,  25  Mars  1760. 

L'adresse  de  l'Epine ,  messager  de  Montrnorenci,  que 
vous  me  demandez,  mon  cher  Rey,  par  votre  lettre  du 
15,  est  rue  St.  Germain  PAuxerrois  à  F  Hôtel  de  Gram- 
mont  et  il  part  de  Paris  quatre  fois  la  semaine,  savoir 
les  Lundis ,  Mardis ,  Jeudis  et  Samedis  à  deux  heures. 

Puisque  vous  voulez  n'annoncer  le  Contrat  Social 
que  lorsqu'il  sera  à  Paris ,  il  ne  sera  peut-être  pas  né- 
cessaire d'envoyer  un  exemplaire  à  M.  de  M.  si  long- 
tems  à  l'avance ,  de  peur  qu'étant  vu  par  d'autres,  ils  n'y 
forment  plus  de  difficultés  qu'il  n'en  ferait  lui-même. 
Il  suffit  que  vous  combiniez  si  bien  les  choses  pour 
qu'il  ait  ce  livre  avant  toute  autre  personne  et  quinze 
jours  avant  le  public.  J'attends  encore  les  feuilles  T  et 
V  et  celle  du  titre.  Puisque  vous  avez  fait  faire  une 
nouvelle  vignette  vous  m'obligerez  de  m'en  envoyer 
une  épreuve  à  part  pour  la  mettre  dans  mon  porte- 
feuille. H  y  a  bien  des  difficultés  à  ce  que  vous  me 
proposez  dans  votre  lettre  du  17  au  sujet  de  l'événe- 
ment auquel  ma  première  note  supprimée  avait  rapport. 
La  plus  insurmontable  est  mon  état  qui  ne  me  permet 
plus  aucune  espèce  de  travail  assidu.  Une  autre  est 
(pie  je  n'ai  point  les  pièces  et  instructions  nécessaires 
pour  parler  pertinemment  sur  ce  sujet,  et  que  la  voye 
de  la  poste  est  trop  dispendieuse  et  trop  suspecte  pour 
s'établir  là-dessus  des  correspondances.  Cependant  je 
vous  avoue  que  la  matière  est  si  belle  et  si  tentante 
pour  le  zèle  de  l'humanité  que,  si  j'avois  le  moindre 
espoir  de  rassembler  les  papiers  nécessaires,  je  rêverois 
quelquefois  à  cela,  et  mon  intention  ne  seroit  pas  en 
pareil  cas  de  m'en  tenir  à  un  simple  narré. 


152 

Témoignez,  je  vous  prie,  à  Madame  Rey  le  tendre 
intérêt  que  je  prends  à  son  état ,  j'espère  qu'elle  s'en 
tirera  heureusement  pour  elle  et  pour  la  petite  progé- 
niture. J'ai  déjà  répondu  ci-devant  à  votre  obligeante 
proposition,  sur  laquelle  je  vous  laisse  le  maître  de 
disposer  de  moi,  ajoutant  seulement  cette  considération, 
(pie  ma  situation  me  rappelle  bien  des  fois  le  jour  que 
donner  à  un  enfant  un  parrain  dans  mon  état,  c'est 
ne  lui  en  point  donner  du  tout.  Si  malgré  tout  cela 
vous  persistez,  marquez-moi  en  pareil  cas  ce  que  j'ai 
à  faire,  car,  sur  mon  Dieu,  je  n'en  sais  pas  le  moin- 
dre mot;  je  vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseai. 


Oïl. 


Ce  4  Avril  1762. 


J'accepte  bien  volontiers ,  mon  cher  Rey,  la  commère 
que  vous  me  proposez  et  si  elle  me  fait  l'honneur  aussi 
de  m'accepter,  j'en  serai  fort  aise(');  marquez-moi  de 
grâce  ce  que  j'ai  à  faire,  car  je  n'en  sais  rien;  mais  je 
vous  préviens  que  je  ne  saurois  écrire  de  lettre  de  com- 
pliment à  personne  et  bien  moins  encore  à  quelqu'un 
que  je  ne  connois  pas.  Ainsi  sauvez-moi  cette  formalité. 

J'ai  receu  hier  le  reste  de  l'ouvrage,  mais  je  crains 
bien  que  par  votre  faute  vous  ne  tombiez  dans  l'in- 
convénient que  j'avois  prévu.  Vous  faites  votre  envoi 
par  mer,  il  n'arrivera  jamais  avant  que  le  Train''  de 
L'Education  paroisse  du  moins  en  partie,  à  moins  que 
l'on  ne  me  trompe,  ce  que  je  ne  puis  présumer;  el  si 


(')  C'était  M""'.  Dumoulin,  dont  il  eet  fait  mention  'huis  les  lettres  qui  sui- 
vent. 


153 

ces  deux  ouvrages  paroissent  ensemble,  à  cause  de  la 
matière  ingrate  et  propre  à  peu  de  lecteurs  du  Contrat 
Social ,  il  sera  infailliblement  étouffé  par  l'autre.  Voyez 
donc  si,  après  avoir  tant  lanterné,  vous  ne  feriez  pas 
mieux  à  présent  de  renvoyer  la  publication  jusqu'à 
l'hiver  prochain. 

Je  vous  ai  déjà  marqué  ci-devant  mon  avis  conforme 
au  vôtre  sur  l'envoi  d'un  exemplaire  à  M.  de  M.  Mais 
un  autre  envoi  d'un  exemplaire  bien  conditionné  qu'il 
faut  faire  avant  celui-là  et  qui  ne  sera  pas  sujet  au 
même  inconvénient  est  à  l'adresse  suivante  : 

A  Monseigneur 
Monseigneur  le  Maréchal  Duc  de  l/uxembourg 

à   Paris. 

Si  quand  vous  ferez  cet  envoi  vous  avez  à  m'écrire, 
vous  pourrez  joindre  une  lettre  pour  moi  dans  le  pac- 
quet;  ce  sera  toujours  un  port  épargné. 

Voici  votre  projet  d'acte  (');  le  style  m'en  paroit  un 

(i)  L'acte  dont  la  minute  écrite  par  Key  se  trouve  encore  jointe  à  l'ori- 
ginal de  cette  lettre,  appartient  à  l'histoire  de  la  vie  de  Rousseau;  il  était  ainsi 
conçu  : 

"Aujourd'hui/  le  etc.  jour  dit  mois  de  etc.  1762  devant  moi  Mtre  Thierry 
Daniel  De  Morales,  Notaire  public  à  Amsterdam ,  admis  par  ta  cour 
de  Hollande  et  en  présence  des  témoins  bas  nommés. 

fut  présent  Mr.  Marc  Michel  Rey ,  marchand  libraire  en  cette  ville, 
et  de  moi  notaire,  connu,  lequel  de  sa  bonne  §■  libre  volonté  désirant  de 
donner  un  témoignage  de  gratitude  pour  l'avantage  que  Mr.  J.  J.  Rous- 
seau, citoyen  de  Genève  actuellement  demeurant  à  Montmorency  a  fait 
au  Sr.  comparant  de  le  choisir  pour  son  Libraire  et  du  profit  que  lui 
comparant  en  a  retiré ,  et  y  voulant  répondre  le  dit  Sr.  M.  M.  Rey, 
(irait  jugé  convenable  défaire  un  don  entre-vifs  pur  firme  de  donation 
pure  simple  et  irrévocable  pour  lui ,  ses  hoirs  OU  ayant  eu  use,  en  la 
meilleure  forme  que  donation  puisse  valoir,  d'une  somme  de  300  Ih  an/. 
de  France  par  année  en  fureur  île  Mad'"'.  Thérèse  Le  Vasseur,  file  de 
Mr.  François  Le  Vasseur  officier  de  lu  monnaye  d'Orléans,  et  gouver- 
nante du  dit  Sr.  J.  J.  Rousseau  et  commencera  la  dite  donation  à  courir 


154 

peu  embarrassé;  mais  cependant  je  n'y  vois  nulle  omis- 
sion essentielle,  il  est  vrai  que  je   suis  très  ignare  en 

ces  matières.  Faites  pour  le  mieux  selon  vos  bonnes 
intentions.  Au  reste,  je  vois  avec  attendrissement  que 
malgré  le  changement  de  disposition,  vous  voulez  faire 
la  libéralité  toute  entière.  Cependant  je  ne  consens  point 
(pie  la  pension  coure  dès  cette  année,  durant  laquelle 
il  est  sûr  que  M"?  Le  Vasseur  ne  seroit  pas  exposée  à 
manquer  de  pain,  quand  même  je  mourrois  demain. 
Je  fais  des  vœux  pour  l'heureuse  délivrance  de  Ma- 
dame Rey  et  je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


04. 

A  Montmorenci  ,  le   23  Avril  17G2. 

En  réponse  à  votre  lettre  du  12  je  vous  envoyé  ci- 
joint  une  lettre  pour  Madel].e  Dumoulin  que  vous  lui 
remettrez  si  vous  le  jugez  à  propos ,  en  la  prévenant 
que  je  n'ai  qu'une  formule  pour  tout  le  monde,  que 
je  ne  me  dis  serviteur  de  personne  pas  même  eu 
écrivant  aux   Princes    et  aux  Dames   de   quelque   rang 


du  premier  Janvier  1703  et  cela  pour  répondre  au  désir  que  M.  Roua- 
seau  a  de  récompenser  la  dite  !>"■'.  Le  Vasseur  pour  les  longs  \  fidèles 
services  fy  soins  qu'elle  a  rendus  au  dit  Sr.  Rousseau  dans  ses  infirmités 
et  qu'elle  lui  rendra  encore  journellement ,  roulant  le  dit  Sr.  donateur 
que  li  dit  don  annuel  île  300  B>  de  Fr".  soit  et  demi  ure  appartenant  et 
qu'il  sera  payé  par  chaque  année  à  la  dite  2>"*.  Le  Vasseur,  sa  rie  du- 
rant, par  lui  Sr".  comparant  et  après  son  décès  par  la  retire,  héritiers 
mi  a  liant  caii.se,  obligeant  pour  l'accomplissement  cl  maintien  du  présent 
acte  de  donation  entre-vifs,  pour  lui  et  pour  si  s  héritiers  tous  les  biens 
présents  §•  avenir  sous  les  obligations  et  soumissions  à  tous  qui  ces  pré- 
sentes verront  ;  le  tout  conformément  au.r  loi.r  et  droits. 
Ainsi  fait  et  passé  u  Amsterdam  en  présence  des comme 

témoin.  . 


155 

qu'elles  soient.  Si  vous  craignez  que  cette  simplicité 
dans  ma  lettre  ne  la  choque,  ne  la  lui  donnez  pas; 
niais  je  ne  puis  changer  ma  forme  pour  qui  que  ce  soit, 
et  c'est  pour  cela  que ,  quoique  M.  le  Prince  de  Conti 
m'ait  honoré  de  deux  visites,  je  n'ai  jamais  voulu  ha- 
sarder de  lui  écrire  ('). 

J'ai  aussi  receu  par  le  pacquet  de  M.  le  M^  de  Luxem- 
bourg, avec  votre  lettre  du  15,  les  deux  feuilles  de  votre 
édition  in-12.  Quoique  le  papier  ne  soit  pas  beau  et 
que  le  caractère  des  notes  soit  vilain,  je  la  trouve  au 
surplus  jolie  et  commode,  et  si  vous  pouviez  m'envoyer 
le  reste  pour  compléter  un  exemplaire,  cela  me  seroit 
plus  convenable  à  porter  dans  la  poche  que  l'8V0  et 
vous  me  feriez  plaisir. 

J'ai  vu  l'exemplaire  de  M.  de  Luxembourg,  le  pa- 
pier est  très-beau;  j'espère  que  celui  de  M.  de  Males- 
herbes  sera  de  même,  et  je  crois  qu'à  tout  risque  vous 
devez  l'envoyer  sur-le-champ,  si  vous  ne  l'avez  déjà 
fait.  J'espère  que  M.  Durand  me  donnera  avis  de  l'ar- 
rivée de  son  envoi  quand  il  l'aura  receu.  Jusqu'ici  il 
n'est  pas  plus  question  à  Paris  de  cet  ouvrage  que  s'il 
n'existoit  pas.  Je  vous  avoue  que  je  suis  pour  vous, 
et  vu  la  matière ,  dans  de  grandes  alarmes  sur  le  suc- 
cès ;  ce    n'est  pas  ici  un   Roman  que   tout    le   monde 


(')  C'est  ce  qu'il  écrit  le  23  Avril,  et  le  17  Juin  il  adressa  au  Prince  de  Conti 
la  lettre  qui  a  été  publiée  dans  ses  Oeuvres  diverses  où  Veto,  qui  la  termine 
remplace  la  formule:  Votre  très-humble  et  très- obéissant  serviteur.  Mais 
entre  ces  deux  dates  se  trouve  le  décret  de  prise  de  corps  porté  par  le  parle- 
ment de  Taris  contre  l'auteur  de  V Emile,  et  on  sait  la  part  que  le  Prince 
de  Conti  a  eue  aux  mesures  qui  l'ont  soustrait  aux  poursuites  qui  devaient 
eu  résulter.  D'ailleurs  on  nesauroit  lire  cette  lettre  du  17  Juin  1702  au  Prince 
il'1  Conti,  sans  remarquer  dans  la  phrase  finale  l'artifice  de  l'auteur,  de  ne 
pas  si;  dire  le  serviteur  du  Prince,  sans  cependant  s'abstenir  de  la  formule 
ordinaire.  Au  reste,  Rousseau  n'a  pas  toujours  eu  la  même  aversion  pour 
cette  expression  usitée  en  style  épistolaire:  les  premières  lettres  à  Kcy  que 
nous  avons  publiées  eu  fournissent  la  preuve. 


156 

puisse  lire;  et  je  tremble  que  vous  n'ayez  trop  hasardé 
d'en  faire  deux  éditions.  Vous  ne  m'avez  point  marqué 
si  vous  aviez  fait  votre  envoi  pour  Genève  et  dans  quel 
teins  à  peu  près  vous  estimiez  qu'il  dût  arriver. 

M.  de  Maleslierbes  m'a  envoyé  mes  trois  exemplaires 
dont  je  vous  remercie.  Je  n'ai  point  encore  ouvert  le 
mien,  mais  M.  et  Mad.  de  Luxembourg  à  qui  j'ai  donné 
les  deux  autres  les  ont  trouvés  pleins  de  fautes  épou- 
vantables; c'est  une  épargne  bien  mal  entendue  pour  un 
libraire  qui  tire  au  grand  que  celle  d'un  correcteur. 
V-ous  ne  me  dites  point  à  quoi  en  est  la  2e  édition  de 
la  Julie. 

Je  suis  charmé   que  tout  continue  d'aller  bien  pour 

i  "événement  futur.  Remerciez-en  pour  moi  Madame  Rey 

et  dites-lui  que  j'entends  qu'elle  me  donne  un  tilleul  qui 

ait  de  la  santé  pour  lui  et  pour  son  parrain.    Au  reste 

ne  sachant  rien  de  ce  qu'il  faut  faire ,  je  vous  réitère 

la  prière  de  faire  pour  moi  les  choses  convenablement, 

et  de  ne  pas    épargner  ma  bourse  en  choses    d'usage. 

Le  parrain  prétend  distribuer  ici  des  bonbons,  il  espère 

qu'à  Amsterdam  vous    ne  le  rendrez  pas   plus    chiche. 

Je  vous  embrasse  ainsi  que  Madame  Rey  de  tout  mon 

cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


<J5. 

A  Montmorenci,   le  9  Mai  17G2. 

J'apprends,  mon  cher  Rey,  avec  la  plus  grande  joye 
l'heureuse  délivrance  de  votre  chère  épouse,  et  la  nais- 
sance de  ma  filleule  bien   aimée  ('):   et   où  aviez-vous 


(•)  Bile  reçut  les  noms  de  Julie  Elisabeth,  Elle  inouru  à  Utrecht  le  11  Juin 
L792,  sana  avoir  été  mariée. 


157 

donc  pris  que  j'aimais  mieux  un  garçon?  il  n'est  pas 
possible  que  j'aye  rien  voulu  dire  de  semblable;  j'ai 
peut-être  nommé  un  fils  parce  que  cela  est  plustot  dit, 
mais  il  est  sûr  que  pour  mon  goût  j'aurois  préféré  une 
fille,  et  ne  me  seroit-il  pas  cent  fois  plus  agréable  de 
voir  autour  de  moi  une  jolie  enfant  aimable  comme  sa 
mère ,  flatter  et  carresser  toute  la  journée  son  bon  homme 
de  parrain ,  qu'un  gros  étourdi  qui  ne  feroit  que  me 
tempêter  aux  oreilles  en  se  moquant  de  toutes  mes 
radoteries?  Souvenez-vous  qu'où  qu'elle  soit  je  prétends 
toute  chose  cessante  que  vous  couriez  tout  à  l'instant 
lui  donner  deux  baisers  de  ma  part,  et  que  vous  char- 
giez sa  maman  de  deux  autres  qu'elle  lui  rendra  aussi 
de  ma  part  la  première  fois  qu'elle  la  verra.  Mille 
choses  aussi,  je  vous  prie,  à  Mademoiselle  Dumoulin 
avec  laquelle  je  vous  remercie  de  m'avoir  mis  en  droit 
d'entretenir  quelque  relation.  J'espère  que  Madame  Rey 
voudra  bien  me  dispenser,  quant  à  présent,  d'une  ré- 
ponse expresse  ;  elle  doit  être  sûre  que  mon  cœur  répond 
bien  à  tout  ce  qu'il  lui  a  plu  m'écrire  d'obligeant. 

J'ai  reeeu  avec  votre  lettre  du  28  Avril  l'acte  de  la 
pension  que  vous  voulez  bien  faire  à  M11?  Le  Vasseur 
avec  une  libéralité  dont  je  suis  extrêmement  touché  et 
qui,  avec  toute  la  reconnoissance  de  cette  pauvre  fille, 
vous  assure  de  ma  part  un  attachement  qui  vous  est 
bien  dû.  Elle  doit  et  veut  vous  écrire  pour  vous  faire 
ses  remerciemens ;  mais  sa  plume  a  été  tort  négligée,  il 
faut  qu'elle  se  remette  afin  que  vous  puissiez  lire  son 
écriture,  et  qu'elle  commence,  ainsi  que  votre  don  l'y 
oblige,  par  apprendre  à  signer  son  nom  ('). 


(')  Cinq  lettres  signées  pur  la  veuve  de  Rousseau,  niais  écrites  d'une  autre 
main,  se  tnnmut  parmi  les  papiers  provenant  de  la  succession  de  Rey.  Ces 
lettres  ont  rapport  au  payement  de  sa  pension  (postérieurement  à  la  mort  de  Rey) 
e1  Himt   écrites  de  l'ii   Plessis  Belleville,   à  l'exception  d'une  qui  es!  de  Paris. 


158 

Je  l'aurois  déjà  envoyée  à  Paris  porter  votre  lettre 
et  une  copie  de  l'acte  à  Messrs.  Van  den  Yver  si  je 
savois  leur  adresse ,  mais  vous  ne  me  l'avez  point  donnée, 
et  Paris  est  bien  grand.  Si  d'ici  à  quelques  jours  il  ne 
me  vient  pas  quelqu'un  de  qui  je  puisse  apprendre  cette 
adresse,  je  prendrai  le  parti  de  leur  envoyer  leur  lettre 
par  la  poste,  supposant  que  des  Banquiers  y  seront 
suffisamment  connus ,  et  M"?  Le  Vasseur  ira  une  autre 
fois  se  présenter. 

M.  de  Malesherbes  m'a  marqué  avoir  receu  l'exem- 
plaire que  vous  lui  avez  adressé  de  ma  part.  Le  cœur 
plein  de  votre  procédé,  je  lui  ai  répondu  en  lui  parlant 
uniquement  de  vous;  nous  verrons  dans  peu  au  sujet 
du  Contrat  Social  l'effet  qu'aura  produit  ma  lettre. 
M.  de  M.  est  bon  et  bienfaisant ,  mais  malheureusement 
il  ne  peut  pas  toujours  écouter  son  bon  cœur  et  ses 
lumières,  ni  faire  toujours  ce  qu'il  voudroit  bien.  Yniis 
ne  me  marquez  point  si  l'envoi  est  en  route  par  terre 
ni  dans  quel  teins  à  peu  près  il  doit  arriver  à  Paris. 
Souvenez-vous  que  si  cet  ouvrage  paroit  ici  en  même 
tems  que  le  Traité  de  l'Education  et  qu'il  en  soit  offus- 
qué, ce  sera  bien  votre  faute;  car  vous  avez  été  assez 
averti. 

J'aurai  dans  quelques  jours  Mrs.  Duvoisin,  de  Tavel 
et  Fagel  (');  ils   seroient  déjà   venus   si  j'avois  été   en 


Elles  portent  les  dates  du  27  Avril  L780,  L8  Janvier  178]  .  2  Décembre  1783, 
2  Décembre  1785  et  38  Novembre  17SG.  Les  cinq  signatures,  qui  pourraient 
bien  être  les  seules  écritures  qui  existent  de  Thérèse  Le  Valeur,  son!  assez, 
curieuses  pour  en  donner  un  fac-similé.  On  les  trouvera  rangées  suivant 
l'ordre  chronologique  des  lettres.  En  les  voyant,  ou  se  sent  porté  à  croire  que 
Rousseau  a  regardé  l'écriture  de  sa  femmo  d'un  oeil  très-indulgent  pour 
qu'il  ait  pu  mettre  dans  ses  Cou  fissions  qu'elle  écrivait  passablement. 

(i)  Le  lecteur  connaît  déjà  M.  Duvoisin  de  l'aventure  au   sujet    du  manu 
sorit  'lu  ('ont  m  t  Social  (N°.  73  74et76).  Ministre  Protestant  du  Pays  de  Vaud, 
il  était  Chapelain  de  l'Hôtel  de  Hollande  à  Taris.    Le  Page!  dont  il  s'agit  ici. 
est  François  Fagel ,  le  disciple  du  célèbre  Philologue  Ruhnkenius  et  du  Philo- 


;  *-J~a  hUfrSK  çy  y  mm  /ou  $$  c  <*  u.  • 


2- 


5 ' 


159 

état  de  les  recevoir.  J'espère  avoir  le  plaisir  de  boire 
avec  eux  à  votre  santé.  Je  trouve  plaisant  que  vous 
ne  vouliez  pas  que  je  vous  rembourse  de  vos  frais,  et 
que  vous  prétendiez  me  rembourser  des  miens  ;  restons 
quittes  sur  cet  article  si  vous  voulez ,  je  présume  que 
j'y  gagnerai  plus  que  vous.  Adieu,  je  vous  embrasse 
du  meilleur  de  mon  cœur.  Donnez-moi  des  nouvelles 
de  Madame  Rey  et  de  ma  filleule. 

J.  J.  Rousseau. 


00. 

A  Montjiorenci,  le  29  Mai  1762. 

Il  est  décidé,  mon  cher  Rey,  que  mon  traité  du 
Contrat  Social  ne  sauroit  être  admis  ni  toléré  en  France, 
et  les  ordres  les  plus  sévères  sont  donnés  pour  en  empê- 


sophe  François  ïlemsterhuis.  Ce  dernier  a  honoré  sa  mémoire  en  publiant  une 
Description  philosophique  du  caractère  de  feu  M.  F.  Fagel.  Né  le 
11  Sept.  1740  et  mort  le  23  Août  1773,  il  était  le  père  des  cinq  frères  dont 
le  dernier  survivant,  le  Général  Robert  Fagel,  est  mort  en  18ûG  à  Taris,  où 
pendant  nombre  d'années  il  avait  été  Envoyé  Extraordinaire  et  Ministre  Plé- 
nipotentiaire du  Roi  des  Pays-Bas.  —  Mais  qui  est  le  troisième  convive  que 
Rousseau  espérait  faire  boire  à  la  santé  de  Rey?  En  lisant  le  nom  detavki. 
on  se  rappelle  le  premier  amant  de  Madame  De  Warens,  celui  qui  inspira  à 
cette  malheureuse  femme  les  principes  dont  il  avait  besoin  pour  la  séduire. 
Or,  peut-il  y  avoir  eu  quelque  rapport  d'existence  entre  ces  deux  personnages  .? 
D'après  les  papiers  de  Rey,  celui-ci  avait  eu  des  relations  avec  quatre  .MM. 
Tavel  (non  De  Tavel).  F.  8.  ou  Fr.  Tavel,  qui  en  1777  séjournait  depuis  plu- 
sieurs années  à  La  Haye,  a  obtenu  pour  Rey,  des  Etats  de  Hollande,  un  privilège 
pour  l'impression  des  Oeuvres  de  Rousseaxi,  privilège  qui  rencontrait  des  dif- 
ficultés, parce  que  Rey  y  avait  fait  entrer  l'Emile.  Tavel  réussit  cependant, 
secondé  par  le  greffier  Fagel,  le  père  de  François.  Ce  M.  Tavel  avait  un 
frère,  vivant  en  Suisse,  don!  le  fils,  par  sa  recommandation,  a  joui  à  Amster- 
dam des  bienfaits  de  Rey.  Un  autre  Tavel,  qui  avait  été  Gouverneur  chez. 
M.  Cliflbrd  â  Amsterdam,  vivait  al  or.-  à  Londres,  donnant  des  leçons  de  Latin, 
de  Français  et  d'Histoire.  Probablement  c'est  le  premier  de  ces  quatre  Tavel, 
que  Rousseau  désigne  dans  sa  lettre. 


160 

cher  rentrée.  Nous  devons .  vous  et  moi .  nous  soumettre 
à  cette  décision  que  nous  n'étions  pas  obligés  de  pré- 
voir d'avance,  rien  ne  nous  obligeant,  nous  républi- 
cains, à  être  instruits  exactement  des  maximes  d'un 
gouvernement  Royal,  mais  rien  ne  nous  dispensant 
aussi  de  nous  y  conformer  dans  le  ressort  de  l'Etat, 
sitôt  qu'elles  nous  sont  notifiées. 

Mais  il  ne  s'ensuit  pas  delà  que  vous  deviez  ôter  mon 
nom  d'un  livre  que  je  m'honore  d'avoir  fait,  qui  ne 
contient  rien  que  de  très-convenable  aux  sentimens  d'un 
honnête  homme  et  d'un  bon  citoyen,  rien  que  je  veuille 
désavouer,  rien  que  je  ne  sois  prêt  à  soutenir  devant  tel 
tribunal  compétent  que  ce  puisse  être.  Je  sais .  quant 
à  ma  personne,  à  ma  conduite,  à  mes  discours,  l'obéis- 
sance et  le  respect  que  je  dois  au  gouvernement  et  aux 
loix  du  pays  dans  lequel  je  vis,  et  je  serois  bien  fâché 
qu'à  cet  égard  aucun  François  fût  mieux  dans  son  de- 
voir que  j'y  suis.  Mais  quant  à  mes  principes  de  doc- 
trine, à  moi  Républicain,  publiés  dans  une  République, 
il  n'y  a  en  France  ni  magistrat,  ni  tribunal,  ni  parle- 
ment, ni  Ministre,  ni  le  Roy  lui-même,  qui  soit  même 
en  droit  de  m'interroger  là-dessus  et  de  m'en  deman- 
der aucun  compte.  Si  l'on  trouve  mon  livre  mauvais 
pour  le  pays,  on  peut  en  défendre  l'entrée,  si  on  trouve 
que  j'ai  tort,  on  peut  me  réfuter:  voilà  tout. 

Que  votre  amitié  ne  vous  inspire  donc  aucune  alarme 
pour  ma  personne.  On  connoit  et  l'on  respecte  trop  ici 
le  droit  des  gens  pour  le  violer  d'une  manière  odieuse 
envers  un  pauvre  malade  dont  le  paisible  séjour  en 
France  n'est  peut-être  pas  moins  honorable  au  gouver- 
nement qu'à  lui.  Au  surplus,  en  quel  lieu  du  monde 
est-on  à  couvert  de  l'injustice  des  hommes  ?  Mon  uni- 
que soin  a  toujours  été  et  sera  toujours  de  faire  en  sorte 
que    personne    au    monde    ne    puisse    me   l'aire    du     mal 


161 

justement.     Le   reste   passe  mes  forces,  et  je  ne  m'en 
inquiète  pas.   Je  demeurerai  donc. 

Quant  à  ce  que  vous  disent  les  Srs.  Dessaint  et  Saillant 
dans  leur   prc   lettre,    que   la  plus  grande  grâce  qu'on 
pourroit  obtenir  seroit  celle  du  renvoi,  et  dans  la  se- 
conde que  décidément  on  ne  rendra  pas  un  seul  exem- 
plaire, je  vous  avoue  que  je  n'y  comprends  rien.    Sur 
quel  principe  de  raison  pourroit-on  se  fonder  pour  vous 
retenir  ainsi  violemment  votre  Lien?  Je  ne  conçois  pour 
moi  que  deux  cas   qui  pussent  autoriser  une  telle  vio- 
lence par  voye   de   confiscation.     Le  premier,    si  vous 
aviez  introduit  furtivement  votre  envoi  dans  le  Royaume 
à   rinsçu  du  Magistrat.    Le  second ,   si  l'ouvrage  étoit 
une  satire  ou  un  libelle  contre  le  gouvernement.   Votre 
lettre   au    magistrat   et   l'envoi    d'un    exemplaire   vous 
mettent   hors    du  premier  cas,  et  la  nature    même  de 
l'ouvrage   vous    met  hors  du    second;    puisqu'un   livre 
où  l'on  n'examine  les  gouvernemens  que  par  leurs  prin- 
cipes et  par  les  conséquences  nécessaires  de  ces  prin- 
cipes ,  ne  peut    avoir   nul  trait  à  aucun  gouvernement 
particulier  qui  ne  soit  applicable  à  tous  les  autres  gou- 
vernemens de  même  espèce,  et  que  rien  de  ce  que  j'ai 
dit  des  gouvernemens  monarchiques  ne   peut  être  vrai 
en  France   qu'il  ne  soit   vrai  de    même  en  toute  autre 
monarchie.    Je  n'ai  donc  ni  passé  ni  pu  passer  les  bor- 
nes d'une   discussion  purement  philosophique   et  poli- 
tique; et  ce  seroit  avoir  d'étranges  idées    que   de  pré- 
tendre nous  ôter    à    nous    autres   républicains   le  droit 
d'examiner  et  discuter  les  fondemens  et  les  défauts  du 
gouvernement  monarchique  en  général,  tandis  que  les 
Ecrivains  royaux  remplissent  tous  les  jours  leurs  livres 
de  tant  o!"  indécences  et  de  bêtises  contre  le  gouverne- 
ment républicain.     Les   Etats  Républicains  ('tant    tout 
aussi  souverains  que  les  Rois,  on  ne  doit  pas  moins  de 

11 


162 

respect  aux  uns  qu'aux  autres.    Redemandez   donc  vos 
balles  et  on  vous  les  renverra  sûrement. 

Vous  savez  avec  quelles  restrictions  et  conditions  j'ai 
toujours  traité  avec  vous  par  rapport  à  la  France,  ce- 
pendant je  ne  refuserai  jamais  d'entrer  en  compensa- 
tion de  vos  pertes  à  cet  égard  et  je  ne  veux  point 
d'autre  arbitre  que  vous-même  de  la  part  que  j'en  dois 
supporter.  Emile  et  non  pas  Emilie  paroit  ici  depuis 
quelques  jours  et  me  donne  bien  des  embarras.  Adieu, 
mille  choses  à  Madame  Rey,  à  MadclIe  Dumoulin,  à 
toute  la  famille;  je  vous  embrasse,  il  faut  finir. 

J.  J.  Rousseau. 


À  Môtiers-traveks  par  NEUFCHâTEL,  23  Aoust  1762. 

Je  reçois  à  l'instant,  mon  cher  Rey,  votre  lettre  du 
22  Juillet  et  je  me  hâte  d'y  répondre.  J'ai  suivi,  dans 
la  crise  où  je  me  sms  trouvé ,  ma  constante  maxime 
dans  toutes  mes  disgrâces ,  qui  est  de  ne  point  impor- 
tuner mes  amis  de  mes  doléances,  mais  d'attendre  que 
ceux  qui  sont  de  bonne  volonté  se  présentent  d'eux- 
mêmes,  n'ayant  plus,  d'ailleurs,  le  bonheur  d'être  un 
homme  assez  obscur  pour  pouvoir  rester  longtems  caché 
à  ceux  qui  veulent  me  trouver.  Vous  vous  êtes  montré 
parmi  ceux-ci,  je  vous  en  remercie,  quoique  je  ne 
sois  pas,  quant  à  présent,  dans  le  cas  de  profiter  de 
vos  offres.  Au  reste  je  dois  vous  avertir  que  les  trois 
lettres  dont  vous  me  parlez  ne  me  sont  point  parvenues. 
Je  présume  qu'elles  étoient  dans  un  pacquet  qui  m'a 
été  adressé  de  Paris  et  qui  s'est  perdu  en  route.  Si 
M.  Duvoisin  m'a  écrit,  sa  lettre  a  eu  le  même  sort; 
je  vous  prie  de  l'eu  aviser  eu  lui   faisant  mille  amitiés 


L63 

et  respects  de  ma  part;  afin  que  s'il  m'a  écrit  quelque 
chose  qui  exigeât  réponse,  il  ne  soit  pas  surpris  de 
n'en  point  recevoir. 

Je  suis  charmé  d'apprendre  que  Madame  Rey  est  bien 
rétablie  et  jouit  ainsi  que  vous  et  M11?  Dumoulin  d'une 
1  tonne  santé.  A  l'égard  de  ma  filleule  j'espère  qu'elle 
se  rétablira.  Que  s'il  plaisoit  à  Dieu  d'en  disposer  dans 
un  âge  où  l'on  ne  sent  ni  la  mort  ni  la  vie,  quoique 
ce  fut  un  lien  de  moins  entre  nous,  je  compte  que 
ceux  d'amitié  qui  nous  unissent  n'en  seroient  nulle- 
ment relâchés. 

On  voit  dans  la  gazette  d'Hollande  les  raisons  pour- 
quoi M.  Néaulme  n'a  pas  débité  Emile  dans  le  pays. 
Je  n'aurois  jamais  cru  qu'un  gouvernement  aussi  sage 
que  le  vôtre  eût  imité  le  stupide  exemple  de  la  troupe 
moutonnière  sans  daigner  faire  examiner  mon  livre  par 
quelque  homme  qui  eut  au  moins  le  sens  commun  (  '  ). 
Je  m'arrête ,  car  ce  n'est  pas  à  moi  qui  suis  partie  à 
faire  mes  réflexions  sur  tout  cela.  Je  sais  des  person- 
nes sensées  qui  écrivent  pour  et  contre  moi,  si  quel- 
qu'une d'elles  s'adresse  à  vous  de  ma  part  comme  je 
le  présume,  je  vous  prie  de  les  traiter  le  mieux  que 
vous  pourrez.  Mais  ce  qui  me  fâche  en  tout  ceci  c'est 
qu'au  moyen  du  placard  des  Etats  généraux,  je  ne  vois 
plus  la  possibilité  de  faire  avec  vous  cette  Edition  gé- 
nérale qui  me  tient  plus  au  cœur  que  jamais,  et  de 
laquelle  je  vais  uniquement  m'occuper.  Car  pour  des 
retranchemens  au  morceau  en  question,  je  n'en  veux 
point  faire. 

Je  suis  affligé  du  renvoi  des  balles  du  Contrat  Social  ; 
il  eût  été  horrible  qu'on  les  eût  gardées;  mais  je  sens 
bien  que  vous   perdez  toujours  beaucoup  à   ce    renvoi. 

(i)  Voyez  la  nolo  à  la  lcttri 

1  1  ' 


164 

Quand  vous  aurez  occasion  de  faire  quelque  envoi  à 
Genève  ou  en  Suisse,  faites-moi  le  plaisir  d'y  joindre 
une  douzaine  de  mes  exemplaires  ,  surtout  ceux  en  beau 
papier;  faites  des  autres  ce  qu'il  vous  plaira.  J'aurai 
soin  de  faire  retirer  le  pacquet  dans  le  lieu  où  vous 
l'aurez  adressé.  Je  n'ai  ici  ni  le  Contrat  Social  ni 
Emile,  et  j'aurois  grand  besoin  de  les  avoir.  Si  la 
nouvelle  édition  de  l'Héloïse  est  achevée  vous  m'obli- 
gerez d'y  en  joindre  aussi  deux  ou  trois  exemplaires: 
je  suis  très-empressé  de  la  voir. 

Je  suis  ici  à  demeure  au  moins  pour  cet  hiver;  j'ai 
avec  moi  M11?  Le  Vasseur  qui  m'est  arrrivée  il  y  a 
quinze  jours  et  qui  vous  assure  de  son  respect.  Lors- 
qu'il surviendra  quelque  changement  dans  ma  situation 
je  vous  en  avertirai  ;  je  crains  les  rigueurs  des  hivers 
en  ce  pays,  mais  il  faut  se  soumettre  à  la  nécessité. 
J'ai  supporté  fort  bien  la  fatigue  du  voyage,  mais  je 
l'ai  bien  payé  depuis  que  je  suis  arrivé.  Quand  est-ce 
que  tout  ceci  finira?  Donnez-moi  de  tems  en  tems 
de  vos  nouvelles,  dites-moi  sincèrement  quel  effet  mon 
ouvrage  a  fait  où  vous  êtes  et  en  Angleterre.  S'il 
s'écrit  quelque  chose  relatif  à  moi,  faites  m'en  part, 
s'il  est  possible.  Me  voici  dans  une  situation  où  toutes 
les  nouvelles  littéraires  me  deviennent  intéressantes. 
Plût  à  Dieu  qu'elles  n'eussent  jamais  parlé  de  moi! 
Marquez-moi  tout  ce  qui  vous  intéresse,  car  cela  m'in- 
téresse aussi.  Etes-vous  quitte  de  cette  maudite  goutte? 
Elle  fait  souffrir,  et  cela  est  triste,  mais  elle  montre 
au  moins  qu'on  se  porte  bien  d'ailleurs,  et  quelquefois 
qu'on  ne  s'est  que  trop  bien  porté.  J'espère  que  si 
vous  venez  à  Genève,  vous  tâcherez  de  passer  par 
Môticrs.    Adieu,  je  vous  embrasse  et  tout  ce  qui  vous 

esi  cher. 

J.  J.    \l 


165 


08. 


Je  prie  Monsieur  Marc  Michel  Rey,  Libraire  à  Am- 
sterdam, de  remettre  au  porteur  du  présent  billet  les 
exemplaires  du  Contrat  Social  qu'il  m'a  destinés,  et  je 
le  salue  de  tout  mon  cœur. 


J.  J.  Rousseau. 


A  Motiers,  le  5  7h™   17G2. 


09. 

A  Motiers,    le  8    8bI.e  1762. 

Je  suis  charmé ,  mon  cher  Rey ,  d'apprendre  par  votre 
lettre  du  9  7br.c  de  bonnes  nouvelles  de  vous  et  de  tout 
ce  qui  vous  est  cher.  L'intérêt  que  vous,  Madame  Rey 
et  Mademoiselle  Dumoulin  prenez  à  mes  peines  con- 
tribue beaucoup  à  m'en  consoler.  Vous  savez  comment 
on  m'a  traité  dans  la  patrie.  Voilà  le  coup  qm  m'a 
porté  la  mort  au  fond  du  cœur.  Je  regarde  tout  le 
reste  comme  des  jeux  d'enfant:  j'avoue  cependant  que 
je  n'aurois  pas  cru  les  Etats  généraux  capables  de  la 
lâcheté  qu'ils  ont  commise  en  cette  occasion.  Violer 
ainsi  ses  engagemens  en  révoquant  un  privilège;  et 
parce  que  le  parlement  de  Paris  ose  insulter  une  puis- 
sance souveraine ,  cette  puissance  souveraine  reconnoit 
publiquement  la  juridiction  du  parlement  de  Paris,  et 
se    soumet   à   sa   censure?  (').     En  vérité    cela   ne  se 

(')  Ceci  n'est  pas  tout-à-fait  juste.  D'abord  le  privilège  do  l'Emile  n'a  pas 
été  accordé  ni  révoqué  par  les  Etats  généraux,  mais  par  les  Etats  de  Hol- 
lande et  de  Westfrise.  Puis,  l'arrêt  de  la  Cour  du  Parlement  de  Parie  qui  a 
condamné  Y  Emile,  étant  du  9  Juin  1762,  et  le  livre  ayant  été  lacéré  et 
brûlé  dans  la  cour  du  Palais  par  l'Exécuteur  de  la  Hante  Justice,  le  Vendredi 
11  Juin,  il  est  vrai  que  la  condamnation  du  Parlement  a  précédé  celle  des 
Etat?  do  Hollande,  mais  il  w  s'en  Buit  pas,  que  les  Etats  de  Hollande-  se 
soient   soumis  ù  la  censure  du  Parlement  de  Paris.     Voici   ce    qui    est  arrivé. 


166 

conçoit  pas.  Mon  cher  Rey,  je  vous  suis  sincèremenl 
attaché,  mais  je  le  ^suis  encore  plus  à  mon  honneur:  j'ai 
plus  de  fierté  que  Leurs  Hautes  Puissances  et  une 
fierté  plus  légitime.  Je  ne  consentirai  jamais  que  le 
recueil  de  mes  écrits  s'imprime  en  Hollande,  qu'il  ne 
s'y  imprime   avec  approbation,  et  que  l'injuste  auront 


Le  23  Juin  1762,  les  Etats  de  Hollande  et  de  Westfrise,  sur  la  proposition  de 
leur    Grand-Pensionnaire  P.  Steyn,  connu  par  son   zèle   pour  la  doctrine  de 
l'Eglise  Régnante,   résolurent    que,    puisqu'ils    avaient  accordé  le  10  Mars  ù 
Jean  Néaulme,    libraire   d'Amsterdam,  un   privilège  pour  imprimer  l'Emile, 
et  que  ce   livre   contenait  plusieurs  maximes  pernicieuses    et   contraires  à  la 
Parole  de  Dieu,  les  Magistrats  d'Amsterdam   seraient  invités  à  s'en  informer 
et  à   suspendre  préalablement  la  publication  de  ce  livre.  Les  magistrats  d'Am- 
sterdam répondirent   le   22  Juillet  par  l'envoi  d'un   mémoire,    contenant  des 
Considérations    des  Pasteurs  de   l'Eglise  Wallonne    d'Amsterdam ,   auxquels 
ils  avaient  confié  l'examen  de  l'ouvrage.     Ce  mémoire,  qui  existe  encore  aux 
Archives  du  Royaume  à  La  Haye,    où  il  a  été  trouvé  par  les  soins  toujours 
obligeants  des  savants  Archivistes    MM.    R.  C.  Bakhuizen  van  den  Brink,  et 
L.   P.   C.  van  den  Bergh,   est  daté  du  29  Juin  et  signé  J.  Samuel  Châtelain. 
J.  J.  Pcsmazures,  P.  J.  Court  onne,  J.  H.  François  et  J.  S.Vernède,  le  sixième 
Pasteur  M.  de  Cliaufepié  ayant  été  empêché  de  prendre  part  à  l'examen.   1  tan- 
ce mémoire,  les  Pasteurs,  considérant  que  le  but  de  leurs  remarques  les  dis- 
pense de  relever  tout  ce  qu'il  y  a  dans  l'ouvrage  de  condamnable  relativement 
à  L'Education  et  à  la  Politique,  se  bornent  à  démontrer  par  la  citation  de  plu- 
sieurs passages,  que  dans  lo  système  de  Religion  que  l'auteur  présente  dans 
La   Profession  de  Foi  du  Vicaire  Savoyard,    il  y  a  un  pur  Théisme    et  encore 
un  Théisme  tronqué,  que  tontes  les  révélations  indistinctement  j  sont  attaquées, 
et  que,  la  religion  du  Vicaire  Savoyard  et  celle  du  Citoyen  de  Genève  étant 
uniformes ,  celui-ci  l'emporte  encore  en  impiété  et  en  profanation,  et  que  l'ou- 
vrage  entier    est  capable   de  produire  les  plus    sinistres  effets,    particulière- 
ment  pour    les   jeunes    gens    en   les   portant    ù    l'irréligion  et    au   vice.    La 
conclusion  du  mémoire  est  ainsi  conçue:    "Puis   donc  qu'il  a    été  imprime 
dans  notre  province,  avec  un  privilège  (qui  ne  peut  qu'avoir  été  surpris  I 
il  scroit  extrêmement  à  souhaiter  que  l'autorité  de  nos  augustes  souve- 
rains intervînt  pour  arrêter  ce  mal.    A  cet  te. fin  la  voie  des  Cartons  nous 
paroit  insuffisante,  parce  que  le  venin   est   trop  généralement  répandu. 
Ainsi  nous  est imons  que  l'unique  parti  qu'il  y  aurait  à  prendre,  ce  s. 
voit  que  le  privilège  fût  révoqué ,  qu'on  déf  ndit  sous  de  sévères  peines 
l'impression  et  le  débit  de  ce  livre  dans  notre  pays,  en  le  condamnant 
avec  flétrissure ,  que  cette  condamnation  fût    mise  dans  les  gazettes,  de 
même  qu'y  a  été  mise  celle  du  parlement  de  Paris,  et  que  dans  les  jour- 
naux qui  S'impriment  dans  notre  /narine,  .    fût  insère  par  ardre  sanrem, 


167 

qui  m'a  été  fait  ne  soit  réparé  par  un  privilège  authen- 
tique et  aussi  honorable  que  la  précédente  révocation 
a  été  insultante.  Que  les  fous  et  les  médians  brûlent 
mes  livres  tant  qu'ils  voudront ,  ils  n'empêcheront  pas 
qu'ils  ne  vivent  et  qu'ils  ne  soient  chers  à  tous  les 
gens  de  bien.  Quand  ils  ne  se  réimprimeroient  jamais, 
ils  n'en  iront  pas  moins  à  la  postérité  et  n'y  feront 
pas  moins  bénir  la  mémoire  du  seul  auteur  qui  n'ait 
jamais  écrit  que  pour  le  vrai  bien  de  la  société  et  pour 
le  vrai  bonheur  des  hommes. 

Je  n'ai  point  encore  receu  les  Contrat  Social  que  vous 
m'adressez  par  M.  Fauche.  Je  vous  remercie  de  vou- 
loir m'éviter  les  ports.  Il  est  certain  que  dans  mu 
situation  j'ai  besoin  d'économie ,  mais  je  voudrois  bien 
que  ce  ne  fût  pas  à  vos  dépens.  Vous  avez  eu  grand 
tort  de  n'en  pas  d'abord  faire  un  envoi  plus  considé- 
rable en  Suisse;  cela  a  fait  qu'il  s'y  est  vendu  d'abord 
un  prix  exorbitant,  et  que  lorsqu'il  a  manqué  l'on 
s'est  hâté  de  le  contrefaire. 

Je  voudrois  bien ,  si  vous  venez  en  ce  pays ,  être 
instruit  du  tems  de  votre  départ  et  de  votre  marche; 
j'espère  que  vous  vous  arrangerez  pour  passer  ici.  Parmi 
les  affaires  dont  je  puis  avoir  à  vous  parler,  il  est  ques- 
tion d'un  manuscrit  qui  appartient  à  la  veuve  d'un 
officier  Allemand  au  service  de  Russie,  et  qui  est  entre 


un  avertissement  à  peu  près  semblable  à  l'écrit  ci-dessus.  C'est  ce  que 
nous  osons  attendre  du  zèle  de  nos  maîtres  pour  l'avancement  de  la  gloire 
de  Dieu,  pour  l'honneur  de  notre  sainte  religion ,  et  pour  le  bien  >!■ 
leurs  sujets."  Les  Etats  de  IloUandc  et  de  Wcstfrisc ,  suivant  l'avis  do 
MM.  les  Pasteurs,  ont  pris  le  30  Juillet  une  Résolution,  par  laquelle  le  pri- 
vilège pour  imprimer  l'Emile,  obtenu  par  Jean  Xéaulmo  et  cédé  par  celui-ci 
à  Mare  Michel  Itey,  est  révoqué,  avec  saisie  des  exemplaires  et  défense  à  qui 
que  ce  soit,  do  réimprimer,  de  vendre,  de  distribuer  ou  de  traduire  le  dii 
ouvrage,  sous  peine  d'une  amende  de  mille  florins  et  d'une  correction  arbi 
traire,  même  par  prise  de  corps.  Cet  arrêt  a  été  publié,  entre  autres,  dan-. 
Nederlandsche  Jaarboeken  1762 


L68 

les  mains  de  Mylord  Maréchal,  lequel  en  fait  cas.  Il 
m'en  a  parlé  plusieurs  fois,  et  voici  ce  qu'il  m'en  dit 
flans  sa  dernière  lettiv.  Les  mémoires  de  Russie  dont 
je  roux  ai  parlé  sont  écrits  par  un  officier,  confident  du 
Maréchal  Munich,  bien  instruit ,  et  qui  étoit  à  la  guerrt 
contre  les  Turcs  et  contre  les  Suédois:  il  étoit  à  Péters- 
bourg  quand  Biron,  Duc  de  Courlande,  fut  arrêté  et  ce 
fut  lui  qui  F arrêta.  Il  quitta  la  Russie  quand  Munich 
fut  envoyé  en  Sibérie.  Il  a  joint  à  son  ouvrage  «n  état 
de  F  Empire  de  Russie.  Mon  frère  (c'est  Mylord  Keith, 
Felt-Maréclial)  qui  étoit  en  Russie  pendant  tout  ce  tems-là, 
m^assuroit  que  les  faits  étoient  vrais.  A  regard  du  style, 
je  le  crois  assez  bien,  et  si  je  ne  me  trompe,  M.  de  Mau- 
pertuis  Va  corrigé,  car  fauteur  étoit  Allemand.  La  vew,  d, 
cet  officier  a  les  plans  des  batailles,  et  autres,  que  je  rïaipas. 

J'ai  songé  à  vous,  mon  cher  Rey,  pour  cette  entre- 
prise; reste  avoir  s'il  vous  convient  de  vous  en  char- 
ger. C'est  ce  que  vous  pourrez  examiner  à  votre  pas- 
sage. Vous  pourrez  voir  le  Manuscrit  chez  Mylord. 
ou  si  vous  aimez  mieux,  je  le  prierai  de  me  l'envoyer, 
et  vous  le  verrez  ici. 

Je  suis  vraiment  peiné  de  tous  les  désagrémens, 
faux-frais  et  contrefaçons  qui  peuvent  vous  rendre 
onéreux  le  Contrat  Social.  Je  voudrois  bien  que  vous 
y  trouvassiez  votre  compte;  cet  ouvrage  fait  assez  de 
bruit,  ce  me  semble,  pour  que  malgré  les  éditions 
contrefaites ,  les  vôtres  ne  restent  pas  à  votre  charge; 
je  le  désire  de  tout  mon  cœur.  Nos  montagnes  sonl 
déjà  couvertes  de  neige.  J'ai  froid,  je  suis  triste,  je 
pisse  mal;  à  cela  près  tout  va  passablement  vu  la  si- 
tuation. Mille  amitiés  et  respects  à  vos  Dames;  baisez 
pouT  moi   la    chère  petite.     Je  vous    embrasse  de  tout 

mon  cœur. 

.).  -I.  Rousseau. 


y. 

LETTRES 

ÉCRITES    PENDANT   QUE 
LA    RÉPONSE    A    L'ARCHEVÊQUE    DE    PARIS 

ÉTAIT    SOUS    PRESSE. 


On  lit  dans  le  titre  de  l'édition  originale  : 
"Jean  Jacques  Rousseau,  citoyen  de  Genève,  à 
Christophe  de  Beaumont,  Archevêque  de  Paris, 
Duc  de  St.  Cloud,  Pair  de  France,  Commandeur 
de  l'ordre  du  St.  Esprit,  Proviseur  de  Sorbonne 
etc.  —  Da  veniam  si  quid  liber  lus  diœi}  non  ad 
contumeliam  tuam,  sed  ad  defensionem  meam. 
Praesumsi  enimde  gravit  ate  et  prudent ia  tua,  quia 
potes  considerare  quantum  mihi  respondendi  ne- 
cessitatem  imposueris.  Aug*.  Epist.  2S8  ad  Pas- 
cent. —  A  Amsterdam,  chez  Marc  Michel  lley. 
MDCCLXIII."  —  En  lisant  le  passage  des 
Confessions  qui  se  rapporte  à  cet  écrit,  dans  le 
XIIme  Livre,  passage  qui  est  un  commentaire 
de  l'épigraphe  du  titre,  on  voit  que  l'auteur, 
en  écrivant   ses    Confessions  était  content  de  sa 


170 

réponse  à  l'Archevêque.  On  sait,  par  une  let- 
tre à  M.  Moultou  du  26  Février  1763,  qu'avant 
de  connaître  le  succès  que  l'ouvrage  aurait,  il 
s'est  reproché  d'avoir,  dans  un  moment  d'im- 
patience, envoyé  au  libraire  Rey,  cette  espèce  de 
réponse  qu'il  avait  barbouillée  sans  se  rappeler 
qu'il  n'est  pas  permis  de  s'échauffer  en  parlant 
de  soi.  On  verra  par  les  lettres  qui  suivent  sous 
les  Nos.  10-4  et  108  qu'en  effet  il  en  a  voulu 
arrêter  la  publication. 


171 
100. 

A  Môtiebs,  le  16  9b™  1762. 

J'ai  receu  depuis  peu  de  jours,  mon  cher  Rey,  les 
12  exemplaires  du  Contrat  Social  que  vous  m'avez 
envoyés  par  la  voye  du  Libraire  de  Neufchâtel ,  et 
presque  en  môme  tems  votre  lettre  du  23  8b^e  par  la 
voye  de  Lauzanne.  Comme  je  n'avois  pas  encore  ré- 
pondu à  celle  du  28  7hr.e,  je  joindrai  le  tout  ensemble 
dans  cette  réponse  et  je  la  commencerai  par  les  remer- 
cîmens  que  je  vous  dois. 

L'extrait  de  la  lettre  de  M.  Duvoisin  du  19  7,Ji:c 
m'afflige  pour  lui  et  pour  moi  qui  me  sentois  si  porté 
à  l'estimer  et  à  l'aimer.  Je  vois  qu'il  est  comme  les 
autres  Ministres  ,  et  que  les  autres  Ministres  sont  comme 
les  Prêtres,  dont  je  les  avois  sottement  distingués  jus- 
qu'ici; tous  ces  gens-là,  à  quelques-uns  près,  sont 
gens  de  même  farine  ou  plustût  de  même  son  ;  ils 
ménagent  ceux  qui  ont  le  vent  en  poupe,  et  tombent 
rudement  sur  les  opprimés.  Je  puis  vous  prouver  la 
mauvaise  foi  de  M.  Duvoisin  par  sa  lettre  même.  Il 
fait  dans  Emile,  dit-il  en  parlant  de  moi,  le  plus  beau 
portrait  de  la  morale  de  V Evangile,  et  dans  le  Contrat 
Social,  il  le  représente  comme  nuisible  à  la  société.  Vous 
conclurez  de  là  que  c'est  surtout  à  cause  de  ce  der- 
nier ouvrage  qu'il  ne  sait  comment  m'écrire;  mais  il 
Favoit  lu  avant  mon  départ,  il  m'en  avoit  parlé,  il 
auroit  souhaité,  disoit-il,  que  j'y  eusse  ajouté  quelques 
mots  en  faveur  de  la  morale  Evangélique;  au  surplus 
il  ne  m'en  avoit  pas  fait  plus  mauvaise  mine ,  il  ne  m'en 
avoit  pas  témoigné  moins  de  considération,  d'estime  et 
d'amitié;  et  cet  homme  qui  ne  sait  pas  maintenant  com- 
ment m'écrire,   savoit    bien  huit  jours   avant   le  décret 


172 

comment  venir  diner  chez  moi.  Concluez  que  ce  sont 
mes  malheurs  et  non  pas  mes  livres  qui  m'attirent  de 
sa  part  des  censures  si  cavalières ,  et  qu'il  n'eût  sûre- 
ment pas  faites  de  ce  ton  là  il  n'y  a  que  six  mois. 

Vous  me  parlez  de  ma  vie.  On  nie  fournit,  comme 
vous  voyez,  d'amples  mémoires  pour  l'augmenter,  niais 
on  se  garde  Lien  de  me  laisser  le  loisir  et  la  tranquil- 
lité nécessaires.  Je  suis  bien  loin  de  pouvoir  mainte- 
nant songer  à  cela.  Mon  cher  Rey,  je  veux  foire  pour 
vous  tout  ce  qui  me  sera  possible,  mais  je  ne  saurois 
faire  au-delà.  Depuis  six  mois  ma  vie  est  devenue 
malheureusement  un  ouvrage  d'importance  qui  demande 
du  tems  et  des  réflexions.  Quand  vous  viendrez  me 
voir  nous  en  parlerons. 

Il  faut  malgré  moi  reprendre  la  plume:  vous  voyez 
que  j'y  suis  forcé.  Je  ne  sais  si  le  triste  état  de  ma 
santé  me  permettra  d'achever  un  écrit  que  je  médite. 
Il  sera  convenable  et  respectueux,  mais  ferme;  la  per- 
sécution ne  peut  m'avilir:  voyez  s'il  vous  convient  de 
l'imprimer.  En  ce  cas  ,  il  faut  du  secret  et  de  la  diligence. 
Répondez-moi  là-dessus  le  plus  tôt  que  vous  pourrez, 
et  mandez-moi  de  quelle  voye  vous  jugez  à  propos  que 
je  nie  serve  pour  vous  faire  passer  mon  manuscrit.  Si 
vous  y  voyez  quelque  inconvénient,  parlez  librement  afin 
que  je  me  pourvoye  ailleurs;  car  je  serois  au  désespoir 
de  vous  compromettre.  L'ouvrage  en  lui-même  ne  le 
sauroit;  mais  quand  on  est  de  mauvaise  humeur  on  se 
tache  de  tout.  Je  n'ai  pas  bien  compris  si  les  12  exem- 
plaires du  Contrat  Social  que  vous  dites  m'envoyer  par 
M.  Druilhet  et  dont  je  n'ai  pas  encore  entendu  parler. 
sont  différens  des  douze  que  vous  m'avez  envoyés  par 
le  libraire.  En  ce  cas  là,  ils  sont  de  trop;  cependant 
ils  pourront  dans  la  suite  trouver  leur  place,  niais 
quant  aux  (rois  exemplaires  du  (  'outrât   Social  que  vous 


173 

y  avez  joints,  ils  me  sont  absolument  inutiles,  ayant  fait 
venir  de  Paris  mes  livres  où  j'en  avois  quelques-uns. 
Ainsi  marquez-moi  à  qui  vous  voulez  que  je  les  remette; 
en  attendant  ils  resteront  chez  moi  à  votre  ordre,  lors- 
qu'ils seront  venus. 

Je  suis  vraiment  pénétré  de  tous  vos  accidens;  ils 
ajoutent  au  sentiment  de  mes  peines  ;  mais  il  n'y  a 
point  de  commerce  qui  n'ait  ses  revers  ;  j'espère  que 
tout  se  rétablira  à  votre  satisfaction.  J'ai  marqué  à 
Milord  Maréchal  que  vous  n'étiez  pas  maintenant  dis- 
posé à  vous  charger  du  Manuscrit  dont  il  m'a  parlé. 
Je  suis  ici  très-bien  traité,  et  le  Roi  m'a  fait  faire  des 
offres  très-obligeantes,  dont  je  ne  suis  pas,  quant  à 
présent,  dans  le  cas  de  me  prévaloir.  Mille  amitiés  et 
respects  aux  chères  commères ,  embrassez  pour  moi  ma 
filleule,  et  comptez  sur  toute  mon  amitié  depuis  que 
j'ai  si  bien  reconnu  la  vôtre. 


101. 

A  Môtiers,  1   10'";e  1762. 

Je  profite,  mon  cher  Rey,  du  départ  de  M.  de  l'Orme, 
notre  compatriote,  pour  la  Hollande,  pour  vous  entre- 
tenir encore  d'une  affaire  sur  laquelle  je  vous  ai  écrit 
il  y  a  près  d'un  mois  par  la  poste  ('),  et  comme  n'ayant 
point  de  réponse  je  crains  que  ma  lettre  n'ait  été  in- 
terceptée, celle-ci  lui  servira  de  duplicata. 

Il  s'agit  d'un  écrit  dont  je  vous  ai  parlé  et  qu'il  con- 
viendroit  s'il  étoit  possible  de  donner  au  public  secrè- 
tement et  promptement.  Quoique  cet  ouvrage  roule 
sur  ma  défense  au  sujet  de  ce  qui  s'est  passé,  je  crois 

(')  C'est  la  lettre  .lu  16  Novembre  N°.  100. 


174 

qu'on  peut  l'imprimer  partout  sans  se  compromettre, 
et  surtout  en  Hollande,  parce  que.  sans  y  prendre  les 
puissances  à  partie,  je  ne  discute  l'affaire  qu'avec  les 
Prêtres  et  seulement  quant  à  l'orthodoxie,  matière  sur 
laquelle  il  est  assurément  bien  permis  à  l'innocent  de 
se  défendre  lorsqu'il  se  renferme  dans  les  bornes  de 
décence  et  d'honnêteté  que  je  me  suis  prescrites,  quoi- 
qu'on les  ait  si  violemment  franchies  avec  moi. 

Il  y  a  deux  mois  que  je  me  suis  enfermé  pour  tra- 
vailler à  cet  ouvrage,  et  comme  je  ne  perds  pas  un 
moment,  même  aux  dépens  de  ma  santé,  je  compte 
être  en  état  de  vous  l'envoyer  vers  les  Rois  ou  au 
plustard  dans  six  semaines.  J'estime  qu'il  pourra  faire 
environ  sept  ou  huit  feuilles  d'impression,  plus  ou 
moins.  Le  format  octavo  me  paroit  le  plus  convenable, 
je  souhaite  que  le  papier  soit  beau,  le  caractère  net, 
avec  un  autre  caractère  bien  distinct  pour  les  notes, 
et  surtout  que  vous  apportiez  à  la  correction  le  plus 
grand  soin,  car  l'affaire  m'intéressant  personnellement 
et  n'étant  pas  en  état  de  revoir  les  épreuves,  je  ne 
puis  trop  vous  recommander  de  les  revoir,  de  les  relire, 
et  si  vous  prenez  un  correcteur,  de  l'engager  à  la  plus 
grande  attention;  mais  surtout  n'allez  pas  prendre  un 
homme  d'Eglise,  car  tout  seroit  perdu.  De  mon  côté 
je  m'occuperai  à  rendre  ma  copie  si  correcte,  qu'en 
vous  y  conformant  en  tout  vous  soyez  sûr  de  n'avoir 
laissé  que  les  fautes  que  j'aurai  voulu  faire. 

Il  m'importe  extrêmement  que  cet  écrit  paroisse  Le 
plustôt  qu'il  se  pourra,  et  je  pense  qu'il  vous  sera 
très-aisé,  si  vous  le  voulez,  de  le  faire  paroi tre  avant 
Pâques  et  j'y  compte.  Une  raison  de  retard  c'est  quand 
l'ouvrage  est  imprimé  de  l'envoyer  partout  avant  de 
le  mettre  eu  voûte,  pour  prévenir  Les  contrefaçons.  Ceci 
me  fail   penser  que  vous  pourriez    par  un   même  expé- 


175 

(lient  les  prévenir  et  user  de  diligence.  Ce  seroit  de 
faire  un  accord  avec  deux  ou  trois  libraires  en  divers 
lieux,  lesquels  imprimeroient  en  même  tems  que  vous 
et  sur  vos  feuilles  tirées,  en  sorte  que  le  tout  pour- 
rait paroitre  en  même  tems ,  et  que  sur  les  contrefa- 
çons que  vous  ne  pouvez  éviter  vous  auriez  du  moins 
retiré  un  bénéfice  qui  vous  payeroit  tous  vos  frais.  Il 
me  semble  que  cet  arrangement  bien  concerté  seroit 
avantageux  à  tout  le  monde,  préviendrait  les  risques 
et' pourrait  épargner  bien  des  embarras.     Voyez. 

Quand  môme  vous  auriez  répondu  à  ma  précédente 
lettre ,  ne  tardez  pas  un  moment  je  vous  prie ,  de  ré- 
pondre à  celle-ci  ;  car  votre  autre  lettre  peut  être  égarée 
ou  retardée ,  et  tant  que  je  serai  dans  l'incertitude  je 
n'oserai  vous  envoyer  mon  manuscrit.  Je  voudrais  bien 
aussi  que  vous  m'indiquassiez  quelque  voye  pour  vous  le 
faire  parvenir  sûrement  par  autrui  ;  car  je  crains  bien 
que  si  l'on  voit  mon  écriture  et  mon  cachet  sur  un 
gros  pacquet,    il  ne  soit  ouvert. 

En  attendant,  s'il  vous  convient  de  vous  charger  de 
cet  ouvrage,  faites  tous  vos  apprêts  d'avance  afin  de 
ne  pas  perdre  un  moment  aussitôt  que  vous  aurez  receu 
le  manuscrit.  Je  voudrais  pour  la  vignette  du  titre, 
ma  devise  en  trois  lignes ,  comme  elle  est  sur  mon  ca- 
chet, entourée  d'une  couronne  civique;  la  couronne 
civique  étoit  de  chêne;  il  faut  que  les  feuilles  et  le 
gland  soient  si  bien  faits  qu'on  ne  puisse  pas  s'y  trom- 
per. Employez  pour  cela  un  bon  dessinateur  et  gra- 
veur ('). 

Adieu  mon  cher  Rey,  j'embrasse  toute  la  chère  fa- 
mille, et  surtout  le  Papa  mille  fois. 

J.   J.    Rousseau. 

(2)  Il  a  renoncé  depuis  à  ce  projet.    Voyez  la  lettre  qui  suit. 


176 

Je  suis  si  plein  de  cette  affaire  que  j'oubliois  de 
vous  accuser  la  réception  de  la  caisse  que  vous  m'avez 
expédiée  contenant  12  Contrat  Social  et  3  Emile. 
Comme  j'avois  déjà  receu  le  précédent  envoi,  celui-là 
me  devient  superflu  et  il  m'en  restera  du  moins 
2  Emile  et  10  Contrat  Social  à  votre  disposition.  Je 
vous  remercie  de  toutes  vos  attentions,  mais  j'entends 
que  tous  vos  frais  vous  soient  remboursés. 


102. 

A  Môtiees,  le  26  10'".v  1762. 

Cette  Lettre  n'ayant  pu  partir  le  jour 
de  sa  date ,  je  vous  préviens  que  le 
Manuscrit  partira  le  Samedi  pr.  Janvier 
1763. 

En  réponse,  mon  cher  Rey,  à  votre  lettre  du  14  de 
ce  mois,  je  vous  annonce  pour  la  huitaine  mon  manu- 
scrit par  la  poste.  Comme  il  est  écrit  très-serré  sur 
du  papier  pareil  à  celui-ci,  il  ne  fera  pas  un  pacquel 
énorme,  et  pour  plus  de  diligence  j'enverrai  le  tout 
à  la  fois.  Je  vous  recommande  derechef  la  correction 
la  plus  attentive;  vu  surtout  que  le  tout  est  extrême- 
ment entremêlé  de  citations  tantôt  en  guillemets  et 
tantôt  en  Italique,  et  que  le  moindre  qui-pro-quo  feroiï 
un  galimatias  indéchiiirable.  Ce  n'est  pas  ici  une  af- 
faire de  littérature,  c'est  de  mon  honneur,  c'est  de  ma 
sûreté  qu'il  s'agit,  ainsi  je  m'attends  de  votre  part  à 
tous  les  soins  de  l'amitié  pour  qu'il  n'y  reste  pas  une 
faute:  il  est  bien  triste  que  je  ne  puisse  pas  voir  les 
«''preuves  de  celui  de  mes  ouvrages  qui  m'importe  le 
plus.     ,Te  n'épargne  rien  pour    rendre    mon  manuscrit 


177 

correct,  c'est  à  vous  à  ne  rien  épargner  pour  y  rendre 
l'imprimé  conforme.  Je  suis  fâché  que  le  format  8°. 
ne  vous  convienne  pas,  d'autant  plus  que  l'écrit  étant 
adressé  à  un  homme  de  considération  cela  seroit  plus 
honnête;  mais  puisque  cela  ne  vous  convient  pas  je 
n"insistc  point  là-dessus.  Je  voudrais,  mon  cher  Rey, 
que  ma  situation  me  permît  de  vous  faire  présent  de 
mon  travail,  je  ne  prendrai  du  moins  pour  en  régler 
le  prix  que  votre  probité  et  votre  amitié;  vous  m'en 
donnerez  ce  qu'il  vous  plaira,  et  quand  il  vous  plaira. 
Quoique  vous  ne  me  parliez  point  de  la  lettre  que 
je  vous  ai  écrite  par  M.  de  Lorme,  je  suppose  que  vous 
l'avez  receue;  cependant  pour  plus  de  sûreté,  je  vous 
reparlerai  de  ce  qu'elle  contenoit.  Je  vous  y  exposois 
nies  idées  pour  prévenir  l'abus  des  contrefaçons:  ce 
seroit  de  vous  entendre  avec  des  libraires  en  différens 
pays  à  qui  vous  enverriez  vos  feuilles  à  mesure  que 
vous  les  imprimiez ,  et  vous  pourriez  tirer  votre  édition 
à  moindre  nombre  pour  la  consommer  dans  le  pays 
ou  aux  environs.  Je  verrais  à  cela  des  multitudes 
d'avantages.  Car  de  cette  manière  vous  feriez  du  moins 
une  partie  du  profit  des  contrefacteurs  en  traitant  avec 
eux,  et  eux-mêmes  y  trouveraient  leur  compte  soit  en 
servant  le  public  avec  plus  de  diligence,  soit  parce- 
qu'imprimant avant  que  l'ouvrage  fût  public,  ils  seraient 
sûrs  qu'un  autre  ne  leur  couperait  pas  L'herbe  sous  les 
pieds;  vous  préviendriez  des  longueurs  infinies,  en  ce 
que  vous  ne  pouvez  mettre  votre  Edition  en  vente 
que  quand  tous  vos  envois  sont  arrivés,  ce  qui  peut 
avoir,  surtout  en  cette  occasion,  un  grand  inconvénient; 
car  il  pourrait  paroitre  tel  ouvrage  dans  l'intervalle,  qui 
rendrait  le  mien  absolument  hors  de  propos.  Mutin 
en  vous  abonnant  A  Paris  avec  Robin  ou  quelque  autre. 
;~i    Lyon   avec    Bruiset   ou  quelque   autre,    vous  prévien- 

12 


178 

driez  l'inconvénient  de  ne  pouvoir  entrer  votre  édition 
en  France  par  celles  que  vous  y  feriez  (aire:  il  est 
bien  plus  aisé  d'entrer  une  feuille  par  la  poste  qu'un 
ballot.  Pense/  à  cela,  je  vous  prie;  si  vous  pouvez 
trouver  quelque  moyen  d'user  de  plus  de  diligence  que 
par  le  passé,  vous  me  rendrez  un  service  très-essentiel, 
et  vous  vous  en  rendrez  un  aussi  en  mettant  en  vente 
dans  la   bonne    saison. 

Je  vous  priois  aussi  de-  taire  graver  pour  vignette 
ma  devise  dans  une  couronne  de  chêne;  mais  si  cela 
n'est  pas  fait  ne  le  faites  pas;  car  l'ouvrage  porte  une 
autre  épigraphe  beaucoup  plus  convenable,  avec  laquelle 
ma  devise  seroit  hors  de  propos.  Si  vous  l'avez  t'ait 
graver  vous  pourrez  avec  quelque  envoi  m'en  faire  par- 
venir le  cuivre  et  je  vous  rembourserai  vos  fraix  ('). 

Le  secret  n'est  nécessaire  qu'afin  qu'on  n'arrête  pas 
\oire  travail.  Du  reste  quand  vous  serez  une  fois  en 
train  vous  en  userez  comme  votre  prudence  vous  dictera. 

Je  ne  puis  pas ,  mon  cher  Rey,  envoyer  les  trois 
exemplaires  d'Emile  à  M.  Du  Villard,  parce  (pie  ce 
livre  est  défendu  à  Genève,  et  qu'il  ne  faut  jamais 
désobéir  aux  loix  dans  son  pays,  ni  dans  aucun  autre 
tant  qu'on  y  demeure.  Ces  trois  exemplaires  et  six  du 
Contrat  Social  sont  toujours  chez  moi  à  votre  disposition. 

Il  s'est  fait  à  Genève  quelques  écrits  pour  et  contre 
moi ,  à  quelques-uns  desquels  qui  ne  sont  pas  encore 
imprimés  je  m'intéresse.  L'un  de  ces  écrits  est  de  mon 
ami  intime;  s'il  s'adresse  à  vous,  je  vous  recommande 
le  [dus  grand  soin  dans  l'exécution  de  son  ouvrage. 
('"est  M.  le  Ministre  Moultou.  Je  vous  le  nomme  dans 
le   plus  grand   secret,  et  je   compte    ce    secret   en    sûreté 

elle/.    Volls. 

('  i    Voyez   la    unie  au    \".    11*. 


179 

Un  autre  Ministre,  nommé  M.  Etoustan,  a  fait  une 
défense  du  Christianisme  contre  mon  dernier  chapitre 
du  Contrat.  J'ai  vu  cet  ouvrage  et  il  est  très-bon, 
quoiqu'un  peu  impétueux  pour  la  liberté.  Comme  celui 
qui  l'a  composé  est  plein  de  vertu,  de  talens,  de  mé- 
rite et  très-pauvre,  je  souhaite  que  son  manuscrit  lui 
vaille  tout  ce  qu'il  peut  lui  valoir,  et  je  souhaiterais 
qu'il  vous  convînt  de  vous  en  charger,  sans  vous  mettre 
en  peine  de  ce  qu'il  est  contre  moi,  car  il  est  à  cet 
égard  écrit  très-convenablement  et  l'auteur  mérite  de 
l'appui. 

J'ignore  encore  si  je  vous  enverrai  mon  Manuscrit 
en  droiture.  Peut-être  m'adresserai-je  à  Messieurs  Pour- 
talés  à  Neuchâtel  pour  l'expédier  à  un  correspondant 
qui  vous  le  remettroit  à  Amsterdam,  et  auquel  vous 
en  rembourseriez  le  port.  Si  je  l'envoyé  en  droiture , 
je  crains  que  mon  écriture  et  mon  cachet  ne  tentent 
les  curieux.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  vous  l'enverrai  de 
manière  ou  d'autre  d'aujourd'hui  en  huit.  Ainsi  je  vous 
prie  par  le  courrier  suivant  de  m'en  accuser  la  réception 
ou  de  me  marquer  que  vous  ne  l'avez  pas  receu;  car 
jusqu'à  ce  que  je  le  sache  en  vos  mains,  je  serai  de 
la  plus  grande  inquiétude.  Cet  ouvrage  dont  le  travail 
est  fort  peu  de  chose  m'a  pourtant  extrêmement  fatigué, 
de  sorte  que  j'ai  grand  besoin  de  repos.  Adieu,  très- 
cher  Rey,  mille  choses  à  vos  Dames,  je  vous  embrasse 
de  tout  mon  cœur. 

Mettez  d'avance  toute  chose  en  train  pour  qu'en  ar- 
rivant, mon  ouvrage  soil  mis  à  l'instant  sons  presse. 


12 


180 
103. 

A  Môtiers  ,  le  8  Janv.  17<i.i. 

Samedi,  premier  de  ce  mois,  je  fis  partir,  mon  cher 
Rey,  mon  manuscrit  comme  je  vous  l'avois  annoncé, 
par  l'entremise  de  Mrs.  Pourtalès  et  Compe.  qui  l'ont 
adressé  à  l'un  de  leurs  correspondans  à  Amsterdam 
pour  vous  être  remis,  et  auquel  vous  ou  moi  aurons 
soin  d'en  rembourser  le  port;  je  ne  vous  parlerai  plus 
de  l'exécution  de  cet  ouvrage  ni  du  soin  qu'il  m'im- 
porte que  vous  donniez  à  la  correction  ;  je  vous  ai  dit 
là-dessus  tout  ce  que  j'avois  A  dire,  et  votre  amitié 
pour  moi  vous  en  dit  sûrement  encore  plus.  Je  vous 
réitère  seulement  la  prière  de  m'en  accuser  la  réception 
ou  si  vous  ne  l'aviez  pas  receu,  de  m'en  avertir  sans 
retard. 

Comme  c'est  la  première  fois  que  j'ai  fait  imprimer 
un  Ecrit  sans  revoir  les  «''preuves,  il  restera  dans  celui- 
ci  bien  des  défectuosités  qu'on  ne  peut  guères  voir 
que  sur  l'imprimé;  je  me  rappelle  même  des  corrections 
à  faire  que  je  ne  peux  pas  vous  indiquer,  soit  parce 
(pie  je  n'ai  pas  toujours  coté  sur  mon  brouillon  les 
pages  de  la  copie,  soit  parce  qu'ayant  fait  «les  chan- 
gemens  en  transcrivant,  je  ne  me  souviens  plus  de  ce 
que  j'ai  mis.  Voici  pourtant  deux  petites  corrections 
que  je  crois  pouvoir  vous  indiquer  à  peu  près  et  que 
je  vous  prie  de  tâcher  de  mettre  à  leur  place. 

La  première  est  vers  le  haut  de  la  page  3  où  j'ai 
mis   ce  qui  suit   ou  quelque  chose  d'approchant. 

tu  cédant  pas  plus  à  leurs  opinions  qu'à  leurs  volon- 
tés ,  et  gardant  la  mienne  aussi  libre  que  ma  raison. 

(  >r  la  faute  consiste  en  ce  que  opinions  et  volontés 
étant  tous  deux   féminins,  on   ne    voit    pas  auquel   des 


181 

deux  la  mienne  se  rapporte;  ce  qui  rend  la  phra.se 
amphibologique  et  louche,  chose  que  je  hais  souverai- 
nement. Pour  ôter  cette  amphibologie ,  il  faut  faire  que 
l'un  des  deux  substantifs  soit  masculin;  car  alors  ce 
pronom  la  mienne  se  rapportera  nécessairement  à  l'autre. 
Otez  donc  le  mot  opinions  et  mettez  à  la  place  le  mot 
préjugés y  et  la  correction  sera  faite;  Ç)  mais  il  faut 
regarder  quelques  lignes  plus  haut  et  plus  bas  si  le 
même  mot  préjugés  ne  s'y  trouveroit  pas;  car  ce  seroit 
un  inconvénient  qu'il  fût  répété  deux  fois  en  peu  de 
lignes  (-).  Je  vous  explique  la  raison  de  ce  change- 
ment, afin  que,  s'il  y  a  autrement,  vous  ne  fassiez  que 
ce  qui  sera  nécessaire,  ou  que  vous  ne  fassiez  rien  du 
tout. 

La  seconde  correction  à  faire  est,  je  pense,  à  la  page  51 
ou  près  de  là;  voici  comment  est  dans  mon  brouillon 
le  passage  qu'il  faut  changer. 

et  comme  on  auroit  tort  en  La  punie  de  borner  à  quatre 
pieds  la  stature  naturelle  de  Vhomme,je  ne  suis  pas  assez 
ignorant  dans  l'histoire  des  peuples  pour  fixer  la  mesure 
des  âmes  humaines  sur  celle  des  gens  que  je  rois  autour 
de  moi. 

Cette  tournure  est  mauvaise,  et  voici  celle  qu'il  y 
faut  substituer. 

et  comme  on  s  abuserait  en  Laponie  de  fixer  à  quatre 
pieds  la  stature  naturelle  de  Thomme,  on  ne  s' abuserait 
pas  moins  parmi  'nous  de  fixer  la  mesure  des  âmes  hu- 
maines sur   relie  dis  gens  (pie  l'on   voit  autour   de  soi  (3). 

(*)  La  correction  à  été  faite.    Le  passage  se  trouve  dans  L'alinéa  commen- 
çant  Ainsi  va  flottant  le  sot  public,  pag.   1  de  l'édition  originale. 

(2]  M.  Victor  Cousin    a  démontré  que  Rousseau,  par    un    scrupule  e 
d'éviter  les  répétitions  de  mots,   a  quelquefois,    en    s'efforçant  de  trouver  un 
équivalent,    substitué  à   ce    qui  était  bien    un  mol  d'une  acception  différente. 

(Jj    Le  passage  se  trouve  comme   l'auteur    L'a  corrigé   p.  90  de  L'édit.  orig. 
dans  L'alinéa  commençanl   Quelque  attestés  tjm   soient. 


L82 

Je  vous  prie  de  transporter  exactement  ces  deux  cor- 
rections à  leur  place.  J'ai  souligné  les  passages  pour 
les  distinguer  dans  ma  lettre;  mais  vous  comprendrez 
bien   qu'ils   ne  doivent  pas  être  en  italique. 

Vous  savez  sans  doute  que  M.  Neaulme  l'ait  mutiler 
mon  Emile  par  le  laborieux  M.  Formey  qui  ne  craint 
pas,  par  une  entreprise  inouïe  jusqu'ici  dans  la  littéra- 
ture, de  s'emparer  de  mon  vivant  de  mon  propre  bien, 
pour  l'estropier  et  le  défigurer  à  son  gré  et  peut-être  y 
fourrer  sous  mon  nom  ses  sottes  pensées  (').  Voilà  les 
brigands  qui  s'appellent  Chrétiens ,  et  moi  qui  chéris 
la  justice  et  respecte  en  tout  les  droits  d'autrui,  je  suis 
l'impie  et  l'homme  abominable.  Ils  ont  raison,  s'ils 
sont  Chrétiens,  je  ne  le  suis  pas. 

On  dit  que  M.  l'Abbé  de  la  Porte  et  M.  Duchesne 
ont  entrepris  tout  ouvertement  une  édition  générale  de 
tous  mes  écrits  en  douze  volumes  in  8°.  Ainsi  nie  voilà 


(')  MM.  du  Musset-Pathay  et  Pétitain  affirment,  d'après  une  déclaration  do 
Formey  lui-même,  que  le  libraire  Neaulme étant  sur  le  point  d'être  condamné 
à  une  forte  amende  au  sujet  de  l'Emile,  n'obtint  grâce  qu'à  condition  de 
donner  sur-le-champ  une  autre  édition  purgée  de  tout  ce  qui  pourroit  don- 
ner matière  à  scandale,  et  que  ce  fut  pour  tirer  Neaulme  de  cet  embarras 
que  Formey  arrangea  l'Emile  Chrétien,  consacré  à  l'utilité  publique.  11  ré- 
sulte d'un  examen  des  actes  officiels  des  Etats  de  Hollande,  d'où  est  tiré  aussi 
ie  récit  qu'on  trouve  dans  la  note  (1)  à  la  lettre  X".  09,  qu'en  L763 ,  .'eau 
Neaulme,  inquiet  des  préventions  défavorables  qui  pourraient  uaitre  dans  le 
Public  à  son  égard  au  sujet  de  V Emile,  s'est  adressé  aux  Etats  de  Hollande 
pour  leur  témoigner  ses  regrets  d'avoir  entrepris  la  publication  de  cet  ouvrage, 
et  son  aversion  pour  les  maximes  de  l'auteur,  qu'il  n'avait  connues,  disait  il.  que 
par  le  livre  déjà  imprimé.  Tout  en  affirmant  qu'il  n'avait  pas  vendu  i 
exemplaire  de  ['Emile,  il  lit  part  aux  Etats  que,  pour  rétablir  sa  réputation 
el  pour  réparer  le  mal  qu'il  pourrait  avoir  causé,  il  avait  confié  l'on-, 
un  savant  Théologien  pour  le  revoir,  et  il  demanda  un  privilège  pour  ce  livre, 
dont  le  litre  serait  /-•  véritable  Emile  etc.  L'ouvrage  parut  avec  un  avertis- 
sement ique  'le  Neaulme  et  une  introduction  de  Formey.  Le  titre 
i  i  tbli  Emile,  consa  i"  a  l'utilité  publique,  rédigé  par  .Mr.  Forinej . 
iii'  du  Philosophe  <  hrétien,  duquel  on  a  joint  <\>^  noie.-  critiques  sur  dif- 
férons endroits  qui  en  sont  susceptibles.    Amsterdam,   1763." 


183 

loin  de  mon  compte  sur  l'édition  générale  par  laquelle 
je  comptois  finir  pour  avoir  du  pain.  Au  défaut  de  cette 
ressource,  il  en  faudra  chercher  je  ne  sais  où:  car  pour 
mendier  et  recevoir  l'aumône  de  qui  que  ce  soit,  je 
suis  parfaitement  déterminé  à  mourir  de  faim  plustôt 
que  de  jamais  en  venir  là.  Ce  qui  me  console,  est  que 
ces  Mrs.  n'ont  ni  les  additions  ni  les  pièces  manuscrites 
en  assez  grand  nombre,  qui  pourroient  faire  valoir  mon 
édition. 

Vous  savez  sans  doute  qu'on  a  fourré  sous  mon  nom, 
dans  une  édition  contrefaite  du  Contrat  Social ,  une 
lettre  à  laquelle  je  n'ai  aucune  part  et  que  je  n'ai  même 
jamais  vue.  On  fait  aussi  courir  je  ne  sais  combien 
de  lettres  manuscrites  qu'on  m'attribue,  et  qui  sont  ou 
supposées  ou  falsifiées  par  mes  ennemis  au  point  d'être 
méconnoissables.  Voilà,  mon  cher  Rey,  les  honnêtes 
gens  à  qui  j'ai  affaire.  Cependant  cette  séquelle  Vol- 
tairienne  s'est  tellement  emparée  de  tous  les  journaux . 
de  toutes  les  gazettes,  mercures  et  autres  papiers  pu- 
blics, qu'il  n'y  a  de  place  que  pour  leurs  insultes  et 
calomnies,  et  que  la  voix  de  l'opprimé  ne  sauroit  y 
pénétrer.  Ne  pourriez-vous  point  trouver  quelque  dé- 
bouché pour  faire  entendre  au  moins  une  fois  mes  pro- 
testations et  désaveux  sur   tout  cela  (')? 

Je  suis  malade,  excédé,  triste;  j'aurois  grand  besoin 
d'un  peu  de  tranquillité  et  Ton  ne  m'en  laisse  point. 
Adieu,  mon  cher    Rey,  plaignez-moi  et  aimez-moi. 

J.  J.   Rousseau. 

Mes  salutations  je  vous  prie  à  Madame  Rey  et  à 
Mademoiselle  Dumoulin.    J'embrasse  vos  enfans. 


1    On  pourrra  voir  pai   la  Lettre    V1.   LOS  commonl    Ltej    a  tâché   de  satis- 
faire à  ce  désir,  ol   avec  nue! 


184 

Je  vous  demande  pardon  de  vous  coûter  tant  déports 

de  lettres;  elles  étoient  toutes  nécessaires,  et  je  vais 
maintenant  m'arrêter. 

Antre  petite  correction  que  je  me  rappelle  en  ce 
moment. 

page  50  n'eut  point  enfinpéri  sur  I"  roue.  Otez  enfin. 

Dans  la  date  de  la  lettre  j'ai  mis  18  XljFe  au  lieu 
de  18  Ul"'e.    Je  vous  prie  de  changer  cela. 


104. 

A   Môtiers,  le   29  Janv.    1763. 

Je  vous  demande  pardon,  mon  cher  Rey,  de  mes 
continuelles  importunités ,  mais  je  suis  dans  un  extrême 
souci  sur  l'écrit  que  je  vous  ai  envoyé;  en  y  revenant 
de  sang  froid,  je  le  trouve  peu  digne  de  l'impression; 
les  disgrâces  ont  achevé  de  m'ôter  le  peu  de  génie  qui 
me  restoit;  d'ailleurs,  quoique  je  m'y  sois  beaucoup 
fatigué,  j'ai  fait  cet  ouvrage  trop  à  la  hâte;  et  je  le 
trouve  si  froid,  si  plat,  si  peu  correct,  que  je  crains 
qu'il  ne  lasse  plus  de  tort  que  de  bien  à  ma  réputa- 
tion (').  Si  vous  en  pensez  comme  moi,  et  que  vous  y 
soyez  encore  à  teins,  supprimez-le,  je  vous  prie,  et 
vous  pourrez  me  renvoyer  le  Manuscrit  par  M.  de  Lorme 
ou  me  l'apporter  quand  vous  viendrez,  afin  que  je  voye 
à  loisir  ce  qu'on  en  peut  faire.  Si  l'impression  est  déjà 
commencée,  faites-y  du  moins  insérer  les  corrections 
marquées  ci-derrière,  et  veillez,  je  vous  conjure,  à  ce 
que  ces  corrections  se   lassent    exactement;   il   les   faut 

1    Ceci  s'accorde  avec-  .-,    qu'il  écrit  à  bol  ami  Moidtou  en  date  du 
vrier  1763  e1  ;'i  M.  de  ***   le  6  Mars  1768    Ces  deux  lettrée  se  trouvent  dans 
|i    recueil  des  <  ieu\  rea  Diva  si  - 


185 

absolument,  fallût-il  des  cartons  pour  cela;  car  il  s'agit 
de  supprimer  deux  alinéa  pleins  d'inepties,  et  qui  ne 
peuvent  demeurer.  S'il  arrivoit  que  vous  eussiez  déjà 
envoyé  votre  feuille  imprimée  à  d'autres ,  envoyez-leur 
aussi  la  même  correction,  et  recommandez-la  leur  for- 
tement, de  même  que  la  correction  de  tout  l'ouvrage. 
Car  si  à  mes  platitudes,  l'imprimeur  ajoute  encore  des 
contresens,  je  suis  coulé  à  fond,  cela  est  sûr.  Adieu, 
cher  Rey,  compatissez  à  mes  inquiétudes;  il  est  cer- 
tain que  les  chagrins  m'ont  affoibli  l'esprit.  Je  vous 
embrasse  et  tout  ce   qui  vous  est  cher. 

J.  J.   Rousseau. 

Manuscrit,  page   25. 

NB.  L*alinea  qui  commence  par  ces  mots  ;  Il  y  a 
donc  deux  manières  fyc.  doit  être  augmenté  et  changé 
de  la  manière  suivante,  où  vous  observerez  que  tout 
cet  alinéa  demeure  tel  qu'il  est,  excepté  le  mot  maté- 
rielle qui  est  ôté,  et  à  la  place  duquel  est  substitué  le 
mot  instrumentale.  J'ai  seulement  mis  une  addition  qui 
doit  être  ajoutée  de  suite  à  la  fin  de  ce  même  alinéa , 
comme  ci-aprés  ('). 

[Il  y  a  donc  deux  manières  de  concevoir  l'origine  des 
choses;  savoir,  ou  dans  deux  causes  distinctes,  l'une 
vive  et  l'autre  morte,  l'une  motrice  et  l'autre  mue, 
l'une  active  et  l'autre  passive,  l'une  efficiente  et  l'autre 
instrumentale;  ou  dans  une  cause  unique  qui  tire  d'elle 
seule  tout  ce  qui  est  et  tout  ce  qui  se  fait.  Chacun 
de  ces  deux  sentimens,  débattus  par  les  métaphysiciens 


(-')   Le  passa<r<\  ici   que    l'auteur  L'a  corrigé,  se  trouve  pag.    4.1  de  l'édition 
originale. 


L86 

depuis  tant  de  siècles,  n'en  est  pas  devenu  plus  croya- 
ble à  la  raison  humaine;  et  si  l'existence  éternelle  et 
nécessaire  de  la  matière  a  pour  nous  ses  difficultés, 
sa  création  n'en  a  pas  de  moindres::  puisque  tant  d'hom- 
mes et  de  philosophes ,  qui  dans  tous  les  tems  ont 
médité  sur  ce  sujet,  ont  tous  unanimement  rejeté  la 
possibilité  de  la  création ,  excepté  peut-être  un  très- 
petit  nombre  qui  paroissent  avoir  sincèrement  soumis 
leur  raison  à  l'autorité;  sincérité  que  les  motifs  de  leur 
intérêt,  de  leur  sûreté,  de  leur  repos,  rendent  fort 
suspecte,  et  dont  il  sera  toujours  impossible  de  s'assu- 
rer, tant  que  Ton  risquera  quelque  chose  à  parler  vrai,  j 

NB.  Après  cet  alinéa  ainsi  augmenté,  supprimez 
les  deux  suivans,  et  passez  tout  d'un  coup  à  celui  qui 
commence  pas  ces  mots:  S'il  y  a  donc  un  principe  éternel 
et  unique  des  choses,  dans  lequel  au  lieu  de  s'il  y  a 
(loin-  vous  mettrez  suppose  qui/  y  ait  et  vous  commen- 
cerez ainsi  à  la  suite  de  l'alinéa  que  je  viens  de  tran- 
scrire 

[Supposé  qu'il  y  ait  un  principe  éternel  et  unique  &c.  | 

et  le  reste  comme  dans  le    Manuscrit. 

NB.  11  y  a  dans  cette  même  page  25  une  note  que 
je  crois  composée  de  deux  alinéa,  dont  le  premier 
commence  ainsi  on  à  peu   près. 

Au  reste,  celui  qui  ne  connoit  <jue   deux  substances, 

ne   'peut   <('''. 

11  lanl  retrancher  la  fin  de  cet  alinéa  depuis  ces 
mots  //  ne  s'agit  point  d'entrer  en  discussion  avec  Platon, 
jusqu'à  cenx-ci  inclusivement,  menu  selon  lui  que  dans 
Vesprit  de  Dieu.  De  sorte  que  ce  même  alinéa  qui 
linissoif     par    ces    derniers    mois,   finira    niaiiilenant    par 


187 

ceux-ci:  que  leur  stature.  Le  deuxième  alinéa  tle  cette 
même  note  doit  demeurer  tel  qu'il  est  (1). 

Il  se  pourroit  qu'en  transcrivant  j'eusse  inséré  cette 
note  dans  le  texte,  comme  j'ai  fait  quelquefois.  En  ce 
cas ,  il  faut  faire  dans  le  même  endroit  du  texte  le 
même  retranchement  que  je  viens  d'indiquer  dans  La 
note. 

Je  sais  que  mes  indications  demandent  de  l'atten- 
tion pour  les  suivre,  mais  il  m'est  impossible  de  les 
rendre  plus  claires,  et  je  suis  très-sûr  qu'en  y  faisant 
une  attention  suffisante,  tout  se  trouvera  placé  comme 
il  faut. 

Si  vous  avez  quelque  chose  à  m'envoyer,  vous  ferez 
bien  de  vous  servir  du  retour  de  M.  de  Lorme;  c'est 
un  honnête  homme,  que  je  crois  très-sûr. 


105. 

A  Môtiers,  le  5  Février  17(33. 

J'ai  lu  avec  surprise,  mon  cher  Rey,  l'article  que  vous 
avez  mis  sous  mon  nom  dans  la  gazette.  Cet  article  est, 
surtout  relativement  à  Duchesne  ,  d'une  violence  et  d'une 
indécence  qui  n'a  rien  d'égal;  vous  m'y  faites  compro- 
mettre le  magistrat  même,  d'une  manière  qui  ne  peut 
que  m'attirer  sa  haine  et  m'ôter  tous  les  amis  qui 
m'étoient  restés  en  France  (2).    Je  ne  m'imaginois  pas 

(i)  Vok-i  La  note  telle  qu'elle  se  trouve  p.  -44  de  l'éd.  mïg.  "Celui  qui  ne 
connoit  que  deux  substances,  ne  peut  non  plus  imaginer  que  deux  prin- 
cipes, et  le  terme,  or  plusibubs  ,  ajoute  dans  l'endroit  cité,  n'est  là 
qu'une  espèce  d'explétif,  serrant  tout-au-plus  à  faire  entendre  que  l, 
nombre  de  ces  principes  n'importe  pas  plus  à  connaître  que  leur  nature.' 

(2)  Rousseau  lui-même,  dans  sa  lettre  du  8  Janvier  (N°.  103),  avail  engagé 
Rey  à  publier  dans  quelque  Journal  ses  désaveux  sur  les  contrefaçons  et  les 
r.il,-ilirutiun>  .le   se-  tVriu.    11   fiilliiit   <lonc.  pour  pouvoir  juger  de  la  valeur 


188 

que  vous  feriez  passer  les  termes  d'une  lettre  qui  ne 
s'adresspit  qu'à  vous,  dans  un  avis  au  public;  j'en 
voulois  bien  un,  mais  conceu  d'une  autre  manière:  vous 
m'avez  porté  le  dernier  coup  par  ce  peu  de  lignes  ;  vous 
m'avez  fait  plus  de  mal  que  ne  m'en  ont  fait  le  Par- 
lement, l'Archevesque  et  la  Sorbonne.  car  ils  ne  m'ont 
ôté  aucun  ami  et  vous  mêles  ôtez  tous.  D'ailleurs  pour- 
quoi dire,  et  qui  pis  est  me  faire  dire  à  moi-même 
contre  toute  vérité,  que  vous  êtes  le  seul  qui  puissiez 
donner  l'édition  générale  de  mes  Ecrits?  De  sorte  que. 
lorsque  je  voudrai  procéder  à  cette  Edition,  dernière 
ressource  qui  me  reste  pour  vivre,  si  m  mis  ne  pouvons 
convenir  vous  et  moi  et  si  je  ne  puis  rompre  l'espèce 
d'engagement  que  j'ai  pris  avec  un  autre,  le  public, 
qui  ne  sait  pas  nos  conventions,  trompé  par  ce  faux 
avis,  me  regardera  comme  un  fripon,  qui  viole  ses 
traités  avec  vous,  tandis  qu'au  contraire  vous  n'avez 
d'autre  titre  sur  la  collection  de  mes   Ecrits  que  celui 


reproches,  connaître  l'article  qui  occasionna  son  emportement.  Après 
bien  des  recherches,  faites  sur  l'indication  <le  M.  Ambroise  on  a  trouvé  l'avis 
Minant  dans  la  Gazettte  d'Amsterdam  du  Mardi  25Janvier  L763.  "Le  public 
est  averti  que  sans  l'aveu  ni  la  participation  <l<  M.  Rousseau,  citoyen 
de  Genève,  on  fait  actuellement  mutiler  son  Emile,  dans  la  vue  appa- 
remment i/e  le  publier,  ainsi  tronqué  et  défiguré,  sous  le  titre  de  Nou- 
veau traité  d'éducation,  annoncé  il  y  a  quelque  temps  et  qu'il  désavoue 
d'avance.  Il  est  ob/'ajé  de  protester  aussi  contre  l'entreprise  formée  par 
un  libraire  de  Paris  d'y  donner  tout  ouvertement  une  édition  générale 
di'  ses  écrits  en  12  vol.  8°.;  entreprise  qu'il  ne  peut  cependant  remplir. 
puisqu'il  n'a  ni  lis  additions  ni  lis  pièces  manuscrites  en  grand  nombre 
qui  devroient  entrer  duos  une  édition  générale  :  entreprise  d'ailleurs 
qui  violeroit  à  divers  égards  lis  loix  du  pays.  M.  M.  Ile;/,  libraire  à 
Amsterdam,  est  le  seul  qui  puisse  donner  cette  édition  générale.  De 
plus  on  avertit  que  dans  une  édition  ciott refaite  du  Contrat  Social  il  a 
été  inséré  une  lettre  éi  laquelle  M'',  liousseiiu  n'a  aucune  part  et  qu'il 
n'a  même  jamais  rue.  Enfin  l'on  fait  courir  sans  son  mua  une  infinité 
ili  lettres  manuscrit! s  supposées  ou  falsifiées  par  ses  ennemis  ou  point 
d'être  méconnaissables." —  On  voil  que  Rej  s'est  servi  des  propres  termes 
que  Rousseau  avait  employés  dans  sa  leur.. 


1 89 


qu'il   vous    a   plu  d'usurper   par    un  privilège   obtenu 
sans  mon  aveu  et  auquel   vous  n'aviez  aucun  droit.  Je 
vous  avoue  que  dans  les  disgrâces  qui  m'accablent,  je 
ne  m'attendois  pas   à  celles  qui  me  viennent  de  vous.  ^ 
Non  content  de  cela,    vous   vous  plaisez   pour  ainsi 
dire  à   m'accabler  d'une   autre  manière,  en  imprimant 
et  publiant   tout  ce  qui  s'écrit  contre   moi   de  plus  in- 
jurieux; je  ne  parle  pas  seulement  de  l'extrait  du  Jour- 
nal  de    Trévoux,   dont  je   regarde   l'auteur  comme  un 
chien  enragé  qui  très-heureusement  ne  peut  mordre  que 
mes  habits;  mais  dans  le  recueil  de  mes  propres  écrits 
vous  fourrez  les  pièces  de  mes  adversaires  pour  les  taire 
lire   au   public  malgré  lui.    Je  suis  persuadé   que^c'est 
l'indignation  que  cause  ce  mélange  à  ceux  qui  s'inté- 
ressent à  moi,  qui  leur  a  fait  imaginer  une  édition  de 
mes  œuvres  où  l'on  ne  vît  que  mes  œuvres  et  où  mon 
nom  ne  servît  point  d'arme  à  mes  ennemis  contre  moi- 
même.     Mais   quelle  fantaisie   d'aller  mettre  le    décret 
du    Parlement   dans  une  réponse  à  l'Archevesque  où  il 
n'est  point  question  du  Décret  du  Parlement:  Le  man- 
dement même  de  l'Archevesque  ne  sera  pas  mieux  place 
avec  ma  lettre   puisque,  mes  citations   étant   tirées  de 
l'édition  in-4o,   il  n'y  en  aura  pas   une  qui   cadre    avec 
votre  édition  in  12,  laquelle  ne  servira  par  conséquent 
qu<à    faire  croire   que  j'ai  toujours   cité  faux,   quoique 
j'aye   toujours    cité  juste.     Je  comprends   bien  que  ce 
n'est  pas  pour  me  nuire,  mais  seulement  pour  augmen- 
ter vos  profits  «pie  vous  me  traitez   si  mal;  aussi  11  ai- 
je  rien  à  vous  dire  que   ce  que   le   public   dira   comme 
m0i5  savoir  que  c'est  gagner  de  l'argent  d'une  manière 

bien  peu  honnête. 

Je  vous  ai  envoyé  dans  ma  dernière  un  changement 
qui  1Ue  tient  au  cœur  et  auquel  vous  ferez,  j'espère, 
toute  l'attention  requise.   Je  persiste  à   trouver  cet  écrit 


190 

foible  et  mauvais.  Quand  on  parle  de  soi  il  n'est  pas 
permis  d<-  s'animer  et  de  s'emporter  comme  quand  on 
défend  en  général  la  cause  des  mœurs  et  de  la  justice. 
Cela  fait  aussi  qu'on  est  froid  en  voulant  être  modéré. 
Mais  comme  il  n'est  pas  possible  que  FArchevesque 
s'offense  d'une  défense  aussi  honnête  et  aussi  mesurée, 
je  suis  très-persuadé  que  cet  ouvrage  ne  peut  compro- 
mettre ni  vous  ni  moi,  et  surtout  dans  le  moment 
présent  où  FArchevesque  est  bien  éloigné  d'avoir  le 
crédit  que  vous  vous  imaginez.  Cependant  je  ne  crois 
point  que  Bruiset  accepte  vos  feuilles;  car  je  lui  ai 
proposé  il  y  a  quelques  semaines  ma  réponse  à  la  Sor- 
bonne,  (sans  lui  dire  pourtant  précisément  ce  que  c'étoit) 
parce  que  les  fréquentes  citations  et  l'exactitude  qu'elles 
demandent  ne  permettent  pas  que  cet  écrit  s'imprime 
autrement  que  sous  mes  yeux;  mais  sur  ce  que  je  lui 
ai  marqué  seulement  que  c'étoit  une  défense  d'Emile, 
il    n'a  pas  osé  s'en  charger. 

Vous  pouvez  m'envoyer  les  feuilles  par  la  poste  si 
le  retour  de  M.  de  Lorme  est  trop  éloigné  pour  qu'il 
puisse  s'en  charger:  mais  ne  m'envoyez  plus  votre  Jour- 
nal de  Trévoux.  Qu'ai-je  à  faire  d'un  écrit  sans  esprit 
et  sans  raison,  où  je  ne  vois  que  des  brutalités  et  des 
injures.  Adieu,  mon  cher,  j'ai  le  cœur  navré,  j'ai  le 
corps  accablé  de  maux,  je  ne  connois  plus  dans  la  vie 
que  peine  et  souffrance,  et  vous  augmentez  encore  tout 
cela.  Mais  n'importe,  un  acte  honnête  efface  tout  dans 
un  cœur  tel  que  le  mien,  de  ne  cesserai  point  de  vous 
aimer,  et  j'embrasse  de  tout  mon  cœur,  vous  et  toute 
\otre  famille. 

J.  J.  Rousseau. 

M"';     Le  Vasseur  vous  assure  de  ses  respects. 


19] 

100. 

A  Môtiers,  le  19  Févr.    17G2  (63). 

Je  reçois  en  cet  instant,  mon  cher  Rey,  avec  votre 
lettre  du  8  vos  deux  feuilles  A.  B.  dans  lesquelles  je 
n'ai  pas  remarqué  jusqu'ici  de  faute  considérable  et 
cela  m'a  fait  grand  plaisir.  Dans  l'intervalle  que  cette 
lettre  m'est  venue,  vous  en  avez  dû  recevoir  deux  des 
miennes,  l'une  desquelles  contenoit  un  changement  con- 
sidérable que  vous  n'aurez  plus  été  à  teins  de  faire, 
puisqu'il  commençoit  à  la  fin  de  A.  et  qu'elle  étoit 
tirée  avant  que  vous  eussiez  receu  ma  lettre.  Laissez 
donc  la  chose  comme  elle  est  plustôt  que  de  vous  expo- 
ser à  quelque  bévue  et  de  faire  des  cartons  qui  ne 
s'ajusteroient  pas.  Peut-être  n'aurez-vous  pas  receu  ces 
deux  lettres,  peut-être  même  ne  recevrez-vous  pas 
celle-ci;  car  le  Commis  de  la  Poste  gagné  par  quel- 
qu'un du  pays,  ouvre  toutes  mes  lettres  et  supprime 
ou  retarde  celles  qu'il  lui  plait.  Depuis  que  j'ai  décou- 
vert cette  fraude ,  je  travaille  à  y  mettre  ordre  et  j'es- 
père qu'avec  le  tems  l'affaire  s'éclaircira  et  les  lettres 
supprimées  se  retrouveront;  en  attendant  il  faut  le 
laisser  faire;  mais  peut-être  perdrai-je  encore  bien  des 
lettres  avant  que  mon  tour  vienne.  Il  ne  supprime  pas 
celles  que  je  reçois  pour  n'en  pas  perdre  le  port;  ainsi 
vous  pouvez  continuer  à  m'écrire  directement. 

Sitôt  que  votre  brochure  sera  achevée  et  que  vos 
envois  seront  expédiés,  ayez  la  bonté  d'en  envoyer  par 
la  poste  deux  exemplaires  à  31.  le  M81,  de  Luxembourg, 
et  deux  à  M.  de  Malesherbes ,  en  leur  marquant  que 
c'est  de  ma  part  ;  dans  votre  envoi  pour  Genève ,  mettez- 
en  douze  à  l'adresse  de  M.  Moultou,  et  dans  votre 
envoi     pour     Neufchâtel,    vingt-quatre    à    la    mienne. 


192 

mais  de  grâce  qu'ils  soient  tous  brochés,  et  point  de 
l'arrêt  du  Parlement  ni  du  mandement  de  l'Archevesque, 
dans  tout  cola  (1).  Si  vous  aviez  quelque  moyen  de 
m'en  faire  passer  par  quelque  voye  plus  courte,  vous 
me  feriez  grand  plaisir,  mais  je  n'oserois  l'espérer. 

J'ai  envoyé  à  M.  Fauche  à  NeufcMtel  les  trois 
Emiles  que  vous  m'aviez  envoyés  et  6  Contrat  Social 
qu'il  débitera  pour  votre  compte.  Vous  n'avez  rien  à 
me  payer  pour  la  nouvelle  édition  de  la  Julie,  mais 
si  vous  pouvez  m'en  envoyer  quelques  exemplaires, 
vous  me  ferez  plaisir. 

Je  suis  très-fâché  du  soin  que  vous  prenez  de  faire 
courir  partout  un  avis  aussi  mal  conçu  que  celui  que 
vous  avez  mis  dans  la  gazette  d'Amsterdam.  Il  m'a 
ôté,  comme  je  l'avois  prévu,  tous  les  amis  que  j'avois 
en  France  jusqu'au  dernier.  Il  ne  m'y  en  reste  plus  : 
et  voilà  l'ouvrage  de  cet  indécent   et  fougueux  avis. 

Je  suis  charmé  que  tout  aille  bien  dans  votre  famille: 
pour  moi  le  temps  plus  doux  ne  m'amène  aucun  soula- 
gement, et  je  suis  destiné  à  souffrir,  le  reste  de  ma 
vie,  tous  les  maux  du  corps  et  de  L'ame  qu'un  malheu- 
reux peut  supporter.    Je  vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 

107. 

À  Môtiers,  le  28   Févr.   1763. 
Vendredi  dernier,  mon  cher   Rey ,  j'espérois  recevoir 
vos  ilvux  dernières  feuilles;  rien  ne  vint  :  j'espérois  les 


(i)  Rey  avail  inséré  après  le  titre  dans  les  exemplaires  destinés  à  être 
vendus  l'arresi  delà  cour  de  parlement  qui  condamne  l'Emile,  el  le  Man- 
dement df  V Archevêque  portanl  condamnation  de  l'Emile.  Rousseau  B'en 
est  plaint  dans  la  lettre  précédente;  il  désire  donc  que  ces  pièces  ne  soient 
pas  dans  les  exemplaires  dont  il   parle. 


1 93 

recevoir  du  moins  aujourd'hui;  rien  n'est  venu.  De 
sorte  que  ne  recevant  plus  aucune  nouvelle  de  vous 
et  ne  pouvant  savoir  ce  qui  vous  arrête,  je  suis  en 
suspens  et  ne  sais  plus  que  répondre  à  ceux  qui  de 
toutes  parts  me  parlent  de  cet  ouvrage. 

Je  vous  ai  marqué  précédemment  à  qui  je  souhaitois 
que  vous  envoyassiez  en  mon  nom  des  exemplaires  ; 
mais  j'ai  oublié  mon  cousin  Jean  Rousseau  à  Londres 
au  café  de  Sams,  proche  kt  bourse.  !Ne  sachant  aussi 
comment  lui  faire  passer  l'incluse,  je  prends  le  parti 
de  vous  l'adresser,  vous  priant  de  lui  donner  cours. 
Si  vous  avez  quelque  voye  pour  Edimbourg,  faites -en 
aussi  passer  un  de  ma  part  à  M.  David  Hume.  Je 
vous  en  ai  demandé  pour  moi  24  exemplaires  ;  mais 
tout  calculé  il  est  impossible  qu'ils  me  suffisent  ;  ainsi 
je  vous  prie  d'en  ajouter  encore  douze  si  vous  êtes 
à  tems,  et  si  vous  n'y  êtes  pas,  de  m'assigner  du 
moins  quelque  Libraire,  Fauche  ou  autre,  qui  puisse 
me  fournir  ceux  qui  me  manqueront. 

Je  serai  charmé  de  vous  embrasser  ici  cet  été.  Je 
voudrais  que  vous  pussiez  entrer  pour  quelque  chose 
dans  l'arrangement  de  mon  édition  générale,  à  laquelle 
il  est  bientôt  tems  de  songer  pour  ne  m'occuper  plus 
qu'à  la  grande  affaire  de  ma  vie,  s'il  m'en  reste  assez 
pour  l'exécuter.  Ne  m'oubliez  point  auprès  de  mes 
chères  commères,  baisez  pour  moi  ma  filleule.  Bon- 
jour, mon  cher  Rey. 


108. 

Môtiers,  28  Mars  17G3. 

J'ai  receu  mon  cher  Rey,  les  envois  que  vous  m'avez 
laits  par  M.    Rilliet,  et  qu'il    m'a  envoyés  tic   Pontar- 

13 


L94 

lier  n'ayant  pas  le  tems  de  passer  ici.  J'ai  voulu  me 
concerter  avec  M.  Fauche  pour  la  distribution  de  mes 
exemplaires,  afin  de  ne  la  pas  faire  assez  longtems 
avant  la  sienne  pour  que  quelqu'un  pût  tenter  une 
contrefaction;  il  n'a  pas  daigné  m'honorer  d'une  réponse; 
ainsi  ne  sachant  quand  son  envoi  arrivera,  j'ai  distribué 
le  mien  à  mes  amis  et  connoissances.  11  y  a  contre 
moi  une  mauvaise  volonté  dans  Neufchâtel  et  dans 
Berne,  qui  se  manifeste  tous  les  mois  dans  leur  sot 
Mercure;  je  suis  sûr  qu'ils  défendront  mon  ouvrage; 
j'en  ai  prévenu  le  dit  Fauche;  c'est  apparemment  pour 
cela  qu'il  ne  m'a  pas  répondu. 

Mrs.  de  Malesherbes  et  de  Luxembourg  ne  m'ont  poinl 
accusé  la  réception  de  leurs  exemplaires  (1):  c'est  une 
suite  du  mauvais  effet  de  l'avis  dans  la  gazette.  Qu'y 
faire?  Il  n'y  a  plus  de  remède.  Cela  fait  que  j'ignore 
absolument  si  l'ouvrage  paroit,  ou  quand  il  paroitra, 
ce  qu'on  en  dit,  ce  qu'on  en  pense,  et  cependant  cela 
m'intéresse  extrêmement,  comme  vous  pouvez  compren- 
dre. Pourquoi  donc  ne  me  tenez-vous  averti  de  rien? 
Que  puis-je  savoir  dans  ces  montagnes?  Les  bruits  lit- 
téraires ne  pénètrent  pas  jusqu'ici.  De  grâce,  dites- 
moi  tout;  l'inquiétude  me  tue.  Vous  savez  que  j'ai 
voulu  supprimer  l'ouvrage.  Que  n'avons-nous  été  A 
tems  ! 

Duchesne  va  son  train.  Il  a  fait  comme  vous,  il 
ne  s'est  pas  embarrassé  de  mon  consentement  pour 
entreprendre;  mais  sachant  que  je  me  plaignois  beau- 
coup, il  m'a  écrit  et  fait  écrire.  J'ai  appris  que  c'étoit 
l'Abbé  <!c  la  Porte  qui  se  chargeoH  de  l'édition,  et  cela 
n'a  pas  laissé  de  me  faire  plaisir.     Mettez-vous  à  ma 


(')    S'il  faut   eu  croire  Coindet,  dans   une  lettre  inédite  àRey  du  1   Avril. 
l'exemplaire  envoyé  à  M.  de  Malesherbes  avait  été  arrêté  à  la  Poste. 


195 

place.  Je  vois  courir  partout  des  Editions  de  mes 
écrits  défigurées  et  pleines  de  fautes,  à  commencer  par 
la  vôtre.  Ne  dois-je  pas  être  bien  aise  que,  puisque 
tout  le  monde  m'imprime  sans  mon  aveu,  je  sois  im- 
primé du  moins  d'une  manière  plus  correcte  et  qu'un 
homme  de  lettres  ait  soin  de  l'édition.  Aussi  puisque 
je  ne  puis  empêcher  tant  d'éditions  avant  la  mienne,  je 
vous  déclare  que  je  suis  plus  content  de  celle-là  que 
d'une  autre,  et  je  ne  puis  même,  si  elle  est  aussi  bien 
faite  qu'ils  le  disent,  m'empêcher  de  le  témoigner.  Il  n'en 
faut  pas  moins  d'ailleurs  pour  ramener  des  gens  aigris 
dont  j'ai  besoin.  Duchesne  m'offre,  quand  son  édition 
paroitra,  un  présent  de  cinquante  Louis.  Quant  à  cet 
article ,  je  vous  en  remets  l'absolue  décision.  Voulez- 
vous  que  j'accepte  ou  que  je  refuse ,  et  si  j'accepte 
voulez-vous  partager  avec  moi?  Je  ne  ferai  là-dessus 
que  ce  que  vous  jugerez  convenable  ;  c'est  à  vous  seul 
à  prononcer.  Soyez  bien  sûr  que  votre  avis  sera  suivi. 
Je  me  flatte  de  vous  voir  cet  été  ;  puissé-je  être  assez 
bien  pour  me  livrer  tout  entier  au  plaisir  de  vous  re- 
cevoir. Je  suis  maintenant  dans  un  triste  état,  et 
n'espère  guères  qu'il  devienne  meilleur.  A  tout  événe- 
ment marquez-moi  le  tems  précis  de  votre  voyage  et 
de  votre  séjour.  Car  si  je  me  rétablis  un  peu,  j'ai  un 
voyage  à  faire  en  Suisse  et  je  le  réglerai  sur  le  vôtre. 
J'embrasse  tout  ce  qui  vous  appartient ,  et  vous  nussi. 


L3 


VI. 

LETTRES 

AYANT    RAPPORT    AUX    INTÉRÊTS    PARTICULIERS 
DE    L'AUTEUR    ET   DE    REY, 

E  T     A      U  N  E      É  D  I  T  1  0 N     GÉNÉRALE 

DES 

ECRITS    DE   ROUSSEAU. 


Les  cinq  lettres  qui  suivent  sont  écrites  pen- 
dant son  séjour  à  Motiers  où  Rousseau  voyant 
journellement  diminuer  le  petit  capital  qu'il 
avait  acquis,  songeait  à  s'assurer  des  moyens 
de  subsistance  pour  y  finir  ses  jours.  Rey  était 
venu  l'y  voir  pendant  l'été,  et  la  correspondance, 
interrompue  pendant  six  mois,  recommence  après 
cette  visite. 


197 
100. 

A  Môtiers,  le  pr.  8br?  1763. 

Votre  lettre,  mon  cher  Rey,  du  25  Aoust,  étant 
retournée  d'ici  à  Francfort  avant  de  me  parvenir ,  ne 
m'a  été  rendue  que  fort  tard,  ce  qui  rend  aussi  le  re- 
tard de  ma  réponse  plus  excusable.  J'y  vois  avec  grand 
plaisir  que  vous  êtes  arrivé  en  bonne  santé  et  que  tout 
le  monde  se  porte  bien  chez  vous  ;  car  quant  aux 
maux  que  l'éruption  des  dents  cause  à  la  petite,  je 
les  regarde  comme  si  passagers  que  j'espère  qu'elle  en 
est  délivrée  à  l'heure  que  j'écris.  Vous  avez  trouvé 
beaucoup  d'affaires ,  tant  mieux  ;  beaucoup  de  travail 
doit  faire  beaucoup  de  profit.  J'avois  craint  que  les 
faillites  dont  parloient  les  gazettes  ne  vous  nuisissent; 
mais  si  ce  n'est  que  par  contre-coup ,  le  mal  n'est  pas 
grand  et  selon  toute  apparence  les  choses  ne  tarderont 
pas  à  reprendre  leur  cours. 

Le  projet  du  S1'.  Néaulme  seroit  d'un  coquin  s'il 
n'étoit  d'un  sot,  mais  la  bêtise  de  ce  projet  en  excuse 
la  méchanceté.  C'est  certainement  depuis  que  le  monde 
existe  la  première  fois  qu'on  s'est  emparé  publiquement 
d'un  livre  du  vivant  de  l'auteur  pour  en  ôter  son  nom 
et  y  eu  mettre  un  autre.  Heureusement  il  n'est  pas 
à  craindre  que  le  cafardage  du  S1'.  Formey  attire  beau- 
coup de  souscripteurs,  et  je  parierois  bien  qu'il  n'en 
aura  pas  un  seul  en  France.  Au  cas  que  cette  entre- 
prise s'exécute ,  ce  que  je  ne  saurois  m'iinaginer,  faites 
en  sorte  de  m'en  faire  parvenir  le  plustot  que  vous 
pourrez  un  exemplaire,  de  serai  curieux  de  me  voir 
paré  des  nobles  et  saintes  pensées  du  S1'.  Formej  : 
cela    me  réjouira. 

Ce  que  ce  misérable  ose  débiter  effrontément  sur  la 


198 

vente  de  mes  ouvrages  achèveroit  de  me  dégoûter  du 
métier  d'auteur  quand  je  n'y  aurois  pas  renoncé  pour 
d'autres  raisons.  Il  dit  que  la  copie  de  l'Emile  a  été 
vendue  au  poids  de  l'or,  cela  peut  être  vrai  à  la  lettre, 
mais  il  fait  entendre  par  là  qu'on  a  extorqué  de  cette 
copie  un  plus  grand  prix  qu'elle  ne  valoit  ;  comme  si 
les  auteurs  les  plus  médiocres  ne  vendoient  pas  tout 
couramment  leurs  manuscrits  à  Paris  sur  le  pied  de 
quinze  cents  livres  le  volume ,  qui  est  tout  ce  (pie  j'ai 
receu  du  mien.  Comme  si,  même  avant  la  conclusion 
de  mon  traité,  je  n'avois  pas  pu  tirer  neuf  mille  francs 
du  même  ouvrage,  offerts  par  un  autre  libraire  par  le 
canal  du  Curé  de  Groslay.  Il  dit  que  vous  m'avez 
très-Lien  payé,  cela  est  vrai  dans  le  sens  que  vous 
m'avez  payé  très-exactement  et  tout  ce  que  je  vous  ai 
demandé;  mais  cela  fait  entendre  que  vous  m'avez 
payé  très-chèrement,  et  cela  n'est  pas  vrai,  puisque 
vous  n'avez  imprimé  aucun  de  mes  ouvrages,  notam- 
ment la  Nouvelle  Héloïse,  dont  je  n'eusse  pu  très-aisé- 
ment avoir  le  double  de  ce  que  vous  m'en  avez  donné. 
Mais  puisque  ma  modération  ne  m'est  d'aucun  honneur 
dans  le  public,  je  ne  serai  désormais  que  juste,  et  Les 
manuscrits  qui  me  restent  me  seront  pavés  ce  qu'ils 
valent,  ou  ne  verront  jamais  le  jour. 

Je  trouve  aussi  fort  obligeant  le  soin  que  prend  Le 
dit  Xéaulme  de  mettre  mon  livre  en  étal  de  n'avoir 
que  des  admirateurs;  il  ne  faut  pour  cela  que  l'illus- 
trer de  la  touche  de  M.  Formey.  Ce  grand  auteur 
daignera  faire  rejaillir  sur  mon  ouvrage  un  peu  de 
L'admiration   qu'on  a  pour  les  siens  ! 

J'ai  receu  depuis  quelque  tems  Le  manuscrit  i\u 
Baillif  d'Echallens  :  je  vous  ai  prévenu  qu'il  m'étoil  im- 
possible de  Le  Lire  si  vite;  marquez-moi  quand  vous 
voulez  que  je   vous   L'envoyé.      Il  y   a   beaucoup  d'éru- 


199 

dit  ion  dans    ce   livre,   mais  il    me  paroit  furieusement 
long  et  lourd. 

Ni  mon  état  ni  les  importuns  ne  me  permettent 
maintenant  aucun  travail.  Je  verrai  s'il  m'est  possible 
de  mettre  quelque  chose  en  état  pour  ce  printems ,  au 
cas  que  j'aille  en  Ecosse.  Le  découragement  me  rend 
plus  indolent  de  jour  en  jour.  Je  ne  suis  encore  dé- 
cidé sur  rien;  sitôt  que  je  le  serai  je  vous  le  manderai. 
Mille  amitiés  et  respects  à  mes  bonnes  et  aimables 
commères,  j'espère  toujours  leur  rendre  quelque  jouî- 
mes devoirs  en  personne,  et  peut-être  ce  printems. 
Adieu,  mon  cher  Compère;  je  suis  forcé  de  finir  ici 
ayant  comme  un  étourdi  commencé  ma  lettre  sur  une 
demi-feuille  et  n'ayant  pas  le  courage  de  la  recopier. 
M"?  Le  Vasseur  a  fait  votre  commission  près  de  Mad. 
De  Lorme  et  vous  salue  de  tout  son  cœur. 


110. 

A  Môtiers,  le  28  I0b\e  1763. 

J'ai  lu  en  grande  partie,  mon  cher  Rey,  le  gros 
livre  que  vous  m'avez  fait  adresser;  j'y  ai  trouvé  une 
érudition  prodigieuse  et  plusieurs  points  de  critique 
bien  et  savamment  discutés;  mais  l'ouvrage  est  écrit 
d'un  très-mauvais  ton  et  d'une  diffusion  à  faire  perdre 
patience  à  l'Allemand  le  plus  flegmatique.  L'auteur 
veut  être  léger,  et  souvent  il  n'est  que  bouffon;  quand 
il  veut  plaisanter,  il  injurie,  et  le  désir  d'égayer  son 
sujet  le  rend  souvent  ennuyeux  de  peur  d'ennuyer. 
D'ailleurs  l'échaffaudage  offusque  l'édifice  ;  il  s'épuise 
à  préparer  sa  matière,  et  comme  il  aime  mieux  dé- 
molir que  bâtir,  il  employé  un  volume  et  deux  tiers  à 
renverser  les    systèmes   des  autres   avant  d'avoir  dit    un 


200 

seul  mot  du  sien.  Son  ouvrage  semble  composé  de 
plusieurs  dissertations  isolées,  qu'il  a  liées  tant  bien 
que  mal,  et  qu'il  a  mises  après  coup  sous  un  ritiv 
commun  en  y  ajoutant  une  queue  postiche.  La  mul- 
titude de  choses  curieuses  que  ce  livre  renferme  doit 
le  faire  aimer  des  savants  et  de  ceux  qui  aspirent  à 
l'être;  mais  je  doute  qu'il  puisse  être  goûté  du  public. 
Vous  m'avez  demandé  mon  avis:  le  voilà.  Si  l'auteur, 
pour  lequel  au  reste  j'ai  conçu  beaucoup  de  considé- 
ration, le  sait,  il  me  prendra  en  haine,  j'en  suis  bien 
sûr;  et  cependant  si  cet  auteur  étoit  mon  meilleur  ami. 
je  ne   lui   parlerais  pas  autrement. 

Je  renverrai  l'ouvrage  comme  vous  me  le  marquez  : 
c'est-à-dire  que  je  le  remettrai  dans  sa  petite  caisse  à 
celui  qui  me  l'a  remise,  mais  sans  être  emballé  comme 
il  étoit;  car  c'est  un  soin  que  je  serois  bien  embarrassé 
de  prendre:  il  arrivera  de  là  que  ceux  qui  remballe- 
ront pourront  voir  ce  que  c'est.  Comme  il  pourroit  y 
avoir  à  cela  quelque  inconvénient  ,  j'attendrai  pour  pren- 
dre ce  parti  que  vous  ayez  eu  le  tems,  si  vous  ne  l'ap- 
prouvez pas,  de  me  marquer  ce  que  je   dois  faire. 

J'apprends  avec  grand  plaisir  que  toute  votre  famille 
se  porte  bien;  voilà  ressentie!.  Quant  aux  chagrins 
que  vous  donnoient  vos  affaires  au  moment  que  vous 
écriviez,  j'espère  que  ce  sonl  des  peines  passagères. 
finies  au  moment  que  je  vous  réponds.  Au  pis  aller, 
la  santé  est  toujours  la  grande  affaire,  elle  donne  le 
moyen  de  surmonter  enfin  le  chagrin.  Je  suis  charmé 
de  ce  que  vous  me  marquez  de  la  petite  ;  mais  je  n'ap- 
prouve pas  que  vous  n'osiez  la  faire  marcher  de  peur 
de  lui  Paire  mal.  Laissez-la  marcher  si  elle  en  a  la 
force  el  l'envie,  mémo  au  risque  de  la  voir  tomber 
quelquefois;  c'esl  de  l'en  empêcher  qui  peut  lui  faire 
du   mal. 


201 

Je  vous  prie  de  faire  de  ma  part  une  visite  de  re- 
merciement à  M.  le  Comte  de  Binting  et  de  lui  dire 
que  l'approbation  des  hommes  qui  pensent  comme  lui 
me  console  de  bien  des  disgrâces.  Je  ne  pense  pas 
qu'il  eût  eu  besoin  de  mes  avis  pour  bien  élever  sa 
famille ,  il  est  de  ceux  qui  savent  trouver  la  règle  en 
eux-mêmes  (1).  Mais  malheureusement  les  gens  à  qui 
mon  livre  seroit  le  plus  nécessaire ,  sont  précisément 
ceux  qui  le  goûtent  le  moins. 

Je  voudrais  avoir  tout  ce  qu'il  y  a  de  traduit  de 
l'histoire  universelle  moderne,  et  le  4e  Tome  in-4°  de 
l'Histoire  naturelle;  faites-moi  le  plaisir  de  joindre  cet 


(!)  Dans  la  haute  société  des  Pays-Bas  plusieurs  esprits  étaient  disposé*  à 
prêter  l'oreille  aux  idées  nouvelles  de  Rousseau  et  de  son  temps.  De  ce  nom- 
bre étaient  William  Comte  Bentinck,  Seigneur  de  Iîhoou  et  Pendrecht,  et  son 
frère  Charles.  Nos  philologues  connaissent  le  brillant  éloge  dont  Ruhnkeniua 
a  honoré  ces  deux  frères  dans  son  Eloijutm  Hemsterhusii :  "Non  habet 
patria  proceres  illustriores ,  prudentiores  et  bonis  artïbus  ad  omnem 
humanitatem  magis  excultos,  quant  f retires  Guilielmum  et  Carolum  Ben- 
tïiiclùijs.''  Ils  étaient  fils  de  Hans  William  Bentinck,  qui  suivit  Guillaume  III 
en  Angleterre,  et  qui,  devenu  Comte  de  Portland,  fut  le  chef  de  la  maison 
Comtale  de  Bentinck.  Issus  du  second  mariage  que  celui-ci  avait  contracté 
avec  la  lille  de  William  Temple,  ils  étaient  frères  consanguins  du  Bentinck 
qui,  en  1710,  est  devenu  Duc  de  Portland.  L'ainé  des  deux  frères,  le  Comte 
William,  qui,  en  173'?,  épousa  la  fille  unique  et  héritière  du  dernier  Comte 
d' Aldenbourg ,  a  contribué  puissamment  à  l'élévation  de  la  maison  d' Orange 
en  1743  et  se  distingua  comme  homme  d'état  et  diplomate.  C'est  lui  dont 
parle  Rousseau  dans  cette  lettre.  Curateur  de  l'Université  de  Lcide,  il  voyait 
souvent,  outre  le  célèbre  helléniste  Tibère  Hemsterhuis  et  son  i\\<  François, 
un  Professeur  nommé  Allemand,  et  tous  deux  ainsi  que  le  Greffier  Pagel  favo- 
i  la  publication  des  oeuvres  de  Bonnet,  que  Rey  imprimait.  Lorsqu'en 
L773,  Diderot,  se  rendant  en  Russie  pour  voir  l'impératrice  Catherine  11, 
passa  parla  Hollande,  afin  de  négocier  avec  Rey  L'impression  de  ta  collection 
ouvrages,  il  logea  à  la  Haye  chez  le  Prince  Gallitzin  .  et  le  Comte  Wil- 
liam le  reçut  à  sa  table,  à  sa  maison  de  campagne  Sorgvliet,  sur  la  chaussée 
eveningue.  C'était  autrefois  le  modeste  séjour  du  poëteCats,  que  Guil- 
laume Ml  ;i\;iit  acheté  pour  en  faire  présent  au  Comte  de  Portland.  La  lettre 
\".  L3U  prouve  que  Hou.— eau  reçut  aussi  des  marques  de  faveur  du  Comte 
Charles.  Parmi  ceux  qui  accueillirent  avec  empressement  les  écrits,  dan.-  le 
goûl  lu  temps,  était  aussi  le  61s  du  Comte  William  ,  Seigneur  d-  Varel. 


202 

envoi  au  premier  que  vous  ferez  en  ce  pays  ;  vous  pou- 
vez tirer  sur  moi  la  valeur,  ou  l'inscrire  jusqu'à  la 
première  affaire  que  nous  ferons  ensemble,  à  votre 
choix;  mais  marquez-moi  toujours  le  prix  pour  mon 
arrangement.  Mes  salutations  et  respects  à  mes  aima- 
bles commères.  Adieu ,  mon  cher  compère ,  je  vous 
embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

Mille  salutations  de  We.  Le  Vasseur. 


111. 

A  àIôtiers,  le  17  Mars   1764. 

Ne  soyez  pas  surpris,  mon  cher  Compère,  de  mon 
long  silence;  ma  situation  en  ôte  presque  tout  le  re- 
proche à  ma  paresse,  et  si  je  ne  vous  écris  guères, 
en  revanche  il  y  a  peu  de  jours  où  je  ne  parle  ici  de 
vous,  et  surtout  avec  M11?  Le  Vasseur  qui  ressent  cou  une 
elle  doit  toutes  vos  bontés.  J'apprends  avec  grand 
plaisir  le  bon  état  de  toute  la  famille,  et  surtout  de 
ma  petite  filleule  et  de  sa  bonne  maman,  avec  laquelle 
je  n'ai  plus  guères  d'espoir  de  faire  connoissance  en 
Hollande.  Seroit-il  impossible  que  nous  la  tissions  ici? 
Mille  choses  de  ma  part,  je  vous  en  prie,  pour  elle 
et  pour  Madelle   Dumoulin. 

Certaines  propositions  qui  m'ont  été  laites  sur  L'édi- 
tion générale  de  mes  écrits  me  font  comprendre  que 
cette  entreprise  esl  mûre,  et  qu'il  est  tems  de  l'exé- 
cuter. Elle  est  pour  moi  de  grande  importance,  puis- 
que, hors  d'état  de  travailler  désormais,  il  faut  qu'elle 
suffise  pour    me   donner  du    pain  aussi   longtems  qu'il 


203 


plaira  à  la  Providence  de  me  laisser  encore  sur  la  terre 
livré  à  mes  infirmités.  Mon  cher  Compère,  je  souhaite 
de  tout  mon  cœur  que  nous  puissions  là-dessus  pren- 
dre des  arrangemens  qui  nous  conviennent  à  tous  deux 
et  terminer  cette  grande  affaire  ensemble.  Ce  qu'il  y 
a  de  sûr,  c'est  qu'à  conditions  égales  vous  aurez  non- 
seulement  la  préférence,  mais  qu'un  léger  désavantage 
ne  m'empêchera  pas  de  traiter  avec  vous.  Je  le  dois 
à  vos  honnêtetés  et  encore  plus  à  l'amitié  qui  règne 
entre  nous;  que  si  cependant  cette  entreprise  ne  vous 
paroissoit  pas  praticable  aux  conditions  qu'il  me  con- 
vient d'y  mettre  avec  vous  et  que  je  puis  y  mettre 
avec  d'autres  ,  vous  êtes  de  votre  côté  trop  raisonnable 
pour  désapprouver  que  je  m'ôte  une  fois  pour  toutes  le 
souci  de  manquer  de  pain  pouvant  y  pourvoir  d'une 
manière  honnête  et  juste.  Je  compte  là-dessus  vous 
envoyer  dans  une  quinzaine  de  jours  un  petit  Mémoire 
sur  lequel  vous  aurez  tout  le  tems  de  vous  (sic)  réfléchir. 

J'ai  renvoyé  à  M.  Engel  son  ouvrage  par  la  même 
vuye  qu'il  m'étoit  parvenu.  M.  Bitaubé  m'envoya  dans 
le  tems  sa  brochure.  Je  ne  connois  rien  de  si  plat 
et  de  si  mal  raisonné  que  cet  écrit;  il  est  toujours  à 
côté  de  la  question,  et  il  fait  le  plaisant  d'un  air  si 
gauche  qu'il  m'a  fait  plus  de  mal  au  cœur  que  de 
chagrin  en  le  lisant.  Soyez  persuadé  que  si  je  voulois 
faire  encore  à  quelqu'un  l'honneur  de  lui  répondre,  je 
ne  choisirois  pas  de  pareils  barbouillons.  Le  seul  homme 
qui  m'ait  attaqué  et  qui  ait  paru  m'entendre  est  M. 
l'Evêque  du  Puy.  Je  crois  que  si  vous  vouliez  imprimer 
in-12  son  instruction  pastorale ,  vous  en  aimez  le  débit. 
En  pareil  cas,  en  m'en  donnant  avis, je  vous  enverrois 
une  petite  noie   pour  y  joindre. 

L'édition  de  Duchesne  est  faite:  j'ignore  si  elle  est 
publique.    Dans  l'avis  qu'on  m'avait  donné  et  que  Mais 


204 


fîtes  mettre  dans  la  gazette,  il  s'agissoit  de  12  volumes; 
niais  Duchesne  ne  m'a  parlé  que  de  5  contenant  seu- 
lement les  œuvres  mêlées.  Il  n'y  a  d'autres  nouveautés 
qu'un  essai  sur  l'imitation  théâtrale  que  Coindet  avoit 
eu  Faddresse  de  faire  entrer  dans  son  marché  des  es- 
tampes de  la  Julie  avec  la  préface  en  dialogue.  Du- 
chesne l'a  réclamé  et  je  le  lui  ai  envoyé.  Quant  aux 
50  louis  dont  je  vous  avois  parlé,  il  les  a  remis  à 
quelqu'un  pour  me  les  faire  tenir,  et  depuis  trois  mois 
ce  quelqu'un  m'en  a  gardé  le  secret;  je  n'en  ai  ni  avis 
ni  argent.  Au  reste  je  suis  très-persuadé  que  Duchesne 
ne  m'en  a  point  imposé,  et  qu'il  a  bien  réellement 
remis  la  somme.  On  a  gravé  à  Paris  mon  portrait  en 
plusieurs  façons.  Duchesne  entre  autres  l'a  fait  graver 
en  habit  françois  et  en  habit  arménien  sur  l'original 
peint  par  la  Tour.  Si  j'étois  plus  à  portée  je  vous  en- 
verrais l'un  et  l'autre;  mais  sans  doute  ils  vous  sont 
déjà  jiarvenus. 

Je  n'ai  point  encore  receu  l'ouvrage  de  M.  Roustan 
et  lui-même  ne  l'a  pas  receu  à  ce  qu'il  me  marque. 
Vous  savez  probablement  qu'il  part  pour  l'Angleterre. 
Vous  me  ferez  plaisir  de  joindre  un  exemplaire  de  son 
ouvrage  à  l'envoi  que  je  vous  ai  demandé,  si  celui  que 
vous  destiniez  pour  la  Suisse  n'est  pas  encore  parti. 
de  semis  bien  aise  que  les  livres  fussent  cousus:  mais 
-i  cela  rend  le  transport  plus  incommode,  vous  pouvez 
les    envoyer   en    feuilles. 

Voilà  je  crois  réponse  à  tous  les  articles  de  votre 
dernière  lettre  à  quoi  vous  en  demandiez.  Je  suis  forcé 
de  finir  celle-ci:  car  L'heure  du  Courrier  presse.  Adieu, 
mon  cher  Compère,  j'embrasse  tout  ce  qui  vous  est 
cher,  et  vous   particulièrement, 

d.  .).    Rousseau. 


205 

Il  n'est  plus  question  de  Robinson,  je  n'ai  plus  ni 
courage  ni  force  pour  aucun  travail.  Ce  sera  assez  s'il 
m'en  reste  pour  revoir  ce  qui  est  fait. 


112. 

A  Môtiers,  le   13  May  1764. 

Dans  le  triste  état  où  je  vis  depuis  plusieurs  mois , 
mon  cher  compère,  il  est  si  ridicule  de  faire  des 
projets  pour  l'avenir  que  l'abattement  m'ôtoit  le  cou- 
rage d'écrire  le  mémoire  que  je  vous  avois  promis.  En 
voici  toutefois  une  esquisse  tracée  à  la  hâte ,  mais  qui 
vous  suffira  pour  juger  si  l'entreprise  peut  vous  con- 
venir ou  non;  car  dans  cette  affaire  vous  devez  con- 
sulter uniquement  votre  avantage,  étant  sûr  quant  à 
moi  d'en  trouver  toujours  au  moins  d'équivalens  ;  mais 
nos  anciennes  liaisons  renforcées  par  l'honneur  que 
vous  m'avez  fait  en  me  choisissant  pour  compère,  la 
générosité  dont  vous  avez  usé  envers  Mu?  Le  Vasseur, 
et  encore  une  certaine  bienséance  pour  vous  et  pour 
moi  me  font  désirer  beaucoup  que  le  parti  vous  con- 
vienne ,  et  qu'ayant  été  jusqu'ici  mon  libraire ,  vous 
continuiez  à  l'être  jusqu'à  la  fin.  Outre  que  cette 
entreprise  bien  concertée,  bien  conduite  et  bien  exé- 
cutée ne  peut  que  vous  distinguer  honorablement  dans 
votre  profession ,  et  comme  cette  édition  sera  complète 
et  l'unique  dont  je  me  sois  mêlé,  elle  doit  avoir  par 
cela  seul  un  prix  qui  la  rendra  toujours  recherchai  de. 
Consultez-vous  donc  et  m'écrivez  librement  votre  sen- 
timent. 

Comme  il  y  a  longtems  que  je  n'ai  receu  de  yos 
nouvelles,  donnez-m'en,  je  vous  prie,  un  peu  en  détail 
de  ma  petite  filleule,  de  mes  chères  commères,  et  de 


206 

toute  votre  famille.  .Saluez  de  nia  part  tout  ce  qui 
vous  appartient  et  recevez,  mon  cher  Rey,  mes  salu- 
tations et  amitiés. 

J.  J.  Rousseau. 

N'oubliez  pas ,  lorsque  vous  ferez  en  ce  pays  quel- 
que envoi ,  l'histoire  universelle  moderne  et  le  quatrième 
tome  de  l'histoire  naturelle.  J'aimerois  mieux  que  les 
volumes  fussent  cousus,  mais  si  cela  vous  est  plus 
commode  de  les  envoyer  en  feuilles,  vous  le  pouvez.  A 
L'égard  du  prix,  il  m'est  égal  que  vous  le  tiriez  sur 
moi  par  lettre  de  change,  ou  que  vous  en  teniez  note 
pour  la  première  affaire  que  nous  ferons  ensemble; 
mais  marquez-le-moi  toujours  en  argent  de  France , 
afin  que  je  puisse  compter  avec  moi.  S'il  y  avoit  dans 
vos  quartiers  quelques  jolies  estampes  en  portraits,  fi- 
gures ou  paysages ,  vous  pourriez  en  ajouter  quelques- 
unes.  Vous  vous  souviendrez  aussi  que  l'exemplaire 
que  j'ai  de  mes  œuvres  est  incomplet,  et  qu'il  nie 
manque  le  Tome  troisième  que  vous  avez  promis  de 
m'envoyer. 


MÉMOIRE. 

Il  s'agit  d'une  Edition  générale  de  mes  écrits,  la- 
quelle ne  contiendra  absolument  que  mes  écrits,  el 
dont  on  ôtera  par  conséquent  toutes  les  pièces  de  mes 
adversaires  et  autres  que  M.  Rey  et  d'autres  Libraires 
ont  mises  dans  le  recueil  de  mes  œuvres. 

La  diminution  que  ces  retranchemens  feront  dans 
le  volume  de  l'ouvrage  sera  compensée  et  au  delà  par 
les  nouvelles  pièces  que  je  compte  y  ajouter. 

J'estime  que  la  collection  de  tout  ce  qui  esl  imprimé 


207 

et  manuscrit  donnera  six  volumes  in-quarto  de  la 
grosseur  et  du  caractère  à  peu  près  de  ceux  de  l'his- 
toire naturelle  de  M.  de  Bufîbn  ,  et  tels  que  l'Héloïse 
en  fera  deux  et  l'Emile  deux  autres. 

La  distribution  pourra  se  faire  à  peu  près  de  cette 
manière. 

Le  premier  volume  contiendra  les  pièces  qui  se  rap- 
portent à  la  politique  et  à-  la  morale. 

Le  second  et  le  troisième  pour  l'Héloïse. 

Le  4e  et  le  5e  pour  l'Emile. 

Le  6e  contiendra  les  pièces  de  théâtre ,  ouvrages  de 
littérature,  lettres  et  mémoires. 

Ainsi  les  nouveautés  seront  distribuées  dans  le  pre- 
mier  et  le  dernier  volume. 

Pour  remédier  à  l'inégalité  des  volumes ,  on  ajou- 
tera à  chacun  une  table  des  matières  que  je  ferai 
moi-même,  et  que  j'aurai  soin  d'étendre  ou  resserrer 
selon  que  la  grosseur  du  volume  l'exigera. 

Avec  l'édition  in-quarto  il  s'en  fera  une  autre  en 
18  volumes  in-douze  qui  auront  de  trois  en  trois  une 
table  semblable  à  celle  de  l'in-quarto. 

Je  compte  18  à  20  Planches  pour  l'in-quarto  dont 
la  pluspart  des  dessins  déjà  faits  seront  suivis  et  nous 
aurons  un  homme  de  goût  pour  diriger  ceux  qui  restent 
à  faire;  M.  Rey  pourra  mettre  ou  ne  mettre  pas  des 
estampes  dans  l'édition  in-12  selon  qu'il  lui  conviendra 
le  mieux. 

Je  fournirai  un  exemplaire  exactement  corrigé  ou 
une  copie  très-correcte  de  chaque  ouvrage;  mais  je  ne 
puis ,  vu  l'état  de  ma  santé ,  m'engager  à  aller  corriger 
l'édition  moi-même;  je  pourrois  tout  au  plus,  si  j'avois 
du  relâche,  faire  un  voyage  pour  la  mettre  en  train. 
mais  c'est  un  engagement  que  je  ne  saurois  prendre; 
car  il  ne  dépend  pas  de  moi  de  le  tenir. 


208 


Sur  le  plan  que  je  viens  d'exposer,  on  m'offre  dix 
mille  francs  pour  l'exécuter  et  cela  dans  un  lieu  à  ma 
portée  qui  n'est  ni  Paris  ni  Genève.  M.  Rey  sent  bien 
qu'avec  le  même  avantage  de  sa  part  il  aura  la  pré- 
férence. 

Je  veux  faire  plus.  Comme  cette  somme  ôtée  de  son 
commerce  pourroit  l'incommoder,  je  lui  propose  un  autre 
arrangement,  qui,  vu  mon  état,  n'est  pas  de  ma  part 
fort  raisonnable ,  mais  qui  sufrit ,  quoi  qu'il  arrive,  pour 
m'ôter  le  souci  de  manquer  de  pain. 

J'ai  besoin  de  cent  louis  en  commençant,  à  quoi 
ajoutant  une  pension  viagère  de  huit  cents  francs  qui 
commencera  de  courir  à  la  même  date,  je  suis  content. 
Je  souhaite  que  M.  Rey  le  soit  aussi  d'une  proposition 
que  le  seul  désir  de  l'arranger  me  suggère.  Que  si  cet 
arrangement  ne  lui  convient  pas ,  qu'il  en  propose 
d'équivalens ,  je  les  accepte;  mais  je  suis  infirme,  hors 
d'état  de  travailler  désormais ,  et  il  faut  que  je  me 
délivre  de  la  crainte  de  mourir  de  faim. 

J'avois  pensé  à  une  autre  proposition.  C'étoit  de 
prendre  avec  M.  Rey  l'engagement  de  ne  plus  rien 
donner  au  public  que  par  son  canal  et  de  lui  fournir 
gratuitement  tout  ce  que  je  pourrois  composer  à  L'ave- 
nir pour  la  presse.  Mais  premièrement  comme  c'étoii 
m'exclure  désormais  toute  autre  ressource,  cela  eût 
exigé  de  sa  part  un  traitement  plus  avantageux  quand 
j'aurois  été  pour  ainsi  dire  à  ses  gages.  D'ailleurs,  en 
[n'engageant  à  lui  donner  tout  ce  que  je  l'émis,  je  ne 
voudrois  pas  pour  cela  m'engager  à  travailler:  tant  s'en 
faut,  je  suis  bien  déterminé  désormais  à  ne  plus  rien 
faire,  et  cette  oisiveté  ne  l'accommoderoit  pas.  Ainsi 
pour  éviter  toute  gêne  de  ma  part  et  tout  mécontente- 
ment delà  sienne ,  je  crois  qu'il  vaut  mieux  s'en  tenir:! 
ce  qui  concerne  notre  édition.  .l'attends  son  avis  sur  cela. 


209 

J'avois  oublié  de  dire  que  parmi  les  pièces  nouvel- 
les ,  qui  doivent  entrer  dans  notre  édition  ,  il  y  en  a 
quelques-unes  que  M.  Rey  pourroit  publier  à  part  avant 
l'édition  générale,  et  qu'il  pourroit  même  précéder  d'un 
avertissement  qui  l'annonceroit  au  public.  Cela  dé- 
pendra de  lui. 


113. 

A  Môtiers,   le  26  Mai  1764. 

Il  faut  avouer,  mon  cher  Rey,  que  vous  avez  une 
terrible  tête;  sur  l'historique  que  je  vous  fais  des 
50  louis  que  M.  Duchesne  a  remis  pour  moi  en  main 
tierce,  ne  voilà-t-il  pas  déjà  que  vous  voulez  prendre 
ma  procuration  et  agir  pour  moi?  Ce  n'est  pas  la  pre- 
mière fois  que  vous  avez  voulu  vous  fourrer  à  toute 
force  dans  mes  affaires  sitôt  que  vous  en  avez  été  in- 
struit et  sans  que  je  vous  en  priasse.  Cela  n'est  pas 
bien.  Quand  je  vous  fais  des  confidences  d'amitié,  il 
ne  faut  pas  pour  cela  vous  porter  aussitôt  pour  mon 
tuteur  ni  me  susciter  comme  vous  avez  déjà  fait  avec 
M.  Moultou  des  tracasseries  dont  je  n'ai  pas  besoin 
parmi  tant  d'autres  chagrins.  De  grâce,  une  fois  pour 
toutes ,  laissez-moi  le  soin  de  mes  affaires ,  puisque  je 
ne  radote  pas  encore,  et  ne  vous  en  mêlez  que  quand 
je  vous  en  prierai. 

Vous  avez  encore  fait  un  autre  coup  de  votre  tête  en 
prévenant  M.  l'Evêque  Du  Puy  de  la  petite  note  dont 
je  vous  avois  parlé  et  dans  laquelle  je  ne  voulois  point 
paroitre.  Elle  se  rapportoit  à  un  endroit  que  je  n'ai 
pas  le  tems  de  chercher,  dans  lequel  il  fait  entendre  in- 
directement  niais  clairement  (pie  j'ai  obtenu  par  sur- 
prise et  supercherie  le  privilège  d'Emile.    Ce  qui  est  si 

14 


210 

peu  vrai  que  ce  privilège  a  même  été  demandé  et  obtenu 
sans  mon  consentement.  Comme  vous  êtes  à  portée 
de  savoir  la-dessus  la  vérité  mieux  que  personne,  j'avois 
dessein  de  tourner  en  votre  nom  une  note  sous  ce  pas- 
sage, dans  laquelle  vous  auriez  pu,  sans  offenser  M. 
de  Pompignan,  relever  la  légèreté  avec  laquelle  ces 
beaux  défenseurs  du  Christianisme,  non  contens  d'at- 
taquer les  ouvrages ,  chargent  les  auteurs  sans  scrupule 
d'imputations  injurieuses  et  fausses ,  qu'ils  n'avancent 
pas  ouvertement  à  la  vérité ,  mais  qu'ils  ont  grand 
soin  de  faire  entendre.  Je  serois  bien  fâché  qu'on  vit 
jamais  rien  de  pareil  dans  les  écrits  d'un  impie  comme 
moi!  Du  reste  laissons-là  cette  note.  Ce  n'est  pas  la 
peine   de  l'employer. 

Sitôt  que  je  sus  que  Duchesne  faisoit  graver  mon 
portrait,  je  lui  écrivis  pour  le  prier  instamment  de  ne 
le  pas  placer  à  la  tête  de  mes  œuvres  ;  il  me  l'a  pro- 
mis. Quand  il  ne  me  tiendroit  pas  parole,  j'aurois 
droit  d'espérer  que  vous  ne  l'imiteriez  pas  en  cela..  e1 
vous  ne  sauriez  me  faire  un  plus  grand  chagrin  que 
de  l'y  mettre.  Du  reste  si  vous  voulez  le  faire  graver 
et  le  débiter  à  part,  je  ne  l'empêche,  pourvu  que  mon 
nom  n'y  soit  pas,  mais  seulement  ma  dévise,  comme 
dans  les  deux  gravures  que  Duchesne  a  fait  faire,  l'une 
en  habit  françois  et  l'autre  en  arménien.  Ces  gravures 
ne  sont  bien  ni  l'une  ni  l'autre  et  ne  me  ressemblent 
pas.  Si  vous  en  faisiez  faire  une  autre  il  faudroit  la 
composer  sur  les  deux.  Il  m'en  a  envoyé  un  petit 
nombre  d'épreuves  qui  ont  été  bientôt  distribuées.  Si 
absolument  vous  ne  pouvez  pas  lis  trouver,  je  vous 
les  procurerai  l'une  et  l'autre;  mais  je  snis  étonné  de 
cette  difficulté  puisque  tout  le  Royaume  en  fourmille, 
et  qu'il  en  a  sans  exagération  été  débité  plus  de  dix 
mille.   Si   vous  le  laites  graver  el  qu'on  puisse  au-des- 


211 

sous  du  portrait  placer  ma  devise  dans  une  couronne 
de  chêne  dont  vous  m'avez  fait  voir  le  dessein,  ce 
sera  une  galanterie  que  vous  ferez  à  l'original  et  dont 
il  ne  se  croit  pas  indigne. 

Je  n'ai,  quant  à  présent,  rien  à  changer  au  pr.  tome 
de  mes  œuvres  que  vous  vous  proposez  de  réimprimer. 
Je  vous  conseille  seulement  de  voir  auparavant  l'édi- 
tion de  Duchesne  ;  elle  contient  plusieurs  pièces  qui 
ne  sont  pas  dans  la  vôtre ,  et  même  quelques-unes 
que  je  n'approuve  point  qu'il  ait  mises  dans  la  sienne. 
Du  reste  je  n'aime  point  que  vous  me  disiez  que  vous 
n'avez  tiré  votre  édition  qu'à  mille.  Vous  n'avez  sûre- 
ment pas  été  si  fort  que  cela.  Je  n'ai  jamais  voulu 
vous  interroger  sur  ces  choses-là,  sachant  bien  que 
vous  ne  m'accuseriez  pas  juste ,  et  ne  voulant  pas  vous 
mettre  dans   le  cas  de  m'en  imposer. 

Recevez  les  respects  et  salutations  de  Mu?  Le  Vas- 
seur  et  saluez  de  ma  part  tout  ce  qui  vous  est  cher. 
Je  vous  embrasse ,  mon  cher  Compère ,  de  tout  mon 
cœur. 

J.   J.    Rousseau. 


14 


VIL 

CORRESPONDANCE    CONCERNANT 

LES 

LETTRES    ÉCRITES    DE    LA    MONTAGNE. 


YJ  Emile  avait  été  brûlé  à  Genève  peu  de  jours 
après  l'avoir  été  à  Paris.  Le  Procureur  Général , 
Jean  Robert   Tronchin,  venait  de  discuter  cette 
mesure  dans  un  écrit  qu'il  avait  intitulé  Lettres 
écrites  de  la  campagne.    A   cette  apologie  d'une 
sentence  qui  avait  frappé  sans  jugement  et  sans 
défense  l'ouvrage  et  son  auteur  à  la  fois,  Rous- 
seau, parodiant  le  titre   de  l'écrit  de   Troncliin, 
répondit  par  ses  Lettres  écrites  de  la  montagne. 
D'après  l'aveu  qu'il  en   a  fait  dans  ses  Confes- 
sions, il  n'a  confié  cet  ouvrage  à  Rey  qu'après 
l'avoir   envoyé    à    Avignon ,  selon   le  conseil   de 
Dastier,  qui  lui  avait  parlé  beaucoup  de  la  liberté 
de  la  presse  dans  cette  ville.    Mais   à  Avignon , 
aucun  libraire    n'osa  s'en  charger.     Rey  en   fit 
deux  éditions  en  même  temps ,  une  in-8°  et  une 
in-12°.  Le  titre  est:  "Lettres  écrites  de  la  mon- 
tagne par  J.  .T.  Rousseau.  —    Vitam  impendere 
vero. —  A  Amsterdam,  chez  Marc  Michel  Rey. 
MIHVLXIII." 


213 


114. 

A  Môtiers,  le  9  Juin  1764. 

J'ai,  mon  cher  Compère,  un  nouvel  ouvrage  à  vous 
proposer.  Mon  manuscrit  est  tout  prêt  :  mais  deux 
raisons  m'engagent  à  vous  consulter  avant  de  vous  l'en- 
voyer. La  première  et  la  plus  importante  est  que  cet 
ouvrage,  étant  mon  apologie  et  celle  de  la  bourgeoisie 
de  Genève ,  ne  sauroit  être  agréable  au  petit  Conseil 
ni  aux  Ministres  ,  et  qu'en  l'imprimant  vous  risquez 
de  déplaire  à  ces  gens-là  ;  si  vous  aviez  intérêt  à  les 
ménager  il  ne  vous  conviendrait  peut-être  pas  de  courir 
ce  risque. 

Ma  seconde  raison  est  que  cet  ouvrage  sera  difficile 
à  imprimer  correctement,  à  cause  de  la  quantité  de 
notes ,  de  citations ,  de  chiffres ,  de  guillemets  dont  il 
est  entremêlé  et  qui  demandent  le  plus  grand  soin  de 
la  part  de  l'imprimeur  et  du  prote  ou  correcteur,  et 
cependant  c'est  de  tous  mes  écrits  celui  dont  l'exacti- 
tude et  la  correction  m'importent  le  plus  ;  mon  honneur, 
mon  repos ,  ma  sûreté  même  en  dépendent  ;  une  faute, 
un  contresens ,  un  quiproquo  sont  capables  de  tout 
gâter.  Je  ne  cesserai  de  trembler  sur  l'exécution  jus- 
qu'à ce  que  la  dernière  bonne  feuille  me  soit  parvenue. 

Il  faudra  donc  que  vous  braviez  la  mauvaise  humeur 
de  certaines  gens,  et  que  vous  donniez  une  attention 
extraordinaire  à  la  chose.  Ajoutez  que  la  diligence 
importe  tellement  qu'il  faut  absolument  que  l'ouvrage 
soit  inutile  ou  qu'il  paroisse  dans  le  mois  de  Novembre 
au  plus  tard.  Voyez  si  à  toutes  ces  conditions  il  vous 
convient  d'entreprendre  cette  affaire  et  répondez-moi 
le  plustôt  qu'il  vous  sera  possible;  car  j'attends  votre 
résolution  pour  prendre  la  mienne. 


2U 

L'ouvrage  est  en  deux  parties  que  j'estime  faire 
ensemble  à  peu  près  retendue  du  Contrat  Social.  Le 
prix  en  sera  le  même,  et  si  vous  le  trouvez  trop  fort 
après  avoir  vu  l'ouvrage ,  vous  diminuerez  ce  qu'il  vous 
plaira. 

Je  souhaiterois  beaucoup  un  format  8°  et  un  carac- 
tère un  peu  gros  ;  cependant  si  vous  voulez  absolument 
prendre  le  format  et  le  caractère  des  œuvres ,  j'y  con- 
sens :  l'essentiel  est  l'exactitude  et  la  correction. 

Je  diviserai  le  manuscrit  en  deux  envois;  savoir,  la 
première  partie  en  recevant  votre  réponse ,  et  la  seconde 
en  recevant  l'avis  de  la  réception  de  la  première.  En 
attendant,  supposant  que  le  parti  vous  convienne ,  pré- 
parez toute  chose,  afin  qu'à  la  réception  du  premier 
envoi  vous  mettiez  tout  de  suite  la  besogne  en  train. 

Le  grand  éloignement  qui  me  met  hors  d'état  de 
revoir  les  épreuves  est  un  si  grand  inconvénient  que 
cela  seul  me  dégoûteroit  du  travail.  Voyez  cependant 
si  à  force  de  soins  vous  ne  pourriez  pas  suppléer  à 
l'inspection  de  l'auteur.  Je  ne  vous  demande  que  de 
suivre  fidèlement  la  copie  en  toute  chose,  même  dans 
les  fautes  qui  peuvent  s'y  trouver.  Je  supplie  très- 
particulièrement  ma  chère  commère  de  vouloir  bien  après 
la  dernière  correction  suivre  encore  avec  vous  l'épreuve 
et  la  comparer  au  manuscrit  sans  se  presser.  Je  vous 
promets  que  si  l'édition  peut  se  faire  sans  grosse  faute, 
ou  je  mourrai  à  la  peine  ou  j'irai  vous  embrasser  tous 
ileux. 

Vous  aurez  dans  la  première  partie,  qui  est  la  plus 
grande  de  quoi  occuper  suffisamment  vos  ouvriers  en 
attendant  la  seconde.  Vous  m'enverrez  chaque  lionne 
feuille  sitôt  qu'elle  sera  tirée,  afin  que  j'aye  le  teins  de 
bien    L'examiner,  et    de   voir   si    quelques   cartons   sont 

nécessaires. 


215 

Soit  que  vous  acceptiez  ou  non,  je  vous  demande 
sur  cette  affaire  le  plus  grand  secret.  Quand  l'impres- 
sion tirera  à  sa  fin,  vous  pourrez  vous  entendre  avec 
vos  correspondans  comme  à  l'ordinaire,  mais  sans  vous 
expliquer  sur  la  nature  de  l'ouvrage,  de  peur  que  des 
intrigans,  qui  s'en  défient  déjà,  ne  fassent  jouer  des 
ressorts  pour  en  arrêter  la  publication. 

Je  m'explique  d'avance  sur  chaque  article,  afin  qu'à 
la  réception  de  votre  réponse  je  puisse  vous  expédier 
mon  manuscrit  sans  y  joindre  de  lettre  pour  ne  pas 
grossir  le  pacquet.  Bonjour,  mon  cher  Compère,  j'em- 
brasse ma  chère  commère,  ma  petite  filleule  et  toute 
votre  famille,  et  j'attends  -sans  retard  votre  réponse. 

J.  J.  Rousseau. 

Vous  aurez  vu  sans  doute  ma  prétendue  lettre  à  M. 
l'Archevêque  d'Auch.  Cette  fourberie  sortie  de  la  bou- 
tique de  M.  de  Voltaire  n'a  trompé  personne  à  Paris  ('). 


(')  Rousseau  a  désavoué  sa  prétendue  réponse  à  l'Archevêque  d'Auch  dans  deux 
lettres  publiées  parmi  la  Correspondance  dans  les  recueils  de  ses  Oeuvres: 
une  à  il.  de  P.  du  23  Mai  17G4  et  une  à  M.  *  *  *  du  28  Mai  170L  Au  sujet  de 
la  dernière  de  ces  deux  lettres  commençant  par  ces  mots:  C'est  rendre  un  vrai 
service  à  un  solitaire  etc.,  Voltaire  écrivant  à  DamilaviLle  demande  s"ilest  vrai 
que  c'est  à  Duclos  qu'elle  était  adressée.  Les  papiers  de  Rey  que  nous  pos- 
sédons pourront  donner  la  réponse.  Le  libraire  Duchesne  à  Paris  écrit  à  son 
confrère  d'Amsterdam  en  date  du  10  Août  17G4:  Toutes  réflexions  faites 
relativement  an  volume  du  Contrat  Social  et  de  la  Lettre  à  Christophe, 
il  faut  faire  le  volume  purement  sans  aucun  ajouté  des  ouvrages  de 
V Evcque  JJupin  ou  d'autres  à  moins  que  vous  n'ayez  tout  cela  sous  la 
main,  et  que  vous  croyiez  que  vis  augmentations  rendront  le  volume. 
plus  intéressant.  Je  vous  prierai  de  mettre  seulement  la  petite  lettre 
que  m'a  écrite  ^f.  Jiousseuu  à  V occasion  de  sa  prétendue  Lettre  àl' Ar- 
chevêque d'Auch,  que  j'ai  ait  restée  à  MM.  Arhstée;  mais  je  vous 
pi  le  d'ij  corriger  une  faute,  qu'il  y  a  au  nom  de  l'Archevêque:  c'est 
Momtillet  et  non  Du  Tillbt comme  il  est  écrit  dans  lu  lettrede  M.  Bous- 
seau."  —  Eh  bien!  dans  un  volume  d'une  édition  des  Oeuvres  de  Rousseau 
faite  par  Rey,  se  trouve  la  lettre  du  28  Mai  L764 commençanl  par  C'est  rendre 
mi  vrai  service  à   un  solitaire  rie.   et   le  nom  de  l'Archevêque  y  est  écrit 


216 


J'espère  qu'elle  trompera  peu  de  gens  où  vous  êtes. 
Mais  dans  nos  provinces  on  est  si  bête  que  quand  un 
écrit  porte  le  nom  d'un  Auteur,  on  ne  peut  se  persua- 
der qu'il  ne  soit  pas  de  lui. 


115. 

A  Môtiers,    le  pr.  Juillet   17G4. 

Je  reçois  votre  lettre  du  20  Juin ,  et  je  vous  expédie 
ci-joint  la  première  partie  de  mon  manuscrit.  Je  vous 
expédierai  la  seconde  sitôt  que  j'aurai  avis  de  la  ré- 
ception de  celle-ci.  Je  me  recommande  à  vous,  mon 
cher  Compère;  faites  de  bonne  besogne:  l'honneur  de 
votre  ami  et  le  bien  de  votre  patrie  sont  entre  vos 
mains.  Quant  à  l'argent,  vous  me  le  ferez  tenir  à 
votre  commodité  ;  rien  ne  presse.  J'embrasse  ma  chère 
commère,  ma  petite  filleule  et  vous. 

J.  J.  Rousseau. 

110. 

A  Môtiers-travers,  le  15  Juillet   1764. 

Le  2.  de  ce  mois,  mon  cher  Rey.  je  lis  partir  à  votre 
adresse  la  première  partie  de  mon  manuscrit;  si  d'au- 
jourd'hui eu  huit  je  reçois,  comme  je  l'espère,  avis  de 


MiiNTii.LET.  La  lettre  que  Voltaire  croyait  être  adressée  à  Duelos  est  donc 
>-i'!lo  indiquée  par  Duchesne,  qui  la  nomme  une  petite  lettre,  par  rapport  à 
la  Réponse  à  Christophe  Beaumonl  et  aux  autre-  pièces  qui  devaient  com- 
poser le  volume.  On  verra  par  le  V1.  L28  que  Rej  n'a  pas  publié  la  lettre 
de  Duchesne  sans  la  permission  de  l'auteur.  Cependant  l'édition  où  Rej  a  fait 
la  correction  que  Duchesne  lui  avait  indiquée,  n'a  pas.  à  ce  qu'il  parait,  servi 
de  type  aux  éditions  qui  ont  suivi,  puisque  dans  les  recueils  '1rs  Oeuvres  de 
Rousseau  l'Archevêque  d'Auoh  est  toujours  nommé   I>u  Tillet. 


217 

sa  réception ,  je  ferai  partir  le  même  jour  la   seconde 
et  dernière  partie  contenant  trois  cahiers. 

En  attendant,  comme  vous  pourriez  avoir  déjà  mis 
en  train  l'ouvrage,  je  joins  ici  une  addition  et  une  cor- 
rection: toutes  deux  peu  importantes,  mais  que  je 
vous  prie  cependant  de  placer  avec  attention  dans  un 
ouvrage  où  l'exactitude  et  la  justesse  sont  essentielles. 

Changement  page  30  ('). 

au  lieu  de  ces  mots: 
Je  me  perds ,  je  me  noyé  dans  cet  océan  d  injures  et 
de  bêtises.    Tirons  de  cet  abîme  un  seul  fyc. 
mettez  ceux-ci: 
Je  me  -perds ,  je  m'embourbe  au  milieu  de  tant  de  bê- 
tises.     Tirons   de  ce  fatras  un  seul  <jV. 

Addition  page  45. 

A  la  fin  de  l'alinéa  qui  finit  par  ces  mots  : 
car  enfin  un  mort  peut  n'être  pas  mort  (  ). 
ajoutez  ceux-ci  à  la  suite  du  texte  : 
Voyez  le  livre  de  M.  Bruhier. 

De  sorte  que  l'alinéa  ainsi  augmenté  finira  de  cette 
manière  : 

car  enfin  un  mort  peut  n'être  pas  mort  (  ).  Voyez 
le  livre  de  M.  Bruhier   (2). 


J'ai  trouvé  aussi  quatre   vers   qui  vont  si  bien  à  la 


(')  Le  passage  se  trouve,  tel  que  l'auteur  l'a  corrigé,  dans  la  Seconde  Lettre 
h  fait  partie  de  L'alinéa  qui  commence  par  "Comment  les  suivre"  page  69 
de  l'édition  originale  in-12°. 

(-)  La  citation  du  livre  de  Bruhier  {sur  l'incertitude  des  signes  de  ht 
mort)  se  trouve  dans  la  Troisième  Lettre. 


218 

première  partie  que  je  vous  prie  de  les  mettre  en  Epi- 
graphe  au  titre;  les  voici: 

Quod  si  accusator  alius  Sejano  foret, 
Si  testis  alius,  judex  alius  denique; 
Dignum  faterer  esse  me  tantis  malis, 
Nec  bis  dolorem  delenirem  remediis. 

J'aurai  soin  de  chercher  aussi  une  épigraphe  à  la 
seconde  partie,  afin  que  l'une  soit  comme  l'autre. 

Si  l'envoi  des  livres  que  je  vous  ai  demandés  n'est 
pas  encore  fait,  je  vous  prie  d'en  retrancher  le  Tome  IV 
de  Buffon;  car  on  ni' envoyé  de  Paris  ce  Tome  relié, 
avec  les  Tomes  Xet  XI.  Si  l'envoi  est  déjà  fait,  mar- 
quez-moi si ,  sans  vous  être  à  charge ,  ce  livre  ne  pour- 
rait pas  être  remis  pour  votre  compte  à  quelque  libraire 
de  ce  pays.     Autrement  je  l'aurai  à  double. 

Lorsque  vous  m'enverrez  de  l'argent,  ce  qui  n'est 
point  pressé,  vous  aurez  soin  d'en  déduire  le  prix  des 
livres  que  vous  m'avez  envoyés.  Mes  remercîmens  à 
M.  votre  fils  des  estampes  dont  il  veut  bien  me  faire 
le  cadeau.  S'il  s'en  débite  quelques  jolies  en  paysages 
ou  en  portraits ,  vous  m'obligerez  de  m'en  faire  l'em- 
plette, et  de  me  les  envoyer  par  occasion.  J'embrasse 
de  tout  mon  cœur  ma  chère  commère,  ma  filleule,  tous 
vos  enfans  et  leur  Papa. 

J.  J.  Rousseau. 

Ayez  soin  de  m'envoyer  vos  bonnes  feuilles  à  mesure 
que  VOUS  les  tirerez.  Ne  pourroit-on  pas  imprimer 
l'ouvrage  par  demi-feuilles,  afin  que,  s'il  s'en  trouvoit 
quelqu'une  qu'il  fallût  absolument  refaire,  la  dépense 
et  le  retard  fussent  moindres? 


219 

117. 

A  Yverdun,  le  pr.  Aoust  1764. 

A  la  rception  de  votre  lettre  du  13,  je  fis  partir,  il 
y  a  huit  jours ,  mon  second  et  dernier  pacquet;  je  compte 
que  vous  le  recevrez  aujourd'hui  ou  demain,  et  que 
notre  affaire  est  maintenant  en  train  ou  ne  tardera  pas 
d'y  être.  Je  vous  ai  envoyé  des  épigraphes  pour  les 
titres  ;  en  y  mieux  pensant ,  je  juge  à  propos  de  sup- 
primer ces  épigraphes  et  de  mettre  uniquement  pour 
vignette  la  couronne  civique  dont  il  a  été  parlé,  avec 
ma  devise  au  dedans  (').  Je  vais  faire  une  tournée 
qui  sera  peut-être  de  quelques  semaines  :  ce  qui  ne  doit 
pas  vous  empêcher  de  m'envoyer  vos  bonnes  feuilles 
à  mesure  que  vous  les  tirerez;  je  compte  en  trouver 
quelques-unes  à  mon  retour. 

J'ai  rencontré  en  venant  M.  Babu,  que  j'ai  été  fâché 
de  ne  pas  recevoir  comme  j'aurois  fait  si  je  me  fusse 
trouvé  chez  moi;  je  vous  remercie  du  pacquet  dont  il 


(i)  La  couronne  civique  n'est  pas  sur  le  titre.  La  devise  vitam  impendere 
vero  v  est  entourée  de  petits  fleurons.  Mais  la  couronne  de  cliéne  entourant 
la  devise  se  trouve  sur  le  titre  d'une  édition  de  l'Emile  formant  le  7  nie  volume 
des  Oeuvres  de  Rousseau,  chez  Jean  Néaulme  à  Amsterdam  177:2,  avec  Pri- 
vilège. Il  est  à  remarquer  que  ce  n'est  pas  Néaulme  qui  a  donné  cette  édi- 
tion, quoique  son  nom  soit  sur  le  titre,  mais  Iiey  qui  s'est  servi  de  la  gra- 
vure qu'il  avait  fait  taire  pour  la  Réponse  à  l'Archevêque  de  Taris.  Voyez 
No.  102.  Jean  Néaulme  au  commencement  de  l'année  1764  s'est  retiré  à 
Berlin.  Après  avoir  passé  plus  de  50  années  dans  la  librairie,  voyant  le  com- 
merce suivre  un  train,  à  son  avis,  contraire  aux  intérêts  des  honnêtes  gens, 
il  a  publié  son  Catalogue  d'une  nombreuse  collection  de  livres  en  tout 
genre,  rares  et  curieux,  propres  à  satisfaire  1rs  amateurs  et  à  fournir 
une  partie  (le  ee  qui  manque  aux  grandes  Bibliothèques ,  lesquels  se  ven- 
dront dans  Berlin  etc.  Cependant  la  vente  n'a  pas  eu  lieu  à  Berlin,  mais 
;'i  La  Haye,  le  2-4  Juin  1765  et  jours  suivants,  par  les  libraires  N.vanDaalen 
et  B.  Gihert.  qui  aux  5  volumes  du  Catalogue  que  Néaulme  avait  publiés, 
en   ont    ajouté   ou    «ixinur. 


220 

étoit  chargé  et  que  je  l'ai  prié  de  remettre  en  passant 
à  M"?  Le  Vasseur.  Vous  ne  me  parlez  point  de  l'his- 
toire universelle  ;  auriez-vous  oublié  cet  article?  Je  vous 
réitère  la  prière  de  me  l'envoyer  par  la  première  occa- 
sion et  d'en  déduire  le  prix  sur  mes  honoraires.  Bon- 
jour, mon  cher  Compère.  Portez-vous  bien  et  tout  ce 
qui  vous  appartient. 

J.  J.  Rousseau. 


118. 

A  Môtiers  ,  le  27  Aoust  1764. 

Je  receus  il  y  a  huit  jours,  mon  cher  Compère,  la 
première  épreuve,  et  j'attendois  aujourd'hui  deux  ou 
trois  feuilles;  je  n'ai  rien  receu  du  tout.  Si  vous  aile/. 
de  ce  train,  l'ouvrage  ne  sera  pas  imprimé  dans  un  an: 
cependant  vous  m'avez  promis  que  l'ouvrage  seroit  pu- 
blic en  Novembre,  et  il  est  de  la  plus  grande  impor- 
tance et  à  moi  et  à  la  chose  et  à  nombre  d'honnêtes 
gens  qu'il  paroisse  à  Genève  et  à  Paris  au  commence- 
ment de  Décembre  au  plustard.  Si  cela  n'arrive  pas . 
vous  me  ferez,  je  vous  l'avoue,  un  des  plus  grands 
chagrins  que  je  puisse  recevoir  en  ma  vie.  Prenez  d 
vos  mesures,  je  vous  en  conjure,  et  faites  entrer  dans 
votre  calcul  les  retards  des  mauvais  chemins  et  tous 
les  accidens  qui  peuvent  retarder  la  marche  de  vos  en- 
vois ,  afin  qu'il  ne  vienne  alors  ni  si  ni  mais  qxù  n'aient 
été  prévus ,  et  qui  feroient   tout    manquer. 

Vous  avez  pu  voir  que  l'ouvrage  est  tourné  de  ma- 
nière qu'il  ne  s'y  trouve  rien  qui  pui>sc  déplaire  à  la 
France  ei  aux  Catholiques.  Cela  vous  met  à  portée  de 
pouvoir  aisément,  pour  peu  que  vous  y  travailliez,  l'aire 
passer    VOS    envois   à    Paris;    car    il    est  certain    (pie    le 


221 

Magistrat,  à  moins  de  prévention  on  de  partialité,  doit 
naturellement  en  permettre  le  débit ,  et  que  la  Cour  doit 
même  en  être  bien  aise,  puisqu'il  ne  s'y  trouve  rien 
que  d'honorable  à  la  Médiation.  Le  but  des  trois  der- 
nières lettres  est  en  effet  d'instruire  les  puissances  mé- 
diatrices, à  la  garantie  desquelles  il  paroit  qu'on  sera 
forcé  d'avoir  recours.  Tâchez  donc  que  l'ouvrage  se 
répande  en  France  et  surtout  à  Paris  ;  mais  quand  vous 
l'annoncerez  à  vos  correspondans ,  n'en  parlez  que  comme 
de  mon  apologie  sur  la  Eeligion ,  sans  parler  en  aucune 
façon  du  Magistrat  de  Genève,  de  peur  qu'on  ne  nous 
suscite  quelque  obstacle  de  ce  côté-là.  Vous  voilà 
bien  prévenu  sur  tout;  c'est  à  vous  à  voir  maintenant, 
quelle  activité  l'intérêt  de  la  justice ,  de  la  patrie  et  de 
vos  amis  peut  vous  donner  sur  tout  cela. 

J'aurois  un  petit  changement  à  faire  dans  la  seconde 
partie,  page  172,  à  la  fin  du  premier  alinéa.  Jevoudrois 
mettre  ainsi  cette  fin  :  ("vous  aurez  joui  d'un  bonheur 
"bien  rare,  et  dont  vos  oppresseurs  ne  paroissent guère 
"alarmés")   ('). 

Cela  n'est  pas  trop  bien,  et  peut-être  ce  qui  y  est 
est-il  mieux,  mais  je  ne  m'en  souviens  pas.  Vous  ju- 
gerez et  vous  choisirez.  Je  voudrais  faire  entendre  avec 
finesse  que  les  Magistrats  comptent  sur  le  crédit  de 
Voltaire  à  la  Cour;  mais  il  me  semble  que  j'ai  employé 
le  mot  de  Chefs,  et  ce  mot  ne  doit  absolument  pas 
rester,  parce  qu'il  est  équivoque.  Il  faut  avoir  égard 
à  l'harmonie  de  la  phrase;  si  vous  avez  encore  le  tems 
de  m'envoyer  cette  phrase  avant  de  l'imprimer,  faites- 
le;    sinon     mettez    comme    ci-dessus,    à    moins     que 


(')  C'est  ainsi  quo  la  phrase  se  trouve  en  effet  dans  la  Neuvième  Lettre. 
Il<\  :i  cVrii  sur  l'original  de  cette  lettre,  en  marge,  probablement  comme 
une  phrase  qu'il  trouvait  dans  le  manuscrit:  --c'est  sur  quoi  l'on  voit  bien 
'/nr  vos  chefs  ne  comptent  pas." 


222 

ce  qui  y   est   ne  suit   manifestement  mieux.    Je    tous 
embrasse  et  tout  ce  qui  vous  est  cher. 

J.  J.  Rousseau. 
119. 

A  Môtiees,  le  3  7br.e  1764. 

Depuis  votre  lettre  du  10  Aoust  qui  accompagnoit 
la  première  Epreuve,  je  n'ai  rien  receu  de  vous,  et  comme 
je  ne  puis  présumer  qu'après  avoir  commencé  l'impres- 
sion de  cet  ouvrage  vous  l'ayez  planté-là,  je  juge  par 
ce  silence  que  vos  pacquets  sont  interceptés.  Voyez 
là-dessus,  mon  cher  Compère,  ce  qu'il  convient  défaire. 
Je  pense  qu'il  faudrait,  si  nous  sommes  dans  ce  cas, 
ne  plus  rien  m'envoyer  directement ,  mais  nous  servir 
d'une  autre  adresse,  et  que  votre  écriture  ni  votre  ca- 
chet ne  parussent  point  sur  les  pacquets.  La  voye  par 
laquelle  cette  lettre  vous  sera  remise  me  paroit  bonne. 
Servez-vous  en,  mon  cher  Compère,  si  vous  jugez  à 
propos;  mais  surtout  ne  continuez  pas  à  m'envoyer  les 
feuilles  directement ,  car  il  vaudroit  mieux  que  je  ne 
les  visse  point  que  de  ne  les  voir  qu'après  d'autres.  Si 
vous  jugez  qu'il  n'y  ait  point  eu  de  pacquets  inter- 
ceptés, le  cas  est  différent;  mais  alors  sachant  (pie  l'ou- 
vrage doit  parôitre  dans  un  tems  préfix,  votre  conduite 
est  bien  étonnante.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 
120. 

Au  Champ-du-Moulin,  le  '.)  7hrf  1764. 

Il  faut  d'abord,  mou  cher  Compère,  vous  mettre  au 
fait  de  l'état  des  choses,  et  de  la  raison  pour  laquelle 
je  vous  ('cris  par  In    France. 


22;î 

Le  20  Aoust  je  receus  avec  votre  lettre  du  10  l'épreuve 
de  votre  première  feuille,  et  vous  m'annonciez  dans  peu 
les  deux  ou  trois  autres  feuilles  consécutives  ;  cependant 
depuis  cette  première  épreuve  je  n'ai  plus  rien  receu  de 
vous,  ce  qui  me  fait  présumer  que  vos  pacquets  ont  été 
interceptés,  n'étant  pas  possible  d'imaginer  qu'ayant 
commencé  l'impression  d'un  ouvrage  qui  doit  être  pu- 
blic en  Novembre  vous  laissiez  tout  là  sans  même 
daigner  m'en  avertir. 

Comme  les  lettres  que  je  vous  ai  écrites  peuvent  avoir 
eu  le  même  sort,  je  dois  vous  dire  aussi  que  huit  jours 
après  la  réception  de  la  dite  épreuve,  je  vous  écrivis 
pour  vous  en  accuser  la  réception  et  pour  vous  indiquer 
un  léger  changement  à  faire  vers  la  fin  de  la  seconde 
partie.  Enfin,  Lundi  dernier,  trois  Septembre,  je  vous 
écrivis  sous  couvert  de  Mrs.  Pourtalès ,  vous  indiquant 
la  même  voye  pour  me  faire  parvenir  votre  réponse  et 
vos  feuilles  si  vous  le  jugiez  à  propos. 

Maintenant  que  la  continuation  de  votre  silence  me 
confirme  dans  tous  mes  soupçons  sur  l'infidélité  des 
postes  de  Suisse ,  je  prends  le  parti  de  vous  écrire  par 
la  France ,  et  je  pense  que  nous  ne  saurions  mieux 
faire  que  d'établir  par  là  notre  correspondance  en  toutes 
choses  qui  demandent  du  secret,  surtout  par  rapport 
aux  affaires  de  Genève.  Mais  il  faut  pour  cela  que 
vous  ayez  à  Paris  un  correspondant  sûr,  qui  reçoive 
vos  pacquets  et  qui  les  affranchisse  jusqu'à  Pontar- 
lier.  C'est  une  précaution  indispensable  pour  qu'ils 
me  parviennent,  attendu  qu'accablé  de  ports  de  lettres 
inutiles,  j'ai  écrit  là-dessus  à  Mrs.  les  fermiers  gé- 
néraux des  postes  et  qu'en  conséquence  de  la  prière 
que  je  leur  en  ai  faite,  toutes  les  lettres  à  mon 
adresse  qui  ne  sont  pas  affranchies  jusqu'à  Pontarlier 
sont  mises  an  rebut  à  Paris.    Comme  cette  voye  vous 


peut  être  embarrassante  et  dispendieuse,  nous  ne  nous 
en  servirons  qu'en  choses  nécessaires;  mais  c'est  le 
cas  où  nous  sommes  dans  cette  occasion  plus  (m'en 
nulle  autre,  puisque  vous  jugez  bien  que  ce  n'est  qu'à 
très-mauvais  dessein  qu'on  intercepte  vos  envois  et 
qu'il  est  de  la  plus  grande  importance  et  à  moi  et  à 
tout  un  corps  très-estimable,  que  mon  ouvrage  et  surtout 
la  seconde  partie  ne  tombe  point  entre  les  mains  de 
mes  oppresseurs  avant  d'être  sous  les  yeux  du  public. 
S'il  arrivoit,  du  reste,  qu'en  conséquence  de  la  décou- 
verte qu'ils  auront  i'aite  de  notre  besogne,  ils  fissent 
jouer  des  machines  dans  votre  gouvernement  pour  en 
empêcher  la  publication,  je  crois  que  vous  trouveriez 
une  protection  sûre  à  leur  opposer  dans  Messieurs  les 
Comtes  de  Bintink  que  je  sais  être  bien  intentionnés 
pour  moi  (').  Vous  êtes  prudent  et  sage  pour  faire 
au  besoin  ce  qu'il  convient. 

Sur  tout  ce  que  je  viens  de  vous  exposer,  vous 
pouvez  juger  de  ma  situation,  et  du  besoin  que  j'ai 
d'un  prompt  éclaircissement  sur  un  silence  aussi  inquié- 
tant que  le  vôtre  et  sur  d'aussi  cruels  contretems  qui 
nous  causent  peut-être  dans  la  perte  du  tems  un  pré- 
judice irréparable. 

Mon  adresse  par  la  voye  de  Paris  doit  être  conçue 
exactement  en  ces  ternies,  ni  plus  ni   moins. 

A   Monsieur 

Monsieur    J.    J.    RorssK.w 

à  Môtier-Travers 

par  Pontarlier. 

J'embrasse  ma  chère  commère,  et  vos  enfans,  surtout 

(■)  Voir  la  note  au  N».   110. 


225 

ma  petite  filleule  dont  je  suis  charmé  d'apprendre  le  bon 
état;  je  vous  salue  et  vous  embrasse  aussi  de  tout 
mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


121. 

A  Môtiers,  17   7'"."  1764. 

J'apprends ,  mon  cher  Rey ,  par  votre  lettre  du  7 
que  vous  avez  été  malade.  Je  suis  affligé  de  votre 
mal ,  et  tandis  que  vous  souffriez  de  vos  douleurs ,  j  e 
souffrois,  moi,  de  votre  silence;  comme  vous  aurez  pu 
voir  pas  les  lettres  que  je  vous  ai  écrites  par  différentes 
voyes.  Si  vous  eussiez  daigné  me  faire  écrire  au  moins 
deux  mots,  vous  m'eussiez  épargné  de  cruelles  inquié- 
tudes. 

Il   y    a    dans    la   feuille    B    page    20    une    omission 
d'autant  moins    pardonnable  qu'il    ne  falloit  que    lire 
pour  la  sentir.    Ligne  6  en  remontant  il  y  a 
résulte  celle  des  sentimens  sur  la  Religion  en 
et  il  faut  : 

résulte   celle   des  sentimens    sur   la  Religion,  dune 
part  en 

Ces  deux  mots  omis  rendent  un  carton  nécessaire 
pour  que  la  phrase  ait  un  sens. 

Quant  à  la  correction  de  la  page  172,  mettez-la 
comme  je  vous  l'ai  envoyée  par  lettre,  car  le  mot  chefs 
ne  doit  absolument  pas  rester. 

Si  je  croyois  que  l'ouvrage  ne  pût  être  public  à  Ge- 
nève avant  Noël,  j'aimerois  beaucoup  mieux  qu'il  ne 
le  fût  point  du  tout;  car  publié  après,  il  peut  faire  du 
mal  et  ne  peut  faire  aucun  bien.  S'il  n'y  a  pas  d'autre 
moyen,   il  ne  faut  pas  balancer  à  en  envoyer  par  les 

13 


226 

chariots  de  poste  ou  par  d'autres  voyes  diligentes  quoi- 
que dispendieuses,  au  moins  une  centaine  d'exemplaires 
de  l'Edition  in-12,  pour  moins  d'embarras  et  de  frais: 
on  vendra  ces  exemplaires  tout  ce  qu'on  voudra ,  et  en 
annonçant  le  grand  envoi  comme  suivant  de  près,  cela 
empêchera  les  contrefaçons.  Il  faut  absolument,  en  un 
mot,  qu'à  quelque  prix  que  ce  soit  l'ouvrage  paroisse 
à  Genève  avant  Noël,  ou  vous  me  donnerez  le  plus 
grand  chagrin  que  je  puisse  recevoir  et  vous  causerez 
un  mal  irréparable.    Je  vous  conjure  de  penser  à  cela. 

Lorsque  vous  annoncerez  l'ouvrage  en  France,  il  ne 
faut  pas  simplement  l'annoncer  comme  Apologie  sur 
la  Religion  mais  faire  entendre  qu'elle  n'est  que  contre 
les  ministres  de  Genève  et  qu'il  n'y  a  pas  un  seul 
mot  contre  les  Catholiques.  Je  ne  doute  point  (pie  sur 
la  lecture  de  l'ouvrage  le  magistrat  n'accordât  sans 
difficulté  une  permission  tacite. 

Sitôt  que  vous  pourrez  m'expédier  l'histoire  univer- 
selle vous  me  ferez  plaisir,   car  j'en  ai  besoin. 

J'attends  avec  la  dernière  impatience  de  vos  nouvelles. 
et  j'espère  surtout  que  je  saurai  à  quoi  m'en  tenir  sur 
l'envoi  de  Genève,  et  que  vous  pourvoirez  efficacement 
pour  l'avenir  qu'il  n'y  ait  plus  de  retards.  Je  me  suis 
assez  bien  porté  durant  mon  voyage,  mais  de  retour 
à  Môtiers  me  voilà  tout  aussi  mal  qu'auparavant.  Je 
vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 


\2:>. 

A  NEUFCHaTEL,  le  lr  8*"?  1764. 

Je  reçois,  mon  cher   Compère,   avec    votre  lettre   du 
21    7b.ro  la  suite  des    feuilles  jusqu'à   L.  inclusivement  , 


227 

et  j'y  vois  avec  un  déplaisir  inexprimable  que  vous 
m'annoncez  à  cause  d'une  foire  une  interruption  de 
près  d'un  mois.  Si  cette  interruption  avoit  lieu,  il  seroit 
absolument  impossible  que  mon  ouvrage  fût  imprimé, 
non-seulement  au  commencement  de  Novembre  comme 
vous  me  l'avez  promis ,  mais  à  la  fin ,  et  par  conséquent 
impossible  aussi  qu'il  fût  public  à  Genève  avant  Noël 
comme  il  doit  l'être  absolument.  Je  ne  sais  quelle 
étrange  fatalité  me  poursuit  dans  l'impression  de  mes 
ouvrages;  mais  je  sais  que  si  celui-ci  manque  au  tems 
et  à  l'occasion ,  je  ne  m'en  consolerai  de  ma  vie  et  que 
j'abjurerai  pour  le  reste  de  mes  jours  un  malheureux 
talent  qui  ne  m'attire  que  des  douleurs  sans  pouvoir 
être  utile  à  personne. 

En  calculant  l'impossibilité  que  votre  envoi  pour 
Genève  fût  fait  à  tems  par  les  voyes  ordinaires,  j'ai 
vu  qu'il  falloit  absolument  se  servir  de  quelque  autre 
moyen  et  j'ai  écrit  en  conséquence.  Si  des  personnes 
connues  s'adressent  à  vous  pour  cela,  je  vous  prie 
de  concerter  avec  elles  tout  ce  qui  sera  faisable  pour 
que  mon  travail  ne  soit  pas  perdu  et  que  l'ouvrage 
n'arrive  pas   après  coup. 

Je  ne  vois  point  d'inconvénient  que  vous  traitiez 
avec  Ducliesne,  et  même  cela  vous  ôtera  l'embarras  de 
l'introduction,  s'il  arrivoit  que  M.  de  Sartine  fût  d'assez 
mauvaise  humeur  pour  s'y  opposer;  quoiqu'assurément 
il  n'y  ait  rien  dans  l'ouvrage  qui  doive  déplaire  en  ce 
pays-là,  et  qu'il  y  ait  beaucoup  de  choses  qu'on  y 
doit  lire  avec  plaisir. 

Je  vous  ai  demandé  ci-devant  un  carton  pour  une 
des  deux  premières  feuilles.  En  voici  deux  autres  en- 
core plus  nécessaires  ;  je  vous  prie  de  les  faire  faire  avec 
soin,  et  de  veiller  à  ce  qu'il  en  soit  fait  de  correspon- 
dais dans  l'Edition  in-12  si,  comme    il  est  fcrès-appa- 

15  • 


2 2! s 

rent,  les  mêmes  fautes  s'y  trouvent.  Cette  édition  in-1  2 
doit  être  faite  avec  d'autant  plus  de  soin  que  pour  La 
facilité  du  transport  ce  sera  probablement  celle  que 
vous  enverrez  de  préférence  à  Genève.  Ainsi  je  vous 
la  recommande  particulièrement. 

La  faute  qui  demande  le  deuxième  carton  est  aux 
pages  77  et  78  dont  les  deux  notes  sont  transposées; 
il  faut  les  remettre  Tune  à  la  place  de  l'autre;  cette 
correction  est  très-essentielle  ('). 

Le    troisième    carton    est    pour   un    mot   omis    à   la 

page   135  où   le  mot  sûrement  est  omis  ligne   5   après 

le  mot  juger.    Prenez  garde  que  le  mot  juger  se  trouve 

dans    la  ligne   4  et    dans  la  ligne   5,  et  que  ce  n'esl 

qu'après  le  second  que  le  mot  sûrement  doit  être  ajouté. 

Voici  ces  deux  lignes,    telles  qu'elles  doivent  être  (2). 

Loix  de   la  nature,   pour  en  juger  il  faut  con- 

noitre    ces  Loix,    et   pour   en  juger   sûrement    il 

faut  les 

Je  suis  fâché,  mon  cher  Compère,  que  vous  ne  jouis- 
siez pas  de  votre  santé  ordinaire.  Donnez-moi  des 
nouvelles  de  votre  état  et  ménagez-vous.  Pour  moi  je 
sens  les  approches  de  l'hiver.  Je  suis  chagrin,  je  suis 
malade,  et  je  suis  encore  plus  inquiet.  Mille  amitiés 
à  vos  Dames.     J'embrasse  ma  filleule  et  son  papa. 

J.  J.  Rousseau. 

M.  Philibert  Cramer  m'a  écrit  au  sujet  de  l'argent 
que  son  parent  s'est  chargé  de  me  remettre,  mais  il 
m'est  tout  aussi  difficile  de    le   taire  venir  de   Genève 


(')  Après   ces   nuits  sur  l'original,  Rey  a  écrit   cette  parenthèse  [c'est  vous 
qui  avez  fait  l'erreur).    11  a  ê  l'erreur,  comme  les  autres. 

(2)  Rey  a.  marqué  ici  :  Le  mot  <i  manqué  dans  le  MSc. 


22\) 

que  d'Amsterdam.  Je  verrai  pourtant  d'arranger  cette 
affaire  tandis  que  je  suis  à  Neufehâtel,  et  sitôt  qu'elle 
sera  en   règle,  je  vous   le   marquerai. 


123. 

A.  Môtiers,  le  8  8bi:e   1764. 

Je  vois,  mon  cher  Compère,  par  votre  lettre  du 
28  7bi;e  que  l'omission  de  la  page  20  étoit  dans  le 
Manuscrit:  c'est  ma  faute,  je  n'ai  rien  à  dire.  Cepen- 
dant comme  il  faut  également  d'autres  cartons,  si  vous 
y  vouliez  ajouter  celui-là ,  vous  me  feriez  grand  plaisir  : 
sinon  nous  nous  contenterons  de  corriger  cette  faute 
dans  l'errata,  car  il  en  faudra  un,  indépendamment 
des  cartons ,  malgré  votre  attention  dont  jusqu'ici  je 
suis  content. 

Les  cartons  nécessaires  sont  jusqu'à  présent  au  nom- 
bre de  trois ,  ce  qui  n'est  pas  trop  sur  treize  feuilles. 

Le  premier  page  20,  ligne  6  en  remontant,  il  s'agit 
d'ajouter  entre  les  deux  derniers  mots  de  cette  ligne 
ces  deux  autres  mots  omis:  d'une  part.  C'est  la  faute 
du  manuscrit. 

Le  second  carton  est  pour  les  pages  77  et  78  dont 
les  deux  notes  sont  transposées ,  de  sorte  qu'il  faut 
reporter  chacune  des  deux  à  la  place  de  l'autre.  Cette 
correction  est  indispensable. 

Le  troisième  carton  est  pour  la  page  135  ligne  5 
où  entre  le  mot  juger  et  le  mot  il  vous  ferez  insérer 
le  mot  sûrement  qui  a  été  omis:  en  sorte  que  le  pas- 
sage  doit  être  dans  la  ligne  5  de  cette  manière  et  pour 
en  juger  sûrement  il  faut  les.  La  tante  vient  sans  doute 
de  la  ressemblance  de  cette  ligne  avec  la  précédente, 
qui  ;!   fait  équivoquer  le  compositeur. 


280 

Je  remarque  à  la  page  167,  ligne  10,  une  quatrième 
faute  pour  laquelle  je  ne  vous  demande  pas  un  carton, 
et  qu'il  suffira  de  corriger  dans  l'errata  de  cette  manière, 
page  167,  ligne  10,  indiscrètement,  lisez  indistinc- 
tement (*). 
Je  vous  prie  en   faisant   faire   les  cartons  de  veiller 
soigneusement  à  deux  choses.     L'une  qu'en  corrigeant 
la  faute  on   n'en  laisse  pas  glisser  quelque   autre ,   et 
que  le  carton  soit  correct.     L'autre   chose  que  je  vous 
recommande  est  de  veiller  à  ce  que  les  mêmes  cartons 
se  fassent  exactement   dans  l'édition  in-12    aux  places 
correspondantes.    Il  faut  veiller  d'autant  plus  soigneu- 
sement  à  cette  édition   in-12   qu'à    cause  de  la   facilité 
du  transport  et  de  la  diligence  qu'il  y  faut  mettre ,  elle 
sera  probablement  celle  que  vous  enverrez  à  Genève. 

Je  vous  avois  marqué  qu'il  seroit  suffisant  pour  notre 
objet  que  l'ouvrage  arrivât  à  Genève  à  Noël.  Vous 
allez  voir  par  l'extrait  suivant  d'une  lettre  de  M.  Jacques 
Vieusseux,  combien  je  m'étois  trompé. 

"Nous  estimons  d'une  absolue  nécessité  d'en  rece- 
voir 500  exemplaires  sur  la  fin  de  Novembre. 
Nous  nous  en  chargerons  au  prix  des  marchands, 
et  l'expéditeur  n'en  devra  point  envoyer  ici  d'autres 
avant  la  fin  de  l'année ,  il  fout  qu'ils  soient  bro- 
chés et  tout  prêts  à  se  produire.  Comme  cela  ren- 
dra l'arrangement  difficile  dans  une  balle,  je  pense 
qu'il  faudra  les  mettre  dans  une  caisse  exactement 
fermée,  couverte  d'une  toile  cirée  avec  un  bon 
emballage  par  dessus  et  marquée  VJ  X".  1,  ei  devra 
être  expédiée  sous  le  nom  de  Draperie  ordinaire 
à   l'adresse   de  Mr.    Marc   Ramadier    lils  à  Franc- 


Ci    Une    note   ^<r   l'original  indiq |ue    indiscrètement  se  trouvai!  dans 

le  M8 


231 

fort,  avec  ordre  de  me  la  faire  parvenir  en  toute 
diligence.  Si  la  caisse  part  plus  tard  que  ce  mois-ci, 
il  faudra   la  remettre  à  im    chariot   de  poste,  en 
traitant  du  mieux  possible  pour  le  prix  de  la  voi- 
ture.    Ayez  la  complaisance   de  marquer  à  votre 
ami  de  m'aviser  de  l'expédition,  de  me  remettre 
le  compte ,  et  de  ne  pas  tirer  sur  moi  pour  le  paye- 
ment parce  que  j'aurai  soin  de  lui  faire  remise." 
J'écris  aujourdui  à  M.  Vieusseux  qu'on   ne  doit  pas 
s'attendre  à  la  diligence  sur  laquelle  on  acompte;  mais 
que  je  vous    prie   de  faire  toute   celle    qui  vous    sera 
possible,  que  du  reste  je  le  prie  et  lui  conseille  de  se 
concerter  directement  avec  vous  pour  l'envoi.    Je  vous 
fais  la  même  prière  ne  pouvant  m'occuper  de  tous  ces 
tracas  dans  lesquels  ma  médiation  est  inutile.   Je  sou- 
haite que  mon  ouvrage    aille  à  Paris   et   s'y   répande, 
mais  il  ne  m'importe  pas  qu'il  y  paroisse  en  un  tems 
prëfix  comme  à  Genève. 

M.  Philibert  Cramer  m'a  écrit  de  la  part  de  son 
parent.  Je  suis  aussi  embarrassé  à  faire  venir  mon 
argent  de  Genève  que  d'Amsterdam.  Il  m'eût  été  bien 
plus  commode  de  tirer  sur  vous  par  lettre  de  change. 
Du  reste  cela  n'étoit  point  pressé.  Les  j)orts  des  pac- 
quets  me  ruinent,  le  dernier  m'a  coûté  48  batz  et  j'en 
suis  déjà  pour  36  francs.  Il  n'y  a  ni  modération  ni 
règle  ici  dans  les  postes.  Une  autre  fois  il  faudra  s'ar- 
ranger autrement. 

Vous  auriez  bien  fait  de  faire  entrer  mon  Hist. 
univers,  dans  l'envoi  que  vous  avez  fait  à  M1S.  Pour- 
talès  ;  ils  m'ont  donné  une  adresse  pour  Francfort,  mais 
je  l'ai  perdue. 

Vous  pouvez  imprimer  ma  lettre  du  28  May  (1).    Si 

(')  Voyez  la  note  au   X".  1 14. 


232 

vous  traitiez  avec  Duchesne  pour  qu'il  imprimât  à  Paris, 
vous  feriez  un  moindre  profit  sans  doute,  mais  vous 
éviteriez  bien  des  embarras.  Dans  un  voyage  que  j'ai 
fait  à  Neufchâtel,  j'ai  perdu  une  lettre  que  je  vous  écri- 
vois  et  dont  celle-ci  n'est  que  le  duplicata.  J'en  suis 
Tort  en  peine.  Je  vous  plains  d'avoir  la  fièvre;  je  l'ai 
aussi,  mais  la  mienne  est  continue  avec  un  rhume  et 
d'autres  maux.    Mes  salutations.     Je  vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 


124. 

A  Môtiers,  le  22  81'1?    1764. 

J'ai,  mon  cher  Compère,  avec  votre  lettre  du  12, 
jusqu'à  G  inclusivement  de  la  seconde  partie.  Je  vois 
avec  grand  plaisir  que  vous  continuez  de  meilleur  train 
que  vous  n'avez  commencé,  et  si  vous  poursuivez  ainsi 
je  commence  à  croire  que  nous  pourrons  paroitre  à  tems 
surtout  si  vous  vous  arrangez,  comme  j'espère,  avec 
l'auteur  de  la  lettre  dont  je  vous  ai  précédemment  en- 
voyé l'extrait. 

Vous  devez  avoir  receu  l'indication  cle  trois  cartons 
à  l'aire  dans  la  première  partie;  exécutez  ceux-là  fidè- 
lement et  je  n'y  en  demande  point  d'autre.  Mais  voici 
un  errata  que  vous  aurez  soin  d'y  placer  au  commen- 
cement. J'y  ai  marqué  avec  des  croix  Les  fautes  qui 
demandent  des  cartons  et  qu'il  faudra,  par  conséquent, 
effacer  de  l'orra  ta. 

Je  suis  assez  content  de  votre  exactitude  et  je  vous 
suis  sensiblement  obligé  d'y  en  mettre  plus  qu'à  l'or- 
dinaire; mais  je  suis  bien  mécontent  de  mes  propres 
étourderies.  En  voici  une  dans  la  seconde  partie  qui 
lait   une  grossière  contradiction  sur  un  point  essentiel, 


233 

et  qui  me  force  par  conséquent  à  vous  demander  un 
carton.  C'est  à  la  page  22.  Vous  verrez  dans  le  feuillet 
ci-joint  le  changement  qu'il  s'agit  de  faire,  et  ce  chan- 
gement est  absolument  nécessaire.  Ce  sera,  je  l'avoue, 
un  carton  de  plus;  mais  quatre  cartons  sur  vingt-huit 
feuilles  ne  sont  pas  après  tout  un  embarras  bien  con- 
sidérable, et  quand  nous  en  aurions  bien  quatre  encore 
à  faire  sur  le  reste,  ce  qui,  j'espère,  n'arrivera  pas, 
ce  ne  seroit  jamais  qu'une  feuille  sur  le  tout,  ce  qui 
est  peu  de  chose. 

Comme  il  n'est  pas  possible  qu'il  ne  se  glisse  quel- 
ques nouvelles  fautes  dans  l'édition  in-12 ,  je  voudrois 
fort  que  ce  fût  celle  in-8°  que  vous  enverriez  à  Genève; 
car  c'est  là  que  l'ouvrage  sera  le  plus  sévèrement  éplu- 
ché et  que  toutes  les  fautes  porteront  coup.  Tâchez 
de  verser  l'in-12  en  Hollande  et  en  Allemagne.  C'est 
là  qu'on  n'aura  pas  besoin  d'y  regarder  de  si  près. 

Puisque  vous  ne  pouvez  pas  ni'envoyer  mes  exem- 
plaires auparavant ,  il  faudra  se  contenter  de  les  avoir 
avec  vos  envois;  en  voici  la  distribution.  Un  pacquet 
de  quinze  avec  l'envoi  pour  Genève.  Autant  avec  l'en- 
voi pour  Neufehatel  ;  car  je  suppose  que  vous  ne  man- 
querez pas  d'en  envoyer  à  Fauche.  Autant  avec  l'en- 
voi pour  Paris.  Sur  chaque  pacquet  vous  écrirez  pour 
routeur,  et  je  vous  prie  que  tous  les  exemplaires  soient 
cousus,  douze  de  l'in-8°  et  trois  de  Tin-douze. 

Outre  cela,  j'en  voudrois  faire  passer  un  à  Londres 
à  mon  Cousin  Jean  Rousseau ,  Café  de  Sams  près  de 
la  Bourse;  un  autre  à  Mylord  Mareschal,  à  Berlin,  avec 
un  petit  billet  où  vous  lui  marquerez  que  c'est  de  ma 
part.  En  voilà  47  de  placés  ;  j'en  retiens  encore  trois 
dont  je  vous  marquerai  la  disposition  dans  la  suite. 

M.  Philibert  Cramer  m'ayant  écrit  qu'il  étoit  chargé 
de  me  remettre  les  treize  cents  francs,  j'ai   de  son  con- 


234 

sentement  tiré  sur  lui  une  lettre  de  change;  je  ne 
doute  pas  qu'il  n'y  fasse  honneur.  Il  m'a  marqué  qu'on 
disoit  que  je  faisois  imprimer  un  ouvrage  en  Hollande. 
Si  vous  ne  m'avez  pas  gardé  le  secret,  cela  peut  avoir 
de  grands  inconvéniens.  Rien  ne  sauroit  calmer  mes 
inquiétudes  que  je  ne  sache  l'ouvrage  arrivé  à  ses 
différentes  destinations.  Il  ne  contient  rien  qui  doive 
déplaire  en  France;  mais  je  sais  que  M.  de  Sartine 
n'est  pas  trop  porté  pour  moi. 

Mille  salutations  à  vos  Dames.  Il  y  a  longtems  que 
vous  ne  m'avez  rien  dit  de  ma  filleule;  j'espère  qu'elle 
se  porte  bien,  et  qu'on  lui  parle  quelquefois  de  son 
pauvre  Parrain  qui  n'a  que  des  malheurs  en  ce  monde, 
ce  qui  le  rend  inutile  à  tout.     Je  vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 


125. 

A  Môtiers,  le  29  8b,:e  1764. 

Quelque  pressée,  mon  cher  Compère,  que  soit  la 
publication  de  mon  ouvrage,  je  ne  puis  approuver  la 
résolution  que  vous  avez  prise  de  le  faire  partir  avant 
d'avoir  fait  passer  sous  mes  yeux  tout  l'imprimé  et 
d'avoir  attendu  ma  réponse;  car  vous  devez  comprendre 
que  sur  une  matière  aussi  grave,  il  y  a  des  fautes 
d'inadvertance  <>u  d'impression  qui  peinent  être  de  la 
plus  grande  conséquence  et  qu'il  ne  faut  pas  laisser 
courir.  Celle  que  je  vous  ai  marquée  dans  ma  précé- 
dente est  dans  ee  cas;  c'est  une  bévue  de  l'auteur,  il 
est  vrai:  mais  connue  elle  l'ait  une  contradiction  into- 
lérable avec  la  suite,  il  tant  absolument  la  corriger. 
Mais  comment  s'y  prendre  si  nous  avez  déjà  l'ait  partir 
l'ouvrage?   votre   expédienl    «le   faire   un    carton   après 


235 

coup  et  de  l'envoyer  par  la  poste  ne  me  paroi t  pas 
trop  sûr;  car  les  relieurs  (')  qui  sont  paresseux  et 
qui  se  soucient  fort  peu  que  mon  ouvrage  soit  correct 
ou  non,  ne  trouvant  pas  le  feuillet  coupé,  ne  se  don- 
neront pas  la  peine  de  placer  le  carton.  Ayez  soin  du 
moins,  si  le  carton  est  déjà  parti,  de  recommander 
particulièrement  à  ceux  à  qui  vous  adressez  l'ouvrage 
de  ne  lâcher  aucun  exemplaire  sans  le  carton.  Que  s'il 
n'est  pas  parti  encore,  voyez  si  peut-être  il  ne  seroit 
pas  plus  sûr  de  faire  cette  correction  par  Errata  au 
commencement  de  la  seconde  partie;  car  il  est  à  croire 
que  n'ayant  rien  à  couper,  les  brocheurs  placeront  plus 
sûrement  l'Errata  que  le  carton.  Comme  que  ce  soit, 
je  vous  demande  en  grâce  que  cette  faute  soit  corrigée, 
surtout  dans  tous  les  exemplaires  qui  paroitront  à  Ge- 
nève; car  la  contradiction  dont  il  s'agit  suffîroit  pour 
y  décréditer  entièrement  l'ouvrage,  et  quel  parti  n'en 
tireroit-on  pas  contre  moi? 

Je  vous  envoyé  le  modèle  de  l'Errata  que  vous  met- 
trez à  la  seconde  partie;  si  vous  avez  corrigé  cette 
faute  par  un  carton,  il  faudra  toujours  faire  un  errata 
pour  la  seconde  faute,  car  elle  fait  un  Lien  ridicule 
contresens.  Vous  êtes  vous  arrangé  avec  M.  Vieusseux 
pour  le  premier  envoi?  Je  le  désire.  Au  reste,  faites 
ce  qui  vous  convient  le  mieux. 

J'ai  tiré  sur  M.  Philibert  Cramer  une  lettre  de  change 
et  comme  je  n'en  entends  plus  parler  je  suppose  qu'elle 
est  payée  et  j'ai  déjà  receu  l'argent.  Si  j'étois  moins 
pressé,  je  vous  enverrois  aujourd'hui  le  receu  de  M11.0  Le 
Vasseur. 

Si  notre  affaire  va  bien ,  je  ne  refuserai  pas ,  mon 
cher  Compère,  l'augmentation  que  vous  avez  lnonnê- 

(')  Lise/.:  brocheurs. 


236 

fceté  de  m' offrir.  Tous  vos  procédés  sont  d'un  galant 
homme,  et  je  crois  qu'en  nous  passant  mutuellement 
quelques  petites  étourderies  nous  230iivons  l'un  et  l'autre 
nous  applaudir  de  nous  connoitre.  Je  vous  ai  fait 
honneur  en  toute  occasion  de  ce  que  vous  avez  fait  pour 
Wle.  Le  Vasseur;  et  je  ne  me  tairai  pas  non  plus  quand 
l'occasion  s'en  présentera  sur  ce  dernier  procédé.  Ayez 
soin  de  passer  en  déduction  le  prix  de  l'Histoire  uni- 
verselle. 

J'attends  dans  huit  jours  la  fin  de  l'ouvrage,  et  je 
voudrois  que  de  votre  côté  vous  attendissiez  pour  l'en- 
voi des  corrections  huit  jours  après  cette  lettre,  afin 
que  s'il  se  trouve  encore  quelque  chose  à  faire  aux 
dernières  feuilles  vous  puissiez  tout  faire  partir  à  la 
fois.  Mille  salutations  et  respects  à  mes  chères  Com- 
mères; j'embrasse  ma   filleule  et  son  papa. 

J.  J.  Rousseau. 


120. 

5   9*? 

Je  reçois  en  ce  moment,  mon  cher  Compère,  votre 
dernier  pacquet,  et  je  suis  frappé  d'étonnemeni  à  la  vue 
de  votre  Errata,  Qu'avez-vous  donc  fait  de  celui  que 
je  vous  ai  envoyé?  Comment  avez-vous  pu  vous  résou- 
dre à  faire  partir  cet  ouvrage  avant  d'avoir  receu  et 
placé  mes  dernières  corrections? 

Je  vous  en  ai  ci-devant  envoyé  deux  pour  la  seconde 
partie.  Je  vous  les  envoyé  pour  la  troisième  t'ois,  puis- 
que vous  ne  m'en  parlez  point  ;  car  soit  par  cartons 
soit  par  Errata,  il  faut  absolument  qu'elles  soient  em- 
ployées. 


237 


La    première    page    22,    ligne     11    au    lieu    de    ces 
mots. 


Avant  d'avoir  assez  affermi  leur  puissance ,  ils  vou- 
lurent usurper  le  droit  de  mettre  des  impôts. 


mettez  ceux-ci  à  la  place. 


Ils  avoient  doucement  usurpé  le  droit  de  mettre 
des  impôts.  Avant  d'avoir  assez  affermi  leur  puis- 
sance, ils  voulurent  abuser  de  ce  droit. 


L'autre  faute  est  page  99,  ligne  12,  ôtez  ne. 

Voyez  comment  vous  ferez  si  l'ouvrage  est  déjà  parti 
pour  que  ces  corrections  le  suivent  et  qu'il  ne  se  débite 
point  sans  elles. 

Vous  me  marquez  que  vous  ferez  partir  tout  ce  que 
vous  pourrez  de  l'ouvrage  pour  Genève  le  27  8bï°  et  le 
reste  huit  jours  après.  Vous  devez  comprendre  que  la 
première  partie  est  inutile  sans  la  seconde ,  et  qu'il  ne 
faut  absolument  pas  que  ni  à  Genève  ni  à  Paris  elles 
paraissent  séparément. 

On  me  mande  de  Paris  qu'un  exemplaire  des  Lettres 
écrites  de  la  Montagne  y  court ,  ce  qui  me  fait  une 
peine  excessive;  si  vous  m'eussiez  consulté,  vous  n'auriez 
pas  envoyé  cet  ouvrage  si  fort  à  l'avance  à  M.  de  Sar- 
tine.  Duchesne  qui  croit  que  l'ouvrage  que  vous  lui 
I imposez  est  autre  chose,  vient  de  m'écrire  là-dessus, 
et  je  lui  ai  répondu  comme  il  convenoit  par  le  cour- 
rier d'hier  ('). 


(>)  Voici  ce  quo  Duchesne  écrivail  à  Rey  le  25  Oct.  "Touchant  l'ou- 
vrage de  M.  Rousseau  il  court  un  (exemplaire)  d'un  ouvrage  déjà  fini 
de    cet   auteur,   intitule:    Lettres   écrites  de    lu  montagne  80.     Lu  pur- 


238 

Instruisez-moi  de  vos  dernières  dispositions  et  des 
arrangeniens  que  vous  avez  pris  pour  mes  exemplaires. 
Je  ne  vous  en  demandois  pour  Paris  que  quinze,  et 
je  vois  qu'il  m'en  faudra  bien  vingt.  Je  vois  avec 
douleur  qu'après  tant  de  soins  pour  la  correction  et 
pour  la  diligence,  l'ouvrage  sera  défectueux  et  arrivera 
trop  tard.  Mes  inquiétudes  là-dessus  seroient  moins 
pardonnables  si  elles  ne  regardoient  que  moi  seul.  Je 
vous  embrasse. 

J.  J.  Rousseau. 

Voici  encore  une  omission  que  j'aperçois  ,  seconde 
partie,  page  22,  première  ligne  pour  ainsi,  lisez  pour 
ainsi  dire. 

Page  48,  ligne  3  de  la  note  1707,  lisez  1713  ('). 


127. 

10  9b™  1761. 

Après  une  lecture  attentive  de  toutes  les  feuilles  de 
mon  ouvrage,  je  m'en  tiens  définitivement  à  l'Errata 
que  je  vous  envoyé  (2)  ;  mais  il  faut  absolument  que 
vous  fassiez  en  sorte  qu'il  soit  employé,  surtout  pour 
tout  ce  qui  sera  débité  en  France  et  A  Genève.  Pour 
cela  vous  pouvez  en  faire  un  feuillet  que  vous  sub- 
stituerez en  forme  de  carton  à  celui  qui  contient  votre 
singulier    Errata  et    qui    fait    supposer    qu'à    cola    près 


ticulier très-respectable  m'"  assuré  l'avoir  vu;  l'exemplaire  est  venu  par 
la  ponte  du  côté  de  Lyon.  Ne  seroit-ce  pas  l<)  l'ouvrage  que  vous  m'avez 
proposé?'' 

(')  Voyez  la  Lettre  suivante 

-•    Dana  l'édition   in-12,  toutes  Les  fautes  que  L'auteur  a  indiquées  mit  été 
corrigées,  il  n'y  a  pas  d' Errata. 


239 

l'ouvrage  est  correct.  Vous  enverrez  ce  carton  ou  son 
modèle  à  ceux  que  vous  aurez  chargé  du  débit  de  l'ou- 
vrage, les  priant  d'en  faire  imprimer  un  semblable,  et 
de  faire  en  sorte  qu'il  soit  employé  dans  tous  les  exem- 
plaires qui   sortiront  de  leurs  mains. 

A  l'égard  de  l'édition  in-12 ,  comme  je  ne  l'ai  pas 
je  n'en  saurois  coter  les  pages  correspondantes  pour 
y  faire  les  mêmes  corrections;  ainsi  il  faut  nécessaire- 
ment que  vous  preniez  ce  soin  vous-même,  et  je  vous 
prie  d'y  donner  toute  l'attention  nécessaire  pour  que 
les  numéros  de  page  et  de  ligne  soient  exacts.  Il  faudra 
de  même  envoyer  le  modèle  de  ce  carton  in-12  à  Ge- 
nève et  à  Paris,  recommandant  qu'il  soit  exécuté  avec 
le  même  soin  que  celui  de  l'in-8°. 

Vous  avez  le  tems  encore  de  pourvoir  à  tout  cela 
avant  que  l'ouvrage  paroisse ,  et  je  vous  prie  instam- 
ment que  le  modèle  que  je  vous  envoyé  soit  exacte- 
ment suivi,  ni  plus  ni  moins;  que  si  par  hasard  vous 
avez  déjà  fait  et  envoyé  l'errata  sur  mes  corrections 
précédentes,  vous  pouvez  vous  en  tenir  là:  mais  je  me 
souviens  que  dans  ma  dernière  lettre  j'avois  mal  à 
propos  marqué  un  changement  de  1707  et  1713.  C'est 
1707  qui  est  le  bon,  et  qui  doit  rester. 

Si  vous  m'eussiez  consulté  sur  votre  envoi  à  M.  de 
Sartme,  vous  ne  vous  seriez  pas  exposé  au  refus  que 
vous  avez  essuyé,  et  l'exemplaire  qu'il  a  n'auroit  pas 
déjà  couru.  Je  sais  que  M.  de  Sartine,  très-partial 
contre  moi,  est  livré  à  mes  ennemis.  Malgré  la  solli- 
citation de  M.  Astier,  à  l'estime  duquel  je  suis  très- 
sensible,  je  n'augure  guères  mieux  des  dispositions  de 
M.  le  Duc  de  Praslin.  M.  de  Voltaire,  tout-puissant 
auprès  des  deux  frères,  est  l'ennemi  le  plus  implacable 
que  j'aye,  et  que  puisse  avoir  la  Bourgeoisie  de  Ge- 
nève. Ainsi  toutest  contre  nous ,  hors  le  droit,  la  justice 


et  la  vérité.     Et   qu'est-ce  que    tout   cela   vis-à-vis   de 
l'intrigue  et  du  crédit? 

Comme  je  suppose  que  vous  aurez  déjà  disjiosé  de 
l'envoi  de  mes  Exemplaires,  je  n'ai  plus  rien  à  vous 
dire  là-dessus  :  sinon  que  les  soixante  que  je  me 
réserve  ordinairement  ne  seront  pas  de  trop  en  cette 
occasion. 

Je  proposerai  à  M.  Vieusseux  de  distribuer  pour  mon 
compte  douze  de  ceux  que  vous  lui  avez  expédiés,  et 
je  lui  en  renverrai  autant  des  miens  à  la  place  quand 
ils  seront  arrivés.  J'espère  que  vous  en  aurez  envoyé' 
à  Paris  au  moins  quinze  comme  je  vous  en  ai  prié, 
et  <pie  vous  me  manderez  à  qui  ils  sont  adressés  afin 
cpie  j'en  dispose;  car  je  compte  toujours  que,  permis 
ou  non,  l'ouvrage  entrera,  comme  vous  vous  en  êtes 
l'ait  fort.  Vous  n'oublierez  pas  non  plus  l'exemplaire 
pour  mon  cousin  à  Londres ,  ni  celui  de  Mylord  Ma- 
réschal.  Quand  je  saurai  combien  il  vous  en  reste  pour 
mon  compte ,  je  pourrai  vous  en  marquer  l'emploi. 

De  quelque  manière  que  M.  le  Duc  de  Praslin  air 
répondu,  si  vous  ne  lui  avez  envoyé  que  la  première 
partie  il  faut  lui  envoyer  aussi  la  seconde.  Il  peut  être 
utile  qu'elle  passe  sous  ses  yeux,  et  il  ne  tant  pas 
qu'il  puisse  croire  qu'on   l'a  voulu   surprendre. 

Nous  voilà,  je  crois,  à  peu  près  en  règle  sur  cette 
affaire.  Ainsi,  à  moins  d'éclaircissemens  nécessaires,  je 
vais  cesser  de  vous  écrire  pour  quelque  teins  en  atten- 
dant la.  publication  de  l'ouvrage.  Je  suis  excédé  de 
fatigue,  d'inquiétude  et  de  lettres;  j'ai  besoin  d'un 
peu  de  repos,  ei  je  pense  que  vous  en  avez  besoin 
aussi.  ^Ics  honneurs  à  vos  Dames ,  j'embrasse  la  petite 
et  son  papa.     Tout  à  vous. 

J.  J.  Rousseau. 


241 

Voici  le  receu  de  M1!6  Le  Vasseur  que  j'ai  oublié  de 
vous  envoyer  plustôt.  Si  vous  savez  l'adresse  de 
M.  Roustan  ,  je  vous  prie  de  lui  envoyer  aussi  un  Ex. 
de  ma  part. 


128. 

12  9bf«  1764. 

En  réparant,  mon  cher  Compère,  l'oubli  du  receu  de 
Mu<:  Le  Vasseur  dans  ma  lettre  d'avant-hier ,  je  vous 
envoyé  en  même  tems  un  article  omis  dans  F errata  de 
la  seconde  partie.  Cette  correction  est  absolument  né- 
cessaire parce  que  le  ne  qui  a  été  ajouté  et  qui  n'étoit 
sûrement  pas  dans  la  copie  me  fait  dire  précisément 
le  contraire  de  ce  que  je  veux  dire. 

2e  Partie  page  99,  ligne  12  qui  ne  fut  arme,  effa- 
cez ne  ('). 

Me  rapportant  au  surplus  à  ma  précédente,  j'attends 
des  nouvelles  de  vos  envois  pour  la  France  et  vous 
embrasse  de  tout   mon  cœur. 

J.   J.    Rousseau. 


120. 


31    10'»?  1764. 


J'ai  receu,  mon  cher  Compère,  votre  dernière  lettre 
sans  date  et  vos  erratas  qui  ne  sont  pas  plus  fidèles 
que  les  autres,  surtout  l'in-12  où  l'Italique  et  le  Ro- 
main   sont    tellement   confondus    qu'on    n'y    comprend 


(')  La  correction  a  été  faite.    Le  passage  se  trouve  (Lettre  VIII)  dans  l'alinéa 

commençant   II  n'y  a  "point  d'Etat  au   monde  etc. 

n; 


2A-1 

rien.  Dans  le-  passage  changé  de  la  page  235 ,  on  a 
mis  un  mais  qui  n'est  sûrement  pas  de  ma  façon.  Il  y  a 
p.  80  une  autre  faute  que  je  n'ai  découverte  qu'après  coup 
et  qui  fait  le  plus  cruel  contre-sens.  C'est  ligne  18  impru- 
dence pour  impudence.    Cette  r  de  trop  est  tuante  (1). 

J'apprends  que  l'on  contrefait  cette  édition  à  Yverdun. 
Assurément  c'est  bien  votre  foute.  Pourquoi  en  avoir 
envoyé  si  peu  dans  ce  pays? 

Qu'est  donc  devenu  votre  envoi  pour  Paris?  Est-il 
péri  dans  la  mer,  est-il  englouti  dans  la  terre?  J'ai 
receu  hier  une  lettre  de  Duchesne  qui  ne  m'en  dit  pas 
un  mot  (2).  Il  faut  avouer  que  je  suis  bien  chanceux. 
Il  faut  que  le  pays  pour  lequel  j 'a vois  expressément 
fait  cet  ouvrage  soit  le  seul  où  il  ne  peut  parvenir. 

On  ne  sauroit  exprimer  la  fureur  que  cet  ouvrage 
excite  à  Genève  chez  les  ennemis  de  la  liberté  et  chez 
les  miens.  Vernes  vient  de  publier  contre  moi  un  libelle 
qui  fait  frémir  et  qui  doit  faire  bien  du  tort  et  du 
déshonneur  à  mes  adversaires.  Quant  à  moi,  je  puis 
vous  jurer    qu'il    ne  me    fait  aucun   chagrin.     Je   suis 


(')  Ello  est  restée  cette  r  tuante.  On  lit  toujours  dans  l'alinéa  de  la  Hui- 
tième Lettre  commençant  Et  qu'on  ne  dise  pas  etc.  imprudence  pour  im- 
pudence. 

(2)  Cependant  Ducliesne,  qui  s'était  arrangé  avec  Rey  pour  le  débitde  l'ouvrage 
en  France ,  mettait  une  grande  activité  et  employait  toute  sorte  de  ruses  pour 
faire  entrer  des  exemplaires  à  Paris,  en  secret.  "Potii'quoi  —  écrivit-il  — 
votis  ai-je  demandé  que  les  ira-12  fussent  plies  comme  les  i/i-S"  de  notre 
volume?  parce  que  ne  pouvait  foire  entrer  cela  que  très-difficilement,  *t 
pur  les  carrosses  des  Seigneurs  de  la  Cour,  lis  paquets  i/ui  ont  la  forme 
îles  in-S°,  m-4°  ou  in-fol.  sont  /dus  aisés  à  arranger  dons  les  fonds  des 
carrosses  que  les wi-12° '."  Mais  le  principal  envoi  se  lit  par  mer,  par  Rouen 
et  par  Dunkerqne.  Ce  fut  seulement  le  28  Janvier  17G5  que  Ducliesne  put 
('crire  à  son  confrère  d'Amsterdam:  "Je  dois  VOUS  informer  qu'enfin  nos 
affaires  sont  eu  sûreté.  Ce  n'est  pas  sans  bien  des  peines  et  des  dépenses 
que  l'on  est  parvenu  au  point  île   les  déposer  à  quelques  lieues  d'ici;   il 

,n   est  entré  et  ueee  les  précautions  nécessaires.    Les  /iresi  ns  que  M.  Iïous- 

seau  vouloit  faire  ont  été  faits." 


243 

très-aise    de   laisser,   comme  j'ai    dit    dans   l'ouvrage, 
L'arme  de  la  calomnie  et  de  la  satire  à  mes  ennemis. 

Dans  l'envoi  que  vous  m'avez  fait  dans  la  balle  de 
Fauche  vous  avez  fait  un  quiproquo  qui  m'a  rendu 
bien  penaud.  C'est  qu'au  lieu  des  Tomes  8  et  9  de 
l'Histoire  universelle  moderne  dontj'avois  précisément 
le  plus  de  besoin  vous  m'avez  envoyé  les  Tome  8  et  9 
de  l'Histoire  universelle  ancienne  que  j'avois  déjà. 
Avouons ,.  cher  Compère,  que  vous  et  moi  serons  jus- 
qu'à la  fin  deux  vrais  étourdis.  Tâchez  de  voir  com- 
ment nous  pourrons  faire,  vous  pour  m'envoyer  les 
deux  volumes  qui  me  manquent,  et  moi  pour  vous 
renvoyer  les  deux  que  j'ai  de  trop,  et  qui  doivent  vous 
dépareiller  un  exemplaire.  Vous  ne  m'avez  pas  mar- 
qué le  prix  de  ces  neuf  volumes;  marquez-le  moi,  je 
vous  prie,  et  comment  je  puis  vous  le  faire  tenir. 

M.  Vernéde  d'Amsterdam  s'est  chargé  à  Lyon  de 
quelques  chiffons  que  j 'envoyé  à  ma  filleule  et  à  mes 
chères  commères.  J'ai  chargé  Mad.  Boy  de  la  Tour, 
mon  amie,  de  cette  petite  emplette.  Je  souhaite  que, 
ne  pouvant  être  riche,  elle  soit  du  moins  de  bon  goût. 
A  petit  mercier,  petit  panier,  cher  Compère.  Bien  en- 
tendu que  le  petit  mercier  c'est  moi;  car  le  panier  ne 
sauroit  être  trop  grand  pour  le  mérite  des  Dames. 

Je  reçois  avec  bien  de  la  reconnoissance  le  beau  pré- 
sent d'estampes  que  me  fait  M.  votre  fils  (').  Je  me 
propose  de  lui  écrire  pour  le  remercier;  mais  le  mo- 
ment de  crise  où  je  suis  redouble  tellement  mes  tracas 
que  la  tête  m'en  tourne:  et  je  suis  obligé  de  finir 
brusquement  en  vous  embrassant  <1<'  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

(3)  François  Bernard ,  mort  en  Juin  1780 ,  peu  de  jours  après  son  père.  Le 
cadet  des  deux  fils  de  Etey,  [saac,  s'étant  établi  aux  Colonies  Hollandaises 
.■ii  Amérique  est  mort  ,'i  Demi 

16* 


244 

J'oubliois  de  vous  marquer  que  le  mot  ainsi,  omis 
dans  les  deux  éditions  est  à  celle  in-8°  à  la  page  52 
de  la  pre  partie,  ligne  première,  et  à  l*in-12  page  254, 
ligne  trois  en  remontant. 


130. 

A  Môtiebs,  le   28  Janv.   170.'). 

Voici,  mon  cher  Compère,  la  réponse  à  la  lettre  que 
vous  m'avez  envoyée  au  commencement  de  ce  mois. 
Je  sais  qu'il  y  a  deux  Comtes  de  Bentinck  (')  et  qu'ils 
m'honorent  l'un  et  l'autre  de  leurs  bontés;  mais  je  ne 
sais  comment  distinguer  l'un  de  l'autre  par  l'adresse 
des  lettres.  Vous  m'obligeriez  de  m'envoyer  ces  adresses 
bien  distinguées.  Vous  savez  qu'on  a  très-sévèrement 
défendu  à  Berne  les  Lettres  écrites  de  la  Montagne. 
Vous  ne  sauriez  concevoir  à  quel  point  la  rage  du 
Conseil  de  Genève  et  des  pantins  qu'il  l'ait  jouer  à 
Berne  et  ailleurs  est  portée  contre  moi.  Il  ne  faut 
pas  moins  que  l'honneur  que  j'ai  d'être  sujet  du  Roi 
et  que  la  protection  dont  il  m'honore  pour  me  croire 
en  sûreté  dans  le  lieu  que  j'habite,  et  je  ne  réponds 
pas  de  ce  qui  pourra  m'arriver  quand  je  mettrai  le 
pied  sur  le  canton  de  Berne.  Dieu  soit  béni,  je  m'at- 
tends à  tout,  mais  j'ai  trop  vécu.  Baisez  nia  petite 
tilleule  au  nom  de  son  malheureux  parrain.  Je  salin 
vos  Dames  et  vous  embrasse. 

.1.   4.    Rottsseau, 


P)  Vovfz  lu  note  au    N  '•    L10. 


245 
131. 

A  Môtiers,    le  1G  Févr.   1765. 

J'ai  receu,  mon  cher  Compère,  les  deux  lettres  que 
vous  m'avez  écrites  du  23  Janv.  et  du  5  Févr.  avec 
toutes  les  copies  de  lettres  que  vous  y  avez  jointes  sur 
l'histoire  de  la  brûlerie  de  mon  livre  à  la  Haye  Ç)r  Je 
serois  assurément  bien  fâché  que  tous  ces  petits  jeux 
d'enfans  mal  élevés  vous  portassent  du  préjudice;  mais 
comme  je  crois  le  Magistrat  d'Amsterdam  trop  judi- 
cieux et  trop  équitable  pour  concourir  à  de  pareilles 
inepties,  je  vous  avoue  que  je  me  serois  fort  passé  de 
toutes  ces  copies  qui   me  coûtent  de  gros  ports  et  ne 


(t)  Des  recherches  faites  dans  les  archives  de  la  Cour  de  Hollande  ont  fuit 
connaître,  que  le  11  Janvier  17G5,  cette  Cour,  qui  avait  déjà  fait  brûler  le  Diction- 
naire Philosophique  et  d'autres  livres,  ayant  appris  par  son  Président  Me.  Wig- 
bold  Slicher  que  le  libraire  Rey  à  Amsterdam  venait  d'imprimer  certain  livre, 
intitulé  Lettres  écrites  de  la  Montagne  par  J.  J.  Rousseau ,  qu'on  disait 
contenir  plusieurs  passages  choquans,  ordonna  au  Procureur  Général  de  prendre 
là-dessus  ses  informations.  Celui-ci  rapporta  le  17  que,  pour  répondre  aux; 
ordres  de  la  Coiir,  il  avait  fait  défendre  et  saisir  le  dit  ouvrage,  dont  on 
avait  trouvé  dix  exemplaires.  Sur  ce  rapport  et  les  conclusions  prises  par  le 
Procureur  Général,  la  Cour  prononça  le  21  Janvier  un  arrêt  où,  considérant 
que  dans  le  livre  incriminé  l'infaillibilité  de  l'Ecriture  Sainte  est  mise  en 
doute,  et  que  les  miracles  du  Sauveur  et  de  ses  Saints  x\pôtres  y  sont  l'objet 
rie  moqueries  profanes,  impies ,  fades  et  licencieuses  tendant  à  miner  les  fon- 
dements de  la  vraie  Religion;  considérant  d'ailleurs  que  ce  livre  a  pour  but 
de  justifier  les  maximes  pernicieuses  de  l'Emile  ou  de  l'Education,  ouvrage 
défendu  par  ordonnance  des  Etats  de  Hollande  comme  étant  un  livre  au  plus 
haut  degré  impie,  seandaleux ,  outrageant  et  profane,  et  puisque  le  respect 
dû  à  la  Majesté  Divine  iinpi.se  à  la  Justice  le  devoir  de  donner  ouvertement 
une  marque  éclatante  de  son  indignation  ,  et  signaler  par  un  exemple  son 
horreur  contro  quiconque  écrit,  imprime,  vend  et  concourt  à  la  distribution 
de  livres  aussi  abominables,  ordonne  que  le  dit  livre  scandaleux  et  blasphé- 
matoire (ergerlyk  en  God-ontecrend  bock)  sera  lacéré  et  brûlé  sur  l'écbaf- 
fand  par  les  mains  du  bourreau  [omme  ter  plaatse  toaar  men  gewoon  is 
crimineele  justifie  te  dm  n  .  door  de  handen  van  d>  n  scherpregter  te  ivordt  » 
gelacereerd  en  vervolgens  verbratid). 


246 

m'intéressent guères.  Beaucoup  de  gens,  même  en  place, 
me  veulent  du  bien  et  blâment  le  mal  qu'on  me  fait, 
je  le  veux  croire;  mais  que  m'importe  tout  cela,  je 
vous  prie?  puisque  de  tant  d'honnêtes  gens  il  ne  s'en 
trouve  jamais  un  seul  qui  me  défende  contre  aucun 
outrage  ,  et  qui  me  préserve  d'aucune  iniquité.  Plaindre 
un  homme  dans  ma  situation  quand  on  peut  le  servir, 
c'est  outrager  à  sa  misère.  Ainsi  laissez  à  tous  ces 
Messieurs  leurs  condoléances.  Si  mes  ennemis  se  con- 
tentoient  de  parler,  mes  amis  pourroient  s'en  contenter 
aussi.  Mais  tandis  que  les  uns  sont  actifs  et  infatiga- 
bles, les  autres  ne  sont  que  des  parleurs.  Que  Dieu 
Les  bénisse;  leurs  beaux  discours  ne  m'ont  jamais 
guéri  de  rien.  Ainsi  ne  m'en  faites  plus  payer  le  port; 
car  le  jeu  n'en  vaut  pas  la  chandelle. 

Voici  aussi  une  copie  qui  vous  prouvera  que  cette 
plate  singerie  ne  m'affecte  pas  beaucoup  en  elle-même; 
mais  ce  qu'il  y  a  de  réel  et  de  désagréable  est  qu'elle 
m'ôte  la  seule  ressource  qui  me  restât  pour  avoir  du 
pain,  il  s'étoit  formé  ici  une  Compagnie  pour  l'im- 
pression générale  de  mes  ouvrages  qui  m'assuroit  une 
subsistance  honnête.  Le  Conseil  d'Etat  avoit  donné 
son  agrément,  tout  alloit  bien,  et  l'acte  émit  prêl  â 
passer,  quand  le.  nouvelle  (pie  mon  livre  avoii  été  brûlé 
en  Hollande  a  l'ait  révoquer  la  permission  tacite,  ei 
les  entrepreneurs  incertains  de  l'avenir  ne  veulent  pas 
se  constituer  en  d'immenses  avances  sans  avoir  lâ- 
dessus  une  sûreté  qu'on  refuse  de  leur  donner.  lani 
l'effroi  de  ce  qui  s'est  fait  en  Hollande  a  saisi  tous 
le-  esprits.  Vous  concevez  que  ne  pouvant  l'aire  ici 
cette  entreprise,  je  ne  puis  plus  espérer  do  la  faire  nulle 
part  :  ainsi  s'il  arrivoH  ((Ue  j'eusse  le  malheur  de 
vieillir,  me  voilà  réduit  à  l'alternative  la  plus  décidée 
do   mendier    ou   de  mourir  de   faim.    Vous  voyez  que 


247 

cette  petite  opération  dont  on  plaisante  à  la  Haye  n'est 
pas  si  visible  pour  moi. 

Fauche  à  qui  j'ai  fait  demander  le  mémoire  d'un 
compte  que  je  lui  dois,  m'a  fait  dire  qu'il  attendoit 
pour  faire  ce  compte  de  savoir  si  c'étoit  vous  ou  moi 
qui  paierions  le  port  des  exemplaires  que  vous  m'avez 
envoyés;  qu'il  vous  en  avoit  écrit,  et  qu'il  attendoit 
votre  réponse.  Il  est  sans  contredit  très-juste  que  je 
paye  ce  port.  Cependant  comme  jusqu'ici  vous  m'avez 
toujours  fourni  tous  mes  exemplaires  francs  de  port . 
si  vous  vouliez  aujourd'hui  qu'il  en  fût  de  même,  je  ne 
disputerais  pas  là-dessus;  mais  comme  qu'il  en  soit  de 
cet  article,  faites -moi  toujours  le  plaisir  de  me  mar- 
quer comment  je  dois  vous  faire  tenir  les  108  Livres  de 
l'Histoire  universelle.  Voulez-vous  que  je  les  remette 
ici  à  Fauche?  Voulez-vous  les  tirer  sur  moi  à  vue: 
vous  le  pouvez  et  j'y  ferai  honneur.  J'ai  quelque  argent 
à  recevoir  à  Paris  de  Duchesne,  je  pourrois  vous  en- 
voyer un   billet  sur  lui  ;  choisissez. 

Quoique  je  regrette  les  ports  de  vos  copies  de  lettres , 
je  ne  les  regretterai  jamais,  mon  cher  Compère,  quand 
il  s'agira  de  recevoir  de  vos  nouvelles  et  des  témoignages 
de  votre  amitié.  J'envoye  un  baiser  à  ma  filleule  et 
mille  salutations  et  respects  à  sa  maman,  et  à  sa 
marraine  que  j'espère  être  bien  rétablie.  Saluez  aussi 
M.  votre  fils;  je  n'oublie  pas  que  je  lui  dois  un  remer- 
cîment;  mais  je  suis  accablé,  je  n'ai  pas  un  moment 
pour  reprendre  haleine.    Je  vous  embrasse. 

J.  J.    Rousseau. 


VIII. 

LETTRES    ÉCRITES 

DANS     LES     DERNIÈRES      PÉRIODES 

DE   LA 

VIE    DE   ROUSSEAU. 


Après  les  Lettres  écrites  de  la  Montagne,  la  cor- 
respondance de  Rousseau  avec  son  libraire  d'Am- 
sterdam n'offre  plus  l'intérêt  qui  s'attache  aux 
impressions  d'un  auteur  pendant  la  première 
publication  d'un  de  ses  écrits.  Le  seul  ouvrage 
publié  encore  de  son  vivant,  son  Dictionnaire 
de  Musique,  parut  à  Paris  chez  la  Veuve  Du- 
chesne,  à  qui  il  l'avait  vendu,  et  ses  derniers 
écrits^  les  Considérations  sur  le  Gouvernement 
de  Pologne,  les  Dialogues }  et  les  Rêveries  n'onf 
vu  le  jour  qu'après   sa   mort. 


241) 

Quant  au  petit  conte  la  Heine  Fantasque,  on 
verra  par  les  lettres  que  nous  publions  pour 
la  première  fois,  que  l'édition  que  Rey  en  a 
donnée ,  a  été  faite  sur  un  manuscrit  corrigé  avec 
soin  par  l'auteur  lui-même. 

Pour  l'estimation  du  texte  du  Devin,  du  Vil- 
lage, tel  que  Rey  l'a  imprimé ,  les  Nos.  144  et 
1&2  pourront  être  utiles.  Mais  si  les  lettres 
qui  suivent  n'offrent  qu'un  médiocre  intérêt  pour 
l'étude  philologique  des  ouvrages  du  grand  écri- 
vain j  on  y  trouvera  néanmoins  jdoui*  la  connais- 
sance de  l'homme  et  pour  la  recherche  de  tout- 
ce  qui  se  rapporte  à  sa  vie  et  à  ses  pensées ,  des 
détails  qui  méritent  de  l'attention. 


250 
132. 

A  Môtiers,  le  18  Mars  1705. 

Mon  cherj  Compère ,  le  violent  orage  que  le  voisinage 
de  Genève  excite  ici  contre  moi  me  force  à  chercher  un 
dernier  asile  où  je  puisse  mourir  en  paix.  Cet  asile 
est  trouvé  et  malheureusement  loin  de  me  rapprocher 
de  vous  il  m'en  éloigne,  j'en  ai  du  regret;  mais  il  faut 
céder  au  sort. 

Il  me  reste  le  souci  de  pourvoir  à  ma  subsistance,  et 
comme  je  le  puis  sans  profiter  gratuitement  de  vos 
offres,  je  désire  seulement  de  consulter  avec  vous  ce 
qui  se  peut  faire  ;  vous  y  entrerez  en  ce  qui  vous  con- 
viendra relativement  à  mes  vues;  si  elles  ne  se  rappor- 
tent pas  aux  vôtres,  je  m'arrangerai  autrement;  ou 
plustôt  je  fais  dès  à  présent  mes  arrangemens  indé- 
pendans  de  vous,  afin  que  vous  soyez  absolument  libre. 

L'entreprise  qui  se  faisoit  ici  pour  l'impression  géné- 
rale de  mes  ouvrages  étoit  faite  par  une  Compagnie 
de  commerçans  très  en  état  de  faire  les  avances,  et  qui 
déjà  se  trouvant  assez  forts  par  eux-mêmes  n'avoient 
receu  plusieurs  d'entre  eux  que  par  complaisance  et  à 
ma  sollicitation.  M.  Du  Peyrou  avoit  été  le  médiateur 
de  notre  traité.  Il  étoit  tel  qu'au  moyen  d'une  somme 
payée  une  fois  pour  toutes  en  commençant .  cette  somme 
parles  soins  de  M.  Du  Peyrou  me  produisoit  seize  cents 
francs  de  rente  viagère,  qui  est  la  somme  que  je  dé- 
pense annuellement  depuis  que  je  vis  dans  mon  mé- 
nage, c'est-à-dire  depuis  dix-sept  ans.  Réguillat  de 
Lyon  étoit  à  la  tête  de  l'exécution.  Toute  la  collection 
étoit  distribuée  en  6  volumes  Ln-quarto,  et  en  16  ou 
1  s  Ln-douze,  selon   la  distribution   donl  je  joins    ici  la 

note. 


251 


Cette  affaire  étant  manquée  pour  le  présent ,  l'attente 
d'une  autre  occasion,  et  le  désavantage  de  ne  pouvoir 
exécuter  l'entreprise  sous  les  yeux  de  l'auteur  même 
doit  la  rendre  moins  lucrative  pour  ceux  qui  l'entre- 
prendront et  pour  lui-même;  c'est  ce  que  je  sens  si 
bien  que ,  quoique  M.  Du  Peyrou  m'offre  de  prendre 
le  tout  à  lui  seul  aux  mêmes  conditions ,  je  ne  crois 
pas  pouvoir  profiter  de  cette  offre  qui  me  paroit  plus 
relative  à  mon  avantage  qu'au  sien.  Mais  voici  com- 
ment je  m'arrangerois  pour  me  procurer  la  même  rente 
viagère  en  mettant  au  rabais  cette  entreprise,  mais 
en  y  en  ajoutant  une  autre,  soit  conjointement,  soit 
séparément ,  qui  compensât  la  diminution  du  produit. 

1.  Je  remettrai  le  recueil  tant  des  manuscrits  que 
des  imprimés ,  corrigé ,  distribué  par  volumes  et  prêt 
à  mettre  sous  presse,  et  celui  qui  le  recevra,  maître 
de  l'imprimer  ou  faire  imprimer  quand  il  voudra , 
m'assurera  une  pension  viagère  de  mille  francs  qui 
commencera  de  courir  en  recevant  le  recueil;  moyen- 
nant quoi,  si  dans  le  cours  de  ma  vie  je  compose 
quelqu'autre  ouvrage ,  l'article  suivant  excepté ,  et  que 
je  le  mette  sous  la  presse ,  je  m'engage  à  ne  le  donner 
qu'à  lui  et  à  le  lui  fournir  gratuitement. 

2.  Il  reste  la  grande  entreprise  de  ma  vie  et  des 
pièces  qui  s'y  rapportent.  Entreprise  qui  doit  être  sé- 
parée de  la  précédente  ;  parce  que ,  quand  même  ma 
vie  seroit  écrite,  on  ne  peut  la  mettre  sous  la  presse 
qu'au  bout  d'un  nombre  d'années  dont  on  conviendra, 
à  cause  des  choses  importantes  qu'elle  contiendra , 
surtout  depuis  quelques  années  en  ça,  et  des  person- 
nes en  place  qui  seroient  compromises,  ce  que  je  ne 
veux  pas  l'aire  et  que  celui  qui  se  chargera  de  cette 
entreprise  doit  éviter  pour  lui-même. 

L'ouvrage   est   déjà  commencé    et   je    vois   à  vue  de 


252 

pays  <|ul'  ce  sera  un  ouvrage  aussi  considérable  que 
singulier.  Car  jamais  homme  n'aura  fait  une  entre- 
prise semblable  et  ne  l'aura  exécutée  comme  je  me 
propose  de  le  faire;  j'ai  de  quoi,  et  l'abondance  de 
mes  matériaux   m'étonne  moi-même. 

Le  recueil  seul  des  lettres,  mémoires,  et  pièces  jus- 
tificatives composera  du  moins  deux  forts  volumes  in- 
octavo,  et  je  ne  doute  pas  que  la  vie  même,  à  ne  la 
prendre  que  jusqu'ici,  ne  passe  la  même  étendue:  mais 
c'est  aussi  une  entreprise  longue  à  exécuter  et  qui  de- 
mande plus  de  tranquillité  qu'on  ne  m'en  a  laissé 
jusqu'ici;  c'est  à  me  procurer  ce  loisir  et  cette  tran- 
quillité que  je  travaille.  Quant  aux  lettres  originales, 
il  faudra  pour  qu'au  besoin  elles  servent  de  preuves  . 
qu'elles  soient  mises  dans  un  dépôt  public. 

Il  faut,  mon  cher,  que  ma  vie  me  fasse  vivre,  ei 
par  conséquent  qu'elle  me  procure  annuellement  les  six 
cents  francs  qui  manquent  à  l'article  précédent  pour 
fournir  à  mon  nécessaire.  L'inconvénient  que  j'y  vois 
est  que  tout  cela  forme  de  grandes  avances  qui  ne  ren- 
treront qu'au  fcems  de  l'exécution;  mais  cette  exécution 
en  revanche,  si  l'on  en  choisit  bien  le  moment,  quand 
toutes  les  clameurs  seront  apaisées,  doit  rendre  un 
produit  immense  entre  les  mains  d'un  homme  intel- 
ligent. 

Voyez ,  mon  cher  Compère,  s'il  vous  convient  de 
prendre  à  votre  part  une  de  ces  deux  entreprises  ou  d'y 
entier.  Si  l'accord  n'est  pas  l'ait  au  moment  de  ma 
retraite,  il  pourra  s'achever  par  l'entremise  de  31.  Du 
Peyrou,  et  si  vous  trouvez  des  changemens  à  faire'  à 
ce  plan  pour  le  rendre  plus  convenable,  je  ne  demande 
pas  mieux  (pie  de  m'y  conformer. 

Comme  tous  les  événemens  de  ma  vie  sont  sujets 
aux    crises    et    aux    révolutions    les    plus   imprévues,  je 


2:>:\ 

voudrais  qu'à  tout  hasard  vous  nie  donnassiez  des  in- 
structions un  peu  détaillées  sur  la  manière  de  me  rendre 
auprès  de  vous  le  plus  commodément  et  aux  moindres 
frais  qu'il  est  possible,  et  que  vous  me  donnassiez  des 
adresses  sur  la  route  de  gens  qui  pussent  m'aider  et 
me  conseiller   au  besoin. 

Mes  livres  m'embarrassent  beaucoup.  Je  pourvois 
peut-être  m'en  défaire  ici  d'une  partie ,  mais  il  me 
faut  quelqu'un  qui  se  charge  du  tout.  Le  nombre  en 
est  augmenté  d'un  bon  tiers  depuis  votre  voyage.  Voyez 
si  comme  vous  me  l'aviez  fait  entendre  vous  pourriez 
vous  charger  de  ce  fardeau-là. 

Je  n'ai  point  envoyé  les  108  Livres  à  M.  Chappuis 
à  Lausanne;  j'ai  pensé  que  si  vous  vouliez  bien  les 
déduire  sur  la  pension  de  MIle.  Le  Vasseur  pour  cette 
année ,  cela  me  seroit  plus  commode  et  reviendroit  au 
même.  Vous  sentez  qu'au  moment  présent  l'argent 
m'est  nécessaire;  cependant  grâce  au  ciel  il  ne  me 
manque  pas  encore;  ainsi  ne  soyez  pas  en  peine  de 
moi,  mais  répondez-moi  le  plustôt  et  le  plus  décisive- 
ment  que  vous  pourrez  sur  tous  ces  articles ,  afin  que 
nous  ne  perdions  pas  de  tems  en  négociations  inutiles. 

Vous  ne  m'avez  point  marqué  si  vous  aviez  receu 
la  réponse  à  M.  le  Comte  G.  de  Bentinck  (')  que  je  vous 
ai  envoyée  et  si  vous  la  lui  aviez  fait  tenir.  Mille 
choses  de  ma  part  à  vos  Dames.  Si  je  suis  privé  du 
plaisir  de  voir  ma  filleule,  je  ne  puis  vous  dire  quel 
regret  ce  sera  pour  moi.  Mais  il  suffit  que  mes  vœux 
me  portent  d'un  côté,  pour  que  le  sort  m'entraîne 
d'un   autre.     Je  vous  embrasse. 

J.  J.   R 


(')  G.  Guillaume  ou   William.  Voyez   la  note  an  N».  no. 


254 
NOTE  DES  PIÈCES 

ET 

DE    LEUR   DISTRIBUTION    DANS    L' ÉDITION    IN-4°. 


Tome  I. 


Discours  sur  l'inégalité. 

Discours  sur  l'économie  politique. 

Du  contrat  social. 

Extrait  de  la  paix  perpétuelle. 

Extrait  de  la  Polysynodie. 

Jugement  sur  la  paix  perpétuelle. 

Jugement  sur  la  Polysynodie. 

Traduction  du  pr.  Livre  de  l'Histoire  de  Tacite. 

Tome  IL 

La  Nouvelle  Héloïse,  et  les  pièces  qui  s'y  rapportent. 

Tome  III. 

Emile,  jusqu'à  la  fin  de   L'alinéa  qui  suit  la  profes- 
sion de  foi. 

Tome  IY. 

La  suite  d'Emile. 

Lettre  à  M.  l'Archevêque  de  Paris. 

Lettres  écrites  de  la  Montagne. 

Tome  V. 

Lettre  à  M.  d'Alembert. 

De  l'imitation  théâtrale. 

Discours  sur  la  première  vertu  du  Béros. 

Discours  qui  a  remporté  le  prix   à  Dijon- 


255 

Réponse  à   un  Ecrit   anonyme    dans    le   Mercure  de 

France. 
Lettre  sur  une  réponse  à  M.  Gautier. 
Réplique  au   Roi  de   Pologne. 
Dernière  réponse  de  J.  J.  Rousseau. 
Préface  de  Narcisse. 

Narcisse.  Comédie. 

*  L'engagement  téméraire.    Comédie. 

*  Les  Muses  galantes.   Opéra. 

Le  Devin  du  Village.    Intermède. 

*  Pygmalion ,  Scène  Lyrique. 

*  Emile  et  Sophie,  ou  les  solitaires.    Fragment. 

*  Le   Lévite  d'Epliraim. 

*  Lettres  à  Sara. 

*  La  Reine  fantasque.    Conte. 

*  Traduction  de  l'Apocolokintosis  de  Sénèque. 

Tome  VI. 

*  Sur  la  Musique.    Article  du  Dictionnaire. 

*  Sur  l'Opéra,  Article  du  Dictionnaire. 

*  Mémoire  lu  à  l'Académie  des  Sciences  l'an  1742. 
Lettre  sur  la  Musique  françoise. 

*  Réponse  à  M.  Rameau. 

*  Essai  sur  l'origine  des  langues. 

*  Lettres  et  Mémoires  sur  divers  sujets. 

Table  Générale. 

NB.  Les  articles  précédés  d'un  Astérisque  sont  encore  en  Manuscrit. 

Comme  les  Tomes  3  et  4  contiennent  toutes  les  pièces 
défendues  en  Hollande,  on  peut  y  supprimer  ces  deux 
volumes  sans  gâter  au  surplus  l'Edition,  dont  on  peut 
seulement  changer  les  titres. 


256 
133. 

A  Môtiers,  le  27  Avril  176"i. 

Tout  est  changé  dans  ce  pays  à  mon  égard,  mon 
cher  Compère,  et  les  ministres  ont  fait  tant  de  sottises 
qu'ils  ont  enfin  forcé  le  gouvernement  d'ouvrir  les  yeux. 
Outre  cela,  la  protection  du  Roy  confirmée  dans  cette 
affaire  et  les  constantes  bontés  de  Mylord  Mareschal 
me  mettent  en  état  d'habiter  dans  ce  pays,  malgré  Les 
saintes  fureurs  du  Clergé,  aussi  tranquillement  que 
dans  tout  autre.  Cependant  ma  résolution  est  toujours 
de  n'y  pas  rester  et  j'en  serois  déjà  parti  si  mon  état 
me  permettoit  d'entreprendre  un  voyage;  mais  soit  la 
continuation  de  la  mauvaise  saison,  soit  les  continuel- 
les tracasseries  de  notre  prêtraille,  mes  maux  empires 
ne  me  permettent  à  présent  de  songer  à  aucun  voyage, 
et  voici  bientôt  le  huitième  mois  que  je  passe  enfermé 
dans  ma  chambre  sans  avoir  pu  mettre  le  pied  dans 
la  rue  deux  ou  trois  fois.  S'il  plaisoit  à  la  providence 
de  disposer  d'une  vie  qui  n'a  plus  pour  moi  que  des 
peines,  j'irois  volontiers  chercher  dans  l'autre  la  paix 
qu'on  ne  veut  pas  me  laisser  dans  celle-ci. 

Je  voudrois  de  tout  mon  cœur  être  en  état  de  pro- 
fiter des  arrangemens  de  Madame  Rey  qui  regardent 
son  séjour  et  celui  de  ma  filleule  auprès  de  moi.  Mais 
toute  cette  année  est  pour  moi  si  orageuse,  mon  sort 
est  si  incertain,  j'ai  tant  de  courses  à  faire,  tant  de 
gens  doivent  me  venir  voir,  que  je  ne  puis  absolument 
disposer  avec  certitude  d'un  seul  moment  de  mon  teins. 
Quand  même  je  resterois  dans  ce  pays,  il  faut  de  toute 
nécessité  que  je  quitte  Môtiers,  el  la  recherche  d'un 
logement  qui  me  convienne  et  L'embarras  d'un  démé- 
nagement   nfoceuperoient    seuls    tout    entier    quand   je 


257 

n'aurois  pas  autre  chose  à  faire.  A  l'égard  de  l'hiver, 
c'est  le  rems  de  mes  souffrances,  obligé  de  porter  des 
sondes  presque  continuellement  je  suis  hors  d'état  de 
voir  personne  durant  toute  cette  saison,  surtout  des 
femmes.  Voilà  des  obstacles  qui  me  chagrinent,  mais 
qu'il  ne  dépend  pas  de  moi  de  lever.  Il  faut  espérer 
que  je  serai  plus  heureux  une  autre  année;  mais  je  ne 
puis  disposer  de  moi  celle-ci. 

Je  reconnois  dans  vos  offres  votre  amitié  et  votre 
générosité  ordinaire.  Je  suis  si  sûr  du  bon  cœur  avec 
lequel  vous  me  les  faites  que  je  m'en  prévaudrais  avec 
confiance  au  besoin.  L'impression  de  mes  écrits  dans 
ce  pays  a  trouvé  des  obstacles  qui  probablement  ne  se 
lèveront  pas;  mais  quand  elle  auroit  lieu  il  ne  dépen- 
droit  pas  de  moi  de  vous  faire  entrer  dans  la  société 
qui  en  a  formé  l'entreprise.  Cette  Compagnie  se  trouve 
déjà  trop  nombreuse  et  lorsqu'elle  se  forma  j'eus  déjà 
toutes  les  peines  du  monde  d'y  faire  entrer  M.  d'Yver- 
nois  de  Genève  qui  est  mon  ami.  Les  fonds  ne  leur 
manquent  pas  et  ils  ne  veulent  pas  perdre  leurs  peines 
à  force  de  diviser  leurs  profits.  Mais  cela  n'empêche- 
roit  pas  qu'il  ne  leur  fût  très-avantageux  et  très-agréa- 
ble que  vous  voulussiez  bien  vous  intéresser  à  leur 
succès  et  qu'ils  ne  traitassent  bien  volontiers  avec  vous 
seul  pour  le  débit  de  l'Angleterre  et  de  la  Hollande. 

A  l'égard  de  l'histoire  de  ma  vie,  plus  je  médite 
sur  cette  entreprise ,  plus  je  vois  que  je  ne  puis  l'exé- 
cuter comme  je  me  le  propose  sans  en  renvoyer  la  pu- 
blication à  un  tems  fort  éloigné.  Si  je  veux  montrer 
la  vérité  telle  qu'elle  est,  j'ai  à  dire  tant  de  choses, 
qui  intéressent  tant  de  gens  et  même  des  gens  en 
place,  qu'il  n'y  a  que  le  cours  des  ans  qui  puisse  me 
permettre  de  parler  sans  déguisement;  à  moins  de 
cela  m»>n  entreprise  est  manquée,  et  je  nr  ferai  qu'une 

17 


258 

vie  ordinaire,  masquée  et  plâtrée;  au  lieu  que  dans 
mon  projet  je  ferai  une  chose  unique,  et,  j'ose  dire, 
une  chose  vraiment  belle.  Je  m'en  fais  un  objet  si 
important  que  j'y  consacre  le  reste  de  ma  vie;  mais 
il  ne  convient  absolument  point  à  vos  intérêts  et  à 
ceux  de  votre  famille  que  vous  commenciez  par  de 
continuelles  avances  qui  ne  rentreront  peut-être  qu'à 
vos  enfans.  Tout  ce  que  je  puis  faire  pour  concilier 
le  bien  de  la  chose  avec  le  désir  que  j'ai  que  l'ouvrage 
ne  s'exécute  que  par  vous,  c'est  de  prendre  dans  mes 
arrangemens  de  telles  mesures  que,  lorsqu'il  sera  tems 
de  mettre  l'ouvrage  sous  presse,  vous  en  ayez  la  pre- 
mière offre,  qu'on  s'adresse  premièrement  à  vous  ou 
à  votre  fils  et  qu'il  ne  passe  à  un  autre  libraire  qu'au 
cas  que  vous  ne  puissiez  ou  ne  vouliez  pas  l'exécuter. 
Cela  même  a  ses  difficultés  encore;  car  il  m'importe 
que  le  manuscrit  ne  puisse  être  lu  de  personne  au 
monde  jusqu'au  tems  de  l'exécution:  mais  nous  verrons. 
Voici  le  receu  de  M3Ie.  Le  Vasseur;  recevez  ses  remer- 
cîmens  et  ses  respects.  Vous  m'obligerez  dans  vos  en- 
vois dans  ce  pays  de  ne  pas  oublier  les  Tomes  8  et  9 
de  1  Hist.  univ.  moderne ,  et  de  me  marquer  à  qui  je 
dois  remettre  les  deux  de  l'ancienne.  Mille  salutations 
à  vos  Dames.  J'irai  certainement  voir  à  Vevay  Made- 
moiselle Dumoulin  si  elle  y  vient  et  que  je  sois  en- 
core ici.  Vous  ne  m'avez  point  marqué  si  vous  aviez 
receu  les  chiffons  qui  ont  été  remis  par  Made.  Boy 
de  la  Tour  de  Lyon  à  M.  Vernéde.  J'embrasse  la  chère 
enfant  et  son  papa. 


259 

134. 

A  Môtiers,  le   13  -Juin   1765. 

Trouvez  bon ,  mon  cher  Compère ,  que  je  vous  recom- 
mande M.  le  Justicier  Bovet  et  M.  Jequier  qui  vont 
à  Amsterdam  recueillir  une  succession.  Vous  m'obligerez 
de  vouloir  bien  leur  procurer  les  connoissances  néces- 
saires et  leur  donner  vos  conseils  pour  cette  affaire. 

J'ai  receu  avec  votre  lettre  du  31  May  celle  de 
M.  le  Comte  G.  de  Bentinck  (1).  J'en  renvoyé  la  ré- 
ponse au  retour  des  montagnes  où  je  vais  passer  quel- 
ques jours. 

Mille  salutations  à  vos  Dames.  J'embrasse  ma  fil- 
leule, toute  votre  chère  famille,  et  son  bon  papa. 

J.  J.  Rousseau. 

135. 

A  I'Isle  St.  Pierre,  le  12  7lji;e  1765. 

Sans  doute,  mon  cher  Compère,  vous  n'ignorez  pas 
les  malheurs  qui  me  poursuivent  et  qui  m'ôtent  le 
loisir  de  vous  écrire  comme  je  voudrois.  Le  Ministre 
de  Môtiers  ne  pouvant  me  faire  excommunier  a  pris  le 
parti  plus  prompt  et  plus  sûr  de  me  faire  assassiner,  et 
il  a  trouvé  plus  de  facilité  à  disposer  d'une  bande  de 
coupe-jarrets  que  des  anciens  de  son  consistoire.  In- 
sulté ,  hué,  maudit  dans  tous  les  chemins,  menacé 
même  des  armes  à  feu,  je  laissois  dire  la  canaille,  et 
j'allois  mon  train  toujours  seul  et  sans  armes,  comme 
à  mon    ordinaire.      Comme    cette    sécurité   en    imposoit 


(M  Voir  la  note  page  "-' : 

17 


260 

de  jour  à  ces  bandits,  ils  ont  trouvé  l'expédient  de 
forcer  de  nuit  ma  maison,  d'enfoncer  mes  portes,  de 
casser  mes  fenêtres  et  de  lancer  des  pierres  jusques 
dans  ma  chambre  et  tout  près  de  mon  lit  (').  Les 
choses  étant  venues  à  ce  point,  je  me  suis  enfin  déter- 
miné à  m'éloigner  de  ce  chef  de  brigands  et  d'aller, 
s'il  est  possible,  chercher,  un  lieu  sur  la  terre  où  l'on 
veuille  bien  me  laisser  mourir  en  paix.  Je  ne  sais 
point  encore  où  je  me  fixerai.  Je  suis  hors  d'état  d'aller 
vous  voir,  du  moins  pour  le  moment.  Je  suis  malade, 
accablé  de  soins,  j"ai  besoin  de  respirer.  Je  voudrois 
qu'on  me  laissât  clans  cette  solitude,  du  moins  pour 
cet  hiver;  mais  s'il  reste  quelque  humanité  parmi  les 
hommes,  ce  n'est  pas  moi  qui  la  trouve.  Cependant, 
malgré  tous  mes  embarras,  prévoyant  que  vous  enten- 
driez parler  des  attentats  de  ces  misérables,  et  que 
vous  pourriez  être  en  peine  de  moi ,  je  suis  bien  aise 
de  vous  rassurer  et  de  vous  dire  qu'au  moins  je  suis 
en  sûreté,  et  que,  quant  à  présent,  je  n'ai  besoin  de  rien 
que  d'un  asile.  Je  ne  puis  répondre  à  votre  dernière 
lettre,  parce  que  je  ne  l'ai  pas  avec  moi.  Si  vous 
n'aviez  pas  été  si  pressé  de  votre  édition  générale  de 
mes  ouvrages,  j'en  aurois  pu  faire  la  mienne  et  prendre 
avec  vous  des  arrangemens  pour  cela.  Mais  je  ne  serai 
de  longtems  en  état  d*y  penser.  Quant  à  la  Reine  Fan- 
tasque, on  n'en  a  que  des  copies  très-défectueuses.  Si 
vous  n'en  êtes  pas  pressé,  je  vous  en  ferai  une  copie 
plus  ('tendue  et  plus  exacte;  mais  c'est  ce  que  je  ne 
puis  pour  le  moment,  n'ayant  pas  ici  mes  papiers,  .le 
fais  cette  lettre  d'avance  et  pourtant  fort  à  la  hâte,  ne 


(!)  Fur  cetfo  attaque  nocturne,  qui  ;i  été  révoquée  en  doute,  voyez  In  note 
de  51.  Petitain  an  passage  des  Ctntfessions  [Livre  Ml)  où  Ronssean  en  fail 
un  récit  détaillé. 


261 

sachant  encore  quand  je  pourrai  la  faire  partir.  J'ai 
tant  éprouvé  d'infidélités  et  de  vexations  dans  les  postes, 
que  j'avois,  dès  Môtiers,  renoncé  à  cette  voye  qui  me 
devient  impossible  ici.  En  attendant  que  je  sois  fixé, 
vous  pouvez  lorsqu'il  sera  nécessaire  m'écrire  à  l'adresse 
de  M.  du  Peyrou  à  Neufchâtel ,  et  pour  éviter  les  en- 
veloppes, il  suffira  de  faire  une  croix  au  haut  de  la 
lettre.  Ce  signe  lui  suffira  pour  connoitre  qu'elle  est 
pour  moi.  Je  suis  bien  fâché,  si  Mad11?  Dumoulin 
passe  à  Môtiers,  de  ne  m'y  pas  trouver  pour  la  recevoir. 
M"?  Le  Vasseur  y  est  encore  pour  vendre  ou  emballer 
mes  effets;  elle  fera  ce  qu'elle  pourra  pour  l'accueillir 
à  ma  place.  Mille  tendres  embrassemens  à  ma  chère 
filleule,  et  à  tout  ce  qui  vous  appartient;  je  vous  fais, 
mon  cher  Compère,  les  miens   de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


130. 

A  l'Isle  St.  Pierbe  au  lac  de  Bienae,  le  18  8bl.e  1765. 

Cette  Isle,  mon  cher  Compère,  est  en  effet  dans 
l'Etat  de  Berne,  et  même  appartient  en  propre  à  leurs 
Excellences  ;  ainsi  vous  pouvez  croire  que  je  ne  m'y 
étois  pas  réfugié  sans  avoir  pris  du  côté  du  Gouver- 
nement toutes  les  sûretés  raisonnables  qu'on  m'y  lais- 
seroit  en  paix.  Cependant,  au  moment  où  je  m'y  at- 
tendois  le  moins ,  j'ai  receu  Tordre  d'en  sortir  et  de 
tout  l'Etat  de  Berne.  On  a  choisi  le  moment  des  ven- 
danges où  presque  tous  les  membres  du  Gouvernement 
étoient  absens  pour  me  porter  à  la  sourdine  ce  der- 
nier coup  qui,  j'ose  le  dire,  excite  une  indignation 
générale  parmi  tout  ce  qu'il  y  a  de  respectable  dans 
Le  pays.     Mais   c'est    ici    comme   chez    vous:   les    bons 


262 

crient  et  ne  font  rien  ;  les  médians  ne  disent  rien , 
mais  agissent.  La  partie  n'est  pas  égale.  îl  n'est  pas 
difficile  de  voir  d'où  le  coup  part,  et  les  Magistrats 
de  Genève  se  donnent  bien  de  la  peine  pour  me  forcer 
à  leur  dire  encore  une  fois  leurs  vérités.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  faut  partir  et  s'éloigner  une  bonne  fois  de  cette 
fatale  Suisse  qui  m'a  si  bien  payé  de  mon  amour  pour 
elle.  Dans  toute  autre  saison,  je  ne  délibérerois  pas  et 
je  prendrais  à  l'instant  le  parti  de  me  rendre  auprès 
de  vous;  mais  je  suis  si  sûr  de  ne  pouvoir  supporter 
l'hiver  où  vous  êtes,  et  il  est  si  probable  que  dans 
une  si  longue  et  si  pénible  route  pour  un  infirme,  je 
n'arriverai  pas  sans  tomber  malade  par  ces  premiers 
froids  dans  des  pays  où  je  ne  commis  personne  et  dont 
je  ne  sais  pas  la  langue,  que  cette  entreprise  m'enraye 
et  que  je  ne  sais  à  quoi  me  déterminer.  Il  n'y  a  que 
l'Angleterre  où  je  sois  sûr  de  vivre  tranquille  et  où 
des  Ministres  assassins  ni  des  Magistrats  corrompus 
ne  pourront  me  chercher  querelle.  Je  suis  déterminé 
à  m'y  rendre  s'il  m'est  possible  (');  mais  vu  mon  état 
et  la  saison,  je  suis  incertain  sur  le  tems  et  sur  la 
route.  Je  ferai  tout  mon  possible  pour  me  mettre  en 
état  de  passer  chez  vous;  mais  il  faut  pour  cela  que 
je  trouve  un  compagnon  de  voyage;  car  comment  tenter 
d'aller  seul?  C'est  à  quoi  il  ne  faut  pas  penser.  Si 
l'on  me  laissoit  ici  plus  longtems  et  que  je  fasse  plus 
fixe  (Lins  mon  projet,  je  vous  dirois:  venez  me  pren- 
dre. Vous  nie  l'avez  offert  et  je  suis  sûr  que  vous  le 
feriez  avec  plaisir;  mais  outre  L'indiscrétion  qu'il  y 
auroit  à  vous  tirer  de  vos  affaires  et  A  vous  fatiguer 
ainsi,   peut-être  avant    votre  arrivée  serois-je  forcé  de 


m)  on  lii  dans  aea  Confessions:  "Croyant  partir  pour  Berlin,  je  partis 

m  effet  pour  l' Angleterre. " 


263 

prendre  mon  parti,  ou  vous  me  trouveriez  tout  à  fait 
sur  le  grabat  et  liors  d'état  de  faire  route  par  l'aug- 
mentation du  froid.  Il  ne  faut  pas ,  mon  cher  Com- 
père, dans  cette  incertitude  songer  à  vous  déplacer; 
mais,  à  tout  événement,  jetez  les  yeux  sur  quelque 
petite  chambre  commode  et  chaude  et  ne  soyez  pas  sur- 
pris si  vous  me  voyez  arriver  moi  ou  mon  petit  équi- 
page au  moment  où  vous  vous  y  attendrez  le  moins. 
J'ai  toute  la  considération  possible  pour  M.  Charles 
de  Bentinck  (2),  mais  je  veux  être  logé  chez  moi.  En 
attendant  que  je  délibère  et  que  j'arrange  mes  petites 
affaires  pour  un  second  déménagement,  si  vous  avez 
quelque  nouvelle  instruction  ou  adresse  à  me  donner 
sur  la  route  et  pour  vous  expédier  mon  bagage,  vous 
me  ferez  plaisir  de  me  l'envoyer  le  plustôt  possible. 
Si  d'autres  projets  la  rendent  inutile,  ce  sera  un  petit 
malheur. 

Il  est  vrai  que  l'accord  pour  l'édition  de  mes  écrits 
est  une  affaire  faite;  mais  je  connois  trop  bien  M.  du 
Peyrou  pour  n'être  pas  sûr  que  si  d'autres  arrangemens 
me  convenoient  mieux,  il  renonceroit  avec  plaisir  à 
ceux  qu'il  n'a  pris  que  par  amitié  pour  moi.  Malheu- 
reusement l'ordre  dans  lequel  vous  avez  commencé 
votre  édition  n'est  point  celui  qui  convient  pour  la 
mienne ,  et  d'ailleurs  mes  écrits  m'ont  causé  tant  de 
malheurs  que  je  ne  puis  les  revoir  sans  la  plus  grande 
répugnance.  C'est  désormais  une  matière  dont  il  ne 
m'est  plus  possible  de  m'occuper.  Quand  je  vous  ai 
parlé  de  l'édition  de  Duchesne  c'est  parce  qu'elle  con- 
tient des  pièces  de  moi  qui  ne  sont  pas  ailleurs;  mais 
je  n'ignorois  pas  qu'elle  étoit  fautive,  et  je  n'ai  jamais 
pensé  que  vous  y  prendriez   ni    la  prophétie  ni  aucune 

(i     \  oir  la  note  au  N".   L10. 


264 

pièce  qui  ne  soit  pas  de  moi  (').  Ne  cherchez  pas 
à  grossir  votre  recueil,  n'imprimez  que  ce  que  j'ai  fait, 
et  c'est  par  là  précisément  que  votre  édition  sera 
recherchée  (-).  Je  n'oublierai  pas  la  Reine  fantasque, 
et  si  je  vous  vais  voir  nous  pourrons  reparler  de  tout 
cela. 

Ecrivez-moi  promptement  si  vous  voulez  que  votre 
lettre  me  trouve  encore  ici.  Vous  pouvez  continuer  à 
m'écrire  sous  le  pli  de  M.  Du  Peyrou:  M.  Jeannin 
qui  vous  a  écrit  est  son  secrétaire.  Les  difficultés,  la 
fatigue,  le  froid  auront  bien  de  la  peine  à  me  re- 
buter de  vous  aller  voir,  tant  j'ai  d'empressenient 
d'embrasser  ma  chère  filleule  et  ses  bons  parens.  Croyez 
que  si  je  prends  un  autre  parti,  il  faudra  que  j'aye 
bien  reconnu   que   celui-là   m'est   impossible. 

Je  prends  le  parti  de  laisser  ici  Mlle  Le  Vasseur 
avec  mes  effets,  jusqu'à  ce  que  j'aye  une  résidence 
fixe.  Je  vous  écris  sans  ordre  et  sans  suite:  niais  ni 
vérité,  je  suis  dans  un  tumulte  qui  ne  nie  laisse  pas 
à  moi.  Je  vous  embrasse,  mon  cher  Compère,  de  tout 
mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


137. 

A  Strasbourg,  le   10  9"':c  1765. 

Je    n'ai,   mon  cher   Compère,   vu   le  prompt  départ 
du  porteur  de   ce  billet,  que  le  teins   de   vous  donner 


(M  Quelle  est  donc  lu  Prophétie?  \a\  petite  lu-oeluire  intitulée  Lu  Yh'ntn 
de  Pierre  de  In  Montagne  dit  le  Voyant?  mais  il  a  reconnu  dan-  -.  - 
Confessions  qu'elle  étaii  -unir  de  sa  plume. 

(-')  Rey  cite  ce  passage  dans  un  Vvertàssement  à  la  tête  de  sa  nouvelle 
édition  des  Oeuvres  de  Rousseau  qu'il  a  dédiée  à   Du  Poyrou. 


265 

un  petit  bonjour  et  de  vous  marquer  combien  j'ai  de 
regret  que  le  mauvais  tems  les  mauvais  chemins  et 
mon  mauvais  état  m'ôtent  le  plaisir  d'aller  jusqu'à 
vous.  Je  ne  sais  point  encore  quel  parti  mon  état 
et  la  saison  me  permettront  de  prendre,  mais  je  ne 
perds  ni  le  désir  ni  même  tout  à  fait  l'espérance  d'al- 
ler vous  embrasser.  Mille  choses  à  ma  chère  Com- 
mère et  à  sa  chère  fille.  ■  Que  ne  suis-je  à  portée  de 
recevoir  les  caresses  de  cette  aimable  enfant.  Bon- 
jour mon  cher  Compère. 


13S. 

A  Strasbourg,  lé  25  9bi;e  1765. 

Je  reçois ,  mon  cher  Compère ,  avec  autant  de  sur- 
prise que  de  chagrin  votre  lettre  du  16.  Votre  am- 
bassadeur s'en  retournera  comme  il  sera  venu.  (')  J'en 
suis  fâché,  mais  ce  n'est  assurément  pas  ma  faute.  Je 
ne  suis  point  en  état  de  voyager  à  présent;  il  ne  fait 
pas  le  tems  pour  cela;  me  trouvant  bien  ici,  je  n'ai  nulle 
envie  d'en  partir  sitôt,  et  lorsque  j'en  partirai  je  doute 
malgré  mon  envie  que  ce  soit  pour  aller  à  Amsterdam. 
Il  fait  le  froid  le  plus  rigoureux  que  j'aye  senti  depuis 
bien  des  années;  j'ose  à  peine  mettre  le  pied  dans  la 
rue,  et  vous  ne  laissez  pas  de  m'écrire  de  me  mettre 
en  route  avant  l'hiver,  comme  si  nous  étions  au  mois 
de  Juillet.  Vous  m'avouerez  que  tout  cela  n'est  pas  fort 
raisonnable.  Je  ne  conçois  pas  ce  qu'a  pu  vous  écrire 
M.  Ravalet;  mais  à  lire  votre  lettre  on  croiroit  que  je 
suis  ici  caché  dans  un  trou  de  taupe.     Permettez-moi 


(')   Deux  jours  après,  il  écrivit  à  M.  de  Luze:  l'Rey  m'a  envoyé  son  com- 
mis, pour  m' emmener  en  Hollande',  il  s'en  retournera  comme  il  est  venu." 


266 

de  vous  dire  que  je  ne  suis  point  un  homme  qui  se  ca- 
che, et  que  je  n'ai  pas  besoin  de  me  cacher.  Je  suis 
assurément  sensible  à  votre  empressement ,  mais  em- 
barrassé de  votre  étourderie.  Vous  auriez  dû  sentir  que 
quand  un  homme  est  en  âge  de  raison  Ton  ne  dispose 
point  de  lui  sans  le  consulter.  Si  j'étois  en  état  de 
payer  le  voyage  de  votre  homme,  il  n'y  auroit  que 
demi-mal,  mais  en  vérité  je  suis  hors  d'état  de  soute- 
nir cette  dépense,  d'autant  plus  que  tous  mes  amis  par 
des  soins  indiscrets  et  par  d'immenses  ports  de  lettres 
semblent  de  toutes  parts  se  réunir  pour  achever  de 
me  ruiner.  Au  reste  il  n'est  point  encore  arrivé  mais 
suivant  vos  lettres  nous  l'attendons  d'une  heure  à  l'au- 
tre ,  et  je  suis  inquiet  de  savoir  s'il  aura  pu  supporter 
le  voyage  par  le  froid  extrême  qu'il  fait.  J'ai  un  vrai 
regret,  mon  cher  Compère,  à  ne  pouvoir  me  rendre  au- 
près de  vous  ,  mais  cela  est  impossible  dans  cette  saison , 
et  dans  toute  autre  je  dépends  de  tant  de  choses  que 
je  ne  puis  compter  sur  rien.  Je  fais  mes  plus  tendres 
embrassemens  à  mon  aimable  petite  rilleule,  à  sa  bonne 
maman  et  à  tout  ce  qui  vous  appartient.  Tout  à  vous, 
cher    Compère   de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousskai. 
.M.    Ravalet   n'est  plus  ici  depuis  longtems. 


130. 

A  Strasbourg  .  le  1er  10b™   1761. 

Je  suis  très-fâché,  mon  cher  Compère,  de  vous  ren- 
voyer votre  Commis  comme  il  esl  venu;  mais  il  le 
faut  bien,  puisqu'il  m'est  absolument  impossible  de  sou- 
tenir la    route   de   la    Hollande   dans    cette   saison    sans 


■2\u 

être  roué  sur  terre  ou  gelé  sur  l'eau.  Je  vous  envoyé 
en  même  tems  la  Reine  fantasque  que  vous  n'impri- 
merez point,  s'il  vous  plait,  sans  l'avertissement,  et 
pour  cause.  La  copie  n'est  pas  fort  nette,  mais  elle  est 
correcte.  Je  souhaite  fort  ,  surtout  si  vous  la  faites 
imprimer  à  part ,  d'en  pouvoir  revoir  une  épreuve.  Vous 
pourrez,  si  vous  voulez,  me  l'adresser  chez  la  veuve 
Duchesne  à  Paris  où  je  compte  passer  une  partie  de 
l'hiver;  de  là,  je  me  rendrai  à  Londres  d'où  étant  plus  à 
portée  de  vous  aller  voir  lorsque  je  serai  tout  à  fait 
établi  en  Angleterre ,  j'espère  me  procurer  un  plaisir 
auquel  il  ne  faut  pas  songer  pour  ce  moment.  J'em- 
brasse mille  fois  ma  chère  Commère  et  toute  votre  fa- 
mille, surtout  ma  filleule  et  son  cher  Papa. 

J.  J.   Roussp;ai'. 


140. 

A  Pakis,   le  31   10^c  1761. 

J'ai,  mon  cher  Compère,  votre  lettre  du  8.  J'espère 
que  M.  Potinius  vous  sera  retourné  sans  accident  et 
vous  aura  remis  une  copie  de  la  Reine  fantasque  plus 
exacte  et  en  meilleur  ordre  que  celles  qu'on  avoit  au- 
paravant. J'ai  désiré  sincèrement  de  vous  aller  joindre; 
indépendamment  de  la  rigueur  de  la  saison, j'avois  pour 
prendre  une  autre  route  des  raisons  trop  longues  à  dé- 
duire, mais  trop  solides  pour  les  négliger.  Je  passe 
maintenant  avec  M.  Hume  en  Angleterre,  d'où  j'aurai 
soin  de  vous  donner  de  mes  nouvelles  et  mon  adresse, 
aussitôt  que  je  sciai  iixé. 

Pourquoi  attendez-vous  impatiemment  mon  Diction- 
iKiiiv    de    Musique?    Auriez-vous  dessein  de  le  contre- 


268 

faire?  J'en  serais  fâché  premièrement  pour  vous;  parce 
que  cet  ouvrage,  étant  fait  sur  la  Musique  françoise 
et  selon  le  système  de  Rameau,  doit  avoir  peu  de  cours 
dans  l'étranger.  D'ailleurs  je  verrai  toujours  avec  peine 
que  vous  ne  soyez  pas  bien  avec  la  veuve  Duchesne, 
parce  que  je  vous  aime  tous  deux,  et  que  j'avois  pour 
d'autres  tems  certaines  vues  utiles  pour  l'une  et  pour 
l'autre,  dans  lesquelles  j'aurais  bien  désiré  de  vous  voir 
entrer  de  concert. 

J'embrasse  tendrement  ma  chère  petite  filleule  et  sa 
maman.  Il  m'eût  été  bien  doux  d'aller  me  reposer  et 
me  consoler  dans  le  sein  de  votre  famille.  Mais  soumis 
aux  lois  de  la  nécessité,  je  suis  accoutumé  depuis 
longtems  à  lui  sacrifier  tous  mes  desseins.  C'est  là, 
cher  Compère,  de  quoi  me  plaindre  et  non  pas  de  quoi 
me  quereller.     Je  vous  salue  de  tout  mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 
141. 

A  Cuiswick,  le   3  Mars   17G6. 

J'ai  receu  toutes  vos  lettres ,  mon  cher  Compère  ; 
c'est  malgré  moi  que  je  vous  écris  si  tard  et  si  peu. 
Mais  jusqu'à  ce  que  mon  habitation  soit  fixée  et  mes 
tracas  un  peu  débrouillés,  je  ne  puis  écrire  que  pour  la 
plus  absolue  nécessité.  J'ai  été  obligé  de  sortir  de  Lon- 
dres oti  j'étois  absolument  accablé  de  visites,  et  je  ne 
tarderai  pas  à  m'en  éloigner  davantage,  par  la  même 
raison.  J'ai  beau  soupirer  après  la  solitude  dont  j'ai 
besoin  dans  mon  état;  je  ne  la  puis  trouver  nulle  part. 

J'ai  rempli  votre  commission  près  de  M.  Hume,  qui 
me  charge  de  vous  remercier  et  de  vous  saluer;  c'est 
un  digne  homme  et  un  bon  ami  à   qui  j'ai  de  grandes 


269 

obligations.  Le  connoitre  seulement  par  son  beau 
génie,  c'est  ne  le  connoitre  que  par  la  moitié  de  son 
mérite  ('). 

Je  vous  prie,  mon  cher  Compère,  de  ne  me  repar- 
ler jamais  ni  de  souscription  ni  d'aucune  impression  de 
mes  œuvres.  Si  vous  êtes  tenté  de  faire  cette  entre- 
prise ,  adressez-vous  à  M.  du  Peyrou.  Pour  moi  je  ne 
veux  plus  entendre  parler  de  ma  vie  de  rien  qui  ait  le 
moindre  rapport  à  mes  écrits.  A  l'égard  de  la  Reine 
fantasque,  si  vous  voulez  la  donner  à  part,  je  n'em- 
pêche; mais  je  ne  veux  m'en  mêler  en  aucune  façon, 
pas  même  pour  une  estampe.  Je  vous  avoue  même  que 
vous  me  feriez  plaisir  de  différer  à  d'autres  tems  la 
publication  de  cette  folie.  Il  importe  à  mon  repos  que 
je  sois  oublié  du  public  ou  du  moins  qu'il  ne  voye  plus 
rien  de  moi  qui  le  fasse  souvenir  que  j'existe.  Toutefois, 
vous  êtes  le  maître  de  ce  barbouillage.  Il  est  à  vous; 
usez-en  comme  il  vous  plaira.  Mais  il  m'importe  au 
moins  que  l'on  sache  que  je  n'ai  nulle  part  à  sa  pu- 
blication (2). 

Je  suis  fâché  de  vous  avoir  inutilement  prié  de  ne 
point  contrefaire  l'ouvrage  que  Guy  imprime.  Je  con- 
viens que  je  n'en  avois  pas  le  droit.  Il  faut  vous  laisser 
faire  ce  qu'il  vous  plaira.  Vos  plaintes  contre  Duchesne 
et  les  siennes  contre   vous  m'apprennent  qu'il  ne  fout 


(•)  La  rupture,  qui  a  fait  tant  d'éclat,  suivit  Je  près  cette  effusion  d'estime. 
Au  sujet  de  la  brouillerie  entre  ces  deux  écrivains  célèbres,  je  lis  dans  une 
lettre  du  Professeur  J.  N.  S.  Allamand  (le  même  qui  dans  la  note  au  N°.  110 
a  été  nommé  par  erreur  Allemand)  à  Rey  en  date  du  27  8ept.  17GG:  "j'en  tiens 
l'histoire  de  lu  première  main,  et  je  les  condamne  tons  deux:  M.  Rous- 
seau pour  avoir  conçu  mal  à  propos  des  .soupçons  sur  lis  sentimens  d,- 
M.  Il  unie  à  son  égard;  et  celui-ci  pour  n'avoir  pas  eu  pitié  d'un  homme 
que  l<s  persécutions  de  toute  espèce  qu'U  a  eues  à  soutenir  jusqu'à  pré- 
sent, ont  rendu  soupçonneux  et  ombrageux  jusqu'à  lu  petitesse." 

(")  Voyez  lu  note  au  numéro  suivant. 


270 

jamais  se  mêler  des  affaires  de  libraire  à  libraire:  sûr 
qu'on  n'en  peut  jamais  avoir  que  du  chagrin.  Je  dois 
cependant  vous  avertir  que  c'est  un  mauvais  projet 
pour  votre  intérêt  que  celui  d'imprimer  les  articles  de 
Musique  de  l'Encyclopédie.  Ces  articles  faits  à  la  hâte 
ont  été  refondus  et  augmentés  à  loisir,  et  si  quelqu'un 
les  imprimoit  sous  mon  nom  dans  l'état  informe  où  ils 
sont  dans  l'Encyclopédie ,  je  serois  obligé  de  protester 
contre  cette  entreprise,  et  de  renvoyer  au  Dictionnaire 
qui   est  sous  presse  à  Paris. 

Quand  vous  aurez  quelque  occasion  de  me  faire  pas- 
ser un  exemplaire  de  la  nouvelle  Edition  que  vous  faites 
de  mes  Ecrits ,  vous  me  ferez  plaisir  de  vous  en  pré- 
valoir. Vous  pourrez,  si  je  ne  suis  plus  à  Londres  ou 
au  voisinage,  faire  remettre  le  paequet  à  mon  adresse 
chez  Mrs.  de  Hondt  et  Becket ,  ou  chez  Messieurs  Lu- 
cadou  <f  Drake  in  the  Union-Court  Broad-Street ,  qui 
veulent  bien  se  charger  en  ce  pays  de  mes  affaires. 
C'est  chez  ces  M1S. ,  puisque  vous  me  le  demandez ,  que 
vous  pourrez  quand  il  sera  tems  faire  payer  la  pension 
que  vous  faites  à  M11?  Le  Vasseur,  et  dont  j'aurai  soin 
de  vous  faire  passer  les  quittances. 

J'aurois  voulu,  mon  cher  Compère,  passer  par  votre 
pays  pour  avoir  le  plaisir  de  vous  embrasser  ainsi  que 
Madame  Rey  et  la  chère  filleule  de  l'oncle  Rousseau  : 
mais  outre  que  j'ai  eu  de  bonnes  raisons  pour  passer 
par  la  France,  je  vous  avoue  que  je  me  suis  senti  une 
répugnance  invincible  à  [tasser  par  un  pays  où  sans 
rime  ni  raison,  sans  ombre  d'intérêt  ni  de  justice,  on 
m'a  de  gayeté  de  cœur  traité  plus  injustement,  plus 
malhonnêtement ,  plus  brutalement  même  que  dans 
les  pays  où  j'avois  les  plus  violons  ennemis  person- 
nels. Je  puis  excuser  à  certains  égards  ce  qui  s'étoit 
t'ait    à    Paris    et    A     Genève;     mais    ee    qui     s'est   fait 


271 

en  dernier  lieu  en  Hollande  est  méprisable  et  in- 
fâme (').  Je  n'aurois  pu  regarder  qu'avec  l'indignation 
qu'ils  méritent  des  gens  capables  de  pareilles  lâchetés. 
Il  ne  faut  point  aller  dans  un  pays  dont  on  méprise 
les  maîtres.  Cela  n'est  ni  bienséant  ni  prudent.  J'em- 
brasse tendrement  ma  chère  petite  nièce;  je  souhaite 
ardemment  que  mon  sort  se  fixe  et  que  ma  juste  in- 
dignation se  calme,  afin  de  pouvoir  un  jour  faire  le 
voyage  pour  aller  voir  cette  chère  enfant  et  sa  mère, 
à  qui  je  vous  prie  de  dire  mille  choses  de  ma  part. 
Tout  à  vous. 


142. 

A   Wootton,  le  23  Aoust  1766. 
(*) 


(')  Voyez  la  note  au  N°.  131. 

(*)  Cette  lettre  ayant  été  imbliée  dans  les  recueils  des  Oeuvres  Complète*) 
île  Rousseau,  partie  Correspondance ,  nous  avons  jugé  ne  pas  devoir  la  repro- 
duire. Il  est  vrai  qu'en  plusieurs  endroits  on  y  a  fait ,  en  l'imprimant ,  des  chan- 
gements; mais  les  variantes  des  deux  textes  ont  exclusivement  rapport  à  la 
correction  du  style.  Le  seul  point  remarquable  est  le  passage  où  l'auteur  se 
montre  fâché  de  ce  que  Rey  a  imprimé  la  Reine  Fantasque.  Ce  passage  ne 
se  trouve  pas  dans  l'original.  On  sait  maintenant  par  les  lettres  que  nous 
publions  sous  les  Nos.  139  et  140  .  que  Rey  a  fait  cette  édition  du  consente- 
ment de  l'auteur  et  que  pour  la  faire,  celui-ci  lui  avait  envoyé  une  copie 
corrigée  de  sa  propre  main.  Mais  le  X°.  141  nous  apprend  que  Rousseau  ne 
voulait  pas  qu'on  sût  qu'il  avait  eu  part  à  la  publication. 


•21-2 
143. 

A  Wootton,  le  20    10bi:e  1766. 

Je  répondis,  mon  cher  Compère,  en  tems  dû  à  la 
lettre  que  vous  m'écrivîtes  le  5  Aoust,  et  j'eus  soin 
de  vous  marquer  mon  adresse  sûre.  Comme  j'entrois 
dans  des  détails  qui  probablement  dévoient  vous  en- 
gager à  quelque  réponse,  et  que  cependant  je  n'ai  receu 
de  vous  depuis  lors  aucun  signe  de  vie,  je  commence 
à  craindre  que  vous  ne  soyez  malade ,  ou  que  ma  lettre 
ne  vous  soit  pas  parvenue;  ce  qui  pourroit  facilement 
être ,  vu  que  ne  pouvant  vous  écrire  directement  d'ici, 
je  suis  forcé  d'avoir  à  Londres  des  entrepôts  qui  ne 
sont  pas  toujours  sûrs.  Tirez-moi  donc  de  peine,  je 
vous  en  prie,  et  sur  votre  état  et  sur  le  sort  de  ma 
lettre ,  afin  que  je  sache  sur  ces  deux  points  à  quoi 
m'en  tenir. 

Je  ne  me  suis  point  prévalu  sur  vous ,  comme  vous 
me  l'aviez  permis  pour  l'année  courante,  de  la  pension. 
de  Mu?  Le  Vasseur;  mais  cette  année  étant  à  sa  fin, 
j 'envoyé  à  M.  Rougeinont,  banquier  à  Londres,  un  billet 
signé  d'elle  qui  vous  servira  de  quittance ,  et  sur  lequel 
je  vous  prie  de  payer  les  300  francs  de  l'année  prête 
à  éehoir,  à  celui  qui  vous  le  remettra.  Je  vous  priois 
(Lins  ma  précédente  lettre  de  ne  vous  servir  de  la  vove 
de  Mrs.  Becket  et  de  Hondt  pour  aucune  chose  qui 
me  concernât ,  et  je  vous  réitère  In  même  prière, ayant 
de  très-fortes  raisons   pour  cela. 

Donnez-moi,  je  vous  prie,  amplement  de  vos  nou- 
velles, de  celles  de  Mad.  Rey,  de  tout  ce  qui  vous 
appartient  et  surtout  de  nia  chère  filleule  que  j'em- 
brasse de  tout  mon  cœur  ainsi  que   son  cher  papa. 

J.  J.   Rousseau. 


273 

Voici  l'adresse  exacte  sous  laquelle  vous  pouvez 
în'écrire.  Les  ports  sont  ici  prodigieusement  coûteux 
et  lorsque  vous  aurez  des  occasions  pour  Londres  vous 
me  ferez  plaisir  d'y  faire  mettre  vos  lettres  à  la  poste 
au  lieu  de  les  mettre  à  celle  d'Amsterdam  directement. 
Toutefois  écrivez  en  droiture  quand  vous  ne  pourrez 
pas  faire  autrement.  Vos  lettres  me  feront  toujours 
plaisir,  quelque  port  qu'elles  puissent  me  coûter. 

A  Monsieur 
Monsieur    Davenpoiit, 
A  Wootton  Askburnbay. 


Derbyskire 

Angleterre. 


Notez  qu'il  n'y  a  pas  besoin  d'enveloppe ,  ni  que  mon 
nom  paroisse  en  aucune  sorte;  avec  l'adresse  précédente 
exactement  observée,  la  lettre  me  parviendra  et  ne  sera 
vue  que  de  moi. 


144. 

A   Fleuuy  sous  Meudon  ('),  le  15   Juin   1767. 

Je  profite,  mon  cher  Compère,  du  départ  de  M.  Du 
I'cyrou  pour  vous  donner  enfin  de  mes  nouvelles  et 
vous  demander  des  vôtres  ;  ce  que  je  n'ai  pu  faire 
plustût ,  vu  ma  situation  et  mes  courses.  Quand  je 
serai  plus  tranquille,  je  vous  écrirai  plus  au  long1.   J'ai 

(')  C'est  donc  bien  la  maison  de  campagne  du  Marquis  de  Mirabeau,  à 
deux  lieues  de  Paris,  où  il  s'était  rendu,  comme  l'a  remarqué  Petitain.  Mus- 
Bet-Pathay  doutait  encore  si  ce  pouvait  être  Fleury-aous-Chaumonl  dans  lo 
voisinage  de  Trie-le-Château. 

1S 


274 

quelque  lieu  d'espérer  que  je  trouverai  enfin  le  repos 
que  je  cherche  et  dont  j'ai  si  grand  besoin.  Donnez- 
moi  de  vos  nouvelles ,  de  celles  de  Madame  Rey,  et  de 
ma  chère  filleule  que  je  charge  M.  Du  Peyrou  d'em- 
brasser pour  moi.  Vous  m'avez  envoyé  à  corriger  une 
mauvaise  édition  du  Devin  du  Village  où  il  y  a  autant 
de  fautes  que  de  notes.  Tout  ce  que  j'ai  pu  faire  dans 
l'agitation  continuelle  où  j'ai  vécu,  a  été  de  recouvrer 
un  exemplaire  de  la  première  Edition ,  que  je  vous 
envoyé.  Il  n'y  a  pas  beaucoup  de  fautes  d'impression. 
J'en  ai  corrigé  quelques-unes,  et  les  autres  ne  s'aper- 
cevront pas.  Il  m'est  impossible  de  m'appliquer,  et 
ma  tête  affaiblie  ne  me  le  permet  plus.  J'ai  pensé  que 
le  voyage  de  M.  Du  Peyrou  fournissoit  une  occasion 
commode  pour  le  payement  de  l'année  courante  de  la 
pension  de  Mu.e  Le  Vasseur,  qui  vous  assure  de  son 
respect,  et  je  lui  ai  remis  le  receu  de  la  dite  année 
dont  vous  pourrez  lui  remettre  l'argent  en  échange,  si 
cela  vous  est  égal  ;  sinon  vous  pouvez  sans  inconvé- 
nient attendre  qu'elle  soit  échue;  car  ce  n'est  pas  qu'il 
y  ait  rien  de  pressé.  Je  n'ai  point  receu  l'envoi  de 
livres  que  vous  aviez  fait  à  M.  Lucadou  et  il  n'est  pas 
nécessaire  que  vous  m'en  fassiez  un  autre,  étant  résolu 
de  ne  plus  rien  lire  de  ma  vie  excepté  des  livres  de 
botanique,  pas  même  mes  propres  écrits.  J'attends, 
moii  cher  Compère,  de  vos  nouvelles  par  M.  Du  Pey- 
rou qui  vous  dira  plus  amplement  des  miennes,  et  je 
vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

J.  .1.   Rousseau. 


275 

145. 

Au  CHâTEAU  de  Trie  par  Gisors,  le  28  7br.e  1767. 

Il  y  a  longtems,  mon  cher  Compère,  que  vous  au- 
riez receu  mes  remercîmens  de  votre  papier ,  et  de  mes 
nouvelles ,  si  M.  du  Peyrou  à  qui  je  voulois  remettre 
ma  lettre  n'eût  été  attaqué  ici  d'une  goutte  remontée 
qui  l'a  mis  en  grand  danger  et  qui  l'a  retenu  plus  de 
deux  mois  de  plus  qu'il  n'avoit  compté  de  rester  ('). 
Grâce  au  ciel  il  est  en  pleine  convalescence ,  et  comme 
il  se  propose  de  partir  dans  quelques  jours  avec  un 
ami  qui  l'est  venu  joindre  à  ma  prière,  je  prépare  cette 
lettre  pour  la  lui  remettre,  attendu  qu'on  ne  peut 
écrire  d'ici  en  droiture  en  Hollande.  Il  seroit  à  sou- 
haiter, mon  cher  Compère,  que  vous  eussiez  un  cor- 
respondant sûr  à  Paris  ou  à  Rouen  par  lequel  nous 
pussions  avoir  des  nouvelles  l'un  de  l'autre,  et  qui  se 
chargeât  de  recevoir  nos  lettres  et  de  nous  les  faire 
passer.    Les  vôtres  me  parviendront  en  quelque  endroit 


(')  On  ne  lira  pas  sans  intérêt  le  passage  suivant,  extrait  d'une  lettre  quo 
Du  Peyrou  écrivit  de  Neufchâtel  à  Key  en  date  du  8  Février  1768  :  "J'ai 
liasse  auprès  de  notre  citoyen  dix  semaines  au  lieu  de  huit  jours  que 
je  lui  avois  destinés.  Mais  ces  dix  semaines  ont  été  bien  cruelles  pour 
son  amitié,  pour  moi  et  sa  tranquillité ,  puisque  je  les  ai  passées  dans 
uti  état  de  danger  assez  éminent  ou  de  faiblesse,  suite  de  la  maladie. 
Je,  peux  dire  que  c'est  à  ses  soins  tendres  et  éclairés  que  je  dois  la  vie. 
Je  l'ai  quitté,  il  y  a  un  mois,  en  le  laissait!  assez  bien  pour  la  saison 
rigoureuse  que  nous  avions  alors.  Je  lui  avais  porté  de  Paris  son  Dic- 
tionnaire  de  Musique  qui  alloit  paraître  et  dont  il  ne  m'a  pas  paru 
bien  satisfait,  vu  la  quantité  de  fautes  d'impression  qu'il  y  a  remar- 
quées. Il  a  dû  vous  écrire  pour  des  Livres  de  Botanique  qui  font 
aujourd'hui  son  unique  passion.  L'asile  que  lui  a  accordé  un  Prince 
bienfaisant  et  son  ami,  simble  assurer  sou  repos,  et  la  pension  du  Roi 
d'Angleterre  qui  lui  est  payée  ma /gré  sa  sortie  du  royaume,  le  met  à 
couvert  de  tous  les  besoins.  Voilà,  Monsieur,  ce  qui  sûrement  vans  in- 
téressera, eu    entre  attachement  a  sa  personne." 

18  • 


27G 

de  France  qu'elles  soient  mises  à  la  poste  sous  cette 
adresse,  V.  M.  Renou  au  Château  de  Trie  par  Gisors. 
Vous  comprenez ,  mon  cher  Compère ,  que  ceci  n'est 
que  pour  vous,  et  que  vous  ne  devez  montrer  cette 
lettre  à  personne.  Car  quoique  je  sache  bien  qu'on  n'ig- 
nore pas  où  je  suis,  je  ne  veux  pas  qu'on  puisse  dire 
avoir  cette  connoissance  de  mon  fait  (1). 

Je  me  réjouis  de  tout  mon  cœur  de  la  bonne  santé 
de  ma  chère  Commère ,  de  ma  chère  filleule  et  de  toute 
votre  famille.  La  mienne  est  passable  malgré  mes  in- 
firmités ,  et  j'ai  soutenu  mieux  que  je  n'aurois  espéré 
les  fatigues  et  les  angoisses  que  m'a  données  la  maladie 
de  M.  du  Peyrou.  J'apprends  avec  grand  plaisir  que 
votre  goutte  vous  laisse  du  relâche;  je  voudrois  bien 
que  cela  vous  donnât  le  courage  de  faire  encore  un 
voyage  en  France  avant  que  ma  filleule  fût  en  état  de 
vous  y  suivre,  ce  qui  ne  peut  guère  être  avant  trois 
ou  quatre  ans  d'ici.  J'ai  le  plus  vrai  désir,  mon  cher 
Compère,  de  vous  embrasser  au  moins  encore  une  fois 
avant  la  mort.  S'il  arrivoit  que  ne  vous  sentant  pas 
le  courage  de  faire  encore  des  voyages  vous  envoyassiez 
en  ce  pays  à  votre  place  M.  votre  fils ,  engagez -le  à 
ne  pas  manquer  de  me  venir  voir.  Je  serai  charmé 
de  faire  connoissance  avec  lui. 

Votre  amitié,  mon  cher  Compère,  m'est  trop  chère 
pour  ne  pas  accepter  avec  plaisir  et  reconnoissainv 
l'hommage  public  que  vous  voulez  bien  m'en  l'aire  en 
me   dédiant  une  de  vos  traductions   de    Platon  (*).     Si 


(')  En  acceptant  L'asile  que  le  Prince  de  Conti  lui  offrit  dans  son  château 
de  Trie,  situé  à  une  deuii-lieue  de  Gisors,  Rousseau  prit  le  nom  supposi  de 
Renou.  "11  paroil  —  'lit  Petitain  —  que  le  prince,  pour  sauver  au  moins  les 
apparences,  avoit  désiré  qu'il  prit  cette  précaution." 

(2)  Il  s'agit  île  la  traduction  de  GrBOTT.  Au  sujet  de  cette  dédicace  je  lis 
dans  une  lettre  de  Grou  à  Rej  en  date  de  Paris,  1'.'  Oct.  1709:    "J'ai  été  tris- 


277 

c'est  un  honneur  que  vous  n'avez  voulu  faire  à  personne, 
c'en  est  un  aussi  que  je  n'ai  voulu  recevoir  que  de 
vous.  Lorsque  vous  aurez  achevé  votre  édition  de  mes 
ouvrages,  si  vous  m'en  voulez  envoyer  un  exemplaire 
complet  vous  me  ferez  plaisir.  Je  crois  qu'il  faudra, 
pour  prévenir  toute  difficulté,  que  vous  tâchiez  d'ob- 
tenir pour  cela  le  consentement  de  M.  de  Sartine,  et 
quoique  je  n'aye  point  l'honneur  d'être  dans  ses  bonnes 
grâces,  j'ai  peine  à  croire  qu'il  veuille  le  refuser.  J'ai 
laissé  en  Angleterre  les  volumes  que  vous  y  aviez  en- 
voyés. 

J'accepte  avec  très-grand  plaisir  vos  bons  soins  pour 
mes  fournitures  de  Livres  de  Botanique.  Car  on  ne 
trouve  presque  rien  dans  ce  genre  à  Paris.  Je  vous 
envoyé  ci-joint  une  note  de  ceux  dont  j'aurois  besoin 
et  j'en  ai  même  mis  plus  que  je  n'en  voudrais  acquérir 
à  la  fois,  afin  que  vous  puissiez  me  pourvoir  de  ceux 
qui  vous  tomberont  sous  la  main.  Je  les  ai  rangés 
dans  l'ordre  où  je  les  voudrois  acquérir  si  j'avois  le 
choix  ,  c'est-à-dire  les  premiers  par  préférence  et  seu- 
lement deux  ou  trois  à  la  fois.  Car  quoique  je  vive 
dans  cet  asile  avec  une  honnête  aisance,  grâce  aux 
bontés   de  Sa   Majesté    Britannique  (4)  et  à  celles    du 


sensible  au  témoignage  flatteur  que  MM.  Muhnkenius  et  Valckenaer  ont 
rendu  à  mu  traduction  (des  Loix  et  de  la  République) ,  et  je  vous  prie 
de  leur  en  faire  passer  /es  assurances  de  ma  reconnaissance.  Mais  je  ne 
VOUS  cacherai  pas ,  Monsieur,  que  j'ai  été  surpris  et  affligé  de  voir  mon 
ouvrage  dédié  à  Jean- Jacques  Rousseau.  Il  me  semble  qu'il  était  de  la 
bienséance  de  me  prévenir  sur  une  pareille  démarche  ,  que  je  n'aura. s 
certainement  pas  approuvée.  J'espère  que  vous  ne  vous  offenserez  point 
de  cette  déclaration  que  je  dois  à  mon  état  et  à  mu  façon  de  penser. 
On  verra  dans  la  lettre  No.  150  que  Rousseau  n'était  pas  plus  content  de 
cette  dédicace.  Le  manuscrit  <!<•  la  traduction  de  Grou  a  été  vu  par  Valcke- 
naer et  Etubnkenius,  et  retouché  par  François  Hemsterhuis.  Les  remarques 
■  le  ces  savants  eut  été  envoyées  au  traducteur. 

1    Ce  témoignage  de  reconnaissance  au  sujet   de  la  pension  du  roi  d'An- 


2  7. S 

maître  de  la  maison ,  comme  ma  situation  présente 
m'assujettit  à  beaucoup  de  dépenses ,  je  n'en  puis  faire 
que  très-peu  pour  mon  goût  pour  les  plantes,  quoi- 
qu'il me  subjugue  à  tel  point  qu'il  devient  une  passion 
d'enfant.  On  a  beaucoup  de  plantes  étrangères  dans 
le  pays  où  vous  êtes;  ne  connoitriez  vous  personne 
qui  eût  la  cliarité  de  m'en  envoyer  quelques-unes  sèches 
bien  conditionnées  avec  les  noms  de  Linnaeus  pour 
augmenter  mon  petit  herbier. 

Bonjour,  mon  cher  Compère,  je  vous  embrasse  et 
toute  votre  chère  famille  de  toute  la  tendresse  de  mon 

cœur. 

L'Herboriste  de  Made.  la  Duchesse 

de  portlaxd. 

Bien  des  remercîmens  et  salutations  de  votre  jîension- 
naire.  J'oubliois  de  vous  dire  qu'elle  a  receu  les  trois 
cents  francs.  Vous  avez  envoyé  à  Guy  une  feuille  du 
Dictionnaire  de  Musique;  il  croit  que  vous  avez  receu 
cette  feuille  de  moi.  Il  me  connoit  bien  mal.  Si  vous 
réimprimez  cet  ouvrage  mon  honneur  en  restera  taché; 
vous  savez  si  c'est  avec  justice.  Rendez  hommage  à 
la  vérité.  Je  vous  prie  de  l'aire  agréer  mes  vifs  remer- 
cîmens à  ces  généreux  Seigneurs  (')  qui  veulent  bien 
m'offrir  un  asile. 


flctcrro ,  est  remarquable.     Le  4  Avril  il  avoit  écrit  à  du  Peyrou:    Si  cous 
saviez  coin  meut ,  par  qui  et  pourquoi  cette  pension  m'est   venue,    vous 
m'en  féliciteriez  moins."    Un  an    après  il  se  décida  à  y  renoncer. 
1    Probablement  les  comtes  Bentinck,    Voyez  N°.  134  e1   L86. 


279 


LIVRES    A  ACQUERIR. 


Remberte  Dodonaei  ■ — ■  stirpium  historia'  Pemptades 
sex.   f°. 


Lobelii  Plantarum  icônes. 


Tabernaemontani  icônes  plantarum. 


J.  J.  Scheutzer  Iter  alpinum.    4°. 


Haller,  Iter  helveticmn.    4°. 


Morisson,  de  Plantis  umbelliferis.    4°. 


Flora  Prussica.    4°. 


C.  Clusit,   rariorum  plantarum  historia.    f°. 


C.  Linnaei  fundamenta  botanica.    8°. 


Ejusdem  critica  botanica.    8°. 


_,.     ,        _  Oelandicum  )  Qn 

Eiusdem  Iter.  <  _     ,      ,.        S  8°. 
(  Gotlandicum) 


Mon  dessein  n'est  pas  d'acquérir  tous  ces  livres  à  la 
fois,  mais  seulement  quatre  ou  cinq  de  ceux  qui  se 
trouveront  le  plus  aisément  sous  la  main. 


280 
140. 

A  Trie,  le  11  Juin  1768. 

Quoique  je  n'aye  pas  encore  receu,  mon  cher  Com- 
père, le  petit  envoi  que  vous  m'avez  fait  par  M.  Dan- 
diran ,  je  savois  son  arrivée  à  Paris  même  avant  la 
réception  de  votre  lettre,  et  quoique  ce  ne  soit  pas  la 
ce  que  j'attendois ,  je  vous  en  fais  cependant  mes  re- 
mereîmens ,  et  en  particulier  du  livre  que  vous  avez 
l'ait  imprimer.  Quant  à  l'autre  et  à  ceux  que  vous 
pourriez  trouver  dans  la  suite,  vous  aurez  la  bonté 
d'en  déduire  le  prix  sur  la  pension  et  je  le  rembour- 
serai à  votre  pensionnaire,  afin  d'éviter  des  envois  et 
renvois  d'argent.  Je  suis  surpris  que  de  tous  les  livres 
dont  je  vous  avois  envoyé  la  note  vous  n'en  ayez  pu 
trouver  qu'un  seul.  11  me  semble  que  si  j'étois  à  Am- 
sterdam, j'y  trouverais  dans  une  matinée  tous  ceux  dont 
j'avois  besoin.  Cependant  ne  vous  hâtez  pas  de  cher- 
cher davantage.   Quant  à  présent  cela  n'est  pas  pressé. 

Je  ne  puis  consentir  à  l'impression  des  lettres  que 
vous  a  envoyées  M.  de  Graffenried  par  l'unique  raison 
(pie  je  ne  consentirai  de  ma  vie  à  l'impression  d'aucun 
écrit  sorti  de  ma  main  ni  de  rien  qui  me  regarde, 
laissant  de  tout  mon  cœur  le  champ  libre  à  l'adroite 
et  puissante  ligue  faite  pour  détruire  ma  réputation. 
Parcette  raison,  je  ne  vous  renvoyé  pas  les  lettres,  dont 
la  copie  est  d'ailleurs  si  fautive  que  les  imprimer  sur 
une  pareille  copie  seroil  les  défigurer,  de  sais  cepen- 
dant un  gré  infini  à  M.  de  Graffenried  de  ses  bonnes 
intentions  :  je  suis  plein  delà  plus  véritable  estime  pour 
son  caractère,  et  je  conserverai  toute  ma  vie  un  sou- 
venir plein  de  reconnoissance  de  la  manière  généreuse 
et  courageuse  dont  il  s'est  comporté  envers  moi  en  exé- 


281 

cutant  à  regret  l'ordre  de  son  souverain.  Je  vous  prie 
de  lui  faire  quelque  mention  de  moi  quand  vous  lui 
écrirez. 

La  lettre  venue  d'Amérique  est  un  tissu  de  bêtises; 
ce  n'est  pas  la  peine  de  recevoir  de  si  loin  pareille 
marchandise;  on  en  trouve  de  reste  autour  de  soi. 
Soyez  circonspect,  je  vous  prie,  à  recevoir  des  pacquets 
à  mon  adresse.  Quand  vous  voyez  des  adresses  bizarres, 
des  lettres  qui  ont  circulé  par  des  mains  infidèles  et 
qui  ont  été  vingt  fois  décachetées ,  ne  recevez  rien  de 
cela.  Mais  comme  il  ne  faut  pas  non  plus  croire 
que  la  terre  soit  uniquement  couverte  de  fourbes  et  do 
fous ,  je  ne  voudrais  pas  me  refuser  dans  l'occasion  la 
consolation  d'apprendre  que  quelque  honnête  homme 
sensé  s'intéresse  à  mon  sort.  Je  m'en  importe  bien 
à  votre  discernement  pour  faire  le  triage ,  et  je  trou- 
verai même  très-bon  que  vous  ouvriez  les  lettres  quand 
vous  serez  en  doute  sur  leur  contenu.  Bien  entendu 
que  vous  tiendrez  note  des  ports. 

Je  lis  avec  intérêt  et  attendrissement  tout  ce  que 
vous  me  marquez  de  ma  petite  filleule;  plus,  revenu 
des  illusions  que  je  m'étois  faites,  je  me  détache  des 
faux  amis  et  de  la  vie,  plus  je  sens  que  je  m'attache 
à  cette  chère  enfant;  j 'aurais  été  charmé  de  la  voir 
et  de  vous  voir,  en  particulier,  pour  vous  parler  d'elle, 
et  si  vous  eussiez  pu  l'amener  j'en  aurais  été  comblé  ; 
niais  nia  situation  précaire  et  toujours  incertaine  ne 
me  laisse  compter  sur  rien  dans  l'avenir.  J'irai  si  mon 
état  me  le  permet  faire  quelques  courses  de  botanique  (') 


(l;   Du  consentement  de  son  hôte,  le  l*rince  de  Conti,  il  s'est  rendu,  pour 
-ijXT  un  peu,  à  Lyon  d*où  il  est  parti  le  21   .Juillet  pour    aller  herbo- 
riser dans  les  montagnes  du    Dauphiné,    accompagné   de  quelques  botanistes 
dont  la  compagnie  paraissait  lui  faire  beaucoup  de  plaisir.    C'est  ce  qui  résulte 
de  deux  Lettres  de  Du  Peyrou  n   Ftey,  du  S  Juillet  et  du  SSept.  L768.  "Quant 


2H2 

et  il  n'est  pas  sûr  qu'elles  nie  ramènent  ici.  Ainsi , 
supposé  que  vous  puissiez  venir,  il  se  pourroit  que  vous 
ne  me  trouvassiez  pas,  et  puisque  votre  voyage  est 
encore  incertain  ne  me  faites  entrer  pour  rien  dans  ce 
qui  peut  le  déterminer.  Toutefois  si  vous  venez  avant 
la  mauvaise  saison ,  vous  pourrez  du  moins  trouver  ici 
Mlle  Renou  votre  pensionnaire  qui  vous  donnera  de  mes 
nouvelles  et  à  moi  des  vôtres  au  cas  que  je  ne  sois 
pas  de  retour.  Ceci  répond  d'avance  à  ce  que  vous  me 
marquez  de  M.  Auboin,  avec  lequel  je  serois  charmé 
de  renouveller  connoissance  et  que  j'aurois  même  pré- 
venu si  j'avois  eu  son  adresse.  J'en  dis  autant  à 
plus  forte  raison  de  ma  commère  Mademoisselle  Du- 
moulin dont  vous  auriez  dû  me  donner  l'adresse  et 
dont  je  vous  la  demande  la  première  fois  que  vous 
m'écrirez.  S'il  m'étoit  possible  de  la  voir  à  son  passage, 
ce  me  seroit  je  vous  assure  un  vrai  plaisir,  et  si  j'étois 
instruit  de  sa  marche  je  ferois  mes  efforts  pour  cela. 

Vous  voulez  que  je  vous  parle  de  moi.  Que  vous  en 
dirois-je  qui  ne  contristât  votre  amitié.  J'espérois  jouir 
ici  du  repos  où  vous  m'y  croyez  ;  mais  puisque  malgré 
la  protection,  les  bontés  et  j'ose  dire  l'amitié  du  maître 
de  cette  maison,  on  ne  m'en  laisse  pas  jouir  chez  lui, 
vous  pouvez  croire  qu'on  ne  m'en  laissera  jouir  nulle 
part  et  je  n'en  espère  plus  sur  la  terre.  Mais  si  je 
n'ai  point  de  repos,  j'aurai  du  moins  des  consolations 


à  ses  ouvrages  —  écrit  Du  Peyrou  —  je  doute  fort  qu'il  cm/tente  à 
leur  publication  pendant  sa  vie  <  t  il  me  paroit  totalement  dégoûté 
du  métier  d'auteur."  L'intimité  qui  régnait  entre  Rousseau  e<  Du  Peyrou 
donnera  quelque  intérêt  au  passage  suivant,  extrait  d'une  de  ces  lettres: 
"Je  suis  réduit  comme  vous,  Monsieur,  a  désespérer  que  jamais  il  puisse, 
une  sa  façon  de  voir  les  choses,  parvenir  à  u»  état  de  paix  et  de  tran- 
quillité, et  je  crains  que  uns  voeux  pour  son  bonheur  ne  soyent  aussi 
inefficaces  que  l'ont  été  mes  e(f'<>r/s  pour  lui  assurer  la  paix  et  l'indé- 
pendana  ■" 


283 

très-douces  tant  que  j'aurai  de  bonnes  nouvelles  de 
vous,  mon  cher  Compère,  de  ma  bonne  et  aimable 
commère  Madame  Rey  que  je  salue  et  embrasse  de 
tout  mon  cœur,  et  de  ma  petite  filleule  que  je  vous 
charge  aussi  de  baiser  pour  moi  sur  les  deux  joues ,  et 
de  lui  dire  que  je  veux  qu'elle  m'écrive  dans  six  mois 
une  jolie  petite  lettre  bien  tournée,  bien -écrite  et  toute 
de  sa  façon.  Bien  des  salutations  à  M.  votre  fils  et 
à  toute  votre  famille. 

Quand  môme  je  ne  serois  plus  ici ,  en  m'y  écrivant 
et  continuant  de  vous  servir  de  la  même  adresse  vos 
lettres  me  parviendront  également.  Cependant  si  vous 
n'avez  rien  de  pressé ,  autant  vaut  attendre  mon  retour 
ou  que  j'aye  une  autre  demeure  fixe.  Votre  pension- 
naire vous  remercie  de  votre  bon  souvenir  et  vous  salue 
et  vous  aime  de  tout  son  cœur  ainsi  que  votre  Com- 
père et  ami 

Renou. 

147. 

A  Monquin,  le  31  Janvier  1769. 

Votre  lettre  du  9  de  ce  mois,  mon  cher  Compère, 
m'a  fait  un  plaisir  infini.  Je  suis  enchanté  de  celle 
de  ma  filleule.  Que  ne  puis-je  répondre  au  long  à  l'une 
et  à  l'autre  !  Mais  un  mal  d'estomac  fort  extraordinaire, 
accompagné  de  fièvre,  d'enflure  et  d'étouffement  m'em- 
pêche de  me  baisser  et  d'écrire  sans  souffrir  beaucoup  ; 
ainsi  je  suis  forcé  d'être  bref.  J'ai  quitté  Bourgoin 
pour  venir  sur  la  hauteur  respirer  un  air  plus  sain  et 
boire  de  meilleure  eau.  Un  des  plus  vrais  plaisirs 
dont  je  sois  susceptible  encore  seroit  celui  de  vous 
embrasser  et  cette  chère  enfant;  mais  ma  situation  s'y 
oppose    pour  des    raisons    trop   longues    A   détailler    et 


284 

(|iie  vous  pouvez  aisément  comprendre.  Ainsi ,  mon 
cher  Compère,  je  vous  le  dis  et  bien  à  regret,  ne  ve- 
nez-pas; aussi  bien  selon  toute  apparence  arriveriez- 
vous  trop  tard. 

Non  seulement  je  suis  très-content  de  mon  mariage  ; 
mais  c'est  un  devoir  que  je  me  reprocherais  de  n'avoir 
pas  rempli,  quoiqu'assurément  je  n'en  eusse  pas  con- 
tracté rengagement  auparavant.  Vingt-cinq  ans  d'atta- 
chement ,  de  services  et  de  soins  dans  mes  maladies  . 
la  vérité  de  son  amitié  pour  moi  dont  j'ai  appris  à 
connoitre  la  valeur  et  la  rareté  n'auroient  pas  encore 
suffi  pour  m'amener-là  ;  mais  voyant  son  attachement 
et  son  zèle  à  l'épreuve  de  nies  adversités;  la  voyant 
déterminée  à  partager  ma  destinée  jusqu'à  la  fin  et  à 
nie  suivre  partout  dans  ma  détresse ,  j'ai  dû  faire  au 
moins  que  ce  fût  avec  honneur.  Elle  n'est  pas  sans 
défauts,  parce  que  personne  ne  l'est;  mais  son  carac- 
tère sûr,  ses  excellentes  qualités  que  je  n'ai  trouvées 
qu'en  elle  seule  méritoient  assurément  toute  la  récom- 
pense qu'il  étoit  en  mon  pouvoir  de  lui  donner.  Dans 
le  fond,  c'est  une  récompense  bien  mince,  puisqu'an 
moment  que  je  viendrai  à  lui  manquer  il  ne  lui  restera 
pour  vivre  que  le  tribut  de  votre  gratitude.  Je  vous 
avoue,  mon  cher  Compère,  que  je  désirerois  ardem- 
ment que  vous  la  connussiez  assez  pour  lui  rendre  la 
justice  qu'elle  mérite,  qu'elle  pût  après  moi  se  réfugier 
auprès  de  vous,  et  finir  ses  jours  près  de  ma  filleule, 
afin  que  deux  personnes  qui  me  sont  si  chères,  qui 
toutes  deux  portenl  mon  nom,  et  sont  ensemble  dans 
mon  cœur,  ne  fussent  point  séparées  après  ma  mort; 
mais  il  eût  fallu  pour  cela  des  aiTangemons  que  je 
désirois,  mais  que  je  ne  suis  plus  en  état  de  faire; 
et  d'ailleurs  je  prévois  assez  d'obstacles  qui  empèche- 
roni    ma   veuve  d'arriver  jusqu'à    vous.     Ainsi    je  me 


285 

vois  forcé  de  laisser  son  sort  comme  le  mien,  unique- 
ment à  la  direction  de  la  providence ,  n'osant  pas  même 
et  ne  pouvant  désirer  qu'elle  accepte  sa  subsistance 
de  telle  main  qui  peut-être  osera  la  lui  offrir. 

Je  ne  puis  comprendre  par  où  est  parvenu  à  Lau- 
sanne l'ancien  chiffon  que  vous  me  marquez  y  avoir 
été  imprimé.  C'est  un  vol  dont  je  désirerois  extrême- 
ment découvrir  la  source  et  qui  j'en  suis  très-sûr,  fâche 
M.  Du  Peyrou  encore  plus  que  moi.  Ce  qui  m'étonne 
est  qu'il  ne  m'en  ait  point  averti.  Il  semble  que  c'étoit 
la  première  chose  qu'il  devoit  faire;  mais  je  conçois  que 
la  honte  de  s'être  laissé  voler  l'a  retenu.  Du  reste  à 
ce  qui  est  public,  il  n'y  a  plus  de  remède.  Personne 
n'a  plus  besoin  du  consentement  de  l'auteur  pour  le 
réimprimer.  Tout  le  mal  que  j'y  vois  est  qu'un  pareil 
torche-cul  n'en  vaut  pas  la  peine  (1). 


(!)  Au  sujet  de  cette  affaire,  voir  dans  la  Correspondance  publiée  la  lettre 
à  M.  Lalliaud  du  18  Février  1769,  et  les  lettres  à  Du  Peyrou  des  18  Jan- 
vier et  28  Février  même  année.  Pour  en  compléter  l'histoire,  voici  l'extrait 
d'une  lettre  de  Du  Peyrou  à  Pey  écrite  le  6  Mars  17G9:  "M.  Rousseau, 
m'avoit  écrit  au  sujet  de  la  pt(hlication  de  son  discours  sur  la  vertu 
du  Héros,  imprimé,  disoit-il  ,  à  Lausanne.  Je  V  ignorois  ,  mais  fétoi.i 
sûr  qu'on  ne  m'avoit  pas  (fait)  le  larcin  de  son  manuscrit  qui  se  trou- 
vait dans  le  paquet  où  2f.  Rousseau  l'avait  mis  lui-même  et  que  je  n'avois 
pas  ouvert  jusqu'alors.  Ce  manuscrit  est  donc  chez  moi,  et  après  avoir 
reçu  un  exemplaire  de  l'imprimé,  je  me  suis  confirmé  dans  l'idée  que 
j'avais  déjà  marquée  éi  M.  Rousseau  :  c'est  que  le  vol  s'était  fait  avant 
que  les  papiers  fussent  déposés  chez  moi;  et  la  preuve  c'i-st  que  l'im- 
primé est  parfaitement  conforme  au  manuscrit  tel  qu'il  était  avant  les 
corrections  et  additions  que  l'auteur  y  a  faites  depuis,  <t  qui  changent 
totalement  cet  ouvrage.  D'ailleurs,  l'omission  d'un  ou  deux  paragraphes 
entiers  ,  prouve  que  le  larcin  a  été  fait  éi  la  hâte  par  le  copiste.  J'ai 
marqué  tout  cela  à  M.  Rousseau  pour  lui  servir  de  renseignement  pour 
le  tems  où  le  val  lui  a  été  fait  et  parvenir  ensuite  à  la  connaissance  du 
voleur.  De  plus  ,  on  n'a  fait  (pie  réimprimer  et  Lausanne  ce  Discours 
qui  se  trouve  imprimé  dans  l'Année  Littéraire  de  Fréron  ,  année  17fi8 
Tome  VII,  d'où  l'éditeur  de  Lausanne  l'a  tiré.  Je  n'ai  point  encore  ré- 
ponse île  M.  Rousseau  sur  ces  détails  que  je  lui  ai  donnés  et  mesure  que 
je  les  ai  acquis.'' 


286 

Un  m'a  marqué  que  l'année  échue  de  la  pension  de 
ma  femme  lui  viendroit  par  Genève.  A  la  bonne  heure 
pour  cette  fois;  mais  pour  l'avenir,  je  voudrois  bien 
qu'elle  ni  moi  n'eussions  plus  aucune  sorte  de  relation 
à  Genève,  et  par  exemple,  j'aimerois  mieux  Lyon  si 
cela  vous  étoit  égal. 

J'ai  receu  votre  envoi  par  M.  Dandiran.  Il  m'a  fait 
très-grand  plaisir,  et  je  vous  en  remercie.  Quant  aux 
livres  de  botanique  marqués  sur  ma  note  que  vous  pou- 
vez avoir  recouvrés,  je  serois  fort  aise  de  les  recevoir 
par  la  voye  de  Marseille  à  l'adresse  de  Made.  Boy  de 
la  Tour  à  Lyon ,  si  je  croyois  que  ceci  fût  encore  long; 
car  la  botanique  m'amusera  jusqu'à  ma  dernière  heure; 
mais  comme  l'état  où  je  suis  ne  sauroit  durer,  ni  finir 
par  la  guérison  sans  miracle,  il  me  paroit  inutile  de 
tenter  cet  envoi;  toutefois  si  vous  le  faites,  ou  qu'il 
soit  déjà  fait,  déduisez-en  le  prix,  je  vous  prie,  ainsi 
que  du  précédent  sur  la  pension  de  ma  femme,  soit 
de  l'année  échue  ou  de  la  courante. 

Je  ne  puis  me  lasser  de  relire  la  charmante  lettre 
de  ma  filleule.  Je  voudrois  embrasser  cette  aimable 
enfant  dix  fois  pour  chaque  ligne,  et  je  me  suis  déjà 
surpris  plusieurs  fois  à  pleurer  comme  un  enfant  moi- 
même  en  la  relisant.  Elevez-la  de  façon  qu'elle  soit 
aussi  sage  et  vertueuse  qu'aimable;  parlez-lui  quelque- 
fois de  son  parrain  de  façon  qu'elle  en  aime  la  mé- 
moire. Je  me  plais  à  penser  qu'elle  nous  fera  honneur 
et  nous  honorera  un  jour  l'un  et  L'autre,  et  que  je 
vivrai  dans  son  souvenir.  Vous  devez  avoir  bientôt 
Mademoiselle  Dumoulin:  je  me  recommande  à  celui  de 
Madame  Rey  et  au  sien.  Je  salue  bien  tendremenl 
vos  enfans,  et  vous  embrasse,  mon  cher  Compère  de 
tout  mon  cœur. 

Renoi  . 


287 

En  m'écrivant  tout  simplement  à  Bourgoin  en  Dau- 
phiné  votre  lettre  me  parviendra  dans  ma  solitude. 
Ma  femme  vous  salue  de  tout  son  cœur;  elle  vous 
promet  de  bien  remplir  tous  les  devoirs  que  vous  lui 
rappelez,  et  j'ajoute  qu'elle  n'a  pas  besoin  qu'on  les 
lui  rappelle.  En  voulant  être  bref  j'ai  rempli  mes  trois 
pages  ;  il  est  vrai   que  j'y   ai  mis  plusieurs  jours. 


148. 

A  Monquin,  le  27  Avril   1769- 

J'ai,  mon  cher  Compère,  votre  lettre  du  16  Mars, 
ainsi  que  la  précédente  sans  date ,  mais  que  vous  me 
rappelez  dans  la  dernière  sous  la  date  du  11  Févr. 
Je  suis  sensible  à  tous  les  témoignages  d'amitié  qu'elles 
contiennent,  et  ce  seroit  un  grand  plaisir  pour  moi  de 
vous  voir;  mais  je  suis  obligé  de  vous  réitérer  qu'outre 
les  inconvéniens  pour  vous  d'un  si  grand  voyage,  il 
en  auroit  aussi  pour  moi  qui  me  font  désirer  que  vous 
ne  veniez  pas. 

Ma  petite  Jeannette  est  charmante  (');  il  est  bien 
cruel  pour  moi  de  ne  pouvoir  embrasser  cette  chère 
enfant.  C'est  une  consolation  qui  me  seroit  trop  douce 
pour  qu'il  me  soit  permis  de  l'espérer.  Ma  vie,  mon 
cher  Compère ,  n'est  qu'un  tissu  de  privations  ;  et  c'en 
est  ici  une  des  plus  sensibles.  Je  ne  suis  pourtant  pas 
content  de  la  seconde  lettre;  elle  est  dictée,  cela  est 
sûr;  quand  elle  m'en  écrira  une  tout  entière  de  son 
estoc,  je  promets   de  lui  répondre. 

Quand  vous  me  suggérâtes  le  projet  d'écrire  les  mé- 


(')  Le  nom  do  p;i  filleule  était  Julio  Elisabeth.    Il  la  nomme  donc  Jeannette 

du   nom  du   parrain. 


288 

moires  de  ma  vie,  je  n'imaginois  guère  que  ce  projet 
adopté  trop  légèrement  m'attireroit  les  calamités  qui 
en  ont  été  l'effet.  Ne  me  reparlez  jamais  de  cette 
entreprise;  si  vous  m'aimez  ayez  regret  de  me  l'avoir 
suggérée,  et  si  vous  m'en  reparlez,  attendez-vous  à 
n'avoir  aucune  réponse  sur  ce  point. 

Vous  devez  avoir  à  présent  Mlle  Dumoulin  auprès 
de  vous.  Je  vous  en  félicite  tous.  J'espère  qu'entre 
Madame  Rey  elle  et  vous ,  il  sera  souvent  fait  mention 
d'un  homme  bien  fâché  de  ne  pouvoir  cultiver  de  plus 
près  l'amitié  de  ces   Dames  ainsi   que  la  vôtre. 

Vous  pouvez  dédier  à  qui  bon  vous  semblera  le  re- 
cueil que  vous  avez  fait  de  mes  écrits.  N'ayant  pris 
aucune  part  au  recueil  je  ne  veux  pas  me  mêler 
de  la  dédicace  (').  J'espère  que  vous  n'y  aurez  pas 
fait  entrer  la  dernière  pièce  dont  vous  m'avez  parlé 
et  que  je  ne  puis  avouer  en  aucune  sorte,  M.  Du  Peyrou 
qui  a  comparé  l'imprimé  à  l'original  déjà  très-piètre 
m' ayant  assuré  que  ce  torche-cul  a  été  tronqué,  mutilé, 
estropié  dans  l'impression ,  de  façon  qu'on  n'y  recon- 
noit  plus  mon  ouvrage  (2).  Je  me  souviens  que  dans 
une  de  vos  éditions  de  la  Julie  pour  égaliser  les  vo- 
lumes et  les  mettre  en  4  tomes  vous  les  avez  coupés 
différemment..  Passe  pour  cela  pourvu  que  la  coupe 
des  six  parties  ne  soit  point  changée  de  ce  qu'elle 
étoit   dans    la   première    Edition.     Il    est    essentiel   que 


(i)  Rey  a  dédié  sa  nouvelle  édition  des  Oeuvres  de  Rousseau  (Amst.  1 7 T l'. 
XI  Vol.  gr.  in-8°.)  à  M.  Ru  Peyrou,  comme  étanl  presque  le  seul  ami  do 
l'auteur  avec  qui  il  eût  quelque  relation.  L'épître  dédicatoire  est  du  1  Mai 
1769.  Mais  une  lettre  de  Du  Peyrou  à  lîey.  du  •"!  Février  1770  contient  In 
passage  suivant:  "Si  vous  m'en  eussiez  prévenu  à  tems,je  vous  aurois 
conseillé  un  nom  plus  illustre,  cl  nui  n'eût  point  déparé  cet  ouvrage. 
Le  Prince  de  Conti  eût  été  celui  que  je  vous  eusse  indiqué." 

(2)  Voyez  la  note  an  X".  1  !7. 


289 

cette   coupe   reste  la   même;    si  vous    l'avez   changée, 
avertissez  que  c'est  contre  mon  intention. 

Si  vous  avez  à  m'envoyer  quelques  livres  de  bota- 
nique, M.  le  Comte  des  Charmettes  (')  qui  vous  re- 
mettra cette  lettre,  voudra  bien  peut-être  avoir  la  bonté 
de  s'en  charger.  Adieu,  mon  cher  Compère.  Ma  santé 
est  meilleure.  Recevez  et  distribuez  mes  salutations  et 
celles   de  Madp.  Renou.     Je  vous  embrasse. 


149. 

A  Monquin,   le   11  Juin   1769. 

J'ai  receu,  mon  cher  Compère,  vos  deux  dernières 
lettres;  j'ai  répondu  à  la  première  par  occasion,  je  ré- 
ponds à  la  seconde;  j'ai  eu  plus  d'exactitude  avec  vous 
qu'avec  personne,  et  plus  même  que  vous  n'en  devez 
attendre  dans  la  suite ,  vu  que  rien  ne  me  coûtant  plus 
que  d'écrire,  je  n'écris  plus  que  pour  le  pressant  besoin. 

J'apprends  avec  grand  plaisir  que  vous  et  Madame 
Rey  et  toute  la  famille,  et  surtout  ma  filleule,  êtes 
tous  en  bonne  santé,  que  Madu.e  Dumoulin  est  arrivée 
et  qu'on  pense  toujours  à  moi  chez  vous  quelquefois. 
Distribuez-y,  je  vous  prie,  mes  embrassemen s ,  amitiés , 
salutations ,  et  faites  de  ma  part  tout  ce  que  vous  savez 
que  je  voudrais  pouvoir  faire  moi-même. 

Je  n'ai  point  l'honneur  de  connoitre  M.  Poucet  ni 
les  Confédérés  de  Pologne,  et  je  ne  mêle  pas  des  choses 
où  je  n'entends  rien. 

Je  ne  connois  point  non  plus  M.  Tuilier  de  Genève 
et  ne  sais  ce  qu'il  me  veut  avec  son  graveur  et  sa 
médaille.    Je  ne  veux    ni  de  l'un  ni  de  l'autre.    Je  ne 


(i)  De  Oonzié,  dont  quelques  lettres  à  Rey  ont  été  conservées. 

10 


290 

suis  point,  et  surtout  dans  ce  siècle,  un  homme  à 
médailles,  et  quand  j'en  serois ,  j'aimerois  mieux  être 
de  ceux  dont  on  demande  pourquoi  ils  n'ont  point  de 
médailles ,  que  de  ceux  dont  on  demande  pourquoi  ils 
en  ont. 

Je  ne  sais  ce  que  contient  votre  épître  dédicatoirc 
dont  vous  n'avez  pas  jugé  à  propos  de  me  faire  part  ('). 
Mais  de  quelque  façon  qu'elle  soit  tournée,  je  vous  prie 
instamment  de  la  supprimer  et  de  ne  pas  abuser  d'un 
moment  de  complaisance  et  d'imprudence  que  mon  amitié 
pour  vous  a  pu  m'extorquer  (2). 

Je  serois  assurément  fort  aise  de  vous  voir  et  de 
vous  embrasser;  mais  quoique  j'aye  ci-devant  désiré  ce 
voyage,  ma  situation  présente  m'a  fait  changer  d'avis, 
et  vous  m'obligerez  de  n'y  plus  songer.  Ce  long,  fa- 
tigant, et  coûteux  voyage  ne  vous  seroit  d'aucun  avan- 
tage, et  me  seroit  plus  nuisible  qu'utile.  Je  vous  crois 
trop  mon  ami  pour  y  persister  à  mon  préjudice. 

Made.  Renou  vous  remercie  de  votre  bon  souvenir,  de 
votre  bonne  amitié,  et  vous  assure  de  la  sienne.  Je 
suis ,  mon  cher  Compère ,  de  bien  bon  cœur  tout  à 
vous. 

RjENOU. 

150. 

A  Monquin,  par  Bourgoin ,  le  23   9t>re   17'!'.». 

Je  suis  inexcusable,  mon  cher  Compère,  de  vous 
accuser  si  tard  la  réception  de  votre  lettre  du  20  Juin 

(i)  C'est  une  «'pitre  dédicatoirc  de  Itcy  à  Rousseau. 

(2)  Du  Peyrou  se  trompait  donc,  en  écrivant  à  Rey  le  3  Février  1770  :  "Ce 
que  vous  lui  dites,  est  si  bien  senti  par  tous  ses  lecteurs  et  exprime  en 
même  faux  si  l>ia>  l'honnêteté  de  votre  âme  que  je  suis  persuadé  que 
notre  ami  en  sera  content." 


291 

et  des  envois  que  vous  nous  avez  faits  tant  à  MacR  Re- 
nou  qu'à  moi  par  la  même  voye.  L'indolence  et  la  pa- 
resse qui  croissent  avec  les  années  et  les  chagrins,  no 
m'excusent  pas ,  mais  elles  me  subjuguent.  Prenez-moi, 
mon  cher  Compère,  tel  que  je  suis,  puisque  j'ai  le 
malheur  de  ne  pouvoir  être  autrement. 

J'apprends  avec  grand  plaisir  que  vous  vous  portez 
bien  ainsi  que  Made.  Rey  et  toute  votre  famille. 
M.  de  Conzié  m'a  écrit  que  ma  petite  filleule  étoit 
très-aimable,  je  vous  exhorte  ainsi  que  sa  maman  à 
perfectionner  par  une  sage  éducation  l'œuvre  de  la 
nature.  Je  prends  l'intérêt  le  plus  vif  à  cette  chère 
enfant.  Le  désir  de  la  voir  va  dans  mon  cœur  jusqu'à 
l'inquiétude.  Je  n'espère  pas  pouvoir  satisfaire  ce  désir, 
mais  si  jamais  vous  en  trouvez  l'occasion  je  m'y  prê- 
terai, quoi  qu'il  arrive,  avec  le  plus  tendre  empresse- 
ment. Je  ne  pense  plus  sur  votre  voyage  comme  je 
faisois  dans  ma  dernière  lettre;  je  vois  et  je  sens  chaque 
jour  davantage  que  tout  ce  que  je  sacrifie  à  mon  repos 
ne  m'y  mène  point,  et  que  ce  que  j'avois  pris  pour  de 
la  prudence  n'étoit  que  de  la  pusillanimité. 

Je  vous  félicite  d'avoir  auprès  de  vous  Mademoiselle 
Dumoulin;  que  ne  puis-je  partager  avec  vous  ce  plaisir? 
Celui  de  vivre  auprès  de  vous  et  d'elle  contribueroit 
beaucoup  à  la  douceur  de  ma  vie ,  ou  plustôt  il  la  feroit 
toute  entière.  Mais  ce  n'est  pas  un  espoir  assez  à  ma 
portée  pour  qu'il  me  soit  possible  de  m'en  flatter. 

Je  suis  fort  sensible  à  votre  générosité  en  faveur  de 
Made.  Renou;  elle  me  charge  de  vous  en  témoigner 
aussi  sa  reconnoissance.  Tant  que  je  vis  il  convient 
qu'elle  partage  ma  fortune.  Quand  je  ne  vivrai  plus , 
je  doute  qu'elle  songe  beaucoup  à  la  sienne;  mais  je 
désire  ardemment  qu'elle  ne  pâtisse  jamais.  Elle  vient 
de  faire   une    maladie    dans  laquelle   elle  n'a  poinl    eu 

1!)  ■ 


292 

d'autre  médecin  que  la  nature  ni  d'autre  garde  que 
moi,  et  qui  par  cette  raison  a  été  aussi  courte  que  vive  ; 
elle  est  bien  rétablie  à  présent. 

Les  livres  de  botanique  que  vous  m'avez  envoyés 
m'ont  fait  grand  plaisir  et  surtout  le  Clusius  qu'on 
trouve  difficilement.  Ils  m'auroient  fait  plus  de  plaisir 
encore  s'ils  ne  fussent  arrivés  au  moment  où  j'étois 
prêt  à  renoncer  à  cet  amusement  pour  lequel  ils  m'ont 
encore  un  peu  prolongé  le  goût.  J'y  renonce  désor- 
mais pour  bien  des  raisons,  mais  surtout  parce  que 
j'ai  senti  qu'il  m'absorboit  tout  entier,  qu'il  me  relâ- 
clioit  le  cœur,  m'attachoit  trop  à  la  vie  oisive  et  soli- 
taire ,  et  m'empêchoit  de  remplir  d'indispensables  de- 
voirs que  je  ne  puis  négliger  sans  me  manquer  à  moi- 
même.  Je  me  trouve  une  assez  considérable  collection 
de  livres  de  botanique  et  un  herbier  dont  je  veux  nie 
défaire  afin  d'écarter  de  moi  toute  occasion  de  retomber 
dans  cette  manie  qui  étoit  devenue  pour  moi  une  véri- 
table passion  d'enfant  ou  plustot  de  vieux  radoteur; 
puisqu'il  est  constant  qu'on  n'apprend  plus  rien  à  mon 
âge  et  que  si  j'apprenois  quelque  chose  un  jour  c'étoit 
en  oubliant  ce  que  j 'avois  appris  la  veille.  Vous  ne 
m'avez  point  marqué  comme  je  vous  en  avois  prié  le 
prix  des  livres  que  vous  m'avez  envoyés.  Il  n'est  pas 
possible  qu'ils  ne  coûtent  que  les  six  francs  (pie  vous 
avez  déduits  sur  la  pension  de  ma  femme  pour  cette 
minée.  Vous  me  ferez  plaisir  de  me  mettre  en  régie 
à  cet  égard,  afin  que  je  sache  à  quoi    m'en  tenir. 

Je  vous  remercie  d'avoir  bien  voulu  me  dédier  1rs 
loix  de  Platon.  Je  suis  sensible  à  votre  bonne  inten- 
tion et  à  l'honneur  que  vous  m'avez  fait:  mais  si  j'en 
avois  été  le  maître,  cette  dédicace  n'auroit  point  eu 
lieu.  Je  ne  commis  du  tout  point  railleur  de  cette 
traduction,    mais  je   ni'  puis    vous  dissimuler    que   les 


293 

notes  en  sont    d'un  homme  injuste,  malintentionné  et 
de  mauvaise  foi. 

Mes  salutations,  je  vous  prie,  et  celles  de  Made.  Re- 
nuu  à  Made.  Rey,  à  Madu!  Dumoulin  et  à  toute  votre 
famille.  Je  vous  embrasse,  mon  cher  Compère,  de  tout 
mon  cœur. 

Renou. 


151. 

Î  Pauvres   aveugles  que  uuus  sommes! 
Ciel,  démasque  les  imposteurs, 
Et  force  leurs  barbares  coeurs  { 1 7  6  '      (  '' 

A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes. 

Depuis  mon  arrivée  à  Lyon  j'ai  voulu,  mon  cher 
Compère,  de  jour  en  jour  vous  écrire,  tant  pour  vous 
remercier  de  votre  bon  souvenir  que  pour  vous  accuser 
la  réception  des  deux  exemplaires  de  votre  dernier 
recueil  et  de  l'année  courante  de  la  2iensi°n  °^e  ma 
femme;  j'en  ai  été  toujours  détourné  par  des  survenans 
et  par  d'autres  tracas.  Prêt  à  partir  pour  un  petit 
voyage,  je  ne  veux  pas  du  moins  quitter  Lyon  sans 
vous  donner  et  à  ma  chère  Commère,  et  à  ma  petite 
filleule  un  petit  signe  de  vie.  Je  n'ai  pas  en  ce  moment 
vos  lettres  sous  les  yeux  pour  y  répondre  article  par  ar- 
ticle, et  même  je  n'en  aurois  pas  le  tems.  Je  ne  peux  pas 
non  plus  vous  parler  de  votre  édition  n'ayant  pu  la 
parcourir,  parce  qu'elle  étoit  en  feuilles;  si  vous  m'eus- 
siez envoyé  ces  deux  exemplaires  brochés,  cela  m'au- 
roit  donné  plus  de  facilité  à  Les  examiner  et  même  à 
Us  rapporter  ici,  au  lieu  que  la  difficulté  de  les  porter 


(i)  Sur  cette  manière  de  dater  ses  lettres,  voyez  la  lettre  suivante  et  la  note 
de  .M.  Petitain  à  la   première  lettre  dans    la  Correspondance  où    se    trouve 
bizarrerie. 


294 

à  Lyon  m'a  forcé  de  les  laisser  à  Bourgoin,  jusqu'à 
ce  qu'il  vienne  une  occasion  favorable  de  les  faire  re- 
lier et  d'en  disposer.  Je  vous  suis  obligé  de  m'avoir 
recommandé  à  M.  Bruysset;  il  a  eu  pour  moi  toutes 
sortes  d'attentions  et  c'est  une  connoissance  fort  bonne 
à  faire  et  fort  agréable  à  cultiver  (').  Vous  avez,  mon 
cher  Compère ,  les  remercîmens ,  salutations  et  amitiés 
de  ma  femme;  faites  agréer  les  miennes  à  ma  chère 
commère  et  à  Mademoiselle  Dumoulin.  J'embrasse  de 
tout  mon  cœur  ma  filleule  et  son  cher  Papa.  Si  vous 
effectue*;  le  voyage  que  vous  avez  projeté  pour  cette 
année,  il  n'est  pas  absolument  impossible  que  nous 
nous  trouvions  rajmrochés.    Ainsi  soit-il. 

J.  J.  Rousseau. 
152. 


r  Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  ! 
\  Ciel,  démasque  les  imposteurs, 


26 


A  Paris,  <*?.  *       ,        ,     ,  >  Juillet 

-»■■*■      '  ^'   jEt  force  leurs  barbares  coeurs  l  _ 

'  A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes.  >        '  ' 

Votre  lettre  du  18.,  mon  cher  Compère,  m'a  été 
remise  par  M.  Dandiran.  Je  suis  affligé  de  votre  goutte. 
Je  serois  fâché  que  les  suites  me  privassent  du  plaisir  de 
vous  voir  à  Paris.  Vous  me  demandez  si  je  m'y  fixerai  (*). 


(')  Dans  une  lettre  à  M.  Moultou  du  80  Mai  1762,  qui  fait  partie  de  la 
Correspondance  publiée  dans  sos  Oeuvres,  il  se  plaint  de  manoeuvres  arti- 
ficieuses  de  M.  Bruysset,  Libraire  à  Lyon,  qui   a  contrefait  V Emile. 

('-)  On  sait  qu'il  s'y  est  fixé.  A  cause  de  la  lacune  qui  existe  dans  cette 
partie  de  l'iustoire  de  sa  vie,  l'extrait  suivant  peut  avoir  quelque  intérêt.  Le 
Comto  de  Conzié  écrit  de  La  Haye  à  Rey  en  date  du  17  Mai  177-:  "J'ai 
vu  notre  ami  Jean  Jacques  à  Paris,  et  avec  un  vrai  plaisir,  m' ayant 
assuré  qu'il  étui/  très-content  de  son  sort.  Je  l'ai  trouée  plus  gros  (/ne 
je  ne  l'avais  jamais  vu.  Je  ne  lui  desirerois  outre  chose  pour  sou  /mu- 
heur,  sinon  tju'i/  comparit  (comprît?)  un  peu  plus  les  faibles  inséparables 
de  l'humanité  et  qu'il  en  méprisât  moins  la  plupart  des  individus." 


295 

Je  vous  réponds    que  je  ne  sais  jamais  aujourd'hui  ce 
que  je  ferai  demain. 

Je  vous  suis  obligé  de  l'exemplaire  relié  de  votre 
dernière  Edition  que  vous  voulez  bien  me  destiner.  Il 
est  vrai  que  je  ne  serai  pas  fâché  de  la  parcourir  à 
mon  aise;  mais  il  n'est  pas  nécessaire  pour  cela  que 
les  volumes  soient  reliés,  il  suffit  qu'ils  soient  cousus. 

Je  ne  suis  nullement  de  l'avis  de  ceux  qui  vous  ont 
marqué  que  mon  portrait  fait  par  M.  Liotard  étoit  par- 
faitement ressemblant ,  et  ce  ne  sera  sûrement  pas  de 
mon  consentement  que  vous  le  ferez  graver.  M.  de  la 
Tour  est  le  seul  qui  m'ait  peint  ressemblant,  et  je  ne 
puis  comprendre  pourquoi  vous  voulez  transmettre  à 
un  autre  la  commission  que  vous  lui  aviez  donnée. 
Quoi  qu'il  en  soit,  je  préférerai  toujours  la  moindre 
esquisse  de  sa  main  aux  plus  parfaits  chefs-d'œuvre 
d'un  autre,  parce  que  je  fais  encore  plus  de  cas  de  sa 
probité  que  de  son  talent. 

J'apprends  avec  grand  plaisir  que  tout  se  porte  bien 
chez  vous.  Je  serai  plus  content  encore  en  apprenant 
que  vous  vous  portez  bien  vous-même.  Saluez  et  em- 
brassez de  ma  part  vos  Dames  et  ma  petite  filleule  que 
je  me  réjouis  fort  de  voir.  Ma  femme  vous  remercie 
et  vous  salue  de  tout  son  cœur. 

La  manière  de  dater  que  vous  avez  vue  à  la  tête  de 
ma  précédente  lettre  et  que  vous  voyez  à  celle-ci  est 
une  formule  générale  que  depuis  plusieurs  mois  j'em- 
ploye  dans  toutes  mes  lettres  sans  aucune  exception. 
Soyez  sûr  que  je  ne  daignerois  pas  écrire  à  ceux  que 
je  croirois  en  mériter  l'application. 

Bonjour,  mon  cher  Compère,  je  vous  salue  avec 
amitié. 

•1.  .1.  Rousseau. 


296 


15;*. 


,  Pauvres   aveugles  que  nous  sommes  ! 

,j  \  Ciel,  démasque  les  imposteurs,  (    n  _  ^  „A 

X^AKIS,  <Et  fmm  lpl]l.s  hnl.iiarps  ,,npllrs  (   17-5/0. 


Et  force  leurs  barbares  coeurs 

s'ouvrir  aux  regards  des  hommes. 


J'ai  receu,  mon  cher  Compère,  l'exemplaire  magni- 
fiquement relié  (')  que  vous  m'avez  fait  passer,  qui 
contient  le  recueil  de  mes  écrits  et  de  ceux  de  mes 
adversaires.  Vous  avez  fait  là  une  dépense  dont  je 
vous  fais  mes  remercîmens  de  tout  mon  cœur,  mais 
que  je  trouve  cependant  déplacée.  J'ai  fait  la  grande 
entreprise  de  relire  tout  ce  recueil  encore  une  fois  en 
ma  vie.  mais  je  ne  l'exécuterai  probablement  que  cet 
hiver. 

Puisque  vous  vouliez  me  faire  graver,  projet  qui  du 
reste  n'a  jamais  été  de  mon  goût,  j'ai  pensé  qu'il  va- 
loit  mieux  que  vous  m'eussiez  ressemblant  que  dé- 
figuré; c'est  pour  cela  que  j'ai  préféré  M.  de  la  Tour 
comme  incapable  de  se  prêter  aux  manœuvres  qui 
ont  guidé  le  pinceau  de  Ramsay  et  les  crayons  de 
Liotard. 

C'est  pour  s'amuser  à  m'impatienter  qu'on  fait  courir 
Je  bruit  que  je  travaille  à  un  dictionnaire  de  botanique, 
à  un  opéra,  à  que  sais-je  quoi.  J'ai  pris  le  parti  de 
les  laisser  dire  sans  me  fâcher  et  sans  même  prendre 
la   peine  de  les  démentir. 

J'apprends  avec  bien  du  déplaisir  que  la  lièvre  a 
encore  repris  Madame  Rey.  Nous  entrons  dans  la  sai- 
son (hs  fièvres  :  il  seroit  bien  cruel  que  la  sienne  lui 
durât  jusqu'à  L'entrée  de  l'hiver;  je  lui  conseille  autant 


1)    •■J'ui   donné  moi-même  ù  M.  Rousseau  les  oeuvres  reliées  <  n  tna- 
roquin."  Letti-i    Ms.  de  V.  Tli.  s.  Le  Clerc,   Paris  L6    Loûl   1770. 


297 

d'exercice  qu'elle  en  pourra  faire:  c'est  le  meilleur 
moyen  de  renvoyer  ce  mauvais  hôte.  Vous  ne  doutez 
pas,  mon  cher  Compère,  du  plaisir  que  j'aurai  à  vous 
voir  avec  ma  filleule  ;  mais  vous  ne  devez  consulter 
pour  le  tems  que  la  convenance  de  votre  santé  et  de 
vos  affaires.  Adieu,  mon  cher  Compère,  je  vous  em- 
brasse et  ma  chère  commère  à  qui  je  souhaite  un 
prompt  rétablissement;  embrassez  aussi  pour  moi  la 
petite.  Ma  femme  vous  remercie  et  vous  salue.  Mille 
amitiés  à  Mademoiselle  Dumoulin. 


154. 

A  Paris,  24  Mars  1771. 

Ce  n'est  pas  tout  à  fait  volontairement ,  mon  cher 
Compère,  que  j'ai  resté  si  longtems  sans  vous  écrire; 
le  cours  de  mes  lettres  a  été  arrêté  pendant  plusieurs 
mois  par  une  fraude  des  facteurs  qui  s'entendoient  peut- 
être  avec  je  ne  sais   qui. 

On  y  a  mis  ordre  depuis  quelques  jours  et  l'on  m'a 
l'ait  assurer  que  la  chose  n'arriveroit  plus.  Ainsi  je 
commence  de  bien  bon  cœur  à  rouvrir  avec  vous  ma 
correspondance  sans  cependant  vous  promettre  de  la 
rendre  bien  exacte,  vu  que  l'assiduité  de  mon  travail 
me  rend  très-pénible  de  le  prolonger  encore  par  des 
lettres. 

J'apprends  avec  grand  plaisir  que  vous  et  tout  ce 
qui  vous  intéresse  jouissez  d'une  bonne  santé.  Ce 
plaisir  est  un  peu  modéré  par  l'espérance  frustrée  de 
vous  voir  cette  année  à  Paris  et  d'y  embrasser  ma 
filleule.  Faites  ce  qui  vous  conviendra  davantage,  mé- 
nagez votre  santé  durant    les  fatigues  d'une   si  longue 


298 

route  et  ne  restez  point  tout  ce  tems  sans  me  donner 
de  vos  nouvelles.  Je  suppose  que  vous  ne  mènerez 
point  la  petite  avec  vous  à  Vevai,  quoique  vous  m'eus- 
siez flatté  de  l'amener  à  Paris. 

Ma  femme  est  bien  sensible  à  votre  attention  et 
vous  salue  ainsi  que  Madame  Rey  et  ma  filleule  qu'elle 
est  fâchée  de  ne  pas  embrasser  ici.  Vous  devez  d'au- 
tant moins  vous  presser  de  lui  faire  tenir  les  300  liv. 
que  l'année  n'étant  pas  échue,  elle  n'y  comptoit  pas 
sitôt.  Ainsi  pourvoyez  à  vos  affaires  et  ne  vous  pres- 
sez pas.  La  petite  a  eu  bien  du  courage  de  se  laisser 
arracher  quatre  dents  d'un  même  jour,  mais  pourquoi 
cette  opération?  il  n'y  avoit  qu'à  les  laisser  tomber. 
Je  l'embrasse  de  tout  mon  cœur  ainsi  que  sa  bonne 
maman  et  son  cher  Papa;  mes  salutations  à  Made- 
moiselle Dumoulin.    Je  suis  aussi,  mon  cher  Compère, 

tout  à  vous. 

J.  J.    Rousseau. 


155. 

A  Paris,    le  9  Juillet   1771. 

J'ai  été  plus  fâché  que  surplis,  mon  cher  Compère, 
d'apprendre  que  vous  ne  passeriez  pas  ici  connue  vous 
l'aviez  projeté.  J'espère  que  cette  lettre  vous  trouvera 
dans  les  l'êtes  au  sein  de  votre  famille  et  je  m'en  ré- 
jouis fort,  surtout  si,  comme  je  L'espère  aussi,  vous 
avez  trouvé  Madame  Rey  eu  meilleure  sauté  qu'elle 
n'a  été  durant  votre  voyage.  Pour  ma  petite  filleule, 
elle  est  encore  dans  l'âge  où  le  tempérament  se  ren- 
force par  les  épreuves  qu'il  essuyé:  puisqu'elle  a  bien 
supporté  celle  des  dents  et  de  la  coqueluche,  il  est  à 
présumer  qu'elle  n'eu    aura   plus  guères,  ou  qu'elle    \ 


2!)!) 

résistera.    Je  ne  me  souviens  pas  si  elle  a  eu  la  petite 
vérole. 

Je  vous  souhaite  bien  du  succès  dans  votre  Ency- 
clopédie, mais  je  ne  peux  pas  y  travailler.  Je  ne  sais 
pas  même  pourquoi  après  mes  résolutions,  qui  vous 
sont  connues,  vous  avez  pris  la  peine  de  m'en  parler. 
Ma  femme  vous  remercie  de  votre  bon  souvenir  et  vous 
salue.  Je  salue  Madame  Rey  et  toute  votre  famille, 
et  suis  aussi,  mon  cher  Compère,  tout  à  vous. 

J.  J.  Rousseau. 


15G. 

A  Paris,  le  30  Aoust    1771. 

J'ai  receu,  mon  cher  Compère,  le  paquet  que  vous 
avez  adressé  pour  moi  à  M.  Capperonnier.  Quoique  je 
ne  lise  plus  rien  que  des  livres  de  Plantes,  j'ai  voulu 
pour  vous  complaire  parcourir  le  livre  que  vous  m'avez 
envoyé.  Vertuchou,  Monsieur  Rey,  le  docte  et  profond 
ouvrage  que  vous  avez  imprimé  là  !  Voilà  ce  qu'on 
appelle  un  livre  utile,  surtout  pour  l'auteur.  Je  vous 
en  fais  mon  compliment  ainsi  que  de  tous  les  autres 
de  même  acabit  qui  s'impriment  chez  vous  par  préfé- 
rence, et  je  vous  en  souhaite  de  tout  mon  cœur  le 
plus  grand  débit. 

Ma  femme  a  receu,  en  mon  absence,  l'année  de  la 
[tension  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  lui  faire  tenir 
et  me  charge  de  vous  en  remercier. 

Je  me  réjouis  d'apprendre  que  la  petite  Jeannette 
se  trouve  bien  de  l'air  d'Utrecht;  j'espère  qu'il  la  re- 
mettra entièrement  et  que  Mademoiselle  Dumoulin  ne 
se  sentira  plus  de  sa  chute.  Vous  ne  me  dites  rien 
de  Madame  Rey;  ce  qui  me  l'air  présumer  que  sa  santé 


300 

est  bonne,  ainsi  que  la  vôtre  et  celle  de  toute  votre 
famille;  je  le  souhaite  ainsi  de  tout  mon  cœur  et  vous 
salue  de  même. 

J.  J.   Rousseau. 

Ma   femme  vous  fait  bien  des  salutations. 


lai, 

A  Paris,  14  8b?  1771. 

Ma  femme  me  demande,  mon  cher  Compère,  si  je 
vous  ai  remercié  de  sa  part  de  sa  pension  de  Tannée 
courante  que  vous  lui  avez  fait  remettre  cet  été  par 
M.  Dandiran.  Comme  je  ne  m'en  ressouviens  point 
du  tout,  et  pas  même  si  je  vous  ai  écrit  depuis  ce 
tems-là,  je  prends  le  parti  de  m'adressera  vous-même 
vous  priant,  si  j'ai  déjà  rempli  ce  devoir,  d'excuser  l'im- 
portunité  d'y  revenir,  et  si  je  ne  l'ai  pas  fait  de  trouver 
bon  que  j'y  supplée,  quoiqu'un  peu  tard,  dans  cette 
lettre;  la  perte  totale  de  ma  mémoire  ne  me  laissant 
plus  ressouvenir  chaque  jour  de  ce  que  j'ai  fait  la  veille, 
je  suis  toujours  en  doute  de  ce  qu'il  faut  faire,  et  aime 
mieux  faire  deux  fois  ce  qui  convient,  quand  je  m'en 
souviens,   que  de  risquer  de  l'omettre. 

Comment  vous  portez-vous,  et  Madame  Rey  et 
Mad1K:  Dumoulin  et  toute  votre  maison?  Votre  petite 
Jeannette  est-elle  enfin  rétablie?  et  l'avez-vous  fait  re- 
venir? La  nouvelle  mariée  est-elle  contente?^).  Parlez- 
moi,  mon  cher  Compère,  de  tout  ce  qui  vous  intéresse 
et  que  VOUS  pouvez  me  dire,   bien   SÛT  qu'il  ne  me  sera 


(')  Jeanne  Marguerite)  fille  aînée  de  Rey,  mariée  à  Auguste  Charles  Guil- 
laume W.  Lssenbruch. 


301 

jamais  indifférent.  Mack  de  Trudaine  m'a  dit  qu'elle 
vous  avoit  parlé  de  moi,  et  que  vous  lui  aviez  dit  que 
j'étois  de  votre  connoissance.  Je  lui  ai  répondu  qu'il 
«'■toit  vrai  que  vous  me  connoissiez  autre  fois.  Adieu, 
mon  cher  Compère,  bien  des  salutations  à  vos  Dames 
et  à  vos  enfans,  et  recevez  celles  bien  sincères  de  ma 
femme  et  de  son  mari. 

J.  J.  Rousseau. 


158. 

A  Paris,  le  22  May  1772. 

J'apprends,  mon  cher  Compère,  le  malheur  horrible 
arrivé  dans  votre  ville  (1).  Quoique  je  ne  pense  pas 
que  vous  soyez  allé  vous  fourrer  là,  je  suis  inquiet  ce- 
pendant de  vous  et  des  vôtres.  Un  mot  de  vos  nou- 
velles dans  cette  circonstance  me  tranquillisera  et  me 
fera  grand  plaisir. 


150. 

A  Paris,  le  14  Juin   1772. 

Je  profite  du  retour  de  M.  Pourtalés  et  de  son  offre 
obligeante  pour  vous  envoyer  le  receu  ci-joint  avec  les 
remercîmens  de  ma  femme  et  les  miens. 

J'ai  frémi  au  récit  du  danger  qu'ont  couru  Madame  Rey 
et  Monsieur  votre  fils,  et  vous  voyez  que  ce  n'étoit  pas 
sans  raison  que  j'étois  inquiet.  Je  ne  vois  rien  que  de 

(i)  Le  11  Mai  1772,  lo  théâtre  d'Amsterdam  était  devenu  la  proie  des  flam- 
mes. L'incendie  ayant  éclaté  pendant  une  représentation,  coûta  la  vie  à  plu- 
sieurs personnes  qui  y  assistaient.  On  verra  par  la  lettre  qui  suit  que  .Ma- 
dame Rey  el  le  jei Uey  ont  couru  ce  danger. 


302 

satisfaisant  dans  le  détail  que  vous  me  faites  de  l'état 
présent  de  votre  famille  et  en  particulier  de  ma  petite 
filleule.  Je  vous  assure  que  je  serois  fort  aise  de  voir, 
d'embrasser  cette  chère  enfant,  d'être  témoin  de  ses 
progrès  et  d'y  contribuer  s'il  m'étoit  possible.  Mais 
dans  ma  position  tout  ce  que  je  puis  faire  est  d'ap- 
plaudir à  vos  soins  que  je  trouve  bons  et  bien  enten- 
dus. Je  n'aspirerois  pas  à  voir  Jeannette  devenir  une 
grande  danseuse  :  qu'elle  sache  bien  pondérer  sa  marche , 
ses  mouvements  et  se  présenter  avec  grâce  ;  c'est  tout  ce 
que  je  désirerois  sur  ce  point;  mais  quant  aux  autres 
arts  d'agrément,  tels  que  la  Musique,  les  instrumens, 
le  dessin  &c,  j'approuve  fort  que  vous  preniez  quel- 
que peine  et  fassiez  quelque  dépense  pour  lui  en  in- 
spirer le  goût.  J'envisage  encore  moins  dans  ces  talens 
l'agrément  de  la  société  qu'un  supplément  pour  s'en 
passer.  Il  est  important  à  un  homme ,  encore  plus 
à  une  femme,  d'avoir  en  soi  des  ressources  pour  se 
suffire  dans  la  retraite,  pour  s'y  occuper  agréablement 
sans  avoir  sans  cesse  besoin  du  concours  d'autrui,  et 
de  n'être  pas  réduit  toute  sa  vie  à  la  triste  alternative 
des  gens  du  monde ,  de  la  dissipation  ou  de  l'ennui. 

Je  n'ai  nul  changement  à  faire  ni  à  l'Emile  ni  à 
aucun  de  mes  écrits.  Ne  reconnoissant  pour  mienne 
que  la  première  édition  de  chacun  d'eux ,  je  ne  prends 
aucun  intérêt  aux  éditions  postérieures  et  n'ai  pas 
même  le  tems  d'examiner  celles  que  je  suis  à  portée 
de  voir  (').     J'ai   pourtant    toujours    recommandé   les 


(')  Il  faut  excepter  cependant  les  éditions  faites  sur  des  copies  revues  par 
l'auteur  lui-même.  Ainsi  par  exemple,  on  a  vu  par  les  lettres  X"\  71,  72  el 
73  que  Rousseau  a  envoyé  à  Rey  pour  une  nouvelle  édition  un  exemplaire 
corrigé  do  La  Nouvelle  Héloïse.  Sur  cet  exemplaire,  Rey  a  réimprimé  l'ou- 
vrage et  il  en  a  fait  les  Volume.-  Y  et  Y I  de  la  première  collection  qu'il  a 
donnée  des  Oeuvres  diverses  '/<■  Mr.  Rousseau  dont  le  premier  volume  parut 


303 

vôtres  par  préférence,  persuadé  que  vous  êtes  incapable 
de  vous  prêter  à  aucune  infidélité.  Au  lieu  que  toutes 
celles  qui  se  font  et  se  feront  en  France  portent  tous 
les  caractères  de  perfidie  et  de  réprobation  qui  m'as- 
surent qu'elles  sont  infidèles,  falsifiées,  et  faites  avec 
les  plus  sinistres  intentions.  C'est  ce  que  vous  pouvez 
déclarer  hautement  en  mon  nom  à  toute  la  terre  dans 
les  mêmes  termes,  sans  crainte  d'être  désavoué  ('). 

Vous  voilà  devenu  grand-Papa,  je  vous  en  fais  mon 
compliment  et  à  tout  ce  qui  vous  appartient,  La  mul- 
tiplication des  familles  d'honnêtes  gens  est  un  bienfait 
à  la  société  humaine.  Mes  salutations  et  amitiés,  je 
vous  prie,  à  Madame  Rey,  à  Mademoiselle  Dumoulin 
à  Monsieur  votre  fils  et  à  toute  votre  famille.  Bonjour, 
mon  cher  Compère ,  ma  femme  et  moi  vous  saluons 
de  tout  notre  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 


A  Paris,  le  28  Fevr.  1773. 

Hier,  mon  cher  Compère ,  un  commis  de  M.  Dandiran 
m'apporta  de  votre  part ,  quoique  sans  aucune  lettre 
de  vous  à  moi  adressée,  trois  cents  livres  pour  l'année 


déjà  en  1762.  En  comparant  le  N°.  143  où  Rousseau  ne  désavoue  que  la  coupe 
des  parties,  il  faut  admettre  que  le  texte  de  cette  édition  doit  servir  de  base 
aux  éditions  ultérieures. 

(')  Deux  ans  plus  tard  il  a  compris  les  réimpressions  de  Iîey  dans  la  mémo 
condamnation  quo  celles  de  France,  dans  sa  Déclaration  relative  à  dif- 
férentes réimpressions  de  ses  ouvrages,  faite  à  Paris  le  23  Janvier  1771. 
Cette  protestation  n'a  pas  été  publiée  pour  la  première  fois  en  17S9  par 
M.  de  Barruel  Beauvert,  comme  le  croit  M.  Petitain;  elle  a  été  insérée  dans 
La  Gazette  de  littérature,  des  sciences  et  des  arts  No.  12,  du  Samedi  19  Fé. 
vrier  1771.    Voyez  encore  la  unir  au  N".  163. 


304 

courante  de  la  pension  que  vous  faites  à  ma  femme, 
et  dont  elle  me  charge  de  vous  faire  ses  remercîmens. 
J'ai  eu  le  plaisir  d'apprendre  dernièrement  de  vos 
nouvelles  par  M.  votre  gendre  qui  m'est  venu  voir 
deux  ou  trois  fois  durant  son  séjour  à  Paris.  Cela  a 
prévenu  l'inquiétude  que  votre  silence  auroit  pu  me 
donner  sur  votre  santé.  S'il  arrivoit  cependant  que  j'en 
eusse  encore  quelquefois  des  nouvelles  par  vous-même, 
ainsi  que  de  Madame  Rey,  de  ma  filleule  et  de  toute 
votre  famille,  je  les  apprendrois  toujours  avec  autant 
de  plaisir  et  d'intérêt  que  lorsque  nous  nous  commis- 
sions le  mieux.  Ma  femme  et  moi  vous  saluons  de 
tout  notre  cœur,  et  vous  souhaitons,  mon  cher  Com- 
père, une  bonne  santé,  de  même  qu'à  Madame  Rey  et 
à  tout  ce  qui  vous  appartient, 

J.  J.  Rousseau. 

Je  n'ai  pas  répondu  à  la  dernière  lettre  de  ma  fil- 
leule, parce  que  mes  occupations  ne  me  permettent 
plus  d'écrire  que  pour  les  occasions  nécessaires;  mais 
je  l'aime  et  l'embrasse  de  tout  mon  cœur. 


161. 

A  Paris,  le  15  7hr. 

J'aurois  dû,  mon  cher  Compère,  vous  prévenir  de 
deux  arrangemens  relatifs  à  ma  situation  présente  qui 
m'interdit  toute  occupation  oiseuse.  L'un  de  n'avoir 
plus  de  correspondance  suivie  et  de  ne  faire  de  réponses 
aux  lettres  que  je  reçois  que  quand  elles  sont  néces- 
saires. L'autre  de  ne  répondre  aux  propositions  qu'on 
peut  me  faire  que  lorsque  je  les  accepte;  lorsque  je  ne 
les  accepte  pas,  je   ne  réponds  point,  et   cela  doit  s'en- 


305 

tendre:  ainsi  mon  silence  alors  est  l'équivalent  de 
non.  Tout  ceci  n'empêche  pas  que  je  ne  reçoive  tou- 
jours avec  plaisir  de  vos  nouvelles  et  de  vos  lettres 
et  que  je  n'y  réponde  même  quelquefois.  Mais  si  vous 
voulez  ric-à-ric  à  chaque  lettre  une  réponse,  je  ne  puis 
promettre  de  vous  contenter  sur  ce  point  là.  Il  v  a 
encore  une  autre  chose.  C'est  que  lorsqu'il  m'arrive 
de  répondre,  c'est  quelquefois  si  long'tems  après  la  let- 
tre receue  que,  quoique  je  la  garde  pour  y  faire  réponse , 
ne  sachant  plus  où  je  l'ai  mise,  et  ne  me  souvenant 
pas  de  ce  qu'elle  contient,  je  m'en  passe  pour  répon- 
dre, et  ma  mémoire  me  sert  si  mal  que  je  suis  sujet 
à  répondre  tout  de  travers.  Dieu  veuille  qu'il  n'en 
soit  pas  ainsi  aujourd'hui. 

Ce  dont  je  me  souviens  fort  bien,  c'est  du  plaisir 
que  m'ont  fait  les  bonnes  nouvelles  que  vous  m'avez 
données  de  votre  santé  et  de  toute  votre  famille.  La 
lettre  de  la  petite  Jeannette  m'a  fait  grand  plaisir 
aussi.  Le  caractère  de  sa  main  se  forme  à  merveille , 
et  je  ne  doute  pas  que  vous  n'ayez  pourvu  à  ce  que 
celui  de  son  âme  se  formât  de  même.  Vous  avez  bien 
fait  de  la  mettre  dans  un  meilleur  air  pour  renforcer 
sa  constitution;  mais  c'est  toujours  un  inconvénient 
qu'elle  soit  loin  de  vos  yeux  et  de  ceux  de  sa  mère. 
Je  ne  lui  écris  pas ,  parce  que  rien  n'est  plus  inutile, 
et  je  suis  fâché  que  ma  situation  ne  me  permette  pas 
de  lui  donner  des  marques  de  souvenir  plus  agréables 
qu'un  vain  bavardage.  Je  vous  prie  de  faire  mes  sa- 
lutations à  Madame  Rey,  à  Mademoiselle  Dumoulin  et 
à  toute  votre  famille.  Ma  femme  vous  remercie  de 
votre  bon  souvenir  et  nous  vous  saluons,  mon  cher  Com- 
père, l'un  et  l'autre  de   tout  notre  cœur. 

J.    J.    ROTJSSEAI  . 


20 


306 

162. 

A  Paris,  le  11  8brf  177::. 

Je  suis  bien  honteux,  mon  cher  Compère,  de  ré- 
pondre si  tard  à  votre  dernière  lettre  sans  date  qui 
m'a  été  remise  par  M.  Robin  avec  les  envois  que  vous 
y  avez  joints.  Je  dois  des  remercîmens  particuliers  à 
Mademoiselle  Jeannette  pour  le  joli  cadeau  qu'elle  a 
travaillé  pour  moi,  et  pour  la  jolie  lettre  qu'elle  y  a 
jointe.  Je  suis  fâché  qu'un  travail  si  mignon  ne  soit 
pas  à  mon  usage.  Vous  ne  pouviez  ignorer  que  depuis 
plus  de  vingt  ans  j'ai  quitté  toutes  ces  brillantes  gue- 
nilles ,  et  quand  elles  conviendroient  à  ma  situation . 
ce  n'est  pas  à  l'âge  où  tout  homme  sensé  les  quitte 
que  je  voudrais  les  reprendre.  J'ai  donc  le  regret  de 
ne  pouvoir  porter  ces  manchettes  que  j'accepte  néan- 
moins de  tout  mon  cœur;  mais  pour  que  l'ouvrage 
de  ma  Jeannette  ne  soit  pas  perdu,  je  la  prie  de  l'of- 
frir de  ma  part  à  M.  son  frère  aîné  qui  m'a  jadis  en- 
voyé de  belles  estampes.  Je  les  remettrai  pour  vous 
les  faire  parvenir  à  M.  Dandiran  la  première  fois  que 
je  le  verrai,  ou  à  la  première  personne  qui  me  viendra 
de  votre  part. 

J'ai  parcouru  le  Devin  du  village  que  vous  avez 
fait  graver.  Quoi  que  vous  en  disiez,  il  fourmille  de 
fautes.  Il  se  peut  que  j'en  aye  laissé  plusieurs  dans 
L'exemplaire  (pie  je  vous  avois  l'ait  passer;  mais  il  est 
certain  que  votre  graveur  en  a  l'ait  beaucoup  qui  n'y 
étoient  pas. 

Quant  à  l'Emile,  je  ne  sais  quand  je  pourrai  me 
mettre  à  le  lire:  c'est  pour  moi  une  terrible  corvée, 
et  presque  inutile;  car  je  n'ai  plus  qu'un  souvenir  bien 
confus  de  „ son    contenu.      11  n'y  a   qu'un    seul    de  mes 


307 

écrits  que  je  relirois  encore  avec  plaisir.  C'est  l'Héloïse. 
J'ai  essayé  de  la  relire;  mais  l'exemplaire  qu'on  m'a 
prêté  étant  d'une  édition  faite  en  France,  pleine  de 
contre-sens  ridicules  et  de  fautes  d'impression  faites 
exprès,  il  m'a  été  impossible  de  soutenir  cette  lecture 
et  il  a  fallu  l'abandonner  à  la  moitié  du  pr.  volume. 
Il  faut  là-dessus  que  je  vous  fasse  ma  confession  au 
sujet  du  magnifique  exemplaire  que  vous  m'avez  fait 
remettre  (');  cet  exemplaire  étoit  trop  beau  pour  pou- 
voir me  rester.  M.  le  Comte  d'Egmont  m'avoit  prié 
de  lui  rassember  une  collection  de  mes  écrits  des  bonnes 
éditions.  Je  fis  ce  que  doit  faire  un  auteur  quand  on 
s'adresse  à  lui  pour  cela,  et  dans  l'impossibilité  de 
retrouver  un  exemplaire  de  chaque  pièce  de  la  première 
Edition,  je  fis  porter  chez  lui  mon  bel  exemplaire  qui 
est  ainsi  passé  dans  sa  bibliothèque.  Cela  m'a  valu 
quatre  ou  cinq  très-belles  estampes  encadrées ,  dont 
Mad°.  la  Comtesse  d'Egmont  me  fit  le  cadeau,  les 
quelles  font  l'ornement  de  ma  chambre,  et  dont  je 
ferois  volontiers  celui  de  la  vôtre  si  vous  vouliez  les 
agréer.  Au  reste  de  ce  bel  exemplaire  je  ne  regrette 
que  l'Héloïse  ;  mais  il  Fauroit  fallu  moins  brillante 
pour  qu'elle  pût  me  rester. 

Précisément  lorsque  je  vous  félicitois  d'être  délivré 
de  votre  goutte,  vous  en  étiez  attaqué  de  nouveau  et 
bien  cruellement,  à  ce  que  me  disent  ces  Messieurs. 
J'espère  pour  cette  fois  que  vous  en  êtes  tout  de  bon 
quitte,  ayant  appris  et  par  eux  et  par  votre  lettre  que 
vous  étiez  en  bon  train  de  guérison.  Bien  des  saluta- 
tions A  vos  Dames  et  A  toute  votre  famille;  j'embrasse 
ma  filleule;  ma  femme  et  moi  vous  saluons,  mon  cher 

Compère,  de   tout  notre  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

(')  Voyez  la  mit.'  an   N".    L53. 

20  * 


308 
103. 

A  Paris,  le   16  10"?  1773. 

J'ai  receu  hier,  mon  cher  Compère,  avec  votre  lettre 
et  celle  de  ma  filleule,  l'exemplaire  de  THéloïse  que 
je  vous  avois  demandé,  et  je  vous  en  remercie.  Vous 
me  marquez  que  vous  m'envovez  l'édition  originale, 
l'exemplaire  que  j'ai  receu  est  d'une  édition  très-diffé- 
rente. Vous  me  ferez  grand  plaisir  de  me  marquer, 
et  même  le  plus  tôt  qu'il  sera  possible ,  si  ce  quipro- 
quo vient  de  vous;  car  je  désire  extrêmement  et  pour 
vous  et  pour  moi  de  savoir  à  quoi  m'en  tenir  sur  cet 
article  (1).  La  présente  n'étant  pour  autre  sujet,  je  la 
finis,  mon  cher  Compère,  en  vous  embrassant  de  tout 
mon  cœur. 

J.  J.  Rousseau. 

(i)  Rey  ayant  reçu  cette  lettre  le  22,  y  a  répondu  le  même  jour,  comme 
il  l'a  marqué  sur  l'original.  Le  24  du  mois  suivant.  Rousseau  écrivit  la  Dé- 
claration  dont-il  est  fait  mention  clans  notre  noie  auN°.1593  page  303.  Si  la 
réponse  de  Roy  étoit  connue,  on  pourrait  expliquer,  comment  l'exemplaire  d«> 
la  Nouvelle  Héloïse,  envoyé  par  Rey,  a  donné  lieu  à  Rousseau  d'écrire  dana 
sa  Protestation,  qu'il  s'est  convaincu  par  ses  propres  yeux  que  les  réim- 
pressions de  Rey,  contiennent  exactement  les  mêmes  altérations,  sup- 
pressions ,  falsifications  que  celles  de  France,  et  que  les  unes  et  les  autres 
ont  été  faites  sur  le  même  modèle  et  sous  les  mêmes  directions. 


CONCLUSION. 


Nous  avons  vu  Rousseau ,  poussé  par  son  humeur 
misantliropique ,  soupçonner  Rey  d'être  complice 
de  ses  persécuteurs ,  qu'il  signale  dans  sa  Décla- 
ration relative  à  différentes  réimpressions  de  ses 
ouvrages  comme  déjigurant  ses  livres  par  la  plus 
cruelle  malignité.  D'ailleurs,  à  partir  de  1772  ^  il 
avait  pris  la  résolution  de  ne  plus  écrire  qu'en 
cas  d'absolue  nécessité.  Ainsi  donc  s'éteignit  sa 
correspondance  avec  Rey:  on  n'a  trouvé ,  dans 
l'espace  de  temps  qui  sépare  le  16 Décembre  1773 
du  2  Juillet  1778,  jour  de  sa  mort,  aucune  trace 
de  lettres  écrites  de  sa  main.  Si  le  payement 
annuel  de  la  pension  accordée  j)ar  Rey  à  sa 
femme  peut  avoir  donné  lieu  à  quelques  lignes 
d'acquit,  elles  étaient  trop  insignifiantes  pour 
être  conservées. 

Après    avoir   donné    tout    ce  qui    s'est  trouvé 
de    la  main  de    Rousseau   dans    les    papiers    do 


310 

Marc  Michel  Rey,  nous  croyons  ne  pas  devoir 
soustraire  à  la  connaissance  du  Public  un  docu- 
ment puisé  à  la  même  source ,  se  rattachant  aux 
relations  qui  ont  existé  entre  Rousseau  et  Rey, 
quoique  ayant  plus  particulièrement  rapport  à 
l'accusation  de  suicide  dont  le  soupçon  plane 
toujours  sur  la  mémoire  de  l'auteur  de  l'Emile. 

Il  s'agit  d'une  lettre  de  M.  de  Girardin,  celui 
dont  les  instances  avaient  engagé  Rousseau  à 
venir  habiter  les  jardins  d'Ermenonville.  Cette 
lettre  fut  écrite  à  Rey  un  mois  après  la  mort 
subite  de  Rousseau,  afin  de  dissiper  les  bruits 
sinistres  qui  se  répandaient  sur  cet  événe- 
ment. 

Nous  pensons  que  le  récit,  qui  en  fait  le  sujet 
principal,  est  bien  propre  à  exciter  la  curio- 
sité de  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  de  la 
mort  de  Rousseau.  Mais  nous  devons  plus  par- 
ticulièrement appeler  l'attention  sur  la  première 
partie  de  cette  lettre,  pour  y  faire  remarquer  trois 
points  qui  semblent  prouver  que  M.  de  Girardin, 
en  traitant  des  affaires  de  Rousseau,  n'a  pas 
toujours  dit  la  vérité,  soit  qu'il  ne  l'ait  point 
connue,  soit  qu'il  n'ait  pas  voulu  la  dire.  Or, 
le  jugement  qu'il  faut  porter  sur  le  caractère  de 
M.  de  Girardin ,  et  sur  la  véracité  de  ses  asser- 
tions ,  domine  la  question  sur  le  genre  de  mort 
du  célèbre  écrivain. 


311 

Le  premier  point  à  remarquer  dans  la  lettre 
que  nous  publions,  est  le  passage  où  M.  de  Gi- 
rardin  dit  à  Rey  que  le  seul  revenu  fixe  de 
la  veuve  Rousseau  se  borne  à  la  pension  que 
Rey  lui  avait  accordée.  Voici  la  preuve  que 
M.  de  Girardin  savait,  qu'outre  la  pension  de  Rey, 
la  veuve  en  aurait  une  de  Du  Peyrou.  Rey  ayant 
communiqué  ce  passage  à  Du  Peyrou,  celui-ci 
y  répondit  de  Neufcbâtel  le  7  Décembre:  "La 
chose  qui  me  paroit  étrange,  c'est  V assertion  de 
M.  de  Oerardin  (sic)  au  sujet  des  revenus  de 
Mm.e  Rousseau.  Il  doit  si  peu  ignorer  que  les 
600  LL.  de  pension  viagère  constituée  à  M.  R. 
sont  réversibles  pour  400  LL.  à  sa  veuve,  que  des 
ma  première  lettre  en  réponse  à  celle  par  laquelle 
il  nCannonçoit  la  mort  de  notre  honorable  ami,  je 
lui  mandai  cet  arrangement  et  lui  remis  pour 
Mm.e  Rousseau  une  lettre  de  L  300  pour  les  six 
premiers  de  Vannée  échus  en  Juillet,  en  lui  disant 
que  31m?  Rousseau  pouvoit  de  six  en  six  mois- 
toucher  chez  mes  banquiers  deux-cents  livres,  que 
ceux-ci  avoient  ordre  d'acquitter  sur  son  reçu. 
Voilà  le  fait ,  et  jf ai  peine  à  arranger  les  choses 
comme  elles  vous  sont  rendues." —  Sur  cette  con- 
testation Rey  envoya  la  lettre  même  de  M.  de 
Girardin  à  Du  Peyrou,  qui  lui  répondit  le  16  Jan- 
vier 1779  en  témoignant  qu'il  était  excessive- 
ment   surpris   de    la  lettre  de   M.  de    Girardin. 


312 

"  Vous  allez  juger  cuits  même,  écrit-il.  Le  14  Juillet, 
répondant  à  31.  de  Gerardin  sur  Vavis  cruel  qu'il 
m'avoit  donné  de  la  mort  de  notre  Jean  Jacques 
je  lui  mandai ,  ainsi  qu'à  la  veuve,  la  réversion  de 
L  400  de  rente  en  sa  faveur  sur  les  L  600  con- 
stituées au  profit  de  M.  Rousseau  et  dont  je  fournis 
un  ordre  pour  mes  Banquiers  avec  L  300  échues 
à  31.  i?.  qu'il  n'a  voit  pas  alors  encore  touchées. 
Cette  lettre  a  été  répondue  le  '2'2  Juillet  et  mention 
Il  est  faite  des  L  400  de  pension.  Comment  donc 
imaginer  que  le  8  Aoust  suivant  31.  de  G.  vous 
écrirait  comme  il  Va  fait? 

Le  second  point  qui  met  en  doute  la  vérité 
d'une  partie  de  ce  que  M.  de  Girardin  avance 
dans  sa  lettre ,  a  rapport  au  manuscrit  des  Con- 
fessions. Il  écrit  qu'on  n'a  trouvé  que  très-peu 
de  manuscrits  dans  les  papiers  de  Rousseau, 
et  que  l'écrit  particulier  dont  Rey  avait  lait 
mention,  et  qui  ne  peut  être  que  les  Mé- 
moires de  sa  vie,  se  trouvait  en  pays  étranger, 
en  y  ajoutant:  "Si  tant  est  qu'il  eanste  encore." 
Or,  on  connaît  deux  manuscrits  des  Confessions, 
dont  l'un  se  trouve  à  Paris,  l'autre  à  Genève. 
On  se  rappelle  qu'un  de  ces  deux  manuscrits  a 
été  offerl  par  la  veine  Rousseau  à  la  Convention 
comme  étant  trouvé  dans  les  papier.-  de  son  mari. 
Où  était  dune  ce  manuscrit  lorsque  cette  lettre 
fut  écrite.'    La  veuve  l'a-t-elle  dérobé  aux  yeux 


313 

de  M.  de  Girardin,  ou  M.  de  Girardin  en  a-t-il 
dissimulé   l'existence  en  écrivant  à  Rey? 

Le  troisième  point  a  rapport  à  l'affection  que 
Rousseau  a  si  souvent  témoignée  dans  ses  lettres 
à  Rey  envers  sa  filleule.  La  fille  de  Rey,  dont 
Rousseau  était  le  parrain,  et  qu'il  aimait  à  nom- 
mer sa  Jeannette,  a  vécu  jusqu'en  1705,  comme 
nous  l'avons  marqué  dans  la  note  au  N°.  95. 
Eli  bien!  dans  une  lettre  de  Du  Peyrou  à  Rey, 
écrite  de  Nenfchâtel  le  14  Novembre  1778,  on 
lit:  "Dites-moi,  je  vous  prie,  s'il  est  vrai  que  la 
Jilleule  de  notre  ami  Jean  Jacques  a  fini  sa  car- 
rière. Je  vous  le  demande  par  la  raison  qui  ayant 
parcouru  les  lettres  que  J  en  ai  reçues,  pour  con- 
noitre  toutes  ses  intentions  et  les  pouvoir  remplir, 
foi  trouvé  qu'il  me  disoit  dans  une  de  ses  lettres, 
de  disposer  à  sa  mort  de  ce  quefavoisen  mains, 
comme  je  le  croirois  le  plus  convenable  aux  intérêts 
de  sa  veuve  et  de  sa  filleule,  ainsi  qu'à  Vhon- 
neur  de  sa  mémoire.  Jai  mandé  cela  à  M.  de  Gé- 
ra rdin  qui  m'a  répondu  qu'il  falloit  se  conformer 
à  ses  dispositions,  mais  que  sa  Jilleule  dont  il  ne 
cou  noissoit  pour  telle  que  votre  fille,  avoit  fini  ses 
jours.  Je  n'en  doute  point;  mois  il  me  convient 
d'en  être  certioré  par  vous."  —  Voulant  prouver 
ce  qu'il  avait  allégué  des  intentions  de  son  ami 
Jean  Jacques,  Du  Peyrou  communiqua  à  Rey, 
dans  une  lettre  du   L G  Janvier  1779,  les  paroles 


314 

mêmes  d'une  lettre  que  Rousseau  lui  avait 
adressée }  datée  de  Bourgoin  le  12  Janvier  1769, 
moment  où  se  croyant  à  sa  fin,  il  dicta  sa  lettre, 
qu'il  put  achever  lui-même  le  lendemain'''  Yoiei  le 
passage  cité  par  Du  Peyrou,  où  Rousseau  lui 
déclare  ses  dernières  volontés:  u  Quant  à  ce  qui 
est  entre  vos  mains ,  et  qui  peut  être  complète  par 
ce  qui  est  dans  celles  de  la  Dame  à  la  marmelade 
de  fieurs  d'orange,  je  vous  laisse  absolument  le 
maître  d'en  disposer  après  moi  de  la  manière  qui 
vous  paroitra  la  plus  favorable  aux  intérêts  de  ma 
reure,  à  ceux  de  ma  filleule,  et  à  V honneur  de  ma 
mémoire"  Après  avoir  cité  ces  lignes  de  son 
ami.  Du  Peyrou  poursuit  ainsi:  u C'est  d'après 
ces  dispositions  que  f  ai  informé  M.  de  Gérard  in 
qu'il  falloit  répartir  le  revenant  bon  des  ouvrages 
de  31.  Rousseau  entre  la  veuve  et  la  filleule,  sur 
quoi  il  m'a  appris  la  perte  que  vous  aviez  faite  de 
cette  chère  enfant."  Que  faut-il  donc  penser  de 
M.  de  Girardin,  qu'en  écrivant  à  Rey  sur  les 
intentions  de  Rousseau  à  l'égard  de  la  veuve , 
il  n'ait  même  pas  fait  la  moindre  allusion  à 
celles  que  Rousseau  avait  témoignées  à  l'égard 
de  sa  filleule  ?  Croyait-il  sincèrement  qu'elle  était 
morte?  et  qui  l'avait  donc  trompé?  Il  n'y  a  que 
la  Veuve  sur  qui  tombe  le  soupçon.  Mais  à  dé- 
faut de  preuve  certaine  qu'au  moment  où  il  écri- 
vait sa   lettre  à   Rey,   M.  de  Girardin  ail   connu 


315 

les  dernières  volontés  de  Rousseau  en  faveur  de 
la  fille  de  Rey,  on  n'a  pas  le  droit  de  tirer  de 
sa  réticence  des  conclusions  qui  pourraient  faire 
douter  de  la  loyauté  de  son  caractère.  Toujours 
est-il  que  l'avis  positif  qu'il  a  donné  à  Du  Pey- 
rou,  de  la  mort  de  la  filleule  de  Rousseau,  nous 
mot  dans  l'alternative  d'admettre  ou  dans  le 
caractère  de  M.  de  Girardin  une  crédulité  qui 
ajoutait  trop  légèrement  foi  aux  propos  de  Ma- 
dame Rousseau,  ou  bien  que  M.  de  Girardin  est 
pris  en  flagrant  délit  de  dissimulation. 

Soit  qu'on  admette  avec  Musset-Pathay,  que 
M.  de  Girardin  ait  couvert  d'un  voile  les  derniers 
moments  de  son  hôte  pour  cacher  un  suicide,  soit 
qu'on  le  juge  incapable  d'une  pareille  dissimula- 
tion, et  qu'avec  Pétitain,  on  défende  la  mémoire 
du  célèbre  écrivain  contre  le  soupçon  d'un  accès 
suprême  d'une  maladie  mentale,  le  document  que 
nous  publions  pourra  fournir  des  arguments  aux 
deux  partis  dans  la  discussion.  Nous  laissons  le 
lecteur,  qui  voudra  entrer  de  nouveau  dans  un 
examen  de  tous  les  détails  qui  s'y  rapportent, 
porter  lui-même  un  jugement  :  nous  n'avons 
voulu  que  nous  acquitter  du  devoir  que  le  dépôt 
des  papiers  de  Rey  semblait  nous  imposer. 


316 


LETTRE 


M.    DE  G1KARDIN  A  3IARC  MICHEL  RET. 


Ermenonville  par  Senlis,  8  Aoust  1778. 

Je  réponds  tout  à  la  fois ,  Monsieur,  aux  deux  lettres 
que  Mme  Rousseau  a  reçues  de  vous,  dont  la  dernière 
m'a  été  adressée  pour  elle  par  M.  de  Pontarlez,  maire, 
qui  m'a  demandé  de  venir  ici  et  que  j'y  recevrai  avec 
plaisir  et  affection  comme  votre  ami  et  celui  de 
M.  Rousseau.  Il  ne  reste  dans  ce  moment  de  fixe  à 
sa  malheureuse  femme  que  le  bienfait  qu'elle  tient  de 
vous  avec  reconnoissance;  mais  son  mari  Tayaut  confié 
à  mes  soins,  je  tâcherai  de  faire  en  sorte  qu'ayant 
perdu  tout  son  bonheur  en  ce  monde ,  elle  y  trouve  du 
moins  son  repos  et  ses  besoins ,  en  attendant  que  nous 
puissions  faire  usage  pour  la  mémoire  de  son  mari  et 
pour  elle  de  la  ressource  la  plus  convenable.  Ce  seroit 
de  faire  une  nouvelle  édition  de  ses  ouvrages,  et  c'est 
dans  cette  vue  que  d'après  les  intentions  de  Mm.e  Rous- 
seau, je  m'occupe  maintenant  à  réclamer  de  sa  pari  tous 
les  papiers  épais  qu'ila  laissés  ou  remis  dans  différents 
pays.  Car  il  s'en  est  trouvé  fori  peu  ici;  soit  qu'il 
les  ait  brûlés  ou  dépaysés.  Dans  le  cas  où  je  pourrai 
réussir  à  connoitre  une  suffisante  quantité  pour  former 
celte  nouvelle  édition  pour  L'avantage  de  sa  veine,  vous 
devez  être  bien  persuadé,  Monsieur,  que  ses  sentiments 


317 

pour  vous,  ainsi  que  les  miens,  nous  porteront  bien 
volontiers  à  vous  donner  toutes  sortes  de  préférence. 
Quant  à  l'écrit  particulier  dont  vous  nous  parlez,  il 
est  en  pays  étranger ,  si  tant  est  qu'il  existe  encore  (1). 
L'intention  formelle  de  M.  Rousseau  a  été  que  dans 
aucun  cas  il  ne  pût  paroitre  que  longtemps  après  sa 
mort  et  celle  de  toutes  les  personnes  intéressées.  C'est 
à  cette  condition  expresse  qu'il  a  été  remis.  Je  sais 
le  nom  du  Dépositaire  (2),  et  si  jamais  il  venoit  à 
trahir  la  confiance  de  l'amitié,  ce  seroit  une  infamie, 
de  laquelle  j'aime  encore  à  penser  qu'il  n'y  a  point 
d'homme  qui  fût  capable  (3). 

Les  bruits  ou  plutôt  les  vaines  rumeurs  qu'on  a 
affecté,  je  ne  sais  pourquoi,  de  répandre,  vous  font 
désirer  quelques  détails  positifs  sur  les  derniers  moments 
de  M.  Rousseau  (4).  Eh  bien!  Monsieur,  soyez  bien  sûr 
d'abord  que  ce  ne  fut  aucune  inquiétude  ni  souci  qui 
l'engagea  à  quitter  Paris ,  mais  uniquement  sa  passion 
pour  la  campagne  et  pour  la  botanique  qui  l'y  avoit 
ramené,  et  il  avoit  donné  la  préférence  à  l'amitié  (5). 
Tout  paroissoit  ici  contribuer  à  son  contentement,  et 
nous  étions  tous  heureux  de  son  repos.  Après  tant  de 
persécutions,  il   eût  été  bien  juste  qu'il  eût  pu  goûter 

(i)  On  a  vu  par  la  lettre  N°.  133  que  Rousseau  avait  désiré   que  la  publi- 
cation de  ses  Confessions  se  fît  par  Rey:  celui-ci  avait  donc  droit  d'en  parler. 
('-)  Moultou  de  Genève. 

(3)  En  cachant  l'existence  du  manuscrit  trouvé  parmi  les  papiers  de  Rous- 
seau, M.  de  Girardin  aurait-il  voulu  prévenir  qu'on  ne  tâchât  de  s'en  em- 
parer et  qu'on  n'en  fit  un  usage  contraire  à  la  volonté  de  l'auteur.'  Le  m,. lit' 
aurait,  été  Louable,  mais  la  précaution  inutile.  L'infidélité  a  été  commise  par 
le  manuscrit  de  Genève. 

(4)  Nous  avons  vu  que  Rey  a  envoyé  cette  lettre  à  Du  Peyrou  et  que  celui- 
ci  a  fait  ses  observations  sur  la  première  partie.  Sur  la  seconde  partie, 
Du  Peyrou,  dans  Bes  lettres  à  Rey,  garde  an  profond  silence. 

(»)  M.  Flamanvillc  lui  avait  offert  d'habiter  une  des  deux  terres  qu'il  pos- 
sédait en   Picardie  et  en  Normandie. 


318 

plus  longtems  le  loisir  et  la  tranquillité.  Mais  hélas! 
Dieu  ne  l'a  pas  permis.  En  peu  d'instants  il  a  passé 
de  la  meilleure  santé  en  apparence  à  une  mort  rapide. 
Il  en  a  senti  l'approche  avec  la  tranquillité  d'un  homme 
juste  toujours  prêt  à  mourir.  "Vous  pleurez ,  disoit-il  à 
sa  femme,  pleurez-vous  dune  mon  bonheur?  bonheur 
éternel  que  les  hommes  ne  troubleront  plus.  Je  meurs 
tranquille,  je  n'ai  jamais  voulu  de  mal  à  personne  et 
je  dois  compter  sur  la  miséricorde  de  Dieu."  (').  Tels 
ont  été  ses  derniers  mots ,  et  pendant  deux  jours  qu'il 
est  resté  mort  sur  son  lit,  on  eût  toujours  dit  qu'il  dor- 
moit  paisiblement  du  sommeil  de  l'homme  vertueux, 
tant  son  visage    conservoit  l'image  de  la  sérénité    de 

son  âme Il  a  été  ouvert  ;  les  médecins  ont  trouvé 

toutes  les  parties  parfaitement  saines,  et  n'ont  reconnu 
d'autre  cause  de  sa  mort  qu'un  épanchement  de  céro- 
sité  (s)  sanguinolente  sur  la  cervelle,  ce  qu'ils  nom- 
ment Apoplexie  céreuse.  —  Dans  le  plus  bel  endroit 
du  pays  est  un  petit  lac  environné  de  coteaux  couverts 
de  bois.  Au  milieu  de  ce  lac  est  une  île  plantée  de 
peupliers.  C'est  là  qu'avec  les  formalités  requises  lui 
a  été  érigé  un  monument  simple  et  convenable. 

0  mon  cher  et  bon  Monsieur  Rey!  vous  avez  fait 
aussi  de  votre  côté  des  pertes  cruelles  ;  vous  êtes  dans 
l'affliction  ainsi  que  nous  (3).  Pleurons  donc  ensemble 
nos    pertes   irréparables.     Celle    de    M.    Rousseau  Pesl 


(')   Voilà  donc  une  autre  version  des  dernières  paroles  de  Rousseau  en  cor 
tradictàon  encore  avec  la  Veuvo  écrivant  à  M.  de  Corancez  "i7  est  mort  sans 
prononcer  une  seule  parole."   Mais  pour  évaluer  la  confiance  que  méritent 
les  lettres  de  Thérèse  Le  Vasseur,  voyez  notre  note  au  \"  95,  p.  157. 

('-')    Nous   laissons   l'orthographe  vicieuse  au  lieu   de  sérosité  et   sêrevSC. 

(•)  La  mort  lui  avait  enlevé  sa  femme.  En  écrivant  donc  au  pluriel  des 
pertes  croc/les,  M.  (le  Girardin  peut  avoir  fait  allusion  à  la  mort  supposée 
de  la  tille  de  Rey  dont  Rousseau  avait  éfé  le  parrain. 


319 


pour  ma  famille  et  pour  moi.  Eh  puissions  du  moins 
pleurer  en  paix,  car  les  méchants  et  les  affaires  sont 
deux  grands  tourments  en  ce  monde. 

J'ai  l'honneur    d'être,    Monsieur,   votre  très-humble 
et  très-obéissant  serviteur.    Girardin. 


o 


BINDSMG  LIST     FEB  15  1945