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o
LA VÉRITÉ
SUR LA
LANGUE D'O
PRfiCÉDÉB
DE CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES, PHILOSOPHIQUES
ET PHILOLOGIQUES.
PAR
Paul BARBS
f
(de BUZBT, HADTE-GARONflB }.
Membre do Félibrige provençal ; de la Société pour l'étude des langues
romanes, de Montpellier; de la Société archéologique,
scientifique et littéraire, de Béziers ; de la
Société bibliographique universelle ,
de Paris: dtc, &c.
II
c
TOULOUSE,
L. et J.-M. DOULADOURE ,
IMPRIMBimS-LIBIUIRES , ÉDITEURS ,
Rue Saint-Rome, 39.
1873
PARIS,
MAISONNEUVE & ©•,
ÉDlTIUaS , LIBRAIRES ,
(Librairie orientale),
Quai Voitaire.
ï)TO\i% de traduction et de reproduction réservét.
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7
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CHAPITRE PREMIER.
LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE.
Dans la partîe historique de cet ouvrage, nous avons
constaté que les Romains devaient leur formation à la
fusion opérée, dans une proportion plus ou moins
grande , entre une très-minime partie des deux grands
peuples qui se partageaient alors la péninsule italique ,
savoir : d'une part, les Pélasges; et, dePautre, cette
nation, sans nom collectif, qui comprenait les grandes
tribus des Osques , des Sabelles , des Ligures et des Om-
it 1
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LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
briens. On peut donc supposer au préalable que la
langue latine n'est que la langue d'un de ces peuples ou,
du moins, un mélange des idiomes qu'ils parlaient. Or,
ces peuples étant de mœurs et de races différentes , il
faut en conclure que leurs idiomes étaient différents.
En effet, deux idiomes divers ne peuvent jamais parve-
nir à s'amalgamer de manière à ne plus en former qu'un.
Cela tient à ce que le géiiie particulier à chacun de ces
idiomes ne peut entrer dans une fusion qu'à la condition
de perdre son mode d'existence. D'où il suit que la lan-
gue latine n'a pu être formée que par un seul des idio-
mes dont nous venons de faire mention.
Mais lequel de ces idiomes l'a emporté sur l'autre?
C'est ce que nous allons examiner. Il est facile de com-
prendre que sans cette minutieuse recherche nous ne
pourrions jamais nous prononcer avec quelque appa-
rence de certitude sur la véritable provenance du latin.
Or, combùe les Ombriens ou Sabelles passent à Juste
titre pour le plus ancien peuple d'Italie, que ce fut sur leur
territoire que s'implantèrent les Troyens , que le nom de
ce territoire donna naissance au nom des hommes qui
l'habitaient et à celui de la langue qu'on y parla plus
tard, {Latium d'où latin) , c'est de l'idiome Sabollique
ou Ombrien que nous devons nous occuper avant
tout ûutre chose. Les Ombriens, on lésait, faisaient
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LÀTYGUE OMBRIENNE OU SÀBEIXIQUE.
partie de la nation qui précéda les Pélasges en Italie.
Cette opinion très-plausible est celle de Niebuhr, le sa-
vant auteur de YHistoire critique des Romains. En
outre avec les autres tribus sabelliques ils étaient
d'origine phénicienne. Repoussés par la première inva-
sion pélasgique, ils s'étaient retirés y les uns au nord
de la Rhétie, les autres en Gaule. Ceux d'entre eux qui
avaient envahi les Gaules , refoulés plus tard par l'ar-
rivée des Celtes , rentrèrent les uns en Italie , tandis
que les autres , s'avançant plus au nord , s'établirent
sur les bords de la Manche. Ces derniers, expulsés
de cette contrée par les Celtes, ou peut-être par les
Cimbres , passèrent en Angleterre où ils se fixèrent
définitivement et où leurs descendants demeurent
encore sous les noms d'Ecossais et Irlandais, ou mieux
d'Erses.
Ces diverses assertions, que nous pensions avoir
suffisamment prouvées au moyen de l'histoire et du
raisonnement, trouvent une confirmation nouvelle dans
la languistisque. En effet , il nous reste quelques mots ,
appartenant à la langue des premiers possesseurs du sol
italien, que les anciens écrivains nous ont conservés
avec la signification exacte qui leur était propre. Or il
est aisé de s'assurer que ces noms , si heureusement
SAUvés du naufrage y se retrouvent sous une même
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LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
forme et avec une signification absolument identique
dans la langue erse. Ainsi, par exemple : chez les Osques,
Famel signifiait serviteur; en erse, Fam veut dire
inférieur j subordonné, Mamers, le nom Osque de
Mars, est en erse Maomhair, terrible. Petar^ signifie
quatre, tant en osque qu'en erse. Velia, marais en
osque, devient en erse vilidh, mare d'eau. Meddix, en
osque magistrat, est en erse Meadhais, magistrat, de
Meadh, équité justice ; etc. , etc. En Sabin ou sabelle,
cuba, signifiait litière, cette idée se rend en erse par le
mot Kubban, couchette. Curis, en sabelle épieu, est en
erse Koirr, qui a la même acception. Nero en sabelle
fort, vaillant, se dit en erse iVear^A, qui exprime la
même idée. Le nom de Stribula, que les Ombriens
donnaient à la cuisse des victimes , se retrouve en erse,
avec la même signification , dans celui de Streabhar.
Le mot de Mediastuticus était commun aux dialectes
sabin et osque et signifiait un magistrat suprême. En
erse , c'est Meadhar-tuatchd ,juge du pays, grand juge.
Le nom du chef militaire suprême était chez les Osques
et les Sabins Embratur, dont les Romains ont fait im-
perator; en erse , le mot composé Em-bratoir signifie-
rait celui qui a le drapeau commun. Le mot de Tribu,
passé de cette langue dans le latin et qu'on a si mal à
propos dérivé de trois, nombre des tribus de Rome sous
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE.
Romiilus , est , en erse , Trebh ou Tribh , signifiant la
même chose que Clan,
À la liste des quelques mots qui nous sont parvenus
de l'antique idiome ombrien et qui , on le voit , se re-
trouvent exactement dans Ferse , nous pouvons ajouter
les noms par lesquels se différenciaient certaines tribus
Sabelliques tels que Ligures, Vindéliciens, Ombriens, etc.
etc. qui sont , en Erse , Li-gur, pays voisin de la mer.
Fin do-leck ou lech, tribu de la rivière pierreuse, Amhra
ou Ambra, noble, vaillant, etc. , etc. cela nous amène
légitimement à conclure que ce n'est point par un
simple jeu du hasard que ces divers mots se trouvent
dans Tidiome ombrien et l'idiome erse avec un sens
absolument identique et une forme pareille. Il a donc
existé des relations entre ces deux peuples? C'est incon-
testable. Mais quand ces relations ont-elles eu lieu?
Voila ce qu'on ne saurait expliquer si l'on conteste l'ori-
gine ombrienne des Erses.
En effet , les Ecossais et les Irlandais descendent de
la race voyageuse qui, la première , s'implanta sur le sol
de la Grande-Bretagne à une époque évidemment an-
térieure à l'an 600 &vant le Christ. Et ces mêmes Irlan-
dais ou Erses n'ont eu de rapports avec les Romains que
bien longtemps après que ceux-ci eurent mis le pied
en Angleterre. Mais les Romains avaient alors un idiome
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LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE DO.
parvenu à toute sa perfection et qui n'avait absolu-
ment plus rien de commun avec l'idiome que parlaient
jadis les premiers occupants de la péninsule italienne.
Donc les mots dont nous avons donné l'explication né
purent être transmis aux Erses par les Romains , avec
d'autant plus de raison d'ailleurs que ces termes ne
sont même pas romains , mais appartiennent aux
Osques , aux Samnites , aux Ombriens, tribus de même
origine.
De plus, rien dans l'histoire n'autorise à supposer que
les habitants primitifs de l'Italie aient jamais pu entrete-
nir un commerce quelconque avec un peuple qui leur
était inconnu , dont ils ignoraient jusqu'à l'existence, et
introduire de la sorte dans le langage de ce peuple des
mots de leur vocabulaire national.
Il ne reste qu'un moyen pour expliquer un fait aussi
étrange et aussi saisissant , c'est d'admettre l'hypothèse
que les Ombriens furent refoulés en Gaule par la pre-
mière invasion pélasgique, et que, plus tard, quelques-
uns de ces Ombriens , séparés de leurs frères par les
Gaulois , finirent par se transporter en Angleterre où ils
se fixèrent, où les Cimbres les trouvèrent et à qui ils
donnèrent le nom de Gwyddyls (ou ga^ls). Ces Gaëls ,
cela est tout naturel, conservèrent, avec leurs mœurs
et leurs usages nationaux , leur langue maternelle , qui ,
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE.
SOUS le nom d'Erse , est encore parlée dans l'île d'Erin
et chez les highlanders d'Ecosse.
Cette supposition est d'autant plus admissible qu'il est
impossible de trouver , dans un idiome européen autre
que dans l'erse, la signification du mot Alpes. A ce
sujet, il est bon de faire remarquer que les grandes
chaînes de montagnes qui sillonnent l'Europe ont toutes
reçu jadis un nom significatif, qui s'est conservé jusqu'à
nous , quoique , pour la plupart d'entre elles le sens du
terme qui les désigne soit oublié ou inconnu. Ainsi , par
exemple , Pyrénées , qui dérive du mot grec xupviv ,
noyau , amande. Or , sans s'écarter de la vraisemblance,
on peut très-bien conjecturer que, si les premiers habi-
tants de l'Italie ont imposé le nom d'Alpes aux chaînes
de montagnes de ce pays , c'est que ce nom devait avoir
une signification précise dans leur langue. Ceci posé ,
comme le mot en question est absolument sans signifi-
cation dans le pélasge et le latin , ne peut-on pas à bon
droit être surpris de voir que, dans l'erse, il en a une,
et qu'elle se rapporte admirablement à la nature de
l'objet désigné?
Dans l'idiome erse, les deux mots all-benn signifient
grandes ou puissantes montagnes. Y a-t-il donc si loin
de allbenn à alpesl Quel autre nom eut-on pu leur
mieux appliquer? Donc, puisque le mot alpes n'existe
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LÀ YËRITË SUR LÀ LANGUE d'O.
avec cette signification que dans la langue erse , il faut
bien admettre que les hommes qui parlent cette langue
descendent en réalité des peuplades qui donnèrent ce
nom aux montagnes d'Italie. Et cela est si rationnel que
le nom d'allbenn a été jadis porté par TAngleterre. Ce
fut même là sa première dénomination , soit que ses
colons la lui aient imposée en souvenir de leur première
patrie, soit (ce qui est plus vraiseml^lable) , qu'ils aient
ainsi appelé cette lie à cause de la grande similitude
qu'ils trouvaient entre les chaînes de montagnes qui la
sillonnent et les montagnes de leur pays d'origine.
Cependant on a longtemps supposé que le nom d'Albion
venait di^mot latin albm, blanc j et qu'on ne l'avait
donné à l'Angleterre que parce que les rochers de ses
côtes sont ou paraissent blancs. Nous n'avons pas besoin
de faire ressortir le peu de fondement de cette supposi-
tion. Plus tard , lorsque l'Angleterre cessa de porter le
nom d'albion , ce nom ne servit plus à désigner que
l'Ecosse. Chose même assez curieuse I Tant que ce der-
nier pays eût des rois, leurs fils aînés portèrent toujours
le titre de duc d'Albanie.
Il y a donc parenté évidente entre les populations
primitives de l'Italie et les Erses. Ce qui nous confirme
encore plus dans notre opinion, c'est que les Ombriens,
avant de se fixer définitivement en Angleterre, ont
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LANGUE OMBRIENNE OU SÀBELLIQUE.
longtemps séjourné dans le pays qui porta plus tard Je
nom de Gaule. Les preuves de ce fait sont assez nom-
breuses et nous ne les rechercherons point , pour ne
pas allonger inutilement ce chapitre. Une seule nous
suffira.
Tout le monde sait que non-seulement plusieurs villes
des Gaules portaient le nom de Mediolanum , qui leur
était commun avec la ville fondée en Italie par les Om-
briens, mais encore qu'un grand nombre de noms de
villes Gauloises se terminaient par le mot dunum. Or ,
si Ton retranche de ce mot la terminaison latine um,
que les Romains y avaient ajoutée pour pouvoir décline r
ces noms, il reste dun. Mais ce mot , aussi complètement
inconnu au latin qu'au celte , ne se retrouve avec une
signification déterminée que dans la langue erse , où il
veut dire refuge, forteresse et par extension ville. C'est
ainsi que Lugdunum, Lyon , sans explication possible
en aucune autre langue , serait en erse lugh ou luk-dun
et signifierait illustre ville ; Verodunum, Verdun ,
serait ou orah-dun, ville de la prière, ou eiri-dun ,
ville des plaidoiries , ou beiri-dun^ ville obtenue, ou
bierna-dun, fontaine de la ville ou ville de la fontaine;
etc. , etc.
Ceci nous autorise à cpnclure que les Ombriens ont
séjourné en Gaule , et justifie notre prétention que ces
1.
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10
LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
ombriens furent refoulés dans la Celtique par les Pélas-
ges et que de là ils se rendirent en Angleterre. Outre les
explications précédentes, nous pourrions citer encore
une certaine quantité de termes, qui sont à peu près
les mêmes en erse et en gaulois et qui sont évidemment
passés de ce dernier idiome dans l'autre, comme, par
exemple , les mots suivants :
GAULOIS.
ERSE.
FRANÇAIS.
Cèl.
Cel
Ciel
Angèl.
AingeL
Ange.
Diable.
Diabel.
Diabk.
Fièbres.
Fiebras,
Fièvres.
Roso.
Rosa.
Rose.
Cabano.
Caban.
Cabane.
Baco.
Bo.
Vache.
Romsignol.
RosinceoL
Rossignol,
Luno.
Luan.
Lune.
Soukl.
Soî.
Soleil.
Cependant nous n'insisterons point , étant convaincus
que les Irlandais seuls ont fait ces emprimts à Tidiome
celtique , postérieurement à Içur fixation en Angleterre.
Ces mots , en effet , ne sont point passés dans le dialecte
d'Ecosse , ou les termes anciens exprimant des idées iden-
tiques ont conservé leur physionomie propi-e et primi-
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELDIQUE. 1 1
iive. Ainsi pap exemple le mot soleil, qui est désigné en
Ecosse par le mot antique grianei non point par celui de
sol y qui dérive du gaulois souleL Relativement à ce der-
nier terme gaulois , qu'on nous permette de faire remar-
quer 9 en passant , que ce n'est point un mot simple , mais
un mot composé, et que son exacte traduction est le seul
œil, soûl , seul, èl, ml.
Nous espérons avoir démontré par ces citations que
l'hypothèse de l'origine ombrienne des Erses et de leur
séjour en Gaule n'est dénuée ni de vraisemblance ni de
raison. Plusieurs auteurs ont cependant prétendu voir
en eux des Gaulois. Nous , nous prétendons que , loin de
faire partie de ce dernier peuple , les Erses étaient d'ori-
gine phénicienne.
On lit à ce propos dans The stranger in Ireland ( by
J. Carr , esq. ch. XIV, p. 331 ) : « Sir Laurence Par-
» sons (1) , in his leamed and élégant defence of the an-
(A) Sir Laurence Parsons, dans son élégante et savante Défense
de r ancienne hittoire de V Irlande, observe que, à ude époque très-
reculée , les Phéniciens formèrent une colonie en Irlande , et qu'après
en avoir immédiatement ou par dégrés subjugué les anciens habitants,
ils établirent dans cette tle leurs lois , leur religion et leur langue.
Cet élégant auteur étaie son hypothèse sur ces observations , que les
Carthaginois étai ent originaires de Phénicie et parlaient la langue
phénicienne , qu'un spécimen de cette langue a été conservé par Plante,
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M LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
» cient history of Ireland , observes , Ihat at an early
» perîod of the world , the Phœnicians made a settle-
» ment in Ireland , and immediately , or by degrees ,
» completely subjugated the aneient inhabitants , and
» established in the island their laws , religion , and lan-
» guage ; this élégant writer supports his hypothesis , by
» observing, thatthe Carthaginians originally camefrom
» Phœnicia, and spoke the phoenician language; that a
» spécimen of that language has been preserved by Plau-
» tus in one of his plays, which contains some speeches of
» Hanno, aCarthaglnian, in the language of his country,
» which, he observes , appears upon examina tion to be
» the same language as the Irish , vrith some obvious allo-
» wances for the opération of time and corruption. »
Quoique nous partagions absolument la manière de
voir de sir Laurence Parsons sur la remarquable ana-
logie qui existe entre la langue Erse et la langue cartha-
ginoise , qui n'était autre que la phénicienne , puisque
Carthage fut fondée par des Phéniciens , nous sommes loin
d'être de son avis sur l'origine de la langue erse. En effet ,
dans une de ses comédies contenant plusieurs discours du carthaginois
Hannon, dans l'idiome Phénicien ; que cet idiome paraît être , après
examen , le même que l'Irlandais , sauf quelques altérations introdui-
tes par l'opération du temps et la corruption, transformation naturelle
à toutes les langues.
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 13
cet auteur suppose , pour expliquer la ressemblance qui
se trouve entre les deux idiomes , que les Carthaginois
conquirent Tlrlande , y fondèrent des établissements ,
imposèrent aux habitants vaincus de cette île leurs lois ,
leur rdigion et leur langue , et que cette dernière , se
substituant à celle des indigènes , en arriva à la faire
disparaître complètement. Mais , outre que cette manière
de procéder n'a jamais été dans les habitudes carthagi-
noises , ainsi que nous le démontre l'histoire , il suivrait
de là que la conquête deFIriande aurait dû avoir lieu à
une époque bien reculée , puisqu'il n'en est fait mention
nulle part. Or , un examen attentif et réfléchi des révo-
lutions politiques du nord de l'Europe nous a déjà ame-
nés à cette conclusion qu'un peuple ne se déplace que
sous la pression fatale de nécessités absolues , et que la
nécessité, qui conduisit les Ombriens du nord de la Gaule
en Angleterre et du midi delà Gaule en Italie , porte le nom
d'invasion celtique. Déplus, l'Irlande ne fut point peuplée
toutd'abord. Les Ombriens s'étaient établis et fixés en
Angleterre, et ce ne fut que longtemps après cet établisse-
ment , que , refouléspar les Cimbres venus delà Belgique ,
ils se décidèrent à passer en Irlande et dans les autres îles
avoisinantes. Donc, si les Carthaginois se fussent emparés
de l'Irlande et y eussent fondé un empire florissant , ce
n'aurait pu être qu'à une date relativement récente et les
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14 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O.
annales ou traditions des Cimbres , si voisins de cet état , à
défaut de celles des Irlandais mêmes , noiis en auraient
tranmis quelque chose. D'autant que les Carthaginois ne se
bornèrent point à trafiquer avec Tlrlande, mais que ^
marchands avant tout , ils avaient aussi des comptoirs
chez les Cimbres d'Angleterre. A ces raisons , qui nous
paraissent invalider le sentiment de Fauteur anglais ,
vient encore s'adjoindre une impossibilité matérielle. Par
les quelques mots que nous avons cités plus haut et que
les écrivains latins nous ont conservés avec leur signifi-
cation propre, ainsi que les divers noms de villes dont
les Ombriens furent les fondateurs tant en Italie qu'en
Gaule, noms de villes n'ayant une signification déterminée
que dans la seule langue erse, il nous a été facile de suivre
la race ombrienne dans ses pérégrinations et de poser
en principe que les Ombriens sont allés d'Italie en Gaule,
de Gaule en Angleterre, d'Angleterre en Irlande et en
Ecosse. Ce qui nous a amené à cette conclusion : c'est bien
réellement des Ombriens que les Erses sont descendus.
C'est pourquoi d'après Laurence Parsons , si le car-
thaginois s'était substitué à l'antique ombrien , au point
de le faire entièrement disparaître , comment pour-
rait-il se faire que les anciens mots dont il a été donné no-
menclature se retrouvent encore actuellement dans la
langue erse, avec absolument le même sens qu'ils avaient
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LANGUE OMBRIENIfE OU SABBLLIQUE. 15
autrefois? Les Erses auraient donc parlé deux idiomes
distincts; Fun, totalement perdu, qui aurait été leur
langue nationale; l'autre, lé punique? Mais ce dernier,
au compte de Parsons , leur aurait été imposé par les na-
vigateurs de Carthage. Or , comme ce serait le seul idiome
qu'ils parlent aujourd'hui , il faudrait, pour expliquer la
complète analogie qu'on découvre entre les signes anciens
et ceux dont les Irlandais se servent actuellement, ad-
mettre que ce n'est qu'après avoir appris le punicjue qu'ils
ont bâti des cités en Gaule et que , sous l'appellation d'Om-
briens, ils se sont rués en Italie, où quelques uns des
termes de leur vocabulaire ont pu être recueillis par les
écrivains romains. Cette hypothèse nous parah absurde,
et l'étrange similitude qui existe entre les idiomes erse et
carthaginois ne saurait, suivant nous, s'expliquer d'une
manière plausible et raisonnable qu'en admettant l'ori-
gine phénicienne des populations primitives de l'Italie.
Nous prouverons d'ailleurs qu'on peut facilement tra-
duire au moyen de l'erse ce qui a été conservé de l'idiome
carthaginois. Mais d'abord, jetons un regard sur les di-
verses conjectures formées par les savants sur la langue
punique. Un article de M. S. Munk va nous servir de
guide :
« La vie intellectuelle de ce peuple (les Carthaginois )
» nous est beaucoup moins connue que sa vie publique.
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46 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
» Livré presqu'exclusivemen t au commerce et à la guerre ,
» il était peu favorisé des muses. Comme Tyr, la mère-
» patrie, Carthage a disparu sans laisser aucune trace
» de son existence, sans transmettre à la postérité aucun
» monument d'art ou de littérature. Les anciens citent à
» peine deux ou trois auteurs carthaginois ; Columelle
» parle des écrits de Magon sur Tagriculture , et salluste ,
» Jugurtha, chap. 17, cite des livres puniques attribués
» à Hiempsal, roi de Numidie. On peut ajouter le périple
» deHannon, suspendu dans le temple de Saturne à
» Carthage. C'est la relatio'n d'une expéditicMi maritime
» faite par ordre du Sénat sur la côte occidentale de
» l'Afrique et qui, selon l'avis d'IsaacVossius, remonte à
» plus de cinq cents ans avant Jésus-Christ. ( voir Bo-
» chart, Chanaan, liv. I, chap. 37). Hannon, chef de
» cette expédition, la décrivit sans doute en langue pu-
» nique, mais nous n'en possédons plus qu'une version
» grecque , publiée pour la première fois à Baie , en \ 533 ,
» par Sigismond Gellenius. Pline parle de bibliothèques
» qui auraient existé à Carthage (Hist. nat. liv. XVIII ,
» ch. 5). Le dédain que les Grecs et les Romains mon-
» traient pour tout ce qu'ils appelaient barbares, n'a pas
» permis qu'il nous en restât quelques débris. Pour nous
» former une idée de la langue qu'on parlait à Carthage,
» il ne nous reste d'autre ressource que quelques inscrip-
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LANGUE OMBtIElfNB OU SÀBBLUQUB. 17
» lions peu déchiffrables et un certain nond)re de mots et
» de noms propres cités par les auteurs anciens et où
» l'orthographe est ordinairement trës-corrompue.
» Les fragments puniques que nous trouvons dans
» le Pœnulus de Plaute, offriraient un spécimen assez
» considérable de la langue carthaginoise, si on pouvait
» les déchiffrer avec certitude. Mais si l'on réfléchit que
)> Talphabet romain était probablement peu propre à la
» transcription exacte de mots puniques, que Plaute lui-
» même peut avoir écrit bien des fautes, et que ces fautes
» devaient être considérablement augmentées par les co-
» pistes, qui ne comprenaient pas un mot de ce qu'ils
» écrivaient, on concevra facilement que nous devons à
» jamais renoncer à bien comprendre les paroles du car-
» thaginois Hannon, quoique Plaute nous en ait donné
» lui-même la traduction latine.
» L'explication qu'en a hasardée Bochart (Chanaan , liv.
» II , chap. 6, ) est arbitraire, recherchée et souvent ab-
» surde; nous aimerions mieux avouer notre ignorance
« sur les passages puniques de Plaute que de gratifier les
» Carthaginois du mauvais hébreu du savant Bochart.
» Les essais de Bellermann , orientaliste allemand, sont
» un peu plus heureux; mais ce savant aussi s'est trop
» écarté de la traduction latine de Plaute qui, mieux que
« tout autre, devait connaître la valeur des paroles qu'il
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18 LA YÉRITÉ 8UR LÀ LANGUE b'O.
» a mises dans'la bouche de Hannon. Quoi qu'il en soit ,
» le petit nombi:e de mots que l'on a pu déchiffrer avec
» certitude , tant dans le fameux passage du poète romain
» que dans les noms propres et les inscriptions , suffisent
» pour nous convaincre que la langue des Carthaginois,
» comme celle des Phéniciens, avait le plus intime rapport
» avec l'Hébreu , et que les mots qui, dans les deux langues,
» s'écrivait par les mêmes consonnes différent souvent
» dans la prononciation. Ainsi par exemple Suffes, gén.
» suffetisest le mot hébreu Schofet , juge. Les mots du Pœ-
nnxjlushiligubylimlasibitthym, (in hiscehahitare regi-
» nionibus), se prononceraient en hébreu » elle hgiteboulim
Idschebet scham,
» Les mots puniques qu'on n'a pu déchiffrer jusqu'à
» présent, appartiennent probablement à la langue ly-
» bienne qui se mêlait peu à peu dans cdle des colons
» phéniciens.
» Dans le passage de Plante et dans les noms propres
» nous retrouvons quelques uns des principaux noms de
» divinités phéniciennes. Les dieux s'appellent alonim ,
«les déesses alonuth; en hébreu aussi le mot elyon
» (très-haut) se trouve comme épithète de Dieu et au
» pluriel on disait pour le masculin elyonim et pour le
» féminin elyonoth. Chez les Phéniciens le mot elioun
» avait le même sens , comme nous l'apprenons d'un
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LANGUE OMBRIEKifE OU SABELLIQtJE. 19
» passage de Philon deByblos , cité par Eusèbe (prœpar.
» evang. 1 , 10) ; le nom de Baal, dieu national des Phé-
» nicîens , se retrouve dans beaucoup de noms cartha-
» ginois , tels que Annibal , Asdrobal , Adherbal , et
» dans la comédie de Plaute , comme chez les Phéniciens
» il est aussi appelé Baal-Samin (maître du ciel) , en hé-
» breu Baâl-schamaïm. »
Ce passage résume à peu près tout ce que Ton sait au-
jourd'hui sur la langue carthaginoise ou Phénicienne et
tout ce que l'on pense sur l'origine de cette langue , dans
la république des lettres.
Les savants sont généralement disposés à croire que
le phénicien avait le plus intime rapport avec l'Hébreu.
Notre sentiment peut donc paraître ici de faible impor-
tance. Pourtant, dussions-nous être taxés de présomp-
tion, nous déclarons être sur ce point en désaccord avec
les savants.
En effet , si nous admettons qu'il a existé un rapport
quelconque entre le phénicien et l'hébreu , nous sommes
aussitôt forcés de regarder ces deux idiomes comme des
dialectes d'une langue unique qui aurait été commune à
tout le pays de Chanaan , et de leur donner aussi la
même origine. Or , il n'en a point été ainsi. Outre les
H^reux , il y avait en Palestine un certain nombre de
peuples , sortis d'une tige commune , Cham , dont les
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20 LÀ TÉRITË SUR LA LANGUE d'o.
Phéniciens faisaient partie. Ces Phéniciens, loin de s'ap-
peler Phéniciens — ce qui était une dénomination grec-
que , — se nommaient Chananéens , donnant le nom de
Chanaan , aussi bien au lieu où ils avaient été trans-
plantés qu'à celui d'où ils tiraient leur origine.
C'est du moins ce qui ressort du témoignage de Saint
Augustin. Dans son Commentaire sur VépUre aux Ro-
mains, ce Père de l'Eglise rapporte que des paysans
d'Hippone , à qui on demandait qui ils étaient , répondi-
rent qu'ils étaient Chananéens. Cela ressort pareillement
de l'exclamation , mise dans la bouche d'Hannon par
Plante, au cinquième acte du Pcmulus : Lachanan
vos. ! etc. , etc. , qu'on traduit avec assez de vraisem-
blance , rum à chanaan, vous ! etc. , etc. , c'est-à-dire, vous
n'irez jamais , ou vous ne reverrez jamais Chanaan,
vous!
En outre, personne n'ignore la constante et mortelle
inimitié qui a toujours régné entre les Chananéens et
les Hébreux ; inimitié qui provenait autant des ordres
de Dieu que de la différence de race. Les Hébreux , on
le sait , descendaient de Sem , par Heber, et leur pre-
mière langue fut le Chaldéen ou un dialecte du Chaldéen.
Plus tard , lors de la grande captivité de Babylone , ils
oublièrent leur idiome national et ne parlèrent plus que
le syriaque.
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELUQCE. 84
Nous n'avons jamais appris qu'il y eût la moindre pa-
renté entre ces deux derniers idiomes et le Ghananéen
ou phénicien.
II est vrai qu'un témoin bien digne de foi , puisqu'il
était d'origine punique , Saint Augustin , nous apprend
que l'idiome de Garthage avait de son temps quelque
rapport avec le Syriaque et le Ghaldéen. Mais cela ne
peut s'entendre que des grammaires particulières de
ces peuples , qui avaient , en effet , une grande analogie
entr'elles et différaient radicalement du latin , auquel
probablement Saint Augustin comparaît le punique.
Ge qui vient confirmer notre dire, c'est que la langue
maternelle de Saint Augustin était le carthaginois et
qu'il apprit le latin en jouant avec les enfants romains
de son âge, dont les parents étaient établis en Afrique.
Pareille chose arrive du reste pour les petits paysans
de nos campagnes , dont la langue maternelle est le gau-
lois, et qui apprennent pourtant le français, soit en
l'entendant parler par les grandes personnes, soit en
allant à l'école , en se jouant pour ainsi dire, sans études
et sans fatigues. Or , Saint Augustin écrit dans ses Con-
fessions (liv. XI, ch. 3): — « Scripsit hoc Moy-
» seSf scripsit et abiit; transiit hinc ad te. Neque enim
» nunc ante me est; nam si esset, tenerem et rogarem
» eum^ etper te obsecraremt ut mihi ista pandereê ; et
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22 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
» prœberem aures corporii met , sonù erumpentibus ex
» ore ejus. Et si hebrœâ voce hqueretur, frustra puisa-
» retsensum meum, nec inde mentem meam quidquam
» tangeret ; si autem latine, scirem quod diceret. »
Voilà , ce nous semble , qui est clair et net.
Donc , puisque Saint ^Augustin avoue que si Moïse lui
parlait hébreu il ne le comprendrait point , c'est que le
punique et Thébreu ne devaient guère se ressembler, et
que , si par cas il trouvait une certaine concordance en-
tre la syntaxe de sa langue nationale , Ijb carthaginois ,
et les syntaxes du Chaldéen et du syriaque , cela ne
saurait prouver que les vocabulaires de ces idiomes fus-
sent identiques. Pas plus qu'on ne pourrait prouver que
le slave ait une affinité quelconque avec le grec , quoi
qu'il soit assez facile de trouver dans les grammaires
respectives de ces deux dernières langues de très-nom-
breux points de ressemblance.
Enfin , il y a dans la Bible un passage prouvait clai-
rement que l'hébreu et le phénicien n'avaient pas grand
chose d^ commun entr'eux.
On lit dans Néhémias (chap. XIII , v. 24) :
<— « Et leurs enfants parlaient à demi la langue
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 23
» d'Azoth, et ne pouvaient par kr Juif, en sorte que leur
» langage tenait de la langue de ces deux peuples. »
Cette preuve si convaincante de la diversité de Tidiome
hébreu et de Tidiome phénicien n'est point la seule que
fournit le Livre-Saint. Il nous fait encore connaître un
certain nombre de noms de villes , de lieux et d'hommes ,
comme par exemple : Cariath-iarim , cariath-^rbe ,
Astarotk-camaïm, Og, etc., etc., qui n'appartien-
nent pas à l'idiome hébraïque et y sont sans explication
possible.
C'est donc une erreur de croire pouvoir expliquer le
phénicien ou carthaginois au moyen de l'hébreu, et il
n'est point étonnant que toutes les tentatives de ce genre
aient constamment échoué.
Aussi , M. Munk a-t-il raison d'écrire : nous aimerions
mieux avouer notre ignorance sur les passages puniques
de Plante, que de gratifier les Carthaginois du mauvais
hébreu du savant Bochart. Mais alors pourquoi M. Munk
lui-même admet-il que ces deux idiomes ont entr'eux
des rs^ports intimes, et , pour nous le prouver , cite-t-il
les noms donnés à Dieu par les deux peuples , noms
qa'il suppose identiques ? — « Les dieux , dit-il , s'ap-
» pellent Alonim , les déesses Alonuth ; en hébreu aussi
» le mot Eiyon ( très-haut) se trouve comme épithète de
» Dieu et au pluriel on dirait pour le masculin Elyonim ,
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LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
» et pour le féminin Elyonoth. Chez les Phéniciens le
» mot Elioun avait le même sens, etc. , etc. »
Peut-être sommes-nous dans Terreur et M. Munk a-t-r
il raison. Mais nous ne pensons pas que le mot Elyon ait
jamais désigné Dieu , en hébreu. Dans cet idiome , l'idée
de Très-Haut , nous Pavons toujours trouvée exprimée
par le mot Eloah, au pluriel Elohim, et jamais autre-
ment. Pour s'en convaincre, on peut lire le long article
consacré au mot p|^j^ , dans le Dictionnaire chaldatco-
hébraïqmde Buxtorff (Ed. de 1631 , p. 29). Quant au
nom deBaalj il ne se trouve dans le Livre-Saint que
pour désigner un dieu étranger , et ce mot n'appartient
point à l'idiome hébraïque. D'ailleurs , même en phéni-
cien , Baal ne signifie point Dieu , mais seulement sei-
gneur, kyrios, dominus, Lord.
Ce qui aurait pu aider à faire croire à l'existence d'une
certaine affinité entre l'hébreu et le phénicien, c'est
qu'au moyen du premier idiome Bochart est parvenu ,
dans sa traduction du monologue d'Hannon , sans trop
changer la physionomie des termes du second idiome a
obtenir un sens qui se rapproche assez bien de la tra-
duction donnée par Plaute lui-même. Son interprétation
est loin cependant d'être satisfaisante et n'a point , par
conséquent, tranché la question.
Comme preuve , nous allons la copier en regard du
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE.
85
monologue d'HànnoD ; mais auparavant il nous parait
utile de transcrire le texte punique pris dans deux édi-
tions diverses, afin qu'on puisse voir les différences que
les copistes ont intercalées dans ces textes.
MONOLOGUE D*HANNON.
OEUVRES DE PLAUTE.
EDITION D'AMSTERDAM, 4749.
T thalonim , vualonuth si cho-
rathissima consith , chim lachchu-
nyth muays thalmyctibari imischi
lipho canet byth bymithii ad aedin
binuthii. Byrnarob syllo homalo-
nin uby misyrthobo bythlym mo-
thym noctotbii nelechanti dasch-
macbon yssidele brim tyfel yth chy
lyschon, tem, iyphui uth bynim ys-
ditur thinno cuthnu Agarostocles.
ythe manet iby chyrsae lycoch
sith naso byuni id chil luhili gu-
bylim lasibit thym bodyalyt he-
rayn nyn.nuys lym moncoth lu-
sim.
EDITION CONTEMPORAINE.
Hyth alonim vualonuth sico-
rathi si macom sith chi mlach
chunyth mumys tyal mictibariim
ischi, lipho canet hyth bynuthi ad
aedin bynuthii. Birnarob syllo
homalonin uby misyrthobo byth-
lym mothyn noctotbii velech anti-
das machon. Yssidele berim thyfel
yth chylyschon , tem , lypbul uth
bynim ysdibur thinno cuth nu
Agarastocles ythe manet ihy chyr-
sae lycoch sith naso biuni id chil
luhili gubylim lasibit thym bo-
dyalyth herayn nyn nuys lym
moncoth lusim.
Voici Texplication de ce morceau faite par Piaule lui-
mônie :
Deos deasque veneror , qui hanc urbem colunt,
Ut quod de mea re hue veni , rite venerim :
« . 2
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S6 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Measque ut gnatas , et mei fratris filium ,
Reperire me siritis, dl vostram fidem 1
Quae mihi surreptœ sunt et fratris filium.
Sed hic mihi antehac hospes Antidamas fuit.
Eum fecisse aïunt sibî quod /aciundum fuit.
Ëjus filium hic esse praedicant Âgarastoclem.
Deum hospitalem , ac tesseram roecum fero.
In hisce habitare monstratu'st regionibus :
Hos percontabor , qui hue egrediuntur foras.
fit voici maintenant la traduction hébraïque qu'en
donne Bochart , dans son Chanaan (liv. II , chap. 6) :
Na eth eiionim veeljonoth sechorath jismecun zoth
Ghi melachai nitthemu , matsiia middabarehem is Ri
Lephurcanath eth béni eth jad adi ubenothai,
Berna rob sellahem eljonim ubimesuratehem ,
Beterem moth anoth othi helech Ântidamarchon ,
Issejadali:beram tippelethchelesechinatham leophel.
Et ben amis dibbur tham necot nave Agarastocles.
Othem anuthi hu chior seeli choc ; zoth nose.
Binni ed cbi le haelle gebulim lasebeth tham
Bodiale thera inna ; enno , esal im mencar le sem.
Ce qui signefierait en langue française:
« Je prie lesdieux etles déesses qui protègent ces pays,
de faire en sorte que mes desseins s'accomplissent, et de
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUB. 27
conduire mon affaire à une heureuse fin ; en sorte que
mon fils et mes filles soient délivrés des mains de leur
ravisseur. Que les dieux, par Tesprit abondant qui est
en eux et parleur providence , m'accordent cette satisfac-
tion I Antidamarque , qui était mon intime ami , avait
coutume de loger chez moi avant qu'il mourut , mais il
est allé joindre ceux dont la demeure est dans les ténèbres.
Le bruit commun est que son fils Agarastocles est établi
dans ce quartier. La marque que mon hôte m'a donnée
est cette planche gravée que je porte , dont la gravure
est ma divinité , on m'assure que c'est ici autour qu'il
demeure. Quelqu'un vient par cette porte , voici mon
homme , je lui demanderai si le nom d'Âgarastocles lui est
connu. »
Cette tradiction , on le voit , semble se raprocher assez
de celle de Plaute. Cependant eUe est arbitraire , et paraît
n'avoir été conçue qu'en vue de faire cadrer, avec
l'interprétation latine de l'auteur du Pœnulus , des mots
hébreux plus ou moins torturés, afin de leur donner une
physionomie qui eût une certaine ressemblance avec
celle des mots puniques. Dans la langue hébraïque , un
point voyelle suffit parfois à changer complètement la
signification de tel ou tel mot écrit avec les mêmes
lettres. Que sera-ce donc si en écrivant ce mots on se
permet un changement ou une permutation de lettres ?
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28 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
Pour en donner un exemple , nous citerons seulement la
phrase copiée par M. Munk ; haelkgebulim lasebeth tham,
dont le mot-à-mot serait hisce regionibus inhabitare illuc.
Avec quelques changements insignifiants , soit de lettres ,
soit de points voyelles , on peut y trouver :
T . , ; ; T
Dei auctoritas non terminas ultra (s.e. transibit ). ou
encore:
Fortium potentium {id est j ducum potentissimorum)
non cessavit nomen ( id est fama).
D'où nous tirons cetteconséquencequecen'est point par
le moyen de Fhébreu que nous pourrons jamais connaître
lesens exact des mots puniques composant le monologue
en question.
Mais, parce que Tidiome Juif est impuissant à nous
donner la traduction exacte de ce passage carthaginois y
en devons-nous conclure que ce dernier idiome sera
toujours lettre morte pour nous et qu'il est complètement
inutile d'essayer encore de le déchiffrer?
Ce n'est point le sentiment du colonel Vallancey qui ,
après de longues et savantes recherches , appliquant la
langue erse au Monologue d'Hannon, paraît l'avoir
traduit aussi fidèlement que possible et avec un sens
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LANGUE OMBSIENNE OU SARELUQUE. 29
tout-à-fait en rapport avec la donnée de la comédie de
Plante. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans Fouvrage déjà
mentionné plus haut: The strangerin Ireland, by J. Carr,
esquive, (chap. XIV, p. 331) (1).
— « I shal now give the beginning of Hanno's speech ,
» precisely letter for letter , as ît is in the édition of
» Plautus, published A. D. 1482 , logether with colonel
» Vallancey's collation of the same speech with the Irish.
» The first Une of every triplet contains the letters,
» with their collocation and intervais, precisely as they
» are printed in the above édition of Plautus ; the
» second line expresses them with such intervais as colo-
(i) Je donnerai maintenant le commencement du discours d'Hannon,
exactement lettre par lettre , comme il existe dans l'édition de Piaute
( publiée A. D. 4482) , en môme temps que la comparaison faite parle
colonel Vallancey de ce même discours avec l'irlandais. La première
ligne de chacun de ces trois documents contient les mots à la place et
avec les intervalles qu'ils occupent précisément dans la sus dite édition
de Piaute ; la seconde ligne les montre avec des intervalles pareils à
ceux que les mots devraient occuper , comme le pense le colonel
Vallancey; la troisième ligne enfin représente la traduction de ces
mots en irlandais, conservés dans leur place naturelle et leur
orthographe. \
« Le Carthaginois Hannon avait deux filles qui , avec leur nourrice
» ont été amenées au loin par des ravisseurs et vendues à une personne
» qui les a conduites à Galydon , en Ëtolie •<, ayant longtemps parcouru
2.
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30 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
» nel Vallancey thinks they ought to be placed at ; and
» the third line shews the words in Irish^ according
» to the irish orthography and collocation.
1» le monde à leur recherche « il arrive enfin où elles sont et prononce
» le discours suivant : »
Nous nous bornons à traduire seulement la quatrième ligne, qui est,
elle-même la traduction anglaise de llrlandais :
i.
grande divinité de ce pays , puissante , terrible ! laisse-moi goûter
enfin le repos.
2.
Soutien de faibles captives ! C'est ta volonté de m'apprendre à
conquérir mes enfants par ma fatigue.
^ 3.
Permets que j'arrive à mon but ; exauce mon ardente prière.
4.
Une source ne refuse point une goutte d'eau au malheureux ;
divinité ! permets que je puisse me désaltérer à ces courants.
^.
Sois avec moi ! mes craintes seront dissipées ; Je n'ai point d'autre
désir que celui de recouvrer ma fille.
Ici le général Carthaginois , avisé que sa fille ( ses filles plutôt) ' a été
renfermée dans le temple de Vénus , va dans ce temple et y lit cett e
.nscription qui , ^ns le changement d'une seule lettre , est la mém ^
en Punique et en Irlandais. « Handone iilKhanum hene iilli in mus-
Une, » — Ce. que nous tradisons en français : « Lorsque Vertus
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LANGUE OMBRIEimE OU SABELUQUB. 31
« — Hanno , a Carthaginian , had two daughters ,
» who, withtheir nurse, werecarriedoffbyrobbers,
» and sold to a person , who brought them lo
» Calydon in iEtolia ; having long travelled in quest
» of them , he at last arrives where they are , and
» makes the following speech :
1.
Carthaginian, as in Plautus:
» Nythalonim ualonuth si corathissima comsyth.
» accorde une faveur, cette faveur est généralement suivie de quelque
» infortune. »
La découverte d'épées carthaginoises dans les fondrières ou marais
de l'Irlande vient corroborer encore nos arguments. Le lieutenant-
général Campbell a en sa possession une de ces épées , trouvée près
d*Ârmagh ; elle est en cuivre , d'environ vingt pouces de long , sur
deux pouces de large , ayant de petit trous dans sa poignée, que l'on
suppose avoir été perforés dans le but de recevoir des sangles ( ou
courroies) ; sa dimension et ses marques correspondent exactement à
celles des épées découvertes dans les plaines de Cannes , comme j'en
ai été informé par un intelligent ami qui a eu occasion de comparer
répée du général Campbell avec des épées carthaginoises des musées
d'Italie.
Ces faits sont curieux et on en peut tirer des déductions fort
ingénieuses.
Quelques personnes là-dessus ont admis , d'autres ont nié l'origine
Carthaginoise des Irlandais ; je n'ai pas de données suffisantes pour
m'engager dans cette guerre punique.
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32 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
With proper intervais :
» Nyth al o nim ua lonuth si corathissima comsyth.
Irish :
» ail nimh n'iath , lonriaith uath 1 so cruidhse me
com sith.
» mighty Deity of this coimtry , powerfiil , terrible!
quiet me with rest.
2.
Garthaginian , as in Plautus :
» Chim lach chuny th mumys tyal mycthibarii
imischi.
Propre intervais :
» Chim lach chunyth mum ys tyal mycthi barii
imi schi.
Irish :
» Ghuinigh lach chimithe ; is toil muini beiridh
miocht iar mi schith.
» Support of weak captives ; be thy will to instruct
me to obtain my chiidren after my fatigue.
3.
Cartaginian , as in Plautus :
» Lipho canet hyth bymitbiiad aedin binuthii.
Proper intervals :
» Lipho can etyth by mithii ad aedin benuthii.
Irish:
» Can ati liomtha mitche bi beannaithe ad eaden.
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LANGUE OMBBIETfIfE OU SABELLIQUE. 33
» Let it corne lo pass, that myearaest prayers be
blessed before thee.
4.
Garthaginian : as in Plautus :
» Byrnarob syllo homalonim uby misyrthoho.
Proper intervais :
» Byr nar ob syllo homal ; nim 1 ubymis yrthoho.
Irish :
» Bier nar ob sîladh umbal ; nim! ibhim a frotha.
» Afountain denied not to drop to the humble;
Deityl that I may drink of ils streams.
5.
Cartaginian , as in Plautus :
» Bythlymmothym noctothii nelechanti dias machon.
proper intervais :
» Byth lym I mo thym nocto thii nel ech anti dias
machon.
Irish:
» Beith liom ! mo thimenoctaithe niel ach anti daisie
macoiune.
» Be with me I my fears being disclosed. I hâve
no other intention but recovering my daughter. »
etc. etc.
« There is also a mémorable remark of the gênerai ,~
» when he is informed that his daughter has been found
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34 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O.
» in the temple of Venus , in which tbere îs not the
» différence of a single letter between the Punie and
» Irish sentence. « nandone silli hanum bene silli in
» musHne. » In English : When Venus grants a favour ,
» it is generally attended by some misfortune.
« In further corroboration , the discovery of Carthagi-
» nian swords in the bogs of Ireland , bas been adduced.
» Lieutenant-General Campbell is in possession of one of
» the swords found near Armagh ; it is made of brass ,
» about twenty inches long , two inches broad , having
» small holes in thehandle, supposed to hâve been
» perforated for the purpose of admitting thongs to be
» fastened to them ; which size and marks correspond
» precisely with the swords discovered on the plains
» of Gannae , as I hâve been informed by an intelligent
» friend , who had an opportunity of comparing the
» former with the latter , which he saw in several of the
» muséums in Italy. The facts are curious , and the
» déductions are at least ingénions. Learned men hâve
» supported and denied the Garthaginian origin of the
» Irish ; and as I haVe not the smallest fragment of
» antiquarian armour to buckle on me , it would be
» infatuation to engage in this Punie war. »
La traductfon , par Perse, du monologue d'Hannon
s'écarte en quelques points de la traduction donnée par
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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 35
Plaute, laquelle , au dire de quelques savants serait un
peu fantaisiste et pas du tout littérale ( Voir entr'autres
la Traduction des œuvres de Plaute, par H. P. de Li-
miers j Amsterdam 1719), néanmoins elle s'en rapproche,
par d'autres points , d'une merveilleuse façon ; elle est
parfaitement l'expression des pensées qu'aurait un homme
dans la situation d'Haqnon ; elle s'acorde enfin très bien
avec la donnée de la pièce. D'où nous pouvons établir que
si Terse de nos jours n'est point le véritable idiome de
Cariathraggo ( ville de la lanière, la Byrsa de Virgile ),
ces deux idiomes ont de si étonnantes analogies qu'il nous
parait impossible de leur refuser une commune origine.
De plus , comme la filiation ombrienne des Erses nous
parait être un fait hors de discussion , nous nous croyons
suffisamment autorisés à en conclure que les Erses sont
bien réellement les descendants des Ombriens qui , eux ,
étaient de race Chananéenne.
11 est encore un autre argument qui semble plaider
en faveur de nos conclusions.
L'auteur du Pœnulus, Plaute, était Ombrien. Or,
personne n'ignore que les Romains , méprisant tous les
autres peuples qu'ils traitaient de barbares, dédaignaient
d'apprendre les idiomes étrangers. On peut donc se
demander , à bon droit , comment il a pu se faire que
Plaute ait osé introduire sur la scène un personnage
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36 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
parlant un langage incompréhensible pour les specta-
teurs , dérogeant de la sorte aux usages observés par
les auteurs latins? Faudrait-il en tirer cette conséquence
que le Carthaginois était familier aux Romains ? Faudrait-
il admettre, comme on le prétend généralement, que la
comédie de Plante , représentée à l'époque où éclata la
seconde guerre punique, n'avait pas d'autre but que
d'exposer aux risées et aux moqueries du peuple ro-
main un ennemi personnifié sous des traits ridicules ?
Serait-il plus rationel de croire que Plante n'a agi ainsi
qu'afin de mieux conserver à sa comédie la couleur
locale et de peindre son personnage plus au naturel?
La première supposition est inadmissible. La seconde
ne nous paraît pas plus acceptable, attendu que l'ap-
préciation sur laquelle elle repose est tout le contraire
de la vérité. En effet, le personnage d'Hannon ne se
montre sur la scène qu'au cinquième acte seulement.
Ses malheurs, ses voyages, son amour paternel le ren-
dent aussitôt sympathique. Loin d'être un objet de risée,
loin de paraître bouffon , c'est lui , au contraire , qui se
divertit aux dépens du valet de son neveu , lorsque ,
(quoique sachant le latin), après Uii avoir parlé car-
thaginois et s'être amusé un moment de la façon pitto-
resque dont ce dernier traduit ses paroles à son maître ,
il prouve à Mirphion qu'il n'est qu'un sot outrecuidant.
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LANGUE OBIBRIENNE OU SABELLIQUE. 37
Seule la troisième hypothèse offre quelque vraisemblance.
Néanmoins ce n'eût pas été pour Plante un motif sérieux
de mettre dans la bouche d'un des personnages de sa
Comédie un langage que le public n'aurait point pu
comprendre, s'il n'avait eu la certitude matérielle d'être
entendu du plus grand nombre.
Cela est d'autant plus vraisemblable que Plante avait
trop d'esprit pour violer stupidement l'usage et la règle,
en faisant réciter sur la scène des vers en langue
inconnue, s'il n'avait voulu, de la sorte, amener la
désopilante scène où Mirphion traduit avec tant de
désinvolture à Agarastoclès le Punique d'Hannon. Ainsi,
entr'autres, lorsqu'Hannon prononce les mots bar bocca^
Mirphion s'empresse dlnterprêter bocca par Bticca,
bouche, etc., etc.
Or cette scène , pas plus du reste que le monologue
qui semble lui servir de préface, n'aurait eu nulle saveur
pour les spectateurs (1) , si le plus grand nombre d'en-
(i) Pour bien faire comprendre Teffet de cette scène à ceux qui par
hasard n'auraient point lu la comédie de Plante , nous citerons
comme exemple l'effet que produiraient des scènes analogues prises
dans le monde moderne ; ainsi un personnage qui , se vantant de
connaître parfaitement l'allemand ou l'anglais , quoiqu'il n'en sut pas
le premier mot, se permettrait de traduire avfc assurance en français,
grâce à l'analogie des termes , cette phrase de l'allemand : wllle ein
Il 3
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38 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
tr'eux n'avait pu comprendre les paroles d'Hannbn et
s'amuser, par conséquent, des interprétations fantaisistes
de Mirphion. Donc, sinon tous, ce qui est impossible,
au moins une grande partie des spectateurs romains
comprenaient le Carthaginois.
Quoique vrai , ce fait pourtant ne saurait s'expliquer
si Ton refiise d'admettre l'origine chananéenne des po-
pulations primitives de l'Italie (telles que les osques,
les sabelles , les ombriens), et si l'on nie que l'idiome de
ces populations fût, sinon identiquement le langage de
Garthage, du moins un langage qui ressemblait fort au
punique. Or, cet idiome existait. Méprisé et peu toléré à
Rome , il était très-florissant dans tous les cantons de la
péninsule italique où vivaiem les populations de race
Sabellique.
Plante, avons-nous dit, était Ombrien et il y avait
beaucoup d'Ombriens à Rome. Sans parler des nombreux
habitants de cette ville qui tiraient leur origine des
Samnites ou des Osques , et qui , devenus Romains ,
bett (vouloir un lit) , pai* vilaine bête» et<;eU6-ci de l'anglais : what
fair foot (quel joli pied ) ! par va te faire f..:....
Ne serait-ce point comique ? Or , il n'est point d'idiome qui , dans
quelques uns de ses signes , n'offre de pareils exemples de similitude
avec les signes d'un autre idiome, quoique chacun d'eux possède une
sig&ifio&tion diamétralement opposée.
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LANGUE OMBRIENNE OU SÀBBLUQUE. 39
affectaient de ne plus se souvenir du berceau^de leur
famille, une foule de gens pauvres et nécessiteux,
appartenant à ces mêmes tribus , se rendaient pour y
gagner leur vie à la vill^-reine, absolument comme de
nos jours les savoyards et les auvergnats se rendent à
Paris. Or, étant donnée FafBnité existante ^itre l'idiome
ombrien et l'idiome Carthaginois, on peut se rendre
compte du motif qui poussa Plante à faire parler Hannon
en carthaginois, puisqu'il savait cette langue compré-
hensible, non-seulement pour tous ses compatriotes à
lui, les Ombriens, mais encore pour un grand nombre
de gens du peuple de la ville de Rome. Qui sait même
s'il ne s'adjoignait pas à ces motifis , dans la pensée de
Plante, le désir de mystifier spirituellement les orgueil-
leux Patriciens , en les forçant d'écouter sur la scène un
langage proscrit et méprisé? n'insistons plus.
L'idiome punique est traduisible au moyen de l'erse
et l'erse est bien réellement l'ombrien. C'est un fait cer-
tain. D'où on peut conjecturer avec une sorte de certitude
que les Irlandais et les Ecossais sont les descendants
légitimes des Ombriens et que leur langue, si miracu-
leusement conservée malgré tant de vicissitudes, est
d'origine chananéenne.
Cependant entre le carthagioois du Pœnulus et la tra-
duction irlandaise du colonel Vallancey , oo peut remar«*
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40 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
r
quer des changements de lettres, des transpositions de
mots, des termes même absolument différents. Cela
tient uniquement aux modifications et altérations que le
temps, l'usage et le mélange avec les autres idiomes
introduisent forcément dans une langue. D'ailleurs et
ceci nous confirme dans notre sentiment , ces causes ont
été néanmoins impuissantes à détruire la physionomie
de Fantique idiome punique.
On pourrait aussi à la rigueur, pour expliquer ces
différences légères entre Ferse et le punique invoquer
rinfidélité, Tétourderie ou Tignorance des copistes.
Mais à quoi bon? Les arguments que nous venons de
fournir suffisent amplement à notre thèse.
En 1718, Majus, professeur dans l'université de
Giessen, publia une dissertation dans laquelle il s'efforce
de prouver que la langue que l'on parle dans l'île de
Malte a beaucoup de rapport avec le punique. Les ma-
tériaux dont il s'est servi pour faire cette dissertation
lui avaient été donnés par un jésuite maltais, appelé le
P. Ribier ou Rivière de Gattis. On voit dans cette dis-
sertation , que les Carthaginois ont été très-longtemps
maîtres de l'île de Malte, et que leur langage, qui
diffère de toutes les autres langues connues , a conservé
une très-forte teinture de l'ancienne langue punique. On
y voit encore-que les nombres, dont les Maltais se servent
.K^Cr
LANGUE OMBRIENNS OU SABELUQUB. 41
actuellement pour compter , sont les mêmes que les
nombres chaldéens et phéniciens.
Ce n'est pas tout, Jean Quintinius Heduus^ auteur
qui vivait à Malte dans le milieu du seizième siècle, dit
que Ton parlait de son temps dans cette tle la langue
africaine ou punique , que Ton voyait encore dans cer-
tains endroits des piliers avec des inscriptions puniques
et que les Maltais entendaient très-bien les mots cartha-
ginois qui se trouvent dans Plante et dans Avicenne.
« Les Maltais, ajoute-t-il , ont dans leur langue un pro-
» verbe carthaginois, qui nous a été conservé par
» Saint Augustin: La peste a besoin d'une pièce d* argent;
» donnez-lui en deux, elle vous quittera d'elle-même, »
Ck)mme nous ignorons absolument la langue maltaise,
il nous est impossible de vérifier par nous-mêmes si elle
a quelque affinité avec l'Erse et nous sommes obligés de
laisser à d'autres ce soin. S'il y a affinité entre ces deux
idiomes, il est alors de toute évidence que les Ombriens
sont d'origine phénicienne ou chananéenne. S'il n'y en
a point, il resterait à rechercher lequel des deux, de
l'erse ou du maltais, est bien réellement le continuateur
du punique, et, par ainsi, qui a raison ou des auteurs
en question ou du colonel Vallancey .
Quoiqu'il en soit, la question de l'origine punique des
Ombriens est pour nous d'une importance très-secon-
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42 LA YËRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
daire. L'essentiel est que les Erses ne soient ni d'origine
ni de race celtique ou gauloise, comme quelques écri-
vains Font prétendu, et qu'il n'y ait jamais eu rien de
commun entr'eux et les Celtes. Ce que nous croyons
avoir démontré.
Passons maintenant à la langue pélasgique ou étrusque.
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CHAPITRE DEUXIÈME
LANGUE PÊLASGIQUE OU ÉTRUSQUE.
De tous les idiomes anciens qui ont disparu ou qui ,
pour un motif quelconque , ont cessé d'être en usage ,
l'idiome p^asgique est celui sur lequel la science philolo-
gique possède les données les plus certaines et les nK>ins
contestées. La plupart des savants s'accprdent même à
considérer le pélasge comme la souche d'où sont sortis le
grec et le latin.
Le i^us ancien monument qui nous reste de la langue
pélasgique et qui nous permette d'apprécier cette langue
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44 LA YÉRITË SUR LÀ LANGUE d'o.
ce sont les Tabks Eugubines ainsi nommées parce qu'elles
furent découvertes à Gobbio, l'ancienne Iguvium. Il
arriva même que , s'autorisant de ce fait que les tables
en question avaient été trouvées à Gk)bbio , ville située
en pays ombrien, quelques érudits prétendirent qu'elles
ne devaient point être attribuées aux Pélasges , mais
aux Ombriens, et que la langue en laquelle sont écrits
les vers qui y sont gravés est la langue ombrienne et
non la langue pélasgique. Mais ces érudits n'ont point
pris garde à l'impossibilité matérielle d'une telle assertion.
Il est sans doute avéré que la nation dont les Om-
briens faisaient partie et dont ils étaient une des plus
grandes tribus a possédé la première la péninsule itali-
que, mais il est avéré aussi qu'aune époque dont la date
nous est inconnue les Pélasges s'emparèrent du nord
de l'Italie et en gardèrent la possession jusqu'aux temps
de l'invasion ombrienne, que l'on peut fixer à environ
quinze cents ans avant notre ère. Or à cette époque-là ,
soitavant l'arrivée des Pélasges soit depuis l'invasion om-
brienne , antérieurement à la venue des Etrusques , est-
il bien certain que les populations italiennes connussent
l'art de l'écriture et fissent usage de caractères quelcon-
ques? nous en doutons. En effet au dire des savants ,
ce ne ftit que sept ou huit siècles avant Jésus-Christ que
l'alphabet ftit apporté en Grèce par le phénicien Cadmus.
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LANGUE PÉLAS6IQUE OU ÉTRUSQUE. 45
En outre les Ombriens furent plus tard vaincus et re- .
foulés à leur tour par les Etrusques, (peuplade Pélasgi-
que qui avait substitué le nom particulier de sa tribu au
nom général de la nation et qui relégua les tribus om-
briennes vers les côtes de TAdriatique et les montagnes
centrales de Fltalie). Ceci posé, Iguvium se trouvant
située assez près de la frontière toscane, rien ne démon-
tre , nous semble-t-il , que cette ville, si elle n'a pas été
fondée par les étrusques , n'ait pas été en leur possession.
Ce fut seulement, on le sait, fort longtemps après Tin-
vasion étrusque que les Ombriens et les Rathena eurent
des frontières bien nettes et bien délimitées.
Les partisans de Torigine ombrienne des Tables Eugu-
bines prétendent que les caractères de cette inscription
célèbre sont phéniciens. Or, les tribus ombriennes étant
de race , sinon phénicienne, au moins chananéenne , on
peut conjecturer que ce sont réellement les Ombriens
qui ont gravé ces tables. Malheureusement pour les par-
tisans de cette théorie , Topinion générale veut que ce
soit Evandre qui ait apporté l'alphabet d'Arcadie en Ita-
lie , et les Arcadiens , c'est chose reconnue aujourd'hui ,
étaient une peuplade pélasgique. De plus , les Chana-
néens implantés en Italie s'étaient séparés de leurs frères
d'Asie bien longtemps avant l'inveijtion de l'écriture,
dont ils n'avaient aucune idée. Si , à une époque plus
3.
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46 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
moderne , les phéniciens ont enseigné l'alphabet aux Grecs
et aux Pélasges italiens , on ne saurait tirer de ce fait
la conséquence que les Chananéens d'Italie aient eu les
premiers connaissance de l'alphabet grêco-phénicien ,
puisqu'ils étaient séparés de leurs congénères de Phfeî-
cie par une distance trop grande , et qu'ils étaient restés
trop de temps sans communications et sans correspon-
dances avec leurs compatriotes. Enfin , quoiqu'on soit
redevable de la divulgation et de la diffusion de l'art
d*écrire aux Phéniciens , le mérite de cette découverte
n'en revient pas moins de droit aux Egyptiens de qui
les Phéniciens en avaient appris les éléments.
L'antiquité de l'inscription des Tables Eugubines, que
l'on fait remonter à une époque antérieure à la guerre de
Troie , ne peut être contestée avec quelqu'apparence de
raison. Cette inscription est entièrement écrite de droite
à gauche au lieu de l'être en boustrophedon. Le boustro-
phedon consistait à aller d'abord de droite à gauche pour
revenir ensuite de gauche à droite, ce qui fut une tran-
sition entre la première manière d'écrire chez les Grecs
et la méthode qu'ils adoptèrent ensuite définitivement,
méthode usitée encore dans tout l'occident. Du reste, in-
décis apparemment s'ils devaient adopter l'usage d'écrire
de gauche à droite ou conserver leur méthode de droite
à gauche, qu'ils avaient empruntée des Phéniciens, les
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LAKGUB PÉLàSGIQUI OU ÉTIUSQUE. 47
Grecs , pour tout amciliw , se mirent à écrire en même
temps de Tune et de l'autre manière. Après avoir écrit
une première ligne de droite à gauche ils formaient la se- '
conde ligne de gauche k droite et continuaient ainsi alter-
nativement de ligne en ligne , imitant par là les sillons
d'un champ labouré par des bœufs. Cest ce qu'exprime
parfaitement le mot boustrophedon. Par conséquent le
genre d'émture de l'inscription Ëugubine d^ote une
antiquité plus reculée que la plus ancienne inscription
grecque, cdtte de Sigée^ publiée Tan 1727 par le savant
ChishuUy puisqctô la première va constamment de droite
à gauche , tandis que la seconde va et revient en bous-
trophedon. Qu'en conclure? Sinon que la méthode du
boustr(q)hedon n'était pas encore connue ou inventée en
Grèce, lorsqu'Evandre (?) apporta l'écriture en Italie.
Mais, Evandre étant pélasge et les Pélasges ayant été
les civilisateurs de l'Italie , il faut bien admettre que ce
fut à ses concitoyens qu'il enseigna tout d'abord l'art
d'écrire, et que , des diverses populations italiennes , les
Pélasges furent les premiers à en faire usage.
Il nous semble enfin qu'avant de se prononcer si promp-
tement sur cette question , il eut été convenable d'exa-
miner avec soin en quelle langue cette inscription était
conçue et de ne pas affirmer à la légère que les Tables
Eugubines sont ombriennes.
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48 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
Gr&ce aux quelques motsosques, ombriens et sabelles
conservés par les anciens auteurs , nous avons déjà pu
établir que Tidiome de ces tribus , représenté aujourd'hui
par l'erse , n'offre aucun point de ressemblance avec le
pélasge. Or , comme le pélasge n'est pas autre ôhose que
l'ancien grec , si cette inscription était en ombrien , ce ne
serait point dans le grec qu'il faudrait aller en chercher
l'explication, mais bien dans l'erse, ou dans un des
idiomes du pays de Chanaan. Sinon , il faudrait avouer,
à défaut de termes de comparaison , que cette ins-
cription est intraduisible et que la langue en laquelle elle
est conçue a totalement disparu , sans laisser aucune
trace de son passage dans les idiomes survivants. Ce
travail a été entrepris et n'a point produit de résultats
satisfaisants.
Il y a une dizaine d'années environ , la Civiltâ cattolica
publia quelques articles du P. Tarquini , traitant de l'in-
terprétation des inscriptions étrusques et notamment des
Tables Eugubines. Ce savant religieux avait cru trouver
la clé de l'idiome étrusque , en mettant à la place des
lettres de forme grecque ou phénicienne de l'étrusque
les lettres correspondantes de l'hébreu, ou plutôt, de
l'araméen. Par ce procédé, il avait réussi à trouver un
sens plausible à trois ou quatre inscriptions. Mais son
système n'a pas fait fortune, personne du moins ne l'a
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LANGUE PÉLAS6IQUB OU ÉTRUSQUE. 49
adopté , et le P. Tarquinî lui-même a renoncé à sa dé-
couverte. Si ce système eut été vrai pourtant , de com-
bien d'interprétations des inscriptions étrusques ne se-
rions-nous pas encombrés aujourd'hui?
L'explication de ces tables par le moyen de l'erse est
tout aussi impossible. II suit de là que , puisqu'on ne
peut les traduire ni par l'hébreu , ni par l'araméen , ni
par l'erse, il n'y a plus moyen de persister à croire
qu'elles soient écrites en langue ombrienne.
Le savant Gorius , appliquant au contraire le grec aux
mots de cette inscription , est non-seulement parvenu à
en donner une explication très-satisfaisante , mais encore
il a pu démontrer l'extrême affinité qui existe entre le
pélasge et le grec, ce qui prouve victorieusement que
l'un provient de l'autre , sans qu'il soit possible d'en
douter.
On lit donc dans les Prolégomènes du Tome I^^ du
Muséum Hetruscum, d'Antoine François Gorius. « Eu-
» gubii, sive, ut veteres dixere, Iguvii, Umbrorum
» urbe nobilissima, anno CID. CCCC XLIV, prope the-
»atrum, in subterranea quadam concameratione, hae
» tabulée insignes inventée sunt. Statim ac fama hujus
» praeclari inventi increbuit , atque inscriptiones inno-
» tuere, mirum quantum in illustranda Etruscorum
» prisca lingua desudarint illustres ingenio et linguarum
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50 LA YiRITË SUR LÀ LANGUE d'O.
» scientia viri : quot alphabeta in lucem prodîerînt : quoi
» etiam adhuc ubique latitent , praesertim vero in floren-
» tînis bibliothecis , quae vidi. Per annos ducentos et oc-
» toginta ab eo tempore, quo inventœ sunt haa tabulae
» Eugubinee, qua concinnandis alphabetis, qua osten-
» denda Etruscae linguae origine desudatum est : Aliis ex
» syriaco, etutvolebant, AramaBo; aliis ex Hebraicosive
» Assyrie; aliis ex Phœnicio saltem et Punico, ângulis pro
» lubito, quod videbatur vocum Etruscarum elymon de-
» ducentibus ac proponentibus, irrite labore ; nam quo-
» modo legendi essent Characteres et inscriptiones, quod
» erat faciendum nundum nemo monstraverat, etc. »
Parlant des motifs qui poussèrent les Pélasges à ériger
ce monument, le même auteur écrit (id, itrid ) : — » Nar-
» rat DionysiusHalicarnensis, exauctoritateMyrsiliLes-
» bii , veteres Pelasgos, ac proinde etiam Etruscos , qui
» Italiam occuparunt , junctique et simul intermixti fuere
» duabus ferme œtatibus ante Trojanum belhim, adverse
» numine, sive deorum ira ita vexatos, ut maximam
» perpessi sint calamitatem, etc. »
Voici maintenant in extenso le texte même des Tables
Eugubines, id qu'on le voit dans le Muséum Hetruscum
de Gorius (sauf que nous le transcrivons en caractères
modernes et que nous le faisous suivre de la savante
interprétation qu'il 6n donne ) :
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LAUGUB PÉLlSGIQUB OU ÉTRUSQUE. SI
OETHItJM
Carminis lamentabllis Etraseomiii antiquoram.
4 . Esvnv : fvia : Ihertber : svme :
2. Vstite : scst : entasiarv :
3. Vrnassiarv : thvnt : ak : vvke : prvmv : pelatv :
4. Invk : vthtvi'v : vrtes : evntis :
5. Frater : vstentvta : pvre :
6. Fratrv : mersvs : fvst :
7. Kvmnakle : invk : vthtvr : vapere : ^
8. Kvmnakle : sistv : sakre : vvem : vthtvr :
9. Teitv : pvn tes : terkantvr : invmek : sakre :
40. Vvem : vrtas : pvntes : fratrvm : vpetvta :
W. Invmek : via : mers : vva : arvamen : etvta :
42. Erak : pir : persklv : vretv : sakre : vvem ;
13. Kletra : fertvta : aitvta : arven : kletram :
U. Amparitv : ervk : esvnv : fvtv : kletre : tvpiak :
15. Prvmvm : antentv : invk : vthtvera : ententv :
<6. Invk : kavi : ferime : antentv : isvnt : ferethtrv :
n. Antentv : isvnt : sv : feraklv : antentv : seples :
18. Athesnes : tris : kavi : astintv : ferethtrv : êtres : tris:
19. Athesnes : astintv : sv : feraklv : tvves : athesnes :
20. Anstintv: inenek: vvkvmen: esvnvmen : etv : ap:
21 . Vvkv : kvkethes : iepi: persklvmar: karitv: vvke: pin
22. Ase : antentv : sakre : sevakne : vpetv : ivvepatre :
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58 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
23. Prvmv : ampentv : testrv : seseasa : fratrvsper :
24. Atiteries : athtisper : eikyasatis : tvtape : iiwina :
25. Trefiper : iiwina : tivlv : sevakni : teitv :
26. Invmek : vvem : sevakni : vpetv : pvemvne :
27. Pvprike : apentv : tivlv : sevakni : naratv :
28. Ivka : mersvva ; vvikvm : thafetv : fratrvspe :
29. Atiierie : athtisper : eikvasatis : tvtaper :
30. livvina : trefiper : iivvina : sakre :
31. Vatra : ferine : feitv : ervkv : arvvia : feitv : wero:
32. Peraem : pelsanv : feitv : ererek : tvva : tefra :
33. Spantimar : prvsekatv ; erek : pervme : pvrtvvitv:
^4. Svrvvla: ariveitv: mvmek:etrama:spanti:twa:tefra:
35. Prvsekatv : erek : erelvma : pvemvne : pvprike :
Interpretatlo.
Estote filii percussi simul. Incendite nunc impositas
urnas odoramentorum , remedium , fuga ( exi itii ) ex-
tremi late diffusi. Pandite guttur viri , qui adestis ; a
fratre ostensus ignis fratribus , sparsus fuit. Pueri, pan-
dite guttur valide. Puerae, adstantes sacrisc, lamate gut-
ture. Matres omnes , ter cantu ( majore ) ululate ( in ) sa-
cris. Clamate virœ omnes , fratrum inauspicata. Ululate
fîliae , dissipata clamantes , arva eversa. Desolatum far
(nimiâ) ariditate, uredine sacrum; clamate. Speciosi
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LANGUE PÉLàSGIQUE OU ÉTRUSQUE. 53
proventus desiderati in arvis , speciosa camporum vas-
tata sunt ; fœtus speciosi , duplo malo extremo , subversi
(sunt). Qamate gutturibus; eversi sunt. Clamate:
exustione optima subversa sunt: proventus subversi
sunt : arbores feraces subversœ sunt plus. Annos très
exustione extineti , proventus alterati très annos :
extinctœ arbores feraces fumantes ( per ) annos. Ex-
tinctee , ululatae , fugatae sunt tempore ab ( illo ) . Fugerunt
fructus annui pingues; persicata (sunt) dona; fugîtfar;
arse eversœ (sunt) sacrœ; tua necessaria, summe
lovis pater. Calamitatem avorte : dexter tua serva :
fratres per sacerdotes, per patres adparentes , per
totam juventutem , per alumnam juventam. Produc tua
necessaria , alimenta : ululate : clamate : tua neces-
saria. Summe pastor , publice depulsor , produc tuam
necessariam , nardum. Heu I dispersum officium vide
per fratres sacerdotes , per patres adparentes , per totam
juventutem , per alumnam juventam sacram. Vivifica
armentorum fœtus ; desolatos arvorum fœtus. Clamate :
Àdspira, matura fœtus. Consolida tuos pauperes penurià
laborantes. Intuere, solida, profer frumenti copiam.
Sirium subtrahe ab fœtibus. Epulasofferemustrementes,
omnes tuos pauperes. Intuere: Avorte, avorte luem,
pastor publice.
A la suite de sa traduction , Gorius , prenant en parti-
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54 LA yfiRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
cuMer cha un des termes composant FmsCTÎption Eugu-^
bine , prouve manifestement qu'ils se retrouvent «i grec
avec une signification absolument identique. Cela ne sau-
rait surprendre. Le fonds même de la langue grecque
est en effet le pélasge , sur lequd se sont successivem^it
> entés quelques termes ph^ciens et égyptiens , sans que
ces deux derniers idiomes ai^t exercé sur le pélasge une
réelle influence.
Le phénicien , idiome sémitique , par conséquent
d'ordre analytique et privé de flexions, se borna à intro-
duire dans le pélasge quelques mots usuels et renq)loi de
l'article. Quant à l'égyptien , son r^e ici fut encore de
mmndre importance et tout-à-fait insignifiant.
Selcm nous, on ne saurait trouver dans le grec, en
admettant qu'il en existe^ un nombre de termes égyp-
tiens suffisant pour justifier l'idée que cette langue ait
eu une action directe sur l'idiome des Pélasges-Grtecs.
Au contraire, il est facile de retrouver une certaine
quantité de mots phéniciens dans le latin et dans le grec,
c'estrà-dire dans les deux plus grands dialectes de la
langue pélasgique.
Le Phénicien , s'il s'écarte radicalement de l'hébreu
par son vocabulaire (quoique cependant on ne puisse
nier qu'il y ait dans ces deux idiomes un assez grand
nombre de mots qui ont dû avoir une racine commune)
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LANGUE PfiLASGIQIJB 00 ÊTRU8QUB. 55
s'y rattache du moins par son génîo , qui est d'ordre ana-
lytique et qui procède de la même feçon que celui de
l'hébreu.
L'égyptien suit la même marche , mais plus strictement
encore. Â part ces points de contact , plus rien de com-
mun entre l'égyptien et l'hébreu. Mais la dissemblance
est complète entre l'hébreu et le pélasge ou h grec.
Nous ne saurions donner de ce demir fait une meiU^u^e
preuve que de citer le comm^cement du Psaume XLV ,
un de ceux qui ont été écrits dans Pantique langue des
Pharaons ;
« '— Dieu est notre refuge et notre force ; c'est lui qui
» nous assiste dans les grandes afflictions qui nous ont
» enveloppés.
» Cest pourquoi nous ne serons point saisis de crainte
» quand la terre serait renversée et que les montagnes
» seraient transportées dans le fcmd de la mer.
» Ses eaux ont fait un grand bruit et ont été toutes
» agitées : les montagnes ont été renversées par sa puis-
» sance. etc. , etc. , »
Gela se dit en hébreu :
Elohim lanou makhase vaix ezrah betsaroth nimtBa
meid:
Air-Ken lo-nira behamir arets oubemot hariim bekb
jamaim :
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56 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
Jehaimoujekhmerou maimaiou iraschat^harimbeya-
vatho selah :
En Cophte ou égyptien.
Pen nou tpepen mam psoinem tendom
Pen voUhospe schennen thlupsise taujem tenemasçô
Ethve psainenerhot [t] esço pafsçansçthor temjepkahe
En Grec ( version des septante ) :
O 0àoç y)(jicûv xaraçuyYf xai ^uvajjtiç, BoyjÔoç èv
Awc TouTO ou çoPy)6Yi(yo(jie6a èv t<j) Tapaççeçôat t^ç
y^ç , xat (jieTaTlôeaôat opvi ev xap^iaiç ôaXadGwv.
Hj^Yidov xat iTapaj^yxTOV Totu^ara âuTou, êxapà x^^^^
rà op» ev t^ xpaTatonfiTi âurou.
Ainsi peu de ressemblance entre Fégyptien et Thébreu ;
aucune ressemblance entre Tégyptien et le grec.
Il est aujourd'hui reconnu que le grec est un des
principaux rameaux du tronc pélasgique. Le savant tra-
ducteur des Tables Eugubines en ignore moins que per-
sonne, lui qui donne les Âusones, les Arcadiens, les
Pélasges et les Etrusques y comme des colonies grecques.
Cependant il nous apprend que chez les Grecs on doutait
de cette origine pélasgique , tout en admettant qu'on de-
vait à cet idiome un grand nombre de mots. « — Plato
» ingénue fatetur in Cratyh^ écrit Gorius, {ProUg. Mu-
séum Hetr.) « Grœcos complurima nomina a barbaris ac-
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LANGUE PÉLÀ86IQUB OU ÉTRUSQUE. 57
» cepisse. Pro barbaris habiti sunt a Grsecis Pelasgi et
» Etrasci.Pausaniasbarbanim nominal Ariinnum^Etru»-
» coram regem , qui omnium primus lovi oiympio insigne
D solium dono misit; Phryges quoque habiti in sensu bar-
» bararum gentium; èos tamen vetustissimo sermone
» utentes j multa vocabula Grœcis simillima y ac pœne
» eadem, habuisse ostendit idem Piato in Cratylo. »
L'histoire nous apprend que la Grèce était habitée par
des peuples de races diverses. Les Thébaîns j par exem-
ple , étaient venus de Phénicie et les Athéniens d'Egypte.
Hais le langage que ces étrangers apportèrent de leur pa-
trie primitive ne put point prévaloir , du moment qu'on
n'en trouve que d'imperceptibles traces dans l'idiome hel-
lénique. D'autre part , les philosophes et les historiens
grecs , tout en nous apprenant que l'Egypte était l'école
où ils allaient se perfectionner par l'étude des hautes
sciences , ne nous disent pas que la langue de ce pays eût
quelque chose de commun avec la leur. Ils nous appren-
nent, au contraire, qu'ils avaient besoin d'interprètes.
On ne saurait certes être surpris que , dès les premiers
temps de leur établissement en Grèce, les Phéniciens et
les Egyptiens traitassent les Pélasges de barbares , com-
paraison faite surtout entre leur civilisation et l'état de
barbaine relative des tribus pélasgiques. Mais nous avons
à bon droit lieu de nous étonner quand nous voyons Pla«
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58 LA YÉRITfi SUR LA LANGUE d'O.
ton écrire que les Grecs avaient reçu beaucoup de termes
des barbares, c*est-à-dire des Pélasges.
Quelle langue parlaient donc les Grecs , s'ils ne parlaient
point le pélasge? Ce n'était à coup sur ni le phénicien ni
l'égyptien, puisqu'il est matériellement impossible d'ex-
pliquer par le grec les quelques inscriptions qui ont été
découvertes écrites dans l'une ou dans l'autre de ces der-
nières langues. On peut s'assurer de la véracité de notre
assertion en ce qui concerne l'égyptien , au moyen de la
fameuse perre de Damiette où l'inscription égyptienne ,
^rite en caractères hiéroglyphiques et démotiques , est
traduite en grec. Que l'on mette en parallèle les divers
vocable des deux idiomes, et l'on jugera si nous avons
tort. Quant au phénicien , on peut essayer de traduire
par le grec le Monologue d'Hannon , on verra quel en
sera le résultat.
Résumons nous :
D'une part , à l'époque dont nous parlons , il n'y avait
en Grèce que trois peuples seulement , d'origine diverse
les Pélasges , les Phéniciens et les Egyptiens.
D'autre part le grec n'a eu que peu de rapport avec
les idiomes de ces deux derniers peuples , tandis qu'il y
a une ressemblance absolue entre lui et le pélasge , comme
le prouve si bien Gorius , non-seulement en traduisant
les Tables Eugubines au moyen du grec^ mais encore en
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LAl^aUB PÉLASGIQUB OU AntUSQ^E. 59
établissant jusqu'à Tévidence que les mots grecs qui ont
servi à sa traduction dérivent des mots contenus dans
ces Tables.
Ces prémisses posées, nous pouvons conclure que le
grec n'est point autre chose que le péiasge lui-même ou
un dialecte du péiasge.
Nous eussions bien voulu mettre sous les yeux du
lecteur les étymologies données par le savant auteur
du Muséum Hetruscumy d'après lesquelles il démontre
que esvnv se retrouve dans iao^Loa (eifjii) , fvia , dans
vto; , therther j dans Teipo , etc. , etc. ; mais , outre que
cela aurait beaucoup trop allongé notre travail , nous,
avons pensé que ceux à qui cette étude pourrait paraître
intéressante trouveraient facilement à se satisfaire en
consultant le Muséum Hétruscum lui-même.
Nous n'avons d'ailleurs cité tout au long l'inscription
pélasgique des Tables Eugubines que pour montrer que
le génie de cette langue était transposatif comme celui
du grec et du latin , auxquels eUe a donné naissance , et
qu'on y peut découvrir sans trop de peine l'usage de la
flexion. Quoique la conjugaison des verbes y soit encore
à l'état rudimentaire , on y distingue parfaitement les dé-
sinences. EnGn , dernier détail fort caractéristique , la
voyelle y manque complètement. Déjà, les auteurs an-
dens avaient constaté que l'alphabet étrusque ne possé-
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60 Là yérité sur Là Langue d'o.
dait point celte lettre- voyelle , Hetrusci carent 0. Cette
particularité seule pourrait suffire en Tabsence d'autres
preuves, à nous montrer Fétroite parenté qui existait
entre les Pélasges et les Etrusques , parenté que nous ne
saurions mieux comparer qu'à celle qui unit aujourd'hui
les Bavarois aux Allemands.
Un certain nombre d'érudits , entr'autres Freret et le
(jénéral de Vaudoncourt, ont voulu voir dans les Etrus-
ques, non des Pélasges, mais des Celtes.
Nieburh, Otfried Muller et Funcius prétendent que
les Etrusques étaient d'origine germanique et les font
venir de la Germanie.
Loin départager l'un ou l'autre de ces sentiments,
nous les avons combattus plus haut avec le secours de
l'histoire; nous allons les combattre encore avec l'aide
de la linguistique.
Parmi toutes les inscriptions en langue étrusque
découvertes jusqu'à ce jour, la moins ancienne est,
croyons-nous, l'inscription que Ton voit gravée sur un
mur à Pompéi. Deux motifs nous ont engagea lui donner
la préférence sur toutes les autres : sa brièveté et sa date
récente. Le premier motif est facile à comprendre. Le
second motif mérite une explication. La voici :
Pompéi a été enseveli sous la cendre , par l'éruption
du Vésuve, l'an 79 de notre ère» Or^ l'inscription dont
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LANGUE PÉLASGIQUE OU ÉTRUSQUE. 61
il s'agit et qui n'est qu'une indication , un avis , une
enseigne si l'on veut, nous prouve indiscutablement
qu'en l'année 79 de Jésus-Christ il y avait des Etrusques
à Pompéi , que ces Etrusques parlaient leur langue na-
tionale et que cette langue était à cette époque fort ré-
pandue en Italie. Mais de ce £adt que l'étrusque était parlé,
non-seulement dans une des plus grandes provinces
italiennes, mais encore aux portes de Rome et, s'il faut
en croire les historiens , dans Rome même , il en résulte
forcément que cette langue ne pouvait être inconnue des
Romains.
Cela ne pouvait être et cela n'a pas été.
Nous avons dit, en effet , dans l'étude historique con-
sacrée auxRathena, que quelques auteurs latins n'hési-
taient point à regarder les Lepontii et les Camuni
comme étant de race étrusque, se fondant sur la
similitude de langage de ces tribus, similitude encore
reconnaissable de leur temps. Horace (LivIII, ode 8,
y. 5) appelle Mécène : Docte sermones utritisque linguŒj
savant dans Vune et Vautre langue. Les savants ont
prétendu qu'Horace voulait signifier par là que Mécène
était aussi versé dans la langue grecque que dans la
langue romaine. Cette explication ne nous semble
guère vraisemblable, surtout si Ton se souvient que le
môme poète dit ce de personnage (Liv. HI, ode 29):
II i
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62 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Thyrrhena regum progenies. Donc , c'est des langues
latine et étrusque qu'Horace entendait parler , car il
n'est point supposable que le descendant des rois étrus-
ques , alors que son idiome était encore en vigueur dans
une grande partie de l'Italie , et qui devait sans nul
doute être le patron de ses compatriotes, par droit de
naissance et par sa haute position sociale, n'ait point su
parler sa langue maternelle qui , tout l'indique , posséda
une brillante littérature quoique nous n'ayons aujour-
d'hui de ce vieil idiome que de rares fragments.
A cette même époque, le gaulois, lui aussi était
connu des Romains. Outre qu'il était en usage dans tout
le nord de l'Italie, auprès de Rome, dans Rome même ,
il avait fourni au latin une si considérable quantité de
vocables qu'il en avait pour ainsi dire , comme nous
espérons bientôt le prouver, modifié, changé plutôt la
physionomie primitive.
Il serait donc vraiment surprenant que les Romains ,
qui ont remarqué la proche parenté de deux peuplades
des Alpes rhétiques avec les Toscans, grâce à leur
langage commun , n'eussent point remarqué la grande
analogie qui aurait dû exister entre les idiomes étrus-
ques et gaulois , si les Etrusques avaient fait partie de la
nation celtique. Il est incontestable pour nous que l'ana-
logie « le cas échéant, n'eut point échappé aux Romains.
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LANGUE PËLÀSGIQUE OU ÉTRUSQUE. 63
Aussi bien , du profond silence qu'ils ont gardé à ce
sujet, nous pouvons tirer cette conclusion :
Le gaulois etFétrusque étaient deux idiomes différents,
nettement séparés , sans aucune analogie entr'eux, et
parlés par deux peuples de race distincte.
Arrivons à l'inscription ou enseigne en langue étrus-
que qui se lit dans les ruines de Pompéi.
« Eksvk' amvianvr' eitvns* anter* tivrri* XII* ini*
heis* arinv pvph* phaamat* mr* aaririis* v »
On traduit cette inscription en ces termes : « Voya-
geur , en allant d'ici à la 1 2® tour , tu trouveras Arinus ,
fils de Publius, qlii tient auberge. Salut. »
La première remarque à faire sur cette inscription
c'est que , comme dans les Tables Eugubines , la lettre
y fait totalement défaut. Quoiqu'un laps de temps d'en-
viron mille ou onze cents ans se soit écoulé entre la
gravure respective de ces deux inscriptions en une
même langue , les fbrmes grammaticales sont demeurées
aussi frustes , aussi rudimentaires dans la seconde que
dans la première. Les déclinaisons et les conjugaisons
n'ont subi aucun changement , n'ont reçu aucune amé-
lioration. Dans toutes les deux, la voyelle finale V est
indifférenmient la marque de l'accusatif et du datif ou
ablatif. En effet si on trouve dans les Tables : « invk
vthtvrv, dilatate guttur , et vstite entdsiarv vma-
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64
LA TÉRITÊ SUR LA LANGUE D'O.
siarv, incendite impositas umaSy » dans Tinscription de
Pompéi on voit Arinv pour Arinum. Néanmoins il est
facile de s'apercevoir que cette dernière inscription se
rapproche beaucoup plus du latin que la première.
Ainsi dans eksuk, on retrouve aisément ex htic.
dans amvianvr, on peut deviner Viator,
dans eitvm on voit l'antique forme
euns, qui devient iem
et qui fait encore au génitif, euntis.
anter
tivrri,
ini heis,
Arinv ^
Pvph,
phaamat,
mr,
aaririis.
F, est l'abj
Comme le mot latin viator, le mot étrusque amvianv r
est un mot composé. Mais, tandis qu'en latin viator se
compose du substantif via,* voie, chemin, et de la ter-
minaison tor, qui, n'ayant par elle-même aucune
signification, est uniquement employée à désigner une
qualité, une profession , un état ou une manière d'être ,
le mot amnianvr est composé de am, dans, de via ,
correspond à
ante.
à
turrim.
a
invenies.
à
Arinum.
à
PubUi.
à
filium.
à
magister.
à
ararum.
éviatifde
Vak.
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LÀlfGUB PËLàSGIQUB OU ÉTRUSQUE. 65
chemin, et de vr, vrt, ou vrte homme, et signifie litté-
ralement homme dans le chemin, c'est-à-dire qui est ou
se trouve en chemin,
Eitvns se retrouve avec la même signification et les
mêmes lettres, quoique quelques unes soient transpo-
sées y dans le mot evntis des Tables Eugubines. Gorius
a traduit vrtes evntis par viri adstantes. Mais ce verbe
indique aussi une autre action et se peut traduire sans
difficulté par advenientes ou adeuntes ou euntes.
Phaamat, traduit par filium, est représenté par des
dérivés dans les deux idiomes grec et latin. Il est à peu
près certain que le verbe pélasge phaam ou pham a
donné naissance au verbe grec phemi et au verbe 1 atin
fano, qui tous signifient je parfe , parler. C'est en effet
de fanoqae dérive le mot de in fans, qui exprime un
tout petit enfant, un enfant qui ne parle pas (non
fans).
Les mots : mr aaririis, semblent vouloir dire toute
autre chose que ce qu'on leur fait signifier. On les tra-
duit, par qui tient auberge. Mais le sens littéral de ces
mots semble correspondre à maître, ou plutôt à profes-
seur des autels. Ce qui est bien différent. Un hôtelier se
disait en latin stabularius ou Caupo. Or, pour rendre
cette phrase qui tient auberge, on aurait dû produire
en Etrusque quelque chose d'analogue à la formule latine
4.
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66 LÀ YfiRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
eauponam faciens qui servait à rendre cette idée. Pour-
tant, il ne faut point oublier qu'en latin magister ne
désignait pas seulement un professeur^ un maître pour
enseigner, mais encore un homme habile en son art
quel qu'il fut, un homme adroit, e(vpérimenté.
Quant au mot aaririis, qui ne se peut traduire en
latin que par ara (lequd en provient visiblement et
dont le type primitif ase, pour are, à cause de la fré-
quente permutation de VR en S dans ïa langue antique
des Italiens, se retrouve au milieu des Tables Eugubi-
nes) , ce mot devait posséder dans l'étrusque, comme
sens principal, un des sens accessoires que les Romains
attachaient au mot ara. En effet, le terme ara ne servait
pas en latin à désigner seulement un autel, mais aussi
un asile, un refuge, un lieu de sûreté , et, par extension ,
une auberge, ainsi qu'on en trouve la preuve dans
Cicéron, qui parfois emploie ce mot dans ces derniers
sens. Il n'est donc pas surprenant que l'aubergiste étrus-
que, dressant une enseigne pour ceux de son pays et de
sa langue , se soit servi de la formule usitée parmi les
siens, au lieu d'en profaner l'antiquité et d'en violer
l'usage, en essayant de traduire en étrusque la formule
latine.
Ainsi la linguistique, d'accord avec l'histoire , démon-
tre que les Etrusques appartenaient à la nation pélasgi-
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LANGUE PÉLASGIQUB OU ÉTRUSQUE. 67
que, au même titre que les premiers habitants de
l'Hellade. Mais , comme nous avons aussi rangé dans la
catégorie des peuples d'origine pélasgique les Troyens
ou Phrygiens, il est opportun de dire un mot de la
langue troyenne ou phrygienne.
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CHAPITRE TROISIÈME.
LANGUE TROTENNE OU PHRYGIENNE.
Nous empruntons à rEncyclopédie de 4767 (article
Grecs ) le passage suivant du chevalier de Jaucourt.
— « II semble que le nom de Pélasges , regardé par
» quelques anciens et par les modernes comtne celui
» d'un peuple d'Arcadie qu'ils font successivement errer
» dans les îles de la mer Egée , sur les côtes de l'Asie
» mineure, et sur celles de l'Italie, pourrait bien être
» le nom général des premiers Grecs avant la fondation
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70 LA YËRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
» des cités ; nonci que les habitants de chaque contrée
» quittèrent à mesure qu'ils se policërent , et qui disparut
» enfin quand ils furent civilisés.
« Suivant ce système les anciens habitants delà Lydie,
» de la Carie et de la Mysie , les Phrygiens , les Pisidiens,
» les Arméniens , en un mot presque tous les peuples de
» l'Asie mineure , formaient dans l'origine une même
» nation avec les Pélasges ou Grecs européens : ce qui
» fortifierait cette conjecture, c'est que la langue de
» toutes ces nations asiatiques , la même malgré les
» différences qui caractérisaient les dialetes , avait
» beaucoup de rapport pour le fond avec celle des Grecs
» d'Europe, comme le montrent les noms grecs donnés
» dans riliade aux Troyens et à leurs alliés , et les en-
» tretiens que les chefs ont sans interprètes ; peut-être
» aussi que la nation grecque n'eût point de nom qui la
» désignât collectivement. »
Le chevalier de Jaucourt insinue que la cause de la
disparition du nom de Pélasges doit être exclusivement
attribuée aux progrès de la civilisation chez les diverses
peuplades qui composaient la nation pélasgîque. Nous
ne partageons pas cette manière de voir.
Nous croyons , au contraire , que la disparition du
nom de pélasges provient uniquement de ce que chaque
tribu de race pélasgique se différencia de ses congénè-
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LANGUE TROTENNB OC PHRT6IBNNB. 71
res , en s*en séparant , par un nom particulier et en se
constituant définitivement en état distinct dans les pays
où les descendants des Pélasges vivent encore. Il en ré-
sulta que chaque tribu eut une dénomination particu-
lière et que ses diverses dénominations prirent la place
du nom générique de la nation. Ce nom se perdit ainsi
par la force des choses. Les diverses tribus pélasgiques
qui ne formaient dans Forigine qu'un seul corps de na-
tion , devinrent dans la suite des temps étrangères
Tune à Vautre et chacune d'elles forma une nation dis-
tincte , nettement séparée. Quant à Thypothèse , du
chevalier de Jaucourt, que les Phrygiens et les Grecs
pouvaient bien n'être que deux branches d'un même
arbre , deux tribus d'un même peuple, elle est devenue
aujourd'hui une incontestable vérité. Vérité , du reste ,
connue des anciens , puisque Platon , dans son Cratyle,
atteste formellement la similitude du langage des deux
peuples.
Virgile est encore plus explicite, relativement à
l'affinité existante entre les Phrygiens et les Grecs. Non
seulement il accorde aux deux peuples une commune
origine , comme on peut le voir dans f Enéide ( liv. I ,
V. 625 , VIII , V. 127 , etc., etc.) ; mais il affirme encore
en ces termes l'origine pélasgique des Grecs. ( Même
ouvrage ; liv. VIII , v. 899):
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78 LA yfiRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
Sylvano fama est veteres sacrasse Pelasgos
Arvorum pecorisque deo , lucumque , diemque , •
Qui primi fines aliquando habuere Latinos.
Or j puisque les grecs et les Troyens appartenaient à la
m ème nation , si les Grecs étaient Pélasges , les Troyens
devaient l'être aussi. Cependant , malgré cette commu-
nauté d'origine , cette unité de race si clairement formu-
lée, Virgile semble insinuer que le langage des uns et
des autres n'était pas le même :
— Primi clypeos, mentitaque tela
AgnoscuBt , atque ora sono discordia signant
(EnHd. lAb.IIv. 446),
Hais , à coup sûr, Virgile n'avait ici en vue qu'une de
ces différences qui se remarquent d'ordinaire entre
dialectes d'une même langue. Assez considérables pour
distinguer ces dialectes entre eux et leur donner un
cachet particulier , les différences dont nous parlons ne
sont pas suffisantes pour ôter à ces mêmes dialectes tous
leurs traits de similitude nationale et rendre td ou tel
d'entre eux très-difficile à entendre aux gens qui usent
d'un autre dialecte, de même origine. Ainsi, pour citer
un exemple , il n'est point de langue qui ait possédé plus
de dialectes nettement tranchés, que la langue Grecque.
Qui cependant oserait soutenir que les peuples qui les
parlaient aient cessé de s'entendre réciproquement ou
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LANGUE TROTENNE OU PHATGlETmE. 73
que cette diversité de dialectes ait porté quelque obsta-
cle à la communication de leurs idées ?
La parenté des Grecs et des Troyens , si clairement
prouvée , n'implique-t-elle pas communauté de langage?
Pourrait-on comprendre sans cela les incessants rap-
ports qu'ils ont toT]yours eu et qui aboutirent à la guerre
de Troie?
La seule induction qu'on puisse tirer du dernier pas-
sage de Virgile , c'est que j plus cultivée , plus travaiHée
( grâce à l'introduction dans sa syntaxe et son vocabulaire
de quelques éléments étrangers, tels que certaines lettres
qui manquaient aux Pélasges , l'article , qui leur venait
des Orientaux , etc., etc. ) , la langue grecque était déjà
parvenue, de progrès en progrès , soit à varier , tout
en les coordonnant , les terminaisons des mots , de façon
à pouvoir exprimer tous les cas possibles; soit à
différencier, toujours par le moyen de terminaisons
variées , tous les temps des verbes ; soit à créer , suivant
le besoin , des mots nouveaux pour des idées nouvelles ,
au moyen de l'agglutination qui est un des traits
distinctifs de cet idiome; soit enfin à régler et à
harmoniser l'emploi des termes dans le discours , non
plus par des règles fixes ou un caprice arbitraire, mais
par l'euphonie , ce à quoi le génie transpositif de la
langue grecque se prêtait à merveille. Les Troyens , au
II 5
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74 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
t
contraire , moins enclins à de tels soins , ou moins bien
doués que les peuplades de la Grèce , libres peut-être
de relations avec les étrangers , avaient conservé intact
le rude et fruste parler de leurs pères , parler qui devait
blesser les oreilles devenues plus délicates des Grecs ,
ora sono discordia , mais que ces derniers devaient
cependant parfaitement comprendre.
Malgré les différences de dialectes , il est patent que les
Phrygiens et les Grecs parlaient la même langue y le
pélasge.
Nous avons vu , par les témoignages de Platon et de
Virgile, que c'était chose avérée parmi les anciens que
les Phrygiens avaient la même origine que les Etrusques
et qu'ils en parlaient la langue.
Donc , les Etrusques appartenaient à la nation pélas-
gique : « Cum Phry gibus concordant Etruscitum inmo^
» ribus et sacris, tum etiam in vocibus. »
On peut , par là même , conjecturer , avec raison ,
qu'il n'y avait en Italie, avant la fondation de Rome,
que deux peuples et deux idiomes en présence . idiomes
très-distincts, très-différents l'un de l'autre. L'un dq ces
peuples , le premier arrivé dans le pays , était d'origine
Chananéenne , parlait le phénicien ou du moins un
dialecte de cette langue , et n'était connu que sous les
noms particuliers de ses diverses tribus » faute d^avoir
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LANGUE TROTENNE OU PHRTGIElfNB. 75
un nom collectif. L'autre était de race pélasgique et
parlait le pélasge. Il y lut d'abord connu sous son nom
générique , et plus tard sous les dénominations diverses
d'Etrusques, de Peucétiens, deTroyens et d'Albins.
Cest d'un mâange partiel de ces deux peuples que
sont issus les Romains. C'est des idiomes phénicien et
pélasgique que s'est formé l'idiome latin. Il nous reste
donc à examiner laquelle de ces deux langues a , dans
une proportion plus grande , donné naissance à cette
langue latine qui devait être parlée plus tard dans tout
l'univers.
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CHAPITRE QUATRIÈME,
LANGUE LATINE OU ROMAINE.
Beaucoup de personnes traitent de langue morte la
langue latine ou romaine ; on devrait plutôt la ranger
parmi les langues vivantes , puisque c'est la langue
usuelle de l'église et des savants. Mais ceci nous entralne-
nerait trop loin. Ne parlons du latin qu'au point de notre
thèse générale.
On pourrait , à la rigueur , réduire les idiomes
usités en deux catégories : les idiomes simples.
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78 LA YfiRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
et les idiomes composés. Les idiomes simpks seraient
ceux qui ne procèdent que d'eux-mêmes ou que Ton ne
peut sûrement rattacher à nul autre. Ainsi le basque , le
chinois ^ le kanake. Les idiomes composés seraient ceux
qui peuvent facilement être ramenés à un type primitif
et qui ont ét^ manifestement provignés par un ou plu-
sieurs autres idiomes , comme , par exemple , le grec ,
le latin , Tespagnol , le français , l'anglais.
Or, quand on veut connaître sûrement Torigine d'une
langue , il y a plusieurs choses à faire :
4» Rediercher , au moyen de l'histoire , qu'elle est
l'origine du peuple qui parle ou parlait cette langue.
2*^ Examiner avec attention s'il y a ou non des traces
non équivoques de parenté entre ce peuple et ses voisins;
quelles ont été leurs relations mutuelles ; quelle en a été
la nature ; quelle sorte d'influence ils ont exercée ou
subie les uns sur les autres.
3® Déterminer , par le secours de la linguistique , de
quel ordre est le génie ou esprit de la langue en question.
4® Dans le cas où l'on aurait à s'occuper d'une langue
composée , comparer son génie à celui de la langue dont
on la prétend issue , et , si l'on constate un accord par-
fait entre les deux langues , faire immédiatement la
preuve contraire en comparant l'idiome de nature com-
posée avec les idiomes voisins ou les idiomes analogues.
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LANGUI LATINE OC ROMAINE. 79
^^ Enfin étudier avec le soin le plus scrupuleux le
vocabulaire de la langue à Fétude , afin de discerner les
termes qui lui appartiennent en propre d'avec les termes
empruntés à d'autres langues.
Pour q)érer ce triage d'une manière avantageuse , il
faut employer trois moyens distincts qui concourent tous
cependant au même but et amènent au même résultat :
ce sont , la formation, Vétymohgie et la phonologie.
Faisons usage du procédé dont nous parlons ,
pour savoir d'une façon certaine ce que nous devons
penser définitivement du latin.
Les deux premières questions sont ici hors de cause.
La première partie historique de ce travail leur est
entièrement consacrée. Inutile d'y revenir encore.
Bornons-nous à la troisième question.
Ce que nous savons de l'origine et de la formation du
peuple romain , nous autorise à conclure que son idiome
résulta du mélange des idiomes Pélasgique et Ombrien.
Nous nous trouvons donc , du premier coup , en pré-
sence d'un idiome composé. Or , pour connaître au juste
lequel des deux , du pélasgique ou de l'ombrien , a pro-
créé le latin , il nous faut le comparer attentivement
avec chacun d'eux en particulier. Mais résumons rapi-
dement d'abord les opinions émises sur la langue latine
par quelques maîtres de la science.
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80 LA TÉRITÉ SUR LA LÀNGUB D'O.
D'après Denys d'Halicarnasse , le latin ne serait ni
tout-à-fadt grec ni tout-à-fait barbare (4).
BuIIet a essayé de démontrer que le latin était formé
seulement de grec et de celtique. Il est vrai qu'il donne
le nom de Celtes à tous les habitants de l'Italie , quelle
que lut d'ailleurs leur dénomination. -
Fréret , Amédée Thierry , le général de Vaudoncourt ,
Adélung, Mac Pherson, prétendent trouver dans le latin
l'élément Celtique , et insinuent que cet élément a con-
couru à sa formation.
Le savant Niebuhr croit que le latin a été provigné
par le pélasge.
Funcius prétend prouver que le latin est originaire
de la Germanie.
M. Maury ne se contente point d'admettre comme fait
indiscutable que le latin est un dialecte du pélasge ; il le
rattache au sanscnt.
» Enfin, l'opinion générale est qu'au nombre des idiomes
ayant concouru à introduire dans le latin l'élément bar-
bare, c'est-à-dire tout ce qui n'est point pélasge ou grec,
(i) Gela ne nous apprend rien , car le mot de Barbare est bien va-
gue. Les Grecs et les Romains l'appliquaient indistinctement à tout
ce qui n*était pas eux. Peut-être cela veut-il dire qu*à côté des élé-
ments qu'il reconnaissait comme grecs il y en avait d'autres qui lui
étaient inconnus, (note tirée de M. Yaîsse).
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LâHGUB L4TIlfB OU ROMÀHfB. 81
se trcNiv^it les idiomes parlés en Italie , l'Ombrien, TOs-
qoe , le Samnite.
Notre avis , à nous , modeste chercheur dans les
vastes domaines de la linguistique , est que le latin pro-
vient primitivement du pélasge et qu'il a été mélangé
d^Ombrien d'abord , de Celte ensuite, de Grec en dernier
Uea. Par exemple l'alluvion grecque a été très-considé-
rable. Quelques ternes d'autres langues s'y sont intro-
duits certainement ; mais c'est à ces trois seuls idiomes
qu'il doit la plus forte part des mots , étrangers au pé-
lasge , qu'on trouve dans son vocabulaire.
Ouvrons une parenthèse. Par ce mot de celtique , nous
n'entendons point désigner le même idiome dont Fréret ,
Bullet , Mac-Pherson , A. Thierry , le Général de Vau-
doncourt , Adélung se sont occupés. Notre celte n'a au-
aine parenté aucune affinité avec le leur.
Nous ferons plus loin connaître l'idiome que nous dési-
gnons par la dénomination de celtique.
Le Celtique de Fréret , de Bullet et d'Amédée Thierry
ne serait représenté aujourd'hui , dans le concert des
langues , que par le bas-breton. L'unique représentant
du celtique serait , au contraire , de nos jours l'erse ou
gaëlique suivant Adelung , Mac-Pherson et le Général de
Vaudoncourt. Mais nous avons déjà démontré que les
bas-bretons appartiennent à la nation Cimbrique et non
5.
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88 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Celtique et qu'ils parlent le kymrique etnon le Celle. Nous
avons vu qu'ils étaient de même race que les Teutons
ou Teutschs , et nous espérons bien prouver en son lieu
que le Kymrique n'est qu'un dialecte de l'Allemand. Quant
à l'erse ou gaëlicpie , nous avons pareillement démontré,
dans nos études historiques, que ceux qui le parlent des-
cendent des Ombriens et non des Celtes et que la véri-
table origine des Ombriens est phénicienne ou Chana-
néenne. C'est donc évidemment par suite d'un étrange
abus de mots que l'on donne aux idiomes kymrique et
erse un nom auquel ils n'ont aucun droit.
Rétablissons les faits sous leur vrai jour et donnons à
chaque idiome la dénomination qui lui appartient en
propre. Il est avéré que l'ombrien a concouru à la créa-
tion du latin. Qu'y a-t-il de surprenant à ce que Fon
découvre tant d'analogie entre une foule de termes du
latin archaïque et de l'erse , puisque l'erse et l'ombrien
sont une seule et même langue. Seuls , les auteurs , qui
attribuent à l'erse , par eux improprement désigné sous
le nom de Celte , une certaine influence sur le latia ,
sont exactement dans le vrai. Mais s'il est indéniable que
l'ombrien ou erse a joué un certain rôle dans la formation
ou parturition du latin , ce rôle n'a été que secondaire.
Aux deux éléments ombrien et celte , que nous venons
de désigner comme ayant concouru à la procréation de
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 83
la langue romaine concurreounent avec le pélasge , beau-
coup d'auteurs ajoutent Félément grec. Cela se conçoit.
U n'est point aujourd'hui de linguiste qui ne regarde
le latin et le grec comme sortis d'une tige commune.
Un grand nombre d'écrivains , voyant dans le latin et
le grec des frères > vont jusqu'à attribuer au latin le titre
d'aîné.
Il est d'ailleurs incontestable que le grec a beaucoup
contribué à adoucir la rudesse latine.
Le grec a fourni au latin des maîtres et des modèles
dans tous les genres ( poésie , éloquence , histoire , phi-
losophie ) ce qui faisait dire à Erasme ( Epist. liv. X)
Hoc unum expertm, video nullis in Utteris nos esse ali-
quid sine grœcitate.
C'est à l'aide du grec que le latin nous a dotés de tant
d'oeuvres remarquables , à tel point qu'un auteur à pu
écrire:
« ôç (X.Y1 P(i>(x.awtorç 'E^^Yivwtà ypaj^piaTa ^euÇv),
» où ^uvaTai ÇuvgToiï Toîvojiia âv^poç eyeiv. ))
L'influence du grec sur le latin est incontestable.
Mais le grec est tout simplement le pélasge , quoique
modifié jusqu'à un certain point par l'adjonction d'élé-
ments étrangers. C'est donc avec le grec que nous allons
tout d'abord mettre le latin en parallèle. En procédant
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84 LA YÉRITË SUR LA LANGUE d'o.
ainsi , nous le comparerons , sinon au pélasge pur , du
moins au plus brillant et au moins altéré des dialectes de
l'idiome pélasgique.
Le génie de la langue latine est non-seulement trans-
positif , mais encore transpositif libre. En d'autres ter-
mes , la place des mots dans le discours latin n'est as-
sujettie à aucune règle. Et, soit qu'on arrange ces mots
selon l'ordre dans lequel les idées surgissent , soit qu'on
s'en écarte, on n'en saurait être blâmé, puisque cet ar-
rangement dépend uniquement tantôt du choix ou du
goût de celui qui parle, tantôt de l'impression qu'il veut
produire sur l'esprit ou le cœur de ses auditeurs. De là
naissent les constructions variées et les inversions har-
dies qu'on trouve à chaque pas dans le latin.
Ce même caractère se retrouve aussi dans le grec et
même, d'après les gens compétents, à un degré plus
grand de richesse et d'harmonie.
La langue latine est franche, ayant des voyelles pures
et nettes et ne possédant que peu de diphtongues. Si
cette constitution de la langue latine en rend le génie
semblable à celui des Romains , c'est-à-dire propre aux
choses fermes et mâles , elle est , d'un autre côté , beau-
coup moins apte que la grecque aux choses qui ne de-
mandent que de l'agrément et des grâces légères. Elle a
beaucoup de chaleur , d'éloquence et d'énergie , comme
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 85
toutes les langues transpositives, mais moins de netteté,
de clarté et de précision que les langues analytiques.
L'auteur de la Lettre sur les sourds et muets (p. 135) ,
établissant un parallèle entre les langues analytiques et
transpositives , portait sur le Grec et le latin le jugement
suivant :
« Pour continuer le parallèle sans partialité , je dirais
» que par les tours et les inversions que le grec et
» et le latin se permettent , ces langues sont plus avanta-
» geuses pour les lettres. Que nous pouvons mieux
» qu'aucun autre peuple faire parler l'esprit , et que le
» bon sens choisirait la langue française ; mais que l'ima-
» gination et les passions donneraient la préférence aux
» langues anciennes : qu'il faut parler français dans la
» société et dans les écoles de philosophie ; et grec et la-
» tin dans les chaires et sur les théâtres ; que notre lan-
» gue sera celle de la vérité , et que la grecque , la
» latine et les autres seront les langues de la fable et du
» mensonge. Le grec et le latin sont faits pour persuader,
» émouvoir et tromper : parlez grec , latin , italien au
» peuple ; mais parlez français au sage. »
Réduisons ce jugement à sa juste valeur , et con-
cluons-en seulement que les langues transpositives trou-
vent dans leur génie plus de ressources pour toutes tes
parties de l'art oratoire.
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86 'là yëritê sur la langue d'o.
Si du caractère général du latin nous passons à son ca-
ractère particulier, c'est-à-dire à sa syntaxe, nous
pouvons, presque avec certitude , prétendre cpi'elle est
calquée sur la syntaxe du grec.
Tous les mots de ces deux idiomes portent Tempreinte
du même génie. Les noms , les pronoms et les adjectifs ,
déclinables par nature , s'y déclinent en effet , de manière
à se prêter à toutes les inversions usuelles sans faire dis-
paraître les traits fondamentaux de la succession analy-
tique.
Il y a cependant sous ce rapport entre le Grec et le la-
tin quelques légères dissemblances. Ainsi , par exemple ,
le latin n'a ni duel ni article. L'absence de l'article, sur-
tout de l'article défini , est dans bien des cas , pour le la-
tin , une cause d'obscurité. On peut constater encore
dans cette langue le manque d'aoristes et une pauvreté
relative dans la nomenclature des temps. Mais , en re-
vanche , le latin a de plus que le grec , dans sa conjugai-
son , le gérondif et le supin ; dans sa déclinaison , deux
paradigmes à lui , puisqu'on en compte cinq en latin et
trois en grec ; enfin un cas en sus, l'ablatif. Ce qui donne
au latin six cas , tandis que le grec n'en possède que
cinq.
Ici une petite restriction est opportune. Si Priscien
nous apprend (Lib. V , de Casibtui) que l'ablatif est un
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LANGUE LATDŒ OU ROUAINB. 87
cas propre aux Romains , il nous dit aussi que ce cas
était de son temps nouvellement introduit dans la lan-
gue et placé, pour cette raison, après tous les autres
dans la déclinaison: « Ablativus proprius est Romano-
yirum, et quia novus videtur a Latinis inventus,
y> vettMtaHreliquorum casuumconcessit. »
Ainsi , la langue latine au berceau avait précisément
les mêmes cas que la langue grecque, et peut-être Ta-
bla tif ne s'est-il introduit insensiblement" dans la langue
latine que parce qu'on prononçait un peu différemment
la finale du datif, selon que ce datif était ou n'était pas
complément d'une préposition.
Notre conjecture se fortifie de plusieurs observations
particulières : 1* Le datif et l'ablatif pluriels sont toujours
semblables.
2® Ces deux cas sont encore semblables au singulier
dans la seconde déclinaison.
30 On trouve morte au datif dans l'épitaphe de Plante,
rapportée par Aulu-Gelle {Noct. Att. I, 24;. Par contre ,
on trouve, dans Plante lui-même, oneri, furfurif etc. ,
etc. , à l'ablatif, parce cpi'il y a peu de différence entre
les voyelles J^et /, d'où vient même que plusieurs noms
de cette déclinaison ont l'ablatif terminé des deux ma-
nières,
i*» Le datif de la quatrième déclinaison était ancienne-
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88 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
ment en U, comme Fablatif , et, au dire d'Aulu-Gelle
(I V , 1 6) , César lui-même , dans ses livres de l'analogie^
pensait que ce cas devait se terminer ainsi.
5® Le datif de la cinquième déclinaison fut autrefois en E,
comme il paraît par ce passage de Plante [Mercat. /, 1,4):
Amatores, qui aut nocti, aut Die, aut soli, atU lunœ
miserias narrant suas.
6» Enfin Pablatif en A long de la première déclinaison
pourrait bien n'être long que parce qu'il vient de la diph^
tongue J^du datif.
La déclinaison latine offre encore bien d'autres traits
de ressemblance avec la déclinaison grecque. Mais ce cpie
nous venons d'exposer doit suffire à prouver Taffinité du
grec et du latin. Nous nous en tiendrons là.
Cette affinité est démontrée encore par la nature syn-
thétique des deux langues. Pourtant , quelques auteurs
ont prétendu que le latin avait fort peu de tendance na-
turelle à la synthèse. M. Vaïsse, dans sa Grammaire
universelle , démontre la chose par la pauvreté ou plu-
tôt par Tabsence des compositions de mots dans le latin.
« Les radicaux , dit-il , ne s'y groupent pas , comme en
» sanscrit et en allemand , pour former de long compo-
» ses ; et c'est en vain que Pacuvius , au second siècle
» avant notre ère , essaya d'introduire dans la langue
» latine le mode simple de composition que pratiquaient
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 89
» les Grecs. » Cette opinion n'est point partagée par
M. Maury. Il soutient dans La terreet Vhomme (chap. VIII,
p. 462) que le latin « forte à un haut degré le carac-
» tère synthétique des idiomes primitifs. »
Ces deux manières de voir sont également exagérées.
La vérité gît ici dans le juste accord des deux proposi-
tions contraires.
Si le latin est moins synthéticpie que le grec , c'est
parce qu'il s'est plus fortement écarté de son type pri-
mitif, le pélasge; mais la synthèse ne lui fait pas absolu-
ment défaut. Il est facile de constater que l'idiome pélas-
gique était d'ordre transpositif et d'espèce synthétique.
Tel fut le latin des premiers âges. L'adoption faite plus
tard par lui de termes empruntés à un idiome essentiel-
lement analytique modifia sensiblement son caractère
primordial , sans pourtant le dénaturer.
La synthèse existe donc en latin , et nous allons en don-
ner la preuve en examinant le mode de formation de
quelques mots de cette langue.
n y a deux sortes de racines élémentaires qui entrent
dans la formation des termes composés.
Les unes peuvent également paraître dans le discours
sous la figure simple ou sous la figure composée. Nous vou-
lons dire qu'on peut les employer ou seules ou jointes à
un autre mot : telles sont les racines élémentaires des mots
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90 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
magnanimus, respublica, senatusconsuUum , qui sont
magnus et animtis, res eipublica, senatm et consuUum,
Les autres sont absolument inusitées hors de la com-
position , quoique anciennement elles aient pu être em-
ployées comme mots simples : telles sontjwa? eijugium ,
ses et sidium, exeX igium, plexeiplicium, spex et spir-
cium , stes et stitium , que Ton trouve dans les mots con-
jux, conjugiuniy prœses, prœsidium, rem ex, remigium,
sàpplex , supplicium, extispex, frontispicium , autistes^
solstitium.
Il y a pareillement en latin une quantité de termes
composés qui peuvent au premier aspect paraître sim-
ples , à cause de certaines racines élémentaires inusitées
hors de la composition du mot. Mais un peu d'attention
et de sagacité suffisent pour démêler Torigine de ces ter-
mes. Tels sont les mots jiidex , jmtus , justitia , juvenis,
trinitas, œtemitas et une infinité d'autres.
Judex renferme , dans sa composition , les deux raci-
nes Jus et dex. Cette dernière se trouve employée hors
de la composition dans Cicéron : dicis gratià , par ma-
nière de dire, Judex signifie donc Jus dicens ou qui jus
dicit. Et c'est effectivement l'idée que nous avons de ce-
lui qui rend la justice. Ce qui prouve que la définition
de nom , comme parlent les logiciens, diffère assez peu ,
quand elle est exacte, de la définition de chose.
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LANGUE LATINE OU ROBIAINE. 91
II ^1 est de même de la définition étymologique de jus-
tus et de justitia : le premier terme signifie injure stans,
et le second , injure constantia .• expressions conformes
à ridée que nous avons de Fhomme juste et de la jus-
tice. —
Quant à Juvenis , il parait signifier jtttwndo ennis. Cet
ennis est un aèyectif employé dans bi^-ennis, tri-ennis ,
etc. , etc. , pour signifier qui a des années. — Perennis
paraît n'en être que le superlatif, tant par sa forme que
par sa signification : amsi juvenis veut ^rejuvando en-
nis, qui a assez tannées pour aider. Cela est d'autant
plus probable que juvenis est effectivement relatif au
nombre des années de l'individu à qui on applique l'épi-
thète. Du reste, la suppression d'un N dans Juvennis,
Juvenis, ne tire pas plus ce mot de son analogie naturelle
que le changement de cette lettre en M n'en tire le mot
de 9ofemMt5, qui semble être formé de solito ennis, et
signifie solitus quot annis, qui fieri sillet quoi annis.
Et, de fait, l'Eglise emploie souvent le mot d'annuel
pour celui de soknnel, dans la qualification des fêtes.
L&smoistrinitas, œternitas sont également composés :
trinitas n'est autre chose que trium unitas. Pour ce qui
est du mot œternitas^ il signifie cevi-trinitas ou œvi tri'-
plicis unitas , la trinité du temps qui réunit et embrasse
U)ut à la fois le présent , le passé et l'avenir.
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92 Lk TÊRITÉ SUR UL LANGUE d'O.
Nous pourrions , multipliant les exemples , démontrer
que le génie du latin était parfaitement apte à la créa-
tion de signes nouveaux à mesure que l'acquisition d'i-
dées nouvelles en inspirait le besoin. Ces exemples nous
les trouverions partout ; dans les noms , comme flumen,
qui signifie res qu<B fluit, semen idest tes qtiœ seritur,
cubiculum id est cubandi locus , propugnaculum, id est
pro-pugnandi-locus; dans les adjectifs , comme cogita-
bundus, id est cogitationibus undans, facundus, id est
fandi copié abundans , mœstus id est in mœrore cons^
tans, molestus id esipro mole stans; dans les verbes ,
comme dormisco , id est dormiens esco (pro sum) , obso-
lesco, id est obsoktus escoj senesco id est senex esco.
Mais ces exemples , si nombreux soient-ils , ne sont pour-
tant point de nature à faire considérer le latin comme
une langue véritablement synthétique , pouvant agglu-
tiner suffisamment entr'eux les termes de son vocabu-
laire de façon à exprimer plusieurs pensées au moyen
d'un seul mot, comme on le fait si facilement en alle-
mand et en grec.
Il est positif, en effet , que les mots composés de plu-
sieurs vocables sont assez rares en latin , tandis qu'ils
abondent en grec. Le latin ne se sert guère de termes
semblables à celui de heautontimorumenos , titre d'une
Comédie de Térence et signifiant le bourreau de lui-même.
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LAM6UB LATINB OU ROMAINE. 93
On ne trouve pas en latin d'équivalent à cette épithète,
que les poëtes grecs donnaient d'habitude à un homme
naturellement enclin à la lésine , Eyminopristokardamo-
glyphos. Ce qui veut dire partager un grain de Cumin
et éplucher une feuille de cresson,
La faculté synthétique de la langue grecque était très-
considérable. Les poëtes eux-mêmes rétendaient encore
au gré de leurs caprices. •Aristophane se plaisait à forger
des mots composés et allait quelquefois jusqu'à la licence.
Tel est ce fameux mot, qui renferme cinq àsix vers , à
la fin de sa pièce intitulée Exx^naïaJ^oudai , les Haran-
gueuses :
A67raJoTe(jwtxo(yeXaj(^oyaXeo)cpavio>.6i^|;avo-
Jpi(AU7coTpi(A[jLaTO(yt>.çi07cpa(yo(jLe^iTO-
xaTa)C€)(^u(jLevo)ci/^>.e7cwco(j(7uçoçaTTO'ïrept-
(yTepaXexTpuovo7rTeyxeça>.oxtYX>.o'ir€^eto-
>.aycûO(npaio6açyrrpayavo7UTepuy(i>v.
Chez les latins cet exemple n'a point été suivi , et nous
croyons que Plaute est le seul auteur romain qui ait es-
sayé de lutter avec le poëte grec. Mais , sa langue n'étant
pas aussi flexible que celle de son rival , il est resté fort
en arrière. On peut en juger par le nom que se forge Sa-
gariston dans la Comédie intitulée Persa^ (IV, 6):
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94 LA YËRITÊ SUR LA LANGUE d'o.
Voici mon nom, dit ce parasité: Vaniloquidorusvirgir
nivendonidemugifililoquidesargeniiexterehronidestedig-
nihquidesnumorumexpalponidesqiwdsemelarripidesnun''
qtuimposteripides.
La langue latine se montre donc inférieure à la langue
grecque, sous le rapport de l'aptitude synthétique. Elle
n'en était pourtant pas privée. Seulement elle la possé-
dait à un moindre degré et elle 'montrait moins de pro-
pension à en faire usage.
La parenté du latin avec le grec est incontestable.
Et dire cependant qu'un écrivain du dernier siècle a osé
prétendre sérieusement qu'il n'y avait entre ces deux
idiomes aucun degré de parenté ou de ressemblance. Cet
écrivain est l'abbé Pluche , l'auteur de la Méchanique
des langues,
, Inutile de réfuter de semblables paradoxes.
D'un côté, la science philologique est unanime
aujourd'hui à reconnaître que le grec, dérivé de l'ancien
idiome pélasgique , s'est imprégné de mots étrangers ,
dans une proportion que l'étymologie seule peut
apprécier. D'un autre côté , la science philologique a
indiscutablement prouvé que le latin ne procédait pas
du grec, mais qu'il était avec le grec un des principaux
représentants du pélasge , et que, si Ton devait
assigner à chacun d'eux un âge diflérent, le latin aurait
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LANGUE LàTINB OU ROMÀlNB. 95
des droits à être regardé comme Talné, parcequ'il
présente un caractère plus archaïque que le grec
classique.
D'où il suit:
K ^ Que des deux idiomes primitivement parlés en Italie,
le pélasge seul a continué de subsister , par son génie
propre , sa syntaxe et une partie de son vocabulaire ,
dans le latin, tandis que l'ombrien n'a pu qu'y introduire
quelques uns de ses signes et de ses usages. ( Nous avons
déjà vu en effet, en étudiant les idiomes pélasgique et
ombrien, c[ue si le premier offrait des preuves incontes-
tables de parenté avec le grec et le latin , le second au
contraire n'offrait pas le moindre caractère d'approxima-
tion avec ces deux derniers idiomes ).
2*> Que puisque le latin et le grec sont la continuation,
le prolongement de l'idiome pélasgique, les deux princi-
paux rameaux de ce tronc , ils ont dû être semblables
à l'origine , et que les dissemblances , signalées seule-
ment dans leurs vocabulaires respectifs , ne proviennent
que de l'adoption faite par chacun d'eux de termes étran-
gers , puisés à des sources différentes.
Mais de ce que les Romains ont , dans le principe, enté
des mots ombriens sur le fond de l'idiome pélasgique , et
de ce que , lors de la fondation de Rome , il n'y avait en
Italie que deux langues en' usage , faut*il conclure que le
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96 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
latin devrait être exclusivement composé de pélasge et
d'ombrien? Pas le moins du monde.
Le latin a subi des influences étrangères multiples. Â
quelle époque ? De la part de quels peuples ? C'est ce que
nous avons à rechercher.
Si le livre des Origines romaines de Caton l'ancien
n'était pas perdu , il pourrait nous éclairer sur cette im-
portante question de la composition du latin. A tous les
points de vue , semblable perte est regrettable. Quant à ce
qui regarde les étymologies grecques de quantité de
mots latins, il n'est pas possible de résister à la preuve
que nous fournit l'excellent ouvrage de Vossius (le père),
VEtymolo^icon linguœ latinœ.
On divise ordinairement l'histoire de la langue latine
en quatre périodes distinctes. La première va de la
fondation de Rome, au temps où florissait le poète Livius
Andronicus , 248 ans avant l'ère vulgaire. La seconde
se termine au règne d'Auguste. La troisième comprend
tout l'espace de temps écoulé entre cette dernière époque
et la translation du siège de l'empire à Constantinople.
Enfin la dernière finit lors de l'invasion des barbares au
cinquième siècle.
Do la première période , il ne reste que des fragments
trop rares et trop incomplets pour pouvoir se faire une
idée bien exacte de ce qu'était le latin pendant le règne
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 97
de Romulus. On pourrait même se demander s'il était
créé comme langue. Les deux grands peuples qui habi-
taient alors conjointement Tltalie étaient trop profondé-
ment séparés en toutes choses pour qu'on ose même
supposer qu'il y avait eu déjà fusion entr'eux et entre
leurs idiomes respectifs. Cette supposition , plus que ha-
sardée, serait d'ailleurs démentie à la fois et par l'histoire
et par la linguistique.
En effet , l'histoire nous apprend qu'aucune des peu-
plades italiennes n'avait encore renoncé à sa langue na-
tionale au premier siècle de notre ère , et que ces langues
loin de s'être amalgamées entr'elles , avaient conservés
tous leurs traits caractéristiques et différentiels. Entr'au-
tres auteurs , Varron dit formellement que les Sabins ,
quoique voisins du Latium conservèrent l'usage de leur
idiome jusqu'au temps de l'empereur Tibère. L'inscription,
qu'on lit à Pompeï , en langue étrusque , fait foi que cette
langue était encore usitée en l'année 79 après Jésus-
Christ.
De son côté, la linguistique nous prouve qu'il faut un
certain temps pour que , étant donnés deux idiomes
radicalement différents mais mis en contact permanent ,
l'un s'efface de manière à ne plus laisser subsister que
l'autre dans ses traits principaux.
La formation du latin ne fût donc pas l'œuvre de
Il 6
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98 Là yérité sur la langue d'o.
quelques années, quoiqu'elle ait été singulièrement favori-
sée par cette circonstance que la fusion à opérer ne portait
point sur l'ensemble d'une nation, mais sur quelques
individus seulement, obbgés, pour devenir compréhen-
sibles à ceux de leurs concitoyens parlant une autre lan-
gue, de substituer des termes de cette dernière langue à une
certaine quantité de termes usuels de la langue qui leur
était propre. Par conséquent , dans les premières années
qui suivirent la fondation de Rome , on ne dut parler
dans la ville de Romulus ni Pélasge ni Ombrien, mais
une espèce de patois de l'un et de l'autre idiome.
Sachant par les historiens combien chacun de ces
peuples était attaché à ses usages , nous ne pouvons
admettre que l'un des deux ait fait abnégation de son
idiome pour adopter celui de son voisin.
Nous préférons supposer que, pour la facilité des
communications, les Pélasges parlèrent un Ombrien et
les Ombriens un Pélasge absolument macaronique. Cette
supposition est loin de nous paraître entièrement dépour-
vue de vraisemblance. Nous ajouterons même qu'on
rencontre , dans l'histoire des langues , des exemples de
pareils événements. Sans chercher bien loin, nous
trouvons dans l'Anglais la confirmation de notre
proposition.
Lorsque les Northmans conquirent TAngleterre , ce
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 99
pays se servait delà langue saxone. Les Northmans , ne
la comprenant point , la proscrivirent dans les actes pu-
blics et conservèrent la langue franque qu'ils parlaient.
Or, il advint que de tous les barbarismes saxons proférés
par les Northmans et de tous les barbarisme francs pro-
férés par les Saxons , cherchant mutuellement à se com-
prendre, ils se forma une sorte de langage mixte. Témoin
ces deux vers d'un ancien poëme politique écrit sous
Edouard II : ^
— « Oq peut faire et défaire corne fait-ii trop souvent;
» fis rather wel ne faire thereforeEnglandisKent. »
Plus tard par suite des guerres et des luttes politiques ,
les rapports devinrent de plus en plus rares entre la
France et T Angleterre. Or la langue française, qui s'épu-
rait chaque jour en France , resta stationnaire en Angle-
terre, au point que, dès le commencement du quinzième
siècle , un habitant de Paris n'aurait pas pu comprendre
le français d'Angleterre, du moins si l'on en croit
Chaucer :
o And french she spake fui fayre and fetisly
» after the scole of Stratford— atte — Bowe ;
» for frencli of Paris , was to hir un — Know.»
ce qui signifie : — Et avec une parfaite bonne fai elle
parla correctement k français qm Von enseigne à V école
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1 00 LA YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
de Stratford^tte-Bowe. Quant au français de Paris, il
lui était inconnu.
Depuis Chaucer la différence est encore devenue plus
tranchée entre la langue anglaise et la langue française.
Du reste , Famalgame des deux idiomes français et
saxon se fit assez promptement, et il y a longtemps que la
langue anglaise existe telle que nous la voyons aujourd'hui.
Ce fut en effet en 4362 qu' Edouard III , de concert
avec le parlement , statua qu'à l'avenir , dans les cours
de justice et dans les actes publics, on se servirait delà
langue anglaise au lieu delà langue franque ou normande
qui était en vogue depuis Guillaume -le-conquérant.
Ceci posé, comment aurait-il pu se faire que les North-
mans en vinssent à cesser de comprendre la langue fran-
que, eux qui ne parlaient que cette langue lors de la
conquête et qui l'avaient imposée aux Saxons vaincus ,
si , comme nous le prétendons , dans la lutte de deux
idiomes différents continuellement en présence , il n'y en
avait pas toujours un destiné à s'effaoer devant l'autre ,
et si , de la disparition de l'idiome vaincu , ne naissait
point un langage informe , lequel participant des deux ,
n'est cependant ni l'un ni l'autre , mais simplement un
patois de celui qui , dans cette lutte , a été relativement
le vainqueur ?
Si notre supposition était erronée ou chimérique, puis-
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 401
que les vainqueurs parlaient le français , et les vaincus
le saxon , on parlerait encore aujourd'hui en Angleterre
le français ou le saxon , tandis qu*on n'y parle ni l'un
ni l'autre, mais un mélange où se retrouvent des mots
des deu^ idiomes. Entre les deux cependant la part
n'est pas égale. L'un , le Français a donné son génie et
une partie de son vocabulaire. Celui-ci, c'est le
vainqueur. L'autre n'a imposé qu'une portion des vocables
qui lui appartenaient. Celui-là , c'est le vaincu.
Cet exemple est suffisant pour faire comprendre ce qui
se passa entre les idiomes Pélasgique et Ombrien , dans
les murs de Rome , à celte différence près que la mixture
dut s'accomplir avec une plus grande rapidité. En effet ,
il n'y avait alors, dans la future capitale du monde, ni
vainqueurs ni vaincus. Tous ses habitants étaient des
associés, et ils étaient fort peu nombreux.
Nous n'insisterions donc pas davantage sur un sujet
semblable, si la langue anglaise ne venait nous fournir
encore une explication rationnelle des différentes phases
par lesquelles le latin est passé , sans perdre jamais sa
physionomie propre.
L'anglais emprunte à toutes les langues les mots qui
lui sont nécessaires, et ces mots obtiennent aussitôt chez
lui leurs lettres de naturalisation. Quoique d'ordre ana-
lytique , l'anglais admet jusqu'à un certain point les trans-
6.
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iOi LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O.
positions et les inversions des idiomes grec, latin, alle-
mand. Parmi les milliers de mots dont se compose son
vocabulaire , une forte partie est d'origine hébraïque
et phénicienne ; le surplus provient du grec, du latin , du
gaulois, dukymrique, du saxon, du danois et dilirançais.
Or , si les signes dont se sert un peuple pour expri-
mer ses pensées pouvaient suffire à faire reconnaître la
provenance de la langue dont ces signes composent le vo-
cabulaire, qui oserait assurer que l'anglais provient plu-
tôt de tel idiome que de tel autre , parmi ceux qui sont
considérés comme lui ayant fourni des expressions? Mais,
nous le savons, ce n'est qu'au génie seulement d'une lan-
gue composée que l'on peut reconnaître sa véritable ori-
gine. Donc , puisque le génie caractéristique du français
se retrouve intact dans l'anglais, c'est du français ex-
clusivement que l'anglais procède.
C'est donc en réalité un dialecte du français que l'on
parle en Angleterre. Ce qui n'empêche pas ce dialecte
d'avoir si fortement altéré ou modifié les vocables fran-
çais et d'avoir tant et si bien surchargé son vocabulaire
de mots tirés de langues étrangères, qu'il semble, au
premier coup d'œil, constituer un idiome complètement
séparé.
Le latin, usant du même procédé que l'anglais , quoi-
que d'ordre transpositif, admet assez souvent la marche
\
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 103
analytique. Ayant emprunté des termes à presque tous
les idiomes des pays subjugués par les armes des Romains,
le vocabulaire de la langue latine ressemble à une mo-
saïque. Mais son génie n'a jamais varié. Il est toujours
demeuré essentiellement transpositif, ainsi que celui de
la langue grecque.
Nous avons déjà constaté : 1» que le grec et le latin
tenaient du pélasge le génie de la transposition ; S® que
l'élément pélasgique était représenté chez les premiers
fondateurs de Rome seulement par les Etrusques et les
Albins; 3® que les Albins, descendants des Troyens ,
avaient une commune origine avec les Etrusques, puis-
qu'ils faisaient partie aumême titre de la nation pélasgique.
Nous pouvons tirer de ces diverses observations une
conclusion très-plausible : c'est que la langue des Pelas-
ges l'emporta sur celle des Ombriens dans la procréa-
tion du latin. Donc le latin n'est et ne peut être autre
chose qu'un dialecte, plus ou moins corrompu, de l'E-
trusque ou pélasge , idiome qui continua de subsister
presque dans sa pureté native jusqu'au temps de l'inva-
sion des Barbares.
Ce n'est que par des documents rares et incomplets que
nous connaissons le latin de la première période , qui est
l'enfance ou, pour mieux dire, l'enfantement de cette
langue. Il est pourtant facile de constater qu'il ne s'y
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404 LA VÉRITÉ SUR LA LANGtTE d'O.
trouve qu'un petit nombre de mots qui soient restés
dans le latin littéraire ou classique.
Le plus ancien de ces documents, puisqu'on en fait
remonter la composition au règne de Romulus, est la
Chanson ou Hymne des frères ArvakSj découverte en \ 777.
Elle contient si peu de mots qui se soient maintenus
dans le latin classique que M. Fauriel s'est demandé si
ce monument doit être réellement considéré comme ap-
partenant à la langue latine et s'il ne faudrait pas plutôt
le ranger dans l'un des anciens dialectes du Latium.
Il est probable que M. Fauriel n'aurait point émis cette
proposition s'il avait bien voulu remarquer que tous les
termes contenus dans ce chant se retrouvent soit en grec
soit en ombrien , soit en pélasge. Ce qui démontre d'une
manière irréfutable que l'auteur de cet hymne , qu'il s'ap-
pelle ou non Romulus , devait parler un dialecte pélasgi-
que, celui d'Albe vraisemblablement, déjà imprégné de
mots ombriens et grecs.
Outre ce monument de la plus respectable antiquité ,
l'histoire de la langue latine nous offre , par ordre de date,
quelques fragments des lois de Numa et une loi de Ser-
vius-Tullius , documents qui nous ont été conservés par
Festus et dans lesquels on peut distinguer un peu mieux
les habitudes grammaticales du latin.
Varroncite aussi quelques mots des hymnes que les
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LÀN6UB LÀTINB ou ROHÀlirB. 105
prêtres Saliens chantaient aux fêtes de Mars. Du temps
de Gicéron aucun Romain n'entendait plus le latin de ces
sortes de compositions.
Nous avons aussi, mais plus modernes , la loi des XII
tables; les inscriptions du tombeau des Scipions; Tins-
cription de la colonne rostrale élevée en souvenir de la
victoire remportée par le consul Duilius Nepos sur les
Carthaginois ; enfin le senatus-consulte pour l'abolition
des Bacchanales , publié Tan de Rome S68.
En étudiant le latin de cette première période, le fait
qui frappe le plus fortement l'attention de l'observateur,
c'est que , dans un temps relativement court , la langue
latine dut subir des changements tels qu'elle cessa bien-
tôt de se ressembler à elle même. En effet , le latin des
dernières inscriptions citées n'était pas plus incompré-
hensible aux Romains lettrés du siècle d'Auguste que ne
saurait l'être pour nous le français usité sous les règnes
de François P' ou de Louis XI , par exemple tandis que
de l'aveu deCicéron, de Polybe , de QuintiUen et d'Ho-
race, leurs contemporains n'entendaient plus du tout le
latin de la Chanson des Frères Arvales (1) , ni celui des
chants Saliens et des lois de Numa et de Servius-Tuliius.
(i) Ou mieiïTs, ^ Anibarvales , nommés ainsi parce que la victime
qu'ils conduisaient arva ambiehat,
Ter circum (bat hostia fruges. Virgile , (Georg. I. v. 345. )—
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106 LA YÊRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
Ce fait si remarquable , joint à la connaissance que
nous donne l'histoire de Torigine du peuple romain , nous
autorise à émettre les conclusions suivantes :
l« La langue romaine, encore sans nul contact avec
les idiomes étrangers, demeura forcément pendant un
certain laps de temps ce qu'elle avait été dès le moment de
sa formation, c'est-à-dire un dialecte du pélasge, altéré
et modifié par l'élément ombrien. Q est impossible en effet
de découvrir , dans les anciens monuments de cette lan-
gue, autre chosequedupélasgeetde l'ombrien. Celan*est
guère surprenant , puisqu'il n'y avait alors en Italie que
deux peuples et deux langues.
2® La cause du changement , qui modifia et bouleversa
le latin primitif au point de le rendre méconnaissable
et incompréhensible pour les Romains des âges suivants ,
ne doit pas et ne peut pas être exclusivement attribuée
à cette mutabilité naturelle aux langues dont nous parle
Horace, en son Art poétique. Ce changement provient,
en grande partie , de l'introduction dans la langue latine
d'éléments étrangers. Or, comme les seuls peuples
étrangers avec lesquels Rome se soit tro.uvée en rapport,
durant cette première période, sont les Gaulois et les
Grecs , c'est principalement des idiomes gaulois et grec
que le latin tira les éléments qui devaient si fortement
défigurer plus tard sa physionomie primitive.
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' LANGUE LATINS ou RONAINE. 407
Mais , le grec est sorti de la même souche que le latin.
Par conséquent il n'eût jamais pu, dans aucun cas,
transformer ce dernier idiome. Son action se serait
tout au plus bornée à le modifier ou.à le perfectionner.
C'est donc à une énorme quantité de mots gaulois,
introduits dans le latin, qu'il faut attribuer Vavatarde
la langue romaine , et la sensible différence que l'on
trouve entre le vocabulaire latin des premiers âges de
Rome et le vocabulaire des époques postérieures , soit
à l'arrivée des Gaulois en Italie, soit' aux premiers
démêlés de ce peuple avec les Romains.
Quelques écrivains modernes, frappés du rôle que
les Gaulois ofAjoiié en Italie, supposent que la langue
gauloise , loin d'avoir exercé la moindre influence sur
la langue latine, aurait été, au contraire, supplantée
d'abord , et ensuite aux trois quarts anéantie par cette
dernière.
C'est, on le voit , tout l'opposé de notre thèse.
D'autres savants ont prétendu que l'idiome celtique
avait fortement aidé à la formation du latin. Ceci sem-
ble nous donner raison. Malheureusement, ces savants
appliquent la dénomination de gaulois à toute sorte de
peuples, sauf aux seuls et véritables Celtes. Sous le
nom de Celtes , en effet , ils n'entendent, les uns que les
bas-bretons ) les autres que les Erses et les Gaëls. Ce*
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408 LA VÉRITÉ sur LA LANGUE D'O.
pendant ils s'accordent généralement à rattacher les
idiomes de Bretagne, d'Irlande et d'Ecosse au latin , par
le moyen de l'Ombrien qu'ils font celtique. Nous, nous
refusons de reconnaître les Bretons, les Irlandais et les
Ecossais pour Celtes. Mais nous partageons la manière
de voii' de leurs historiens sur le rôle que l'erse ou
gaëlique, seulement, à joué dans la procréation du
latin, puisque nous ne pouvons reconnaître dans les
individus qui parlent encore le gaëlique ou l'Erse que
les descendants rdirects et légitimes des Ombriens.
Il est d'autant plus facile de découvrir les éléments
ombriens qui se sont introduits et sont restés dans le
latin, sous la première phase de son existence , qu'il est
impossible de traduire ces éléments par le grec , avec
lequel ils n'ont aucun rapport. Mais il est non moins aisé
de constater que l'ombrien et l'erse ou gaëlique sont
une seule et même langue. En effet les éléments om-
briens dont nous venons de parler se retrouvent dans
les deux langues (l'ombrien et l'erse). Aujourd'hui
encore, ils ont, dans l'erse, une signification identique
à cdle qu'ils avaient , autrefois , dans l'ombrien.
Nous avons cité plus haut, comme exemple, un cer-
tain nombre de mots conservés par les auteurs latins.
Nous pouvons donner encore , pour prouver la parenté
qui existe entre le phénicien (d'où vient Terse) et Tom*
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. , \ 09
brien , quelques termes du Monologue d*Hannon , termes
qui ont en Carthaginois et en Erse le même sens qu'en
romain , et qui , à coup sur , n'ont pénétré dans le latin
que par le canal ombrien.
C'est ainsi qu'on trouve en punique et en Irlandais :
O , lequel est aussi demeuré en latin comme la marque
du vocatif.
Nitnhy divinité, d'où les Romains ont fait Numen.
Mcj moi, conservé de la Langue primitive dans une
foule de langues.
Com y avec, devenu en latin , cum.
Umhal, humble, devenu en latin humilis.
Sithy repos, oubli, dont le radical s'est perpétué dans
situs , oubli , solitude.
«, est, c'est, qui ne diffère guère du grec et du latin.
mi y ma, mon, que les romains ont gardé au» vocatif,
mi fili.
Les traces de gaëlisme , signalées dans le vocabulaire
latin, peuvent se suivre aussi dans la grammaire latine.
Adelung, dans son Mithridate, fait remarquer, d'une
part , que le D affîxe , qui se rencontre à la fin d'un si
grand nombre de mots dans les spécimens que nous
possédons du latin archaïque , et notamment à l'ablatif
des noms, se retrouve en erse comme caractéristique du
même cas, et , d'autre part, que cette dernière langue
II 7
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MO LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D*0.
offre encore au génitif la terminaison AI de la déclinai-
son latine primitive. De ce que dit Adelung, il ne fau-
drait pourtant pas conclure que la déclinaison latine est
née de la déclinaison erse.
Le génie de la langue irlandaise étant très-opposé à
celui du latin ne procède point de la môme manière pour
la distinction des cas. D'ordre analytique , cette langue
agit comme toutes celles de cet ordre , et si , dans cei:-
taines occasions , elle use de terminaisons, dans la plu-
part des autres cas elle se sert de l'article (que n'avait
point le latin et qu'elle possède ) ou de préposijtions>
Quelquefois même , l'Erse n'emploie ni article , ni prépor
sition , ni terminaison pour marquer le cas des noip$.
On trouve , en effet , dans cette langue :
Bein — NA — Grian , coteau du soleil.
Benn — AN — oïr, montagne d'or.
Arr — NAN — ua, île des caves.
Straid — AM — hargai, rue du marché.
Paraic — NAM — fiadh , parc de la biche.
Stach — IN — miichidar, rocher du foulon. .
Squr fein , brocs d^e vin.
Gkn elg , vallée du daim.
Ard maddie, colline des loups.
Auchinkck, champ de pierres.
On voit par ces exemples que la langue erse » cm'-
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. \ 1 \
brienne, sabellique, peu importe le nom qu'on lai
donne , n'a pas exercé une grande influence sur \a décli-
naison latine, laquelle est demeurée pélasgique, puisque
les flexions les plus anciennes de la langue grœco-péla»-
gique se sont maintenues dans le latin.
L'Erse, seul représentant aujourd'hui de la langue ^
primitive de l'Italie, diffère autant du grec et du latin
par sa syntaxe que par son vocabulaire. Un seul exem-
ple va nous en convaincre. Dans ses verbes, l'Erse n'a
que trois temps , le présent , le passé et le futiœ. Il a
six modes , qui tous se forment par flexion ou initiale
ou finale. Seulement, lesquatres derniers modes em-
ploient devant le verbe une préposition caractéristique
qui signifie à, pour, afin de. Les verbes auxiliaires y
sont au nombre de cinq. Formes diverses du verbe
être, leur usage y est bien différent de ce qu'il est dans
les autres langues. L'infinitif est simple et impersonnel ,
indiquant purement l'action faite ou reçue. Le participe,
qui reste indéclinable , a trois temps distingués par des
prépositions. Les verbes passifs se conjuguent par des
flexions finales et initiales, sans intervention d'un auxi-
liaire , excepté à l'infinitif. Le thème ou la racine du
verbe est la seconde personne du singulier de l'impératif.
Cest autour de cette racine que se placent les flexions
initiales et finales qui forment le présent des différents
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\M LA YÊRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
modes. La formation des advert^es a lieu par deux pré-
positions : Tune pour les substantifs , Tautre pour les
adjectifs. Les prépositiqns forment en cette langue un
système absolument différent de celui des langues mo-
dernes : elles sont ou antérieures ou postérieures , sépa-
rables ou non. Outre ces prépositions , l'erse ou gaëlique
a encore un certain nombre de particules modificatives
qu'on divise en quatre classes : les dérivatives, les
assimilatives , les augmentatives et les diminutives.
En voila assez , ce nous semble , pour justifier plei-
nement ce que nous avons avancé , savoir : 4® que Fom-
brien et Terse ne sont qu'une jseule et même langue ;
2® que cette langue n'a absolument rien de commun ,
ni dans le fond ni dans la forme , avec la langue pé-
lasgique ; 3<» enfin qu'elle a concouru à la formation ,
\ion de la syntaxe mais du vocabulaire du latin , en y
introduisant une t^rtaine quantité de termes qui ne se
peuvent retrouver ni dans le pélasge , ni dans le grec ,
ni dans aucun idiome autre que l'erse ou gaëlique lui-
même.
Nul ne saurait nier que le latin ne soit né du mélange
des deux langues ombrienne et pélasgique. Néanmoins ,
par le seul fait qu'on rencontre dans son vocabulaire une
foule 4e termes étrangers au pélasge et à l'ombrien (ce
qui ne pourrait être si le latin provenait uniquement de
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. « 113
ces deux seules langues ) , il faut en inférer que d'autres
idiomes ont du concourir aussi à sa formation. Au nom-
bre de ces derniers , nous mettons en première ligne
ridiome celtique ou gaulois. Mais , comme nous n'appli-
quons cette dénomination d'idiome celtique ou gaulois
qu'à la seule langue d*0 , ceci pourra sembler à beaucoup
de lecteurs un ridicule paradoxe.
Paradoxe , soit I le paradoxe delà veille devient sou-
vent la vérité du l«ademain. Et puis nous donnerons des
preuves de la vérité de nos assertions.
Pour savoir ce que l'on pense généralement dans le
monde savant de la période où l'influence du grec et du
gaulois se fit sentir sur le latin , nous n'avons qu'à repro-
duire textuellement le passage suivant de l'article : Lan-
gîte latine, par M. Léon Vaïsse, inséré dans l* Encyclopé-
die moderne (Tom. XIX, p. 462 >) : « Les progrès que fait
» la langue pendant cette première période de son his-
» toire ont lieu à peu près en dehors de l'influence étran-
» gère, ce qui fait dire à Cicéron lui-même que le siècle
» des Scipions est celui delà véritable latinité. A l'époque
» du grand orateur les héllénismes avaient déjà oté à la
» langue sa physionomie purement latine. Quand les Ro-
» mains eurent successivement acquis le sud de l'Italie
» et la Sicile , la Macédoine et l'Achaïe , le grec, qui leur
» devint tous les jours plus familier , exerça sur le latin '
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114 LÀ YÉRITÉ SUR LàIàNGUE d'o.
» une pmsaante influence, et, sous la forme nouvdle
» qu'elle prit au contact des populations soumises , la
» langue des vainqueurs ne fut plus , a proprement par-
» 1er , latine : die fut romaine. Elle offrit un idiome mé-
» langé , où è côté et souvent au dessus du vieux fonds
» latin vinrent se placer une foule de termes et de locu-
» tiens grecques. C'est sous cette forme qu'die nous ap-
» paratt dans les plus anciennes œuvres littéraires que
» nous ont laissés les Romains. Plante, Térence, Lu-
» crèce et même Catulle sont en effet remplis d'hellénis-
» mes. L'usage de donner aux enfants des précepteurs
» grecs , qui s'établit dans toutes les familles en position
» de donner le ton à la ville, ne contribua pas peu à im-
» primer à la langue sa nouvelle direction. Du reste , ce
» qu'elle perdit du côté de l'originalité , elle le regagna
» d'un autre côté. Elle reçut des étrangers des qualités
» qui lui manquaient. Aussi est-ce précisément de l'épo-
» que du changement de physionomie du latin que l'on
» fait dater ce qu'on a appelé son âge d'or. »
Cette citation , résumant certaines opinions qui font
autorité dans la science, semble, à première vue, la
condamnation éclatante de notre système. Mais die nous
donne en réalité gain de cause.
En effet, si, dans cette période de son histoire, les
progrès faits par le latin eussent eu lieu à peu près en
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 1 1 5
dehors de Vmfluence étrangère , il faudrait nécessaire-
ment en déduire le dilemme suivant :
l*» Ou ces jwojrré* ne pourraient être autres que ceux
qui s'acawnplissent dans toutes les langues assiduement
cultivées (c'est-à-dire, que le latin serait devenu plus
poli , pins châtié, plus i^oigné, mais que les mots de son
vocabulaire seraient demeurés les mêmes ) ;
2® Ou bieto , dan^ l'hypothèse que Tusagè, la mode ou
toute autre cause eussent fait subir à ces mots quelque
ihodifîcatîon, cette modification Saurait pu être que lé-
gère , et , eût^Ue été profonde , jamais , dans aucun cas,
elle n'eût pu altérer leur physionomie primitive au point
de les rendre méconnaissables et d'empêcher , même par
la désuétude , les termes usités par les premiers Romains
de demeurer compréhensibles pour les Romains des siè-
cles postérieurs.
Les mots ont beau être modifiés , déformés ils gardent
toujours l'empreinte de leur physionomie ï)rimitive. C'fôt
ainsi qu'il û'est pas une seule personne en France qui ne
puisse facilement comprendre le arment prononcé par
Louis-le-Germanique et te traduire immédiatement dans la
langue actuelle , quoique près de mille ans séparent le
français parlé Sous Chairles-le-chauve du français du
XIX sièdé? On peut s'âsSurer du fait à l'instant même.
Voici ce serment tel que le rapporte Nitard :
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146 M TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
\
Por Deu amor et por Christian pople et nostre com-
mun salvement de ste di en avant en quant Deu savoir
et poir me donne , si salvarai-je cist mon frère Karle et
en adjude serai en cascune cose si cum om per dreict
son frère salver dist en o qui il me altresi fascet et à
Lothaire nul plaid nonques prendrai qui, par mon voil ,
à cist mon frère Karie en dam seit.
Sauf le mot latin di {dies ,jour) qui ne s'est point con-
servé dans notre langue, tous les autres mots, contenus
dans le serment de Louis-le-Germanique, se retrouvent
encore en français et s'y peuvent facilement découvrir ,
malgré les changements , la plupart considérables , que
leur a fait subir l'usage. C'est pourquoi , si les Romains
avaient continué de parler l'idiome de leurs ancêtres
sans faire aucun emprunt aux idiomes étrangers , les
termes , composant leur premier vocabulaire , auraient
eu beau être modifiés , altérés même , ils n'auraient point
laissé, pour cela, de conserver toujours une certaine
ressemblance avec les mots transformés résultant de ces
modifications ou altérations , et ces mots anciens n'eus-
sent jamais cessé de demeurer intelligibles.
Or , il n'en a pas été ainsi. Nous lisons encore dans
l'article de M. Vaïsse , cité plus haut : « Du temps de Ci-^
» céron aucun Romain n'entendait plus le latin de ces
» compositions. (L'auteur vient de parler du Carmen
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 417
» des Frères ArvaleSydes lois de Numa et de Servius-
» Tullius, ainsi que des hymnes des prêtres salions).
» On ne comprenait du reste guère non plus alors la loi
» des douze tables , œuvre des décemvirs , qui fut pro-
» mulguée en Tan de Rome 304 , c'est-à-dire quatre siè-
» des et demi avant notre ère. »
Et plus bas, le même auteur ajoute : « En preuve du
» respect qu'avaient les Romains pour le texte original
» des actes authentiques les plus anciens nous avons,
» entr'autres témoignages , celui de Polybe , au livre III
» de son histoire. Parlant du premier traité fait avec les
» Carthaginois, traité signé par les consuls Lucius Junius
» Brutus et Marcus Valerius, et antérieur par consé-
» quent de vingt, huit ans à la descente de Xercès en
» Grèce, cet auteur s'exprime ainsi : La langue a éprouvé
» tant de changements depuis ce temps jusqu'aujour-
» d'hui , que ceux même qui sont le plus versés dans la
» science des antiquités ne peuvent comprendre qu'avec
» une très grande difficulté les termes de ce traité. »
D'où pourrait donc provenir une aussi grande révolu-
tion dans 4e matériel de la langue latine, si elle n'eût
point subi , à cette période de son existence , d'influence
étrangère ?
Cela provient-il de ce que quelques-uns des anciens
mois sont abolis, verborum vêtus interit œtas (Horace^,
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418 LÀ rtHiTÊ mtL la lahgui d'o.
Art poit. V.6\.)tàece que de nouveaux mots sont in-
troduits , etjuvenufn ritu florent modo nata, vigent que
(id. ibid. t. 62. ) ? ou de ce que les mots sont dans une
mobilité perpétuelle, mobilité bien reconnue et parfaite-
ment exprimée par le poôte de Tibur (ibid. v. 70) :
Multa renascentur quse jam cecidére , cadentque
Qus nunc sunt in honore vocabola , si volet usus
Quem penès arbitrium est, et jus, et norma loquendi?
Nous ne le pensons pas. Ces causes peuvent bien à la
longue modifier peu à peu et jusqu'à un certain point le
langage primitif, mais elles seront toujours impuissantes
à le changer, par elles-mêmes, aussi radicalement que
cela est arrivé poui* le latin.
— Nous avons défini une langue , la totalité des usages
propres à un peuple pour exprimer ses pensées par la
voix. Ce sont ces usages qui fixent les roots et la syn-
taxe. Les mots sont les signes des idées et naissent avec
elles. Ainsi une nation déjà formée et distinguée par son
idiome , ne saurait faire l'acquisition d'une nouvelle idée,
sans faire en même temps Pacquisitiofl d'un mot nou-
veau représentant cette idée. Si c'est de son propre fonds
qfU'un peuple tire une nouvelle idée , ce ne peut être que
le résultat de quelque combinaison des idées anciennes.
Et voilà la route tracée pour aller jusqu'à la formation
du mot qui en sera le type I Puissance dérive de pnis^
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LANGUE LÀTHfB OU ROlUDfE. 4 4 9
êàni j ridée abstraite étant prise dans l'idée concrète.
Painfl»o/est composé de panr^ garantir, et de soleil y
l'idée de ce meuble étant le résultat de la combinaison
de ridée de Tastre qui darde des rayons brûlants et de
l'idée de Fobstacle qui pare les efTets de ces rayons.
Il n'y a donc en définitive , aucune idée connue chez
un peuple qui ne soit désignée par un mot propre de
la langue de ce peuple. Mais , par là même que tous les
«iotsnouveauxseronttires.de son propre fonds, cette
langue demeurera d'autant plus inaltérable , et , quels
que soient les changements amenés par l'usage , ses plus
anciens documents ne seront jamais indéchiffrables. Il
sera toujours possible de les interprêter au moyen de
l'étymologie.
La langue grecque nous fournit une preuve de la vé-
rité de notre proposition. Les plus antiques monuments
de cette latigue ont toujours été intelligibles pour ceux
qui parlaient grec , et le grec nous est encore aujourd'hui
d'un puissant secours pour Pinterprétationi des inscrip-
tions pélasgiques de l'Italie.
En serait-t-il de même si une nation introduit dans
sa langue deâ vocables étrangers ? Non certes I Et cela
est facile à comprendre.
En effet , si une nation tire une idée quelconque d'un
peuple voisin, elle en tirera de même le signe vocal qui
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120 LÀ YÉRITÊ SUR LÀ LANGUE d'O.
la représente, et dont, tout au plus, elle réduira la
forme matérielle à l'analogie de son idiome. C'est ainsi
que tant de mots anglais, espagnols, italiens , allemands
se sont introduits en français et que chaque jour nos sa-
vants en prennent du grec ou du latin. De plus, si quel-
ques-uns des anciens mots sont abolis , parce que le ha-
sard des circonstances en montre d'autres, chez des peu-
ples étrangers , qui paraissent plus énergiques , ou que
l'oreille nationale , en se perfectionnant , choisit comme
plus appropriés à ce qu'ils doivent exprimer , de nou-
veaux mots sont alors introduits , parce que de nouvel-
les idées ou de nouvelles combinaisons d'idées en impo-
sent la nécessité et forcent de recourir à la langue du
peuple, auquel on est redevable de ce* nouvelles lumiè-
res. Mais, en ce cas , il arrive que les termes nouveaux
font oublier les anciens, et si alors on se trouve obligé
d'interpréter un document écrit à l'époque où la langue
n'avait encore subi aucune modification, aucune influence
étrangère , cette interprétation devient impossible ,
parce qu'il n'y a plus aucun rapport, aucune analogie en-
tre les anciens mots nationaux et les mots nouveaux , de
provenance étrangère, qui les ont remplacés.
Une considération d'un grand poids vient s'ajouter
aux preuves que nous venons de donner (preuves déjà
cependant suffisantes par elles-mêmes) , que le latin n'a
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 121
pu se former et ne s'est réellement pas formé en dehors
de toute influence extérieure. Si le latin , en effet , n'avait
pas contracté d'emprunt, il s'ensuivrait que son vocabu-
laire serait exclusivement composé , du moins quant à la
première période de l'histoire de celte langue, de mots
pélasgiques et ombriens. Or, nous avons déjà démontré,
en nous occupant des Tabks Eugubines, qu'il n'était point
un seul vocable pélasgique que l'on ne put facilement
traduire au moyen du grec, ni un seul vocable ombrien
qui ne se retrouvât dans l'erse. Cependant certains do-
cuments , appartenant à cette première période et aux
suivantes , jusqu'à l'époque de la disparition du latin de
la scène du monde en tant que langue vulgaire , nous
offrent plusieurs locutions absolument inconnues au pé-
lasge , à l'ombrien , au grec , et par conséquent intradui-
sible par le seul secours de ces trois idiomes. Donc , les
Romains avaient dû emprunter ces mots à des idiomes
autres que les idiomes Ombrien , pélasgique et grec f 1 ) ?
(i) Il est impossible d'admettre que les Romains , à mesure qu'ils
ont eu besoin de nouveaux signes pour exprimer de nouvelles idées »
se soient plus à assembler des sons, arbitrairement et au basard,
pour en composer des mots. Il serait aussi absurde de le supposer
qu'il serait absurde de croire qu'une nation , une peuplade , une fa-
mille même , puisse augmenter et enricbir son vocabulaire de la sorte.
On peut à la rigueur mutiler, défigurer la forme matérielle de quel-
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422 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Le linguiste M. Vaïsse, a donc erré en prétendant
que le latin de la première période avait i»*ogressé à
peu près en dehors de rinfltience étrangère? {\)
\
ques signes , en dénaturer le sens , créer ainsi un langage de conven-
tion qui n*est en somme qu'un argot ; mais on ne peut pas introduire
dans une langue une certaine quantité de termes , inventés à plaisir ,
qui n'aient aucune parenté , aucune affinité avec, d'atitrés mots de cette
langue.
Toute langue peut créer un nouveau signe pour exprimer une nou-
velle idée , en accouplant les mots qui servaient à désigner les idées
particulières d'où cette idée est née. Elle peut emprunter des termes
à des idiomes voisins; mais il n'est pas d'exemple, et l'histoire des
langues en fait foi , qu'un peuple ait jamais inventé un seul mot de
son vocabulaire.
On pourrait citer ici comme exemple le Sabir , sorte de jargon dont
tous les marins du bassin méditerranéen se servent pour communiquer
entr'eux. On trouve dans cet idiome factice des mots appartenant à
toutes les langues des pays que baigne cette mer. Mais y trouve-t-on
un mot, un seul mot, qui ait été créé ou inventé arbitrairement ?
Non , mille fois non !
(i) Dans la premier passage que nous avons extrait de son article,
M. Vaïsse semble considérer le grec comme une langue étrangère
par rapport au latin et lui attribuer exclusivement les changements
opérés dans la langue des Romains.
Il est incontestable que le grec a sensiblement contribué a rendre
le latin plus poli , plus raffiné , plus harmonieux dans son ensemble ,
mais le grec ne Ta point changé , ne l'a pas bouleversé. A plus forte
raison n'a-t-il pas pu enlever au latin son type primitif et caracté-
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LÀNGUB LATINE OU ROMAINE. 123
D'ailleurs, par le mot d'à peu près, inséré dans sa
phrase , ainsi que par les assertions qfu'il émet plus loin
sur les traces du celtique dans le latin , le collaborateur
de l'encyclopédie moderne semble insinuer que Tidiome
gaulois dut donner à l'idiome romain quelques tins de
ses signes vocaux. Mais , pour M. Yaïsse, le Celtique est
le gaëlique. Or ce gaëlique est, nous Tavons vu, tout
uniment l'ombrien. Les conclusions de M. Vaïsse se re-
tournent contre sa thèse , savoir : que les progrès du
latin ont eu lieu en dehors de toute influence étrangère.
Aux surplus le contraire nous est démontré :
4** Par la présence dans le latin de la première époque
de mots assez nombreux qui sont absolument étrangers
aux idiomes ombrien , pélasgique et grec.
2** Par le changement , extrêmement sensible, opéré
dans le matériel de la langue romaine , pendant cette
même période , transformation ou changement dont on
peut s'assurer en confrontant le langage des Romains sous
Thttque. Sortis tous deux d'une souche commune , frères par consé-
quent, le grec ne pouvait faire perdre au latin les traits de la
ressemblance de famille , sans les avoir au préalable perdus lui-même ,
ce qu'il n'a jamais fait. Donc cette prétendue influence étrangère
serait tout à fait chimérique s'il était question du grec , car le titre
d*étran^er , par rapport au latin , ne saurait lui être appliqué et ne
po\irpait , dans aucun cas , lui convenir.
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124 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
le règne de Romulus au langage de ses descendants sous le
gouvernement des décemvirs , près de 300 ans plus tard.
Pour que l'on puisse mieux se rendre compte de la
différence qui existait dans le latin de Romulus et le
latin des décemvirs , nous croyons devoir reproduire ici
les deux principaux monuments qui nous restent de
l'une et l'autre époque. Ces monuments sont le Carmen
des frères Arvales et la Loi des Douze Tables.
Carmen des frères Arvales. (i) .
Enos lases iwate.
Enos lases iwate enos lases iwate. neve Ivaerve
Marma sins incvrrere in picores neve
Lverve marmar sins incvrrere in
Pleores. neve lverve marmar sins
Incvrrere in pleoris. Satvr fvrere
Mars limen. Sale sta berber. Satur
Fvfere mars limen sali sta berber
Satvr fvfere mars limen sali sta
Berber. Semvnis alternei advocapit
Conctos. Semvnis alternip advocapit
Conctos. Semvnis alternip advocapit
(i) Extrait de l'ouvrage intitulé : Gli atti e monumenti de fratelli
Arvali , par le Cardinal Marini.
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LAN[GUE LATINE OU ROMAINE. \ 25
'■■II'' I ■
Çonctos. Enos marmor iwato.
Enos marmor iwato. Enos marmor ivvalo.
Trivmpe. Trivmpe. Trivmpe.
Voici Finterprétation que domie* Ab. Lanzi de la
chanson des frères Ârvales , et les explications dont il
l'accompagne.
Nos (1) Lares (2) juvate.
Nos Lares Juvate. Nos Lares juvate. Neveluerhem (3)
Mamers sines (4) incurrere in flores (5). Neve
Luerhem Mamers sines incurrere in
Flores. Neve luerhem Mamers sines
Incurrere in flores. Ador (6) fieri (7)
(i) Corne esum per sum.
(2) Quint, lib. L C. 6.
(3) TotaraspirazioneVunitaallaR, come presso i Greci. E agiunto
la finale M , si forma luerem per luem : déclinazione antica come
apollinarem , dierem, etc., etc., invice di apollinem ediem, Scaliger
in varr. p. 24.
(4) Sim per sines , come Murua per Mener va in patere etruscha.
Sines e lo stesso che sinces in latino antico.
(8) In pleores : in flures o in flores , come Purii per Furii.
(6) Atur, ador, é nelle tavole Eugubine. qui é aggiunta l'aspira-
zione S.
(7) Fufere per fiere. Tolta l'aspirazione e cangiata TV neU'affine I,
divien fiere. g i, oss. IV, no 4. fiere olim fieri , Gell. XIX, 7. —
Ador fieri é grecismo, çtrat yipto-rttt, ut ador, seu fruges eve-
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426 LA TÉIITÉ SUR LE LANGIJB D^O.
Mars limen. Maris (4) siste (2) bcrijer. Ador
Fieri mars limen. maris sistè berber.
Ador fieri mars limen Maris siste
Berber. Semons alterni (forte) advocate{3)
Cunctos (4). Semones alterni advocate
niant. Nello stesso versetto scrivesi anche fvrere , corne nelle tavole
Eugubine
(i) A0i/<9f e xv/tAn cifcof peBtilitas maria, Caligo, uredo.
(2) Sta per $iiU. Jupiter stator a stando, id est, sistendo milite.
Berber é fopse epiteto di Marte. Marlier , Bersier^ é nella tavela
2 Eugubina. Sospetto chesia laconismo : V. § ii , oss. I. no 1 Tolte
le aspirazioni laconiche , la voce riducesi à herher. Enfno per Apq$
é secondo il dialetto laconico.
(3) Verisimilmente dee supplirsi la finale corne in facul , âiffienl:
Advocabite pote dirsi corne perhite in luogo di perite \ Fèst. Pià oltro
non so in cosa si incerta.
(4) Can^iamenti simili di Y in 0. Son frequenti nella seconda tavola.
S'invocano dapprima i Lari ; poi Marte che qui é nominato Mamars
quasi all'uso de'sabini , Mamers. Egli é anche suppUcatO nella for-
mola del sacriftzio rusticano presso Gatone :
Mars pater , te precor, etc. , etc. , (R. R. cap. 4i. ).
Questa formola da lace al verso se qui se prega per le campagne
affîn che non venga arboribus que satisque lues ( Virg. lib. RI ) e si
potra intender de'fiori, de'prodotti ; la voce plures, cioé flures,
sècondo il gia detto nel t^apo précédente. FlUres e'detto corne frunies
e f unies,
Sregue la invocazione degli Dei Semoni, spécial! CUstodi délie
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LàNGUB LATINB ou ROlAUfE. 487
dnnctos. Semones alterni advocate
Gunctos. Nos Mamuri juvato.
Nos fifamuri juvato. Nos Mamuri juvato.
Triumphe. Triumphe. Triumphe.
iF'ragments des Lois des Douze Tables , qui nous ont
été conservés par plusieurs auteurs latins , notamment
par Ciceron :
1 . Si in jus vocet , atque ( id est , statim ) eat.
2. Si membrum rupsit ( ruperit ) , ni cum eo pacit ( pas-
cicetur ) , talio esto.
3. Si falsum testimonium dicassit (disent), saxo
dejicitor.
4. Privilégia ne irroganto : ( se. magistratus;.
5. De capite (de vità, libertateet jure) ci vis Romani ,
nisi per maximum centuriatum (per comitia cen-
turiata ) ne ferunto.
6. Quod postremum populus jussit , id jus ratum esto.
7. Hominem mortuum in urbe ne sepelito, neve urito.
8. Ad divos adeunto caste : pietatem adhibento : opes
amovento.
9. Qui secus faxit, deus ipse vindex erit.
campagne-, rultimo nome é Marmor, o , corne é scritto in uno de tre
irersetto, Mamor, o sia Mamuri. Mamuri fu Tarteflce degli ancili ,
c Bcudi saliari. eU;., etc., (^Mt$t de L^nsi.J
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128 LA YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
10. Feriis jurgia amovento. Ex patriis ritibus optima
colunto.
1 1 . Perjurii psena divina , exitium ; humana , dedecus.
Impius ne audeto placare donis iram deorum.
M, Nequisagrum consecrato, auri, argenti, eborissa-
crandi modus esto.
1 3 . Qui in jure manum conserunt ( id est , apud judicem
disceptant) , secundum eum qui possidet, vindi-
cias dato.
14. Si ensiet (si autem sit) qui in jus vocalum vindicit
( vindicaverit) , mittito. etc. , etc.
Examinons maintenant avec attention les différences
qui existent dans le latin de ces deux monuments. Voyons
aussi en quoi ces différences consistent et d'où elles pro-
viennent.
Dans le premier document , il est à peu près impossible
de discerner les habitudes grammaticales du latin classi-
que ou littéraire. Dans le second, quoiqu'on apperçoive
facilement ces habitudes, la langue est encore fort éloi-
gnée d'être ce qu'elle devint au temps de Cicéron.
Dans la Chanson des frères Arvales , ce qui frappe tout
d'abord, c'est que l'alphabet romain s'est déjà enrichi de
deux lettres que les Pélasges ne possédaient point, comme
le démontrent les Tables Eugubines et les inscriptions
étrusques. Ces deux lettres sont la consonne C et la vo-
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LANGUE LATINE OU ROUAINE. 4 29
yelle O. Il est vrai que riniroduction du C dans le latin
n'est pas , à proprement parler , la conquête ou Tacqui-
sition d'un nouveau son , puisque , dans cette langue , au
lieu d'avoir la double prononciation qu'il a en français ,
le C sonna toujours comme le À" qu'il a remplacé. Du
reste , cette lettre est tout simplement le Caph des Hé-
breux et des Phéniciens. Seulement , ces derniers tour-
naient l'ouverture de la consonne C vers la gauche. Les
Romains Font tournée vers la droite^
Une seconde remarque très-intéressante, c'est la faci-
Uté avec laquelle VE dans le vieui: latin tend à se chan-
ger en /, et réciproquement; à cause de l'affinité de ces
deux voyelles. Il en est de même du changement du P en
F, et de VR en F et en S. Mais inutile de nous appesantir
sur ces détails. Mieux vaut , ce nous semble , rechercher
la provenance des mots contenus dans les documents
précités. Commençons par le Carmen des Arvales.
Jvvate est un verbe composé dont les deux racines se
retrouvent dans le pélasge des Tables Eugubines , wa ,
clamantes, et asa ou ase, servare, succurere, qui est
formé par agglutination, vvase, vvaare (PS étant sou-
vent employée pour VR ) et par transposition de lettres
evvare. Mais commère* se change fréquemment en /,
cela a donné ivvare,juvare, dont la signification serait
clamanêêm servan, ou mieux , clamantiiuccurere.
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430 LA YtlITÉ SUR Ul LANGUE B'O.
Lvaerve, que Lanzi traduit par luerbem et e& qud 3
ne voit qu'un mot simple , est encore un mot composé
dont les radicaux se trouvent dans les mêmes Tables.
Lvma, contagion, ervh, dévaster, ont formé aussi par
agglutination Ivmaervke, et, par syncope ( métaplasme
fort usité chez les ftomains) , luaeruey lues vastatrix.
Un autre mot composé est celui de Fvrere ou Fvfore^
que Lanzi expliqua par /ïm, fiere. Nous croyons que ce
mot est formé de deux mots pélasgiques des Tables Ëa-
gubiaes, vretv, uredo, et ère, servare. Fre^i?-erc a pu se
contracter en vr-ere ou vre^re. Or ce mot en y adjmgna&jt
la préposition pélasgique dqf, de, dont F A disparaît par
apocope et dont P se prononçait tantôt P, tantôt F,
comme le pj hébraïque , a pu devenir fvrere, ah uredinfi
serva.
Mars, en qui Lanzi croit voir le nom du Dieu de la
guerre , serait d'après nous le même mot que mers , des
Tables précitées, mot qui signifie enfoui ^ dispersé,
répandu j submergé. Ce qui semblerait justifier notre
opinion , c'est que le nom de cette divinité ne dérive pas ,
ainsi qu'on pourrait le croire , du mot grec kfnç , mais
qu'il provient , soit du terme ombrien maomhair ,
terrible , soit du verbe grec (xap[jt.atpa) , briller y reluire ^
être éclatant. Ce no serait plus alors qu'une simple
épithëte du dieu Xpvic » que Ton aurait ainsi qualifié
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LANGUE LAXilfE OU ROBUiPfS. 434
à cause de Téclat de ses arme^. Cette ^ithète devrait ,
en pareil cas y avoir le même sens que le mot grec
[jiap(tapo£iç.
Les anciens latins , pour désigner le dieu de la guerre
ne se servaient que du mot de Mamers, ou de MavorSy
dont leurs descendants firent Mars par contraction.
Or puisqu'on n'avait pas encore modifié le mot Mamers
ou Ma vers , on ne pouvait appliquer au dieu en ques^iji^
1q nom de Mms,. Ce nop^ dcMit donc avoir ici un^ autre
signification. L'auteur du carme^des arval^ a déjà désigné
trois fois le dieu de la guerre par Marmar, ou Marmqr,
Dans quel but aurait-il multiplié les prétendues manières
de prononcer ce mot et accumulé les épithètes. Lanzi ne
va-t-il pas jusqu'à prétendre que Berber a un sens
analogue ? Rien ne nous autorise à supposer qua l'auteur
de la chanson des Frères Arvales ait eu pareille intention.
D'autant plus qu'on peut trouver un sens convenable
à la phrase en donnant à Mars la même ^gnification
qu'à mers, et à Berber , la même qu'à therther. Il n'y a
d'^iUeucs eatpe ces deux derniers mots d'autre différence
qu'un insignifiant changement de lettres (ce qui avait
fréquemmsnt lieu dans la langue des premiers Romains).
Nous pensons donc qu'il serait plus juste et plus rationnel
detraduire man par m^r^um, c'est-à-dire /am in terra
i^fum.
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432 LÀ YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
Incurrere , courir sur , s'étendre, tomber, vient du
verbe grec âva^oiperv, être avancé dans les terres, qui se
compose lui-même de la préposition ev, dans , du subs-
tantif x<<^P?9 P^y^ ) 6t du verbe p^eiv, s'étendre , se pré-
cipiter , d'où le verbe latin niere.
In , vient de év.
Pleores, peut dériver également , soit de i^^ffiç ( pi.
ir^iffpetç ) , complets, pleins, comblés (sous-entendus de
tes biens), soit de irXaiaoo), û, pour ^^aierô, courber,
tourner en dehors, f c'est-à-dire , courbés devant toi
pour te prier) . Ajoutons cependant que l'explication que
donne Lanzi de ce mot nous semble meilleure et nous
parait préférable.
Satvr, se retrouve dans Sitoç, grain de blé {on dit
aussi en latin sitos) , et par extension pain. Il est vrai
que ce même mot existe , exactement semblable mais
avec la signification de assez , dans quelques auteurs
latins , dans Plante par exemple , qui écrit : Lavando
satur , qui s'est assez baigné,
Limen, en grec >.t(ÀYfv , port. Au figuré, retraite, re-
fuge.
Sale , serait ou loiloç, agitation des flots, inquiétude,
agitation, ou J^àV/:, tempête, tourmente, ouragan,
tourbillon.
Altemei semble devoir provenir du verbe greo
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LANGUE LATIUrS OU ROMAINE. 133
ÀT^aivcû , ou À^^vfdxo) , faire croître, d'où À^&aivopo;,
celui qui fait croître.
Conctos nous paratt être la prononciation barbarisée
de Taneien mot pélasgique pvntes, tous , qui devint ep
grec TcovTeç.
Quant au mot Lases pour Lares , nom des dieux pro-
tecteurs du foyer chez les Romains j on retrouve en lui
le terme ombrien Lars, seigneur , maître, qui s'est
conservé en erse, oii il est devenu Laird dont les An-
glais ont fait Lord,
San"^ doute on peut nous objecter que le mot La/r$
était usité aussi chez les Etrusques et y avait exacte-
ment la même signification. D'où il suit €[ue , les Etrus-
ques étant de race pélasgique, ce nom devrait être
rangé , non dans le vocabulaire ombrien , mais bien dans
le vocabulaire pélasgique. Cette conclusion serait d'au-
tant plus spécieuse que, en grec, Aapo; signifie dotAX,
agréable , charmant , gentil, et qu'il n'y aurait rien de
surprenant à ce que les anciens Pélasges eussent donné
cetadjectif qualificatif en guise de nom à leurs divinités
tulélaires. Pareil fait ne serait pas d'ailleurs sans
précédents , et il rentre complètement dans le génie de
leur langue.
Cependant, tout nous porte à croire que ce n'est
point du mot Aap(iç que provient le mot Lars , beaucoup
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134 LA VÉRITÉ SUR LÀ L^GUE-d'O.
plus archaïque et dont on a fait peut être Laros; car la
flatterie ne date pas d'hier, et le maf/re s'est toujours
vu donner ^ par ses inférieurs ou ses subordonnés , des
épithètes agréables , propres à flatter son amour-propre.
•Rien ne prouve, au surplus, que les Ombriens aient
pris ce mot des Etrusques. L'opinion contraire ne nous
parait donc point répréhensible , elle ne choque ni la
vraisemblance ni la logique.
Nous allons plus loin. Si Lars appartenait réellement
à la langue étrusque ou pélasgique, ce mot, considéré
en lui-même et dans ses rapports avec les autres mots
de la même langue destinés à signifier toutes les idées
accessoires dont l'idée individuelle , qui leur a donné
naissance, est susceptible, serait arbitraire, sans racine,
sans parenté, sans affinité avec les termes dont les
étrusques se servaient pour exprimer l'idée de posses-
sion, de domination, de puissance. Il y serait sans te-
nants , sans aboutissants.
C'est un fait incontestable que les mots, dont on se
sert pour exprimer les idées particulières procédant
d'une idée principale commune , possèdent tous le
môme radical et ne diffèrent entr'eux, suivant les idio-
mes , que par des terminaisons ou des affixes et des
postfixes. Ces désinences varient la forme du radical
commun^ mais conservent cependant à chaque mot sa
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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 435
ressemblance spécifique avec d'autres mots prévenus
du même radical , tout en donnant à chacun des termes
qu'ils affectent des traits différentiels qui empêchent
qu'on puisse les confondre avec tel ou tel autre terme
sorti de la même source et destiné à peindre une autre
modification , une autre nuance de l'idée mère ou
type.
Or, cette loi serait violée si le mot Lars était réelle-
ment pélasgique ou étrusque. Elle est confirmée au
contraire, si Ton restitue ce mot à l'idiome ombrien,
représenté aujourd'hui par l'erse.
Si l'on consentait à admettre l'explication du carmen
des frères Arvales par le secours du grec, ce qui serait
en somme fort rationnel , le grec n'étant qu'un dialecte
du pélasge, on obtiendrait en latin :
1 . Nos , Lares , clamantes servate, vel , nobis , Lares ,
clamantibus succurrite.
2^. Neveluem vastatricem, Terribilis (id est Mars)
sines incurrère (irruere) in cumulâtes (in ques plenâ
manubona congessisti), aut inclinâtes (se. tibi sum-
misses) , seu in flores ( fructus terras).
3. Adorem (employé ici dans le sens de grain de
froment ou de blé irupou ou citou xo/jcoç , ou dans le sens
de adorea^ biens de la terre) ab uredine serva mersum
(idest, jam satum).
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436 LA TÊRITÉ SUR LÀ LAIfGUE d'o.
4. Limen (propugnaculam) teiiq)estatis aut manda-
tîonis esto percursœ (victœ).
5. Semones cretores advocalote omnès.
6. Nos, TerribUis (Mars) , Juvato.
Ceci, on le voit, ne diffère guère de rexplicati<m
donnée par Lanzi.
Par le moyen du grec, il est donc possible et &cile de
traduire tous les mots contenus dans la Chanson des
Arvales.
n nous reste à prouver , en nous servant encore du
procédé dont'' nous venons de faire usage , qu'une cer-
taine quantité de vocables , employés par les décemvirs
dans les fragments des lois des Douze Tables que nous
avons rapportés , ne peuvent se traduire ni par le grec,
ni par Tombrien.
Par exemple , il y a dans ces fragments un certain
nombre de mots tirés du pélasge ou grec^ancien, comme
ix>cet (vocare) qui dérive de vvem, clamate, voccUe;
Uirito (urere) venant de vstite, incendite.
D'autres mots viennent du grec , déjà modifié par ses
éléments étrangers, comme: Jus, qui provient évi-
demment de î(ù^i; et (en supprimant la terminaison )
d'ïû)^, abri, refuge; d'où Ton a sorti Tidée de droit, de
même que les Grecs ont tiré ^ixtî, qui exprime la même
idée , de Âucatô>, croire juste ou convenable, réclamer,
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j
LANGUE LATINE OU ROMAINE. 437
eacdger une chose juste. Il y a aussi Eat, (ire) qui vient
deelfAi, eïvatj aller. Quelques-uns enfin dérivent de
l'Ombrien.
Par contre , il en est un certain nombre qui ne sont
ni pélasgiques, ni ombriens, ni grecs, et dont on ne
peut expliquer la présence en ces fragments si Ton
persiste -à soutenir que , pendant sa première période ,
le latin s'est développé à Pabri de toute influence étran-
gère.
Or, ces mots étrangers sont, d'après nous, au nom-
bre de quatorze et n'ont aucun rapport ni avec le
pélàsge , ni avec l'ombrien , ni avec le grec , ni par suite
avec le latin, puisque ce dernier idiome est censé, à
l'époque dont nous parlons, n'avoir été formé que par
ces trois seuls idiomes.
' Citons quelques uns de ces mots que nous affirmons
être d'origine étrangère :
Membrum, membre Ce mot se dit en latin Artus. Il
est vraisemblable que ce dernier mot, artus, ne pouvant
trouver son équivalent en aucune autre langue , est
d'origine pélasgique. Mais membrum est un mot d'em-
prunt.
Talio, talion. Il est impossible de trouver dans le
pélasge, l'ombrien ou erse , et le grec archaïque , un
mot, ayant le même sens, lequel offre même un sem-
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438 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Mant d'analogie avec celui-ci. Talio est comme memn
hrum un mot hétérogène.
Dicassit (dicere). Le latin exprime aussi la même idée
par hqui, qui se rapproche davantage du grec >iyeiv.
Homo, se disait en pélasge vr ou vri (au pi. vrtes
homines) qui devint le mot latin vir. Les Grecs signi-
fiaient le même objet par âvifp ou avOpcdTTo; dont la racine
est ovTÎp, homme, cSij;, figure, aspect, ml. Les Ombriens
rendaient la même idée par le mot Ach.
Ces termes-là ne sont évidemment que des emprunts.
<^Mais pour qu'une nation emprunte des idées et des
vocables à une autre nation il est absolument nécessaire
qu'elle soit en contact ou en communication avec elle.
A l'époque où furent promulguées les lois des Douze
Tables , Rome n'avait de rapports qu'avec les Etrusques,
les Ombriens, les Grecs et les Gaulois, c'est-^à-dire
avec les quatre peuples (1) qui se partageaient la pénin-
sule italicpie. Or les termes précisés n'appartiennent ni
au vocabulaire des Etrusques, ni à celui des Ombriens,
ni à celui des Grecs. C'est donc du vocabulaire gaulois
que les Romains ont tirés ces termes étrangers. L'asseri-
(i) Avec les trois peuples, devrions-nous dire, puisque les Etrus-
ques el les Grecs, sortis tous deux d'une souche commune , ne sont
en réalité qu'une seule et même race , la race Pélasgique.
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LANGUE LATINE OU ROXAINE. 139
%Um est d'autant plus vraisemblable que les termes eci
question ne se trouvent que dans le seul idiome celtique
ou gaulois et qu'ils y sont sans synonymes.
RésuaK>ns-nous :
4<» n est impossible d'admettre que le latin se soit
£cMrmé, pendant sa première période de gestation , sans
subir d'influence étrangère , puisqu'on trouve dans les
documents qui nous restent de cette époque de nom-
breux mots étrangers aux langues d'où provient le latin,
nous voulons parler du pélasge, de l'ombrien et du
grec.
3» Ces mots étrangers ayant toujours existé et existant
encore dans le celtique ou gaulois , c'est au gaulois ou
celtique que le latin les a réellement empruntés.
Une importante considération vient d'ailleurs corro-
borer cette dernière conclusion.
Les Gaulois se scmt implantés en Italie l'an 465 de
Rome , environ 600 ans avant l'ère chrétienne ; ils y
ont, dès cette époque, fondé des établissements impor-
tants presqu'aux portes de la cité romaine avec laquelle
• ils n'ont jamais cessé d'avoir des démêlés. Or , il se
trouve que les rares fragments de la langue latine anté-
rieurs à l'apparition des Celtes dans la péninsule italique
ne contiennent pas un seul mot qui n'ait une analogie
frappante avec les mots Grecs ou Ombriens destinés à
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\ 40 LA YÉRITfi SUR LA LANGUE d'o.
peindre les mêmes idées chez les Ombriens et les Grecs,
tandis qu'il n'existe aucune analogie entre les termes la-
tins de ces documents et les termes Gaulois correspon-
dants. Dans les monuments romains , au contraire , pos-
térieurs à rétablissement des Gaulois en Italie , il est fa-
cile de constater l'existence d'un grand nombre de ter-
mes absolument identiques servant dans les deux idio-
mes à désigner un objet analogue.
Devons-nous conclure de ceci que les Celtes ont em-
prunté ces termes aux Romains ? Oui I si ces termes
proviennent du pélasge ou de l'ombrien. Non I s'il existe
dans ces deux dernières langues , pour exprimer la même
idée , d'autres vocables sans affinité , sans analogie
avec ceux qui sont devenus communs aux Latins et aux
Gaulois.
On voit dans le celtique quelques termes qui sont in-
(î6ntestablement d'origine pélasgique. Dans le latin , on
trouve une infinité de mots qui n'ont aucun rapport avec
le Pélasge , l'Ombrien et le Grec. On en trouve même
un certain nombre qui font double emploi avec le voca-
ble de provenance grecque , ombrienne ou pélasgique , *
servant à désigner le même objet ou à peindre la même
pensée. Par exemple :
Homo , employé concurremment avec Vir, pour dé-
signer un homme ;
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LÀN6UB LATINB OU RiNHÀlNB. U1
Membrum employé concurremment avec Àrttu\ pour
désigner un mefnbre ;
Mors employé concurremment avec InUritus, obtins,
leihum, pour désigner la mort ;
Imprudens employé concurremment avec Improvidus,
incautus, pour désigner un imprudent ;
Donc, il y a eu entre Gdtes et Romains échange
d'idées et de vocables. Donc , le latin a subi une in-
fluence étrangère , quoiqu'on en dise, ce qu'il fallait dé-
montrer.
Il resterait à rechercher lequel des deux idiomes , la-
tin et gaulois , exerça sur l'autre une plus grande et plus
profonde influence. Mais , nous aurons à revenir sur
cette question quand nous nous occuperons de la langue
celtique. Pour le moment , contentons-nous d'exposer ,
(quitte plus tard à justifier notre proposition^ , que la
langue latine subit fortement l'influence de la langue
gauloise, sur laquelle elle n'edt , à son tour , aucune ac-
tion. Le latin , qui ne devait son existence qu'à un mé-
lange d'idiomes différents et ne subsista que grâce à sa
remarquable faculté d'assimilation , ne fut et ne pou-
vait être ce qu'était le Celte ou Gaulois , c'est-à-dire es-
sentiellement et invinciblement réfractaire aux usages
étrangers^
Empruntons encore quelques citations à M. Vaïsse ,
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1 42 LA TÉRITË SUR LÀ LANGUE d'O.
un des auteurs qui résume le mieux les faits acquis à la
science : « ... Rome, dit-il, n'en continua pas moins de
» faire des emprunts à tous les peuples avec lesquels elle
» fut en rapport , et Tinvasion des termes exotiques ne
» connut plus de bornes lorsque, sous les derniers em-
» pereurs, après les Antonins, les étrangers affluèrent
» de toutes les parties du monde romain dans la capitale .
» L'altération qui en résulta pour la langue marcha d'au-
D tant plus rapidement alors, que depuis les deux Pline
» il n'existait plus d'écrivain capable de la modérer. »
Le même auteur avait écrit quelques lignes plus
haut : —
(' Mais l'élément barbare qui existe dans le latin ratta-
» che cette langue non-seulement au celtique de la Gaule,
» mais encore au cantabre de l'Ibérie et au teuton de
» la Germanie. »
Que le Cantabre et le Teuton aient concouru à enrichir
l'idiome romain de nouveaux termes , c'est ce dont nous
n'avons pas à nous préoccuper. Ce qui nous importe ,
c'est de voir notre prétention relativement au celte jus-
tifiée.
Or, de l'avis de M. Vaïsse lui-même , il est avéré que
l'élément celtique a aidé à la formation et au développe-
ment du latin littéraire ou classique et que l'infiltration
de mots gaulois dans le latin a commencé pendant la
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LANGUE LATINE ou ROMAINE. 143
première période de perfectionnement de cet idiome et
s*est continuée sans interruption jusqu'à la chute défini-
tive du latin en tant que langue vulgaire.
Nous voici amenés à parler du Celtique ou Gaulois. —
Voyons ce qu'était cet idiome.
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CHAPITRE CINQUIÈME
LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE.
QUELLE SST-BLLE?
Dans la partie historique de cet ouvrage , nous avons
démontré que les habitants de la France cictuelle ( abs-
traction faite des Flamands , des Bretons , des Basques
et des Allemands ) y sont les légitimes fîls des Gaulois ou
Celtes et qu'ils ont , seuls, le droit de revendiquer le nom
de leurs ancêtres. Cela ne saurait pourtant nous suffire.
Si personne ne nous conteste l'authenticité d'une pareille
origine , personne aussi ne consent à admettre que nous
parlions encore la vieille langue des druides , le Gaulois.
Il 9
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146 LA YÉRITÊ SUR LA LANGUE d'O.
Qui , de tout le monde ou de nous , se trompe? C'est
ce qu'il nous importe de rechercher avec tout le soin
imaginable.
Nous avons vu qu'on nomma tout d'abord Celtique à
peu près toute l'Europe. « La Celtique des géographes
» grecs , écrit M. le Général de Vaudoncourt , poslé-
» rieurs à ceux qui avaient fait cette première classifica-
» tion , ne comprit plus que les peuples habitant la Ger-
» manie , la Gaule , les tles britanniques et PEspagne.
» C'est ainsi qu'on les trouve en effet désignés depuis
» Strabon. Lorsqu'à la renaissance des lettres on reprit
» l'étude de la géographie ancienne , cette nouvelle clas-
)' sification reiçta en usage et on ne s'occupa plus que de
» rechercher quelle avait été la langue commune des
» peuples de l'Europe occidentale ; car , puisqu'ils étaient
» tous Celtes, ils devaient tous avoir parlé la même lan-
» gue , qu'on consentit à diviser cependant en plusieurs
» dialectes. Le Français et l'Espagnol sont évidemment
» dérivés du latin , de même que l'anglais du germani-
» que. Mais le germanique était une mère-langue : Dans
» les montagnes du pays de Galles et dans celles de l'E-
» cosse , dans les Pyrénées se parlaient d'anciens langa-
» ges qui s'y étaient conservés depuis un temps immémo-
» rial. Des mots appartenants à ces divers idiomes sere-
)) trouvent dans le français , Tanglais , l'espagnol et même
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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 44?
» dans l'italien. Que pouvait-on, dans le système qu'ofl
» avait adopté, faire de mieux que de réunir ôesidiomeà
» dans une seule langue appelée celtique , dont ils for^
» maient quatre dialectes? C'est sur cette base que fut
» composé le dictionnaire celtique, qui se trouve, tomes
» II et III , dans Touvrage du théologien Bullet. On y
» voit réunis, sous le nom de celtiques, une foule de
» mots des langues germanique , gaélique, kymrîque et
» basque. De la même manière , on pourrait réunir quel-
» ques milliers de mots chinois, mandschous, tatars,
» mogols , etc. , dans une même compilation à laquelle
» on donnerait le nom de dictionnaire Scythique. Cette
» idée hétéroclite passa cependant à la faveur des préju-
» gés religieux et sous la bannière de Gomer et d'Asch-
» kenaz. Au lieu d'éveiller une critique raisonnée et de
» faire naître des recherches mieux approfondies , les
» hypothèses de Bullet n'excitèrent que des discussions
» d'amour propre. On admit la langue celtique telle qu'il
» l'avait inventée, avec ses quatre dialectes , et l'on ne
» ce disputa plus que sur la priorité entr'eux
» Tous se sont contentés de comparer des mots pris iso-
* lément, sans égard à leurs flexions , sans considération
» des règles qui président à leurs combinaisons ; et nous
» venons de voir que cette méthode , ou plutôt cette ab-
» sence de méthode, ne pouvait îles conduire à rien
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448 LÀ YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
» Nous allons examiner grammaticalement , plus encore
» que lexicographiquement , les prétendus dialectes d'une
» seule langue , qui serait le celtique , et nous livrerons
» au jugements de nos lecteurs les conséquences qu^on
» peut tirer de notre travail. Ces idiomes sont au nom-
» bre de quatre : le galique , le kymre ou kymrique , le
» vasque, et le germanique. Le premier est parlé dans
» le nord de FEcosse et dans l'Irlande ; le second dans le
» pays de Galles , le Cornouailles et la Bretagne armori-
» caine ; le troisième dans la Biscaye et les Pyrénées ; le
» quatrième dans FAlIemagne , le Danemarck , la Suède,
» la Norwège , l'Islande et TAngleterre. Les limites dans
» lesquelles nous sommes obligés de nous renfermer ne
» nous permettent pas de donner à l'analyse qui va sui-
» vre tous les développements que nous aurions désiré ;
» nous tacherons cependant d'y réunir tous les maté-
» riaux qui pourront , en justifiant nos assertions , asseoir
» l'opinion de nos lecteurs.
Comparaison grammaticale,
» Caractères. 1® Le nombre des caractères exprimant
» des sons divers n'est pas le même : le galique en a 41 ,
» le kymre 37, le vasque 26, le germanique 30 dans l'o-
» rigine et 34 dans les temps postérieurs. 2^ Les sons vc-
» eaux sont au nombre de 1-6 dans le galique ^ 13 dans
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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 449
» le kymre , 7 dans le vasque et 10 dans le germanique.
» Leur valeur n'est pas la même dans chacune de ces
» langues où ils se pronoi^cent d'une manière différente ,
» en sorte que ce qui est une voyelle simple dans une de-
» vient une diphtongue dans les autres. 3® Les consonnes
» de même figure n*ont également pas toutes la même
» valeur dans les quatre langues. Ce que nous venons
» d'exposer suffit pour démontrer la différence radicale
» qui existe entre les quatre langues que nous compa-
» rons, sous le rapport des caractères ou plutôt des
» sons dont elles se servent pour composer les mots.
» La similitude des caractères écrits qu'elles emploient
» disparaît dès que la voix doit exprimer ce que l'œil a
» vu. Chaque individu Gaulois, Kymre, Vasque, Ger-
» main , peut bien lire les mots tracés dans une langue
» qui n'est pas la sienne, si on appelle lire la faculté
» d'épeler , en donnant à chaque lettre la valeur ou le
» son auquel il est accoutumé; mais II ne se fera pas
» comprendre de celui dans la langue duquel il croit
» lire, et qui, à la vue des mêmes lettres , est habitué
» à d'autres sons.
» Noms et leurs déclinaisons, \^ Il existe des différen-
» ces essentielles dans le nombre , l'emploi et la décli-
» naison. ou flexion des articles. 2<* La déclinaison des
» noms présente des différences non moins sensibles, en
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159 Ml têrit£ sur la langue d'o.
» ce que dans les uns Tarlicle est nécessaire , dans d'au-
p très il est facultatif ou même n'existe pas. La même
» variété existe dans les pronoms et les adjectifs.
» Verbes et leurs conjugaisons. La classification géné-
» raie des verbes en actifs et passife , sdon qu'ils se
» rapportât au sujet qui agit ou à celui qui reçoit
» l'action , et leurs subdivisions ©a personnels , imper-
» $onnels ou neutres, directs ou réciproques, sont,
» rdativement aux langues dont nous nous occupon3,
» rœuvre d'un temps assez rapproché de nous. Cette
» théorie n'a pu naître qu'à une époque où la civilisation
)) était assez avancée pour qu'on s'occupât de la fixation
» des règles grammaticales des langues ; et cette époque
» a du être postérieure , dans notre Europe occidentale ,
» à celle de l'établissement du Christianisme , première
» cause du rapprochement des peuples à demi sauvages
» de ceux qui étaient civilisés. De là naît la similitude
» presque complète qu'on observe entre les grdtnmaires
» de tant de peuples européens et celle de la langue
y^ latine. Nous ne nous en occuperons donc pas , et nous
» choisirons des points de comparaison qui répondent
» mieux au but que nous nous proposons, i^ Les pro-
9 noms je , tu , il , etc. , sont également en usage dans le
» galique, le kymre et le germanique, mais l'emploi
» en est difiérent dans chacune de ces langues; 2^ les
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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 451
• /
» nombres ne sont dans ces quatre langues qu'au nom-
» bre de deux, le singulier et le plurid ; 3<> les temps :
» le galique n'a que le présent, le passé et le futur : le
» kynire a pour l'indicatif six temps ; le vasque à égale-
» ment six temps, mais au lieu du parfait indéfini il a
» un second futur; le gOTmanique n'a que cinq temps;
» 40 les modes : le galique en a six , qui tous se forment
» par flexion ou initiale ou finale , seulement les quatre
» derniers emploient devant le verbe la préposition
» caractéristique qui signifie à, pour, afin de; le kymre
» n'a que quatre' modes, qui se forment par flexion
» finale; dans le vasque, la grande complication des
» conjugaisons a fait adopter aux grammairiens qui s'en
» sont occupés un grand nombre de modes, dont le
» nombre s'élève jusqu'à onze, et dont la dénomination
» est plus ou moins arbitraire ; le germanique a six
» modes dont trois se forment directement du verbe ;
» 5« leis auxiliaires : le galique a cinq verbes auxiliaires,
» qui ne sont que des formes diverses du verbe étre^
» mais leur usage y est bien différent de ce qu'il est dans
» les autres langues; le kymre n'a que les auxiliaires
» être et avoir , dont le dernier sert à la conjugaison du
» parfait indéfini et du plus-que-parfait ; le vasque n'a
» également que les auxiliaires être et avoir, dont le
» premier appartient aux formes passives et le second
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1 52 LÀ TËRITÉ SUR LA LÀlVGUS d'O.
» aux formes actives ; le germanique a pour la conjugai-
» son du parfait et du plus-que-parfait l'auxiliaire avoir,
» pour le futur l'auxiliaire devenir , pour la formation
» deToptatif, du subjonctif et du potentiel, vouloir,
» devoir , être disposé , pouvoir et faloîr , pour la forma-
» tion du passif être; 6^ l'infinitif: dans le galique et
» danslekymre, l'infinitif est simple et impersonnel,
» indiquant purement l'action faite ou reçue; dans le
» vasque il en est autrement : le sujet régislant l'action
» au lieu d'être régi par elle, l'infinitif n'est qu'une
» modification impersonnelle du participe ; dans le ger-
» manique il y a, à proprement parler , trois infinitifs :
» le primitif, qui indique l'action; le dérivatif, qui en
)) indique la tendance ou la destination, et le gérondif,
» qui en indique la convenance ou la nécessité; 7® les
» participes : dans le galique , le participe, qui reste in-
» déclinable , a trois temps , qui sont distingués par des
«prépositions; dans le kymre, il y a deux participes
» présents , il n'y a qu'un participe passé et point de
» futur; dans le vasque, le nombre des participes peut
» être considéré comme indéfini par la facilité qui existe
» dans cette langue de changer chaque pà^sonne de
» chaque temps, mode ou conjugaison, en un participe ;
» le germanique a les trois participes , passé , présent
» et futur, qui tous se rapportent au sujet; 8® Verbes
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LANGUE CXLTIQUB OU GAULOISE. i 53
» passifs; dans le galique, les verbes passifs se coiyu-
» gaent par des flexions finales et initiales , sans inter-
» vention d'un auxiliaire , excepté à l'infinitif; dans le
» kymre, ils se conjuguent par Tinter vention de Tauxi-
» liaire être ; dans le vasque, le passif se forme également
» par Tauxiliaire être, mais d'une manière qui n'a rien
» de commun avec les autres langues ; dans le germ^-
» nique, le passif se forme par l'adjonction des auxiliaires
» être et devenir, dont le second remplace, dans les
» prétérits surtout, l'auxiliaire avoir, qui disparait tout
» à fait du passif; 9« système général des conjugaisons :
» dans le galique, le thème, ou la racine du verbe, est
» la seconde personne du singulier de l'impératif; c'est
» autour dé cette racine que se placent les flexions
» initiales et finales , qui forment le présent des différents
» modes ; dans le kymre , le thème ou la racine du verbe
» est l'infinitif; les flexions de cette racine sont toutes
» finales , sans exception , mais le système de conjugai-
» son , dans cette langue , est tout à fait différent de ce
» qu'il est dans les autres. Il n'y a qu'une seule règle de
» conjugaison pour la formation des modes et des temps;
» mais chaque verbe se conjugue de quatre manières
» différentes, selon les différentes positions ou les dif-
» férents régimes. Dans le vasque , le thème ou la racine
y> du verbe est son substantif, dont la première syllabe
9.
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f$4 U YÊEinB SUR LA LANQUB d'o.
» sert à la composition de Finfinitif et des participes,
» Dans le germanique^ la racine ou le thème du verbe
» n'est pas le même dans les différents dialectes. Dans
» le suévique ou Scandinave , et dans le francique ou
» aHemanique, c'est l'infinitif. Dans le mœsogothique,
» où les flexions sont plus marquées , et qui , n'ayant
» qu'un seul prétérit , n'admet point l'auxiliaire, même
» pour le futur , cette racine nous paraît être le subs-
» tantif.
» Adverbes et prépoiitions. Dans le galique , la for-
» mation des adverbes a lieu par deux prépositions,
» l'une pour les substantifs et l'autre pour les adjectifs.
» Dans le kymre elle a également lieu par des préposi-
» tiens, mais elles se placent indifféremment devant leç
» substantifs et les adjectifs. Dans le vasque, les adjectifs,
» comme toutes les modifications de noms , s'indiquait
» par des postpositions ou inflexions. Dans le germani^
» que , les adverbes dérivés des verbes se forment par
» ui^e flexion de l'infinitif, et ceux dérivés des noms par
» une terminaison fixe. Dans la langue galique , les pré-
» positions forment un système tout à fait diff&ent de
» celui des langues modernes. Elles sont ou antérieures
'» ou postérieures, séparables ou non. Outre ces prépo-
» sitions , le galique a encore un certain nombre de par^
» ticules modificatives , qu'on divise en quatre classes :
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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 455
» les dérivatives, les assimilatives, les augmentatives
» elles diminutives. Dans le kymre et dans le germani-
» que, les prépositions sont égalem^t de deux classes ,
» séparables ou conjointes , mais le système de leur
» formation est beaucoup moins étendu que dans le
» galique. Dans le vasque , il y a aussi des prépositions
» conjointes et disjointes ; mais il y a en outre un grand
» nombre de particules modificatives qui ajoutent beau-
» coup à la richesse de la langue.
^) La comparaison grammaticale que* nous venons
» d'établir suffit pour démontrer jusqu'à l'évidence
» que le galique , le kymre , le vasque et le germanique ,
» loin d'être des dialectes d'une même langue, qu'on
» appellerait cdtique, sont des langues distinctes , et
» auxquelles on ne saurait assigner une origine com-
» mune. Elles diffèrent réellement par les sons qu'elles
» emploient pour former les mots , par le système des
» flexions qui représentent les modifications des noms
» et des verbes, par la classification des noms et des
» verbes , par l'espèce et l'emploi des auxiliaires du dis-
» cours. Si les limites imposées au présent ouvrage ne
» s'y opposaient pas , nous présenterions à nos lecteurs
» un vocabulaire des mots qu'on peut appeler radicaux ,
» parce qu'ils appartiennent à des choses et des idées de
» première nécessité, dont l'expression se trouve dans
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456 LA YÉRITË SUR LA LANGUE d'O.
». "
» la langue des peuples dont la civilisation est le moins
» avancée. La comparaison lexicographique qui en ré-
» sulterait fournirait une nouvelle preuve de la différence
» essentielle qui existe entre les langues que nous exa-
» minons. On n'y voit aucun signe d'une idée systéma-
» tique commune , dont Tunité n'aurait pu manquer de
» présenter quelques traces que l'analyse aurait recon-
» nues et saisies. Au contraire il est facile de se convain-
» cre qu'un autre ordre d'idées a présidé à la formation
» de chacune. »
Cet extrait de l'article du Général de Vaudoncourt, est
un peu long. Mais il nous a paru indispensable pour
arriver à la découverte de l'idiome qui , seul , a droit
de se nommer celtique. Le passage en question est loin
cependant de terminer nos incertitudes ; car il ne traite
que de langues absolument étrangères à la véritable
langue gauloise.
Partant d'une idée préconçue , le Général de Vaudon-
court ne nous donne à choisir qu'entre plusieurs langues
qui ont induement usurpé la dénomination de langues
celtiques. Il prouve bien à la vérité qu'entre ces divers
idiomes il ne peut y en avoir qu'un qui soit le celtique ,
puisque tous diffèrent radicalement dans leur apparence
spécifique, respective ; mais il affirme que le véritable,
gaulois , c'est le gaëlique d'Ecosse.
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LANGUE CELTIQUE OU GAULOIS?. 457
Pourquoi donc cette langue serait-elle , plutôt qu'une
autre ., le vrai gaulois î
D'après Larramendi , le véritable celtique est le bas-
que ; d'après Bécan , c'est le hollandais ; d'après Rudbeck,
c'est le suédois ; d'après le Général de Vaudoncourt ,
Mar-Pherson et autres philologues , c'est l'Erse ou gaëli-
que. Enfin Freret, BuUet, Pezron, Quvier, Baxter,
A. Thierry et la généralité des linguistes de notre époque
sont convamcus que le celtique n'est représenté au-
jourd'hui que par le bas-breton et le kymrique du pays
de Galles , en Angleterre.
En face d'opinions aussi diverses , toutes appuyées
sur des preuves plus ou moins sérieuses et des raison-
nements plus ou moins spécieux , on serait en droit de
supposer que rien n'est moins connu en réalité que la
langue celtique ou gauloise. En effet , de toutes ces
preuves , il n'en est aucune , de tous ces raisonnements,
il n'en est aucun qui puissent résister à un examen
consciencieux et impartial.
Ne parlons que pour mémoire des savants qui croient
trouver la langue celtique dans le basque , le hollandais
ou le suédois. Restent ceux qui nomment gaulois les
idiomes erse et bas-breton. Ceux-là ne sont guère plus
formidables. Il est facile , en effet , de prouver que leurs
suppositions ne reposent sur aucune base solide.
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158 LA YtRlTÉ SUR LÀ LANGUE D'O.
Dans la première partie de ce travail , nous avons
démontré que les Basques , les Ecossais et les Bretons
sont trois peuples distincts , n'ayant rien de commun
ensemUe, ni origine, ni mœurs, ni usages, ni traditions.
Inutile de revenir donc sur. ce sujet. Nous ne voulons
en tirer que cette conséquence , c'est que , par la même
qu'ils étaient d'origine diverse , ces peuples ne pouvaient
parler la même langue , pas même des dialectes d'une
même langue.
n est extrêmement aisé de se convaincre que les idio-
mes gaëlique ou erse , bas-breton ou kymrique , basque
ou euscara , n'ont pas le moindre rapport entr'eux et
sont aussi nettement tranchés que possible. Or , si l'un
d'entr'eux était le celtique ou gaulois, les autres ne
sauraient évidemment élever la moindre prétention à
partager ce privilège. En d'autres formes, dans l'hy-
pothèse qu'on puisse retrouver l'idiome gaulois au fond
d'un des trois idiomes en question , il y en aura toujours
forcément deux qui devront être éliminés.
Quels sont-ils ?
C'est ce que nous allons sommairement examiner.
Les savants travaux de M. de Humbold , de l'abbé
Darrigol et d'autres érudits, ont trop bien prouvé que la
langue basque oi^ euscara était l'ancien langage des Ibère$
pour qu'il soit nécessaire de s'en préoccuper davantage.
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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 459
Or comme aucun auteur sérieux n'oserait prétendre que
les Ibères appartiennent à la nation celtique et que leur
langue à été un dialecte du gaulois nous sommes forcés
de conclure que Feuscara ou basque n'a aucune affinité
avec le gaulois et ne peut pas , conséquemment , être
pris pour son représentant direct et légitima
Quant à la langue Erse , nous pensons avoir surabon-
damment démontré que cette langue n'est que l'antique
langue ombrienne ., langue affiliée de très près au phéni-
cien, si ce n'est pas réellement le phénicien lui-même.
En aucun cas d'ailleurs , on ne saurait soutenir que l'erse
ou gaëlique ait un droit quelconque au nom de celtique
ou de gaulois.
Nous devons donc rejeter , comme improprement
nommés gaulois , les deux idiomes que nous venons
de mentionner. Mais , puisqu'il ne reste plus en ligne
que le bas-breton , il semble que c'est à lui seul que nous
devrions appliquer le nom de celtique.
Si nous nous bornons à consulter l'opinion publique ,
nous pourrons , comme la généralité de nos linguistes ,
croire que le bas-breton et le gaulois ne sont qu'une seule
et même langue. Le plus grand nombre de nos savants
contemporains , pour ne pas dire la totalité , consultés à
ce sujet , n'hésiteraient point à répondre affirmativement.
Donc , étudions l'idiome de Bretagne.
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CHAPITRE SIXIÈME.
LANGUE KYMRIQUE OU BRETONNE.
M. Brachet , dans l'iatroduction de sa Grammaire his-
torique de la langue française ( à la note placée an bas
de la page 21 ) écrit ceci :
« Refoulée dans l'Armorique par les conquérants ro-
» mains , la langue gauloise y vécut pendant plusieurs
» siècles à la faveur de son isolement; cette tradition du
» celtique fut ravivée au septième siècle par une immi-
» gralion des Kymris chassés du pays de Galles, Les
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162 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE D'O.
» Bretons furent aussi réfractaires à la conquête franke
» qu'ils l'avaient été à la conquête romaine ; et ce qu'on
» nomme aujourd'hui patois bas-breton n'est autre chose
» que l'héritier de la langue celtique. »
n est surprenant que M. Brachet n'ait pas remarqué
l'erreur historique qu'il commet dans ces quelques li-
gnes. Les Bas-Bretoùs et les Gallois descendent des Gim-
bres ou Kymrys ; c'est un fait certain et M. Brachet le
reconnaît. Mais alors , puisque les Kymrys et les Celtes
ont , selon lui parlé la même langue , il faudrait admet-
tre que les Celtes et les Kymrys ne formaient qu'un seul
peuple , dont ils auraient été deux tribus particulières.
D'après M. Brachet il en serait ainsi en effet :
«César, dit-il (introduct à la Gramm. hist.p. 13)
» rapporte qu'à son arrivée en Gaule il trouva trois peu-
li pies distincts de langue y de mœurs et de lois : les Bel-
» ges au nord , les Aquitains entre la Garonne et les
» Pyrénées , au centre les Gaulois proprement dits ou
» Celtes. De ces peuples , les Celles et les Belges , comme
» nous l'apprennent d'autres sources, étaient de même
» race. »
Ceci posé , si l'on a prouvé ou si l'on peut prouver que
les Celtes et les Belges avaient une commune origine ,
comme les Cambriens d'Angleterre et les Bretons àe
France proviennent de ces Belges , la langue des Cam--
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LJUfGCB KTlOIQUe OU BRET(HmB. 163
bri^is et des Bretons ne saurait diffêrer de edle des Cel-
tes ou Gaulois. Conséquemoient le bas-breton ou kym-
rique serait (et il ne pourrait être autre chose) l'idiome
celtique pur.
Mais cette unité d'origine des Gdtes et des Belges , l'a-
t-on prouvée? La est la question.
Nous i»*ofessons sur ce pmnt un sentiment diamétrale-
ment oiq)osé à l'opinic» de M. Brachet.
Voidi sur quoi nous nous fondons :
I. — César , qui a pendant longtemps séjourné dans
la Gaule et s'est trouvé en contact permanent avec les
divers peuplés qui l'habitaient , déclare formellement ,
dans ses commentaires, que les Belges et les Gaulois
différaient de mœurs , de lois et de langage. On ne sau-
rait sérieusement nous objecter que le conquérant des
Gaules n'était pas à même de discerner les différences
existantes entre les divers idiomes parlés chez les Gau-
lois et les Bdges, et qu'il a pu prendre pour des langues
distinctes , des dialectes d'une même langue. Cette (éjec-
tion peu sérieuse serait immédiatement réfutée par Cé-
sar lui-même , lequel affirme catégoriquement que les
Belges étaient de race et d'origine teutonne , ce qu'il n'a
garde de dire des Celtes ou Gaulois.
Il nous semble qu'à un pareil témoignage on ne devrait
opposer que des faits patents et irréfutables , seuls capa-
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464 Là TtUTÉ SUR Là LAH60E d'O.
Mes de rinfirm^. Cest aussi ce que qudques auteurs
out essayé de foire (bien en vain , hélas I «i rapportant
l'aventure de Sertorius , qui , grâce à quelques mots de
la langue gauloise (?) qu'il avait pu apprendre , serait
allé espionner les Gmbres dans leur propre camp.
Cette anecdote serait-elle authentique, (et nous s<»n-
mes loin de la contester) , ne prouverait en somme pas
grand chose. En effet, ou les mots usuels, appris par
Sertorius, appartenaient à l'idiome Cimbrique ou Teu-
ton , et il est alors focile de comprendre qu'U ait pu aisé-
ment remplir son rôle d'espion; ou bien ces termes
appartenaient à la langue gauloise et on peut alors tout
aussi fecilement' admettre qu'une certaine quantité de
cimbres ou de teutons parlassent cette dernière langue ,
de foçon du moins à pouvoir converser avec celui qu'ils
devaient prendre pour un ennemi-né de la puissance
romaine. Dans les deux cas, cela ne saurait prouver
l'identité des idiomes Cimbrique, teuton ou gaulois.
Nous sommes d'autant plus autorisés à émettre cette
conclusion , qu'il est tout à fait impossible à deux dia-
lectes d'une même langue d'en arriver, dans un court ou
long espace de temps , à différer assez conplétement
entr'eux de manière à devenir deux langues distinctes
et nettement séparées.
C'est pourtant ce qui serait arrivé à ces trois dialectes
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LANGUE KTHRIQUE OU BRETONNE. 465
de la langue celtique ( le Kymre , le Teuton et le Celte,
en admettant qu'ils fussent trois dialectes d'une même
langue).
Et cpie penser alors de l'affirmation de César {BelL
galL ) disant que les Germains et les Gaulois parlaient
cbacun une langue différente.
Ayant une notification à faire à Arioviste , chef des
Marcomans, César lui envoya un Gaulois nommé Procil-
lus, non-seulement parce qu'il pouvait se fiera lui,
mais parce qu'Ârioviste , instruit par un long usage ,
commençait à parler la langue gauloise.
Un témoignage aussi précis aurait dû , non-seulèment
faire cesser; mais encore prévenir toute controverse sys-
tématique. En effet, on ne saurait admettre, que dans
le court espace de temps qui sépare Marins de César,
deux dialectes d'une langue unique, aient pu former
deux langues absolument différentes.
Il — Plusieurs auteurs , tant anciens que modernes
( nous en avons mentionné quelques uns dans la partie,
historique de cet ouvrage qui traite des Aquitains et
des Belges ) démontrent , preuves à l'appui , que les
Bas-Bretons descendent des Kymrys ou Ombres; que
ces Cimbres étaient tout uniment les habitants de la
Gaule, nommés Belges par César; et que les Belges ou
Cimbres appartenaient de fort près à la nation teutonique
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1 66 LA VÉRITt SUR LA LANGUE d'O.
OU alleinande tandis qu'ils différaient complètement de
la nation Gauloise.
III. — L'histoire nous a conservé la date précise des
diverses immigrations et de l'établissement définitif des
Cimbres sur le sol de la Bretagne française ; sol qui appar-
tenait auparavant aux Gaulois, seuls, et qui n'était
peuplé que par des Celtes.
IV. — Q est impossible de ne pas remarquer , à moins
d'être de mauvaise foi ou d'agir de parti pris , les diffé-
rences physiques et morales, qui existent encore , aussi
tranchées que possible, entre les Bas-Bretons et les an-
tres habitants de la France. Or , le caractère et le type
physique des Gaulois d'aujourd'hui n'ont pas cessé d'être
ce qu'ils étaient chez les Gaulois d'autrefois. Les statues,
les médailles, les écrits des anciens historiens et ceux
des historiens contemporains sont là pour faire foi que ni
type ni caractère n'ont éprouvé aucune modification ,
aucun changement , et que, malgré les siècles , les Gau-
lois sont, sous ce rapport, demeurés immuables. Com-
ment donc expliquer la différence à laquelle nous faisons
allusion ?
On connaît à peu près toutes les descriptions que les
anciens nous ont transmises sur les mœurs et les coutu-
mes des Celtes.
Ammien MarcdUn, qui semble avoir voulu caractéri-
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LANGUE KTHRIQUB OU BaiTONlfE. 167
ser davantage les anciens gaulois , dit qu'ils avaient la
chair blanche et la tète haute , les cheveux blonds dorés
( ce qui n'est point la couleur filasse des Teutons) et le re-
gard affreux ; qu'ils étaiait prompts , querelleurs et te-
naient haut la maan ; qu'une troupe d'étrangers n'eût osé
en attendre un seul quand il était en colère, tant ils étaient
redoutables; que rien surtout ne leur résistait quand ils
étaient aidés de leurs femmes , qui se mêlaient hardiment
à leurs querelles et frappaient à coups de poings et à
coups de pieds aussi rudement que leurs maris ; que leur
voix était efiGroyableet menaçante , lors même qu'ils n'a-
vaient aucun sujet d'être émus; qu'ils étaient propres
en leurs habits , dans l'Aquitaine beaucoup plus qu'ailleurs
n'y ayant point de femme qui ne se piquât d'une grande
propreté , quelle que fut sa misère.
Les Gaulois étaient braves , mais capricieux et amis
du changement ; spirituels , mais crédules et hâbleurs.
Ils recherchaient ce qui venait de loin et dédaignaient ce
qu'ils possédaient. Ils aimaient beaucoup leur liberté in-
dividuelle , mais fort peu leur sol natal. Ils étaient fan-
farons, enfin (1).
(i) On doit se rappeler cette magnifique gasconnade qui suffirait à
elle seule à peindre Tesprit de ce peuple aussi vaniteux que follement
brave: '^fiQue craigneZ'-vouiPn leur demandait-on. ^^fiRien/»
répondirent les Gaulois. — » Poi même la ehuU du ciel? • intsrro^
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468 Là YÉRiTÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
Les Gaulois avaient cependant ceci de louable qu'ils
étaient généreux et francs et qu'ils ne pouvaient souffrir
ni le mensonge ni la supercherie. Ils faisaient gloire d'imi-
ter en cela leurs ancêtres , qui avaient méprisé la ruse et
ne s'étaient jamais fiés qu'à leur valeur.
Voici maintenant ce qu'un Breton écrit de ses compa-
iriotes:
« D'une imagination vive et néanmoins mélancdique ;
» d'une humeur aussi mobile que leur caractère est obs-
» tiné, les Bretons se distinguent par leur bravoure, leur
» indépendance, leur fidélité, leur attachement pour la
» religion, leur amour pour leur pays. Fiers et suscepti-
» blés, sans ambition, peu feits pour les cours, ils ne
» sont avides ni d'honneurs ni de places. Ils aiment la
» gloire , pourvu qu'elle ne gêne en rien la simplicité de
» leurs habitudes ; ils ne la recherchent qu'autant qu'elle
» consent à vivre à leur foyer , comme un hôte obscur et
» complaisant qui partage les goûts de la famille. »
( Chateaubriand , Analyse raisonnée de t Histoire de
France. p, HO.;
Quoique singulièrement flatté, ce portrait ne ressem-
ble guère, on l'avouera , à celui des anciens Gaulois. Il
gea-t-on. Pat mêtM/ car ti cela arrivait nom le toutiendriom avec
notpiquêi/»'^
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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 469
lui ressemblerait encore moins, si — ce qui est vrai —
nous ajoutions que les Bretons sont accusés , par tous
ceux qui leô ont visités, d'être d'une saleté proverbiale.
Très-différents des Gaulois par les tendances de leur
esprit, les Bretons s'en éloignent encore beaucoup par
la structure de leur corps et la forme de leur crâne. Or ,
ces dissemblances caractéristiques ont existé de tout
temps et existent encore entre les descendants directs
des Gaulois ou Celtes, et les Bretons qu'on veut, à tout
prix , faire passer pour une tribu celtique.
En effet, on ne peut constater aucune ressemblance
morale ou physique entre les Celtes et les Bretons d'au-
jourd'hui. Cela serait-il possible s'ils étaient tous deux
sortis d'un mênie tronc? Donc, si la majeure partie des
Français actuels sont de race Celtique ou Gauloise , les
Bretons ne sauraient appartenir à cette race; si les Bre-
tons , au contraire , proviennent des Celtes , ces mêmes
Français n'ont aucun droit à |a même origine. Non , Gau-
lois et Bretons ne sont pas une même race. D'un examen
comparatif, même superficiel, établi entre ces deux
peuples , il ressort clairement qu'ils n'ont rien de commun
ensemble.
Le vrai Gaulois actuel , ou Français de la langue d'O ,
est spirituel, léger, expansif. Le Breton est sérieux,
concentré, entêté, superstitieux.
II 10
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170 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Le premier aime les voyages, le changement. Il s'im-
plante partout et apporte en tous pays les usages du sol
, qui Ta vu naître. S'il ne peut ou ne veut quitter le sol
natal, il accueille avec joie l'étranger qui le visite ou
vient s'installer près de lui.
Le second , au contraire , se plait chez lui ; il est atteint
de nostalgie , si un motif quelconque le force à déserter
son pays. Quant aux étrangers qui le visitent, il ne les
reçoit qu'avec défiance et d'une façon presqu'hostile.
Les Gaulois et une partie des Bretons ont conservé leur
idioipe national à peu près intact , mais par des procédés
distincts.
Têtu, rancuneux et farouche, animé par ses poètes
qui lui rappelaient sa grandeur passée et son abaissement
présent, dont les Saxons et les Francks furent la cause,
le Breton se cramponna longtemps à sa langue, un peu
par patriotisme, beaucoup par haine de l'étranger. Peut-
être reconnaissait-il aussi que la conservation intégrale
de son idiome national ^et l'attachement inviolable à cet
idiome étaient les seuls liens capables de maintenir tou-
joi;rs unis entr'eux les membres disjoints de la famille
kymrique.
Cependant ces défauts, ou ces qualités si l'on veut , du
Breton, qui auraient dus être un gage de stabilité pour
sa langue , ont été impuissants à la préserver d'une des-
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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 171
traction partielle. Et, dans un temps plus ou moins éloi-
gné , cette destruction partielle se changera en une des-
truction totale. Cela tient à ce que les idées , les usages
étrangers, ne glissent pas sur le Breton ^ comme ils font
sur le Gaulois. Ces idées , ces usages sont longs , trës-
longs à s'introduire chez le premier. Mais, par suite
même de son caractère , quand un usage est parvenu à
s'implanter chez le Breton , il n'en sort plus ; il est na-
turalisé chez lui. £t cette cause permanente de modifica-
tion des usages nationaux kymriques, amène forcément
la langue bretonne vers une ruine inévitable.
C'est ainsi que , en Angleterre , on a cessé de parler
l'idiome kymrique ou breton dans la comté de Cor-
nouailles, dont tous les habitants sont pourtant kymres
ou bretons.
C'est ainsi que , en France , le breton n'est plus parlé
que dans quelques cantons de la Bretagne , les plus éloi-
gnés du centre du royaume et les plus rapprochés de
l'Océan , tandis qu'il était parlé autrefois dans toutes les
parties de cette vaste province, avant sa réunion à la
couronne de France.
Et chose remarquable , non-seulement les deux tiers
à peu près des Bretons français d'aujourd'hui ne parlent
point et ne comprennent même plus l'idiome de leurs
ancêtres, mais encore ces Bretons-francisés en sont ve-
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172 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
nus au point de désigner, sous un appellatif iqurieux j
ceux de leurs frères restés fidèles à Fusagedeleur langue
nationale. Les premiers, les Gallégerien (ceux qm par-
lent k français) àési^etïi^ en effet, les seconds, les
Breiz-Izéliz (Bas-Bretons ou Bretons bretonnants) sous
le nom de Bretons pouilleux.
A l'inverse du Breton, le Gaulois, pour des motifs que
nous n'avons pas à rechercher , échappe Êicilement à
toute influence étrangère.
Curieux , remuant , impressionnable , avide de savoir
et de paraître , le Gaulois apprend facilement les langues
étrangères dont il peut avoir besoin et les balbutie sans •
vergogne. Mais il ne délaisse jamais celle qui lui est pro-
pre ; il y revient toujours ; il la chérit ; il aime à s'en
parer. Sa langue, c'est lui-même, et il ne peut renoncer
à la parler qu'en cessant d'être.
Mû par un sentiment d'orguffil , exagéré peut-être ,
jnais respectable à coup sur, le Gaulois dédaigne les idio-
mes étrangers. S'il en étudie quelques mots, c'est poussé
par la nécessité de le faire , et , pour ainsi dire , à son
corps défendant.
Il impose sa langue aux autres peuples et rrfuse d'ac-
cepter la leur.
N'est-ce dont pas un fait universellement connu que
la France est , de toutes les nations , celle où Ton prati-
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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 173
que le moins Fétude des langues vivantes et même des
langues mortes ? '
Mais, précisément parce que le Gaulois est essentielle-
ment réfractaire aux usages étrangers , il s'attache plus
fortement aux siens. Aussi , partout où les Celtes se sont
établis , ils y ont imposé leur idiome et cet idiome s'y est
maintenu , à travers les âges , malgré tous les boulever-
sements > toutes les commotions sociales , toutes les révo-
lutions. Peut-on citer un seul pays, dans lequel les Celtes
se soient établis , où Ton ait cessé de faire usage de la
langue Gauloise? Là où se parla le Celtique autrefois ,
parle-t-on tout autre langue aujourd'hui ? Non , quoi-
qu'on en dise.
Ce rapide exposé nous permet , d'ores et déjà , de
pressentir lequel du Gaulois ou du Breton est de pure
race celtique.
V. — Une chose enfin digne de remarque , c'est la
persistance , bien singulière , que mettent les Bretons à
ne pas vouloir être Gaulois , c'est-à-dire Celtes , et sur-
tout à ne jamais se donner cette dénomination , que
quelques savants leur attribuent si généreusement.
Pourquoi se nomment-ils Bretons , s'ils sont Celtes?
Pourquoi se désignent-ils sous le nom de Kymrys, s'ils
sont Gaulois?
Il esjt évident que , si ce nom de Celte ou Gaulois leur
40.
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174 LA TÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
eut légitimememt appartenu , au moins un de leurs écri-
vains s'en serait servi pour qualifier ses compatriotes.
Quelqu'un d'entr'eux Ta-t-il fait î
On n'a , pour se convaincre du contraire , qu'à lire les
ouvrages des auteurs bretons. On ne tardera point à
s'appercevoir que , toutes les fois qu'ils veulent désigner
leur nation , ils n'emploient que les noms de Kymri ou
de Brython, Témoin , par exemple , un de leurs poètes ,
Goliddan , déjà cité. Ce Goliddan termine ainsi un chant
patriotique, Arymes prydain vawr, dans lequd il appelle
ses compatriotes 4 1 fois Cymry et 3 fois Brython ou Fry-
than , mais pas une seule fois Celtes ou Gauhis :
« Dygorvu Cymry trwy gyvergyr ,
» yn gywair , gydair , gydson , gydfydd :
» Dygorvi Cymry i beri cad ,
» a llwyth lliaws gwlad a gynhullant ,
» a lluman glan Dewi a ddyrchavant ,
» I dywysaw Gwyddyl drwy lieingant :
» A gynhen Dulyn genhyn a savant ,
» pan ddyfonti'r gâd nid ymwadant. » ( 1 )
(i) — Les Kymris ont été victorieux dans le combat. lU n'ont
qu'une seule cause , qu'une seule parole , qu'une seule langue , qu'une
seule foi. Les Kymris sont encore vainqueurs; ils veulent combattre;
ils rassembleront leurs forces ; ils déploieront la bannière de Saint-
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i
LINGUB KTXRIQUE OU BRBT(UmB. 175
H est vrai qu'où trouve , à plusieurs reprises , dans le
chant dont nous venons de donner un extrait , le nom de
Gtoyddylj qui semblerait indiquer les Gaulois, car ces
deux noms ont une étrange ressemblance entr'eux. Hais
Goliddan n'entend désigner par ce nom que les habitants
de l'Irlande , les Erses , dont une partie , déjà établie en
Ecosse, portait aussi ce nom de Gtoyddyl, Gaëh, sous
lequel on les distingue aujourd'hui de leurs frères d'Ir*
lande.
Enfin , n'est-ce pas en Bretagne qu'existe ce dicton :
— Brô'C'hall n'a zeûé Két bétég aman ; « la Gaule ne
vmiait pas jusqu'ici ? »
Donc , puisque les Bretons , de leur propre aveu et
d'après les témoignages des anciens historiens , sont de
raceKymrique, ils n'ont habité, dans la Gaule, que
la Belgique seulement , et ce que César nous dit de ce
peuple est vrai de tous points. D'où il résulte que l'éta-
Uissement des Bretons sur les cô'tes armoricaines ne
commença que vers l'an 284 de notre ère et que leur
langue n'y prédomina pas avant le septième siècle après
Jésus-Christ.
David qui guidera les Gaëls d'Irlande à travers les mers. Avec nous
se lèveront les Chefs de Dublin , qui ne lâcheront pas pied dans le
combat ( Traduction de M. de la Viilemarqué ).
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176 LA TÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Les Bretons ne sont donc pas de race celtique ou gau-
loise. Partant, l'idiome qu'ils parlent n'est pas et ne peut
pas être l'idiome celtique ou gaulois , à moins de préten-
dre que les bretons , une fois établis dans l'Ârmorique ,
oublièrent leur idiome national pour ne plus faire usage
que de l'idiome des Celtes. Cette supposition ridicule se-
rait immédiatement invalidée par la similitude de lan-
gage qui existe entre fes Bretons de France et les Gal-
lois d'Angleterre.
Nous avons , on le voit , raison de nous étonner que
des auteurs éminents persistent à prendre les Cimbres
pour une tribu celtique et osent écrire les lignes suivan-
tes : « Le territoire actuel de la France était donc pres-
» qu'entièrement occupé par ces peuplades que les Ro-
» mains appelaient Celtes ( du nom d'une de leurs plus
» importantes confédérations). » Et au bas de la même
page , à la note 2 : « En revanche , la philologie nous
» a appris d'une façon sûre d'où ils (les Celtes) venaient
» et à quelle race ils appartenaient. En comparant
» entr'eux le celtique, le grec, le latin, le slave, le
» gothique , le sanscrit , les savants ont reconnu que ces
» langues forment six rameaux d'un même tronc , et
» qu'elles viennent toutes de la langue aryenne j aujour-
» d'hui disparue , parlée il y a six mille ans sur les
» bords de l'Oxus : comme la filiation des langues prouve
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LANGUE KTVUQUB OU BSSTCmilB. 177
» la filiaticm des peu{des , il est certain qu'entre le qua-
» rantième et le vingtième siècle avant notre ère , la
» famille des peuples connue sous le nom d'Aryens
» quitta la Bactriane et les plateaux de l'Asie centrale
» pour se diriger vers TEurope , et par la séparation
» successive de ses principales tribus y forma les Celtes ,
» les Grermains , les Slaves , les Grecs et les Latins. Cest
» ainsi que l'origine des Gaulois nous a été révélée par
» le seul fait que leur langue ^tre dans le concert des
» langaes Indo-européennes. » (Brachet, Gram, hùt. de
la lang. Franc, introd. p. <5).
La conclusion que M. Brachet tire de l'étude compara-
tive des idiomes qu'il dénombre serait parfaitement et
rigoureusement exacte, s'il ne s'agissait que des Gimbres
et de leur langage au lieu des Gaulois et de la langue
celtique.
D'un côté , Gésar , Strabon , Tacite, Luden^ le Général
de Yaudoncourt, etc. n'hésitent point à reconnaître une
certaine parenté entre les Gmbres et les Teutschs; d'un
autre côté, on prétend que les Gaulois sont d'origine
aryenne et l'on fait d'eux une branche , une confédéra-
tion de la nation germanique. On agit évidemment ainsi
parce que la langue qu'on attribue aux Celtes offre réel-
lement un tel degré d'affinité avec l'ancien gothique que
refuser d'admettre qu'il y a entre ces deux idiomes
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178 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
communauté d'origine, cela équivaudrait à nier Tévî-
dence.
Mais , quel est l'historien sérieux et digne de ce nom
qui oserait confondre ensemble les Celtes et les Gimbres,
et de ces deux peuples n'en former qu'un? Nous avons la
conviction qu'il est impossible de démontrer que les
Kymris aient jamais appartenu de près ou de loin à la
nation celtique et nous avons donné assez de preuves du
contraire. Par suite, les Kymris n'ont pas pu parler la
langue celtique et la conclusion de M. Brachet, quoi-
qu'exacte en tant qu'elle s'applique aux Cimbres, pêche
par la base et devient fausse de tous points du moment
où il est question des Celtes ou Gaulois.
En effet , ce n'est que grâce à une inconcevable erreur
que le nom national des Gaulois est exclusivement attri-
bué aux Cimbres. La prétendue langue celtique de M.
Brachet et des auteurs qui partagent sa manière de voir
n'est en réalité que la langue Kymrique, c'est-à-dire un
des grands dialectes, très aisément reconnaissable
encore, de l'antique idiome teuton.
Quiconque voudra se donner la peine de feuilleter et
de comparer les grammaires allemande et bretonne, ne
tardera point à s'appercevoir qu'il existe de telles analo-
gies entre ces deux langues qu'on ne saurait leur refuser
une communauté d'origine.
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LAIYGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 179
La langue allemande, chacun le sait, lest transpositive
uniforme. Nous disons uniforme, parceque la construction
de la phrase y est constamment réglée par Tusage, qui
n'a rien abandonné à la décision du goût ou de Foreille.
La langue bretonne ou kymrique est aussi en réalité ,
d'ordre transpositif uniforme. Cependant la construction
bretonne de la phrase n'est pas, en général, iden-
tique à la construction allemande. Le breton semble
même se rapprocher, en bien des cas , de l'ordre analy-
tique. S'il était permis de parler ainsi , en linguistique,
on pourrait dire que le breton , qui n'est ni franchement
analytique ni franchement transpositif, mais qui tient de
l'un et de l'autre ordre , est d'ordre mixte ou composite.
En résumant les règles de construction de la langue
allemande , on peut les réduire à trois principales. Elles
portent toutes les trois sur la place du verbe dans la
proposition.
4® Tout verbe à un temps de l'infinitif se met après
ses compléments. Il en est de même des adjectifs et des
participes employés comme adjectifs. Exemple :
Gott hat die welt geschaffen.
Dieu a le monde créé.
Pour : Dieu a ci-éé le monde.
2" Tout verbe d'une proposition subordonnée occupe
la dernière place de cette proposition. Exemple :
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4 80 LÀ YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
Gott sah dass das licht gut war.
Dieu vit que la lumière bonne éUUt
Dieu vit que la lumière était bonne.
3<» Tout verbe d'une proposition principale précède le
sujet, quand cette proposition commence par un autre
mot que le sujet , ou qu'elle est précédée de sa proposition
subordonnée. Exemples :
Am anfang schuf Gott himmel und erde.
Au commencement créa Dieu del et terre.
Au commencement Dieu créa le ciel et la terre»
Ces mêmes règles existent dans la langue kymrique
ou bretonne. Exemples :
io Grid ann drâ-zé ével ma eo dléet.
Faites la chose-ld ainsi que est due.
Pour : faites cela comme il faut.
Eur stéréden a wélann.
Une étoile je vois.
2o Eum drà vâd eo.
Une chose bonne est.
C'est une bonne chose.
3o Ra rai ann Aotrou mâd-obériou d*ëz-han.
Que fera le Seigneur bienfaits à lai.
Que le Seigneur le bénisse.
Nous ne poursuivrons pas plus loin la comparaison
grammaticale entre ces deux langues. Cela nous écarte-
rait trop de notre siget. Nous abandonnons volontiér le
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LANGUE KYMRIQUE 017 BRETONNE. 181
soin de ces études comparatives au lecteur désireux de
s'assurer de la réalité du fait en question.
Mais plus la langue bretonne se rapproche de la langue
allemande, plus elle s'écarte des idiomes français, espa-
gnol, Italien et portugais, dont le génie, essentiellement
et absolument analytique , ne saurait se prêter aux
inversions usitées dans l'allemand et le breton.
Afin qu'on puisse juger plus facilement de la façon
dont se comporte le génie de la langue Kymrique , nous
ne saurions mieux faire que de copier tout au long deux
ou trois passages du Livre de Ruth, traduit en breton
par le savant Le Gonidec.
Bmz Ruth
vie (de) Ruth.
Kenta pennad.
Premier chapitre.
Enn amzer eur bamery pa c'hourc'hêmenné ar
En le temps un juge , quand commandait les
Varnerien, c'hoarvézaz naounégez er vrô. Eunn
juges, arriva famine en le pays. Un
dèa a guiiaaz Bethléem Juda, évid mond é hrô ar
homme quitta Bethléem Juda , pour aller en pays les
Voabited, gandhè c'hrég hag hé zaou vdb,
Moabites , avec sa femme et ses deux fils.
11 11
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188 LA VÉRITÉ SUR LÀ LÀl^GUE D*0.
EUmêkk a read eûz hé-man, ha Noémi eûz
Elimélech on faisait de celui-ci, et Noémi de
hé c'hrég : hé zaou vâb a oa hanvet^ unan anézhô
sa femme: ses deux fils était nommé, un d'eux
Mahalon, hag egilé Chélion, Génidig é oant eûz a
Mahalon, et Tautre Ghélion. Natifs étaient de
Efrata e Bethléem Juda. Ead é brô ar Voabited é
Ephrata en Bethléem Juda. Allé en pays les Moabites
ehoumzand énô. etc. , etc
restèrent là. etc. , etc.
Dans le temps des Juges, som le gouvernement de l'un
d'eux, il survint une famine dans le pays. Un homme
abandonna Bethléem de Juda , pour se retirer dans le
pays des Moabites, avec sa femme et ses deux fils.
Celui-ci se nommait Elimélech, et sa femme Noémi: ses
deux fils s'appelaient, l'un Mahalon, l'autre Chélion.
Ils étaient natifs d' Ephrata en Bethléem de Juda. Etant
entrés dans le pays des Moabites, ils y restèrent.
Cet exemple, croyons-nous, suffît à démontrer d'abord,
que le Breton offre assez d'analogies avec TAUemand ,
pour pouvoir être considéré comme un dialecte de
l'antique langue teutonne, ce qui vient confirmer la
communauté d'origine des Belges ou Cimbres .et des
Teutschs, reconnue et signalée par César.
II est vrai cependant qu'on peut trouver quelques
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LANGUE KTXRIQUB OU BRBTOlUfB. 488
dissemblances mitre la syntaxe et surtout le vocabulaire
re^^pectiCs des idiomes Eymrique et Teuton. Mais ces
différences ne nous semblent provenir que du plus ou
moins d'influence exercée sur ces idiomes par les idio-
mes des peuples avec lesquels Teutschs ouEymrisse sont
trouvés en rapport. En effet , le dictionnaire breton est
bariolé d'une foule de termes appartenant à diverses
langues , telles que FErse , le Latin , THébreu, l'Anglais ,
le Gaulois , (1) le Basque , le Français lui-^mème. Il n'est
(i) Dans les 3 premières lettres, A,B, K,du Dictionnaire
breton-français de le Gonidec nous avons relevé environ i50 mots ,
qui sont communs à la langue d'O et à la langue Kymrique.
Evidemment ces vocables ne sont enlrés pour la majeure partie dans
le dictionnaire breton que par voie d'emprunt. En effet , ou ces ter-
mes appartenaient, ce que nous nions, au vocabulaire du latin populaire,
comme le prétendent nos romanisants modernes, et alors les Gimbres
les ont empruntés aux colons romains ou aux Gaulois parlant ce latin;
on bien , ces mots étaient gaulois , ce que nous affirmons , et alors les
Bretons les ont reçus du peuple sur le territoire duquel ils avaient
cherché asyle , et avec lequel ils avaient d'incessants rapports et un
contact permanent depuis plus de 800 ans. Dans aucun cas , on ne
peut admettre que ces signes soient passés du breton dans la langue
d'O , du moins quant à un grand nombre de ces locutions.
Le peuple Kymrique , l'histoire le démontre , n'ayant jamais joué que
des rôles secondaires, sauf pendant cette courte période de son histoire
où il ruina et saccagea la Gaule et l'Espagne, ne vivant que pour lui ,
presque toujours opprimé , rarement oppresseur, peu fait pour le
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184 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
donc pas étonnant que cette bigarrure donne au vocabu-
laire Kymrique une physionomie si peu ressemblante ,
en apparence , à celle de Fallemand.
De Texemple cité plus haut , on peut encore inférer
que le breton n'a exercé aucune espèce d'influence sur
les syntaxes des idiomes français y espagnol , italien y
portugais. Ce qui infirme le sentiment de certains auteurs,
désireux d'attribuer au breton , qu'ils s'obstinent à
nommer langue celtique , une part quelconque dans la
procréation du français.
Nous n'insisterons pas là-dessus. M. Brachet a d'ailleurs
parfaitement démontré l'inanité d'un pareil système.
Disons, pour rester dans notre thèse , qu'il n'est pas
possible de pouvoir confondre entr'elles les langues
celtique et Kymrique, et , des deux , n'en faire qu'une.
En effet , si nous considérons les Kymris et les Celtes
comme deux tribus d'un seul peuple (malgré les preuve
que nous avons données du contraire ) , et conséquem-
ment comme parlant la même langue ou du moins deux
progrès , fruste et ignare , n'a exercé qu'une influence très-faible sur
ses voisins « tandis qu'il a toujours subi les influences étrangères. Donc^
si ce n'est point la vérité , il est du moins très-vraisemblable que les
Bretons ont pillé les Gaulois plus civilisés , plus éclairés , plus instruits
qu'eux , et que les mots , communs au Kymrique et à d'autres idiomes ,
lui ont été plutôt donnés que reçus.
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LANGUE KYMRIQUE OU BRETONNE. 185
dialectes de la même langue, comment ne pas être
choqué de voir un auteur sérieux , soutenant pareille
théorie , se mettre en contradiction flagrante avec lui-
même et écrire des choses comme celles-ci :
« Refoulée dans FArmorique parles conquérants ro--
» mains la languegauloise y vécut pendant plusieurs siècles
» à la faveur de son isolement ; cette tradition du Celtique
» fut ravivée au septième siècle par une immigration des
» kymris chassés du pays de Galles. Les Bretons furent
» aussi réfractaires à la conquête francke qu'ils l'avaient
» été à la conquête romaine; et ce qu'on nomme aujour-
» d'huî patois bas-breton n'est autre chose que l'héritier
» de la langue celtique. »
Pour quelle raison ces prétendus Celtes de Bretagne
eussent-ils été plus réfractaires aux conquêtes romaine
et francke que les autres Gaulois?
Serait-ce à cause de leur isolement?
Nous ne pouvons ignorer que les Romains dominaient
tout autant en Bretagne que dans le restant de la Gaule,
et qu'ils y exerçaient une pression égale à celle qu'ils
exerçaient partout ailleurs.
Serait-ce par suite d'une disposition spéciale et
particulière du caractère national des Bretons ?
Mais , s'ils eussent appartenu à la nation celtique ,
tous les Gaulois auraient eu ce même caractère , qui eût
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LA TÉRITË SUR LÀ LAITGUB d'O.
été , eo ce cas , le trait distinctif de la race Gauloise.
Gomment alors les mis eussent-ils pu se montrer réfrac-
taires à la domination romaine et les autres non?
Pour faire dériver du latin les langues romanes , de
ccmcert avec tous les érudits qui partagent sa manière
de voir , Fauteur en question met en avant FinflueDce
irrésistible du latin populaire. Cette influence ne devait
oertespas être aussi irrésistible qu'il le prétend, puisque
le soi-disant celtique de Bretagne lui a victorieusement
résisté, tout comme Teuscara. Or , ce que les uns ont pu
feire, pourquoi donc les autres ne Tauraient-ils pas pu î
M. Brachet écrit : « Depuis mille ans , pressé sans
» relâche dans son dernier refuge par la langue française
» comme il Ta été , le bas-breton , on le comprend ,
» est aujourd'hui bien loin du celte primitif , outre que
» les éléments d'origine celtique ont M se corrompre par
» un usage de dix-huit siècles , ce patcJis à été forcé
» d'admettre une foule de mots étrangers j c'est-àrdire
» français. »
Mais, en ce cas, le breton n'est donc pas aussi réfrac-
taire qu'on veut bien le dire ? M. Brachet prétend que ce
patois se corrompt (^ ce qui du reste est parfaitem^t
exact) par l'introduction d'éléments firançds. Alors,
pourquoi le latin , populaire ou classique (si le latin eût
eu réellement le pouvoir qu'on lui jwête d'avoir fa^
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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 487
àisparattre plusieurs idiomes divers pour se substituer à
eux ) , n'eût-il pas pu bouleverser ou modifier ce faible
reste du celtique , lui qui passe pour avoir (ifôtruit
le celtique partout où les Gaulois Tavaient apporté avec
eux , en Italie, en Gaule, en Espagne, en Portugal, en
Dacie?*
Pourquoi ce latin populaire se serait-il précisément
établi dans les seids pays où habitaient et prédominaient
les Gaulois , sans pouvoir parvenir à en faire autant
chez les Basques, en Bretagne, en Angleterre, en Allema-
gne , en Irlande , en Thrace , en Grèce , en Asie-mineure ,
en Afrique ?
Cela est vraiment extraordinaire , on Ta vouera.
La vérité est que la domination romaine , nous l'avons
historiquement prouvé, ne laissa rien derrière elle,
quand elle s'écroula. La langue romaine ^ de scm côté,
ne détruisit aucun idiome , n'en modifia même aucun et
ne survécut point à la catastrophe qui arracha le sceptre
du monde des mains du peuple qui la parlait.
De tout cet exposé il ressort :
<<> Que , puisque les Bretons , les Basques et les Alle-
mands , par exemple , ont été réfractaires à l'influence
romaine , c'est que cette influence a été nulle et n'a
jamais existé que dans l'imagination des auteurs qui en
avaient besoin pour étayer leurs systèmes.
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188 LÀ TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
2« Que, puisqu'on ne retrouve rien du breton ailleurs
que dans la Bretagne , dans la comté de Galles en An-
gleterre, dernières stations du peuple Kymrique, et
dans le Jutland septentrional, où ont habité lesCimbres,
les Bretons sont réellement Kymris et non Celtes , et con-
séquemment n'ont jamais parlé le celtique.
3<» Enfin que , puisque les Gaulois et les Bretons ap-
partiennent à deux races distinctes , et que leur langue
n'a jamais pu être la même , le vrai celtique étant la
langue d'O , comme nous espérons le démontrer , l'idiome
Kymrique ou breton n'a aucun droit à porter la dénomi-
nation de celtique et c'est par suite d'une inconcevable
erreur qu'on lui donne ce nom.
Cependant l'erreur dont nous venons de parler n'^ pu
naître et se développer sans raison plausible. Recher-
chons la cause qui lui a donné naissance.
La cause, ou plutôt les causes (car il y en a plusieurs)
de cette fausse manière de voir seraient , d'après nous :
1<> La trop grande confiance qu'on a coutume d'accor-
der aux récits , admis sans contrôle , de certains écri-
vains de l'antiquité , lesquels ont parlé des Gaulois sans
les connaître et ont rangé sous le nom collectif de Celtes
(comme le fait Tite-Live par exemple) une foule de na-
tions, reconnues depuis lors n'avoir rien de commun
avec les Celtes.
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LANGUI KTMRIQUE OU BRETONNE. 189
^ L'imprudente légèreté avec laquelle de profonds et
graves historiens donnent indifféremment ce nom de Cel-
tes à des peuples qui n'appartiennent point à la nation
celtique, ce que ces historiens savent parfaitement, puis-
que , pour s'excuser d'introduire ainsi dans l'histoire une
cause permanente d'obscurité et de confusion , ils avouent
naïvement , comme M. Augustin Thierry , entr'autres ,
qu'on est souvent obligé, faute de termes , d'appliquer
ce nom indifféremment aux populations d'origine Cam-
brienne et Gallique.
3^ Enfin, et ceci est la cause première de toutes les
erreurs dans lesquelles les savants sont tombés, l'igno-
rance complète , absolue de la langue d'O.
11 est facile de démontrer que les causes d'erreur que
nous signalons proviennent en grande partie de cette
cause primordiale.
La 7)lus grande partie des habitants de la France
actuelle est , de l'aveu unanime , d'origine gauloise. Or ,
ce fait admis , et l'on ne saurait le contester, en entendant
parler à ces fils directs et légitimes des Celtes , surtout à
ceux du centre et du midi de la France , un idiome tout
à fait distinct des autres idiomes européens , on aurait
du en conclure qu'ils avaient conservé l'usage du celti-
que ou gaulois.
C'eut été logique et rationel,
M.
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t9<^ LA YÉKITt SUR L4 LAHGUB d'O.
Hais, tous les anciens auteurs qui avai^t menitoïmé
ce langage s'accordaient à le nommer Imgua rormma,
rtMticmon bien ntsticanus sermo. Or , comme ce par-
ler, entièrement abandonné , en apparence^ aux basses
dasses de la société, contenait une foule de mots qui
semldaient extraits du vocabulaire latin, on ne pritpdnt
la peine de contrôler les assertions de ces auteurs et oa
les admit sans conteste. De la , à chercher la langue cel-
tique partout ailleurs qu'aux sources où elle se trouvait
réellement, il n'y avait qu'un pas. Ce pas fut fait, et
nous avons vu qu'on nomma celtiques les idiomes Bas-
que, Erse, Gimbrique , Teuton. Cela tint à ce que les
érudits en question , induits en erreur par les anciens
auteurs , furent persuad es qu'cfn ne parlait plus gaulois
dans la Gaule. Retrouvant d'ailleurs en ce pays des noms
de lieux appartenant aux divers idiomes , mentionnés
plus haut et ne rencontrant pas trace , dans l'histoire ,
du nom national que les p euples erse , kymri , euscara,
etc. se donnent aujourd'hui à eux-mêmes, nos érudits
en inférèrent que ces divers peuples devaient faire par-
tis de la nation celtique ou gauloise et que leur langue
ne pouvait nécessairement être que la langue gauloise
ou cdtique.
Cependant , le désaccord qui existe entre les savants ,
touchant l'idiome celtique (que chacun d'eux chercl» à
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LANGUE mmiQUE OU BRETOfmB. 491
attribuer à des peuples différents) et les preuves éviden-
tes , fournies par Fhisloire , qu'aucun de ces peuples ne
peut être rangé parmi les Celtes , auraient du suffire à
prouver le peu de cas qu'on doit faire d e ces propositions
et la fragilité de ces systèmes.
Mais on tient à sa théorie beaucoup plus qu'à la vé-
rité.
Quoiqu'il en soit ^ résumons notre démonstration :
4® L'Erse est l'antique (unbrien ;^ l'ombrien et le Car-
thaginois ont ime parenté assez rapprochée ; les Irlan-
dais et les Ecossais, en déjHt de Servius, du Général de
Vaudoncourt et de Mac-Pherson , ne sont pas de race
celtique, mais de race punique; ils ne parlent point le
Celte , mais le Phénicien.
3® Les Basques descendent des Ibères et non des Gau-
lois , et Larramendi se trompe en croyant les Basques de
race celtique.
3^ Les Bas-Bretons sont les descendants des Belges
dont parle César ; ces Belges étalait de race et de natio-
nalité Cimbrique ; ils se nomment encore eux-mêmes
Eymris ; la langue des Cîmbres était nettement distin-
guée de la langue des Celtes ; l'idiome Kymrique n'est
parlé en Bretagne que dei»iis l'établissement en ce pays
des sddats gallois àe Conan-Mériadec ; le bas-breton n'est
pas et ne saurait être la langue celtique.
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492 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
Qu'est donc devenue cette langue? N'existerait-elle
plus? Y a-t-ileu même un idiome de ce nom?
L'existence d'une langue celtique ou gauloise ne sau-
rait être révoquée en doute. Tous les historiens de l'anti-
quité qui font mention des Celtes s'accordent à leur at-
tribuer un langage distinct et particulier. Sans parler de
César et- de plusieurs autres auteurs certifiant le fait,
nous lisons , dans les Dialogues de Lucien , que Mercure ,
chargé d'inviter les dieux gaulois à assister au grand
conseil des Dieux , avoue n'avoir pu s'acquitter de sa
mission, parce que les dieux celtiques parlent unejan-
gue inconnue et qu'il ignore même leurs noms.
Julien l'apostat dit formellement que, de son temps ,
le gaulois était encore en usage. 11 compare mème^ avec
aussi peu d'urbanité que d'exactitude , les sons de cette
langue aux croassements des corbeaux.
Vers le commencement du cinquième siècle de notre
ère, la langue celtique ou gauloise florissait encore. Sul-
pice-Sévère, qui écrivait à cette époque , nous en four-
nit la preuve , en faisant dire a Posthumien : Tu vero ,
vel celticè , vel si mavis gallicè loqtiere.
Nous ne croyons pas nécessaire de multiplier les preu-
ves de la réalite d'une chose que nul esprit sérieux ne
songe à contester. Mais, si la langue celtique a existé ,
qu'est-elle devenue ? Où la parle-t-on encore ?
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LANGUE KYBIRIQUE OU BRETONNE. 193
D'après les idées généralement admises, les idiomes
réputés celtiques jusqu'à ce jour n'étant pas et ne pou-
vant pas être regardés comme les représentants du lan-
gage des Druides , on n'aurait qu'a répondre « nulle part I »
Cette réponse, qui , au premier abord , semblerait ri-
goureusement logique, serait, en réalité, d'une fausseté
absolue.
L*idiome celtique existe encore et il existera tant qu'il
demeurera un Gaulois pour le parler. La véritable langue
celtique , c'est la langue d'O.
Notre affirmation est si diamétralement opposée à ce
que pensent sur cette question la généralité des philolo-
gues modernes , que nous sommes à peu près surs de la
voir prise pour un paradoxe. Nous tacherons de démon-
trer pourtant que ce n'est ni un paradoxe , ni une hypo-
thèse, mais un fait réel et rigoureusement vrai.
Mais, avant d'en venir aux preuves, examinons ce
que l'on pense , dans le monde savant, de cette langue d'O ,
nommée aussi patois et langue provençale ou langue
limousine, du nom d'un de ses dialectes.
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CHAPITRE SEPTIÈME.
CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O.
Les auteurs de la basse latinité s'accordent à nommer
la langue d'O lingua romana.
Dans le concile de Tours, tenu en 812 , on l'appelle
lingua romana rmtica.
Dans les Acta sanctorum, vie de St. Adalhard (750) ,
elle est désignée par le nom de romana lingua.
Rhéginon , en sa chronique de Tan 8U , la qualifie de
pkbeius et rusticanussermo.
Egînhardlâ nomme barbara, par opposition peut-
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496 LÀ YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
être à la vraie langue romaine en laquelle il était très-
versé.
Helganct , moine de Flêury , dans la Vie du roi Robert,
la qualiCe tout simplement de lingua rustica.
Dans le titre 20 des Capitulaires de Gharles-le-chauve
elle est désignée par ces mots : apertus sermo.
Jauffré Pradel , poëte provençal des plus anciens , et
bien d'autres après lui , l'appellent plana lingua romana.
Lafaille , dans son Histoire de Toulouse ; Cazeneuve,
le savant linguiste toulousain , dans son Traité de la lan-
gue provençale ; le Chevalier de Jaucourt; Fabbé d'Ex-
pilly, dans son Dictionnaire des Gaules; d'Aldéguier,
dans son Histoire de Toulouse ( tom. I , p. 249 ) ; Augustin
Thierry , dans son Histoire de la conquête de V Angle-
terre par les Normands ( chap. VIII , p. 54 ) ; Voltaire ;
le Général de Vaudoncourt ; M. Maury dans La terre et
rAomme( chap. 8, p. 464); Scaliger; leR. P. Bonnhours;
Raynouard; Ampère; Du Méril; Chevallet; Fauriel;
Blanc; Fuchs; Delius; Diez; Lewis; Perticari; Galvini;
Pidal ; tous les écrivains , jusqu'à Vestrepain , le cordon-
nier-poète sont unanimes à donner à la langue d'O le nom
de langue romane , parce que tous ces auteurs ont été
sérieusement persuadés que cette langue provenait du
latin et avait été formée par lui.
Cependant, beaucoup d'entre ces écrivains n'ont pas
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'' CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 197
pris la peine de nous exjrfiquer de quelle façon cette par-
turition avait pu se produire, Ils devaient être probable-
ment convaincus que les raisons qui les avaient incités à
porter un tel jugement sur la langue d'O étaient et trop
claires et trop évidentes, pour avoir besoin de preuves.
Il était réservé aux linguistes de notre époque de nous
démontrer comment les idiomes languedocien , français,
espagnol , italien et portugais , avaient pu être engen-
drés par ridiome latin.
Peu désireux de faire des résumés, même succincts ,
des divers et nombreux systèmes, émis en nos derniers
temps sur la création des langues romanes , nous nous
contenterons de citer un passage , extrait de La terre et
V homme (chap. VIII, p. 464) , dans lequel M. Maury
expose rapidement l'opinion des philologues contempo-
rains sur le mode de formation des langues parlées par
les races dites latines.
« La domination romaine la porta ( la langm latine)
» dans une foule de contrées d'où elle expulsa l'idiome
» national : dansFEtrurie d'abord, laLigurie, la Gaule,
» ensuite l'Espagne, la Lusitanie et même en Afrique où
» elle disputa le terrain au Phénicien et au numide.
» On retrouve chez ces divers idiomes sortis du
» latin , mais à des degrés différents, un même phéno-
» mène d'altération. D'abord l'accent primitif du latin ,
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498 LA TÉRITÉ SUR LÀ LAROUB d'o.
» qui était généralement paraxytonique, c'est-à-dire
» portant sur l'avant dernière syllabe , demeura le ca-
» ractère commun qui lia ces idiomes , soit que Tultième
» syllabe se conservât , comme en espagnol ou en italien,
» soit qu'elle dii^arût ou devint muette comme en fran-
» çais. La flexion, au contraire , subit dans les dialectes
» nés du latin , des modifications nombreuses. — La
» sonorité si rigoureuse et même souvent rigide des ter-
» minaisons fkxibles du latin ^ écrit M. Schleicher, fut
» émoussée, la prédominance des consonnes disparut sous
» l'influence du désir d'arracher aux terminaisons leurs
» consonnes en les changeant en voyelles, ou de suppri-
» mer par V apocope les terminaisons tout entières. Les
» formes de la flexion latine ainsi mutilées , ou même
Td effacées, on n'y pouvait plus maintenir les nuances
» des vieilles significations latines; ce qui restait de ter-
» minaisons à voyelles, était dénué d'intonation, et la
» confusion des voyelles devenait inévitable,
» La déclinaison latine n'était donc plus possible dans
» les langues romanes ou issues du latin, sauf la di£fé-
» rence entre le cas sujet et le cas régime, qu'on maintint
» encore un certain temps chez les deux dialectes entre
«lesquels, dans le principe, se partageait la France,
» la langue d'Oi/, parlée au nord, et la langue d'Oc,
» parlée au midi.
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CE QUE l'on PBN6B DS LÀ LANGUE' d'O. 499
» Les substantifs étant ainsi privés de leurs flexions j
» on dut avoir recours aux prépositions pour exprimer
» la relation des substantifs dans la phrase. Les tennî-
» naisons de cas ayant disparu, on employa les pronoms
» placés devant le substantif; de là Forigine de Tarticle ,
» inconnu comme on sait au latin , mais que possédait
» d^'a le grec.
» La conjugaison du verbe latin i^it , dans l'italien
» et l'espagnol , moins d'altérations , mais déjà le recours
» au verbe auxiliaire vint suppléer à l'imperfection des
» terminaisons de temps , et finit par les remplacer
» souvent. C'est ce qui arriva pour le verbe passif où
)» l'emploi de l'auxiliaire tint lieu des terminaisons spé-
» ciales. Toutes les contractions qui s'qîèrent dans les
» langues dérivées, l'apocope, le syncope, se prodiiisi-
» rent fréquemment. Enfin , la construction prit un
» ordre de plus en plus logique et les mots se rangèrent
» graduellement dans la phrase suivant leur ordre
y" d'action , et non plus dans une disposition qui rappe-
» lait l'époque où l'idée demeurait enveloppée et comme
» serrée en un seul mot.
» Les différents idiomes sortis du latin prirent chacun
» un génie spécial. L'Italien , le plus rapproché de la
» langue-mère dont il occupe le berceau , et qui se diver-
» ^fie en un certain nombre de dialectes , se distingue
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200 LÀ TfiRITÊ^ SUR LA LANGUE d'o.
» par sa douceur, sa tendance euphonique et le soin
» avec lequel il conserve l'accent primitif. L-espagnol
» s'éloigna davantage du latin par la prononciation , et
» reçut de l'arabe, qui le dota de beaucoup de mots,
» et peut-être de l'ibère, une tendance gutturale qui
» s'allie pourtant à une extrême sonorité. Composé d'a-
» bord.de plusieurs dialectes, il les absorba prompte-
)) ment, comme le toscan l'avait fait pour les dialectes
» de l'Italie centrale, et ne laissa vivre que le catalan et
» le valencien. Le portugais peut encore être regardé
» comme un dialecte de l'espagnol ; mais il en modifie
» assez profondément la prononciation. Les nasales pren-
» nent le dessus sur les gutturales et les sifflantes , ou
» les chuintantes sur les sons aspirés et mouillés. Le
» verbe portugais revêtit même , dans quelques uns de
» ses temps , un caractère propre , surtout dans l'emploi
» de son infinitif qui devint un vrai temps susceptible
» de conjugaison. Le provençal , qui n'est qu'un des
» grands dialectes de la langue d'oc, tient, par son sys-
» tème de vocalisation , comme le milieu entre le portu-
» gais et l'espagnol.
» Le français émoussa et abrégea le latin plus forte-
» ment encore que ne le firent les idiomes précédents.
» Il enleva ainsi beaucoup de sonorité à la langue, mais
» il l'adoucit dans les liaisons de mots, en même temps
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CE QUE l'on pense DE Ll LANGUE D*0. SOI
» qu'il supprima plusieurs gutturales. En lui vinrent
» s'absorber différents dialectes qui subsistent à peine
» aujourd'hui à l'état de patois , tels que le bourguignon,
» le wallon parlé encore à l'ouest et au sud de la Belgique,
» le bas-normand, demeuré le patois des îles Jersey et
» Guemesey. Le provençal, au contraire, qui n'avait
» pas du aux circonstances politiques, une si grande
» influence, laissa vivre près de lui le languedocien et le
» limousin. ».
D'après la citation qui précède , on pourrait facilement
supposer que les idiomes romans proviennent directe-
ment du latin littéraire ou classique. Il n'en serait rien
cependant, si nous en croyons certains paaltres de la
science.
Cédons la parole à M. Brachet (Hist. de la langue
franc, introd. p. 16^ :
» Moins d'un siècle après la conquête, on parlait
» latin dans toute la Gaule. Mais ce latin, qu'importaient
» en Gaule les colons et les soldats, ressemblait aussi
» peu à la langue de Virgile que le français enseigné par
» nos soldats aux Arabes d'Algérie ressemble à l'idiome
» de Bossuet ou à celui de Chateaubriand ; il se distin-
» guait du latin classique ou latin écrit par un vocabu-
» laire spécial et des formes particulières, dont l'origina-
»1ité mérite que nous nous y arrêtions uu instant, etc. »
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208 Là YtâlTÉ SUR LA LÂN6DB d'o.
H. Brachet, dans rintroduction de son Histoire de la
langue française, ne prend pas garde que c^taines de
ses assertions sont contraires à la vérité. Nous avons eu
déjà occasion de signaler chez lui qudques appréciations
erronées. Voici encore une erreur à relever dans la courte
citation que nous venons d'extraire de Touvrage de ce
savant linguiste.
En admettant que nos soldats et nos colons introdui-
sent en Algérie Tusage d'un français populaire, c'est-à-
dire trivial et sensiblement corrompu (ce qui est loin
d'être démontré), il n'en est pas moins réel que ee
français altéré et le français classique ne pourraient offrir
entr'eux d'autre différence que celle qui naît d'une
prononciation vicieuse et de l'emploi de locutions adoptées
par le populaire de certaines provinces, mais impitoya-
blement exclues du beau langage.
Entre ces deux manières de s'exprimer dans la même
langue , on peut pourtant constater qu'il n'existe aucune
altération des traits caractéristiques et spécifiques de
cette langue. Son génie n'est ni altéré ni transformé ; il
demeure identique. Identiques sont les tournures de
phrases et les idiotismes. Les règles de la syntaxe ne
sont aucunement violées dans les constructions. Seuls,
les vocables , composant le dictionnaire , éprouvent des
mutilations ou des modifications , parfois même asseï
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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE d'O. SOS
étranges pour les rendre, à première vue , tout-à-fait
dktincts des mots qui leur ont donné naissance. Mais
cda ne peut rien sur la phy^onomie propre de la langue
à laquelle ces mots appartiennent.
Cela est si vrai que, entre deux personnes, parlant
l'une le langage littéraire l'autre le langage populaire,
et en accordant même que l'une d'dles ne puisse parler
le langage de l'autre et réciproquement, U n'y aura
jamais confusion. Toutes deux se comprendront très-
focilement , parce que si le matériel de la langue subit ,
dans la bouche d'un des interlocuteurs , des altérations,
fussent-elles considérables, le fonds, c'est-à-dire le
génie et la syntaxe , n'a pas varié.
Il devient dès lors fort difficile de comprendre , comme
l'avance M. Bracfiet , que le latin littéraire et le latin
vulgaire, sortis Vun et Vautre d'une souche commune ^
allèrent toujours en divergeant davantage; et que ce
latin populaire se distinguait du latin écrit far un voca-
hulaire spécial et des formes particulières. Chacun d'euXy
dit-il, avait des formes grammaticales et un vocabulaire
distinct. Si cela est exact, le latin populaire aurait été ,
en ce cas , une langue tout-à-fait séparée et distincte
de la langue latine que chacun connaît. Alors, pourquoi
donnera cette langue le nom de latin populaire? Com-
ment pourrait-on concevoir qu'un patois, issu du latin »
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204 LÀ YÉRITfi SUR Là LANGUE d'O.
eût des formes grammaticales et mi vocabulaire distinct
du latin, puisque c'est justement cette distinction de
grammaire et de vocabulaire qui constitue le caractère
différentiel de toutes les langues 7
Le système préconisé par M. Brachet est insoute-
nable. En effet , ou le latin populaire était une lan-
gue distincte du latin ou ce n'en était qu'un patois. Si
c'était une langue à part, on aurait alors parle deux
idiomes différents à Rome. Mais nous savons pertinem-
ment que cela n'a jamais été. Si ce n'était qu'un pa-
tois, ce patois ne peut avoir possédé une grammaire
ou des formes grammaticales différentes de celles du
latin classique. D'ailleurs , si la plèbe romaine eût parlé
un langage à tel point différent du langage épuré de la
bonne Compagnie, comment ces deux classes de la
société eussent-elles pu faire pour communiquer en-
semble? Si, au contraire, les communications étaient
possibles et faciles entre les grands et la plèbe, n'est-il
pas évident que ces formes distinctes , et ce vocabulaire
spécial du latin populaire, ont été grossis dans des pro-
portions fabuleuses?
Notre opinion personnelle est qu'il n'y à pas aussi loio
qu'on voudrait nous le faire accroire, de ce latin popu-
laire au latin classique.
Cicéron , bon juge en pareille matière , dit des dames
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CE QUI l'on pense DE LA LANGUE d'O. S05
romaines de son temps , qu'il n'en connaissait pas six
capables de s'exprimer purement en latin. Le même
auteur, parlant de la populace de Rome , nous apprend
qu'elle était si sévère pour le choix des expressions et la
pureté du langage qu'elle chutait impitoyablement les
acteurs coupables d'une &ute de ce genre et même de la
simple omission d'un accent.
Au surplus j pourquoi Cicéron le puriste , Cicéron qui
avoue avoir passé de longues nuits à étudier la valeur
d'un mot 4e la langue qu'il maniait si bien y eût-il pris
tant de peine pour polir sa phrase et pour châtier son
style , si la multitude , devant laquelle il prononça dans
le Forum ses plus beaux discours , eût été incapable de le
comprendre et de l'apprécier?
C'est incontestable , il y a eu réellement un latin popu*
laire. Mais ce latin populaire n'a été simplement qu'un
patois du latin classique ou littéraire.
A l'instar de tous les patois , ce latin populaire s'est
distingué du latin littéraire.
i^ Par des modifications et des altérations apportées
aux vocables du dictionnaire romain.
2^ Par des permutations et des changements dans les
sens propres ou figurés des mots conservés cependant
dans le boau langage.
30 Enfin par l'adoption d'un foule de termes , empnm-
ïi <2
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206 LA. YÉaiTfi sua la. lajvgue d'o.
tés à d'autres idiomes , termes qui ne trouvèrent jamais
place dans le vocabulaire du latin classique.
A rinstar encore de tous les patois , ce latin populaire
a ressemblé au latin littéraire.
1® Parla conservation du génie spécifique de la langue
latine, qui était essentiellement transpositif.
2<> Par l'observance exacte des lois et des règles gram-
maticales de la syntaxe latine.
3^ Par la réduction h l'analogie de l'idiome latin de
tous les mots tirés ou empruntés des idiomes étrangers.
4<> Par sa manière de décliner les noms et de conjuguer
les verbes , manière identique à celle du latin littéraire.
5*» Enfin par la similitude des constructions qui se
faisaient de la même façon dans les deux langages.
La grande différence qui distingue les langues trans-
positives des langues analytiques c'est que les premières ,
possédant la flexion , expriment le rapport des mots
parleur forme, tandis que les secondes, privées de
la flexion qu'elles remplacent par des prépositions ou par
l'article , expriment ce même rapport par l'ordre des mots
dans le discours. Or , il est impossible de constater dans
le latin populaire la présence de l'article ou de préposi-
tions en tenant lieu. Tous les mots dits populaires
sont affectés de terminaisons propres aux différentes
déclinaisons latines. C'est ainsi qu'on voit batualia ,
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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 207
Caballtis, acror, amicabiliSj stagnum, species, etc., etc.
signifiant batailky cheval, aigreur, amical, ètain ^
èpice, etc., etc. Ces mots n'existent point dans le vocabu-
laire du latin classique ; ce sont donc des emprunts faits
à un idiome étranger. Cependant ces mots sont tous
affublés d'une terminaison conforme au génie de la langue
latine et propice à fa déclinaison. Qui ne voit , en effet ,
que:
Batualia se décline sur Rosa.
Caballus sur dominus.
Acror sur Soror.
Amicabilis sur Fortis.
Stagnum sur Templum,
Species sur Dies ?
Dans chaque langue il existe une condition qui lui
est particulière et que ni le temps , ni les modifications
successives apportées par le renouvellement des idées ,
par les influences étrangères, par les points de
contact avec des nations plus civilisées , par l'introduc-
tion môin3 do littératures plus policées , n'ont jamais pu
altérer ou même modifier. Nous voulons parler du génie
propre à chaque langue.
Or , comme on ne saurait nier que le génie de la langue
latine classique est demeuré intact dans le latin popu-
laire , il faut nécessairement conclure que ce latin popu-
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808 LA YÉRITfi SUR LÀ LANGUE d'O.
laire ne se différenciait du latin littéraire que par des
néologismes et des altérations de mots. Gonséquem-
m^t , le premier n'était qu'un patois du second.
De l'avis unanime des linguistes, nos dialectes
populaires étant au même titre que l'italien , l'espagnol
et le portugais , le prolongement naturel et normal du
latin populaire , faut-il en conclure aiftsi que ces idiomes
et nos dialectes sont tout uniment un patois du latin?
C'est ce qui nous reste à examiner. Mais d'abord ,
expliquons ce que nous devons entendre par ce mot:
patois.
Un patois , nous dit-on , est le langage grossier et
corrompu parlé par le peuple dans les diverses provinces
d'une nation.
Il est constant que , dans la plupart des langues , il
existe deux sortes de langage : l'un à l'usage des gens ins-
truits et bien élevés ; l'autre à l'usage de la partie inculte
de la population. De ces deux langages le premier est véri-
tablement la langue classique ou littéraire du pays où on
les parle ; le second en est le patois , et ce patois varie
de province à province , de ville à ville , quelquefois
même de quartier à quartier.
Les grammairiens qui nous donnent la définition que
nous venons de rapporter ajoutent que certains pays n'ont
pas de patois, quoique la langue commune subisse des
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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'o. 309
changements plus ou moins considérables de province à
province. Ces pays n'ont que des dialectes.
Diaprés nous, si une nation est homogène , il ne peut
y avoir dans sa manière de parler qu'un usage légitime.
Tout autre usage qui s'écarte de celui-ci dans la pronon-
ciation, dans les terminaisons, dans la syntaxe, ne
constitue ni une langue à part , ni un dialecte de la langue
nationale ; c'est tout simplement un patois. Ainsi , nous
croyons fermement que les différents dialectes du grec ,
par exemple , étaient les patois de l'idiome hellénique.
En effet , les modifications ou les. changements , introduits
par l'usage ou par d'autres causes dans les vocables des
diaflectes en question et leur mode d'emploi , n'altéraient
en rien le génie propre de la langue grecque. Quoiqu'ils
prononçassent d'une manière différente les mots de la
langue commune, ceux qui parlaient les divers dialectes
grecs se comprenaient mutuellement , malgré quelques
différences de termes.
Or , puisque ce qui constitue un dialecte est simplement
une altération affectant seulement le matériel d'une langue,
les mots dialecte et patois doivent être regardés comme
synonymes. Ils expriment en effet tous deux, la même,
idée.
En outre, de la définition de ces deux mots, il ressort
clairement que , malgré des dissemblances parfois assez
12.
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240 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
considérables , le langage pppulaire ou patois et lé
langage littéraire ne forment qu'une seule et même
langue , différenciée uniquement par le plus ou moins de
politesse ou de délicatesse de ceux qui la parlent.
Dans les deux langages , on trouve forcément tout ce
qui prouve une origine identique , c'est-à-dire le même gé-
nie, la même syntaxe , les mêmes tours , la même marche
analytique ou Iranspositive , la même construction. Ce
n'est pas tout. Ces deux langages auront une manière
commune d'envisager l'idée et de dessiner l'original qu'ils
ont à peindre , qui est la pensée. Ils se serviront pour
la peindre des mêmes couleurs , qui sont les sons articu-
lés de la voix. Ils ne différeront que par le choix des
couleurs , c'est-à-dire par leur plus ou moins de finesse
ou de grossièreté. Cette différence, d'ailleurs, toute
dans les mots et ne consistant qu'en des altérations de
peu d'importance, ne peut jamais, en aucun cas, s'écar-
ter assez de la langue commune pour donner au langage
qu'elle affecte l'apparence d'une langue nouvelle ti
distincte.
A ces divers points de vue on a raison de dire qu'il
existe des patois ou dialectes en France , car l'on peut
justement considérer comme tels le parler de certaines
provinces, où le peuple dit: fallionSy chen fieu, es-
brouffer, esquinter, etc. , etc. , pour f allais j son fib.
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CE QUB l'on PENBB DE LÀ LAN6UB d'o. 24 \
étonner, fatiguer. Mais il est digne de remarque que
dans ces provinces on ne connaît d*autre langue que la
langue française. En ce cas , la précédente manière d'ex-
primer sa pensée est un véritable patois.
Maintenant fout-il ranger dans la catégorie des patois
les idiomes languedocien , breton, flamand > alsacien et
basque, également parlés en France î
Evidemment non I
Pourtant , la France, une par rapport au gouverne-
ment , ne doit avoir qu'un usage légitime d'élocution. Cet
usage , qui n'est autre qu'une langue commune pour tous
ses habitants, la France le possède et l'a rendu obliga-
toire. Ce qui n'empêche point les divers idiomes dont
nous venons de parler, de continuer à vivre et d'être
parlés en ce pays , concurremment avec le français.
Notons en passant que la France est fort loin d'être le
seul territoire dont les habitants , provenus de races di-
verses , aient conservé l'usage de leurs idiomes respec-
tas.
Or, puisqu'on accorde au breton , au flamand , à l'al-
sacien et au basque le nom d'idiomes , pourquoi le refuse-,
t-on si énergiquement à la langue d*0 ?
Le seul motif de cet illogisme est l'intime conviction où
l'on est, à peu près partout, que la langue d'O provient
du latin. »
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i\i LA VÉRITÉ SUR LA. LANGUE d'O.
Le savant Fuchs va même plus loin. Pour lui , les lan-
gues romanes ne sont pas filles du latin , ainsi que le pen-
sait Raynouard , mais sont le latin lui-même. « Les lan-
» gués romanes, dit-il, ne sont point issues du latin
» comme des filles , elles ne sont pas autre chose qu'un
» développement naturel et normal du latin, que la lan-
» gue latine adulte. Il est vrai qu'au premier abord elles
» paraissent avoir une individualité bien distincte du la-
» tin ; il semble qu'elles aient seulement avec lui cette
» ressemblance de famille qu'on observe entre une fille
» et sa mère ; mais quand on les examine de près , on
» voit que , malgré toutes les dissemblances , elles sont
» au fond la même langue et ont le même génie et la
» même construction que le latin, seulement à un état
» plus avancé de développement. »
L'hypothèse de Fuchs est absolument fausse. Au lieu
de la discuter , nous nous bornerons à renvoyer le lec-
teur à l'étude comparée de la grammaire latine et des
grammaires française, espagnole, portugaise et ita-
lienne.
Nous sommes certain d'avance de l'éclatant démenti
que cette comparaison donnera à la proposition du lin-
guiste allemand.
^ M. M. Brachet, Meyer, et autres romanisants moder-
nes , n'ont point commis une pareille maladresse. Cepen-
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CE QUE l'on PENSB DB Là LANGUE d'O. 213
dant, imbus du préjugé ordinaire et ne voulant pas
s'assurer de la véracité ou de la fausseté de leur opinion ,
ils ont cherché comment le fait de la filiation entre le la-
tin et les langues romanes avait pu se produire.
On n'a , pour se rendre compte des immenses recher-
ches et des précieux travaux de M. Brachet , entr'autres,
qu'à lire Sa Grammaire historique de là kmgue fran-
çaise, II est seulement regrettable que M. Brachet, au
lieu de rechercher comment les mots latins avaient pu
former les langues romanes , hypothèse chimérique s'il
en fut I n'ait point pris le contrepied et n'ait point exa-
miné , au contraire , comment la langue celtique avait pu
modifier le latin. Non seulement alors , il eût été dans le
bon chemin , dans la vérité absolue, mais il eût encore
fait de son remarquable ouvrage un impérissable monu-
ment. Le principe posé par les auteurs opposés à notre
thèse est éminemment faux. Quoi de surprenant que les
conséquences qu'ils ea tirent soient fausses elles-mêmes ?
Aussi , laissant de côté toutes les erreurs accumulées par
les linguistes modernes sur l'origine delà langue d'O , ou
plutôt des langues appelées romanes , c'est au principe
lui-même que nous allons nous attaquer.
Si les langues dites romanes provenaient en réalité du
latin populaire y comme ce latin populaire ne pourrait
avoir, nous l'avons vu, d'autre différence avec le latin
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21 4 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
classique que celle que Ton constate universellement
(dans toutes les langues) entre le langage de la bonne
compagnie et le langage des basses classes , il s'ensui-
vrait que ce latin populaire serait tout simplement le pa-
tois du latin littéraire. Nous avons dit ce qu'était un
patois par rapport à la langue classique. Donc, les lan-
gues romanes, comme le latin populaire s'il était leur
auteur , ne se différencieraient du latin littéraire que par
une certaine altération ou modification introduite seule-
ment dans le matériel ou vocabulaire de cette dernière
langue. Mais elles en auraient conservé intact le génie
particulier et les formes grammaticales.
Dans le dernier siècle, l'Abbé Girard (Prindp. Disc. L
tom. /, p. 30j écrivait : — « Rien de plus ordinaire que
» d'entendre parler de Langue-mère, terme dont le
» vulgaire se sert , sans être bien instruit de ce qu'il
» doit entendre par ce mot, et dont les vrais savants ont
» peine à donner une explication qui débrouille l'idée
» informe de ceux qui en font usage. Il est de coutume
» de supposer qu'il y a des langues-mères parmi celles
» qui subsistent ; et de demander quelles elles sont ; à
» quoi on n'hésite pas de répondre d'un ton assuré que
» c'est l'Hébreu , le Grec et le Latin. Par conjecture ou
» par grâce , on défère encore cet honneur à l'Allemand.
» Or , quelles sont les preuves de ceux qui ne veulent
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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'o. 215
,ç
» pas convenir que le préjugé seul ait décidé leur opinion
» sur ce point ? Ils n'allèguent d'autre titre de la filiation
» des langues , que l'étymologie de quelques mots e^t les
» victoires ou établissement du peuple qui parlait la lan-
» gue-mère , dans le pays où Ton fait usage de la langue
» prétendue dérivée. C'est ainsi que l'on donne pour filles
» à la langue latine, les langues française , italienne , es-
» pagnole et portugaise. Si l'on compare ces langues en-
» tr'elles il est facile de s'appercevoir qu'elles se ressem-
» blent toutes par la manière d'employer les mots et
» qu'elles ne diffèrent que par le matériel des mots ou
» leur forme matérielle. »
Il est impossible, en effet, de douter que le français , .
l'italien, l'espagnol et le portugais , n'aient une commune
origine. Mais , si l'on compare ces idiomes à l'idiome la-
tin , l'homme , même le plus superficiel , s'apperçoit aus-
sitôt qu'ils n'ont rien de commun avec la langue latine
proprement dite.
Le môme Abbé Girard (Id. ibid. p. 27) écrit à ce pro-
pos:
(c Quand on observe le prodigieux éloignement qu'il y
» a du génie do ces langues à celui du latin ; quand on
» fait attention que l'étymologie précède seulement les
» emprunts et non l'origine ; quand on sait que les peu-
» pies subjugués avaient leurs langues Lorsqu'on-
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SH6 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O.
» fin on voit aujourd'hui de ses propres yeux ces langues
» vivantes ornées d'un article , qu'elles n'ont pu prendre
» de la latine où il n'y en eût jamais , et diamétralement
» opposées aux constructions transpositives et aux infle-
» xions des cas ordinaires à celle-ci ; on ne saurait , à
» cause de quelques mots empruntés, dire qu'elles en
» sont les filles, ou il faudrait leur donner pluâ d'une
» mère. La grecque prétendrait à cet honneur ; et une
» infinité de mots qui ne viennent ni du grec ni du latin ,
» revendiqueraient cette gloire pour une autre. Je nie
» qu'elles lui soient redevables de leur naissance. Ce n'est
» pas aux emprunts ni aux étymologies qu'il faut s'arrè^
» ter pour connaître l'origine et la parenté des langues :
» c'est à leur génie , en suivant pas à pas leurs progrès
» et leurs changements. La fortune des nouveaux mots ,
» et la facilité avec laquelle ceux d'une langue passent
» dans l'autre, surtout quand les peuples se mêlent,
» donneront toujours le change sur ce sujet ; au lieu que
» le génie indépendant des organes, par conséquent
» moins susceptible d'altération et de changement, se
» maintient au milieu de l'inconstance des mots, et con-
» serve à la langue le véritable titre de son origine. »
Ce sont là , si nous ne nous trompons, les vrais prin-
cipes qui doivent diriger tout savant digne de ce nom ,
dans l'étude de la génération des langues.^
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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE d'o. SI 7
Quiconque s'est livré aux investigations linguistiques
a pu facilement voir plusieurs ordres de mots amenés né-
cessairement dans tous les idiomes par des causes natu-
relles , dont l'influence est antérieure et supérieure à nos
raisonnements , à nos conventions , à nos caprices.
Il peut y avoir dans toutes les langues , ou du moins
dans plusieurs d'entr'elles , une certaine quantité de mots
analogues ou semblables, que des causes communes,
quoiqu'accidentelles, y auraient établis depuis la nais-
sance de ces langues diverses.
Donc , l'analyse des mots n'est pas une preuve suffi-
sante de la filiation des langues, à moins qu'on ne veuille
dire que toutes les langues modernes de l'Europe sont
respectivement filles et mères les unes des autres, puis-
qu'elles scfht continuellement occupées à grossir leurs vo-
cabulaires par des échanges sans fin , que la communica-
tion des idées et des \]aes nouvelles rend indispensables.
L'analogie des mots, entre deux langues, ne prouve
autre chose que cette communication , quand ces mots
n'appartiennent pas à la classe des mots naturels.
C'est donc à la manière d'employer les mots qu'il faut
recourir, pour reconnaître Fidentité ou la différence du
génie des langues , et pour statuer si elles ont ou n'ont
pas entr'elles quelque affinité.
Si, sous ce rapport, l'affinité existe, nous accordons
u 43
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218 LÀ VÉRITÉ sur LA LANGUE d'O.
alors que Tanalogie des mots confirme la filiation de ces
idiomes , et Tmi doit être reconnu comme langue-mëre par
raj^rt à l'autre. Mais si , entre deux langues, il n'y a
d'autre liaison que celle qui naît de l'analogie des mots ,
sans aucune ressemblance de génie , c'est qu'elles sont
étrangères l'une à l'autre.
Telles sont à l'égard du latin les langues gàiéralement
nommées romanes , langues qui ne constituent en réalité
que des dialectes de la langue d'O ou mieux de la langue
celtique ou gauloise.
Le vocabulaire latin nous montre , il est vrai , une foule
de termes identiques avec les termes contenus dans le
vocabulaire gaulois ou de la langue d'O. Mais la langue
d'O ne tient pas du latin sa syntaxe, ses constructions ,
sa grammaire, son 'article, ses verbes auxiliaires, l'in-
déclinabilité de ses noms , une multitude de temps dif-
férenciés dans ses conjugaisons et confondus dans les con-
jugaisons latines. Les procédés de la langue d'O se sont
trouvés inalliables avec les gérondifs , avec les usagesque
les Romains faisaient de l'infinitif, avec leurs inversions
arbitraires, avec leurs ellipses accumulées, avec leurs
périodes interminables.
Donc, la langue celtique ou gauloise ou langue d'O, ne
peut avoir et n'a réellement rien d'essentiel avec la lan-
gue latine, soit littéraire | soit populaire y à moins d'ad-
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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE d'O. 249
mettre que ce latin populaire fut tout-à-foit un idiome
distinct du latin classique.
Même en ce dernier cas , comme il est impossible de
prouver qu'une langue puisse , quelque temps qu'elle y
mette, se scinder en deux idiomes nettement diflérenciés
par un génie et un matériel opposés, tandis^ que les
preuves de l'impossibilité de ce fait nous sont fournies
avec abondance par l'histoire des langues, il resterait à
rechercher la provenance réelle de ce latin populaire.
Or, ne pouvant, dans cette hypothèse, admettre la
procréation de ce langage populaire par l'idiome latin ,
il faudrait forcément attribuer cette formation à l'un des
idiomes en usage dans la péninsule italique. Mais de ces
idiomes (au nombre de quatre seulement, l'ombrien ou
sabellique, le pélasgique ou étrusque, le grec et le
gaulois ) , deux ont concouru à la parturition du latin ,
l'ombrien et le pélasgique^.
Si le latin populaire eût été la continuation ou le pro-
longement de l'un ou de l'autre de ces deux idiomes , ce
n'eût plus été un latin populaire, mais bien ou l'étrusque
ou l'ombrien , ce que personne n'ose prétendre.
Si, formé de ces deux derniers idiomes, le latin popu-
laire eût possé^ié le génie , la syntaxe du pélasgique et
un vocabulaire mélangé de pélasge et d'ombrien, c'eût
été le latin pur et simple : latin qui aurait pu , dans la
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220 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
suite se scinder en deux langages , l'un classique , et
l'autre populaire , soit par l'introduction de mots nou-
veaux , soit par l'altération des termes propres à la
langue littéraire, soit par l'oblitération du sens propre
ou figuré des mots. C'eût été véritablement en ce cas le
latin populaire.
Enfin , si , avec un vocabulaire panaché d'étruscpie et
d'ombrien, le latin populaire eût possédé le génie et les
formes grammaticales de l'ombrien, comment alors lui
donner le nom de latin populaire, puisqu'il n'aurait eu
rien de ce qui constitue les dialectes ou patois d'une lan-
gue , c'est-à-dire un génie identique au génie du latin?
Ce ne serait donc ni dans l'ombrien ni dans lepélasge,
envisagés séparément , pas plus que dans un mélange des
vocables de ces deux langues uni à la sjutaxe ombrienne
qu'on pourrait trouver la cause première de la formation
du latin populaire.
Il ne reste que le grec et le gaulois à qui l'on puisse
faire remonter sa naissance, si l'on continue à voir
dans le latin populaire aufre chose qu'un patois du latin
classique.
Inutile de nous occuper de la part que le grec aurait
pu avoir à la formation du latin populaire. Personne n'a
jamais prétendu qu'il y fut pour quelque chose. Quant au
gaulois ^ il est incontestable qu'il a exercé sur le langage,
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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE D'O. 224
de la plèbe romaine une influence aussi considérable
que persistante.
Toujours en guerre avec Rome , dont ils étaient si
voisins , les Gaulois , par leur incessant contact avec les
Romains, prirent bien à la vérité quelques termes du
vocabulaire latin ; mais ces termes étaient en fort petit
nombre. Tandis .qu'ils imposèrent une foule de vocables
de leur idiome à Tidiome latin. Les soldats et les colons
romains furent les introducteurs de ces termes celtiques
dans la langue de Rome.
Or , en continuant à déduire les conséquences de l'hy-
pothèse des romanisants, si le latin populaire avait,
ainsi que le veulent M. Brachet , M. Meyer et autres
philologues , des formes grammaticales différentes du
latin classique, c'est que ce latin populaire avait adopté
les formes grammaticales et le génie de la langue gauloise.
Par conséquent, même en admettant que les langues
dites romapes fussent le prolongement naturel et normal
du latin populaire , ces langues , étant parlées par les
fils des Gaulois et ce latin populaire étant né de l'idiome
de leurs ancêtres il s'en suivrait que les Celtes d'aujour-
d'hui parleraient encore le celtique d'autrefois, ou
du moins des dialectes dérivés de l'antique langue gau-
loise. ^
Dans tous les cas , et de quelque façon qu'on envisage
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222 LA TtUTt SUR LA LA1?6UE D'O.
la proposition émise par H. Brachet, dle^est inadmis-
sible.
La vérité est que les prétendues langues romanes ne
dérivent pas plus du latin populaire que ce latin popur
laire ne dérive du celtique.
Le latin populaire se distii^;uait extrèm^nent du latin
classique , il est vrai , par un vocabulaire spécial , mais
il conservait le même génie y les mêmes constructions ,
les mêmes tours que celui dont il était devenu le patois.
Ces deux modes de la langue latine ne formaient qu'un
tout quant au fond ; ils ne dilïéraient que dans la forme.
La cause de cette divergence , l'unique cause dirons-
nous, fut celle-ci:
Les classes élevées de la sodété romaine , s'étant
engouées de la langue et de la littérature helléniques ,
adc^tërent une grande quantité de mots grecs qui ne
s'introduisirent jamais dans le langage du peuple. Ce
dernier à son tour , "satura sa langue d'élMents celtiques
que les gras de bon ton ref Glissèrent et qu'ils traitèrent
de sermanes sordidi. Mais ces deux manières d'être de la
langifôlatine n'allèrent jamais jusqu'à empêcher ceux qui
employaient une d'elles, d'être parfaitement compris de
ceux qui se servaient de l'autre et de la comprendre eux-
mgmes.
Comme tout ce qui existe en cet univers y les langues
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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 823
obéissent à des lois fixes et immuables. C'est de Tigno-
rance absolue de ces lois , ou d'autres causes que nous
ne voulons point spécifier , que sont nés tant de systèmes
si formellement invalidés par l'observation. Nous avons
précédemment cité un passage de M. Maury résumant
rapidement ce que nos philologues romanisants moder-
nes considèrent comme un fait acquis à la science. Nous
n'avons ni réfuté ni commenté ce passage , pour cette
unique raison que l'on ne peut prendre au sérieux de
semblables rêveries.
S'il était donné à l'homme de pouvoir modifier une
langue queteonque à ce point de la rendre , dans la suite
A&& temps , absolument différente de ce qu'elle était dès
le principe , grâce aux nombreuses révolutions qui ont
si souvent modifié et bouleversé la physionomie des di-
vers peuples de ce globe , nous aurions une foule d'exem-
ples de ce pouvoir de l'esprit humain.
Or, trouvons-nous trace de ce fait dans l'histoire des
langues ? L'évidence nous oblige h répondre : non I
De toutes les langues , subdivisées en littéraires et
populaires , en existe-t-il une qui ait créé une autre lan-
gue qui lui fut absolument dissemblable, tant pour le
génie que pour le matériel ou vocabulaire? Encore une
fois , non.
Cependant nous savons qu'en Chine, par exemple.
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224 Là vérité sur la langue d'o.
chaque province de cet immense empire possède un lan-
gage particulier si distinct et si différencié du langage
des autres provinces que les habitants de Tune d'elles ne
peuvent ni entendre le chinois parlé par les habitants
d'un autre , même voisine , ni s'en faire entendre. '
Les voyageurs nous disent qu'en Australie l'idiome
d'une des tribus de ce pays est presque toujours inintel-
ligible sur le territoire de l'autre, vivant dans le voisi-
nage de la première.
Nous pourrions multiplier les exemples , mais à quoi
bcm ? Tous les faits que nous aurions à citer viendraient
corroborer notre proposition et détruire l'hypothèse de
ceux qui veulent que d'une langue puisse naître une au-
tre langue n'ayant rien de commun avec celle qui l'en-
gendra.
En effet , si , en Chine , le dialecte d'une province est
inintelligible dans la province voisine , c'est parce que
chacune d'elles a modifié ou altéré les termes du vocabu-
laire national. La différence n'existe que dans le maté-
riel du langage. Le génie propre de la langue chinoise et
sa syntaxe sont demeurés immuables dans toutes les
provinces de cet empire.
Quelques voyageurs nous apprennent que les tribus
australiennes, malgré leur proximité, ne peuvent facile-
ment correspondre entr'elles, à cause de l'immense
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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'o. 325
changement survenu dans leur langage respectif. Mais
ils ajoutent : — « Tous les dialectes de ces peuplades
» dérivent évidemment d'un idiome commun, car , ou-
» tre l'identité des vocables , désignant les objets les plus
» familiers , la construction grammaticale est essentielle-
» ment la même aussi. Ces différents dialectes , outre
» l'identité de certains vocables et la similarité de cons-
» truction grammaticale , ont encore en commun une
» flexibilité et une précision d'expressions remarquables
» ainsi que la facilité avec laquelle ils se prêtent à la
» formation des mots composés. »
Nous laissons à nos lecteurs le soin de tirer une con-
clusion de ces exemples multiples.
Au surplus , ce n'est pas seulement parce que l'opinion ,
résumée par M. Maury , nous présente un fait unique en
son genre que nous la combattons ; on pourrait nous
répondre que l'exception confirme la règle.
Ce n'est pas non plus parce que ce fait choque la vrai-
semblance ; car , si l'on admet que le latin populaire a été
assez puissant pour faire disparaître à jamais les idiomes
nationaux de la Gaule , de l'Espagne et de l'Italie , et se
substituer à eux , comment pourra-t-on expliquer qu'il
n'ait pas eu la môme puissance en Allemagne , en Angle-
terre , en Thrace , en Asie-miaeure , en Afrique , où il
était autant , pour ne pas dire plus , en usage que dans
13.
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226 LA Ttem SUR LA LAKGVB d'O.
les trois premières ecmtrées? L'histoire nous af^rcDd,
il est vrai , que partout où les Romains se sont établis
ils ont apporté là leur langue et y en ont introduit Vusage,
Hais cela ne prouve point que le peuple subjugué ait ,
pour cela, oublié son propre idiome. Saint Augustin,
dans ses Confessions (chap. 42 à 21 ) , nous démontre
clairement le contraire.
Le seul motif pour lequel nous nous élevcms contre le
sentiment résumé par M. Maury , c'est qu'il tend à subs-
tituer j dans la linguistique , les fantaisies de l'imagina-
tion à la recherche de la vérité ; recherdie qui ne peut
s'acquérir que par l'étude et la comparaison des lan-
gues , par la connaissance des lois qui président au lan-*
ga^e , par la possession des causes premières et secon-
daires de la transformation ou des changements des
langues, enfin par l'examen approfondi des seules cir-
constances dans lesquelles on peut sûrement s'appuyer
sur l'étymologie et la phonologie.
Nous l'avons déjà dit , c'est à la manière d'employer
les mots que l'on connaît l'identité ou la différence du
génie des langues. C'est là le point de repère pour statuer
si elles ont ou non quelque affinité entr'elles. En ces cas,
mais en ces cas seulement , l'analogie des mots confirme
la filiation de deux ou plusieurs idiomes , et Fun doit
être regardé comme langue-mère vis-à-vis de l'autre.
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GB QUB l'on PBNSl DE LA LAN6UB d'o. 287
C'est ce que l'on remarque entre les idiomes russe ,
pK>lonais, iilyrien et l'antique idiome esclavon, d'où les
trois premiers tirent évidemment leur origine.
Mais, s'il n'y a entre deux langues d'autre liaison que
<»lie qui naît de l'analogie des mots , sans aucune ressem-
blance du génie , c'est qu'elles sont étrangères l'une à
Fautre. Telles sont les prétendues langues romanes è
l'égard du latin.
En effets c'est très facile d'affirmer que le français^
l'espagnol , le portugais , l'italien , la langue d'O provien-
nent du latin. Mais qu'elle preuve nous donne-t-K>n de la
filiation de ces langues? Pas d'autre que celle de l'analo-
gie des mots. Quelques écrivains pourtant s'ingénient à
nous démontrer comment, de transpositif, le génie du
latin s^ait devenu analytique. Mais , pour si ingénieux
que soient ces systèmes , ils ne tomberont jamais dans
le domaine de la réalité.
Si le matérid d'une langue en est comme le corps , le
génie de cette langue en est l'âme, c'est-à-dire l'essence
particulière et distincte. De même que le corps est appro-
prié et disposé pour les manifestations extérieures et
sensibles de l'âme qui Fhabite et l'anime , de même le
vocabulaire d'une langue est composé de telle sorte qu'il
peut se prêter facâleœent aux vues et aux besoins du gé-
nie de cette langue. Et, pour continuer la comparaison ,
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288 LA YÉaiTÉ SUR LA LANGUE d'o.
de même que le corps meurt dès que l'âme se sépare de
lui, de même aussi une langue cesse d'être du moment
où son génie disparait. A l'instar de tous les corps , le
matériel du langage peut se renouveler, peut se modifier
sans cesse ; mais le génie d'une langue demeure aussi im-
muable, aussi inaltérable que l'âme. Or, il n'est pas plus
au pouvoir de l'homme de changer radicalement le génie
d'une langue , tout en conservant cette langue , qu'il n'est
en son pouvoir de ranimer un corps , après l'avoir séparé
de son âme. Si l'homme pouvait le faire , n'en verrions-
nous pas de nombreux exemples ? Peut-on nous en dter
un seul?
On nous dit que les langues romanes proviennent du
latin populaire. Mais ce latin populaire avait la même
syntaxe, les mêmes constructions, les mêmes tours que
le latin littéraire, sans quoi c'eut été ]une langue absolu-
ment différente et indépendante du latin. Dans ce dernier
cas, le roman ne saurait provenir du latin. Dans le pre-
mier cas , le roman devrait posséder le même génie que
la langue latine. Or , nous voyons que le génie du roman
est absolument opposé à celui du latin. Donc, dans un
cas comme dans l'autre , l'idiome roman ne peut avoir
été engendré par l'idiome des Romains , l'analogie des
termes n'étant point une preuve suffisante que les lan-
gues romane soient nées du latin.
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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 829
Cette foule de termes , d'ailleurs, que les romanisants
contemporains nous représentent comme passés du latin
populaire dans le matériel des langues romanes , appar-
tient-elle bien en propre au latin populaire?
Il est permis d'en douter.
Le latin populaire, son nom Tindique, n'était et ne
pouvait être qu'un patois du latin. Son action , en ce cas ,
dut donc se borner à modifier simplement, ou à défigu-
rer, si l'on veut, les mots composant le piatériel de la
langue littéraire. De plus , comme tous les patois , il put
s'enrichir par l'adoption de termes étrangers. Mais nous
savons qu'il est matériellement impossible à un peuple
d'assembler des sons arbitrairement et au hasard pour
en faire des signes de ses pensées. Donc, les termes
étrangers au latin classique, que l'on trouve dans le vo-
cabulaire du latin populaire, sont évidemment des em-
prunts faits à des idiomes étrangers.
Partant de ce principe, il est facile de trouver la véri-
table origine des mots qui composent le matériel du latin
populaire. En effet, la populace romaine, on nous l'ac-
cordera , n'a pu faire d'emprunts qu'aux idiomes des
peuples avec lesquels les Romains ont eu des relations.
Or, il se trouve que la plus forte part des vocables,
appartenant à ce latin populaire , ne font point partie
des vocabulaires ombrien , pélasgique ou étrusque,
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230 LA VÉRITfi SUR LA LANGUE D'O.
grec, arabe, égyptien, slave, allemand, ibérien et
cimbrique.
D'où ces vocables sont- ils donc sortis ?
C'est ce que nos savants philologues se gardent bien
de dire.... Ils soutiennent que ces mots appartiennent au
latin populaire , et cela leur suffit.
Cela ne nous suffit pas , à nous.
Certainement ces mots ont été usités dans le latin po-
pulaire ; mais n'ayant pointété tirés du vocabulaire du la-
tin classique, ni de ceux des langues qui provignërent ce
latin, ni inventés arbitrairement, ils n'y figurent que
par voie d'emprunt , et l'idiome auquel la plèbe romaine
les emprunta fut l'idiome celtique ou gaulois.
Mais , la langue celtique , c'est réellement la langue d'O.
Qu'y a-t-il donc de surprenant à ce que le latin pq)u-
laire et la langue d'O possèdent une foule de termes iden-
tiques? N'est-il pas plus rationnel de croire que notre
vieille langue donna ces termes aux Romains , que d'ad-
mettre , sans raison plausible ni vraisemblable , que
nous les devons au latin populaire, lequel les aurait tirés
on ne sait d'où?
Nous concluons donc que le latin classique a été un
patois de l'idiome pélasgique ou étrusque, et que le la-
tin populaire est le patois de ce patois. Or, commece latin
populaire ne pouvait donner à autrui ce qu'il ne possé-
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CE QUB l'on pense DE LÀ LANGUE d'o. 231
dait point lui-même, c'est-à-dire un génie analytique,
quand le sien était transpositif, et des mots inconnus à
la langue de laquelle il tirait sa naissance; que, déplus ,
être et ne pas être constituent , philosophiquement par-
lant, une contradiction flagrante, ceux qui ont fait du
latin populaire un langage issu du latin classique dévolu
exclusivement ^ la basse classe romaine et ont accordé en
même temps à ce véritable patois , outre un vocabulaire
spécial, des formes grammaticales différentes de celles
du latin littéraire (ce qui constituerait un idiome à part,
nettement tranché et parfaitement distinct de celui dont
on veut le faire provenir) , ceux-là ne sauraient être
jamais scientifiquement autorisés à soutenir que la langue
d'O procède du latin littéraire. Nous avons surabondam-
ment prouvé que le latin littéraire était étranger à cette
langue.
Etudions maintenant la langue dO en elle-même.
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CHAPITRE HUITIÈME.
LANGUE DO OU CELTIQUE.
Nous avons posé en principe que la langue d'O était
aujourd'hui le seul représentant direct et légitime deTi-
diome Celtique ou Gaulois.
Prouvons-le.
Nous ne pouvons , à la vérité , offrir que des preuves
morales de la réalité du fait que nous affirmons , car
nous n'avons aucun document écrit en celte ou gaulois
pouvant en donner un témoignage palpable, matériel,
indiscutable. Nous croyons cependant les preuves mora-
les que nous possédons assez fortes , assez concluantes
pour qu'on les prenne en sérieuse considération.
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S34 LA YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
De tous les idiomes européens , la langue d'O, abstrac-
tion faite de Fespagnol , de l'italien , du portugais et du
français qui ^n dérivent évidemment , est le seul idiome
qui soit franchement , complètement d'ordre analytique.
Si nous devons en croire la linguistique , ce genre de
génie dénote la plus grande antiquité. Nous ne pouvons
nous dispenser de citer à ce sujet Topinion d'un philolo-
gue éminent du dernier siècle , Boubée , qui écrivait :
« L'ordre analytique étant le prototype invariable des
» deux espèces générales de langues et le fondement uni-
» que de leur communicabilité respective , il parait as-
» sez naturel que la première langue s'y soit attachée
» scrupuleusement et qu'elle y ait assujetti la succession
» des mots , plutôt que d'avoir imaginé des désinences
» relatives à cet ordre , afin de l'abandonner ^isuile sans
» conséquence : il est évident qu'il y a moins d'art dans
» le langage analogue que dans le transpositif; et toutes
» les institutions humaines ont des commencements sim-
M pies. Cette conclusion , qui me semble fondée solide-
» ment sur les premiers principes du langage , se trouve
» encore appuyée sur ce que nous savons de l'histoire
» des différents idiomes dont on a fait usage sur la
» terre.
)) La langue h^raïque , la {dus ancienne de toutes cel-
» les que nous connaissons par des monuments venus
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LANGOB n'a ou GELTIQUK. S35
» jiisqpi'à nous, et qui par là semble tenir de plus près
» à la la langue primitive , est astreinte à une marche
1» analogue : et c'est un allument qu'auraient pu faire
» valoir ceux qui pensent que c'est l'hébreu même qui
» est la langue primitive. Ce n'est pas que je croie qu'on
» puisse établir sur cela rien de positif; mais si cette
» remarque n'est pas assez forte pour terminer la ques-
» tion , elle prouve du moins que la construction analy-
i> tiqae , suivie dans la langue la plus ancienne dont nous
)» ayons connaissance , peut bien avoir été la conslruc-
» lion usuelle de la première de toutes les langues , oon-
D fermement à ce qui nous est indiqué par la raison
» même.
D'où il suit que les langues modernes de l'Europe qui
19 ont adopté la construction analytique , tiennent à la
» forme de la langue primitive de bien plus près que n'y
» tenaient le grec et Je latin. M. de Grand val , con-
» seilier au conseil d'Artois , de la société littéraire d'Ar-
» ras , dans son Discours historique sur l'origine de la
» langue française ( Voyez le II volume du Mercure de
» Juin et le vol. de Juillet i 757 ) me semble avoir prouvé
» très-bien que notre français n'est rien autre chose que
» le gaulois des vieux Druides , insensiblement déguisé
» par toutes les métamorphoses qu'amènent nécessaire-
» ment la succession des siècles et le concours des cir-
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236 LA TÉRITÉ SUR LA. LANGUE d'O.
» constances qui varient sans cesse. Mais ce Gaulois
» était le celtique tout pur etc. etc. ».
Voilà donc déjà notre langue en rapport de similitude
avec le plus antique idiome connu. Par conséquent , il
serait plus raisonnable de faire provenir la langue d'O de
l'hébreu que du latin (malgré que ce soit tout aussi im-
possible) y parce que cette liaison y confirmée par la cons-
truction analogue qui caractérise les deux idiomes swail,
à notre avis, un indice bien plus ^ûr de la filiation de
ridîome languedocien que toutes les étymologies imagi-
nables qui rapportent cette filiation à une langue trans-
positive. Ne savons-nous pas que c'est surtout dans la
syntaxe que consiste le génie principal et indestructible
de tous les idiomes ?
Il est un fait de la réalité duquel chacun peut s'apper-
cevoir , c'est que ce n'est point le caractère national d'un
peuple qui est le reflet de son idiome , mais que c'est au
contraire son idiome qui est le reflet de son caractère
national. Aussi , est-il impossible d'admettre qu'un peu-
ple quelconque adopte la langue d'un autre peuple, du-
quel il dilïere par toutes les tendances de son esprit,
sans admettre au préalable que le premier a du refaire
de fond en comble son caractère original pour calquer ou
s'approprier le caractère du peuple dont il a pris la
langue.
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. S37
Or, si, jugeant les caractères des Gaulois et des Ro-
mains sur leurs actes , nous les comparons entr'eux ,
nous sommes aussitôt* forcés de convenir qu'ils ne se
ressemblent guère. On tirera de même pareille con-
clusion de la comparaison des idiomes celtique et latin.
Donc , si ni la langue ni les tendances de l'esprit gau-
lois n'ont rien de commun avec la langue et les tendan-
ces de l'esprit romain , comment pourrait-il se faire que
la langue d'O, seul représentant de l'antique celtique ,
provint du latin?
Nous avons déjà démontré que ce n*était point possi-
ble. Cependant, tout en nous accordant que la langue
d'O n'a été provignée ni par le latin classique ni par le
latin populaire , on peut nous contester qu'elle soit le vé-
ritable représentant du celtique. Et , comme on ne sau-
rait plus nommer langue celtique ni l'erse , ni le basque ,
ni le kymre ou breton , ni aucun des idiomes auquels
on avait attribué jusqu'ici cette dénomination avec si peu
de fondement, ainsi que nous l'avons démontré , on peut
pareillement nous dire que le gaulois n'existe plus.
A cela , nous avons déjà répondu.
La langue d'O , tant dans soa génie propre que dans
son matériel ou vocabulaire, offre d'ailleurs tous les ca-
ractères distinctifs d'une langue sui-^generis , c'est-à-dire
qui ne procède que d'elle-màme.
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238 LA. ytuTt sm la langub d'o.
En effet , le g^e de la langue d'O , pins frandianent
analytique encore que celui des langues française ,
espagnole , portugaise et italienne, ne provient point du
génie de ces dernières , on l'avouera, puisqu'on £atit
dériver celles-ci, comme la langue d'O elle-même, du
latin populaire. Il ne provient point nqn {^os da génie
des idiomes kymrique, allemand, latin, grec, puisqu'il
en diffère radicalement. U ne provint point enfin da-
vantage du génie du latin populaire , puisque nous
avons prouvé que le génie de ce latin et celui du latin
classique ne faisaient qu'un. Cdt est si vrai que nos
savants modernes , ne sachant d'où tirer le génie de la
langue d'O, ont imaginé l'ablation des terminaisons latines
par les Barbares , ce qui aurait ensuite forcé ces derniers
(la construction transpositive des Romains étant de\^-
nue impossible par la disparition de la flexion)^ à in-
venter Farticle , les prépositions et conséquemm^it la
construction analytique du discours.
Cest fort ingénieux , on le voit , mais c'est un para-
doxe.
Les Celtes ou Gaulois possédaient , on le sait , une
langue particulière et distincte , et cette langue n'était
ni l'ombrien, ni l'erse, ni le basque, ni le belge, ni
l'allemand ; nous croyons l'avoir prouvé. De plus, nous
avons prouvé que la langue d'O , parlée par les descen-
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LÀN6US d'o ou celtique. 239
I
dants légitimes des Celtes, ne provient pas du latin
populaire et que c'est un idiome aussi primitif que n'im-
porte lequel. D'où nous concluons que la langue d'O est
le vrai celtique et que c'est une des plus anciennes
langues du monde.
Le savant et inimitable Godolin s'est douté, avant
nous et comme nous, que son idiome maternel n'était
pas un patois , mais une belle et antique langue , laqudle,
Idn d'avoir été procréée par le latin, existait de longs
siècles avant même la formation de cet idiome. Malheu-
reusement , il n'a pas jugé à propos , (et nul mieux que
lui n'aurait été autorisé à le faire) de rechercher l'origine
do la langue d'O. Il s'est borné simplement , pour ^venger
sa langue de mépris imbéciles, à doter le monde de
splendides, d'immortelles poésies.
Voici ce qu'il écrit :
« A touts , d'amb'un trinfle d'abertissomen :
» Sion c[uitis dan les que dounon del nas à la lengo
» moundino , tant per nou se poude pas emprigoundi
» dedinsla counéyssenço de sa gracie, coumo per nous
• » fa creyre qu'élis an troubat la fabo à la coco de la
» suflSsenço. Acampen le mesprès dan le mesprès , e de
» toutos lours paraoulos uflados e trufandièros , . fazan
» autant de mobles de boudouflo, Re. Beromcn o , coumo
» se la rosû muscadëlo rësto de nous fiuleta le nas e
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240 LÀ YÊRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
» les èls , encaro que le tabar à cabussets reboimdo le
» fissou dins sas estatjos amourousos. Nouirigat de
» Toulouse me play de manteni soun lengatge bel , e
» capable de derrambulha toute sorte de councepeious; e
» per aco digne de se carra d'amb un plumachou de
» prêts e d'estinfo. Aqueste reprochi l'y poden manda ,
» que debës qualque meut se raing e s'encadeno dan
» le lati : amour, cèl, terro , mar, tabès au fa le blous
» frances, Titalièn e l'espagnol, quedignomensebanton
» de touca le pu naut escalou de la perfecciu. Tal paren-
» tatge ben de l'estudi o de la frequentaciu de l'un pople
» dan l'autre. Garats aci de moûts del pais que biben
» de leurs rendes : Gof, pèc, kc, crauc, ranc, hrusc-
» ganguiè, perot, ranguil, royre, chiuchiu, foulp/na,
» rampoynOy requinca, chamboula, carrinca, miror-
» couca, ajouata, chotum-botum , espalabissa, à tmtos
» e bustos, à mahs endeberos, part milanto d'autres que
» déjà se soun enginats dins nostre petit passo-tems.
» Per fèt de lour antiquitat: Quand del mandomen de
» Diu las lengos se troubèguen à la sépulture de la
» temeritat del gigan Nembrot , qui dira que la nostro
» nou fourèsso pas de l'asempreî Segoun l'oupiniu
» coumuno, Tolus petit nebout de Noë foundèc Toulouse,
» l'aparenço dits douncos per nous , que be pourtao
j» qualque lentgage particulier d'aquelis qu'abion serbit
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 244
» à la cotinfusiu del bastimen doun las girouetos dibion
» frega le cël ^ e despita le majenc de tout autre delutge.
» Âsso sio dit de fregado countro les trufandiès , en fabou
» de la lengo moundino, Toulousano, Toulousenco, que
» nous a fournit de sas flouretos per fa le Ramelet que
» cèrco qui per destric , e foro d'afas le bolgo bese de
» boun èl. Adissiats. »
On le voit, Godolîn, frappé de Timpossibilité d'attri-
buer au latin l'origine de son idiome maternel, n'hésite
point à le faire remonter à la confusion des langues ,
sous les murs de Babel. Ce sentiment, tout paradoxal
qu'il puisse paraître à première vue, est aussi le nôtre ,
et voici sur quoi nous nous fondons :
L'histoire nous enseigne que , 600 ans avant notre ère,
les Gaulois firent irruption en Italie et en Allemagne , et
s'y fixèrent à demeure. Plus tard, les Gaulois établis en
All^Magne, se dirigèrent vers le sud de ce pays et s'éta-
blirent dans la Dacie. De longues années après, les géné-
raux successeurs d'Alexandre , vinrent enrôler une partie
des guerriers Gaulois qui habitaient la contrée. Ces
Gaulois , passés en Asie, y fonderai Ancyre et le royaume
Galatte. Quand à ceux d'entr'eux qui étaient demeurés
en Dacie, ils continuèrent d'y séjourner et leurs descen-
dants y vivent encore, tout comme les descendants des
Gaulois Cisalpins peuplent encore le nord de l'Italie.
II U
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242 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
Mais ces Gaulois avaient une langue propre , différen-
ciée de celle' de leurs voisins, et il est vraisemblable
qu'ils rimportèrent avec eux dans les cantons où ils
s'étaient établis. Or, il est extrêmement surprenant que
les savants roraanisants modernes , ne veuillent tenir
aucun compte de cette langue , dans la procréation des
prétendus idiomes romans , et la considèrent absolument
comme si elle n'avait jamais existé.
Que serait donc devenue la langue Celtique? Serait-
elle entièrement anéantie ?
En ce cas , il est un fait bien digne de remarque , c'est
que , partout où l'histoire nous montre un établissement
de Gaulois, en Italie , en Suisse , en Dacie, en Espagne,
on y parle encore aujourd'hui une langue identique ,
tandis que cette langue est absolument inconnue là où
ils ne se sont jamais implantés.
On lit dans V Introduction à la grammaire des langues
romanes, de M. Frederick Diez: « L'accord fréquent de
» tous les dialectes romans dans l'emploi des mots , des
» formes ou des sens rapportés dans ces deux listes , est ,
» avec leur construction grammaticale , la plus certaine
» preuve de leur unité originaire. »
Il est vrai que cet auteur ajoute aussitôt :
« Cette unité ne peut se supposer que dans l'idiome
D populaire des Romains , d'autant plus que la langue
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LANGUE d'O ou CELTIQUE, 243
» Valaque , séparée de très bonne heure des autres ne
» peut leur avoir emprunté ces éléments , qui lui sont
» communs avec elles , et ne peut les posséder, de même
» que ses sœurs , que comme un patrimoine transmis
» par la langue mère. »
Pourquoi M. Diez attribue-t-il cet honneur au latin
populaire au détriment du Gaulois? M. Diez n'ignore
cependant pas ce qu'est un patois à la langue classique ,
puisqu'il écrit : « Seulement il faut se garder d'entendre
» par langue populaire autre chose que ce qu'on entend
» toujours par là , l'usage dans les basses classes de la
» langue commune, usage dont les caractères sont une
» prononciation plus négligée , la tendance à s'affranchir
» des règles grammaticales , l'emploi de nombreuses
» expressions évitées par les écrivains , et certaines
» phrases, certaines constructions particulières. Voilà les
» seules conséquences que permettent de tirer les
» témoignages et les exemples qu'on trouve dans les
» auteurs anciens. »
Donc , d'après M. Diez lui-môme , le latin populaire
devait avoir la même syntaxe , les mêmes formes gram-
maticales, le même génie, en un mot, que le latin classique.
Ceci est confirmé par l'examen de la longue liste de
mots appartenant au latin populaire que nous donne
M. Diez. Tous les mots qui composent cette liste ,
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S44 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE D'o.
substantib , adjectifs , verbes , possèdent, sans exception,
des terminaisons semblables aux terminaisons des verbes,
des adjectifs et des^substantifs du latin littéraire. Us sont
par conséquent ramenés à l'analogie de Tidiome latin.
Ce qui prouve , jusqu'à l'évidence, que le génie du latin
populaire était de même ordre transpositif que le génie
du latin classique et que la construction de la phrase se
faisait dans l'un, de la même manière que dans l'autre.
D'où il suit que le latin populaire , possédant un génie
d'ordre transpositif , n'a jamais pu donner aux idiomes
prétendus dérivés de lui le génie d'ordre analytique qui
les distingue.
On veut, à tout prix, que le latin populaire se soit
substitué aux langues étrusque ou pélasgique, ombrienne,
ibère et gauloise. Mais pourquoi ne veut-on pas faire
attention que , lorsque les Gaulois se fixèrent en Italie ,
non-seulement le latin populaire n'existait pas encore ,
mais que le latin classique n'était pas lui-même complè-
tement formé? Les Gaulois n'ont donc pas pu délaisser
leur langue nationale pour en adopter une qui n'était
pas née.
Nous avons déjà montré assez clairement d'où le latin
classique avait tiré sa naissance et de quels déments il
s'était primitivement composé. Or, il est incontestable
que, jusqu'à la venue des Gaulois en Italie, le latin
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 245
persista dans sa première manière d'être, et que ce fut
seulement après rétablissement des Celtes aux frontières
de son domaine qu'il commença de s'imprégner de
vocables étrangers. Ces mots , étrangers aux langues
qui avaient provigné le latin , nous en avons signalé un
certain nombre dans les fragments des Lois des Douze
Tables. D'Où ces mots seraient-ils sortis ? puisqu'on ne
veut tenir aucun compte de l'influence de la langue
gauloise sur la langue des futurs maîtres du monde.
Nous avons prouvé que la civilisation romaine était
faite de nombreuses pièces de rapport et qu'il n'y a jamais
eu de peuple plus pillard , mais en même temps plus apte
que le peuple Romain à s'assimiler les usages des autres
peuples. Nous avons démontré aussi que les Romains
n'avaient jamais exercé la moindre influence sur les
nations qu'ils avaient incorporées à leur empire.
S'il en eût été autrement , ce n'est pas l'idiome Gaulois
seulement qui eût été anihilé par la prépondérance delà
la ngue latine , mais , tout comme lui , les idiomes kym^
rique , allemand , pélasgique , ombrien , numide , etc.
Peut-on dire que cela ait eu lieu?
S'il en eût été autrement, le latin se serait-il simple-
ment borné à imposer quelques mots de sa langue
aux idiomes des vaincus, et n'aurait-il pas aussi imposé
en même temps le génie particulier qui le caractérisait ?
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Si6 LA TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
L Vt-il &it ? Â-t-il pu le faire t
On sait bien le contraire.
L'onpire Romain , de même que la Isoigue latine, foi
on adosse aux pieds d'argile que le souffle des Barbares
fit aisément crouler ; car là où il n'y a 'pas d'bomc^néité,
il ne peut y avoir de stabilité.
Rome détruite , il n'y eût plus d'enqpire Romain.
Rome détruite, il n'y eût plus de langue latine.
Gela se comprend facilement. Le latin , parlé presque
partout au temps de la domination rcmiaine j n'a jamais
été en réalité qu'une langue factice, sorte de jargon,
sans racine , à l'usage exclusif , non d'un peuple , mais
de quelques habitants d'une ville, fort humble p^ddaoït
k)ngtemps , de l'Italie.
Ce langage , sorte d'argot de voleurs dans le principe ,
quoique formé d'un mélange de& deux grandes langues
de la péninsule italique , dut , presque dès son origine ,
être inintelligible aux peuples dont les idiomes distincts
avaient servi à créer cet argot. Aussi voyons-nous les
Romains en défendre longtemps l'usage à ceux de leurs
voisins qu'ils avaient fini par maîtriser et s'incorporet.
Mais , parce fait seul qu'il était composé d'individus
appartenant à des nationatités diverses , le peuple Romain
devait d'autant plus facilement admettre dans son voca-
bulaire des termes empruntés à toutes ces nationalités.
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LANGUI D^O OU CELTIQUB. 247
Tous les savants sont unanimes à reconnaître qu'en
dehors des termes appartenant aux idiomes pélasgique
et ombrkn, fondateurs du latin, (m trouve dans la
langue latine une foule de mots de provenance diverse,
tirés du grec, de Tibère , du kymre, du teuton et même
de Fhébreu.
Or , si le latin a pu si Csieilement emprunter des signes
à ces difTérents idiomes , pourquoi donc n'aurait-il pas
pu en emprunta- au celtique ou gaulois?
Supposer que le latin ne l'a point fait, serait chose
absurde. Tout concourt à démontrer que c'est par des
emprunts faits au vocabulaire celtique que le latin a pu
enrichir son propre vocabulaire.
D y a , en effet , dans la langue de Rome , une immense
quantité de vocables que les savants, ne pouvant les
retrouver dans les dictionnaires kymre , teuton , pélas-
gique , ombrien , grée , etc. , n'hésitent point à déclarer
de provenance inconnue.
Provenance inconnue! c'est bientôt dit. Mais est-ce
possible? Peut-il y avoir dans une langue quelconque,
surtout composée , et dont les sources sont connues ,
un mot , un seul mot de provenance inconnue?
Il ne faudrait pas être linguiste, pour ignorer le con-
traire.
Ces mots , dont on ne veut point savoir l'origine , se
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248 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
retrouvent dans la langue d'O et seulement dans la
langue d'O.
Au lieu de conclure de cette coïncidence que la langue
d*0 , parlée par les descendants directs des celtes ou
gaulois , devait être la langue celtique , les savants aux-
quels nous faisons allusion , ont préféré croire et dire que
la langue d'O avait pris ces termes du latin et lui devait
même sa formation.
Mais, à supposer que cette assertion fut exacte, la
langue d'O ne possède point que ces termes , soi-disants
latins, malgré qu'on ne puisse, en ce cas, savoir d'où
les Romains les auraient pris eux-mêmes. Plus de la
moitié du vocabulaire gaulois est composée de mots qui
n'existent dans aucune autre langue. D'où donc la langue
d'O les aurait-elle tirés ?
C'est un mystère pour les détracteurs de notre vieille
langue celtique , mais ce ne saurait en être un plus
longtemps.
En effet, si les Celtes, lesKymres et les Teutons,
par exemple , étaient de même race et provenaient
tous, comme on se l'imagine, du tronc aryen , non seu-
lement ces mots se retrouveraient, sans exception,
sinon en bloc au moins disséminés , dans un des nom-
breux rameaux de ce tronc.
De plus , comme la souche de toutes les langues d'ori-
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LANGUE d'o ou celtique. 249
gine aryenne, le sanscrit, est d'ordre transpositif, et
que nous voyons les langues qu'on en fait provenir,
telles que le slave , le pélasge , le grec, le latin , l'alie-
mand, le breton, posséder plus ou moins un génie
d^ordre semblable , le gaulois aurait dû , lui aussi , être
d'ordre transpositif pour pouvoir être classé dans cette
grande famille de langues.
Mais alors , puisqu'on veut que la langue d'O actuelle,
qui est en somme le celtique ou gaulois, ait été provi-
gnée par le latin, si elle eût eu un génie semblable au
latin, à l'allemand, aukymre, pourquoi se serait-elle
amusée à transformer ce génie et de transpositif le ren-
dre analytique? Pourquoi, seule, aurait-elle métamor-
phosé ainsi son génie, quand, autour d'elle , toutes les
autres langues voisines ont été impuissantes à changer
le leur?
Si ce changement de génie enfin devait être exclusi-
vement attribué à la supi»ression de la terminaison des
mots latins, c'est-à-cBre à l'ablation de la flexion , qu'en
faudrait-il conclure? Sinon que les gaulois, tout en
adoptant le vocabulaire du latin populaire, devaient
posséder un génie radicalement différent de celui de ce
latin, puisque les terminaisons des mots, propres seu-
lement aux langues transpositives, leur devenaient
inutiles. Mais , comme dans ce monde , il n'y a pour les
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250 LÀ TÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
langues que deux manières d'être, Fune transpositive,
Fautre analytique, si le gaulois n'était pas d'ordre
transpositif, il devait forcément être d'ordre analytique.
Par conséquent, la langue d'O, qui à conservé intact ce
genre de génie et qui est la seule à le posséder dans le
concert des langues européennes, n'a point été procréée
par le latin, classique ou populaire, et elle est bien
véritablement la langue parlée par les celtes ou gaulois.
C'est de toute évidence.
Néanmoins, ce qui semble donner une apparence de
vérité à l'hypothèse de ceux qui s'obstinent à voir dans
la langue d'O le prolongement naturel et normal du
latin populaire, c'est la quantité, relativement grande,
de mots communs à ces deux idiomes.
Nous avons déjà prouvé :
1® Qu'il est impossible d'attribuer ces mots aux idiomes
des peuples avec lesquels Rome s'est trouvée en rapport ;
2» Que ces mots n'ont point été inventés arbitraire-
meut par la plèbe romaine, mais qu'ils ont pénétré
dans son langage par voie d'emprunt ;
3« Enfin que les Gaulois avaient une langue propre,
absolument différente de celles des autres nations
d'Europe.
D'où il résulte que ces mots étant communs au latin
et à la langue d'O, la langue d'O est véritablement
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LANGUE d'O ou GELTIQUB. S54
l'ancien celtiqne, et c'est de celte vieille langue que les
Romains, ont reçu les mots en question, loin de les
avoir eux-mêmes donnés au celtique.
Les Romains formèrent leur langue d'emprunts faits
à toute sorte de langues. Il n'en est pas de même des
Gaulois qui ont toujours possédé pour la leur un atta-
chement inviolable, aussi tenace que persistant.
Ce fait est tellement évident , que M. Diez est obligé
de l'avouer lui-même. Pourtant il cherche à en tirer des
conséquences favorables à la déplorable erreur qu'il
s'efforce de propager :
« La conquête romaine , dit-il , détruisit autant que
» possible dans toute l'étendue de la Gaule les langues
» indigènes. Nous possédons toutefois sur leur persistance
» quelques renseignements historiques. Au commence-
» ment du troisième siècle, un passage connu d'Ulpien
» cite le gaulois comme une langue encore vivante :
» Fidei commissa qiu)cunque sermone reltnqui possunt ,
» non solum latina vel grœca, sedetiam punica vel gaU
» licana. A la fin du quatrième siècle , Saint Jérôme ,
» qui connaissait la Gaule pour y être allé , rappelle la
» communauté de langage des Galattes et des Trévires :
» Galatas propriam linguam, eamdem pœne habere
» quam Treviros (Prœf» ad librum H in épist. ad Gala--
» toi). Vers le même temps ^ Sulpice Sévère parle du
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852 Là yérité sur la langub d'o.
» celtique ou gaulois comme d'une langue existante
» encore à côté du latin: Vel ceUice, autj si mavis,
» gallice loquere {opéra Lugd. Batav. p. 543j; et Mar-
» cellus Empiricus donne une foule de noms de plantes
» gaulois usités dans son pays.
» Dans la seconde moitié du cinquième siècle , Sidoine
» Apollinaire blâme la noblesse d'Auvergne de conserver
» encore dans son langage celtici sermonis squamma, ce
» qui peut, il est vrai , s'aiq)liquer aussi à un usage pro-
» vincial ou rustique du latin. Cependant dans la seconde
» moitié du VI« siècle la vieille langue n'avait pas encore
» tout à fait péri en Auvergne, car Grégoire de Tours
» en tire l'étymologie d'un nom propre: Brachio, quod
» eorum (Arvemorum) lingiui interpretaturursicatului
» (VitœpatrumjCap. iij. »
Et plus bas :
« Si l'on embrasse l'ensemble de la langue française ,
» on s'apperçoit bien vite que l'élément latin y est moins
» fort et l'élément germanique bien plus considérable
» que dans l'espagnol et Titalien. La proportion est en-
» core plus défavorable au latin , si l'on veut tenir compte
» des patois, ou, ce qui revient presque au même, de
» l'ancienne langue , bien que les patois et le vieux fran-
» çais ne manquent pas non plus de mots latins inusités
» dans la langue actuelle. L'origine du résidu non latin f
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 253
» quand il n'est pas germanique n'est pas plus facile à
» assigner ici que dans le domaine italien. Il est frappant
» que, des mots gaulois transmis par les anciens et dé-
» signés par eux comme tels , on retrouve presque la
» moitié en français , en provençal ou dans d'autres dia-
» lectes anciens , et à l'état de mots populaires , ce qu'ils
» n'étaient pas en latin, etc. etc.
» Son plus ancien nom paraît bien être Kn-
» gua gallica, Jean le Diacre, par exemple, vers 874,
» dit: Ilkmoregallicosanctumsenemincrepitamfollem
» (fr. fol, fou; voy, du Gange, s.v. Follis). Le moine
» deSaint-Gall (vers 885) remarque: caniculas quas
» gallica lingua Veltres (v. f. viautres) nuncupantfdu
» Cange, s. v. Canis), Witichind (vers l'an 1000) dit:
» Ex nostris etiam fuere qui gallica lingua ex parte lo-
» qui sciebant (ap. Meibomium, I, 646. Cette dénomina-
» tion s'est perpétuée en breton : Galkk signifie la langue
» française , comme Gall veut dire Français. Francisca
» ou Francica n'était originairement qi^e le nom de la
» langue franke (voy. Ermoldus Nigellus, Eginhard,
» Otfried , etc.), et ce n'est qu'après l'extinction de cette
» langue en Gaule que la romane du nord hérita de son
» nom , et fut appelée langue française : Jamais un
» Provençal n'aurait donné ce nom à son idiome. »
Quoiqu'on en dise et malgré qu'on en ait , cette cita-
n 46
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254 LA YÉRITfi SUR LÀ LANGUE d'o.
tion démontre clairement que la langue celtique ou gau-
loise était douée d'une vitalité excessive et d'une force
extrême de résistance puisqu'on l'an mil on la parlait
encore. Donc , il est faux de dire que le latin populaire
anéantit l'idiome gaulois. Donc, si le gaulois a résisté,
ce gaulois ne peut être que l'idiome connu aujourd'hui
sous le nom de langue d'O.
Cest aussi évident qu'incontestable.
M. Diez ose pourtant écrire : « Mais , malgré cela , en
» considérant l'énorme prépondérance de la langue des
» Romains, on ne peut admettre qu'à une époque aussi
» avancée le celtique ait vécu encore autrement que sur
» quelques points isolés , et à coup sûr fortement mé-
» langé du latin. »
La raison invoquée par M. Diez , pour motiver l'anéan-
tîssenxent de la langue celtique , nous parait bien faible.
Pour justifier sa proposition, M. Diez n'aurait-il pas
dû tout d'abord nous apprendre par suite de quelles oc-
currences l'idiome gaulois a plus profondément ressenti
V énorme prépondérance de la langue des Romains , que
le sabin , le toscan , l'ombrien , le grec , l'illyrien , l'alle-
mand, lecimbre?
M. Diez voudrait-il prétendre que la domination ro-
maine pesa moins fortement sur l'Angleterre , la Belgi-
que, l'Allemagne, la Tbrace, la Grèce, l'Italie elle-
même I que sur la Gaule ?
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 255
En voyant sur quelles faibles preuves s'étayent les
romanisants, pour faire venir du latin les prétendues
langues romanes , et l'inconcevable mutisme qu'ils gar-
dent constamment sur la langue celtique et le rôle qu'elle
à joué, ils nous amèneraient presque à supposer qu'ils
sacrifient la vérité ^u plaisir de développer un brillant
paradoxe et de fonder un système.
Toutefois , ce dont nous sommes le plus profondément
surpris et affligés, c'est de voir des Gaulois eux-mêmes
méconnaître leur plus beau titre de gloire et employer
leur profond savoir et les prodigieuses ressources de
leur incontestable talent à soutenir une thèse dont tout
démontre la fausseté.
(( Ainsi tandis que le fond de la nation française est de
» race celtique , la langue française n'a conservé qu'un
» nombre insignifiant de mots qui puissent être ramenés
» à une origine gauloise. Fait bien étrange , et qui ,
» mieux eucore que l'histoire politique , montre combien
ï) fut absorbante la puissance romaine. (Brachet , Gr.
» Hist. de la lang. franc, »
Fait bien étrange, en effet , s'il était vrai 1
Hé quoi I nous sommes Celtes , nous parlons une lan-
gue absolument différente de toutes les autres langues ,
et nous ne parlerions pas le celtique ?
Nous n'avons rien du latin , c'est prouvé , ni génie ,
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256 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
ni syntaxe, ni constructions , ni flexions, ni vocabulaire,
et pourtant nous parlerions le latin ?
Pour justifier sa manière de voir , qui est aussi celle
de la généralité des philologues, M. Brachet prétend
que « le séjour prolongé des légions romaines , l'arrivée
» incessante de nouveaux colons , la nécessité pour les
y» gens du peuple de plaider aux tribunaux romains,
» plus tard la ronversion des Gaulois au christianisme,
» enfin la mobilité d'esprit naturelle aux Celtes et leur
» amour du changement , tout contribuait à faire adop-
» ter au peuple Gaulois la langue des vainqueurs. »
Les raisons mises en avant par M. Brachet sont loin
d'être concluantes.
On pourrait , à bon droit , demander à cet auteur com-
ment les Romains , possesseurs d'une seule ville et d'un
territoire fort exigu et qui, par conséquent, n'étaient
pas même un peuple , auraient pu tirer d'eux-mêmes le
nombre prodigieux de colons et de soldats qu'ils en-
voyaient aux quatre coins de l'univers et non dahs la
Gaule seulement. Mais la vérité est que le plus grand
nombre des colons , envoyés en Gaule , appartenaient à
la race celtique en qualité de Gaulois cisalpins , et que
le surplus provenait des différentes races de l'Italie ou
des pays soumis aux Romains. N'est-il donc pas plus
rationnel d'admettre que ces colons ^ noyés , dispersés
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 257
dans la masse de la population celtique au milieu de la*
quelle on les transplantait, ont, ceux-ci, les Gaulois ci-
aolpins, continué à parler leur antique idiome, et les
autres , délaissé leurs langues respectives , dont Fusage
ne leur était plus possible , disséminés comme ils étaient
à l'étranger , pour apprendre et parler le Gaulois ? Peut-on
croire, avec quelque apparence de raison, que ces épa-
ves de nationalités diverses , jetées en plein pays celti-
que par le vouloir romain , aient pu forcer une grande
nation à délaisser sa langue pour en adopter une autre
dont le génie et le matériel étaient incompatibles avec sa
manière de penser et sa façon de peindre les idées? Et ,
même dans ce dernier cas , ne faudrait-il pas admettre
au préalable , que tous ces colons et soldats ne parlaient
point d'autre langue que celle de Rome , tandis qu'il est
indiscutablement prouvé aujourd'hui qu'il n'en était rien?
Cette raison n'est donc pas admissible.
Quant à la mobilité d'esprit naturelle aux Celtes , nous
devons avouer qu'elle est loin d'être justifiée parce que
nous savons de l'histoire de leur idiome.
Si les Gaulois , en effet , eussent échangé leur langue
contre celle des Romains , soit par ce que cette dernière
eût été pour eux du fruit nouveau , soit simplement par
ce qu'ils étaient sous la domination de ces derniers , il
n'y aurait aucun motif pour refuser d'admettre qu'ils ont
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958 LA YÉaiTÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
agi de mènie à l'égard des idiomes de tous les peuples qui
ont exercé sur eux une prédominance quelconque.
Cette légèreté de caractère admise^ amènerait à de
drôles de concluions. Ainsi, les Wisigoths ayant succédé
à la puissance romaine dans la Gaule méridionale et
régné à Toulouse, capitale de la langue d'O, envirwi
250 ans, on pourrait se demander pourquoi les Celtes
du midi ne se sont-ils pas empressés d'oublier le latin
en faveur du Wisigoth ou de l'allemand?
Après l'expulsion des Wisigoths et l'anéantissement
de leur puissance à Veuille , les Gaulois sont siK^cessive-
ment tombés sous la domination des Francs, des Sarra-
zins, des Anglais.
A*t-on successivement parlé en Gaule, allemand,
arabe, anglais?
On sait Uen le contraire.
On n'ignore pas davantage que l'idiome des Franks ,
loin d'avoir pu s'imposer à la Gaule , a complètement
sombré pour faire place , dans la bouche de ceux qui le
parlaient , à un patois du celtique ou gaulois , qui, par
un jeu de la fortune, est devenu cette belle langue fran-
çaise que l'on admire aujourd'hui , tandis que sa mère ,
la vraie langue celtique, moins connue, moins choyée,
moins cultivée , passe maintenant pour un patois.
La disparition de la langue franke eût lieu même assez
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 259
rapidement. « Lorsqu'au siècle suivant Rollon , duc des
» Normands, jure fidélité à Charles de France , il avait
» à peine commencé la formule sacramentelle By Gott
» ( au nom de Dieu ) , dans son idiome germaniquç , que
» toute l'assemblée des Seigneurs éclata de rire ; il fallait
» que Fallemand fut bien profondément oublié pour
» paraître aussi ridicule et aussi barbare. (Brachet , Gr.
» Hist. de la langiM française ). »
Enfin , depuis que le français règne en maître , malgré
tous les efforts tentés jusqu'à ce jour pour détruire ce
qu'on nomme les patois méridionaux , c'est-à-dire l'anti-
que langue celtique, quel résultat a-t-on obtenu?
Ne parle-t-on plus le gaulois dans toute la France mé-
ridionale ?
L'amour des Gaulois pour leur langue nationale est ,
on le voit , beaucoup plus profond , beaucoup plus enra-
ciné dans leur coeur que ne saurait le faire préjuger leur
prétendue mobilité de caractère. Or, s'il est manifeste que
les celtes ont toujours été réfractaires aux usages étran-
gers , n'est-ce pas une inconséquence de soutenir qu'ils
n'ont pu échapper à la prédominance de la langue latine,
prédominance aussi vaine d'ailleurs qu'illusoire ?
M. Brachet , dans sa Grammaire historique de la lan-
gue française y eût donc défendu la vérité et non prêt^
main-forte à l'erreur , si , au lieu de chercher comment
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260 LA TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
les mots latins (qui ne sont pas latins, mais réellement
gaulais) ont pénétré dans le gaulois, il eût cherché com-
ment les mots gaulois avaient pénétré dans le latin. Lors-
que cet auteur nous assure par exemple que fait dérive
de factus et haut de altus , c'est tout le contraire qu'il
aurait du démontrer, car ces deux mots sont passés du
gaulois en latin. De fait, les Romains firent factus; de
août ils firent altus. Ainsi de beaucoup d'autres termes.
Au surplus , avant d'attribuer au latin populaire une
aussi grande influence sur le gaulois , il aurait d'abord
fallu s'assurer consciencieusement d'où provenait ce latin
populaire, enfin et surtout ne point ignorer aussi com-
plètement l'idiome qu'on s'efforce de donner comme fils
delà langue latine.
C'est pour nous chose certaine, le celtique a entière-
ment échappé à l'influence romaine. Transmis de géné-
ration en générations par la mère à l'enfant , il est arrivé
jusqu'à nous. Et nous , les fils des Celtes , nous parlons
encore incontestablement l'antique langue des Druides.
Trois faits suffiront à prouver notre affirmation.
Le premier , c'est l'invention et l'usage des rimes dans
la poésie.
Les Druides , on le sait , proscrivaient l'écriture et ne
confiaient les secrets de la religion et des sciences qu'à
la mémoire. Or , le génie analytique de la langue gauloise
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LANGUE d'O OD CELTIQUE. 261
ne pouvait se prêter au genre de cadence et d'harmonie
des langues transpositives, comme le grec elle latin par
exemple, dont toutes les syllabes avaient , par leur lon-
gueur ou leur brièveté, la faculté d'exprimer les senti-
ments lents ou impétueux de l'âme. Toutefois, les Druides
avaient besoin de donner à leurs mystérieux préceptes
une forme matérielle qui put les faire apprendre plus
aisément de leurs adeptes et permit à ces derniers de les
mieux graver et retenir dans leur mémoire. Par ces mo-
tifs , la langue celtique n'étant pas apte aux règles du
mètre , les Druides trouvèrent qu'il y aurait de la grâce
à terminer par le même son deux parties du discours qui
fussent consécutives ou relatives et d'une égale étendue.
Ce même son final , répété au bout d'un certain nombre
de syllabes , devait dans leur idée , produire une espèce
d'agrément , marquer quelque cadence dans les vers
et devenir un aide-mémoire des plus sûrs et des moins
fatiguants pour les initiés aux mystères du druidisme.
Les fils des Gaulois ont reçu de leurs pères , comme un
héritage, et l'usage delà rime et la langue qui avait fait
adopter cet usage. On ne peut ignorer que les premières
poésies rimées parues en Europe ont été les poésies pro-
vençales , et que cette manière de terminer les vers fut
adoptée par presque tous les idiomes de notre continent.
La rime passa même du provençal en latin, témoin les
15.
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268 LÀ YfiEITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
vers léonins ea si grande faveur du huitième au XII^
»ècle de notre ère.
Passons maintenant à la seconde preuve que la langue
d'O n'est autre que le gaulois ou celtique.
On lit dans V Encyclopédie de 1755 , à l'article Druides ,
ces paroles du Chevalier de Jaucourt:<( Le premier et
» originairement l'unique collège des Druides gaulois ,
» était dans le pays des Garnutes ou le pays Chartrain,
» peut-être entre Chartres et Dreux. César nous apprend
» dans ses commentaires , lib. VI , que c'était là que l'on
» tenait chaque année une assemblée générale de tous
» les Druides de cet te partie dé la Gaule , et qu'on l'appel-
» lait Gallia comata. C'était là qu'ils faisaient leurs sa-
» orifices publics. C'était là qu'ils coupaient tous les
» ans avec tant d'appareil le gui de chêne , si connu par
» la description détaillée de Pline. Les Druides , après l'a-
» voir cueilli , le distribuaient par forme d'étrennes au
» commencement de l'année ; d'où est venue la coutume
» du peuple chartrain de nommer les présents qu'on fait
» encore à pareil jour, aiguilabes^ pour dire le gui de
» ran neuf. »
Le nom à!aiguilabes , usité dans le pays chartrain , ne
fait point partie du vocabulaire français. En outre , con-
servé en même temps que la coutume gauloise d'ouvrir
l'année par un présent , il est vraisemWable que ce mot
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 263
doit être celtique ou gaulois. Par conséquent , il doit pou-
voir être traduit au moyen de la langue celtique.
Or, si nous cherchons Texplication de ce nom dans les
vocabulaires respectifis des idiomes erse ou gaélique , kym-
rique ou breton , basque , teuton ( considérés cependant
comme des dialectes du celtique), nous sommes forcés
de convenir , non seulement que le mot atg'wtTaôc^ n'existe
pas dans ces divers idiomes , mais encore qu'on ne trouve
dans leurs vocabulaires aucun terme qui ressemble ou
se rapproche du terme aiguilabes.
Si nous consultons au contraire le vocabulaire de la
langue d'O , nous trouvons aussitôt deux mots usuels de
cette langue qui, par leur jonction , nous donnent , non
le mot aiguilabes (forme évidemment altérée , pour des
motifs que nous n'avons pas à rechercher ici , de l'antique
locution druidique), mais cette locution elle-même dans
toute sa pureté : aquilabes.
Ce dernier mot , en effet , se décompose en aqui, voici ,
et en Fabes, le gui. Donc , ce nom ou plutôt cette phrase
gauloise , traduisible seulement par le secours de la lan-
gue d'O , doit s'écrire : aqui Vabes; et elle signifie , non
le guide Van neuf, mais simplement voici le gui.
Ce serait déjà un fait assez surprenant par lui-même,
on l'avouera , que la seule langue d'O put traduire ce pré-
cieux reste du celtique , si la langue d'O n'était pas le
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264 LA TÉaiTÉ sua la. langue d'o.
celtique lui-même, et provenait du latin, comme on
ose le soutenir. Il serait bien plus surprenant encore ,
si la langue d'O était le prolongement ouïe développement
du latin littéraire, que, seule entre toutes les langues
prétendues celtiques, elle eût conservé Tusage du nom
sous lequel les Druides désignaient le gui , tandis que les
autres langues n'auraient pu le faire.
En effet , le mot gui se dit :
en Kymrique ou breton. Htiel-var, (1)
en Uscara ou basque ... Puhullu;
en Allemand Mistel;
en Saxon ( anglais ) Mistletoe ou Miseltoe ;
en Grec ; . . . Ixos;
en Latin Viscum;
en Italien Visco ;
en Français Gui;
en Espagnol Muèrdago ;
en Portugais Agarico ;
en Slave Amela,
Ce n*est qu'en langue d'O seulement que le mot gui se
dit abes, on le voit.
La troisième preuve enfin que la langue d'O est réelle-
(1) Ce nom est composé de Htiel, haut » sublime , et de 6âr branche.
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LANGUE O'O OU CELTIQUE. 265
ment le celtique nous est fournie par l'existence même
de la langue roumaine ou valaque.
Le roumain passe cependant pour être issu, au même
titre que le français , l'espagnol , l'italien et le portugais ,
du latin populaire. M. Diez , dans son ardent désir de
bien établir cette filiation , écrit : « La plus ancienne
» population de la Dacie était d'origine thrace , et par-
» lait , d'après l'opinion généralement admise une lan-
» gue voisine de l'ancien illyrien. Apres la conquête de
» riUyrie (219 ans avant Jésus-Christ) et de la Mésie
» ( 30 avant J. G. ) par les Romains , l'empereur Trajan
» réduisit aussi, en l'an 107 de notre ère, la Dacie en
» province romaine Mais déjà auparavant la
» population thrace presque entière avait été obligée de
» reculer devant l'invasion des Jazyges , population
» Sarmate qui venait du côté de l'Orient.
» Les colonies qu'on transporta dans le pays depuis la
» conquête contribuèrent puissamment à en romaniser
» les anciens habitants; mais elles no purent cependant
» les pénétrer aussi profondément que les contrées de
» l'Europe occidentale : Car , déjà cent cinquante ans
» environ après la réunion de la Dacie , l'empereur Au- \
» rélien fut contraint de céder cette province aux Goths
» (272) . A cette époque on transporta en Mésie une par-
» tie des habitants. Vers la fin du cinquième siècle (489),
;
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S66 LA VÉRITÉ sua 1a langue d'o.
» les Bulgares , peuples tartares , assimilés plus tard aux
» Slaves , commencent leurs incursions en Thrace et en
» Mésie , et lorsqu'ils finissent , en Tan 678 , par s'établir
» à demeure en Mésie , ils y trouvent déjà des coloaies
» slaves; quatre-vingts ans plus tard il y a eu en Macé-
» doine une province slave , la slavinie , et le domaine
» valaque finit par être entouré ou occupé par des peu-
» pies de cette race.
» Cet immense mélange de peuples se reflète à mer-
» veille dan^ la plus orientale des branches sorties de
» la Ungua rustka. C'est à peine si la moitié de ses
» éléments est restée latine. On pourrait croire trouver
» dans cette langue, qui n'a eu presqu'aucun contact
» avec ses sœurs et s'est développée sous leur influence,
» un certain nombre de mots latin^ qui leur sont incon-
» nus; mais on se tromperait; le nombre de ces mots
» est relativement minime
» Les radicaux de la moitié non latine doivent se
» rattacher au slave , à l'albanais, au grec , à l'allemand,
» au hongrois., au turc, et à d'autres langues encore.
» Un examen attentif des éléments étrangers prouve
» que, malgré les prétentions des grammairiens vala-
» ques à la pureté de l'origine latine de leur langue,
» l'élément slave est celui qui domine , etc. , etc. »
Il est vraiment inconcevable que, dans l'énumération
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 867
des divers peuples qui ont successivement occupé la
Dacie, M. Diez ne fasse aucune mention des Celtes. Il
ne saurait pourtant ignorer que non-seulement les Gau-
lois s'y établirent il y a plus de deux mille ans, mais
qu'ils n'en ont jamais été dépossédés ou expulsés et que
leurs descendants y vivent encore.
Les anciens historiens ne se bornent pas d'ailleurs à re-
later simplement l'établissement des Gaulois en Dacie. ]Us
sont encore plus explicites. D'après eux, les Celtes qui
s'établirent dans cette contrée faisaient partie de la tribu
des Tectosages , à laquelle on doit la fondation de Toulouse
et dont le territoire se composaitjdu Haut-Languedoc.
En présence de cet inexplicable et persistant oubli de
M. Diez, relativement au nom et aux établissements en
divers pays des tribus gauloises , oubli qui ressemble
fort à un parti pris , ne serions-nous pas en droit de
douter de son impartialité et de sa bonne foi?
Il est vrai que, si l'auteur allemand rendait aux Celtes
la justice qui leur est due et attribuait à la langue celti-
que l'influence rédle qu'elle a exercée, il serait obligé
d'abandonner son système.
Comment, en effet, persister à soutenir et à exalter
l'influence du latin populaire sur les idiomes primitifs de
ritaUe, de l'Espagne, du Portugal, de la Valachie, de
la France, l'orsqu'il est indiscutable que cette prétendue
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268 LA YÉaiTÉ SUR LA LANGUE d'O.
influence ne se serait exercée que dans les seuls pays
occupés par les Celtes , tandis qu'elle n'aurait laissé de
traces nulle autre part?
Comment étayer et faire prévaloir l'ingénieux , mais
impossible système qui ferait provenir une langue
analytique d'une langue transpositive, si l'on avouait
au préalable que l'idiome gaulois était essentiellement
d'ordre analytique et que ce génie distinctif s'est conservé
et existe encore chez toutes les langues parlées dans les
pays seulement où vécurent les Gaulois?
Mais c'est assez I A quoi bon multiplier des demandes aux-
quelles on serait forcé de faire toujours la même réponse?
Nous avons suflisamment prouvé que le latin popu-
laire n'était pour rien dans la procréation des langues
romanes. Or, comme, entre ces langues, la langue d'O
est celle dont l'antiquité est le mieux établie et c^lle dont
les autres dérivent évidemment, nous en avons inféré que
la langue d'O n'était et ne pouvait être que la véritable
langue celtique. Nous avons déjà donné d'abondantes
preuves de cette assertion ; mais la plus concluante , la
plus indiscutable est ce fait , vraiment digne de remar-
que, que la langue roumaine offre avec la langue d'O
des affinités si frappantes , de si remarquables analogies,
qu'il est impossible de leur refuser une commune origine.
Dans le cinquième siècle avant notre ère , des Tecto-
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LAifGUE b'o ou celtique. 269
sages, avons-nous dit, s'établirent en Dacie. Depuis
cette époque jusqu'à nos jours, il n'a plus existé de
rapports d'aucune espèce entre ces émigrés gaulois et
leurs congénères demeurés dans la mère-patrie. Néan-
moins , malgré le long espace de temps écoulé , malgré
l'absence de communications avec leurs frères de gaule ,
malgré les révolutions politiques, les envahissements
successifs de peuples divers , et tant d'autres causes que
nous négligeons de rechercher, les Roumains ont con-
servé leur antique idiome celtique à peu près intact , à
tel point qu'un Languedocien sera tout aussi aisément
compris à Bucharest qu'un Valaque à Toulouse.
Le génie de la langue roumaine est identique à celui
de la langue d'O.
Comme dans la langue d'O, les noms dans la langue
roumaine sont indéclinables et la déclinaison ne s'y fait
qu'au moyen de l'article ou de prépositions.
La syntaxe est, à très peu de chose près, là même dans
les deux langues. Certaines différences existent entr'elles
cependant; mais elles sont légères et de peu d'importance.
Ainsi, par exemple, quoique l'article soit semblable
en langue d'O et en langue roumaine , dans le premier
idiome il précède constamment le mot ; dans le second ,
il le suit. On dira en langue d'O : lou bent, le vent ; en
roumain, ce sera : ventoulou.
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270 LÀ YÉRITÊ SUR LÀ LANGUE D'O.
Les Boamains remplaceat aussi les vocatifs pluriels par
les dati£S) ce qui n'est pas usité chez les Languedociens.
Exemple : Damniloru (pour Domni) Mcultati vocealui
Damnedeu.
Messieurs ) écoutez la voix de Dieu.
Enfin certaines constructions dififôrent.
Exemple : Limba mutului face mai mult de cdtu aceia
a unui mincinosu.
Mot à mot : La langue d'un muet fait plus beaucoup de
combien celle d'un menteur.
Cette phrase se dirait en langue d'O, dialecte toulousain:
La lengo d'un mut bal pla mai que la d'un mentnr.
Omme nous n'avons point l'intention de pousser plus
loin l'étude comparative de ces deux langues , ou plutôt
de ces deux dialectes du celtique , terminons en disant
qu'en roumain et en langue d'O^ les pronoms se répètent
souvent, par pléonasme, pour donner plus d'énergie à
l'expression. Exemples :
RouM . Lui i am dat.
A lui je lui ai donné.
Làng. a eli ei donnât.
Afin qu'on puisse mieux se rendre compte de l'ex-
trême affinité qui existe entre le roumain et la langue
d'O , voici quelques lignes , extraites du journal Roma-
nulu (le Roumain) , du 12 Janvier 1873 , avec la tra-
duction en toulousain et en français.
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LANGUE d'o oc CELTIQUE. 271
Ua imposant ceremonia ^a tinutu la Versailles, in
biserica Saint Louis, inonorea gardiloru nationali si
soldatilorumortipentru Prancia 'n resbelulu eu Prusia,
si cari au espirat in ambulantele de la Versailles.
Cette phrase se dirait en toulousain :
Uno impausanto ceremaunio s' es tengudo à Bersailles,
dins la baselico de St Louis, en l'aunou des gardos na-
ciounals et des souldats morts pel la Pranço dins la
guerroame la Prusso, e que an espirat dins las ambu-
knços de Bersailles.
Gela signifie en français :
« Une imposante cérémonie a eu lieu à Versailles ,
dans la basilique Saint Louis , en Thonneur des gardes
nationaux et des soldats j morts pour la France pendant
la guerre avec la Prusse , qui ont expiré dans les ambu-
lances de Versailles. » ^
La similitude de ces langues est fort grande , on le
voit : même génie, même syntaxe, mêmes constructions,
presque mêmes termes,
Ne faudrait-il donc voir là qu'un effet du hasard?
Non certes 1 car ce n'est ni le hasard ni le latin popu-
laire qui ont créé cette similarité entre deux idiomes
si éloignés Tun de l'autre et sans rapports connus entr'eux,
pas plus qu'ils ne lui ont donné l'usage de la rime , chose
inconnue au latin.
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272 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o.
On peut , il est vrai, objecter que la. littérature rou-
maine , étant née presque d'hier , a pu copier cet usage
et l'adopter. Mais on peut aussi répondre à cette objec-
tion que , si le génie du roumain ne l'y disposait invinci-
blement , cet idiome n'aurait eu que faire de la rime et
aurait agi comme l'italien et l'espagnol, qui s'en affran-
chissent souvent et soumettent leurs vers aux lois du
mètre , tout comme faisaient les Romains.
Il est excessivement regrettable que le poème, composé
jadis par Ovide en langue dace, pendant son exil , soit
absolument perdu. Ne nous en serai tril parvenu que quel-
ques fragments , cela aurait permis de porter un juge-
ment certain et définitif sur cette importante question.
Quoiqu'il en soit , ce que nous venons d'exposer nous
semble sufSsant pour justifier notre dire, savoir : que la
langue d'O est bien réellement l'antique langue celtique.
Or, comme on ne peut pas plus attribuer sa procréation
au latin qu'à tout autre idiome mort ou vivant , il faut en
inférer que la lahgue d'O ou celtique ne procède que d'elle-
même. En d'autres termes , on ne peut raisonnablement
assigner d'autre date à l'origine de cet idiome que la
date du miracle de la concision des langues à Babel.
Il s'est néanmoins rencontré maints savants qui , se
bornant seulement à considérer l'analogie de quelcpies
termes celtiques avec des termes bretons ou sanscrits ,
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 273
en ont immédiatement conclu que la langue d*0 ou cel-
tique provenait du breton ou du sanscrit.
Si Panalogie des termes était réellement suffisante pour
indiquer et faire reconnaître la filiation des langues
d'une façon sûre et précise , la langue d*0 , en ce cas ,
ne manquerait pas de mères.
Nous trouvons dans TEcho de TArdèche {p9 du 24
août \S1\ ) le récit d'une piquante mais courte conver-
sation qu'im de nos amis eût , à cette époque, avec un
paysan du Bas-Vivarais. Notre ami parlait en français ;
son interlocuteur lui répondait en patois. Or, s'étant
amusé à rechercher la provenance des mots employés
par le campagnard, notre ami fit cette singulière remar-
que que la plus grande partie de ces mots appartenaient
à des idiomes étrangers et que , pour le surplus y, il n'en
était guère que l'on put considérer comme gaulois avec
une certitude suffisante.
Nous croyons bon de mettre sous les yeux du lecteur
le résultat des recherches philologiques faites par notre
savant ami , à cette occasion.
Il trouve , appartenant au grec :
Bouffaire , gros mangeur , en grec , Bouphagos , qui
mangerait un bœuf,
appartenant au basque :
Rmega, jurer , en basque , Amegua , jurer ;
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874 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Roupo , pardessus , casaque , Arropa ^ casaque ;
Buffa , soufler , Bufadac , vapeur ;
Sedo , tamis , Sethobea y triage ;
Coubida, convier , inviter , CobOatcea , convier ;
Eschp, sabot, Escolopoinay chaussure.
Floaeou, flacon , Floswa, bouteille ;
Alargui , élargir , I^rgateca , lâcher.
appartenant à l'arabe :
Catcha, presser, en arabe, Gachar, s'écorcher,
s'aplatir,
et appartenant au sanscrit :
Attica , assommer , en sanscrit , Cikka, tète , cime ;
Prusi, démanger , Prus , cuire , gratter ;
Dalho y tàux y Dal, couper le gazon ;
Coumbo , penchant de cAteau , Kumba , vallée.
Cest positivement un fait assez extraordinaire en lui-
même de trouver , dans un très petit nombre de phra-
ses, de la langue gauloise, tant de mots étrangers et
peu ou même presque pas de termes purement celtiques.
Cependant , Fauteur de ces curieuses recherches ne s'est
pas empressé de conclure, de ces étranges ressemblan-
ces de mots, que l'idiome parlé par le paysan du Bas-
Vivarais devait , sans nul doute , provenir ou du basque,
ou du grec^ou de l'arabe, ou du sanscrit.
Notre ami aurait pourtant pu agir ainsi avec autant
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. S75
de droit et de raison que les auteurs qui prétendent faire
provenir la langue d'O du latin, du cimbre, ou du basque,
puisque ces derniers ne peuvent donner d*autres motifs
de leur manière de voir que l'analogiede quelques termes.
Mais, si l'analogie de quelques termes était suffisante
pour trancher la question , la langue d'O pourrait des-
cendre , au même titre, d'autres langues avec lesquelles
on n'osera point soutenir qu'elle ait jamais eu le moindre
rapport.
Ainsi , on trouve dans nos dialectes méridionaux des
mots hébreux en assez grand nombre, tels que :
Sabra , sabrer , en hébreu Schabar ou Sabar, sabrer ;
Crida, crier. Cri, cri ;
Pigre, paresseux, Piger, paresseux;
Beca, bêcher, Beqa , bêcher.
On voit aussi dans la langue d'O des termes qui lui sont
communs avec la langue ianake, parlée par les Polyné-
siens des îles Sandwich , Marquises , Gambier , Taïti ,
comme :
FaUj hêtre, en Kanake Fau, hêtre;
ÎAcata, couvrir,
-, ^ ^ , . , i4fta/«a, ceux qui restent chez
Recatat , caché , modeste , ^
eux.
Leba, lever, tenir en l'air. Leva , suspendre.
Il n'est pas jusqu'à des mots chinois qu'on ne puisse
découvrir en notre langue. Exemple :
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276 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
9
Pet {peou, (1)) cheveux, en chinois , Pieou, cheveux ;
Mino , visage , face , Mien, visage , face ;
Foc Choc, (2) ) feu , Hà , feu.
Toutefois nous avons vu que, lorsqu'il n'y a entre
deux langues d'autre liaison que celle qui naît de l'ana-
logie des mots, elles sont absolument étrangères l'une à
l'autre.
Grâce à la connaissance de ce principe, notre savant
ami n'est point tombé dans cette erreur , si commune
aujourd'hui et contre laquelle nous nous élevons de tou-
tes nos forces, consistant à vouloir établir la filiation
d'une langue quelconque d'après l'examen seulement de
son matériel ou vocabulaire , sans vouloir tenir aucun
compte de sa syntaxe ou mieux de son génie.
Voici , en effet , la conclusion que notre ami a tirée de
ses recherches étymologiques : « La linguistique démon-
» tre de plus en plus scientifiquement que les diverses
» langues que les hommes parlent aujourd'hui ne sont
» que des modifications de la langue primitive que
» parlaient nos premiers parents. » ^
Nous ne sommes pas du reste, notre ami et nous , les
seuls à penser ainsi. Un judicieux écrivain , M. Edm.
de Cazalès , écrivait il y a quelque temps : « Les travaux
(i) En provençal.
(â) En gascon.
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 277
» philologiques de la science contemporaine , en rame-
» nant de plus en plus toutes les langues connues à un
» très petit nombre de familles , et en constatant entre
» ces familles des similitudes essentielles et desdifféren-
» ces non moins essentielles, conduisent à cette conclu-
» sion : qu'il y eut d'abord unité de langage^ et que
» cette unité, au lieu de s'altérer par des modifications
y> graduelles, a dû se rompre par une séparation brus-
» que et instantanée. »
L'antiquité de l'idiome languedocien est donc un fait
aussi évident que la' parfaite synonymie des mots langue
d'O et langue celtique.
Le seul reproche , d'apparence à peu près sérieuse ,
que l'on pourrait faire à la langue celtique actuelle,
c'est qu'elle ressemble fort peu à ce qu'elle était au
moyen âge. D'où l'on pourrait inférer qu'elle ne doit
plus ressembler au langage du temps des Druides.
En effets il est parfaitement exact que notre gaulois
diffère d'une manière étonnante du gaulois conservé
dans les écrits et les poésies des troubadours. Mais,
c'est justement pour ce motif que la langue d'O moderne
se rapproche davantage de la pureté primitive de
l'idiome celtique.
-Cette assertion peut paraître étrange ; elle est pourtant
rigoureusement vraie.
n 46
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878 LÀ VÉRITÉ SUR Là LANGUE D'O.
Expliquons cette apparente contradiction.
A répoque où, pour la première fois, la poésie
limousine ou provençale fit son apparition en Europe ,
les vieilles civilisations gauloise et romaine avaient été
ensevelies sous les sauvages coutumes des barbares de
la Germanie. Les études littéraires avaient cessé d'avoir
de fervents prosélytes. On ne cultivait plus les lettres ,
les sciences et les arts , qu'au fond de quelques rares
monastères. La noblesse française, exclusivement adon-
née aux armes , le bas-peuple , aux travaux des champs,
étaient absolument illettrés. Seule , la classe moyenne
ou bourgeoise , ainsi que les individus de trop petite
noblesse pour pouvoir arriver par l'épée , cherchaient à
se créer une position indépendante par le commerce ,
les sciences , les/arts ou les lettres, et, pour cela , s'effor-
çaient de se procurer une certaine instruction , relative-
ment bien faible encore , dont Tétude du grec , surtout
du latin, formait la principale ou plutôt l'unique base.
Ce fut des rangs de cette dernière classe , peu éclairée
habituée à révérer comme paroles d'Evangile tout ce qui
venait de la Grèce ou de Rome, grande admiratrice du
latin à qui l'on rapportait tout et contemptrice de parti
pris de son idiome qu'elle supposait en provenir, que
sortirent les troubadours.
Vagabonds et par goût et par nécessité , ces chanteurâ
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 279
comédiens (ainsi que les appelle TAbbé Goujet) parcou-
raient, non-seulement la France, mais l'Europe entière
de cour en cour , de château en château.
Or, déjà à cette époque il existait autant de dialectes
de la langue d'O qu'on en compte aujourd'hui. En outre,
la langue d'oil ou française (informe encore et dans les
langes), et les dialectes gaulois de l'Italie, de l'Espagne
et du Portugal constituaient autant de variétés différen-
tes delà mère-langue , c'est-à-dire du celtique. De sorte
qu'un troubadour, qui n'aurait employé dans la compo-
sition de ses vers que les termes de tel ou tel dialecte de
la langue gauloise, aurait fort risqué d'être très diffici-
lement ou, du moins, très imparfaitement compris dans
les cantons où d'autres dialectes étaient en usage.
De plus , nous avons déjà dit qu'alors comme aujour-
d'hui la croyance à la parturition des langues dites
romanes par le latin était universelle. Nous avons même,
à cet égard , cité l'opinion de nombreux auteurs fran-
çais. En Italie, Gonzo, Dante, Boccace, attribuent à
leur langue une semblable origine. Les Espagnols agissent
de même. Pareille croyance est enracinée dans l'esprit
des Valaques. Enfin, l'illustre Camoens, écrit :
a Sustentava contra elle Venus bella «
» AfTeiçoada à gente lusitana ,
» For quantas qualidades via nella
» Da antigua tao amada sua romana :
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S80 LA YÉRITÉ SUR LA LAN6UB d'O.
» Nos fortes coraçoes « na grande estrella ,
» Que mostraram na terra tingitana ;
» £ na lingua , na quai quando imagina ,
» Corn pouca corrupçao cré que he a latina. »
("Os Lutiadas, cant I, Oct. 35 J.
Une aussi umversdle croyance pourrait sembler bien
extraordinaire , étant surtout si peu fondée et si con-
traire au simple bon sens. Hais nous savons qu'elle a
toujours été soutenue et propagée par de prétendus
savants, dont l'unique mérite a consisté à copier et à
paraphraser sans cesse les opinions de leurs dévanci^s.
Donc, de cette nécessité où se trouvèrent les trouba-
dours d'avoir un langage qui put être compris partout ,
et de la conviction enracinée chez tous, par suite des
faibles connaissances philologiques du temps, que la
langue d'O venait du latin , ces poètes, disons-nous , se
formèrent rapidement un langage de convention, une
langue factice , qui ne fut plus , dans son matériel seu-
lement, ni gauloise ni latine, mais qui , participant des
deux, ne tarda pas à différer fortement du langage
usuel , conservé intact par le bas peuple.
Il est vrai qu^ tes troubadours ne chantaient pas pour
ce dernier.
Par conséquent, il n'est guère étonnant (on le voit
par cette explication) que les érudits, recherchant dans
les siècles suivants l'origine de notre langue (qui ne fut
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 281
jamais langue écrite) et n'ayant pour les aider dans
cette recherche que les œuvres des troubadours, en
aient conclu à Torigine latine de la langue romane.
Les troubadours en effet, soit qu'ils en eussent besoin
pour la rime , soit pour mieux peindre leur pensée ou lui
donner plus de force , soit pour se faire entendre en tous
lieux , soit simplement caprice, ne se gênaient point pour
puiser à pleines mains dans le vocabulaire latin, ni pour
emprunter souvent d'étranges inversions à la langue la-
tine. Aussi, de cet usage, résulta ce singulier phénomène
que, si Ton compare les rares documents gaulois écrits en
proseaux poésies de même langue , de la même époque , on
s'apperçoit aussitôt qu'on a sous les yeux une langue uni-
que possédant deux vocabulaires parfaitements distincts.
La prose, à laquelle nous faisons ici allusion, est
encore bien loin d'être irréprochable. Ecrite par les lettrés
de l'époque, ils ont eux aussi, tout en conservant au
gaulois sa physionomie caractéristique , sa consti'uction
originale, essayé de le latiniser. Ainsi, par exemple,, on
voit dans certains documents plusieurs mots, encore
en usage chez le vulgaire et dont l'archaïsme est indé-
niable, remplacés par des mots purement latins. On
y remarque aussi la postposition de la lettre finale R à
l'infinitif présent de tous les verbes, forme évidemment
latine mais fort éloignée du génie celtique.
16.
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882 LA YËRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
L'infinitif gaulois y qui est le thème ou la racine du
verbe, ne peut et ne doit jamais se terminer que par
une voyelle. Aussi , le verbe gaulois n*a jamais dû ni pu
posséder PR à Tinfinitif, comme Titalien, l'espagnol, le
portugais et le français par exemple, qui , en adoptant
cette terminaison latine, ont commis une faute grossière
et se sont mis en opposition complète avec Tesprit parti-
culier de la langue qui les provigna et dont ils ne sont
que des dialectes.
La preuve la meilleure et la plus simple en même
temps que Ton puisse fournir de la nouveauté et de
Tirrégularité de cette terminaison en R des verbes celti-
ques, c'est que TR finale, du jour où le gaulois est
retombé dans le domaine populaire a complètement
disparu, et il n'existe plus dans aucun des nombreux
dialectes de cet idiome parlés en France. Or, s'il en
avait été et s'il en avait dû être autrement, il est incon-
testable qu'il serait resté quelque trace de cet usage
dans un ou plusieurs de nos nombreux dialectes. Cepen-
dant ce genre de terminaison ne s'y trouve point. De
plus, quelques idiomes voisins nous ont empruntés des
termes. Ces termes n'ont subi dans ces idiomes aucune
modification et pourtant l'R final y fait défaut.
C'est ainsi que l'on trouve :
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LAN6UB d'o oc CELTIQUE. 283
En gaulois, En breton ,
A tissa y exciter, pousser à, Atiza, exciter y pousser à,
Defanga, décrotter, Difanka, décrotter;
Empeuta , greffer , enter , Embouda , greffer , enter ;
Fringa, gambader, fringuer Fringa^ gambader, fringuer;
En gaulois , En basque,
A bandouna , abandonner , A bandona , abandonner ,
AccoumpU, accomjdir, Coumpli, accomplir;
Estaca , attacher , Estaca , attacher ;
A berti , avertir , A berti, avertir ;
Carga, charger, Carga, charge.
Nous pourrions donc déjà conclure que non-seulement
la terminaison en R des présents de Tinfinitif est abso-
lument opposée au génie de la langue gauloise , mais
encore que le motif dominant de son introduction dans
les quatre grands dialectes de cette langue, c'est la
conviction, fortifiée par la routine, que le latin popu-
laire avait provigné la langue celtique.
On pourrait cependant objecter que si TR final ne se
trouve point d^ns les verbes empruntés au gaulois par
les idiomes Kymrique etEuscara, c'est parce que les
emprunts en question ont été ramenés à l'analogie
linguistique de ces deux derniers idiomes. Cette objec-
tion, toute vraisemblable qu'elle put paraître serait
détruite aussitôt par la terminaison de l'infinitif des
verbes valaques.
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284 LA YÉRITË SUR LA LANGUE d'O.
[
"■ > ■ ■
On ne saurait certainement prétendre que le Valaque
nous ait rien emprunté. Et , pourtant , une foule de ver-
bes sont identiques en roumain et en langue d*0 , et leur
terminaison est absolument la même que celle des ver-
bes usités dans les dialectes gaulois actuels.
Ainsi , Ton dit aujourd'hui ,
En langue d'O , En Valaque ,
Actisa , accuser , Acmà accuser ;
Aquitay acquitter , Aquità, acquiter ;
Admira, admirer , Admira, admirer ;
Afecsiouna , affectionner , Afectiunà , affectionner ;
A llega , alléguer , A legà , alléguer ;
Aplica , appliquer , Apkcà , appliquer ;
Arresta , arrêter , Arestà , arrêter.
Donc, il est impossible de le nier plus longtemps, la
terminaison des infinitifs en R est en contradictipn avec
les procédés gaulois , et c'est tout simplement une inven-
tion arbitraire et absurde des soi-disant réformateurs
des langues, invention précieusement conservée par l'i-
gnorance , la paresse et la routine.
On trouve enfin dans les documents gaulois du moyen
âge certaines tournures de phrase évidemment tirées
de la syntaxe latine. Aussi , vouloir prétendre que ceux
qui ont écrit ces documents ont employé le celtique ,
môme de cette époque , dans toute sa pureté et tel que
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LANGUE d'o on CELTIQUE. 285
le populafre le parlait alors , ce serait vouloir aller con-
tre révidence et soutenir une thèse ridicule.
Que penserait-on d'un individu qui, ayant entre les
mains un ouvrage intitulé Recherches sur la langue la-
tine y principalement par rapport au verbe, et de la ma-
nière de le bien traduire (ouvrage paru à Paris en 2 vol.
sans nom d'auteur , en 1750 , chez Mouchel), et y trou-
vant un grand nombre de phrases construites comme
cdle-ci i on ne les expose à tombe/ en des défigurements
du texte original ou même en des écarts du vrai sens; ou
comme cette autre: en effet , après avoir proposé
pour exemple dans son traité des études , et qu'il y a
beaucoup exalté cette traduction (p. p. 780 et 784,
tom. II) , oserait en conclure qu'on parlait et qu'on écri-
vait ainsi le français au dix-huitième siècle ?
On dirait, avec juste raison, que cet écrivain ano-
nyme pouvait parler latin ou toute autre langue avec
des mots français (et encore?), mais qu'à coup sûr ce
n'est point là la langue des Fléchier, des Massillon , des
Bossuet, des Du Marsais, des d'AIambert et des Vol-
taire I Or , pourquoi pourrait-on raisonner ainsi ? Parce
que l'on possède une multitude d'autres écrits où la pu-
reté de la langue française est soigneusement observée.
Mais en est-il de même pour les documents écrits en
gaulois aux époques lointaines ?
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286 Ik TÊRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
Non certes ! car il ne nous reste que ces seuls monu-
ments frelatés de notre langue , monuments qui sem-
blent avoir été élevés par des écrivains ignorant totale-
ment les procédés distinctife et le génie caractéristique
de l'idiome dont ils se servaient, (m voulant le défigurer
à plaisir. C'est pourquoi , nous ne saurions mieux définir
les deux formes , poétique et prosaïque, du gaulois des
troubadours et des scribes du moyen-âge , qu'en dési-
gnant la première sous le nom de latin-celtisé , et la
seconde , sous celui de celte-latinisè.
Afin qu'on puisse mieux se rendre compte de ce que
nous avançons , nous allqns en offrir un exemple.
On lit dans le premier Registre des Jeux-floraux ,de
Toulouse, fondés en 1323 , les deux pièces suivantes :
I. — Pièce en prose {\) :
« De las très causas necessarias en far obra.
» Très causas son necessarias a perfectio d'obra ; vo-
» 1ers , sabers, e poders : e la una defalhen las doas pe-
» tit podo. E quar ses Dieu hom aysso no pot haver :
» per so humilmen lo pregam quel essenhan secorren e
» aiudan nos do saber e poder , pusquel voler nos ha dat ;
» per que pauzan , prenden, e supplen , puscan comen-
(i) Ecrite vr|ilsemblablement par un des sept premiers mainte-
neurs. (1323).
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. ' 287
» sar , prosseguîr e complir la prezen obra. Et entendem
» luy aiudan procezir alcunas vers prozaigomen segon
» us acostumat de parlar am bon cas , ses gardar autre
» omat e soen per acordansas segon que nos sera vist.
» etc. , etc. »
II. — Pièce en vers (i) :
« Honor amb humil reverensa
» De part nos Vil Mantenedors
» Am leyaltat del Joy d'amors ,
» De la ciutat nobbla Tbolosa.
» Obra nos appar graciosa
» Que bom lauzor et bonor done
» Als be fasens e gazar done ;
» Per 80 que degus nos destorsa ,
» De be far en lo quai sefforsa.
» E per que puescan baver tug
» De lor trabalb gracios frug«
» Per miels sostener lor estât. »
On voit qu'entre la prose et la poésie (du même écri-
vain peut-être?) , il y a des différences assez sensibles
de vocables et de construction grammaticale.
Ces dissemblances seront rendues encore plus éviden-
tes , si Ton compare les deux fragments en question aux
fragments suivants , écrits , antérieurement et postérieu-
rement à la fondation des Jeux-floraux, par des lettrés
(i) Tirée des ordonnances faitds par les sept premiers mainteneurs.
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288 LA YfiRITÉ SUR LA. LAKGUB d'O.
du Moyen-âge. Ces lettrés pourtant , quoique se servant
de leur langage usuel , avaient aussi la prétention de le
polir et de le relever, en essayant, coûte que coûte, de
le ramener à l'analogie latine.
Bail de la Viguerie du domaine ^possédé par V Abbaye
de Saint Michel de Gailhac à Buzet (situé à 28 kil. de
Toulouse, dans le haut-Languedoc) , année 1235.
« Conoguda causa sia a totz homes que nos Guilhem
» abas de Gallac ab coscell e ab volontat de nostre capi-
I» toi donam et reconoichem a vos Vidal Borgarell e a
» vostres fraires e a vostres ères la veguarîa de la nos-
» tra onor que nos avem a Buzet Vos i autreîam
» lo ters de tostz los frugs e de pesqiu e de casciu e de
» tota autra adichida que i adichis e de totas aquestas
» causas sobredichas devo redre las doas partz a labat e
» a la maio a bona fe , etc. , etc. »
Réception d!un canon par Us consuls de Bessières.
( Extrait des archives de la commune de Bessières , haut-
Languedoc).
(Année U38).
« L'an m. cccc. XXX VIII le XII de Jenier los SS«"
» Capelas de sancta Eatherina per las mas de moss. J
» Baquier portero a VessiersMS una bombardela de fer
» per deffensa de la vila laquala P de Sarebera B Del-
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LANGUE d'O ou GELTIQUK. 289
» barri et J Glemens Consols deldig log la preyro en garda
» e en comanda deb SS®" Capelas. »
Ces exemples suffisent , pensons-nous , à démontrer
que le langage employé par les écrivains du moyen-âge
tendait à pervertir et à détruire la vieille langue celti-
que , en lui imposant , malgré les révoltes de son génie ,
certaines constructions grammaticales et des formes ma-
térielles visant à la ramener au latin.
Toutefois les efforts de ces écrivains n'ont pu aboutir.
Dès que la langue d'O est retournée aux mains de ceux
qui avaient conservé ses formes antiques , c'est-à-dire
aux gens du peuple , cette littérature bigarrée, ce lan-
gage artificiel et de convention , a disparu , et la langue
a repris sa pureté primitive.
Ce que nous disons est si vrai , que les formes et la
majeure partie des mots du vocabulaire actuel de la lan-
gue d'O se montrent beaucoup plus archaïques aujourd'-
hui que dans les écrits des X« , XP , XII« et XIII« siècles.
Nous devons donc faire peu de cas de la littérature
gauloise de ces époques anciennes. Notre devoir est de
rejeter impitoyablement, comme barbarismes , et les
formes grammaticales et les terminaisons de mots em-
ployées par les poètes et les prosateurs d'autrefois , for-
mes et terminaisons que l'expérience nous prouve n'a-
voir jamais eu cours en gaulois.
n 17
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290 LA YËRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O.
Un écrit, quelle que soit son authenticité, ne peut,
on le comprend aisément, ni remplacer ni infirmer la
tradition orale. Bien plus un document, une foule de
documents même, si Ton veut , sont de nulle valeur s'ils
sont en opposition flagrante avec la tradition. « Quelle
«confiance, en effet, écrit le R. P. Gabriel Desjardins
» (Décret du concik sur la Tradition) , donner à un livre
» dont l'origine, la véracité , l'intégrité ne nous seraient
» pas suffisamment connues ? Comment être assuré
» autrement que par le témoignage des générations que
» le récit écrit nous est arrivé dans son intégrité, sans
» interpolation , sans altération ? La tradition est donc
» la base de toute certitude historique. »
Or, comme rien ne diffère davantage du langage con-
servé par la tradition que le langage écrit des trouba-
dours, par le seul fait de cette dissemblance , ce dernier
langage ne peut être considéré comme la reproduction
' exacte , la copie fidèle du parler de ces époques éloignées
et il ne doit être envisagé que comme un patois du gau-
lois, ou mieux un celtique latinisé.
En conséquence , ce n'est point chez les trouvères ni
dans les documents écrits par des clercs qu'il faut
chercher ce qu'était alors la langue celtique. C'est
seulement dans les vieilles chansons que les générations
celtiques se sont précieusement transmises de Tune à
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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 291
l'autre et qui , à travers les siècles , sont parvenues jus-
qu'à nous.
Entr'autres documents de ce genre , qui prouvent
jusqu'à l'évidence combien peu l'action du temps et des
autres causes qui bouleversent , modifient ou altèrent
les langues, ont eu de prise sur les divers dialectes de
la langue d'O , nous citerons d'abord parordre de dates :
La chanson faite par Guy du Faur de Pibrac en l'hon-
neur de Marguerite de Valois et qui commence ainsi :
« Margarideto mas amoas
» escoutas la caDsouDeto ,
» Margarideto mas amous
» escoutas la cansouneto
» faito per bous. »
Cette fraîche et suave poésie , parfaitement authenti-
que, malgré qu'elle semble avoir été écrite par un poète
contemporain, tant elle a de ressemblance avec notre par-
ler actuel, est , justement à cause de cette similitude et
du prodigieux éloignement qu'il y a entr'elle et l'odieux
et ridicule argot des jongleurs du moyen-âge, traitée
d'apocryphe par un membre de l'Académie de Toulouse.
Si c'est affaire de goût de la part de cet académicien ,
nous le plaignons. Si c'est, au contraire, conviction de
sa part, nous ne pouvons partager sa manière de voir.
On sait pourquoi.
Citons encore le chant relatif à la captivité de Fran-
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S92 LA TfiRITÉ SUR LA LAN60B d'O.
çoisi, composé, par un poète inooonu, en dialecte
béarnais, et rapporté par M. Mazure, dans sa NouveUe
histoire du Béam et du pays basque.
Quand lour rey parti de France
Conqueri d'aoutes pays
à Tentrade de Pavi
Lou8 Espagnols be l'an pris.
— « Rente , rente , rey de France
» Que si nou es mort ou pris. »
— « Quin seri lou rey de France
» Que jamey you nou Tey bist. »
Queou Iheban l'aie deou mantou
Troban l'y la flou de lys.
Quau ne prenen e quoou liguen
Dens la prisou que l'an mis.
Debens ne tour escure
Jamey sou ni lue s'y a bist,
Sinou per ue finestote.
U postillou bet béni.
— « Postillou, que lettres portes,
» Que si counte 'ta Paris ? »
— « La nouvelle que you porti ,
9 Lour rey qu'ère mort eu pris. »
— « Tourne-t^n , postillou , en poste ,
» Tourne-t-en'enta Paris ,
» Arrecommande m'a ma fenne
» Tabe mous infans petits.
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 293
» Que hassen batte la mounedo ,
» La que sie dens Paris, *
» Que m'en embien uo cargue
» Per racheta m'aou pays. »
Mentionnons également une petite idylle, intitulée les
Trois colombes de Cauterets^ composée aussi en béarnais
à l'occasion des bains qu'allèrent prendre en cette loca-
lité Henri d'Albret, roi de Navarre, et sa femme, la
célèbre Marguerite de Valois , sœur de François premier,
surnommée la muse du seizième siècle. Nous avons tiré
cette idylle de Fouvrage, déjà cité, de M. Mazure.
Aous tbermis de Toulouse
Ue fontan dare y a :
Bagnam s'y paloumettes,
Aou nombre son de très.
Tan si soun bagnadettes ,
Penden deus ou très mes ,
Qu'an près la bouladette
Taou haout de Cautères.
— « Digat-me , paloumettes ,
» Qui y ey a Cautères? »
— » Lou rey e la reynette
» Si bagnan dab nous très.
» Lou rey qu'a ue cabane
» Couberte qu'ey de flous :
» La reyne que n'a uaoute
» Couberte qu'ey d'amours. »
On peut ranger dans la catégorie des mêmes docu-
ments le couplet , aussi en dialecte béarnais y que Ton
17.
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S94 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
: .j
prétend avoir été chanté par Jeanne d'Albret , reine de '
Navarre, en donnant le jour à Henri IV.
Noustre donne deoa cap doou poun
Adjioudat-me an aquest'hore :
Pregats aou Diou deou ceou
Que m'boulle bie delioara leou
D*an maydat que m'hassie ion douo ;
Tou dinqu'aou dous mounts l'implore.
Noustre donne deou cap doou poun
Adjioudat-me an aquest^hore.
La chanson , en dialecte pérîgourdin et cadurcin , sur
la mort du maréchal de Biron , vient aussi à Tappui de
notre thèse. La voici : '
Loa maréchal à la bastillo
S'er'endourmit pendent lo net
Më feroun de briit 6 lo grillo <
E tout d'un cop se rebeillèt. i
— o Quai es bengut en oquest'houro ,
» Gridèt tout naou lou gran guerrier ,
» Per troubla la tristo demouro '
» E lou soumèl del prisonnier? »
— « Soun toun segnou lou rey de Franco , i
» Li respoundèt le grand Henri, »
— « Tus ! qu'o defendut de mo lanço !
» Tus Rey ! per quai boulioi mouri î
» Benes insulta mo misèro «
» Rire d'un paoure coundamnat !
» Ah ! quand marchaben à la guêrro ,
» Me proumetios milo bienfat.
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làngub d'o ou celtique. 295
» Ai coumandat sur mar , sur tèrro ,
» E tous cabelias en Piemoun.
» Dision que n'obio pas en guèrro
» Un coumandan coumo Biroun.
» As aoublidat touto lo peno
« Que per tus yeou me soui donnât ?
» Car din moun cor n'io pas 'no beno
» Que per moun rey aasce sonnât. »
— « Me soubeni de to campagno ,
» Biroun , nou Toublidarai pas.
» Me boulios be vendre 6 TEspagno
» E me trahi coumo Judas. »
— « Biroun n'o pas trahit soun rey ,
» As escoutat la medisenço ;
» Me couparan lou cap e pey
» Seras morrit de to benjenoo.
» Ah ! que dirio moun paoure paire
» Se besio soun fil priwunièr ?
» Bous aoutres reys bous saouta gaire
n Des sèrbices d'un grand guerrier.
» As aOublidat touto la peno
» Que per tus yeou me soui dounat ;
» Car din moun cor n'io pas 'no beno
» Que per moun rey nasce sonnât. »
E disoun qu'en fermen la porto
Biroun bescèt lou grand Henri
Ploura daban sa flèro escorto ;
Belèou soun cor èro morri.
Aro lebèn nous tous , mouà fraire ;
Din lo capèlo de Biroun
Anèn prega pel fil , pel paire
Parlou de lour glorio bien loun !
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296 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o.
Reproduisons enfin , une vieille chanson de laboureur,
précieusement conservée de générations en générations
chez nos paysans du Languedoc , et dont il est à peu
près impossible de préciser la date de composition :
Quand le bouyè s'en ba laoura ,
Quand le bouyè s'en ba laoura ,
Planto soun agulbado
Ab!
Planto soun agulbado.
Daysso margot al pè del foc
Tristo , descounsoulado.
Se n'es malaouto , digo m'oc ,
Te faren un poutatje.
D'amb'uno felho de caulet
Une lauzeto magro.
Se ne mores , t'entèrraren
Al pus pioun de la cabo.
Te mettren les pès à la pared ,
Le cap jouis la cànello.
Les peleris que passaran
Prendran d'aygo segnado.
Diran un patèr , un abe-maria
Pel la pauro Bernado.
T'en aniras al paradis
Al paradis de las crabos
Aquiu les ases soun cournuts ,
Las saumos descouetados.
Arrêtons ici nos citations. Celles qui précèdent suffi-
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LANGUE d'o ou gblhque. 297
sent pour permettre à la sagacité de nos lecteurs de
tirer des conclusions rationnelles. On peut , dans tous
les cas, voir , d'après ces extraits, la sensible différence
qui existe entre le langage provincial , conservé par la
tradition, et le langage grotesque , inventé par les
troubadours et les érudits du moyen-âge (1)
En résumé , nous croyons avoir clairement prouvé.
\^ L'impossibilité delà parturition delà langue d'O par
le latin.
2<> L'identité de la langue d'O avec le celtique.
3^ Le maintien intégral de la langue d'O chez les
paysans de la (îaule.
Il nous resterait pour terminer cette étude sur la langue
d'O ou celtique, à rechercher l'influence que le celtique
a exercé sur les idiomes des pays où les Gaulois se sont
successivement transportés et établis définitivement.
Mais ces recherches allongeraient outre mesure notre
travail.
Bornons-nous à quelques réflexions sommaires.
On s'accorde généralement , nous l'avons vu , à nom-
mer langues romanes , c'est-à-dire langues pro venues du
(i)Noas avons cité, à dessein, parmi les dialectes gatilois, le
béarnais , parce que c'est celui qui s'éloigne le plus du languedocien,
le plus pur d'entre tous les dialectes de la langue celtique.
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298 LÀ TÉRITÉ SUR LÀ LÀV6UE d'O.
latin populaire, les idiomes de France , d'Espagne, de
Portugal, d'Italie , de Valachie et de quelques cantons
de la Suisse et du Tyrol. Nous avons fait ressortir que
tous ces pays ont été habités par des Celtes , et que c'est
seulement dans les cantons peuplés de Celtes que l'on
constate l'existence des langues dites romaBes.
Cette seule considération aurait du suffire, même en
l'absence d'autres témoignages, à prouver la radicale
impuissance du latin populaire , qui n'a pu s'établir nulle
part , et l'immense influence de la langue celtique , que
l'on s'obstine à mettre sous le boisseau.
Nous avons , en outre , constaté que c'est à la manière
seulement d'employer les mots qu'il faut avoir recours
pour reconnaître l'identité ou la différence des langues
et pour statuer sûrement si elles ont ou non quelque
affinité entr'elles.
Nous nous sommes assurés enfin que la langue d'O
était réellement le seul et le vrai celtique.
Or, personne ne l'ignore, ce que l'on nommait jadis
langue française était le frank, c'est-à-dire un dialecte
du teuton. En Portugal et en Espagne , on parlait primi-
tivement l'Ibère ; en Valachie , l'illyrien ou le pélasgique;
en Suisse et dans le Tyrol , l'étrusque, l'ombrien et le
teuton : langues n'ayant aucune ressemblat\ce entr'elles
et différant absolument du gaulois.
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LANGUB d'o ou CELTIQUE. 299
Nous voyons cependant aujourd'hui les habitants de
ces contrées ne plus faire usage du frank , de Tibère ,
du pélasgique , de Fombrien , du teuton , et parler des
idiomes dont la communauté d'origine est aussi incontes-
table qu'incontestée.
Cette origine, la pluralité des savants l'attribue au latin.
Quant à nous , nous n'hésitons pas à en faire honneur
au celtique. En effet, s'il est admis que ces divers idiomes
sont comme des frères à l'égard de la langue d'O , en
prouvant que la langue d'O ne provenait pas du latin ,
mais était la seule et véritable langue celtique , nous
avons prouvé par la même que les idiomes reconnus
pour les très proches parents de cette langue ne procé-
daient pas non plus du latin , mais du celtique dont ils
ne soiitque des dialectes.
Donc , les langues française , espagnole , portugaise ,
italienne, valaque, sont des langues celtiques, puis-
qu'elles sont entées sur le même fonds que la langue d'O.
Avec cette différence toutefois , que ce fonds nous est
naturel et qu'il n'a subi entre nos mains que I«5 change-
ments nécessairement amenés par la succession ordinaire
des temps et des conjectures , tandis que , dans les pays
en question , l'élément celtique est un fond étranger, qui
n'y a été introduit à l'origine que par des causes ex-
traordinaires et violentes.
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300 UL TtlITt SUR LA LANGUI d'O.
Dans les idiomes en usage chez les races dite latiaes ,
on retrouve identique le génie caractéristique de la
langue d'O ou celtique, et une analogie marquée eatre
les termes de ces idiomes et de l'idiome gaulois.
Cependant on remarque aussi certaines dissemblances
entre ces langues. Mais les changements successifs , qui
transforment insensiblement une langue en une autre,
tiennent à une infinité de causes dont chacune n'a qu'un
effet imperceptible. Toutefois la somme de ces ^fets ,
grossis avec le temps et accumulés à la longue , produit
enfin une différence qui peut caractériser une ou plu-
sieurs langues sur un même fonds.
Si plusieurs langues , on le sait , dérivent d'une même
langue , elles peuvent être nuancées en quelque sorte
par l'altération plus ou moins grande du génie primitif.
Ainsi , le français , l'espagnol , le portugais , l'italien , le
roumain, qui descendent du celtique et en ont pris la
marche analytique , s'en écartent pourtant avec des de-
grés progressifs de liberté.
Le français est le moins hardi et le plus rapproché du
langage originel. Les inversions y sont rares, peu com-
pliquées , peu osées.
L'espagnol, ainsi que le roumain, se permettent flus
d'écarts de cette sorte.
L'italien et le portugais ne se refusent en quelque i
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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 301
nière que ce que la constitution de leurs noms et de leurs
verbes, combinée avec le besoin indispensable d'être
entendu , ne leur a pas permis de recevoir.
Ces dififérences ont leur causes comme tout le reste.
Elles tiennent à la diversité des relations qu'a eues cha-
que peuple avec ceux dont le langage a pu opérer ces
changements.
Quant à la ressemblance de famille que ces langues ont
toutes entr'elles , elle provient de cet unique fait que la
langue celtique a détruit les idiomes primitifs des peu-
ples au milieu desquels les Gaulois se sont fixés , et s'est
substituée à eux.
Ce qui le démontré incontestablement, c'est que les
langues ibérique,* pélasgique, latine, teutonne , étaient
toutes, sans exception, transpositives. Or , les Ibères ,
les Franks, les Latins, les Valaques d'aujourd'hui par-
lent une même langue dont le génie est essentiellement
analytique.
Comment ces peuples auraient-ils donc pu faire pour
transformer ainsi , d'eux-mêmes , le génie particulier
caractérisant leurs idiomes respectifs , au point d'^ faire
un génie absolument contraire 7 Comment eussent-ils pu
bouleverser de telle sorte leurs vocabulaires qu'ils n'aient
plus maintenant qu'une même langue ?
De semblables métamorphoses et bouleversements
18
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302 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O.
étant inexplicables par les seules causes de mutabilité
qui pèsent sur toutes les langues, ces questions reste-
raient sans réponse , si Ton persistait à nier plus long-
temps Fimmense influence exercée par la langue celtique
sur les idiomes des peuples avec lesquels les Gaulois se
sont trouvés en contact permanent.
' Or , seule en Europe, la langue celtique est absolument
analytique. Mais Tordre analytique et Tordre transposi-
tif des mots supposent des vues toutes différentes dans
les langues qui les ont adoptés pour régler leurs syn-
taxes. Chacun de ces deux ordres caractérise un génie
tout différent. Donc , puisque les idiomes actuels de TI-
bérie , de TItalie , de la Dacie , ont cessé d'être transpoâ-
tifs , comme ils Tétaient jadis , pour devenir analytiques ,
c'est parce qu'ils ont échangé leur ancien génie contre
celui du Celtique, et du celtique seulement. De plus,
comme tout se suit et s'enchaîne, la perte ou Tabandon
du génie particulier de leur langue a dû forcer invinci-
blement ces divers peuples à mettre de côté leur voca-
bulaire national , qui n'aurait pu se prêter aux procédés
de la syntaxe gauloise, pour adopter, en même temps
que son génie , le vocabulaire de la langue celtique.
Il n'est donc pas surprenant , on le voit, que Titalien,
Tespagnol , le français et le portugais soient devenus au-
tant de dialectes gaulois.
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LÀifOUB d'o ou cxltiqub. 30B
Il ne nous parait pas utile d'insister plus longuement
sur llnfluence incontestable de la langue d'O ou langue
celtique. Cette influence est assez évidente t*t s'impose
assez d'dle même.
Voici, en terminant, les principales conclusions que
nous nous croyons en droit de tirer des prémisses posés
dans le cours de cet ouvrage.
I. Il n'y a pas d'autres celtes que les Gaulois , et d'autres
Gaulois que les habitants de la France actuelle , abstrac-
tion &ite des Bretons , des Basques, des Flamands , des
Normands et des Alsaciens.
II. n n'y a pas d'autre langue celtique ou gauloise que
la langue connue sous le nom de romane ou de langue d'O.
m. Les prétendus idiomes romans ou ^néo-latins de
l'Espagne , de l'Italie , du Portugal , de la France , de la
Valachie et de quelques cantons de la Suisse et du Tyrol ,
ne sont et ne peuvent être que des dialectes seulement
delalangue celtique , ou langue d'O , deux dénominations
absolument synonymes.
FIN.
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rXVIl^DBX^JS.
I. Langue Ombrienne ou Sabellique 4
IL Langue Pélasgiqiie ou Etrusque 43
ni. Langue Troyenne ou Phrygienne 69
IV. Langue Latine ou Romaine • 77
V. Langue Cdtique ou Gauloise 445
VI. Langue Kymrique ou Bretonne ..... 464
VII. Ce que Ton pense de la langue d'O 495
VIIL Langue d'O ou Celtique.... 233
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