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Full text of "Le vérité sur la langue d'O: précédée de considérations ..., Volume 2"

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o 



LA VÉRITÉ 



SUR LA 



LANGUE D'O 

PRfiCÉDÉB 

DE CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES, PHILOSOPHIQUES 
ET PHILOLOGIQUES. 

PAR 

Paul BARBS 



f 



(de BUZBT, HADTE-GARONflB }. 



Membre do Félibrige provençal ; de la Société pour l'étude des langues 

romanes, de Montpellier; de la Société archéologique, 

scientifique et littéraire, de Béziers ; de la 

Société bibliographique universelle , 

de Paris: dtc, &c. 



II 

c 

TOULOUSE, 

L. et J.-M. DOULADOURE , 

IMPRIMBimS-LIBIUIRES , ÉDITEURS , 

Rue Saint-Rome, 39. 

1873 



PARIS, 

MAISONNEUVE & ©•, 

ÉDlTIUaS , LIBRAIRES , 

(Librairie orientale), 
Quai Voitaire. 



ï)TO\i% de traduction et de reproduction réservét. 



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CHAPITRE PREMIER. 



LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 



Dans la partîe historique de cet ouvrage, nous avons 
constaté que les Romains devaient leur formation à la 
fusion opérée, dans une proportion plus ou moins 
grande , entre une très-minime partie des deux grands 
peuples qui se partageaient alors la péninsule italique , 
savoir : d'une part, les Pélasges; et, dePautre, cette 
nation, sans nom collectif, qui comprenait les grandes 
tribus des Osques , des Sabelles , des Ligures et des Om- 
it 1 



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LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 



briens. On peut donc supposer au préalable que la 
langue latine n'est que la langue d'un de ces peuples ou, 
du moins, un mélange des idiomes qu'ils parlaient. Or, 
ces peuples étant de mœurs et de races différentes , il 
faut en conclure que leurs idiomes étaient différents. 
En effet, deux idiomes divers ne peuvent jamais parve- 
nir à s'amalgamer de manière à ne plus en former qu'un. 
Cela tient à ce que le géiiie particulier à chacun de ces 
idiomes ne peut entrer dans une fusion qu'à la condition 
de perdre son mode d'existence. D'où il suit que la lan- 
gue latine n'a pu être formée que par un seul des idio- 
mes dont nous venons de faire mention. 

Mais lequel de ces idiomes l'a emporté sur l'autre? 
C'est ce que nous allons examiner. Il est facile de com- 
prendre que sans cette minutieuse recherche nous ne 
pourrions jamais nous prononcer avec quelque appa- 
rence de certitude sur la véritable provenance du latin. 
Or, combùe les Ombriens ou Sabelles passent à Juste 
titre pour le plus ancien peuple d'Italie, que ce fut sur leur 
territoire que s'implantèrent les Troyens , que le nom de 
ce territoire donna naissance au nom des hommes qui 
l'habitaient et à celui de la langue qu'on y parla plus 
tard, {Latium d'où latin) , c'est de l'idiome Sabollique 
ou Ombrien que nous devons nous occuper avant 
tout ûutre chose. Les Ombriens, on lésait, faisaient 



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LÀTYGUE OMBRIENNE OU SÀBEIXIQUE. 



partie de la nation qui précéda les Pélasges en Italie. 
Cette opinion très-plausible est celle de Niebuhr, le sa- 
vant auteur de YHistoire critique des Romains. En 
outre avec les autres tribus sabelliques ils étaient 
d'origine phénicienne. Repoussés par la première inva- 
sion pélasgique, ils s'étaient retirés y les uns au nord 
de la Rhétie, les autres en Gaule. Ceux d'entre eux qui 
avaient envahi les Gaules , refoulés plus tard par l'ar- 
rivée des Celtes , rentrèrent les uns en Italie , tandis 
que les autres , s'avançant plus au nord , s'établirent 
sur les bords de la Manche. Ces derniers, expulsés 
de cette contrée par les Celtes, ou peut-être par les 
Cimbres , passèrent en Angleterre où ils se fixèrent 
définitivement et où leurs descendants demeurent 
encore sous les noms d'Ecossais et Irlandais, ou mieux 
d'Erses. 

Ces diverses assertions, que nous pensions avoir 
suffisamment prouvées au moyen de l'histoire et du 
raisonnement, trouvent une confirmation nouvelle dans 
la languistisque. En effet , il nous reste quelques mots , 
appartenant à la langue des premiers possesseurs du sol 
italien, que les anciens écrivains nous ont conservés 
avec la signification exacte qui leur était propre. Or il 
est aisé de s'assurer que ces noms , si heureusement 
SAUvés du naufrage y se retrouvent sous une même 



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LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 



forme et avec une signification absolument identique 
dans la langue erse. Ainsi, par exemple : chez les Osques, 
Famel signifiait serviteur; en erse, Fam veut dire 
inférieur j subordonné, Mamers, le nom Osque de 
Mars, est en erse Maomhair, terrible. Petar^ signifie 
quatre, tant en osque qu'en erse. Velia, marais en 
osque, devient en erse vilidh, mare d'eau. Meddix, en 
osque magistrat, est en erse Meadhais, magistrat, de 
Meadh, équité justice ; etc. , etc. En Sabin ou sabelle, 
cuba, signifiait litière, cette idée se rend en erse par le 
mot Kubban, couchette. Curis, en sabelle épieu, est en 
erse Koirr, qui a la même acception. Nero en sabelle 
fort, vaillant, se dit en erse iVear^A, qui exprime la 
même idée. Le nom de Stribula, que les Ombriens 
donnaient à la cuisse des victimes , se retrouve en erse, 
avec la même signification , dans celui de Streabhar. 
Le mot de Mediastuticus était commun aux dialectes 
sabin et osque et signifiait un magistrat suprême. En 
erse , c'est Meadhar-tuatchd ,juge du pays, grand juge. 
Le nom du chef militaire suprême était chez les Osques 
et les Sabins Embratur, dont les Romains ont fait im- 
perator; en erse , le mot composé Em-bratoir signifie- 
rait celui qui a le drapeau commun. Le mot de Tribu, 
passé de cette langue dans le latin et qu'on a si mal à 
propos dérivé de trois, nombre des tribus de Rome sous 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 



Romiilus , est , en erse , Trebh ou Tribh , signifiant la 
même chose que Clan, 

À la liste des quelques mots qui nous sont parvenus 
de l'antique idiome ombrien et qui , on le voit , se re- 
trouvent exactement dans Ferse , nous pouvons ajouter 
les noms par lesquels se différenciaient certaines tribus 
Sabelliques tels que Ligures, Vindéliciens, Ombriens, etc. 
etc. qui sont , en Erse , Li-gur, pays voisin de la mer. 
Fin do-leck ou lech, tribu de la rivière pierreuse, Amhra 
ou Ambra, noble, vaillant, etc. , etc. cela nous amène 
légitimement à conclure que ce n'est point par un 
simple jeu du hasard que ces divers mots se trouvent 
dans Tidiome ombrien et l'idiome erse avec un sens 
absolument identique et une forme pareille. Il a donc 
existé des relations entre ces deux peuples? C'est incon- 
testable. Mais quand ces relations ont-elles eu lieu? 
Voila ce qu'on ne saurait expliquer si l'on conteste l'ori- 
gine ombrienne des Erses. 

En effet , les Ecossais et les Irlandais descendent de 
la race voyageuse qui, la première , s'implanta sur le sol 
de la Grande-Bretagne à une époque évidemment an- 
térieure à l'an 600 &vant le Christ. Et ces mêmes Irlan- 
dais ou Erses n'ont eu de rapports avec les Romains que 
bien longtemps après que ceux-ci eurent mis le pied 
en Angleterre. Mais les Romains avaient alors un idiome 



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LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE DO. 



parvenu à toute sa perfection et qui n'avait absolu- 
ment plus rien de commun avec l'idiome que parlaient 
jadis les premiers occupants de la péninsule italienne. 
Donc les mots dont nous avons donné l'explication né 
purent être transmis aux Erses par les Romains , avec 
d'autant plus de raison d'ailleurs que ces termes ne 
sont même pas romains , mais appartiennent aux 
Osques , aux Samnites , aux Ombriens, tribus de même 
origine. 

De plus, rien dans l'histoire n'autorise à supposer que 
les habitants primitifs de l'Italie aient jamais pu entrete- 
nir un commerce quelconque avec un peuple qui leur 
était inconnu , dont ils ignoraient jusqu'à l'existence, et 
introduire de la sorte dans le langage de ce peuple des 
mots de leur vocabulaire national. 

Il ne reste qu'un moyen pour expliquer un fait aussi 
étrange et aussi saisissant , c'est d'admettre l'hypothèse 
que les Ombriens furent refoulés en Gaule par la pre- 
mière invasion pélasgique, et que, plus tard, quelques- 
uns de ces Ombriens , séparés de leurs frères par les 
Gaulois , finirent par se transporter en Angleterre où ils 
se fixèrent, où les Cimbres les trouvèrent et à qui ils 
donnèrent le nom de Gwyddyls (ou ga^ls). Ces Gaëls , 
cela est tout naturel, conservèrent, avec leurs mœurs 
et leurs usages nationaux , leur langue maternelle , qui , 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 



SOUS le nom d'Erse , est encore parlée dans l'île d'Erin 
et chez les highlanders d'Ecosse. 

Cette supposition est d'autant plus admissible qu'il est 
impossible de trouver , dans un idiome européen autre 
que dans l'erse, la signification du mot Alpes. A ce 
sujet, il est bon de faire remarquer que les grandes 
chaînes de montagnes qui sillonnent l'Europe ont toutes 
reçu jadis un nom significatif, qui s'est conservé jusqu'à 
nous , quoique , pour la plupart d'entre elles le sens du 
terme qui les désigne soit oublié ou inconnu. Ainsi , par 
exemple , Pyrénées , qui dérive du mot grec xupviv , 
noyau , amande. Or , sans s'écarter de la vraisemblance, 
on peut très-bien conjecturer que, si les premiers habi- 
tants de l'Italie ont imposé le nom d'Alpes aux chaînes 
de montagnes de ce pays , c'est que ce nom devait avoir 
une signification précise dans leur langue. Ceci posé , 
comme le mot en question est absolument sans signifi- 
cation dans le pélasge et le latin , ne peut-on pas à bon 
droit être surpris de voir que, dans l'erse, il en a une, 
et qu'elle se rapporte admirablement à la nature de 
l'objet désigné? 

Dans l'idiome erse, les deux mots all-benn signifient 
grandes ou puissantes montagnes. Y a-t-il donc si loin 
de allbenn à alpesl Quel autre nom eut-on pu leur 
mieux appliquer? Donc, puisque le mot alpes n'existe 



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LÀ YËRITË SUR LÀ LANGUE d'O. 



avec cette signification que dans la langue erse , il faut 
bien admettre que les hommes qui parlent cette langue 
descendent en réalité des peuplades qui donnèrent ce 
nom aux montagnes d'Italie. Et cela est si rationnel que 
le nom d'allbenn a été jadis porté par TAngleterre. Ce 
fut même là sa première dénomination , soit que ses 
colons la lui aient imposée en souvenir de leur première 
patrie, soit (ce qui est plus vraiseml^lable) , qu'ils aient 
ainsi appelé cette lie à cause de la grande similitude 
qu'ils trouvaient entre les chaînes de montagnes qui la 
sillonnent et les montagnes de leur pays d'origine. 
Cependant on a longtemps supposé que le nom d'Albion 
venait di^mot latin albm, blanc j et qu'on ne l'avait 
donné à l'Angleterre que parce que les rochers de ses 
côtes sont ou paraissent blancs. Nous n'avons pas besoin 
de faire ressortir le peu de fondement de cette supposi- 
tion. Plus tard , lorsque l'Angleterre cessa de porter le 
nom d'albion , ce nom ne servit plus à désigner que 
l'Ecosse. Chose même assez curieuse I Tant que ce der- 
nier pays eût des rois, leurs fils aînés portèrent toujours 
le titre de duc d'Albanie. 

Il y a donc parenté évidente entre les populations 
primitives de l'Italie et les Erses. Ce qui nous confirme 
encore plus dans notre opinion, c'est que les Ombriens, 
avant de se fixer définitivement en Angleterre, ont 



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LANGUE OMBRIENNE OU SÀBELLIQUE. 



longtemps séjourné dans le pays qui porta plus tard Je 
nom de Gaule. Les preuves de ce fait sont assez nom- 
breuses et nous ne les rechercherons point , pour ne 
pas allonger inutilement ce chapitre. Une seule nous 
suffira. 

Tout le monde sait que non-seulement plusieurs villes 
des Gaules portaient le nom de Mediolanum , qui leur 
était commun avec la ville fondée en Italie par les Om- 
briens, mais encore qu'un grand nombre de noms de 
villes Gauloises se terminaient par le mot dunum. Or , 
si Ton retranche de ce mot la terminaison latine um, 
que les Romains y avaient ajoutée pour pouvoir décline r 
ces noms, il reste dun. Mais ce mot , aussi complètement 
inconnu au latin qu'au celte , ne se retrouve avec une 
signification déterminée que dans la langue erse , où il 
veut dire refuge, forteresse et par extension ville. C'est 
ainsi que Lugdunum, Lyon , sans explication possible 
en aucune autre langue , serait en erse lugh ou luk-dun 
et signifierait illustre ville ; Verodunum, Verdun , 
serait ou orah-dun, ville de la prière, ou eiri-dun , 
ville des plaidoiries , ou beiri-dun^ ville obtenue, ou 
bierna-dun, fontaine de la ville ou ville de la fontaine; 
etc. , etc. 

Ceci nous autorise à cpnclure que les Ombriens ont 
séjourné en Gaule , et justifie notre prétention que ces 

1. 



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LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 



ombriens furent refoulés dans la Celtique par les Pélas- 
ges et que de là ils se rendirent en Angleterre. Outre les 
explications précédentes, nous pourrions citer encore 
une certaine quantité de termes, qui sont à peu près 
les mêmes en erse et en gaulois et qui sont évidemment 
passés de ce dernier idiome dans l'autre, comme, par 
exemple , les mots suivants : 



GAULOIS. 


ERSE. 


FRANÇAIS. 


Cèl. 


Cel 


Ciel 


Angèl. 


AingeL 


Ange. 


Diable. 


Diabel. 


Diabk. 


Fièbres. 


Fiebras, 


Fièvres. 


Roso. 


Rosa. 


Rose. 


Cabano. 


Caban. 


Cabane. 


Baco. 


Bo. 


Vache. 


Romsignol. 


RosinceoL 


Rossignol, 


Luno. 


Luan. 


Lune. 


Soukl. 


Soî. 


Soleil. 



Cependant nous n'insisterons point , étant convaincus 
que les Irlandais seuls ont fait ces emprimts à Tidiome 
celtique , postérieurement à Içur fixation en Angleterre. 
Ces mots , en effet , ne sont point passés dans le dialecte 
d'Ecosse , ou les termes anciens exprimant des idées iden- 
tiques ont conservé leur physionomie propi-e et primi- 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELDIQUE. 1 1 

iive. Ainsi pap exemple le mot soleil, qui est désigné en 
Ecosse par le mot antique grianei non point par celui de 
sol y qui dérive du gaulois souleL Relativement à ce der- 
nier terme gaulois , qu'on nous permette de faire remar- 
quer 9 en passant , que ce n'est point un mot simple , mais 
un mot composé, et que son exacte traduction est le seul 
œil, soûl , seul, èl, ml. 

Nous espérons avoir démontré par ces citations que 
l'hypothèse de l'origine ombrienne des Erses et de leur 
séjour en Gaule n'est dénuée ni de vraisemblance ni de 
raison. Plusieurs auteurs ont cependant prétendu voir 
en eux des Gaulois. Nous , nous prétendons que , loin de 
faire partie de ce dernier peuple , les Erses étaient d'ori- 
gine phénicienne. 

On lit à ce propos dans The stranger in Ireland ( by 
J. Carr , esq. ch. XIV, p. 331 ) : « Sir Laurence Par- 
» sons (1) , in his leamed and élégant defence of the an- 

(A) Sir Laurence Parsons, dans son élégante et savante Défense 
de r ancienne hittoire de V Irlande, observe que, à ude époque très- 
reculée , les Phéniciens formèrent une colonie en Irlande , et qu'après 
en avoir immédiatement ou par dégrés subjugué les anciens habitants, 
ils établirent dans cette tle leurs lois , leur religion et leur langue. 
Cet élégant auteur étaie son hypothèse sur ces observations , que les 
Carthaginois étai ent originaires de Phénicie et parlaient la langue 
phénicienne , qu'un spécimen de cette langue a été conservé par Plante, 



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M LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

» cient history of Ireland , observes , Ihat at an early 
» perîod of the world , the Phœnicians made a settle- 
» ment in Ireland , and immediately , or by degrees , 
» completely subjugated the aneient inhabitants , and 
» established in the island their laws , religion , and lan- 
» guage ; this élégant writer supports his hypothesis , by 
» observing, thatthe Carthaginians originally camefrom 
» Phœnicia, and spoke the phoenician language; that a 
» spécimen of that language has been preserved by Plau- 
» tus in one of his plays, which contains some speeches of 
» Hanno, aCarthaglnian, in the language of his country, 
» which, he observes , appears upon examina tion to be 
» the same language as the Irish , vrith some obvious allo- 
» wances for the opération of time and corruption. » 

Quoique nous partagions absolument la manière de 
voir de sir Laurence Parsons sur la remarquable ana- 
logie qui existe entre la langue Erse et la langue cartha- 
ginoise , qui n'était autre que la phénicienne , puisque 
Carthage fut fondée par des Phéniciens , nous sommes loin 
d'être de son avis sur l'origine de la langue erse. En effet , 

dans une de ses comédies contenant plusieurs discours du carthaginois 
Hannon, dans l'idiome Phénicien ; que cet idiome paraît être , après 
examen , le même que l'Irlandais , sauf quelques altérations introdui- 
tes par l'opération du temps et la corruption, transformation naturelle 
à toutes les langues. 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 13 

cet auteur suppose , pour expliquer la ressemblance qui 
se trouve entre les deux idiomes , que les Carthaginois 
conquirent Tlrlande , y fondèrent des établissements , 
imposèrent aux habitants vaincus de cette île leurs lois , 
leur rdigion et leur langue , et que cette dernière , se 
substituant à celle des indigènes , en arriva à la faire 
disparaître complètement. Mais , outre que cette manière 
de procéder n'a jamais été dans les habitudes carthagi- 
noises , ainsi que nous le démontre l'histoire , il suivrait 
de là que la conquête deFIriande aurait dû avoir lieu à 
une époque bien reculée , puisqu'il n'en est fait mention 
nulle part. Or , un examen attentif et réfléchi des révo- 
lutions politiques du nord de l'Europe nous a déjà ame- 
nés à cette conclusion qu'un peuple ne se déplace que 
sous la pression fatale de nécessités absolues , et que la 
nécessité, qui conduisit les Ombriens du nord de la Gaule 
en Angleterre et du midi delà Gaule en Italie , porte le nom 
d'invasion celtique. Déplus, l'Irlande ne fut point peuplée 
toutd'abord. Les Ombriens s'étaient établis et fixés en 
Angleterre, et ce ne fut que longtemps après cet établisse- 
ment , que , refouléspar les Cimbres venus delà Belgique , 
ils se décidèrent à passer en Irlande et dans les autres îles 
avoisinantes. Donc, si les Carthaginois se fussent emparés 
de l'Irlande et y eussent fondé un empire florissant , ce 
n'aurait pu être qu'à une date relativement récente et les 



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14 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O. 

annales ou traditions des Cimbres , si voisins de cet état , à 
défaut de celles des Irlandais mêmes , noiis en auraient 
tranmis quelque chose. D'autant que les Carthaginois ne se 
bornèrent point à trafiquer avec Tlrlande, mais que ^ 
marchands avant tout , ils avaient aussi des comptoirs 
chez les Cimbres d'Angleterre. A ces raisons , qui nous 
paraissent invalider le sentiment de Fauteur anglais , 
vient encore s'adjoindre une impossibilité matérielle. Par 
les quelques mots que nous avons cités plus haut et que 
les écrivains latins nous ont conservés avec leur signifi- 
cation propre, ainsi que les divers noms de villes dont 
les Ombriens furent les fondateurs tant en Italie qu'en 
Gaule, noms de villes n'ayant une signification déterminée 
que dans la seule langue erse, il nous a été facile de suivre 
la race ombrienne dans ses pérégrinations et de poser 
en principe que les Ombriens sont allés d'Italie en Gaule, 
de Gaule en Angleterre, d'Angleterre en Irlande et en 
Ecosse. Ce qui nous a amené à cette conclusion : c'est bien 
réellement des Ombriens que les Erses sont descendus. 

C'est pourquoi d'après Laurence Parsons , si le car- 
thaginois s'était substitué à l'antique ombrien , au point 
de le faire entièrement disparaître , comment pour- 
rait-il se faire que les anciens mots dont il a été donné no- 
menclature se retrouvent encore actuellement dans la 
langue erse, avec absolument le même sens qu'ils avaient 



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LANGUE OMBRIENIfE OU SABBLLIQUE. 15 

autrefois? Les Erses auraient donc parlé deux idiomes 
distincts; Fun, totalement perdu, qui aurait été leur 
langue nationale; l'autre, lé punique? Mais ce dernier, 
au compte de Parsons , leur aurait été imposé par les na- 
vigateurs de Carthage. Or , comme ce serait le seul idiome 
qu'ils parlent aujourd'hui , il faudrait, pour expliquer la 
complète analogie qu'on découvre entre les signes anciens 
et ceux dont les Irlandais se servent actuellement, ad- 
mettre que ce n'est qu'après avoir appris le punicjue qu'ils 
ont bâti des cités en Gaule et que , sous l'appellation d'Om- 
briens, ils se sont rués en Italie, où quelques uns des 
termes de leur vocabulaire ont pu être recueillis par les 
écrivains romains. Cette hypothèse nous parah absurde, 
et l'étrange similitude qui existe entre les idiomes erse et 
carthaginois ne saurait, suivant nous, s'expliquer d'une 
manière plausible et raisonnable qu'en admettant l'ori- 
gine phénicienne des populations primitives de l'Italie. 

Nous prouverons d'ailleurs qu'on peut facilement tra- 
duire au moyen de l'erse ce qui a été conservé de l'idiome 
carthaginois. Mais d'abord, jetons un regard sur les di- 
verses conjectures formées par les savants sur la langue 
punique. Un article de M. S. Munk va nous servir de 
guide : 

« La vie intellectuelle de ce peuple (les Carthaginois ) 
» nous est beaucoup moins connue que sa vie publique. 



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46 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

» Livré presqu'exclusivemen t au commerce et à la guerre , 
» il était peu favorisé des muses. Comme Tyr, la mère- 
» patrie, Carthage a disparu sans laisser aucune trace 
» de son existence, sans transmettre à la postérité aucun 
» monument d'art ou de littérature. Les anciens citent à 
» peine deux ou trois auteurs carthaginois ; Columelle 
» parle des écrits de Magon sur Tagriculture , et salluste , 
» Jugurtha, chap. 17, cite des livres puniques attribués 
» à Hiempsal, roi de Numidie. On peut ajouter le périple 
» deHannon, suspendu dans le temple de Saturne à 
» Carthage. C'est la relatio'n d'une expéditicMi maritime 
» faite par ordre du Sénat sur la côte occidentale de 
» l'Afrique et qui, selon l'avis d'IsaacVossius, remonte à 
» plus de cinq cents ans avant Jésus-Christ. ( voir Bo- 
» chart, Chanaan, liv. I, chap. 37). Hannon, chef de 
» cette expédition, la décrivit sans doute en langue pu- 
» nique, mais nous n'en possédons plus qu'une version 
» grecque , publiée pour la première fois à Baie , en \ 533 , 
» par Sigismond Gellenius. Pline parle de bibliothèques 
» qui auraient existé à Carthage (Hist. nat. liv. XVIII , 
» ch. 5). Le dédain que les Grecs et les Romains mon- 
» traient pour tout ce qu'ils appelaient barbares, n'a pas 
» permis qu'il nous en restât quelques débris. Pour nous 
» former une idée de la langue qu'on parlait à Carthage, 
» il ne nous reste d'autre ressource que quelques inscrip- 



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LANGUE OMBtIElfNB OU SÀBBLUQUB. 17 

» lions peu déchiffrables et un certain nond)re de mots et 
» de noms propres cités par les auteurs anciens et où 
» l'orthographe est ordinairement trës-corrompue. 

» Les fragments puniques que nous trouvons dans 
» le Pœnulus de Plaute, offriraient un spécimen assez 
» considérable de la langue carthaginoise, si on pouvait 
» les déchiffrer avec certitude. Mais si l'on réfléchit que 
)> Talphabet romain était probablement peu propre à la 
» transcription exacte de mots puniques, que Plaute lui- 
» même peut avoir écrit bien des fautes, et que ces fautes 
» devaient être considérablement augmentées par les co- 
» pistes, qui ne comprenaient pas un mot de ce qu'ils 
» écrivaient, on concevra facilement que nous devons à 
» jamais renoncer à bien comprendre les paroles du car- 
» thaginois Hannon, quoique Plaute nous en ait donné 
» lui-même la traduction latine. 

» L'explication qu'en a hasardée Bochart (Chanaan , liv. 
» II , chap. 6, ) est arbitraire, recherchée et souvent ab- 
» surde; nous aimerions mieux avouer notre ignorance 
« sur les passages puniques de Plaute que de gratifier les 
» Carthaginois du mauvais hébreu du savant Bochart. 
» Les essais de Bellermann , orientaliste allemand, sont 
» un peu plus heureux; mais ce savant aussi s'est trop 
» écarté de la traduction latine de Plaute qui, mieux que 
« tout autre, devait connaître la valeur des paroles qu'il 



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18 LA YÉRITÉ 8UR LÀ LANGUE b'O. 



» a mises dans'la bouche de Hannon. Quoi qu'il en soit , 
» le petit nombi:e de mots que l'on a pu déchiffrer avec 
» certitude , tant dans le fameux passage du poète romain 
» que dans les noms propres et les inscriptions , suffisent 
» pour nous convaincre que la langue des Carthaginois, 
» comme celle des Phéniciens, avait le plus intime rapport 
» avec l'Hébreu , et que les mots qui, dans les deux langues, 
» s'écrivait par les mêmes consonnes différent souvent 
» dans la prononciation. Ainsi par exemple Suffes, gén. 
» suffetisest le mot hébreu Schofet , juge. Les mots du Pœ- 
nnxjlushiligubylimlasibitthym, (in hiscehahitare regi- 
» nionibus), se prononceraient en hébreu » elle hgiteboulim 
Idschebet scham, 

» Les mots puniques qu'on n'a pu déchiffrer jusqu'à 
» présent, appartiennent probablement à la langue ly- 
» bienne qui se mêlait peu à peu dans cdle des colons 
» phéniciens. 

» Dans le passage de Plante et dans les noms propres 
» nous retrouvons quelques uns des principaux noms de 
» divinités phéniciennes. Les dieux s'appellent alonim , 
«les déesses alonuth; en hébreu aussi le mot elyon 
» (très-haut) se trouve comme épithète de Dieu et au 
» pluriel on disait pour le masculin elyonim et pour le 
» féminin elyonoth. Chez les Phéniciens le mot elioun 
» avait le même sens , comme nous l'apprenons d'un 



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LANGUE OMBRIEKifE OU SABELLIQtJE. 19 

» passage de Philon deByblos , cité par Eusèbe (prœpar. 
» evang. 1 , 10) ; le nom de Baal, dieu national des Phé- 
» nicîens , se retrouve dans beaucoup de noms cartha- 
» ginois , tels que Annibal , Asdrobal , Adherbal , et 
» dans la comédie de Plaute , comme chez les Phéniciens 
» il est aussi appelé Baal-Samin (maître du ciel) , en hé- 
» breu Baâl-schamaïm. » 

Ce passage résume à peu près tout ce que Ton sait au- 
jourd'hui sur la langue carthaginoise ou Phénicienne et 
tout ce que l'on pense sur l'origine de cette langue , dans 
la république des lettres. 

Les savants sont généralement disposés à croire que 
le phénicien avait le plus intime rapport avec l'Hébreu. 
Notre sentiment peut donc paraître ici de faible impor- 
tance. Pourtant, dussions-nous être taxés de présomp- 
tion, nous déclarons être sur ce point en désaccord avec 
les savants. 

En effet , si nous admettons qu'il a existé un rapport 
quelconque entre le phénicien et l'hébreu , nous sommes 
aussitôt forcés de regarder ces deux idiomes comme des 
dialectes d'une langue unique qui aurait été commune à 
tout le pays de Chanaan , et de leur donner aussi la 
même origine. Or , il n'en a point été ainsi. Outre les 
H^reux , il y avait en Palestine un certain nombre de 
peuples , sortis d'une tige commune , Cham , dont les 



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20 LÀ TÉRITË SUR LA LANGUE d'o. 

Phéniciens faisaient partie. Ces Phéniciens, loin de s'ap- 
peler Phéniciens — ce qui était une dénomination grec- 
que , — se nommaient Chananéens , donnant le nom de 
Chanaan , aussi bien au lieu où ils avaient été trans- 
plantés qu'à celui d'où ils tiraient leur origine. 

C'est du moins ce qui ressort du témoignage de Saint 
Augustin. Dans son Commentaire sur VépUre aux Ro- 
mains, ce Père de l'Eglise rapporte que des paysans 
d'Hippone , à qui on demandait qui ils étaient , répondi- 
rent qu'ils étaient Chananéens. Cela ressort pareillement 
de l'exclamation , mise dans la bouche d'Hannon par 
Plante, au cinquième acte du Pcmulus : Lachanan 
vos. ! etc. , etc. , qu'on traduit avec assez de vraisem- 
blance , rum à chanaan, vous ! etc. , etc. , c'est-à-dire, vous 
n'irez jamais , ou vous ne reverrez jamais Chanaan, 
vous! 

En outre, personne n'ignore la constante et mortelle 
inimitié qui a toujours régné entre les Chananéens et 
les Hébreux ; inimitié qui provenait autant des ordres 
de Dieu que de la différence de race. Les Hébreux , on 
le sait , descendaient de Sem , par Heber, et leur pre- 
mière langue fut le Chaldéen ou un dialecte du Chaldéen. 
Plus tard , lors de la grande captivité de Babylone , ils 
oublièrent leur idiome national et ne parlèrent plus que 
le syriaque. 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELUQCE. 84 

Nous n'avons jamais appris qu'il y eût la moindre pa- 
renté entre ces deux derniers idiomes et le Ghananéen 
ou phénicien. 

II est vrai qu'un témoin bien digne de foi , puisqu'il 
était d'origine punique , Saint Augustin , nous apprend 
que l'idiome de Garthage avait de son temps quelque 
rapport avec le Syriaque et le Ghaldéen. Mais cela ne 
peut s'entendre que des grammaires particulières de 
ces peuples , qui avaient , en effet , une grande analogie 
entr'elles et différaient radicalement du latin , auquel 
probablement Saint Augustin comparaît le punique. 

Ge qui vient confirmer notre dire, c'est que la langue 
maternelle de Saint Augustin était le carthaginois et 
qu'il apprit le latin en jouant avec les enfants romains 
de son âge, dont les parents étaient établis en Afrique. 
Pareille chose arrive du reste pour les petits paysans 
de nos campagnes , dont la langue maternelle est le gau- 
lois, et qui apprennent pourtant le français, soit en 
l'entendant parler par les grandes personnes, soit en 
allant à l'école , en se jouant pour ainsi dire, sans études 
et sans fatigues. Or , Saint Augustin écrit dans ses Con- 
fessions (liv. XI, ch. 3): — « Scripsit hoc Moy- 

» seSf scripsit et abiit; transiit hinc ad te. Neque enim 
» nunc ante me est; nam si esset, tenerem et rogarem 
» eum^ etper te obsecraremt ut mihi ista pandereê ; et 



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22 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

» prœberem aures corporii met , sonù erumpentibus ex 
» ore ejus. Et si hebrœâ voce hqueretur, frustra puisa- 
» retsensum meum, nec inde mentem meam quidquam 
» tangeret ; si autem latine, scirem quod diceret. » 

Voilà , ce nous semble , qui est clair et net. 

Donc , puisque Saint ^Augustin avoue que si Moïse lui 
parlait hébreu il ne le comprendrait point , c'est que le 
punique et Thébreu ne devaient guère se ressembler, et 
que , si par cas il trouvait une certaine concordance en- 
tre la syntaxe de sa langue nationale , Ijb carthaginois , 
et les syntaxes du Chaldéen et du syriaque , cela ne 
saurait prouver que les vocabulaires de ces idiomes fus- 
sent identiques. Pas plus qu'on ne pourrait prouver que 
le slave ait une affinité quelconque avec le grec , quoi 
qu'il soit assez facile de trouver dans les grammaires 
respectives de ces deux dernières langues de très-nom- 
breux points de ressemblance. 

Enfin , il y a dans la Bible un passage prouvait clai- 
rement que l'hébreu et le phénicien n'avaient pas grand 
chose d^ commun entr'eux. 

On lit dans Néhémias (chap. XIII , v. 24) : 

<— « Et leurs enfants parlaient à demi la langue 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 23 

» d'Azoth, et ne pouvaient par kr Juif, en sorte que leur 
» langage tenait de la langue de ces deux peuples. » 

Cette preuve si convaincante de la diversité de Tidiome 
hébreu et de Tidiome phénicien n'est point la seule que 
fournit le Livre-Saint. Il nous fait encore connaître un 
certain nombre de noms de villes , de lieux et d'hommes , 
comme par exemple : Cariath-iarim , cariath-^rbe , 
Astarotk-camaïm, Og, etc., etc., qui n'appartien- 
nent pas à l'idiome hébraïque et y sont sans explication 
possible. 

C'est donc une erreur de croire pouvoir expliquer le 
phénicien ou carthaginois au moyen de l'hébreu, et il 
n'est point étonnant que toutes les tentatives de ce genre 
aient constamment échoué. 

Aussi , M. Munk a-t-il raison d'écrire : nous aimerions 
mieux avouer notre ignorance sur les passages puniques 
de Plante, que de gratifier les Carthaginois du mauvais 
hébreu du savant Bochart. Mais alors pourquoi M. Munk 
lui-même admet-il que ces deux idiomes ont entr'eux 
des rs^ports intimes, et , pour nous le prouver , cite-t-il 
les noms donnés à Dieu par les deux peuples , noms 
qa'il suppose identiques ? — « Les dieux , dit-il , s'ap- 
» pellent Alonim , les déesses Alonuth ; en hébreu aussi 
» le mot Eiyon ( très-haut) se trouve comme épithète de 
» Dieu et au pluriel on dirait pour le masculin Elyonim , 



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LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 



» et pour le féminin Elyonoth. Chez les Phéniciens le 
» mot Elioun avait le même sens, etc. , etc. » 

Peut-être sommes-nous dans Terreur et M. Munk a-t-r 
il raison. Mais nous ne pensons pas que le mot Elyon ait 
jamais désigné Dieu , en hébreu. Dans cet idiome , l'idée 
de Très-Haut , nous Pavons toujours trouvée exprimée 
par le mot Eloah, au pluriel Elohim, et jamais autre- 
ment. Pour s'en convaincre, on peut lire le long article 
consacré au mot p|^j^ , dans le Dictionnaire chaldatco- 
hébraïqmde Buxtorff (Ed. de 1631 , p. 29). Quant au 
nom deBaalj il ne se trouve dans le Livre-Saint que 
pour désigner un dieu étranger , et ce mot n'appartient 
point à l'idiome hébraïque. D'ailleurs , même en phéni- 
cien , Baal ne signifie point Dieu , mais seulement sei- 
gneur, kyrios, dominus, Lord. 

Ce qui aurait pu aider à faire croire à l'existence d'une 
certaine affinité entre l'hébreu et le phénicien, c'est 
qu'au moyen du premier idiome Bochart est parvenu , 
dans sa traduction du monologue d'Hannon , sans trop 
changer la physionomie des termes du second idiome a 
obtenir un sens qui se rapproche assez bien de la tra- 
duction donnée par Plaute lui-même. Son interprétation 
est loin cependant d'être satisfaisante et n'a point , par 
conséquent, tranché la question. 

Comme preuve , nous allons la copier en regard du 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 



85 



monologue d'HànnoD ; mais auparavant il nous parait 
utile de transcrire le texte punique pris dans deux édi- 
tions diverses, afin qu'on puisse voir les différences que 
les copistes ont intercalées dans ces textes. 

MONOLOGUE D*HANNON. 

OEUVRES DE PLAUTE. 



EDITION D'AMSTERDAM, 4749. 

T thalonim , vualonuth si cho- 
rathissima consith , chim lachchu- 
nyth muays thalmyctibari imischi 
lipho canet byth bymithii ad aedin 
binuthii. Byrnarob syllo homalo- 
nin uby misyrthobo bythlym mo- 
thym noctotbii nelechanti dasch- 
macbon yssidele brim tyfel yth chy 
lyschon, tem, iyphui uth bynim ys- 
ditur thinno cuthnu Agarostocles. 
ythe manet iby chyrsae lycoch 
sith naso byuni id chil luhili gu- 
bylim lasibit thym bodyalyt he- 
rayn nyn.nuys lym moncoth lu- 
sim. 



EDITION CONTEMPORAINE. 

Hyth alonim vualonuth sico- 
rathi si macom sith chi mlach 
chunyth mumys tyal mictibariim 
ischi, lipho canet hyth bynuthi ad 
aedin bynuthii. Birnarob syllo 
homalonin uby misyrthobo byth- 
lym mothyn noctotbii velech anti- 
das machon. Yssidele berim thyfel 
yth chylyschon , tem , lypbul uth 
bynim ysdibur thinno cuth nu 
Agarastocles ythe manet ihy chyr- 
sae lycoch sith naso biuni id chil 
luhili gubylim lasibit thym bo- 
dyalyth herayn nyn nuys lym 
moncoth lusim. 



Voici Texplication de ce morceau faite par Piaule lui- 
mônie : 

Deos deasque veneror , qui hanc urbem colunt, 
Ut quod de mea re hue veni , rite venerim : 
« . 2 



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S6 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Measque ut gnatas , et mei fratris filium , 
Reperire me siritis, dl vostram fidem 1 
Quae mihi surreptœ sunt et fratris filium. 
Sed hic mihi antehac hospes Antidamas fuit. 
Eum fecisse aïunt sibî quod /aciundum fuit. 
Ëjus filium hic esse praedicant Âgarastoclem. 
Deum hospitalem , ac tesseram roecum fero. 
In hisce habitare monstratu'st regionibus : 
Hos percontabor , qui hue egrediuntur foras. 

fit voici maintenant la traduction hébraïque qu'en 
donne Bochart , dans son Chanaan (liv. II , chap. 6) : 

Na eth eiionim veeljonoth sechorath jismecun zoth 
Ghi melachai nitthemu , matsiia middabarehem is Ri 
Lephurcanath eth béni eth jad adi ubenothai, 
Berna rob sellahem eljonim ubimesuratehem , 
Beterem moth anoth othi helech Ântidamarchon , 
Issejadali:beram tippelethchelesechinatham leophel. 
Et ben amis dibbur tham necot nave Agarastocles. 
Othem anuthi hu chior seeli choc ; zoth nose. 
Binni ed cbi le haelle gebulim lasebeth tham 
Bodiale thera inna ; enno , esal im mencar le sem. 

Ce qui signefierait en langue française: 
« Je prie lesdieux etles déesses qui protègent ces pays, 
de faire en sorte que mes desseins s'accomplissent, et de 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUB. 27 

conduire mon affaire à une heureuse fin ; en sorte que 
mon fils et mes filles soient délivrés des mains de leur 
ravisseur. Que les dieux, par Tesprit abondant qui est 
en eux et parleur providence , m'accordent cette satisfac- 
tion I Antidamarque , qui était mon intime ami , avait 
coutume de loger chez moi avant qu'il mourut , mais il 
est allé joindre ceux dont la demeure est dans les ténèbres. 
Le bruit commun est que son fils Agarastocles est établi 
dans ce quartier. La marque que mon hôte m'a donnée 
est cette planche gravée que je porte , dont la gravure 
est ma divinité , on m'assure que c'est ici autour qu'il 
demeure. Quelqu'un vient par cette porte , voici mon 
homme , je lui demanderai si le nom d'Âgarastocles lui est 
connu. » 

Cette tradiction , on le voit , semble se raprocher assez 
de celle de Plaute. Cependant eUe est arbitraire , et paraît 
n'avoir été conçue qu'en vue de faire cadrer, avec 
l'interprétation latine de l'auteur du Pœnulus , des mots 
hébreux plus ou moins torturés, afin de leur donner une 
physionomie qui eût une certaine ressemblance avec 
celle des mots puniques. Dans la langue hébraïque , un 
point voyelle suffit parfois à changer complètement la 
signification de tel ou tel mot écrit avec les mêmes 
lettres. Que sera-ce donc si en écrivant ce mots on se 
permet un changement ou une permutation de lettres ? 



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28 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

Pour en donner un exemple , nous citerons seulement la 
phrase copiée par M. Munk ; haelkgebulim lasebeth tham, 
dont le mot-à-mot serait hisce regionibus inhabitare illuc. 
Avec quelques changements insignifiants , soit de lettres , 
soit de points voyelles , on peut y trouver : 

T . , ; ; T 

Dei auctoritas non terminas ultra (s.e. transibit ). ou 
encore: 

Fortium potentium {id est j ducum potentissimorum) 
non cessavit nomen ( id est fama). 

D'où nous tirons cetteconséquencequecen'est point par 
le moyen de Fhébreu que nous pourrons jamais connaître 
lesens exact des mots puniques composant le monologue 
en question. 

Mais, parce que Tidiome Juif est impuissant à nous 
donner la traduction exacte de ce passage carthaginois y 
en devons-nous conclure que ce dernier idiome sera 
toujours lettre morte pour nous et qu'il est complètement 
inutile d'essayer encore de le déchiffrer? 

Ce n'est point le sentiment du colonel Vallancey qui , 
après de longues et savantes recherches , appliquant la 
langue erse au Monologue d'Hannon, paraît l'avoir 
traduit aussi fidèlement que possible et avec un sens 



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LANGUE OMBSIENNE OU SARELUQUE. 29 

tout-à-fait en rapport avec la donnée de la comédie de 
Plante. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans Fouvrage déjà 
mentionné plus haut: The strangerin Ireland, by J. Carr, 
esquive, (chap. XIV, p. 331) (1). 

— « I shal now give the beginning of Hanno's speech , 
» precisely letter for letter , as ît is in the édition of 
» Plautus, published A. D. 1482 , logether with colonel 
» Vallancey's collation of the same speech with the Irish. 
» The first Une of every triplet contains the letters, 
» with their collocation and intervais, precisely as they 
» are printed in the above édition of Plautus ; the 
» second line expresses them with such intervais as colo- 

(i) Je donnerai maintenant le commencement du discours d'Hannon, 
exactement lettre par lettre , comme il existe dans l'édition de Piaute 
( publiée A. D. 4482) , en môme temps que la comparaison faite parle 
colonel Vallancey de ce même discours avec l'irlandais. La première 
ligne de chacun de ces trois documents contient les mots à la place et 
avec les intervalles qu'ils occupent précisément dans la sus dite édition 
de Piaute ; la seconde ligne les montre avec des intervalles pareils à 
ceux que les mots devraient occuper , comme le pense le colonel 
Vallancey; la troisième ligne enfin représente la traduction de ces 
mots en irlandais, conservés dans leur place naturelle et leur 
orthographe. \ 

« Le Carthaginois Hannon avait deux filles qui , avec leur nourrice 
» ont été amenées au loin par des ravisseurs et vendues à une personne 
» qui les a conduites à Galydon , en Ëtolie •<, ayant longtemps parcouru 

2. 



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30 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

» nel Vallancey thinks they ought to be placed at ; and 
» the third line shews the words in Irish^ according 
» to the irish orthography and collocation. 

1» le monde à leur recherche « il arrive enfin où elles sont et prononce 
» le discours suivant : » 

Nous nous bornons à traduire seulement la quatrième ligne, qui est, 
elle-même la traduction anglaise de llrlandais : 

i. 

grande divinité de ce pays , puissante , terrible ! laisse-moi goûter 
enfin le repos. 

2. 

Soutien de faibles captives ! C'est ta volonté de m'apprendre à 
conquérir mes enfants par ma fatigue. 

^ 3. 

Permets que j'arrive à mon but ; exauce mon ardente prière. 

4. 
Une source ne refuse point une goutte d'eau au malheureux ; 
divinité ! permets que je puisse me désaltérer à ces courants. 

^. 

Sois avec moi ! mes craintes seront dissipées ; Je n'ai point d'autre 
désir que celui de recouvrer ma fille. 

Ici le général Carthaginois , avisé que sa fille ( ses filles plutôt) ' a été 
renfermée dans le temple de Vénus , va dans ce temple et y lit cett e 
.nscription qui , ^ns le changement d'une seule lettre , est la mém ^ 
en Punique et en Irlandais. « Handone iilKhanum hene iilli in mus- 
Une, » — Ce. que nous tradisons en français : « Lorsque Vertus 



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LANGUE OMBRIEimE OU SABELUQUB. 31 

« — Hanno , a Carthaginian , had two daughters , 
» who, withtheir nurse, werecarriedoffbyrobbers, 
» and sold to a person , who brought them lo 
» Calydon in iEtolia ; having long travelled in quest 
» of them , he at last arrives where they are , and 
» makes the following speech : 

1. 

Carthaginian, as in Plautus: 
» Nythalonim ualonuth si corathissima comsyth. 

» accorde une faveur, cette faveur est généralement suivie de quelque 
» infortune. » 

La découverte d'épées carthaginoises dans les fondrières ou marais 
de l'Irlande vient corroborer encore nos arguments. Le lieutenant- 
général Campbell a en sa possession une de ces épées , trouvée près 
d*Ârmagh ; elle est en cuivre , d'environ vingt pouces de long , sur 
deux pouces de large , ayant de petit trous dans sa poignée, que l'on 
suppose avoir été perforés dans le but de recevoir des sangles ( ou 
courroies) ; sa dimension et ses marques correspondent exactement à 
celles des épées découvertes dans les plaines de Cannes , comme j'en 
ai été informé par un intelligent ami qui a eu occasion de comparer 
répée du général Campbell avec des épées carthaginoises des musées 
d'Italie. 

Ces faits sont curieux et on en peut tirer des déductions fort 
ingénieuses. 

Quelques personnes là-dessus ont admis , d'autres ont nié l'origine 
Carthaginoise des Irlandais ; je n'ai pas de données suffisantes pour 
m'engager dans cette guerre punique. 



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32 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

With proper intervais : 
» Nyth al o nim ua lonuth si corathissima comsyth. 

Irish : 
» ail nimh n'iath , lonriaith uath 1 so cruidhse me 

com sith. 
» mighty Deity of this coimtry , powerfiil , terrible! 

quiet me with rest. 

2. 

Garthaginian , as in Plautus : 
» Chim lach chuny th mumys tyal mycthibarii 

imischi. 

Propre intervais : 
» Chim lach chunyth mum ys tyal mycthi barii 

imi schi. 

Irish : 
» Ghuinigh lach chimithe ; is toil muini beiridh 

miocht iar mi schith. 
» Support of weak captives ; be thy will to instruct 
me to obtain my chiidren after my fatigue. 

3. 

Cartaginian , as in Plautus : 
» Lipho canet hyth bymitbiiad aedin binuthii. 

Proper intervals : 
» Lipho can etyth by mithii ad aedin benuthii. 
Irish: 

» Can ati liomtha mitche bi beannaithe ad eaden. 



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LANGUE OMBBIETfIfE OU SABELLIQUE. 33 

» Let it corne lo pass, that myearaest prayers be 
blessed before thee. 

4. 

Garthaginian : as in Plautus : 
» Byrnarob syllo homalonim uby misyrthoho. 

Proper intervais : 
» Byr nar ob syllo homal ; nim 1 ubymis yrthoho. 

Irish : 
» Bier nar ob sîladh umbal ; nim! ibhim a frotha. 
» Afountain denied not to drop to the humble; 
Deityl that I may drink of ils streams. 

5. 

Cartaginian , as in Plautus : 
» Bythlymmothym noctothii nelechanti dias machon. 

proper intervais : 
» Byth lym I mo thym nocto thii nel ech anti dias 
machon. 

Irish: 
» Beith liom ! mo thimenoctaithe niel ach anti daisie 

macoiune. 

» Be with me I my fears being disclosed. I hâve 

no other intention but recovering my daughter. » 

etc. etc. 

« There is also a mémorable remark of the gênerai ,~ 

» when he is informed that his daughter has been found 



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34 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O. 

» in the temple of Venus , in which tbere îs not the 
» différence of a single letter between the Punie and 
» Irish sentence. « nandone silli hanum bene silli in 
» musHne. » In English : When Venus grants a favour , 
» it is generally attended by some misfortune. 

« In further corroboration , the discovery of Carthagi- 
» nian swords in the bogs of Ireland , bas been adduced. 
» Lieutenant-General Campbell is in possession of one of 
» the swords found near Armagh ; it is made of brass , 
» about twenty inches long , two inches broad , having 
» small holes in thehandle, supposed to hâve been 
» perforated for the purpose of admitting thongs to be 
» fastened to them ; which size and marks correspond 
» precisely with the swords discovered on the plains 
» of Gannae , as I hâve been informed by an intelligent 
» friend , who had an opportunity of comparing the 
» former with the latter , which he saw in several of the 
» muséums in Italy. The facts are curious , and the 
» déductions are at least ingénions. Learned men hâve 
» supported and denied the Garthaginian origin of the 
» Irish ; and as I haVe not the smallest fragment of 
» antiquarian armour to buckle on me , it would be 
» infatuation to engage in this Punie war. » 

La traductfon , par Perse, du monologue d'Hannon 
s'écarte en quelques points de la traduction donnée par 



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LANGUE OMBRIENNE OU SABELLIQUE. 35 

Plaute, laquelle , au dire de quelques savants serait un 
peu fantaisiste et pas du tout littérale ( Voir entr'autres 
la Traduction des œuvres de Plaute, par H. P. de Li- 
miers j Amsterdam 1719), néanmoins elle s'en rapproche, 
par d'autres points , d'une merveilleuse façon ; elle est 
parfaitement l'expression des pensées qu'aurait un homme 
dans la situation d'Haqnon ; elle s'acorde enfin très bien 
avec la donnée de la pièce. D'où nous pouvons établir que 
si Terse de nos jours n'est point le véritable idiome de 
Cariathraggo ( ville de la lanière, la Byrsa de Virgile ), 
ces deux idiomes ont de si étonnantes analogies qu'il nous 
parait impossible de leur refuser une commune origine. 
De plus , comme la filiation ombrienne des Erses nous 
parait être un fait hors de discussion , nous nous croyons 
suffisamment autorisés à en conclure que les Erses sont 
bien réellement les descendants des Ombriens qui , eux , 
étaient de race Chananéenne. 

11 est encore un autre argument qui semble plaider 
en faveur de nos conclusions. 

L'auteur du Pœnulus, Plaute, était Ombrien. Or, 
personne n'ignore que les Romains , méprisant tous les 
autres peuples qu'ils traitaient de barbares, dédaignaient 
d'apprendre les idiomes étrangers. On peut donc se 
demander , à bon droit , comment il a pu se faire que 
Plaute ait osé introduire sur la scène un personnage 



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36 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

parlant un langage incompréhensible pour les specta- 
teurs , dérogeant de la sorte aux usages observés par 
les auteurs latins? Faudrait-il en tirer cette conséquence 
que le Carthaginois était familier aux Romains ? Faudrait- 
il admettre, comme on le prétend généralement, que la 
comédie de Plante , représentée à l'époque où éclata la 
seconde guerre punique, n'avait pas d'autre but que 
d'exposer aux risées et aux moqueries du peuple ro- 
main un ennemi personnifié sous des traits ridicules ? 
Serait-il plus rationel de croire que Plante n'a agi ainsi 
qu'afin de mieux conserver à sa comédie la couleur 
locale et de peindre son personnage plus au naturel? 

La première supposition est inadmissible. La seconde 
ne nous paraît pas plus acceptable, attendu que l'ap- 
préciation sur laquelle elle repose est tout le contraire 
de la vérité. En effet, le personnage d'Hannon ne se 
montre sur la scène qu'au cinquième acte seulement. 
Ses malheurs, ses voyages, son amour paternel le ren- 
dent aussitôt sympathique. Loin d'être un objet de risée, 
loin de paraître bouffon , c'est lui , au contraire , qui se 
divertit aux dépens du valet de son neveu , lorsque , 
(quoique sachant le latin), après Uii avoir parlé car- 
thaginois et s'être amusé un moment de la façon pitto- 
resque dont ce dernier traduit ses paroles à son maître , 
il prouve à Mirphion qu'il n'est qu'un sot outrecuidant. 



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LANGUE OBIBRIENNE OU SABELLIQUE. 37 

Seule la troisième hypothèse offre quelque vraisemblance. 
Néanmoins ce n'eût pas été pour Plante un motif sérieux 
de mettre dans la bouche d'un des personnages de sa 
Comédie un langage que le public n'aurait point pu 
comprendre, s'il n'avait eu la certitude matérielle d'être 
entendu du plus grand nombre. 

Cela est d'autant plus vraisemblable que Plante avait 
trop d'esprit pour violer stupidement l'usage et la règle, 
en faisant réciter sur la scène des vers en langue 
inconnue, s'il n'avait voulu, de la sorte, amener la 
désopilante scène où Mirphion traduit avec tant de 
désinvolture à Agarastoclès le Punique d'Hannon. Ainsi, 
entr'autres, lorsqu'Hannon prononce les mots bar bocca^ 
Mirphion s'empresse dlnterprêter bocca par Bticca, 
bouche, etc., etc. 

Or cette scène , pas plus du reste que le monologue 
qui semble lui servir de préface, n'aurait eu nulle saveur 
pour les spectateurs (1) , si le plus grand nombre d'en- 

(i) Pour bien faire comprendre Teffet de cette scène à ceux qui par 
hasard n'auraient point lu la comédie de Plante , nous citerons 
comme exemple l'effet que produiraient des scènes analogues prises 
dans le monde moderne ; ainsi un personnage qui , se vantant de 
connaître parfaitement l'allemand ou l'anglais , quoiqu'il n'en sut pas 
le premier mot, se permettrait de traduire avfc assurance en français, 
grâce à l'analogie des termes , cette phrase de l'allemand : wllle ein 
Il 3 



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38 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

tr'eux n'avait pu comprendre les paroles d'Hannbn et 
s'amuser, par conséquent, des interprétations fantaisistes 
de Mirphion. Donc, sinon tous, ce qui est impossible, 
au moins une grande partie des spectateurs romains 
comprenaient le Carthaginois. 

Quoique vrai , ce fait pourtant ne saurait s'expliquer 
si Ton refiise d'admettre l'origine chananéenne des po- 
pulations primitives de l'Italie (telles que les osques, 
les sabelles , les ombriens), et si l'on nie que l'idiome de 
ces populations fût, sinon identiquement le langage de 
Garthage, du moins un langage qui ressemblait fort au 
punique. Or, cet idiome existait. Méprisé et peu toléré à 
Rome , il était très-florissant dans tous les cantons de la 
péninsule italique où vivaiem les populations de race 
Sabellique. 

Plante, avons-nous dit, était Ombrien et il y avait 
beaucoup d'Ombriens à Rome. Sans parler des nombreux 
habitants de cette ville qui tiraient leur origine des 
Samnites ou des Osques , et qui , devenus Romains , 

bett (vouloir un lit) , pai* vilaine bête» et<;eU6-ci de l'anglais : what 
fair foot (quel joli pied ) ! par va te faire f..:.... 

Ne serait-ce point comique ? Or , il n'est point d'idiome qui , dans 
quelques uns de ses signes , n'offre de pareils exemples de similitude 
avec les signes d'un autre idiome, quoique chacun d'eux possède une 
sig&ifio&tion diamétralement opposée. 



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LANGUE OMBRIENNE OU SÀBBLUQUE. 39 

affectaient de ne plus se souvenir du berceau^de leur 
famille, une foule de gens pauvres et nécessiteux, 
appartenant à ces mêmes tribus , se rendaient pour y 
gagner leur vie à la vill^-reine, absolument comme de 
nos jours les savoyards et les auvergnats se rendent à 
Paris. Or, étant donnée FafBnité existante ^itre l'idiome 
ombrien et l'idiome Carthaginois, on peut se rendre 
compte du motif qui poussa Plante à faire parler Hannon 
en carthaginois, puisqu'il savait cette langue compré- 
hensible, non-seulement pour tous ses compatriotes à 
lui, les Ombriens, mais encore pour un grand nombre 
de gens du peuple de la ville de Rome. Qui sait même 
s'il ne s'adjoignait pas à ces motifis , dans la pensée de 
Plante, le désir de mystifier spirituellement les orgueil- 
leux Patriciens , en les forçant d'écouter sur la scène un 
langage proscrit et méprisé? n'insistons plus. 

L'idiome punique est traduisible au moyen de l'erse 
et l'erse est bien réellement l'ombrien. C'est un fait cer- 
tain. D'où on peut conjecturer avec une sorte de certitude 
que les Irlandais et les Ecossais sont les descendants 
légitimes des Ombriens et que leur langue, si miracu- 
leusement conservée malgré tant de vicissitudes, est 
d'origine chananéenne. 

Cependant entre le carthagioois du Pœnulus et la tra- 
duction irlandaise du colonel Vallancey , oo peut remar«* 



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40 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

r 

quer des changements de lettres, des transpositions de 
mots, des termes même absolument différents. Cela 
tient uniquement aux modifications et altérations que le 
temps, l'usage et le mélange avec les autres idiomes 
introduisent forcément dans une langue. D'ailleurs et 
ceci nous confirme dans notre sentiment , ces causes ont 
été néanmoins impuissantes à détruire la physionomie 
de Fantique idiome punique. 

On pourrait aussi à la rigueur, pour expliquer ces 
différences légères entre Ferse et le punique invoquer 
rinfidélité, Tétourderie ou Tignorance des copistes. 
Mais à quoi bon? Les arguments que nous venons de 
fournir suffisent amplement à notre thèse. 

En 1718, Majus, professeur dans l'université de 
Giessen, publia une dissertation dans laquelle il s'efforce 
de prouver que la langue que l'on parle dans l'île de 
Malte a beaucoup de rapport avec le punique. Les ma- 
tériaux dont il s'est servi pour faire cette dissertation 
lui avaient été donnés par un jésuite maltais, appelé le 
P. Ribier ou Rivière de Gattis. On voit dans cette dis- 
sertation , que les Carthaginois ont été très-longtemps 
maîtres de l'île de Malte, et que leur langage, qui 
diffère de toutes les autres langues connues , a conservé 
une très-forte teinture de l'ancienne langue punique. On 
y voit encore-que les nombres, dont les Maltais se servent 



.K^Cr 



LANGUE OMBRIENNS OU SABELUQUB. 41 

actuellement pour compter , sont les mêmes que les 
nombres chaldéens et phéniciens. 

Ce n'est pas tout, Jean Quintinius Heduus^ auteur 
qui vivait à Malte dans le milieu du seizième siècle, dit 
que Ton parlait de son temps dans cette tle la langue 
africaine ou punique , que Ton voyait encore dans cer- 
tains endroits des piliers avec des inscriptions puniques 
et que les Maltais entendaient très-bien les mots cartha- 
ginois qui se trouvent dans Plante et dans Avicenne. 
« Les Maltais, ajoute-t-il , ont dans leur langue un pro- 
» verbe carthaginois, qui nous a été conservé par 
» Saint Augustin: La peste a besoin d'une pièce d* argent; 
» donnez-lui en deux, elle vous quittera d'elle-même, » 

Ck)mme nous ignorons absolument la langue maltaise, 
il nous est impossible de vérifier par nous-mêmes si elle 
a quelque affinité avec l'Erse et nous sommes obligés de 
laisser à d'autres ce soin. S'il y a affinité entre ces deux 
idiomes, il est alors de toute évidence que les Ombriens 
sont d'origine phénicienne ou chananéenne. S'il n'y en 
a point, il resterait à rechercher lequel des deux, de 
l'erse ou du maltais, est bien réellement le continuateur 
du punique, et, par ainsi, qui a raison ou des auteurs 
en question ou du colonel Vallancey . 

Quoiqu'il en soit, la question de l'origine punique des 
Ombriens est pour nous d'une importance très-secon- 



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42 LA YËRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

daire. L'essentiel est que les Erses ne soient ni d'origine 
ni de race celtique ou gauloise, comme quelques écri- 
vains Font prétendu, et qu'il n'y ait jamais eu rien de 
commun entr'eux et les Celtes. Ce que nous croyons 
avoir démontré. 
Passons maintenant à la langue pélasgique ou étrusque. 



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CHAPITRE DEUXIÈME 



LANGUE PÊLASGIQUE OU ÉTRUSQUE. 



De tous les idiomes anciens qui ont disparu ou qui , 
pour un motif quelconque , ont cessé d'être en usage , 
l'idiome p^asgique est celui sur lequel la science philolo- 
gique possède les données les plus certaines et les nK>ins 
contestées. La plupart des savants s'accprdent même à 
considérer le pélasge comme la souche d'où sont sortis le 
grec et le latin. 

Le i^us ancien monument qui nous reste de la langue 
pélasgique et qui nous permette d'apprécier cette langue 



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44 LA YÉRITË SUR LÀ LANGUE d'o. 

ce sont les Tabks Eugubines ainsi nommées parce qu'elles 
furent découvertes à Gobbio, l'ancienne Iguvium. Il 
arriva même que , s'autorisant de ce fait que les tables 
en question avaient été trouvées à Gk)bbio , ville située 
en pays ombrien, quelques érudits prétendirent qu'elles 
ne devaient point être attribuées aux Pélasges , mais 
aux Ombriens, et que la langue en laquelle sont écrits 
les vers qui y sont gravés est la langue ombrienne et 
non la langue pélasgique. Mais ces érudits n'ont point 
pris garde à l'impossibilité matérielle d'une telle assertion. 
Il est sans doute avéré que la nation dont les Om- 
briens faisaient partie et dont ils étaient une des plus 
grandes tribus a possédé la première la péninsule itali- 
que, mais il est avéré aussi qu'aune époque dont la date 
nous est inconnue les Pélasges s'emparèrent du nord 
de l'Italie et en gardèrent la possession jusqu'aux temps 
de l'invasion ombrienne, que l'on peut fixer à environ 
quinze cents ans avant notre ère. Or à cette époque-là , 
soitavant l'arrivée des Pélasges soit depuis l'invasion om- 
brienne , antérieurement à la venue des Etrusques , est- 
il bien certain que les populations italiennes connussent 
l'art de l'écriture et fissent usage de caractères quelcon- 
ques? nous en doutons. En effet au dire des savants , 
ce ne ftit que sept ou huit siècles avant Jésus-Christ que 
l'alphabet ftit apporté en Grèce par le phénicien Cadmus. 



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LANGUE PÉLAS6IQUE OU ÉTRUSQUE. 45 

En outre les Ombriens furent plus tard vaincus et re- . 
foulés à leur tour par les Etrusques, (peuplade Pélasgi- 
que qui avait substitué le nom particulier de sa tribu au 
nom général de la nation et qui relégua les tribus om- 
briennes vers les côtes de TAdriatique et les montagnes 
centrales de Fltalie). Ceci posé, Iguvium se trouvant 
située assez près de la frontière toscane, rien ne démon- 
tre , nous semble-t-il , que cette ville, si elle n'a pas été 
fondée par les étrusques , n'ait pas été en leur possession. 
Ce fut seulement, on le sait, fort longtemps après Tin- 
vasion étrusque que les Ombriens et les Rathena eurent 
des frontières bien nettes et bien délimitées. 

Les partisans de Torigine ombrienne des Tables Eugu- 
bines prétendent que les caractères de cette inscription 
célèbre sont phéniciens. Or, les tribus ombriennes étant 
de race , sinon phénicienne, au moins chananéenne , on 
peut conjecturer que ce sont réellement les Ombriens 
qui ont gravé ces tables. Malheureusement pour les par- 
tisans de cette théorie , Topinion générale veut que ce 
soit Evandre qui ait apporté l'alphabet d'Arcadie en Ita- 
lie , et les Arcadiens , c'est chose reconnue aujourd'hui , 
étaient une peuplade pélasgique. De plus , les Chana- 
néens implantés en Italie s'étaient séparés de leurs frères 
d'Asie bien longtemps avant l'inveijtion de l'écriture, 
dont ils n'avaient aucune idée. Si , à une époque plus 

3. 



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46 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 



moderne , les phéniciens ont enseigné l'alphabet aux Grecs 
et aux Pélasges italiens , on ne saurait tirer de ce fait 
la conséquence que les Chananéens d'Italie aient eu les 
premiers connaissance de l'alphabet grêco-phénicien , 
puisqu'ils étaient séparés de leurs congénères de Phfeî- 
cie par une distance trop grande , et qu'ils étaient restés 
trop de temps sans communications et sans correspon- 
dances avec leurs compatriotes. Enfin , quoiqu'on soit 
redevable de la divulgation et de la diffusion de l'art 
d*écrire aux Phéniciens , le mérite de cette découverte 
n'en revient pas moins de droit aux Egyptiens de qui 
les Phéniciens en avaient appris les éléments. 

L'antiquité de l'inscription des Tables Eugubines, que 
l'on fait remonter à une époque antérieure à la guerre de 
Troie , ne peut être contestée avec quelqu'apparence de 
raison. Cette inscription est entièrement écrite de droite 
à gauche au lieu de l'être en boustrophedon. Le boustro- 
phedon consistait à aller d'abord de droite à gauche pour 
revenir ensuite de gauche à droite, ce qui fut une tran- 
sition entre la première manière d'écrire chez les Grecs 
et la méthode qu'ils adoptèrent ensuite définitivement, 
méthode usitée encore dans tout l'occident. Du reste, in- 
décis apparemment s'ils devaient adopter l'usage d'écrire 
de gauche à droite ou conserver leur méthode de droite 
à gauche, qu'ils avaient empruntée des Phéniciens, les 



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LAKGUB PÉLàSGIQUI OU ÉTIUSQUE. 47 

Grecs , pour tout amciliw , se mirent à écrire en même 
temps de Tune et de l'autre manière. Après avoir écrit 
une première ligne de droite à gauche ils formaient la se- ' 
conde ligne de gauche k droite et continuaient ainsi alter- 
nativement de ligne en ligne , imitant par là les sillons 
d'un champ labouré par des bœufs. Cest ce qu'exprime 
parfaitement le mot boustrophedon. Par conséquent le 
genre d'émture de l'inscription Ëugubine d^ote une 
antiquité plus reculée que la plus ancienne inscription 
grecque, cdtte de Sigée^ publiée Tan 1727 par le savant 
ChishuUy puisqctô la première va constamment de droite 
à gauche , tandis que la seconde va et revient en bous- 
trophedon. Qu'en conclure? Sinon que la méthode du 
boustr(q)hedon n'était pas encore connue ou inventée en 
Grèce, lorsqu'Evandre (?) apporta l'écriture en Italie. 
Mais, Evandre étant pélasge et les Pélasges ayant été 
les civilisateurs de l'Italie , il faut bien admettre que ce 
fut à ses concitoyens qu'il enseigna tout d'abord l'art 
d'écrire, et que , des diverses populations italiennes , les 
Pélasges furent les premiers à en faire usage. 

Il nous semble enfin qu'avant de se prononcer si promp- 
tement sur cette question , il eut été convenable d'exa- 
miner avec soin en quelle langue cette inscription était 
conçue et de ne pas affirmer à la légère que les Tables 
Eugubines sont ombriennes. 



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48 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

Gr&ce aux quelques motsosques, ombriens et sabelles 
conservés par les anciens auteurs , nous avons déjà pu 
établir que Tidiome de ces tribus , représenté aujourd'hui 
par l'erse , n'offre aucun point de ressemblance avec le 
pélasge. Or , comme le pélasge n'est pas autre ôhose que 
l'ancien grec , si cette inscription était en ombrien , ce ne 
serait point dans le grec qu'il faudrait aller en chercher 
l'explication, mais bien dans l'erse, ou dans un des 
idiomes du pays de Chanaan. Sinon , il faudrait avouer, 
à défaut de termes de comparaison , que cette ins- 
cription est intraduisible et que la langue en laquelle elle 
est conçue a totalement disparu , sans laisser aucune 
trace de son passage dans les idiomes survivants. Ce 
travail a été entrepris et n'a point produit de résultats 
satisfaisants. 

Il y a une dizaine d'années environ , la Civiltâ cattolica 
publia quelques articles du P. Tarquini , traitant de l'in- 
terprétation des inscriptions étrusques et notamment des 
Tables Eugubines. Ce savant religieux avait cru trouver 
la clé de l'idiome étrusque , en mettant à la place des 
lettres de forme grecque ou phénicienne de l'étrusque 
les lettres correspondantes de l'hébreu, ou plutôt, de 
l'araméen. Par ce procédé, il avait réussi à trouver un 
sens plausible à trois ou quatre inscriptions. Mais son 
système n'a pas fait fortune, personne du moins ne l'a 



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LANGUE PÉLAS6IQUB OU ÉTRUSQUE. 49 

adopté , et le P. Tarquinî lui-même a renoncé à sa dé- 
couverte. Si ce système eut été vrai pourtant , de com- 
bien d'interprétations des inscriptions étrusques ne se- 
rions-nous pas encombrés aujourd'hui? 

L'explication de ces tables par le moyen de l'erse est 
tout aussi impossible. II suit de là que , puisqu'on ne 
peut les traduire ni par l'hébreu , ni par l'araméen , ni 
par l'erse, il n'y a plus moyen de persister à croire 
qu'elles soient écrites en langue ombrienne. 

Le savant Gorius , appliquant au contraire le grec aux 
mots de cette inscription , est non-seulement parvenu à 
en donner une explication très-satisfaisante , mais encore 
il a pu démontrer l'extrême affinité qui existe entre le 
pélasge et le grec, ce qui prouve victorieusement que 
l'un provient de l'autre , sans qu'il soit possible d'en 
douter. 

On lit donc dans les Prolégomènes du Tome I^^ du 
Muséum Hetruscum, d'Antoine François Gorius. « Eu- 
» gubii, sive, ut veteres dixere, Iguvii, Umbrorum 
» urbe nobilissima, anno CID. CCCC XLIV, prope the- 
»atrum, in subterranea quadam concameratione, hae 
» tabulée insignes inventée sunt. Statim ac fama hujus 
» praeclari inventi increbuit , atque inscriptiones inno- 
» tuere, mirum quantum in illustranda Etruscorum 
» prisca lingua desudarint illustres ingenio et linguarum 



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50 LA YiRITË SUR LÀ LANGUE d'O. 

» scientia viri : quot alphabeta in lucem prodîerînt : quoi 
» etiam adhuc ubique latitent , praesertim vero in floren- 
» tînis bibliothecis , quae vidi. Per annos ducentos et oc- 
» toginta ab eo tempore, quo inventœ sunt haa tabulae 
» Eugubinee, qua concinnandis alphabetis, qua osten- 
» denda Etruscae linguae origine desudatum est : Aliis ex 
» syriaco, etutvolebant, AramaBo; aliis ex Hebraicosive 
» Assyrie; aliis ex Phœnicio saltem et Punico, ângulis pro 
» lubito, quod videbatur vocum Etruscarum elymon de- 
» ducentibus ac proponentibus, irrite labore ; nam quo- 
» modo legendi essent Characteres et inscriptiones, quod 
» erat faciendum nundum nemo monstraverat, etc. » 

Parlant des motifs qui poussèrent les Pélasges à ériger 
ce monument, le même auteur écrit (id, itrid ) : — » Nar- 
» rat DionysiusHalicarnensis, exauctoritateMyrsiliLes- 
» bii , veteres Pelasgos, ac proinde etiam Etruscos , qui 
» Italiam occuparunt , junctique et simul intermixti fuere 
» duabus ferme œtatibus ante Trojanum belhim, adverse 
» numine, sive deorum ira ita vexatos, ut maximam 
» perpessi sint calamitatem, etc. » 

Voici maintenant in extenso le texte même des Tables 
Eugubines, id qu'on le voit dans le Muséum Hetruscum 
de Gorius (sauf que nous le transcrivons en caractères 
modernes et que nous le faisous suivre de la savante 
interprétation qu'il 6n donne ) : 



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LAUGUB PÉLlSGIQUB OU ÉTRUSQUE. SI 

OETHItJM 
Carminis lamentabllis Etraseomiii antiquoram. 

4 . Esvnv : fvia : Ihertber : svme : 

2. Vstite : scst : entasiarv : 

3. Vrnassiarv : thvnt : ak : vvke : prvmv : pelatv : 

4. Invk : vthtvi'v : vrtes : evntis : 

5. Frater : vstentvta : pvre : 

6. Fratrv : mersvs : fvst : 

7. Kvmnakle : invk : vthtvr : vapere : ^ 

8. Kvmnakle : sistv : sakre : vvem : vthtvr : 

9. Teitv : pvn tes : terkantvr : invmek : sakre : 
40. Vvem : vrtas : pvntes : fratrvm : vpetvta : 
W. Invmek : via : mers : vva : arvamen : etvta : 
42. Erak : pir : persklv : vretv : sakre : vvem ; 
13. Kletra : fertvta : aitvta : arven : kletram : 

U. Amparitv : ervk : esvnv : fvtv : kletre : tvpiak : 
15. Prvmvm : antentv : invk : vthtvera : ententv : 
<6. Invk : kavi : ferime : antentv : isvnt : ferethtrv : 
n. Antentv : isvnt : sv : feraklv : antentv : seples : 

18. Athesnes : tris : kavi : astintv : ferethtrv : êtres : tris: 

19. Athesnes : astintv : sv : feraklv : tvves : athesnes : 

20. Anstintv: inenek: vvkvmen: esvnvmen : etv : ap: 

21 . Vvkv : kvkethes : iepi: persklvmar: karitv: vvke: pin 

22. Ase : antentv : sakre : sevakne : vpetv : ivvepatre : 



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58 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

23. Prvmv : ampentv : testrv : seseasa : fratrvsper : 

24. Atiteries : athtisper : eikyasatis : tvtape : iiwina : 

25. Trefiper : iiwina : tivlv : sevakni : teitv : 

26. Invmek : vvem : sevakni : vpetv : pvemvne : 

27. Pvprike : apentv : tivlv : sevakni : naratv : 

28. Ivka : mersvva ; vvikvm : thafetv : fratrvspe : 

29. Atiierie : athtisper : eikvasatis : tvtaper : 

30. livvina : trefiper : iivvina : sakre : 

31. Vatra : ferine : feitv : ervkv : arvvia : feitv : wero: 

32. Peraem : pelsanv : feitv : ererek : tvva : tefra : 

33. Spantimar : prvsekatv ; erek : pervme : pvrtvvitv: 
^4. Svrvvla: ariveitv: mvmek:etrama:spanti:twa:tefra: 

35. Prvsekatv : erek : erelvma : pvemvne : pvprike : 

Interpretatlo. 

Estote filii percussi simul. Incendite nunc impositas 
urnas odoramentorum , remedium , fuga ( exi itii ) ex- 
tremi late diffusi. Pandite guttur viri , qui adestis ; a 
fratre ostensus ignis fratribus , sparsus fuit. Pueri, pan- 
dite guttur valide. Puerae, adstantes sacrisc, lamate gut- 
ture. Matres omnes , ter cantu ( majore ) ululate ( in ) sa- 
cris. Clamate virœ omnes , fratrum inauspicata. Ululate 
fîliae , dissipata clamantes , arva eversa. Desolatum far 
(nimiâ) ariditate, uredine sacrum; clamate. Speciosi 



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LANGUE PÉLàSGIQUE OU ÉTRUSQUE. 53 

proventus desiderati in arvis , speciosa camporum vas- 

tata sunt ; fœtus speciosi , duplo malo extremo , subversi 

(sunt). Qamate gutturibus; eversi sunt. Clamate: 

exustione optima subversa sunt: proventus subversi 

sunt : arbores feraces subversœ sunt plus. Annos très 

exustione extineti , proventus alterati très annos : 

extinctœ arbores feraces fumantes ( per ) annos. Ex- 

tinctee , ululatae , fugatae sunt tempore ab ( illo ) . Fugerunt 

fructus annui pingues; persicata (sunt) dona; fugîtfar; 

arse eversœ (sunt) sacrœ; tua necessaria, summe 

lovis pater. Calamitatem avorte : dexter tua serva : 

fratres per sacerdotes, per patres adparentes , per 

totam juventutem , per alumnam juventam. Produc tua 

necessaria , alimenta : ululate : clamate : tua neces- 

saria. Summe pastor , publice depulsor , produc tuam 

necessariam , nardum. Heu I dispersum officium vide 

per fratres sacerdotes , per patres adparentes , per totam 

juventutem , per alumnam juventam sacram. Vivifica 

armentorum fœtus ; desolatos arvorum fœtus. Clamate : 

Àdspira, matura fœtus. Consolida tuos pauperes penurià 

laborantes. Intuere, solida, profer frumenti copiam. 

Sirium subtrahe ab fœtibus. Epulasofferemustrementes, 

omnes tuos pauperes. Intuere: Avorte, avorte luem, 

pastor publice. 

A la suite de sa traduction , Gorius , prenant en parti- 



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54 LA yfiRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

cuMer cha un des termes composant FmsCTÎption Eugu-^ 
bine , prouve manifestement qu'ils se retrouvent «i grec 
avec une signification absolument identique. Cela ne sau- 
rait surprendre. Le fonds même de la langue grecque 
est en effet le pélasge , sur lequd se sont successivem^it 
> entés quelques termes ph^ciens et égyptiens , sans que 
ces deux derniers idiomes ai^t exercé sur le pélasge une 
réelle influence. 

Le phénicien , idiome sémitique , par conséquent 
d'ordre analytique et privé de flexions, se borna à intro- 
duire dans le pélasge quelques mots usuels et renq)loi de 
l'article. Quant à l'égyptien , son r^e ici fut encore de 
mmndre importance et tout-à-fait insignifiant. 

Selcm nous, on ne saurait trouver dans le grec, en 
admettant qu'il en existe^ un nombre de termes égyp- 
tiens suffisant pour justifier l'idée que cette langue ait 
eu une action directe sur l'idiome des Pélasges-Grtecs. 
Au contraire, il est facile de retrouver une certaine 
quantité de mots phéniciens dans le latin et dans le grec, 
c'estrà-dire dans les deux plus grands dialectes de la 
langue pélasgique. 

Le Phénicien , s'il s'écarte radicalement de l'hébreu 
par son vocabulaire (quoique cependant on ne puisse 
nier qu'il y ait dans ces deux idiomes un assez grand 
nombre de mots qui ont dû avoir une racine commune) 



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LANGUE PfiLASGIQIJB 00 ÊTRU8QUB. 55 

s'y rattache du moins par son génîo , qui est d'ordre ana- 
lytique et qui procède de la même feçon que celui de 
l'hébreu. 

L'égyptien suit la même marche , mais plus strictement 
encore. Â part ces points de contact , plus rien de com- 
mun entre l'égyptien et l'hébreu. Mais la dissemblance 
est complète entre l'hébreu et le pélasge ou h grec. 

Nous ne saurions donner de ce demir fait une meiU^u^e 
preuve que de citer le comm^cement du Psaume XLV , 
un de ceux qui ont été écrits dans Pantique langue des 
Pharaons ; 

« '— Dieu est notre refuge et notre force ; c'est lui qui 
» nous assiste dans les grandes afflictions qui nous ont 
» enveloppés. 

» Cest pourquoi nous ne serons point saisis de crainte 
» quand la terre serait renversée et que les montagnes 
» seraient transportées dans le fcmd de la mer. 

» Ses eaux ont fait un grand bruit et ont été toutes 
» agitées : les montagnes ont été renversées par sa puis- 
» sance. etc. , etc. , » 

Gela se dit en hébreu : 

Elohim lanou makhase vaix ezrah betsaroth nimtBa 
meid: 

Air-Ken lo-nira behamir arets oubemot hariim bekb 
jamaim : 



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56 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

Jehaimoujekhmerou maimaiou iraschat^harimbeya- 
vatho selah : 

En Cophte ou égyptien. 
Pen nou tpepen mam psoinem tendom 
Pen voUhospe schennen thlupsise taujem tenemasçô 
Ethve psainenerhot [t] esço pafsçansçthor temjepkahe 

En Grec ( version des septante ) : 
O 0àoç y)(jicûv xaraçuyYf xai ^uvajjtiç, BoyjÔoç èv 

Awc TouTO ou çoPy)6Yi(yo(jie6a èv t<j) Tapaççeçôat t^ç 
y^ç , xat (jieTaTlôeaôat opvi ev xap^iaiç ôaXadGwv. 

Hj^Yidov xat iTapaj^yxTOV Totu^ara âuTou, êxapà x^^^^ 
rà op» ev t^ xpaTatonfiTi âurou. 

Ainsi peu de ressemblance entre Fégyptien et Thébreu ; 
aucune ressemblance entre Tégyptien et le grec. 

Il est aujourd'hui reconnu que le grec est un des 
principaux rameaux du tronc pélasgique. Le savant tra- 
ducteur des Tables Eugubines en ignore moins que per- 
sonne, lui qui donne les Âusones, les Arcadiens, les 
Pélasges et les Etrusques y comme des colonies grecques. 
Cependant il nous apprend que chez les Grecs on doutait 
de cette origine pélasgique , tout en admettant qu'on de- 
vait à cet idiome un grand nombre de mots. « — Plato 
» ingénue fatetur in Cratyh^ écrit Gorius, {ProUg. Mu- 
séum Hetr.) « Grœcos complurima nomina a barbaris ac- 



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LANGUE PÉLÀ86IQUB OU ÉTRUSQUE. 57 

» cepisse. Pro barbaris habiti sunt a Grsecis Pelasgi et 
» Etrasci.Pausaniasbarbanim nominal Ariinnum^Etru»- 
» coram regem , qui omnium primus lovi oiympio insigne 
D solium dono misit; Phryges quoque habiti in sensu bar- 
» bararum gentium; èos tamen vetustissimo sermone 
» utentes j multa vocabula Grœcis simillima y ac pœne 
» eadem, habuisse ostendit idem Piato in Cratylo. » 

L'histoire nous apprend que la Grèce était habitée par 
des peuples de races diverses. Les Thébaîns j par exem- 
ple , étaient venus de Phénicie et les Athéniens d'Egypte. 
Hais le langage que ces étrangers apportèrent de leur pa- 
trie primitive ne put point prévaloir , du moment qu'on 
n'en trouve que d'imperceptibles traces dans l'idiome hel- 
lénique. D'autre part , les philosophes et les historiens 
grecs , tout en nous apprenant que l'Egypte était l'école 
où ils allaient se perfectionner par l'étude des hautes 
sciences , ne nous disent pas que la langue de ce pays eût 
quelque chose de commun avec la leur. Ils nous appren- 
nent, au contraire, qu'ils avaient besoin d'interprètes. 

On ne saurait certes être surpris que , dès les premiers 
temps de leur établissement en Grèce, les Phéniciens et 
les Egyptiens traitassent les Pélasges de barbares , com- 
paraison faite surtout entre leur civilisation et l'état de 
barbaine relative des tribus pélasgiques. Mais nous avons 
à bon droit lieu de nous étonner quand nous voyons Pla« 



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58 LA YÉRITfi SUR LA LANGUE d'O. 



ton écrire que les Grecs avaient reçu beaucoup de termes 
des barbares, c*est-à-dire des Pélasges. 

Quelle langue parlaient donc les Grecs , s'ils ne parlaient 
point le pélasge? Ce n'était à coup sur ni le phénicien ni 
l'égyptien, puisqu'il est matériellement impossible d'ex- 
pliquer par le grec les quelques inscriptions qui ont été 
découvertes écrites dans l'une ou dans l'autre de ces der- 
nières langues. On peut s'assurer de la véracité de notre 
assertion en ce qui concerne l'égyptien , au moyen de la 
fameuse perre de Damiette où l'inscription égyptienne , 
^rite en caractères hiéroglyphiques et démotiques , est 
traduite en grec. Que l'on mette en parallèle les divers 
vocable des deux idiomes, et l'on jugera si nous avons 
tort. Quant au phénicien , on peut essayer de traduire 
par le grec le Monologue d'Hannon , on verra quel en 
sera le résultat. 

Résumons nous : 

D'une part , à l'époque dont nous parlons , il n'y avait 
en Grèce que trois peuples seulement , d'origine diverse 
les Pélasges , les Phéniciens et les Egyptiens. 

D'autre part le grec n'a eu que peu de rapport avec 
les idiomes de ces deux derniers peuples , tandis qu'il y 
a une ressemblance absolue entre lui et le pélasge , comme 
le prouve si bien Gorius , non-seulement en traduisant 
les Tables Eugubines au moyen du grec^ mais encore en 



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LAl^aUB PÉLASGIQUB OU AntUSQ^E. 59 

établissant jusqu'à Tévidence que les mots grecs qui ont 
servi à sa traduction dérivent des mots contenus dans 
ces Tables. 

Ces prémisses posées, nous pouvons conclure que le 
grec n'est point autre chose que le péiasge lui-même ou 
un dialecte du péiasge. 

Nous eussions bien voulu mettre sous les yeux du 
lecteur les étymologies données par le savant auteur 
du Muséum Hetruscumy d'après lesquelles il démontre 
que esvnv se retrouve dans iao^Loa (eifjii) , fvia , dans 
vto; , therther j dans Teipo , etc. , etc. ; mais , outre que 
cela aurait beaucoup trop allongé notre travail , nous, 
avons pensé que ceux à qui cette étude pourrait paraître 
intéressante trouveraient facilement à se satisfaire en 
consultant le Muséum Hétruscum lui-même. 

Nous n'avons d'ailleurs cité tout au long l'inscription 
pélasgique des Tables Eugubines que pour montrer que 
le génie de cette langue était transposatif comme celui 
du grec et du latin , auxquels eUe a donné naissance , et 
qu'on y peut découvrir sans trop de peine l'usage de la 
flexion. Quoique la conjugaison des verbes y soit encore 
à l'état rudimentaire , on y distingue parfaitement les dé- 
sinences. EnGn , dernier détail fort caractéristique , la 
voyelle y manque complètement. Déjà, les auteurs an- 
dens avaient constaté que l'alphabet étrusque ne possé- 



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60 Là yérité sur Là Langue d'o. 

dait point celte lettre- voyelle , Hetrusci carent 0. Cette 
particularité seule pourrait suffire en Tabsence d'autres 
preuves, à nous montrer Fétroite parenté qui existait 
entre les Pélasges et les Etrusques , parenté que nous ne 
saurions mieux comparer qu'à celle qui unit aujourd'hui 
les Bavarois aux Allemands. 

Un certain nombre d'érudits , entr'autres Freret et le 
(jénéral de Vaudoncourt, ont voulu voir dans les Etrus- 
ques, non des Pélasges, mais des Celtes. 

Nieburh, Otfried Muller et Funcius prétendent que 
les Etrusques étaient d'origine germanique et les font 
venir de la Germanie. 

Loin départager l'un ou l'autre de ces sentiments, 
nous les avons combattus plus haut avec le secours de 
l'histoire; nous allons les combattre encore avec l'aide 
de la linguistique. 

Parmi toutes les inscriptions en langue étrusque 
découvertes jusqu'à ce jour, la moins ancienne est, 
croyons-nous, l'inscription que Ton voit gravée sur un 
mur à Pompéi. Deux motifs nous ont engagea lui donner 
la préférence sur toutes les autres : sa brièveté et sa date 
récente. Le premier motif est facile à comprendre. Le 
second motif mérite une explication. La voici : 

Pompéi a été enseveli sous la cendre , par l'éruption 
du Vésuve, l'an 79 de notre ère» Or^ l'inscription dont 



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LANGUE PÉLASGIQUE OU ÉTRUSQUE. 61 

il s'agit et qui n'est qu'une indication , un avis , une 
enseigne si l'on veut, nous prouve indiscutablement 
qu'en l'année 79 de Jésus-Christ il y avait des Etrusques 
à Pompéi , que ces Etrusques parlaient leur langue na- 
tionale et que cette langue était à cette époque fort ré- 
pandue en Italie. Mais de ce £adt que l'étrusque était parlé, 
non-seulement dans une des plus grandes provinces 
italiennes, mais encore aux portes de Rome et, s'il faut 
en croire les historiens , dans Rome même , il en résulte 
forcément que cette langue ne pouvait être inconnue des 
Romains. 

Cela ne pouvait être et cela n'a pas été. 

Nous avons dit, en effet , dans l'étude historique con- 
sacrée auxRathena, que quelques auteurs latins n'hési- 
taient point à regarder les Lepontii et les Camuni 
comme étant de race étrusque, se fondant sur la 
similitude de langage de ces tribus, similitude encore 
reconnaissable de leur temps. Horace (LivIII, ode 8, 
y. 5) appelle Mécène : Docte sermones utritisque linguŒj 
savant dans Vune et Vautre langue. Les savants ont 
prétendu qu'Horace voulait signifier par là que Mécène 
était aussi versé dans la langue grecque que dans la 
langue romaine. Cette explication ne nous semble 
guère vraisemblable, surtout si Ton se souvient que le 
môme poète dit ce de personnage (Liv. HI, ode 29): 
II i 



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62 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Thyrrhena regum progenies. Donc , c'est des langues 
latine et étrusque qu'Horace entendait parler , car il 
n'est point supposable que le descendant des rois étrus- 
ques , alors que son idiome était encore en vigueur dans 
une grande partie de l'Italie , et qui devait sans nul 
doute être le patron de ses compatriotes, par droit de 
naissance et par sa haute position sociale, n'ait point su 
parler sa langue maternelle qui , tout l'indique , posséda 
une brillante littérature quoique nous n'ayons aujour- 
d'hui de ce vieil idiome que de rares fragments. 

A cette même époque, le gaulois, lui aussi était 
connu des Romains. Outre qu'il était en usage dans tout 
le nord de l'Italie, auprès de Rome, dans Rome même , 
il avait fourni au latin une si considérable quantité de 
vocables qu'il en avait pour ainsi dire , comme nous 
espérons bientôt le prouver, modifié, changé plutôt la 
physionomie primitive. 

Il serait donc vraiment surprenant que les Romains , 
qui ont remarqué la proche parenté de deux peuplades 
des Alpes rhétiques avec les Toscans, grâce à leur 
langage commun , n'eussent point remarqué la grande 
analogie qui aurait dû exister entre les idiomes étrus- 
ques et gaulois , si les Etrusques avaient fait partie de la 
nation celtique. Il est incontestable pour nous que l'ana- 
logie « le cas échéant, n'eut point échappé aux Romains. 



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LANGUE PËLÀSGIQUE OU ÉTRUSQUE. 63 

Aussi bien , du profond silence qu'ils ont gardé à ce 
sujet, nous pouvons tirer cette conclusion : 

Le gaulois etFétrusque étaient deux idiomes différents, 
nettement séparés , sans aucune analogie entr'eux, et 
parlés par deux peuples de race distincte. 

Arrivons à l'inscription ou enseigne en langue étrus- 
que qui se lit dans les ruines de Pompéi. 

« Eksvk' amvianvr' eitvns* anter* tivrri* XII* ini* 
heis* arinv pvph* phaamat* mr* aaririis* v » 

On traduit cette inscription en ces termes : « Voya- 
geur , en allant d'ici à la 1 2® tour , tu trouveras Arinus , 
fils de Publius, qlii tient auberge. Salut. » 

La première remarque à faire sur cette inscription 
c'est que , comme dans les Tables Eugubines , la lettre 
y fait totalement défaut. Quoiqu'un laps de temps d'en- 
viron mille ou onze cents ans se soit écoulé entre la 
gravure respective de ces deux inscriptions en une 
même langue , les fbrmes grammaticales sont demeurées 
aussi frustes , aussi rudimentaires dans la seconde que 
dans la première. Les déclinaisons et les conjugaisons 
n'ont subi aucun changement , n'ont reçu aucune amé- 
lioration. Dans toutes les deux, la voyelle finale V est 
indifférenmient la marque de l'accusatif et du datif ou 
ablatif. En effet si on trouve dans les Tables : « invk 
vthtvrv, dilatate guttur , et vstite entdsiarv vma- 



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64 



LA TÉRITÊ SUR LA LANGUE D'O. 



siarv, incendite impositas umaSy » dans Tinscription de 
Pompéi on voit Arinv pour Arinum. Néanmoins il est 
facile de s'apercevoir que cette dernière inscription se 
rapproche beaucoup plus du latin que la première. 
Ainsi dans eksuk, on retrouve aisément ex htic. 
dans amvianvr, on peut deviner Viator, 

dans eitvm on voit l'antique forme 

euns, qui devient iem 

et qui fait encore au génitif, euntis. 

anter 

tivrri, 

ini heis, 

Arinv ^ 

Pvph, 

phaamat, 

mr, 

aaririis. 

F, est l'abj 

Comme le mot latin viator, le mot étrusque amvianv r 
est un mot composé. Mais, tandis qu'en latin viator se 
compose du substantif via,* voie, chemin, et de la ter- 
minaison tor, qui, n'ayant par elle-même aucune 
signification, est uniquement employée à désigner une 
qualité, une profession , un état ou une manière d'être , 
le mot amnianvr est composé de am, dans, de via , 



correspond à 


ante. 


à 


turrim. 


a 


invenies. 


à 


Arinum. 


à 


PubUi. 


à 


filium. 


à 


magister. 


à 


ararum. 


éviatifde 


Vak. 



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LÀlfGUB PËLàSGIQUB OU ÉTRUSQUE. 65 

chemin, et de vr, vrt, ou vrte homme, et signifie litté- 
ralement homme dans le chemin, c'est-à-dire qui est ou 
se trouve en chemin, 

Eitvns se retrouve avec la même signification et les 
mêmes lettres, quoique quelques unes soient transpo- 
sées y dans le mot evntis des Tables Eugubines. Gorius 
a traduit vrtes evntis par viri adstantes. Mais ce verbe 
indique aussi une autre action et se peut traduire sans 
difficulté par advenientes ou adeuntes ou euntes. 

Phaamat, traduit par filium, est représenté par des 
dérivés dans les deux idiomes grec et latin. Il est à peu 
près certain que le verbe pélasge phaam ou pham a 
donné naissance au verbe grec phemi et au verbe 1 atin 
fano, qui tous signifient je parfe , parler. C'est en effet 
de fanoqae dérive le mot de in fans, qui exprime un 
tout petit enfant, un enfant qui ne parle pas (non 
fans). 

Les mots : mr aaririis, semblent vouloir dire toute 
autre chose que ce qu'on leur fait signifier. On les tra- 
duit, par qui tient auberge. Mais le sens littéral de ces 
mots semble correspondre à maître, ou plutôt à profes- 
seur des autels. Ce qui est bien différent. Un hôtelier se 
disait en latin stabularius ou Caupo. Or, pour rendre 
cette phrase qui tient auberge, on aurait dû produire 
en Etrusque quelque chose d'analogue à la formule latine 

4. 



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66 LÀ YfiRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

eauponam faciens qui servait à rendre cette idée. Pour- 
tant, il ne faut point oublier qu'en latin magister ne 
désignait pas seulement un professeur^ un maître pour 
enseigner, mais encore un homme habile en son art 
quel qu'il fut, un homme adroit, e(vpérimenté. 

Quant au mot aaririis, qui ne se peut traduire en 
latin que par ara (lequd en provient visiblement et 
dont le type primitif ase, pour are, à cause de la fré- 
quente permutation de VR en S dans ïa langue antique 
des Italiens, se retrouve au milieu des Tables Eugubi- 
nes) , ce mot devait posséder dans l'étrusque, comme 
sens principal, un des sens accessoires que les Romains 
attachaient au mot ara. En effet, le terme ara ne servait 
pas en latin à désigner seulement un autel, mais aussi 
un asile, un refuge, un lieu de sûreté , et, par extension , 
une auberge, ainsi qu'on en trouve la preuve dans 
Cicéron, qui parfois emploie ce mot dans ces derniers 
sens. Il n'est donc pas surprenant que l'aubergiste étrus- 
que, dressant une enseigne pour ceux de son pays et de 
sa langue , se soit servi de la formule usitée parmi les 
siens, au lieu d'en profaner l'antiquité et d'en violer 
l'usage, en essayant de traduire en étrusque la formule 
latine. 

Ainsi la linguistique, d'accord avec l'histoire , démon- 
tre que les Etrusques appartenaient à la nation pélasgi- 



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LANGUE PÉLASGIQUB OU ÉTRUSQUE. 67 

que, au même titre que les premiers habitants de 
l'Hellade. Mais , comme nous avons aussi rangé dans la 
catégorie des peuples d'origine pélasgique les Troyens 
ou Phrygiens, il est opportun de dire un mot de la 
langue troyenne ou phrygienne. 



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CHAPITRE TROISIÈME. 



LANGUE TROTENNE OU PHRYGIENNE. 



Nous empruntons à rEncyclopédie de 4767 (article 
Grecs ) le passage suivant du chevalier de Jaucourt. 

— « II semble que le nom de Pélasges , regardé par 
» quelques anciens et par les modernes comtne celui 
» d'un peuple d'Arcadie qu'ils font successivement errer 
» dans les îles de la mer Egée , sur les côtes de l'Asie 
» mineure, et sur celles de l'Italie, pourrait bien être 
» le nom général des premiers Grecs avant la fondation 



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70 LA YËRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

» des cités ; nonci que les habitants de chaque contrée 
» quittèrent à mesure qu'ils se policërent , et qui disparut 
» enfin quand ils furent civilisés. 

« Suivant ce système les anciens habitants delà Lydie, 
» de la Carie et de la Mysie , les Phrygiens , les Pisidiens, 
» les Arméniens , en un mot presque tous les peuples de 
» l'Asie mineure , formaient dans l'origine une même 
» nation avec les Pélasges ou Grecs européens : ce qui 
» fortifierait cette conjecture, c'est que la langue de 
» toutes ces nations asiatiques , la même malgré les 
» différences qui caractérisaient les dialetes , avait 
» beaucoup de rapport pour le fond avec celle des Grecs 
» d'Europe, comme le montrent les noms grecs donnés 
» dans riliade aux Troyens et à leurs alliés , et les en- 
» tretiens que les chefs ont sans interprètes ; peut-être 
» aussi que la nation grecque n'eût point de nom qui la 
» désignât collectivement. » 

Le chevalier de Jaucourt insinue que la cause de la 
disparition du nom de Pélasges doit être exclusivement 
attribuée aux progrès de la civilisation chez les diverses 
peuplades qui composaient la nation pélasgîque. Nous 
ne partageons pas cette manière de voir. 

Nous croyons , au contraire , que la disparition du 
nom de pélasges provient uniquement de ce que chaque 
tribu de race pélasgique se différencia de ses congénè- 



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LANGUE TROTENNB OC PHRT6IBNNB. 71 

res , en s*en séparant , par un nom particulier et en se 
constituant définitivement en état distinct dans les pays 
où les descendants des Pélasges vivent encore. Il en ré- 
sulta que chaque tribu eut une dénomination particu- 
lière et que ses diverses dénominations prirent la place 
du nom générique de la nation. Ce nom se perdit ainsi 
par la force des choses. Les diverses tribus pélasgiques 
qui ne formaient dans Forigine qu'un seul corps de na- 
tion , devinrent dans la suite des temps étrangères 
Tune à Vautre et chacune d'elles forma une nation dis- 
tincte , nettement séparée. Quant à Thypothèse , du 
chevalier de Jaucourt, que les Phrygiens et les Grecs 
pouvaient bien n'être que deux branches d'un même 
arbre , deux tribus d'un même peuple, elle est devenue 
aujourd'hui une incontestable vérité. Vérité , du reste , 
connue des anciens , puisque Platon , dans son Cratyle, 
atteste formellement la similitude du langage des deux 
peuples. 

Virgile est encore plus explicite, relativement à 
l'affinité existante entre les Phrygiens et les Grecs. Non 
seulement il accorde aux deux peuples une commune 
origine , comme on peut le voir dans f Enéide ( liv. I , 
V. 625 , VIII , V. 127 , etc., etc.) ; mais il affirme encore 
en ces termes l'origine pélasgique des Grecs. ( Même 
ouvrage ; liv. VIII , v. 899): 



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78 LA yfiRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

Sylvano fama est veteres sacrasse Pelasgos 
Arvorum pecorisque deo , lucumque , diemque , • 

Qui primi fines aliquando habuere Latinos. 

Or j puisque les grecs et les Troyens appartenaient à la 
m ème nation , si les Grecs étaient Pélasges , les Troyens 
devaient l'être aussi. Cependant , malgré cette commu- 
nauté d'origine , cette unité de race si clairement formu- 
lée, Virgile semble insinuer que le langage des uns et 
des autres n'était pas le même : 

— Primi clypeos, mentitaque tela 

AgnoscuBt , atque ora sono discordia signant 
(EnHd. lAb.IIv. 446), 

Hais , à coup sûr, Virgile n'avait ici en vue qu'une de 
ces différences qui se remarquent d'ordinaire entre 
dialectes d'une même langue. Assez considérables pour 
distinguer ces dialectes entre eux et leur donner un 
cachet particulier , les différences dont nous parlons ne 
sont pas suffisantes pour ôter à ces mêmes dialectes tous 
leurs traits de similitude nationale et rendre td ou tel 
d'entre eux très-difficile à entendre aux gens qui usent 
d'un autre dialecte, de même origine. Ainsi, pour citer 
un exemple , il n'est point de langue qui ait possédé plus 
de dialectes nettement tranchés, que la langue Grecque. 
Qui cependant oserait soutenir que les peuples qui les 
parlaient aient cessé de s'entendre réciproquement ou 



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LANGUE TROTENNE OU PHATGlETmE. 73 

que cette diversité de dialectes ait porté quelque obsta- 
cle à la communication de leurs idées ? 

La parenté des Grecs et des Troyens , si clairement 
prouvée , n'implique-t-elle pas communauté de langage? 
Pourrait-on comprendre sans cela les incessants rap- 
ports qu'ils ont toT]yours eu et qui aboutirent à la guerre 
de Troie? 

La seule induction qu'on puisse tirer du dernier pas- 
sage de Virgile , c'est que j plus cultivée , plus travaiHée 
( grâce à l'introduction dans sa syntaxe et son vocabulaire 
de quelques éléments étrangers, tels que certaines lettres 
qui manquaient aux Pélasges , l'article , qui leur venait 
des Orientaux , etc., etc. ) , la langue grecque était déjà 
parvenue, de progrès en progrès , soit à varier , tout 
en les coordonnant , les terminaisons des mots , de façon 
à pouvoir exprimer tous les cas possibles; soit à 
différencier, toujours par le moyen de terminaisons 
variées , tous les temps des verbes ; soit à créer , suivant 
le besoin , des mots nouveaux pour des idées nouvelles , 
au moyen de l'agglutination qui est un des traits 
distinctifs de cet idiome; soit enfin à régler et à 
harmoniser l'emploi des termes dans le discours , non 
plus par des règles fixes ou un caprice arbitraire, mais 
par l'euphonie , ce à quoi le génie transpositif de la 
langue grecque se prêtait à merveille. Les Troyens , au 
II 5 



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74 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

t 

contraire , moins enclins à de tels soins , ou moins bien 
doués que les peuplades de la Grèce , libres peut-être 
de relations avec les étrangers , avaient conservé intact 
le rude et fruste parler de leurs pères , parler qui devait 
blesser les oreilles devenues plus délicates des Grecs , 
ora sono discordia , mais que ces derniers devaient 
cependant parfaitement comprendre. 

Malgré les différences de dialectes , il est patent que les 
Phrygiens et les Grecs parlaient la même langue y le 
pélasge. 

Nous avons vu , par les témoignages de Platon et de 
Virgile, que c'était chose avérée parmi les anciens que 
les Phrygiens avaient la même origine que les Etrusques 
et qu'ils en parlaient la langue. 

Donc , les Etrusques appartenaient à la nation pélas- 
gique : « Cum Phry gibus concordant Etruscitum inmo^ 
» ribus et sacris, tum etiam in vocibus. » 

On peut , par là même , conjecturer , avec raison , 
qu'il n'y avait en Italie, avant la fondation de Rome, 
que deux peuples et deux idiomes en présence . idiomes 
très-distincts, très-différents l'un de l'autre. L'un dq ces 
peuples , le premier arrivé dans le pays , était d'origine 
Chananéenne , parlait le phénicien ou du moins un 
dialecte de cette langue , et n'était connu que sous les 
noms particuliers de ses diverses tribus » faute d^avoir 



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LANGUE TROTENNE OU PHRTGIElfNB. 75 

un nom collectif. L'autre était de race pélasgique et 
parlait le pélasge. Il y lut d'abord connu sous son nom 
générique , et plus tard sous les dénominations diverses 
d'Etrusques, de Peucétiens, deTroyens et d'Albins. 

Cest d'un mâange partiel de ces deux peuples que 
sont issus les Romains. C'est des idiomes phénicien et 
pélasgique que s'est formé l'idiome latin. Il nous reste 
donc à examiner laquelle de ces deux langues a , dans 
une proportion plus grande , donné naissance à cette 
langue latine qui devait être parlée plus tard dans tout 
l'univers. 



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CHAPITRE QUATRIÈME, 



LANGUE LATINE OU ROMAINE. 



Beaucoup de personnes traitent de langue morte la 
langue latine ou romaine ; on devrait plutôt la ranger 
parmi les langues vivantes , puisque c'est la langue 
usuelle de l'église et des savants. Mais ceci nous entralne- 
nerait trop loin. Ne parlons du latin qu'au point de notre 
thèse générale. 

On pourrait , à la rigueur , réduire les idiomes 
usités en deux catégories : les idiomes simples. 



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78 LA YfiRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

et les idiomes composés. Les idiomes simpks seraient 
ceux qui ne procèdent que d'eux-mêmes ou que Ton ne 
peut sûrement rattacher à nul autre. Ainsi le basque , le 
chinois ^ le kanake. Les idiomes composés seraient ceux 
qui peuvent facilement être ramenés à un type primitif 
et qui ont ét^ manifestement provignés par un ou plu- 
sieurs autres idiomes , comme , par exemple , le grec , 
le latin , Tespagnol , le français , l'anglais. 

Or, quand on veut connaître sûrement Torigine d'une 
langue , il y a plusieurs choses à faire : 

4» Rediercher , au moyen de l'histoire , qu'elle est 
l'origine du peuple qui parle ou parlait cette langue. 

2*^ Examiner avec attention s'il y a ou non des traces 
non équivoques de parenté entre ce peuple et ses voisins; 
quelles ont été leurs relations mutuelles ; quelle en a été 
la nature ; quelle sorte d'influence ils ont exercée ou 
subie les uns sur les autres. 

3® Déterminer , par le secours de la linguistique , de 
quel ordre est le génie ou esprit de la langue en question. 

4® Dans le cas où l'on aurait à s'occuper d'une langue 
composée , comparer son génie à celui de la langue dont 
on la prétend issue , et , si l'on constate un accord par- 
fait entre les deux langues , faire immédiatement la 
preuve contraire en comparant l'idiome de nature com- 
posée avec les idiomes voisins ou les idiomes analogues. 



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LANGUI LATINE OC ROMAINE. 79 

^^ Enfin étudier avec le soin le plus scrupuleux le 
vocabulaire de la langue à Fétude , afin de discerner les 
termes qui lui appartiennent en propre d'avec les termes 
empruntés à d'autres langues. 

Pour q)érer ce triage d'une manière avantageuse , il 
faut employer trois moyens distincts qui concourent tous 
cependant au même but et amènent au même résultat : 
ce sont , la formation, Vétymohgie et la phonologie. 

Faisons usage du procédé dont nous parlons , 
pour savoir d'une façon certaine ce que nous devons 
penser définitivement du latin. 

Les deux premières questions sont ici hors de cause. 
La première partie historique de ce travail leur est 
entièrement consacrée. Inutile d'y revenir encore. 
Bornons-nous à la troisième question. 

Ce que nous savons de l'origine et de la formation du 
peuple romain , nous autorise à conclure que son idiome 
résulta du mélange des idiomes Pélasgique et Ombrien. 
Nous nous trouvons donc , du premier coup , en pré- 
sence d'un idiome composé. Or , pour connaître au juste 
lequel des deux , du pélasgique ou de l'ombrien , a pro- 
créé le latin , il nous faut le comparer attentivement 
avec chacun d'eux en particulier. Mais résumons rapi- 
dement d'abord les opinions émises sur la langue latine 
par quelques maîtres de la science. 



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80 LA TÉRITÉ SUR LA LÀNGUB D'O. 

D'après Denys d'Halicarnasse , le latin ne serait ni 
tout-à-fadt grec ni tout-à-fait barbare (4). 

BuIIet a essayé de démontrer que le latin était formé 
seulement de grec et de celtique. Il est vrai qu'il donne 
le nom de Celtes à tous les habitants de l'Italie , quelle 
que lut d'ailleurs leur dénomination. - 

Fréret , Amédée Thierry , le général de Vaudoncourt , 
Adélung, Mac Pherson, prétendent trouver dans le latin 
l'élément Celtique , et insinuent que cet élément a con- 
couru à sa formation. 

Le savant Niebuhr croit que le latin a été provigné 
par le pélasge. 

Funcius prétend prouver que le latin est originaire 
de la Germanie. 

M. Maury ne se contente point d'admettre comme fait 
indiscutable que le latin est un dialecte du pélasge ; il le 
rattache au sanscnt. 

» Enfin, l'opinion générale est qu'au nombre des idiomes 
ayant concouru à introduire dans le latin l'élément bar- 
bare, c'est-à-dire tout ce qui n'est point pélasge ou grec, 

(i) Gela ne nous apprend rien , car le mot de Barbare est bien va- 
gue. Les Grecs et les Romains l'appliquaient indistinctement à tout 
ce qui n*était pas eux. Peut-être cela veut-il dire qu*à côté des élé- 
ments qu'il reconnaissait comme grecs il y en avait d'autres qui lui 
étaient inconnus, (note tirée de M. Yaîsse). 



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LâHGUB L4TIlfB OU ROMÀHfB. 81 

se trcNiv^it les idiomes parlés en Italie , l'Ombrien, TOs- 
qoe , le Samnite. 

Notre avis , à nous , modeste chercheur dans les 
vastes domaines de la linguistique , est que le latin pro- 
vient primitivement du pélasge et qu'il a été mélangé 
d^Ombrien d'abord , de Celte ensuite, de Grec en dernier 
Uea. Par exemple l'alluvion grecque a été très-considé- 
rable. Quelques ternes d'autres langues s'y sont intro- 
duits certainement ; mais c'est à ces trois seuls idiomes 
qu'il doit la plus forte part des mots , étrangers au pé- 
lasge , qu'on trouve dans son vocabulaire. 

Ouvrons une parenthèse. Par ce mot de celtique , nous 
n'entendons point désigner le même idiome dont Fréret , 
Bullet , Mac-Pherson , A. Thierry , le Général de Vau- 
doncourt , Adélung se sont occupés. Notre celte n'a au- 
aine parenté aucune affinité avec le leur. 

Nous ferons plus loin connaître l'idiome que nous dési- 
gnons par la dénomination de celtique. 

Le Celtique de Fréret , de Bullet et d'Amédée Thierry 
ne serait représenté aujourd'hui , dans le concert des 
langues , que par le bas-breton. L'unique représentant 
du celtique serait , au contraire , de nos jours l'erse ou 
gaëlique suivant Adelung , Mac-Pherson et le Général de 
Vaudoncourt. Mais nous avons déjà démontré que les 
bas-bretons appartiennent à la nation Cimbrique et non 

5. 



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88 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Celtique et qu'ils parlent le kymrique etnon le Celle. Nous 
avons vu qu'ils étaient de même race que les Teutons 
ou Teutschs , et nous espérons bien prouver en son lieu 
que le Kymrique n'est qu'un dialecte de l'Allemand. Quant 
à l'erse ou gaëlicpie , nous avons pareillement démontré, 
dans nos études historiques, que ceux qui le parlent des- 
cendent des Ombriens et non des Celtes et que la véri- 
table origine des Ombriens est phénicienne ou Chana- 
néenne. C'est donc évidemment par suite d'un étrange 
abus de mots que l'on donne aux idiomes kymrique et 
erse un nom auquel ils n'ont aucun droit. 

Rétablissons les faits sous leur vrai jour et donnons à 
chaque idiome la dénomination qui lui appartient en 
propre. Il est avéré que l'ombrien a concouru à la créa- 
tion du latin. Qu'y a-t-il de surprenant à ce que Fon 
découvre tant d'analogie entre une foule de termes du 
latin archaïque et de l'erse , puisque l'erse et l'ombrien 
sont une seule et même langue. Seuls , les auteurs , qui 
attribuent à l'erse , par eux improprement désigné sous 
le nom de Celte , une certaine influence sur le latia , 
sont exactement dans le vrai. Mais s'il est indéniable que 
l'ombrien ou erse a joué un certain rôle dans la formation 
ou parturition du latin , ce rôle n'a été que secondaire. 

Aux deux éléments ombrien et celte , que nous venons 
de désigner comme ayant concouru à la procréation de 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 83 

la langue romaine concurreounent avec le pélasge , beau- 
coup d'auteurs ajoutent Félément grec. Cela se conçoit. 

U n'est point aujourd'hui de linguiste qui ne regarde 
le latin et le grec comme sortis d'une tige commune. 

Un grand nombre d'écrivains , voyant dans le latin et 
le grec des frères > vont jusqu'à attribuer au latin le titre 
d'aîné. 

Il est d'ailleurs incontestable que le grec a beaucoup 
contribué à adoucir la rudesse latine. 

Le grec a fourni au latin des maîtres et des modèles 
dans tous les genres ( poésie , éloquence , histoire , phi- 
losophie ) ce qui faisait dire à Erasme ( Epist. liv. X) 
Hoc unum expertm, video nullis in Utteris nos esse ali- 
quid sine grœcitate. 

C'est à l'aide du grec que le latin nous a dotés de tant 
d'oeuvres remarquables , à tel point qu'un auteur à pu 
écrire: 

« ôç (X.Y1 P(i>(x.awtorç 'E^^Yivwtà ypaj^piaTa ^euÇv), 
» où ^uvaTai ÇuvgToiï Toîvojiia âv^poç eyeiv. )) 

L'influence du grec sur le latin est incontestable. 

Mais le grec est tout simplement le pélasge , quoique 
modifié jusqu'à un certain point par l'adjonction d'élé- 
ments étrangers. C'est donc avec le grec que nous allons 
tout d'abord mettre le latin en parallèle. En procédant 



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84 LA YÉRITË SUR LA LANGUE d'o. 

ainsi , nous le comparerons , sinon au pélasge pur , du 
moins au plus brillant et au moins altéré des dialectes de 
l'idiome pélasgique. 

Le génie de la langue latine est non-seulement trans- 
positif , mais encore transpositif libre. En d'autres ter- 
mes , la place des mots dans le discours latin n'est as- 
sujettie à aucune règle. Et, soit qu'on arrange ces mots 
selon l'ordre dans lequel les idées surgissent , soit qu'on 
s'en écarte, on n'en saurait être blâmé, puisque cet ar- 
rangement dépend uniquement tantôt du choix ou du 
goût de celui qui parle, tantôt de l'impression qu'il veut 
produire sur l'esprit ou le cœur de ses auditeurs. De là 
naissent les constructions variées et les inversions har- 
dies qu'on trouve à chaque pas dans le latin. 

Ce même caractère se retrouve aussi dans le grec et 
même, d'après les gens compétents, à un degré plus 
grand de richesse et d'harmonie. 

La langue latine est franche, ayant des voyelles pures 
et nettes et ne possédant que peu de diphtongues. Si 
cette constitution de la langue latine en rend le génie 
semblable à celui des Romains , c'est-à-dire propre aux 
choses fermes et mâles , elle est , d'un autre côté , beau- 
coup moins apte que la grecque aux choses qui ne de- 
mandent que de l'agrément et des grâces légères. Elle a 
beaucoup de chaleur , d'éloquence et d'énergie , comme 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 85 

toutes les langues transpositives, mais moins de netteté, 
de clarté et de précision que les langues analytiques. 

L'auteur de la Lettre sur les sourds et muets (p. 135) , 
établissant un parallèle entre les langues analytiques et 
transpositives , portait sur le Grec et le latin le jugement 
suivant : 

« Pour continuer le parallèle sans partialité , je dirais 

» que par les tours et les inversions que le grec et 

» et le latin se permettent , ces langues sont plus avanta- 
» geuses pour les lettres. Que nous pouvons mieux 
» qu'aucun autre peuple faire parler l'esprit , et que le 
» bon sens choisirait la langue française ; mais que l'ima- 
» gination et les passions donneraient la préférence aux 
» langues anciennes : qu'il faut parler français dans la 
» société et dans les écoles de philosophie ; et grec et la- 
» tin dans les chaires et sur les théâtres ; que notre lan- 

» gue sera celle de la vérité , et que la grecque , la 

» latine et les autres seront les langues de la fable et du 
» mensonge. Le grec et le latin sont faits pour persuader, 
» émouvoir et tromper : parlez grec , latin , italien au 
» peuple ; mais parlez français au sage. » 

Réduisons ce jugement à sa juste valeur , et con- 
cluons-en seulement que les langues transpositives trou- 
vent dans leur génie plus de ressources pour toutes tes 
parties de l'art oratoire. 



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86 'là yëritê sur la langue d'o. 

Si du caractère général du latin nous passons à son ca- 
ractère particulier, c'est-à-dire à sa syntaxe, nous 
pouvons, presque avec certitude , prétendre cpi'elle est 
calquée sur la syntaxe du grec. 

Tous les mots de ces deux idiomes portent Tempreinte 
du même génie. Les noms , les pronoms et les adjectifs , 
déclinables par nature , s'y déclinent en effet , de manière 
à se prêter à toutes les inversions usuelles sans faire dis- 
paraître les traits fondamentaux de la succession analy- 
tique. 

Il y a cependant sous ce rapport entre le Grec et le la- 
tin quelques légères dissemblances. Ainsi , par exemple , 
le latin n'a ni duel ni article. L'absence de l'article, sur- 
tout de l'article défini , est dans bien des cas , pour le la- 
tin , une cause d'obscurité. On peut constater encore 
dans cette langue le manque d'aoristes et une pauvreté 
relative dans la nomenclature des temps. Mais , en re- 
vanche , le latin a de plus que le grec , dans sa conjugai- 
son , le gérondif et le supin ; dans sa déclinaison , deux 
paradigmes à lui , puisqu'on en compte cinq en latin et 
trois en grec ; enfin un cas en sus, l'ablatif. Ce qui donne 
au latin six cas , tandis que le grec n'en possède que 
cinq. 

Ici une petite restriction est opportune. Si Priscien 
nous apprend (Lib. V , de Casibtui) que l'ablatif est un 



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LANGUE LATDΠOU ROUAINB. 87 

cas propre aux Romains , il nous dit aussi que ce cas 
était de son temps nouvellement introduit dans la lan- 
gue et placé, pour cette raison, après tous les autres 
dans la déclinaison: « Ablativus proprius est Romano- 

yirum, et quia novus videtur a Latinis inventus, 

y> vettMtaHreliquorum casuumconcessit. » 

Ainsi , la langue latine au berceau avait précisément 
les mêmes cas que la langue grecque, et peut-être Ta- 
bla tif ne s'est-il introduit insensiblement" dans la langue 
latine que parce qu'on prononçait un peu différemment 
la finale du datif, selon que ce datif était ou n'était pas 
complément d'une préposition. 

Notre conjecture se fortifie de plusieurs observations 
particulières : 1* Le datif et l'ablatif pluriels sont toujours 
semblables. 

2® Ces deux cas sont encore semblables au singulier 
dans la seconde déclinaison. 

30 On trouve morte au datif dans l'épitaphe de Plante, 
rapportée par Aulu-Gelle {Noct. Att. I, 24;. Par contre , 
on trouve, dans Plante lui-même, oneri, furfurif etc. , 
etc. , à l'ablatif, parce cpi'il y a peu de différence entre 
les voyelles J^et /, d'où vient même que plusieurs noms 
de cette déclinaison ont l'ablatif terminé des deux ma- 
nières, 
i*» Le datif de la quatrième déclinaison était ancienne- 



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88 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

ment en U, comme Fablatif , et, au dire d'Aulu-Gelle 
(I V , 1 6) , César lui-même , dans ses livres de l'analogie^ 
pensait que ce cas devait se terminer ainsi. 

5® Le datif de la cinquième déclinaison fut autrefois en E, 
comme il paraît par ce passage de Plante [Mercat. /, 1,4): 
Amatores, qui aut nocti, aut Die, aut soli, atU lunœ 
miserias narrant suas. 

6» Enfin Pablatif en A long de la première déclinaison 
pourrait bien n'être long que parce qu'il vient de la diph^ 
tongue J^du datif. 

La déclinaison latine offre encore bien d'autres traits 
de ressemblance avec la déclinaison grecque. Mais ce cpie 
nous venons d'exposer doit suffire à prouver Taffinité du 
grec et du latin. Nous nous en tiendrons là. 

Cette affinité est démontrée encore par la nature syn- 
thétique des deux langues. Pourtant , quelques auteurs 
ont prétendu que le latin avait fort peu de tendance na- 
turelle à la synthèse. M. Vaïsse, dans sa Grammaire 
universelle , démontre la chose par la pauvreté ou plu- 
tôt par Tabsence des compositions de mots dans le latin. 
« Les radicaux , dit-il , ne s'y groupent pas , comme en 
» sanscrit et en allemand , pour former de long compo- 
» ses ; et c'est en vain que Pacuvius , au second siècle 
» avant notre ère , essaya d'introduire dans la langue 
» latine le mode simple de composition que pratiquaient 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 89 

» les Grecs. » Cette opinion n'est point partagée par 
M. Maury. Il soutient dans La terreet Vhomme (chap. VIII, 
p. 462) que le latin « forte à un haut degré le carac- 
» tère synthétique des idiomes primitifs. » 

Ces deux manières de voir sont également exagérées. 
La vérité gît ici dans le juste accord des deux proposi- 
tions contraires. 

Si le latin est moins synthéticpie que le grec , c'est 
parce qu'il s'est plus fortement écarté de son type pri- 
mitif, le pélasge; mais la synthèse ne lui fait pas absolu- 
ment défaut. Il est facile de constater que l'idiome pélas- 
gique était d'ordre transpositif et d'espèce synthétique. 
Tel fut le latin des premiers âges. L'adoption faite plus 
tard par lui de termes empruntés à un idiome essentiel- 
lement analytique modifia sensiblement son caractère 
primordial , sans pourtant le dénaturer. 

La synthèse existe donc en latin , et nous allons en don- 
ner la preuve en examinant le mode de formation de 
quelques mots de cette langue. 

n y a deux sortes de racines élémentaires qui entrent 
dans la formation des termes composés. 

Les unes peuvent également paraître dans le discours 
sous la figure simple ou sous la figure composée. Nous vou- 
lons dire qu'on peut les employer ou seules ou jointes à 
un autre mot : telles sont les racines élémentaires des mots 



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90 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

magnanimus, respublica, senatusconsuUum , qui sont 
magnus et animtis, res eipublica, senatm et consuUum, 

Les autres sont absolument inusitées hors de la com- 
position , quoique anciennement elles aient pu être em- 
ployées comme mots simples : telles sontjwa? eijugium , 
ses et sidium, exeX igium, plexeiplicium, spex et spir- 
cium , stes et stitium , que Ton trouve dans les mots con- 
jux, conjugiuniy prœses, prœsidium, rem ex, remigium, 
sàpplex , supplicium, extispex, frontispicium , autistes^ 
solstitium. 

Il y a pareillement en latin une quantité de termes 
composés qui peuvent au premier aspect paraître sim- 
ples , à cause de certaines racines élémentaires inusitées 
hors de la composition du mot. Mais un peu d'attention 
et de sagacité suffisent pour démêler Torigine de ces ter- 
mes. Tels sont les mots jiidex , jmtus , justitia , juvenis, 
trinitas, œtemitas et une infinité d'autres. 

Judex renferme , dans sa composition , les deux raci- 
nes Jus et dex. Cette dernière se trouve employée hors 
de la composition dans Cicéron : dicis gratià , par ma- 
nière de dire, Judex signifie donc Jus dicens ou qui jus 
dicit. Et c'est effectivement l'idée que nous avons de ce- 
lui qui rend la justice. Ce qui prouve que la définition 
de nom , comme parlent les logiciens, diffère assez peu , 
quand elle est exacte, de la définition de chose. 



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LANGUE LATINE OU ROBIAINE. 91 

II ^1 est de même de la définition étymologique de jus- 
tus et de justitia : le premier terme signifie injure stans, 
et le second , injure constantia .• expressions conformes 
à ridée que nous avons de Fhomme juste et de la jus- 
tice. — 

Quant à Juvenis , il parait signifier jtttwndo ennis. Cet 
ennis est un aèyectif employé dans bi^-ennis, tri-ennis , 
etc. , etc. , pour signifier qui a des années. — Perennis 
paraît n'en être que le superlatif, tant par sa forme que 
par sa signification : amsi juvenis veut ^rejuvando en- 
nis, qui a assez tannées pour aider. Cela est d'autant 
plus probable que juvenis est effectivement relatif au 
nombre des années de l'individu à qui on applique l'épi- 
thète. Du reste, la suppression d'un N dans Juvennis, 
Juvenis, ne tire pas plus ce mot de son analogie naturelle 
que le changement de cette lettre en M n'en tire le mot 
de 9ofemMt5, qui semble être formé de solito ennis, et 
signifie solitus quot annis, qui fieri sillet quoi annis. 
Et, de fait, l'Eglise emploie souvent le mot d'annuel 
pour celui de soknnel, dans la qualification des fêtes. 

L&smoistrinitas, œternitas sont également composés : 
trinitas n'est autre chose que trium unitas. Pour ce qui 
est du mot œternitas^ il signifie cevi-trinitas ou œvi tri'- 
plicis unitas , la trinité du temps qui réunit et embrasse 
U)ut à la fois le présent , le passé et l'avenir. 



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92 Lk TÊRITÉ SUR UL LANGUE d'O. 

Nous pourrions , multipliant les exemples , démontrer 
que le génie du latin était parfaitement apte à la créa- 
tion de signes nouveaux à mesure que l'acquisition d'i- 
dées nouvelles en inspirait le besoin. Ces exemples nous 
les trouverions partout ; dans les noms , comme flumen, 
qui signifie res qu<B fluit, semen idest tes qtiœ seritur, 
cubiculum id est cubandi locus , propugnaculum, id est 
pro-pugnandi-locus; dans les adjectifs , comme cogita- 
bundus, id est cogitationibus undans, facundus, id est 
fandi copié abundans , mœstus id est in mœrore cons^ 
tans, molestus id esipro mole stans; dans les verbes , 
comme dormisco , id est dormiens esco (pro sum) , obso- 
lesco, id est obsoktus escoj senesco id est senex esco. 
Mais ces exemples , si nombreux soient-ils , ne sont pour- 
tant point de nature à faire considérer le latin comme 
une langue véritablement synthétique , pouvant agglu- 
tiner suffisamment entr'eux les termes de son vocabu- 
laire de façon à exprimer plusieurs pensées au moyen 
d'un seul mot, comme on le fait si facilement en alle- 
mand et en grec. 

Il est positif, en effet , que les mots composés de plu- 
sieurs vocables sont assez rares en latin , tandis qu'ils 
abondent en grec. Le latin ne se sert guère de termes 
semblables à celui de heautontimorumenos , titre d'une 
Comédie de Térence et signifiant le bourreau de lui-même. 



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LAM6UB LATINB OU ROMAINE. 93 

On ne trouve pas en latin d'équivalent à cette épithète, 
que les poëtes grecs donnaient d'habitude à un homme 
naturellement enclin à la lésine , Eyminopristokardamo- 
glyphos. Ce qui veut dire partager un grain de Cumin 
et éplucher une feuille de cresson, 

La faculté synthétique de la langue grecque était très- 
considérable. Les poëtes eux-mêmes rétendaient encore 
au gré de leurs caprices. •Aristophane se plaisait à forger 
des mots composés et allait quelquefois jusqu'à la licence. 
Tel est ce fameux mot, qui renferme cinq àsix vers , à 
la fin de sa pièce intitulée Exx^naïaJ^oudai , les Haran- 
gueuses : 

A67raJoTe(jwtxo(yeXaj(^oyaXeo)cpavio>.6i^|;avo- 

Jpi(AU7coTpi(A[jLaTO(yt>.çi07cpa(yo(jLe^iTO- 

xaTa)C€)(^u(jLevo)ci/^>.e7cwco(j(7uçoçaTTO'ïrept- 

(yTepaXexTpuovo7rTeyxeça>.oxtYX>.o'ir€^eto- 

>.aycûO(npaio6açyrrpayavo7UTepuy(i>v. 

Chez les latins cet exemple n'a point été suivi , et nous 
croyons que Plaute est le seul auteur romain qui ait es- 
sayé de lutter avec le poëte grec. Mais , sa langue n'étant 
pas aussi flexible que celle de son rival , il est resté fort 
en arrière. On peut en juger par le nom que se forge Sa- 
gariston dans la Comédie intitulée Persa^ (IV, 6): 



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94 LA YËRITÊ SUR LA LANGUE d'o. 

Voici mon nom, dit ce parasité: Vaniloquidorusvirgir 
nivendonidemugifililoquidesargeniiexterehronidestedig- 
nihquidesnumorumexpalponidesqiwdsemelarripidesnun'' 
qtuimposteripides. 

La langue latine se montre donc inférieure à la langue 
grecque, sous le rapport de l'aptitude synthétique. Elle 
n'en était pourtant pas privée. Seulement elle la possé- 
dait à un moindre degré et elle 'montrait moins de pro- 
pension à en faire usage. 

La parenté du latin avec le grec est incontestable. 
Et dire cependant qu'un écrivain du dernier siècle a osé 
prétendre sérieusement qu'il n'y avait entre ces deux 
idiomes aucun degré de parenté ou de ressemblance. Cet 
écrivain est l'abbé Pluche , l'auteur de la Méchanique 
des langues, 

, Inutile de réfuter de semblables paradoxes. 

D'un côté, la science philologique est unanime 
aujourd'hui à reconnaître que le grec, dérivé de l'ancien 
idiome pélasgique , s'est imprégné de mots étrangers , 
dans une proportion que l'étymologie seule peut 
apprécier. D'un autre côté , la science philologique a 
indiscutablement prouvé que le latin ne procédait pas 
du grec, mais qu'il était avec le grec un des principaux 
représentants du pélasge , et que, si Ton devait 
assigner à chacun d'eux un âge diflérent, le latin aurait 



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LANGUE LàTINB OU ROMÀlNB. 95 

des droits à être regardé comme Talné, parcequ'il 
présente un caractère plus archaïque que le grec 
classique. 
D'où il suit: 

K ^ Que des deux idiomes primitivement parlés en Italie, 
le pélasge seul a continué de subsister , par son génie 
propre , sa syntaxe et une partie de son vocabulaire , 
dans le latin, tandis que l'ombrien n'a pu qu'y introduire 
quelques uns de ses signes et de ses usages. ( Nous avons 
déjà vu en effet, en étudiant les idiomes pélasgique et 
ombrien, c[ue si le premier offrait des preuves incontes- 
tables de parenté avec le grec et le latin , le second au 
contraire n'offrait pas le moindre caractère d'approxima- 
tion avec ces deux derniers idiomes ). 

2*> Que puisque le latin et le grec sont la continuation, 
le prolongement de l'idiome pélasgique, les deux princi- 
paux rameaux de ce tronc , ils ont dû être semblables 
à l'origine , et que les dissemblances , signalées seule- 
ment dans leurs vocabulaires respectifs , ne proviennent 
que de l'adoption faite par chacun d'eux de termes étran- 
gers , puisés à des sources différentes. 

Mais de ce que les Romains ont , dans le principe, enté 
des mots ombriens sur le fond de l'idiome pélasgique , et 
de ce que , lors de la fondation de Rome , il n'y avait en 
Italie que deux langues en' usage , faut*il conclure que le 



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96 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

latin devrait être exclusivement composé de pélasge et 
d'ombrien? Pas le moins du monde. 

Le latin a subi des influences étrangères multiples. Â 
quelle époque ? De la part de quels peuples ? C'est ce que 
nous avons à rechercher. 

Si le livre des Origines romaines de Caton l'ancien 
n'était pas perdu , il pourrait nous éclairer sur cette im- 
portante question de la composition du latin. A tous les 
points de vue , semblable perte est regrettable. Quant à ce 
qui regarde les étymologies grecques de quantité de 
mots latins, il n'est pas possible de résister à la preuve 
que nous fournit l'excellent ouvrage de Vossius (le père), 
VEtymolo^icon linguœ latinœ. 

On divise ordinairement l'histoire de la langue latine 
en quatre périodes distinctes. La première va de la 
fondation de Rome, au temps où florissait le poète Livius 
Andronicus , 248 ans avant l'ère vulgaire. La seconde 
se termine au règne d'Auguste. La troisième comprend 
tout l'espace de temps écoulé entre cette dernière époque 
et la translation du siège de l'empire à Constantinople. 
Enfin la dernière finit lors de l'invasion des barbares au 
cinquième siècle. 

Do la première période , il ne reste que des fragments 
trop rares et trop incomplets pour pouvoir se faire une 
idée bien exacte de ce qu'était le latin pendant le règne 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 97 

de Romulus. On pourrait même se demander s'il était 
créé comme langue. Les deux grands peuples qui habi- 
taient alors conjointement Tltalie étaient trop profondé- 
ment séparés en toutes choses pour qu'on ose même 
supposer qu'il y avait eu déjà fusion entr'eux et entre 
leurs idiomes respectifs. Cette supposition , plus que ha- 
sardée, serait d'ailleurs démentie à la fois et par l'histoire 
et par la linguistique. 

En effet , l'histoire nous apprend qu'aucune des peu- 
plades italiennes n'avait encore renoncé à sa langue na- 
tionale au premier siècle de notre ère , et que ces langues 
loin de s'être amalgamées entr'elles , avaient conservés 
tous leurs traits caractéristiques et différentiels. Entr'au- 
tres auteurs , Varron dit formellement que les Sabins , 
quoique voisins du Latium conservèrent l'usage de leur 
idiome jusqu'au temps de l'empereur Tibère. L'inscription, 
qu'on lit à Pompeï , en langue étrusque , fait foi que cette 
langue était encore usitée en l'année 79 après Jésus- 
Christ. 

De son côté, la linguistique nous prouve qu'il faut un 
certain temps pour que , étant donnés deux idiomes 
radicalement différents mais mis en contact permanent , 
l'un s'efface de manière à ne plus laisser subsister que 
l'autre dans ses traits principaux. 

La formation du latin ne fût donc pas l'œuvre de 
Il 6 



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98 Là yérité sur la langue d'o. 

quelques années, quoiqu'elle ait été singulièrement favori- 
sée par cette circonstance que la fusion à opérer ne portait 
point sur l'ensemble d'une nation, mais sur quelques 
individus seulement, obbgés, pour devenir compréhen- 
sibles à ceux de leurs concitoyens parlant une autre lan- 
gue, de substituer des termes de cette dernière langue à une 
certaine quantité de termes usuels de la langue qui leur 
était propre. Par conséquent , dans les premières années 
qui suivirent la fondation de Rome , on ne dut parler 
dans la ville de Romulus ni Pélasge ni Ombrien, mais 
une espèce de patois de l'un et de l'autre idiome. 

Sachant par les historiens combien chacun de ces 
peuples était attaché à ses usages , nous ne pouvons 
admettre que l'un des deux ait fait abnégation de son 
idiome pour adopter celui de son voisin. 

Nous préférons supposer que, pour la facilité des 
communications, les Pélasges parlèrent un Ombrien et 
les Ombriens un Pélasge absolument macaronique. Cette 
supposition est loin de nous paraître entièrement dépour- 
vue de vraisemblance. Nous ajouterons même qu'on 
rencontre , dans l'histoire des langues , des exemples de 
pareils événements. Sans chercher bien loin, nous 
trouvons dans l'Anglais la confirmation de notre 
proposition. 

Lorsque les Northmans conquirent TAngleterre , ce 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 99 

pays se servait delà langue saxone. Les Northmans , ne 
la comprenant point , la proscrivirent dans les actes pu- 
blics et conservèrent la langue franque qu'ils parlaient. 
Or, il advint que de tous les barbarismes saxons proférés 
par les Northmans et de tous les barbarisme francs pro- 
férés par les Saxons , cherchant mutuellement à se com- 
prendre, ils se forma une sorte de langage mixte. Témoin 
ces deux vers d'un ancien poëme politique écrit sous 
Edouard II : ^ 

— « Oq peut faire et défaire corne fait-ii trop souvent; 
» fis rather wel ne faire thereforeEnglandisKent. » 

Plus tard par suite des guerres et des luttes politiques , 
les rapports devinrent de plus en plus rares entre la 
France et T Angleterre. Or la langue française, qui s'épu- 
rait chaque jour en France , resta stationnaire en Angle- 
terre, au point que, dès le commencement du quinzième 
siècle , un habitant de Paris n'aurait pas pu comprendre 
le français d'Angleterre, du moins si l'on en croit 
Chaucer : 

o And french she spake fui fayre and fetisly 
» after the scole of Stratford— atte — Bowe ; 
» for frencli of Paris , was to hir un — Know.» 

ce qui signifie : — Et avec une parfaite bonne fai elle 
parla correctement k français qm Von enseigne à V école 



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1 00 LA YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

de Stratford^tte-Bowe. Quant au français de Paris, il 
lui était inconnu. 

Depuis Chaucer la différence est encore devenue plus 
tranchée entre la langue anglaise et la langue française. 

Du reste , Famalgame des deux idiomes français et 
saxon se fit assez promptement, et il y a longtemps que la 
langue anglaise existe telle que nous la voyons aujourd'hui. 

Ce fut en effet en 4362 qu' Edouard III , de concert 
avec le parlement , statua qu'à l'avenir , dans les cours 
de justice et dans les actes publics, on se servirait delà 
langue anglaise au lieu delà langue franque ou normande 
qui était en vogue depuis Guillaume -le-conquérant. 

Ceci posé, comment aurait-il pu se faire que les North- 
mans en vinssent à cesser de comprendre la langue fran- 
que, eux qui ne parlaient que cette langue lors de la 
conquête et qui l'avaient imposée aux Saxons vaincus , 
si , comme nous le prétendons , dans la lutte de deux 
idiomes différents continuellement en présence , il n'y en 
avait pas toujours un destiné à s'effaoer devant l'autre , 
et si , de la disparition de l'idiome vaincu , ne naissait 
point un langage informe , lequel participant des deux , 
n'est cependant ni l'un ni l'autre , mais simplement un 
patois de celui qui , dans cette lutte , a été relativement 
le vainqueur ? 

Si notre supposition était erronée ou chimérique, puis- 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 401 

que les vainqueurs parlaient le français , et les vaincus 
le saxon , on parlerait encore aujourd'hui en Angleterre 
le français ou le saxon , tandis qu*on n'y parle ni l'un 
ni l'autre, mais un mélange où se retrouvent des mots 
des deu^ idiomes. Entre les deux cependant la part 
n'est pas égale. L'un , le Français a donné son génie et 
une partie de son vocabulaire. Celui-ci, c'est le 
vainqueur. L'autre n'a imposé qu'une portion des vocables 
qui lui appartenaient. Celui-là , c'est le vaincu. 

Cet exemple est suffisant pour faire comprendre ce qui 
se passa entre les idiomes Pélasgique et Ombrien , dans 
les murs de Rome , à celte différence près que la mixture 
dut s'accomplir avec une plus grande rapidité. En effet , 
il n'y avait alors, dans la future capitale du monde, ni 
vainqueurs ni vaincus. Tous ses habitants étaient des 
associés, et ils étaient fort peu nombreux. 

Nous n'insisterions donc pas davantage sur un sujet 
semblable, si la langue anglaise ne venait nous fournir 
encore une explication rationnelle des différentes phases 
par lesquelles le latin est passé , sans perdre jamais sa 
physionomie propre. 

L'anglais emprunte à toutes les langues les mots qui 
lui sont nécessaires, et ces mots obtiennent aussitôt chez 
lui leurs lettres de naturalisation. Quoique d'ordre ana- 
lytique , l'anglais admet jusqu'à un certain point les trans- 

6. 



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iOi LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O. 

positions et les inversions des idiomes grec, latin, alle- 
mand. Parmi les milliers de mots dont se compose son 
vocabulaire , une forte partie est d'origine hébraïque 
et phénicienne ; le surplus provient du grec, du latin , du 
gaulois, dukymrique, du saxon, du danois et dilirançais. 

Or , si les signes dont se sert un peuple pour expri- 
mer ses pensées pouvaient suffire à faire reconnaître la 
provenance de la langue dont ces signes composent le vo- 
cabulaire, qui oserait assurer que l'anglais provient plu- 
tôt de tel idiome que de tel autre , parmi ceux qui sont 
considérés comme lui ayant fourni des expressions? Mais, 
nous le savons, ce n'est qu'au génie seulement d'une lan- 
gue composée que l'on peut reconnaître sa véritable ori- 
gine. Donc , puisque le génie caractéristique du français 
se retrouve intact dans l'anglais, c'est du français ex- 
clusivement que l'anglais procède. 

C'est donc en réalité un dialecte du français que l'on 
parle en Angleterre. Ce qui n'empêche pas ce dialecte 
d'avoir si fortement altéré ou modifié les vocables fran- 
çais et d'avoir tant et si bien surchargé son vocabulaire 
de mots tirés de langues étrangères, qu'il semble, au 
premier coup d'œil, constituer un idiome complètement 
séparé. 

Le latin, usant du même procédé que l'anglais , quoi- 
que d'ordre transpositif, admet assez souvent la marche 

\ 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 103 

analytique. Ayant emprunté des termes à presque tous 
les idiomes des pays subjugués par les armes des Romains, 
le vocabulaire de la langue latine ressemble à une mo- 
saïque. Mais son génie n'a jamais varié. Il est toujours 
demeuré essentiellement transpositif, ainsi que celui de 
la langue grecque. 

Nous avons déjà constaté : 1» que le grec et le latin 
tenaient du pélasge le génie de la transposition ; S® que 
l'élément pélasgique était représenté chez les premiers 
fondateurs de Rome seulement par les Etrusques et les 
Albins; 3® que les Albins, descendants des Troyens , 
avaient une commune origine avec les Etrusques, puis- 
qu'ils faisaient partie aumême titre de la nation pélasgique. 

Nous pouvons tirer de ces diverses observations une 
conclusion très-plausible : c'est que la langue des Pelas- 
ges l'emporta sur celle des Ombriens dans la procréa- 
tion du latin. Donc le latin n'est et ne peut être autre 
chose qu'un dialecte, plus ou moins corrompu, de l'E- 
trusque ou pélasge , idiome qui continua de subsister 
presque dans sa pureté native jusqu'au temps de l'inva- 
sion des Barbares. 

Ce n'est que par des documents rares et incomplets que 
nous connaissons le latin de la première période , qui est 
l'enfance ou, pour mieux dire, l'enfantement de cette 
langue. Il est pourtant facile de constater qu'il ne s'y 



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404 LA VÉRITÉ SUR LA LANGtTE d'O. 

trouve qu'un petit nombre de mots qui soient restés 
dans le latin littéraire ou classique. 

Le plus ancien de ces documents, puisqu'on en fait 
remonter la composition au règne de Romulus, est la 
Chanson ou Hymne des frères ArvakSj découverte en \ 777. 
Elle contient si peu de mots qui se soient maintenus 
dans le latin classique que M. Fauriel s'est demandé si 
ce monument doit être réellement considéré comme ap- 
partenant à la langue latine et s'il ne faudrait pas plutôt 
le ranger dans l'un des anciens dialectes du Latium. 

Il est probable que M. Fauriel n'aurait point émis cette 
proposition s'il avait bien voulu remarquer que tous les 
termes contenus dans ce chant se retrouvent soit en grec 
soit en ombrien , soit en pélasge. Ce qui démontre d'une 
manière irréfutable que l'auteur de cet hymne , qu'il s'ap- 
pelle ou non Romulus , devait parler un dialecte pélasgi- 
que, celui d'Albe vraisemblablement, déjà imprégné de 
mots ombriens et grecs. 

Outre ce monument de la plus respectable antiquité , 
l'histoire de la langue latine nous offre , par ordre de date, 
quelques fragments des lois de Numa et une loi de Ser- 
vius-Tullius , documents qui nous ont été conservés par 
Festus et dans lesquels on peut distinguer un peu mieux 
les habitudes grammaticales du latin. 

Varroncite aussi quelques mots des hymnes que les 



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LÀN6UB LÀTINB ou ROHÀlirB. 105 

prêtres Saliens chantaient aux fêtes de Mars. Du temps 
de Gicéron aucun Romain n'entendait plus le latin de ces 
sortes de compositions. 

Nous avons aussi, mais plus modernes , la loi des XII 
tables; les inscriptions du tombeau des Scipions; Tins- 
cription de la colonne rostrale élevée en souvenir de la 
victoire remportée par le consul Duilius Nepos sur les 
Carthaginois ; enfin le senatus-consulte pour l'abolition 
des Bacchanales , publié Tan de Rome S68. 

En étudiant le latin de cette première période, le fait 
qui frappe le plus fortement l'attention de l'observateur, 
c'est que , dans un temps relativement court , la langue 
latine dut subir des changements tels qu'elle cessa bien- 
tôt de se ressembler à elle même. En effet , le latin des 
dernières inscriptions citées n'était pas plus incompré- 
hensible aux Romains lettrés du siècle d'Auguste que ne 
saurait l'être pour nous le français usité sous les règnes 
de François P' ou de Louis XI , par exemple tandis que 
de l'aveu deCicéron, de Polybe , de QuintiUen et d'Ho- 
race, leurs contemporains n'entendaient plus du tout le 
latin de la Chanson des Frères Arvales (1) , ni celui des 
chants Saliens et des lois de Numa et de Servius-Tuliius. 

(i) Ou mieiïTs, ^ Anibarvales , nommés ainsi parce que la victime 
qu'ils conduisaient arva ambiehat, 
Ter circum (bat hostia fruges. Virgile , (Georg. I. v. 345. )— 



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106 LA YÊRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

Ce fait si remarquable , joint à la connaissance que 
nous donne l'histoire de Torigine du peuple romain , nous 
autorise à émettre les conclusions suivantes : 

l« La langue romaine, encore sans nul contact avec 
les idiomes étrangers, demeura forcément pendant un 
certain laps de temps ce qu'elle avait été dès le moment de 
sa formation, c'est-à-dire un dialecte du pélasge, altéré 
et modifié par l'élément ombrien. Q est impossible en effet 
de découvrir , dans les anciens monuments de cette lan- 
gue, autre chosequedupélasgeetde l'ombrien. Celan*est 
guère surprenant , puisqu'il n'y avait alors en Italie que 
deux peuples et deux langues. 

2® La cause du changement , qui modifia et bouleversa 
le latin primitif au point de le rendre méconnaissable 
et incompréhensible pour les Romains des âges suivants , 
ne doit pas et ne peut pas être exclusivement attribuée 
à cette mutabilité naturelle aux langues dont nous parle 
Horace, en son Art poétique. Ce changement provient, 
en grande partie , de l'introduction dans la langue latine 
d'éléments étrangers. Or, comme les seuls peuples 
étrangers avec lesquels Rome se soit tro.uvée en rapport, 
durant cette première période, sont les Gaulois et les 
Grecs , c'est principalement des idiomes gaulois et grec 
que le latin tira les éléments qui devaient si fortement 
défigurer plus tard sa physionomie primitive. 



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' LANGUE LATINS ou RONAINE. 407 

Mais , le grec est sorti de la même souche que le latin. 
Par conséquent il n'eût jamais pu, dans aucun cas, 
transformer ce dernier idiome. Son action se serait 
tout au plus bornée à le modifier ou.à le perfectionner. 
C'est donc à une énorme quantité de mots gaulois, 
introduits dans le latin, qu'il faut attribuer Vavatarde 
la langue romaine , et la sensible différence que l'on 
trouve entre le vocabulaire latin des premiers âges de 
Rome et le vocabulaire des époques postérieures , soit 
à l'arrivée des Gaulois en Italie, soit' aux premiers 
démêlés de ce peuple avec les Romains. 

Quelques écrivains modernes, frappés du rôle que 
les Gaulois ofAjoiié en Italie, supposent que la langue 
gauloise , loin d'avoir exercé la moindre influence sur 
la langue latine, aurait été, au contraire, supplantée 
d'abord , et ensuite aux trois quarts anéantie par cette 
dernière. 

C'est, on le voit , tout l'opposé de notre thèse. 
D'autres savants ont prétendu que l'idiome celtique 
avait fortement aidé à la formation du latin. Ceci sem- 
ble nous donner raison. Malheureusement, ces savants 
appliquent la dénomination de gaulois à toute sorte de 
peuples, sauf aux seuls et véritables Celtes. Sous le 
nom de Celtes , en effet , ils n'entendent, les uns que les 
bas-bretons ) les autres que les Erses et les Gaëls. Ce* 



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408 LA VÉRITÉ sur LA LANGUE D'O. 

pendant ils s'accordent généralement à rattacher les 
idiomes de Bretagne, d'Irlande et d'Ecosse au latin , par 
le moyen de l'Ombrien qu'ils font celtique. Nous, nous 
refusons de reconnaître les Bretons, les Irlandais et les 
Ecossais pour Celtes. Mais nous partageons la manière 
de voii' de leurs historiens sur le rôle que l'erse ou 
gaëlique, seulement, à joué dans la procréation du 
latin, puisque nous ne pouvons reconnaître dans les 
individus qui parlent encore le gaëlique ou l'Erse que 
les descendants rdirects et légitimes des Ombriens. 

Il est d'autant plus facile de découvrir les éléments 
ombriens qui se sont introduits et sont restés dans le 
latin, sous la première phase de son existence , qu'il est 
impossible de traduire ces éléments par le grec , avec 
lequel ils n'ont aucun rapport. Mais il est non moins aisé 
de constater que l'ombrien et l'erse ou gaëlique sont 
une seule et même langue. En effet les éléments om- 
briens dont nous venons de parler se retrouvent dans 
les deux langues (l'ombrien et l'erse). Aujourd'hui 
encore, ils ont, dans l'erse, une signification identique 
à cdle qu'ils avaient , autrefois , dans l'ombrien. 

Nous avons cité plus haut, comme exemple, un cer- 
tain nombre de mots conservés par les auteurs latins. 
Nous pouvons donner encore , pour prouver la parenté 
qui existe entre le phénicien (d'où vient Terse) et Tom* 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. , \ 09 

brien , quelques termes du Monologue d*Hannon , termes 
qui ont en Carthaginois et en Erse le même sens qu'en 
romain , et qui , à coup sur , n'ont pénétré dans le latin 
que par le canal ombrien. 

C'est ainsi qu'on trouve en punique et en Irlandais : 
O , lequel est aussi demeuré en latin comme la marque 

du vocatif. 
Nitnhy divinité, d'où les Romains ont fait Numen. 
Mcj moi, conservé de la Langue primitive dans une 

foule de langues. 
Com y avec, devenu en latin , cum. 
Umhal, humble, devenu en latin humilis. 
Sithy repos, oubli, dont le radical s'est perpétué dans 

situs , oubli , solitude. 
«, est, c'est, qui ne diffère guère du grec et du latin. 
mi y ma, mon, que les romains ont gardé au» vocatif, 
mi fili. 
Les traces de gaëlisme , signalées dans le vocabulaire 
latin, peuvent se suivre aussi dans la grammaire latine. 
Adelung, dans son Mithridate, fait remarquer, d'une 
part , que le D affîxe , qui se rencontre à la fin d'un si 
grand nombre de mots dans les spécimens que nous 
possédons du latin archaïque , et notamment à l'ablatif 
des noms, se retrouve en erse comme caractéristique du 
même cas, et , d'autre part, que cette dernière langue 
II 7 



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MO LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D*0. 

offre encore au génitif la terminaison AI de la déclinai- 
son latine primitive. De ce que dit Adelung, il ne fau- 
drait pourtant pas conclure que la déclinaison latine est 
née de la déclinaison erse. 

Le génie de la langue irlandaise étant très-opposé à 
celui du latin ne procède point de la môme manière pour 
la distinction des cas. D'ordre analytique , cette langue 
agit comme toutes celles de cet ordre , et si , dans cei:- 
taines occasions , elle use de terminaisons, dans la plu- 
part des autres cas elle se sert de l'article (que n'avait 
point le latin et qu'elle possède ) ou de préposijtions> 
Quelquefois même , l'Erse n'emploie ni article , ni prépor 
sition , ni terminaison pour marquer le cas des noip$. 
On trouve , en effet , dans cette langue : 

Bein — NA — Grian , coteau du soleil. 

Benn — AN — oïr, montagne d'or. 

Arr — NAN — ua, île des caves. 

Straid — AM — hargai, rue du marché. 

Paraic — NAM — fiadh , parc de la biche. 

Stach — IN — miichidar, rocher du foulon. . 

Squr fein , brocs d^e vin. 

Gkn elg , vallée du daim. 

Ard maddie, colline des loups. 

Auchinkck, champ de pierres. 

On voit par ces exemples que la langue erse » cm'- 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. \ 1 \ 

brienne, sabellique, peu importe le nom qu'on lai 
donne , n'a pas exercé une grande influence sur \a décli- 
naison latine, laquelle est demeurée pélasgique, puisque 
les flexions les plus anciennes de la langue grœco-péla»- 
gique se sont maintenues dans le latin. 

L'Erse, seul représentant aujourd'hui de la langue ^ 
primitive de l'Italie, diffère autant du grec et du latin 
par sa syntaxe que par son vocabulaire. Un seul exem- 
ple va nous en convaincre. Dans ses verbes, l'Erse n'a 
que trois temps , le présent , le passé et le futiœ. Il a 
six modes , qui tous se forment par flexion ou initiale 
ou finale. Seulement, lesquatres derniers modes em- 
ploient devant le verbe une préposition caractéristique 
qui signifie à, pour, afin de. Les verbes auxiliaires y 
sont au nombre de cinq. Formes diverses du verbe 
être, leur usage y est bien différent de ce qu'il est dans 
les autres langues. L'infinitif est simple et impersonnel , 
indiquant purement l'action faite ou reçue. Le participe, 
qui reste indéclinable , a trois temps distingués par des 
prépositions. Les verbes passifs se conjuguent par des 
flexions finales et initiales, sans intervention d'un auxi- 
liaire , excepté à l'infinitif. Le thème ou la racine du 
verbe est la seconde personne du singulier de l'impératif. 
Cest autour de cette racine que se placent les flexions 
initiales et finales qui forment le présent des différents 



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\M LA YÊRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

modes. La formation des advert^es a lieu par deux pré- 
positions : Tune pour les substantifs , Tautre pour les 
adjectifs. Les prépositiqns forment en cette langue un 
système absolument différent de celui des langues mo- 
dernes : elles sont ou antérieures ou postérieures , sépa- 
rables ou non. Outre ces prépositions , l'erse ou gaëlique 
a encore un certain nombre de particules modificatives 
qu'on divise en quatre classes : les dérivatives, les 
assimilatives , les augmentatives et les diminutives. 

En voila assez , ce nous semble , pour justifier plei- 
nement ce que nous avons avancé , savoir : 4® que Fom- 
brien et Terse ne sont qu'une jseule et même langue ; 
2® que cette langue n'a absolument rien de commun , 
ni dans le fond ni dans la forme , avec la langue pé- 
lasgique ; 3<» enfin qu'elle a concouru à la formation , 
\ion de la syntaxe mais du vocabulaire du latin , en y 
introduisant une t^rtaine quantité de termes qui ne se 
peuvent retrouver ni dans le pélasge , ni dans le grec , 
ni dans aucun idiome autre que l'erse ou gaëlique lui- 
même. 

Nul ne saurait nier que le latin ne soit né du mélange 
des deux langues ombrienne et pélasgique. Néanmoins , 
par le seul fait qu'on rencontre dans son vocabulaire une 
foule 4e termes étrangers au pélasge et à l'ombrien (ce 
qui ne pourrait être si le latin provenait uniquement de 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. « 113 

ces deux seules langues ) , il faut en inférer que d'autres 
idiomes ont du concourir aussi à sa formation. Au nom- 
bre de ces derniers , nous mettons en première ligne 
ridiome celtique ou gaulois. Mais , comme nous n'appli- 
quons cette dénomination d'idiome celtique ou gaulois 
qu'à la seule langue d*0 , ceci pourra sembler à beaucoup 
de lecteurs un ridicule paradoxe. 

Paradoxe , soit I le paradoxe delà veille devient sou- 
vent la vérité du l«ademain. Et puis nous donnerons des 
preuves de la vérité de nos assertions. 

Pour savoir ce que l'on pense généralement dans le 
monde savant de la période où l'influence du grec et du 
gaulois se fit sentir sur le latin , nous n'avons qu'à repro- 
duire textuellement le passage suivant de l'article : Lan- 
gîte latine, par M. Léon Vaïsse, inséré dans l* Encyclopé- 
die moderne (Tom. XIX, p. 462 >) : « Les progrès que fait 
» la langue pendant cette première période de son his- 
» toire ont lieu à peu près en dehors de l'influence étran- 
» gère, ce qui fait dire à Cicéron lui-même que le siècle 
» des Scipions est celui delà véritable latinité. A l'époque 
» du grand orateur les héllénismes avaient déjà oté à la 
» langue sa physionomie purement latine. Quand les Ro- 
» mains eurent successivement acquis le sud de l'Italie 
» et la Sicile , la Macédoine et l'Achaïe , le grec, qui leur 
» devint tous les jours plus familier , exerça sur le latin ' 



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114 LÀ YÉRITÉ SUR LàIàNGUE d'o. 

» une pmsaante influence, et, sous la forme nouvdle 
» qu'elle prit au contact des populations soumises , la 
» langue des vainqueurs ne fut plus , a proprement par- 
» 1er , latine : die fut romaine. Elle offrit un idiome mé- 
» langé , où è côté et souvent au dessus du vieux fonds 
» latin vinrent se placer une foule de termes et de locu- 
» tiens grecques. C'est sous cette forme qu'die nous ap- 
» paratt dans les plus anciennes œuvres littéraires que 
» nous ont laissés les Romains. Plante, Térence, Lu- 
» crèce et même Catulle sont en effet remplis d'hellénis- 
» mes. L'usage de donner aux enfants des précepteurs 
» grecs , qui s'établit dans toutes les familles en position 
» de donner le ton à la ville, ne contribua pas peu à im- 
» primer à la langue sa nouvelle direction. Du reste , ce 
» qu'elle perdit du côté de l'originalité , elle le regagna 
» d'un autre côté. Elle reçut des étrangers des qualités 
» qui lui manquaient. Aussi est-ce précisément de l'épo- 
» que du changement de physionomie du latin que l'on 
» fait dater ce qu'on a appelé son âge d'or. » 

Cette citation , résumant certaines opinions qui font 
autorité dans la science, semble, à première vue, la 
condamnation éclatante de notre système. Mais die nous 
donne en réalité gain de cause. 

En effet, si, dans cette période de son histoire, les 
progrès faits par le latin eussent eu lieu à peu près en 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 1 1 5 

dehors de Vmfluence étrangère , il faudrait nécessaire- 
ment en déduire le dilemme suivant : 

l*» Ou ces jwojrré* ne pourraient être autres que ceux 
qui s'acawnplissent dans toutes les langues assiduement 
cultivées (c'est-à-dire, que le latin serait devenu plus 
poli , pins châtié, plus i^oigné, mais que les mots de son 
vocabulaire seraient demeurés les mêmes ) ; 

2® Ou bieto , dan^ l'hypothèse que Tusagè, la mode ou 
toute autre cause eussent fait subir à ces mots quelque 
ihodifîcatîon, cette modification Saurait pu être que lé- 
gère , et , eût^Ue été profonde , jamais , dans aucun cas, 
elle n'eût pu altérer leur physionomie primitive au point 
de les rendre méconnaissables et d'empêcher , même par 
la désuétude , les termes usités par les premiers Romains 
de demeurer compréhensibles pour les Romains des siè- 
cles postérieurs. 

Les mots ont beau être modifiés , déformés ils gardent 
toujours l'empreinte de leur physionomie ï)rimitive. C'fôt 
ainsi qu'il û'est pas une seule personne en France qui ne 
puisse facilement comprendre le arment prononcé par 
Louis-le-Germanique et te traduire immédiatement dans la 
langue actuelle , quoique près de mille ans séparent le 
français parlé Sous Chairles-le-chauve du français du 
XIX sièdé? On peut s'âsSurer du fait à l'instant même. 
Voici ce serment tel que le rapporte Nitard : 



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146 M TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

\ 

Por Deu amor et por Christian pople et nostre com- 
mun salvement de ste di en avant en quant Deu savoir 
et poir me donne , si salvarai-je cist mon frère Karle et 
en adjude serai en cascune cose si cum om per dreict 
son frère salver dist en o qui il me altresi fascet et à 
Lothaire nul plaid nonques prendrai qui, par mon voil , 
à cist mon frère Karie en dam seit. 

Sauf le mot latin di {dies ,jour) qui ne s'est point con- 
servé dans notre langue, tous les autres mots, contenus 
dans le serment de Louis-le-Germanique, se retrouvent 
encore en français et s'y peuvent facilement découvrir , 
malgré les changements , la plupart considérables , que 
leur a fait subir l'usage. C'est pourquoi , si les Romains 
avaient continué de parler l'idiome de leurs ancêtres 
sans faire aucun emprunt aux idiomes étrangers , les 
termes , composant leur premier vocabulaire , auraient 
eu beau être modifiés , altérés même , ils n'auraient point 
laissé, pour cela, de conserver toujours une certaine 
ressemblance avec les mots transformés résultant de ces 
modifications ou altérations , et ces mots anciens n'eus- 
sent jamais cessé de demeurer intelligibles. 

Or , il n'en a pas été ainsi. Nous lisons encore dans 
l'article de M. Vaïsse , cité plus haut : « Du temps de Ci-^ 
» céron aucun Romain n'entendait plus le latin de ces 
» compositions. (L'auteur vient de parler du Carmen 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 417 

» des Frères ArvaleSydes lois de Numa et de Servius- 
» Tullius, ainsi que des hymnes des prêtres salions). 
» On ne comprenait du reste guère non plus alors la loi 
» des douze tables , œuvre des décemvirs , qui fut pro- 
» mulguée en Tan de Rome 304 , c'est-à-dire quatre siè- 
» des et demi avant notre ère. » 

Et plus bas, le même auteur ajoute : « En preuve du 

» respect qu'avaient les Romains pour le texte original 

» des actes authentiques les plus anciens nous avons, 

» entr'autres témoignages , celui de Polybe , au livre III 

» de son histoire. Parlant du premier traité fait avec les 

» Carthaginois, traité signé par les consuls Lucius Junius 

» Brutus et Marcus Valerius, et antérieur par consé- 

» quent de vingt, huit ans à la descente de Xercès en 

» Grèce, cet auteur s'exprime ainsi : La langue a éprouvé 

» tant de changements depuis ce temps jusqu'aujour- 

» d'hui , que ceux même qui sont le plus versés dans la 

» science des antiquités ne peuvent comprendre qu'avec 

» une très grande difficulté les termes de ce traité. » 

D'où pourrait donc provenir une aussi grande révolu- 
tion dans 4e matériel de la langue latine, si elle n'eût 
point subi , à cette période de son existence , d'influence 
étrangère ? 

Cela provient-il de ce que quelques-uns des anciens 
mois sont abolis, verborum vêtus interit œtas (Horace^, 



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418 LÀ rtHiTÊ mtL la lahgui d'o. 

Art poit. V.6\.)tàece que de nouveaux mots sont in- 
troduits , etjuvenufn ritu florent modo nata, vigent que 
(id. ibid. t. 62. ) ? ou de ce que les mots sont dans une 
mobilité perpétuelle, mobilité bien reconnue et parfaite- 
ment exprimée par le poôte de Tibur (ibid. v. 70) : 

Multa renascentur quse jam cecidére , cadentque 
Qus nunc sunt in honore vocabola , si volet usus 
Quem penès arbitrium est, et jus, et norma loquendi? 

Nous ne le pensons pas. Ces causes peuvent bien à la 
longue modifier peu à peu et jusqu'à un certain point le 
langage primitif, mais elles seront toujours impuissantes 
à le changer, par elles-mêmes, aussi radicalement que 
cela est arrivé poui* le latin. 

— Nous avons défini une langue , la totalité des usages 
propres à un peuple pour exprimer ses pensées par la 
voix. Ce sont ces usages qui fixent les roots et la syn- 
taxe. Les mots sont les signes des idées et naissent avec 
elles. Ainsi une nation déjà formée et distinguée par son 
idiome , ne saurait faire l'acquisition d'une nouvelle idée, 
sans faire en même temps Pacquisitiofl d'un mot nou- 
veau représentant cette idée. Si c'est de son propre fonds 
qfU'un peuple tire une nouvelle idée , ce ne peut être que 
le résultat de quelque combinaison des idées anciennes. 
Et voilà la route tracée pour aller jusqu'à la formation 
du mot qui en sera le type I Puissance dérive de pnis^ 



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LANGUE LÀTHfB OU ROlUDfE. 4 4 9 

êàni j ridée abstraite étant prise dans l'idée concrète. 
Painfl»o/est composé de panr^ garantir, et de soleil y 
l'idée de ce meuble étant le résultat de la combinaison 
de ridée de Tastre qui darde des rayons brûlants et de 
l'idée de Fobstacle qui pare les efTets de ces rayons. 

Il n'y a donc en définitive , aucune idée connue chez 
un peuple qui ne soit désignée par un mot propre de 
la langue de ce peuple. Mais , par là même que tous les 
«iotsnouveauxseronttires.de son propre fonds, cette 
langue demeurera d'autant plus inaltérable , et , quels 
que soient les changements amenés par l'usage , ses plus 
anciens documents ne seront jamais indéchiffrables. Il 
sera toujours possible de les interprêter au moyen de 
l'étymologie. 

La langue grecque nous fournit une preuve de la vé- 
rité de notre proposition. Les plus antiques monuments 
de cette latigue ont toujours été intelligibles pour ceux 
qui parlaient grec , et le grec nous est encore aujourd'hui 
d'un puissant secours pour Pinterprétationi des inscrip- 
tions pélasgiques de l'Italie. 

En serait-t-il de même si une nation introduit dans 
sa langue deâ vocables étrangers ? Non certes I Et cela 
est facile à comprendre. 

En effet , si une nation tire une idée quelconque d'un 
peuple voisin, elle en tirera de même le signe vocal qui 



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120 LÀ YÉRITÊ SUR LÀ LANGUE d'O. 

la représente, et dont, tout au plus, elle réduira la 
forme matérielle à l'analogie de son idiome. C'est ainsi 
que tant de mots anglais, espagnols, italiens , allemands 
se sont introduits en français et que chaque jour nos sa- 
vants en prennent du grec ou du latin. De plus, si quel- 
ques-uns des anciens mots sont abolis , parce que le ha- 
sard des circonstances en montre d'autres, chez des peu- 
ples étrangers , qui paraissent plus énergiques , ou que 
l'oreille nationale , en se perfectionnant , choisit comme 
plus appropriés à ce qu'ils doivent exprimer , de nou- 
veaux mots sont alors introduits , parce que de nouvel- 
les idées ou de nouvelles combinaisons d'idées en impo- 
sent la nécessité et forcent de recourir à la langue du 
peuple, auquel on est redevable de ce* nouvelles lumiè- 
res. Mais, en ce cas , il arrive que les termes nouveaux 
font oublier les anciens, et si alors on se trouve obligé 
d'interpréter un document écrit à l'époque où la langue 
n'avait encore subi aucune modification, aucune influence 
étrangère , cette interprétation devient impossible , 
parce qu'il n'y a plus aucun rapport, aucune analogie en- 
tre les anciens mots nationaux et les mots nouveaux , de 
provenance étrangère, qui les ont remplacés. 

Une considération d'un grand poids vient s'ajouter 
aux preuves que nous venons de donner (preuves déjà 
cependant suffisantes par elles-mêmes) , que le latin n'a 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 121 

pu se former et ne s'est réellement pas formé en dehors 
de toute influence extérieure. Si le latin , en effet , n'avait 
pas contracté d'emprunt, il s'ensuivrait que son vocabu- 
laire serait exclusivement composé , du moins quant à la 
première période de l'histoire de celte langue, de mots 
pélasgiques et ombriens. Or, nous avons déjà démontré, 
en nous occupant des Tabks Eugubines, qu'il n'était point 
un seul vocable pélasgique que l'on ne put facilement 
traduire au moyen du grec, ni un seul vocable ombrien 
qui ne se retrouvât dans l'erse. Cependant certains do- 
cuments , appartenant à cette première période et aux 
suivantes , jusqu'à l'époque de la disparition du latin de 
la scène du monde en tant que langue vulgaire , nous 
offrent plusieurs locutions absolument inconnues au pé- 
lasge , à l'ombrien , au grec , et par conséquent intradui- 
sible par le seul secours de ces trois idiomes. Donc , les 
Romains avaient dû emprunter ces mots à des idiomes 
autres que les idiomes Ombrien , pélasgique et grec f 1 ) ? 

(i) Il est impossible d'admettre que les Romains , à mesure qu'ils 
ont eu besoin de nouveaux signes pour exprimer de nouvelles idées » 
se soient plus à assembler des sons, arbitrairement et au basard, 
pour en composer des mots. Il serait aussi absurde de le supposer 
qu'il serait absurde de croire qu'une nation , une peuplade , une fa- 
mille même , puisse augmenter et enricbir son vocabulaire de la sorte. 

On peut à la rigueur mutiler, défigurer la forme matérielle de quel- 



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422 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Le linguiste M. Vaïsse, a donc erré en prétendant 
que le latin de la première période avait i»*ogressé à 

peu près en dehors de rinfltience étrangère? {\) 

\ 
ques signes , en dénaturer le sens , créer ainsi un langage de conven- 
tion qui n*est en somme qu'un argot ; mais on ne peut pas introduire 
dans une langue une certaine quantité de termes , inventés à plaisir , 
qui n'aient aucune parenté , aucune affinité avec, d'atitrés mots de cette 
langue. 

Toute langue peut créer un nouveau signe pour exprimer une nou- 
velle idée , en accouplant les mots qui servaient à désigner les idées 
particulières d'où cette idée est née. Elle peut emprunter des termes 
à des idiomes voisins; mais il n'est pas d'exemple, et l'histoire des 
langues en fait foi , qu'un peuple ait jamais inventé un seul mot de 
son vocabulaire. 

On pourrait citer ici comme exemple le Sabir , sorte de jargon dont 
tous les marins du bassin méditerranéen se servent pour communiquer 
entr'eux. On trouve dans cet idiome factice des mots appartenant à 
toutes les langues des pays que baigne cette mer. Mais y trouve-t-on 
un mot, un seul mot, qui ait été créé ou inventé arbitrairement ? 
Non , mille fois non ! 

(i) Dans la premier passage que nous avons extrait de son article, 
M. Vaïsse semble considérer le grec comme une langue étrangère 
par rapport au latin et lui attribuer exclusivement les changements 
opérés dans la langue des Romains. 

Il est incontestable que le grec a sensiblement contribué a rendre 
le latin plus poli , plus raffiné , plus harmonieux dans son ensemble , 
mais le grec ne Ta point changé , ne l'a pas bouleversé. A plus forte 
raison n'a-t-il pas pu enlever au latin son type primitif et caracté- 



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LÀNGUB LATINE OU ROMAINE. 123 

D'ailleurs, par le mot d'à peu près, inséré dans sa 
phrase , ainsi que par les assertions qfu'il émet plus loin 
sur les traces du celtique dans le latin , le collaborateur 
de l'encyclopédie moderne semble insinuer que Tidiome 
gaulois dut donner à l'idiome romain quelques tins de 
ses signes vocaux. Mais , pour M. Yaïsse, le Celtique est 
le gaëlique. Or ce gaëlique est, nous Tavons vu, tout 
uniment l'ombrien. Les conclusions de M. Vaïsse se re- 
tournent contre sa thèse , savoir : que les progrès du 
latin ont eu lieu en dehors de toute influence étrangère. 
Aux surplus le contraire nous est démontré : 
4** Par la présence dans le latin de la première époque 
de mots assez nombreux qui sont absolument étrangers 
aux idiomes ombrien , pélasgique et grec. 

2** Par le changement , extrêmement sensible, opéré 
dans le matériel de la langue romaine , pendant cette 
même période , transformation ou changement dont on 
peut s'assurer en confrontant le langage des Romains sous 

Thttque. Sortis tous deux d'une souche commune , frères par consé- 
quent, le grec ne pouvait faire perdre au latin les traits de la 
ressemblance de famille , sans les avoir au préalable perdus lui-même , 
ce qu'il n'a jamais fait. Donc cette prétendue influence étrangère 
serait tout à fait chimérique s'il était question du grec , car le titre 
d*étran^er , par rapport au latin , ne saurait lui être appliqué et ne 
po\irpait , dans aucun cas , lui convenir. 



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124 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

le règne de Romulus au langage de ses descendants sous le 
gouvernement des décemvirs , près de 300 ans plus tard. 
Pour que l'on puisse mieux se rendre compte de la 
différence qui existait dans le latin de Romulus et le 
latin des décemvirs , nous croyons devoir reproduire ici 
les deux principaux monuments qui nous restent de 
l'une et l'autre époque. Ces monuments sont le Carmen 
des frères Arvales et la Loi des Douze Tables. 

Carmen des frères Arvales. (i) . 

Enos lases iwate. 

Enos lases iwate enos lases iwate. neve Ivaerve 

Marma sins incvrrere in picores neve 

Lverve marmar sins incvrrere in 

Pleores. neve lverve marmar sins 

Incvrrere in pleoris. Satvr fvrere 

Mars limen. Sale sta berber. Satur 

Fvfere mars limen sali sta berber 

Satvr fvfere mars limen sali sta 

Berber. Semvnis alternei advocapit 

Conctos. Semvnis alternip advocapit 

Conctos. Semvnis alternip advocapit 

(i) Extrait de l'ouvrage intitulé : Gli atti e monumenti de fratelli 
Arvali , par le Cardinal Marini. 



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LAN[GUE LATINE OU ROMAINE. \ 25 

'■■II'' I ■ 

Çonctos. Enos marmor iwato. 

Enos marmor iwato. Enos marmor ivvalo. 

Trivmpe. Trivmpe. Trivmpe. 
Voici Finterprétation que domie* Ab. Lanzi de la 
chanson des frères Ârvales , et les explications dont il 
l'accompagne. 

Nos (1) Lares (2) juvate. 

Nos Lares Juvate. Nos Lares juvate. Neveluerhem (3) 

Mamers sines (4) incurrere in flores (5). Neve 

Luerhem Mamers sines incurrere in 

Flores. Neve luerhem Mamers sines 

Incurrere in flores. Ador (6) fieri (7) 

(i) Corne esum per sum. 

(2) Quint, lib. L C. 6. 

(3) TotaraspirazioneVunitaallaR, come presso i Greci. E agiunto 
la finale M , si forma luerem per luem : déclinazione antica come 
apollinarem , dierem, etc., etc., invice di apollinem ediem, Scaliger 
in varr. p. 24. 

(4) Sim per sines , come Murua per Mener va in patere etruscha. 
Sines e lo stesso che sinces in latino antico. 

(8) In pleores : in flures o in flores , come Purii per Furii. 

(6) Atur, ador, é nelle tavole Eugubine. qui é aggiunta l'aspira- 
zione S. 

(7) Fufere per fiere. Tolta l'aspirazione e cangiata TV neU'affine I, 
divien fiere. g i, oss. IV, no 4. fiere olim fieri , Gell. XIX, 7. — 

Ador fieri é grecismo, çtrat yipto-rttt, ut ador, seu fruges eve- 



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426 LA TÉIITÉ SUR LE LANGIJB D^O. 

Mars limen. Maris (4) siste (2) bcrijer. Ador 
Fieri mars limen. maris sistè berber. 
Ador fieri mars limen Maris siste 
Berber. Semons alterni (forte) advocate{3) 
Cunctos (4). Semones alterni advocate 

niant. Nello stesso versetto scrivesi anche fvrere , corne nelle tavole 
Eugubine 
(i) A0i/<9f e xv/tAn cifcof peBtilitas maria, Caligo, uredo. 

(2) Sta per $iiU. Jupiter stator a stando, id est, sistendo milite. 
Berber é fopse epiteto di Marte. Marlier , Bersier^ é nella tavela 
2 Eugubina. Sospetto chesia laconismo : V. § ii , oss. I. no 1 Tolte 
le aspirazioni laconiche , la voce riducesi à herher. Enfno per Apq$ 
é secondo il dialetto laconico. 

(3) Verisimilmente dee supplirsi la finale corne in facul , âiffienl: 
Advocabite pote dirsi corne perhite in luogo di perite \ Fèst. Pià oltro 
non so in cosa si incerta. 

(4) Can^iamenti simili di Y in 0. Son frequenti nella seconda tavola. 
S'invocano dapprima i Lari ; poi Marte che qui é nominato Mamars 

quasi all'uso de'sabini , Mamers. Egli é anche suppUcatO nella for- 
mola del sacriftzio rusticano presso Gatone : 

Mars pater , te precor, etc. , etc. , (R. R. cap. 4i. ). 

Questa formola da lace al verso se qui se prega per le campagne 
affîn che non venga arboribus que satisque lues ( Virg. lib. RI ) e si 
potra intender de'fiori, de'prodotti ; la voce plures, cioé flures, 
sècondo il gia detto nel t^apo précédente. FlUres e'detto corne frunies 
e f unies, 

Sregue la invocazione degli Dei Semoni, spécial! CUstodi délie 



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LàNGUB LATINB ou ROlAUfE. 487 

dnnctos. Semones alterni advocate 
Gunctos. Nos Mamuri juvato. 
Nos fifamuri juvato. Nos Mamuri juvato. 
Triumphe. Triumphe. Triumphe. 

iF'ragments des Lois des Douze Tables , qui nous ont 
été conservés par plusieurs auteurs latins , notamment 
par Ciceron : 

1 . Si in jus vocet , atque ( id est , statim ) eat. 

2. Si membrum rupsit ( ruperit ) , ni cum eo pacit ( pas- 

cicetur ) , talio esto. 

3. Si falsum testimonium dicassit (disent), saxo 

dejicitor. 

4. Privilégia ne irroganto : ( se. magistratus;. 

5. De capite (de vità, libertateet jure) ci vis Romani , 

nisi per maximum centuriatum (per comitia cen- 
turiata ) ne ferunto. 

6. Quod postremum populus jussit , id jus ratum esto. 

7. Hominem mortuum in urbe ne sepelito, neve urito. 

8. Ad divos adeunto caste : pietatem adhibento : opes 

amovento. 

9. Qui secus faxit, deus ipse vindex erit. 

campagne-, rultimo nome é Marmor, o , corne é scritto in uno de tre 
irersetto, Mamor, o sia Mamuri. Mamuri fu Tarteflce degli ancili , 
c Bcudi saliari. eU;., etc., (^Mt$t de L^nsi.J 



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128 LA YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

10. Feriis jurgia amovento. Ex patriis ritibus optima 

colunto. 

1 1 . Perjurii psena divina , exitium ; humana , dedecus. 

Impius ne audeto placare donis iram deorum. 
M, Nequisagrum consecrato, auri, argenti, eborissa- 
crandi modus esto. 

1 3 . Qui in jure manum conserunt ( id est , apud judicem 

disceptant) , secundum eum qui possidet, vindi- 
cias dato. 

14. Si ensiet (si autem sit) qui in jus vocalum vindicit 

( vindicaverit) , mittito. etc. , etc. 

Examinons maintenant avec attention les différences 
qui existent dans le latin de ces deux monuments. Voyons 
aussi en quoi ces différences consistent et d'où elles pro- 
viennent. 

Dans le premier document , il est à peu près impossible 
de discerner les habitudes grammaticales du latin classi- 
que ou littéraire. Dans le second, quoiqu'on apperçoive 
facilement ces habitudes, la langue est encore fort éloi- 
gnée d'être ce qu'elle devint au temps de Cicéron. 

Dans la Chanson des frères Arvales , ce qui frappe tout 
d'abord, c'est que l'alphabet romain s'est déjà enrichi de 
deux lettres que les Pélasges ne possédaient point, comme 
le démontrent les Tables Eugubines et les inscriptions 
étrusques. Ces deux lettres sont la consonne C et la vo- 



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LANGUE LATINE OU ROUAINE. 4 29 

yelle O. Il est vrai que riniroduction du C dans le latin 
n'est pas , à proprement parler , la conquête ou Tacqui- 
sition d'un nouveau son , puisque , dans cette langue , au 
lieu d'avoir la double prononciation qu'il a en français , 
le C sonna toujours comme le À" qu'il a remplacé. Du 
reste , cette lettre est tout simplement le Caph des Hé- 
breux et des Phéniciens. Seulement , ces derniers tour- 
naient l'ouverture de la consonne C vers la gauche. Les 
Romains Font tournée vers la droite^ 

Une seconde remarque très-intéressante, c'est la faci- 
Uté avec laquelle VE dans le vieui: latin tend à se chan- 
ger en /, et réciproquement; à cause de l'affinité de ces 
deux voyelles. Il en est de même du changement du P en 
F, et de VR en F et en S. Mais inutile de nous appesantir 
sur ces détails. Mieux vaut , ce nous semble , rechercher 
la provenance des mots contenus dans les documents 
précités. Commençons par le Carmen des Arvales. 

Jvvate est un verbe composé dont les deux racines se 
retrouvent dans le pélasge des Tables Eugubines , wa , 
clamantes, et asa ou ase, servare, succurere, qui est 
formé par agglutination, vvase, vvaare (PS étant sou- 
vent employée pour VR ) et par transposition de lettres 
evvare. Mais commère* se change fréquemment en /, 
cela a donné ivvare,juvare, dont la signification serait 
clamanêêm servan, ou mieux , clamantiiuccurere. 



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430 LA YtlITÉ SUR Ul LANGUE B'O. 

Lvaerve, que Lanzi traduit par luerbem et e& qud 3 
ne voit qu'un mot simple , est encore un mot composé 
dont les radicaux se trouvent dans les mêmes Tables. 
Lvma, contagion, ervh, dévaster, ont formé aussi par 
agglutination Ivmaervke, et, par syncope ( métaplasme 
fort usité chez les ftomains) , luaeruey lues vastatrix. 

Un autre mot composé est celui de Fvrere ou Fvfore^ 
que Lanzi expliqua par /ïm, fiere. Nous croyons que ce 
mot est formé de deux mots pélasgiques des Tables Ëa- 
gubiaes, vretv, uredo, et ère, servare. Fre^i?-erc a pu se 
contracter en vr-ere ou vre^re. Or ce mot en y adjmgna&jt 
la préposition pélasgique dqf, de, dont F A disparaît par 
apocope et dont P se prononçait tantôt P, tantôt F, 
comme le pj hébraïque , a pu devenir fvrere, ah uredinfi 
serva. 

Mars, en qui Lanzi croit voir le nom du Dieu de la 
guerre , serait d'après nous le même mot que mers , des 
Tables précitées, mot qui signifie enfoui ^ dispersé, 
répandu j submergé. Ce qui semblerait justifier notre 
opinion , c'est que le nom de cette divinité ne dérive pas , 
ainsi qu'on pourrait le croire , du mot grec kfnç , mais 
qu'il provient , soit du terme ombrien maomhair , 
terrible , soit du verbe grec (xap[jt.atpa) , briller y reluire ^ 
être éclatant. Ce no serait plus alors qu'une simple 
épithëte du dieu Xpvic » que Ton aurait ainsi qualifié 



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LANGUE LAXilfE OU ROBUiPfS. 434 

à cause de Téclat de ses arme^. Cette ^ithète devrait , 
en pareil cas y avoir le même sens que le mot grec 
[jiap(tapo£iç. 

Les anciens latins , pour désigner le dieu de la guerre 
ne se servaient que du mot de Mamers, ou de MavorSy 
dont leurs descendants firent Mars par contraction. 

Or puisqu'on n'avait pas encore modifié le mot Mamers 
ou Ma vers , on ne pouvait appliquer au dieu en ques^iji^ 
1q nom de Mms,. Ce nop^ dcMit donc avoir ici un^ autre 
signification. L'auteur du carme^des arval^ a déjà désigné 
trois fois le dieu de la guerre par Marmar, ou Marmqr, 
Dans quel but aurait-il multiplié les prétendues manières 
de prononcer ce mot et accumulé les épithètes. Lanzi ne 
va-t-il pas jusqu'à prétendre que Berber a un sens 
analogue ? Rien ne nous autorise à supposer qua l'auteur 
de la chanson des Frères Arvales ait eu pareille intention. 

D'autant plus qu'on peut trouver un sens convenable 
à la phrase en donnant à Mars la même ^gnification 
qu'à mers, et à Berber , la même qu'à therther. Il n'y a 
d'^iUeucs eatpe ces deux derniers mots d'autre différence 
qu'un insignifiant changement de lettres (ce qui avait 
fréquemmsnt lieu dans la langue des premiers Romains). 
Nous pensons donc qu'il serait plus juste et plus rationnel 
detraduire man par m^r^um, c'est-à-dire /am in terra 
i^fum. 



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432 LÀ YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

Incurrere , courir sur , s'étendre, tomber, vient du 
verbe grec âva^oiperv, être avancé dans les terres, qui se 
compose lui-même de la préposition ev, dans , du subs- 
tantif x<<^P?9 P^y^ ) 6t du verbe p^eiv, s'étendre , se pré- 
cipiter , d'où le verbe latin niere. 

In , vient de év. 

Pleores, peut dériver également , soit de i^^ffiç ( pi. 
ir^iffpetç ) , complets, pleins, comblés (sous-entendus de 
tes biens), soit de irXaiaoo), û, pour ^^aierô, courber, 
tourner en dehors, f c'est-à-dire , courbés devant toi 
pour te prier) . Ajoutons cependant que l'explication que 
donne Lanzi de ce mot nous semble meilleure et nous 
parait préférable. 

Satvr, se retrouve dans Sitoç, grain de blé {on dit 
aussi en latin sitos) , et par extension pain. Il est vrai 
que ce même mot existe , exactement semblable mais 
avec la signification de assez , dans quelques auteurs 
latins , dans Plante par exemple , qui écrit : Lavando 
satur , qui s'est assez baigné, 

Limen, en grec >.t(ÀYfv , port. Au figuré, retraite, re- 
fuge. 

Sale , serait ou loiloç, agitation des flots, inquiétude, 
agitation, ou J^àV/:, tempête, tourmente, ouragan, 
tourbillon. 

Altemei semble devoir provenir du verbe greo 



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LANGUE LATIUrS OU ROMAINE. 133 



ÀT^aivcû , ou À^^vfdxo) , faire croître, d'où À^&aivopo;, 
celui qui fait croître. 

Conctos nous paratt être la prononciation barbarisée 
de Taneien mot pélasgique pvntes, tous , qui devint ep 
grec TcovTeç. 

Quant au mot Lases pour Lares , nom des dieux pro- 
tecteurs du foyer chez les Romains j on retrouve en lui 
le terme ombrien Lars, seigneur , maître, qui s'est 
conservé en erse, oii il est devenu Laird dont les An- 
glais ont fait Lord, 

San"^ doute on peut nous objecter que le mot La/r$ 
était usité aussi chez les Etrusques et y avait exacte- 
ment la même signification. D'où il suit €[ue , les Etrus- 
ques étant de race pélasgique, ce nom devrait être 
rangé , non dans le vocabulaire ombrien , mais bien dans 
le vocabulaire pélasgique. Cette conclusion serait d'au- 
tant plus spécieuse que, en grec, Aapo; signifie dotAX, 
agréable , charmant , gentil, et qu'il n'y aurait rien de 
surprenant à ce que les anciens Pélasges eussent donné 
cetadjectif qualificatif en guise de nom à leurs divinités 
tulélaires. Pareil fait ne serait pas d'ailleurs sans 
précédents , et il rentre complètement dans le génie de 
leur langue. 

Cependant, tout nous porte à croire que ce n'est 
point du mot Aap(iç que provient le mot Lars , beaucoup 



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134 LA VÉRITÉ SUR LÀ L^GUE-d'O. 

plus archaïque et dont on a fait peut être Laros; car la 
flatterie ne date pas d'hier, et le maf/re s'est toujours 
vu donner ^ par ses inférieurs ou ses subordonnés , des 
épithètes agréables , propres à flatter son amour-propre. 
•Rien ne prouve, au surplus, que les Ombriens aient 
pris ce mot des Etrusques. L'opinion contraire ne nous 
parait donc point répréhensible , elle ne choque ni la 
vraisemblance ni la logique. 

Nous allons plus loin. Si Lars appartenait réellement 
à la langue étrusque ou pélasgique, ce mot, considéré 
en lui-même et dans ses rapports avec les autres mots 
de la même langue destinés à signifier toutes les idées 
accessoires dont l'idée individuelle , qui leur a donné 
naissance, est susceptible, serait arbitraire, sans racine, 
sans parenté, sans affinité avec les termes dont les 
étrusques se servaient pour exprimer l'idée de posses- 
sion, de domination, de puissance. Il y serait sans te- 
nants , sans aboutissants. 

C'est un fait incontestable que les mots, dont on se 
sert pour exprimer les idées particulières procédant 
d'une idée principale commune , possèdent tous le 
môme radical et ne diffèrent entr'eux, suivant les idio- 
mes , que par des terminaisons ou des affixes et des 
postfixes. Ces désinences varient la forme du radical 
commun^ mais conservent cependant à chaque mot sa 



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LANGUE LATINE OU ROMAINE. 435 

ressemblance spécifique avec d'autres mots prévenus 
du même radical , tout en donnant à chacun des termes 
qu'ils affectent des traits différentiels qui empêchent 
qu'on puisse les confondre avec tel ou tel autre terme 
sorti de la même source et destiné à peindre une autre 
modification , une autre nuance de l'idée mère ou 
type. 

Or, cette loi serait violée si le mot Lars était réelle- 
ment pélasgique ou étrusque. Elle est confirmée au 
contraire, si Ton restitue ce mot à l'idiome ombrien, 
représenté aujourd'hui par l'erse. 

Si l'on consentait à admettre l'explication du carmen 
des frères Arvales par le secours du grec, ce qui serait 
en somme fort rationnel , le grec n'étant qu'un dialecte 
du pélasge, on obtiendrait en latin : 

1 . Nos , Lares , clamantes servate, vel , nobis , Lares , 
clamantibus succurrite. 

2^. Neveluem vastatricem, Terribilis (id est Mars) 
sines incurrère (irruere) in cumulâtes (in ques plenâ 
manubona congessisti), aut inclinâtes (se. tibi sum- 
misses) , seu in flores ( fructus terras). 

3. Adorem (employé ici dans le sens de grain de 
froment ou de blé irupou ou citou xo/jcoç , ou dans le sens 
de adorea^ biens de la terre) ab uredine serva mersum 
(idest, jam satum). 



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436 LA TÊRITÉ SUR LÀ LAIfGUE d'o. 

4. Limen (propugnaculam) teiiq)estatis aut manda- 
tîonis esto percursœ (victœ). 

5. Semones cretores advocalote omnès. 

6. Nos, TerribUis (Mars) , Juvato. 

Ceci, on le voit, ne diffère guère de rexplicati<m 
donnée par Lanzi. 

Par le moyen du grec, il est donc possible et &cile de 
traduire tous les mots contenus dans la Chanson des 
Arvales. 

n nous reste à prouver , en nous servant encore du 
procédé dont'' nous venons de faire usage , qu'une cer- 
taine quantité de vocables , employés par les décemvirs 
dans les fragments des lois des Douze Tables que nous 
avons rapportés , ne peuvent se traduire ni par le grec, 
ni par Tombrien. 

Par exemple , il y a dans ces fragments un certain 
nombre de mots tirés du pélasge ou grec^ancien, comme 
ix>cet (vocare) qui dérive de vvem, clamate, voccUe; 
Uirito (urere) venant de vstite, incendite. 

D'autres mots viennent du grec , déjà modifié par ses 
éléments étrangers, comme: Jus, qui provient évi- 
demment de î(ù^i; et (en supprimant la terminaison ) 
d'ïû)^, abri, refuge; d'où Ton a sorti Tidée de droit, de 
même que les Grecs ont tiré ^ixtî, qui exprime la même 
idée , de Âucatô>, croire juste ou convenable, réclamer, 



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j 



LANGUE LATINE OU ROMAINE. 437 

eacdger une chose juste. Il y a aussi Eat, (ire) qui vient 
deelfAi, eïvatj aller. Quelques-uns enfin dérivent de 
l'Ombrien. 

Par contre , il en est un certain nombre qui ne sont 
ni pélasgiques, ni ombriens, ni grecs, et dont on ne 
peut expliquer la présence en ces fragments si Ton 
persiste -à soutenir que , pendant sa première période , 
le latin s'est développé à Pabri de toute influence étran- 
gère. 

Or, ces mots étrangers sont, d'après nous, au nom- 
bre de quatorze et n'ont aucun rapport ni avec le 
pélàsge , ni avec l'ombrien , ni avec le grec , ni par suite 
avec le latin, puisque ce dernier idiome est censé, à 
l'époque dont nous parlons, n'avoir été formé que par 
ces trois seuls idiomes. 
' Citons quelques uns de ces mots que nous affirmons 
être d'origine étrangère : 

Membrum, membre Ce mot se dit en latin Artus. Il 
est vraisemblable que ce dernier mot, artus, ne pouvant 
trouver son équivalent en aucune autre langue , est 
d'origine pélasgique. Mais membrum est un mot d'em- 
prunt. 

Talio, talion. Il est impossible de trouver dans le 
pélasge, l'ombrien ou erse , et le grec archaïque , un 
mot, ayant le même sens, lequel offre même un sem- 



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438 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Mant d'analogie avec celui-ci. Talio est comme memn 
hrum un mot hétérogène. 

Dicassit (dicere). Le latin exprime aussi la même idée 
par hqui, qui se rapproche davantage du grec >iyeiv. 

Homo, se disait en pélasge vr ou vri (au pi. vrtes 
homines) qui devint le mot latin vir. Les Grecs signi- 
fiaient le même objet par âvifp ou avOpcdTTo; dont la racine 
est ovTÎp, homme, cSij;, figure, aspect, ml. Les Ombriens 
rendaient la même idée par le mot Ach. 

Ces termes-là ne sont évidemment que des emprunts. 
<^Mais pour qu'une nation emprunte des idées et des 
vocables à une autre nation il est absolument nécessaire 
qu'elle soit en contact ou en communication avec elle. 
A l'époque où furent promulguées les lois des Douze 
Tables , Rome n'avait de rapports qu'avec les Etrusques, 
les Ombriens, les Grecs et les Gaulois, c'est-^à-dire 
avec les quatre peuples (1) qui se partageaient la pénin- 
sule italicpie. Or les termes précisés n'appartiennent ni 
au vocabulaire des Etrusques, ni à celui des Ombriens, 
ni à celui des Grecs. C'est donc du vocabulaire gaulois 
que les Romains ont tirés ces termes étrangers. L'asseri- 



(i) Avec les trois peuples, devrions-nous dire, puisque les Etrus- 
ques el les Grecs, sortis tous deux d'une souche commune , ne sont 
en réalité qu'une seule et même race , la race Pélasgique. 



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LANGUE LATINE OU ROXAINE. 139 

%Um est d'autant plus vraisemblable que les termes eci 
question ne se trouvent que dans le seul idiome celtique 
ou gaulois et qu'ils y sont sans synonymes. 

RésuaK>ns-nous : 

4<» n est impossible d'admettre que le latin se soit 
£cMrmé, pendant sa première période de gestation , sans 
subir d'influence étrangère , puisqu'on trouve dans les 
documents qui nous restent de cette époque de nom- 
breux mots étrangers aux langues d'où provient le latin, 
nous voulons parler du pélasge, de l'ombrien et du 
grec. 

3» Ces mots étrangers ayant toujours existé et existant 
encore dans le celtique ou gaulois , c'est au gaulois ou 
celtique que le latin les a réellement empruntés. 

Une importante considération vient d'ailleurs corro- 
borer cette dernière conclusion. 

Les Gaulois se scmt implantés en Italie l'an 465 de 
Rome , environ 600 ans avant l'ère chrétienne ; ils y 
ont, dès cette époque, fondé des établissements impor- 
tants presqu'aux portes de la cité romaine avec laquelle 
• ils n'ont jamais cessé d'avoir des démêlés. Or , il se 
trouve que les rares fragments de la langue latine anté- 
rieurs à l'apparition des Celtes dans la péninsule italique 
ne contiennent pas un seul mot qui n'ait une analogie 
frappante avec les mots Grecs ou Ombriens destinés à 



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\ 40 LA YÉRITfi SUR LA LANGUE d'o. 

peindre les mêmes idées chez les Ombriens et les Grecs, 
tandis qu'il n'existe aucune analogie entre les termes la- 
tins de ces documents et les termes Gaulois correspon- 
dants. Dans les monuments romains , au contraire , pos- 
térieurs à rétablissement des Gaulois en Italie , il est fa- 
cile de constater l'existence d'un grand nombre de ter- 
mes absolument identiques servant dans les deux idio- 
mes à désigner un objet analogue. 

Devons-nous conclure de ceci que les Celtes ont em- 
prunté ces termes aux Romains ? Oui I si ces termes 
proviennent du pélasge ou de l'ombrien. Non I s'il existe 
dans ces deux dernières langues , pour exprimer la même 
idée , d'autres vocables sans affinité , sans analogie 
avec ceux qui sont devenus communs aux Latins et aux 
Gaulois. 

On voit dans le celtique quelques termes qui sont in- 
(î6ntestablement d'origine pélasgique. Dans le latin , on 
trouve une infinité de mots qui n'ont aucun rapport avec 
le Pélasge , l'Ombrien et le Grec. On en trouve même 
un certain nombre qui font double emploi avec le voca- 
ble de provenance grecque , ombrienne ou pélasgique , * 
servant à désigner le même objet ou à peindre la même 
pensée. Par exemple : 

Homo , employé concurremment avec Vir, pour dé- 
signer un homme ; 



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LÀN6UB LATINB OU RiNHÀlNB. U1 

Membrum employé concurremment avec Àrttu\ pour 
désigner un mefnbre ; 

Mors employé concurremment avec InUritus, obtins, 
leihum, pour désigner la mort ; 

Imprudens employé concurremment avec Improvidus, 
incautus, pour désigner un imprudent ; 

Donc, il y a eu entre Gdtes et Romains échange 
d'idées et de vocables. Donc , le latin a subi une in- 
fluence étrangère , quoiqu'on en dise, ce qu'il fallait dé- 
montrer. 

Il resterait à rechercher lequel des deux idiomes , la- 
tin et gaulois , exerça sur l'autre une plus grande et plus 
profonde influence. Mais , nous aurons à revenir sur 
cette question quand nous nous occuperons de la langue 
celtique. Pour le moment , contentons-nous d'exposer , 
(quitte plus tard à justifier notre proposition^ , que la 
langue latine subit fortement l'influence de la langue 
gauloise, sur laquelle elle n'edt , à son tour , aucune ac- 
tion. Le latin , qui ne devait son existence qu'à un mé- 
lange d'idiomes différents et ne subsista que grâce à sa 
remarquable faculté d'assimilation , ne fut et ne pou- 
vait être ce qu'était le Celte ou Gaulois , c'est-à-dire es- 
sentiellement et invinciblement réfractaire aux usages 
étrangers^ 

Empruntons encore quelques citations à M. Vaïsse , 



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1 42 LA TÉRITË SUR LÀ LANGUE d'O. 

un des auteurs qui résume le mieux les faits acquis à la 
science : « ... Rome, dit-il, n'en continua pas moins de 
» faire des emprunts à tous les peuples avec lesquels elle 
» fut en rapport , et Tinvasion des termes exotiques ne 
» connut plus de bornes lorsque, sous les derniers em- 
» pereurs, après les Antonins, les étrangers affluèrent 
» de toutes les parties du monde romain dans la capitale . 
» L'altération qui en résulta pour la langue marcha d'au- 
D tant plus rapidement alors, que depuis les deux Pline 
» il n'existait plus d'écrivain capable de la modérer. » 

Le même auteur avait écrit quelques lignes plus 
haut : — 

(' Mais l'élément barbare qui existe dans le latin ratta- 
» che cette langue non-seulement au celtique de la Gaule, 
» mais encore au cantabre de l'Ibérie et au teuton de 
» la Germanie. » 

Que le Cantabre et le Teuton aient concouru à enrichir 
l'idiome romain de nouveaux termes , c'est ce dont nous 
n'avons pas à nous préoccuper. Ce qui nous importe , 
c'est de voir notre prétention relativement au celte jus- 
tifiée. 

Or, de l'avis de M. Vaïsse lui-même , il est avéré que 
l'élément celtique a aidé à la formation et au développe- 
ment du latin littéraire ou classique et que l'infiltration 
de mots gaulois dans le latin a commencé pendant la 



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LANGUE LATINE ou ROMAINE. 143 

première période de perfectionnement de cet idiome et 
s*est continuée sans interruption jusqu'à la chute défini- 
tive du latin en tant que langue vulgaire. 

Nous voici amenés à parler du Celtique ou Gaulois. — 
Voyons ce qu'était cet idiome. 



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CHAPITRE CINQUIÈME 



LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 
QUELLE SST-BLLE? 



Dans la partie historique de cet ouvrage , nous avons 
démontré que les habitants de la France cictuelle ( abs- 
traction faite des Flamands , des Bretons , des Basques 
et des Allemands ) y sont les légitimes fîls des Gaulois ou 
Celtes et qu'ils ont , seuls, le droit de revendiquer le nom 
de leurs ancêtres. Cela ne saurait pourtant nous suffire. 
Si personne ne nous conteste l'authenticité d'une pareille 
origine , personne aussi ne consent à admettre que nous 
parlions encore la vieille langue des druides , le Gaulois. 
Il 9 



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146 LA YÉRITÊ SUR LA LANGUE d'O. 

Qui , de tout le monde ou de nous , se trompe? C'est 
ce qu'il nous importe de rechercher avec tout le soin 
imaginable. 

Nous avons vu qu'on nomma tout d'abord Celtique à 
peu près toute l'Europe. « La Celtique des géographes 
» grecs , écrit M. le Général de Vaudoncourt , poslé- 
» rieurs à ceux qui avaient fait cette première classifica- 
» tion , ne comprit plus que les peuples habitant la Ger- 
» manie , la Gaule , les tles britanniques et PEspagne. 
» C'est ainsi qu'on les trouve en effet désignés depuis 
» Strabon. Lorsqu'à la renaissance des lettres on reprit 
» l'étude de la géographie ancienne , cette nouvelle clas- 
)' sification reiçta en usage et on ne s'occupa plus que de 
» rechercher quelle avait été la langue commune des 
» peuples de l'Europe occidentale ; car , puisqu'ils étaient 
» tous Celtes, ils devaient tous avoir parlé la même lan- 
» gue , qu'on consentit à diviser cependant en plusieurs 
» dialectes. Le Français et l'Espagnol sont évidemment 
» dérivés du latin , de même que l'anglais du germani- 
» que. Mais le germanique était une mère-langue : Dans 
» les montagnes du pays de Galles et dans celles de l'E- 
» cosse , dans les Pyrénées se parlaient d'anciens langa- 
» ges qui s'y étaient conservés depuis un temps immémo- 
» rial. Des mots appartenants à ces divers idiomes sere- 
)) trouvent dans le français , Tanglais , l'espagnol et même 



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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 44? 

» dans l'italien. Que pouvait-on, dans le système qu'ofl 

» avait adopté, faire de mieux que de réunir ôesidiomeà 

» dans une seule langue appelée celtique , dont ils for^ 

» maient quatre dialectes? C'est sur cette base que fut 

» composé le dictionnaire celtique, qui se trouve, tomes 

» II et III , dans Touvrage du théologien Bullet. On y 

» voit réunis, sous le nom de celtiques, une foule de 

» mots des langues germanique , gaélique, kymrîque et 

» basque. De la même manière , on pourrait réunir quel- 

» ques milliers de mots chinois, mandschous, tatars, 

» mogols , etc. , dans une même compilation à laquelle 

» on donnerait le nom de dictionnaire Scythique. Cette 

» idée hétéroclite passa cependant à la faveur des préju- 

» gés religieux et sous la bannière de Gomer et d'Asch- 

» kenaz. Au lieu d'éveiller une critique raisonnée et de 

» faire naître des recherches mieux approfondies , les 

» hypothèses de Bullet n'excitèrent que des discussions 

» d'amour propre. On admit la langue celtique telle qu'il 

» l'avait inventée, avec ses quatre dialectes , et l'on ne 

» ce disputa plus que sur la priorité entr'eux 

» Tous se sont contentés de comparer des mots pris iso- 
* lément, sans égard à leurs flexions , sans considération 
» des règles qui président à leurs combinaisons ; et nous 
» venons de voir que cette méthode , ou plutôt cette ab- 
» sence de méthode, ne pouvait îles conduire à rien 



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448 LÀ YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

» Nous allons examiner grammaticalement , plus encore 
» que lexicographiquement , les prétendus dialectes d'une 
» seule langue , qui serait le celtique , et nous livrerons 
» au jugements de nos lecteurs les conséquences qu^on 
» peut tirer de notre travail. Ces idiomes sont au nom- 
» bre de quatre : le galique , le kymre ou kymrique , le 
» vasque, et le germanique. Le premier est parlé dans 
» le nord de FEcosse et dans l'Irlande ; le second dans le 
» pays de Galles , le Cornouailles et la Bretagne armori- 
» caine ; le troisième dans la Biscaye et les Pyrénées ; le 
» quatrième dans FAlIemagne , le Danemarck , la Suède, 
» la Norwège , l'Islande et TAngleterre. Les limites dans 
» lesquelles nous sommes obligés de nous renfermer ne 
» nous permettent pas de donner à l'analyse qui va sui- 
» vre tous les développements que nous aurions désiré ; 
» nous tacherons cependant d'y réunir tous les maté- 
» riaux qui pourront , en justifiant nos assertions , asseoir 
» l'opinion de nos lecteurs. 

Comparaison grammaticale, 

» Caractères. 1® Le nombre des caractères exprimant 
» des sons divers n'est pas le même : le galique en a 41 , 
» le kymre 37, le vasque 26, le germanique 30 dans l'o- 
» rigine et 34 dans les temps postérieurs. 2^ Les sons vc- 
» eaux sont au nombre de 1-6 dans le galique ^ 13 dans 



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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 449 

» le kymre , 7 dans le vasque et 10 dans le germanique. 

» Leur valeur n'est pas la même dans chacune de ces 

» langues où ils se pronoi^cent d'une manière différente , 

» en sorte que ce qui est une voyelle simple dans une de- 

» vient une diphtongue dans les autres. 3® Les consonnes 

» de même figure n*ont également pas toutes la même 

» valeur dans les quatre langues. Ce que nous venons 

» d'exposer suffit pour démontrer la différence radicale 

» qui existe entre les quatre langues que nous compa- 

» rons, sous le rapport des caractères ou plutôt des 

» sons dont elles se servent pour composer les mots. 

» La similitude des caractères écrits qu'elles emploient 

» disparaît dès que la voix doit exprimer ce que l'œil a 

» vu. Chaque individu Gaulois, Kymre, Vasque, Ger- 

» main , peut bien lire les mots tracés dans une langue 

» qui n'est pas la sienne, si on appelle lire la faculté 

» d'épeler , en donnant à chaque lettre la valeur ou le 

» son auquel il est accoutumé; mais II ne se fera pas 

» comprendre de celui dans la langue duquel il croit 

» lire, et qui, à la vue des mêmes lettres , est habitué 

» à d'autres sons. 

» Noms et leurs déclinaisons, \^ Il existe des différen- 
» ces essentielles dans le nombre , l'emploi et la décli- 
» naison. ou flexion des articles. 2<* La déclinaison des 
» noms présente des différences non moins sensibles, en 



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159 Ml têrit£ sur la langue d'o. 

» ce que dans les uns Tarlicle est nécessaire , dans d'au- 
p très il est facultatif ou même n'existe pas. La même 
» variété existe dans les pronoms et les adjectifs. 

» Verbes et leurs conjugaisons. La classification géné- 
» raie des verbes en actifs et passife , sdon qu'ils se 
» rapportât au sujet qui agit ou à celui qui reçoit 
» l'action , et leurs subdivisions ©a personnels , imper- 
» $onnels ou neutres, directs ou réciproques, sont, 
» rdativement aux langues dont nous nous occupon3, 
» rœuvre d'un temps assez rapproché de nous. Cette 
» théorie n'a pu naître qu'à une époque où la civilisation 
)) était assez avancée pour qu'on s'occupât de la fixation 
» des règles grammaticales des langues ; et cette époque 
» a du être postérieure , dans notre Europe occidentale , 
» à celle de l'établissement du Christianisme , première 
» cause du rapprochement des peuples à demi sauvages 
» de ceux qui étaient civilisés. De là naît la similitude 
» presque complète qu'on observe entre les grdtnmaires 
» de tant de peuples européens et celle de la langue 
y^ latine. Nous ne nous en occuperons donc pas , et nous 
» choisirons des points de comparaison qui répondent 
» mieux au but que nous nous proposons, i^ Les pro- 
9 noms je , tu , il , etc. , sont également en usage dans le 
» galique, le kymre et le germanique, mais l'emploi 
» en est difiérent dans chacune de ces langues; 2^ les 



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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 451 

• / 

» nombres ne sont dans ces quatre langues qu'au nom- 

» bre de deux, le singulier et le plurid ; 3<> les temps : 

» le galique n'a que le présent, le passé et le futur : le 

» kynire a pour l'indicatif six temps ; le vasque à égale- 

» ment six temps, mais au lieu du parfait indéfini il a 

» un second futur; le gOTmanique n'a que cinq temps; 

» 40 les modes : le galique en a six , qui tous se forment 

» par flexion ou initiale ou finale , seulement les quatre 

» derniers emploient devant le verbe la préposition 

» caractéristique qui signifie à, pour, afin de; le kymre 

» n'a que quatre' modes, qui se forment par flexion 

» finale; dans le vasque, la grande complication des 

» conjugaisons a fait adopter aux grammairiens qui s'en 

» sont occupés un grand nombre de modes, dont le 

» nombre s'élève jusqu'à onze, et dont la dénomination 

» est plus ou moins arbitraire ; le germanique a six 

» modes dont trois se forment directement du verbe ; 

» 5« leis auxiliaires : le galique a cinq verbes auxiliaires, 

» qui ne sont que des formes diverses du verbe étre^ 

» mais leur usage y est bien différent de ce qu'il est dans 

» les autres langues; le kymre n'a que les auxiliaires 

» être et avoir , dont le dernier sert à la conjugaison du 

» parfait indéfini et du plus-que-parfait ; le vasque n'a 

» également que les auxiliaires être et avoir, dont le 

» premier appartient aux formes passives et le second 



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1 52 LÀ TËRITÉ SUR LA LÀlVGUS d'O. 

» aux formes actives ; le germanique a pour la conjugai- 
» son du parfait et du plus-que-parfait l'auxiliaire avoir, 
» pour le futur l'auxiliaire devenir , pour la formation 
» deToptatif, du subjonctif et du potentiel, vouloir, 
» devoir , être disposé , pouvoir et faloîr , pour la forma- 
» tion du passif être; 6^ l'infinitif: dans le galique et 
» danslekymre, l'infinitif est simple et impersonnel, 
» indiquant purement l'action faite ou reçue; dans le 
» vasque il en est autrement : le sujet régislant l'action 
» au lieu d'être régi par elle, l'infinitif n'est qu'une 
» modification impersonnelle du participe ; dans le ger- 
» manique il y a, à proprement parler , trois infinitifs : 
» le primitif, qui indique l'action; le dérivatif, qui en 
)) indique la tendance ou la destination, et le gérondif, 
» qui en indique la convenance ou la nécessité; 7® les 
» participes : dans le galique , le participe, qui reste in- 
» déclinable , a trois temps , qui sont distingués par des 
«prépositions; dans le kymre, il y a deux participes 
» présents , il n'y a qu'un participe passé et point de 
» futur; dans le vasque, le nombre des participes peut 
» être considéré comme indéfini par la facilité qui existe 
» dans cette langue de changer chaque pà^sonne de 
» chaque temps, mode ou conjugaison, en un participe ; 
» le germanique a les trois participes , passé , présent 
» et futur, qui tous se rapportent au sujet; 8® Verbes 



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LANGUE CXLTIQUB OU GAULOISE. i 53 

» passifs; dans le galique, les verbes passifs se coiyu- 
» gaent par des flexions finales et initiales , sans inter- 
» vention d'un auxiliaire , excepté à l'infinitif; dans le 
» kymre, ils se conjuguent par Tinter vention de Tauxi- 
» liaire être ; dans le vasque, le passif se forme également 
» par Tauxiliaire être, mais d'une manière qui n'a rien 
» de commun avec les autres langues ; dans le germ^- 
» nique, le passif se forme par l'adjonction des auxiliaires 
» être et devenir, dont le second remplace, dans les 
» prétérits surtout, l'auxiliaire avoir, qui disparait tout 
» à fait du passif; 9« système général des conjugaisons : 
» dans le galique, le thème, ou la racine du verbe, est 
» la seconde personne du singulier de l'impératif; c'est 
» autour dé cette racine que se placent les flexions 
» initiales et finales , qui forment le présent des différents 
» modes ; dans le kymre , le thème ou la racine du verbe 
» est l'infinitif; les flexions de cette racine sont toutes 
» finales , sans exception , mais le système de conjugai- 
» son , dans cette langue , est tout à fait différent de ce 
» qu'il est dans les autres. Il n'y a qu'une seule règle de 
» conjugaison pour la formation des modes et des temps; 
» mais chaque verbe se conjugue de quatre manières 
» différentes, selon les différentes positions ou les dif- 
» férents régimes. Dans le vasque , le thème ou la racine 
y> du verbe est son substantif, dont la première syllabe 

9. 



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f$4 U YÊEinB SUR LA LANQUB d'o. 

» sert à la composition de Finfinitif et des participes, 
» Dans le germanique^ la racine ou le thème du verbe 
» n'est pas le même dans les différents dialectes. Dans 
» le suévique ou Scandinave , et dans le francique ou 
» aHemanique, c'est l'infinitif. Dans le mœsogothique, 
» où les flexions sont plus marquées , et qui , n'ayant 
» qu'un seul prétérit , n'admet point l'auxiliaire, même 
» pour le futur , cette racine nous paraît être le subs- 
» tantif. 

» Adverbes et prépoiitions. Dans le galique , la for- 
» mation des adverbes a lieu par deux prépositions, 
» l'une pour les substantifs et l'autre pour les adjectifs. 
» Dans le kymre elle a également lieu par des préposi- 
» tiens, mais elles se placent indifféremment devant leç 
» substantifs et les adjectifs. Dans le vasque, les adjectifs, 
» comme toutes les modifications de noms , s'indiquait 
» par des postpositions ou inflexions. Dans le germani^ 
» que , les adverbes dérivés des verbes se forment par 
» ui^e flexion de l'infinitif, et ceux dérivés des noms par 
» une terminaison fixe. Dans la langue galique , les pré- 
» positions forment un système tout à fait diff&ent de 
» celui des langues modernes. Elles sont ou antérieures 
'» ou postérieures, séparables ou non. Outre ces prépo- 
» sitions , le galique a encore un certain nombre de par^ 
» ticules modificatives , qu'on divise en quatre classes : 



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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 455 

» les dérivatives, les assimilatives, les augmentatives 
» elles diminutives. Dans le kymre et dans le germani- 
» que, les prépositions sont égalem^t de deux classes , 
» séparables ou conjointes , mais le système de leur 
» formation est beaucoup moins étendu que dans le 
» galique. Dans le vasque , il y a aussi des prépositions 
» conjointes et disjointes ; mais il y a en outre un grand 
» nombre de particules modificatives qui ajoutent beau- 
» coup à la richesse de la langue. 

^) La comparaison grammaticale que* nous venons 
» d'établir suffit pour démontrer jusqu'à l'évidence 
» que le galique , le kymre , le vasque et le germanique , 
» loin d'être des dialectes d'une même langue, qu'on 
» appellerait cdtique, sont des langues distinctes , et 
» auxquelles on ne saurait assigner une origine com- 
» mune. Elles diffèrent réellement par les sons qu'elles 
» emploient pour former les mots , par le système des 
» flexions qui représentent les modifications des noms 
» et des verbes, par la classification des noms et des 
» verbes , par l'espèce et l'emploi des auxiliaires du dis- 
» cours. Si les limites imposées au présent ouvrage ne 
» s'y opposaient pas , nous présenterions à nos lecteurs 
» un vocabulaire des mots qu'on peut appeler radicaux , 
» parce qu'ils appartiennent à des choses et des idées de 
» première nécessité, dont l'expression se trouve dans 



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456 LA YÉRITË SUR LA LANGUE d'O. 

». " 

» la langue des peuples dont la civilisation est le moins 
» avancée. La comparaison lexicographique qui en ré- 
» sulterait fournirait une nouvelle preuve de la différence 
» essentielle qui existe entre les langues que nous exa- 
» minons. On n'y voit aucun signe d'une idée systéma- 
» tique commune , dont Tunité n'aurait pu manquer de 
» présenter quelques traces que l'analyse aurait recon- 
» nues et saisies. Au contraire il est facile de se convain- 
» cre qu'un autre ordre d'idées a présidé à la formation 
» de chacune. » 

Cet extrait de l'article du Général de Vaudoncourt, est 
un peu long. Mais il nous a paru indispensable pour 
arriver à la découverte de l'idiome qui , seul , a droit 
de se nommer celtique. Le passage en question est loin 
cependant de terminer nos incertitudes ; car il ne traite 
que de langues absolument étrangères à la véritable 
langue gauloise. 

Partant d'une idée préconçue , le Général de Vaudon- 
court ne nous donne à choisir qu'entre plusieurs langues 
qui ont induement usurpé la dénomination de langues 
celtiques. Il prouve bien à la vérité qu'entre ces divers 
idiomes il ne peut y en avoir qu'un qui soit le celtique , 
puisque tous diffèrent radicalement dans leur apparence 
spécifique, respective ; mais il affirme que le véritable, 
gaulois , c'est le gaëlique d'Ecosse. 



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LANGUE CELTIQUE OU GAULOIS?. 457 

Pourquoi donc cette langue serait-elle , plutôt qu'une 
autre ., le vrai gaulois î 

D'après Larramendi , le véritable celtique est le bas- 
que ; d'après Bécan , c'est le hollandais ; d'après Rudbeck, 
c'est le suédois ; d'après le Général de Vaudoncourt , 
Mar-Pherson et autres philologues , c'est l'Erse ou gaëli- 
que. Enfin Freret, BuUet, Pezron, Quvier, Baxter, 
A. Thierry et la généralité des linguistes de notre époque 
sont convamcus que le celtique n'est représenté au- 
jourd'hui que par le bas-breton et le kymrique du pays 
de Galles , en Angleterre. 

En face d'opinions aussi diverses , toutes appuyées 
sur des preuves plus ou moins sérieuses et des raison- 
nements plus ou moins spécieux , on serait en droit de 
supposer que rien n'est moins connu en réalité que la 
langue celtique ou gauloise. En effet , de toutes ces 
preuves , il n'en est aucune , de tous ces raisonnements, 
il n'en est aucun qui puissent résister à un examen 
consciencieux et impartial. 

Ne parlons que pour mémoire des savants qui croient 
trouver la langue celtique dans le basque , le hollandais 
ou le suédois. Restent ceux qui nomment gaulois les 
idiomes erse et bas-breton. Ceux-là ne sont guère plus 
formidables. Il est facile , en effet , de prouver que leurs 
suppositions ne reposent sur aucune base solide. 



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158 LA YtRlTÉ SUR LÀ LANGUE D'O. 

Dans la première partie de ce travail , nous avons 
démontré que les Basques , les Ecossais et les Bretons 
sont trois peuples distincts , n'ayant rien de commun 
ensemUe, ni origine, ni mœurs, ni usages, ni traditions. 
Inutile de revenir donc sur. ce sujet. Nous ne voulons 
en tirer que cette conséquence , c'est que , par la même 
qu'ils étaient d'origine diverse , ces peuples ne pouvaient 
parler la même langue , pas même des dialectes d'une 
même langue. 

n est extrêmement aisé de se convaincre que les idio- 
mes gaëlique ou erse , bas-breton ou kymrique , basque 
ou euscara , n'ont pas le moindre rapport entr'eux et 
sont aussi nettement tranchés que possible. Or , si l'un 
d'entr'eux était le celtique ou gaulois, les autres ne 
sauraient évidemment élever la moindre prétention à 
partager ce privilège. En d'autres formes, dans l'hy- 
pothèse qu'on puisse retrouver l'idiome gaulois au fond 
d'un des trois idiomes en question , il y en aura toujours 
forcément deux qui devront être éliminés. 

Quels sont-ils ? 

C'est ce que nous allons sommairement examiner. 

Les savants travaux de M. de Humbold , de l'abbé 
Darrigol et d'autres érudits, ont trop bien prouvé que la 
langue basque oi^ euscara était l'ancien langage des Ibère$ 
pour qu'il soit nécessaire de s'en préoccuper davantage. 



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LANGUE CELTIQUE OU GAULOISE. 459 

Or comme aucun auteur sérieux n'oserait prétendre que 
les Ibères appartiennent à la nation celtique et que leur 
langue à été un dialecte du gaulois nous sommes forcés 
de conclure que Feuscara ou basque n'a aucune affinité 
avec le gaulois et ne peut pas , conséquemment , être 
pris pour son représentant direct et légitima 

Quant à la langue Erse , nous pensons avoir surabon- 
damment démontré que cette langue n'est que l'antique 
langue ombrienne ., langue affiliée de très près au phéni- 
cien, si ce n'est pas réellement le phénicien lui-même. 
En aucun cas d'ailleurs , on ne saurait soutenir que l'erse 
ou gaëlique ait un droit quelconque au nom de celtique 
ou de gaulois. 

Nous devons donc rejeter , comme improprement 
nommés gaulois , les deux idiomes que nous venons 
de mentionner. Mais , puisqu'il ne reste plus en ligne 
que le bas-breton , il semble que c'est à lui seul que nous 
devrions appliquer le nom de celtique. 

Si nous nous bornons à consulter l'opinion publique , 
nous pourrons , comme la généralité de nos linguistes , 
croire que le bas-breton et le gaulois ne sont qu'une seule 
et même langue. Le plus grand nombre de nos savants 
contemporains , pour ne pas dire la totalité , consultés à 
ce sujet , n'hésiteraient point à répondre affirmativement. 
Donc , étudions l'idiome de Bretagne. 



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CHAPITRE SIXIÈME. 



LANGUE KYMRIQUE OU BRETONNE. 



M. Brachet , dans l'iatroduction de sa Grammaire his- 
torique de la langue française ( à la note placée an bas 
de la page 21 ) écrit ceci : 

« Refoulée dans l'Armorique par les conquérants ro- 
» mains , la langue gauloise y vécut pendant plusieurs 
» siècles à la faveur de son isolement; cette tradition du 
» celtique fut ravivée au septième siècle par une immi- 
» gralion des Kymris chassés du pays de Galles, Les 



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162 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE D'O. 

» Bretons furent aussi réfractaires à la conquête franke 
» qu'ils l'avaient été à la conquête romaine ; et ce qu'on 
» nomme aujourd'hui patois bas-breton n'est autre chose 
» que l'héritier de la langue celtique. » 

n est surprenant que M. Brachet n'ait pas remarqué 
l'erreur historique qu'il commet dans ces quelques li- 
gnes. Les Bas-Bretoùs et les Gallois descendent des Gim- 
bres ou Kymrys ; c'est un fait certain et M. Brachet le 
reconnaît. Mais alors , puisque les Kymrys et les Celtes 
ont , selon lui parlé la même langue , il faudrait admet- 
tre que les Celtes et les Kymrys ne formaient qu'un seul 
peuple , dont ils auraient été deux tribus particulières. 

D'après M. Brachet il en serait ainsi en effet : 

«César, dit-il (introduct à la Gramm. hist.p. 13) 
» rapporte qu'à son arrivée en Gaule il trouva trois peu- 
li pies distincts de langue y de mœurs et de lois : les Bel- 
» ges au nord , les Aquitains entre la Garonne et les 
» Pyrénées , au centre les Gaulois proprement dits ou 
» Celtes. De ces peuples , les Celles et les Belges , comme 
» nous l'apprennent d'autres sources, étaient de même 
» race. » 

Ceci posé , si l'on a prouvé ou si l'on peut prouver que 
les Celtes et les Belges avaient une commune origine , 
comme les Cambriens d'Angleterre et les Bretons àe 
France proviennent de ces Belges , la langue des Cam-- 



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LJUfGCB KTlOIQUe OU BRET(HmB. 163 

bri^is et des Bretons ne saurait diffêrer de edle des Cel- 
tes ou Gaulois. Conséquemoient le bas-breton ou kym- 
rique serait (et il ne pourrait être autre chose) l'idiome 
celtique pur. 

Mais cette unité d'origine des Gdtes et des Belges , l'a- 
t-on prouvée? La est la question. 

Nous i»*ofessons sur ce pmnt un sentiment diamétrale- 
ment oiq)osé à l'opinic» de M. Brachet. 
Voidi sur quoi nous nous fondons : 
I. — César , qui a pendant longtemps séjourné dans 
la Gaule et s'est trouvé en contact permanent avec les 
divers peuplés qui l'habitaient , déclare formellement , 
dans ses commentaires, que les Belges et les Gaulois 
différaient de mœurs , de lois et de langage. On ne sau- 
rait sérieusement nous objecter que le conquérant des 
Gaules n'était pas à même de discerner les différences 
existantes entre les divers idiomes parlés chez les Gau- 
lois et les Bdges, et qu'il a pu prendre pour des langues 
distinctes , des dialectes d'une même langue. Cette (éjec- 
tion peu sérieuse serait immédiatement réfutée par Cé- 
sar lui-même , lequel affirme catégoriquement que les 
Belges étaient de race et d'origine teutonne , ce qu'il n'a 
garde de dire des Celtes ou Gaulois. 

Il nous semble qu'à un pareil témoignage on ne devrait 
opposer que des faits patents et irréfutables , seuls capa- 



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464 Là TtUTÉ SUR Là LAH60E d'O. 

Mes de rinfirm^. Cest aussi ce que qudques auteurs 
out essayé de foire (bien en vain , hélas I «i rapportant 
l'aventure de Sertorius , qui , grâce à quelques mots de 
la langue gauloise (?) qu'il avait pu apprendre , serait 
allé espionner les Gmbres dans leur propre camp. 

Cette anecdote serait-elle authentique, (et nous s<»n- 
mes loin de la contester) , ne prouverait en somme pas 
grand chose. En effet, ou les mots usuels, appris par 
Sertorius, appartenaient à l'idiome Cimbrique ou Teu- 
ton , et il est alors focile de comprendre qu'U ait pu aisé- 
ment remplir son rôle d'espion; ou bien ces termes 
appartenaient à la langue gauloise et on peut alors tout 
aussi fecilement' admettre qu'une certaine quantité de 
cimbres ou de teutons parlassent cette dernière langue , 
de foçon du moins à pouvoir converser avec celui qu'ils 
devaient prendre pour un ennemi-né de la puissance 
romaine. Dans les deux cas, cela ne saurait prouver 
l'identité des idiomes Cimbrique, teuton ou gaulois. 

Nous sommes d'autant plus autorisés à émettre cette 
conclusion , qu'il est tout à fait impossible à deux dia- 
lectes d'une même langue d'en arriver, dans un court ou 
long espace de temps , à différer assez conplétement 
entr'eux de manière à devenir deux langues distinctes 
et nettement séparées. 

C'est pourtant ce qui serait arrivé à ces trois dialectes 



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LANGUE KTHRIQUE OU BRETONNE. 465 

de la langue celtique ( le Kymre , le Teuton et le Celte, 

en admettant qu'ils fussent trois dialectes d'une même 

langue). 

Et cpie penser alors de l'affirmation de César {BelL 

galL ) disant que les Germains et les Gaulois parlaient 

cbacun une langue différente. 

Ayant une notification à faire à Arioviste , chef des 

Marcomans, César lui envoya un Gaulois nommé Procil- 

lus, non-seulement parce qu'il pouvait se fiera lui, 
mais parce qu'Ârioviste , instruit par un long usage , 
commençait à parler la langue gauloise. 

Un témoignage aussi précis aurait dû , non-seulèment 
faire cesser; mais encore prévenir toute controverse sys- 
tématique. En effet, on ne saurait admettre, que dans 
le court espace de temps qui sépare Marins de César, 
deux dialectes d'une langue unique, aient pu former 
deux langues absolument différentes. 

Il — Plusieurs auteurs , tant anciens que modernes 
( nous en avons mentionné quelques uns dans la partie, 
historique de cet ouvrage qui traite des Aquitains et 
des Belges ) démontrent , preuves à l'appui , que les 
Bas-Bretons descendent des Kymrys ou Ombres; que 
ces Cimbres étaient tout uniment les habitants de la 
Gaule, nommés Belges par César; et que les Belges ou 
Cimbres appartenaient de fort près à la nation teutonique 



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1 66 LA VÉRITt SUR LA LANGUE d'O. 

OU alleinande tandis qu'ils différaient complètement de 
la nation Gauloise. 

III. — L'histoire nous a conservé la date précise des 
diverses immigrations et de l'établissement définitif des 
Cimbres sur le sol de la Bretagne française ; sol qui appar- 
tenait auparavant aux Gaulois, seuls, et qui n'était 
peuplé que par des Celtes. 

IV. — Q est impossible de ne pas remarquer , à moins 
d'être de mauvaise foi ou d'agir de parti pris , les diffé- 
rences physiques et morales, qui existent encore , aussi 
tranchées que possible, entre les Bas-Bretons et les an- 
tres habitants de la France. Or , le caractère et le type 
physique des Gaulois d'aujourd'hui n'ont pas cessé d'être 
ce qu'ils étaient chez les Gaulois d'autrefois. Les statues, 
les médailles, les écrits des anciens historiens et ceux 
des historiens contemporains sont là pour faire foi que ni 
type ni caractère n'ont éprouvé aucune modification , 
aucun changement , et que, malgré les siècles , les Gau- 
lois sont, sous ce rapport, demeurés immuables. Com- 
ment donc expliquer la différence à laquelle nous faisons 
allusion ? 

On connaît à peu près toutes les descriptions que les 
anciens nous ont transmises sur les mœurs et les coutu- 
mes des Celtes. 

Ammien MarcdUn, qui semble avoir voulu caractéri- 



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LANGUE KTHRIQUB OU BaiTONlfE. 167 

ser davantage les anciens gaulois , dit qu'ils avaient la 
chair blanche et la tète haute , les cheveux blonds dorés 
( ce qui n'est point la couleur filasse des Teutons) et le re- 
gard affreux ; qu'ils étaiait prompts , querelleurs et te- 
naient haut la maan ; qu'une troupe d'étrangers n'eût osé 
en attendre un seul quand il était en colère, tant ils étaient 
redoutables; que rien surtout ne leur résistait quand ils 
étaient aidés de leurs femmes , qui se mêlaient hardiment 
à leurs querelles et frappaient à coups de poings et à 
coups de pieds aussi rudement que leurs maris ; que leur 
voix était efiGroyableet menaçante , lors même qu'ils n'a- 
vaient aucun sujet d'être émus; qu'ils étaient propres 
en leurs habits , dans l'Aquitaine beaucoup plus qu'ailleurs 
n'y ayant point de femme qui ne se piquât d'une grande 
propreté , quelle que fut sa misère. 

Les Gaulois étaient braves , mais capricieux et amis 
du changement ; spirituels , mais crédules et hâbleurs. 
Ils recherchaient ce qui venait de loin et dédaignaient ce 
qu'ils possédaient. Ils aimaient beaucoup leur liberté in- 
dividuelle , mais fort peu leur sol natal. Ils étaient fan- 
farons, enfin (1). 

(i) On doit se rappeler cette magnifique gasconnade qui suffirait à 
elle seule à peindre Tesprit de ce peuple aussi vaniteux que follement 
brave: '^fiQue craigneZ'-vouiPn leur demandait-on. ^^fiRien/» 
répondirent les Gaulois. — » Poi même la ehuU du ciel? • intsrro^ 



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468 Là YÉRiTÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

Les Gaulois avaient cependant ceci de louable qu'ils 
étaient généreux et francs et qu'ils ne pouvaient souffrir 
ni le mensonge ni la supercherie. Ils faisaient gloire d'imi- 
ter en cela leurs ancêtres , qui avaient méprisé la ruse et 
ne s'étaient jamais fiés qu'à leur valeur. 

Voici maintenant ce qu'un Breton écrit de ses compa- 
iriotes: 

« D'une imagination vive et néanmoins mélancdique ; 
» d'une humeur aussi mobile que leur caractère est obs- 
» tiné, les Bretons se distinguent par leur bravoure, leur 
» indépendance, leur fidélité, leur attachement pour la 
» religion, leur amour pour leur pays. Fiers et suscepti- 
» blés, sans ambition, peu feits pour les cours, ils ne 
» sont avides ni d'honneurs ni de places. Ils aiment la 
» gloire , pourvu qu'elle ne gêne en rien la simplicité de 
» leurs habitudes ; ils ne la recherchent qu'autant qu'elle 
» consent à vivre à leur foyer , comme un hôte obscur et 
» complaisant qui partage les goûts de la famille. » 
( Chateaubriand , Analyse raisonnée de t Histoire de 
France. p, HO.; 

Quoique singulièrement flatté, ce portrait ne ressem- 
ble guère, on l'avouera , à celui des anciens Gaulois. Il 

gea-t-on. Pat mêtM/ car ti cela arrivait nom le toutiendriom avec 
notpiquêi/»'^ 



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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 469 

lui ressemblerait encore moins, si — ce qui est vrai — 
nous ajoutions que les Bretons sont accusés , par tous 
ceux qui leô ont visités, d'être d'une saleté proverbiale. 
Très-différents des Gaulois par les tendances de leur 
esprit, les Bretons s'en éloignent encore beaucoup par 
la structure de leur corps et la forme de leur crâne. Or , 
ces dissemblances caractéristiques ont existé de tout 
temps et existent encore entre les descendants directs 
des Gaulois ou Celtes, et les Bretons qu'on veut, à tout 
prix , faire passer pour une tribu celtique. 

En effet, on ne peut constater aucune ressemblance 
morale ou physique entre les Celtes et les Bretons d'au- 
jourd'hui. Cela serait-il possible s'ils étaient tous deux 
sortis d'un mênie tronc? Donc, si la majeure partie des 
Français actuels sont de race Celtique ou Gauloise , les 
Bretons ne sauraient appartenir à cette race; si les Bre- 
tons , au contraire , proviennent des Celtes , ces mêmes 
Français n'ont aucun droit à |a même origine. Non , Gau- 
lois et Bretons ne sont pas une même race. D'un examen 
comparatif, même superficiel, établi entre ces deux 
peuples , il ressort clairement qu'ils n'ont rien de commun 
ensemble. 

Le vrai Gaulois actuel , ou Français de la langue d'O , 
est spirituel, léger, expansif. Le Breton est sérieux, 
concentré, entêté, superstitieux. 

II 10 



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170 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Le premier aime les voyages, le changement. Il s'im- 
plante partout et apporte en tous pays les usages du sol 
, qui Ta vu naître. S'il ne peut ou ne veut quitter le sol 
natal, il accueille avec joie l'étranger qui le visite ou 
vient s'installer près de lui. 

Le second , au contraire , se plait chez lui ; il est atteint 
de nostalgie , si un motif quelconque le force à déserter 
son pays. Quant aux étrangers qui le visitent, il ne les 
reçoit qu'avec défiance et d'une façon presqu'hostile. 

Les Gaulois et une partie des Bretons ont conservé leur 
idioipe national à peu près intact , mais par des procédés 
distincts. 

Têtu, rancuneux et farouche, animé par ses poètes 
qui lui rappelaient sa grandeur passée et son abaissement 
présent, dont les Saxons et les Francks furent la cause, 
le Breton se cramponna longtemps à sa langue, un peu 
par patriotisme, beaucoup par haine de l'étranger. Peut- 
être reconnaissait-il aussi que la conservation intégrale 
de son idiome national ^et l'attachement inviolable à cet 
idiome étaient les seuls liens capables de maintenir tou- 
joi;rs unis entr'eux les membres disjoints de la famille 
kymrique. 

Cependant ces défauts, ou ces qualités si l'on veut , du 
Breton, qui auraient dus être un gage de stabilité pour 
sa langue , ont été impuissants à la préserver d'une des- 



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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 171 

traction partielle. Et, dans un temps plus ou moins éloi- 
gné , cette destruction partielle se changera en une des- 
truction totale. Cela tient à ce que les idées , les usages 
étrangers, ne glissent pas sur le Breton ^ comme ils font 
sur le Gaulois. Ces idées , ces usages sont longs , trës- 
longs à s'introduire chez le premier. Mais, par suite 
même de son caractère , quand un usage est parvenu à 
s'implanter chez le Breton , il n'en sort plus ; il est na- 
turalisé chez lui. £t cette cause permanente de modifica- 
tion des usages nationaux kymriques, amène forcément 
la langue bretonne vers une ruine inévitable. 

C'est ainsi que , en Angleterre , on a cessé de parler 
l'idiome kymrique ou breton dans la comté de Cor- 
nouailles, dont tous les habitants sont pourtant kymres 
ou bretons. 

C'est ainsi que , en France , le breton n'est plus parlé 
que dans quelques cantons de la Bretagne , les plus éloi- 
gnés du centre du royaume et les plus rapprochés de 
l'Océan , tandis qu'il était parlé autrefois dans toutes les 
parties de cette vaste province, avant sa réunion à la 
couronne de France. 

Et chose remarquable , non-seulement les deux tiers 
à peu près des Bretons français d'aujourd'hui ne parlent 
point et ne comprennent même plus l'idiome de leurs 
ancêtres, mais encore ces Bretons-francisés en sont ve- 



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172 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

nus au point de désigner, sous un appellatif iqurieux j 
ceux de leurs frères restés fidèles à Fusagedeleur langue 
nationale. Les premiers, les Gallégerien (ceux qm par- 
lent k français) àési^etïi^ en effet, les seconds, les 
Breiz-Izéliz (Bas-Bretons ou Bretons bretonnants) sous 
le nom de Bretons pouilleux. 

A l'inverse du Breton, le Gaulois, pour des motifs que 
nous n'avons pas à rechercher , échappe Êicilement à 
toute influence étrangère. 

Curieux , remuant , impressionnable , avide de savoir 
et de paraître , le Gaulois apprend facilement les langues 
étrangères dont il peut avoir besoin et les balbutie sans • 
vergogne. Mais il ne délaisse jamais celle qui lui est pro- 
pre ; il y revient toujours ; il la chérit ; il aime à s'en 
parer. Sa langue, c'est lui-même, et il ne peut renoncer 
à la parler qu'en cessant d'être. 

Mû par un sentiment d'orguffil , exagéré peut-être , 
jnais respectable à coup sur, le Gaulois dédaigne les idio- 
mes étrangers. S'il en étudie quelques mots, c'est poussé 
par la nécessité de le faire , et , pour ainsi dire , à son 
corps défendant. 

Il impose sa langue aux autres peuples et rrfuse d'ac- 
cepter la leur. 

N'est-ce dont pas un fait universellement connu que 
la France est , de toutes les nations , celle où Ton prati- 



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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 173 

que le moins Fétude des langues vivantes et même des 
langues mortes ? ' 

Mais, précisément parce que le Gaulois est essentielle- 
ment réfractaire aux usages étrangers , il s'attache plus 
fortement aux siens. Aussi , partout où les Celtes se sont 
établis , ils y ont imposé leur idiome et cet idiome s'y est 
maintenu , à travers les âges , malgré tous les boulever- 
sements > toutes les commotions sociales , toutes les révo- 
lutions. Peut-on citer un seul pays, dans lequel les Celtes 
se soient établis , où Ton ait cessé de faire usage de la 
langue Gauloise? Là où se parla le Celtique autrefois , 
parle-t-on tout autre langue aujourd'hui ? Non , quoi- 
qu'on en dise. 

Ce rapide exposé nous permet , d'ores et déjà , de 
pressentir lequel du Gaulois ou du Breton est de pure 
race celtique. 

V. — Une chose enfin digne de remarque , c'est la 
persistance , bien singulière , que mettent les Bretons à 
ne pas vouloir être Gaulois , c'est-à-dire Celtes , et sur- 
tout à ne jamais se donner cette dénomination , que 
quelques savants leur attribuent si généreusement. 
Pourquoi se nomment-ils Bretons , s'ils sont Celtes? 
Pourquoi se désignent-ils sous le nom de Kymrys, s'ils 
sont Gaulois? 
Il esjt évident que , si ce nom de Celte ou Gaulois leur 

40. 



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174 LA TÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

eut légitimememt appartenu , au moins un de leurs écri- 
vains s'en serait servi pour qualifier ses compatriotes. 
Quelqu'un d'entr'eux Ta-t-il fait î 

On n'a , pour se convaincre du contraire , qu'à lire les 
ouvrages des auteurs bretons. On ne tardera point à 
s'appercevoir que , toutes les fois qu'ils veulent désigner 
leur nation , ils n'emploient que les noms de Kymri ou 
de Brython, Témoin , par exemple , un de leurs poètes , 
Goliddan , déjà cité. Ce Goliddan termine ainsi un chant 
patriotique, Arymes prydain vawr, dans lequd il appelle 
ses compatriotes 4 1 fois Cymry et 3 fois Brython ou Fry- 
than , mais pas une seule fois Celtes ou Gauhis : 

« Dygorvu Cymry trwy gyvergyr , 

» yn gywair , gydair , gydson , gydfydd : 

» Dygorvi Cymry i beri cad , 

» a llwyth lliaws gwlad a gynhullant , 

» a lluman glan Dewi a ddyrchavant , 

» I dywysaw Gwyddyl drwy lieingant : 

» A gynhen Dulyn genhyn a savant , 

» pan ddyfonti'r gâd nid ymwadant. » ( 1 ) 

(i) — Les Kymris ont été victorieux dans le combat. lU n'ont 
qu'une seule cause , qu'une seule parole , qu'une seule langue , qu'une 
seule foi. Les Kymris sont encore vainqueurs; ils veulent combattre; 
ils rassembleront leurs forces ; ils déploieront la bannière de Saint- 



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i 



LINGUB KTXRIQUE OU BRBT(UmB. 175 

H est vrai qu'où trouve , à plusieurs reprises , dans le 
chant dont nous venons de donner un extrait , le nom de 
Gtoyddylj qui semblerait indiquer les Gaulois, car ces 
deux noms ont une étrange ressemblance entr'eux. Hais 
Goliddan n'entend désigner par ce nom que les habitants 
de l'Irlande , les Erses , dont une partie , déjà établie en 
Ecosse, portait aussi ce nom de Gtoyddyl, Gaëh, sous 
lequel on les distingue aujourd'hui de leurs frères d'Ir* 
lande. 

Enfin , n'est-ce pas en Bretagne qu'existe ce dicton : 
— Brô'C'hall n'a zeûé Két bétég aman ; « la Gaule ne 
vmiait pas jusqu'ici ? » 

Donc , puisque les Bretons , de leur propre aveu et 
d'après les témoignages des anciens historiens , sont de 
raceKymrique, ils n'ont habité, dans la Gaule, que 
la Belgique seulement , et ce que César nous dit de ce 
peuple est vrai de tous points. D'où il résulte que l'éta- 
Uissement des Bretons sur les cô'tes armoricaines ne 
commença que vers l'an 284 de notre ère et que leur 
langue n'y prédomina pas avant le septième siècle après 
Jésus-Christ. 



David qui guidera les Gaëls d'Irlande à travers les mers. Avec nous 
se lèveront les Chefs de Dublin , qui ne lâcheront pas pied dans le 
combat ( Traduction de M. de la Viilemarqué ). 



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176 LA TÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Les Bretons ne sont donc pas de race celtique ou gau- 
loise. Partant, l'idiome qu'ils parlent n'est pas et ne peut 
pas être l'idiome celtique ou gaulois , à moins de préten- 
dre que les bretons , une fois établis dans l'Ârmorique , 
oublièrent leur idiome national pour ne plus faire usage 
que de l'idiome des Celtes. Cette supposition ridicule se- 
rait immédiatement invalidée par la similitude de lan- 
gage qui existe entre fes Bretons de France et les Gal- 
lois d'Angleterre. 

Nous avons , on le voit , raison de nous étonner que 
des auteurs éminents persistent à prendre les Cimbres 
pour une tribu celtique et osent écrire les lignes suivan- 
tes : « Le territoire actuel de la France était donc pres- 
» qu'entièrement occupé par ces peuplades que les Ro- 
» mains appelaient Celtes ( du nom d'une de leurs plus 
» importantes confédérations). » Et au bas de la même 
page , à la note 2 : « En revanche , la philologie nous 
» a appris d'une façon sûre d'où ils (les Celtes) venaient 
» et à quelle race ils appartenaient. En comparant 
» entr'eux le celtique, le grec, le latin, le slave, le 
» gothique , le sanscrit , les savants ont reconnu que ces 
» langues forment six rameaux d'un même tronc , et 
» qu'elles viennent toutes de la langue aryenne j aujour- 
» d'hui disparue , parlée il y a six mille ans sur les 
» bords de l'Oxus : comme la filiation des langues prouve 



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LANGUE KTVUQUB OU BSSTCmilB. 177 

» la filiaticm des peu{des , il est certain qu'entre le qua- 
» rantième et le vingtième siècle avant notre ère , la 
» famille des peuples connue sous le nom d'Aryens 
» quitta la Bactriane et les plateaux de l'Asie centrale 
» pour se diriger vers TEurope , et par la séparation 
» successive de ses principales tribus y forma les Celtes , 
» les Grermains , les Slaves , les Grecs et les Latins. Cest 
» ainsi que l'origine des Gaulois nous a été révélée par 
» le seul fait que leur langue ^tre dans le concert des 
» langaes Indo-européennes. » (Brachet, Gram, hùt. de 
la lang. Franc, introd. p. <5). 

La conclusion que M. Brachet tire de l'étude compara- 
tive des idiomes qu'il dénombre serait parfaitement et 
rigoureusement exacte, s'il ne s'agissait que des Gimbres 
et de leur langage au lieu des Gaulois et de la langue 
celtique. 

D'un côté , Gésar , Strabon , Tacite, Luden^ le Général 
de Yaudoncourt, etc. n'hésitent point à reconnaître une 
certaine parenté entre les Gmbres et les Teutschs; d'un 
autre côté, on prétend que les Gaulois sont d'origine 
aryenne et l'on fait d'eux une branche , une confédéra- 
tion de la nation germanique. On agit évidemment ainsi 
parce que la langue qu'on attribue aux Celtes offre réel- 
lement un tel degré d'affinité avec l'ancien gothique que 
refuser d'admettre qu'il y a entre ces deux idiomes 



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178 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

communauté d'origine, cela équivaudrait à nier Tévî- 
dence. 

Mais , quel est l'historien sérieux et digne de ce nom 
qui oserait confondre ensemble les Celtes et les Gimbres, 
et de ces deux peuples n'en former qu'un? Nous avons la 
conviction qu'il est impossible de démontrer que les 
Kymris aient jamais appartenu de près ou de loin à la 
nation celtique et nous avons donné assez de preuves du 
contraire. Par suite, les Kymris n'ont pas pu parler la 
langue celtique et la conclusion de M. Brachet, quoi- 
qu'exacte en tant qu'elle s'applique aux Cimbres, pêche 
par la base et devient fausse de tous points du moment 
où il est question des Celtes ou Gaulois. 

En effet , ce n'est que grâce à une inconcevable erreur 
que le nom national des Gaulois est exclusivement attri- 
bué aux Cimbres. La prétendue langue celtique de M. 
Brachet et des auteurs qui partagent sa manière de voir 
n'est en réalité que la langue Kymrique, c'est-à-dire un 
des grands dialectes, très aisément reconnaissable 
encore, de l'antique idiome teuton. 

Quiconque voudra se donner la peine de feuilleter et 
de comparer les grammaires allemande et bretonne, ne 
tardera point à s'appercevoir qu'il existe de telles analo- 
gies entre ces deux langues qu'on ne saurait leur refuser 
une communauté d'origine. 



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LAIYGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 179 

La langue allemande, chacun le sait, lest transpositive 
uniforme. Nous disons uniforme, parceque la construction 
de la phrase y est constamment réglée par Tusage, qui 
n'a rien abandonné à la décision du goût ou de Foreille. 

La langue bretonne ou kymrique est aussi en réalité , 
d'ordre transpositif uniforme. Cependant la construction 
bretonne de la phrase n'est pas, en général, iden- 
tique à la construction allemande. Le breton semble 
même se rapprocher, en bien des cas , de l'ordre analy- 
tique. S'il était permis de parler ainsi , en linguistique, 
on pourrait dire que le breton , qui n'est ni franchement 
analytique ni franchement transpositif, mais qui tient de 
l'un et de l'autre ordre , est d'ordre mixte ou composite. 

En résumant les règles de construction de la langue 
allemande , on peut les réduire à trois principales. Elles 
portent toutes les trois sur la place du verbe dans la 
proposition. 

4® Tout verbe à un temps de l'infinitif se met après 
ses compléments. Il en est de même des adjectifs et des 
participes employés comme adjectifs. Exemple : 

Gott hat die welt geschaffen. 
Dieu a le monde créé. 
Pour : Dieu a ci-éé le monde. 

2" Tout verbe d'une proposition subordonnée occupe 
la dernière place de cette proposition. Exemple : 



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4 80 LÀ YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 



Gott sah dass das licht gut war. 
Dieu vit que la lumière bonne éUUt 
Dieu vit que la lumière était bonne. 

3<» Tout verbe d'une proposition principale précède le 
sujet, quand cette proposition commence par un autre 
mot que le sujet , ou qu'elle est précédée de sa proposition 
subordonnée. Exemples : 

Am anfang schuf Gott himmel und erde. 

Au commencement créa Dieu del et terre. 

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre» 

Ces mêmes règles existent dans la langue kymrique 
ou bretonne. Exemples : 

io Grid ann drâ-zé ével ma eo dléet. 

Faites la chose-ld ainsi que est due. 
Pour : faites cela comme il faut. 

Eur stéréden a wélann. 

Une étoile je vois. 
2o Eum drà vâd eo. 

Une chose bonne est. 

C'est une bonne chose. 
3o Ra rai ann Aotrou mâd-obériou d*ëz-han. 

Que fera le Seigneur bienfaits à lai. 

Que le Seigneur le bénisse. 

Nous ne poursuivrons pas plus loin la comparaison 
grammaticale entre ces deux langues. Cela nous écarte- 
rait trop de notre siget. Nous abandonnons volontiér le 



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LANGUE KYMRIQUE 017 BRETONNE. 181 

soin de ces études comparatives au lecteur désireux de 
s'assurer de la réalité du fait en question. 

Mais plus la langue bretonne se rapproche de la langue 
allemande, plus elle s'écarte des idiomes français, espa- 
gnol, Italien et portugais, dont le génie, essentiellement 
et absolument analytique , ne saurait se prêter aux 
inversions usitées dans l'allemand et le breton. 

Afin qu'on puisse juger plus facilement de la façon 
dont se comporte le génie de la langue Kymrique , nous 
ne saurions mieux faire que de copier tout au long deux 
ou trois passages du Livre de Ruth, traduit en breton 
par le savant Le Gonidec. 

Bmz Ruth 
vie (de) Ruth. 
Kenta pennad. 
Premier chapitre. 

Enn amzer eur bamery pa c'hourc'hêmenné ar 
En le temps un juge , quand commandait les 
Varnerien, c'hoarvézaz naounégez er vrô. Eunn 
juges, arriva famine en le pays. Un 

dèa a guiiaaz Bethléem Juda, évid mond é hrô ar 
homme quitta Bethléem Juda , pour aller en pays les 
Voabited, gandhè c'hrég hag hé zaou vdb, 
Moabites , avec sa femme et ses deux fils. 

11 11 



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188 LA VÉRITÉ SUR LÀ LÀl^GUE D*0. 

EUmêkk a read eûz hé-man, ha Noémi eûz 

Elimélech on faisait de celui-ci, et Noémi de 
hé c'hrég : hé zaou vâb a oa hanvet^ unan anézhô 
sa femme: ses deux fils était nommé, un d'eux 
Mahalon, hag egilé Chélion, Génidig é oant eûz a 
Mahalon, et Tautre Ghélion. Natifs étaient de 
Efrata e Bethléem Juda. Ead é brô ar Voabited é 
Ephrata en Bethléem Juda. Allé en pays les Moabites 
ehoumzand énô. etc. , etc 
restèrent là. etc. , etc. 

Dans le temps des Juges, som le gouvernement de l'un 
d'eux, il survint une famine dans le pays. Un homme 
abandonna Bethléem de Juda , pour se retirer dans le 
pays des Moabites, avec sa femme et ses deux fils. 

Celui-ci se nommait Elimélech, et sa femme Noémi: ses 
deux fils s'appelaient, l'un Mahalon, l'autre Chélion. 
Ils étaient natifs d' Ephrata en Bethléem de Juda. Etant 
entrés dans le pays des Moabites, ils y restèrent. 

Cet exemple, croyons-nous, suffît à démontrer d'abord, 
que le Breton offre assez d'analogies avec TAUemand , 
pour pouvoir être considéré comme un dialecte de 
l'antique langue teutonne, ce qui vient confirmer la 
communauté d'origine des Belges ou Cimbres .et des 
Teutschs, reconnue et signalée par César. 

II est vrai cependant qu'on peut trouver quelques 



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LANGUE KTXRIQUB OU BRBTOlUfB. 488 

dissemblances mitre la syntaxe et surtout le vocabulaire 
re^^pectiCs des idiomes Eymrique et Teuton. Mais ces 
différences ne nous semblent provenir que du plus ou 
moins d'influence exercée sur ces idiomes par les idio- 
mes des peuples avec lesquels Teutschs ouEymrisse sont 
trouvés en rapport. En effet , le dictionnaire breton est 
bariolé d'une foule de termes appartenant à diverses 
langues , telles que FErse , le Latin , THébreu, l'Anglais , 
le Gaulois , (1) le Basque , le Français lui-^mème. Il n'est 

(i) Dans les 3 premières lettres, A,B, K,du Dictionnaire 
breton-français de le Gonidec nous avons relevé environ i50 mots , 
qui sont communs à la langue d'O et à la langue Kymrique. 

Evidemment ces vocables ne sont enlrés pour la majeure partie dans 
le dictionnaire breton que par voie d'emprunt. En effet , ou ces ter- 
mes appartenaient, ce que nous nions, au vocabulaire du latin populaire, 
comme le prétendent nos romanisants modernes, et alors les Gimbres 
les ont empruntés aux colons romains ou aux Gaulois parlant ce latin; 
on bien , ces mots étaient gaulois , ce que nous affirmons , et alors les 
Bretons les ont reçus du peuple sur le territoire duquel ils avaient 
cherché asyle , et avec lequel ils avaient d'incessants rapports et un 
contact permanent depuis plus de 800 ans. Dans aucun cas , on ne 
peut admettre que ces signes soient passés du breton dans la langue 
d'O , du moins quant à un grand nombre de ces locutions. 

Le peuple Kymrique , l'histoire le démontre , n'ayant jamais joué que 
des rôles secondaires, sauf pendant cette courte période de son histoire 
où il ruina et saccagea la Gaule et l'Espagne, ne vivant que pour lui , 
presque toujours opprimé , rarement oppresseur, peu fait pour le 



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184 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

donc pas étonnant que cette bigarrure donne au vocabu- 
laire Kymrique une physionomie si peu ressemblante , 
en apparence , à celle de Fallemand. 

De Texemple cité plus haut , on peut encore inférer 
que le breton n'a exercé aucune espèce d'influence sur 
les syntaxes des idiomes français y espagnol , italien y 
portugais. Ce qui infirme le sentiment de certains auteurs, 
désireux d'attribuer au breton , qu'ils s'obstinent à 
nommer langue celtique , une part quelconque dans la 
procréation du français. 

Nous n'insisterons pas là-dessus. M. Brachet a d'ailleurs 
parfaitement démontré l'inanité d'un pareil système. 

Disons, pour rester dans notre thèse , qu'il n'est pas 
possible de pouvoir confondre entr'elles les langues 
celtique et Kymrique, et , des deux , n'en faire qu'une. 

En effet , si nous considérons les Kymris et les Celtes 
comme deux tribus d'un seul peuple (malgré les preuve 
que nous avons données du contraire ) , et conséquem- 
ment comme parlant la même langue ou du moins deux 

progrès , fruste et ignare , n'a exercé qu'une influence très-faible sur 
ses voisins « tandis qu'il a toujours subi les influences étrangères. Donc^ 
si ce n'est point la vérité , il est du moins très-vraisemblable que les 
Bretons ont pillé les Gaulois plus civilisés , plus éclairés , plus instruits 
qu'eux , et que les mots , communs au Kymrique et à d'autres idiomes , 
lui ont été plutôt donnés que reçus. 



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LANGUE KYMRIQUE OU BRETONNE. 185 

dialectes de la même langue, comment ne pas être 
choqué de voir un auteur sérieux , soutenant pareille 
théorie , se mettre en contradiction flagrante avec lui- 
même et écrire des choses comme celles-ci : 

« Refoulée dans FArmorique parles conquérants ro-- 
» mains la languegauloise y vécut pendant plusieurs siècles 
» à la faveur de son isolement ; cette tradition du Celtique 
» fut ravivée au septième siècle par une immigration des 
» kymris chassés du pays de Galles. Les Bretons furent 
» aussi réfractaires à la conquête francke qu'ils l'avaient 
» été à la conquête romaine; et ce qu'on nomme aujour- 
» d'huî patois bas-breton n'est autre chose que l'héritier 
» de la langue celtique. » 

Pour quelle raison ces prétendus Celtes de Bretagne 
eussent-ils été plus réfractaires aux conquêtes romaine 
et francke que les autres Gaulois? 

Serait-ce à cause de leur isolement? 

Nous ne pouvons ignorer que les Romains dominaient 
tout autant en Bretagne que dans le restant de la Gaule, 
et qu'ils y exerçaient une pression égale à celle qu'ils 
exerçaient partout ailleurs. 

Serait-ce par suite d'une disposition spéciale et 
particulière du caractère national des Bretons ? 

Mais , s'ils eussent appartenu à la nation celtique , 
tous les Gaulois auraient eu ce même caractère , qui eût 



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LA TÉRITË SUR LÀ LAITGUB d'O. 



été , eo ce cas , le trait distinctif de la race Gauloise. 
Gomment alors les mis eussent-ils pu se montrer réfrac- 
taires à la domination romaine et les autres non? 

Pour faire dériver du latin les langues romanes , de 
ccmcert avec tous les érudits qui partagent sa manière 
de voir , Fauteur en question met en avant FinflueDce 
irrésistible du latin populaire. Cette influence ne devait 
oertespas être aussi irrésistible qu'il le prétend, puisque 
le soi-disant celtique de Bretagne lui a victorieusement 
résisté, tout comme Teuscara. Or , ce que les uns ont pu 
feire, pourquoi donc les autres ne Tauraient-ils pas pu î 

M. Brachet écrit : « Depuis mille ans , pressé sans 
» relâche dans son dernier refuge par la langue française 
» comme il Ta été , le bas-breton , on le comprend , 
» est aujourd'hui bien loin du celte primitif , outre que 
» les éléments d'origine celtique ont M se corrompre par 
» un usage de dix-huit siècles , ce patcJis à été forcé 
» d'admettre une foule de mots étrangers j c'est-àrdire 
» français. » 

Mais, en ce cas, le breton n'est donc pas aussi réfrac- 
taire qu'on veut bien le dire ? M. Brachet prétend que ce 
patois se corrompt (^ ce qui du reste est parfaitem^t 
exact) par l'introduction d'éléments firançds. Alors, 
pourquoi le latin , populaire ou classique (si le latin eût 
eu réellement le pouvoir qu'on lui jwête d'avoir fa^ 



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LANGUE KTMRIQUE OU BRETONNE. 487 

àisparattre plusieurs idiomes divers pour se substituer à 
eux ) , n'eût-il pas pu bouleverser ou modifier ce faible 
reste du celtique , lui qui passe pour avoir (ifôtruit 
le celtique partout où les Gaulois Tavaient apporté avec 
eux , en Italie, en Gaule, en Espagne, en Portugal, en 
Dacie?* 

Pourquoi ce latin populaire se serait-il précisément 
établi dans les seids pays où habitaient et prédominaient 
les Gaulois , sans pouvoir parvenir à en faire autant 
chez les Basques, en Bretagne, en Angleterre, en Allema- 
gne , en Irlande , en Thrace , en Grèce , en Asie-mineure , 
en Afrique ? 

Cela est vraiment extraordinaire , on Ta vouera. 

La vérité est que la domination romaine , nous l'avons 
historiquement prouvé, ne laissa rien derrière elle, 
quand elle s'écroula. La langue romaine ^ de scm côté, 
ne détruisit aucun idiome , n'en modifia même aucun et 
ne survécut point à la catastrophe qui arracha le sceptre 
du monde des mains du peuple qui la parlait. 

De tout cet exposé il ressort : 

<<> Que , puisque les Bretons , les Basques et les Alle- 
mands , par exemple , ont été réfractaires à l'influence 
romaine , c'est que cette influence a été nulle et n'a 
jamais existé que dans l'imagination des auteurs qui en 
avaient besoin pour étayer leurs systèmes. 



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188 LÀ TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

2« Que, puisqu'on ne retrouve rien du breton ailleurs 
que dans la Bretagne , dans la comté de Galles en An- 
gleterre, dernières stations du peuple Kymrique, et 
dans le Jutland septentrional, où ont habité lesCimbres, 
les Bretons sont réellement Kymris et non Celtes , et con- 
séquemment n'ont jamais parlé le celtique. 

3<» Enfin que , puisque les Gaulois et les Bretons ap- 
partiennent à deux races distinctes , et que leur langue 
n'a jamais pu être la même , le vrai celtique étant la 
langue d'O , comme nous espérons le démontrer , l'idiome 
Kymrique ou breton n'a aucun droit à porter la dénomi- 
nation de celtique et c'est par suite d'une inconcevable 
erreur qu'on lui donne ce nom. 

Cependant l'erreur dont nous venons de parler n'^ pu 
naître et se développer sans raison plausible. Recher- 
chons la cause qui lui a donné naissance. 

La cause, ou plutôt les causes (car il y en a plusieurs) 
de cette fausse manière de voir seraient , d'après nous : 

1<> La trop grande confiance qu'on a coutume d'accor- 
der aux récits , admis sans contrôle , de certains écri- 
vains de l'antiquité , lesquels ont parlé des Gaulois sans 
les connaître et ont rangé sous le nom collectif de Celtes 
(comme le fait Tite-Live par exemple) une foule de na- 
tions, reconnues depuis lors n'avoir rien de commun 
avec les Celtes. 



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LANGUI KTMRIQUE OU BRETONNE. 189 

^ L'imprudente légèreté avec laquelle de profonds et 
graves historiens donnent indifféremment ce nom de Cel- 
tes à des peuples qui n'appartiennent point à la nation 
celtique, ce que ces historiens savent parfaitement, puis- 
que , pour s'excuser d'introduire ainsi dans l'histoire une 
cause permanente d'obscurité et de confusion , ils avouent 
naïvement , comme M. Augustin Thierry , entr'autres , 
qu'on est souvent obligé, faute de termes , d'appliquer 
ce nom indifféremment aux populations d'origine Cam- 
brienne et Gallique. 

3^ Enfin, et ceci est la cause première de toutes les 
erreurs dans lesquelles les savants sont tombés, l'igno- 
rance complète , absolue de la langue d'O. 

11 est facile de démontrer que les causes d'erreur que 
nous signalons proviennent en grande partie de cette 
cause primordiale. 

La 7)lus grande partie des habitants de la France 
actuelle est , de l'aveu unanime , d'origine gauloise. Or , 
ce fait admis , et l'on ne saurait le contester, en entendant 
parler à ces fils directs et légitimes des Celtes , surtout à 
ceux du centre et du midi de la France , un idiome tout 
à fait distinct des autres idiomes européens , on aurait 
du en conclure qu'ils avaient conservé l'usage du celti- 
que ou gaulois. 

C'eut été logique et rationel, 

M. 



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t9<^ LA YÉKITt SUR L4 LAHGUB d'O. 

Hais, tous les anciens auteurs qui avai^t menitoïmé 
ce langage s'accordaient à le nommer Imgua rormma, 
rtMticmon bien ntsticanus sermo. Or , comme ce par- 
ler, entièrement abandonné , en apparence^ aux basses 
dasses de la société, contenait une foule de mots qui 
semldaient extraits du vocabulaire latin, on ne pritpdnt 
la peine de contrôler les assertions de ces auteurs et oa 
les admit sans conteste. De la , à chercher la langue cel- 
tique partout ailleurs qu'aux sources où elle se trouvait 
réellement, il n'y avait qu'un pas. Ce pas fut fait, et 
nous avons vu qu'on nomma celtiques les idiomes Bas- 
que, Erse, Gimbrique , Teuton. Cela tint à ce que les 
érudits en question , induits en erreur par les anciens 
auteurs , furent persuad es qu'cfn ne parlait plus gaulois 
dans la Gaule. Retrouvant d'ailleurs en ce pays des noms 
de lieux appartenant aux divers idiomes , mentionnés 
plus haut et ne rencontrant pas trace , dans l'histoire , 
du nom national que les p euples erse , kymri , euscara, 
etc. se donnent aujourd'hui à eux-mêmes, nos érudits 
en inférèrent que ces divers peuples devaient faire par- 
tis de la nation celtique ou gauloise et que leur langue 
ne pouvait nécessairement être que la langue gauloise 
ou cdtique. 

Cependant , le désaccord qui existe entre les savants , 
touchant l'idiome celtique (que chacun d'eux chercl» à 



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LANGUE mmiQUE OU BRETOfmB. 491 

attribuer à des peuples différents) et les preuves éviden- 
tes , fournies par Fhisloire , qu'aucun de ces peuples ne 
peut être rangé parmi les Celtes , auraient du suffire à 
prouver le peu de cas qu'on doit faire d e ces propositions 
et la fragilité de ces systèmes. 

Mais on tient à sa théorie beaucoup plus qu'à la vé- 
rité. 
Quoiqu'il en soit ^ résumons notre démonstration : 
4® L'Erse est l'antique (unbrien ;^ l'ombrien et le Car- 
thaginois ont ime parenté assez rapprochée ; les Irlan- 
dais et les Ecossais, en déjHt de Servius, du Général de 
Vaudoncourt et de Mac-Pherson , ne sont pas de race 
celtique, mais de race punique; ils ne parlent point le 
Celte , mais le Phénicien. 

3® Les Basques descendent des Ibères et non des Gau- 
lois , et Larramendi se trompe en croyant les Basques de 
race celtique. 

3^ Les Bas-Bretons sont les descendants des Belges 
dont parle César ; ces Belges étalait de race et de natio- 
nalité Cimbrique ; ils se nomment encore eux-mêmes 
Eymris ; la langue des Cîmbres était nettement distin- 
guée de la langue des Celtes ; l'idiome Kymrique n'est 
parlé en Bretagne que dei»iis l'établissement en ce pays 
des sddats gallois àe Conan-Mériadec ; le bas-breton n'est 
pas et ne saurait être la langue celtique. 



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492 LA YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

Qu'est donc devenue cette langue? N'existerait-elle 
plus? Y a-t-ileu même un idiome de ce nom? 

L'existence d'une langue celtique ou gauloise ne sau- 
rait être révoquée en doute. Tous les historiens de l'anti- 
quité qui font mention des Celtes s'accordent à leur at- 
tribuer un langage distinct et particulier. Sans parler de 
César et- de plusieurs autres auteurs certifiant le fait, 
nous lisons , dans les Dialogues de Lucien , que Mercure , 
chargé d'inviter les dieux gaulois à assister au grand 
conseil des Dieux , avoue n'avoir pu s'acquitter de sa 
mission, parce que les dieux celtiques parlent unejan- 
gue inconnue et qu'il ignore même leurs noms. 

Julien l'apostat dit formellement que, de son temps , 
le gaulois était encore en usage. 11 compare mème^ avec 
aussi peu d'urbanité que d'exactitude , les sons de cette 
langue aux croassements des corbeaux. 

Vers le commencement du cinquième siècle de notre 
ère, la langue celtique ou gauloise florissait encore. Sul- 
pice-Sévère, qui écrivait à cette époque , nous en four- 
nit la preuve , en faisant dire a Posthumien : Tu vero , 
vel celticè , vel si mavis gallicè loqtiere. 

Nous ne croyons pas nécessaire de multiplier les preu- 
ves de la réalite d'une chose que nul esprit sérieux ne 
songe à contester. Mais, si la langue celtique a existé , 
qu'est-elle devenue ? Où la parle-t-on encore ? 



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LANGUE KYBIRIQUE OU BRETONNE. 193 

D'après les idées généralement admises, les idiomes 
réputés celtiques jusqu'à ce jour n'étant pas et ne pou- 
vant pas être regardés comme les représentants du lan- 
gage des Druides , on n'aurait qu'a répondre « nulle part I » 

Cette réponse, qui , au premier abord , semblerait ri- 
goureusement logique, serait, en réalité, d'une fausseté 
absolue. 

L*idiome celtique existe encore et il existera tant qu'il 
demeurera un Gaulois pour le parler. La véritable langue 
celtique , c'est la langue d'O. 

Notre affirmation est si diamétralement opposée à ce 
que pensent sur cette question la généralité des philolo- 
gues modernes , que nous sommes à peu près surs de la 
voir prise pour un paradoxe. Nous tacherons de démon- 
trer pourtant que ce n'est ni un paradoxe , ni une hypo- 
thèse, mais un fait réel et rigoureusement vrai. 

Mais, avant d'en venir aux preuves, examinons ce 
que l'on pense , dans le monde savant, de cette langue d'O , 
nommée aussi patois et langue provençale ou langue 
limousine, du nom d'un de ses dialectes. 



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CHAPITRE SEPTIÈME. 



CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 



Les auteurs de la basse latinité s'accordent à nommer 
la langue d'O lingua romana. 

Dans le concile de Tours, tenu en 812 , on l'appelle 
lingua romana rmtica. 

Dans les Acta sanctorum, vie de St. Adalhard (750) , 
elle est désignée par le nom de romana lingua. 

Rhéginon , en sa chronique de Tan 8U , la qualifie de 
pkbeius et rusticanussermo. 

Egînhardlâ nomme barbara, par opposition peut- 



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496 LÀ YÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

être à la vraie langue romaine en laquelle il était très- 
versé. 

Helganct , moine de Flêury , dans la Vie du roi Robert, 
la qualiCe tout simplement de lingua rustica. 

Dans le titre 20 des Capitulaires de Gharles-le-chauve 
elle est désignée par ces mots : apertus sermo. 

Jauffré Pradel , poëte provençal des plus anciens , et 
bien d'autres après lui , l'appellent plana lingua romana. 

Lafaille , dans son Histoire de Toulouse ; Cazeneuve, 
le savant linguiste toulousain , dans son Traité de la lan- 
gue provençale ; le Chevalier de Jaucourt; Fabbé d'Ex- 
pilly, dans son Dictionnaire des Gaules; d'Aldéguier, 
dans son Histoire de Toulouse ( tom. I , p. 249 ) ; Augustin 
Thierry , dans son Histoire de la conquête de V Angle- 
terre par les Normands ( chap. VIII , p. 54 ) ; Voltaire ; 
le Général de Vaudoncourt ; M. Maury dans La terre et 
rAomme( chap. 8, p. 464); Scaliger; leR. P. Bonnhours; 
Raynouard; Ampère; Du Méril; Chevallet; Fauriel; 
Blanc; Fuchs; Delius; Diez; Lewis; Perticari; Galvini; 
Pidal ; tous les écrivains , jusqu'à Vestrepain , le cordon- 
nier-poète sont unanimes à donner à la langue d'O le nom 
de langue romane , parce que tous ces auteurs ont été 
sérieusement persuadés que cette langue provenait du 
latin et avait été formée par lui. 

Cependant, beaucoup d'entre ces écrivains n'ont pas 



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'' CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 197 

pris la peine de nous exjrfiquer de quelle façon cette par- 
turition avait pu se produire, Ils devaient être probable- 
ment convaincus que les raisons qui les avaient incités à 
porter un tel jugement sur la langue d'O étaient et trop 
claires et trop évidentes, pour avoir besoin de preuves. 

Il était réservé aux linguistes de notre époque de nous 
démontrer comment les idiomes languedocien , français, 
espagnol , italien et portugais , avaient pu être engen- 
drés par ridiome latin. 

Peu désireux de faire des résumés, même succincts , 
des divers et nombreux systèmes, émis en nos derniers 
temps sur la création des langues romanes , nous nous 
contenterons de citer un passage , extrait de La terre et 
V homme (chap. VIII, p. 464) , dans lequel M. Maury 
expose rapidement l'opinion des philologues contempo- 
rains sur le mode de formation des langues parlées par 
les races dites latines. 

« La domination romaine la porta ( la langm latine) 
» dans une foule de contrées d'où elle expulsa l'idiome 
» national : dansFEtrurie d'abord, laLigurie, la Gaule, 
» ensuite l'Espagne, la Lusitanie et même en Afrique où 
» elle disputa le terrain au Phénicien et au numide. 

» On retrouve chez ces divers idiomes sortis du 

» latin , mais à des degrés différents, un même phéno- 
» mène d'altération. D'abord l'accent primitif du latin , 



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498 LA TÉRITÉ SUR LÀ LAROUB d'o. 

» qui était généralement paraxytonique, c'est-à-dire 
» portant sur l'avant dernière syllabe , demeura le ca- 
» ractère commun qui lia ces idiomes , soit que Tultième 
» syllabe se conservât , comme en espagnol ou en italien, 
» soit qu'elle dii^arût ou devint muette comme en fran- 
» çais. La flexion, au contraire , subit dans les dialectes 
» nés du latin , des modifications nombreuses. — La 
» sonorité si rigoureuse et même souvent rigide des ter- 
» minaisons fkxibles du latin ^ écrit M. Schleicher, fut 
» émoussée, la prédominance des consonnes disparut sous 
» l'influence du désir d'arracher aux terminaisons leurs 
» consonnes en les changeant en voyelles, ou de suppri- 
» mer par V apocope les terminaisons tout entières. Les 
» formes de la flexion latine ainsi mutilées , ou même 
Td effacées, on n'y pouvait plus maintenir les nuances 
» des vieilles significations latines; ce qui restait de ter- 
» minaisons à voyelles, était dénué d'intonation, et la 
» confusion des voyelles devenait inévitable, 

» La déclinaison latine n'était donc plus possible dans 
» les langues romanes ou issues du latin, sauf la di£fé- 
» rence entre le cas sujet et le cas régime, qu'on maintint 
» encore un certain temps chez les deux dialectes entre 
«lesquels, dans le principe, se partageait la France, 
» la langue d'Oi/, parlée au nord, et la langue d'Oc, 
» parlée au midi. 



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CE QUE l'on PBN6B DS LÀ LANGUE' d'O. 499 

» Les substantifs étant ainsi privés de leurs flexions j 
» on dut avoir recours aux prépositions pour exprimer 
» la relation des substantifs dans la phrase. Les tennî- 
» naisons de cas ayant disparu, on employa les pronoms 
» placés devant le substantif; de là Forigine de Tarticle , 
» inconnu comme on sait au latin , mais que possédait 
» d^'a le grec. 

» La conjugaison du verbe latin i^it , dans l'italien 

» et l'espagnol , moins d'altérations , mais déjà le recours 

» au verbe auxiliaire vint suppléer à l'imperfection des 

» terminaisons de temps , et finit par les remplacer 

» souvent. C'est ce qui arriva pour le verbe passif où 

)» l'emploi de l'auxiliaire tint lieu des terminaisons spé- 

» ciales. Toutes les contractions qui s'qîèrent dans les 

» langues dérivées, l'apocope, le syncope, se prodiiisi- 

» rent fréquemment. Enfin , la construction prit un 

» ordre de plus en plus logique et les mots se rangèrent 

» graduellement dans la phrase suivant leur ordre 

y" d'action , et non plus dans une disposition qui rappe- 

» lait l'époque où l'idée demeurait enveloppée et comme 

» serrée en un seul mot. 

» Les différents idiomes sortis du latin prirent chacun 
» un génie spécial. L'Italien , le plus rapproché de la 
» langue-mère dont il occupe le berceau , et qui se diver- 
» ^fie en un certain nombre de dialectes , se distingue 



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200 LÀ TfiRITÊ^ SUR LA LANGUE d'o. 

» par sa douceur, sa tendance euphonique et le soin 
» avec lequel il conserve l'accent primitif. L-espagnol 
» s'éloigna davantage du latin par la prononciation , et 
» reçut de l'arabe, qui le dota de beaucoup de mots, 
» et peut-être de l'ibère, une tendance gutturale qui 
» s'allie pourtant à une extrême sonorité. Composé d'a- 
» bord.de plusieurs dialectes, il les absorba prompte- 
)) ment, comme le toscan l'avait fait pour les dialectes 
» de l'Italie centrale, et ne laissa vivre que le catalan et 
» le valencien. Le portugais peut encore être regardé 
» comme un dialecte de l'espagnol ; mais il en modifie 
» assez profondément la prononciation. Les nasales pren- 
» nent le dessus sur les gutturales et les sifflantes , ou 
» les chuintantes sur les sons aspirés et mouillés. Le 
» verbe portugais revêtit même , dans quelques uns de 
» ses temps , un caractère propre , surtout dans l'emploi 
» de son infinitif qui devint un vrai temps susceptible 
» de conjugaison. Le provençal , qui n'est qu'un des 
» grands dialectes de la langue d'oc, tient, par son sys- 
» tème de vocalisation , comme le milieu entre le portu- 
» gais et l'espagnol. 

» Le français émoussa et abrégea le latin plus forte- 
» ment encore que ne le firent les idiomes précédents. 
» Il enleva ainsi beaucoup de sonorité à la langue, mais 
» il l'adoucit dans les liaisons de mots, en même temps 



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CE QUE l'on pense DE Ll LANGUE D*0. SOI 

» qu'il supprima plusieurs gutturales. En lui vinrent 
» s'absorber différents dialectes qui subsistent à peine 
» aujourd'hui à l'état de patois , tels que le bourguignon, 
» le wallon parlé encore à l'ouest et au sud de la Belgique, 
» le bas-normand, demeuré le patois des îles Jersey et 
» Guemesey. Le provençal, au contraire, qui n'avait 
» pas du aux circonstances politiques, une si grande 
» influence, laissa vivre près de lui le languedocien et le 
» limousin. ». 

D'après la citation qui précède , on pourrait facilement 
supposer que les idiomes romans proviennent directe- 
ment du latin littéraire ou classique. Il n'en serait rien 
cependant, si nous en croyons certains paaltres de la 
science. 

Cédons la parole à M. Brachet (Hist. de la langue 
franc, introd. p. 16^ : 

» Moins d'un siècle après la conquête, on parlait 

» latin dans toute la Gaule. Mais ce latin, qu'importaient 
» en Gaule les colons et les soldats, ressemblait aussi 
» peu à la langue de Virgile que le français enseigné par 
» nos soldats aux Arabes d'Algérie ressemble à l'idiome 
» de Bossuet ou à celui de Chateaubriand ; il se distin- 
» guait du latin classique ou latin écrit par un vocabu- 
» laire spécial et des formes particulières, dont l'origina- 
»1ité mérite que nous nous y arrêtions uu instant, etc. » 



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208 Là YtâlTÉ SUR LA LÂN6DB d'o. 

H. Brachet, dans rintroduction de son Histoire de la 
langue française, ne prend pas garde que c^taines de 
ses assertions sont contraires à la vérité. Nous avons eu 
déjà occasion de signaler chez lui qudques appréciations 
erronées. Voici encore une erreur à relever dans la courte 
citation que nous venons d'extraire de Touvrage de ce 
savant linguiste. 

En admettant que nos soldats et nos colons introdui- 
sent en Algérie Tusage d'un français populaire, c'est-à- 
dire trivial et sensiblement corrompu (ce qui est loin 
d'être démontré), il n'en est pas moins réel que ee 
français altéré et le français classique ne pourraient offrir 
entr'eux d'autre différence que celle qui naît d'une 
prononciation vicieuse et de l'emploi de locutions adoptées 
par le populaire de certaines provinces, mais impitoya- 
blement exclues du beau langage. 

Entre ces deux manières de s'exprimer dans la même 
langue , on peut pourtant constater qu'il n'existe aucune 
altération des traits caractéristiques et spécifiques de 
cette langue. Son génie n'est ni altéré ni transformé ; il 
demeure identique. Identiques sont les tournures de 
phrases et les idiotismes. Les règles de la syntaxe ne 
sont aucunement violées dans les constructions. Seuls, 
les vocables , composant le dictionnaire , éprouvent des 
mutilations ou des modifications , parfois même asseï 



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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE d'O. SOS 

étranges pour les rendre, à première vue , tout-à-fait 
dktincts des mots qui leur ont donné naissance. Mais 
cda ne peut rien sur la phy^onomie propre de la langue 
à laquelle ces mots appartiennent. 

Cela est si vrai que, entre deux personnes, parlant 
l'une le langage littéraire l'autre le langage populaire, 
et en accordant même que l'une d'dles ne puisse parler 
le langage de l'autre et réciproquement, U n'y aura 
jamais confusion. Toutes deux se comprendront très- 
focilement , parce que si le matériel de la langue subit , 
dans la bouche d'un des interlocuteurs , des altérations, 
fussent-elles considérables, le fonds, c'est-à-dire le 
génie et la syntaxe , n'a pas varié. 

Il devient dès lors fort difficile de comprendre , comme 
l'avance M. Bracfiet , que le latin littéraire et le latin 
vulgaire, sortis Vun et Vautre d'une souche commune ^ 
allèrent toujours en divergeant davantage; et que ce 
latin populaire se distinguait du latin écrit far un voca- 
hulaire spécial et des formes particulières. Chacun d'euXy 
dit-il, avait des formes grammaticales et un vocabulaire 
distinct. Si cela est exact, le latin populaire aurait été , 
en ce cas , une langue tout-à-fait séparée et distincte 
de la langue latine que chacun connaît. Alors, pourquoi 
donnera cette langue le nom de latin populaire? Com- 
ment pourrait-on concevoir qu'un patois, issu du latin » 



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204 LÀ YÉRITfi SUR Là LANGUE d'O. 

eût des formes grammaticales et mi vocabulaire distinct 
du latin, puisque c'est justement cette distinction de 
grammaire et de vocabulaire qui constitue le caractère 
différentiel de toutes les langues 7 

Le système préconisé par M. Brachet est insoute- 
nable. En effet , ou le latin populaire était une lan- 
gue distincte du latin ou ce n'en était qu'un patois. Si 
c'était une langue à part, on aurait alors parle deux 
idiomes différents à Rome. Mais nous savons pertinem- 
ment que cela n'a jamais été. Si ce n'était qu'un pa- 
tois, ce patois ne peut avoir possédé une grammaire 
ou des formes grammaticales différentes de celles du 
latin classique. D'ailleurs , si la plèbe romaine eût parlé 
un langage à tel point différent du langage épuré de la 
bonne Compagnie, comment ces deux classes de la 
société eussent-elles pu faire pour communiquer en- 
semble? Si, au contraire, les communications étaient 
possibles et faciles entre les grands et la plèbe, n'est-il 
pas évident que ces formes distinctes , et ce vocabulaire 
spécial du latin populaire, ont été grossis dans des pro- 
portions fabuleuses? 

Notre opinion personnelle est qu'il n'y à pas aussi loio 
qu'on voudrait nous le faire accroire, de ce latin popu- 
laire au latin classique. 

Cicéron , bon juge en pareille matière , dit des dames 



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CE QUI l'on pense DE LA LANGUE d'O. S05 

romaines de son temps , qu'il n'en connaissait pas six 
capables de s'exprimer purement en latin. Le même 
auteur, parlant de la populace de Rome , nous apprend 
qu'elle était si sévère pour le choix des expressions et la 
pureté du langage qu'elle chutait impitoyablement les 
acteurs coupables d'une &ute de ce genre et même de la 
simple omission d'un accent. 

Au surplus j pourquoi Cicéron le puriste , Cicéron qui 
avoue avoir passé de longues nuits à étudier la valeur 
d'un mot 4e la langue qu'il maniait si bien y eût-il pris 
tant de peine pour polir sa phrase et pour châtier son 
style , si la multitude , devant laquelle il prononça dans 
le Forum ses plus beaux discours , eût été incapable de le 
comprendre et de l'apprécier? 

C'est incontestable , il y a eu réellement un latin popu* 
laire. Mais ce latin populaire n'a été simplement qu'un 
patois du latin classique ou littéraire. 

A l'instar de tous les patois , ce latin populaire s'est 
distingué du latin littéraire. 

i^ Par des modifications et des altérations apportées 
aux vocables du dictionnaire romain. 

2^ Par des permutations et des changements dans les 
sens propres ou figurés des mots conservés cependant 
dans le boau langage. 

30 Enfin par l'adoption d'un foule de termes , empnm- 
ïi <2 



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206 LA. YÉaiTfi sua la. lajvgue d'o. 

tés à d'autres idiomes , termes qui ne trouvèrent jamais 
place dans le vocabulaire du latin classique. 

A rinstar encore de tous les patois , ce latin populaire 
a ressemblé au latin littéraire. 

1® Parla conservation du génie spécifique de la langue 
latine, qui était essentiellement transpositif. 

2<> Par l'observance exacte des lois et des règles gram- 
maticales de la syntaxe latine. 

3^ Par la réduction h l'analogie de l'idiome latin de 
tous les mots tirés ou empruntés des idiomes étrangers. 

4<> Par sa manière de décliner les noms et de conjuguer 
les verbes , manière identique à celle du latin littéraire. 

5*» Enfin par la similitude des constructions qui se 
faisaient de la même façon dans les deux langages. 

La grande différence qui distingue les langues trans- 
positives des langues analytiques c'est que les premières , 
possédant la flexion , expriment le rapport des mots 
parleur forme, tandis que les secondes, privées de 
la flexion qu'elles remplacent par des prépositions ou par 
l'article , expriment ce même rapport par l'ordre des mots 
dans le discours. Or , il est impossible de constater dans 
le latin populaire la présence de l'article ou de préposi- 
tions en tenant lieu. Tous les mots dits populaires 
sont affectés de terminaisons propres aux différentes 
déclinaisons latines. C'est ainsi qu'on voit batualia , 



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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 207 

Caballtis, acror, amicabiliSj stagnum, species, etc., etc. 
signifiant batailky cheval, aigreur, amical, ètain ^ 
èpice, etc., etc. Ces mots n'existent point dans le vocabu- 
laire du latin classique ; ce sont donc des emprunts faits 
à un idiome étranger. Cependant ces mots sont tous 
affublés d'une terminaison conforme au génie de la langue 
latine et propice à fa déclinaison. Qui ne voit , en effet , 
que: 

Batualia se décline sur Rosa. 

Caballus sur dominus. 

Acror sur Soror. 

Amicabilis sur Fortis. 

Stagnum sur Templum, 

Species sur Dies ? 

Dans chaque langue il existe une condition qui lui 
est particulière et que ni le temps , ni les modifications 
successives apportées par le renouvellement des idées , 
par les influences étrangères, par les points de 
contact avec des nations plus civilisées , par l'introduc- 
tion môin3 do littératures plus policées , n'ont jamais pu 
altérer ou même modifier. Nous voulons parler du génie 
propre à chaque langue. 

Or , comme on ne saurait nier que le génie de la langue 
latine classique est demeuré intact dans le latin popu- 
laire , il faut nécessairement conclure que ce latin popu- 



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808 LA YÉRITfi SUR LÀ LANGUE d'O. 

laire ne se différenciait du latin littéraire que par des 
néologismes et des altérations de mots. Gonséquem- 
m^t , le premier n'était qu'un patois du second. 

De l'avis unanime des linguistes, nos dialectes 
populaires étant au même titre que l'italien , l'espagnol 
et le portugais , le prolongement naturel et normal du 
latin populaire , faut-il en conclure aiftsi que ces idiomes 
et nos dialectes sont tout uniment un patois du latin? 

C'est ce qui nous reste à examiner. Mais d'abord , 
expliquons ce que nous devons entendre par ce mot: 
patois. 

Un patois , nous dit-on , est le langage grossier et 
corrompu parlé par le peuple dans les diverses provinces 
d'une nation. 

Il est constant que , dans la plupart des langues , il 
existe deux sortes de langage : l'un à l'usage des gens ins- 
truits et bien élevés ; l'autre à l'usage de la partie inculte 
de la population. De ces deux langages le premier est véri- 
tablement la langue classique ou littéraire du pays où on 
les parle ; le second en est le patois , et ce patois varie 
de province à province , de ville à ville , quelquefois 
même de quartier à quartier. 

Les grammairiens qui nous donnent la définition que 
nous venons de rapporter ajoutent que certains pays n'ont 
pas de patois, quoique la langue commune subisse des 



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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'o. 309 

changements plus ou moins considérables de province à 
province. Ces pays n'ont que des dialectes. 

Diaprés nous, si une nation est homogène , il ne peut 
y avoir dans sa manière de parler qu'un usage légitime. 
Tout autre usage qui s'écarte de celui-ci dans la pronon- 
ciation, dans les terminaisons, dans la syntaxe, ne 
constitue ni une langue à part , ni un dialecte de la langue 
nationale ; c'est tout simplement un patois. Ainsi , nous 
croyons fermement que les différents dialectes du grec , 
par exemple , étaient les patois de l'idiome hellénique. 
En effet , les modifications ou les. changements , introduits 
par l'usage ou par d'autres causes dans les vocables des 
diaflectes en question et leur mode d'emploi , n'altéraient 
en rien le génie propre de la langue grecque. Quoiqu'ils 
prononçassent d'une manière différente les mots de la 
langue commune, ceux qui parlaient les divers dialectes 
grecs se comprenaient mutuellement , malgré quelques 
différences de termes. 

Or , puisque ce qui constitue un dialecte est simplement 
une altération affectant seulement le matériel d'une langue, 
les mots dialecte et patois doivent être regardés comme 
synonymes. Ils expriment en effet tous deux, la même, 
idée. 

En outre, de la définition de ces deux mots, il ressort 
clairement que , malgré des dissemblances parfois assez 

12. 



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240 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

considérables , le langage pppulaire ou patois et lé 
langage littéraire ne forment qu'une seule et même 
langue , différenciée uniquement par le plus ou moins de 
politesse ou de délicatesse de ceux qui la parlent. 

Dans les deux langages , on trouve forcément tout ce 
qui prouve une origine identique , c'est-à-dire le même gé- 
nie, la même syntaxe , les mêmes tours , la même marche 
analytique ou Iranspositive , la même construction. Ce 
n'est pas tout. Ces deux langages auront une manière 
commune d'envisager l'idée et de dessiner l'original qu'ils 
ont à peindre , qui est la pensée. Ils se serviront pour 
la peindre des mêmes couleurs , qui sont les sons articu- 
lés de la voix. Ils ne différeront que par le choix des 
couleurs , c'est-à-dire par leur plus ou moins de finesse 
ou de grossièreté. Cette différence, d'ailleurs, toute 
dans les mots et ne consistant qu'en des altérations de 
peu d'importance, ne peut jamais, en aucun cas, s'écar- 
ter assez de la langue commune pour donner au langage 
qu'elle affecte l'apparence d'une langue nouvelle ti 
distincte. 

A ces divers points de vue on a raison de dire qu'il 
existe des patois ou dialectes en France , car l'on peut 
justement considérer comme tels le parler de certaines 
provinces, où le peuple dit: fallionSy chen fieu, es- 
brouffer, esquinter, etc. , etc. , pour f allais j son fib. 



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CE QUB l'on PENBB DE LÀ LAN6UB d'o. 24 \ 

étonner, fatiguer. Mais il est digne de remarque que 
dans ces provinces on ne connaît d*autre langue que la 
langue française. En ce cas , la précédente manière d'ex- 
primer sa pensée est un véritable patois. 

Maintenant fout-il ranger dans la catégorie des patois 
les idiomes languedocien , breton, flamand > alsacien et 
basque, également parlés en France î 

Evidemment non I 

Pourtant , la France, une par rapport au gouverne- 
ment , ne doit avoir qu'un usage légitime d'élocution. Cet 
usage , qui n'est autre qu'une langue commune pour tous 
ses habitants, la France le possède et l'a rendu obliga- 
toire. Ce qui n'empêche point les divers idiomes dont 
nous venons de parler, de continuer à vivre et d'être 
parlés en ce pays , concurremment avec le français. 

Notons en passant que la France est fort loin d'être le 
seul territoire dont les habitants , provenus de races di- 
verses , aient conservé l'usage de leurs idiomes respec- 
tas. 

Or, puisqu'on accorde au breton , au flamand , à l'al- 
sacien et au basque le nom d'idiomes , pourquoi le refuse-, 
t-on si énergiquement à la langue d*0 ? 

Le seul motif de cet illogisme est l'intime conviction où 
l'on est, à peu près partout, que la langue d'O provient 
du latin. » 



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i\i LA VÉRITÉ SUR LA. LANGUE d'O. 

Le savant Fuchs va même plus loin. Pour lui , les lan- 
gues romanes ne sont pas filles du latin , ainsi que le pen- 
sait Raynouard , mais sont le latin lui-même. « Les lan- 
» gués romanes, dit-il, ne sont point issues du latin 
» comme des filles , elles ne sont pas autre chose qu'un 
» développement naturel et normal du latin, que la lan- 
» gue latine adulte. Il est vrai qu'au premier abord elles 
» paraissent avoir une individualité bien distincte du la- 
» tin ; il semble qu'elles aient seulement avec lui cette 
» ressemblance de famille qu'on observe entre une fille 
» et sa mère ; mais quand on les examine de près , on 
» voit que , malgré toutes les dissemblances , elles sont 
» au fond la même langue et ont le même génie et la 
» même construction que le latin, seulement à un état 
» plus avancé de développement. » 

L'hypothèse de Fuchs est absolument fausse. Au lieu 
de la discuter , nous nous bornerons à renvoyer le lec- 
teur à l'étude comparée de la grammaire latine et des 
grammaires française, espagnole, portugaise et ita- 
lienne. 

Nous sommes certain d'avance de l'éclatant démenti 
que cette comparaison donnera à la proposition du lin- 
guiste allemand. 

^ M. M. Brachet, Meyer, et autres romanisants moder- 
nes , n'ont point commis une pareille maladresse. Cepen- 



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CE QUE l'on PENSB DB Là LANGUE d'O. 213 

dant, imbus du préjugé ordinaire et ne voulant pas 
s'assurer de la véracité ou de la fausseté de leur opinion , 
ils ont cherché comment le fait de la filiation entre le la- 
tin et les langues romanes avait pu se produire. 

On n'a , pour se rendre compte des immenses recher- 
ches et des précieux travaux de M. Brachet , entr'autres, 
qu'à lire Sa Grammaire historique de là kmgue fran- 
çaise, II est seulement regrettable que M. Brachet, au 
lieu de rechercher comment les mots latins avaient pu 
former les langues romanes , hypothèse chimérique s'il 
en fut I n'ait point pris le contrepied et n'ait point exa- 
miné , au contraire , comment la langue celtique avait pu 
modifier le latin. Non seulement alors , il eût été dans le 
bon chemin , dans la vérité absolue, mais il eût encore 
fait de son remarquable ouvrage un impérissable monu- 
ment. Le principe posé par les auteurs opposés à notre 
thèse est éminemment faux. Quoi de surprenant que les 
conséquences qu'ils ea tirent soient fausses elles-mêmes ? 
Aussi , laissant de côté toutes les erreurs accumulées par 
les linguistes modernes sur l'origine delà langue d'O , ou 
plutôt des langues appelées romanes , c'est au principe 
lui-même que nous allons nous attaquer. 

Si les langues dites romanes provenaient en réalité du 
latin populaire y comme ce latin populaire ne pourrait 
avoir, nous l'avons vu, d'autre différence avec le latin 



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21 4 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

classique que celle que Ton constate universellement 
(dans toutes les langues) entre le langage de la bonne 
compagnie et le langage des basses classes , il s'ensui- 
vrait que ce latin populaire serait tout simplement le pa- 
tois du latin littéraire. Nous avons dit ce qu'était un 
patois par rapport à la langue classique. Donc, les lan- 
gues romanes, comme le latin populaire s'il était leur 
auteur , ne se différencieraient du latin littéraire que par 
une certaine altération ou modification introduite seule- 
ment dans le matériel ou vocabulaire de cette dernière 
langue. Mais elles en auraient conservé intact le génie 
particulier et les formes grammaticales. 

Dans le dernier siècle, l'Abbé Girard (Prindp. Disc. L 
tom. /, p. 30j écrivait : — « Rien de plus ordinaire que 
» d'entendre parler de Langue-mère, terme dont le 
» vulgaire se sert , sans être bien instruit de ce qu'il 
» doit entendre par ce mot, et dont les vrais savants ont 
» peine à donner une explication qui débrouille l'idée 
» informe de ceux qui en font usage. Il est de coutume 
» de supposer qu'il y a des langues-mères parmi celles 
» qui subsistent ; et de demander quelles elles sont ; à 
» quoi on n'hésite pas de répondre d'un ton assuré que 
» c'est l'Hébreu , le Grec et le Latin. Par conjecture ou 
» par grâce , on défère encore cet honneur à l'Allemand. 
» Or , quelles sont les preuves de ceux qui ne veulent 



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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'o. 215 

,ç 

» pas convenir que le préjugé seul ait décidé leur opinion 
» sur ce point ? Ils n'allèguent d'autre titre de la filiation 
» des langues , que l'étymologie de quelques mots e^t les 
» victoires ou établissement du peuple qui parlait la lan- 
» gue-mère , dans le pays où Ton fait usage de la langue 
» prétendue dérivée. C'est ainsi que l'on donne pour filles 
» à la langue latine, les langues française , italienne , es- 
» pagnole et portugaise. Si l'on compare ces langues en- 
» tr'elles il est facile de s'appercevoir qu'elles se ressem- 
» blent toutes par la manière d'employer les mots et 
» qu'elles ne diffèrent que par le matériel des mots ou 
» leur forme matérielle. » 

Il est impossible, en effet, de douter que le français , . 
l'italien, l'espagnol et le portugais , n'aient une commune 
origine. Mais , si l'on compare ces idiomes à l'idiome la- 
tin , l'homme , même le plus superficiel , s'apperçoit aus- 
sitôt qu'ils n'ont rien de commun avec la langue latine 
proprement dite. 

Le môme Abbé Girard (Id. ibid. p. 27) écrit à ce pro- 
pos: 

(c Quand on observe le prodigieux éloignement qu'il y 
» a du génie do ces langues à celui du latin ; quand on 
» fait attention que l'étymologie précède seulement les 
» emprunts et non l'origine ; quand on sait que les peu- 
» pies subjugués avaient leurs langues Lorsqu'on- 



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SH6 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE D'O. 

» fin on voit aujourd'hui de ses propres yeux ces langues 
» vivantes ornées d'un article , qu'elles n'ont pu prendre 
» de la latine où il n'y en eût jamais , et diamétralement 
» opposées aux constructions transpositives et aux infle- 
» xions des cas ordinaires à celle-ci ; on ne saurait , à 
» cause de quelques mots empruntés, dire qu'elles en 
» sont les filles, ou il faudrait leur donner pluâ d'une 
» mère. La grecque prétendrait à cet honneur ; et une 
» infinité de mots qui ne viennent ni du grec ni du latin , 
» revendiqueraient cette gloire pour une autre. Je nie 
» qu'elles lui soient redevables de leur naissance. Ce n'est 
» pas aux emprunts ni aux étymologies qu'il faut s'arrè^ 
» ter pour connaître l'origine et la parenté des langues : 
» c'est à leur génie , en suivant pas à pas leurs progrès 
» et leurs changements. La fortune des nouveaux mots , 
» et la facilité avec laquelle ceux d'une langue passent 
» dans l'autre, surtout quand les peuples se mêlent, 
» donneront toujours le change sur ce sujet ; au lieu que 
» le génie indépendant des organes, par conséquent 
» moins susceptible d'altération et de changement, se 
» maintient au milieu de l'inconstance des mots, et con- 
» serve à la langue le véritable titre de son origine. » 

Ce sont là , si nous ne nous trompons, les vrais prin- 
cipes qui doivent diriger tout savant digne de ce nom , 
dans l'étude de la génération des langues.^ 



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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE d'o. SI 7 

Quiconque s'est livré aux investigations linguistiques 
a pu facilement voir plusieurs ordres de mots amenés né- 
cessairement dans tous les idiomes par des causes natu- 
relles , dont l'influence est antérieure et supérieure à nos 
raisonnements , à nos conventions , à nos caprices. 

Il peut y avoir dans toutes les langues , ou du moins 
dans plusieurs d'entr'elles , une certaine quantité de mots 
analogues ou semblables, que des causes communes, 
quoiqu'accidentelles, y auraient établis depuis la nais- 
sance de ces langues diverses. 

Donc , l'analyse des mots n'est pas une preuve suffi- 
sante de la filiation des langues, à moins qu'on ne veuille 
dire que toutes les langues modernes de l'Europe sont 
respectivement filles et mères les unes des autres, puis- 
qu'elles scfht continuellement occupées à grossir leurs vo- 
cabulaires par des échanges sans fin , que la communica- 
tion des idées et des \]aes nouvelles rend indispensables. 
L'analogie des mots, entre deux langues, ne prouve 
autre chose que cette communication , quand ces mots 
n'appartiennent pas à la classe des mots naturels. 

C'est donc à la manière d'employer les mots qu'il faut 

recourir, pour reconnaître Fidentité ou la différence du 

génie des langues , et pour statuer si elles ont ou n'ont 

pas entr'elles quelque affinité. 

Si, sous ce rapport, l'affinité existe, nous accordons 

u 43 



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218 LÀ VÉRITÉ sur LA LANGUE d'O. 

alors que Tanalogie des mots confirme la filiation de ces 
idiomes , et Tmi doit être reconnu comme langue-mëre par 
raj^rt à l'autre. Mais si , entre deux langues, il n'y a 
d'autre liaison que celle qui naît de l'analogie des mots , 
sans aucune ressemblance de génie , c'est qu'elles sont 
étrangères l'une à l'autre. 

Telles sont à l'égard du latin les langues gàiéralement 
nommées romanes , langues qui ne constituent en réalité 
que des dialectes de la langue d'O ou mieux de la langue 
celtique ou gauloise. 

Le vocabulaire latin nous montre , il est vrai , une foule 
de termes identiques avec les termes contenus dans le 
vocabulaire gaulois ou de la langue d'O. Mais la langue 
d'O ne tient pas du latin sa syntaxe, ses constructions , 
sa grammaire, son 'article, ses verbes auxiliaires, l'in- 
déclinabilité de ses noms , une multitude de temps dif- 
férenciés dans ses conjugaisons et confondus dans les con- 
jugaisons latines. Les procédés de la langue d'O se sont 
trouvés inalliables avec les gérondifs , avec les usagesque 
les Romains faisaient de l'infinitif, avec leurs inversions 
arbitraires, avec leurs ellipses accumulées, avec leurs 
périodes interminables. 

Donc, la langue celtique ou gauloise ou langue d'O, ne 
peut avoir et n'a réellement rien d'essentiel avec la lan- 
gue latine, soit littéraire | soit populaire y à moins d'ad- 



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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE d'O. 249 

mettre que ce latin populaire fut tout-à-foit un idiome 
distinct du latin classique. 

Même en ce dernier cas , comme il est impossible de 
prouver qu'une langue puisse , quelque temps qu'elle y 
mette, se scinder en deux idiomes nettement diflérenciés 
par un génie et un matériel opposés, tandis^ que les 
preuves de l'impossibilité de ce fait nous sont fournies 
avec abondance par l'histoire des langues, il resterait à 
rechercher la provenance réelle de ce latin populaire. 

Or, ne pouvant, dans cette hypothèse, admettre la 
procréation de ce langage populaire par l'idiome latin , 
il faudrait forcément attribuer cette formation à l'un des 
idiomes en usage dans la péninsule italique. Mais de ces 
idiomes (au nombre de quatre seulement, l'ombrien ou 
sabellique, le pélasgique ou étrusque, le grec et le 
gaulois ) , deux ont concouru à la parturition du latin , 
l'ombrien et le pélasgique^. 

Si le latin populaire eût été la continuation ou le pro- 
longement de l'un ou de l'autre de ces deux idiomes , ce 
n'eût plus été un latin populaire, mais bien ou l'étrusque 
ou l'ombrien , ce que personne n'ose prétendre. 

Si, formé de ces deux derniers idiomes, le latin popu- 
laire eût possé^ié le génie , la syntaxe du pélasgique et 
un vocabulaire mélangé de pélasge et d'ombrien, c'eût 
été le latin pur et simple : latin qui aurait pu , dans la 



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220 LÀ VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

suite se scinder en deux langages , l'un classique , et 
l'autre populaire , soit par l'introduction de mots nou- 
veaux , soit par l'altération des termes propres à la 
langue littéraire, soit par l'oblitération du sens propre 
ou figuré des mots. C'eût été véritablement en ce cas le 
latin populaire. 

Enfin , si , avec un vocabulaire panaché d'étruscpie et 
d'ombrien, le latin populaire eût possédé le génie et les 
formes grammaticales de l'ombrien, comment alors lui 
donner le nom de latin populaire, puisqu'il n'aurait eu 
rien de ce qui constitue les dialectes ou patois d'une lan- 
gue , c'est-à-dire un génie identique au génie du latin? 

Ce ne serait donc ni dans l'ombrien ni dans lepélasge, 
envisagés séparément , pas plus que dans un mélange des 
vocables de ces deux langues uni à la sjutaxe ombrienne 
qu'on pourrait trouver la cause première de la formation 
du latin populaire. 

Il ne reste que le grec et le gaulois à qui l'on puisse 
faire remonter sa naissance, si l'on continue à voir 
dans le latin populaire aufre chose qu'un patois du latin 
classique. 

Inutile de nous occuper de la part que le grec aurait 
pu avoir à la formation du latin populaire. Personne n'a 
jamais prétendu qu'il y fut pour quelque chose. Quant au 
gaulois ^ il est incontestable qu'il a exercé sur le langage, 



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CE QUE l'on pense DE LÀ LANGUE D'O. 224 

de la plèbe romaine une influence aussi considérable 
que persistante. 

Toujours en guerre avec Rome , dont ils étaient si 
voisins , les Gaulois , par leur incessant contact avec les 
Romains, prirent bien à la vérité quelques termes du 
vocabulaire latin ; mais ces termes étaient en fort petit 
nombre. Tandis .qu'ils imposèrent une foule de vocables 
de leur idiome à Tidiome latin. Les soldats et les colons 
romains furent les introducteurs de ces termes celtiques 
dans la langue de Rome. 

Or , en continuant à déduire les conséquences de l'hy- 
pothèse des romanisants, si le latin populaire avait, 
ainsi que le veulent M. Brachet , M. Meyer et autres 
philologues , des formes grammaticales différentes du 
latin classique, c'est que ce latin populaire avait adopté 
les formes grammaticales et le génie de la langue gauloise. 
Par conséquent, même en admettant que les langues 
dites romapes fussent le prolongement naturel et normal 
du latin populaire , ces langues , étant parlées par les 
fils des Gaulois et ce latin populaire étant né de l'idiome 
de leurs ancêtres il s'en suivrait que les Celtes d'aujour- 
d'hui parleraient encore le celtique d'autrefois, ou 
du moins des dialectes dérivés de l'antique langue gau- 
loise. ^ 

Dans tous les cas , et de quelque façon qu'on envisage 



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222 LA TtUTt SUR LA LA1?6UE D'O. 

la proposition émise par H. Brachet, dle^est inadmis- 
sible. 

La vérité est que les prétendues langues romanes ne 
dérivent pas plus du latin populaire que ce latin popur 
laire ne dérive du celtique. 

Le latin populaire se distii^;uait extrèm^nent du latin 
classique , il est vrai , par un vocabulaire spécial , mais 
il conservait le même génie y les mêmes constructions , 
les mêmes tours que celui dont il était devenu le patois. 
Ces deux modes de la langue latine ne formaient qu'un 
tout quant au fond ; ils ne dilïéraient que dans la forme. 
La cause de cette divergence , l'unique cause dirons- 
nous, fut celle-ci: 

Les classes élevées de la sodété romaine , s'étant 
engouées de la langue et de la littérature helléniques , 
adc^tërent une grande quantité de mots grecs qui ne 
s'introduisirent jamais dans le langage du peuple. Ce 
dernier à son tour , "satura sa langue d'élMents celtiques 
que les gras de bon ton ref Glissèrent et qu'ils traitèrent 
de sermanes sordidi. Mais ces deux manières d'être de la 
langifôlatine n'allèrent jamais jusqu'à empêcher ceux qui 
employaient une d'elles, d'être parfaitement compris de 
ceux qui se servaient de l'autre et de la comprendre eux- 
mgmes. 
Comme tout ce qui existe en cet univers y les langues 



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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 823 

obéissent à des lois fixes et immuables. C'est de Tigno- 
rance absolue de ces lois , ou d'autres causes que nous 
ne voulons point spécifier , que sont nés tant de systèmes 
si formellement invalidés par l'observation. Nous avons 
précédemment cité un passage de M. Maury résumant 
rapidement ce que nos philologues romanisants moder- 
nes considèrent comme un fait acquis à la science. Nous 
n'avons ni réfuté ni commenté ce passage , pour cette 
unique raison que l'on ne peut prendre au sérieux de 
semblables rêveries. 

S'il était donné à l'homme de pouvoir modifier une 
langue queteonque à ce point de la rendre , dans la suite 
A&& temps , absolument différente de ce qu'elle était dès 
le principe , grâce aux nombreuses révolutions qui ont 
si souvent modifié et bouleversé la physionomie des di- 
vers peuples de ce globe , nous aurions une foule d'exem- 
ples de ce pouvoir de l'esprit humain. 

Or, trouvons-nous trace de ce fait dans l'histoire des 
langues ? L'évidence nous oblige h répondre : non I 

De toutes les langues , subdivisées en littéraires et 
populaires , en existe-t-il une qui ait créé une autre lan- 
gue qui lui fut absolument dissemblable, tant pour le 
génie que pour le matériel ou vocabulaire? Encore une 
fois , non. 
Cependant nous savons qu'en Chine, par exemple. 



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224 Là vérité sur la langue d'o. 

chaque province de cet immense empire possède un lan- 
gage particulier si distinct et si différencié du langage 
des autres provinces que les habitants de Tune d'elles ne 
peuvent ni entendre le chinois parlé par les habitants 
d'un autre , même voisine , ni s'en faire entendre. ' 

Les voyageurs nous disent qu'en Australie l'idiome 
d'une des tribus de ce pays est presque toujours inintel- 
ligible sur le territoire de l'autre, vivant dans le voisi- 
nage de la première. 

Nous pourrions multiplier les exemples , mais à quoi 
bcm ? Tous les faits que nous aurions à citer viendraient 
corroborer notre proposition et détruire l'hypothèse de 
ceux qui veulent que d'une langue puisse naître une au- 
tre langue n'ayant rien de commun avec celle qui l'en- 
gendra. 

En effet , si , en Chine , le dialecte d'une province est 
inintelligible dans la province voisine , c'est parce que 
chacune d'elles a modifié ou altéré les termes du vocabu- 
laire national. La différence n'existe que dans le maté- 
riel du langage. Le génie propre de la langue chinoise et 
sa syntaxe sont demeurés immuables dans toutes les 
provinces de cet empire. 

Quelques voyageurs nous apprennent que les tribus 
australiennes, malgré leur proximité, ne peuvent facile- 
ment correspondre entr'elles, à cause de l'immense 



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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'o. 325 

changement survenu dans leur langage respectif. Mais 
ils ajoutent : — « Tous les dialectes de ces peuplades 
» dérivent évidemment d'un idiome commun, car , ou- 
» tre l'identité des vocables , désignant les objets les plus 
» familiers , la construction grammaticale est essentielle- 
» ment la même aussi. Ces différents dialectes , outre 
» l'identité de certains vocables et la similarité de cons- 
» truction grammaticale , ont encore en commun une 
» flexibilité et une précision d'expressions remarquables 
» ainsi que la facilité avec laquelle ils se prêtent à la 
» formation des mots composés. » 

Nous laissons à nos lecteurs le soin de tirer une con- 
clusion de ces exemples multiples. 

Au surplus , ce n'est pas seulement parce que l'opinion , 
résumée par M. Maury , nous présente un fait unique en 
son genre que nous la combattons ; on pourrait nous 
répondre que l'exception confirme la règle. 

Ce n'est pas non plus parce que ce fait choque la vrai- 
semblance ; car , si l'on admet que le latin populaire a été 
assez puissant pour faire disparaître à jamais les idiomes 
nationaux de la Gaule , de l'Espagne et de l'Italie , et se 
substituer à eux , comment pourra-t-on expliquer qu'il 
n'ait pas eu la môme puissance en Allemagne , en Angle- 
terre , en Thrace , en Asie-miaeure , en Afrique , où il 
était autant , pour ne pas dire plus , en usage que dans 

13. 



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226 LA Ttem SUR LA LAKGVB d'O. 

les trois premières ecmtrées? L'histoire nous af^rcDd, 
il est vrai , que partout où les Romains se sont établis 
ils ont apporté là leur langue et y en ont introduit Vusage, 
Hais cela ne prouve point que le peuple subjugué ait , 
pour cela, oublié son propre idiome. Saint Augustin, 
dans ses Confessions (chap. 42 à 21 ) , nous démontre 
clairement le contraire. 

Le seul motif pour lequel nous nous élevcms contre le 
sentiment résumé par M. Maury , c'est qu'il tend à subs- 
tituer j dans la linguistique , les fantaisies de l'imagina- 
tion à la recherche de la vérité ; recherdie qui ne peut 
s'acquérir que par l'étude et la comparaison des lan- 
gues , par la connaissance des lois qui président au lan-* 
ga^e , par la possession des causes premières et secon- 
daires de la transformation ou des changements des 
langues, enfin par l'examen approfondi des seules cir- 
constances dans lesquelles on peut sûrement s'appuyer 
sur l'étymologie et la phonologie. 

Nous l'avons déjà dit , c'est à la manière d'employer 
les mots que l'on connaît l'identité ou la différence du 
génie des langues. C'est là le point de repère pour statuer 
si elles ont ou non quelque affinité entr'elles. En ces cas, 
mais en ces cas seulement , l'analogie des mots confirme 
la filiation de deux ou plusieurs idiomes , et Fun doit 
être regardé comme langue-mère vis-à-vis de l'autre. 



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GB QUB l'on PBNSl DE LA LAN6UB d'o. 287 

C'est ce que l'on remarque entre les idiomes russe , 
pK>lonais, iilyrien et l'antique idiome esclavon, d'où les 
trois premiers tirent évidemment leur origine. 

Mais, s'il n'y a entre deux langues d'autre liaison que 
<»lie qui naît de l'analogie des mots , sans aucune ressem- 
blance du génie , c'est qu'elles sont étrangères l'une à 
Fautre. Telles sont les prétendues langues romanes è 
l'égard du latin. 

En effets c'est très facile d'affirmer que le français^ 
l'espagnol , le portugais , l'italien , la langue d'O provien- 
nent du latin. Mais qu'elle preuve nous donne-t-K>n de la 
filiation de ces langues? Pas d'autre que celle de l'analo- 
gie des mots. Quelques écrivains pourtant s'ingénient à 
nous démontrer comment, de transpositif, le génie du 
latin s^ait devenu analytique. Mais , pour si ingénieux 
que soient ces systèmes , ils ne tomberont jamais dans 
le domaine de la réalité. 

Si le matérid d'une langue en est comme le corps , le 
génie de cette langue en est l'âme, c'est-à-dire l'essence 
particulière et distincte. De même que le corps est appro- 
prié et disposé pour les manifestations extérieures et 
sensibles de l'âme qui Fhabite et l'anime , de même le 
vocabulaire d'une langue est composé de telle sorte qu'il 
peut se prêter facâleœent aux vues et aux besoins du gé- 
nie de cette langue. Et, pour continuer la comparaison , 



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288 LA YÉaiTÉ SUR LA LANGUE d'o. 

de même que le corps meurt dès que l'âme se sépare de 
lui, de même aussi une langue cesse d'être du moment 
où son génie disparait. A l'instar de tous les corps , le 
matériel du langage peut se renouveler, peut se modifier 
sans cesse ; mais le génie d'une langue demeure aussi im- 
muable, aussi inaltérable que l'âme. Or, il n'est pas plus 
au pouvoir de l'homme de changer radicalement le génie 
d'une langue , tout en conservant cette langue , qu'il n'est 
en son pouvoir de ranimer un corps , après l'avoir séparé 
de son âme. Si l'homme pouvait le faire , n'en verrions- 
nous pas de nombreux exemples ? Peut-on nous en dter 
un seul? 

On nous dit que les langues romanes proviennent du 
latin populaire. Mais ce latin populaire avait la même 
syntaxe, les mêmes constructions, les mêmes tours que 
le latin littéraire, sans quoi c'eut été ]une langue absolu- 
ment différente et indépendante du latin. Dans ce dernier 
cas, le roman ne saurait provenir du latin. Dans le pre- 
mier cas , le roman devrait posséder le même génie que 
la langue latine. Or , nous voyons que le génie du roman 
est absolument opposé à celui du latin. Donc, dans un 
cas comme dans l'autre , l'idiome roman ne peut avoir 
été engendré par l'idiome des Romains , l'analogie des 
termes n'étant point une preuve suffisante que les lan- 
gues romane soient nées du latin. 



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CE QUE l'on pense DE LA LANGUE d'O. 829 

Cette foule de termes , d'ailleurs, que les romanisants 
contemporains nous représentent comme passés du latin 
populaire dans le matériel des langues romanes , appar- 
tient-elle bien en propre au latin populaire? 

Il est permis d'en douter. 

Le latin populaire, son nom Tindique, n'était et ne 
pouvait être qu'un patois du latin. Son action , en ce cas , 
dut donc se borner à modifier simplement, ou à défigu- 
rer, si l'on veut, les mots composant le piatériel de la 
langue littéraire. De plus , comme tous les patois , il put 
s'enrichir par l'adoption de termes étrangers. Mais nous 
savons qu'il est matériellement impossible à un peuple 
d'assembler des sons arbitrairement et au hasard pour 
en faire des signes de ses pensées. Donc, les termes 
étrangers au latin classique, que l'on trouve dans le vo- 
cabulaire du latin populaire, sont évidemment des em- 
prunts faits à des idiomes étrangers. 

Partant de ce principe, il est facile de trouver la véri- 
table origine des mots qui composent le matériel du latin 
populaire. En effet, la populace romaine, on nous l'ac- 
cordera , n'a pu faire d'emprunts qu'aux idiomes des 
peuples avec lesquels les Romains ont eu des relations. 
Or, il se trouve que la plus forte part des vocables, 
appartenant à ce latin populaire , ne font point partie 
des vocabulaires ombrien , pélasgique ou étrusque, 



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230 LA VÉRITfi SUR LA LANGUE D'O. 

grec, arabe, égyptien, slave, allemand, ibérien et 
cimbrique. 

D'où ces vocables sont- ils donc sortis ? 

C'est ce que nos savants philologues se gardent bien 
de dire.... Ils soutiennent que ces mots appartiennent au 
latin populaire , et cela leur suffit. 

Cela ne nous suffit pas , à nous. 

Certainement ces mots ont été usités dans le latin po- 
pulaire ; mais n'ayant pointété tirés du vocabulaire du la- 
tin classique, ni de ceux des langues qui provignërent ce 
latin, ni inventés arbitrairement, ils n'y figurent que 
par voie d'emprunt , et l'idiome auquel la plèbe romaine 
les emprunta fut l'idiome celtique ou gaulois. 

Mais , la langue celtique , c'est réellement la langue d'O. 

Qu'y a-t-il donc de surprenant à ce que le latin pq)u- 
laire et la langue d'O possèdent une foule de termes iden- 
tiques? N'est-il pas plus rationnel de croire que notre 
vieille langue donna ces termes aux Romains , que d'ad- 
mettre , sans raison plausible ni vraisemblable , que 
nous les devons au latin populaire, lequel les aurait tirés 
on ne sait d'où? 

Nous concluons donc que le latin classique a été un 
patois de l'idiome pélasgique ou étrusque, et que le la- 
tin populaire est le patois de ce patois. Or, commece latin 
populaire ne pouvait donner à autrui ce qu'il ne possé- 



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CE QUB l'on pense DE LÀ LANGUE d'o. 231 

dait point lui-même, c'est-à-dire un génie analytique, 
quand le sien était transpositif, et des mots inconnus à 
la langue de laquelle il tirait sa naissance; que, déplus , 
être et ne pas être constituent , philosophiquement par- 
lant, une contradiction flagrante, ceux qui ont fait du 
latin populaire un langage issu du latin classique dévolu 
exclusivement ^ la basse classe romaine et ont accordé en 
même temps à ce véritable patois , outre un vocabulaire 
spécial, des formes grammaticales différentes de celles 
du latin littéraire (ce qui constituerait un idiome à part, 
nettement tranché et parfaitement distinct de celui dont 
on veut le faire provenir) , ceux-là ne sauraient être 
jamais scientifiquement autorisés à soutenir que la langue 
d'O procède du latin littéraire. Nous avons surabondam- 
ment prouvé que le latin littéraire était étranger à cette 
langue. 

Etudions maintenant la langue dO en elle-même. 



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CHAPITRE HUITIÈME. 



LANGUE DO OU CELTIQUE. 



Nous avons posé en principe que la langue d'O était 
aujourd'hui le seul représentant direct et légitime deTi- 
diome Celtique ou Gaulois. 

Prouvons-le. 

Nous ne pouvons , à la vérité , offrir que des preuves 
morales de la réalité du fait que nous affirmons , car 
nous n'avons aucun document écrit en celte ou gaulois 
pouvant en donner un témoignage palpable, matériel, 
indiscutable. Nous croyons cependant les preuves mora- 
les que nous possédons assez fortes , assez concluantes 
pour qu'on les prenne en sérieuse considération. 



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S34 LA YÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 



De tous les idiomes européens , la langue d'O, abstrac- 
tion faite de Fespagnol , de l'italien , du portugais et du 
français qui ^n dérivent évidemment , est le seul idiome 
qui soit franchement , complètement d'ordre analytique. 

Si nous devons en croire la linguistique , ce genre de 
génie dénote la plus grande antiquité. Nous ne pouvons 
nous dispenser de citer à ce sujet Topinion d'un philolo- 
gue éminent du dernier siècle , Boubée , qui écrivait : 

« L'ordre analytique étant le prototype invariable des 
» deux espèces générales de langues et le fondement uni- 
» que de leur communicabilité respective , il parait as- 
» sez naturel que la première langue s'y soit attachée 
» scrupuleusement et qu'elle y ait assujetti la succession 
» des mots , plutôt que d'avoir imaginé des désinences 
» relatives à cet ordre , afin de l'abandonner ^isuile sans 
» conséquence : il est évident qu'il y a moins d'art dans 
» le langage analogue que dans le transpositif; et toutes 
» les institutions humaines ont des commencements sim- 
M pies. Cette conclusion , qui me semble fondée solide- 
» ment sur les premiers principes du langage , se trouve 
» encore appuyée sur ce que nous savons de l'histoire 
» des différents idiomes dont on a fait usage sur la 
» terre. 

)) La langue h^raïque , la {dus ancienne de toutes cel- 
» les que nous connaissons par des monuments venus 



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LANGOB n'a ou GELTIQUK. S35 

» jiisqpi'à nous, et qui par là semble tenir de plus près 

» à la la langue primitive , est astreinte à une marche 

1» analogue : et c'est un allument qu'auraient pu faire 

» valoir ceux qui pensent que c'est l'hébreu même qui 

» est la langue primitive. Ce n'est pas que je croie qu'on 

» puisse établir sur cela rien de positif; mais si cette 

» remarque n'est pas assez forte pour terminer la ques- 

» tion , elle prouve du moins que la construction analy- 

i> tiqae , suivie dans la langue la plus ancienne dont nous 

)» ayons connaissance , peut bien avoir été la conslruc- 

» lion usuelle de la première de toutes les langues , oon- 

D fermement à ce qui nous est indiqué par la raison 

» même. 

D'où il suit que les langues modernes de l'Europe qui 
19 ont adopté la construction analytique , tiennent à la 
» forme de la langue primitive de bien plus près que n'y 

» tenaient le grec et Je latin. M. de Grand val , con- 

» seilier au conseil d'Artois , de la société littéraire d'Ar- 
» ras , dans son Discours historique sur l'origine de la 
» langue française ( Voyez le II volume du Mercure de 
» Juin et le vol. de Juillet i 757 ) me semble avoir prouvé 
» très-bien que notre français n'est rien autre chose que 
» le gaulois des vieux Druides , insensiblement déguisé 
» par toutes les métamorphoses qu'amènent nécessaire- 
» ment la succession des siècles et le concours des cir- 



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236 LA TÉRITÉ SUR LA. LANGUE d'O. 

» constances qui varient sans cesse. Mais ce Gaulois 
» était le celtique tout pur etc. etc. ». 

Voilà donc déjà notre langue en rapport de similitude 
avec le plus antique idiome connu. Par conséquent , il 
serait plus raisonnable de faire provenir la langue d'O de 
l'hébreu que du latin (malgré que ce soit tout aussi im- 
possible) y parce que cette liaison y confirmée par la cons- 
truction analogue qui caractérise les deux idiomes swail, 
à notre avis, un indice bien plus ^ûr de la filiation de 
ridîome languedocien que toutes les étymologies imagi- 
nables qui rapportent cette filiation à une langue trans- 
positive. Ne savons-nous pas que c'est surtout dans la 
syntaxe que consiste le génie principal et indestructible 
de tous les idiomes ? 

Il est un fait de la réalité duquel chacun peut s'apper- 
cevoir , c'est que ce n'est point le caractère national d'un 
peuple qui est le reflet de son idiome , mais que c'est au 
contraire son idiome qui est le reflet de son caractère 
national. Aussi , est-il impossible d'admettre qu'un peu- 
ple quelconque adopte la langue d'un autre peuple, du- 
quel il dilïere par toutes les tendances de son esprit, 
sans admettre au préalable que le premier a du refaire 
de fond en comble son caractère original pour calquer ou 
s'approprier le caractère du peuple dont il a pris la 
langue. 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. S37 

Or, si, jugeant les caractères des Gaulois et des Ro- 
mains sur leurs actes , nous les comparons entr'eux , 
nous sommes aussitôt* forcés de convenir qu'ils ne se 
ressemblent guère. On tirera de même pareille con- 
clusion de la comparaison des idiomes celtique et latin. 

Donc , si ni la langue ni les tendances de l'esprit gau- 
lois n'ont rien de commun avec la langue et les tendan- 
ces de l'esprit romain , comment pourrait-il se faire que 
la langue d'O, seul représentant de l'antique celtique , 
provint du latin? 

Nous avons déjà démontré que ce n*était point possi- 
ble. Cependant, tout en nous accordant que la langue 
d'O n'a été provignée ni par le latin classique ni par le 
latin populaire , on peut nous contester qu'elle soit le vé- 
ritable représentant du celtique. Et , comme on ne sau- 
rait plus nommer langue celtique ni l'erse , ni le basque , 
ni le kymre ou breton , ni aucun des idiomes auquels 
on avait attribué jusqu'ici cette dénomination avec si peu 
de fondement, ainsi que nous l'avons démontré , on peut 
pareillement nous dire que le gaulois n'existe plus. 

A cela , nous avons déjà répondu. 

La langue d'O , tant dans soa génie propre que dans 
son matériel ou vocabulaire, offre d'ailleurs tous les ca- 
ractères distinctifs d'une langue sui-^generis , c'est-à-dire 
qui ne procède que d'elle-màme. 



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238 LA. ytuTt sm la langub d'o. 

En effet , le g^e de la langue d'O , pins frandianent 
analytique encore que celui des langues française , 
espagnole , portugaise et italienne, ne provient point du 
génie de ces dernières , on l'avouera, puisqu'on £atit 
dériver celles-ci, comme la langue d'O elle-même, du 
latin populaire. Il ne provient point nqn {^os da génie 
des idiomes kymrique, allemand, latin, grec, puisqu'il 
en diffère radicalement. U ne provint point enfin da- 
vantage du génie du latin populaire , puisque nous 
avons prouvé que le génie de ce latin et celui du latin 
classique ne faisaient qu'un. Cdt est si vrai que nos 
savants modernes , ne sachant d'où tirer le génie de la 
langue d'O, ont imaginé l'ablation des terminaisons latines 
par les Barbares , ce qui aurait ensuite forcé ces derniers 
(la construction transpositive des Romains étant de\^- 
nue impossible par la disparition de la flexion)^ à in- 
venter Farticle , les prépositions et conséquemm^it la 
construction analytique du discours. 

Cest fort ingénieux , on le voit , mais c'est un para- 
doxe. 

Les Celtes ou Gaulois possédaient , on le sait , une 
langue particulière et distincte , et cette langue n'était 
ni l'ombrien, ni l'erse, ni le basque, ni le belge, ni 
l'allemand ; nous croyons l'avoir prouvé. De plus, nous 
avons prouvé que la langue d'O , parlée par les descen- 



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LÀN6US d'o ou celtique. 239 

I 

dants légitimes des Celtes, ne provient pas du latin 
populaire et que c'est un idiome aussi primitif que n'im- 
porte lequel. D'où nous concluons que la langue d'O est 
le vrai celtique et que c'est une des plus anciennes 
langues du monde. 

Le savant et inimitable Godolin s'est douté, avant 
nous et comme nous, que son idiome maternel n'était 
pas un patois , mais une belle et antique langue , laqudle, 
Idn d'avoir été procréée par le latin, existait de longs 
siècles avant même la formation de cet idiome. Malheu- 
reusement , il n'a pas jugé à propos , (et nul mieux que 
lui n'aurait été autorisé à le faire) de rechercher l'origine 
do la langue d'O. Il s'est borné simplement , pour ^venger 
sa langue de mépris imbéciles, à doter le monde de 
splendides, d'immortelles poésies. 
Voici ce qu'il écrit : 

« A touts , d'amb'un trinfle d'abertissomen : 
» Sion c[uitis dan les que dounon del nas à la lengo 
» moundino , tant per nou se poude pas emprigoundi 
» dedinsla counéyssenço de sa gracie, coumo per nous 
• » fa creyre qu'élis an troubat la fabo à la coco de la 
» suflSsenço. Acampen le mesprès dan le mesprès , e de 
» toutos lours paraoulos uflados e trufandièros , . fazan 
» autant de mobles de boudouflo, Re. Beromcn o , coumo 
» se la rosû muscadëlo rësto de nous fiuleta le nas e 



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240 LÀ YÊRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

» les èls , encaro que le tabar à cabussets reboimdo le 
» fissou dins sas estatjos amourousos. Nouirigat de 
» Toulouse me play de manteni soun lengatge bel , e 
» capable de derrambulha toute sorte de councepeious; e 
» per aco digne de se carra d'amb un plumachou de 
» prêts e d'estinfo. Aqueste reprochi l'y poden manda , 
» que debës qualque meut se raing e s'encadeno dan 
» le lati : amour, cèl, terro , mar, tabès au fa le blous 
» frances, Titalièn e l'espagnol, quedignomensebanton 
» de touca le pu naut escalou de la perfecciu. Tal paren- 
» tatge ben de l'estudi o de la frequentaciu de l'un pople 
» dan l'autre. Garats aci de moûts del pais que biben 
» de leurs rendes : Gof, pèc, kc, crauc, ranc, hrusc- 
» ganguiè, perot, ranguil, royre, chiuchiu, foulp/na, 
» rampoynOy requinca, chamboula, carrinca, miror- 
» couca, ajouata, chotum-botum , espalabissa, à tmtos 
» e bustos, à mahs endeberos, part milanto d'autres que 
» déjà se soun enginats dins nostre petit passo-tems. 
» Per fèt de lour antiquitat: Quand del mandomen de 
» Diu las lengos se troubèguen à la sépulture de la 
» temeritat del gigan Nembrot , qui dira que la nostro 
» nou fourèsso pas de l'asempreî Segoun l'oupiniu 
» coumuno, Tolus petit nebout de Noë foundèc Toulouse, 
» l'aparenço dits douncos per nous , que be pourtao 
j» qualque lentgage particulier d'aquelis qu'abion serbit 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 244 

» à la cotinfusiu del bastimen doun las girouetos dibion 
» frega le cël ^ e despita le majenc de tout autre delutge. 
» Âsso sio dit de fregado countro les trufandiès , en fabou 
» de la lengo moundino, Toulousano, Toulousenco, que 
» nous a fournit de sas flouretos per fa le Ramelet que 
» cèrco qui per destric , e foro d'afas le bolgo bese de 
» boun èl. Adissiats. » 

On le voit, Godolîn, frappé de Timpossibilité d'attri- 
buer au latin l'origine de son idiome maternel, n'hésite 
point à le faire remonter à la confusion des langues , 
sous les murs de Babel. Ce sentiment, tout paradoxal 
qu'il puisse paraître à première vue, est aussi le nôtre , 
et voici sur quoi nous nous fondons : 

L'histoire nous enseigne que , 600 ans avant notre ère, 
les Gaulois firent irruption en Italie et en Allemagne , et 
s'y fixèrent à demeure. Plus tard, les Gaulois établis en 
All^Magne, se dirigèrent vers le sud de ce pays et s'éta- 
blirent dans la Dacie. De longues années après, les géné- 
raux successeurs d'Alexandre , vinrent enrôler une partie 
des guerriers Gaulois qui habitaient la contrée. Ces 
Gaulois , passés en Asie, y fonderai Ancyre et le royaume 
Galatte. Quand à ceux d'entr'eux qui étaient demeurés 
en Dacie, ils continuèrent d'y séjourner et leurs descen- 
dants y vivent encore, tout comme les descendants des 
Gaulois Cisalpins peuplent encore le nord de l'Italie. 
II U 



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242 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

Mais ces Gaulois avaient une langue propre , différen- 
ciée de celle' de leurs voisins, et il est vraisemblable 
qu'ils rimportèrent avec eux dans les cantons où ils 
s'étaient établis. Or, il est extrêmement surprenant que 
les savants roraanisants modernes , ne veuillent tenir 
aucun compte de cette langue , dans la procréation des 
prétendus idiomes romans , et la considèrent absolument 
comme si elle n'avait jamais existé. 

Que serait donc devenue la langue Celtique? Serait- 
elle entièrement anéantie ? 

En ce cas , il est un fait bien digne de remarque , c'est 
que , partout où l'histoire nous montre un établissement 
de Gaulois, en Italie , en Suisse , en Dacie, en Espagne, 
on y parle encore aujourd'hui une langue identique , 
tandis que cette langue est absolument inconnue là où 
ils ne se sont jamais implantés. 

On lit dans V Introduction à la grammaire des langues 
romanes, de M. Frederick Diez: « L'accord fréquent de 
» tous les dialectes romans dans l'emploi des mots , des 
» formes ou des sens rapportés dans ces deux listes , est , 
» avec leur construction grammaticale , la plus certaine 
» preuve de leur unité originaire. » 

Il est vrai que cet auteur ajoute aussitôt : 

« Cette unité ne peut se supposer que dans l'idiome 
D populaire des Romains , d'autant plus que la langue 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE, 243 

» Valaque , séparée de très bonne heure des autres ne 
» peut leur avoir emprunté ces éléments , qui lui sont 
» communs avec elles , et ne peut les posséder, de même 
» que ses sœurs , que comme un patrimoine transmis 
» par la langue mère. » 

Pourquoi M. Diez attribue-t-il cet honneur au latin 
populaire au détriment du Gaulois? M. Diez n'ignore 
cependant pas ce qu'est un patois à la langue classique , 
puisqu'il écrit : « Seulement il faut se garder d'entendre 
» par langue populaire autre chose que ce qu'on entend 
» toujours par là , l'usage dans les basses classes de la 
» langue commune, usage dont les caractères sont une 
» prononciation plus négligée , la tendance à s'affranchir 
» des règles grammaticales , l'emploi de nombreuses 
» expressions évitées par les écrivains , et certaines 
» phrases, certaines constructions particulières. Voilà les 
» seules conséquences que permettent de tirer les 
» témoignages et les exemples qu'on trouve dans les 
» auteurs anciens. » 

Donc , d'après M. Diez lui-môme , le latin populaire 
devait avoir la même syntaxe , les mêmes formes gram- 
maticales, le même génie, en un mot, que le latin classique. 
Ceci est confirmé par l'examen de la longue liste de 
mots appartenant au latin populaire que nous donne 
M. Diez. Tous les mots qui composent cette liste , 



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S44 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE D'o. 

substantib , adjectifs , verbes , possèdent, sans exception, 
des terminaisons semblables aux terminaisons des verbes, 
des adjectifs et des^substantifs du latin littéraire. Us sont 
par conséquent ramenés à l'analogie de Tidiome latin. 
Ce qui prouve , jusqu'à l'évidence, que le génie du latin 
populaire était de même ordre transpositif que le génie 
du latin classique et que la construction de la phrase se 
faisait dans l'un, de la même manière que dans l'autre. 

D'où il suit que le latin populaire , possédant un génie 
d'ordre transpositif , n'a jamais pu donner aux idiomes 
prétendus dérivés de lui le génie d'ordre analytique qui 
les distingue. 

On veut, à tout prix, que le latin populaire se soit 
substitué aux langues étrusque ou pélasgique, ombrienne, 
ibère et gauloise. Mais pourquoi ne veut-on pas faire 
attention que , lorsque les Gaulois se fixèrent en Italie , 
non-seulement le latin populaire n'existait pas encore , 
mais que le latin classique n'était pas lui-même complè- 
tement formé? Les Gaulois n'ont donc pas pu délaisser 
leur langue nationale pour en adopter une qui n'était 
pas née. 

Nous avons déjà montré assez clairement d'où le latin 
classique avait tiré sa naissance et de quels déments il 
s'était primitivement composé. Or, il est incontestable 
que, jusqu'à la venue des Gaulois en Italie, le latin 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 245 

persista dans sa première manière d'être, et que ce fut 
seulement après rétablissement des Celtes aux frontières 
de son domaine qu'il commença de s'imprégner de 
vocables étrangers. Ces mots , étrangers aux langues 
qui avaient provigné le latin , nous en avons signalé un 
certain nombre dans les fragments des Lois des Douze 
Tables. D'Où ces mots seraient-ils sortis ? puisqu'on ne 
veut tenir aucun compte de l'influence de la langue 
gauloise sur la langue des futurs maîtres du monde. 

Nous avons prouvé que la civilisation romaine était 
faite de nombreuses pièces de rapport et qu'il n'y a jamais 
eu de peuple plus pillard , mais en même temps plus apte 
que le peuple Romain à s'assimiler les usages des autres 
peuples. Nous avons démontré aussi que les Romains 
n'avaient jamais exercé la moindre influence sur les 
nations qu'ils avaient incorporées à leur empire. 

S'il en eût été autrement , ce n'est pas l'idiome Gaulois 
seulement qui eût été anihilé par la prépondérance delà 
la ngue latine , mais , tout comme lui , les idiomes kym^ 
rique , allemand , pélasgique , ombrien , numide , etc. 

Peut-on dire que cela ait eu lieu? 

S'il en eût été autrement, le latin se serait-il simple- 
ment borné à imposer quelques mots de sa langue 
aux idiomes des vaincus, et n'aurait-il pas aussi imposé 
en même temps le génie particulier qui le caractérisait ? 



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Si6 LA TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

L Vt-il &it ? Â-t-il pu le faire t 

On sait bien le contraire. 

L'onpire Romain , de même que la Isoigue latine, foi 
on adosse aux pieds d'argile que le souffle des Barbares 
fit aisément crouler ; car là où il n'y a 'pas d'bomc^néité, 
il ne peut y avoir de stabilité. 

Rome détruite , il n'y eût plus d'enqpire Romain. 

Rome détruite, il n'y eût plus de langue latine. 

Gela se comprend facilement. Le latin , parlé presque 
partout au temps de la domination rcmiaine j n'a jamais 
été en réalité qu'une langue factice, sorte de jargon, 
sans racine , à l'usage exclusif , non d'un peuple , mais 
de quelques habitants d'une ville, fort humble p^ddaoït 
k)ngtemps , de l'Italie. 

Ce langage , sorte d'argot de voleurs dans le principe , 
quoique formé d'un mélange de& deux grandes langues 
de la péninsule italique , dut , presque dès son origine , 
être inintelligible aux peuples dont les idiomes distincts 
avaient servi à créer cet argot. Aussi voyons-nous les 
Romains en défendre longtemps l'usage à ceux de leurs 
voisins qu'ils avaient fini par maîtriser et s'incorporet. 

Mais , parce fait seul qu'il était composé d'individus 
appartenant à des nationatités diverses , le peuple Romain 
devait d'autant plus facilement admettre dans son voca- 
bulaire des termes empruntés à toutes ces nationalités. 



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LANGUI D^O OU CELTIQUB. 247 

Tous les savants sont unanimes à reconnaître qu'en 
dehors des termes appartenant aux idiomes pélasgique 
et ombrkn, fondateurs du latin, (m trouve dans la 
langue latine une foule de mots de provenance diverse, 
tirés du grec, de Tibère , du kymre, du teuton et même 
de Fhébreu. 

Or , si le latin a pu si Csieilement emprunter des signes 
à ces difTérents idiomes , pourquoi donc n'aurait-il pas 
pu en emprunta- au celtique ou gaulois? 

Supposer que le latin ne l'a point fait, serait chose 
absurde. Tout concourt à démontrer que c'est par des 
emprunts faits au vocabulaire celtique que le latin a pu 
enrichir son propre vocabulaire. 

D y a , en effet , dans la langue de Rome , une immense 
quantité de vocables que les savants, ne pouvant les 
retrouver dans les dictionnaires kymre , teuton , pélas- 
gique , ombrien , grée , etc. , n'hésitent point à déclarer 
de provenance inconnue. 

Provenance inconnue! c'est bientôt dit. Mais est-ce 
possible? Peut-il y avoir dans une langue quelconque, 
surtout composée , et dont les sources sont connues , 
un mot , un seul mot de provenance inconnue? 

Il ne faudrait pas être linguiste, pour ignorer le con- 
traire. 

Ces mots , dont on ne veut point savoir l'origine , se 



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248 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

retrouvent dans la langue d'O et seulement dans la 
langue d'O. 

Au lieu de conclure de cette coïncidence que la langue 
d*0 , parlée par les descendants directs des celtes ou 
gaulois , devait être la langue celtique , les savants aux- 
quels nous faisons allusion , ont préféré croire et dire que 
la langue d'O avait pris ces termes du latin et lui devait 
même sa formation. 

Mais, à supposer que cette assertion fut exacte, la 
langue d'O ne possède point que ces termes , soi-disants 
latins, malgré qu'on ne puisse, en ce cas, savoir d'où 
les Romains les auraient pris eux-mêmes. Plus de la 
moitié du vocabulaire gaulois est composée de mots qui 
n'existent dans aucune autre langue. D'où donc la langue 
d'O les aurait-elle tirés ? 

C'est un mystère pour les détracteurs de notre vieille 
langue celtique , mais ce ne saurait en être un plus 
longtemps. 

En effet, si les Celtes, lesKymres et les Teutons, 
par exemple , étaient de même race et provenaient 
tous, comme on se l'imagine, du tronc aryen , non seu- 
lement ces mots se retrouveraient, sans exception, 
sinon en bloc au moins disséminés , dans un des nom- 
breux rameaux de ce tronc. 

De plus , comme la souche de toutes les langues d'ori- 



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LANGUE d'o ou celtique. 249 

gine aryenne, le sanscrit, est d'ordre transpositif, et 
que nous voyons les langues qu'on en fait provenir, 
telles que le slave , le pélasge , le grec, le latin , l'alie- 
mand, le breton, posséder plus ou moins un génie 
d^ordre semblable , le gaulois aurait dû , lui aussi , être 
d'ordre transpositif pour pouvoir être classé dans cette 
grande famille de langues. 

Mais alors , puisqu'on veut que la langue d'O actuelle, 
qui est en somme le celtique ou gaulois, ait été provi- 
gnée par le latin, si elle eût eu un génie semblable au 
latin, à l'allemand, aukymre, pourquoi se serait-elle 
amusée à transformer ce génie et de transpositif le ren- 
dre analytique? Pourquoi, seule, aurait-elle métamor- 
phosé ainsi son génie, quand, autour d'elle , toutes les 
autres langues voisines ont été impuissantes à changer 
le leur? 

Si ce changement de génie enfin devait être exclusi- 
vement attribué à la supi»ression de la terminaison des 
mots latins, c'est-à-cBre à l'ablation de la flexion , qu'en 
faudrait-il conclure? Sinon que les gaulois, tout en 
adoptant le vocabulaire du latin populaire, devaient 
posséder un génie radicalement différent de celui de ce 
latin, puisque les terminaisons des mots, propres seu- 
lement aux langues transpositives, leur devenaient 
inutiles. Mais , comme dans ce monde , il n'y a pour les 



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250 LÀ TÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

langues que deux manières d'être, Fune transpositive, 
Fautre analytique, si le gaulois n'était pas d'ordre 
transpositif, il devait forcément être d'ordre analytique. 
Par conséquent, la langue d'O, qui à conservé intact ce 
genre de génie et qui est la seule à le posséder dans le 
concert des langues européennes, n'a point été procréée 
par le latin, classique ou populaire, et elle est bien 
véritablement la langue parlée par les celtes ou gaulois. 

C'est de toute évidence. 

Néanmoins, ce qui semble donner une apparence de 
vérité à l'hypothèse de ceux qui s'obstinent à voir dans 
la langue d'O le prolongement naturel et normal du 
latin populaire, c'est la quantité, relativement grande, 
de mots communs à ces deux idiomes. 

Nous avons déjà prouvé : 

1® Qu'il est impossible d'attribuer ces mots aux idiomes 
des peuples avec lesquels Rome s'est trouvée en rapport ; 

2» Que ces mots n'ont point été inventés arbitraire- 
meut par la plèbe romaine, mais qu'ils ont pénétré 
dans son langage par voie d'emprunt ; 

3« Enfin que les Gaulois avaient une langue propre, 
absolument différente de celles des autres nations 
d'Europe. 

D'où il résulte que ces mots étant communs au latin 
et à la langue d'O, la langue d'O est véritablement 



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LANGUE d'O ou GELTIQUB. S54 

l'ancien celtiqne, et c'est de celte vieille langue que les 
Romains, ont reçu les mots en question, loin de les 
avoir eux-mêmes donnés au celtique. 

Les Romains formèrent leur langue d'emprunts faits 
à toute sorte de langues. Il n'en est pas de même des 
Gaulois qui ont toujours possédé pour la leur un atta- 
chement inviolable, aussi tenace que persistant. 

Ce fait est tellement évident , que M. Diez est obligé 
de l'avouer lui-même. Pourtant il cherche à en tirer des 
conséquences favorables à la déplorable erreur qu'il 
s'efforce de propager : 

« La conquête romaine , dit-il , détruisit autant que 
» possible dans toute l'étendue de la Gaule les langues 
» indigènes. Nous possédons toutefois sur leur persistance 
» quelques renseignements historiques. Au commence- 
» ment du troisième siècle, un passage connu d'Ulpien 
» cite le gaulois comme une langue encore vivante : 
» Fidei commissa qiu)cunque sermone reltnqui possunt , 
» non solum latina vel grœca, sedetiam punica vel gaU 
» licana. A la fin du quatrième siècle , Saint Jérôme , 
» qui connaissait la Gaule pour y être allé , rappelle la 
» communauté de langage des Galattes et des Trévires : 
» Galatas propriam linguam, eamdem pœne habere 
» quam Treviros (Prœf» ad librum H in épist. ad Gala-- 
» toi). Vers le même temps ^ Sulpice Sévère parle du 



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852 Là yérité sur la langub d'o. 

» celtique ou gaulois comme d'une langue existante 
» encore à côté du latin: Vel ceUice, autj si mavis, 
» gallice loquere {opéra Lugd. Batav. p. 543j; et Mar- 
» cellus Empiricus donne une foule de noms de plantes 
» gaulois usités dans son pays. 

» Dans la seconde moitié du cinquième siècle , Sidoine 
» Apollinaire blâme la noblesse d'Auvergne de conserver 
» encore dans son langage celtici sermonis squamma, ce 
» qui peut, il est vrai , s'aiq)liquer aussi à un usage pro- 
» vincial ou rustique du latin. Cependant dans la seconde 
» moitié du VI« siècle la vieille langue n'avait pas encore 
» tout à fait péri en Auvergne, car Grégoire de Tours 
» en tire l'étymologie d'un nom propre: Brachio, quod 
» eorum (Arvemorum) lingiui interpretaturursicatului 
» (VitœpatrumjCap. iij. » 

Et plus bas : 

« Si l'on embrasse l'ensemble de la langue française , 
» on s'apperçoit bien vite que l'élément latin y est moins 
» fort et l'élément germanique bien plus considérable 
» que dans l'espagnol et Titalien. La proportion est en- 
» core plus défavorable au latin , si l'on veut tenir compte 
» des patois, ou, ce qui revient presque au même, de 
» l'ancienne langue , bien que les patois et le vieux fran- 
» çais ne manquent pas non plus de mots latins inusités 
» dans la langue actuelle. L'origine du résidu non latin f 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 253 

» quand il n'est pas germanique n'est pas plus facile à 
» assigner ici que dans le domaine italien. Il est frappant 
» que, des mots gaulois transmis par les anciens et dé- 
» signés par eux comme tels , on retrouve presque la 
» moitié en français , en provençal ou dans d'autres dia- 
» lectes anciens , et à l'état de mots populaires , ce qu'ils 
» n'étaient pas en latin, etc. etc. 

» Son plus ancien nom paraît bien être Kn- 

» gua gallica, Jean le Diacre, par exemple, vers 874, 
» dit: Ilkmoregallicosanctumsenemincrepitamfollem 
» (fr. fol, fou; voy, du Gange, s.v. Follis). Le moine 
» deSaint-Gall (vers 885) remarque: caniculas quas 
» gallica lingua Veltres (v. f. viautres) nuncupantfdu 
» Cange, s. v. Canis), Witichind (vers l'an 1000) dit: 
» Ex nostris etiam fuere qui gallica lingua ex parte lo- 
» qui sciebant (ap. Meibomium, I, 646. Cette dénomina- 
» tion s'est perpétuée en breton : Galkk signifie la langue 
» française , comme Gall veut dire Français. Francisca 
» ou Francica n'était originairement qi^e le nom de la 
» langue franke (voy. Ermoldus Nigellus, Eginhard, 
» Otfried , etc.), et ce n'est qu'après l'extinction de cette 
» langue en Gaule que la romane du nord hérita de son 
» nom , et fut appelée langue française : Jamais un 
» Provençal n'aurait donné ce nom à son idiome. » 

Quoiqu'on en dise et malgré qu'on en ait , cette cita- 
n 46 



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254 LA YÉRITfi SUR LÀ LANGUE d'o. 

tion démontre clairement que la langue celtique ou gau- 
loise était douée d'une vitalité excessive et d'une force 
extrême de résistance puisqu'on l'an mil on la parlait 
encore. Donc , il est faux de dire que le latin populaire 
anéantit l'idiome gaulois. Donc, si le gaulois a résisté, 
ce gaulois ne peut être que l'idiome connu aujourd'hui 
sous le nom de langue d'O. 

Cest aussi évident qu'incontestable. 

M. Diez ose pourtant écrire : « Mais , malgré cela , en 
» considérant l'énorme prépondérance de la langue des 
» Romains, on ne peut admettre qu'à une époque aussi 
» avancée le celtique ait vécu encore autrement que sur 
» quelques points isolés , et à coup sûr fortement mé- 
» langé du latin. » 

La raison invoquée par M. Diez , pour motiver l'anéan- 
tîssenxent de la langue celtique , nous parait bien faible. 

Pour justifier sa proposition, M. Diez n'aurait-il pas 
dû tout d'abord nous apprendre par suite de quelles oc- 
currences l'idiome gaulois a plus profondément ressenti 
V énorme prépondérance de la langue des Romains , que 
le sabin , le toscan , l'ombrien , le grec , l'illyrien , l'alle- 
mand, lecimbre? 

M. Diez voudrait-il prétendre que la domination ro- 
maine pesa moins fortement sur l'Angleterre , la Belgi- 
que, l'Allemagne, la Tbrace, la Grèce, l'Italie elle- 
même I que sur la Gaule ? 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 255 

En voyant sur quelles faibles preuves s'étayent les 
romanisants, pour faire venir du latin les prétendues 
langues romanes , et l'inconcevable mutisme qu'ils gar- 
dent constamment sur la langue celtique et le rôle qu'elle 
à joué, ils nous amèneraient presque à supposer qu'ils 
sacrifient la vérité ^u plaisir de développer un brillant 
paradoxe et de fonder un système. 

Toutefois , ce dont nous sommes le plus profondément 
surpris et affligés, c'est de voir des Gaulois eux-mêmes 
méconnaître leur plus beau titre de gloire et employer 
leur profond savoir et les prodigieuses ressources de 
leur incontestable talent à soutenir une thèse dont tout 
démontre la fausseté. 

(( Ainsi tandis que le fond de la nation française est de 
» race celtique , la langue française n'a conservé qu'un 
» nombre insignifiant de mots qui puissent être ramenés 
» à une origine gauloise. Fait bien étrange , et qui , 
» mieux eucore que l'histoire politique , montre combien 
ï) fut absorbante la puissance romaine. (Brachet , Gr. 
» Hist. de la lang. franc, » 

Fait bien étrange, en effet , s'il était vrai 1 

Hé quoi I nous sommes Celtes , nous parlons une lan- 
gue absolument différente de toutes les autres langues , 
et nous ne parlerions pas le celtique ? 

Nous n'avons rien du latin , c'est prouvé , ni génie , 



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256 LÀ VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 

ni syntaxe, ni constructions , ni flexions, ni vocabulaire, 
et pourtant nous parlerions le latin ? 

Pour justifier sa manière de voir , qui est aussi celle 
de la généralité des philologues, M. Brachet prétend 
que « le séjour prolongé des légions romaines , l'arrivée 
» incessante de nouveaux colons , la nécessité pour les 
y» gens du peuple de plaider aux tribunaux romains, 
» plus tard la ronversion des Gaulois au christianisme, 
» enfin la mobilité d'esprit naturelle aux Celtes et leur 
» amour du changement , tout contribuait à faire adop- 
» ter au peuple Gaulois la langue des vainqueurs. » 

Les raisons mises en avant par M. Brachet sont loin 
d'être concluantes. 

On pourrait , à bon droit , demander à cet auteur com- 
ment les Romains , possesseurs d'une seule ville et d'un 
territoire fort exigu et qui, par conséquent, n'étaient 
pas même un peuple , auraient pu tirer d'eux-mêmes le 
nombre prodigieux de colons et de soldats qu'ils en- 
voyaient aux quatre coins de l'univers et non dahs la 
Gaule seulement. Mais la vérité est que le plus grand 
nombre des colons , envoyés en Gaule , appartenaient à 
la race celtique en qualité de Gaulois cisalpins , et que 
le surplus provenait des différentes races de l'Italie ou 
des pays soumis aux Romains. N'est-il donc pas plus 
rationnel d'admettre que ces colons ^ noyés , dispersés 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 257 

dans la masse de la population celtique au milieu de la* 
quelle on les transplantait, ont, ceux-ci, les Gaulois ci- 
aolpins, continué à parler leur antique idiome, et les 
autres , délaissé leurs langues respectives , dont Fusage 
ne leur était plus possible , disséminés comme ils étaient 
à l'étranger , pour apprendre et parler le Gaulois ? Peut-on 
croire, avec quelque apparence de raison, que ces épa- 
ves de nationalités diverses , jetées en plein pays celti- 
que par le vouloir romain , aient pu forcer une grande 
nation à délaisser sa langue pour en adopter une autre 
dont le génie et le matériel étaient incompatibles avec sa 
manière de penser et sa façon de peindre les idées? Et , 
même dans ce dernier cas , ne faudrait-il pas admettre 
au préalable , que tous ces colons et soldats ne parlaient 
point d'autre langue que celle de Rome , tandis qu'il est 
indiscutablement prouvé aujourd'hui qu'il n'en était rien? 

Cette raison n'est donc pas admissible. 

Quant à la mobilité d'esprit naturelle aux Celtes , nous 
devons avouer qu'elle est loin d'être justifiée parce que 
nous savons de l'histoire de leur idiome. 

Si les Gaulois , en effet , eussent échangé leur langue 
contre celle des Romains , soit par ce que cette dernière 
eût été pour eux du fruit nouveau , soit simplement par 
ce qu'ils étaient sous la domination de ces derniers , il 
n'y aurait aucun motif pour refuser d'admettre qu'ils ont 



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958 LA YÉaiTÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

agi de mènie à l'égard des idiomes de tous les peuples qui 
ont exercé sur eux une prédominance quelconque. 

Cette légèreté de caractère admise^ amènerait à de 
drôles de concluions. Ainsi, les Wisigoths ayant succédé 
à la puissance romaine dans la Gaule méridionale et 
régné à Toulouse, capitale de la langue d'O, envirwi 
250 ans, on pourrait se demander pourquoi les Celtes 
du midi ne se sont-ils pas empressés d'oublier le latin 
en faveur du Wisigoth ou de l'allemand? 

Après l'expulsion des Wisigoths et l'anéantissement 
de leur puissance à Veuille , les Gaulois sont siK^cessive- 
ment tombés sous la domination des Francs, des Sarra- 
zins, des Anglais. 

A*t-on successivement parlé en Gaule, allemand, 
arabe, anglais? 

On sait Uen le contraire. 

On n'ignore pas davantage que l'idiome des Franks , 
loin d'avoir pu s'imposer à la Gaule , a complètement 
sombré pour faire place , dans la bouche de ceux qui le 
parlaient , à un patois du celtique ou gaulois , qui, par 
un jeu de la fortune, est devenu cette belle langue fran- 
çaise que l'on admire aujourd'hui , tandis que sa mère , 
la vraie langue celtique, moins connue, moins choyée, 
moins cultivée , passe maintenant pour un patois. 

La disparition de la langue franke eût lieu même assez 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 259 

rapidement. « Lorsqu'au siècle suivant Rollon , duc des 
» Normands, jure fidélité à Charles de France , il avait 
» à peine commencé la formule sacramentelle By Gott 
» ( au nom de Dieu ) , dans son idiome germaniquç , que 
» toute l'assemblée des Seigneurs éclata de rire ; il fallait 
» que Fallemand fut bien profondément oublié pour 
» paraître aussi ridicule et aussi barbare. (Brachet , Gr. 
» Hist. de la langiM française ). » 

Enfin , depuis que le français règne en maître , malgré 
tous les efforts tentés jusqu'à ce jour pour détruire ce 
qu'on nomme les patois méridionaux , c'est-à-dire l'anti- 
que langue celtique, quel résultat a-t-on obtenu? 
Ne parle-t-on plus le gaulois dans toute la France mé- 
ridionale ? 

L'amour des Gaulois pour leur langue nationale est , 
on le voit , beaucoup plus profond , beaucoup plus enra- 
ciné dans leur coeur que ne saurait le faire préjuger leur 
prétendue mobilité de caractère. Or, s'il est manifeste que 
les celtes ont toujours été réfractaires aux usages étran- 
gers , n'est-ce pas une inconséquence de soutenir qu'ils 
n'ont pu échapper à la prédominance de la langue latine, 
prédominance aussi vaine d'ailleurs qu'illusoire ? 

M. Brachet , dans sa Grammaire historique de la lan- 
gue française y eût donc défendu la vérité et non prêt^ 
main-forte à l'erreur , si , au lieu de chercher comment 



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260 LA TÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

les mots latins (qui ne sont pas latins, mais réellement 
gaulais) ont pénétré dans le gaulois, il eût cherché com- 
ment les mots gaulois avaient pénétré dans le latin. Lors- 
que cet auteur nous assure par exemple que fait dérive 
de factus et haut de altus , c'est tout le contraire qu'il 
aurait du démontrer, car ces deux mots sont passés du 
gaulois en latin. De fait, les Romains firent factus; de 
août ils firent altus. Ainsi de beaucoup d'autres termes. 

Au surplus , avant d'attribuer au latin populaire une 
aussi grande influence sur le gaulois , il aurait d'abord 
fallu s'assurer consciencieusement d'où provenait ce latin 
populaire, enfin et surtout ne point ignorer aussi com- 
plètement l'idiome qu'on s'efforce de donner comme fils 
delà langue latine. 

C'est pour nous chose certaine, le celtique a entière- 
ment échappé à l'influence romaine. Transmis de géné- 
ration en générations par la mère à l'enfant , il est arrivé 
jusqu'à nous. Et nous , les fils des Celtes , nous parlons 
encore incontestablement l'antique langue des Druides. 

Trois faits suffiront à prouver notre affirmation. 

Le premier , c'est l'invention et l'usage des rimes dans 
la poésie. 

Les Druides , on le sait , proscrivaient l'écriture et ne 
confiaient les secrets de la religion et des sciences qu'à 
la mémoire. Or , le génie analytique de la langue gauloise 



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LANGUE d'O OD CELTIQUE. 261 

ne pouvait se prêter au genre de cadence et d'harmonie 
des langues transpositives, comme le grec elle latin par 
exemple, dont toutes les syllabes avaient , par leur lon- 
gueur ou leur brièveté, la faculté d'exprimer les senti- 
ments lents ou impétueux de l'âme. Toutefois, les Druides 
avaient besoin de donner à leurs mystérieux préceptes 
une forme matérielle qui put les faire apprendre plus 
aisément de leurs adeptes et permit à ces derniers de les 
mieux graver et retenir dans leur mémoire. Par ces mo- 
tifs , la langue celtique n'étant pas apte aux règles du 
mètre , les Druides trouvèrent qu'il y aurait de la grâce 
à terminer par le même son deux parties du discours qui 
fussent consécutives ou relatives et d'une égale étendue. 
Ce même son final , répété au bout d'un certain nombre 
de syllabes , devait dans leur idée , produire une espèce 
d'agrément , marquer quelque cadence dans les vers 
et devenir un aide-mémoire des plus sûrs et des moins 
fatiguants pour les initiés aux mystères du druidisme. 

Les fils des Gaulois ont reçu de leurs pères , comme un 
héritage, et l'usage delà rime et la langue qui avait fait 
adopter cet usage. On ne peut ignorer que les premières 
poésies rimées parues en Europe ont été les poésies pro- 
vençales , et que cette manière de terminer les vers fut 
adoptée par presque tous les idiomes de notre continent. 
La rime passa même du provençal en latin, témoin les 

15. 



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268 LÀ YfiEITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

vers léonins ea si grande faveur du huitième au XII^ 
»ècle de notre ère. 

Passons maintenant à la seconde preuve que la langue 
d'O n'est autre que le gaulois ou celtique. 

On lit dans V Encyclopédie de 1755 , à l'article Druides , 
ces paroles du Chevalier de Jaucourt:<( Le premier et 
» originairement l'unique collège des Druides gaulois , 
» était dans le pays des Garnutes ou le pays Chartrain, 
» peut-être entre Chartres et Dreux. César nous apprend 
» dans ses commentaires , lib. VI , que c'était là que l'on 
» tenait chaque année une assemblée générale de tous 
» les Druides de cet te partie dé la Gaule , et qu'on l'appel- 
» lait Gallia comata. C'était là qu'ils faisaient leurs sa- 
» orifices publics. C'était là qu'ils coupaient tous les 
» ans avec tant d'appareil le gui de chêne , si connu par 
» la description détaillée de Pline. Les Druides , après l'a- 
» voir cueilli , le distribuaient par forme d'étrennes au 
» commencement de l'année ; d'où est venue la coutume 
» du peuple chartrain de nommer les présents qu'on fait 
» encore à pareil jour, aiguilabes^ pour dire le gui de 
» ran neuf. » 

Le nom à!aiguilabes , usité dans le pays chartrain , ne 
fait point partie du vocabulaire français. En outre , con- 
servé en même temps que la coutume gauloise d'ouvrir 
l'année par un présent , il est vraisemWable que ce mot 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 263 

doit être celtique ou gaulois. Par conséquent , il doit pou- 
voir être traduit au moyen de la langue celtique. 

Or, si nous cherchons Texplication de ce nom dans les 
vocabulaires respectifis des idiomes erse ou gaélique , kym- 
rique ou breton , basque , teuton ( considérés cependant 
comme des dialectes du celtique), nous sommes forcés 
de convenir , non seulement que le mot atg'wtTaôc^ n'existe 
pas dans ces divers idiomes , mais encore qu'on ne trouve 
dans leurs vocabulaires aucun terme qui ressemble ou 
se rapproche du terme aiguilabes. 

Si nous consultons au contraire le vocabulaire de la 
langue d'O , nous trouvons aussitôt deux mots usuels de 
cette langue qui, par leur jonction , nous donnent , non 
le mot aiguilabes (forme évidemment altérée , pour des 
motifs que nous n'avons pas à rechercher ici , de l'antique 
locution druidique), mais cette locution elle-même dans 
toute sa pureté : aquilabes. 

Ce dernier mot , en effet , se décompose en aqui, voici , 
et en Fabes, le gui. Donc , ce nom ou plutôt cette phrase 
gauloise , traduisible seulement par le secours de la lan- 
gue d'O , doit s'écrire : aqui Vabes; et elle signifie , non 
le guide Van neuf, mais simplement voici le gui. 

Ce serait déjà un fait assez surprenant par lui-même, 
on l'avouera , que la seule langue d'O put traduire ce pré- 
cieux reste du celtique , si la langue d'O n'était pas le 



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264 LA TÉaiTÉ sua la. langue d'o. 

celtique lui-même, et provenait du latin, comme on 
ose le soutenir. Il serait bien plus surprenant encore , 
si la langue d'O était le prolongement ouïe développement 
du latin littéraire, que, seule entre toutes les langues 
prétendues celtiques, elle eût conservé Tusage du nom 
sous lequel les Druides désignaient le gui , tandis que les 
autres langues n'auraient pu le faire. 

En effet , le mot gui se dit : 

en Kymrique ou breton. Htiel-var, (1) 
en Uscara ou basque ... Puhullu; 

en Allemand Mistel; 

en Saxon ( anglais ) Mistletoe ou Miseltoe ; 

en Grec ; . . . Ixos; 

en Latin Viscum; 

en Italien Visco ; 

en Français Gui; 

en Espagnol Muèrdago ; 

en Portugais Agarico ; 

en Slave Amela, 

Ce n*est qu'en langue d'O seulement que le mot gui se 
dit abes, on le voit. 
La troisième preuve enfin que la langue d'O est réelle- 

(1) Ce nom est composé de Htiel, haut » sublime , et de 6âr branche. 



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LANGUE O'O OU CELTIQUE. 265 

ment le celtique nous est fournie par l'existence même 
de la langue roumaine ou valaque. 

Le roumain passe cependant pour être issu, au même 
titre que le français , l'espagnol , l'italien et le portugais , 
du latin populaire. M. Diez , dans son ardent désir de 
bien établir cette filiation , écrit : « La plus ancienne 
» population de la Dacie était d'origine thrace , et par- 
» lait , d'après l'opinion généralement admise une lan- 
» gue voisine de l'ancien illyrien. Apres la conquête de 
» riUyrie (219 ans avant Jésus-Christ) et de la Mésie 
» ( 30 avant J. G. ) par les Romains , l'empereur Trajan 
» réduisit aussi, en l'an 107 de notre ère, la Dacie en 

» province romaine Mais déjà auparavant la 

» population thrace presque entière avait été obligée de 
» reculer devant l'invasion des Jazyges , population 
» Sarmate qui venait du côté de l'Orient. 

» Les colonies qu'on transporta dans le pays depuis la 
» conquête contribuèrent puissamment à en romaniser 
» les anciens habitants; mais elles no purent cependant 
» les pénétrer aussi profondément que les contrées de 
» l'Europe occidentale : Car , déjà cent cinquante ans 
» environ après la réunion de la Dacie , l'empereur Au- \ 
» rélien fut contraint de céder cette province aux Goths 
» (272) . A cette époque on transporta en Mésie une par- 
» tie des habitants. Vers la fin du cinquième siècle (489), 



; 



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S66 LA VÉRITÉ sua 1a langue d'o. 

» les Bulgares , peuples tartares , assimilés plus tard aux 
» Slaves , commencent leurs incursions en Thrace et en 
» Mésie , et lorsqu'ils finissent , en Tan 678 , par s'établir 
» à demeure en Mésie , ils y trouvent déjà des coloaies 
» slaves; quatre-vingts ans plus tard il y a eu en Macé- 
» doine une province slave , la slavinie , et le domaine 
» valaque finit par être entouré ou occupé par des peu- 
» pies de cette race. 

» Cet immense mélange de peuples se reflète à mer- 
» veille dan^ la plus orientale des branches sorties de 
» la Ungua rustka. C'est à peine si la moitié de ses 
» éléments est restée latine. On pourrait croire trouver 
» dans cette langue, qui n'a eu presqu'aucun contact 
» avec ses sœurs et s'est développée sous leur influence, 
» un certain nombre de mots latin^ qui leur sont incon- 
» nus; mais on se tromperait; le nombre de ces mots 
» est relativement minime 

» Les radicaux de la moitié non latine doivent se 
» rattacher au slave , à l'albanais, au grec , à l'allemand, 
» au hongrois., au turc, et à d'autres langues encore. 

» Un examen attentif des éléments étrangers prouve 

» que, malgré les prétentions des grammairiens vala- 
» ques à la pureté de l'origine latine de leur langue, 
» l'élément slave est celui qui domine , etc. , etc. » 

Il est vraiment inconcevable que, dans l'énumération 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 867 

des divers peuples qui ont successivement occupé la 
Dacie, M. Diez ne fasse aucune mention des Celtes. Il 
ne saurait pourtant ignorer que non-seulement les Gau- 
lois s'y établirent il y a plus de deux mille ans, mais 
qu'ils n'en ont jamais été dépossédés ou expulsés et que 
leurs descendants y vivent encore. 

Les anciens historiens ne se bornent pas d'ailleurs à re- 
later simplement l'établissement des Gaulois en Dacie. ]Us 
sont encore plus explicites. D'après eux, les Celtes qui 
s'établirent dans cette contrée faisaient partie de la tribu 
des Tectosages , à laquelle on doit la fondation de Toulouse 
et dont le territoire se composaitjdu Haut-Languedoc. 

En présence de cet inexplicable et persistant oubli de 
M. Diez, relativement au nom et aux établissements en 
divers pays des tribus gauloises , oubli qui ressemble 
fort à un parti pris , ne serions-nous pas en droit de 
douter de son impartialité et de sa bonne foi? 

Il est vrai que, si l'auteur allemand rendait aux Celtes 
la justice qui leur est due et attribuait à la langue celti- 
que l'influence rédle qu'elle a exercée, il serait obligé 
d'abandonner son système. 

Comment, en effet, persister à soutenir et à exalter 
l'influence du latin populaire sur les idiomes primitifs de 
ritaUe, de l'Espagne, du Portugal, de la Valachie, de 
la France, l'orsqu'il est indiscutable que cette prétendue 



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268 LA YÉaiTÉ SUR LA LANGUE d'O. 

influence ne se serait exercée que dans les seuls pays 
occupés par les Celtes , tandis qu'elle n'aurait laissé de 
traces nulle autre part? 

Comment étayer et faire prévaloir l'ingénieux , mais 
impossible système qui ferait provenir une langue 
analytique d'une langue transpositive, si l'on avouait 
au préalable que l'idiome gaulois était essentiellement 
d'ordre analytique et que ce génie distinctif s'est conservé 
et existe encore chez toutes les langues parlées dans les 
pays seulement où vécurent les Gaulois? 

Mais c'est assez I A quoi bon multiplier des demandes aux- 
quelles on serait forcé de faire toujours la même réponse? 

Nous avons suflisamment prouvé que le latin popu- 
laire n'était pour rien dans la procréation des langues 
romanes. Or, comme, entre ces langues, la langue d'O 
est celle dont l'antiquité est le mieux établie et c^lle dont 
les autres dérivent évidemment, nous en avons inféré que 
la langue d'O n'était et ne pouvait être que la véritable 
langue celtique. Nous avons déjà donné d'abondantes 
preuves de cette assertion ; mais la plus concluante , la 
plus indiscutable est ce fait , vraiment digne de remar- 
que, que la langue roumaine offre avec la langue d'O 
des affinités si frappantes , de si remarquables analogies, 
qu'il est impossible de leur refuser une commune origine. 

Dans le cinquième siècle avant notre ère , des Tecto- 



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LAifGUE b'o ou celtique. 269 

sages, avons-nous dit, s'établirent en Dacie. Depuis 
cette époque jusqu'à nos jours, il n'a plus existé de 
rapports d'aucune espèce entre ces émigrés gaulois et 
leurs congénères demeurés dans la mère-patrie. Néan- 
moins , malgré le long espace de temps écoulé , malgré 
l'absence de communications avec leurs frères de gaule , 
malgré les révolutions politiques, les envahissements 
successifs de peuples divers , et tant d'autres causes que 
nous négligeons de rechercher, les Roumains ont con- 
servé leur antique idiome celtique à peu près intact , à 
tel point qu'un Languedocien sera tout aussi aisément 
compris à Bucharest qu'un Valaque à Toulouse. 

Le génie de la langue roumaine est identique à celui 
de la langue d'O. 

Comme dans la langue d'O, les noms dans la langue 
roumaine sont indéclinables et la déclinaison ne s'y fait 
qu'au moyen de l'article ou de prépositions. 

La syntaxe est, à très peu de chose près, là même dans 
les deux langues. Certaines différences existent entr'elles 
cependant; mais elles sont légères et de peu d'importance. 

Ainsi, par exemple, quoique l'article soit semblable 
en langue d'O et en langue roumaine , dans le premier 
idiome il précède constamment le mot ; dans le second , 
il le suit. On dira en langue d'O : lou bent, le vent ; en 
roumain, ce sera : ventoulou. 



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270 LÀ YÉRITÊ SUR LÀ LANGUE D'O. 

Les Boamains remplaceat aussi les vocatifs pluriels par 
les dati£S) ce qui n'est pas usité chez les Languedociens. 
Exemple : Damniloru (pour Domni) Mcultati vocealui 

Damnedeu. 
Messieurs ) écoutez la voix de Dieu. 
Enfin certaines constructions dififôrent. 
Exemple : Limba mutului face mai mult de cdtu aceia 

a unui mincinosu. 
Mot à mot : La langue d'un muet fait plus beaucoup de 
combien celle d'un menteur. 
Cette phrase se dirait en langue d'O, dialecte toulousain: 
La lengo d'un mut bal pla mai que la d'un mentnr. 
Omme nous n'avons point l'intention de pousser plus 
loin l'étude comparative de ces deux langues , ou plutôt 
de ces deux dialectes du celtique , terminons en disant 
qu'en roumain et en langue d'O^ les pronoms se répètent 
souvent, par pléonasme, pour donner plus d'énergie à 
l'expression. Exemples : 

RouM . Lui i am dat. 

A lui je lui ai donné. 
Làng. a eli ei donnât. 
Afin qu'on puisse mieux se rendre compte de l'ex- 
trême affinité qui existe entre le roumain et la langue 
d'O , voici quelques lignes , extraites du journal Roma- 
nulu (le Roumain) , du 12 Janvier 1873 , avec la tra- 
duction en toulousain et en français. 



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LANGUE d'o oc CELTIQUE. 271 

Ua imposant ceremonia ^a tinutu la Versailles, in 
biserica Saint Louis, inonorea gardiloru nationali si 
soldatilorumortipentru Prancia 'n resbelulu eu Prusia, 
si cari au espirat in ambulantele de la Versailles. 
Cette phrase se dirait en toulousain : 
Uno impausanto ceremaunio s' es tengudo à Bersailles, 
dins la baselico de St Louis, en l'aunou des gardos na- 
ciounals et des souldats morts pel la Pranço dins la 
guerroame la Prusso, e que an espirat dins las ambu- 
knços de Bersailles. 
Gela signifie en français : 

« Une imposante cérémonie a eu lieu à Versailles , 
dans la basilique Saint Louis , en Thonneur des gardes 
nationaux et des soldats j morts pour la France pendant 
la guerre avec la Prusse , qui ont expiré dans les ambu- 
lances de Versailles. » ^ 

La similitude de ces langues est fort grande , on le 
voit : même génie, même syntaxe, mêmes constructions, 
presque mêmes termes, 
Ne faudrait-il donc voir là qu'un effet du hasard? 
Non certes 1 car ce n'est ni le hasard ni le latin popu- 
laire qui ont créé cette similarité entre deux idiomes 
si éloignés Tun de l'autre et sans rapports connus entr'eux, 
pas plus qu'ils ne lui ont donné l'usage de la rime , chose 
inconnue au latin. 



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272 LA VÉRITÉ SUR LÀ LANGUE d'o. 



On peut , il est vrai, objecter que la. littérature rou- 
maine , étant née presque d'hier , a pu copier cet usage 
et l'adopter. Mais on peut aussi répondre à cette objec- 
tion que , si le génie du roumain ne l'y disposait invinci- 
blement , cet idiome n'aurait eu que faire de la rime et 
aurait agi comme l'italien et l'espagnol, qui s'en affran- 
chissent souvent et soumettent leurs vers aux lois du 
mètre , tout comme faisaient les Romains. 

Il est excessivement regrettable que le poème, composé 
jadis par Ovide en langue dace, pendant son exil , soit 
absolument perdu. Ne nous en serai tril parvenu que quel- 
ques fragments , cela aurait permis de porter un juge- 
ment certain et définitif sur cette importante question. 

Quoiqu'il en soit , ce que nous venons d'exposer nous 
semble sufSsant pour justifier notre dire, savoir : que la 
langue d'O est bien réellement l'antique langue celtique. 
Or, comme on ne peut pas plus attribuer sa procréation 
au latin qu'à tout autre idiome mort ou vivant , il faut en 
inférer que la lahgue d'O ou celtique ne procède que d'elle- 
même. En d'autres termes , on ne peut raisonnablement 
assigner d'autre date à l'origine de cet idiome que la 
date du miracle de la concision des langues à Babel. 

Il s'est néanmoins rencontré maints savants qui , se 
bornant seulement à considérer l'analogie de quelcpies 
termes celtiques avec des termes bretons ou sanscrits , 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 273 

en ont immédiatement conclu que la langue d*0 ou cel- 
tique provenait du breton ou du sanscrit. 

Si Panalogie des termes était réellement suffisante pour 
indiquer et faire reconnaître la filiation des langues 
d'une façon sûre et précise , la langue d*0 , en ce cas , 
ne manquerait pas de mères. 

Nous trouvons dans TEcho de TArdèche {p9 du 24 
août \S1\ ) le récit d'une piquante mais courte conver- 
sation qu'im de nos amis eût , à cette époque, avec un 
paysan du Bas-Vivarais. Notre ami parlait en français ; 
son interlocuteur lui répondait en patois. Or, s'étant 
amusé à rechercher la provenance des mots employés 
par le campagnard, notre ami fit cette singulière remar- 
que que la plus grande partie de ces mots appartenaient 
à des idiomes étrangers et que , pour le surplus y, il n'en 
était guère que l'on put considérer comme gaulois avec 
une certitude suffisante. 

Nous croyons bon de mettre sous les yeux du lecteur 
le résultat des recherches philologiques faites par notre 
savant ami , à cette occasion. 

Il trouve , appartenant au grec : 

Bouffaire , gros mangeur , en grec , Bouphagos , qui 

mangerait un bœuf, 
appartenant au basque : 
Rmega, jurer , en basque , Amegua , jurer ; 



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874 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Roupo , pardessus , casaque , Arropa ^ casaque ; 
Buffa , soufler , Bufadac , vapeur ; 

Sedo , tamis , Sethobea y triage ; 

Coubida, convier , inviter , CobOatcea , convier ; 
Eschp, sabot, Escolopoinay chaussure. 

Floaeou, flacon , Floswa, bouteille ; 

Alargui , élargir , I^rgateca , lâcher. 

appartenant à l'arabe : 
Catcha, presser, en arabe, Gachar, s'écorcher, 

s'aplatir, 
et appartenant au sanscrit : 
Attica , assommer , en sanscrit , Cikka, tète , cime ; 
Prusi, démanger , Prus , cuire , gratter ; 

Dalho y tàux y Dal, couper le gazon ; 

Coumbo , penchant de cAteau , Kumba , vallée. 

Cest positivement un fait assez extraordinaire en lui- 
même de trouver , dans un très petit nombre de phra- 
ses, de la langue gauloise, tant de mots étrangers et 
peu ou même presque pas de termes purement celtiques. 
Cependant , Fauteur de ces curieuses recherches ne s'est 
pas empressé de conclure, de ces étranges ressemblan- 
ces de mots, que l'idiome parlé par le paysan du Bas- 
Vivarais devait , sans nul doute , provenir ou du basque, 
ou du grec^ou de l'arabe, ou du sanscrit. 

Notre ami aurait pourtant pu agir ainsi avec autant 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. S75 

de droit et de raison que les auteurs qui prétendent faire 
provenir la langue d'O du latin, du cimbre, ou du basque, 
puisque ces derniers ne peuvent donner d*autres motifs 
de leur manière de voir que l'analogiede quelques termes. 

Mais, si l'analogie de quelques termes était suffisante 
pour trancher la question , la langue d'O pourrait des- 
cendre , au même titre, d'autres langues avec lesquelles 
on n'osera point soutenir qu'elle ait jamais eu le moindre 
rapport. 

Ainsi , on trouve dans nos dialectes méridionaux des 
mots hébreux en assez grand nombre, tels que : 
Sabra , sabrer , en hébreu Schabar ou Sabar, sabrer ; 
Crida, crier. Cri, cri ; 

Pigre, paresseux, Piger, paresseux; 

Beca, bêcher, Beqa , bêcher. 

On voit aussi dans la langue d'O des termes qui lui sont 
communs avec la langue ianake, parlée par les Polyné- 
siens des îles Sandwich , Marquises , Gambier , Taïti , 
comme : 
FaUj hêtre, en Kanake Fau, hêtre; 

ÎAcata, couvrir, 
-, ^ ^ , . , i4fta/«a, ceux qui restent chez 
Recatat , caché , modeste , ^ 

eux. 

Leba, lever, tenir en l'air. Leva , suspendre. 

Il n'est pas jusqu'à des mots chinois qu'on ne puisse 

découvrir en notre langue. Exemple : 



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276 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

9 

Pet {peou, (1)) cheveux, en chinois , Pieou, cheveux ; 
Mino , visage , face , Mien, visage , face ; 

Foc Choc, (2) ) feu , Hà , feu. 

Toutefois nous avons vu que, lorsqu'il n'y a entre 
deux langues d'autre liaison que celle qui naît de l'ana- 
logie des mots, elles sont absolument étrangères l'une à 
l'autre. 

Grâce à la connaissance de ce principe, notre savant 
ami n'est point tombé dans cette erreur , si commune 
aujourd'hui et contre laquelle nous nous élevons de tou- 
tes nos forces, consistant à vouloir établir la filiation 
d'une langue quelconque d'après l'examen seulement de 
son matériel ou vocabulaire , sans vouloir tenir aucun 
compte de sa syntaxe ou mieux de son génie. 

Voici , en effet , la conclusion que notre ami a tirée de 
ses recherches étymologiques : « La linguistique démon- 
» tre de plus en plus scientifiquement que les diverses 
» langues que les hommes parlent aujourd'hui ne sont 
» que des modifications de la langue primitive que 
» parlaient nos premiers parents. » ^ 

Nous ne sommes pas du reste, notre ami et nous , les 
seuls à penser ainsi. Un judicieux écrivain , M. Edm. 
de Cazalès , écrivait il y a quelque temps : « Les travaux 

(i) En provençal. 
(â) En gascon. 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 277 

» philologiques de la science contemporaine , en rame- 
» nant de plus en plus toutes les langues connues à un 
» très petit nombre de familles , et en constatant entre 
» ces familles des similitudes essentielles et desdifféren- 
» ces non moins essentielles, conduisent à cette conclu- 
» sion : qu'il y eut d'abord unité de langage^ et que 
» cette unité, au lieu de s'altérer par des modifications 
y> graduelles, a dû se rompre par une séparation brus- 
» que et instantanée. » 

L'antiquité de l'idiome languedocien est donc un fait 
aussi évident que la' parfaite synonymie des mots langue 
d'O et langue celtique. 

Le seul reproche , d'apparence à peu près sérieuse , 
que l'on pourrait faire à la langue celtique actuelle, 
c'est qu'elle ressemble fort peu à ce qu'elle était au 
moyen âge. D'où l'on pourrait inférer qu'elle ne doit 
plus ressembler au langage du temps des Druides. 

En effets il est parfaitement exact que notre gaulois 
diffère d'une manière étonnante du gaulois conservé 
dans les écrits et les poésies des troubadours. Mais, 
c'est justement pour ce motif que la langue d'O moderne 
se rapproche davantage de la pureté primitive de 
l'idiome celtique. 

-Cette assertion peut paraître étrange ; elle est pourtant 
rigoureusement vraie. 

n 46 



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878 LÀ VÉRITÉ SUR Là LANGUE D'O. 

Expliquons cette apparente contradiction. 

A répoque où, pour la première fois, la poésie 
limousine ou provençale fit son apparition en Europe , 
les vieilles civilisations gauloise et romaine avaient été 
ensevelies sous les sauvages coutumes des barbares de 
la Germanie. Les études littéraires avaient cessé d'avoir 
de fervents prosélytes. On ne cultivait plus les lettres , 
les sciences et les arts , qu'au fond de quelques rares 
monastères. La noblesse française, exclusivement adon- 
née aux armes , le bas-peuple , aux travaux des champs, 
étaient absolument illettrés. Seule , la classe moyenne 
ou bourgeoise , ainsi que les individus de trop petite 
noblesse pour pouvoir arriver par l'épée , cherchaient à 
se créer une position indépendante par le commerce , 
les sciences , les/arts ou les lettres, et, pour cela , s'effor- 
çaient de se procurer une certaine instruction , relative- 
ment bien faible encore , dont Tétude du grec , surtout 
du latin, formait la principale ou plutôt l'unique base. 

Ce fut des rangs de cette dernière classe , peu éclairée 
habituée à révérer comme paroles d'Evangile tout ce qui 
venait de la Grèce ou de Rome, grande admiratrice du 
latin à qui l'on rapportait tout et contemptrice de parti 
pris de son idiome qu'elle supposait en provenir, que 
sortirent les troubadours. 

Vagabonds et par goût et par nécessité , ces chanteurâ 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 279 

comédiens (ainsi que les appelle TAbbé Goujet) parcou- 
raient, non-seulement la France, mais l'Europe entière 
de cour en cour , de château en château. 

Or, déjà à cette époque il existait autant de dialectes 
de la langue d'O qu'on en compte aujourd'hui. En outre, 
la langue d'oil ou française (informe encore et dans les 
langes), et les dialectes gaulois de l'Italie, de l'Espagne 
et du Portugal constituaient autant de variétés différen- 
tes delà mère-langue , c'est-à-dire du celtique. De sorte 
qu'un troubadour, qui n'aurait employé dans la compo- 
sition de ses vers que les termes de tel ou tel dialecte de 
la langue gauloise, aurait fort risqué d'être très diffici- 
lement ou, du moins, très imparfaitement compris dans 
les cantons où d'autres dialectes étaient en usage. 

De plus , nous avons déjà dit qu'alors comme aujour- 
d'hui la croyance à la parturition des langues dites 
romanes par le latin était universelle. Nous avons même, 
à cet égard , cité l'opinion de nombreux auteurs fran- 
çais. En Italie, Gonzo, Dante, Boccace, attribuent à 
leur langue une semblable origine. Les Espagnols agissent 
de même. Pareille croyance est enracinée dans l'esprit 
des Valaques. Enfin, l'illustre Camoens, écrit : 

a Sustentava contra elle Venus bella « 

» AfTeiçoada à gente lusitana , 

» For quantas qualidades via nella 

» Da antigua tao amada sua romana : 



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S80 LA YÉRITÉ SUR LA LAN6UB d'O. 

» Nos fortes coraçoes « na grande estrella , 
» Que mostraram na terra tingitana ; 
» £ na lingua , na quai quando imagina , 
» Corn pouca corrupçao cré que he a latina. » 
("Os Lutiadas, cant I, Oct. 35 J. 

Une aussi umversdle croyance pourrait sembler bien 
extraordinaire , étant surtout si peu fondée et si con- 
traire au simple bon sens. Hais nous savons qu'elle a 
toujours été soutenue et propagée par de prétendus 
savants, dont l'unique mérite a consisté à copier et à 
paraphraser sans cesse les opinions de leurs dévanci^s. 

Donc, de cette nécessité où se trouvèrent les trouba- 
dours d'avoir un langage qui put être compris partout , 
et de la conviction enracinée chez tous, par suite des 
faibles connaissances philologiques du temps, que la 
langue d'O venait du latin , ces poètes, disons-nous , se 
formèrent rapidement un langage de convention, une 
langue factice , qui ne fut plus , dans son matériel seu- 
lement, ni gauloise ni latine, mais qui , participant des 
deux, ne tarda pas à différer fortement du langage 
usuel , conservé intact par le bas peuple. 

Il est vrai qu^ tes troubadours ne chantaient pas pour 
ce dernier. 

Par conséquent, il n'est guère étonnant (on le voit 
par cette explication) que les érudits, recherchant dans 
les siècles suivants l'origine de notre langue (qui ne fut 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 281 

jamais langue écrite) et n'ayant pour les aider dans 
cette recherche que les œuvres des troubadours, en 
aient conclu à Torigine latine de la langue romane. 

Les troubadours en effet, soit qu'ils en eussent besoin 
pour la rime , soit pour mieux peindre leur pensée ou lui 
donner plus de force , soit pour se faire entendre en tous 
lieux , soit simplement caprice, ne se gênaient point pour 
puiser à pleines mains dans le vocabulaire latin, ni pour 
emprunter souvent d'étranges inversions à la langue la- 
tine. Aussi, de cet usage, résulta ce singulier phénomène 
que, si Ton compare les rares documents gaulois écrits en 
proseaux poésies de même langue , de la même époque , on 
s'apperçoit aussitôt qu'on a sous les yeux une langue uni- 
que possédant deux vocabulaires parfaitements distincts. 

La prose, à laquelle nous faisons ici allusion, est 
encore bien loin d'être irréprochable. Ecrite par les lettrés 
de l'époque, ils ont eux aussi, tout en conservant au 
gaulois sa physionomie caractéristique , sa consti'uction 
originale, essayé de le latiniser. Ainsi, par exemple,, on 
voit dans certains documents plusieurs mots, encore 
en usage chez le vulgaire et dont l'archaïsme est indé- 
niable, remplacés par des mots purement latins. On 
y remarque aussi la postposition de la lettre finale R à 
l'infinitif présent de tous les verbes, forme évidemment 
latine mais fort éloignée du génie celtique. 

16. 



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882 LA YËRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

L'infinitif gaulois y qui est le thème ou la racine du 
verbe, ne peut et ne doit jamais se terminer que par 
une voyelle. Aussi , le verbe gaulois n*a jamais dû ni pu 
posséder PR à Tinfinitif, comme Titalien, l'espagnol, le 
portugais et le français par exemple, qui , en adoptant 
cette terminaison latine, ont commis une faute grossière 
et se sont mis en opposition complète avec Tesprit parti- 
culier de la langue qui les provigna et dont ils ne sont 
que des dialectes. 

La preuve la meilleure et la plus simple en même 
temps que Ton puisse fournir de la nouveauté et de 
Tirrégularité de cette terminaison en R des verbes celti- 
ques, c'est que TR finale, du jour où le gaulois est 
retombé dans le domaine populaire a complètement 
disparu, et il n'existe plus dans aucun des nombreux 
dialectes de cet idiome parlés en France. Or, s'il en 
avait été et s'il en avait dû être autrement, il est incon- 
testable qu'il serait resté quelque trace de cet usage 
dans un ou plusieurs de nos nombreux dialectes. Cepen- 
dant ce genre de terminaison ne s'y trouve point. De 
plus, quelques idiomes voisins nous ont empruntés des 
termes. Ces termes n'ont subi dans ces idiomes aucune 
modification et pourtant l'R final y fait défaut. 

C'est ainsi que l'on trouve : 



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LAN6UB d'o oc CELTIQUE. 283 

En gaulois, En breton , 

A tissa y exciter, pousser à, Atiza, exciter y pousser à, 
Defanga, décrotter, Difanka, décrotter; 

Empeuta , greffer , enter , Embouda , greffer , enter ; 
Fringa, gambader, fringuer Fringa^ gambader, fringuer; 

En gaulois , En basque, 

A bandouna , abandonner , A bandona , abandonner , 
AccoumpU, accomjdir, Coumpli, accomplir; 
Estaca , attacher , Estaca , attacher ; 

A berti , avertir , A berti, avertir ; 

Carga, charger, Carga, charge. 

Nous pourrions donc déjà conclure que non-seulement 
la terminaison en R des présents de Tinfinitif est abso- 
lument opposée au génie de la langue gauloise , mais 
encore que le motif dominant de son introduction dans 
les quatre grands dialectes de cette langue, c'est la 
conviction, fortifiée par la routine, que le latin popu- 
laire avait provigné la langue celtique. 

On pourrait cependant objecter que si TR final ne se 
trouve point d^ns les verbes empruntés au gaulois par 
les idiomes Kymrique etEuscara, c'est parce que les 
emprunts en question ont été ramenés à l'analogie 
linguistique de ces deux derniers idiomes. Cette objec- 
tion, toute vraisemblable qu'elle put paraître serait 
détruite aussitôt par la terminaison de l'infinitif des 
verbes valaques. 



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284 LA YÉRITË SUR LA LANGUE d'O. 

[ 

"■ > ■ ■ 

On ne saurait certainement prétendre que le Valaque 
nous ait rien emprunté. Et , pourtant , une foule de ver- 
bes sont identiques en roumain et en langue d*0 , et leur 
terminaison est absolument la même que celle des ver- 
bes usités dans les dialectes gaulois actuels. 
Ainsi , Ton dit aujourd'hui , 
En langue d'O , En Valaque , 

Actisa , accuser , Acmà accuser ; 

Aquitay acquitter , Aquità, acquiter ; 

Admira, admirer , Admira, admirer ; 

Afecsiouna , affectionner , Afectiunà , affectionner ; 
A llega , alléguer , A legà , alléguer ; 

Aplica , appliquer , Apkcà , appliquer ; 

Arresta , arrêter , Arestà , arrêter. 

Donc, il est impossible de le nier plus longtemps, la 
terminaison des infinitifs en R est en contradictipn avec 
les procédés gaulois , et c'est tout simplement une inven- 
tion arbitraire et absurde des soi-disant réformateurs 
des langues, invention précieusement conservée par l'i- 
gnorance , la paresse et la routine. 

On trouve enfin dans les documents gaulois du moyen 
âge certaines tournures de phrase évidemment tirées 
de la syntaxe latine. Aussi , vouloir prétendre que ceux 
qui ont écrit ces documents ont employé le celtique , 
môme de cette époque , dans toute sa pureté et tel que 



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LANGUE d'o on CELTIQUE. 285 

le populafre le parlait alors , ce serait vouloir aller con- 
tre révidence et soutenir une thèse ridicule. 

Que penserait-on d'un individu qui, ayant entre les 
mains un ouvrage intitulé Recherches sur la langue la- 
tine y principalement par rapport au verbe, et de la ma- 
nière de le bien traduire (ouvrage paru à Paris en 2 vol. 
sans nom d'auteur , en 1750 , chez Mouchel), et y trou- 
vant un grand nombre de phrases construites comme 
cdle-ci i on ne les expose à tombe/ en des défigurements 
du texte original ou même en des écarts du vrai sens; ou 

comme cette autre: en effet , après avoir proposé 

pour exemple dans son traité des études , et qu'il y a 
beaucoup exalté cette traduction (p. p. 780 et 784, 
tom. II) , oserait en conclure qu'on parlait et qu'on écri- 
vait ainsi le français au dix-huitième siècle ? 

On dirait, avec juste raison, que cet écrivain ano- 
nyme pouvait parler latin ou toute autre langue avec 
des mots français (et encore?), mais qu'à coup sûr ce 
n'est point là la langue des Fléchier, des Massillon , des 
Bossuet, des Du Marsais, des d'AIambert et des Vol- 
taire I Or , pourquoi pourrait-on raisonner ainsi ? Parce 
que l'on possède une multitude d'autres écrits où la pu- 
reté de la langue française est soigneusement observée. 

Mais en est-il de même pour les documents écrits en 
gaulois aux époques lointaines ? 



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286 Ik TÊRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 

Non certes ! car il ne nous reste que ces seuls monu- 
ments frelatés de notre langue , monuments qui sem- 
blent avoir été élevés par des écrivains ignorant totale- 
ment les procédés distinctife et le génie caractéristique 
de l'idiome dont ils se servaient, (m voulant le défigurer 
à plaisir. C'est pourquoi , nous ne saurions mieux définir 
les deux formes , poétique et prosaïque, du gaulois des 
troubadours et des scribes du moyen-âge , qu'en dési- 
gnant la première sous le nom de latin-celtisé , et la 
seconde , sous celui de celte-latinisè. 

Afin qu'on puisse mieux se rendre compte de ce que 
nous avançons , nous allqns en offrir un exemple. 

On lit dans le premier Registre des Jeux-floraux ,de 
Toulouse, fondés en 1323 , les deux pièces suivantes : 

I. — Pièce en prose {\) : 
« De las très causas necessarias en far obra. 
» Très causas son necessarias a perfectio d'obra ; vo- 
» 1ers , sabers, e poders : e la una defalhen las doas pe- 
» tit podo. E quar ses Dieu hom aysso no pot haver : 
» per so humilmen lo pregam quel essenhan secorren e 
» aiudan nos do saber e poder , pusquel voler nos ha dat ; 
» per que pauzan , prenden, e supplen , puscan comen- 

(i) Ecrite vr|ilsemblablement par un des sept premiers mainte- 
neurs. (1323). 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. ' 287 

» sar , prosseguîr e complir la prezen obra. Et entendem 
» luy aiudan procezir alcunas vers prozaigomen segon 
» us acostumat de parlar am bon cas , ses gardar autre 
» omat e soen per acordansas segon que nos sera vist. 
» etc. , etc. » 

II. — Pièce en vers (i) : 
« Honor amb humil reverensa 
» De part nos Vil Mantenedors 
» Am leyaltat del Joy d'amors , 
» De la ciutat nobbla Tbolosa. 
» Obra nos appar graciosa 
» Que bom lauzor et bonor done 
» Als be fasens e gazar done ; 
» Per 80 que degus nos destorsa , 
» De be far en lo quai sefforsa. 
» E per que puescan baver tug 
» De lor trabalb gracios frug« 
» Per miels sostener lor estât. » 

On voit qu'entre la prose et la poésie (du même écri- 
vain peut-être?) , il y a des différences assez sensibles 
de vocables et de construction grammaticale. 

Ces dissemblances seront rendues encore plus éviden- 
tes , si Ton compare les deux fragments en question aux 
fragments suivants , écrits , antérieurement et postérieu- 
rement à la fondation des Jeux-floraux, par des lettrés 

(i) Tirée des ordonnances faitds par les sept premiers mainteneurs. 



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288 LA YfiRITÉ SUR LA. LAKGUB d'O. 

du Moyen-âge. Ces lettrés pourtant , quoique se servant 
de leur langage usuel , avaient aussi la prétention de le 
polir et de le relever, en essayant, coûte que coûte, de 
le ramener à l'analogie latine. 

Bail de la Viguerie du domaine ^possédé par V Abbaye 
de Saint Michel de Gailhac à Buzet (situé à 28 kil. de 
Toulouse, dans le haut-Languedoc) , année 1235. 

« Conoguda causa sia a totz homes que nos Guilhem 
» abas de Gallac ab coscell e ab volontat de nostre capi- 
I» toi donam et reconoichem a vos Vidal Borgarell e a 
» vostres fraires e a vostres ères la veguarîa de la nos- 

» tra onor que nos avem a Buzet Vos i autreîam 

» lo ters de tostz los frugs e de pesqiu e de casciu e de 
» tota autra adichida que i adichis e de totas aquestas 
» causas sobredichas devo redre las doas partz a labat e 
» a la maio a bona fe , etc. , etc. » 

Réception d!un canon par Us consuls de Bessières. 
( Extrait des archives de la commune de Bessières , haut- 
Languedoc). 

(Année U38). 

« L'an m. cccc. XXX VIII le XII de Jenier los SS«" 
» Capelas de sancta Eatherina per las mas de moss. J 
» Baquier portero a VessiersMS una bombardela de fer 
» per deffensa de la vila laquala P de Sarebera B Del- 



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LANGUE d'O ou GELTIQUK. 289 

» barri et J Glemens Consols deldig log la preyro en garda 
» e en comanda deb SS®" Capelas. » 

Ces exemples suffisent , pensons-nous , à démontrer 
que le langage employé par les écrivains du moyen-âge 
tendait à pervertir et à détruire la vieille langue celti- 
que , en lui imposant , malgré les révoltes de son génie , 
certaines constructions grammaticales et des formes ma- 
térielles visant à la ramener au latin. 

Toutefois les efforts de ces écrivains n'ont pu aboutir. 
Dès que la langue d'O est retournée aux mains de ceux 
qui avaient conservé ses formes antiques , c'est-à-dire 
aux gens du peuple , cette littérature bigarrée, ce lan- 
gage artificiel et de convention , a disparu , et la langue 
a repris sa pureté primitive. 

Ce que nous disons est si vrai , que les formes et la 
majeure partie des mots du vocabulaire actuel de la lan- 
gue d'O se montrent beaucoup plus archaïques aujourd'- 
hui que dans les écrits des X« , XP , XII« et XIII« siècles. 

Nous devons donc faire peu de cas de la littérature 
gauloise de ces époques anciennes. Notre devoir est de 
rejeter impitoyablement, comme barbarismes , et les 
formes grammaticales et les terminaisons de mots em- 
ployées par les poètes et les prosateurs d'autrefois , for- 
mes et terminaisons que l'expérience nous prouve n'a- 
voir jamais eu cours en gaulois. 

n 17 



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290 LA YËRITÉ SUR LÀ LANGUE d'O. 

Un écrit, quelle que soit son authenticité, ne peut, 
on le comprend aisément, ni remplacer ni infirmer la 
tradition orale. Bien plus un document, une foule de 
documents même, si Ton veut , sont de nulle valeur s'ils 
sont en opposition flagrante avec la tradition. « Quelle 
«confiance, en effet, écrit le R. P. Gabriel Desjardins 
» (Décret du concik sur la Tradition) , donner à un livre 
» dont l'origine, la véracité , l'intégrité ne nous seraient 

» pas suffisamment connues ? Comment être assuré 

» autrement que par le témoignage des générations que 
» le récit écrit nous est arrivé dans son intégrité, sans 
» interpolation , sans altération ? La tradition est donc 
» la base de toute certitude historique. » 

Or, comme rien ne diffère davantage du langage con- 
servé par la tradition que le langage écrit des trouba- 
dours, par le seul fait de cette dissemblance , ce dernier 
langage ne peut être considéré comme la reproduction 
' exacte , la copie fidèle du parler de ces époques éloignées 
et il ne doit être envisagé que comme un patois du gau- 
lois, ou mieux un celtique latinisé. 

En conséquence , ce n'est point chez les trouvères ni 
dans les documents écrits par des clercs qu'il faut 
chercher ce qu'était alors la langue celtique. C'est 
seulement dans les vieilles chansons que les générations 
celtiques se sont précieusement transmises de Tune à 



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LANGUE d'o ou CELTIQUE. 291 

l'autre et qui , à travers les siècles , sont parvenues jus- 
qu'à nous. 

Entr'autres documents de ce genre , qui prouvent 
jusqu'à l'évidence combien peu l'action du temps et des 
autres causes qui bouleversent , modifient ou altèrent 
les langues, ont eu de prise sur les divers dialectes de 
la langue d'O , nous citerons d'abord parordre de dates : 

La chanson faite par Guy du Faur de Pibrac en l'hon- 
neur de Marguerite de Valois et qui commence ainsi : 

« Margarideto mas amoas 
» escoutas la caDsouDeto , 
» Margarideto mas amous 
» escoutas la cansouneto 
» faito per bous. » 
Cette fraîche et suave poésie , parfaitement authenti- 
que, malgré qu'elle semble avoir été écrite par un poète 
contemporain, tant elle a de ressemblance avec notre par- 
ler actuel, est , justement à cause de cette similitude et 
du prodigieux éloignement qu'il y a entr'elle et l'odieux 
et ridicule argot des jongleurs du moyen-âge, traitée 
d'apocryphe par un membre de l'Académie de Toulouse. 
Si c'est affaire de goût de la part de cet académicien , 
nous le plaignons. Si c'est, au contraire, conviction de 
sa part, nous ne pouvons partager sa manière de voir. 
On sait pourquoi. 
Citons encore le chant relatif à la captivité de Fran- 



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S92 LA TfiRITÉ SUR LA LAN60B d'O. 

çoisi, composé, par un poète inooonu, en dialecte 
béarnais, et rapporté par M. Mazure, dans sa NouveUe 
histoire du Béam et du pays basque. 

Quand lour rey parti de France 

Conqueri d'aoutes pays 

à Tentrade de Pavi 

Lou8 Espagnols be l'an pris. 

— « Rente , rente , rey de France 
» Que si nou es mort ou pris. » 

— « Quin seri lou rey de France 

» Que jamey you nou Tey bist. » 

Queou Iheban l'aie deou mantou 
Troban l'y la flou de lys. 
Quau ne prenen e quoou liguen 
Dens la prisou que l'an mis. 

Debens ne tour escure 
Jamey sou ni lue s'y a bist, 
Sinou per ue finestote. 
U postillou bet béni. 

— « Postillou, que lettres portes, 
» Que si counte 'ta Paris ? » 

— « La nouvelle que you porti , 

9 Lour rey qu'ère mort eu pris. » 

— « Tourne-t^n , postillou , en poste , 
» Tourne-t-en'enta Paris , 

» Arrecommande m'a ma fenne 
» Tabe mous infans petits. 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 293 

» Que hassen batte la mounedo , 
» La que sie dens Paris, * 

» Que m'en embien uo cargue 
» Per racheta m'aou pays. » 

Mentionnons également une petite idylle, intitulée les 
Trois colombes de Cauterets^ composée aussi en béarnais 
à l'occasion des bains qu'allèrent prendre en cette loca- 
lité Henri d'Albret, roi de Navarre, et sa femme, la 
célèbre Marguerite de Valois , sœur de François premier, 
surnommée la muse du seizième siècle. Nous avons tiré 
cette idylle de Fouvrage, déjà cité, de M. Mazure. 

Aous tbermis de Toulouse 
Ue fontan dare y a : 
Bagnam s'y paloumettes, 
Aou nombre son de très. 
Tan si soun bagnadettes , 
Penden deus ou très mes , 
Qu'an près la bouladette 
Taou haout de Cautères. 

— « Digat-me , paloumettes , 
» Qui y ey a Cautères? » 

— » Lou rey e la reynette 

» Si bagnan dab nous très. 
» Lou rey qu'a ue cabane 
» Couberte qu'ey de flous : 
» La reyne que n'a uaoute 
» Couberte qu'ey d'amours. » 

On peut ranger dans la catégorie des mêmes docu- 
ments le couplet , aussi en dialecte béarnais y que Ton 

17. 



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S94 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

: .j 

prétend avoir été chanté par Jeanne d'Albret , reine de ' 

Navarre, en donnant le jour à Henri IV. 

Noustre donne deoa cap doou poun 
Adjioudat-me an aquest'hore : 
Pregats aou Diou deou ceou 
Que m'boulle bie delioara leou 
D*an maydat que m'hassie ion douo ; 
Tou dinqu'aou dous mounts l'implore. 
Noustre donne deou cap doou poun 
Adjioudat-me an aquest^hore. 

La chanson , en dialecte pérîgourdin et cadurcin , sur 
la mort du maréchal de Biron , vient aussi à Tappui de 
notre thèse. La voici : ' 

Loa maréchal à la bastillo 

S'er'endourmit pendent lo net 

Më feroun de briit 6 lo grillo < 

E tout d'un cop se rebeillèt. i 

— o Quai es bengut en oquest'houro , 

» Gridèt tout naou lou gran guerrier , 

» Per troubla la tristo demouro ' 

» E lou soumèl del prisonnier? » 

— « Soun toun segnou lou rey de Franco , i 
» Li respoundèt le grand Henri, » 

— « Tus ! qu'o defendut de mo lanço ! 
» Tus Rey ! per quai boulioi mouri î 
» Benes insulta mo misèro « 

» Rire d'un paoure coundamnat ! 

» Ah ! quand marchaben à la guêrro , 

» Me proumetios milo bienfat. 



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làngub d'o ou celtique. 295 



» Ai coumandat sur mar , sur tèrro , 
» E tous cabelias en Piemoun. 
» Dision que n'obio pas en guèrro 
» Un coumandan coumo Biroun. 
» As aoublidat touto lo peno 
« Que per tus yeou me soui donnât ? 
» Car din moun cor n'io pas 'no beno 
» Que per moun rey aasce sonnât. » 

— « Me soubeni de to campagno , 
» Biroun , nou Toublidarai pas. 

» Me boulios be vendre 6 TEspagno 
» E me trahi coumo Judas. » 

— « Biroun n'o pas trahit soun rey , 
» As escoutat la medisenço ; 

» Me couparan lou cap e pey 
» Seras morrit de to benjenoo. 

» Ah ! que dirio moun paoure paire 

» Se besio soun fil priwunièr ? 

» Bous aoutres reys bous saouta gaire 

n Des sèrbices d'un grand guerrier. 

» As aOublidat touto la peno 

» Que per tus yeou me soui dounat ; 

» Car din moun cor n'io pas 'no beno 

» Que per moun rey nasce sonnât. » 

E disoun qu'en fermen la porto 
Biroun bescèt lou grand Henri 
Ploura daban sa flèro escorto ; 
Belèou soun cor èro morri. 
Aro lebèn nous tous , mouà fraire ; 
Din lo capèlo de Biroun 

Anèn prega pel fil , pel paire 

Parlou de lour glorio bien loun ! 



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296 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'o. 

Reproduisons enfin , une vieille chanson de laboureur, 

précieusement conservée de générations en générations 

chez nos paysans du Languedoc , et dont il est à peu 

près impossible de préciser la date de composition : 

Quand le bouyè s'en ba laoura , 
Quand le bouyè s'en ba laoura , 
Planto soun agulbado 

Ab! 
Planto soun agulbado. 

Daysso margot al pè del foc 
Tristo , descounsoulado. 

Se n'es malaouto , digo m'oc , 
Te faren un poutatje. 

D'amb'uno felho de caulet 
Une lauzeto magro. 

Se ne mores , t'entèrraren 
Al pus pioun de la cabo. 

Te mettren les pès à la pared , 
Le cap jouis la cànello. 

Les peleris que passaran 
Prendran d'aygo segnado. 

Diran un patèr , un abe-maria 
Pel la pauro Bernado. 

T'en aniras al paradis 
Al paradis de las crabos 

Aquiu les ases soun cournuts , 
Las saumos descouetados. 

Arrêtons ici nos citations. Celles qui précèdent suffi- 



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LANGUE d'o ou gblhque. 297 

sent pour permettre à la sagacité de nos lecteurs de 
tirer des conclusions rationnelles. On peut , dans tous 
les cas, voir , d'après ces extraits, la sensible différence 
qui existe entre le langage provincial , conservé par la 
tradition, et le langage grotesque , inventé par les 
troubadours et les érudits du moyen-âge (1) 

En résumé , nous croyons avoir clairement prouvé. 

\^ L'impossibilité delà parturition delà langue d'O par 
le latin. 

2<> L'identité de la langue d'O avec le celtique. 

3^ Le maintien intégral de la langue d'O chez les 
paysans de la (îaule. 

Il nous resterait pour terminer cette étude sur la langue 
d'O ou celtique, à rechercher l'influence que le celtique 
a exercé sur les idiomes des pays où les Gaulois se sont 
successivement transportés et établis définitivement. 

Mais ces recherches allongeraient outre mesure notre 
travail. 

Bornons-nous à quelques réflexions sommaires. 

On s'accorde généralement , nous l'avons vu , à nom- 
mer langues romanes , c'est-à-dire langues pro venues du 

(i)Noas avons cité, à dessein, parmi les dialectes gatilois, le 
béarnais , parce que c'est celui qui s'éloigne le plus du languedocien, 
le plus pur d'entre tous les dialectes de la langue celtique. 



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298 LÀ TÉRITÉ SUR LÀ LÀV6UE d'O. 

latin populaire, les idiomes de France , d'Espagne, de 
Portugal, d'Italie , de Valachie et de quelques cantons 
de la Suisse et du Tyrol. Nous avons fait ressortir que 
tous ces pays ont été habités par des Celtes , et que c'est 
seulement dans les cantons peuplés de Celtes que l'on 
constate l'existence des langues dites romaBes. 

Cette seule considération aurait du suffire, même en 
l'absence d'autres témoignages, à prouver la radicale 
impuissance du latin populaire , qui n'a pu s'établir nulle 
part , et l'immense influence de la langue celtique , que 
l'on s'obstine à mettre sous le boisseau. 

Nous avons , en outre , constaté que c'est à la manière 
seulement d'employer les mots qu'il faut avoir recours 
pour reconnaître l'identité ou la différence des langues 
et pour statuer sûrement si elles ont ou non quelque 
affinité entr'elles. 

Nous nous sommes assurés enfin que la langue d'O 
était réellement le seul et le vrai celtique. 

Or, personne ne l'ignore, ce que l'on nommait jadis 
langue française était le frank, c'est-à-dire un dialecte 
du teuton. En Portugal et en Espagne , on parlait primi- 
tivement l'Ibère ; en Valachie , l'illyrien ou le pélasgique; 
en Suisse et dans le Tyrol , l'étrusque, l'ombrien et le 
teuton : langues n'ayant aucune ressemblat\ce entr'elles 
et différant absolument du gaulois. 



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LANGUB d'o ou CELTIQUE. 299 

Nous voyons cependant aujourd'hui les habitants de 
ces contrées ne plus faire usage du frank , de Tibère , 
du pélasgique , de Fombrien , du teuton , et parler des 
idiomes dont la communauté d'origine est aussi incontes- 
table qu'incontestée. 

Cette origine, la pluralité des savants l'attribue au latin. 

Quant à nous , nous n'hésitons pas à en faire honneur 
au celtique. En effet, s'il est admis que ces divers idiomes 
sont comme des frères à l'égard de la langue d'O , en 
prouvant que la langue d'O ne provenait pas du latin , 
mais était la seule et véritable langue celtique , nous 
avons prouvé par la même que les idiomes reconnus 
pour les très proches parents de cette langue ne procé- 
daient pas non plus du latin , mais du celtique dont ils 
ne soiitque des dialectes. 

Donc , les langues française , espagnole , portugaise , 
italienne, valaque, sont des langues celtiques, puis- 
qu'elles sont entées sur le même fonds que la langue d'O. 
Avec cette différence toutefois , que ce fonds nous est 
naturel et qu'il n'a subi entre nos mains que I«5 change- 
ments nécessairement amenés par la succession ordinaire 
des temps et des conjectures , tandis que , dans les pays 
en question , l'élément celtique est un fond étranger, qui 
n'y a été introduit à l'origine que par des causes ex- 
traordinaires et violentes. 



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300 UL TtlITt SUR LA LANGUI d'O. 

Dans les idiomes en usage chez les races dite latiaes , 
on retrouve identique le génie caractéristique de la 
langue d'O ou celtique, et une analogie marquée eatre 
les termes de ces idiomes et de l'idiome gaulois. 

Cependant on remarque aussi certaines dissemblances 
entre ces langues. Mais les changements successifs , qui 
transforment insensiblement une langue en une autre, 
tiennent à une infinité de causes dont chacune n'a qu'un 
effet imperceptible. Toutefois la somme de ces ^fets , 
grossis avec le temps et accumulés à la longue , produit 
enfin une différence qui peut caractériser une ou plu- 
sieurs langues sur un même fonds. 

Si plusieurs langues , on le sait , dérivent d'une même 
langue , elles peuvent être nuancées en quelque sorte 
par l'altération plus ou moins grande du génie primitif. 
Ainsi , le français , l'espagnol , le portugais , l'italien , le 
roumain, qui descendent du celtique et en ont pris la 
marche analytique , s'en écartent pourtant avec des de- 
grés progressifs de liberté. 

Le français est le moins hardi et le plus rapproché du 
langage originel. Les inversions y sont rares, peu com- 
pliquées , peu osées. 

L'espagnol, ainsi que le roumain, se permettent flus 
d'écarts de cette sorte. 

L'italien et le portugais ne se refusent en quelque i 



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LANGUE d'O ou CELTIQUE. 301 

nière que ce que la constitution de leurs noms et de leurs 
verbes, combinée avec le besoin indispensable d'être 
entendu , ne leur a pas permis de recevoir. 

Ces dififérences ont leur causes comme tout le reste. 
Elles tiennent à la diversité des relations qu'a eues cha- 
que peuple avec ceux dont le langage a pu opérer ces 
changements. 

Quant à la ressemblance de famille que ces langues ont 
toutes entr'elles , elle provient de cet unique fait que la 
langue celtique a détruit les idiomes primitifs des peu- 
ples au milieu desquels les Gaulois se sont fixés , et s'est 
substituée à eux. 

Ce qui le démontré incontestablement, c'est que les 
langues ibérique,* pélasgique, latine, teutonne , étaient 
toutes, sans exception, transpositives. Or , les Ibères , 
les Franks, les Latins, les Valaques d'aujourd'hui par- 
lent une même langue dont le génie est essentiellement 
analytique. 

Comment ces peuples auraient-ils donc pu faire pour 
transformer ainsi , d'eux-mêmes , le génie particulier 
caractérisant leurs idiomes respectifs , au point d'^ faire 
un génie absolument contraire 7 Comment eussent-ils pu 
bouleverser de telle sorte leurs vocabulaires qu'ils n'aient 
plus maintenant qu'une même langue ? 

De semblables métamorphoses et bouleversements 

18 



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302 LA VÉRITÉ SUR LA LANGUE d'O. 



étant inexplicables par les seules causes de mutabilité 
qui pèsent sur toutes les langues, ces questions reste- 
raient sans réponse , si Ton persistait à nier plus long- 
temps Fimmense influence exercée par la langue celtique 
sur les idiomes des peuples avec lesquels les Gaulois se 
sont trouvés en contact permanent. 
' Or , seule en Europe, la langue celtique est absolument 
analytique. Mais Tordre analytique et Tordre transposi- 
tif des mots supposent des vues toutes différentes dans 
les langues qui les ont adoptés pour régler leurs syn- 
taxes. Chacun de ces deux ordres caractérise un génie 
tout différent. Donc , puisque les idiomes actuels de TI- 
bérie , de TItalie , de la Dacie , ont cessé d'être transpoâ- 
tifs , comme ils Tétaient jadis , pour devenir analytiques , 
c'est parce qu'ils ont échangé leur ancien génie contre 
celui du Celtique, et du celtique seulement. De plus, 
comme tout se suit et s'enchaîne, la perte ou Tabandon 
du génie particulier de leur langue a dû forcer invinci- 
blement ces divers peuples à mettre de côté leur voca- 
bulaire national , qui n'aurait pu se prêter aux procédés 
de la syntaxe gauloise, pour adopter, en même temps 
que son génie , le vocabulaire de la langue celtique. 

Il n'est donc pas surprenant , on le voit, que Titalien, 
Tespagnol , le français et le portugais soient devenus au- 
tant de dialectes gaulois. 



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LÀifOUB d'o ou cxltiqub. 30B 

Il ne nous parait pas utile d'insister plus longuement 
sur llnfluence incontestable de la langue d'O ou langue 
celtique. Cette influence est assez évidente t*t s'impose 
assez d'dle même. 

Voici, en terminant, les principales conclusions que 
nous nous croyons en droit de tirer des prémisses posés 
dans le cours de cet ouvrage. 

I. Il n'y a pas d'autres celtes que les Gaulois , et d'autres 
Gaulois que les habitants de la France actuelle , abstrac- 
tion &ite des Bretons , des Basques, des Flamands , des 
Normands et des Alsaciens. 

II. n n'y a pas d'autre langue celtique ou gauloise que 
la langue connue sous le nom de romane ou de langue d'O. 

m. Les prétendus idiomes romans ou ^néo-latins de 
l'Espagne , de l'Italie , du Portugal , de la France , de la 
Valachie et de quelques cantons de la Suisse et du Tyrol , 
ne sont et ne peuvent être que des dialectes seulement 
delalangue celtique , ou langue d'O , deux dénominations 
absolument synonymes. 



FIN. 



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rXVIl^DBX^JS. 



I. Langue Ombrienne ou Sabellique 4 

IL Langue Pélasgiqiie ou Etrusque 43 

ni. Langue Troyenne ou Phrygienne 69 

IV. Langue Latine ou Romaine • 77 

V. Langue Cdtique ou Gauloise 445 

VI. Langue Kymrique ou Bretonne ..... 464 

VII. Ce que Ton pense de la langue d'O 495 

VIIL Langue d'O ou Celtique.... 233 



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