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EJLiLV^S E DE
NOBLE SEIGNEVR,
1 A Q^V ES DE BOVRGOIGNE. S.
de Filiez & Brcdamrpour fe purger vers la
M. Iinperiale,des calomnies à luy impofees,
en maciere de fa Foy, donc il rend cotcffion.
L'EXCUSE
DE Noble Seigneur Jaques de Bourgogne
Seigneur de Falais et de Bredam
// a été tiré de cet ouvrage :
Dix exemplaires sur papier surfin du Japon,
numérotés i à lo.
Cinquante exemplaires sur papier de
Hollande van Gelder,
numérotés 1 1 à 60,
et cinq cents exemplaires sur papier velin, pur fil,
numérotés 61 à 5 60.
N« 96
C-
L'EXCUSE
DE Noble Seigneur Jaques de Bourgogne
Seigneur de Falais et de Bredam
JEAN CALVIN
réimprimée sur Punique exemplaire de l'édition de Genève 1548
avec une introduction
par
ALFRED CARTIER
DEUXIÈME ÉDITION
REVUE ET AUGMENTÉE
GENEVE
A. JULLIEN, ÉDITEUR '
^^%
32, Botirg-de-Four, 32 ^^^5-^%
1911 ^2>»
C£^^
AVERTISSEMENT
SUR CETTE NOUVELLE EDITION
;es pages qui vont suivre ont paru, en 1896,
dans la Bibliothèque d'un curieux, créée
par Alphonse Lemerre à Paris. Cette publi-
cation étant aujourd'hui épuisée et ne se rencontrant
pas aisément, nous avons pensé qu'une seconde édi-
tion serait bien accueillie des érudits toujours plus
nombreux, que préoccupe, en dehors de toute ten-
dance confessionnelle, la portée religieuse, sociale et
littéraire de l'œuvre de Calvin.
Le volume précédemment publié étant plus spécia-
lement destiné aux bibliophiles, nous avions dû
consentir, pour ne pas excéder les limites qui nous
avaient été assignées, à la suppression d'un certain
VI AVERTISSEMENT
nombre de développements, notes et citations que
nous avons cru devoir rétablir ici. Ces adjonctions
nous ont paru en effet de nature à faciliter les recher-
ches et à fournir des renseignements encore inédits,
en même temps qu'elles accusent plus nettement la
personnalité du réformateur et la nature de ses rela-
tions avec Jaques de Bourgogne.
Genève, juillet 1911.
INTRODUCTION
'excuse de Jaques de Bourgogne
appartenait jusqu'ici à la nombreuse
catégorie des livres dont l'existence
se trouvait établie par des témoi-
gnages incontestables, mais dont
tous les exemplaires semblaient
avoir disparu. Dès le milieu du xviii^ siècle, l'éditeur
anonyme des Lettres de Calvin à Jacques de Bour-
gogne^ n'avait pu se procurer l'ouvrage, et dans leurs
prolégomènes du tome X des Calvini opéra, cet
admirable monument élevé à la gloire du réforma-
teur, MM. Reuss, Baum et Cunitz déploraient l'inu-
* Amsterdam, 1744, in-8.
VIII INTRODUCTION .
tilité de leur enquête à cet égard '. Seule, la traduc-
tion latine, qui n'est pas due à la plume de Calvin,
avait subsisté en quelques rares exemplaires, et c'est
ce texte de seconde main que les savants théologiens
de Strasbourg ont dû se contenter de joindre à leur
édition.
Ce livret introuvable, le hasard nous a permis de
le découvrir dans un recueil de pièces du xvi^ siècle
faisant partie de la bibliothèque de M. Henry Tron-
chin, à Bessinge*, lequel a bien voulu nous autoriser
à le publier.
Il nous a paru bon, en effet, de faire connaître
ï Excuse de Jaques de Bourgogne. Demeurée jus-
qu'ici comme inédite, elle n'en mérite pas moins de
prendre rang parmi les œuvres françaises les plus
remarquables du réformateur. Chacune de ces pages
porte l'empreinte de sa puissante personnalité et ré-
vèle, non seulement le théologien et le polémiste,
mais encore le grand écrivain et l'un des maîtres de
la langue.
Il nous restait à raconter la vie du personnage dont
Calvin a plaidé la cause avec tant d'éloquence. Nous
» « Nous l'avons cherché — nous écrivait le professeur
Reuss, quelque temps avant sa mort — dans tous les coins de
la Suisse et de la France. »
* On sait que Théodore de Bèze, dont la fille adoptive,
Théodora Rocca, avait épousé le professeur Théodore Tron-
chin, laissa à ce dernier une partie de sa correspondance et
de ses livres. Ce sont eux qui constituent l'un des fonds les
plus précieux de cette célèbre collection, et c'est à cette pro-
venance qu'il y a lieu, selon toute probabilité, de rattacher
notre volume.
INTRODUCTION IX
nous sommes efforcé de marquer plus nettement
qu'on ne l'a fait jusqu'ici, les traits de cette intéres-
sante figure, de rechercher les origines de son évolu-
tion religieuse et d'en suivre le développement. Une
conversion sincère, a dit un auteur contemporain,
n'est-elle pas le plus passionnant des problèmes mo-
raux ? C'est par là en effet que le héros de V Excuse
mérite de fixer le regard et d'être compté au nombre
des plus dignes parmi ceux qui ont répété le mot jeté
par le moine de Wittemberg à la face des Etats de
l'Empire : Je ne puis autrement.
^
trSv
CHAPITRE PREMIER
ORIGINE DE JAQUES DE BOURGOGNE. — SA FAMILLE.
SA JEUNE SSE.
JAQUES DE Bourgogne, seigneur de Falais et
de Bredam, du sang de France, descendant
de saint Louis, arrière-petit-fils de Philippe
le Bon, duc de Bourgogne, serait aujourd'hui presque
inconnu de l'histoire, si son éclatante séparation de
l'Eglise romaine, les persécutions qu'il eut à subir
pour le maintien de sa foi religieuse, ses relations
intimes avec Calvin, sa rupture enfin avec le réfor-
mateur, n'avaient donné quelque relief à sa person-
nalité et préservé son nom de l'oubli.
Prince d'humeur galante, Philippe le Bon, bien
que marié trois fois, ne se piqua jamais de fidélité
conjugale. Il eut un grand nombre d'enfants natu-
rels, dont plusieurs furent légitimés, et en bon père
de famille, il ne négligea rien de ce qui pouvait con-
Xil INTRODUCTION
tribuer à les établir avantageusement dans le monde.
C'est de l'une de ses sujettes, Catherine de Tiesfe-
ries, de Lille, fille de Martin de Tiesferies, écuyer,
que lui naquit, vers 1445, un fils devenu la souche
d'une maison illustre et connu depuis sous le nom
de Baudoin, dit de Lille, bâtard de Bourgogne ^
Celui-ci, marié à une Espagnole, Maria Manuel de
la Cerda, de la maison de Castille, laissa trois fils,
dont le second, Charles, seigneur de Bredam, épousa
Marguerite, fille de Nicolas, baron de Werchin, séné-
chal héréditaire de Hainaut. Il en eut neuf enfants :
Jaques, le héros de VExcuse, fut l'aîné de cette nom-
breuse lignée *.
Considérés par Charles-Quint et par sa sœur, la
reine Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas,
comme des membres de leur famille, admis dans
leur intimité, le seigneur de Bredam et son frère
Philippe, seigneur de Falais, jouirent de la constante
faveur des souverains et occupèrent l'un et l'autre une
haute situation à la cour. Aussi, les biens accumulés
par leur père se trouvèrent-ils encore augmentés dans
leurs mains par les donations de l'empereur et des
successions considérables.
Les enfants de Charles de Bourgogne entraient
donc dans la vie sous d'heureux auspices et l'avenir
leur promettait, semblait-il, de brillantes destinées;
mais, tandis que leur père et leur oncle ne cessaient
> Voir V Histoire généalogique de la maison royale de
France, par le P. Anselme. Paris, 1726, t. I, p. 261.
* Ibid., p. 262.
INTRODUCTION XIII
de travailler à la grandeur de leur maison, ils de-
vaient, emportés par une ardeur généreuse et l'élan
de leur conscience, ébranler eux-mêmes l'édifice et en
compromettre l'existence.
Le niveau intellectuel dans les Flandres et la Hol-
lande était depuis longtemps très supérieur à celui
de la plupart des autres pays de l'Europe ^ L'univer-
sité de Louvain, malgré la scholastique qui régnait,
là comme ailleurs, avait constitué un centre de haute
culture et de fortes études, et sous l'influence des
progrès de l'industrie et du commerce, les arts de la
civilisation n'étaient pas demeurés en arrière. Déjà
la Renaissance soulevait le monde et répandait dans
toutes les classes le culte et la passion du savoir.
Aussi le seigneur de Bredam pourvut-il soigneuse-
ment à l'éducation de ses fils ', et la plupart d'entre
eux achevèrent leurs études à Louvain.
Malgré la sévère orthodoxie de ce centre théolo-
gique, les doctrines nouvelles n'avaient pas tardé
d'y pénétrer. L'unité n'existait qu'en apparence et
la crainte seule empêchait les opinions de se mani-
fester, mais, dans l'intimité et malgré la rigueur des
édits ', les discussions se poursuivaient passionnées.
* Motley, Histoire de la fondation de la république des
Provinces-Unies. Introduction, p. ii3.
2 Excuse, p. i5.
3 Défense, sous peine de mort, de tenir aucune réunion par-
ticulière d'édification, de lire la Bible en public ou en parti-
culier, de discuter, dans l'intérieur des familles, aucune
question concernant la foi, les sacrements, l'autorité du pape
ou tout autre sujet religieux.
XIV INTRODUCTION
touchant les questions religieuses qui déjà parta-
geaient l'Europe en deux camps ennemis. Un grand
nombre d'étudiants étaient secrètement gagnés à la
cause de la Réforme et plusieurs d'entre eux, pour
ne nommer que Bucer, Jean de Lasco, Enzinas et
Hardenberg, devaient compter parmi ses plus vail-
lants défenseurs.
Des intelligences aussi ouvertes que celles de Ja-
ques de Bourgogne et de ses frères ^ ne pouvaient
manquer de subir l'influence d'un tel milieu. Peut-
être avaient-ils déjà reçu de quelque domestique ou
précepteur les premiers germes d'indépendance reli-
gieuse *, mais c'est à Louvain que ceux-ci se dévelop-
pèrent ^ Pour notre héros, en particulier, l'impression
fut profonde; son exemple, ses leçons et ses conseils
exercèrent une influence considérable sur ses frères
et sœurs et tous finirent par s'engager dans la voie
où quelques-uns d'entre eux seulement devaient le
suivre jusqu'au bout.
' Parmi eux, François, qui devint protonotaire apostolique,
nous apparaît, dans la correspondance de Calvin, comme un
homme de mérite éminent et Pierre de Bourgogne, dans l'in-
terrogatoire du procès qui lui fut intenté en 1549, est qualifié
de « personnage savant, de grand esprit et mémoire. »
* « Car dez l'aage de quinze ou seize ans, je commençay à
gouster quelque peu de ce que Dieu m'a depuis révélé par sa
grâce plus pleinement. » (Excuse, p. 35.)
s C'est ce qui ressort formellement du procès des frères de
M. de Falais en 1549, et des réponses des accusés. (Voir l'ar-
ticle de M. Galesloot, Revue trimestrielle, 1862, t. II.)
CHAPITRE II
FALAIS SE LAISSE GAGNER
PAR LES DOCTRINES DE LA RÉFORME.
SON MARIAGE.
;a mort de son père, en i538, suivie, quatre
ans plus tard, de celle de son oncle Phi-
lippe qui lui laissa la plupart de ses biens
et entre autres cette terre de Falais ' dont il prit dé-
sormais le nom, vint donner à Jaques de Bourgogne
la situation d'un chef de famille et mettre sa personne
en évidence ; il devait avoir alors vingt-cinq ans
environ '. Assuré de la bienveillance particulière de
• Seigneurie importante, située dans le Brabant, sur la
rivière de Mohaine, entre les villes de Huy et d'Enneguy, et
que Baudoin de Lille avait acquise de Philippe le Beau.
* Le mariage de Baudoin de Lille ayant eu lieu en 1488,
Charles, le second de ses fils, n'a pu naître avant 1490. Si
l'on admet que ce dernier s'est marié vers vingt-cinq ans, la
naissance de Jaques, l'aîué des enfants, ne s'écarterait pas
XVI INTRODUCTION
Charles-Quint, à la cour duquel il avait vécu dans
son enfance S pourvu lui-même d'une charge impor-
tante qui l'attachait à la personne de l'empereur *, il
n'avait plus, semblait-il, qu'à laisser à la fortune le
soin d'augmenter encore la puissance et l'éclat de sa
maison.
Mais le nouveau seigneur de Falais n'était pas une
âme ordinaire. Incapable de transiger avec sa con-
science pour sauvegarder ses intérêts mondains, il
traversait alors, comme tant d'autres à cette époque,
la crise morale et religieuse qui devait aboutir à le
séparer pour toujours de l'Eglise romaine, et dont
le séjour de Louvain avait marqué pour lui le début.
Fortifiés par la lecture et la méditation, ses doutes
et ses objections touchant le dogme établi prenaient
chaque jour une forme plus précise. D'une com-
plexion maladive d'ailleurs, nature contemplative et
repliée sur elle-même, il n'était pas fait pour mener
la vie de cour*. Aussi ne tarda-t-il pas à résigner
beaucoup de l'année i5i5. Ce calcul est sans doute très élas-
tique, mais répond bien à ce que nous savons des circon-
stances de la vie de Falais.
• « La faveur et humanité qu'il vous a pieu monstrer,
m'acceptant dés mon enfance en vostre court, et la bonne
affection que m'y avez portée augmente encore ceste obliga-
tion ». (Excuse, p. 7.)
' « Estant proveu par vostre majesté d'un estât qui n'est pas
de petite importance. » [Ibid., p. i3.) — Cette charge était sans
doute celle de chambellan et de membre du Conseil d'Etat,
qu'avait possédée Philippe de Bourgogne, oncle de Falais.
' « Du temps que j'estoye encore de vostre maison, vous
avez jugé que ma vie estoit plus convenable à un homme
retiré en un cloistre par devocion qu'à un homme suyvant la
court. » (Ibid., p. 19.)
INTRODUCTION XVII
sa charge % pour se retirer dans son château de Fa-
lais. Là, seul avec ses pensées, entouré des livres de
la Bible et des écrits des réformateurs, il se persuada
toujours davantage, pour employer les termes de son
apologie : «. Qu'en la forme qu'on tient aujourd'hui
à servir à Dieu et qu'on enseigne être bonne et sainte,
il y a beaucoup à redire : tellement qu'en se confor-
mant à icelle, il eût offensé mortellement Dieu au lieu
de le servir '. »
Cette révolution dans les croyances de Jaques de
Bourgogne ne fut pas l'œuvre d'un jour : aux phases
de ferveur, succédèrent parfois des périodes d'hési-
tation et de relâchement *, mais le mariage que Fa-
lais contracta vers cette époque avec Yolande, fille
de Walram de Brederode, exerça sur ses convic-
tions une influence décisive. Issue de l'une des
grandes familles des Pays-Bas, celle des comtes de
Hollande, M'^^ de Brederode était en eff"et déjà ga-
gnée aux idées de la Réforme et la sympathie qu'é-
prouva pour elle Jaques de Bourgogne dut naître,
en partie, de la communauté de leurs sentiments
religieux.
La cérémonie nuptiale fut célébrée chez le comte
de Nunaer*, oncle de Yolande, et ce fut là que les
* « Je l'ay franchement et libéralement resigné, priant
d'en estre deschargé^ non pas qu'il me fachast de m'employer
à vostre service, auquel je ne laissoye pas d'estre pourtant :
mais à cause que je ne m'en pouoye pas bonnement acquitter,
comme j'eusse désiré. » {Excuse, p. i3.)
2 Ibid., p . 24 .
' Ibid., p. 36.
* Seigneur de Bedbourg, petite ville près de Cologne.
3
XVIII INTRODUCTION
nouveaux époux passèrent les premiers temps de
leur union ^ Falais fut toutefois obligé de se rendre
à plusieurs reprises, soit à Bruxelles, soit dans les
domaines de sa famille, pour terminer le règlement
de la succession paternelle et aplanir quelques dif-
ficultés survenues entre les nombreux héritiers du
seigneur de Bredam : « J'alloye et venoye, lisons-nous
dans l'Excuse^ selon que ma commodité le portoit, et
que les affaires de nostre maison le requeroyent, pour
l'accord et appointement de mes frères et de moy :
dont mesmes il pleut à la majesté de la Royne vostre
soeur et à ceux de vostre conseil s'en mesler tellement,
que je laissay toutes choses en bonne concorde et
tranquillité, ayant plus de regard à éviter procez et
difîerens qu'à cercher mon singulier proffit *. »
Libre de ce côté, Jaques de Bourgogne put in-
staller enfin sa jeune femme au château de Falais,
sa résidence de prédilection '. Il espérait y trouver
» Excuse, p. 20. Quelques historiens ont prétendu que le
mariage avait eu lieu selon le rite protestant, mais cette
assertion ne nous paraît pas fondée : à cette époque, Jaques
de Bourgogne ne s'était point encore ouvertement séparé de
l'Eglise romaine ; en outre, c'eût été une véritable bravade à
l'adresse de l'empereur, dont il avait sollicité et obtenu l'a-
grément.
2 Ibid, p. 21. — D'après M. Galesloot (art. cité), l'acte de
partage, intervenu à la suite de la médiation de la reine Ma-
rie, existe encore aux archives de Belgique et serait daté du
6 juillet i544, mais il doit y avoir là une erreur de transcrip-
tion. A cette date, en effet, Jaques de Bourgogne avait déjà
quitté les Pays-Bas, tandis que le passage de l'Excuse
reproduit plus haut montre que l'accord intervint avant son
départ.
» Jbid., p. 21.
INTRODUCTION XIX
le bonheur dans la paix du foyer domestique, mais
sa conscience, dont il avait fait l'arbitre suprême de
sa destinée, allait l'emmener bien loin du repos qu'il
avait si fort souhaité. En effet, la nature de ses sen-
timents à l'égard de la religion établie ne put de-
meurer longtemps ignorée ; on le soupçonnait déjà
d'hérésie, mais lorsqu'on le vit s'abstenir de prendre
part aux cérémonies de l'Eglise romaine, lorsqu'on
apprit surtout qu'un « prêcheur », c'est-à-dire un mi-
nistre protestant, avait été reçu à Falais, les soupçons
se changèrent en certitude ^
Dès lors, il n'eut plus un instant de tranquillité :
ses voisins, et surtout quelques-uns de ses proches,
désireux de s'enrichir de ses dépouilles *, prirent à
son égard une attitude franchement hostile; ils en
vinrent même à des violences '. En même temps, ses
1 Excuse, pp. 19 et 21-22.
' L'accusation de prodigalité dirigée contre Falais (Ibid.,
p. Il) montre bien quel était le but véritable de ses adver-
saires.
3 Ibid., p. 22. Les frères de Falais partageaient tous plus
ou moins ses idées et ses oncles paternels étaient déjà morts;
les parents dont il est ici question ne peuvent être, par con-
séquent, que Philippe de Lannoy, mari de sa tante Margue-
rite de Bourgogne, ou quelques-uns des membres de la
famille de sa mère. D'après les généalogies authentiques de
la famille de Werchin, le baron Nicolas de Werchin, grand-
père maternel de Jaques de Bourgogne, eut cinq enfants de
sa femme Yolande de Luxembourg, savoir : i. Antoine,
baron de Werchin, marié à Marguerite de Luxembourg; 2.
Pierre, baron de Werchin, plus connu sous le nom de Pierre
de Luxembourg, chevalier de la Toison d'or, mort en 1483,
lequel eut de sa femme, Hélène de Bergues, une fille Yolan-
de, dame de Werchin, mariée à Hugues de Melun, prince
d'Espinoy, mort en i553; 3. Jean de Werchin; 4. Isabeau
XX INTRODUCTION
ennemis le noircissaient à la cour : c'était, disaient-
ils, non seulement un hérétique, mais encore un
partisan des anabaptistes ', calomnie odieuse et ridi-
cule mais terrible, à une époque où l'Allemagne et
les Pays-Bas tremblaient encore au souvenir des
excès commis par ces fanatiques.
L'heure avait donc sonné pour lui des résolutions
suprêmes. Dénoncé comme suspect, en butte à mille
vexations, menacé dans sa vie et dans celle de sa
femme, Falais ne tarda pas à se convaincre que sa
situation était désespérée. Auprès de l'empereur, nul
recours possible ; il avait assez vécu dans l'intimité
du maître pour connaître les sentiments de celui-ci
à l'égard des protestants : Charles voulait extirper à
tout prix, dans les Pays-Bas, son domaine personnel,
l'hérésie que les nécessités de la politique l'obligeaient
à tolérer en Allemagne. Déjà prévenu contre l'homme
qui avait quitté son service après avoir mené à la
cour une existence d'anachorète, il n'était que trop
disposé à prêter l'oreille aux accusateurs . *
Les avis de ses frères ou de quelques amis restés
fidèles durent informer Jaques de Bourgogne du
danger qu'il courait. A moins d'une éclatante mani-
festation d'orthodoxie, un seul parti lui restait en-
core : quitter un pays dont les lois l'obligeaient à
de Werchin, mariée au baron de Trazignies ; 5. Marguerite
de Werchin, femme de Charles de Bourgogne et mère du
héros de l'Excuse. (Communication de M. F. Vander Haeghen,
bibliothécaire en chef de l'Université de Gand.)
^Excuse, pp. 14 et suiv.
Ubid., p. 23.
INTRODUCTION XXI
choisir entre sa conscience et sa liberté. Il ne s'y
décida cependant pas sans angoisse et sans luttes
intérieures, et l'on ne saurait douter que M™« de Fa-
lais, résolue à tous les sacrifices pour le maintien de
sa foi, n'ait constamment soutenu le courage de son
mari dans cette heure décisive *.
' L'attitude plus résolue que prit Falais à l'égard du culte
établi, aussitôt après son mariage, nous paraît une preuve
manifeste de l'influence exercée par Yolande de Brederode
sur les convictions religieuses de son époux. Jusqu'alors,
celui-ci n'avait probablement pas regardé en face l'éventualité
d'une rupture ouverte avec l'Eglise romaine.
CHAPITRE III
PREMIÈRES RELATIONS AVEC CALVIN.
FALAIS QUITTE LES PAYS-BAS
ET SE REND A COLOGNE.
ce moment de trouble et de cruelles per-
plexités. Jaques de Bourgogne reçut une
lettre qui dut lui paraître comme un signe
de la volonté divine et vainquit les derniers scru-
pules qui le pouvaient retenir encore. Cette lettre
était de Calvin. Elle ouvrait une correspondance qui
devait se continuer durant dix années. Comment les
relations s'établirent-elles entre Falais et le réforma-
teur? Calvin lui-même nous met sur la trace en
mentionnant dès l'abord un personnage qu'il appelle
le seigneur David, et qui n'est autre que David de
Busanton, gentilhomme du Hainaut, lequel s'était
retiré à Genève pour y pratiquer librement la religion
réformée. Compatriote et ami de Jaques de Bour-
gogne, c'est à lui sans doute que ce dernier dut faire
XXIV INTRODUCTION
part de sa situation, en le priant de solliciter l'avis de
Calvin \ De son côté, M™* de Falais, ne voulant pas
s'en tenir à cette démarche indirecte, avait écrit elle-
même au réformateur. Or celui-ci savait bien qu'elles
sont rares les âmes assez vaillantes pour soutenir
jusqu'au bout l'assaut des persécutions ; il ne balance
donc pas, et à deux reprises, dans les termes les plus
pressants, il engage ses nouveaux amis à partir :
« Quand je pense au danger où vous estes mainte-
nant, desjà agité de beaucoup de tentations, selon que
je voy les choses disposées, je ne me puis tenir de
vous réduire en mémoire que les biens que Dieu
nous a faits valent bien que nous préférions son
honneur à toutes choses du monde et que l'espérance
de salut que nous avons par son évangile est si pré-
cieuse que nous devons bien quitter toutes ces choses
basses, entant qu'elles nous empeschent de tendre à
icelle... Et de faict, depuis qu'un homme s'est une
fois retiré de cest abysme de la captivité spirituelle,
ou plustost en a été délivré par la main de Dieu, s'il
luy advient de s'y envelopper derechef, et s'eslongner
de la liberté que Dieu luy avoit donnée, il est tout
esbahy quant il se trouve en une confusion dont il
ne luy est possible de sortir *. »
' C'est ce que l'on peut inférer des termes mêmes de la
première lettre de Calvin : « Puisque je me tiens asseuré que
mes lettres seront bien venues vers vous, ce seroit hypocrisie
à moy d'en faire longues excuses. » (Calvini opéra, éd. Reuss.,
t. XI, n» 5o8.) — Lescinq premières lettres du réformateur à
M. et à M"* de Falais ont été réimprimées aussi par Hermin-
jard. Correspondance des Réformateurs, t. IX, n" 1295, 1296,
i323, 1373 et 1374,
* Ibid., n* 526, lettre non datée, mais certainement la der-
INTRODUCTION XXV
Les dernières hésitations de Jaques de Bourgogne
cédèrent devant l'autorité de ces conseils, où l'on
sent percer déjà le directeur spirituel. Après avoir
réuni à la hâte quelques ressources, il quittait secrè-
tement les Pays-Bas avec sa femme, dans les dernières
semaines de i543 ou au commencement de 1544, et
franchissant le Rhin, se retirait à Cologne ^
Falais avait d'abord songé à se rendre à Genève %
mais, informé des dispositions bienveillantes de l'ar-
chevêque de Cologne à son égard % il s'était décidé
pour cette dernière ville, bien moins éloignée et où
nière que Falais ait reçue de Calvin avant de prendre le
chemin de l'exil. La première qui nous ait été conservée
(Ibid., n» 5o8) n'est pas datée non plus, mais elle a été écrite
en même temps que celle adressée par le réformateur à
M"» de Falais (ibid., n° Sog), le 14 octobre [i543J.
1 Excuse, p. 27. La date approximative du départ de Falais
ressort de la correspondance de Calvin ; en effet, Jaques de
Bourgogne se trouvait encore dans les Pays-Bas lorsqu'il
reçut la seconde lettre du réformateur; celle-ci n'est pas datée,
mais elle est en tout cas postérieure à celle du 14 octobre
1543. D'autre part, il était à Cologne, depuis un certain temps
déjà, au moment où Calvin lui écrivait, le 24 juin 1544
[Opéra, n" 562). M"" de Falais était partie avec son mari, ou
n'avait pas tardé à le rejoindre, comme l'indique la lettre
que lui adresse le réformateur à la même date [Ibid,, n« 563).
2 Ibid., n" 562,
3 Hermann, comte de Wied, prélat aussi remarquable par
ses vertus que par la simplicité de ses mœurs, avait tenté,
dès 1543, d'introduire dans son diocèse une réforme reli-
gieuse. Ce fut très probablement Hardenberg, l'un de ses
conseillers, qui lui fit connaître la situation de Falais. Har-
denberg, originaire de la province d'Yssel, était, en effet, un
compatriote de ce dernier, comme lui un ancien élève de
Louvain, et leurs relations sont attestées par une lettre de
Hardenberg à Calvin, en date du 24 mars i545 (Ibid., t. XII,
n» 624).
l
XXVI INTRODUCTION
il restait à portée des événements qu'il prévoyait de-
voir être la conséquence de sa fuite.
L'impression qu'elle produisit à la cour fut grande,
en effet, et le scandale retentissant : « Je me console
devant Dieu, — a pu dire Falais en s'adressànt à son
souverain — d'avoir été le premier de votre noblesse,
qui aie fait telle déclaration sans parler : de ne point
vouloir adhérer aux choses qui se commettent, tant
contre l'honneur de Dieu, qu'au grand préjudice de
Votre Majesté ^ »
Dans le camp de ses adversaires, ce fut un cri de
triomphe. N'était-ce pas se condamner soi-même et
donner couleur à toutes les accusations? Tel fut
aussi le sentiment de Charles-Quint. Exaspéré par
ce cas éclatant d'hérésie constaté dans sa propre fa-
mille, il va poursuivre désormais d'une animosité
personnelle l'homme auquel il avait témoigné autre-
fois une bienveillance particulière et il ne tardera pas
à le traiter en rebelle.
• Excuse, p. 27.
CHAPITRE IV
FALAIS A STRASBOURG.
[ALGRÉ les intentions généreuses de l'arche-
vêque de Cologne, M. de Falais ne devait
pas jouir longtemps de l'asile qui lui avait
été offert. Les réformes introduites par le prélat
avaient naturellement rencontré une vive résistance
chez les partisans de l'ancien culte et surtout auprès
des chanoines de la cathédrale ; ceux-ci, après avoir
protesté quelque temps sans succès, ne tardèrent pas
à en appeler au pape et à l'empereur. Charles-Quint
saisit l'occasion : il défendit au comte de Wied de
rien innover dans son diocèse et le somma de com-
paraître à Bruxelles dans les trente jours *; en même
» Voir Sleidan, Histoire de la religion, etc. Genève, iSSy,
in-8, f" 239 V», 256, 265 v», 3 19 et 446. — G. Varrentrap,
Hermann de Wied. Leipzig, 1878.
XXVIII INTRODUCTION
temps, il enjoignait au fugitif de ne pas quitter Colo-
gne, où il allait arriver lui-même.
Falais comprit qu'il était perdu s'il tombait au
pouvoir de ses ennemis ^ Malade et alité % il réussit
cependant à s'embarquer sur le Rhin, remonte le
fleuve et ne s'arrête qu'à Strasbourg, ville libre et
gagnée en bonne partie à la cause de la réforme. Il y
fut accueilli avec la sympathie due à ses malheurs ;
on était alors dans le courant du mois d'avril i545 '.
A peine installé à Strasbourg, il eut la joie de
recevoir la visite de Calvin * ; les deux amis purent
examiner la situation à loisir et discuter l'attitude à
prendre vis-à-vis des ordres de l'empereur. Celui-ci
* II affirme dans son plaidoyer (p. 29) qu'il ne reçut qu'a-
près avoir quitté Cologne, l'ordre écrit de l'empereur, et que
son départ fut motivé par l'état de sa santé. Nous pouvons
l'en croire sur parole, mais, en tout état de cause, attendre
l'empereur à Cologne, c'était, pour Falais, se vouer à l'abju-
ration ou à la mort.
2 Excuse, p. 28; Calvini op., t. XII, n« 705. — Cette lettre
non datée a été placée par Reuss au mois de septembre i545,
c'est-à-dire à l'époque où Jaques de Bourgogne se trouvait
déjà établi à Strasbourg depuis plusieurs mois. Elle est cer-
tainement antérieure, comme le prouve la signature Charles
Despeville ainsi que l'adresse à Jacques le Franc, et doit être
la dernière que Falais ait reçue à Cologne (voir plus loin,
p. XXIX, note i). L'éditeur du recueil de 1744, qui a adopté
cette classification, se trouve, comme on voit, d'accord avec
les faits.
* Falais était encore à Cologne dans les derniers jours de
mars (Voir la lettre de Hardenberg à Calvin, en date du 24
du même mois. Opéra, n» 624), D'autre part, nous allons
le trouver déjà établi à Strasbourg au moment du voyage
de Calvin dans cette ville, c'est-à-dire vers le milieu de mai.
* Sur le voyage du réformateur à Strasbourg, en mai i545,
voir Opéra, t. XII, n" 645, note 8.
INTRODUCTION XXIX
avait résolu, en effet, de tenter un dernier effort pour
ramener le fugitif. L'un des gentilshommes de sa
maison, envoyé à Strasbourg, enjoignit à Palais, au
nom de son souverain, de quitter cette ville sans
retard et d'expliquer sa conduite. Jaques allégua,
touchant son départ de Cologne, les motifs qu'il ré-
pète dans l'Excuse et quant à l'accusation principale,
celle d'hérésie, il rédigea par écrit une brève confes-
sion de foi destinée à être mise sous les yeux dt
Charks-Quint \ C'était, cette fois, l'adhésion expli-
' Excuse, p. 3o. — Falais avait précédemment écrit à son
souverain pour lui exposer les motifs de son départ de Colo-
gne et il avait même songé à réclamer un sauf-conduit pour
se rendre à Worms et plaider sa cause en personne. Tel
n'était point l'avis de Calvin qui, de retour à Genève, s'em-
pressa de représenter à son correspondant l'inutilité de cette
tentative en même temps que ses dangers. Il n'eut d'ailleurs
pas de peine à obtenir gain de cause et les événements ne
tardèrent pas à démontrer la justesse de ses objections. (Voir
Opéra, t. XII, n» 647). La lettre de Calvin est datée du i»' mai
1545, mais c'est là une erreur de plume et il faut lire i" juin.
L'entrevue du réformateur avec Falais est, en effet, expres-
sément rappelée dans ce document, or le voyage dti premier
à Strasbourg eut lieu, nous venons de le dire, dans le courant
de mai.
Tant que Jaques de Bourgogne avait résidé soit dans les
Pays-Bas, soit à Cologne, la seule constatation de ses rap-
ports avec le réformateur aurait suffi pour le perdre. Aussi
toutes les lettres que lui écrit Calvin à cette époque sont-elles
signées du pseudonyme Charles Despeville et adressées à
M . Jacques Le Franc, mais à Strasbourg, ville protestante,
en relations faciles et sûres avec Genève par la voie de Bâle,
aucune surprise n'était plus à craindre ; on voit donc Calvin
reprendre son nom dès l'arrivée de Falais à Strasbourg, et
agir de même à l'égard de son correspondant, auquel il
donne désormais le titre de Monseigneur. C'est là un précieux
élément pour la chronologie des lettres sans date.
XXX INTRODUCTION
cite à la Réforme et la rupture définitive avec l'Eglise
romaine.
La réponse ne se fit pas attendre. Immédiatement
déféré à la cour de Malines, sur l'ordre exprès de
l'empereur, Falais fut déclaré coupable d'hérésie et
de rébellion ; ses biens furent confisqués et il est
probable qu'une sentence de bannissement fut pro-
noncée contre lui par contumace, mais il ne paraît
pas avoir été condamné à mort ^
Le reste de l'année i545 s'écoula sans incident
notable. Bien que Falais eût trouvé à Strasbourg
une retraite sûre et un accueil sympathique, il avait,
dès le mois de juin, manifesté de nouveau son in-
tention d'aller s'établir à Genève, mais la peste qui
éclata dans cette ville * et surtout la maladie qui le
harcelait' vinrent encore arrêter l'exécution d'un
projet auquel Calvin tenait fort.
1 « Neantmoins, Sire, c'est la raison surquoy vostre court
de Malines principalement s'est fondée : saisissant mes biens
en vostre nom et faisant puis après autres procédures contre
moy. » {Excuse, p. 28.) — Les pièces du procès n'ont mal-
heureusement pu être retrouvées dans les archives de la
cour de Malines (Galesloot, art. cité, p. 17), mais les procé-
dures auxquelles Falais fait allusion ont dû occuper assez
longtemps ce tribunal : commencées peu après son arrivée à
Strasbourg, c'est-à-dire en mai ou juin iS^b, elles ne parais-
sent pas avoir été terminées avant le mois de septembre de
l'année suivante, si l'on en juge d'après ce passage d'une lettre
de Calvin, en date du 19 octobre 1546 : « Ayant bonne espé-
rance que la raige qu'a jette sur vous la Court de Malignes
s'en ira bientost en fumée. » {Opéra, t. XII, n* 841).
2 Lettres de Calvin à Falais, 22 juin et 5 août i545 (Ibid.,
t. XII, n»» 654 et 674). Le réformateur s'y montre surtout
préoccupé de trouver un logement à la convenance de son ami.
' Falais avait paru se rétablir au mois d'août, après trois
mois de souffrances, mais pour retomber ensuite. Voir à ce
INTRODUCTION XXXI
Cependant, tous les regards, dans le parti protes-
tant, s'étaient tournés vers l'homme qui avait osé,
malgré Charles-Quint, proclamer les droits de la
conscience ; c'était la réforme pénétrant au sein même
de la famille de l'empereur. Aussi, désireux de con-
sacrer cette illustre conquête et de donner à son nou-
veau coreligionnaire un témoignage public d'affec-
tueuse considération, Calvin lui dédiait-il, dès l'année
suivante, son commentaire latin sur la première
Epître de saint Paul aux Corinthiens ^
Avec une simplicité de langage qui rehausse la
valeur de l'éloge, l'auteur propose en exemple la
noble conduite de Falais et le montre sacrifiant à la
cause de l'Evangile, une haute situation et de grands
biens. Il n'a pas tenu à Jaques de Bourgogne que
cette lettre ne soit restée comme un monument du-
rable de mutuelle estime et de confiance, digne de
celui qui l'écrivit comme de celui qui la reçut.
Quelques semaines plus tard, le pasteur Nicolas
des Gallars dédiait également à Falais sa traduction
latine du traité de Calvin contre les Anabaptistes*.
sujet les lettres de Calvin à M"" de Falais et de François
Baudoin à Calvin, i5 août et 7 octobre i545 (Ibid., n" 679
et 709).
» loannis Calvini commentarii in priorem Epistolam Pauli
ad Corinthios. Cum Indice. Argentorati, per Wendelinum
Rihelium, 1546, in-8. — La dédicace porte la date du 24 jan-
vier (9 kal. februarii).
' Brevis instructio muniendis fidelibus adversus errores sec-
tœ Anabaptistarum. Item adversus fanaticam et furiosam sec-
tant Liber tinoi-um, qui se spirituales vacant. Authore loanne
Calvino, Nunc primum e gallico versa Latine per Nicolaum
Gallasium. Argentorati, per Windelinum Rihelium, 1546,
in-8. (Cf. Calvini opéra, t. VII, proleg., p. xxv). — L'épître
XXXII INTRODUCTION
C'était une réponse péremptoire aux calomnies in-
téressées de ceux qui représentaient Jaques de Bour-
gogne comme un adhérent de cette secte. Désireux
toutefois d'une réhabilitation plus complète, celui-ci
méditait de s'adresser directement à son souverain,
et de faire auprès de lui une suprême tentative.
dédicatoire : « lUustri viro lacobo a Burgundia, Fallesii Bre-
danique domino » est datée du i5 mars 1546. — Des Gallars
a laissé subsister cette pièce dans les éditions données par
lui des Opuscula de Calvin, en i552 et i563, mais à l'exemple
de son chef, il a substitué, dans cette dernière, le nom de
Gaspar Olevian, pasteur de l'église d'Heidelberg, à celui de
Falais.
CHAPITRE V
l'excuse
;es fausses accusations de ses ennemis, com-
plaisamment accueillies par la cour de Ma-
lines, avaient exaspéré Falais ; il avait ré-
solu d'en appeler, une dernière fois, à la justice de
l'empereur et de chercher à se disculper d'allégations
qui ne touchaient plus seulement à ses croyances,
mais encore à son honneur ^ C'est ainsi qu'il eut
l'idée de soumettre à Charles-Quint un mémoire
justificatif de sa conduite et des motifs qui l'avaient
obligé à quitter la Belgique. Ce recours solennel était
le dernier espoir du proscrit ; il fallait donc en peser
tous les termes et ne rien laisser au hasard, aussi Fa-
lais ne manqua-t-il pas de s'adresser à Calvin pour
* Excuse, Avis aux Lecteurs.
XXXIV INTRODUCTION
la rédaction de ce plaidoyer. Il ne pouvait choisir un
défenseur plus éloquent ni plus habile.
Le réformateur approuva le projet et, avec cette
promptitude d'exécution qui était dans son caractère,
il se mit à l'œuvre sur-le-champ. Dès le 1 6 avril 1 546 %
le manuscrit, rédigé dans l'espace de quelques se-
maines ', était envoyé à Falais.
Celui-ci n'avait eu primitivement d'autre intention
que de placer sa défense sous les yeux de l'empe-
reur. Il en chercha les moyens à plusieurs reprises,
mais ses tentatives demeurèrent infructueuses', et
Jaques de Bourgogne dut bientôt comprendre qu'à
moins d'une éclatante abjuration, il devait renoncer
pour jamais à obtenir sa grâce. Calvin, plus clair-
voyant que son ami, n'avait pas attendu si longtemps
pour s'en rendre compte et, dès la fin de 1546, il
l'engageait à porter la cause devant l'opinion pu-
blique*. Plusieurs mois cependant s'écoulèrent avant
que Falais eût pris une résolution définitive ; il ré-
•clamait sans cesse des additions ou des changements
et Calvin dut pratiquer d'assez nombreuses retou-
ches au texte primitif avant de parvenir à satisfaire
son client ''.
Au milieu de ces hésitations, l'année 1547 presque
tout entière s'était écoulée sans que l'on pût mettre
> Calvin à Falais (Opéra, t. XII, n» 790).
2 C'est dans une lettre écrite vers le milieu de mars que le
réformateur mentionne pour la première fois le projet de
l'Excuse. (Voir Ibid., n* 784).
3 Excuse, Avis aux Lecteurs.
* Opéra, t. XII, n»833 (4 octobre).
6 Ibid., n" 883, 937, 944.
INTRODUCTION XXXV
la main à rimpression. Enfin, commencé dans les
premiers jours de décembre, l'ouvrage était achevé
vers le 20 du même mois ^
Une traduction latine, entreprise à la demande de
l'auteur, par le jurisconsulte François Baudoin ', pa-
rut aussi quelque temps après *.
Nous soupçon nera-t-on de céder à une tendresse
exagérée et quelque peu suspecte d'éditeur pour l'ou-
vrage qu'il cherche à tirer de l'oubli ? Nous le dirons
cependant : L'Excuse de Jaques de Bourgogne est un
chef-d'œuvre du genre et renferme des pages dignes
de cette admirable épître à François I«' qui forme
l'imposant frontispice du traité de Y Institution chré-
tienne. Alors même que les documents ne nous le
feraient pas connaître, chacune de ces pages est trop
profondément marquée de l'empreinte du maître
pour qu'il soit possible de s'y tromper. Dans cette
éloquente revendication des droits de l'innocence
persécutée, Calvin apparaît très noble et très grand.
Avec sa raison supérieure, ses vues profondes, sa I0-'
gique implacable, cette dialectique puissante qui
serre de près l'argument, il transforme la défense en
attaque, prévoit les objections, les réfute d'avance et
ne laisse pas à l'adversaire le temps de reprendre
> Opéra, n" 967, 970, 979. — Voir plus loin notre Notice
bibliographique.
' Baudoin à Falais, i3 août 1647 (Ibid., n* gSô) et Calvin à
Falais, 16 août 1547 {Ibid., t. XII, n«937).
' Au sujet de cette version, voir ibid., t. X, proleg., et
t. XII, n" 883 et 1008. Cette dernière lettre, du 3 avril 1548,
nous apprend qu'à cette date, la traduction latine n'était pas
encore imprimée.
XXXVI INTRODUCTION
pied. Sans négliger les faits, qu'il discute avec une
habileté que pourraient lui envier les maîtres de l'élo-
quence judiciaire, il élève constamment le débat :
c'est de la vérité méconnue qu'il s'agit, des droits
imprescriptibles de la conscience. Parvenue à cette
hauteur, la question personnelle s'efface, ou, pour
mieux dire, elle se confond avec la grande cause au
triomphe de laquelle le réformateur a consacré sa
vie.
Non pas, d'ailleurs, qu'il oublie les intérêts de son
client pour les siens propres : modèle de précision,
de méthode, de vigueur et de clarté, la défense de
Jaques de Bourgogne porte la conviction dans tout
esprit non prévenu, réhabilite sa mémoire et, devant
la postérité, fait du condamné de Malines l'accusateur
de ceux qui l'ont frappé.
En s'adressant à Charles-Quint, l'habile avocat ne
néglige rien de ce qui peut adoucir un juge prévenu
et irrité ; il n'oublie pas surtout qu'il parle au nom
d'un sujet resté, malgré d'injustes rigueurs, loyal
et dévoué, mais le respect qu'il témoigne à la per-
sonne de l'empereur, le soin qu'il apporte à placer
son autorité temporelle en dehors de la discussion,
n'enlèvent rien à la fierté de l'allure ni à la dignité
du maintien. Condamné et proscrit, M. de Falais
n'en reste pas moins prêt à sacrifier sa vie pour le
service de son souverain, mais s'il faut rendre à César
ce qui est à César, il faut rendre aussi à Dieu ce qui
est à Dieu, et dans le domaine du for intérieur, le
dernier des misérables se retrouve l'égal du maître
de l'Empire.
INTRODUCTION XXXVII
Le style est à la hauteur de la pensée, sobre, ferme
et concis, dédaigneux de toute rhétorique, empreint,
dans sa simplicité grave, d'un je ne sais quoi de fier
et de hautain ; c'est bien là vraiment Vimperatoria
breviias, et dans le style, l'homme tout entier. La
phrase courte, nerveuse et ramassée sur elle-même,
va droit au but, exprime exactement l'idée et ne con-
naît ni les hésitations ni les tâtonnements d'un esprit
qui lutte pour trouver sa formule.
Parfois, sous la modération des termes et le calme
apparent de l'homme, on sent passer, dans un souffle
de colère et d'émotion contenues, comme une inspi-
ration des prophètes de l'ancienne alliance. Alors,
en présence dé la grandeur du sujet, l'écrivain se
révèle, le style s'échauffe et se colore, la période,
jusqu'ici retenue et comprimée, prend du nombre,
de l'harmonie, une ampleur souveraine, et, d'une
large envolée, dans un mouvement superbe, touche
aux cîmes. Telles ces protestations contre les calom-
nies dont Falais est victime, ces revendications de
la légitimité du protestantisme, ou enfin ce recours
suprême à la justice divine, dans cette péroraison
que nous voulons citer ici :
« Et maintenant, je supplie votre Majesté, Sire,
« qu'il lui plaise recevoir cette excuse. Car il n'y a
« rien en ce monde qui me soit si dur à porter, que
« d'être en l'indignation d'icelle. Si je me sentais
« coupable de l'avoir offensée, je me présenterais à
« toute punition plutôt que de vivre en tel regret et
« fâcherie. Connaissant qu'on vous a irrité sans cause
« contre moi, je ne sais que faire, sinon de vous
XXXVIII INTRODUCTION
« supplier qu'il vous plaise connaître mon innocence.
4c Priant Dieu aussi, de vous manifester l'affection de
« mon cœur, laquelle vous contenterait, Sire, si elle
« vous était bien connue. Pour le moins, vous sau-
« riez que jamais je n'ai désiré qu'à me gouverner
« en la crainte de Dieu, sous l'obéissance de votre
« Majesté, et que maintenant je n'ai pas changé de
« propos. Que si, par la grâce de Dieu, un tel bien
« m'est octroyé qu'après m'avoir prêté bénigne au-
« dience en la lecture de ce mien écrit, votre plaisir
« soit d'accepter mes excuses, je me réputerai bien-
« heureux. Cependant, je me repose en cette con-
« solation qui n'est pas petite : que j'ai ma conscience
« pure devant Dieu et devant ses Anges et que je
« serai trouvé tel de fait devant le monde, quand on
« enquerra de la vérité. »
Il faut franchir un siècle pour retrouver, avec Bos-
suet, des accents d'une telle puissance, et comment
ne pas admirer ce noble langage, comparé à la
phraséologie des contemporains, pénible, obscure et
toute enveloppée encore dans les langes d'une lati-
nité d'école ? Sous la plume de Calvin, le français
devient, pour la première fois, capable d'exprimer,
dans une forme classique, les plus hautes conceptions
de l'esprit, et c'est pourquoi, en puisant dans son
génie le secret de cette simplicité grandiose, de cette
clarté lumineuse, le réformateur a fait œuvre immor-
telle et bâti un monument qui durera autant que la
langue elle-même.
^^^
CHAPITRE VI
FALAIS QUITTE STRASBOURG
KT s'Établit a bale
|Ous avons dû, pour résumer les circonstances
diverses qui accompagnèrent la publication
de ÏExcuse, devancer quelque peu l'ordre
des temps et laisser Falais à Strasbourg au début de
1546. Après quelques mois de tranquillité, il était
tombé de nouveau gravement malade dans le cou-
rant de juin et ce ne fut guère avant le mois d'oc-
tobre qu'il put entrer en convalescence ^ C'est égale-
ment à cette époque qu'il apprit la mort de l'aînée
de ses sœurs, Hélène de Bourgogne ; elle avait épousé
Adrien de l'Isle, sieur de Fresne, et s'était, elle aussi,
entièrement ralliée aux doctrines de la réforme *.
» Calvini opéra, t. XII, n" 8o5, 21 juin et n» 833, 4 octobre.
2 Voir Anselme, ouvr. cité, t. I, p. 263, et Calvini opéra,
t. XII, n" 840 et 853 (20 nov. 1546).
XL INTRODUCTION
Malgré l'absence de faits saillants, la correspon-
dance de Calvin avec M. de Falais demeurait fort
nourrie. Il y est surtout question de l'Excuse, de
points de controverse, de livres nouveaux et d'évé-
nements politiques, mais ces lettres n'en présentent
pas moins un vif intérêt, parce qu'elles nous mon-
trent le réformateur sous un aspect intime et fa-
milier, bien différent de celui auquel on a généra-
lement coutume de l'envisager. Accablé d'occupa-
tions multiples, obligé d'entretenir une correspon-
dance qui s'étendait à toute l'Europe, sentant peser
sur ses épaules le poids si lourd de la cause protes-
tante, alors menacée de toute part, et, dans Genève
même, aux prises avec des difficultés sans cesse re-
naissantes, on le voit cependant toujours prêta mettre
sa plume, son temps et ses conseils au service de
M. de Falais. Avec sa droite raison, sa vue claire
des hommes et des choses, il apparaît comme l'ami
sûr, le conseiller toujours écouté auquel on se hâte
de recourir dans les moindres circonstances. Aussi,
la considération qui lui est témoignée par la famille
de Falais se double-t-elle d'une véritable affection *
et l'on peut dire que pendant une dizaine d'années,
la personnalité de Calvin a été étroitement mêlée à
l'existence de Jaques de Bourgogne.
Cependant, dès le mois de septembre 1546, les
affaires du parti protestant avaient pris en Allemagne
1 Falais voulut, en particulier, être le parrain d'un enfant
qu'attendait la femme de Calvin, mais qui, d'ailleurs, ne
vécut pas {Opéra, t. XII, n* 784).
INTRODUCTION XLI
une fâcheuse tournure et le déclin de la ligue de
Smalkade allait mettre les Strasbourgeois dans une
situation critique. Ils tentèrent d'abord d'obtenir des
secours du roi de France \ mais François l^^, malade
et vieilli, ne sut pas profiter de l'occasion, et devant
les progrès de l'empereur, la ville dut se résigner à
composer avec lui, ce qui eut lieu effectivement au
mois de mars 1547.
Ces événements ne pouvaient manquer d'exercer
leur contre-coup sur la situation particulière de
M. de Falais*; il se vit de nouveau en danger de
tomber aux mains de son ennemi et il comprit de
plus que sa présence au milieu des Strasbourgeois
augmenterait encore les difficultés de leur position.
Aussi, sans attendre la soumission de la ville, il
n'hésita pas à reprendre le bâton du voyageur et à se
retirer à Bâle où il était assuré de la protection effi-
cace des cantons suisses attachés à la cause de la ré-
forme. Ce nouvel exode dut avoir lieu à la fin de 1546
ou au début de l'année suivante ; en tout cas, Fa-
lais était déjà établi à Bâle* au commencement de
1 Calvini Opéra, t. XII, n" 859.
* Il avait déjà éprouvé de vives inquiétudes l'année précé-
dente et, à la suite de nouvelles alarmantes, avait même
quitté brusquement Strasbourg avec toute sa maison, mais
n'avait pas tardé à y revenir, ces bruits fâcheux ne s'étant
pas confirmés. (Lettre de Valerand Poulain à Calvin, du
16 novembre i545, ibid., n* 729).
• Il y fut reçu bourgeois, le 22 février 1547: «Anne Dni.
Mv^ xLvii, zinstags den xxii tag Februarii, ist dem wolge-
porn herrn, herrn Jacoben a Burgundia, herrn zu Phalesii
und Pridami, etc., das Burgkrecht gelyhen et loco juramenti,
dédit prothoscribe fidem manu stipulata praesente D. Doctore
6
XLII INTRODUCTION
février 1547, car c'est là qu'il reçut une visite de
Calvin, lequel s'y rendit précisément à cette époque*.
La publication de l'Excuse dut être définitivement
résolue dans cet entretien et Jaques de Bourgogne
manifesta une fois de plus à son ami l'intention de
se fixer à Genève ; il le chargea même de retenir
pour lui un logement dans cette ville *, mais l'exé-
cution de ce projet devait subir encore bien des re-
tards.
A peine Calvin avait-il quitté Bâle, que Falais eut
la joie de voir arriver auprès de lui Antoinette de
Bourgogne, la seconde de ses sœurs, qui n'avait pas
hésité à suivre l'exemple de son frère et à tout quitter
pour le maintien de ses croyances '.
Amorbachio. » (Archives de Bâle, Oeffnungsbuch, VIII, f» 118;
communication de M. le D' Wackernagel, archiviste d'Etat.
Document inédit).
> Cette entrevue est attestée par le témoignage de M. de
Falais lui-même qui a inscrit sur deux lettres de Calvin, du
mois de novembre, la mention : « Respondu verballement à
Basle ». (Voir Opéra, t. XII, n" 852 et 853, et sur le voyage
du réformateur, t. XXI, Annales.)
2 Ibid., t. XII, n»88i (25 février 1547) : « Pour vostre per-
sonne, suivant la charge que vous m'aviez donnée, j'ai regardé
depuis mon retour où il y auroit logis commode... Auprès dp
nous je n'en ay peu trouver ayant jardin, qui vous fust plus
propre que une que je vous ay louée. »
Calvin habitait alors au Bourg de Four, à l'angle de la rue
des Chaudronniers. Il eut ensuite quelque peine à rompre les
engagements que, dans son impatience de voir arriver Falais,
il avait un peu précipitamment contractés à l'égard du pro-
priétaire, lequel n'était autre que le capitaine général Perrin.
(Ibid., n" 912 et 924.)
8 Calvin à Falais, ibid., n' 881 (25 février 1547). — Antoi-
nette de Bourgogne a été omise dans les généalogies de la
famille, mais Calvin, qui l'appelle « Mademoiselle de Bre-
INTRODUCTION XLII l
La jeune fille n'arrivait pas seule : elle était accom-
pagnée de deux amies, dont l'une était M"« de Vil-
lerzy, d'une famille noble de Belgique, et c'est à Vale-
rand Poulain ^ que Falais avait confié la périlleuse
mission de conduire les fugitives. Poulain accomplit
sa tâche avec courage et intelligence mais, arrivé à
Bâle, il prétendit que M^^ de Villerzy s'était engagée
à l'épouser et il l'attaqua en rupture de promesse de
mariage. Les juges bâlois le déboutèrent de sa de-
mande, mais cette afl^aire préoccupa beaucoup Falais
qui ne manqua pas de recourir, dans cette occasion,
aux conseils et à l'influence de Calvin '. Celui-ci
s'était chargé, d'autre part, de rédiger pour M'^^ de
Villerzy un mémoire probablement destiné aux pa-
rents qu'elle avait laissés en Belgique et dans lequel
elle exposait les motifs qui l'avaient engagée à re-
joindre M. de Falais*. Il fallut enfin que le réforma-
teur vînt en aide aux exilés lorsqu'il fut question de
trouver un parti pour la protégée de Jaques de Bour-
gogne. Partagé entre le sentiment de sa responsabilité
dam », la mentionne plusieurs fois dans sa correspondance
et son nom se retrouve dans les pièces du procès intenté à
ses frères, en 1049. (Voir Galesloot, art. cité, p. 17).
> Sur ce personnage, voir France protestante, t. VIII,
p. 3o8.
2 Opéra, t. XII, n" 884, 885, 888, 889, 901 et 904.
3 « Vous verrez les responses que j'ai faictes au nom de Ma-
damoiselle Villerzy et les mecterez en oeuvre, si elles vous
semblent propres. Je parle assez sec à l'abbesse à cause de
la souspeçon qui est bien véhémente. » (Calvin à Falais,
ibid., t. XII, n" 937.) — Les éditeurs des Opéra ont rapporté
à tort ce passage au procès de Poulain ; la cause avait été
jugée, en effet, dès le mois de mai et la lettre de Calvin est
datée du 16 août.
XLIV INTRODUCTION
et le désir d'assurer à celle qui avait cherché un refuge
auprès de lui l'établissement honorable qui la met-
trait à l'abri des calomnies et des revendications de
ses parents, Falais hésita longtemps sur le choix à
faire entre les prétendants ^ Le mariage finit cepen-
dant par se conclure et fut célébré en juillet de l'année
suivante, au château de Veigy *.
C'est à Bâle également que M. de Falais reçut la
visite de deux de ses frères, Pierre, protonotaire
apostolique, et Antoine, mais malgré leur penchant
pour la réforme, ils ne se décidèrent ni l'un ni l'autre
à rester avec lui *.
Peu de temps après, M"e de Falais mit au monde
une fille, mais il était dans la destinée des deux époux
de connaître toutes les épreuves de la vie et l'enfant
ne vécut que quelques jours *. Calvin toutefois avait
eu le temps de recevoir, dans l'intervalle, la nouvelle
de la délivrance de la femme de son ami : * Il me
faict mal — lui écrivait-il à cette occasion — que je
ne puys là estre avecque vous, du moings un demy
jour pour rire avecque vous, en attendant que Ton
> Lettres de Calvin à Falais, Opéra, n"88i, 912, 937 et 944.
2 Ibid., t. XIII, n» 1047. C'est bien du mariage de M"» de
Villerzy qu'il doit être question dans cette lettre du réforma-
teur à Jaques de Bourgogne, en date du 17 juillet 1548. —
L'époux préféré paraît avoir été, d'après un passage de la
même lettre, Antoine Popillon, sieur de Parey, natif de
Moulins, lequel fut reçu habitant de Genève, le 3 mai 1549,
et bourgeois, le i3 janvier i556. (Registres du Conseil, vol.
44, fo 87 et vol. 5o, f» 98 v».)
8 Galesloot, art. cité (procès de 1549).
* Lettre de Calvin à Viret, Opéra, t. XII, n» 941 (aS août
i547).
INTRODUCTION XLV
face rire le petit enfant, en peine d'endurer cependant
qu'il crye et pleure ^
Par une tendance assez naturelle d'ailleurs, la
commune opinion ne se représente guère les grandes
figures du passé que dans une attitude unique, et
en supprime volontiers tous les traits de nature à
atténuer le simplisme et la netteté de cette attitude.
La réalité, plus humaine, ne connaît pas ces procédés
absolus et en face du Calvin traditionnel, au cœur
sec, à l'âme fermée, elle nous montre aussi l'homme
capable d'éprouver les douleurs et les joies de la fa-
mille et sachant parfois se pencher avec un sourire
sur le berceau d'un enfant.
1 Opéra, n» gSy (i6 août).
CHAPITRE VII
LE CHATEAU DE VEIGY
ALGRÉ les obstacles divers qui s'étaient oppo-
sés jusqu'alors au projet qu'il avait formé
depuis longtemps de se rapprocher de Ge-
nève, M. de Falais n'en avait cependant point aban-
donné la réalisation, et c'est au mois de février 1548
qu'il prit la résolution définitive de ce nouveau
changement de résidence ^ Cette décision coïncide
précisément avec un nouveau voyage de Calvin à
Bâle au début de cette même année '. Dès le 21 mars,
Falais faisait part de son intention au Conseil de
cette ville, en le priant de lui accorder des lettres de
recommandation pour les autorités de Genève et
de Berne et de lui conserver ses droits de bour-
> Voir la lettre de Calvin à Falais, du 27 lévrier 1548.
{Opéra, t. XII, n* 998).
• Ibid, t. XXI, Annales.
XLVIII INTRODUCTION
geoisiedont il s'engageait à remplir tous les devoirs *.
Ce n'était pas alors une petite entreprise que de se
rendre de Bâle à Genève, avec une famille de cinq
personnes, des serviteurs et de nombreux bagages.
Les difficultés durent être augmentées encore pour
Falais par son état de santé ; il fallait voyager lente-
ment, à cheval ou sur de lourdes voitures, en faisant
assurer d'avance les étapes et la sécurité du chemin.
Enfin, tous les préparatifs étant terminés, Falais prit
affectueusement congé des magistrats bâlois et se mit
en route dans le courant de juin *.
A quelque distance de Genève, sur l'un des coteaux
qui dominent la rive méridionale du lac, s'élève,
dans une contrée agreste et salubre, le château de
Veigy. 11 avait, depuis la conquête de i536, passé
avec le reste du Chablais sous la domination ber-
noise, et c'est là que notre voyageur allait s'établir,
sans savoir s'il y trouverait enfin un asile définitif.
Falais avait donc renoncé à se fixer à Genève même :
son état de santé qui exigeait un air plus pur ', et
1 La requête de Falais, accompagnée de la réponse du
Conseil, existe encore aux archives de Bâle, St 104. B. 3.
(Communication de M. le D' Wackernagel). — Les magistrats
bâlois s'empressèrent de lui délivrer les lettres qu'il sollici-
tait, mais décidèrent, quant à la bourgeoisie, qu'il en serait
privé s'il demeurait absent plus de six mois, ou qu'il devrait
venir en personne prêter le serment de renonciation. (Cf.
Opéra, t. XII, n» 1008, lettre de Calvin à Falais, du 3 avril
1548).
' C'est du moins la date que l'on peut fixer approximative-
ment d'après une lettre de Calvin à Farel, écrite le 10 juillet
[Ibid., t. XIII, n" 1043).
* Dans sa lettre aux autorités bâloises, il motivait sa de-
mande de congé sur la nécessité où il se trouvait de chercher
INTRODUCTION XLIX
aussi le désir de se placer sous la protection de la
puissante république de Berne, furent sans doute les
causes principales de sa détermination, mais ce n'en
fut pas moins une vive déception pour Calvin de ne
pouvoir donner à l'église de Genève la gloire de
posséder entièrement l'homme qu'il avait su con-
quérir sur Charles-Quint lui-même, et sa corres-
pondance ne laisse pas de doute sur ses sentiments
à cet égard ^ Il obtint cependant qu'après s'être in-
stallé à Veigy, Falais viendrait passer l'hiver à Ge-
nève *. Celui-ci aurait même fait, d'après un témoi-
gnage contemporain ', de fréquents séjours chez le
réformateur et acheta, par la suite, une maison dans
la ville * ; il dut, en conséquence, y séjourner à plu-
sieurs reprises.
un climat plus favorable et sur son désir de pouvoir se
joindre à une église de langue française, mais ces considéra-
tions et les instances de Calvin ne furent pas les seuls mo-
biles de la détermination prise par M. de Falais. Elle dut lui
être dictée aussi par la crainte d'une tentative de violence,
toujours possible tant qu'il se trouverait à proximité immé-
diate des terres de l'Empire : a De ne bouger de là, lui écri-
vait le réformateur au mois de novembre 1547, c'est chose
conclue jusque au printemps, s'il ne survenoit contrainte
violente. » (Opéra, t. XII, n" 970).
» Calvin à Farel, 10 juillet, lettre citée : « C'est avec mon
assentiment que Falais s'est installé à quelque distance de la
ville parce qu'il eût été difficile de le décider à s'y rendre
tout droit, mais l'expérience sera pour lui un maître plus
écouté. ML (Traduction). On ne peut méconnaître, dans le ton
de ces paroles, un dépit mal dissimulé.
2 Opéra, t. XIII, n» io66.
» Celui du régent Colinet dans une lettre à Sébastien Cas-
tellion. (/6ii., t. XIV, n" 1769).
* Archives de Genève, Registres du Conseil (affaires parti-
culières), vol. 5, f» 147.
7
L INTRODUCTION
Les magistrats genevois n'avaient pas vu avec plus
de satisfaction que le chef de leur église cette préfé-
rence accordée à la protection bernoise. Aussi parais-
sent-ils avoir accueilli le nouveau venu avec une
froideur si marquée que Calvin crut devoir tenter
une démarche discrète auprès du Conseil pour le
prier de témoigner plus de considération à l'illustre
proscrit, mais cette intervention eut un succès mé-
diocre *■ et, bien que des relations plus cordiales
semblent s'être établies plus tard *, on peut dire que
Jaques de Bourgogne a toujours vécu à Genève en
étranger ; il ne s'est jamais mêlé à la vie d'une cité
à laquelle cependant tout semblait devoir le ratta-
1 Registres du Conseil, vol. 43, f» 200 v» (24 sept. 1548) :
« Mons' Calvin a proposé comme le S' de Fallex a esté icy,
mais qui n'a point heu de responce sus la requeste par
luy faicte. Surquoy seroit bon de se acomoder à luy et luy
monstrer signe de admytié, comme Mess" de Basle en hont
escript en sa faveur. Ordonné que quant à Mons^ de Fallex
que si veult quelque chose, qu'il viengne icy et l'on pourvoy-
stra comme de raison. »
* Le 4 janvier 1549, ^^ Conseil envoyait à M. de Palais, de
nouveau gravement malade, une députation pour lui deman-
der un don en faveur de l'hôpital. Quelque temps après, les
magistrats lui prêtaient, à sa requête et en sa qualité de « sei-
gneur de Troche », des fers et des menottes destinés à
quelques malandrins arrêtés sur l'ordre du nouveau châtelain
de Veigy, en vertu des droits justiciers qu'il avait acquis en
même temps que la terre dont il était devenu possesseur.
(Voir Reg. du Conseil, vol. 43, f» 275 v»; vol. 44, f* 81 v*.)
La seigneurie de Troche, visée par la décision du Conseil,
était une ancienne maison forte des comtes de Genevois,
située à 5 kilomètres N.-E. de Veigy. Possédé ensuite par les
princes savoyards, ce fief avait dû passer, en i536, aux mains
du gouvernement; bernois et c'est de ce dernier que Palais
l'avait sans doute acquis, avec la résidence de Veigy qui de-
vait en dépendre.
INTRODUCTION LI
cher. L'état de sa santé \ la réserve de son caractère
le tinrent à l'écart ; il vécut surtout à Veigy, n'ayant
guère d'autres relations que celles de Calvin, de Viret
et de leurs amis, jusqu'au jour où sa maison devint
au contraire un centre de réunion pour les adver-
saires du réformateur.
On ne saurait donc être surpris que le passage de
M. de Falais à Genève ait laissé peu de traces : il en
est parti comme il était venu, sans que sa présence
ou sa disparition aient pu exercer dans la république
une influence appréciable.
» Il avait été si grave, au début de 1549, qu'on désespéra
pendant quelques jours de la vie du malade : « J'ai dû, à
cause de Falais, écrivait Viret à Farel, le 12 janvier, me
rendre à Genève plus tôt que je ne pensais. Il m'avait envoyé
un messager à cheval, car il désirait m'entendre et me parler,
quoique Textor, le médecin, n'espérât plus que je le trou-
verais vivant. A notre grande joie cependant et à celle de
Textor, celui-ci s'est trompé, et Dieu, contre toute attente,
l'a conservé jusqu'à présent, mais, pour combien de temps
encore, Lui seul le sait. Au moment où je me préparais au
retour, Falais m'a paru mieux : j'espère en conséquence qu'il
pourra survivre encore quelque temps, bien qu'il soit d'une
faiblesse extrême et presque sans remède. Il m'a prié in-
stamment de le recommander à tes prières, ce que tu ne
manqueras pas de faire, j'en suis certain. A quel point Dieu
lui est présent, combien il est soutenu et pénétré d'une joie
céleste et des consolations du Saint Esprit, cela est incroya-
ble. Sa constance au milieu des soucis domestiques n'est pas
moindre que la résignation chrétienne avec laquelle il sup-
porte les afflictions. Il a désigné Calvin et moi pour ses
exécuteurs testamentaires et m'a prié de ne pas refuser cette
charge. Dieu veuille qu'il n'ait pas besoin de mes services
en cette circonstance, bien que je sois prêt à les lui rendre,
si la nécessité l'exige. » {Calvini opéra, t. XIII, n» 1121, tra-
duction.)
c^^^s^
CHAPITRE VIII
l'affaire de bolsec
rupture avec calvin
;e fut peut-être l'époque la plus heureuse de
la vie de Jaques de Bourgogne que les
trois années qui suivirent son établisse-
ment à Veigy, dans une retraite qu'il affectionnait,
au milieu de sa famille et de quelques amis. Elles ne
furent marquées pour lui que par le mariage de sa
sœur Antoinette ^ et par le procès intenté à ses frères
* Elle épousa, en octobre 1 549, un gentilhomme français,
M. de Velu, lequel habitait aux environs de Genève, sur les
terres de Berne. (Voir Calvini opéra, t. XIII, n» 1281 ; t. XIV,
n« i526; t. XX, n» 4162.) Ce personnage nous paraît devoir
être identifié avec Adrien de Saint-Amand, sieur de Velu en
Artois (Pas-de-Calais), dont le nom se retrouve dans les re-
gistres du Conseil de Genève (vol. 64, f" i56 et i58 ; vol. 56,
f» 58, et reg. des partie, vol. 3, f" 228). Antoinette de Bour-
gogne mourut en i552, trois ans après son mariage. {Calvini
opéra, t. XIV, n» 1647).
LIV INTRODUCTION
demeurés dans les Pays-Bas. Accusés d'hérésie, moins
convaincus et moins vaillants que lui, ils s'étaient
hâtés de répudier leurs croyances et d'implorer la
grâce de l'empereur ^ Mais au moment même où il
pouvait espérer quelque repos après tant d'orages,
Falais allait être rejeté loin du port et voir s'opérer,
malgré lui, la rupture de ses relations avec Calvin.
Nous n'avons point à refaire ici l'histoire du procès
de Bolsec ; on la connaît aujourd'hui dans tous ses
détails et cette cause célèbre est désormais entendue *,
mais elle a exercé sur les rapports de M. de Falais
avec l'église de Genève et avec son chef une influence
trop considérable pour que nous n'en devions pas
rappeler ici les circonstances principales.
Jérôme Bolsec, originaire de Paris, était un ancien
moine qui avait embrassé la réforme. Ses fonctions
ecclésiastiques ne l'avaient pas empêché cependant
d'étudier la médecine, et au moment de son entrée
sur la scène genevoise, il était fixé à Veigy, auprès de
M. de Falais, qui en avait fait son médecin.
Le goût des discussions théologiques lui était resté
toutefois : il faillit lui coûter cher. Adversaire décidé
> Les circonstances de cette affaire ont été relatées par
M. Galesloot (art. cité), d'après les documents conservés
aux archives de l'Audience à Bruxelles. Des cinq frères
de Jaques de Bourgogne, le second, François, denieura
seul fidèle à ses convictions ; il réussit à s'enfuir de Bel-
gique et s'établit en Angleterre. {Calvhii opéra, t. XIII,
n» 1419.)
* Voir surtout Roget, Histoire du peuple de Genève, t. III,
pp. iS-j et suiv., et l'étude publiée par M. Henry Fazy dans
le t. X des Mémoires de l'Institut national genevois, enfin Cal-
vini opéra, t. VIII.
INTRODUCTION LV
de la doctrine de la prédestination, il osa un jour,
en pleine assemblée, attaquer, sur ce point capital,
l'Institution chrétienne et tenir tête à Calvin qui se
trouvait présent. Celui-ci n'était pas homme à reculer;
il accepta le défi et, sur l'heure, les ministres dénon-
çaient Bolsec en réclamant l'intervention du bras
séculier.
Les magistrats, après avoir ordonné la formation
du procès, prirent connaissance de l'interrogatoire
de l'accusé, mais, sentant leur incompétence en ces
obscures matières de théologie, résolurent de con-
sulter les églises suisses.
C'est alors que Falais apparaît tout à coup dans le
débat. Il écrit au Conseil pour lui recommander son
médecin, «attendu, dit-il, que la cause de sa déten-
tion n'est que pour avoir parlé à la Congrégation
librement de la doctrine, ce qui doit bien être permis
à tous chrétiens, sans pour cela être emprisonné * ».
Deux jours plus tard, il revenait à la charge et
sollicitait la libération de Bolsec.
Cette énergique revendication du droit de libre
examen, qui est la base même et la raison d'être du
protestantisme, suffirait à elle seule pour témoigner
de la noblesse du caractère de Jaques de Bourgogne
et de l'élévation de son sentiment religieux, mais
elle nous découvre en même temps les causes pro-
fondes qui avaient amené cet esprit si tolérant et si
large à séparer sa cause de celle de Calvin. Pour
n'être pas direct, le coup n'en atteignait pas moins le
» Calvini opéra, t. VIII, p. 200.
LVI INTRODUCTION
réformateur et celui-ci ne se méprit pas sur la signifi-
cation de cette démarche.
Après délibération, le Conseil arrêta simplement
de suivre au procès. C'était en réalité une fin de
non recevoir, mais Falais s'était également adressé
au Sénat de Berne et sa requête fut accueillie avec
tant de faveur que Farel, quelques semaines plus
tard, lui attribuait en bonne partie le peu d'empres-
sement des églises suisses à embrasser la cause de
Calvin ^ Celles-ci en effet, à l'exception de Neu-
châtel, déçurent cruellement l'attente du réformateur.
Au lieu de condamner formellement Bolsec, elles se
montrèrent très réservées sur la doctrine prédesti-
nienne et prêchèrent surtout aux Genevois la tolé-
rance et la modération.
Dès lors, il devenait difficile de frapper Bolsec avec
rigueur ; simplement banni du territoire de la répu-
blique, il retourna à Veigy et le gouvernement ber-
nois le prit ouvertement, pendant quelques années,
sous sa protection .
L'affaire de Bolsec ne fut qu'une escarmouche dans
la lutte engagée par Calvin contre ses adversaires,
mais elle eut des conséquences autrement graves
pour les relations du réformateur avec M. de Falais.
On ne saurait admettre, d'ailleurs, que la crise ait
éclaté sans avoir été préparée; le dissentiment, plus
ou moins déguisé, devait exister déjà. Jaques de
Bourgogne n'avait probablement jamais éprouvé une
tendresse bien vive pour le dogme de la prédestina-
• Calvini opéra, t. XIV, n» 1584.
INTRODUCTION LVII
tien ; ses conversations avec Bolsec durent l'en éloi-
gner davantage encore et diminuer, en même temps,
sa confiance et son admiration pour la personnalité
de Calvin. Les discours de l'ancien carme ne furent
pas seuls à agir dans cette occurrence : le ministre de
Veigy ^ repoussait, lui aussi, les théories prédesti-
niennes et l'on comprend dès lors qu'il se soit formé
autour de Falais une atmosphère, sinon précisément
hostile au réformateur, du moins peu favorable au
maintien de l'ascendant absolu qu'il avait exercé jus-
qu'alors sur l'esprit de son coreligionnaire.
Il est possible aussi que Jaques de Bourgogne
eût été froissé en quelques circonstances par les al-
lures de Calvin et supportât moins aisément le joug
depuis qu'il vivait dans le voisinage du chef de
l'église genevoise.
L'arrestation de Bolsec précipita les événements.
Navré de ce qu'il considérait comme un abus de
pouvoir et une atteinte portée à la liberté de con-
science *, Falais, n'écoutant que sa générosité, inter-
vint résolument en faveur de l'accusé. Calvin bondit
sous le coup, mais cette défection d'un personnage
aussi considérable portait une atteinte trop sensible
à son prestige pour qu'il ne cherchât pas à le réta-
blir. Des amis communs, des ministres et jusqu'aux
» Michel Porret de Neuchâtel (Viret à Calvin, 7 janvier i552,
Opéra, t. XIV, n» i582).
' « Ce n'est pas sans larmes, écrivait-il à Bullinger au cours
du procès, que je suis contraint d'assister à la tragédie
donnée par Calvin et ses partisans. » [Ibid., t. XIV, n» i555.)
8
LVIII INTRODUCTION
serviteurs même de la famille *, s'efforcèrent d'obtenir
de Falais qu'il désavouât Bolsec et fît amende hono-
rable, mais, soutenu par sa femme, il ne se laissa pas
ébranler*. Enfin, au sortir d'une entrevue qui paraît
avoir été assez froide et n'amena en réalité aucun
rapprochement, Calvin apprit que Falais avait ma-
nifesté hautement sa sympathie pour le noble et mal-
heureux Sébastien Castellion, victime lui aussi de
l'intolérance du réformateur*. C'est alors qu'exas-
péré par cette nouvelle preuve du changement qui
s'était opéré dans les dispositions de Jaques de Bour-
gogne à son égard, il se décida à cesser toute relation
avec lui. Falais, informé de cette résolution par un
ami, provoqua une explication devenue inévitable et
Calvin se hâta de la lui fournir : « Monseigneur, puis
que vous pensez avoir bonne cause, pardonnez moy
si je ne vous puis satisfaire en confessant que j'aye
tort, ce qui ne seroit qu'hypocrisie. Car je scay que
1 Au nombre de ces serviteurs, il faut compter le trop
fameux Nicolas de La Fontaine qui avait été placé par Calvin
auprès de Jaques de Bourgogne, car c'est bien de lui dont il
doit être question dans la correspondance : « Je suis joieulx
que Nicolas vous vient à gré. » (Opéra, t. XII, n* 970.) Au dire
de Castellion, La Fontaine aurait rempli chez M. de Falais
l'office de cuisinier. Après l'affaire de Bolsec, il entra au ser-
vice de Calvin et l'on connaît le rdle qu'il joua en i553 dans
le procès de Servet.
* Vie de Calvin, par Nicolas CoUadon. (Ibid., t. XXI, p. 75.)
' Ibid., t. XIV, n" 1692, dernière lettre de Calvin à Jaques
de Bourgogne. — Au sujet des rapports de Falais avec Cas-
tellion, voir la belle étude consacrée à ce dernier par M. F.
Buisson [Sébastien Castellion, sa vie et son œuvre, Paris,
1892, t. II, pp. 62 et suiv.)
INTRODUCTION LIX
moy mesme desja de long temps vous ay déclaré de
l'homme ce qui en estoit et ça esté chose trop com-
mune des actes qu'il a faictz. Depuis ce temps là,
vous l'avez tellement loué que celluy qui me le reci-
toit usât de ces motz, qu'il n'avoit ouy jammais faire
si grand cas d'homme du monde. Quant vous en
veniez jusque là, estant desja adverty par moy, il
falloit bien que vous le missiez si hault pour nous
faire condemner avec toute nostre doctrine, de la-
quelle il s'est monstre si mortel ennemy, voire enragé
et démoniaque, qu'il n'a pas eu honte d'escrire :
Deus Calvini est hypocrita, mendax, perfidus, injus-
tus, fauior et patronus scelerum et diabolo ipso
pejor. Ainsi il fauldroit que pour vous gratifier je re-
nonçasse à Dieu et à sa vérité et au salut que j'en
espère. Vostre intention n'est pas telle, je le croy.
Mais si pour l'humanité et mansuétude de vostre
esprit, vous estes content d'ignorer quel est celluy qui
faict la guerre à Dieu, et non seulement cela, mais
n'adjoustant nulle foy à nostre tesmoignage, donnez
occasion de nous rendre détestables, souffrez, je vous
prie, que j'aye quelque zèle de maintenir l'honneur
de mon Maistre... Et puis qu'encor à ceste heure,
vous aimez de suivre une leçon toute contraire à celle
que j'ay apprins en l'eschole de mon Maistre (car
vous dictes que vous estes bien ayse d'oublier le mal
qui pourroit estre en luy; et il nous est dict : Videte
Canes, observate, notate,fugite, cavete) je vous laisse
vos délices. Si j'ay esté trop aspre et lourd, pardonnez
moy, vous m'y avez contrainct. Et affin que vous
LX INTRODUCTION
scachiez qu'il n'y a ni cholere ni malveillance, je
vous escris la présente comme m'apprestant de com-
paroistre devant Dieu lequel m'afflige de rechef d'un
mal qui m'est comme un mirouer de la mort devant
les yeulx. Je le supplieray. Monseigneur, qu'en aiant
pitié de moy et me recevant à mercy, il vous conserve
et guide par son Esprit et vous augmente en toute
prospérité avec Mademoiselle et toute vostre fa-
mille ^ »
Cette lettre sera la dernière du réformateur à celui
dont il se proclamait naguère « l'humble frère, ser-
viteur et ancien ami à jamais ^ ; elle sonne le glas
funèbre des sentiments de confiance et d'affection
qui les avaient unis pendant des années, et bien qu'on
n'en puisse méconnaître ni la dignité de la pensée ni
la modération des termes, elle est comme imprégnée
d'une amertume qui laissera dans le cœur de ces
deux hommes une trace indélébile.
C'est en vain que Jaques de Bourgogne aura donné
des gages essentiels à la cause de la réforme, accepté
pour elle les plus durs sacrifices et constamment
prouvé la droiture de ses intentions : il n'est plus
désormais qu'un ennemi, presque un traître et c'est,
à son égard, un étrange concert de récriminations
passionnées. Calvin donne l'exemple ; il va, suivant
l'expression d'un contemporain, précipiter dans les
enfers celui que naguère il élevait jusques au ciel *,
et tandis qu'il efface d'une main encore frémissante
1 Opéra, t. XIV, n* 1692 (sans date).
« Sébastien Castellion (De Hœreticis a civili Magtstratu
non puniendis.)
INTRODUCTION LXI
de colère le nom de Falais en tête de son commen-
taire sur la I" Epître aux Corinthiens S il ne laisse
échapper, dans ses lettres, aucune occasion d'exhaler
l'ardeur de son ressentiment.
Après le maître, ses fidèles. Ecoutez Viret ', un
modéré cependant ; écoutez surtout Farel charger
M. de Falais d'injustes soupçons et le réunir à Servet
et à Bolsec dans une trinité digne de régner aux en-
fers*. Nous voilà loin, en vérité, du temps où ce
même Farel appelait Jaques de Bourgogne « une
œuvre admirable du Seigneur* » !
Enfin, treize années plus tard, Nicolas Colladon
formulera le jugement officiel de l'église de Genève,
en opposant à Falais et à sa femme ceux qui ont
suivi la parole de Dieu «. sans feintise * ».
L'histoire ne ratifiera pas ce verdict ; elle dira qu'en
prenant, au nom de la tolérance, le parti de l'opprimé,
Jaques de Bourgogne est resté fidèle au véritable
esprit de la réforme et il en gardera la gloire. Calvin
nous apparaît, ici comme ailleurs, avec toute l'âpreté
de son dogmatisme, toute la rigueur de son caractère,
mais à lui vouloir appliquer l'exacte mesure de nos
1 Dans la troisième édition de cet ouvrage, publiée en
i556, Calvin a remplacé la dédicace qu'il avait adressée à
M. de Falais, dix ans auparavant, par une lettre à Galeas
Caracciolo, marquis de Vico, dans laquelle il laisse couler
librement le flot de rancune amassé contre son ancien
ami.
* Calvini opéra, t. XIV, n' iSjô.
=> Ibid., t. XV, n» 1964.
♦ Ibid., t. XII, n» 799.
» Vie de Calvin (Ibid., t. XXI, p. 75.)
LXII INTRODUCTION
sentiments et de nos idées, ce serait, à notre tour,
commettre une injustice.
Au milieu des périls intérieurs et extérieurs qui
menaçaient alors la cause protestante, sous le poids
d'une tâche et de responsabilités écrasantes S le chef
de la réforme française put méconnaître les inten-
tions du défenseur de Bolsec. Dans le feu du combat,
cet esprit de largeur et de tolérance, cette mansué-
tude d'une âme généreuse devaient échapper à Calvin
et l'action indépendante de son ancien disciple ne
fut, à ses yeux, qu'hostilité, faiblesse ou trahison. « Il
ne faut pas se figurer Calvin proclamant une éman-
cipation quelconque, a dit excellemment un historien,
le contraire serait plutôt vrai. Il n'est ni un révolu-
tionnaire de génie comme Luther, ni un missionnaire
comme Farel : logicien et juriste, il apporte au pro-
testantisme l'esprit de logique dans le dogme, l'esprit
d'autorité dans la discipline *. »
Et, d'autre part, pour apprécier équitablement les
hommes du passé, il faut chercher à pénétrer l'es-
prit de leur époque et, pour un instant, se refaire en
quelque sorte une âme pareille à la leur. La violence
du sentiment religieux, qui poussait alors chaque parti
à se croire en possession de la vérité absolue, avait
effacé chez le plus grand nombre jusqu'à la notion
même de la tolérance. Personne, à cet égard, ne fut
de son temps plus que Calvin. Sûr d'avoir trouvé,
• Nous ne saurions mieux faire que de renvoyer ici le lec-
teur à l'étude magistrale de M. Faguet sur Calvin (XVI* Siècle,
Paris, iSgS).
' Buisson, ouvr. cité, t. I, p. 96.
INTRODUCTION LXIII
par la grâce divine et l'étude de la Bible, le secret de
la vérité religieuse, il en était venu à considérer
comme une offense à cette vérité et à Dieu lui-
même, toute opinion contraire aux siennes. C'est
donc avec une entière sincérité qu'il a pu écrire cette
extraordinaire déclaration qui l'explique et l'excuse :
« Quant à moi, étant assuré en ma conscience que
ce que j'ai enseigné et écrit n'est point cru en mon
cerveau, mais que je le tiens de Dieu, il faut que
je le maintienne si je ne voulais être traître à la vé-
rité ^ . »
Non, la plupart des hommes du xvi^ siècle ne
pouvaient guère pratiquer ni même comprendre la
tolérance. Le respect des opinions d'autrui n'était à
leurs yeux que faiblesse pour le mal et complicité
avec l'erreur. Fidèles à leurs croyances jusque dans
la persécution et dans la mort, ils n'ont pas hésité
non plus à appliquer aux autres le compelle intrare.
1 Lettre au Conseil de Genève, octobre i552 (Opéra, t. XIV,
n« 1659).
CHAPITRE IX
DERNIÈRES ANNÉES
)i M. de Falais avait pu conserver quelques
illusions sur les conséquences de son in-
tervention dans l'affaire de Bolsec, l'atti-
tude de Calvin et de ses amis dut promptement le
détromper. Aux attaques dont il était l'objet, il ré-
pondit par le silence dédaigneux du gentilhomme,
mais l'injustice de ces procédés ne lui en fut pas
moins sensible*. Toutefois, s'il eut à constater de
nombreuses défections, il vit se grouper autour de
lui des sympathies nouvelles et le château de Veigy
ne tarda pas à devenir un centre de réunion pour tous
ceux qui, las du joug dogmatique du réformateur,
» Voir les annotations par lui jointes à certaines lettres de
Calvin (Opéra, t. XI, n" 562 et 563; t. XII, n' 647). Il y a
bien de l'amertume et de la désillusion dans ces quelques
mots.
9
LXVI INTRODUCTION
avaient accueilli avec joie l'acte d'indépendance ac-
compli par un homme dont on ne pouvait suspecter
la fidélité à la cause protestante ^ Mais la partie
n'était pas égale. Soutenu par le Consistoire et les
ministres, Calvin reprit bientôt l'offensive, dispersant
à grands coups la petite phalange un instant réunie
autour de Falais.
Maintenant l'obscurité va se faire, toujours plus
profonde, sur les dernières années de la vie de Ja-
ques de Bourgogne, et Ton ne peut se défendre d'un
sentiment de regret en voyant cette intéressante
figure s'effacer et disparaître peu à peu dans l'indiffé-
rence et l'oubli .
Falais se trouvait encore à Veigy dans le courant
de 1 554, une année environ après le procès de Servet *,
mais l'horreur que dut lui inspirer le supplice du
malheureux Espagnol, l'isolement auquel il se voyait
condamné et les suspicions auxquelles il était en butte
finirent par lui rendre insupportable le voisinage de
Genève. Il quitta, pour n'y jamais revenir, la retraite
où tout avait semblé d'abord devoir lui assurer le
repos qu'il avait cherché vainement ailleurs, mais on
* Nous citerons parmi eux le ministre Philippe de Ecclesia,
Jean TroUiei et Jean Colinet, un ami de Castellion (voir
Roget, ouvr. cité, t. III, pp. 23 1 et suiv. ; Calvini opéra,
t. XIV, n» 1769). Plusieurs membres de l'église du pays de
Vaud fréquentaient aussi la maison de Falais : François de
Saint-Paul, ministre de Vevey, André Zébédée, pasteur de
Nyon, et Jean L'Ange, ministre de Bursin (Opéra, t. XIV,
n" i582 et 1769; Reg. du Conseil de Genève, vol. 46,
f» 194 r»),
• Lettres de Viret et Farel à Calvin, 12 juin i554 (Opéra,
t. XV, n" 1964 et 1966).
INTRODUCTION LXVII
ne saurait préciser ni l'époque de son départ, ni même
le lieu de sa nouvelle résidence ^ Si Falais est resté
en Suisse après avoir quitté Veigy, c'est à Bâle,
croyons-nous, qu'il dut retourner. Il y avait, en effet,
bien des motifs pour l'engager à demander asile une
seconde fois à la cité hospitalière et tolérante qu'il
regrettait sans doute d'avoir abandonnée pour se rap-
procher de Genève *. Nous ne pensons pas toutefois
1 Au dire de Pontus Heuterus (Rerum Burgundiarum libri
IV, pars II, Genealogiœ), Jaques de Bourgogne serait mort
à Strasbourg, mais l'examen de ce texte montre que l'auteur
a interverti l'ordre des résidences successives de Falais.
Celui-ci, d'après Jules Bonnet (Lettres françaises de Calvin),
se serait fixé à Berne après l'affaire de Bolsec; M. Bonnet a
voulu dire sans doute : sur les terres de Berne, c'est-à-dire à
Veigy, où Falais était d'ailleurs établi, comme nous l'avons
vu, plusieurs années avant le procès.
' A l'appui de cette hypothèse, peut-être ne serait-il pas
hors de propos de signaler un recueil protestant, les Dixains
catholiques, dont le seul exemplaire aujourd'hui connu se
trouve décrit au catalogue de LigneroUes, 2* partie, n» 1418.
Publié sous la date de 1 56 1 et à l'adresse de BernardinWilmach
à Bâle, ce petit volume est dédié à M" de Falais, par un nom-
mé Jacques Estauge, l'auteur probable de la plupart des piè-
ces qui composent ce recueil. M"» de Falais, qu'Estauge, dans
sa dédicace, compare à Pallas et qu'il appelle la fleur de la
Hollande, celle dont la renommée s'est partout répandue et
dont le zèle chrétien a rehaussé le nom, ne peut être que
Yolande de Brederode. D'autre part, Estauge n'est pas un
inconnu: dès 1641, on trouve, dans les Archives de Bâle, la
mention d'un Hans Estauge, de Lyon, en allemand Kûndig,
imprimeur, qui doit être identifié avec le typographe bien
connu Jacob Kûndig alias Parcus, lequel exerçait encore à
Bâle, en i562. (Cf. Kôgler, Jahrbuch, der K. Preussischen
Kunstsamml. igio.) Mais il se pourrait que le volume de la
collection LigneroUes ne fût que la réimpression d'une pre-
mière édition publiée à l'époque du séjour de Falais à Bâle en
1 547 et 1548 et aujourd'hui disparue. Cette supposition devien-
drait une certitude si, comme l'affirme l'éditeur des Lettres
LXVIII INTRODUCTION
qu'il soit mort à Bâle : la disparition d'un personnage
aussi marquant aurait laissé quelque trace dans cette
ville, et si téméraire que cette opinion puisse paraître
au premier abord, c'est dans les Pays-Bas que Jaques
de Bourgogne a dû, selon nous, passer les dernières
années de sa vie.
Il paraît avéré, tout d'abord, que Yolande de Brede-
rode ayant précédé son mari dans la tombe, celui-ci
épousa en secondes noces Elisabeth de Rymerswaal,
fille d'Adrien, seigneur de Lodyk, dont il eut une
fille, Jeanne de Bourgogne, morte à Cologne sans
alliance ^ Or il est difficile d'admettre que M. de Pa-
lais ait pu contracter ce nouveau mariage ailleurs
que dans le pays d'origine de sa seconde femme;
celle-ci, en effet, ne paraît pas s'être éloignée des
Pays-Bas, puisque, après la mort de Jaques de Bour-
gogne, elle se remaria elle-même à Baudoin de
Juliers, seigneur de Bergen '.
Il n'est pas non plus inutile de rappeler que c'est
en Hollande, où ils avaient été longtemps conservés,
que furent retrouvés, vers le milieu du siècle dernier.
de Calvin à Jaques de Bourgogne, publiées en 1744, Yolande
de Brederode est morte en iSSy.
1 Anselme, ouvr. cité, t, I, p. 263. — D'après les renseigne-
ments que nous devons à l'obligeance de M. Victor Vander
Haeghen, archiviste de la ville de Gand, la famille Rymers-
waal ou Romerswaal est originaire de la Zélande, province
de la Hollande où se trouve l'ancienne petite ville de Rci-
merswaal ou Romerswaal, mais elle a résidé aussi dans les
Pays-Bas du sud.
* Anselme, ubi supra.
INTRODUCTION LXIX
les originaux des lettres de Calvin à son ancien
ami*.
D'ailleurs, les circonstances politiques s'étaient
sensiblement modifiées depuis que Falais avait quitté
la Belgique en fugitif : Charles-Quint avait déposé
la couronne en i555; la régente, Marguerite de
Parme, et le cardinal de Granvelle avaient dû, pour
un temps, céder à l'opposition résolue des Etats;
l'inquisition n'avait pu s'établir, les persécutions re-
ligieuses s'étaient ralenties et, dans les provinces du
Nord tout au moins, le parti de la réforme, plus
nombreux chaque jour, était devenu assez puissant
pour que le gouvernement dût compter avec lui.
Quelques années encore, et les Provinces-Unies,
soulevées contre l'oppression espagnole, engageront
la lutte héroïque où elles finiront par conquérir leur
indépendance.
Las d'errer de lieu en lieu, entraîné par le désir
de se rapprocher de son pays natal après tant d'an-
nées d'isolement et d'exil, protégé d'ailleurs par la
puissante famille des Brederode *, entouré des sym-
pathies de la noblesse et de la nation, sinon même
assuré du consentement tacite de la régente. Jaques
de Bourgogne a donc pu terminer sa carrière en Hol-
> Voir l'avertissement des Lettres de Calvin à Jaques de
Bourgogne, Amsterdam, 1744, in-8, et Calvini opéra, t. X,
prolégomènes.
' Yolande était la tante du célèbre Henri de Brederode,
chargé en 1 566, par la noblesse des Pays-Bas, de remettre à
Marguerite de Parme la requête dont le rejet entraîna la
guerre des Gueux et l'indépendance des Provinces-Unies.
LXX INTRODUCTION
lande après l'abdication de Charles-Quint et avant
l'arrivée du duc d'Albe. Peut-être quelque document
exhumé des archives de ce pays viendra-t-il un jour
confirmer nos suppositions ; il faut, pour le moment,
se borner aux conjectures.
On a prétendu ^ que Falais avait fini par se détourner
de la doctrine des réformés et par renoncer à leur
église. C'est là une affirmation toute gratuite, fondée
sur l'interprétation inexacte d'un passage de la vie
de Calvin par Nicolas Colladon et judicieusement
réfutée, dès le xviii« siècle, par l'éditeur des Lettres
de 1744. Que dit, en effet, le biographe du réforma-
teur? Simplement que Jaques de Bourgogne et sa
femme prirent occasion de l'affaire de Bolsec pour
se retirer « de la doctrine de cette église », c'est-à-
dire de l'église de Genève, et Colladon n'a pas pré-
tendu autre chose. Si M. de Falais avait réellement
abandonné le protestantisme, c'est en termes d'une
autre énergie que l'écrivain genevois eût dénoncé
l'apostat. De leur côté, les historiens catholiques
auraient-ils négligé de signaler cette victoire et de
célébrer le retour de la brebis égarée ? Or, les uns
gardent au sujet de Jaques de Bourgogne un silence
complet, les autres* n'en parlent que comme d'un
homme mort étranger à la communion romaine.
D'ailleurs, tout ce que nous savons de Jaques de
Bourgogne, de la fermeté de son caractère, de la
profondeur de son sentiment religieux, doit faire
* Bayle, Dictionnaire, art. Philippe de Bourgogne, rem. 9.
* Pontus Heuterus, ubi supra.
INTRODUCTION LXXI
écarter résolument la possibilité d'une telle palinodie.
Malgré les désillusions et les injustices, il dut s'atta-
cher à sa foi en raison même de tout ce qu'il avait
souffert pour elle, et il est mort comme il avait vécu,
fidèle aux croyances pour lesquelles il avait sacrifié
sa fortune, sa position et le repos de sa vie.
n Ce n'est pas d'ordinaire, a dit un historien *, sauf
« d'honorables exceptions, dans les rangs de l'aristo-
« cratie qu'il faut chercher les confesseurs de la foi .
n Les faveurs qu'il faut dédaigner et les richesses
« qu'il faut perdre sont un sérieux embarras au mar-
« tyre. » Jaques de Bourgogne constitue précisément
l'une de ces exceptions et c'est pourquoi son souvenir
mérite de vivre dans la mémoire de ceux que ne
laissent pas indifférents le courage moral, la droiture
de conscience et l'attachement inébranlable à une
grande cause.
» Rodolphe Reuss, Destruction du Protestantisme en Bo-
hême.
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
L n'est guère de livre imprimé au xvi« siècle,
sur l'exécution duquel on possède autant de
détails que sur celle de ce mince volume. La
correspondance de Calvin avec Jaques de Bourgogne
renferme à cet égard des renseignements précieux et
leur intérêt pour l'histoire de l'édition elle-même,
comme pour celle de la typographie, mérite de nous
arrêter quelques instants.
Voici d'abord la description de l'exemplaire de la
bibliothèque de Bessinge :
EXCVSE DE II NOBLE SEIGNEVR || lAQVES DE BOURGOI-
GNE, S. Il de Fallez & Bredam : pour se purger vers
la II M. Impériale, des calomnies à luy imposées, || en
matière de sa Foy, dont il rend cÔfession. S. l. n.
d. [Genève, Jean Girard, 1 547 J, pet. in-4 de 49 pp.
10
LXXIV NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
chifFr. et 3 pp. non chifFr., signât. A-E par 4 et F par
6 fF. Lettres rondes.
Le titre est orné d'une vignette représentant les ar-
mes de Jaques de Bourgogne, lesquelles se blasonnent
comme suit : au i et 4, de Bourgogne moderne ; au
2, de Bourgogne ancien party de Brabant ; au 3, de
Bourgogne ancien party de Luxembourg, et sur le
tout, de Flandres. L'écu est sommé d'un heaume
timbré d'une chouette au naturel.
Au v° du titre se lit un passage tiré d'Isaïe lix :
« La vérité est defFaillie : & celuy qui s'est retiré du
« mal, a esté exposé en proye. » Le texte' commence
sans titre de départ à la p. 3 et se termine à la p. 49.
Les pp. [5o-5i] renferment un avis aux Lecteurs,
daté du I" mars 1548, et la p. [52] est blanche.
Ce fut Calvin lui-même qui rédigea le titre du
livre * et il fait, au sujet du mot Excuse, cette remar-
que intéressante pour l'histoire de la langue : « Le
mot d'apologie n'est pas usité en français. »
Les armoiries et le passage d'Isaïe furent joints au
texte sur la demande de Falais *.
Il avait eu tout d'abord l'intention de faire impri-
mer sa défense à Strasbourg, mais Calvin lui ayant
représenté que l'exécution risquait d'en être entravée
par les difficultés politiques dans lesquelles cette ville
se trouvait alors ', il se décida, sur le conseil du ré-
formateur, à recourir aux presses genevoises *.
* Opéra, t. XII, n* 944.
» Calvin à Falais (Ibid., n* g3^).
» Ibid., n» 883. — Voir plus haut, p. 40-41.
* Ibid., n" 918, 934 et 970,
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE LXXV
L'imprimeur auquel l'édition fut confiée n'a pas
apposé son nom à l'ouvrage, mais il suffit d'en exa-
miner les lettres ornées et les caractères pour y recon-
naître ceux de Jean Girard, le typographe ordinaire,
pendant nombre d'années, de Calvin, de Viret et de
Farel K
L'édition fut tirée à huit cents exemplaires, dont
cent pour l'imprimeur. Calvin en fit parvenir direc-
tement une cinquantaine à diverses personnes, entre
autres à Renée de France, duchesse de Ferrare, et en
expédia quatre cents à Falais, alors à Bâle ; le solde
fut laissé à Genève*. Les frais de l'impression s'éle-
vèrent à sept écus, soit, en tenant compte de la va-
leur de l'argent au xvi^ siècle, à environ cent soixante
francs de notre monnaie actuelle*.
Les armoiries qui ornent le titre furent faites « en
plomb *, c'est-à-dire gravées, sans doute, sur métal
d'imprimerie, ce qui explique l'aspect terne et usé
de répreuve, malgré le chiffre assez restreint du ti-
rage. Le graveur reçut trois florins de Savoie « c'est
à dire testons », soit à peu près quinze francs. Une
première planche, exécutée très probablement sur
1 Sur Jean Girard et son matériel typographique, voir nos
Arrêts du Conseil de Genève sur le fait de l'imprimerie et de
la librairie, de ib^x à i55o, Genève, iSgS, in-8, pp. 19 et
suiv.
' Calvin à Falais, 23 nov. 1647 ®t '4 janv. 1548 {Opéra, t.
XII, n" 979 et 991).
3 VExcuse renfermant 52 pages, la feuille d'impression
de 16 pages, petit in-8, reviendrait ainsi à une cinquantaine
de francs, c'est-à-dire à un prix qui ne s'éloigne guère de ce
qu'il est aujourd'hui.
LXXVI NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
bois, n'avait pas rencontré l'approbation de Calvin
qui, trouvant les dimensions mal adaptées au format
du volume, fit recommencer le travail ^
Mais ce qu'il importe surtout de remarquer, c'est
que l'édition ne parut pas d'abord telle exactement
que nous la connaissons d'après l'exemplaire de Bes-
singe. Une lettre adressée par Falais ', le 29 jan-
vier 1548, au Sénat de Strasbourg, nous apprend en
effet que le volume avait été primitivement publié
sous la rubrique de cette ville et au nom de l'impri-
meur Wendelin Rihel, ce dont le Sénat avait témoigné
son mécontentement. Ces indications devaient se
trouver sur le titre et au dernier feuillet, puisque
Falais, dans sa lettre, offre de remplacer l'un et
l'autre. Avant de faire paraître son livre sous le nom
de Strasbourg, il avait eu soin toutefois de consulter
Bucer et de le prier d'obtenir l'agrément des magis-
trats. La réponse dut être d'abord telle que Falais
pouvait la désirer, car celui-ci, après avoir offert
lui-même au Sénat un exemplaire de VExcuse, n'hé-
sita pas à se couvrir auprès de lui de la réponse de
Bucer, mais il est probable que les conséquences de
la bataille de Mùhlberg et le triomphe de Charles-
Quint, en contraignant les Strasbourgeois à redou-
bler de prudence, les avaient engagés à changer d'avis
au moment de l'apparition du volume.
En tout cas, l'imprimeur sous le nom duquel l'édi-
tion était pubHée avait certainement donné son assen-
' Calvin à Falais {Opéra, t. XII, n" 967 et 991),
' Jbid., n* 993.
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE LXXVII
timent à cette mesuré, puisque à roccasion du solde
laissé à Genève, Calvin écrivait à Falais : « Du reste,
« nous adviserons. Car mesme il est expédient qu'il
« en sorte de la main de Wendelin affin de prévenir
« les calomnies *. » Le réformateur avait donc l'in-
tention de faire parvenir à Rihel un certain nombre
d'exemplaires, afin de légitimer ainsi la rubrique du
titre.
Il est permis de supposer également que le volume
primitif, bien qu'imprimé à la fin de 1547, portait
la date de 1 546 ; on ne peut guère, en effet, expliquer
autrement ce passage de la lettre de Falais aux magis-
trats de Strasbourg : « Je ne vois pas en quoi mon
« écrit assez modéré peut faire tort au nom de votre
« ville, alors qu'il paraît publié* il y a près de deux
« ans, à une époque où elle n'était l'objet d'aucune
« animosité, et dans le temps que je me trouvais
« parmi vous. »
D'autre part, l'exemplaire de la bibliothèque de
Bessinge ne présente aucune souscription et n'offre
d'autre date que celle de l'avis aux lecteurs, i" mars
1 548, postérieure de deux mois à l'achèvement de
l'impression de l'ouvrage.
Il est donc certain qu'une partie tout au moins
des exemplaires a subi après coup des changements
assez notables, et voici ce qui a dû se passer : Vou-
lant dater sa défense de l'époque du procès de Ma-
lines, M . de Falais, qui se croyait assuré de l'assen-
* Opéra, t. XII, n» 979 (23 décembre 1547).
> c ... quum ante annos paene duos editum videatur. »
LXXVIII NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE
timent des autorités de Strasbourg, publia d'abord
VExcuse, sous cette rubrique et avec l'indication de
l'année 1546. Dans cette forme primitive, le volume
ne contenait pas l'avis aux lecteurs, daté de 1548.
Mais, devant les réclamations inattendues des ma-
gistrats de Strasbourg, Falais dut faire disparaître du
titre de son livre le nom de cette ville ; le but qu'il
s'était proposé ne pouvant dès lors plus être atteint,
il se décida à supprimer aussi l'indication antidatée
de 1546 et à joindre au texte de sa défense l'avis du
i" mars 1548, destiné à expliquer les causes du re-
tard apporté dans la publication.
Si l'on ne trouve, dans la correspondance de Cal-
vin, aucune allusion aux plaintes des Strasbourgeois,
c'est que celui-ci se trouvait à Bâle précisément à
cette époque ^ Falais eut donc l'occasion de traiter la
question avec lui. C'est à Bâle que l'avis aux lecteurs
dut être rédigé et le réformateur put, dès son retour,
faire exécuter les changements adoptés pour les
exemplaires demeurés à Genève.
* Soit dans le courant de février. Voir plus haut, p. 47.
«^^r»
EXCVSE DE
NOBLE SEIGNEVR,
I A Q^V ES DE BOVRGOIGNE. S.
de Falkz & Brcdam; pour fe purger vers la
M. 1 inperiale,des calomnies à luy impofees,
en matière de fa Foy, dont il rend coteflîon.
lESA. LIX.
La vérité est deffaillie : & celuy qui
s'est retiré du mal, a esté ex-
posé en proye.
IRE, si i'auoye à choisir, ie
aymeroye bien mieux m'em-
ployer à vous faire quelque
seruice, qui vous fust agréa-
ble, que de vous occuper à
ouyr m es-^ excuse s, pour me
purger vers vostre maiesté |du blasme^qui m'a
esté imposé à tort, pour me mettre en vostre in-
dignacion. Combien qu'il n'y a pas vn blasme
seul : mais les maluueillans, à ce que i'entens,
m'ont chargé de toutes calomnies dont ilz se
sont peu aduiser. Or puisqu'il leur est licite de
mesdire de moy sans cause : c'est bien raison,
pour le moins, qu'il me soit donné lieu de dé-
fendre mon innocence. D'estre accusé, c'est
vne chose commune aux bons et aux mau-
uais : parquoy d'assoiriugement là dessus, sans
ouyr partie, et estre bien informé de tout le fait :
ce seroit vne procédure trop inique : et de telle
conséquence, qu'il n'y auroit homme au mon-
de, qui ne fust incontinent condamné : veu
qu'il ne s'en trouueranul si iuste, auquel défail-
le accusateur. Or vostre prudence donques, et
équité, Sire, me donne bonne confiance, que
quand ie supplieray vostre maiesté de me par-
donner, si ie la fasche, estant contreint par l'im-
portunité de mes ennemiz : et de me donner
A 2
11
4 EXCVSE
audience en ma bonne cause, que ie ne seray
refusé en vne requeste tant raisonnable.
Il est vray, qu'il ne m'aduient rien main-
tenant, que n'ayent expérimenté tous les serui-
teurs de Dieu par cy deuant. Et sans aller plus
loing, c'a esté depuis que l'Euangile a esté reue-
lé au monde, la condition générale quasi de
tous les Chrestiens, d'estre subietz à beaucoup
de calomnies. le laisse à dire les crimes énor-
mes qu'on leur a imposé, pour les diffamer, et
emflamber contre eux la haine des princes, et
de tout le monde : car le propos seroit trop
long à desduire : et les histoires en sont assez
cogneues. Tant y a que Sathan n'a pas moins
persécuté la Chrestienté de mensonges, inuen-
tant telles fauses diffamations : que par cruau-
té et violences. Que si le temps passé l'impu-
dence des iniques s'est desbordée à mentir con-
tre les seruiteurs de Dieu : c'est auiourdhuy
plus que iamais. le n'entens pas des Payens, qui
sont ennemiz ouuertz de l'Eglise, et de la Foy
Chrestienne : mais de ceux mesmes qui font
profession d'icelle. Ce qui n'est pas nouueau
non plus : car comme les Prophètes et Apo-
stres n'ont senty nulles langues plus venimeu-
ses, que des hypocrites de leur propre nation,
qui en se glorifiant d'estre du peuple de Dieu,
ne
EXCVSE O
ne pouoyent souffrir la vraye doctrine, par la-
quelle leurs vices estoyent redarguez : aussi main-
tenant il n'y a nulz plus enragez à mesdire des
vrays Chrestiens, que ceux qui en faisant sem-
blant d'adhérer à l'Eglise, veulent maintenir tous
les abus qui sont manifestement repugnans à la
parolle de Dieu : et par ce moyen ne peuuent
ouyr parler d'aucune reformation. Incontinent
donc qu'ilz voyent quelque homme de bon
zèle, qui désire que les choses se réduisent en
meilleur estât : il est dégradé par eux, plus que
s'il auoit commis cent crimes mortelz. Et
comme i'ay dit ilz n'ont nulle honte de controu-
uer toutes sortes de blasmes, où il n'y a nulle
couleur n'apparence, moyennant qu'ilz puis-
sent opprimer l'innocent. l'en pourroye allé-
guer beaucoup d'exemples, qui ne sont que
trop communs. Mais quand il plaira à vostre
maiesté, Sire, d'entendre bien ma cause à la vé-
rité : vous en aurez vn exemple en moy, qui
vous suffira pour tous.
Quant à moy, c'est bien raison que ie pren-
ne en patience si i'endure le semblable qu'ont
enduré les Prophètes et Apostres. Car ie ne
dois pas demander meilleure condicion, que
celle qu'ilz ont eue. Mais encor ma principale
consolacion est, que le filz de Dieu nostre re-
A 3
6 EXCVSE
dempteur et souuerain maistre, me précède
au mesme chemin. le seroye par trop délicat,
si ie refusoye d'estre en sa suite. l'oy ce qui m'est
dit par l'Apostre, qu'il nous conuient chemi-
ner par bonne renommée, et infamie. le voy
l'exemple de Moyse qui m'est proposé, de ne
point auoir en horreur l'opprobre du peuple
de Dieu : surtout i'oy l'exhortacion qui nous est
faicte, de sortir, pour accompagner nostre ca-
pitaine à l'ignominie de la croix. le considère
d'autre costé la recompense qui nous est pro-
mise, que si nous sommes anéantis auec luy,
c'est pour estre exaltez au Royaume de Dieu
son père, quand le temps sera venu. le ne dois
pas donc trouuer estrange d'estre humilié de-
uant les hommes, voire du tout abatu quand
mestier sera : ayant si bon et ample reconfort
pour me contenter, que cela m'est réputé à
honneur deuant Dieu et ses Anges. Et de fait
ie loue mon Dieu, que ie n'ay pas si mal proffité
en sa paroUe, que ie ne gouste ceste sentence,
laquelle nous a prononcé son filz : que nous
sommes bienheureux quand on detracte de
nous fausement à cause de luy. Parquoy i'ac-
quiesce volentiers à l'ordonnance de Dieu, et ne
demande point d'estre priuilegié plus que ceux,
desquelz ie ne suis pas digne de suiure les pas.
Mais
EXCVSE 7
Mais quand il plaira à vostre maiesté, d'ouir
les raisons qui m'ont contreinct à vous faire
l'excuse présente, ie croy que vous aurez occa-
sion d'approuuer la solicitude que i'ay, que
mon innocence vous soit cogneue. Première-
ment si ie sens que vous soyez offensé contre
moy, Sire, ie suis tenu, entant qu'en moy est, de
vous rendre raison de tout ce qui me sera im-
posé. Car outre ce que i'y suis obligé par le de-
uoir de nature, entant que ie suis vostre tres-
humble subiect dés ma naissance : la faueur et
humanité qu'il vous a pieu monstrer m'acce-
ptant dés mon enfance en vostre court, et la
bonne affection que m'y auez portée, augmen-
te encor ceste obligacion. Croyez donc. Sire,
que mon intencion est de mettre peine, que vo-
stre dicte maiesté se tienne contente de moy s'il
m'est possible, afin de m'acquitter enuers icel-
le, selon que ie dois par le commandement de
Dieu : et aussi que mon cœur y tend assez de
soymesmes sans contreincte. Car combien que
ie ne me sente en rien coulpable, si ne m'est-
ce pas vn petit regret, que d'estre aliéné de vo-
stre bonne grâce , non pour autre chose, sinon
que sur tout mon désir seroit de vous <:om-
plaire, quand il seroit en ma faculté.
Il y a vne autre raison, Sire, laquelle ne me
8 EXCVSE
permet point de dissimuler. C'est qu'il nous est
commandé de fermer la bouche aux mesdi-
sans, en procurant le bien non seulement de-
uant Dieu, mais aussi deuant les hommes.
Vray est que cela se doit faire par bonne vie et
irrépréhensible, c'est de nous porter tellement,
que ceux qui cerchent occasion de mal par-
ler : n'en trouuent point en toutes noz œuures.
Mais quand nous auons tasché de viure sans
reproche, s'il y en a de si impudens qui nous
diffament à tort, il est quelquefois bon de les
reprimer en maintenant nostre bon droit : afin
que le nom de Dieu ne soit point blasphémé
en nous. le ne dis pas que pour garder sim-
plement nostre bonne réputation, il nous soit
loisible de nous opposer aux calomniateurs.
Mais quand nous voyons que les blasmes
qu'ilz nous mettent sus, atouchent et bles-
sent l'honneur de Dieu, il n'est pas question de
nous taire : mais deuons constamment résister
entant que l'opportunité nous sera donnée.
Mesme il y a vne autre mauuaise conséquen-
ce, qui s'ensuiuroit de nostre dissimulacion
en cest endroit. C'est que beaucoup de gens
de bien pourroyent estre troublez à nostre oc-
casion, et par ce moyen fouruoyez du droit
chemin. Or il n'y a rien qui nous soit tant recom-
mandé
EXCVSE 9
mandé, que d'empescher tous scançiales. Telle-
ment qu'il me seroit imputé à cruauté deuant
Dieu, si par faute de remonstrer mon innocen-
ce, il y en auoit aucuns scandalisez de ce qui
me seroit mis sus iniustement.
La dernière raison est, de reprimer l'auda-
ce de telz calomniateurs : afin qu'ilz n'entre-
prennent pas d'en faire autant à d'autres, com-
me ilz ont acoustumé d'estre d'autant plus har-
dis, qu'on les supporte patiemment. Si ce n'e-
stoit que pour moy, il me faudroit tenir quoy,
taschant de veincre le mal en douceur et béni-
gnité : et à l'exemple de nostre Seigneur Jésus,
selon que le Prophète Esaie le propose, fermer
nostre bouche. Mais quand ie cognois que ma
patience porteroit dommage à mes prochains :
ie dois preuenir ce dangier de tout mon pou-
uoir, et non seulement pour le temps présent,
mais aussi pour l'aduenir. Car les mensonges
ont cela, que si on les laisse couler, ilz prennent
vigueur : si on les rembarre, ilz tombent bas.
Non pas que ie me prise tant, que i'appete d'a-
uoir tesmoignage louable après ma mort, com-
me vn mémorial de moy au monde. Pleust à
Dieu que desia mon nom fust enseuely quant
aux hommes, et que celuy fust magnifié com-
me il appartient, lequel seul mérite d'esté renom-
B
10 EXCVSE
mé. Mon but est, que par ma faute il n'y ait
point vn mauuais exemple introduict «n ma
personne, qui nuise cy après aux bons : qu'on
voudroit accuser faulsement, comme s'il estoit
licite de mesdire de tous ceux qui sont patiens
à porter les iniures. Que si ie n'estoye con-
treint en ma conscience pour l'honneur de
Dieu, et pour la defence de sa parolle, pour sa-
tisfaire au deuoir que i'ay à vostre maiesté, pour
euiter le scandale qui en pourroit aduenir, et
pour restreindre l'insolence de ceux qui ne
sont que trop hardis à detracter sur les bons :
ie vous asseure, Sire, que ie n'aymeroye rien
plus, que de recommander mon innocence à
Dieu, lequel est protecteur des iustes causes,
me contentant du tesmoignage de ma con-
science, sans importuner vostre maiesté. Mais
d'autant qu'il me semble que i'ay monstre par
argumens sufïisans, que ie ne puis dissimuler
sans offence, encor que ie le vousisse faire : i'e-
spere que vostre maiesté ne me déniera point
audience fauorable pour iuger du faict, après
en auoir bien et deuement cogneu. Qui plus
est, il n'est pas expédient pour vous. Sire, qu'on
laisse passer sans dire mot, que vous soyez
mal informé par gens qui abuseront de l'accès
qu'ilz auront à vostre maiesté, sans qu'icelle
en
EXCVSE I I
en soit aduertie : et que remonstrances luy en
soyent faites en temps et en lieu.
Or pour venir à la cause que i'ay à déme-
ner par deuant vous, Sire, ie suis accusé d'a-
uoir tenu mauuaise secte et contraire à la foy
catholique : et pour cela m'estre party du pais,
creignant la punicion de mon oifence. Mais
deuant que d'entrer au poinct principal : i'ay à
respondre à quelques calomnies, qu'on a semé
de moy pour me rendre odieux, non pas tant à
vous, Sire, qui estes, comme ie croy, aucune-
ment aduerty du contraire : qu'à toutes gens de
bien qui n'ont pas telle cognoissance de moy, de
ma vie passée, et mon estât. Tant y a neant-
moins, que cela se porte avec couleur, comme si
vostre maiesté mesme en auoit telle opinion.
Et sont personnaiges, ausquelz il conuient mal
pour le lieu qu'ilz tiennent : et ne say pour-
quoy ilz me baissent, sinon qu'ilz veulent ac-
complir en moy ce qui est escrit : Hz m'ont eu
en haine sans cause. Le premier blasme dont
ilz me chargent est tant friuole, que s'ilz ne l'af-
fermoyent auec telle authorité, ie n'en daigne-
roye faire mencion. Mais quoy? si ie m'en tais,
il semblera qu'il en soit quelque chose. Hz sè-
ment vn bruit, qu'ayant dissipé mon bien, en
sorte que ie n'auoye plus dequoy entretenir
B 2
18
!I2 EXCVSE
mon estât : i'ay esté contreinct de tout laisser,
comme]"par Tetraicte honteuse, et abandonner
le pais, et que ce n'a pas esté pour le faict de la
religion Chrestienne. S'ilz parloyent ainsi sur
le lieu, il ne faudroit ia que i'ouurisse la bouche
pour redarguer leur impudence. Mais en e-
stant loing, ilz se donnent congé de forger tel-
les calomnies, pour me faire descrier deuant
qu'on ait loisir de sauoir la vérité. Or loué soit
Dieu, ie ne suys pas vn tel gouffre, que mon
bien ne fust assez suffisant pour me nourrir : et
ne suis pas si excessif en pompes superflues, qu'il
n'y eust dequoy pour y satisfaire. Quand ainsi
seroit que i'eusse tenu estât pardessus ma facul-
té, il n'est pas à présumer que sans autre con-
treinte, i'eusse mieux aymé quitter tout, que d'a-
baisser vn petit mon train. Au moins encores
le cas posé, que i'y fusse ainsi allé à la désespé-
rée, i'eusse vendu tout ce qui m'en restoit, pour
m'en seruir ailleurs. Quelle finesse seroit-ce,
qu'vn homme quittast son pais par despit, ou
par honte qu'il ne peut maintenir son estât, et
ce pendant laissast bonne quantité de biens,
dont puis après il eust faute? Et qu'ainsi soit
que i'aye laissé du bien suffisant pour entrete-
nir vne bonne maison, ceux qui ont faict vers
vostre maiesté poursuitte pour l'auoir, en ren-
dent
EXCVSE 1 3
dent assez tesmoignage. Et quant aux charges
qu'on pourroit obiecter estre dessus, elles n'e-
stoyent si confuses, que ie n'y eusse peu facile-
ment remédier, ne fust l'empeschement de
mon absence. D'auantage, i'ay vn bon tes-
moing en vous, Sire, qu'en cest endroit mes
ennemiz me diffament sans nulle apparence.
Car s'il n'eust tenu qu'à cela, il m'estoit licite
de viure honnorablement, et auec plus grande
sumptuosité, mesme en vostre court, que ma
nature n'appete. Car ie ne suis pas sorty d'vne
maison affamée : et n'ay pas si mal gouuerné le
bien qui m'a esté laissé par mes prédécesseurs,
qu'il ne me restast autre remède de couurir
ma honte, qu'vne fuitte ignominieuse. Qui
plus est. Sire, vous savez qu'estant proueu par
vostre maiesté d'vn estât qui n'est pas de petite
importance, ie I'ay franchement et libérale-
ment resigné, priant d'en estre deschargé : non
pas qu'il me fachast de m'employer à vostre
seruice, auquel ie ne laissoye pas d'estre pour-
tant : mais à cause que ie ne m'en pouoye pas
bonnement acquitter, comme i'eusse désiré.
Cela n'est pas signe d'vn homme, qui n'ait de-
quoy fournir à sa despense. Mais ce seroit sim-
plesse à moy de plus insister sur ce poinct, le-
quel il n'estoit pas nécessaire de toucher
B 3
14 EXCVSE
cnuers vostre maiesté : sinon pour l'aduertir,
combien elle doit adiouster de foy à ceux qui
vscnt de calomnies tant manifestes, sans auoir
regard à rien, qu'à me diffamer sans raison.
On a aussi fait voler vn autre bruit de
moy, lequel est sorty d'vne mesme fontaine :
c'est que i'ay adhéré, ou porté faueur à la secte
des Anabaptistes. le me déporte de nommer
les aucteurs, pource qu'il me fait mal qu'ilz se
deshonnorent ainsi : donnans occasion aux
gens de bien, de ne donner gueres de crédit
pour l'aduenir à tout ce qu'ilz diront. C'est
vne ruse trop commune, et dont les oreilles
des princes doyuent estre de longtemps si ba-
tues, qu'il n'y est point requis longue response :
d'appeller Anabaptistes ceux, qui ne consen-
tent point aux abuz communs : mais désirent
quelque bonne reformacion. C'est merueilles,
que tout ce qui se dit de nous, est prompte-
ment receu, encore qu'il n'ait nulle couleur de
vérité, si nous n'y respondons. Car si ie com-
prens toute ma défense en vn mot, qu'ilz me
font grand tort, m'imposant ce à quoy ie ne
pensay iamais : la cause sera bientost vuydée.
De tout droit et équité, c'est à eux à prouuer
leur dire : et n'y a rien si commun, que toute ac-
cusation défaillante en preuue, doit estre tenue
pour
EXCVSE 1 5
pour calomnie. Or quel signe allégueront ilz
contre moy de cela, qui emporte seulement la
moindre coniecture du monde ? le ne les en
crains point. Toutesfois, puis qu'il plaist à
Dieu, qu'ilz ayent cest auantage sur moy, que
ilz soyent creuz à leur simple dire : si ie ne
monstre le contraire, au moins que ie soye
receu à ceste condicion.
Premièrement donques ie dy, que onques
ne sortit parolle de ma bouche qui en donnast
souspeçon aucune. Et de fait, i'entens que c'est
vne chose tant lourde et absurde que leurs res-
ueries, qu'il n'y a nulz qui s'y abusent, que gens
ignorans. Or Dieu m'a fait la grâce d'auoir au-
cunement gousté les lettres : tellement que ie
puis voir et lire, comme i'y ay tousiours prins
plaisir, et m'y suis exercé depuis mon enfance.
Cela mesme a esté cause que i'ay eu communi-
cation auec gens de sauoir. Ainsi la porte e-
stoit fermée aux Anabaptistes, tellement qu'ilz
n'auoyent point d'accès à moy : encore qu'ilz
y eussent aspiré. D'auantage i'ay tousiours eu
leur secte en horreur : et quand il en a esté parlé,
i'ay bien monstre que i'en sentoye. le puis
nommer beaucoup de tesmoings dignes de
foy, qui ont esté presens, quand le propos en a
esté esmeu en ma présence, ou que moymesme
l6 EXCVSK
en ay parlé, si l'occasion s'y adonnoit, qui ont
ouy et entendu, combien i'estoye loing de fa-
uorizer à nul de leurs erreurs. Mesme pource
que i'entendoye, qu'ilz ont grand astuce de se
insinuer enuers les simples et idiotz : i'ay tous-
iours eu l'œil sur ma famille, de peur que ceste
peste n'y entrast, pour infecter ma maison. Car
telle opinion en auoye ie. Qu'on demande
aux Anabaptistes, s'ilz m'auoueront estre de
leur sequele. le ne doute pas qu'ilz ne fussent
bien ayses de s'en pouoir vanter : mais ilz n'ont
garde de se contenter de moy. le ne say si ceux
qui me prestent ce nom, leur eussent résisté
comme i'ay fait, quand ilz eussent esté en mon
lieu. D'austre costé, i'ay tousiours eu commu-
nication et amitié auec ceux qui estoyent enne-
miz de ceste secte : et me suis gouuerné en sor-
te, que tant les Anabaptistes, que ceux qui leur
sont contraires, eussent du premier coup ap-
perceu ce que ie dy. Et toutesfois ie ne regar-
doye pas à euiter ceste reproche. Car iamais ie
ne m'en fusse douté, mais i'en faisoye simple-
ment comme ma conscience le portoit.
Au reste, il m'est aduis que c'est quasi
temps perdu, de m'arrester plus à ceste matière.
Car ceux qui m'imposent ce crime, sauent
bien que i'en suis pur : et cependant que leur
bou-
EXCVSE 1,7
bouche me condamne, leur conscience m^ab-
sout. Hz n'ont nulle couuerture, ne grande ne
petite, pour colorer leur calomnie. Et puis
c'est vne vieille chanson, et trop vulgaire, d'ap-
peller Anabaptistes tous ceux qui désirent que
les corruptions, qui sont auiourdhuy en la
Ghrestienté, soyent corrigées. Comme ainsi
soit, qu'il n'y en ait nulz moins approchans
de ceste secte. Parquoy il me suffira. Sire, d'a-
uoir en brief monstre à vostre maiesté, qu'aussi
bien en cest article on a cerché de me diffamer
sans qu'il y eust dequoy. Dont elle pourra voir,
combien il est nécessaire d'enquérir deuement
sur le reste dont on me charge, pour en iuger
equitablement et en vérité.
Ces deux calomnies vuydées, ie viens au
poinct principal. Sire, à l'occasion duquel i'en-
tens qu'on m'a mis en l'indignacion de vostre
maiesté. Or pour plus facile déduction : ie le
distingueray en trois parties. La première,
quant à la vie que i'ay menée, estant au pays. La
seconde sera, de la cause et manière de mon
partement, et des lieux de ma retraicte. La trois-
iesme, de la foy que i'ay tenue, et en laquelle ie
perseuere maintenant par la grâce de Dieu.
Quand vous ferez bonne inquisition sur
ma vie, Sire, il ne se trouuera pas, que ius-
C
l8 EXCVSE
ques icy ie ne vous aye tousiours esté bon et
loyal subiect. le puis protester deuant Dieu,
que ie l'ay esté d'affection pure et droite. Quant
aux hommes, les œuures en rendent tesmoi^
gnage. Jamais n'y est venu trouble de moy. Ja-
mais vous n'auez esté fasché. Sire, d'aucune
querele à mon occasion : mais ay vescu paisi-
blement en vostre obéissance. Et encore à pré-
sent, nonobstant qu'on m'ait aucunement mis
hors de vostre bonne grâce : si ne laisse ie pas de
porter affection telle à vostre maiesté, que Dieu
le me commande. Mesme la plus grande tristes-
se et regret que i'aye, c'est que vous ne cognois-
sez mon cœur, et la vérité du fait, qui vous
pourroit contenter, comme i'espere.
Au reste, si en vous rendant le deuoir de
vn bon et humble subiect, i'ay eu en recom-
mandacion de seruir à Dieu selon la cognois-
sance qu'il m'auoit donnée : ie croy que cela
ne me sera pas imputé à crime enuers vostre
maiesté. Attendu mesme, que combien qu'en
ma conscience i'estoye contreint de condam-
ner beaucoup d'abuz, qui régnent auiour-
dhuy en l'Eglise, et que par ce moyen ie ne m'y
peusse accorder: toutesfois ie n'ay rien attenté
contre voz commandemens et défenses, mais
me suis tellement porté, qu'il n'y est sorty nul
Scan-
EXCVSE 19
scandale de moy, ne mauuais exemple.
Il y a vn seul poinct qu'on me reproche,
que j'auoye fait venir quelque prescheur : et
que ie le fis conduire. Enquoy certes, on me
charge à tort. Car iamais il ne vint à ma solli-
citation ny adueu : et ne se trouuera pas, qu'il
ait eu conduite de moy. Si ie l'auoye fait : ie
regarderoye comment, et par quelles raisons ie
m'en deuroye excuser vers vostre maiesté. Mais
ie puis testifier deuant Dieu, que le fait n'est
pas tel qu'on dit : et quand on voudra enquérir
de la vérité iusques au bout, j'en seray d'autant
plus iustifié. En somme, i'ay tellement vescu,
pendant que ie demouroye au pays, que ie ne
seray pas accusé de rébellion, ne desloyauté en-
uers vous. Sire, ny de lascheté enuers aucun, ou
de crime quel qu'il soit. Qui plus est, du temps
que i'estoye encore de vostre maison, vous a-
uez jugé que ma vie estoit plus conuenable à
vn homme retiré en vn cloistre par deuocion
qu'à vn homme suyuant la court. Tant s'en
faut que i'aye esté adonné à vne façon de viure
deshonneste, ou entachée de quelque crime di-
gne de reprehension. Si en l'obseruation des
cérémonies, et aux façons de faire, qui sont au-
iourdhuy communes en la Chrestienté, plus-
tost par abus, que parvray vsage, ie n'ay conten-
G2
18
20 EXCVSÈ
té tout le monde : ce n'est pas à dire, que sur ce-
la on doyue assoir iugement, sans sauoir pour-
quoy. Si est ce que ie n'ay rien attenté pour
changer ne troubler l'ordre qui estoit receu et
obserué au lieu : mais paisiblement, et sans
bruit, i'ay tasché de tellement satisfaire à ma
conscience, que la police ne fust en rien bles-
sée. Quant à ma Foy que ie tenoye, ie reserue
d'en dire cy après en son lieu. Ainsi pour tout
ce temps là, ie ne pense point auoir donné oc-
casion à nul de reproche ne querele.
La seconde accusation qui se fait contre
moy, est de mon partement : laquelle ie ne puis
purger sans ramenteuoir à vostre maiesté. Si-
re, ce qui ne luy a pas esté incogneu : et ra-
conter le reste, qui n'est pas venu iusques à la
cognoissance d'icelle. Estant en volenté de
me marier, combien que ie me deliberoye de
prendre femme de la maison de Brederode (la-
quelle est aussi subiette de vostre maiesté) et
par ce moyen ne rien faire qui vous vint à des-
plaisir : toutesfois deuant que rien conclurre,
ie vous en demanday congé, ne voulant rien
entreprendre que ie ne fusse auparauant cer-
tain, vous estre agréable. Le mariage accom-
ply, ie croy que vostre maiesté n'aura pas trou-
ué estrange, que i'aye fait résidence pour quel-
que
EXCVSE il
que temps au lieu ou i'estoye allié, attendu mesme
l'indisposition de ma santé. Car i'estoye pour lors
continuellement maladif. D'auantage, i'estoye
au lieu ou vous m'auiez permis de prendre fem-
me, asauoir auprès de monsieur le conte Guil-
laume de Nuenar oncle de ma femme : lequel
outre ce qu'il est subiect de vostre maiesté im-
périale, s'est tousiours monstre fidèle seruiteur
d'icelle. Combien que ie ne m'arrestoye pas là :
mais alloye et venoye selon que ma commo-
dité le portoit, et que les affaires de nostre
maison le requeroyent, pour l'accord et ap-
pointement de mes frères et de moy : dont mes-
mes il pleut à la maiesté de la Royne vostre
sœur, et à ceux de vostre conseil s'en mesler
tellement, que ie laissay toutes choses en bon-
ne concorde et tranquillité, ayant plus de regard
à euiter procez et differens, qu'à cercher mon
singulier proffit : neantmoins cependant me re-
tiroye pour la plus part en ma maison de Fal-
lez, ou i'habitoye plus volentiers qu'en lieu em-
prunté. Et de fait, ie n'eusse iamais choisy autre
demeure que sur mon bien, s'il m'eust esté per-
mis d'y viure à repos. Vray est qu'on prenoit
occasion de me fascher et molester sur ma fa-
çon de viure : mais ce n'estoit pas qu'elle fust
meschante ou vitieuse. Seulement pour ce que
C 3
22 EXCVSE
ie m'abstenoye de communiquer aux supersti-
tions qu'on estime cérémonies de l'Eglise, les-
quelles ie sauoye estre répugnantes à la parolle
de Dieu : il y auoit tout plein de bruit, que ie
tenoye vne secte à part : et, comme il en adulent
coustumierement, les vns presumoyent que ie
cachoye beaucoup plus en mon cœur, que ie
n'en faisoye le semblant : les autres adioustoyent
beaucoup plus qu'il n'y en auoit. Estant en ce-
ste perplexité, que i'eusse esté contreint d'offen-
ser Dieu pour complaire aux hommes : ie n'a-
uoye rien plus expédient, que de m'oster vn pe-
tit de deuant les yeux de ceux, qui ne se pouo-
yent tenir de murmurer contre moy. Qui plus
est, i'auoye de mes parens qui me molestoyent
auec vne telle violence, que ie n'estoye point
en seureté voire chez moy de nuict, si ie n'eusse
volu tenir bon par force. Or i'eusse beaucoup
mieux aymé mourir, que d'auoir monstre appa-
rence d'émotion, la moindre qu'on sauroit dire,
l'entens bien la réplique qui se peut icy
faire, qu'il n'est pas vray semblable, que ie fusse
ainsi persécuté sans cause, voire des miens pro-
pres : secondement qu'en ce cas ie deuoye plus-
tost auoir recours à vostre maiesté. Sire, que
d'abandonner le pays. le respons, que toute
la cause estoit, d'autant que i'aymoye plustost
obéir,
EXCVSE
23
obéir à Dieu, que de m'accommoder au plaisir et
fantasie des hommes. Le remède estoit de me re-
tirer à vostremaiesté, si i'eusse espéré y auoir au-
dience. Mais il m'estoit facile de présumer, que
ceux là mesme qui me tormentoyent en la mai-
son, vous auoyent tellement abbreuué de mau-
uais rappors : que iamais vous n'eussiez eu la
patience de m'escouter, estant préoccupé de
l'opinion qu'ilz vous auoyent persuadée. loinct
aussi que i'entendoye bien, qu'il n'y auoit
pas grande espérance de trouuer nulle équité
enuers ceux, ausquelz vous auez accoustu-
mé de remettre la cognoissance de telles
causes. Car sans enquérir plus outre, ilz
tiendront incontinent pour condamnez ceux
qui ne s'accordent point à leur phantasie :
comme ilz le monstrent assez sans dissimuler.
Tellement que la raison n'y a point de lieu. le
vous supplie. Sire, me pardonner, si ie vous
declaire simplement la vérité de mon faict,
sans rien desguiser par simulacion. Et ie croy
que voyant de quelle affection i'y procède,
vous n'en serez point offensé contre moy. C'est
bien raison que chascun chemine selon la me-
sure de la cognoissance, qui luy est donnée de
Dieu. Tellement que tant plus que nous co-
gnoissons le bien et le mal : tant moins y a il
24 EXCVSE
d'excuse, si nous ne suyuons l'vn, et fuyons l'au-
tre. Quand i'allegueray que i'auoye esté aduer-
ty par la parolle de Dieu, qu'en la forme qu'on
tient auiourdhuy à seruir à Dieu, et qu'on ensei-
gne estre bonne et saincte, il y a beaucoup à re-
dire : tellement qu'en me conformant à icelle,
i'eusse offensé mortellement mon Dieu au lieu
de le seruir : ie supplie derechef vostre maiesté,
que cela ne me soit pas imputé à outrecuidan-
ce. Ce n'est pas que ie voye plus clair que les au-
tres, que i'aye l'esprit plus aigu, que ie les sur-
monte en prudence, que i'aye esté plus aduisé
pour consyderer le tout. le ne m'attribue rien
de tout cela. Plustost ie recognois et confesse
mon imbécillité estre telle, que ie n'y fusse ia-
mais paruenu de mon esprit naturel, ne de
mon sens acquis. Mais il a pieu à mon Dieu
par sa bonté infinie me monstrer le chemin
que i'auoye ignoré, non pas pour faire du grand
docteur : mais pour le suyure en humilité. Ain-
si, ce que les autres font par bon zèle en igno-
rance, ce seroit rébellion à moy de le faire, de-
puis que i'ay cogneu la volenté de Dieu. Le
tout gist en vn poinct, Sire. C'est que Dieu veut
estre seruy selon sa parolle, nous défendant de
ne rien attenter de nostre teste, ne d'adiouster
à ce qu'il nous demande, quant à la reigle et fa-
çon
EXCVSE 25
çon de le bien seruir. Or est-il ainsi, que le serui-
ce de Dieu, qui est auiourdhuy en vsage com-
mun, a esté pour la plus part, inuenté des hom-
mes sans aucune approbation de Dieu. Qui
plus est, il y a beaucoup de choses pleinement
répugnantes à ce qui nous est commandé en
l'Escriture saincte. Et ce qui a quelque fonde-
ment en icelle, est si transfiguré, qu'à grand pei-
na y recognoit on nulle similitude. le prote-
ste, que quand il m'eust esté permis de seruir
Dieu purement, selon ses commandemens, et
m'abstenir des supersticions qu'il reprouue,
sans faire esmeute, ne scandale : mais en gou-
uernant paisiblement ma famille en sa crainte
et subiection, m'acquittant aussi cependant en-
uers vostre maiesté de l'office d'vn bon subiect :
que i'eusse réputé cela pour vn bien singulier,
et n'eusse rien plus désiré que d'habiter au pais.
Et le tout deuement enquis, je ne crains pas
que ceste protestation ne se trouue vraye. En
faute de cela, i'eusse aussi réputé à vn bien singu-
lier, que vostre maiesté m'eust octroyé audien-
ce, pour luy remonstrer comme la chose al-
loit. Mais pource que i'entendoye bien, comme
i'ay desia dit, que ceux qui me persecutoyent en
ma maison, n'auoyent pas failly de vous ani-
mer contre moy : i'aymoye mieux me deppor-
D
a6 EXcvsE
ter de toute excuse, en me retirant, que de vous
estre importun. D'auantage, ie veoye comme
l'accez m'estoit fermé par ceux, qui en cer-
chant plustost le proffit de leur bourse, ou l'ad-
uancement de leur crédit, que vostre bien et sa-
lut : ne cessent d'enflamber vostre maiesté con-
tre tous ceux, qui osent ouurir la bouche pour
taxer leurs abuz, ou mesmes qui osent mon-
strer par signes, qu'ilz n'y veulent point partici-
per. S'il m'eust été loisible. Sire, de vous en de-
clairer ce que i*en auoye en mon cœur, ie me
fusse tenu bienheureux. Et non pas tant pour
mon excuse, que pour ma descharge du deuoir
que i'ay enuers vous. Car ie suis obligé, tant par
le deuoir commun de tous voz subiectz, que
par le serment que ie vous ay fait de fidélité : si
i'apperceuoye chose qui fust à vostre détri-
ment, de mettre peine que vostre maiesté en
fust aduertie. Or creignant de n'estre ouy, pour
vous aduertir et remonstrer, combien la façon
de seruir Dieu, qui est auiourd'huy commune
au monde, est corrompue et pleine de beaucoup
de pollucions, ayant esté mal introduite, et
sans fondement, mesme que la porte m'estoit
quasi fermée à cela, pour la persuasion qu'on ,
vousauoit donnée du contraire : ie suis descendu
au remède qui estoit le plus prochain : c'est de
mon-
EXCVSE 17
monstrer par mon partement, que ie ne vouloye
nullement consentir à telz abuz, ou faire sem-
blant d'approuuer les superstitions, lesquelles
ne peuuent sinon prouoquer l'ire de Dieu, sur
tous ceux qui y communiquent. Parquoy,
Sire, combien qu'on vous ait fait trouuer mau-
uais, que ie soye party sans dire pourquoy : i'es-
pere qu'en brief vous ne serez pas mal content
de mon faict, mais plustost m'en saurez bon
gré. Cependant ie me console deuant Dieu,
d'auoir esté le premier de vostre noblesse, qui
aye fait telle déclaration sans parler : de ne point
vouloir adhérer aux choses qui se commettent
tant contre l'honneur de Dieu, qu'au grand
preiudice de vostre maiesié. Tant y a, que l'in-
tention dont i'y ay procédé, m'exempte de tout
blasme : et le fait en soy, à mon aduis, ne me
doit estre imputé à crime, ou faute.
Il reste de reciter ou a esté ma retraite, et
comment ie me suis gouuerné par tout ou i'ay
esté. Si ie me fusse transporté en pays d'enne-
miz, il y auroit occasion de parler contre moy :
mais ie suis venu premièrement en vostre ville
impériale de Couloigne, ou i'ay vescu sans
scandale : tellement que ie ne sache auoir don-
né occasion à nul de se pleindre, ou mesconten-
ter de moy. Qui plus est, monseigneur l'arche-
D 2
14
iè EXCVSE
uesque et Electeur prince du pays, ayant enten-
du de ma conuersacion : m'a monstre plus d'hu-
manité et de faveur, que le n'eusse pas osé requé-
rir, et a continué de ce faire iusques au partir.
Qui est bien signe que mon portement n'y a
esté que bon et louable. Car ie croy. Sire, que
vous receurez bien la faueur d'vn tel Prince
enuers moy, pour tesmoignage qu'il ne m'a pas
cogneu de mauuaise sorte. Quant aux gou-
uerneurs de la ville, i'espere qu'ilz n'en fe-
ront que bon rapport. Delà estant pressé de ma-
ladie, pour cercher les bains que les médecins
me conseilloyent, n'ayant chemin plus pro-
pre que par le Rhin, pour euiter tant le cheual
que le charroy : ie suis venu iusques à Stras-
bourg, qui ne doit pas estre tenu pour lieu e-
strange : veu que c'est l'vne de voz principales
citez impériales. Quand ie seroye à Paris, ou à
Venise, encor n'en seroye-ie pas condamné,
comme ayant commis grande offense. Par
plus forte raison, il me doit bien estre loisible
d'habiter soubz la iurisdiction de vostre Em-
pire.
Neantmoins, Sire, c'est la raison surquoy
vostre court de Malines principalement, s'est
fondée : saisissant mes biens en vostre nom, et
faisant puis après autres procédures contre
moy.
EXCVSE 29
moy. Mais vostre maiesté peut iuger, si c'est fon-
dement suffisant, pour me poursuyure en telle
rigueur. Vray est, qu'il y a là aussi deux autres
raisons alléguées auec : assauoir, que contre vo-
stre défense expresse, ie party de vostre ville de
Couloigne, peu deuant vostre arriuée. Et,
quand il vous a pieu me mander, que i'eusse à
me retirer de la ville de Strasbourg, que ie n'en
suis bougé, et qu'en cela ie me suis monstre du
tout désobéissant. Du premier, Sire, ie vous en
pense auoir satisfait par lettres : attendu que
l'excuse, que ie vous en faisoye, estoit si raison-
nable que rien plus : et la trouueriez vraye, quand
il vous plairoit d'enquérir du temps de mon
partement. Car les médecins, après auoir tenté
tous les remèdes qui estoyent en leurs mains,
m'auoyent ordonné les bains. Et consyderant
ma débilité, ou i'estoye desia tombé, estant ab-
batu par la longueur de la maladie, m'auoyent
conseillé de me haster tant que possible me se-
roit, de peur que ie ne fusse preuenu : ayant es-
gard aussi à ma foiblesse, auoyent conseillé de
prendre le chemin plus aysé, et moins pénible.
Qui fut cause que ie choisy le cours du Rhin,
le party donc de Couloigne, estant contreint
de nécessité fort vrgente, comme i'ay dit. Et de
ce temps là, ie n'estoye pas aduerty de vostre vo-
D 3
30 EXCVSE
lente, Sire. Quelques iours après que ie fus arri-
ué à Strasbourg, ie receu les secondes lettres,
qu'il vous auoit pieu m'escrire : par lesquelles
me commandiez d'attendre vostre venue à
Couloigne. De retourner, il n'y auoit ordre.
Car i'estoye si battu du chemin, que i'ay esté i-
cy arresté tout plat, au lict par longue espace
de temps : voire qu'on n'y attendoit plus de vie.
C'est chose bien notoire, que le changement
m'eust esté mortel, deuant qu'auoir fait deux
iournées. Voyla donc. Sire, comme ie n'ay pas
desobey, en sorte que ce soit, au commande-
ment de vostre maiesté, partant de Couloigne.
Car pour lors ie n'auoye receu nulles lettres, ne
mandement exprès de demourer, qu'après le
fait, comme il m'est facile de le prouuer, quand
ie seroye admis à ce faire.
Quand est du second : il vous pleust. Sire,
m'enuoyer un gentilhomme de vostre maison
auec lettres de créance : lequel se dit auoir char-
ge de vostre maiesté, de sauoir comment ie me
portoye : la cause qui m'auoit meu de venir, et
que i'auoye délibéré de faire : item, m'aduertir
des souspeçons mauuaises qu'on auoit de
moy touchant ma Foy, et que i'eusse à m'en
purger par deuant vostre maiesté. Il vous a
peu rapporter. Sire, la disposition en laquelle il
me
EXCVSE 3l
me trouua. Ce tesmoignage suffira pour véri-
fier ce que l'en ay dit cy dessus. Car si de ce
temps là, commençant à me releuer en santé,
i'estoye encore si débile : de là il estoit aysé de
iuger, combien i'auoye esté bas, quand la mala-
die estoit en sa force. Que ie partisse d'icy au
dangier eminent de ma vie, ie croy que ce n'e-
stoit pas vostre intention, Sire : et me tiens en-
core tout persuadé, que quant au poinct de la
demeure que ie faisoye pour adonc à Stras-
bourg, vous ne fustes pas mal content contre
moy : voyant que la maladie m'y tenoit lié, sans
qu'il fust en ma puissance de me mettre en che-
min, ny mesme d'aller aux bains, comme il me
auoit esté conseillé. Parquoy il est tout eui-
dent qu'il n'y a eu nulle rébellion ne mespris,
pour offenser vostre maiesté : comme vostre
court de Malines présuppose, que i'aye esté re-
belle en différant de partir d'icy. Car où la fa-
culté n'est point, on ne peut iuger du vouloir.
Or il est ainsi, que depuis ce temps là, ie n'ay
point eu la puissance de sortir de ma maison
seulement, sans m'incommoder.
Mais le principal, et dont tout le reste dé-
pend, est la purgation que vostre maiesté m'a-
uoit commandée : qui est aussi le troisiesme ar-
ticle, que i'ay proposé traiter, et qui sera la con-
32 EXCVSE
clusion de toute ma cause. Car quand on me
impose les blasmes que i'ay touchez en pas-
sant, cy dessus, ce n'est pas qu'on m'en accuse
enuers vostre maiesté. Et aussi il n'y a nulle cou-
leur, pour vous induire à y adiouster foy. Par-
quoy la seule offense qui vous peut irriter con-
tre moy, Sire, est que vous ayez souspeçon mau-
uaise de la Foy que ie tiens. Or vous sauez, que
par le mesme gentilhomme, ie taschay à vous
en satisfaire : vous couchant vne brieue som-
me de la confession de ma Foy : en laquelle ie
ne desguisoye rien, pour en dire de bouche au-
trement que ie n'en pensoye en mon cœur. Il
est bien vray que ie ne faisoye pas vne longue
déduction des matières, et ne dechifroye pas
chascun article par le menu, comme il ne me
sembloit pas aduis qu'il en fust mestier. Si est
ce qu'elle ne contient rien, qui ne soit confor-
me à la vraye Chrestienté : et me peut seruir de
protestation, que ie ne demande qu'à seruir
Dieu en pure simplicité selon sa paroUe. Or
vostre court de Malines, Sire, prononce, que
par là ie me suis aliéné du tout de la Foy catho-
lique, le ne suis pas mené de ceste folle ambi-
cion, d'appeter qu'on me repute homme sa-
uant. Mais ie m'esbahy de ce qu'ilz ont trouué
en ma confession, pour la condamner ainsi.
Car
EXCUSE 3 S
Car ie n'y dy rien que tous les Prophètes, et A-
postres, et Martyrs, qui ont iamais esté, n'ayent
protesté de croire. Ainsi ie ne say qu'ilzy trou-
uent tant à redire : sinon d'autant que ie n'y ap-
prouue point les erreurs que ie suis contreint
de reietter, si ie ne vouloye contredire à Dieu.
Si n'est-ce pas pour condamner si rudement
vne doctrine que i'ay commune auec tous les
fidèles, qui ont iamais esté en l'Eglise de Dieu.
De vostre costé, Sire, i'espere qu'elle aura esté
mieux receue. Mais pour ce que ie n'en suis pas
certain : et que i'ay délibéré de vous exposer
tout le fait de ma cause, sans aucune dissimu-
lacion : il ne faut pas que ie deffaille au poinct
principal. Seulement ie supplie, que comme ie
n'y procède, ny en malice, ni en arrogance, ny
en hypocrisie : qu'il plaise à vostre maiesté d'a-
uoir la pacience de m'ouyr, iusques à ce que ie
aye declairé en brieues parolles, en quelle Foy
j'ay vescu par cy deuant, et entens de mourir,
tant qu'il plaira à Dieu me conduire par son
sainct Esprit, qui sera, comme i'espere, en la vie
et en la mort.
Il n'y a cause de si petite importance, de
laquelle il soit licite de iuger deuant qu'auoir
cogneu. Or si nous auons crainte de Dieu, et
portons reuerence à sa maiesté : ceste cause me
E
34 EXCVSE
rite plus diligente inquisicion, que nulle autre.
Car il est question de la doctrine de Dieu, en
laquelle consiste son honneur, et le salut de noz
âmes : laquelle est le sceptre spirituel du souue-
rain Empire de nostre Seigneur lesus, par la-
quelle le fruit de sa mort et passion nous est di-
stribué : laquelle est la reigle de nostre vie, et
par laquelle nous serons vne fois tous iugez,
grans et petis.
le vous supplie humblement, Sire, qu'il
vous souuienne que c'est l'vn de voz plus o-
beissans subietz, qui se présente deuant vostre
maiesté : lequel estant descendu de maison ho-
norable, et s'estant honnestement porté tout le
temps de sa vie, en sorte qu'on ne luy peut faire
reproche de nulle faute, est seulement accusé
d'vn cas : c'est qu'il n'est pas adhérant à la Foy
catholique, mais tient quelques mauuaises o-
pinions à part. le confesse bien que c'est vn
grand crime et énorme. Mais puis que ie me
présente à vous exposer comment ie suis accu-
sé à tort, qu'il vous plaise me donner audience,
iusques à ce que vous ayez bien cogneu, et
meurement consyderé, comme il en va.
Or pour ce qu'on voit iournellement par
expérience, qu'à cause des corrupteles qui ré-
gnent au monde, plusieurs choses sont trou-
uées
EXCVSE 55
uées estranges et nouuelles, combien qu'elles
soyent de Dieu, prinses de sa parolle : ie suis con-
treint, deuant que passer outre, requérir à vostre
maiesté. Sire, de réduire en mémoire ce qui ne
vous est pas incogneu, ny à nulle personne de
sain iugement : c'est qu'il y a beaucoup d'abuz
auiourdhuy en l'Eglise Chrestienne, qui méri-
tent d'estre corrigez, et pour lesquelz Dieu est
courroucé sur le monde. le dy abuz, non pas
seulement en la vie des Prelatz et du Clergé, et
aux vices, qui ne concernent que leurs person-
nes : mais en superstitions et erreurs, dont le po-
ure peuple est séduit, voire mesme les plus
grans, iusques aux Princes. Car il est bien cer-
tain, qu'on a merueilleusement décliné de la pu-
ritéqui estoitdu temps des Apostres. Et mesme
que beaucoup de façons de faire vicieuses, ont
esté introduites depuis quatre ou cinq cens
ans, voire d'aucunes plus nouuellement.
Qu'il vous plaise secondement consyderer,
quel remord de conscience c'est à vn homme
d'y consentir, ou en faire le semblant, après
les auoir cogneues. Principalement quant à
moy, i'eusse d'autant esté plus pressé du iuge-
ment de Dieu, pour ce qu'il y a desia long-
temps que i'en ay eu quelque aduertissement.
Car dez l'aage de quinze ou seize ans, ie com-
E 2
ié EXCVSÈ
mençay à gouster quelque peu de ce, que Dieu
m'a depuis reueié par sa grâce plus pleinement.
Pour quelque espace de temps, cela est demeu-
ré comme enseuely : neantmoins Dieu, par sa
bonté infinie, n'a pas permis qu'il fust aneanty
du tout : mais plustost a monstre que c'estoit
vne clarté suffoquée, et non pas esteinte. Par-
quoy estant derechef admonnesté de ce qui en
estoit, il falloit bien que je résistasse à Dieu,
ou que je fisse valoir l'intelligence qu'il m'a-
uoit donnée. C'est la sentence de nostre Sei-
gneur lesus, que le seruiteur sachant la vo-
lenté de son maistre, et ne la faisant pas, sera
puny au double. Et nous la practiquons iour-
nellement entre nous. Ainsi i'eusse esté plus
grieuement coulpable, faisant contre ma cons-
cience, que ceux ausquelz Dieu n'a pas encore
tant ouuert les yeux. Car ce qui est igno-
rance en eux, eust esté rébellion en moy. Il
me semble que cela m'est pour excuse légi-
time, à ce que ie ne soye mesuré à la reigle
des autres : puis que leur condicion est diuer-
se à la mienne. Ce que ie dy, non point par
vanterie : mais seulement à ce que vostre ma-
iesté cognoisse. Sire, que i'ay marché selon
que ma conscience me poussoit deuant Dieu,
estant fondée en sa parolle, comme il est requis,
et
EXCVSE 3-7
et que nulle témérité ne m'a incité à m'aduan-
cer plus que les autres. Au reste, ie ne suis pas
tant adonné à mon sens, que ie ne soye tousiours
prest de renoncer à moymesme, pour suyure
ce qui me sera remonstré selon Dieu, Car
i'entens bien, que comme c'est l'office d'vn
Chrestien de se tenir constamment à la vérité
de Dieu : aussi est-ce pareillement de se ren-
dre docile à ceux, qui luy remonstrent par
raison, qu'il a failly.
Pour le commencement, ie proteste, comme
i'ay desia fait, que ie croy et reçoy sans au-
cune doute, tout ce qui est contenu tant en la
saincte Escriture, qu'en la créance des Chresti-
ens, qu'on appelle le Symbole des Apostres : et
que ie ne suis entaché de nulle hérésie condam-
née en l'Eglise ancienne, mais les déteste toutes.
Suyuant la reigle qui nous est donnée en
l'Escriture, i'adore vn seul Dieu, ne transférant
point aux créatures l'honneur qu'il s'est reser-
ué à luy seul : et l'adore en la façon qu'il le com-
mande, non point en ma phantasie. Item, ie re-
cognois que de luy procède tout bien, toute
sagesse, vertu, iustice, et tout ce qui est louable :
tellement que luy seul mérite d'estre glorifié.
le cognois que nous deuons desdier toute no-
tre vie à son seruice : le seruans, non pas selon
E3
38 EXCVSE
noz propres inuentions, mais selon ses sainctz
Commandemens.
D'autre costé, je recognois que nous som-
mes si malheureux, qu'au lieu de luy obéir,
comme nous sommes tenuz, nous ne faisons
que contreuenir à sa volenté : et que cela vient
de la corruption que nous auons de nostre pre-
mier père Adam, lequel s'estant destourné de
Dieu, nous a tous ruynez avec soy.
Ainsi, ie recognois que dés le ventre de ma
mère, nous sommes tous coulpables de la
mort éternelle, pour le péché que nous appor-
tons auec nous : et que Dieu nous peut tous
iustement condamner.
D'auantage, que nostre nature est si vitieu-
se et peruerse, que nous sommes aueuglez en
nostre entendement : et que nostre cœur est
mauuais, si qu'il ne peut sortir de nous que
mal : et quelque apparence de bien et de vertu
que nous ayons, que tout n'est qu'abominati-
on deuant Dieu, cependant que nous demou-
rons en nostre naturel.
Mais Dieu par sa bonté infinie, regardant
à nostre poureté, et considérant que c'estoit
vne maladie incurable, sinon que le remède
vint de luy : a eu pitié de nous, en nous secou-
rant par son filz nostre Seigneur lesus Christ,
EXCVSE 39
l'enuoyant pour rédempteur, afin que par son
moyen tout ce que nous auons perdu en A-
dam, nous fust restitué.
le recognois donc, que nostre Seigneur
lesus, suyuant la fin pour laquelle il a esté en-
uoyé en ce monde : nous a reconcilié à Dieu
son Père, par sa mort et passion, abolissant noz
péchez, afin qu'il n'y eust rien qui nous em-
peschast de luy estre agréables.
Apres, qu'il est aussi venu pour nous afran-
chir par la grâce du sainct Esprit, de la seruitu-
de du péché : ce qu'il fait, quand il mortifie en
nous le viel homme : c'est à dire la peruersité
de nostre nature, pour nous régénérer.
Ainsi i'entens, qu'estans retirez de l'abys-
me de mort, nous sommes receuz en la grâce
de Dieu par sa bonté gratuite : et sommes repu-
tez iustes au nom de lesus Christ, non point
par noz mérites. Qu'après auoir esté acceptez
ainsi de Dieu pour ses enfants, que nous som-
mes faitz participans de la grâce du sainct E-
sprit, pour nous gouuerner en son obéissance.
Et ce, par le moyen de nostre Seigneur lesus.
Et pource que viuans en ce monde, nous
défaillons tousiours, et sommes bien loing de
satisfaire à nostre deuoir : par la mesme grâce
de nostre Seigneur lesus Christ, Dieu sup-
40 EXCVSE
plée les defautz qui sont en nous, en les nous
pardonnant par sa miséricorde : tellement que
nous auons tousiours besoing de la remission
de noz péchez, iusques en la fin.
Pourtant, ie constitue toute la fiance de mon
salut en nostre Seigneur lesus Christ : ne dou-
tant point qu'il ne me soit vn bon gaige et seur,
de l'amour paternel que me porte Dieu son
Père : luy attribuant le tout sans rien imaginer
de moy, ne de ma vertu.
Or i'entens, que nous receuons par Foy
lesus Christ, et toutes ses grâces, quand nous
croyons fermement, que tout ce qui nous est
testifié de luy en l'Euangile, est vray. Ainsi par
Foy nous entrons en possession de nostre salut :
comme il nous est présenté en l'Euangile.
Cependant ie recognois, que ceste Foy doit
estre conioincte auec repentance, pour viure
sainctement et en bonne conscience : et que
c'est vn abuz de prétendre la grâce de Dieu
pour auoir licence de mal faire, voire vn blas-
phème exécrable, contre Dieu et son Euangile,
veu que nous sommes appeliez en grâce, pour
seruir à sa gloire, en toute saincteté.
I'entens donc, qu'il nous conuient en nous
humiliant, attribuer la louange de nostre salut
à la bonté de Dieu, qu'il nous a faite par le
moyen
ËXCVSÉ 41
moyen de son filz, et appuyer là toute nostre
confiance : mais que nous ne sommes point
participans d'vn tel bien, qu'en nous réduisant
à Dieu, pour faire fruictz de bonnes œuures et
sainctes. Et défait, que iamais l'vn ne nous est
donné sans l'autre.
Sur ce fondement, i'inuoque vn seul Dieu,
et ay tout mon refuge à luy, au nom de son
filz qu'il nous a donné pour médiateur et
aduocat : me confiant que par ce moyen, i'au-
ray tousiours accès à sa maiesté. Et I'inuoque
après auoir désiré l'aduancement de son règne :
tant pour luy demander pardon de mes offen-
ses, que son assistence, pour me conduire à
bien, et me retirer du mal : consequemment
pour me subuenir en tout ce qui m'est
expédient, tant au corps qu'à l'ame. Et non
seulement pour moy, mais aussi pour les autres,
selon qu'il nous commande et ' enseigne en
l'Escriture.
le tiens les saincts Sacremens en telle re-
uerence, comme tous Chrestiens les doiuent
tenir. Du Baptesme, ie recognois que c'est le
tesmoignage, et le seau du lauement, que
nous auons par le sang de. lesus-Christ, et de
la regeneracion que nous auons par son sainct
Esprit. Et que là nous auons pleine asseuran-
F
41 EXCVSE
ce de la grâce de Dieu, et consequemment de
la vie éternelle, tant pour nous que noz en-
fans.
Je recognois qu'en la Gène, soubz les signes
du pain et du vin, nous receuons vrayement le
corps et le sang de lesus Christ : d'autant
qu'estans icy en terre, nous montons par Foy
au ciel iusque à luy : et par la vertu secrète
de son esprit, il se conioinct auec nous pour
nourrir spirituellement noz âmes de sa sub-
stance : afin qu'en communicant à luy, et estans
membres de son corps, nous soyons faictz par-
ticipans de tous ses biens.
le recognois, que ces deux Sacremens se doy-
uent administrer en l'église, par ceux qui en
sont députez ministres : et que l'vsage nous en
est requis à tous, selon la capacité d'vn chas-
cun.
le recognois que tous fidèles doyuent garder
l'vnité de l'église, hors laquelle il n'y a point
de salut : et que c'est vn crime mortel deuant
Dieu, de faire secte à part, ou diuision.
Item : Que comme il y a vne église vniuer-
selle, en laquelle tous les fidèles sont com-
prins : qu'aussi en tous lieux il y doit auoir des
églises particulières comme membres d'icelle,
ausquelles tous Chrestiens se doiuent congre-
ger
EXCVSE 43
^er pour prier Dieu, faire protestation de leur
Foy, receuoir les Sacremens, et ouyr les ser-
mons.
Item, que pour euiter confusion, il faut qu'il
y ait des prelatz et pasteurs, qui y président
pour gouuerner le peuple : et que c'est vn ordre
inuiolable, comme il a esté institué de nostre
Seigneur.
le confesse qu'on leur doit porter honneur et
leur obéir, quand ilz exécutent fidèlement leur
charge : entant que cela est obéir à Dieu, du-
quel ilz portent la doctrine. Et encore qu'ilz
fussent vitieux en leur vie, et dissoluz : que ce
n'est pas à chascun particulier de les reietter,
iusques à ce qu'on y ait proueu par bon ordre.
Item, que pour entretenir bonne police,
il est expédient, qu'il y ait des ordonnances
conuenables à Testât et disposition de chas-
cune Eglise. Et comme l'authorité appartient
à l'Eglise, de les faire et establir : aussi que tous
s'y doyuent renger d'vn accord : moyennant que
elles n'y soyent point faites pour lyer les con-
sciences, mais seulement par forme de police,
et que toute supersticion et tyrannie, en soyent
exclues.
Pareillement, qu'il conuient se conformer
aux cérémonies, qui seruent à l'ordre et hon-
F2
44 EXCVSE
nesteté, et sont vtiles à l'instruction du peu-
ple, afin que tout se face par bon accord. Mais
s'il y a des cérémonies contraires à l'honneur
de Dieu, et à sa doctrine, comme celles qui con-
tiennent idolâtrie manifeste : qu'elles doyuent
estre abolies.
Voyla, Sire, en somme la Foy que i'ay te-
nue, et en laquelle ie perseuere, sans que i'y dis-
simule rien. le croy qu'en icelle, vostre maiesté
iugera, que je n'y procède qu'en simplicité, sans
affection aucune de me monstrer. Comme à la
vérité, ie n'ay prétendu dés le commencement
à autre but, que de cheminer simplement en la
creinte de mon Dieu. Et auiourd'huy ie puis
protester auec sainct Paul, qu'il n'y a autre fon-
dement du blasme qu'on me met sus, sinon
d'autant que i'espere au Dieu viuant. Car ie
n'estime pas, qu'en la confession que i'ay icy re-
citée, il y ait ne blasphème, n'erreur contre la
Chrestienté : puis qu'il n'y a rien qu'à la gloire
de Dieu.
Au reste, c'est chose toute notoire, qu'au-
iourd'huy quasi par toute la Chrestienté, mesme-
ment au pays ou i'auoye à viure : la pure vérité
de ceste doctrine est fort corrompue. D'autant
qu'on magnifie la vertu et les mérites des hom-
mes, contre la grâce de lesus Christ : d'autant
que
EXCVSE 4b
que la remission gratuite des péchez, est anéan-
tie par la doctrine des satisfactions : qu'au lieu de
monstrer au peuple ou il doit fonder l'asseuran-
ce de son salut, on luy commande d'estre tous-
iours en doute et en suspend : que la Foy est
tournée en opinion et en cuider : qu'au lieu de
la vraye pénitence, qui gist en ce qu'on renon-
ce à soymesme, pour se renger en l'obéissance
de Dieu, on amuse le poure monde à quelques
exercices corporelz et externes. Au lieu d'a-
dresser les hommes à lesus Christ, pour auoir
accès à Dieu le Père en toutes leurs prières : on
les enuoye confusément à sainctz et à sainctes.
En sorte (comme le prouerbe commun le te-
stifie) qu'on n'y cognoist Dieu pour les Apo-
stres. Item, que pour tout seruice de Dieu, on
ne presche qu'inuentions humaines, folle-
ment introduites : contre ce qui est dit. Qu'en
vain on se tormente d'honnorer Dieu, selon
les traditions des hommes. D'auantage, que
tout le vray service de Dieu, qui est spirituel, y
est renuersé : par ce qu'on le cuide appaiser, et
contenter de cérémonies externes.
Autant et plus en puis ie dire de l'ad-
ministration des Sacremens, et de toutes les
façons de faire, qu'on obserue aux temples.
Car ce qui est le principal aux Sacremens, de
F3
4$ EXCVSE
faire entendre au peuple qu'ilz signifient,
quel mystère ilz emportent, pourquoy ilz
sont ordonnez : est là omis, et enseuely du
tout, et n'y fait on que barbotter en langue
incogneue. Et mesme il n'est pas permis d'en
donner l'intelligence à tous. Ainsi, au lieu
que les Sacremens doyuent estre exercices,
pour nous renuoyer à nostre Seigneur lesus
Christ, afin de cercher en luy la remission de
noz péchez, la grâce du sainct Esprit pour
nous régénérer, et tout ce qui concerne no-
stre salut : par faute qu'il n'y a nulle declaraci-
on, le commun peuple, voire qui plus est, les
mieux entenduz, s'abusent aux signes visibles,
et y arrestent la fiance de leur salut. Qui est v-
ne peste mortelle. Puis après on a tant adiou-
sté, et meslé à ce qui a esté institué de Dieu,
que tout est plein de fictions humaines. Qui
pis est, on a changé les ordonnances de Dieu
en façons estranges : tellement qu'il n'y a rien
de semblable. Il y a d'autre costé des supersti-
cions beaucoup, et idolâtries toutes manife-
stes : esquelles il n'est pas licite à l'homme Chre-
stien de communiquer. Aux oraisons et leta-
nies qui se font aux temples, il y a des blasphè-
mes contenuz, que tous Chrestiens, en estans
aduertiz, doyuent détester.
Quant
EXCVSE 47
Quant à l'obéissance que i'ay tousiours
rendue à vostre maiesté, i'en ay dit cy dessus.
Maintenant, ie proteste que ie l'ay fait en telle
sorte, que sainct Paul le commande : c'est à dire,
non pas de crainte d'estre puny, si ie faisoye le
contraire, mais pource que ie me sentoye estre
tenu à cela : et ainsi ce n'a pas esté par contrein-
te, mais de franche volunté. Car ie recognoy
les Princes pour ministres ordonnez de Dieu,
à gouuerner le monde : que leur estât est sainct
et honorable : pource qu'en exerçant vne œu-
ure de Dieu excellente, ilz sont comme ses lieu-
tenans. Qu'ilz ont le glaiue en la main, pour pu-
nir les mauuais, et maintenir les bons : et qu'ilz
en peuuent vser licitement : et mesme le doy-
uent faire. Que nous sommes tenuz à leur pa-
yer tributz, péages, impostz, et autres deuoirs,
pour supporter les fraiz qu'ilz font à nous
maintenir : que nous leur deuons obéir et estre
subietz, selon que Dieu leur a donné la préémi-
nence sur nous.
Or cependant, si ie me suis abstenu de me
polluer aux superstitions, qui contreuenoyent
à ma conscience (comme i'ay n'agueres touché,
qu'elles sont répugnantes à la vérité de Dieu)
et qu'en cela ie n'aye peu complaire à vostre
maiesté, Sire, comme l'eusse désiré : ie puis
F4
4S EXCVSE
neantmoins protester auec Daniel, que ie
n'ay commis nulle offense contre vous. Car
comme Daniel, n'ayant point obtempéré à l'c-
dict, que son Prince, estant mal informé, et à
l'instigation des mauuais conseilliers, auoit
publié, n'a pas laissé pourtant de luy rendre le
deuoir d'vn bon et loyal subiet en tout et par
tout : aussi quant à moy, ie pense auoir satisfait
à mon deuoir, puis que ie n'ay en rien forfait,
mais seulement me suis abstenu de ce qui ne
m'estoit point licite selon Dieu. Et mainte-
nant ie supplie vostre maiesté. Sire, qu'il luy
plaise receuoir ceste excuse. Car il n'y a rien
en ce monde qui me soit si dur à porter, que
d'estre en l'indignation d'icelle. Si ie me sen-
toye coulpable de l'auoir offensée, ie me presen-
teroye à toute punition, plustost que de viure
en tel regret et fascherie. Cognoissant qu'on
vous a irrité sans cause contre moy, ie ne say
que faire, sinon de vous supplier, qu'il vous
plaise cognoistre mon innocence. Priant
Dieu aussi, de vous manifester l'affection de
mon cœur : laquelle vous contenteroit. Sire, si
elle vous estoit bien cogneue. Pour le moins,
vous sauriez que iamais ie n'ay désiré qu'à me
gouuerner en la crainte de Dieu, soubz l'obéis-
sance de vostre maiesté : et que maintenant ie
n'ay
ËXCVSE 49
n'ay pas changé de propos. Que si par la grâce
de Dieu, vn tel bien m'est ottroyé, qu'après
m'auoir preste bénigne audience en la lecture
de ce mien escrit, vostre plaisir soit d'accepter
mes excuses : ie me reputeray bienheureux. Ce-
pendant ie me repose en ceste consolation,
qui n'est pas petite : que i'ay ma conscience pu-
re deuant Dieu et ses Anges, et que ie se-
ray trouué tel de fait deuant le mon-
de, quand on enquerra de
la vérité.
AVX LECTEVRS
!l y a enuiron deux ans, que i'auoye fait ceste
défense, en intention de la présenter à la maie-
sté Impériale pour me iustifier des calomnies,
qui m'auoyent faussement esté mises sus par mes mal-
uueillans : ou plustost ennemiz de la vérité de Dieu.
Mais il est suruenu plusieurs empeschemens depuis,
qui ont esté cause, que iusque icy elle n'est sortie de
mes mains. Car par l'espace d'vn an, i'ay esté battu de
grieue maladie, tellement que ie n'y pouuoye donner
ordre comme i'eusse bien voulu. Sur ce temps là aussi,
ou tantost après, il fut bruit, que l'Empereur deuoit pas-
ser à Strasbourg : auquel lieu ie faisoye ma résidence.
Qui estoit bonne occasion et propre, pour me présenter
à sa maiesté, auec ladite défense. Estant frustré de cest
espoir, d'autant qu'il print son chemin d'vn autre costé,
ie taschay qu'elle luy fust présentée à Regspourg, en la
iournée qu'il tenoit là. Et pour ceste fin la fis adresser
aux ambassadeurs des princes protestans, qui en eussent
volontiers prins la charge : sinon que desia ilz eussent
esté en doute, touchant les troubles de guerre, qui incon-
tinent après furent esmeuz. Cependant i'attendoye, que
les difTerens s'appoinctassent : et que Dieu par sa bonté
reduist tous les estatz de l'Empire en bon accord auec
le chef. Qui eust esté encore vne autre bonne opportu-
nité, pour auoir accez amiable à l'Empereur. Mais nous
voyons comme le mal continue, au grand regret de tous
ceux qui ayment la Chrestienté. Ainsi, il n'y a nul moyen
pour moy, d' auoir audience vers ledit Seigneur, pour luy
faire entendre mon innocence, et bon droit. D'autrepart,
il y en a plusieurs, qui par faute d'aduertissement, me
tiennent en mauuaise réputation : comme si le parlement
de Malines auoit eu quelque raison de me persécuter. Or
en cela non seulement mon honneur est blessé iniuste-
ment : mais qui plus est, ie seroye occasion de scandale
à plusieurs consciences infirmes, la saincte parolle de
Dieu seroit exposée à la moquerie des infidèles, et par
conséquent son nom blasphémé. C'est la principale cause,
qui
AVX LECTEVRS
qui m'a induit, voir mesme contreint, à faire publier
ladite défense. Car ie proteste, que ie n'ay pas tant
eu esgard à ma personne, comme à l'édification
commune de tous ceux, qui la pourront voir.
Si par ce moyen elle pouuoit aussi par-
uenir iusques à la maiesté Impériale, i'au-
roye dequoy louer Dieu encore plus
amplement. Toutesfois quoy
qu'il en soit, ie seray au-
cunement en repos,
de m'estre ac-
quité de
mon
deuoir.
Ce premier
iour de mars,
1548.
17
I
CÊ2J
TABLE
Avertissement v
Introduction.. vu
I. Origine de Jaques de Bourgogne. — Sa
famille. — Sa jeunesse xi
II. Falais se laisse gagner par les doctrines
de la Réforme. — Son mariage ... xv
III. Premières relations avec Calvin. — Falais
quitte les Pays-Bas et se rend à Cologne xxiii
IV. Falais à Strasbourg xxvii
V. L' « Excuse » xxxiii
VI. Falais quitte Strasbourg et s'établit à
Bâle xxxix
II TABLE
VII. Le château de Veigy xlvii
VIII. L'affaire de Bolsec. — Rupture avec
Calvin lui
IX. Dernières années lxv
Notice Bibliographique lxxiii
Excuse de Noble Seigneur, Jaques de
bourgoigne i
Avx Lectevrs .- 5o
Imprimé par
nPACHE-VARIDEL & "BRON
à Lausanne.