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Full text of "L'excuse de noble Seigneur Jaques de Bourgogne, Seigneur de Falais et de Bredam; réimprimée sur l'unique exemplaire de l'édition de Genève 1548"

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EJLiLV^S  E     DE 

NOBLE      SEIGNEVR, 

1    A   Q^V   ES     DE     BOVRGOIGNE.     S. 

de  Filiez  &  Brcdamrpour  fe purger  vers  la 
M.  Iinperiale,des  calomnies  à  luy  impofees, 
en  maciere  de  fa  Foy,  donc  il  rend  cotcffion. 


L'EXCUSE 

DE  Noble  Seigneur  Jaques  de  Bourgogne 
Seigneur  de  Falais  et  de  Bredam 


//  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  : 

Dix  exemplaires  sur  papier  surfin  du  Japon, 
numérotés  i  à  lo. 

Cinquante  exemplaires  sur  papier  de 

Hollande  van  Gelder, 

numérotés  1 1  à  60, 

et  cinq  cents  exemplaires  sur  papier  velin,  pur  fil, 
numérotés  61  à  5 60. 

N«    96 


C- 


L'EXCUSE 

DE  Noble  Seigneur  Jaques  de  Bourgogne 
Seigneur  de  Falais  et  de  Bredam 


JEAN  CALVIN 

réimprimée  sur  Punique  exemplaire  de  l'édition  de  Genève  1548 
avec  une  introduction 

par 

ALFRED    CARTIER 


DEUXIÈME    ÉDITION 

REVUE  ET  AUGMENTÉE 


GENEVE 
A.  JULLIEN,  ÉDITEUR   ' 


^^% 


32,  Botirg-de-Four,  32  ^^^5-^% 

1911  ^2>» 


C£^^ 


AVERTISSEMENT 


SUR    CETTE     NOUVELLE    EDITION 


;es  pages  qui  vont  suivre  ont  paru,  en  1896, 
dans  la  Bibliothèque  d'un  curieux,  créée 
par  Alphonse  Lemerre  à  Paris.  Cette  publi- 
cation étant  aujourd'hui  épuisée  et  ne  se  rencontrant 
pas  aisément,  nous  avons  pensé  qu'une  seconde  édi- 
tion serait  bien  accueillie  des  érudits  toujours  plus 
nombreux,  que  préoccupe,  en  dehors  de  toute  ten- 
dance confessionnelle,  la  portée  religieuse,  sociale  et 
littéraire  de  l'œuvre  de  Calvin. 

Le  volume  précédemment  publié  étant  plus  spécia- 
lement destiné  aux  bibliophiles,  nous  avions  dû 
consentir,  pour  ne  pas  excéder  les  limites  qui  nous 
avaient  été  assignées,  à  la  suppression  d'un  certain 


VI  AVERTISSEMENT 

nombre  de  développements,  notes  et  citations  que 
nous  avons  cru  devoir  rétablir  ici.  Ces  adjonctions 
nous  ont  paru  en  effet  de  nature  à  faciliter  les  recher- 
ches et  à  fournir  des  renseignements  encore  inédits, 
en  même  temps  qu'elles  accusent  plus  nettement  la 
personnalité  du  réformateur  et  la  nature  de  ses  rela- 
tions avec  Jaques  de  Bourgogne. 

Genève,  juillet  1911. 


INTRODUCTION 


'excuse  de  Jaques  de  Bourgogne 
appartenait  jusqu'ici  à  la  nombreuse 
catégorie  des  livres  dont  l'existence 
se  trouvait  établie  par  des  témoi- 
gnages incontestables,  mais  dont 
tous  les  exemplaires  semblaient 
avoir  disparu.  Dès  le  milieu  du  xviii^  siècle,  l'éditeur 
anonyme  des  Lettres  de  Calvin  à  Jacques  de  Bour- 
gogne^ n'avait  pu  se  procurer  l'ouvrage,  et  dans  leurs 
prolégomènes  du  tome  X  des  Calvini  opéra,  cet 
admirable  monument  élevé  à  la  gloire  du  réforma- 
teur, MM.  Reuss,  Baum  et  Cunitz  déploraient  l'inu- 


*  Amsterdam,  1744,  in-8. 


VIII  INTRODUCTION      . 

tilité  de  leur  enquête  à  cet  égard  '.  Seule,  la  traduc- 
tion latine,  qui  n'est  pas  due  à  la  plume  de  Calvin, 
avait  subsisté  en  quelques  rares  exemplaires,  et  c'est 
ce  texte  de  seconde  main  que  les  savants  théologiens 
de  Strasbourg  ont  dû  se  contenter  de  joindre  à  leur 
édition. 

Ce  livret  introuvable,  le  hasard  nous  a  permis  de 
le  découvrir  dans  un  recueil  de  pièces  du  xvi^  siècle 
faisant  partie  de  la  bibliothèque  de  M.  Henry  Tron- 
chin,  à  Bessinge*,  lequel  a  bien  voulu  nous  autoriser 
à  le  publier. 

Il  nous  a  paru  bon,  en  effet,  de  faire  connaître 
ï Excuse  de  Jaques  de  Bourgogne.  Demeurée  jus- 
qu'ici comme  inédite,  elle  n'en  mérite  pas  moins  de 
prendre  rang  parmi  les  œuvres  françaises  les  plus 
remarquables  du  réformateur.  Chacune  de  ces  pages 
porte  l'empreinte  de  sa  puissante  personnalité  et  ré- 
vèle, non  seulement  le  théologien  et  le  polémiste, 
mais  encore  le  grand  écrivain  et  l'un  des  maîtres  de 
la  langue. 

Il  nous  restait  à  raconter  la  vie  du  personnage  dont 
Calvin  a  plaidé  la  cause  avec  tant  d'éloquence.  Nous 


»  «  Nous  l'avons  cherché  —  nous  écrivait  le  professeur 
Reuss,  quelque  temps  avant  sa  mort  —  dans  tous  les  coins  de 
la  Suisse  et  de  la  France.  » 

*  On  sait  que  Théodore  de  Bèze,  dont  la  fille  adoptive, 
Théodora  Rocca,  avait  épousé  le  professeur  Théodore  Tron- 
chin,  laissa  à  ce  dernier  une  partie  de  sa  correspondance  et 
de  ses  livres.  Ce  sont  eux  qui  constituent  l'un  des  fonds  les 
plus  précieux  de  cette  célèbre  collection,  et  c'est  à  cette  pro- 
venance qu'il  y  a  lieu,  selon  toute  probabilité,  de  rattacher 
notre  volume. 


INTRODUCTION  IX 

nous  sommes  efforcé  de  marquer  plus  nettement 
qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici,  les  traits  de  cette  intéres- 
sante figure,  de  rechercher  les  origines  de  son  évolu- 
tion religieuse  et  d'en  suivre  le  développement.  Une 
conversion  sincère,  a  dit  un  auteur  contemporain, 
n'est-elle  pas  le  plus  passionnant  des  problèmes  mo- 
raux ?  C'est  par  là  en  effet  que  le  héros  de  V Excuse 
mérite  de  fixer  le  regard  et  d'être  compté  au  nombre 
des  plus  dignes  parmi  ceux  qui  ont  répété  le  mot  jeté 
par  le  moine  de  Wittemberg  à  la  face  des  Etats  de 
l'Empire  :  Je  ne  puis  autrement. 


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CHAPITRE  PREMIER 

ORIGINE    DE    JAQUES    DE    BOURGOGNE.  —  SA    FAMILLE. 
SA    JEUNE  SSE. 


JAQUES  DE  Bourgogne,  seigneur  de  Falais  et 
de  Bredam,  du  sang  de  France,  descendant 
de  saint  Louis,  arrière-petit-fils  de  Philippe 
le  Bon,  duc  de  Bourgogne,  serait  aujourd'hui  presque 
inconnu  de  l'histoire,  si  son  éclatante  séparation  de 
l'Eglise  romaine,  les  persécutions  qu'il  eut  à  subir 
pour  le  maintien  de  sa  foi  religieuse,  ses  relations 
intimes  avec  Calvin,  sa  rupture  enfin  avec  le  réfor- 
mateur, n'avaient  donné  quelque  relief  à  sa  person- 
nalité et  préservé  son  nom  de  l'oubli. 

Prince  d'humeur  galante,  Philippe  le  Bon,  bien 
que  marié  trois  fois,  ne  se  piqua  jamais  de  fidélité 
conjugale.  Il  eut  un  grand  nombre  d'enfants  natu- 
rels, dont  plusieurs  furent  légitimés,  et  en  bon  père 
de  famille,  il  ne  négligea  rien  de  ce  qui  pouvait  con- 


Xil  INTRODUCTION 

tribuer  à  les  établir  avantageusement  dans  le  monde. 

C'est  de  l'une  de  ses  sujettes,  Catherine  de  Tiesfe- 
ries,  de  Lille,  fille  de  Martin  de  Tiesferies,  écuyer, 
que  lui  naquit,  vers  1445,  un  fils  devenu  la  souche 
d'une  maison  illustre  et  connu  depuis  sous  le  nom 
de  Baudoin,  dit  de  Lille,  bâtard  de  Bourgogne  ^ 

Celui-ci,  marié  à  une  Espagnole,  Maria  Manuel  de 
la  Cerda,  de  la  maison  de  Castille,  laissa  trois  fils, 
dont  le  second,  Charles,  seigneur  de  Bredam,  épousa 
Marguerite,  fille  de  Nicolas,  baron  de  Werchin,  séné- 
chal héréditaire  de  Hainaut.  Il  en  eut  neuf  enfants  : 
Jaques,  le  héros  de  VExcuse,  fut  l'aîné  de  cette  nom- 
breuse lignée  *. 

Considérés  par  Charles-Quint  et  par  sa  sœur,  la 
reine  Marie  de  Hongrie,  gouvernante  des  Pays-Bas, 
comme  des  membres  de  leur  famille,  admis  dans 
leur  intimité,  le  seigneur  de  Bredam  et  son  frère 
Philippe,  seigneur  de  Falais,  jouirent  de  la  constante 
faveur  des  souverains  et  occupèrent  l'un  et  l'autre  une 
haute  situation  à  la  cour.  Aussi,  les  biens  accumulés 
par  leur  père  se  trouvèrent-ils  encore  augmentés  dans 
leurs  mains  par  les  donations  de  l'empereur  et  des 
successions  considérables. 

Les  enfants  de  Charles  de  Bourgogne  entraient 
donc  dans  la  vie  sous  d'heureux  auspices  et  l'avenir 
leur  promettait,  semblait-il,  de  brillantes  destinées; 
mais,  tandis  que  leur  père  et  leur  oncle  ne  cessaient 


>  Voir    V Histoire    généalogique   de   la    maison    royale    de 
France,  par  le  P.  Anselme.  Paris,  1726,  t.  I,  p.  261. 
*  Ibid.,  p.  262. 


INTRODUCTION  XIII 

de  travailler  à  la  grandeur  de  leur  maison,  ils  de- 
vaient, emportés  par  une  ardeur  généreuse  et  l'élan 
de  leur  conscience,  ébranler  eux-mêmes  l'édifice  et  en 
compromettre  l'existence. 

Le  niveau  intellectuel  dans  les  Flandres  et  la  Hol- 
lande était  depuis  longtemps  très  supérieur  à  celui 
de  la  plupart  des  autres  pays  de  l'Europe  ^  L'univer- 
sité de  Louvain,  malgré  la  scholastique  qui  régnait, 
là  comme  ailleurs,  avait  constitué  un  centre  de  haute 
culture  et  de  fortes  études,  et  sous  l'influence  des 
progrès  de  l'industrie  et  du  commerce,  les  arts  de  la 
civilisation  n'étaient  pas  demeurés  en  arrière.  Déjà 
la  Renaissance  soulevait  le  monde  et  répandait  dans 
toutes  les  classes  le  culte  et  la  passion  du  savoir. 
Aussi  le  seigneur  de  Bredam  pourvut-il  soigneuse- 
ment à  l'éducation  de  ses  fils  ',  et  la  plupart  d'entre 
eux  achevèrent  leurs  études  à  Louvain. 

Malgré  la  sévère  orthodoxie  de  ce  centre  théolo- 
gique, les  doctrines  nouvelles  n'avaient  pas  tardé 
d'y  pénétrer.  L'unité  n'existait  qu'en  apparence  et 
la  crainte  seule  empêchait  les  opinions  de  se  mani- 
fester, mais,  dans  l'intimité  et  malgré  la  rigueur  des 
édits  ',  les  discussions  se  poursuivaient  passionnées. 


*  Motley,  Histoire  de  la  fondation  de  la  république  des 
Provinces-Unies.  Introduction,  p.  ii3. 

2  Excuse,  p.  i5. 

3  Défense,  sous  peine  de  mort,  de  tenir  aucune  réunion  par- 
ticulière d'édification,  de  lire  la  Bible  en  public  ou  en  parti- 
culier, de  discuter,  dans  l'intérieur  des  familles,  aucune 
question  concernant  la  foi,  les  sacrements,  l'autorité  du  pape 
ou  tout  autre  sujet  religieux. 


XIV  INTRODUCTION 

touchant  les  questions  religieuses  qui  déjà  parta- 
geaient l'Europe  en  deux  camps  ennemis.  Un  grand 
nombre  d'étudiants  étaient  secrètement  gagnés  à  la 
cause  de  la  Réforme  et  plusieurs  d'entre  eux,  pour 
ne  nommer  que  Bucer,  Jean  de  Lasco,  Enzinas  et 
Hardenberg,  devaient  compter  parmi  ses  plus  vail- 
lants défenseurs. 

Des  intelligences  aussi  ouvertes  que  celles  de  Ja- 
ques de  Bourgogne  et  de  ses  frères  ^  ne  pouvaient 
manquer  de  subir  l'influence  d'un  tel  milieu.  Peut- 
être  avaient-ils  déjà  reçu  de  quelque  domestique  ou 
précepteur  les  premiers  germes  d'indépendance  reli- 
gieuse *,  mais  c'est  à  Louvain  que  ceux-ci  se  dévelop- 
pèrent ^  Pour  notre  héros,  en  particulier,  l'impression 
fut  profonde;  son  exemple,  ses  leçons  et  ses  conseils 
exercèrent  une  influence  considérable  sur  ses  frères 
et  sœurs  et  tous  finirent  par  s'engager  dans  la  voie 
où  quelques-uns  d'entre  eux  seulement  devaient  le 
suivre  jusqu'au  bout. 

'  Parmi  eux,  François,  qui  devint  protonotaire  apostolique, 
nous  apparaît,  dans  la  correspondance  de  Calvin,  comme  un 
homme  de  mérite  éminent  et  Pierre  de  Bourgogne,  dans  l'in- 
terrogatoire du  procès  qui  lui  fut  intenté  en  1549,  est  qualifié 
de  «  personnage  savant,  de  grand  esprit  et  mémoire.  » 

*  «  Car  dez  l'aage  de  quinze  ou  seize  ans,  je  commençay  à 
gouster  quelque  peu  de  ce  que  Dieu  m'a  depuis  révélé  par  sa 
grâce  plus  pleinement.  »  (Excuse,  p.  35.) 

s  C'est  ce  qui  ressort  formellement  du  procès  des  frères  de 
M.  de  Falais  en  1549,  et  des  réponses  des  accusés.  (Voir  l'ar- 
ticle de  M.  Galesloot,  Revue  trimestrielle,   1862,  t.  II.) 


CHAPITRE  II 

FALAIS    SE    LAISSE    GAGNER 

PAR    LES    DOCTRINES    DE    LA   RÉFORME. 

SON    MARIAGE. 


;a  mort  de  son  père,  en  i538,  suivie,  quatre 
ans  plus  tard,  de  celle  de  son  oncle  Phi- 
lippe qui  lui  laissa  la  plupart  de  ses  biens 
et  entre  autres  cette  terre  de  Falais  '  dont  il  prit  dé- 
sormais le  nom,  vint  donner  à  Jaques  de  Bourgogne 
la  situation  d'un  chef  de  famille  et  mettre  sa  personne 
en  évidence  ;  il  devait  avoir  alors  vingt-cinq  ans 
environ  '.  Assuré  de  la  bienveillance  particulière  de 


•  Seigneurie  importante,  située  dans  le  Brabant,  sur  la 
rivière  de  Mohaine,  entre  les  villes  de  Huy  et  d'Enneguy,  et 
que  Baudoin  de  Lille  avait  acquise  de  Philippe  le  Beau. 

*  Le  mariage  de  Baudoin  de  Lille  ayant  eu  lieu  en  1488, 
Charles,  le  second  de  ses  fils,  n'a  pu  naître  avant  1490.  Si 
l'on  admet  que  ce  dernier  s'est  marié  vers  vingt-cinq  ans,  la 
naissance  de  Jaques,  l'aîué  des  enfants,  ne  s'écarterait  pas 


XVI  INTRODUCTION 

Charles-Quint,  à  la  cour  duquel  il  avait  vécu  dans 
son  enfance  S  pourvu  lui-même  d'une  charge  impor- 
tante qui  l'attachait  à  la  personne  de  l'empereur  *,  il 
n'avait  plus,  semblait-il,  qu'à  laisser  à  la  fortune  le 
soin  d'augmenter  encore  la  puissance  et  l'éclat  de  sa 
maison. 

Mais  le  nouveau  seigneur  de  Falais  n'était  pas  une 
âme  ordinaire.  Incapable  de  transiger  avec  sa  con- 
science pour  sauvegarder  ses  intérêts  mondains,  il 
traversait  alors,  comme  tant  d'autres  à  cette  époque, 
la  crise  morale  et  religieuse  qui  devait  aboutir  à  le 
séparer  pour  toujours  de  l'Eglise  romaine,  et  dont 
le  séjour  de  Louvain  avait  marqué  pour  lui  le  début. 

Fortifiés  par  la  lecture  et  la  méditation,  ses  doutes 
et  ses  objections  touchant  le  dogme  établi  prenaient 
chaque  jour  une  forme  plus  précise.  D'une  com- 
plexion  maladive  d'ailleurs,  nature  contemplative  et 
repliée  sur  elle-même,  il  n'était  pas  fait  pour  mener 
la  vie  de  cour*.  Aussi  ne  tarda-t-il  pas  à  résigner 

beaucoup  de  l'année  i5i5.  Ce  calcul  est  sans  doute  très  élas- 
tique, mais  répond  bien  à  ce  que  nous  savons  des  circon- 
stances de  la  vie  de  Falais. 

•  «  La  faveur  et  humanité  qu'il  vous  a  pieu  monstrer, 
m'acceptant  dés  mon  enfance  en  vostre  court,  et  la  bonne 
affection  que  m'y  avez  portée  augmente  encore  ceste  obliga- 
tion ».  (Excuse,  p.  7.) 

'  «  Estant  proveu  par  vostre  majesté  d'un  estât  qui  n'est  pas 
de  petite  importance.  »  [Ibid.,  p.  i3.)  —  Cette  charge  était  sans 
doute  celle  de  chambellan  et  de  membre  du  Conseil  d'Etat, 
qu'avait  possédée   Philippe   de   Bourgogne,  oncle  de  Falais. 

'  «  Du  temps  que  j'estoye  encore  de  vostre  maison,  vous 
avez  jugé  que  ma  vie  estoit  plus  convenable  à  un  homme 
retiré  en  un  cloistre  par  devocion  qu'à  un  homme  suyvant  la 
court.  »  (Ibid.,  p.  19.) 


INTRODUCTION  XVII 

sa  charge  %  pour  se  retirer  dans  son  château  de  Fa- 
lais.  Là,  seul  avec  ses  pensées,  entouré  des  livres  de 
la  Bible  et  des  écrits  des  réformateurs,  il  se  persuada 
toujours  davantage,  pour  employer  les  termes  de  son 
apologie  :  «.  Qu'en  la  forme  qu'on  tient  aujourd'hui 
à  servir  à  Dieu  et  qu'on  enseigne  être  bonne  et  sainte, 
il  y  a  beaucoup  à  redire  :  tellement  qu'en  se  confor- 
mant à  icelle,  il  eût  offensé  mortellement  Dieu  au  lieu 
de  le  servir  '.  » 

Cette  révolution  dans  les  croyances  de  Jaques  de 
Bourgogne  ne  fut  pas  l'œuvre  d'un  jour  :  aux  phases 
de  ferveur,  succédèrent  parfois  des  périodes  d'hési- 
tation et  de  relâchement  *,  mais  le  mariage  que  Fa- 
lais  contracta  vers  cette  époque  avec  Yolande,  fille 
de  Walram  de  Brederode,  exerça  sur  ses  convic- 
tions une  influence  décisive.  Issue  de  l'une  des 
grandes  familles  des  Pays-Bas,  celle  des  comtes  de 
Hollande,  M'^^  de  Brederode  était  en  eff"et  déjà  ga- 
gnée aux  idées  de  la  Réforme  et  la  sympathie  qu'é- 
prouva pour  elle  Jaques  de  Bourgogne  dut  naître, 
en  partie,  de  la  communauté  de  leurs  sentiments 
religieux. 

La  cérémonie  nuptiale  fut  célébrée  chez  le  comte 
de  Nunaer*,  oncle  de  Yolande,  et  ce  fut  là  que  les 

*  «  Je  l'ay  franchement  et  libéralement  resigné,  priant 
d'en  estre  deschargé^  non  pas  qu'il  me  fachast  de  m'employer 
à  vostre  service,  auquel  je  ne  laissoye  pas  d'estre  pourtant  : 
mais  à  cause  que  je  ne  m'en  pouoye  pas  bonnement  acquitter, 
comme  j'eusse  désiré.  »  {Excuse,  p.  i3.) 

2  Ibid.,  p .  24 . 
'  Ibid.,  p.  36. 

*  Seigneur  de  Bedbourg,  petite  ville  près  de  Cologne. 

3 


XVIII  INTRODUCTION 

nouveaux  époux  passèrent  les  premiers  temps  de 
leur  union  ^  Falais  fut  toutefois  obligé  de  se  rendre 
à  plusieurs  reprises,  soit  à  Bruxelles,  soit  dans  les 
domaines  de  sa  famille,  pour  terminer  le  règlement 
de  la  succession  paternelle  et  aplanir  quelques  dif- 
ficultés survenues  entre  les  nombreux  héritiers  du 
seigneur  de  Bredam  :  «  J'alloye  et  venoye,  lisons-nous 
dans  l'Excuse^  selon  que  ma  commodité  le  portoit,  et 
que  les  affaires  de  nostre  maison  le  requeroyent,  pour 
l'accord  et  appointement  de  mes  frères  et  de  moy  : 
dont  mesmes  il  pleut  à  la  majesté  de  la  Royne  vostre 
soeur  et  à  ceux  de  vostre  conseil  s'en  mesler  tellement, 
que  je  laissay  toutes  choses  en  bonne  concorde  et 
tranquillité,  ayant  plus  de  regard  à  éviter  procez  et 
difîerens  qu'à  cercher  mon  singulier  proffit  *.  » 

Libre  de  ce  côté,  Jaques  de  Bourgogne  put  in- 
staller enfin  sa  jeune  femme  au  château  de  Falais, 
sa  résidence  de  prédilection  '.  Il  espérait  y  trouver 

»  Excuse,  p.  20.  Quelques  historiens  ont  prétendu  que  le 
mariage  avait  eu  lieu  selon  le  rite  protestant,  mais  cette 
assertion  ne  nous  paraît  pas  fondée  :  à  cette  époque,  Jaques 
de  Bourgogne  ne  s'était  point  encore  ouvertement  séparé  de 
l'Eglise  romaine  ;  en  outre,  c'eût  été  une  véritable  bravade  à 
l'adresse  de  l'empereur,  dont  il  avait  sollicité  et  obtenu  l'a- 
grément. 

2  Ibid,  p.  21.  —  D'après  M.  Galesloot  (art.  cité),  l'acte  de 
partage,  intervenu  à  la  suite  de  la  médiation  de  la  reine  Ma- 
rie, existe  encore  aux  archives  de  Belgique  et  serait  daté  du 
6  juillet  i544,  mais  il  doit  y  avoir  là  une  erreur  de  transcrip- 
tion. A  cette  date,  en  effet,  Jaques  de  Bourgogne  avait  déjà 
quitté  les  Pays-Bas,  tandis  que  le  passage  de  l'Excuse 
reproduit  plus  haut  montre  que  l'accord  intervint  avant  son 
départ. 

»  Jbid.,  p.  21. 


INTRODUCTION  XIX 

le  bonheur  dans  la  paix  du  foyer  domestique,  mais 
sa  conscience,  dont  il  avait  fait  l'arbitre  suprême  de 
sa  destinée,  allait  l'emmener  bien  loin  du  repos  qu'il 
avait  si  fort  souhaité.  En  effet,  la  nature  de  ses  sen- 
timents à  l'égard  de  la  religion  établie  ne  put  de- 
meurer longtemps  ignorée  ;  on  le  soupçonnait  déjà 
d'hérésie,  mais  lorsqu'on  le  vit  s'abstenir  de  prendre 
part  aux  cérémonies  de  l'Eglise  romaine,  lorsqu'on 
apprit  surtout  qu'un  «  prêcheur  »,  c'est-à-dire  un  mi- 
nistre protestant,  avait  été  reçu  à  Falais,  les  soupçons 
se  changèrent  en  certitude  ^ 

Dès  lors,  il  n'eut  plus  un  instant  de  tranquillité  : 
ses  voisins,  et  surtout  quelques-uns  de  ses  proches, 
désireux  de  s'enrichir  de  ses  dépouilles  *,  prirent  à 
son  égard  une  attitude  franchement  hostile;  ils  en 
vinrent  même  à  des  violences  '.  En  même  temps,  ses 

1  Excuse,  pp.  19  et  21-22. 

'  L'accusation  de  prodigalité  dirigée  contre  Falais  (Ibid., 
p.  Il)  montre  bien  quel  était  le  but  véritable  de  ses  adver- 
saires. 

3  Ibid.,  p.  22.  Les  frères  de  Falais  partageaient  tous  plus 
ou  moins  ses  idées  et  ses  oncles  paternels  étaient  déjà  morts; 
les  parents  dont  il  est  ici  question  ne  peuvent  être,  par  con- 
séquent, que  Philippe  de  Lannoy,  mari  de  sa  tante  Margue- 
rite de  Bourgogne,  ou  quelques-uns  des  membres  de  la 
famille  de  sa  mère.  D'après  les  généalogies  authentiques  de 
la  famille  de  Werchin,  le  baron  Nicolas  de  Werchin,  grand- 
père  maternel  de  Jaques  de  Bourgogne,  eut  cinq  enfants  de 
sa  femme  Yolande  de  Luxembourg,  savoir  :  i.  Antoine, 
baron  de  Werchin,  marié  à  Marguerite  de  Luxembourg;  2. 
Pierre,  baron  de  Werchin,  plus  connu  sous  le  nom  de  Pierre 
de  Luxembourg,  chevalier  de  la  Toison  d'or,  mort  en  1483, 
lequel  eut  de  sa  femme,  Hélène  de  Bergues,  une  fille  Yolan- 
de, dame  de  Werchin,  mariée  à  Hugues  de  Melun,  prince 
d'Espinoy,  mort  en   i553;  3.  Jean  de  Werchin;  4.  Isabeau 


XX  INTRODUCTION 

ennemis  le  noircissaient  à  la  cour  :  c'était,  disaient- 
ils,  non  seulement  un  hérétique,  mais  encore  un 
partisan  des  anabaptistes  ',  calomnie  odieuse  et  ridi- 
cule mais  terrible,  à  une  époque  où  l'Allemagne  et 
les  Pays-Bas  tremblaient  encore  au  souvenir  des 
excès  commis  par  ces  fanatiques. 

L'heure  avait  donc  sonné  pour  lui  des  résolutions 
suprêmes.  Dénoncé  comme  suspect,  en  butte  à  mille 
vexations,  menacé  dans  sa  vie  et  dans  celle  de  sa 
femme,  Falais  ne  tarda  pas  à  se  convaincre  que  sa 
situation  était  désespérée.  Auprès  de  l'empereur,  nul 
recours  possible  ;  il  avait  assez  vécu  dans  l'intimité 
du  maître  pour  connaître  les  sentiments  de  celui-ci 
à  l'égard  des  protestants  :  Charles  voulait  extirper  à 
tout  prix,  dans  les  Pays-Bas,  son  domaine  personnel, 
l'hérésie  que  les  nécessités  de  la  politique  l'obligeaient 
à  tolérer  en  Allemagne.  Déjà  prévenu  contre  l'homme 
qui  avait  quitté  son  service  après  avoir  mené  à  la 
cour  une  existence  d'anachorète,  il  n'était  que  trop 
disposé  à  prêter  l'oreille  aux  accusateurs  .  * 

Les  avis  de  ses  frères  ou  de  quelques  amis  restés 
fidèles  durent  informer  Jaques  de  Bourgogne  du 
danger  qu'il  courait.  A  moins  d'une  éclatante  mani- 
festation d'orthodoxie,  un  seul  parti  lui  restait  en- 
core :  quitter  un  pays  dont  les  lois  l'obligeaient  à 

de  Werchin,  mariée  au  baron  de  Trazignies  ;  5.  Marguerite 
de  Werchin,  femme  de  Charles  de  Bourgogne  et  mère  du 
héros  de  l'Excuse.  (Communication  de  M.  F.  Vander  Haeghen, 
bibliothécaire  en  chef  de  l'Université  de  Gand.) 

^Excuse,  pp.  14  et  suiv. 

Ubid.,  p.  23. 


INTRODUCTION  XXI 

choisir  entre  sa  conscience  et  sa  liberté.  Il  ne  s'y 
décida  cependant  pas  sans  angoisse  et  sans  luttes 
intérieures,  et  l'on  ne  saurait  douter  que  M™«  de  Fa- 
lais,  résolue  à  tous  les  sacrifices  pour  le  maintien  de 
sa  foi,  n'ait  constamment  soutenu  le  courage  de  son 
mari  dans  cette  heure  décisive  *. 


'  L'attitude  plus  résolue  que  prit  Falais  à  l'égard  du  culte 
établi,  aussitôt  après  son  mariage,  nous  paraît  une  preuve 
manifeste  de  l'influence  exercée  par  Yolande  de  Brederode 
sur  les  convictions  religieuses  de  son  époux.  Jusqu'alors, 
celui-ci  n'avait  probablement  pas  regardé  en  face  l'éventualité 
d'une  rupture  ouverte  avec  l'Eglise  romaine. 


CHAPITRE    III 

PREMIÈRES     RELATIONS    AVEC     CALVIN. 

FALAIS    QUITTE     LES     PAYS-BAS 

ET     SE     REND    A    COLOGNE. 


ce  moment  de  trouble  et  de  cruelles  per- 
plexités. Jaques  de  Bourgogne  reçut  une 
lettre  qui  dut  lui  paraître  comme  un  signe 
de  la  volonté  divine  et  vainquit  les  derniers  scru- 
pules qui  le  pouvaient  retenir  encore.  Cette  lettre 
était  de  Calvin.  Elle  ouvrait  une  correspondance  qui 
devait  se  continuer  durant  dix  années.  Comment  les 
relations  s'établirent-elles  entre  Falais  et  le  réforma- 
teur? Calvin  lui-même  nous  met  sur  la  trace  en 
mentionnant  dès  l'abord  un  personnage  qu'il  appelle 
le  seigneur  David,  et  qui  n'est  autre  que  David  de 
Busanton,  gentilhomme  du  Hainaut,  lequel  s'était 
retiré  à  Genève  pour  y  pratiquer  librement  la  religion 
réformée.  Compatriote  et  ami  de  Jaques  de  Bour- 
gogne, c'est  à  lui  sans  doute  que  ce  dernier  dut  faire 


XXIV  INTRODUCTION 

part  de  sa  situation,  en  le  priant  de  solliciter  l'avis  de 
Calvin  \  De  son  côté,  M™*  de  Falais,  ne  voulant  pas 
s'en  tenir  à  cette  démarche  indirecte,  avait  écrit  elle- 
même  au  réformateur.  Or  celui-ci  savait  bien  qu'elles 
sont  rares  les  âmes  assez  vaillantes  pour  soutenir 
jusqu'au  bout  l'assaut  des  persécutions  ;  il  ne  balance 
donc  pas,  et  à  deux  reprises,  dans  les  termes  les  plus 
pressants,  il  engage  ses  nouveaux  amis  à  partir  : 
«  Quand  je  pense  au  danger  où  vous  estes  mainte- 
nant, desjà  agité  de  beaucoup  de  tentations,  selon  que 
je  voy  les  choses  disposées,  je  ne  me  puis  tenir  de 
vous  réduire  en  mémoire  que  les  biens  que  Dieu 
nous  a  faits  valent  bien  que  nous  préférions  son 
honneur  à  toutes  choses  du  monde  et  que  l'espérance 
de  salut  que  nous  avons  par  son  évangile  est  si  pré- 
cieuse que  nous  devons  bien  quitter  toutes  ces  choses 
basses,  entant  qu'elles  nous  empeschent  de  tendre  à 
icelle...  Et  de  faict,  depuis  qu'un  homme  s'est  une 
fois  retiré  de  cest  abysme  de  la  captivité  spirituelle, 
ou  plustost  en  a  été  délivré  par  la  main  de  Dieu,  s'il 
luy  advient  de  s'y  envelopper  derechef,  et  s'eslongner 
de  la  liberté  que  Dieu  luy  avoit  donnée,  il  est  tout 
esbahy  quant  il  se  trouve  en  une  confusion  dont  il 
ne  luy  est  possible  de  sortir  *.  » 

'  C'est  ce  que  l'on  peut  inférer  des  termes  mêmes  de  la 
première  lettre  de  Calvin  :  «  Puisque  je  me  tiens  asseuré  que 
mes  lettres  seront  bien  venues  vers  vous,  ce  seroit  hypocrisie 
à  moy  d'en  faire  longues  excuses.  »  (Calvini  opéra,  éd.  Reuss., 
t.  XI,  n»  5o8.) —  Lescinq  premières  lettres  du  réformateur  à 
M.  et  à  M"*  de  Falais  ont  été  réimprimées  aussi  par  Hermin- 
jard.  Correspondance  des  Réformateurs,  t.  IX,  n"  1295,  1296, 
i323,   1373  et   1374, 

*  Ibid.,  n*  526,  lettre  non  datée,  mais  certainement  la  der- 


INTRODUCTION  XXV 

Les  dernières  hésitations  de  Jaques  de  Bourgogne 
cédèrent  devant  l'autorité  de  ces  conseils,  où  l'on 
sent  percer  déjà  le  directeur  spirituel.  Après  avoir 
réuni  à  la  hâte  quelques  ressources,  il  quittait  secrè- 
tement les  Pays-Bas  avec  sa  femme,  dans  les  dernières 
semaines  de  i543  ou  au  commencement  de  1544,  et 
franchissant  le  Rhin,  se  retirait  à  Cologne  ^ 

Falais  avait  d'abord  songé  à  se  rendre  à  Genève  % 
mais,  informé  des  dispositions  bienveillantes  de  l'ar- 
chevêque de  Cologne  à  son  égard  %  il  s'était  décidé 
pour  cette  dernière  ville,  bien  moins  éloignée  et  où 

nière  que  Falais  ait  reçue  de  Calvin  avant  de  prendre  le 
chemin  de  l'exil.  La  première  qui  nous  ait  été  conservée 
(Ibid.,  n»  5o8)  n'est  pas  datée  non  plus,  mais  elle  a  été  écrite 
en  même  temps  que  celle  adressée  par  le  réformateur  à 
M"»  de  Falais  (ibid.,  n°  Sog),  le  14  octobre  [i543J. 

1  Excuse,  p.  27.  La  date  approximative  du  départ  de  Falais 
ressort  de  la  correspondance  de  Calvin  ;  en  effet,  Jaques  de 
Bourgogne  se  trouvait  encore  dans  les  Pays-Bas  lorsqu'il 
reçut  la  seconde  lettre  du  réformateur;  celle-ci  n'est  pas  datée, 
mais  elle  est  en  tout  cas  postérieure  à  celle  du  14  octobre 
1543.  D'autre  part,  il  était  à  Cologne,  depuis  un  certain  temps 
déjà,  au  moment  où  Calvin  lui  écrivait,  le  24  juin  1544 
[Opéra,  n"  562).  M""  de  Falais  était  partie  avec  son  mari,  ou 
n'avait  pas  tardé  à  le  rejoindre,  comme  l'indique  la  lettre 
que  lui  adresse  le  réformateur  à  la  même  date  [Ibid,,  n«  563). 

2  Ibid.,  n"  562, 

3  Hermann,  comte  de  Wied,  prélat  aussi  remarquable  par 
ses  vertus  que  par  la  simplicité  de  ses  mœurs,  avait  tenté, 
dès  1543,  d'introduire  dans  son  diocèse  une  réforme  reli- 
gieuse. Ce  fut  très  probablement  Hardenberg,  l'un  de  ses 
conseillers,  qui  lui  fit  connaître  la  situation  de  Falais.  Har- 
denberg, originaire  de  la  province  d'Yssel,  était,  en  effet,  un 
compatriote  de  ce  dernier,  comme  lui  un  ancien  élève  de 
Louvain,  et  leurs  relations  sont  attestées  par  une  lettre  de 
Hardenberg  à  Calvin,  en  date  du  24  mars  i545  (Ibid.,  t.  XII, 
n»  624). 

l 


XXVI  INTRODUCTION 

il  restait  à  portée  des  événements  qu'il  prévoyait  de- 
voir être  la  conséquence  de  sa  fuite. 

L'impression  qu'elle  produisit  à  la  cour  fut  grande, 
en  effet,  et  le  scandale  retentissant  :  «  Je  me  console 
devant  Dieu,  —  a  pu  dire  Falais  en  s'adressànt  à  son 
souverain  —  d'avoir  été  le  premier  de  votre  noblesse, 
qui  aie  fait  telle  déclaration  sans  parler  :  de  ne  point 
vouloir  adhérer  aux  choses  qui  se  commettent,  tant 
contre  l'honneur  de  Dieu,  qu'au  grand  préjudice  de 
Votre  Majesté  ^  » 

Dans  le  camp  de  ses  adversaires,  ce  fut  un  cri  de 
triomphe.  N'était-ce  pas  se  condamner  soi-même  et 
donner  couleur  à  toutes  les  accusations?  Tel  fut 
aussi  le  sentiment  de  Charles-Quint.  Exaspéré  par 
ce  cas  éclatant  d'hérésie  constaté  dans  sa  propre  fa- 
mille, il  va  poursuivre  désormais  d'une  animosité 
personnelle  l'homme  auquel  il  avait  témoigné  autre- 
fois une  bienveillance  particulière  et  il  ne  tardera  pas 
à  le  traiter  en  rebelle. 

•  Excuse,  p.  27. 


CHAPITRE    IV 

FALAIS    A    STRASBOURG. 


[ALGRÉ  les  intentions  généreuses  de  l'arche- 
vêque de  Cologne,  M.  de  Falais  ne  devait 
pas  jouir  longtemps  de  l'asile  qui  lui  avait 
été  offert.  Les  réformes  introduites  par  le  prélat 
avaient  naturellement  rencontré  une  vive  résistance 
chez  les  partisans  de  l'ancien  culte  et  surtout  auprès 
des  chanoines  de  la  cathédrale  ;  ceux-ci,  après  avoir 
protesté  quelque  temps  sans  succès,  ne  tardèrent  pas 
à  en  appeler  au  pape  et  à  l'empereur.  Charles-Quint 
saisit  l'occasion  :  il  défendit  au  comte  de  Wied  de 
rien  innover  dans  son  diocèse  et  le  somma  de  com- 
paraître à  Bruxelles  dans  les  trente  jours  *;  en  même 

»  Voir  Sleidan,  Histoire  de  la  religion,  etc.  Genève,  iSSy, 
in-8,  f"  239  V»,  256,  265  v»,  3 19  et  446.  —  G.  Varrentrap, 
Hermann  de  Wied.  Leipzig,  1878. 


XXVIII  INTRODUCTION 

temps,  il  enjoignait  au  fugitif  de  ne  pas  quitter  Colo- 
gne, où  il  allait  arriver  lui-même. 

Falais  comprit  qu'il  était  perdu  s'il  tombait  au 
pouvoir  de  ses  ennemis  ^  Malade  et  alité  %  il  réussit 
cependant  à  s'embarquer  sur  le  Rhin,  remonte  le 
fleuve  et  ne  s'arrête  qu'à  Strasbourg,  ville  libre  et 
gagnée  en  bonne  partie  à  la  cause  de  la  réforme.  Il  y 
fut  accueilli  avec  la  sympathie  due  à  ses  malheurs  ; 
on  était  alors  dans  le  courant  du  mois  d'avril  i545  '. 

A  peine  installé  à  Strasbourg,  il  eut  la  joie  de 
recevoir  la  visite  de  Calvin  *  ;  les  deux  amis  purent 
examiner  la  situation  à  loisir  et  discuter  l'attitude  à 
prendre  vis-à-vis  des  ordres  de  l'empereur.  Celui-ci 

*  II  affirme  dans  son  plaidoyer  (p.  29)  qu'il  ne  reçut  qu'a- 
près avoir  quitté  Cologne,  l'ordre  écrit  de  l'empereur,  et  que 
son  départ  fut  motivé  par  l'état  de  sa  santé.  Nous  pouvons 
l'en  croire  sur  parole,  mais,  en  tout  état  de  cause,  attendre 
l'empereur  à  Cologne,  c'était,  pour  Falais,  se  vouer  à  l'abju- 
ration ou  à  la  mort. 

2  Excuse,  p.  28;  Calvini  op.,  t.  XII,  n«  705.  —  Cette  lettre 
non  datée  a  été  placée  par  Reuss  au  mois  de  septembre  i545, 
c'est-à-dire  à  l'époque  où  Jaques  de  Bourgogne  se  trouvait 
déjà  établi  à  Strasbourg  depuis  plusieurs  mois.  Elle  est  cer- 
tainement antérieure,  comme  le  prouve  la  signature  Charles 
Despeville  ainsi  que  l'adresse  à  Jacques  le  Franc,  et  doit  être 
la  dernière  que  Falais  ait  reçue  à  Cologne  (voir  plus  loin, 
p.  XXIX,  note  i).  L'éditeur  du  recueil  de  1744,  qui  a  adopté 
cette  classification,  se  trouve,  comme  on  voit,  d'accord  avec 
les  faits. 

*  Falais  était  encore  à  Cologne  dans  les  derniers  jours  de 
mars  (Voir  la  lettre  de  Hardenberg  à  Calvin,  en  date  du  24 
du  même  mois.  Opéra,  n»  624),  D'autre  part,  nous  allons 
le  trouver  déjà  établi  à  Strasbourg  au  moment  du  voyage 
de  Calvin  dans  cette  ville,  c'est-à-dire  vers  le  milieu  de  mai. 

*  Sur  le  voyage  du  réformateur  à  Strasbourg,  en  mai  i545, 
voir  Opéra,  t.  XII,  n"  645,  note  8. 


INTRODUCTION  XXIX 

avait  résolu,  en  effet,  de  tenter  un  dernier  effort  pour 
ramener  le  fugitif.  L'un  des  gentilshommes  de  sa 
maison,  envoyé  à  Strasbourg,  enjoignit  à  Palais,  au 
nom  de  son  souverain,  de  quitter  cette  ville  sans 
retard  et  d'expliquer  sa  conduite.  Jaques  allégua, 
touchant  son  départ  de  Cologne,  les  motifs  qu'il  ré- 
pète dans  l'Excuse  et  quant  à  l'accusation  principale, 
celle  d'hérésie,  il  rédigea  par  écrit  une  brève  confes- 
sion de  foi  destinée  à  être  mise  sous  les  yeux  dt 
Charks-Quint  \  C'était,  cette  fois,  l'adhésion  expli- 


'  Excuse,  p.  3o.  —  Falais  avait  précédemment  écrit  à  son 
souverain  pour  lui  exposer  les  motifs  de  son  départ  de  Colo- 
gne et  il  avait  même  songé  à  réclamer  un  sauf-conduit  pour 
se  rendre  à  Worms  et  plaider  sa  cause  en  personne.  Tel 
n'était  point  l'avis  de  Calvin  qui,  de  retour  à  Genève,  s'em- 
pressa de  représenter  à  son  correspondant  l'inutilité  de  cette 
tentative  en  même  temps  que  ses  dangers.  Il  n'eut  d'ailleurs 
pas  de  peine  à  obtenir  gain  de  cause  et  les  événements  ne 
tardèrent  pas  à  démontrer  la  justesse  de  ses  objections.  (Voir 
Opéra,  t.  XII,  n»  647).  La  lettre  de  Calvin  est  datée  du  i»'  mai 
1545,  mais  c'est  là  une  erreur  de  plume  et  il  faut  lire  i"  juin. 
L'entrevue  du  réformateur  avec  Falais  est,  en  effet,  expres- 
sément rappelée  dans  ce  document,  or  le  voyage  dti  premier 
à  Strasbourg  eut  lieu,  nous  venons  de  le  dire,  dans  le  courant 
de  mai. 

Tant  que  Jaques  de  Bourgogne  avait  résidé  soit  dans  les 
Pays-Bas,  soit  à  Cologne,  la  seule  constatation  de  ses  rap- 
ports avec  le  réformateur  aurait  suffi  pour  le  perdre.  Aussi 
toutes  les  lettres  que  lui  écrit  Calvin  à  cette  époque  sont-elles 
signées  du  pseudonyme  Charles  Despeville  et  adressées  à 
M .  Jacques  Le  Franc,  mais  à  Strasbourg,  ville  protestante, 
en  relations  faciles  et  sûres  avec  Genève  par  la  voie  de  Bâle, 
aucune  surprise  n'était  plus  à  craindre  ;  on  voit  donc  Calvin 
reprendre  son  nom  dès  l'arrivée  de  Falais  à  Strasbourg,  et 
agir  de  même  à  l'égard  de  son  correspondant,  auquel  il 
donne  désormais  le  titre  de  Monseigneur.  C'est  là  un  précieux 
élément  pour  la  chronologie  des  lettres  sans  date. 


XXX  INTRODUCTION 

cite  à  la  Réforme  et  la  rupture  définitive  avec  l'Eglise 
romaine. 

La  réponse  ne  se  fit  pas  attendre.  Immédiatement 
déféré  à  la  cour  de  Malines,  sur  l'ordre  exprès  de 
l'empereur,  Falais  fut  déclaré  coupable  d'hérésie  et 
de  rébellion  ;  ses  biens  furent  confisqués  et  il  est 
probable  qu'une  sentence  de  bannissement  fut  pro- 
noncée contre  lui  par  contumace,  mais  il  ne  paraît 
pas  avoir  été  condamné  à  mort  ^ 

Le  reste  de  l'année  i545  s'écoula  sans  incident 
notable.  Bien  que  Falais  eût  trouvé  à  Strasbourg 
une  retraite  sûre  et  un  accueil  sympathique,  il  avait, 
dès  le  mois  de  juin,  manifesté  de  nouveau  son  in- 
tention d'aller  s'établir  à  Genève,  mais  la  peste  qui 
éclata  dans  cette  ville  *  et  surtout  la  maladie  qui  le 
harcelait'  vinrent  encore  arrêter  l'exécution  d'un 
projet  auquel  Calvin  tenait  fort. 

1  «  Neantmoins,  Sire,  c'est  la  raison  surquoy  vostre  court 
de  Malines  principalement  s'est  fondée  :  saisissant  mes  biens 
en  vostre  nom  et  faisant  puis  après  autres  procédures  contre 
moy.  »  {Excuse,  p.  28.)  —  Les  pièces  du  procès  n'ont  mal- 
heureusement pu  être  retrouvées  dans  les  archives  de  la 
cour  de  Malines  (Galesloot,  art.  cité,  p.  17),  mais  les  procé- 
dures auxquelles  Falais  fait  allusion  ont  dû  occuper  assez 
longtemps  ce  tribunal  :  commencées  peu  après  son  arrivée  à 
Strasbourg,  c'est-à-dire  en  mai  ou  juin  iS^b,  elles  ne  parais- 
sent pas  avoir  été  terminées  avant  le  mois  de  septembre  de 
l'année  suivante,  si  l'on  en  juge  d'après  ce  passage  d'une  lettre 
de  Calvin,  en  date  du  19  octobre  1546  :  «  Ayant  bonne  espé- 
rance que  la  raige  qu'a  jette  sur  vous  la  Court  de  Malignes 
s'en  ira  bientost  en  fumée.  »  {Opéra,  t.  XII,  n*  841). 

2  Lettres  de  Calvin  à  Falais,  22  juin  et  5  août  i545  (Ibid., 
t.  XII,  n»»  654  et  674).  Le  réformateur  s'y  montre  surtout 
préoccupé  de  trouver  un  logement  à  la  convenance  de  son  ami. 

'  Falais  avait  paru  se  rétablir  au  mois  d'août,  après  trois 
mois  de  souffrances,  mais  pour  retomber  ensuite.  Voir  à  ce 


INTRODUCTION  XXXI 

Cependant,  tous  les  regards,  dans  le  parti  protes- 
tant, s'étaient  tournés  vers  l'homme  qui  avait  osé, 
malgré  Charles-Quint,  proclamer  les  droits  de  la 
conscience  ;  c'était  la  réforme  pénétrant  au  sein  même 
de  la  famille  de  l'empereur.  Aussi,  désireux  de  con- 
sacrer cette  illustre  conquête  et  de  donner  à  son  nou- 
veau coreligionnaire  un  témoignage  public  d'affec- 
tueuse considération,  Calvin  lui  dédiait-il,  dès  l'année 
suivante,  son  commentaire  latin  sur  la  première 
Epître  de  saint  Paul  aux  Corinthiens  ^ 

Avec  une  simplicité  de  langage  qui  rehausse  la 
valeur  de  l'éloge,  l'auteur  propose  en  exemple  la 
noble  conduite  de  Falais  et  le  montre  sacrifiant  à  la 
cause  de  l'Evangile,  une  haute  situation  et  de  grands 
biens.  Il  n'a  pas  tenu  à  Jaques  de  Bourgogne  que 
cette  lettre  ne  soit  restée  comme  un  monument  du- 
rable de  mutuelle  estime  et  de  confiance,  digne  de 
celui  qui  l'écrivit  comme  de  celui  qui  la  reçut. 

Quelques  semaines  plus  tard,  le  pasteur  Nicolas 
des  Gallars  dédiait  également  à  Falais  sa  traduction 
latine  du  traité  de  Calvin  contre  les  Anabaptistes*. 

sujet  les  lettres  de  Calvin  à  M""  de  Falais  et  de  François 
Baudoin  à  Calvin,  i5  août  et  7  octobre  i545  (Ibid.,  n"  679 
et  709). 

»  loannis  Calvini  commentarii  in  priorem  Epistolam  Pauli 
ad  Corinthios.  Cum  Indice.  Argentorati,  per  Wendelinum 
Rihelium,  1546,  in-8.  —  La  dédicace  porte  la  date  du  24  jan- 
vier (9  kal.  februarii). 

'  Brevis  instructio  muniendis  fidelibus  adversus  errores  sec- 
tœ  Anabaptistarum.  Item  adversus  fanaticam  et  furiosam  sec- 
tant  Liber tinoi-um,  qui  se  spirituales  vacant.  Authore  loanne 
Calvino,  Nunc  primum  e  gallico  versa  Latine  per  Nicolaum 
Gallasium.  Argentorati,  per  Windelinum  Rihelium,  1546, 
in-8.   (Cf.  Calvini  opéra,  t.  VII,  proleg.,  p.  xxv).  —  L'épître 


XXXII  INTRODUCTION 

C'était  une  réponse  péremptoire  aux  calomnies  in- 
téressées de  ceux  qui  représentaient  Jaques  de  Bour- 
gogne comme  un  adhérent  de  cette  secte.  Désireux 
toutefois  d'une  réhabilitation  plus  complète,  celui-ci 
méditait  de  s'adresser  directement  à  son  souverain, 
et  de  faire  auprès  de  lui  une  suprême  tentative. 

dédicatoire  :  «  lUustri  viro  lacobo  a  Burgundia,  Fallesii  Bre- 
danique  domino  »  est  datée  du  i5  mars  1546.  —  Des  Gallars 
a  laissé  subsister  cette  pièce  dans  les  éditions  données  par 
lui  des  Opuscula  de  Calvin,  en  i552  et  i563,  mais  à  l'exemple 
de  son  chef,  il  a  substitué,  dans  cette  dernière,  le  nom  de 
Gaspar  Olevian,  pasteur  de  l'église  d'Heidelberg,  à  celui  de 
Falais. 


CHAPITRE   V 
l'excuse 


;es  fausses  accusations  de  ses  ennemis,  com- 
plaisamment  accueillies  par  la  cour  de  Ma- 
lines,  avaient  exaspéré  Falais  ;  il  avait  ré- 
solu d'en  appeler,  une  dernière  fois,  à  la  justice  de 
l'empereur  et  de  chercher  à  se  disculper  d'allégations 
qui  ne  touchaient  plus  seulement  à  ses  croyances, 
mais  encore  à  son  honneur  ^  C'est  ainsi  qu'il  eut 
l'idée  de  soumettre  à  Charles-Quint  un  mémoire 
justificatif  de  sa  conduite  et  des  motifs  qui  l'avaient 
obligé  à  quitter  la  Belgique.  Ce  recours  solennel  était 
le  dernier  espoir  du  proscrit  ;  il  fallait  donc  en  peser 
tous  les  termes  et  ne  rien  laisser  au  hasard,  aussi  Fa- 
lais ne  manqua-t-il  pas  de  s'adresser  à  Calvin  pour 


*  Excuse,  Avis  aux  Lecteurs. 


XXXIV  INTRODUCTION 

la  rédaction  de  ce  plaidoyer.  Il  ne  pouvait  choisir  un 
défenseur  plus  éloquent  ni  plus  habile. 

Le  réformateur  approuva  le  projet  et,  avec  cette 
promptitude  d'exécution  qui  était  dans  son  caractère, 
il  se  mit  à  l'œuvre  sur-le-champ.  Dès  le  1 6  avril  1 546  % 
le  manuscrit,  rédigé  dans  l'espace  de  quelques  se- 
maines ',  était  envoyé  à  Falais. 

Celui-ci  n'avait  eu  primitivement  d'autre  intention 
que  de  placer  sa  défense  sous  les  yeux  de  l'empe- 
reur. Il  en  chercha  les  moyens  à  plusieurs  reprises, 
mais  ses  tentatives  demeurèrent  infructueuses',  et 
Jaques  de  Bourgogne  dut  bientôt  comprendre  qu'à 
moins  d'une  éclatante  abjuration,  il  devait  renoncer 
pour  jamais  à  obtenir  sa  grâce.  Calvin,  plus  clair- 
voyant que  son  ami,  n'avait  pas  attendu  si  longtemps 
pour  s'en  rendre  compte  et,  dès  la  fin  de  1546,  il 
l'engageait  à  porter  la  cause  devant  l'opinion  pu- 
blique*. Plusieurs  mois  cependant  s'écoulèrent  avant 
que  Falais  eût  pris  une  résolution  définitive  ;  il  ré- 
•clamait  sans  cesse  des  additions  ou  des  changements 
et  Calvin  dut  pratiquer  d'assez  nombreuses  retou- 
ches au  texte  primitif  avant  de  parvenir  à  satisfaire 
son  client  ''. 

Au  milieu  de  ces  hésitations,  l'année  1547  presque 
tout  entière  s'était  écoulée  sans  que  l'on  pût  mettre 

>  Calvin  à  Falais  (Opéra,  t.  XII,  n»  790). 

2  C'est  dans  une  lettre  écrite  vers  le  milieu  de  mars  que  le 
réformateur  mentionne  pour  la  première  fois  le  projet  de 
l'Excuse.  (Voir  Ibid.,  n*  784). 

3  Excuse,  Avis  aux  Lecteurs. 

*  Opéra,  t.  XII,  n»833  (4  octobre). 
6  Ibid.,  n"  883,  937,  944. 


INTRODUCTION  XXXV 

la  main  à  rimpression.  Enfin,  commencé  dans  les 
premiers  jours  de  décembre,  l'ouvrage  était  achevé 
vers  le  20  du  même  mois  ^ 

Une  traduction  latine,  entreprise  à  la  demande  de 
l'auteur,  par  le  jurisconsulte  François  Baudoin  ',  pa- 
rut aussi  quelque  temps  après  *. 

Nous  soupçon nera-t-on  de  céder  à  une  tendresse 
exagérée  et  quelque  peu  suspecte  d'éditeur  pour  l'ou- 
vrage qu'il  cherche  à  tirer  de  l'oubli  ?  Nous  le  dirons 
cependant  :  L'Excuse  de  Jaques  de  Bourgogne  est  un 
chef-d'œuvre  du  genre  et  renferme  des  pages  dignes 
de  cette  admirable  épître  à  François  I«'  qui  forme 
l'imposant  frontispice  du  traité  de  Y  Institution  chré- 
tienne. Alors  même  que  les  documents  ne  nous  le 
feraient  pas  connaître,  chacune  de  ces  pages  est  trop 
profondément  marquée  de  l'empreinte  du  maître 
pour  qu'il  soit  possible  de  s'y  tromper.  Dans  cette 
éloquente  revendication  des  droits  de  l'innocence 
persécutée,  Calvin  apparaît  très  noble  et  très  grand. 
Avec  sa  raison  supérieure,  ses  vues  profondes,  sa  I0-' 
gique  implacable,  cette  dialectique  puissante  qui 
serre  de  près  l'argument,  il  transforme  la  défense  en 
attaque,  prévoit  les  objections,  les  réfute  d'avance  et 
ne  laisse  pas  à  l'adversaire  le  temps  de  reprendre 


>  Opéra,  n"  967,  970,  979.  —  Voir  plus  loin  notre  Notice 
bibliographique. 

'  Baudoin  à  Falais,  i3  août  1647  (Ibid.,  n*  gSô)  et  Calvin  à 
Falais,  16  août  1547  {Ibid.,  t.  XII,  n«937). 

'  Au  sujet  de  cette  version,  voir  ibid.,  t.  X,  proleg.,  et 
t.  XII,  n"  883  et  1008.  Cette  dernière  lettre,  du  3  avril  1548, 
nous  apprend  qu'à  cette  date,  la  traduction  latine  n'était  pas 
encore  imprimée. 


XXXVI  INTRODUCTION 

pied.  Sans  négliger  les  faits,  qu'il  discute  avec  une 
habileté  que  pourraient  lui  envier  les  maîtres  de  l'élo- 
quence judiciaire,  il  élève  constamment  le  débat  : 
c'est  de  la  vérité  méconnue  qu'il  s'agit,  des  droits 
imprescriptibles  de  la  conscience.  Parvenue  à  cette 
hauteur,  la  question  personnelle  s'efface,  ou,  pour 
mieux  dire,  elle  se  confond  avec  la  grande  cause  au 
triomphe  de  laquelle  le  réformateur  a  consacré  sa 
vie. 

Non  pas,  d'ailleurs,  qu'il  oublie  les  intérêts  de  son 
client  pour  les  siens  propres  :  modèle  de  précision, 
de  méthode,  de  vigueur  et  de  clarté,  la  défense  de 
Jaques  de  Bourgogne  porte  la  conviction  dans  tout 
esprit  non  prévenu,  réhabilite  sa  mémoire  et,  devant 
la  postérité,  fait  du  condamné  de  Malines  l'accusateur 
de  ceux  qui  l'ont  frappé. 

En  s'adressant  à  Charles-Quint,  l'habile  avocat  ne 
néglige  rien  de  ce  qui  peut  adoucir  un  juge  prévenu 
et  irrité  ;  il  n'oublie  pas  surtout  qu'il  parle  au  nom 
d'un  sujet  resté,  malgré  d'injustes  rigueurs,  loyal 
et  dévoué,  mais  le  respect  qu'il  témoigne  à  la  per- 
sonne de  l'empereur,  le  soin  qu'il  apporte  à  placer 
son  autorité  temporelle  en  dehors  de  la  discussion, 
n'enlèvent  rien  à  la  fierté  de  l'allure  ni  à  la  dignité 
du  maintien.  Condamné  et  proscrit,  M.  de  Falais 
n'en  reste  pas  moins  prêt  à  sacrifier  sa  vie  pour  le 
service  de  son  souverain,  mais  s'il  faut  rendre  à  César 
ce  qui  est  à  César,  il  faut  rendre  aussi  à  Dieu  ce  qui 
est  à  Dieu,  et  dans  le  domaine  du  for  intérieur,  le 
dernier  des  misérables  se  retrouve  l'égal  du  maître 
de  l'Empire. 


INTRODUCTION  XXXVII 

Le  style  est  à  la  hauteur  de  la  pensée,  sobre,  ferme 
et  concis,  dédaigneux  de  toute  rhétorique,  empreint, 
dans  sa  simplicité  grave,  d'un  je  ne  sais  quoi  de  fier 
et  de  hautain  ;  c'est  bien  là  vraiment  Vimperatoria 
breviias,  et  dans  le  style,  l'homme  tout  entier.  La 
phrase  courte,  nerveuse  et  ramassée  sur  elle-même, 
va  droit  au  but,  exprime  exactement  l'idée  et  ne  con- 
naît ni  les  hésitations  ni  les  tâtonnements  d'un  esprit 
qui  lutte  pour  trouver  sa  formule. 

Parfois,  sous  la  modération  des  termes  et  le  calme 
apparent  de  l'homme,  on  sent  passer,  dans  un  souffle 
de  colère  et  d'émotion  contenues,  comme  une  inspi- 
ration des  prophètes  de  l'ancienne  alliance.  Alors, 
en  présence  dé  la  grandeur  du  sujet,  l'écrivain  se 
révèle,  le  style  s'échauffe  et  se  colore,  la  période, 
jusqu'ici  retenue  et  comprimée,  prend  du  nombre, 
de  l'harmonie,  une  ampleur  souveraine,  et,  d'une 
large  envolée,  dans  un  mouvement  superbe,  touche 
aux  cîmes.  Telles  ces  protestations  contre  les  calom- 
nies dont  Falais  est  victime,  ces  revendications  de 
la  légitimité  du  protestantisme,  ou  enfin  ce  recours 
suprême  à  la  justice  divine,  dans  cette  péroraison 
que  nous  voulons  citer  ici  : 

«  Et  maintenant,  je  supplie  votre  Majesté,  Sire, 
«  qu'il  lui  plaise  recevoir  cette  excuse.  Car  il  n'y  a 
«  rien  en  ce  monde  qui  me  soit  si  dur  à  porter,  que 
«  d'être  en  l'indignation  d'icelle.  Si  je  me  sentais 
«  coupable  de  l'avoir  offensée,  je  me  présenterais  à 
«  toute  punition  plutôt  que  de  vivre  en  tel  regret  et 
«  fâcherie.  Connaissant  qu'on  vous  a  irrité  sans  cause 
«  contre  moi,  je  ne  sais  que  faire,  sinon  de  vous 


XXXVIII  INTRODUCTION 

«  supplier  qu'il  vous  plaise  connaître  mon  innocence. 
4c  Priant  Dieu  aussi,  de  vous  manifester  l'affection  de 
«  mon  cœur,  laquelle  vous  contenterait,  Sire,  si  elle 
«  vous  était  bien  connue.  Pour  le  moins,  vous  sau- 
«  riez  que  jamais  je  n'ai  désiré  qu'à  me  gouverner 
«  en  la  crainte  de  Dieu,  sous  l'obéissance  de  votre 
«  Majesté,  et  que  maintenant  je  n'ai  pas  changé  de 
«  propos.  Que  si,  par  la  grâce  de  Dieu,  un  tel  bien 
«  m'est  octroyé  qu'après  m'avoir  prêté  bénigne  au- 
«  dience  en  la  lecture  de  ce  mien  écrit,  votre  plaisir 
«  soit  d'accepter  mes  excuses,  je  me  réputerai  bien- 
«  heureux.  Cependant,  je  me  repose  en  cette  con- 
«  solation  qui  n'est  pas  petite  :  que  j'ai  ma  conscience 
«  pure  devant  Dieu  et  devant  ses  Anges  et  que  je 
«  serai  trouvé  tel  de  fait  devant  le  monde,  quand  on 
«  enquerra  de  la  vérité.  » 

Il  faut  franchir  un  siècle  pour  retrouver,  avec  Bos- 
suet,  des  accents  d'une  telle  puissance,  et  comment 
ne  pas  admirer  ce  noble  langage,  comparé  à  la 
phraséologie  des  contemporains,  pénible,  obscure  et 
toute  enveloppée  encore  dans  les  langes  d'une  lati- 
nité d'école  ?  Sous  la  plume  de  Calvin,  le  français 
devient,  pour  la  première  fois,  capable  d'exprimer, 
dans  une  forme  classique,  les  plus  hautes  conceptions 
de  l'esprit,  et  c'est  pourquoi,  en  puisant  dans  son 
génie  le  secret  de  cette  simplicité  grandiose,  de  cette 
clarté  lumineuse,  le  réformateur  a  fait  œuvre  immor- 
telle et  bâti  un  monument  qui  durera  autant  que  la 
langue  elle-même. 


^^^ 


CHAPITRE   VI 

FALAIS     QUITTE     STRASBOURG 

KT   s'Établit  a   bale 


|Ous  avons  dû,  pour  résumer  les  circonstances 
diverses  qui  accompagnèrent  la  publication 
de  ÏExcuse,  devancer  quelque  peu  l'ordre 
des  temps  et  laisser  Falais  à  Strasbourg  au  début  de 
1546.  Après  quelques  mois  de  tranquillité,  il  était 
tombé  de  nouveau  gravement  malade  dans  le  cou- 
rant de  juin  et  ce  ne  fut  guère  avant  le  mois  d'oc- 
tobre qu'il  put  entrer  en  convalescence  ^  C'est  égale- 
ment à  cette  époque  qu'il  apprit  la  mort  de  l'aînée 
de  ses  sœurs,  Hélène  de  Bourgogne  ;  elle  avait  épousé 
Adrien  de  l'Isle,  sieur  de  Fresne,  et  s'était,  elle  aussi, 
entièrement  ralliée  aux  doctrines  de  la  réforme  *. 

»  Calvini  opéra,  t.  XII,  n"  8o5,  21  juin  et  n»  833,  4  octobre. 
2  Voir  Anselme,  ouvr.   cité,  t.  I,  p.  263,  et  Calvini  opéra, 
t.  XII,  n"  840  et  853  (20  nov.  1546). 


XL  INTRODUCTION 

Malgré  l'absence  de  faits  saillants,  la  correspon- 
dance de  Calvin  avec  M.  de  Falais  demeurait  fort 
nourrie.  Il  y  est  surtout  question  de  l'Excuse,  de 
points  de  controverse,  de  livres  nouveaux  et  d'évé- 
nements politiques,  mais  ces  lettres  n'en  présentent 
pas  moins  un  vif  intérêt,  parce  qu'elles  nous  mon- 
trent le  réformateur  sous  un  aspect  intime  et  fa- 
milier, bien  différent  de  celui  auquel  on  a  généra- 
lement coutume  de  l'envisager.  Accablé  d'occupa- 
tions multiples,  obligé  d'entretenir  une  correspon- 
dance qui  s'étendait  à  toute  l'Europe,  sentant  peser 
sur  ses  épaules  le  poids  si  lourd  de  la  cause  protes- 
tante, alors  menacée  de  toute  part,  et,  dans  Genève 
même,  aux  prises  avec  des  difficultés  sans  cesse  re- 
naissantes, on  le  voit  cependant  toujours  prêta  mettre 
sa  plume,  son  temps  et  ses  conseils  au  service  de 
M.  de  Falais.  Avec  sa  droite  raison,  sa  vue  claire 
des  hommes  et  des  choses,  il  apparaît  comme  l'ami 
sûr,  le  conseiller  toujours  écouté  auquel  on  se  hâte 
de  recourir  dans  les  moindres  circonstances.  Aussi, 
la  considération  qui  lui  est  témoignée  par  la  famille 
de  Falais  se  double-t-elle  d'une  véritable  affection  * 
et  l'on  peut  dire  que  pendant  une  dizaine  d'années, 
la  personnalité  de  Calvin  a  été  étroitement  mêlée  à 
l'existence  de  Jaques  de  Bourgogne. 

Cependant,  dès  le  mois  de  septembre  1546,  les 
affaires  du  parti  protestant  avaient  pris  en  Allemagne 

1  Falais  voulut,  en  particulier,  être  le  parrain  d'un  enfant 
qu'attendait  la  femme  de  Calvin,  mais  qui,  d'ailleurs,  ne 
vécut  pas  {Opéra,  t.  XII,  n*  784). 


INTRODUCTION  XLI 

une  fâcheuse  tournure  et  le  déclin  de  la  ligue  de 
Smalkade  allait  mettre  les  Strasbourgeois  dans  une 
situation  critique.  Ils  tentèrent  d'abord  d'obtenir  des 
secours  du  roi  de  France  \  mais  François  l^^,  malade 
et  vieilli,  ne  sut  pas  profiter  de  l'occasion,  et  devant 
les  progrès  de  l'empereur,  la  ville  dut  se  résigner  à 
composer  avec  lui,  ce  qui  eut  lieu  effectivement  au 
mois  de  mars  1547. 

Ces  événements  ne  pouvaient  manquer  d'exercer 
leur  contre-coup  sur  la  situation  particulière  de 
M.  de  Falais*;  il  se  vit  de  nouveau  en  danger  de 
tomber  aux  mains  de  son  ennemi  et  il  comprit  de 
plus  que  sa  présence  au  milieu  des  Strasbourgeois 
augmenterait  encore  les  difficultés  de  leur  position. 
Aussi,  sans  attendre  la  soumission  de  la  ville,  il 
n'hésita  pas  à  reprendre  le  bâton  du  voyageur  et  à  se 
retirer  à  Bâle  où  il  était  assuré  de  la  protection  effi- 
cace des  cantons  suisses  attachés  à  la  cause  de  la  ré- 
forme. Ce  nouvel  exode  dut  avoir  lieu  à  la  fin  de  1546 
ou  au  début  de  l'année  suivante  ;  en  tout  cas,  Fa- 
lais  était  déjà  établi  à  Bâle*  au  commencement  de 

1  Calvini  Opéra,  t.  XII,  n"  859. 

*  Il  avait  déjà  éprouvé  de  vives  inquiétudes  l'année  précé- 
dente et,  à  la  suite  de  nouvelles  alarmantes,  avait  même 
quitté  brusquement  Strasbourg  avec  toute  sa  maison,  mais 
n'avait  pas  tardé  à  y  revenir,  ces  bruits  fâcheux  ne  s'étant 
pas  confirmés.  (Lettre  de  Valerand  Poulain  à  Calvin,  du 
16  novembre  i545,  ibid.,  n*  729). 

•  Il  y  fut  reçu  bourgeois,  le  22  février  1547:  «Anne  Dni. 
Mv^  xLvii,  zinstags  den  xxii  tag  Februarii,  ist  dem  wolge- 
porn  herrn,  herrn  Jacoben  a  Burgundia,  herrn  zu  Phalesii 
und  Pridami,  etc.,  das  Burgkrecht  gelyhen  et  loco  juramenti, 
dédit  prothoscribe  fidem  manu  stipulata  praesente  D.  Doctore 

6 


XLII  INTRODUCTION 

février  1547,  car  c'est  là  qu'il  reçut  une  visite  de 
Calvin,  lequel  s'y  rendit  précisément  à  cette  époque*. 
La  publication  de  l'Excuse  dut  être  définitivement 
résolue  dans  cet  entretien  et  Jaques  de  Bourgogne 
manifesta  une  fois  de  plus  à  son  ami  l'intention  de 
se  fixer  à  Genève  ;  il  le  chargea  même  de  retenir 
pour  lui  un  logement  dans  cette  ville  *,  mais  l'exé- 
cution de  ce  projet  devait  subir  encore  bien  des  re- 
tards. 

A  peine  Calvin  avait-il  quitté  Bâle,  que  Falais  eut 
la  joie  de  voir  arriver  auprès  de  lui  Antoinette  de 
Bourgogne,  la  seconde  de  ses  sœurs,  qui  n'avait  pas 
hésité  à  suivre  l'exemple  de  son  frère  et  à  tout  quitter 
pour  le  maintien  de  ses  croyances  '. 

Amorbachio.  »  (Archives  de  Bâle,  Oeffnungsbuch,  VIII,  f»  118; 
communication  de  M.  le  D'  Wackernagel,  archiviste  d'Etat. 
Document  inédit). 

>  Cette  entrevue  est  attestée  par  le  témoignage  de  M.  de 
Falais  lui-même  qui  a  inscrit  sur  deux  lettres  de  Calvin,  du 
mois  de  novembre,  la  mention  :  «  Respondu  verballement  à 
Basle  ».  (Voir  Opéra,  t.  XII,  n"  852  et  853,  et  sur  le  voyage 
du  réformateur,  t.  XXI,  Annales.) 

2  Ibid.,  t.  XII,  n»88i  (25  février  1547)  :  «  Pour  vostre  per- 
sonne, suivant  la  charge  que  vous  m'aviez  donnée,  j'ai  regardé 
depuis  mon  retour  où  il  y  auroit  logis  commode...  Auprès  dp 
nous  je  n'en  ay  peu  trouver  ayant  jardin,  qui  vous  fust  plus 
propre  que  une  que  je  vous  ay  louée.  » 

Calvin  habitait  alors  au  Bourg  de  Four,  à  l'angle  de  la  rue 
des  Chaudronniers.  Il  eut  ensuite  quelque  peine  à  rompre  les 
engagements  que,  dans  son  impatience  de  voir  arriver  Falais, 
il  avait  un  peu  précipitamment  contractés  à  l'égard  du  pro- 
priétaire, lequel  n'était  autre  que  le  capitaine  général  Perrin. 
(Ibid.,  n"  912  et  924.) 

8  Calvin  à  Falais,  ibid.,  n'  881  (25  février  1547).  —  Antoi- 
nette de  Bourgogne  a  été  omise  dans  les  généalogies  de  la 
famille,   mais  Calvin,   qui   l'appelle  «  Mademoiselle  de  Bre- 


INTRODUCTION  XLII  l 

La  jeune  fille  n'arrivait  pas  seule  :  elle  était  accom- 
pagnée de  deux  amies,  dont  l'une  était  M"«  de  Vil- 
lerzy,  d'une  famille  noble  de  Belgique,  et  c'est  à  Vale- 
rand  Poulain  ^  que  Falais  avait  confié  la  périlleuse 
mission  de  conduire  les  fugitives.  Poulain  accomplit 
sa  tâche  avec  courage  et  intelligence  mais,  arrivé  à 
Bâle,  il  prétendit  que  M^^  de  Villerzy  s'était  engagée 
à  l'épouser  et  il  l'attaqua  en  rupture  de  promesse  de 
mariage.  Les  juges  bâlois  le  déboutèrent  de  sa  de- 
mande, mais  cette  afl^aire  préoccupa  beaucoup  Falais 
qui  ne  manqua  pas  de  recourir,  dans  cette  occasion, 
aux  conseils  et  à  l'influence  de  Calvin  '.  Celui-ci 
s'était  chargé,  d'autre  part,  de  rédiger  pour  M'^^  de 
Villerzy  un  mémoire  probablement  destiné  aux  pa- 
rents qu'elle  avait  laissés  en  Belgique  et  dans  lequel 
elle  exposait  les  motifs  qui  l'avaient  engagée  à  re- 
joindre M.  de  Falais*.  Il  fallut  enfin  que  le  réforma- 
teur vînt  en  aide  aux  exilés  lorsqu'il  fut  question  de 
trouver  un  parti  pour  la  protégée  de  Jaques  de  Bour- 
gogne. Partagé  entre  le  sentiment  de  sa  responsabilité 

dam  »,  la  mentionne  plusieurs  fois  dans  sa  correspondance 
et  son  nom  se  retrouve  dans  les  pièces  du  procès  intenté  à 
ses  frères,  en  1049.  (Voir  Galesloot,  art.  cité,  p.  17). 

>  Sur  ce  personnage,  voir  France  protestante,  t.  VIII, 
p.  3o8. 

2  Opéra,  t.  XII,  n"  884,  885,  888,  889,  901  et  904. 

3  «  Vous  verrez  les  responses  que  j'ai  faictes  au  nom  de  Ma- 
damoiselle  Villerzy  et  les  mecterez  en  oeuvre,  si  elles  vous 
semblent  propres.  Je  parle  assez  sec  à  l'abbesse  à  cause  de 
la  souspeçon  qui  est  bien  véhémente.  »  (Calvin  à  Falais, 
ibid.,  t.  XII,  n"  937.)  —  Les  éditeurs  des  Opéra  ont  rapporté 
à  tort  ce  passage  au  procès  de  Poulain  ;  la  cause  avait  été 
jugée,  en  effet,  dès  le  mois  de  mai  et  la  lettre  de  Calvin  est 
datée  du  16  août. 


XLIV  INTRODUCTION 

et  le  désir  d'assurer  à  celle  qui  avait  cherché  un  refuge 
auprès  de  lui  l'établissement  honorable  qui  la  met- 
trait à  l'abri  des  calomnies  et  des  revendications  de 
ses  parents,  Falais  hésita  longtemps  sur  le  choix  à 
faire  entre  les  prétendants  ^  Le  mariage  finit  cepen- 
dant par  se  conclure  et  fut  célébré  en  juillet  de  l'année 
suivante,  au  château  de  Veigy  *. 

C'est  à  Bâle  également  que  M.  de  Falais  reçut  la 
visite  de  deux  de  ses  frères,  Pierre,  protonotaire 
apostolique,  et  Antoine,  mais  malgré  leur  penchant 
pour  la  réforme,  ils  ne  se  décidèrent  ni  l'un  ni  l'autre 
à  rester  avec  lui  *. 

Peu  de  temps  après,  M"e  de  Falais  mit  au  monde 
une  fille,  mais  il  était  dans  la  destinée  des  deux  époux 
de  connaître  toutes  les  épreuves  de  la  vie  et  l'enfant 
ne  vécut  que  quelques  jours  *.  Calvin  toutefois  avait 
eu  le  temps  de  recevoir,  dans  l'intervalle,  la  nouvelle 
de  la  délivrance  de  la  femme  de  son  ami  :  *  Il  me 
faict  mal  —  lui  écrivait-il  à  cette  occasion  —  que  je 
ne  puys  là  estre  avecque  vous,  du  moings  un  demy 
jour  pour  rire  avecque  vous,  en  attendant  que  Ton 

>  Lettres  de  Calvin  à  Falais,  Opéra,  n"88i,  912,  937  et  944. 

2  Ibid.,  t.  XIII,  n»  1047.  C'est  bien  du  mariage  de  M"»  de 
Villerzy  qu'il  doit  être  question  dans  cette  lettre  du  réforma- 
teur à  Jaques  de  Bourgogne,  en  date  du  17  juillet  1548.  — 
L'époux  préféré  paraît  avoir  été,  d'après  un  passage  de  la 
même  lettre,  Antoine  Popillon,  sieur  de  Parey,  natif  de 
Moulins,  lequel  fut  reçu  habitant  de  Genève,  le  3  mai  1549, 
et  bourgeois,  le  i3  janvier  i556.  (Registres  du  Conseil,  vol. 
44,  fo  87  et  vol.  5o,  f»  98  v».) 

8  Galesloot,  art.  cité  (procès  de  1549). 

*  Lettre  de  Calvin  à  Viret,  Opéra,  t.  XII,  n»  941  (aS  août 
i547). 


INTRODUCTION  XLV 

face  rire  le  petit  enfant,  en  peine  d'endurer  cependant 
qu'il  crye  et  pleure  ^ 

Par  une  tendance  assez  naturelle  d'ailleurs,  la 
commune  opinion  ne  se  représente  guère  les  grandes 
figures  du  passé  que  dans  une  attitude  unique,  et 
en  supprime  volontiers  tous  les  traits  de  nature  à 
atténuer  le  simplisme  et  la  netteté  de  cette  attitude. 
La  réalité,  plus  humaine,  ne  connaît  pas  ces  procédés 
absolus  et  en  face  du  Calvin  traditionnel,  au  cœur 
sec,  à  l'âme  fermée,  elle  nous  montre  aussi  l'homme 
capable  d'éprouver  les  douleurs  et  les  joies  de  la  fa- 
mille et  sachant  parfois  se  pencher  avec  un  sourire 
sur  le  berceau  d'un  enfant. 

1  Opéra,  n»  gSy  (i6  août). 


CHAPITRE  VII 

LE    CHATEAU     DE    VEIGY 


ALGRÉ  les  obstacles  divers  qui  s'étaient  oppo- 
sés jusqu'alors  au  projet  qu'il  avait  formé 
depuis  longtemps  de  se  rapprocher  de  Ge- 
nève, M.  de  Falais  n'en  avait  cependant  point  aban- 
donné la  réalisation,  et  c'est  au  mois  de  février  1548 
qu'il  prit  la  résolution  définitive  de  ce  nouveau 
changement  de  résidence  ^  Cette  décision  coïncide 
précisément  avec  un  nouveau  voyage  de  Calvin  à 
Bâle  au  début  de  cette  même  année  '.  Dès  le  21  mars, 
Falais  faisait  part  de  son  intention  au  Conseil  de 
cette  ville,  en  le  priant  de  lui  accorder  des  lettres  de 
recommandation  pour  les  autorités  de  Genève  et 
de  Berne  et  de  lui  conserver  ses  droits  de  bour- 

>  Voir  la   lettre  de  Calvin  à   Falais,  du  27  lévrier    1548. 
{Opéra,  t.  XII,  n*  998). 
•  Ibid,  t.  XXI,  Annales. 


XLVIII  INTRODUCTION 

geoisiedont  il  s'engageait  à  remplir  tous  les  devoirs  *. 

Ce  n'était  pas  alors  une  petite  entreprise  que  de  se 
rendre  de  Bâle  à  Genève,  avec  une  famille  de  cinq 
personnes,  des  serviteurs  et  de  nombreux  bagages. 
Les  difficultés  durent  être  augmentées  encore  pour 
Falais  par  son  état  de  santé  ;  il  fallait  voyager  lente- 
ment, à  cheval  ou  sur  de  lourdes  voitures,  en  faisant 
assurer  d'avance  les  étapes  et  la  sécurité  du  chemin. 
Enfin,  tous  les  préparatifs  étant  terminés,  Falais  prit 
affectueusement  congé  des  magistrats  bâlois  et  se  mit 
en  route  dans  le  courant  de  juin  *. 

A  quelque  distance  de  Genève,  sur  l'un  des  coteaux 
qui  dominent  la  rive  méridionale  du  lac,  s'élève, 
dans  une  contrée  agreste  et  salubre,  le  château  de 
Veigy.  11  avait,  depuis  la  conquête  de  i536,  passé 
avec  le  reste  du  Chablais  sous  la  domination  ber- 
noise, et  c'est  là  que  notre  voyageur  allait  s'établir, 
sans  savoir  s'il  y  trouverait  enfin  un  asile  définitif. 

Falais  avait  donc  renoncé  à  se  fixer  à  Genève  même  : 
son  état  de  santé  qui  exigeait  un  air  plus  pur  ',  et 

1  La  requête  de  Falais,  accompagnée  de  la  réponse  du 
Conseil,  existe  encore  aux  archives  de  Bâle,  St  104.  B.  3. 
(Communication  de  M.  le  D'  Wackernagel).  —  Les  magistrats 
bâlois  s'empressèrent  de  lui  délivrer  les  lettres  qu'il  sollici- 
tait, mais  décidèrent,  quant  à  la  bourgeoisie,  qu'il  en  serait 
privé  s'il  demeurait  absent  plus  de  six  mois,  ou  qu'il  devrait 
venir  en  personne  prêter  le  serment  de  renonciation.  (Cf. 
Opéra,  t.  XII,  n»  1008,  lettre  de  Calvin  à  Falais,  du  3  avril 
1548). 

'  C'est  du  moins  la  date  que  l'on  peut  fixer  approximative- 
ment d'après  une  lettre  de  Calvin  à  Farel,  écrite  le  10  juillet 
[Ibid.,  t.  XIII,  n"  1043). 

*  Dans  sa  lettre  aux  autorités  bâloises,  il  motivait  sa  de- 
mande de  congé  sur  la  nécessité  où  il  se  trouvait  de  chercher 


INTRODUCTION  XLIX 

aussi  le  désir  de  se  placer  sous  la  protection  de  la 
puissante  république  de  Berne,  furent  sans  doute  les 
causes  principales  de  sa  détermination,  mais  ce  n'en 
fut  pas  moins  une  vive  déception  pour  Calvin  de  ne 
pouvoir  donner  à  l'église  de  Genève  la  gloire  de 
posséder  entièrement  l'homme  qu'il  avait  su  con- 
quérir sur  Charles-Quint  lui-même,  et  sa  corres- 
pondance ne  laisse  pas  de  doute  sur  ses  sentiments 
à  cet  égard  ^  Il  obtint  cependant  qu'après  s'être  in- 
stallé à  Veigy,  Falais  viendrait  passer  l'hiver  à  Ge- 
nève *.  Celui-ci  aurait  même  fait,  d'après  un  témoi- 
gnage contemporain  ',  de  fréquents  séjours  chez  le 
réformateur  et  acheta,  par  la  suite,  une  maison  dans 
la  ville  *  ;  il  dut,  en  conséquence,  y  séjourner  à  plu- 
sieurs reprises. 

un  climat  plus  favorable  et  sur  son  désir  de  pouvoir  se 
joindre  à  une  église  de  langue  française,  mais  ces  considéra- 
tions et  les  instances  de  Calvin  ne  furent  pas  les  seuls  mo- 
biles de  la  détermination  prise  par  M.  de  Falais.  Elle  dut  lui 
être  dictée  aussi  par  la  crainte  d'une  tentative  de  violence, 
toujours  possible  tant  qu'il  se  trouverait  à  proximité  immé- 
diate des  terres  de  l'Empire  :  a  De  ne  bouger  de  là,  lui  écri- 
vait le  réformateur  au  mois  de  novembre  1547,  c'est  chose 
conclue  jusque  au  printemps,  s'il  ne  survenoit  contrainte 
violente.  »  (Opéra,  t.  XII,  n"  970). 

»  Calvin  à  Farel,  10  juillet,  lettre  citée  :  «  C'est  avec  mon 
assentiment  que  Falais  s'est  installé  à  quelque  distance  de  la 
ville  parce  qu'il  eût  été  difficile  de  le  décider  à  s'y  rendre 
tout  droit,  mais  l'expérience  sera  pour  lui  un  maître  plus 
écouté.  ML  (Traduction).  On  ne  peut  méconnaître,  dans  le  ton 
de  ces  paroles,  un  dépit  mal  dissimulé. 

2  Opéra,  t.  XIII,  n»  io66. 

»  Celui  du  régent  Colinet  dans  une  lettre  à  Sébastien  Cas- 
tellion.  (/6ii.,  t.  XIV,  n"  1769). 

*  Archives  de  Genève,  Registres  du  Conseil  (affaires  parti- 
culières), vol.  5,  f»  147. 

7 


L  INTRODUCTION 

Les  magistrats  genevois  n'avaient  pas  vu  avec  plus 
de  satisfaction  que  le  chef  de  leur  église  cette  préfé- 
rence accordée  à  la  protection  bernoise.  Aussi  parais- 
sent-ils avoir  accueilli  le  nouveau  venu  avec  une 
froideur  si  marquée  que  Calvin  crut  devoir  tenter 
une  démarche  discrète  auprès  du  Conseil  pour  le 
prier  de  témoigner  plus  de  considération  à  l'illustre 
proscrit,  mais  cette  intervention  eut  un  succès  mé- 
diocre *■  et,  bien  que  des  relations  plus  cordiales 
semblent  s'être  établies  plus  tard  *,  on  peut  dire  que 
Jaques  de  Bourgogne  a  toujours  vécu  à  Genève  en 
étranger  ;  il  ne  s'est  jamais  mêlé  à  la  vie  d'une  cité 
à  laquelle  cependant  tout  semblait  devoir  le  ratta- 

1  Registres  du  Conseil,  vol.  43,  f»  200  v»  (24  sept.  1548)  : 
«  Mons'  Calvin  a  proposé  comme  le  S'  de  Fallex  a  esté  icy, 
mais  qui  n'a  point  heu  de  responce  sus  la  requeste  par 
luy  faicte.  Surquoy  seroit  bon  de  se  acomoder  à  luy  et  luy 
monstrer  signe  de  admytié,  comme  Mess"  de  Basle  en  hont 
escript  en  sa  faveur.  Ordonné  que  quant  à  Mons^  de  Fallex 
que  si  veult  quelque  chose,  qu'il  viengne  icy  et  l'on  pourvoy- 
stra  comme  de  raison.  » 

*  Le  4  janvier  1549,  ^^  Conseil  envoyait  à  M.  de  Palais,  de 
nouveau  gravement  malade,  une  députation  pour  lui  deman- 
der un  don  en  faveur  de  l'hôpital.  Quelque  temps  après,  les 
magistrats  lui  prêtaient,  à  sa  requête  et  en  sa  qualité  de  «  sei- 
gneur de  Troche  »,  des  fers  et  des  menottes  destinés  à 
quelques  malandrins  arrêtés  sur  l'ordre  du  nouveau  châtelain 
de  Veigy,  en  vertu  des  droits  justiciers  qu'il  avait  acquis  en 
même  temps  que  la  terre  dont  il  était  devenu  possesseur. 
(Voir  Reg.  du  Conseil,  vol.  43,  f»  275  v»;  vol.  44,  f*  81  v*.) 

La  seigneurie  de  Troche,  visée  par  la  décision  du  Conseil, 
était  une  ancienne  maison  forte  des  comtes  de  Genevois, 
située  à  5  kilomètres  N.-E.  de  Veigy.  Possédé  ensuite  par  les 
princes  savoyards,  ce  fief  avait  dû  passer,  en  i536,  aux  mains 
du  gouvernement;  bernois  et  c'est  de  ce  dernier  que  Palais 
l'avait  sans  doute  acquis,  avec  la  résidence  de  Veigy  qui  de- 
vait en  dépendre. 


INTRODUCTION  LI 

cher.  L'état  de  sa  santé  \  la  réserve  de  son  caractère 
le  tinrent  à  l'écart  ;  il  vécut  surtout  à  Veigy,  n'ayant 
guère  d'autres  relations  que  celles  de  Calvin,  de  Viret 
et  de  leurs  amis,  jusqu'au  jour  où  sa  maison  devint 
au  contraire  un  centre  de  réunion  pour  les  adver- 
saires du  réformateur. 

On  ne  saurait  donc  être  surpris  que  le  passage  de 
M.  de  Falais  à  Genève  ait  laissé  peu  de  traces  :  il  en 
est  parti  comme  il  était  venu,  sans  que  sa  présence 
ou  sa  disparition  aient  pu  exercer  dans  la  république 
une  influence  appréciable. 

»  Il  avait  été  si  grave,  au  début  de  1549,  qu'on  désespéra 
pendant  quelques  jours  de  la  vie  du  malade  :  «  J'ai  dû,  à 
cause  de  Falais,  écrivait  Viret  à  Farel,  le  12  janvier,  me 
rendre  à  Genève  plus  tôt  que  je  ne  pensais.  Il  m'avait  envoyé 
un  messager  à  cheval,  car  il  désirait  m'entendre  et  me  parler, 
quoique  Textor,  le  médecin,  n'espérât  plus  que  je  le  trou- 
verais vivant.  A  notre  grande  joie  cependant  et  à  celle  de 
Textor,  celui-ci  s'est  trompé,  et  Dieu,  contre  toute  attente, 
l'a  conservé  jusqu'à  présent,  mais,  pour  combien  de  temps 
encore,  Lui  seul  le  sait.  Au  moment  où  je  me  préparais  au 
retour,  Falais  m'a  paru  mieux  :  j'espère  en  conséquence  qu'il 
pourra  survivre  encore  quelque  temps,  bien  qu'il  soit  d'une 
faiblesse  extrême  et  presque  sans  remède.  Il  m'a  prié  in- 
stamment de  le  recommander  à  tes  prières,  ce  que  tu  ne 
manqueras  pas  de  faire,  j'en  suis  certain.  A  quel  point  Dieu 
lui  est  présent,  combien  il  est  soutenu  et  pénétré  d'une  joie 
céleste  et  des  consolations  du  Saint  Esprit,  cela  est  incroya- 
ble. Sa  constance  au  milieu  des  soucis  domestiques  n'est  pas 
moindre  que  la  résignation  chrétienne  avec  laquelle  il  sup- 
porte les  afflictions.  Il  a  désigné  Calvin  et  moi  pour  ses 
exécuteurs  testamentaires  et  m'a  prié  de  ne  pas  refuser  cette 
charge.  Dieu  veuille  qu'il  n'ait  pas  besoin  de  mes  services 
en  cette  circonstance,  bien  que  je  sois  prêt  à  les  lui  rendre, 
si  la  nécessité  l'exige.  »  {Calvini  opéra,  t.  XIII,  n»  1121,  tra- 
duction.) 


c^^^s^ 


CHAPITRE   VIII 

l'affaire    de    bolsec 
rupture    avec    calvin 


;e  fut  peut-être  l'époque  la  plus  heureuse  de 
la  vie  de  Jaques  de  Bourgogne  que  les 
trois  années  qui  suivirent  son  établisse- 
ment à  Veigy,  dans  une  retraite  qu'il  affectionnait, 
au  milieu  de  sa  famille  et  de  quelques  amis.  Elles  ne 
furent  marquées  pour  lui  que  par  le  mariage  de  sa 
sœur  Antoinette  ^  et  par  le  procès  intenté  à  ses  frères 

*  Elle  épousa,  en  octobre  1 549,  un  gentilhomme  français, 
M.  de  Velu,  lequel  habitait  aux  environs  de  Genève,  sur  les 
terres  de  Berne.  (Voir  Calvini  opéra,  t.  XIII,  n»  1281  ;  t.  XIV, 
n«  i526;  t.  XX,  n»  4162.)  Ce  personnage  nous  paraît  devoir 
être  identifié  avec  Adrien  de  Saint-Amand,  sieur  de  Velu  en 
Artois  (Pas-de-Calais),  dont  le  nom  se  retrouve  dans  les  re- 
gistres du  Conseil  de  Genève  (vol.  64,  f"  i56  et  i58  ;  vol.  56, 
f»  58,  et  reg.  des  partie,  vol.  3,  f"  228).  Antoinette  de  Bour- 
gogne mourut  en  i552,  trois  ans  après  son  mariage.  {Calvini 
opéra,  t.  XIV,  n»  1647). 


LIV  INTRODUCTION 

demeurés  dans  les  Pays-Bas.  Accusés  d'hérésie,  moins 
convaincus  et  moins  vaillants  que  lui,  ils  s'étaient 
hâtés  de  répudier  leurs  croyances  et  d'implorer  la 
grâce  de  l'empereur  ^  Mais  au  moment  même  où  il 
pouvait  espérer  quelque  repos  après  tant  d'orages, 
Falais  allait  être  rejeté  loin  du  port  et  voir  s'opérer, 
malgré  lui,  la  rupture  de  ses  relations  avec  Calvin. 

Nous  n'avons  point  à  refaire  ici  l'histoire  du  procès 
de  Bolsec  ;  on  la  connaît  aujourd'hui  dans  tous  ses 
détails  et  cette  cause  célèbre  est  désormais  entendue  *, 
mais  elle  a  exercé  sur  les  rapports  de  M.  de  Falais 
avec  l'église  de  Genève  et  avec  son  chef  une  influence 
trop  considérable  pour  que  nous  n'en  devions  pas 
rappeler  ici  les  circonstances  principales. 

Jérôme  Bolsec,  originaire  de  Paris,  était  un  ancien 
moine  qui  avait  embrassé  la  réforme.  Ses  fonctions 
ecclésiastiques  ne  l'avaient  pas  empêché  cependant 
d'étudier  la  médecine,  et  au  moment  de  son  entrée 
sur  la  scène  genevoise,  il  était  fixé  à  Veigy,  auprès  de 
M.  de  Falais,  qui  en  avait  fait  son  médecin. 

Le  goût  des  discussions  théologiques  lui  était  resté 
toutefois  :  il  faillit  lui  coûter  cher.  Adversaire  décidé 

>  Les  circonstances  de  cette  affaire  ont  été  relatées  par 
M.  Galesloot  (art.  cité),  d'après  les  documents  conservés 
aux  archives  de  l'Audience  à  Bruxelles.  Des  cinq  frères 
de  Jaques  de  Bourgogne,  le  second,  François,  denieura 
seul  fidèle  à  ses  convictions  ;  il  réussit  à  s'enfuir  de  Bel- 
gique et  s'établit  en  Angleterre.  {Calvhii  opéra,  t.  XIII, 
n»  1419.) 

*  Voir  surtout  Roget,  Histoire  du  peuple  de  Genève,  t.  III, 
pp.  iS-j  et  suiv.,  et  l'étude  publiée  par  M.  Henry  Fazy  dans 
le  t.  X  des  Mémoires  de  l'Institut  national  genevois,  enfin  Cal- 
vini  opéra,  t.  VIII. 


INTRODUCTION  LV 

de  la  doctrine  de  la  prédestination,  il  osa  un  jour, 
en  pleine  assemblée,  attaquer,  sur  ce  point  capital, 
l'Institution  chrétienne  et  tenir  tête  à  Calvin  qui  se 
trouvait  présent.  Celui-ci  n'était  pas  homme  à  reculer; 
il  accepta  le  défi  et,  sur  l'heure,  les  ministres  dénon- 
çaient Bolsec  en  réclamant  l'intervention  du  bras 
séculier. 

Les  magistrats,  après  avoir  ordonné  la  formation 
du  procès,  prirent  connaissance  de  l'interrogatoire 
de  l'accusé,  mais,  sentant  leur  incompétence  en  ces 
obscures  matières  de  théologie,  résolurent  de  con- 
sulter les  églises  suisses. 

C'est  alors  que  Falais  apparaît  tout  à  coup  dans  le 
débat.  Il  écrit  au  Conseil  pour  lui  recommander  son 
médecin,  «attendu,  dit-il,  que  la  cause  de  sa  déten- 
tion n'est  que  pour  avoir  parlé  à  la  Congrégation 
librement  de  la  doctrine,  ce  qui  doit  bien  être  permis 
à  tous  chrétiens,  sans  pour  cela  être  emprisonné  *  ». 

Deux  jours  plus  tard,  il  revenait  à  la  charge  et 
sollicitait  la  libération  de  Bolsec. 

Cette  énergique  revendication  du  droit  de  libre 
examen,  qui  est  la  base  même  et  la  raison  d'être  du 
protestantisme,  suffirait  à  elle  seule  pour  témoigner 
de  la  noblesse  du  caractère  de  Jaques  de  Bourgogne 
et  de  l'élévation  de  son  sentiment  religieux,  mais 
elle  nous  découvre  en  même  temps  les  causes  pro- 
fondes qui  avaient  amené  cet  esprit  si  tolérant  et  si 
large  à  séparer  sa  cause  de  celle  de  Calvin.  Pour 
n'être  pas  direct,  le  coup  n'en  atteignait  pas  moins  le 

»  Calvini  opéra,  t.  VIII,  p.  200. 


LVI  INTRODUCTION 

réformateur  et  celui-ci  ne  se  méprit  pas  sur  la  signifi- 
cation de  cette  démarche. 

Après  délibération,  le  Conseil  arrêta  simplement 
de  suivre  au  procès.  C'était  en  réalité  une  fin  de 
non  recevoir,  mais  Falais  s'était  également  adressé 
au  Sénat  de  Berne  et  sa  requête  fut  accueillie  avec 
tant  de  faveur  que  Farel,  quelques  semaines  plus 
tard,  lui  attribuait  en  bonne  partie  le  peu  d'empres- 
sement des  églises  suisses  à  embrasser  la  cause  de 
Calvin  ^  Celles-ci  en  effet,  à  l'exception  de  Neu- 
châtel,  déçurent  cruellement  l'attente  du  réformateur. 
Au  lieu  de  condamner  formellement  Bolsec,  elles  se 
montrèrent  très  réservées  sur  la  doctrine  prédesti- 
nienne  et  prêchèrent  surtout  aux  Genevois  la  tolé- 
rance et  la  modération. 

Dès  lors,  il  devenait  difficile  de  frapper  Bolsec  avec 
rigueur  ;  simplement  banni  du  territoire  de  la  répu- 
blique, il  retourna  à  Veigy  et  le  gouvernement  ber- 
nois le  prit  ouvertement,  pendant  quelques  années, 
sous  sa  protection . 

L'affaire  de  Bolsec  ne  fut  qu'une  escarmouche  dans 
la  lutte  engagée  par  Calvin  contre  ses  adversaires, 
mais  elle  eut  des  conséquences  autrement  graves 
pour  les  relations  du  réformateur  avec  M.  de  Falais. 

On  ne  saurait  admettre,  d'ailleurs,  que  la  crise  ait 
éclaté  sans  avoir  été  préparée;  le  dissentiment,  plus 
ou  moins  déguisé,  devait  exister  déjà.  Jaques  de 
Bourgogne  n'avait  probablement  jamais  éprouvé  une 
tendresse  bien  vive  pour  le  dogme  de  la  prédestina- 

•  Calvini  opéra,  t.  XIV,  n»  1584. 


INTRODUCTION  LVII 

tien  ;  ses  conversations  avec  Bolsec  durent  l'en  éloi- 
gner davantage  encore  et  diminuer,  en  même  temps, 
sa  confiance  et  son  admiration  pour  la  personnalité 
de  Calvin.  Les  discours  de  l'ancien  carme  ne  furent 
pas  seuls  à  agir  dans  cette  occurrence  :  le  ministre  de 
Veigy  ^  repoussait,  lui  aussi,  les  théories  prédesti- 
niennes  et  l'on  comprend  dès  lors  qu'il  se  soit  formé 
autour  de  Falais  une  atmosphère,  sinon  précisément 
hostile  au  réformateur,  du  moins  peu  favorable  au 
maintien  de  l'ascendant  absolu  qu'il  avait  exercé  jus- 
qu'alors sur  l'esprit  de  son  coreligionnaire. 

Il  est  possible  aussi  que  Jaques  de  Bourgogne 
eût  été  froissé  en  quelques  circonstances  par  les  al- 
lures de  Calvin  et  supportât  moins  aisément  le  joug 
depuis  qu'il  vivait  dans  le  voisinage  du  chef  de 
l'église  genevoise. 

L'arrestation  de  Bolsec  précipita  les  événements. 
Navré  de  ce  qu'il  considérait  comme  un  abus  de 
pouvoir  et  une  atteinte  portée  à  la  liberté  de  con- 
science *,  Falais,  n'écoutant  que  sa  générosité,  inter- 
vint résolument  en  faveur  de  l'accusé.  Calvin  bondit 
sous  le  coup,  mais  cette  défection  d'un  personnage 
aussi  considérable  portait  une  atteinte  trop  sensible 
à  son  prestige  pour  qu'il  ne  cherchât  pas  à  le  réta- 
blir. Des  amis  communs,  des  ministres  et  jusqu'aux 


»  Michel  Porret  de  Neuchâtel  (Viret  à  Calvin,  7  janvier  i552, 
Opéra,  t.  XIV,  n»  i582). 

'  «  Ce  n'est  pas  sans  larmes,  écrivait-il  à  Bullinger  au  cours 
du  procès,  que  je  suis  contraint  d'assister  à  la  tragédie 
donnée  par  Calvin  et  ses  partisans.  »  [Ibid.,  t.  XIV,  n»  i555.) 

8 


LVIII  INTRODUCTION 

serviteurs  même  de  la  famille  *,  s'efforcèrent  d'obtenir 
de  Falais  qu'il  désavouât  Bolsec  et  fît  amende  hono- 
rable, mais,  soutenu  par  sa  femme,  il  ne  se  laissa  pas 
ébranler*.  Enfin,  au  sortir  d'une  entrevue  qui  paraît 
avoir  été  assez  froide  et  n'amena  en  réalité  aucun 
rapprochement,  Calvin  apprit  que  Falais  avait  ma- 
nifesté hautement  sa  sympathie  pour  le  noble  et  mal- 
heureux Sébastien  Castellion,  victime  lui  aussi  de 
l'intolérance  du  réformateur*.  C'est  alors  qu'exas- 
péré par  cette  nouvelle  preuve  du  changement  qui 
s'était  opéré  dans  les  dispositions  de  Jaques  de  Bour- 
gogne à  son  égard,  il  se  décida  à  cesser  toute  relation 
avec  lui.  Falais,  informé  de  cette  résolution  par  un 
ami,  provoqua  une  explication  devenue  inévitable  et 
Calvin  se  hâta  de  la  lui  fournir  :  «  Monseigneur,  puis 
que  vous  pensez  avoir  bonne  cause,  pardonnez  moy 
si  je  ne  vous  puis  satisfaire  en  confessant  que  j'aye 
tort,  ce  qui  ne  seroit  qu'hypocrisie.  Car  je  scay  que 


1  Au  nombre  de  ces  serviteurs,  il  faut  compter  le  trop 
fameux  Nicolas  de  La  Fontaine  qui  avait  été  placé  par  Calvin 
auprès  de  Jaques  de  Bourgogne,  car  c'est  bien  de  lui  dont  il 
doit  être  question  dans  la  correspondance  :  «  Je  suis  joieulx 
que  Nicolas  vous  vient  à  gré.  »  (Opéra,  t.  XII,  n*  970.)  Au  dire 
de  Castellion,  La  Fontaine  aurait  rempli  chez  M.  de  Falais 
l'office  de  cuisinier.  Après  l'affaire  de  Bolsec,  il  entra  au  ser- 
vice de  Calvin  et  l'on  connaît  le  rdle  qu'il  joua  en  i553  dans 
le  procès  de  Servet. 
*  Vie  de  Calvin,  par  Nicolas  CoUadon.  (Ibid.,  t.  XXI,  p.  75.) 
'  Ibid.,  t.  XIV,  n"  1692,  dernière  lettre  de  Calvin  à  Jaques 
de  Bourgogne.  —  Au  sujet  des  rapports  de  Falais  avec  Cas- 
tellion, voir  la  belle  étude  consacrée  à  ce  dernier  par  M.  F. 
Buisson  [Sébastien  Castellion,  sa  vie  et  son  œuvre,  Paris, 
1892,  t.  II,  pp.  62  et  suiv.) 


INTRODUCTION  LIX 

moy  mesme  desja  de  long  temps  vous  ay  déclaré  de 
l'homme  ce  qui  en  estoit  et  ça  esté  chose  trop  com- 
mune des  actes  qu'il  a  faictz.  Depuis  ce  temps  là, 
vous  l'avez  tellement  loué  que  celluy  qui  me  le  reci- 
toit  usât  de  ces  motz,  qu'il  n'avoit  ouy  jammais  faire 
si  grand  cas  d'homme  du  monde.  Quant  vous  en 
veniez  jusque  là,  estant  desja  adverty  par  moy,  il 
falloit  bien  que  vous  le  missiez  si  hault  pour  nous 
faire  condemner  avec  toute  nostre  doctrine,  de  la- 
quelle il  s'est  monstre  si  mortel  ennemy,  voire  enragé 
et  démoniaque,  qu'il  n'a  pas  eu  honte  d'escrire  : 
Deus  Calvini  est  hypocrita,  mendax,  perfidus,  injus- 
tus,  fauior  et  patronus  scelerum  et  diabolo  ipso 
pejor.  Ainsi  il  fauldroit  que  pour  vous  gratifier  je  re- 
nonçasse à  Dieu  et  à  sa  vérité  et  au  salut  que  j'en 
espère.  Vostre  intention  n'est  pas  telle,  je  le  croy. 
Mais  si  pour  l'humanité  et  mansuétude  de  vostre 
esprit,  vous  estes  content  d'ignorer  quel  est  celluy  qui 
faict  la  guerre  à  Dieu,  et  non  seulement  cela,  mais 
n'adjoustant  nulle  foy  à  nostre  tesmoignage,  donnez 
occasion  de  nous  rendre  détestables,  souffrez,  je  vous 
prie,  que  j'aye  quelque  zèle  de  maintenir  l'honneur 
de  mon  Maistre...  Et  puis  qu'encor  à  ceste  heure, 
vous  aimez  de  suivre  une  leçon  toute  contraire  à  celle 
que  j'ay  apprins  en  l'eschole  de  mon  Maistre  (car 
vous  dictes  que  vous  estes  bien  ayse  d'oublier  le  mal 
qui  pourroit  estre  en  luy;  et  il  nous  est  dict  :  Videte 
Canes,  observate,  notate,fugite,  cavete)  je  vous  laisse 
vos  délices.  Si  j'ay  esté  trop  aspre  et  lourd,  pardonnez 
moy,  vous  m'y  avez  contrainct.  Et  affin  que  vous 


LX  INTRODUCTION 

scachiez  qu'il  n'y  a  ni  cholere  ni  malveillance,  je 
vous  escris  la  présente  comme  m'apprestant  de  com- 
paroistre  devant  Dieu  lequel  m'afflige  de  rechef  d'un 
mal  qui  m'est  comme  un  mirouer  de  la  mort  devant 
les  yeulx.  Je  le  supplieray.  Monseigneur,  qu'en  aiant 
pitié  de  moy  et  me  recevant  à  mercy,  il  vous  conserve 
et  guide  par  son  Esprit  et  vous  augmente  en  toute 
prospérité  avec  Mademoiselle  et  toute  vostre  fa- 
mille ^  » 

Cette  lettre  sera  la  dernière  du  réformateur  à  celui 
dont  il  se  proclamait  naguère  «  l'humble  frère,  ser- 
viteur et  ancien  ami  à  jamais  ^  ;  elle  sonne  le  glas 
funèbre  des  sentiments  de  confiance  et  d'affection 
qui  les  avaient  unis  pendant  des  années,  et  bien  qu'on 
n'en  puisse  méconnaître  ni  la  dignité  de  la  pensée  ni 
la  modération  des  termes,  elle  est  comme  imprégnée 
d'une  amertume  qui  laissera  dans  le  cœur  de  ces 
deux  hommes  une  trace  indélébile. 

C'est  en  vain  que  Jaques  de  Bourgogne  aura  donné 
des  gages  essentiels  à  la  cause  de  la  réforme,  accepté 
pour  elle  les  plus  durs  sacrifices  et  constamment 
prouvé  la  droiture  de  ses  intentions  :  il  n'est  plus 
désormais  qu'un  ennemi,  presque  un  traître  et  c'est, 
à  son  égard,  un  étrange  concert  de  récriminations 
passionnées.  Calvin  donne  l'exemple  ;  il  va,  suivant 
l'expression  d'un  contemporain,  précipiter  dans  les 
enfers  celui  que  naguère  il  élevait  jusques  au  ciel  *, 
et  tandis  qu'il  efface  d'une  main  encore  frémissante 

1  Opéra,  t.  XIV,  n*  1692  (sans  date). 

«  Sébastien  Castellion  (De  Hœreticis  a  civili  Magtstratu 
non  puniendis.) 


INTRODUCTION  LXI 

de  colère  le  nom  de  Falais  en  tête  de  son  commen- 
taire sur  la  I"  Epître  aux  Corinthiens  S  il  ne  laisse 
échapper,  dans  ses  lettres,  aucune  occasion  d'exhaler 
l'ardeur  de  son  ressentiment. 

Après  le  maître,  ses  fidèles.  Ecoutez  Viret  ',  un 
modéré  cependant  ;  écoutez  surtout  Farel  charger 
M.  de  Falais  d'injustes  soupçons  et  le  réunir  à  Servet 
et  à  Bolsec  dans  une  trinité  digne  de  régner  aux  en- 
fers*. Nous  voilà  loin,  en  vérité,  du  temps  où  ce 
même  Farel  appelait  Jaques  de  Bourgogne  «  une 
œuvre  admirable  du  Seigneur*  »  ! 

Enfin,  treize  années  plus  tard,  Nicolas  Colladon 
formulera  le  jugement  officiel  de  l'église  de  Genève, 
en  opposant  à  Falais  et  à  sa  femme  ceux  qui  ont 
suivi  la  parole  de  Dieu  «.  sans  feintise  *  ». 

L'histoire  ne  ratifiera  pas  ce  verdict  ;  elle  dira  qu'en 
prenant,  au  nom  de  la  tolérance,  le  parti  de  l'opprimé, 
Jaques  de  Bourgogne  est  resté  fidèle  au  véritable 
esprit  de  la  réforme  et  il  en  gardera  la  gloire.  Calvin 
nous  apparaît,  ici  comme  ailleurs,  avec  toute  l'âpreté 
de  son  dogmatisme,  toute  la  rigueur  de  son  caractère, 
mais  à  lui  vouloir  appliquer  l'exacte  mesure  de  nos 


1  Dans  la  troisième  édition  de  cet  ouvrage,  publiée  en 
i556,  Calvin  a  remplacé  la  dédicace  qu'il  avait  adressée  à 
M.  de  Falais,  dix  ans  auparavant,  par  une  lettre  à  Galeas 
Caracciolo,  marquis  de  Vico,  dans  laquelle  il  laisse  couler 
librement  le  flot  de  rancune  amassé  contre  son  ancien 
ami. 

*  Calvini  opéra,  t.  XIV,  n'  iSjô. 
=>  Ibid.,  t.  XV,  n»  1964. 

♦  Ibid.,  t.  XII,  n»  799. 

»  Vie  de  Calvin  (Ibid.,  t.  XXI,  p.  75.) 


LXII  INTRODUCTION 

sentiments  et  de  nos  idées,  ce  serait,  à  notre  tour, 
commettre  une  injustice. 

Au  milieu  des  périls  intérieurs  et  extérieurs  qui 
menaçaient  alors  la  cause  protestante,  sous  le  poids 
d'une  tâche  et  de  responsabilités  écrasantes  S  le  chef 
de  la  réforme  française  put  méconnaître  les  inten- 
tions du  défenseur  de  Bolsec.  Dans  le  feu  du  combat, 
cet  esprit  de  largeur  et  de  tolérance,  cette  mansué- 
tude d'une  âme  généreuse  devaient  échapper  à  Calvin 
et  l'action  indépendante  de  son  ancien  disciple  ne 
fut,  à  ses  yeux,  qu'hostilité,  faiblesse  ou  trahison.  «  Il 
ne  faut  pas  se  figurer  Calvin  proclamant  une  éman- 
cipation quelconque,  a  dit  excellemment  un  historien, 
le  contraire  serait  plutôt  vrai.  Il  n'est  ni  un  révolu- 
tionnaire de  génie  comme  Luther,  ni  un  missionnaire 
comme  Farel  :  logicien  et  juriste,  il  apporte  au  pro- 
testantisme l'esprit  de  logique  dans  le  dogme,  l'esprit 
d'autorité  dans  la  discipline  *.  » 

Et,  d'autre  part,  pour  apprécier  équitablement  les 
hommes  du  passé,  il  faut  chercher  à  pénétrer  l'es- 
prit de  leur  époque  et,  pour  un  instant,  se  refaire  en 
quelque  sorte  une  âme  pareille  à  la  leur.  La  violence 
du  sentiment  religieux,  qui  poussait  alors  chaque  parti 
à  se  croire  en  possession  de  la  vérité  absolue,  avait 
effacé  chez  le  plus  grand  nombre  jusqu'à  la  notion 
même  de  la  tolérance.  Personne,  à  cet  égard,  ne  fut 
de  son  temps  plus  que  Calvin.  Sûr  d'avoir  trouvé, 

•  Nous  ne  saurions  mieux  faire  que  de  renvoyer  ici  le  lec- 
teur à  l'étude  magistrale  de  M.  Faguet  sur  Calvin  (XVI*  Siècle, 
Paris,  iSgS). 

'  Buisson,  ouvr.  cité,  t.  I,  p.  96. 


INTRODUCTION  LXIII 

par  la  grâce  divine  et  l'étude  de  la  Bible,  le  secret  de 
la  vérité  religieuse,  il  en  était  venu  à  considérer 
comme  une  offense  à  cette  vérité  et  à  Dieu  lui- 
même,  toute  opinion  contraire  aux  siennes.  C'est 
donc  avec  une  entière  sincérité  qu'il  a  pu  écrire  cette 
extraordinaire  déclaration  qui  l'explique  et  l'excuse  : 
«  Quant  à  moi,  étant  assuré  en  ma  conscience  que 
ce  que  j'ai  enseigné  et  écrit  n'est  point  cru  en  mon 
cerveau,  mais  que  je  le  tiens  de  Dieu,  il  faut  que 
je  le  maintienne  si  je  ne  voulais  être  traître  à  la  vé- 
rité ^ .  » 

Non,  la  plupart  des  hommes  du  xvi^  siècle  ne 
pouvaient  guère  pratiquer  ni  même  comprendre  la 
tolérance.  Le  respect  des  opinions  d'autrui  n'était  à 
leurs  yeux  que  faiblesse  pour  le  mal  et  complicité 
avec  l'erreur.  Fidèles  à  leurs  croyances  jusque  dans 
la  persécution  et  dans  la  mort,  ils  n'ont  pas  hésité 
non  plus  à  appliquer  aux  autres  le  compelle  intrare. 

1  Lettre  au  Conseil  de  Genève,  octobre  i552  (Opéra,  t.  XIV, 
n«  1659). 


CHAPITRE    IX 

DERNIÈRES    ANNÉES 


)i  M.  de  Falais  avait  pu  conserver  quelques 
illusions  sur  les  conséquences  de  son  in- 
tervention dans  l'affaire  de  Bolsec,  l'atti- 
tude de  Calvin  et  de  ses  amis  dut  promptement  le 
détromper.  Aux  attaques  dont  il  était  l'objet,  il  ré- 
pondit par  le  silence  dédaigneux  du  gentilhomme, 
mais  l'injustice  de  ces  procédés  ne  lui  en  fut  pas 
moins  sensible*.  Toutefois,  s'il  eut  à  constater  de 
nombreuses  défections,  il  vit  se  grouper  autour  de 
lui  des  sympathies  nouvelles  et  le  château  de  Veigy 
ne  tarda  pas  à  devenir  un  centre  de  réunion  pour  tous 
ceux  qui,  las  du  joug  dogmatique  du  réformateur, 

»  Voir  les  annotations  par  lui  jointes  à  certaines  lettres  de 
Calvin  (Opéra,  t.  XI,  n"  562  et  563;  t.  XII,  n'  647).  Il  y  a 
bien  de  l'amertume  et  de  la  désillusion  dans  ces  quelques 
mots. 

9 


LXVI  INTRODUCTION 

avaient  accueilli  avec  joie  l'acte  d'indépendance  ac- 
compli par  un  homme  dont  on  ne  pouvait  suspecter 
la  fidélité  à  la  cause  protestante  ^  Mais  la  partie 
n'était  pas  égale.  Soutenu  par  le  Consistoire  et  les 
ministres,  Calvin  reprit  bientôt  l'offensive,  dispersant 
à  grands  coups  la  petite  phalange  un  instant  réunie 
autour  de  Falais. 

Maintenant  l'obscurité  va  se  faire,  toujours  plus 
profonde,  sur  les  dernières  années  de  la  vie  de  Ja- 
ques de  Bourgogne,  et  Ton  ne  peut  se  défendre  d'un 
sentiment  de  regret  en  voyant  cette  intéressante 
figure  s'effacer  et  disparaître  peu  à  peu  dans  l'indiffé- 
rence et  l'oubli . 

Falais  se  trouvait  encore  à  Veigy  dans  le  courant 
de  1 554,  une  année  environ  après  le  procès  de  Servet  *, 
mais  l'horreur  que  dut  lui  inspirer  le  supplice  du 
malheureux  Espagnol,  l'isolement  auquel  il  se  voyait 
condamné  et  les  suspicions  auxquelles  il  était  en  butte 
finirent  par  lui  rendre  insupportable  le  voisinage  de 
Genève.  Il  quitta,  pour  n'y  jamais  revenir,  la  retraite 
où  tout  avait  semblé  d'abord  devoir  lui  assurer  le 
repos  qu'il  avait  cherché  vainement  ailleurs,  mais  on 

*  Nous  citerons  parmi  eux  le  ministre  Philippe  de  Ecclesia, 
Jean  TroUiei  et  Jean  Colinet,  un  ami  de  Castellion  (voir 
Roget,  ouvr.  cité,  t.  III,  pp.  23 1  et  suiv.  ;  Calvini  opéra, 
t.  XIV,  n»  1769).  Plusieurs  membres  de  l'église  du  pays  de 
Vaud  fréquentaient  aussi  la  maison  de  Falais  :  François  de 
Saint-Paul,  ministre  de  Vevey,  André  Zébédée,  pasteur  de 
Nyon,  et  Jean  L'Ange,  ministre  de  Bursin  (Opéra,  t.  XIV, 
n"  i582  et  1769;  Reg.  du  Conseil  de  Genève,  vol.  46, 
f»  194  r»), 

•  Lettres  de  Viret  et  Farel  à  Calvin,  12  juin  i554  (Opéra, 
t.  XV,  n"  1964  et  1966). 


INTRODUCTION  LXVII 

ne  saurait  préciser  ni  l'époque  de  son  départ,  ni  même 
le  lieu  de  sa  nouvelle  résidence  ^  Si  Falais  est  resté 
en  Suisse  après  avoir  quitté  Veigy,  c'est  à  Bâle, 
croyons-nous,  qu'il  dut  retourner.  Il  y  avait,  en  effet, 
bien  des  motifs  pour  l'engager  à  demander  asile  une 
seconde  fois  à  la  cité  hospitalière  et  tolérante  qu'il 
regrettait  sans  doute  d'avoir  abandonnée  pour  se  rap- 
procher de  Genève  *.  Nous  ne  pensons  pas  toutefois 

1  Au  dire  de  Pontus  Heuterus  (Rerum  Burgundiarum  libri 
IV,  pars  II,  Genealogiœ),  Jaques  de  Bourgogne  serait  mort 
à  Strasbourg,  mais  l'examen  de  ce  texte  montre  que  l'auteur 
a  interverti  l'ordre  des  résidences  successives  de  Falais. 
Celui-ci,  d'après  Jules  Bonnet  (Lettres  françaises  de  Calvin), 
se  serait  fixé  à  Berne  après  l'affaire  de  Bolsec;  M.  Bonnet  a 
voulu  dire  sans  doute  :  sur  les  terres  de  Berne,  c'est-à-dire  à 
Veigy,  où  Falais  était  d'ailleurs  établi,  comme  nous  l'avons 
vu,  plusieurs  années  avant  le  procès. 

'  A  l'appui  de  cette  hypothèse,  peut-être  ne  serait-il  pas 
hors  de  propos  de  signaler  un  recueil  protestant,  les  Dixains 
catholiques,  dont  le  seul  exemplaire  aujourd'hui  connu  se 
trouve  décrit  au  catalogue  de  LigneroUes,  2*  partie,  n»  1418. 
Publié  sous  la  date  de  1 56 1  et  à  l'adresse  de  BernardinWilmach 
à  Bâle,  ce  petit  volume  est  dédié  à  M"  de  Falais,  par  un  nom- 
mé Jacques  Estauge,  l'auteur  probable  de  la  plupart  des  piè- 
ces qui  composent  ce  recueil.  M"»  de  Falais,  qu'Estauge,  dans 
sa  dédicace,  compare  à  Pallas  et  qu'il  appelle  la  fleur  de  la 
Hollande,  celle  dont  la  renommée  s'est  partout  répandue  et 
dont  le  zèle  chrétien  a  rehaussé  le  nom,  ne  peut  être  que 
Yolande  de  Brederode.  D'autre  part,  Estauge  n'est  pas  un 
inconnu:  dès  1641,  on  trouve,  dans  les  Archives  de  Bâle,  la 
mention  d'un  Hans  Estauge,  de  Lyon,  en  allemand  Kûndig, 
imprimeur,  qui  doit  être  identifié  avec  le  typographe  bien 
connu  Jacob  Kûndig  alias  Parcus,  lequel  exerçait  encore  à 
Bâle,  en  i562.  (Cf.  Kôgler,  Jahrbuch,  der  K.  Preussischen 
Kunstsamml.  igio.)  Mais  il  se  pourrait  que  le  volume  de  la 
collection  LigneroUes  ne  fût  que  la  réimpression  d'une  pre- 
mière édition  publiée  à  l'époque  du  séjour  de  Falais  à  Bâle  en 
1 547  et  1548  et  aujourd'hui  disparue.  Cette  supposition  devien- 
drait une  certitude  si,  comme  l'affirme  l'éditeur  des  Lettres 


LXVIII  INTRODUCTION 

qu'il  soit  mort  à  Bâle  :  la  disparition  d'un  personnage 
aussi  marquant  aurait  laissé  quelque  trace  dans  cette 
ville,  et  si  téméraire  que  cette  opinion  puisse  paraître 
au  premier  abord,  c'est  dans  les  Pays-Bas  que  Jaques 
de  Bourgogne  a  dû,  selon  nous,  passer  les  dernières 
années  de  sa  vie. 

Il  paraît  avéré,  tout  d'abord,  que  Yolande  de  Brede- 
rode  ayant  précédé  son  mari  dans  la  tombe,  celui-ci 
épousa  en  secondes  noces  Elisabeth  de  Rymerswaal, 
fille  d'Adrien,  seigneur  de  Lodyk,  dont  il  eut  une 
fille,  Jeanne  de  Bourgogne,  morte  à  Cologne  sans 
alliance  ^  Or  il  est  difficile  d'admettre  que  M.  de  Pa- 
lais ait  pu  contracter  ce  nouveau  mariage  ailleurs 
que  dans  le  pays  d'origine  de  sa  seconde  femme; 
celle-ci,  en  effet,  ne  paraît  pas  s'être  éloignée  des 
Pays-Bas,  puisque,  après  la  mort  de  Jaques  de  Bour- 
gogne, elle  se  remaria  elle-même  à  Baudoin  de 
Juliers,  seigneur  de  Bergen  '. 

Il  n'est  pas  non  plus  inutile  de  rappeler  que  c'est 
en  Hollande,  où  ils  avaient  été  longtemps  conservés, 
que  furent  retrouvés,  vers  le  milieu  du  siècle  dernier. 


de  Calvin  à  Jaques  de  Bourgogne,  publiées  en  1744,  Yolande 
de  Brederode  est  morte  en  iSSy. 

1  Anselme,  ouvr.  cité,  t,  I,  p.  263.  —  D'après  les  renseigne- 
ments  que  nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Victor  Vander 
Haeghen,  archiviste  de  la  ville  de  Gand,  la  famille  Rymers- 
waal ou  Romerswaal  est  originaire  de  la  Zélande,  province 
de  la  Hollande  où  se  trouve  l'ancienne  petite  ville  de  Rci- 
merswaal  ou  Romerswaal,  mais  elle  a  résidé  aussi  dans  les 
Pays-Bas  du  sud. 

*  Anselme,  ubi  supra. 


INTRODUCTION  LXIX 

les  originaux  des  lettres  de  Calvin  à  son  ancien 
ami*. 

D'ailleurs,  les  circonstances  politiques  s'étaient 
sensiblement  modifiées  depuis  que  Falais  avait  quitté 
la  Belgique  en  fugitif  :  Charles-Quint  avait  déposé 
la  couronne  en  i555;  la  régente,  Marguerite  de 
Parme,  et  le  cardinal  de  Granvelle  avaient  dû,  pour 
un  temps,  céder  à  l'opposition  résolue  des  Etats; 
l'inquisition  n'avait  pu  s'établir,  les  persécutions  re- 
ligieuses s'étaient  ralenties  et,  dans  les  provinces  du 
Nord  tout  au  moins,  le  parti  de  la  réforme,  plus 
nombreux  chaque  jour,  était  devenu  assez  puissant 
pour  que  le  gouvernement  dût  compter  avec  lui. 
Quelques  années  encore,  et  les  Provinces-Unies, 
soulevées  contre  l'oppression  espagnole,  engageront 
la  lutte  héroïque  où  elles  finiront  par  conquérir  leur 
indépendance. 

Las  d'errer  de  lieu  en  lieu,  entraîné  par  le  désir 
de  se  rapprocher  de  son  pays  natal  après  tant  d'an- 
nées d'isolement  et  d'exil,  protégé  d'ailleurs  par  la 
puissante  famille  des  Brederode  *,  entouré  des  sym- 
pathies de  la  noblesse  et  de  la  nation,  sinon  même 
assuré  du  consentement  tacite  de  la  régente.  Jaques 
de  Bourgogne  a  donc  pu  terminer  sa  carrière  en  Hol- 


>  Voir  l'avertissement  des  Lettres  de  Calvin  à  Jaques  de 
Bourgogne,  Amsterdam,  1744,  in-8,  et  Calvini  opéra,  t.  X, 
prolégomènes. 

'  Yolande  était  la  tante  du  célèbre  Henri  de  Brederode, 
chargé  en  1 566,  par  la  noblesse  des  Pays-Bas,  de  remettre  à 
Marguerite  de  Parme  la  requête  dont  le  rejet  entraîna  la 
guerre  des  Gueux  et  l'indépendance  des  Provinces-Unies. 


LXX  INTRODUCTION 

lande  après  l'abdication  de  Charles-Quint  et  avant 
l'arrivée  du  duc  d'Albe.  Peut-être  quelque  document 
exhumé  des  archives  de  ce  pays  viendra-t-il  un  jour 
confirmer  nos  suppositions  ;  il  faut,  pour  le  moment, 
se  borner  aux  conjectures. 

On  a  prétendu  ^  que  Falais  avait  fini  par  se  détourner 
de  la  doctrine  des  réformés  et  par  renoncer  à  leur 
église.  C'est  là  une  affirmation  toute  gratuite,  fondée 
sur  l'interprétation  inexacte  d'un  passage  de  la  vie 
de  Calvin  par  Nicolas  Colladon  et  judicieusement 
réfutée,  dès  le  xviii«  siècle,  par  l'éditeur  des  Lettres 
de  1744.  Que  dit,  en  effet,  le  biographe  du  réforma- 
teur? Simplement  que  Jaques  de  Bourgogne  et  sa 
femme  prirent  occasion  de  l'affaire  de  Bolsec  pour 
se  retirer  «  de  la  doctrine  de  cette  église  »,  c'est-à- 
dire  de  l'église  de  Genève,  et  Colladon  n'a  pas  pré- 
tendu autre  chose.  Si  M.  de  Falais  avait  réellement 
abandonné  le  protestantisme,  c'est  en  termes  d'une 
autre  énergie  que  l'écrivain  genevois  eût  dénoncé 
l'apostat.  De  leur  côté,  les  historiens  catholiques 
auraient-ils  négligé  de  signaler  cette  victoire  et  de 
célébrer  le  retour  de  la  brebis  égarée  ?  Or,  les  uns 
gardent  au  sujet  de  Jaques  de  Bourgogne  un  silence 
complet,  les  autres*  n'en  parlent  que  comme  d'un 
homme  mort  étranger  à  la  communion  romaine. 

D'ailleurs,  tout  ce  que  nous  savons  de  Jaques  de 
Bourgogne,  de  la  fermeté  de  son  caractère,  de  la 
profondeur  de  son   sentiment  religieux,  doit    faire 

*  Bayle,  Dictionnaire,  art.  Philippe  de  Bourgogne,  rem.  9. 

*  Pontus  Heuterus,  ubi  supra. 


INTRODUCTION  LXXI 

écarter  résolument  la  possibilité  d'une  telle  palinodie. 
Malgré  les  désillusions  et  les  injustices,  il  dut  s'atta- 
cher à  sa  foi  en  raison  même  de  tout  ce  qu'il  avait 
souffert  pour  elle,  et  il  est  mort  comme  il  avait  vécu, 
fidèle  aux  croyances  pour  lesquelles  il  avait  sacrifié 
sa  fortune,  sa  position  et  le  repos  de  sa  vie. 

n  Ce  n'est  pas  d'ordinaire,  a  dit  un  historien  *,  sauf 
«  d'honorables  exceptions,  dans  les  rangs  de  l'aristo- 
«  cratie  qu'il  faut  chercher  les  confesseurs  de  la  foi . 
n  Les  faveurs  qu'il  faut  dédaigner  et  les  richesses 
«  qu'il  faut  perdre  sont  un  sérieux  embarras  au  mar- 
«  tyre.  »  Jaques  de  Bourgogne  constitue  précisément 
l'une  de  ces  exceptions  et  c'est  pourquoi  son  souvenir 
mérite  de  vivre  dans  la  mémoire  de  ceux  que  ne 
laissent  pas  indifférents  le  courage  moral,  la  droiture 
de  conscience  et  l'attachement  inébranlable  à  une 
grande  cause. 

»  Rodolphe  Reuss,  Destruction  du  Protestantisme  en  Bo- 
hême. 


NOTICE   BIBLIOGRAPHIQUE 


L  n'est  guère  de  livre  imprimé  au  xvi«  siècle, 
sur  l'exécution  duquel  on  possède  autant  de 

détails  que  sur  celle  de  ce  mince  volume.  La 
correspondance  de  Calvin  avec  Jaques  de  Bourgogne 
renferme  à  cet  égard  des  renseignements  précieux  et 
leur  intérêt  pour  l'histoire  de  l'édition  elle-même, 
comme  pour  celle  de  la  typographie,  mérite  de  nous 
arrêter  quelques  instants. 

Voici  d'abord  la  description  de  l'exemplaire  de  la 
bibliothèque  de  Bessinge  : 

EXCVSE   DE  II  NOBLE    SEIGNEVR  ||  lAQVES     DE    BOURGOI- 

GNE,  S.  Il  de  Fallez  &  Bredam  :  pour  se  purger  vers 
la  II  M.  Impériale,  des  calomnies  à  luy  imposées,  ||  en 
matière  de  sa  Foy,  dont  il  rend  cÔfession.  S.  l.  n. 
d.  [Genève,  Jean  Girard,  1 547 J,  pet.  in-4  de  49  pp. 

10 


LXXIV  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE 

chifFr.  et  3  pp.  non  chifFr.,  signât.  A-E  par  4  et  F  par 
6  fF.  Lettres  rondes. 

Le  titre  est  orné  d'une  vignette  représentant  les  ar- 
mes de  Jaques  de  Bourgogne,  lesquelles  se  blasonnent 
comme  suit  :  au  i  et  4,  de  Bourgogne  moderne  ;  au 
2,  de  Bourgogne  ancien  party  de  Brabant  ;  au  3,  de 
Bourgogne  ancien  party  de  Luxembourg,  et  sur  le 
tout,  de  Flandres.  L'écu  est  sommé  d'un  heaume 
timbré  d'une  chouette  au  naturel. 

Au  v°  du  titre  se  lit  un  passage  tiré  d'Isaïe  lix  : 
«  La  vérité  est  defFaillie  :  &  celuy  qui  s'est  retiré  du 
«  mal,  a  esté  exposé  en  proye.  »  Le  texte' commence 
sans  titre  de  départ  à  la  p.  3  et  se  termine  à  la  p.  49. 
Les  pp.  [5o-5i]  renferment  un  avis  aux  Lecteurs, 
daté  du  I"  mars  1548,  et  la  p.  [52]  est  blanche. 

Ce  fut  Calvin  lui-même  qui  rédigea  le  titre  du 
livre  *  et  il  fait,  au  sujet  du  mot  Excuse,  cette  remar- 
que intéressante  pour  l'histoire  de  la  langue  :  «  Le 
mot  d'apologie  n'est  pas  usité  en  français.  » 

Les  armoiries  et  le  passage  d'Isaïe  furent  joints  au 
texte  sur  la  demande  de  Falais  *. 

Il  avait  eu  tout  d'abord  l'intention  de  faire  impri- 
mer sa  défense  à  Strasbourg,  mais  Calvin  lui  ayant 
représenté  que  l'exécution  risquait  d'en  être  entravée 
par  les  difficultés  politiques  dans  lesquelles  cette  ville 
se  trouvait  alors  ',  il  se  décida,  sur  le  conseil  du  ré- 
formateur, à  recourir  aux  presses  genevoises  *. 

*  Opéra,  t.  XII,  n*  944. 

»  Calvin  à  Falais  (Ibid.,  n*  g3^). 

»  Ibid.,  n»  883.  —  Voir  plus  haut,  p.  40-41. 

*  Ibid.,  n"  918,  934  et  970, 


NOTICE   BIBLIOGRAPHIQUE  LXXV 

L'imprimeur  auquel  l'édition  fut  confiée  n'a  pas 
apposé  son  nom  à  l'ouvrage,  mais  il  suffit  d'en  exa- 
miner les  lettres  ornées  et  les  caractères  pour  y  recon- 
naître ceux  de  Jean  Girard,  le  typographe  ordinaire, 
pendant  nombre  d'années,  de  Calvin,  de  Viret  et  de 
Farel  K 

L'édition  fut  tirée  à  huit  cents  exemplaires,  dont 
cent  pour  l'imprimeur.  Calvin  en  fit  parvenir  direc- 
tement une  cinquantaine  à  diverses  personnes,  entre 
autres  à  Renée  de  France,  duchesse  de  Ferrare,  et  en 
expédia  quatre  cents  à  Falais,  alors  à  Bâle  ;  le  solde 
fut  laissé  à  Genève*.  Les  frais  de  l'impression  s'éle- 
vèrent à  sept  écus,  soit,  en  tenant  compte  de  la  va- 
leur de  l'argent  au  xvi^  siècle,  à  environ  cent  soixante 
francs  de  notre  monnaie  actuelle*. 

Les  armoiries  qui  ornent  le  titre  furent  faites  «  en 
plomb  *,  c'est-à-dire  gravées,  sans  doute,  sur  métal 
d'imprimerie,  ce  qui  explique  l'aspect  terne  et  usé 
de  répreuve,  malgré  le  chiffre  assez  restreint  du  ti- 
rage. Le  graveur  reçut  trois  florins  de  Savoie  «  c'est 
à  dire  testons  »,  soit  à  peu  près  quinze  francs.  Une 
première  planche,  exécutée  très  probablement  sur 


1  Sur  Jean  Girard  et  son  matériel  typographique,  voir  nos 
Arrêts  du  Conseil  de  Genève  sur  le  fait  de  l'imprimerie  et  de 
la  librairie,  de  ib^x  à  i55o,  Genève,  iSgS,  in-8,  pp.  19  et 
suiv. 

'  Calvin  à  Falais,  23  nov.  1647  ®t  '4  janv.  1548  {Opéra,  t. 
XII,  n"  979  et  991). 

3  VExcuse  renfermant  52  pages,  la  feuille  d'impression 
de  16  pages,  petit  in-8,  reviendrait  ainsi  à  une  cinquantaine 
de  francs,  c'est-à-dire  à  un  prix  qui  ne  s'éloigne  guère  de  ce 
qu'il  est  aujourd'hui. 


LXXVI  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE 

bois,  n'avait  pas  rencontré  l'approbation  de  Calvin 
qui,  trouvant  les  dimensions  mal  adaptées  au  format 
du  volume,  fit  recommencer  le  travail  ^ 

Mais  ce  qu'il  importe  surtout  de  remarquer,  c'est 
que  l'édition  ne  parut  pas  d'abord  telle  exactement 
que  nous  la  connaissons  d'après  l'exemplaire  de  Bes- 
singe.  Une  lettre  adressée  par  Falais ',  le  29  jan- 
vier 1548,  au  Sénat  de  Strasbourg,  nous  apprend  en 
effet  que  le  volume  avait  été  primitivement  publié 
sous  la  rubrique  de  cette  ville  et  au  nom  de  l'impri- 
meur Wendelin  Rihel,  ce  dont  le  Sénat  avait  témoigné 
son  mécontentement.  Ces  indications  devaient  se 
trouver  sur  le  titre  et  au  dernier  feuillet,  puisque 
Falais,  dans  sa  lettre,  offre  de  remplacer  l'un  et 
l'autre.  Avant  de  faire  paraître  son  livre  sous  le  nom 
de  Strasbourg,  il  avait  eu  soin  toutefois  de  consulter 
Bucer  et  de  le  prier  d'obtenir  l'agrément  des  magis- 
trats. La  réponse  dut  être  d'abord  telle  que  Falais 
pouvait  la  désirer,  car  celui-ci,  après  avoir  offert 
lui-même  au  Sénat  un  exemplaire  de  VExcuse,  n'hé- 
sita pas  à  se  couvrir  auprès  de  lui  de  la  réponse  de 
Bucer,  mais  il  est  probable  que  les  conséquences  de 
la  bataille  de  Mùhlberg  et  le  triomphe  de  Charles- 
Quint,  en  contraignant  les  Strasbourgeois  à  redou- 
bler de  prudence,  les  avaient  engagés  à  changer  d'avis 
au  moment  de  l'apparition  du  volume. 

En  tout  cas,  l'imprimeur  sous  le  nom  duquel  l'édi- 
tion était  pubHée  avait  certainement  donné  son  assen- 


'  Calvin  à  Falais  {Opéra,  t.  XII,  n"  967  et  991), 
'  Jbid.,  n*  993. 


NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE  LXXVII 

timent  à  cette  mesuré,  puisque  à  roccasion  du  solde 
laissé  à  Genève,  Calvin  écrivait  à  Falais  :  «  Du  reste, 
«  nous  adviserons.  Car  mesme  il  est  expédient  qu'il 
«  en  sorte  de  la  main  de  Wendelin  affin  de  prévenir 
«  les  calomnies  *.  »  Le  réformateur  avait  donc  l'in- 
tention de  faire  parvenir  à  Rihel  un  certain  nombre 
d'exemplaires,  afin  de  légitimer  ainsi  la  rubrique  du 
titre. 

Il  est  permis  de  supposer  également  que  le  volume 
primitif,  bien  qu'imprimé  à  la  fin  de  1547,  portait 
la  date  de  1 546  ;  on  ne  peut  guère,  en  effet,  expliquer 
autrement  ce  passage  de  la  lettre  de  Falais  aux  magis- 
trats de  Strasbourg  :  «  Je  ne  vois  pas  en  quoi  mon 
«  écrit  assez  modéré  peut  faire  tort  au  nom  de  votre 
«  ville,  alors  qu'il  paraît  publié*  il  y  a  près  de  deux 
«  ans,  à  une  époque  où  elle  n'était  l'objet  d'aucune 
«  animosité,  et  dans  le  temps  que  je  me  trouvais 
«  parmi  vous.  » 

D'autre  part,  l'exemplaire  de  la  bibliothèque  de 
Bessinge  ne  présente  aucune  souscription  et  n'offre 
d'autre  date  que  celle  de  l'avis  aux  lecteurs,  i"  mars 
1 548,  postérieure  de  deux  mois  à  l'achèvement  de 
l'impression  de  l'ouvrage. 

Il  est  donc  certain  qu'une  partie  tout  au  moins 
des  exemplaires  a  subi  après  coup  des  changements 
assez  notables,  et  voici  ce  qui  a  dû  se  passer  :  Vou- 
lant dater  sa  défense  de  l'époque  du  procès  de  Ma- 
lines,  M .  de  Falais,  qui  se  croyait  assuré  de  l'assen- 

*  Opéra,  t.  XII,  n»  979  (23  décembre  1547). 

>  c  ...  quum  ante  annos  paene  duos  editum  videatur.  » 


LXXVIII  NOTICE    BIBLIOGRAPHIQUE 

timent  des  autorités  de  Strasbourg,  publia  d'abord 
VExcuse,  sous  cette  rubrique  et  avec  l'indication  de 
l'année  1546.  Dans  cette  forme  primitive,  le  volume 
ne  contenait  pas  l'avis  aux  lecteurs,  daté  de  1548. 
Mais,  devant  les  réclamations  inattendues  des  ma- 
gistrats de  Strasbourg,  Falais  dut  faire  disparaître  du 
titre  de  son  livre  le  nom  de  cette  ville  ;  le  but  qu'il 
s'était  proposé  ne  pouvant  dès  lors  plus  être  atteint, 
il  se  décida  à  supprimer  aussi  l'indication  antidatée 
de  1546  et  à  joindre  au  texte  de  sa  défense  l'avis  du 
i"  mars  1548,  destiné  à  expliquer  les  causes  du  re- 
tard apporté  dans  la  publication. 

Si  l'on  ne  trouve,  dans  la  correspondance  de  Cal- 
vin, aucune  allusion  aux  plaintes  des  Strasbourgeois, 
c'est  que  celui-ci  se  trouvait  à  Bâle  précisément  à 
cette  époque  ^  Falais  eut  donc  l'occasion  de  traiter  la 
question  avec  lui.  C'est  à  Bâle  que  l'avis  aux  lecteurs 
dut  être  rédigé  et  le  réformateur  put,  dès  son  retour, 
faire  exécuter  les  changements  adoptés  pour  les 
exemplaires  demeurés  à  Genève. 

*  Soit  dans  le  courant  de  février.  Voir  plus  haut,  p.  47. 


«^^r» 


EXCVSE     DE 

NOBLE      SEIGNEVR, 

I   A   Q^V   ES     DE     BOVRGOIGNE.     S. 

de  Falkz  &  Brcdam;  pour  fe  purger  vers  la 
M.  1  inperiale,des  calomnies  à  luy  impofees, 
en  matière  de  fa  Foy,  dont  il  rend  coteflîon. 


lESA.  LIX. 

La  vérité  est  deffaillie  :  &  celuy  qui 
s'est  retiré  du  mal,  a  esté  ex- 
posé en  proye. 


IRE,  si  i'auoye  à  choisir,  ie 
aymeroye  bien  mieux  m'em- 
ployer  à  vous  faire  quelque 
seruice,  qui  vous  fust  agréa- 
ble, que  de  vous  occuper  à 
ouyr  m  es-^  excuse  s,  pour  me 
purger  vers  vostre  maiesté  |du  blasme^qui  m'a 
esté  imposé  à  tort,  pour  me  mettre  en  vostre  in- 
dignacion.  Combien  qu'il  n'y  a  pas  vn  blasme 
seul  :  mais  les  maluueillans,  à  ce  que  i'entens, 
m'ont  chargé  de  toutes  calomnies  dont  ilz  se 
sont  peu  aduiser.  Or  puisqu'il  leur  est  licite  de 
mesdire  de  moy  sans  cause  :  c'est  bien  raison, 
pour  le  moins,  qu'il  me  soit  donné  lieu  de  dé- 
fendre mon  innocence.  D'estre  accusé,  c'est 
vne  chose  commune  aux  bons  et  aux  mau- 
uais  :  parquoy  d'assoiriugement  là  dessus,  sans 
ouyr  partie,  et  estre  bien  informé  de  tout  le  fait  : 
ce  seroit  vne  procédure  trop  inique  :  et  de  telle 
conséquence,  qu'il  n'y  auroit  homme  au  mon- 
de, qui  ne  fust  incontinent  condamné  :  veu 
qu'il  ne  s'en  trouueranul  si  iuste,  auquel  défail- 
le accusateur.  Or  vostre  prudence  donques,  et 
équité,  Sire,  me  donne  bonne  confiance,  que 
quand  ie  supplieray  vostre  maiesté  de  me  par- 
donner, si  ie  la  fasche,  estant  contreint  par  l'im- 
portunité  de  mes  ennemiz  :   et  de  me  donner 

A  2 
11 


4  EXCVSE 

audience  en  ma  bonne  cause,  que  ie  ne  seray 
refusé  en  vne  requeste  tant  raisonnable. 

Il  est  vray,  qu'il  ne  m'aduient  rien  main- 
tenant, que  n'ayent  expérimenté  tous  les  serui- 
teurs  de  Dieu  par  cy  deuant.  Et  sans  aller  plus 
loing,  c'a  esté  depuis  que  l'Euangile  a  esté  reue- 
lé  au  monde,  la  condition  générale  quasi  de 
tous  les  Chrestiens,  d'estre  subietz  à  beaucoup 
de  calomnies.  le  laisse  à  dire  les  crimes  énor- 
mes qu'on  leur  a  imposé,  pour  les  diffamer,  et 
emflamber  contre  eux  la  haine  des  princes,  et 
de  tout  le  monde  :  car  le  propos  seroit  trop 
long  à  desduire  :  et  les  histoires  en  sont  assez 
cogneues.  Tant  y  a  que  Sathan  n'a  pas  moins 
persécuté  la  Chrestienté  de  mensonges,  inuen- 
tant  telles  fauses  diffamations  :  que  par  cruau- 
té et  violences.  Que  si  le  temps  passé  l'impu- 
dence des  iniques  s'est  desbordée  à  mentir  con- 
tre les  seruiteurs  de  Dieu  :  c'est  auiourdhuy 
plus  que  iamais.  le  n'entens  pas  des  Payens,  qui 
sont  ennemiz  ouuertz  de  l'Eglise,  et  de  la  Foy 
Chrestienne  :  mais  de  ceux  mesmes  qui  font 
profession  d'icelle.  Ce  qui  n'est  pas  nouueau 
non  plus  :  car  comme  les  Prophètes  et  Apo- 
stres  n'ont  senty  nulles  langues  plus  venimeu- 
ses, que  des  hypocrites  de  leur  propre  nation, 
qui  en  se  glorifiant  d'estre  du  peuple  de  Dieu, 

ne 


EXCVSE  O 

ne  pouoyent  souffrir  la  vraye  doctrine,  par  la- 
quelle leurs  vices  estoyent  redarguez  :  aussi  main- 
tenant il  n'y  a  nulz  plus  enragez  à  mesdire  des 
vrays  Chrestiens,  que  ceux  qui  en  faisant  sem- 
blant d'adhérer  à  l'Eglise,  veulent  maintenir  tous 
les  abus  qui  sont  manifestement  repugnans  à  la 
parolle  de  Dieu  :  et  par  ce  moyen  ne  peuuent 
ouyr  parler  d'aucune  reformation.  Incontinent 
donc  qu'ilz  voyent  quelque  homme  de  bon 
zèle,  qui  désire  que  les  choses  se  réduisent  en 
meilleur  estât  :  il  est  dégradé  par  eux,  plus  que 
s'il  auoit  commis  cent  crimes  mortelz.  Et 
comme  i'ay  dit  ilz  n'ont  nulle  honte  de  controu- 
uer  toutes  sortes  de  blasmes,  où  il  n'y  a  nulle 
couleur  n'apparence,  moyennant  qu'ilz  puis- 
sent opprimer  l'innocent.  l'en  pourroye  allé- 
guer beaucoup  d'exemples,  qui  ne  sont  que 
trop  communs.  Mais  quand  il  plaira  à  vostre 
maiesté,  Sire,  d'entendre  bien  ma  cause  à  la  vé- 
rité :  vous  en  aurez  vn  exemple  en  moy,  qui 
vous  suffira  pour  tous. 

Quant  à  moy,  c'est  bien  raison  que  ie  pren- 
ne en  patience  si  i'endure  le  semblable  qu'ont 
enduré  les  Prophètes  et  Apostres.  Car  ie  ne 
dois  pas  demander  meilleure  condicion,  que 
celle  qu'ilz  ont  eue.  Mais  encor  ma  principale 
consolacion  est,  que  le  filz  de  Dieu  nostre  re- 

A  3 


6  EXCVSE 

dempteur  et  souuerain  maistre,  me  précède 
au  mesme  chemin.  le  seroye  par  trop  délicat, 
si  ie  refusoye  d'estre  en  sa  suite.  l'oy  ce  qui  m'est 
dit  par  l'Apostre,  qu'il  nous  conuient  chemi- 
ner par  bonne  renommée,  et  infamie.  le  voy 
l'exemple  de  Moyse  qui  m'est  proposé,  de  ne 
point  auoir  en  horreur  l'opprobre  du  peuple 
de  Dieu  :  surtout  i'oy  l'exhortacion  qui  nous  est 
faicte,  de  sortir,  pour  accompagner  nostre  ca- 
pitaine à  l'ignominie  de  la  croix.  le  considère 
d'autre  costé  la  recompense  qui  nous  est  pro- 
mise, que  si  nous  sommes  anéantis  auec  luy, 
c'est  pour  estre  exaltez  au  Royaume  de  Dieu 
son  père,  quand  le  temps  sera  venu.  le  ne  dois 
pas  donc  trouuer  estrange  d'estre  humilié  de- 
uant  les  hommes,  voire  du  tout  abatu  quand 
mestier  sera  :  ayant  si  bon  et  ample  reconfort 
pour  me  contenter,  que  cela  m'est  réputé  à 
honneur  deuant  Dieu  et  ses  Anges.  Et  de  fait 
ie  loue  mon  Dieu,  que  ie  n'ay  pas  si  mal  proffité 
en  sa  paroUe,  que  ie  ne  gouste  ceste  sentence, 
laquelle  nous  a  prononcé  son  filz  :  que  nous 
sommes  bienheureux  quand  on  detracte  de 
nous  fausement  à  cause  de  luy.  Parquoy  i'ac- 
quiesce  volentiers  à  l'ordonnance  de  Dieu,  et  ne 
demande  point  d'estre  priuilegié  plus  que  ceux, 
desquelz  ie  ne  suis  pas  digne  de  suiure  les  pas. 

Mais 


EXCVSE  7 

Mais  quand  il  plaira  à  vostre  maiesté,  d'ouir 
les  raisons  qui  m'ont  contreinct  à  vous  faire 
l'excuse  présente,  ie  croy  que  vous  aurez  occa- 
sion d'approuuer  la  solicitude  que  i'ay,  que 
mon  innocence  vous  soit  cogneue.  Première- 
ment si  ie  sens  que  vous  soyez  offensé  contre 
moy,  Sire,  ie  suis  tenu,  entant  qu'en  moy  est,  de 
vous  rendre  raison  de  tout  ce  qui  me  sera  im- 
posé. Car  outre  ce  que  i'y  suis  obligé  par  le  de- 
uoir  de  nature,  entant  que  ie  suis  vostre  tres- 
humble  subiect  dés  ma  naissance  :  la  faueur  et 
humanité  qu'il  vous  a  pieu  monstrer  m'acce- 
ptant  dés  mon  enfance  en  vostre  court,  et  la 
bonne  affection  que  m'y  auez  portée,  augmen- 
te encor  ceste  obligacion.  Croyez  donc.  Sire, 
que  mon  intencion  est  de  mettre  peine,  que  vo- 
stre dicte  maiesté  se  tienne  contente  de  moy  s'il 
m'est  possible,  afin  de  m'acquitter  enuers  icel- 
le,  selon  que  ie  dois  par  le  commandement  de 
Dieu  :  et  aussi  que  mon  cœur  y  tend  assez  de 
soymesmes  sans  contreincte.  Car  combien  que 
ie  ne  me  sente  en  rien  coulpable,  si  ne  m'est- 
ce  pas  vn  petit  regret,  que  d'estre  aliéné  de  vo- 
stre bonne  grâce ,  non  pour  autre  chose,  sinon 
que  sur  tout  mon  désir  seroit  de  vous  <:om- 
plaire,  quand  il  seroit  en  ma  faculté. 

Il  y  a  vne  autre  raison,  Sire,  laquelle  ne  me 


8  EXCVSE 

permet  point  de  dissimuler.  C'est  qu'il  nous  est 
commandé  de  fermer  la  bouche  aux  mesdi- 
sans,  en  procurant  le  bien  non  seulement  de- 
uant  Dieu,  mais  aussi  deuant  les  hommes. 
Vray  est  que  cela  se  doit  faire  par  bonne  vie  et 
irrépréhensible,  c'est  de  nous  porter  tellement, 
que  ceux  qui  cerchent  occasion  de  mal  par- 
ler :  n'en  trouuent  point  en  toutes  noz  œuures. 
Mais  quand  nous  auons  tasché  de  viure  sans 
reproche,  s'il  y  en  a  de  si  impudens  qui  nous 
diffament  à  tort,  il  est  quelquefois  bon  de  les 
reprimer  en  maintenant  nostre  bon  droit  :  afin 
que  le  nom  de  Dieu  ne  soit  point  blasphémé 
en  nous.  le  ne  dis  pas  que  pour  garder  sim- 
plement nostre  bonne  réputation,  il  nous  soit 
loisible  de  nous  opposer  aux  calomniateurs. 
Mais  quand  nous  voyons  que  les  blasmes 
qu'ilz  nous  mettent  sus,  atouchent  et  bles- 
sent l'honneur  de  Dieu,  il  n'est  pas  question  de 
nous  taire  :  mais  deuons  constamment  résister 
entant  que  l'opportunité  nous  sera  donnée. 
Mesme  il  y  a  vne  autre  mauuaise  conséquen- 
ce, qui  s'ensuiuroit  de  nostre  dissimulacion 
en  cest  endroit.  C'est  que  beaucoup  de  gens 
de  bien  pourroyent  estre  troublez  à  nostre  oc- 
casion, et  par  ce  moyen  fouruoyez  du  droit 
chemin.  Or  il  n'y  a  rien  qui  nous  soit  tant  recom- 
mandé 


EXCVSE  9 

mandé,  que  d'empescher  tous  scançiales.  Telle- 
ment qu'il  me  seroit  imputé  à  cruauté  deuant 
Dieu,  si  par  faute  de  remonstrer  mon  innocen- 
ce, il  y  en  auoit  aucuns  scandalisez  de  ce  qui 
me  seroit  mis  sus  iniustement. 

La  dernière  raison  est,  de  reprimer  l'auda- 
ce de  telz  calomniateurs  :  afin  qu'ilz  n'entre- 
prennent pas  d'en  faire  autant  à  d'autres,  com- 
me ilz  ont  acoustumé  d'estre  d'autant  plus  har- 
dis, qu'on  les  supporte  patiemment.  Si  ce  n'e- 
stoit  que  pour  moy,  il  me  faudroit  tenir  quoy, 
taschant  de  veincre  le  mal  en  douceur  et  béni- 
gnité :  et  à  l'exemple  de  nostre  Seigneur  Jésus, 
selon  que  le  Prophète  Esaie  le  propose,  fermer 
nostre  bouche.  Mais  quand  ie  cognois  que  ma 
patience  porteroit  dommage  à  mes  prochains  : 
ie  dois  preuenir  ce  dangier  de  tout  mon  pou- 
uoir,  et  non  seulement  pour  le  temps  présent, 
mais  aussi  pour  l'aduenir.  Car  les  mensonges 
ont  cela,  que  si  on  les  laisse  couler,  ilz  prennent 
vigueur  :  si  on  les  rembarre,  ilz  tombent  bas. 
Non  pas  que  ie  me  prise  tant,  que  i'appete  d'a- 
uoir  tesmoignage  louable  après  ma  mort,  com- 
me vn  mémorial  de  moy  au  monde.  Pleust  à 
Dieu  que  desia  mon  nom  fust  enseuely  quant 
aux  hommes,  et  que  celuy  fust  magnifié  com- 
me il  appartient,  lequel  seul  mérite  d'esté  renom- 

B 


10  EXCVSE 

mé.  Mon  but  est,  que  par  ma  faute  il  n'y  ait 
point  vn  mauuais  exemple  introduict  «n  ma 
personne,  qui  nuise  cy  après  aux  bons  :  qu'on 
voudroit  accuser  faulsement,  comme  s'il  estoit 
licite  de  mesdire  de  tous  ceux  qui  sont  patiens 
à  porter  les  iniures.  Que  si  ie  n'estoye  con- 
treint  en  ma  conscience  pour  l'honneur  de 
Dieu,  et  pour  la  defence  de  sa  parolle,  pour  sa- 
tisfaire au  deuoir  que  i'ay  à  vostre  maiesté,  pour 
euiter  le  scandale  qui  en  pourroit  aduenir,  et 
pour  restreindre  l'insolence  de  ceux  qui  ne 
sont  que  trop  hardis  à  detracter  sur  les  bons  : 
ie  vous  asseure,  Sire,  que  ie  n'aymeroye  rien 
plus,  que  de  recommander  mon  innocence  à 
Dieu,  lequel  est  protecteur  des  iustes  causes, 
me  contentant  du  tesmoignage  de  ma  con- 
science, sans  importuner  vostre  maiesté.  Mais 
d'autant  qu'il  me  semble  que  i'ay  monstre  par 
argumens  sufïisans,  que  ie  ne  puis  dissimuler 
sans  offence,  encor  que  ie  le  vousisse  faire  :  i'e- 
spere  que  vostre  maiesté  ne  me  déniera  point 
audience  fauorable  pour  iuger  du  faict,  après 
en  auoir  bien  et  deuement  cogneu.  Qui  plus 
est,  il  n'est  pas  expédient  pour  vous.  Sire,  qu'on 
laisse  passer  sans  dire  mot,  que  vous  soyez 
mal  informé  par  gens  qui  abuseront  de  l'accès 
qu'ilz   auront  à  vostre  maiesté,   sans  qu'icelle 

en 


EXCVSE  I I 

en  soit  aduertie  :  et  que  remonstrances  luy  en 
soyent  faites  en  temps  et  en  lieu. 

Or  pour  venir  à  la  cause  que  i'ay  à  déme- 
ner par  deuant  vous,  Sire,  ie  suis  accusé  d'a- 
uoir  tenu  mauuaise  secte  et  contraire  à  la  foy 
catholique  :  et  pour  cela  m'estre  party  du  pais, 
creignant  la  punicion  de  mon  oifence.  Mais 
deuant  que  d'entrer  au  poinct  principal  :  i'ay  à 
respondre  à  quelques  calomnies,  qu'on  a  semé 
de  moy  pour  me  rendre  odieux,  non  pas  tant  à 
vous,  Sire,  qui  estes,  comme  ie  croy,  aucune- 
ment aduerty  du  contraire  :  qu'à  toutes  gens  de 
bien  qui  n'ont  pas  telle  cognoissance  de  moy,  de 
ma  vie  passée,  et  mon  estât.  Tant  y  a  neant- 
moins,  que  cela  se  porte  avec  couleur,  comme  si 
vostre  maiesté  mesme  en  auoit  telle  opinion. 
Et  sont  personnaiges,  ausquelz  il  conuient  mal 
pour  le  lieu  qu'ilz  tiennent  :  et  ne  say  pour- 
quoy  ilz  me  baissent,  sinon  qu'ilz  veulent  ac- 
complir en  moy  ce  qui  est  escrit  :  Hz  m'ont  eu 
en  haine  sans  cause.  Le  premier  blasme  dont 
ilz  me  chargent  est  tant  friuole,  que  s'ilz  ne  l'af- 
fermoyent  auec  telle  authorité,  ie  n'en  daigne- 
roye  faire  mencion.  Mais  quoy?  si  ie  m'en  tais, 
il  semblera  qu'il  en  soit  quelque  chose.  Hz  sè- 
ment vn  bruit,  qu'ayant  dissipé  mon  bien,  en 
sorte  que  ie  n'auoye   plus   dequoy   entretenir 

B   2 
18 


!I2  EXCVSE 

mon  estât  :  i'ay  esté  contreinct  de  tout  laisser, 
comme]"par  Tetraicte  honteuse,  et  abandonner 
le  pais,  et  que  ce  n'a  pas  esté  pour  le  faict  de  la 
religion  Chrestienne.  S'ilz  parloyent  ainsi  sur 
le  lieu,  il  ne  faudroit  ia  que  i'ouurisse  la  bouche 
pour  redarguer  leur  impudence.  Mais  en  e- 
stant  loing,  ilz  se  donnent  congé  de  forger  tel- 
les calomnies,  pour  me  faire  descrier  deuant 
qu'on  ait  loisir  de  sauoir  la  vérité.  Or  loué  soit 
Dieu,  ie  ne  suys  pas  vn  tel  gouffre,  que  mon 
bien  ne  fust  assez  suffisant  pour  me  nourrir  :  et 
ne  suis  pas  si  excessif  en  pompes  superflues,  qu'il 
n'y  eust  dequoy  pour  y  satisfaire.  Quand  ainsi 
seroit  que  i'eusse  tenu  estât  pardessus  ma  facul- 
té, il  n'est  pas  à  présumer  que  sans  autre  con- 
treinte,  i'eusse  mieux  aymé  quitter  tout,  que  d'a- 
baisser vn  petit  mon  train.  Au  moins  encores 
le  cas  posé,  que  i'y  fusse  ainsi  allé  à  la  désespé- 
rée, i'eusse  vendu  tout  ce  qui  m'en  restoit,  pour 
m'en  seruir  ailleurs.  Quelle  finesse  seroit-ce, 
qu'vn  homme  quittast  son  pais  par  despit,  ou 
par  honte  qu'il  ne  peut  maintenir  son  estât,  et 
ce  pendant  laissast  bonne  quantité  de  biens, 
dont  puis  après  il  eust  faute?  Et  qu'ainsi  soit 
que  i'aye  laissé  du  bien  suffisant  pour  entrete- 
nir vne  bonne  maison,  ceux  qui  ont  faict  vers 
vostre  maiesté  poursuitte  pour  l'auoir,  en  ren- 
dent 


EXCVSE  1 3 

dent  assez  tesmoignage.  Et  quant  aux  charges 
qu'on  pourroit  obiecter  estre  dessus,  elles  n'e- 
stoyent  si  confuses,  que  ie  n'y  eusse  peu  facile- 
ment remédier,  ne  fust  l'empeschement  de 
mon  absence.  D'auantage,  i'ay  vn  bon  tes- 
moing  en  vous,  Sire,  qu'en  cest  endroit  mes 
ennemiz  me  diffament  sans  nulle  apparence. 
Car  s'il  n'eust  tenu  qu'à  cela,  il  m'estoit  licite 
de  viure  honnorablement,  et  auec  plus  grande 
sumptuosité,  mesme  en  vostre  court,  que  ma 
nature  n'appete.  Car  ie  ne  suis  pas  sorty  d'vne 
maison  affamée  :  et  n'ay  pas  si  mal  gouuerné  le 
bien  qui  m'a  esté  laissé  par  mes  prédécesseurs, 
qu'il  ne  me  restast  autre  remède  de  couurir 
ma  honte,  qu'vne  fuitte  ignominieuse.  Qui 
plus  est.  Sire,  vous  savez  qu'estant  proueu  par 
vostre  maiesté  d'vn  estât  qui  n'est  pas  de  petite 
importance,  ie  I'ay  franchement  et  libérale- 
ment resigné,  priant  d'en  estre  deschargé  :  non 
pas  qu'il  me  fachast  de  m'employer  à  vostre 
seruice,  auquel  ie  ne  laissoye  pas  d'estre  pour- 
tant :  mais  à  cause  que  ie  ne  m'en  pouoye  pas 
bonnement  acquitter,  comme  i'eusse  désiré. 
Cela  n'est  pas  signe  d'vn  homme,  qui  n'ait  de- 
quoy  fournir  à  sa  despense.  Mais  ce  seroit  sim- 
plesse  à  moy  de  plus  insister  sur  ce  poinct,  le- 
quel   il    n'estoit    pas    nécessaire    de    toucher 

B  3 


14  EXCVSE 

cnuers  vostre  maiesté  :  sinon  pour  l'aduertir, 
combien  elle  doit  adiouster  de  foy  à  ceux  qui 
vscnt  de  calomnies  tant  manifestes,  sans  auoir 
regard  à  rien,  qu'à  me  diffamer  sans  raison. 

On  a  aussi  fait  voler  vn  autre  bruit  de 
moy,  lequel  est  sorty  d'vne  mesme  fontaine  : 
c'est  que  i'ay  adhéré,  ou  porté  faueur  à  la  secte 
des  Anabaptistes.  le  me  déporte  de  nommer 
les  aucteurs,  pource  qu'il  me  fait  mal  qu'ilz  se 
deshonnorent  ainsi  :  donnans  occasion  aux 
gens  de  bien,  de  ne  donner  gueres  de  crédit 
pour  l'aduenir  à  tout  ce  qu'ilz  diront.  C'est 
vne  ruse  trop  commune,  et  dont  les  oreilles 
des  princes  doyuent  estre  de  longtemps  si  ba- 
tues,  qu'il  n'y  est  point  requis  longue  response  : 
d'appeller  Anabaptistes  ceux,  qui  ne  consen- 
tent point  aux  abuz  communs  :  mais  désirent 
quelque  bonne  reformacion.  C'est  merueilles, 
que  tout  ce  qui  se  dit  de  nous,  est  prompte- 
ment  receu,  encore  qu'il  n'ait  nulle  couleur  de 
vérité,  si  nous  n'y  respondons.  Car  si  ie  com- 
prens  toute  ma  défense  en  vn  mot,  qu'ilz  me 
font  grand  tort,  m'imposant  ce  à  quoy  ie  ne 
pensay  iamais  :  la  cause  sera  bientost  vuydée. 
De  tout  droit  et  équité,  c'est  à  eux  à  prouuer 
leur  dire  :  et  n'y  a  rien  si  commun,  que  toute  ac- 
cusation défaillante  en  preuue,  doit  estre  tenue 

pour 


EXCVSE  1 5 

pour  calomnie.  Or  quel  signe  allégueront  ilz 
contre  moy  de  cela,  qui  emporte  seulement  la 
moindre  coniecture  du  monde  ?  le  ne  les  en 
crains  point.  Toutesfois,  puis  qu'il  plaist  à 
Dieu,  qu'ilz  ayent  cest  auantage  sur  moy,  que 
ilz  soyent  creuz  à  leur  simple  dire  :  si  ie  ne 
monstre  le  contraire,  au  moins  que  ie  soye 
receu  à  ceste  condicion. 

Premièrement  donques  ie  dy,  que  onques 
ne  sortit  parolle  de  ma  bouche  qui  en  donnast 
souspeçon  aucune.  Et  de  fait,  i'entens  que  c'est 
vne  chose  tant  lourde  et  absurde  que  leurs  res- 
ueries,  qu'il  n'y  a  nulz  qui  s'y  abusent,  que  gens 
ignorans.  Or  Dieu  m'a  fait  la  grâce  d'auoir  au- 
cunement gousté  les  lettres  :  tellement  que  ie 
puis  voir  et  lire,  comme  i'y  ay  tousiours  prins 
plaisir,  et  m'y  suis  exercé  depuis  mon  enfance. 
Cela  mesme  a  esté  cause  que  i'ay  eu  communi- 
cation auec  gens  de  sauoir.  Ainsi  la  porte  e- 
stoit  fermée  aux  Anabaptistes,  tellement  qu'ilz 
n'auoyent  point  d'accès  à  moy  :  encore  qu'ilz 
y  eussent  aspiré.  D'auantage  i'ay  tousiours  eu 
leur  secte  en  horreur  :  et  quand  il  en  a  esté  parlé, 
i'ay  bien  monstre  que  i'en  sentoye.  le  puis 
nommer  beaucoup  de  tesmoings  dignes  de 
foy,  qui  ont  esté  presens,  quand  le  propos  en  a 
esté  esmeu  en  ma  présence,  ou  que  moymesme 


l6  EXCVSK 

en  ay  parlé,  si  l'occasion  s'y  adonnoit,  qui  ont 
ouy  et  entendu,  combien  i'estoye  loing  de  fa- 
uorizer  à  nul  de  leurs  erreurs.  Mesme  pource 
que  i'entendoye,  qu'ilz  ont  grand  astuce  de  se 
insinuer  enuers  les  simples  et  idiotz  :  i'ay  tous- 
iours  eu  l'œil  sur  ma  famille,  de  peur  que  ceste 
peste  n'y  entrast,  pour  infecter  ma  maison.  Car 
telle  opinion  en  auoye  ie.  Qu'on  demande 
aux  Anabaptistes,  s'ilz  m'auoueront  estre  de 
leur  sequele.  le  ne  doute  pas  qu'ilz  ne  fussent 
bien  ayses  de  s'en  pouoir  vanter  :  mais  ilz  n'ont 
garde  de  se  contenter  de  moy.  le  ne  say  si  ceux 
qui  me  prestent  ce  nom,  leur  eussent  résisté 
comme  i'ay  fait,  quand  ilz  eussent  esté  en  mon 
lieu.  D'austre  costé,  i'ay  tousiours  eu  commu- 
nication et  amitié  auec  ceux  qui  estoyent  enne- 
miz  de  ceste  secte  :  et  me  suis  gouuerné  en  sor- 
te, que  tant  les  Anabaptistes,  que  ceux  qui  leur 
sont  contraires,  eussent  du  premier  coup  ap- 
perceu  ce  que  ie  dy.  Et  toutesfois  ie  ne  regar- 
doye  pas  à  euiter  ceste  reproche.  Car  iamais  ie 
ne  m'en  fusse  douté,  mais  i'en  faisoye  simple- 
ment comme  ma  conscience  le  portoit. 

Au  reste,  il  m'est  aduis  que  c'est  quasi 
temps  perdu,  de  m'arrester  plus  à  ceste  matière. 
Car  ceux  qui  m'imposent  ce  crime,  sauent 
bien  que  i'en  suis  pur  :  et  cependant  que  leur 

bou- 


EXCVSE  1,7 

bouche  me  condamne,  leur  conscience  m^ab- 
sout.  Hz  n'ont  nulle  couuerture,  ne  grande  ne 
petite,  pour  colorer  leur  calomnie.  Et  puis 
c'est  vne  vieille  chanson,  et  trop  vulgaire,  d'ap- 
peller  Anabaptistes  tous  ceux  qui  désirent  que 
les  corruptions,  qui  sont  auiourdhuy  en  la 
Ghrestienté,  soyent  corrigées.  Comme  ainsi 
soit,  qu'il  n'y  en  ait  nulz  moins  approchans 
de  ceste  secte.  Parquoy  il  me  suffira.  Sire,  d'a- 
uoir  en  brief  monstre  à  vostre  maiesté,  qu'aussi 
bien  en  cest  article  on  a  cerché  de  me  diffamer 
sans  qu'il  y  eust  dequoy.  Dont  elle  pourra  voir, 
combien  il  est  nécessaire  d'enquérir  deuement 
sur  le  reste  dont  on  me  charge,  pour  en  iuger 
equitablement  et  en  vérité. 

Ces  deux  calomnies  vuydées,  ie  viens  au 
poinct  principal.  Sire,  à  l'occasion  duquel  i'en- 
tens  qu'on  m'a  mis  en  l'indignacion  de  vostre 
maiesté.  Or  pour  plus  facile  déduction  :  ie  le 
distingueray  en  trois  parties.  La  première, 
quant  à  la  vie  que  i'ay  menée,  estant  au  pays.  La 
seconde  sera,  de  la  cause  et  manière  de  mon 
partement,  et  des  lieux  de  ma  retraicte.  La  trois- 
iesme,  de  la  foy  que  i'ay  tenue,  et  en  laquelle  ie 
perseuere  maintenant  par  la  grâce  de  Dieu. 

Quand  vous  ferez  bonne  inquisition  sur 
ma  vie,   Sire,  il  ne   se  trouuera  pas,  que  ius- 

C 


l8  EXCVSE 

ques  icy  ie  ne  vous  aye  tousiours  esté  bon  et 
loyal  subiect.  le  puis  protester  deuant  Dieu, 
que  ie  l'ay  esté  d'affection  pure  et  droite.  Quant 
aux  hommes,  les  œuures  en  rendent  tesmoi^ 
gnage.  Jamais  n'y  est  venu  trouble  de  moy.  Ja- 
mais vous  n'auez  esté  fasché.  Sire,  d'aucune 
querele  à  mon  occasion  :  mais  ay  vescu  paisi- 
blement en  vostre  obéissance.  Et  encore  à  pré- 
sent, nonobstant  qu'on  m'ait  aucunement  mis 
hors  de  vostre  bonne  grâce  :  si  ne  laisse  ie  pas  de 
porter  affection  telle  à  vostre  maiesté,  que  Dieu 
le  me  commande.  Mesme  la  plus  grande  tristes- 
se et  regret  que  i'aye,  c'est  que  vous  ne  cognois- 
sez  mon  cœur,  et  la  vérité  du  fait,  qui  vous 
pourroit  contenter,  comme  i'espere. 

Au  reste,  si  en  vous  rendant  le  deuoir  de 
vn  bon  et  humble  subiect,  i'ay  eu  en  recom- 
mandacion  de  seruir  à  Dieu  selon  la  cognois- 
sance  qu'il  m'auoit  donnée  :  ie  croy  que  cela 
ne  me  sera  pas  imputé  à  crime  enuers  vostre 
maiesté.  Attendu  mesme,  que  combien  qu'en 
ma  conscience  i'estoye  contreint  de  condam- 
ner beaucoup  d'abuz,  qui  régnent  auiour- 
dhuy  en  l'Eglise,  et  que  par  ce  moyen  ie  ne  m'y 
peusse  accorder:  toutesfois  ie  n'ay  rien  attenté 
contre  voz  commandemens  et  défenses,  mais 
me  suis  tellement  porté,  qu'il  n'y  est  sorty  nul 

Scan- 


EXCVSE  19 

scandale  de  moy,  ne  mauuais  exemple. 

Il  y  a  vn  seul  poinct  qu'on  me  reproche, 
que  j'auoye  fait  venir  quelque  prescheur  :  et 
que  ie  le  fis  conduire.  Enquoy  certes,  on  me 
charge  à  tort.  Car  iamais  il  ne  vint  à  ma  solli- 
citation ny  adueu  :  et  ne  se  trouuera  pas,  qu'il 
ait  eu  conduite  de  moy.  Si  ie  l'auoye  fait  :  ie 
regarderoye  comment,  et  par  quelles  raisons  ie 
m'en  deuroye  excuser  vers  vostre  maiesté.  Mais 
ie  puis  testifier  deuant  Dieu,  que  le  fait  n'est 
pas  tel  qu'on  dit  :  et  quand  on  voudra  enquérir 
de  la  vérité  iusques  au  bout,  j'en  seray  d'autant 
plus  iustifié.  En  somme,  i'ay  tellement  vescu, 
pendant  que  ie  demouroye  au  pays,  que  ie  ne 
seray  pas  accusé  de  rébellion,  ne  desloyauté  en- 
uers  vous.  Sire,  ny  de  lascheté  enuers  aucun,  ou 
de  crime  quel  qu'il  soit.  Qui  plus  est,  du  temps 
que  i'estoye  encore  de  vostre  maison,  vous  a- 
uez  jugé  que  ma  vie  estoit  plus  conuenable  à 
vn  homme  retiré  en  vn  cloistre  par  deuocion 
qu'à  vn  homme  suyuant  la  court.  Tant  s'en 
faut  que  i'aye  esté  adonné  à  vne  façon  de  viure 
deshonneste,  ou  entachée  de  quelque  crime  di- 
gne de  reprehension.  Si  en  l'obseruation  des 
cérémonies,  et  aux  façons  de  faire,  qui  sont  au- 
iourdhuy  communes  en  la  Chrestienté,  plus- 
tost  par  abus,  que  parvray  vsage,  ie  n'ay  conten- 

G2 

18 


20  EXCVSÈ 

té  tout  le  monde  :  ce  n'est  pas  à  dire,  que  sur  ce- 
la on  doyue  assoir  iugement,  sans  sauoir  pour- 
quoy.  Si  est  ce  que  ie  n'ay  rien  attenté  pour 
changer  ne  troubler  l'ordre  qui  estoit  receu  et 
obserué  au  lieu  :  mais  paisiblement,  et  sans 
bruit,  i'ay  tasché  de  tellement  satisfaire  à  ma 
conscience,  que  la  police  ne  fust  en  rien  bles- 
sée. Quant  à  ma  Foy  que  ie  tenoye,  ie  reserue 
d'en  dire  cy  après  en  son  lieu.  Ainsi  pour  tout 
ce  temps  là,  ie  ne  pense  point  auoir  donné  oc- 
casion à  nul  de  reproche  ne  querele. 

La  seconde  accusation  qui  se  fait  contre 
moy,  est  de  mon  partement  :  laquelle  ie  ne  puis 
purger  sans  ramenteuoir  à  vostre  maiesté.  Si- 
re, ce  qui  ne  luy  a  pas  esté  incogneu  :  et  ra- 
conter le  reste,  qui  n'est  pas  venu  iusques  à  la 
cognoissance  d'icelle.  Estant  en  volenté  de 
me  marier,  combien  que  ie  me  deliberoye  de 
prendre  femme  de  la  maison  de  Brederode  (la- 
quelle est  aussi  subiette  de  vostre  maiesté)  et 
par  ce  moyen  ne  rien  faire  qui  vous  vint  à  des- 
plaisir :  toutesfois  deuant  que  rien  conclurre, 
ie  vous  en  demanday  congé,  ne  voulant  rien 
entreprendre  que  ie  ne  fusse  auparauant  cer- 
tain, vous  estre  agréable.  Le  mariage  accom- 
ply,  ie  croy  que  vostre  maiesté  n'aura  pas  trou- 
ué  estrange,  que  i'aye  fait  résidence  pour  quel- 
que 


EXCVSE  il 

que  temps  au  lieu  ou  i'estoye  allié,  attendu  mesme 
l'indisposition  de  ma  santé.  Car  i'estoye  pour  lors 
continuellement  maladif.  D'auantage,  i'estoye 
au  lieu  ou  vous  m'auiez  permis  de  prendre  fem- 
me, asauoir  auprès  de  monsieur  le  conte  Guil- 
laume de  Nuenar  oncle  de  ma  femme  :  lequel 
outre  ce  qu'il  est  subiect  de  vostre  maiesté  im- 
périale, s'est  tousiours  monstre  fidèle  seruiteur 
d'icelle.  Combien  que  ie  ne  m'arrestoye  pas  là  : 
mais  alloye  et  venoye  selon  que  ma  commo- 
dité le  portoit,  et  que  les  affaires  de  nostre 
maison  le  requeroyent,  pour  l'accord  et  ap- 
pointement  de  mes  frères  et  de  moy  :  dont  mes- 
mes  il  pleut  à  la  maiesté  de  la  Royne  vostre 
sœur,  et  à  ceux  de  vostre  conseil  s'en  mesler 
tellement,  que  ie  laissay  toutes  choses  en  bon- 
ne concorde  et  tranquillité,  ayant  plus  de  regard 
à  euiter  procez  et  differens,  qu'à  cercher  mon 
singulier  proffit  :  neantmoins  cependant  me  re- 
tiroye  pour  la  plus  part  en  ma  maison  de  Fal- 
lez,  ou  i'habitoye  plus  volentiers  qu'en  lieu  em- 
prunté. Et  de  fait,  ie  n'eusse  iamais  choisy  autre 
demeure  que  sur  mon  bien,  s'il  m'eust  esté  per- 
mis d'y  viure  à  repos.  Vray  est  qu'on  prenoit 
occasion  de  me  fascher  et  molester  sur  ma  fa- 
çon de  viure  :  mais  ce  n'estoit  pas  qu'elle  fust 
meschante  ou  vitieuse.  Seulement  pour  ce  que 

C  3 


22  EXCVSE 

ie  m'abstenoye  de  communiquer  aux  supersti- 
tions qu'on  estime  cérémonies  de  l'Eglise,  les- 
quelles ie  sauoye  estre  répugnantes  à  la  parolle 
de  Dieu  :  il  y  auoit  tout  plein  de  bruit,  que  ie 
tenoye  vne  secte  à  part  :  et,  comme  il  en  adulent 
coustumierement,  les  vns  presumoyent  que  ie 
cachoye  beaucoup  plus  en  mon  cœur,  que  ie 
n'en  faisoye  le  semblant  :  les  autres  adioustoyent 
beaucoup  plus  qu'il  n'y  en  auoit.  Estant  en  ce- 
ste  perplexité,  que  i'eusse  esté  contreint  d'offen- 
ser Dieu  pour  complaire  aux  hommes  :  ie  n'a- 
uoye  rien  plus  expédient,  que  de  m'oster  vn  pe- 
tit de  deuant  les  yeux  de  ceux,  qui  ne  se  pouo- 
yent  tenir  de  murmurer  contre  moy.  Qui  plus 
est,  i'auoye  de  mes  parens  qui  me  molestoyent 
auec  vne  telle  violence,  que  ie  n'estoye  point 
en  seureté  voire  chez  moy  de  nuict,  si  ie  n'eusse 
volu  tenir  bon  par  force.  Or  i'eusse  beaucoup 
mieux  aymé  mourir,  que  d'auoir  monstre  appa- 
rence d'émotion,  la  moindre  qu'on  sauroit  dire, 
l'entens  bien  la  réplique  qui  se  peut  icy 
faire,  qu'il  n'est  pas  vray  semblable,  que  ie  fusse 
ainsi  persécuté  sans  cause,  voire  des  miens  pro- 
pres :  secondement  qu'en  ce  cas  ie  deuoye  plus- 
tost  auoir  recours  à  vostre  maiesté.  Sire,  que 
d'abandonner  le  pays.  le  respons,  que  toute 
la  cause  estoit,  d'autant  que  i'aymoye  plustost 

obéir, 


EXCVSE 


23 


obéir  à  Dieu,  que  de  m'accommoder  au  plaisir  et 
fantasie  des  hommes.  Le  remède  estoit  de  me  re- 
tirer à  vostremaiesté,  si  i'eusse  espéré  y  auoir  au- 
dience. Mais  il  m'estoit  facile  de  présumer,  que 
ceux  là  mesme  qui  me  tormentoyent  en  la  mai- 
son, vous  auoyent  tellement  abbreuué  de  mau- 
uais  rappors  :  que  iamais  vous  n'eussiez  eu  la 
patience  de  m'escouter,  estant  préoccupé  de 
l'opinion  qu'ilz  vous  auoyent  persuadée.  loinct 
aussi  que  i'entendoye  bien,  qu'il  n'y  auoit 
pas  grande  espérance  de  trouuer  nulle  équité 
enuers  ceux,  ausquelz  vous  auez  accoustu- 
mé  de  remettre  la  cognoissance  de  telles 
causes.  Car  sans  enquérir  plus  outre,  ilz 
tiendront  incontinent  pour  condamnez  ceux 
qui  ne  s'accordent  point  à  leur  phantasie  : 
comme  ilz  le  monstrent  assez  sans  dissimuler. 
Tellement  que  la  raison  n'y  a  point  de  lieu.  le 
vous  supplie.  Sire,  me  pardonner,  si  ie  vous 
declaire  simplement  la  vérité  de  mon  faict, 
sans  rien  desguiser  par  simulacion.  Et  ie  croy 
que  voyant  de  quelle  affection  i'y  procède, 
vous  n'en  serez  point  offensé  contre  moy.  C'est 
bien  raison  que  chascun  chemine  selon  la  me- 
sure de  la  cognoissance,  qui  luy  est  donnée  de 
Dieu.  Tellement  que  tant  plus  que  nous  co- 
gnoissons  le  bien  et  le  mal  :  tant  moins  y  a  il 


24  EXCVSE 

d'excuse,  si  nous  ne  suyuons  l'vn,  et  fuyons  l'au- 
tre. Quand  i'allegueray  que  i'auoye  esté  aduer- 
ty  par  la  parolle  de  Dieu,  qu'en  la  forme  qu'on 
tient  auiourdhuy  à  seruir  à  Dieu,  et  qu'on  ensei- 
gne estre  bonne  et  saincte,  il  y  a  beaucoup  à  re- 
dire :  tellement  qu'en  me  conformant  à  icelle, 
i'eusse  offensé  mortellement  mon  Dieu  au  lieu 
de  le  seruir  :  ie  supplie  derechef  vostre  maiesté, 
que  cela  ne  me  soit  pas  imputé  à  outrecuidan- 
ce. Ce  n'est  pas  que  ie  voye  plus  clair  que  les  au- 
tres, que  i'aye  l'esprit  plus  aigu,  que  ie  les  sur- 
monte en  prudence,  que  i'aye  esté  plus  aduisé 
pour  consyderer  le  tout.  le  ne  m'attribue  rien 
de  tout  cela.  Plustost  ie  recognois  et  confesse 
mon  imbécillité  estre  telle,  que  ie  n'y  fusse  ia- 
mais  paruenu  de  mon  esprit  naturel,  ne  de 
mon  sens  acquis.  Mais  il  a  pieu  à  mon  Dieu 
par  sa  bonté  infinie  me  monstrer  le  chemin 
que  i'auoye  ignoré,  non  pas  pour  faire  du  grand 
docteur  :  mais  pour  le  suyure  en  humilité.  Ain- 
si, ce  que  les  autres  font  par  bon  zèle  en  igno- 
rance, ce  seroit  rébellion  à  moy  de  le  faire,  de- 
puis que  i'ay  cogneu  la  volenté  de  Dieu.  Le 
tout  gist  en  vn  poinct,  Sire.  C'est  que  Dieu  veut 
estre  seruy  selon  sa  parolle,  nous  défendant  de 
ne  rien  attenter  de  nostre  teste,  ne  d'adiouster 
à  ce  qu'il  nous  demande,  quant  à  la  reigle  et  fa- 
çon 


EXCVSE  25 

çon  de  le  bien  seruir.  Or  est-il  ainsi,  que  le  serui- 
ce  de  Dieu,  qui  est  auiourdhuy  en  vsage  com- 
mun, a  esté  pour  la  plus  part,  inuenté  des  hom- 
mes sans  aucune  approbation  de  Dieu.  Qui 
plus  est,  il  y  a  beaucoup  de  choses  pleinement 
répugnantes  à  ce  qui  nous  est  commandé  en 
l'Escriture  saincte.  Et  ce  qui  a  quelque  fonde- 
ment en  icelle,  est  si  transfiguré,  qu'à  grand  pei- 
na y  recognoit  on  nulle  similitude.  le  prote- 
ste, que  quand  il  m'eust  esté  permis  de  seruir 
Dieu  purement,  selon  ses  commandemens,  et 
m'abstenir  des  supersticions  qu'il  reprouue, 
sans  faire  esmeute,  ne  scandale  :  mais  en  gou- 
uernant  paisiblement  ma  famille  en  sa  crainte 
et  subiection,  m'acquittant  aussi  cependant  en- 
uers  vostre  maiesté  de  l'office  d'vn  bon  subiect  : 
que  i'eusse  réputé  cela  pour  vn  bien  singulier, 
et  n'eusse  rien  plus  désiré  que  d'habiter  au  pais. 
Et  le  tout  deuement  enquis,  je  ne  crains  pas 
que  ceste  protestation  ne  se  trouue  vraye.  En 
faute  de  cela,  i'eusse  aussi  réputé  à  vn  bien  singu- 
lier, que  vostre  maiesté  m'eust  octroyé  audien- 
ce, pour  luy  remonstrer  comme  la  chose  al- 
loit.  Mais  pource  que  i'entendoye  bien,  comme 
i'ay  desia  dit,  que  ceux  qui  me  persecutoyent  en 
ma  maison,  n'auoyent  pas  failly  de  vous  ani- 
mer contre  moy  :  i'aymoye  mieux  me  deppor- 

D 


a6  EXcvsE 

ter  de  toute  excuse,  en  me  retirant,  que  de  vous 
estre  importun.  D'auantage,  ie  veoye  comme 
l'accez  m'estoit  fermé  par  ceux,  qui  en  cer- 
chant  plustost  le  proffit  de  leur  bourse,  ou  l'ad- 
uancement  de  leur  crédit,  que  vostre  bien  et  sa- 
lut :  ne  cessent  d'enflamber  vostre  maiesté  con- 
tre tous  ceux,  qui  osent  ouurir  la  bouche  pour 
taxer  leurs  abuz,  ou  mesmes  qui  osent  mon- 
strer  par  signes,  qu'ilz  n'y  veulent  point  partici- 
per. S'il  m'eust  été  loisible.  Sire,  de  vous  en  de- 
clairer  ce  que  i*en  auoye  en  mon  cœur,  ie  me 
fusse  tenu  bienheureux.  Et  non  pas  tant  pour 
mon  excuse,  que  pour  ma  descharge  du  deuoir 
que  i'ay  enuers  vous.  Car  ie  suis  obligé,  tant  par 
le  deuoir  commun  de  tous  voz  subiectz,  que 
par  le  serment  que  ie  vous  ay  fait  de  fidélité  :  si 
i'apperceuoye  chose  qui  fust  à  vostre  détri- 
ment, de  mettre  peine  que  vostre  maiesté  en 
fust  aduertie.  Or  creignant  de  n'estre  ouy,  pour 
vous  aduertir  et  remonstrer,  combien  la  façon 
de  seruir  Dieu,  qui  est  auiourd'huy  commune 
au  monde,  est  corrompue  et  pleine  de  beaucoup 
de  pollucions,  ayant  esté  mal  introduite,  et 
sans  fondement,  mesme  que  la  porte  m'estoit 
quasi  fermée  à  cela,  pour  la  persuasion  qu'on  , 
vousauoit  donnée  du  contraire  :  ie  suis  descendu 
au  remède  qui  estoit  le  plus  prochain  :  c'est  de 

mon- 


EXCVSE  17 

monstrer  par  mon  partement,  que  ie  ne  vouloye 
nullement  consentir  à  telz  abuz,  ou  faire  sem- 
blant d'approuuer  les  superstitions,  lesquelles 
ne  peuuent  sinon  prouoquer  l'ire  de  Dieu,  sur 
tous  ceux  qui  y  communiquent.  Parquoy, 
Sire,  combien  qu'on  vous  ait  fait  trouuer  mau- 
uais,  que  ie  soye  party  sans  dire  pourquoy  :  i'es- 
pere  qu'en  brief  vous  ne  serez  pas  mal  content 
de  mon  faict,  mais  plustost  m'en  saurez  bon 
gré.  Cependant  ie  me  console  deuant  Dieu, 
d'auoir  esté  le  premier  de  vostre  noblesse,  qui 
aye  fait  telle  déclaration  sans  parler  :  de  ne  point 
vouloir  adhérer  aux  choses  qui  se  commettent 
tant  contre  l'honneur  de  Dieu,  qu'au  grand 
preiudice  de  vostre  maiesié.  Tant  y  a,  que  l'in- 
tention dont  i'y  ay  procédé,  m'exempte  de  tout 
blasme  :  et  le  fait  en  soy,  à  mon  aduis,  ne  me 
doit  estre  imputé  à  crime,  ou  faute. 

Il  reste  de  reciter  ou  a  esté  ma  retraite,  et 
comment  ie  me  suis  gouuerné  par  tout  ou  i'ay 
esté.  Si  ie  me  fusse  transporté  en  pays  d'enne- 
miz,  il  y  auroit  occasion  de  parler  contre  moy  : 
mais  ie  suis  venu  premièrement  en  vostre  ville 
impériale  de  Couloigne,  ou  i'ay  vescu  sans 
scandale  :  tellement  que  ie  ne  sache  auoir  don- 
né occasion  à  nul  de  se  pleindre,  ou  mesconten- 
ter  de  moy.  Qui  plus  est,  monseigneur  l'arche- 

D  2 

14 


iè  EXCVSE 

uesque  et  Electeur  prince  du  pays,  ayant  enten- 
du de  ma  conuersacion  :  m'a  monstre  plus  d'hu- 
manité et  de  faveur,  que  le  n'eusse  pas  osé  requé- 
rir, et  a  continué  de  ce  faire  iusques  au  partir. 
Qui  est  bien  signe  que  mon  portement  n'y  a 
esté  que  bon  et  louable.  Car  ie  croy.  Sire,  que 
vous  receurez  bien  la  faueur  d'vn  tel  Prince 
enuers  moy,  pour  tesmoignage  qu'il  ne  m'a  pas 
cogneu  de  mauuaise  sorte.  Quant  aux  gou- 
uerneurs  de  la  ville,  i'espere  qu'ilz  n'en  fe- 
ront que  bon  rapport.  Delà  estant  pressé  de  ma- 
ladie, pour  cercher  les  bains  que  les  médecins 
me  conseilloyent,  n'ayant  chemin  plus  pro- 
pre que  par  le  Rhin,  pour  euiter  tant  le  cheual 
que  le  charroy  :  ie  suis  venu  iusques  à  Stras- 
bourg, qui  ne  doit  pas  estre  tenu  pour  lieu  e- 
strange  :  veu  que  c'est  l'vne  de  voz  principales 
citez  impériales.  Quand  ie  seroye  à  Paris,  ou  à 
Venise,  encor  n'en  seroye-ie  pas  condamné, 
comme  ayant  commis  grande  offense.  Par 
plus  forte  raison,  il  me  doit  bien  estre  loisible 
d'habiter  soubz  la  iurisdiction  de  vostre  Em- 
pire. 

Neantmoins,  Sire,  c'est  la  raison  surquoy 
vostre  court  de  Malines  principalement,  s'est 
fondée  :  saisissant  mes  biens  en  vostre  nom,  et 
faisant   puis    après   autres    procédures    contre 

moy. 


EXCVSE  29 

moy.  Mais  vostre  maiesté  peut  iuger,  si  c'est  fon- 
dement suffisant,  pour  me  poursuyure  en  telle 
rigueur.  Vray  est,  qu'il  y  a  là  aussi  deux  autres 
raisons  alléguées  auec  :  assauoir,  que  contre  vo- 
stre défense  expresse,  ie  party  de  vostre  ville  de 
Couloigne,  peu  deuant  vostre  arriuée.  Et, 
quand  il  vous  a  pieu  me  mander,  que  i'eusse  à 
me  retirer  de  la  ville  de  Strasbourg,  que  ie  n'en 
suis  bougé,  et  qu'en  cela  ie  me  suis  monstre  du 
tout  désobéissant.  Du  premier,  Sire,  ie  vous  en 
pense  auoir  satisfait  par  lettres  :  attendu  que 
l'excuse,  que  ie  vous  en  faisoye,  estoit  si  raison- 
nable que  rien  plus  :  et  la  trouueriez  vraye,  quand 
il  vous  plairoit  d'enquérir  du  temps  de  mon 
partement.  Car  les  médecins,  après  auoir  tenté 
tous  les  remèdes  qui  estoyent  en  leurs  mains, 
m'auoyent  ordonné  les  bains.  Et  consyderant 
ma  débilité,  ou  i'estoye  desia  tombé,  estant  ab- 
batu  par  la  longueur  de  la  maladie,  m'auoyent 
conseillé  de  me  haster  tant  que  possible  me  se- 
roit,  de  peur  que  ie  ne  fusse  preuenu  :  ayant  es- 
gard  aussi  à  ma  foiblesse,  auoyent  conseillé  de 
prendre  le  chemin  plus  aysé,  et  moins  pénible. 
Qui  fut  cause  que  ie  choisy  le  cours  du  Rhin, 
le  party  donc  de  Couloigne,  estant  contreint 
de  nécessité  fort  vrgente,  comme  i'ay  dit.  Et  de 
ce  temps  là,  ie  n'estoye  pas  aduerty  de  vostre  vo- 

D  3 


30  EXCVSE 

lente,  Sire.  Quelques  iours  après  que  ie  fus  arri- 
ué  à  Strasbourg,  ie  receu  les  secondes  lettres, 
qu'il  vous  auoit  pieu  m'escrire  :  par  lesquelles 
me  commandiez  d'attendre  vostre  venue  à 
Couloigne.  De  retourner,  il  n'y  auoit  ordre. 
Car  i'estoye  si  battu  du  chemin,  que  i'ay  esté  i- 
cy  arresté  tout  plat,  au  lict  par  longue  espace 
de  temps  :  voire  qu'on  n'y  attendoit  plus  de  vie. 
C'est  chose  bien  notoire,  que  le  changement 
m'eust  esté  mortel,  deuant  qu'auoir  fait  deux 
iournées.  Voyla  donc.  Sire,  comme  ie  n'ay  pas 
desobey,  en  sorte  que  ce  soit,  au  commande- 
ment de  vostre  maiesté,  partant  de  Couloigne. 
Car  pour  lors  ie  n'auoye  receu  nulles  lettres,  ne 
mandement  exprès  de  demourer,  qu'après  le 
fait,  comme  il  m'est  facile  de  le  prouuer,  quand 
ie  seroye  admis  à  ce  faire. 

Quand  est  du  second  :  il  vous  pleust.  Sire, 
m'enuoyer  un  gentilhomme  de  vostre  maison 
auec  lettres  de  créance  :  lequel  se  dit  auoir  char- 
ge de  vostre  maiesté,  de  sauoir  comment  ie  me 
portoye  :  la  cause  qui  m'auoit  meu  de  venir,  et 
que  i'auoye  délibéré  de  faire  :  item,  m'aduertir 
des  souspeçons  mauuaises  qu'on  auoit  de 
moy  touchant  ma  Foy,  et  que  i'eusse  à  m'en 
purger  par  deuant  vostre  maiesté.  Il  vous  a 
peu  rapporter.  Sire,  la  disposition  en  laquelle  il 

me 


EXCVSE  3l 

me  trouua.  Ce  tesmoignage  suffira  pour  véri- 
fier ce  que  l'en  ay  dit  cy  dessus.  Car  si  de  ce 
temps  là,  commençant  à  me  releuer  en  santé, 
i'estoye  encore  si  débile  :  de  là  il  estoit  aysé  de 
iuger,  combien  i'auoye  esté  bas,  quand  la  mala- 
die estoit  en  sa  force.  Que  ie  partisse  d'icy  au 
dangier  eminent  de  ma  vie,  ie  croy  que  ce  n'e- 
stoit  pas  vostre  intention,  Sire  :  et  me  tiens  en- 
core tout  persuadé,  que  quant  au  poinct  de  la 
demeure  que  ie  faisoye  pour  adonc  à  Stras- 
bourg, vous  ne  fustes  pas  mal  content  contre 
moy  :  voyant  que  la  maladie  m'y  tenoit  lié,  sans 
qu'il  fust  en  ma  puissance  de  me  mettre  en  che- 
min, ny  mesme  d'aller  aux  bains,  comme  il  me 
auoit  esté  conseillé.  Parquoy  il  est  tout  eui- 
dent  qu'il  n'y  a  eu  nulle  rébellion  ne  mespris, 
pour  offenser  vostre  maiesté  :  comme  vostre 
court  de  Malines  présuppose,  que  i'aye  esté  re- 
belle en  différant  de  partir  d'icy.  Car  où  la  fa- 
culté n'est  point,  on  ne  peut  iuger  du  vouloir. 
Or  il  est  ainsi,  que  depuis  ce  temps  là,  ie  n'ay 
point  eu  la  puissance  de  sortir  de  ma  maison 
seulement,  sans  m'incommoder. 

Mais  le  principal,  et  dont  tout  le  reste  dé- 
pend, est  la  purgation  que  vostre  maiesté  m'a- 
uoit  commandée  :  qui  est  aussi  le  troisiesme  ar- 
ticle, que  i'ay  proposé  traiter,  et  qui  sera  la  con- 


32  EXCVSE 

clusion  de  toute  ma  cause.  Car  quand  on  me 
impose  les  blasmes  que  i'ay  touchez  en  pas- 
sant, cy  dessus,  ce  n'est  pas  qu'on  m'en  accuse 
enuers  vostre  maiesté.  Et  aussi  il  n'y  a  nulle  cou- 
leur, pour  vous  induire  à  y  adiouster  foy.  Par- 
quoy  la  seule  offense  qui  vous  peut  irriter  con- 
tre moy,  Sire,  est  que  vous  ayez  souspeçon  mau- 
uaise  de  la  Foy  que  ie  tiens.  Or  vous  sauez,  que 
par  le  mesme  gentilhomme,  ie  taschay  à  vous 
en  satisfaire  :  vous  couchant  vne  brieue  som- 
me de  la  confession  de  ma  Foy  :  en  laquelle  ie 
ne  desguisoye  rien,  pour  en  dire  de  bouche  au- 
trement que  ie  n'en  pensoye  en  mon  cœur.  Il 
est  bien  vray  que  ie  ne  faisoye  pas  vne  longue 
déduction  des  matières,  et  ne  dechifroye  pas 
chascun  article  par  le  menu,  comme  il  ne  me 
sembloit  pas  aduis  qu'il  en  fust  mestier.  Si  est 
ce  qu'elle  ne  contient  rien,  qui  ne  soit  confor- 
me à  la  vraye  Chrestienté  :  et  me  peut  seruir  de 
protestation,  que  ie  ne  demande  qu'à  seruir 
Dieu  en  pure  simplicité  selon  sa  paroUe.  Or 
vostre  court  de  Malines,  Sire,  prononce,  que 
par  là  ie  me  suis  aliéné  du  tout  de  la  Foy  catho- 
lique, le  ne  suis  pas  mené  de  ceste  folle  ambi- 
cion,  d'appeter  qu'on  me  repute  homme  sa- 
uant.  Mais  ie  m'esbahy  de  ce  qu'ilz  ont  trouué 
en  ma  confession,   pour   la  condamner  ainsi. 

Car 


EXCUSE  3 S 

Car  ie  n'y  dy  rien  que  tous  les  Prophètes,  et  A- 
postres,  et  Martyrs,  qui  ont  iamais  esté,  n'ayent 
protesté  de  croire.  Ainsi  ie  ne  say  qu'ilzy  trou- 
uent  tant  à  redire  :  sinon  d'autant  que  ie  n'y  ap- 
prouue  point  les  erreurs  que  ie  suis  contreint 
de  reietter,  si  ie  ne  vouloye  contredire  à  Dieu. 
Si  n'est-ce  pas  pour  condamner  si  rudement 
vne  doctrine  que  i'ay  commune  auec  tous  les 
fidèles,  qui  ont  iamais  esté  en  l'Eglise  de  Dieu. 
De  vostre  costé,  Sire,  i'espere  qu'elle  aura  esté 
mieux  receue.  Mais  pour  ce  que  ie  n'en  suis  pas 
certain  :  et  que  i'ay  délibéré  de  vous  exposer 
tout  le  fait  de  ma  cause,  sans  aucune  dissimu- 
lacion  :  il  ne  faut  pas  que  ie  deffaille  au  poinct 
principal.  Seulement  ie  supplie,  que  comme  ie 
n'y  procède,  ny  en  malice,  ni  en  arrogance,  ny 
en  hypocrisie  :  qu'il  plaise  à  vostre  maiesté  d'a- 
uoir  la  pacience  de  m'ouyr,  iusques  à  ce  que  ie 
aye  declairé  en  brieues  parolles,  en  quelle  Foy 
j'ay  vescu  par  cy  deuant,  et  entens  de  mourir, 
tant  qu'il  plaira  à  Dieu  me  conduire  par  son 
sainct  Esprit,  qui  sera,  comme  i'espere,  en  la  vie 
et  en  la  mort. 

Il  n'y  a  cause  de  si  petite  importance,  de 
laquelle  il  soit  licite  de  iuger  deuant  qu'auoir 
cogneu.  Or  si  nous  auons  crainte  de  Dieu,  et 
portons  reuerence  à  sa  maiesté  :  ceste  cause  me 

E 


34  EXCVSE 

rite  plus  diligente  inquisicion,  que  nulle  autre. 
Car  il  est  question  de  la  doctrine  de  Dieu,  en 
laquelle  consiste  son  honneur,  et  le  salut  de  noz 
âmes  :  laquelle  est  le  sceptre  spirituel  du  souue- 
rain  Empire  de  nostre  Seigneur  lesus,  par  la- 
quelle le  fruit  de  sa  mort  et  passion  nous  est  di- 
stribué :  laquelle  est  la  reigle  de  nostre  vie,  et 
par  laquelle  nous  serons  vne  fois  tous  iugez, 
grans  et  petis. 

le  vous  supplie  humblement,  Sire,  qu'il 
vous  souuienne  que  c'est  l'vn  de  voz  plus  o- 
beissans  subietz,  qui  se  présente  deuant  vostre 
maiesté  :  lequel  estant  descendu  de  maison  ho- 
norable, et  s'estant  honnestement  porté  tout  le 
temps  de  sa  vie,  en  sorte  qu'on  ne  luy  peut  faire 
reproche  de  nulle  faute,  est  seulement  accusé 
d'vn  cas  :  c'est  qu'il  n'est  pas  adhérant  à  la  Foy 
catholique,  mais  tient  quelques  mauuaises  o- 
pinions  à  part.  le  confesse  bien  que  c'est  vn 
grand  crime  et  énorme.  Mais  puis  que  ie  me 
présente  à  vous  exposer  comment  ie  suis  accu- 
sé à  tort,  qu'il  vous  plaise  me  donner  audience, 
iusques  à  ce  que  vous  ayez  bien  cogneu,  et 
meurement  consyderé,  comme  il  en  va. 

Or  pour  ce  qu'on  voit  iournellement  par 
expérience,  qu'à  cause  des  corrupteles  qui  ré- 
gnent au  monde,  plusieurs  choses  sont  trou- 

uées 


EXCVSE  55 

uées  estranges  et  nouuelles,  combien  qu'elles 
soyent  de  Dieu,  prinses  de  sa  parolle  :  ie  suis  con- 
treint,  deuant  que  passer  outre,  requérir  à  vostre 
maiesté.  Sire,  de  réduire  en  mémoire  ce  qui  ne 
vous  est  pas  incogneu,  ny  à  nulle  personne  de 
sain  iugement  :  c'est  qu'il  y  a  beaucoup  d'abuz 
auiourdhuy  en  l'Eglise  Chrestienne,  qui  méri- 
tent d'estre  corrigez,  et  pour  lesquelz  Dieu  est 
courroucé  sur  le  monde.  le  dy  abuz,  non  pas 
seulement  en  la  vie  des  Prelatz  et  du  Clergé,  et 
aux  vices,  qui  ne  concernent  que  leurs  person- 
nes :  mais  en  superstitions  et  erreurs,  dont  le  po- 
ure  peuple  est  séduit,  voire  mesme  les  plus 
grans,  iusques  aux  Princes.  Car  il  est  bien  cer- 
tain, qu'on  a  merueilleusement  décliné  de  la  pu- 
ritéqui  estoitdu  temps  des  Apostres.  Et  mesme 
que  beaucoup  de  façons  de  faire  vicieuses,  ont 
esté  introduites  depuis  quatre  ou  cinq  cens 
ans,  voire  d'aucunes  plus  nouuellement. 

Qu'il  vous  plaise  secondement  consyderer, 
quel  remord  de  conscience  c'est  à  vn  homme 
d'y  consentir,  ou  en  faire  le  semblant,  après 
les  auoir  cogneues.  Principalement  quant  à 
moy,  i'eusse  d'autant  esté  plus  pressé  du  iuge- 
ment de  Dieu,  pour  ce  qu'il  y  a  desia  long- 
temps que  i'en  ay  eu  quelque  aduertissement. 
Car  dez  l'aage  de  quinze  ou  seize  ans,  ie  com- 

E   2 


ié  EXCVSÈ 

mençay  à  gouster  quelque  peu  de  ce,  que  Dieu 
m'a  depuis  reueié  par  sa  grâce  plus  pleinement. 
Pour  quelque  espace  de  temps,  cela  est  demeu- 
ré comme  enseuely  :  neantmoins  Dieu,  par  sa 
bonté  infinie,  n'a  pas  permis  qu'il  fust  aneanty 
du  tout  :  mais  plustost  a  monstre  que  c'estoit 
vne  clarté  suffoquée,  et  non  pas  esteinte.  Par- 
quoy  estant  derechef  admonnesté  de  ce  qui  en 
estoit,  il  falloit  bien  que  je  résistasse  à  Dieu, 
ou  que  je  fisse  valoir  l'intelligence  qu'il  m'a- 
uoit  donnée.  C'est  la  sentence  de  nostre  Sei- 
gneur lesus,  que  le  seruiteur  sachant  la  vo- 
lenté  de  son  maistre,  et  ne  la  faisant  pas,  sera 
puny  au  double.  Et  nous  la  practiquons  iour- 
nellement  entre  nous.  Ainsi  i'eusse  esté  plus 
grieuement  coulpable,  faisant  contre  ma  cons- 
cience, que  ceux  ausquelz  Dieu  n'a  pas  encore 
tant  ouuert  les  yeux.  Car  ce  qui  est  igno- 
rance en  eux,  eust  esté  rébellion  en  moy.  Il 
me  semble  que  cela  m'est  pour  excuse  légi- 
time, à  ce  que  ie  ne  soye  mesuré  à  la  reigle 
des  autres  :  puis  que  leur  condicion  est  diuer- 
se  à  la  mienne.  Ce  que  ie  dy,  non  point  par 
vanterie  :  mais  seulement  à  ce  que  vostre  ma- 
iesté  cognoisse.  Sire,  que  i'ay  marché  selon 
que  ma  conscience  me  poussoit  deuant  Dieu, 
estant  fondée  en  sa  parolle,  comme  il  est  requis, 

et 


EXCVSE  3-7 

et  que  nulle  témérité  ne  m'a  incité  à  m'aduan- 
cer  plus  que  les  autres.  Au  reste,  ie  ne  suis  pas 
tant  adonné  à  mon  sens,  que  ie  ne  soye  tousiours 
prest  de  renoncer  à  moymesme,  pour  suyure 
ce  qui  me  sera  remonstré  selon  Dieu,  Car 
i'entens  bien,  que  comme  c'est  l'office  d'vn 
Chrestien  de  se  tenir  constamment  à  la  vérité 
de  Dieu  :  aussi  est-ce  pareillement  de  se  ren- 
dre docile  à  ceux,  qui  luy  remonstrent  par 
raison,  qu'il  a  failly. 

Pour  le  commencement,  ie  proteste,  comme 
i'ay  desia  fait,  que  ie  croy  et  reçoy  sans  au- 
cune doute,  tout  ce  qui  est  contenu  tant  en  la 
saincte  Escriture,  qu'en  la  créance  des  Chresti- 
ens,  qu'on  appelle  le  Symbole  des  Apostres  :  et 
que  ie  ne  suis  entaché  de  nulle  hérésie  condam- 
née en  l'Eglise  ancienne,  mais  les  déteste  toutes. 

Suyuant  la  reigle  qui  nous  est  donnée  en 
l'Escriture,  i'adore  vn  seul  Dieu,  ne  transférant 
point  aux  créatures  l'honneur  qu'il  s'est  reser- 
ué  à  luy  seul  :  et  l'adore  en  la  façon  qu'il  le  com- 
mande, non  point  en  ma  phantasie.  Item,  ie  re- 
cognois  que  de  luy  procède  tout  bien,  toute 
sagesse,  vertu,  iustice,  et  tout  ce  qui  est  louable  : 
tellement  que  luy  seul  mérite  d'estre  glorifié. 
le  cognois  que  nous  deuons  desdier  toute  no- 
tre vie  à  son  seruice  :  le  seruans,  non  pas  selon 

E3 


38  EXCVSE 

noz  propres  inuentions,  mais  selon  ses  sainctz 
Commandemens. 

D'autre  costé,  je  recognois  que  nous  som- 
mes si  malheureux,  qu'au  lieu  de  luy  obéir, 
comme  nous  sommes  tenuz,  nous  ne  faisons 
que  contreuenir  à  sa  volenté  :  et  que  cela  vient 
de  la  corruption  que  nous  auons  de  nostre  pre- 
mier père  Adam,  lequel  s'estant  destourné  de 
Dieu,  nous  a  tous  ruynez  avec  soy. 

Ainsi,  ie  recognois  que  dés  le  ventre  de  ma 
mère,  nous  sommes  tous  coulpables  de  la 
mort  éternelle,  pour  le  péché  que  nous  appor- 
tons auec  nous  :  et  que  Dieu  nous  peut  tous 
iustement  condamner. 

D'auantage,  que  nostre  nature  est  si  vitieu- 
se  et  peruerse,  que  nous  sommes  aueuglez  en 
nostre  entendement  :  et  que  nostre  cœur  est 
mauuais,  si  qu'il  ne  peut  sortir  de  nous  que 
mal  :  et  quelque  apparence  de  bien  et  de  vertu 
que  nous  ayons,  que  tout  n'est  qu'abominati- 
on deuant  Dieu,  cependant  que  nous  demou- 
rons  en  nostre  naturel. 

Mais  Dieu  par  sa  bonté  infinie,  regardant 
à  nostre  poureté,  et  considérant  que  c'estoit 
vne  maladie  incurable,  sinon  que  le  remède 
vint  de  luy  :  a  eu  pitié  de  nous,  en  nous  secou- 
rant par  son  filz  nostre  Seigneur  lesus  Christ, 


EXCVSE  39 

l'enuoyant  pour  rédempteur,  afin  que  par  son 
moyen  tout  ce  que  nous  auons  perdu  en  A- 
dam,  nous  fust  restitué. 

le  recognois  donc,  que  nostre  Seigneur 
lesus,  suyuant  la  fin  pour  laquelle  il  a  esté  en- 
uoyé  en  ce  monde  :  nous  a  reconcilié  à  Dieu 
son  Père,  par  sa  mort  et  passion,  abolissant  noz 
péchez,  afin  qu'il  n'y  eust  rien  qui  nous  em- 
peschast  de  luy  estre  agréables. 

Apres,  qu'il  est  aussi  venu  pour  nous  afran- 
chir  par  la  grâce  du  sainct  Esprit,  de  la  seruitu- 
de  du  péché  :  ce  qu'il  fait,  quand  il  mortifie  en 
nous  le  viel  homme  :  c'est  à  dire  la  peruersité 
de  nostre  nature,  pour  nous  régénérer. 

Ainsi  i'entens,  qu'estans  retirez  de  l'abys- 
me  de  mort,  nous  sommes  receuz  en  la  grâce 
de  Dieu  par  sa  bonté  gratuite  :  et  sommes  repu- 
tez  iustes  au  nom  de  lesus  Christ,  non  point 
par  noz  mérites.  Qu'après  auoir  esté  acceptez 
ainsi  de  Dieu  pour  ses  enfants,  que  nous  som- 
mes faitz  participans  de  la  grâce  du  sainct  E- 
sprit,  pour  nous  gouuerner  en  son  obéissance. 
Et  ce,  par  le  moyen  de  nostre  Seigneur  lesus. 

Et  pource  que  viuans  en  ce  monde,  nous 
défaillons  tousiours,  et  sommes  bien  loing  de 
satisfaire  à  nostre  deuoir  :  par  la  mesme  grâce 
de   nostre    Seigneur   lesus    Christ,   Dieu  sup- 


40  EXCVSE 

plée  les  defautz  qui  sont  en  nous,  en  les  nous 
pardonnant  par  sa  miséricorde  :  tellement  que 
nous  auons  tousiours  besoing  de  la  remission 
de  noz  péchez,  iusques  en  la  fin. 

Pourtant,  ie  constitue  toute  la  fiance  de  mon 
salut  en  nostre  Seigneur  lesus  Christ  :  ne  dou- 
tant point  qu'il  ne  me  soit  vn  bon  gaige  et  seur, 
de  l'amour  paternel  que  me  porte  Dieu  son 
Père  :  luy  attribuant  le  tout  sans  rien  imaginer 
de  moy,  ne  de  ma  vertu. 

Or  i'entens,  que  nous  receuons  par  Foy 
lesus  Christ,  et  toutes  ses  grâces,  quand  nous 
croyons  fermement,  que  tout  ce  qui  nous  est 
testifié  de  luy  en  l'Euangile,  est  vray.  Ainsi  par 
Foy  nous  entrons  en  possession  de  nostre  salut  : 
comme  il  nous  est  présenté  en  l'Euangile. 

Cependant  ie  recognois,  que  ceste  Foy  doit 
estre  conioincte  auec  repentance,  pour  viure 
sainctement  et  en  bonne  conscience  :  et  que 
c'est  vn  abuz  de  prétendre  la  grâce  de  Dieu 
pour  auoir  licence  de  mal  faire,  voire  vn  blas- 
phème exécrable,  contre  Dieu  et  son  Euangile, 
veu  que  nous  sommes  appeliez  en  grâce,  pour 
seruir  à  sa  gloire,  en  toute  saincteté. 

I'entens  donc,  qu'il  nous  conuient  en  nous 
humiliant,  attribuer  la  louange  de  nostre  salut 
à  la  bonté  de  Dieu,  qu'il  nous  a  faite  par  le 

moyen 


ËXCVSÉ  41 

moyen  de  son  filz,  et  appuyer  là  toute  nostre 
confiance  :  mais  que  nous  ne  sommes  point 
participans  d'vn  tel  bien,  qu'en  nous  réduisant 
à  Dieu,  pour  faire  fruictz  de  bonnes  œuures  et 
sainctes.  Et  défait,  que  iamais  l'vn  ne  nous  est 
donné  sans  l'autre. 

Sur  ce  fondement,  i'inuoque  vn  seul  Dieu, 
et  ay  tout  mon  refuge  à  luy,  au  nom  de  son 
filz  qu'il  nous  a  donné  pour  médiateur  et 
aduocat  :  me  confiant  que  par  ce  moyen,  i'au- 
ray  tousiours  accès  à  sa  maiesté.  Et  I'inuoque 
après  auoir  désiré  l'aduancement  de  son  règne  : 
tant  pour  luy  demander  pardon  de  mes  offen- 
ses, que  son  assistence,  pour  me  conduire  à 
bien,  et  me  retirer  du  mal  :  consequemment 
pour  me  subuenir  en  tout  ce  qui  m'est 
expédient,  tant  au  corps  qu'à  l'ame.  Et  non 
seulement  pour  moy,  mais  aussi  pour  les  autres, 
selon  qu'il  nous  commande  et  '  enseigne  en 
l'Escriture. 

le  tiens  les  saincts  Sacremens  en  telle  re- 
uerence,  comme  tous  Chrestiens  les  doiuent 
tenir.  Du  Baptesme,  ie  recognois  que  c'est  le 
tesmoignage,  et  le  seau  du  lauement,  que 
nous  auons  par  le  sang  de.  lesus-Christ,  et  de 
la  regeneracion  que  nous  auons  par  son  sainct 
Esprit.  Et  que  là  nous  auons  pleine  asseuran- 

F 


41  EXCVSE 

ce  de  la  grâce  de  Dieu,  et  consequemment  de 
la  vie  éternelle,  tant  pour  nous  que  noz  en- 
fans. 

Je  recognois  qu'en  la  Gène,  soubz  les  signes 
du  pain  et  du  vin,  nous  receuons  vrayement  le 
corps  et  le  sang  de  lesus  Christ  :  d'autant 
qu'estans  icy  en  terre,  nous  montons  par  Foy 
au  ciel  iusque  à  luy  :  et  par  la  vertu  secrète 
de  son  esprit,  il  se  conioinct  auec  nous  pour 
nourrir  spirituellement  noz  âmes  de  sa  sub- 
stance :  afin  qu'en  communicant  à  luy,  et  estans 
membres  de  son  corps,  nous  soyons  faictz  par- 
ticipans  de  tous  ses  biens. 

le  recognois,  que  ces  deux  Sacremens  se  doy- 
uent  administrer  en  l'église,  par  ceux  qui  en 
sont  députez  ministres  :  et  que  l'vsage  nous  en 
est  requis  à  tous,  selon  la  capacité  d'vn  chas- 
cun. 

le  recognois  que  tous  fidèles  doyuent  garder 
l'vnité  de  l'église,  hors  laquelle  il  n'y  a  point 
de  salut  :  et  que  c'est  vn  crime  mortel  deuant 
Dieu,  de  faire  secte  à  part,  ou  diuision. 

Item  :  Que  comme  il  y  a  vne  église  vniuer- 
selle,  en  laquelle  tous  les  fidèles  sont  com- 
prins  :  qu'aussi  en  tous  lieux  il  y  doit  auoir  des 
églises  particulières  comme  membres  d'icelle, 
ausquelles  tous  Chrestiens  se  doiuent  congre- 

ger 


EXCVSE  43 

^er  pour  prier  Dieu,  faire  protestation  de  leur 
Foy,  receuoir  les  Sacremens,  et  ouyr  les  ser- 
mons. 

Item,  que  pour  euiter  confusion,  il  faut  qu'il 
y  ait  des  prelatz  et  pasteurs,  qui  y  président 
pour  gouuerner  le  peuple  :  et  que  c'est  vn  ordre 
inuiolable,  comme  il  a  esté  institué  de  nostre 
Seigneur. 

le  confesse  qu'on  leur  doit  porter  honneur  et 
leur  obéir,  quand  ilz  exécutent  fidèlement  leur 
charge  :  entant  que  cela  est  obéir  à  Dieu,  du- 
quel ilz  portent  la  doctrine.  Et  encore  qu'ilz 
fussent  vitieux  en  leur  vie,  et  dissoluz  :  que  ce 
n'est  pas  à  chascun  particulier  de  les  reietter, 
iusques  à  ce  qu'on  y  ait  proueu  par  bon  ordre. 

Item,  que  pour  entretenir  bonne  police, 
il  est  expédient,  qu'il  y  ait  des  ordonnances 
conuenables  à  Testât  et  disposition  de  chas- 
cune  Eglise.  Et  comme  l'authorité  appartient 
à  l'Eglise,  de  les  faire  et  establir  :  aussi  que  tous 
s'y  doyuent  renger  d'vn  accord  :  moyennant  que 
elles  n'y  soyent  point  faites  pour  lyer  les  con- 
sciences, mais  seulement  par  forme  de  police, 
et  que  toute  supersticion  et  tyrannie,  en  soyent 
exclues. 

Pareillement,  qu'il  conuient  se  conformer 
aux  cérémonies,  qui  seruent  à  l'ordre  et  hon- 

F2 


44  EXCVSE 

nesteté,  et  sont  vtiles  à  l'instruction  du  peu- 
ple, afin  que  tout  se  face  par  bon  accord.  Mais 
s'il  y  a  des  cérémonies  contraires  à  l'honneur 
de  Dieu,  et  à  sa  doctrine,  comme  celles  qui  con- 
tiennent idolâtrie  manifeste  :  qu'elles  doyuent 
estre  abolies. 

Voyla,  Sire,  en  somme  la  Foy  que  i'ay  te- 
nue, et  en  laquelle  ie  perseuere,  sans  que  i'y  dis- 
simule rien.  le  croy  qu'en  icelle,  vostre  maiesté 
iugera,  que  je  n'y  procède  qu'en  simplicité,  sans 
affection  aucune  de  me  monstrer.  Comme  à  la 
vérité,  ie  n'ay  prétendu  dés  le  commencement 
à  autre  but,  que  de  cheminer  simplement  en  la 
creinte  de  mon  Dieu.  Et  auiourd'huy  ie  puis 
protester  auec  sainct  Paul,  qu'il  n'y  a  autre  fon- 
dement du  blasme  qu'on  me  met  sus,  sinon 
d'autant  que  i'espere  au  Dieu  viuant.  Car  ie 
n'estime  pas,  qu'en  la  confession  que  i'ay  icy  re- 
citée, il  y  ait  ne  blasphème,  n'erreur  contre  la 
Chrestienté  :  puis  qu'il  n'y  a  rien  qu'à  la  gloire 
de  Dieu. 

Au  reste,  c'est  chose  toute  notoire,  qu'au- 
iourd'huy  quasi  par  toute  la  Chrestienté,  mesme- 
ment  au  pays  ou  i'auoye  à  viure  :  la  pure  vérité 
de  ceste  doctrine  est  fort  corrompue.  D'autant 
qu'on  magnifie  la  vertu  et  les  mérites  des  hom- 
mes, contre  la  grâce  de  lesus  Christ  :  d'autant 

que 


EXCVSE  4b 

que  la  remission  gratuite  des  péchez,  est  anéan- 
tie par  la  doctrine  des  satisfactions  :  qu'au  lieu  de 
monstrer  au  peuple  ou  il  doit  fonder  l'asseuran- 
ce  de  son  salut,  on  luy  commande  d'estre  tous- 
iours  en  doute  et  en  suspend  :  que  la  Foy  est 
tournée  en  opinion  et  en  cuider  :  qu'au  lieu  de 
la  vraye  pénitence,  qui  gist  en  ce  qu'on  renon- 
ce à  soymesme,  pour  se  renger  en  l'obéissance 
de  Dieu,  on  amuse  le  poure  monde  à  quelques 
exercices  corporelz  et  externes.  Au  lieu  d'a- 
dresser les  hommes  à  lesus  Christ,  pour  auoir 
accès  à  Dieu  le  Père  en  toutes  leurs  prières  :  on 
les  enuoye  confusément  à  sainctz  et  à  sainctes. 
En  sorte  (comme  le  prouerbe  commun  le  te- 
stifie)  qu'on  n'y  cognoist  Dieu  pour  les  Apo- 
stres.  Item,  que  pour  tout  seruice  de  Dieu,  on 
ne  presche  qu'inuentions  humaines,  folle- 
ment introduites  :  contre  ce  qui  est  dit.  Qu'en 
vain  on  se  tormente  d'honnorer  Dieu,  selon 
les  traditions  des  hommes.  D'auantage,  que 
tout  le  vray  service  de  Dieu,  qui  est  spirituel,  y 
est  renuersé  :  par  ce  qu'on  le  cuide  appaiser,  et 
contenter  de  cérémonies  externes. 

Autant  et  plus  en  puis  ie  dire  de  l'ad- 
ministration des  Sacremens,  et  de  toutes  les 
façons  de  faire,  qu'on  obserue  aux  temples. 
Car  ce  qui  est  le  principal  aux  Sacremens,  de 

F3 


4$  EXCVSE 

faire    entendre    au    peuple    qu'ilz    signifient, 
quel    mystère    ilz    emportent,    pourquoy    ilz 
sont   ordonnez  :   est  là   omis,   et  enseuely  du 
tout,  et  n'y  fait   on  que   barbotter  en  langue 
incogneue.  Et  mesme  il  n'est  pas  permis  d'en 
donner    l'intelligence   à   tous.   Ainsi,    au    lieu 
que    les    Sacremens  doyuent    estre   exercices, 
pour  nous  renuoyer  à  nostre  Seigneur  lesus 
Christ,  afin  de  cercher  en  luy  la  remission  de 
noz  péchez,   la   grâce   du   sainct   Esprit   pour 
nous   régénérer,   et  tout  ce  qui  concerne  no- 
stre salut  :  par  faute  qu'il  n'y  a  nulle  declaraci- 
on,  le  commun  peuple,  voire  qui  plus  est,  les 
mieux  entenduz,  s'abusent  aux  signes  visibles, 
et  y  arrestent  la  fiance  de  leur  salut.  Qui  est  v- 
ne  peste  mortelle.  Puis  après  on  a  tant  adiou- 
sté,  et  meslé  à  ce  qui  a  esté  institué  de  Dieu, 
que  tout  est  plein  de  fictions  humaines.  Qui 
pis  est,  on  a  changé  les  ordonnances  de  Dieu 
en  façons  estranges  :  tellement  qu'il  n'y  a  rien 
de  semblable.  Il  y  a  d'autre  costé  des  supersti- 
cions   beaucoup,    et  idolâtries   toutes   manife- 
stes :  esquelles  il  n'est  pas  licite  à  l'homme  Chre- 
stien  de  communiquer.  Aux  oraisons  et  leta- 
nies  qui  se  font  aux  temples,  il  y  a  des  blasphè- 
mes contenuz,  que  tous  Chrestiens,  en  estans 
aduertiz,  doyuent  détester. 

Quant 


EXCVSE  47 

Quant  à  l'obéissance  que  i'ay  tousiours 
rendue  à  vostre  maiesté,  i'en  ay  dit  cy  dessus. 
Maintenant,  ie  proteste  que  ie  l'ay  fait  en  telle 
sorte,  que  sainct  Paul  le  commande  :  c'est  à  dire, 
non  pas  de  crainte  d'estre  puny,  si  ie  faisoye  le 
contraire,  mais  pource  que  ie  me  sentoye  estre 
tenu  à  cela  :  et  ainsi  ce  n'a  pas  esté  par  contrein- 
te,  mais  de  franche  volunté.  Car  ie  recognoy 
les  Princes  pour  ministres  ordonnez  de  Dieu, 
à  gouuerner  le  monde  :  que  leur  estât  est  sainct 
et  honorable  :  pource  qu'en  exerçant  vne  œu- 
ure  de  Dieu  excellente,  ilz  sont  comme  ses  lieu- 
tenans.  Qu'ilz  ont  le  glaiue  en  la  main,  pour  pu- 
nir les  mauuais,  et  maintenir  les  bons  :  et  qu'ilz 
en  peuuent  vser  licitement  :  et  mesme  le  doy- 
uent  faire.  Que  nous  sommes  tenuz  à  leur  pa- 
yer tributz,  péages,  impostz,  et  autres  deuoirs, 
pour  supporter  les  fraiz  qu'ilz  font  à  nous 
maintenir  :  que  nous  leur  deuons  obéir  et  estre 
subietz,  selon  que  Dieu  leur  a  donné  la  préémi- 
nence sur  nous. 

Or  cependant,  si  ie  me  suis  abstenu  de  me 
polluer  aux  superstitions,  qui  contreuenoyent 
à  ma  conscience  (comme  i'ay  n'agueres  touché, 
qu'elles  sont  répugnantes  à  la  vérité  de  Dieu) 
et  qu'en  cela  ie  n'aye  peu  complaire  à  vostre 
maiesté,  Sire,  comme  l'eusse   désiré  :  ie  puis 

F4 


4S  EXCVSE 

neantmoins  protester  auec  Daniel,  que  ie 
n'ay  commis  nulle  offense  contre  vous.  Car 
comme  Daniel,  n'ayant  point  obtempéré  à  l'c- 
dict,  que  son  Prince,  estant  mal  informé,  et  à 
l'instigation  des  mauuais  conseilliers,  auoit 
publié,  n'a  pas  laissé  pourtant  de  luy  rendre  le 
deuoir  d'vn  bon  et  loyal  subiet  en  tout  et  par 
tout  :  aussi  quant  à  moy,  ie  pense  auoir  satisfait 
à  mon  deuoir,  puis  que  ie  n'ay  en  rien  forfait, 
mais  seulement  me  suis  abstenu  de  ce  qui  ne 
m'estoit  point  licite  selon  Dieu.  Et  mainte- 
nant ie  supplie  vostre  maiesté.  Sire,  qu'il  luy 
plaise  receuoir  ceste  excuse.  Car  il  n'y  a  rien 
en  ce  monde  qui  me  soit  si  dur  à  porter,  que 
d'estre  en  l'indignation  d'icelle.  Si  ie  me  sen- 
toye  coulpable  de  l'auoir  offensée,  ie  me  presen- 
teroye  à  toute  punition,  plustost  que  de  viure 
en  tel  regret  et  fascherie.  Cognoissant  qu'on 
vous  a  irrité  sans  cause  contre  moy,  ie  ne  say 
que  faire,  sinon  de  vous  supplier,  qu'il  vous 
plaise  cognoistre  mon  innocence.  Priant 
Dieu  aussi,  de  vous  manifester  l'affection  de 
mon  cœur  :  laquelle  vous  contenteroit.  Sire,  si 
elle  vous  estoit  bien  cogneue.  Pour  le  moins, 
vous  sauriez  que  iamais  ie  n'ay  désiré  qu'à  me 
gouuerner  en  la  crainte  de  Dieu,  soubz  l'obéis- 
sance de  vostre  maiesté  :  et  que  maintenant  ie 

n'ay 


ËXCVSE  49 

n'ay  pas  changé  de  propos.  Que  si  par  la  grâce 
de   Dieu,  vn  tel  bien  m'est  ottroyé,   qu'après 
m'auoir  preste  bénigne  audience  en  la  lecture 
de  ce  mien  escrit,  vostre  plaisir  soit  d'accepter 
mes  excuses  :  ie  me  reputeray  bienheureux.  Ce- 
pendant ie   me    repose   en  ceste    consolation, 
qui  n'est  pas  petite  :  que  i'ay  ma  conscience  pu- 
re deuant  Dieu  et  ses  Anges,  et  que  ie  se- 
ray  trouué  tel  de  fait  deuant  le  mon- 
de,   quand    on    enquerra    de 
la   vérité. 


AVX   LECTEVRS 

!l  y  a  enuiron  deux  ans,  que  i'auoye  fait  ceste 
défense,  en  intention  de  la  présenter  à  la  maie- 
sté  Impériale  pour  me  iustifier  des  calomnies, 
qui  m'auoyent  faussement  esté  mises  sus  par  mes  mal- 
uueillans  :  ou  plustost  ennemiz  de  la  vérité  de  Dieu. 
Mais   il   est  suruenu  plusieurs   empeschemens  depuis, 
qui  ont  esté  cause,  que  iusque  icy  elle  n'est  sortie  de 
mes  mains.  Car  par  l'espace  d'vn  an,  i'ay  esté  battu  de 
grieue  maladie,  tellement  que  ie  n'y  pouuoye  donner 
ordre  comme  i'eusse  bien  voulu.  Sur  ce  temps  là  aussi, 
ou  tantost  après,  il  fut  bruit,  que  l'Empereur  deuoit  pas- 
ser à  Strasbourg  :  auquel  lieu  ie  faisoye  ma  résidence. 
Qui  estoit  bonne  occasion  et  propre,  pour  me  présenter 
à  sa  maiesté,  auec  ladite  défense.  Estant  frustré  de  cest 
espoir,  d'autant  qu'il  print  son  chemin  d'vn  autre  costé, 
ie  taschay  qu'elle  luy  fust  présentée  à  Regspourg,  en  la 
iournée  qu'il  tenoit  là.  Et  pour  ceste  fin  la  fis  adresser 
aux  ambassadeurs  des  princes  protestans,  qui  en  eussent 
volontiers  prins  la  charge  :  sinon  que  desia  ilz  eussent 
esté  en  doute,  touchant  les  troubles  de  guerre,  qui  incon- 
tinent après  furent  esmeuz.  Cependant  i'attendoye,  que 
les  difTerens  s'appoinctassent  :  et  que  Dieu  par  sa  bonté 
reduist  tous  les  estatz  de  l'Empire  en  bon  accord  auec 
le  chef.  Qui  eust  esté  encore  vne  autre  bonne  opportu- 
nité, pour  auoir  accez  amiable  à  l'Empereur.  Mais  nous 
voyons  comme  le  mal  continue,  au  grand  regret  de  tous 
ceux  qui  ayment  la  Chrestienté.  Ainsi,  il  n'y  a  nul  moyen 
pour  moy,  d' auoir  audience  vers  ledit  Seigneur,  pour  luy 
faire  entendre  mon  innocence,  et  bon  droit.  D'autrepart, 
il  y  en  a  plusieurs,  qui  par  faute  d'aduertissement,  me 
tiennent  en  mauuaise  réputation  :  comme  si  le  parlement 
de  Malines  auoit  eu  quelque  raison  de  me  persécuter.  Or 
en  cela  non  seulement  mon  honneur  est  blessé  iniuste- 
ment  :  mais  qui  plus  est,  ie  seroye  occasion  de  scandale 
à  plusieurs  consciences  infirmes,  la  saincte  parolle  de 
Dieu  seroit  exposée  à  la  moquerie  des  infidèles,  et  par 
conséquent  son  nom  blasphémé.  C'est  la  principale  cause, 

qui 


AVX  LECTEVRS 

qui  m'a  induit,  voir  mesme  contreint,   à  faire  publier 
ladite  défense.  Car  ie  proteste,  que  ie  n'ay  pas  tant 
eu  esgard  à  ma  personne,  comme  à  l'édification 
commune  de  tous  ceux,  qui  la  pourront  voir. 
Si   par   ce   moyen    elle   pouuoit   aussi   par- 
uenir  iusques  à  la  maiesté  Impériale,  i'au- 
roye  dequoy  louer  Dieu  encore  plus 
amplement.  Toutesfois  quoy 
qu'il  en  soit,  ie  seray  au- 
cunement en  repos, 
de  m'estre  ac- 
quité  de 

mon 

deuoir. 

Ce  premier 

iour  de  mars, 

1548. 


17 


I 


CÊ2J 


TABLE 


Avertissement v 

Introduction.. vu 

I.  Origine  de  Jaques  de  Bourgogne.  —  Sa 

famille.  —  Sa  jeunesse xi 

II.  Falais  se  laisse  gagner  par  les  doctrines 

de  la  Réforme.  —  Son  mariage  ...  xv 

III.  Premières  relations  avec  Calvin.  —  Falais 

quitte  les  Pays-Bas  et  se  rend  à  Cologne  xxiii 

IV.  Falais  à  Strasbourg xxvii 

V.  L'  «  Excuse  » xxxiii 

VI.  Falais  quitte   Strasbourg  et  s'établit  à 

Bâle xxxix 


II  TABLE 

VII.  Le  château  de  Veigy xlvii 

VIII.  L'affaire  de  Bolsec.  —  Rupture  avec 

Calvin lui 

IX.  Dernières  années lxv 

Notice    Bibliographique lxxiii 

Excuse  de  Noble   Seigneur,  Jaques   de 

bourgoigne    i 

Avx  Lectevrs .-  5o 


Imprimé  par 

nPACHE-VARIDEL  &  "BRON 

à  Lausanne.