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Full text of "L'industrie du fer en France"

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L'Industrie 

=  du  Fer  = 

en   France 


LIBRAIRIE    ARMAND    COLIN 


DU  MEME  AUTEUR 


Rouen.  Etude  d'une  agglomération  urbaine.   In-8   cairé,  24  fig.,   1   carte, 
I  plan  et   16  planches  hors  texte,  broché. 

Le    Morvan.     Étude    de    Géographie   humaine.    In-8°  raisin,    44  fig.  et 
cartes,  40  phototypies  hors  texle,  broché. 


No  19  L-kbS'ritv 

COLLECTION    ARMAND   COLIN 
(Section    de  Chimie) 

L'Industrie 

=  du  Fer- 

en  France 

par 

J.  LEVAINVILLE 

Docteur  es  lettres 


4    Cartes 


^ 


LIBRAIRIE  ARMAND  COLIN 
103,    Boulevard    Saint-Michel,     PARIS 

1922 

Tous    droits   réservés. 


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Tous  droits  de  reproduction, 
de  traduction  et  d'adaptation 
réservés  pour  tous  pays. 

Copyright  1922,  by  Max  Leclerç 
et  H.  Bourrelier. 


INTRODUCTION 


Ce  petit  livre  ne  saurait  avoir  la  prétention  d'analyser 
tous  les  problèmes  que  pose  l'industrie  du  fer  et  d'en 
donner  la  solution.  On  a  laissé  volontairement  de  côté  toute 
la  partie  technique  de  la  sidérurgie  qui  a  fait  l'objet  d'une 
étude  très  complète  du  colonel  Rouelle,  parue  dans  la  même 
Collection.  Le  présent  volume  s'occupe  de  phénomènes 
économiques. 

Comme  l'a  très  clairement  montré  M.  Demangeon,  dans 
un  récent  article  des  Annales  de  Géographie,  la  métallur- 
gie du  fer  a  été  très  lente  en  France  à  se  dégager  des  liens 
du  passé.  Jusqu'au  milieu  du  xixe  siècle,  à  part  de  très 
rares  exceptions,  la  fabrication  s'accomplissait  en  de  petits 
ateliers  des  campagnes;  elle  gardait  un  contact  intime 
avec  le  milieu  rural  alors  qu'elle  avait  pris,  chez  nos 
voisins,  une  figure  de  grande  industrie.  Mais  si  l'éveil 
a  été  tardif,  l'essor  a  été  particulièrement  rapide.  Avant 
la  dernière  guerre,  notre  métallurgie  se  trouvait  en  fort 
bonne  place  dans  les  statistiques  mondiales,  sans  occuper 
le  premier  rang.  La  guerre  a,  de  nouveau,  modifié  les 
conditions  de  son  activité.  Quand  nos  désastres  seront 
réparés,  notre  métallurgie  viendra  au  second  rang,  derrière 
les  Etats-Unis,  pour  l'extraction   du  minerai  de  fer;  au 


VI  INTKODI  (  TIoN 

troisième,  distancée  de  peu  par  V Allemagne,  pour  la  pro- 
duction de  la  fonte. 

Entre  les  petits  ateliers  du  Moyen  âge,  où  deux  ou  trois 
forgerons  élaboraient  arec  peine  dix  tonnes  de  fer  par  cm, 
et  les  puissantes  associations  d'aujourd'hui  qui  occupent 
un  personnel  de  plusieurs  milliers  d'ouvriers  ou  de  commis 
et  écoulent,  par  an,  plus  de  300  000  tonnes  de  produits 
marchands,  il  n'y  a  guère  de  terme  de  comparaison.  Les 
valeurs  ont  changé  d'étalon.  La  mise  en  œuvre  du  minerai 
demeure,  seule,  la  commune  origine  de  leurs  efforts. 

Mais  des  résultats  si  profondément  différents  n'ont  pu 
se  réaliser  que  par  des  transformations  complètes  de 
l'industrie  et  de  totis  les  modes  de  l'activité  humaine  qui 
en  dérivent.  Parmi  les  troubles  économiques  de  l'époque 
actuelle,  les  bouleversements  de  notre  métallurgie  so7it  au 
premier  plan.  Ses  oscillations  pour  retrouver  l'équilibre 
perdu  depuis  la  guerre  se  répercutent  sur  nos  marchés,  à 
l'intérieur  comme  à  l'extérieur. 

Ce  sont  les  étapes  de  cette  évolution  et  le  stade  actuel 
que  Von  a  tenté  d'exposer. 


L'INDUSTRIE  DU  FER 

EN  FRANCE 


Chapitre  premier 
LE   MINERAI    DE   FER 


La  France,  pauvre  en  combustibles  minéraux,  possède 
les  gisements  de  minerais  de  fer  les  plus  considérables 
de  l'Europe.  Si,  dans  l'enquête  conduite  en  1910  par 
le  congrès  de  Stockholm,  elle  ne  figure  qu'au  second 
rang,  derrière  l'Allemagne,  elle  doit  cette  place  à  la 
grande  prudence  de  ses  ingénieurs  et  à  l'insuffisance 
des  recherches  minières.  Dans  les  années  qui  ont 
précédé  la  guerre,  des  prospections  nombreuses  ont 
déterminé  plus  exactement  la  valeur  de  nos  réserves. 

Actuellement,  les  estimations  les  plus  modérées 
portent  à  3  milliards  de  tonnes  la  puissance  des 
gisements  du  département  de  Meurthe-et-Moselle;  à 
1  830  millions  celle  du  département  de  la  Moselle; 
à  1  800  millions  celle  de  l'Anjou,  de  la  Bretagne  et 
de  la  Normandie;  à  100  millions  les  gisements  pyré- 
néens; à  100  millions  également  les  mines  et  minières 

L'Industrie  du  fer   en  France.  1 


2  L  INDUSTRIE    DU    FER   EN    FRANCE 

répandues  sur  le  reste  du  territoire  national.  Si  l'on 
ajoute  la  valeur  ferrifère  de  nos  possessions  nord-afri- 
caines, évaluée  à  150  millions,  les  réserves  françaises 
peuvent  être  comptées,  sans  exagération  pour  7  mil- 
liards de  tonnes,  soit  57  p.  100  environ  des  ressources 
de  l'Europe  entière  (12  032  millions  de  tonnes).  Nos 
richesses  dépassent  considérablement  celles  de  nos  con- 
currents les  plus  proches  :  l'Allemagne  (1  370  millions) 
et  l'Angleterre  (1  300  millions). 

Au  point  de  vue  géologique,  les  minerais  se  répar- 
tissent aux  étages  les  plus  divers  :  dans  les  micaschistes 
de  l'Aveyron,  le  silurien  de  Bretagne,  d'Anjou  et  de 
Normandie,  le  dévonien  des  Pyrénées- Orientales,  le 
houiller  de  la  Loire  et  du  Gard,  le  trias  de  Saône-et- 
Loire  et  de  l'Isère,  le  lias  de  la  Moselle  et  de  Meurthe- 
et-Moselle,  le  bajocien  du  Jura  et  de  l'Aveyron,  le 
bathonien  du  Var  et  de  l'Ardèche,  le  néocomien  du 
Doubs,  le  wealdien  du  Boulonnais,  l'urgonien  de 
Champagne,  l'aptien  des  Ardennes  et  de  l'Aisne.  Enfin, 
tous  ces  filons,  toutes  ces  couches,  tous  ces  amas  ont 
fourni  des  dépôts  de  remaniement  dans  les  poches 
superficielles,  principalement  en  Bretagne,  en  Lorraine, 
en  Aquitaine  :  ils  ont  été  fort  exploités  à  l'origine  de 
l'industrie  (fig.   1,  p.  8  et  9). 

La  nature  minéralogique  des  minerais  n'est  pas 
moins  variée.  Les  minerais  oolithiques  sont  prépon- 
dérants, par  suite  de  l'étendue  du  gisement  lorrain. 
On  trouve  également  des  hématites  brunes  dans  les 
Pyrénées- Orientales,  la  Loire-Inférieure,  le  Maine-et- 
Loire,  le  Var,  le  Tarn,  l'Algérie  ;  des  minerais  hydroxydés 
dans  le  Gard,  la  Haute-Marne,  la  Saône-et-Loire,  la 
Nièvre;  des  hématites  rouges  dans  le  Calvados,  l'Orne, 
l'Ardèche,  l'Oranie,  le  massif  du  Zaccar;  des  carbonates 
cristallisés  dans  les  Pyrénées-Orientales,  l'Orne,  le 
Calvados,  l'Aveyron,  l'Isère;  du   fer  oxydulé  dans  le 


LE    MINERAI    DE    FER  S 

Maine-et-Loire,  les  Pyrénées  et  l'Algérie;  du  ier  oligiste 
dans  les  Pyrénées. 

Les  minerais  français  et  algériens  sont  donc  de  tons 
les  types  :  comme  tels,  leur  composition  est  essentielle- 
ment variable.  La  silice,  le  phosphore,  le  soufre,  l'arsenic 
s'y  rencontrent  à  des  états  divers.  Leur  teneur  en  fer, 
pour  les  sortes  exploitables,  descend  jusqu'à  27  p.  100 
en  Lorraine  pour  atteindre  62  p.  100  dans  l'Ouenza. 
L'analyse  complète  de  chaque  gisement  dépasserait 
le  cadre  de  cette  étude.  Certains  d'entre  eux,  de  trop 
faible  tonnage  pour  tenter  la  grande  métallurgie,  n'ont 
guère  qu'un  intérêt  historique.  En  définitive,  l'industrie 
minière  est  presque  entièrement  localisée  dans  les  trois 
bassins  de  la  Lorraine,  du  massif  ancien  de  l'Ouest 
et  de  la  chaîne  pyrénéenne  :  ces  gisements  concentrent 
95  p.  100  de  nos  réserves  en  minerais  de  fer.  Ils  possèdent 
chacun  des  caractères  différents  et  correspondent  à  une 
production   différente   des   usines   sidérurgiques. 


I.    —    LE    BASSIN    LORRAIN 

Le  bassin  lorrain,  le  plus  important,  s'étend  entre 
Nancy  et  Luxembourg,  sur  120  kilomètres  en  longueur  et 
sur  20  kilomètres,  au  maximum,  en  largeur;  il  couvre 
120  000  hectares,  répartis  dans  le  département  de 
Meurthe-et-Moselle  (73  000),  dans  celui  de  la  Moselle 
(43  000),  en  Luxembourg  (3  600),  en  Belgique  (400). 
Ses  réserves  sont  estimées  à  plus  de  5  milliards  de 
tonnes.  C'est  la  réserve  ferrifère  la  plus  puissante 
d'Europe,  la  deuxième  du  inonde,  après  la  masse  des 
gisements  du  lac  Supérieur,  aux  Etats-Unis.  En  1913, 
elle  a  fourni  le  cinquième  de  la  production  mondiale 
de  la  fonte. 


4  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

La  formation  toarcienne,  qui  contient  le  minerai,  la 
minette,  peut  atteindre  40  mètres  d'épaisseur.  Le  nombre 
des  couches  exploitables  est  essentiellement  variable  : 
il  diminue  à  mesure  que  l'on  s'avance  vers  le  Nord 
et  vers  le  Sud.  On  a  reconnu  7  couches  à  Fontoy, 
2  à  Moyeuvre,  1  à  Ars-sur-Moselle.  Généralement, 
4  couches  sont  exploitées  :  la  rouge,  la  grise,  la  verte 
et  la  noire. 

La  minette  affleure  à  l'Est  dans  les  côtes  qui  dominent 
la  Moselle;  elle  plonge  à  l'Ouest  sous  le  bassin  parisien. 
Pour  ces  raisons,  l'extraction  a  lieu  souvent  à  flanc  de 
coteau  en  Lorraine  désannexée,  tandis  qu'en  Meurthe- 
et-Moselle  il  faut  procéder  par  puits,  d'autant  plus 
profonds  dans  la  direction  de  l'Ouest  :  les  morts  terrains 
du  jurassique  atteignent  61  mètres  à  Jœuf  et  240  mètres 
à  Con flans.  Par  ailleurs,  dans  cette  partie  du  bassin, 
des  venues  d'eau  considérables  nécessitent  des  travaux 
et  des  appareils  fort  coûteux.  Ces  installations  grèvent 
le  prix  de  revient.  Aussi  les  mines  étaient-elles  équipées 
pour  réaliser  de  fortes  extractions.  Briey  possédait 
les  sièges  les  mieux  outillés  de  France.  Plusieurs  sociétés 
pouvaient  produire  2  à  3  millions  de  tonnes  par  an. 
Grâce  à  ces  dispositions  le  prix  de  revient  sur  wagon- 
mine  ne  dépassait  pas  3  francs  avant  guerre.  Il  oscillait, 
en  Lorraine  désannexée  de  1  mark  59  à  2  marks  99. 

Comparés  aux  gisements  de  Meurthe-et-Moselle, 
ceux  de  Moselle  sont  désavantagés  par  la  teneur  en 
fer.  D'après  M.  Kohlmann,  l'ancien  directeur  de  l'école 
des  mines  de  Thionville,  la  teneur  en  fer  varie  de 
24  p.  100  à  40  p.  100;  en  réalité,  la  teneur  moyenne  ne 
dépasse  pas  30  p.  100.  En  bien  des  cas,  elle  n'est  pas 
supérieure  à  28  p.  100,  tandis  que  dans  les  bassins  de 
Longwy  et  de  Nancy,  elle  se  maintient  entre  33  et 
40  p.  100  et  dans  celui  de  Briey,  entre  36  et  40  p.  100. 
Cette  teneur   plus  élevée  et  plus  constante,  explique 


LE    MINERAI    DE    FER  5 

le  grand  développement  du  bassin  et  le  succès  de 
ses  minerais  sur  les  marchés  de  l'exportation.  D'une 
manière  générale,  sur  une  même  partie  de  la  couche, 
la  richesse  de  la  minette  augmente  d'Est  en  Ouest,  en 
s'éloignant  de  l'ancienne  ligne  de  rivage  de  la  mer 
toarcienne;  et,  dans  la  couche,  les  parties  les  plus  riches 
sont  les  parties  géologiquement  les  plus  basses. 

En  dehors  de  cette  teneur  modeste  en  fer.  l'élément 
caractéristique  est  le  phosphore;  sa  teneur  varie  de 
0,7  à  2  p.  100.  Cette  impureté  a  entravé  l'industrie 
lorraine,  jusqu'au  jour  où  Thomas  et  Gilchrist  ont 
trouvé  le  procédé  pour  déphosphorer  les  fontes. 

Par  contre,  les  gangues,  c'est-à-dire  les  autres 
matières  associées  au  fer  dans  le  minerai,  varient 
suivant  la  situation  géographique.  D'une  manière 
générale,  elles  sont  siliceuses  au  Nord  de  la  Fentsch 
et  au  Sud  de  l'Orne  :  elles  sont  calcaires  entre  ces 
deux  rivières.  Dans  le  bassin  de  Briey,  la  teneur  en 
chaux  est  de  10  p.  100  en  moyenne;  elle  varie  suivant 
les  couches  ;  la  grise  paraît  la  plus  favorisée.  Cette  forte 
proportion  concourt  à  assurer  au  minerai  une  précieuse 
qualité  :  la  fusibilité.  La  plupart  des  hauts  fourneaux 
lorrains  travaillent  sans  castine.  Ils  trouvent  sur  place, 
ou  à  proximité,  les  sortes  qui  fournissent  le  fondant 
nécessaire.  Ces  différences  de  constitution  minéralo- 
gique  étaient,  avant  guerre,  la  raison  des  échanges 
entre  mines  calcaires  et  mines  siliceuses,  des  deux 
côtés  de  la  frontière. 

Par  sa  masse  considérable  qui  diminue  le  prix  de 
revient,  par  ses  propriétés  physiques  et  chimiques 
favorables  à  la  fusion,  mais  impropres  à  la  production 
des  fontes  pures,  la  minette  lorraine  convient  essen- 
tiellement à  la  fabrication  de  l'acier  Thomas,  à  l'élabo- 
ration des  produits  marchands  :  rails,  poutrelles,  tôles, 
fers  blancs  et  généralement  tous  les  produits  auxquels 


6  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

le  laminoir  donne  une  forme  définitive.  La  minette 
lorraine  a  été  la  cause  de  l'essor  de  l'industrie  en  Lor- 
raine, en  Belgique,  dans  la  Sarre,  jusqu'en  Westphalie. 


II.    —    LE     BASSIN     DE    L  OUEST 

Les  minerais  du  massif  ancien  se  groupent  en  deux 
domaines  bien  distincts.  Au  Nord,  celui  de  Normandie 
et  du  Maine  est  formé  de  minerais  siluriens,  subordonnés 
aux  schistes  à  caly mènes,  auxquels  s'ajoutent  deux 
gîtes  dévoniens.  Les  formations  ferrifères  contiennent 
rarement  plusieurs  couches  exploitables,  le  plus  souvent 
une  seule.  Les  minerais  sont  utilisés  par  les  bauts 
fourneaux  de  Caen  et  de  Rouen,  par  les  usines  sidérur- 
giques du  Nord  de  la  France  et  surtout  par  les  métal - 
lurgies  allemandes  et  anglaises  qui  les  embarquent  au 
port  de  Caen.  Au  Sud,  le  domaine  minier  de  l'Anjou 
et  de  la  Basse-Bretagne  comprend  une  importante  série 
de  minerais  interstratifiés,  en  2,  3  ou  4  couches,  dans 
les  grès  armoricains;  des  minerais  gofhlandiens;  des 
minerais  d'âge  tertiaire,  exclusivement  superficiels. 
Ils  ont,  pour  le  moment,  un  débouché  naturel  dans  les 
usines  de  Trignac  et  sont  expédiés  à  l'étranger,  comme 
fret  de  retour  des  charbonniers,  par  les  ports  de  Nantes 
et  de  Saint-Nazaire. 

Avec  une  grande  prudence,  M.  Cayeux  estime  à 
800  000  tonnes,  les  réserves  du  groupe  septentrional, 
à  1  024  000  tonnes,  la  puissance  du  groupe  méridional, 
en  chiffres  ronds,  1  800  000  tonnes,  soit  une  infériorité 
de  deux  tiers  environ  par  rapport  aux  réserves  lorraines. 
C'est  là  une  première  différence;  il  en  est  d'autres. 

Dans  l'Ouest,  les  couches  varient  constamment 
comme    nombre,    comme    épaisseur,    comme    teneur. 


LE    MINERAI   DE    FER  7 

Dans  une  même  concession,  il  est  impossible  d'établir  des 
prévisions  avant  d'avoir  exécuté  de  nombreux  traçages. 
En  outre,  les  strates  sont  redressées,  souvent  verticales, 
et  les  failles  fréquentes.  Les  minerais  d'Anjou,  de 
Bretagne  et  de  Normandie  ne  peuvent  rémunérer  les 
grandes  exploitations  de  l'Est  :  ils  sont  destinés  aux 
industries  de  petite  envergure. 

Par  contraste  avec  la  minette  qui  constitue  l'unique 
variété  des  gisements  de  l'Est,  les  minerais  de  l'Ouest 
sont  fort  divers  de  par  leurs  caractères  pétrographiques. 
Sans  tenir  compte  des  minerais  de  minière,  on  trouve 
des  magnétites  dans  la  Mancbe  et  le  Maine-et-Loire; 
de  la  bavalite  dans  les  Côtes-du-Nord;  des  hématites 
dans  le  Calvados,  la  Loire -Inférieure  et  l'Ille-et-Vilaine; 
des  carbonates  dans  le  Calvados  et  l'Orne,  exception- 
nellement dans  le  groupe  méridional.  Les  sortes  les 
plus  abondantes  sont  constituées  par  des  hématites 
avec  des  teneurs  variant  de  45  à  55  p.  100  de  fer,  et  des 
carbonates  avec  des  teneurs  variant  de  30  à  40  p.  100. 
Ces  derniers  sont  extraits  normalement  dans  les  bassins 
ferrifères  d'Urville,  de  Domfront-Mortain  et  de  la 
Ferrière-aux-Etangs.  Ils  sont  grillés,  avant  expédition, 
pour  diminuer  la  teneur  en  humidité  et  abaisser  les 
frais  de  transport.  L'enrichissement  correspond  à 
dix  unités  dans  le  pourcentage. 

En  dehors  de  ces  teneurs  élevées  en  fer  qui  dépassent 
les  teneurs  du  bassin  lorrain,  les  minerais  de  l'Ouest 
sont  peu  alumineux  (1,39  à  4,50  p.  100),  privés  de  chaux 
ou  peu  s'en  faut  (1  à  4  p.  100),  très  peu  manganèses, 
moyennement  phosphoreux  (0,4  h  0,8  p.  100),  mais 
surtout  fort  siliceux  (8  à  25  p.  100). 

Par  leur  teneur  en  phosphore,  ils  se  tiennent  à  mi- 
distance  des  minerais  exempts  de  phosphore,  comme 
les  minerais  de  Biscaye,  d'Algérie  et  des  Pyrénées, 
d'où  l'on  tire  la  fonte  hématite,   et  de  ceux  qui  en 


Fol 

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ESPAGNE  AMD("?i 


FIG.    1.    —    LES    GISEMENTS    DE   FERJ 


Région  occupée  par  les  allemands 
après  l'Offensive  de  Juillet  igi8. 
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LES    BASSINS    HOUILLERS    DE    FRANCE. 


10  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

contiennent  suffisamment,  comme  les  minerais  de 
l'Est,  pour  être  tributaires  des  convertisseurs  Thomas  : 
ils  conviennent  particulièrement  pour  la  fabrication 
des  fontes  de  moulage.  Cependant,  on  a  reconnu  qu'ils 
peuvent  se  traiter  par  le  procédé  Thomas,  si  l'on  ajoute 
au  lit  de  fusion  une  certaine  quantité  de  craie  phos- 
phatée. Enfin  les  fontes  élaborées  avec  ces  minerais 
produisent  un  acier  équivalent  à  l'acier  hématite  quand 
elles  ont  été  passées  sur  la  sole  basique  du  four  Martin. 
Longtemps  dépréciés  à  cause  de  leurs  impuretés,  les 
minerais  de  l'Ouest  paraissent  s'adapter  à  toutes  les 
fabrications.  La  guerre  a  consacré  leur  valeur.  Les 
industries  nationales  les  disputent  aux  industries 
allemandes  et  anglaises  qui,  jusqu'ici,  ont  accaparé  la 
plus  grande  partie  de  l'extraction. 


III.    —    LE    BASSIN    DES    PYRÉNÉES 

Par  bassin  pyrénéen,  nous  entendons  l'ensemble  des 
gisements  compris  non  seulement  dans  les  départements 
frontières  :  les  Pyrénées- Orientales  (district  du  Cani- 
gou),  l'Ariège  (vallées  de  Vicdessos  et  les  vallées  débou- 
chant à  Tarascon-sur-Ariège  et  Saint-Girons),  les 
Basses -Pyrénées  (région  de  Saint-Etienne  de  Bigorry), 
mais  aussi  les  gîtes  des  Corbières  dans  l'Aude,  ceux  du 
pays  de  Castres  dans  le  Tarn,  des  régions  d'Olargues 
et  de  Biols  dans  l'Hérault.  La  production  annuelle  se 
chiffre  par  400  000  tonnes  environ  et  les  réserves  sont 
estimées  à  100  millions  de  tonnes. 

Au  point  de  vue  géologique,  les  dépôts  paraissent 
interstratifiés  dans  une  gangue  le  plus  souvent  schis- 
teuse. Ils  ne  se  présentent  point  sous  forme  de  couches 
véritables;  ils  sont  formés  par  des  amas  de  puissance 


LE    MINERAI    DE    FER  11 

irrégulière,  tantôt  en  bancs  continus,  tantôt  en  lentilles 
La  loi  de  leur  formation  est  jusqu'ici  mal  établie. 
Par  ailleurs,  ils  sont  traversés  de  nombreux  accidents 
tectoniques.  Leur  extraction,  déjà  limitée  par  ces 
conditions  physiques,  se  trouve  souvent  arrêtée  par 
des  difficultés  de  la  main-d'œuvre,  moins  malléable 
que  partout  ailleurs.  A  Rancé  même,  on  a  tenté,  sans 
résultat  pratique,  un  essai  de  la  mine  aux  mineurs. 

Le  minerai  est  constitué  par  de  l'hématite  à  haute 
teneur,  50  à  55  p.  100,  et  par  des  carbonates  qui  sont 
grillés  sur  place  avant  d'être  expédiés.  Ces  minerais 
sont  moyennement  siliceux  (5  à  10  p.  100),  nets  de 
phosphore  et  de  soufre  et  presque  toujours  manganèses 
(3  à  4  p.  100).  Ils  conviennent  à  l'élaboration  des  fontes 
acides  du  Bessemer  et  à  celle  des  fontes  de  choix.  Ils 
sont  essentiellement  propres  à  la  fabrication  des  aciers 
spéciaux  réclamés  par  l'artillerie  et  la  marine  de  guerre. 

Aussi  la  plus  grande  partie  de  la  production  (300000 
tonnes)  est-elle  réservée  aux  usines  locales  et  à  nos 
établissements  du  centre;  le  reste  est  expédié  par  mer 
aux  usines  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  (20  000  tonnes) 
et  aux  métallurgies  d'Allemagne  et  d'Angleterre 
(50  000  tonnes).  Sur  le  marché,  ces  minerais  sont 
concurrencés  par  les  minerais  d'Espagne,  d'Algérie  et 
de  Tunisie. 


IV.    —    LES    GISEMENTS     AFRICAINS 

Les  gisements  de  l'Afrique  du  Nord  ont  été  estimés 
au  congrès  géologique  de  Stockholm  à  125  millions  de 
tonnes  certaines,  à  75  millions  de  tonnes  probables, 
au  total  à  200  millions  de  tonnes.  Ces  chiffres  sont 
certainement  inférieurs  à  la  réalité.  L'occupation  du 


12  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

Maroc,  des  prospections  plus  suivies,  la  mise  en  valeur 
de  concessions  nouvelles,  le  développement  de  la  circu- 
lation terrestre  permettront  d'être  fixés  sur  la  quantité 
des  réserves.  Dès  maintenant,  elles  dépassent  de 
100  p.   100  les  chiffres  de  1910. 

Les  gisements  se  trouvent  répartis  sur  une  bande 
parallèle  à  la  mer.  Dans  l'Est,  elle  en  est  éloignée  de 
quelque  250  kilomètres,  au  Djerissa,  au  Slata  en 
Tunisie,  à  l'Ouenza,  au  Bou  Kadra  dans  la  province 
de  Constantine;  elle  s'en  rapproche  à  100  kilomètres 
au  Zaccar,  dans  la  province  d'Alger,  et  devient  côtière 
au  Benisaf,  dans  la  province  d'Oran,  et  à  Melilla,  au 
Maroc.  Nulle  part,  les  difficultés  du  terrain  ne  s'opposent 
à  une  jonction  rapide  avec  les  ports  africains. 

Comme  les  minerais  pyrénéens,  les  minerais  algériens 
comportent  surtout  des  hématites  et  des  carbonates 
très  riches  (48  à  54  p.  100),  généralement  purs  de  tout 
phosphore,  rarement  arsenicaux,  souvent  manganèses 
(5  à  9  p.  100  à  Ear-el-Maden  et  à  Sebadna).  Ces  qualités 
les  rendent  très  propres  à  la  fabrication  des  fontes  spé- 
ciales et  de  celles  réclamées  par  les  industries  de  la  guerre. 

A  l'époque  où  le  procédé  Bessemer  dominait  toute 
la  métallurgie,  nos  établissements  du  centre  n'ont  pu 
vivre  qu'en  important  des  minerais  algériens.  Actuelle- 
ment, ils  préfèrent  recevoir  des  minerais  espagnols 
et  pyrénéens  ou  travailler  les  fontes  nationales.  L'Angle- 
terre et  l'Allemagne  sont  les  clients  des  gisements 
africains. 


V.    —    LES    GISEMENTS     SECONDAIRES 

L'extraction  globale  des  autres  gîtes  français  repré- 
sentait 3  p.  100  de  la  production  française,  c'est-à-dire 
que  leur  valeur  disparaissait  dans  le  tonnage  total.  Ils 


LE    MINEKAI    DE    FER  13 

ont  cependant  gardé  un  intérêt,  soit  qu'ils  aient  été 
l'origine  d'industries  aujourd'hui  disparues,  soit  qu'ils 
alimentent  encore  des  hauts  fourneaux,  trop  éloignés 
des  grands  bassins  ferrifères  et  dont  l'importance,  rela- 
tivement restreinte,  se  contente  de  tonnages  modestes. 

La  mise  en  valeur  des  gisements  lorrains  décida 
l'arrêt  des  mines  qui  approvisionnaient  les  petites 
métallurgies  des  provinces  voisines.  Celles  qui  subsistent 
ont,  le  plus  souvent,  arrêté  leurs  fourneaux  pour  garder 
leurs  aciéries.  Elles  sont  soutenues  par  les  capitaux  des 
sidérurgies  lorraines  qui  leur  expédient  des  fontes  et 
même  du  minerai. 

Dans  la  Franche-Comté,  les  gisements  bajociens  de 
Laissey  et  d'Ougney  ont  perdu  toute  leur  valeur 
par  suite  de  leur  faible  teneur  en  fer  (24  à  28  p.  100); 
après  avoir  fait  la  fortune  des  forges  comtoises,  ils  ne 
sont  plus  utilisés  que  pour  fournir  la  castine  aux  usines 
locales. 

En  Bourgogne,  les  gisements  hettangiens  de  Mazenay 
et  de  Change,  qui  fournirent  si  longtemps  le  Creusot 
en  fontes  phosphoreuses,  ont  été  définitivement  dé- 
laissés en   1915. 

En  Champagne,  le  seul  gisement  en  activité  se  trouve 
dans  les  formations  néocomiennes,  entre  la  Marne  et  la 
Biaise.  Les  facilités  d'extraction  et  le  voisinage  des 
établissements  de  Saint-Dizier  l'ont  sauvé  de  l'abandon. 
Depuis  l'ouverture  des  chantiers,  il  a  fourni  plus  de 
5  millions  de  tonnes.  Mais  toutes  les  autres  mines  de  la 
Haute-Saône,  de  la  Haute-Marne,  des  Ardennes,  origines 
des  célèbres  forges  de  Champagne,  ont  fermé  leurs 
chantiers. 

Semblablement,  les  facilités  de  la  circulation,  l'épui- 
sement partiel  des  gîtes  locaux,  la  proximité  de  la 
minette,  ont  presque  complètement  arrêté  l'extraction 
dans  le  Nord  et  le  Pas-de-Calais.  Les  usines  du  Nord 


14  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

ont  sondé,  avant-guerre,  pour  trouver  le  minerai  dans 
la  région  de  la  Haute-Deule,  au  pied  même  des  sièges 
charbonniers.  Les  espérances  ont  été  déçues  et  la 
métallurgie  du  Nord  est  restée  la  cliente  des  gisements 
lorrains  pour  la  fonte  Thomas,  des  gisements  pyré- 
néens, espagnols  ou  algériens  pour  la  fonte  hématite. 

D'autre  part,  le  groupe  métallurgique  du  Centre  a 
détourné  son  attention  des  nombreux  gîtes  qui  entourent 
le  massif  central,  depuis  qu'il  a  abandonné  la  fabrication 
des  produits  marchands  pour  se  consacrer  à  la  fabrica- 
tion des  produits  finis.  Seules  ont  gardé  quelque  intérêt 
les  couches  proches  des  usines  dont  elles  avaient  jadis  sus- 
cité l'établissement.  Ainsi  les  hauts  fourneaux  de  Pouzin 
exploitent  encore  les  minerais  bajociens  de  la  Voulte 
dans  l'Ardèche;  les  hauts  fourneaux  de  Tamaris  et  de 
Bessèges  sont  alimentés  par  les  minerais  hettangiens 
d'Alais  dans  le  Gard;  ceux  de  Decazeville  par  les 
couches  bajociennes  de  Mondalazac  dans  l'Aveyron; 
ceux  de  Fumel  par  les  minières  de  la  Dordogne  et  du 
Lot-et-Garonne  situées  dans  leur  voisinage;  ceux  du 
Creusot  par  les  minières  creusées  dans  le  calcaire  juras- 
sique de  l' Indre,  après  avoir  abandonné  celles  du  Berry  ; 
ceux  de  la  Chasse  par  les  filons  tertiaires  de  l'Isère  et 
de  la  Vienne.  Encore  ces  derniers  gisements  sont-ils  à 
leur  déclin.  Après  avoir  fourni  de  1878  à  1879  plus 
d'un  million  de  tonnes  au  Creusot,  leur  extraction  a 
atteint  10  000  tonnes  seulement  en  1914.  Dans  le  Var, 
les  gisements  de  Beausoleil  ont  été  délaissés  et  si  des 
travaux  ont  été  entrepris  dans  la  Lozère,  sur  le  gisement 
de  Masseguin,  c'est  que  l'analyse  révélait  du  manganèse 
dans  le  minerai. 

Si  menus  qu'ils  paraissent  par  rapport  aux  masses 
ferrifères  de  la  Lorraine,  de  l'Ouest  et  des  Pyrénées, 
ces  petits  gisements  valaient  d'être  énumérés.  Ils  ont  eu 
leur  heure.   Ils  ont  été  les  auxiliaires  précieux  de  la 


LE    MINERAI   DE    FER  15 

sidérurgie,  au  début  du  xixe  siècle,  à  l'époque  où  elle 
essayait  le  coke  daus  ses  appareils;  ils  sont  les  derniers 
témoins  de  l'industrie  minière  antérieure  à  la  Révolution. 
Alors,  il  n'existait  point  de  province  française  qui  ne 
possédât  dans  ses  limites  ou  dans  ses  environs  immédiats, 
des  filons,  des  couches  ou  des  minières,  capables  de 
fournir  à  ses  besoins,  fort  peu  importants  d'ailleurs. 

Sans  doute,  la  valeur  de  la  pierre  de  myne  était  fort 
inégale  en  quantité  et  en  qualité  suivant  les  centres 
sidérurgiques;  mais,  telle  qu'elle  était,  elle  pouvait 
alimenter  partout  les  petits  fourneaux.  Car  si  la  France 
est  un  pays  relativement  pauvre  en  minerais  riches  et 
purs,  elle  est  un  pays  extrêmement  riche  en  minerais 
pauvres  et  de  moyenne  qualité. 

C'est  une  conclusion  qu'il  ne  faut  jamais  perdre  de 
vue  quand  on  étudie  l'évolution  de  l'industrie  du  fer 
dans  notre  pays.  Elle  explique  la  dissémination  à 
l'époque  de  la  fonte  au  bois,  les  difficultés  pour  adopter 
la  fonte  au  coke  et  les  grandes  découvertes  techniques 
du  xixe  siècle.  Elle  est  la  raison,  en  dernier  ressort, 
des  efforts  actuels  pour  la  conquête  des  marchés 
extérieurs. 


Ouvrages  à  consulter. 

La  répartition  des  minerais  de  fer  dans  le  monde  a  fait 
'objet  d'une  enquête  au  IXe  Congrès  international  de 
géologie  :  The  iron  ore  Resources  of  the  world.  An  inquiry 
mode  uponihe  initiative  of  the  Executive  Committeeof  the  xi  th 
International  Gcological  Congress,  Stockholm,  1910,  icith  the 
assistance  of  Gcological  Survey  and  niining  geologisls  of  dif- 
férent counlries.  Edited  by  the  général  secretary  of  con- 
gress. Stockholm,  1910,  2  vol.  et  atlas  in-folio.  La  partie 
française  est  l'œuvre  de  Nicou  (P.)  ;  elle  a  été  tirée  à  part 
sous  le  titre  :  Les  Ressources  de  la  France  en  minerais  de  fer 
(Paris,  H.  Dunod,  1911,  in-8).  M.  de  Launay  a  rendu  compte 
de  ces  travau       ans  les  Annales  de  Géographie  (XXI,  n°  115, 


16  L'INDUSTRIE   DU   FER    EN    FRANCE 

15  janvier  1912),  sous   la  rubrique  :  Les  réserves  mondiales  en 
minerais  de  fer. 

On  trouvera  de  bonnes  cartes  des  gisements  ferrifères  du 
monde  dans  la  publication  de  I'United  states  geological 
survey  :  World  Atlas  of  commercial  geology.  Part  I.  Distri- 
bution of  minerai  production  (Washington,  1921). 

Les  gisements  français  ont  été  examinés  en  détail  par 
M.  de  Launay  dans  son  Traité  des  gîtes  minéraux  et  métallifères 
(Paris  et  Liège,  Béranger,  2e  édition,  1913,  3  vol.  in-8).  Chaque 
monographie  est  complétée  par  une  bibliographie  copieuse 
qui  s'arrête  le  plus  souvent  à  l'année  1910.  Parmi  les  ouvrages 
parus  postérieurement,  on  lira  utilement  : 

Minerais  lorrains  :  Villain  (Fk.).  Les  gisements  de 
minerais  de  fer  oolithique  de  la  Lorraine  (Annales  des  Mines, 
Xe  série,  1,  1912; à  part,  Dunod,  1921,  in-8).  —  Guillain  (A.). 
Le  minerai  de  fer  en  Lorraine  française  (Revue  de  Métallurgie, 
8e  année,  10,  1911).  —  Langrogne  (M.)  et  Bergerat  (M.). 
Notice  sur  le  bassi?i  ferrifère  de  la  Lorraine  désannexée  (Annales 
des  Mines,  XIe  série,  1,  1920;  à  part,  Dunod,  1920,  in-8).  — 
XXIIIe-XXIVe  bibliographie  géographique,  1913-1914  (Paris, 
Armand  Colin,  s.  d.),  n°  512  (Lorraine.  Bassins  miniers). 

Minerais  de  l'Ouest  :  Cayeux  (L.).  Les  minerais  de  fer 
oolithique  de  la  France.  Fascicule  I.  Minerais  de  fer  primaires 
(Paris,  Imprimerie  nationale,  1909,  in-4).  —  Id.  Rapport  sur 
l'inventaire  des  minerais  de  fer  armoricains.  Travaux  pré- 
paratoires du  Congrès  du  Génie  civil;  session  nationale,  mars 
1918  (Paris,  Hôtel  de  la  Société  des  ingénieurs  civils,  1918,  in-8  ; 
compte  rendu  dans  les  Annales  de  Géographie,  XXIX,  n°  157, 
15  janvier  1920). —  XXIIIe-XXIVe  bibliographie  géogra- 
phique, 1913-1914  (Paris,  Armand  Colin,  s.  d.),  n°  536  (Nor- 
mandie, Anjou,  Bretagne.  Minerais  de  fer). 

Minerais  africains  :  Dussert.  Etude  sur  les  gisements 
de  fer  de  l'Algérie  (Annales  des  Mines,  XIe  série,  1,  1912).  — 
Ginestoits  (P.).  Esquisse  géologique  de  la  Tu)iisie  (Tunis, 
Picard,   1911,  in-8). 


Chapitee  II 
LA     FONTE    AU    BOIS 


I.    —    LES    ORIGINES.    LES    FORGES 
VOLANTES 

Sans  pouvoir  préciser  l'époque  où  elle  apparut  eu 
Gaule,  on  peut  affirmer  que  l'industrie  du  fer  y  est  fort 
ancienne.  Les  découvertes  archéologiques,  l'examen  des 
scories  de  forges  mêlées  au  mobilier  ou  à  l'armement 
celtique  démontrent  l'existence  de  l'industrie  du  fer 
dans  un  temps  où  la  Gaule  en  était  encore  à  l'âge  du 
bronze.  Presque  partout,  en  Bourgogne,  en  Champagne, 
en  Gascogne,  dans  le  Berry,  en  Périgord,  en  Lorraine, 
dans  le  Languedoc  nîmois,  en  Touraine,  même  dans  le 
voisinage  des  neiges  éternelles,  en  Maurienne,  le  sol  est 
couvert  de  crassiers  ou  de  terriers  antiques.  Cependant 
la  Bretagne,  où  les  dépôts  néolithiques  de  l'âge  de  bronze 
sont  si  abondants,  paraissent  jusqu'ici  dépourvues  des 
outils  de  l'époque  de  Hallstatt.  Sans  doute  ces  pro- 
vinces ont-elles  conservé  plus  longtemps  le  monopole 
qu'elles  détenaient  pour  la  fabrication  du  bronze  par 
suite  de  l'excellence  de  leurs  mines  d'étain. 

A  son  arrivée,  César  trouva  en  Gaule  une  métallurgie 

L'Industrie  du  fer  en  France.  2 


18  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

déjà  organisée.  Les  mineurs  étaient  habiles  dans  l'art 
de  perforer  le  sol  et  d'ouvrir  des  canalisations  souter- 
raines ;  les  forgerons  étaient  assez  experts  pour  fabriquer 
les  différentes  pièces  de  l' armement,  et  même  des 
chaînes.  Les  Vénètes  les  utilisaient  pour  équiper  leurs 
navires.  Les  Romains  apportèrent  en  Gaule  le  procédé 
métallurgique  qui  fonctionnait,  sous  leur  direction,  en 
Italie  et  dans  toutes  leurs  colonies,  le  procédé  catalan. 
Il  persista  uniquement  en  France  jusqu'au  xme  siècle, 
époque  où  la  force  hydraulique  intervint  en  métallurgie. 
Il  est  encore  employé,  au  xxe  siècle  chez  les  peuplades 
sauvages  de  l'Afrique. 

A  l'origine,  ces  petits  fourneaux,  dont  on  a  retrouvé 
les  restes  en  Bretagne,  en  Champagne  et  dans  le  Barrois, 
comportaient  essentiellement  un  trou  en  tronc  de  cône, 
creusé  dans  le  sol,  et  dont  les  dimensions  étaient  de 
0  m.  70  et  0  m.  80  pour  les  bases,  1  mètre  pour  la 
hauteur.  Les  parois  étaient  tapissées  de  briques  cuites. 
Quand  on  voulait  opérer,  on  commençait  par  chauffer 
l'appareil  avec  des  charbons  ardents;  puis  on  jetait 
sur  le  brasier  le  minerai  préalablement  lavé  et  pilé, 
auquel  on  ajoutait,  de  temps  à  autre,  quelques  mesures 
de  charbon  de  bois.  La  combustion  était  assurée  par 
le  fonctionnement,  à  la  partie  supérieure  du  fourneau, 
d'un  appareil  formé  par  des  outres  gonflées  d'air.  Cette 
invention  originale  des  Romains  fut  l'origine  du  soufflet 
en  éventail  si  connu  aujourd'hui. 

Le  minerai  et  les  cendres  arrivaient,  seules,  dans  le 
bas  du  fourneau,  où  la  chaleur  était  intensifiée  par 
l'effet  du  tirage.  Pour  permettre  l'écoulement  des 
laitiers  amassés  à  la  partie  supérieure,  le  fondeur 
ouvrait  un  conduit  appelé  queue  du  Renard,  d'où  le 
nom  de  forges  renardières  appliqué  à  ces  petits  appareils 
et  le  vocable  renardière  si  fréquent  dans  la  toponymie 
française.   A   travers  l'ouverture  et   au  moyen   d'une 


LA    FONTE    AU    BOIS  19 

perche  en  bois  vert  et  mouillé,  un  ouvrier  facilitait  la 
sortie  des  scories  et  brassait  le  métal,  dont  il  agglutinait 
les  parties. 

Ce  procédé  permettait  d'obtenir  directement  le  fer 
en  partant  du  minerai.  Malheureusement,  son  rende- 
ment était  très  diminué  par  l'imperfection  de  la  réduc- 
tion à  l'air  libre  et  par  l'absence  de  tout  fondant  pendant 
la  durée  de  l'opération.  L'usage  de  la  castine  était 
inconnu  des  premiers  métallurgistes.  C'était  une  omis- 
sion particulièrement  regrettable  quand  on  traitait 
des  minerais  riches  en  silice.  Les  fondeurs  ignoraient 
cette  particularité  et  toute  leur  habileté  consistait  à 
mélanger  des  minerais  de  qualité  différente  pour  obtenir 
un  lit  de  fusion  convenable. 

Le  procédé  catalan,  suffisant  pour  les  petites  pro- 
ductions, subsista  jusqu'à  l'établissement  des  hauts 
fourneaux  actionnés  par  la  force  hydraulique;  aussi 
les  scories  de  l'époque  romaine  sont -elles  très  analogues 
aux  scories  du  Moyen  âge.  M.  Davy  en  a  donné  de  nom- 
breuses analyses  pour  les  minerais  du  massif  armoricain. 
D'après  ses  chiffres,  les  Romains  étaient  les  meilleurs 
exploitants.  Les  scories  de  leurs  fourneaux  révèlent 
moins  de  fer  que  les  scories  des  époques  suivantes. 
Toutes,  elles  décèlent  une  certaine  naïveté  dans  les 
méthodes  employées;  elles  ressemblent  aux  scories 
obtenues  dans  les  fourneaux  des  peuplades  sauvages  de 
l'Afrique  qui  utilisent  encore  le  procédé.  Maïs  toutes 
elles  accusent  une  teneur  fort  importante  en  fer.  A  ce 
titre,  elles  ont  été  recherchées  et  exploitées.  Les  amas 
de  Bretagne,  de  Normandie,  d'Anjou,  du  Dauphiné, 
des  Pyrénées,  ont  donné  lieu,  avant  la  guerre,  à  de 
nombreuses  transactions. 

A  leur  début,  les  forges  renardières  ne  produisaient 
guère  que  4  à  5  kilos  par  opération.  Mais  les  besoins 
de  métal  se  faisant  sentir,  chaque  jour  davantage,  les 


20  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

foyers  furent  élargis.  Au  Moyeu  âge,  chaque  coulée 
produisait  50  à  GO  kilos  de  fer.  C'était  un  maximum. 
La  difficulté  de  s'approvisionner  sur  place,  en  matières 
premières,  condamnait  la  métallurgie  de  l'époque  à  un 
débit  limité. 

Avec  ces  procédés  rudimentaires,  également  employés 
pour  produire  le  cuivre,  le  plomb  et  l'argent,  on  con- 
sommait environ  200  kilos  de  minerai  et  25  stères  de 
bois  pour  obtenir  50  kilos  de  fer.  Sur  ces  bases,  en 
comptant  une  opération  par  jour  et  en  estimant  le 
rendement  à  l'hectare  à  100  stères,  les  ressources  en 
charbon  de  bois  étaient  épuisées  à  1  kilomètre  à  la 
ronde  en  40  jours.  Le  mauvais  état  du  réseau  routier 
empêchait  le  charbonnier  de  s'éloigner  des  forges. 
Par  ailleurs,  l'extraction  du  minerai  était  un  obstacle 
plus  grand  encore  au  développement  des  petits  four- 
neaux. L'art  des  mines  n'était  nullement  comparable 
à  la  technique  moderne.  Le  mineur  était  plutôt  un 
terrassier,  un  cultivateur.  Il  creusait  le  gisement,  comme 
il  travaillait  le  sol,  en  surface,  sans  jamais  s'enfoncer 
sous  terre.  Une  seule  forge  à  grand  rendement  eût 
rapidement  appauvri  la  minière;  deux  ou  trois  l'au- 
raient complètement  épuisé.  Les  forges  vivaient  donc 
dans  la  dépendance  étroite  de  la  pierre  de  myne  : 
c'étaient  des  appareils  à  débit  restreint.  Obligées  de 
se  disséminer  pour  utiliser  au  mieux  les  affleurements, 
forcées  de  transporter  ailleurs  leurs  opérations  quand 
le  minerai  devenait  inaccessible,  les  forges  renardières 
étaient  condamnées  à  être  des  forges   volantes. 


LA    FONTE    AU   BOIS  21 


II.    —    LES     HAUTS    FOURNEAUX1 

A  la  fin  du  xme  siècle  les  petits  fourneaux  des  forges 
volantes  ne  pouvaient  plus  suffire  aux  demandes.  La 
consommation  de  la  vaisselle  domestique,  le  développe- 
ment de  l'outillage  agricole,  les  augmentations  de  l'arme 
ment,  conséquence  des  guerres  qui  devaient  se  succéder 
pendant  trois  siècles,  nécessitèrent  une  technique 
nouvelle.  L'accroissement  des  besoins  suscita  des  modi- 
fications  dans  l'industrie  du  fer.  Les  maîtres  de  forges 
adoptèrent  les  hauts  fourneaux. 

C'était  une  modification  profonde.  Les  petits  four- 
neaux transformaient  directement  le  minerai  en  fer, 
c'était  une  opération  en  un  temps.  Les  hauts  fourneaux 
produisaient  d'abord  la  fonte,  puis  par  la  forge,  la 
fonte  était  convertie  en  fer;  c'était  une  fabrication  en 
deux  temps. 

Ce  procédé  nouveau  est  originaire  de  l'Europe  cen- 
trale. Il  semble  avoir  été  importé  en  France  :  dans  le 
Dauphiné  par  des  Tyroliens  à  la  fin  du  xne  siècle,  en 
Lorraine  et  en  Champagne  par  des  mineurs  du  pays  de 
Liège  au  xme  siècle.  Les  pièces  d'archives  signalent, 
à  la  même  époque,  les  nouveaux  appareils  dans  le 
Comté  d'Orlus  (Ariège).  Il  fut  lent  à  se  propager  dans 
le  reste  du  royaume.  Le  défaut  de  la  circulation  routière, 
la  situation  très  isolée  de  la  métallurgie  au  fond  des 
bois  empêchaient  la  pénétration  rapide  des  progrès. 
Cependant,   dès  les  débuts  du  xvie  siècle,  les  hauts 

1.  Dans  cette  étude  de  géographie  humaine  nous  avons  passé  très 
brièvement  sur  la  technique  de  la  fabrication.  Nous  avons  relaté  sim- 
plement les  faits  principaux  qui  ont  déterminé  l'évolution  de  l'indus- 
trie. On  trouvera  tous  les  renseignements  nécessaires  dans  les  deux 
livres  du  Colonel  Rouelle  parus  dans  la  même  Collection  :  I.  Travail 
et  Élaboration  de  la  fonte;  II.  Élaboration  et  Travail  de  l'acier. 


22  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

fourneaux  paraissent  avoir  supplanté  les  petits  four- 
neaux. Un  poème  daté  de  1517  célèbre  les  qualités  du 
nouveau  métal,  la  fonte. 

Ces  appareils  augmentèrent  rapidement  de  volume  ; 
au  xvnie  siècle,  à  l'apogée  de  l'industrie  au  bois,  ils 
mesuraient  6  à  7  mètres  de  hauteur.  La  maçonnerie 
était  recouverte  de  terre  et  les  charrettes  de  minerai 
étaient  conduites  par  une  rampe  assez  douce  jusqu'au 
gueulard.  De  même  que  pour  le  procédé  catalan, 
on  disposait  des  couches  alternatives  de  charbon  et  de 
minerai,  mais  on  ajoutait  du  calcaire  pour  faciliter  la 
fonte.  A  la  fin  de  l'opération,  le  métal  en  fusion 
coulait  dans  des  rigoles  préparées  dans  le  sable  apporté 
au  pied  de  l'appareil.  Les  diverses  opérations  de  la 
fusion  étaient  accélérées  par  des  souffleries  puissantes. 
Aux  fourneaux  orientés  à  tirage  naturel,  ont  succédé 
des  fourneaux  à  vent  forcé.  Puis  on  conduisait  les 
masses  de  fonte,  les  gueuses,  à  la  forge  où  elles  étaient 
refondues  et  converties  en  fer.  Le  métal,  purgé  de  ses 
impuretés,  au  moyen  d'un  marteau  de  800  kilos,  était 
débité  en  tiges  carrées  à  la  fenderie.  D'après  le  Diction- 
naire du  Commerce,  les  gueuses  pesaient,  au  xvine  siècle, 
1  600  à  1  800  livres,  et  même  parfois  davantage. 

Mais  pour  produire  et  façonner  de  telles  masses, 
l'antique  soufflet,  actionné  à  la  main  ou  au  pied,  le 
simple  marteau  du  forgeron  étaient  des  outils  trop 
rudimentaires.  Une  nouvelle  force  motrice  devenait 
indispensable.  En  Champagne,  on  employa  un  manège 
de  chevaux;  mais  le  procédé  paraît  être  resté  local. 
Le  progrès  capital,  celui  qui  décida  de  l'avenir  de 
l'industrie,  fut  réalisé  par  l'application  de  la  force 
hydraulique     aux     besoins     de     la     métallurgie. 

La  force  hydraulique.  —  Ce  procédé  était  utilisé 
depuis  longtemps  dans  les  moulins.  Il  fut  adapté  aux 


LA   FONTE   AU   BOIS  23 

besoins  des  forges.  Une  roue  à  palettes,  entraînée  par 
une  chute  d'eau,  mit  en  mouvement  les  soufflets  et  les 
marteaux  dont  l'industrie  ne  pouvait  se  passer.  A  la 
forge  à  bras,  à  la  forge  volante,  succéda  la  forge  des 
moteurs  hydrauliques,  la  forge  fixée  au  sol,  le  long 
des  rivières  et  des  étangs. 

Dès  la  fin  du  xvie  siècle,  l'emploi  des  moteurs  hydrau- 
liques apparaît  comme  la  condition  de  tout  établisse- 
ment métallurgique;  la  question  de  l'eau  domine  toutes 
les  autres  :  «  L'eau,  écrira  le  rédacteur  de  la  Grande 
Encyclopédie,  est  pour  les  forges  une  puissance  néces- 
saire dont  on  ne  tire  pas  tout  l'avantage  possible  sans 
beaucoup  d'intelligence,  de  travail  et  de  dépenses.  Il 
n'est  pas  nécessaire  de  dire  qu'il  ne  faut  pas  entreprendre 
la  construction  d'une  forge,  si,  par  le  calcul  fait  d'avance, 
il  est  clair  qu'on  ne  puisse  ramasser  assez  d'eau  et  à 
telle  hauteur.  »  La  proximité  d'une  chute  d'eau  passait, 
pour  les  maîtres  de  forges,  avant  la  proximité  de  la 
matière  première,  minerai  o\i  charbon  de  bois.  Pour 
fixer  son  usine  sur  la  rivière  à  Urville,  le  comte  de  Tho- 
rigny,  sieur  de  Chaumont,  l'un  des  six  barons  fossiers 
de  Normandie,  s'était  obligé  à  chercher  du  charbon  à 
30  kilomètres,  les  environs  immédiats  étant  dépourvus 
de  bois.  Pareillement,  Clément  de  Rouvrey,  maître  de 
forges  de  Longwy,  fut  contraint  d'acquérir  pour  son 
usine,  moyennant  une  redevance  annuelle  de  100  livres 
de  fer,  la  régalité  des  eaux  des  ruisseaux  de  Molaine 
et  de  la  Sauvage  Ferme  sur  le  territoire  d'Herserange 
en  Lorraine. 

Ces  considérations  ont  localisé  l'industrie  du  fer  dans 
la  partie  supérieure  des  vallées,  là  où  les  rivières  pou- 
vaient fournir  une  force  moyenne  de  40  chevaux, 
suffisante  pour  la  technique  du  xvinp  siècle.  Plus  tard, 
au  début  du  xixe  siècle,  les  métallurgistes  utilisèrent 
des    chutes    moins    importantes;    l'emplacement    des 


24  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

nouvelles  usines  lut  alors  indiqué  par  la  proximité  de 
hautes  futaies  encore  intactes  et  surtout  par  le  voisinage 
de  rivières  canalisées  ou  de  canaux  qui  facilitaient  le 
transport  des  matières  premières  et  des  produits  ouvrés. 

«  Mais  si  les  soufflets,  écrit  le  rédacteur  de  la  Grande 
Encyclopédie,  exigent  de  grandes  chutes  d'eau,  ils 
demandent  aussi  peu  d'eau  à  la  fois  et  de  l'eau  toute 
l'année.  »  Malheureusement,  le  régime  hydrographique 
des  rivières  françaises,  dans  le  voisinage  des  gisements 
ferrifères,  ne  répondait  point  toujours  aux  besoins  de 
la  technique. 

Dans  la  généralité  de  Lyon,  malgré  la  disette  de 
bois  et  de  minerai,  le  Furens  et  le  Gier  permettent  de 
travailler  toute  l'année;  dans  le  Dauphiné,  malgré 
l'éloignement  du  minerai,  et  dans  le  Comté  de  Foix, 
malgré  le  manque  de  combustible,  les  torrents  four- 
nissent une  force  abondante;  mais  en  d'autres  régions, 
l'irrégularité  du  régime  hydrographique  se  fait  dure- 
ment sentir.  En  Lorraine,  les  petits  établissements 
sidérurgiques  situés  dans  la  vallée  de  la  Chiers  ne 
fabriquent  que  peu  de  fer  parce  que  les  maigres  d'eau 
marquent  tous  les  étés  :  la  région  est  obligée  d'en 
importer  du  pays  de  Liège.  Sur  l'Orne  et  la  Fentsch, 
ce  sont  les  crues  qui  arrêtent  les  marteaux.  En  Bretagne, 
les  pluies  tombent  avec  continuité  en  automne  et  au 
printemps,  sont  plus  rares  en  hiver,  plus  rares  encore 
en  été.  Le  Don,  utilisé  par  les  forges  de  Moisdon,  était 
presque  à  sec  en  été,  tandis  que  ses  crues,  en  hiver, 
égalaient  celles  de  la  Vilaine.  Dans  le  Bocage  normand, 
les  usines  chômaient  pendant  les  trois  mois  de  la  saison 
chaude. 

Au  début  de  l'industrie,  cette  répartition  des  pluies 
n'était  pas  un  grand  empêchement  pour  la  fabrication. 
C'était,  avant  tout,  une  industrie  d'hiver,  arrêtée 
pendant  les  travaux  de  la  moisson.  Mais  vint  l'époque 


LA    FONTE    AU    BOIS  25 

des  fortes  productions,  l'époque  où,  sous  peine  de  ruine, 
le  fourneau  et  la  forge  devaient  fonctionner  toute 
l'année  :  la  disette  d'eau  était  une  cause  de  déchéance. 
Les  maigres  d'eau  furent,  pour  le  maître  de  forges, 
plus  angoissants  que  la  question  des  approvisionne 
ments  en  matières  premières. 

Cependant  les  métallurgistes  avaient  constaté  que  de 
deux  rivières  voisines,  soumises  aux  mêmes  conditions 
pluviométriques,  mais  dont  l'une  possède,  à  son  origine, 
un  chapelet  d'étangs,  celle-ci  était  moins  influencée 
par  la  période  des  basses  eaux,  appelée  justement  «  cieux 
de  sécheresse  ».  Sur  toutes  les  rivières  où  ils  installèrent 
des  hauts  fourneaux,  ils  furent  astreints  à  exhausser 
le  plan  d'eau  des  étangs  existants,  ou  à  en  créer  d'arti 
ficiels  quand  les  cours  d'eau  en  étaient  dépourvus. 
Quand,  en  1697,  le  capitaine  Faber,  le  futur  maréchal 
de  France,  prit  à  bail  les  forges  de  Moyeuvre,  il  établit 
un  barrage  pour  retenir  les  eaux  de  l'Orne  et  fournir 
la  force  motrice  à  ses  usines.  Ce  sont  vraisemblablement 
des  nécessités  industrielles  qui  expliquent  le  caractère 
artificiel  de  la  plupart  des  étangs  de  Bretagne. 

A  vrai  dire,  l'exploitation  de  ces  nappes  d'eau  n'allait 
pas  sans  déranger  les  populations  riveraines.  Les 
maîtres  de  forges  étaient  accusés  d'inonder  le  pays 
pour  maintenir  le  plan  d  eau,  producteur  de  la  force 
motrice.  Cependant,  les  recenseurs  de  la  Révolution 
rencontrèrent  des  obstacles  considérables  contre  leur 
assèchement.  Comme  ailleurs  en  France,  les  communes 
objectaient  les  nécessités  vitales  :  la  pêche,  l'élevage, 
l'irrigation;  mais,  plus  qu'ailleurs,  elles  craignaient  la 
disparition  des  forces  hydrauliques,  indispensables  à 
la  petite  industrie,  surtout  à  la  métallurgie  qui  était 
une  des  sources  de  la  fortune  locale. 


26  l'industrie  du  fer  en  France 


III.    —    LES    MATIÈRES    PREMIÈRES 

L'emploi  de  la  force  hydraulique  permit  la  transfor- 
mation de  l'industrie  du  fer.  La  production  fut  considé- 
rablement augmentée,  mais  la  consommation  des 
matières  premières  subit  la  même  progression.  A  la 
fin  du  xvme  siècle,  la  fabrication  d'une  gueuse  de  fonte 
pesant  2  000  livres  exigeait  4  500  livres  de  minerai, 
450  livres  de  castine,  2  070  livres  de  charbon.  Encore 
fallait-il  compter  plus  de  2  400  livres  de  charbon  pour 
transformer  la  fonte  en  fer  ouvrable.  A  l'époque  des 
forges  volantes,  pour  obtenir  une  loupe  de  fer  pesant 
100  livres,  le  féron  comptait  400  livres  de  minerai  et 
400  livres  de  charbon.  La  consommation  journalière 
du  haut  fourneau  était  neuf  fois  plus  forte  en  minerai, 
onze  fois  en  charbon.  D'autre  part,  le  travail  du  petit 
fourneau  était  intermittent  ;  il  était  arrêté  après  chaque 
coulée.  Celui  du  haut  fourneau  était  continu  ;  l'entretien 
des  stocks  sur  le  carreau  de  l'usine  devenait  une  néces- 
sité inéluctable  pour  assurer  la  fabrication. 

A.  —  LE  MINERAI  DE  FER 

Dès  l'établissement  des  usines  sur  le  cours  supérieur 
des  rivières,  les  mineurs  furent  amenés  à  approfondir 
les  travaux  de  leurs  anciens,  aux  environs  immédiats 
des  forges.  Ils  poussèrent  l'extraction  jusqu'à  8  mètres 
de  profondeur.  La  technique  consistait  à  creuser,  à 
ciel  ouvert,  le  long  des  crêtes.  Les  eaux  étaient  évacuées 
par  une  tranchée  ouverte  au  milieu  et  en  travers  de 
la  mine.  Les  exploitations,  telles  qu'on  en  retrouve  les 
traces  en  Bourgogne,  en  Franche-Comté,  en  Lorraine, 
dans  les  Pyrénées,  offrent  l'apparence  d'un  large  fossé 


LA   FONTE   AU   BOIS  27 

ou  d'une  vieille  rivière.  Au  xixe  siècle,  les  prospecteurs 
se  sont  toujours  bien  trouvés  de  diriger  leurs  recherches 
suivant  les  tranchées  creusées  avant  la  Révolution. 

Ce  procédé  présentait  le  grave  inconvénient  d'aban- 
donner de  grandes  quantités  de  minerais  en  profondeur. 
Mais  il  était  difficile  de  pousser  plus  bas  sans  des  engins 
nouveaux.  La  poudre  devait  transformer  l'art  du  mineur 
et  permettre  une  exploitation  rationnelle  par  puits  et 
par  galerie.  Elle  apparaît  dans  les  mines  du  Lyonnais, 
en  Berry,  en  Bourgogne,  dès  le  XVIe  siècle;  en  Bretagne, 
au  xvme  seulement.  Elle  y  fut  sans  doute  apportée  par 
les  mineurs  allemands  appelés  à  la  direction  des  mines 
de  plomb  de  Pompéan.  Elle  permit  de  descendre  jusqu'à 
20  mètres  au-dessous  de  la  surface. 

Cependant  les  galeries  et  les  puits  se  détérioraient 
d'autant  plus  vite  qu'ils  n'étaient  jamais  boisés;  l'éva- 
cuation des  eaux  et  la  sortie  du  minerai  devenaient 
rapidement  impraticables;  au-dessous  d'une  certaine 
profondeur,  fonction  de  l'inclinaison  des  couches,  la 
mine  était  inexploitable.  Pour  ces  raisons,  la  plupart 
des  maîtres  de  forges  préféraient  exploiter  les  têtes  de 
filon  et  surtout  les  gîtes  de  remaniement  plutôt  que  de 
s'enfoncer  au-dessous  du  sol.  Les  traces  des  travaux  de 
mine,  au  sens  moderne  du  mot,  sont  rares  :  Halouze 
en  Normandie,  Allevard  dans  le  Dauphiné,  la  vallée  de 
Vicdessos  dans  le  Comté  de  Foix  en  présentent  toutefois 
quelques  exemples. 

Les  gisements  situés  aux  environs  des  forges  s'épui- 
sèrent assez  vite  et  les  maîtres  furent  rapidement 
amenés  à  rechercher  le  minerai  nécessaire  en  dehors 
des  environs  immédiats  des  usines,  sur  des  terrains 
dont  ils  n'étaient  ni  propriétaires,  ni  concessionnaires. 
Au  xvme  siècle,  les  établissements  métallurgiques 
furent  obligés  de  recourir  à  de  coûteux  charrois  pour 
s'assurer  la  «  pierre  de  myne  ».  Le  prix  du  transport 


28  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

double  le  prix  du  minerai  en  Lorraine,  en  Champagne; 
il  lui  est  supérieur  en  Berry  et  en  Bretagne.  Cette 
dépense  s'accroît  encore  de  la  redevance  à  payer  au 
propriétaire  du  sol. 

Les  redevances  minières.  —  De  bonne  heure,  les 
propriétaires  imposèrent  aux  maîtres  de  forges  le 
payement  d'une  redevance  pour  se  dédommager  des 
préjudices  causés  par  les  fouilles.  A  l'origine,  ces 
transactions  résultaient  d'un  commun  accord,  sans 
l'intervention  du  pouvoir  central;  elles  revêtaient  les 
formes  les  plus  diverses  :  soit  qu'une  redevance  en 
argent  fut  fixée  par  pipe  de  mine  extraite  (environ 
750  kilos),  soit  que  le  sol  fut  loué  ou  amodié  moyennant 
une  rente  payée  en  argent  ou  en  fer  ouvré. 

Bientôt  ces  transactions  ouvrirent  de  nombreux 
litiges.  Des  ordonnances  se  succédèrent  sous  les  règnes 
de  Philippe  le  Long,  de  Charles  VI,  de  Henry  II,  de 
Henry  IV  pour  régler  le  droit  minier.  En  1080,  Colbert 
publia  l'ordonnance  qui  régla  jusqu'en  1810  les  rapports 
du  pouvoir  central,  des  métallurgistes  et  des  proprié- 
taires du  sol.  Ces  prescriptions  imposaient  aux  proprié- 
taires l'obligation  de  laisser  exploiter  leurs  mines  s'ils 
n'étaient,  eux-mêmes,  possesseurs  de  forges;  elles  consi- 
déraient le  minerai  de  fer,  non  comme  un  bien  particu- 
lier, mais  comme  une  richesse  nationale,  dont  l'Etat 
disposait  dans  l'intérêt  commun.  La  royauté  se  réservait 
sur  l'exploitation  des  droits  considérables  :  3  sols 
6  deniers  par  quintal  de  minerai;  8  sols  9  deniers  par 
quintal  de  fonte  en  gueuse;  13  sols  6  deniers  par  quintal 
de  fer.  Par  contre,  la  redevance  payée  aux  propriétaires 
du  sol  était  vraiment  infime  :  un  sou  par  chaque  tonneau 
de  cinq  cents  pesant.  Ils  réclamèrent;  les  procès  furent 
nombreux.  A  la  veille  de  la  Bévolution,  une  nouvelle 
ordonnance  de  1786  porta  la  redevance  à  2  sous  6  de. 


LA    FONTE    AU    BOIS  29 

niers  par  pipe  (750  kilos  environ).  Les  rédacteurs  de 
la  loi  de  1810,  abrogée  seulement  en  1919,  se  sont 
fortement  inspirés  de  l'ordonnance  de  Colbert. 

L'utilisation  des  minerais  pauvres.  —  Les  charrois 
de  minerai,  les  redevances,  grevaient  lourdement  le 
prix  de  revient;  aussi  les  maîtres  de  forges  s'ingé- 
nièrent-ils à  tirer  parti  des  minerais  pauvres  dans 
les  terres  qui  leur  étaient  concédées  aux  abords  de 
leurs  usines,  soit  en  le  lavant  pour  enlever  les  parties 
terreuses  qui  enrobaient  les  morceaux;  soit  en  le 
mélangeant  avec  des  qualités  plus  riches;  soit  en  le 
grillant  pour  «  donner  plus  de  force  à  la  myne  »;  soit 
en  introduisant  des  calcaires  dans  le  lit  de  fusion. 

Avant  de  fondre  le  minerai,  on  le  lavait  à  l'aide  du 
patouillard,  grande  roue  dentée,  armée  de  fourches,  qui 
remuait  et  brassait  le  minerai,  pendant  que  l'eau 
entraînait  les  terres  impropres  à  la  fonte.  L'opération 
était  nettement  spécifiée  dans  les  contrats  d'achat. 
«  Pour  tirer,  laver,  nettoyer  la  mine  morte  collée, 
salard,  caillou  et  sable  et  la  rendre  loyale  et  marchande, 
il  est  payé  en  Normandie,  40  sols  par  pipe  de  mine,  et, 
pour  le  vin  du  marché,  deux  plattes  et  barbeaux  pour 
faire  deux  socs  de  charrue.   » 

Par  la  suite  et  pour  éviter  les  réclamations  des 
riverains,  qui  se  plaignaient  de  la  pollution  des  eaux, 
pour  diminuer  aussi  la  dépense  du  combustible  néces- 
saire au  grillage,  les  métallurgistes  se  décidèrent  à 
mélanger  dans  les  lits  de  fusion  les  qualités  médiocres 
prises  sur  place,  avec  les  qualités  riches,  venues  de 
plus  loin.  Ce  procédé,  courant  dans  la  technique  des 
hauts  fourneaux  modernes,  est  donc  fort  ancien.  Eil 
Bretagne  et  en  Anjou,  les  minerais  pauvres  des  minières 
étaient  mélangés  aux  minerais  riches  des  couches  silu- 
riennes.  Dans   le   Dauphiné,   après  l'appauvrissement 


30  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

des  gîtes  d'Allevard,  les  lits  de  fusion  contenaient  des 
minerais  de  trois  mines  différentes.  Les  forges  du  Comté 
de  Foix  corrigeaient  la  pierre  de  inyne  des  vallées 
d'Orlus,  de  l'Astours,  de  l'Oriège,  qui  donne  du  fer 
cassant,  en  y  associant  les  bonnes  qualités  de  Vicdessos 
qui  fournit  du  fer  ployant.  En  Lorraine,  les  hauts 
fourneaux  d'Herserange  associaient  les  minerais  forts 
des  affleurements  de  Saint-Pancré  aux  petits  minerais, 
à  la  minette,  des  couches  en  place. 

La  castine.  —  Le  mélange  des  minerais  avait 
également  pour  but  de  diminuer  la  teneur  en  silice  de 
la  coulée.  Mais,  sous  ce  rapport,  on  obtenait  un  meilleur 
résultat  en  ajoutant  de  la  castine  dans  la  fusion.  C'était 
une  nécessité  pour  les  métallurgies  utilisant  les  mine- 
rais siliceux  et  phosphoreux,  c'est-à-dire  produisant 
une  fonte  cassante  d'un  emploi  difficile  pour  l'élabora- 
tion des  fers  d'affinage;  pour  les  pièces  d'armement, 
particulièrement.  L'emploi  des  fondants  accélérait  la 
fusion,  agglomérait  les  impuretés  dans  le  crassier  et 
facilitait  la  fabrication  des  aciers  purs.  En  Normandie, 
dans  le  Comté  de  Foix,  en  Lorraine,  en  Champagne,  la 
chaux  était  abondante  sous  des  formes  diverses,  au 
voisinage  des  usines.  Mais  ailleurs,  en  Bretagne  par 
exemple,  elle  faisait  défaut;  on  devait  recourir  à  de 
longs  charrois  pour  s'en  procurer  :  25  kilomètres  à 
Salles  de  Rohan,  40  à  Pouancé.  Les  usines  de  Lanouée 
étaient  obligées  de  se  servir  de  coquilles  d'huîtres. 

Comme  pour  le  minerai,  la  question  du  transport 
intervenait  quand  il  s'agissait  d'approvisionner  les 
fourneaux  en  fondant.  Si  les  réserves  en  «  pierre  de 
myne  »  étaient  très  suffisantes  pour  les  besoins,  elles 
se  trouvaient  souvent  assez  éloignées  pour  que  le  fonc- 
tionnement des  usines  fut  arrêté,  quand  les  charrois 
n'arrivaient  pas  à  temps. 


LA   FONTE    AU   BOIS  31 

B.  —  LE  CHARBON  DE  BOIS 

Les  déplacements  des  forges  volantes  permettaient 
aux  métallurgistes  de  trouver  sur  place  le  combustible 
nécessaire.  L'établissement  des  fourneaux  dans  la  partie 
supérieure  des  vallées,  l'accroissement  de  la  production 
changèrent  les  données  du  problème.  Les  maîtres  de 
forges  coupèrent  tous  les  bois  dont  ils  étaient  proprié- 
taires ou  qui  leur  étaient  concédés  comme  affouage, 
sans  s'inquiéter  des  droits  des  borduriers  :  les  ressources 
s'épuisèrent  rapidement  aux  environs  des  usines.  La 
consommation  croissante  du  charbon  rendait  illusoire 
toute  prérogative  des  concessionnaires  sur  les  forêts 
complètement  rasées. 

Dès  les  débuts  des  hauts  fourneaux,  l'épuisement  des 
forêts  se  fait  sentir  dans  les  régions  où  l'industrie 
métallurgique  s'est  implantée.  Le  dauphin  Humbert  II, 
à  la  demande  du  pape  Pie  II,  qui  en  avait  fait  une 
condition  sine  qua  non  pour  l'instauration  de  l'Uni- 
versité de  Grenoble,  ordonna  en  1339  la  destruction 
des  fourneaux  et  des  martinets  situés  dans  le  voisi- 
nage de  la  ville  :  «  ces  fourneaux  étant  des  abîmes  à 
forêts,  des  gouffres  voraces  de  bois;  il  était  à  craindre 
qu'en  abattant  les  forêts  des  montagnes,  les  torrents 
ne  grossissent  la  montagne  et  qu'ils  n'incommodassent 
la  ville  et  les  héritages  de  ses  habitants.  »  Jusqu'à  la 
fin  du  xvme  siècle,  les  plaintes  furent  générales. 

Dans  le  Comtois  on  se  plaint  que  les  bois  deviennent 
rares  et  on  demande  l'extinction  des  hauts  fourneaux. 
Les  forges  du  Comté  de  Foix,  pour  se  procurer  les 
combustibles  indispensables,  sont  obligées  d'échanger 
les  minerais  pauvres  de  Vicdessos  contre  les  charbons 
de  Couserans.  C'est  un  premier  essai  de  cette  double 
circulation  qui  devait  se  régulariser  au  xixe  siècle.  En 
Bourgogne,  l'intendant  avoue  que  «  la  multitude  des 


32  l'industrie  du  fer  en  France 

forges  et  fourneaux  fait  fleurir  une  branche  de  com- 
merce d'autant  plus  importante  qu'elle  est  la  seule  qui 
ait  réussi  dans  cette  partie  de  la  Bourgogne  »,  mais 
la  question  se  pose  de  savoir  si  cet  avantage  «  l'emporte 
sur  l'inconvénient  trop  réel  de  la  disette  et  de  la  dégra- 
dation des  bois  ».  L'intendant  d'Alencon  écrit  qu'il  faut 
supprimer  une  partie  des  forges  qui  ont  fait  augmenter 
le  prix  du  bois  depuis  20  ans.  Une  ordonnance  de  1723, 
par  crainte  de  disette,  avait  interdit  de  créer  de  nou- 
veaux fourneaux;  elle  était  restée  lettre  morte. 

En  dehors  de  la  nécessité  de  posséder  une  chute 
d'eau,  l'établissement  d'une  forge  dépend  du  domaine 
forestier  attribué  au  haut  fourneau.  Suivant  un 
rapport  de  1779,  les  forges  de  Bretagne  consomment 
32  725  000  livres  de  charbon,  soit  la  production  de 
3  816  arpents  de  coupes  réglées  de  18  à  25  ans,  suivant 
la  constitution  des  forêts  et  l'usage  établi,  ce  qui  sup- 
pose un  fond  de  83  950  arpents  de  forêts.  Le  voisi- 
nage des  forêts  très  denses  de  la  Montagne  Noire  décida 
la  création  de  petites  forges  autour  de  Sorrèze;  la 
proximité  de  bois  touffus  sur  les  bords  de  l'Allier  fut 
l'origine  de  la  fortune  métallurgique  de  Montluçon,  au 
début  du  xvme  siècle. 

Cependant,  à  la  même  époque,  en  Angleterre,  des 
mesures  législatives  étaient  intervenues  pour  réserver 
les  hautes  futaies  à  la  Marine  et  pour  substituer  le 
coke  au  bois  dans  les  hauts  fourneaux.  Des  essais 
furent  tentés  dans  ce  sens  en  France.  Le  Conseil  du 
commerce  avait  diminué  les  droits  sur  l'importation 
des  charbons  de  terre  provenant  du  Hainaut,  de  Flandre 
et  d'Ecosse  ;  mais  les  métallurgistes,  incapables  d'adapter 
le  coke  à  la  fusion  des  minerais  impurs,  étaient  restés 
fidèles  à  la  vieille  méthode.  L'instant  était  critique.  A  la 
fin  du  xvme  siècle,  les  hauts  fourneaux,  en  plusieurs  pro- 
vinces, menaçaient  des'éteindre,  faute  decharbon  de  bois. 


LA   FONTE   AU   BOIS  33 


IV.    — -    LA    MAIN-D'ŒUVRE 

A  l'origine  de  l'industrie,  le  fer  se  préparait  direc- 
tement et  par  petites  quantités.  Les  forges  volantes 
n'exigeaient  point  de  nombreux  ouvriers  :  deux  ou 
trois  ferons  pour  le  travail  du  fourneau,  un  mineur 
pour  l'extraction  du  minerai,  un  ou  deux  charbonniers 
pour  la  préparation  du  charbon  de  bois,  c'était  là 
tout  le  personnel  nécessaire.  Ces  équipes  se  constituaient 
aussi  souvent  que  l'on  creusait  un  fourneau.  Les  exploi- 
tations étaient  très  disséminées,  mais  chacune  d'elles 
disposait  de  plusieurs  sièges  d'extraction  et  de  fabri- 
cation. On  en  comptait  plus  de  vingt  autour  de  Loudéac 
et  de  Chateaubriand  en  Bretagne,  autour  de  Saint  - 
Rémy  en  Normandie,  de  Vicdessos  dans  le  comté  de 
Foix,  de  Vassy  en  Champagne,  d'Allevard  dans  le 
Dauphiné. 

L'histoire  de  ces  groupements  peut  être  retracée 
grâce  aux  archives.  Des  documents  nous  permettent 
d'étudier  les  mineurs  d'Allevard  en  1263  et  ceux  de 
Saint- Rémy  en  1462.  Ils  sont  contemporains  du  registre 
de  comptabilités  des  mines  que  Jacques  Cœur  possé- 
dait dans  le  Beaujolais  et  dans  le  Lyonnais.  Ces  pièces 
nous  fournissent  des  tableaux  vivants  de  la  mine,  de 
ses  ouvriers,  de  ses  organisations  :  elles  nous  permettent 
d'étudier  les  genres  de  vie  des  ouvriers  du  fer  à  une 
époque  où  leur  corporation  n'était  pas  constituée  et  où 
l'absence  de  tout  règlement  arrête  l'enquête. 

Dans  chacun  des  centres  métallurgiques,  une  sorte 
de  ligue  comprenait  tous  les  ouvriers  qui,  à  un  titre 
quelconque,  s'occupaient  du  travail  du  fer.  Faisaient 
partie  nommément  de  cette  association  :  les  ferons, 
les  mineurs,  les  forgerons,  les  tréfileurs,  les  poëleurs, 
les  maréchaux  ferrants. 

L'Industrie  du  fer  en  France.  3 


34  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

Les  jours  et  les  heures  ouvrables  étaient  nettement 
spécifiés.  Comme  dans  les  autres  industries  du  Moyen 
âge,  d  était  interdit  de  travaiUer  les  dimanches,  les 
jours  fériés  et,  en  tout  temps,  du  soled  couchant  au 
soleil  levant.  D'autre  part,  le  fourneau  devait  chômer 
du  premier  août  au  quatorze  septembre;  dans  le  fait, 
d  s'allumait  à  la  fin  des  vendanges  pour  s'éteindre  à 
la  récolte  des  foins. 

Les  ferons  semblent  avoir  gardé  la  direction  du  tra- 
vail et  constitué  une  classe  privdégiée.  Cependant  il 
existait  entre  tous  les  membres  de  la  ligue  une  grande 
camaraderie.  Le  personnel  restreint  des  petits  fourneaux 
vivait  étroitement  lié.  La  modestie  des  exploitations 
assurait  un  contact  intime  et  journalier  entre  le  féron, 
le  mineur  et  le  charbonnier.  Ces  équipes,  essentielle 
ment  mobdes,  suivaient  les  migrations  des  forges;  elles 
se  déplaçaient  simultanément  et  transportaient  ensemble 
leurs  meubles  et  leurs  foyers.  A  ses  débuts,  la  métal- 
lurgie avait  déterminé  des  modes  d'existence  spé- 
ciaux, fort  différents  des  conditions  qui  réglaient  les 
autres  artisans  de  la  manufacture  nationale. 

Il  en  va  tout  autrement  à  l'époque  des  hauts  four- 
neaux. L'établissement  des  usines  dans  la  partie  supé 
rieure  des  vallées  eut  pour  conséquence  de  spécialiser 
et  de  séparer  chacune  des  opérations  de  la  sidérurgie, 
depuis  la  mine  jusqu'à  la  forge.  L'éloignement  et  la 
différenciation  des  fonctions  ont  créé  des  genres  de  vie 
nouveaux.  De  là,  dans  la  main-d'œuvre,  une  diversité 
que  l'on  s'attendrait  très  peu  à  voir  figurer  sur  les 
livres  de  compte  des  maîtres  de  forges.  Au  xvme  siècle 
les  forges  de  Lanouée,  en  Bretagne,  occupent  50  for- 
gerons, 90  mineurs,  80  bûcherons  ou  voituriers  et 
250  chevaux.  A  la  même  époque,  dans  les  forges  du 
baron  de  Dietrich,  en  Alsace,  sur  918  personnes  employées 


LA   FONTE   AU   BOIS  35 

011  ne  compte  que  148  ouvriers  de  métier;  tout  le  reste 
se  compose  de  mineurs,  charretiers  et  charbonniers. 

De  tous  les  ouvriers  du  fer,  les  forgerons  étaient  les 
moins  nombreux  mais  aussi  les  plus  avantagés.  En  cer- 
taines régions,  ils  pouvaient  chasser  de  temps  en  temps 
«  à  condition  qu'ils  n'en  abusent  point  ».  Leurs  salaires 
étaient  les  plus  forts,  ils  étaient  mieux  logés,  mieux 
nourris,  mieux  habillés.  Dans  le  déballement  des  mer- 
cerats,  des  porte-balles,  des  savoyards,  «  ce  n'étaient 
que  les  femmes  de  forgerons  qui  pouvaient  se  per- 
mettre un  corps  de  jupe  siamoise,  un  steinkerque  brodé, 
un  anneau  d'or  ».  Aussi  les  jalousait-on  un  peu.  Parti- 
culièrement spécialisés  dans  la  manutention  du  minerai 
et  du  fer,  ils  étaient  plus  ou  moins  nomades.  D'une 
forge  à  l'autre,  les  migrations  et  les  échanges  étaient 
constants.  Rarement,  ils  restaient  dans  le  pays  pour 
épouser  la  fille  d'un  cultivateur  et  y  faire  souche. 
Ces  artisans  très  intermittents  répondaient  exactement 
aux  besoins  fort  intermittents  des  forges,  obligées  do 
chômer  pendant  de  longs  mois.  Les  habitants  des 
paroisses,  où  les  forges  étaient  établies,  ne  voyaient 
pas  d'un  bon  œil  cette  population  flottante  et  turbu- 
lente. Ils  se  plaignaient  d'un  grand  nombre  d'étrangers 
attirés  chez  eux  par  l'atelier  des  forges.  «  De  là,  écrit 
un  Normand,  la  quantité  de  huttes  que  l'on  construit 
dans  les  carrefours  et  endroits  perdus  qui  ressemblent 
à  des  coupe-gorges.  » 

Contrairement  aux  autres  ouvriers  du  fer,  les  for- 
gerons avaient  institué  une  sorte  de  compagnonnage. 
Ils  se  tenaient  par  une  camaraderie  plus  forte.  Les 
règles  de  leurs  associations  se  sont  perpétuées  jusqu'au 
milieu  du  xixe  siècle;  elles  ont  disparu  avec  les  hauts 
fourneaux  qui  travaillaient  la  fonte  avec  du  charbon 
de  bois.  Les  fondeurs  de  la  Bretagne,  de  la  Normandie, 
de   la   Bourgogne,    de   la   Franche-Comté   ont    connu, 


36  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

connue  les  carbonari  italiens,  des  statuts,  des  mots 
d'ordre,  des  signes  de  reconnaissance,  des  batteries  de 
ralliement  et  des  symboles  dont  l'origine  remonte  à 
une  haute  antiquité.  Dans  chaque  loge,  il  existait  un 
tronc  alimenté  par  de  légères  cotisations  et  des  amendes  : 
quand  un  compagnon  se  présentait  comme  cousin  du 
foisil,  on  l'invitait  à  forger  une  barre  qu'on  lui  faisait 
porter  sur  l'enclume;  s'il  sortait  avantageusement  de 
l'épreuve,  on  vidait  le  tronc  en  sa  faveur,  on  l'héber- 
geait et,  s'il  n'était  pas  embauché,  on  lui  facditait 
les  moyens  de  gagner  la  forge  voisine.  Si,  d'aventure, 
il  restait  sur  place,  attendant  une  vacance  à  l'usine,  il 
travaillait  à  la  mine  et  était  payé  par  pipe  de  minerai 
extraite.  Rarement,  il  s'employait  au  ménage  des 
champs;  il  n'y  montrait  aucun  goût;  il  ne  possédait 
point.  Depuis  que  les  forges  volantes  s'étaient  fixées 
dans  les  vallées,  le  forgeron  n'était  point  devenu  séden- 
taire. 

Dans  la  dépendance  de  l'usine,  mais  souvent  à  une 
distance  très  éloignée  vivaient  les  mineurs.  Ils  étaient 
chargés  de  l'extraction  du  minerai,  de  le  laver,  de  le 
tirer,  de  l'accommoder,  de  toutes  les  opérations  utiles 
pour  le  rendre  «  loyal  et  marchand  ».  Les  maîtres  de 
forges  traitaient  avec  eux  à  l'entreprise.  Les  mineurs 
étaient  payés  pour  une  quantité  fixe,  à  livrer  dans  un 
délai  convenu.  Au  lieu  de  travailler  isolément  et  à  la 
journée,  comme  les  forgerons,  les  mineurs  s'associaient 
pour  exécuter  leur  tâche. 

Ces  artisans  sont  essentiellement  des  ruraux.  Ils 
habitent  les  hameaux  les  plus  proches  des  gisements. 
Dans  tous  les  contrats  avec  les  employeurs,  ils  spéci- 
fient comme  vin  du  marché,  la  fourniture  de  plat tes 
et  de  barbeaux  nécessaires  à  la  confection  des  socs 
de  charrue.  L'été  ils  se  livrent  aux  travaux  des  champs. 
C'était  une  clause  de  leur  engagement  «  d'aller  faire 


LA   FONTE    AU    BOIS  37 

l'aoust  pendant  la  moisson...  qui  ne  pourra  être  moins 
que  de  six  semaines  ».  D'ailleurs,  quand  la  terre  exi- 
geait des  soins  particuliers  et  immédiats,  ils  abandon- 
naient la  mine.  Les  administrateurs  de  l'an  III  signalent 
que  «  les  bras,  ont  été,  vu  leur  petit  nombre,  suffisam- 
ment occupés  de  la  culture  des  terres  et  de  la  récolte... 
et  que,  pendant  ce  temps  les  mines  n'ont  rien  produit  ». 
Le  caractère  de  leur  fonction  agricole  letir  donnait  peu 
de  goût  pour  les  travaux  du  fond;  ils  répugnaient  à 
ouvrir  des  galeries;  ils  préféraient  l'extraction  à  ciel 
ouvert.  En  cas  de  chômage  des  forges,  ils  se  plaçaient 
comme  maçons  ou  comme  terrassiers,  quand  le  ménage 
des  champs  leur  créait  des  loisirs.  L'évolution  de  l'indus- 
trie n'avait  modifié  en  rien  le  genre  de  vie  des  mineurs. 
Ils  étaient  demeurés  des  ruraux,  des  sédentaires. 

Pour  conduire  aux  fourneaux  et  aux  forges  le  minerai, 
la  castine  et  le  charbon,  les  maîtres  de  forges  entrete- 
naient une  cavalerie  nombreuse  et  une  compagnie  de 
conducteurs.  Chacun  d'eux  devait  garder  et  soigner 
vingt  bêtes.  Généralement  l'usine  fournissait  les  harnais 
et  les  charrettes.  Le  voiturier  était  chargé  du  trans- 
port de  la  matière  première  et  du  transport  de  la 
matière  ouvré.  Il  ne  devait  entreprendre  aucun  autre 
travail.  Au  terme  du  contrat,  la  forge  reprenait  voi- 
ture et  harnais  et  se  remboursait  sur  les  salaires  des 
amendes  subies  en  raison  des  dégâts  commis  dans  les 
bois  et  les  pâtures.  Elles  étaient  lourdes  :  aussi  les 
droits  des  voituriers  étaient -il  s  strictement  réservés 
dans  les  contrats.  Ils  avaient  la  liberté  de  mettre 
paître  leurs  chevaux  «  dans  toute  l'étendue  des  forêts 
et  autres  bois  taillis  affectés  aux  dites  forges,  lorsque 
toutefois  les  bois  taillis  auront  atteint  l'âge  de  trois 
ans  et  un  mois  ».  A  la  première  contravention  le  charre- 
tier était  condamné  à  l'amende  et  le  cheval  abattu. 
Malgré  cette  rigueur,  les  dégâts  étaient  considérables; 


38  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

certains  maîtres  de  forges  payaient  jusqu'à  5  000  livres 
d'amende  par  an. 

Les  conducteurs  formaient  un  groupe  bien  distinct 
de  la  classe  des  mineurs  et  des  forgerons,  distinct  aussi 
de  la  classe  rurale.  On  était  conducteur  de  père  en  fils. 
Plus  industrieux  et  plus  vifs  que  les  paysans,  les 
meneurs  de  chevaux  ne  dédaignaient  pas  de  plaisanter 
le  peuple  des  campagnes.  Leurs  voyages  à  l'usine  les 
mettaient  en  contact  avec  les  forgerons,  l'aristocratie 
ouvrière  de  ces  petites  industries.  Au  contre-voyage, 
ils  ramenaient  des  provisions  pour  toute  la  population 
des  mines  et  des  forêts;  c'était  une  sorte  de  fret  de 
retour.  Ils  formaient  une  clientèle  importante  pour  les 
auberges  de  la  route.  Par  eux  arrivaient  les  nouvelles 
de  l'extérieur.  C'étaient  les  agents  de  la  civilisation 
dans  les  hameaux  les  plus  écartés.  Ils  vivaient  le  plus 
souvent  dans  des  huttes  sous  bois  près  des  pacages 
de  leurs  chevaux  et  cette  fonction  semi-pastorale  leur 
donnait  des  habitudes  plus  sédentaires  que  les  forge- 
rons vagabonds  par  goût  et  par  nécessité,  tandis  que 
leur  métier  de  transporteur  développait  leur  instinct 
migrateur. 

Forgerons,  mineurs,  charbonniers,  voituriers  étaient 
1rs  artisans  les  plus  essentiels  de  l'usine.  Ils  figuraient 
toujours  par  catégorie  séparée  dans  les  comptes  des 
maîtres  de  forges.  Même,  à  l'époque  du  grand  essor 
de  l'industrie,  au  xvme  siècle,  leur  recrutement  s'effec- 
tuait sans  difficulté. 

A  vrai  dire,  les  régions  métallurgiques  n'étaient 
guère  des  plus  peuplées.  Mais  les  besoins  en  main- 
d'œuvre  spécialisée  étaient  sans  grande  importance. 
D'ailleurs,  en  bien  des  régions,  la  forge  assurait 
l'existence  de  toute  la  population.  Dans  le  pays  de 
Longwy    «  il   ne  se  fait   d'autre  commerce  que  celui 


LA   FONTE   AU   BOIS  39 

que  la  forge  d'Herserange  y  attire.  Tout  le  reste  est 
un  commerce  d'entrepôt  qui  n'offre  aucun  avantage 
pour  le  peuple,  au  lieu  que  les  forges  d'Herserange 
occupent  des  facteurs,  des  mineurs,  des  forgerons,  des 
fendeurs,  des  bûcherons,  des  charbonniers,  des  char- 
pentiers, des  voituriers  et  un  grand  nombre  de  manœu- 
vres. Elles  sont  même  l'occasion  d'une  partie  du  com- 
merce qui  se  fait  à  Longwy  par  les  contre-voitures 
qu'on  charge  à  Verdun  et  à  Sedan  ». 

La  facilité  de  recrutement  de  la  main-d'œuvre  avait 
pour  conséquence  la  modicité  des  salaires.  Les  mineurs, 
comme  tous  les  ouvriers  agricoles,  furent  d'abord  payés 
à  la  tâche,  et  d'après  les  mesures  de  capacité  :  à  la 
razière  ou  à  la  mine.  Comme  aux  ouvriers  agricoles, 
une  certaine  quantité  de  marchandises  leur  était  retenue 
pour  représenter  l'épingle  du  marché  ou  les  erreurs  de 
mesure,  par  exemple  :  une  razière  sur  trois,  une  pipe 
sur  vingt.  Cependant,  à  la  fin  du  xvme  siècle,  ils  com- 
mencent à  prendre  rang  parmi  les  artisans  de  métier 
et  sont  rétribués  à  la  journée  et  en  monnaie.  Par  contre 
les  ouvriers  des  forges  furent  de  suite  réglés  à  la  journée, 
et  même,  au  xvme  siècle,  au  mois. 

Le  problème  de  la  main-d'œuvre  ne  s'est  donc  jamais 
posé  pour  les  maîtres  de  forges  avant  la  Révolution.  Le 
personnel  se  recrutait  facilement.  Les  salaires  repré- 
sentaient, un  douzième  environ,  du  prix  de  vente.  La 
question  ouvrière  ne  fut  pas  la  raison  du  déclin  de 
l'industrie  de  la  fonte  au  bois. 


V.    —    LES    MAITRES    DE    FORGES 

A  l'origine,  il  suffisait  de  la  présence  d'une  poche 
de  minerais  dans  les  bois  pour  décider  l'ouverture  d'une 
fosse  et  d'une  forge.  Les  premiers  maîtres  de  forges 


40  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

lurent  donc  naturellement  les  propriétaires  des  grands 
biens  forestiers  :  les  seigneurs  et  les  moines. 

A  vrai  dire  la  possession  des  bois  équivalait,  entre 
autres  privilèges,  au  droit  exclusif  d'exploiter  des  fosses 
et  d'y  créer  des  forges.  Ce  droit  fort  ancien  était  nom- 
mément spécifié  à  chaque  mutation  foncière.  En  1364, 
les  religieux  de  Saint-Evroult,  en  Normandie,  acquièrent 
contre  1  100  livres  de  fin  or,  au  coin  Jean,  de  Jean  du 
Merle,  chevalier,  la  forêt  d'Echauffour  avec  les  droits 
de  franchise  et  liberté  «  de  forges  grossières  et  de  fosses, 
chace  de  bestes  à  pied  fourchié  et  à  pied  velu  ».  Vers 
la  même  époque,  1352,  un  titre  relatif  aux  prérogatives 
des  seigneurs  d'Audun-le-Tiche,  en  Lorraine,  spécifie 
leur  droit  de  tirer  de  la  mine  de  fer  dans  les  bois  et 
champs  de  cette  seigneurie.  La  charte  royale  de  1289, 
qui  instaurait,  en  Normandie,  entre  FAure,  la  Seine  et 
l'Orne,  le  monopole  des  six  barons  fossiers,  trois  laïcs 
et  trois  ecclésiastiques,  stipulait  leurs  droits  de  charbon - 
ner  dans  toutes  les  forêts  au  voisinage  des  forges. 
Dans  le  but  de  sauvegarder  les  besoins  des  populations 
bordurières,  la  quantité  journalière  de  charbon  de  bois, 
allouée  à  chaque  fourneau,  ne  pouvait  dépasser  la 
charge  de  sept  hommes;  mais  cette  quantité  était 
strictement  garantie. 

La  métallurgie,  uniquement  fonction  à  ses  débuts 
de  la  grande  propriété,  était  réservée  à  un  petit  nombre 
d'individus.  Seule  la  grande  fortune  foncière  pouvait 
y  prétendre.  On  ne  s'étonnera  donc  point  de  retrouver 
parmi  les  premiers  possesseurs  des  forges,  les  noms  les 
plus  éclatants  de  l'armoriai  de  France  :  le  duc  d'Orléans, 
le  duc  de  Penthièvre  en  Champagne;  le  duc  de  Lorraine, 
le  prince  de  Craon,  le  duc  de  Deux-Ponts  en  Lorraine, 
le  prince  de  Croy  dans  le  Hainaut;  le  comte  d'Artois 
et  le  duc  de  Châtillon  dans  le  Berry;  le  duc  de  Rohan, 
Je  duc  de  Villeroy,  le  prince  de  Condé  en  Bretagne, 


LA    FONTE    AU    BOIS  41 

Semblablement  les  privilèges  des  grandes  abbayes 
n'étaient  pas  moindres.  Dès  le  xme  siècle,  les  abbayes 
de  Redon,  de  Saint-Méen,  de  Paimpont  établissent  des 
fourneaux  au  nord  de  la  Loire;  dans  le  Dauphiné 
l'abbé  de  Cluny  possède  depuis  le  xne  siècle  les  établis- 
sements d'Allevard;  les  Chartreux  exploitent  un  four- 
neau et  des  martinets  à  l'entrée  du  Désert,  près  la  porte 
du  Pont,  aux  environs  de  Grenoble;  les  Cisterciens  pré- 
parent la  conquête  métallurgique  de  la  Bourgogne. 

Les  grands  propriétaires  forestiers  possédaient  le  pri- 
vilège de  la  production  du  fer;  l'isolement  de  la  métal- 
lurgie placée  en  dehors  des  grandes  communications 
leur  constituait  un  monopole  commercial.  La  produc- 
tion des  petites  forges,  sans  être  importante,  satisfai- 
sait amplement  aux  demandes  locales.  Les  maréchaux 
ferrants  pour  les  fers  de  chevaux  et  les  bandages  de 
roues,  les  forgerons  pour  les  landiers  et  la  poterie 
domestique,  les  armuriers  pour  les  épées,  les  lances  et 
les  différentes  pièces  du  harnais  de  guerre  étaient  les 
seuls  clients  de  la  métallurgie.  Dans  ses  autres  emplois 
le  fer  demeura  un  objet  de  luxe,  d'un  usage  très  res- 
treint, jusqu'au  jour  où  la  découverte  de  la  fonte 
et  celle  de  la  réduction  de  la  gueuse  par  les  feux  d'affi- 
nerie   auront  inauguré  la  fabrication   à   bon   marché. 

Jusqu'au  xive  siècle,  les  seigneurs  et  les  moines  res- 
tèrent maîtres  de  la  production  et  de  la  vente,  dans  la 
région  où  ils  exploitaient  leurs  privilèges.  Cet  isolement 
industriel  et  commercial  explique  comment  ces  indus- 
tries, si  imparfaites  à  l'origine,  ont  persisté  sans  chan- 
gement intéressant  jusqu'à  l'introduction  des  moteurs 
et  des  soufflets  hydrauliques  —  et  leur  répugnance 
à  adopter  ces  procédés  nouveaux. 

Par  contre,  l'exploitation  des  forges  volantes  n'exi- 
geait point  de  gros  capitaux:  le  matériel  était  rudi- 


42  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

mentaire  ;  les  stocks  de  matières  premières,  sans  valeur, 
la  main-d'œuvre,  abondante.  Mais  l'adaptation  de  la 
force  des  rivières  à  la  série  des  opérations  sidérurgiques 
complique  les  machineries,  nécessite  la  constitution 
d'approvisionnements  importants,  oblige  à  l'entretien 
d'un  personnel  nombreux,  voire  même  à  l'achat  de 
toute  une  cavalerie.  En  1671,  les  forges  renardières  de 
Putanges,  en  Normandie,  furent  vendues  en  bloc  pour 
500  livres,  tandis  que  le  haut  fourneau  qui  leur  avait 
succédé,  était  loué  1  200  livres  par  an,  plus  une  somme 
de  4  500  livres  pour  avances  de  charbon  et  de  minerai. 
Vers  la  même  date,  l'abbé  de  la  Lyre  faisait  l'inven- 
taire de  ses  biens  et  déclarait  posséder  comme  fossier  : 
huit  hauts  fourneaux,  une  fenderie,  une  amnerie,  une 
forge,  une  tréfilerie.  En  1704,  la  famille  de  Wendel 
acheta  les  établissements  de  Moyeuvre-la-Grande,  en 
Lorraine;  ils  comportaient  un  fourneau,  une  forge, 
deux  fenderies,  deux  afflneries,  une  platinerie. 

Toute  exploitation  métallurgique  impliquait  donc  la 
possession  de  biens  fonciers  pour  se  procurer  la  matière 
première  et  de  forts  capitaux  pour  les  mettre  en  valeur. 
«  Il  est  impossible,  écrit  un  maître  de  forges  à  la  fin  du 
xvme  siècle,  de  fonder  un  pareil  établissement  à  moins 
de  200  000  livres.  Les  frais  d'une  construction  solide 
montent  ordinairement  à  300  000  livres  et  il  en  est 
qui,  par  leur  fonction  ou  les  circonstances  locales,  ont 
coûté  jusqu'à  1  million.  »  Le  plus  souvent,  le  pouvoir 
central  est  obligé  de  se  refuser  à  la  création  de  nouvelles 
usines  «  parce  que  les  demandeurs  n'ont  pas  la  fortune 
nécessaire  et  qu'ils  seraient  obligés  de  prendre  la  mine 
sur  les  terrains  voisins  ». 

Ces  obligations  financières  décidèrent  un  mouvement 
de  sécularisation  qui  se  continua  pendant  tout  le 
xvme  siècle.  A  la  veille  de  la  Eévolution,  les  abbayes 
métallurgistes  sont  devenues  l'exception.  On  en  compte 


LA   PONTE   AU   BOIS  43 

que  deux  en  Lorraine,  une  en  Bretagne.  Par  contre 
les  forges  constituèrent  longtemps  le  meilleur  des  reve- 
nus de  la  noblesse.  Partout  le  château  contrôlait  la 
mine,  le  fourneau  et  la  forge.  En  bien  des  points,  leurs 
ruines  sont  encore  accolées  dans  les  régions  où  l'indus- 
trie du  fer  fut  active  :  elles  marquent  la  communauté 
d'intérêt. 

Cependant  l'importance  toujours  croissante  de  l'in- 
dustrie imposait  un  contrôle  suivi.  La  noblesse  attirée 
par  les  résidences  royales,  gênée  souvent  par  des 
besoins  d'argent,  fut  amenée  à  céder  à  des  tiers  la 
direction  ou  la  propriété  de  ses  entreprises  sidérur- 
giques. Les  forges  trouvaient  toujours  preneurs.  Si 
important  que  fût  le  loyer,  les  bénéfices  étaient  toujours 
rémunérateurs.  En  5  ans,  Moyeuvre  rapporta  au  capi- 
taine Faber,  25  000  pistoles  d'or.  Plusieurs  y  firent 
fortune.  Par  ailleurs,  le  titre  de  maître  de  forges  était 
héréditaire.  Il  se  transmettait  aux  femmes  et  aux  filles. 
Au  xvme  siècle,  on  vit  un  Grimaldi,  prince  de  Monaco, 
complètement  étranger  à  la  Normandie,  devenir  maître 
de  forges,  dans  le  pays  bocain,  par  suite  de  son  mariage 
avec  la  fille  du  baron  de  Chaumont,  propriétaire  des 
forges  de  Danvou,  l'un  des  six  fossiers  de  Normandie. 

Ces  avantages  tentèrent  principalement  la  noblesse 
de  robe.  Autour  de  Grenoble,  de  Metz,  des  parlemen- 
taires devinrent  maîtres  de  forges.  Si  la  Bretagne  resta 
indifférente  à  ces  mutations,  c'est  que  les  capitaux  y 
sont  étroitement  confinés  dans  les  placements  fonciers 
et  dans  l'acquisition  des  charges  qui  en  dérivent. 
Enfin  la  situation  menait  à  la  noblesse;  comme  la 
terre,  c'était  une  sorte  de  savonnette  à  vilain.  Jouenne, 
maître  de  forges  de  Putanges,  avait  été  anobli,  son  fils 
achetait  une  charge  au  Parlement  de  Caen.  Avant  la 
Révolution,  tous  les  maîtres  de  forges  roturiers  de  Nor- 
mandie sont  déclarés  nobles  hommes. 


44  l'industrie  du  fer  ex  fraxce 

Les  revenus  des  forges  devinrent  assez  importants 
pour  justifier  des  partages  de  la  propriété  au  moment 
des  décès  et  des  transactions  sur  les  parts  bénéfi- 
ciaires. De  véritables  sociétés  en  participations  —  des 
sociétés  par  actions,  dirions-nous  aujourd'hui  —  se  sont 
fondées  du  fait  dos  circonstances.  A  la  fin  du  XVIIIe  siècle 
les  forges  et  hauts  fourneaux  de  Paimpont  comptent 
treize  «  seigneurs  propriétaires  »;  ils  se  partagent,  à 
différents  titres  et  en  termes  inégaux,  80  000  livres, 
les  bonnes  années. 

Les  établissements  qui  se  créent  sont  institués  sur 
ce  modèle.  Le  capital  des  forges  de  Montcenis,  le  Creusot 
actuel,  comportait  40  000  parts;  les  titulaires  étaient 
le  roi,  les  entrepreneurs  de  la  manufacture  des  cris- 
taux de  la  reine,  des  fermiers  généraux,  des  nobles, 
des  maîtres  de  forges  étrangers  à  la  région,  des  magis- 
trats, des  bourgeois. 

Des  mains  des  grands  seigneurs  féodaux,  proprié- 
taires du  sol,  l'industrie  du  fer  est  passée  entre  les 
mains  d'actionnaires  le  plus  souvent  étrangers  au  pays 
où  les  forges  sont  implantées. 


VI.    —    LA    PRODUCTION 

Dans  les  limites  de  la  France  de  1789,  MM.  Bourgin 
ont  retrouvé  les  traces  de  1  003  établissements  sidé- 
rurgiques, répartis  dans  699  paroisses.  Le  nombre  des 
usines  paraît  considérable  par  comparaison  avec  le 
chiffre  qui  représente  les  entreprises  métallurgiques 
actuelles.  Mais  leur  production  nous  semblerait  aujour- 
d'hui minuscule.  On  peut  s'en  faire  une  idée  par  les 
deux  seuls  fourneaux  qui  marchaient  encore  au  bois 
avant  la  guerre  dans  les  Landes  et  les  Pyrénées-Oriem 


LA    FONTE    AU    BOIS  45 

taies.  Ce  dernier,  celui  de  Eias,  par  nécessité  d'entre- 
tien et  surtout  par  obligation  de  constituer  des  stocks 
pour  la  campagne  —  environ  3  000  tonnes  de  minerai  et 
4  500  tonnes  de  charbon  de  bois,  —  était  allumé  six 
mois  par  au  et  fournissait  225  tonnes  de  fonte.  La 
plupart  des  petites  installations  du  xvme  siècle  ne 
dépassait  pas  cette  quantité.  Aussi  le  poids  de  la  fonte 
produite  dans  la  France  'entière  atteignait  à  peine,  en 
1788,  150  000  tonnes,  celui  du  fer,  100  000  tonnes. 

M.  Demangeon  a  étudié  la  répartition  de  cette  indus- 
trie. L'Est  et  le  Centre  contenaient  70  p.  100  des  \isines 
et  produisaient  90  p.  100  de  la  fonte  et  85  p.  100  du 
fer.  Mais  le  groupe  de  l'Est  n'était  pas  localisé,  comme 
avant  la  guerre,  dans  le  seul  département  de  Meurthe- 
et-Moselle,  il  comprenait  les  plateaux  de  la  Champagne 
et  de  la  Bourgogne  entre  l'Ornain  et  la  Seine,  la  lisière 
des  montagnes  vosgiennes  en  Lorraine  et  en  Alsace, 
les  plateaux  de  la  Franche-Comté  dans  la  Haute-Saône, 
le  Doubs  et  le  Jura.  La  région  du  Centre  formait  une 
auréole  qui  entourait  le  Massif  central  vers  le  Nord 
et  vers  l'Ouest,  depuis  la  Saône-et-Loire  et  la  Nièvre 
jusqu'au  Lot  et  au  Lot-et-Garonne,  en  passant  par  le 
Cher,  l'Indre,  la  Vienne,  la  Charente,  la  Haute -Vienne 
et  la  Dordogne.  Il  existait  trois  autres  groupes  sidé- 
rurgiques :  dans  le  Nord,  la  bordure  du  massif  arden- 
nais;  dans  l'Ouest,  la  Haute  Normandie  et  la  Basse 
Bretagne;  dans  le  Midi,  les  Pyrénées  à  l'est  delà  Garonne 
et  les  Alpes,  le  long  de  l'Isère.  A  ne  considérer  que  le 
nombre  des  usines  de  fabrication,  le  Nord  en  contenait 
4  p.  100,  l'Ouest  8  p.   100,  le  Midi  18  p.   100. 

Le  tonnage  de  métal  produit  pouvait  être  suffisant 
pour  les  besoins  nationaux.  Alors  les  grands  clients  de 
l'industrie  moderne,  les  constructions,  les  chemins  de 
fer,  l'armement,  la  marine,  l'automobile,  n'existaient 
point.  Les  poteries  domestiques,  les  landiers,  les  boulets, 


46  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

pour  la  fonte,  les  fers  à  chevaux,  le  mobilier  agricole, 
les  ancres,  les  armes,  la  coutellerie,  la  quincaillerie,  pour 
le  fer,  assuraient  aux  maîtres  de  forges  un  marché 
suffisamment  achalandé.  Chaque  région  avait  sa  spé- 
cialité. Dans  le  commerce  des  fers,  les  produits  étaient 
désignés  suivant  leur  provenance  et  classés  par  la 
désignation  de  leur  fabrication.  Cette  désignation  était, 
en  quelque  sorte,  l'expression  synthétique  des  propriétés 
spéciales  de  la  fonte  et  du  fer  qui  dépendaient  unique- 
ment des  propriétés  physiques  et  chimiques  de  la 
pierre  de  mine  et  non  des  procédés  d'élaboration  qui 
ne  variaient  guère  de  province  à  province.  On  disait  : 
fer  des  Alpes,  acier  de  Rives,  fer  des  Pyrénées,  de  la 
Comté,  de  Bourgogne,  du  Berry,  poteries  ou  boulets 
de  Bretagne  ou  de  Lorraine.  La  relation  était  étroite 
entre  l'usine  et  la  matière  première. 

Les  difficultés  de  la  circulation  routière  avaient  en  effet 
rapproché  les  établissements  de  transformations  des 
usines  qui  élaboraient  le  métal.  Chaque  région  métal- 
lurgique comprenait  non  seulement  des  hauts  fourneaux 
et  des  forges,  mais  aussi  des  usines  spécialisées  dans 
toutes  les  branches  de  l'industrie.  Ainsi  dans  la  région 
ardennaise,  nous  observons  des  manufactures  d'armes 
à  Charleville,  Nohin,  Mouzon,  Nouzon;  des  manufac- 
tures de  fer  et  d'acier  poli  à  Illy,  Raucourt,  Rubécourt, 
Sedan;  une  platinerie  à  Bazeilles;  une  poêlerie  à  Sedan; 
une  clouterie  et  une  quincaillerie  à  Maubeuge  et  Valen- 
ciennes.  Dans  le  Berry,  nous  constatons  une  fabrique 
d'ancres  à  Villemenon;  une  manufacture  d'ancres  et  de 
poêles  àGuérigny;  une  clouterie  à  Urzy;  une  serrurerie, 
une  taillanderie,  une  clouterie;  une  petite  fonderie 
qui  convertissait  les  fers  «  en  petits  fers  feuillards  et 
petits  fers  ronds  »,  une  grande  fenderie  qui  élaborait 
«  les  fers  feuillards,  les  verges  et  les  lames  »  à  Cosne 
(la    Chaussade);    enfin    une    manufacture   royale    «  de 


LA   FONTE   AU   BOIS  47 

quincaillerie,  taillanderie  et  bijouterie  de  métaux,  façon 
Angleterre  »,  à  la  Charité. 

Cette  sorte  d'intégration  régionale  était  réalisée  dans 
plusieurs  établissements,  les  derniers  créés  principale- 
ment. Nous  connaissons  déjà  l'exemple  de  la  Chaussade. 
En  1786,  le  plan  industriel  du  Creusot  comporte  l'exploi- 
tation de  mines  de  fer  et  de  mines  de  charbon,  de  quatre 
hauts  fourneaux,  de  deux  grosses  forges,  des  foreries 
et  ateliers.  Cet  établissement  devait  satisfaire  à  toutes 
les  demandes  de  la  Marine  en  boulets  et  en  canons. 
«  Quand  l'armement  des  vaisseaux,  des  colonies  et  des 
côtes  du  royaume  n'emploiera  que  peu  ou  point  les 
ateliers  de  Montcenis,  la  fabrication  des  machines  à 
feu,  des  tuyaux  de  conduite,  des  chaudières  et  cylin- 
dres de  moulins  à  sucre  pour  les  colonies,  de  la  poterie 
et  du  fer  forgé  suffira  pour  leur  donner  toute  l'activité 
dont  ils  sont  susceptibles.  »  La  société  a  construit 
également  «  une  verrerie  à  gobeletterie,  à  verre  de  table 
et  à  verre  à  vitre  à  la  manière  anglaise  »;  elle  contrôle, 
par  ses  capitaux,  la  fonderie  d'Indret.  C'est  là  une 
industrie  vraiment  moderne  —  concentrée  et  intégrée. 

Cependant,  des  considérations  particulières  ont  per- 
mis à  certaines  usines,  étroitement  spécialisées,  de 
s'éloigner  des  forges.  De  grands  centres  urbains,  mieux 
placés  sur  le  réseau  routier,  dotés  d'une  main-d'œuvre 
abondante,  ont  construit  des  établissements  de  trans- 
formation. Lyon  alimente  sa  fonderie,  sa  tréfilerie  et 
son  atelier  de  machines  avec  des  fers  de  Champagne, 
de  Franche-Comté  et  du  Dauphiné;  Paris  sa  manu- 
facture d'acier  fin  et  de  quincaillerie  «  à  l'instar  de 
l'Angleterre  »  avec  du  métal  venu  de  Lorraine  et  de 
Champagne.  Par  ailleurs,  l'armement  maritime,  le 
commerce  avec  les  colonies  ont  suscité  des  fonderies 
à  Indret,  près  de  Nantes,  qui  utilise  les  fontes  de  Bre- 
tagne, à  Rochefort  qui  emploie  les  fontes  de  l'Angou- 


48  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

mois,  à  Bordeaux  qui  travaille  les  fontes  de  Guyenne. 
D'autre  part  une  main-d'œuvre  à  domicile,  fort  ancienne 
et  fort  habile,  a  maintenu  la  réputation  des  épingleries 
de  Laigle  et  de  Rugles  qui  reçoivent  leurs  fils  d'Alsace, 
de  Franche-Comté,  d'Allemagne  et  même  de  Suède,  par 
Rouen.  Enfin  l'excellence  et  la  force  hydraulique  des 
cours  d'eau  ont  créé  la  prospérité  des  coutelleries  de 
Thiers,  clientes  des  forges  du  Berry  et  du  Nivernais, 
ainsi  que  l'activité  du  groupement  Saint-Etienne-Fir- 
miny-Saint-Chamond  où  les  fers  de  Champagne,  de 
l'Ardèche,  des  Pyrénées,  les  aciers  de  Rives  et  de 
Voiron  sont  transformés  dans  les  armureries,  les  quin- 
cailleries, les  serrureries,  les  coutelleries. 

A  vrai  dire,  cette  fabrication  est  excessivement 
limitée  comme  variété  quand  on  la  compare  avec  les 
produits  similaires  des  industries  belges,  allemandes  et 
anglaises.  Elle  leur  est  également  inférieure  comme 
qualité.  Jusqu'à  la  fin  du  xvme  siècle,  notre  métal- 
lurgie a  évolué  lentement.  Elle  est  restée  longtemps 
indifférente  aux  grands  progrès  de  l'industrie,  à  l'uti- 
lisation de  la  machine  à  vapeur  découverte  en  1768, 
à  l'invention  du  four  à  puddler  qui  apparaît  en  Angle- 
terre eu  1784.  Le  plus  souvent,  elle  a  appris  les  secrets 
du  métier  par  le  concours  d'artisans  étrangers,  venus 
en  France.  Des  mineurs  allemands  lui  ont  enseigné  à 
se  servir  de  la  poudre  pour  creuser  des  puits.  Des 
maîtres  liégeois  ont  appris  aux  usines  de  Sedan  la 
fabrication  de  la  vaisselle  et  de  la  poterie  domestiques. 
Ils  ont  importé  à  Saint-Etienne  l'étirage  du  canon  de 
fusil  par  le  martinet.  Des  métallurgistes  de  Styrie  ont 
longtemps  travaillé  le  fer  et  l'acier  à  Allevard  dans  le 
Dauphiné,  à  Klingenthal  en  Alsace,  à  Dilling  près  de 
Sarrelouis.  Des  ingénieurs  anglais,  sollicités  par  le  gou- 
vernement français,  nous  ont  fait  connaître  les  secrets 
de  l'industrie  du  fer  blanc,  dans  laquelle  la  Grande- 


LA  FONTE  AU  BOIS  49 

Bretagne  était  passée  maîtresse;  ils  ont  dirigé  la  fon- 
derie de  canon  d'Indret,  surveillé  les  débuts  de  la 
manufacture  royale  de  la  Charité,  de  la  quincaillerie 
de  Roanne;  ils  ont  installé  à  Paris  les  machines  de 
Birmingham  pour  la  production  en  grand  de  la  quin- 
caillerie; ils  ont  allumé  les  premiers  hauts  fourneaux 
fonctionnant  au  coke,  au  Creusot. 


VIL    —    LE     COMMERCE    DU    FER 

La  séparation  des  établissements  de  transformation 
et  des  forges  créait  entre  la  matière  brute  et  la  matière 
ouvrée  un  courant  d'échanges,  rare  à  cette  époque, 
dans  l'industrie  du  fer.  Le  régionalisme  et  le  tradi- 
tionalisme apparaissent  sur  le  marché  intérieur,  comme 
dans  toutes  les  branches  de  l'activité  nationale  et  nous 
sommes  fortement  concurrencés  par  la  fabrication 
étrangère  sur  le  marché  extérieur. 

Le  marché  intérieur.  —  Exception  faite  pour  les 
fers  très  purs  qui  sont  indispensables  dans  la  clou- 
terie, l'armurerie  et  la  quincaillerie,  les  échanges  étaient 
peu  fréquents  de  province  à  province.  Les  taxes  nom- 
breuses s'y  opposaient.  Dès  1500,  par  exemple,  des 
péages  avaient  été  institués  à  Grenoble  sur  les  fers  à 
destination  de  Romans  ou  de  Lyon;  c'était  un  des 
plus  beaux  revenus  du  Dauphin.  La  Franche-Comté 
expédiait  ses  fontes  en  Lorraine  pour  affinage,  ses  fers 
en  Alsace  pour  les  tréfileries,  en  Bourgogne  pour 
fabriquer  des  barres,  dans  le  Lyonnais  pour  la  quin- 
caillerie :  par  contre,  elle  était  garantie  des  importa- 
tions françaises  par  les  taxes  qui  frappaient  son  terri- 
toire, comme  province  frontière.  En  1775,  les  maîtres 

L'Industrie  du  fer  en  France.  4 


50  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

de  forges  du  Berry,  de  Bourgogne  et  de  Champagne, 
avaient  réclamé  la  libre  circulation  du  1er  dans  tout 
le  royaume. 

D'autre  part,  le  mauvais  état  des  routes  s'opposait 
aux  transports  à  longue  distance.  Dans  le  dessin  général 
du  réseau,  le  pouvoir  central  s'était  surtout  préoccupé 
de  réunir  Paris  aux  grands  centres  de  la  vie  maritime 
ou  aux  frontières,  ce  qui  favorisait  les  échanges  inter- 
nationaux, mais  non  point  la  circulation  des  produits 
dans  les  divers  compartiments  de  la  nation.  Le  réseau 
de  détail  était  dans  un  état  plus  lamentable  encore. 
Les  transports,  entre  les  grandes  villes  de  l'intérieur, 
étaient  très  mal  réglés.  Dans  certaines  régions  minières, 
le  portage  par  bêtes  était  encore  la  règle  générale.  Les 
articles  de  Saint-Étienne  parvenaient  à  Lyon  à  dos 
de  mulet.  Au  début  du  règne  de  Louis  XVI,  le  sieur 
Godet,  propriétaire  de  la  forge  de  Putanges,  en  Nor- 
mandie, exigeait  la  réparation  des  routes  avant  de 
livrer  à  la  Marine,  à  Brest,  les  canons  dont  il  avait  reçu 
commande.  «  L'intendant  fut  obligé  de  désigner  vingt- 
quatre  paroisses  pour  remettre  en  état  les  chemins 
d'Alençon  à  Falaise.  »  La  valeur  du  transport  grevait 
lourdement  la  matière  première  et  le  produit  ouvré. 
A  la  fin  du  xvme  siècle,  les  boulets  fabriqués  à  Bour- 
berouge,  près  Mortain,  payaient  5  francs  par  100  kilos, 
à  destination  de  Cherbourg.  Parmi  toutes  les  variantes, 
intervenant  dans  le  prix  de  revient,  le  coût  du  trans- 
port était  la  plus  inappréciable.  L'insuffisance  du  réseau 
routier  était  une  garantie,  dans  chaque  province, 
contre  les  importations  étrangères  et  nationales. 

Dans  chaque  centre  métallurgique  existait  une  grande 
place  de  vente  qui  répartissait  la  marchandise  dans 
la  province  et  sur  les  marchés  voisins  :  Metz  pour  la 
Lorraine,  Valenciennes  pour  le  Hainaut  et  le  pays  de 
Liège,  Troyes  pour  la  Champagne,  Foix  pour  le  Lan- 


LA   FONTE   AU    BOIS  51 

guedoc  et  la  Gascogne,  Paris  pour  l'Ile-de-France, 
Rennes  pour  la  Bretagne.  Lyon  merveilleusement 
placée  sur  la  voie  d'eau  entreposait  et  transitait  des 
fers  de  Franche-Comté  et  de  Bourgogne;  des  fontes, 
des  fers  blancs,  des  fils  de  fer  de  Franche-Comté; 
des  aciers  de  Rives  dans  le  Dauphiné;  des  tôles 
de  Franche-Comté  et  de  Bourgogne;  la  clouterie, 
la  quincaillerie,  la  coutellerie,  les  armes  de  la  région 
de  Saint-Etienne. 

La  puissance  commerciale  de  ces  places  était  donc 
fonction  des  facilités  de  la  circulation  pour  y  accéder  : 
elle  dépendait  aussi  de  la  qualité  des  produits  métal- 
lurgiques. Les  fontes  phosphoreuses  de  Bretagne  et  de 
Lorraine  ne  dépassaient  guère  les  limites  de  leur  pro- 
vince. Les  fers  plus  purs  pouvaient  pénétrer  dans  les 
parties  plus  éloignées  du  royaume,  si  les  forges  pro- 
ductrices se  trouvaient  à  proximité  d'une  rivière  ou 
d'un  canal.  Ainsi  les  fers  du  Bourbonnais,  du  Lyonnais, 
du  Berry  débarquaient  par  la  Loire  au  bureau  d'Angers. 
Les  fers  de  Bourgogne  et  de  Champagne  pénétraient, 
par  la  Marne,  jusqu'à  Paris,  jusqu'à  Lyon  par  la  Saône; 
jusqu'à  Marseille  par  le  Rhône.  Les  fers  du  Dauphiné, 
transportés  par  route  à  Vienne,  y  étaient  concurrencés 
par  les  fers  de  Franche-Comté  qui  descendaient  la 
Saône  et  le  Rhône.  Le  rapport  du  baron  de  Dietrich, 
en  1786,  note  :  «  Les  avantages  de  l'établissement  de 
Montcenis  (le  Creusot)  sont  d'autant  plus  certains  que 
le  canal  du  Charolais  lui  offre  les  communications  les 
plus  utiles  à  son  commerce  avec  les  deux  mers.  Mont- 
cenis est  à  une  demi-lieue  du  canal  du  Charolais  qui 
a  ses  embouchures  dans  la  Loire  et  dans  la  Saône; 
ses  exportations  dans  les  ports  de  l'Océan  et  de  la 
Méditerranée  se  font  toujours  par  eau  et  sont  d'une 
exécution  facile,  prompte  et  peu  frayeuse.  Saint-Etienne, 
Saint-Chamond  et  Lyon  font  une  consommation   de 


52  l'industrie  du  fer  en  France 

20  millions  (de  livres)  de  fer  par  eau,  et  Moutcenis 
est  la  forge  la  plus  voisine  de  ces  lieux  de  débouchés. 

Le  marché  extérieur.  —  Cependant  les  demandes 
répétées  de  l'armement,  conséquence  des  guerres  nom- 
breuses au  xvme  siècle,  la  consommation  des  produits 
d'affinage  dont  l'usage  commence  à  se  répandre  sous 
forme  de  tôles  pour  cuirassements  de  vaisseaux,  pour 
cheminées,  pour  enseignes,  nécessitent  des  quantités 
plus  fortes  de  fer  et  d'acier  de  qualité  très  pure.  L'in- 
dustrie nationale  est  incapable  de  satisfaire  à  ces 
besoins  nouveaux. 

Les  fers  du  Luxembourg  et  du  pays  de  Liège  pénè- 
trent dans  le  Hainaut;  les  fers  allemands  de  Carinthie 
et  de  Siegen  arrivent  jusqu'à  Saint-Étienne;  les  fers 
espagnols  débarquent  à  Nantes  comme  fret  de  retour 
de  nos  expéditions  en  vin  et  en  eau-de-vie;  les  fers 
suédois  et  russes  sont  importés  dans  tous  nos  ports. 
Nantes  en  reçoit  annuellement  pour  1  500  000  livres  et 
leur  introduction  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée 
a  pour  effet  d'abaisser  le  prix  des  fers  français  de 
40  à  30  livres.  Par  Caen,  ces  expéditions  parvenaient 
jusqu'à  Alençon  et  les  maîtres  de  forges  craignent  qu'ils 
n'arrivent  jusque  dans  le  centre  de  la  France,  «  si  l'on 
ne  met  un  droit  prohibitif  de  20  livres  au  principal  ». 
Les  manufactures  de  fers  blancs  de  Lorraine,  d'Alsace, 
de  Franche-Comté,  du  Nivernais,  végètent  parce  que 
les  Anglais,  malgré  le  droit  d'entrée  de  «  5  livres  15  sous 
du  cent  pesant  »,  ont  le  secret  de  cette  fabrication.  Ils 
détiennent  une  espèce  de  monopole  que  leur  confèrent 
leurs  mines  d'étain  de  Cornouaille.  A  la  fin  du  xvme  siècle 
ces  importations  deviennent  assez  importantes  pour 
décider  les  maîtres  de  forges  à  solliciter  des  taxes  pro- 
tectionnistes. Ils  se  réunissent,  le  17  juillet  1790,  à 
Chalon-sur-Saône,  et   ils  demandent  la   libre  circula- 


LA   FONTE   AU   BOIS  53 

tion  des  fers  dans  tout  le  royaume,  la  franchise  de 
tout  droit  et  un  impôt  de  45  livres  par  millier  sur  les 
fers  étrangers. 

Comme  contre-partie,  nos  exportations  en  matière 
brute  étaient  insignifiantes.  Les  fers  de  Franche-Comté, 
expédiés  à  l'horlogerie  suisse,  constituent  presque  une 
exception.  Nos  envois  à  l'étranger  comprenaient  sur- 
tout des  objets  fabriqués,  des  produits  finis  et  chers. 
Encore  sommes-nous  sous  ce  rapport  très  concurrencés 
par  l'étranger.  Nos  maîtres  de  forges  se  rendent  compte 
de  leur  infériorité  et  ils  s'efforcent  d'attirer  la  clien- 
tèle par  des  produits  similaires,  «  à  l'instar  de  l'An- 
gleterre ». 

La  clouterie  du  Haut-Rhin  et  des  Ardennes  était 
recherchée  en  Espagne,  en  Italie,  en  Suisse  et  en  Alle- 
magne; les  épingles  de  Rugles  et  de  Laigle  étaient 
demandées  en  Angleterre  et  en  Espagne.  La  coutellerie 
et  la  quincaillerie  de  Thiers  et  de  Saint-Etienne  pre- 
naient par  Marseille  le  chemin  du  Levant  et  par  Bor- 
deaux se  rendaient  dans  nos  colonies;  «  l'eustache  » 
y  était  fort  apprécié.  Les  armes  à  feu  de  Charleville 
et  de  Saint-Etienne  étaient  fort  estimées  en  Suisse, 
dans  le  Levant,  aux  Indes,  sur  la  côte  d'Afrique,  en 
Amérique  «  où  la  concurrence  anglaise  ne  se  faisait 
pas  sentir  »;  elles  arrivaient  sur  le  marché  espagnol, 
où  elles  luttaient  contre  les  épées  et  les  dagues  de 
Tolède.  Les  fontes  de  moulage,  principalement  les  chau- 
dières à  sucre,  les  poteries,  faisaient,  avec  nos  colonies, 
l'objet  d'un  commerce  très  achalandé,  par  Marseille, 
Bordeaux  et  Nantes.  En  une  seule  année,  ce  port 
enregistra  à  la  sortie  880  000  livres  de  fonte  bretonne, 
dont  670  000  livres  pour  nos  colonies,  le  reste  à  des- 
tination d'Angleterre  et  d'Espagne. 

C'étaient  là.  toutes  nos  expéditions.  Sur  les  marchés 
étrangers,  notre  métallurgie  gardait  une  position  très 


54  l'industrie  du  fer  en   France 

modeste,  derrière  les  brillants  articles  de  nos  industries 
de  luxe,  les  textiles  principalement. 

Avec  la  force  hydraulique,  la  sidérurgie  a  pris,  dès 
le  xive  siècle,  figure  industrielle.  Elle  présente  déjà 
certains  caractères  des  entreprises  modernes.  Elle 
échappe  au  cadre  du  système  corporatif.  Elle  occupe 
de  nombreuses  équipes  d'ouvriers  spécialisés  dans 
chaque  branche  de  la  fabrication.  Elle  constitue  des 
stocks  de  matières  premières.  Elle  exige  de  grosses 
mises  de  fonds.  Elle  s'intéresse  à  la  politique  écono- 
mique du  Royaume,  elle  suggère  des  lois;  au  besoin 
elle  provoque  des  ordonnances  protectionnistes. 

Mais  on  se  gardera  bien  de  prendre  les  grosses  forges 
qui  ouvraient  la  fonte  au  bois  pour  de  grandes  entre- 
prises à  la  moderne.  Dans  l'ensemble  comme  dans  les 
détails,  dans  la  technique  comme  dans  la  production, 
l'industrie  du  fer  a  gardé  la  structure  et  la  forme  d'une 
petite  industrie.  Môme  dans  les  établissements  de  trans- 
formation, elle  conservait  les  caractères  de  la  fabrique 
disséminée,  de  la  fabrique  à  domicile.  A  cette  époque, 
la  forme  industrielle  des  énergies  françaises  est  pres- 
que entièrement  concentrée  dans  les  textiles. 

Sans  doute  entre  la  loupe  des  forges  volantes,  qui 
pesait  à  l'origine  à  peine  10  kilos,  et  la  gueuse  d'un 
haut  fourneau  du  xvrne  siècle,  qui  atteignait  1  000  kilos, 
il  y  a  dix  siècles  de  progrès  continus  et  d'efforts  persé- 
vérants. Mais  il  faut  se  rappeler  qu'un  haut  fourneau 
actuel  peut  livrer  jusqu'à  350  tonnes  de  fonte  par 
coulée  et  par  vingt-quatre  heures;  et  plusieurs  sociétés 
comptent  huit  et  neuf  appareils  en  activité.  Les  valeurs 
ont  changé,  aucune  comparaison  n'est  possible  entre 
deux  modalités  si  différentes. 

Les  entreprises  d'aujourd'hui  connaissent  d'autres 
soucis,   d'autres   difficultés,   d'autres   concurrents.   Les 


LA   FONTE   AU   BOIS  66 

grosses  forges  au  bois,  plus  modestes,  plus  ignorées, 
avaient  moins  d'histoire  :  en  bien  des  cas,  les  statis- 
tiques les  ignorent.  La  faiblesse  de  leur  rayon  d'action, 
le  peu  d'étendue  de  leur  ressort  commercial  leur  per- 
mettaient de  s'installer  loin  des  voies  de  passage  et 
de  prospérer.  Protégées  par  la  médiocrité,  par  l'humi- 
lité de  leur  production,  par  la  fidélité  obligatoire  de 
leur  clientèle,  les  forges  et  les  fourneaux  n'ont  pas 
subi  de  grands  changements  depuis  le  xive  siècle  jus- 
qu'en 1789. 

A  une  époque  où  le  développement  de  l'agriculture 
était  le  seul  indice  de  l'activité  nationale,  la  métallurgie 
française  n'avait  pas  senti  la  nécessité  d'adopter  les 
nouveaux  procédés  qui  firent  la  gloire  et  la  fortune  de 
la  Suède  et  de  l'Angleterre.  Cependant,  pour  passer  à 
un  stade  supérieur,  les  grosses  forges  devaient  subir 
une  révolution  aussi  profonde  que  celle  du  xive  siècle, 
—  quand  elles  résolurent  d'utiliser  la  force  des  rivières. 

A  la  fin  du  xvine  siècle,  cette  révolution  paraît 
prochaine.  En  1782,  le  Creusot  allume  les  premiers 
hauts  fourneaux  marchant  au  coke. 


Ouvrages  à  consulter. 

L'étude  de  l'industrie  au  bois  a  été  facilitée  par  la  publi- 
cation récente  du  travail  de  MM.  Hubert  et  Georges  Bour- 
GIN  :  L'industrie  sidérurgique  en  France  au  début  de  la  Révo- 
lution (Paris,  Imprimerie  nationale,  1921,  in-8).  M.  A.  Deman- 
GEON  a  tiré  de  cet  ouvrage  la  leçon  qu'il  comporte  dans  un 
article  très  substantiel  :  La  répartition  de  l'industrie  du  fer  en 
France  en  1789  (Annales  de  Géographie,  30*  année,  15  no- 
vembre   1921). 

Pour  chaque  région,  on  trouvera  dans  les  différents  volumes 
du  Voyage  en  France,  d'ARDOUlN-DuMAZET  (Paris,  Berger- 
Levrault),  des  renseignements  intéressants.  On  consultera  uti- 
lement : 


56 


L'INDUSTRIE   DU   FER    EN    FRANCE 


Angl.es  d'Auriac  (P.)-  L'évolution  de  la  sidérurgie  fran- 
çaise, son  état  actuel  et  ses  perspectives  d'avenir  (Bulletin  de 
la  Société  de  l'Industrie  minérale,  1912,  1).  — Babu.  L'industrie 
métallurgique  de  la  région  de  Saint-Etienne  (Annales  des 
Mines,  XV,  1899,  I;  à  part,  Paris,  Dunod,  1899).  —  Beck(L.). 
Die  Geschichte  des  Eisens  in  technischer  und  kulturgeschichtlicher 
Beziehung  (Braunschweig,  F.  Vierweg,  1891-1893,  3  vol.  in-8). 
—  Bttlard  (M.).  L'industrie  du  fer  dans  la  Haute-Marne  (Annales 
de  Géographie,  13e  année,  15  janvier  1904).  — Chabrand  (E.). 
Histoire  de  la  métallurgie  du  fer  et  de  Vacier  en  Dauphiné  et  en 
Savoie  (Grenoble,  s.  d.,  in-8).  —  Davy  (L.).  Etude  des  scories 
de  forges  anciennes  éparses  sur  le  sol  de  l'Anjou,  de  la  Bretagne 
et  de  la  Mayenne,  pour  servir  à  l'histoire  de  la  métallurgie 
(Bulletin  de  la  Société  de  l'Industrie  minérale,  1913,  4  et  5).  — 
Desloges  (A.).  Les  forges  de  Normandie.  Origines  de  la  fabri- 
cation du  fer  en  Normandie  (Revue  :  «  La  Normandie  »,  Rouen, 
1897).  —  de  Dietrjch  (Ph.).  Description  des  gîtes  de  minerai 
et  bouches  à  feu  de  la  France  (Paris,  Didot,  1786-an  VII,  in-4). 
I.  Description  de  minerai,  forges,  salines,  verreries  des  Pyré- 
nées; II.  Ibid.,  de  la  Haute  et  Basse-Alsace;  III.  Ibid.,  de  la 
Lorraine  méridionale.  —  Giroud  (J.-B.).  Documente  pour 
servir  à  l'histoire  de  l'armement  au  Moyen  âge  et  à  la  Renais- 
sance (Lyon,  1895-1904,  2  vol.  in-4).  —  Grandet  (H.).  Mono- 
graphie d'un  établtesetnent  métallurgique  sis  à  la  fois  en  France 
et  en  Allemagne  (Chartres,  1909,  in-8).  —  Gros  (L.-B.).  Histoire 
économique  de  la  métallurgie  de  la  Loire  (Saint-Etienne,  1908, 
in-8).  —  Weyhmann  (L.).  Histoire  de  l'industrie  du  fer  en 
Lorraine  (Strasbourg,    1905,  in-4). 


Chapitre  III 
LA    FONTE   AU    COKE 


En  1786,  de  Diétrich,  commissaire  du  roi  à  la  visite 
des  mines,  rendait  compte  de  son  inspection  du  Creusot  : 
«  Quatre  fourneaux  de  39  pieds  d'élévation  fondent  au 
Montcenis  la  mine  de  fer  avec  la  houille  désoufrée. 
Quatre  fourneaux  à  réverbère  y  sont  ordonnés  de 
manière  à  couler  des  masses  de  12  milliers  d'un  seul 
jet  et  à  rendre  le  fer  susceptible  d'être  affiné  avec  les 
coaks  (charbon  de  terre  désoufré),  découverte  précieuse 
des  Anglais  qui  leur  aura  coûté  25  ans  de  recherches 
et  dont  nous  recueillons  les  fruits  aussi  promptement 
qu'eux-mêmes.  Cinq  machines  à  feu,  maintenant  en 
activité  à  la  fonderie  du  Creusot,  servent  à  la  fois  à 
extraire  du  sein  de  la  terre  les  charbons  qui  les  ali- 
mentent, à  fournir  le  vent  aux  fourneaux  et  à  faire 
mouvoir  les  gros  marteaux  des  forges.  L'absence  des 
cours  d'eau  qui  met  si  souvent  obstacle  à  l'érection 
des  établissements  dans  les  lieux  qui  leur  seraient  le 
plus  avantageux  ne  s'opposera  plus  à  la  construction 
des  usines  qui  suivront  ces  procédés.  Les  glaces  et 
variations  des  eaux  dans  les  ruisseaux  et  rivières  qui 
suspendent,  pendant  quatre  mois  de  l'année,  la  plu- 
part des  manufactures  à  l'eau,   n'arrêteront  point  le 


58  l'industrie  du  fer  en  France 

roulis  de  ces  nouvelles  fabriques,  et  les  crues  des  tor- 
rents n'en  entraîneront  plus  la  ruine.  Les  machines  à 
feu  y  feront  l'office  de  soufflets  et  de  forces  motrices 
qui  auront  sur  les  forces  de  l'eau  l'avantage  de  n'être 
point  bornées....  Les  établissements  construits  à  l'instar 
des  fonderies  du  Montcenis  remplissent  le  double  avan 
tage  d'éviter  les  frais  souvent  ruineux  du  transrjort 
des  charbons  et  d'éviter  le  progrès  de  la  dévastation 
des  forêts.  » 

L'organisation  de  ces  nouveaux  établissements  était 
due  à  l'ingénieur  anglais  Wilkinson.  Il  apportait  en 
France  les  procédés  en  usage  dans  la  métallurgie 
anglaise.  Ils  remontaient  plus  loin  que  de  Diétrich  ne 
le  supposait.  Le  coke  avait  remplacé  le  charbon  de 
bois  dans  les  lits  de  fusion  depuis  1735.  Horn  donne 
la  technique  de  l'opération,  en  1780,  dans  son  livre  : 
Essay  concerning  iron  and  sieel.  Cinq  ans  plus  tard, 
l'invention  du  puddlage  permit  la  transformation  directe 
et  rapide  de  la  fonte  en  fer  et  en  acier;  elle  devait 
accroître  l'importance  de  la  houille  comme  combus- 
tible dans  l'industrie  du  fer. 


I.    —    LE     COMBUSTIBLE    MINÉRAL 

A  vrai  dire,  l'usage  du  charbon  était  ancien  en 
France,  au  moins  dans  les  forges  et  dans  les  petites 
usines  de  transformation.  Sous  le  règne  de  François  Ier, 
Guillaume  Paradin,  doyen  de  Beaujeu,  écrivait  dans  les 
Annales  du  Lyonnais  et  du  Beaujolais  :  «  A  Saint-Genis 
de  Terrenoire  et  à  Saint -Chamond  sont  des  mines  de 
bon  charbon  de  terre;  s'y  sont  aussi  h  Rive-de-Gier, 
mais  non  en  telle  quantité.  Est  merveille  de  voir  les 
habitants  de  ce  pays  qui  en  sont  tout  noircis  et  par- 


LA   FONTE   AU   COKE  59 

fumés  qu'ils  en  font  pour  leur  chauffage  au  lieu  de 
bois;  dont  il  y  a  maison,  leur  manger,  pain  ni  vin, 
qui  n'en  soit  tout  parfumé.  Mais  le  principal  profit 
qu'il  en  vient  est  des  forges,  au  moyen  de  quoi  est  le 
Gier  fort  fréquenté  de  certaines  races  de  pauvres  étran- 
gers forgerons,  lesquels  ne  demeurent  guère  en  un  lieu, 
mais  vont  et  viennent  ainsi  qu'oyseaux  passagers » 

Au  xvme  siècle  cet  usage  s'était  répandu  dans  la 
métallurgie,  pour  tous  les  établissements  proches  des 
houillères.  Dans  la  Franche-Comté,  les  fenderies  et  les 
martinets  de  Saint-Amour  emploient  un  mélange  de 
charbon  de  bois  et  de  charbon  de  terre.  Dans  les  Trois - 
Evêchés,  les  usines  de  Lamécourt  importent  le  charbon 
du  pays  de  Liège.  Les  fenderies  d'Indret,  en  Bretagne, 
se  ravitaillent  de  houille  aux  environs.  Les  fourneaux 
d'Hayange,  en  Lorraine,  produisent  chaque  mois  240 
à  250  000  livres  de  fonte.  «  On  y  consomme  en  bois 
de  18  à  20  mille  y  compris  le  bois  qu'on  mêle  avec  le 
minerai  pour  en  faciliter  la  fusion.  Cette  consomma- 
tion prodigieuse  s'élèverait  à  un  tiers  en  plus,  si  on 
ne  s'était  mis  dans  l'usage,  depuis  quelques  années, 
d'employer  de  la  houille  pour  chauffer  les  batteries  et 
platineries.  »  En  plusieurs  usines  du  territoire,  on  a 
tenté  de  remplacer  le  charbon  de  bois  par  le  charbon 
de  terre  pour  le  service  des  hauts  fourneaux.  Mais  le 
fer  produit  était  de  mauvaise  qualité  :  on  est  revenu 
au  bois.  «  Il  paraît  que  le  charbon  de  terre  que  l'on  tire 
de  l'intérieur  du  royaume  est  chargé  de  principes  qui 
atténuent  la  qualité  du  fer  et  celui  que  l'on  ferait  venir 
de  l'Angleterre  reviendrait  à  un  prix  trop  considérable 
à  cause  de  l'éloignement  des  ports  de  mer.  » 

Au  point  de  vue  de  la  production  de  la  fonte,  tout 
au  moins,  l'année  1782,  où  s'allumèrent  les  hauts  four- 
neaux du  Creusot,  alimentés  exclusivement  avec  du 
coke,  marque  bien  les  débuts  d'une  révolution. 


60  L'INDUSTRIE   DU   FER    EN    FRANCE 

Elle  fut  longue  à  se  propager  en  France.  En  1806, 
il  n'existe  en  Angleterre  que  deux  hauts  fourneaux  au 
bois  contre  227  au  coke;  à  la  même  époque,  une  enquête 
ministérielle  constate  que  dans  les  38  départements 
français,  producteurs  du  métal,  on  obtenait  la  fonte 
au  charbon  de  bois;  et  c'est  aussi  au  bois  que  l'on 
traitait  la  loupe  pour  la  transformer  en  fer  :  le  Creusot, 
seul,  faisait  exception.  Pendant  de  longues  années,  cet 
établissement  conserva  le  monopole  de  la  nouvelle 
fabrication.  Pour  en  démontrer  l'excellence,  il  fond, 
en  1811,  les  lions  de  l'Institut  avec  des  fontes  au  coke. 
Cependant  les  usines  d'Hayange  n'adoptèrent  les  nou- 
veaux procédés  qu'en  1818;  celles  de  Terrenoire,  dans 
la  Loire,  en  1822.  Mais,  en  1828,  13  hauts  fourneaux 
sont  en  construction  dans  la  région  de  Saint-Etienne,  qui 
doivent  employer  le  coke.  A  ce  moment,  les  houillères 
de  la  Loire  sont  en  pleine  activité  :  sur  1  172  000  tonnes 
de  charbon  extraites  dans  la  France  entière,  elles  four- 
nissent 550  000  tonnes.  Toutefois  les  nouvelles  fabri- 
cations sont  localisées,  pour  la  plupart,  au  centre  de 
la  France.  En  1830,  on  ne  comptait  que  29  hauts 
fourneaux  au  coke  sur  408;  en  1840,  41  sur  462;  en 
1896,  20  sur  591. 

La  routine  des  maîtres  de  forges,  la  difficulté  de 
trouver  des  houilles  à  coke  au  début  de  l'exploitation 
des  charbonnages  et  surtout  la  politique  forestière, 
imposée  par  les  émigrés  rentrés  en  France,  retardait 
la  mise  en  œuvre  des  nouveaux  procédés. 

La  métallurgie,  au  xvme  siècle,  était  envisagée 
comme  une  succession  de  phénomènes  expérimentaux 
où  les  déductions  scientifiques  trouvaient  fort  peu  de 
place.  En  1856,  à  l'époque  où  Bessemer  invente  son 
convertisseur  l'acier  est  mal  connu.  Les  uns  l'envi- 
sagent comme  un  carbure  de  fer,  d'autres  comme 
un  azocarbure  de  fer,  d'autres  encore  comme  un  alliage 


LA   FONTE    AU    COKE  61 

de  fer  et  de  carbure  de  fer.  «  On  conçoit,  écrit  un  ingé- 
nieur, combien  ce  genre  de  recherches  doit  présenter 
de  difficultés.  »  Le  titre  de  maître  de  forges,  hérédi- 
taire, s'acquérait  sans  examen.  La  technique  relevait 
plutôt  du  tour  de  main  du  fondeur  que  de  la  valeur 
professionnelle  de  l'ingénieur.  Ces  coutumes  ne  s'étaient 
pas  modifiées  au  début  du  xixe  siècle.  On  conçoit  com- 
bien il  pouvait  être  pénible,  dans  ces  conditions,  pour 
ces  petites  industries,  très  retardées,  très  isolées,  de 
changer  la  conduite  de  leur  lit  de  fusion  et  de  se  pro- 
curer le  nouveau  combustible,  souvent  éloigné  du  siège 
de  l'exploitation,  et  dont  elles  ignoraient  les  propriétés. 
D'autre  part,  les  premières  fontes  au  coke,  par  suite 
de  malfaçons  des  métallurgistes  ou  par  malveillance 
de  la  clientèle,  trouvaient  difficilement  preneurs.  L'État 
refusa  longtemps  de  payer  aux  ingénieurs  anglais 
installés  dans  le  Centre,  pour  diriger  les  nouvelles 
fabrications,  les  primes  sur  «  les  fers  à  l'anglaise  ». 
Les  consommateurs  leurs  reprochaient  leurs  nom- 
breuses impuretés.  Ces  imputations  contenaient  une 
part  de  vérité.  Toutes  les  houilles  ne  sont  pas  propres 
à  la  cokéfication.  Seules,  les  houdles  épaisses,  à  longues 
flammes,  peuvent  fournir  un  bon  coke  pour  métallurgie. 
Or  tous  les  charbonnages,  même  à  l'heure  actuelle,  ne 
possèdent  point  ces  propriétés.  Ces  sortes  spéciales  font 
encore  défaut  en  France  présentement.  Dans  les  pre- 
mières années  du  xixe  siècle,  les  besoins  étaient  moins 
grands;  mais  les  quantités  de  houdles  extraites  leur 
étaient  inférieures.  On  avait  débuté  par  exploiter  les 
houdles  grasses  pour  tous  les  usages  :  foyers  domes- 
tiques, usines  à  gaz,  chaudières  de  l'industrie,  métal- 
lurgie. Plus  tard,  grâce  aux  perfectionnements  apportés 
dans  les  appareils,  on  put  utiliser  les  houilles  demi- 
grasses  pour  le  chauffage  domestique  et  industriel;  et 
dans  ces  dernières  années,  seulement,  depuis  l'inven- 


62  l'industrie  du  fer  en  France 

tion  des  poêles  à  combustion  lente  et  des  grilles  per- 
fectionnées pour  les  chaudières,  on  a  pu  employer  des 
charbons  maigres  jusqu'alors  négligés  et  réserver  les 
houilles  grasses  pour  la  cokélication.  11  est  donc  liés 
vraisemblable,  qu'au  début  des  nouvelles  méthodes,  les 
métallurgistes,  même  les  plus  avertis,  aient  trouvé  des 
inconvénients  au  charbon  de  terre  et  aient  retardé,  le 
plus  longtemps  possible,  la  suppression  totale  du  char- 
bon de  bois. 

Enfin,  la  politique  économique  de  la  Eestauration 
était  hostile  aux  importations  de  houille  étrangère. 
Héron  de  Villefosse,  ingénieur  en  chef  des  mines,  expo- 
sait en  1826,  à  l'Académie  des  Sciences,  que  les  forges 
et  hauts  fourneaux  de  France  brûlaient,  par  an,  le 
quart  de  la  production  des  forêts  nationales,  soit  pour 
une  somme  de  21  millions  de  francs,  assurant  aux 
propriétaires  un  revenu  de  11  millions  de  francs,  supé- 
rieur au  revenu  des  maîtres  de  forges.  «  Il  faut  con- 
clure que  c'est  surtout  au  propriétaire  des  bois  que 
profite  le  renchérissement  du  fer.  Ce  qu'on  nomme  la 
question  du  fer  est  à  proprement  parler  la  question 
du  prix  des  bois  et  des  communications  intérieures.  » 
Rentrés  en  France,  les  grands  propriétaires  avaient 
recouvré  la  majeure  partie  de  leur  domaine.  Ils  avaient 
exigé  du  gouvernement  le  maintien  du  régime  protec- 
tionniste, prohibitif,  il  est  vrai,  de  l'entrée  des  fers 
étrangers,  mais  qui  imposait  un  droit  de  0  fr.  55  par 
tonne  de  houille  importée.  Les  propriétaires  français 
avouaient,  en  1829,  que  la  majeure  partie  des  forêts 
resteraient  sans  débouché,  si  les  usines  venaient  à 
fermer. 

Cependant  la  situation  ne  pouvait  se  prolonger.  Le 
prix  de  revient  de  la  fonte  au  bois,  estimée  à  15  fr.  70 
le  quintal,  était  nettement  supérieur  au  prix  de  revient 
de  la  fonte  au  coke,  évalué  à   10  francs  le  quintal. 


LA   FONTE   AU    COKE  63 

D'après  un  rapport  fourni,  en  1864,  au  ministre  des 
Travaux:  publics,  la  dépense  en  matières  premières 
(combustible  et  minerai)  représentait  82  p.  100  de  la 
valeur  de  fonte  pour  l'industrie  marchant  au  bois  et 
74  p.  100  pour  l'industrie  marchant  au  coke.  Ce  ne 
sont  pas  les  traités  libre-échangistes  de  1860  qui  cau- 
sèrent le  déclin  de  la  sidérurgie  française,  mais  bien  les 
lenteurs  des  maîtres  de  forges  à  adopter  le  nouveau 
combustible. 

Vers  1864,  la  substitution  du  combustible  minéral 
au  combustible  végétal  est,  en  grande  partie,  achevée. 
Si,  sur  413  hauts  fourneaux  allumés,  143  marchent  au 
bois,  les  trois  quarts  de  la  fonte  sont  produits  au  coke, 
876  000  tonnes,  contre  224  000  tonnes  au  bois  et 
113  000  tonnes  au  coke  et  au  bois  mélangés.  Dans  les 
statistiques,  les  usines  sont  classées  en  trois  grandes 
catégories  d'après  la  nature  du  combustible  dont  elle 
font  usage. 

Les  usines,  situées  au  milieu  des  départements  les 
plus  boisés  de  l'Empire,  emploient  généralement  le 
charbon  de  bois;  ce  sont  principalement  :  les  forges 
des  anciennes  provinces  de  Bretagne,  de  Champagne, 
de  Franche-Comté,  du  Daupliiné,  du  Comté  de  Foix. 
Les  établissements  placés  à  proximité  ou  à  peu  de  dis- 
tance des  bassins  houillers  ne  consomment  que  de  la 
houille  et  du  coke  :  ils  sont  localisés  dans  les  dépar- 
tements du  Nord  et  des  Ardennes  et  dans  la  région 
métallurgique  du  Centre  formée  par  l'Allier,  le  Cher, 
l'Indre,  la  Saône-et-Loire,  le  Rhône,  la  Loire.  Enfin, 
les  usines,  dont  la  situation  est  en  quelque  sorte  inter- 
médiaire, utilisent  les  deux  combustibles  :  les  forges 
de  la  Meurthe  et  de  la  Moselle  en  sont  un  exemple. 

A  partir  de  1864,  la  substitution  du  coke  au  bois 
fut  rapide.  Dès  1844;  la  construction  des  chemins  de 
fer,  l'invention  du  marteau-pilon  avaient  donné  à  la 


64  L'INDUSTRIE   DU   FER    EN    FRANCE 

métallurgie  un  essor  considérable.  Pour  satisfaire  la 
nouvelle  clientèle,  les  maîtres  de  forges  durent  aug- 
menter les  dimensions  de  leurs  appareils.  Le  nouveau 
combustible  se  prêtait  admirablement  à  ces  modifica- 
tions. 

En  1865,  un  haut  fourneau  mesurait  16  mètres  de 
hauteur  et  coulait  30  à  35  tonnes  de  fonte  par  jour  : 
«  C'est  là  une  très  forte  proportion,  écrivait  un  ingé- 
nieur des  mines.  »  Cependant,  à  la  même  époque,  les 
appareils  du  Pays  de  Galles  rendaient  le  double;  mais 
en  France  ces  proportions  n'étaient  pas  encore  atteintes. 
En  1878,  un  haut  fourneau  de  Micheville  mesurait 
20  mètres  de  hauteur,  450  mètres  cubes  de  volume  et 
produisait  120  tonnes  d'affinage  par  vingt-quatre  heures. 
En  1913,  ces  appareils  ont  une  hauteur  de  30  mètres 
et  sont  prévus  pour  une  production  de  200  tonnes  au 
moins  :  ceux  des  usines  de  Caen  sont  de  350  tonnes. 
Il  en  existe  en  Amérique  de  600  tonnes  et  plus. 

Par  ailleurs  la  consommation  du  minerai  et  du  com- 
bustible suivait  une  marche  parallèle.  En  1865,  un 
fourneau  au  bois  consommait  une  moyenne  de  1  290  kilos 
de  charbon  et  de  2  560  kilos  de  minerai  à  50  p.  100 
de  fer  pour  produire  une  tonne  de  fonte.  En  1900  la 
consommation  du  coke  est  de  1  320  kilos,  celle  du 
minerai  de  2  650  kilos  ;  mais  les  sortes  employées  titrent 
33  p.   100  de  fer. 

Enfin  l'augmentation  de  la  puissance  des  fourneaux 
était  accompagnée  de  nombreux  perfectionnements  : 
appareils  de  chauffage  Cowper  et  Whitwell,  utilisation 
des  gaz,  chargement  mécanique  des  lits  de  fusion.  Le 
prix  de  revient  s'en  trouvait  considérablement  diminué. 
Par  contre,  toutes  ces  modifications  ont  décidé  la  substi- 
tution d'un  petit  nombre  de  puissantes  usines,  possé- 
dant de  gros  capitaux,  à  un  grand  nombre  de  petites 
industries   de  faibles  ressources.    Elles   ont   amené  la 


LA   FONTE   AU   COKE  65 

concentration  de  l'industrie.  En  même  temps  que  dis- 
paraissait la  fonte  au  bois,  le  nombre  des  entreprises 
métallurgiques  diminuait. 

Dès  1867  il  y  avait  égalité  entre  les  deux  procédés  : 
142  hauts  fourneaux  au  bois  contre  144  au  coke.  En 
1901,  10  au  bois  contre  101  au  coke;  en  1913,  2  contre 
131.  Ces  deux  derniers  témoins  d'une  industrie  ancienne 
ne  livraient  guère  à  la  consommation  qu'un  millier  de 
tonnes  par  an  sur  les  5  207  000  tonnes  formant  la 
production  française. 

Cette  date  peut  être  considérée  comme  le  terme  de 
la  carrière  de  la  fonte  au  bois,  en  France  tout  au  moins. 
Cette  année  même,  les  Aciéries  de  la  Marine  et  d'Homé- 
court,  qui  s'étaient  constituées  un  domaine  forestier 
de  12  000  hectares,  en  Corse,  à  proximité  de  gisements 
ferrifères,  renonçaient  à  cette  exploitation. 

Cependant,  la  fonte  au  bois  est  encore  vivante  dans 
les  pays  dépourvus  de  charbonnages,  mais  riches  en 
forêts  très  denses  :  en  Styrie,  en  Hongrie,  dans  l'Oural. 
Des  entreprises  métallurgiques  se  fondent  même  actuel- 
lement, basées  sur  l'emploi  du  combustible  végétal. 
Aux  Indes,  le  gouvernement  de  Mysore,  élève  un  haut 
fourneau  qui  produira  20  000  tonnes  de  fonte  par  an 
avec  les  minerais  de  Schimaga  et  le  charbon  des  forêts 
environnantes  :  les  besoins  annuels  sont  estimés  à 
100  000  tonnes.  Tout  dernièrement,  le  gouvernement 
chilien  a  accordé  à  la  société  Krupp  le  droit  d'élever 
des  hauts  fourneaux  dans  le  voisinage  des  mines  de 
Tofo  et,  conjointement,  une  concession  de  345  000  acres 
de  forêts  pour  se  procurer  les  combustibles  néces- 
saires. 


L'Industrie  du  fer  en  France. 


66  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 


II.      —      L  ÉVOLUTION      DE      LA      TECHNIQUE 

L'industrie  du  1er  suivit  au  xixe  .siècle  une  évolu- 
tion parallèle  à  l'industrie  de  la  fonte.  Essentiellement 
forestière  au  début,  elle  s'était  portée  peu  à  peu  vers 
les  régions  houillères  et  pour  la  même  raison  :  la 
nécessité  absolue  de  s'assurer  le  combustible  végétal. 
.Mais  dans  cette  branche  de  la  métallurgie,  la  révolu- 
tion fut  rapide.  En  1819,  les  statistiques  estiment  la 
production  des  fers  au  bois  à  73  000  tonnes  et  celle 
des  fers  à  la  houille  à  1  000  tonnes.  En  1864,  ces  chiffres 
sont  de  58  000  tonnes  et  de  706  000  tonnes  :  il  faut 
ajouter  27  000  tonnes  obtenues  par  le  mélange  des 
deux  combustibles. 

Quand  on  pense  à  la  lenteur  avec  laquelle  s'est  pro- 
pagé l'emploi  du  coke  dans  les  hauts  fourneaux,  on 
peut  être  étonné  de  la  rapidité  avec  laquelle  ont  dis- 
paru les  anciens  appareils,  les  foyers  catalans  et  les 
foyers  d'affinerie.  Ces  progrès  se  comprennent  aisément 
si  l'on  songe,  qu'aux  environs  de  1865,  la  dépense  en 
combustible,  ressortait,  pour  le  fer  au  bois,  à  58  p.  100 
de  la  valeur  «lu  produit  ii ni,  alors  qu'il  était  seulement 
de  14  p.  100  pour  le  fer  à  la  houille.  Pour  l'ensemble 
du  territoire,  le  prix  moyen  des  fers  au  bois  était  de 
.3'»  fr.  75  le  quintal;  celui  des  fers  aux  deux  combus- 
tibles de  39  fr.  24;  celui  des  fers  à  la  houille  de  22  fr.  63. 
Les  maîtres  de  forges  étaient  naturellement  amenés  à 
réserver  le  charbon  de  bois  pour  obtenir  la  fonte  et  à 
utiliser  le  charbon  de  terre  pour  la  transformer  en  fer. 
Enfin  s'ils  étaient  obligés  à  se  servir  de  houille  grasse 
pour  obtenir  du  bon  coke,  ils  pouvaient  utiliser  des 
qualités  plus  communes  pour  les  besoins  de  leurs  chauf- 
feries. 


LA    FONTE   AU    COKE  67 

Vers   1869  l'industrie  était  presque  transformée. 

Les  dernières  forges  au  bois  étaient  disséminées  dans 
les  départements  encore  pourvus  de  réserves  fores- 
tières, privés  de  houillères,  assez  isolés  pour  que  le  prix 
du  transport  arrêtât  l'importation  du  charbon  de  terre. 
Les  qualités  les  plus  recherchées  venaient  de  Franche- 
Comté  et  du  Berry.  On  classait  ensuite  les  fers  du 
Périgord,  puis  venaient  ceux  de  Champagne,  du  Eous- 
sillon,  du  Comté  de  Foix. 

La  production  des  fers  à  la  houille  était  localisée 
sur  les  charbonnages  ou  en  des  contrées  où  la  circula- 
tion ferrée  et  fluviale  était  assez  dense  pour  permettre 
l'importation  du  combustible.  En  1864,  le  Centre 
(Saône-et-Loire,  Loire,  Allier  et  Nièvre)  entrait  dans 
les  statistiques  pour  215  000  tonnes.  Le  Creusot,  à  lui 
seid,  livrait  annuellement  110  000  tonnes  de  produits 
finis.  Également  placées  sur  les  charbonnages,  les  usines 
du  Nord  accusaient  106  000  tonnes;  celles  du  Gard  et 
de.  l'Aveyron  :  77  000  tonnes.  Pareillement  les  forges 
de  l'Est  (Moselle,  Meurthe,  Meuse,  Haute-Marne),  situées 
à  proximité  des  voies  de  communications  nouvelles 
créées  en  partie  à  leur  intention,  canal  de  la  Marne 
au  Rhin,  canal  latéral  à  la  Marne,  canal  de  la  Marne 
à  la  Saône,  desservies  par  les  nouvelles  lignes  du  réseau 
de  l'Est,  pouvaient  facilement  s'approvisionner  en 
charbon.  Elles  figurent  dans  le  total  général  pour 
99  000  tonnes.  Dans  l'ensemble,  ces  1 1  départements 
fabriquaient  544  370  tonnes  de  fer  à  la  houille,  soit 
77  p.   100  de  la  production  nationale. 

La  production  atteignit  904  000  tonnes  en  1869. 
Elle  oscilla  longtemps  autour  de  ce  chiffre  pour  atteindre 
1  073  000  tonnes  en  1882,  son  maximum.  Depuis,  elle 
a  toujours  décru;  le  fer  a  perdu  sa  clientèle  au  grand 
profit  de  l'acier. 

«  L'emploi  de  la  houille  et  du  coke  dans  l'industrie 


68  l'industrie  du  fer  en   France 

du  fer,  a  écrit  M.  d'Avenel,  ne  supprimait  pas  la  vieille 
hiérarcliie  du  travail,  qui  obligeait  la  foute,  avant  de 
prétendre  au  grade  supérieur  d'acier,  à  stationner  dans 
l'état  intermédiaire  du  fer.  Cet  échelonnement  fut 
aboli  en  1858  par  Bessemer  qui  inventa  la  promotion 
directe  de  la  fonte  à  l'acier...  et  qui  démocratisa  l'acier.  » 
L'appareil  comprend  essentiellement  une  cornue,  en 
forme  de  poire,  montée  sur  deux  pivots  autour  desquels 
elle  tourne.  On  charge  la  fonte  liquide  dans  le  conver- 
tisseur et  on  donne  le  vent.  La  combustion  des  divers 
éléments,  carbone,  silicium,  manganèse,  dégage  telle- 
ment de  chaleur  que  l'air  brûle  non  seulement  le  car- 
bone en  excès  et  les  impuretés,  mais  brasse  aussi  les 
matières.  La  durée  de  l'opération  est  de  15  à  25  minutes. 
La  charge  varie  de  15  à  25  tonnes  de  fonte.  Le  procédé 
fut  perfectionné  à  l'usine  de  Terrenoire,  dans  la  Loire, 
par  l'incorporation  de  7  kilos  de  manganèse  pour 
100  kilos  de  fonte.  Cette  innovation  supprima  l'acier 
cassant  et  permit  la  fabrication  d'un  métal  plus  mallé- 
able, mieux  adapté  à  tous  les  besoins,  surtout  beau- 
coup moins  cher. 

Au  moment  où  le  procédé  de  l'anglais  Bessemer  péné- 
trait en  France,  l'ingénieur  français  Pierre  Mari  in. 
ancien  élève  de  l'École  des  Mines  de  Paris,  cherchait  à 
industrialiser  les  expériences  de  Eéaumur.  Le  procédé 
consiste  à  décarburer  la  fonte,  non  seulement  en  brûlant 
une  partie  du  carbone,  comme  dans  le  convertisseur, 
mais  en  augmentant  la  teneur  en  fer  par  l'adjonction 
de  métal  dans  la  charge.  L'appareil  est  un  four  hori- 
zontal, construit  en  briques  réfractaires.  Sur  une 
cuvette,  appelée  sole,  on  charge  de  la  fonte  liquide  ou 
solide,  de  vieilles  ferrailles  appelées  riblons,  des  chutes 
de  fabrication  fine  et  différents  métaux,  manganèse, 
chrome,  nickel,  tungstène,  vanadium,  suivant  les  qua- 
lités de  l'acier  à  obtenir.  La  durée  de  l'opération  est 


LA    FONTE    AU    COKE  69 

variable.  Elle  peut  atteindre  douze  heures  pour  les 
aciers  de  qualité. 

La  rapidité  des  opérations  dans  ces  deux  procédés, 
leur  bon  marché,  la  possibilité  de  produire  à  volonté, 
comme  qualité  et  comme  quantité,  le  métal  demandé 
par  la  clientèle,  déterminèrent  un  essor  considérable 
dans  cette  branche  de  la  métallurgie.  De  1861  à  1878, 
la  fabrication  de  l'acier  passa  de  41  000  tonnes  à 
312  000  tonnes,  dont  283  000  tonnes  obtenues  au  four 
ou  au  convertisseur.  Pour  l'époque,  ce  chiffre  ne  pou- 
vait guère  être  dépassé. 

Les  procédés  Bessemer  et  Martin  s'appliquent  au 
traitement  des  fontes  contenant  une  proportion  déter- 
minée de  silicium  et  de  manganèse,  mais  dépourvues 
de  phosphore  et  de  soufre.  Or,  si  nos  ressources  sont 
considérables  en  minerais  de  fer,  elles  sont  limitées  en 
sortes  très  pures.  Comme  la  plupart  des  gisements  fran- 
çais ne  pouvaient  fournir  les  minerais  requis,  les  maîtres 
de  forges  durent  les  importer  d'Espagne,  d'Italie,  d'Al- 
gérie. Le  tonnage,  aux  entrées,  passa  de  150  000  tonnes 
à  610  000  tonnes  de  1864  à  1878.  Ces  considérations 
expliquent  que  le  procédé  Bessemer  devait  avoir  en 
France  un  emploi  restreint.  En  1913,  la  production  de 
l'acier  au  Bessemer  acide,  atteignait  123  000  tonnes, 
soit  2  p.    100  de  la  production  nationale. 

Il  est  probable  que  la  production  de  l'acier  serait  restée 
stationnaire,  dans  notre  pays  au  moins,  si  des  décou- 
vertes nouvelles  n'avaient  permis  de  tirer  l'acier  des 
foutes  phosphoreuses  et  d'utiliser  les  gisements  consi- 
dérables de  la  minette  lorraine  et  des  hématites  bre- 
tonnes et  normandes.  On  sait  comment  le  moyen  de 
déphosphorer  les  fontes,  grâce  au  revêtement  basique 
du  convertisseur,  fut  réalisé  par  deux  Anglais,  Sydney 
Thomas  et  Percy  Gilchrist,  qui  s'étaient  peut-être 
inspirés    de    théories    françaises,    professées    à    l'Ecole 


70  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

Centrale  et  à  l'Ecole  des  Mines.  Les  deux  inventeurs 
cédèrent  leur  brevet  pour  la  somme  de  1  250  francs  à 
un  Belge,  M.  Tasquin,  qui  le  rétrocéda  à  MM.  Schneider 
et  de  Wendel  pour  la  somme  de  800  000  francs.  Le  pre- 
mier convertisseur  Thomas  fut  installé,  dans  les  usines 
du  Creusot,  en  novembre  1879.  Entre  les  années  1880 
et  1890,  l'acier  conquit  la  prééminence  sur  le  fer.  En 
1889  les  charpentes  de  l'Exposition  et  de  la  Tour  Eiffel 
étaient  construites  en  fer;  en  1900  celles  de  l'Exposi- 
tion furent  montées  en  acier. 

Mais  si  la  fabrication  de  l'acier  Thomas  débuta  dans 
le  Centre,  elle  y  progressa  lentement  (63  000  tonnes 
en  1913);  c'est  dans  l'Est,  où  elle  est  favorisée  par  la 
proximité  de  la  minette,  qu'elle  devait  prendre  toute 
son  extension  (2  133  000  tonnes  en  1913). 

Le  four  Martin  suivit  la  même  évolution.  Au  début, 
son  développement,  comme  pour  le  convertisseur,  était 
contrarié  par  la  nécessité  de  ne  consommer  que  des 
matières  premières  déterminées,  à  l'exclusion  des  fontes 
et  des  ferrailles  phosphoreuses.  Aussitôt  après  la  décou- 
verte de  Thomas  et  Gilchrist,  on  lui  appliqua  une 
sole  basique.  Cette  modification  lui  assura  un  essor 
remarquable.  Cette  fabrication  atteignait  1  ôlOOOOtonnes 
en  1913,  33  p.  100  de  la  production  nationale.  Le 
procédé  est  excessivement  souple.  Il  n'exige  pas,  comme 
le  convertisseur,  une  fonte  de  composition  déterminée; 
il  tire  partie  de  toutes  les  matières  à  condition  de 
diriger  l'opération  suivant  leurs  propriétés  physiques 
et  chimiques.  Enfin  le  convertisseur,  économique  seu- 
lement pour  les  fortes  productions,  exige  des  stocks 
importants  en  fonte  et  en  charbon;  le  four  Martin,  par 
contre,  avec  des  appareils  plus  modestes  (de  3  à 
35  tonnes),  convient  à  toutes  les  entreprises,  même  de 
faible  envergure.  Ces  considérations  expliquent  que  des 
fours   Martin   ont   été  construits   dans  les  régions  les 


LA    FONTE    AU    COKE  71 

plus  différentes.  En  1913,  24  départements  possédaient 
des  fours  Martin,  7  seulement  avaient  installé  des 
convertisseurs. 

A  ce  stade  de  son  évolution,  l'industrie  du  fer  possède 
en  France  tous  les  procédés  nécessaires  pour  traiter 
toutes  les  sortes  de  minerais  nationaux.  Mais  avec  le 
développement  de  la  métallurgie,  l'approvisionnement 
en  matières  premières  a  passé  au  premier  rang  des 
préoccupations  des  maîtres  de  forges.  Ces  soucis  ont 
décidé  la  localisation  des  usines  à  proximité  des  houil- 
lères ou  des  gisements  ferrifères.  L'industrie  au  bois, 
fixée  le  long  des  rivières,  était  le  plus  souvent  obligée 
de  recourir  à  de  longs  et  coûteux  charrois  pour  se 
procurer  le  charbon  de  bois  et  la  pierre  de  myne.  Elle 
pouvait  supporter  ces  dépenses,  parce  que  son  rende- 
ment était  faible,  son  travail  intermittent,  saisonnier. 
Elle  s'arrêtait  avec  la  sécheresse  des  cours  d'eau  ou 
la  moisson,  pour  reprendre  avec  l'étiage  normal  ou  le 
chômage.  Il  en  va  tout  autrement  à  l'époque  actuelle. 
Le  haut  fourneau  du  xxe  siècle  est  condamné  à  un 
travail  continu.  Il  ne  peut  s'éteindre  qu'avec  les  plus 
grandes  précautions.  Son  arrêt,  si  court  soit -il,  peut 
ruiner  la  forge  et  les  industries  qui  en  dérivent.  Par 
cela  même,  il  exige  des  stocks  considérables  de  com- 
bustible et  de  minerai.  De  là,  la  nécessité  d'installer 
ces  organismes  puissants,  mais  dévorants,  à  proxi- 
mité de  l'une  des  deux  matières  premières  indispen- 
sable à  son  existence,  quand  il  est  impossible  de  le 
fixer  à  la  fois  sur  le  charbon  et  sur  le  minerai. 


72  L'INDUSTRIE   DTJ   FER    EN    FRANCE 

III.    —    LES     CENTRES    DE    L  INDUSTRIE 
DU     FER 

La  localisation  géographique,  conséquence  de  l'évo- 
lution technique,  fut  grandement  facilitée  par  la  pro- 
mulgation de  la  loi  du  9  mai  1866  qui  supprimait  les 
enquêtes  excessives  et  les  servitudes  de  la  loi  de  1810. 
Dorénavant,  chacun  put  établir  l'usine  qu'il  voulait, 
là  où  il  voulait,  sous  les  conditions  des  règlements  de 
police  imposées  à  tous  les  établissements  dangereux. 
De  plus,  une  disposition  spéciale  affranchissait  les 
minières  de  la  tutelle,  où  elle  se  trouvaient  depuis 
Colbert,  au  profit  des  métallurgies  voisines.  Les  hauts 
fourneaux  et  les  forges  ont  conquis  leur  indépendance. 
L'industrie  du  fer  n'est  plus  une  industrie  régionale  ni 
même  provinciale  :  elle  devient  une  industrie  nationale. 

La  circulation.  —  Cette  révolution  n'eût  pu  se  pro- 
duire si  la  fièvre  des  canaux  et  des  voies  ferrées  ne 
s'était,  fort  heureusement,  abattue  sur  toute  la  France. 
Le  minerai  de  fer,  le  charbon,  la  fonte  et  l'acier,  comme 
toutes  les  marchandises  pondéreuses,  sont  dans  la 
dépendance  étroite  des  moyens  de  transport.  Le  calcul 
de  la  lettre  de  voiture  intervient  sérieusement  dans 
l'établissement  du  prix  de  vente.  Il  tient  compte,  non 
seulement  du  voyage  de  la  matière  première  et  du 
produit  fini,  mais  encore  du  voyage  de  retour  qui 
ramènera,  à  pied  d' œuvre,  le  wagon,  le  cargo  ou  la 
péniche.  L'industrie  du  fer  assure  la  rotation  parfaite 
du  matériel.  L'échange  du  minerai-charbon,  qui  est  de 
règle  constante,  actuellement  en  Amérique,  sur  le  Rhin, 
sur  la  côte  anglaise,  devait  être  également  à  l'origine 
du  grand  essor  de  la  sidérurgie  française. 


LA   FONTE   AU   COKE  73 

La  multiplication  des  moyens  de  transport  abaissa 
les  tarifs,  facilita  la  circulation  de  la  matière  première 
et  de  la  matière  ouvrée,  activa  les  échanges,  accrut 
le  champ  commercial  de  la  métallurgie.  En  50  ans, 
de  1863  à  1913,  le  prix  de  la  tonne  de  minerai  trans- 
portée de  Nancy  à  Valenciennes  tomba  de  13  fr.  85 
à  4  fr.  37  et  le  tonnage  total  des  minerais  transités 
sur  le  réseau  du  Nord  monta  de  169  000  tonnes  à 
2  267  000  tonnes.  Par  le  roulage,  la  tonne  kilométrique 
était  taxée  à  0  fr.  30.  Les  nouveaux  tarifs  par  voie 
ferrée  en  réduisirent  le  prix,  pour  les  houilles  et  les  fers 
jusqu'à  0  fr.  03  et  pour  les  fers  en  barre  jusqu'à  0  fr.  09. 
Autant  que  le  coke,  ils  déterminèrent  une  baisse  fort 
importante  dans  le  prix  de  revient  et  le  prix  de  vente  : 
ils  hâtèrent  la  concentration  de  l'industrie.  Les  contrées 
métallurgiques  à  physionomie  compartimentée,  la  Bre- 
tagne, la  Normandie,  le  Comté  de  Foix,  le  Dauphiné, 
demeurées  en  dehors  de  la  circulation  ferrée  et  de  la 
circulation  fluviale,  se  trouvèrent  dans  l'impossibilité 
d'écouler  leur  production,  tandis  qu'elles  étaient  con- 
currencées par  les  fers  nationaux  qui  abordaient  sur 
leurs  confins.  Les  hauts  fourneaux  s'éteignirent. 

A  vrai  dire,  l'évolution  de  l'industrie  du  fer  et 
l'évolution  de  l'industrie  des  transports  sont  synchro- 
niques.  Les  chemins  de  fer  et  la  sidérurgie  ont  aidé 
réciproquement  au  développement  de  leur  puissance. 
La  matière  pondéreuse,  minerais,  charbons,  fontes  et 
fers,  ne  pouvait  s'accommoder  du  roulage  à  l'époque 
où  elle  était  consommée  en  grandes  masses.  La  voie 
ferrée  et  la  voie  d'eau  lui  permirent  de  vivre.  Mais, 
par  un  phénomène  de  choc  en  retour,  elle  devint  leur 
plus  beau  client,  aida  leur  début,  assura  leur  avenir. 

Sans  doute,  l'importance  de  la  circulation  dans  les 
Flandres  et  dans  l'Artois  ne  date  pas  de  la  fonte  au 
coke.  Avant  que  l'industrie  n'y  fît  flamber  ses  usines, 


74  l'industrie  dit  fer  en   ftcance 

comme  l'a  écrit  Vidal  de  la  Blache,  les  voies  romaines 
unissaient  la  deuxième  Belgique  à  la  Germanie,  Bavoy 
à  Cologne;  elles  suivaient  le  talus  septentrional  du 
synclinal  houiller.  C'était  une  des  grandes  routes  par 
où  l'on  se  rendait  de  la  Seine  au  Rhin.  Cependant 
Valenciennes  doit  sa  situation  sur  la  grande  ligne  de 
Paris-Bruxelles,  à  l'ancienneté,  à  la  prospérité  de  son 
industrie  étroitement  liée  au  voisinage  des  charbon- 
nages. On  sait  que  le  premier  morceau  de  houille  fut 
extrait  à  Anzin,  en  1717.  Semblablement,  la  création 
d'un  système  de  voies  navigables  a  servi  également 
les  intérêts  d'une  agriculture  très  perfectionnée  et  ceux 
d'industries  extractives,  origine  des  usines  métallur- 
giques. La  marchandise  pondéreuse,  le  charbon  et  la 
fonte,  comme  le  blé,  demeure  leur  plus  beau  et  leur 
plus  fidèle  client. 

Dans  l'Est,  la  connexité  des  deux  phénomène*  s'ob- 
serve également.  La  desserte  des  forges  décida,  vers 
1830,  l'étude  du  réseau  navigable  :  canal  des  Ardennes, 
canal  de  l'Est,  canal  de  la  Marne  au  Rhin,  canal  latéral 
à  la  Marne,  canal  de  la  Marne  à  la  Saône.  Ce  réseau 
contribua  à  l'arrivée  des  houilles  de  Belgique  et  du 
Nord;  il  permit  l'expédition  des  fontes  à  Chauny  et  à 
Maubeuge,  vers  Paris  par  Saint-Dizier,  vers  Lyon  par 
G-ray;  il  arrêta  un  moment  le  déclin  des  usines  cham- 
penoises; il  suscita  l'énergie  des  usines  lorraines.  En 
1879,  la  mise  en  pratique  des  procédés  Thomas  inten- 
sifia la  consommation  des  houilles  :  le  programme  de 
Freycinet  dut  modifier  le  gabarit  des  canaux  pour  per- 
mettre l'accès  des  péniches  flamandes  de  300  tonnes. 
A  une  époque  plus  récente,  l'exploitation  du  bassin  de 
Briey  fut  la  raison  principale  de  la  prospérité  des  che- 
mins de  fer  de  l'Est,  dont  l'importance  se  trouvait  fort 
réduite  à  la  suite  du  traité  de  Francfort.     , 

Dans  le  Centre,  nous  savons  que  le  canal  du  Charolais 


LA    FONTE    AU    COKE  75 

(canal  du  Centre)  est  à  l'origine  de  la  fortune  du  Creusot. 
L'ouverture  du  canal  du  Berry  assura  l'avenir  des 
industries  de  Montluçon,  en  lui  permettant  de  se  pour- 
voir à  bon  compte  de  combustibles  dans  les  bassins 
voisins.  La  sidérurgie  d'entre  Loire  et  Rhône  remédia 
à  la  crise  du  minerai  par  la  création  de  la  ligne  de  Saint  - 
Etienne  à  Andrézieux,  bientôt  suivie  de  celle  de  Saint- 
Etienne  à  Lyon.  La  première  section,  construite  avec 
des  rails  en  fonte,  fut  ouverte  le  1er  octobre  1828. 
C'était  le  premier  chemin  de  fer  français.  Actuellement, 
cette  ligne  dessert  encore  11  établissements  métallur- 
giques qui  comptent  parmi  les  plus  importants  et  les 
plus  actifs  de  la  sidérurgie  nationale.  A  vrai  dire,  le  pro- 
blème de  la  circulation  n'a  jamais  cessé  de  préoccuper 
nos  maîtres  de  forges.  Il  est  devenu  plus  impérieux 
avec  les  progrès  de  la  technique  et  la  nécessité  de 
constituer  des  stocks  de  minerais  et  de  charbon.  L'un 
d'eux,  Paulin  Talabot,  fondateur  de  la  Société  de  Fir- 
miny,  était  en  même  temps  administrateur  des  houil- 
lères de  Grand-Combe,  administrateur  des  mines  de 
fer  de  la  Voulte  dans  l'Ardèche,  du  Mokta-el-Hadid 
en  Algérie,  directeur  des  chemins  de  fer  du  P.-L:-M., 
de  la  Société  d'études  du  canal  de  Suez.  Il  contrôlait 
plusieurs  lignes  maritimes  dans  le  bassin  de  la  Médi- 
terranée. 

A  l'époque  de  la  fonte  au  bois,  les  communications, 
mal  reliées  entre  elles,  obéissaient  surtout  à  des  rap- 
ports locaux  :  les  forges  demeuraient  isolées.  A  l'époque 
de  la  fonte  au  coke,  les  communications  font  partie 
d'un  système;  elles  suscitent  des  initiatives  en  entre- 
tenant les  relations;  elles  créent  des  industries,  les  con- 
centrent, les  localisent.  Quand  elles  font  défaut,  il  faut 
les  établir.  Sans  elles  l'industrie  du  fer  ne  peut  vivre 
ni  prospérer. 


76  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 


lo    LES    INDUSTRIES    SUR    LE    CHARBON 

A.  Le  Centre  (Allier,  Cher,  Indre,  Nièvre,  Saône- 
et-Loire,  Rhône,  Loire).  --  Dans  une  région  où  le 
minerai  de  fer  manque  complètement,  l'établissement 
des  hauts  fourneaux  ne  peut  remonter  très  loin  dans 
le  passé.  Si  les  usines  de  transformation,  la  clouterie, 
la  coutellerie,  la  serrurerie,  l'armurerie  sont  prospères 
autour  de  Saint-Etienne,  dès  le  XVe  siècle,  on  n'y 
trouve  aucune  trace  de  la  fabrication  de  la  fonte, 
alors  que  celle-ci  est  particulièrement  vivace  sur  les 
confins  du  Massif  central,  en  Berry,  en  Champagne,  en 
Franche-Comté.  A  l'inverse  de  ce  qui  a  lieu  dans  la 
plupart  des  régions  métallurgiques,  l'industrie  du  fer 
ne  débute  pas  par  le  traitement  direct  des  minerais 
au  bas  foyer,  mais  elle  applique  dès  l'origine  les  méthodes 
perfectionnées,   n'exigeant  que  l'emploi  de  la  houille. 

Il  faut  remonter  jusqu'à  l'introduction  des  procédés 
anglais  en  France,  pour  que  se  créent,  dans  le  Centre, 
de  véritables  usines  métallurgiques  comprenant  des 
hauts  fourneaux.  Mais  elles  s'y  développèrent  rapide- 
ment grâce  à  une  population  habile  depuis  longtemps 
à  manier  le  fer  et  admirablement  préparée  pour  toutes 
les  opérations  de  la  fabrication  nouvelle,  —  grâce 
surtout  aux  mines  de  houille  de  la  région,  Saint-Etienne. 
Rive-de-Gier,  Commentry,  Bezenet,  Blangy,  Epinac 
dans  lesquelles  les  maîtres  de  forges  puisèrent  sans 
compter.  C'est  autour  de  ces  charbonnages  que  sont 
encore  groupées  les  usines  les  plus  importantes  du 
Centre.  Principalement  la  voie  ferrée  qui  traverse  le 
bassin  houiller  de  Saint-Étienne  est  bordée  par  des 
hauts  fourneaux  et  des  aciéries,  renommées  pour 
l'élaboration  des  produits  de  qualité  (fig.  2). 

La  situation  était   beaucoup   moins  favorable  pour 


LA   FONTE   AU    COKE 


77 


78  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

constituer  les  stocks  de  minerai;  l'histoire  de  la  métal» 
hirgie  du  Centre,  dans  le  dernier  siècle,  est  l'histoire  de 
ses  efforts  pour  parer  à  ce  déficit.  Au  début  des  hauts 
fourneaux  marchant  au  coke,  les  quelques  gisements 
locaux  ont  pu  suffire.  Les  oolithes  ferrugineuses  du 
callovien  à  Stenay  et  à  Vandeuvre  dans  la  Nièvre, 
les  minerais  en  grain  du  jurassique  dans  le  Cher,  ont 
alimenté  les  forges  et  de  Montluçon  et  du  Creusot.  Plus 
tard,  quand  les  frères  Schneider,  après  la  troisième 
liquidation,  prirent  la  direction  de  cette  affaire,  les 
minerais  hettangiens  de  Change  et  de  Mazenay,  situés 
à  plus  de  20  kilomètres  des  fourneaux,  fournirent  la 
majeure  partie  de  la  matière  première.  Ces  transports 
eussent  été  trop  onéreux  sans  les  chemins  de  fer, 
nouvellement  construits  et  qui  sauvèrent  l'usine. 

Le  groupe  de  la  région  de  Saint -Etienne  était  plus 
dépourvu  encore.  La  sidérite  sphérolithique  de  Firminy 
était  peu  abondante  et  les  lits  de  fer  carbonates  inter- 
st  ratifiés  dans  les  couches  de  houille  au  Treuil,  près  de 
Roanne,  furent  rapidement  épuisés.  Les  ingénieurs  des 
mines  signalent  que  la  crise  dont  souffre  l'industrie  de 
Saint-Etienne,  en  1830,  est  toute  locale  et  imputable 
au  manque  de  minerai  et  non  au  manque  de  débou- 
chés qui  sont  «  considérables  :  câbles  en  fer,  tôles  pour 
la  marine,  canalisations  en  fonte  pour  les  usines  à  gaz, 
nouveaux  moyens  de  roulage  à  larges  bandes  de  fer  ». 
De  plus,  les  minerais  des  environs  sont  bitumineux,  ou 
phosphoreux  ou  fort  pauvres,  titrant  à  peine  33  p.  100 
de  fer.  Pour  les  corriger  el  améliorer  les  lits  de  fusion, 
les  maîtres  de  forges  doivent  recourir  aux  hématites 
riches  de  la  Youlte,  dans  l'Ardèche,  aux  minerais  piso- 
lithiques,  pauvres,  mais  purs,  d'Autrey  et  de  Cray  dans 
la  Haute-Saône,  de  Mâcon  et  de  Tournus  en  'Saône- 
et-Loire.  A  cette  époque,  pour  produire  une  tonne  de 
fonte,  les  hauts  fourneaux  de  Terrenoire  consomment  : 


LA    FONTE    AU    COKE  79 

Minerai  : 

1  tonne  d'hématite  de  la  Voulte  à  25  fr.    i 

2  500  kilos  de  scories  ou    de    minerai  /  47  fr.  50 

à  33  p.   ion  de  fer.  22  fr.  50.  ) 

Coke  :  1  500  kilos  à  10  francs  la  tonne.     .  15  fr. 

Castine  :  000  kilos  à  12  fr.  50  la  tonne.    .  7  fr.  50 

Houille  :  500  kilos  à  5  francs  la  tonne.    .  2  fr.  50 

Main-d'œuvre 10  fr.     » 

Frais  généraux 18  fr.    » 

Total 100  fr.  50 

Le  prix  de  revient  du  fer  puddlé  ressort  à  210  fr.  50 
la  tonne.  Le  prix  du  minerai  entrait  pour  47,50  p.  100 
dans  le  prix  de  revient  de  la  fonte;  pour  22,3  p.  100 
dans  celui  du  fer. 

Pour  s'assurer  leurs  approvisionnements,  les  maîtres 
de  forges  se  font  mineurs,  comme  aux  siècles  précé- 
dents ils  étaient  forestiers.  Les  forges  de  Terrenoire, 
dans  la  Loire,  se  réunissent  aux  houillères  de  Bessèges, 
dans  le  Gard,  et  aux  mines  de  fer  de  la  Voulte,  dans 
l'Ardèche.  Une  même  administration  contrôle  les  forges 
et  hauts  fourneaux  de  l'Horme  et  la  Buire  dans  la 
Loire,  les  houillères  de  Saint-Julien-en-Jarez  dans  la 
Loire,    les    mines    de   fer    de   Veyras    dans   l'Ardèche. 

Par  ailleurs,  le  déficit  en  minerai  détermina  les 
métallurgistes  à  transformer  leur  outillage  et  leur 
méthode  de  travail,  à  se  consacrer  à  la  fabrication  de 
produits  où  l'importance  de  la  matière  première  est 
compensée  par  la  perfection  du  machinisme. 

Si  actif  qu'eût  été  le  travail  du  fer,  dans  la  région, 
à  l'époque  de  la  fonte  au  bois,  il  était  encore,  à  la  fin 
du  xvme  siècle,  très  primitif.  L'étirage  du  canon  de 
fusil,  tel  qu'on  le  pratiquait  depuis  longtemps  à  Liège, 
fut  appliqué  eu  France,  pour  la  première  fois,  en  1789. 
<  'c  lut  la  cause  d'une  diminution  de  main-d'œuvre  et 
l'origine  d'une  révolution  locale.  Les  machines-outils 
étaient  à  peu  près  inconnues.   On  considérait  comme 


80  i/lNDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

une  merveille  une  machine  qui  perçait  à  la  fois  onze  trous 
dans  le  corps  de  platine  :  le  tour  à  canon,  le  banc  de 
forerie  apparaissent  seulement  avec  les  premières  cam- 
pagnes de  la  Révolution.  L'étau  et  la  lime  ouvraient 
seuls   le   fer  et  la  fonte,  dans  les   ateliers  des  forges. 

Dès  l'adoption  de  la  fonte  au  coke,  la  transforma- 
tion fut  rapide.  Au  commencement  du  xixe  siècle,  les 
aciers  fins  utilisés  en  France  venaient  en  majeure 
partie  d'Angleterre,  les  aciers  naturels,  les  aciers  cémentés 
produits  dans  les  forges  de  Champagne,  du  Berry,  de 
la  Franche-Comté,  du  Comté  de  Foix  ne  pouvaient 
lutter  avec  les  aciers  anglais.  On  considérait  comme 
une  rareté  les  métaux  d'excellente  qualité  pouvant 
prendre  la  trempe  :  leur  prix  était  de  1  fr.  25  la  livre 
en  Angleterre,  de  8  à  12  francs  en  France;  encore,  pour 
les  écouler,  devait-on  les  vendre  sous  des  marques 
anglaises.  Ces  aciers  étaient  obtenus,  en  Angleterre, 
par  la  fusion  au  creuset,  inventée  en  1740  par  l'horloger 
Huntsmann;  ils  avaient  fait  la  fortune  de  Sheffield. 
Un  ouvrier  anglais,  Jackson,  inaugura  cette  fabrication 
en  1810,  près  du  Chambon-Feugerolles.  Dix  ans  plus 
tard,  des  ingénieurs  anglais  construisent,  dans  la  Loire, 
la  première  forge  anglaise  pour  l'affinage  de  la  fonte. 

En  1840,  dans  leurs  ateliers  de  Rive-de-Gier,  Petin 
et  Gaudet  édifient  le  premier  marteau-pilon  pour  l'usi- 
nage des  grosses  pièces.  La  masse  initiale  de  250  kilos 
atteignit  rapidement  1  tonne.  Cet  appared  devint  rapi- 
dement l'outil  par  excellence  des  ateliers.  Il  permit 
de  satisfaire  à  toutes  les  commandes  de  l'armement; 
d  fut  une  des  sources  de  la  fortune  et  de  la  gloire  des 
grandes  métallurgies  du  Centre. 

Semblablement,  le  Centre  n'hésite  point  à  adopter 
les  procédés  de  production  de  l'acier,  en  grandes  ma 
au  convertisseur.  Les  usines  de  Saint-Chamond  et  de 
Terrenoire  installent,  dès  leur  invention,   les   premiers 


LA   FONTE   AU   COKE  81 

appareils  Bessemer;  elles  le  perfectionnent;  elles  rem- 
placent progressivement  le  fer  par  l'acier  dans  de 
nombreuses  applications,  en  particulier  pour  la  fabri- 
cation des  rails.  Simultanément,  les  usines  de  Firminy 
construisent  les  premiers  fours  Martin.  La  métallurgie 
aborde  la  production  des  moulages  d'acier  et  des  aciers 
spéciaux  par  adjonction  de  métaux  propres  à  lui  donner 
les  qualités  requises  dans  les  emplois  les  plus  divers. 

Toutes  ces  transformations  nécessitaient  de  forts 
capitaux.  Elles  étaient  impossibles  pour  de  petits  éta- 
blissements. Ils  étaient  condamnés  à  disparaître.  Les 
maîtres  de  forges  réunissent  leurs  moyens  d'action 
pour  fonder  des  associations,  qui  sont  le  plus  souvent 
l'origine  des  puissantes  sociétés  métallurgiques  de 
l'époque  actuelle.  Ainsi  la  Société  des  Aciéries  de  la 
Marine  et  d'Homécourt  remonte  à  la  réunion  de  Saint- 
Chamond  aux  établissements  Jackson,  Petin  et  Gaudet, 
Neyrand,   Thiollière,   Bergeron,    Parent,   Goldsmith. 

Cette  période  fut  particulièrement  brillante  pour 
l'industrie  du  Centre.  Elle  se  poursuit  jusqu'en  187(3. 
A  cette  date  la  région  compte  42  hauts  fourneaux; 
elle  produit  402  000  tonnes  de  fonte,  soit  plus  de 
25  p.  100  de  la  production  nationale,  et  158  000  tonnes 
de  fer  et  d'acier,  soit  plus  de  26  p.  100  du  total.  Sur  un 
effectif  de  50  000  ouvriers  métallurgistes  pour  la  France 
entière,  elle  en  possédait  17  000,  soit  environ  un  tiers! 

Mais  la  crise  du  minerai  devait  se  faire  sentir  une 
deuxième  fois.  Vers  1876,  les  gisements  locaux  ou  voi- 
sins s'épuisent.  Les  tonnages  disponibles,  qui  compren- 
nent des  minerais  très  impurs,  se  prêtent  mal  à  la  fabri- 
cation du  convertisseur  Bessemer  et  du  four  Martin, 
grands  consommateurs  de  sortes  très  pures.  Ils  sont 
surtout  impropres  à  l'élaboration  des  fontes  de  choix 
et  des  aciers  spéciaux,  exigés  par  la  clientèle,  les  che 

L'Industrie  du  fer  en  France.  6 


82  l'industrie  du  fer  en  France 

mins  de  fer  principalement.  Les  maîtres  de  forges 
furent  obligés  d'importer  du  dehors  les  qualités  qui 
leur  manquaient  sur  place.  Allevard,  dans  l'Isère, 
fournit  au  Creusot,  de  1878  à  1892,  environ  1  million 
de  tonnes  de  carbonates.  Les  gisements  des  Pyrénées 
expédient  dans  le  Centre  leurs  hématites  sans  phos- 
phore; ceux  du  Mokta-el-Hadid,  en  Algérie,  deviennent 
les  pourvoyeurs  des  hauts  fourneaux  de  la  Loire,  dès 
l'ouverture  des  lignes  du  chemin  de  fer  de  Paris  à  Lyon 
et  à  la  Méditerranée.  Enfin  les  célèbres  gisements  de 
Bilbao,  en  Espagne,  exportent  en  France  une  forte 
partie  de  leur  production,  très  disputée  par  ailleurs  en 
Angleterre,  en  Allemagne  et  en  Belgique,  car  leurs 
minerais  très  riches,  très  purs,  nianganétiques,  sont 
éminemment  propres  aux  aciéries  Bessemer. 

Malheureusement  le  prix  du  transport  sur  mer  et 
sur  terre  grevait  lourdement  le  minerai.  Il  était  relati- 
vement facile  de  diminuer  ces  frais  en  installant  des 
usines  sur  le  littoral  où  Ion  pouvait  recevoir  des  char- 
bons étrangers  avec  des  frets  réduits.  De  cette  concep- 
tion naquirent  les  usines  de  Beaucaire,  près  du  littoral 
méditerranéen,  du  Boucau  sur  l'Océan,  d'Isbergues 
dans  le  Pas-de-Calais,  cette  dernière  travaillant  avec 
des  charbons  nationaux.  Sans  être  situés  sur  le  minerai, 
ces  établissements  ont  cependant  été  construits  pour 
se  rapprocher  du  minerai.  Comme  tels  ils  font  partie 
des  métallurgies  sur  le  minerai  et  nous  les  étudierons 
à  la  suite  de  la  sidérurgie  de  l'Est.  Xous  les  avons 
cependant  mentionnés  à  cette  place  parce  qu'ils  déri- 
vent de  l'activité  du  Centre,  qui  les  contrôle  le  plus 
souvent.  D'autre  part  les  usines  littorales,  utilisant  des 
minerais  très  chers,  ne  peuvent  se  consacrer  à  la  fabri- 
cation des  produits  marchands,  les  rails,  les  tôles;  ils 
n'élaborent  que  des  produits  finis  et  constituent  des 
établissements  rivaux  de  l'industrie  de  la  Loire. 


LA    FONTE    AU    COKE  83 

Un  autre  coup  plus  terrible  devait  lui  être  porté 
par  la  mise  en  pratique  des  procédés  Thomas  et  Gil- 
christ.  Ce  fut  la  troisième  crise  :  comme  les  deux  pre- 
mières, elle  a  son  origine  dans  une  question  de  minerai. 
Favorisés  par  les  gisements  considérables  de  la  minette 
lorraine,  situés  à  pied-d' œuvre,  et  dont  le  prix  de  revient 
au  gueulard  du  haut  fourneau  ne  dépasse  pas  3  francs 
la  tonne,  les  maîtres  de  forges  lorrains  pouvaient  livrer 
la  fonte  brute  à  58  francs  la  tonne,  tandis  que  le  Creusot 
la  fournissait  à  65  francs.  En  1885,  la  tonne  de  rail 
était  tombée  à  150  francs  contre  350  francs  en  1868. 
La  mise  en  oeuvre  des  méthodes  de  déphosphoration 
provoqua  l'émigration  des  gros  produits  vers  l'Est.  Le 
Centre  manquait  de  minerais  phosphoreux  pour  pou- 
voir lutter. 

Il  était  également  désavantagé  sous  le  rapport  du 
combustible.  Les  charbonnages  situés  aux  environs  du 
Creusot  étaient  proches  de  l'épuisement  :  350  mineurs 
y  travaillaient  en  1885  contre  1  694  en  1869;  la  Société 
avait  été  obligée  d'acheter  les  houillères  plus  éloignées 
à  Decize  et  à  Montchanin.  Dans  le  bassin  de  Saint- 
Etienne,  le  tonnage  disponible  était  encore  suffisant, 
mais  les  maîtres  de  forges  se  trouvaient  défavorisés 
par  le  prix  élevé  du  charbon,  conséquence  de  l'allure 
géologique  des  gîtes,  des  failles  et  des  venues  d'eau. 
En  1913,  le  prix  atteignait  23  francs  la  tonne;  ce  qui 
permettait  au  Cardin'  de  venir  le  concurrencer  sur 
place.  Quant  au  coke,  dont  le  tonnage  produit  est 
faible,  son  prix  est  supérieur  à  celui  des  mines  du  Nord, 
et  celles-ci,  malgré  les  frais  du  transport,  arrivent  à 
écouler  le  leur  jusqu'à  Montluçon.  N'était  leur  ancien- 
neté dans  l'industrie,  les  usines  du  Centre  présente- 
raient un  paradoxe  économique.  Elles  constituent  une 
sorte  d'industrie  artificielle,  indépendante  des  matières 
premières   qu'elles  élaborent,   sans  racine  dans  le  sol 


84  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

où  la  tradition  et  la  main-d'œuvre  les  maintiennent 
fixées. 

Dans  cette  nouvelle  crise,  les  métallurgistes  donnèrent 
encore  une  preuve  de  décision.  Ils  délaissèrent  la  fabri- 
cation qu'ils  avaient  créée  50  ans  auparavant.  Les 
profilés,  les  tôles  furent  abandonnées  aux  métallurgies 
de  l'Est.  Plusieurs  hauts  fourneaux  s'éteignirent.  En 
1913,  le  Centre  ne  produit  plus  que  186  000  tonnes 
de  fonte,  soit  3,7  p.  100  de  la  production  française; 
encore  cette  production  est-elle  presque  localisée  en 
Saône-et-Loire,  relativement  proche  de  Meurthe-et- 
Moselle.  Il  réserve  ses  houilles  au  travail  de  la  fonte  en 
gueuse  ou  d'acier  en  lingot,  venus  du  dehors.  En  1899, 
le  Creusot  a  travaillé  168  000  tonnes  de  fonte  dont 
100  000  tonnes  avaient  été  élaborées  par  les  hauts 
fourneaux  locaux;  le  reste  venait  de  l'Est.  Les  usines 
d'Unieux  affinaient  dans  leurs  aciéries  de  la  Loire  les 
fontes  très  pures  obtenues  avec  du  charbon  de  bois, 
dans  les  petites  usines  des  Landes  et  des  Pyrénées- 
Orientales.  Les  établissements  de  Montluçon  recevaient 
leurs  fontes  du  littoral  (Pauillac  et  Saint-Nazaire),  de 
FAriège  (Foix),  de  Meurthe-et-Moselle  (Neuves-Maisons). 
Mais  ce  sont  surtout  les  hauts  fourneaux  de  l'Est  qui 
sont  les  pourvoyeurs  des  forges  du  Centre.  Et  comme 
les  métallurgistes  s'étaient,  les  premiers,  intéressés  aux 
usines  littorales  pour  diminuer  le  prix  de  revient  du 
minerai,  ils  furent  amenés  à  contrôler  des  mines  et 
des  hauts  fourneaux  dans  l'Est  pour  s'assurer  des 
fontes  à  bon  marché.  Châtillon-Commentry  essaima  à 
Neuves-Maisons,  Saint-Chamond  à  Homécourt,  le 
Creusot  à  Droitaumont. 

Pour  faire  face  au  péril  grandissant,  les  métallurgies 
du  Centre  ont  compris  la  nécessité  de  changer  de 
clientèle  et  de  spécialiser  leur  fabrication  dans  l'éla- 
boration de  produits  de  qualité  supérieure.  En   1913, 


LA    FONTE    AU    COKE  85 

la  tonne  d'acier  marchand  se  vendait  136  francs.  Pour 
cette  fabrication,  le  Centre,  où  la  fonte  revenait  à 
65  francs  la  tonne,  ne  pouvait  lutter  avec  l'Est  où  la 
fonte  coûtait  58  francs;  mais  il  gardait  toute  sa  supé- 
riorité pour  les  aciers  spéciaux,  les  plaques  de  blindage 
vendues  1  600  francs  la  tonne,  les  locomotives  vendues 
1  800  francs  la  tonne,  et  généralement  pour  tous  les 
produits  où  l'importance  de  la  matière  première  est 
vite  compensée  par  l'habileté  de  la  main-d'œuvre  et 
la  perfection  de  l'outillage.  Les  procédés  mécaniques 
reçurent  une  grande  extension.  A  côté  des  pilons  de 
100  tonnes,  qui  se  répandent  de  plus  en  plus,  la  puis- 
sance des  presses  à  forger  atteint  et  dépasse  8  000  tonnes, 
pour  pouvoir  aborder  la  fabrication  de  certaines  pièces 
d'armement  et  de  cuirassement.  Les  laminoirs,  les  tours, 
les  machines  à  raboter,  à  découper,  à  cisailler,  sont 
établis  avec  des  dimensions  proportionnées. 

Simultanément,  nos  ingénieurs  entreprenaient  une 
série  d'études  qui  avait  pour  but  de  fixer  les  propriétés 
chimiques  et  physiques  du  minerai  et  de  ses  différents 
constituants.  L'analyse  chimique  du  minerai,  les  essais 
mécaniques  opérant  par  traction  ou  par  flexion,  plus 
tard  l'examen  microscopique  ont  constitué  un  corps 
de  doctrine  qui  fixe  indiscutablement  les  métallur- 
gistes sur  la  pureté  de  la  matière  première  et  les  qua- 
lités du  métal  obtenu.  Actuellement  tous  les  grands 
établissements  du  Centre  possèdent  un  laboratoire  qui 
leur  a  permis  de  transformer  la  métallurgie  des  pro- 
duits militaires,  d'entreprendre  des  fabrications  qui 
eussent  paru  téméraires  si  elles  n'avaient  été  précédées 
d'études  scientifiques  et  de  créer  des  aciers  spéciaux, 
qui  répondent  à  toutes  les  demandes  d'industries  tou- 
jours plus  exigeantes.  M.  Laurent  a  pu  dire  que  dans  le 
Nord  et  dans  l'Est,  c'est  le  haut  fourneau  qui  donne 
la  vie  à  l'usine;  dans  le  Centre,  c'est  le  laboratoire. 


86  L'TN'nrPTRTE    T)V    FER    EX     FRANCE 

La  fabrication  du  Centre  comprend  donc,  en  général, 
tous  les  produits  qui  demandent  une  étude  prélimi- 
naire très  complète,  des  appareils  et  des  procédés  méca- 
niques perfectionnés,  les  soins  d'une  main-d'œuvre  très 
avertie.  Seul,  on  presque  seul,  le  Creusot  conserve,  dans 
la  région,  la  fabrication  des  produits  courants  obtenus 
avec  l'acier  Thomas.  A  cette  exception  près,  la  produc- 
tion du  ("entre  comprend  des  aciers  marchands  de 
bonne  qualité  et  des  aciers  spéciaux.  Les  premiers 
comprennent  :  les  bandages,  les  essieux,  les  profilés  pour 
les  chemins  de  fer;  les  pièces  de  forges,  les  arbres  coudés, 
les  étambots,  les  hélices  pour  les  constructions  navales; 
les  tôles,  les  pièces  de  volant,  les  châssis  pour  la  chau- 
dronnerie et  le  machinisme;  les  ressorts  de  toute  nature 
pour  choc,  traction  et  suspension;  les  tréfileries  pour 
câbles  en  acier  et  cordes  à  pianos.  Les  aciers  spéciaux 
comportent  les  qualités  les  plus  diverses  suivant  les 
corps  étrangers  qui  y  sont  incorporés.  Ils  trouvent 
leur  application  :  dans  l'armement,  pour  l'élaboration 
des  obus  de  rupture,  des  canons,  des  éléments  d'affût, 
des  plaques  de  blindage;  dans  les  appareil-  électriques 
et  de  mesure,  pour  les  pièces  qui  doivent  demeurer 
insensibles  aux  courants  et  à  la  chaleur;  dans  l'avia- 
tion et  l'automobile,  pour  les  frottements  et  les  direc- 
tions; dans  les  outils  et  les  machines-outils,  pour  les 
appareils  qui  doivent  supporter  toutes  les  tempéra- 
tures sans  se  détremper. 

Sans  doute,  le  tonnage  produit  est  relativement 
faible;  mais  sa  valeur  absolue  est  fort  comparable  à 
la  valeur  de  la  production  des  deux  autres  groupes 
métallurgiques  :  le  Nord  et  l'Est.  En  1912,  la  pro- 
duction du  Centre  a  atteint  437  000  tonnes  valant 
165  millions  de  Francs,  contre  1  425  000  tonnes  valant 
235  millions  de  francs,  dans  l'Est,  et  1  042  000  tonnes 
valant   215  millions  de  francs,   dans  le  Xord. 


LA   FONTE   AU   COKE  87 

B.  Le  Nord   (Nord,  Pas-de-Calais,  Oise,  Seine).  — 

La  région  du  Nord  comprend  dans'  les  statistiques 
quatre  départements;  mais  en  réalité  elle  est  étroite- 
ment localisée  dans  les  deux  premiers  qui  livrent  les 
neuf  dixièmes  de  la  production.  Sans  doute,  la  Seine 
avec  les  usines  sidérurgiques  échelonnées  le  long  du 
canal  Saint-Martin,  l'Oise  avec  les  centres  métallur- 
giques de  Creil  et  de  Persan-Beaumont  contiennent 
des  usines  de  transformation  fort  intéressantes;  mais, 
en  dernier  ressort,  c'est  surtout  le  bassin  houiller  du 
Nord  et  du  Pas-de-Calais  qui  concentre  les  hauts  four- 
neaux et  les  aciéries  (fig.   3). 

L'industrie  du  Nord  est  donc  uniquement  fondée  sur 
l'emploi  du  charbon;  car  elle  est  complètement  dépour- 
vue de  minerai  dans  ses  environs  immédiats.  Au  début 
du  xixe  siècle,  les  seuls  minerais  connus  dans  la  région, 
se  trouvaient  dans  les  environs  d'Avesnes  et  de  Mau- 
beuge;  c'étaient  des  sortes  très  pauvres.  Par  contre, 
l'industrie  houillère  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  pro- 
duisait à  pied-d' œuvre,  en  1913,  28  millions  de  tonnes 
de  charbon  et  2  500  000  tonnes  de  coke,  représentant 
respectivement  72  p.  100  et  93  p.  100  de  la  production 
française.  Avant  la  guerre,  la  métallurgie  régionale  se 
procurait  sans  difficulté,  les  900  000  tonnes  de  houille 
et  les  800  000  tonnes  de  coke  qui  lui  étaient  nécessaires. 

(  'ependant,  dans  le  Nord  plus  que  dans  le  Centre, 
la  fonte  au  coke  fut  longue  à  se  substituer  à  la  fonte 
au  bois. 

Sans  doute,  la  découverte  de  la  houille  au  xvme  siècle 
avait  suscité  la  prospérité  des  clouteries,  des  quin- 
cailleries, des  coutelleries,  des  armureries  de  Valen- 
ciennes,  de  Maubeuge,  de  Lille,  de  Douai;  mais  la 
plus  grande  partie  du  métal  traité  provenait,  comme 
par  le  passé,  des  hauts  fourneaux  et  des  forges  du  pays 
de  Liège  et  subsidiaire  nient  des  forges  catalanes  éta- 


88 


L  INDUSTRIE    DU    FER     EN     FRANCE 


LA    FONTE    AU    COKE  89 

blies  sur  les  minerais  pauvres  des  environs  d'Avesnes. 
A  la  veille  de  la  Eévolution,  les  fontes  françaises, 
faute  de  protection,  ne  pouvaient  lutter  contre  les 
fontes  liégeoises  et  il  ne  restait  plus,  dans  le  Nord, 
que  deux  hauts  fourneaux  en  activité  :  à  Hayon  et 
;'i  Pourmies.  A  cette  époque,  dans  le  Nord,  comme 
dans  le  Centre,  la  houille  était  réservée  aux  industries 
de  transformation. 

C'est  d'abord  dans  la  fabrication  du  fer  que  le  char- 
bon fut  utilisé.  Ce  ne  fut  pas  le  coke,  mais  bien  le 
puddlage  qui  détermina  l'essor  de  la  métallurgie  locale. 
Le  premier  atelier  fut  établi  en  1824,  à  Raismes,  pour 
transformer,  par  les  procédés  anglais,  les  fontes  de 
Liège  pour  l'usage  d'une  clouterie  voisine.  Et  c'est 
sevdement  en  1830  que  fut  construit  le  premier  haut 
fourneau  au  coke  qui  produisait,  par  jour,  8  à  10  tonnes 
de  fonte  destinées  aux  forges  régionales.  Les  cokes  pro- 
venaient du  Borinage.  A  cette  époque,  les  trois  hauts 
fourneaux  en  activité  dans  le  Nord,  l'un  à  Fourmies, 
les  deux  autres  à  Hayon,  marchaient  au  charbon  de 
bois.  Ces  quatre  appareils  livraient  par  an  4  200  tonnes 
de  fonte,  insuffisantes  pour  l'élaboration  du  fer.  Les 
fontes  belges  et  même  quelques  fontes  bretonnes  au 
bois  étaient  importées  pour  alimenter  les  forges  de 
la  contrée. 

Longtemps,  dans  le  Nord,  l'établissement  de  la  forge 
précéda  celle  des  hauts  foiirneaux.  En  1842,  la  compa- 
gnie belge,  la  Providence,  s'établit  à  Hautmont  où  elle 
installa  des  forges  et  laminoirs;  ce  n'est  que  trois  ans 
plus  tard  qu'elle  édifia  ses  trois  hauts  fourneaux,  mar- 
chant avec  du  coke  belge;  le  premier  fut  inauguré  en 
1847.  Dans  les  dix  dernières  années  qui  précédèrent 
la  dernière  guerre,  les  sociétés  métallurgiques  déve- 
loppaient encore  plus  rapidement  leurs  aciéries  que 
leurs    hauts   fourneaux.   C'est    là   une    des   caractéris- 


90  L'INDUSTRIE    BTT    FER    EN     FRANCE 

tiques  les  plus  frappantes  de  l'industrie  du  Nord.  Alors 
que  dans  l'Est,  l'usine  type  est  la  grosse  usine  fonc- 
tion du  haut  fourneau,  on  trouve  dans  le  Nord  de 
nombreuses  aciéries  sans  haut  fourneau  ou  des  lami- 
noirs sans  aciéries,  ainsi  que  quantité  de  petites  usines 
vivant  de  certaines  spécialités.  C'est  une  survivance 
de  l'époque  où  la  métallurgie  vivait,  disséminée  dans 
une  infinité  de  petits  ateliers,  au  domicile  des  ouvriers. 
Malgré  la  richesse  de  son  bassin  houiller,  le  groupe 
du  Nord  fut  donc  très  lent  à  adopter  la  foute  au  coke. 
Les  métallurgistes  attendaient  pour  s'engager  que  les 
nouveaux  procédés  eussent  fait  leur  preuve.  Cependant, 
le  développement  intensif  de  la  population,  la  prospé- 
rité des  industries  consommatrices  de  fer  et  d'acier, 
l'excellence  de  la  circulation  terrestre  et  des  voies  navi- 
gables, poussaient  les  maîtres  de  forges  dans  la  voie 
de  la  fonte  au  coke,  seule  capable  de  produire  à  bon 
marché  les  quantités  de  métal  requises  par  une  clien- 
tèle chaque  jour  plus  exigeante.  En  1837,  55  ans  après 
le  Creusot,  la  Société  de  Denain  et  Anzin  allume 
les  premiers  hauts  fourneaux  du  Nord,  établie 
sur  les  charbonnages  locaux.  Désormais  la  presque 
totalité  de  la  fonte  sera  produite  avec  le  combustible 
minéral.  En  1860,  la  transformation  est  complète.  Le 
Nord  a  tout  à  fait  renoncé  au  combustible  végétal, 
alors  qu'en  France  il  avait  encore  ses  partisans  con- 
vaincus. D'autre  part,  l'excellence  des  nouveaux  appa- 
reils une  fois  reconnue,  leur  capacité  avait  été  réso- 
lument agrandie.  Leur  production  journalière,  com- 
prise entre  20  et  25  tonnes,  était  beaucoup  plus  impor- 
tante que  dans  les  autres  centres  métallurgiques.  Aussi 
la  production  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais,  qui  attei- 
gnait seulement  8  p.    100  de  l'ensemble  du  territoire 

en  1870,  montait  à  15  p.  100  en  1867,  proportion  qui 

ne  devait  guère  varier. 


LA    PONTE    ATT    COKE  91 

Ce  développement  rapide  imposait  un  effort  paral- 
lèle pour  assurer  les  approvisionnements  de  minerai. 
Dans  le  Pas-de-Calais  la  découverte  de  minières  aux 
environs  de  Marquise,  avait  suscité  l'installation  de  deux 
hauts  fourneaux.  Dans  le  département  du  Nord,  les 
tonnages  les  plus  forts  provenaient  des  gisements 
d'Avesnes  et  de  Maubeuge  qui  fournissaient  des  qua- 
lités pauvres,  titrant  de  34  à  37  p.  100  de  fer,  très 
siliceuses  et  qui  nécessitaient  un  débourbage.  Ils  s'épui- 
sèrent très  vite.  On  dut  recourir  aux  gisements  de  la 
Haute-Marne,  de  la  Meurthe,  de  la  Moselle,  du  Luxem- 
bourg. Enfin,  pour  améliorer  les  lits  du  fusion,  on 
résolut  d'importer  des  qualités  plus  pures  et  plus  riches 
de  Diélette  dans  la  Manche,  du  Cumberland  en  Angle- 
terre, de  Bilbao  en  Espagne,  du  Mokta-el-Hadid  en 
Algérie.  La  proximité  du  littoral,  l'abondance  des  voies 
de  transport  facilitaient  ce  transit.  Aussi  plusieurs  indus- 
triels du  Nord  n'hésitaient  pas  à  acquérir  des  mines 
en  Espagne,  autour  de  Samorostro  notamment. 

Une  deuxième  phase  de  l'évolution  s'ouvre  avec 
l'adoption  des  convertisseurs  et  des  fours.  Les  succès 
rapides,  obtenus  par  la  métallurgie  du  Nord  dans  la 
fabrication  du  fer,  expliquent  son  retard  à  passer  au 
stade  de  l'acier.  Malgré  l'exemple  du  Centre,  malgré 
les  commandes  nombreuses  en  rails  d'acier,  malgré  la 
faculté  de  recevoir  à  bon  compte  les  minerais  purs, 
les  maîtres  de  forges,  fidèles  à  leur  tactique  prudente, 
attendent  la  complète  mise  au  point  des  procédés  Bes- 
semer  et  Martin  pour  en  faire  usage. 

En  1880,  la  production  de  l'acier  atteint  avec  peine 
43  000  tonnes;  celle  du  fer  dépasse  285  000  tonnes. 
Elle  a  atteint  son  maximum,  tandis  que  l'acier  com- 
mence sa  carrière.  Les  travaux  projetés  par  le  pro- 
gramme de  Freycinet,  les  perfectionnements  apportés 


92  l'industrtk  du  fer   en   rn.\s'CE 

aux  convertisseurs  ei  aux  fours,  l'apparition  du  pro- 
cédé Thomas  devaient  décider  le  groupe  du  Xord  à 
modifier  les  bases  de  son  industrie.  Il  se  lança  dans 
cette  nouvelle  branche  de  la  métallurgie  avec  la  même 
ardeur  dont  il  avait  fait  preuve,  45  ans  auparavant, 
en  adoptant  la  fonte  au  coke. 

Le  procédé  Bessemer  eut  d'abord  la  faveur  des  métal- 
lurgistes. Elle  leur  permit  de  traverser  la  crise  de  1883, 
au  moment  où  les  réductions  apportées  au  programme 
de  Freycinet  rendait  la  concurrence  d'autant  plus  âpre 
que  les  offres  dépassaient  la  demande.  En  1889,  en 
pleine  bataille  économique,  les  départements  du  Xord 
et  du  Pas-de-Calais  livrent  159  000  tonnes  d'acier  dont 
145  000  tonnes  de  rails,  soit  41  p.  100  de  la  production 
française.  Cependant  l'abondance  des  riblons  dans  cette 
région  fortement  industrialisée,  l'importance  prise  par 
les  aciers  doux,  la  baisse  des  commandes  de  rails  favo- 
risèrent l'acier  Martin.  L'acier  Bessemer  supportait  dif- 
ficilement cette  concurrence.  Les  derniers  coups  lui 
furent  portés  par  l'acier  Thomas,  dont  les  prix  de 
revient,  beaucoup  moindres,  convenaient  mieux  aux 
produits  marchands.  En  1912,  la  production  de  l'acier 
Bessemer  était  descendue  à  36  000  tonnes  ;  celle  de 
l'acier  Martin  montait  à  443  000  tonnes,  soit  30  p.  100 
de  la  production  française;  celle  de  l'acier  Thomas  à 
522  000  tonnes,  soit  18  p.  100.  La  sidérurgie  du  Xord 
n'emploie  ni  les  fours  électriques,  ni  les  creusets  d'un 
usage  courant  dans  le  Centre. 

Il  semble  que  l'acier  Thomas  soit  appelé  à  devenir 
la  principale  fabrication  de  la  région.  Les  canaux  et 
les  chemins  de  fer  favorisent  l'échange  des  cokes  du 
Xord  contre  les  minettes  calcaires  de  la  Lorraine.  Elles 
seront  associées  dans  les  lits  de  fusion  avec  les  héma- 
tites et  les  carbonates  grillés  de  Xormandie,  plus  riches, 
mais  siliceux,  avec  les  résidus  de  grillage  des  pyrites 


LA    FONTE    AU    COKE  93 

fournis  par  les  industries  chimiques  de  la  région,  avec 
les  scories  du  puddlage,  avec  les  minerais  mangané- 
tiques  venus  par  mer  des  Indes,  du  Brésil,  de  Russie. 
Avant  la  guerre,  8  hauts  fourneaux  étaient  en  cons- 
truction qui  devaient  se  livrer  à  cette  fabrication  et 
on  estimait  à  1  million  de  tonnes  l'accroissement  de  la 
quantité  de  fonte  à  prévoir  pour  1920.  Dans  le  Centre, 
le  procédé  Thomas  a  ruiné  le  haut  fourneau  et  donné 
la  prééminence  à  la  forge;  dans  l'Est,  il  a  décidé  la 
fortune  du  bassin  ferrif  ère  ;  dans  le  Nord,  il  a  contribué 
à  l'augmentation  de  la  puissance  de  l'industrie  en  la 
dirigeant  dans  une  nouvelle  voie.  De  1880  à  1913,  le 
nombre  des  établissements  sidérurgiques  du  Nord  et 
du  Pas-de-Calais  s'est  élevé  de  29  à  35,  alors  que  le 
tonnage  des  produits  finis  passait  de  329  000  tonnes  à 
1  280  000  tonnes. 

Le  développement  rapide  de  l'industrie  dans  le  passé, 
sa  prospérité  solidement  établie  dans  le  présent,  la 
provision  de  tonnages  plus  forts  dans  l'avenir  ont 
décidé  la  tactique  minière  des  industriels  du  Nord. 

Les  gisements  d'Avesnes  et  de  Maubeuge  ont  été 
rapidement  épuisés;  ceux  du  Boulonnais  livrent  un  très 
faible  tonnage,  et  encore  par  intermittence;  les  amas 
de  sphérosi dérite  de  la  haute  Deule  ont  déçu  toutes 
les  espérances.  Pour  le  moment,  les  hauts  fourneaux 
du  Nord,  en  dehors  des  sortes  pures  provenant  de 
Normandie,  d'Espagne,  de  .Suède,  sont  alimentés  pour  la 
plus  grande  partie  de  minettes  lorraines  :  1  200000  tonnes 
en  1913,  moitié  du  bassin  de  Longwy,  moitié  du  bassin 
de  Briey.  Mais,  prévoyants  de  l'avenir,  désireux  de 
posséder  des  gisements  ferrifères,  les  maîtres  de  forges 
du  Nord  se  sont  intéressés  depuis  50  ans  dans  toute 
les  prospections  qui  ont  parcouru  la  France. 

Ils  ont  demandé  et  obtenu  des  concessions  soit  seuls, 
soit  en  participation  dans  les  bassins  de  Longwy  et 


94  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

de  Nancy.  Ils  ont  acheté  des  périmètres  en  Normandie, 
dans  le  synclinal  de  la  Ferrière-aux-Etangs  principa- 
lement. Ils  ont  fait  des  recherches  en  Anjou  et  en 
Bretagne  où  ils  se  sont  réservés  des  parts  de  l'extraction 
autour  de  Châteaubriant  et  de  Segré.  Foui"  assurer  des 
minerais  purs  à  leurs  aciéries  ils  sont  entrés  dans  le 
consortium  de  l'Ouenza  en  Algérie;  ils  ont  été  parmi 
les  créateurs  de  la  Société  métallurgique  et  minière 
franco-marocaine;  ils  possèdent  une  part  des  mines  de 
Samorostro  et  la  totalité  de  celles  de  Héras-Santander 
en  Espagne. 

Il  peut  paraître  étrange  que  les  mêmes  efforts  aient 
été  tentés  pour  le  combustible.  Le  mépris  du  superflu, 
mais  la  crainte  de  manquer  du  nécessaire  sont  les  traits 
dominants  du  caractère  industriel  dans  le  Nord.  De 
même  que  les  établissements  dénaturateurs  ont  cherché 
à  s'assurer,  par  de  longs  contrats,  leurs  approvision- 
nements en  acier  et  en  fer,  les  forges  et  les  hauts  four- 
neaux ont  acquis  les  charbonnages  indispensables  à 
leur  existence.  C'était  une  nécessité  impérieuse.  A 
l'avènement  de  la  grande  métallurgie  dans  le  Nord, 
toutes  les  bonnes  places  étaient  prises  sur  la  houille. 
Aucune  société  houillère  ne  songeait  à  fusionner  avec 
une  société  métallurgique.  Cette  opération,  si  fréquente 
en  Allemagne,  ne  présente  en  France  qu'un  seul  exemple  : 
celui  des  charbonnages  de  Lens  faisant  cause  commune 
avecla  Société  de  Commentry-Fourchambault  et  Decaze- 
ville  pour  créer  les  hauts  fourneaux  et  les  forges  de 
Pont-à-Vendin.  Aussi  l'idée  d'acquérir  des  charbon- 
nages devait-il  venir  naturellement  avec  le  développe- 
ment industriel.  La  Société  de  Denain-Anzin  fut  la 
première  à  suivre  cette  poli  tique;  elle  racheta,  en  1905, 
les  mines  d'Azincourt.  Par  la  suite,  les  aciéries  s'in- 
téressèrent aux  recherches  effectuées  dans  le  sud  du 
Pas-de-Calais,  à  Fresnois,  à  Ablain-Saint-Nazaire;  dans 


LA    FONTE    AU    COKE  95 

le  Nord,  à  Marly,  près  de  Valenciennes  ;  à  Maubeuge, 
sur  le  prolongement  du  bassin  belge  du  Hainaut; 
dans  la  Cainpine,  à  Beeringen  et  à  Limbourg- 
Meuse. 

Alimentée  par  les  minerais  riches  de  Normandie, 
d'Espagne,  d'Algérie,  de  Suède,  d'une  part,  et  par  les 
minerais  pauvres  de  Meurthe-et-Moselle  d'autre  part, 
la  métallurgie  du  Nord,  à  la  veille  de  la  guerre,  était 
une  industrie  hybride.  Elle  participait  à  la  fois  de 
l'industrie  du  Centre  par  ses  aciers  Martin  et  de  l'in- 
dustrie de  l'Est  par  ses  aciers  Thomas.  Dans  la  pre- 
mière catégorie,  le  Nord  livre  des  produits  finis  : 
éléments  de  machines,  chaînes,  étambots,  mais  aussi 
la  petite  quincaillerie  :  clous,  vis,  boulons,  tirefonds, 
ressorts.  Pour  les  laminés,  les  tôles,  les  larges-plat,  il 
domine  le  Centre  et  dépasse  nettement  le  reste  de  la 
France.  Dans  la  seconde  catégorie,  il  fabrique  des  rails, 
des  poutrelles  et  des  aciers  marchands;  il  arrive  der- 
rière l'Est.  Il  utilise  l'acier  Bessemer  (le  tiers  de  la 
production  française)  pour  les  moulages. 

Enfin  le  Nord  tient  encore  la  première  place,  en 
France,  pour  les  produits  en  fer  marchand  qu'd  écoule 
dans  la  serrurerie  et  dans  la  maréchalerie,  où  ce  métal 
est  encore  préféré  à  cause  de  sa  grande  soudabilité. 
En  1912,  sa  production  a  atteint  210  000  tonnes  sur 
525  000  tonnes  fournies  par  la  France  entière.  Mais 
cette  branche  de  la  sidérurgie  parait  vouée  à  une 
décroissance  rapide.  Elle  demeure  l'apanage  d'une 
main-d'œuvre  stable  et  non  interchangeable,  à  moitié 
agricole,  telle  qu'elle  était  à  l'époque  de  la  fonte  au 
bois,  telle  qu'elle  existe  encore  dans  certaines  régions, 
les  Ardennes  et  la  Haute-Marne.  Dans  la  région  du 
Nord,  cette  fabrication  demeurera  le  dernier  souvenir 
d'une  époque  glorieuse,  abandonnée  seulement  quand 


96  l'industrie  du  fer  en  France 

de  nouveaux  procédés,  longuement  étudiés,  ont  permis 
de  passer  à  un  autre  stade  de  l'industrie,  à  l'élaborai  ion 
de  l'acier. 


2°  LES  INDUSTRIES  SUR  LE   MINERAI 

A.  L'Est  (Meuse,  Meurthe-et-Moselle,  Meurthe, 
Haute-Marne,  Haute-Saône).  —  Contrairement  au 
groupe  du  Nord,  le  groupe  de  l'Est  a  comme  carac- 
téristique principale  de  manquer  complètement  de 
houille.  Par  contre  ses  usines  sont  sur  le  gisement  fer- 
rifère  le  plus  considérable  de  l'Europe  (fig.  4,  p.  104). 
C'est  là  leur  force  dans  l'activité  nationale  et  même 
mondiale  :  «  Le  rôle,  écrit  Vidal  de  la  Blache,  qui 
appartient  au  minerai  lorrain  dans  l'orientation  imprimée 
à  l'ensemble  de  notre  industrie  métallurgique  est  un 
des  traits  les  plus  remarquables  de  ces  dernières  années. 
Un  intérêt  particulier  s'attache  à  ces  phénomènes  en 
marche,  qui  étant  loin  d'avoir  dit  leur  dernier  mot, 
ouvrent  une  perspective  sur  l'avenir.  » 

A  l'époque  de  la  fonte  au  bois,  les  seuls  minerais 
utilisés  en  Lorraine  et  en  Champagne  étaient  des  mine- 
rais de  surface.  Sans  être  très  riches  ni  très  purs,  ils 
satisfaisaient  pour  l'élaboration  des  fontes  de  moulage 
dont  les  duchés  de  Lorraine  et  de  Bar  avaient  la  spé- 
cialité. La  production  ne  pouvait  suffire  aux  besoins. 
A  la  fin  du  xvme  siècle,  de  Dietrich  estimait  la  fabri- 
cation des  deux  duchés  à  9  700  tonnes  de  fonte  et  à 
6  850  tonnes  de  fer;  ces  dernières  étaient  surtout  le 
résultat  des  fontes  importées  de  Franche-Comté.  Si  l'on 
pense  que  les  forges  et  les  fourneaux  étaient  envi- 
ronnés de  forêts  où  ils  pouvaient  puiser  le  combustible 
sans  compter,  on  comprendra  que  le  groupe  des  usines 
de  l'Est  fut  le  dernier  à  accepter  les  procédés  nouveaux  : 
la  foute  au  coke,  parce  qu'il  était  éloigné  des  charbon- 


LA   FONTE   AU    COKE  9? 

nages;  les  convertisseurs  et  les  fours,  parce  que  ces 
nouveaux  appareils  exigeaient,  à  l'origine,  des  mine- 
rais de  premier  choix. 

En  1834,  les  hauts  fourneaux  au  coke  sont  nombreux 
dans  le  Centre;  ils  commencent  leurs  opérations  dans 
le  Nord;  ils  sont  inconnus  dans  l'Est.  Le  bois  y  demeure 
le  combustible  de  la  métallurgie  :  seuls  6  appareils 
font  usage  d'un  mélange  de  charbon  de  bois  et  de 
coke.  Ils  sont  situés  à  proximité  des  houillères  de  la 
Sarre.  La  marquise  de  Wendel,  à  Hayange,  est  à  la  tête 
des  maîtres  de  forges  qui  emploient  le  combustible 
minéral.  A  cette  époque,  c'est  encore  la  proximité  des 
forêts  qui  détermine  la  valeur  des  usines.  Parmi  les 
départements  de  l'Est  qui  contribuent  le  plus  à  la 
production  française,  ce  sont  les  départements  qui 
figurent  aujourd'hui  au  dernier  rang  des  statistiques 
qui  occupent  la  tête.  Ils  sont  situés  en  dehors  du  bassin 
ferrifère  de  la  minette  :  la  Haute-Marne,  dont  la  fabri- 
cation est  la  plus  forte  de  la  France  (8,8  p.  100  du 
total)  et  les  Ardennes  (7,4  p.  100).  La  Moselle  ne  vient 
qu'au  5e  rang  (5,3  p.  100);  la  Meurthe  au  63e  rang 
(0,06  p.  100).  Le  rédacteur  de  YIndustrie  minérale 
écrit  en  1842  :  «L'histoire  de  l'industrie  du  fer,  dans  le 
département  de  la  Meurthe,  semble  offrir  peu  d'in- 
térêt. Les  usines  à  fer  ne  se  composent  que...  d'un 
haut  fourneau,  construit  récemment,  et  de  trois  forges.... 
Il  résulte  néanmoins  des  renseignements  recueillis  dans 
cette  contrée  que  l'industrie  du  fer  y  avait  autrefois 
acquis  un  certain  développement.  » 

Cependant,  l'ouverture  de  nombreux  canaux  facili- 
tait l'arrivée  des  charbons  du  Nord  et  de  la  Belgique; 
l'industrie  se  développe,  les  appareils  sont  agrandis. 
Le  minerai  fort  ne  répond  plus  à  la  consommation  : 
il  est  presque  épuisé.  Pour  nourrir  les  lits  de  fusion,  les 
mineurs  sont  contraints  d'attaquer  aux  affleurements 

L'INDUSTRIE    DU   FER    EN    FRANCE.  7 


98  l'industrie  du  fer   EN   franc  e 

les  minerais  pauvres,  la  minette  qui  fournit  des  fontes 
phosphoreuses.  L'arrivée  de  la  première  locomotive, 
en  1863,  à  Longwy,  accéléra  la  transformation  de  la 
région.  Ici  encore,  les  chemins  de  fer,  avant  d'être  le 
plus  magnifique  client  de  la  métallurgie,  devaient 
marquer  le  point  de  départ  de  ses  succès,  comme 
transporteur  de  la  matière  première  et  des  produits 
ouvrés.  Les  possibilités  de  la  circulation  vont  susciter 
de  nouveaux  établissements  sur  les  gisements  ferri- 
fères.  L'économie  est  certaine;  avec  des  minerais 
titrant  33  p.  100  de  fer,  il  faut  compter  seulement 
1  tonne  de  coke  contre  3  tonnes  de  minerai  pour  obtenir 
1  tonne  de  fonte. 

Dans  le  nord  du  département  de  la  Moselle,  à  proxi- 
mité des  charbonnages,  le  développement  est  rapide. 
Non  seulement  d'anciennes  usines  sont  transformées, 
mais  d'autres  se  créent  à  Longwy,  à  Gorcy,  à  Mont- 
Saint-Martin,  à  Relions.  Avec  les  anciennes  installations 
de  Villerupt,  d'Herserange,  de  Longuyon,  de  Moulaine, 
de  Senelle,  d'Audun-le-Tiche,  la  région  prend  une 
physionomie  industrielle,  dans  laquelle  certains  veulent 
reconnaître  une  Ecosse  française.  La  vallée  de  la  Moselle, 
favorisée  par  le  voisinage  des  houillères  de  la  Sarre, 
fait  preuve  d'une  activité  semblable.  Novéant,  Ars-sur- 
Moselle,  Hayange,  Stiring-Wendel,  Hambourg,  Boulay 
sont  les  sièges  de  métallurgies  prospères.  En  20  ans, 
la  production  a  presque  décuplé;  en  1850,  elle  se  chif- 
frait par  36  000  tonnes,  dont  15  000  tonnes  au  bois 
et  21  000  tonnes  au  bois  et  au  coke  mélangés;  en  1869, 
elle  atteint  356  000  tonnes,  dont  8  000  au  bois  et 
348  000  tonnes  au  coke. 

Dans  le  département  voisin,  dans  la  Meurthe,  la 
révolution  est  aussi  profonde  mais  moins  intense.  La 
production  est  passée  de  870  tonnes  au  bois  en  1850  à 
64  000  tonnes  au  coke  en  1869.  Si  elle  n'atteint  pas  le 


LA    FONTE    AU    COKE  99 

tonnage  de  la  Moselle,  il  faut  en  chercher  les  raisons 
dans  l'éloignement  des  charbonnages,  et  aussi  dans  la 
situation  des  gisements  ferrifères  beaucoup  moins 
étendus  autour  de  Nancy  que  sur  le  coteaux  au  Nord 
de  Metz  et  autour  de  Longwy,  où  ils  affleurent.  Cepen- 
dant les  hauts  fourneaux  s'élèvent  à  Champigneulles, 
à  Ars,  à  Frouard,  à  Jarville,  pour  alimenter  les  industries 
spéciales.  Dans  cet  ordre  d'idées,  il  faut  signaler  les 
hauts  fourneaux  et  les  fonderies  installées  à  Pont-à- 
Mousson  pour  la  fabrication  de  tuyaux  et  de  pièces 
diverses.  C'est  l'origine  d'une  industrie  qui  est  devenue 
la  première  du  monde. 

A  la  veille  de  la  guerre  de  1870,  la  substitution  du 
charbon  au  bois  est  un  fait  accompli  dans  les  hauts 
fourneaux  de  l'Est;  mais  la  fabrication  de  l'acier,  par 
les  appareils  de  Bessemer  et  de  Martin,  n'a  pas  obtenu 
le  même  succès.  Les  deux  départements  ne  livrent  à 
la  clientèle,  en  1869,  que  5  200  tonnes  d'acier,  soit 
1,4  p.  100  de  la  production  française.  Encore  la  presque 
totalité  du  tonnage  est-elle  due  aux  fours  à  réchauffer 
et  au  puddlage.  Les  statistiques  signalent  seulement 
2  cornues  Bessemer,  de  3  tonnes  chacune,  qui  appartien- 
nent à  M.  de  Diétrich,  le  propriétaire  de  Mouterhausen. 
Le  puddlage  demeura,  dans  l'Est,  le  procédé  le  plus 
courant  pour  la  production  de  l'acier,  jusqu'à  l'inven- 
tion de  la  déphosphoration  des  fontes.  La  production 
des  fers  (140  000  tonnes)  est  beaucoup  plus  impor* 
tante  :  elle  atteint  15,9  p.  100  de  la  France  entière  : 
elle  compte  surtout  des  rails  et  des  tôles.  Mais  les  prix 
de  revient  ont  beaucoup  de  peine  à  se  tenir  au  niveau 
des  prix  de  revient  des  usines  nationales.  A  cette 
époque,  l'industrie  métallurgique,  en  Lorraine,  est  sur- 
tout l'industrie  de  la  foute.  La  production  atteint,  en 
1869,  420  000  tonnes,  soit  30,4  p.  100  de  la  France 
entière.   Dans   cette   branche,   elle   domine  le   marché 


100  L'INDUSTRIE   I>U   FEE    EN    FRANCE 

grâce  à  la  faiblesse  de  son  prix  de  revient  :  7 1  francs 
contre  84  francs.  Aussi  les  fontes  de  Lorraine  ne  sont 
plus  uniquement  consommées  sur  place;  elles  ont  con- 
quis les  marchés  dans  les  Ardennes,  en  Champagne, 
en  Franche- Comté,  en  Flandre. 

On  sait  comment  cet  essor  fut  arrêté  par  les  clauses 
désastreuses  du  traité  de  Francfort.  Le  groupe  de  Nancy 
et  celui  de  Longwy  étaient  à  peu  près  conservés;  mais 
toutes  les  usines  échelonnées  dans  la  vallée  de  la  Moselle, 
au  nord  de  Pagny,  passaient  en  territoire  allemand. 
En  1872,  Meurthe-et-Moselle  extrait  1  million  de  tonnes 
de  minerai  et  produit  seulement  240  000  tonnes  de 
fonte,  soit  55  p.  100  de  la  fabrication  de  1869.  On 
sait  aussi  comment,  dans  l'Est  français,  l'activité 
redoubla  pour  compenser  nos  pertes.  Dans  le  bassin 
de  Nancy,  on  constate  la  construction  des  usines  de 
Pompey,  de  Dieulouard,  de  Neuves-Maisons;  dans 
celui  de  Longwy,  la  construction  des  usines  de  Saulnes, 
de  Micheville,  d'Auberives,  de  Villerupt-Laval-Dieu.  En 
1881,  Meurthe-et-Moselle  extrait  2  minions  détonnes  et 
produit  607  000  tonnes  de  fonte,  soit  32  p.  100  de  la 
production  française.  Elle  a  repris  sa  place  d'avant- 
guerre.  Ces  résultats,  pour  magnifiques  qu'ils  soient, 
eussent  été  sans  doute  sans  lendemain;  car  déjà  s'an- 
nonçait l'âge  de  l'acier,  succédant  à  celui  du  fer.  Et 
l'Est,  s'il  ne  livrait  guère  de  fer  à  la  consommation, 
lui  fournissait  encore  moins  d'acier.  Les  fontes  phos- 
phoreuses n'avaient  pas  encore  trouvé  leur  emploi  dans 
les  aciéries  soufflées. 

L'invention  de  Thomas  et  de  Gilchijist  permit  à 
l'Est  d'acquérir  le  monopole  de  la  fabrication  des  aciers 
marchands.  La  minette  ne  fut  plus  exclusivement  des- 
tinée à  la  fonte  de  moulage,  mais  bien  aussi  à  l'acier 
Thomas,    ou   à   l'acier    Martin   sur   sole   basique.    Les 


LA   FONTE   AU   COKE  101 

années  qui  s'écoulent  de  1880  à  1890,  constatent  l'essor 
prodigieux  de  l'Est.  Dans  les  mines,  la  hardiesse  des 
prospecteurs  conquiert  les  bassins  de  Longwy  et  de 
Crusnes,  dont  les  richesses  compensent,  bien  au  delà, 
les  affleurements  perdus  à  la  suite  de  la  guerre  de  1870. 
Dans  la  métallurgie,  les  petits-fils  de  François  de 
Wendel,  premiers  propriétaires  du  brevet  Thomas  et 
Gilchrist,  installent  à  Jœuf  la  première  usine  qui  doit 
en  faire  usage.  Dès  que  le  procédé  fut  tombé  dans  le 
domaine  public,  Micheville,  la  Chiers,  Pompey,  Frouard, 
Neuves-Maisons,  l'adoptent.  La  Société  de  la  Marine 
et  Homécourt  construit  de  nouveaux  établissements  à 
Homécourt;  Pont-à-Mousson  essaime  à  Auboué.  L'acier 
produit  au  convertisseur  Thomas  atteint  2  134  000  tonnes 
en  1913,  et  la  fonte  stimulée  par  la  création  de 
nouvelles  aciéries,  par  le  développement  parallèle  de 
la  fonte  de  moulage,  dépasse  3  490  000  tonnes,  soit 
respectivement  69  et  74  p.  100  de  la  production 
française.  Au  même  moment,  de  l'autre  côté  de  la  fron- 
tière et  pour  les  mêmes  raisons,  les  usines  surgissent 
le  long  des  vallées  de  la  Fentsch,  de  l'Orne  et  de  la 
Moselle  :  à  Uckange,  à  Thion ville,  à  Rombas,  à  Aumetz- 
la-Paix,  à  Knutange,  à  Hagondange. 

Au  contraire  de  ce  qui  se  passe  dans  les  autres  grou- 
pements de  la  métallurgie  française,  l'Est  est  sûr  de 
ne  point  manquer  de  minerais,  quelqiie  soit  l'avenir 
réservé  à  l'industrie.  Les  gisements,  en  y  comprenant 
la  Belgique  et  le  Luxembourg,  comptent  5  milliards  de 
tonnes  en  chiffres  ronds.  Sur  la  base  de  l'extraction  de 
1913,  43  millions  de  tonnes,  on  estime  que  les  réserves 
seraient  suffisantes  pour  118  ans.  Elles  pourraient 
fournir  davantage,  si  les  conditions  du  marché  permet- 
taient l'emploi  de  minerais  plus  pauvres  et  si  les  pro- 
grès dans  l'art  du  mineur  autorisaient  l'attaque  deç 


102  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

parties  du  gîte,  classées  maintenant  comme  inacces- 
sibles. Semblablement,  les  maîtres  de  forges  sont  cer- 
tains de  trouver  à  pied-d' œuvre  les  qualités  siliceuses 
et  les  qualités  calcaires,  dont  le  mélange  est  indispen- 
sable pour  la  bonne  marche  du  haut  fourneau.  Les 
métallurgistes  de  l'Est,  comme  leurs  confrères  français, 
n'importent  de  l'étranger  que  les  minerais  mangané- 
tiques.  Un  lit  de  fusion  comprendra,  par  exemple  : 
2  p.  100  de  minerai  manganétique,  importé  de  Russie, 
des  Indes  ou  du  Brésil;  13  p.  100  de  minerai  siliceux  du 
bassin  de  Longwy  ou  du  bassin  de  Nancy;  25  p.  100 
de  minerai  silico -calcaire  du  bassin  de  Briey  (partie 
ouest);  60  p.  100  de  minerai  calcaire  du  bassin  de 
Briey  (partie  est). 

Dans  l'état  actuel  de  la  technique,  il  n'existe  point 
de  limite,  au  point  de  vue  du  minerai,  à  la  production 
de  la  fonte  dans  l'Est.  Les  possibilités  de  la  matière 
première  sont  considérables;  elles  favorisent  les  appa- 
reils à  grandes  dimensions. 

En  dehors  des  avantages  afférents  au  transport,  les 
usines  ont  gardé  intérêt  à  accoupler  leurs  fourneaux  et 
leurs  aciéries.  Cette  disposition  permet  la  production 
facile,  par  les  gaz  des  hauts  fourneaux,  de  l'énergie 
nécessaire  à  la  production  et  au  travail  de  l'acier.  Au 
contraire  de  ce  qui  se  passe  dans  le  Nord,  où  faute 
de  minerais,  il  existe  bon  nombre  d'aciéries  sans  haut 
fourneau,  dans  l'Est  la  fonte  du  minerai  contrôle  toutes 
les  opérations  de  la  métallurgie.  Les  très  rares  excep- 
tions à  cette  règle  sont  constituées  par  des  fourneaux, 
comme  Uckange  et  Thionville,  qui  alimentent  de  fonte 
des  aciéries  situées  sur  les  charbonnages  de  la  Saône. 
Elles  s'expliquent  aussi  par  l'ancienneté  d'usines,  des- 
tinées à  disparaître. 

Par  contre,  pour  ce  qui  est  du  combustible,  l'Est  se 
trouve  dans  une  situation  défavorable.  Les  espérances 


LA    FONTE    AU    COKE  103 

fondées  sur  la  prolongation  occidentale  du  bassin  de 
Sarrebriick  ne  se  sont  pas  réalisées;  la  houille  trouvée 
par  sondage  aux  environs  de  Nomény  est  d'accès  diffi- 
cile et  impropre  à  la  cokéflcation.  Les  fours  de  Maes- 
tricht,  en  Hollande,  exportaient  peu.  Les  ressources  de 
la  Belgique,  en  charbons  demi-gras,  sont  pour  le  moment 
très  limitées.  Les  marchés  à  échelle,  passés  avec  les 
métallurgistes  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais,  pour 
l'échange  du  minerai  contre  le  coke  ne  portaient  que 
sur  1  200  000  tonnes  et  l'Est  en  consommait  plus  de 
4  millions  de  tonnes.  Pratiquement  la  majeure  partie  du 
coke  provenait  de  Westphalie  qui  fournissait,  en  outre, 
aux  aciéries  500  000  tonnes  de  charbon.  Ce  coke  grevé 
de  8  francs  de  transport  revenait,  en  1913,  à  28  francs 
sur  le  carreau  de  l'usine.  M.  Laffitte,  le  regretté  secrétaire 
général  de  la  Chambre  de  Commerce  de  Nancy,  évaluait 
le  tribut  payé  par  la  métallurgie  lorraine  aux  charbon- 
nages des  pays  concurrents  à  100  millions  de  francs, 
dont  trois  quarts  à  l'Allemagne. 

Cet  impôt  tendait  à  croître.  Le  seul  vendeur,  le 
Syndicat  rhénan -westphalien  était  sous  le  contrôle  des 
métallurgistes  allemands,  concurrents  des  maîtres  de 
forges  lorrains,  et  qui  possédaient  des  mines  de  fer  en 
Meurthe-et-Moselle  et  en  Lorraine  annexée.  Ils  avaient 
le  plus  grand  intérêt  à  augmenter  le  prix  du  coke. 
Depuis  1911,  il  avait  subi  une  plus-value  de  25  p.  100. 

Or,  ainsi  que  le  montre  le  tableau  suivant,  le  coke 
entre  pour  57  p.  100  dans  le  prix  de  revient  de  la  fonte. 
Une  tonne  de   métal,   avant  guerre,   consommait   : 

3  tonnes  et  demie  de  minette  à  4  fr.  50  la  tonne.  15  fr.  75 

1  200  kilos  de  coke  à  28  francs  la  tonne.    ...  33  fr.  60 

Manganèse 2  fr.  25 

Main-d'œuvre 3  fr.  50 

Frais  généraux,  fonds  de  roulement 3  fr.  50 

Total 58  fr.  60 


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106  l'industrie  du  fer  en   france 

On  conçoit  donc  que  la  question  du  combustible  ait 
été  au  premier  rang  des  préoccupations  de  la  métal- 
lurgie lorraine. 

A  vrai  dire,  ce  n'était  pas  un  fait  nouveau.  Dès  que 
la  houille  apparaît,  mélangée  au  bois,  dans  les  lits  de 
fusion,  les  maîtres  de  forges  recherchent  les  charbon- 
nages. En  1792,  de  Wendel,  maître  de  forges  àMoyeuvre 
et  à  Hayange,  sollicite  des  permis  de  recherches  dans 
un  rayon  de  :>  lieues  autour  d: Hayange  et,  la  même 
année,  il  prend  une  part  importante  dans  la  Société 
fondatrice  du  Creusot,  parce  que  les  nouveaux  établis- 
sements possèdent  des  houillères.  En  182G,  son  fils  et 
successeur  achète  les  houillères  de  Petite -Rosselle  et 
les  fours  à  coke  d'Hirschbach.  En  1899,  ses  petits-fils 
se  rendent  acquéreurs  des  charbonnages  de  Crespin, 
dans  le  Xord;  de  Hamm,  en  Westphalie.  Ils  s'assurent 
des  participations  dans  la  région  d'Aix-la-Chapelle,  en 
Hollande,  dans  la  Campine  belge.  En  1909,  leur  domaine 
charbonnier  comptait  15  000  hectares,  pouvant  produire 
2  millions  de  tonnes  de  charbon  par  an. 

Cette  politique  a  été  suivie  par  tous  les  maîtres  de 
forges  de  l'Est. 

Des  groupements  d'usines  ont  été  constitués  pour 
étabbr  des  fours  à  coke,  soit  sur  le  bassin  houiller 
français,  soit  dans  un  port  susceptible  de  recevoir  des 
fines  anglaises.  Ainsi  ont  été  créées  la  Société  lorraine 
de  Carbonisation  à  Auby,  près  de  Douai,  et  la  Coopéra- 
tive zélandaise  de  Carbonisation,  à  Sluiskill,  en  Hol- 
lande, sur  le  canal  de  Gand  à  Terneuzen.  Cette  solu- 
tion a  le  grand  inconvénient  d'être  fonction  du  marché 
des  houilles  en  France  et  à  l'étranger. 

Le  contrôle  financier  des  charbonnages  existant  ou 
à  créer  résout  mieux  le  problème  des  approvisionne- 
ments en  coke.  Les  maîtres  de  forges  lorrains  ont 
engagé  des  sommes  considérables  en  France  :  dans  le 


LA    FONTE    AU    COKE  107 

bassin  de  l'Allier,  pour  chercher  la  suite  des  couches 
de  Noyant;  autour  de  Lyon,  pour  retrouver  le  prolon- 
gement des  charbons  de  Saint-Etienne.  Dans  le  Nord 
et  dans  le  Pas-de-Calais,  ils  ont  repris  Crespin,  parti- 
cipé à  la  réorganisation  de  la  Clarence,  obtenu  des 
concessions  à  Fresnicourt,  Ablain-Saint-Nazaire,Beugin- 
Gouy-Servin,  Vimy-Fresnois. 

Nous  constatons  les  mêmes  efforts  à  l'étranger.  En 
Belgique,  la  métallurgie  française  a  contribué  à  la 
reconnaissance  et  à  la  mise  en  valeur  des  mines  de 
Beeringen,  Limbourg-Meuse,  Houthcelen,  Genk  dans  la 
Campine  belge;  de  Broy  dans  le  bassin  de  Charleroi- 
Mons.  En  Hollande,  elle  a  acheté  les  mines  d'Orange- 
Nassau.  En  Allemagne,  l'activité  française  contrôle  les 
mines  de  Hamm  et  de  Frédéric-Henry  en  Westphalie; 
de  Charles-Alexandre  et  de  Charlemagne  dans  le  bassin 
d'Aix-la-Chapelle.  D'après  M.  Robert-Muller,  les  capi- 
taux français  investis  dans  les  charbonnages  belges 
seraient  de  00  à  80  millions;  une  pareille  somme  aurait 
été  dépensée  en  Allemagne.  Au  total,  120  à  180  millions 
de  francs,  sans  compter  les  capitaux  placés  dans  les 
affaires  comme  Harpener,  ou  dans  les  mines  depuis 
longtemps  possédées  par  des  maîtres  de  forges  lorrains, 
comme  Petite- Rosselle.  C'est  à  cette  persévérance,  un 
des  traits  caractéristiques  des  métallurgistes  français, 
que  l'Est  a  dû  sa  place  sur  le  marché  européen. 

Avant  la  guerre,  les  usines  de  l'Est  produisaient 
66  p.  100  de  la  fonte  française  :  3  402  000  tonnes. 
Sur  ce  tonnage,  7  p.  100  servent  à  l'affinage  des  aciers 
de  qualité  et  14  p.  100  à  la  fabrication  de  la  fonte 
de  moulage.  Avec  G73  000  tonnes  dans  cette  dernière 
catégorie,  la  Meurthe-et-Moselle  se  classe  comme  le  grand 
producteur  des  fontes  moulées.  Cela  tient  à  la  présence 
sur  son  territoire  de  la  grande  usine   de  Pont-à-Mousson 


108  L'INDUSTRIE    DU    FER    EX    FRANCE 

la  fabrique  la  plus  importante  de  l'Europe  pour  les 
tuyaux  et  les  conduites.  Le  reste  du  métal  est  utilisé 
dans  les  convertisseurs  Thomas.  L'Est  conserve  le  pri- 
vilège des  fabrications  compatibles  avec  les  minerais 
phosphoreux  et  qui  n'exigent  ni  trop  de  charbon,  ni 
trop  de  personnel.  Il  est  spécialisé  dans  l'élaboration 
des  produits  marchands. 

C'est  un  phénomène  relativement  récent  ;  il  date  de 
la  mise  en  pratique,  dans  toutes  les  aciéries,  du  procédé 
de  déphosphoration.  La  quincaillerie,  la  chaudronnerie, 
les  articles  de  moulage,  le  fer  pour  les  ateliers  de  déna- 
turation,  ont  été  longtemps  les  branches  les  plus  impor- 
tantes de  la  métallurgie  de  l'Est.  Les  chemins  de  fer, 
la  construction  métallique,  firent  voir  la  question  sous 
un  autre  aspect.  Désormais,  les  usines  de  l'Est  livrent 
directement  à  la  clientèle  les  gros  profilés,  les  rails, 
les  poutrelles,  les  cornières;  ils  utilisent  le  surplus  de 
leur  production  en  acier  sous  forme  de  blooms,  bil- 
lettes  et  lingots  qu'ils  cèdent  aux  centres  transforma- 
mateurs  du  Nord  et  du  Centre.  L'Est  est  donc  loin 
d'usiner  tout  l'acier  produit,  contrairement  au  Nord 
et  au  Centre  qui  travaillent  sur  place  tout  le  métal 
sorti  des  fourneaux. 

Cependant,  les  métallurgistes  lorrains  tendent  à 
pousser  plus  loin  la  dénaturation  et  à  fabriquer  direc- 
tement des  produits  pour  lesquels  le  consommateur 
n'accepte  pas  l'acier  Thomas  :  les  sociétés  du  Nord 
et  du  Centre  lui  ont  souvent  apporté  leur  concours 
financier  et  technique  dans  cette  branche  de  l'indus- 
trie. Pour  utiliser  les  chutes  de  laminage  et  les  riblons, 
qui  forment  un  tonnage  important  avec  la  production 
croissante  de  l'acier  Thomas,  les  aciéries  de  Meurthe- 
et-Moselle  ont  été  amenées  à  construire  des  fours 
Martin.  Ces  appareils  qui  n'existaient  qu'à  Pompey  et 
ta  Longwy  ont  été  installés,  en  grand  nombre,  à  Home» 


LA    FONTE   AU    COKE  109 

court  et  à  Neuves -Maisons.  Si  les  autres  usines  ont 
renoncé  à  placer  la  nouvelle  fabrication  à  côté  des 
convertisseurs,  elles  envoient,  cependant,  leurs  déchets 
dans  des  fours  qui  leur  appartiennent,  dans  la  Haute- 
Marne,  dans  les  Ardennes,  dans  le  Nord.  Cette  ten- 
dance valait  d'être  signalée;  elle  est  l'indice  de  l'inté- 
gration métallurgique  qui  deviendra  une  nécessité 
inéluctable  après  l'armistice  de  1918. 

B.  Les  usines  littorales.  —  Les  groupes  du  Centre, 
du  Nord,  de  l'Est  élaborent  89  p.  100  de  la  fonte 
française.  Cependant  d'autres  usines  du  territoire 
présentent  un  intérêt  particulier,  soit  qu'elles  pro- 
duisent des  fontes  spéciales,  soit  qu'elles  recherchent 
des  conditions  de  transport  plus  favorables.  Elles  sont 
toutes  destinées  à  utiliser  des  minerais  locaux  ou  étran- 
gers ;  elles  emploient,  le  plus  ordinairement  des  houilles 
anglaises.  Comme  telles,  elles  doivent  être  étudiées  avec 
les  usines  placées  sur  les  gisements  ferrifères  ou  le 
plus  près  possible.  Le  Comité  des  forges  les  a  classées 
en  trois  catégories  :  les  usines  à  fonte,  les  usines  com- 
plètes, les  aciéries  sans  fourneaux.  Nous  suivrons  cet 
ordre. 

Dans  le  premier  groupe,  Balaruc  et  Saint-Louis,  près 
Marseille,  ont  dû  rapidement  éteindre  leurs  feux  parce 
qu'elles  visaient  à  utiliser  les  cokes  du  Gard.  Mal 
placées,  au  point  de  vue  de  la  circulation,  ces  deux 
usines  se  trouvaient  désavantagées  par  le  prix  de 
revient  du  combustible  du  Centre,  fort  supérieur  au 
prix  de  vente,  sur  la  côte,  des  houilles  anglaises;  elles 
étaient  d'ailleurs  trop  éloignées  des  grands  marchés, 
consommateurs  de  fontes. 

La  concurrence  nationale  aurait  également  fermé  les 
établissements  de  Marquise,  fondés  sur  les  minières 
découvertes  dans  le  Pas-de-Calais  pour  la  confection 


110  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

de  tuyaux,  s'ils  n'avaient  transformé  leur  fabrication. 
Ils  se  sont  consacrés  à  la  production  de  fontes  moulées, 
très  spéciales,  telles  que  les  compteurs  à  gaz.  Ils  sub- 
sistent,  grâce  aux  importations  des  fontes  du  Nord  et 
de  l'Est  qui  ont  remplacé,  en  grande  partie,  les  mine- 
rais des  gisements  épuisés. 

Semblablement  les  hauts  fourneaux  de  Pauillac  ont 
modifié  leur  plan  industriel.  Créés  pour  assurer  un 
élément  de  travail  au  nouveau  port  en  aval  de  Bor- 
deaux et  pour  produire  des  fontes  de  moulage  et  des 
aciers  Bessemer,  ils  sont  passés  sous  le  contrôle  des 
usines  de  la  Basse-Loire  qui  en  tirent  des  fontes  spé- 
ciales. C'est  également  à  la  production  des  fontes  héma- 
tites, des  spiegels,  des  ferro-manganèses  que  sont  con- 
sacrés les  hauts  fourneaux  d'Outreau,  près  de  Boulogne, 
et  ceux  de  Calais  associés  à  la  grande  usine  d'Isbergues. 
Leurs  directeurs  ont  spécialisé  leur  fabrication,  après 
l'épuisement  des  minerais  locaux  qui  ne  permettait 
plus  l'élaboration  des  fontes  de  moulage.  Par  contre, 
l'usine  de  Bouen  a  été  fondée,  en  1913,  par  un  consor- 
tium où  entraient  des  métallurgistes  du  Nord,  du 
Centre  et  de  l'Est,  dans  le  but  unique  de  s'assurer 
des  fontes  spéciales  qui  leur  faisaient  défaut  et  qu'ils 
devaient  se  procurer  à  l'étranger.  La  situation  géogra- 
phique de  Bouen  convient  admirablement  à  cet  objet. 
Le  port  permet  de  recevoir  facilement  de  Suède,  d'Al- 
gérie, d'Espagne,  de  Portugal,  des  Indes,  du  Caucase, 
du  Brésil,  des  minerais  de  fer  très  purs  et  des  minerais 
manganétiques,  dont  iï  n'existe  pas  en  Fiance  dé  dis- 
ponibilités importantes;  il  est  bien  placé  pour  recevoir 
des  charbons  anglais  et  pour  la  desserte  fluviale  des 
usines  intéressées  :  à  proximité  d'une  grande  ville,  la 
main-d'œuvre  ne  manquera  jamais. 

Les  usines  complètes,  comprenant  hauts  fourneaux  et 
aciéries,  ont  été  créées,  à  l'origine,  sur  le  littoral  pour 


LA    FONTE    AU    COKE  111 

fabriquer  des  rails  et  des  profilés  par  le  procédé  Bes- 
semer  en  utilisant  les  minerais  très  purs  des  Pyrénées, 
d'Espagne,  d'Algérie,  de  Suède  et  en  employant  des 
charbons  anglais.  Le  plan  industriel  comprenait  égale- 
ment le  service  de  la  clientèle  littorale,  trop  éloignée 
des  grands  centres  de  production.  Leurs  fondateurs, 
le  plus  souvent  des  métallurgistes  du  Centre,  ne  pré- 
voyaient ni  la  mise  en  pratique  du  procédé  Thomas 
qui  devait  concentrer  la  fabrication  des  profilés  dans 
le  Centre  et  dans  le  Nord,  ni  la  réduction  des  commandes 
des  chemins  de  fer.  Les  établissements  qui  ne  purent 
modifier  leur  fabrication,  devaient  disparaître. 

Ainsi,  les  usines  de  Beaucaire  éteignirent  leurs  feux 
en  1885,  ruinées  par  les  réductions  apportées  au  pro- 
gramme de  Freycinet,  par  la  diffusion  des  méthodes 
de  déphosphoration,  par  des  contrats  de  trop  longue 
durée  avec  les  Mokta-el-Hadid  et  les  charbonnages  du 
Gard,  par  l'essor  des  aciéries  Bessemer  du  Boucau,  de 
Trignac,  d'Isbergues,  mieux  placées  pour  la  vente. 

Le  même  sort  eut  atteint  les  établissements  du  Bou- 
cau, s'ils  n'avaient  adjoint  à  la  production  des  rails 
Bessemer  qu'ils  ont  conservée  (25  000  tonnes  en  1913), 
la  production  des  fontes  spéciales,  principalement  les 
ferro-ciliciumetles  ferro -manganèse.  Bien  qu'ils  fussent 
mieux  situés  que  leur  concurrent  de  Beaucaire  pour  la 
réception  du  minerai,  ils  auraient  succombé  s'ils 
n'avaient  modifié  leur  fabrication.  C'est  une  transfor- 
mation également,  l'adoption  des  procédés  Thomas  et 
Martin  à  sole  basique,  qui  sauva  les  usines  de  la  Basse  - 
Loire  et  d'Isbergues.  La  Basse -Loire  put  employer  les 
minerais  phosphoreux  de  l'Anjou  qui  avaient  donné 
des  mécomptes  avec  la  méthode  acide,  mais  qu'une 
meilleure  utilisation  du  vent  permit  de  réduire  avec 
la  méthode  basique.  Isbergues  mélangea  aux  minettes 
de  Briey  les  minerais  phosphoreux  de  sa  concession 


112  L'INDUSTRIE    DU    FEE     L.\     1  KAM  h 

d'Halouze,  dans  l'Orne,  après  en  avoir  réduit  le  coût 
du  transport  par  un  grdlage  préalable. 

Daus  ce  groupe  des  usines  littorales,  Caen  tient  une 
place  à  part.  Son  objet  principal  est  l'exploitation  des 
minerais  de  Soumont  et  de  Perrières,  dans  le  Calvados, 
avec  le  concours  des  charbons  anglais  ou  allemands. 
Les  vapeurs  importateurs  reçoivent,  comme  fret  de 
retour,  les  minerais  inutilisés  par  l'usine  et  qui  trouvent 
facilement  preneur  à  l'étranger.  Le  tonnage  des  mine- 
rais à  exporter  annuellement  est  évalué  à  800  000  tonnes. 
Le  prix  des  opérations  sidérurgiques  s'en  trouve  consi- 
dérablement diminué.  La  production  comprendra  exclu- 
sivement de  l'acier  Thomas. 

Dans  le  groupe,  seule  l'usine  du  Eoucau,  avec  la 
fabrication  au  Bessemer,  fait  concurrence  au  Centre. 
Les  autres  usines  de  Caen,  d'Isbergues,  de  Trignac, 
consacrées  à  l'acier  Thomas  et  aux  fours  Martin  sont 
plutôt  les  rivales  des  établissements  du  Nord  et  de  l'Est. 

Enfin  quelques  aciéries,  dépourvues  de  hauts  four- 
neaux, reçoivent  de  l'étranger  et  surtout  d'Angleterre 
la  majeure  partie  de  leurs  combustibles  et  leur  métal 
des  usines  nationales.  Parmi  celles-ci,  la  Basse-Indre 
et  Hennebont  fabriquent  principalement  du  fer  blanc 
qui  est  d'un  écoulement  facile  dans  l'industrie  des 
conserves,  établie  dans  leur  voisinage.  Les  Dunes,  près 
Dunkerque,  a  été  créée  par  Firminy  pour  la  production 
de  certaines  pièces  de  forges,  dont  l'exécution  était 
devenue  trop  onéreuse  dans  le  Centre,  par  suite  de  la 
pénurie  de  combustible. 

3°  LES   USINES  SECONDAIRES 

L'industrie  du  fer  comprend  encore,  éparpillées  sur 
tout  le  territoire  national,  plusieurs  usines  de  moindre 
importance,  mais  qu'il  importe  de  signaler  comme  le 


LA   FONTE   ATT   COKE  113 

vestige  d'un  passé  brillant.  Malgré  la  concurrence,  elles 
ont  pu  subsister  par  la  force  de  la  tradition,  l'habileté 
héréditaire  de  la  main-d'œuvre,  l'avantage  de  la  situa- 
tion géographique,  la  '  valeur  professionnelle  de  leurs 
directeurs.  Parmi  les  plus  intéressants  de  ces  petits 
groupements  sidérurgiques,  il  faut  citer  les  centres 
des  Ardennes  et  de  la  Haute-Marne,  dépourvus  main- 
tenant de  minerais,  éloignés  du  combustible  et  qui, 
sans  prétendre  à  la  glorieuse  fortune  de  leurs  voisins, 
ont  su  maintenir  leur  ancienne  renommée,  tout  en 
sachant  s'adapter  aux  méthodes  nouvelles. 

Dès  1869,  on  prévoyait,  dans  les  Ardennes,  que  la 
fabrication  de  la  fonte  devait  être  réservée  à  la  Meurthe- 
et-Moselle  et  que  les  fonderies  locales  devaient  se  con- 
sacrer à  l'élaboration  du  fer.  Le  dernier  haut  fourneau 
fut  éteint  en  1894,  et  ce  n'est  qu'en  1913  qu'un  nouvel 
appareil  fut  allumé  pour  fournir  de  la  fonte  d'affinage. 
A  cette  exception  près,  ce  sont  des  fonderies  de  deuxième 
fusion,  alimentées  par  des  fontes  lorraines,  qui  fonc- 
tionnent principalement  dans  le  département.  Il  vient 
au  second  rang  parmi  les  producteurs  de  fers  mar- 
chands; mais  c'est  surtout  pour  la  fabrication  des 
petites  pièces  de  forges,  la  boulonnerie  et  la  clouterie, 
qu'il  tient  sa  place  dans  l'industrie  nationale. 

Semblablement,  la  Haute-Marne,  productrice  jadis 
des  fontes  de  Champagne  si  réputées,  n'a  gardé  qu'un 
haut  fourneau.  Les  usines  régionales  se  sont  spécialisées 
dans  la  dénaturation.  En  1888,  le  premier  four  Martin 
fut  équipé.  A  côté  des  fours  à  fer  ou  à  acier,  des  lami- 
noirs sont  alimentés  le  plus  souvent  en  paquets  de  fer- 
railles, en  blooms  d'acier,  expédiés  de  l'Est.  Ils  four- 
nissent les  métaux  de  qualité,  les  verges  de  tréfilerie, 
la  tôle.  C'est  la  matière  qui  alimente  les  nombreux 
ateliers  de  clouterie,  de  chaînerie  électrique,  de  literie 
en  fer,  de  serrurerie,  de  tubes,  de  roues  en  fer,  d'instru- 

L Industrie  du  fer  en  France.  8 


114  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

rnents  agricole*.  Ici  encore,  comme  dans  les  Ardennes, 
l'industrie  du  1er  est  en  progression.  Le  béton  armé, 
adopté  en  architecture,  lui  fournira,  sons  peu,  de  nou- 
veaux clients.  Les  métallurgistes  de  la  Haute-Marne 
comptent,  pour  activer  leur  production,  sur  trois  élé- 
ments qui  sont  d'une  importance  particulière.  Ce  sont, 
écrit  M.  de  Charnacé  :  «  la  stabilité  et  l'habileté  de  la 
main-d'œuvre  locale,  leur  situation  heureuse  entre  les 
pays  de  grosse  production  de  matières  premières  et  les 
centres  consommateurs  de  produits  finis,  et  enfin  les 
forces  hydrauliques  de  la  région,  particulièrement  pré- 
cieuses dans  les  périodes  de  cherté  du  combustible  ». 

En  dehors  de  ces  deux  départements,  les  autres 
établissements  sont  moins  groupés.  Les  uns  sont  plus 
ou  moins  les  filiales  de  l'industrie  du  Centre.  Par 
exemple,  les  usines  de  Decazeville,  dans  l'Aveyron, 
sont  contrôlées  par  la  Société  de  Connnentry-Four- 
chambault;  les  usines  de  l'Horme  expédient  leur  fonte 
aux  aciéries  de  la  Loire. 

D'autres  ont  subsisté,  indépendants,  qui  surent  évo- 
luer à  temps.  La  compagnie  d'Alais,  prévoyant  l'époque 
où  l'épuisement  des  minerais  purs  et  les  exigences  des 
cahiers  des  charges  empêcheraient  la  fabrication  de 
l'acier  au  Bessemer,  a  décidé  d'arrêter  ses  convertisseurs 
dans  son  usine  de  Bessèges  et  de  créer  une  aciérie 
Martin  à  Tamaris.  «  Cette  dernière,  écrit  le  rédacteur 
du  Comité  des  forges,  centralisera  toute  l'activité  métal- 
lurgique du  bassin  à  qui  son  éloignement  même  de  tout 
autre  région  métallurgique,  le  voisinage  des  centres 
industriels,  sa  situation  sur  le  réseau  P.-L.-M.  et  la 
proximité  des  chantiers  navals  du  littoral  méditerra- 
néen continueront  d'assurer  d'importants  débouchés.  » 
Ici,  la  transformation  bien  comprise  de  l'organisme  a 
arrêté  le  déclin. 

Ailleurs,   l'emploi    d'une   nouvelle   force   suscite   les 


LA    FONTE    AU    COKE  115 

initiatives  et  décide  d'un  nouvel  essor.  En  1820,  deux 
industriels  de  Toulouse  avaient  eu  l'idée  d'utiliser  la 
chute  du  Sabo,  sur  le  Tarn,  à  Saint-Juéry,  en  vue  d'ali- 
menter une  fabrique  d'acier  pour  faux  et  faucilles. 
Plus  tard,  son  directeur,  M.  Paulin  Talabot,  dont  nous 
avons  déjà  signalé  l'activité  dans  la  métallurgie  du 
Centre,  lui  adjoignit  la  fabrication  d'objets  destinés 
principalement  à  l'exportation  :  des  ressorts  pour  car- 
rosserie et  pour  chemins  de  fer.  Mais  la  grande  pros- 
périté de  l'usine  date  de  1906.  A  cette  époque,  la  chute 
d'eau  fut  utilisée  pour  l'affinage  électrique,  en  même 
temps  que  des  fours  Martin  étaient  construits.  Pareil- 
lement, ce  fut  l'énergie  des  torrents  pyrénéens  et  l'emploi 
de  la  manutention  électro- mécanique  qui  ont  permis 
à  la  Société  de  l'Ariège  d'élargir  le  chanip  de  ses  opé- 
rations, de  passer  à  la  fabrication  des  aciers  fins,  des 
aciers  Martin,  des  aciers  au  creuset,  d'aborder  l'éla- 
boration des  obus  de  rupture  et  des  métaux  spéciaux 
pour  outils. 

Cette  utilisation  de  la  force  hydraulique  en  métal- 
lurgie est  particulièrement  intéressante.  Une  première 
fois  la  puissance  des  eaux  a  orienté  ses  destinées;  elle 
a  fixé,  à  l'origine,  le  fourneau  et  la  forge  sur  les  rivières 
et  sur  les  étangs  :  elle  peut  encore,  transportée  par 
câble  à  longue  distance,  faciliter  l'établissement  de 
nouvelles  usines,  d'aciéries  tout  au  moins,  en  des 
régions  riches  en  minerais,  pauvres  en  houilles.  Le  four 
électrique,  fonction  de  la  force  hydraulique,  est  l'avenir 
de  la  sidérurgie. 

Sans  doute,  dans  la  production  de  la  fonte  nationale, 
les  usines  littorales  et  les  centres  secondaires  entrent 
pour  une  faible  part  :  11,1  p.  100  du  total.  Mais,  en 
dehors  de  leur  valeur  absolue  qui  est  fort  importante, 
leur  intérêt  devient  considérable  en  cas  de  crise  aiguë, 


116  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

de  grève  ou  de  conflit  armé  avec  nos  voisins.  Par  suite 
de  la  découverte  de  Thomas  et  de  Gilchrist,  par  suite 
de  la  situation  géographique  des  gisements  de  minette, 
toute  notre  métallurgie  s'était  concentrée,  avant  la 
guerre,  le  long  de  la  frontière  de  1870.  Cette  situai  ion 
a  empiré  depuis  le  traité  de  Versailles.  En  1914,  à  la 
veille  des  hostilités,  82  p.  100  de  la  fonte  française 
était  produite  par  des  usines  échelonnées  depuis  Nancy 
jusqu'à  Dunkerque,  à  quelques  kilomètres  de  nos 
limites;  soqvent  même,  elles  étaient  situées  sous  le 
canon  des  places  fortes  de  l'ennemi. 

C'était,  sans  doute,  comme  l'a  montré  M.  Robert 
Pinot,  une  nécessité  inéluctable  qui  découlait  de  l'obli- 
gation de  rechercher  des  prix  de  revient  fort  bas. 
C'était  une  conséquence  de  la  concurrence  étrangère, 
très  âpre,  et  par  surcroît  fortement  avantagée  par  le 
prix  du  combustible.  Un  fait  demeure  cependant.  Six 
semaines  après  l'ouverture  des  hostilités,  62  p.  100  de 
notre  production  de  fonte  se  sont  trouvés  dans  la  zone 
envahie,  et  19  p.  100  dans  la  zone  des  armées,  ne  lais- 
sant en  pleine  production  que  19  p.  100  de  nos  moyens. 
C'est  une  gloire  pour  l'activité  nationale  d'avoir  fait 
face  à  cette  situation  désespérée.  Mais  il  a  fallu  gagner 
du  temps  au  prix  de  sacrifices  considérables  en  capi- 
taux et  en  hommes.  Pour  réussir,  on  a  dû  réaliser  ce 
paradoxe  :  la  France  est  le  pays  d'Europe  qui  possède 
les  gisements  de  fer  les  plus  puissants  et,  cependant, 
pendant  la  grande  guerre,  elle  a  importé  des  masses 
énormes  de  fonte. 

Des  usines  locales,  éparpillées  sur  tout  le  territoire, 
placées  à  proximité  du  minerai,  alimentées  par  des 
houilles  anglaises  ou  américaines,  utilisant  la  houille 
blanche  et  le  four  électrique  pour  l'affinage,  ces  usines 
littorales  et  ces  centres  secondaires  eussent  évité  le 
désastre.  Reste  à  leur  trouver  une  utilisation  pratique 


LA    FONTE    AU    COKE  117 

en  temps  de  paix,  une  fabrication  qui  leur  permet  de 
vivre  et  de  prospérer.  La  mise  en  œuvre  des  produits 
dénaturés,  des  produits  cliers,  séparables  des  produits 
marchands,  apanage  de  la  grosse  industrie,  doit  être 
concentrée  dans  les  fabriques  du  littoral  et  dans  les 
centres  secondaires. 


IV.    —    LA    MAIN-D'ŒUVRE 

Aux  siècles  précédents,  le  recrutement  de  la  main- 
d'œuvre  n'avait  jamais  inquiété  les  maîtres  de  forges. 
La  population  du  plat  pays,  par  ailleurs  occupée  aux 
champs,  suffisait  amplement  au  service  de  la  mine  et 
du  fourneau.  L'effectif  du  personnel  de  ces  petites 
industries  n'était  point  nombreux.  Longuyon,  par 
exemple,  produisait  340  tonnes  de  métal  par  an  avec 
un  haut  fourneau  et  4  feux  de  forges,  et  occupait 
500  commis,  ouvriers,  mineurs,  forgerons,  bûcherons, 
charretiers.  Les  valeurs  ont  changé  de  mesure.  Dans  la 
même  région,  les  aciéries  de  Longwy  produisaient, 
avant  guerre,  300  000  tonnes  par  an  de  produits  finis, 
avec  9  hauts  fourneaux,  7  convertisseurs  Thomas, 
5  fours  Martin  ;  elles  occupaient  un  personnel  qui  compre- 
nait 6  852  employés  ou  ouvriers,  répartis  comme  il  suit  : 

Employés 405 

Mines 1  135 

Hauts  fourneaux 734 

Ouvriers.  {  Aciéries  et  laminoirs 2  685 

Ateliers  et  fonderies 677 

Services  divers 1  216 

Total.    .    .    .      li  S52 

Malgré  les  derniers  perfectionnements,  les  derniers 
progrès  de  la  science,  les  applications  du  machinisme 


118  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

à  l'usine  et  à  la  mine  sont  limitées.  Pour  l'extraction 
du  minerai,  pour  les  manutentions  des  produits,  rien 
ne  peut  suppléer  à  la  main-d'œuvre. 

Enfin,  il  existe  entre  les  différents  organes  une  soli- 
darité qui  n'était  point  nécessaire  à  l'époque  où  l'in- 
dustrie était  saisonnière.  En  1899,  lors  de  la  grande 
grève  du  Creusot,  le  travail  ne  put  reprendre  dès  la 
tin  du  conflit.  Malgré  toutes  les  précautions  prises  pour 
que  les  appareils  ne  se  refroidissent  pas,  dix  jours 
s'écoulèrent  avant  que  la  vie  ne  reprît  dans  les  ate- 
liers. Comme  dans  toutes  les  branches  de  l'activité 
humaine,  l'industrie  du  fer  a  spécialisé,  a  concentré  la 
main-d'œuvre;  agricole  à  l'origine,  elle  est  devenue 
urbaine,    dans    toute  l'acception  du   terme. 

La  difficulté  du  problème  réside  dans  l'importance 
des  effectifs.  En  1873,  première  année  où  les  statis- 
tiques nous  fournissent  des  renseignements  précis.  Tin. 
dustrie  du  fer  occupait  14  400  ouvriers,  avec  une  pro- 
duction de  1  382  000  tonnes  de  fonte  et  912  000  tonnes 
de  fer  et  d'acier;  on  comptait  un  rendement  moyen 
et  individuel  de  95  tonnes  de  fonte  et  de  20  tonnes 
de  fer  et  d'acier.  En  1913,  pour  une  production  de 
5  200  000  tonnes  de  fonte,  de  4  686  000  tonnes  d'acier, 
de  405  000  tonnes  de  fer,  les  rendements  sont  devenus 
respectivement  de  255  tonnes  par  homme  pour  la 
fonte,  de  39  pour  le  fer  et  l'acier.  Ils  ont  augmenté 
de  168  p.  100  pour  la  fonte,  de  50  p.  100  pour  l'acier. 
Si  des  améliorations  considérables  et  continuelles 
n'avaient  pas  été  apportées  à  l'outillage,  en  travaillant 
avec  le  rendement  de  1873,  il  eût  fallu  recruter 
188  000  ouvriers.  Jamais  l'industrie  n'aurait  pu  les 
trouver.  En  1913,  elle  a  entretenu  avec  peine  un 
effectif  de  118  000  ouvriers  et  employés  dans  les 
usines,  et  de  25  500  mineurs  sur  les  gisements  ferri- 
fères;  au  total,  143  500  individus. 


Mines  de  fer. 

Métallurgie. 

» 

30  785 

.      17   336 

28  878  ' 

!              52 2 

25  629 

8   106  3 

32  715 

25  494 

118  007 

LA    FONTE    AU    COKE  119 

D'après  les  statistiques  publiées  par  le  ministère  des 
Travaux  publics,  ils  se  répartissaient  comme  il  suit  : 

Régions   métallurgiques. 

Nord  (Nord  et  Pas-de-Calais) 
Est  (Meurthe-et-Moselle)    .    . 
Centre    (Allier,    Loire,    Nièvre, 

Rhône,  Saône-et- Loire) . 
Reste  de  la  France  .... 

Total 2 

Le  Centre,  le  Nord,  l'Est  groupent  72  p.  100  de  la 
main-d'œuvre  sidérurgique  :  le  reste  est  très  disséminé. 
D'autre  part,  la  production  individuelle  varie  d'une 
région  à  l'autre.  Le  rendement  d'un  ouvrier  de  Meurthe- 
et-Moselle  atteint  86  tonnes;  celui  d'un  ouvrier  du 
Nord,  35  tonnes;  celui  d'un  ouvrier  du  Centre,  20  tonnes 
seulement.  Cette  proportion  est  fonction  de  la  spécia- 
lisation des  usines.  Suivant  l'expression  de  M.  Lau- 
rent, l'Est  travaille  surtout  en  vue  du  tonnage;  le 
Centre  en  vue  du  fini;  le  Nord  reste  à  mi-chemin 
entre  eux. 

Le  Nord  et  le  Centre  possèdent  des  populations 
industrialisées  depuis  de  longues  années.  Nous  ne 
reviendrons  pas  sur  l'habileté  des  forgerons  du  bassin 
de  Saint-Etienne,  célèbre  déjà  au  temps  de  François  Ier. 
Elle  a  permis  la  fabrication  des  aciers  fins.  «  Car,  écrit 
M.  Tribot-Laspière,  on  peut  improviser,  en  quelques 
années,  la  fabrication  des  aciers  ordinaires  et  des  pro- 
duits courants,  mais  non  des  produits  chers.  »  Autour 
de  Valenciennes  pareillement,  quantité  de  familles  d'ou- 
vriers se  sont  fixées  depuis  un  grand  nombre  d'années; 


1.  En  Lorraine  annexée,  les  mines  de  fer  comptaient  9  764  mineurs. 
les  usines  22  834  ouvriers. 

2.  Pour  le  seul  département  de  Saone-el  Loire. 

■t.  En  Normandie,  Bretagne  et   Anjou,  principalement. 


120  L'INDUSTRIE   DU    FER    EN    FRANCE 

beaucoup  d'entre  elles  ont  fait  souche  dans  la  ville  et 
les  villages  des  environs.  On  a  pu  y  former  un  noyau 
important  de  métallurgistes  qui  apprennent,  à  leur  tour, 
leur  métier  à  leurs  enfants  et  fournissent  une  main- 
d'œuvre  experte  et  nombreuse.  Le  Nord  profite,  en 
plus,  du  voisinage  de  la  Belgique  qui,  grâce  à  l'accrois- 
sement automatique  de  sa  population,  fournit  l'appoint 
nécessaire.  Certaines  usines,  situées  à  quelques  kilo- 
mètres de  la  frontière,  reçoivent  des  quantités  d'ou- 
vriers belges  qui  font  le  déplacement  journalier,  facilité 
par  les  tarifs  très  réduits  des  compagnies  de  chemins 
de  fer.  Enfin  l'accroissement  de  la  main-d'œuvre  a  été 
beaucoup  moins  rapide  dans  le  Centre  (13  631  en  1873 
contre  25  629  en  1913),  et  dans  le  Xord  (7  322  et  30  785) 
que  dans  l'Est. 

En  Meurthe-et-Moselle,  la  découverte  du  bassin 
minier  et  l'exploitation  des  brevets  Thomas  et  Gilchrist 
ont  décidé  d'un  courant  d'émigration  humaine,  tel 
qu'on  le  constate,  à  une  échelle  plus  forte  dans  les 
champs  aurifères  de  l'Australie  et  de  l'Alaska.  Dans 
ce  département,  le  recrutement  d'une  main-d'œuvre 
nombreuse  était  d'autant  plus  pénible  que  le  traité 
de  Francfort  a  fait  passer,  en  Lorraine  désannexée,  la 
presque  totalité  des  ouvriers  des  forges  et  des  mines. 
Au  moment  du  besoin,  la  métallurgie  s'est  trouvée  fort 
dépourvue. 

Dans  le  département,  l'industrie  du  fer  occupait,  en 
1881,  5  500  ouvriers;  en  1913,  l'effectif  s'éleva  à  28  878  : 
il  a  quintuplé.  Dans  le  même  temps,  le  nombre 
d'ouvriers  de  mines  est  passé  de  2  400  à  17  336,  soit 
une  augmentation  de  720  p.  100.  En  30  ans,  il  a  fallu 
trouver  plus  de  38  000  ouvriers.  C'est  surtout  par  le 
fait  de  l'essor  métallurgique  que  le  département  de 
Meurthe-et-Moselle  a  vu  sauter  sa  population  de 
419  000  âmes  en  1881  à  530  000  âmes  en  1911. 


LA   FONTE   AU   COKE  121 

L'inflation  de  la  population  est  une  conséquence  géo- 
graphique de  l'exploitation  minière  et  de  l'industrie 
du  fer.  A  un  degré  moindre,  parce  que  les  facteurs 
sont  de  moindre  valeur,  il  est  très  nettement  percep- 
tible dans  la  campagne  de  Caen,  où  la  fonction  métal- 
lurgique se  substitue  à  la  fonction  agricole. 

Le  personnel  est  difficile  à  recruter  sur  place.  De 
même  que  les  capitaux  français  ont  été  longtemps 
rebelles  aux  placements  industriels,  de  même  la  main- 
d'œuvre  nationale  éprouve  souvent  une  certaine  répul- 
sion pour  tout  travail  en  dehors  de  la  terre.  Si  l'indus- 
trie du  fer  a  pu  recruter  des  ouvriers  pour  les  carrières, 
les  minières  et  même  jadis,  pour  les  mines  quand  les 
travaux  s'éloignaient  peu  des  affleurements,  c'est  que 
le  villageois  y  troiivait  une  certaine  analogie  avec  le 
ménage  des  champs.  Le  mineur  était  mineur  par  acci- 
dent et  temporairement.  Mais  l'étape  était  plus  rude 
à  franchir  pour  passer  à  l'atelier.  L'ouvrier  agricole, 
jaloux  de  sa  liberté,  est  rél'ractaire  à  l'effort  industriel, 
au  labeur  contrôlé,  à  la  discipline  nécessaire  à  toute 
usine.  En  Lorraine,  où  la  terre  est  parfois  ingrate, 
certains  se  laissèrent  tenter;  mais  dans  les  campagnes 
plantureuses,  comme  en  Normandie,  en  pays  d'herbage 
principalement  où  la  vie  est  facile  pour  l'homme, 
peu  de  paysans  consentirent  à  changer  leur  mode 
d'existence.  Les  ressources  en  main-d'œuvre  furent 
rapidement  épuisées. 

Dans  l'enquête  agricole,  publiée  par  le  ministère  de 
l'Agriculture  en  1912,  aucun  professeur  départemental 
ne  signale,  à  de  rares  exceptions  près,  que  les  journa- 
liers et  les  ouvriers  agricoles  s'embauchent  dans  les 
mines,  même  pendant  l'hiver.  Dans  la  plupart  des 
entreprises  métallurgiques,  il  fallut  importer  la  main- 
d'œuvre,  comme  on  importait  le  coke  pour  les  hauts 
fourneaux,  la  houille  pour  les  machines. 


122  l'industrie  du  fer  en   france 

Le  recrutement  national  ne  donna  pas  toute  satis- 
faction. A  moins  qu'il  ne  se  dirige  sur  une  grande  ville, 
l'ouvrier  français  n'émigre  pas  volontiers  sur  un  autre 
point  du  territoire.  Les  différences  de  climat,  d'habita- 
tion, de  boisson  surtout  sont  des  obstacles  que  ne 
peuvent  surmonter  la  gratuité  du  voyage,  l'augmenta- 
tion des  salaires,  la  modicité  du  loyer  :  l'ouvrier  fran- 
çais ne  peut  se  résoudre  à  changer  son  genre  de  vie. 
Les  mineurs  du  Gard,  de  l'Aveyron,  de  la  Loire,  trans- 
portés après  l'épuisement  de  certaines  mines  du  Centre 
dans  le  Pas-de-Calais  et  dans  le  Calvados  n'ont  pu 
s'habituer  au  cidre,  ni  à  la  bière  :  ils  ont  regagné,  à 
leur  frais,  le  pays  d'origine.  Une  même  tentative  pour 
importer  en  Normandie  et  en  Bretagne  des  ouvriers  du 
Pas-de-Calais  a  obtenu  les  mêmes  résultats.  Les  Bre- 
tons paraissent  mieux  disposés  à  se  fixer  loin  de  leur 
village.  Les  mines  normandes  ont  recueilli  les  mineurs 
et  les  carriers  d'Ille-et- Vilaine.  Us  arrivent  par  bandes 
entières,  du  même  pays,  recteur  en  tête  et  finissent 
par  s'industrialiser  pour  peu  qu'on  ne  bouleverse  pas 
leurs  habitudes.  C'est  là  une  exception.  Les  mineurs 
et  les  métallurgistes  du  Nord  transplantés,  pendant 
la  guerre,  dans  les  usines  et  les  mines  de  la  plaine 
de  Caen,  attendent  avec  impatience  la  reconstruction 
des  cités  ouvrières,  la  réouverture  des  chantiers  et  des 
ateliers.  L'allumage  d'un  haut  fourneau,  la  mise  en 
marche  d'une  aciérie  autour  de  Valenciennes  et  de 
Lille,  décident  les  départs  dans  le  personnel  de  l'in- 
dustrie normande. 

Cependant,  pour  compléter  les  effectifs,  il  a  fallu  faire 
appel  au  prolétariat  étranger.  Dans  les  Pyrénées,  on 
a  eu  recours  aux  Espagnols;  en  Normandie  et  en  Bre- 
tagne, on  a  engagé  des  Belges,  des  Polonais,  des 
Croates,  qui  n'ont  pas  donné  toute  satisfaction.  Les 
Marocains  fournissent  un  meilleur  rendement  :  ce  sont 


LA    FONTE    AU    COKE  123 

d'habiles  mineurs;  les  sociétés  algériennes  les  emploient 
volontiers,  mais  rien  ne  peut  les  retenir  quand  ds  ont 
amassé  le  pécule  qu'ils  se  sont  fixé.  Dans  le  Calvados 
où  la  fonction  urbaine  naissait  à  peine,  cette  invasion 
subite  a  attiré  l'attention  des  Pouvoirs  publics.  Inter- 
pellé devant  les  Chambres,  le  Ministère  a  fait  con- 
naître que  les  trois  départements  miniers  de  la  Nor- 
mandie, le  Calvados,  l'Orne,  la  Manche,  avaient  occupé, 
en  1912,  583  étrangers,  soit  27  p.  100  de  l'effectif,  et 
qu'il  fallait  prévoir  pour  l'avenir  des  chiffres  plus  forts. 

Cependant,  avant  guerre,  l'émigration  était  beaucoup 
plus  forte  en  Lorraine.  Au  recensement  de  1911,  Meurthe 
et-Moselle  comptait  81  519  étrangers  sur  une  popula- 
tion totale  de  484  722  âmes,  soit  17  p.  100  du  total. 
Le  seul  arrondissement  de  Briey  possédait  57  098  étran- 
gers sur  un  ensemble  de  100  525  habitants,  soit  55  p.  100 
du  chiffre  global.  Dix -huit  nationalités,  en  dehors  de 
la  nôtre  s'y  trouvaient  représentées.  «  C'est  là,  écrit 
M.  Laffitte,  une  petite  Europe  dans  la  grande.  »  Bien 
que  l'agriculture  fît  appel  également  à  la  main-d'œuvre 
étrangère,  l'industrie  du  fer  était  l'origine  et  la  raison 
de  cette  émigration. 

Les  Italiens  formaient  la  grande  majorité  des  ouvriers 
étrangers.  Ils  sont  les  plus  adroits  comme  manœuvres 
et  relativement  stables.  Les  maîtres  de  forges  français 
subventionnaient  un  organisme  régulier  pour  les  recruter 
en  Lombardie  et  en  Piémont.  On  comptait,  en  outre, 
dans  le  bassin  de  Longwy  principalement,  un  certain 
nombre  de  Belges.  Les  facilités  de  la  circulation  par 
fer  leur  permettaient  de  retourner  dans  leur  famille 
à  la  fin  de  chaque  semaine,  et  même  à  la  fin  de  chaque 
journée.  Les  usines  occupaient,  en  moyenne,  15  p.  100 
d'étrangers  parmi  leur  personnel.  Comme  le  montre  le 
tableau  ci-dessous,  emprunté  à  l'étude  du  Comité  des 
Forges,  la  proportion  était  plus  forte  dans  les  mines. 


124 


L'INDUSTRIE    DU    FER    EX    FRANCE 


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LA   FONTE    AtT   COKE  125 

Ces  effectifs  nouveaux,  toujours  en  voie  de  crois- 
sance, ont  modifié  profondément  la  répartition  des 
populations.  Des  villes  mortes  se  sont  réveillées  de 
leur  torpeur.  Des  hameaux,  des  villages  entiers  ont 
surgi  en  plein  champ.  Dans  certaines  régions,  le  mou- 
vement a  été  gradué  :  la  population  du  Creusot  par 
exemple,  est  passée  progressivement  de  1  500  habitants 
en  1785  à  30  584  en  1911.  Mais  ailleurs  l'évolution  du 
phénomène  a  été  plus  brutale.  «  Il  n'est  pas  nécessaire, 
écrit  M.  Robert  Pinot,  de  citer  sans  cesse  les  exemples 
de  l'Amérique  et  de  la  Westphalie  pour  montrer  com- 
ment une  région  peut  tout  d'un  coup  se  développer. 
A  telle  ville  du  Far-West  américain,  on  peut  comparer 
les  agglomérations  de  Jeuf,  d'Honiécourt  et  d'Auboué... 
qui  comptent  plus  de  30  000  habitants,  là  où  il  n'y 
avait,  il  y  a  quelques  années,  que  quelques  maisons 
de  cultivateurs  groupés  autour  d'un  clocher.  » 

De  nos  jours,  l'exploitation  minière,  les  hauts  four- 
neaux, les  aciéries  transforment  pareillement  la  vdle 
et  la  campagne  de  Caen. 

Le  programme  de  l'exploitation  des  concessions  de 
Soumont  et  de  Perrières,  comportait  une  extraction 
annuelle  de  2  millions  détonnes.  En  prenant  une  moyenne 
de  2  tonnes  de  minerai  par  jour  ouvrable  et  par  mineur, 
cette  production  exige  un  effectif  de  3  300  ouvriers  au 
fond  et  2  200  à  la  surface  (avec  la  proportion,  généra- 
lement admise,  de  40  p.  100  du  total,  pour  cette  der- 
nière catégorie)  :  soit  dans  l'ensemble  5  500  ouvriers; 
avec  leur  famille  16  000  âmes  environ;  20  000  si  l'on 
tient  compte  des  différents  corps  de  métier  et  du  petit 
commerce,  attirés  par  l'agglomération.  Mais  depuis  1920, 
ce  seul  bassin  compte  10  concessions  instituées.  Si  l'on 
estime,  et  l'on  sera  très  modeste,  que  ces  mines,  en 
plein  rendement,  livrent  deux  fois  autant  que  le  groupe 
Souinont-Perrières,  soit   au  total  pour  tout  le  bassin 


126  l'industrie  du  fer  en  france 

6  millions  de  tonnes,  ce  serait  un  effectif  de  60  000  âmes 
qui  viendraient  renforcer  la  population  régionale.  Or, 
en  1901,  avant  l'ouverture  du  premier  chantier,  elle 
comptait  seidement  26  000  habitants  pour  les  cantons 
de  Bretteville,  de  Morteaux-Coulibeuf,  de  Falaise-Nord 
qui  englobent  les  gisements.  L'augmentation  serait 
donc  de  131  p.  100.  La  main-d'œuvre  minière  débor- 
dera les  cadres  agricoles  du  pays. 

Pareillement,  la  vieille  ville  de  Caen  n'a  pu  rester 
indifférente,  malgré  sa  mauvaise  volonté,  à  l'établisse- 
ment de  hauts  fourneaux,  à  Colombelles,  dans  son  voi- 
sinage immédiat.  Quand  ils  seront  en  plein  rendement, 
ils  occuperont  7  000  ouvriers  :  soit  un  renforcement 
de  20  000  âmes  avec  les  familles,  de  25  000  avec  les 
habitants  indirectement  intéressés  au  travail  de  l'usine. 
Or  le  recensement  de  1911  attribuait  aux  cantons  de 
Caen,  qui  comprennent  la  ville  et  les  communes  limi- 
trophes où  s'est  installée  l'industrie  du  fer,  50  919  âmes. 
En  1921,  la  population,  malgré  les  pertes  de  la  guerre, 
avait  augmenté;  elle  atteignait  61  650  âmes;  soit  une 
augmentation  de  21  p.  100.  Cependant  l'usine  n'a 
allumé  que  2  hauts  fourneaux  sur  les  6  prévus  ;  et  les 
industries  connexes  qui  en  vivent,  telles  que  les  chan- 
tiers de  construction  navale,  ont  à  peine  ouvert  leurs 
ateliers.  Dans  un  avenir  prochain,  la  ville  de  Caen  est 
destinée  à  vivre  dans  la  dépendance  étroite  de  l'in- 
dustrie. 

L'arrivée  subite  d'effectifs  aussi  importants  dans  les 
petites  communes,  et  même  dans  les  petites  villes, 
devait  y  apporter  de  graves  perturbations.  Les  bases 
de  l'existence  se  trouvaient  profondément  modifiées. 
Les  conditions  géographiques  de  l'abri  et  de  l'alimen- 
tation étaient  bouleversées.  Un  problème  se  posait, 
plus  grave  encore  que  celui  du  recrutement  du  personnel, 
celui  de  le  retenir  autour  de  la  mine  ou  du  fourneau. 


LA    FONTE    AU    COKE  127 

M.  Vidal  de  laBlache,  en  étudiant  l'émigration  italienne 
dans  le  bassin  de  Briey,  a  justement  remarqué  que 
l'infériorité  de  la  population  féminine  (2  491  femmes 
contre  17  381  hommes)  était  l'indice  d'un  état  parti- 
culièrement instable.  Pour  stabiliser  la  main-d'œuvre, 
il  fallait  créer  des  organismes  nouveaux. 

La  hausse  des  salaires  ne  suffisait  pas  pour  contre- 
balancer la  hausse  de  la  vie,  car  les  paysans  et  les 
petits  commerçants  des  villages  envahis  abusaient 
sans  vergogne  de  la  situation  pour  augmenter  le  tarif 
des  denrées  et  le  prix  des  loyers.  Les  premiers  efforts 
des  sociétés  portèrent  sur  les  vivres.  Elles  conclurent 
des  contrats  avec  les  boulangers,  les  bouchers,  les 
épiciers,  les  mareyeurs;  elles  établirent  des  coopéra- 
tives de  consommation. 

Semblableinent,  il  a  été  reconnu  indispensable 
d'assurer  le  logement  de  la  plus  grande  partie  du 
personnel.  La  dispersion  et  le  petit  nombre  des  habi- 
tations dans  les  communes  agricoles  était  un  obstacle 
à  la  concentration  de  la  main-d'œuvre  autour  des 
chantiers.  De  là  la  construction  de  maisons  où  logent 
un  ou  plusieurs  ménages,  pour  un  loyer  excessivement 
réduit,  qui  ne  dépasse  pas  4  p.  100  du  capital  investi. 
Pour  un  prix  également  modique,  les  locataires  peuvent 
avoir  la  jouissance  d'un  petit  jardin  qui  leur  rappelle 
la  fonction  agricole  de  leurs  ancêtres. 

Le  groupement  de  ces  maisons  constitue  des  cités 
ouvrières  qui  deviennent  de  petites  villes,  pourvues  de 
tous  les  organismes  des  grandes  agglomérations  :  hôpi- 
taux, crèches,  écoles,  églises,  salles  des  fêtes,  théâtres,, 
établissements  de  bains,  etc.  D'autre  part,  la  contri- 
bution patronale  prend  une  forme  moins  apparente, 
mais  non  moins  lourde,  dans  l'entretien  des  caisses 
de  secours,  des  caisses  de  retraite,  dans  les  sociétés 
d'assistance  qui  assurent  les  allocations  nécessaires  aux.. 


128  l'industrie  du  fer  en  France 

victimes  des  accidents  du  travail,  aux  familles  dont 
le  père,  le  mari,  ou  les  fils  sont  appelés  au  service  mili- 
taire ou  pour  une  période  d'exercice.  Enfin,  d'après 
la  loi  du  9  septembre  1919,  les  sociétés  nouvelles  seront 
tenues  de  payer  aux  ouvriers,  sur  les  bénéfices  de 
l'entreprise,  une  part  qui  sera  proportionnelle  aux 
années  qu'ils  auront  passées  sur  les  chantiers  ou  dans 
les  mines. 

Ces  efforts  pour  stabiliser  la  main-d'œuvre,  commen- 
çaient à  porter  leurs  fruits  quand  la  guerre  a  reculé 
la  solution  définitive.  Malgré  la  hausse  des  salaires,  la 
main-d'œuvre  fait  toujours  défaut.  Ce  déficit  est  une 
des  raisons,  et  non  la  moindre,  qui  retardera  la  produc- 
tion des  forts  tonnages,  seuls  rémunérateurs  pour  l'in- 
dustrie. 


V.    —    LES    DÉBOUCHÉS 

Dans  les  dix  années  qui  ont  précédé  la  guerre,  l'ac- 
croissement de  l'industrie  du  fer  a  été  considérable 
dans  le  monde.  La  production  française  a  marqué  un 
mouvement  semblable. 

De  1903  à  1913  l'augmentation  des  grandes  nations 
sidérurgiques  se  traduit  comme  il  suit  : 

Pays.  Fonte.  Acier.  Minerai. 

augni;  ntation.  augmentation.  diminution. 

Belgique 104  p.  100.        154  p.  100.  19  p.100. 

augmentation. 

France 87      —  152      —  250  p.100. 

Allemagne.    ...        92      —  118      —  87      — 

États-Unis.    ...        72      —  115      —  79      — 

Russie 80     —  100     —  100     — 

Autriche-Hongrie.        71      —  97      — -  04      — ■ 

Grande-Bretagne.        14      —  52      —  24      — 


LA   FONTE   AU   COKE  129 

Pour  la  fonte  seulement,  près  de  80  millions  de  tonnes 
ont  été  jetées  sur  le  marché.  La  conquête  des  débouchés 
est  devenue  préoccupante  pour  tous  les  métallurgistes. 
Le  côté  commercial  de  l'industrie  du  fer  égale  en  intérêt 
le  côté  technique. 


1°  LE  MARCHÉ  EXTÉRIEUR 

Le  commerce  du  minerai.  —  D'après  le  tableau  ci- 
dessus,  l'industrie  minière  a  fait,  en  France,  un  bond 
plus  prodigieux  que  l'industrie  de  la  fonte  et  celle  de 
l'acier.  Si  l'on  examine  la  situation  40  ans  auparavant, 
les  résultats  obtenus  sont  beaucoup  plus  considérables. 
La  production  des  hauts  fourneaux  est  passée  de 
1  448  000  tonnes  en  1875  à  5  200  000  tonnes  en  1913, 
.soit  une  augmentation  de  380  p.  100;  et  l'extraction 
minière  de  3  060  000  tonnes  (y  compris  557  000  tonnes 
au  compte  de  l'Algérie)  en  1875  à  23  740  000  tonnes  (y 
compris  1  920  000  tonnes  pour  l'Algérie  et  la  Tunisie) 
en  1913,  soit  une  augmentation  de  680  p.  100.  Le  ton- 
nage extrait  est  beaucoup  trop  important  pour  les 
besoins  de  l'industrie  nationale. 

La  France  a  exporté  12  millions  de  tonnes  de  minerai 
de  fer,  en  chiffres  ronds;  c'est  un  phénomène  tout 
récent;  il  date  de  1907.  Les  années  précédentes,  nos 
importations  surpassaient  nos  exportations. 

Ces  changements  brutaux  dans  le  sens  du  mouve- 
ment économique  coïncident  d'une  part  avec  l'épuise- 
ment des  minerais  purs,  nécessaires  au  convertisseur 
Bessemer  ;  et  d'autre  part  avec  l'essor  de  la  métallurgie 
des  fontes  phosphoreuses,  conséquence  de  la  mise  en 
pratique  des  brevets  Thomas  et  Gilchrist. 

L'appauvrissement  des  gîtes  espagnols,  l'épuisement 
des  gîtes  anglais  ont  privé  l'industrie   d*outre-Manche 

L'Industrie  du  ier  en  France.  9 


130  L'INDUSTRIE    DU   EER     EX     FRANCE 

des  matières  les  plus  nécessaires  au  convertisseur  Bes- 
semer  pour  lequel  elle  conserve  une  prédilection  exa- 
gérée. La  conséquence  fut  le  développement  de  nos 
mines  à  minerais  purs  dans  les  Pyrénées,  en  Algérie, 
en  Tunisie  et  de  nos  mines  à  minerais  moyennement 
purs  en  Normandie,  en  Bretagne,  en  Anjou.  Avant  la 
guerre,  l'Angleterre  recevait  58  p.  100  de  nos  minerais 
africains;  l' Allemagne,  soit  directement,  soit  par  les 
intermédiaires  hollandais,  37  p.  100.  La  différence,  insi- 
gnifiante, était  envoyée  en  France.  Il  faut  chercher  la 
raison  de  cette  anomalie  dans  la  valeur  du  fret.  Le  fret 
Alger-Dunkerque,  par  exemple,  réservé  aux  cahoteurs 
nationaux  était  plus  cher,  avant  guerre,  que  le  fret 
Tunis- Rotterdam  accessible  à  toutes  les  marines.  Sem- 
blablement  l'Angleterre  utilisait  23  p.  100  de  nos 
minerais  armoricains;  l'Allemagne  40  p.  100.  Ce  com- 
merce était  en  voie  de  progression,  malgré  l'établisse- 
ment d'usines  littorales  à  Rouen,  à  Caen,  à  Trignac, 
car  les  charbonniers  anglais  et  allemands  trouvaient 
sur  nos  côtes,  dans  le  minerai  de  fer,  un  fret  de  retour 
fort  rémunérateur. 

L'exportation  de  la  minette  lorraine  est  plus  ancienne. 
En  1869,  le  département  de  la  Meurthe  expédiait  en 
Prusse  et  en  Bavière  quelque  51  000  tonnes;  mais  les 
envois  ne  devaient  prendre  toute  leur  importance 
que  40  ans  plus  tard  :  en  1909,  ils  dépassaient 
1  million  de  tonnes.  Les  procédés  Thomas  devaient 
fixer  r attention  des  métallurgistes  sarrois,  belges  et 
westphaliens,  sur  les  minerais  de  Meurthe-et-Moselle, 
principalement  sur  la  puissance  de  ses  gisements,  la 
facilité  de  ses  accès,  la  faiblesse  du  prix  de  revient. 
En  1913,  le  département  a  exporté  7  876  000  tonnes  soit 
66  p.  100  de  l'ensemble  des  exportations  françaises. 
Sur  ce  chiffre,  le  bassin  de  Briey  comptait  pour  lui 
seul   7  094  000   tonnes.  La  haute  teneur  en  fer  et  en 


LA    FONTE    AU    COKE  131 

chaux  lui  assure  une  supériorité  incontestable  aux 
dépens  des  minerais  plus  proches  mais  plus  siliceux  des 
bassins  de  Longwy  et  du  Luxembourg.  Ces  avantages 
avaient  décidé  l'Angleterre,  en  1913,  à  en  acquérir 
60  000  tonnes  malgré  les  difficultés  du  transport. 
Le  Zollverein,  pourvu  par  ailleurs  par  les  gisements 
de  Lorraine  annexée,  venait  au  second  rang  avec 
2  609  000  tonnes.  La  Belgique  demeurait  notre  prin- 
cipal client  :  sur  un  total  de  5035000  tonnes,  elle 
recevait  4  697  000  tonnes  de  minette  lorraine,  dont 
4  416  000  tonnes  du  bassin  de  Briey. 

Malgré  sa  richesse  en  minerais  de  fer,  la  France 
importe  une  notable  quantité  de  minerais  étrangers  : 
417  000  tonnes  en   1913. 

Ces  importations  venaient  principalement  de  la  Lor- 
raine annexée  et  du  Luxembourg  :  60  p.  100  du  total. 
Elles  s'expliquaient  par  l'obligation,  pour  les  usines 
françaises,  de  se  fournir  en  minerais  à  gangue  siliceuse 
qui  leur  manquaient  avant  l' exploitation  du  bassin 
de  Crusnes  et  dont  elles  ont  besoin  pour  le  lit  de 
fusion. 

L'Espagne  fournissait  32  p.  100  des  envois.  Ses 
minerais  très  riches  et  très  purs  alimentaient  certaines 
de  nos  usines  littorales  et  même,  en  raison  de  leur 
excellente  qualité,  nos  usines  du  Centre  et  du  Nord, 
spécialisées  dans  la  fabrication  des  produits  fins. 

La  Suède,  par  ses  riches  gisements  de  Gellivara  et 
de  Kirunavara,  expédiait  des  minerais  riches  en  fer 
pour  l'amélioration  des  lits  de  fusion  du  Centre  et  du 
Nord,  ou  riches  en  phosphore  pour  les  établissements 
qui  travaillaient  avec  des  minerais  locaux  moins  phos- 
phoreux et  désiraient  obtenir  un  mélange  convenable 
pour  la  production  de  la  fonte  Thomas. 

Ces  entrées,  malgré  leur  valeur,  ne  pouvaient  com- 
penser nos  sorties.  En  1913,  la  balance  de  notre  com- 


132  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

merce  en  minerais  de  fer  se  traduisait  par  un  bénéfice 
de  plus  de  100  millions  de  francs. 

Le  commerce  des  métaux.  —  La  production  de  la 
fonte  et  de  l'acier  s'écoulait  presque  entièrement  sur  le 
marché  national.  A  l'extérieur,  nous  ne  pouvions  lutter 
avec  les  industries  étrangères.  Nos  importations  en 
combustibles  écrasaient  notre  fabrication.  De  ce  chef, 
nos  fontes  étaient  augmentées  de  7  francs  par  tonne, 
par  rapport  à  la  Belgique;  de  14  francs  par  rapport 
à  l'Allemagne;  de  21  francs  par  rapport  à  l'Angleterre; 
de  25  francs  par  rapport  avec  les  États-Unis.  Par 
contre,  sur  le  marché  intérieur  nous  étions  faiblement 
défendus  par  une  protection  insuffisante.  La  récipro- 
cité des  tarifs,  prescrite  par  les  traités  de  commerce, 
n'existait  pas  réellement.  Les  pays  qui  étaient,  avant 
guerre,  nos  rivaux  directs  savaient  fort  bien  nous 
fermer  leurs  frontières,  tandis  que  le  gouvernement 
français  n'opposait  pas  la  même  fermeté.  Malgré  des 
prix  plus  bas,  le  Creusot  n'est  jamais  parvenu  à  placer 
ses  profilés  en  Angleterre,  en  Belgique,  en  Allemagne. 

Les  statistiques  de  l'industrie  minérale  accusaient, 
en  1913,  une  production  de  953  000  tonnes  de  fonte  de 
moulage  sur  une  production  totale  de  5  200  000  tonnes 
de  fonte.  Le  régime  de  l'admission  temporaire  donnait 
à  nos  importations  (123  000  tonnes)  la  supériorité  sur 
nos  exportations  (63  000  tonnes).  Au  total,  les  sorties 
surpassaient  les  entrées  de  29  000  tonnes;  nous  rece- 
vions d'Allemagne  (40  p.  100)  et  d'Angleterre 
(21  p.  100)  des  pièces  de  machines  ou  de  transmission 
en  fonte.  Seule,  l'industrie  florissante  des  tubes  et 
des  conduites,  en  Meurthe-et-Moselle,  indiquait  un 
bilan  en  notre  faveur  :  nos  exportations  (40  000  tonnes) 
l'emportaient  sur  nos  importations  (19  000  tonnes); 
50  p.  100  partaient   dans  nos  colonies;  20  p.    100  dans 


LA    FONTE    AU    COKE  133 

l'Amérique  du  Sud;  11  p.  100  en  Belgique.  La 
presque  totalité  de  la  fonte  produite  restait  en 
France;  elle  était  utilisée  dans  les  fonderies  de  pre- 
mière et  de  deuxième  fusion;  elle  trouvait  des  débou- 
chés faciles  dans  les  industries  des  tuyaux,  de  la  poterie, 
de  la  fonte  d'art,  du  chauffage  central,  de  la  machi- 
nerie agricole. 

Semblablement,  les  406  000  tonnes  de  fer  produites 
étaient  écoulées  sur  le  marché  national  pour  la  pro- 
duction des  fers  marchands. 

Nous  marquions  un  avantage  certain,  bien  que  de 
faible  importance,  dans  le  commerce  des  demi-produits 
en  acier  (blooms  et  billettes)  et  des  produits  marchands 
(profilés,  fils  de  fer,  tôles,  fer  blanc)  :  les  statistiques 
indiquent  103  000  tonnes  aux  importations  contre 
251  000  tonnes  aux  exportations.  Nos  colonies  for- 
maient la  base  de  notre  clientèle  (50  p.  100  des  sorties); 
venaient  ensuite  dans  l'ordre  d'importance  :  la  Bel- 
gique, la  Suisse  et  l'Amérique  latine. 

Par  contre,  la  balance  de  l'industrie  mécanique  se 
chiffrait  en  faveur  de  l'étranger.  Nous  recevions  pour 
de  forts  tonnages  et  de  grosses  valeurs  des  machines 
à  vapeur,  des  locomobiles,  des  moteurs,  des  moteurs 
hydrauliques,  des  machines -outils,  des  machines  tex- 
tiles, des  machines  agricoles,  du  matériel  de  chemin 
de  fer.  De  1910  à  1913,  les  importations  allemandes 
ont  été  multipliées  par  10,  les  importations  anglaises 
par  4,  les  importations  des  Etats-Unis  par  5;  la  Bel- 
gique et  la  Suisse  comptaient  également  parmi  nos 
fournisseurs,  principalement  de  machines  et  de  pièces 
de  machines.  On  aperçoit,  dans  l'ensemble  de  la  con- 
struction mécanique,  une  grande  insuffisance  de  pro- 
duction. Seule  l'industrie  automobile  montrait  un  bilan 
où  les  sorties  l'emportaient  sur  les  entrées.  L'Angle- 
terre,  la  Belgique,  le  Portugal,  l'Italie,  la  République 


134  l'industrie  nu  fer  en  france 

Argentine  nous  assuraient  des  débouchés  importants. 
Grâce  à  l'industrie  automobile  la  valeur  des  exporta- 
tions et  des  importation*  s'équilibrait  :  250  millions 
de  francs  de  chaque  côté,  environ. 

En  définitive,  la  France  consommait  la  presque 
totalité  de  sa  production  soit  :  5  200  000  tonnes  de 
fonte,  4  686  000  tonnes  d'acier,  405  000  tonnes  de  fer. 
Les  industries  des  transports,  de  la  construction  métal- 
lique, de  la  construction  mécanique  et  des  armements 
étaient  les  principaux  clients. 


2°  LE  MARCHÉ  INTÉRIEUR 
LES  INDUSTRIES  CONSOMMATRICES 

A.  L'industrie  des  transports  :  Les  chemins  de 
fer.  —  Les  chemins  de  1er  sont  les  premiers  en  date 
parmi  les  grands  clients  de  l'industrie  du  fer.  Ils  ont 
été,  de  tout  temps,  les  plus  importants.  Le  matériel 
et  la  voie  consomment  des  quantités  considérables  de 
métal. 

En  1767,  les  hauts  fourneaux  de  Coalbroack,  en 
Angleterre,  coulèrent  les  premiers  rails  en  fonte;  vers 
la  fin  du  xvme  siècle,  les  usines  de  Walbottle  rempla- 
cèrent la  fonte  par  le  fer  et  donnèrent  au  rail  un 
profil  très  voisin  de  sa  forme  actuelle.  Toutefois,  ce 
fut  sur  des  rails  en  fonte  que  fut  ouverte,  le  1er  octo- 
bre 1828,  la  première  ligne  française,  celle  de  Saint - 
Etienne  à  Andrézieux,  prolongée  plus  tard  jusqu'à 
Lyon,  destinée  à  l'écoulement  des  produits  sidérur- 
giques du  Centre. 

Cependant  «  l'ère  des  chemins  de  fer  »  ne  fut  réelle- 
ment ouverte  que  par  l'invention  de  Georges  Stephen- 
son,  la  locomotive.  Depuis,  la  métallurgie  et  la  voie 
ferrée  ont  grandi  parallèllement.  Les  chemins  de  fer 


LA    FONTE    ATT    COKE  135 

ont  été,  pour  l'industrie  du  fer,  un  admirable  instru- 
ment de  vulgarisation.  Ils  ont  fait  entrer  le  métal  dans 
le  domaine  de  la  vie  usuelle  :  par  contre,  sans  le  fer 
et  sans  l'acier.  Os  n'auraient  pu  prendre  l'influence 
sociale  et  économique  qu'ils  détiennent  à  l'époque 
actuelle. 

Présentement,  sauf  dans  des  cas  très  spéciaux,  le 
rail  de  fer  a  été  totalement  abandonné.  En  France, 
depuis  1900,  on  n'a,  pour  ainsi  dire,  plus  fabriqué  de 
rails  en  fer.  Le  rail  d'acier  a  conquis  la  prééminence. 
Sa  longueur  croît  de  plus  en  plus.  Elle  atteint  couram- 
ment 21  mètres  :  son  poids  s'est  élevé  jusqu'à  50  kilos 
au  mètre.  C'est  un  produit  du  laminage,  à  partir  des 
blooms  pesant  jusqu'à  3  500  kilos.  L'opération  se  fait 
en  une  seule  chaude. 

En  1912,  la  France  a  produit  510  000  tonnes  de  rails. 
Elle  venait  après  les  Etats-Unis  (3  300  000  tonnes), 
l'Allemagne  (1 920000  tonnes),  l'Angleterre  (728  000  ton- 
nes), avant  la  Belgique  (339  000  tonnes).  Le  départe- 
ment de  Meurthe-et-Moselle  est  le  gros  producteur  de 
rails  français  (224  000  tonnes).  80  p.  100  du  total  sont 
fabriqués  avec  de  l'acier  Thomas  (Meurthe-et-Moselle 
et  Nord);  20  p.  100  se  partagent  entre  le  convertisseur 
Bessemer  (G-ard,  Landes)  et  le  four  Martin  (Gard, 
Loire-Inférieure,  Nord,  Pas-de-Calais). 

Les  rails  sont  réunis  par  des  éclisses  et  des  boulons 
dont  le  poids  dépasse  20  kilos.  Le  système  repose  sur 
des  traverses.  En  France,  pays  du  bois,  les  traverses 
en  métal  ont  eu  peine  à  s'imposer  dans  les  chemins 
de  fer,  tandis  qu'en  Allemagne  leur  proportion  a  atteint 
40  p.  100  du  total.  En  outre  la  voie  a  besoin  de  métal 
pour  les  aiguilles,  les  croisements,  les  renforcements, 
les  plaques  et  les  ponts  tournants,  les  chariots,  les 
bascules. 

Si  l'on  songe  que  la  longueur  des  six  grands  réseaux, 


136  l'industrie  du  fer  en  france 

des  compagnies  secondaires,  des  chemins  de  fer  indus- 
triels et  d"intérêt  local,  dépassait  54  000  kilomètres  en 
1913,  on  peut  estimer  que  pour  mettre  en  place  la  voie 
actuelle,  il  a  fallu  utiliser  près  de  10  millions  de  tonnes 
de  fonte,  de  fer  ou  d'acier;  chiffre  plus  que  triplé  si 
Ton  compte  les  remplacements  depuis  les  débuts. 

Pour  être  beaucoup  moins  considérables,  les  quan- 
tités de  métal  employées  dans  le  matériel  sont  cepen- 
dant également  importantes  par  leurs  valeurs.  On  peut 
dire  que,  grâce  à  l'agencement  des  locomotives  et  des 
wagons,  les  préoccupations  de  transport,  de  distance 
et  de  poids  sont  devenues  indifférentes  à  l'activité 
économique  des  nations.  L'industrie  du  fer  est  à  l'ori- 
gine de  cette  révolution. 

Le  développement  a  été  fort  rapide.  M.  L.  Férasson 
remarque  qu'en  1832  —  deux  ans  après  la  découverte 
de  la  locomotive  —  la  compagnie  de  Liverpool  à  Man- 
chester faisait  circuler  des  trains  à  la  vitesse  de  16  kilo- 
mètres à  l'heure  et  que,  80  ans  plus  tard,  les  Améri- 
cains possédaient,  sur  la  Xew-York-Central-Line,  un 
train  marchant  à  120  kilomètres  à  l'heure.  Ce  train 
pesant  800  tonnes  était  remorqué  par  une  locomotive 
de  190  tonnes.  Ils  ont  mis  également  en  circulation 
un  train  de  marchandises  de  640  wagons,  d'un  poids 
de  45  000  tonnes,  remorqué  par  une  locomotive  de 
410  tonnes.  La  longueur  du  train  est  de  7  000  mètres, 
la  locomotive  elle-même  mesure  33  mètres. 

Xos  machines  n'ont  pas  atteint  ces  dimensions  vrai- 
ment américaines.  Cependant  les  engins  du  type  «  Paci- 
fique »  pèsent  quelque  70  tonnes  en  ordre  de  marche. 
Peut-être  faut-il  chercher  dans  l'insuffisance  de  nos 
ateliers  la  raison  du  retard  de  notre  matériel.  On  sait 
que  l'importation  des  locomotives,  des  voitures  et  des 
wagons  figure  parmi  les  plus  gros  déficits  de  notre 
balance    métallurgique.    Avant   guerre,   la   production 


LA    FONTE    AU    COKE  137 

française  ne  comprenait  guère,  par  an,  que  650  à  700  loco 
motives,  2  000  voitures,  1  800  wagons  de  marchandises. 
C'était  insuffisant.  Il  y  a  là  une  fabrication  à  développer 
pour  la  France  de  demain. 

Les  constructions  navales.  —  «  L'histoire  des  pro- 
grès réalisés  dans  l'industrie  delà  construction  navale, 
écrit  M.  Ilollard,  dans  l'enquête  du  Comité  des  Forges, 
est  intimement  liée  à  celle  des  progrès  de  la  métallur- 
gie. C'est,  en  effet,  la  construction  métallique  qui  a 
permis  d'atteindre,  pour  les  coques  de  navire,  des 
dimensions  auxquelles  il  n'aurait  pas  été  possible  de 
songer  avec  la  construction  en  bois,  tout  en  leur  con- 
servant les  finesses  indispensables  pour  les  vitesses 
exigées.  Ces  dimensions  ont  été  constamment  en  aug- 
mentant et  celles  auxquelles  on  est  arrivé  actuelle- 
ment ont  été  rendues  réalisables  tant  par  les  perfec- 
tionnements apportés  dans  les  systèmes  et  dans  les 
procédés  de  construction  que  par  les  améliorations 
obtenues  dans  la  fabrication  et  la  qualité  des  métaux.  » 

Le  premier  bateau,  en  plaques  de  tôles  boulonnées, 
fut  lancé  sur  la  Severn  en  1787.  Mais  la  construction 
métallique  pénètre  réellement  dans  les  chantiers  à 
partir  de  1830.  Elle  fut  adoptée,  dès  1841,  pour  la 
navigation  transatlantique,  d'abord  par  la  Peninsular 
and  Oriental  Co,  sur  le  Precursor,  puis  successivement 
par  les  autres  compagnies  de  navigation.  En  1874,  le 
nouveau  métal  était  presque  partout  adopté  pour  la 
marine  marchande.  Le  fer  et  l'acier  devaient  lui  per- 
mettre le  développement  extraordinaire  qu'elle  a  pris 
de  nos  jours.  Dans  les  seize  années,  qui  ont  précédé 
la  guerre,  le  tonnage-vapeur  s'est  augmenté,  pour  la 
France,  de  49  p.  100;  pour  l'Angleterre  de  91  p.  100; 
pour  les  Etats-Unis  de  27  p.  100;  pour  l'Allemagne  de 
222  p.   100. 


138  L'iNDTTSTRIE    BU    FER    EN    FRANCE 

Cet  accroissement  continuel  du  tonnage  n'aurait  pu 
être  réalisé  sans  la  construction  d'unités  de  grandes 
dimensions  et  munies  de  machines  à  forte  expansion. 

Au  point  de  vue  de  la  grandeur  des  bateaux,  la 
marine  de  commerce  a  toujours  eu  une  réelle  et  impor- 
tante avance  sur  la  marine  de  guerre.  Le  fameux  Great 
Eastern,  construit  en  1858,  «  avait  un  déplacement  de 
27  400  tonnes,  égal  à  cinq  fois  environ  celui  de  la 
frégate  cuirassée  Gloire  et  supérieur  encore,  par  con- 
séquent, à  celui  des  plus  gros  cuirassés  que  la  France 
a  mis  en  chantier  ces  dernières  années  ».  Actuelle- 
ment, les  déplacements  des  navires  de  guerre  sont 
de  27  000  tonnes,  ceux  des  paquebots  dépassent 
50  000  tonnes. 

Dans  le  fait,  Fart  de  l'ingénieur  permet  d'accroître 
indéfiniment  les  dimensions.  Le  constructeur  n'est 
arrêté  que  par  Le  rendement  économique  de  l'organe 
créé,  principalement  par  la  dépense  en  charbon;  elle 
croît  beaucoup  plus  vite  que  le  tonnage  du  navire.  Au 
delà  des  vitesses  normales,  les  frais  de  combustible 
sont  hors  de  proportion  avec  les  résultats  obtenus. 
Cependant  les  grandes  compagnies  se  laissent  entraîner, 
insensiblement  par  la  «  folie  de  la  vitesse  ».  En  181 fl, 
le  trois-mâts  américain  Savannah,  pourvu  d'une 
machine  à  vapeur  auxiliaire  et  jaugeant  380  tonneaux, 
réalisait  la  première  traversée  à  vapeur  de  l'Atlantique 
en  35  jours  :  actuellement  les  ingénieurs  des  Etats- 
Unis  envisagent  la  construction  d'un  paquebot  mar- 
chant à  30  milles  à  l'heure,  jaugeant  80  000  tonnes 
de  déplacement  en  pleine  charge  et  permettant  de  faire 
Paris-New-York  en  4  jours. 

Avec  1  800  000  tonnes  de  jauge,  en  1913,  la  France 
venait  au  quatrième  rang,  sur  les  statistiques  mari- 
times, derrière  l'Angleterre,  l'Allemagne  et  les  Etats- 
Unis.  Elle  était  cependant  obligée  d'acheter  à  l'étran- 


LA    FONTE    ATT    COKE  130 

ger  55  p.  100  de  ce  tonnage.  Nos  chantiers  construi- 
saient surtout  des  navires  de  moyen  et  de  fort  tonnage. 
Cette  préférence  s'explique  :  par  la  prime  proportion- 
nelle à  la  jauge  brute  qui  était  allouée  au  constructeur; 
par  le  prix  de  revient  qui  est  sensiblement  plus  faible 
pour  les  grands  que  pour  les  petits  cargos;  par  les 
facilités,  pour  l'armateur,  de  pouvoir  se  procurer  à 
l'étranger  les  petites  unités.  En  1913,  le  bureau  Veritas 
estimait  à  111  000  tonneaux  le  tonnage  des  navires 
construits;  les  statistiques  des  douanes  évaluaient  à 
127  000  tonneaux,  soit  à  37  millions  de  francs,  le  tonnage 
des  navires  en  acier,  neufs  ou  en  service,  qui  furent 
introduits  en  France  cette  même  année. 

Dans  la  marine  militaire,  la  construction  en  bois  per- 
sista beaucoup  plus  longtemps  :  les  gros  approvision- 
nements de  bois  ne  permettaient  point,  pour  des  raisons 
budgétaires,  l'adoption  complète  de  la  construction 
métallique.  «  Par  contre,  écrit  M.  Hallard,  la  marine 
de  guerre  a  donné  l'exemple  pour  l' adoption  de  l'hélice 
comme  mode  de  propulsion,  pour  la  substitution  de 
l'acier  au  fer  et  ensuite  l'emploi  de  matériaux  spéciaux 
permettant  de  diminuer  le  poids  de  la  construction.  » 

La  première  frégate  en  fer,  la  Couronne,  date  de 
1860  :  le  premier  cuirassé  en  acier,  le  Redoutable,  fut 
mis  en  chantier  en  1880;  il  est  resté  en  service  jusqu'en 
1910.  Vers  1880,  également,  on  vit  apparaître  les  pre- 
mières machines  h  triple  expansion  détendant  la  vapeur 
dans  trois  cylindres  successifs,  pour  lesquelles  Benjamin 
Normand  avait  pris  un  brevet  en  1872. 

Depuis  lors,  la  marine  de  guerre  a  suivi,  sous  le 
rapport  du  tonnage  et  de  la  vitesse,  un  développement 
parallèle  à  celui  de  la  marine  marchande.  On  craignait 
vers  1890,  la  disparition  des  grandes  unités.  On  avait 
cru  que  les  torpilleurs  pouvaient,  à  eux  seuls,  consti- 
tuer une  défense  suffisante  des  côtes.  L'illusion  ne  dura 


140  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

pas  longtemps.  Les  grands  navires  augmentèrent,  non 
seulement  en  nombre,  mais  en  dimension  et  en  artil- 
lerie. 

A  partir  de  1872  l'acier  doux  permettait  de  con- 
struire des  navires  de  10  000  tonneaux  de  déplacement, 
armés  de  canons  de  27,  protégés  par  des  cuirasses  tic 
350  à  380  millimètres  et  marchant  à  15  nœuds  envi- 
ron. Dans  le  déplacement,  la  coque  absorbait  44  p.  100, 
la  propulsion  20  p.  100,  la  protection  28  p.  100,  l'arme- 
ment 8  p.  100. 

Nos  cuirassés  actuels  ont  des  déplacements  de 
25  000  tonneaux,  et  des  vitesses  de  21  nœuds.  Us  sont 
armés  avec  des  canons  de  305  et  340  millimètres,  et 
protégés  par  des  blindages  en  acier  cémenté  de  250  à 
300  millimètres  d'épaisseur.  On  admet  que  la  coque 
représente  35  p.  100  du  déplacement,  la  propulsion 
13  p.  100,  la  protection  34  p.  100,  l'armement  18  p.  100. 
La  puissance  combative  de  l'organe  a  plus  que  doublé, 
et  sa  protection  a  été  sensiblement  accrue. 

Avant  guerre,  en  1914,  les  Anglais  armaient  pareil- 
lement le  Queen  Elisabeth  avec  des  canons  de  380  mil- 
limètres, lançant  des  obus  de  900  kilos.  Les  Allemands, 
pendant  la  campagne,  se  sont  servis  de  canons 
semblables,  inutilisés  à  bord  et  mis  à  terre  pour 
tirer  sur  Dunkerque,  Belfort  et  Nancy.  Ils  lançaient 
des  projectiles  de  940  kilos,  à  37  kilomètres  de 
distance. 

D'après  ces  chiffres,  on  se  rend  compte  de  la  quantité 
d'acier,  le  plus  souvent  de  l'acier  spécial,  qui  entre 
dans  la  construction,  l'équipement,  l'armement  des 
bâtiments  destinés  à  la  marine  marchande  et  à  la 
marine  de  guerre.  Ils  expliquent  comment  le  groupe 
des  industries  du  Centre  a  pu  vivre  et  prospérer  malgré 
la  concurrence  du  Nord  et  de  l'Est,  malgré  le  manque 
de  matières  premières  à  proximité  des  usines. 


LA    FONTE    AU    COKE  141 

L'industrie  automobile.  —  La  période  industrielle 
de  la  construction  automobile  a  suivi  de  très  près  la 
période  sportive.  En  1895,  la  course  Paris -Bordeaux 
démontra  que  ces  véhicules,  d'invention  récente,  pou- 
vaient réaliser  des  vitesses  horaires  de  25  kilomètres 
sur  des  parcours  dépassant  1  000  kilomètres.  Les 
échanges  routiers  devaient  connaître  un  essor  qui  était 
impossible  avec  la  traction  hippomobile. 

Au  début  de  l'industrie,  la  France  occupait  la  pre- 
mière place,  sur  les  marchés  mondiaux,  au  point  de 
vue  du  nombre  des  voitures  fabriquées.  Elle  a  été  for- 
tement distancée,  depuis,  par  les  États-Unis.  En  1913, 
les  États-Unis,  avec  une  production  annuelle  de 
."300  000  châssis  par  an,  représentaient  80  p.  100  de 
la  production  mondiale;  la  France,  avec  45  000  voitures 
ne  comptait  que  pour  17  p.  100.  Dans  ce  total,  entraient 
2  000  châssis-camions  et  43  000  châssis  de  tourisme  de 
toute  puissance.  Le  tonnage  de  métal  fourni  par  notre 
industrie  sidérurgique  à  la  construction  automobile 
serait  donc  insignifiant,  à  peine  100  000  tonnes  par 
an,  s'il  n'était  constitué  par  des  aciers  spéciaux,  le 
plus  souvent  des  aciers  au  creuset,  destinés  à  fournir 
un  poids  mort  très  faible,  par  rapport  au  poids  utile 
très  élevé. 

Si  l'on  veut  se  faire  une  idée  de  la  valeur  de  cette 
clientèle  pour  l'avenir  de  notre  métallurgie,  on  exa- 
minera la  fabrication  américaine.  Les  seules  usines 
Ford  accusent  une  production  journalière  de  300  voi- 
tures et  une  consommation  annuelle  de  35  000  ton- 
nes d'acier.  Une  seule  commande  d'écrous  a  nécessité 
l'expédition  de  22  wagons  de  barres  d'acier,  destinées 
à  produire  4  500  000  écrous. 

La  quantité  des  voitures  produites  par  le  travail  en 
série  a  permis  d'abaisser  les  prix  de  vente.  Les  plus 
grandes   firmes  sont    en    état   de   livrer  leurs   voitures 


142  l'industrie  du  fer  en   frav  e 

à  des  tarifs  variant  de  50  à  300  dollars.  Dans  ces  con- 
ditions, l'automobile  n'est  plus  seulement  un  objet  de 
luxe;  elle  est  l'auxiliaire  de  travail,  infiniment  précieux 
pour  l'employé  et  l'ouvrier.  L'automobile  devenu  d'un 
usage  courant  a  développé  sa  production  et  parallèle- 
ment sa  consommation  en  métal.  En  1918,  la  con- 
struction a  exigé  1  200  000  tonnes  de  métal. 

La  France  n'est  pas  arrivée  à  ce  stade  glorieux.  La 
possession  d'une  voiture  est  encore  l'apanage  d'une 
classe  moyennement  aisée.   Les  statistiques  comptent 

I  voiture  par  400  habitants  en  France,  contre  1  voi- 
ture par  300  habitants  en  Angleterre,    1   voiture  par 

II  habitants  aux  États-Unis.  Dans  ce  dernier  pays, 
le  nombre  des  châssis  en  circulation  à  la  fin  de  1920 
était  de  9  211  295,  soit  83  p.  100  du  total  mondial, 
évalué  à  10  922  278.  C'est  une  clientèle  à  développer 
pour  l'écoulement  de  notre  production  métallurgique. 

B.  La  construction  métallique.  —  La  construc- 
tion métallique  utilise  principalement  les  produits  du 
laminoir,  barres,  tôles  et  profilés  :  elle  les  assemble 
et  les  monte  en  vue  des  applications  les  plus  diverses. 
Son  domaine  s'étend  aussi  bien  dans  les  petites  fabri- 
cations qui  dépendent  de  la  serrurerie  :  planchers,  mar- 
quises, rampes  d'escaliers,  ferrures,  petits  appentis, 
que  dans  les  gros  ouvrages  des  travaux  publics  :  cais- 
sons de  fondation  à  air  comprimé,  barrages,  portes  de 
bassin,  portes  d'écluses,  phares,  gazomètres,  réservoirs. 
Cependant  elle  demeure  caractérisée  par  les  ponts  et 
les  charpentes  des  bâtiments;  ces  deux  branches  de 
son  activité  absorbent  la  plus  grande  partie  du  tonnage 
demandée  à  l'industrie  du  fer. 

Elle  est  la  dernière  venue  parmi  les  clientes  de  la 
métallurgie. 

La  France,  riche  en  matériaux  de  toutes  sortes,  a 


LA    FONTE    AU    COKE  143 

été  longtemps  confinée,  pour  la  construction  des  mai- 
sons et  des  ouvrages  d'art,  dans  l'emploi  de  la  pierre 
et  du  bois,  seuls  capables  de  satisfaire  les  goûts  esthé- 
tiques de  la  nation.  D'ailleurs,  jusqu'à  la  fin  du 
xvme  siècle,  le  fer  était  une  matière  trop  précieuse 
pour  (pie  l'on  put  songer  à  l'employer  autrement  que 
pour  les  objets  les  plus  indispensables. 

Le  premier  pont  métallique  fut  construit  sur  la 
Severn,  en  Angleterre,  en  1773,  et  en  1803  seulement, 
on  établissait,  sur  la  Seine,  à  Paris,  la  passerelle  en 
fonte  du  pont  des  Arts.  En  réalité,  l'essor  des  ponts 
métalliques  date  de  1833;  Polonceau  en  fixa  la  technique 
par  la  construction  du  pont  Carrousel,  dont  les  trois 
arches  de  47  m.  67  attirèrent  de  suite  l'attention  de 
nos  ingénieurs.  Cependant,  l'inaction  des  travaux 
publics,  la  prédilection  des  constructeurs  pour  l'élé- 
gance des  ponts  de  pierre,  ne  permirent  pas  à  notre 
industrie  de  faire  preuve  d'une  activité  comparable  à 
celle  des  autres  nations.  Longtemps  une  grue  de 
5  tonnes  a  passé  pour  le  perfectionnement  le  plus  osé 
des  engins  de  levage  et  le  pont  suspendu  de  Marseille 
confondait  l'admiration  des  visiteurs.  Mais  à  la  fin  du 
xixe  siècle,  l'extension  des  moyens  de  communication, 
le  développement  industriel,  l'exécution  du  programme 
de  Freycinet,  l'accroissement  de  la  puissance  des  canaux 
et  des  ports,  surtout  la  production  considérable  de 
l'acier  décidèrent  les  constructeurs  à  adopter  le  nouveau 
métal. 

En  dernier  ressort,  l'extension  du  réseau  ferré  et  les 
prix  élevés  des  ouvrages  en  maçonnerie  déterminèrent 
le  lancement  des  viaducs  métalliques.  En  face  des  ponts 
de  pierre  de  Morlaix,  de  Chaumont,  du  Point-du-Jour, 
les  ponts  métalliques  d'Hanoï  (1082  mètres  de  long), 
de  Garabit  (564  mètres),  les  viaducs  des  Fades,  en 
Auvergne    (465    mètres),  de    Tardes    (une    travée    de 


144  L'INDUSTRIE    DU    FER    EX     FRANCE 

100  mètres)  peuvent  soutenir  la  comparaison.  Toub 
les  ouvrages  détruits  pendant  la  retraite  de  Charleroi 
ont  été  reconstruits  en  métal  quand  nous  avons  repris 
le  terrain. 

Mais  la  victoire  des  ponts  métalliques  n"est  pas 
définitive.  Leur  grand  ennemi  est  l'oxydation,  dont 
l'action  s'exerce  surtout  sur  les  ouvrages  des  chemins 
de  fer,  soumis  à  l'action  des  fumées  corrosives.  Les 
ponts  en  maçonnerie  durent  plus  longtemps.  La  pas- 
serelle du  pont  des  Arts  a  117  ans  d'existence,  les 
ponts  de  Trajan  ont  18  siècles.  Puisque  la  maçonnerie 
est  d'un  prix  trop  élevé,  on  a  songé  au  béton  armé. 
Il  a  également  l'avantage  de  la  durée  et  de  la  facilité 
d'entretien.  «  En  dehors  des  cas,  écrit  M.  Laroche 
dans  l'enquête  du  Comité  des  Forges,  où  le  pont  métal- 
lique s'impose,  —  traversée  de  vallée  profonde,  pas- 
sage en  courbe,  fondation  en  sol  mauvais,  surbaisse  - 
ment  imposé,  très  grande  portée  de  plus  de  150  mètres, 
—  le  pont  métallique  sera  vivement  combattu.  » 

Par  contre  l'acier  semble  avoir  définitivement  établi 
sa  prééminence  dans  l'industrie  du  bâtiment. 

A  la  fin  du  xvine  siècle,  l'architecte  Louis  fit  exé- 
cuter, en  fer  forgé,  le  comble  du  Théâtre-Français.  Ce 
fut  le  premier  ouvrage,  complètement  en  métal,  élevé 
dans  l'art  du  bâtiment.  Un  peu  plus  tard,  en  1809. 
le  Creusot  coule  la  première  charpente  en  fonte,  des- 
tinée à  la  Halle  aux  blés.  Mais  ces  constructions  devaient 
rester  longtemps  des  exceptions.  Alors  que  l'Angle- 
terre avait  adopté  la  fonte  et  poussait  ses  expériem  < 
sur  le  fer,  les  architectes  français  demeuraient  hostiles 
à  l'emploi  des  nouveaux  procédés.  C'est  seulement  en 
1845,  à  la  suite  d'une  grève  de  charpentiers,  que  l'on 
utilisa  le  fer  dans  la  construction  des  planchers.  Et 
c'est  seulement  à  la  fin  du  xixe  siècle  que  le  perfec- 
tionnement des  engins  de  manœuvre,  la  cherté  du  ter- 


LA    FONTE    AU    COKE  145 

rain  dans  les  villes,  l'élévation  des  immeubles,  les  prix 
très  modiques  des  profilés  imposèrent  l'usage  des  car- 
casses en  fer  et  en  acier. 

Actuellement,  le  bâtiment  est  un  des  meilleurs  clients 
de  notre  sidérurgie.  Les  poutrelles,  vendues  en  1912, 
ont  atteint  le  chiffre  de  490  000  tonnes,  dont  85  000 
pour  nos  colonies;  soit  une  consommation  de  9  kg.  G 
par  tête  d'habitant.  C'est  relativement  peu  si  l'on 
compare  la  production  étrangère.  Pour  la  même  année, 
elle  s'est  élevée  à  800  000  tonnes  en  Angleterre,  à 
1  690  000  tonnes  en  Allemagne. 

Etant  donnée  la  diversité  de  la  clientèle,  il  est  assez 
difficile  d'évaluer  exactement  le  tonnage  demandé  par 
la  construction  métallique  à  l'industrie  du  fer.  Le 
Comité  des  Forges  l'estime  à  2  060  000  tonnes  pour 
1913,  soit  69  p.  100  de  la  fabrication  des  produits  finis. 
Avant  la  guerre,  la  construction  suivait  une  courbe 
plutôt  ascendante.  Elle  paraissait  satisfaire  aux  besoins 
des  marchés  coloniaux  et  nationaux.  Les  périodes 
d'activité  correspondaient  aux  expositions  et  aux 
grands  travaux;  elles  étaient  séparées  par  des  périodes 
de  dépression  profonde,  où  le  travail  était  exécuté  à 
perte.  La  construction  métallique  est  susceptible  de 
transactions  plus  étendues. 

C.  La  construction  mécanique.  —  L'outillage  com- 
mercial, l'outillage  industriel,  l'outillage  agricole 
comprennent  des  pièces  de  forge,  des  moulages,  des 
laminés,  en  un  mot  des  produits  sidérurgiques  sous  les 
formes  les  plus  diverses.  On  aura  une  idée  de  l'impor- 
tance de  cette  clientèle  par  l'enquête  du  Comité  des 
Arts  et  Manufactures.  Son  rapporteur  estimait  le 
tonnage  de  métal  nécessaire  à  cette  fabrication  à 
1  500  000  tonnes  environ. 

Dans  cette  branche  de  l'activité  nationale,  la  France 

L'Industrie  du  fer  en  Iran  cl.  10 


146  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

a  toujours  apporté  ses  qualités  maltresses  :  la  clarté, 
l'originalité  et  la  profondeur  des  vues  théoriques,  l'in- 
géniosité dans  l'application  des  principes  à  la  réali- 
sation des  appareils,  l'esprit  d'invention  le  plus  déve- 
loppé dans  toutes  les  pallies  de  la  mécanique  appliquée. 
Cependant  l'étude  des  dernières  statistiques  révèle  la 
1  liste  infériorité  de  notre  production  :  nos  importa- 
tions l'emportent  grandement  sur  nos  exportations.  Le 
déficit  est  particulièrement  remarquable  pour  certains 
chapitres. 

En  1913,  notre  production  en  machines -outils  pou- 
vait être  estimée  à  10  minions  de  francs  environ;  nos 
importations  s'élevaient  à  40  millions  de  francs  (dont 
50  p.  100  en  provenance  d'Allemagne)  et  nos  expor- 
t  ations  à  9  millions  de  francs.  Notre  déficit  atteignait  au 
triple  de  notre  production. 

Pour  les  machines-outils  notre  fabrication,  évaluée 
à  20  millions  de  francs,,  ne  satisfaisait  qu'à  la  moitié 
de  notre  consommation.  Nous  en  recevions  pour-  22  mil- 
lions de  francs  (dont  38  p.  100  en  provenance  d'Alle- 
magne) et  nos  expéditions  ne  montaient  qu'au  dixième. 
De  même,  notre  production  en  machines  agricoles 
(120  millions  de  francs)  devait  être  renforcée  par  des 
importations  qui  atteignaient  30  millions  de  francs,  soit 
la  valeur  du  quart  de  notre  fabrication.  La  part  des 

États-Unis  aux  entrées  était  de  60  p.   100. 

Dans    le    matériel    de    brasserie,    l'Allemagne    nous 

envoyait  2  millions  de  francs  d'appareils,  la  moitié  du 

chiffre  de  notre  production. 

Enfin  les  machines  à  écrire,  les  machines  à  imprimer, 

les   machines   à  coudre  provenaient  en  partie   ou  en 

totalité  d'Angleterre,  d'Allemagne  et  des  Etats-Unis. 
Le  Comité  des  Arts  et  Manufactures  signale  trois 

causes  principales  à  cette  infériorité  de  notre  industrie 

mécanique  :  l'insuffisance  du  tarif  douanier  qui   favo- 


LA    FONTE    AU    COKE  147 

rise  les  matières  premières  au  détriment  des  produits 
finis;  les  prix  élevés  des  fontes  et  des  aciers  français 
par  comparaison  avec  les  fontee  et  les  aciers  étrangers; 
surtout  l'inertie  des  chefs  de  l'industrie  qui  se  canton- 
nent dans  un  particularisme  trop  étroit  et  qui  hésitent 
à  se  grouper  pour  un  effort  commun.  Encore  peu  déve- 
loppée, mais  susceptible,  grâce  au  talent  de  ses  ingé- 
nieurs, de  reconquérir  la  place  qui  lui  revient  sur  le 
marché,  la  construction  mécanique  doit  être,  dans 
l'avenir,  un  client  plus  important  pour  nos  hauts 
fourneaux  et  nos  aciéries. 

D.  Les  industries  de  la  guerre.  —  Dans  un  para- 
graphe précédent,  nous  avons  essayé  de  montrer 
l'évolution  de  la  marine  de  guerre  au  point  de  vue  de 
la  construction  navale  et  de  la  puissance  de  son  artil- 
lerie. Nous  en  avons  déduit  sa  valeur  comme  cliente 
de  l'industrie  du  fer.  Ce  sont  également  des  aciers 
spéciaux,  alliés  le  plus  souvent  à  des  métaux  rares  et 
chers,  que  réclame  l'armée  de  terre  pour  le  matériel 
de  l'infanterie,  de  l'artillerie,  du  génie  et  de  l'aviation. 
C'est  là  une  des  raisons  de  la  prospérité  métallurgique 
du  groupe  du  Centre. 

A  vrai  dire,  si  l'on  s'en  tenait  au  seul  tonnage,  les 
produits  pour  la  guerre  et  la  marine  ne  mériteraient 
pas  de  figurer  sous  une  rubrique  spéciale  puisqu'ils 
ne  représentent  que  25  000  à  30  000  tonnes,  année 
moyenne,  sur  une  production  totale  de  3  186000  tonnes 
de  produits  finis.  Mais  il  en  est  autrement  si  l'on 
considère  leur  utilité  nationale,  leur  valeur  absolue  et 
la  complication  de  l'outillage  qu'exige  leur  fabrication. 

Les  usines  du  Centre,  où  s'élaborent  ces  aciers,  ne 
s'imposent  pas  à  l'attention  par  le  nombre  de  leurs 
hauts  fourneaux  ou  celui  de  leurs  convertisseurs,  mais 
bien  par  la  quantité  des  fours  Martin  et  des  appareils 


148  L'INDUSTRIE    DU    FER    EX    FRANCE 

spéciaux.  Sur  les  762  creusets  que  possède  la  France, 
600  s'y  trouvaient  concentrés  en  1913.  «  C'est  là  aussi, 
écrit  M.  Tribot-Laspière,  que  se  trouvent  les  presses 
de  6  000  tonnes,  les  pilons  de  100  tonnes,  les  tours  à 
canon,  les  fosses  à  tremper  qui  permettent  de  travailler 
des  lingots  de  120  tonnes,  et  aussi  les  laboratoires  » 
où  sont  étudiées  les  qualités  du  métal.  C'est  là  que 
nos  plus  célèbres  ingénieurs  d'artillerie,  de  Reffye, 
de  Bange,  Canet,  Déport,  Rimailho  ont  donné  nais- 
sance au  matériel  qui  porte  leur  nom. 

L'industrie  de  T armement  est  l'industrie  de  luxe 
de  la  sidérurgie  française.  Aucune  branche  de  l'acti- 
vité nationale  n'exige  autant  de  précision  des  machines, 
d'attention  de  l'ouvrier,  d'invention  de  l'ingénieur. 
Pour  le  canon  de  305,  par  exemple,  il  faut  répéter 
44  fois  l'opération  du  frettage;  les  machines-outils 
doivent  posséder  une  précision  absolue  sur  40  mètres 
de  longueur  et  la  réussite  ou  la  mise  au  rebut  d'une 
pièce  de  300  000  francs  dépend,  pendant  des  semaines 
que  dure  le  travail,  de  l'attention  soutenue  de  toute 
la  main-d'œuvre.  De  même,  l'usinage  des  plaques  de 
blindage  dure  de  7  à  8  mois.  En  cours  de  fabrication, 
les  plaques  sont  soumises  à  des  essais  de  choc,  à  des 
examens  microscopiques,  à  des  analyses  chimiques 
qui  exercent  les  qualités  d'initiative  de  tout  le  personnel, 
depuis  le  moindre  manœuvre  jusqu'au  directeur. 

Ces  opérations  multiples  et  compliquées  expliquent 
la  différence  des  prix  de  revient.  En  Meurthe-et-Moselle, 
les  aciers  marchands  ne  dépassaient  pas,  avant  la  guerre, 
144  francs  la  tonne,  tandis  que  la  valeur  moyenne 
des  aciers  au  creuset  a  atteint  3  300  francs  la  tonne 
dans  la  Loire,  et  même  davantage  pour  le  matériel 
de  guerre. 

Les  industries  de  la  guerre  ont  tenu,  pendant  la  guerre, 
toutes  les  promesses  du  temps  de  paix.  L'habileté  de 


LA    FONTE    AU    COKE  149 

la  main-d'œuvre,  le  talent  des  ingénieurs  ont  permis 
de  satisfaire  aux  grandes  débauches  de  munitions  qui 
sont  une  des  caractéristiques  de  la  bataille  moderne. 
A  la  première  bataille  de  la  Marne,  l'armée  française 
a  consommé  1  cartouche  d'infanterie  pour  50  coups 
de  canon  ;  à  la  deuxième,  la  proportion  était  de  1  contre  7. 
'  Semblablement  le  calibre  des  pièces  et  le  poids  des 
projectiles  ont  été  augmentés  au  fur  et  à  mesure  que 
les  abris  étaient  renforcés  et  défilés  en  profondeur  : 
les  420  autrichiens  ont  été  surpassés  par  les  520  français. 
Enfin  des  engins  nouveaux  ont  été  créés  pour  percer 
la  fortification  de  campagne  :  les  tanks  ont  traversé 
la  ligne  Hindenbourg. 

L'industrie  des  transports,  la  construction  métal- 
lique, la  construction  mécanique,  les  industries  de  la 
guerre  étaient,  en  1913,  les  principaux  clients  de 
l'industrie  du  fer.  Mais  d'autres  modes  de  l'activité 
humaine  réclament  son  concours  qui  peuvent,  par  la 
suite,  devenir  des  consommateurs  assidus.  Parmi  les 
plus  récents,  et  qui  sont  encore  au  début  de  leur 
évolution,  il  suffit  de  citer  :  les  câbles  aériens  pour  le 
transport  des  produits  des  mines,  minières  et  carrières  ; 
l'aviation,  que  la  guerre  a  fait  rentrer  dans  le  domaine 
pratique;  l'industrie  électrique,  qui  équipe  nos  richesses 
hydrauliques  dans  les  Alpes,  les  Pyrénées  et  le  Massif 
central.  Ce  sera  l'œuvre  de  la  paix  de  développer  les 
anciennes  relations  et  d'en  conquérir  de  nouvelles. 


3°    L'ORGANISATION   SOCIALE   ET    COMMERCIALE 

L'importance  prise  par  l'industrie  du  fer  exigeait, 
pour  sa  défense,  la  création  d'organismes  nouveaux, 
inutiles  à  l'époque  où  la  fonte  au  coke  suffisait  aux 


l.r)0  L'INDUSTRIE    DIT    FER    EN     FRANCE 

demandes  modestes  d'une  clientèle  essentiellement 
localisée.  La  substitution  du  combustible  minéral  au 
combustible  végétal,  les  découvertes  deBessemer,  l'essor 
de  la  métallurgie  anglaise,  les  tarifs  libre-échangistes 
de  1860,  tous  ces  événements  d'ordre  technique,  écono- 
mique et  politique  décidèrent,  en  1864,  la  création  du 
Comité  des  Forges  de  France,  syndicat  professionnel 
avant  pour  but  exclusif  «  l'étude  et  la  défense  des 
intérêts  économiques,  industriels  et  commerciaux  de 
l'industrie  sidérurgique  »,  à  l'exclusion  de  tout  acte 
de  commerce. 

Sur  ce  terrain,  le  Comité  a  pu, en  1914,  réunir  252  adhé- 
rents qui  représentent  97  p.  100  de  la  production  de  la 
fonte  française  et  93  p.  100  de  l'acier,  représentant 
un  capital  de  1  150  000  francs,  employant  un  personnel 
de  200  000  ouvriers  ou  employés,  distribuant  par  an 
400  millions  de  salaires.  On  conçoit,  d'après  ces  chiffres, 
l'autorité  de  cette  association  dans  les  délibérations 
des  Chambres  et  dans  la  Presse. 

Sous  l'action  directrice  du  Comité,  fonctionnent 
diverses  chambres  syndicales  :  constructeurs  de  maté- 
riel de  chemin  de  fer,  constructeurs  de  navires  et  de 
machines  marines,  constructeurs  de  matériel  de  guerre, 

construction  métallique,  électro-métallurgie,  etc Le 

Comité  des  Forges  et  les  Chambres  syndicales  font 
partie  de  l'Union  des  industries  métallurgiques  qui 
groupe  53  chambres  syndicales. 

C'est  là  l'organisation  sociale  de  l'industrie  du  fer.  A 
ses  côtés,  l'organisation  commerciale  correspond  à  une 
nécessité  économique.  «  Elle  était  si  indispensable, 
écrit  M.  Tribot-Laspière,  qu'elle  est  apparue  dans  tous 
les  pays,  principalement  aux  États-Unis  et  en  Alle- 
magne, et  c'est  peut-être  pour  l'avoir  méconnue  que 
l'Angleterre  voit  son  industrie  sidérurgique  rester 
stationnaire  quand  celle  de  ses  voisins  progresse.  » 


T,A    FONTE    ATT    COKE  151 

L'union  n'a  été  réalisée  en  France,  ni  sous  la  forme 
violente  et  autoritaire  des  trusts  américains,  ni  sous  la 
forme  inquisitoriale  des  cartells  allemands.  Le  comp- 
toir français,  moins  intransigeant,  plus  respectueux  de 
la  liberté  individuelle,  se  contente  d'inscrire  les  com- 
mandes et  de  les  répartir  entre  les  associés,  proportion. 
nellement  à  la  production  déclarée.  Aussi  chaque  comp- 
toir ne  traite  que  d'un  produit  dont  la  fabrication  est 
obligatoirement  similaire  dans  chaque  usine,  pour  éviter 
les  réclamations  de  la  clientèle  et  pour  unifier  les  prix 
de  vente.  Ainsi  le  comptoir  métallurgique  de  Longwy 
ne  vend  que  des  fontes  brutes  et  le  comptoir  des  pou- 
trelles que  des  profilés,  dont  les  caractéristiques  sont 
soigneusement  fixées. 

Le  comptoir  est  un  organisme  régulateur  :  il  stabi- 
lise les  prix  de  vente.  Il  arrête  les  hausses  exagérées 
qui  déprimeraient  la  clientèle.  Entre  1895  et  1904,  la 
hausse  des  charbons  a  été  de  22  p.  100  en  Allemagne 
où  existaient  des  ententes;  tandis  qu'elle  a  atteint 
134  p.  100  en  France,  147  p.  100  en  Belgique,  193  p.  100 
en  Angleterre,  où  des  associations  analogues  manquaient. 
En  France,  dans  la  même  période,  les  fers  marchands 
vendus  librement  par  les  usines  ont  subi  une  hausse  de 
08  p.  100,  tandis  que  les  poutrelles,  vendues  par  le 
comptoir,  ne  montaient  que  de  33  p.  100.  Par  contre, 
dans  les  périodes  de  baisse,  le  comptoir  ne  peut  main- 
tenir les  prix  syndicataires.  En  1921,  le  comptoir  de 
Longwy  a  rendu  la  liberté  à  ses  adhérents. 

Le  comptoir  est  aussi  un  instrument  de  propagande. 
C'est  grâce  à  l'organisation  de  Longwy  que  les  maîtres 
de  forges  lorrains  ont  pu  faire  connaître  leur  fonte,  un 
moment  si  décriée,  même  dans  la  clientèle  nationale. 
Grâce  au  comptoir  d'exportation  des  fontes  et  à  celui 
des  poutrelles,  notre  industrie  est  parvenue  à  prendre 
place  sur  les  marchés  étrangers.   En  (!  ans,  l'exporta- 


152  l'industrie  du  fer  en   France 

tion  des  poutrelles  et  des  rails  a  quintuplé  :  elle  est 
passée  de  40  000  à  200  000  tonnes. 

Au  moyen  de  ce  mécanisme  ingénieux,  les  métallur- 
gistes sont  arrivés  à  protéger  la  liberté  de  leur  industrie, 
à  régulariser  la  production,  à  sauvegarder  les  droits  du 
consommateur,  à  lutter  contre  la  concurrence  étran- 
gère à  l'intérieur,  à  lui  reprendre  des  marchés  à  l'extérieur. 


VI.    —   LA    PUISSANCE     MÉTALLURGIQUE 

Entre  les  petites  fabriques  du  xviitp  siècle,  dont  les 
plus  importantes  ne  produisaient  guère  plus  d'un  millier 
de  tonnes  de  fonte  par  an  et  nos  usines  sidérurgiques 
d'aujourd'hui,  qui  écoulent  jusqu'à  300  000  tonnes  de 
produits  marchands,  il  n'y  a  guère  de  terme  de  compa- 
raison. Le  minerai  de  fer  est  la  commune  origine  de 
leur  activité,  mais  les  modifications  apportées  à  la 
technique  dominent  l'évolution  de  la  métallurgie.  A  une 
poussière  de  petites  fabriques  clairsemées,  éparpillées 
à  travers  toute  la  France,  sans  lien  entre  elles,  étroite- 
ment spécialisées  dans  la  production,  se  sont  substituées 
d'énormes  agglomérations  industrielles,  concentrées  en 
certains  points  du  territoire,  réunies  par  des  liens  syn- 
dicaux et  économiques  et  qui  livrent  les  produits  les 
plus  divers. 

Autrefois,  chaque  usine  ouvrait,  avec  le  minerai 
voisin,  une  qualité  de  fonte  toujours  la  même,  dont  la 
réputation,  bonne  ou  mauvaise,  était  solidement  établie 
faute  de  procédés  techniques  capables  de  la  modifier. 
Les  fontes  de  Lorraine  étaient  cassantes  et  ne  valaient 
que  parle  moulage,  celles  du  Dauphin  é  étaient  ployantes, 
propres  aux  aciers  les  plus  fins.  Aujourd'hui,  les  hauts 
fourneaux  utilisent  toutes  sortes  de  minerais  et  coulent 


LA    FONTE    AU    COKE  153 

les  fontes  les  plus  différentes  :  fonte  d'affinage,  fontes 
de  moulage,  fontes  Bessemer,  fontes  Thomas,  fontes 
Martin,  fontes  spéciales.  Nous  savons  que  la  métal- 
lurgie lorraine,  spécialisée  dans  l'acier  Thomas  par 
l'emploi  forcé  de  la  minette,  s'équipe  cependant  pour 
la  fabrication  de  l'acier  Martin.  Les  aciéries  modernes 
juxtaposent,  dans  leurs  halles,  les  appareils  les  plus 
divers,  convertisseurs,  fours  et  creusets  —  et  cepen- 
dant c'est  la  même  fonte  qui  les  alimente. 

D'autre  part,  dans  son  voisinage  immédiat,  le  haut 
fourneau  est  l'instigateur  d'industries  qui  étonneraient 
fort  les  maîtres  de  forges  du  xvme  siècle.  La  métallurgie 
moderne  a  poussé,  jusque  dans  ses  dernières  perfec- 
tions, l'utilisation  des  sous-produits. 

Les  hauts  fourneaux  alimentent  et  contrôlent  :  les 
usines  d'agglomération  pour  utiliser  le  fer  contenu 
dans  les  poussières  (40  p.  100)  et  les  boues  (30  p.  100) 
provenant  de  l'épuration  des  gaz  sortis  du  gueulard; 
ces  briquettes  entrent,  par  la  suite,  dans  les  lits  de 
fusion;  les  usines  électriques  alimentées  par  les  gaz 
et  qui  distribuent  à  l'extérieur  l'excès  d'énergie  dont 
la  fabrication  sidérurgique  n'a  pas  besoin,  ainsi  la 
ville  de  Metz  est  éclairée  par  les  hauts  fourneaux  de 
Maizières;  les  cimenteries  et  briqueteries  qui  malaxent 
les  scories  avec  la  chaux  exploitée  dans  les  carrières 
voisines,  les  voûtes  et  les  galeries  du  Métropolitain  de 
Paris  ont  été  construites  avec  des  briques  provenant 
des  usines  de  Meurthe-et-Moselle;  les  broyeurs  et  les 
concasseurs  pour  la  fabrication  du  ballast  avec  les 
crasses  des  hauts  fourneaux,  en  1913,  les  aciéries  de 
Longwy  ont  livré  104  000  tonnes  de  ballast. 

D'autre  part,  les  convertisseurs  Thomas  fournissent 
des  scories  de  déphosphoration,  très  estimées  en  agricul- 
ture :  les  aciéries  de  Longwy  en  ont  vendu  77  000  tonnes 
l'année  qui  a  précédé  la  guerre. 


154  L'INDUSTRIE    F»TJ    FER    EN    FRANCE 

Enfin  les  tours  à  coke  permettent  de  récupérer  du 
sulfate  d'ammoniaque,  du  goudron,  de  la  naphtaline, 
des  benzols  :  pour  cette  raison,  les  Allemands  refusaient 
énergiquement.  avant-guerre,  de  vendre  des  houilles 
à  coke  aux  métallurgistes  français  et  ne  consentaient 
qu'à  expédier  du  coke. 

Si  l'on  passe  airx  ateliers  de  transformation,  le  con- 
traste est  également  grand.  Jadis,  le  martinet  et  la 
platinerie  formaient  tout  l'outillage  de  l'industrie  dtt 
fer.  Actuellement,  la  diversité  de  la  production  impose 
l'établissement  d'appareils  très  différents.  «  Pour  trans- 
former 1  million  de  tonnes  de  minerais  en  acier,  écrit 
M.  Brull,  c'est-à-dire  pour  fabriquer  500  000  tonnes 
d'acier  laminé  par  an,  soit  1  600  à  1  800  tonnes  d'acier 
par  jour,  il  faut  une  usine  énorme  :  8  hauts  fourneaux. 
1  aciérie,  2  trains  blooming,  2  trains  réversibles,  1  gros 
train  trio  de  700  millimètres,  1  train  de  600  millimètres, 
1  train  moyen,  2  petits  trains  don!  1  à  fil  »,  des  dégros  - 
sisseurs,  des  machines  à  dresser,  à  fraiser,  à  percer,  à 
encocher,  à  poinçonner,  etc.,  une  station  centrale, 
des  services  accessoires  très  développés.  Pendant  l'inva- 
sion, les  Allemands  pillèrent  et  brisèrent  les  ateliers 
de  Denain-Anzin.  Le  déménagement  du  matériel  utili- 
sable et  son  expédition  outre-Rhin  exigèrent  la  mise 
en  marche  de  35  000  wagons. 

Ces  engins  divers  nécessitent  une  place  considérable  : 
72  hectares  à  Hayange;  90  à  Caen;  200  à  Denain- 
Anzin;  197  à  Longwy,  dont  21  pour  les  bâtiments  et 
ateliers,  81  pour  les  cours  et  dépôts,  25  pour  les  voies 
et  les  gares,  70  pour  les  crassiers,  jardins  et  dépen- 
dances. Les  ruines  des  anciennes  forges  ne  donnent 
pas  cette  impression  de  grandeur.  Quand  elles  étei- 
gnirent leurs  feux,  au  cours  du  xixe  siècle,  elles  furent 
transformées  le  plus  souvent  en  moulins. 

Les  propriétés  foncières,  les  installations,  le  matériel, 


LA    FONTE    ATT    COKE  155 

les  concessions  minières  consomment  un  gros  capital. 
Pour  produire  300  000  tonnes  de  produits  finis  en 
acier,  les  aciéries  de  Longwy  avaient  émis,  en  1914, 
24  millions  de  francs  en  actions  et  14  millions  de  francs 
en  obligations.  Pour  une  même  production,  la  Société 
normande  de  métallurgie,  qui  exploitait  les  hauts  four- 
neaux de  Caen  et  les  gisements  ferrifères  du  Calvados, 
inscrivait  à  son  passif  45  millions  de  francs  avant  la 
guerre  :  actuellement  le  capital  engagé  est  de  100  mil- 
lions de  francs,  sans  compter  les  obligations.  On  a 
estimé  à  plus  de  1  200  millions  de  francs  les  capi- 
taux investis  dans  la  métallurgie  française,  avant  la 
guerre.  Actuellement  l'établissement  des  sociétés  métal- 
lurgiques est,  pour  la  plus  grande  partie,  fonction 
du  capital.  Quand  toutes  les  conditions  économiques 
seraient  acquises,  il  y  a,  du  point  de  vue  financier, 
impossibilité  de  multiplier  les  aciéries.  L'industrie  du 
fer  est  concentrée  sous  le  contrôle  de  quelques  sociétés. 
("est  le  monopole  d'une  oligarchie. 


Arrivée  à  ce  stade  de  son  évolution,  la  sidérurgie 
française  a  pris  la  figure  d'une  de  ces  forces  écono- 
miques qui  caractérisent  l'activité  d'un  pays.  Dans 
l'histoire  des  énergies  nationales,  c'est  un  phénomène 
relativement  récent.  Si  le  siècle  du  fer  remonte,  pour 
l'Angleterre  au  xvme  siècle,  pour  la  Belgique  et  l'Alle- 
magne au  commencement  du  xixe,  il  ne  peut  guère 
dater  en  France  que  des  années  1880  à  1890.  Sans 
doute  avec  le  coke,  la  machine  à  vapeur  et  les  chemins 
de  fer,  notre  métallurgie  possédait,  comme  ses  rivales, 
dès  1890,  tous  les  outils  du  travail  moderne.  «  Mais, 
comme  l'a  écrit  M.  Demangeon,  ces  germes  n'ont  pas 
donné  de  suite  une  floraison  immédiate.  Longtemps, 
ils  ne  seront  maintenus  qu'en  de  rares  centres,  mieux 


156  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

pourvus  et  mieux  situés  que  les  autres.  Durant  presque 
tout  le  xixe  siècle,  sauf  en  quelques  foyers  de  puis- 
sante vitalité,  notre  métallurgie  se  dégagea  pénible- 
ment des  liens  du  passé,  distancée  par  la  colossale 
métallurgie  de  la  Grande-Bretagne.  » 

A  la  fin  du  xixe  siècle,  l'industrie  du  fer  se  trouvait 
encore,  en  France,  dans  la  jeunesse.  Alors  que,  dans  le 
monde  entier,  les  besoins  en  fer  étaient  montés,  en 
100  ans,  de  800  000  tonnes  à  00  millions  de  tonnes: 
malgré  la  richesse  de  notre  sous-sol  en  minerai,  la  France 
de  1900  ne  fabriquait  que  2  700  000  tonnes  de  fonte, 
importait  2  119  000  tonnes  de  minerai,  en  exportait 
327  000  tonnes  seulement.  Plus  de  la  moitié  de  la  fonte 
était  produite  en  partant  des  minerais  étrangers. 
L'épuisement  des  gisements  étrangers,  la  mise  en  œuvre 
des  procédés  Thomas  ont  donné  l'essor  à  notre  métal- 
lurgie. La  mine  de  fer  est  devenue  une  puissance  comme 
la  mine  de  charbon  :  elle  a  pris  une  place  de  premier 
ordre  parmi  les  agents  de  1" énergie  nationale,  ^on 
activité  n'est  pas  limitée,  comme  jadis,  à  quelques 
kilomètres  des  gisements.  Elle  s'impose  à  toutela contrée 
environnante,  à  toute  la  nation  :  bientôt,  elle  déborde 
au  delà  des  mers. 

De  même  qu'il  existe  des  villes  dont  l'énergie  et  les 
capitaux  contrôlent  le  pays  dont  elles  vivent  et  qu'elles 
font  vivre,  il  existe  des  industries  qui  modifient  complè- 
tement la  physionomie  économique  des  nations.  Dans 
le  cas  qui  nous  occupe,  la  puissance  métallurgique  ne 
s'arrête  pas  aux  abords  des  usines  qui  élaborent  le 
minerai;  son  rôle  social  est  infiniment  plus  complexe. 
Par  sa  clientèle,  elle  agit  directement  sur  les  industries 
des  transports,  de  l'habitation,  de  la  construction 
mécanique,  de  la  construction  métallique,  de  l'arme- 
ment; indirectement  sur  les  industries  des  produits 
chimiques   et   de   l'agriculture.    Par    l'organisation    de 


LA    FONTE    AU    COKE  157 

ses  débouchés  elle  domine  les  problèmes  de  la  circu- 
lation nationale  :  elle  transforme  les  réseaux  de  chemins 
de  fer  et  suscite  de  nouveaux  tracés;  elle  suggère  des 
améliorations  au  réseau  des  voies  navigables  et  elle 
propose  l'aménagement  des  ports.  Par  ses  besoins  consi- 
dérables en  main-d'œuvre,  elle  intervient  comme  agent 
de  peuplement  et  de  colonisation  :  si  elle  concentre, 
à  pied-d'œuvre  une  population  spéciale  et  qui  n'a  plus 
rien  de  commun  avec  les  agricoles  des  environs,  elle 
entretient  aussi  un  personnel  de  manutentionnaires, 
de  commis,  de  courtiers;  de  marins,  quand  elle  possède 
une  flotte;  d'étrangers,  quand  elle  essaime  en  dehors 
des  frontières.  L'industrie  du  fer  est  un  des  agents  les 
plus  puissants  de  l'activité  nationale. 

Quand  les  relations  ne  sont  pas  résolues  entre  les 
différents  organes,  l'industrie  est  obligée  de  s'arrêter 
et  elle  entraîne  le  pays  dans  un  cataclysme  écono- 
mique. Ces  perturbations  étaient  inconnues  aux  époques 
où  la  mine  produisait  uniquement  pour  le  marché  local. 
Quand  les  traités  libre-échangistes  de  1860  donnèrent 
le  coup  de  grâce  aux  petites  métallurgies  de  la  fonte 
au  bois,  la  main-d'œuvre  libérée  se  livra  plus  exclusi- 
vement aux  travaux  de  la  terre;  mais  il  n'en  résulta 
pas  grand  changement  dans  l'activité  régionale.  Aujour- 
d'hui, on  ne  peut  envisager,  sans  angoisse,  la  dispari- 
tion de  l'industrie  lorraine,  par  exemple; —  ou  même 
l'arrêt  brusque  des  mines  de  Normandie,  de  Bretagne 
et  d'Anjou,  bien  qu'elles  soient  au  début  de  leur  nou- 
velle existence. 


Ouvrages  à  consulter. 

Pour  fêter  son  cinquantenaire,  le  Comité  des  Forges 
a  publié  une  volumineuse  étude  où  les  auteurs  les  plus  autorisés 
décrivent  l'évolution  de  la  sidérurgie  française  depuis  l'intro- 


158  l'industrie  du  fer   en    France 

duction  du  coke  dans  les  hauts  fourneaux.  Cet  ouvrage  est 
la  base  de  tout  travail  concernant  le  xrxe  siècle  et  les  pre- 
mières années  du  xxe.  Il  a  pour  titre  :  Comité  des  Forges  ;>r. 
France.  I.  La  Sidérurgie  française,  1864-1913  (Paris,  192  I, 
in-4).  —  II.  Tableaux  statistiques  de  la  'production  minière  et 
sidérurgique  des  principaux  pays,  1864-1931  (Paris,  1921,  in-1). 

Parmi  les  nombreux  ouvrages  parus  sur  le  sujet,  on  lira 
avec  fruit  :  Angles  d'Auriac  (P.).  L'évolution  des  procédés  sidé- 
rurgiques et  les  réserves  mondiales  de  minerai  de  fer  (Bulletin 
de  la  société  de  l'Industrie  minérale,  XVII,  1911).  —  Lamétal- 
lurgie  du  fer,  par  Paul  Doumer;  Etudes  par  Doïïjier  (P.), 
Paul  Irveins,  Fritz  Thyssen,  J.-O.  Arnold,  L.  Bâclé. 
P.  Nicou,  E.  de  Loisy,  W.  Kestranek,  baron  de  Laveleye, 
F.  Meyek  (Paris,  Vuibert,  1910,  in-8).  —  Ferasson  (L.).  La 
question  du  fer.  Le  problème  franco-allemand  du  fer  (Paris, 
Payot,  1918,  in-16).  —  Id.  L'industrie  du  fer  (ibid.).  — 
Laffite  (L.).  L'évolution  économique  de  la  Lorraine  (Annales 
de  Géographie,  XXI,  15  janvier  1913).  —  Laurent  (Th.). 
Le  développement  économique  de  la  France.  L'industrie  métal- 
lurgique (Paris,  A.  Rousseau,  1912,  in-8,  extrait  du  Bulletin  du 
Musée  social,  avril  1912).  —  Tribot-Laspière  (J.).  L'industrie 
du  fer  en  France  (Paris,  Vuibert,  1917,  in-8). 

Parmi  les  statistiques,  consulter  principalement  :  Ministère 
des  Travaux  publics  (Direction  des  mines).  Statistique  de  l'Indus- 
trie minérale  et  des  appareils  à  vapeur  en  France  et  en  Algérie 
(Paris,  Imprimerie  nationale,  grand  in-8,  publication  annuelle). 


Chapitre  IV 
L'INDUSTRIE    DU    FER    APRÈS    LA     GUERRE 


Aucune  découverte  n'a  modifié  dans  ces  dernières 
années  la  technique  de  la  sidérurgie  ;  et  cependant, 
le  tableau,  que  nous  en  avons  tracé  à  la  fin  de  1914,  ne 
saurait  répondre  à  la  situation  actuelle.  Si  le  fond, 
c'est-à-dire  la  puissance  ferrifère  de  la  France,  est  tou- 
jours exact,  certains  traits  du  premier  plan  nous  parais- 
sent déjà  surannés.  La  guerre  a  bouleversé  l'harmonie 
des  lignes.  Sans  doute,  avant  les  hostilités,  l'industrie  du 
fer  en  France  paraissait  très  modeste  si  on  la  comparait 
à  ses  grandes  concurrentes  d'Allemagne,  d'Angleterre, 
des  États-Unis;  mais,  en  définitive,  la  prudence  de  ses 
dirigeants,  l'intelligence  de  ses  ingénieurs,  l'habileté 
de  sa  main-d'œuvre  avaient  réussi  à  résoudre  les  pro- 
blèmes les  plus  difficiles,  à  composer  un  ensemble 
parfaitement  agencé  où  les  différents  organes  s'engre- 
naient avec  la  plus  grande  douceur  pour  produire  le 
rendement  maximum.  La  métallurgie  française  pré- 
sentait le  type  d'une  industrie  modérément,  mais  ration- 
nellement développée.  Malheureusement,  concentrée 
presque  entièrement    aux  frontières,  notre   sidérurgie 


160  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

devait  subir  les  premières  violences  de  l'invasion.  Dès 
les  débuts  des  hostilités,  l'avance  de  l'ennemi  réduisit 
l'extraction  minière  à  17  p.  100  de  sa  valeur  d'avant 
guerre;  la  production  de  la  fonte  à  36  p.  100,  à  17  p.  100 
seulement  si  l'on  tient  compte  des  hauts  fourneaux 
placés  sous  son  canon. 

Un  sait  comment  l'énergie  nationale  résolut  le  pro- 
blème des  réparations  sans  attendre  que  l'Allemagne 
ht  honneur  à  sa  signature.  Les  usines  rallumèrent  leurs 
feux  bien  avant  l'époque  fixée.  Malgré  la  brutalité 
des  destructions  systématiques,  la  sidérurgie  s'est  fait 
une  gloire  de  reprendre  ses  opérations  dans  un  délai 
que  l'ennemi  escomptait  beaucoup  plus  long.  Les 
ruines  se  relèvent  rapidement;  c'est  d'ailleurs  que 
viennent  les  préoccupations. 

Le  tracé  des  nouvelles  frontières  présente  à  l'industrie 
métallurgique,  et  par  elle,  au  pays  entier,  un  problème 
économique  tout  différent  de  celui  qui  existait  avant 
guerre.  Le  traité  de  paix  a  donné  à  la  France  la  maî- 
trise incontestable  du  marché  du  minerai  de  fer  en 
Europe  sans  lui  conférer  la  prééminence  métallur- 
gique, par  le  fait  de  l'insuffisance  de  nos  ressources 
houillères.  D'autre  part,  la  fabrication  se  trouve,  au 
point  de  vue  de  la  production  et  de  son  écoulement, 
dans  une  situation  toute  nouvelle  par  suite  de  la 
rentrée  dans  le  domaine  national  des  hauts  fourneaux 
et  des  aciéries  édifiés  en  Lorraine  désannexée  par  la 
sidérurgie  germanique.  Pour  un  temps  l'industrie  du 
fer  semble  avoir  perdu  son  équilibre.  Il  importe,  en  fin 
de  cette  étude,  d'examiner  les  moyens  dont  elle  dispose, 
pour  soutenir  la  lutte  sur  les  marchés,  à  l'intérieur 
et  à  l'extérieur. 

Le  tableau  ci-dessous  comprend  les  données  prin- 
cipales du  problème. 


APRÈS    LA    GUERRE 


161 


A 

B 

C 

Production 

Production 

de  la 

de  la 

Production 

Total 

France 

Lorraine 

de 

A  +  B  +  C 

Matières  pre- 

en   1913 

annexée 

la  Sarre 

(enlOOOt.) 

(en  1  000  t.) 

(enlOOOt.) 

(enlOOOt.) 

mières  : 

— 

— 

— 

— 

Houille    (  sans 

lignite  )    .    . 

40  120 

3  795 

13  218 

57  142 

Coke    .... 

4  027 

91 

1900 

6  018 

Minerais  de  fer. 

21  919  * 

21  135 

» 

43  054 

Produits  bruts: 

Fonte  .... 

5  207 

3  870 

1371 

10  448  2 

Acier   .... 

4  680 

2  286 

2  079 

9  051  '■'• 

Produits  finis: 

Fer 

400 

» 

)) 

406 

Acier    .... 

3  180 

2  027 

1  052 

6  865 

r. 


LES    MATIÈRES    PREMIÈRES 


Le  charbon.  —  Eu  1913,  la  production  de  la  France, 
charbons  et  lignites,  a  atteint  40  millions  de  tonues;  la 
consommation,  62  millions  de  tonnes;  le  surplus  des 
importations  sur  les  exportations,  22  millions  de  tonnes. 
Sous  forme  de  coke  ou  sous  forme  de  houille,  la  métal- 
lurgie absorbait  12  545  000  tonnes,  soit  19,6  p.  100 
du  total. 

Depuis  la  guerre,  notre  situation  est  encore  plus 
sombre.  L'invasion  nous  a  privé  de  50  p.  100  de  notre 
production  et  mis  26  p.  100  sous  le  canon  de  l'ennemi. 
Si  l'on  portait  sur  une  carte  d'Angleterre  la  surface 
des  houillères  envahies,  le  grisé  couvrirait  les  Midland, 
le  Cleveland  et  plus  de  la  moitié  des  territoires  miniers 


1.  Sans  compter  1  026  000  tonnes  de  minerais  algériens  et  tunisiens. 

2.  A  cette  production  viendront  s'ajouter  au  moins  400  000  ton- 
nes provenant  des  hauts  fourneaux  construits  pendant  la  guerre 
(100  000  tonnes  à  Rouen;  300  000  tonnes  à  Caen). 

:{.  A  cette  production  s'ajouteront  600  000  tonnes  produites  par  les 
aciéries  construites  pendant  la  guerre. 


L'Industrie  di    fer  en  France. 


1! 


162  l'industrie  du  fer  ex   fra.v  i: 

et  charbonniers  du  Durham.  En  Amérique,  la  partie 
ombrée  s'étendrait  sur  les  états  de  Pennsylvanie,  de 
l'Ohio,  du  Maryland  (la  région  du  Pocohontas  exceptée), 
la  Caroline,  la  Géorgie.  Depuis  la  paix,  le  travail  a 
pansé  ces  blessures;  mais  toutes  ne  sont  pas  fermées 
et  la  production  française  de  1920  ne  comptait  guère 
plus  de  25  millions  de  tonnes. 

Sans  doute,  le  bassin  de  la  Sarre  nous  est  revenu, 
après  la  paix,  en  compensation  de  la  destruction  systé- 
matique de  nos  houillères  du  Xord  et  du  Pas-de-Calais; 
il  contient,  à  lui  seul,  autant  de  charbon  que  tous  les 
bassins  français  :  17,5  milliards  de  tonnes;  mais  ce 
charbon  est  peu  propre  à  la  fabrication  du  coke  métal- 
lurgique. 

Par  sa  nature  physique,  trop  gras,  trop  collant,  pas 
assez  •cendreux,  il  produit  un  coke  inférieur  en  qualité 
et  en  quantité.  Le  rendement  en  coke  de  la  houille 
de  la  Sarre  est  fort  inférieur  au  rendement  en  coke  des 
charbons  westphaliens  :  par  ailleurs,  le  produit,  très 
friable,  se  réduit  en  poussière  dans  le  haut  fourneau 
sous  le  poids  du  minerai.  Son  emploi,  sans  mélange, 
présente  les  plus  grandes  difficultés.  «  L'exemple  le 
plus  topique,  écrit  M.  Robert-Muller,  me  semble  le 
suivant.  L'une  des  grosses  firmes  métallurgiques  lor- 
raines, qui  possède  une  exploitation  houillère  dans 
la  partie  lorraine  du  bassin  de  la  Sarre,  ne  peut  employer, 
dans  son  installation,  qu'environ  25  p.  100  de  fines 
de  cette  région,  parce  que  trop  grasses.  Elle  se  voit 
obligée  de  faire  venir  du  fond  de  la  Westphalie,  d'une 
mine  où  elle  a  pris  des  participations,  précisément 
dans  cette  intention,  l'énorme  proportion  de  75  p.  100 
de  fines  maigres,  grâce  au  mélange  desquelles  le  pour- 
centage appropriée  en  matières  volatiles  peut  être 
rétabli  :  voilà  des  frais  de  transport  qu'elle  n'assume 
pas  sans  nécessité.  » 


APKÈS    LA    GUERRE  163 

Avant  guerre,  la  métallurgie  de  Meurthe-et-Moselle 
brûlait  3  500000  tonnes  de  coke  par  an,  soit  1 200000  ton- 
nes venant  du  Pas-de-Calais,  le  reste  deWestphalie,  rien 
de  la  Sarre  voisine.  En  Lorraine  désannexée,  sur  les 
4  500  000  tonnes  de  coke  consommées  par  les  usines 
de  la  région  de  Thionville,  les  trois  quarts  provenaient 
de  Westphalie,  le  dernier  quart  comportait  trois  four- 
nisseurs hétérogènes,  la  Sarre  n'était  que  l'un  d'eux. 
("est  dire  que  le  coke  de  la  Sarre  n'était  représenté 
dans  la  consommation  lorraine  du  fer  que  par  une 
quantité  insignifiante. 

L'exploitation  des  mines  de  la  Sarre  n'apporte  donc 
point  à  la  métallurgie  française  la  solution  du  problème 
du  combustible.  Au  contraire, la  reprise  des  métallurgics 
de  la  Lorraine  désannexée  l'a  aggravé,  En  définitive,  le 
déficit  d'avant  guerre  comportait  20  millions  de  tonnes 
de  houille  ordinaire  et  4  millions  détonnes  de  houille  à 
coke;  il  comportera,  quand  nos  charbonnages  français 
auront  repris  leur  marche  normale,  14  millions  de  tonnes 
de  houille  ordinaire  et  10  millions  de  tonnes  de  houille 
à  coke.  Pour  recevoir  les  cokes  indispensables  à  notre 
métallurgie,  les  techniciens  avaient  demandé  à  la  Confé- 
rence de  la  paix  un  droit  sur  les  charbonnages  westpha- 
liens.  Ce  vœu  fut  repoussé;  sa  réalisation  portait  un 
trop  rude  coup  aux  finances  anglaises  et  allemandes. 

En  1913,  notre  importation  en  charbon  nous  a  coûté 
636  millions  de  francs,  qui  sont  allés  enrichir  nos  voisins 
sans  que  notre  exportation  de  minerai  soit  une  contre- 
partie suffisante,  bien  loin  delà.  La  paix  de  Versailh  s 
n'a  rien  changé  à  cette  situation.  Nous  sommes,  comme 
devant,  sous  la  dépendance  économique  des  nations 
charbonnières  :  l'Angleterre,  l'Allemagne  et,  dans  un 
avenir  prochain,  des  États-Unis.  Nous  savons  comment 
l'élévation  de  notre  prix  de  revient,  fonction  des  prix 
supérieurs  du  combustible,  désavantageait  nos  maîtres 


164  l'industrie  t>u  fer  en  erance 

de  forges  sur  les  marchés  intérieur  et  extérieur.  La 
disproportion  dans  le  prix  des  houilles  a  été  plus  défa- 
vorable encore  après  la  guerre.  En  1920,  nos  industriels 
ont  payé  la  tonne  de  houille  280  francs,  tandis  qu'elle 
revenait  à  84  francs  en  Angleterre,  à  72  francs  en  Alle- 
magne. Comme  conséquence  la  tonne  de  rails  atteignit 
1  100  francs,  contre  120  francs  en  1913  :  le  kilo  de  rail 
coûtait  plus  cher  que  le  kilo  de  pain.  Pour  ne  point 
grever  nos  finances  si  lourdement  obérées,  pour  arrêter 
l'exode  de  nos  capitaux,  les  pouvons  publics  exami- 
nèrent, un  moment,  l'idée  de  contingenter  la  produc- 
tion du  minerai  de  fer  et  de  la  réduire  suivant  les 
besoins  les  plus  urgents  du  pays. 

De  cette  crise  charbonnière,  dont  on  n'entrevoit  pas 
bien  la  solution  à  l'heure  actuelle,  c'est  la  métallurgie 
qui  doit  le  plus  longtemps  souffrir.  Le  pétrole  et  l'alcool 
peuvent  fournir  l'énergie  dans  l'industrie  des  transports, 
l'automobile  et  la  navigation;  la  houille  blanche  et 
la  houille  verte  remplaceront  progressivement  la  houille 
noire  pour  la  production  de  la  chaleur,  de  la  lumière; 
mais  le  combustible  minéral  demeure  omnipotent  en 
métallurgie. 

Le  four  électrique,  malgré  les  grands  progrès  de  ces 
dernières  années,  n'est  pas  encore  arrivé  au  stade 
industriel  qui  assure  la  transformation  directe  du  mine- 
rai en  fonte.  Le  Comité  des  Forges  a  calculé  qu'en  don- 
nant au  coke  un  pouvoir  de  7  000  calories  et  un  prix 
de  25  fr.  50  la  tonne  (prix  d'avant  guerre),  le  prix  de- 
revient  des  1  000  calories  était  de  0  fr.  0095  a  u  haut 
fourneau  et  de  0  fr.  0190  au  four  électrique,  soit  un 
écart  do  100  p.  100.  Le  four  électrique,  comme  appa- 
reil sidérurgique,  ne  garde  sa  supériorité  que  dans  des 
cas  très  spéciaux  :  en  Suède,  où  les  installations  des 
chutes  reviennent  fuit  peu  cher,  en  Fiance,  pendant 
les  hostilités,  quand  la  valeur  du  prix  de  revient  dispa- 


APRÈS    LA    GUERRE  165 

raissait  devant  la  nécessité  d'une  fabrication  rapide. 
Cependant  le  four  électrique  demeure  l'appareil  le  plus 
perfectionné  pour  l'épuration  des  fontes  ou  la  fabri- 
cation des  aciers  spéciaux. 

Dans  ces  derniers  temps,  les  ingénieurs  français  ont 
cherché  à  diminuer  la  valeur  du  combustible  en  métal- 
lurgie :  ils  ont  tenté  de  transformer  en  coke  des  houilles 
quelconques.  Sous  l'impulsion  de  l'ingénieur  en  chef, 
directeur  du  Service  des  mines  en  Alsace-Lorraine,  des 
résultats  ont  été  obtenus  qui  permettent  toutes  les 
espérances.  Il  semble  qu'en  cuisant  le  charbon  à  une 
température  très  élevée,  on  puisse  utiliser  des  qualités, 
jusqu'alors  réputées  impropres  à  la  cokification.  Le 
coke  obtenu  avec  du  charbon  sarrois  ou  lorrain  présen- 
terait à  l'écrasement  une  résistance  de  400  kilos  au 
centimètre  carré,  alors  qu'avec  les  meilleurs  cokes 
westphaliens  on  obtiendrait  un  maximum  de  350  kilos. 
Son  prix  de  revient,  légèrement  supérieur,  serait  com- 
pensé par  la  diminution  des  frais  de  transport  et  par 
l'utilisation  d'une  quantité  de  sous-produits,  notable- 
ment supérieure  à  celle  obtenue  dans  la  Ruhr.  D'autres 
essais,  dans  le  même  sens,  ont  été  entrepris  sur  divers 
points  du  bassin  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais. 

Il  convient  d'accueillir  ces  découvertes  avec  le  plus 
vif  intérêt.  Le  ministre  des  Travaux  publics  les  encou- 
rage; si  elles  parviennent  h  sortir  du  laboratoire  pour 
entrer  dans  la  pratique  industrielle,  la  métallurgie 
française  sortira  de  l'esclavage  où  la  tiennent  les  char- 
bonnages étrangers. 

Depuis  50  ans,  les  grands  perfectionnements  de  la 
sidérurgie  ont  porté  sur  une  meilleure  utilisation  des 
minerais  impurs,  sur  la  technique  de  la  fabrication  ; 
rien  n'a  été  fait  pour  diminuer  l'omnipotence  du  com- 
bustible. La  question  demeure  aussi  importante  qu'à 
l'époque  de  la  fonte  au  bois,  quand  le  pouvoir  central 


100  l'industrie  dtj  rr.R  en   france 

ordonnait  l'extinction  des  hauts  fourneaux  pour  arrêter 
la  dévastation  des  forêts.  L'introduction  du  combus- 
tible minéral,  du  coke  dans  les  lits  de  fusion  a  changé 
les  données  du  problème,  a  retardé  la  solution,  car 
pour  arriver  jusqu'à  nous  l'acier  nécessite  l'emploi 
d'un  poids  de  charbon  bien  supérieur  à  son  propre 
poids  :   1  S00  kilos  contre  1  000  kilos. 

Le  minerai  de  fer.  —  Nous  le  répétons  :  la  France 
est  devenue,  du  fait  de  la  guerre  qu'elle  n'a  pas  voulue, 
la  puissance  d'Europe  la  plus  riche  en  minerai  de  fer  : 
dans  le  monde,  elle  n'est  surpassée  que  par  les  États- 
Unis.  Ses  réserves  atteignent  7  milliards  de  tonnes, 
sans  compter  les  gisements  de  ses  colonies  dont  les 
ressources  sont  considérables.  Sur  la  base  de  l'extraction 
de  1913,  43  millions  de  tonnes,"ces  réserves  ne  seraient 
pas  épuisées  avant  130  ans.  en  admettant  que  les  tra- 
vaux de  mine  s'arrêtenl  à  la  profondeur  de  500  mètres. 
et  en  faisant  abstraction  de  toutes  les  découvertes 
possibles  qui  augmenteront  le  tonnage  utde  et  des 
progrès  de  la  technique  qui  permettront  l'emploi  de 
minerais  classés,  actuellement,  comme   inutilisables. 

Cependant,  si  considérable  que  soit  notre  richesse,  il 
est  bon  de  rappeler  que  les  plus  puissants  de  nos  . 
ments.  —  ceux  de  Lorraine  —  par  leur  teneur  en  phos- 
phore, sont  exclusivement  destinés  à  l'élaboration  des 
fontes  et  «les  aciers  Thomas.  Avant  guerre,  les  usines 
de  Meurthe-et-Moselle  s'étaient  spécialisées  dans  cette 
fabrication;  elles  écoulaient  difficilement  toute  leur 
production;  elles  s'efforçaient  au  travail  de  l'acier 
Martin.  De  même,  les  usines  allemandes,  établies  en 
Lorraine  annexée,  avaient  été  construites  pour  la 
mise  en  œuvre  des  procédés  Thomas.  Nul  doute  que 
l'agrégation  de  ces  établissements  au  domaine  national 
n'intensifie  la  production  des  aciers  Thomas.  Du  fait 


APRÈS    LA    GUERRE  167 

de  l'extension  de  son  domaine  ferrifère  la  France 
s'écarte  de  l'industrie  des  aciers  de  luxe  qui  a  fait  la 
gloire  et  la  fortune  du  groupe  du  Centre. 

D'autre  part,  nous  savons  que  les  minerais  de  la 
Moselle  sont  inférieurs  en  teneur  (4  à  6  unités)  aux 
minerais  de  Meurthe-et-Moselle.  Le  rendement  du  haut 
fourneau  est  donc  inférieur  d'autant  et  la  consomma- 
tion du  coke  augmente  parallèlement.  On  peut  évaluer 
la  dépense  supplémentaire  à  30  ou  40  kdos  par  unité. 
Actuellement,  certaines  usines  lorraines  dépensent 
1  500  kilos  de  coke  à  la  tonne  de  fonte,  alors  qu'en 
191.'},  en  Meurthe-et-Moselle,  on  considérait  comme 
normale  une  dépense  de  1  000  kilos. 

Avant  guerre,  ces  différences  n'avaient  pas  grande 
importance.  Contrairement  à  l'industrie  textile  qui  est 
restée,  en  Alsace,  dans  les  mains  de  familles  françaises, 
l'industrie  métallurgique  de  la  Lorraine  désannexée, 
les  établissements  de  Wendel  exceptés,  était  tout 
entière  sous  le  contrôle  de  firmes  allemandes.  Le  plus 
souvent,  elles  étaient  les  filiales  des  grandes  sidérurgies 
de  Westphalie  qui  envoyaient  sur  les  bords  de  la  Moselle 
les  houilles  delà  Ruhr,  dont  elles  étaient  propriétaires. 
Les  cokes  parvenaient  à  meilleur  compte  en  Lorraine 
désannexée  qu'en  Meurthe-et-Moselle.  Ces  avantages 
ont  disparu  avec  la  paix.  Les  approvisionnements  en 
charbon  seront  au  même  prix  de  chaque  côté  de  l'an- 
cienne frontière  et,  en  dernier  ressort,  la  fonte  de  la 
Moselle  qui  consomme  de  plus  grandes  quantités  de 
houille,  reviendra  plus  chère  que  la  fonte  de  Meurthe- 
et-Moselle. 

L'infériorité  des  minerais  de  la  Moselle  explique  les 
efforts  tentés,  avant  guerre,  par  les  métallurgistes 
d'outre-Rhin  pour  acquérir  des  concessions  françaises, 
il  n'est  donc  pas  paradoxal  d'affirmer  que  la  valeur 
des  usines  allemandes,  rétrocédées  à  la  France,  dépend 


168  L'INDUSTRIE    DU    FER    EX     FRANCE 

plus  des  mines  de  fer  qui  leur  sout  attachées  que  des 
usiues  elles-mêmes.  D'ici  10  ans,  l'usine  la  plus  moderne 
sera  démodée,  tandis  que  le  tréfonds  des  concessions 
minières  aura  gardé  toute  sa  valeur.  Au  point  de  vue 
métallurgique,  l'affaire  peut  prospérer,  si  les  mines 
contiennent  un  minerai  de  fer  de  haute  teneur  et  si 
elles  peuvent  alimenter  les  hauts  fourneaux  à  la  fois 
en  qualité  calcaire  et  en  qualité  siliceuse;  —  l'affaire 
est  condamnée  à  un  déclin  plus  ou  moins  rapide  si  le 
minerai  est  pauvre  ou  d'une  seule  espèce,  si  l'usine 
est  obligée  à  s'approvisionner  en  des  gisements  éloignés 
pour  se  procurer  les  éléments  du  mélange  nécessaire  au 
lit  de  fusion,  si  elle  est  contrainte  à  des  dépenses  exa- 
gérées en  combustible  pour  utiliser  la  matière  première 
qui  lui  appartient. 

Par  ailleurs,  dans  toute  l'étendue  du  gisement, 
l'exploitation  est  compliquée  par  les  accidents  tecto- 
niques, les  venues  d'eau,  la  pénurie  de  la  main- 
d'œuvre.  Pour  diminuer  les  prix  de  revient,  la  minette 
doit  être  extraite  sous  de  forts  tonnages.  Comme  les 
hauts  fourneaux  établis  sur  le  gisement  ne  peuvent 
consommer  toute  la  production,  la  mine  doit  exporter 
le  surplus.  Le  maître  de  forges  lorrain  est  aussi  un 
exploitant  de  mine  et  un  commerçant  en  minerai. 
Pour  être  particulièrement  angoissant  en  Lorraine,  le 
problème  est  également  inquiétant  pour  tout  le  pays. 
La  France,  l'Algérie,  la  Tunisie,  la  Lorraine  désannexée 
produisaient  avant  guerre  45  millions  de  tonnes  de  mine- 
rais de  fer.  Elles  en  consommaient  sur  place  ou  dans 
la  Sarre  30  millions  de  tonnes  environ.  C'est  donc 
15  millions  de  tonnes  qu'il  faut,  annuellement,  placer 
à  l'étranger 

Devant  la  puissance  de  ces  chiffres,  certains  écono- 
mistes se  sont  demandé  s'il  n'était  pas  logique  de 
remettre   à   une   date  lointaine  l'exploitation   de   cer- 


APRÈS    LA    GUERRE  169 

tainea  de  nos  richesses,  les  gisements  de  la  Bretagne, 
de  la  Normandie,  de  l'Algérie,  de  la  Tunisie,  par 
exemple.  Cette  politique  est  facile  à  appliquer.  Il  suffit 
de  laisser  dormir  dans  les  cartons  du  ministère  les  nom- 
breuses demandes  de  concessions  qui  attendent  paisi- 
blement, recouvertes  de  tous  les  avis  de  toutes  les  admi- 
nistrations, qu'une  décision  veuille  bien  intervenir.  Pour 
juger  de  l'opportunité  de  cette  mesure,  il  suffit  de  se 
rappeler  le  passé  de  notre  industrie  minière. 

La  découverte  d'Henry  Bessemer  exigeait  des  mine- 
rais purs,  particulièrement  des  minerais  non  phospho- 
reux. La  France,  pauvre  en  minerais  de  cette  sorte, 
perdit  sa  place  sur  les  statistiques  mondiales,  comme 
productrice  de  fonte  :  un  grand  nombre  de  hauts  four- 
neaux, notamment  en  Bretagne  et  en  Normandie, 
s'éteignirent  qui  avaient  connu  une  certaine  prospé- 
rité à  l'époque  de  la  fonte  au  bois;  d'autres,  pour 
travailler,  durent  importer  des  minerais  étrangers. 
Notre  sidérurgie  fût  demeurée  à  l'arrière-plan  si,  en 
1880,  Thomas  et  Gilchrist,  trouvant  un  revêtement 
basique  pour  les  appareils  de  conversion  n'eussent 
rendu  possible  le  passage  des  fontes  phosphoreuses  au 
convertisseur.  Les  gisements  français  prirent  l'impor- 
tance que  l'on  sait;  les  maîtres  de  forges  étrangers  se 
précipitèrent  pour  acquérir  nos  concessions. 

Qui  peut  savoir  si,  dans  un  avenir  plus  ou  moins 
lointain,  un  autre  progrès  de  la  chimie  ou  de  la  technique 
n'amènera  pas  des  perturbations  nouvelles  dans  l'exploi- 
tation minière?  Telle  découverte  scientifique,  tel  cou- 
rant de  transport  peuvent  mettre  en  valeur  des  gise- 
ments aujourd'hui  dépréciés,  comme  trop  impurs  ou 
trop  éloignés  des  hauts  fourneaux.  Qui  sait,  si  les  mine- 
rais phosphoreux,  aujourd'hui  fort  demandés,  ne  seront 
pas  concurrencés  par  les  minerais  siliceux,  si  abon- 
dants ou  par  les  minerais  arsenicaux,  longtemps  négligés, 


170  l'industrie  r>r  rr.r;   en    France 

mais  dont  l'emploi  commence  à  entrer  dans  la 
pratique  en  Amérique.  En  définitive,  le  terme 
minerai  est  fort  vague  :  il  désigne  toute  roche 
exploitable  industriellement  et,  dans  le  fait,  il  est 
appliquable  à  la  matière  en  fonction  de  l'espace  et 
du  temps. 

«  Il  est  de  toute  évidence,  écrit  M.  Cayeux,  qu'il  y 
a  souvent,  sinon  toujours,  une  période  optima  potu  ]a 
mise  en  valeur  des  marchandises  pondéreuses  et  bon 
marché.  Le  minerai  de  fer  est  de  eelles-là.  A  vouloir 
le  réserver  pour  un  avenir  meilleur,  mais  très  douteux, 
en  tout  cas  éloigné,  on  s'expose  à  lâcher  la  proie  pour 
l'ombre,  à  laisser  passer  le  moment  fructueux  et  pro- 
pice de  l'exploitation.  »  Les  minerais  Français  passent 
par  cette  période  optima  puisque  nos  voisins  les  plus 
puissants  sont  fort  dépourvus  de  cette  matière  pre- 
mière. Une  politique  restrictive  de  l'extraction  serait 
donc  particulièrement  dangereuse.  Elle  aurait  pour 
effet  d'aiguiller  les  métallurgistes  anglais  et  allemands 
vers  les  gisements  américains,  suédois  ou  russes.  En 
dehors  des  avantages  considérables  pour  les  maitres 
de  forges  français  de  diminuer  le  prix  de  revient, 
l'exportation  du  minerai  par  grande  niasse  s'impose 
pour  la  mise  en  valeur  rationnelle  de  notre  domaine 
national  et  pour  l'amélioration  de  nos  finances,  for- 
tement obérées  par  les  achats  de  houilles.  Par  bonheur, 
les  richesses  de  la  France  en  minerais  de  fer  con- 
trastent avec  la  pauvreté  des  gisements  dans  les 
pays  voisins. 

L'Espagne  a  été  longtemps  le  fournisseur  des  aciérie- 
européennes  pour  l'acier  Bessemer.  Les  célèbres  mine- 
rais de  Bilbao  servent  encore  de  base  pour  déterminer 
le  prix  d^^  sortes  chères.  Ils  paraissent,  toutefois, 
s'épuiser:  on  estimait,  en  1912,  le  tonnage  restant  à 
quelque  (iO  millions  de  tonnes,  c'est-à-dire,  avec  des  res- 


APRÙS    LA    GUERRE  171 

trictions,  le  tonnage  possible  pour  12  années  d'exporta- 
tion. Les  autres  gisements  contiennent  des  grès  ferru- 
gineux, de  faible  teneur  en  fer,  comme  dans  les  pro- 
vinces d'Oviedo  et  de  Valence,  ou  des  minerais  phos- 
phoreux comme  dans  celle  du  Léon.  En  définitive, 
pour  les  minerais  purs  et  titrant  plus  de  45  p.  100  en 
fer,  il  serait  imprudent  de  compter  dans  toute  la  pénin- 
sule sur  un  tonnage  supérieur  à  1  milliard  de  tonnes. 
Ces  quantités  ont  été,  du  reste,  suffisantes  pour  ali 
menter  l'industrie  dans  le  passé  (500  000  tonnes  de 
fonte):  elles  pourront  facilement  satisfaire,  dans  l'avenir, 
aux  demandes  des  sidérurgies  nouvelles,  construites 
pour  une  production  annuelle  de   1  500  000  tonnes. 

L'industrie  du  fer  est  également  fort  peu  développée 
en  Italie,  pauvre  en  charbon  et  pauvre  en  minerai 
de  fer  (942  000  tonnes  en  191G).  Les  seules  réserves, 
de  quelque  importance,  sont  constituées  par  les  mine- 
rais de  l'île  d'Elbe  dont  l'épuisement  est  prochain. 
Les  hostilités  ont,  cependant,  développé  la  métallurgie 
italienne  :  elle  a  produit  l'armement  nécessaire  à  ses 
années.  Par  ailleurs,  Turin  est  devenu  un  des  plus 
grands  centres  d'Europe  pour  la  fabrication  automo- 
bile. Enfin,  les  progrès  réalisés  par  l'électrométallurgie 
sont  particulièrement  intéressants.  En  1910,  la  produc- 
tion se  chiffrait  par  30  000  tonnes;  le  nombre  des 
fours  était  de  187  en  1917,  cinq  fois  plus  fort 
qu'au  début  des  hostilités.  Bien  que  nos  expor- 
tations en  minerai,  pour  cette  destination,  soient 
infimes,  l'Italie  est  une  cliente  qu'il  ne  faut  pas 
négliger. 

Malgré  la  modestie  do  sa  surlace  territoriale,  la 
Belgique  occupe  un  fort  bon  rang  dans  les  statistiques 
de  la  sidérurgie  mondiale.  Elle  produit,  par  tête  d'habi- 
tant, presque  autant  de  fonte  que  L'Allemagne  (278  kilos 
contre  294  kilos),  plus  que  l'Angleterre  (226)  et  plus  du 


172  l'industrie  r>r  fer  en   France 

double  de  la  Franco  (120).  Cette  surproduction  est  due 
à  l'abondance  de  l'extraction  houillère  et  surtout  à 
l'excellence  de  la  main-d'œuvre,  active  et  travailleuse 
malgré  la  modicité  des  salaires.  Cependant  la  Belgique 
est  presque  entièrement  dépourvue  de  minerais  de  fer. 
L'étendue  de  ses  gisements,  suite  des  gisements  lor- 
rains ne  comptent  que  354  hectares.  Aussi  importait  - 
elle  6  millions  de  tonnes  de  minerais  de  fer,  provenant 
pour  quatre  cinquièmes  de  Meurthe-et-Moselle,  pour 
le  reste  du  Luxembourg  et  de  la  Lorraine  annexée. 
Il  ne  semble  pas  impossible  d'augmenter  ce  chiffre 
d'affaires.  Le  pouvoir  commercial  de  la  Belgique  est 
considérable.  Malgré  les  tarifs  prohibitifs  qui  l'encer- 
claient, la  métallurgie  avait  réussi  à  exporter  80  p.  100 
de  sa  production  en  fonte  et  en  acier,  alors  que  l'Alle- 
magne n'exportait  que  33  p.  100.  Actuellement  les 
fontes  belges  arrivent  en  Angleterre  à  des  prix  nota- 
blement inférieurs  aux  fontes  fabriquées  sur  place  avec 
des  minerais  et  des  charbons  anglais.  La  Lorraine, 
grande  importatrice  de  houille  belge  pourrait  accroître 
ses  envois  de  minette,  si  la  circulation  par  eau  s'y 
I  n'était. 

«  En  Angleterre,  écrivait  M.  Tribot-Laspière  en  1917. 
le  trait  dominant  de  la  sidérurgie  est  l'arrêt  de  son 
développement Depuis  longtemps,  elle  s'est  fait  dis- 
tancer, et  de  beaucoup,  par  les  États-LTnis.  L'Allemagne, 
à  son  tour,  lui  a  enlevé  le  deuxième  rang  pour  le  mine- 
rai, la  fonte  et  l'acier  et  menace  d'arriver  à  égalité 
pour  la  houille.  La  France,  enfin,  la  rattrape:  elle  vient 
de  passer  au  troisième  rang  pour  la  production  de 
minerai  et  il  n'apparaît  plus  comme  impossible  qu'elle 
y  atteigne  pour  la  fonte,  puisque  depuis  trois  ans 
elle  a  augmenté  sa  production  de  500  000  tonnes 
par  an,  et  que  vers  1920,  elle  produira  7  millions  de 
tonnes » 


APRÈS    LA    GUERRE  173 

Ce  déclin  est  dû  à  la  faiblesse  de  la  consommation 
intérieure,  à  l'isolement  et  à  la  routine  des  métallur- 
gistes anglais,  surtout  à  l'appauvrissement  des  gise- 
ments ferriières. 

Les  minerais  anglais  peuvent  se  classer  en  trois 
catégories.  La  première  comprend  l'hématite  rouge  du 
Cumberland  et  du  Lancashire;  sa  teneur  moyenne  en 
1er  est  de  50  p.  100;  c'est  la  grande  ressource  pour  les 
aciéries  Bessemer.  Une  seconde  classe  comprend  l'héma- 
tite brune  du  Cornwali,  du  Devonshire,  de  la  forêt  de 
Dean  avec  des  teneurs  moyennes  de  32  p.  100  et  les 
bauxites  ferrugineux  du  district  d'Antrim,  employés 
comme  castine,  mais  dont  la  teneur  ne  dépasse  pas 
27  p.  100.  En  troisième  lieu,  viennent  les  carbonates 
du  carbonifère  dans  le  Derbyshire,  le  Yorkshire,  le 
Stafïordshire  avec  des  teneurs  de  26  à  35  p.  100  et  les 
minerais  mésozoïques  du  Lincolnshire,  du  Northamp- 
tonshire,  du  Cleveland  avec  des  teneurs  de  30  à  35  p.  100. 
Ce  dernier  district  a  fourni,  à  lui  seul,  G  millions  de 
tonnes,  en  1913,  sur  une  extraction  totale  de  16  millions 
de  tonnes.  On  estime  à  455  millions  de  tonnes  les 
réserves  anglaises  :  sur  le  pied  de  la  consommation  de 
1913,  24  millions  de  tonnes,  elles  seraient  épuisées 
en  20  ans.  Aussi  les  maîtres  de  forges  de  Grande- 
Bretagne  sont-ils  obligés  d'importer  annuellement  plus 
du  tiers  des  minerais  nécessaires  :  7  600  000  tonnes 
en  1913.  C'est  une  nécessité  inéluctable.  En  octobre 
1919,  lors  de  la  grève  des  mineurs  dans  ses  char- 
bonnages, l'Angleterre  rompit  ses  traités  de  houille 
avec  la  Ville  de  Paris  et  réquisitionna  la  flotte  destinée 
à  ce  trafic,  pour  le  transport  des  minerais  bretons 
et  espagnols. 

Les  trois  quarts  des  minerais  importés  proviennent 
d'Espagne  el  d'Algérie  pour  l'élaboration  des  aciers 
Bessemer.    Mos    minerais    angevins    et    normands    ne 


174  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

figuraient  aux  entrées  que  pour  .320  000  tonnes  en 
1913;  ils  étaient  destinées  à  La  production  de  la  fonte 
de    moulage,    la   fonte   écossaise   principalement.    Par 

leur  situation  géographique,  leurs  belles  qualités  phy- 
siques et  chimiques,  ces  sortes  feront  certainenu  ut 
l'objet  de  transactions  plus  étendues,  le  jour,  peut-être 
voisin,  où  les  métallurgistes  d'outre-Manche  aban- 
donneront les  procédés  Bessemer  pour  augmenter  leurs 
aciéries  Martin. 

Par  contre,  c'est  un  problème  de  circulation  qui 
arrête  l'exportation  des  ruinerais  deBriey.  (j0  000  tonnes 
ont  été  envoyées  en  Angleterre  avant  guerre  :  fort 
peu  différente  des  minerais  du  Cleveland,  la  minette 
a  donné  toute  satisfaction  aux  métallurgistes  britan- 
niques. Malheureusement  il  n'existe  point  actuelle- 
ment de  réseau  navigable  susceptible  de  conduire  cette 
marchandise  pondéreuse,  dans  «le  lionnes  conditions, 
sur  l'un  des  ports  de  la  mer  du  Nord  ou  de  la  Manche. 
Les  prix  de  transport  par  fer  sont,  pour  le  moment, 
trop  élevés,  même  sur  Dunkerque,  le  port  le  plus 
proche.  Le  futur  canal  du  Xord-Est,  projeté  en  1901 
pour  des  chalands  de  550  tonnes  sera  une  excellente 
solution  pour  l'évacuation  de  la  minette.  En  atten- 
dant, le  canal  de  l'Est,  la  Marne  et  la  Seine  demeurent 
la  seule  route  possible  pour  les  expéditions.  En  1921, 
les  chargements  de  minerai  lorrain  sont  arrivés  aux 
hauts  fourneaux  de  Rouen  par  la  voie  fluviale  :  le  prix 
du  fret,  17  francs  la  tonne,  était  supérieur  aux  prix  de 
revient,  16  francs.  Cette  solution  n'est  guère  admissible 
que  pour  une  industrie  qui  contrôle  en  même  temps  la 
mine  et  l'usine.  L'exportation  par  Rouen  ne  pourra 
entrer  pour  de  gros  chiffres  dans  nos  statistiques  que 
si  l'on  équipe  rationnellement  la  voie  navigable.  Les 
projets  du  port  de  Paris,  la  constitution  de  quais 
spéciaux    à    Gennevilliers,   surtout   la    transformation 


APRÈS    LA    GUERRE       '  175 

des  voies  d'eau  en  amont  pour  la  circulation  de 
chalands  de  600  tonnes  peuvent  dérouter,  à  l'avenir, 
la  minette  lorraine.  Mais,  en  attendant,  l'Allemagne 
doit  lui  assurer  des  débouchés  plus  proches  et  plus 
certains. 

En  1910,  au  congrès  géologique  de  Stockholm,  le 
rapporteur  allemand  évaluait  à  3  milliards  000  millions 
de  tonnes  les  richesses  en  minerai  de  1er  de  l'Empire.  Il 
est  très  vraisemblable  que  les  chiffres  ont  été  majorés  à 
cette  époque,  pour  dissimuler  la  pauvreté  des  ressources. 
Mais  dès  les  premières  années  de  la  guerre,  l'espérance 
de  la  victoire  a  singulièrement  diminué  la  valeur  des 
estimations  précédentes.  Pour  démontrer  la  nécessité 
nationale  d'accaparer  le  bassin  de  Briey,  les  métal- 
lurgistes allemands  n'ont  pas  craint  d'avouer  leur 
misère.  Le  8  décembre  1917,  devant  l'assemblée  géné- 
rale du  Verein  der  deutschen  Eisen  und  Stahl  Indus- 
triellen,  le  président  levait  le  masque  et  s'écriait  : 
«  En  supposant  que  l'extraction  de  nos  mines  suive 
une  progression  normale  et  qu'aucune  réduction  arti- 
ficielle ne  leur  soit  imposée,  nous  verrons  s'épuiser  en 
45  ans  le  gisement  lorrain  (estimé  à  1  milliard  890  mil- 
lions de  tonnes  en  1910),  en  42  ans  le  gisement  spa- 
tbique  du  pays  de  Siegen  (100  millions  de  tonnes),  en 
66  ans  l'hématite  rouge  et  en  32  ans  l'hématite  de  la 
Lahn  (166  millions  de  tonnes)  et  de  la  Dill.  Dans 
50  ans,  nous  serons  privés  presque  entièrement  de 
notre  approvisionnement  en  minerai.  Il  faut  donc 
que  l'Allemagne  s'assure  des  approvisionnements  à 
l'étranger.  Il  y  va  de  l'existence  de  l'industrie,  de 
l'état  et  du  peuple.  » 

Avant  guerre,  la  production  métallurgique  de  l'Alle- 
magne était  basée  sur  une  consommation  de  minerai 
de  plus  de  47  millions  de  tonnes.  Le  tableau  ci -dessous 
indique  leur  provenance  : 


176  l'industrie  du  fer  en   fram  e 

Tonnage 

en  millier^ 

Pays.  de  tonnes. 

Lorraine  annexée 21,1 

Prusse 5,4 

Autres  états  d'Allemagne 2 

Luxembourg 7,3 

Importations  effectives  l 11.  ( 

Total  .......      47,2 

En  1913,  le  Zollverein  (Allemagne  et  Luxembourg) 
a  produit  19  300  000  tonnes  de  fonte  avec  35  911  000  ton- 
nes de  minerai  indigène  et  14  millions  de  tonnes  de  mine- 
rais importés;  encore  est-il  que  les  minerais  indigènes  à 
teneur  de  31,8  p.  100  en  1er  ne  pouvaient  fournir  que 
10  500  000  tonnes  de  fonte.  Restaient  donc  9  millions  de 
tonnes  environ,  soit  46  p.  100  de  la  production  qui  ont  été 
élaborés  en  partant  des  minerais  étrangers,  80  p.  100 
si  l'on  classe  dans  cette  catégorie  les  8  600  000  tonnes 
de  métal  obtenues  dans  la  Sarre  et  en  "Westpkalie  par 
la  fusion  des  minettes  importées  de  la  Lorraine  annexée 
et  du  Luxembourg. 

Cette  situation  inquiétai!  1" Allemagne  bien  avant 
les  hostilités.  Depuis  longtemps,  l'Empire  dirigeait  sa 
politique  extérieure  suivant  les  besoins  économiques 
de  sa  métallurgie.  Non  seulement  la  sidérurgie  rhénane 
acquérait  des  droits  de  contrôle  sur  nos  grands  gise- 
ments de  Lorraine,  d'Anjou,  de  Normandie,  d'Algérie, 
mais  elle  s'assurait  des  réserves  au  Maroc.  En  signant 
l'acte  d'Algésiras,  la  diplomatie  allemande  prit  soin 
de  préciser  explicitement  le  régime  futur  des  mines  de 
notre  nouveau  protectorat.  L'article  4  stipule  que  le 
minerai  exporté  par  les  ports  marocains  sera  affranchi 
de  tout  droit  et  que  les  exploitations  de  minerai  de  fer 


!.  Différence  entre    es    mportalions    |  1 1   millions    <le   tonne*)  et   lis 
exportations  (2  G00  000  tonne- 1. 


APRÈS    LA    GUERRE  177 

ne  subiront  aucun  impôt  spécial.  La  guerre  a  infirmé 
ces  sages  précautions. 

Mais  elle  a  eu  surtout  pour  résultat  de  diminuer  les 
réserves  germaniques  de  plus  de  50  p.  100  en  rendant 
à  la  France  les  1  830  millions  de  tonnes  de  la  Lorraine 
désannexée.  Par  ailleurs,  les  prospections  entreprises 
dernièrement  dans  la  région  d'Amberg  et  dans  le  Jura 
souabe  n'ont  pas  décelé  des  gisements  qui  peuvent, 
compenser  ces  pertes.  Si  l'on  tient  pour  exact  le  rapport 
du  8  décembre  1917,  les  ressources  germaniques  seront 
épuisées  avant  25  ans.  Réduite  à  une  extraction  annuelle 
de  8  millions  de  tonnes  environ,  soit,  avec  du  minerai 
titrant  33  p.  100  en  moyenne,  à  une  production  corres- 
pondante de  2  700  000  tonnes  de  fonte,  l'Allemagne 
est  réduite  à  importer  de  forts  tonnages  de  minerai 
de  fer  si  elle  veut  satisfaire  aux  seules  demandes  du 
marché  intérieur. 

En  1913,  le  Zollverein  a  produit  19  millions  de  tonnes 
de  fonte  ;  il  a  exporté  7  millions  de  tonnes  ;  il  a  consommé 
sur  place  12  millions  de  tonnes.  La  consommation  de  la 
Sarre,  de  la  Pologne  allemande,  de  la  Lorraine  désan- 
nexée étant  évaluée  à  600  000  tonnes  en  chiffres  ronds, 
la  consommation  germanique  serait  actuellement  de 
1 1  400  000  tonnes  de  fonte  par  an.  Les  ressources 
ferrifères  de  l'empire  lui  assurent  l'élaboration  de 
2  700  000  tonnes  de  fonte.  Pour  produire  la  différence, 
8  700  000  tonnes,  la  métallurgie  d'outre-Rhin  doit 
s'approvisionner  en  minerais  à  l'étranger. 

Avec  des  minerais  de  fer,  titrant  en  moyenne  40  p.  100 
(en  tenant  compte  de  l'importation  des  sortes  riches  de 
Suède,  d'Espagne,  d'Afrique),  l'Allemagne  devrait 
importer,  par  an,  sur  la  base  des  chiffres  de  1913, 
22  millions  de  tonnes  de  minerai  (8  700  000  x  2,5). 
La  France  doit  fournir  la  plus  grande  partie  de  ce 
tonnage. 

L Industrie  du  fer  en  France.  12 


178  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

En  1913,  les  importations  se  répartissaient  comme 
il  suit  : 

Suède 4  5Ô8  000  tonnes. 

France 3  811  000  — 

Espagne 3  652  000  — 

Russie 489  000  — 

Belgique 127  000  — 

Autriche-Hongrie 106  000  — 

Algérie-Tunisie 607  000  — 

Grèce 147  000  — 

Autres  pays 532  000  — 

Total 14  029  000       — 

En  admettant  que  ces  proportions  restent  les  mêmes, 
qu'aucune  restriction  ne  soit  apportée  à  l'exploitation 
des  mines  suédoises,  que  la  baisse  du  mark  n'influe  pas 
sur  les  transactions  avec  l'Espagne  et  la  Suède,  que  la 
Russie  reprenne  prochainement  ses  envois,  la  part  de 
la  France  serait  de  39  p.  100,  soit  de  8  800  000  tonnes, 
à  envoyer  en  Westphalie  principalement.  Ce  tonnage 
devrait  être  doublé,  si  la  métallurgie  allemande  voulait 
développer  sa  clientèle  à  l'intérieur  et  reconquérir 
sur  les  marchés  extérieurs  la  place  qu'elle  tenait  avant 
les  hostilités. 

Sans  tenir  compte  des  transactions  possibles  avec  les 
Pays-Bas  qui  installent  des  hauts  fourneaux,  avec 
l'Italie  qui  équipe  ses  forces  hydrauliques,  avec  les 
États-Unis  qui  recherchent  notre  minerai  comme  fret 
de  retour  dé  leurs  charbonniers,  —  en  se  basant  seule- 
ment sur  nos  relations  certaines  avec  les  métallurgies 
anglaises,  belges,  allemandes,  il  n'est  aucunement  témé- 
raire d'estimer  à  quelque  17  millions  de  tonnes  le  chiffre 
de  nos  exportations  prochaines.  De  ce  côté,  l'avenir 
s'annonce  serein;  il  n'en  est  pas  de  même  dans  le  com- 
merce des  fontes  et  surtout  de  l'acier. 


APRÈS   LA   GUERRE  179 

IL     —     LA      PRODUCTION     MÉTALLURGIQUE 

Après  la  restauration  des  usines  du  Nord  et  de  l'Est, 
en  comptant  la  production  de  la  Sarre  et  de  la  Lor- 
raine désannexée,  la  France  sera  en  mesure  de  livrer, 
chaque  année,  sur  le  marché  1 1  millions  de  tonnes  de  fonte 
et  plus  de  10  millions  de  tonnes  d'acier.  Dans  l'éventua- 
lité où  le  territoire  de  la  Sarre  ferait,  dans  15  ans, 
retour  à  l'Allemagne,  ces  chiffres  seraient  ramenés  à 
9  400  000  tonnes  pour  la  fonte,  à  8  millions  de  tonnes 
pour  l'acier.  Nous  avons  vu  qu'en  1913,  la  consomma- 
tion de  la  France  était  sensiblement  égale  à  sa  produc- 
tion et  s'élevait  à  5  200  000  tonnes  pour  la  fonte,  à 
4  800  000  tonnes  acier.  La  Lorraine  désannexée  et  la 
Sarre  étant  loin  d'absorber,  pour  leurs  propres  besoins, 
le  complément  de  la  production  qu'elles  apportent,  la 
métallurgie  française  devrait  donc  disposer  d'un  impor- 
tant excédent  de  métal.  Dès  1917,1e  Comité  des  Forges, 
par  la  plume  de  son  secrétaire  général,  M.  Pinot, 
affirmait  que  le  retour  de  l'Alsace  et  de  la  Lorraine  à 
la  France  risquait  d'avoir,  pour  notre  sidérurgie,  des 
résultats  déplorables  si  l'on  n'y  remédiait  par  un  judi- 
cieux agencement  des  marchés  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur. 

Le  tableau  ci -dessous  résume  les  données  principales 
■du  problème  (d'après  les  travaux  de  M.  (Juillet). 

Fonte  de  Acier  etfer 

moulage  en  en 

1  000  t.  1  000  t. 
Production  :                                                  — 

France  (chiffres  de  1913) 937  5091 

Augmentation  - 100  600 

Apport  Alsace-Lorraine  et  Sarre .    •    •    •  739  4  365 

Total  I 1   776  10  056 

1.  Acier  :  4  6St>;  1er  :  405. 

2.  Pour  la  fonte,  production  des  hauts  fourneaux  de  Rouen;  pour 
l'acier,  production  des  aciéries  de  Caen  et  de  Rouen. 


180  l'industrie  du  fer   EN    TRAM  I. 

Fonte  de  Ai  i<  r  el  1er 
moulage  en  en 

1  000  I.  1  000  t. 

Consommation  :  — 

France  (avant  guerre) 882  4   732 

Alsace-Lorraine  et  Sarre 141  '  41!»  - 

Maintien  des  anciennes  exporl  itio  i    .    .  91  3  544  * 

Total  II 1   064  5  695 

Reste  à  placer  : 

Différence  des  totaux  I  et  II 712  1   861 

Le   problème   n'offre   pas    les   mêmes   inconvénients 

pour  la  fonte  et  pour  l'acier.  Pour  le  premier  de  ces 
articles,  il  sera  facile  d'écouler  le  surplus  de  la  produc- 
tion, grâce  au  développement  de  l'industrie  électrique 
et  de  la  construction  mécanique;  mais,  pour  le  second, 
l'excédent  est  considérable.  Pour  le  placer,  la  métal- 
lurgie française  se  trouve  dans  l'obligation  de  modifier 
les  principes  «le  eon  économie  commerciale,  de  ne  plus 
limiter  ses  opérations  au  seul  marché  national  et  de 
conquérir  le  marché  extérieur. 

Le     marché     français.  L'élargissement     des 

débouchés  intérieurs  est  infiniment  probable.  Sans 
tenir  compte  des  quantités  nécessaires  à  la  reconsti- 
tution des  régions  libérées,  de  nos  chemins  de  fer,  de 
notre  marine  marchande,  d  n'est  pas  impossible  que 
la  France  absorbe  quelques  centaines  de  milliers  de 
tonnes  d'acier  en  sus  de  sa  consommation  d'avant- 
guerre.  La  consommation  intérieure,  par  tête  d'habi- 

1.  Calculée  au  taux  de  l'Allemagne  en  l'Jl3  :  50  kil<>.->  par  habitant 
sur  2833000  habitants  (1874000  habitants -pour  l' Alsace-Lorraine  et 
•J59  000  habitants  pour  la  Sarre). 

2.  Calculée  au  taux  de  l'Allemagne  de  1913  :  14S  kilos  par  habi- 
tant >ur  2380000  habitants. 

3.  135  000  tonnes  moins  44  000  tonnes  expédiées  en  Belgique. 

4.  Anciennes  exportations,  machines  comprises,  mais  diminuée-  de= 
exportations  en  Belgique,  décomptées  en  lingots. 


APRÈS   LA    GUERRE  181 

tant,  de  la  fonte  (100  kilos)  et  de  l'acier  (90  kilos) 
était  inférieure  de  40  p.  100  à  la  consommation  inté- 
rieure par  habitant  de  tous  les  autres  pays  métallur- 
giques. L'augmentation  à  prévoir,  nous  l'avons  con- 
staté au  chapitre  précédent,  doit  porter  sur  les  pro- 
duits destinés  à  la  construction  métallique  et  à  la 
construction  mécanique. 

Dans  le  premier  domaine,  la  vente  des  profilés,  des 
poutrelles  principalement,  est  susceptible  de  s'accroître. 
L'éducation  des  architectes  et  des  entrepreneurs  doit 
être  poursuivie  avec  la  même  activité  qu'avant  guerre. 
Le  Comptoir  s'y  emploiera.  Mais  c'est  surtout  dans  la 
construction  mécanique  que  l'accroissement  de  la  clien- 
tèle doit  se  faire  sentir.  Dans  cette  branche  de  l'acti- 
vité nationale,  plusieurs  industries  sont  en  voie  d'exten- 
sion. L'automobile,  par  exemple,  n'a  pas  en  France 
l'importance  qu'elle  devrait  avoir  et  qu'elle  a  acquise 
en  Angleterre  et  en  Amérique.  Enfin,  si  la  guerre  a 
développé  nos  ateliers,  elle  a  également  changé  nos 
coutumes  bureaucratiques.  Le  nouveau  projet  d'uni- 
fication des  chemins  de  fer,  sans  supprimer  Ja  surveil- 
lance de  l'État,  permettra  un  meilleur  roulement  du 
matériel  et  son  remplacement  plus  rapide.  Les  com- 
mandes seront  réparties  annuellement,  au  lieu  d'être 
envoyées  en  masse  aux  époques  de  trafic  intense: 
elles  seront  satisfaites  régulièrement  pour  le  plus  grand 
profit  et  le  meilleur  rendement  de  nos  usines  métal- 
lurgiques. La  France  n'aura  plus  recours  à  l'étranger 
pour  la  fourniture  des  1  000  locomotives  et  des 
1  800  wagons  qui  sont  nécessaires,  chaque  année,  à 
ses  réseaux. 

Dans  son  rapport  au  Ministre  du  Commerce,  le  pré- 
sident du  Comité  des  Arts  et  Manufactures  estimait 
que  la  productivité  mécanique  subirait  un  accroisse- 
ment de  75  p.  100,  correspondant  à  un  tonnage  supplé- 


182  T.'iNTHTSTRTE    OU    FFR    EN    FRANCE 

mentaire  de  1  million  de  tonnes  de  métal.  Pout  la  con- 
struction métallique,  l'augmentation  à  prévoir  était 
de  400  000  tonnes  seulement.  Au  total,  ce  sont 
1  400  000  tonnes  à  retrancher  de  notre  excédent. 
Restent  donc  2  865  000  tonnes  à  placer. 

Pour  les  écouler,  il  est  indispensable  de  conquérir 
les  marchés  extérieurs  Les  maîtres  de  forges  sont 
unanimes  sur  ce  sujet.  Dans  toutes  les  assemblées 
g{ nérales,  la  conclusion  du  rapport  présenté  aux  action- 
naires se  termine  par  le  même  mot  :  «  Exportons  ». 
En  effet,  l'examen  des  statistiques  démontre  que  c'est 
dans  cette  voie  qu'il  faut  diriger  nos  efforts.  Avant 
guerre,  l'Angleterre  exportait  43  p.  100  de  sa  produc- 
tion; l'Allemagne,  33  p.  100;  la  Belgique,  80  p.  100; 
la  France,  10  p.  100  seulement.  Seuls  les  États-Unis, 
avec  5  p.  100,  lui  étaient  inférieurs,  relativement, 
car,  en  valeur  absolue,  le  commerce  extérieur  de  la 
France  représentait  460  000  francs  et  celui  des  États- 
Unis  1  550  000  francs. 

Le  marché  européen.  —  La  victoire  de  nos 
armées  a  permis  de  penser  que  notre  activité  nationale 
trouverait  facilement  des  débouchés  dans  les  pays 
neutres,  jusqu'ici  acheteurs  de  l'Allemagne.  Pour 
l'industrie  du  fer,  tout  au  moins,  ces  espérances  n'ont 
pas  été  réalisées. 

En  1913,  l'Empire  a  exporté  7  millions  de  tonnes  de 
produits  métallurgiques,  pour  une  valeur  de  2  milliards 
de  marks,  se  décomposant  comme  suit  :  fonte, 
vieux  fers,  demi-produits,  1754  000  tonnes;  laminés, 
3  800  000  tonnes;  machines,  594  000  tonnes;  autres 
produits  en  fer  et  en  acier,  943  000  tonnes.  Cette 
année  fut  marquée  par  un  accroissement  de  l'expor- 
tation des  fers  et  aciers  allemands  vers  la  Grande- 
Bretagne,   les   Indes   anglaises  et   l'Amérique   du   Sud 


APRÈS    LA    OUERRE  183 

et  la  décroissance  du  trafic  avec  les  autres  pays  d'Eu- 
rope. Il  faut  aussi  signaler  que  dans  le  marché  des  rails, 
l'Angleterre  qui  avait  perdu  la  première  place  depuis 
1900,  reprenait  de  nouveau  son  rang. 

Les  principaux  clients  de  l'Allemagne  étaient  :  la 
Grande-Bretagne  pour  1208  000  tonnes;  la  Belgique 
pour  648  000  tonnes;  les  Pays-Bas  pour  595  000  tonnes; 
le  Brésil  et  l'Argentine  pour  471  000  tonnes;  la  Suisse 
pour  333  000  tonnes.  Le  tonnage  expédié  en  Autriche- 
Hongrie,  en  Chine,  au  Japon,  en  Italie,  en  Turquie 
se  rapprochait  des  quantités  expédiées  en  Suisse.  En 
Russie  et  en  Pologne,  les  exportations  étaient  beau- 
coup moins  importantes,  car  les  Allemands  dirigeaient 
par  leurs  ingénieurs  et  contrôlaient  par  leurs  capitaux 
la  plus  grande  partie  des  industries  métallurgiques. 

En  attendant  que  le  calme  soit  revenu  en  Turquie, 
en  Russie  et  en  Asie  Mineure,  nos  métallurgistes  ont 
déjà  tenté  de  prendre  position  sur  les  marchés  Scandi- 
nave, italien  et  suisse.  En  1919,  36  000  tonnes  d'acier 
en  lingots,  rails,  tôles,  fils  de  fer  et  ferrailles  sont 
parties  de  France  pour  cette  dernière  destination. 

Ce  sont  là  des  efforts  très  intéressants,  mais  il  est  à 
craindre  que  leur  développement  soit  problématique. 
Déjà  avantagée  par  le  prix  du  combustible,  la  métal- 
lurgie allemande  est  également  favorisée  par  le  coût 
de  la  main-d'œuvre.  «  En  France,  écrit  M.  Albert 
Despeaux  (août  1912),  les  salaires  horaires  ont  plus 
que  quadruplé  depuis  1914.  En  Allemagne,  exprimés 
en  mark,  ils  sont  multipliés  par  10  à  11.  Mais  comme 
le  mark  rapporté  au  franc  vaut  7  fois  moins  que  le  pair, 
les  salaires  allemands  exprimés  en  francs  ne  sont  guère 
multipliés  que  par  1  et  1,5.  » 

Comme  conséquence,  en  Allemagne,  les  fers  mar- 
chands étaient  cotés  1  700  marks  en  août  1921,  soit 
280  francs  la  tonne  en  comptant  le  mark  à  16.5.  En 


184  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

France  ils  revenaient  à  400  francs.  Une  affaire  impor- 
tante de  petites  cornières  a  été  enlevée  par  des  Alle- 
mands à  265  francs,  franco  Rotterdam.  Un  prix  de 
2  500  marks  (412  fr.  50)  a  été  fait  pour  des  barres 
allemandes  rendues  à  Rennes  (y  compris  droil  de 
douane,  transport,  chargement,  fret,  déchargement), 
soit  39  francs  moins  cher  que  les  articles  français. 

Deux  ans  après  le  traité  de  Versailles,  l'industrie 
française  lutte  péniblement  sur  les  marchés  européens; 
elle  borne  son  ambition  à  la  défense  du  marché  national, 
à  l'abri  des  droits  prohibitifs. 

Parmi  les  grands  clients  de  la  sidérurgie  allemande 
c*est  encore  l'Angleterre  que  notre  métallurgie  a  la 
plus  grande  chance  de  conquérir.  A  première  vue,  il 
peut  paraître  paradoxal  de  tenter  la  conquête  métal- 
lurgique de  nations  où  nous  voulons  importer  d© 
fortes  quantités  de  minerais.  Mais  il  faut  remarquer 
qu'avant  les  hostilités,  l'empire  britannique  absorbai  1 

I  200  000  tonnes  de  produits  allemands,  principale- 
ment des  produits  qui  formaient  la  spécialité  de  la 
Sarre  et  de  la  Lorraine,  demi-produits,  aciers  mar- 
chands, tôles  et  profilés.  D'autre  part,  la  question  des 
salaires  qui  nous  est  si  préjudiciable  par  comparaison 
avec  l'Allemagne  devient  avantageuse  pour  nos  rela- 
tions avec  la  Grande-Bretagne.  Après  l'armistice,  à 
la  suite  des  grèves,  des  crises  charbonnières,  de  la 
hausse  du  fret,  des  aciéries  ont  été  contraintes  d'importer 
des  fontes  de  Luxembourg  et  de  Normandie,  moins 
chères,  malgré  le  transport,  que  les  fontes  nationales 
élaborées  avec  les  charbons  nationaux,  à  pied-d' œuvre. 

II  y  a  là  une  indication  à  suivre.  La  Grande-Bretagne 
n'a  aucun  intérêt  à  placer  des  barrières  protectrices 
pour  arrêter  ce  trafic.  La  France  doit  y  trouver  un 
débouché  pour  écouler  une  partie  de  la  production  de 
la  Lorraine  et  de  la   Sarre;  ses  bénéfices  serviront   à 


APRES    LA    GUERRE  185 

solder  une  partie  des  sommes  importantes  qu'elle  doit 
aux  charbonniers  anglais. 

Le  marché  extra-européen.  —  Sur  les  autres 
marchés  du  monde,  la  concurrence  sera  également 
très  âpre.  Des  concurrents  se  sont  levés  pendant  la 
guerre  qui  sont  mieux  placés  pour  conquérir  cette 
clientèle. 

La  puissance  métallurgique  des  États-Unis  est  deve- 
nue formidable.  La  guerre  l'a  développée,  mais  elle  n'en 
est  pas  l'origine.  Dès  1913,  la  production  de  la  fonte 
atteignait  31  millions  de  tonnes  presque  entièrement 
absorbées  par  le  marché  intérieur.  «  Dans  l'ensemble, 
écrit  M.  Tribot-Laspière,  la  production  et  ses  accrois- 
sements considérables  répondent  aux  besoins.  Un  tel 
état  de  choses  est  d'ailleurs  naturel  dans  un  pays 
immense  où  tant  de  territoires  restent  encore  à  peupler, 
où  chaque  année  la  population  s'accroît  de  plusieurs 
millions  d'individus  et  où  les  habitants  vivent  dans 
le  gigantesque,  tant  par  les  conditions  même  de  la 
vie  que  par  leur  besoin  naturel  de  faire  grand.  »  Sans 
doute,  il  y  a  bien  rupture  d'équilibre,  de  temps  à  autre, 
entre  la  production  et  la  consommation,  mais  ces 
périodes  étaient  avant  guerre  peu  fréquentes,  et  les 
exportations  chiffraient  peu.  Les  places  étrangères 
étaient  plutôt  considérées  comme  des  régulateurs  en 
cas  de  crise  :  les  courtiers  américains  y  présentaient 
rarement  leurs  marchandises.  Si,  en  1910,  le  pays  de 
Galles  fut  inondé  de  blooms  et  de  billettes  en  prove- 
nance des  Etats-Unis  et  vendus  à  un  tarif  inférieur 
au  prix  de  revient,  ce  fut  là  un  phénomène  tempo- 
raire, conséquence  du  ralentissement  des  demandes 
à  l'intérieur. 

La  guerre  accrut  cette  production;  elle  se  chiffrait  en 
1918  par  39  millions  de  tonnes  et  cependant  les  stocks 


180  L'INDUSTRIE    DIT    FER    EN     FRANCE 

(•talent  épuisés.  L'espérance  de  fortes  commandes,  au 
lendemain  de  la  paix,  augmenta  encore  le  nombre  des 
hauts  fourneaux.  De  205  en  1915  il  passa  à  452  fin 
1919;  leur  productivité  était  estimée  à  45  millions  de 
tonnes  pour  1920,  soit  GO  p.  100  de  la  production  mon- 
diale de  la  fonte,  en  1913.  Comme  terme  de  compa- 
raison, on  peut  noter  que  la  France  entière  possédait, 
fin  décembre  1920,  91  hauts  fourneaux  et  avait  livré 
3  740  000  tonnes  de  fonte.  Sans  doute  tous  ces  appa- 
reils ne  sont  pas  allumés.  Les  grèves,  les  transports, 
l'état  du  marché  empêchent  qu'ils  ne  soient  mis  à  feu 
simultanément.  Mais  l'accroissement  rapide  du  tonnage 
élaboré  a  décidé  un  changement  d'orientation  dans  la 
politique  commerciale. 

Avec  une  telle  production,  les  importations  sont 
devenues  négligeables  :  190  000  tonnes  pour  la  fonte, 
79  000  tonnes  pour  l'acier  en  1920.  Par  contre,  les 
exportations  ont  pris  une  ampleur  d'autant  plus  consi- 
dérable que  les  marchés  intérieurs  étaient  pourvus  et 
que  la  nouvelle  flotte  trouvait  dans  les  produits  métal- 
lurgiques un  fret  de  premier  ordre.  Cette  même  année, 
elles  cnt  atteint  4  millions  de  tonnes.  Pendant  la  guerre, 
le  sens  du  mouvement  était  dirigé  nettement  vers  les 
pays  alliés  :  la  France,  la  Grande-Bretagne,  l'Italie; 
en  1918,  ces  puissances  ont  reçu  pour  150  468  000  S 
d'acier  en  lingots  et  de  produits  demi-fins.  La  signa- 
ture de  l'armistice  et  la  crise  des  changes  restreignirent 
les  achats  du  vieux  continent.  Cependant  le  dévelop- 
pement des  constructions  navales  dans  le  monde  entier, 
la  réfection  des  chemins  de  fer  chez  les  belligérants 
ont  accru  la  vente  des  produits  finis.  Par  exemple,  le 
nombre  des  locomotives  livré  à  l'étranger  est  le  plus 
élevé  qui  ait  été  jamais  enregistré  (959  en  1917  contre 
1911  en  1920)  :  Cuba  pour  288  machines,  l'Italie 
pour   175,  la  France  pour   102,  le  Brésil  pour    147,  la 


APRÈS    LA    GTTERRE  187 

Pologne  pour    139    ont    été   les    principaux    acheteurs. 

La  valeur  totale  des  exportations  pour  le  fer  et  pour 
l'acier  a  atteint  S  302  millions  en  1920.  Le  plus  sou- 
vent elles  marquent  une  victoire  remportée  sur  la 
métallurgie  anglaise.  La  Grande-Bretagne,  elle-même, 
a  reçu  307  000  tonnes  de  produits  américains.  Viennent 
ensuite  les  pays  où  le  change  est  le  moins  bas,  le  Brésil, 
l'Argentine,  les  Colonies  anglaises  et  l'Extrême-Orient. 

Au  Japon  la  situation  est  particulièrement  carac- 
téristique :  en  1913,  il  avait  absorbé  182  000  tonnes 
d'acier  anglais,  soit  4  fois  et  demie  de  plus  que  d'acier 
américain:  en  1919,  les  exportations  de  la  Grande-Bre- 
tagne se  limitaient  à  00  300  tonnes,  soit  au  dixième 
des  exportations  des  États-Unis.  En  1920,  l'Amérique 
a  fourni  dans  l'archipel  nippon  013  000  tonnes  dont 
89  000  tonnes  d'acier  de  construction,  275  000  tonnes 
de  tôles,  50  000  tonnes  de  fer  blanc,  1 35  000  tonnes 
de  rails.  La  même  année,  la  part  de  l'Angleterre  n'était 
que  de  116  000  tonnes. 

Dans  leurs  propres  colonies,  les  Anglais  ont  été 
sévèrement  combattus.  En  1920,  la  Grande-Bretagne 
a  essayé  de  reprendre  la  place  qu'elle  avait  perdue 
pendant  la  guerre  et  en  1919;  elle  a  réussi  à  améliorer 
sa  position  sans  amoindrir  celle  des  États-Unis.  En 
Australie  et  en  Nouvelle-Zélande,  les  Anglais  arrivent 
avec  187  000  tonnes,  les  Américains  avec  52  000  tonnes; 
les  chiffres  sont  de  221  000  tonnes  contre  74  000  tonnes 
aux  Indes;  57  000  tonnes  contre  38  000  tonnes  dans 
l'Afrique  du  Sud. 

Les  États-Unis  sont,  pour  le  moment,  la  seule  puis- 
sance métallurgique  du  nouveau  continent;  mais  d'au- 
tres Etats  s'équipent  pareillement  pour  arrêter  les 
importations  étrangères. 

Les  distances  considérables  qui  séparent  les  minerais 
des  houilles,  la  pauvreté  des  gisements  charbonniers. 


188  l'industrie  PU   FER    EN    FRANCE 

a  longtemps  arrêté  la  création  d'une  industrie  sidérur- 
gique au  Brésil.  Pour  qu'une  métallurgie  put  prospérer, 
il  eut  fallu  importer  de  fortes  quantités  de  coke.  On 
avait  songé  à  exporter  en  Europe  les  minerais  riches 
et  à  recevoir,  comme  fret  de  retour,  les  combustibles 
nécessaires.  Des  chargements  de  minerais  envoyés  en 
Angleterre  donnèrent,  à  l'analyse,  toute  satisfaction. 
Les  sortes  des  états  de  Santa-Catharina,  de  Rio  Grande 
dol  Sul,  de  Minas  Geraes  se  comportèrent  admirable- 
ment dans  les  lits  de  fusion.  Présentement  le  gouver- 
nement paraît  se  proposer  un  autre  programme.  Il 
songe  à  utiliser  directement  ses  charbons  ou  à  con- 
struire, dans  l'état  de  Minas  Geraes  des  fours  élec- 
triques. Une  mission  brésilienne  a  été  envoyée  en  Suède 
pour  étudier  sur  place  les  appareils  de  fort  tonnage. 
L'Amérique  du  Sud  doit  échapper  à  la  métallurgie 
européenne,  conquise  dès  maintenant  par  la  sidérurgie 
des  États-Unis  et,  dans  un  avenir  prochain,  réservée 
à  la  sidérurgie  nationale. 

Semblablement,  la  guerre  européenne  a  décidé,  en 
Asie  et  en  Australie,  la  création  d'industries  du  fer, 
au  sens  moderne  du  mot. 

La  hausse  des  produits  marchands,  conséquence  des 
demandes  de  l'armement  et  des  chantiers  de  construc- 
tion navale,  a  donné  aux  aciéries  nipponnes  un  essor 
considérable;  elle  les  ont  fait  sortir  du  cadre  relative- 
ment modeste  où  elles  se  consacraient  à  la  satisfaction 
des  besoins  nationaux.  Malheureusement  l'insuffisance 
des  moyens  techniques,  l'incompétence  de  la  direction, 
l'absence  de  toute  politique  économique  et  surtout 
la  pauvreté  des  gisements  ferrifères  n'ont  pas  permis 
:i  l'industrie  du  fer  de  supporter  la  crise  de  1919-1920, 
et  de  lutter,  à  l'époque  de  la  baisse,  avec  la  concur- 
rence anglaise  ou  américaine.  En  1920,  le  Japon  a 
importé  une  grande  partie  de  son  matériel  de  chemin 


APRÈS    LA    GUERRE  189 

de  fer  et  les  tôles  nécessaires  à  ses  chantiers  de  con- 
struction. Le  projet  d'élever  des  hauts  fourneaux,  pour 
la  production  annuelle  de  quelque  1  500  000  tonnes,  n'a 
pas  été  réalisé,  malgré  l'appui  financier  du  gouvernement. 
La  tendance  actuelle  de  la  sidérurgie  nipponne  parait 
être  de  [construire  des  usines  sur  le  continent  à  portée 
des  gisements  ferrii'ères  qui  alimentent  les  aciéries  de 
l'archipel  :  en  Corée  et  en  Mandchourie,  d'où  la  con- 
currence russe  a  été  évincée;  en  Chine  ou  des  associa- 
tions de  capitaux  sino -japonais  se  sont  déjà  formées 
pour  l'exploitation  des  établissements  d'Hankon. 

La  Chine  est  la  future  puissance  métallurgique  de 
l'Extrême-Orient.  Ses  réserves  houillères  peuvent 
compter,  très  vraisemblablement,  parmi  les  premières 
du  monde;  et  en  bien  des  points,  comme  dans  le  Cleve- 
laud,  le  charbon  est  superposé  au  minerai  de  fer. 
Cependant,  par  crainte  de  la  vindicte  publique,  le 
pouvoir  central  s'est  longtemps  refusé  à  laisser  fouiller 
le  sous-sol.  L'importance  de  l'industrie  sidérurgique 
n'est  donc  point  actuellement  en  rapport  avec  l'impor- 
tance territoriale  du  pays.  Cependant  l'industrie  du 
fer  est  en  progrès  continu.  Plus  de  050  000  tonnes  de 
minerais  ont  été  exportées  en  1920,  à  destination  du 
Japon  principalement.  La  même  année,  les  chantiers 
de  construction  de  Shangaï  ont  construit  2  grands 
steamers  pour  le  gouvernement  britannique,  2  cargos 
pour  la  Norvège,  2  cargos  pour  les  États-Unis,  sans 
compter  de  nombreux  navires  de  moindres  tonnages 
pour  la  navigation  côtière.  Enfin  des  ingénieurs  amé- 
ricains achèvent  à  Schiechinsham,  dans  la  banlieue  de 
Pékin  la  construction  de  hauts  fourneaux,  dont  la 
mise  à  feu  est  imminente. 

Egalement  en  Asie,  les  Indes  ont  fait  preuve  dans 
ces  dernières  années  d'une  remarquable  aptivité  dans 
l'industrie  du  fer.  En   1919,  les  7  hauts  fourneaux  du 


190  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

Bengale  ont  produit  232  000  tonnes  de  fonte,  2  600  tonnes 
de  ferro-manganèse,  134  000  tonnes  d'acier.  Le  gou- 
vernement de  Mysore  installe  un  haut  fourneau  qui 
produira  20  000  tonnes  de  fonte  par  an,  en  utilisai! I 
les  minerais  voisins  de  Shinioga.  Les  ateliers  de  trans- 
formation ont  élaboré  des  rails,  des  poutrelles,  des 
tôles,  des  tubes.  La  consommation  locale  n'est  plus 
uniquement  tributaire  de  l'étranger. 

Enfin,  l'Australie,  demeurée  si  longtemps  au  stade 
agricole,  semble  entrer  dans  la  période  industrielle  de 
son  évolution.  Longtemps  confinée  dans  la  métallurgie 
des  métaux  précieux,  par  le  fait  de  l'éloignement  qui 
existe  entre  ses  charbonnages  et  ses  gisements  ferrif i  r»  , 
elle  a  élevé  son  premier  haut  fourneau  en  1913.  Depuis 
lors,  l'industrie  sidérurgique  s'est  progressivement  déve- 
loppée. La  Brocken  Hill  Proprietary  a  élevé  son  qua- 
trième haut  fourneau  près  des  charbonnages  de 
Newcastle;  elle  a  construit  un  laminoir  et  des  trains; 
la  Compagnie  Haskins  installe  une  industrie  complète 
à  Port  Kemble,  près  de  Wollongong.  En  1920,  l'in- 
dustrie australienne  a  produit  86  000  tonnes  de  fonte, 
en  augmentation  de  5  000  tonnes  sur  l'année  précé- 
dente. Le  département  des  chemins  de  fer  a  entrepris 
la  construction  de  20  locomotives. 

Sans  doute  la  capacité  de  consommation  est  «  norme 
en  Australie  comme  en  Asie.  Les  industries  nouvelle- 
ment créées  ne  peuvent  avoir  la  prétention  de  satis- 
faire, de  suite,  à  tou^  les  besoins  des  populations; 
mais  elles  révèlent  la  volonté  des  gouvernements  de 
réserver  aux  métallurgies  nationales  la  plus  grande 
partie  des  commandes. 

Eloignée  des  places  de  l'Extrême-Orient  et  de  l'Amé- 
rique latine  où  elle  est  distancée,  pour  le  moment, 
par  des  concurrents  plus  avantagés  comme  prix  de 
revient  et   comme   distance,   —  où  elle   sera    arrêtée 


APRÈS    LA    GUERRE  191 

dans  un  avenir  prochain,  par  l'industrie  indigène,  — 
la  France  ne  peut  exercer  son  activité  sidérurgique 
qu'en  Afrique,  encore  privée  de  toute  métallurgie  ou 
dans  ses  colonies,  si  des  droits  prohibitifs  sauvegardent 
ses  intérêts.  Ce  sont  les  seuls  marchés  du  monde,  à 
de  rares  exceptions  près,  qui  pourront  recevoir  le 
surplus  de  la  production  dont  la  clientèle  européenne 
et  la  clientèle  nationale  n'auront  pu  prendre  livraison. 


III.    —    LINTÉGRATION 

L'accroissement  considérable  de  la  production,  la 
concurrence  étrangère,  la  création  d'industries  nou- 
velles ont  eu  pour  effet  d'intensifier  le  mouvement 
qui  portait  les  usines  nationales  dans  le  sens  de  l'inté- 
gration. On  qualifie  de  ce  nom  barbare  le  système 
économique  qui  consiste  à  prendre  le  produit  à  l'état 
de  matière  première  et  à  le  suivre  dans  toutes  ses  trans- 
formations jusqu'à  la  vente  au  détail.  Pour  le  fer,  par 
exemple,  l'intégration  réunit  dans  la  même  main  :  la 
mine  de  fer,  le  charbon,  le  haut  fourneau,  l'aciérie, 
le  laminoir,  la  fabrique  de  machines  et  d'outils,  les 
chantiers  de  construction  métallique  et  mécanique,  les 
comptoirs  de  vente. 

Ce  mouvement  n'est  pas  nouveau.  A  l'époque  de  la 
tonte  au  bois,  les  maîtres  de  forges  acquéraient  les  mines 
et  les  forêts  pour  assurer  leurs  approvisionnements; 
pour  obtenir  l'autorisation  de  construire  des  hauts 
fourneaux,  les  métallurgistes  devaient  justifier  de  la- 
possession  des  matières  premières  indispensables  à  leur 
marche.  Pareillement,  à  la  fin  du  xvuie  siècle,  l'inté 
gration  de  la  transformation  était  réalisée  en  plusieurs 
points  du  territoire,  au  Creusot  et  à  la  Chaussade,  par 


192  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

exemple;  Martin  de  Wendel,  maître  de  forges  d  Hayange, 
soutenait  financièrement  les  manufactures  d'armes  de 
charleville  et  de  Mohon. 

L'introduction  du  coke  dan.-  la  métallurgie  inten- 
sifia cette  concentration  industrielle.  La  substitution 
de  l'acier  au  fer  dans  la  plupart  des  applications  métal- 
liques et  mécaniques  décida  la  formation  de  groupe- 
ments »  horizontaux  »  qui  réunissaient,  sous  le  même 
contrôle,  la  houille,  le  minerai,  la  fonte,  l'acier  et  le 
produit  marchand.  M.  Hauser  a  montré  comment,  dès 
la  fin  du  xixe  siècle,  à  la  concentration  plutôt  com- 
merciale que  vraiment  industrielle  du  cartel,  s'oppose 
l'intégration  des  grands  établissements,  des  Krupp, 
des  Thyssen,  des  Mannessman.  «  Posséder  à  la  fois 
des  charbonnages,  des  hauts  fourneaux,  des  aciéries 
et  des  laminoirs,  c'est  le  moyen  d'échapper  à  la  domi- 
nation des  cartels Ces  grosses  entreprises  n'entrent 

plus  dans  les  cartels  que  si  on  leur  offre,  comme  con- 
tingent de  production,  de  vente,  etc.,  des  conditions 
avantageuses  ». 

Mais  le  fait  typique  de  la  période  actuelle,  remarque 
le  Comité  des  Forges,  est,  d'une  part,  l'ampleur  consi- 
dérable prise  par  ce  mouvement  et,  d'autre  part,  son 
développement  dans  le  sens  «  vertical  ».  Par  ailleurs, 
la  concentration  est  arrivée  à  ce  stade  actuel  de  son 
évolution  en  partant  de  deux  points  de  départ  différents. 

D'une  part  les  maîtres  de  forges  tendent  à  accaparer 
les  usines  de  construction  métallique  ou  mécanique 
qui  sont  leurs  meilleurs  clients.  D'autre  part,  par  un 
phénomène  de  choc  en  retour,  les  grands  clients  de  la 
métallurgie  cherchent  à  se  libérer  de  l'esclavage  où 
les  tiennent  les  hauts  fourneaux  et  les  aciéries  en  pro- 
duisant eux-mêmes  la  fonte  et  l'acier.  «  Les  laminoirs 
simples  ont  eu  leur  heure  en  1886,  lorsque  le  cartel, 
n'ayant    pas   en    face    de   lui    un    syndicat    fortement 


APRÈS    LA    GUERRE  193 

organisé  des  produits  bruts,  profitait  de  la  surproduc- 
tion et  de  la  baisse  des  prix.  Aujourd'hui  que  le  lami- 
noir doit  acheter  l'acier  à  un  puissant  cartel,  la  situa- 
tion est  renversée.  »  L'industrie  automobile  est  tribu- 
taire de  la  métallurgie.  Pour  se  libérer  de  ce  contrôle, 
un  consortium  des  plus  gros  fabricants  a  acheté  les 
mines,  les  hauts  fourneaux  et  les  aciéries  de  Thyssen 
à  Hagondange,  en  Lorraine  désannexée.  Mais  pour 
obtenir  le  meilleur  rendement  de  ces  établissements 
le  consortium  a  été  obligé  d'utiliser  le  surplus  de  sa 
production  à  la  fabrication  de  l'acier  Thomas,  à  écouler 
sur  le  marché  des  profilés,  dont  il  n'a  pas  l'emploi. 
Il  est  devenu  le  concurrent  d'usines,  dont  il  était  jadis 
le  client. 

«  Mais,  écrit  M.  Hauser,  que  l'usine  acquière  une 
mine  ou  que  la  mine  se  double  d'une  usine,  le  résultat 
est  le  même,  tout  le  processus  de  la  production  se 
trouve  soumis  à  une  direction  unique.  Les  usines  mixtes 
ont  une  grosse  avance  sur  les  usines  simples  puis- 
qu'elles n'ont  pas  à  subir  les  prix  du  syndicat  soit 
pour  leur  combustible  et  leur  minerai,  soit  pour  les 
produits  semi -ouvrés.  » 

En  France,  l'intégration  a  suivi  deux  voies  diffé- 
rentes :  l'accroissement  individuel  des  moyens  de  pro- 
duction et  le  groupement  des  efforts. 

Le  premier  procédé  a  été  appliqué  principalement 
par  les  sociétés  sinistrées  de  la  grande  guerre  et  qui 
ont  construit,  pendant  les  hostdités,  des  usines  sur 
le  territoire  national  à  l'abri  du  canon  ennemi.  Elles 
ont  augmenté  leur  fabrication  sans  créer  de  nouveaux 
établissements;  elles  se  sont  procuré  des  matières  pre- 
mières en  Lorraine  désannexée  et  assuré  des  débouchés 
par  le  contrôle  d'industries  consommatrices.  C'est  le 
cas  des  Aciéries  de  Longwy  dont  nous  avons  analysé 
la  puissance  au  chapitre  précédent.   Elles  ont  acquis 

L'Industrie  du  fer  en  France.  13 


194  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN     FRANCE 

le  tiers  de  la  Société  minière  et  métallurgique  de  Thion- 
ville  dont  les  établissements  sont  situés  à  30  kilomètres 
du  siège  principal  de  leur  exploitation,  à  Mont-Saint  - 
Martin,  et  le  tiers  des  charbonnages  de  Faulquemont. 
Elles  se  sont  assuré,  de  cette  manière,  le  tiers  de 
l'extraction  dans  des  charbonnages  qui  s'étendent  sur 
12  600  hectares,  répartis  dans  les  meilleurs  gisements 
du  bassin  de  la  Sarre;  en  attendant  la  mise  en  œuvre 
des  houillères  d'Allemagne  et  du  Pas-de-Calais,  où  elles 
ont  des  participations.  Par  ailleurs,  la  Société  a  assuré 
l'écoulement  de  sa  fabrication.  Productrice,  avant  la 
guerre,  de  petits  et  de  grands  profilés,  de  fers  en  barres 
et  de  tôles,  en  attendant  la  reconstitution  de  ses  éta- 
blissements détruits,  elle  a  inauguré  l'industrie  de  la 
tôle  mince  et  de  la  tôle  fine  dans  ses  usines  de  Sedan, 
orienté  son  usine  d'Aubervillers  vers  la  construction 
mécanique,  celle  de  Saint-Denis  vers  la  réparation  du 
matériel  roulant.  Enfin,  elle  s'est  intéressée  dans  les 
Ateliers  de  construction  du  Nord  de  la  France  qui 
s'équipe  pour  la  construction  des  wagons  et  des  loco- 
motives, dans  les  Sociétés  de  tubes  de  Hautmont,  de 
Louvroil  et  de  la  Sarre,  dans  les  Ateliers  et  Chantiers 
maritimes  du  Sud-Ouest.  Fondées  en  1880pour  appliquer 
en  grand  le  procédé  que  venaient  de  découvrir  Thomas 
et  Gilchrist,  les  Aciéries  de  Longwy  ont  singulièrement 
amplifié  leur  programme  de  fabrication  et  de  vente. 
D'autres  sociétés  ont  préféré  se  grouper  pour  accroître 
leur  puissance  économique.  Nous  savons  qu'avant  la 
guerre  l'industrie  du  fer  était  spécialisée  suivant  l'em- 
placement qu'elle  occupait  sur  le  territoire  national. 
L'alliance  conclue  entre  les  métallurgistes  du  Centre, 
du  Nord  et  de  l'Est  a  pour  but  de  reconstruire  en  com- 
mun les  usines  détruites,  d'exploiter  le  patrimoine 
minier  et  le  domaine  métallurgique,  d'acquérir  de  nou- 
veaux établissements  dans  la  Sarre  et  dans  la  Lorraine 


APRÈS    LA    GUERRE  195 

désanuexée.  Comrne  type  de  ces  groupements,  nous 
prendrons  la  consortium  formé  par  les  Aciéries  du 
Nord  et  de  l'Est,  la  Société  métallurgique  de  Pont-à- 
Vendin,  les  usines  de  l'Espérance  à  Louvroil,  les  usines 
métallurgiques  de  la  Basse -Loire  à  Trignac.  Ce  puis- 
sant syndicat  s'est  rendu  maître,  en  outre,  des  Forges 
et  Aciéries  du  Nord  et  de  la  Lorraine  qui  comprennent 
les  usines  d'Uckange  et  de  Neunkirchen.  Il  contrôle 
en  totalité  ou  en  partie  : 

1°  Des  gisements  ferrifères  dont  les  réserves  sont 
estimées  à  350  millions  de  tonnes  et  l'extraction  annuelle 
à  4  millions  de  tonnes.  Ils  sont  situés  :  dans  le  bassin  de 
Briey  :  concessions  de  Pienne,  Chavigny-Vandœuvre, 
Lavaux,  Grande  Rimont,  Saint-Pierremont,  Sexey;  en 
Lorraine  désannexée,  concessions  d'Hettange,  Grange, 
Ida  et  Neunkirchen,  Lorraine,  Bouvenherg,  Boulange 
et  Holberg,  Chatel,  Michelsberg;  en  Normandie,  con- 
cessions de  Fierville  et  Larchamp;  en  Anjou  et  en 
Bretagne,  les  Aulnais,  le  Bois,  l'Oudon,  la  Ferrière, 
la  minière  de  Châteaubriant;  en  Espagne,  les  mines  de 
Heras  -  Santander . 

2°  Des  charbonnages  situés  dans  le  Pas-de-Calais 
à  Gouy-Servin,  Ablain -Saint -Nazaire,  Fresnicourt;  en 
Vendée  à  Feymoreau;  en  Belgique  au  Levant  de  Meuse, 
à  Beeringen,  à  Limbourg-Meuse;  en  Angleterre,  dans 
le  Kent. 

3°  27  hauts  fourneaux  dont  5  à  Valenciennes,  4  à 
Jarville,  3  à  Louvroil,  4  à  Trignac,  5  à  Uckange,  6  à 
Neunkirchen. 

4°  4  aciéries  ïbomas  (Valenciennes,  Trignac,  Louvroil, 
Xeunkirchen);  3  aciéries  Martin  (Valenciennes,  Trignac, 
Xeunkirchen)  ;  2  aciéries  électriques  (Trignac  et  Neunkir- 
chen); 4  trains  laminoirs  (Valenciennes,  Louvroil,  Tri- 
gnac et  Neunkirchen). 

5°  Des  fours  à  coke,  des  broyeurs  pour  scorie,  des 


196  l'industrie  du  fer  en   i-kam  i. 

cimenteries,  des  fabriques  de  produits  réfractaires  ali- 
mentés par  les  hauts  fourneaux  et  les  aciéries. 

6°  Des  fonderies  à  Saint -Xazaire,  des  forges  à 
Montoir,  des  fabriques  de  tubes  à  Hambourg, 
de  boulons  à  Beckingen,  des  ateliers  de  construc- 
tion dans  les  départements  du  Xord  et  du  Pas-de- 
Calais. 

Les  usines  de  la  Sarre  et  de  la  Lorraine  fourniront 
l'acier  Thomas  et  tous  les  profilés  et  demi-produits 
qui  en  dérivent;  les  usines  du  Xord  doivent  élaborer 
une  partie  des  produits  communs  d'exportation  et  des 
produits  demi-fins;  les  usines  de  la  Loire  livreront  les 
produits  fins  pour  les  chantiers  de  construction  navale 
et  demi-fins  pour  l'exportation. 

Si  puissant  que  soit  ce  groupe,  il  lui  manque  pour 
être  complet  d'avoir  incorporé  une  usine  du  Centre, 
productrice  de  la  métallurgie  de  luxe  pour  l'arme- 
ment de  la  marine  de  guerre,  principalement.  C'est 
ce  qui  constitue  la  force  du  groupement  formé  par  la 
Société  de  Miche  ville  et  la  Société  de  la  Marine  et 
Homécourt.  Par  la  fusion  des  établissements  du  Bou- 
cau,  de  Saint-Chamond,  d' Homécourt,  de  Micheville 
qu'elles  possèdent  en  toute  propriété,  par  leurs  parti- 
cipations dans  les  établissements  de  Bombas,  de  Dift'er- 
dange,  de  Bumelange,  de  Bedange-Dilling  qu'elles 
contrôlent  pour  la  plus  grande  partie,  ces  sociétés 
peuvent  livrer  toutes  les  sortes  d'acier  depuis  les  plus 
grossières,  jusqu'aux  plus  fines.  Comme  conséquence, 
elles  ont  été  amenées  à  agrandir  leur  domaine  minier. 
En  dehors  des  concessions  et  des  participations  qu'elles 
ont  acquises  en  France  et  en  Belgique,  elles  se  sont 
intéressées  aux  nouvelles  prospections  entreprises  dans 
les  charbonnages  du  Centre,  dans  la  Loire,  l'Allier  et 
le  Bhône  et  sur  des  gisements  ferrifères  en  Espagne, 
en  Algérie,  au  Maroc. 


APRÈS    LA    GUERRE  197 

Mais  l'intégration  entraîne  encore  la  métallurgie  vers 
des  conquêtes  plus  hétérogènes. 

«  Le  champ,  écrit  M.  Kéginald  Kann,  est  presque 
illimité.  Ce  sont  d'abord  des  fabriques  de  machines, 
des  usines  d'énergie  électrique,  des  manufactures  de 
produits  chimiques.  L'horizon  s'élargit.  On  passe  aux 
chantiers  de  constructions  navales  et  de  là  aux  com- 
pagnies de  navigation.  Or,  les  voyageurs  qui  empruntent 
les  lignes  de  paquebots  ont  besoin  d'hôtels;  on  leur  en 
achète  dans  les  ports  et  dans  les  grands  centres  d'agglo- 
mérations. Puis  on  constate  qu'il  est  utile  d'agir  sur 
l'esprit  de  la  masse  des  acheteurs,  d'où  acquisition 
d'une  partie  de  la  presse  de  la  capitale  et  des  provinces, 
ensuite  d'imprimeries,  de  maisons  d'édition,  de  fabriques 
de  papier.  »  Des  banques  se  créent  pour  soutenir  ces 
organes  les  plus  divers.  Le  gouvernement  est  obligé 
de  leur  accorder  son  appui.  On  sait  le  rôle  des  banques 
et  de  la  métallurgie  allemande  dans  la  question  des 
chemins  de  fer  de  Bagdad.  La  diplomatie  germanique 
était  arrivée  à  ce  singulier  compromis  que  la  France 
fournirait  les  fonds,  moyennant  un  droit  de  contrôle 
illusoire  et  que  la  sidérurgie  rhénane  livrerait  le  maté- 
riel, construirait  les  voies,  exploiterait  l'affaire.  Tout 
dernièrement  encore,  ce  furent  les  grands  métallur- 
gistes américains  qui  imposèrent  leur  programme  pour 
la  mise  en  chantier  du  programme  maritime  des  Etats- 
Unis. 

Si  des  questions  de  fret,  des  barrières  douanières 
arrêtent  les  marchandises  sur  le  chemin  de  la  conquête, 
l'industrie  du  fer  peut  être  amenée  à  essaimer  en  terri- 
toire étranger.  Nous  avons  vu  les  Japonais  s'établir 
en  Corée  et  en  Mandchourie,  les  Anglais  en  Espagne, 
les  Allemands  en  Autriche-Hongrie,  au  Chili  même. 
Après  la  guerre,  les  établissements  Schneider  et  la 
banque  de  l'Union  parisienne  ont  formé  l'Union  euro- 


198  l'industrie  du  fer  en   France 

péenne,  industrielle  et  financière  pour  le  développe- 
ment des  relations  économiques,  métallurgiques  prin- 
cipalement, entre  la  France  d'une  part,  la  Tchéco- 
slovaquie, la  Pologne  et  la  Hongrie  d'autre  part.  Ce 
consortium  a  acquis  le  contrôle  :  à  Pilsen  sur  les  établis- 
sements sidérurgiques  de  Skoda;  en  Pologne  sur  la 
Société  anonyme  des  Établissements  réunis  (distil- 
leries et  sucreries),  sur  la  Société  Berg  et  Huttenwerks, 
sur  les  forges  et  aciéries  de  Huta-Bankowa;  à  Pest, 
sur  la  Banque  générale  de  Crédit  hongrois.  Enfin  les 
établissements  Schneider  ont  encore  des  participations 
dans  la  Compagnie  française  du  Levant,  dans  la  Fraine- 
rican  industrial  Development  Corporation,  dans  la 
Société  espagnole  de  constructions  Électro-mécaniques, 
dans  la  Société  anonyme  Officine  Metallurgiche  Meca- 
niche  di  Tortone,  dans  l'Union  industriale  Italo-Fran- 
cese,  sans  compter  des  intérêts  fort  importants,  avant 
guerre,  en  Russie. 

L'intégration,  en  transformant  les  méthodes  écono- 
miques de  l'industrie  du  fer,  a  singulièrement  renforcé 
sa  puissance.  En  France,  cette  puissance  est  infini- 
ment divisée,  à  de  rares  exceptions  près,  entre  les 
nombreux  actionnaires  des  diverses  sociétés.  A  l'étranger, 
en  Allemagne  principalement,  elle  est  absorbée  par 
quelques  maîtres  de  forges.  Le  dernier  venu  parmi 
ces  magnats,  Hugo  Stinnes,  montre  à  quelle  hauteur 
vertigineuse  peut  s'élever  un  homme  dans  le  domaine 
de  l'acier. 

Figure  fabuleuse  :  on  la  croirait  issue  d'un  conte  de 
fées.  Certains  chroniqueurs  ont  pu  comparer  Hugo 
Stinnes  au  marquis  de  Carabas.  Le  rapprochement 
n'est  pas  exagéré  si  l'on  examine  la  prodigieuse  rapidité 
de  sa  fortune. 

Issu  d'une  famille  de  négociants  en  charbons,  à 
Mullieim-sur-Bbin,  il  fut   placé,  à  la  sortie  du  collège. 


APRÈS    LA    GUERRE  199 

dans  une  maison  de  commerce  de  Cologne.  Trop  indé- 
pendant pour  cette  discipline,  il  se  fâche  avec  son 
patron,  avec  sa  famille  et  s'engage  comme  simple 
mineur.  Il  manie  le  pic  jusqu'au  jour  où,  réconcilié 
avec  les  siens,  il  entre  à  l'Institut  des  Mines  de  Berlin, 
dont  le  niveau  correspond  à  nos  écoles  des  Arts  et 
Métiers. 

Après  un  an  d'études,  il  s'établit  à  son  compte 
marchand  de  charbons.  Son  succès  fut  rapide.  En 
20  ans,  il  était  parvenu  à  une  des  plus  hautes  situations 
de  la  métallurgie  allemande.  Avant  la  guerre,  il 
«  valait  »  une  quarantaine  de  millions.  L'armistice  lui 
fournit  un  tremplin  nouveau.  Il  emploie  les  capitaux 
que  l'Etat  lui  verse  pour  le  dédommager  de  la  perte 
de  ses  usines  et  de  ses  mines  dans  le  Luxembourg  et 
en  Lorraine  désannexée  à  conclure  de  nouveaux  con- 
trats qui  lui  assurent  la  prééminence  sur  toute  l'indus- 
trie du  fer  outre-Rhin.  Le  1er  octobre  1920,  sous  l'im- 
pulsion de  Hugo  Stinnes,  la  Deutsch  Luxemburgische 
Bergwerks  et  la  Gelsenkirchener  Bergwerks  créent  la 
Rhein-Elbe-TJnion.  Cette  société  acquiert,  le  même  mois, 
la  majeure  partie  du  capital  de  la  Bochumer  verein  fur 
Bergbau  et,  en  décembre  1920,  elle  s'assure  le  contrôle  des 
fameuses  firmes  électriques  Siemens  et  Holske  de  Berlin, 
Electrizitàts  allgemeine  Gesellschaft  de  Nuremberg. 

En  Westphalie  seulement,  le  groupe  Rhein-Elbe, 
qu'il  contrôle,  possède  28  hauts  fourneaux.  Sa  pro- 
duction de  combustible,  en  1920,  s'est  élevée  à 
12  600  000  tonnes  de  houille,  2  900  000  tonnes  de  coke, 
752  000  tonnes  d'agglomérés.  Sa  participation  dans  le 
Syndicat  des  houilles  se  monte  à  15  millions  de  tonnes 
de  houille,  2  600  000  tonnes  de  coke,  1  million  de  ton- 
nes de  briquettes  et  4  900  000  tonnes  à  titre  de  con- 
sommation propre. 

En   outre,   la   Rhein-Elbe  ou   Stinnes  sont    partiel}? 


200  l'industrie  du  fer  en  France 

lièrement  intéressés  dans  une  trentaine  de  sociétés  de 
toute  espèce  :  sociétés  métallurgiques  ou  minières, 
fabriques  d'outils,  chantiers  de  construction  navale, 
fabriques  de  produits  chimiques,  sociétés  d'électricité, 
sociétés  de  tramways,  de  navigation  fluviale  et  mari- 
time, hôtels,  imprimeries,  journaux. 

Le  Comité  des  Forges  estime  que  les  intérêts  du 
groupe  Stinnes  représenterait  8  milliards  de  marks 
environ,  dont  1,7  milliard  pour  la  Rhein-Elbe,  797  mil- 
lions pour  ses  filiales,  2,1  milliards  pour  ses  partici- 
pations et  326  millions  pour  ses  participations  indirectes. 
Les  entreprises  ou  participations  de  Hugo  Stinnes 
représenteraient  758  millions  et  celles  dans  lesquelles 
il  a  des  intérêts  moins  directs  2,2  milliards. 

Si  fantastiques  qu'ils  soient,  ces  chiffres  n'évaluent 
pas  toute  la  puissance  du  groupe.  Il  faudrait  encore 
compter  avec  ses  participations  en  Norvège,  en  Suède, 
en  Autriche,  en  Espagne,  en  Silésie,  avec  ses  intérêts 
en  Russie.  Tels  qu'ils  sont  cependant,  ils  expliquent 
son  pouvoir  à  l'érjoque  actuelle,  son  autorité  dans  les 
conseils  du  Reich. 


CONCLUSION 

Au  stade  actuel  de  son  histoire,  l'industrie  du  fer 
présente,  en  France,  une  évolution  profonde  de  sa 
fonction  économique. 

A  la  veille  de  la  Révolution,  alors  que  la  métallurgie 
avait  pris  chez  nos  voisins  une  figure  de  grande  industrie, 
elle  demeurait,  dans  notre  pays,  un  organe  de  l'activité 
régionale.  Le  métal  était  considéré  comme  un  objet 
tns  cher,  presque  de  luxe,  et  son  emploi  étroitement 
limité  à  la  vaisselle  domestique,  au  matériel  agricole, 


CONCLUSION  201 

aux  armements,  à  la  quincaillerie.  Protégée  par  des 
taxes  établies  de  province  à  province,  par  les  difficultés 
de  la  circulation,  la  production  était  fort  peu  déve- 
loppée :  le  tonnage  de  la  fonte  élaborée  ne  dépassait 
guère  100  000  tonnes. 

La  découverte  de  la  vapeur  bouleversa  les  principes 
de  la  sidérurgie  :  elle  accrut  rapidement  le  nombre  et 
l'importance  des  clients.  Les  transports,  la  construc- 
tion mécanique,  la  construction  métallique,  les  arme- 
ments de  la  guerre  et  de  la  marine  ont  exigé  des  quan- 
tités considérables  de  métal.  De  800  000  tonnes  au 
début  du  xixe  siècle,  la  production  mondiale  de  la 
fonte  a  atteint  7  millions  de  tonnes  en  1860,  dépassé 
78  millions  de  tonnes  en  1913.  Elle  a  presque  décuplé 
en  53  ans.  Cependant,  notre  métallurgie  a  été  lente  à 
suivre  ce  mouvement.  En  France,  le  siècle  du  fer,  ou 
plus  exactement  celui  de  l'acier  qui  l'a  remplacé  dans 
presque  tous  les  usages,  ne  date  guère  que  des  années 
1880.  En  1871,  exposant  devant  les  Chambres  les 
clauses  du  traité  de  Francfort,  Thiers  déclarait  que  la 
prospérité  métallurgique  d'un  pays  était  pure  illusion 
et  s'efforçait  de  démontrer  que  les  territoires  perdus 
n'avaient  aucune  valeur. 

Défavorisée  par  l'insuffisance  du  combustible,  notre 
sidérurgie  luttait  avec  peine  contre  la  concurrence 
étrangère.  Elle  eut  probablement  perdu  les  marchés 
intérieurs  si  elle  n'avait  été  protégée  par  des  tarifs 
prohibitifs.  La  France  consommait  les  5  200  000  tonnes 
produites  par  ses  hauts  fourneaux;  ses  importations 
comme  ses  exportations  étaient  sans  grand  intérêt 
au  point  de  vue  tonnage.  Le  rôle  de  l'industrie  du  fer 
était  essentiellement  national  quand  la  guerre  fut 
déclarée. 

Le  traité  de  paix  a,  de  nouveau,  changé  les  condi- 
tions  du   problème.    L'Alsace   et    la   Lorraine,    rede- 


202  l'industrie  du  FER    EX    FRANCE 

venues  françaises,  porteront  notre  extraction  minière  à 
43  millions  de  tonnes,  notre  production  en  tonte  à 
11  millions  de  tonnes,  quand  tous  nos  désastres  seront 
réparés.  Dans  les  statistiques,  notre  métallurgie  vient 
au  second  rang,  derrière  les  États-Unis,  pour  l'extrac- 
tion du  minerai  de  fer,  au  troisième  rang,  distancée 
de  peu  par  l'Allemagne,  pour  la  production  de  la  fonte. 
Cependant  la  clientèle  française  est  incapable  de  doubler 
les  chiffres  de  sa  consommation.  Sous  peine  d'arrêter 
l'essor  brillant  de  ses  destinées,  l'industrie  du  fer  doit 
élargir  son  horizon.  Elle  est  forcée  d'exporter  de  loris 
tonnages.  La  France  doit  prendre,  sur  les  marchés 
extérieurs,  une  importance  mondiale.  Elle  est  devenue 
une  puissance  métallurgique  et,  comme  telle,  les  prin- 
cipes de  sa  politique  sont  profondément  modifiés. 

Certes,  l'activité  des  nations  est  trop  complexe  pour 
être  caractérisée  par  un  seul  de  ses  agents,  mais  il 
semble  cependant  que,  chez  les  peuples  les  plus  civi- 
lisés, la  fonction  agricole  ne  soit  plus  uniquement  qua» 
lifiée  pour  représenter  l'activité  économique.  «  Pâtu- 
rage et  labourage,  disait  Sully,  sont  les  deux  mamelles 
de  la  France,  les  vrais  mines  et  trésors  du  Pérou.  » 
Exacte  naguère,  cette  formule  ne  le  serait  plus  actuel- 
lement. L'emploi  du  fer  est  bien  l'élément  essentiel 
qui  marque  les  grands  progrès  de  ces  .30  dernières 
années.  «  La  métallurgie  du  fer,  écrit  M.  Cuillain,  a 
comme  tributaires  toutes  les  autres  industries  :  elle 
est,  pour  ainsi  dire,  le  baromètre  de  la  prospérité 
industrielle  d'un  pays;  puisque  lorsqu'il  y  a  expansion 
industrielle,  il  y  a  augmentation  d'outillage  et  que 
c'est  toujours  à  la  métallurgie  que  l'on  a  recours  pour 
le  développement  de  cet  outillage.   » 

Mais  toute  médaille  a  son  revers.  Supposons  qu'un 
grand  pays  fournisse  à  lui  seul  la  plus  grande  partie 
du  métal  indispensable  aux  fabrications  continentales; 


CONCLUSION  203 

les  autres  nations  ne  pourront  plus  travailler  sans 
avoir  recours  à  ses  gisements  ou  à  ses  usines.  Le  voilà 
maître  de  toute  la  métallurgie  et  de  la  nombreuse 
clientèle  qui  en  vit;  c'est  une  puissance  économique 
qui  se  lève  sur  le  déclin  des  autres.  De  là  pour  passer 
à  la  puissance  militaire,  il  n'y  a  qu'un  j.>as. 

Or,  en  1913-1914,  les  grandes  firmes  métallurgiques 
de  l'Allemagne,  celles  de  Thyssen  et  de  la  Gelsenkirs- 
chen,  entre  autres,  s'étaient  considérablement  déve- 
loppées :  de  nouvelles  usines  entraient  en  exploitation. 
Cependant  l'épuisement  visible  des  gisements  ferrifères, 
l'arrivée  des  produits  américains  sur  les  marchés  exté- 
rieurs menaçaient  leur  prospérité.  La  guerre  fut  déclarée 
à  un  époque  où  se  dessinait  une  crise.  L'invasion 
devait  liquider  des  positions  fâcheuses,  créer  des  besoins 
nouveaux  par  des  destructions  systématiques,  anéantir 
la  concurrence  française,  conquérir  les  gisements  du 
bassin  de  Briey,  méconnus  en  1870.  La  question  sidérur- 
gique détermina  le  plan  d'attaque. 

La  guerre  n'était  pas  déclarée  que  les  armées  alle- 
mandes envahissaient  le  bassin  de  Briey;  puis  elles 
violèrent  la  neutralité  de  la  Belgique  pour  s'emparer 
des  houillères  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais.  La  France 
se  trouvait  privée  de  90  p.  100  de  sa  production  en 
minerai  de  fer,  de  68  p.  100  de  sa  production  de 
fonte,  de  78  p.  100  de  sa  production  d'acier,  de 
76  p.  100  de  sa  fabrication  de  laminés.  M.  Schrodter  était 
certainement  de  bonne  foi  quand,  le  31  janvier  1915, 
à  l'assemblée  de  la  Verein  Deutscher  Eisenhùtte,  il 
déclarait  que  la  production  métallurgique  de  la  France 
('tait  sérieusement  endommagée  et  même  partiellement 
anéantie.  La  stratégie  du  grand  État-Major  avait  été 
la  bonne  servante  de  la  sidérurgie  allemande. 

Si'inblablement,  la  tactique.  En  1917,  le  haut  com- 
mandement  estima   que   la   France   était    épuisée    par 


204  L'INDUSTRIE    DU    FER    EN    FRANCE 

trois  années  de  guerre.  Dans  l'espérance  d'une  pro- 
chaine et  définitive  victoire,  il  voulut  s'assurer  des  gages 
pour  signer  la  paix,  encercler  dans  sa  ligne  de  bataille 
les  gisements  ferrifères  du  bassin  de  Briey.  Il  préci- 
pita toutes  ses  forces,  personnel  et  matériel,  sur  Ver- 
dun. On  sait,  par  quels  sacrifices  héroïques,  l'armée 
française  défendit  son  domaine  national.  Elle  sauva 
nos  libertés  et  la  paix  du  monde. 

La  question  du  fer  dépasse  actuellement  les  indi- 
vidus, elle  domine  l'existence  des  peuples.  Il  ne  s'agit 
plus  de  concurrence  commerciale  entre  sociétés  à  la 
recherche  de  gros  dividendes;  il  s'agit  de  la  produc- 
tion d'un  métal,  de  la  possession  d'un  minerai  dont 
l'abondance  ou  la  disette  peut  modifier  l'équilibre 
toujours  instable  des  nations. 

Pour  obtenir  ou  garder  cette  suprématie  indus- 
trielle, les  gouvernements  sont  prêts  à  se  servir  de 
toutes  les  armes  économiques  ou  militaires,  dont  ils 
disposent.  Car  l'impoitance  de  l'industrie  du  fer  est 
telle  que,  sans  elle,  il  ne  saurait  y  avoir  ni  expansion 
économique,  ni  sécurité  nationale.  «  Le  charbon  et 
le  fer,  avait  dit  M.  Helfïerich,  le  célèbre  financier 
allemand,  sont  les  deux  puissants  piliers  sur  lesquels 
repose  le  développement  industriel  de  notre  époque.  » 


Ouvrages  à  consulter. 

Les  modifications  apportées  à  l'industrie  du  fer  par  le 
traité  de  Versailles  ont  fait  l'objet  de  nombreuses  publications. 
Au  premier  rang,  il  faut  signaler  l'enquête  menée  par  le 
Ministère  du  Commerce  et  publiée  sous  le  titre  :  Uajijiort 
général  sur  l'industrie  française,  sa  situation,  son  avenir  (Paris, 
Imprimerie  nationale,  1919-1020,  3  vol.  iii-1;  la  sidérurgie 
est  traitée  au  1er  volume,  chapitre  n). 

Nous  citerons  ensuite  tout  particulièrement  :  Beat'mont  (M.) 
et  Berthelot  (M.).   L'Allemagne,   lendemain   de  <j"erre  et   de 


CONCLUSION  205 

révolution  (Paris,  Armand  Colin,  1922,  in-lG). —  Cavallier  (L.). 
Après-guerre.  La  métallurgie  française.  Des  améliorations,  évo- 
lutions et  réformes  qui  seraient  nécessaires  dans  ses  méthodes, 
ses  moyens,  son  esprit  (Paris,  imprimerie  Chaix,  1917,  grand 
in-8).  —  Despaux  (A.).  La  déchéance  de  l'industrie  française 
(l'Information,  6  août  1921).  —  Guillet  (L.).  La  métallurgie 
française  et  la  grande  guerre  (Revue  de  métallurgie,  8e  année, 
janvier  1921).  —  Guillet  (L.)  et  Durand  (J.).  L'industrie 
française.  L'Œuvre  d'hier,  l'effort  de  demain  (Paris,  Masson, 
1920,  petit  in-8).  —  Kann  (Réginald).  La  politique  indus- 
trielle du  Reich  (l'Illustration,  16  octobre  1921).  —  Id.  Rathenau 
et  Stinnes  (ibid.,  14  septembre  1921).  —  Pinot  (R.).  La  métal- 
lurgie et  l'après-guerre  (Bulletin  de  la  Société  de  l'Industrie 
minérale,  1917,  5).  —  Id.  Le  Comité  des  forges  de  France  au 
service  de  la  nation,  août  19 14 -novembre  1918  (Paris,  Armand 
Colin,  1919,  in-16).  —  Tribot-Laspière  (J.).  Le  bassin  de 
la  Sarre.  Etude  minière  et  métallurgique  (Le  Génie  civil,  LXXI, 
21   juillet  1917). 

Le  Comité  des  Forges  publie,  chaque  année,  dans  son 
Bulletin,  des  études  sur  l'industrie  du  fer  en  France  et  chez 
les  principales  puissances  de  l'étranger. 

Par  ailleurs,  on  trouvera  une  documentation  très  précieuse 
dans  les  publications  spéciales  telles  que  :  Iron  and  Coal  trades 
reviciv  (Londres,  hebdomadaire)  et  Slahl  und  Eisen  Zeitschrift 
fur  dus  deutsche  Eisenhùttenwesen  (Dusseldorf,  hebdomadaire). 


Appendice 


Production  mondiale 

de  charbon,  de  coke,  de  minerai  de  fer, 

de  fonte  et  d'acier  en  1913. 

(En    milliers    de    tonnes   métriques1.) 


Pays. 

Allemagne  .  .  . 
Autriche-Hongrie 
Belgique  .  . 
Canada .  .  . 
Espagne  .  . 
États-Unis  . 
France .  .  . 
Grande-Bretagne 
Italie.  .  .  . 
Luxembourg 
Russie  .  .  . 
Suède  .  .  . 
Autres  pa  ys . 

Total.    . 


Miner, il 
dr  fer. 

28  607 

5  098 

Mit 

275 

9  801 

62  972 

21  917 

16  253 

619 

7  333 

8  209 
7  475 
4  200  i 


Charbon.  Coke. 

278  744  -'  32  167 

54  112:l  2  721 

22  841  3  523 

13  709  1425 

4  015*  595 

516  953  «  41993 

40  844 G  4  027 

292  029  20  858 

701  498 

33  824  3  000 

363  » 
82  218 

1  340  353  110  807    172  968     78  224   76  881 


Fonte 
brute. 

16  744 

2  366 
2  484 

1  031 
424 

31  461 

5  207 

10  424 

460 

2  548 

3  801 
730 
544 


A<  ier. 

18  935 

2  625 

2  466 

869 

387 

31  801 

4  686 

7  786 

846 

1  336 

4  224 

590 

330 


1.   D'après   les  statistiques   publiées  par  le   Comité  des  Forges. 
Dont  8722:!   tonnes  de  lignite. 

—  3  fi  332       —     —     — 

—  2I!2   tonnes  d'anthracite. 

—  S3  013  tonnes  d'anthracite. 

—  702  tonnes  de  lignite. 

—  1  G07  pour  Cuba,   1336  pour  l'Algérie,  500  pour   la   ïi) 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Chapitre   premier 

Le  minerai  de  fer 1 

I.  Le  bassin  lorrain 3 

IL  Le  bassin  de  l'Ouest 6 

III.  Le   bassin   des   Pyrénées 10 

IV.  Les   gisements    africains 11 

V.  Les  gisements  secondaires 12 

Ouvrages    à    consulter 15 

Chapitre   II 

La    fonte    au    bols 17 

I.  Les  origines.  Les  forges  volantes  ...  17 

II.  Les  hauts  fourneaux 21 

La    force   hydraulique 22 

III.  Les    matières    premières 26 

A.  Le  minerai  de    fer 26 

Les  redevances  minières 28 

L'utilisation  des   minerais   pauvres  .       .  29 

La    castine 30 

B.  Le  charbon  de   bois 31 

IV.  La  main-d'œuvre 33 

V.  Les  maîtres  de  forges 39 

L'Industrie  du  fer  en  France.  14 


210 


TABLE    DES    MATIÈRES 


VI.   La  production 44 

VII.  Le  commerce  du  fer 49 

Le  marché  intérieur 49 

Le     marché     extérieur ~>2 

Ouvrages    à    consulter 55 


Chapitre  III 


La  fonte  au  coke 


I.  Le   combustible    minéral    . 
IL  L'évolution  de  la  technique   . 
III.    Les   centres    de   l'industrie    du    1er 
La    circulation 

1" 


Les    Industries   sur   le    charbon 

A.  Le  Centre 

B.  Le  Nord 

2°  Les  Industries  sur  le  minerai. 

A.  L'Est 

B.  Les   usines   littorales  . 
3°  Les  usines    secondaires.    . 

IV.  La  main-d'œuvre 

V.   Les    débouchés  

1°  Le  marché  extérieur  . 

Le  commerce  du  minerai . 

Le  commerce    des    métaux     . 
2°  Le  marché  intérieur  . 

A.  L'industrie     des    transports 
Les  chemins  de  fer  . 
La  construction  navale  . 
L'industrie  automobile. 

B.  La  construction  métallique 
G.  La  construction  mécanique 
D.  Les   industries    de   la  guerre 

3°  L'organisation  sociale  et  commerciale 

VI.  La  puissance   métallurgique    . 
Ouvrages  à  consulter 


58 
66 
72 


7ti 
76 

ss 
ut; 

ut; 

109 
112 

117 
128 

129 
129 
132 
131 
134 
134 
137 
111 
142 
145 
117 
Mil 

152 
157 


TABLE    DES    MATIÈRES  211 

Chapitre  IV 

L'industrie  du  fer  après  la  guerre 159 

I.  Les  matières  premières 161 

Le    charbon 161 

Le   minerai    de    fer 166 

II.   La  production  métallurgique  ....  179 

Le  marché  français 180 

Le  marché  européen 182 

Le    marché    extra-européen    .        .        .        .  L85 

III.   L'Intégration 191 

Conclusion 260 

Ouvrages  à  consulter. 204 

Appendice 

Production    mondiale   du  charbon,  du  coke,   du 

minerai  de  1er,  de  la  fonte  et  de  l'acier  .       .  200 

Planches  et  figures. 

Figure    1.   Les  gisements  de  fer  et  les    bassins 

houillers   de    la    France 8 

Figure    2.  La  métallurgie  du  Centre.      ...  77 

Figure  3.   La  métallurgie  du  Nord.        .      .      .  88 

Figure  4.   Là    métallurgie   de   l'Est.      .      .      .  loi 


Coulommiers.  Imp.  Paul  BRODARD.  —  120-5-22. 


En    vente    chez   tous    les    Lihraires 


—  2    -  COLLECTION  ARMAND  COLIN 

N°  1  A.    BLANC 

Professeur    à    la    Faculté    des    Sciences    de    Caen 


RAYONNEMENT 

Principes  scientifiques   de  l'Eclairage 

35  figures 

CET  ouvrage  intéresse  tous  ceux  qui  ont   à  faire  un  choix  raisonné 
entre  les  différents  procèdes  d'éclairage. 
Apres    avoir    clairement    exposé    les    principes     sur    lesquels    doit 
reposer  tout  système  d'éclairage  qui  \eut  être  économique  et  satisfaisant, 
l'auteur  passe  en  revue  et   compare  tous    les    appareils,   même  les  plus 
modernes,  et  en  établit  le  rendement  avec  précision. 

Nu   2  E.    JAMMY 

Ingénieur  en  chef  aux  Forges  et  Chantiers  de  la   Méditerranée 


LA    CONSTRUCTION    DU 

VAISSEAU     DE     GUERRE 

183  figura,   4  planches    hors    texte 


CET  ouvrage,  écrit  par  l'un  des  hommes  à  qui  nous  devons  la  cons- 
truction de  puissantes  unités  navales,  abondamment  illustre,  est  à 
la  fois  le  livre  des  spécialistes  des  constructions  navales  et  le  livre  de 
tout  homme  cultivé  qui  veut  s'orienter  dans  ce  carrefour  des  science» 
modernes  que  forme  un  de  nos  navires  de  guerre. 


N°  3  R.    BR1CARD 

Professeur  au   Conservatoire  des  Arts  et  Métieri 


CINEMATIQUE  et  MECANISMES 

79  figures 

pVUNE  remarquable  simplicité,  l'ouvrage  de  M.  Bricard  permet 
*-**  à  tous  ceux  qui  veulent  étudier  les  mécanismes  dans  leurs  rapports 
avec  les  lois  du  mouvement,  de  s'initier  à  cette  science  avec  des  connais- 
sances mathématiques  très  réduites.  C'est  aussi  le  livre  du  praticien  qui 
veut  comprendre  et  perfectionner  son  travail. 


LIBRAIRIE     ARMAND     COLIl> 


COLLECTION  ARMAND  COLIN  3  — 

N°  4  A.  BAILLY 

Professeur  au   Lycée  Pasleur 


L'ECOLE    CLASSIQUE 

FRANÇAISE 
Les  Doctrines  et  les   Hommes   (1660-1715) 


L'AUTEUR  s'est  proposé  de  caractériser  l'esprit  français  à  l'époque 
de  sa  perfection,  d'analyser  ses  qualités  de  logique,  de  clarté,  de 
Drofondeur  ;  de  montrer  l'identité  de  doctrines  et  d'idéal  par  où  se 
rejoignent  des  oeuvres  aussi  diverses  en  apparence  que  celles  d'un  Racine, 
d'un  La  Fontaine,  d  un  Bossuet.  De  larges  extraits  complètent  l'ouvrage. 

N°  5  YVES  HENRY 

Ingénieur  Agronome,   Inspecteur  général  de  l'Agriculture  aux  Colonies 


ELEMENTS     D'AGRICULTURE     COLONIALE 

PLANTES  A  HUILE 

35  figura 


TOUS  ceux  qui  s'occupent  de  nos  produits  coloniaux,  trouveront  dans 
ce  livre,  écrit  par  un  homme  qui  a  longtemps  vécu  dans  les  pays 
dont  il  parle,  des  renseignements  sûrs  et  indispensables.  Les  industriels 
ou  commerçants  qui  utilisent  les  corps  gras  d'origine  végétale  puiseront 
r'ans  cet  ouvrage  des  indications  précises. 

N°  6  C.    GUTTON 

Professeur  a  la   Faculté  des  Sciences  de  Nancy 

TÉLÉGRAPHIE 

ET    TÉLÉPHONIE    SANS    FIL 

107  figures 

A  VEC  une  rare  simplicité  de  moyens,  presque  sans  formules  mathé- 
■*  *■  maî^ues,  l'auteur,  savant  doublé  d'un  technicien,  permet  à  tous  de 
comprendre  l'ensemble  des  phénomènes  de  la  Télégraphie  et  de  la 
Téléphonie  sans  fil,  ces  deux  sciences  appliquées  qui  prennent  dans  notre 
vie  quotidienne  une  place  sans  cesse  plus  étendue. 

03,     Boulevard     Saint-Michel,      PARIS     


—  4  —  COLLECTION  ARMAND  COLIN 

NJ  7  EUGÈNE  BLOCH 

Professeur  au   Lycée  Saint-Louis 


THÉORIE    CINÉTIQUE 

DES    GAZ 

7  figures 


/^•'EST  le  premier  exposé  en  langue  française  d'une  théorie  qui  fait 
^-^  partie  de  toute  culture  scientifique  complète.  Sobre,  clair,  précis,  ce 
livre  est  accessible  à  tous  ceux  qui  possèdent  les  éléments  des  mathéma- 
tiques et  veulent  s'initier  rapidement  à  une  discipline  élevée. 

N°  8  J.  GEFFROY 

Ingénieur  des  Arts  et   Manufactures.  Professeur  à  l'Ecole  Centrale 

TRAITÉ    PRATIQUE    DE 

GÉOMÉTRIE    DESCRIPTIVE 

248  figures 

C'EST  le  livre  du  débutant  en  Géométrie  Descriptive.  L'exposé  très 
simple  et  très  compréhensif  des  méthodes  est  suivi  d'applications 
pratiques  à  la  taille  des  pierres  et  au  trait  de  charpente.  Les  théoriciens 
peuvent  y  apprendre  le  rôle  pratique  de  la  Géométrie  Descriptive,  les 
praticiens  peuvent  aisément  y  retrouver  l'explication  des  procèdes  qu'ils 
utilisent. 

N5  9  H.    BÉGHIN 

Professeur  a.  1  Ecole  Navale 


STATIQUE   et   DYNAMIQUE 

(TOME  I) 

76  figures 

CE  sont  les  lois  essentielles  de  la  Mécanique  qui  sont  exposées  dans 
ce  livre.  L'auteur  oriente  immédiatement  chaque  théorie  vers  les 
applications  qu'elle  comporte  dans  l'industrie.  Une  foule  d'exercices 
choisis  dans  le  domaine  de  l'expérience  quotidienne  et  de  la  Mécanique 
appliquée  permettent  au  lecteur  de  se  familiariser  avec  les  procédés  de 
la  Mécanique. 

LIBRAIRIE    ARMAND    COLI1 


COLLECTION  ARMAND  COLIN  —  5  — 

N"  10  H.  BÉGHIN 

Professeur  à  l'École  Navale 

STATIQUE   et  DYNAMIQUE 

(TOME  II) 

151  figures 

[^  E  second  volume  complète  heureusement  les  notions  exposées  dans 
^■^  le  premier.  Le  sens  du  concret  n'abandonne  jamais  I  auteur  qui 
enveloppe  de  réalités  les  formules,  et  qui,  inversement,  dans  chaque 
application  pratique  sait  discerner  et  faire  comprendre  le  jeu  et  le  rôle 
des  lois.  C'est  pourquoi  cet  ouvrage  rendra  service  aux  étudiants  des 
Facultés  et  des  grandes  Ecoles,  ainsi  qu'aux  ingénieurs  qui  se  sont,  des 
le  début,  orientés  vers  les  applications. 

N°  11  CH.  FABRY 

Professeur  à  la  Sorbonne 


ELEMENTS    dE  LECTRICITE 

70  figura 


/""^'EST  un  livre  pour  les  débutants  dans  lequel  les  praticiens  trouveront 
-•'  matière  à  réflexion,  car  il  résume  l'expérience  de  longues  années 
d'enseignement  et  de  recherches  scientifiques.  Tous  seront  étonnés  de  la 
simplicité  que  revêt  l'exposition  d'une  science  donnée  parfois  comme 
mysiérietise  et  compliquée. 

N°  12  Colonel  J    ROUELLE 


LA     FONTE 

(ÉLABORATION    ET    TRAVAIL) 

29  figures 

S""*  ET  ouvrage  donne,  en  un  style  clair  et  précis,  les  principes  fonda- 
^-^  mentaux,  les  points  essentiels  et  les  plus  importants  détails  du 
travail  de  la  fonte.  Extrêmement  documenté,  malgré  sa  concision,  il  sera 
étudié  avec  fruit  par  les  jeunes  gens  qui  désirent  entrer  dans  l'industrie 
métallurgique,  et  il  s^ra  lu  avec  intérêt  par  tous  ceux  qui  veulent  se  tenir 
au  courant  du  mouvement  économique  de  notre  pays. 


103,     Boulevard     Saint-Michel,      PARIS 


—  6  —  COLLECTION  ARMAND  COLIN 

N°  13  ET.  RABAUD 

Professeur  à  la   Faculté  des  Sciences  de  Paris 


L'HEREDITE 

34  figures 


/'""'ET  ouvrage  intéresse  toutes  les  personnes  cultivées;  il  est  en  outre 
^^  précieux  pour  les  éleveurs  qui  veulent  obtenir  des  sélections  rai- 
sonnées.  C'est  un  résumé  simple  et  clair  de  nos  connaissances  actuelles 
sur  l'Hérédité,  une  analyse  de  son  mécanisme  et  des  facteurs  qui  nous 
permettent  d'en  modifier  les  conséquences  au  moyen  de  l'éducation. 

N°  14  V.  AUGER 

Maître  de  Conférences  de  Chimie  analytique  à  la  Sorbonne 


PRINCIPES  DE 

L'ANALYSE    CHIMIQUE 

77  figures 


M  AUGER  a  condensé  dans  ce  peut  traité  tout  ce  qu'une  expé- 
•  rience  de  vingt  années  d'enseignement  lui  a  appris  à  regarder 
comme  nécessaire  au  chimiste  qui  veut  connaître,  comprendre  et  même 
perfectionner  les  mé  hodes  analytiques.  Aux  étudiants  comme  aux  initiés, 
ce  livre  présente  les  données  nécessaires  à  la  connaissance  raisonnee  de 
la  chimie  analytique. 

N"  15  M.  SORRE 

Maître  de  Conférences  à  la   Faculté  des   Lettres  de   Bordeaux 


LES     PYRENEES 

3  cartes  dans  le  texte  —   3  caries    hors   texte  —  6  photographies 


T~>\AKS  cette  remarquable  synthèse  de  nos  connaissances  sur  les  Pyré- 
*S  nées,  l'auteur  s'est  attaché  d'abord  à  faire  ressortir  le  côte  pitto- 
resque de  la  grande  chaîne.  Les  explications  claires  et  précises  ne 
manqueront  pas  de  satisfaire  la  curiosité  des  géographes  et  des  géologues, 
amateurs  ou  professionnels. 


LIBRAIRIE     ARMAND     COLU 


COLLECTION  ARMAND  COLIN  —  7  — 

Nu   16  P.  VEROLA 

Ingénieur   en  chef  dei   Poudres 


CHIM.E  ET  FABRICATION   DES 

EXPLOSIFS 

9  figures 

CE  livre  d'une  haute  portée  scientifique,  propre   à   satisfaire  les  plu» 
exigeants  des  techniciens  et  à  fournir  des  documents  précis  à  ceux 
qui  veulent  le  devenir,  est  d  .ne  lecture  saine  et  réconfortante.  En  étudiant 
cet  expose  si  lumineux  et  si  prec;s  des  explosifs  anciens  et  modernes,  on 
I  ne  peut  qu'admirer  l'énergie,  l'ingéniosité   qu'ont  dû   déployer  nos  ingé- 
nieurs et  nos  savants  pour  vaincre  un  ennemi  supérieurement  outillé. 


Pour  paraître  prochainement    .- 

f    F     MAURETTE.   —    Les  grands  marchés  des   Matières   pre- 
mières. 

G.  SCELLE.  —  Le  Droit  Ouvrier, 
f   A.  MATHIEZ.  —  La  Révolution  française  (Torr.e  I). 
I    J.  LEVA1NVILLE.  —  L'Industrie  du  fer  en  France. 
|    Cel  J.  ROUELLE.  —  Travail  et  élaboration  de  l'Acier. 
[    F.  LE  BESNERAIS.  —  Théorie  du  Navire. 
'     H.  PARISELLE.  —  Les  Instruments  d'Optique. 
I     Dr  RAVAUT.  —  Les  Maladies  dites  Vénériennes. 

Yves  HENRY.  —  agriculture  coloniale  :  Les  Plantes  à  fibres. 

JOLEAUD.  —  Éléments  de  Paléontologie  (Tomel). 

Demander  le  Prospectus  complet  de  la 
COLLECTION     ARMAND     COLIN 


03,     Boulevard      Saint-Michel,     PARIS 


LA  COLLECTION  ARMAND  COLIN 

comprend  14  Sections   : 


I.  —  Philosophie. 

II.  -   Langues  et  Littératures. 
Histoire     et     Sciences 

économiques. 
Géographie. 
Droit. 

VI.  -  Mathématiques. 

VII.  Physique. 


III 
IV 

V. 


VIII.-  CTurme. 

IX.  -   Biologie. 

X.  —  Electricité 

industrielle. 

XI.  -   Moteurs  thermiques. 

XII.  -  Génie  Civil. 
XUL- Arts  Militaires. 
XIV.-  Agriculture. 


BUT  DE   LA    COLLECTION 

1°  Fournir  aux  jeunes  gens  qui  désirent  s'initier  à  la  pratique  d'ur 
profession  ou  se  perfectionner  dans  celle  qu'ils  ont  choisie,  des  instn 
ments  de  travail,  fous  la  forme  de  livres  courts,  et  cependant  complet 
rédigés  par  des  savants,  par  des  spécialistes  en  chaque  matière. 

2°  Mettre  à  la  portée  de  toute  personne  cultivée  que  les  nécessités  c 
la  vie  ont  obligée  à  se  spécialiser,  des  exposés  clairs  et  précis  d< 
connaissances  jusqu'ici  acquises  dans  les  domaines  les  plus  variés. 

3°   Répandre  au  dehors  des  livres  exposant  les  idées,  les  méthodes  et 
goût  français,  et  faire  rayonner  dans  le  monde  la  science  et   la  cultui 
françaises. 

La  COLLECTION  ARMAND  COLIN  répond  ainsi  à  ce  besoi 
qu'a  tout  homme  intelligent  de  sortir  de  temps  en  temps  de  sa  spécialil 
pour  faire,  dans  les  champs  d'action  d'autrui,  une  excursion  qui  ne  pe^ 
être  instructive  que  si  elle  a  lieu  sous  la  direction  d'un  guide  sûr.  C'e> 
ce  guide  sûr  qu'elle  fournit. 


1552. 


Paris.  —  Imp.  Hemmer'.é.  Petit  et  C*.    (2-22). 


University  of  Toronto 
Library 


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