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L'Industrie
= du Fer =
en France
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
DU MEME AUTEUR
Rouen. Etude d'une agglomération urbaine. In-8 cairé, 24 fig., 1 carte,
I plan et 16 planches hors texte, broché.
Le Morvan. Étude de Géographie humaine. In-8° raisin, 44 fig. et
cartes, 40 phototypies hors texle, broché.
No 19 L-kbS'ritv
COLLECTION ARMAND COLIN
(Section de Chimie)
L'Industrie
= du Fer-
en France
par
J. LEVAINVILLE
Docteur es lettres
4 Cartes
^
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
103, Boulevard Saint-Michel, PARIS
1922
Tous droits réservés.
ffilAAA Q4 '\ II^U
Tous droits de reproduction,
de traduction et d'adaptation
réservés pour tous pays.
Copyright 1922, by Max Leclerç
et H. Bourrelier.
INTRODUCTION
Ce petit livre ne saurait avoir la prétention d'analyser
tous les problèmes que pose l'industrie du fer et d'en
donner la solution. On a laissé volontairement de côté toute
la partie technique de la sidérurgie qui a fait l'objet d'une
étude très complète du colonel Rouelle, parue dans la même
Collection. Le présent volume s'occupe de phénomènes
économiques.
Comme l'a très clairement montré M. Demangeon, dans
un récent article des Annales de Géographie, la métallur-
gie du fer a été très lente en France à se dégager des liens
du passé. Jusqu'au milieu du xixe siècle, à part de très
rares exceptions, la fabrication s'accomplissait en de petits
ateliers des campagnes; elle gardait un contact intime
avec le milieu rural alors qu'elle avait pris, chez nos
voisins, une figure de grande industrie. Mais si l'éveil
a été tardif, l'essor a été particulièrement rapide. Avant
la dernière guerre, notre métallurgie se trouvait en fort
bonne place dans les statistiques mondiales, sans occuper
le premier rang. La guerre a, de nouveau, modifié les
conditions de son activité. Quand nos désastres seront
réparés, notre métallurgie viendra au second rang, derrière
les Etats-Unis, pour l'extraction du minerai de fer; au
VI INTKODI ( TIoN
troisième, distancée de peu par V Allemagne, pour la pro-
duction de la fonte.
Entre les petits ateliers du Moyen âge, où deux ou trois
forgerons élaboraient arec peine dix tonnes de fer par cm,
et les puissantes associations d'aujourd'hui qui occupent
un personnel de plusieurs milliers d'ouvriers ou de commis
et écoulent, par an, plus de 300 000 tonnes de produits
marchands, il n'y a guère de terme de comparaison. Les
valeurs ont changé d'étalon. La mise en œuvre du minerai
demeure, seule, la commune origine de leurs efforts.
Mais des résultats si profondément différents n'ont pu
se réaliser que par des transformations complètes de
l'industrie et de totis les modes de l'activité humaine qui
en dérivent. Parmi les troubles économiques de l'époque
actuelle, les bouleversements de notre métallurgie so7it au
premier plan. Ses oscillations pour retrouver l'équilibre
perdu depuis la guerre se répercutent sur nos marchés, à
l'intérieur comme à l'extérieur.
Ce sont les étapes de cette évolution et le stade actuel
que Von a tenté d'exposer.
L'INDUSTRIE DU FER
EN FRANCE
Chapitre premier
LE MINERAI DE FER
La France, pauvre en combustibles minéraux, possède
les gisements de minerais de fer les plus considérables
de l'Europe. Si, dans l'enquête conduite en 1910 par
le congrès de Stockholm, elle ne figure qu'au second
rang, derrière l'Allemagne, elle doit cette place à la
grande prudence de ses ingénieurs et à l'insuffisance
des recherches minières. Dans les années qui ont
précédé la guerre, des prospections nombreuses ont
déterminé plus exactement la valeur de nos réserves.
Actuellement, les estimations les plus modérées
portent à 3 milliards de tonnes la puissance des
gisements du département de Meurthe-et-Moselle; à
1 830 millions celle du département de la Moselle;
à 1 800 millions celle de l'Anjou, de la Bretagne et
de la Normandie; à 100 millions les gisements pyré-
néens; à 100 millions également les mines et minières
L'Industrie du fer en France. 1
2 L INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
répandues sur le reste du territoire national. Si l'on
ajoute la valeur ferrifère de nos possessions nord-afri-
caines, évaluée à 150 millions, les réserves françaises
peuvent être comptées, sans exagération pour 7 mil-
liards de tonnes, soit 57 p. 100 environ des ressources
de l'Europe entière (12 032 millions de tonnes). Nos
richesses dépassent considérablement celles de nos con-
currents les plus proches : l'Allemagne (1 370 millions)
et l'Angleterre (1 300 millions).
Au point de vue géologique, les minerais se répar-
tissent aux étages les plus divers : dans les micaschistes
de l'Aveyron, le silurien de Bretagne, d'Anjou et de
Normandie, le dévonien des Pyrénées- Orientales, le
houiller de la Loire et du Gard, le trias de Saône-et-
Loire et de l'Isère, le lias de la Moselle et de Meurthe-
et-Moselle, le bajocien du Jura et de l'Aveyron, le
bathonien du Var et de l'Ardèche, le néocomien du
Doubs, le wealdien du Boulonnais, l'urgonien de
Champagne, l'aptien des Ardennes et de l'Aisne. Enfin,
tous ces filons, toutes ces couches, tous ces amas ont
fourni des dépôts de remaniement dans les poches
superficielles, principalement en Bretagne, en Lorraine,
en Aquitaine : ils ont été fort exploités à l'origine de
l'industrie (fig. 1, p. 8 et 9).
La nature minéralogique des minerais n'est pas
moins variée. Les minerais oolithiques sont prépon-
dérants, par suite de l'étendue du gisement lorrain.
On trouve également des hématites brunes dans les
Pyrénées- Orientales, la Loire-Inférieure, le Maine-et-
Loire, le Var, le Tarn, l'Algérie ; des minerais hydroxydés
dans le Gard, la Haute-Marne, la Saône-et-Loire, la
Nièvre; des hématites rouges dans le Calvados, l'Orne,
l'Ardèche, l'Oranie, le massif du Zaccar; des carbonates
cristallisés dans les Pyrénées-Orientales, l'Orne, le
Calvados, l'Aveyron, l'Isère; du fer oxydulé dans le
LE MINERAI DE FER S
Maine-et-Loire, les Pyrénées et l'Algérie; du ier oligiste
dans les Pyrénées.
Les minerais français et algériens sont donc de tons
les types : comme tels, leur composition est essentielle-
ment variable. La silice, le phosphore, le soufre, l'arsenic
s'y rencontrent à des états divers. Leur teneur en fer,
pour les sortes exploitables, descend jusqu'à 27 p. 100
en Lorraine pour atteindre 62 p. 100 dans l'Ouenza.
L'analyse complète de chaque gisement dépasserait
le cadre de cette étude. Certains d'entre eux, de trop
faible tonnage pour tenter la grande métallurgie, n'ont
guère qu'un intérêt historique. En définitive, l'industrie
minière est presque entièrement localisée dans les trois
bassins de la Lorraine, du massif ancien de l'Ouest
et de la chaîne pyrénéenne : ces gisements concentrent
95 p. 100 de nos réserves en minerais de fer. Ils possèdent
chacun des caractères différents et correspondent à une
production différente des usines sidérurgiques.
I. — LE BASSIN LORRAIN
Le bassin lorrain, le plus important, s'étend entre
Nancy et Luxembourg, sur 120 kilomètres en longueur et
sur 20 kilomètres, au maximum, en largeur; il couvre
120 000 hectares, répartis dans le département de
Meurthe-et-Moselle (73 000), dans celui de la Moselle
(43 000), en Luxembourg (3 600), en Belgique (400).
Ses réserves sont estimées à plus de 5 milliards de
tonnes. C'est la réserve ferrifère la plus puissante
d'Europe, la deuxième du inonde, après la masse des
gisements du lac Supérieur, aux Etats-Unis. En 1913,
elle a fourni le cinquième de la production mondiale
de la fonte.
4 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
La formation toarcienne, qui contient le minerai, la
minette, peut atteindre 40 mètres d'épaisseur. Le nombre
des couches exploitables est essentiellement variable :
il diminue à mesure que l'on s'avance vers le Nord
et vers le Sud. On a reconnu 7 couches à Fontoy,
2 à Moyeuvre, 1 à Ars-sur-Moselle. Généralement,
4 couches sont exploitées : la rouge, la grise, la verte
et la noire.
La minette affleure à l'Est dans les côtes qui dominent
la Moselle; elle plonge à l'Ouest sous le bassin parisien.
Pour ces raisons, l'extraction a lieu souvent à flanc de
coteau en Lorraine désannexée, tandis qu'en Meurthe-
et-Moselle il faut procéder par puits, d'autant plus
profonds dans la direction de l'Ouest : les morts terrains
du jurassique atteignent 61 mètres à Jœuf et 240 mètres
à Con flans. Par ailleurs, dans cette partie du bassin,
des venues d'eau considérables nécessitent des travaux
et des appareils fort coûteux. Ces installations grèvent
le prix de revient. Aussi les mines étaient-elles équipées
pour réaliser de fortes extractions. Briey possédait
les sièges les mieux outillés de France. Plusieurs sociétés
pouvaient produire 2 à 3 millions de tonnes par an.
Grâce à ces dispositions le prix de revient sur wagon-
mine ne dépassait pas 3 francs avant guerre. Il oscillait,
en Lorraine désannexée de 1 mark 59 à 2 marks 99.
Comparés aux gisements de Meurthe-et-Moselle,
ceux de Moselle sont désavantagés par la teneur en
fer. D'après M. Kohlmann, l'ancien directeur de l'école
des mines de Thionville, la teneur en fer varie de
24 p. 100 à 40 p. 100; en réalité, la teneur moyenne ne
dépasse pas 30 p. 100. En bien des cas, elle n'est pas
supérieure à 28 p. 100, tandis que dans les bassins de
Longwy et de Nancy, elle se maintient entre 33 et
40 p. 100 et dans celui de Briey, entre 36 et 40 p. 100.
Cette teneur plus élevée et plus constante, explique
LE MINERAI DE FER 5
le grand développement du bassin et le succès de
ses minerais sur les marchés de l'exportation. D'une
manière générale, sur une même partie de la couche,
la richesse de la minette augmente d'Est en Ouest, en
s'éloignant de l'ancienne ligne de rivage de la mer
toarcienne; et, dans la couche, les parties les plus riches
sont les parties géologiquement les plus basses.
En dehors de cette teneur modeste en fer. l'élément
caractéristique est le phosphore; sa teneur varie de
0,7 à 2 p. 100. Cette impureté a entravé l'industrie
lorraine, jusqu'au jour où Thomas et Gilchrist ont
trouvé le procédé pour déphosphorer les fontes.
Par contre, les gangues, c'est-à-dire les autres
matières associées au fer dans le minerai, varient
suivant la situation géographique. D'une manière
générale, elles sont siliceuses au Nord de la Fentsch
et au Sud de l'Orne : elles sont calcaires entre ces
deux rivières. Dans le bassin de Briey, la teneur en
chaux est de 10 p. 100 en moyenne; elle varie suivant
les couches ; la grise paraît la plus favorisée. Cette forte
proportion concourt à assurer au minerai une précieuse
qualité : la fusibilité. La plupart des hauts fourneaux
lorrains travaillent sans castine. Ils trouvent sur place,
ou à proximité, les sortes qui fournissent le fondant
nécessaire. Ces différences de constitution minéralo-
gique étaient, avant guerre, la raison des échanges
entre mines calcaires et mines siliceuses, des deux
côtés de la frontière.
Par sa masse considérable qui diminue le prix de
revient, par ses propriétés physiques et chimiques
favorables à la fusion, mais impropres à la production
des fontes pures, la minette lorraine convient essen-
tiellement à la fabrication de l'acier Thomas, à l'élabo-
ration des produits marchands : rails, poutrelles, tôles,
fers blancs et généralement tous les produits auxquels
6 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
le laminoir donne une forme définitive. La minette
lorraine a été la cause de l'essor de l'industrie en Lor-
raine, en Belgique, dans la Sarre, jusqu'en Westphalie.
II. — LE BASSIN DE L OUEST
Les minerais du massif ancien se groupent en deux
domaines bien distincts. Au Nord, celui de Normandie
et du Maine est formé de minerais siluriens, subordonnés
aux schistes à caly mènes, auxquels s'ajoutent deux
gîtes dévoniens. Les formations ferrifères contiennent
rarement plusieurs couches exploitables, le plus souvent
une seule. Les minerais sont utilisés par les bauts
fourneaux de Caen et de Rouen, par les usines sidérur-
giques du Nord de la France et surtout par les métal -
lurgies allemandes et anglaises qui les embarquent au
port de Caen. Au Sud, le domaine minier de l'Anjou
et de la Basse-Bretagne comprend une importante série
de minerais interstratifiés, en 2, 3 ou 4 couches, dans
les grès armoricains; des minerais gofhlandiens; des
minerais d'âge tertiaire, exclusivement superficiels.
Ils ont, pour le moment, un débouché naturel dans les
usines de Trignac et sont expédiés à l'étranger, comme
fret de retour des charbonniers, par les ports de Nantes
et de Saint-Nazaire.
Avec une grande prudence, M. Cayeux estime à
800 000 tonnes, les réserves du groupe septentrional,
à 1 024 000 tonnes, la puissance du groupe méridional,
en chiffres ronds, 1 800 000 tonnes, soit une infériorité
de deux tiers environ par rapport aux réserves lorraines.
C'est là une première différence; il en est d'autres.
Dans l'Ouest, les couches varient constamment
comme nombre, comme épaisseur, comme teneur.
LE MINERAI DE FER 7
Dans une même concession, il est impossible d'établir des
prévisions avant d'avoir exécuté de nombreux traçages.
En outre, les strates sont redressées, souvent verticales,
et les failles fréquentes. Les minerais d'Anjou, de
Bretagne et de Normandie ne peuvent rémunérer les
grandes exploitations de l'Est : ils sont destinés aux
industries de petite envergure.
Par contraste avec la minette qui constitue l'unique
variété des gisements de l'Est, les minerais de l'Ouest
sont fort divers de par leurs caractères pétrographiques.
Sans tenir compte des minerais de minière, on trouve
des magnétites dans la Mancbe et le Maine-et-Loire;
de la bavalite dans les Côtes-du-Nord; des hématites
dans le Calvados, la Loire -Inférieure et l'Ille-et-Vilaine;
des carbonates dans le Calvados et l'Orne, exception-
nellement dans le groupe méridional. Les sortes les
plus abondantes sont constituées par des hématites
avec des teneurs variant de 45 à 55 p. 100 de fer, et des
carbonates avec des teneurs variant de 30 à 40 p. 100.
Ces derniers sont extraits normalement dans les bassins
ferrifères d'Urville, de Domfront-Mortain et de la
Ferrière-aux-Etangs. Ils sont grillés, avant expédition,
pour diminuer la teneur en humidité et abaisser les
frais de transport. L'enrichissement correspond à
dix unités dans le pourcentage.
En dehors de ces teneurs élevées en fer qui dépassent
les teneurs du bassin lorrain, les minerais de l'Ouest
sont peu alumineux (1,39 à 4,50 p. 100), privés de chaux
ou peu s'en faut (1 à 4 p. 100), très peu manganèses,
moyennement phosphoreux (0,4 h 0,8 p. 100), mais
surtout fort siliceux (8 à 25 p. 100).
Par leur teneur en phosphore, ils se tiennent à mi-
distance des minerais exempts de phosphore, comme
les minerais de Biscaye, d'Algérie et des Pyrénées,
d'où l'on tire la fonte hématite, et de ceux qui en
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FIG. 1. — LES GISEMENTS DE FERJ
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LES BASSINS HOUILLERS DE FRANCE.
10 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
contiennent suffisamment, comme les minerais de
l'Est, pour être tributaires des convertisseurs Thomas :
ils conviennent particulièrement pour la fabrication
des fontes de moulage. Cependant, on a reconnu qu'ils
peuvent se traiter par le procédé Thomas, si l'on ajoute
au lit de fusion une certaine quantité de craie phos-
phatée. Enfin les fontes élaborées avec ces minerais
produisent un acier équivalent à l'acier hématite quand
elles ont été passées sur la sole basique du four Martin.
Longtemps dépréciés à cause de leurs impuretés, les
minerais de l'Ouest paraissent s'adapter à toutes les
fabrications. La guerre a consacré leur valeur. Les
industries nationales les disputent aux industries
allemandes et anglaises qui, jusqu'ici, ont accaparé la
plus grande partie de l'extraction.
III. — LE BASSIN DES PYRÉNÉES
Par bassin pyrénéen, nous entendons l'ensemble des
gisements compris non seulement dans les départements
frontières : les Pyrénées- Orientales (district du Cani-
gou), l'Ariège (vallées de Vicdessos et les vallées débou-
chant à Tarascon-sur-Ariège et Saint-Girons), les
Basses -Pyrénées (région de Saint-Etienne de Bigorry),
mais aussi les gîtes des Corbières dans l'Aude, ceux du
pays de Castres dans le Tarn, des régions d'Olargues
et de Biols dans l'Hérault. La production annuelle se
chiffre par 400 000 tonnes environ et les réserves sont
estimées à 100 millions de tonnes.
Au point de vue géologique, les dépôts paraissent
interstratifiés dans une gangue le plus souvent schis-
teuse. Ils ne se présentent point sous forme de couches
véritables; ils sont formés par des amas de puissance
LE MINERAI DE FER 11
irrégulière, tantôt en bancs continus, tantôt en lentilles
La loi de leur formation est jusqu'ici mal établie.
Par ailleurs, ils sont traversés de nombreux accidents
tectoniques. Leur extraction, déjà limitée par ces
conditions physiques, se trouve souvent arrêtée par
des difficultés de la main-d'œuvre, moins malléable
que partout ailleurs. A Rancé même, on a tenté, sans
résultat pratique, un essai de la mine aux mineurs.
Le minerai est constitué par de l'hématite à haute
teneur, 50 à 55 p. 100, et par des carbonates qui sont
grillés sur place avant d'être expédiés. Ces minerais
sont moyennement siliceux (5 à 10 p. 100), nets de
phosphore et de soufre et presque toujours manganèses
(3 à 4 p. 100). Ils conviennent à l'élaboration des fontes
acides du Bessemer et à celle des fontes de choix. Ils
sont essentiellement propres à la fabrication des aciers
spéciaux réclamés par l'artillerie et la marine de guerre.
Aussi la plus grande partie de la production (300000
tonnes) est-elle réservée aux usines locales et à nos
établissements du centre; le reste est expédié par mer
aux usines du Nord et du Pas-de-Calais (20 000 tonnes)
et aux métallurgies d'Allemagne et d'Angleterre
(50 000 tonnes). Sur le marché, ces minerais sont
concurrencés par les minerais d'Espagne, d'Algérie et
de Tunisie.
IV. — LES GISEMENTS AFRICAINS
Les gisements de l'Afrique du Nord ont été estimés
au congrès géologique de Stockholm à 125 millions de
tonnes certaines, à 75 millions de tonnes probables,
au total à 200 millions de tonnes. Ces chiffres sont
certainement inférieurs à la réalité. L'occupation du
12 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
Maroc, des prospections plus suivies, la mise en valeur
de concessions nouvelles, le développement de la circu-
lation terrestre permettront d'être fixés sur la quantité
des réserves. Dès maintenant, elles dépassent de
100 p. 100 les chiffres de 1910.
Les gisements se trouvent répartis sur une bande
parallèle à la mer. Dans l'Est, elle en est éloignée de
quelque 250 kilomètres, au Djerissa, au Slata en
Tunisie, à l'Ouenza, au Bou Kadra dans la province
de Constantine; elle s'en rapproche à 100 kilomètres
au Zaccar, dans la province d'Alger, et devient côtière
au Benisaf, dans la province d'Oran, et à Melilla, au
Maroc. Nulle part, les difficultés du terrain ne s'opposent
à une jonction rapide avec les ports africains.
Comme les minerais pyrénéens, les minerais algériens
comportent surtout des hématites et des carbonates
très riches (48 à 54 p. 100), généralement purs de tout
phosphore, rarement arsenicaux, souvent manganèses
(5 à 9 p. 100 à Ear-el-Maden et à Sebadna). Ces qualités
les rendent très propres à la fabrication des fontes spé-
ciales et de celles réclamées par les industries de la guerre.
A l'époque où le procédé Bessemer dominait toute
la métallurgie, nos établissements du centre n'ont pu
vivre qu'en important des minerais algériens. Actuelle-
ment, ils préfèrent recevoir des minerais espagnols
et pyrénéens ou travailler les fontes nationales. L'Angle-
terre et l'Allemagne sont les clients des gisements
africains.
V. — LES GISEMENTS SECONDAIRES
L'extraction globale des autres gîtes français repré-
sentait 3 p. 100 de la production française, c'est-à-dire
que leur valeur disparaissait dans le tonnage total. Ils
LE MINEKAI DE FER 13
ont cependant gardé un intérêt, soit qu'ils aient été
l'origine d'industries aujourd'hui disparues, soit qu'ils
alimentent encore des hauts fourneaux, trop éloignés
des grands bassins ferrifères et dont l'importance, rela-
tivement restreinte, se contente de tonnages modestes.
La mise en valeur des gisements lorrains décida
l'arrêt des mines qui approvisionnaient les petites
métallurgies des provinces voisines. Celles qui subsistent
ont, le plus souvent, arrêté leurs fourneaux pour garder
leurs aciéries. Elles sont soutenues par les capitaux des
sidérurgies lorraines qui leur expédient des fontes et
même du minerai.
Dans la Franche-Comté, les gisements bajociens de
Laissey et d'Ougney ont perdu toute leur valeur
par suite de leur faible teneur en fer (24 à 28 p. 100);
après avoir fait la fortune des forges comtoises, ils ne
sont plus utilisés que pour fournir la castine aux usines
locales.
En Bourgogne, les gisements hettangiens de Mazenay
et de Change, qui fournirent si longtemps le Creusot
en fontes phosphoreuses, ont été définitivement dé-
laissés en 1915.
En Champagne, le seul gisement en activité se trouve
dans les formations néocomiennes, entre la Marne et la
Biaise. Les facilités d'extraction et le voisinage des
établissements de Saint-Dizier l'ont sauvé de l'abandon.
Depuis l'ouverture des chantiers, il a fourni plus de
5 millions de tonnes. Mais toutes les autres mines de la
Haute-Saône, de la Haute-Marne, des Ardennes, origines
des célèbres forges de Champagne, ont fermé leurs
chantiers.
Semblablement, les facilités de la circulation, l'épui-
sement partiel des gîtes locaux, la proximité de la
minette, ont presque complètement arrêté l'extraction
dans le Nord et le Pas-de-Calais. Les usines du Nord
14 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
ont sondé, avant-guerre, pour trouver le minerai dans
la région de la Haute-Deule, au pied même des sièges
charbonniers. Les espérances ont été déçues et la
métallurgie du Nord est restée la cliente des gisements
lorrains pour la fonte Thomas, des gisements pyré-
néens, espagnols ou algériens pour la fonte hématite.
D'autre part, le groupe métallurgique du Centre a
détourné son attention des nombreux gîtes qui entourent
le massif central, depuis qu'il a abandonné la fabrication
des produits marchands pour se consacrer à la fabrica-
tion des produits finis. Seules ont gardé quelque intérêt
les couches proches des usines dont elles avaient jadis sus-
cité l'établissement. Ainsi les hauts fourneaux de Pouzin
exploitent encore les minerais bajociens de la Voulte
dans l'Ardèche; les hauts fourneaux de Tamaris et de
Bessèges sont alimentés par les minerais hettangiens
d'Alais dans le Gard; ceux de Decazeville par les
couches bajociennes de Mondalazac dans l'Aveyron;
ceux de Fumel par les minières de la Dordogne et du
Lot-et-Garonne situées dans leur voisinage; ceux du
Creusot par les minières creusées dans le calcaire juras-
sique de l' Indre, après avoir abandonné celles du Berry ;
ceux de la Chasse par les filons tertiaires de l'Isère et
de la Vienne. Encore ces derniers gisements sont-ils à
leur déclin. Après avoir fourni de 1878 à 1879 plus
d'un million de tonnes au Creusot, leur extraction a
atteint 10 000 tonnes seulement en 1914. Dans le Var,
les gisements de Beausoleil ont été délaissés et si des
travaux ont été entrepris dans la Lozère, sur le gisement
de Masseguin, c'est que l'analyse révélait du manganèse
dans le minerai.
Si menus qu'ils paraissent par rapport aux masses
ferrifères de la Lorraine, de l'Ouest et des Pyrénées,
ces petits gisements valaient d'être énumérés. Ils ont eu
leur heure. Ils ont été les auxiliaires précieux de la
LE MINERAI DE FER 15
sidérurgie, au début du xixe siècle, à l'époque où elle
essayait le coke daus ses appareils; ils sont les derniers
témoins de l'industrie minière antérieure à la Révolution.
Alors, il n'existait point de province française qui ne
possédât dans ses limites ou dans ses environs immédiats,
des filons, des couches ou des minières, capables de
fournir à ses besoins, fort peu importants d'ailleurs.
Sans doute, la valeur de la pierre de myne était fort
inégale en quantité et en qualité suivant les centres
sidérurgiques; mais, telle qu'elle était, elle pouvait
alimenter partout les petits fourneaux. Car si la France
est un pays relativement pauvre en minerais riches et
purs, elle est un pays extrêmement riche en minerais
pauvres et de moyenne qualité.
C'est une conclusion qu'il ne faut jamais perdre de
vue quand on étudie l'évolution de l'industrie du fer
dans notre pays. Elle explique la dissémination à
l'époque de la fonte au bois, les difficultés pour adopter
la fonte au coke et les grandes découvertes techniques
du xixe siècle. Elle est la raison, en dernier ressort,
des efforts actuels pour la conquête des marchés
extérieurs.
Ouvrages à consulter.
La répartition des minerais de fer dans le monde a fait
'objet d'une enquête au IXe Congrès international de
géologie : The iron ore Resources of the world. An inquiry
mode uponihe initiative of the Executive Committeeof the xi th
International Gcological Congress, Stockholm, 1910, icith the
assistance of Gcological Survey and niining geologisls of dif-
férent counlries. Edited by the général secretary of con-
gress. Stockholm, 1910, 2 vol. et atlas in-folio. La partie
française est l'œuvre de Nicou (P.) ; elle a été tirée à part
sous le titre : Les Ressources de la France en minerais de fer
(Paris, H. Dunod, 1911, in-8). M. de Launay a rendu compte
de ces travau ans les Annales de Géographie (XXI, n° 115,
16 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
15 janvier 1912), sous la rubrique : Les réserves mondiales en
minerais de fer.
On trouvera de bonnes cartes des gisements ferrifères du
monde dans la publication de I'United states geological
survey : World Atlas of commercial geology. Part I. Distri-
bution of minerai production (Washington, 1921).
Les gisements français ont été examinés en détail par
M. de Launay dans son Traité des gîtes minéraux et métallifères
(Paris et Liège, Béranger, 2e édition, 1913, 3 vol. in-8). Chaque
monographie est complétée par une bibliographie copieuse
qui s'arrête le plus souvent à l'année 1910. Parmi les ouvrages
parus postérieurement, on lira utilement :
Minerais lorrains : Villain (Fk.). Les gisements de
minerais de fer oolithique de la Lorraine (Annales des Mines,
Xe série, 1, 1912; à part, Dunod, 1921, in-8). — Guillain (A.).
Le minerai de fer en Lorraine française (Revue de Métallurgie,
8e année, 10, 1911). — Langrogne (M.) et Bergerat (M.).
Notice sur le bassi?i ferrifère de la Lorraine désannexée (Annales
des Mines, XIe série, 1, 1920; à part, Dunod, 1920, in-8). —
XXIIIe-XXIVe bibliographie géographique, 1913-1914 (Paris,
Armand Colin, s. d.), n° 512 (Lorraine. Bassins miniers).
Minerais de l'Ouest : Cayeux (L.). Les minerais de fer
oolithique de la France. Fascicule I. Minerais de fer primaires
(Paris, Imprimerie nationale, 1909, in-4). — Id. Rapport sur
l'inventaire des minerais de fer armoricains. Travaux pré-
paratoires du Congrès du Génie civil; session nationale, mars
1918 (Paris, Hôtel de la Société des ingénieurs civils, 1918, in-8 ;
compte rendu dans les Annales de Géographie, XXIX, n° 157,
15 janvier 1920). — XXIIIe-XXIVe bibliographie géogra-
phique, 1913-1914 (Paris, Armand Colin, s. d.), n° 536 (Nor-
mandie, Anjou, Bretagne. Minerais de fer).
Minerais africains : Dussert. Etude sur les gisements
de fer de l'Algérie (Annales des Mines, XIe série, 1, 1912). —
Ginestoits (P.). Esquisse géologique de la Tu)iisie (Tunis,
Picard, 1911, in-8).
Chapitee II
LA FONTE AU BOIS
I. — LES ORIGINES. LES FORGES
VOLANTES
Sans pouvoir préciser l'époque où elle apparut eu
Gaule, on peut affirmer que l'industrie du fer y est fort
ancienne. Les découvertes archéologiques, l'examen des
scories de forges mêlées au mobilier ou à l'armement
celtique démontrent l'existence de l'industrie du fer
dans un temps où la Gaule en était encore à l'âge du
bronze. Presque partout, en Bourgogne, en Champagne,
en Gascogne, dans le Berry, en Périgord, en Lorraine,
dans le Languedoc nîmois, en Touraine, même dans le
voisinage des neiges éternelles, en Maurienne, le sol est
couvert de crassiers ou de terriers antiques. Cependant
la Bretagne, où les dépôts néolithiques de l'âge de bronze
sont si abondants, paraissent jusqu'ici dépourvues des
outils de l'époque de Hallstatt. Sans doute ces pro-
vinces ont-elles conservé plus longtemps le monopole
qu'elles détenaient pour la fabrication du bronze par
suite de l'excellence de leurs mines d'étain.
A son arrivée, César trouva en Gaule une métallurgie
L'Industrie du fer en France. 2
18 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
déjà organisée. Les mineurs étaient habiles dans l'art
de perforer le sol et d'ouvrir des canalisations souter-
raines ; les forgerons étaient assez experts pour fabriquer
les différentes pièces de l' armement, et même des
chaînes. Les Vénètes les utilisaient pour équiper leurs
navires. Les Romains apportèrent en Gaule le procédé
métallurgique qui fonctionnait, sous leur direction, en
Italie et dans toutes leurs colonies, le procédé catalan.
Il persista uniquement en France jusqu'au xme siècle,
époque où la force hydraulique intervint en métallurgie.
Il est encore employé, au xxe siècle chez les peuplades
sauvages de l'Afrique.
A l'origine, ces petits fourneaux, dont on a retrouvé
les restes en Bretagne, en Champagne et dans le Barrois,
comportaient essentiellement un trou en tronc de cône,
creusé dans le sol, et dont les dimensions étaient de
0 m. 70 et 0 m. 80 pour les bases, 1 mètre pour la
hauteur. Les parois étaient tapissées de briques cuites.
Quand on voulait opérer, on commençait par chauffer
l'appareil avec des charbons ardents; puis on jetait
sur le brasier le minerai préalablement lavé et pilé,
auquel on ajoutait, de temps à autre, quelques mesures
de charbon de bois. La combustion était assurée par
le fonctionnement, à la partie supérieure du fourneau,
d'un appareil formé par des outres gonflées d'air. Cette
invention originale des Romains fut l'origine du soufflet
en éventail si connu aujourd'hui.
Le minerai et les cendres arrivaient, seules, dans le
bas du fourneau, où la chaleur était intensifiée par
l'effet du tirage. Pour permettre l'écoulement des
laitiers amassés à la partie supérieure, le fondeur
ouvrait un conduit appelé queue du Renard, d'où le
nom de forges renardières appliqué à ces petits appareils
et le vocable renardière si fréquent dans la toponymie
française. A travers l'ouverture et au moyen d'une
LA FONTE AU BOIS 19
perche en bois vert et mouillé, un ouvrier facilitait la
sortie des scories et brassait le métal, dont il agglutinait
les parties.
Ce procédé permettait d'obtenir directement le fer
en partant du minerai. Malheureusement, son rende-
ment était très diminué par l'imperfection de la réduc-
tion à l'air libre et par l'absence de tout fondant pendant
la durée de l'opération. L'usage de la castine était
inconnu des premiers métallurgistes. C'était une omis-
sion particulièrement regrettable quand on traitait
des minerais riches en silice. Les fondeurs ignoraient
cette particularité et toute leur habileté consistait à
mélanger des minerais de qualité différente pour obtenir
un lit de fusion convenable.
Le procédé catalan, suffisant pour les petites pro-
ductions, subsista jusqu'à l'établissement des hauts
fourneaux actionnés par la force hydraulique; aussi
les scories de l'époque romaine sont -elles très analogues
aux scories du Moyen âge. M. Davy en a donné de nom-
breuses analyses pour les minerais du massif armoricain.
D'après ses chiffres, les Romains étaient les meilleurs
exploitants. Les scories de leurs fourneaux révèlent
moins de fer que les scories des époques suivantes.
Toutes, elles décèlent une certaine naïveté dans les
méthodes employées; elles ressemblent aux scories
obtenues dans les fourneaux des peuplades sauvages de
l'Afrique qui utilisent encore le procédé. Maïs toutes
elles accusent une teneur fort importante en fer. A ce
titre, elles ont été recherchées et exploitées. Les amas
de Bretagne, de Normandie, d'Anjou, du Dauphiné,
des Pyrénées, ont donné lieu, avant la guerre, à de
nombreuses transactions.
A leur début, les forges renardières ne produisaient
guère que 4 à 5 kilos par opération. Mais les besoins
de métal se faisant sentir, chaque jour davantage, les
20 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
foyers furent élargis. Au Moyeu âge, chaque coulée
produisait 50 à GO kilos de fer. C'était un maximum.
La difficulté de s'approvisionner sur place, en matières
premières, condamnait la métallurgie de l'époque à un
débit limité.
Avec ces procédés rudimentaires, également employés
pour produire le cuivre, le plomb et l'argent, on con-
sommait environ 200 kilos de minerai et 25 stères de
bois pour obtenir 50 kilos de fer. Sur ces bases, en
comptant une opération par jour et en estimant le
rendement à l'hectare à 100 stères, les ressources en
charbon de bois étaient épuisées à 1 kilomètre à la
ronde en 40 jours. Le mauvais état du réseau routier
empêchait le charbonnier de s'éloigner des forges.
Par ailleurs, l'extraction du minerai était un obstacle
plus grand encore au développement des petits four-
neaux. L'art des mines n'était nullement comparable
à la technique moderne. Le mineur était plutôt un
terrassier, un cultivateur. Il creusait le gisement, comme
il travaillait le sol, en surface, sans jamais s'enfoncer
sous terre. Une seule forge à grand rendement eût
rapidement appauvri la minière; deux ou trois l'au-
raient complètement épuisé. Les forges vivaient donc
dans la dépendance étroite de la pierre de myne :
c'étaient des appareils à débit restreint. Obligées de
se disséminer pour utiliser au mieux les affleurements,
forcées de transporter ailleurs leurs opérations quand
le minerai devenait inaccessible, les forges renardières
étaient condamnées à être des forges volantes.
LA FONTE AU BOIS 21
II. — LES HAUTS FOURNEAUX1
A la fin du xme siècle les petits fourneaux des forges
volantes ne pouvaient plus suffire aux demandes. La
consommation de la vaisselle domestique, le développe-
ment de l'outillage agricole, les augmentations de l'arme
ment, conséquence des guerres qui devaient se succéder
pendant trois siècles, nécessitèrent une technique
nouvelle. L'accroissement des besoins suscita des modi-
fications dans l'industrie du fer. Les maîtres de forges
adoptèrent les hauts fourneaux.
C'était une modification profonde. Les petits four-
neaux transformaient directement le minerai en fer,
c'était une opération en un temps. Les hauts fourneaux
produisaient d'abord la fonte, puis par la forge, la
fonte était convertie en fer; c'était une fabrication en
deux temps.
Ce procédé nouveau est originaire de l'Europe cen-
trale. Il semble avoir été importé en France : dans le
Dauphiné par des Tyroliens à la fin du xne siècle, en
Lorraine et en Champagne par des mineurs du pays de
Liège au xme siècle. Les pièces d'archives signalent,
à la même époque, les nouveaux appareils dans le
Comté d'Orlus (Ariège). Il fut lent à se propager dans
le reste du royaume. Le défaut de la circulation routière,
la situation très isolée de la métallurgie au fond des
bois empêchaient la pénétration rapide des progrès.
Cependant, dès les débuts du xvie siècle, les hauts
1. Dans cette étude de géographie humaine nous avons passé très
brièvement sur la technique de la fabrication. Nous avons relaté sim-
plement les faits principaux qui ont déterminé l'évolution de l'indus-
trie. On trouvera tous les renseignements nécessaires dans les deux
livres du Colonel Rouelle parus dans la même Collection : I. Travail
et Élaboration de la fonte; II. Élaboration et Travail de l'acier.
22 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
fourneaux paraissent avoir supplanté les petits four-
neaux. Un poème daté de 1517 célèbre les qualités du
nouveau métal, la fonte.
Ces appareils augmentèrent rapidement de volume ;
au xvnie siècle, à l'apogée de l'industrie au bois, ils
mesuraient 6 à 7 mètres de hauteur. La maçonnerie
était recouverte de terre et les charrettes de minerai
étaient conduites par une rampe assez douce jusqu'au
gueulard. De même que pour le procédé catalan,
on disposait des couches alternatives de charbon et de
minerai, mais on ajoutait du calcaire pour faciliter la
fonte. A la fin de l'opération, le métal en fusion
coulait dans des rigoles préparées dans le sable apporté
au pied de l'appareil. Les diverses opérations de la
fusion étaient accélérées par des souffleries puissantes.
Aux fourneaux orientés à tirage naturel, ont succédé
des fourneaux à vent forcé. Puis on conduisait les
masses de fonte, les gueuses, à la forge où elles étaient
refondues et converties en fer. Le métal, purgé de ses
impuretés, au moyen d'un marteau de 800 kilos, était
débité en tiges carrées à la fenderie. D'après le Diction-
naire du Commerce, les gueuses pesaient, au xvine siècle,
1 600 à 1 800 livres, et même parfois davantage.
Mais pour produire et façonner de telles masses,
l'antique soufflet, actionné à la main ou au pied, le
simple marteau du forgeron étaient des outils trop
rudimentaires. Une nouvelle force motrice devenait
indispensable. En Champagne, on employa un manège
de chevaux; mais le procédé paraît être resté local.
Le progrès capital, celui qui décida de l'avenir de
l'industrie, fut réalisé par l'application de la force
hydraulique aux besoins de la métallurgie.
La force hydraulique. — Ce procédé était utilisé
depuis longtemps dans les moulins. Il fut adapté aux
LA FONTE AU BOIS 23
besoins des forges. Une roue à palettes, entraînée par
une chute d'eau, mit en mouvement les soufflets et les
marteaux dont l'industrie ne pouvait se passer. A la
forge à bras, à la forge volante, succéda la forge des
moteurs hydrauliques, la forge fixée au sol, le long
des rivières et des étangs.
Dès la fin du xvie siècle, l'emploi des moteurs hydrau-
liques apparaît comme la condition de tout établisse-
ment métallurgique; la question de l'eau domine toutes
les autres : « L'eau, écrira le rédacteur de la Grande
Encyclopédie, est pour les forges une puissance néces-
saire dont on ne tire pas tout l'avantage possible sans
beaucoup d'intelligence, de travail et de dépenses. Il
n'est pas nécessaire de dire qu'il ne faut pas entreprendre
la construction d'une forge, si, par le calcul fait d'avance,
il est clair qu'on ne puisse ramasser assez d'eau et à
telle hauteur. » La proximité d'une chute d'eau passait,
pour les maîtres de forges, avant la proximité de la
matière première, minerai o\i charbon de bois. Pour
fixer son usine sur la rivière à Urville, le comte de Tho-
rigny, sieur de Chaumont, l'un des six barons fossiers
de Normandie, s'était obligé à chercher du charbon à
30 kilomètres, les environs immédiats étant dépourvus
de bois. Pareillement, Clément de Rouvrey, maître de
forges de Longwy, fut contraint d'acquérir pour son
usine, moyennant une redevance annuelle de 100 livres
de fer, la régalité des eaux des ruisseaux de Molaine
et de la Sauvage Ferme sur le territoire d'Herserange
en Lorraine.
Ces considérations ont localisé l'industrie du fer dans
la partie supérieure des vallées, là où les rivières pou-
vaient fournir une force moyenne de 40 chevaux,
suffisante pour la technique du xvinp siècle. Plus tard,
au début du xixe siècle, les métallurgistes utilisèrent
des chutes moins importantes; l'emplacement des
24 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
nouvelles usines lut alors indiqué par la proximité de
hautes futaies encore intactes et surtout par le voisinage
de rivières canalisées ou de canaux qui facilitaient le
transport des matières premières et des produits ouvrés.
« Mais si les soufflets, écrit le rédacteur de la Grande
Encyclopédie, exigent de grandes chutes d'eau, ils
demandent aussi peu d'eau à la fois et de l'eau toute
l'année. » Malheureusement, le régime hydrographique
des rivières françaises, dans le voisinage des gisements
ferrifères, ne répondait point toujours aux besoins de
la technique.
Dans la généralité de Lyon, malgré la disette de
bois et de minerai, le Furens et le Gier permettent de
travailler toute l'année; dans le Dauphiné, malgré
l'éloignement du minerai, et dans le Comté de Foix,
malgré le manque de combustible, les torrents four-
nissent une force abondante; mais en d'autres régions,
l'irrégularité du régime hydrographique se fait dure-
ment sentir. En Lorraine, les petits établissements
sidérurgiques situés dans la vallée de la Chiers ne
fabriquent que peu de fer parce que les maigres d'eau
marquent tous les étés : la région est obligée d'en
importer du pays de Liège. Sur l'Orne et la Fentsch,
ce sont les crues qui arrêtent les marteaux. En Bretagne,
les pluies tombent avec continuité en automne et au
printemps, sont plus rares en hiver, plus rares encore
en été. Le Don, utilisé par les forges de Moisdon, était
presque à sec en été, tandis que ses crues, en hiver,
égalaient celles de la Vilaine. Dans le Bocage normand,
les usines chômaient pendant les trois mois de la saison
chaude.
Au début de l'industrie, cette répartition des pluies
n'était pas un grand empêchement pour la fabrication.
C'était, avant tout, une industrie d'hiver, arrêtée
pendant les travaux de la moisson. Mais vint l'époque
LA FONTE AU BOIS 25
des fortes productions, l'époque où, sous peine de ruine,
le fourneau et la forge devaient fonctionner toute
l'année : la disette d'eau était une cause de déchéance.
Les maigres d'eau furent, pour le maître de forges,
plus angoissants que la question des approvisionne
ments en matières premières.
Cependant les métallurgistes avaient constaté que de
deux rivières voisines, soumises aux mêmes conditions
pluviométriques, mais dont l'une possède, à son origine,
un chapelet d'étangs, celle-ci était moins influencée
par la période des basses eaux, appelée justement « cieux
de sécheresse ». Sur toutes les rivières où ils installèrent
des hauts fourneaux, ils furent astreints à exhausser
le plan d'eau des étangs existants, ou à en créer d'arti
ficiels quand les cours d'eau en étaient dépourvus.
Quand, en 1697, le capitaine Faber, le futur maréchal
de France, prit à bail les forges de Moyeuvre, il établit
un barrage pour retenir les eaux de l'Orne et fournir
la force motrice à ses usines. Ce sont vraisemblablement
des nécessités industrielles qui expliquent le caractère
artificiel de la plupart des étangs de Bretagne.
A vrai dire, l'exploitation de ces nappes d'eau n'allait
pas sans déranger les populations riveraines. Les
maîtres de forges étaient accusés d'inonder le pays
pour maintenir le plan d eau, producteur de la force
motrice. Cependant, les recenseurs de la Révolution
rencontrèrent des obstacles considérables contre leur
assèchement. Comme ailleurs en France, les communes
objectaient les nécessités vitales : la pêche, l'élevage,
l'irrigation; mais, plus qu'ailleurs, elles craignaient la
disparition des forces hydrauliques, indispensables à
la petite industrie, surtout à la métallurgie qui était
une des sources de la fortune locale.
26 l'industrie du fer en France
III. — LES MATIÈRES PREMIÈRES
L'emploi de la force hydraulique permit la transfor-
mation de l'industrie du fer. La production fut considé-
rablement augmentée, mais la consommation des
matières premières subit la même progression. A la
fin du xvme siècle, la fabrication d'une gueuse de fonte
pesant 2 000 livres exigeait 4 500 livres de minerai,
450 livres de castine, 2 070 livres de charbon. Encore
fallait-il compter plus de 2 400 livres de charbon pour
transformer la fonte en fer ouvrable. A l'époque des
forges volantes, pour obtenir une loupe de fer pesant
100 livres, le féron comptait 400 livres de minerai et
400 livres de charbon. La consommation journalière
du haut fourneau était neuf fois plus forte en minerai,
onze fois en charbon. D'autre part, le travail du petit
fourneau était intermittent ; il était arrêté après chaque
coulée. Celui du haut fourneau était continu ; l'entretien
des stocks sur le carreau de l'usine devenait une néces-
sité inéluctable pour assurer la fabrication.
A. — LE MINERAI DE FER
Dès l'établissement des usines sur le cours supérieur
des rivières, les mineurs furent amenés à approfondir
les travaux de leurs anciens, aux environs immédiats
des forges. Ils poussèrent l'extraction jusqu'à 8 mètres
de profondeur. La technique consistait à creuser, à
ciel ouvert, le long des crêtes. Les eaux étaient évacuées
par une tranchée ouverte au milieu et en travers de
la mine. Les exploitations, telles qu'on en retrouve les
traces en Bourgogne, en Franche-Comté, en Lorraine,
dans les Pyrénées, offrent l'apparence d'un large fossé
LA FONTE AU BOIS 27
ou d'une vieille rivière. Au xixe siècle, les prospecteurs
se sont toujours bien trouvés de diriger leurs recherches
suivant les tranchées creusées avant la Révolution.
Ce procédé présentait le grave inconvénient d'aban-
donner de grandes quantités de minerais en profondeur.
Mais il était difficile de pousser plus bas sans des engins
nouveaux. La poudre devait transformer l'art du mineur
et permettre une exploitation rationnelle par puits et
par galerie. Elle apparaît dans les mines du Lyonnais,
en Berry, en Bourgogne, dès le XVIe siècle; en Bretagne,
au xvme seulement. Elle y fut sans doute apportée par
les mineurs allemands appelés à la direction des mines
de plomb de Pompéan. Elle permit de descendre jusqu'à
20 mètres au-dessous de la surface.
Cependant les galeries et les puits se détérioraient
d'autant plus vite qu'ils n'étaient jamais boisés; l'éva-
cuation des eaux et la sortie du minerai devenaient
rapidement impraticables; au-dessous d'une certaine
profondeur, fonction de l'inclinaison des couches, la
mine était inexploitable. Pour ces raisons, la plupart
des maîtres de forges préféraient exploiter les têtes de
filon et surtout les gîtes de remaniement plutôt que de
s'enfoncer au-dessous du sol. Les traces des travaux de
mine, au sens moderne du mot, sont rares : Halouze
en Normandie, Allevard dans le Dauphiné, la vallée de
Vicdessos dans le Comté de Foix en présentent toutefois
quelques exemples.
Les gisements situés aux environs des forges s'épui-
sèrent assez vite et les maîtres furent rapidement
amenés à rechercher le minerai nécessaire en dehors
des environs immédiats des usines, sur des terrains
dont ils n'étaient ni propriétaires, ni concessionnaires.
Au xvme siècle, les établissements métallurgiques
furent obligés de recourir à de coûteux charrois pour
s'assurer la « pierre de myne ». Le prix du transport
28 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
double le prix du minerai en Lorraine, en Champagne;
il lui est supérieur en Berry et en Bretagne. Cette
dépense s'accroît encore de la redevance à payer au
propriétaire du sol.
Les redevances minières. — De bonne heure, les
propriétaires imposèrent aux maîtres de forges le
payement d'une redevance pour se dédommager des
préjudices causés par les fouilles. A l'origine, ces
transactions résultaient d'un commun accord, sans
l'intervention du pouvoir central; elles revêtaient les
formes les plus diverses : soit qu'une redevance en
argent fut fixée par pipe de mine extraite (environ
750 kilos), soit que le sol fut loué ou amodié moyennant
une rente payée en argent ou en fer ouvré.
Bientôt ces transactions ouvrirent de nombreux
litiges. Des ordonnances se succédèrent sous les règnes
de Philippe le Long, de Charles VI, de Henry II, de
Henry IV pour régler le droit minier. En 1080, Colbert
publia l'ordonnance qui régla jusqu'en 1810 les rapports
du pouvoir central, des métallurgistes et des proprié-
taires du sol. Ces prescriptions imposaient aux proprié-
taires l'obligation de laisser exploiter leurs mines s'ils
n'étaient, eux-mêmes, possesseurs de forges; elles consi-
déraient le minerai de fer, non comme un bien particu-
lier, mais comme une richesse nationale, dont l'Etat
disposait dans l'intérêt commun. La royauté se réservait
sur l'exploitation des droits considérables : 3 sols
6 deniers par quintal de minerai; 8 sols 9 deniers par
quintal de fonte en gueuse; 13 sols 6 deniers par quintal
de fer. Par contre, la redevance payée aux propriétaires
du sol était vraiment infime : un sou par chaque tonneau
de cinq cents pesant. Ils réclamèrent; les procès furent
nombreux. A la veille de la Bévolution, une nouvelle
ordonnance de 1786 porta la redevance à 2 sous 6 de.
LA FONTE AU BOIS 29
niers par pipe (750 kilos environ). Les rédacteurs de
la loi de 1810, abrogée seulement en 1919, se sont
fortement inspirés de l'ordonnance de Colbert.
L'utilisation des minerais pauvres. — Les charrois
de minerai, les redevances, grevaient lourdement le
prix de revient; aussi les maîtres de forges s'ingé-
nièrent-ils à tirer parti des minerais pauvres dans
les terres qui leur étaient concédées aux abords de
leurs usines, soit en le lavant pour enlever les parties
terreuses qui enrobaient les morceaux; soit en le
mélangeant avec des qualités plus riches; soit en le
grillant pour « donner plus de force à la myne »; soit
en introduisant des calcaires dans le lit de fusion.
Avant de fondre le minerai, on le lavait à l'aide du
patouillard, grande roue dentée, armée de fourches, qui
remuait et brassait le minerai, pendant que l'eau
entraînait les terres impropres à la fonte. L'opération
était nettement spécifiée dans les contrats d'achat.
« Pour tirer, laver, nettoyer la mine morte collée,
salard, caillou et sable et la rendre loyale et marchande,
il est payé en Normandie, 40 sols par pipe de mine, et,
pour le vin du marché, deux plattes et barbeaux pour
faire deux socs de charrue. »
Par la suite et pour éviter les réclamations des
riverains, qui se plaignaient de la pollution des eaux,
pour diminuer aussi la dépense du combustible néces-
saire au grillage, les métallurgistes se décidèrent à
mélanger dans les lits de fusion les qualités médiocres
prises sur place, avec les qualités riches, venues de
plus loin. Ce procédé, courant dans la technique des
hauts fourneaux modernes, est donc fort ancien. Eil
Bretagne et en Anjou, les minerais pauvres des minières
étaient mélangés aux minerais riches des couches silu-
riennes. Dans le Dauphiné, après l'appauvrissement
30 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
des gîtes d'Allevard, les lits de fusion contenaient des
minerais de trois mines différentes. Les forges du Comté
de Foix corrigeaient la pierre de inyne des vallées
d'Orlus, de l'Astours, de l'Oriège, qui donne du fer
cassant, en y associant les bonnes qualités de Vicdessos
qui fournit du fer ployant. En Lorraine, les hauts
fourneaux d'Herserange associaient les minerais forts
des affleurements de Saint-Pancré aux petits minerais,
à la minette, des couches en place.
La castine. — Le mélange des minerais avait
également pour but de diminuer la teneur en silice de
la coulée. Mais, sous ce rapport, on obtenait un meilleur
résultat en ajoutant de la castine dans la fusion. C'était
une nécessité pour les métallurgies utilisant les mine-
rais siliceux et phosphoreux, c'est-à-dire produisant
une fonte cassante d'un emploi difficile pour l'élabora-
tion des fers d'affinage; pour les pièces d'armement,
particulièrement. L'emploi des fondants accélérait la
fusion, agglomérait les impuretés dans le crassier et
facilitait la fabrication des aciers purs. En Normandie,
dans le Comté de Foix, en Lorraine, en Champagne, la
chaux était abondante sous des formes diverses, au
voisinage des usines. Mais ailleurs, en Bretagne par
exemple, elle faisait défaut; on devait recourir à de
longs charrois pour s'en procurer : 25 kilomètres à
Salles de Rohan, 40 à Pouancé. Les usines de Lanouée
étaient obligées de se servir de coquilles d'huîtres.
Comme pour le minerai, la question du transport
intervenait quand il s'agissait d'approvisionner les
fourneaux en fondant. Si les réserves en « pierre de
myne » étaient très suffisantes pour les besoins, elles
se trouvaient souvent assez éloignées pour que le fonc-
tionnement des usines fut arrêté, quand les charrois
n'arrivaient pas à temps.
LA FONTE AU BOIS 31
B. — LE CHARBON DE BOIS
Les déplacements des forges volantes permettaient
aux métallurgistes de trouver sur place le combustible
nécessaire. L'établissement des fourneaux dans la partie
supérieure des vallées, l'accroissement de la production
changèrent les données du problème. Les maîtres de
forges coupèrent tous les bois dont ils étaient proprié-
taires ou qui leur étaient concédés comme affouage,
sans s'inquiéter des droits des borduriers : les ressources
s'épuisèrent rapidement aux environs des usines. La
consommation croissante du charbon rendait illusoire
toute prérogative des concessionnaires sur les forêts
complètement rasées.
Dès les débuts des hauts fourneaux, l'épuisement des
forêts se fait sentir dans les régions où l'industrie
métallurgique s'est implantée. Le dauphin Humbert II,
à la demande du pape Pie II, qui en avait fait une
condition sine qua non pour l'instauration de l'Uni-
versité de Grenoble, ordonna en 1339 la destruction
des fourneaux et des martinets situés dans le voisi-
nage de la ville : « ces fourneaux étant des abîmes à
forêts, des gouffres voraces de bois; il était à craindre
qu'en abattant les forêts des montagnes, les torrents
ne grossissent la montagne et qu'ils n'incommodassent
la ville et les héritages de ses habitants. » Jusqu'à la
fin du xvme siècle, les plaintes furent générales.
Dans le Comtois on se plaint que les bois deviennent
rares et on demande l'extinction des hauts fourneaux.
Les forges du Comté de Foix, pour se procurer les
combustibles indispensables, sont obligées d'échanger
les minerais pauvres de Vicdessos contre les charbons
de Couserans. C'est un premier essai de cette double
circulation qui devait se régulariser au xixe siècle. En
Bourgogne, l'intendant avoue que « la multitude des
32 l'industrie du fer en France
forges et fourneaux fait fleurir une branche de com-
merce d'autant plus importante qu'elle est la seule qui
ait réussi dans cette partie de la Bourgogne », mais
la question se pose de savoir si cet avantage « l'emporte
sur l'inconvénient trop réel de la disette et de la dégra-
dation des bois ». L'intendant d'Alencon écrit qu'il faut
supprimer une partie des forges qui ont fait augmenter
le prix du bois depuis 20 ans. Une ordonnance de 1723,
par crainte de disette, avait interdit de créer de nou-
veaux fourneaux; elle était restée lettre morte.
En dehors de la nécessité de posséder une chute
d'eau, l'établissement d'une forge dépend du domaine
forestier attribué au haut fourneau. Suivant un
rapport de 1779, les forges de Bretagne consomment
32 725 000 livres de charbon, soit la production de
3 816 arpents de coupes réglées de 18 à 25 ans, suivant
la constitution des forêts et l'usage établi, ce qui sup-
pose un fond de 83 950 arpents de forêts. Le voisi-
nage des forêts très denses de la Montagne Noire décida
la création de petites forges autour de Sorrèze; la
proximité de bois touffus sur les bords de l'Allier fut
l'origine de la fortune métallurgique de Montluçon, au
début du xvme siècle.
Cependant, à la même époque, en Angleterre, des
mesures législatives étaient intervenues pour réserver
les hautes futaies à la Marine et pour substituer le
coke au bois dans les hauts fourneaux. Des essais
furent tentés dans ce sens en France. Le Conseil du
commerce avait diminué les droits sur l'importation
des charbons de terre provenant du Hainaut, de Flandre
et d'Ecosse ; mais les métallurgistes, incapables d'adapter
le coke à la fusion des minerais impurs, étaient restés
fidèles à la vieille méthode. L'instant était critique. A la
fin du xvme siècle, les hauts fourneaux, en plusieurs pro-
vinces, menaçaient des'éteindre, faute decharbon de bois.
LA FONTE AU BOIS 33
IV. — - LA MAIN-D'ŒUVRE
A l'origine de l'industrie, le fer se préparait direc-
tement et par petites quantités. Les forges volantes
n'exigeaient point de nombreux ouvriers : deux ou
trois ferons pour le travail du fourneau, un mineur
pour l'extraction du minerai, un ou deux charbonniers
pour la préparation du charbon de bois, c'était là
tout le personnel nécessaire. Ces équipes se constituaient
aussi souvent que l'on creusait un fourneau. Les exploi-
tations étaient très disséminées, mais chacune d'elles
disposait de plusieurs sièges d'extraction et de fabri-
cation. On en comptait plus de vingt autour de Loudéac
et de Chateaubriand en Bretagne, autour de Saint -
Rémy en Normandie, de Vicdessos dans le comté de
Foix, de Vassy en Champagne, d'Allevard dans le
Dauphiné.
L'histoire de ces groupements peut être retracée
grâce aux archives. Des documents nous permettent
d'étudier les mineurs d'Allevard en 1263 et ceux de
Saint- Rémy en 1462. Ils sont contemporains du registre
de comptabilités des mines que Jacques Cœur possé-
dait dans le Beaujolais et dans le Lyonnais. Ces pièces
nous fournissent des tableaux vivants de la mine, de
ses ouvriers, de ses organisations : elles nous permettent
d'étudier les genres de vie des ouvriers du fer à une
époque où leur corporation n'était pas constituée et où
l'absence de tout règlement arrête l'enquête.
Dans chacun des centres métallurgiques, une sorte
de ligue comprenait tous les ouvriers qui, à un titre
quelconque, s'occupaient du travail du fer. Faisaient
partie nommément de cette association : les ferons,
les mineurs, les forgerons, les tréfileurs, les poëleurs,
les maréchaux ferrants.
L'Industrie du fer en France. 3
34 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
Les jours et les heures ouvrables étaient nettement
spécifiés. Comme dans les autres industries du Moyen
âge, d était interdit de travaiUer les dimanches, les
jours fériés et, en tout temps, du soled couchant au
soleil levant. D'autre part, le fourneau devait chômer
du premier août au quatorze septembre; dans le fait,
d s'allumait à la fin des vendanges pour s'éteindre à
la récolte des foins.
Les ferons semblent avoir gardé la direction du tra-
vail et constitué une classe privdégiée. Cependant il
existait entre tous les membres de la ligue une grande
camaraderie. Le personnel restreint des petits fourneaux
vivait étroitement lié. La modestie des exploitations
assurait un contact intime et journalier entre le féron,
le mineur et le charbonnier. Ces équipes, essentielle
ment mobdes, suivaient les migrations des forges; elles
se déplaçaient simultanément et transportaient ensemble
leurs meubles et leurs foyers. A ses débuts, la métal-
lurgie avait déterminé des modes d'existence spé-
ciaux, fort différents des conditions qui réglaient les
autres artisans de la manufacture nationale.
Il en va tout autrement à l'époque des hauts four-
neaux. L'établissement des usines dans la partie supé
rieure des vallées eut pour conséquence de spécialiser
et de séparer chacune des opérations de la sidérurgie,
depuis la mine jusqu'à la forge. L'éloignement et la
différenciation des fonctions ont créé des genres de vie
nouveaux. De là, dans la main-d'œuvre, une diversité
que l'on s'attendrait très peu à voir figurer sur les
livres de compte des maîtres de forges. Au xvme siècle
les forges de Lanouée, en Bretagne, occupent 50 for-
gerons, 90 mineurs, 80 bûcherons ou voituriers et
250 chevaux. A la même époque, dans les forges du
baron de Dietrich, en Alsace, sur 918 personnes employées
LA FONTE AU BOIS 35
011 ne compte que 148 ouvriers de métier; tout le reste
se compose de mineurs, charretiers et charbonniers.
De tous les ouvriers du fer, les forgerons étaient les
moins nombreux mais aussi les plus avantagés. En cer-
taines régions, ils pouvaient chasser de temps en temps
« à condition qu'ils n'en abusent point ». Leurs salaires
étaient les plus forts, ils étaient mieux logés, mieux
nourris, mieux habillés. Dans le déballement des mer-
cerats, des porte-balles, des savoyards, « ce n'étaient
que les femmes de forgerons qui pouvaient se per-
mettre un corps de jupe siamoise, un steinkerque brodé,
un anneau d'or ». Aussi les jalousait-on un peu. Parti-
culièrement spécialisés dans la manutention du minerai
et du fer, ils étaient plus ou moins nomades. D'une
forge à l'autre, les migrations et les échanges étaient
constants. Rarement, ils restaient dans le pays pour
épouser la fille d'un cultivateur et y faire souche.
Ces artisans très intermittents répondaient exactement
aux besoins fort intermittents des forges, obligées do
chômer pendant de longs mois. Les habitants des
paroisses, où les forges étaient établies, ne voyaient
pas d'un bon œil cette population flottante et turbu-
lente. Ils se plaignaient d'un grand nombre d'étrangers
attirés chez eux par l'atelier des forges. « De là, écrit
un Normand, la quantité de huttes que l'on construit
dans les carrefours et endroits perdus qui ressemblent
à des coupe-gorges. »
Contrairement aux autres ouvriers du fer, les for-
gerons avaient institué une sorte de compagnonnage.
Ils se tenaient par une camaraderie plus forte. Les
règles de leurs associations se sont perpétuées jusqu'au
milieu du xixe siècle; elles ont disparu avec les hauts
fourneaux qui travaillaient la fonte avec du charbon
de bois. Les fondeurs de la Bretagne, de la Normandie,
de la Bourgogne, de la Franche-Comté ont connu,
36 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
connue les carbonari italiens, des statuts, des mots
d'ordre, des signes de reconnaissance, des batteries de
ralliement et des symboles dont l'origine remonte à
une haute antiquité. Dans chaque loge, il existait un
tronc alimenté par de légères cotisations et des amendes :
quand un compagnon se présentait comme cousin du
foisil, on l'invitait à forger une barre qu'on lui faisait
porter sur l'enclume; s'il sortait avantageusement de
l'épreuve, on vidait le tronc en sa faveur, on l'héber-
geait et, s'il n'était pas embauché, on lui facditait
les moyens de gagner la forge voisine. Si, d'aventure,
il restait sur place, attendant une vacance à l'usine, il
travaillait à la mine et était payé par pipe de minerai
extraite. Rarement, il s'employait au ménage des
champs; il n'y montrait aucun goût; il ne possédait
point. Depuis que les forges volantes s'étaient fixées
dans les vallées, le forgeron n'était point devenu séden-
taire.
Dans la dépendance de l'usine, mais souvent à une
distance très éloignée vivaient les mineurs. Ils étaient
chargés de l'extraction du minerai, de le laver, de le
tirer, de l'accommoder, de toutes les opérations utiles
pour le rendre « loyal et marchand ». Les maîtres de
forges traitaient avec eux à l'entreprise. Les mineurs
étaient payés pour une quantité fixe, à livrer dans un
délai convenu. Au lieu de travailler isolément et à la
journée, comme les forgerons, les mineurs s'associaient
pour exécuter leur tâche.
Ces artisans sont essentiellement des ruraux. Ils
habitent les hameaux les plus proches des gisements.
Dans tous les contrats avec les employeurs, ils spéci-
fient comme vin du marché, la fourniture de plat tes
et de barbeaux nécessaires à la confection des socs
de charrue. L'été ils se livrent aux travaux des champs.
C'était une clause de leur engagement « d'aller faire
LA FONTE AU BOIS 37
l'aoust pendant la moisson... qui ne pourra être moins
que de six semaines ». D'ailleurs, quand la terre exi-
geait des soins particuliers et immédiats, ils abandon-
naient la mine. Les administrateurs de l'an III signalent
que « les bras, ont été, vu leur petit nombre, suffisam-
ment occupés de la culture des terres et de la récolte...
et que, pendant ce temps les mines n'ont rien produit ».
Le caractère de leur fonction agricole letir donnait peu
de goût pour les travaux du fond; ils répugnaient à
ouvrir des galeries; ils préféraient l'extraction à ciel
ouvert. En cas de chômage des forges, ils se plaçaient
comme maçons ou comme terrassiers, quand le ménage
des champs leur créait des loisirs. L'évolution de l'indus-
trie n'avait modifié en rien le genre de vie des mineurs.
Ils étaient demeurés des ruraux, des sédentaires.
Pour conduire aux fourneaux et aux forges le minerai,
la castine et le charbon, les maîtres de forges entrete-
naient une cavalerie nombreuse et une compagnie de
conducteurs. Chacun d'eux devait garder et soigner
vingt bêtes. Généralement l'usine fournissait les harnais
et les charrettes. Le voiturier était chargé du trans-
port de la matière première et du transport de la
matière ouvré. Il ne devait entreprendre aucun autre
travail. Au terme du contrat, la forge reprenait voi-
ture et harnais et se remboursait sur les salaires des
amendes subies en raison des dégâts commis dans les
bois et les pâtures. Elles étaient lourdes : aussi les
droits des voituriers étaient -il s strictement réservés
dans les contrats. Ils avaient la liberté de mettre
paître leurs chevaux « dans toute l'étendue des forêts
et autres bois taillis affectés aux dites forges, lorsque
toutefois les bois taillis auront atteint l'âge de trois
ans et un mois ». A la première contravention le charre-
tier était condamné à l'amende et le cheval abattu.
Malgré cette rigueur, les dégâts étaient considérables;
38 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
certains maîtres de forges payaient jusqu'à 5 000 livres
d'amende par an.
Les conducteurs formaient un groupe bien distinct
de la classe des mineurs et des forgerons, distinct aussi
de la classe rurale. On était conducteur de père en fils.
Plus industrieux et plus vifs que les paysans, les
meneurs de chevaux ne dédaignaient pas de plaisanter
le peuple des campagnes. Leurs voyages à l'usine les
mettaient en contact avec les forgerons, l'aristocratie
ouvrière de ces petites industries. Au contre-voyage,
ils ramenaient des provisions pour toute la population
des mines et des forêts; c'était une sorte de fret de
retour. Ils formaient une clientèle importante pour les
auberges de la route. Par eux arrivaient les nouvelles
de l'extérieur. C'étaient les agents de la civilisation
dans les hameaux les plus écartés. Ils vivaient le plus
souvent dans des huttes sous bois près des pacages
de leurs chevaux et cette fonction semi-pastorale leur
donnait des habitudes plus sédentaires que les forge-
rons vagabonds par goût et par nécessité, tandis que
leur métier de transporteur développait leur instinct
migrateur.
Forgerons, mineurs, charbonniers, voituriers étaient
1rs artisans les plus essentiels de l'usine. Ils figuraient
toujours par catégorie séparée dans les comptes des
maîtres de forges. Même, à l'époque du grand essor
de l'industrie, au xvme siècle, leur recrutement s'effec-
tuait sans difficulté.
A vrai dire, les régions métallurgiques n'étaient
guère des plus peuplées. Mais les besoins en main-
d'œuvre spécialisée étaient sans grande importance.
D'ailleurs, en bien des régions, la forge assurait
l'existence de toute la population. Dans le pays de
Longwy « il ne se fait d'autre commerce que celui
LA FONTE AU BOIS 39
que la forge d'Herserange y attire. Tout le reste est
un commerce d'entrepôt qui n'offre aucun avantage
pour le peuple, au lieu que les forges d'Herserange
occupent des facteurs, des mineurs, des forgerons, des
fendeurs, des bûcherons, des charbonniers, des char-
pentiers, des voituriers et un grand nombre de manœu-
vres. Elles sont même l'occasion d'une partie du com-
merce qui se fait à Longwy par les contre-voitures
qu'on charge à Verdun et à Sedan ».
La facilité de recrutement de la main-d'œuvre avait
pour conséquence la modicité des salaires. Les mineurs,
comme tous les ouvriers agricoles, furent d'abord payés
à la tâche, et d'après les mesures de capacité : à la
razière ou à la mine. Comme aux ouvriers agricoles,
une certaine quantité de marchandises leur était retenue
pour représenter l'épingle du marché ou les erreurs de
mesure, par exemple : une razière sur trois, une pipe
sur vingt. Cependant, à la fin du xvme siècle, ils com-
mencent à prendre rang parmi les artisans de métier
et sont rétribués à la journée et en monnaie. Par contre
les ouvriers des forges furent de suite réglés à la journée,
et même, au xvme siècle, au mois.
Le problème de la main-d'œuvre ne s'est donc jamais
posé pour les maîtres de forges avant la Révolution. Le
personnel se recrutait facilement. Les salaires repré-
sentaient, un douzième environ, du prix de vente. La
question ouvrière ne fut pas la raison du déclin de
l'industrie de la fonte au bois.
V. — LES MAITRES DE FORGES
A l'origine, il suffisait de la présence d'une poche
de minerais dans les bois pour décider l'ouverture d'une
fosse et d'une forge. Les premiers maîtres de forges
40 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
lurent donc naturellement les propriétaires des grands
biens forestiers : les seigneurs et les moines.
A vrai dire la possession des bois équivalait, entre
autres privilèges, au droit exclusif d'exploiter des fosses
et d'y créer des forges. Ce droit fort ancien était nom-
mément spécifié à chaque mutation foncière. En 1364,
les religieux de Saint-Evroult, en Normandie, acquièrent
contre 1 100 livres de fin or, au coin Jean, de Jean du
Merle, chevalier, la forêt d'Echauffour avec les droits
de franchise et liberté « de forges grossières et de fosses,
chace de bestes à pied fourchié et à pied velu ». Vers
la même époque, 1352, un titre relatif aux prérogatives
des seigneurs d'Audun-le-Tiche, en Lorraine, spécifie
leur droit de tirer de la mine de fer dans les bois et
champs de cette seigneurie. La charte royale de 1289,
qui instaurait, en Normandie, entre FAure, la Seine et
l'Orne, le monopole des six barons fossiers, trois laïcs
et trois ecclésiastiques, stipulait leurs droits de charbon -
ner dans toutes les forêts au voisinage des forges.
Dans le but de sauvegarder les besoins des populations
bordurières, la quantité journalière de charbon de bois,
allouée à chaque fourneau, ne pouvait dépasser la
charge de sept hommes; mais cette quantité était
strictement garantie.
La métallurgie, uniquement fonction à ses débuts
de la grande propriété, était réservée à un petit nombre
d'individus. Seule la grande fortune foncière pouvait
y prétendre. On ne s'étonnera donc point de retrouver
parmi les premiers possesseurs des forges, les noms les
plus éclatants de l'armoriai de France : le duc d'Orléans,
le duc de Penthièvre en Champagne; le duc de Lorraine,
le prince de Craon, le duc de Deux-Ponts en Lorraine,
le prince de Croy dans le Hainaut; le comte d'Artois
et le duc de Châtillon dans le Berry; le duc de Rohan,
Je duc de Villeroy, le prince de Condé en Bretagne,
LA FONTE AU BOIS 41
Semblablement les privilèges des grandes abbayes
n'étaient pas moindres. Dès le xme siècle, les abbayes
de Redon, de Saint-Méen, de Paimpont établissent des
fourneaux au nord de la Loire; dans le Dauphiné
l'abbé de Cluny possède depuis le xne siècle les établis-
sements d'Allevard; les Chartreux exploitent un four-
neau et des martinets à l'entrée du Désert, près la porte
du Pont, aux environs de Grenoble; les Cisterciens pré-
parent la conquête métallurgique de la Bourgogne.
Les grands propriétaires forestiers possédaient le pri-
vilège de la production du fer; l'isolement de la métal-
lurgie placée en dehors des grandes communications
leur constituait un monopole commercial. La produc-
tion des petites forges, sans être importante, satisfai-
sait amplement aux demandes locales. Les maréchaux
ferrants pour les fers de chevaux et les bandages de
roues, les forgerons pour les landiers et la poterie
domestique, les armuriers pour les épées, les lances et
les différentes pièces du harnais de guerre étaient les
seuls clients de la métallurgie. Dans ses autres emplois
le fer demeura un objet de luxe, d'un usage très res-
treint, jusqu'au jour où la découverte de la fonte
et celle de la réduction de la gueuse par les feux d'affi-
nerie auront inauguré la fabrication à bon marché.
Jusqu'au xive siècle, les seigneurs et les moines res-
tèrent maîtres de la production et de la vente, dans la
région où ils exploitaient leurs privilèges. Cet isolement
industriel et commercial explique comment ces indus-
tries, si imparfaites à l'origine, ont persisté sans chan-
gement intéressant jusqu'à l'introduction des moteurs
et des soufflets hydrauliques — et leur répugnance
à adopter ces procédés nouveaux.
Par contre, l'exploitation des forges volantes n'exi-
geait point de gros capitaux: le matériel était rudi-
42 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
mentaire ; les stocks de matières premières, sans valeur,
la main-d'œuvre, abondante. Mais l'adaptation de la
force des rivières à la série des opérations sidérurgiques
complique les machineries, nécessite la constitution
d'approvisionnements importants, oblige à l'entretien
d'un personnel nombreux, voire même à l'achat de
toute une cavalerie. En 1671, les forges renardières de
Putanges, en Normandie, furent vendues en bloc pour
500 livres, tandis que le haut fourneau qui leur avait
succédé, était loué 1 200 livres par an, plus une somme
de 4 500 livres pour avances de charbon et de minerai.
Vers la même date, l'abbé de la Lyre faisait l'inven-
taire de ses biens et déclarait posséder comme fossier :
huit hauts fourneaux, une fenderie, une amnerie, une
forge, une tréfilerie. En 1704, la famille de Wendel
acheta les établissements de Moyeuvre-la-Grande, en
Lorraine; ils comportaient un fourneau, une forge,
deux fenderies, deux afflneries, une platinerie.
Toute exploitation métallurgique impliquait donc la
possession de biens fonciers pour se procurer la matière
première et de forts capitaux pour les mettre en valeur.
« Il est impossible, écrit un maître de forges à la fin du
xvme siècle, de fonder un pareil établissement à moins
de 200 000 livres. Les frais d'une construction solide
montent ordinairement à 300 000 livres et il en est
qui, par leur fonction ou les circonstances locales, ont
coûté jusqu'à 1 million. » Le plus souvent, le pouvoir
central est obligé de se refuser à la création de nouvelles
usines « parce que les demandeurs n'ont pas la fortune
nécessaire et qu'ils seraient obligés de prendre la mine
sur les terrains voisins ».
Ces obligations financières décidèrent un mouvement
de sécularisation qui se continua pendant tout le
xvme siècle. A la veille de la Eévolution, les abbayes
métallurgistes sont devenues l'exception. On en compte
LA PONTE AU BOIS 43
que deux en Lorraine, une en Bretagne. Par contre
les forges constituèrent longtemps le meilleur des reve-
nus de la noblesse. Partout le château contrôlait la
mine, le fourneau et la forge. En bien des points, leurs
ruines sont encore accolées dans les régions où l'indus-
trie du fer fut active : elles marquent la communauté
d'intérêt.
Cependant l'importance toujours croissante de l'in-
dustrie imposait un contrôle suivi. La noblesse attirée
par les résidences royales, gênée souvent par des
besoins d'argent, fut amenée à céder à des tiers la
direction ou la propriété de ses entreprises sidérur-
giques. Les forges trouvaient toujours preneurs. Si
important que fût le loyer, les bénéfices étaient toujours
rémunérateurs. En 5 ans, Moyeuvre rapporta au capi-
taine Faber, 25 000 pistoles d'or. Plusieurs y firent
fortune. Par ailleurs, le titre de maître de forges était
héréditaire. Il se transmettait aux femmes et aux filles.
Au xvme siècle, on vit un Grimaldi, prince de Monaco,
complètement étranger à la Normandie, devenir maître
de forges, dans le pays bocain, par suite de son mariage
avec la fille du baron de Chaumont, propriétaire des
forges de Danvou, l'un des six fossiers de Normandie.
Ces avantages tentèrent principalement la noblesse
de robe. Autour de Grenoble, de Metz, des parlemen-
taires devinrent maîtres de forges. Si la Bretagne resta
indifférente à ces mutations, c'est que les capitaux y
sont étroitement confinés dans les placements fonciers
et dans l'acquisition des charges qui en dérivent.
Enfin la situation menait à la noblesse; comme la
terre, c'était une sorte de savonnette à vilain. Jouenne,
maître de forges de Putanges, avait été anobli, son fils
achetait une charge au Parlement de Caen. Avant la
Révolution, tous les maîtres de forges roturiers de Nor-
mandie sont déclarés nobles hommes.
44 l'industrie du fer ex fraxce
Les revenus des forges devinrent assez importants
pour justifier des partages de la propriété au moment
des décès et des transactions sur les parts bénéfi-
ciaires. De véritables sociétés en participations — des
sociétés par actions, dirions-nous aujourd'hui — se sont
fondées du fait dos circonstances. A la fin du XVIIIe siècle
les forges et hauts fourneaux de Paimpont comptent
treize « seigneurs propriétaires »; ils se partagent, à
différents titres et en termes inégaux, 80 000 livres,
les bonnes années.
Les établissements qui se créent sont institués sur
ce modèle. Le capital des forges de Montcenis, le Creusot
actuel, comportait 40 000 parts; les titulaires étaient
le roi, les entrepreneurs de la manufacture des cris-
taux de la reine, des fermiers généraux, des nobles,
des maîtres de forges étrangers à la région, des magis-
trats, des bourgeois.
Des mains des grands seigneurs féodaux, proprié-
taires du sol, l'industrie du fer est passée entre les
mains d'actionnaires le plus souvent étrangers au pays
où les forges sont implantées.
VI. — LA PRODUCTION
Dans les limites de la France de 1789, MM. Bourgin
ont retrouvé les traces de 1 003 établissements sidé-
rurgiques, répartis dans 699 paroisses. Le nombre des
usines paraît considérable par comparaison avec le
chiffre qui représente les entreprises métallurgiques
actuelles. Mais leur production nous semblerait aujour-
d'hui minuscule. On peut s'en faire une idée par les
deux seuls fourneaux qui marchaient encore au bois
avant la guerre dans les Landes et les Pyrénées-Oriem
LA FONTE AU BOIS 45
taies. Ce dernier, celui de Eias, par nécessité d'entre-
tien et surtout par obligation de constituer des stocks
pour la campagne — environ 3 000 tonnes de minerai et
4 500 tonnes de charbon de bois, — était allumé six
mois par au et fournissait 225 tonnes de fonte. La
plupart des petites installations du xvme siècle ne
dépassait pas cette quantité. Aussi le poids de la fonte
produite dans la France 'entière atteignait à peine, en
1788, 150 000 tonnes, celui du fer, 100 000 tonnes.
M. Demangeon a étudié la répartition de cette indus-
trie. L'Est et le Centre contenaient 70 p. 100 des \isines
et produisaient 90 p. 100 de la fonte et 85 p. 100 du
fer. Mais le groupe de l'Est n'était pas localisé, comme
avant la guerre, dans le seul département de Meurthe-
et-Moselle, il comprenait les plateaux de la Champagne
et de la Bourgogne entre l'Ornain et la Seine, la lisière
des montagnes vosgiennes en Lorraine et en Alsace,
les plateaux de la Franche-Comté dans la Haute-Saône,
le Doubs et le Jura. La région du Centre formait une
auréole qui entourait le Massif central vers le Nord
et vers l'Ouest, depuis la Saône-et-Loire et la Nièvre
jusqu'au Lot et au Lot-et-Garonne, en passant par le
Cher, l'Indre, la Vienne, la Charente, la Haute -Vienne
et la Dordogne. Il existait trois autres groupes sidé-
rurgiques : dans le Nord, la bordure du massif arden-
nais; dans l'Ouest, la Haute Normandie et la Basse
Bretagne; dans le Midi, les Pyrénées à l'est delà Garonne
et les Alpes, le long de l'Isère. A ne considérer que le
nombre des usines de fabrication, le Nord en contenait
4 p. 100, l'Ouest 8 p. 100, le Midi 18 p. 100.
Le tonnage de métal produit pouvait être suffisant
pour les besoins nationaux. Alors les grands clients de
l'industrie moderne, les constructions, les chemins de
fer, l'armement, la marine, l'automobile, n'existaient
point. Les poteries domestiques, les landiers, les boulets,
46 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
pour la fonte, les fers à chevaux, le mobilier agricole,
les ancres, les armes, la coutellerie, la quincaillerie, pour
le fer, assuraient aux maîtres de forges un marché
suffisamment achalandé. Chaque région avait sa spé-
cialité. Dans le commerce des fers, les produits étaient
désignés suivant leur provenance et classés par la
désignation de leur fabrication. Cette désignation était,
en quelque sorte, l'expression synthétique des propriétés
spéciales de la fonte et du fer qui dépendaient unique-
ment des propriétés physiques et chimiques de la
pierre de mine et non des procédés d'élaboration qui
ne variaient guère de province à province. On disait :
fer des Alpes, acier de Rives, fer des Pyrénées, de la
Comté, de Bourgogne, du Berry, poteries ou boulets
de Bretagne ou de Lorraine. La relation était étroite
entre l'usine et la matière première.
Les difficultés de la circulation routière avaient en effet
rapproché les établissements de transformations des
usines qui élaboraient le métal. Chaque région métal-
lurgique comprenait non seulement des hauts fourneaux
et des forges, mais aussi des usines spécialisées dans
toutes les branches de l'industrie. Ainsi dans la région
ardennaise, nous observons des manufactures d'armes
à Charleville, Nohin, Mouzon, Nouzon; des manufac-
tures de fer et d'acier poli à Illy, Raucourt, Rubécourt,
Sedan; une platinerie à Bazeilles; une poêlerie à Sedan;
une clouterie et une quincaillerie à Maubeuge et Valen-
ciennes. Dans le Berry, nous constatons une fabrique
d'ancres à Villemenon; une manufacture d'ancres et de
poêles àGuérigny; une clouterie à Urzy; une serrurerie,
une taillanderie, une clouterie; une petite fonderie
qui convertissait les fers « en petits fers feuillards et
petits fers ronds », une grande fenderie qui élaborait
« les fers feuillards, les verges et les lames » à Cosne
(la Chaussade); enfin une manufacture royale « de
LA FONTE AU BOIS 47
quincaillerie, taillanderie et bijouterie de métaux, façon
Angleterre », à la Charité.
Cette sorte d'intégration régionale était réalisée dans
plusieurs établissements, les derniers créés principale-
ment. Nous connaissons déjà l'exemple de la Chaussade.
En 1786, le plan industriel du Creusot comporte l'exploi-
tation de mines de fer et de mines de charbon, de quatre
hauts fourneaux, de deux grosses forges, des foreries
et ateliers. Cet établissement devait satisfaire à toutes
les demandes de la Marine en boulets et en canons.
« Quand l'armement des vaisseaux, des colonies et des
côtes du royaume n'emploiera que peu ou point les
ateliers de Montcenis, la fabrication des machines à
feu, des tuyaux de conduite, des chaudières et cylin-
dres de moulins à sucre pour les colonies, de la poterie
et du fer forgé suffira pour leur donner toute l'activité
dont ils sont susceptibles. » La société a construit
également « une verrerie à gobeletterie, à verre de table
et à verre à vitre à la manière anglaise »; elle contrôle,
par ses capitaux, la fonderie d'Indret. C'est là une
industrie vraiment moderne — concentrée et intégrée.
Cependant, des considérations particulières ont per-
mis à certaines usines, étroitement spécialisées, de
s'éloigner des forges. De grands centres urbains, mieux
placés sur le réseau routier, dotés d'une main-d'œuvre
abondante, ont construit des établissements de trans-
formation. Lyon alimente sa fonderie, sa tréfilerie et
son atelier de machines avec des fers de Champagne,
de Franche-Comté et du Dauphiné; Paris sa manu-
facture d'acier fin et de quincaillerie « à l'instar de
l'Angleterre » avec du métal venu de Lorraine et de
Champagne. Par ailleurs, l'armement maritime, le
commerce avec les colonies ont suscité des fonderies
à Indret, près de Nantes, qui utilise les fontes de Bre-
tagne, à Rochefort qui emploie les fontes de l'Angou-
48 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
mois, à Bordeaux qui travaille les fontes de Guyenne.
D'autre part une main-d'œuvre à domicile, fort ancienne
et fort habile, a maintenu la réputation des épingleries
de Laigle et de Rugles qui reçoivent leurs fils d'Alsace,
de Franche-Comté, d'Allemagne et même de Suède, par
Rouen. Enfin l'excellence et la force hydraulique des
cours d'eau ont créé la prospérité des coutelleries de
Thiers, clientes des forges du Berry et du Nivernais,
ainsi que l'activité du groupement Saint-Etienne-Fir-
miny-Saint-Chamond où les fers de Champagne, de
l'Ardèche, des Pyrénées, les aciers de Rives et de
Voiron sont transformés dans les armureries, les quin-
cailleries, les serrureries, les coutelleries.
A vrai dire, cette fabrication est excessivement
limitée comme variété quand on la compare avec les
produits similaires des industries belges, allemandes et
anglaises. Elle leur est également inférieure comme
qualité. Jusqu'à la fin du xvme siècle, notre métal-
lurgie a évolué lentement. Elle est restée longtemps
indifférente aux grands progrès de l'industrie, à l'uti-
lisation de la machine à vapeur découverte en 1768,
à l'invention du four à puddler qui apparaît en Angle-
terre eu 1784. Le plus souvent, elle a appris les secrets
du métier par le concours d'artisans étrangers, venus
en France. Des mineurs allemands lui ont enseigné à
se servir de la poudre pour creuser des puits. Des
maîtres liégeois ont appris aux usines de Sedan la
fabrication de la vaisselle et de la poterie domestiques.
Ils ont importé à Saint-Etienne l'étirage du canon de
fusil par le martinet. Des métallurgistes de Styrie ont
longtemps travaillé le fer et l'acier à Allevard dans le
Dauphiné, à Klingenthal en Alsace, à Dilling près de
Sarrelouis. Des ingénieurs anglais, sollicités par le gou-
vernement français, nous ont fait connaître les secrets
de l'industrie du fer blanc, dans laquelle la Grande-
LA FONTE AU BOIS 49
Bretagne était passée maîtresse; ils ont dirigé la fon-
derie de canon d'Indret, surveillé les débuts de la
manufacture royale de la Charité, de la quincaillerie
de Roanne; ils ont installé à Paris les machines de
Birmingham pour la production en grand de la quin-
caillerie; ils ont allumé les premiers hauts fourneaux
fonctionnant au coke, au Creusot.
VIL — LE COMMERCE DU FER
La séparation des établissements de transformation
et des forges créait entre la matière brute et la matière
ouvrée un courant d'échanges, rare à cette époque,
dans l'industrie du fer. Le régionalisme et le tradi-
tionalisme apparaissent sur le marché intérieur, comme
dans toutes les branches de l'activité nationale et nous
sommes fortement concurrencés par la fabrication
étrangère sur le marché extérieur.
Le marché intérieur. — Exception faite pour les
fers très purs qui sont indispensables dans la clou-
terie, l'armurerie et la quincaillerie, les échanges étaient
peu fréquents de province à province. Les taxes nom-
breuses s'y opposaient. Dès 1500, par exemple, des
péages avaient été institués à Grenoble sur les fers à
destination de Romans ou de Lyon; c'était un des
plus beaux revenus du Dauphin. La Franche-Comté
expédiait ses fontes en Lorraine pour affinage, ses fers
en Alsace pour les tréfileries, en Bourgogne pour
fabriquer des barres, dans le Lyonnais pour la quin-
caillerie : par contre, elle était garantie des importa-
tions françaises par les taxes qui frappaient son terri-
toire, comme province frontière. En 1775, les maîtres
L'Industrie du fer en France. 4
50 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
de forges du Berry, de Bourgogne et de Champagne,
avaient réclamé la libre circulation du 1er dans tout
le royaume.
D'autre part, le mauvais état des routes s'opposait
aux transports à longue distance. Dans le dessin général
du réseau, le pouvoir central s'était surtout préoccupé
de réunir Paris aux grands centres de la vie maritime
ou aux frontières, ce qui favorisait les échanges inter-
nationaux, mais non point la circulation des produits
dans les divers compartiments de la nation. Le réseau
de détail était dans un état plus lamentable encore.
Les transports, entre les grandes villes de l'intérieur,
étaient très mal réglés. Dans certaines régions minières,
le portage par bêtes était encore la règle générale. Les
articles de Saint-Étienne parvenaient à Lyon à dos
de mulet. Au début du règne de Louis XVI, le sieur
Godet, propriétaire de la forge de Putanges, en Nor-
mandie, exigeait la réparation des routes avant de
livrer à la Marine, à Brest, les canons dont il avait reçu
commande. « L'intendant fut obligé de désigner vingt-
quatre paroisses pour remettre en état les chemins
d'Alençon à Falaise. » La valeur du transport grevait
lourdement la matière première et le produit ouvré.
A la fin du xvme siècle, les boulets fabriqués à Bour-
berouge, près Mortain, payaient 5 francs par 100 kilos,
à destination de Cherbourg. Parmi toutes les variantes,
intervenant dans le prix de revient, le coût du trans-
port était la plus inappréciable. L'insuffisance du réseau
routier était une garantie, dans chaque province,
contre les importations étrangères et nationales.
Dans chaque centre métallurgique existait une grande
place de vente qui répartissait la marchandise dans
la province et sur les marchés voisins : Metz pour la
Lorraine, Valenciennes pour le Hainaut et le pays de
Liège, Troyes pour la Champagne, Foix pour le Lan-
LA FONTE AU BOIS 51
guedoc et la Gascogne, Paris pour l'Ile-de-France,
Rennes pour la Bretagne. Lyon merveilleusement
placée sur la voie d'eau entreposait et transitait des
fers de Franche-Comté et de Bourgogne; des fontes,
des fers blancs, des fils de fer de Franche-Comté;
des aciers de Rives dans le Dauphiné; des tôles
de Franche-Comté et de Bourgogne; la clouterie,
la quincaillerie, la coutellerie, les armes de la région
de Saint-Etienne.
La puissance commerciale de ces places était donc
fonction des facilités de la circulation pour y accéder :
elle dépendait aussi de la qualité des produits métal-
lurgiques. Les fontes phosphoreuses de Bretagne et de
Lorraine ne dépassaient guère les limites de leur pro-
vince. Les fers plus purs pouvaient pénétrer dans les
parties plus éloignées du royaume, si les forges pro-
ductrices se trouvaient à proximité d'une rivière ou
d'un canal. Ainsi les fers du Bourbonnais, du Lyonnais,
du Berry débarquaient par la Loire au bureau d'Angers.
Les fers de Bourgogne et de Champagne pénétraient,
par la Marne, jusqu'à Paris, jusqu'à Lyon par la Saône;
jusqu'à Marseille par le Rhône. Les fers du Dauphiné,
transportés par route à Vienne, y étaient concurrencés
par les fers de Franche-Comté qui descendaient la
Saône et le Rhône. Le rapport du baron de Dietrich,
en 1786, note : « Les avantages de l'établissement de
Montcenis (le Creusot) sont d'autant plus certains que
le canal du Charolais lui offre les communications les
plus utiles à son commerce avec les deux mers. Mont-
cenis est à une demi-lieue du canal du Charolais qui
a ses embouchures dans la Loire et dans la Saône;
ses exportations dans les ports de l'Océan et de la
Méditerranée se font toujours par eau et sont d'une
exécution facile, prompte et peu frayeuse. Saint-Etienne,
Saint-Chamond et Lyon font une consommation de
52 l'industrie du fer en France
20 millions (de livres) de fer par eau, et Moutcenis
est la forge la plus voisine de ces lieux de débouchés.
Le marché extérieur. — Cependant les demandes
répétées de l'armement, conséquence des guerres nom-
breuses au xvme siècle, la consommation des produits
d'affinage dont l'usage commence à se répandre sous
forme de tôles pour cuirassements de vaisseaux, pour
cheminées, pour enseignes, nécessitent des quantités
plus fortes de fer et d'acier de qualité très pure. L'in-
dustrie nationale est incapable de satisfaire à ces
besoins nouveaux.
Les fers du Luxembourg et du pays de Liège pénè-
trent dans le Hainaut; les fers allemands de Carinthie
et de Siegen arrivent jusqu'à Saint-Étienne; les fers
espagnols débarquent à Nantes comme fret de retour
de nos expéditions en vin et en eau-de-vie; les fers
suédois et russes sont importés dans tous nos ports.
Nantes en reçoit annuellement pour 1 500 000 livres et
leur introduction dans le bassin de la Méditerranée
a pour effet d'abaisser le prix des fers français de
40 à 30 livres. Par Caen, ces expéditions parvenaient
jusqu'à Alençon et les maîtres de forges craignent qu'ils
n'arrivent jusque dans le centre de la France, « si l'on
ne met un droit prohibitif de 20 livres au principal ».
Les manufactures de fers blancs de Lorraine, d'Alsace,
de Franche-Comté, du Nivernais, végètent parce que
les Anglais, malgré le droit d'entrée de « 5 livres 15 sous
du cent pesant », ont le secret de cette fabrication. Ils
détiennent une espèce de monopole que leur confèrent
leurs mines d'étain de Cornouaille. A la fin du xvme siècle
ces importations deviennent assez importantes pour
décider les maîtres de forges à solliciter des taxes pro-
tectionnistes. Ils se réunissent, le 17 juillet 1790, à
Chalon-sur-Saône, et ils demandent la libre circula-
LA FONTE AU BOIS 53
tion des fers dans tout le royaume, la franchise de
tout droit et un impôt de 45 livres par millier sur les
fers étrangers.
Comme contre-partie, nos exportations en matière
brute étaient insignifiantes. Les fers de Franche-Comté,
expédiés à l'horlogerie suisse, constituent presque une
exception. Nos envois à l'étranger comprenaient sur-
tout des objets fabriqués, des produits finis et chers.
Encore sommes-nous sous ce rapport très concurrencés
par l'étranger. Nos maîtres de forges se rendent compte
de leur infériorité et ils s'efforcent d'attirer la clien-
tèle par des produits similaires, « à l'instar de l'An-
gleterre ».
La clouterie du Haut-Rhin et des Ardennes était
recherchée en Espagne, en Italie, en Suisse et en Alle-
magne; les épingles de Rugles et de Laigle étaient
demandées en Angleterre et en Espagne. La coutellerie
et la quincaillerie de Thiers et de Saint-Etienne pre-
naient par Marseille le chemin du Levant et par Bor-
deaux se rendaient dans nos colonies; « l'eustache »
y était fort apprécié. Les armes à feu de Charleville
et de Saint-Etienne étaient fort estimées en Suisse,
dans le Levant, aux Indes, sur la côte d'Afrique, en
Amérique « où la concurrence anglaise ne se faisait
pas sentir »; elles arrivaient sur le marché espagnol,
où elles luttaient contre les épées et les dagues de
Tolède. Les fontes de moulage, principalement les chau-
dières à sucre, les poteries, faisaient, avec nos colonies,
l'objet d'un commerce très achalandé, par Marseille,
Bordeaux et Nantes. En une seule année, ce port
enregistra à la sortie 880 000 livres de fonte bretonne,
dont 670 000 livres pour nos colonies, le reste à des-
tination d'Angleterre et d'Espagne.
C'étaient là. toutes nos expéditions. Sur les marchés
étrangers, notre métallurgie gardait une position très
54 l'industrie du fer en France
modeste, derrière les brillants articles de nos industries
de luxe, les textiles principalement.
Avec la force hydraulique, la sidérurgie a pris, dès
le xive siècle, figure industrielle. Elle présente déjà
certains caractères des entreprises modernes. Elle
échappe au cadre du système corporatif. Elle occupe
de nombreuses équipes d'ouvriers spécialisés dans
chaque branche de la fabrication. Elle constitue des
stocks de matières premières. Elle exige de grosses
mises de fonds. Elle s'intéresse à la politique écono-
mique du Royaume, elle suggère des lois; au besoin
elle provoque des ordonnances protectionnistes.
Mais on se gardera bien de prendre les grosses forges
qui ouvraient la fonte au bois pour de grandes entre-
prises à la moderne. Dans l'ensemble comme dans les
détails, dans la technique comme dans la production,
l'industrie du fer a gardé la structure et la forme d'une
petite industrie. Môme dans les établissements de trans-
formation, elle conservait les caractères de la fabrique
disséminée, de la fabrique à domicile. A cette époque,
la forme industrielle des énergies françaises est pres-
que entièrement concentrée dans les textiles.
Sans doute entre la loupe des forges volantes, qui
pesait à l'origine à peine 10 kilos, et la gueuse d'un
haut fourneau du xvrne siècle, qui atteignait 1 000 kilos,
il y a dix siècles de progrès continus et d'efforts persé-
vérants. Mais il faut se rappeler qu'un haut fourneau
actuel peut livrer jusqu'à 350 tonnes de fonte par
coulée et par vingt-quatre heures; et plusieurs sociétés
comptent huit et neuf appareils en activité. Les valeurs
ont changé, aucune comparaison n'est possible entre
deux modalités si différentes.
Les entreprises d'aujourd'hui connaissent d'autres
soucis, d'autres difficultés, d'autres concurrents. Les
LA FONTE AU BOIS 66
grosses forges au bois, plus modestes, plus ignorées,
avaient moins d'histoire : en bien des cas, les statis-
tiques les ignorent. La faiblesse de leur rayon d'action,
le peu d'étendue de leur ressort commercial leur per-
mettaient de s'installer loin des voies de passage et
de prospérer. Protégées par la médiocrité, par l'humi-
lité de leur production, par la fidélité obligatoire de
leur clientèle, les forges et les fourneaux n'ont pas
subi de grands changements depuis le xive siècle jus-
qu'en 1789.
A une époque où le développement de l'agriculture
était le seul indice de l'activité nationale, la métallurgie
française n'avait pas senti la nécessité d'adopter les
nouveaux procédés qui firent la gloire et la fortune de
la Suède et de l'Angleterre. Cependant, pour passer à
un stade supérieur, les grosses forges devaient subir
une révolution aussi profonde que celle du xive siècle,
— quand elles résolurent d'utiliser la force des rivières.
A la fin du xvine siècle, cette révolution paraît
prochaine. En 1782, le Creusot allume les premiers
hauts fourneaux marchant au coke.
Ouvrages à consulter.
L'étude de l'industrie au bois a été facilitée par la publi-
cation récente du travail de MM. Hubert et Georges Bour-
GIN : L'industrie sidérurgique en France au début de la Révo-
lution (Paris, Imprimerie nationale, 1921, in-8). M. A. Deman-
GEON a tiré de cet ouvrage la leçon qu'il comporte dans un
article très substantiel : La répartition de l'industrie du fer en
France en 1789 (Annales de Géographie, 30* année, 15 no-
vembre 1921).
Pour chaque région, on trouvera dans les différents volumes
du Voyage en France, d'ARDOUlN-DuMAZET (Paris, Berger-
Levrault), des renseignements intéressants. On consultera uti-
lement :
56
L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
Angl.es d'Auriac (P.)- L'évolution de la sidérurgie fran-
çaise, son état actuel et ses perspectives d'avenir (Bulletin de
la Société de l'Industrie minérale, 1912, 1). — Babu. L'industrie
métallurgique de la région de Saint-Etienne (Annales des
Mines, XV, 1899, I; à part, Paris, Dunod, 1899). — Beck(L.).
Die Geschichte des Eisens in technischer und kulturgeschichtlicher
Beziehung (Braunschweig, F. Vierweg, 1891-1893, 3 vol. in-8).
— Bttlard (M.). L'industrie du fer dans la Haute-Marne (Annales
de Géographie, 13e année, 15 janvier 1904). — Chabrand (E.).
Histoire de la métallurgie du fer et de Vacier en Dauphiné et en
Savoie (Grenoble, s. d., in-8). — Davy (L.). Etude des scories
de forges anciennes éparses sur le sol de l'Anjou, de la Bretagne
et de la Mayenne, pour servir à l'histoire de la métallurgie
(Bulletin de la Société de l'Industrie minérale, 1913, 4 et 5). —
Desloges (A.). Les forges de Normandie. Origines de la fabri-
cation du fer en Normandie (Revue : « La Normandie », Rouen,
1897). — de Dietrjch (Ph.). Description des gîtes de minerai
et bouches à feu de la France (Paris, Didot, 1786-an VII, in-4).
I. Description de minerai, forges, salines, verreries des Pyré-
nées; II. Ibid., de la Haute et Basse-Alsace; III. Ibid., de la
Lorraine méridionale. — Giroud (J.-B.). Documente pour
servir à l'histoire de l'armement au Moyen âge et à la Renais-
sance (Lyon, 1895-1904, 2 vol. in-4). — Grandet (H.). Mono-
graphie d'un établtesetnent métallurgique sis à la fois en France
et en Allemagne (Chartres, 1909, in-8). — Gros (L.-B.). Histoire
économique de la métallurgie de la Loire (Saint-Etienne, 1908,
in-8). — Weyhmann (L.). Histoire de l'industrie du fer en
Lorraine (Strasbourg, 1905, in-4).
Chapitre III
LA FONTE AU COKE
En 1786, de Diétrich, commissaire du roi à la visite
des mines, rendait compte de son inspection du Creusot :
« Quatre fourneaux de 39 pieds d'élévation fondent au
Montcenis la mine de fer avec la houille désoufrée.
Quatre fourneaux à réverbère y sont ordonnés de
manière à couler des masses de 12 milliers d'un seul
jet et à rendre le fer susceptible d'être affiné avec les
coaks (charbon de terre désoufré), découverte précieuse
des Anglais qui leur aura coûté 25 ans de recherches
et dont nous recueillons les fruits aussi promptement
qu'eux-mêmes. Cinq machines à feu, maintenant en
activité à la fonderie du Creusot, servent à la fois à
extraire du sein de la terre les charbons qui les ali-
mentent, à fournir le vent aux fourneaux et à faire
mouvoir les gros marteaux des forges. L'absence des
cours d'eau qui met si souvent obstacle à l'érection
des établissements dans les lieux qui leur seraient le
plus avantageux ne s'opposera plus à la construction
des usines qui suivront ces procédés. Les glaces et
variations des eaux dans les ruisseaux et rivières qui
suspendent, pendant quatre mois de l'année, la plu-
part des manufactures à l'eau, n'arrêteront point le
58 l'industrie du fer en France
roulis de ces nouvelles fabriques, et les crues des tor-
rents n'en entraîneront plus la ruine. Les machines à
feu y feront l'office de soufflets et de forces motrices
qui auront sur les forces de l'eau l'avantage de n'être
point bornées.... Les établissements construits à l'instar
des fonderies du Montcenis remplissent le double avan
tage d'éviter les frais souvent ruineux du transrjort
des charbons et d'éviter le progrès de la dévastation
des forêts. »
L'organisation de ces nouveaux établissements était
due à l'ingénieur anglais Wilkinson. Il apportait en
France les procédés en usage dans la métallurgie
anglaise. Ils remontaient plus loin que de Diétrich ne
le supposait. Le coke avait remplacé le charbon de
bois dans les lits de fusion depuis 1735. Horn donne
la technique de l'opération, en 1780, dans son livre :
Essay concerning iron and sieel. Cinq ans plus tard,
l'invention du puddlage permit la transformation directe
et rapide de la fonte en fer et en acier; elle devait
accroître l'importance de la houille comme combus-
tible dans l'industrie du fer.
I. — LE COMBUSTIBLE MINÉRAL
A vrai dire, l'usage du charbon était ancien en
France, au moins dans les forges et dans les petites
usines de transformation. Sous le règne de François Ier,
Guillaume Paradin, doyen de Beaujeu, écrivait dans les
Annales du Lyonnais et du Beaujolais : « A Saint-Genis
de Terrenoire et à Saint -Chamond sont des mines de
bon charbon de terre; s'y sont aussi h Rive-de-Gier,
mais non en telle quantité. Est merveille de voir les
habitants de ce pays qui en sont tout noircis et par-
LA FONTE AU COKE 59
fumés qu'ils en font pour leur chauffage au lieu de
bois; dont il y a maison, leur manger, pain ni vin,
qui n'en soit tout parfumé. Mais le principal profit
qu'il en vient est des forges, au moyen de quoi est le
Gier fort fréquenté de certaines races de pauvres étran-
gers forgerons, lesquels ne demeurent guère en un lieu,
mais vont et viennent ainsi qu'oyseaux passagers »
Au xvme siècle cet usage s'était répandu dans la
métallurgie, pour tous les établissements proches des
houillères. Dans la Franche-Comté, les fenderies et les
martinets de Saint-Amour emploient un mélange de
charbon de bois et de charbon de terre. Dans les Trois -
Evêchés, les usines de Lamécourt importent le charbon
du pays de Liège. Les fenderies d'Indret, en Bretagne,
se ravitaillent de houille aux environs. Les fourneaux
d'Hayange, en Lorraine, produisent chaque mois 240
à 250 000 livres de fonte. « On y consomme en bois
de 18 à 20 mille y compris le bois qu'on mêle avec le
minerai pour en faciliter la fusion. Cette consomma-
tion prodigieuse s'élèverait à un tiers en plus, si on
ne s'était mis dans l'usage, depuis quelques années,
d'employer de la houille pour chauffer les batteries et
platineries. » En plusieurs usines du territoire, on a
tenté de remplacer le charbon de bois par le charbon
de terre pour le service des hauts fourneaux. Mais le
fer produit était de mauvaise qualité : on est revenu
au bois. « Il paraît que le charbon de terre que l'on tire
de l'intérieur du royaume est chargé de principes qui
atténuent la qualité du fer et celui que l'on ferait venir
de l'Angleterre reviendrait à un prix trop considérable
à cause de l'éloignement des ports de mer. »
Au point de vue de la production de la fonte, tout
au moins, l'année 1782, où s'allumèrent les hauts four-
neaux du Creusot, alimentés exclusivement avec du
coke, marque bien les débuts d'une révolution.
60 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
Elle fut longue à se propager en France. En 1806,
il n'existe en Angleterre que deux hauts fourneaux au
bois contre 227 au coke; à la même époque, une enquête
ministérielle constate que dans les 38 départements
français, producteurs du métal, on obtenait la fonte
au charbon de bois; et c'est aussi au bois que l'on
traitait la loupe pour la transformer en fer : le Creusot,
seul, faisait exception. Pendant de longues années, cet
établissement conserva le monopole de la nouvelle
fabrication. Pour en démontrer l'excellence, il fond,
en 1811, les lions de l'Institut avec des fontes au coke.
Cependant les usines d'Hayange n'adoptèrent les nou-
veaux procédés qu'en 1818; celles de Terrenoire, dans
la Loire, en 1822. Mais, en 1828, 13 hauts fourneaux
sont en construction dans la région de Saint-Etienne, qui
doivent employer le coke. A ce moment, les houillères
de la Loire sont en pleine activité : sur 1 172 000 tonnes
de charbon extraites dans la France entière, elles four-
nissent 550 000 tonnes. Toutefois les nouvelles fabri-
cations sont localisées, pour la plupart, au centre de
la France. En 1830, on ne comptait que 29 hauts
fourneaux au coke sur 408; en 1840, 41 sur 462; en
1896, 20 sur 591.
La routine des maîtres de forges, la difficulté de
trouver des houilles à coke au début de l'exploitation
des charbonnages et surtout la politique forestière,
imposée par les émigrés rentrés en France, retardait
la mise en œuvre des nouveaux procédés.
La métallurgie, au xvme siècle, était envisagée
comme une succession de phénomènes expérimentaux
où les déductions scientifiques trouvaient fort peu de
place. En 1856, à l'époque où Bessemer invente son
convertisseur l'acier est mal connu. Les uns l'envi-
sagent comme un carbure de fer, d'autres comme
un azocarbure de fer, d'autres encore comme un alliage
LA FONTE AU COKE 61
de fer et de carbure de fer. « On conçoit, écrit un ingé-
nieur, combien ce genre de recherches doit présenter
de difficultés. » Le titre de maître de forges, hérédi-
taire, s'acquérait sans examen. La technique relevait
plutôt du tour de main du fondeur que de la valeur
professionnelle de l'ingénieur. Ces coutumes ne s'étaient
pas modifiées au début du xixe siècle. On conçoit com-
bien il pouvait être pénible, dans ces conditions, pour
ces petites industries, très retardées, très isolées, de
changer la conduite de leur lit de fusion et de se pro-
curer le nouveau combustible, souvent éloigné du siège
de l'exploitation, et dont elles ignoraient les propriétés.
D'autre part, les premières fontes au coke, par suite
de malfaçons des métallurgistes ou par malveillance
de la clientèle, trouvaient difficilement preneurs. L'État
refusa longtemps de payer aux ingénieurs anglais
installés dans le Centre, pour diriger les nouvelles
fabrications, les primes sur « les fers à l'anglaise ».
Les consommateurs leurs reprochaient leurs nom-
breuses impuretés. Ces imputations contenaient une
part de vérité. Toutes les houilles ne sont pas propres
à la cokéfication. Seules, les houdles épaisses, à longues
flammes, peuvent fournir un bon coke pour métallurgie.
Or tous les charbonnages, même à l'heure actuelle, ne
possèdent point ces propriétés. Ces sortes spéciales font
encore défaut en France présentement. Dans les pre-
mières années du xixe siècle, les besoins étaient moins
grands; mais les quantités de houdles extraites leur
étaient inférieures. On avait débuté par exploiter les
houdles grasses pour tous les usages : foyers domes-
tiques, usines à gaz, chaudières de l'industrie, métal-
lurgie. Plus tard, grâce aux perfectionnements apportés
dans les appareils, on put utiliser les houilles demi-
grasses pour le chauffage domestique et industriel; et
dans ces dernières années, seulement, depuis l'inven-
62 l'industrie du fer en France
tion des poêles à combustion lente et des grilles per-
fectionnées pour les chaudières, on a pu employer des
charbons maigres jusqu'alors négligés et réserver les
houilles grasses pour la cokélication. 11 est donc liés
vraisemblable, qu'au début des nouvelles méthodes, les
métallurgistes, même les plus avertis, aient trouvé des
inconvénients au charbon de terre et aient retardé, le
plus longtemps possible, la suppression totale du char-
bon de bois.
Enfin, la politique économique de la Eestauration
était hostile aux importations de houille étrangère.
Héron de Villefosse, ingénieur en chef des mines, expo-
sait en 1826, à l'Académie des Sciences, que les forges
et hauts fourneaux de France brûlaient, par an, le
quart de la production des forêts nationales, soit pour
une somme de 21 millions de francs, assurant aux
propriétaires un revenu de 11 millions de francs, supé-
rieur au revenu des maîtres de forges. « Il faut con-
clure que c'est surtout au propriétaire des bois que
profite le renchérissement du fer. Ce qu'on nomme la
question du fer est à proprement parler la question
du prix des bois et des communications intérieures. »
Rentrés en France, les grands propriétaires avaient
recouvré la majeure partie de leur domaine. Ils avaient
exigé du gouvernement le maintien du régime protec-
tionniste, prohibitif, il est vrai, de l'entrée des fers
étrangers, mais qui imposait un droit de 0 fr. 55 par
tonne de houille importée. Les propriétaires français
avouaient, en 1829, que la majeure partie des forêts
resteraient sans débouché, si les usines venaient à
fermer.
Cependant la situation ne pouvait se prolonger. Le
prix de revient de la fonte au bois, estimée à 15 fr. 70
le quintal, était nettement supérieur au prix de revient
de la fonte au coke, évalué à 10 francs le quintal.
LA FONTE AU COKE 63
D'après un rapport fourni, en 1864, au ministre des
Travaux: publics, la dépense en matières premières
(combustible et minerai) représentait 82 p. 100 de la
valeur de fonte pour l'industrie marchant au bois et
74 p. 100 pour l'industrie marchant au coke. Ce ne
sont pas les traités libre-échangistes de 1860 qui cau-
sèrent le déclin de la sidérurgie française, mais bien les
lenteurs des maîtres de forges à adopter le nouveau
combustible.
Vers 1864, la substitution du combustible minéral
au combustible végétal est, en grande partie, achevée.
Si, sur 413 hauts fourneaux allumés, 143 marchent au
bois, les trois quarts de la fonte sont produits au coke,
876 000 tonnes, contre 224 000 tonnes au bois et
113 000 tonnes au coke et au bois mélangés. Dans les
statistiques, les usines sont classées en trois grandes
catégories d'après la nature du combustible dont elle
font usage.
Les usines, situées au milieu des départements les
plus boisés de l'Empire, emploient généralement le
charbon de bois; ce sont principalement : les forges
des anciennes provinces de Bretagne, de Champagne,
de Franche-Comté, du Daupliiné, du Comté de Foix.
Les établissements placés à proximité ou à peu de dis-
tance des bassins houillers ne consomment que de la
houille et du coke : ils sont localisés dans les dépar-
tements du Nord et des Ardennes et dans la région
métallurgique du Centre formée par l'Allier, le Cher,
l'Indre, la Saône-et-Loire, le Rhône, la Loire. Enfin,
les usines, dont la situation est en quelque sorte inter-
médiaire, utilisent les deux combustibles : les forges
de la Meurthe et de la Moselle en sont un exemple.
A partir de 1864, la substitution du coke au bois
fut rapide. Dès 1844; la construction des chemins de
fer, l'invention du marteau-pilon avaient donné à la
64 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
métallurgie un essor considérable. Pour satisfaire la
nouvelle clientèle, les maîtres de forges durent aug-
menter les dimensions de leurs appareils. Le nouveau
combustible se prêtait admirablement à ces modifica-
tions.
En 1865, un haut fourneau mesurait 16 mètres de
hauteur et coulait 30 à 35 tonnes de fonte par jour :
« C'est là une très forte proportion, écrivait un ingé-
nieur des mines. » Cependant, à la même époque, les
appareils du Pays de Galles rendaient le double; mais
en France ces proportions n'étaient pas encore atteintes.
En 1878, un haut fourneau de Micheville mesurait
20 mètres de hauteur, 450 mètres cubes de volume et
produisait 120 tonnes d'affinage par vingt-quatre heures.
En 1913, ces appareils ont une hauteur de 30 mètres
et sont prévus pour une production de 200 tonnes au
moins : ceux des usines de Caen sont de 350 tonnes.
Il en existe en Amérique de 600 tonnes et plus.
Par ailleurs la consommation du minerai et du com-
bustible suivait une marche parallèle. En 1865, un
fourneau au bois consommait une moyenne de 1 290 kilos
de charbon et de 2 560 kilos de minerai à 50 p. 100
de fer pour produire une tonne de fonte. En 1900 la
consommation du coke est de 1 320 kilos, celle du
minerai de 2 650 kilos ; mais les sortes employées titrent
33 p. 100 de fer.
Enfin l'augmentation de la puissance des fourneaux
était accompagnée de nombreux perfectionnements :
appareils de chauffage Cowper et Whitwell, utilisation
des gaz, chargement mécanique des lits de fusion. Le
prix de revient s'en trouvait considérablement diminué.
Par contre, toutes ces modifications ont décidé la substi-
tution d'un petit nombre de puissantes usines, possé-
dant de gros capitaux, à un grand nombre de petites
industries de faibles ressources. Elles ont amené la
LA FONTE AU COKE 65
concentration de l'industrie. En même temps que dis-
paraissait la fonte au bois, le nombre des entreprises
métallurgiques diminuait.
Dès 1867 il y avait égalité entre les deux procédés :
142 hauts fourneaux au bois contre 144 au coke. En
1901, 10 au bois contre 101 au coke; en 1913, 2 contre
131. Ces deux derniers témoins d'une industrie ancienne
ne livraient guère à la consommation qu'un millier de
tonnes par an sur les 5 207 000 tonnes formant la
production française.
Cette date peut être considérée comme le terme de
la carrière de la fonte au bois, en France tout au moins.
Cette année même, les Aciéries de la Marine et d'Homé-
court, qui s'étaient constituées un domaine forestier
de 12 000 hectares, en Corse, à proximité de gisements
ferrifères, renonçaient à cette exploitation.
Cependant, la fonte au bois est encore vivante dans
les pays dépourvus de charbonnages, mais riches en
forêts très denses : en Styrie, en Hongrie, dans l'Oural.
Des entreprises métallurgiques se fondent même actuel-
lement, basées sur l'emploi du combustible végétal.
Aux Indes, le gouvernement de Mysore, élève un haut
fourneau qui produira 20 000 tonnes de fonte par an
avec les minerais de Schimaga et le charbon des forêts
environnantes : les besoins annuels sont estimés à
100 000 tonnes. Tout dernièrement, le gouvernement
chilien a accordé à la société Krupp le droit d'élever
des hauts fourneaux dans le voisinage des mines de
Tofo et, conjointement, une concession de 345 000 acres
de forêts pour se procurer les combustibles néces-
saires.
L'Industrie du fer en France.
66 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
II. — L ÉVOLUTION DE LA TECHNIQUE
L'industrie du 1er suivit au xixe .siècle une évolu-
tion parallèle à l'industrie de la fonte. Essentiellement
forestière au début, elle s'était portée peu à peu vers
les régions houillères et pour la même raison : la
nécessité absolue de s'assurer le combustible végétal.
.Mais dans cette branche de la métallurgie, la révolu-
tion fut rapide. En 1819, les statistiques estiment la
production des fers au bois à 73 000 tonnes et celle
des fers à la houille à 1 000 tonnes. En 1864, ces chiffres
sont de 58 000 tonnes et de 706 000 tonnes : il faut
ajouter 27 000 tonnes obtenues par le mélange des
deux combustibles.
Quand on pense à la lenteur avec laquelle s'est pro-
pagé l'emploi du coke dans les hauts fourneaux, on
peut être étonné de la rapidité avec laquelle ont dis-
paru les anciens appareils, les foyers catalans et les
foyers d'affinerie. Ces progrès se comprennent aisément
si l'on songe, qu'aux environs de 1865, la dépense en
combustible, ressortait, pour le fer au bois, à 58 p. 100
de la valeur «lu produit ii ni, alors qu'il était seulement
de 14 p. 100 pour le fer à la houille. Pour l'ensemble
du territoire, le prix moyen des fers au bois était de
.3'» fr. 75 le quintal; celui des fers aux deux combus-
tibles de 39 fr. 24; celui des fers à la houille de 22 fr. 63.
Les maîtres de forges étaient naturellement amenés à
réserver le charbon de bois pour obtenir la fonte et à
utiliser le charbon de terre pour la transformer en fer.
Enfin s'ils étaient obligés à se servir de houille grasse
pour obtenir du bon coke, ils pouvaient utiliser des
qualités plus communes pour les besoins de leurs chauf-
feries.
LA FONTE AU COKE 67
Vers 1869 l'industrie était presque transformée.
Les dernières forges au bois étaient disséminées dans
les départements encore pourvus de réserves fores-
tières, privés de houillères, assez isolés pour que le prix
du transport arrêtât l'importation du charbon de terre.
Les qualités les plus recherchées venaient de Franche-
Comté et du Berry. On classait ensuite les fers du
Périgord, puis venaient ceux de Champagne, du Eous-
sillon, du Comté de Foix.
La production des fers à la houille était localisée
sur les charbonnages ou en des contrées où la circula-
tion ferrée et fluviale était assez dense pour permettre
l'importation du combustible. En 1864, le Centre
(Saône-et-Loire, Loire, Allier et Nièvre) entrait dans
les statistiques pour 215 000 tonnes. Le Creusot, à lui
seid, livrait annuellement 110 000 tonnes de produits
finis. Également placées sur les charbonnages, les usines
du Nord accusaient 106 000 tonnes; celles du Gard et
de. l'Aveyron : 77 000 tonnes. Pareillement les forges
de l'Est (Moselle, Meurthe, Meuse, Haute-Marne), situées
à proximité des voies de communications nouvelles
créées en partie à leur intention, canal de la Marne
au Rhin, canal latéral à la Marne, canal de la Marne
à la Saône, desservies par les nouvelles lignes du réseau
de l'Est, pouvaient facilement s'approvisionner en
charbon. Elles figurent dans le total général pour
99 000 tonnes. Dans l'ensemble, ces 1 1 départements
fabriquaient 544 370 tonnes de fer à la houille, soit
77 p. 100 de la production nationale.
La production atteignit 904 000 tonnes en 1869.
Elle oscilla longtemps autour de ce chiffre pour atteindre
1 073 000 tonnes en 1882, son maximum. Depuis, elle
a toujours décru; le fer a perdu sa clientèle au grand
profit de l'acier.
« L'emploi de la houille et du coke dans l'industrie
68 l'industrie du fer en France
du fer, a écrit M. d'Avenel, ne supprimait pas la vieille
hiérarcliie du travail, qui obligeait la foute, avant de
prétendre au grade supérieur d'acier, à stationner dans
l'état intermédiaire du fer. Cet échelonnement fut
aboli en 1858 par Bessemer qui inventa la promotion
directe de la fonte à l'acier... et qui démocratisa l'acier. »
L'appareil comprend essentiellement une cornue, en
forme de poire, montée sur deux pivots autour desquels
elle tourne. On charge la fonte liquide dans le conver-
tisseur et on donne le vent. La combustion des divers
éléments, carbone, silicium, manganèse, dégage telle-
ment de chaleur que l'air brûle non seulement le car-
bone en excès et les impuretés, mais brasse aussi les
matières. La durée de l'opération est de 15 à 25 minutes.
La charge varie de 15 à 25 tonnes de fonte. Le procédé
fut perfectionné à l'usine de Terrenoire, dans la Loire,
par l'incorporation de 7 kilos de manganèse pour
100 kilos de fonte. Cette innovation supprima l'acier
cassant et permit la fabrication d'un métal plus mallé-
able, mieux adapté à tous les besoins, surtout beau-
coup moins cher.
Au moment où le procédé de l'anglais Bessemer péné-
trait en France, l'ingénieur français Pierre Mari in.
ancien élève de l'École des Mines de Paris, cherchait à
industrialiser les expériences de Eéaumur. Le procédé
consiste à décarburer la fonte, non seulement en brûlant
une partie du carbone, comme dans le convertisseur,
mais en augmentant la teneur en fer par l'adjonction
de métal dans la charge. L'appareil est un four hori-
zontal, construit en briques réfractaires. Sur une
cuvette, appelée sole, on charge de la fonte liquide ou
solide, de vieilles ferrailles appelées riblons, des chutes
de fabrication fine et différents métaux, manganèse,
chrome, nickel, tungstène, vanadium, suivant les qua-
lités de l'acier à obtenir. La durée de l'opération est
LA FONTE AU COKE 69
variable. Elle peut atteindre douze heures pour les
aciers de qualité.
La rapidité des opérations dans ces deux procédés,
leur bon marché, la possibilité de produire à volonté,
comme qualité et comme quantité, le métal demandé
par la clientèle, déterminèrent un essor considérable
dans cette branche de la métallurgie. De 1861 à 1878,
la fabrication de l'acier passa de 41 000 tonnes à
312 000 tonnes, dont 283 000 tonnes obtenues au four
ou au convertisseur. Pour l'époque, ce chiffre ne pou-
vait guère être dépassé.
Les procédés Bessemer et Martin s'appliquent au
traitement des fontes contenant une proportion déter-
minée de silicium et de manganèse, mais dépourvues
de phosphore et de soufre. Or, si nos ressources sont
considérables en minerais de fer, elles sont limitées en
sortes très pures. Comme la plupart des gisements fran-
çais ne pouvaient fournir les minerais requis, les maîtres
de forges durent les importer d'Espagne, d'Italie, d'Al-
gérie. Le tonnage, aux entrées, passa de 150 000 tonnes
à 610 000 tonnes de 1864 à 1878. Ces considérations
expliquent que le procédé Bessemer devait avoir en
France un emploi restreint. En 1913, la production de
l'acier au Bessemer acide, atteignait 123 000 tonnes,
soit 2 p. 100 de la production nationale.
Il est probable que la production de l'acier serait restée
stationnaire, dans notre pays au moins, si des décou-
vertes nouvelles n'avaient permis de tirer l'acier des
foutes phosphoreuses et d'utiliser les gisements consi-
dérables de la minette lorraine et des hématites bre-
tonnes et normandes. On sait comment le moyen de
déphosphorer les fontes, grâce au revêtement basique
du convertisseur, fut réalisé par deux Anglais, Sydney
Thomas et Percy Gilchrist, qui s'étaient peut-être
inspirés de théories françaises, professées à l'Ecole
70 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
Centrale et à l'Ecole des Mines. Les deux inventeurs
cédèrent leur brevet pour la somme de 1 250 francs à
un Belge, M. Tasquin, qui le rétrocéda à MM. Schneider
et de Wendel pour la somme de 800 000 francs. Le pre-
mier convertisseur Thomas fut installé, dans les usines
du Creusot, en novembre 1879. Entre les années 1880
et 1890, l'acier conquit la prééminence sur le fer. En
1889 les charpentes de l'Exposition et de la Tour Eiffel
étaient construites en fer; en 1900 celles de l'Exposi-
tion furent montées en acier.
Mais si la fabrication de l'acier Thomas débuta dans
le Centre, elle y progressa lentement (63 000 tonnes
en 1913); c'est dans l'Est, où elle est favorisée par la
proximité de la minette, qu'elle devait prendre toute
son extension (2 133 000 tonnes en 1913).
Le four Martin suivit la même évolution. Au début,
son développement, comme pour le convertisseur, était
contrarié par la nécessité de ne consommer que des
matières premières déterminées, à l'exclusion des fontes
et des ferrailles phosphoreuses. Aussitôt après la décou-
verte de Thomas et Gilchrist, on lui appliqua une
sole basique. Cette modification lui assura un essor
remarquable. Cette fabrication atteignait 1 ôlOOOOtonnes
en 1913, 33 p. 100 de la production nationale. Le
procédé est excessivement souple. Il n'exige pas, comme
le convertisseur, une fonte de composition déterminée;
il tire partie de toutes les matières à condition de
diriger l'opération suivant leurs propriétés physiques
et chimiques. Enfin le convertisseur, économique seu-
lement pour les fortes productions, exige des stocks
importants en fonte et en charbon; le four Martin, par
contre, avec des appareils plus modestes (de 3 à
35 tonnes), convient à toutes les entreprises, même de
faible envergure. Ces considérations expliquent que des
fours Martin ont été construits dans les régions les
LA FONTE AU COKE 71
plus différentes. En 1913, 24 départements possédaient
des fours Martin, 7 seulement avaient installé des
convertisseurs.
A ce stade de son évolution, l'industrie du fer possède
en France tous les procédés nécessaires pour traiter
toutes les sortes de minerais nationaux. Mais avec le
développement de la métallurgie, l'approvisionnement
en matières premières a passé au premier rang des
préoccupations des maîtres de forges. Ces soucis ont
décidé la localisation des usines à proximité des houil-
lères ou des gisements ferrifères. L'industrie au bois,
fixée le long des rivières, était le plus souvent obligée
de recourir à de longs et coûteux charrois pour se
procurer le charbon de bois et la pierre de myne. Elle
pouvait supporter ces dépenses, parce que son rende-
ment était faible, son travail intermittent, saisonnier.
Elle s'arrêtait avec la sécheresse des cours d'eau ou
la moisson, pour reprendre avec l'étiage normal ou le
chômage. Il en va tout autrement à l'époque actuelle.
Le haut fourneau du xxe siècle est condamné à un
travail continu. Il ne peut s'éteindre qu'avec les plus
grandes précautions. Son arrêt, si court soit -il, peut
ruiner la forge et les industries qui en dérivent. Par
cela même, il exige des stocks considérables de com-
bustible et de minerai. De là, la nécessité d'installer
ces organismes puissants, mais dévorants, à proxi-
mité de l'une des deux matières premières indispen-
sable à son existence, quand il est impossible de le
fixer à la fois sur le charbon et sur le minerai.
72 L'INDUSTRIE DTJ FER EN FRANCE
III. — LES CENTRES DE L INDUSTRIE
DU FER
La localisation géographique, conséquence de l'évo-
lution technique, fut grandement facilitée par la pro-
mulgation de la loi du 9 mai 1866 qui supprimait les
enquêtes excessives et les servitudes de la loi de 1810.
Dorénavant, chacun put établir l'usine qu'il voulait,
là où il voulait, sous les conditions des règlements de
police imposées à tous les établissements dangereux.
De plus, une disposition spéciale affranchissait les
minières de la tutelle, où elle se trouvaient depuis
Colbert, au profit des métallurgies voisines. Les hauts
fourneaux et les forges ont conquis leur indépendance.
L'industrie du fer n'est plus une industrie régionale ni
même provinciale : elle devient une industrie nationale.
La circulation. — Cette révolution n'eût pu se pro-
duire si la fièvre des canaux et des voies ferrées ne
s'était, fort heureusement, abattue sur toute la France.
Le minerai de fer, le charbon, la fonte et l'acier, comme
toutes les marchandises pondéreuses, sont dans la
dépendance étroite des moyens de transport. Le calcul
de la lettre de voiture intervient sérieusement dans
l'établissement du prix de vente. Il tient compte, non
seulement du voyage de la matière première et du
produit fini, mais encore du voyage de retour qui
ramènera, à pied d' œuvre, le wagon, le cargo ou la
péniche. L'industrie du fer assure la rotation parfaite
du matériel. L'échange du minerai-charbon, qui est de
règle constante, actuellement en Amérique, sur le Rhin,
sur la côte anglaise, devait être également à l'origine
du grand essor de la sidérurgie française.
LA FONTE AU COKE 73
La multiplication des moyens de transport abaissa
les tarifs, facilita la circulation de la matière première
et de la matière ouvrée, activa les échanges, accrut
le champ commercial de la métallurgie. En 50 ans,
de 1863 à 1913, le prix de la tonne de minerai trans-
portée de Nancy à Valenciennes tomba de 13 fr. 85
à 4 fr. 37 et le tonnage total des minerais transités
sur le réseau du Nord monta de 169 000 tonnes à
2 267 000 tonnes. Par le roulage, la tonne kilométrique
était taxée à 0 fr. 30. Les nouveaux tarifs par voie
ferrée en réduisirent le prix, pour les houilles et les fers
jusqu'à 0 fr. 03 et pour les fers en barre jusqu'à 0 fr. 09.
Autant que le coke, ils déterminèrent une baisse fort
importante dans le prix de revient et le prix de vente :
ils hâtèrent la concentration de l'industrie. Les contrées
métallurgiques à physionomie compartimentée, la Bre-
tagne, la Normandie, le Comté de Foix, le Dauphiné,
demeurées en dehors de la circulation ferrée et de la
circulation fluviale, se trouvèrent dans l'impossibilité
d'écouler leur production, tandis qu'elles étaient con-
currencées par les fers nationaux qui abordaient sur
leurs confins. Les hauts fourneaux s'éteignirent.
A vrai dire, l'évolution de l'industrie du fer et
l'évolution de l'industrie des transports sont synchro-
niques. Les chemins de fer et la sidérurgie ont aidé
réciproquement au développement de leur puissance.
La matière pondéreuse, minerais, charbons, fontes et
fers, ne pouvait s'accommoder du roulage à l'époque
où elle était consommée en grandes masses. La voie
ferrée et la voie d'eau lui permirent de vivre. Mais,
par un phénomène de choc en retour, elle devint leur
plus beau client, aida leur début, assura leur avenir.
Sans doute, l'importance de la circulation dans les
Flandres et dans l'Artois ne date pas de la fonte au
coke. Avant que l'industrie n'y fît flamber ses usines,
74 l'industrie dit fer en ftcance
comme l'a écrit Vidal de la Blache, les voies romaines
unissaient la deuxième Belgique à la Germanie, Bavoy
à Cologne; elles suivaient le talus septentrional du
synclinal houiller. C'était une des grandes routes par
où l'on se rendait de la Seine au Rhin. Cependant
Valenciennes doit sa situation sur la grande ligne de
Paris-Bruxelles, à l'ancienneté, à la prospérité de son
industrie étroitement liée au voisinage des charbon-
nages. On sait que le premier morceau de houille fut
extrait à Anzin, en 1717. Semblablement, la création
d'un système de voies navigables a servi également
les intérêts d'une agriculture très perfectionnée et ceux
d'industries extractives, origine des usines métallur-
giques. La marchandise pondéreuse, le charbon et la
fonte, comme le blé, demeure leur plus beau et leur
plus fidèle client.
Dans l'Est, la connexité des deux phénomène* s'ob-
serve également. La desserte des forges décida, vers
1830, l'étude du réseau navigable : canal des Ardennes,
canal de l'Est, canal de la Marne au Rhin, canal latéral
à la Marne, canal de la Marne à la Saône. Ce réseau
contribua à l'arrivée des houilles de Belgique et du
Nord; il permit l'expédition des fontes à Chauny et à
Maubeuge, vers Paris par Saint-Dizier, vers Lyon par
G-ray; il arrêta un moment le déclin des usines cham-
penoises; il suscita l'énergie des usines lorraines. En
1879, la mise en pratique des procédés Thomas inten-
sifia la consommation des houilles : le programme de
Freycinet dut modifier le gabarit des canaux pour per-
mettre l'accès des péniches flamandes de 300 tonnes.
A une époque plus récente, l'exploitation du bassin de
Briey fut la raison principale de la prospérité des che-
mins de fer de l'Est, dont l'importance se trouvait fort
réduite à la suite du traité de Francfort. ,
Dans le Centre, nous savons que le canal du Charolais
LA FONTE AU COKE 75
(canal du Centre) est à l'origine de la fortune du Creusot.
L'ouverture du canal du Berry assura l'avenir des
industries de Montluçon, en lui permettant de se pour-
voir à bon compte de combustibles dans les bassins
voisins. La sidérurgie d'entre Loire et Rhône remédia
à la crise du minerai par la création de la ligne de Saint -
Etienne à Andrézieux, bientôt suivie de celle de Saint-
Etienne à Lyon. La première section, construite avec
des rails en fonte, fut ouverte le 1er octobre 1828.
C'était le premier chemin de fer français. Actuellement,
cette ligne dessert encore 11 établissements métallur-
giques qui comptent parmi les plus importants et les
plus actifs de la sidérurgie nationale. A vrai dire, le pro-
blème de la circulation n'a jamais cessé de préoccuper
nos maîtres de forges. Il est devenu plus impérieux
avec les progrès de la technique et la nécessité de
constituer des stocks de minerais et de charbon. L'un
d'eux, Paulin Talabot, fondateur de la Société de Fir-
miny, était en même temps administrateur des houil-
lères de Grand-Combe, administrateur des mines de
fer de la Voulte dans l'Ardèche, du Mokta-el-Hadid
en Algérie, directeur des chemins de fer du P.-L:-M.,
de la Société d'études du canal de Suez. Il contrôlait
plusieurs lignes maritimes dans le bassin de la Médi-
terranée.
A l'époque de la fonte au bois, les communications,
mal reliées entre elles, obéissaient surtout à des rap-
ports locaux : les forges demeuraient isolées. A l'époque
de la fonte au coke, les communications font partie
d'un système; elles suscitent des initiatives en entre-
tenant les relations; elles créent des industries, les con-
centrent, les localisent. Quand elles font défaut, il faut
les établir. Sans elles l'industrie du fer ne peut vivre
ni prospérer.
76 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
lo LES INDUSTRIES SUR LE CHARBON
A. Le Centre (Allier, Cher, Indre, Nièvre, Saône-
et-Loire, Rhône, Loire). -- Dans une région où le
minerai de fer manque complètement, l'établissement
des hauts fourneaux ne peut remonter très loin dans
le passé. Si les usines de transformation, la clouterie,
la coutellerie, la serrurerie, l'armurerie sont prospères
autour de Saint-Etienne, dès le XVe siècle, on n'y
trouve aucune trace de la fabrication de la fonte,
alors que celle-ci est particulièrement vivace sur les
confins du Massif central, en Berry, en Champagne, en
Franche-Comté. A l'inverse de ce qui a lieu dans la
plupart des régions métallurgiques, l'industrie du fer
ne débute pas par le traitement direct des minerais
au bas foyer, mais elle applique dès l'origine les méthodes
perfectionnées, n'exigeant que l'emploi de la houille.
Il faut remonter jusqu'à l'introduction des procédés
anglais en France, pour que se créent, dans le Centre,
de véritables usines métallurgiques comprenant des
hauts fourneaux. Mais elles s'y développèrent rapide-
ment grâce à une population habile depuis longtemps
à manier le fer et admirablement préparée pour toutes
les opérations de la fabrication nouvelle, — grâce
surtout aux mines de houille de la région, Saint-Etienne.
Rive-de-Gier, Commentry, Bezenet, Blangy, Epinac
dans lesquelles les maîtres de forges puisèrent sans
compter. C'est autour de ces charbonnages que sont
encore groupées les usines les plus importantes du
Centre. Principalement la voie ferrée qui traverse le
bassin houiller de Saint-Étienne est bordée par des
hauts fourneaux et des aciéries, renommées pour
l'élaboration des produits de qualité (fig. 2).
La situation était beaucoup moins favorable pour
LA FONTE AU COKE
77
78 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
constituer les stocks de minerai; l'histoire de la métal»
hirgie du Centre, dans le dernier siècle, est l'histoire de
ses efforts pour parer à ce déficit. Au début des hauts
fourneaux marchant au coke, les quelques gisements
locaux ont pu suffire. Les oolithes ferrugineuses du
callovien à Stenay et à Vandeuvre dans la Nièvre,
les minerais en grain du jurassique dans le Cher, ont
alimenté les forges et de Montluçon et du Creusot. Plus
tard, quand les frères Schneider, après la troisième
liquidation, prirent la direction de cette affaire, les
minerais hettangiens de Change et de Mazenay, situés
à plus de 20 kilomètres des fourneaux, fournirent la
majeure partie de la matière première. Ces transports
eussent été trop onéreux sans les chemins de fer,
nouvellement construits et qui sauvèrent l'usine.
Le groupe de la région de Saint -Etienne était plus
dépourvu encore. La sidérite sphérolithique de Firminy
était peu abondante et les lits de fer carbonates inter-
st ratifiés dans les couches de houille au Treuil, près de
Roanne, furent rapidement épuisés. Les ingénieurs des
mines signalent que la crise dont souffre l'industrie de
Saint-Etienne, en 1830, est toute locale et imputable
au manque de minerai et non au manque de débou-
chés qui sont « considérables : câbles en fer, tôles pour
la marine, canalisations en fonte pour les usines à gaz,
nouveaux moyens de roulage à larges bandes de fer ».
De plus, les minerais des environs sont bitumineux, ou
phosphoreux ou fort pauvres, titrant à peine 33 p. 100
de fer. Pour les corriger el améliorer les lits de fusion,
les maîtres de forges doivent recourir aux hématites
riches de la Youlte, dans l'Ardèche, aux minerais piso-
lithiques, pauvres, mais purs, d'Autrey et de Cray dans
la Haute-Saône, de Mâcon et de Tournus en 'Saône-
et-Loire. A cette époque, pour produire une tonne de
fonte, les hauts fourneaux de Terrenoire consomment :
LA FONTE AU COKE 79
Minerai :
1 tonne d'hématite de la Voulte à 25 fr. i
2 500 kilos de scories ou de minerai / 47 fr. 50
à 33 p. ion de fer. 22 fr. 50. )
Coke : 1 500 kilos à 10 francs la tonne. . 15 fr.
Castine : 000 kilos à 12 fr. 50 la tonne. . 7 fr. 50
Houille : 500 kilos à 5 francs la tonne. . 2 fr. 50
Main-d'œuvre 10 fr. »
Frais généraux 18 fr. »
Total 100 fr. 50
Le prix de revient du fer puddlé ressort à 210 fr. 50
la tonne. Le prix du minerai entrait pour 47,50 p. 100
dans le prix de revient de la fonte; pour 22,3 p. 100
dans celui du fer.
Pour s'assurer leurs approvisionnements, les maîtres
de forges se font mineurs, comme aux siècles précé-
dents ils étaient forestiers. Les forges de Terrenoire,
dans la Loire, se réunissent aux houillères de Bessèges,
dans le Gard, et aux mines de fer de la Voulte, dans
l'Ardèche. Une même administration contrôle les forges
et hauts fourneaux de l'Horme et la Buire dans la
Loire, les houillères de Saint-Julien-en-Jarez dans la
Loire, les mines de fer de Veyras dans l'Ardèche.
Par ailleurs, le déficit en minerai détermina les
métallurgistes à transformer leur outillage et leur
méthode de travail, à se consacrer à la fabrication de
produits où l'importance de la matière première est
compensée par la perfection du machinisme.
Si actif qu'eût été le travail du fer, dans la région,
à l'époque de la fonte au bois, il était encore, à la fin
du xvme siècle, très primitif. L'étirage du canon de
fusil, tel qu'on le pratiquait depuis longtemps à Liège,
fut appliqué eu France, pour la première fois, en 1789.
< 'c lut la cause d'une diminution de main-d'œuvre et
l'origine d'une révolution locale. Les machines-outils
étaient à peu près inconnues. On considérait comme
80 i/lNDUSTRIE DU FER EN FRANCE
une merveille une machine qui perçait à la fois onze trous
dans le corps de platine : le tour à canon, le banc de
forerie apparaissent seulement avec les premières cam-
pagnes de la Révolution. L'étau et la lime ouvraient
seuls le fer et la fonte, dans les ateliers des forges.
Dès l'adoption de la fonte au coke, la transforma-
tion fut rapide. Au commencement du xixe siècle, les
aciers fins utilisés en France venaient en majeure
partie d'Angleterre, les aciers naturels, les aciers cémentés
produits dans les forges de Champagne, du Berry, de
la Franche-Comté, du Comté de Foix ne pouvaient
lutter avec les aciers anglais. On considérait comme
une rareté les métaux d'excellente qualité pouvant
prendre la trempe : leur prix était de 1 fr. 25 la livre
en Angleterre, de 8 à 12 francs en France; encore, pour
les écouler, devait-on les vendre sous des marques
anglaises. Ces aciers étaient obtenus, en Angleterre,
par la fusion au creuset, inventée en 1740 par l'horloger
Huntsmann; ils avaient fait la fortune de Sheffield.
Un ouvrier anglais, Jackson, inaugura cette fabrication
en 1810, près du Chambon-Feugerolles. Dix ans plus
tard, des ingénieurs anglais construisent, dans la Loire,
la première forge anglaise pour l'affinage de la fonte.
En 1840, dans leurs ateliers de Rive-de-Gier, Petin
et Gaudet édifient le premier marteau-pilon pour l'usi-
nage des grosses pièces. La masse initiale de 250 kilos
atteignit rapidement 1 tonne. Cet appared devint rapi-
dement l'outil par excellence des ateliers. Il permit
de satisfaire à toutes les commandes de l'armement;
d fut une des sources de la fortune et de la gloire des
grandes métallurgies du Centre.
Semblablement, le Centre n'hésite point à adopter
les procédés de production de l'acier, en grandes ma
au convertisseur. Les usines de Saint-Chamond et de
Terrenoire installent, dès leur invention, les premiers
LA FONTE AU COKE 81
appareils Bessemer; elles le perfectionnent; elles rem-
placent progressivement le fer par l'acier dans de
nombreuses applications, en particulier pour la fabri-
cation des rails. Simultanément, les usines de Firminy
construisent les premiers fours Martin. La métallurgie
aborde la production des moulages d'acier et des aciers
spéciaux par adjonction de métaux propres à lui donner
les qualités requises dans les emplois les plus divers.
Toutes ces transformations nécessitaient de forts
capitaux. Elles étaient impossibles pour de petits éta-
blissements. Ils étaient condamnés à disparaître. Les
maîtres de forges réunissent leurs moyens d'action
pour fonder des associations, qui sont le plus souvent
l'origine des puissantes sociétés métallurgiques de
l'époque actuelle. Ainsi la Société des Aciéries de la
Marine et d'Homécourt remonte à la réunion de Saint-
Chamond aux établissements Jackson, Petin et Gaudet,
Neyrand, Thiollière, Bergeron, Parent, Goldsmith.
Cette période fut particulièrement brillante pour
l'industrie du Centre. Elle se poursuit jusqu'en 187(3.
A cette date la région compte 42 hauts fourneaux;
elle produit 402 000 tonnes de fonte, soit plus de
25 p. 100 de la production nationale, et 158 000 tonnes
de fer et d'acier, soit plus de 26 p. 100 du total. Sur un
effectif de 50 000 ouvriers métallurgistes pour la France
entière, elle en possédait 17 000, soit environ un tiers!
Mais la crise du minerai devait se faire sentir une
deuxième fois. Vers 1876, les gisements locaux ou voi-
sins s'épuisent. Les tonnages disponibles, qui compren-
nent des minerais très impurs, se prêtent mal à la fabri-
cation du convertisseur Bessemer et du four Martin,
grands consommateurs de sortes très pures. Ils sont
surtout impropres à l'élaboration des fontes de choix
et des aciers spéciaux, exigés par la clientèle, les che
L'Industrie du fer en France. 6
82 l'industrie du fer en France
mins de fer principalement. Les maîtres de forges
furent obligés d'importer du dehors les qualités qui
leur manquaient sur place. Allevard, dans l'Isère,
fournit au Creusot, de 1878 à 1892, environ 1 million
de tonnes de carbonates. Les gisements des Pyrénées
expédient dans le Centre leurs hématites sans phos-
phore; ceux du Mokta-el-Hadid, en Algérie, deviennent
les pourvoyeurs des hauts fourneaux de la Loire, dès
l'ouverture des lignes du chemin de fer de Paris à Lyon
et à la Méditerranée. Enfin les célèbres gisements de
Bilbao, en Espagne, exportent en France une forte
partie de leur production, très disputée par ailleurs en
Angleterre, en Allemagne et en Belgique, car leurs
minerais très riches, très purs, nianganétiques, sont
éminemment propres aux aciéries Bessemer.
Malheureusement le prix du transport sur mer et
sur terre grevait lourdement le minerai. Il était relati-
vement facile de diminuer ces frais en installant des
usines sur le littoral où Ion pouvait recevoir des char-
bons étrangers avec des frets réduits. De cette concep-
tion naquirent les usines de Beaucaire, près du littoral
méditerranéen, du Boucau sur l'Océan, d'Isbergues
dans le Pas-de-Calais, cette dernière travaillant avec
des charbons nationaux. Sans être situés sur le minerai,
ces établissements ont cependant été construits pour
se rapprocher du minerai. Comme tels ils font partie
des métallurgies sur le minerai et nous les étudierons
à la suite de la sidérurgie de l'Est. Xous les avons
cependant mentionnés à cette place parce qu'ils déri-
vent de l'activité du Centre, qui les contrôle le plus
souvent. D'autre part les usines littorales, utilisant des
minerais très chers, ne peuvent se consacrer à la fabri-
cation des produits marchands, les rails, les tôles; ils
n'élaborent que des produits finis et constituent des
établissements rivaux de l'industrie de la Loire.
LA FONTE AU COKE 83
Un autre coup plus terrible devait lui être porté
par la mise en pratique des procédés Thomas et Gil-
christ. Ce fut la troisième crise : comme les deux pre-
mières, elle a son origine dans une question de minerai.
Favorisés par les gisements considérables de la minette
lorraine, situés à pied-d' œuvre, et dont le prix de revient
au gueulard du haut fourneau ne dépasse pas 3 francs
la tonne, les maîtres de forges lorrains pouvaient livrer
la fonte brute à 58 francs la tonne, tandis que le Creusot
la fournissait à 65 francs. En 1885, la tonne de rail
était tombée à 150 francs contre 350 francs en 1868.
La mise en oeuvre des méthodes de déphosphoration
provoqua l'émigration des gros produits vers l'Est. Le
Centre manquait de minerais phosphoreux pour pou-
voir lutter.
Il était également désavantagé sous le rapport du
combustible. Les charbonnages situés aux environs du
Creusot étaient proches de l'épuisement : 350 mineurs
y travaillaient en 1885 contre 1 694 en 1869; la Société
avait été obligée d'acheter les houillères plus éloignées
à Decize et à Montchanin. Dans le bassin de Saint-
Etienne, le tonnage disponible était encore suffisant,
mais les maîtres de forges se trouvaient défavorisés
par le prix élevé du charbon, conséquence de l'allure
géologique des gîtes, des failles et des venues d'eau.
En 1913, le prix atteignait 23 francs la tonne; ce qui
permettait au Cardin' de venir le concurrencer sur
place. Quant au coke, dont le tonnage produit est
faible, son prix est supérieur à celui des mines du Nord,
et celles-ci, malgré les frais du transport, arrivent à
écouler le leur jusqu'à Montluçon. N'était leur ancien-
neté dans l'industrie, les usines du Centre présente-
raient un paradoxe économique. Elles constituent une
sorte d'industrie artificielle, indépendante des matières
premières qu'elles élaborent, sans racine dans le sol
84 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
où la tradition et la main-d'œuvre les maintiennent
fixées.
Dans cette nouvelle crise, les métallurgistes donnèrent
encore une preuve de décision. Ils délaissèrent la fabri-
cation qu'ils avaient créée 50 ans auparavant. Les
profilés, les tôles furent abandonnées aux métallurgies
de l'Est. Plusieurs hauts fourneaux s'éteignirent. En
1913, le Centre ne produit plus que 186 000 tonnes
de fonte, soit 3,7 p. 100 de la production française;
encore cette production est-elle presque localisée en
Saône-et-Loire, relativement proche de Meurthe-et-
Moselle. Il réserve ses houilles au travail de la fonte en
gueuse ou d'acier en lingot, venus du dehors. En 1899,
le Creusot a travaillé 168 000 tonnes de fonte dont
100 000 tonnes avaient été élaborées par les hauts
fourneaux locaux; le reste venait de l'Est. Les usines
d'Unieux affinaient dans leurs aciéries de la Loire les
fontes très pures obtenues avec du charbon de bois,
dans les petites usines des Landes et des Pyrénées-
Orientales. Les établissements de Montluçon recevaient
leurs fontes du littoral (Pauillac et Saint-Nazaire), de
FAriège (Foix), de Meurthe-et-Moselle (Neuves-Maisons).
Mais ce sont surtout les hauts fourneaux de l'Est qui
sont les pourvoyeurs des forges du Centre. Et comme
les métallurgistes s'étaient, les premiers, intéressés aux
usines littorales pour diminuer le prix de revient du
minerai, ils furent amenés à contrôler des mines et
des hauts fourneaux dans l'Est pour s'assurer des
fontes à bon marché. Châtillon-Commentry essaima à
Neuves-Maisons, Saint-Chamond à Homécourt, le
Creusot à Droitaumont.
Pour faire face au péril grandissant, les métallurgies
du Centre ont compris la nécessité de changer de
clientèle et de spécialiser leur fabrication dans l'éla-
boration de produits de qualité supérieure. En 1913,
LA FONTE AU COKE 85
la tonne d'acier marchand se vendait 136 francs. Pour
cette fabrication, le Centre, où la fonte revenait à
65 francs la tonne, ne pouvait lutter avec l'Est où la
fonte coûtait 58 francs; mais il gardait toute sa supé-
riorité pour les aciers spéciaux, les plaques de blindage
vendues 1 600 francs la tonne, les locomotives vendues
1 800 francs la tonne, et généralement pour tous les
produits où l'importance de la matière première est
vite compensée par l'habileté de la main-d'œuvre et
la perfection de l'outillage. Les procédés mécaniques
reçurent une grande extension. A côté des pilons de
100 tonnes, qui se répandent de plus en plus, la puis-
sance des presses à forger atteint et dépasse 8 000 tonnes,
pour pouvoir aborder la fabrication de certaines pièces
d'armement et de cuirassement. Les laminoirs, les tours,
les machines à raboter, à découper, à cisailler, sont
établis avec des dimensions proportionnées.
Simultanément, nos ingénieurs entreprenaient une
série d'études qui avait pour but de fixer les propriétés
chimiques et physiques du minerai et de ses différents
constituants. L'analyse chimique du minerai, les essais
mécaniques opérant par traction ou par flexion, plus
tard l'examen microscopique ont constitué un corps
de doctrine qui fixe indiscutablement les métallur-
gistes sur la pureté de la matière première et les qua-
lités du métal obtenu. Actuellement tous les grands
établissements du Centre possèdent un laboratoire qui
leur a permis de transformer la métallurgie des pro-
duits militaires, d'entreprendre des fabrications qui
eussent paru téméraires si elles n'avaient été précédées
d'études scientifiques et de créer des aciers spéciaux,
qui répondent à toutes les demandes d'industries tou-
jours plus exigeantes. M. Laurent a pu dire que dans le
Nord et dans l'Est, c'est le haut fourneau qui donne
la vie à l'usine; dans le Centre, c'est le laboratoire.
86 L'TN'nrPTRTE T)V FER EX FRANCE
La fabrication du Centre comprend donc, en général,
tous les produits qui demandent une étude prélimi-
naire très complète, des appareils et des procédés méca-
niques perfectionnés, les soins d'une main-d'œuvre très
avertie. Seul, on presque seul, le Creusot conserve, dans
la région, la fabrication des produits courants obtenus
avec l'acier Thomas. A cette exception près, la produc-
tion du ("entre comprend des aciers marchands de
bonne qualité et des aciers spéciaux. Les premiers
comprennent : les bandages, les essieux, les profilés pour
les chemins de fer; les pièces de forges, les arbres coudés,
les étambots, les hélices pour les constructions navales;
les tôles, les pièces de volant, les châssis pour la chau-
dronnerie et le machinisme; les ressorts de toute nature
pour choc, traction et suspension; les tréfileries pour
câbles en acier et cordes à pianos. Les aciers spéciaux
comportent les qualités les plus diverses suivant les
corps étrangers qui y sont incorporés. Ils trouvent
leur application : dans l'armement, pour l'élaboration
des obus de rupture, des canons, des éléments d'affût,
des plaques de blindage; dans les appareil- électriques
et de mesure, pour les pièces qui doivent demeurer
insensibles aux courants et à la chaleur; dans l'avia-
tion et l'automobile, pour les frottements et les direc-
tions; dans les outils et les machines-outils, pour les
appareils qui doivent supporter toutes les tempéra-
tures sans se détremper.
Sans doute, le tonnage produit est relativement
faible; mais sa valeur absolue est fort comparable à
la valeur de la production des deux autres groupes
métallurgiques : le Nord et l'Est. En 1912, la pro-
duction du Centre a atteint 437 000 tonnes valant
165 millions de Francs, contre 1 425 000 tonnes valant
235 millions de francs, dans l'Est, et 1 042 000 tonnes
valant 215 millions de francs, dans le Xord.
LA FONTE AU COKE 87
B. Le Nord (Nord, Pas-de-Calais, Oise, Seine). —
La région du Nord comprend dans' les statistiques
quatre départements; mais en réalité elle est étroite-
ment localisée dans les deux premiers qui livrent les
neuf dixièmes de la production. Sans doute, la Seine
avec les usines sidérurgiques échelonnées le long du
canal Saint-Martin, l'Oise avec les centres métallur-
giques de Creil et de Persan-Beaumont contiennent
des usines de transformation fort intéressantes; mais,
en dernier ressort, c'est surtout le bassin houiller du
Nord et du Pas-de-Calais qui concentre les hauts four-
neaux et les aciéries (fig. 3).
L'industrie du Nord est donc uniquement fondée sur
l'emploi du charbon; car elle est complètement dépour-
vue de minerai dans ses environs immédiats. Au début
du xixe siècle, les seuls minerais connus dans la région,
se trouvaient dans les environs d'Avesnes et de Mau-
beuge; c'étaient des sortes très pauvres. Par contre,
l'industrie houillère du Nord et du Pas-de-Calais pro-
duisait à pied-d' œuvre, en 1913, 28 millions de tonnes
de charbon et 2 500 000 tonnes de coke, représentant
respectivement 72 p. 100 et 93 p. 100 de la production
française. Avant la guerre, la métallurgie régionale se
procurait sans difficulté, les 900 000 tonnes de houille
et les 800 000 tonnes de coke qui lui étaient nécessaires.
( 'ependant, dans le Nord plus que dans le Centre,
la fonte au coke fut longue à se substituer à la fonte
au bois.
Sans doute, la découverte de la houille au xvme siècle
avait suscité la prospérité des clouteries, des quin-
cailleries, des coutelleries, des armureries de Valen-
ciennes, de Maubeuge, de Lille, de Douai; mais la
plus grande partie du métal traité provenait, comme
par le passé, des hauts fourneaux et des forges du pays
de Liège et subsidiaire nient des forges catalanes éta-
88
L INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
LA FONTE AU COKE 89
blies sur les minerais pauvres des environs d'Avesnes.
A la veille de la Eévolution, les fontes françaises,
faute de protection, ne pouvaient lutter contre les
fontes liégeoises et il ne restait plus, dans le Nord,
que deux hauts fourneaux en activité : à Hayon et
;'i Pourmies. A cette époque, dans le Nord, comme
dans le Centre, la houille était réservée aux industries
de transformation.
C'est d'abord dans la fabrication du fer que le char-
bon fut utilisé. Ce ne fut pas le coke, mais bien le
puddlage qui détermina l'essor de la métallurgie locale.
Le premier atelier fut établi en 1824, à Raismes, pour
transformer, par les procédés anglais, les fontes de
Liège pour l'usage d'une clouterie voisine. Et c'est
sevdement en 1830 que fut construit le premier haut
fourneau au coke qui produisait, par jour, 8 à 10 tonnes
de fonte destinées aux forges régionales. Les cokes pro-
venaient du Borinage. A cette époque, les trois hauts
fourneaux en activité dans le Nord, l'un à Fourmies,
les deux autres à Hayon, marchaient au charbon de
bois. Ces quatre appareils livraient par an 4 200 tonnes
de fonte, insuffisantes pour l'élaboration du fer. Les
fontes belges et même quelques fontes bretonnes au
bois étaient importées pour alimenter les forges de
la contrée.
Longtemps, dans le Nord, l'établissement de la forge
précéda celle des hauts foiirneaux. En 1842, la compa-
gnie belge, la Providence, s'établit à Hautmont où elle
installa des forges et laminoirs; ce n'est que trois ans
plus tard qu'elle édifia ses trois hauts fourneaux, mar-
chant avec du coke belge; le premier fut inauguré en
1847. Dans les dix dernières années qui précédèrent
la dernière guerre, les sociétés métallurgiques déve-
loppaient encore plus rapidement leurs aciéries que
leurs hauts fourneaux. C'est là une des caractéris-
90 L'INDUSTRIE BTT FER EN FRANCE
tiques les plus frappantes de l'industrie du Nord. Alors
que dans l'Est, l'usine type est la grosse usine fonc-
tion du haut fourneau, on trouve dans le Nord de
nombreuses aciéries sans haut fourneau ou des lami-
noirs sans aciéries, ainsi que quantité de petites usines
vivant de certaines spécialités. C'est une survivance
de l'époque où la métallurgie vivait, disséminée dans
une infinité de petits ateliers, au domicile des ouvriers.
Malgré la richesse de son bassin houiller, le groupe
du Nord fut donc très lent à adopter la foute au coke.
Les métallurgistes attendaient pour s'engager que les
nouveaux procédés eussent fait leur preuve. Cependant,
le développement intensif de la population, la prospé-
rité des industries consommatrices de fer et d'acier,
l'excellence de la circulation terrestre et des voies navi-
gables, poussaient les maîtres de forges dans la voie
de la fonte au coke, seule capable de produire à bon
marché les quantités de métal requises par une clien-
tèle chaque jour plus exigeante. En 1837, 55 ans après
le Creusot, la Société de Denain et Anzin allume
les premiers hauts fourneaux du Nord, établie
sur les charbonnages locaux. Désormais la presque
totalité de la fonte sera produite avec le combustible
minéral. En 1860, la transformation est complète. Le
Nord a tout à fait renoncé au combustible végétal,
alors qu'en France il avait encore ses partisans con-
vaincus. D'autre part, l'excellence des nouveaux appa-
reils une fois reconnue, leur capacité avait été réso-
lument agrandie. Leur production journalière, com-
prise entre 20 et 25 tonnes, était beaucoup plus impor-
tante que dans les autres centres métallurgiques. Aussi
la production du Nord et du Pas-de-Calais, qui attei-
gnait seulement 8 p. 100 de l'ensemble du territoire
en 1870, montait à 15 p. 100 en 1867, proportion qui
ne devait guère varier.
LA PONTE ATT COKE 91
Ce développement rapide imposait un effort paral-
lèle pour assurer les approvisionnements de minerai.
Dans le Pas-de-Calais la découverte de minières aux
environs de Marquise, avait suscité l'installation de deux
hauts fourneaux. Dans le département du Nord, les
tonnages les plus forts provenaient des gisements
d'Avesnes et de Maubeuge qui fournissaient des qua-
lités pauvres, titrant de 34 à 37 p. 100 de fer, très
siliceuses et qui nécessitaient un débourbage. Ils s'épui-
sèrent très vite. On dut recourir aux gisements de la
Haute-Marne, de la Meurthe, de la Moselle, du Luxem-
bourg. Enfin, pour améliorer les lits du fusion, on
résolut d'importer des qualités plus pures et plus riches
de Diélette dans la Manche, du Cumberland en Angle-
terre, de Bilbao en Espagne, du Mokta-el-Hadid en
Algérie. La proximité du littoral, l'abondance des voies
de transport facilitaient ce transit. Aussi plusieurs indus-
triels du Nord n'hésitaient pas à acquérir des mines
en Espagne, autour de Samorostro notamment.
Une deuxième phase de l'évolution s'ouvre avec
l'adoption des convertisseurs et des fours. Les succès
rapides, obtenus par la métallurgie du Nord dans la
fabrication du fer, expliquent son retard à passer au
stade de l'acier. Malgré l'exemple du Centre, malgré
les commandes nombreuses en rails d'acier, malgré la
faculté de recevoir à bon compte les minerais purs,
les maîtres de forges, fidèles à leur tactique prudente,
attendent la complète mise au point des procédés Bes-
semer et Martin pour en faire usage.
En 1880, la production de l'acier atteint avec peine
43 000 tonnes; celle du fer dépasse 285 000 tonnes.
Elle a atteint son maximum, tandis que l'acier com-
mence sa carrière. Les travaux projetés par le pro-
gramme de Freycinet, les perfectionnements apportés
92 l'industrtk du fer en rn.\s'CE
aux convertisseurs ei aux fours, l'apparition du pro-
cédé Thomas devaient décider le groupe du Xord à
modifier les bases de son industrie. Il se lança dans
cette nouvelle branche de la métallurgie avec la même
ardeur dont il avait fait preuve, 45 ans auparavant,
en adoptant la fonte au coke.
Le procédé Bessemer eut d'abord la faveur des métal-
lurgistes. Elle leur permit de traverser la crise de 1883,
au moment où les réductions apportées au programme
de Freycinet rendait la concurrence d'autant plus âpre
que les offres dépassaient la demande. En 1889, en
pleine bataille économique, les départements du Xord
et du Pas-de-Calais livrent 159 000 tonnes d'acier dont
145 000 tonnes de rails, soit 41 p. 100 de la production
française. Cependant l'abondance des riblons dans cette
région fortement industrialisée, l'importance prise par
les aciers doux, la baisse des commandes de rails favo-
risèrent l'acier Martin. L'acier Bessemer supportait dif-
ficilement cette concurrence. Les derniers coups lui
furent portés par l'acier Thomas, dont les prix de
revient, beaucoup moindres, convenaient mieux aux
produits marchands. En 1912, la production de l'acier
Bessemer était descendue à 36 000 tonnes ; celle de
l'acier Martin montait à 443 000 tonnes, soit 30 p. 100
de la production française; celle de l'acier Thomas à
522 000 tonnes, soit 18 p. 100. La sidérurgie du Xord
n'emploie ni les fours électriques, ni les creusets d'un
usage courant dans le Centre.
Il semble que l'acier Thomas soit appelé à devenir
la principale fabrication de la région. Les canaux et
les chemins de fer favorisent l'échange des cokes du
Xord contre les minettes calcaires de la Lorraine. Elles
seront associées dans les lits de fusion avec les héma-
tites et les carbonates grillés de Xormandie, plus riches,
mais siliceux, avec les résidus de grillage des pyrites
LA FONTE AU COKE 93
fournis par les industries chimiques de la région, avec
les scories du puddlage, avec les minerais mangané-
tiques venus par mer des Indes, du Brésil, de Russie.
Avant la guerre, 8 hauts fourneaux étaient en cons-
truction qui devaient se livrer à cette fabrication et
on estimait à 1 million de tonnes l'accroissement de la
quantité de fonte à prévoir pour 1920. Dans le Centre,
le procédé Thomas a ruiné le haut fourneau et donné
la prééminence à la forge; dans l'Est, il a décidé la
fortune du bassin ferrif ère ; dans le Nord, il a contribué
à l'augmentation de la puissance de l'industrie en la
dirigeant dans une nouvelle voie. De 1880 à 1913, le
nombre des établissements sidérurgiques du Nord et
du Pas-de-Calais s'est élevé de 29 à 35, alors que le
tonnage des produits finis passait de 329 000 tonnes à
1 280 000 tonnes.
Le développement rapide de l'industrie dans le passé,
sa prospérité solidement établie dans le présent, la
provision de tonnages plus forts dans l'avenir ont
décidé la tactique minière des industriels du Nord.
Les gisements d'Avesnes et de Maubeuge ont été
rapidement épuisés; ceux du Boulonnais livrent un très
faible tonnage, et encore par intermittence; les amas
de sphérosi dérite de la haute Deule ont déçu toutes
les espérances. Pour le moment, les hauts fourneaux
du Nord, en dehors des sortes pures provenant de
Normandie, d'Espagne, de .Suède, sont alimentés pour la
plus grande partie de minettes lorraines : 1 200000 tonnes
en 1913, moitié du bassin de Longwy, moitié du bassin
de Briey. Mais, prévoyants de l'avenir, désireux de
posséder des gisements ferrifères, les maîtres de forges
du Nord se sont intéressés depuis 50 ans dans toute
les prospections qui ont parcouru la France.
Ils ont demandé et obtenu des concessions soit seuls,
soit en participation dans les bassins de Longwy et
94 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
de Nancy. Ils ont acheté des périmètres en Normandie,
dans le synclinal de la Ferrière-aux-Etangs principa-
lement. Ils ont fait des recherches en Anjou et en
Bretagne où ils se sont réservés des parts de l'extraction
autour de Châteaubriant et de Segré. Foui" assurer des
minerais purs à leurs aciéries ils sont entrés dans le
consortium de l'Ouenza en Algérie; ils ont été parmi
les créateurs de la Société métallurgique et minière
franco-marocaine; ils possèdent une part des mines de
Samorostro et la totalité de celles de Héras-Santander
en Espagne.
Il peut paraître étrange que les mêmes efforts aient
été tentés pour le combustible. Le mépris du superflu,
mais la crainte de manquer du nécessaire sont les traits
dominants du caractère industriel dans le Nord. De
même que les établissements dénaturateurs ont cherché
à s'assurer, par de longs contrats, leurs approvision-
nements en acier et en fer, les forges et les hauts four-
neaux ont acquis les charbonnages indispensables à
leur existence. C'était une nécessité impérieuse. A
l'avènement de la grande métallurgie dans le Nord,
toutes les bonnes places étaient prises sur la houille.
Aucune société houillère ne songeait à fusionner avec
une société métallurgique. Cette opération, si fréquente
en Allemagne, ne présente en France qu'un seul exemple :
celui des charbonnages de Lens faisant cause commune
avecla Société de Commentry-Fourchambault et Decaze-
ville pour créer les hauts fourneaux et les forges de
Pont-à-Vendin. Aussi l'idée d'acquérir des charbon-
nages devait-il venir naturellement avec le développe-
ment industriel. La Société de Denain-Anzin fut la
première à suivre cette poli tique; elle racheta, en 1905,
les mines d'Azincourt. Par la suite, les aciéries s'in-
téressèrent aux recherches effectuées dans le sud du
Pas-de-Calais, à Fresnois, à Ablain-Saint-Nazaire; dans
LA FONTE AU COKE 95
le Nord, à Marly, près de Valenciennes ; à Maubeuge,
sur le prolongement du bassin belge du Hainaut;
dans la Cainpine, à Beeringen et à Limbourg-
Meuse.
Alimentée par les minerais riches de Normandie,
d'Espagne, d'Algérie, de Suède, d'une part, et par les
minerais pauvres de Meurthe-et-Moselle d'autre part,
la métallurgie du Nord, à la veille de la guerre, était
une industrie hybride. Elle participait à la fois de
l'industrie du Centre par ses aciers Martin et de l'in-
dustrie de l'Est par ses aciers Thomas. Dans la pre-
mière catégorie, le Nord livre des produits finis :
éléments de machines, chaînes, étambots, mais aussi
la petite quincaillerie : clous, vis, boulons, tirefonds,
ressorts. Pour les laminés, les tôles, les larges-plat, il
domine le Centre et dépasse nettement le reste de la
France. Dans la seconde catégorie, il fabrique des rails,
des poutrelles et des aciers marchands; il arrive der-
rière l'Est. Il utilise l'acier Bessemer (le tiers de la
production française) pour les moulages.
Enfin le Nord tient encore la première place, en
France, pour les produits en fer marchand qu'd écoule
dans la serrurerie et dans la maréchalerie, où ce métal
est encore préféré à cause de sa grande soudabilité.
En 1912, sa production a atteint 210 000 tonnes sur
525 000 tonnes fournies par la France entière. Mais
cette branche de la sidérurgie parait vouée à une
décroissance rapide. Elle demeure l'apanage d'une
main-d'œuvre stable et non interchangeable, à moitié
agricole, telle qu'elle était à l'époque de la fonte au
bois, telle qu'elle existe encore dans certaines régions,
les Ardennes et la Haute-Marne. Dans la région du
Nord, cette fabrication demeurera le dernier souvenir
d'une époque glorieuse, abandonnée seulement quand
96 l'industrie du fer en France
de nouveaux procédés, longuement étudiés, ont permis
de passer à un autre stade de l'industrie, à l'élaborai ion
de l'acier.
2° LES INDUSTRIES SUR LE MINERAI
A. L'Est (Meuse, Meurthe-et-Moselle, Meurthe,
Haute-Marne, Haute-Saône). — Contrairement au
groupe du Nord, le groupe de l'Est a comme carac-
téristique principale de manquer complètement de
houille. Par contre ses usines sont sur le gisement fer-
rifère le plus considérable de l'Europe (fig. 4, p. 104).
C'est là leur force dans l'activité nationale et même
mondiale : « Le rôle, écrit Vidal de la Blache, qui
appartient au minerai lorrain dans l'orientation imprimée
à l'ensemble de notre industrie métallurgique est un
des traits les plus remarquables de ces dernières années.
Un intérêt particulier s'attache à ces phénomènes en
marche, qui étant loin d'avoir dit leur dernier mot,
ouvrent une perspective sur l'avenir. »
A l'époque de la fonte au bois, les seuls minerais
utilisés en Lorraine et en Champagne étaient des mine-
rais de surface. Sans être très riches ni très purs, ils
satisfaisaient pour l'élaboration des fontes de moulage
dont les duchés de Lorraine et de Bar avaient la spé-
cialité. La production ne pouvait suffire aux besoins.
A la fin du xvme siècle, de Dietrich estimait la fabri-
cation des deux duchés à 9 700 tonnes de fonte et à
6 850 tonnes de fer; ces dernières étaient surtout le
résultat des fontes importées de Franche-Comté. Si l'on
pense que les forges et les fourneaux étaient envi-
ronnés de forêts où ils pouvaient puiser le combustible
sans compter, on comprendra que le groupe des usines
de l'Est fut le dernier à accepter les procédés nouveaux :
la foute au coke, parce qu'il était éloigné des charbon-
LA FONTE AU COKE 9?
nages; les convertisseurs et les fours, parce que ces
nouveaux appareils exigeaient, à l'origine, des mine-
rais de premier choix.
En 1834, les hauts fourneaux au coke sont nombreux
dans le Centre; ils commencent leurs opérations dans
le Nord; ils sont inconnus dans l'Est. Le bois y demeure
le combustible de la métallurgie : seuls 6 appareils
font usage d'un mélange de charbon de bois et de
coke. Ils sont situés à proximité des houillères de la
Sarre. La marquise de Wendel, à Hayange, est à la tête
des maîtres de forges qui emploient le combustible
minéral. A cette époque, c'est encore la proximité des
forêts qui détermine la valeur des usines. Parmi les
départements de l'Est qui contribuent le plus à la
production française, ce sont les départements qui
figurent aujourd'hui au dernier rang des statistiques
qui occupent la tête. Ils sont situés en dehors du bassin
ferrifère de la minette : la Haute-Marne, dont la fabri-
cation est la plus forte de la France (8,8 p. 100 du
total) et les Ardennes (7,4 p. 100). La Moselle ne vient
qu'au 5e rang (5,3 p. 100); la Meurthe au 63e rang
(0,06 p. 100). Le rédacteur de YIndustrie minérale
écrit en 1842 : «L'histoire de l'industrie du fer, dans le
département de la Meurthe, semble offrir peu d'in-
térêt. Les usines à fer ne se composent que... d'un
haut fourneau, construit récemment, et de trois forges....
Il résulte néanmoins des renseignements recueillis dans
cette contrée que l'industrie du fer y avait autrefois
acquis un certain développement. »
Cependant, l'ouverture de nombreux canaux facili-
tait l'arrivée des charbons du Nord et de la Belgique;
l'industrie se développe, les appareils sont agrandis.
Le minerai fort ne répond plus à la consommation :
il est presque épuisé. Pour nourrir les lits de fusion, les
mineurs sont contraints d'attaquer aux affleurements
L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE. 7
98 l'industrie du fer EN franc e
les minerais pauvres, la minette qui fournit des fontes
phosphoreuses. L'arrivée de la première locomotive,
en 1863, à Longwy, accéléra la transformation de la
région. Ici encore, les chemins de fer, avant d'être le
plus magnifique client de la métallurgie, devaient
marquer le point de départ de ses succès, comme
transporteur de la matière première et des produits
ouvrés. Les possibilités de la circulation vont susciter
de nouveaux établissements sur les gisements ferri-
fères. L'économie est certaine; avec des minerais
titrant 33 p. 100 de fer, il faut compter seulement
1 tonne de coke contre 3 tonnes de minerai pour obtenir
1 tonne de fonte.
Dans le nord du département de la Moselle, à proxi-
mité des charbonnages, le développement est rapide.
Non seulement d'anciennes usines sont transformées,
mais d'autres se créent à Longwy, à Gorcy, à Mont-
Saint-Martin, à Relions. Avec les anciennes installations
de Villerupt, d'Herserange, de Longuyon, de Moulaine,
de Senelle, d'Audun-le-Tiche, la région prend une
physionomie industrielle, dans laquelle certains veulent
reconnaître une Ecosse française. La vallée de la Moselle,
favorisée par le voisinage des houillères de la Sarre,
fait preuve d'une activité semblable. Novéant, Ars-sur-
Moselle, Hayange, Stiring-Wendel, Hambourg, Boulay
sont les sièges de métallurgies prospères. En 20 ans,
la production a presque décuplé; en 1850, elle se chif-
frait par 36 000 tonnes, dont 15 000 tonnes au bois
et 21 000 tonnes au bois et au coke mélangés; en 1869,
elle atteint 356 000 tonnes, dont 8 000 au bois et
348 000 tonnes au coke.
Dans le département voisin, dans la Meurthe, la
révolution est aussi profonde mais moins intense. La
production est passée de 870 tonnes au bois en 1850 à
64 000 tonnes au coke en 1869. Si elle n'atteint pas le
LA FONTE AU COKE 99
tonnage de la Moselle, il faut en chercher les raisons
dans l'éloignement des charbonnages, et aussi dans la
situation des gisements ferrifères beaucoup moins
étendus autour de Nancy que sur le coteaux au Nord
de Metz et autour de Longwy, où ils affleurent. Cepen-
dant les hauts fourneaux s'élèvent à Champigneulles,
à Ars, à Frouard, à Jarville, pour alimenter les industries
spéciales. Dans cet ordre d'idées, il faut signaler les
hauts fourneaux et les fonderies installées à Pont-à-
Mousson pour la fabrication de tuyaux et de pièces
diverses. C'est l'origine d'une industrie qui est devenue
la première du monde.
A la veille de la guerre de 1870, la substitution du
charbon au bois est un fait accompli dans les hauts
fourneaux de l'Est; mais la fabrication de l'acier, par
les appareils de Bessemer et de Martin, n'a pas obtenu
le même succès. Les deux départements ne livrent à
la clientèle, en 1869, que 5 200 tonnes d'acier, soit
1,4 p. 100 de la production française. Encore la presque
totalité du tonnage est-elle due aux fours à réchauffer
et au puddlage. Les statistiques signalent seulement
2 cornues Bessemer, de 3 tonnes chacune, qui appartien-
nent à M. de Diétrich, le propriétaire de Mouterhausen.
Le puddlage demeura, dans l'Est, le procédé le plus
courant pour la production de l'acier, jusqu'à l'inven-
tion de la déphosphoration des fontes. La production
des fers (140 000 tonnes) est beaucoup plus impor*
tante : elle atteint 15,9 p. 100 de la France entière :
elle compte surtout des rails et des tôles. Mais les prix
de revient ont beaucoup de peine à se tenir au niveau
des prix de revient des usines nationales. A cette
époque, l'industrie métallurgique, en Lorraine, est sur-
tout l'industrie de la foute. La production atteint, en
1869, 420 000 tonnes, soit 30,4 p. 100 de la France
entière. Dans cette branche, elle domine le marché
100 L'INDUSTRIE I>U FEE EN FRANCE
grâce à la faiblesse de son prix de revient : 7 1 francs
contre 84 francs. Aussi les fontes de Lorraine ne sont
plus uniquement consommées sur place; elles ont con-
quis les marchés dans les Ardennes, en Champagne,
en Franche- Comté, en Flandre.
On sait comment cet essor fut arrêté par les clauses
désastreuses du traité de Francfort. Le groupe de Nancy
et celui de Longwy étaient à peu près conservés; mais
toutes les usines échelonnées dans la vallée de la Moselle,
au nord de Pagny, passaient en territoire allemand.
En 1872, Meurthe-et-Moselle extrait 1 million de tonnes
de minerai et produit seulement 240 000 tonnes de
fonte, soit 55 p. 100 de la fabrication de 1869. On
sait aussi comment, dans l'Est français, l'activité
redoubla pour compenser nos pertes. Dans le bassin
de Nancy, on constate la construction des usines de
Pompey, de Dieulouard, de Neuves-Maisons; dans
celui de Longwy, la construction des usines de Saulnes,
de Micheville, d'Auberives, de Villerupt-Laval-Dieu. En
1881, Meurthe-et-Moselle extrait 2 minions détonnes et
produit 607 000 tonnes de fonte, soit 32 p. 100 de la
production française. Elle a repris sa place d'avant-
guerre. Ces résultats, pour magnifiques qu'ils soient,
eussent été sans doute sans lendemain; car déjà s'an-
nonçait l'âge de l'acier, succédant à celui du fer. Et
l'Est, s'il ne livrait guère de fer à la consommation,
lui fournissait encore moins d'acier. Les fontes phos-
phoreuses n'avaient pas encore trouvé leur emploi dans
les aciéries soufflées.
L'invention de Thomas et de Gilchijist permit à
l'Est d'acquérir le monopole de la fabrication des aciers
marchands. La minette ne fut plus exclusivement des-
tinée à la fonte de moulage, mais bien aussi à l'acier
Thomas, ou à l'acier Martin sur sole basique. Les
LA FONTE AU COKE 101
années qui s'écoulent de 1880 à 1890, constatent l'essor
prodigieux de l'Est. Dans les mines, la hardiesse des
prospecteurs conquiert les bassins de Longwy et de
Crusnes, dont les richesses compensent, bien au delà,
les affleurements perdus à la suite de la guerre de 1870.
Dans la métallurgie, les petits-fils de François de
Wendel, premiers propriétaires du brevet Thomas et
Gilchrist, installent à Jœuf la première usine qui doit
en faire usage. Dès que le procédé fut tombé dans le
domaine public, Micheville, la Chiers, Pompey, Frouard,
Neuves-Maisons, l'adoptent. La Société de la Marine
et Homécourt construit de nouveaux établissements à
Homécourt; Pont-à-Mousson essaime à Auboué. L'acier
produit au convertisseur Thomas atteint 2 134 000 tonnes
en 1913, et la fonte stimulée par la création de
nouvelles aciéries, par le développement parallèle de
la fonte de moulage, dépasse 3 490 000 tonnes, soit
respectivement 69 et 74 p. 100 de la production
française. Au même moment, de l'autre côté de la fron-
tière et pour les mêmes raisons, les usines surgissent
le long des vallées de la Fentsch, de l'Orne et de la
Moselle : à Uckange, à Thion ville, à Rombas, à Aumetz-
la-Paix, à Knutange, à Hagondange.
Au contraire de ce qui se passe dans les autres grou-
pements de la métallurgie française, l'Est est sûr de
ne point manquer de minerais, quelqiie soit l'avenir
réservé à l'industrie. Les gisements, en y comprenant
la Belgique et le Luxembourg, comptent 5 milliards de
tonnes en chiffres ronds. Sur la base de l'extraction de
1913, 43 millions de tonnes, on estime que les réserves
seraient suffisantes pour 118 ans. Elles pourraient
fournir davantage, si les conditions du marché permet-
taient l'emploi de minerais plus pauvres et si les pro-
grès dans l'art du mineur autorisaient l'attaque deç
102 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
parties du gîte, classées maintenant comme inacces-
sibles. Semblablement, les maîtres de forges sont cer-
tains de trouver à pied-d' œuvre les qualités siliceuses
et les qualités calcaires, dont le mélange est indispen-
sable pour la bonne marche du haut fourneau. Les
métallurgistes de l'Est, comme leurs confrères français,
n'importent de l'étranger que les minerais mangané-
tiques. Un lit de fusion comprendra, par exemple :
2 p. 100 de minerai manganétique, importé de Russie,
des Indes ou du Brésil; 13 p. 100 de minerai siliceux du
bassin de Longwy ou du bassin de Nancy; 25 p. 100
de minerai silico -calcaire du bassin de Briey (partie
ouest); 60 p. 100 de minerai calcaire du bassin de
Briey (partie est).
Dans l'état actuel de la technique, il n'existe point
de limite, au point de vue du minerai, à la production
de la fonte dans l'Est. Les possibilités de la matière
première sont considérables; elles favorisent les appa-
reils à grandes dimensions.
En dehors des avantages afférents au transport, les
usines ont gardé intérêt à accoupler leurs fourneaux et
leurs aciéries. Cette disposition permet la production
facile, par les gaz des hauts fourneaux, de l'énergie
nécessaire à la production et au travail de l'acier. Au
contraire de ce qui se passe dans le Nord, où faute
de minerais, il existe bon nombre d'aciéries sans haut
fourneau, dans l'Est la fonte du minerai contrôle toutes
les opérations de la métallurgie. Les très rares excep-
tions à cette règle sont constituées par des fourneaux,
comme Uckange et Thionville, qui alimentent de fonte
des aciéries situées sur les charbonnages de la Saône.
Elles s'expliquent aussi par l'ancienneté d'usines, des-
tinées à disparaître.
Par contre, pour ce qui est du combustible, l'Est se
trouve dans une situation défavorable. Les espérances
LA FONTE AU COKE 103
fondées sur la prolongation occidentale du bassin de
Sarrebriick ne se sont pas réalisées; la houille trouvée
par sondage aux environs de Nomény est d'accès diffi-
cile et impropre à la cokéflcation. Les fours de Maes-
tricht, en Hollande, exportaient peu. Les ressources de
la Belgique, en charbons demi-gras, sont pour le moment
très limitées. Les marchés à échelle, passés avec les
métallurgistes du Nord et du Pas-de-Calais, pour
l'échange du minerai contre le coke ne portaient que
sur 1 200 000 tonnes et l'Est en consommait plus de
4 millions de tonnes. Pratiquement la majeure partie du
coke provenait de Westphalie qui fournissait, en outre,
aux aciéries 500 000 tonnes de charbon. Ce coke grevé
de 8 francs de transport revenait, en 1913, à 28 francs
sur le carreau de l'usine. M. Laffitte, le regretté secrétaire
général de la Chambre de Commerce de Nancy, évaluait
le tribut payé par la métallurgie lorraine aux charbon-
nages des pays concurrents à 100 millions de francs,
dont trois quarts à l'Allemagne.
Cet impôt tendait à croître. Le seul vendeur, le
Syndicat rhénan -westphalien était sous le contrôle des
métallurgistes allemands, concurrents des maîtres de
forges lorrains, et qui possédaient des mines de fer en
Meurthe-et-Moselle et en Lorraine annexée. Ils avaient
le plus grand intérêt à augmenter le prix du coke.
Depuis 1911, il avait subi une plus-value de 25 p. 100.
Or, ainsi que le montre le tableau suivant, le coke
entre pour 57 p. 100 dans le prix de revient de la fonte.
Une tonne de métal, avant guerre, consommait :
3 tonnes et demie de minette à 4 fr. 50 la tonne. 15 fr. 75
1 200 kilos de coke à 28 francs la tonne. ... 33 fr. 60
Manganèse 2 fr. 25
Main-d'œuvre 3 fr. 50
Frais généraux, fonds de roulement 3 fr. 50
Total 58 fr. 60
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106 l'industrie du fer en france
On conçoit donc que la question du combustible ait
été au premier rang des préoccupations de la métal-
lurgie lorraine.
A vrai dire, ce n'était pas un fait nouveau. Dès que
la houille apparaît, mélangée au bois, dans les lits de
fusion, les maîtres de forges recherchent les charbon-
nages. En 1792, de Wendel, maître de forges àMoyeuvre
et à Hayange, sollicite des permis de recherches dans
un rayon de :> lieues autour d: Hayange et, la même
année, il prend une part importante dans la Société
fondatrice du Creusot, parce que les nouveaux établis-
sements possèdent des houillères. En 182G, son fils et
successeur achète les houillères de Petite -Rosselle et
les fours à coke d'Hirschbach. En 1899, ses petits-fils
se rendent acquéreurs des charbonnages de Crespin,
dans le Xord; de Hamm, en Westphalie. Ils s'assurent
des participations dans la région d'Aix-la-Chapelle, en
Hollande, dans la Campine belge. En 1909, leur domaine
charbonnier comptait 15 000 hectares, pouvant produire
2 millions de tonnes de charbon par an.
Cette politique a été suivie par tous les maîtres de
forges de l'Est.
Des groupements d'usines ont été constitués pour
étabbr des fours à coke, soit sur le bassin houiller
français, soit dans un port susceptible de recevoir des
fines anglaises. Ainsi ont été créées la Société lorraine
de Carbonisation à Auby, près de Douai, et la Coopéra-
tive zélandaise de Carbonisation, à Sluiskill, en Hol-
lande, sur le canal de Gand à Terneuzen. Cette solu-
tion a le grand inconvénient d'être fonction du marché
des houilles en France et à l'étranger.
Le contrôle financier des charbonnages existant ou
à créer résout mieux le problème des approvisionne-
ments en coke. Les maîtres de forges lorrains ont
engagé des sommes considérables en France : dans le
LA FONTE AU COKE 107
bassin de l'Allier, pour chercher la suite des couches
de Noyant; autour de Lyon, pour retrouver le prolon-
gement des charbons de Saint-Etienne. Dans le Nord
et dans le Pas-de-Calais, ils ont repris Crespin, parti-
cipé à la réorganisation de la Clarence, obtenu des
concessions à Fresnicourt, Ablain-Saint-Nazaire,Beugin-
Gouy-Servin, Vimy-Fresnois.
Nous constatons les mêmes efforts à l'étranger. En
Belgique, la métallurgie française a contribué à la
reconnaissance et à la mise en valeur des mines de
Beeringen, Limbourg-Meuse, Houthcelen, Genk dans la
Campine belge; de Broy dans le bassin de Charleroi-
Mons. En Hollande, elle a acheté les mines d'Orange-
Nassau. En Allemagne, l'activité française contrôle les
mines de Hamm et de Frédéric-Henry en Westphalie;
de Charles-Alexandre et de Charlemagne dans le bassin
d'Aix-la-Chapelle. D'après M. Robert-Muller, les capi-
taux français investis dans les charbonnages belges
seraient de 00 à 80 millions; une pareille somme aurait
été dépensée en Allemagne. Au total, 120 à 180 millions
de francs, sans compter les capitaux placés dans les
affaires comme Harpener, ou dans les mines depuis
longtemps possédées par des maîtres de forges lorrains,
comme Petite- Rosselle. C'est à cette persévérance, un
des traits caractéristiques des métallurgistes français,
que l'Est a dû sa place sur le marché européen.
Avant la guerre, les usines de l'Est produisaient
66 p. 100 de la fonte française : 3 402 000 tonnes.
Sur ce tonnage, 7 p. 100 servent à l'affinage des aciers
de qualité et 14 p. 100 à la fabrication de la fonte
de moulage. Avec G73 000 tonnes dans cette dernière
catégorie, la Meurthe-et-Moselle se classe comme le grand
producteur des fontes moulées. Cela tient à la présence
sur son territoire de la grande usine de Pont-à-Mousson
108 L'INDUSTRIE DU FER EX FRANCE
la fabrique la plus importante de l'Europe pour les
tuyaux et les conduites. Le reste du métal est utilisé
dans les convertisseurs Thomas. L'Est conserve le pri-
vilège des fabrications compatibles avec les minerais
phosphoreux et qui n'exigent ni trop de charbon, ni
trop de personnel. Il est spécialisé dans l'élaboration
des produits marchands.
C'est un phénomène relativement récent ; il date de
la mise en pratique, dans toutes les aciéries, du procédé
de déphosphoration. La quincaillerie, la chaudronnerie,
les articles de moulage, le fer pour les ateliers de déna-
turation, ont été longtemps les branches les plus impor-
tantes de la métallurgie de l'Est. Les chemins de fer,
la construction métallique, firent voir la question sous
un autre aspect. Désormais, les usines de l'Est livrent
directement à la clientèle les gros profilés, les rails,
les poutrelles, les cornières; ils utilisent le surplus de
leur production en acier sous forme de blooms, bil-
lettes et lingots qu'ils cèdent aux centres transforma-
mateurs du Nord et du Centre. L'Est est donc loin
d'usiner tout l'acier produit, contrairement au Nord
et au Centre qui travaillent sur place tout le métal
sorti des fourneaux.
Cependant, les métallurgistes lorrains tendent à
pousser plus loin la dénaturation et à fabriquer direc-
tement des produits pour lesquels le consommateur
n'accepte pas l'acier Thomas : les sociétés du Nord
et du Centre lui ont souvent apporté leur concours
financier et technique dans cette branche de l'indus-
trie. Pour utiliser les chutes de laminage et les riblons,
qui forment un tonnage important avec la production
croissante de l'acier Thomas, les aciéries de Meurthe-
et-Moselle ont été amenées à construire des fours
Martin. Ces appareils qui n'existaient qu'à Pompey et
ta Longwy ont été installés, en grand nombre, à Home»
LA FONTE AU COKE 109
court et à Neuves -Maisons. Si les autres usines ont
renoncé à placer la nouvelle fabrication à côté des
convertisseurs, elles envoient, cependant, leurs déchets
dans des fours qui leur appartiennent, dans la Haute-
Marne, dans les Ardennes, dans le Nord. Cette ten-
dance valait d'être signalée; elle est l'indice de l'inté-
gration métallurgique qui deviendra une nécessité
inéluctable après l'armistice de 1918.
B. Les usines littorales. — Les groupes du Centre,
du Nord, de l'Est élaborent 89 p. 100 de la fonte
française. Cependant d'autres usines du territoire
présentent un intérêt particulier, soit qu'elles pro-
duisent des fontes spéciales, soit qu'elles recherchent
des conditions de transport plus favorables. Elles sont
toutes destinées à utiliser des minerais locaux ou étran-
gers ; elles emploient, le plus ordinairement des houilles
anglaises. Comme telles, elles doivent être étudiées avec
les usines placées sur les gisements ferrifères ou le
plus près possible. Le Comité des forges les a classées
en trois catégories : les usines à fonte, les usines com-
plètes, les aciéries sans fourneaux. Nous suivrons cet
ordre.
Dans le premier groupe, Balaruc et Saint-Louis, près
Marseille, ont dû rapidement éteindre leurs feux parce
qu'elles visaient à utiliser les cokes du Gard. Mal
placées, au point de vue de la circulation, ces deux
usines se trouvaient désavantagées par le prix de
revient du combustible du Centre, fort supérieur au
prix de vente, sur la côte, des houilles anglaises; elles
étaient d'ailleurs trop éloignées des grands marchés,
consommateurs de fontes.
La concurrence nationale aurait également fermé les
établissements de Marquise, fondés sur les minières
découvertes dans le Pas-de-Calais pour la confection
110 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
de tuyaux, s'ils n'avaient transformé leur fabrication.
Ils se sont consacrés à la production de fontes moulées,
très spéciales, telles que les compteurs à gaz. Ils sub-
sistent, grâce aux importations des fontes du Nord et
de l'Est qui ont remplacé, en grande partie, les mine-
rais des gisements épuisés.
Semblablement les hauts fourneaux de Pauillac ont
modifié leur plan industriel. Créés pour assurer un
élément de travail au nouveau port en aval de Bor-
deaux et pour produire des fontes de moulage et des
aciers Bessemer, ils sont passés sous le contrôle des
usines de la Basse-Loire qui en tirent des fontes spé-
ciales. C'est également à la production des fontes héma-
tites, des spiegels, des ferro-manganèses que sont con-
sacrés les hauts fourneaux d'Outreau, près de Boulogne,
et ceux de Calais associés à la grande usine d'Isbergues.
Leurs directeurs ont spécialisé leur fabrication, après
l'épuisement des minerais locaux qui ne permettait
plus l'élaboration des fontes de moulage. Par contre,
l'usine de Bouen a été fondée, en 1913, par un consor-
tium où entraient des métallurgistes du Nord, du
Centre et de l'Est, dans le but unique de s'assurer
des fontes spéciales qui leur faisaient défaut et qu'ils
devaient se procurer à l'étranger. La situation géogra-
phique de Bouen convient admirablement à cet objet.
Le port permet de recevoir facilement de Suède, d'Al-
gérie, d'Espagne, de Portugal, des Indes, du Caucase,
du Brésil, des minerais de fer très purs et des minerais
manganétiques, dont iï n'existe pas en Fiance dé dis-
ponibilités importantes; il est bien placé pour recevoir
des charbons anglais et pour la desserte fluviale des
usines intéressées : à proximité d'une grande ville, la
main-d'œuvre ne manquera jamais.
Les usines complètes, comprenant hauts fourneaux et
aciéries, ont été créées, à l'origine, sur le littoral pour
LA FONTE AU COKE 111
fabriquer des rails et des profilés par le procédé Bes-
semer en utilisant les minerais très purs des Pyrénées,
d'Espagne, d'Algérie, de Suède et en employant des
charbons anglais. Le plan industriel comprenait égale-
ment le service de la clientèle littorale, trop éloignée
des grands centres de production. Leurs fondateurs,
le plus souvent des métallurgistes du Centre, ne pré-
voyaient ni la mise en pratique du procédé Thomas
qui devait concentrer la fabrication des profilés dans
le Centre et dans le Nord, ni la réduction des commandes
des chemins de fer. Les établissements qui ne purent
modifier leur fabrication, devaient disparaître.
Ainsi, les usines de Beaucaire éteignirent leurs feux
en 1885, ruinées par les réductions apportées au pro-
gramme de Freycinet, par la diffusion des méthodes
de déphosphoration, par des contrats de trop longue
durée avec les Mokta-el-Hadid et les charbonnages du
Gard, par l'essor des aciéries Bessemer du Boucau, de
Trignac, d'Isbergues, mieux placées pour la vente.
Le même sort eut atteint les établissements du Bou-
cau, s'ils n'avaient adjoint à la production des rails
Bessemer qu'ils ont conservée (25 000 tonnes en 1913),
la production des fontes spéciales, principalement les
ferro-ciliciumetles ferro -manganèse. Bien qu'ils fussent
mieux situés que leur concurrent de Beaucaire pour la
réception du minerai, ils auraient succombé s'ils
n'avaient modifié leur fabrication. C'est une transfor-
mation également, l'adoption des procédés Thomas et
Martin à sole basique, qui sauva les usines de la Basse -
Loire et d'Isbergues. La Basse -Loire put employer les
minerais phosphoreux de l'Anjou qui avaient donné
des mécomptes avec la méthode acide, mais qu'une
meilleure utilisation du vent permit de réduire avec
la méthode basique. Isbergues mélangea aux minettes
de Briey les minerais phosphoreux de sa concession
112 L'INDUSTRIE DU FEE L.\ 1 KAM h
d'Halouze, dans l'Orne, après en avoir réduit le coût
du transport par un grdlage préalable.
Daus ce groupe des usines littorales, Caen tient une
place à part. Son objet principal est l'exploitation des
minerais de Soumont et de Perrières, dans le Calvados,
avec le concours des charbons anglais ou allemands.
Les vapeurs importateurs reçoivent, comme fret de
retour, les minerais inutilisés par l'usine et qui trouvent
facilement preneur à l'étranger. Le tonnage des mine-
rais à exporter annuellement est évalué à 800 000 tonnes.
Le prix des opérations sidérurgiques s'en trouve consi-
dérablement diminué. La production comprendra exclu-
sivement de l'acier Thomas.
Dans le groupe, seule l'usine du Eoucau, avec la
fabrication au Bessemer, fait concurrence au Centre.
Les autres usines de Caen, d'Isbergues, de Trignac,
consacrées à l'acier Thomas et aux fours Martin sont
plutôt les rivales des établissements du Nord et de l'Est.
Enfin quelques aciéries, dépourvues de hauts four-
neaux, reçoivent de l'étranger et surtout d'Angleterre
la majeure partie de leurs combustibles et leur métal
des usines nationales. Parmi celles-ci, la Basse-Indre
et Hennebont fabriquent principalement du fer blanc
qui est d'un écoulement facile dans l'industrie des
conserves, établie dans leur voisinage. Les Dunes, près
Dunkerque, a été créée par Firminy pour la production
de certaines pièces de forges, dont l'exécution était
devenue trop onéreuse dans le Centre, par suite de la
pénurie de combustible.
3° LES USINES SECONDAIRES
L'industrie du fer comprend encore, éparpillées sur
tout le territoire national, plusieurs usines de moindre
importance, mais qu'il importe de signaler comme le
LA FONTE ATT COKE 113
vestige d'un passé brillant. Malgré la concurrence, elles
ont pu subsister par la force de la tradition, l'habileté
héréditaire de la main-d'œuvre, l'avantage de la situa-
tion géographique, la ' valeur professionnelle de leurs
directeurs. Parmi les plus intéressants de ces petits
groupements sidérurgiques, il faut citer les centres
des Ardennes et de la Haute-Marne, dépourvus main-
tenant de minerais, éloignés du combustible et qui,
sans prétendre à la glorieuse fortune de leurs voisins,
ont su maintenir leur ancienne renommée, tout en
sachant s'adapter aux méthodes nouvelles.
Dès 1869, on prévoyait, dans les Ardennes, que la
fabrication de la fonte devait être réservée à la Meurthe-
et-Moselle et que les fonderies locales devaient se con-
sacrer à l'élaboration du fer. Le dernier haut fourneau
fut éteint en 1894, et ce n'est qu'en 1913 qu'un nouvel
appareil fut allumé pour fournir de la fonte d'affinage.
A cette exception près, ce sont des fonderies de deuxième
fusion, alimentées par des fontes lorraines, qui fonc-
tionnent principalement dans le département. Il vient
au second rang parmi les producteurs de fers mar-
chands; mais c'est surtout pour la fabrication des
petites pièces de forges, la boulonnerie et la clouterie,
qu'il tient sa place dans l'industrie nationale.
Semblablement, la Haute-Marne, productrice jadis
des fontes de Champagne si réputées, n'a gardé qu'un
haut fourneau. Les usines régionales se sont spécialisées
dans la dénaturation. En 1888, le premier four Martin
fut équipé. A côté des fours à fer ou à acier, des lami-
noirs sont alimentés le plus souvent en paquets de fer-
railles, en blooms d'acier, expédiés de l'Est. Ils four-
nissent les métaux de qualité, les verges de tréfilerie,
la tôle. C'est la matière qui alimente les nombreux
ateliers de clouterie, de chaînerie électrique, de literie
en fer, de serrurerie, de tubes, de roues en fer, d'instru-
L Industrie du fer en France. 8
114 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
rnents agricole*. Ici encore, comme dans les Ardennes,
l'industrie du 1er est en progression. Le béton armé,
adopté en architecture, lui fournira, sons peu, de nou-
veaux clients. Les métallurgistes de la Haute-Marne
comptent, pour activer leur production, sur trois élé-
ments qui sont d'une importance particulière. Ce sont,
écrit M. de Charnacé : « la stabilité et l'habileté de la
main-d'œuvre locale, leur situation heureuse entre les
pays de grosse production de matières premières et les
centres consommateurs de produits finis, et enfin les
forces hydrauliques de la région, particulièrement pré-
cieuses dans les périodes de cherté du combustible ».
En dehors de ces deux départements, les autres
établissements sont moins groupés. Les uns sont plus
ou moins les filiales de l'industrie du Centre. Par
exemple, les usines de Decazeville, dans l'Aveyron,
sont contrôlées par la Société de Connnentry-Four-
chambault; les usines de l'Horme expédient leur fonte
aux aciéries de la Loire.
D'autres ont subsisté, indépendants, qui surent évo-
luer à temps. La compagnie d'Alais, prévoyant l'époque
où l'épuisement des minerais purs et les exigences des
cahiers des charges empêcheraient la fabrication de
l'acier au Bessemer, a décidé d'arrêter ses convertisseurs
dans son usine de Bessèges et de créer une aciérie
Martin à Tamaris. « Cette dernière, écrit le rédacteur
du Comité des forges, centralisera toute l'activité métal-
lurgique du bassin à qui son éloignement même de tout
autre région métallurgique, le voisinage des centres
industriels, sa situation sur le réseau P.-L.-M. et la
proximité des chantiers navals du littoral méditerra-
néen continueront d'assurer d'importants débouchés. »
Ici, la transformation bien comprise de l'organisme a
arrêté le déclin.
Ailleurs, l'emploi d'une nouvelle force suscite les
LA FONTE AU COKE 115
initiatives et décide d'un nouvel essor. En 1820, deux
industriels de Toulouse avaient eu l'idée d'utiliser la
chute du Sabo, sur le Tarn, à Saint-Juéry, en vue d'ali-
menter une fabrique d'acier pour faux et faucilles.
Plus tard, son directeur, M. Paulin Talabot, dont nous
avons déjà signalé l'activité dans la métallurgie du
Centre, lui adjoignit la fabrication d'objets destinés
principalement à l'exportation : des ressorts pour car-
rosserie et pour chemins de fer. Mais la grande pros-
périté de l'usine date de 1906. A cette époque, la chute
d'eau fut utilisée pour l'affinage électrique, en même
temps que des fours Martin étaient construits. Pareil-
lement, ce fut l'énergie des torrents pyrénéens et l'emploi
de la manutention électro- mécanique qui ont permis
à la Société de l'Ariège d'élargir le chanip de ses opé-
rations, de passer à la fabrication des aciers fins, des
aciers Martin, des aciers au creuset, d'aborder l'éla-
boration des obus de rupture et des métaux spéciaux
pour outils.
Cette utilisation de la force hydraulique en métal-
lurgie est particulièrement intéressante. Une première
fois la puissance des eaux a orienté ses destinées; elle
a fixé, à l'origine, le fourneau et la forge sur les rivières
et sur les étangs : elle peut encore, transportée par
câble à longue distance, faciliter l'établissement de
nouvelles usines, d'aciéries tout au moins, en des
régions riches en minerais, pauvres en houilles. Le four
électrique, fonction de la force hydraulique, est l'avenir
de la sidérurgie.
Sans doute, dans la production de la fonte nationale,
les usines littorales et les centres secondaires entrent
pour une faible part : 11,1 p. 100 du total. Mais, en
dehors de leur valeur absolue qui est fort importante,
leur intérêt devient considérable en cas de crise aiguë,
116 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
de grève ou de conflit armé avec nos voisins. Par suite
de la découverte de Thomas et de Gilchrist, par suite
de la situation géographique des gisements de minette,
toute notre métallurgie s'était concentrée, avant la
guerre, le long de la frontière de 1870. Cette situai ion
a empiré depuis le traité de Versailles. En 1914, à la
veille des hostilités, 82 p. 100 de la fonte française
était produite par des usines échelonnées depuis Nancy
jusqu'à Dunkerque, à quelques kilomètres de nos
limites; soqvent même, elles étaient situées sous le
canon des places fortes de l'ennemi.
C'était, sans doute, comme l'a montré M. Robert
Pinot, une nécessité inéluctable qui découlait de l'obli-
gation de rechercher des prix de revient fort bas.
C'était une conséquence de la concurrence étrangère,
très âpre, et par surcroît fortement avantagée par le
prix du combustible. Un fait demeure cependant. Six
semaines après l'ouverture des hostilités, 62 p. 100 de
notre production de fonte se sont trouvés dans la zone
envahie, et 19 p. 100 dans la zone des armées, ne lais-
sant en pleine production que 19 p. 100 de nos moyens.
C'est une gloire pour l'activité nationale d'avoir fait
face à cette situation désespérée. Mais il a fallu gagner
du temps au prix de sacrifices considérables en capi-
taux et en hommes. Pour réussir, on a dû réaliser ce
paradoxe : la France est le pays d'Europe qui possède
les gisements de fer les plus puissants et, cependant,
pendant la grande guerre, elle a importé des masses
énormes de fonte.
Des usines locales, éparpillées sur tout le territoire,
placées à proximité du minerai, alimentées par des
houilles anglaises ou américaines, utilisant la houille
blanche et le four électrique pour l'affinage, ces usines
littorales et ces centres secondaires eussent évité le
désastre. Reste à leur trouver une utilisation pratique
LA FONTE AU COKE 117
en temps de paix, une fabrication qui leur permet de
vivre et de prospérer. La mise en œuvre des produits
dénaturés, des produits cliers, séparables des produits
marchands, apanage de la grosse industrie, doit être
concentrée dans les fabriques du littoral et dans les
centres secondaires.
IV. — LA MAIN-D'ŒUVRE
Aux siècles précédents, le recrutement de la main-
d'œuvre n'avait jamais inquiété les maîtres de forges.
La population du plat pays, par ailleurs occupée aux
champs, suffisait amplement au service de la mine et
du fourneau. L'effectif du personnel de ces petites
industries n'était point nombreux. Longuyon, par
exemple, produisait 340 tonnes de métal par an avec
un haut fourneau et 4 feux de forges, et occupait
500 commis, ouvriers, mineurs, forgerons, bûcherons,
charretiers. Les valeurs ont changé de mesure. Dans la
même région, les aciéries de Longwy produisaient,
avant guerre, 300 000 tonnes par an de produits finis,
avec 9 hauts fourneaux, 7 convertisseurs Thomas,
5 fours Martin ; elles occupaient un personnel qui compre-
nait 6 852 employés ou ouvriers, répartis comme il suit :
Employés 405
Mines 1 135
Hauts fourneaux 734
Ouvriers. { Aciéries et laminoirs 2 685
Ateliers et fonderies 677
Services divers 1 216
Total. . . . li S52
Malgré les derniers perfectionnements, les derniers
progrès de la science, les applications du machinisme
118 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
à l'usine et à la mine sont limitées. Pour l'extraction
du minerai, pour les manutentions des produits, rien
ne peut suppléer à la main-d'œuvre.
Enfin, il existe entre les différents organes une soli-
darité qui n'était point nécessaire à l'époque où l'in-
dustrie était saisonnière. En 1899, lors de la grande
grève du Creusot, le travail ne put reprendre dès la
tin du conflit. Malgré toutes les précautions prises pour
que les appareils ne se refroidissent pas, dix jours
s'écoulèrent avant que la vie ne reprît dans les ate-
liers. Comme dans toutes les branches de l'activité
humaine, l'industrie du fer a spécialisé, a concentré la
main-d'œuvre; agricole à l'origine, elle est devenue
urbaine, dans toute l'acception du terme.
La difficulté du problème réside dans l'importance
des effectifs. En 1873, première année où les statis-
tiques nous fournissent des renseignements précis. Tin.
dustrie du fer occupait 14 400 ouvriers, avec une pro-
duction de 1 382 000 tonnes de fonte et 912 000 tonnes
de fer et d'acier; on comptait un rendement moyen
et individuel de 95 tonnes de fonte et de 20 tonnes
de fer et d'acier. En 1913, pour une production de
5 200 000 tonnes de fonte, de 4 686 000 tonnes d'acier,
de 405 000 tonnes de fer, les rendements sont devenus
respectivement de 255 tonnes par homme pour la
fonte, de 39 pour le fer et l'acier. Ils ont augmenté
de 168 p. 100 pour la fonte, de 50 p. 100 pour l'acier.
Si des améliorations considérables et continuelles
n'avaient pas été apportées à l'outillage, en travaillant
avec le rendement de 1873, il eût fallu recruter
188 000 ouvriers. Jamais l'industrie n'aurait pu les
trouver. En 1913, elle a entretenu avec peine un
effectif de 118 000 ouvriers et employés dans les
usines, et de 25 500 mineurs sur les gisements ferri-
fères; au total, 143 500 individus.
Mines de fer.
Métallurgie.
»
30 785
. 17 336
28 878 '
! 52 2
25 629
8 106 3
32 715
25 494
118 007
LA FONTE AU COKE 119
D'après les statistiques publiées par le ministère des
Travaux publics, ils se répartissaient comme il suit :
Régions métallurgiques.
Nord (Nord et Pas-de-Calais)
Est (Meurthe-et-Moselle) . .
Centre (Allier, Loire, Nièvre,
Rhône, Saône-et- Loire) .
Reste de la France ....
Total 2
Le Centre, le Nord, l'Est groupent 72 p. 100 de la
main-d'œuvre sidérurgique : le reste est très disséminé.
D'autre part, la production individuelle varie d'une
région à l'autre. Le rendement d'un ouvrier de Meurthe-
et-Moselle atteint 86 tonnes; celui d'un ouvrier du
Nord, 35 tonnes; celui d'un ouvrier du Centre, 20 tonnes
seulement. Cette proportion est fonction de la spécia-
lisation des usines. Suivant l'expression de M. Lau-
rent, l'Est travaille surtout en vue du tonnage; le
Centre en vue du fini; le Nord reste à mi-chemin
entre eux.
Le Nord et le Centre possèdent des populations
industrialisées depuis de longues années. Nous ne
reviendrons pas sur l'habileté des forgerons du bassin
de Saint-Etienne, célèbre déjà au temps de François Ier.
Elle a permis la fabrication des aciers fins. « Car, écrit
M. Tribot-Laspière, on peut improviser, en quelques
années, la fabrication des aciers ordinaires et des pro-
duits courants, mais non des produits chers. » Autour
de Valenciennes pareillement, quantité de familles d'ou-
vriers se sont fixées depuis un grand nombre d'années;
1. En Lorraine annexée, les mines de fer comptaient 9 764 mineurs.
les usines 22 834 ouvriers.
2. Pour le seul département de Saone-el Loire.
■t. En Normandie, Bretagne et Anjou, principalement.
120 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
beaucoup d'entre elles ont fait souche dans la ville et
les villages des environs. On a pu y former un noyau
important de métallurgistes qui apprennent, à leur tour,
leur métier à leurs enfants et fournissent une main-
d'œuvre experte et nombreuse. Le Nord profite, en
plus, du voisinage de la Belgique qui, grâce à l'accrois-
sement automatique de sa population, fournit l'appoint
nécessaire. Certaines usines, situées à quelques kilo-
mètres de la frontière, reçoivent des quantités d'ou-
vriers belges qui font le déplacement journalier, facilité
par les tarifs très réduits des compagnies de chemins
de fer. Enfin l'accroissement de la main-d'œuvre a été
beaucoup moins rapide dans le Centre (13 631 en 1873
contre 25 629 en 1913), et dans le Xord (7 322 et 30 785)
que dans l'Est.
En Meurthe-et-Moselle, la découverte du bassin
minier et l'exploitation des brevets Thomas et Gilchrist
ont décidé d'un courant d'émigration humaine, tel
qu'on le constate, à une échelle plus forte dans les
champs aurifères de l'Australie et de l'Alaska. Dans
ce département, le recrutement d'une main-d'œuvre
nombreuse était d'autant plus pénible que le traité
de Francfort a fait passer, en Lorraine désannexée, la
presque totalité des ouvriers des forges et des mines.
Au moment du besoin, la métallurgie s'est trouvée fort
dépourvue.
Dans le département, l'industrie du fer occupait, en
1881, 5 500 ouvriers; en 1913, l'effectif s'éleva à 28 878 :
il a quintuplé. Dans le même temps, le nombre
d'ouvriers de mines est passé de 2 400 à 17 336, soit
une augmentation de 720 p. 100. En 30 ans, il a fallu
trouver plus de 38 000 ouvriers. C'est surtout par le
fait de l'essor métallurgique que le département de
Meurthe-et-Moselle a vu sauter sa population de
419 000 âmes en 1881 à 530 000 âmes en 1911.
LA FONTE AU COKE 121
L'inflation de la population est une conséquence géo-
graphique de l'exploitation minière et de l'industrie
du fer. A un degré moindre, parce que les facteurs
sont de moindre valeur, il est très nettement percep-
tible dans la campagne de Caen, où la fonction métal-
lurgique se substitue à la fonction agricole.
Le personnel est difficile à recruter sur place. De
même que les capitaux français ont été longtemps
rebelles aux placements industriels, de même la main-
d'œuvre nationale éprouve souvent une certaine répul-
sion pour tout travail en dehors de la terre. Si l'indus-
trie du fer a pu recruter des ouvriers pour les carrières,
les minières et même jadis, pour les mines quand les
travaux s'éloignaient peu des affleurements, c'est que
le villageois y troiivait une certaine analogie avec le
ménage des champs. Le mineur était mineur par acci-
dent et temporairement. Mais l'étape était plus rude
à franchir pour passer à l'atelier. L'ouvrier agricole,
jaloux de sa liberté, est rél'ractaire à l'effort industriel,
au labeur contrôlé, à la discipline nécessaire à toute
usine. En Lorraine, où la terre est parfois ingrate,
certains se laissèrent tenter; mais dans les campagnes
plantureuses, comme en Normandie, en pays d'herbage
principalement où la vie est facile pour l'homme,
peu de paysans consentirent à changer leur mode
d'existence. Les ressources en main-d'œuvre furent
rapidement épuisées.
Dans l'enquête agricole, publiée par le ministère de
l'Agriculture en 1912, aucun professeur départemental
ne signale, à de rares exceptions près, que les journa-
liers et les ouvriers agricoles s'embauchent dans les
mines, même pendant l'hiver. Dans la plupart des
entreprises métallurgiques, il fallut importer la main-
d'œuvre, comme on importait le coke pour les hauts
fourneaux, la houille pour les machines.
122 l'industrie du fer en france
Le recrutement national ne donna pas toute satis-
faction. A moins qu'il ne se dirige sur une grande ville,
l'ouvrier français n'émigre pas volontiers sur un autre
point du territoire. Les différences de climat, d'habita-
tion, de boisson surtout sont des obstacles que ne
peuvent surmonter la gratuité du voyage, l'augmenta-
tion des salaires, la modicité du loyer : l'ouvrier fran-
çais ne peut se résoudre à changer son genre de vie.
Les mineurs du Gard, de l'Aveyron, de la Loire, trans-
portés après l'épuisement de certaines mines du Centre
dans le Pas-de-Calais et dans le Calvados n'ont pu
s'habituer au cidre, ni à la bière : ils ont regagné, à
leur frais, le pays d'origine. Une même tentative pour
importer en Normandie et en Bretagne des ouvriers du
Pas-de-Calais a obtenu les mêmes résultats. Les Bre-
tons paraissent mieux disposés à se fixer loin de leur
village. Les mines normandes ont recueilli les mineurs
et les carriers d'Ille-et- Vilaine. Us arrivent par bandes
entières, du même pays, recteur en tête et finissent
par s'industrialiser pour peu qu'on ne bouleverse pas
leurs habitudes. C'est là une exception. Les mineurs
et les métallurgistes du Nord transplantés, pendant
la guerre, dans les usines et les mines de la plaine
de Caen, attendent avec impatience la reconstruction
des cités ouvrières, la réouverture des chantiers et des
ateliers. L'allumage d'un haut fourneau, la mise en
marche d'une aciérie autour de Valenciennes et de
Lille, décident les départs dans le personnel de l'in-
dustrie normande.
Cependant, pour compléter les effectifs, il a fallu faire
appel au prolétariat étranger. Dans les Pyrénées, on
a eu recours aux Espagnols; en Normandie et en Bre-
tagne, on a engagé des Belges, des Polonais, des
Croates, qui n'ont pas donné toute satisfaction. Les
Marocains fournissent un meilleur rendement : ce sont
LA FONTE AU COKE 123
d'habiles mineurs; les sociétés algériennes les emploient
volontiers, mais rien ne peut les retenir quand ds ont
amassé le pécule qu'ils se sont fixé. Dans le Calvados
où la fonction urbaine naissait à peine, cette invasion
subite a attiré l'attention des Pouvoirs publics. Inter-
pellé devant les Chambres, le Ministère a fait con-
naître que les trois départements miniers de la Nor-
mandie, le Calvados, l'Orne, la Manche, avaient occupé,
en 1912, 583 étrangers, soit 27 p. 100 de l'effectif, et
qu'il fallait prévoir pour l'avenir des chiffres plus forts.
Cependant, avant guerre, l'émigration était beaucoup
plus forte en Lorraine. Au recensement de 1911, Meurthe
et-Moselle comptait 81 519 étrangers sur une popula-
tion totale de 484 722 âmes, soit 17 p. 100 du total.
Le seul arrondissement de Briey possédait 57 098 étran-
gers sur un ensemble de 100 525 habitants, soit 55 p. 100
du chiffre global. Dix -huit nationalités, en dehors de
la nôtre s'y trouvaient représentées. « C'est là, écrit
M. Laffitte, une petite Europe dans la grande. » Bien
que l'agriculture fît appel également à la main-d'œuvre
étrangère, l'industrie du fer était l'origine et la raison
de cette émigration.
Les Italiens formaient la grande majorité des ouvriers
étrangers. Ils sont les plus adroits comme manœuvres
et relativement stables. Les maîtres de forges français
subventionnaient un organisme régulier pour les recruter
en Lombardie et en Piémont. On comptait, en outre,
dans le bassin de Longwy principalement, un certain
nombre de Belges. Les facilités de la circulation par
fer leur permettaient de retourner dans leur famille
à la fin de chaque semaine, et même à la fin de chaque
journée. Les usines occupaient, en moyenne, 15 p. 100
d'étrangers parmi leur personnel. Comme le montre le
tableau ci-dessous, emprunté à l'étude du Comité des
Forges, la proportion était plus forte dans les mines.
124
L'INDUSTRIE DU FER EX FRANCE
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LA FONTE AtT COKE 125
Ces effectifs nouveaux, toujours en voie de crois-
sance, ont modifié profondément la répartition des
populations. Des villes mortes se sont réveillées de
leur torpeur. Des hameaux, des villages entiers ont
surgi en plein champ. Dans certaines régions, le mou-
vement a été gradué : la population du Creusot par
exemple, est passée progressivement de 1 500 habitants
en 1785 à 30 584 en 1911. Mais ailleurs l'évolution du
phénomène a été plus brutale. « Il n'est pas nécessaire,
écrit M. Robert Pinot, de citer sans cesse les exemples
de l'Amérique et de la Westphalie pour montrer com-
ment une région peut tout d'un coup se développer.
A telle ville du Far-West américain, on peut comparer
les agglomérations de Jeuf, d'Honiécourt et d'Auboué...
qui comptent plus de 30 000 habitants, là où il n'y
avait, il y a quelques années, que quelques maisons
de cultivateurs groupés autour d'un clocher. »
De nos jours, l'exploitation minière, les hauts four-
neaux, les aciéries transforment pareillement la vdle
et la campagne de Caen.
Le programme de l'exploitation des concessions de
Soumont et de Perrières, comportait une extraction
annuelle de 2 millions détonnes. En prenant une moyenne
de 2 tonnes de minerai par jour ouvrable et par mineur,
cette production exige un effectif de 3 300 ouvriers au
fond et 2 200 à la surface (avec la proportion, généra-
lement admise, de 40 p. 100 du total, pour cette der-
nière catégorie) : soit dans l'ensemble 5 500 ouvriers;
avec leur famille 16 000 âmes environ; 20 000 si l'on
tient compte des différents corps de métier et du petit
commerce, attirés par l'agglomération. Mais depuis 1920,
ce seul bassin compte 10 concessions instituées. Si l'on
estime, et l'on sera très modeste, que ces mines, en
plein rendement, livrent deux fois autant que le groupe
Souinont-Perrières, soit au total pour tout le bassin
126 l'industrie du fer en france
6 millions de tonnes, ce serait un effectif de 60 000 âmes
qui viendraient renforcer la population régionale. Or,
en 1901, avant l'ouverture du premier chantier, elle
comptait seidement 26 000 habitants pour les cantons
de Bretteville, de Morteaux-Coulibeuf, de Falaise-Nord
qui englobent les gisements. L'augmentation serait
donc de 131 p. 100. La main-d'œuvre minière débor-
dera les cadres agricoles du pays.
Pareillement, la vieille ville de Caen n'a pu rester
indifférente, malgré sa mauvaise volonté, à l'établisse-
ment de hauts fourneaux, à Colombelles, dans son voi-
sinage immédiat. Quand ils seront en plein rendement,
ils occuperont 7 000 ouvriers : soit un renforcement
de 20 000 âmes avec les familles, de 25 000 avec les
habitants indirectement intéressés au travail de l'usine.
Or le recensement de 1911 attribuait aux cantons de
Caen, qui comprennent la ville et les communes limi-
trophes où s'est installée l'industrie du fer, 50 919 âmes.
En 1921, la population, malgré les pertes de la guerre,
avait augmenté; elle atteignait 61 650 âmes; soit une
augmentation de 21 p. 100. Cependant l'usine n'a
allumé que 2 hauts fourneaux sur les 6 prévus ; et les
industries connexes qui en vivent, telles que les chan-
tiers de construction navale, ont à peine ouvert leurs
ateliers. Dans un avenir prochain, la ville de Caen est
destinée à vivre dans la dépendance étroite de l'in-
dustrie.
L'arrivée subite d'effectifs aussi importants dans les
petites communes, et même dans les petites villes,
devait y apporter de graves perturbations. Les bases
de l'existence se trouvaient profondément modifiées.
Les conditions géographiques de l'abri et de l'alimen-
tation étaient bouleversées. Un problème se posait,
plus grave encore que celui du recrutement du personnel,
celui de le retenir autour de la mine ou du fourneau.
LA FONTE AU COKE 127
M. Vidal de laBlache, en étudiant l'émigration italienne
dans le bassin de Briey, a justement remarqué que
l'infériorité de la population féminine (2 491 femmes
contre 17 381 hommes) était l'indice d'un état parti-
culièrement instable. Pour stabiliser la main-d'œuvre,
il fallait créer des organismes nouveaux.
La hausse des salaires ne suffisait pas pour contre-
balancer la hausse de la vie, car les paysans et les
petits commerçants des villages envahis abusaient
sans vergogne de la situation pour augmenter le tarif
des denrées et le prix des loyers. Les premiers efforts
des sociétés portèrent sur les vivres. Elles conclurent
des contrats avec les boulangers, les bouchers, les
épiciers, les mareyeurs; elles établirent des coopéra-
tives de consommation.
Semblableinent, il a été reconnu indispensable
d'assurer le logement de la plus grande partie du
personnel. La dispersion et le petit nombre des habi-
tations dans les communes agricoles était un obstacle
à la concentration de la main-d'œuvre autour des
chantiers. De là la construction de maisons où logent
un ou plusieurs ménages, pour un loyer excessivement
réduit, qui ne dépasse pas 4 p. 100 du capital investi.
Pour un prix également modique, les locataires peuvent
avoir la jouissance d'un petit jardin qui leur rappelle
la fonction agricole de leurs ancêtres.
Le groupement de ces maisons constitue des cités
ouvrières qui deviennent de petites villes, pourvues de
tous les organismes des grandes agglomérations : hôpi-
taux, crèches, écoles, églises, salles des fêtes, théâtres,,
établissements de bains, etc. D'autre part, la contri-
bution patronale prend une forme moins apparente,
mais non moins lourde, dans l'entretien des caisses
de secours, des caisses de retraite, dans les sociétés
d'assistance qui assurent les allocations nécessaires aux..
128 l'industrie du fer en France
victimes des accidents du travail, aux familles dont
le père, le mari, ou les fils sont appelés au service mili-
taire ou pour une période d'exercice. Enfin, d'après
la loi du 9 septembre 1919, les sociétés nouvelles seront
tenues de payer aux ouvriers, sur les bénéfices de
l'entreprise, une part qui sera proportionnelle aux
années qu'ils auront passées sur les chantiers ou dans
les mines.
Ces efforts pour stabiliser la main-d'œuvre, commen-
çaient à porter leurs fruits quand la guerre a reculé
la solution définitive. Malgré la hausse des salaires, la
main-d'œuvre fait toujours défaut. Ce déficit est une
des raisons, et non la moindre, qui retardera la produc-
tion des forts tonnages, seuls rémunérateurs pour l'in-
dustrie.
V. — LES DÉBOUCHÉS
Dans les dix années qui ont précédé la guerre, l'ac-
croissement de l'industrie du fer a été considérable
dans le monde. La production française a marqué un
mouvement semblable.
De 1903 à 1913 l'augmentation des grandes nations
sidérurgiques se traduit comme il suit :
Pays. Fonte. Acier. Minerai.
augni; ntation. augmentation. diminution.
Belgique 104 p. 100. 154 p. 100. 19 p.100.
augmentation.
France 87 — 152 — 250 p.100.
Allemagne. ... 92 — 118 — 87 —
États-Unis. ... 72 — 115 — 79 —
Russie 80 — 100 — 100 —
Autriche-Hongrie. 71 — 97 — - 04 — ■
Grande-Bretagne. 14 — 52 — 24 —
LA FONTE AU COKE 129
Pour la fonte seulement, près de 80 millions de tonnes
ont été jetées sur le marché. La conquête des débouchés
est devenue préoccupante pour tous les métallurgistes.
Le côté commercial de l'industrie du fer égale en intérêt
le côté technique.
1° LE MARCHÉ EXTÉRIEUR
Le commerce du minerai. — D'après le tableau ci-
dessus, l'industrie minière a fait, en France, un bond
plus prodigieux que l'industrie de la fonte et celle de
l'acier. Si l'on examine la situation 40 ans auparavant,
les résultats obtenus sont beaucoup plus considérables.
La production des hauts fourneaux est passée de
1 448 000 tonnes en 1875 à 5 200 000 tonnes en 1913,
.soit une augmentation de 380 p. 100; et l'extraction
minière de 3 060 000 tonnes (y compris 557 000 tonnes
au compte de l'Algérie) en 1875 à 23 740 000 tonnes (y
compris 1 920 000 tonnes pour l'Algérie et la Tunisie)
en 1913, soit une augmentation de 680 p. 100. Le ton-
nage extrait est beaucoup trop important pour les
besoins de l'industrie nationale.
La France a exporté 12 millions de tonnes de minerai
de fer, en chiffres ronds; c'est un phénomène tout
récent; il date de 1907. Les années précédentes, nos
importations surpassaient nos exportations.
Ces changements brutaux dans le sens du mouve-
ment économique coïncident d'une part avec l'épuise-
ment des minerais purs, nécessaires au convertisseur
Bessemer ; et d'autre part avec l'essor de la métallurgie
des fontes phosphoreuses, conséquence de la mise en
pratique des brevets Thomas et Gilchrist.
L'appauvrissement des gîtes espagnols, l'épuisement
des gîtes anglais ont privé l'industrie d*outre-Manche
L'Industrie du ier en France. 9
130 L'INDUSTRIE DU EER EX FRANCE
des matières les plus nécessaires au convertisseur Bes-
semer pour lequel elle conserve une prédilection exa-
gérée. La conséquence fut le développement de nos
mines à minerais purs dans les Pyrénées, en Algérie,
en Tunisie et de nos mines à minerais moyennement
purs en Normandie, en Bretagne, en Anjou. Avant la
guerre, l'Angleterre recevait 58 p. 100 de nos minerais
africains; l' Allemagne, soit directement, soit par les
intermédiaires hollandais, 37 p. 100. La différence, insi-
gnifiante, était envoyée en France. Il faut chercher la
raison de cette anomalie dans la valeur du fret. Le fret
Alger-Dunkerque, par exemple, réservé aux cahoteurs
nationaux était plus cher, avant guerre, que le fret
Tunis- Rotterdam accessible à toutes les marines. Sem-
blablement l'Angleterre utilisait 23 p. 100 de nos
minerais armoricains; l'Allemagne 40 p. 100. Ce com-
merce était en voie de progression, malgré l'établisse-
ment d'usines littorales à Rouen, à Caen, à Trignac,
car les charbonniers anglais et allemands trouvaient
sur nos côtes, dans le minerai de fer, un fret de retour
fort rémunérateur.
L'exportation de la minette lorraine est plus ancienne.
En 1869, le département de la Meurthe expédiait en
Prusse et en Bavière quelque 51 000 tonnes; mais les
envois ne devaient prendre toute leur importance
que 40 ans plus tard : en 1909, ils dépassaient
1 million de tonnes. Les procédés Thomas devaient
fixer r attention des métallurgistes sarrois, belges et
westphaliens, sur les minerais de Meurthe-et-Moselle,
principalement sur la puissance de ses gisements, la
facilité de ses accès, la faiblesse du prix de revient.
En 1913, le département a exporté 7 876 000 tonnes soit
66 p. 100 de l'ensemble des exportations françaises.
Sur ce chiffre, le bassin de Briey comptait pour lui
seul 7 094 000 tonnes. La haute teneur en fer et en
LA FONTE AU COKE 131
chaux lui assure une supériorité incontestable aux
dépens des minerais plus proches mais plus siliceux des
bassins de Longwy et du Luxembourg. Ces avantages
avaient décidé l'Angleterre, en 1913, à en acquérir
60 000 tonnes malgré les difficultés du transport.
Le Zollverein, pourvu par ailleurs par les gisements
de Lorraine annexée, venait au second rang avec
2 609 000 tonnes. La Belgique demeurait notre prin-
cipal client : sur un total de 5035000 tonnes, elle
recevait 4 697 000 tonnes de minette lorraine, dont
4 416 000 tonnes du bassin de Briey.
Malgré sa richesse en minerais de fer, la France
importe une notable quantité de minerais étrangers :
417 000 tonnes en 1913.
Ces importations venaient principalement de la Lor-
raine annexée et du Luxembourg : 60 p. 100 du total.
Elles s'expliquaient par l'obligation, pour les usines
françaises, de se fournir en minerais à gangue siliceuse
qui leur manquaient avant l' exploitation du bassin
de Crusnes et dont elles ont besoin pour le lit de
fusion.
L'Espagne fournissait 32 p. 100 des envois. Ses
minerais très riches et très purs alimentaient certaines
de nos usines littorales et même, en raison de leur
excellente qualité, nos usines du Centre et du Nord,
spécialisées dans la fabrication des produits fins.
La Suède, par ses riches gisements de Gellivara et
de Kirunavara, expédiait des minerais riches en fer
pour l'amélioration des lits de fusion du Centre et du
Nord, ou riches en phosphore pour les établissements
qui travaillaient avec des minerais locaux moins phos-
phoreux et désiraient obtenir un mélange convenable
pour la production de la fonte Thomas.
Ces entrées, malgré leur valeur, ne pouvaient com-
penser nos sorties. En 1913, la balance de notre com-
132 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
merce en minerais de fer se traduisait par un bénéfice
de plus de 100 millions de francs.
Le commerce des métaux. — La production de la
fonte et de l'acier s'écoulait presque entièrement sur le
marché national. A l'extérieur, nous ne pouvions lutter
avec les industries étrangères. Nos importations en
combustibles écrasaient notre fabrication. De ce chef,
nos fontes étaient augmentées de 7 francs par tonne,
par rapport à la Belgique; de 14 francs par rapport
à l'Allemagne; de 21 francs par rapport à l'Angleterre;
de 25 francs par rapport avec les États-Unis. Par
contre, sur le marché intérieur nous étions faiblement
défendus par une protection insuffisante. La récipro-
cité des tarifs, prescrite par les traités de commerce,
n'existait pas réellement. Les pays qui étaient, avant
guerre, nos rivaux directs savaient fort bien nous
fermer leurs frontières, tandis que le gouvernement
français n'opposait pas la même fermeté. Malgré des
prix plus bas, le Creusot n'est jamais parvenu à placer
ses profilés en Angleterre, en Belgique, en Allemagne.
Les statistiques de l'industrie minérale accusaient,
en 1913, une production de 953 000 tonnes de fonte de
moulage sur une production totale de 5 200 000 tonnes
de fonte. Le régime de l'admission temporaire donnait
à nos importations (123 000 tonnes) la supériorité sur
nos exportations (63 000 tonnes). Au total, les sorties
surpassaient les entrées de 29 000 tonnes; nous rece-
vions d'Allemagne (40 p. 100) et d'Angleterre
(21 p. 100) des pièces de machines ou de transmission
en fonte. Seule, l'industrie florissante des tubes et
des conduites, en Meurthe-et-Moselle, indiquait un
bilan en notre faveur : nos exportations (40 000 tonnes)
l'emportaient sur nos importations (19 000 tonnes);
50 p. 100 partaient dans nos colonies; 20 p. 100 dans
LA FONTE AU COKE 133
l'Amérique du Sud; 11 p. 100 en Belgique. La
presque totalité de la fonte produite restait en
France; elle était utilisée dans les fonderies de pre-
mière et de deuxième fusion; elle trouvait des débou-
chés faciles dans les industries des tuyaux, de la poterie,
de la fonte d'art, du chauffage central, de la machi-
nerie agricole.
Semblablement, les 406 000 tonnes de fer produites
étaient écoulées sur le marché national pour la pro-
duction des fers marchands.
Nous marquions un avantage certain, bien que de
faible importance, dans le commerce des demi-produits
en acier (blooms et billettes) et des produits marchands
(profilés, fils de fer, tôles, fer blanc) : les statistiques
indiquent 103 000 tonnes aux importations contre
251 000 tonnes aux exportations. Nos colonies for-
maient la base de notre clientèle (50 p. 100 des sorties);
venaient ensuite dans l'ordre d'importance : la Bel-
gique, la Suisse et l'Amérique latine.
Par contre, la balance de l'industrie mécanique se
chiffrait en faveur de l'étranger. Nous recevions pour
de forts tonnages et de grosses valeurs des machines
à vapeur, des locomobiles, des moteurs, des moteurs
hydrauliques, des machines -outils, des machines tex-
tiles, des machines agricoles, du matériel de chemin
de fer. De 1910 à 1913, les importations allemandes
ont été multipliées par 10, les importations anglaises
par 4, les importations des Etats-Unis par 5; la Bel-
gique et la Suisse comptaient également parmi nos
fournisseurs, principalement de machines et de pièces
de machines. On aperçoit, dans l'ensemble de la con-
struction mécanique, une grande insuffisance de pro-
duction. Seule l'industrie automobile montrait un bilan
où les sorties l'emportaient sur les entrées. L'Angle-
terre, la Belgique, le Portugal, l'Italie, la République
134 l'industrie nu fer en france
Argentine nous assuraient des débouchés importants.
Grâce à l'industrie automobile la valeur des exporta-
tions et des importation* s'équilibrait : 250 millions
de francs de chaque côté, environ.
En définitive, la France consommait la presque
totalité de sa production soit : 5 200 000 tonnes de
fonte, 4 686 000 tonnes d'acier, 405 000 tonnes de fer.
Les industries des transports, de la construction métal-
lique, de la construction mécanique et des armements
étaient les principaux clients.
2° LE MARCHÉ INTÉRIEUR
LES INDUSTRIES CONSOMMATRICES
A. L'industrie des transports : Les chemins de
fer. — Les chemins de 1er sont les premiers en date
parmi les grands clients de l'industrie du fer. Ils ont
été, de tout temps, les plus importants. Le matériel
et la voie consomment des quantités considérables de
métal.
En 1767, les hauts fourneaux de Coalbroack, en
Angleterre, coulèrent les premiers rails en fonte; vers
la fin du xvme siècle, les usines de Walbottle rempla-
cèrent la fonte par le fer et donnèrent au rail un
profil très voisin de sa forme actuelle. Toutefois, ce
fut sur des rails en fonte que fut ouverte, le 1er octo-
bre 1828, la première ligne française, celle de Saint -
Etienne à Andrézieux, prolongée plus tard jusqu'à
Lyon, destinée à l'écoulement des produits sidérur-
giques du Centre.
Cependant « l'ère des chemins de fer » ne fut réelle-
ment ouverte que par l'invention de Georges Stephen-
son, la locomotive. Depuis, la métallurgie et la voie
ferrée ont grandi parallèllement. Les chemins de fer
LA FONTE ATT COKE 135
ont été, pour l'industrie du fer, un admirable instru-
ment de vulgarisation. Ils ont fait entrer le métal dans
le domaine de la vie usuelle : par contre, sans le fer
et sans l'acier. Os n'auraient pu prendre l'influence
sociale et économique qu'ils détiennent à l'époque
actuelle.
Présentement, sauf dans des cas très spéciaux, le
rail de fer a été totalement abandonné. En France,
depuis 1900, on n'a, pour ainsi dire, plus fabriqué de
rails en fer. Le rail d'acier a conquis la prééminence.
Sa longueur croît de plus en plus. Elle atteint couram-
ment 21 mètres : son poids s'est élevé jusqu'à 50 kilos
au mètre. C'est un produit du laminage, à partir des
blooms pesant jusqu'à 3 500 kilos. L'opération se fait
en une seule chaude.
En 1912, la France a produit 510 000 tonnes de rails.
Elle venait après les Etats-Unis (3 300 000 tonnes),
l'Allemagne (1 920000 tonnes), l'Angleterre (728 000 ton-
nes), avant la Belgique (339 000 tonnes). Le départe-
ment de Meurthe-et-Moselle est le gros producteur de
rails français (224 000 tonnes). 80 p. 100 du total sont
fabriqués avec de l'acier Thomas (Meurthe-et-Moselle
et Nord); 20 p. 100 se partagent entre le convertisseur
Bessemer (G-ard, Landes) et le four Martin (Gard,
Loire-Inférieure, Nord, Pas-de-Calais).
Les rails sont réunis par des éclisses et des boulons
dont le poids dépasse 20 kilos. Le système repose sur
des traverses. En France, pays du bois, les traverses
en métal ont eu peine à s'imposer dans les chemins
de fer, tandis qu'en Allemagne leur proportion a atteint
40 p. 100 du total. En outre la voie a besoin de métal
pour les aiguilles, les croisements, les renforcements,
les plaques et les ponts tournants, les chariots, les
bascules.
Si l'on songe que la longueur des six grands réseaux,
136 l'industrie du fer en france
des compagnies secondaires, des chemins de fer indus-
triels et d"intérêt local, dépassait 54 000 kilomètres en
1913, on peut estimer que pour mettre en place la voie
actuelle, il a fallu utiliser près de 10 millions de tonnes
de fonte, de fer ou d'acier; chiffre plus que triplé si
Ton compte les remplacements depuis les débuts.
Pour être beaucoup moins considérables, les quan-
tités de métal employées dans le matériel sont cepen-
dant également importantes par leurs valeurs. On peut
dire que, grâce à l'agencement des locomotives et des
wagons, les préoccupations de transport, de distance
et de poids sont devenues indifférentes à l'activité
économique des nations. L'industrie du fer est à l'ori-
gine de cette révolution.
Le développement a été fort rapide. M. L. Férasson
remarque qu'en 1832 — deux ans après la découverte
de la locomotive — la compagnie de Liverpool à Man-
chester faisait circuler des trains à la vitesse de 16 kilo-
mètres à l'heure et que, 80 ans plus tard, les Améri-
cains possédaient, sur la Xew-York-Central-Line, un
train marchant à 120 kilomètres à l'heure. Ce train
pesant 800 tonnes était remorqué par une locomotive
de 190 tonnes. Ils ont mis également en circulation
un train de marchandises de 640 wagons, d'un poids
de 45 000 tonnes, remorqué par une locomotive de
410 tonnes. La longueur du train est de 7 000 mètres,
la locomotive elle-même mesure 33 mètres.
Xos machines n'ont pas atteint ces dimensions vrai-
ment américaines. Cependant les engins du type « Paci-
fique » pèsent quelque 70 tonnes en ordre de marche.
Peut-être faut-il chercher dans l'insuffisance de nos
ateliers la raison du retard de notre matériel. On sait
que l'importation des locomotives, des voitures et des
wagons figure parmi les plus gros déficits de notre
balance métallurgique. Avant guerre, la production
LA FONTE AU COKE 137
française ne comprenait guère, par an, que 650 à 700 loco
motives, 2 000 voitures, 1 800 wagons de marchandises.
C'était insuffisant. Il y a là une fabrication à développer
pour la France de demain.
Les constructions navales. — « L'histoire des pro-
grès réalisés dans l'industrie delà construction navale,
écrit M. Ilollard, dans l'enquête du Comité des Forges,
est intimement liée à celle des progrès de la métallur-
gie. C'est, en effet, la construction métallique qui a
permis d'atteindre, pour les coques de navire, des
dimensions auxquelles il n'aurait pas été possible de
songer avec la construction en bois, tout en leur con-
servant les finesses indispensables pour les vitesses
exigées. Ces dimensions ont été constamment en aug-
mentant et celles auxquelles on est arrivé actuelle-
ment ont été rendues réalisables tant par les perfec-
tionnements apportés dans les systèmes et dans les
procédés de construction que par les améliorations
obtenues dans la fabrication et la qualité des métaux. »
Le premier bateau, en plaques de tôles boulonnées,
fut lancé sur la Severn en 1787. Mais la construction
métallique pénètre réellement dans les chantiers à
partir de 1830. Elle fut adoptée, dès 1841, pour la
navigation transatlantique, d'abord par la Peninsular
and Oriental Co, sur le Precursor, puis successivement
par les autres compagnies de navigation. En 1874, le
nouveau métal était presque partout adopté pour la
marine marchande. Le fer et l'acier devaient lui per-
mettre le développement extraordinaire qu'elle a pris
de nos jours. Dans les seize années, qui ont précédé
la guerre, le tonnage-vapeur s'est augmenté, pour la
France, de 49 p. 100; pour l'Angleterre de 91 p. 100;
pour les Etats-Unis de 27 p. 100; pour l'Allemagne de
222 p. 100.
138 L'iNDTTSTRIE BU FER EN FRANCE
Cet accroissement continuel du tonnage n'aurait pu
être réalisé sans la construction d'unités de grandes
dimensions et munies de machines à forte expansion.
Au point de vue de la grandeur des bateaux, la
marine de commerce a toujours eu une réelle et impor-
tante avance sur la marine de guerre. Le fameux Great
Eastern, construit en 1858, « avait un déplacement de
27 400 tonnes, égal à cinq fois environ celui de la
frégate cuirassée Gloire et supérieur encore, par con-
séquent, à celui des plus gros cuirassés que la France
a mis en chantier ces dernières années ». Actuelle-
ment, les déplacements des navires de guerre sont
de 27 000 tonnes, ceux des paquebots dépassent
50 000 tonnes.
Dans le fait, Fart de l'ingénieur permet d'accroître
indéfiniment les dimensions. Le constructeur n'est
arrêté que par Le rendement économique de l'organe
créé, principalement par la dépense en charbon; elle
croît beaucoup plus vite que le tonnage du navire. Au
delà des vitesses normales, les frais de combustible
sont hors de proportion avec les résultats obtenus.
Cependant les grandes compagnies se laissent entraîner,
insensiblement par la « folie de la vitesse ». En 181 fl,
le trois-mâts américain Savannah, pourvu d'une
machine à vapeur auxiliaire et jaugeant 380 tonneaux,
réalisait la première traversée à vapeur de l'Atlantique
en 35 jours : actuellement les ingénieurs des Etats-
Unis envisagent la construction d'un paquebot mar-
chant à 30 milles à l'heure, jaugeant 80 000 tonnes
de déplacement en pleine charge et permettant de faire
Paris-New-York en 4 jours.
Avec 1 800 000 tonnes de jauge, en 1913, la France
venait au quatrième rang, sur les statistiques mari-
times, derrière l'Angleterre, l'Allemagne et les Etats-
Unis. Elle était cependant obligée d'acheter à l'étran-
LA FONTE ATT COKE 130
ger 55 p. 100 de ce tonnage. Nos chantiers construi-
saient surtout des navires de moyen et de fort tonnage.
Cette préférence s'explique : par la prime proportion-
nelle à la jauge brute qui était allouée au constructeur;
par le prix de revient qui est sensiblement plus faible
pour les grands que pour les petits cargos; par les
facilités, pour l'armateur, de pouvoir se procurer à
l'étranger les petites unités. En 1913, le bureau Veritas
estimait à 111 000 tonneaux le tonnage des navires
construits; les statistiques des douanes évaluaient à
127 000 tonneaux, soit à 37 millions de francs, le tonnage
des navires en acier, neufs ou en service, qui furent
introduits en France cette même année.
Dans la marine militaire, la construction en bois per-
sista beaucoup plus longtemps : les gros approvision-
nements de bois ne permettaient point, pour des raisons
budgétaires, l'adoption complète de la construction
métallique. « Par contre, écrit M. Hallard, la marine
de guerre a donné l'exemple pour l' adoption de l'hélice
comme mode de propulsion, pour la substitution de
l'acier au fer et ensuite l'emploi de matériaux spéciaux
permettant de diminuer le poids de la construction. »
La première frégate en fer, la Couronne, date de
1860 : le premier cuirassé en acier, le Redoutable, fut
mis en chantier en 1880; il est resté en service jusqu'en
1910. Vers 1880, également, on vit apparaître les pre-
mières machines h triple expansion détendant la vapeur
dans trois cylindres successifs, pour lesquelles Benjamin
Normand avait pris un brevet en 1872.
Depuis lors, la marine de guerre a suivi, sous le
rapport du tonnage et de la vitesse, un développement
parallèle à celui de la marine marchande. On craignait
vers 1890, la disparition des grandes unités. On avait
cru que les torpilleurs pouvaient, à eux seuls, consti-
tuer une défense suffisante des côtes. L'illusion ne dura
140 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
pas longtemps. Les grands navires augmentèrent, non
seulement en nombre, mais en dimension et en artil-
lerie.
A partir de 1872 l'acier doux permettait de con-
struire des navires de 10 000 tonneaux de déplacement,
armés de canons de 27, protégés par des cuirasses tic
350 à 380 millimètres et marchant à 15 nœuds envi-
ron. Dans le déplacement, la coque absorbait 44 p. 100,
la propulsion 20 p. 100, la protection 28 p. 100, l'arme-
ment 8 p. 100.
Nos cuirassés actuels ont des déplacements de
25 000 tonneaux, et des vitesses de 21 nœuds. Us sont
armés avec des canons de 305 et 340 millimètres, et
protégés par des blindages en acier cémenté de 250 à
300 millimètres d'épaisseur. On admet que la coque
représente 35 p. 100 du déplacement, la propulsion
13 p. 100, la protection 34 p. 100, l'armement 18 p. 100.
La puissance combative de l'organe a plus que doublé,
et sa protection a été sensiblement accrue.
Avant guerre, en 1914, les Anglais armaient pareil-
lement le Queen Elisabeth avec des canons de 380 mil-
limètres, lançant des obus de 900 kilos. Les Allemands,
pendant la campagne, se sont servis de canons
semblables, inutilisés à bord et mis à terre pour
tirer sur Dunkerque, Belfort et Nancy. Ils lançaient
des projectiles de 940 kilos, à 37 kilomètres de
distance.
D'après ces chiffres, on se rend compte de la quantité
d'acier, le plus souvent de l'acier spécial, qui entre
dans la construction, l'équipement, l'armement des
bâtiments destinés à la marine marchande et à la
marine de guerre. Ils expliquent comment le groupe
des industries du Centre a pu vivre et prospérer malgré
la concurrence du Nord et de l'Est, malgré le manque
de matières premières à proximité des usines.
LA FONTE AU COKE 141
L'industrie automobile. — La période industrielle
de la construction automobile a suivi de très près la
période sportive. En 1895, la course Paris -Bordeaux
démontra que ces véhicules, d'invention récente, pou-
vaient réaliser des vitesses horaires de 25 kilomètres
sur des parcours dépassant 1 000 kilomètres. Les
échanges routiers devaient connaître un essor qui était
impossible avec la traction hippomobile.
Au début de l'industrie, la France occupait la pre-
mière place, sur les marchés mondiaux, au point de
vue du nombre des voitures fabriquées. Elle a été for-
tement distancée, depuis, par les États-Unis. En 1913,
les États-Unis, avec une production annuelle de
."300 000 châssis par an, représentaient 80 p. 100 de
la production mondiale; la France, avec 45 000 voitures
ne comptait que pour 17 p. 100. Dans ce total, entraient
2 000 châssis-camions et 43 000 châssis de tourisme de
toute puissance. Le tonnage de métal fourni par notre
industrie sidérurgique à la construction automobile
serait donc insignifiant, à peine 100 000 tonnes par
an, s'il n'était constitué par des aciers spéciaux, le
plus souvent des aciers au creuset, destinés à fournir
un poids mort très faible, par rapport au poids utile
très élevé.
Si l'on veut se faire une idée de la valeur de cette
clientèle pour l'avenir de notre métallurgie, on exa-
minera la fabrication américaine. Les seules usines
Ford accusent une production journalière de 300 voi-
tures et une consommation annuelle de 35 000 ton-
nes d'acier. Une seule commande d'écrous a nécessité
l'expédition de 22 wagons de barres d'acier, destinées
à produire 4 500 000 écrous.
La quantité des voitures produites par le travail en
série a permis d'abaisser les prix de vente. Les plus
grandes firmes sont en état de livrer leurs voitures
142 l'industrie du fer en frav e
à des tarifs variant de 50 à 300 dollars. Dans ces con-
ditions, l'automobile n'est plus seulement un objet de
luxe; elle est l'auxiliaire de travail, infiniment précieux
pour l'employé et l'ouvrier. L'automobile devenu d'un
usage courant a développé sa production et parallèle-
ment sa consommation en métal. En 1918, la con-
struction a exigé 1 200 000 tonnes de métal.
La France n'est pas arrivée à ce stade glorieux. La
possession d'une voiture est encore l'apanage d'une
classe moyennement aisée. Les statistiques comptent
I voiture par 400 habitants en France, contre 1 voi-
ture par 300 habitants en Angleterre, 1 voiture par
II habitants aux États-Unis. Dans ce dernier pays,
le nombre des châssis en circulation à la fin de 1920
était de 9 211 295, soit 83 p. 100 du total mondial,
évalué à 10 922 278. C'est une clientèle à développer
pour l'écoulement de notre production métallurgique.
B. La construction métallique. — La construc-
tion métallique utilise principalement les produits du
laminoir, barres, tôles et profilés : elle les assemble
et les monte en vue des applications les plus diverses.
Son domaine s'étend aussi bien dans les petites fabri-
cations qui dépendent de la serrurerie : planchers, mar-
quises, rampes d'escaliers, ferrures, petits appentis,
que dans les gros ouvrages des travaux publics : cais-
sons de fondation à air comprimé, barrages, portes de
bassin, portes d'écluses, phares, gazomètres, réservoirs.
Cependant elle demeure caractérisée par les ponts et
les charpentes des bâtiments; ces deux branches de
son activité absorbent la plus grande partie du tonnage
demandée à l'industrie du fer.
Elle est la dernière venue parmi les clientes de la
métallurgie.
La France, riche en matériaux de toutes sortes, a
LA FONTE AU COKE 143
été longtemps confinée, pour la construction des mai-
sons et des ouvrages d'art, dans l'emploi de la pierre
et du bois, seuls capables de satisfaire les goûts esthé-
tiques de la nation. D'ailleurs, jusqu'à la fin du
xvme siècle, le fer était une matière trop précieuse
pour (pie l'on put songer à l'employer autrement que
pour les objets les plus indispensables.
Le premier pont métallique fut construit sur la
Severn, en Angleterre, en 1773, et en 1803 seulement,
on établissait, sur la Seine, à Paris, la passerelle en
fonte du pont des Arts. En réalité, l'essor des ponts
métalliques date de 1833; Polonceau en fixa la technique
par la construction du pont Carrousel, dont les trois
arches de 47 m. 67 attirèrent de suite l'attention de
nos ingénieurs. Cependant, l'inaction des travaux
publics, la prédilection des constructeurs pour l'élé-
gance des ponts de pierre, ne permirent pas à notre
industrie de faire preuve d'une activité comparable à
celle des autres nations. Longtemps une grue de
5 tonnes a passé pour le perfectionnement le plus osé
des engins de levage et le pont suspendu de Marseille
confondait l'admiration des visiteurs. Mais à la fin du
xixe siècle, l'extension des moyens de communication,
le développement industriel, l'exécution du programme
de Freycinet, l'accroissement de la puissance des canaux
et des ports, surtout la production considérable de
l'acier décidèrent les constructeurs à adopter le nouveau
métal.
En dernier ressort, l'extension du réseau ferré et les
prix élevés des ouvrages en maçonnerie déterminèrent
le lancement des viaducs métalliques. En face des ponts
de pierre de Morlaix, de Chaumont, du Point-du-Jour,
les ponts métalliques d'Hanoï (1082 mètres de long),
de Garabit (564 mètres), les viaducs des Fades, en
Auvergne (465 mètres), de Tardes (une travée de
144 L'INDUSTRIE DU FER EX FRANCE
100 mètres) peuvent soutenir la comparaison. Toub
les ouvrages détruits pendant la retraite de Charleroi
ont été reconstruits en métal quand nous avons repris
le terrain.
Mais la victoire des ponts métalliques n"est pas
définitive. Leur grand ennemi est l'oxydation, dont
l'action s'exerce surtout sur les ouvrages des chemins
de fer, soumis à l'action des fumées corrosives. Les
ponts en maçonnerie durent plus longtemps. La pas-
serelle du pont des Arts a 117 ans d'existence, les
ponts de Trajan ont 18 siècles. Puisque la maçonnerie
est d'un prix trop élevé, on a songé au béton armé.
Il a également l'avantage de la durée et de la facilité
d'entretien. « En dehors des cas, écrit M. Laroche
dans l'enquête du Comité des Forges, où le pont métal-
lique s'impose, — traversée de vallée profonde, pas-
sage en courbe, fondation en sol mauvais, surbaisse -
ment imposé, très grande portée de plus de 150 mètres,
— le pont métallique sera vivement combattu. »
Par contre l'acier semble avoir définitivement établi
sa prééminence dans l'industrie du bâtiment.
A la fin du xvine siècle, l'architecte Louis fit exé-
cuter, en fer forgé, le comble du Théâtre-Français. Ce
fut le premier ouvrage, complètement en métal, élevé
dans l'art du bâtiment. Un peu plus tard, en 1809.
le Creusot coule la première charpente en fonte, des-
tinée à la Halle aux blés. Mais ces constructions devaient
rester longtemps des exceptions. Alors que l'Angle-
terre avait adopté la fonte et poussait ses expériem <
sur le fer, les architectes français demeuraient hostiles
à l'emploi des nouveaux procédés. C'est seulement en
1845, à la suite d'une grève de charpentiers, que l'on
utilisa le fer dans la construction des planchers. Et
c'est seulement à la fin du xixe siècle que le perfec-
tionnement des engins de manœuvre, la cherté du ter-
LA FONTE AU COKE 145
rain dans les villes, l'élévation des immeubles, les prix
très modiques des profilés imposèrent l'usage des car-
casses en fer et en acier.
Actuellement, le bâtiment est un des meilleurs clients
de notre sidérurgie. Les poutrelles, vendues en 1912,
ont atteint le chiffre de 490 000 tonnes, dont 85 000
pour nos colonies; soit une consommation de 9 kg. G
par tête d'habitant. C'est relativement peu si l'on
compare la production étrangère. Pour la même année,
elle s'est élevée à 800 000 tonnes en Angleterre, à
1 690 000 tonnes en Allemagne.
Etant donnée la diversité de la clientèle, il est assez
difficile d'évaluer exactement le tonnage demandé par
la construction métallique à l'industrie du fer. Le
Comité des Forges l'estime à 2 060 000 tonnes pour
1913, soit 69 p. 100 de la fabrication des produits finis.
Avant la guerre, la construction suivait une courbe
plutôt ascendante. Elle paraissait satisfaire aux besoins
des marchés coloniaux et nationaux. Les périodes
d'activité correspondaient aux expositions et aux
grands travaux; elles étaient séparées par des périodes
de dépression profonde, où le travail était exécuté à
perte. La construction métallique est susceptible de
transactions plus étendues.
C. La construction mécanique. — L'outillage com-
mercial, l'outillage industriel, l'outillage agricole
comprennent des pièces de forge, des moulages, des
laminés, en un mot des produits sidérurgiques sous les
formes les plus diverses. On aura une idée de l'impor-
tance de cette clientèle par l'enquête du Comité des
Arts et Manufactures. Son rapporteur estimait le
tonnage de métal nécessaire à cette fabrication à
1 500 000 tonnes environ.
Dans cette branche de l'activité nationale, la France
L'Industrie du fer en Iran cl. 10
146 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
a toujours apporté ses qualités maltresses : la clarté,
l'originalité et la profondeur des vues théoriques, l'in-
géniosité dans l'application des principes à la réali-
sation des appareils, l'esprit d'invention le plus déve-
loppé dans toutes les pallies de la mécanique appliquée.
Cependant l'étude des dernières statistiques révèle la
1 liste infériorité de notre production : nos importa-
tions l'emportent grandement sur nos exportations. Le
déficit est particulièrement remarquable pour certains
chapitres.
En 1913, notre production en machines -outils pou-
vait être estimée à 10 minions de francs environ; nos
importations s'élevaient à 40 millions de francs (dont
50 p. 100 en provenance d'Allemagne) et nos expor-
t ations à 9 millions de francs. Notre déficit atteignait au
triple de notre production.
Pour les machines-outils notre fabrication, évaluée
à 20 millions de francs,, ne satisfaisait qu'à la moitié
de notre consommation. Nous en recevions pour- 22 mil-
lions de francs (dont 38 p. 100 en provenance d'Alle-
magne) et nos expéditions ne montaient qu'au dixième.
De même, notre production en machines agricoles
(120 millions de francs) devait être renforcée par des
importations qui atteignaient 30 millions de francs, soit
la valeur du quart de notre fabrication. La part des
États-Unis aux entrées était de 60 p. 100.
Dans le matériel de brasserie, l'Allemagne nous
envoyait 2 millions de francs d'appareils, la moitié du
chiffre de notre production.
Enfin les machines à écrire, les machines à imprimer,
les machines à coudre provenaient en partie ou en
totalité d'Angleterre, d'Allemagne et des Etats-Unis.
Le Comité des Arts et Manufactures signale trois
causes principales à cette infériorité de notre industrie
mécanique : l'insuffisance du tarif douanier qui favo-
LA FONTE AU COKE 147
rise les matières premières au détriment des produits
finis; les prix élevés des fontes et des aciers français
par comparaison avec les fontee et les aciers étrangers;
surtout l'inertie des chefs de l'industrie qui se canton-
nent dans un particularisme trop étroit et qui hésitent
à se grouper pour un effort commun. Encore peu déve-
loppée, mais susceptible, grâce au talent de ses ingé-
nieurs, de reconquérir la place qui lui revient sur le
marché, la construction mécanique doit être, dans
l'avenir, un client plus important pour nos hauts
fourneaux et nos aciéries.
D. Les industries de la guerre. — Dans un para-
graphe précédent, nous avons essayé de montrer
l'évolution de la marine de guerre au point de vue de
la construction navale et de la puissance de son artil-
lerie. Nous en avons déduit sa valeur comme cliente
de l'industrie du fer. Ce sont également des aciers
spéciaux, alliés le plus souvent à des métaux rares et
chers, que réclame l'armée de terre pour le matériel
de l'infanterie, de l'artillerie, du génie et de l'aviation.
C'est là une des raisons de la prospérité métallurgique
du groupe du Centre.
A vrai dire, si l'on s'en tenait au seul tonnage, les
produits pour la guerre et la marine ne mériteraient
pas de figurer sous une rubrique spéciale puisqu'ils
ne représentent que 25 000 à 30 000 tonnes, année
moyenne, sur une production totale de 3 186000 tonnes
de produits finis. Mais il en est autrement si l'on
considère leur utilité nationale, leur valeur absolue et
la complication de l'outillage qu'exige leur fabrication.
Les usines du Centre, où s'élaborent ces aciers, ne
s'imposent pas à l'attention par le nombre de leurs
hauts fourneaux ou celui de leurs convertisseurs, mais
bien par la quantité des fours Martin et des appareils
148 L'INDUSTRIE DU FER EX FRANCE
spéciaux. Sur les 762 creusets que possède la France,
600 s'y trouvaient concentrés en 1913. « C'est là aussi,
écrit M. Tribot-Laspière, que se trouvent les presses
de 6 000 tonnes, les pilons de 100 tonnes, les tours à
canon, les fosses à tremper qui permettent de travailler
des lingots de 120 tonnes, et aussi les laboratoires »
où sont étudiées les qualités du métal. C'est là que
nos plus célèbres ingénieurs d'artillerie, de Reffye,
de Bange, Canet, Déport, Rimailho ont donné nais-
sance au matériel qui porte leur nom.
L'industrie de T armement est l'industrie de luxe
de la sidérurgie française. Aucune branche de l'acti-
vité nationale n'exige autant de précision des machines,
d'attention de l'ouvrier, d'invention de l'ingénieur.
Pour le canon de 305, par exemple, il faut répéter
44 fois l'opération du frettage; les machines-outils
doivent posséder une précision absolue sur 40 mètres
de longueur et la réussite ou la mise au rebut d'une
pièce de 300 000 francs dépend, pendant des semaines
que dure le travail, de l'attention soutenue de toute
la main-d'œuvre. De même, l'usinage des plaques de
blindage dure de 7 à 8 mois. En cours de fabrication,
les plaques sont soumises à des essais de choc, à des
examens microscopiques, à des analyses chimiques
qui exercent les qualités d'initiative de tout le personnel,
depuis le moindre manœuvre jusqu'au directeur.
Ces opérations multiples et compliquées expliquent
la différence des prix de revient. En Meurthe-et-Moselle,
les aciers marchands ne dépassaient pas, avant la guerre,
144 francs la tonne, tandis que la valeur moyenne
des aciers au creuset a atteint 3 300 francs la tonne
dans la Loire, et même davantage pour le matériel
de guerre.
Les industries de la guerre ont tenu, pendant la guerre,
toutes les promesses du temps de paix. L'habileté de
LA FONTE AU COKE 149
la main-d'œuvre, le talent des ingénieurs ont permis
de satisfaire aux grandes débauches de munitions qui
sont une des caractéristiques de la bataille moderne.
A la première bataille de la Marne, l'armée française
a consommé 1 cartouche d'infanterie pour 50 coups
de canon ; à la deuxième, la proportion était de 1 contre 7.
' Semblablement le calibre des pièces et le poids des
projectiles ont été augmentés au fur et à mesure que
les abris étaient renforcés et défilés en profondeur :
les 420 autrichiens ont été surpassés par les 520 français.
Enfin des engins nouveaux ont été créés pour percer
la fortification de campagne : les tanks ont traversé
la ligne Hindenbourg.
L'industrie des transports, la construction métal-
lique, la construction mécanique, les industries de la
guerre étaient, en 1913, les principaux clients de
l'industrie du fer. Mais d'autres modes de l'activité
humaine réclament son concours qui peuvent, par la
suite, devenir des consommateurs assidus. Parmi les
plus récents, et qui sont encore au début de leur
évolution, il suffit de citer : les câbles aériens pour le
transport des produits des mines, minières et carrières ;
l'aviation, que la guerre a fait rentrer dans le domaine
pratique; l'industrie électrique, qui équipe nos richesses
hydrauliques dans les Alpes, les Pyrénées et le Massif
central. Ce sera l'œuvre de la paix de développer les
anciennes relations et d'en conquérir de nouvelles.
3° L'ORGANISATION SOCIALE ET COMMERCIALE
L'importance prise par l'industrie du fer exigeait,
pour sa défense, la création d'organismes nouveaux,
inutiles à l'époque où la fonte au coke suffisait aux
l.r)0 L'INDUSTRIE DIT FER EN FRANCE
demandes modestes d'une clientèle essentiellement
localisée. La substitution du combustible minéral au
combustible végétal, les découvertes deBessemer, l'essor
de la métallurgie anglaise, les tarifs libre-échangistes
de 1860, tous ces événements d'ordre technique, écono-
mique et politique décidèrent, en 1864, la création du
Comité des Forges de France, syndicat professionnel
avant pour but exclusif « l'étude et la défense des
intérêts économiques, industriels et commerciaux de
l'industrie sidérurgique », à l'exclusion de tout acte
de commerce.
Sur ce terrain, le Comité a pu, en 1914, réunir 252 adhé-
rents qui représentent 97 p. 100 de la production de la
fonte française et 93 p. 100 de l'acier, représentant
un capital de 1 150 000 francs, employant un personnel
de 200 000 ouvriers ou employés, distribuant par an
400 millions de salaires. On conçoit, d'après ces chiffres,
l'autorité de cette association dans les délibérations
des Chambres et dans la Presse.
Sous l'action directrice du Comité, fonctionnent
diverses chambres syndicales : constructeurs de maté-
riel de chemin de fer, constructeurs de navires et de
machines marines, constructeurs de matériel de guerre,
construction métallique, électro-métallurgie, etc Le
Comité des Forges et les Chambres syndicales font
partie de l'Union des industries métallurgiques qui
groupe 53 chambres syndicales.
C'est là l'organisation sociale de l'industrie du fer. A
ses côtés, l'organisation commerciale correspond à une
nécessité économique. « Elle était si indispensable,
écrit M. Tribot-Laspière, qu'elle est apparue dans tous
les pays, principalement aux États-Unis et en Alle-
magne, et c'est peut-être pour l'avoir méconnue que
l'Angleterre voit son industrie sidérurgique rester
stationnaire quand celle de ses voisins progresse. »
T,A FONTE ATT COKE 151
L'union n'a été réalisée en France, ni sous la forme
violente et autoritaire des trusts américains, ni sous la
forme inquisitoriale des cartells allemands. Le comp-
toir français, moins intransigeant, plus respectueux de
la liberté individuelle, se contente d'inscrire les com-
mandes et de les répartir entre les associés, proportion.
nellement à la production déclarée. Aussi chaque comp-
toir ne traite que d'un produit dont la fabrication est
obligatoirement similaire dans chaque usine, pour éviter
les réclamations de la clientèle et pour unifier les prix
de vente. Ainsi le comptoir métallurgique de Longwy
ne vend que des fontes brutes et le comptoir des pou-
trelles que des profilés, dont les caractéristiques sont
soigneusement fixées.
Le comptoir est un organisme régulateur : il stabi-
lise les prix de vente. Il arrête les hausses exagérées
qui déprimeraient la clientèle. Entre 1895 et 1904, la
hausse des charbons a été de 22 p. 100 en Allemagne
où existaient des ententes; tandis qu'elle a atteint
134 p. 100 en France, 147 p. 100 en Belgique, 193 p. 100
en Angleterre, où des associations analogues manquaient.
En France, dans la même période, les fers marchands
vendus librement par les usines ont subi une hausse de
08 p. 100, tandis que les poutrelles, vendues par le
comptoir, ne montaient que de 33 p. 100. Par contre,
dans les périodes de baisse, le comptoir ne peut main-
tenir les prix syndicataires. En 1921, le comptoir de
Longwy a rendu la liberté à ses adhérents.
Le comptoir est aussi un instrument de propagande.
C'est grâce à l'organisation de Longwy que les maîtres
de forges lorrains ont pu faire connaître leur fonte, un
moment si décriée, même dans la clientèle nationale.
Grâce au comptoir d'exportation des fontes et à celui
des poutrelles, notre industrie est parvenue à prendre
place sur les marchés étrangers. En (! ans, l'exporta-
152 l'industrie du fer en France
tion des poutrelles et des rails a quintuplé : elle est
passée de 40 000 à 200 000 tonnes.
Au moyen de ce mécanisme ingénieux, les métallur-
gistes sont arrivés à protéger la liberté de leur industrie,
à régulariser la production, à sauvegarder les droits du
consommateur, à lutter contre la concurrence étran-
gère à l'intérieur, à lui reprendre des marchés à l'extérieur.
VI. — LA PUISSANCE MÉTALLURGIQUE
Entre les petites fabriques du xviitp siècle, dont les
plus importantes ne produisaient guère plus d'un millier
de tonnes de fonte par an et nos usines sidérurgiques
d'aujourd'hui, qui écoulent jusqu'à 300 000 tonnes de
produits marchands, il n'y a guère de terme de compa-
raison. Le minerai de fer est la commune origine de
leur activité, mais les modifications apportées à la
technique dominent l'évolution de la métallurgie. A une
poussière de petites fabriques clairsemées, éparpillées
à travers toute la France, sans lien entre elles, étroite-
ment spécialisées dans la production, se sont substituées
d'énormes agglomérations industrielles, concentrées en
certains points du territoire, réunies par des liens syn-
dicaux et économiques et qui livrent les produits les
plus divers.
Autrefois, chaque usine ouvrait, avec le minerai
voisin, une qualité de fonte toujours la même, dont la
réputation, bonne ou mauvaise, était solidement établie
faute de procédés techniques capables de la modifier.
Les fontes de Lorraine étaient cassantes et ne valaient
que parle moulage, celles du Dauphin é étaient ployantes,
propres aux aciers les plus fins. Aujourd'hui, les hauts
fourneaux utilisent toutes sortes de minerais et coulent
LA FONTE AU COKE 153
les fontes les plus différentes : fonte d'affinage, fontes
de moulage, fontes Bessemer, fontes Thomas, fontes
Martin, fontes spéciales. Nous savons que la métal-
lurgie lorraine, spécialisée dans l'acier Thomas par
l'emploi forcé de la minette, s'équipe cependant pour
la fabrication de l'acier Martin. Les aciéries modernes
juxtaposent, dans leurs halles, les appareils les plus
divers, convertisseurs, fours et creusets — et cepen-
dant c'est la même fonte qui les alimente.
D'autre part, dans son voisinage immédiat, le haut
fourneau est l'instigateur d'industries qui étonneraient
fort les maîtres de forges du xvme siècle. La métallurgie
moderne a poussé, jusque dans ses dernières perfec-
tions, l'utilisation des sous-produits.
Les hauts fourneaux alimentent et contrôlent : les
usines d'agglomération pour utiliser le fer contenu
dans les poussières (40 p. 100) et les boues (30 p. 100)
provenant de l'épuration des gaz sortis du gueulard;
ces briquettes entrent, par la suite, dans les lits de
fusion; les usines électriques alimentées par les gaz
et qui distribuent à l'extérieur l'excès d'énergie dont
la fabrication sidérurgique n'a pas besoin, ainsi la
ville de Metz est éclairée par les hauts fourneaux de
Maizières; les cimenteries et briqueteries qui malaxent
les scories avec la chaux exploitée dans les carrières
voisines, les voûtes et les galeries du Métropolitain de
Paris ont été construites avec des briques provenant
des usines de Meurthe-et-Moselle; les broyeurs et les
concasseurs pour la fabrication du ballast avec les
crasses des hauts fourneaux, en 1913, les aciéries de
Longwy ont livré 104 000 tonnes de ballast.
D'autre part, les convertisseurs Thomas fournissent
des scories de déphosphoration, très estimées en agricul-
ture : les aciéries de Longwy en ont vendu 77 000 tonnes
l'année qui a précédé la guerre.
154 L'INDUSTRIE F»TJ FER EN FRANCE
Enfin les tours à coke permettent de récupérer du
sulfate d'ammoniaque, du goudron, de la naphtaline,
des benzols : pour cette raison, les Allemands refusaient
énergiquement. avant-guerre, de vendre des houilles
à coke aux métallurgistes français et ne consentaient
qu'à expédier du coke.
Si l'on passe airx ateliers de transformation, le con-
traste est également grand. Jadis, le martinet et la
platinerie formaient tout l'outillage de l'industrie dtt
fer. Actuellement, la diversité de la production impose
l'établissement d'appareils très différents. « Pour trans-
former 1 million de tonnes de minerais en acier, écrit
M. Brull, c'est-à-dire pour fabriquer 500 000 tonnes
d'acier laminé par an, soit 1 600 à 1 800 tonnes d'acier
par jour, il faut une usine énorme : 8 hauts fourneaux.
1 aciérie, 2 trains blooming, 2 trains réversibles, 1 gros
train trio de 700 millimètres, 1 train de 600 millimètres,
1 train moyen, 2 petits trains don! 1 à fil », des dégros -
sisseurs, des machines à dresser, à fraiser, à percer, à
encocher, à poinçonner, etc., une station centrale,
des services accessoires très développés. Pendant l'inva-
sion, les Allemands pillèrent et brisèrent les ateliers
de Denain-Anzin. Le déménagement du matériel utili-
sable et son expédition outre-Rhin exigèrent la mise
en marche de 35 000 wagons.
Ces engins divers nécessitent une place considérable :
72 hectares à Hayange; 90 à Caen; 200 à Denain-
Anzin; 197 à Longwy, dont 21 pour les bâtiments et
ateliers, 81 pour les cours et dépôts, 25 pour les voies
et les gares, 70 pour les crassiers, jardins et dépen-
dances. Les ruines des anciennes forges ne donnent
pas cette impression de grandeur. Quand elles étei-
gnirent leurs feux, au cours du xixe siècle, elles furent
transformées le plus souvent en moulins.
Les propriétés foncières, les installations, le matériel,
LA FONTE ATT COKE 155
les concessions minières consomment un gros capital.
Pour produire 300 000 tonnes de produits finis en
acier, les aciéries de Longwy avaient émis, en 1914,
24 millions de francs en actions et 14 millions de francs
en obligations. Pour une même production, la Société
normande de métallurgie, qui exploitait les hauts four-
neaux de Caen et les gisements ferrifères du Calvados,
inscrivait à son passif 45 millions de francs avant la
guerre : actuellement le capital engagé est de 100 mil-
lions de francs, sans compter les obligations. On a
estimé à plus de 1 200 millions de francs les capi-
taux investis dans la métallurgie française, avant la
guerre. Actuellement l'établissement des sociétés métal-
lurgiques est, pour la plus grande partie, fonction
du capital. Quand toutes les conditions économiques
seraient acquises, il y a, du point de vue financier,
impossibilité de multiplier les aciéries. L'industrie du
fer est concentrée sous le contrôle de quelques sociétés.
("est le monopole d'une oligarchie.
Arrivée à ce stade de son évolution, la sidérurgie
française a pris la figure d'une de ces forces écono-
miques qui caractérisent l'activité d'un pays. Dans
l'histoire des énergies nationales, c'est un phénomène
relativement récent. Si le siècle du fer remonte, pour
l'Angleterre au xvme siècle, pour la Belgique et l'Alle-
magne au commencement du xixe, il ne peut guère
dater en France que des années 1880 à 1890. Sans
doute avec le coke, la machine à vapeur et les chemins
de fer, notre métallurgie possédait, comme ses rivales,
dès 1890, tous les outils du travail moderne. « Mais,
comme l'a écrit M. Demangeon, ces germes n'ont pas
donné de suite une floraison immédiate. Longtemps,
ils ne seront maintenus qu'en de rares centres, mieux
156 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
pourvus et mieux situés que les autres. Durant presque
tout le xixe siècle, sauf en quelques foyers de puis-
sante vitalité, notre métallurgie se dégagea pénible-
ment des liens du passé, distancée par la colossale
métallurgie de la Grande-Bretagne. »
A la fin du xixe siècle, l'industrie du fer se trouvait
encore, en France, dans la jeunesse. Alors que, dans le
monde entier, les besoins en fer étaient montés, en
100 ans, de 800 000 tonnes à 00 millions de tonnes:
malgré la richesse de notre sous-sol en minerai, la France
de 1900 ne fabriquait que 2 700 000 tonnes de fonte,
importait 2 119 000 tonnes de minerai, en exportait
327 000 tonnes seulement. Plus de la moitié de la fonte
était produite en partant des minerais étrangers.
L'épuisement des gisements étrangers, la mise en œuvre
des procédés Thomas ont donné l'essor à notre métal-
lurgie. La mine de fer est devenue une puissance comme
la mine de charbon : elle a pris une place de premier
ordre parmi les agents de 1" énergie nationale, ^on
activité n'est pas limitée, comme jadis, à quelques
kilomètres des gisements. Elle s'impose à toutela contrée
environnante, à toute la nation : bientôt, elle déborde
au delà des mers.
De même qu'il existe des villes dont l'énergie et les
capitaux contrôlent le pays dont elles vivent et qu'elles
font vivre, il existe des industries qui modifient complè-
tement la physionomie économique des nations. Dans
le cas qui nous occupe, la puissance métallurgique ne
s'arrête pas aux abords des usines qui élaborent le
minerai; son rôle social est infiniment plus complexe.
Par sa clientèle, elle agit directement sur les industries
des transports, de l'habitation, de la construction
mécanique, de la construction métallique, de l'arme-
ment; indirectement sur les industries des produits
chimiques et de l'agriculture. Par l'organisation de
LA FONTE AU COKE 157
ses débouchés elle domine les problèmes de la circu-
lation nationale : elle transforme les réseaux de chemins
de fer et suscite de nouveaux tracés; elle suggère des
améliorations au réseau des voies navigables et elle
propose l'aménagement des ports. Par ses besoins consi-
dérables en main-d'œuvre, elle intervient comme agent
de peuplement et de colonisation : si elle concentre,
à pied-d'œuvre une population spéciale et qui n'a plus
rien de commun avec les agricoles des environs, elle
entretient aussi un personnel de manutentionnaires,
de commis, de courtiers; de marins, quand elle possède
une flotte; d'étrangers, quand elle essaime en dehors
des frontières. L'industrie du fer est un des agents les
plus puissants de l'activité nationale.
Quand les relations ne sont pas résolues entre les
différents organes, l'industrie est obligée de s'arrêter
et elle entraîne le pays dans un cataclysme écono-
mique. Ces perturbations étaient inconnues aux époques
où la mine produisait uniquement pour le marché local.
Quand les traités libre-échangistes de 1860 donnèrent
le coup de grâce aux petites métallurgies de la fonte
au bois, la main-d'œuvre libérée se livra plus exclusi-
vement aux travaux de la terre; mais il n'en résulta
pas grand changement dans l'activité régionale. Aujour-
d'hui, on ne peut envisager, sans angoisse, la dispari-
tion de l'industrie lorraine, par exemple; — ou même
l'arrêt brusque des mines de Normandie, de Bretagne
et d'Anjou, bien qu'elles soient au début de leur nou-
velle existence.
Ouvrages à consulter.
Pour fêter son cinquantenaire, le Comité des Forges
a publié une volumineuse étude où les auteurs les plus autorisés
décrivent l'évolution de la sidérurgie française depuis l'intro-
158 l'industrie du fer en France
duction du coke dans les hauts fourneaux. Cet ouvrage est
la base de tout travail concernant le xrxe siècle et les pre-
mières années du xxe. Il a pour titre : Comité des Forges ;>r.
France. I. La Sidérurgie française, 1864-1913 (Paris, 192 I,
in-4). — II. Tableaux statistiques de la 'production minière et
sidérurgique des principaux pays, 1864-1931 (Paris, 1921, in-1).
Parmi les nombreux ouvrages parus sur le sujet, on lira
avec fruit : Angles d'Auriac (P.). L'évolution des procédés sidé-
rurgiques et les réserves mondiales de minerai de fer (Bulletin
de la société de l'Industrie minérale, XVII, 1911). — Lamétal-
lurgie du fer, par Paul Doumer; Etudes par Doïïjier (P.),
Paul Irveins, Fritz Thyssen, J.-O. Arnold, L. Bâclé.
P. Nicou, E. de Loisy, W. Kestranek, baron de Laveleye,
F. Meyek (Paris, Vuibert, 1910, in-8). — Ferasson (L.). La
question du fer. Le problème franco-allemand du fer (Paris,
Payot, 1918, in-16). — Id. L'industrie du fer (ibid.). —
Laffite (L.). L'évolution économique de la Lorraine (Annales
de Géographie, XXI, 15 janvier 1913). — Laurent (Th.).
Le développement économique de la France. L'industrie métal-
lurgique (Paris, A. Rousseau, 1912, in-8, extrait du Bulletin du
Musée social, avril 1912). — Tribot-Laspière (J.). L'industrie
du fer en France (Paris, Vuibert, 1917, in-8).
Parmi les statistiques, consulter principalement : Ministère
des Travaux publics (Direction des mines). Statistique de l'Indus-
trie minérale et des appareils à vapeur en France et en Algérie
(Paris, Imprimerie nationale, grand in-8, publication annuelle).
Chapitre IV
L'INDUSTRIE DU FER APRÈS LA GUERRE
Aucune découverte n'a modifié dans ces dernières
années la technique de la sidérurgie ; et cependant,
le tableau, que nous en avons tracé à la fin de 1914, ne
saurait répondre à la situation actuelle. Si le fond,
c'est-à-dire la puissance ferrifère de la France, est tou-
jours exact, certains traits du premier plan nous parais-
sent déjà surannés. La guerre a bouleversé l'harmonie
des lignes. Sans doute, avant les hostilités, l'industrie du
fer en France paraissait très modeste si on la comparait
à ses grandes concurrentes d'Allemagne, d'Angleterre,
des États-Unis; mais, en définitive, la prudence de ses
dirigeants, l'intelligence de ses ingénieurs, l'habileté
de sa main-d'œuvre avaient réussi à résoudre les pro-
blèmes les plus difficiles, à composer un ensemble
parfaitement agencé où les différents organes s'engre-
naient avec la plus grande douceur pour produire le
rendement maximum. La métallurgie française pré-
sentait le type d'une industrie modérément, mais ration-
nellement développée. Malheureusement, concentrée
presque entièrement aux frontières, notre sidérurgie
160 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
devait subir les premières violences de l'invasion. Dès
les débuts des hostilités, l'avance de l'ennemi réduisit
l'extraction minière à 17 p. 100 de sa valeur d'avant
guerre; la production de la fonte à 36 p. 100, à 17 p. 100
seulement si l'on tient compte des hauts fourneaux
placés sous son canon.
Un sait comment l'énergie nationale résolut le pro-
blème des réparations sans attendre que l'Allemagne
ht honneur à sa signature. Les usines rallumèrent leurs
feux bien avant l'époque fixée. Malgré la brutalité
des destructions systématiques, la sidérurgie s'est fait
une gloire de reprendre ses opérations dans un délai
que l'ennemi escomptait beaucoup plus long. Les
ruines se relèvent rapidement; c'est d'ailleurs que
viennent les préoccupations.
Le tracé des nouvelles frontières présente à l'industrie
métallurgique, et par elle, au pays entier, un problème
économique tout différent de celui qui existait avant
guerre. Le traité de paix a donné à la France la maî-
trise incontestable du marché du minerai de fer en
Europe sans lui conférer la prééminence métallur-
gique, par le fait de l'insuffisance de nos ressources
houillères. D'autre part, la fabrication se trouve, au
point de vue de la production et de son écoulement,
dans une situation toute nouvelle par suite de la
rentrée dans le domaine national des hauts fourneaux
et des aciéries édifiés en Lorraine désannexée par la
sidérurgie germanique. Pour un temps l'industrie du
fer semble avoir perdu son équilibre. Il importe, en fin
de cette étude, d'examiner les moyens dont elle dispose,
pour soutenir la lutte sur les marchés, à l'intérieur
et à l'extérieur.
Le tableau ci-dessous comprend les données prin-
cipales du problème.
APRÈS LA GUERRE
161
A
B
C
Production
Production
de la
de la
Production
Total
France
Lorraine
de
A + B + C
Matières pre-
en 1913
annexée
la Sarre
(enlOOOt.)
(en 1 000 t.)
(enlOOOt.)
(enlOOOt.)
mières :
—
—
—
—
Houille ( sans
lignite ) . .
40 120
3 795
13 218
57 142
Coke ....
4 027
91
1900
6 018
Minerais de fer.
21 919 *
21 135
»
43 054
Produits bruts:
Fonte ....
5 207
3 870
1371
10 448 2
Acier ....
4 680
2 286
2 079
9 051 '■'•
Produits finis:
Fer
400
»
))
406
Acier ....
3 180
2 027
1 052
6 865
r.
LES MATIÈRES PREMIÈRES
Le charbon. — Eu 1913, la production de la France,
charbons et lignites, a atteint 40 millions de tonues; la
consommation, 62 millions de tonnes; le surplus des
importations sur les exportations, 22 millions de tonnes.
Sous forme de coke ou sous forme de houille, la métal-
lurgie absorbait 12 545 000 tonnes, soit 19,6 p. 100
du total.
Depuis la guerre, notre situation est encore plus
sombre. L'invasion nous a privé de 50 p. 100 de notre
production et mis 26 p. 100 sous le canon de l'ennemi.
Si l'on portait sur une carte d'Angleterre la surface
des houillères envahies, le grisé couvrirait les Midland,
le Cleveland et plus de la moitié des territoires miniers
1. Sans compter 1 026 000 tonnes de minerais algériens et tunisiens.
2. A cette production viendront s'ajouter au moins 400 000 ton-
nes provenant des hauts fourneaux construits pendant la guerre
(100 000 tonnes à Rouen; 300 000 tonnes à Caen).
:{. A cette production s'ajouteront 600 000 tonnes produites par les
aciéries construites pendant la guerre.
L'Industrie di fer en France.
1!
162 l'industrie du fer ex fra.v i:
et charbonniers du Durham. En Amérique, la partie
ombrée s'étendrait sur les états de Pennsylvanie, de
l'Ohio, du Maryland (la région du Pocohontas exceptée),
la Caroline, la Géorgie. Depuis la paix, le travail a
pansé ces blessures; mais toutes ne sont pas fermées
et la production française de 1920 ne comptait guère
plus de 25 millions de tonnes.
Sans doute, le bassin de la Sarre nous est revenu,
après la paix, en compensation de la destruction systé-
matique de nos houillères du Xord et du Pas-de-Calais;
il contient, à lui seul, autant de charbon que tous les
bassins français : 17,5 milliards de tonnes; mais ce
charbon est peu propre à la fabrication du coke métal-
lurgique.
Par sa nature physique, trop gras, trop collant, pas
assez •cendreux, il produit un coke inférieur en qualité
et en quantité. Le rendement en coke de la houille
de la Sarre est fort inférieur au rendement en coke des
charbons westphaliens : par ailleurs, le produit, très
friable, se réduit en poussière dans le haut fourneau
sous le poids du minerai. Son emploi, sans mélange,
présente les plus grandes difficultés. « L'exemple le
plus topique, écrit M. Robert-Muller, me semble le
suivant. L'une des grosses firmes métallurgiques lor-
raines, qui possède une exploitation houillère dans
la partie lorraine du bassin de la Sarre, ne peut employer,
dans son installation, qu'environ 25 p. 100 de fines
de cette région, parce que trop grasses. Elle se voit
obligée de faire venir du fond de la Westphalie, d'une
mine où elle a pris des participations, précisément
dans cette intention, l'énorme proportion de 75 p. 100
de fines maigres, grâce au mélange desquelles le pour-
centage appropriée en matières volatiles peut être
rétabli : voilà des frais de transport qu'elle n'assume
pas sans nécessité. »
APKÈS LA GUERRE 163
Avant guerre, la métallurgie de Meurthe-et-Moselle
brûlait 3 500000 tonnes de coke par an, soit 1 200000 ton-
nes venant du Pas-de-Calais, le reste deWestphalie, rien
de la Sarre voisine. En Lorraine désannexée, sur les
4 500 000 tonnes de coke consommées par les usines
de la région de Thionville, les trois quarts provenaient
de Westphalie, le dernier quart comportait trois four-
nisseurs hétérogènes, la Sarre n'était que l'un d'eux.
("est dire que le coke de la Sarre n'était représenté
dans la consommation lorraine du fer que par une
quantité insignifiante.
L'exploitation des mines de la Sarre n'apporte donc
point à la métallurgie française la solution du problème
du combustible. Au contraire, la reprise des métallurgics
de la Lorraine désannexée l'a aggravé, En définitive, le
déficit d'avant guerre comportait 20 millions de tonnes
de houille ordinaire et 4 millions détonnes de houille à
coke; il comportera, quand nos charbonnages français
auront repris leur marche normale, 14 millions de tonnes
de houille ordinaire et 10 millions de tonnes de houille
à coke. Pour recevoir les cokes indispensables à notre
métallurgie, les techniciens avaient demandé à la Confé-
rence de la paix un droit sur les charbonnages westpha-
liens. Ce vœu fut repoussé; sa réalisation portait un
trop rude coup aux finances anglaises et allemandes.
En 1913, notre importation en charbon nous a coûté
636 millions de francs, qui sont allés enrichir nos voisins
sans que notre exportation de minerai soit une contre-
partie suffisante, bien loin delà. La paix de Versailh s
n'a rien changé à cette situation. Nous sommes, comme
devant, sous la dépendance économique des nations
charbonnières : l'Angleterre, l'Allemagne et, dans un
avenir prochain, des États-Unis. Nous savons comment
l'élévation de notre prix de revient, fonction des prix
supérieurs du combustible, désavantageait nos maîtres
164 l'industrie t>u fer en erance
de forges sur les marchés intérieur et extérieur. La
disproportion dans le prix des houilles a été plus défa-
vorable encore après la guerre. En 1920, nos industriels
ont payé la tonne de houille 280 francs, tandis qu'elle
revenait à 84 francs en Angleterre, à 72 francs en Alle-
magne. Comme conséquence la tonne de rails atteignit
1 100 francs, contre 120 francs en 1913 : le kilo de rail
coûtait plus cher que le kilo de pain. Pour ne point
grever nos finances si lourdement obérées, pour arrêter
l'exode de nos capitaux, les pouvons publics exami-
nèrent, un moment, l'idée de contingenter la produc-
tion du minerai de fer et de la réduire suivant les
besoins les plus urgents du pays.
De cette crise charbonnière, dont on n'entrevoit pas
bien la solution à l'heure actuelle, c'est la métallurgie
qui doit le plus longtemps souffrir. Le pétrole et l'alcool
peuvent fournir l'énergie dans l'industrie des transports,
l'automobile et la navigation; la houille blanche et
la houille verte remplaceront progressivement la houille
noire pour la production de la chaleur, de la lumière;
mais le combustible minéral demeure omnipotent en
métallurgie.
Le four électrique, malgré les grands progrès de ces
dernières années, n'est pas encore arrivé au stade
industriel qui assure la transformation directe du mine-
rai en fonte. Le Comité des Forges a calculé qu'en don-
nant au coke un pouvoir de 7 000 calories et un prix
de 25 fr. 50 la tonne (prix d'avant guerre), le prix de-
revient des 1 000 calories était de 0 fr. 0095 a u haut
fourneau et de 0 fr. 0190 au four électrique, soit un
écart do 100 p. 100. Le four électrique, comme appa-
reil sidérurgique, ne garde sa supériorité que dans des
cas très spéciaux : en Suède, où les installations des
chutes reviennent fuit peu cher, en Fiance, pendant
les hostilités, quand la valeur du prix de revient dispa-
APRÈS LA GUERRE 165
raissait devant la nécessité d'une fabrication rapide.
Cependant le four électrique demeure l'appareil le plus
perfectionné pour l'épuration des fontes ou la fabri-
cation des aciers spéciaux.
Dans ces derniers temps, les ingénieurs français ont
cherché à diminuer la valeur du combustible en métal-
lurgie : ils ont tenté de transformer en coke des houilles
quelconques. Sous l'impulsion de l'ingénieur en chef,
directeur du Service des mines en Alsace-Lorraine, des
résultats ont été obtenus qui permettent toutes les
espérances. Il semble qu'en cuisant le charbon à une
température très élevée, on puisse utiliser des qualités,
jusqu'alors réputées impropres à la cokification. Le
coke obtenu avec du charbon sarrois ou lorrain présen-
terait à l'écrasement une résistance de 400 kilos au
centimètre carré, alors qu'avec les meilleurs cokes
westphaliens on obtiendrait un maximum de 350 kilos.
Son prix de revient, légèrement supérieur, serait com-
pensé par la diminution des frais de transport et par
l'utilisation d'une quantité de sous-produits, notable-
ment supérieure à celle obtenue dans la Ruhr. D'autres
essais, dans le même sens, ont été entrepris sur divers
points du bassin du Nord et du Pas-de-Calais.
Il convient d'accueillir ces découvertes avec le plus
vif intérêt. Le ministre des Travaux publics les encou-
rage; si elles parviennent h sortir du laboratoire pour
entrer dans la pratique industrielle, la métallurgie
française sortira de l'esclavage où la tiennent les char-
bonnages étrangers.
Depuis 50 ans, les grands perfectionnements de la
sidérurgie ont porté sur une meilleure utilisation des
minerais impurs, sur la technique de la fabrication ;
rien n'a été fait pour diminuer l'omnipotence du com-
bustible. La question demeure aussi importante qu'à
l'époque de la fonte au bois, quand le pouvoir central
100 l'industrie dtj rr.R en france
ordonnait l'extinction des hauts fourneaux pour arrêter
la dévastation des forêts. L'introduction du combus-
tible minéral, du coke dans les lits de fusion a changé
les données du problème, a retardé la solution, car
pour arriver jusqu'à nous l'acier nécessite l'emploi
d'un poids de charbon bien supérieur à son propre
poids : 1 S00 kilos contre 1 000 kilos.
Le minerai de fer. — Nous le répétons : la France
est devenue, du fait de la guerre qu'elle n'a pas voulue,
la puissance d'Europe la plus riche en minerai de fer :
dans le monde, elle n'est surpassée que par les États-
Unis. Ses réserves atteignent 7 milliards de tonnes,
sans compter les gisements de ses colonies dont les
ressources sont considérables. Sur la base de l'extraction
de 1913, 43 millions de tonnes,"ces réserves ne seraient
pas épuisées avant 130 ans. en admettant que les tra-
vaux de mine s'arrêtenl à la profondeur de 500 mètres.
et en faisant abstraction de toutes les découvertes
possibles qui augmenteront le tonnage utde et des
progrès de la technique qui permettront l'emploi de
minerais classés, actuellement, comme inutilisables.
Cependant, si considérable que soit notre richesse, il
est bon de rappeler que les plus puissants de nos .
ments. — ceux de Lorraine — par leur teneur en phos-
phore, sont exclusivement destinés à l'élaboration des
fontes et «les aciers Thomas. Avant guerre, les usines
de Meurthe-et-Moselle s'étaient spécialisées dans cette
fabrication; elles écoulaient difficilement toute leur
production; elles s'efforçaient au travail de l'acier
Martin. De même, les usines allemandes, établies en
Lorraine annexée, avaient été construites pour la
mise en œuvre des procédés Thomas. Nul doute que
l'agrégation de ces établissements au domaine national
n'intensifie la production des aciers Thomas. Du fait
APRÈS LA GUERRE 167
de l'extension de son domaine ferrifère la France
s'écarte de l'industrie des aciers de luxe qui a fait la
gloire et la fortune du groupe du Centre.
D'autre part, nous savons que les minerais de la
Moselle sont inférieurs en teneur (4 à 6 unités) aux
minerais de Meurthe-et-Moselle. Le rendement du haut
fourneau est donc inférieur d'autant et la consomma-
tion du coke augmente parallèlement. On peut évaluer
la dépense supplémentaire à 30 ou 40 kdos par unité.
Actuellement, certaines usines lorraines dépensent
1 500 kilos de coke à la tonne de fonte, alors qu'en
191.'}, en Meurthe-et-Moselle, on considérait comme
normale une dépense de 1 000 kilos.
Avant guerre, ces différences n'avaient pas grande
importance. Contrairement à l'industrie textile qui est
restée, en Alsace, dans les mains de familles françaises,
l'industrie métallurgique de la Lorraine désannexée,
les établissements de Wendel exceptés, était tout
entière sous le contrôle de firmes allemandes. Le plus
souvent, elles étaient les filiales des grandes sidérurgies
de Westphalie qui envoyaient sur les bords de la Moselle
les houilles delà Ruhr, dont elles étaient propriétaires.
Les cokes parvenaient à meilleur compte en Lorraine
désannexée qu'en Meurthe-et-Moselle. Ces avantages
ont disparu avec la paix. Les approvisionnements en
charbon seront au même prix de chaque côté de l'an-
cienne frontière et, en dernier ressort, la fonte de la
Moselle qui consomme de plus grandes quantités de
houille, reviendra plus chère que la fonte de Meurthe-
et-Moselle.
L'infériorité des minerais de la Moselle explique les
efforts tentés, avant guerre, par les métallurgistes
d'outre-Rhin pour acquérir des concessions françaises,
il n'est donc pas paradoxal d'affirmer que la valeur
des usines allemandes, rétrocédées à la France, dépend
168 L'INDUSTRIE DU FER EX FRANCE
plus des mines de fer qui leur sout attachées que des
usiues elles-mêmes. D'ici 10 ans, l'usine la plus moderne
sera démodée, tandis que le tréfonds des concessions
minières aura gardé toute sa valeur. Au point de vue
métallurgique, l'affaire peut prospérer, si les mines
contiennent un minerai de fer de haute teneur et si
elles peuvent alimenter les hauts fourneaux à la fois
en qualité calcaire et en qualité siliceuse; — l'affaire
est condamnée à un déclin plus ou moins rapide si le
minerai est pauvre ou d'une seule espèce, si l'usine
est obligée à s'approvisionner en des gisements éloignés
pour se procurer les éléments du mélange nécessaire au
lit de fusion, si elle est contrainte à des dépenses exa-
gérées en combustible pour utiliser la matière première
qui lui appartient.
Par ailleurs, dans toute l'étendue du gisement,
l'exploitation est compliquée par les accidents tecto-
niques, les venues d'eau, la pénurie de la main-
d'œuvre. Pour diminuer les prix de revient, la minette
doit être extraite sous de forts tonnages. Comme les
hauts fourneaux établis sur le gisement ne peuvent
consommer toute la production, la mine doit exporter
le surplus. Le maître de forges lorrain est aussi un
exploitant de mine et un commerçant en minerai.
Pour être particulièrement angoissant en Lorraine, le
problème est également inquiétant pour tout le pays.
La France, l'Algérie, la Tunisie, la Lorraine désannexée
produisaient avant guerre 45 millions de tonnes de mine-
rais de fer. Elles en consommaient sur place ou dans
la Sarre 30 millions de tonnes environ. C'est donc
15 millions de tonnes qu'il faut, annuellement, placer
à l'étranger
Devant la puissance de ces chiffres, certains écono-
mistes se sont demandé s'il n'était pas logique de
remettre à une date lointaine l'exploitation de cer-
APRÈS LA GUERRE 169
tainea de nos richesses, les gisements de la Bretagne,
de la Normandie, de l'Algérie, de la Tunisie, par
exemple. Cette politique est facile à appliquer. Il suffit
de laisser dormir dans les cartons du ministère les nom-
breuses demandes de concessions qui attendent paisi-
blement, recouvertes de tous les avis de toutes les admi-
nistrations, qu'une décision veuille bien intervenir. Pour
juger de l'opportunité de cette mesure, il suffit de se
rappeler le passé de notre industrie minière.
La découverte d'Henry Bessemer exigeait des mine-
rais purs, particulièrement des minerais non phospho-
reux. La France, pauvre en minerais de cette sorte,
perdit sa place sur les statistiques mondiales, comme
productrice de fonte : un grand nombre de hauts four-
neaux, notamment en Bretagne et en Normandie,
s'éteignirent qui avaient connu une certaine prospé-
rité à l'époque de la fonte au bois; d'autres, pour
travailler, durent importer des minerais étrangers.
Notre sidérurgie fût demeurée à l'arrière-plan si, en
1880, Thomas et Gilchrist, trouvant un revêtement
basique pour les appareils de conversion n'eussent
rendu possible le passage des fontes phosphoreuses au
convertisseur. Les gisements français prirent l'impor-
tance que l'on sait; les maîtres de forges étrangers se
précipitèrent pour acquérir nos concessions.
Qui peut savoir si, dans un avenir plus ou moins
lointain, un autre progrès de la chimie ou de la technique
n'amènera pas des perturbations nouvelles dans l'exploi-
tation minière? Telle découverte scientifique, tel cou-
rant de transport peuvent mettre en valeur des gise-
ments aujourd'hui dépréciés, comme trop impurs ou
trop éloignés des hauts fourneaux. Qui sait, si les mine-
rais phosphoreux, aujourd'hui fort demandés, ne seront
pas concurrencés par les minerais siliceux, si abon-
dants ou par les minerais arsenicaux, longtemps négligés,
170 l'industrie r>r rr.r; en France
mais dont l'emploi commence à entrer dans la
pratique en Amérique. En définitive, le terme
minerai est fort vague : il désigne toute roche
exploitable industriellement et, dans le fait, il est
appliquable à la matière en fonction de l'espace et
du temps.
« Il est de toute évidence, écrit M. Cayeux, qu'il y
a souvent, sinon toujours, une période optima potu ]a
mise en valeur des marchandises pondéreuses et bon
marché. Le minerai de fer est de eelles-là. A vouloir
le réserver pour un avenir meilleur, mais très douteux,
en tout cas éloigné, on s'expose à lâcher la proie pour
l'ombre, à laisser passer le moment fructueux et pro-
pice de l'exploitation. » Les minerais Français passent
par cette période optima puisque nos voisins les plus
puissants sont fort dépourvus de cette matière pre-
mière. Une politique restrictive de l'extraction serait
donc particulièrement dangereuse. Elle aurait pour
effet d'aiguiller les métallurgistes anglais et allemands
vers les gisements américains, suédois ou russes. En
dehors des avantages considérables pour les maitres
de forges français de diminuer le prix de revient,
l'exportation du minerai par grande niasse s'impose
pour la mise en valeur rationnelle de notre domaine
national et pour l'amélioration de nos finances, for-
tement obérées par les achats de houilles. Par bonheur,
les richesses de la France en minerais de fer con-
trastent avec la pauvreté des gisements dans les
pays voisins.
L'Espagne a été longtemps le fournisseur des aciérie-
européennes pour l'acier Bessemer. Les célèbres mine-
rais de Bilbao servent encore de base pour déterminer
le prix d^^ sortes chères. Ils paraissent, toutefois,
s'épuiser: on estimait, en 1912, le tonnage restant à
quelque (iO millions de tonnes, c'est-à-dire, avec des res-
APRÙS LA GUERRE 171
trictions, le tonnage possible pour 12 années d'exporta-
tion. Les autres gisements contiennent des grès ferru-
gineux, de faible teneur en fer, comme dans les pro-
vinces d'Oviedo et de Valence, ou des minerais phos-
phoreux comme dans celle du Léon. En définitive,
pour les minerais purs et titrant plus de 45 p. 100 en
fer, il serait imprudent de compter dans toute la pénin-
sule sur un tonnage supérieur à 1 milliard de tonnes.
Ces quantités ont été, du reste, suffisantes pour ali
menter l'industrie dans le passé (500 000 tonnes de
fonte): elles pourront facilement satisfaire, dans l'avenir,
aux demandes des sidérurgies nouvelles, construites
pour une production annuelle de 1 500 000 tonnes.
L'industrie du fer est également fort peu développée
en Italie, pauvre en charbon et pauvre en minerai
de fer (942 000 tonnes en 191G). Les seules réserves,
de quelque importance, sont constituées par les mine-
rais de l'île d'Elbe dont l'épuisement est prochain.
Les hostilités ont, cependant, développé la métallurgie
italienne : elle a produit l'armement nécessaire à ses
années. Par ailleurs, Turin est devenu un des plus
grands centres d'Europe pour la fabrication automo-
bile. Enfin, les progrès réalisés par l'électrométallurgie
sont particulièrement intéressants. En 1910, la produc-
tion se chiffrait par 30 000 tonnes; le nombre des
fours était de 187 en 1917, cinq fois plus fort
qu'au début des hostilités. Bien que nos expor-
tations en minerai, pour cette destination, soient
infimes, l'Italie est une cliente qu'il ne faut pas
négliger.
Malgré la modestie do sa surlace territoriale, la
Belgique occupe un fort bon rang dans les statistiques
de la sidérurgie mondiale. Elle produit, par tête d'habi-
tant, presque autant de fonte que L'Allemagne (278 kilos
contre 294 kilos), plus que l'Angleterre (226) et plus du
172 l'industrie r>r fer en France
double de la Franco (120). Cette surproduction est due
à l'abondance de l'extraction houillère et surtout à
l'excellence de la main-d'œuvre, active et travailleuse
malgré la modicité des salaires. Cependant la Belgique
est presque entièrement dépourvue de minerais de fer.
L'étendue de ses gisements, suite des gisements lor-
rains ne comptent que 354 hectares. Aussi importait -
elle 6 millions de tonnes de minerais de fer, provenant
pour quatre cinquièmes de Meurthe-et-Moselle, pour
le reste du Luxembourg et de la Lorraine annexée.
Il ne semble pas impossible d'augmenter ce chiffre
d'affaires. Le pouvoir commercial de la Belgique est
considérable. Malgré les tarifs prohibitifs qui l'encer-
claient, la métallurgie avait réussi à exporter 80 p. 100
de sa production en fonte et en acier, alors que l'Alle-
magne n'exportait que 33 p. 100. Actuellement les
fontes belges arrivent en Angleterre à des prix nota-
blement inférieurs aux fontes fabriquées sur place avec
des minerais et des charbons anglais. La Lorraine,
grande importatrice de houille belge pourrait accroître
ses envois de minette, si la circulation par eau s'y
I n'était.
« En Angleterre, écrivait M. Tribot-Laspière en 1917.
le trait dominant de la sidérurgie est l'arrêt de son
développement Depuis longtemps, elle s'est fait dis-
tancer, et de beaucoup, par les États-LTnis. L'Allemagne,
à son tour, lui a enlevé le deuxième rang pour le mine-
rai, la fonte et l'acier et menace d'arriver à égalité
pour la houille. La France, enfin, la rattrape: elle vient
de passer au troisième rang pour la production de
minerai et il n'apparaît plus comme impossible qu'elle
y atteigne pour la fonte, puisque depuis trois ans
elle a augmenté sa production de 500 000 tonnes
par an, et que vers 1920, elle produira 7 millions de
tonnes »
APRÈS LA GUERRE 173
Ce déclin est dû à la faiblesse de la consommation
intérieure, à l'isolement et à la routine des métallur-
gistes anglais, surtout à l'appauvrissement des gise-
ments ferriières.
Les minerais anglais peuvent se classer en trois
catégories. La première comprend l'hématite rouge du
Cumberland et du Lancashire; sa teneur moyenne en
1er est de 50 p. 100; c'est la grande ressource pour les
aciéries Bessemer. Une seconde classe comprend l'héma-
tite brune du Cornwali, du Devonshire, de la forêt de
Dean avec des teneurs moyennes de 32 p. 100 et les
bauxites ferrugineux du district d'Antrim, employés
comme castine, mais dont la teneur ne dépasse pas
27 p. 100. En troisième lieu, viennent les carbonates
du carbonifère dans le Derbyshire, le Yorkshire, le
Stafïordshire avec des teneurs de 26 à 35 p. 100 et les
minerais mésozoïques du Lincolnshire, du Northamp-
tonshire, du Cleveland avec des teneurs de 30 à 35 p. 100.
Ce dernier district a fourni, à lui seul, G millions de
tonnes, en 1913, sur une extraction totale de 16 millions
de tonnes. On estime à 455 millions de tonnes les
réserves anglaises : sur le pied de la consommation de
1913, 24 millions de tonnes, elles seraient épuisées
en 20 ans. Aussi les maîtres de forges de Grande-
Bretagne sont-ils obligés d'importer annuellement plus
du tiers des minerais nécessaires : 7 600 000 tonnes
en 1913. C'est une nécessité inéluctable. En octobre
1919, lors de la grève des mineurs dans ses char-
bonnages, l'Angleterre rompit ses traités de houille
avec la Ville de Paris et réquisitionna la flotte destinée
à ce trafic, pour le transport des minerais bretons
et espagnols.
Les trois quarts des minerais importés proviennent
d'Espagne el d'Algérie pour l'élaboration des aciers
Bessemer. Mos minerais angevins et normands ne
174 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
figuraient aux entrées que pour .320 000 tonnes en
1913; ils étaient destinées à La production de la fonte
de moulage, la fonte écossaise principalement. Par
leur situation géographique, leurs belles qualités phy-
siques et chimiques, ces sortes feront certainenu ut
l'objet de transactions plus étendues, le jour, peut-être
voisin, où les métallurgistes d'outre-Manche aban-
donneront les procédés Bessemer pour augmenter leurs
aciéries Martin.
Par contre, c'est un problème de circulation qui
arrête l'exportation des ruinerais deBriey. (j0 000 tonnes
ont été envoyées en Angleterre avant guerre : fort
peu différente des minerais du Cleveland, la minette
a donné toute satisfaction aux métallurgistes britan-
niques. Malheureusement il n'existe point actuelle-
ment de réseau navigable susceptible de conduire cette
marchandise pondéreuse, dans «le lionnes conditions,
sur l'un des ports de la mer du Nord ou de la Manche.
Les prix de transport par fer sont, pour le moment,
trop élevés, même sur Dunkerque, le port le plus
proche. Le futur canal du Xord-Est, projeté en 1901
pour des chalands de 550 tonnes sera une excellente
solution pour l'évacuation de la minette. En atten-
dant, le canal de l'Est, la Marne et la Seine demeurent
la seule route possible pour les expéditions. En 1921,
les chargements de minerai lorrain sont arrivés aux
hauts fourneaux de Rouen par la voie fluviale : le prix
du fret, 17 francs la tonne, était supérieur aux prix de
revient, 16 francs. Cette solution n'est guère admissible
que pour une industrie qui contrôle en même temps la
mine et l'usine. L'exportation par Rouen ne pourra
entrer pour de gros chiffres dans nos statistiques que
si l'on équipe rationnellement la voie navigable. Les
projets du port de Paris, la constitution de quais
spéciaux à Gennevilliers, surtout la transformation
APRÈS LA GUERRE ' 175
des voies d'eau en amont pour la circulation de
chalands de 600 tonnes peuvent dérouter, à l'avenir,
la minette lorraine. Mais, en attendant, l'Allemagne
doit lui assurer des débouchés plus proches et plus
certains.
En 1910, au congrès géologique de Stockholm, le
rapporteur allemand évaluait à 3 milliards 000 millions
de tonnes les richesses en minerai de 1er de l'Empire. Il
est très vraisemblable que les chiffres ont été majorés à
cette époque, pour dissimuler la pauvreté des ressources.
Mais dès les premières années de la guerre, l'espérance
de la victoire a singulièrement diminué la valeur des
estimations précédentes. Pour démontrer la nécessité
nationale d'accaparer le bassin de Briey, les métal-
lurgistes allemands n'ont pas craint d'avouer leur
misère. Le 8 décembre 1917, devant l'assemblée géné-
rale du Verein der deutschen Eisen und Stahl Indus-
triellen, le président levait le masque et s'écriait :
« En supposant que l'extraction de nos mines suive
une progression normale et qu'aucune réduction arti-
ficielle ne leur soit imposée, nous verrons s'épuiser en
45 ans le gisement lorrain (estimé à 1 milliard 890 mil-
lions de tonnes en 1910), en 42 ans le gisement spa-
tbique du pays de Siegen (100 millions de tonnes), en
66 ans l'hématite rouge et en 32 ans l'hématite de la
Lahn (166 millions de tonnes) et de la Dill. Dans
50 ans, nous serons privés presque entièrement de
notre approvisionnement en minerai. Il faut donc
que l'Allemagne s'assure des approvisionnements à
l'étranger. Il y va de l'existence de l'industrie, de
l'état et du peuple. »
Avant guerre, la production métallurgique de l'Alle-
magne était basée sur une consommation de minerai
de plus de 47 millions de tonnes. Le tableau ci -dessous
indique leur provenance :
176 l'industrie du fer en fram e
Tonnage
en millier^
Pays. de tonnes.
Lorraine annexée 21,1
Prusse 5,4
Autres états d'Allemagne 2
Luxembourg 7,3
Importations effectives l 11. (
Total ....... 47,2
En 1913, le Zollverein (Allemagne et Luxembourg)
a produit 19 300 000 tonnes de fonte avec 35 911 000 ton-
nes de minerai indigène et 14 millions de tonnes de mine-
rais importés; encore est-il que les minerais indigènes à
teneur de 31,8 p. 100 en 1er ne pouvaient fournir que
10 500 000 tonnes de fonte. Restaient donc 9 millions de
tonnes environ, soit 46 p. 100 de la production qui ont été
élaborés en partant des minerais étrangers, 80 p. 100
si l'on classe dans cette catégorie les 8 600 000 tonnes
de métal obtenues dans la Sarre et en "Westpkalie par
la fusion des minettes importées de la Lorraine annexée
et du Luxembourg.
Cette situation inquiétai! 1" Allemagne bien avant
les hostilités. Depuis longtemps, l'Empire dirigeait sa
politique extérieure suivant les besoins économiques
de sa métallurgie. Non seulement la sidérurgie rhénane
acquérait des droits de contrôle sur nos grands gise-
ments de Lorraine, d'Anjou, de Normandie, d'Algérie,
mais elle s'assurait des réserves au Maroc. En signant
l'acte d'Algésiras, la diplomatie allemande prit soin
de préciser explicitement le régime futur des mines de
notre nouveau protectorat. L'article 4 stipule que le
minerai exporté par les ports marocains sera affranchi
de tout droit et que les exploitations de minerai de fer
!. Différence entre es mportalions | 1 1 millions <le tonne*) et lis
exportations (2 G00 000 tonne- 1.
APRÈS LA GUERRE 177
ne subiront aucun impôt spécial. La guerre a infirmé
ces sages précautions.
Mais elle a eu surtout pour résultat de diminuer les
réserves germaniques de plus de 50 p. 100 en rendant
à la France les 1 830 millions de tonnes de la Lorraine
désannexée. Par ailleurs, les prospections entreprises
dernièrement dans la région d'Amberg et dans le Jura
souabe n'ont pas décelé des gisements qui peuvent,
compenser ces pertes. Si l'on tient pour exact le rapport
du 8 décembre 1917, les ressources germaniques seront
épuisées avant 25 ans. Réduite à une extraction annuelle
de 8 millions de tonnes environ, soit, avec du minerai
titrant 33 p. 100 en moyenne, à une production corres-
pondante de 2 700 000 tonnes de fonte, l'Allemagne
est réduite à importer de forts tonnages de minerai
de fer si elle veut satisfaire aux seules demandes du
marché intérieur.
En 1913, le Zollverein a produit 19 millions de tonnes
de fonte ; il a exporté 7 millions de tonnes ; il a consommé
sur place 12 millions de tonnes. La consommation de la
Sarre, de la Pologne allemande, de la Lorraine désan-
nexée étant évaluée à 600 000 tonnes en chiffres ronds,
la consommation germanique serait actuellement de
1 1 400 000 tonnes de fonte par an. Les ressources
ferrifères de l'empire lui assurent l'élaboration de
2 700 000 tonnes de fonte. Pour produire la différence,
8 700 000 tonnes, la métallurgie d'outre-Rhin doit
s'approvisionner en minerais à l'étranger.
Avec des minerais de fer, titrant en moyenne 40 p. 100
(en tenant compte de l'importation des sortes riches de
Suède, d'Espagne, d'Afrique), l'Allemagne devrait
importer, par an, sur la base des chiffres de 1913,
22 millions de tonnes de minerai (8 700 000 x 2,5).
La France doit fournir la plus grande partie de ce
tonnage.
L Industrie du fer en France. 12
178 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
En 1913, les importations se répartissaient comme
il suit :
Suède 4 5Ô8 000 tonnes.
France 3 811 000 —
Espagne 3 652 000 —
Russie 489 000 —
Belgique 127 000 —
Autriche-Hongrie 106 000 —
Algérie-Tunisie 607 000 —
Grèce 147 000 —
Autres pays 532 000 —
Total 14 029 000 —
En admettant que ces proportions restent les mêmes,
qu'aucune restriction ne soit apportée à l'exploitation
des mines suédoises, que la baisse du mark n'influe pas
sur les transactions avec l'Espagne et la Suède, que la
Russie reprenne prochainement ses envois, la part de
la France serait de 39 p. 100, soit de 8 800 000 tonnes,
à envoyer en Westphalie principalement. Ce tonnage
devrait être doublé, si la métallurgie allemande voulait
développer sa clientèle à l'intérieur et reconquérir
sur les marchés extérieurs la place qu'elle tenait avant
les hostilités.
Sans tenir compte des transactions possibles avec les
Pays-Bas qui installent des hauts fourneaux, avec
l'Italie qui équipe ses forces hydrauliques, avec les
États-Unis qui recherchent notre minerai comme fret
de retour dé leurs charbonniers, — en se basant seule-
ment sur nos relations certaines avec les métallurgies
anglaises, belges, allemandes, il n'est aucunement témé-
raire d'estimer à quelque 17 millions de tonnes le chiffre
de nos exportations prochaines. De ce côté, l'avenir
s'annonce serein; il n'en est pas de même dans le com-
merce des fontes et surtout de l'acier.
APRÈS LA GUERRE 179
IL — LA PRODUCTION MÉTALLURGIQUE
Après la restauration des usines du Nord et de l'Est,
en comptant la production de la Sarre et de la Lor-
raine désannexée, la France sera en mesure de livrer,
chaque année, sur le marché 1 1 millions de tonnes de fonte
et plus de 10 millions de tonnes d'acier. Dans l'éventua-
lité où le territoire de la Sarre ferait, dans 15 ans,
retour à l'Allemagne, ces chiffres seraient ramenés à
9 400 000 tonnes pour la fonte, à 8 millions de tonnes
pour l'acier. Nous avons vu qu'en 1913, la consomma-
tion de la France était sensiblement égale à sa produc-
tion et s'élevait à 5 200 000 tonnes pour la fonte, à
4 800 000 tonnes acier. La Lorraine désannexée et la
Sarre étant loin d'absorber, pour leurs propres besoins,
le complément de la production qu'elles apportent, la
métallurgie française devrait donc disposer d'un impor-
tant excédent de métal. Dès 1917,1e Comité des Forges,
par la plume de son secrétaire général, M. Pinot,
affirmait que le retour de l'Alsace et de la Lorraine à
la France risquait d'avoir, pour notre sidérurgie, des
résultats déplorables si l'on n'y remédiait par un judi-
cieux agencement des marchés à l'intérieur et à l'extérieur.
Le tableau ci -dessous résume les données principales
■du problème (d'après les travaux de M. (Juillet).
Fonte de Acier etfer
moulage en en
1 000 t. 1 000 t.
Production : —
France (chiffres de 1913) 937 5091
Augmentation - 100 600
Apport Alsace-Lorraine et Sarre . • • • 739 4 365
Total I 1 776 10 056
1. Acier : 4 6St>; 1er : 405.
2. Pour la fonte, production des hauts fourneaux de Rouen; pour
l'acier, production des aciéries de Caen et de Rouen.
180 l'industrie du fer EN TRAM I.
Fonte de Ai i< r el 1er
moulage en en
1 000 I. 1 000 t.
Consommation : —
France (avant guerre) 882 4 732
Alsace-Lorraine et Sarre 141 ' 41!» -
Maintien des anciennes exporl itio i . . 91 3 544 *
Total II 1 064 5 695
Reste à placer :
Différence des totaux I et II 712 1 861
Le problème n'offre pas les mêmes inconvénients
pour la fonte et pour l'acier. Pour le premier de ces
articles, il sera facile d'écouler le surplus de la produc-
tion, grâce au développement de l'industrie électrique
et de la construction mécanique; mais, pour le second,
l'excédent est considérable. Pour le placer, la métal-
lurgie française se trouve dans l'obligation de modifier
les principes «le eon économie commerciale, de ne plus
limiter ses opérations au seul marché national et de
conquérir le marché extérieur.
Le marché français. L'élargissement des
débouchés intérieurs est infiniment probable. Sans
tenir compte des quantités nécessaires à la reconsti-
tution des régions libérées, de nos chemins de fer, de
notre marine marchande, d n'est pas impossible que
la France absorbe quelques centaines de milliers de
tonnes d'acier en sus de sa consommation d'avant-
guerre. La consommation intérieure, par tête d'habi-
1. Calculée au taux de l'Allemagne en l'Jl3 : 50 kil<>.-> par habitant
sur 2833000 habitants (1874000 habitants -pour l' Alsace-Lorraine et
•J59 000 habitants pour la Sarre).
2. Calculée au taux de l'Allemagne de 1913 : 14S kilos par habi-
tant >ur 2380000 habitants.
3. 135 000 tonnes moins 44 000 tonnes expédiées en Belgique.
4. Anciennes exportations, machines comprises, mais diminuée- de=
exportations en Belgique, décomptées en lingots.
APRÈS LA GUERRE 181
tant, de la fonte (100 kilos) et de l'acier (90 kilos)
était inférieure de 40 p. 100 à la consommation inté-
rieure par habitant de tous les autres pays métallur-
giques. L'augmentation à prévoir, nous l'avons con-
staté au chapitre précédent, doit porter sur les pro-
duits destinés à la construction métallique et à la
construction mécanique.
Dans le premier domaine, la vente des profilés, des
poutrelles principalement, est susceptible de s'accroître.
L'éducation des architectes et des entrepreneurs doit
être poursuivie avec la même activité qu'avant guerre.
Le Comptoir s'y emploiera. Mais c'est surtout dans la
construction mécanique que l'accroissement de la clien-
tèle doit se faire sentir. Dans cette branche de l'acti-
vité nationale, plusieurs industries sont en voie d'exten-
sion. L'automobile, par exemple, n'a pas en France
l'importance qu'elle devrait avoir et qu'elle a acquise
en Angleterre et en Amérique. Enfin, si la guerre a
développé nos ateliers, elle a également changé nos
coutumes bureaucratiques. Le nouveau projet d'uni-
fication des chemins de fer, sans supprimer Ja surveil-
lance de l'État, permettra un meilleur roulement du
matériel et son remplacement plus rapide. Les com-
mandes seront réparties annuellement, au lieu d'être
envoyées en masse aux époques de trafic intense:
elles seront satisfaites régulièrement pour le plus grand
profit et le meilleur rendement de nos usines métal-
lurgiques. La France n'aura plus recours à l'étranger
pour la fourniture des 1 000 locomotives et des
1 800 wagons qui sont nécessaires, chaque année, à
ses réseaux.
Dans son rapport au Ministre du Commerce, le pré-
sident du Comité des Arts et Manufactures estimait
que la productivité mécanique subirait un accroisse-
ment de 75 p. 100, correspondant à un tonnage supplé-
182 T.'iNTHTSTRTE OU FFR EN FRANCE
mentaire de 1 million de tonnes de métal. Pout la con-
struction métallique, l'augmentation à prévoir était
de 400 000 tonnes seulement. Au total, ce sont
1 400 000 tonnes à retrancher de notre excédent.
Restent donc 2 865 000 tonnes à placer.
Pour les écouler, il est indispensable de conquérir
les marchés extérieurs Les maîtres de forges sont
unanimes sur ce sujet. Dans toutes les assemblées
g{ nérales, la conclusion du rapport présenté aux action-
naires se termine par le même mot : « Exportons ».
En effet, l'examen des statistiques démontre que c'est
dans cette voie qu'il faut diriger nos efforts. Avant
guerre, l'Angleterre exportait 43 p. 100 de sa produc-
tion; l'Allemagne, 33 p. 100; la Belgique, 80 p. 100;
la France, 10 p. 100 seulement. Seuls les États-Unis,
avec 5 p. 100, lui étaient inférieurs, relativement,
car, en valeur absolue, le commerce extérieur de la
France représentait 460 000 francs et celui des États-
Unis 1 550 000 francs.
Le marché européen. — La victoire de nos
armées a permis de penser que notre activité nationale
trouverait facilement des débouchés dans les pays
neutres, jusqu'ici acheteurs de l'Allemagne. Pour
l'industrie du fer, tout au moins, ces espérances n'ont
pas été réalisées.
En 1913, l'Empire a exporté 7 millions de tonnes de
produits métallurgiques, pour une valeur de 2 milliards
de marks, se décomposant comme suit : fonte,
vieux fers, demi-produits, 1754 000 tonnes; laminés,
3 800 000 tonnes; machines, 594 000 tonnes; autres
produits en fer et en acier, 943 000 tonnes. Cette
année fut marquée par un accroissement de l'expor-
tation des fers et aciers allemands vers la Grande-
Bretagne, les Indes anglaises et l'Amérique du Sud
APRÈS LA OUERRE 183
et la décroissance du trafic avec les autres pays d'Eu-
rope. Il faut aussi signaler que dans le marché des rails,
l'Angleterre qui avait perdu la première place depuis
1900, reprenait de nouveau son rang.
Les principaux clients de l'Allemagne étaient : la
Grande-Bretagne pour 1208 000 tonnes; la Belgique
pour 648 000 tonnes; les Pays-Bas pour 595 000 tonnes;
le Brésil et l'Argentine pour 471 000 tonnes; la Suisse
pour 333 000 tonnes. Le tonnage expédié en Autriche-
Hongrie, en Chine, au Japon, en Italie, en Turquie
se rapprochait des quantités expédiées en Suisse. En
Russie et en Pologne, les exportations étaient beau-
coup moins importantes, car les Allemands dirigeaient
par leurs ingénieurs et contrôlaient par leurs capitaux
la plus grande partie des industries métallurgiques.
En attendant que le calme soit revenu en Turquie,
en Russie et en Asie Mineure, nos métallurgistes ont
déjà tenté de prendre position sur les marchés Scandi-
nave, italien et suisse. En 1919, 36 000 tonnes d'acier
en lingots, rails, tôles, fils de fer et ferrailles sont
parties de France pour cette dernière destination.
Ce sont là des efforts très intéressants, mais il est à
craindre que leur développement soit problématique.
Déjà avantagée par le prix du combustible, la métal-
lurgie allemande est également favorisée par le coût
de la main-d'œuvre. « En France, écrit M. Albert
Despeaux (août 1912), les salaires horaires ont plus
que quadruplé depuis 1914. En Allemagne, exprimés
en mark, ils sont multipliés par 10 à 11. Mais comme
le mark rapporté au franc vaut 7 fois moins que le pair,
les salaires allemands exprimés en francs ne sont guère
multipliés que par 1 et 1,5. »
Comme conséquence, en Allemagne, les fers mar-
chands étaient cotés 1 700 marks en août 1921, soit
280 francs la tonne en comptant le mark à 16.5. En
184 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
France ils revenaient à 400 francs. Une affaire impor-
tante de petites cornières a été enlevée par des Alle-
mands à 265 francs, franco Rotterdam. Un prix de
2 500 marks (412 fr. 50) a été fait pour des barres
allemandes rendues à Rennes (y compris droil de
douane, transport, chargement, fret, déchargement),
soit 39 francs moins cher que les articles français.
Deux ans après le traité de Versailles, l'industrie
française lutte péniblement sur les marchés européens;
elle borne son ambition à la défense du marché national,
à l'abri des droits prohibitifs.
Parmi les grands clients de la sidérurgie allemande
c*est encore l'Angleterre que notre métallurgie a la
plus grande chance de conquérir. A première vue, il
peut paraître paradoxal de tenter la conquête métal-
lurgique de nations où nous voulons importer d©
fortes quantités de minerais. Mais il faut remarquer
qu'avant les hostilités, l'empire britannique absorbai 1
I 200 000 tonnes de produits allemands, principale-
ment des produits qui formaient la spécialité de la
Sarre et de la Lorraine, demi-produits, aciers mar-
chands, tôles et profilés. D'autre part, la question des
salaires qui nous est si préjudiciable par comparaison
avec l'Allemagne devient avantageuse pour nos rela-
tions avec la Grande-Bretagne. Après l'armistice, à
la suite des grèves, des crises charbonnières, de la
hausse du fret, des aciéries ont été contraintes d'importer
des fontes de Luxembourg et de Normandie, moins
chères, malgré le transport, que les fontes nationales
élaborées avec les charbons nationaux, à pied-d' œuvre.
II y a là une indication à suivre. La Grande-Bretagne
n'a aucun intérêt à placer des barrières protectrices
pour arrêter ce trafic. La France doit y trouver un
débouché pour écouler une partie de la production de
la Lorraine et de la Sarre; ses bénéfices serviront à
APRES LA GUERRE 185
solder une partie des sommes importantes qu'elle doit
aux charbonniers anglais.
Le marché extra-européen. — Sur les autres
marchés du monde, la concurrence sera également
très âpre. Des concurrents se sont levés pendant la
guerre qui sont mieux placés pour conquérir cette
clientèle.
La puissance métallurgique des États-Unis est deve-
nue formidable. La guerre l'a développée, mais elle n'en
est pas l'origine. Dès 1913, la production de la fonte
atteignait 31 millions de tonnes presque entièrement
absorbées par le marché intérieur. « Dans l'ensemble,
écrit M. Tribot-Laspière, la production et ses accrois-
sements considérables répondent aux besoins. Un tel
état de choses est d'ailleurs naturel dans un pays
immense où tant de territoires restent encore à peupler,
où chaque année la population s'accroît de plusieurs
millions d'individus et où les habitants vivent dans
le gigantesque, tant par les conditions même de la
vie que par leur besoin naturel de faire grand. » Sans
doute, il y a bien rupture d'équilibre, de temps à autre,
entre la production et la consommation, mais ces
périodes étaient avant guerre peu fréquentes, et les
exportations chiffraient peu. Les places étrangères
étaient plutôt considérées comme des régulateurs en
cas de crise : les courtiers américains y présentaient
rarement leurs marchandises. Si, en 1910, le pays de
Galles fut inondé de blooms et de billettes en prove-
nance des Etats-Unis et vendus à un tarif inférieur
au prix de revient, ce fut là un phénomène tempo-
raire, conséquence du ralentissement des demandes
à l'intérieur.
La guerre accrut cette production; elle se chiffrait en
1918 par 39 millions de tonnes et cependant les stocks
180 L'INDUSTRIE DIT FER EN FRANCE
(•talent épuisés. L'espérance de fortes commandes, au
lendemain de la paix, augmenta encore le nombre des
hauts fourneaux. De 205 en 1915 il passa à 452 fin
1919; leur productivité était estimée à 45 millions de
tonnes pour 1920, soit GO p. 100 de la production mon-
diale de la fonte, en 1913. Comme terme de compa-
raison, on peut noter que la France entière possédait,
fin décembre 1920, 91 hauts fourneaux et avait livré
3 740 000 tonnes de fonte. Sans doute tous ces appa-
reils ne sont pas allumés. Les grèves, les transports,
l'état du marché empêchent qu'ils ne soient mis à feu
simultanément. Mais l'accroissement rapide du tonnage
élaboré a décidé un changement d'orientation dans la
politique commerciale.
Avec une telle production, les importations sont
devenues négligeables : 190 000 tonnes pour la fonte,
79 000 tonnes pour l'acier en 1920. Par contre, les
exportations ont pris une ampleur d'autant plus consi-
dérable que les marchés intérieurs étaient pourvus et
que la nouvelle flotte trouvait dans les produits métal-
lurgiques un fret de premier ordre. Cette même année,
elles cnt atteint 4 millions de tonnes. Pendant la guerre,
le sens du mouvement était dirigé nettement vers les
pays alliés : la France, la Grande-Bretagne, l'Italie;
en 1918, ces puissances ont reçu pour 150 468 000 S
d'acier en lingots et de produits demi-fins. La signa-
ture de l'armistice et la crise des changes restreignirent
les achats du vieux continent. Cependant le dévelop-
pement des constructions navales dans le monde entier,
la réfection des chemins de fer chez les belligérants
ont accru la vente des produits finis. Par exemple, le
nombre des locomotives livré à l'étranger est le plus
élevé qui ait été jamais enregistré (959 en 1917 contre
1911 en 1920) : Cuba pour 288 machines, l'Italie
pour 175, la France pour 102, le Brésil pour 147, la
APRÈS LA GTTERRE 187
Pologne pour 139 ont été les principaux acheteurs.
La valeur totale des exportations pour le fer et pour
l'acier a atteint S 302 millions en 1920. Le plus sou-
vent elles marquent une victoire remportée sur la
métallurgie anglaise. La Grande-Bretagne, elle-même,
a reçu 307 000 tonnes de produits américains. Viennent
ensuite les pays où le change est le moins bas, le Brésil,
l'Argentine, les Colonies anglaises et l'Extrême-Orient.
Au Japon la situation est particulièrement carac-
téristique : en 1913, il avait absorbé 182 000 tonnes
d'acier anglais, soit 4 fois et demie de plus que d'acier
américain: en 1919, les exportations de la Grande-Bre-
tagne se limitaient à 00 300 tonnes, soit au dixième
des exportations des États-Unis. En 1920, l'Amérique
a fourni dans l'archipel nippon 013 000 tonnes dont
89 000 tonnes d'acier de construction, 275 000 tonnes
de tôles, 50 000 tonnes de fer blanc, 1 35 000 tonnes
de rails. La même année, la part de l'Angleterre n'était
que de 116 000 tonnes.
Dans leurs propres colonies, les Anglais ont été
sévèrement combattus. En 1920, la Grande-Bretagne
a essayé de reprendre la place qu'elle avait perdue
pendant la guerre et en 1919; elle a réussi à améliorer
sa position sans amoindrir celle des États-Unis. En
Australie et en Nouvelle-Zélande, les Anglais arrivent
avec 187 000 tonnes, les Américains avec 52 000 tonnes;
les chiffres sont de 221 000 tonnes contre 74 000 tonnes
aux Indes; 57 000 tonnes contre 38 000 tonnes dans
l'Afrique du Sud.
Les États-Unis sont, pour le moment, la seule puis-
sance métallurgique du nouveau continent; mais d'au-
tres Etats s'équipent pareillement pour arrêter les
importations étrangères.
Les distances considérables qui séparent les minerais
des houilles, la pauvreté des gisements charbonniers.
188 l'industrie PU FER EN FRANCE
a longtemps arrêté la création d'une industrie sidérur-
gique au Brésil. Pour qu'une métallurgie put prospérer,
il eut fallu importer de fortes quantités de coke. On
avait songé à exporter en Europe les minerais riches
et à recevoir, comme fret de retour, les combustibles
nécessaires. Des chargements de minerais envoyés en
Angleterre donnèrent, à l'analyse, toute satisfaction.
Les sortes des états de Santa-Catharina, de Rio Grande
dol Sul, de Minas Geraes se comportèrent admirable-
ment dans les lits de fusion. Présentement le gouver-
nement paraît se proposer un autre programme. Il
songe à utiliser directement ses charbons ou à con-
struire, dans l'état de Minas Geraes des fours élec-
triques. Une mission brésilienne a été envoyée en Suède
pour étudier sur place les appareils de fort tonnage.
L'Amérique du Sud doit échapper à la métallurgie
européenne, conquise dès maintenant par la sidérurgie
des États-Unis et, dans un avenir prochain, réservée
à la sidérurgie nationale.
Semblablement, la guerre européenne a décidé, en
Asie et en Australie, la création d'industries du fer,
au sens moderne du mot.
La hausse des produits marchands, conséquence des
demandes de l'armement et des chantiers de construc-
tion navale, a donné aux aciéries nipponnes un essor
considérable; elle les ont fait sortir du cadre relative-
ment modeste où elles se consacraient à la satisfaction
des besoins nationaux. Malheureusement l'insuffisance
des moyens techniques, l'incompétence de la direction,
l'absence de toute politique économique et surtout
la pauvreté des gisements ferrifères n'ont pas permis
:i l'industrie du fer de supporter la crise de 1919-1920,
et de lutter, à l'époque de la baisse, avec la concur-
rence anglaise ou américaine. En 1920, le Japon a
importé une grande partie de son matériel de chemin
APRÈS LA GUERRE 189
de fer et les tôles nécessaires à ses chantiers de con-
struction. Le projet d'élever des hauts fourneaux, pour
la production annuelle de quelque 1 500 000 tonnes, n'a
pas été réalisé, malgré l'appui financier du gouvernement.
La tendance actuelle de la sidérurgie nipponne parait
être de [construire des usines sur le continent à portée
des gisements ferrii'ères qui alimentent les aciéries de
l'archipel : en Corée et en Mandchourie, d'où la con-
currence russe a été évincée; en Chine ou des associa-
tions de capitaux sino -japonais se sont déjà formées
pour l'exploitation des établissements d'Hankon.
La Chine est la future puissance métallurgique de
l'Extrême-Orient. Ses réserves houillères peuvent
compter, très vraisemblablement, parmi les premières
du monde; et en bien des points, comme dans le Cleve-
laud, le charbon est superposé au minerai de fer.
Cependant, par crainte de la vindicte publique, le
pouvoir central s'est longtemps refusé à laisser fouiller
le sous-sol. L'importance de l'industrie sidérurgique
n'est donc point actuellement en rapport avec l'impor-
tance territoriale du pays. Cependant l'industrie du
fer est en progrès continu. Plus de 050 000 tonnes de
minerais ont été exportées en 1920, à destination du
Japon principalement. La même année, les chantiers
de construction de Shangaï ont construit 2 grands
steamers pour le gouvernement britannique, 2 cargos
pour la Norvège, 2 cargos pour les États-Unis, sans
compter de nombreux navires de moindres tonnages
pour la navigation côtière. Enfin des ingénieurs amé-
ricains achèvent à Schiechinsham, dans la banlieue de
Pékin la construction de hauts fourneaux, dont la
mise à feu est imminente.
Egalement en Asie, les Indes ont fait preuve dans
ces dernières années d'une remarquable aptivité dans
l'industrie du fer. En 1919, les 7 hauts fourneaux du
190 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
Bengale ont produit 232 000 tonnes de fonte, 2 600 tonnes
de ferro-manganèse, 134 000 tonnes d'acier. Le gou-
vernement de Mysore installe un haut fourneau qui
produira 20 000 tonnes de fonte par an, en utilisai! I
les minerais voisins de Shinioga. Les ateliers de trans-
formation ont élaboré des rails, des poutrelles, des
tôles, des tubes. La consommation locale n'est plus
uniquement tributaire de l'étranger.
Enfin, l'Australie, demeurée si longtemps au stade
agricole, semble entrer dans la période industrielle de
son évolution. Longtemps confinée dans la métallurgie
des métaux précieux, par le fait de l'éloignement qui
existe entre ses charbonnages et ses gisements ferrif i r» ,
elle a élevé son premier haut fourneau en 1913. Depuis
lors, l'industrie sidérurgique s'est progressivement déve-
loppée. La Brocken Hill Proprietary a élevé son qua-
trième haut fourneau près des charbonnages de
Newcastle; elle a construit un laminoir et des trains;
la Compagnie Haskins installe une industrie complète
à Port Kemble, près de Wollongong. En 1920, l'in-
dustrie australienne a produit 86 000 tonnes de fonte,
en augmentation de 5 000 tonnes sur l'année précé-
dente. Le département des chemins de fer a entrepris
la construction de 20 locomotives.
Sans doute la capacité de consommation est « norme
en Australie comme en Asie. Les industries nouvelle-
ment créées ne peuvent avoir la prétention de satis-
faire, de suite, à tou^ les besoins des populations;
mais elles révèlent la volonté des gouvernements de
réserver aux métallurgies nationales la plus grande
partie des commandes.
Eloignée des places de l'Extrême-Orient et de l'Amé-
rique latine où elle est distancée, pour le moment,
par des concurrents plus avantagés comme prix de
revient et comme distance, — où elle sera arrêtée
APRÈS LA GUERRE 191
dans un avenir prochain, par l'industrie indigène, —
la France ne peut exercer son activité sidérurgique
qu'en Afrique, encore privée de toute métallurgie ou
dans ses colonies, si des droits prohibitifs sauvegardent
ses intérêts. Ce sont les seuls marchés du monde, à
de rares exceptions près, qui pourront recevoir le
surplus de la production dont la clientèle européenne
et la clientèle nationale n'auront pu prendre livraison.
III. — LINTÉGRATION
L'accroissement considérable de la production, la
concurrence étrangère, la création d'industries nou-
velles ont eu pour effet d'intensifier le mouvement
qui portait les usines nationales dans le sens de l'inté-
gration. On qualifie de ce nom barbare le système
économique qui consiste à prendre le produit à l'état
de matière première et à le suivre dans toutes ses trans-
formations jusqu'à la vente au détail. Pour le fer, par
exemple, l'intégration réunit dans la même main : la
mine de fer, le charbon, le haut fourneau, l'aciérie,
le laminoir, la fabrique de machines et d'outils, les
chantiers de construction métallique et mécanique, les
comptoirs de vente.
Ce mouvement n'est pas nouveau. A l'époque de la
tonte au bois, les maîtres de forges acquéraient les mines
et les forêts pour assurer leurs approvisionnements;
pour obtenir l'autorisation de construire des hauts
fourneaux, les métallurgistes devaient justifier de la-
possession des matières premières indispensables à leur
marche. Pareillement, à la fin du xvuie siècle, l'inté
gration de la transformation était réalisée en plusieurs
points du territoire, au Creusot et à la Chaussade, par
192 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
exemple; Martin de Wendel, maître de forges d Hayange,
soutenait financièrement les manufactures d'armes de
charleville et de Mohon.
L'introduction du coke dan.- la métallurgie inten-
sifia cette concentration industrielle. La substitution
de l'acier au fer dans la plupart des applications métal-
liques et mécaniques décida la formation de groupe-
ments » horizontaux » qui réunissaient, sous le même
contrôle, la houille, le minerai, la fonte, l'acier et le
produit marchand. M. Hauser a montré comment, dès
la fin du xixe siècle, à la concentration plutôt com-
merciale que vraiment industrielle du cartel, s'oppose
l'intégration des grands établissements, des Krupp,
des Thyssen, des Mannessman. « Posséder à la fois
des charbonnages, des hauts fourneaux, des aciéries
et des laminoirs, c'est le moyen d'échapper à la domi-
nation des cartels Ces grosses entreprises n'entrent
plus dans les cartels que si on leur offre, comme con-
tingent de production, de vente, etc., des conditions
avantageuses ».
Mais le fait typique de la période actuelle, remarque
le Comité des Forges, est, d'une part, l'ampleur consi-
dérable prise par ce mouvement et, d'autre part, son
développement dans le sens « vertical ». Par ailleurs,
la concentration est arrivée à ce stade actuel de son
évolution en partant de deux points de départ différents.
D'une part les maîtres de forges tendent à accaparer
les usines de construction métallique ou mécanique
qui sont leurs meilleurs clients. D'autre part, par un
phénomène de choc en retour, les grands clients de la
métallurgie cherchent à se libérer de l'esclavage où
les tiennent les hauts fourneaux et les aciéries en pro-
duisant eux-mêmes la fonte et l'acier. « Les laminoirs
simples ont eu leur heure en 1886, lorsque le cartel,
n'ayant pas en face de lui un syndicat fortement
APRÈS LA GUERRE 193
organisé des produits bruts, profitait de la surproduc-
tion et de la baisse des prix. Aujourd'hui que le lami-
noir doit acheter l'acier à un puissant cartel, la situa-
tion est renversée. » L'industrie automobile est tribu-
taire de la métallurgie. Pour se libérer de ce contrôle,
un consortium des plus gros fabricants a acheté les
mines, les hauts fourneaux et les aciéries de Thyssen
à Hagondange, en Lorraine désannexée. Mais pour
obtenir le meilleur rendement de ces établissements
le consortium a été obligé d'utiliser le surplus de sa
production à la fabrication de l'acier Thomas, à écouler
sur le marché des profilés, dont il n'a pas l'emploi.
Il est devenu le concurrent d'usines, dont il était jadis
le client.
« Mais, écrit M. Hauser, que l'usine acquière une
mine ou que la mine se double d'une usine, le résultat
est le même, tout le processus de la production se
trouve soumis à une direction unique. Les usines mixtes
ont une grosse avance sur les usines simples puis-
qu'elles n'ont pas à subir les prix du syndicat soit
pour leur combustible et leur minerai, soit pour les
produits semi -ouvrés. »
En France, l'intégration a suivi deux voies diffé-
rentes : l'accroissement individuel des moyens de pro-
duction et le groupement des efforts.
Le premier procédé a été appliqué principalement
par les sociétés sinistrées de la grande guerre et qui
ont construit, pendant les hostdités, des usines sur
le territoire national à l'abri du canon ennemi. Elles
ont augmenté leur fabrication sans créer de nouveaux
établissements; elles se sont procuré des matières pre-
mières en Lorraine désannexée et assuré des débouchés
par le contrôle d'industries consommatrices. C'est le
cas des Aciéries de Longwy dont nous avons analysé
la puissance au chapitre précédent. Elles ont acquis
L'Industrie du fer en France. 13
194 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
le tiers de la Société minière et métallurgique de Thion-
ville dont les établissements sont situés à 30 kilomètres
du siège principal de leur exploitation, à Mont-Saint -
Martin, et le tiers des charbonnages de Faulquemont.
Elles se sont assuré, de cette manière, le tiers de
l'extraction dans des charbonnages qui s'étendent sur
12 600 hectares, répartis dans les meilleurs gisements
du bassin de la Sarre; en attendant la mise en œuvre
des houillères d'Allemagne et du Pas-de-Calais, où elles
ont des participations. Par ailleurs, la Société a assuré
l'écoulement de sa fabrication. Productrice, avant la
guerre, de petits et de grands profilés, de fers en barres
et de tôles, en attendant la reconstitution de ses éta-
blissements détruits, elle a inauguré l'industrie de la
tôle mince et de la tôle fine dans ses usines de Sedan,
orienté son usine d'Aubervillers vers la construction
mécanique, celle de Saint-Denis vers la réparation du
matériel roulant. Enfin, elle s'est intéressée dans les
Ateliers de construction du Nord de la France qui
s'équipe pour la construction des wagons et des loco-
motives, dans les Sociétés de tubes de Hautmont, de
Louvroil et de la Sarre, dans les Ateliers et Chantiers
maritimes du Sud-Ouest. Fondées en 1880pour appliquer
en grand le procédé que venaient de découvrir Thomas
et Gilchrist, les Aciéries de Longwy ont singulièrement
amplifié leur programme de fabrication et de vente.
D'autres sociétés ont préféré se grouper pour accroître
leur puissance économique. Nous savons qu'avant la
guerre l'industrie du fer était spécialisée suivant l'em-
placement qu'elle occupait sur le territoire national.
L'alliance conclue entre les métallurgistes du Centre,
du Nord et de l'Est a pour but de reconstruire en com-
mun les usines détruites, d'exploiter le patrimoine
minier et le domaine métallurgique, d'acquérir de nou-
veaux établissements dans la Sarre et dans la Lorraine
APRÈS LA GUERRE 195
désanuexée. Comrne type de ces groupements, nous
prendrons la consortium formé par les Aciéries du
Nord et de l'Est, la Société métallurgique de Pont-à-
Vendin, les usines de l'Espérance à Louvroil, les usines
métallurgiques de la Basse -Loire à Trignac. Ce puis-
sant syndicat s'est rendu maître, en outre, des Forges
et Aciéries du Nord et de la Lorraine qui comprennent
les usines d'Uckange et de Neunkirchen. Il contrôle
en totalité ou en partie :
1° Des gisements ferrifères dont les réserves sont
estimées à 350 millions de tonnes et l'extraction annuelle
à 4 millions de tonnes. Ils sont situés : dans le bassin de
Briey : concessions de Pienne, Chavigny-Vandœuvre,
Lavaux, Grande Rimont, Saint-Pierremont, Sexey; en
Lorraine désannexée, concessions d'Hettange, Grange,
Ida et Neunkirchen, Lorraine, Bouvenherg, Boulange
et Holberg, Chatel, Michelsberg; en Normandie, con-
cessions de Fierville et Larchamp; en Anjou et en
Bretagne, les Aulnais, le Bois, l'Oudon, la Ferrière,
la minière de Châteaubriant; en Espagne, les mines de
Heras - Santander .
2° Des charbonnages situés dans le Pas-de-Calais
à Gouy-Servin, Ablain -Saint -Nazaire, Fresnicourt; en
Vendée à Feymoreau; en Belgique au Levant de Meuse,
à Beeringen, à Limbourg-Meuse; en Angleterre, dans
le Kent.
3° 27 hauts fourneaux dont 5 à Valenciennes, 4 à
Jarville, 3 à Louvroil, 4 à Trignac, 5 à Uckange, 6 à
Neunkirchen.
4° 4 aciéries ïbomas (Valenciennes, Trignac, Louvroil,
Xeunkirchen); 3 aciéries Martin (Valenciennes, Trignac,
Xeunkirchen) ; 2 aciéries électriques (Trignac et Neunkir-
chen); 4 trains laminoirs (Valenciennes, Louvroil, Tri-
gnac et Neunkirchen).
5° Des fours à coke, des broyeurs pour scorie, des
196 l'industrie du fer en i-kam i.
cimenteries, des fabriques de produits réfractaires ali-
mentés par les hauts fourneaux et les aciéries.
6° Des fonderies à Saint -Xazaire, des forges à
Montoir, des fabriques de tubes à Hambourg,
de boulons à Beckingen, des ateliers de construc-
tion dans les départements du Xord et du Pas-de-
Calais.
Les usines de la Sarre et de la Lorraine fourniront
l'acier Thomas et tous les profilés et demi-produits
qui en dérivent; les usines du Xord doivent élaborer
une partie des produits communs d'exportation et des
produits demi-fins; les usines de la Loire livreront les
produits fins pour les chantiers de construction navale
et demi-fins pour l'exportation.
Si puissant que soit ce groupe, il lui manque pour
être complet d'avoir incorporé une usine du Centre,
productrice de la métallurgie de luxe pour l'arme-
ment de la marine de guerre, principalement. C'est
ce qui constitue la force du groupement formé par la
Société de Miche ville et la Société de la Marine et
Homécourt. Par la fusion des établissements du Bou-
cau, de Saint-Chamond, d' Homécourt, de Micheville
qu'elles possèdent en toute propriété, par leurs parti-
cipations dans les établissements de Bombas, de Dift'er-
dange, de Bumelange, de Bedange-Dilling qu'elles
contrôlent pour la plus grande partie, ces sociétés
peuvent livrer toutes les sortes d'acier depuis les plus
grossières, jusqu'aux plus fines. Comme conséquence,
elles ont été amenées à agrandir leur domaine minier.
En dehors des concessions et des participations qu'elles
ont acquises en France et en Belgique, elles se sont
intéressées aux nouvelles prospections entreprises dans
les charbonnages du Centre, dans la Loire, l'Allier et
le Bhône et sur des gisements ferrifères en Espagne,
en Algérie, au Maroc.
APRÈS LA GUERRE 197
Mais l'intégration entraîne encore la métallurgie vers
des conquêtes plus hétérogènes.
« Le champ, écrit M. Kéginald Kann, est presque
illimité. Ce sont d'abord des fabriques de machines,
des usines d'énergie électrique, des manufactures de
produits chimiques. L'horizon s'élargit. On passe aux
chantiers de constructions navales et de là aux com-
pagnies de navigation. Or, les voyageurs qui empruntent
les lignes de paquebots ont besoin d'hôtels; on leur en
achète dans les ports et dans les grands centres d'agglo-
mérations. Puis on constate qu'il est utile d'agir sur
l'esprit de la masse des acheteurs, d'où acquisition
d'une partie de la presse de la capitale et des provinces,
ensuite d'imprimeries, de maisons d'édition, de fabriques
de papier. » Des banques se créent pour soutenir ces
organes les plus divers. Le gouvernement est obligé
de leur accorder son appui. On sait le rôle des banques
et de la métallurgie allemande dans la question des
chemins de fer de Bagdad. La diplomatie germanique
était arrivée à ce singulier compromis que la France
fournirait les fonds, moyennant un droit de contrôle
illusoire et que la sidérurgie rhénane livrerait le maté-
riel, construirait les voies, exploiterait l'affaire. Tout
dernièrement encore, ce furent les grands métallur-
gistes américains qui imposèrent leur programme pour
la mise en chantier du programme maritime des Etats-
Unis.
Si des questions de fret, des barrières douanières
arrêtent les marchandises sur le chemin de la conquête,
l'industrie du fer peut être amenée à essaimer en terri-
toire étranger. Nous avons vu les Japonais s'établir
en Corée et en Mandchourie, les Anglais en Espagne,
les Allemands en Autriche-Hongrie, au Chili même.
Après la guerre, les établissements Schneider et la
banque de l'Union parisienne ont formé l'Union euro-
198 l'industrie du fer en France
péenne, industrielle et financière pour le développe-
ment des relations économiques, métallurgiques prin-
cipalement, entre la France d'une part, la Tchéco-
slovaquie, la Pologne et la Hongrie d'autre part. Ce
consortium a acquis le contrôle : à Pilsen sur les établis-
sements sidérurgiques de Skoda; en Pologne sur la
Société anonyme des Établissements réunis (distil-
leries et sucreries), sur la Société Berg et Huttenwerks,
sur les forges et aciéries de Huta-Bankowa; à Pest,
sur la Banque générale de Crédit hongrois. Enfin les
établissements Schneider ont encore des participations
dans la Compagnie française du Levant, dans la Fraine-
rican industrial Development Corporation, dans la
Société espagnole de constructions Électro-mécaniques,
dans la Société anonyme Officine Metallurgiche Meca-
niche di Tortone, dans l'Union industriale Italo-Fran-
cese, sans compter des intérêts fort importants, avant
guerre, en Russie.
L'intégration, en transformant les méthodes écono-
miques de l'industrie du fer, a singulièrement renforcé
sa puissance. En France, cette puissance est infini-
ment divisée, à de rares exceptions près, entre les
nombreux actionnaires des diverses sociétés. A l'étranger,
en Allemagne principalement, elle est absorbée par
quelques maîtres de forges. Le dernier venu parmi
ces magnats, Hugo Stinnes, montre à quelle hauteur
vertigineuse peut s'élever un homme dans le domaine
de l'acier.
Figure fabuleuse : on la croirait issue d'un conte de
fées. Certains chroniqueurs ont pu comparer Hugo
Stinnes au marquis de Carabas. Le rapprochement
n'est pas exagéré si l'on examine la prodigieuse rapidité
de sa fortune.
Issu d'une famille de négociants en charbons, à
Mullieim-sur-Bbin, il fut placé, à la sortie du collège.
APRÈS LA GUERRE 199
dans une maison de commerce de Cologne. Trop indé-
pendant pour cette discipline, il se fâche avec son
patron, avec sa famille et s'engage comme simple
mineur. Il manie le pic jusqu'au jour où, réconcilié
avec les siens, il entre à l'Institut des Mines de Berlin,
dont le niveau correspond à nos écoles des Arts et
Métiers.
Après un an d'études, il s'établit à son compte
marchand de charbons. Son succès fut rapide. En
20 ans, il était parvenu à une des plus hautes situations
de la métallurgie allemande. Avant la guerre, il
« valait » une quarantaine de millions. L'armistice lui
fournit un tremplin nouveau. Il emploie les capitaux
que l'Etat lui verse pour le dédommager de la perte
de ses usines et de ses mines dans le Luxembourg et
en Lorraine désannexée à conclure de nouveaux con-
trats qui lui assurent la prééminence sur toute l'indus-
trie du fer outre-Rhin. Le 1er octobre 1920, sous l'im-
pulsion de Hugo Stinnes, la Deutsch Luxemburgische
Bergwerks et la Gelsenkirchener Bergwerks créent la
Rhein-Elbe-TJnion. Cette société acquiert, le même mois,
la majeure partie du capital de la Bochumer verein fur
Bergbau et, en décembre 1920, elle s'assure le contrôle des
fameuses firmes électriques Siemens et Holske de Berlin,
Electrizitàts allgemeine Gesellschaft de Nuremberg.
En Westphalie seulement, le groupe Rhein-Elbe,
qu'il contrôle, possède 28 hauts fourneaux. Sa pro-
duction de combustible, en 1920, s'est élevée à
12 600 000 tonnes de houille, 2 900 000 tonnes de coke,
752 000 tonnes d'agglomérés. Sa participation dans le
Syndicat des houilles se monte à 15 millions de tonnes
de houille, 2 600 000 tonnes de coke, 1 million de ton-
nes de briquettes et 4 900 000 tonnes à titre de con-
sommation propre.
En outre, la Rhein-Elbe ou Stinnes sont partiel}?
200 l'industrie du fer en France
lièrement intéressés dans une trentaine de sociétés de
toute espèce : sociétés métallurgiques ou minières,
fabriques d'outils, chantiers de construction navale,
fabriques de produits chimiques, sociétés d'électricité,
sociétés de tramways, de navigation fluviale et mari-
time, hôtels, imprimeries, journaux.
Le Comité des Forges estime que les intérêts du
groupe Stinnes représenterait 8 milliards de marks
environ, dont 1,7 milliard pour la Rhein-Elbe, 797 mil-
lions pour ses filiales, 2,1 milliards pour ses partici-
pations et 326 millions pour ses participations indirectes.
Les entreprises ou participations de Hugo Stinnes
représenteraient 758 millions et celles dans lesquelles
il a des intérêts moins directs 2,2 milliards.
Si fantastiques qu'ils soient, ces chiffres n'évaluent
pas toute la puissance du groupe. Il faudrait encore
compter avec ses participations en Norvège, en Suède,
en Autriche, en Espagne, en Silésie, avec ses intérêts
en Russie. Tels qu'ils sont cependant, ils expliquent
son pouvoir à l'érjoque actuelle, son autorité dans les
conseils du Reich.
CONCLUSION
Au stade actuel de son histoire, l'industrie du fer
présente, en France, une évolution profonde de sa
fonction économique.
A la veille de la Révolution, alors que la métallurgie
avait pris chez nos voisins une figure de grande industrie,
elle demeurait, dans notre pays, un organe de l'activité
régionale. Le métal était considéré comme un objet
tns cher, presque de luxe, et son emploi étroitement
limité à la vaisselle domestique, au matériel agricole,
CONCLUSION 201
aux armements, à la quincaillerie. Protégée par des
taxes établies de province à province, par les difficultés
de la circulation, la production était fort peu déve-
loppée : le tonnage de la fonte élaborée ne dépassait
guère 100 000 tonnes.
La découverte de la vapeur bouleversa les principes
de la sidérurgie : elle accrut rapidement le nombre et
l'importance des clients. Les transports, la construc-
tion mécanique, la construction métallique, les arme-
ments de la guerre et de la marine ont exigé des quan-
tités considérables de métal. De 800 000 tonnes au
début du xixe siècle, la production mondiale de la
fonte a atteint 7 millions de tonnes en 1860, dépassé
78 millions de tonnes en 1913. Elle a presque décuplé
en 53 ans. Cependant, notre métallurgie a été lente à
suivre ce mouvement. En France, le siècle du fer, ou
plus exactement celui de l'acier qui l'a remplacé dans
presque tous les usages, ne date guère que des années
1880. En 1871, exposant devant les Chambres les
clauses du traité de Francfort, Thiers déclarait que la
prospérité métallurgique d'un pays était pure illusion
et s'efforçait de démontrer que les territoires perdus
n'avaient aucune valeur.
Défavorisée par l'insuffisance du combustible, notre
sidérurgie luttait avec peine contre la concurrence
étrangère. Elle eut probablement perdu les marchés
intérieurs si elle n'avait été protégée par des tarifs
prohibitifs. La France consommait les 5 200 000 tonnes
produites par ses hauts fourneaux; ses importations
comme ses exportations étaient sans grand intérêt
au point de vue tonnage. Le rôle de l'industrie du fer
était essentiellement national quand la guerre fut
déclarée.
Le traité de paix a, de nouveau, changé les condi-
tions du problème. L'Alsace et la Lorraine, rede-
202 l'industrie du FER EX FRANCE
venues françaises, porteront notre extraction minière à
43 millions de tonnes, notre production en tonte à
11 millions de tonnes, quand tous nos désastres seront
réparés. Dans les statistiques, notre métallurgie vient
au second rang, derrière les États-Unis, pour l'extrac-
tion du minerai de fer, au troisième rang, distancée
de peu par l'Allemagne, pour la production de la fonte.
Cependant la clientèle française est incapable de doubler
les chiffres de sa consommation. Sous peine d'arrêter
l'essor brillant de ses destinées, l'industrie du fer doit
élargir son horizon. Elle est forcée d'exporter de loris
tonnages. La France doit prendre, sur les marchés
extérieurs, une importance mondiale. Elle est devenue
une puissance métallurgique et, comme telle, les prin-
cipes de sa politique sont profondément modifiés.
Certes, l'activité des nations est trop complexe pour
être caractérisée par un seul de ses agents, mais il
semble cependant que, chez les peuples les plus civi-
lisés, la fonction agricole ne soit plus uniquement qua»
lifiée pour représenter l'activité économique. « Pâtu-
rage et labourage, disait Sully, sont les deux mamelles
de la France, les vrais mines et trésors du Pérou. »
Exacte naguère, cette formule ne le serait plus actuel-
lement. L'emploi du fer est bien l'élément essentiel
qui marque les grands progrès de ces .30 dernières
années. « La métallurgie du fer, écrit M. Cuillain, a
comme tributaires toutes les autres industries : elle
est, pour ainsi dire, le baromètre de la prospérité
industrielle d'un pays; puisque lorsqu'il y a expansion
industrielle, il y a augmentation d'outillage et que
c'est toujours à la métallurgie que l'on a recours pour
le développement de cet outillage. »
Mais toute médaille a son revers. Supposons qu'un
grand pays fournisse à lui seul la plus grande partie
du métal indispensable aux fabrications continentales;
CONCLUSION 203
les autres nations ne pourront plus travailler sans
avoir recours à ses gisements ou à ses usines. Le voilà
maître de toute la métallurgie et de la nombreuse
clientèle qui en vit; c'est une puissance économique
qui se lève sur le déclin des autres. De là pour passer
à la puissance militaire, il n'y a qu'un j.>as.
Or, en 1913-1914, les grandes firmes métallurgiques
de l'Allemagne, celles de Thyssen et de la Gelsenkirs-
chen, entre autres, s'étaient considérablement déve-
loppées : de nouvelles usines entraient en exploitation.
Cependant l'épuisement visible des gisements ferrifères,
l'arrivée des produits américains sur les marchés exté-
rieurs menaçaient leur prospérité. La guerre fut déclarée
à un époque où se dessinait une crise. L'invasion
devait liquider des positions fâcheuses, créer des besoins
nouveaux par des destructions systématiques, anéantir
la concurrence française, conquérir les gisements du
bassin de Briey, méconnus en 1870. La question sidérur-
gique détermina le plan d'attaque.
La guerre n'était pas déclarée que les armées alle-
mandes envahissaient le bassin de Briey; puis elles
violèrent la neutralité de la Belgique pour s'emparer
des houillères du Nord et du Pas-de-Calais. La France
se trouvait privée de 90 p. 100 de sa production en
minerai de fer, de 68 p. 100 de sa production de
fonte, de 78 p. 100 de sa production d'acier, de
76 p. 100 de sa fabrication de laminés. M. Schrodter était
certainement de bonne foi quand, le 31 janvier 1915,
à l'assemblée de la Verein Deutscher Eisenhùtte, il
déclarait que la production métallurgique de la France
('tait sérieusement endommagée et même partiellement
anéantie. La stratégie du grand État-Major avait été
la bonne servante de la sidérurgie allemande.
Si'inblablement, la tactique. En 1917, le haut com-
mandement estima que la France était épuisée par
204 L'INDUSTRIE DU FER EN FRANCE
trois années de guerre. Dans l'espérance d'une pro-
chaine et définitive victoire, il voulut s'assurer des gages
pour signer la paix, encercler dans sa ligne de bataille
les gisements ferrifères du bassin de Briey. Il préci-
pita toutes ses forces, personnel et matériel, sur Ver-
dun. On sait, par quels sacrifices héroïques, l'armée
française défendit son domaine national. Elle sauva
nos libertés et la paix du monde.
La question du fer dépasse actuellement les indi-
vidus, elle domine l'existence des peuples. Il ne s'agit
plus de concurrence commerciale entre sociétés à la
recherche de gros dividendes; il s'agit de la produc-
tion d'un métal, de la possession d'un minerai dont
l'abondance ou la disette peut modifier l'équilibre
toujours instable des nations.
Pour obtenir ou garder cette suprématie indus-
trielle, les gouvernements sont prêts à se servir de
toutes les armes économiques ou militaires, dont ils
disposent. Car l'impoitance de l'industrie du fer est
telle que, sans elle, il ne saurait y avoir ni expansion
économique, ni sécurité nationale. « Le charbon et
le fer, avait dit M. Helfïerich, le célèbre financier
allemand, sont les deux puissants piliers sur lesquels
repose le développement industriel de notre époque. »
Ouvrages à consulter.
Les modifications apportées à l'industrie du fer par le
traité de Versailles ont fait l'objet de nombreuses publications.
Au premier rang, il faut signaler l'enquête menée par le
Ministère du Commerce et publiée sous le titre : Uajijiort
général sur l'industrie française, sa situation, son avenir (Paris,
Imprimerie nationale, 1919-1020, 3 vol. iii-1; la sidérurgie
est traitée au 1er volume, chapitre n).
Nous citerons ensuite tout particulièrement : Beat'mont (M.)
et Berthelot (M.). L'Allemagne, lendemain de <j"erre et de
CONCLUSION 205
révolution (Paris, Armand Colin, 1922, in-lG). — Cavallier (L.).
Après-guerre. La métallurgie française. Des améliorations, évo-
lutions et réformes qui seraient nécessaires dans ses méthodes,
ses moyens, son esprit (Paris, imprimerie Chaix, 1917, grand
in-8). — Despaux (A.). La déchéance de l'industrie française
(l'Information, 6 août 1921). — Guillet (L.). La métallurgie
française et la grande guerre (Revue de métallurgie, 8e année,
janvier 1921). — Guillet (L.) et Durand (J.). L'industrie
française. L'Œuvre d'hier, l'effort de demain (Paris, Masson,
1920, petit in-8). — Kann (Réginald). La politique indus-
trielle du Reich (l'Illustration, 16 octobre 1921). — Id. Rathenau
et Stinnes (ibid., 14 septembre 1921). — Pinot (R.). La métal-
lurgie et l'après-guerre (Bulletin de la Société de l'Industrie
minérale, 1917, 5). — Id. Le Comité des forges de France au
service de la nation, août 19 14 -novembre 1918 (Paris, Armand
Colin, 1919, in-16). — Tribot-Laspière (J.). Le bassin de
la Sarre. Etude minière et métallurgique (Le Génie civil, LXXI,
21 juillet 1917).
Le Comité des Forges publie, chaque année, dans son
Bulletin, des études sur l'industrie du fer en France et chez
les principales puissances de l'étranger.
Par ailleurs, on trouvera une documentation très précieuse
dans les publications spéciales telles que : Iron and Coal trades
reviciv (Londres, hebdomadaire) et Slahl und Eisen Zeitschrift
fur dus deutsche Eisenhùttenwesen (Dusseldorf, hebdomadaire).
Appendice
Production mondiale
de charbon, de coke, de minerai de fer,
de fonte et d'acier en 1913.
(En milliers de tonnes métriques1.)
Pays.
Allemagne . . .
Autriche-Hongrie
Belgique . .
Canada . . .
Espagne . .
États-Unis .
France . . .
Grande-Bretagne
Italie. . . .
Luxembourg
Russie . . .
Suède . . .
Autres pa ys .
Total. .
Miner, il
dr fer.
28 607
5 098
Mit
275
9 801
62 972
21 917
16 253
619
7 333
8 209
7 475
4 200 i
Charbon. Coke.
278 744 -' 32 167
54 112:l 2 721
22 841 3 523
13 709 1425
4 015* 595
516 953 « 41993
40 844 G 4 027
292 029 20 858
701 498
33 824 3 000
363 »
82 218
1 340 353 110 807 172 968 78 224 76 881
Fonte
brute.
16 744
2 366
2 484
1 031
424
31 461
5 207
10 424
460
2 548
3 801
730
544
A< ier.
18 935
2 625
2 466
869
387
31 801
4 686
7 786
846
1 336
4 224
590
330
1. D'après les statistiques publiées par le Comité des Forges.
Dont 8722:! tonnes de lignite.
— 3 fi 332 — — —
— 2I!2 tonnes d'anthracite.
— S3 013 tonnes d'anthracite.
— 702 tonnes de lignite.
— 1 G07 pour Cuba, 1336 pour l'Algérie, 500 pour la ïi)
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre premier
Le minerai de fer 1
I. Le bassin lorrain 3
IL Le bassin de l'Ouest 6
III. Le bassin des Pyrénées 10
IV. Les gisements africains 11
V. Les gisements secondaires 12
Ouvrages à consulter 15
Chapitre II
La fonte au bols 17
I. Les origines. Les forges volantes ... 17
II. Les hauts fourneaux 21
La force hydraulique 22
III. Les matières premières 26
A. Le minerai de fer 26
Les redevances minières 28
L'utilisation des minerais pauvres . . 29
La castine 30
B. Le charbon de bois 31
IV. La main-d'œuvre 33
V. Les maîtres de forges 39
L'Industrie du fer en France. 14
210
TABLE DES MATIÈRES
VI. La production 44
VII. Le commerce du fer 49
Le marché intérieur 49
Le marché extérieur ~>2
Ouvrages à consulter 55
Chapitre III
La fonte au coke
I. Le combustible minéral .
IL L'évolution de la technique .
III. Les centres de l'industrie du 1er
La circulation
1"
Les Industries sur le charbon
A. Le Centre
B. Le Nord
2° Les Industries sur le minerai.
A. L'Est
B. Les usines littorales .
3° Les usines secondaires. .
IV. La main-d'œuvre
V. Les débouchés
1° Le marché extérieur .
Le commerce du minerai .
Le commerce des métaux .
2° Le marché intérieur .
A. L'industrie des transports
Les chemins de fer .
La construction navale .
L'industrie automobile.
B. La construction métallique
G. La construction mécanique
D. Les industries de la guerre
3° L'organisation sociale et commerciale
VI. La puissance métallurgique .
Ouvrages à consulter
58
66
72
7ti
76
ss
ut;
ut;
109
112
117
128
129
129
132
131
134
134
137
111
142
145
117
Mil
152
157
TABLE DES MATIÈRES 211
Chapitre IV
L'industrie du fer après la guerre 159
I. Les matières premières 161
Le charbon 161
Le minerai de fer 166
II. La production métallurgique .... 179
Le marché français 180
Le marché européen 182
Le marché extra-européen . . . . L85
III. L'Intégration 191
Conclusion 260
Ouvrages à consulter. 204
Appendice
Production mondiale du charbon, du coke, du
minerai de 1er, de la fonte et de l'acier . . 200
Planches et figures.
Figure 1. Les gisements de fer et les bassins
houillers de la France 8
Figure 2. La métallurgie du Centre. ... 77
Figure 3. La métallurgie du Nord. . . . 88
Figure 4. Là métallurgie de l'Est. . . . loi
Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 120-5-22.
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— 2 - COLLECTION ARMAND COLIN
N° 1 A. BLANC
Professeur à la Faculté des Sciences de Caen
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Principes scientifiques de l'Eclairage
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CET ouvrage intéresse tous ceux qui ont à faire un choix raisonné
entre les différents procèdes d'éclairage.
Apres avoir clairement exposé les principes sur lesquels doit
reposer tout système d'éclairage qui \eut être économique et satisfaisant,
l'auteur passe en revue et compare tous les appareils, même les plus
modernes, et en établit le rendement avec précision.
Nu 2 E. JAMMY
Ingénieur en chef aux Forges et Chantiers de la Méditerranée
LA CONSTRUCTION DU
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truction de puissantes unités navales, abondamment illustre, est à
la fois le livre des spécialistes des constructions navales et le livre de
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modernes que forme un de nos navires de guerre.
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avec les lois du mouvement, de s'initier à cette science avec des connais-
sances mathématiques très réduites. C'est aussi le livre du praticien qui
veut comprendre et perfectionner son travail.
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de sa perfection, d'analyser ses qualités de logique, de clarté, de
Drofondeur ; de montrer l'identité de doctrines et d'idéal par où se
rejoignent des oeuvres aussi diverses en apparence que celles d'un Racine,
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livre est accessible à tous ceux qui possèdent les éléments des mathéma-
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simple et très compréhensif des méthodes est suivi d'applications
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peuvent y apprendre le rôle pratique de la Géométrie Descriptive, les
praticiens peuvent aisément y retrouver l'explication des procèdes qu'ils
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appliquée permettent au lecteur de se familiariser avec les procédés de
la Mécanique.
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Professeur à l'École Navale
STATIQUE et DYNAMIQUE
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^■^ le premier. Le sens du concret n'abandonne jamais I auteur qui
enveloppe de réalités les formules, et qui, inversement, dans chaque
application pratique sait discerner et faire comprendre le jeu et le rôle
des lois. C'est pourquoi cet ouvrage rendra service aux étudiants des
Facultés et des grandes Ecoles, ainsi qu'aux ingénieurs qui se sont, des
le début, orientés vers les applications.
N° 11 CH. FABRY
Professeur à la Sorbonne
ELEMENTS dE LECTRICITE
70 figura
/""^'EST un livre pour les débutants dans lequel les praticiens trouveront
-•' matière à réflexion, car il résume l'expérience de longues années
d'enseignement et de recherches scientifiques. Tous seront étonnés de la
simplicité que revêt l'exposition d'une science donnée parfois comme
mysiérietise et compliquée.
N° 12 Colonel J ROUELLE
LA FONTE
(ÉLABORATION ET TRAVAIL)
29 figures
S""* ET ouvrage donne, en un style clair et précis, les principes fonda-
^-^ mentaux, les points essentiels et les plus importants détails du
travail de la fonte. Extrêmement documenté, malgré sa concision, il sera
étudié avec fruit par les jeunes gens qui désirent entrer dans l'industrie
métallurgique, et il s^ra lu avec intérêt par tous ceux qui veulent se tenir
au courant du mouvement économique de notre pays.
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N° 13 ET. RABAUD
Professeur à la Faculté des Sciences de Paris
L'HEREDITE
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/'""'ET ouvrage intéresse toutes les personnes cultivées; il est en outre
^^ précieux pour les éleveurs qui veulent obtenir des sélections rai-
sonnées. C'est un résumé simple et clair de nos connaissances actuelles
sur l'Hérédité, une analyse de son mécanisme et des facteurs qui nous
permettent d'en modifier les conséquences au moyen de l'éducation.
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Maître de Conférences de Chimie analytique à la Sorbonne
PRINCIPES DE
L'ANALYSE CHIMIQUE
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M AUGER a condensé dans ce peut traité tout ce qu'une expé-
• rience de vingt années d'enseignement lui a appris à regarder
comme nécessaire au chimiste qui veut connaître, comprendre et même
perfectionner les mé hodes analytiques. Aux étudiants comme aux initiés,
ce livre présente les données nécessaires à la connaissance raisonnee de
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Droit.
VI. - Mathématiques.
VII. Physique.
III
IV
V.
VIII.- CTurme.
IX. - Biologie.
X. — Electricité
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XI. - Moteurs thermiques.
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XUL- Arts Militaires.
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ments de travail, fous la forme de livres courts, et cependant complet
rédigés par des savants, par des spécialistes en chaque matière.
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la vie ont obligée à se spécialiser, des exposés clairs et précis d<
connaissances jusqu'ici acquises dans les domaines les plus variés.
3° Répandre au dehors des livres exposant les idées, les méthodes et
goût français, et faire rayonner dans le monde la science et la cultui
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La COLLECTION ARMAND COLIN répond ainsi à ce besoi
qu'a tout homme intelligent de sortir de temps en temps de sa spécialil
pour faire, dans les champs d'action d'autrui, une excursion qui ne pe^
être instructive que si elle a lieu sous la direction d'un guide sûr. C'e>
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