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Full text of "Livre d'heures peint par Jean Foucquet pour Maître Étienne Chevalier: le quarante-cinquìeme feuillet de ce manuscrit, retrouvé en Angleterre"

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Durrieu,  Paul,  comte 

Livre  d'heures  peint 
par  J(^p.r)   Foucquet 


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COMTE     PAUL     DURRIEU 

Membre  de  l'Insfit/it 

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LIVRE    D'HEURES 

PEINT  PAR 

JEAN  FOUCQUET 

POUR    MAÎTRE    ETIENNE    CHEVALIER 

LE   QUARANTE-CINQUIÈME 

FEUILLET    DE    CE 

MANUSCRIT 

re/rom'é 

en 

ANGLETERRE 


POUR   LES   MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  FRANÇAISE     \^r^ 
DE   REPRODUCTIONS   DE   MANUSCRITS  À  PEINTURES      ^^^ 


MCMXXIII 


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SOCIETE  FRANÇAISE  DE  REPRODUCTIONS  DE 
MANUSCRITS  À  PEINTURES 

AVERTISSEMENT 

Les  grands  libraires  de  Londres,  MM.  Maggs  Bros.,  dont  les  beaux  catalogues 
font  connaître  les  raretés  bibliographiques  qu'ils  proposent  à  leurs  clients,  ont  eu 
la  bonne  fortune  de  découvrir  un  des  feuillets,  resté  Jusqu'ici  inconnu,  du  fameux 
livre  d'Heures  peint  au  XV'  siècle  par  Jean  Foucquet  pour  Maître  Etienne 
Chevalier  et  dont  la  plupart  des  pages,  achetées  autrefois  par  Monseigneur  le 
Duc  d'Aumale,  fait  l' admiration  des  visiteurs  du  Musée  Condé  à  Chantilly. 

Ils  ont  été  bien  inspirés  en  demandant  une  notice  sur  ce  précieux  feuillet  à  M.  le 
Comte  Durrieu,  membre  de  l'Institut  de  France,  que  ses  nombreux  et  remarqu- 
ables travaux  sur  les  peintres  miniaturistes  de  cette  époque  désignaient  à  leur 
choix. 

Désireux  de  satisfaire  la  légitime  curiosité  des  membres  de  la  Société  française 
de  reproductions  de  manuscrits  à  peintures,  dont  ils  font  partie,  ils  ont  émis 
l'intention  d'offrir  à  chacun  de  leurs  collègues  de  la  Société  un  exemplaire  de  cette 
notice  qui  rentre  dans  le  cadre  de  leurs  études. 

Nous  croyons  être  les  interprètes  de  tous  nos  Sociétaires  en  adressant  à  AIM. 
Maggs  Bros,  l'expression  de  nos  sincères  et  vifs  remerciements  pour  leur 
libérale  attention. 

Pour  le  Comité  Directeur, 

le  SECRETAIRE 

Comte  A.  de  LABORDE, 
8i  Boulevard  de  Courcelles 
Paris  (viii.) 


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Le  quarante-cinquième  feuillet 
du  Livre  d'Heures  peint  par  je  an  foucquet 
pour  Maître  etienne  chevalier 
retrouvé  en  Angleterre 


î.  JEAN  FOUCQUET 

RACE  à  une  note  inscrite, entre  le  ler  avril  1488  et  le  8  odobre 
1303,  par  un  secrétaire  du  duc  Pierre  II  de  Bourbon,  nommé 
François  Robertet,  à  la  fin  d'un  manuscrit  fameux  de  la  Biblio- 
thèque Nationale  de  Paris,  le  tome  ler  d'une  tradudion  française 
des  Antiquités  Judaïques  de  Flavius  Josèphe,*  nous  savons  d'une 
manière  formelle  qu'une  série  de  splendides  miniatures  duXVème 
siècle,  contenues  dans  ce  volume,  e§l  "de  la  main  du  bonpaintreet 
enlumineur  du  roi  Loys  Xlème,  Jehan  Foucquet,  natif  de  Tours." 
I.e  nom  de  ce  Jean  Foucquet,  peintre  et  enlumineur  en  titre  du  roi  de  France 
Louis  XI,  a  été  trop  longtemps  oublié  en  France.  Cependant,  il  fut  célèbre  jadis,  et 
plusieurs  écrivains  du  quinzième  et  du  seizième  siècle  l'ont  cité  comme  un  des  grands 
noms  de  la  peinture.  En  1495,  un  des  seigneurs  de  la  suite  de  Charles  VIII,  décrivant 
l'habitation  royale  de  Poggioreale,  près  Naples,  trouve  cette  "  maison  de  plaisance  " 
plus  délicieuse  "  que  le  beau  parler  de  maiSlre  Alain  Charrier  (célèbre  poëte  français 
du  XVème  siècle),  la  subtilité  de  maiftre  Jehan  de  Meun  (auteur  de  la  seconde  partie 
du  Roman  de  la  Rose),  et  la  main  de  Fouquet  ne  sauraient  dire,  escripre  ni  paindre."f 
En  1503-4,  un  littérateur  de  profession,  historiographe  et  poète  ampoulé,  qui  vivait 
dans  la  maison  de  Marguerite  d'Autriche  et  était  spécialement  chargé  des  rapports  de 
cette  princesse  avec  les  artistes,  Jean  Le  Maire  de  Belges,  parle  deux  fois  avec  admira- 
tion de  Jean  Foucquet.  Dans  La  Plainte  du  Désiré  ou  Déploration  du  Trépas  de  Mgr.  Loys 
de  Luxembourg,^  ^e^nLeMnite  met  en  parallèle  des  artistes  comme  Léonard  de  Vinci, 
*  Bibl.  Nationale,  manuscrit  français  247.  Pour  tout  ce  qui  concerne  ce  manuscrit,  aujourd'hui 
complété  à  Paris  de  son  tome  2  (formant  le  manuscrit  21.01 3  du  fonds  français  des  nouvelles  acquisi- 
tions), consulter  :  Paul  Durrieu,  Les  antiquités  Judaïques  et  le  peintre  Jean  Foucquet,  Paris,  1907 
(certains  exemplaires  portent  :  1908),  in-folio,  avec  27  planches  hors  texte. 
■\j1rchives  de  l'art  français,  t.  I,  p.  275. 

jimprimée  à  la  suite  de  la  Légende  des  Vénitiens,  du  même  auteur,  Lyon,  vers  1509,  in-ia",  et 
Paris,  151 2,  in  4°. 


Gentile  Bellini  et  Pérugin,  avec  des  maîtres  plus  anciens,  tels 

Que  Marmion  jadis  de  Valenciennes 

Ou  que  Fouquet,  qui  tant  eut  gloires  siennes, 

nommant  immédiatement  après  eux  Poyet  (Jean  Poyet,  peintre  miniaruriSte  très 
estimé  qui,  en  1495  ou  1496,  fut  employé  par  la  reine  Anne  de  Bretagne  à  illustrer  des 
"  petites  heures  "),  Roger  (Van  der  Weyden),  Hugues  de  Gand  (Van  der  Goes)  et 
Joannes  (Memlinc)  "  qui  tant  fut  élégant."  On  voit  à  quelle  noble  compagnie  e§l 
associé  Foucquet.  Dans  une  autre  composition  poétique,  faite  en  l'honneur  de 
Marguerite  d'Autriche  et  intitulée  La  Coi/rofi/ie  margaritique,\t  même  auteur  donne  une 
liste  de  grands  peintres  ;  les  deux  premiers  sont  Roger  Van  der  Weyden  et  notre  Jean 
Foucquet  : 

Car  l'un  d'iceulx  eSloit  maiStre  Roger, 

L'autre  Fouquet,  en  qui  tout  los  s'emploie. 

Viennent  ensuite,  dans  la  lifte,  Hugues  Van  der  Goes,  Dirk  Bouts,  Afemlinc, 
Marmion  et  le  "  roy  des  peintres,"  Jean  Van  Eyck,  avec  quelques  artistes  dont  la 
renommée  s'eSl  moins  bien  maintenue.  Colin  d'Amiens,  Loys  de  Tournai,  etc.* 
Jean  Le  Maire  de  Belges  pouvait,  d'ailleurs,  parler  de  Foucquet  en  connaissance  de 
cause,  car  Marguerite  d'Autriche,  sa  protectrice,  possédait  une  petite  madone  de  la 
main  de  notre  peintre,  f 

Un  autre  écrivain  qui  s'eSt  occupé  de  choses  d'art,  Jean  Pèlerin,  dit  Le  Viateur, 
chanoine  de  Toul,  né  vers  1445,  dans  la  troisième  édition  de  son  traité  De  artifidali 
perspeâiva,  parue  en  15  21,  cite  aussi  Foucquet  parmi  les  peintres  "décorans  France, 
Almaigne  et  Italie,"  nommant  avec  lui,  entre  autres  maîtres,  Poyet,  Colin  d'Amiens, 
Mantegna,  le  Pérugin,  Léonard  de  Vinci,  Hugues  Van  der  Goes,  Lucas  de  Leyde, 
Raphaël  et  Michel-Ange.  | 

Mais  avant  ces  auteurs,  qui  écrivaient  de  1495  à  1 5  21,  d'autres  personnages,  dont 
le  témoignage  eSl  encore  plus  intéressant  parce  qu'ils  furent  contemporains  de  Fouc- 
quet, ont  aussi  parlé  de  lui  en  termes  admiratifs. 

Le  premier  eSl  le  célèbre  architefte  et  sculpteur  florentin  Antonio  Averulino  ou 
Averlino,  dit  Filarete.  Dans  un  traité  d'architefture  rédigé  entre  1460  et  1464  et 
adressé  au  duc  de  Milan,  Francesco  Sforza,  Filarete  s'occupe  de  rechercher  des  grands 
peintres  susceptibles  de  décorer  une  cité  idéale,  dont  il  établit  le  projet.  "  Je  redoute, 
Seigneur,  écrit-il  à  Sforza,  qu'il  ne  faille  attendre,  car  il  y  a  ici  disette  de  maîtres  qui 
soient  bons."  Et  il  déplore  les  morts  prématurées  ou  récentes  de  Masaccio,  Masolino, 
Fra  Angelico,  Domenico  Veneziano,  Pesellino,  Andréa  del  CaStagno.  "  C'eSt  pour- 
quoi, ajoute-t-il,  je  redoute  qu'il  ne  soit  difficile  d'avoir  d'excellents  peintres. ...  Il 
faudrait  voir  si  dans  les  pays  d'outre  monts,  il  ne  s'en  trouverait  pas.  Il  y  en  avait  bien 

•  Jean  Le  Maire  de  Belges,  Les  IlluSlrations  de  Gaule  et  littgu/aritez  de  Trijy^,  suivies  de  :  La 
Couronne  margariti^ue, édition  deLyon,  1 549,  in-folio,  p.  399  des  llluflrations,  et  p.  70  de  La  Couronne. 

t  L'inventaire  de  Marguerite  d'Autriche,  dressé  en  1516,  signale  en  effet  :  "  Un  petit  tableau 
de  No^re  Dame,  bien  vieulx,  de  la  main  de  Foucquet,  ayant  eftuy  et  couverture."  Le  Glay, 
Correspondance  de  l'empereur  Maximilien  i  er  et  de  Marguerite  d'Autriche,  publiée  pour  la  Société  de 
l'Hi^oire  de  France,  Paris,  1839,  2  vol.  in-8%  t.  2,  p.  481. 

:j:  Jean  Pèlerin,  op.  cit.,  vers  imprimés  sur  le  titre  de  l'édition  de  1521.  Cf.  Anatole  de  Mon- 
r  AicLOs,  Notice  hinorique  et  bibliographique  sur  Jean  Pèlerin,  dit  Le  Fiateur, Paris,  i86l,in-8°,avec 
fac-similés,  p.  59-74. 

4. 


un  de  la  plus  grande  valeur  qui  s'appelait  maître  Jean  de  Bruges  (Jean  Van  Eyck), 
mais  lui  aussi  e§t  mort.  Il  me  semble  qu'il  doit  y  avoir  encore  un  autre  maître,  Roger 
(Van  der  Weyden),  qui  e§t  bien  doué.  Il  y  a  encore  un  Foucquet,  français*  ;  s'il  vit 
encore,  c'eft  un  bon  maître,  surtout  pour  les  portraits  d'après  nature.  Il  a  fait  à  Rome 
le  pape  Eugène  avec  deux  des  siens  auprès  de  lui,  qui,  en  vérité,  semblent  proprement 
vivants.  II  les  a  peints  sur  une  toile  qui  a  été  placée  dans  la  sacristie  de  la  Minerve.  Je  le 
dis  parce  qu'il  les  a  peints  de  mon  temps. "f 

Le  second  personnage  du  quinzième  siècle  qui  intervient  à  propos  de  Foucquet 
e§t  un  autre  Florentin,  Francesco  Florio,  probablement  homme  d'église,  qui  a  résidé 
à  Tours.  Celui-ci,  dans  une  lettre  adressée  à  un  de  ses  amis  de  Rome,  mentionne  les 
belles  choses  que  l'on  pourrait  voir  à  Tours  en  l'année  1477.! 

A  cette  occasion,  il  témoigne  la  plus  vive  admiration  pour  des  peintures  de 
Foucquet,  qui  se  trouvaient  dans  l'église  Notre-Dame-la-Riche.  "  Là,  dit-il,  je  com- 
pare les  images  des  saints  des  temps  anciens  avec  les  modernes,  et  je  réfléchis  combien 
Jean  Foucquet§  l'emporte  par  son  art  sur  les  autres  peintres  de  tous  les  siècles.  Ce 
Foucquet  dont  je  parle  eS  un  homme  de  Tours,  qui,  plus  habile  de  beaucoup  pour  la 
peinture,  a  surpassé,  non  seulement  les  peintres  de  son  temps,  mais  tous  les  anciens. 
Que  l'antiquité  vante  Polygnote  1  Que  d'autres  exaltent  Apelles  !  Pour  moi  je  serais 
heureux  si  je  pouvais  trouver  des  mots  pour  célébrer  dignement  les  produdtions 
admirables  du  peintre  de  Tours  !  Pour  que  tu  ne  croies  pas  que  je  poétise,  tu  pourras, 
dans  notre  église  de  la  Minerve,  savourer  quelque  chose  de  l'art  de  ce  peintre,  en  allant 
regarder  le  portrait  du  pape  Eugène,  peint  sur  toile,  qu'il  n'a  fait  pourtant  que  dans  sa 
jeunesse  et  dont  il  a  réussi  cependant  à  donner  une  telle  image  par  sa  vision  pénétrante. 
N'en  doute  pas,  car  je  t'écris  la  vérité,  ce  Foucquet  e§t  capable  de  créer  par  son  pinceau 
des  visages  vivants  et  d'imiter  presque  Prométhée  lui-même."!! 

Les  deux  textes  que  nous  venons  de  citer  parlent  d'un  portrait  du  pape  Eugène 
(et  il  faut  entendre  ici  le  pape  Eugène  IV)  qui  avait  été  peint  à  Rome  par  Jean  Foucquet, 
et  se  conservait  dans  l'église  de  la  Minerve.  Ce  portrait  était  encore  célèbre  au  seizième 
siècle.  Il  a  valu  au  peintre  tourangeau  l'honneur  d'être  cité  par  Vasari,  l'auteur  des 
fameuses  Vies  des  peintres  italiens.  Dans  sa  première  édition,  parue  en  155°)  Vasari 
raconte  qu'au  moment  de  la  mort  de  Simone,  frère  de  Donatello,  "  arriva  à  Rome 
Giovarmi  Fochetta,  peintre  très  célèbre,  qui  peignit  à  la  Minerve  le  pape  Eugène,  qu'on 

•  Le  nom  de  Tartine  a  été  déformé,  dans  les  manuscrits  du  traité  de  Filarete,  en  Giachetto  ou 
Grachetto  ;  mais  le  témoignage  de  Francesco  Florio,  rapporté  ci-dessous  et  qui  parle  du  même  portrait 
du  pape  Eugène  IV,  ne  laisse  aucun  doute  sur  l'identité  du  maître  signalé  par  Filarete  avec  Jean 
Foucquet. — Cf.  Anatole  de  Montaiglon,  Jean  Fouqtiet  et  son  portrait  du  pape  Eugène  IF,  dans  les 
archives  de  l'art  français,  2ème  série,  t.  I  (Paris  1861,  in  %")  p.  454-468  ;  et  le  Dr.  W.  Von 
Oettingen,  dans  son  édition  du  traité  de  Filarete,  Vienne  (Wien),  1 890,  in-8  "  (dans  la  colleftion  des 
Quellenschriften  zur  Kunslgeschichte  und  KunHtechnick  des  Mittelalters  und  Neuzeit,  neue  Folge, 
III  Band),  p.  716 

t  Antonio  Averlino  Filarete,  édition  de  son  traité  d'architedure  donnée  par  le  Dr.  W.  Von 
Oettingen,  p.  307. 

i  Cf.  Georges  LafeneAre,  Jehan  Fouquet,  Paris,  1905,  in-4°,  chapitre  III,  p.  21-29. 

§  Le  texte  latin  porte  :  Johannes  Fochetus. 

Il  Franciici  Florii,  florentini,  ad  Jacohum  Tarlatum  CaRellionemem,  de  probatione  Turonica. 
Imprimé  pour  la  première  fois  par  Salmon,  d'après  les  papiers  de  Dom  Martène,  dans  les  Mémoires 
de  la  Société  archéologique  de  Touraine,  t.  7  (1855),  p.  105. 

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tint  à  cette  époque  pour  une  très  belle  chose,  et  qui  se  lia  beaucoup  avec  Antonio 
Filarete."*  Dans  la  deuxième  édition  des  Vies  des  peintres,  le  fait  eSt  rapporté  sous 
une  forme  un  peu  difîérente.  "  Peu  de  temps  après  la  mort  de  Simone,  le  Filarete, 
revenu  à  Rome,  mourut  à  soixante-neuf  ans.  Il  fut  enterré  dans  l'église  de  la  Minerve, 
où  il  avait  fait  peindre  le  portrait  d'Eugène  IV  à  Giovanni  Foccota,  peintre  très  loué, 
pendant  que  lui,  Filarete,  demeurait  à  Rome  au  service  de  ce  pape."f 

Le  pape  Eugène  IV  e§t  mort  le  23  février  1447.  C'eS  donc  antérieurement  à 
cette  date  que  Filarete  a  pu  être  à  son  service  et  faire  peindre  son  portrait  par  Foucquet. 
Dans  sa  première  édition,  Vasari  ajoute  encore  que  la  liaison  de  Foucquet  avec  Filarete 
ne  dura  pas  parce  que,  à  la  suite  d'un  souper  que  les  deux  artiftes  firent  ensemble  à  la 
campagne,  Filarete  fut  pris  d'une  dysenterie  qui  l'emporta.  Cette  mort  eut  lieu  en 
1469  ou  1470.  Il  semblerait  donc  que  Foucquet  fut  revenu  une  seconde  fois  en  Italie 
postérieurement  à  1447,  car,  en  résumant  plus  loin  ce  qu'on  peut  savoir  de  l'existence 
de  Jean  Foucquet,  nous  verrons  qu'on  le  retrouve,  dans  l'intervalle,  travaillant  en 
France.  L'hypothèse  d'un  second  voyage  de  Foucquet  en  Italie  ne  serait  pas,  à  tout 
prendre,  absolument  inadmissible.  Toutefois,  il  faut  remarquer  que  cette  indication 
de  la  présence  de  Foucquet  auprès  de  Filarete,  à  l'époque  de  la  mort  de  celui-ci,  ne  se 
rencontre  que  dans  la  première  édition  de  Vasari  et  qu'elle  a  été  supprimée  dans  la 
deuxième,  ce  qui  donne  à  penser  que  Vasari  lui-même,  après  avoir  d'abord  admis  le 
fait,  l'a  plus  tard  considéré  comme  incertain,  sinon  même  erroné. 

Parmi  les  témoignages  anciens,  constatant  la  célébrité  de  Foucquet,  mis  par  écrit 
de  son  temps,  ou  durant  une  période  relativement  voisine  de  sa  vie,  il  faut  encore  ranger 
la  note,  que  je  rappelais  au  début  de  ce  travail,  apposée  entre  1488  et  1503  à  la  fin  du 
tome  I  er  des  Antiquités  Judaïques,  qui  appartenait  alors  au  duc  Pierre  II  de  Bourbon, 
par  le  secrétaire  de  ce  prince,  François  Robertet.  Robertet  atteste  qu'une  partie  des 
miniatures  du  volumeij:  sont  "  de  la  main  du  bon  paintre  et  enlumineur  du  roy 
Loys  Xlème,  Jehan  Foucquet."  L'expression  de  "  bon  paintre"  semble  relativement 
froide  à  côté  des  éloges  enflammés  de  Francesco  Florio.  Néanmoins,  le  fait  même 
que  ces  quelques  mots  ont  été  tracés,  au  plus  tard  au  début  d'oftobre  1503,  et  peut- 
être  même  dès  une  époque  voisine  de  1488,  eSt  extrêmement  significatif.  En  effet, 
dans  les  habitudes  du  temps,  c'était  chose  absolument  exceptionnelle  en  France,  et 
même  anormale,  qu'une  personne  autre  que  l'artiSte  en  personne  prit  soin  d'inscrire 
sur  un  manuscrit  le  nom  du  miniaturiste  qui  avait  travaillé  à  illustrer  le  volume.  Pour 
que  Robertet  ait  cru  devoir  déroger  sur  ce  point  aux  usages,  il  fallait  que  le  nom  de 

•  "  Capito  in  queAo  tempo  a  Roma  Giovanni  Fochetta,  assai  celebrato  pittore,  che  fece  nella 
Minerva  il  Papa  Eugenio,  tenuto  in  quel  tempo  cosa  bellisima,  et  dimeftico  se  assai  con  Antonio 
(Filarete)."  Giorgio  Vasari,  Le  vite  de'  piu  excellenti  architetti,  pittori  et  scultori  italiani,  édition  de 
1550.  t.  I.p.  359. 

t  Vasari,  Fite,  édition  Sansoni,  avec  notes  de  G.  Milanesi,  t.  2,  p.  46 1 .  Montaiglon  a  très  bien 
expliqué  comment  le  nom  de  Fochetta,  donné  dans  la  première  édition  de  Vasari,  eA  devenu,  dans  les 
éditions  poftérieures,  Foçcota  et  même  Foccora. 

X  Les  trois  premières  miniatures  avaient  été  peintes  avant  le  milieu  de  l'année  141 6  pour  le  duc 
Jean  de  Berry,  premier  possesseur  du  volume.  Les  suivantes  furent  ajoutées  par  Foucquet  après  que 
le  manuscrit  fut  arrivé,  par  héritage,  à  Jacques  d'Armagnac,  duc  de  Nemours,  arrière-petit-fils,  en 
ligne  féminine,  du  duc  Jean  de  Berry. — Sur  cette  question,  voir  P.  Durrieu,  Les  Antiquités  Judaiques 
et  le  peintre  Jean  Foucquet,  chapitre  III. 

6 


Jean  Foucquet  fut  un  très  grand  nom,  et  que  lui-même,  Robertet,  éprouvât  une  vive 
admiration  pour  ce  maître.* 

En  1 5  5  6,  un  avocat  tourangeau,  Jean  Brèche,  dans  un  Livre  de  Droit,  mentionne 
encore  Jean  Foucquet  et  ses  deux  fils,  Louis  et  François,  mais  d'une  manière  très  brève, 
et  qui  n'eSl  même  pas  très  favorable  à  "  ces  Foucquets,"  placés  par  lui  bien  au-dessous 
de  Jean  Poyet.f 

Puis  le  silence  se  fait,  et  le  nom  du  bon  peintre  et  enlumineur  du  roi  Louis  XI  eSt 
totalement  oublié.  Ccit  tout  au  plus  si,  en  1739,  dans  un  Mémoire  hifforique  sur  la 
Bibliothèque  duroj,X  rédigé  d'après  les  notes  de  Boivin  le  Cadet  par  l'Abbé  Jourdain,  on 
signala,  sur  la  foi  de  la  note  de  Robertet,  que,  sous  Louis  XI,  "  il  y  avait  aussi  un  en- 
lumineur en  titre,  nommé  Jehan  Foucquet,  de  Tours,  dont  l'habileté  paraît  surtout 
dans  les  tableaux  hiëloriques  du  manuscrit  des  Antiquités  Judaïques  de  ]osèphe"% 

Il  faut  arriver  au  dix-neuvième  siècle  pour  voir  les  érudits  et  les  critiques  cony 
mencer  à  se  préoccuper  de  nouveau  de  notre  maître.  En  1 8 1 8,  un  historien  tourangeau, 
L.  C.Chalmel,  fait  une  place  à  Foucquet,  dans  ses  TûZ'/if//fj'f/'rcWi9g/'^//fj' .  .  .  de  TouraineW 
Chalmel  ne  se  borne  déjà  plus,  comme  source  d'information,  à  l'indication  donnée  par 
la  note  de  Robertet  sur  le  Josèphe  de  la  Bibliothèque  Nationale,  ms.  français  247.  Il 
connaît,  d'après  les  papiers  de  Dom  Martène,  le  texte  de  Francesco  Florio  et  lui 
emprunte  l'hiftoire  du  portrait  du  pape  Eugène  IV,  dont  il  place  l'exécution  en  1445. 

Cependant,  chose  curieuse,  c'eêt  peut-être  par  une  œuvre  relevant  avant  tout  de 
la  littérature  que  le  nom  de  JeanFoucquet  commença  à  reconquérir  sa  faveur  auprès  du 
grand  public.  Un  chef  d'escadron  d'etat-major,  le  baron  de  Crespy-le-Prince,  un  de 
ces  officiers  amis  des  Arts  et  de  l'Hiftoire,  comme  la  France  en  a  souvent  vu  naître, 
qui  était  d'ailleurs  peintre  lui-même  et  élève  de  David,  s'éprit  d'admiration  pour  les 
miniatures  de  Foucquet  contenues  dans  h  Josèphe.  Il  rêva  de  reproduire  la  série  de  ces 
miniatures.  En  attendant,  il  fit  du  maître  Tourangeau  le  principal  personnage  d'une 
nouvelle  de  §tyle  romantique  intitulée  :  La  Fille  de  Foucquet,  qu'il  publia  en  i834,dans 
un  recueil  périodique  à  l'usage  des  gens  du  monde.f  Cette  nouvelle,  dans  laquelle  on 
sent  l'influence  du  Quentin  Durti'ard  de  Walter  Scott,  e§t  à  la  fois  très  romanesque  et 
très  enfantine  dans  ses  données.  Elle  contient  des  anachronismes  tout  à  fait  amusants. 

*  Ajoutons  que  François  Robertet  a  pu  connaître  personnellement  Jean  Foucquet.  Il  était  fils 
de  Jean  Robertet,  greffier  de  l'Ordre  de  Saint-Michel.  Or,  on  verra  plus  loin  que,  d'après  un  docu- 
ment d'archives,  Jean  Robertet  a  dû  forcément  se  trouver  en  relations  diredles  avec  Foucquet,  vers 
l'époque  de  la  création  de  l'Ordre  de  Saint  Michel  en  1469. 

t  Parlant  des  célébrités  ayant  habité  la  Touraine,  Jean  Brèche  nomme  :  "  Inter  pidlores, 
Johannes  Foucquettus  atque  ejusdem  filii  Lodoicus  et  Franciscus.  Quorum  temporibus  fuit  et 
Johannes  Poyettus,  Foucquettiis  ipsis  longe  sublimior  optices  et  pifturae  scientia." — Johannis 
Brechaei,  Turent  jurisconsulti,  ad  titulum  Pandeciarum  "de  verhorum  et  rerum  significatione" 
commentant.    Lyon,  1556,  in-folio,  p.  410. 

X  Inséré  en  tête  du  Catalogue  des  livres  imprimés  de  la  Bibliothèque  du  roy.  Théologie,  t.  i ,  Paris, 
1739,  in-folio. 

§  P.  VII  du  volume  mentionné  à  la  note  précédente. 

Il  Tablettes  chronologiques  de  l'hiltoire  civile  et  ecclésiastique  de  Touraine,  Tours,  181 8,  in-8°, 
p.  196  ;  cf.  du  même  auteur ///i7c/r^</É' Ts^rfl/nf, Tours,  1828,4  vol.  in-8'',  tome 4,  àla  Biographie 
des  Tourangeaux  célèbres,   p.  186. 

^  France  et  Italie,  recueil  périodique  publié  à  Paris,  chez  Fournier  &  Cie.  N  °  de  décembre  1 8  34  : 
— La  Fille  de  Foucquet  a  été  réimprimée,  au  tome  i ,  p.  203-245  de  l'ouvrage  :  Chroniques  sur  les 
Cours  de  France,  Paris,  1843,  2  vol.  in-8°. 

7 


A  un  certain  moment,  deux  des  personnages  de  la  Cour  de  Louis  XI  se  mettent  à 
parler  des  poèmes  d'Ossian  I  Néanmoins,  il  y  a  des  traits  qui  sont  fondés  sur  des  faits 
réels.  J'y  ai  même  trouvé  une  indication  qui  m'a  beaucoup  étonné.  Je  croyais  bien  avoir 
été  le  premier  à  mettre  en  lumière,  dans  un  travail  datant  de  1 890,  et  d'après  l'examen 
critique  des  documents  d'archives,  que  Jean  Foucquet  avait  dû  certainement  être  en 
relations  avec  Jean  Robertet,  greffier  de  l'Ordre  de  Saint-Michel,  et  père  du  François 
Robertet  qui  a  écrit  la  note  sur  le  Josèphe  de  la  Bibliothèque  Nationale.  J'ai  constaté 
après  coup  que  le  Baron  de  Crespy  le  Prince  avait  déjà  connu,  ou  du  moins  soupçonné, 
ces  relations  entre  Foucquet  et  Robertet.  A  un  certain  endroit  de  sa  nouvelle,  il  met  en 
scène  le  roi  Louis  XI,  qui  cause  dans  la  plus  grande  intimité  avec  Jean  Foucquet.  Le  roi 
se  préoccupe  de  bien  loger  son  peintre  favori  et  lui  dit  textuellement  :  "  Je  veux  que  tu 
sois  le  mieux  possible.  Je  donnerai  moi-même  un  coup  d'œil  à  ton  appartement.  Il  sera 
commode,  spacieux.  Tu  pourras  y  recevoir  à  coucher  ton  ami  Robertet  et  sa  famille." 

Comment  le  chef  d'escadron  d'état-major  était-il  ainsi  éclairé  sur  certains  points  ? 
Nous  le  savons  par  l'aveu  même  d'un  érudit  qui  avait  fourni  des  indications.  Cet 
érudit  n'eft  autre  que  le  Comte  AuguSte  de  Baftard  d'EStang,  amateur  passionné  des 
manuscrits  à  miniatures,  qui  se  consacra,  pendant  la  majeure  partie  de  sa  vie,  à  l'entre- 
prise d'une  publication  colossale,  restée  malheureusement  inachevée,  sur  des  Peintures 
et  Ornements  des  Manuscrits.* 

C'e§t  à  ce  Comte  Auguste  de  BaStard  que  revient  l'honneur  d'avoir  véritablement 
remis  en  pleine  lumière  la  supériorité  du  talent  de  Jean  Foucquet.  La  mort  avait  frappé 
le  Baron  de  Crespy  le  Prince.  Dès  1834,  le  Comte  de  BaStard  reprit  l'idée,  qu'avait  eue 
celui-ci,  de  publier  les  miniatures  au  Josèphe.  II  ne  put  seulement  qu'en  donner  six,  dans 
son  grand  ouvrage  des  Peintures  et  Ornements  des  Manuscrits, ■\  reproduites  en  couleurs, 
d'une  façon  digne  d'éloges,  mais  beaucoup  trop  coûteuse  pour  l'exécution. 

Il  se  proposait  cependant  de  publier  l'œuvre  entière  du  maître.  Cette  intention  e§l 
exprimée  dans  une  lettre  adressée  à  Paulin  Paris,  et  que  ce  dernier  a  imprimée 
en  1838^.  Dans  cette  lettre,  des  plus  remarquables, le  Comte  de  Ba^tard  apprécie  la 
valeur  du  maître  de  Tours,  avec  une  clairvoyance  et  une  sûreté  de  jugement  qu'il  a 
fallu  soixante  ans  pour  faire  définitivement  triompher.  "Digne  précurseur  de 
Léonard  de  Vinci,  d'Albert  Durer,  d'Holbein  et  de  Raphaël,  écrivait-il  à  Paulin 
Paris,  Foucquet  prend  un  vol  si  élevé  qu'on  doit  lui  donner  une  place  parmi  ces 
grands  maîtres  et  le  nommer  désormais  avec  eux." 

Après  le  Comte  de  Bavard  et  Paulin  Paris,  toute  une  pléiade  d'érudits  sont  venus 
tour  à  tour  défendre  et  établir  sur  des  bases  de  plus  en  plus  solides  la  renommée  de 
Foucquet.  Parmi  eux,  il  convient  de  citer,  en  première  ligne  :  pour  la  France,  le 
Marquis  Léon  de  Laborde,  membre  de  l'Inftitut,  dont  l'immense  érudition  se  doublait 
d'un  esprit  si  pénétrant,  père  du  Comte  Alexandre  de  Laborde,  lui  aussi  membre  de 
l'Institut,  qui  se  consacre  aujourd'hui  avec  tant  de  généreuse  ardeur  à  la  mission  de 
contribuer  à  faire  mieux  connaître  les  plus  beaux  manuscrits  à  peintures  du  monde 
entier  ;  et,  pour  les  pays  autres  que  la  France,  G.  F,  Waagen,  en  qui  nous  devons 

•  Sur  la  vie  et  l'œuvre  du  Comte  Auguste  de  Bavard,  consulter  :  Léopold  Delisle,  Les  Col- 
leâions  de  BaSîard  if  Eaang  à  la  Bibliothèque  Nationale,  Nogent-le-Rotrou,  1885,  in-8°. 

t  L.  Delisle,  Les  Colleâions  de  Bavard,  p.  256,  Nos.  255b  à  257b,  de  l'énumcratlon  des 
planches  exécutées,  ou  préparées,  pour  l'ouvrage  du  Comte  de  BaAard. 

X  Paulin  Paris,  Les  Manuscrits  français  de  la  Bibliothèque  du  roi,  Paris,  1836- 1848,  7  vol. 
in-8°,  tome  2  (1838),  p.  261-268  et  292,  pour  ce  qui  concerne  Jean  Foucquet. 

8 


saluer,  sur  la  question  des  œuvres  de  Foucquet,  un  des  ouvriers  de  la  première  heure 
s'étant  montré  le  plus  perspicace. 

Cependant  la  pensée  d'une  publication  générale  des  miniatures  de  Jean  Foucquet, 
qu'avaient  caressée  le  Baron  de  Crespy  le  Prince  et  le  Comte  Auguste  de  Ba§tard,  n'était 
pas  perdue  de  vue.  L'éditeur  Curmer  reprit  l'idée  et  acheva  de  faire  paraître  à  Paris,  en 
1 866-1 867,  deux  volumes  in-4%  richement  illustrés  de  chromolithographies  en  cou- 
leurs, portant  ce  titre  :  rOeiwre  de  Jehan  Foticqtiet. 

Entre  le  moment  où  le  Comte  de  Baêtard  avait  projeté  de  reproduire  les  peintures 
de  Foucquet  et  l'année  où  Curmer  réalisa  le  projet,  différents  auteurs,  en  dehors  du 
Marquis  Léon  de  Laborde  et  de  Waagen,  avaient  parlé  du  Maître  de  Tours  ;  tels  :  le 
Comte  Horace  de  Viel-Caêtel,  Vallet  de  Viriville,  Charles  Louandre,  Ferdinand  Denis, 
Anatole  de  Montaiglon,  Charles  Blanc,  Jules  Labarte,  etc.  Peu  à  peu,  le  nom  de  Jean 
Foucquet  sortait  de  l'ombre.  Il  devint  presque  populaire  lorsque  l'rpparition  de 
l'ouvrage  de  Curmer  eut  suscité,  dès  le  début  de  la  publication,  de  nombreux  et  cha- 
leureux commentaires.  Saint  René  Taillandier,  Paul  de  Saint- Viftor,  Henry  de  Riancey, 
ErneSt  Chesneau,  Edouard  de  Barthélémy,  Philippe  Burty,  Odlave  Lacroix,  et  jusqu'à 
des  critiques  dramatiques,  comme  Jules  Janin  et  Francisque  Sarcey,  employèrent  leur 
plume  à  célébrer,  dans  la  presse  périodique,  la  gloire  du  vieux  maître  français,  dont  ils 
cherchèrent  à  faire  revivre  et  à  propager  l'antique  réputation.  Plus  tard,  de  nombreux 
érudits  ou  historiens  de  l'art  s'occupèrent  à  leur  tour  de  Jean  Foucquet  ;  Léopold 
Delisle,  dès  1 868,  Paul  Viollet,  Charles  de  Grandmaison,  Giraudet,  Georges  Duplessis, 
Courajod,  Henri  Bouchot,  Paul  Le  Prieur,  Georges  Lafeneêtre,  F.  A.  Gruyer,  Paul 
Vitry,  Jean-J.  Marquer  de  Vasselot,  Henry  Yates  Thompson,  Sir  George  Warner,  Mrs. 
Mark  Pattison  (plus  tard  Lady  Dilke),  Georges  Hulin  De  Loo,  Max  J.  Friedlander,* 
Wilhelm  Lûbke,f  Henry  Martinrj:  Emile  Mâle,§  J.  A.  Herbert,||  bien  d'autres  encore, 
dont  la  liste  serait  trop  longue  à  donner  ici  au  complet.  Et  tout  en  m'excusant  de  me 
nommer  moi-même,  je  me  permettrai  de  rappeler  que,  depuis  plus  de  trente  ans,  j'ai 
consacré  à  Jean  Foucquet,  et  à  ce  qui  concerne  la  question  de  ses  œuvres,  toute  une 
série  d'études  et  publications,  parmi  lesquelles  deux  importants  volumes  accompagnés 
de  planches  hors  texte  en  héliogravure. 

Les  divers  écrivains  qui  se  sont  occupés  de  Foucquet  se  sont  naturellement 
attachés  à  relever  les  renseignements  que  les  documents  d'archives  peuvent  donner  sur 
le  maître.  Ceux-ci,  malheureusement,  se  réduisent  à  un  petit  nombre  de  mentions, 
pour  la  plupart  très  sommaires. 

Jean  Foucquet,  nous  l'avons  vu  par  la  note  de  Robertet  à  la  fin  du  Josèphe,  était 
natif  de  Tours.  De  son  enfance  et  de  son  éducation,  nous  ne  savons  rien  par  les  textes. 
En  181 8,  Chalmel  a  formulé  une  hypothèse  d'après  la  lettre  de  Francesco  Florio  qui 
indique  que  Foucquet  était  jeune  quand  il  peignit  le  portrait  du  pape  Eugène  IV. 

•  On  trouvera  la  bibliographie  détaillée  des  travaux  ou  des  articles  consacrés  à  Jean  Foucquet 
par  les  auteurs  que  je  cite  ici,  depuis  le  Comte  de  Bavard,  Paulin  Paris,  le  Marquis  de  Laborde  et 
Waagen,  jusqu'à  Max  Friedlander,  dans  mon  grand  volume  sur  Les  Antiquités  Judaïques  et  le  peintre 
"Jean  Foucquet,  p.  il 9- 125. 

t  Geschichte  der  Renaissance  in  Frankreich,  Stuttgard,  1886,  in-8°,  p.  9  et  suiv. 

%  Les  Miniaturises  français,  Paris,  1 906,  in-8  °,  et  son  récent  travail  sur  Les  Fouquet  de  Chantilly, 
dont  nous  reparlerons  plus  loin. 

§  L'art  religieux  de  la  fin  du  Moyen-âge  en  France,  Paris,  1908,  in-  )." 

Il  llluminated  Manuscripts,  Londres  (191 1),  gr  in-8°,  p.  266  et  277  à  283  ;  et  planche  xlii 


Estimant  que  ledit  portrait  avait  été  exécuté  en  1445,  supposant  d'autre  part  que 
l'artiste  pouvait  avoir  alors  de  21  à  22  ans,  Chalmel  eSt  arrivé  à  conclure  que  Foucquet 
avait  dû  naître  vers  1420.  Cette  supposition  de  Chalmel  a  été  souvent  répétée  ;  m.ais 
on  voit  quel  caraftère  d'incertitude  elle  présente. 

Ce  qui  reste  certain,  c'eSt  que  Foucquet  a  été  à  Rome,  où  il  s'eSt  rencontré  avec 
Filarete  ;  qu'il  a  été  appelé  à  l'honneur  de  peindre  dans  la  Ville  Eternelle  un  portrait  du 
pape  Eugène  IV, qui  a  fait  sensation  par  son  caraftère  de  vérité  et  de  vie;  enfin,  qu'au 
moment  où  il  fixait  sur  la  toile  les  traits  du  Souverain  Pontife,  il  était  encore  dans  sa 
jeunesse,  "in  ipsa  adhuc  juventa  exiStens,"  suivant  l'expression  même  de  Francesco 
Florio.  Anatole  de  Montaiglon,  dans  un  travail  très  bien  fait,  s'eSt  efforcé  de  préciser 
la  date  d'exécution  de  ce  portrait  d'Eugène  IV.  Il  a  démontré  que  l'œuvre  n'avait  pu 
être  peinte  par  Foucquet  qu'entre  1443  et  les  premières  semaines  de  1447.* 

Combien  de  temps  Foucquet  demeura-t-il  en  Italie  ?  A  quelle  époque  revint-il  en 
France  ?  Nous  l'ignorons  complètement  à  l'heure  présente.  Pour  retrouver,  dans  un 
document  écrit,  la  trace  du  maître,  il  nous  faut  franchir  un  intervalle  de  quatorze  ans 
depuis  la  mort  d'Eugène  IV  et  descendre  jusqu'à  l'an  1461.1 

Le  22  juillet  de  cette  année  1461,  le  roi  Charles  VII  mourait  près  de  Bourges. 
Suivant  les  traditions  de  la  Cour  de  France,  il  fallait  exécuter  une  effigie  du  souverain 
défunt.  La  tête  du  cadavre  de  Charles  VII  fut  à  cette  intention  moulée  par  un  sculpteur 
nommé  Pierre  de  Hennés  ou  Hannes.  Celui-ci  s'en  alla  ensuite,  avec  son  moulage,  de 
Bourges  à  Paris  où,  dit  un  texte  d'archives,  "  il  pensait  trouver  Foucquet  le  peintre." 

La  même  année  1461,  le  successeur  de  Charles  VII,  le  roi  Louis  XI,  devait  faire  son 
entrée  à  Tours.  La  ville  se  prépara  à  le  recevoir  dignement.  On  se  préoccupa  d'abord 
de  faire  faire  un  dais  pour  abriter  le  roi.  Foucquet  fut  appelé  à  donner  son  avis  à  ce 
sujet  et  l'on  se  rangea  à  son  opinion,  qui  était  de  faire  le  dais  bleu,  brodé  au  milieu  d'un 
soleil  d'or  contenant  les  armes  royales  et  semé  d'L  couronnés,  avec  des  parties  en  blanc 
et  rouge,  des  franges  d'or  et  des  anges  aux  quatre  coins.  On  projeta  aussi  de  célébrer 
l'événement  par  des  représentations  théâtrales,  "  farces  et  mystères  par  personnages." 
Trois  artistes  furent  chargés  de  diriger  les  préparatifs  :  Foucquet,  le  sculpteur  Pierre  de 
Hennés  et  un  architefte  nommé  Simon  Chouain.  Ils  se  mirent  à  l'œuvre  pour  arrêter 
"  certains  devis  de  chafauds  (c'eSt-à  dire,  échaffauds  ou  eSlrades),  myStères  et  farces  à  la 
venue  et  entrée  nouvelle  du  roy  noStre  sire."  Mais  le  projet  ne  se  réalisa  pas.  Pendant 
que  le  roi  était  à  Amboise,  on  eut  l'idée  de  le  faire  consulter  par  le  bailli  de  Tours  et 
messire  Pierre  Bérard,  pour  savoir  s'il  prendrait  réellement  plaisir  à  ces  "  fainctes  et 
miStères  faiz  en  chafauds."  A  quoi  Louis  XI  répondit,  "que  non,  et  qu'il  n'y  prenoit  nul 
plaisir."  En  conséquence,  les  préparatifs  furent  arrêtés.  Il  restait  seulement  à  indem- 
niser Foucquet  et  ses  collaborateurs  du  temps  qu'ils  avaient  déjà  consacré  à  l'ouvrage  ; 
à  cet  effet,  les  échevins  de  Tours  leur  allouèrent,  par  délibération  du  25  septembre, 
1461,  une  somme  de  cent  sols  tournois.  On  remarquera  que,  dans  les  textes  qui  nous 
ont  transmis  ces  indications,  notre  artiste  eSt  simplement  nommé  :  Foucquet  le  peintre. 

*  Anatole  de  Montaiglon,  "Jean  Foucquet  et  son  portrait  du  pape  Eugène  IV,  paru  d'abord  dans 
les  Archives  de  P Art  français,  2ème  série,  t.  1  (Paris,  1861,  in-S"),  p.  454-468,  et  réimprimé  dans 
l'Œuvre  de  Jehan  Foucquet,  de  Curmer,  t.  2,  p.  27-37. 

t  Pour  l'origine  individuelle  de  chacun  des  documents  d'archives  qui  vont  être  cités  et  analysés 
dans  ce  qui  suit,  se  reporter  à  mon  livre  sur  Lts  Antiquités  Judaïques  et  le  peintre  Jean  Foucquet, 
p.  87-89. 


10 


Ce  n'eSl  donc  pas  avant  le  cours  du  règne  de  Louis  XI  qu'il  reçut  ce  titre  de  peintre 
du  roi,  dont  nous  allons  le  voir  paré  ultérieurement. 

Par  ordonnance  royale  du  ler  août  1469,  Louis  XI  institua  l'Ordre  de  Saint- 
Michel.  Cette  création  entraîna  l'exécution  de  plusieurs  morceaux  de  peinture. 
L'un  d'eux  eSt  une  miniature  placée  en  tête  d'un  exemplaire  des  Statuts  de  l'Ordre  dont 
nous  reparlerons  au  chapitre  suivant.  Les  autres  consistaient  en  tableaux.  Ces  tableaux, 
qui  ne  sont  malheureusement  pas  autrement  précisés,  furent  exécutés  par  Jean  Fouc- 
quet.  On  lit,  en  effet,  dans  le  compte  de  maître  André  Briçonnet,  pour  treize  mois 
entiers  commençant  le  ler  ofiobre  1470,  la  mention  suivante:  "A  Jehan  Foucquet, 
peintre,  la  somme  de  LV  livres  tournois  pour  XL  escuz  d'or,  laquelle  le  roy  noftredit 
seigneur  lui  a  ordonné  et  fait  bailler  comptant,  le  XXVL  jour  dudict  mois  de  décembre, 
sur  ce  qu'il  luy  pourra  e§tre  deu  pour  la  façon  de  certains  tableaux  que  ledit  seigneur 
lui  a  chargez  faire  pour  servir  aux  chevaliers  de  l'Ordre  de  Saint-Michel,  nouvellement 
prinse  par  iceluy  seigneur,  pour  ceci L.V.,  It." 

Dans  le  cours  de  cette  année  1469,  qui  vit  la  création  de  l'Ordre  de  Saint-Michel, 
un  document  nous  montre  Foucquet  à  Tours,  prenant  part,  le  4  oftobre,  à  une  sorte  de 
réunion  générale  des  bourgeois  de  la  ville. 

En  1472,  Foucquet  fut  chargé  par  la  duchesse  d'Orléans,  Marie  de  Clèves,  veuve 
de  Charles  d'Orléans,  le  poète,  de  faire  "  certaines  hiftoires,  tourneure  et  enlumineure 
d'or  et  d'azur  en  unes  Heures,"  autrement  dit  d'exécuter  pour  elle  un  livre  d'Heures 
avec  miniatures.  Pour  s'entendre  avec  la  princesse  à  ce  sujet,  Foucquet  dut  aller  de 
Tours  à  Blois  ;  et  pour  sa  peine  la  duchesse  lui  alloua  110  sous  tournois,  qui  furent 
payés  au  peintre  le  20  juillet  1472. 

S'il  faut  en  croire  un  document  qui  se  serait  trouvé  jadis  dans  la  colleftion 
Benjamin  Fillon,  Foucquet,  avant  le  jour  de  la  Pentecôte  1474,  aurait  encore  peint  et 
doré  un  autre  livre  d'Heures  pour  un  personnage  refté  à  juSte  titre  célèbre,  Philippe  de 
Commines.  Pour  son  salaire,  il  aurait  reçu  23  écus,  dont  16  payés  le  29  mai  1474,  et  le 
solde  plus  tard. 

Malheureusement,  il  n'eSt  pas  du  tout  certain  que  le  document  de  Benjamin 
Fillon  ait  réellement  existé.  En  tout  cas,  il  a  disparu  sans  laisser  de  traces.  On  doit 
vivement  le  regretter,  car  parmi  les  livres  d'Heures  que  j 'énumérerai  dans  mon  second 
chapitre,  et  qui  me  semblent  contenir  des  miniatures  de  Foucquet  ou  de  son  atelier,  il 
en  e§t  un  qui,  sur  une  de  ses  peintures,  pourrait  bien  montrer  le  blason  de  Philippe  de 
Commines,  ce  qui  serait  en  harmonie  avec  l'hypothétique  document. 

Certains  auteurs  prétendent  que  Foucquet  aurait  exécuté  aussi  un  livre  d'Heures 
pour  Jean  Moreau,  valet  de  chambre  de  Louis  XI  et  bourgeois  de  Tours.  Mais  cette 
assertion  doit  être  rejetée,  car  elle  repose  sur  une  fausse  interprétation  de  la  pièce  que 
Benjamin  Fillon  affirmait  posséder  et  qui  se  serait  rapportée  au  livre  d'Heures  deStiné 
à  Philippe  de  Commines. 

En  1474,  nous  retrouvons  Foucquet  en  relations  avec  Louis  XI.  Ce  roi  fut  très 
préoccupé  de  préparer  de  son  vivant  le  tombeau  qui  devrait  un  jour  recevoir  sa 
dépouille  mortelle.  Il  demanda  des  projets  à  trois  arrives,  au  sculpteur  Michel  Colombe, 
à  notre  Foucquet,  et  à  un  autre  peintre,  également  très  célèbre  en  son  temps.  Colin 
d'Amiens.  Un  compte  de  l'année  1474  nous  apprend,  à  ce  sujet,  que  Colombe  avait 
fait,  pour  la  tombe  du  roi,  un  petit  modèle  ou  patron  "  taillé  en  pierre  "  et  que  "  Jehan 
Foucquet,  peintre  à  Tours,"  reçut  22  livres  "  pour  avoir  tiré  et  peint  sur  parchemin 
un  autre  patron  pour  semblable  cause." 


II 


C'eft  vers  cette  même  date  que  Foucquet  paraît  être  entré  définitivement  dans  la 
Maison  du  Roi.  En  effet,  le  compte  de  1474  l'appelle  encore  simplement  :  peintre  à 
Tours,  tandis  qu'en  1475,  d'autres  comptes  royaux  portent  cet  article:  "A  Jehan 
Foucquet,  peintre  du  roy,  pour  entretenir  son  eftat."  Ce  titre  officiel  de  peintre  du  roi, 
mentionné  dans  le  compte  de  1475,  corrobore  l'indication  semblable  donnée  par  la 
note,  que  nous  avons  transcrite  au  début  de  ce  chapitre,  du  Josèphe  de  la  Bibliothèque 
Nationale. 

En  1476,  Foucquet  fit  pour  la  ville  de  Tours  un  dais  qui  servit  à  l'entrée  solennelle 
d'Alphonse  V,  roi  de  Portugal,  et  reçut  de  ce  chef,  au  mois  de  septembre,  en  payement 
de  son  travail,  12  livres  tournois. 

En  1477,  Francesco  Florio  parle  de  Foucquet  comme  d'un  maître  encore  vivant. 
Mais  le  8  novembre  1481,  l'artifte  était  mort  ;  car  un  aveu,  rendu  à  cette  date  par  le 
chambrier  de  la  collégiale  de  Saint-Martin  de  Tours  au  trésorier  de  cette  collégiale, 
mentionne  seulement  :  "  la  veufve  et  héritiers  de  feu  Jehan  Foucquet,  peintre." 

Jean  Foucquet  laissait  deux  fils,  Louis  et  François,  qui,  eux  aussi,  s'adonnèrent  à 
l'art  de  lapeinture.  Mais  d'après  le  témoignage  de  ce  Jean  Brèche,  avocat  de  Tours,  dont 
i  'ai  parlé  plus  haut,  ces  deux  fils  paraissent  n'avoir  eu  qu'un  talent  médiocre.  D'ailleurs, 
on  ne  sait  absolument  rien  de  certain  sur  eux  ;  et  si  l'on  a  parfois  proposé  de  reconnaître 
François  Foucquet  dans  un  certain  "  egregius  piftor  Franciscus,"  cité  dans  une  lettre 
de  l'écrivain  Robert  Gaguin,  datée  de  1473,  cette  assimilation  n'a  que  la  valeur  d'une 
pure  hypothèse,  et  d'une  hypothèse  qui,  je  l'avoue,  me  paraît  très  hasardeuse. 

En  dehors  des  pièces  d'archives,  il  nous  refte,  comme  document  relatif  à  Foucquet, 
la  note  de  François  Robertet,  inscrite  à  la  fin  du  tome  i  du  Josèphe.  Cette  note  atteste 
que  c'eSl  Jean  Foucquet  qui  a  complété  l'illustration  du  volume.  D'autre  part,  ce 
travail  d'achèvement  a  été  fait  pour  Jacques  d'Armagnac,  duc  de  Nemours.  Foucquet 
a  donc  été  employé  sûrement  par  ce  prince,  qui  fut  grand  amateur  de  manuscrits  à 
peintures  et  en  avait  réuni  une  admirable  colleftion.* 

Jacques  d'Armagnac,  né  en  1433,  titré  duc  de  Nemours  en  1465,  eut  un  deSlin 
tragique.  En  1476,  le  roi  Louis  XI  le  fit  arrêter  au  château  de  Cariât,  conduire  prison- 
nier à  Vienne  en  Dauphiné,  puis  au  château  de  Pierre- Encise  et  finalement  à  la  Babille. 
Traduit  devant  le  Parlement  de  Paris,  le  malheureux  prince  fut  condamné  à  mort 
comme  rebelle  et  décapité  le  4  août  1477.  Par  conséquent,  si  Foucquet  a  travaillé  pour 
le  duc  Jacques  de  Nemours,  comme  le  fait  eSt  certain,  ce  ne  peut  être  qu'avant  l'époque 
où  commença,  en  1476,  la  ruine  du  duc  Jacques. 

Ici  s'arrêtent  les  indications  que  nous  donnent  les  documents  contemporains  ou 
les  textes  remontant  à  une  date  encore  relativement  voisine  de  l'époque  oià  a  vécu  Jean 
Foucquet. 

On  a  tenté  de  compléter  cette  biographie  par  inductions  et  hypothèses.  Les 
hypothèses,  quand  elles  ont  un  point  de  départ  sérieux  et  qu'elles  sont  déduites  avec 
logique,  sont  licites.  Mais  il  faut  avoir  soin  de  les  donner  pour  ce  qu'elles  sont,  et  de  ne 
pas  se  laisser  entraîner  trop  facilement  à  prendre  pour  vérités  démontrées  ce  qui 
n'eSt  encore  qu'hypothèse. 

Or,  l'imagination  de  certains  auteurs,  en  ce  qui  touche  à  Jean  Foucquet,  a  été 
parfois  un  peu  plus  loin  qu'il  ne  convenait  et  la  légende  eSl  venue  se  mêler  à  l'histoire 
réelle,  f 

•  P.  Durrieu,    Les  antiquités  yuddiques,  p.  13-14. 

t  P.  Durrieu,  La  légende  et  l'hi^oire  de  Jean  Foucquet,  Paris,  1907,  in-8°  (extrait  de  V Annuaire 
— Bulletin  de  la  Société  de  l'HiSloire  de  France). 
12 


Ainsi,  la  plupart  de  ceux  qui  ont  prétendu  raconter  la  vie  de  l'artiSte  de  Tours  ont 
accordé,  dans  leurs  récits,  une  place  de  premier  plan  à  un  haut  fonctionnaire  de  l'époque, 
Etienne  Chevalier.  Etienne  Chevalier  aurait  été  le  principal  protefteur  de  Foucquet, 
devenu,  a-t-on  écrit,  "  son  maître  préféré."  En  réalité,  ce  rôle  attribué  à  Etienne 
Chevalier  n'eSt  attesté  par  aucun  document  écrit  du  temps.  Etienne  Chevalier  a  bien 
possédé  un  superbe  livre  d'Heures,  sur  lequel  nous  aurons  à  revenir,  et  dont  il  paraît 
très  probable— en  ce  qui  me  concerne,  je  n'hésite  pas  à  dire  :  indubitable,  quoiqu'il  n'y 
ait  pas  à  cet  égard  de  preuve  formelle — que  les  miniatures  ont  été  peintes  par  Foucquet. 
|e  crois  aussi,  quoique  toujours  sans  preuve  documentaire,  qu'un  portrait  d'Etienne 
Chevalier,  de  grandeur  naturelle,  aujourd'hui  au  Musée  de  Berlin,  eét  de  la  main  de 
Foucquet.  Foucquet  paraît  donc  bien  avoir  compté  effeftivement  Etienne  Chevalier 
parmi  ses  clients.  Mais,  pour  faire  de  ce  dernier  le  grand  protefteur  de  Foucquet,  on 
s'est  appuyé  sur  cet  autre  argument,  donné  comme  péremptoire,  que  .^oucquet,  en 
dehors  du  livre  d'Heures,  aurait  encore  illustré  de  miniatures  pour  Etienne  Chevalier 
un  célèbre  manuscrit  de  Boccace  conservé  à  Munich.  Or,  j'ai  démontré  que  le  Boccace  de 
Munich  n'avait  été  aucunement  exécuté  pour  Etienne  Chevalier,  mais  bien  pour  un 
personnage  différent  :  le  contrôleur  des  finances  Laurens  Gyrard.  Cela  diminue 
singulièrement  la  valeur  scientifique  des  théories  échaffaudées  relativement  à  l'ampleur 
des  rapports  de  Foucquet  avec  Etienne  Chevalier. 


15 


II 

L'ENSExMBLE  DES  MINIATURES  CERTAINEMENT  PEINTES  PAR  JEAN 
FOUCQUET,  OU  QUI  PEUVENT  LUI  ÊTRE  ATTRIBUEES  AVEC  GRANDE 

VRAISEMBLANCE 

Les  œuvres  auxquelles  on  a  successivement  proposé  d'attacher  le  nom  de  Jean 
Foucquet,  comme  étant  leur  auteur,  comprennent  des  miniatures  de  manuscrits,  des 
tableaux  sur  panneaux,  des  dessins  et  des  émaux.  Pour  ne  pas  surcharger  le  présent 
volume,  je  laisserai  de  côté  les  tableaux,  les  dessins  et  les  émaux,  me  permettant  de 
renvoyer  le  ledeur  qui  voudrait  être  plus  informé  à  ce  que  j'ai  eu  l'occasion  d'imprimer 
ailleurs.*  Je  me  contenterai  d'envisager  les  miniatures  de  manuscrits. 

En  réalité,  il  n'y  a  qu'une  seule  série  de  miniatures  qui  puisse  être  donnée  à 
Foucquet  d'une  façon  absolument  certaine,  sur  la  foi  d'un  document.  Ce  sont  les 
miniatures,  de  grande  proportion,  contenues  dans  le  tome  let  du  Josèpbe  de  la  Biblio- 
thèque Nationale  et  authentiquées  pas  la  note  de  François  Robertet. 

Je  rappellerai  brièvement  que  ce  Josèpbe  comprenait  deux  volumes,  copiés 
originairement  pour  le  duc  Jean  de  Berry  et  passés  ensuite  par  héritage  à  l'arrière-petit- 
fils  du  duc  de  Berry  :  Jacques  d'Armagnac,  duc  de  Nemours.  Lors  de  la  chute  du  duc 
de  Nemours  en  1476,  suivie  de  sa  mort  tragique  en  1477,  sa  bibliothèque  f^*  dispersée. 
Le  tome  ler  ànjosèphe  passa  à  la  fille  du  roi  Louis  XI  et  au  mari  de  cette  fille,  Pierre  II, 
duc  de  Bourbon.  En  1522  ou  1523,  époque  de  la  confiscation  des  biens  du  connétable 
de  Bourbon,  il  entra  dans  les  collerions  de  la  Couronne  de  France,  d'où,  dès  lors,  il 
n'eSl  plus  sorti.  Quant  au  tome  2,  il  paraît  avoir  été  séparé  du  tome  ler,  au  temps  même 
de  la  ruine  et  de  la  mort  du  duc  Jacques  de  Nemours. 

En  1 7  5  o  ou  1 7  5  6  (le  dernier  chiffre  d'une  note  manuscrite  qui  donne  cette  indica- 
tion étant  douteux)  il  se  trouvait  passé  à  Londres  dans  une  certaine  bibliothèque 
Palmer.  En  18 14,  on  le  revoit,  toujours  à  Londres,  inscrit  dans  le  catalogue  de  la 
vente  Towneley,  où  il  figure  sous  le  N°  8  8 8 .  A  cette  date,  le  manuscrit  était  encore  orné 
de  plusieurs  miniatures.  Puis,  nouvelle  éclipse  de  près  de  quatre-vingt-dix  ans  jusqu'en 
1903,  où  M.  Henry  Yates  Thompson  eut  le  mérite  de  reconnaître, et  la  bonne  fortune 
d'acquérir  le  volume  dans  une  vente  faite,  toujours  à  Londres,  du  16  au  21  mars  1903. 
A  ce  moment,  le  manuscrit  ne  renfermait  plus  qu'une  seule  miniature  placée  au  début 
du  texte  et  de  la  même  dimension  que  les  images  du  tome  i  er.  Un  examen  attentif  permit 
de  reconnaître  que  douze  feuillets  avaient  été  coupés,  pris  chacun  à  un  endroit  où  une 
division  du  texte  appelait  la  présence  d'une  illustration.  Des  recherches  furent  entre- 
prises et,  en  1905,  le  savant  conservateur  au  Musée  Britannique,  qui  e§t  devenu  Sir 
George  Warner,  correspondant  de  l'InSitut  de  France,  découvrit  dix  de  ces  feuillets  au 
château  de  Windsor,  dans  les  colleftions  du  roi  d'Angleterre. 

S.  M.  le  Roi  Edouard  VII  voulut  bien  se  prêter  alors  à  une  combinaison,  à  laquelle 
acquiesça  de  son  côté  M.  Henry  Yates  Thompson.  Les  dix  feuillets  retrouvés  à 
Windsor  furent  réintégrés  dans  le  volume  acquis  par  M.  H,  Yates  Thompson  en  1903, 
et,  le  4  mars  1906,  S.  M.  le  roi  d'Angleterre  vint  en  personne  à  Paris  offrir  le  manuscrit, 
ainsi  restauré,  à  la  nation  française. 

•  Les  Antiquités  Judaïques  et  le  peintre  Jean  Foucquet,  p.  104- 107  -,  et  chapitre  sur  La  Peinture 
en  France  de  1 422  à  1 589,  fourni  par  moi  à  fHiaoire  de  l'Art,  publiée  sous  la  direftion  de  M.  André 
Michel,  t.  2,  2ème  partie  (Paris  191 1,  gr.,  in-8°),  p.  723-730. 

14 


Ces  faits  sont  connus  et  je  les  ai  exposés  ailleurs  plus  en  détail.*  Mais  je  crois 
devoir  les  rappeler  comme  un  jufte  hommage  rendu  à  une  généreuse  libéralité  de 
l'Angleterre  envers  la  France. 

Dans  le  tome  2,  désormais  réuni  au  tome  ler  à  la  Bibliothèque  Nationale  de 
Paris, f  après  une  séparation  de  plusieurs  siècles,  seule  la  miniature  initiale,  qui  eft  de 
grande  dimension,  peut  être  donnée  à  Jean  Foucquet,  par  confrontation  avec  les 
peintures  du  tome  ler  qu'authentique  la  note  de  Robertet.  Les  autres  miniatures, 
beaucoup  plus  petites  de  format,  sont  l'œuvre  d'un  collaborateur,  s'efforçant  de  se 
rapprocher  de  la  manière  de  Foucquet,  mais  bien  diSlinft  de  lui.  :|: 

Ce  n'e^  pas  ici  le  lieu  de  m'attarder  à  examiner,  en  détail,  les  peintures  de 
Foucquet  dans  le  Josèphe.  J'y  signalerai  seulement  un  seul  point  qui  offre  cet  intérêt 
de  se  rattacher  à  un  des  rares  épisodes  connus  de  la  vie  du  maître.  C'eSt  ceci  qu'on  y  ren- 
contre des  souvenirs  du  voyage  fait  par  Jean  Foucquet  en  Italie  et  des  monuments 
qu'il  avait  pu  y  voir  de  ses  yeux.  Ainsi,  dans  la  miniature  initiale  du  livre  XIV  de 
/o/^jôZ'^,  Foucquet,  ayant  à  représenter  l'intérieur  du  Temple  de  Jérusalem,  y  a  introduit 
la  reproduction  des  fameuses  Columnce  vitinea^  qui  se  trouvaient  de  longue  date  dans 
l'antique  Basilique  de  Saint-Pierre  à  Rome,  passant,  suivant  la  tradition,  pour  provenir 
effeftivement  du  Temple  de  Jérusalem,  et  qui,  dans  la  suite  des  temps,  ont  ser\à  de 
modèle  au  Bernin  lorsqu'il  imagina  le  gigantesque  baldaquin  de  bronze  qui  surmonte, 
depuis  le  dix-septième  siècle,  l'autel  papal,  dans  la  basilique  aftuelle  de  Saint  Pierre.|| 

Pour  une  miniature  peinte  dans  un  autre  manuscrit,  nous  avons,  je  ne  dis  pas  une 
attestation  formelle  comme  pour  \&]osèphe,  mais  du  moins  une  sorte  de  commencement 
de  preuve  par  écrit. 

Un  des  documents  d'archives  cités  plus  haut  nous  montre  Jean  Foucquet  employé 
par  le  roi  Louis  XI  pour  des  travaux  concernant  l'Ordre  de  Saint-Michel,  que  le 
monarque  avait  créé  par  ordonnance  du  ler  août  1469.  Le  document  en  question  parle 
de  "  tableaux,"  Mais  l'ordonnance  de  création  prescrivait  au  greffier  de  l'Ordre,  de 
faire  exécuter  pour  le  roi  un  exemplaire  des  Statuts  de  l'Ordre,  illustré  d'une  "  histoire," 
c'eSt-à-dire  d'une  miniature,  représentant  le  roi  entouré  des  quinze  premiers  chevaliers 
nommés.  J'ai  retrouvé  cet  exemplaire  de  Louis  XI  à  la  Bibliothèque  Nationale  de 
Paris,  ms.  français  198 19.  En  tête  apparaît  une  admirable  miniature  représentant  le  roi 
tenant  un  chapitre  de  l'Ordre  de  Saint-Michel,  entouré  des  premiers  chevaliers  et  des 
quatre  officiers  de  l'Ordre,  et  cette  miniature,  qui  a  la  valeur  d'un  précieux  tableau 
historique,  offre,  sous  le  rapport  du  Style  et  de  l'exécution,  de  si  frappantes  analogies 
avec  les  peintures  de  Foucquet  dans  le  Josèphe  qu'on  ne  peut  pas  hésiter  à  y  reconnaître 

•  P.  Durrieu,  Les  antiquités  Judaïques  et  le  peintre  "Jean  Foucquet,  p.  20-21. 

t  II  y  con^itue  maintenant  le  N"  21013  du  fonds  français  des  nouvelles  acquisitions. 

X  Toutes  les  miniatures  du  Josèphe  en  queAion  ont  été  reproduites,  en  héliogravures  et  de 
grandeur  exafte,  dans  mon  livre  sur  les  Antiquités  Judaïques  et  le  peintre  Jean  Foucquet.  Mon  si 
érudit  confrère  et  ami  Henri  Omont  les  a  également  publiées  (en  réduction  pour  les  grandes  peintures) 
dans  un  album  in-8°  de  25  planches  en  phototypies,  exécutées  par  la  maison  Berthaud  Frères.  Celles 
du  tome  1er  avaient  été  antérieurement  données  en  chromolithographies  (avec  forte  réduction)  dans 
l'Oeuvre  de  Jehan  Foucquet  de  Curmer. 

§  Ainsi  appelées  parce  que,  dans  leur  ornementation,  on  voit  sculptés  des  pampres  de  vigne  (en 
latin  :  vitis),  au  milieu  desquels  se  jouent  des  petits  génies  nus  et  ailés. 

Il  Cf.  Durrieu,  Les  Antiquités  Judaïques  et  le  peintre  Jean  Foucquet,  p.  35. 

15 


la  main  de  Jean  Foucquet.*  Cette  page  se  rattache  donc  à  la  participation  que  Foucquet 
a  prise,  en  qualité  de  peintre,  à  l'organisation  matérielle  de  l'Ordre  de  Saint-Michel. 

C'était  le  greffier  de  l'Ordre  qui  avait  dû,  forcément,  d'après  ses  fonctions,  se 
mettre  alors  en  rapport  avec  Foucquet.  Ce  greffier  était  Jean  Robertet,  père  de  François 
Robertet,  auteur  de  la  note  du  Josèphe  ;  nous  touchons  ainsi  à  une  particularité  qui  se 
révèle  à  nous,  et  à  laquelle  j'ai  déjà  fait  allusion,  de  la  vie  de  Foucquet  :  l'exiftence  de 
relations  entre  lui  et  la  famille  des  Robertet.  A  l'arrière  plan  de  la  peinture  des  Statuts 
de  l'Ordre,  Foucquet  a  placé  un  petit  portrait,  plein  de  vie  et  d'expression,  de  Jean 
Robertet.  Celui-ci  était  digne  d'ailleurs  d'être  lié  avec  Foucquet.  Il  n'était  pas  seule- 
ment un  lettré,  qui  correspondait  avec  les  beaux  esprits  de  son  temps,  c'était  encore  un 
amateur  de  peintures,  suivant  le  mouvement  des  arts  jusqu'en  dehors  des  limites  de  la 
France,  et  sachant  apprécier  à  leur  valeur  Roger  Van  der  Weyden  et  le  Pérugin. 

Une  dernière  considération  achève  de  donner  un  prix  particulier  à  la  page  initiale 
des  Statuts  de  Saint-Michel  peinte  pour  Louis  XI.  Forcément  postérieure  à  l'ordon- 
nance de  création  de  l'Ordre,  qui  eft  du  ler  août  1469,  elle  a  été  terminée  assez  tôt  pour 
qu'on  ait  pu  en  faire  une  copie  avant  le  20  mai  1 472.  f  Ceci  nous  donne,  pour  l'exécution 
de  la  précieuse  miniature,  une  limite  de  date  comprise  dans  un  écart  de  moins  de 
trois  ans. 

Pour  aller  au  delà  du  Josèphe  et  de  la  miniature  initiale  des  Statuts  de  l'Ordre  de 
Saint-Michel,  nous  n'avons  plus  le  fil  conduéleur  d'un  rapprochement  à  établir  avec  un 
texte  écrit.  Il  faut  recourir  à  la  voie  de  la  méthode  comparative,  se  pénétrer,  par  une 
longue  et  minutieuse  étude,  de  toutes  les  particularités  de  ftyle  et  des  moindres 
procédés  de  fafture  propres  à  Jean  Foucquet  dans  ses  œuvres  certaines,  et  rechercher 
ensuite,  au  moyen  de  ces  données  acquises,  s'il  n'y  a  pas  d'autres  miniatures  dans 
lesquelles  on  puisse  constater  rigoureusement  l'application  des  mêmes  principes  et 
procédés. 

Cette  méthode  comparative  n'a  rien  d'illégitime.  Si  l'on  scrute  les  choses  un  peu 
à  fond,  on  reconnaîtra  qu'elle  eft,  en  somme,  le  fondement  d'une  très  grande  part  des 
attributions  qui  sont  acceptées  pour  les  tableaux  anciens,  dans  les  musées  et  les  plus 
riches  collerions  particulières.  Ce  n'eS  pas  autrement,  par  exemple,  que,  vers  la  fin  du 
XVIIIème  siècle,  on  s'eSt  accordé  à  attacher  le  nom  de  Raphaël  à  un  tableau  qui  venait 
seulement  alors  d'émerger  de  l'ombre,  non  signé,  sur  lequel  on  n'avait  aucun  document 
antérieur,  et  qui  cependant  e§t  considéré  aujourd'hui  dans  tout  l'univers  comme  une 
des  créations  les  plus  indéniables  du  maître  d'Urbin  :  la  "  Vierge  du  Grand  Duc  "  du 
Palais  Pitti. 

Pour  les  miniatures  de  Foucquet,  un  piège  e§t  à  éviter.  Le  talent  exceptionnel  du 
"  bon  peintre  du  roi  Louis  XI  "  a  suscité  de  nombreuses  imitations  de  ses  créations, 
imitations  poussées  parfois  jusqu'à  de  véritables  démarquages.  J'ai  vu  un  jour,  par 
exemple,  chez  un  libraire  de  Paris,  un  manuscrit  du  tome  ler  des  Ant/qtiite's  Judaïques  de 

*  Pour  plus  de  détails,  voir  P.  Durrieu,  Une  peinture  htfîorique  de  Jean  Foucquet,  Paris,  1891, 
in-4°,  avec  planche  (extrait  de  la  Gazette  archéologique,  année  1890)  ;  du  même,  les  Antiquités 
Judaïques,  etc.,  p.  98-99  et  planche  XIX;  du  même,  Les  Manuscrits  des  Statuts  de  l'Ordre  de  Saint- 
Michel,  Paris,  191 1,  in-4°,  extrait  du  Bulletin  de  la  Société  française  de  reproduâions  de  manuscrits  d 
peintures,  lère  année,  p.  18-20,  et  planche  I. 

f  En  effet,  la  copie  en  question  a  été  exécutée  pour  le  frère  de  Louis  XI,  Charles  de  France,  duc 
de  Guyenne,  lequel  e^  mort  le  20  mai  1472  (Cf.  P.  Durrieu,  Une  peinture  hiilorique  de  Jean 
Foucquet,  et  Les  Manuscrits  des  Statuts  de  l'Ordre  dt  Saint-Michel,  planche  II). 

16 


Josèphe,  dont  toutes  les  miniatures,  peintes  auXVème  siècle,  étaient,  bien  que  relative- 
ment assez  médiocres,  des  copies  flagrantes  des  chefs  d'œuvre  contenus  dans  le 
Josèphe  de  la  Bibliothèque  Nationale.  Mais  si  des  imitateurs  se  sont  souvent  inspirés 
des  œuvres  de  Foucquet,  ils  n'ont  pas  pu  s'assimiler  entièrement  ses  qualités  d'exécu- 
tion, marquées  au  sceau  d'une  grande  personnalité. 

Chez  Jean  Foucquet,  nous  pouvons  retenir,  comme  traits  dominants,  un  art 
d'imaginer  des  compositions,  d'en  grouper  les  adeurs,  de  disposer  des  tableaux,  en 
particulier  des  tableaux  de  batailles  pleins  d'animation,  poussé  à  un  degré  de  maîtrise 
que  les  plagiaires  n'ont  pas  égalé  ;  une  science  consommée  de  la  perspeftive  ;  un 
sentiment  exquis  du  paysage  ;  une  connaissance  digne  d'un  technicien  dans  le  rendu  des 
morceaux  d'architefture.  Ses  personnages  sont  élégants,  mais  simples  et  naturels  dans 
leurs  geSles.  Leurs  visages  très  fins,  variés,  et  remplis  d'expression,  peuvent  justifier, 
malgré  la  petitesse  relative  des  proportions,  les  éloges  que  Francesco  Florio  accordait 
à  Foucquet,  considéré  comme  portraitiste.  La  fadure  eft  légère,  spirituelle.  Le  maître 
de  Tours  procède  par  petites  touches,  habilement  jetées,  mais  se  fondant  dans  un 
modèle  savant  qui  satisfait  pleinement  l'œil  le  plus  exigeant.  Pour  accentuer  des 
détails,  rendre  le  mœlleux  des  plis  dans  les  étoffes,  Foucquet  fait  un  très  grand  usage  de 
hachures  d'or.  Ces  hachures  sont  aussi  employées  par  lui  pour  faire  apparaître,  aux 
arrières  plans,  en  quelques  coups  de  pinceau,  des  figurines  traitées  comme  des  espèces 
de  camaïeux,  sur  un  fond  brun  ou  quelquefois  bleu. 

La  supériorité  du  maître  éclate  encore  dans  le  coloris,  tantôt  brillant  et  gai,  tantôt 
se  maintenant  dans  une  gamme  plus  sombre  de  tons  fauves  ou  brunâtres,  mais  toujours 
d'une  rare  harmonie  dans  l'ensemble.  Très  en  avance  à  cet  égard  sur  son  temps, 
Foucquet  sait  rendre  les  jeux  de  l'atmosphère  et  de  l'atmosphère  propre  à  la  France,  de 
cette  lumière  moins  brillante  que  celle  d'Italie,  faisant  moins  vibrer  les  tons  que  l'air 
plus  humide  de  la  Flandre  ou  de  la  Hollande,  mais  si  délicate  dans  ses  demi-teintes  et 
que  des  brumes  légères  rendent  encore  plus  séduisante. 

Parmi  les  couleurs  qu'affeftionne  Foucquet,  il  convient  de  noter  spécialement  un 
beau  bleu,  de  "  fin  azur  "  comme  disent  les  textes  du  Moyen-Age.  Ce  bleu  e§l  employé 
en  particulier  pour  la  peinture  des  ciels,  qui  dominent  les  paysages,  d'une  valeur 
soutenue  à  la  partie  supérieure,  et  se  dégradent  peu  à  peu  en  descendant,  de  façon  à 
arriver  presque  à  un  blanc  bleuâtre  sur  la  ligne  d'horizon.  Chez  Foucquet,  quand  la 
scène  se  déroule  en  plein  air,  le  ciel  a  toujours  le  beau  bleu  profond  com/Ne  note  dominante. 
C'est  là  ce  qui  ressort  de  l'ensemble  de  toutes  les  constatations  pouvant  être  faites,  et 
qu'il  convient  de  signaler  comme  un  important  élément  de  critique. 

En  faisant  état  de  toutes  ces  considérations,  il  eSt  certains  manuscrits,  dans  lesquels 
on  a  proposé  jadis  de  reconnaître  des  peintures  de  la  main  même  de  Jean  Foucquet, 
qu'il  faut  délibérément  écarter  de  notre  chemin  comme  ne  répondant  pas,  en  ce  qui 
concerne  leurs  miniatures,  aux  données  voulues.  C'eSt  le  cas,  par  exemple,  pour  deux 
exemplaires  de  la  traduftion  française  de  Tite-Live  par  Pierre  Bersuire,  tous  deux  à 
la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris,  le  Tite-h,ive  dit  de  la  Sorbonne  ou  de  Kochechouart*  et  le 
Tite-Live  dit  de  Versailles.'\  Ces  deux  manuscrits  sont  très  beaux  ;  la  majeure  partie  de 

•  MSS.  français  2007 1  et  20072.  Voir  sur  ce  manuscrit:  P.  Yi\irntu,\e.Tite-Live  de  la  Sorhonnt 
et  le  Forum  romain.  Paris,  1 9 1 3,  in-4°,  avec  planches,  extrait  du  tome  XXI  des  Monuments  et  mémoires 
de  la  Fondation  Piof,  publiés  par  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 

t  MSS.  français  273  &274.  J'ai  donné  quatre  des  images  de  ce  volume,  en  héliogravures,  dans 
mes  yfntiguités  Judaïques,  p.  25.  La  série  entière  vient  d'être  publiée  en  phototypies,  par  les  soins 
de  M.  H.  Omont,  dans  un  album  in-8  %  éditée  chez  Catala  Frères  (ancienne  maison  Berthaud  Frères). 

17 


leurs  miniatures,  surtout  dans  le  Ti/e-L/pe  de  la  Sorhontie,  trahissent  une  influence  très 
accentuée  des  œuvres  de  Foucquet  ;  cependant  la  fafture  n'eSt  pas  celle  du  bon  peintre 
de  Louis  XI  et,  en  outre,  dans  le  Tite-Live  de  Versailles  nous  rencontrons  constamment, 
pour  le  rendu  du  ciel  dans  les  paysages,  un  gris-violacé  tout  différent  du  beau  bleu  des 
ciels  de  Foucquet. 

Tel  eSl  le  cas  aussi,  quoique  nous  ayons  là  plus  que  des  imitations,  de  vrais 
"  pastiches  "  de  Jean  Foucquet,  pour  quelques  miniatures  très  jolies  et  très  fines,  qui  se 
rencontrent,  mélangées  à  quantité  d'autres  images  de  mains  différentes,  dans  les 
Heures  de  Louis  de  Laval  (ms.  latin  920  de  la  Bibliothèque  Nationale). 

N'a-t-on  même  pas  été  jusqu'à  vouloir  donner  à  Jean  Foucquet  des  peintures  de 
manuscrits  qui  datent  seulement  du  XVIème  siècle,*  très  postérieures  par  conséquent 
à  la  mort  du  maître  1 

Après  avoir  préalablement  mis  hors  de  cause  ce  qui  n'a  été  attribué  qu'à  tort  à 
Jean  Foucquet,  il  reSte  une  remarque  générale  à  faire  sur  les  suites  plus  ou  moins 
nombreuses  de  miniatures  de  manuscrits,  où  tout  eSt  bien  d'accord  avec  ce  que  la 
critique  vient  révéler  du  Style  et  des  procédés  propres  au  maître. 

Dans  plusieurs  de  mes  publications  antérieures,  je  suis  revenu  à  diverses  reprises 
sur  ce  fait,  attesté  par  des  documents  d'archives,  que,  en  France,  au  XlVème  et  au 
XVème  siècles,  les  artistes  qui  parvenaient  à  la  notoriété,  peintres  et  enlumineurs  de 
manuscrits,  avaient  auprès  d'eux,  pour  les  seconder,  des  auxiliaires  et  des  élèves,  des 
"  varlets,"  des  "  apprentis  "  disait-on  en  français,  des  "  famuli  "  écrivait-on  en  latin. 
Un  miniaturiste  en  vue  ne  se  bornait  pas  à  travailler  de  sa  propre  main  ;  c'était  encore 
un  chef  d'atelier  dirigeant  de  haut  une  besogne  dont  il  laissait  une  partie  plus  ou  moins 
importante  à  ses  aides,  opérant  sous  son  inspiration.  J'ai  comparé  le  cas  de  ces  artistes 
chefs  d'atelier  à  celui  d'un  Raphaël  au  XVIème  siècle,  d'un  Rubens  au  XVIIème.  Eux 
aussi  étaient  entourés  d'un  cortège  d'élèves  et  de  collaborateurs,  et  dans  la  série  des 
créations  auxquelles  on  attache  leurs  noms  glorieux,  les  "  Loges  "  du  Vatican  pour 
Raphaël,  la  "  Galerie  de  Marie  de  Médicis  "  autrefois  au  Luxembourg,  aujourd'hui 
au  Musée  du  Louvre,  pour  Rubens,  il  y  a  bien  des  parties  auxquelles  ni  Raphaël  ni 
Rubens  n'ont  pas  touché  personnellement  de  leurs  propres  pinceaux. 

Jean  Foucquet  a  très  certainement  suivi  l'habitude  de  son  temps  et  qui  devait  se 
perpétuer  plus  tard.  Dans  les  manuscrits  à  peintures  auxquels  il  a  prêté  son  concours, 
on  rencontre,  à  côté  de  pages  d'un  ordre  tout  à  fait  supérieur,  des  morceaux  moins  bien 
réussis,  moins  soignés,  d'un  faire  plus  lâché.  Ce  sont  évidemment  de  simples  pro- 
dudions  d'atelier,  mais  des  produftions  d'atelier  dérivant  direftement  du  maître,  qui 
reflètent  ses  principes  individuels,  reproduisent  l'esprit  de  ses  compositions,  ses  notes 
de  coloris,  ses  types  de  persormages,  sa  façon  de  modeler  les  détails  par  hachures  d'or, 
etc.,  etc. 

Tout  en  recormaissant  que  ces  productions  d'atelier  n'ont  qu'une  valeur  relative- 
ment secondaire,  par  rapport  aux  purs  originaux,  il  convient  malgré  tout  de  ne  pas  les 
distraire  de  l'ensemble  de  l'œuvre  du  maître,  de  la  même  façon  que  nous  continuons  à 
faire  toujours  honneur  à  Raphaël  des  "  Loges  "  du  Vatican  et  à  Rubens  de  la  totalité  de 
la  "  Galerie  de  Marie  de  Médicis,"  encore  que  nous  sachions  parfaitement  quelle  part 
y  revient  à  l'intervention  de  collaborateurs  divers. 

•  Sur  ces  miniatures  indûment  attribuées  à  Jean  Foucquet,  voir  mes  antiquités  "Judaïques, 
p.  103,  note  6. 

18 


Après  plus  d'un  tiers  de  siècle  de  recherches  et  d'études  critiques  effeûués  à 
peu  près  dans  toute  l'Europe,  voici  à  quels  résultats  je  crois  être  arrivé  en  ce  qui  con- 
cerne la  détermination  des  manuscrits  dans  lesquels  Jean  Foucquet  a  peint  un  plus  ou 
moins  grand  nombre  de  miniatures. 

Ces  manuscrits  peuvent  se  partager  en  deux  catégories,  d'une  part  les  volumes 
qui  renferment  des  textes  d'ouvrages  profanes;  d'autre  part,  les  Livres  d'Heures. 

MANUSCRITS  D'OUVRAGES  PROFANES  (en  sus  bien  entendu  du 
Josèphe  de  la  Bibliothèque  Nationale  et  de  l'exemplaire  peint  pour  Louis  XI  des 
Statuts  de  l'Ordre  de  Saint-Michel)  : 

I.  BOCCACE  DE  MUNICH* 

Ce  manuscrit,  de  format  grand  in-folio,  renferme  l'adaptation  en  français,  par 
Laurent  de  Premierfait,  du  traité  hiJtorico-philosophique  de  Boccace  :  Des  cas  des 
nobles  hommes  et  femmes.  Il  eS  conservé  à  la  Bibliothèque  d'Etat  de  Munich  (Codex 
Gallicus  6  ;  ou  aussi,  369)  et  déjà  en  1628,  il  appartenait  à  la  Maison  de  Bavière.  Le 
texte  en  a  été  achevé  de  copier  le  24  novembre  1458  a  Auber\àlliers,  dans  la  banlieue  de 
Paris,  et  tout  le  volume,  miniatures  comprises,  a  été  exécuté,  ainsi  que  je  l'ai  péremp- 
toirement démontré,  non  pas,  cormne  on  l'a  dit  très  longtemps  par  erreur,  pour 
Etienne  Chevalier,  mais  bien  pour  Maître  Laurens  Gyrard,  notaire  et  secrétaire  du  roi 
Charles  VII,  nommé  le  5  janvier  145  3  contrôleur  de  la  recette  générale  des  finances  et 
ayant  conservé  sous  Louis  XI  un  rang  élevé  dans  l'adininiStration  financière  du  roy- 
aume. Dans  les  miniatures  et  les  enluminures  mêmes  du  volume  apparaissent, datant  de 
l'origine,  et  sans  aucune  retouche  ultérieure,  le  nom  de  Laurens  Gyrard,  plusieurs  fois 
répété  en  forme  d'anagramme  :  SUR  LY  N'A  REGARD,  et  ses  initiales  L.G. 

Le  manuscrit  s'ouvre  par  une  miniature  à  pleine  page,  représentant  le  roi  Charles 
VII  présidant  le  Lit  de  Juftice  qui  fut  tenu  à  Vendôme  en  145  8,  pour  le  jugement  du 
duc  d'Alençon,  merveilleux  tableau  d'hi^oire  aux  nombreux  personnages,  qui  fut 
autrefois  attribué  à  Van  Eyck  {sic  !),  avant  que  le  Marquis  de  Laborde,  dès  1840,  et 
Waagen  en  aient  très  légitimement  restitué  l'honneur  à  Jean  Foucquet.  f  Le  Boccace 
de  Munich  renferme  encore  quatre-vingt-dix  autres  miniatures,  dont  neuf  grandes  et 
quatre -vingt-une  petites.  Les  neuf  grandes  sont  assez  belles  pour  être  données  aussi  à 
Foucquet.  On  peut  porter  un  jugement  analogue  sur  une  certaine  partie  des  petites, 
traitées  avec  une  délicatesse  exceptionnelle  et  une  science  consommée  de  l'art  du 
paysage.  D'autres  sont  sensiblement  plus  faibles,  quelques  unes  même  médiocres. 
Mais  tout  l'ensemble,  s'il  n'e§t  pas  toujours  de  la  main  de  Foucquet,  e§t  trop  homogène 
pour  ne  pas  avoir  été  exécuté  dans  l'ateher  du  maître,  et  sous  sa  haute  diredlion. 

De  tous  les  manuscrits  que  l'on  peut  croire  avoir  été  illustrés  dans  l'ateher  de 
Foucquet,  le  Boccace  de  Munich  e§t  celui  où  l'on  rencontre  la  plus  forte  proportion  de 
souvenirs  de  l'Italie,  et  de  représentations  d'aspedls  variés  de  cette  Rom^e  du  XVème 

*  Pour  tout  ce  qui  concerne  ce  manuscrit,  au  sujet  duquel  bien  des  erreursont  jadis  été  imprimées, 
voir  Cte.  Paul  Durrieu,  Le  Boccace  de  Munich,  Paris  et  Munich;  1910,  grand  in-4%  avec  28  planches 
hors  texte,  reproduisant  la  totalité  des  91  miniatures  illustrant  le  volume. 

t  J'ai  moi-même  publié  deux  fois,  en  héliogravures,  cette  admirable  page  initiale,  dans  mes 
Jntiquités  Judaïques, ^\.  XXll  ttàznsmon  Boccace  de  Munich,  p\.  I.  Des  reproduftions  en  couleurs 
en  ont  été  aussi  données  en  1 866  par  Curmer  dans  /'Oeuvre  de  Jehan  Foucquet  (en  proportions  beau- 
coup trop  réduites),  et  en  1920  (grandeur  réelle)  par  le  Dr.  George  Leidinger,  Meiilerwerke  der 
Buchmalerei,  Munich  (Miinchen),  grand  in-folio,  pi.  35 

19 


siècle  où  Foucquet  alla  peindre  son  portrait  du  pape  Eugène  IV.  Des  impressions 
rapportées  d'Italie  se  révèlent  jusque  dans  le  choix  des  coutumes  pour  les  person- 
nages. 

IL  GRANDES  CHRONIQUES  DE  FRANCE 
Ce  manuscrit,  de  format  in-folio,  écrit  sur  deux  colonnes,  constitue  le  manuscrit 
français  6465  de  la  Bibliothèque  Nationale.  Il  renferme  aftucllement  cinquante  et  une 
miniatures.  De  ces  miniatures,  cinquante  sont  placées  dans  une  des  colonnes  du  texte 
et  mesurent  en  moyenne  105  millimètres  de  largeur.  Une  cinquante  et  unième  occupe 
une  largeur  égale  aux  deux  colonnes  réunies.* 

L'origine  de  ce  très  beau  manuscrit  eSt  malheureusement  inconnue.  Peut-être  y 
avait-il  une  marque  de  provenance  sur  le  premier  feuillet  du  volume  ;  mais  ce  premier 
feuillet  a  été  enlevé  avant  l'entrée  du  livre  dans  la  Bibliothèque  du  roi. 

Les  miniatures  qui  ornent  ce  manuscrit  sont  de  la  plus  haute  qualité.  Dès  1837  ou 
1838  au  plus  tard,  le  Comte  AuguSte  de  Bavard  avait  proposé  d'y  reconnaître  la  main 
de  Jean  Foucquet.  Cette  opinion  me  semble  pleinement  juftifîée.  On  y  rencontre  des 
vues  de  Paris  et  de  Tours  traitées  dans  un  sentiment  de  vérité  parfaite.  Mais  une  des 
miniatures  mérite  surtout  l'attention.  Lorsque  Jean  Foucquet  séjourna  à  Rome,  il  put 
encore  y  contempler,  debout,  l'antique  Basilique  ConSlantinienne  de  Saint-Pierre,  qui 
devait  être  ultérieurement  démolie  pour  faire  place  au  moderne  Saint-Pierre  de  Rome. 
Or,  Foucquet  ayant  à  représenter  le  couronnement  de  Charlemagne,  a  placé  la  scène — 
ce  qui  e§t  d'ailleurs  conforme  à  la  vérité  historique — dans  l'intérieur  du  primitif  Saint- 
Pierre  de  Rome.  J'ai  pu  montrer,  par  le  rapprochement  avec  des  dessins  anciens  et  des 
plans,  que  cette  vue  de  l'intérieur  de  la  Basilique  ConStantinienne  eSt  d'une  parfaite 
exadlitude  et  qu'ainsi  nous  avons  en  elle,  grâce  au  "  bon  peintre  du  roi  Louis  XI,"  un 
document  archéologique  de  premier  ordref  sur  un  des  édifices  les  plus  vénérables,  et 
aujourd'hui  disparu,  de  la  Chrétienté. 

III.  L'ESTRIF  (c'eft-à-dire  :  le  débat)  DE  VERTU  ET  FORTUNE 
Manuscrit  de  format  analogue  au  grand  in-4°,  ayant  appartenu  jusque  vers  la  fin 
du  XVIIIème  siècle  à  l'abbaye  de  Saint  Germain  des  Prés,  à  Paris,  passé  ultérieurement, 
après  le  vol  de  1 79 1 ,  dans  la  colleftion  de  Dubrowski ,  puis  à  la  Bibliothèque  Impériale  de 
Saint  Petersbourg  (manuscrit  5.3.53).  En  tête  du  volume  eSt  une  grande  et  très 
belle  miniature,  montrant,  en  présence  l'une  de  l'autre,  les  figures  allégoriques  de  la 
Vertu  et  de  la  Fortune.  J'ai  été  le  premier  à  signaler  que  cette  page  pouvait  être  re- 
stituée à  Foucquet,  d'après  les  analogies  frappantes  de  Style  et  de  fadure  qu'elle  offre 
avec  les  peintures  authentiques  an  Josèphe.X  Elle  était  reStée  totalement  ignorée,  avant 
moi,  de  tous  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  de  Jean  Foucquet. 

•  J'ai  reproduit  cette  grande  miniature,  en  héliogravure  et  en  dimensions  exaftes,  ainsi  que 
deux  autres  images  du  volume,  dans  mes  Antiquités  Judaïques,  pi.  XXL  La  série  entière  des  illustra- 
tions du  manuscrit  a  été  donnée  par  M.  H.  Omont  dans  un  album  in-8  °,  de  5 1  planches  en  phototypie, 
édité  chez  Berthaud  Frères. 

t  P.  Durrieu,  Une  vue  de  l'ancien  Saint-Pierre  de  Rome  au  milieu  du  quinzième  siècle,  peinte  par 
Jean  Foucquet,  Rome,  1892,  in-8°,  avec  planche  {Extrait  des  Mélanges  G.  B.  de  Rossi,  supplément 
aux  Mélanges  d'archéologie  et  d'hifloire  publiés  par  l'Ecole  française  de  Rome). 

X  Comptes-rendus  des  séances  de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  année  i  g  1 3,  p.  268 
(séance  du  20  juin  191 3).  Cf.  Comte  Alexandre  de  Laborde,  De  quelques  manuscrits  à  peintures  des 
bibliothèques  de  Pétrograd,  Paris,  19 17,  in-8°,  p.  13  (extrait  des  Comptes-rendus  des  séances  de 
l' Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  191 7,  p.  484  et  suiv.). 

20 


IV.  HISTOIRE  ANCIENNE  JUSQU'A  JULES  CESAR  et  FAITS  DE 

ROMAINS 

De  format  grand  in-folio.  On  ne  connaît  à  l'heure  aftuelle,  de  ce  manuscrit,  que 
quatre  feuillets  détachés  portant  chacun  une  grande  peinture  surmontant  quelques 
lignes  de  texte  écrites  sur  deux  colonnes.  M.  Henry  Yates  Thompson  avait  recueilli 
ces  quatre  feuillets  et  en  a  pubhé  des  reproduftions  en  couleurs.*  Peut-être  retrouvera- 
t-on  dans  l'avenir  d'autres  fragments  de  ce  manuscrit,  qui  parait  avoir  été  très  somp- 
tueux. Les  quatre  miniatures  connues  présentent  tout  le  caradlère  des  œuvres  sorties  de 
l'atelier  de  Jean  Foucquet.  Deux  d'entre  elles,  le  Couronnement  d'Alexandre  et  une 
Bataille  entre  les  Romains  et  les  Carthaginois,  sont  assez  belles  et  parfaites  d'exécution 
pour  pouvoir  être  attribuées  au  maître  en  personne.  Ces  deux  pages  sont  aujourd'hui 
entrées  au  Musée  du  Louvre  par  voie  d'acquisitions. 

LIVRES  D'HEURES 

Les  peintres-miniaturistes  du  XVème  siècle  avaient  besoin  de  vivre.  Ils  devaient 
donc  rechercher  des  commandes.  Or,  celles  qui  pouvaient  leur  venir  le  plus  facilement 
étaient  des  demandes  de  livres  d'Heures,  plus  ou  moins  richement  illustrés  et  décorés; 
livres  d'Heures  qui  n'étaient  pas  seulement  l'apanage  des  hautes  classes  de  la  Société 
française,  mais  dont  de  simples  bourgeois  ne  craignaient  pas  non  plus  de  s'oflrir  le 
luxe  à  l'occasion. 

On  peut  donc  être  certain  que  Jean  Foucquet,  comme  ses  confrères  en  thèse 
générale,  a  du  s'occuper  à  peindre  des  livres  d'Heures.  D'ailleurs,  parmi  les  documents 
le  concernant  que  nous  avons  cités,  il  en  eSt  tout  au  moins  un  qui  se  réfère  à  un  travail 
de  cette  catégorie. 

Parmi  les  livres  d'Heures  auxquels  la  comparaison  avec  les  peintures  du  Josèphe 
permet  de  croire  que  Foucquet  a  apporté  le  concours  de  son  pinceau,  ou  tout  au  moins 
l'appoint  de  sa  direction  personnelle,  dans  son  atelier,  il  en  eft  qui  ne  renferment 
qu'un  nombre  relativement  restreint  de  miniatures,  parfois  même  une  seule,  dans 
lesquelles  on  puisse  reconnaître  le  ftyle  et  les  procédés  du  maître,  les  autres  images 
des  volumes  en  question  s'éloignant  beaucoup  de  la  manière  qui  fut  propre 
au  bon  peintre  de  Louis  XL  C'eSt  le  cas  pour  un  livre  d'Heures  de  la  Biblio- 
thèque Mazarine  à  Paris  (Ms.N°475),  commencé  pour  le  frère  cadet  du  roi  Louis  XI, 
Charles  de  France,  repris  ensuite  après  un  premier  arrêt  de  l'exécution,  et  finalement 
resté  inachevé.  Une  miniature  de  ce  volume,  représentant  le  Baiser  de  Judas,  rappelle 
extrêmement  les  créations  de  Foucquet.  f  Au  bas  se  trouve  le  blason  que  Charles  de 
France  a  porté  quand  il  était  titré  Duc  de  Berry,  c'eSt-à-dire  de  1461  à  1465. 

Beaucoup  plus  proches  encore  des  peintures  du  Josèphe,  par  le  dessin,  le  coloris  et 
tous  les  moindres  procédés  de  fafture,  sont  cinq  ou  six  miniatures  qui  existent,  indé- 
pendamment d'un  complément  d'illustrations  dues  à  des  mains  différentes,  dans  un 
autre  livre  d'Heures,  ayant  passé  par  les  collerions  Vivant-Denon,  Marquis  de  Ganay 
et  Spitzèr.  ij:  Dès  le  XVII  ème  siècle  au  moins,  ce  volume  portrait  le  nom,  très  légendaire, 

•  H.  Yates  Thompson  :  Four  photographie  facsimil es  from  detached  pages  of  a  fifteenth-eentury 
manuseript  of  "  Hifioire  ancienne  jusqu'à  César  "  and  "  Faits  des  Romains,"  London,  1903,  in-folio, 
avec  planches  en  couleurs  ;  complément  de  la  publication  du  même  auteur  intitulée  :  Facsimiles  of 
two  "  hiSîoires  "  by  Jean  Foucquet  from  vols.  I  and  II  of  the  Anciennetés  des  Juifs,  London,  privately 
printed,  grand  in-folio  avec  planches. 

t  Reproduite  dans  mes  Antiquités  Judaïques  sur  la  planche  XXIII. 

X  Aujourd'hui  en  ma  possession. 

21 


d'  "  Heures  de  la  dernière  comtesse  de  Flandre."  II  paraît,  autant  qu'on  peut  juger 
des  choses,  avoir  été  entrepris  en  réalité  à  l'intention  d'Anne  de  Beaujeu-Amplepuis, 
qui  épousa  en  secondes  noces  le  maréchal  de  France  Jean  de  Baudricourt.  Deux  de  ses 
miniatures,  tout  empreintes  du  caractère  propre  à  Foucquet,  sont  particulièrement 
dignes  d'attention  :  un  portrait  de  la  deSlinatrice  en  prière,  et  une  représentation  du 
thème  des  Trois  Morts  et  des  Trois  Vifs.*  Cette  dernière  page  paraît  avoir  été  célèbre 
en  son  temps,  car,  non  seulement  on  l'a  copiée  en  peinture,  mais  elle  a  servi  de  modèle, 
au  début  du  XVIème  siècle,  pour  une  gravure  insérée  dans  un  Missel  à  l'usage  des 
Dominicains,  achevé  d'imprimer  à  Paris  le  28  février  15 18  (1517,  vieux  Style). f 

Dans  la  même  catégorie  que  les  précédents  rentrent  encore  deux  livres  d'Heures 
qui  ne  contiennent  chacun  qu'une  seule  miniature  conçue  dans  les  données  habituelles 
à  Foucquet,  vraisemblablement  introduite  après  coup  en  tête  des  volumes.  L'un  de  ces 
livres  d'Heures  e§t  au  Musée  Condé  de  Chantilly; |  l'autre,  à  la  Bibliothèque  Royale  de 
La  Haye.  Ladite  Bibliothèque  Royale  de  La  Haye  possède  aussi  un  second  livre  d'Heures 
dans  lequel  un  Calvaire  peut  évoquer  également  la  pensée  d'une  œuvre  de  Foucquet  ou 
de  son  atelier.§  En  contracte  avec  ces  manuscrits,  où  les  images  sont  de  ScyXts  variés, 
d'autres  livres  d'Heures  paraissent  avoir  été  entièrement  peints,  pour  la  série  complète 
de  leurs  illustrations,  dans  l'atelier  de  Foucquet,  mais  avec  une  part  plus  ou  moins 
grande  de  concours  apporté  au  maître  par  des  collaborateurs  travaillant  sous  sa 
diredion. 

Parmi  les  clients  de  Jean  Foucquet  ont  dn  certainement  se  rencontrer,  fait  si 
fréquent  à  son  époque,  des  bourgeois  ou  ce  que  nous  appellerions  aujourd'hui  de 
"nouveaux  riches."  Chez  les  Français  du  XVème  siècle,  c'était  un  sentiment  tout  à  fait 
répandu  que  de  vouloir  marquer  les  manuscrits  à  peintures,  que  l'on  faisait  exécuter, 
d'un  signe  personnel,  valant  ex-libris.  Les  rois,  les  princes,  les  grands  seigneurs  avaient 
la  possibiHté  de  se  servir  à  cet  égard  de  leurs  blasons.  A  ces  blasons  ils  pouvaient 
ajouter  des  devises, -çXms  ou  moins  allégoriques,  ou  encore  des  chiffres  formés  de  deux 
initiales,  chiffres  parfois  de  pure  fantaisie  et  mystérieux,  par  exemple,  pour  le  duc  Jean 
de  Berry,  un  V  et  un  E  passés  l'un  dans  l'autre,  et,  pour  le  duc  de  Bourgogne,  Philippe 
le  Bon,  deux  E  gothiques  affrontés.  Mais  que  faire  quand  on  ne  possédait  pas  d'armoi- 
ries héréditaires,  ou  quand  vos  armoiries,  trop  récemment  concédées,  n'étaient  pas 
encore  connues  de  la  foule  ?  ce  qui  était  le  cas  pour  bien  des  hommes  arrivés  par  eux- 
mêmes  à  la  fortune  et  aux  grandes  positions.  On  tourna  la  difficulté  en  calligraphiant 
en  caraâères  très  nets  sur  les  manuscrits,  dans  les  bordures,  et  parfois  dans  les  minia- 
tures mêmes,  tout  simplement  les  prénoms  et  noms  de  famille  des  destinataires.  En 
certains  cas,  ces  noms  étaient  écrits  au  clair,  et  nous  en  verrons  un  exemple  plus  loin 

•  Ces  deux  miniatures  ont  été  publiées  dès  1829,  par  Vivant-Dcnon,  Monuments  des  Arts  du 
dessin  ("Paris,  4  vol.  in-folio),  1. 1,  planche  45  ;  et  plusieurs  fois  reproduites  depuis  lors,  notamment  dans 
h  Revue  de  PJrt  ancien  et  moderne,  t.XV  (1904),  p.  413  et  91,  et  dans  mon  livre  sur  La  Peinture  à 
r Exposition  des  Primitifs  françaii,  Paris,  1904,  in-4'',  planche  en  tête  de  l'ouvrage,  et  p.  9. 

t  P.  Durrieu,  Une  gravure  du  début  du  XVème  siècle,  Paris,  1917,  in-S**  (extrait  des  Comptes 
rendus  des  séances  de  r  Académie  des  Inscriptions  et  Belles- Lettres,  1917,  p.  89  et  suiv.). 

:|:  N°  76  du  catalogue  imprimé  in-4°  des  manuscrits  de  Chantilly,  t.I  (Paris,  1900)  :  hélio- 
gravure en  face  de  la  p.  83. 

§Sur  les  susdits  livres  d'Heures  de  la  Bibliothèque  Royale  de  La  Haye  (anciennement  Nos.  A  A. 
174  &  AA.  266)  voir  :  P.  Durrieu,  Deux  miniatures  inédites  de  Jean  Foucquet,  Paris,  1902,  in-8% 
avec  reprodudlions  (extrait  des  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  France,  t.LXI). 


22 


avec  les  Heures  d'Etienne  Chevalier.  Mais  le  plus  souvent  prénom  et  nom  étaient 
dissimulés  dans  un  anagramme.  Nous  en  avons  déjà  rencontré  un  cas  pour  le  Boccace  de 
Munich,  où  le  nom  du  premier  possesseur  du  volume,  Laurens  Gyrard,  eêt  transposé 
sous  la  forme  de  "  Sur  ly  n'a  regard." 

Le  cas  se  représente  pour  deux  charmants  livres  d'Heures  de  petit  format,  l'un  et 
l'autre  sortis  de  l'atelier  de  Foucquet.  Dans  l'un,  le  plus  riche  en  images  et  le  plus 
achevé  d'exécution,  qui  appartient  à  Sir  George  Holford*  les  anagrammes  sont  : 
CHASTE  VIE  LOUE  R.L.  et  S'IL  AVIENT  A.R.  Dans  l'autre  (colledion  Durrieu) 
les  anagrammes  sont:  HA  LE  CE  MOINE  et  LA  HAINE  LY  ENNUY,  auxquels  se 
joignent  un  blason  (d'azur  à  la  fasce  d'argent  accompagnée  de  trois  couronnes  d'or, 
deux  en  chef,  une  en  pointe)  et  le  chiffre  E.D.  Ces  anagrammes  et  blason  n'ont  mal- 
heureusement pas  encore  laissé  deviner  leur  secret. 

Peut-être  avons-nous  une  indication  plus  précise  en  ce  qui  concerne  un  autre 
livre  d'Heures  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris  (ms.  latin  141 7)  dont  les  minia- 
tures, aujourd'hui  un  peu  usées,  sont  très  fines  et,  pour  quelques-unes  au  moins, 
dignes  de  Foucquet  en  persorme.  Une  des  miniatures  représente  les  obsèques  du 
personnage  pour  qui  le  manuscrit  fut  décoré  à  l'origine,  et,  d'après  des  armoiries 
plusieurs  fois  répétées  dans  ce  petit  tableau,  il  se  pourrait  bien  que  le  premier  possesseur 
du  manuscrit  ait  été  Philippe  de  Commines.f 

Il  existait  jadis  un  livre  de  prières  de  petit  format  comme  le  précédent,  et  sortant 
également  de  l'atelier  de  Foucquet.  Ce  manuscrit  a  été  démembré.  J'en  connais  seule- 
ment 15  miniatures  détachées,:}:  qui  ont  été  achetées  jadis  chez  un  marchand  par  un 
amateur  de  Rouen,  et  sont  entre  les  mains  d'un  des  héritiers  de  celui-ci. 

C'e§t  au  contraire  sous  sa  forme  intégrale  de  volume  relié  que  nous  e§t  arrivé  un 
livre  d'Heures,  avec  calendrier  tourangeau, constituant  le  ms.  latin  15305  de  la  Biblio- 
thèque Nationale,  volume  fort  intéressant  mais  oîi  la  participation  personnelle  de 
Jean  Foucquet  me  paraît  toutefois  extrêmement  réduite. 

Du  reste,  même  en  prenant  la  totalité  des  livres  d'Heures  que  je  viens  d'énumérer, 
si  l'on  défalque  les  miniatures  plus  faibles  qui  ne  sont  qu'un  produit  d'atelier,  on 
n'arrive,  comme  peintures  susceptibles  d'être  attribuées  à  Jean  Foucquet  lui-même, 
qu'à  un  nombre  relativement  peu  élevé,  n'atteignant  pas  le  chiftre  des  images  que 
renferme,  à  lui  seul,  le  manuscrit  des  Grandes  Chroniques  de  France. 

Il  reste,  pour  épuiser  la  liste,  un  dernier  livre  d'Heures,  beaucoup  plus  important, 
en  même  temps  qu'infiniment  plus  célèbre  que  tous  les  précédents,  les  Heures  de 
Maître  'Etienne  Chevalier.  Nous  allons  lui  consacrer  un  chapitre  spécial  ;  mais,  aupara- 
vant, il  convient  de  signaler  encore  un  point  concernant  l'ensemble  de  l'œuvre  de  Jean 
Foucquet. 

Toutes  les  miniatures  qui  ont  été  passées  en  revue  jusqu'ici  sont  postérieures  à 
l'époque  où  Foucquet  était  revenu  d'Itahe.    Avant  ce  voyage  au  sud  des  Alpes,  le 

•  A  figuré, en  1908, sous  leN°2i9,àl'exposition  de  manuscrits  enluminés, organiséeà  Londres 
au  Burlington  Club.  Une  page  eff  reproduite  dans  le  grand  catalogue  illustré,  in-folio,  de  cette 
exposition,  pi.  137. 

•f  J'ai  émis  autrefois  Phypothhe  que  ce  livre  d'Heures  pourrait  être  celui  dont  parle  le  document 
d'archives  qui  se  serait  trouvé  jadis  dans  la  colleftion  B.  Fillon  {Comptes-rendus  des  séances  de  r Aca- 
démie des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  içoô.p.  257, séance  du  ifjuin).  Malheureusement,  j'ai  déjà 
dit  plus  haut  que  l'exigence  même  du  document  en  queftion  e^  très  sujette  à  caution. 

X  Quatorze  scènes  de  la  Passion  et  une  réunion  de  tous  les  Saints. 

23 


maître  de  Tours  n'aurait-il  pas  eu  une  première  manière,  correspondant  à  la  période  de 
ses  débuts,  alors  que  ne  s'était  pas  encore  développé  tout  son  talent,  comme  il  advint 
plus  tard,  par  le  contadt  avec  les  créations  des  artistes  italiens  ? 

Il  existe,  dans  divers  manuscrits,  une  catégorie  de  miniatures  dans  lesquelles  on 
sent  déjà  des  qualités  remarquables,  et  précisément  les  mêmes  qualités  qui  distinguent 
les  productions  de  Foucquet  arrivé  au  plein  épanouissement  de  son  génie,  mais  où 
l'on  rencontre  aussi  bien  des  inexpériences,  des  côtés  défeftueux  et  jusqu'à  de  vrais 
enfantillages.  N'aurions-nous  pas  là  précisément  des  produftions  de  la  jeunesse  de 
Jean  Foucquet  ?  La  question  a  été  soulevée  par  Henri  Bouchot  en  1 890  ;  je  l'ai  reprise 
moi-même  sur  des  bases  plus  larges  en  1904  ;*  et  ce  qui  mérite  l'attention,  c'eSt  que, 
parmi  les  manuscrits  en  question,  il  y  en  a  deux  au  moins  qui  viennent  de  la  région  de 
Tours. 

Ces  miniatures  contribueraient  grandement  à  nous  éclairer  sur  l'origine  du  talent 
de  Foucquet.  Ainsi  que  je  l'ai  indiqué,  en  raccourcis,  dans  mon  livre  sur  les  Antiquités 
Judaïques, ■\  elles  fourniraient  des  arguments  pour  rattacher,  d'une  manière  plus  ou 
moins  direfte,  Jean  Foucquet  à  la  lignée  des  grands  miniaturistes,  principalement 
d'origine  franco-flamande,  qui  ont  fleuri  en  France  à  l'époque  du  duc  Jean  de  Berry, 
oncle  du  roi  Charles  VI. 

Mais  il  se  pourrait  aussi  que  les  susdites  miniatures,  au  lieu  d'être  des  œuvres  de  la 
jeunesse  de  Jean  Foucquet,  soient  sorties  du  pinceau  d'un  artiste  différent,  une  sorte 
de  pré-Foucquet,  qui  se  serait  comme  cristallisé  dans  un  genre  une  fois  adopté  par  lui, 
au  lieu  de  chercher  à  franchir  un  pas  plus  décisif.  Pour  trancher  le  débat,  il  faudrait  un 
document  formel.  Et  malheureusement  celui-ci  fait  défaut.  Je  crois  cependant  in- 
téressant de  donner  une  liste  brève  des  manuscrits  que  je  vise  ici,  en  indiquant,  en  notes, 
les  reproductions  qui  ont  été  publiées  de  certaines  de  leurs  peintures  : 

Bruxelles — Bibliothèque  royale,  ms.  N°  10474.  Traduction  française  des  Strata- 
gèmes de  guerre  de  Frontiti.  \ 

Genève — Bibliothèque  publique  et  universitaire,  ms.  français  191,  Boccace,  Des 
cas  des  nobles  hommes,  mis  en  français  par  Laurent  de  Premierfait  ;  et  ms.  français  5 , 
le  Lii're  des  Anges,  traduit  d'après  François  de  Ximenes.§ 

Londres — British  Muséum,  Addit.  ms.  28785,  livre  d'Heures,  d'origine 
tourangelle.il 

Paris — Bibliothèque  Nationale,  ms.  latin  491 5 ,  Mer  des  Hiffoires,  provenant  de  la 
famille  Jouvenel  des  Ursins  ;^  ms.  français  166  (pour  les  feuillets  33  et  40-47  du 

*  Henri  Bouchot,  Jean  Foucquet,  dans  la  Gazette  des  Beaux- Jrts  1890,  t. II,  p.  257-258.  P. 
Durrieu,  Z,(3  QueRiondes  Oeuvres  de  jeunesse  de  Jean  Foucquet,  Paris,  1904,  in-4°  (extrait  du  Recueil 
de  Mémoires,  publié  par  la  Société  des  Antiquaires  de  France  à  l'occasion  de  son  centenaire). 

t  Pages  1 10- II 7. 

±  P.  Durrieu.  La  QueRion  dei  Oeuvres  de  jeunesse  de  "Jean  Foucquet,  déjà  citée,  pi.  VII  du 
Recueil  de  Mémoires  de  la  Société  des  Antiquaires  de  France  pour  son  centenaire. 

§  Aubert  de  La  Rue,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  française  de  reproduâions  de  manuscrits  à 
peintures,  2ème  année,  19 12,  pi.  XXXVI,  XXXVII  et  XLIb. 

Il  British  Muséum — Reproduâions from  llluminated Manuscripts,  séries  1 1  (Londres,  1 907,  in-8'} 
pi.  XXX. 

^  p.  Durrieu.  Jntiquités  'Judaïques,  pi.  XXIV — C.  Couderc,  Bibliothèque  Nationale,  Album  de 
portraits  d'après  les  colleQions  du  Département  des  Manuscrits,  Paris,  in-4°,  pi.  LXX  V  et  LXX  VI. 

24 


volume).  Bible  moralhée;*  ms.  français  15445,  Histoire  ancienne,  aux  armes  de  la  famille 
de  Coëtivy. 

Ancienne  colledlion  Gelis-Didot  (aujourd'hui  coUeâion  Durrieu),  Merveilles  du 
Monde. ■\ 

Petrograd — Ancienne  Bibliothèque  Impériale,  ms.  5 .2. loi .  JLf  Koman  de  Faiivel, 
volume  exécuté,  suivant  le  Comte  Alexandre  de  Laborde,  vers  1440,  où  a  été  inscrit 
plus  tard,  l'anagramme  VA  HATIVETE  M'A  BRULE,  anagramme  dans  lequel 
le  Comte  de  Laborde  a  retrouvé  le  nom  de  Mathieu  Beauvarlet. 

Tours — Bibliothèque  Municipale,  mss.  Nos.  208-209,  Graduel^  fait  pour  le  cha- 
noine de  Tours,  Guillaume  le  Picart,  dont  le  nom  eSt  inscrit  sur  une  des  miniatures, 
comme  attestation  de  propriété,  et  qui  vivait  en  1442. 

Vienne,  en  Autriche — Ancienne  Bibliothèque  Impériale,  ms.N"  2617  (seulement 
pour  les  peintures  desfolios  76  verso — 77  re£l:o,9i,  121, 138  verso— 139 reâo,  152, 
169  et  182),  La  Théséide,  arrangée  en  français,  d'après  Boccace.ij: 

•  Comte  Alexandre  de  Laborde,  La  Bible  moralisée,  Paris,  gr.  in-folio,  4  volumes  parus  de  191 1 
à  1921,  tome  IV,  pi.  744-746.  Henri  Bouchot  dans  la  Gtfz^W^  des  Beaux- Jrts,  1890,  t.  II,  planche 
en  héliogravure,  en  regard  de  la  p.  278. 

t  HiSïoire  de l'Jrt  publiéesous  la  direftion  d'André  Michel, t.  IV,2ème  partie  (Paris,  191 1), 

P-  729- 

J  Ed.  Chmelarz  dans  le  t.  XIV  (Vienne, 1893,  in-folio)  du  Jahrbuch  der  Kunsthiiiorischen 

Sammlungen  des  Allerhbchaen  Kaiserhauies,  pi.  XXXII,  XXXIII  et  XXXV  à  XL. 


2J 


m 

LES  HEURES  DE  MAÎTRE  ETIENNE  CHEVALIER 

Etienne  Chevalier,  haut  fonftionnaire  et  homme  d'Etat  français  du  XVème  siècle, 
naquit,  eftime-t-on,  vers  141  o,  et  mourut  le  3  septembre  1474.  Il  fut  secrétaire  du  roi, 
devint  conseiller  maître  des  comptes  en  1449,  puis  trésorier  de  France  le  3  mars  145  3. 
Plus  tard,  il  remplit  des  missions  diplomatiques  et,  durant  toute  sa  vie,  il  jouit  de  la 
pleine  confiance  des  rois  Charles  VII  et  Louis  XL  La  fameuse  Agnès  Sorel  l'eêtimait 
particulièrement  ;  elle  fit  de  lui  un  de  ses  exécuteurs  testamentaires,  lorsqu'elle  mourut 
en  1450. 

Etienne  Chevalier  paraît  avoir  été  d'une  origine  familiale  très  modeste.  Tant  qu'il 
vécut,  il  ne  semble  pas  avoir  eu  de  blason  héraldique.  En  guise  d'armoiries,  et  comme 
marque  de  propriété,  il  avait  adopté  un  écusson  à  fond  violet  sur  lequel  était  écrit,  en 
lettres  d'or,  son  nom  :  "  MaiStre  EStienne  Chevalier  "*  ou  son  chiffre  consistant  en 
deux  E  réunis  par  un  lacs.f 

C'est  par  suite  d'une  complète  erreur,  déjà  signalée  plus  haut,  que  l'on  a  cru  trop 
longtemps  que  le  Boccace  de  Munich  avait  été  exécuté  pour  Etienne  Chevalier.  Mais 
celui-ci  a  possédé  au  moins  deux  livres  d'Heures. 

L'un  de  ceux-ci  sortait  de  l'atelier  qui  eut  pour  chef,  sur  les  limites  du  XlVème  et 
du  XVème  siècle,  le  très  remarquable  artiste  que  j 'ai  proposé  de  surnommer,  provisoire- 
ment, le  "Maître  des  Heures  du  Maréchal  de  Boucicaut"  (probablement  Jacques  Coene, 
originaire  de  Bruges,  mais  qui  vint  se  fixer  à  Paris,  où  il  jouissait  déjà  en  1398  d'une 
grande  réputation).  Etienne  Chevalier  n'a  pu  avoir  ce  livre  d'Heures  qu'après  coup,  vu 
sa  date  approximative  de  confedion;  il  s'eSl  borné  à  y  faire  apposer  l'écusson  portant 
son  chiffre  écrit  en  lettres  d'or,  qui  lui  servait  de  marque  de  propriété.:}: 

L'autre  livre  d'Heures,  au  contraire,  a  été  copié  et  peint  direélement  pour  Etienne 
Chevalier.  Son  écusson  à  fond  violet,  avec  son  nom  en  or,  ou  ses  initiales  E.E.,  y 
étaient  répétés  d'une  manière  presque  surabondante,  et  qui,  disons-le,  sent  quelque 
peu  son  parvenu,  apparaissant  non  seulement  dans  les  décorations,  dans  l'intérieur  des 
initiales  ornées,  mais  jusque  dans  les  détails  des  miniatures  elles-mêmes,  sur  une 
corniche  d'architefture,  sur  un  dallage,  etc.  Etienne  Chevalier  pouvait,  du  reSle,  être 
justement  fier  d'avoir  provoqué  la  création  de  ce  volume,  car  les  miniatures  qui 
l'illustraient  constituaient  une  série  de  purs  chefs  d'œuvres,  qu'aujourd'hui  encore 
nous  saluons  de  notre  admiration. 

On  suppose  que  le  livre  d'Heures  d'Etienne  Chevalier  a  dû  reSler  dans  sa  famille, 
jusqu'à  la  mort  de  son  dernier  descendant  en  ligne  masculine  :  Nicolas  Chevalier, 
baron  de  Crissé,  décédé  en  1650.  L'érudit  Gaignières,  qui  vécut  sous  Louis  XIV  et 
mourut  le  27  mars  1715,  le  connut  encore  sous  son  aspeft  primitif  de  vrai  livre.  Mais 
un  jour  vint,  sans  doute  vers  le  début  du  XVUIème  siècle,  où  le  volume  tomba  entre 
les  mains  d'un  vandale.  Celui-ci  dépeça  le  livre  d'Heures,  en  détacha  à  part  chaque 

•  Le  nom  :  Chevalier,  généralement  abrège  en  Chlr. 

j-  La  lefture  du  second  E  e^  parfois  douteuse,  et  l'on  pourrait  alors  être  tenté  de  voir  E.  C.  Mais, 
vérification  faite,  je  crois  qu'il  y  a  partout  E  E,  le  véritable  C  ayant  une  forme  différente  dans  le3 
inscriptions  du  nom. 

X  British  Muséum,  Addit.  ms.  16997 — S"""  "  ^'^""^  d'Heures  et  les  reproductions  qui  ont  été 
données,  à  Londres,  de  certaines  de  ses  peintures,  voir  :  P.  Durrieu,  Les  Heures  du  Maréchal  de 
Boucicaut,  du  Musée  Jacquemart-André,  Paris,  19 14,  in-4°,  p.  40. 

26 


page  ornée  de  miniatures,  et  jeta  au  rebut  le  reSte  du  volume,  qui  fut  alors  peut-être 
détruit,  et  dont,  tout  au  moins,  le  sort  e§t  refté  totalement  ignoré. 

A  chacune  des  peintures,  désormais  isolées  les  unes  des  autres,  on  chercha  à 
donner  l'apparence  d'autant  de  petits  tableaux  indépendants.  Dans  un  certain  nombre 
d'entre  elles,  se  rattachant  principalement,  soit  aux  heures  de  la  Croix,  soit  aux 
Suffrages  ou  Oraisons  à  divers  Saints,  il  avait  été  ménagé,  originairement,  au  centre 
des  parties  peintes,  un  petit  espace  occupé  par  quelques  mots  de  texte,  dont  la  première 
lettre  ayant  l'importance  d'une  initiale  ornementée.  Partout  ces  mots  de  texte,  exception 
faite  de  l'initiale,  furent  grattés  et  leur  place  recouverte,  tantôt  par  un  motif  d'imagerie 
pieuse,  dans  le  ftyle  du  XVIIIème  siècle,  peint  dixeétement  sur  le  grattage,  tantôt  par 
un  fragment  collé,  découpé  dans  des  bordures  d'un  autre  manuscrit  de  la  fin  du  XVème 
siècle  ou  du  début  du  XVIème, 

C'eêt  sous  cette  forme  de  feuillets  séparés  que  les  fragments  des  Heures  d'Etienne 
Chevalier  sont  parvenus  jusqu'à  nous. 

En  1805,  quarante  de  ces  feuillets  se  trouvaient  entre  les  mains  d'un  marchand  de 
Bile.  Ils  furent  alors  acquis  de  ce  marchand  pour  la  somme  de  5,000  francs  par  M. 
Georges  Brentano-Laroche,de  Francfort.  En  189 1,  Mgr.  le  Duc  d'Aumale  les  rapatria 
en  France, en  les  achetant  2  50,000  frs.  à  M.  Louis  Brentano.fils  du  précédent  acquéreur. 
Entrés  ainsi  au  Musée  Condé  de  Chantilly,  que  le  Duc  d'Aumale  a  donné  à  l'Inftitut  de 
France,  ils  y  constituent  le  fameux  ensemble  universellement  connu  sous  le  nom  des 
"  Quarante  Foucquet  de  Chantilly." 

Quatre  autres  morceaux  du  livre  d'Heures  d'Etienne  Chevalier  ont  encore  été 
retrouvés.  L'un,  représentant  Le  roi  David  en  prière, ■i.  été  reconnu,  dès  1833,  par  Passa- 
vant dans  la  colleûion  du  poète  Rogers.  Après  avoir  traversé  la  colleftion  du  Marquis 
de  Breadalbane,  il  fut  acquis  en  1 886  à  la  vente  Baillie-Hamilton  par  le  British  Muséum 
(Addit.  ms.  37421). 

Un  autre  feuillet,  sur  lequel  on  voit  peintes  les  figures  de  S  te.  Ame,  de  ses  filles,  les 
"trois  Maries,"  et  de  leur  descendance,  a  été  identifié  par  mon  regretté  confrère  et  ami 
Georges  Duplessis,  et  acheté  en  1881  par  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris  (ms.  1416 
du  fonds  des  Nouvelles  Acquisitions  latines),  avec  le  généreux  concours  du  Duc  de  la 
Trémoïlle,  membre  de  l'InStitut. 

Un  troisième  feuillet,  dont  la  miniature  eSl  consacrée  à  Saint  Martin,  appartenait 
au  baron  Feuillet  de  Conches.  J'ai  eu  personnellement  la  bonne  fortune  de  le  faire 
acheter,  en  1889,  des  héritiers  Feuillet  de  Conches,  pour  le  Musée  du  Louvre. 

Presque  en  même  temps,  je  constatais,  en  découvrant  sur  le  revers  le  chiffre  E.E., 
que  le  Louvre  possédait  déjà  d'ancienne  date,  entré  au  Musée  avec  la  colleftion 
Sauvageot,  un  quatrième  fragment  des  Heures  d'Etienne  Chevalier,  portant  une  minia- 
ture relative  à  un  épisode  de  la  vie  de  Sainte  Marguerite.* 

Les  quarante  feuillets  maintenant  à  Chantilly  ont  été  reproduits  en  couleurs, 
ainsi  que  le  feuillet  de  la  colleftion  Feuillet  de  Conches,  plus  tard  passé  au  Louvre,  par 
Curmer,  dans  sa  grande  publication  de  rOeiivre  de  Jehan  Foucquet.  En  1897,  M.  F.  A. 
Gruyer,  dont  je  vénère  la  mémoire,  a  donné  des  héliogravures,  bien  plus  exaâres,  der 

•  P.  Durrieu.  Un  quarante-quatrième  fragment  des  Heures  de  Maître  Etienne  Chevalier, 
retrouvé  au  Musée  du  Louvre,  Paris,  in-8  "  (extrait  du  Bulletin  des  Musées,  N  °  de  novembre  1 89 1  ). 

27 


feuillets  du  Musée  Condé,  dans  son  beau  livre  in  4%  intitulé  :  Chantilly — 'Les  quarante 
Fouquet.  Les  quatre  fragments  dispersés  ont  été,d'autre  part, publiés  à  diverses  reprises.* 
Enfin,  récemment,  M.  Henry  Martin,  letrès  érudit  administrateur  de  la  Bibliothèque  de 
l'Arsenal,  a  groupé  idéalement  la  totalité  des  quarante-quatre  fragments  connus  des 
Heures  d'Etienne  Chevalier  dans  un  charmant  petit  volume  in  8%  illustré  de  44  pages  de 
gravures,  une  pour  chaque  fragment,  f 

A  l'époque  où  Gaignières  vit  le  volume  encore  sous  son  aspeft  primitif,  on 
n'attachait  aucun  nom  d'artifte  au  livre  d'Heures  d'Etienne  Chevalier.  Cet  état  de 
choses  persista  jusqu'au  premier  tiers  du  dix-neuvième  siècle.  En  1833,  Passavant, 
parlant  des  feuillets  de  M.  Brentano  et  de  celui  du  poète  Rogers,  laisse  l'œuvre  anonyme. 
En  1835,  Nagler  publie  en  Allemagne,  c'eSt-à-dire  dans  le  pays  où  se  trouvaient  les 
fragments,  dej  à  célèbres,  possédés  par  M.  Brentano,  le  volume  consacré  à  la  lettre  F  de 
son  grand  lexique  des  artistes  ;  et  il  ignore  totalement  Jean  Foucquet.  En  1856,  le 
Comte  Raczinski  s'efforce,  lui  le  premier,  de  percer  le  myStère  qui  enveloppait  encore  le 
livre  d'Heures  d'Etienne  Chevalier. 

Malheureusement  il  s'engage  dans  une  voie,  dont  je  connais,  par  expérience  per- 
sonnelle, l'attrait  séduisant,  mais  souvent  très  dangereux.  Cette  voie  eSt  celle  qui 
consiste  à  vouloir  chercher  des  désignations  d'artistes,  ayant  été  les  auteurs 
des  images,  dans  des  inscriptions  qui  peuvent  se  rencontrer  parmi  les  détails  de 
certaines  miniatures  du  XVème  siècle,  tracées  par  exemple  sur  des  vêtements 
portés  par  les  adeurs  des  scènes,  sur  des  édifices,  sur  un  bout  de  terrain,  voire  sur  des 
bordures.  Cette  méthode  peut  quelquefois  donner  de  bons  résultats  et,  dès  1891,  je 
signalais  l'importance  qu'il  y  avait  à  s'attacher  à  ce  que  j'appelais  alors  "  les  signatures 
dissimulées."  Mais,  combien  il  faut  être  prudent  !  combien  il  faut  se  garder  des  en- 
traînements trop  précipités  !  Bien  facilement,  on  tombe  dans  des  erreurs  complètes  et 
parfois  même  ridicules.  C'eSt  ainsi,  par  exemple,  qu'en  Espagne,  on  a  pris  pour  une 
signature  d'artiste  la  devise  de  la  Maison  de  Savoie  :  F  E  R  T,  devise  cependant  si 
connue.  C'eSl  ainsi  encore  que  dans  le  nom  de  Nabuchodonosor,  écrit,  suivant  la 
forme  française  habituelle  du  XVème  siècle  :NABVGODENOSOR,ona 
voulu,  par  d'arbitraires  coupures,  et  en  donnant  à  un  N  la  valeur  d'un  U  ou  V, 
prétendre  découvrir  la  mention  d'un  enlumineur,  qui  se  serait  appelé  V  G  O  D  E 
V  O  S  O  R,  et  dont  rien,  absolument  rien  au  monde,  ne  permet  de  supposer  qu'il  ait 
jamais  réellement  existé. 

Le  Comte  Raczinski  remarqua  que,  dans  une  des  miniatures  au j  ourd'hui  à  Chantilly, 
représentant  la  lapidation  de  Saint  Etienne,  une  suite  de  lettres  se  trouve  écrite  sur  la 
jambe  gauche  des  chausses  d'un  des  bourreaux  et  d'après  ces  lettres,  très  correcte- 
ment lues,  il  conclut  que  l'auteur  des  peintures  du  livre  d'Heures  d'Etienne  Chevalier 
devait  s'être  appelé  :    VIWOAR   HSKATUS.    Il  ajoutait,  d'ailleurs,  après 

•  Je  me  bornerai  à  indiquer,  parmi  ces  reproduftions,  les  premières  en  date  :  Pour  le  feuillet  du 
British  Muséum  :  Paul  Leprieur  dans  la  Revue  de  VArt  ancien  et  moderne,  1897,  p.  29.  Pour  celui 
de  la  Bibliothèque  Nationale  :  Georges  Duplessis,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
France,  1 88 1 ,  p.  7g.  Pour  le  Saint  Martin  du  Louvre  :  en  couleurs,  Curmer  dans  Y  Oeuvre  de  Jehan 
Foucquet;  et,  en  héliogravure,  mes  Antiquités  Judaïques,  pi.  XX  N°  I.  Pour  la  Sainte  Marguerite 
du  Louvre,  mon  travail  cité  à  la  note  précédente. 

t  Henry  Martin.  Les  Fouquet  de  Chantilly,  Paris,  in-8°.  s.d.,  dans  la  série  des  Memoranda 
publiée  par  l'éditeur  Henri  Laurens. 

28 


avoir  révélé  son  surprenant  "  Viwoar  Hskatus,"  cette  remarque  naïve  :  "  Ce  qui  rend 
toute  supposition  fort  incertaine  à  cet  égard,  c'eSt  que  nulle  part  on  ne  rencontre  de 
traces  d'un  artiste  qui  ait  porté  ce  nom.  Cependant  on  ne  conçoit  pas  qu'un  talent  si 
éminent  ait  pu  rester  ignoré."* 

Les  choses  changèrent  avec  Waagen.  Dans  le  tome  i,  p.  5 14,  de  son  ouvrage  sur 
les  œuvres  d'art  et  les  artistes  en  Angleterre  et  à  Paris, f  paru  à  Berlin  en  1837,  Waagen 
proposa  pour  la  première  fois  la  restitution  des  peintures  du  livre  d'Heures  d'Etienne 
Chevalier  à  Jean  Foucquet.  Comment  était-il  arrivé  à  formuler  cette  hypothèse  ?  Le 
tome  III  de  son  ouvrage,  publié  en  1859,  laisse  bien  entendre  (p.  371-572)  qu'elle 
découlait  pour  lui  d'un  rapprochement  avec  les  miniatures-types  du  Josèphe  de  la 
Bibliothèque  Nationale.  Ainsi  lancée,  l'attribution  des  Heures  d'Etienne  Chevalier  à 
Foucquet  eut  une  fortune  aussi  rapide  que  complète.  Le  Marquis  Léon  de  Laborde, 
Vallet  de  Viri ville,  et  après  eux  tous  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  Foucquet,  l'acceptèrent 
comme  un  axiome. 

Je  ne  voudrais  pas  troubler  les  esprits,  ni  chercher  à  rabaisser,  si  peu  que  ce  soit, 
dans  l'eStime  du  grand  public  le  merveilleux  trésor  d'art  dont  la  plus  grande  portion  a 
été  donnée  à  la  France,  avec  le  Musée  Condé,  par  M.  le  Duc  d'Aumale.  Mais  il  faut 
d'abord  reconnaître  que  nous  n'avons  aucun  document  venant  appuyer  l'attribution 
due  à  Waagen  ;  et,  d'autre  part,  entre  les  œuvres-t}'pes  fournies  par  le  manuscrit  de 
Josèphe  et  les  miniatures  découpées  dans  le  livre  d'Heures  d'Etienne  Chevalier,  il  y  a 
une  certaine  différence  d'aspedl.  Les  miniatures  du  livre  d'Heures  sont  plus 
brillantes  ;  le  coloris  en  eSt  plus  vif,  l'aspeâ  général  plus  séduisant.  On  constate  égale- 
ment, dans  les  iîgures  considérées  isolément,  une  recherche  plus  accentuée  de  l'élégance 
des  formes,  et  principalement  une  tendance  à  l'allongement  des  Statures. 

J'indique  immédiatement  les  objeftions  possibles  d'une  critique  impitoyable. 
Mais  je  me  hâte  d'ajouter  que,  tout  en  poussant,  comme  il  convient,  la  prudence  aussi 
loin  que  possible,  il  ne  me  semble  pas  qu'on  puisse  sérieusement  mettre  en  doute 
l'attribution  des  Heures  d'Etienne  ChevaHer  au  même  maître  que  les  miniatures, 
formellement  authentiquées,  du  Josèphe  de  la  Bibliothèque  Nationale. 

Ayant  eu  jadis  l'occasion  de  traiter  la  queStion,:j:  j'ai  fait  ressortir  que  nombre  de 
détails,  constituant  des  traits  caradériStiques,  sont  communs  aux  deux  séries. 

Dans  le  Mariage  de  la  V^ierge  des  Heures,  par  exemple,  réapparaissent  les  fameuses 
Columnœ  vitinea  de  St.  Pierre  de  Rome,  et  une  inscription,  tracée  sur  la  miniature  même, 
indique  que  ces  colonnes  symbolisent  là,  comme  dans  les  miniatures  du  Josèphe,  le 
Temple  de  Jérusalem  ou  Temple  de  Salomon  (Templiim  Salomonis).  Ailleurs,  ce  sont 
des  morceaux  d'architefture  analogues  et  rendus  de  la  même  façon  ;  des  types  et  des 
poses  de  persormages  identiques,  des  attitudes  pareilles  adoptées  pour  les  chevaux, 
etc.,  etc. 

Un  autre  argument  peut  encore  être  invoqué.  Il  eSt  deux  traits  de  la  vie  de  Jean 
Foucquet  que  révèlent  les  documents  d'archives,  l'un  que  le  maître  a  été  en  Italie,  l'autre 
qu'il  a  habité  Paris,  où  il  se  trouvait  au  moment  de  la  mort  du  roi  Charles  VIL  Or,  dans 
les  peintures  des  Heures  d'Etienne  Chevalier,  ce  qui  correspond  parfaitement  à  cette 
double  donnée,  nous  rencontrons,  se  mélangeant  comme  d'une  manière  intime,  d'une 

•  Comte  Alexandre  Raczinski, //».ffo/r^  de  PArt  moderne  en  Allemagne  (Paris,  1 836-1 841, 
3  vol.  in-4°  et  un  atlas  in-folio)  M,  p.  257. 

t  KunShverie  und  Kiiniîler  in  England  und  Paris,  Berlin,  1 836-1 839,  3  vol.  in-8°. 

if  Les  Antiquités  Judaïques  et  le  peintre  "Jean  Foucquet,  p.  96-97. 

29 


part,  le  souvenir  fréquent  des  édifices  et  des  œuvres  d'art  existant  en  Italie  au  XVème 
siècle,  et  d'autre  part,  des  vues  de  plusieurs  monuments  de  Paris  et  de  sa  banlieue  ;  le 
chevet  de  Notre-Dame,  la  façade  de  la  Sainte-Chapelle,  le  donjon  de  Vincennes, 
représentés  avec  la  plus  parfaite  fidélité. 

Une  curieuse  remarque  peut  encore  être  faite.  Dans  les  Heures  d'Etienne  Cheva- 
lier, la  miniature  relative  au  Martyre  de  S  te.  Apolline  e§t  composée  de  telle  façon  qu'elle 
nous  fait  assister  à  l'exécution  théâtrale  d'un  "  mystère  "  au  XVème  siècle.  Or,  que 
nous  apprend  un  des  documents  relatifs  à  Jean  Foucquet  ?  C'eft  qu'en  1 461,  le  peintre 
fut  précisément  occupé,  pour  la  ville  de  Tours,  à  préparer  un  "  mystère,"  dont  on 
projetait  de  donner  une  représentation  au  roi  Louis  XL 

En  poussant  encore  plus  à  fond  ces  observations  et  en  multipliant  les  rapproche- 
ments, on  acquiert  de  plus  en  plus  la  convidion  que  les  miniatures  peintes  sur  les 
feuillets  des  Heures  d'Etienne  Chevalier  sont  tout  autant  de  la  main  de  Jean  Foucquet 
que  les  peintures,  celles-ci  bien  authentiques,  du  Josèphe. 

J'ai  dit  qu'on  connaissait  quarante-quatre  feuillets  détachés  des  Heures  d'Etienne 
Chevalier.  Déjà,  en  1891,  j'indiquais  que  le  total  n'était  que  "  provisoire."*  Je  suis 
revenu  sur  le  fait,  en  1907,  dans  mes  Antiquités ]udaîqties.-\  J'écrivais  alors  :  "  Avec  ces 
quarante-quatre  feuillets,  la  série  des  sujets  que  l'on  rencontre  habituellement  dans 
les  livres  d'Heures  n'eSt  pas  complète.  Il  e§t  donc  permis  d'espérer  qu'on  retrouvera 
peut-être  encore  d'autres  fragments  du  manuscrit  dépecé  au  XVIIIème  siècle." 

M.  Henry  Martin  a  poussé  plus  loin  les  choses.  Avec  sa  grande  connaissance  des 
traditions  appliquées,  en  France,  à  l'illustration  des  livres  d'Heures,  il  a  cherché  à 
dresser  la  liste  des  miniatures  qui  devaient  se  trouver  primitivement  dans  le  volume  et 
qui  sont  à  rechercher.  Son  enquête  l'a  conduit  à  ces  conclusions  que  je  résume  : 

Il  doit  manquer  de  la  série  des  peintures  contenues  originairement  dans  les 
Heures  d'Etienne  Chevalier  : 

Au  commencement  du  volume,  douze  pages  de  calendrier  ; 

Une  miniature  illustrant  un  extrait  de  l'Evangile  de  Saint-Luc,  qui  pouvait 
représenter,  écrivant  ou  peignant  la  Vierge,  l'évangéliSte  avec  le  bœuf,  ou  peut-être 
une  Annonciation  ; 

Une  Vierge  de  douleur  pour  l'illuStration  de  l'oraison  "  O  intemerata  "  ; 

La  miniature  de  tierce  des  heures  de  la  Croix,  qui  devait  représenter,  soit  le  Cou- 
ronnement d'épines,  soit  un  Ecce  homo,  soit  peut-être  encore  la  Flagellation  ; 

La  miniature  des  matines  des  heures  du  Saint-Esprit,  qui  représentait,  sans  doute, 
soit  la  Résurreftion  du  ChriSt,  soit  son  Baptême  par  Saint  Jean-BaptiSte  ; 

Les  miniatures  de  tierce  et  de  sexte  des  heures  du  Saint-Esprit,  où  se  voyaient 
probablement,  soit  le  ChriSt  bénissant  les  apôtres,  soit  les  Disciples  d'Emmaiis,  soit 
l'Incrédulité  de  Saint  Thomas,  soit  Saint  Pierre  prêchant  ; 

La  miniature  illustrant  les  vêpres  des  heures  du  Saint  Esprit,  consacrée,  selon 
toute  vraisemblance,  soit  à  la  Descente  de  Jésus  aux  limbes,  soit  à  la  dernière  Cène,  ou 
représentant  peut-être  Saint  Pierre  célébrant  la  messe. 

Il  ne  serait  pas  impossible  que  le  livre  d'Heures  d'Etienne  Chevalier  ait  contenu 
les  laudes  des  heures  de  la  Croix  et  des  heures  du  Saint  Esprit.  Dans  ce  cas,  il  man- 
querait, en  outre  de  ce  chef,  deux  miniatures  ;  mais  il  serait  difficile  d'en  indiquer  le 
sujet  d'une  façon  précise. 

•  Un  quarante-quatrième  fragment  des  Heures  de  Maître  Etienne  Chevalier,  etc.,  p.  5. 

t  P.  98. 
50 


Enfin,  de  la  série  des  miniatures  consacrée  aux  Suffrages  des  Saints,  on  peut  sans 
témérité  affirmer  que  six  au  moins  ont  disparu.  Ce  sont  celles  qui  étaient  peintes  en 
tête  des  Antiennes  et  oraisons  des  saints  Michel,  Laurent,  Sébastien,  Christophe, 
Antoine  et  de  Sainte  Barbe.  Il  pouvait  sans  doute  y  avoir  là  bien  d'autres  saints  et 
saintes  représentés  ;  mais  ceux  qui  viennent  d'être  énumérés  y  figuraient  certainement. 

"On  voit  donc,"  dit  en  terminant  M.  Henry  Martin,  "qu'il  re§te  encore  à  retrouver, 
outre  les  douze  pages  du  calendrier,  treize  miniatures  au  moins,  peut-être  quinze, 
et  sans  doute  bien  davantage.  Puisse  cette  petite  étude  contribuer  à  les  faire  dé- 
couvrir." 

Les  choses  en  étaient  là,  lorsque,  dans  le  courant  du  mois  de  février  de  la  présente 
année  1923,  je  reçus  une  lettre  de  MM.  Maggs  Bros.,  les  grands  libraires  de  Londres, 
qui  m'annonçaient  qu'ils  venaient  de  retrouver  un  nouveau  feuillet  des  Heures 
d'Etienne  Chevalier,  précisément  un  de  ceux  signalés  d'avance  par  M.  Henry  Martin 
comme  restant  à  découvrir,  le  feuillet  portant  la  miniature  relative  au  Suffrage,  ou 
prières,  à  Saint  Michel. 

Que  ce  feuillet  provienne  des  Heures  d'Etienne  Chevalier,  c'eSt  ce  qui  ne  peut 
faire  aucun  doute.  On  y  trouve,  tant  sur  le  re£lo  que  sur  le  verso,  le  chiffre  d'Etienne 
Chevalier  :  les  deux  E  liés  ensemble.  D'autre  part,  comme  dans  une  partie  des  feuillets 
de  Chantilly,  on  y  constate  l'appHcation  de  ce  système  qui  fut  employé,  lors  de  la 
mutilation  du  manuscrit  au  XVIIIème  siècle,  et  qui  consiste  à  avoir  caché  quelques 
lignes  de  texte,  au  milieu  de  la  page  à  peintures,  sous  un  morceau  des  bordure  découpée 
dans  un  autre  manuscrit,  de  date  plus  récente. 

Le  feuillet  retrouvé  par  MM.  Maggs  Bros,  offre  un  intérêt  spécial  au  point  de 
vue  matériel.  Les  feuillets  de  Chantilly  sont  collés  sur  des  morceaux  de  bois  qui 
empêchent  d'examiner  le  revers  des  peintures.  Au  contraire,  le  nouveau  feuillet 
découvert  en  Angleterre  tSt  entièrement  libre  et  peut  être  étudié  sur  ses  deux  faces. 
On  peut  ainsi  se  rendre  compte  de  la  manière  dont  était  disposé  le  corps  du  livre 
d'Heures. 

Le  feuillet  mesure  203  millimètres  de  hauteur  sur  142  millimètres  de  largeur.  Le 
texte  e§t  écrit  sur  16  lignes  à  la  page,  avec  une  justification  ne  mesurant  que  95  milli- 
mètres de  haut  sur  5  8  millimètres  J  de  large,  ce  qui  laisse  de  très  grandes  marges  tout 
à  l'entour.  Le  texte  occupe  un  re£to.  Sur  sa  marge  latérale  extérieure  se  déroule  une 
bordure  d'ornement,  où  des  palmes  frisées,  bleu  et  or,  alternent  avec  des  tiges  de  roses. 
Le  chiffre  E.E.  eSt  deux  fois  introduit  dans  cette  bordure,  en  haut  et  en  bas.  Quant  à 
la  miniature,  elle  occupe  le  verso  du  feuillet  et  couvre  un  espace  très  supérieur  à  celui 
réservé  pour  la  justification  du  texte,  car  elle  mesure,  y  compris  un  filet  d'encadre- 
ment en  or  variant  de  i  millimètre  à  i  millimètre  ^  d'épaisseur,  une  hauteur  de 
IJ7  millimètres,  sur  une  largeur  de  120  millimètres. 

Le  texte,  écrit  au  refto,  contient  la  fin  d'une  prière,  inspirée,  comme  point  de 
départ,  de  l'histoire  de  la  maladie  du  roi  Ezéchias,  telle  qu'elle  est  racontée  dans  la 
Bible,  Isaïe,  chap.  xxxviii,  et  que  je  reproduis  ligne  pour  ligne,  en  ayant  soin 
seulement  de  développer  les  abréviations,  et  après  avoir  d'abord  suppléé,  entre  (  ), 
pour  restituer  le  texte  au  complet,  le  début  de  l'oraison,  qui  devait  certainement 
se  trouver  écrit  au  bas  d'un  feuÛlet  précédent  : 

31 


(Deus,  qui  Ezechie) 

(r)egi*  Jude  te  cum  lacrimis  dep(re)- 

canti  vite  spacium  pretendi^li, 

concède  michi  propicius  indi- 
gne faniulo  tuo  tante  vite 

spacium,  saltumque  ad  men- 

suram,  ut  omnia  peccata  mea 

valeam  deplorare,  veniam  ac 

graciam  s(e)c(un)d(u)m  tuam  mi(sericordi)am 

consequi  merear.   Per  Dominu(m) 

N(o§t)r(u)m  Ih(esu)m  XR(iftu)m  filium  tuum 

Qui  tecum  vivit  et  régnât  in 

unitate  Spiritus  Sanfti  Deus. 

Per  omnia  secula  seculorum. 

Amen. 
Au-dessous,  en  lettres  de  couleur  rouge,  cette  rubrique  : 

Anthene  de  Saint-Michiel. 
Ladite  rubrique  annonce  l'exercice  de  dévotion  auquel  se  rapporte  la  miniature 
de  St.  Michel  peinte  sur  le  verso.   Quant  à  ce  verso,  on  peut  l'étudier  sur  l'excellente 
héliogravure  jointe  à  ce  présent  opuscule,  exécutée  par  M.  Emery  Walker. 

Vers  le  milieu  de  la  page  se  trouve  peinte  la  lettre  M,  initiale  du  mot  "  Michel  " 
par  lequel  commençait  l'antienne.  Cette  lettre  eSt  modelée  en  traits  d'or  sur  fond  bleu. 
Dans  son  intérieur  apparaît  le  chiffre  E.  E.  d'Etienne  Chevalier,  peint  en  or  sur  un 
écusson  rose  violacé  ;  tout  autour  se  déroule  la  peinture  proprement  dite. 

Les  quarante  feuillets  des  Heures  d'Etienne  Chevalier  appartenant  au  Musée 
Condé  ont  eu  la  bonne  fortune  exceptionnelle,  depuis  près  de  120  ans,  de  ne  subir 
qu'un  seul  transfert  d'une  coUedion  à  une  autre,  et  ils  n'ont  jamais  cessé  d'être  l'objet 
des  soins  les  plus  minutieux.  Aussi  ont-ils  conservé  une  fraîcheur  d'aspeft,  une 
vivacité  de  coloris  qui  les  mettent  hors  pair.  Les  autres  feuillets,  au  contraire,  comme 
les  deux  morceaux  du  Musée  du  Louvre,  et  le  feuillet  de  la  Bibliothèque  Nationale  de 
Paris,  qui  ont  passé  de  mains  en  mains,  ont  perdu  plus  ou  moins  de  leur  fleur  primitive. 
C'est  avec  ces  derniers  qu'il  eSt  équitable  de  mettre  en  parallèle  le  nouveau  feuillet 
retrouvé  en  Angleterre.  Lui  aussi,  sans  qu'on  sache  quelles  furent  ses  destinées 
antérieures,  a  dû  courir  le  risque  des  aventures.  L'artifte  avait  employé,  pour  peindre 
les  visages  dans  la  partie  supérieure,  ainsi  qu'une  sorte  de  nuage  qui  s'eStompe 
derrière  St.  Michel,  une  couleur  blanche,  sans  doute  à  base  de  céruse,  qui  s'eSt  oxydée 
et  a  noirci.  Notre  planche  en  héliogravure  exécutée  avec  une  conscience  absolue 
donne  elle-même  l'impression  de  ces  taches.  Il  semble  d'autre  part  que,  vers  le  milieu 
de  la  page,  le  vert  du  terrain  a  été  repris,  la  couleur  rapportée  ayant  même  un  peu 
coulé,  en  particulier  sur  une  ligne  creuse  du  parchemin.  Ceci  pour  ne  rien  cacher  de 
l'état  de  la  peinture. 

Dans  le  haut  de  la  page,  le  personnage  principal  e§t  St.  Michel,  qui  combat  tête 
nue,  debout  sur  une  terrasse  de  gazon  vert  clair,  que  limite,  sur  la  droite,  des  accumula- 
tions de  rochers  brunâtres  également  recouverts  de  gazon. 

•  La  première  lettre:  r,  se  trouve  aujourd'hui  eflFacée,  mais  la  présence  ancienne,  sur 
l'original,  du  mot  entier  "  régi  "  ne  fait  aucun  doute. 

3^ 


L'Archange  eël  entièrement  revêtu  d'une  armure  dorée,  formée  de  pièces  articu- 
lées rappelant  ce  que  l'on  appelait  l'armure  d'écaillé  ou  à  l'écrevisse.  Une  particularité 
curieuse  c'eêl  que  le  plaSlron  de  la  cuirasse  a  la  forme  d'une  coquille,  la  coquille  appelée 
peïfen,  ou  peigne,  dite  aussi  "  coquille  de  St.  Jacques."  Or,  pareilles  coquilles  étaient 
comme  l'emblème  matériel  de  la  fameuse  abbaye  française  du  Mont-St.-AIichel.  Elles 
figuraient  dès  l'origine  dans  les  armoiries  de  l'abbaye.  Les  pèlerins  du  Mont-St.- 
Michel  en  rapportaient  de  petites  images  en  plomb.  Quand  le  roi  Louis  XI  créa  l'Ordre 
de  St.  Michel,  en  lui  fixant  d'ailleurs  comme  siège  olSciel  le  Mont-St.-Michel,  il  fit 
entrer  cette  coquille,  comme  attribut  caractéristique,  dans  le  collier  de  l'Ordre.  Peut- 
être,  en  donnant  au  plaStron  de  la  cuirasse  de  son  St.  Michel,  dans  le  feuillet  retrouvé  à 
Londres,  la  forme  de  la  traditionnelle  coquille,  Foucquet  se  souvenait-il  des  travaux 
qu'il  avait  exécutés  pour  Louis  XI  au  moment  de  l'organisation  de  l'Ordre.  En  tout 
cas,  ce  que  l'on  peut  dire,  c'e§t  que,  dans  l'exemplaire  des  Statuts  de  l'Ordre  peint  par 
Foucquet  à  l'intention  de  Louis  XI,  on  voit,  au  bas  de  la  page,  deux  anges  en  armure 
dorée  qui  soutiennent  les  deux  extrémités  du  Collier  de  l'Ordre  :  et  plusieurs  pièces  des 
armures  de  ces  anges  reproduisent  également  l'aspeû  des  fameuses  coquilles.  Ajoutons 
que  cette  idée  de  faire  entrer  la  coquille  dans  la  cuirasse  de  St.  Michel,  ou  des  autres 
anges  de  la  milice  célefte,  e§t  absolument  particulière  à  Foucquet  :  on  ne  la  retrouve 
pas  ailleurs  que  dans  l'œuvre  du  Maître  de  Tours. 

Pour  en  revenir  à  notre  miniature  de  Londres,  l'Archange  y  brandit  son  épée  de 
la  main  droite.  De  la  gauche,  il  tient  un  petit  bouclier  circulaire,  ou  rondache,  du  même 
ton  rose  violacé  que  l'écusson  portant  l'E.E.  dans  l'intérieur  de  l'initiale  M.  Très 
souvent,  on  rencontre  au  XVème  siècle  des  images  de  St.  Michel  portant  ainsi  un  petit 
bouclier  rond.  Les  Van  Eyck  eux-mêmes  ont  appliqué  ce  principe  dans  un  détail  du 
polyptique  de  V Agneau  mystique,  à  St.  Bavon  de  Gand. 

Du  dos  de  St.  Michel  sortent  deux  grandes  ailes  peintes  en  rouge  vermillon  clair. 
Derrière  le  saint  e§t  une  première  rangée  d'anges,  vus  à  mi-corps  ;  ils  ont  des  armures 
dorées  et  d'amples  ailes  bleues  ;  ils  tiennent  de  longs  bâtons  également  dorés,  sur- 
montés de  la  croix.  L'un  d'eux,  le  premier  à  gauche,  porte  en  outre  le  heaume  doré  de 
St.  Michel. 

En  adoptant  pareille  disposition,  Foucquet  semble  s'être  souvenu  de  la  façon 
dont  on  a  représenté  parfois  des  rois  ou  des  princes  français  du  XVème  siècle,  un 
Charles  le  Téméraire,  duc  de  Bourgogne,  par  exemple,*  ou  un  Charles  VIII,  roi  de 
France,!  que  des  miniaturistes  nous  montrent  accompagnés,  soit  d'un  seul,  soit  de 
deux  anges,  portant  auprès  d'eux  leurs  casques  héraldiques  dorés.  Une  seconde 
rangée  d'anges  se  voit,  plus  en  arrière,  sur  la  gauche.  Ces  anges  sont  simplement 
modelés  en  manière  de  camaïeu  au  moyen  de  traits  d'or  sur  le  bleu  profond  du  ciel. 
Le  bleu  employé,  soit  pour  le  ciel,  soit  pour  les  ailes  d'anges,  soit  pour  le  fond  de  la 
grande  lettre  M,  e§l  ce  beau  ton  profond  qui  vibre  d'une  façon  constante  sur  la  palette 
de  Jeaii  Foucquet. 

En  face  de  St.  Michel  se  voit  le  dragon  infernal  que  combat  l'Archange.  Ici,  nous 
rencontrons  une  disposition  très  rare  dans  la  série  des  miniatures  de  livres  d'Heures. 
En  thèse  générale,  dans  les  images  de  St.  Michel  insérées  dans  les  dits  livres  d'Heures, 

*  P.  Durrieu.  Livre  de  Prières  peint  pour  Charles  le  Téméraire,  etc.  Paris,  1916,  gr.  10-4", 
fig.  20  (extrait  du  tome  XXII  des  Monuments  et  Alémoires  de  la  Fondation  Piot). 

t  C.  Couderc.  Bibliothèque  Nationale. — Album  de  portraits  d'après  les  colleSions  du  département 
des  manuscrits — PI.  CIV. 

35 


le  montre  contre  lequel  lutte  l'Archange  n'a  qu'une  seule  tête;  mais  Foucquet  a  suivi 
ici  le  texte  de  l'Apocalypse,  qui  nous  dit  que  la  viftoire  de  St.  Michel  fut  remportée  sur 
un  dragon  à  sept  têtes.*  C'eSt,  en  effet,  sous  la  forme  d'un  animal  à  sept  cous,  au  corps 
jaune  et  vert,  et  dont  les  sept  gueules  s'ouvrent  pour  laisser  passer  des  langues  rouges, 
qu'eSl  figuré  l'ennemi  de  St.  Alichel.  Sur  la  droite,  au  milieu  des  rochers,  on  aperçoit 
encore  l'extrémité  d'une  semblable  gueule  de  dragon. 

La  partie  inférieure  de  la  peinture  représente  les  abîmes  de  la  terre  dans  lesquels 
fut  précipité  le  dragon  aux  sept  têtes,  vaincu  par  St.  Michel.  Le  dragon  réapparaît 
sur  la  droite  entouré  de  flammes.  Au  milieu,  également  dans  les  flammes,  deux 
démons  torturent  des  damnés. 

Sur  la  gauche,  enfin,  eêt  assis  Lucifer,  devenu  Prince  des  Enfers.  Son  corps  e§t 
de  couleur  rouge  brique  ;  autour  de  son  front  passe  une  double  bandelette  verte,  d'où 
émergent  trois  cornes  :  au-dessus  de  lui  voltigent  de  minuscules  figurines  de  diablotins 
peints  en  nuance  brique  ;  plus  bas,  sur  la  droite  par  rapport  à  la  figure  de  Lucifer,  on 
entrevoit,  dans  la  pénombre,  d'autres  démons  indiqués  au  moyen  d'un  modèle  de  ton 
brunâtre. 

Toute  cette  composition  e§t  fort  habilement  disposée  et,  sur  l'original,  le  coloris, 
en  dépit  des  quelques  altérations  que  j'ai  signalées,  y  ajoute  l'attrait  d'un  accord 
de  tons  harmonieusement  fondus. 

On  peut  toutefois  faire  un  reproche  à  cette  page  peinte,  reproche  qui  d'ailleurs 
s'applique  à  l'ensemble  de  l'œuvre  élaborée  dans  l'ateher  de  Jean  Foucquet. 

Foucquet  e§t  un  miniaturiste  aussi  savant  que  délicat,  un  paysagiste  de  premier 
ordre.  Il  excelle  à  grouper  des  foules,  à  donner  à  ses  personnages  toute  l'animation  de 
la  vie.  Mais,  quand  il  veut  s'élever  plus  haut,  se  lancer  dans  les  transcendantes  spécula- 
tions de  l'allégorie,  le  souffle  lui  manque.  Ses  tableaux,  si  exquis  qu'ils  soient,  sont 
compris  dans  un  sens,  je  ne  dirais  pas  vulgaire,  tant  s'en  faut,  mais  terre  à  terre.  Il  y 
manque  l'imprévu,  la  grande  envolée,  le  côté  vibrant,  tendre  ou  poétique.  Foucquet 
e§t  trop  constamment  sage,  trop  esclave  de  la  réalité  des  choses  journalières;  il  ne 
se  laisse  pas  assez  emporter  sur  les  ailes  de  la  poésie. 

Le  combat  de  St.  Michel  contre  le  démon,  de  notre  quarante-cinquième  frag- 
ment des  Heures  d'Etienne  Chevalier,  en  eSt  lui-même  une  preuve,  par  sa 
composition.  L'Archange,  en  dépit  de  ses  ailes,  ne  diffère  pas  assez  d'un  simple 
guerrier  combattant  l'épée  à  la  main.  Nous  sommes  loin  de  ce  prestigieux  St.  Michel 
des  Très  riches  Heures  du  Duc  Jean  de  Berrj,  à  Chantilly,  que  les  maîtres  préférés  du 
Duc,Polde  Limbourg  et  ses  frères,  ont  suspendu  en  plein  ciel,  attaquant  le  démon  au- 
dessus  de  l'Abbaye  du  Mont-St.-Michel,  dont  la  silhouette  se  dresse  au  milieu  des 
flots. f  Loin  même  de  ce  beau  St.  Michel,  celui-ci  ramené  sur  terre,  que  l'on  peut 
admirer  dans  les  Heures  du  Mare'chal de  Boucicaut  an  Musée  Jacquemart-André.  :|: 

Et  le  monstre  aux  sept  têtes!  Il  n'a  vraiment  pas  l'air  bien  terrible,  avec  ses 
gueules  qui  ressemblent  un  peu  trop  à  un  groupe  de  becs  de  canards.  Les  sculpteurs 
de  l'époque  romane,  les  peintres  miniaturistes  du  XlIIème  et  du  XlVème  siècle, 
savaient  imprimer  une  autre  allure  à  leurs  représentations  du  dragon  infernal. 

*  Jpocalypse  de  Saint  Jean,  xii,  3  et  7-9. 

t  P.  Durrieu,  Chantilly,  Les  Très  riches  Heures  de  Jean  de  France,  duc  de  Berry.  Paris,  1904, 
in-folio,  pi.  LXIV. 

^  P.  Durrieu,  Les  Heures  du  Maréchal  de  Boucicaut  du  Musée  Jacquemart- André,  Paris,  1914, 
in4<',  fig.  I. 

34 


Dans  la  partie  inférieure  de  la  page,  quelle  apparence  bonasse  donnée  au  Lucifer 
assis  sur  la  gauche  !  C'e§l  cependant  là  un  type  qu'aimait  Foucquet,  car  on  le  retrouve 
au  bas  du  feuillet  des  Heures  d'Etienne  Chevalier  qui  appartient  au  British  Muséum. 
Mais  une  pareille  apparence  justifierait  vraiment  en  présence  de  ce  Lucifer,  aux  formes 
replètes  et  un  peu  affaissées  sur  elles-mêmes,  l'idée  de  songer  au  fantoche 
"  Bibendum,"  populaire  comme  emblème  d'une  célèbre  fabrique  française  de 
pneumatiques. 

En  dépit  de  cette  reftriftion  portant  sur  le  parti  pris  de  l'ensemble  de  la  peinture, 
il  n'en  re§le  pas  moins  que  le  quarante-cinquième  feuillet  des  Heures  d'Etienne 
Chevalier,  retrouvé  en  Angleterre,  et  qu'il  y  aura  lieu  désormais  de  comprendre 
dans  la  même  suite  que  les  quarante-quatre  autres  fragments  déjà  connus,  constitue 
une  pièce  très  précieuse  à  tous  égards. 

En  terminant,  je  remercierai  à  nouveau  MM.  Maggs  Bros.,  de  m'avoir  accordé 
le  privilège  d'être  le  premier  à  pouvoir  faire  connaître  cette  pièce  aux  historiens  de 
l'art  français  et  au  grand  public  de  tous  les  pays. 

Paris,  19  f?jars,  1925 


li 


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THE   PELICAN  PHESS 


2  CARMELITE  STREET,  E.C. 


ND       Durrieu,  Paul,  comte 

3363        Livre  d'heures  peint  par 

F6D8     Jean  Foucquet 


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