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Durrieu, Paul, comte
Livre d'heures peint
par J(^p.r) Foucquet
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COMTE PAUL DURRIEU
Membre de l'Insfit/it
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LIVRE D'HEURES
PEINT PAR
JEAN FOUCQUET
POUR MAÎTRE ETIENNE CHEVALIER
LE QUARANTE-CINQUIÈME
FEUILLET DE CE
MANUSCRIT
re/rom'é
en
ANGLETERRE
POUR LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE \^r^
DE REPRODUCTIONS DE MANUSCRITS À PEINTURES ^^^
MCMXXIII
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SOCIETE FRANÇAISE DE REPRODUCTIONS DE
MANUSCRITS À PEINTURES
AVERTISSEMENT
Les grands libraires de Londres, MM. Maggs Bros., dont les beaux catalogues
font connaître les raretés bibliographiques qu'ils proposent à leurs clients, ont eu
la bonne fortune de découvrir un des feuillets, resté Jusqu'ici inconnu, du fameux
livre d'Heures peint au XV' siècle par Jean Foucquet pour Maître Etienne
Chevalier et dont la plupart des pages, achetées autrefois par Monseigneur le
Duc d'Aumale, fait l' admiration des visiteurs du Musée Condé à Chantilly.
Ils ont été bien inspirés en demandant une notice sur ce précieux feuillet à M. le
Comte Durrieu, membre de l'Institut de France, que ses nombreux et remarqu-
ables travaux sur les peintres miniaturistes de cette époque désignaient à leur
choix.
Désireux de satisfaire la légitime curiosité des membres de la Société française
de reproductions de manuscrits à peintures, dont ils font partie, ils ont émis
l'intention d'offrir à chacun de leurs collègues de la Société un exemplaire de cette
notice qui rentre dans le cadre de leurs études.
Nous croyons être les interprètes de tous nos Sociétaires en adressant à AIM.
Maggs Bros, l'expression de nos sincères et vifs remerciements pour leur
libérale attention.
Pour le Comité Directeur,
le SECRETAIRE
Comte A. de LABORDE,
8i Boulevard de Courcelles
Paris (viii.)
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Le quarante-cinquième feuillet
du Livre d'Heures peint par je an foucquet
pour Maître etienne chevalier
retrouvé en Angleterre
î. JEAN FOUCQUET
RACE à une note inscrite, entre le ler avril 1488 et le 8 odobre
1303, par un secrétaire du duc Pierre II de Bourbon, nommé
François Robertet, à la fin d'un manuscrit fameux de la Biblio-
thèque Nationale de Paris, le tome ler d'une tradudion française
des Antiquités Judaïques de Flavius Josèphe,* nous savons d'une
manière formelle qu'une série de splendides miniatures duXVème
siècle, contenues dans ce volume, e§l "de la main du bonpaintreet
enlumineur du roi Loys Xlème, Jehan Foucquet, natif de Tours."
I.e nom de ce Jean Foucquet, peintre et enlumineur en titre du roi de France
Louis XI, a été trop longtemps oublié en France. Cependant, il fut célèbre jadis, et
plusieurs écrivains du quinzième et du seizième siècle l'ont cité comme un des grands
noms de la peinture. En 1495, un des seigneurs de la suite de Charles VIII, décrivant
l'habitation royale de Poggioreale, près Naples, trouve cette " maison de plaisance "
plus délicieuse " que le beau parler de maiSlre Alain Charrier (célèbre poëte français
du XVème siècle), la subtilité de maiftre Jehan de Meun (auteur de la seconde partie
du Roman de la Rose), et la main de Fouquet ne sauraient dire, escripre ni paindre."f
En 1503-4, un littérateur de profession, historiographe et poète ampoulé, qui vivait
dans la maison de Marguerite d'Autriche et était spécialement chargé des rapports de
cette princesse avec les artistes, Jean Le Maire de Belges, parle deux fois avec admira-
tion de Jean Foucquet. Dans La Plainte du Désiré ou Déploration du Trépas de Mgr. Loys
de Luxembourg,^ ^e^nLeMnite met en parallèle des artistes comme Léonard de Vinci,
* Bibl. Nationale, manuscrit français 247. Pour tout ce qui concerne ce manuscrit, aujourd'hui
complété à Paris de son tome 2 (formant le manuscrit 21.01 3 du fonds français des nouvelles acquisi-
tions), consulter : Paul Durrieu, Les antiquités Judaïques et le peintre Jean Foucquet, Paris, 1907
(certains exemplaires portent : 1908), in-folio, avec 27 planches hors texte.
■\j1rchives de l'art français, t. I, p. 275.
jimprimée à la suite de la Légende des Vénitiens, du même auteur, Lyon, vers 1509, in-ia", et
Paris, 151 2, in 4°.
Gentile Bellini et Pérugin, avec des maîtres plus anciens, tels
Que Marmion jadis de Valenciennes
Ou que Fouquet, qui tant eut gloires siennes,
nommant immédiatement après eux Poyet (Jean Poyet, peintre miniaruriSte très
estimé qui, en 1495 ou 1496, fut employé par la reine Anne de Bretagne à illustrer des
" petites heures "), Roger (Van der Weyden), Hugues de Gand (Van der Goes) et
Joannes (Memlinc) " qui tant fut élégant." On voit à quelle noble compagnie e§l
associé Foucquet. Dans une autre composition poétique, faite en l'honneur de
Marguerite d'Autriche et intitulée La Coi/rofi/ie margaritique,\t même auteur donne une
liste de grands peintres ; les deux premiers sont Roger Van der Weyden et notre Jean
Foucquet :
Car l'un d'iceulx eSloit maiStre Roger,
L'autre Fouquet, en qui tout los s'emploie.
Viennent ensuite, dans la lifte, Hugues Van der Goes, Dirk Bouts, Afemlinc,
Marmion et le " roy des peintres," Jean Van Eyck, avec quelques artistes dont la
renommée s'eSl moins bien maintenue. Colin d'Amiens, Loys de Tournai, etc.*
Jean Le Maire de Belges pouvait, d'ailleurs, parler de Foucquet en connaissance de
cause, car Marguerite d'Autriche, sa protectrice, possédait une petite madone de la
main de notre peintre, f
Un autre écrivain qui s'eSt occupé de choses d'art, Jean Pèlerin, dit Le Viateur,
chanoine de Toul, né vers 1445, dans la troisième édition de son traité De artifidali
perspeâiva, parue en 15 21, cite aussi Foucquet parmi les peintres "décorans France,
Almaigne et Italie," nommant avec lui, entre autres maîtres, Poyet, Colin d'Amiens,
Mantegna, le Pérugin, Léonard de Vinci, Hugues Van der Goes, Lucas de Leyde,
Raphaël et Michel-Ange. |
Mais avant ces auteurs, qui écrivaient de 1495 à 1 5 21, d'autres personnages, dont
le témoignage eSl encore plus intéressant parce qu'ils furent contemporains de Fouc-
quet, ont aussi parlé de lui en termes admiratifs.
Le premier eSl le célèbre architefte et sculpteur florentin Antonio Averulino ou
Averlino, dit Filarete. Dans un traité d'architefture rédigé entre 1460 et 1464 et
adressé au duc de Milan, Francesco Sforza, Filarete s'occupe de rechercher des grands
peintres susceptibles de décorer une cité idéale, dont il établit le projet. " Je redoute,
Seigneur, écrit-il à Sforza, qu'il ne faille attendre, car il y a ici disette de maîtres qui
soient bons." Et il déplore les morts prématurées ou récentes de Masaccio, Masolino,
Fra Angelico, Domenico Veneziano, Pesellino, Andréa del CaStagno. " C'eSt pour-
quoi, ajoute-t-il, je redoute qu'il ne soit difficile d'avoir d'excellents peintres. ... Il
faudrait voir si dans les pays d'outre monts, il ne s'en trouverait pas. Il y en avait bien
• Jean Le Maire de Belges, Les IlluSlrations de Gaule et littgu/aritez de Trijy^, suivies de : La
Couronne margariti^ue, édition deLyon, 1 549, in-folio, p. 399 des llluflrations, et p. 70 de La Couronne.
t L'inventaire de Marguerite d'Autriche, dressé en 1516, signale en effet : " Un petit tableau
de No^re Dame, bien vieulx, de la main de Foucquet, ayant eftuy et couverture." Le Glay,
Correspondance de l'empereur Maximilien i er et de Marguerite d'Autriche, publiée pour la Société de
l'Hi^oire de France, Paris, 1839, 2 vol. in-8% t. 2, p. 481.
:j: Jean Pèlerin, op. cit., vers imprimés sur le titre de l'édition de 1521. Cf. Anatole de Mon-
r AicLOs, Notice hinorique et bibliographique sur Jean Pèlerin, dit Le Fiateur, Paris, i86l,in-8°,avec
fac-similés, p. 59-74.
4.
un de la plus grande valeur qui s'appelait maître Jean de Bruges (Jean Van Eyck),
mais lui aussi e§t mort. Il me semble qu'il doit y avoir encore un autre maître, Roger
(Van der Weyden), qui e§t bien doué. Il y a encore un Foucquet, français* ; s'il vit
encore, c'eft un bon maître, surtout pour les portraits d'après nature. Il a fait à Rome
le pape Eugène avec deux des siens auprès de lui, qui, en vérité, semblent proprement
vivants. II les a peints sur une toile qui a été placée dans la sacristie de la Minerve. Je le
dis parce qu'il les a peints de mon temps. "f
Le second personnage du quinzième siècle qui intervient à propos de Foucquet
e§t un autre Florentin, Francesco Florio, probablement homme d'église, qui a résidé
à Tours. Celui-ci, dans une lettre adressée à un de ses amis de Rome, mentionne les
belles choses que l'on pourrait voir à Tours en l'année 1477.!
A cette occasion, il témoigne la plus vive admiration pour des peintures de
Foucquet, qui se trouvaient dans l'église Notre-Dame-la-Riche. " Là, dit-il, je com-
pare les images des saints des temps anciens avec les modernes, et je réfléchis combien
Jean Foucquet§ l'emporte par son art sur les autres peintres de tous les siècles. Ce
Foucquet dont je parle eS un homme de Tours, qui, plus habile de beaucoup pour la
peinture, a surpassé, non seulement les peintres de son temps, mais tous les anciens.
Que l'antiquité vante Polygnote 1 Que d'autres exaltent Apelles ! Pour moi je serais
heureux si je pouvais trouver des mots pour célébrer dignement les produdtions
admirables du peintre de Tours ! Pour que tu ne croies pas que je poétise, tu pourras,
dans notre église de la Minerve, savourer quelque chose de l'art de ce peintre, en allant
regarder le portrait du pape Eugène, peint sur toile, qu'il n'a fait pourtant que dans sa
jeunesse et dont il a réussi cependant à donner une telle image par sa vision pénétrante.
N'en doute pas, car je t'écris la vérité, ce Foucquet e§t capable de créer par son pinceau
des visages vivants et d'imiter presque Prométhée lui-même."!!
Les deux textes que nous venons de citer parlent d'un portrait du pape Eugène
(et il faut entendre ici le pape Eugène IV) qui avait été peint à Rome par Jean Foucquet,
et se conservait dans l'église de la Minerve. Ce portrait était encore célèbre au seizième
siècle. Il a valu au peintre tourangeau l'honneur d'être cité par Vasari, l'auteur des
fameuses Vies des peintres italiens. Dans sa première édition, parue en 155°) Vasari
raconte qu'au moment de la mort de Simone, frère de Donatello, " arriva à Rome
Giovarmi Fochetta, peintre très célèbre, qui peignit à la Minerve le pape Eugène, qu'on
• Le nom de Tartine a été déformé, dans les manuscrits du traité de Filarete, en Giachetto ou
Grachetto ; mais le témoignage de Francesco Florio, rapporté ci-dessous et qui parle du même portrait
du pape Eugène IV, ne laisse aucun doute sur l'identité du maître signalé par Filarete avec Jean
Foucquet. — Cf. Anatole de Montaiglon, Jean Fouqtiet et son portrait du pape Eugène IF, dans les
archives de l'art français, 2ème série, t. I (Paris 1861, in %") p. 454-468 ; et le Dr. W. Von
Oettingen, dans son édition du traité de Filarete, Vienne (Wien), 1 890, in-8 " (dans la colleftion des
Quellenschriften zur Kunslgeschichte und KunHtechnick des Mittelalters und Neuzeit, neue Folge,
III Band), p. 716
t Antonio Averlino Filarete, édition de son traité d'architedure donnée par le Dr. W. Von
Oettingen, p. 307.
i Cf. Georges LafeneAre, Jehan Fouquet, Paris, 1905, in-4°, chapitre III, p. 21-29.
§ Le texte latin porte : Johannes Fochetus.
Il Franciici Florii, florentini, ad Jacohum Tarlatum CaRellionemem, de probatione Turonica.
Imprimé pour la première fois par Salmon, d'après les papiers de Dom Martène, dans les Mémoires
de la Société archéologique de Touraine, t. 7 (1855), p. 105.
J
tint à cette époque pour une très belle chose, et qui se lia beaucoup avec Antonio
Filarete."* Dans la deuxième édition des Vies des peintres, le fait eSt rapporté sous
une forme un peu difîérente. " Peu de temps après la mort de Simone, le Filarete,
revenu à Rome, mourut à soixante-neuf ans. Il fut enterré dans l'église de la Minerve,
où il avait fait peindre le portrait d'Eugène IV à Giovanni Foccota, peintre très loué,
pendant que lui, Filarete, demeurait à Rome au service de ce pape."f
Le pape Eugène IV e§t mort le 23 février 1447. C'eS donc antérieurement à
cette date que Filarete a pu être à son service et faire peindre son portrait par Foucquet.
Dans sa première édition, Vasari ajoute encore que la liaison de Foucquet avec Filarete
ne dura pas parce que, à la suite d'un souper que les deux artiftes firent ensemble à la
campagne, Filarete fut pris d'une dysenterie qui l'emporta. Cette mort eut lieu en
1469 ou 1470. Il semblerait donc que Foucquet fut revenu une seconde fois en Italie
postérieurement à 1447, car, en résumant plus loin ce qu'on peut savoir de l'existence
de Jean Foucquet, nous verrons qu'on le retrouve, dans l'intervalle, travaillant en
France. L'hypothèse d'un second voyage de Foucquet en Italie ne serait pas, à tout
prendre, absolument inadmissible. Toutefois, il faut remarquer que cette indication
de la présence de Foucquet auprès de Filarete, à l'époque de la mort de celui-ci, ne se
rencontre que dans la première édition de Vasari et qu'elle a été supprimée dans la
deuxième, ce qui donne à penser que Vasari lui-même, après avoir d'abord admis le
fait, l'a plus tard considéré comme incertain, sinon même erroné.
Parmi les témoignages anciens, constatant la célébrité de Foucquet, mis par écrit
de son temps, ou durant une période relativement voisine de sa vie, il faut encore ranger
la note, que je rappelais au début de ce travail, apposée entre 1488 et 1503 à la fin du
tome I er des Antiquités Judaïques, qui appartenait alors au duc Pierre II de Bourbon,
par le secrétaire de ce prince, François Robertet. Robertet atteste qu'une partie des
miniatures du volumeij: sont " de la main du bon paintre et enlumineur du roy
Loys Xlème, Jehan Foucquet." L'expression de " bon paintre" semble relativement
froide à côté des éloges enflammés de Francesco Florio. Néanmoins, le fait même
que ces quelques mots ont été tracés, au plus tard au début d'oftobre 1503, et peut-
être même dès une époque voisine de 1488, eSt extrêmement significatif. En effet,
dans les habitudes du temps, c'était chose absolument exceptionnelle en France, et
même anormale, qu'une personne autre que l'artiSte en personne prit soin d'inscrire
sur un manuscrit le nom du miniaturiste qui avait travaillé à illustrer le volume. Pour
que Robertet ait cru devoir déroger sur ce point aux usages, il fallait que le nom de
• " Capito in queAo tempo a Roma Giovanni Fochetta, assai celebrato pittore, che fece nella
Minerva il Papa Eugenio, tenuto in quel tempo cosa bellisima, et dimeftico se assai con Antonio
(Filarete)." Giorgio Vasari, Le vite de' piu excellenti architetti, pittori et scultori italiani, édition de
1550. t. I.p. 359.
t Vasari, Fite, édition Sansoni, avec notes de G. Milanesi, t. 2, p. 46 1 . Montaiglon a très bien
expliqué comment le nom de Fochetta, donné dans la première édition de Vasari, eA devenu, dans les
éditions poftérieures, Foçcota et même Foccora.
X Les trois premières miniatures avaient été peintes avant le milieu de l'année 141 6 pour le duc
Jean de Berry, premier possesseur du volume. Les suivantes furent ajoutées par Foucquet après que
le manuscrit fut arrivé, par héritage, à Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, arrière-petit-fils, en
ligne féminine, du duc Jean de Berry. — Sur cette question, voir P. Durrieu, Les Antiquités Judaiques
et le peintre Jean Foucquet, chapitre III.
6
Jean Foucquet fut un très grand nom, et que lui-même, Robertet, éprouvât une vive
admiration pour ce maître.*
En 1 5 5 6, un avocat tourangeau, Jean Brèche, dans un Livre de Droit, mentionne
encore Jean Foucquet et ses deux fils, Louis et François, mais d'une manière très brève,
et qui n'eSl même pas très favorable à " ces Foucquets," placés par lui bien au-dessous
de Jean Poyet.f
Puis le silence se fait, et le nom du bon peintre et enlumineur du roi Louis XI eSt
totalement oublié. Ccit tout au plus si, en 1739, dans un Mémoire hifforique sur la
Bibliothèque duroj,X rédigé d'après les notes de Boivin le Cadet par l'Abbé Jourdain, on
signala, sur la foi de la note de Robertet, que, sous Louis XI, " il y avait aussi un en-
lumineur en titre, nommé Jehan Foucquet, de Tours, dont l'habileté paraît surtout
dans les tableaux hiëloriques du manuscrit des Antiquités Judaïques de ]osèphe"%
Il faut arriver au dix-neuvième siècle pour voir les érudits et les critiques cony
mencer à se préoccuper de nouveau de notre maître. En 1 8 1 8, un historien tourangeau,
L. C.Chalmel, fait une place à Foucquet, dans ses TûZ'/if//fj'f/'rcWi9g/'^//fj' . . . de TouraineW
Chalmel ne se borne déjà plus, comme source d'information, à l'indication donnée par
la note de Robertet sur le Josèphe de la Bibliothèque Nationale, ms. français 247. Il
connaît, d'après les papiers de Dom Martène, le texte de Francesco Florio et lui
emprunte l'hiftoire du portrait du pape Eugène IV, dont il place l'exécution en 1445.
Cependant, chose curieuse, c'eêt peut-être par une œuvre relevant avant tout de
la littérature que le nom de JeanFoucquet commença à reconquérir sa faveur auprès du
grand public. Un chef d'escadron d'etat-major, le baron de Crespy-le-Prince, un de
ces officiers amis des Arts et de l'Hiftoire, comme la France en a souvent vu naître,
qui était d'ailleurs peintre lui-même et élève de David, s'éprit d'admiration pour les
miniatures de Foucquet contenues dans h Josèphe. Il rêva de reproduire la série de ces
miniatures. En attendant, il fit du maître Tourangeau le principal personnage d'une
nouvelle de §tyle romantique intitulée : La Fille de Foucquet, qu'il publia en i834,dans
un recueil périodique à l'usage des gens du monde.f Cette nouvelle, dans laquelle on
sent l'influence du Quentin Durti'ard de Walter Scott, e§t à la fois très romanesque et
très enfantine dans ses données. Elle contient des anachronismes tout à fait amusants.
* Ajoutons que François Robertet a pu connaître personnellement Jean Foucquet. Il était fils
de Jean Robertet, greffier de l'Ordre de Saint-Michel. Or, on verra plus loin que, d'après un docu-
ment d'archives, Jean Robertet a dû forcément se trouver en relations diredles avec Foucquet, vers
l'époque de la création de l'Ordre de Saint Michel en 1469.
t Parlant des célébrités ayant habité la Touraine, Jean Brèche nomme : " Inter pidlores,
Johannes Foucquettus atque ejusdem filii Lodoicus et Franciscus. Quorum temporibus fuit et
Johannes Poyettus, Foucquettiis ipsis longe sublimior optices et pifturae scientia." — Johannis
Brechaei, Turent jurisconsulti, ad titulum Pandeciarum "de verhorum et rerum significatione"
commentant. Lyon, 1556, in-folio, p. 410.
X Inséré en tête du Catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque du roy. Théologie, t. i , Paris,
1739, in-folio.
§ P. VII du volume mentionné à la note précédente.
Il Tablettes chronologiques de l'hiltoire civile et ecclésiastique de Touraine, Tours, 181 8, in-8°,
p. 196 ; cf. du même auteur ///i7c/r^</É' Ts^rfl/nf, Tours, 1828,4 vol. in-8'', tome 4, àla Biographie
des Tourangeaux célèbres, p. 186.
^ France et Italie, recueil périodique publié à Paris, chez Fournier & Cie. N ° de décembre 1 8 34 :
— La Fille de Foucquet a été réimprimée, au tome i , p. 203-245 de l'ouvrage : Chroniques sur les
Cours de France, Paris, 1843, 2 vol. in-8°.
7
A un certain moment, deux des personnages de la Cour de Louis XI se mettent à
parler des poèmes d'Ossian I Néanmoins, il y a des traits qui sont fondés sur des faits
réels. J'y ai même trouvé une indication qui m'a beaucoup étonné. Je croyais bien avoir
été le premier à mettre en lumière, dans un travail datant de 1 890, et d'après l'examen
critique des documents d'archives, que Jean Foucquet avait dû certainement être en
relations avec Jean Robertet, greffier de l'Ordre de Saint-Michel, et père du François
Robertet qui a écrit la note sur le Josèphe de la Bibliothèque Nationale. J'ai constaté
après coup que le Baron de Crespy le Prince avait déjà connu, ou du moins soupçonné,
ces relations entre Foucquet et Robertet. A un certain endroit de sa nouvelle, il met en
scène le roi Louis XI, qui cause dans la plus grande intimité avec Jean Foucquet. Le roi
se préoccupe de bien loger son peintre favori et lui dit textuellement : " Je veux que tu
sois le mieux possible. Je donnerai moi-même un coup d'œil à ton appartement. Il sera
commode, spacieux. Tu pourras y recevoir à coucher ton ami Robertet et sa famille."
Comment le chef d'escadron d'état-major était-il ainsi éclairé sur certains points ?
Nous le savons par l'aveu même d'un érudit qui avait fourni des indications. Cet
érudit n'eft autre que le Comte AuguSte de Baftard d'EStang, amateur passionné des
manuscrits à miniatures, qui se consacra, pendant la majeure partie de sa vie, à l'entre-
prise d'une publication colossale, restée malheureusement inachevée, sur des Peintures
et Ornements des Manuscrits.*
C'e§t à ce Comte Auguste de BaStard que revient l'honneur d'avoir véritablement
remis en pleine lumière la supériorité du talent de Jean Foucquet. La mort avait frappé
le Baron de Crespy le Prince. Dès 1834, le Comte de BaStard reprit l'idée, qu'avait eue
celui-ci, de publier les miniatures au Josèphe. II ne put seulement qu'en donner six, dans
son grand ouvrage des Peintures et Ornements des Manuscrits, ■\ reproduites en couleurs,
d'une façon digne d'éloges, mais beaucoup trop coûteuse pour l'exécution.
Il se proposait cependant de publier l'œuvre entière du maître. Cette intention e§l
exprimée dans une lettre adressée à Paulin Paris, et que ce dernier a imprimée
en 1838^. Dans cette lettre, des plus remarquables, le Comte de Ba^tard apprécie la
valeur du maître de Tours, avec une clairvoyance et une sûreté de jugement qu'il a
fallu soixante ans pour faire définitivement triompher. "Digne précurseur de
Léonard de Vinci, d'Albert Durer, d'Holbein et de Raphaël, écrivait-il à Paulin
Paris, Foucquet prend un vol si élevé qu'on doit lui donner une place parmi ces
grands maîtres et le nommer désormais avec eux."
Après le Comte de Bavard et Paulin Paris, toute une pléiade d'érudits sont venus
tour à tour défendre et établir sur des bases de plus en plus solides la renommée de
Foucquet. Parmi eux, il convient de citer, en première ligne : pour la France, le
Marquis Léon de Laborde, membre de l'Inftitut, dont l'immense érudition se doublait
d'un esprit si pénétrant, père du Comte Alexandre de Laborde, lui aussi membre de
l'Institut, qui se consacre aujourd'hui avec tant de généreuse ardeur à la mission de
contribuer à faire mieux connaître les plus beaux manuscrits à peintures du monde
entier ; et, pour les pays autres que la France, G. F, Waagen, en qui nous devons
• Sur la vie et l'œuvre du Comte Auguste de Bavard, consulter : Léopold Delisle, Les Col-
leâions de BaSîard if Eaang à la Bibliothèque Nationale, Nogent-le-Rotrou, 1885, in-8°.
t L. Delisle, Les Colleâions de Bavard, p. 256, Nos. 255b à 257b, de l'énumcratlon des
planches exécutées, ou préparées, pour l'ouvrage du Comte de BaAard.
X Paulin Paris, Les Manuscrits français de la Bibliothèque du roi, Paris, 1836- 1848, 7 vol.
in-8°, tome 2 (1838), p. 261-268 et 292, pour ce qui concerne Jean Foucquet.
8
saluer, sur la question des œuvres de Foucquet, un des ouvriers de la première heure
s'étant montré le plus perspicace.
Cependant la pensée d'une publication générale des miniatures de Jean Foucquet,
qu'avaient caressée le Baron de Crespy le Prince et le Comte Auguste de Ba§tard, n'était
pas perdue de vue. L'éditeur Curmer reprit l'idée et acheva de faire paraître à Paris, en
1 866-1 867, deux volumes in-4% richement illustrés de chromolithographies en cou-
leurs, portant ce titre : rOeiwre de Jehan Foticqtiet.
Entre le moment où le Comte de Baêtard avait projeté de reproduire les peintures
de Foucquet et l'année où Curmer réalisa le projet, différents auteurs, en dehors du
Marquis Léon de Laborde et de Waagen, avaient parlé du Maître de Tours ; tels : le
Comte Horace de Viel-Caêtel, Vallet de Viriville, Charles Louandre, Ferdinand Denis,
Anatole de Montaiglon, Charles Blanc, Jules Labarte, etc. Peu à peu, le nom de Jean
Foucquet sortait de l'ombre. Il devint presque populaire lorsque l'rpparition de
l'ouvrage de Curmer eut suscité, dès le début de la publication, de nombreux et cha-
leureux commentaires. Saint René Taillandier, Paul de Saint- Viftor, Henry de Riancey,
ErneSt Chesneau, Edouard de Barthélémy, Philippe Burty, Odlave Lacroix, et jusqu'à
des critiques dramatiques, comme Jules Janin et Francisque Sarcey, employèrent leur
plume à célébrer, dans la presse périodique, la gloire du vieux maître français, dont ils
cherchèrent à faire revivre et à propager l'antique réputation. Plus tard, de nombreux
érudits ou historiens de l'art s'occupèrent à leur tour de Jean Foucquet ; Léopold
Delisle, dès 1 868, Paul Viollet, Charles de Grandmaison, Giraudet, Georges Duplessis,
Courajod, Henri Bouchot, Paul Le Prieur, Georges Lafeneêtre, F. A. Gruyer, Paul
Vitry, Jean-J. Marquer de Vasselot, Henry Yates Thompson, Sir George Warner, Mrs.
Mark Pattison (plus tard Lady Dilke), Georges Hulin De Loo, Max J. Friedlander,*
Wilhelm Lûbke,f Henry Martinrj: Emile Mâle,§ J. A. Herbert,|| bien d'autres encore,
dont la liste serait trop longue à donner ici au complet. Et tout en m'excusant de me
nommer moi-même, je me permettrai de rappeler que, depuis plus de trente ans, j'ai
consacré à Jean Foucquet, et à ce qui concerne la question de ses œuvres, toute une
série d'études et publications, parmi lesquelles deux importants volumes accompagnés
de planches hors texte en héliogravure.
Les divers écrivains qui se sont occupés de Foucquet se sont naturellement
attachés à relever les renseignements que les documents d'archives peuvent donner sur
le maître. Ceux-ci, malheureusement, se réduisent à un petit nombre de mentions,
pour la plupart très sommaires.
Jean Foucquet, nous l'avons vu par la note de Robertet à la fin du Josèphe, était
natif de Tours. De son enfance et de son éducation, nous ne savons rien par les textes.
En 181 8, Chalmel a formulé une hypothèse d'après la lettre de Francesco Florio qui
indique que Foucquet était jeune quand il peignit le portrait du pape Eugène IV.
• On trouvera la bibliographie détaillée des travaux ou des articles consacrés à Jean Foucquet
par les auteurs que je cite ici, depuis le Comte de Bavard, Paulin Paris, le Marquis de Laborde et
Waagen, jusqu'à Max Friedlander, dans mon grand volume sur Les Antiquités Judaïques et le peintre
"Jean Foucquet, p. il 9- 125.
t Geschichte der Renaissance in Frankreich, Stuttgard, 1886, in-8°, p. 9 et suiv.
% Les Miniaturises français, Paris, 1 906, in-8 °, et son récent travail sur Les Fouquet de Chantilly,
dont nous reparlerons plus loin.
§ L'art religieux de la fin du Moyen-âge en France, Paris, 1908, in- )."
Il llluminated Manuscripts, Londres (191 1), gr in-8°, p. 266 et 277 à 283 ; et planche xlii
Estimant que ledit portrait avait été exécuté en 1445, supposant d'autre part que
l'artiste pouvait avoir alors de 21 à 22 ans, Chalmel eSt arrivé à conclure que Foucquet
avait dû naître vers 1420. Cette supposition de Chalmel a été souvent répétée ; m.ais
on voit quel caraftère d'incertitude elle présente.
Ce qui reste certain, c'eSt que Foucquet a été à Rome, où il s'eSt rencontré avec
Filarete ; qu'il a été appelé à l'honneur de peindre dans la Ville Eternelle un portrait du
pape Eugène IV, qui a fait sensation par son caraftère de vérité et de vie; enfin, qu'au
moment où il fixait sur la toile les traits du Souverain Pontife, il était encore dans sa
jeunesse, "in ipsa adhuc juventa exiStens," suivant l'expression même de Francesco
Florio. Anatole de Montaiglon, dans un travail très bien fait, s'eSt efforcé de préciser
la date d'exécution de ce portrait d'Eugène IV. Il a démontré que l'œuvre n'avait pu
être peinte par Foucquet qu'entre 1443 et les premières semaines de 1447.*
Combien de temps Foucquet demeura-t-il en Italie ? A quelle époque revint-il en
France ? Nous l'ignorons complètement à l'heure présente. Pour retrouver, dans un
document écrit, la trace du maître, il nous faut franchir un intervalle de quatorze ans
depuis la mort d'Eugène IV et descendre jusqu'à l'an 1461.1
Le 22 juillet de cette année 1461, le roi Charles VII mourait près de Bourges.
Suivant les traditions de la Cour de France, il fallait exécuter une effigie du souverain
défunt. La tête du cadavre de Charles VII fut à cette intention moulée par un sculpteur
nommé Pierre de Hennés ou Hannes. Celui-ci s'en alla ensuite, avec son moulage, de
Bourges à Paris où, dit un texte d'archives, " il pensait trouver Foucquet le peintre."
La même année 1461, le successeur de Charles VII, le roi Louis XI, devait faire son
entrée à Tours. La ville se prépara à le recevoir dignement. On se préoccupa d'abord
de faire faire un dais pour abriter le roi. Foucquet fut appelé à donner son avis à ce
sujet et l'on se rangea à son opinion, qui était de faire le dais bleu, brodé au milieu d'un
soleil d'or contenant les armes royales et semé d'L couronnés, avec des parties en blanc
et rouge, des franges d'or et des anges aux quatre coins. On projeta aussi de célébrer
l'événement par des représentations théâtrales, " farces et mystères par personnages."
Trois artistes furent chargés de diriger les préparatifs : Foucquet, le sculpteur Pierre de
Hennés et un architefte nommé Simon Chouain. Ils se mirent à l'œuvre pour arrêter
" certains devis de chafauds (c'eSt-à dire, échaffauds ou eSlrades), myStères et farces à la
venue et entrée nouvelle du roy noStre sire." Mais le projet ne se réalisa pas. Pendant
que le roi était à Amboise, on eut l'idée de le faire consulter par le bailli de Tours et
messire Pierre Bérard, pour savoir s'il prendrait réellement plaisir à ces " fainctes et
miStères faiz en chafauds." A quoi Louis XI répondit, "que non, et qu'il n'y prenoit nul
plaisir." En conséquence, les préparatifs furent arrêtés. Il restait seulement à indem-
niser Foucquet et ses collaborateurs du temps qu'ils avaient déjà consacré à l'ouvrage ;
à cet effet, les échevins de Tours leur allouèrent, par délibération du 25 septembre,
1461, une somme de cent sols tournois. On remarquera que, dans les textes qui nous
ont transmis ces indications, notre artiste eSt simplement nommé : Foucquet le peintre.
* Anatole de Montaiglon, "Jean Foucquet et son portrait du pape Eugène IV, paru d'abord dans
les Archives de P Art français, 2ème série, t. 1 (Paris, 1861, in-S"), p. 454-468, et réimprimé dans
l'Œuvre de Jehan Foucquet, de Curmer, t. 2, p. 27-37.
t Pour l'origine individuelle de chacun des documents d'archives qui vont être cités et analysés
dans ce qui suit, se reporter à mon livre sur Lts Antiquités Judaïques et le peintre Jean Foucquet,
p. 87-89.
10
Ce n'eSl donc pas avant le cours du règne de Louis XI qu'il reçut ce titre de peintre
du roi, dont nous allons le voir paré ultérieurement.
Par ordonnance royale du ler août 1469, Louis XI institua l'Ordre de Saint-
Michel. Cette création entraîna l'exécution de plusieurs morceaux de peinture.
L'un d'eux eSt une miniature placée en tête d'un exemplaire des Statuts de l'Ordre dont
nous reparlerons au chapitre suivant. Les autres consistaient en tableaux. Ces tableaux,
qui ne sont malheureusement pas autrement précisés, furent exécutés par Jean Fouc-
quet. On lit, en effet, dans le compte de maître André Briçonnet, pour treize mois
entiers commençant le ler ofiobre 1470, la mention suivante: "A Jehan Foucquet,
peintre, la somme de LV livres tournois pour XL escuz d'or, laquelle le roy noftredit
seigneur lui a ordonné et fait bailler comptant, le XXVL jour dudict mois de décembre,
sur ce qu'il luy pourra e§tre deu pour la façon de certains tableaux que ledit seigneur
lui a chargez faire pour servir aux chevaliers de l'Ordre de Saint-Michel, nouvellement
prinse par iceluy seigneur, pour ceci L.V., It."
Dans le cours de cette année 1469, qui vit la création de l'Ordre de Saint-Michel,
un document nous montre Foucquet à Tours, prenant part, le 4 oftobre, à une sorte de
réunion générale des bourgeois de la ville.
En 1472, Foucquet fut chargé par la duchesse d'Orléans, Marie de Clèves, veuve
de Charles d'Orléans, le poète, de faire " certaines hiftoires, tourneure et enlumineure
d'or et d'azur en unes Heures," autrement dit d'exécuter pour elle un livre d'Heures
avec miniatures. Pour s'entendre avec la princesse à ce sujet, Foucquet dut aller de
Tours à Blois ; et pour sa peine la duchesse lui alloua 110 sous tournois, qui furent
payés au peintre le 20 juillet 1472.
S'il faut en croire un document qui se serait trouvé jadis dans la colleftion
Benjamin Fillon, Foucquet, avant le jour de la Pentecôte 1474, aurait encore peint et
doré un autre livre d'Heures pour un personnage refté à juSte titre célèbre, Philippe de
Commines. Pour son salaire, il aurait reçu 23 écus, dont 16 payés le 29 mai 1474, et le
solde plus tard.
Malheureusement, il n'eSt pas du tout certain que le document de Benjamin
Fillon ait réellement existé. En tout cas, il a disparu sans laisser de traces. On doit
vivement le regretter, car parmi les livres d'Heures que j 'énumérerai dans mon second
chapitre, et qui me semblent contenir des miniatures de Foucquet ou de son atelier, il
en e§t un qui, sur une de ses peintures, pourrait bien montrer le blason de Philippe de
Commines, ce qui serait en harmonie avec l'hypothétique document.
Certains auteurs prétendent que Foucquet aurait exécuté aussi un livre d'Heures
pour Jean Moreau, valet de chambre de Louis XI et bourgeois de Tours. Mais cette
assertion doit être rejetée, car elle repose sur une fausse interprétation de la pièce que
Benjamin Fillon affirmait posséder et qui se serait rapportée au livre d'Heures deStiné
à Philippe de Commines.
En 1474, nous retrouvons Foucquet en relations avec Louis XI. Ce roi fut très
préoccupé de préparer de son vivant le tombeau qui devrait un jour recevoir sa
dépouille mortelle. Il demanda des projets à trois arrives, au sculpteur Michel Colombe,
à notre Foucquet, et à un autre peintre, également très célèbre en son temps. Colin
d'Amiens. Un compte de l'année 1474 nous apprend, à ce sujet, que Colombe avait
fait, pour la tombe du roi, un petit modèle ou patron " taillé en pierre " et que " Jehan
Foucquet, peintre à Tours," reçut 22 livres " pour avoir tiré et peint sur parchemin
un autre patron pour semblable cause."
II
C'eft vers cette même date que Foucquet paraît être entré définitivement dans la
Maison du Roi. En effet, le compte de 1474 l'appelle encore simplement : peintre à
Tours, tandis qu'en 1475, d'autres comptes royaux portent cet article: "A Jehan
Foucquet, peintre du roy, pour entretenir son eftat." Ce titre officiel de peintre du roi,
mentionné dans le compte de 1475, corrobore l'indication semblable donnée par la
note, que nous avons transcrite au début de ce chapitre, du Josèphe de la Bibliothèque
Nationale.
En 1476, Foucquet fit pour la ville de Tours un dais qui servit à l'entrée solennelle
d'Alphonse V, roi de Portugal, et reçut de ce chef, au mois de septembre, en payement
de son travail, 12 livres tournois.
En 1477, Francesco Florio parle de Foucquet comme d'un maître encore vivant.
Mais le 8 novembre 1481, l'artifte était mort ; car un aveu, rendu à cette date par le
chambrier de la collégiale de Saint-Martin de Tours au trésorier de cette collégiale,
mentionne seulement : " la veufve et héritiers de feu Jehan Foucquet, peintre."
Jean Foucquet laissait deux fils, Louis et François, qui, eux aussi, s'adonnèrent à
l'art de lapeinture. Mais d'après le témoignage de ce Jean Brèche, avocat de Tours, dont
i 'ai parlé plus haut, ces deux fils paraissent n'avoir eu qu'un talent médiocre. D'ailleurs,
on ne sait absolument rien de certain sur eux ; et si l'on a parfois proposé de reconnaître
François Foucquet dans un certain " egregius piftor Franciscus," cité dans une lettre
de l'écrivain Robert Gaguin, datée de 1473, cette assimilation n'a que la valeur d'une
pure hypothèse, et d'une hypothèse qui, je l'avoue, me paraît très hasardeuse.
En dehors des pièces d'archives, il nous refte, comme document relatif à Foucquet,
la note de François Robertet, inscrite à la fin du tome i du Josèphe. Cette note atteste
que c'eSl Jean Foucquet qui a complété l'illustration du volume. D'autre part, ce
travail d'achèvement a été fait pour Jacques d'Armagnac, duc de Nemours. Foucquet
a donc été employé sûrement par ce prince, qui fut grand amateur de manuscrits à
peintures et en avait réuni une admirable colleftion.*
Jacques d'Armagnac, né en 1433, titré duc de Nemours en 1465, eut un deSlin
tragique. En 1476, le roi Louis XI le fit arrêter au château de Cariât, conduire prison-
nier à Vienne en Dauphiné, puis au château de Pierre- Encise et finalement à la Babille.
Traduit devant le Parlement de Paris, le malheureux prince fut condamné à mort
comme rebelle et décapité le 4 août 1477. Par conséquent, si Foucquet a travaillé pour
le duc Jacques de Nemours, comme le fait eSt certain, ce ne peut être qu'avant l'époque
où commença, en 1476, la ruine du duc Jacques.
Ici s'arrêtent les indications que nous donnent les documents contemporains ou
les textes remontant à une date encore relativement voisine de l'époque oià a vécu Jean
Foucquet.
On a tenté de compléter cette biographie par inductions et hypothèses. Les
hypothèses, quand elles ont un point de départ sérieux et qu'elles sont déduites avec
logique, sont licites. Mais il faut avoir soin de les donner pour ce qu'elles sont, et de ne
pas se laisser entraîner trop facilement à prendre pour vérités démontrées ce qui
n'eSt encore qu'hypothèse.
Or, l'imagination de certains auteurs, en ce qui touche à Jean Foucquet, a été
parfois un peu plus loin qu'il ne convenait et la légende eSl venue se mêler à l'histoire
réelle, f
• P. Durrieu, Les antiquités yuddiques, p. 13-14.
t P. Durrieu, La légende et l'hi^oire de Jean Foucquet, Paris, 1907, in-8° (extrait de V Annuaire
— Bulletin de la Société de l'HiSloire de France).
12
Ainsi, la plupart de ceux qui ont prétendu raconter la vie de l'artiSte de Tours ont
accordé, dans leurs récits, une place de premier plan à un haut fonctionnaire de l'époque,
Etienne Chevalier. Etienne Chevalier aurait été le principal protefteur de Foucquet,
devenu, a-t-on écrit, " son maître préféré." En réalité, ce rôle attribué à Etienne
Chevalier n'eSt attesté par aucun document écrit du temps. Etienne Chevalier a bien
possédé un superbe livre d'Heures, sur lequel nous aurons à revenir, et dont il paraît
très probable— en ce qui me concerne, je n'hésite pas à dire : indubitable, quoiqu'il n'y
ait pas à cet égard de preuve formelle — que les miniatures ont été peintes par Foucquet.
|e crois aussi, quoique toujours sans preuve documentaire, qu'un portrait d'Etienne
Chevalier, de grandeur naturelle, aujourd'hui au Musée de Berlin, eét de la main de
Foucquet. Foucquet paraît donc bien avoir compté effeftivement Etienne Chevalier
parmi ses clients. Mais, pour faire de ce dernier le grand protefteur de Foucquet, on
s'est appuyé sur cet autre argument, donné comme péremptoire, que .^oucquet, en
dehors du livre d'Heures, aurait encore illustré de miniatures pour Etienne Chevalier
un célèbre manuscrit de Boccace conservé à Munich. Or, j'ai démontré que le Boccace de
Munich n'avait été aucunement exécuté pour Etienne Chevalier, mais bien pour un
personnage différent : le contrôleur des finances Laurens Gyrard. Cela diminue
singulièrement la valeur scientifique des théories échaffaudées relativement à l'ampleur
des rapports de Foucquet avec Etienne Chevalier.
15
II
L'ENSExMBLE DES MINIATURES CERTAINEMENT PEINTES PAR JEAN
FOUCQUET, OU QUI PEUVENT LUI ÊTRE ATTRIBUEES AVEC GRANDE
VRAISEMBLANCE
Les œuvres auxquelles on a successivement proposé d'attacher le nom de Jean
Foucquet, comme étant leur auteur, comprennent des miniatures de manuscrits, des
tableaux sur panneaux, des dessins et des émaux. Pour ne pas surcharger le présent
volume, je laisserai de côté les tableaux, les dessins et les émaux, me permettant de
renvoyer le ledeur qui voudrait être plus informé à ce que j'ai eu l'occasion d'imprimer
ailleurs.* Je me contenterai d'envisager les miniatures de manuscrits.
En réalité, il n'y a qu'une seule série de miniatures qui puisse être donnée à
Foucquet d'une façon absolument certaine, sur la foi d'un document. Ce sont les
miniatures, de grande proportion, contenues dans le tome let du Josèpbe de la Biblio-
thèque Nationale et authentiquées pas la note de François Robertet.
Je rappellerai brièvement que ce Josèpbe comprenait deux volumes, copiés
originairement pour le duc Jean de Berry et passés ensuite par héritage à l'arrière-petit-
fils du duc de Berry : Jacques d'Armagnac, duc de Nemours. Lors de la chute du duc
de Nemours en 1476, suivie de sa mort tragique en 1477, sa bibliothèque f^* dispersée.
Le tome ler ànjosèphe passa à la fille du roi Louis XI et au mari de cette fille, Pierre II,
duc de Bourbon. En 1522 ou 1523, époque de la confiscation des biens du connétable
de Bourbon, il entra dans les collerions de la Couronne de France, d'où, dès lors, il
n'eSl plus sorti. Quant au tome 2, il paraît avoir été séparé du tome ler, au temps même
de la ruine et de la mort du duc Jacques de Nemours.
En 1 7 5 o ou 1 7 5 6 (le dernier chiffre d'une note manuscrite qui donne cette indica-
tion étant douteux) il se trouvait passé à Londres dans une certaine bibliothèque
Palmer. En 18 14, on le revoit, toujours à Londres, inscrit dans le catalogue de la
vente Towneley, où il figure sous le N° 8 8 8 . A cette date, le manuscrit était encore orné
de plusieurs miniatures. Puis, nouvelle éclipse de près de quatre-vingt-dix ans jusqu'en
1903, où M. Henry Yates Thompson eut le mérite de reconnaître, et la bonne fortune
d'acquérir le volume dans une vente faite, toujours à Londres, du 16 au 21 mars 1903.
A ce moment, le manuscrit ne renfermait plus qu'une seule miniature placée au début
du texte et de la même dimension que les images du tome i er. Un examen attentif permit
de reconnaître que douze feuillets avaient été coupés, pris chacun à un endroit où une
division du texte appelait la présence d'une illustration. Des recherches furent entre-
prises et, en 1905, le savant conservateur au Musée Britannique, qui e§t devenu Sir
George Warner, correspondant de l'InSitut de France, découvrit dix de ces feuillets au
château de Windsor, dans les colleftions du roi d'Angleterre.
S. M. le Roi Edouard VII voulut bien se prêter alors à une combinaison, à laquelle
acquiesça de son côté M. Henry Yates Thompson. Les dix feuillets retrouvés à
Windsor furent réintégrés dans le volume acquis par M. H, Yates Thompson en 1903,
et, le 4 mars 1906, S. M. le roi d'Angleterre vint en personne à Paris offrir le manuscrit,
ainsi restauré, à la nation française.
• Les Antiquités Judaïques et le peintre Jean Foucquet, p. 104- 107 -, et chapitre sur La Peinture
en France de 1 422 à 1 589, fourni par moi à fHiaoire de l'Art, publiée sous la direftion de M. André
Michel, t. 2, 2ème partie (Paris 191 1, gr., in-8°), p. 723-730.
14
Ces faits sont connus et je les ai exposés ailleurs plus en détail.* Mais je crois
devoir les rappeler comme un jufte hommage rendu à une généreuse libéralité de
l'Angleterre envers la France.
Dans le tome 2, désormais réuni au tome ler à la Bibliothèque Nationale de
Paris, f après une séparation de plusieurs siècles, seule la miniature initiale, qui eft de
grande dimension, peut être donnée à Jean Foucquet, par confrontation avec les
peintures du tome ler qu'authentique la note de Robertet. Les autres miniatures,
beaucoup plus petites de format, sont l'œuvre d'un collaborateur, s'efforçant de se
rapprocher de la manière de Foucquet, mais bien diSlinft de lui. :|:
Ce n'e^ pas ici le lieu de m'attarder à examiner, en détail, les peintures de
Foucquet dans le Josèphe. J'y signalerai seulement un seul point qui offre cet intérêt
de se rattacher à un des rares épisodes connus de la vie du maître. C'eSt ceci qu'on y ren-
contre des souvenirs du voyage fait par Jean Foucquet en Italie et des monuments
qu'il avait pu y voir de ses yeux. Ainsi, dans la miniature initiale du livre XIV de
/o/^jôZ'^, Foucquet, ayant à représenter l'intérieur du Temple de Jérusalem, y a introduit
la reproduction des fameuses Columnce vitinea^ qui se trouvaient de longue date dans
l'antique Basilique de Saint-Pierre à Rome, passant, suivant la tradition, pour provenir
effeftivement du Temple de Jérusalem, et qui, dans la suite des temps, ont ser\à de
modèle au Bernin lorsqu'il imagina le gigantesque baldaquin de bronze qui surmonte,
depuis le dix-septième siècle, l'autel papal, dans la basilique aftuelle de Saint Pierre.||
Pour une miniature peinte dans un autre manuscrit, nous avons, je ne dis pas une
attestation formelle comme pour \&]osèphe, mais du moins une sorte de commencement
de preuve par écrit.
Un des documents d'archives cités plus haut nous montre Jean Foucquet employé
par le roi Louis XI pour des travaux concernant l'Ordre de Saint-Michel, que le
monarque avait créé par ordonnance du ler août 1469. Le document en question parle
de " tableaux," Mais l'ordonnance de création prescrivait au greffier de l'Ordre, de
faire exécuter pour le roi un exemplaire des Statuts de l'Ordre, illustré d'une " histoire,"
c'eSt-à-dire d'une miniature, représentant le roi entouré des quinze premiers chevaliers
nommés. J'ai retrouvé cet exemplaire de Louis XI à la Bibliothèque Nationale de
Paris, ms. français 198 19. En tête apparaît une admirable miniature représentant le roi
tenant un chapitre de l'Ordre de Saint-Michel, entouré des premiers chevaliers et des
quatre officiers de l'Ordre, et cette miniature, qui a la valeur d'un précieux tableau
historique, offre, sous le rapport du Style et de l'exécution, de si frappantes analogies
avec les peintures de Foucquet dans le Josèphe qu'on ne peut pas hésiter à y reconnaître
• P. Durrieu, Les antiquités Judaïques et le peintre "Jean Foucquet, p. 20-21.
t II y con^itue maintenant le N" 21013 du fonds français des nouvelles acquisitions.
X Toutes les miniatures du Josèphe en queAion ont été reproduites, en héliogravures et de
grandeur exafte, dans mon livre sur les Antiquités Judaïques et le peintre Jean Foucquet. Mon si
érudit confrère et ami Henri Omont les a également publiées (en réduction pour les grandes peintures)
dans un album in-8° de 25 planches en phototypies, exécutées par la maison Berthaud Frères. Celles
du tome 1er avaient été antérieurement données en chromolithographies (avec forte réduction) dans
l'Oeuvre de Jehan Foucquet de Curmer.
§ Ainsi appelées parce que, dans leur ornementation, on voit sculptés des pampres de vigne (en
latin : vitis), au milieu desquels se jouent des petits génies nus et ailés.
Il Cf. Durrieu, Les Antiquités Judaïques et le peintre Jean Foucquet, p. 35.
15
la main de Jean Foucquet.* Cette page se rattache donc à la participation que Foucquet
a prise, en qualité de peintre, à l'organisation matérielle de l'Ordre de Saint-Michel.
C'était le greffier de l'Ordre qui avait dû, forcément, d'après ses fonctions, se
mettre alors en rapport avec Foucquet. Ce greffier était Jean Robertet, père de François
Robertet, auteur de la note du Josèphe ; nous touchons ainsi à une particularité qui se
révèle à nous, et à laquelle j'ai déjà fait allusion, de la vie de Foucquet : l'exiftence de
relations entre lui et la famille des Robertet. A l'arrière plan de la peinture des Statuts
de l'Ordre, Foucquet a placé un petit portrait, plein de vie et d'expression, de Jean
Robertet. Celui-ci était digne d'ailleurs d'être lié avec Foucquet. Il n'était pas seule-
ment un lettré, qui correspondait avec les beaux esprits de son temps, c'était encore un
amateur de peintures, suivant le mouvement des arts jusqu'en dehors des limites de la
France, et sachant apprécier à leur valeur Roger Van der Weyden et le Pérugin.
Une dernière considération achève de donner un prix particulier à la page initiale
des Statuts de Saint-Michel peinte pour Louis XI. Forcément postérieure à l'ordon-
nance de création de l'Ordre, qui eft du ler août 1469, elle a été terminée assez tôt pour
qu'on ait pu en faire une copie avant le 20 mai 1 472. f Ceci nous donne, pour l'exécution
de la précieuse miniature, une limite de date comprise dans un écart de moins de
trois ans.
Pour aller au delà du Josèphe et de la miniature initiale des Statuts de l'Ordre de
Saint-Michel, nous n'avons plus le fil conduéleur d'un rapprochement à établir avec un
texte écrit. Il faut recourir à la voie de la méthode comparative, se pénétrer, par une
longue et minutieuse étude, de toutes les particularités de ftyle et des moindres
procédés de fafture propres à Jean Foucquet dans ses œuvres certaines, et rechercher
ensuite, au moyen de ces données acquises, s'il n'y a pas d'autres miniatures dans
lesquelles on puisse constater rigoureusement l'application des mêmes principes et
procédés.
Cette méthode comparative n'a rien d'illégitime. Si l'on scrute les choses un peu
à fond, on reconnaîtra qu'elle eft, en somme, le fondement d'une très grande part des
attributions qui sont acceptées pour les tableaux anciens, dans les musées et les plus
riches collerions particulières. Ce n'eS pas autrement, par exemple, que, vers la fin du
XVIIIème siècle, on s'eSt accordé à attacher le nom de Raphaël à un tableau qui venait
seulement alors d'émerger de l'ombre, non signé, sur lequel on n'avait aucun document
antérieur, et qui cependant e§t considéré aujourd'hui dans tout l'univers comme une
des créations les plus indéniables du maître d'Urbin : la " Vierge du Grand Duc " du
Palais Pitti.
Pour les miniatures de Foucquet, un piège e§t à éviter. Le talent exceptionnel du
" bon peintre du roi Louis XI " a suscité de nombreuses imitations de ses créations,
imitations poussées parfois jusqu'à de véritables démarquages. J'ai vu un jour, par
exemple, chez un libraire de Paris, un manuscrit du tome ler des Ant/qtiite's Judaïques de
* Pour plus de détails, voir P. Durrieu, Une peinture htfîorique de Jean Foucquet, Paris, 1891,
in-4°, avec planche (extrait de la Gazette archéologique, année 1890) ; du même, les Antiquités
Judaïques, etc., p. 98-99 et planche XIX; du même, Les Manuscrits des Statuts de l'Ordre de Saint-
Michel, Paris, 191 1, in-4°, extrait du Bulletin de la Société française de reproduâions de manuscrits d
peintures, lère année, p. 18-20, et planche I.
f En effet, la copie en question a été exécutée pour le frère de Louis XI, Charles de France, duc
de Guyenne, lequel e^ mort le 20 mai 1472 (Cf. P. Durrieu, Une peinture hiilorique de Jean
Foucquet, et Les Manuscrits des Statuts de l'Ordre dt Saint-Michel, planche II).
16
Josèphe, dont toutes les miniatures, peintes auXVème siècle, étaient, bien que relative-
ment assez médiocres, des copies flagrantes des chefs d'œuvre contenus dans le
Josèphe de la Bibliothèque Nationale. Mais si des imitateurs se sont souvent inspirés
des œuvres de Foucquet, ils n'ont pas pu s'assimiler entièrement ses qualités d'exécu-
tion, marquées au sceau d'une grande personnalité.
Chez Jean Foucquet, nous pouvons retenir, comme traits dominants, un art
d'imaginer des compositions, d'en grouper les adeurs, de disposer des tableaux, en
particulier des tableaux de batailles pleins d'animation, poussé à un degré de maîtrise
que les plagiaires n'ont pas égalé ; une science consommée de la perspeftive ; un
sentiment exquis du paysage ; une connaissance digne d'un technicien dans le rendu des
morceaux d'architefture. Ses personnages sont élégants, mais simples et naturels dans
leurs geSles. Leurs visages très fins, variés, et remplis d'expression, peuvent justifier,
malgré la petitesse relative des proportions, les éloges que Francesco Florio accordait
à Foucquet, considéré comme portraitiste. La fadure eft légère, spirituelle. Le maître
de Tours procède par petites touches, habilement jetées, mais se fondant dans un
modèle savant qui satisfait pleinement l'œil le plus exigeant. Pour accentuer des
détails, rendre le mœlleux des plis dans les étoffes, Foucquet fait un très grand usage de
hachures d'or. Ces hachures sont aussi employées par lui pour faire apparaître, aux
arrières plans, en quelques coups de pinceau, des figurines traitées comme des espèces
de camaïeux, sur un fond brun ou quelquefois bleu.
La supériorité du maître éclate encore dans le coloris, tantôt brillant et gai, tantôt
se maintenant dans une gamme plus sombre de tons fauves ou brunâtres, mais toujours
d'une rare harmonie dans l'ensemble. Très en avance à cet égard sur son temps,
Foucquet sait rendre les jeux de l'atmosphère et de l'atmosphère propre à la France, de
cette lumière moins brillante que celle d'Italie, faisant moins vibrer les tons que l'air
plus humide de la Flandre ou de la Hollande, mais si délicate dans ses demi-teintes et
que des brumes légères rendent encore plus séduisante.
Parmi les couleurs qu'affeftionne Foucquet, il convient de noter spécialement un
beau bleu, de " fin azur " comme disent les textes du Moyen-Age. Ce bleu e§l employé
en particulier pour la peinture des ciels, qui dominent les paysages, d'une valeur
soutenue à la partie supérieure, et se dégradent peu à peu en descendant, de façon à
arriver presque à un blanc bleuâtre sur la ligne d'horizon. Chez Foucquet, quand la
scène se déroule en plein air, le ciel a toujours le beau bleu profond com/Ne note dominante.
C'est là ce qui ressort de l'ensemble de toutes les constatations pouvant être faites, et
qu'il convient de signaler comme un important élément de critique.
En faisant état de toutes ces considérations, il eSt certains manuscrits, dans lesquels
on a proposé jadis de reconnaître des peintures de la main même de Jean Foucquet,
qu'il faut délibérément écarter de notre chemin comme ne répondant pas, en ce qui
concerne leurs miniatures, aux données voulues. C'eSt le cas, par exemple, pour deux
exemplaires de la traduftion française de Tite-Live par Pierre Bersuire, tous deux à
la Bibliothèque Nationale de Paris, le Tite-h,ive dit de la Sorbonne ou de Kochechouart* et le
Tite-Live dit de Versailles.'\ Ces deux manuscrits sont très beaux ; la majeure partie de
• MSS. français 2007 1 et 20072. Voir sur ce manuscrit: P. Yi\irntu,\e.Tite-Live de la Sorhonnt
et le Forum romain. Paris, 1 9 1 3, in-4°, avec planches, extrait du tome XXI des Monuments et mémoires
de la Fondation Piof, publiés par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
t MSS. français 273 &274. J'ai donné quatre des images de ce volume, en héliogravures, dans
mes yfntiguités Judaïques, p. 25. La série entière vient d'être publiée en phototypies, par les soins
de M. H. Omont, dans un album in-8 % éditée chez Catala Frères (ancienne maison Berthaud Frères).
17
leurs miniatures, surtout dans le Ti/e-L/pe de la Sorhontie, trahissent une influence très
accentuée des œuvres de Foucquet ; cependant la fafture n'eSt pas celle du bon peintre
de Louis XI et, en outre, dans le Tite-Live de Versailles nous rencontrons constamment,
pour le rendu du ciel dans les paysages, un gris-violacé tout différent du beau bleu des
ciels de Foucquet.
Tel eSl le cas aussi, quoique nous ayons là plus que des imitations, de vrais
" pastiches " de Jean Foucquet, pour quelques miniatures très jolies et très fines, qui se
rencontrent, mélangées à quantité d'autres images de mains différentes, dans les
Heures de Louis de Laval (ms. latin 920 de la Bibliothèque Nationale).
N'a-t-on même pas été jusqu'à vouloir donner à Jean Foucquet des peintures de
manuscrits qui datent seulement du XVIème siècle,* très postérieures par conséquent
à la mort du maître 1
Après avoir préalablement mis hors de cause ce qui n'a été attribué qu'à tort à
Jean Foucquet, il reSte une remarque générale à faire sur les suites plus ou moins
nombreuses de miniatures de manuscrits, où tout eSt bien d'accord avec ce que la
critique vient révéler du Style et des procédés propres au maître.
Dans plusieurs de mes publications antérieures, je suis revenu à diverses reprises
sur ce fait, attesté par des documents d'archives, que, en France, au XlVème et au
XVème siècles, les artistes qui parvenaient à la notoriété, peintres et enlumineurs de
manuscrits, avaient auprès d'eux, pour les seconder, des auxiliaires et des élèves, des
" varlets," des " apprentis " disait-on en français, des " famuli " écrivait-on en latin.
Un miniaturiste en vue ne se bornait pas à travailler de sa propre main ; c'était encore
un chef d'atelier dirigeant de haut une besogne dont il laissait une partie plus ou moins
importante à ses aides, opérant sous son inspiration. J'ai comparé le cas de ces artistes
chefs d'atelier à celui d'un Raphaël au XVIème siècle, d'un Rubens au XVIIème. Eux
aussi étaient entourés d'un cortège d'élèves et de collaborateurs, et dans la série des
créations auxquelles on attache leurs noms glorieux, les " Loges " du Vatican pour
Raphaël, la " Galerie de Marie de Médicis " autrefois au Luxembourg, aujourd'hui
au Musée du Louvre, pour Rubens, il y a bien des parties auxquelles ni Raphaël ni
Rubens n'ont pas touché personnellement de leurs propres pinceaux.
Jean Foucquet a très certainement suivi l'habitude de son temps et qui devait se
perpétuer plus tard. Dans les manuscrits à peintures auxquels il a prêté son concours,
on rencontre, à côté de pages d'un ordre tout à fait supérieur, des morceaux moins bien
réussis, moins soignés, d'un faire plus lâché. Ce sont évidemment de simples pro-
dudions d'atelier, mais des produftions d'atelier dérivant direftement du maître, qui
reflètent ses principes individuels, reproduisent l'esprit de ses compositions, ses notes
de coloris, ses types de persormages, sa façon de modeler les détails par hachures d'or,
etc., etc.
Tout en recormaissant que ces productions d'atelier n'ont qu'une valeur relative-
ment secondaire, par rapport aux purs originaux, il convient malgré tout de ne pas les
distraire de l'ensemble de l'œuvre du maître, de la même façon que nous continuons à
faire toujours honneur à Raphaël des " Loges " du Vatican et à Rubens de la totalité de
la " Galerie de Marie de Médicis," encore que nous sachions parfaitement quelle part
y revient à l'intervention de collaborateurs divers.
• Sur ces miniatures indûment attribuées à Jean Foucquet, voir mes antiquités "Judaïques,
p. 103, note 6.
18
Après plus d'un tiers de siècle de recherches et d'études critiques effeûués à
peu près dans toute l'Europe, voici à quels résultats je crois être arrivé en ce qui con-
cerne la détermination des manuscrits dans lesquels Jean Foucquet a peint un plus ou
moins grand nombre de miniatures.
Ces manuscrits peuvent se partager en deux catégories, d'une part les volumes
qui renferment des textes d'ouvrages profanes; d'autre part, les Livres d'Heures.
MANUSCRITS D'OUVRAGES PROFANES (en sus bien entendu du
Josèphe de la Bibliothèque Nationale et de l'exemplaire peint pour Louis XI des
Statuts de l'Ordre de Saint-Michel) :
I. BOCCACE DE MUNICH*
Ce manuscrit, de format grand in-folio, renferme l'adaptation en français, par
Laurent de Premierfait, du traité hiJtorico-philosophique de Boccace : Des cas des
nobles hommes et femmes. Il eS conservé à la Bibliothèque d'Etat de Munich (Codex
Gallicus 6 ; ou aussi, 369) et déjà en 1628, il appartenait à la Maison de Bavière. Le
texte en a été achevé de copier le 24 novembre 1458 a Auber\àlliers, dans la banlieue de
Paris, et tout le volume, miniatures comprises, a été exécuté, ainsi que je l'ai péremp-
toirement démontré, non pas, cormne on l'a dit très longtemps par erreur, pour
Etienne Chevalier, mais bien pour Maître Laurens Gyrard, notaire et secrétaire du roi
Charles VII, nommé le 5 janvier 145 3 contrôleur de la recette générale des finances et
ayant conservé sous Louis XI un rang élevé dans l'adininiStration financière du roy-
aume. Dans les miniatures et les enluminures mêmes du volume apparaissent, datant de
l'origine, et sans aucune retouche ultérieure, le nom de Laurens Gyrard, plusieurs fois
répété en forme d'anagramme : SUR LY N'A REGARD, et ses initiales L.G.
Le manuscrit s'ouvre par une miniature à pleine page, représentant le roi Charles
VII présidant le Lit de Juftice qui fut tenu à Vendôme en 145 8, pour le jugement du
duc d'Alençon, merveilleux tableau d'hi^oire aux nombreux personnages, qui fut
autrefois attribué à Van Eyck {sic !), avant que le Marquis de Laborde, dès 1840, et
Waagen en aient très légitimement restitué l'honneur à Jean Foucquet. f Le Boccace
de Munich renferme encore quatre-vingt-dix autres miniatures, dont neuf grandes et
quatre -vingt-une petites. Les neuf grandes sont assez belles pour être données aussi à
Foucquet. On peut porter un jugement analogue sur une certaine partie des petites,
traitées avec une délicatesse exceptionnelle et une science consommée de l'art du
paysage. D'autres sont sensiblement plus faibles, quelques unes même médiocres.
Mais tout l'ensemble, s'il n'e§t pas toujours de la main de Foucquet, e§t trop homogène
pour ne pas avoir été exécuté dans l'ateher du maître, et sous sa haute diredlion.
De tous les manuscrits que l'on peut croire avoir été illustrés dans l'ateher de
Foucquet, le Boccace de Munich e§t celui où l'on rencontre la plus forte proportion de
souvenirs de l'Italie, et de représentations d'aspedls variés de cette Rom^e du XVème
* Pour tout ce qui concerne ce manuscrit, au sujet duquel bien des erreursont jadis été imprimées,
voir Cte. Paul Durrieu, Le Boccace de Munich, Paris et Munich; 1910, grand in-4% avec 28 planches
hors texte, reproduisant la totalité des 91 miniatures illustrant le volume.
t J'ai moi-même publié deux fois, en héliogravures, cette admirable page initiale, dans mes
Jntiquités Judaïques, ^\. XXll ttàznsmon Boccace de Munich, p\. I. Des reproduftions en couleurs
en ont été aussi données en 1 866 par Curmer dans /'Oeuvre de Jehan Foucquet (en proportions beau-
coup trop réduites), et en 1920 (grandeur réelle) par le Dr. George Leidinger, Meiilerwerke der
Buchmalerei, Munich (Miinchen), grand in-folio, pi. 35
19
siècle où Foucquet alla peindre son portrait du pape Eugène IV. Des impressions
rapportées d'Italie se révèlent jusque dans le choix des coutumes pour les person-
nages.
IL GRANDES CHRONIQUES DE FRANCE
Ce manuscrit, de format in-folio, écrit sur deux colonnes, constitue le manuscrit
français 6465 de la Bibliothèque Nationale. Il renferme aftucllement cinquante et une
miniatures. De ces miniatures, cinquante sont placées dans une des colonnes du texte
et mesurent en moyenne 105 millimètres de largeur. Une cinquante et unième occupe
une largeur égale aux deux colonnes réunies.*
L'origine de ce très beau manuscrit eSt malheureusement inconnue. Peut-être y
avait-il une marque de provenance sur le premier feuillet du volume ; mais ce premier
feuillet a été enlevé avant l'entrée du livre dans la Bibliothèque du roi.
Les miniatures qui ornent ce manuscrit sont de la plus haute qualité. Dès 1837 ou
1838 au plus tard, le Comte AuguSte de Bavard avait proposé d'y reconnaître la main
de Jean Foucquet. Cette opinion me semble pleinement juftifîée. On y rencontre des
vues de Paris et de Tours traitées dans un sentiment de vérité parfaite. Mais une des
miniatures mérite surtout l'attention. Lorsque Jean Foucquet séjourna à Rome, il put
encore y contempler, debout, l'antique Basilique ConSlantinienne de Saint-Pierre, qui
devait être ultérieurement démolie pour faire place au moderne Saint-Pierre de Rome.
Or, Foucquet ayant à représenter le couronnement de Charlemagne, a placé la scène —
ce qui e§t d'ailleurs conforme à la vérité historique — dans l'intérieur du primitif Saint-
Pierre de Rome. J'ai pu montrer, par le rapprochement avec des dessins anciens et des
plans, que cette vue de l'intérieur de la Basilique ConStantinienne eSt d'une parfaite
exadlitude et qu'ainsi nous avons en elle, grâce au " bon peintre du roi Louis XI," un
document archéologique de premier ordref sur un des édifices les plus vénérables, et
aujourd'hui disparu, de la Chrétienté.
III. L'ESTRIF (c'eft-à-dire : le débat) DE VERTU ET FORTUNE
Manuscrit de format analogue au grand in-4°, ayant appartenu jusque vers la fin
du XVIIIème siècle à l'abbaye de Saint Germain des Prés, à Paris, passé ultérieurement,
après le vol de 1 79 1 , dans la colleftion de Dubrowski , puis à la Bibliothèque Impériale de
Saint Petersbourg (manuscrit 5.3.53). En tête du volume eSt une grande et très
belle miniature, montrant, en présence l'une de l'autre, les figures allégoriques de la
Vertu et de la Fortune. J'ai été le premier à signaler que cette page pouvait être re-
stituée à Foucquet, d'après les analogies frappantes de Style et de fadure qu'elle offre
avec les peintures authentiques an Josèphe.X Elle était reStée totalement ignorée, avant
moi, de tous les auteurs qui se sont occupés de Jean Foucquet.
• J'ai reproduit cette grande miniature, en héliogravure et en dimensions exaftes, ainsi que
deux autres images du volume, dans mes Antiquités Judaïques, pi. XXL La série entière des illustra-
tions du manuscrit a été donnée par M. H. Omont dans un album in-8 °, de 5 1 planches en phototypie,
édité chez Berthaud Frères.
t P. Durrieu, Une vue de l'ancien Saint-Pierre de Rome au milieu du quinzième siècle, peinte par
Jean Foucquet, Rome, 1892, in-8°, avec planche {Extrait des Mélanges G. B. de Rossi, supplément
aux Mélanges d'archéologie et d'hifloire publiés par l'Ecole française de Rome).
X Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, année i g 1 3, p. 268
(séance du 20 juin 191 3). Cf. Comte Alexandre de Laborde, De quelques manuscrits à peintures des
bibliothèques de Pétrograd, Paris, 19 17, in-8°, p. 13 (extrait des Comptes-rendus des séances de
l' Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 191 7, p. 484 et suiv.).
20
IV. HISTOIRE ANCIENNE JUSQU'A JULES CESAR et FAITS DE
ROMAINS
De format grand in-folio. On ne connaît à l'heure aftuelle, de ce manuscrit, que
quatre feuillets détachés portant chacun une grande peinture surmontant quelques
lignes de texte écrites sur deux colonnes. M. Henry Yates Thompson avait recueilli
ces quatre feuillets et en a pubhé des reproduftions en couleurs.* Peut-être retrouvera-
t-on dans l'avenir d'autres fragments de ce manuscrit, qui parait avoir été très somp-
tueux. Les quatre miniatures connues présentent tout le caradlère des œuvres sorties de
l'atelier de Jean Foucquet. Deux d'entre elles, le Couronnement d'Alexandre et une
Bataille entre les Romains et les Carthaginois, sont assez belles et parfaites d'exécution
pour pouvoir être attribuées au maître en personne. Ces deux pages sont aujourd'hui
entrées au Musée du Louvre par voie d'acquisitions.
LIVRES D'HEURES
Les peintres-miniaturistes du XVème siècle avaient besoin de vivre. Ils devaient
donc rechercher des commandes. Or, celles qui pouvaient leur venir le plus facilement
étaient des demandes de livres d'Heures, plus ou moins richement illustrés et décorés;
livres d'Heures qui n'étaient pas seulement l'apanage des hautes classes de la Société
française, mais dont de simples bourgeois ne craignaient pas non plus de s'oflrir le
luxe à l'occasion.
On peut donc être certain que Jean Foucquet, comme ses confrères en thèse
générale, a du s'occuper à peindre des livres d'Heures. D'ailleurs, parmi les documents
le concernant que nous avons cités, il en eSt tout au moins un qui se réfère à un travail
de cette catégorie.
Parmi les livres d'Heures auxquels la comparaison avec les peintures du Josèphe
permet de croire que Foucquet a apporté le concours de son pinceau, ou tout au moins
l'appoint de sa direction personnelle, dans son atelier, il en eft qui ne renferment
qu'un nombre relativement restreint de miniatures, parfois même une seule, dans
lesquelles on puisse reconnaître le ftyle et les procédés du maître, les autres images
des volumes en question s'éloignant beaucoup de la manière qui fut propre
au bon peintre de Louis XL C'eSt le cas pour un livre d'Heures de la Biblio-
thèque Mazarine à Paris (Ms.N°475), commencé pour le frère cadet du roi Louis XI,
Charles de France, repris ensuite après un premier arrêt de l'exécution, et finalement
resté inachevé. Une miniature de ce volume, représentant le Baiser de Judas, rappelle
extrêmement les créations de Foucquet. f Au bas se trouve le blason que Charles de
France a porté quand il était titré Duc de Berry, c'eSt-à-dire de 1461 à 1465.
Beaucoup plus proches encore des peintures du Josèphe, par le dessin, le coloris et
tous les moindres procédés de fafture, sont cinq ou six miniatures qui existent, indé-
pendamment d'un complément d'illustrations dues à des mains différentes, dans un
autre livre d'Heures, ayant passé par les collerions Vivant-Denon, Marquis de Ganay
et Spitzèr. ij: Dès le XVII ème siècle au moins, ce volume portrait le nom, très légendaire,
• H. Yates Thompson : Four photographie facsimil es from detached pages of a fifteenth-eentury
manuseript of " Hifioire ancienne jusqu'à César " and " Faits des Romains," London, 1903, in-folio,
avec planches en couleurs ; complément de la publication du même auteur intitulée : Facsimiles of
two " hiSîoires " by Jean Foucquet from vols. I and II of the Anciennetés des Juifs, London, privately
printed, grand in-folio avec planches.
t Reproduite dans mes Antiquités Judaïques sur la planche XXIII.
X Aujourd'hui en ma possession.
21
d' " Heures de la dernière comtesse de Flandre." II paraît, autant qu'on peut juger
des choses, avoir été entrepris en réalité à l'intention d'Anne de Beaujeu-Amplepuis,
qui épousa en secondes noces le maréchal de France Jean de Baudricourt. Deux de ses
miniatures, tout empreintes du caractère propre à Foucquet, sont particulièrement
dignes d'attention : un portrait de la deSlinatrice en prière, et une représentation du
thème des Trois Morts et des Trois Vifs.* Cette dernière page paraît avoir été célèbre
en son temps, car, non seulement on l'a copiée en peinture, mais elle a servi de modèle,
au début du XVIème siècle, pour une gravure insérée dans un Missel à l'usage des
Dominicains, achevé d'imprimer à Paris le 28 février 15 18 (1517, vieux Style). f
Dans la même catégorie que les précédents rentrent encore deux livres d'Heures
qui ne contiennent chacun qu'une seule miniature conçue dans les données habituelles
à Foucquet, vraisemblablement introduite après coup en tête des volumes. L'un de ces
livres d'Heures e§t au Musée Condé de Chantilly; | l'autre, à la Bibliothèque Royale de
La Haye. Ladite Bibliothèque Royale de La Haye possède aussi un second livre d'Heures
dans lequel un Calvaire peut évoquer également la pensée d'une œuvre de Foucquet ou
de son atelier.§ En contracte avec ces manuscrits, où les images sont de ScyXts variés,
d'autres livres d'Heures paraissent avoir été entièrement peints, pour la série complète
de leurs illustrations, dans l'atelier de Foucquet, mais avec une part plus ou moins
grande de concours apporté au maître par des collaborateurs travaillant sous sa
diredion.
Parmi les clients de Jean Foucquet ont dn certainement se rencontrer, fait si
fréquent à son époque, des bourgeois ou ce que nous appellerions aujourd'hui de
"nouveaux riches." Chez les Français du XVème siècle, c'était un sentiment tout à fait
répandu que de vouloir marquer les manuscrits à peintures, que l'on faisait exécuter,
d'un signe personnel, valant ex-libris. Les rois, les princes, les grands seigneurs avaient
la possibiHté de se servir à cet égard de leurs blasons. A ces blasons ils pouvaient
ajouter des devises, -çXms ou moins allégoriques, ou encore des chiffres formés de deux
initiales, chiffres parfois de pure fantaisie et mystérieux, par exemple, pour le duc Jean
de Berry, un V et un E passés l'un dans l'autre, et, pour le duc de Bourgogne, Philippe
le Bon, deux E gothiques affrontés. Mais que faire quand on ne possédait pas d'armoi-
ries héréditaires, ou quand vos armoiries, trop récemment concédées, n'étaient pas
encore connues de la foule ? ce qui était le cas pour bien des hommes arrivés par eux-
mêmes à la fortune et aux grandes positions. On tourna la difficulté en calligraphiant
en caraâères très nets sur les manuscrits, dans les bordures, et parfois dans les minia-
tures mêmes, tout simplement les prénoms et noms de famille des destinataires. En
certains cas, ces noms étaient écrits au clair, et nous en verrons un exemple plus loin
• Ces deux miniatures ont été publiées dès 1829, par Vivant-Dcnon, Monuments des Arts du
dessin ("Paris, 4 vol. in-folio), 1. 1, planche 45 ; et plusieurs fois reproduites depuis lors, notamment dans
h Revue de PJrt ancien et moderne, t.XV (1904), p. 413 et 91, et dans mon livre sur La Peinture à
r Exposition des Primitifs françaii, Paris, 1904, in-4'', planche en tête de l'ouvrage, et p. 9.
t P. Durrieu, Une gravure du début du XVème siècle, Paris, 1917, in-S** (extrait des Comptes
rendus des séances de r Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, 1917, p. 89 et suiv.).
:|: N° 76 du catalogue imprimé in-4° des manuscrits de Chantilly, t.I (Paris, 1900) : hélio-
gravure en face de la p. 83.
§Sur les susdits livres d'Heures de la Bibliothèque Royale de La Haye (anciennement Nos. A A.
174 & AA. 266) voir : P. Durrieu, Deux miniatures inédites de Jean Foucquet, Paris, 1902, in-8%
avec reprodudlions (extrait des Mémoires de la Société des Antiquaires de France, t.LXI).
22
avec les Heures d'Etienne Chevalier. Mais le plus souvent prénom et nom étaient
dissimulés dans un anagramme. Nous en avons déjà rencontré un cas pour le Boccace de
Munich, où le nom du premier possesseur du volume, Laurens Gyrard, eêt transposé
sous la forme de " Sur ly n'a regard."
Le cas se représente pour deux charmants livres d'Heures de petit format, l'un et
l'autre sortis de l'atelier de Foucquet. Dans l'un, le plus riche en images et le plus
achevé d'exécution, qui appartient à Sir George Holford* les anagrammes sont :
CHASTE VIE LOUE R.L. et S'IL AVIENT A.R. Dans l'autre (colledion Durrieu)
les anagrammes sont: HA LE CE MOINE et LA HAINE LY ENNUY, auxquels se
joignent un blason (d'azur à la fasce d'argent accompagnée de trois couronnes d'or,
deux en chef, une en pointe) et le chiffre E.D. Ces anagrammes et blason n'ont mal-
heureusement pas encore laissé deviner leur secret.
Peut-être avons-nous une indication plus précise en ce qui concerne un autre
livre d'Heures de la Bibliothèque Nationale de Paris (ms. latin 141 7) dont les minia-
tures, aujourd'hui un peu usées, sont très fines et, pour quelques-unes au moins,
dignes de Foucquet en persorme. Une des miniatures représente les obsèques du
personnage pour qui le manuscrit fut décoré à l'origine, et, d'après des armoiries
plusieurs fois répétées dans ce petit tableau, il se pourrait bien que le premier possesseur
du manuscrit ait été Philippe de Commines.f
Il existait jadis un livre de prières de petit format comme le précédent, et sortant
également de l'atelier de Foucquet. Ce manuscrit a été démembré. J'en connais seule-
ment 15 miniatures détachées,:}: qui ont été achetées jadis chez un marchand par un
amateur de Rouen, et sont entre les mains d'un des héritiers de celui-ci.
C'e§t au contraire sous sa forme intégrale de volume relié que nous e§t arrivé un
livre d'Heures, avec calendrier tourangeau, constituant le ms. latin 15305 de la Biblio-
thèque Nationale, volume fort intéressant mais oîi la participation personnelle de
Jean Foucquet me paraît toutefois extrêmement réduite.
Du reste, même en prenant la totalité des livres d'Heures que je viens d'énumérer,
si l'on défalque les miniatures plus faibles qui ne sont qu'un produit d'atelier, on
n'arrive, comme peintures susceptibles d'être attribuées à Jean Foucquet lui-même,
qu'à un nombre relativement peu élevé, n'atteignant pas le chiftre des images que
renferme, à lui seul, le manuscrit des Grandes Chroniques de France.
Il reste, pour épuiser la liste, un dernier livre d'Heures, beaucoup plus important,
en même temps qu'infiniment plus célèbre que tous les précédents, les Heures de
Maître 'Etienne Chevalier. Nous allons lui consacrer un chapitre spécial ; mais, aupara-
vant, il convient de signaler encore un point concernant l'ensemble de l'œuvre de Jean
Foucquet.
Toutes les miniatures qui ont été passées en revue jusqu'ici sont postérieures à
l'époque où Foucquet était revenu d'Itahe. Avant ce voyage au sud des Alpes, le
• A figuré, en 1908, sous leN°2i9,àl'exposition de manuscrits enluminés, organiséeà Londres
au Burlington Club. Une page eff reproduite dans le grand catalogue illustré, in-folio, de cette
exposition, pi. 137.
•f J'ai émis autrefois Phypothhe que ce livre d'Heures pourrait être celui dont parle le document
d'archives qui se serait trouvé jadis dans la colleftion B. Fillon {Comptes-rendus des séances de r Aca-
démie des Inscriptions et Belles-Lettres, içoô.p. 257, séance du ifjuin). Malheureusement, j'ai déjà
dit plus haut que l'exigence même du document en queftion e^ très sujette à caution.
X Quatorze scènes de la Passion et une réunion de tous les Saints.
23
maître de Tours n'aurait-il pas eu une première manière, correspondant à la période de
ses débuts, alors que ne s'était pas encore développé tout son talent, comme il advint
plus tard, par le contadt avec les créations des artistes italiens ?
Il existe, dans divers manuscrits, une catégorie de miniatures dans lesquelles on
sent déjà des qualités remarquables, et précisément les mêmes qualités qui distinguent
les productions de Foucquet arrivé au plein épanouissement de son génie, mais où
l'on rencontre aussi bien des inexpériences, des côtés défeftueux et jusqu'à de vrais
enfantillages. N'aurions-nous pas là précisément des produftions de la jeunesse de
Jean Foucquet ? La question a été soulevée par Henri Bouchot en 1 890 ; je l'ai reprise
moi-même sur des bases plus larges en 1904 ;* et ce qui mérite l'attention, c'eSt que,
parmi les manuscrits en question, il y en a deux au moins qui viennent de la région de
Tours.
Ces miniatures contribueraient grandement à nous éclairer sur l'origine du talent
de Foucquet. Ainsi que je l'ai indiqué, en raccourcis, dans mon livre sur les Antiquités
Judaïques, ■\ elles fourniraient des arguments pour rattacher, d'une manière plus ou
moins direfte, Jean Foucquet à la lignée des grands miniaturistes, principalement
d'origine franco-flamande, qui ont fleuri en France à l'époque du duc Jean de Berry,
oncle du roi Charles VI.
Mais il se pourrait aussi que les susdites miniatures, au lieu d'être des œuvres de la
jeunesse de Jean Foucquet, soient sorties du pinceau d'un artiste différent, une sorte
de pré-Foucquet, qui se serait comme cristallisé dans un genre une fois adopté par lui,
au lieu de chercher à franchir un pas plus décisif. Pour trancher le débat, il faudrait un
document formel. Et malheureusement celui-ci fait défaut. Je crois cependant in-
téressant de donner une liste brève des manuscrits que je vise ici, en indiquant, en notes,
les reproductions qui ont été publiées de certaines de leurs peintures :
Bruxelles — Bibliothèque royale, ms. N° 10474. Traduction française des Strata-
gèmes de guerre de Frontiti. \
Genève — Bibliothèque publique et universitaire, ms. français 191, Boccace, Des
cas des nobles hommes, mis en français par Laurent de Premierfait ; et ms. français 5 ,
le Lii're des Anges, traduit d'après François de Ximenes.§
Londres — British Muséum, Addit. ms. 28785, livre d'Heures, d'origine
tourangelle.il
Paris — Bibliothèque Nationale, ms. latin 491 5 , Mer des Hiffoires, provenant de la
famille Jouvenel des Ursins ;^ ms. français 166 (pour les feuillets 33 et 40-47 du
* Henri Bouchot, Jean Foucquet, dans la Gazette des Beaux- Jrts 1890, t. II, p. 257-258. P.
Durrieu, Z,(3 QueRiondes Oeuvres de jeunesse de Jean Foucquet, Paris, 1904, in-4° (extrait du Recueil
de Mémoires, publié par la Société des Antiquaires de France à l'occasion de son centenaire).
t Pages 1 10- II 7.
± P. Durrieu. La QueRion dei Oeuvres de jeunesse de "Jean Foucquet, déjà citée, pi. VII du
Recueil de Mémoires de la Société des Antiquaires de France pour son centenaire.
§ Aubert de La Rue, dans le Bulletin de la Société française de reproduâions de manuscrits à
peintures, 2ème année, 19 12, pi. XXXVI, XXXVII et XLIb.
Il British Muséum — Reproduâions from llluminated Manuscripts, séries 1 1 (Londres, 1 907, in-8'}
pi. XXX.
^ p. Durrieu. Jntiquités 'Judaïques, pi. XXIV — C. Couderc, Bibliothèque Nationale, Album de
portraits d'après les colleQions du Département des Manuscrits, Paris, in-4°, pi. LXX V et LXX VI.
24
volume). Bible moralhée;* ms. français 15445, Histoire ancienne, aux armes de la famille
de Coëtivy.
Ancienne colledlion Gelis-Didot (aujourd'hui coUeâion Durrieu), Merveilles du
Monde. ■\
Petrograd — Ancienne Bibliothèque Impériale, ms. 5 .2. loi . JLf Koman de Faiivel,
volume exécuté, suivant le Comte Alexandre de Laborde, vers 1440, où a été inscrit
plus tard, l'anagramme VA HATIVETE M'A BRULE, anagramme dans lequel
le Comte de Laborde a retrouvé le nom de Mathieu Beauvarlet.
Tours — Bibliothèque Municipale, mss. Nos. 208-209, Graduel^ fait pour le cha-
noine de Tours, Guillaume le Picart, dont le nom eSt inscrit sur une des miniatures,
comme attestation de propriété, et qui vivait en 1442.
Vienne, en Autriche — Ancienne Bibliothèque Impériale, ms.N" 2617 (seulement
pour les peintures desfolios 76 verso — 77 re£l:o,9i, 121, 138 verso— 139 reâo, 152,
169 et 182), La Théséide, arrangée en français, d'après Boccace.ij:
• Comte Alexandre de Laborde, La Bible moralisée, Paris, gr. in-folio, 4 volumes parus de 191 1
à 1921, tome IV, pi. 744-746. Henri Bouchot dans la Gtfz^W^ des Beaux- Jrts, 1890, t. II, planche
en héliogravure, en regard de la p. 278.
t HiSïoire de l'Jrt publiéesous la direftion d'André Michel, t. IV,2ème partie (Paris, 191 1),
P- 729-
J Ed. Chmelarz dans le t. XIV (Vienne, 1893, in-folio) du Jahrbuch der Kunsthiiiorischen
Sammlungen des Allerhbchaen Kaiserhauies, pi. XXXII, XXXIII et XXXV à XL.
2J
m
LES HEURES DE MAÎTRE ETIENNE CHEVALIER
Etienne Chevalier, haut fonftionnaire et homme d'Etat français du XVème siècle,
naquit, eftime-t-on, vers 141 o, et mourut le 3 septembre 1474. Il fut secrétaire du roi,
devint conseiller maître des comptes en 1449, puis trésorier de France le 3 mars 145 3.
Plus tard, il remplit des missions diplomatiques et, durant toute sa vie, il jouit de la
pleine confiance des rois Charles VII et Louis XL La fameuse Agnès Sorel l'eêtimait
particulièrement ; elle fit de lui un de ses exécuteurs testamentaires, lorsqu'elle mourut
en 1450.
Etienne Chevalier paraît avoir été d'une origine familiale très modeste. Tant qu'il
vécut, il ne semble pas avoir eu de blason héraldique. En guise d'armoiries, et comme
marque de propriété, il avait adopté un écusson à fond violet sur lequel était écrit, en
lettres d'or, son nom : " MaiStre EStienne Chevalier "* ou son chiffre consistant en
deux E réunis par un lacs.f
C'est par suite d'une complète erreur, déjà signalée plus haut, que l'on a cru trop
longtemps que le Boccace de Munich avait été exécuté pour Etienne Chevalier. Mais
celui-ci a possédé au moins deux livres d'Heures.
L'un de ceux-ci sortait de l'atelier qui eut pour chef, sur les limites du XlVème et
du XVème siècle, le très remarquable artiste que j 'ai proposé de surnommer, provisoire-
ment, le "Maître des Heures du Maréchal de Boucicaut" (probablement Jacques Coene,
originaire de Bruges, mais qui vint se fixer à Paris, où il jouissait déjà en 1398 d'une
grande réputation). Etienne Chevalier n'a pu avoir ce livre d'Heures qu'après coup, vu
sa date approximative de confedion; il s'eSl borné à y faire apposer l'écusson portant
son chiffre écrit en lettres d'or, qui lui servait de marque de propriété.:}:
L'autre livre d'Heures, au contraire, a été copié et peint direélement pour Etienne
Chevalier. Son écusson à fond violet, avec son nom en or, ou ses initiales E.E., y
étaient répétés d'une manière presque surabondante, et qui, disons-le, sent quelque
peu son parvenu, apparaissant non seulement dans les décorations, dans l'intérieur des
initiales ornées, mais jusque dans les détails des miniatures elles-mêmes, sur une
corniche d'architefture, sur un dallage, etc. Etienne Chevalier pouvait, du reSle, être
justement fier d'avoir provoqué la création de ce volume, car les miniatures qui
l'illustraient constituaient une série de purs chefs d'œuvres, qu'aujourd'hui encore
nous saluons de notre admiration.
On suppose que le livre d'Heures d'Etienne Chevalier a dû reSler dans sa famille,
jusqu'à la mort de son dernier descendant en ligne masculine : Nicolas Chevalier,
baron de Crissé, décédé en 1650. L'érudit Gaignières, qui vécut sous Louis XIV et
mourut le 27 mars 1715, le connut encore sous son aspeft primitif de vrai livre. Mais
un jour vint, sans doute vers le début du XVUIème siècle, où le volume tomba entre
les mains d'un vandale. Celui-ci dépeça le livre d'Heures, en détacha à part chaque
• Le nom : Chevalier, généralement abrège en Chlr.
j- La lefture du second E e^ parfois douteuse, et l'on pourrait alors être tenté de voir E. C. Mais,
vérification faite, je crois qu'il y a partout E E, le véritable C ayant une forme différente dans le3
inscriptions du nom.
X British Muséum, Addit. ms. 16997 — S""" " ^'^""^ d'Heures et les reproductions qui ont été
données, à Londres, de certaines de ses peintures, voir : P. Durrieu, Les Heures du Maréchal de
Boucicaut, du Musée Jacquemart-André, Paris, 19 14, in-4°, p. 40.
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page ornée de miniatures, et jeta au rebut le reSte du volume, qui fut alors peut-être
détruit, et dont, tout au moins, le sort e§t refté totalement ignoré.
A chacune des peintures, désormais isolées les unes des autres, on chercha à
donner l'apparence d'autant de petits tableaux indépendants. Dans un certain nombre
d'entre elles, se rattachant principalement, soit aux heures de la Croix, soit aux
Suffrages ou Oraisons à divers Saints, il avait été ménagé, originairement, au centre
des parties peintes, un petit espace occupé par quelques mots de texte, dont la première
lettre ayant l'importance d'une initiale ornementée. Partout ces mots de texte, exception
faite de l'initiale, furent grattés et leur place recouverte, tantôt par un motif d'imagerie
pieuse, dans le ftyle du XVIIIème siècle, peint dixeétement sur le grattage, tantôt par
un fragment collé, découpé dans des bordures d'un autre manuscrit de la fin du XVème
siècle ou du début du XVIème,
C'eêt sous cette forme de feuillets séparés que les fragments des Heures d'Etienne
Chevalier sont parvenus jusqu'à nous.
En 1805, quarante de ces feuillets se trouvaient entre les mains d'un marchand de
Bile. Ils furent alors acquis de ce marchand pour la somme de 5,000 francs par M.
Georges Brentano-Laroche,de Francfort. En 189 1, Mgr. le Duc d'Aumale les rapatria
en France, en les achetant 2 50,000 frs. à M. Louis Brentano.fils du précédent acquéreur.
Entrés ainsi au Musée Condé de Chantilly, que le Duc d'Aumale a donné à l'Inftitut de
France, ils y constituent le fameux ensemble universellement connu sous le nom des
" Quarante Foucquet de Chantilly."
Quatre autres morceaux du livre d'Heures d'Etienne Chevalier ont encore été
retrouvés. L'un, représentant Le roi David en prière, ■i. été reconnu, dès 1833, par Passa-
vant dans la colleûion du poète Rogers. Après avoir traversé la colleftion du Marquis
de Breadalbane, il fut acquis en 1 886 à la vente Baillie-Hamilton par le British Muséum
(Addit. ms. 37421).
Un autre feuillet, sur lequel on voit peintes les figures de S te. Ame, de ses filles, les
"trois Maries," et de leur descendance, a été identifié par mon regretté confrère et ami
Georges Duplessis, et acheté en 1881 par la Bibliothèque Nationale de Paris (ms. 1416
du fonds des Nouvelles Acquisitions latines), avec le généreux concours du Duc de la
Trémoïlle, membre de l'InStitut.
Un troisième feuillet, dont la miniature eSl consacrée à Saint Martin, appartenait
au baron Feuillet de Conches. J'ai eu personnellement la bonne fortune de le faire
acheter, en 1889, des héritiers Feuillet de Conches, pour le Musée du Louvre.
Presque en même temps, je constatais, en découvrant sur le revers le chiffre E.E.,
que le Louvre possédait déjà d'ancienne date, entré au Musée avec la colleftion
Sauvageot, un quatrième fragment des Heures d'Etienne Chevalier, portant une minia-
ture relative à un épisode de la vie de Sainte Marguerite.*
Les quarante feuillets maintenant à Chantilly ont été reproduits en couleurs,
ainsi que le feuillet de la colleftion Feuillet de Conches, plus tard passé au Louvre, par
Curmer, dans sa grande publication de rOeiivre de Jehan Foucquet. En 1897, M. F. A.
Gruyer, dont je vénère la mémoire, a donné des héliogravures, bien plus exaâres, der
• P. Durrieu. Un quarante-quatrième fragment des Heures de Maître Etienne Chevalier,
retrouvé au Musée du Louvre, Paris, in-8 " (extrait du Bulletin des Musées, N ° de novembre 1 89 1 ).
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feuillets du Musée Condé, dans son beau livre in 4% intitulé : Chantilly — 'Les quarante
Fouquet. Les quatre fragments dispersés ont été,d'autre part, publiés à diverses reprises.*
Enfin, récemment, M. Henry Martin, letrès érudit administrateur de la Bibliothèque de
l'Arsenal, a groupé idéalement la totalité des quarante-quatre fragments connus des
Heures d'Etienne Chevalier dans un charmant petit volume in 8% illustré de 44 pages de
gravures, une pour chaque fragment, f
A l'époque où Gaignières vit le volume encore sous son aspeft primitif, on
n'attachait aucun nom d'artifte au livre d'Heures d'Etienne Chevalier. Cet état de
choses persista jusqu'au premier tiers du dix-neuvième siècle. En 1833, Passavant,
parlant des feuillets de M. Brentano et de celui du poète Rogers, laisse l'œuvre anonyme.
En 1835, Nagler publie en Allemagne, c'eSt-à-dire dans le pays où se trouvaient les
fragments, dej à célèbres, possédés par M. Brentano, le volume consacré à la lettre F de
son grand lexique des artistes ; et il ignore totalement Jean Foucquet. En 1856, le
Comte Raczinski s'efforce, lui le premier, de percer le myStère qui enveloppait encore le
livre d'Heures d'Etienne Chevalier.
Malheureusement il s'engage dans une voie, dont je connais, par expérience per-
sonnelle, l'attrait séduisant, mais souvent très dangereux. Cette voie eSt celle qui
consiste à vouloir chercher des désignations d'artistes, ayant été les auteurs
des images, dans des inscriptions qui peuvent se rencontrer parmi les détails de
certaines miniatures du XVème siècle, tracées par exemple sur des vêtements
portés par les adeurs des scènes, sur des édifices, sur un bout de terrain, voire sur des
bordures. Cette méthode peut quelquefois donner de bons résultats et, dès 1891, je
signalais l'importance qu'il y avait à s'attacher à ce que j'appelais alors " les signatures
dissimulées." Mais, combien il faut être prudent ! combien il faut se garder des en-
traînements trop précipités ! Bien facilement, on tombe dans des erreurs complètes et
parfois même ridicules. C'eSt ainsi, par exemple, qu'en Espagne, on a pris pour une
signature d'artiste la devise de la Maison de Savoie : F E R T, devise cependant si
connue. C'eSl ainsi encore que dans le nom de Nabuchodonosor, écrit, suivant la
forme française habituelle du XVème siècle :NABVGODENOSOR,ona
voulu, par d'arbitraires coupures, et en donnant à un N la valeur d'un U ou V,
prétendre découvrir la mention d'un enlumineur, qui se serait appelé V G O D E
V O S O R, et dont rien, absolument rien au monde, ne permet de supposer qu'il ait
jamais réellement existé.
Le Comte Raczinski remarqua que, dans une des miniatures au j ourd'hui à Chantilly,
représentant la lapidation de Saint Etienne, une suite de lettres se trouve écrite sur la
jambe gauche des chausses d'un des bourreaux et d'après ces lettres, très correcte-
ment lues, il conclut que l'auteur des peintures du livre d'Heures d'Etienne Chevalier
devait s'être appelé : VIWOAR HSKATUS. Il ajoutait, d'ailleurs, après
• Je me bornerai à indiquer, parmi ces reproduftions, les premières en date : Pour le feuillet du
British Muséum : Paul Leprieur dans la Revue de VArt ancien et moderne, 1897, p. 29. Pour celui
de la Bibliothèque Nationale : Georges Duplessis, dans le Bulletin de la Société des Antiquaires de
France, 1 88 1 , p. 7g. Pour le Saint Martin du Louvre : en couleurs, Curmer dans Y Oeuvre de Jehan
Foucquet; et, en héliogravure, mes Antiquités Judaïques, pi. XX N° I. Pour la Sainte Marguerite
du Louvre, mon travail cité à la note précédente.
t Henry Martin. Les Fouquet de Chantilly, Paris, in-8°. s.d., dans la série des Memoranda
publiée par l'éditeur Henri Laurens.
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avoir révélé son surprenant " Viwoar Hskatus," cette remarque naïve : " Ce qui rend
toute supposition fort incertaine à cet égard, c'eSt que nulle part on ne rencontre de
traces d'un artiste qui ait porté ce nom. Cependant on ne conçoit pas qu'un talent si
éminent ait pu rester ignoré."*
Les choses changèrent avec Waagen. Dans le tome i, p. 5 14, de son ouvrage sur
les œuvres d'art et les artistes en Angleterre et à Paris, f paru à Berlin en 1837, Waagen
proposa pour la première fois la restitution des peintures du livre d'Heures d'Etienne
Chevalier à Jean Foucquet. Comment était-il arrivé à formuler cette hypothèse ? Le
tome III de son ouvrage, publié en 1859, laisse bien entendre (p. 371-572) qu'elle
découlait pour lui d'un rapprochement avec les miniatures-types du Josèphe de la
Bibliothèque Nationale. Ainsi lancée, l'attribution des Heures d'Etienne Chevalier à
Foucquet eut une fortune aussi rapide que complète. Le Marquis Léon de Laborde,
Vallet de Viri ville, et après eux tous les auteurs qui ont écrit sur Foucquet, l'acceptèrent
comme un axiome.
Je ne voudrais pas troubler les esprits, ni chercher à rabaisser, si peu que ce soit,
dans l'eStime du grand public le merveilleux trésor d'art dont la plus grande portion a
été donnée à la France, avec le Musée Condé, par M. le Duc d'Aumale. Mais il faut
d'abord reconnaître que nous n'avons aucun document venant appuyer l'attribution
due à Waagen ; et, d'autre part, entre les œuvres-t}'pes fournies par le manuscrit de
Josèphe et les miniatures découpées dans le livre d'Heures d'Etienne Chevalier, il y a
une certaine différence d'aspedl. Les miniatures du livre d'Heures sont plus
brillantes ; le coloris en eSt plus vif, l'aspeâ général plus séduisant. On constate égale-
ment, dans les iîgures considérées isolément, une recherche plus accentuée de l'élégance
des formes, et principalement une tendance à l'allongement des Statures.
J'indique immédiatement les objeftions possibles d'une critique impitoyable.
Mais je me hâte d'ajouter que, tout en poussant, comme il convient, la prudence aussi
loin que possible, il ne me semble pas qu'on puisse sérieusement mettre en doute
l'attribution des Heures d'Etienne ChevaHer au même maître que les miniatures,
formellement authentiquées, du Josèphe de la Bibliothèque Nationale.
Ayant eu jadis l'occasion de traiter la queStion,:j: j'ai fait ressortir que nombre de
détails, constituant des traits caradériStiques, sont communs aux deux séries.
Dans le Mariage de la V^ierge des Heures, par exemple, réapparaissent les fameuses
Columnœ vitinea de St. Pierre de Rome, et une inscription, tracée sur la miniature même,
indique que ces colonnes symbolisent là, comme dans les miniatures du Josèphe, le
Temple de Jérusalem ou Temple de Salomon (Templiim Salomonis). Ailleurs, ce sont
des morceaux d'architefture analogues et rendus de la même façon ; des types et des
poses de persormages identiques, des attitudes pareilles adoptées pour les chevaux,
etc., etc.
Un autre argument peut encore être invoqué. Il eSt deux traits de la vie de Jean
Foucquet que révèlent les documents d'archives, l'un que le maître a été en Italie, l'autre
qu'il a habité Paris, où il se trouvait au moment de la mort du roi Charles VIL Or, dans
les peintures des Heures d'Etienne Chevalier, ce qui correspond parfaitement à cette
double donnée, nous rencontrons, se mélangeant comme d'une manière intime, d'une
• Comte Alexandre Raczinski, //».ffo/r^ de PArt moderne en Allemagne (Paris, 1 836-1 841,
3 vol. in-4° et un atlas in-folio) M, p. 257.
t KunShverie und Kiiniîler in England und Paris, Berlin, 1 836-1 839, 3 vol. in-8°.
if Les Antiquités Judaïques et le peintre "Jean Foucquet, p. 96-97.
29
part, le souvenir fréquent des édifices et des œuvres d'art existant en Italie au XVème
siècle, et d'autre part, des vues de plusieurs monuments de Paris et de sa banlieue ; le
chevet de Notre-Dame, la façade de la Sainte-Chapelle, le donjon de Vincennes,
représentés avec la plus parfaite fidélité.
Une curieuse remarque peut encore être faite. Dans les Heures d'Etienne Cheva-
lier, la miniature relative au Martyre de S te. Apolline e§t composée de telle façon qu'elle
nous fait assister à l'exécution théâtrale d'un " mystère " au XVème siècle. Or, que
nous apprend un des documents relatifs à Jean Foucquet ? C'eft qu'en 1 461, le peintre
fut précisément occupé, pour la ville de Tours, à préparer un " mystère," dont on
projetait de donner une représentation au roi Louis XL
En poussant encore plus à fond ces observations et en multipliant les rapproche-
ments, on acquiert de plus en plus la convidion que les miniatures peintes sur les
feuillets des Heures d'Etienne Chevalier sont tout autant de la main de Jean Foucquet
que les peintures, celles-ci bien authentiques, du Josèphe.
J'ai dit qu'on connaissait quarante-quatre feuillets détachés des Heures d'Etienne
Chevalier. Déjà, en 1891, j'indiquais que le total n'était que " provisoire."* Je suis
revenu sur le fait, en 1907, dans mes Antiquités ]udaîqties.-\ J'écrivais alors : " Avec ces
quarante-quatre feuillets, la série des sujets que l'on rencontre habituellement dans
les livres d'Heures n'eSt pas complète. Il e§t donc permis d'espérer qu'on retrouvera
peut-être encore d'autres fragments du manuscrit dépecé au XVIIIème siècle."
M. Henry Martin a poussé plus loin les choses. Avec sa grande connaissance des
traditions appliquées, en France, à l'illustration des livres d'Heures, il a cherché à
dresser la liste des miniatures qui devaient se trouver primitivement dans le volume et
qui sont à rechercher. Son enquête l'a conduit à ces conclusions que je résume :
Il doit manquer de la série des peintures contenues originairement dans les
Heures d'Etienne Chevalier :
Au commencement du volume, douze pages de calendrier ;
Une miniature illustrant un extrait de l'Evangile de Saint-Luc, qui pouvait
représenter, écrivant ou peignant la Vierge, l'évangéliSte avec le bœuf, ou peut-être
une Annonciation ;
Une Vierge de douleur pour l'illuStration de l'oraison " O intemerata " ;
La miniature de tierce des heures de la Croix, qui devait représenter, soit le Cou-
ronnement d'épines, soit un Ecce homo, soit peut-être encore la Flagellation ;
La miniature des matines des heures du Saint-Esprit, qui représentait, sans doute,
soit la Résurreftion du ChriSt, soit son Baptême par Saint Jean-BaptiSte ;
Les miniatures de tierce et de sexte des heures du Saint-Esprit, où se voyaient
probablement, soit le ChriSt bénissant les apôtres, soit les Disciples d'Emmaiis, soit
l'Incrédulité de Saint Thomas, soit Saint Pierre prêchant ;
La miniature illustrant les vêpres des heures du Saint Esprit, consacrée, selon
toute vraisemblance, soit à la Descente de Jésus aux limbes, soit à la dernière Cène, ou
représentant peut-être Saint Pierre célébrant la messe.
Il ne serait pas impossible que le livre d'Heures d'Etienne Chevalier ait contenu
les laudes des heures de la Croix et des heures du Saint Esprit. Dans ce cas, il man-
querait, en outre de ce chef, deux miniatures ; mais il serait difficile d'en indiquer le
sujet d'une façon précise.
• Un quarante-quatrième fragment des Heures de Maître Etienne Chevalier, etc., p. 5.
t P. 98.
50
Enfin, de la série des miniatures consacrée aux Suffrages des Saints, on peut sans
témérité affirmer que six au moins ont disparu. Ce sont celles qui étaient peintes en
tête des Antiennes et oraisons des saints Michel, Laurent, Sébastien, Christophe,
Antoine et de Sainte Barbe. Il pouvait sans doute y avoir là bien d'autres saints et
saintes représentés ; mais ceux qui viennent d'être énumérés y figuraient certainement.
"On voit donc," dit en terminant M. Henry Martin, "qu'il re§te encore à retrouver,
outre les douze pages du calendrier, treize miniatures au moins, peut-être quinze,
et sans doute bien davantage. Puisse cette petite étude contribuer à les faire dé-
couvrir."
Les choses en étaient là, lorsque, dans le courant du mois de février de la présente
année 1923, je reçus une lettre de MM. Maggs Bros., les grands libraires de Londres,
qui m'annonçaient qu'ils venaient de retrouver un nouveau feuillet des Heures
d'Etienne Chevalier, précisément un de ceux signalés d'avance par M. Henry Martin
comme restant à découvrir, le feuillet portant la miniature relative au Suffrage, ou
prières, à Saint Michel.
Que ce feuillet provienne des Heures d'Etienne Chevalier, c'eSt ce qui ne peut
faire aucun doute. On y trouve, tant sur le re£lo que sur le verso, le chiffre d'Etienne
Chevalier : les deux E liés ensemble. D'autre part, comme dans une partie des feuillets
de Chantilly, on y constate l'appHcation de ce système qui fut employé, lors de la
mutilation du manuscrit au XVIIIème siècle, et qui consiste à avoir caché quelques
lignes de texte, au milieu de la page à peintures, sous un morceau des bordure découpée
dans un autre manuscrit, de date plus récente.
Le feuillet retrouvé par MM. Maggs Bros, offre un intérêt spécial au point de
vue matériel. Les feuillets de Chantilly sont collés sur des morceaux de bois qui
empêchent d'examiner le revers des peintures. Au contraire, le nouveau feuillet
découvert en Angleterre tSt entièrement libre et peut être étudié sur ses deux faces.
On peut ainsi se rendre compte de la manière dont était disposé le corps du livre
d'Heures.
Le feuillet mesure 203 millimètres de hauteur sur 142 millimètres de largeur. Le
texte e§t écrit sur 16 lignes à la page, avec une justification ne mesurant que 95 milli-
mètres de haut sur 5 8 millimètres J de large, ce qui laisse de très grandes marges tout
à l'entour. Le texte occupe un re£to. Sur sa marge latérale extérieure se déroule une
bordure d'ornement, où des palmes frisées, bleu et or, alternent avec des tiges de roses.
Le chiffre E.E. eSt deux fois introduit dans cette bordure, en haut et en bas. Quant à
la miniature, elle occupe le verso du feuillet et couvre un espace très supérieur à celui
réservé pour la justification du texte, car elle mesure, y compris un filet d'encadre-
ment en or variant de i millimètre à i millimètre ^ d'épaisseur, une hauteur de
IJ7 millimètres, sur une largeur de 120 millimètres.
Le texte, écrit au refto, contient la fin d'une prière, inspirée, comme point de
départ, de l'histoire de la maladie du roi Ezéchias, telle qu'elle est racontée dans la
Bible, Isaïe, chap. xxxviii, et que je reproduis ligne pour ligne, en ayant soin
seulement de développer les abréviations, et après avoir d'abord suppléé, entre ( ),
pour restituer le texte au complet, le début de l'oraison, qui devait certainement
se trouver écrit au bas d'un feuÛlet précédent :
31
(Deus, qui Ezechie)
(r)egi* Jude te cum lacrimis dep(re)-
canti vite spacium pretendi^li,
concède michi propicius indi-
gne faniulo tuo tante vite
spacium, saltumque ad men-
suram, ut omnia peccata mea
valeam deplorare, veniam ac
graciam s(e)c(un)d(u)m tuam mi(sericordi)am
consequi merear. Per Dominu(m)
N(o§t)r(u)m Ih(esu)m XR(iftu)m filium tuum
Qui tecum vivit et régnât in
unitate Spiritus Sanfti Deus.
Per omnia secula seculorum.
Amen.
Au-dessous, en lettres de couleur rouge, cette rubrique :
Anthene de Saint-Michiel.
Ladite rubrique annonce l'exercice de dévotion auquel se rapporte la miniature
de St. Michel peinte sur le verso. Quant à ce verso, on peut l'étudier sur l'excellente
héliogravure jointe à ce présent opuscule, exécutée par M. Emery Walker.
Vers le milieu de la page se trouve peinte la lettre M, initiale du mot " Michel "
par lequel commençait l'antienne. Cette lettre eSt modelée en traits d'or sur fond bleu.
Dans son intérieur apparaît le chiffre E. E. d'Etienne Chevalier, peint en or sur un
écusson rose violacé ; tout autour se déroule la peinture proprement dite.
Les quarante feuillets des Heures d'Etienne Chevalier appartenant au Musée
Condé ont eu la bonne fortune exceptionnelle, depuis près de 120 ans, de ne subir
qu'un seul transfert d'une coUedion à une autre, et ils n'ont jamais cessé d'être l'objet
des soins les plus minutieux. Aussi ont-ils conservé une fraîcheur d'aspeft, une
vivacité de coloris qui les mettent hors pair. Les autres feuillets, au contraire, comme
les deux morceaux du Musée du Louvre, et le feuillet de la Bibliothèque Nationale de
Paris, qui ont passé de mains en mains, ont perdu plus ou moins de leur fleur primitive.
C'est avec ces derniers qu'il eSt équitable de mettre en parallèle le nouveau feuillet
retrouvé en Angleterre. Lui aussi, sans qu'on sache quelles furent ses destinées
antérieures, a dû courir le risque des aventures. L'artifte avait employé, pour peindre
les visages dans la partie supérieure, ainsi qu'une sorte de nuage qui s'eStompe
derrière St. Michel, une couleur blanche, sans doute à base de céruse, qui s'eSt oxydée
et a noirci. Notre planche en héliogravure exécutée avec une conscience absolue
donne elle-même l'impression de ces taches. Il semble d'autre part que, vers le milieu
de la page, le vert du terrain a été repris, la couleur rapportée ayant même un peu
coulé, en particulier sur une ligne creuse du parchemin. Ceci pour ne rien cacher de
l'état de la peinture.
Dans le haut de la page, le personnage principal e§t St. Michel, qui combat tête
nue, debout sur une terrasse de gazon vert clair, que limite, sur la droite, des accumula-
tions de rochers brunâtres également recouverts de gazon.
• La première lettre: r, se trouve aujourd'hui eflFacée, mais la présence ancienne, sur
l'original, du mot entier " régi " ne fait aucun doute.
3^
L'Archange eël entièrement revêtu d'une armure dorée, formée de pièces articu-
lées rappelant ce que l'on appelait l'armure d'écaillé ou à l'écrevisse. Une particularité
curieuse c'eêl que le plaSlron de la cuirasse a la forme d'une coquille, la coquille appelée
peïfen, ou peigne, dite aussi " coquille de St. Jacques." Or, pareilles coquilles étaient
comme l'emblème matériel de la fameuse abbaye française du Mont-St.-AIichel. Elles
figuraient dès l'origine dans les armoiries de l'abbaye. Les pèlerins du Mont-St.-
Michel en rapportaient de petites images en plomb. Quand le roi Louis XI créa l'Ordre
de St. Michel, en lui fixant d'ailleurs comme siège olSciel le Mont-St.-Michel, il fit
entrer cette coquille, comme attribut caractéristique, dans le collier de l'Ordre. Peut-
être, en donnant au plaStron de la cuirasse de son St. Michel, dans le feuillet retrouvé à
Londres, la forme de la traditionnelle coquille, Foucquet se souvenait-il des travaux
qu'il avait exécutés pour Louis XI au moment de l'organisation de l'Ordre. En tout
cas, ce que l'on peut dire, c'e§t que, dans l'exemplaire des Statuts de l'Ordre peint par
Foucquet à l'intention de Louis XI, on voit, au bas de la page, deux anges en armure
dorée qui soutiennent les deux extrémités du Collier de l'Ordre : et plusieurs pièces des
armures de ces anges reproduisent également l'aspeû des fameuses coquilles. Ajoutons
que cette idée de faire entrer la coquille dans la cuirasse de St. Michel, ou des autres
anges de la milice célefte, e§t absolument particulière à Foucquet : on ne la retrouve
pas ailleurs que dans l'œuvre du Maître de Tours.
Pour en revenir à notre miniature de Londres, l'Archange y brandit son épée de
la main droite. De la gauche, il tient un petit bouclier circulaire, ou rondache, du même
ton rose violacé que l'écusson portant l'E.E. dans l'intérieur de l'initiale M. Très
souvent, on rencontre au XVème siècle des images de St. Michel portant ainsi un petit
bouclier rond. Les Van Eyck eux-mêmes ont appliqué ce principe dans un détail du
polyptique de V Agneau mystique, à St. Bavon de Gand.
Du dos de St. Michel sortent deux grandes ailes peintes en rouge vermillon clair.
Derrière le saint e§t une première rangée d'anges, vus à mi-corps ; ils ont des armures
dorées et d'amples ailes bleues ; ils tiennent de longs bâtons également dorés, sur-
montés de la croix. L'un d'eux, le premier à gauche, porte en outre le heaume doré de
St. Michel.
En adoptant pareille disposition, Foucquet semble s'être souvenu de la façon
dont on a représenté parfois des rois ou des princes français du XVème siècle, un
Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, par exemple,* ou un Charles VIII, roi de
France,! que des miniaturistes nous montrent accompagnés, soit d'un seul, soit de
deux anges, portant auprès d'eux leurs casques héraldiques dorés. Une seconde
rangée d'anges se voit, plus en arrière, sur la gauche. Ces anges sont simplement
modelés en manière de camaïeu au moyen de traits d'or sur le bleu profond du ciel.
Le bleu employé, soit pour le ciel, soit pour les ailes d'anges, soit pour le fond de la
grande lettre M, e§l ce beau ton profond qui vibre d'une façon constante sur la palette
de Jeaii Foucquet.
En face de St. Michel se voit le dragon infernal que combat l'Archange. Ici, nous
rencontrons une disposition très rare dans la série des miniatures de livres d'Heures.
En thèse générale, dans les images de St. Michel insérées dans les dits livres d'Heures,
* P. Durrieu. Livre de Prières peint pour Charles le Téméraire, etc. Paris, 1916, gr. 10-4",
fig. 20 (extrait du tome XXII des Monuments et Alémoires de la Fondation Piot).
t C. Couderc. Bibliothèque Nationale. — Album de portraits d'après les colleSions du département
des manuscrits — PI. CIV.
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le montre contre lequel lutte l'Archange n'a qu'une seule tête; mais Foucquet a suivi
ici le texte de l'Apocalypse, qui nous dit que la viftoire de St. Michel fut remportée sur
un dragon à sept têtes.* C'eSt, en effet, sous la forme d'un animal à sept cous, au corps
jaune et vert, et dont les sept gueules s'ouvrent pour laisser passer des langues rouges,
qu'eSl figuré l'ennemi de St. Alichel. Sur la droite, au milieu des rochers, on aperçoit
encore l'extrémité d'une semblable gueule de dragon.
La partie inférieure de la peinture représente les abîmes de la terre dans lesquels
fut précipité le dragon aux sept têtes, vaincu par St. Michel. Le dragon réapparaît
sur la droite entouré de flammes. Au milieu, également dans les flammes, deux
démons torturent des damnés.
Sur la gauche, enfin, eêt assis Lucifer, devenu Prince des Enfers. Son corps e§t
de couleur rouge brique ; autour de son front passe une double bandelette verte, d'où
émergent trois cornes : au-dessus de lui voltigent de minuscules figurines de diablotins
peints en nuance brique ; plus bas, sur la droite par rapport à la figure de Lucifer, on
entrevoit, dans la pénombre, d'autres démons indiqués au moyen d'un modèle de ton
brunâtre.
Toute cette composition e§t fort habilement disposée et, sur l'original, le coloris,
en dépit des quelques altérations que j'ai signalées, y ajoute l'attrait d'un accord
de tons harmonieusement fondus.
On peut toutefois faire un reproche à cette page peinte, reproche qui d'ailleurs
s'applique à l'ensemble de l'œuvre élaborée dans l'ateher de Jean Foucquet.
Foucquet e§t un miniaturiste aussi savant que délicat, un paysagiste de premier
ordre. Il excelle à grouper des foules, à donner à ses personnages toute l'animation de
la vie. Mais, quand il veut s'élever plus haut, se lancer dans les transcendantes spécula-
tions de l'allégorie, le souffle lui manque. Ses tableaux, si exquis qu'ils soient, sont
compris dans un sens, je ne dirais pas vulgaire, tant s'en faut, mais terre à terre. Il y
manque l'imprévu, la grande envolée, le côté vibrant, tendre ou poétique. Foucquet
e§t trop constamment sage, trop esclave de la réalité des choses journalières; il ne
se laisse pas assez emporter sur les ailes de la poésie.
Le combat de St. Michel contre le démon, de notre quarante-cinquième frag-
ment des Heures d'Etienne Chevalier, en eSt lui-même une preuve, par sa
composition. L'Archange, en dépit de ses ailes, ne diffère pas assez d'un simple
guerrier combattant l'épée à la main. Nous sommes loin de ce prestigieux St. Michel
des Très riches Heures du Duc Jean de Berrj, à Chantilly, que les maîtres préférés du
Duc,Polde Limbourg et ses frères, ont suspendu en plein ciel, attaquant le démon au-
dessus de l'Abbaye du Mont-St.-Michel, dont la silhouette se dresse au milieu des
flots. f Loin même de ce beau St. Michel, celui-ci ramené sur terre, que l'on peut
admirer dans les Heures du Mare'chal de Boucicaut an Musée Jacquemart-André. :|:
Et le monstre aux sept têtes! Il n'a vraiment pas l'air bien terrible, avec ses
gueules qui ressemblent un peu trop à un groupe de becs de canards. Les sculpteurs
de l'époque romane, les peintres miniaturistes du XlIIème et du XlVème siècle,
savaient imprimer une autre allure à leurs représentations du dragon infernal.
* Jpocalypse de Saint Jean, xii, 3 et 7-9.
t P. Durrieu, Chantilly, Les Très riches Heures de Jean de France, duc de Berry. Paris, 1904,
in-folio, pi. LXIV.
^ P. Durrieu, Les Heures du Maréchal de Boucicaut du Musée Jacquemart- André, Paris, 1914,
in4<', fig. I.
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Dans la partie inférieure de la page, quelle apparence bonasse donnée au Lucifer
assis sur la gauche ! C'e§l cependant là un type qu'aimait Foucquet, car on le retrouve
au bas du feuillet des Heures d'Etienne Chevalier qui appartient au British Muséum.
Mais une pareille apparence justifierait vraiment en présence de ce Lucifer, aux formes
replètes et un peu affaissées sur elles-mêmes, l'idée de songer au fantoche
" Bibendum," populaire comme emblème d'une célèbre fabrique française de
pneumatiques.
En dépit de cette reftriftion portant sur le parti pris de l'ensemble de la peinture,
il n'en re§le pas moins que le quarante-cinquième feuillet des Heures d'Etienne
Chevalier, retrouvé en Angleterre, et qu'il y aura lieu désormais de comprendre
dans la même suite que les quarante-quatre autres fragments déjà connus, constitue
une pièce très précieuse à tous égards.
En terminant, je remercierai à nouveau MM. Maggs Bros., de m'avoir accordé
le privilège d'être le premier à pouvoir faire connaître cette pièce aux historiens de
l'art français et au grand public de tous les pays.
Paris, 19 f?jars, 1925
li
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THE PELICAN PHESS
2 CARMELITE STREET, E.C.
ND Durrieu, Paul, comte
3363 Livre d'heures peint par
F6D8 Jean Foucquet
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