Skip to main content

Full text of "Élémens de l'histoire de France, depuis Clovis jusqu'à Louis 15. Nouvelle ed. continuée jusqu'á la mort de Louis 16"

See other formats


An  Anonymous  Donor 


UNINERSITY  OF 
TORONTO  PRESS 


c^ 


lOliCr   T 


É  L  É  M  E  N  s 

DE    L'HISTOIRE 

DE    FRANCE, 

Depuis  Clovjs  jusqu'à  Louis  XV. 

Par  m.  l'abbé  MILLOT, 
de  rAcadéiuie  Françoise. 

Nouvelle  édition  continuée  j'usqu'à 
la  mort  de  Louis  XVI ,  par 
Marie- Auguste  Amar  du  Rivier. 

TOME    TROISIÈME. 


A     PARIS. 


An  XI,  i8oi; 


\bo\ 

•'   -5 


ÉLÉ  M  E  N  s 

DE  UHISTOIRE 

DE   FRANCE. 

FRANÇOIS    IL 

JL/ANS  la  courte  durée  cîe  ce  règne  ,  7"         i-mii 
fut  de  dix-sept  mois,  on  vit  éclore  les  se-    1559. 
mences  des  guerres  de  religion  ,  le  plus  ter-  ^gf  ^' g^er- 
rible  fléau  qu'ait  éprouvé  le  royaume.  L'am-  rçs  de  reii- 
bition  des  grands  arma  le  fanatisme  des  peu- 
ples. Il  en  résulta  des  maux  infinis ,  dont  la 
mémoire  doit  inspirer  une  vive  horreur  pour 
cet  esprit  de  cabale,  que  le  faux  zèle  change 
quelquefois  en  frénésie.  Un  roi  de  seize  ans,  Xj-aisfac- 
infirme  ,  incapable  de  gouverner,  montoittio"^  à  la 
sur  le  trône  dans  un  temps  où  trois  factions       ' 
puissantes    divisoient   la   cour;   celles   des 
princes  du 'sang,  Antoine  de  Bourbon  ,  roi 
de  Navarre ,   et  son  frère  Louis  I ,  prince 
3e  Condé,  Tun  et  l'autre  indignés  depuis 
long-temps  de  n'être  pour  rien  dans  les  af- 
faires ;  celle  des  Guises ,    à  qui  la  qualité 
d'oncles  du  roi  (la  reine  Marie  Stuart  étant 
leur  nièce  )  devoit  donner  plus  de  crédit 
Tome  III.  A 


€  François  IL 

<iu'i\s  n'en  avoient  eu  sous  le  dernier  règne  : 
enfin  celle  des  Montmorencis  ,  dont  le  chef, 
par  ses  longs  services  et  par  sa  dignité  de 
connétable  ,  se  croyoit  en  droit  de  préten- 
dre à  tout. 
Catherine  La  reine  mère,  Catherine  de  Médicis, 
fie  e  ^cis.p^j^^ç^^^  ^»^^  génie  souple  et  artificieux, 
d'une  politique  digne  de  Machiavel  ;  telle- 
ment maîtresse  de  ses  sens  ,  qu'elle  avoir  eu 
tous  les  dehors  de  l'amitié  à  l'égard  de  la 
duchesse  de  Valentinois  sa  rivale ,  balança 
d'abord  entre  ces  différens  partis.  Elle  se 
déclara  bientôt  pour  les  Guises ,  qu'elle  haïs- 
soit ,  mais  dont  elle  crut  avoir  besoin.  Fran- 
çois II  avoir  mis  à  la  tête  du  gouvernement 
le  duc  de  Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine. 
-  Le  connétable  de  Montmorenci  fut  disgra- 
cié ,  et  le  roi  de  Navarre  adroitement  éloigné 
de  la  cour. 
Les  pro-  Si  d'une  part ,  il  étoit  impossible  de  con- 
î)osés  à  la  cilier  tant  d  mterets  opposes  ;  de  1  autre  , 
révolte.  ^^  offensant  des  hommes  illustres  ,  on  s'atti- 
roit  de  redoutables  ennemis.  Le  prince  d« 
Condé ,  aussi  vif,  aussi  entreprenant  que 
son  frère  étoit  flegmatique  et  irrésolu  ,  ne 
tarda  point  à  comploter  avec  Coligni  et 
d'Andelot ,  neveux  du  connétable  ,  parti- 
sans déclarés  du  calvinisme.  C'est  à  Coligni 
qu'on  attribue  le  projet  de  soulever  les  pro- 
testans.  Tout  les  portoit  à  la  révolte.  Les 
exécutions  ne  discontinuoient  point.  Un  in- 


François  IL  7 

quisiteur  exerçoit  encore  rautoritë  du  tri- 
bunal sanguinaire  que  la  nation  détestoit. 
Anne  du  Bourg ,  conseiller-clerc  au  parle-  Supplkè 
ment  de  Paris,  magistrat  distingué  par  sa '^'^JrT'** 
naissance  ,  ses  mœurs  et  son  intégrité  ,  ve- 
noit  dctre  pendu  et  brûlé  à  la  grève  comme 
hérétique.  Sa  mort  avoit  paru  un  martyre. 
L'enthousiasme  et  le  désespoir  échauffoient 
violemment  les  esprits.  L'expérience  prouva 
bientôt  que  les  Guises  ,  en  affectant  pour  la 
religion  un  zèle  trop  rigide ,  n'avoient  bien 
entendu  ni  leur  intérêt ,  ni  celui  de  la  reli- 
gion même, 

La  fameuse  conjuration  d'Amboise  fut  le 


premier  fruit  de  la  hame  qu  ils  inspiroient.  ^^^"^' 

Vt  II  rk'  •  1-  '1      Conjura- 

Un  gentilhomme   Fengourdin,  nomme  lationd'Am* 

Renaudie,  en  étoit  le  chef;  le  prince  de  °^*^' 
Condé  ,  sans  paroître  ,  en  étoit  l'âme.  Plu- 
sieurs corps  de  protestans ,  conduits  par  de 
braves  capitaines  ,  dévoient  se  rendre  de 
différentes  provinces  à  Amboise  où  étoit  la 
cour ,  enlever  le  roi  et  les  Guises ,  arracher 
un  édit  pour  la  liberté  de  conscience  ,  et 
faire  passer  entre  les  mains  du  prince  de 
Condé  toute  l'autorité  du  ministère.  Le  se- 
cret de  la  conspiration  fut  heureusement 
trahi  par  un  avocat ,  nommé  Avenelles  ,  à 
qui  la  Renaudie  eut  l'imprudence  de  le  con- 
fier. Aussitôt  le  duc  de  Guise  est  fait  lieu- 
tenant général  du  royaume.  Il  prend  des 
mesures  admirables  pour  laisser  éclater  le 

Al 


s  François  II. 

complot  et  pour  en  prévenir  l'éxecution.  Au 
jour  marqué,  les  rebelles  arrivent  par  di- 
verses routes.  Ils  étoient  attendus  ;  ils  fu- 
rent défaits.  Plusieurs  avec  la  Renaudie  pé- 
rirent les  armes  à  la  main.  Ceux  qu'on  saisît 
n'échappèrent  qu'en  petit  nombre  aux  sup- 
plices. Amboise  devint  une  espèce  de  bou- 
cherie. 
La  càMv      Le  prince  de  Condé  étoit  venu  à  lâ  cour 
nalemcTit  3*^^^"^^^  ^'^^"^^^  de  la  conjuration.  Arrêté  sur 
des  soupçons    vagues ,    sans  pouvoir  être 
convaincu  ,    il  se  justifia  en   plein  conseil 
avec  beaucoup  d'éloquence  ,  et  finit  par  dé- 
clarer que,  malgré  son  titre  de  prince  du 
sang ,  il  défioit  au  combat  quiconque  ose- 
roit  l'accuser.  Le  duc  de  Guise  ,  que  ce  défi 
regardoit ,  se  posséda  parfaitement  ;  il  sou- 
tint l'innocence  du  prince  ,  il  lui  offrit  même 
son  épée  si  la  preuve  du  duel  étoit  admise. 
On    lui  rendit   la   liberté,   on    écrivit  au 
roi  de  Navarre  et  à  l'amiral  de  Coligni  des 
.  lettres  pleines  de  confiance ,  quoique  l'on 
se  défiât  d'eux  autant  que  du  prince;  on 
commença  même  à  modérer  les  édits  contre 
les  calvinistes  :  il  fut  ordonné  qu'on  puni- 
roit  seulement  ceux  qui  seroient  convaincus 
de  violence  et  de  sédition.  Rien  n'étoit  plus 
juste  ;  et  la  politique  s'accordoit  en  cela  avec 
l'esprit  du  christianisme. 
Michel  de      Michel  de  l'Hôpital ,  que  son  mérite  ve- 
«K«Uer  noit  d'élever  à  la  dignité  de  chancelier,  avoit 


François  IT.  9 

des  principes  fort  difFérens  de  ceux  du  car- 
dinal de  Lorraine  et  de  presque  tout  le  clergé. 
Ce  cardinal  vouloit  exterminer  les  novateurs, 
et  établir  la  tyrannie  de  l'inquisition.  C'eût 
été  mettre  le  teu  au  royaume.  Pour  éviter 
un  tel  malheur ,  le  chancelier  consentit  à  in- 
terdire aux  parlemens ,  par  l'édit  de  Romo- 
rantin  ,  la  connoissance  du  crime  d'hérésie , 
et  à  l'attribuer  aux  éveques  ,*  édit  qui ,  selon 
les  vues  du  cardinal ,  devoit  rendre  ks  re* 
cherches  contre  les  hérétiques  plus  exactes 
et  plus  rigoureuses. 

Cette  rigueur  m(?me  leur  inspiroit  des  sen-  l-essuppii- 
timens  de  révolte.  Ln  Uauphme ,  en  rro-  tent  les 
vence ,    en  Normandie  ,   ils  excitèrent  des  ^^^^^"^"^* 
séditions.  «  C'est  ainsi ,  dit  Daniel,  qu'un 
»  feu  caché  sous  la  cendre  produisit  tout-à- 
»  coup  un  incendie  par  tout  le  royaume  , 
»  et  que  ceux  des  catholiques  qui  avoient 
»    sou  ver  t  blâmé  la  rigueur  êts    édits  de 
»  François  1  et  de  Henri  II ,  apprirent  par 
»  une  funeste  expérience  qu'on    ne  peut 
»  prendre  trop  de  précautions   contre  les 
»  nouveautés  en    matière  de  religion ,   et 

qu'indépendamment  du  zèle  que  tout  ca- 
»  tholique  doit  avoir  pour  la  vraie  foi ,  il 
»  suffit  d'aimer  Tétat  pour  ne  rien  négliger 
>»  de  ce  qui  peut^contribuer  à  les  étouffer 
»  dans  leur  naissance  ».  Il  est  sans  doute 
essentiel  d'étouffer  dans  leur  naissance  ks 
pestes  publiques.    Mais  fliistorien  pouvoit  » 

A3 


'lo  François  ÎL 

observer  que  les  supplices  avoient  produituh 
effet  contraire  ;  qu'ils  avoient  allumé  le  feu  ,. 
bien  loin  de  FéteirRlre ,   que  plus  il  faut  ré- 
primer les  perturbateurs  de  l'état ,   plus  on 
doit  avoir  de  compassion  pour  des  malheu- 
reux qui  n'ont  d'autre  crime  que  l'erreur.  Le 
zèle  de  la  religion  est-il  donc  contraire  à  l'hu- 
manité ?  Est-ce  par  les  fiamimew  que  Ton  dé- 
trompe les  esprits  ?  Falloit41  brûler  des  mil- 
liers de   citoyens,  uniquement  parce  qu'ils 
ne  pensoient  pas  comme  l'église  l   Et  que 
pouvoit-il  y  avoir  de  plus  dangereux  dans,, 
les  circonstances  ,  que  d'envenimer  la  haine 
et  d'exciter  le  fanatisme  des  sectaires  multi- 
pliés de  toutes  parts?:  La  bonne  politique^ 
comme  le  vrai  zèle ,   devait  opposer  d^s. 
barrières  aux  progrès  du  calvinisme  ,  sans 
fournir  aux  calvinistes  des  prétextes  de  ré- 
volte. 
Traité        Elisabeth ,  par  une  conduite  également 

aveclar*!-  -  i  /       •        •   i  • 

ne  d'AiN  lermeetprudente^reussissoitbeaucoupmieu» 
sieteire.  ^  maintenir  son  autorité  et  sa  nouvelle  reli- 
gion. Elle  soutenoit  les  protestons  fanatiques 
d'Ecosse  ,  révoltés  contre  Marie  Stuart  qui 
vouloit  lui  disputer  la  couronne  d'Angle-- 
terre.  Les  Guises  avoient  envoyé  des  trou- 
pes françaises  en  Ecosse,  sous  prétexte  de 
défendre  les  catholiques  ^  et  réellement  pour 
former  des  entreprises  contre  Elisabeth..  Mais, 
elle  força  la  cour  à  faire  un  traité ,  par  lequel 
Mai'ie  s'ohhgeoit  à  ne  plus,  porter  dans  soa 


François   IT.  rt 

isson  les  armes  d'Angleterre  ,  et  le  roi  à 

peler  ses  troupes. 

On  tint  une  grande  assemblée  à  Fontai- Assemblée 

Jjjeau  ,  selon  l'ancienne  coutume,  afin  de „ebieTu.^^' 

chercher  des  remèdes  aux  divisions  intesti-  j/s'^pi-^Jfgs^ 

nés.  C'est  là  que  Coligni  présenta  une  re-  tans. 

quête,  au  nom  des  protestans,  pour  obtenir 

.  hberté  de  conscience  et  Texfrcice  public 

vx  leur  religion.  L'éveque  de  Valence ,  Jean  Deux  évê- 
y    ^  t        %  un/  •         •    ^nes    pour 

de  Montluc  y  conseiller  d  état,  ne  craignoitia  toiéiau- 
point  de  parler  en  leur  faveur.  Il  attribua  en  ^^* 
partie  les  maux  publics  à  l'ignorance  et  aux 
désordres  du  clergé ,  n'épargnant  ni  le  pape, 
ni  les  évéques  ,  dont  quarante  ,  disoit-il , 
avoient  été  vus  en  même  temps  à  Paris , 
où  ils  croupissoient  dans  la  mollesse  et  dans 
l'oubli  de  leurs  devoirs..  Il  représenta  que  r' 
hs  rebelles  parmi  les  calvinistes  cFevoientctre 
sévèrement  punis  ;  mais  que  ceux  qui  étoient 
de  bonne  foi,  et  qui  le  prouvoient  par  leur 
soumission  et  leur  patience  ,  méritoient  d'c- 
tre  tolérés.  Il  conclut  à  ks  laisser  traiiquilles 
dans  leur  croyance ,  et  à  empêcher  scuîe- 
Jncnt  les  assemblces  dangereuses.  L'archevê* 
que  de  Vienne^  Charles  de  Marillac  tut  du 
^me  avis,  et  l'appuya  par  de  très-fortes. 
I  a. sons. 

Coligni  harangnaavec  plus  de  véhémence;  piainrer 
ne  ménagea  point  les  Guises  ,  auxqnels  il^^^^^'S'iw 
prochoit  surtout  de  détruire  la  confiance 
.«.s  peuples  er.  -t  3  le  souverain  ,  par  la  nom- 

A4 


32  François  IL 

breuse  garde  qu'ils  mettoient  autour  de  iH 
personne.  (  Depuis  la  conjuration  d'Am- 
boise,  on  avoit  augmenté  de  deux  cents 
hommes  la  garde  du  roi.  )  II  demanda  que 
^  garde  fût  supprimée ,  qu'on  assemblât  les 
états-généraux ,  et  qu'oîi  travaillât  à  l'extir- 
pation des  erreurs.  Le  duc  de  Guise  et  le 
cardinal  son    frère   parlèrent,  selon  leurs 
principes ,  en  maîtres  du  gouvernement.  Le 
résultat  de  cette  assemblée  fut  la  convocation 
des  états-généraux. 
Sécurité       L^^  Guises  espéroient  d'y  attirer  le  roi 
aveugle     Je  Navarre  et  le  prince  de  Condé,  que  la 
crainte  de  quelque  violence  avoit  empêché 
de  venir  à  l'assemblée.  Le  dernier  s'étoit  dé- 
claré ouvertement  calviniste  ;  il  étoit  auteur 
d'une   nouvelle    conspiration ,    découverte 
^   comme  celle  d'Amboise.  Le  roi  de  Navarre , 
quoique  toujours  flottant,  neparoissoit  guère 
moins  suspect  ni  moins  redoutable.  Fran- 
çois II  ks  manda  à  Orléans  pour  les  états , 
leur  promettant  sûreté  entière.  Ils  se  la  pro- 
mettoient  eux-mêmes.  Sept  ou   huit  cents 
gentilshommc".  offrant  leurs  services  au  roi 
de  Navarre  ,    ce    prince  les  remercia ,   et 
ajouta  qu'il  demanderoit  leur  grâce  si  l'on 
vouloit  procéder  contre  eux.   Notre  grâce  , 
Monseigneur ,  lui  dit  un  des  gentilshom- 
mes !  vous  serei  bien  heureux  si  vous  ob^ 
tenei  la  vôtre  en  la  demandant  avec  beaur 
coup  d'humilité. 


François  IL  i3 

A  peine  les  deux  frères  sont  arrivés  à  Or-  Procès  de 
icdiis ,  que  le  prince  de  Condé  est  mis  en  ^'^  ^* 
prison  ,  et  le  roi  de  Navarre  ,  gardé  à  vue. 
On  nomme  des  commissaires  pour  instruire 
le  procès  du  prince.  Il  refuse  de  leur  répon- 
dre ;  il  demande  à  ctre  jugé ,  selon  le  privi- 
lège de  sa  naissance,  par  la  cour  des  pairs. 
On  ne  laisse  pas  de  dresser  Tarrét  de  mort. 
Cet  arrêt  ne  fut  point  signé ,  selon  de  Thou; 
d'autres  disent  qu'excepté  le  chancelier ,  le 
comte  de  Sancerre  et  un  autre  tous  le 
signèrent.  On  se  préparoit  sans  doute  à  Texé- 
cuter.  Les  Guises  devenus  plus  audacieux 
depuis  qu'ils  tenoient  leurs  ennemis ,  se  cro- 
yoient  sûrs  d'un  triomphe  complet ,  lorsque 
le  roi  mourut  lout-à-coup  âgé  de  dix-sept  Mortdur(«| 
ans.  Quelques-uns  Tappeloient ,  à  cause  de 
l'innocence  de  ses  mœurs ,  U  roi  sans  vice  ; 
titre  plus  glorieux  que  tout  autre ,  dit  judi- 
cieusement Mézerai ,  quand  il  a  pour  fonde- 
ment ,  non  pas  l'imbécillité  de  l'esprit,  mais 
la  sagesse  et  la  vertu. 


Dans  un  ouvrage  publié  sous  le  nom  de  Les  Guises 
Jeanne  d'Albret  reine  de  Navarre ,  on  assure  d>?crimt 
que  les  Guises  avoient  formé  contre  le  roi  *^'«"^* 
son  époux  un  complot  d'assassinat ,  d'autant 
plus  affreux  qu'il  devoit  s'exécuter  dans  la 
chambre  de  François  II,  et  de  concert  avec 
lui.  Sur  l'avis  qu'en  reçut  le  roi  de  Navaire, 
il  dit  au  capitaine  Ranty,q^'illeurve^^rQ/^ 

■      A,        ' 


14  WSLAWÇOIS   II. 

sa  peau  bien  cher  ;  mais  qu*en  cas  de  mort,, 
il  lui  ordonnoit  de  porter  sa  chemise  toute 
sanglante  à  sa  femme  et  à  son  fils ,  pour  les 
animer  à  la  vengeance.  Il  entra  ensuite  dans 
la  chambre  du  roi  ,  qui ,  soit  par  humanité- 
ou  par  foiblesse  ,   changea  tout-à-coup  de. 
rësolution.  O  le  pauvre  roi  que  nous  ayons- 
là  /dit  le  duc  de  Guise  en  voyant  le  coup 
manqué.  Ce  fait,  supprimé  par  Daniel ,  se^ 
trouve  dans  l'histoire  de  l'illustre  président' 
de  Thou  ;  mais  il  ne  le  donne  pas  comme' ^ 
certain  et  indubitable.  Le  P.  GrifFet  y  op- 
pose des  raisons  que  je  voudrois  trouver  plus^ 
convaincantes.  C'étoit  malheureusement  le 
siècle  àts  crimes  atroces  ,  toujours  colorés; 
par  àQS  prétextes  de  religion  ou  de  politique^ 
De^potis-      Au  commencement  de  ce  règne ,  la  cour 
5ina"dr"  étant  à  Fontainebleau  où  les  affaires  parti- 
Lorraine,  culières  attiroient  une  infinité  de  personnes^, 
le  cardinal  de  Lorraine,   pour  se   délivrer 
des  importuns ,  fit  publier  à  son  de  trompe- 
un  édit,  portant  ordre  à  toutes  personnes^ 
venues  en   cour  pour  solliciter ,  d'en  sortir 
dans  vingt-quatre  heures ,  sous  peine  d'être 
pendu.  Il  y  avoit  une  potence  dressée  tout 
exprèa.  Quelle  tyrannie  !  Faut-il  s'étonner 
de  la  haine  qu'on  portoit  aux  Guises  'ï. 


C  H  ARLES    IX. 

JLiA  mort  du  dernier  roi  augmenta  la  cBa-=tr=r» 
leur  des  factions.  Charles  son  frère  et  son    îç^Oi 

»         •  1-  T       Politique 

successeur  n  avoit  encore  que  dix  ans.  La  ^^  cathe.* 
reine  mère  vouloit  gouverner.  Sa  politique  "{^^j^j^ 
ijlroite  raénageoit  tous  les  partis ,  pour  ss 
servir  des  uns  contre  les  autres.  Elle  n'eut 
garde  d'abandonner   le  prince  de  Condé  à. 
la  vengeance  ambitieuse  des  Guises.  Elk  se 
réconcilia  avec  lui  et  avec  le  roi  de  Navarre  j^ 
çn  tirant  le  premier  de  sa  prison ,  et  en  procu- 
rant à  l'autre  la  lieutenance  générale  du  royau- 
me. Ces  princes  et  les  Guises  parurent  déposer 
entre  ses  mains  leur  inimitié  mutuelle.  Plu? 
ennemis  que  jamais  au  fond  du  cœur,  ils  agi- 
rent ensemble  avec  tous  les  dehors  de  la  bien- 
veilbnce.  Le  connétable  de  Montmorenci  Traîtliar- 
^t  rappelé.  En  arrivant  à  Orléans ,  il  de-  nétabie!**" 
manda  ce  que  faisoient  là  tant  de  gardes  ,  et 
si  le  roi  n'étoit  pas  en  sûreté  au  milieu  de  ses 
sujets  ?  Sans   autre  éclaircissement  ,   il  or- 
donna aux  gardes  de  se  retirer ,  et  fut  obéu. 
On  voit  ce  que  pouvoit  un  connétable.. 

Les  états  se  tinrent  dans  cette  ville ,  pour  ^  Etats 
ne  produire  aucun  bien    réel.  Quoique  le  *^'^'^^^^^*** 
chancelier  de  l'Hôpital ,  qui  en  fit  l'ouver- 
ture, eût  blâmé  le  zèle  violent  des  religion- 
iiàires  et  des  catlioHques;  quoique]  eût  désap- 
prouvé les  noms  injurieux  de  Papistes  at  de 

A6 


ï6  Charles   IX. 

Huguenots  (i),  et  exhorté  tout  le  monJe 
à  se  réunir  pour  le  bien  commun  ;  on  s'oc- 
cupa foiblement  des  intérêts  du  royaume.  La 
noblesse  et  le  tiers-état  déclamèrent  contre 
le  clergé;  l'orateur  du  clergé  invectiva  con- 
tre les  calvinistes ,  et  demanda  même  que 
quiconque  auroit  présenté  ou  présenteroit 
des  requêtes  pour  leur  obtenir  l'exercice  de 
leur  religion  ,  fût  puni  comme  hérétique.  Ce 
trait  portoit  directement  sur  l'amiral  de  Co- 
ligni,  qui  se  fit  faire  réparation  de  l'injure. 
Les  violences  pour  cause  de  religion  furent 
défendues ,  sous  peine  de  mort  ;  mais  la  dé- 
Mauvais  fense  ne  produisit  rien.  Il  étoit  essentiel  de 
«anccs.^  rétablir  les  finances.  Les  dettes  raontoient  à 
quarante-deux  millions,  quoique  Henri  If 
eût  trouvé  dix-sept  cents  mille  écus  dans  l'é- 
pargne. On  proposa  de  faire  rendre  compte 
à  ceux  qui  avoient  administré  les  revenus  du 
roi.  C'étoit  en  particulier  le  cardinal  de 
Lorraine  ;  aussi  la  demande  tomba-t-elle 
sans  effet, 
Ordon-  Tout  le  fruit  des  états  d'Orléans  se  ré- 
J^p^g'jJJg. duisit  à  une  célèbre  ordonnance,  par  la- 
tique.  quelle  l'administration  de  la  justice  fiit  en- 
tièrement réservée  aux  gens  de  robe  ,  et  la 


(i)  Il  est  vraisemblable  que  le  nom  de  Hugue^ 
nots ,  qu'on  donnoit  en  France  aux  réformés  , 
vient  d'un  mot  Allemand  qui  signifie  alliés  par  ser-^ 
menu 


Charles  IX.  17 

pragmatique  rétablie  par  rapport  aux  élec- 
tions ;  car  Pie  IV  (  chose  étonnante  )  avoit 
fait  annullerle  concordat  comme  trop  avan- 
:eux  aux  roi ,  afin  de  s'emparer  de  la  col- 
ion  des  bénéfices.  Mais  la  cour  de  Rome, 
privée  des  annates,  ne  tarda  point  à  rede- 
mander le  concordat  ,  qui   fut   rétabli   en 
1662.  Les   états  réglèrent   que  Catherine 
de  Médicis  gouverneroit  le  royaume  con- 
jointement et  par  le  conseil  du  roi  de 
Navarre,  Elle  n'eut  pas  le  titre  de  régente,     . 

Quelqu  habile  que  fût  Catherine ,  il  lui  ^^^f ^^Jf* 
etoit  impossible  de  manier  tellement  les  tenu  à  la 
cœurs ,  que  le  choc_  de  tant  de  passions  et 
d'intérêts  inconciliables  ne  produisît  bientôt 
de  funestes  changemens.  Le  roi  de  Navarre 
déjà  mécontent  se  préparoit  à  quitter  la 
cour,  et  le  connétable  devoit  le  suivre. 
Leur  retraite  eût  augmenté  la  puissance  des 
Guises.  Le  roi,  que  sa  mère  faisoit  parler  et 
agir  comme  elle  vouloir ,  ordonna  au  conné- 
table de  demeurer.  Ce  vieux  guerrier  céda 
malgré  les  sollicitations  de  ses  neveux.  Ilhaïs' 
soit  les  nouveautés  en  matière  de  religion  au- 
tant que  les  Coligni  les  favorisoient.  C'est  ce 
qui  le  détermina  peut-être  à  s'unir  enfin  au  duc 
de  Guise ,  contre  le  vœu  de  sa  maison  et 
contre  le  penchant  de  son  cœur.  Son  chan- 
gement retint  le  roi  de  Navarre.  Proi«  de 

r^  t        ■        11-    •     •  •  1         •  s      conreren- 

i^elui-ci  solhcitoit  toujours  la  reme  mère  ces  avec 
en  faveur  des  protestans,  qu'il  protégeoit ,  i^^''^^^** 


îS^  Charles  IX. 

soit  par  politique,  soit  par  bonté  ,  ou  par 
préjugé  y  sans  être  ouvertt.^ment  de  leur  parti. 
Catherine  avoit  grande  envie  de  les  satisfaire^ 
quoique  toujours  déclarée  pour  les  catholi- 
ques. Elle  proposa  le  dangereux  expédient 
d'une  conférence  publique  entre  les  uns  et. 
les  autres.  Rien  ne  paroissoit  plus  contraire 
aux  intérêts  de  l'église  Romaine  dont  on 
alloit  compromettre  la  doctrine  ,  ni  plus  con- 
forme aux  désirs  de  ses  adversaires,  qui 
se  trouveroient  en  quelque  sorte  de  niveau 
avec  leurs  juges..  Mais  la  vanité  du  cardia 
nal  de  Lorraine  fît  adopter  ce  projet,  mal» 
gré  le  cardinal  de  Tournon.  Il  se  flatta  de 
briller  dans  la  dispute,  et  de  confondre  ks^ 
plus  fameux  ministres  de  la  réforme. 
L.  Ces  conférences  j  si  connues  sous  le  nom 

1561.  de  colloque  de  Poissi ,  ne  servirent,  com- 
«laPoîssr  ^^  ^"  pouvoit  le  prévoir ,  qu'à  rendre  cha- 
cun  plus  ferme  dans  ses  sentimens.  Le  car- 
dinal de  Lorraine  d'une  part ,  et  de  l'autre  y 
Théodore  de  Beze  ,  disciple  de  Calvin  ^ 
aussi  aimable  que  son  maître  étoit  dur,  y 
signalèrent  leur  éloquence  et  leur  savoir» 
Pie  IV  n'ayant  pu  empêcher  une  assem.- 
blée  dont  il  appréhendoit  les  suites  ,  y  avoit 
envoyé  un  légat  accompagné  du  P.  Lainez, 
second  générai  des  Jésuites ,  et  le  principal 
auteur  de  leur  institut.  Celui-ci  dans  une 
des  séances  harangua  avec  une  hardiesse  qui 
choqua  la  reine,  II  dit  en  lui  adressant  1* 


Charles  IX  t"^? 

parole ,  que  ni  elle ,  ni  aucun  prince ,  ne 
devoit  traiter  des  affaires  de  religion  ;  que 
de  pareilles  conférences  étoient  capables  d'al- 
térer la  foi  des  laïques,  et  qu'on  devoit  s'en- 
rapporter  au  jugement  de  Téglise,  qui  seule 
avoit  droit  de  prononcer.. 

Si  Catherine  eût  écoute  son  ressentiment,  Etabiîjsea.- 

»  »^    •  r  T  '      'a.      ment  des- 

c  en  etoit  assez  pour  fermer  aux  Jésuites  jésuites*. 
toutes  les  portes  du  royaume.  Mais  le  cré- 
dit de  Lainez ,  les  instances  des  cardinaux. 
de  Lorraine  et  de  Tournon  ,  firent  passer 
Pacte  de  leur  établissement  en   forme   de 
collège ,  à  la  charge  qu'ils  renonceroient  au 
nom  de  Société  de  Jésus ,  et  qu'ils  seroient 
soumis  à  Tévcque  diocésain.  Tel  fut  le  foi- 
ble  commencement  d'une  compagnie  qui  s'é- 
tendit bientôt  par  tout  le  royaume ,  jusqu'à- 
devenir  un  corps  aussi  puissant  que  célèbre. 
Rome  ne  pouvoit  opposer  à  ses  ennemis  de 
plus  zélés  défenseurs. 

A  en  croire  le  P.  Daniel,  le  colloque  Leroidr 

^     n   •     •         \     \  n  w     •    Navarre 

de  Poissi  5  ou  de  part  et  d  autre  on  s  etoit  change  d©- 
attribué  la  victoire,  affoiblit  ks  préventions^'""'* 
du  roi  de  Navarre  pour  les   calvinistes.  Le 
légat  agit  plus  efficacement  sur  son  cœur  en 
lui  faisant  espérer  la  restitution  de  la  Na- 
varre ,  ou  quelque  chose  d'équivalent.  L'in- 
térêt fixe  bientôt  un  caractère  indécis.  Ce 
prince    embrassa   subitement  le  parti    des 
catholiques  ,   dont  il  avoit  été  jusqu'alors, 
três-éloigné.  Jl  s'unit  au  duc  de  Guise  et 


2&  Charles  IX. 

au  connétable  ,  qui ,  avec  le  maréchal  d'Al- 
bon  de  Saint-André ,  formoient  le  Trium* 
virât,  ^ 

'  '    '    "     La  reine  mère  dont  la  grande  maxime 
L^ertéde^^^^^  quV//àwr  divîser  pour  régner ^  crut 
(icnscience  ne  pouvoir  balancer  une  faction  si  considé- 
rable ,  qu'en  fortifiant  la  faction  contraire. 
Ce  fut  le  motif  d'un  édit  par  lequel  on  ac- 
cordoit  la  liberté  de  conscience  aux  protes- 
tans  ,  à  condition  qu'ils  tiendroient  leurs  as- 
semblées dans  les  faubourgs  et  non  dans  les 
villes.  Une  infinité   des   personnes  que  la 
crainte  retenoit ,  commencèrent  à  lever  le 
masque.  Partout  on  couroit  au  prêche ,  on 
désertoit  les  couvens,  on  insultoit  les  ca- 
tholiques comme  ils  insultoient  les  hugue- 
nots. Le  peuple,  toujours  porté  aux  excès, 
devient  aisément  furieux  dans  les  querelles 
de  religion.  Moins  il  raisonne,  plus  il  s'en- 
flamme. Il  falloit  peu  de  chose  pour  causer 
un  embrasement  général.  Le  massacre  de 
Vassi  fut  le  signal  des  guerres  civiles. 
Massacre      Le  duc  de  Guise  passant  par  Vassi  en 
Champagne ,  quelques-uns  de  ses  gens  trou- 
blèrent le  prêche  qui   se  tenoit  dans  une 
grange.  Des  injures  on  en  vint  aux  coups. 
Guise  accourut  pour  appaiser  le  tumulte  , 
et  fut  blessé  d'une  pierre.  Ses  gens  trans- 
portés de   fureur,  firent  main-basse  sur  les 
huguenots ,  dont  ils  tuèrent  plus  de  soixan- 
te. On  prétend  qu'à  cette  occasion  ,  conv*^ 


Charles  IX*  it 

me  le  juge  du  lieu  rappeloit  l'ëdit  de  la  li- 
berté de  conscience ,  il-dit  imprudemment , 
en  portant  la  main  à  la  garde  de  son  épée  : 
Voilû  celle  qui  fera  la  rescision  de  ce 
détestable  édit,  C'étoit  un  mot  échappé 
dans  la  colère  ,  et  le  massacre  de  Vassi, 
un  accident  arrivé  contre  l'intention  du  duc. 
Mais  les  protestans  n'attendoient  qu'un  pré- 
texte pour  se  révolter. 

Tandis  que  les  chaires  catholiques  reten-  p^clams- 
tissoient  de  l'éloge  du  prince  Lorrain  ,  etet°cofure' 
que  \t%  prédicateurs  le  comparoient  à  Moïse  q^-jç^  ^^ 
et  à  Jehu ,  qui  en  répandant  le  sang  des 
impies  avaient  consacré  leurs  mains  et 
vengé  la  querelle  du  Seigneur^  on  le  re- 
présentoit  ailleurs  comme  un  exécrable  meur- 
trier ,  comme  le  tvran  de  la  nation  et  Ten- 
nemi  des  lois.   Les  deux  partis  ne   respi- 
roient  que  la  guerre. 

Le  roi  de  Navarre  et  le  triumvirat ,  pour  Guerre 
s'assurer  de  la  personne  du  roi ,  le  forcèrent  de  ^*^'^^' 
quitter  Fontainebleau  ,  et  de  les  suivre  à 
Paris.  La  reine  mère  sollicite  le  prince  de 
Condé  à  venir  le  tirer  d'entre  leurs  mains. 
Ce  motif  spécieux  colore  sa  rébellion.  Les 
religionnaires  accourent  de  toutes  parts  ,  for- 
ment une  armée  au  prince ,  rétablissent  leur 
chef;  plusieurs  villes  considérables  entrent 
dans  la  ligue;  Condé  s  empare  d'Orléans 
dont  il  fait  sa  place  d'armes.  Trop  foible 
contre  les  royalistes ,  il  traite  avec  la  reine 


22  Charles  IX. 

d'Angleterre ,  et  lui  livre  le  Havre  pour  ache- 
ter son  secours.  Rouen  tzt  pris  et  saccagé 
Le  roi  de  par  Its  Catholiques.    Le  roi  de  Navarre  y 
tué  au      meurt  blessé   d'un    coup  d'arquebuse.  Ce 
Rouenl^     prince,  dit  un=  auteur  célèbre,  ne  mérite 
d'être  placé  dans  l'histoire  que  parce  qu'il 
fut  le  père  du  grand  Henri  IV.  Le  prési- 
dent du  Bbsc,  personr.age  illustre,,  fiit  exé- 
cuté  avec  quelques  gentilshommes    et   un 
ministre.  Le  prince  de  Condé ,  par  repré- 
sailles,.  fit  pendre  un  conseiller-clerc  et  un 
abbé  régulier. 
■  Comme  s'il  n'eût  pas  suffi  des  François- 

g'^'>^^,3jj^ pour  déchirer  le  royaume,  on   le  livra  en. 
Dreux,      proie  aux  étrangers.  De  part  et  d'autre  on 
fit  venir  des  troupes  Allemandes.  Les  àt,\\x 
armées  combattirent  enfin  à  Dreux,,  avec, 
l'acharnement  qui  caractérise  les  guerres  ci- 
viles, et  surtout  les  guerres  de  religion,  (i) 
Ce  qu'il  y  eut  de  singulier  dans  cette  jour- 
Ci)  pour  en  avoir  une  idée  complète,  il  sufîî- 
foit  de  lire  en  détail  le^  cruautés  du  baron  de  s. 
Adrets  contre  les  catholiques  j  et  celles  du  fameux. 
Montluc  contre  les  protestan?.  Le  premier  inonda, 
de  sang  le  Dauphiné,  le  Lyonnois  ,  le  Langue- 
doc ,  la  Provence  ,  etc.,;  le  second  ,  la  Guienne  ,. 
dont  il  étoit  gouverneur,  et  les  provinces  voisi- 
nes ;  l'un  et  l'autre  ,  se  faisant  un  plaisir  de  la  plui 
horrible  barbarie.  Montluc  ne  dissimule  pas  qu^î. 
.     sa  fureur  contre  iCs  religionnaires  lemettoit  hors- 
de  lui-mcme,  et  qu'il  auroit  voulu  ks  extermiiiex- 
jjusqu'au  dernier^- 


Charles  IX.  ^3 

nëe,  ce  fut  la  prise  des  deux  généraux, 
le  prince  de  Condé  er  le  connétable  de  Mont- 
morenci.  Le  Maréchal  de  Saint- André  y 
périr.  Les  royalistes  remportèrent  la  victoi-^^"J^J^^.^°«* 
re.  Elle  augmenta  la  réputation  du  duc  desoneuae- 
Guise ,  qui  se  fit  encore  plus  d'honneur  par 
Li  maittère  dont  il  traita  son  prisonnier. 
Tous  deux  couchèrent  dans  le  même  lit. 
Condé  assura  ensuite  qu'il  n'avoit  pu  fer- 
mer Tceil ,  et  que  le  duc  a:voit  dormi  aussi 
tranquillement  que  s'ils  eussent  été  amis 
intimes.  Rarement  une  pareille  grandeur 
d'âme  s'allie  avec  l'animosité  et  la  haine  ; 
il  ne  manquoit  au  duc  de  Guise  ,  pour  être 
un  modèle  d'héroïsme ,.  que  de  borner  son 
ambition  à  la  gloire  des  vertus. 

Le  siège  d'Orléans ,  qu'il  entreprit  après  Le  duc l^ 
la  bataille  de  Dreux,    sembloit  annoncer sasslné.* 
la  ruine  des  rebelles.  Un  dts  faubourgs  avoit 
déjà  été  pris  d'assaut,  lorsque  ce  grand  hom- 
me fut  assassiné  par  Poltrot  ,  jeune  gentil- 
homme protestant  ;  premier    exemple    du 
fanatisme  affreux ,  qui  consacre  le  meurtre 
comme  un  acte  de  religion.  Quelques  histo- 
riens racontent  qu'un  gentilhomme  fanati- 
que avoit  voulu  faire  le  m«3me  coup  au  siège 
de  Rouen.  Le  duc  averti  de  son  dessein  lui 
en  demanda  le  motif.  Vous  ai-je  fait  quel- 
que mal?  Non,  répondit-iT,  mais  j'ai  vou- 
lu venger  majeligion,  dont  vous  ctes  l'en- 
Demi  mortel.  Hé  bUn  ,  reprit  le  duc  y.  si: 


f4  Charles  IX. 

votre  religion  vous  apprend  à  tuer  qui 
ne  vous  a  jamais  offensé^  la  mienne  m^ap^ 
prend  à  pardonner.  Je  vous  pardonne, 
Jugei  par-là  laquelle  des  deux  religions 
est  la  meilleure.  Il  faut  convenir  que  cette 
belle  réponse  n'est  point  concluante,  puis- 
qu'on auroit  pu  en  dire  autant  à  des  assas- 
sins zélés  pour  la  bonne  cause.  Les  deux  par- 
tis faisoient  profession  de  l'évangile ,  et  se 
livrèrent  également   aux   excès  du  fanatis- 
me :  nous  n'en  verrons  que  trop  d'exemples 
de  part  et  d'autre ,  malgré  l'horreur  que  ce- 
lui-ci devoit  inspirer. 
Religion       D'ailleurs ,  la  politique  plutôt  que  la  re- 
5esGuis«f.  iJgion  dirigeoit  les  démarches  des  Guises  ; 
puisque  le  duc  et  le  cardinal ,  traitant  avec 
les  protestans  d'Allemagne  en  1662  ,  les 
âvoient  flattés  de  faire  recevoir  en  France 
]a  confession  d'Augsbourg.  Mais  quel  que 
fût  le  mobile  secret  de  leur  conduite,  sans 
eux  la  religion  catholique  eût  vraisembla- 
blement succombé  dans  le  royaume. 
Coiigniac-      Le  lâche  Poltrot ,  arrêté  après   son  cri- 
Poltrot.'^    nie,  accusa  l'amiral   de  Coligni  ,  Beze  et 
quelques  autres ,  de  l'y  avoir  sollicité.  L'a- 
miral cria  à  l'imposture ,  et  demanda  ins- 
tamment   qu'on    suspendît   l'exécution    de 
l'assassin ,  pour  être  confronté  avec  lui.  On 
refusa.  Com.me  la  haine  fortifie  \ts  préven- 
tions les  plus  injustes,  ^Heari  de  Guise,  fils 


Charles  IX.  15 

aine  du  mort ,  conçut  dès  ce  moment  le 
'^<  <;<;ein  de   perdre  Coligni. 

Un  traité  de  paix  ayant  enfin  terminé  Paix  qui 
U  guerre  civile,   la  liberté  de  conscience  ^"^* '^*"* 
fut  de  nouveau  confirmée.  Catholiques  et 
protestans  paroissoient  réunis  de  bonne  foi 
pour  le  bien  de  la  patrie.  Ils   forcèrent  le  on  reprend 
Havre,  qu'Elisabeth  refusoit  de  rendre   ^u\f^^^ll^Jl 
roi.  En  violant  ainsi  sa  parole,  elle  fournit  Calais. 
une  raison  plausible   de  ne  point  restituer 
Calais,  comme  on  s'y  étoit  engagé  parle 
traité  de  Catau-Cambrésis.  Quoique  l'An- 

'erre  n'eût  rien   tant  à  cœur  que  la  res- 

tion  de  cette  place,  Elisabeth  ne  laissa 
pas  de  conclure  la  paix  avec  la  France. 

Depuis  le  commencement  du  protestan- Concîie  de 

1  ^1     r  •     ■      1  Trente. 

tisme ,  les  catholiques  soupiroient  pour  un 
concile  général,  dans  l'espérance  qu'il  dis- 
siperoit  l'hérésie  en  condamnant  les  nova- 
teurs. Tantôt  les  divisions  des  princes,  tan- 
tôt la  politique  des  papes ,  avoient  mis  obs- 
tacle à  l'accomplissement  de  leurs  désirs. 
Les  papes  craignoient  une  assemblée  dont 
ils  ne  seroient  pas  les  maîtres ,  et  qui  pour- 
roit ,  à  l'exemple  de  celles  de  Baie  et  de 
Constance ,  exercer  son  autorité  sur  eux- 
mêmes.  Cependant  la  crainte  qu'on  ne  tint 
en  France  un  concile  national ,  plus  dan- 
gereux peut-être  à  la  cour  de  Rome ,  dé- 
termina Pie  IV  à  rassembler  le  concile  de 
Trente,  commencé  en  1646  sous  Paul  III, 


^S  Charles  IX, 

assemblé  de  nouveau  en    i55r  sous  Jules 
III  ,   et  long-temps   interrompu.  Il  finit  en 
i563  ,  après   avoir  confirmé  les  dogmes 
sans  convaincre  les  sectaires, 
ta^ns'iïmé'      Ceux-ci  prétendoicnt  devoir  être  admis  au 
prisent,     concile  parmi  leurs  propres  juges.  Ils  ne  man- 
quèrent pas  de  décrier  l'ouvrage  de  l'église 
comme  une   production   de  scolastique  et 
de  cabale.  Ils  publièrent  que  la  philosophie . 
d'Aristote  avoit  enfanté  de  nouveaux  arti- 
cles de  foi  ;  que  le  concile  n'avoit  pas  été 
libre  ;  que  la  cour  de  Rome  en  avoit  dicté 
les  décisions.  Lansac  ,  ambassadeur  de  Fran- 
ce ,  ayant  écrit  qu'il  ne  falloit  pas  que  le 
pape  envoyât  de  Rome  le  saint-Esprit 
dans  la  malle  du  courrier  ^  cette  expres- 
sion ,  attribuée  aussi  à  un  évêque  de  Hon- 
grie ,  fut  un  prétexte  de  satire  pour  les  pro- 
testans  ,   qui  ne  cherchoient  qu'à  colorer 
leur  révolte.  Mais  les  catholiques  du  moins 
furent  affermis  dans  leur  croyance. 
^ubiî^^eii^      ^"  s'opposa  dans  le  royaume  à  la  publi- 
Frauce.     cation  du  concile,  soit  à  cause  du  dernier: 
cdit  de  pacification  ,  soit  parce  qu'il  y  avoit 
des  décrets  de  discipline  contraires  à  la  juri- 
diction séculière  et  aux  libertés  Gallicanes; 
ce  qui  n'empêcha  point  de  regarder  les  points 
de  doctrine  comme  autant  d'articles  de  foi. 
au  concîie  Ge  fameux  concile  fut  troublé  par  de  vio- 
chosesde  lentes  contestations  au  sujet  de  la  préséan- 
cour.        ce  ^  entre  les  ambassadeurs  de  Charles  IX  et 


Charles  IX.  27 

^e  Philippe  II.  Le  pape  décida  malgré  lui  en 
faveur  du  roi  de  France.  D^^s  disputes  sur  le 
pas  et  d'autres  démêlés  politiques  firent 
long-temps  négliger  les  affaires  de  religion; 
car  les  hommes  sont  toujours  prcts  à  per- 
dre de  vue  le  spirituel ,  dès  qii\m  objet 
^  '^^ibie  occupe  leur  ambition  et  leur  vanité. 

Catherine  de  Médicis  se  fiattoit  en  vain  Embarras 
de  tenir  la  balance  entre  deux  partis  réso- J?j^,g  jg^^^' 
lus  à  se  détruire  l'un  l'autre.  Elle  ne  pouvoit ''i^is. 
ni  les  concilier  ni  les  satisfaire.  Son  adresse 
et  sa  dissimulation  excitoient  leur  défiance. 
Soupçonnée  de  calvinisme  ,  indifférente  sur 
la  religion  ,  elle  affecta  la  plus  grande  exac- 
titude aux  cérémonies  de  i'églisje.  En  par-  ^ 
courant  les  provinces  avec  le  roi,  elle  vit    1^6^. 
à  Bayonne  la  reine  d'Espasine  sa  fille ,  et  Conféren-^ 

j     r  '  .  r'  1      j       ces  de  Ba- 

eut  de  fréquentes  conférences  avec  le  QUCyjuiie. 
d*Albe  ,  général  de  Philippe  II.  Ce  monar- 
que se  montroit  extrêmement  zélé  pour  le 
catholicisme  ,  et  ne  Tétoit  au  fond  que  pour 
Si^s  propres  intérêts.  Il  ne  cessoit  d'animer 
la  cour  de  France  contre  les  sectaires ,  afin 
Je  profiter  des  discordes  et  des  malheurs 
du  royaume.  On  crut  que  les  conférences 
tendoient  à  leur  ruine. 

Un  nouvel  incident  appuya  cette  conjec-    Révolte 
ture.  Les  Pays-bas  ,  où  fhérésie  avoit  péné-  bas  contre 
tré  comme  ailleurs ,  s'étant  soulevés  contre  ^'^^^^sue. 
le  roi  d'Espagne ,  qui  vouloit  les  gouver- 
ner despotiquement ,  anéantir  kurs   privi* 


'ôS  Charles  IX. 

lèges,  et  les  soumettre  à  rinquisition ,  il  efî« 
voyoit  le  duc  d'Albe  à  la  tête  d'une  armée 
pour  exterminer  les  rebelles.  Sous  prétexte 
de  précautions  nécessaires  en  cas  que  cette 
armée  voulût  attaquer  la  France ,  Cathe- 
rine leva  des  troupes  ,  et  ût  venir  un  ren- 
Seconae  fort  de  six  mille  Suisses.  Les  protestans  ne 

Tfle7^  ^^"  doutèrent  point  que  ce  ne  fût  à  dessein  de 
les  opprimer.  Depuis  quelque  temps  ils  se 
plaignoient  amèrement  de  la  cour  :  on  res- 
treignoit  leur  liberté  ;  on  ne  punissoit  plus 
les  violences  des  catholiques.  Les  cruautés 
que  le  duc  d'Albe  exerça  en  Flandre  leur 
firent  craindre  d'en  essuyer  de  pareilles.  Ces 
sujets  de  plainte  et  d'inquiétude  causèrent 
la  seconde  guerre  civile. 

,111 1  Le  prince  de  Condé  ,  par  le  conseil  de 

1 5  67.    Coligni ,  entreprend  d'enlever  le  roi  à  Meaux. 

§/55enis.*^^  devenant  maîtres  de  sa  personne,  ils 
l'eussent  été  du  gouvernement.  La  cour 
évente  leur  dessein  presqu'au  moment  de  l'exé- 
cution. On  se  sert  utilement  des  Suisses  pour 
se  délivrer  d'un  si  grand  péril.  Ils  reçoivent 
le  monarque  dans  leur  bataillon ,  et  le  con- 
duisent à  Paris  sans  que  les  rebelles  puis- 
sent les  enfoncer.  Quelque  temps  après , 
le  connétable  attaque  le  prince  de  Condé  à 
Saint-Denis  avec  une  armée  trois  fois  plus 
forte  que  la  sienne.  Ce  combat ,  où  la  vic- 
toire des  royalistes  fut  presque  douteuse, 
termina  la  carrière  de  l'illustre  Montmo- 

ienci# 


Charles  IX.  19 

rend.  Il  y  reçut  huit  blessures ,  et  conserva 
jusqu'au  bout  sa  fermeté.  Penses-tu ,  mort 
û/72/ ,  dit-il  à  un  cordelier  qui  Texhortoit, 
^u'un  homme  qui  a  vécu  près  de  quatre- 
vingts  ans  avec  honneur  ^  ne  sache  pas 
mourir  un  quart-d' heure  ^  Sa  grande  ma-  Personne 
xime  étoit  en  trois  mots  \  une  foi  ^  une  loi ^^^^[^^^^^ 
un  roi.  Sa  place  ne  fut  point  remplie ,  parce 
qu'elle  donnoit  trop  de  pouvoir  à  un  sujet. 
Je  nai  que  faire  de  personne  pour  porter 
mon  e'pée  ,  disoit  Charles  IX ,  je  la  por- 
terai bien  moi-même.  On  nomma  lieute-  Le  duc 
nant  général  du  royaume  le  duc  d'Anjou  ,  "  "^^^* 
frère  du  roi  ,  jeune  prince  de  grande  espé- 
rance, dont  la  réputation  devoit  échouer 
un  jour  sur  le  trône.  La  guerre  finit  bien- 
tôt par  un  traité  moins  honorable  pour  la 
cour  qu'avantageux  pour  les  calvinistes ,  à 
qui  l'on  confirma  la  liberté  de  conscience; 
mais  elle  ne  tarda  point  à  se  rallumer  avec 
plus  de  violence. 

Comme  les   eriefs  se  multiblioient  tous  Troisième 
1       •  1      '  1  .      ^    ,  .  guerre   el- 

les jours  maigre  les  conventions  réciproques  vile. 

Catherine  s'imagina  qu'il  falloit  couper  ra- 
cine au  mal  en  arrêtant  les  chefs  delà  faction. 
Condé  et  Coligni ,  informés  de  son  desseiiw 
se  réfugièrent  à  la  Rochelle,  le  boulevard 
à^s  protestans.  Cette  entreprise  de  la  reine 
fut  regardée  comme  une  déclaration  de  guer-  Disgrâce 
re.   Elle  occasionna  la   disgrâce  du  chan-  nèr  dl""" 
celier  de  l'Hôpital,  magistrat  au-dessus ^'^^^'^^^^' 
Tome  IlL  B 


30  Charles  IX. 

de  tout  éloge ,  comme  ledit  M.  Hénauît , 
mais  trop  ennemi  de  tout  excès  pour  ne  pas 
déplaire  aux  deux  partis.  Il  s  etoit  toujours 
efforcé  de  les  reconcilier  par  de  sages  tem- 
péramens ,  estimant  (  ce  sont  ses  propres 
termes  )  qu'il  ri  y  avoit  rien  de  si  dom- 
mageable  en  un  pays  qu^une  guerre  ci- 
-vile ,  ni  plus  profitable  qu'une  paix  à 
quelque  prix  que  ce  fut.  Le  connétable  de 
Montmorenci  lui  disant  un  jour  en  colère 
dans  le  conseil ,  qu'il  ne  lui  appartenoit  pas 
de  se  mêler  de  ce  qui  regardoit  les  armes  : 
il  est  vrai ,  répondit  l'Hôpital,  mais  je  puis 
fort  bien  savoir  quand  il  est  à  propos  de  les 
prendre.  Combien  de  maux  il  eût  épargnés 
à  la  religion  et  au  royaume,  si  la  sagesse 
avoit  pu  être  écoutée  de  part  et  d'autre  ! 
Selon  de  Thou ,  l'occasion  de  sa  disgrâce  fut 
d'avoir  parlé  contre  une  bulle  de  Pie  V ,  par 
laquelle  il  étoit  permis  au  roi  d'aliéner  les 
biens  ecclésiastiques ,  pour  cinquante  mille 
écus  de  rente ,  à  condition  d'employer  l'ar- 
gent à  exterminer  ou  subjuguer  les  calvinistes. 

m  Bientôt  ils  reprennent  les  armes ,  secourus 

1569.    par  les  Allemands  et  par  l'Angleterre.  On 

de  /anîac.  révoque  les  édits  pour  la  liberté  de  cons- 
cience. Les  ravages ,  les  hostilités ,  les  mas- 
sacres désolent  la  France ,  comme  si  elle  eût» 
été  inondée  de  barbares.  Deux  grandes  ar- 
mées Françaises  se  livrent  bataille  à  Jarnac 
vers  la  Saintonge.  Le  duc  d'Anjou  remporte- 


Charles  IX.  jt 

là  victoire.  Le  prince  de  Condé  est  tué  de  Mort  du 

^     .  ,  \M      ^  '  <  •    prince  de   . 

sang-froid  par  Montesquiou,  après  avoir  coudé. 
rendu  les  armes  :  il  avoit  combattu  le  bras 
en  écharpe  et  avec  une  blessure  à  la  jambe  ; 
prince  d'un  génie  et  d'une  valeur  extraordi- 
naires ,  digne  d'être  mis  en  parallèle  avec  les 
plus  fameux  de  ses  descendans ,  malheureux 
d'avoir  eu  l'ambition  d'un  chef  de  parti ,  et 
surtout  de  n'avoir  pas  eu  le  temps  de  répaî^er 
ses  révoltes. 

Coligni ,  l'homme  du  monde  le  plus  fé-Re«ourcef 
cond  en  ressources ,  sauva  les  débris  de  l'ar-  uotiî"^"^" 
mée ,  et  se  fit  craindre  après  la  défaite.  Au 
prince  de  Condé ,  dont  la  perte  sembloit  être 
k  ruine  de  son  parti  ,   succéda  un    autre 
prince  du  sang,  né  pour  servir  de  modèle  à 
tous  les  rois.  C'étoit  Henri ,  prince  de  Béarn,  Le  prince 
(depuis  Henri  IV),  fils  de  la  reine  Jeanne'^'  ^^''"" 
d'Albret,  aussi  zélée  protestante  que  son  mari 
avoit  été  foible  catholique.   Eik-mcme  vint 
ptésenter  son  fils  aux  vaincus,  elle  ranima 
leur  courage  et  leurs  espérances  (i).  On  dé- 
clara le  jeune  Henri  chef  de  la  ligue.  L'ami- 
ral et  l'intrépide   Andelot  mirent  tout  en 
mouvement ,  tandis  que  le  cardinal  de  Châ- 
tillon  leur  frère  (  qu'on  appeloit  le  comte 


(i)  Elle  fit  frapper  une  médaille  avec  cette 
légende  :  Fax  ccrta  ,  Victoria  Integra  ,  Mors  ho-' 
nesta.  (  Paix  sûre  ,  Victoire  entière ,  Mort  glo" 
rieuse.  ) 


Si  Charles  IX. 

de  Beauvais ,  du  nom  de  son  ëveché ,  de- 
puis qu'il  avoit  abandonné  l'église  Romaine), 
travailloit  en   Angleterre    pour  l'intérêt  du 
calvinisme. 
Secours       Les  protestans    d'Allemagne  signalèrent 
tam^étra"' aussi  ^^^^  ^èle.  On  vit  le  duc  de  Deux- 
se«.         Ponts,  à  la  tête  d'environ  douze  mille hom- 
mes ,  traverser  presque  toute  la  France  pour 
joindre  l'armée  de  l'amiral.  Le  fameux  Guil- 
laume de  Nassau  ,   prince  d'Orange  ,  eut 
beaucoup  de  part  à  cette  entreprise ,  dont 
le  succès  fut  en  partie  l'ouvrage  de  la  mésin- 
telligence des  généraux  catholiques.  Tant  de 
mesures  et  de  ressources  n'aboutirent  qu'à 
de  nouveaux  revers.  Coligni^Ieva  le  siège  de 
Bataille  Poitiers ,  et  fut  défait  à  Montcontour  par 
içi^our'  ^e  duc  d'Anjou.  Mais  toujours  ferme  et  re- 
dQutable  dans  le  malheur ,  il  fit  en  sorte  que 
son  parti ,  après   quatre  batailles  perdues  , 
fut  encore  en  état  de  résister  à  la  puissance 
royale.  Le  prince  de  Béarn,  âgé  de  seize  ans, 
le  regardoit  comme  son  père ,  se  formoit  à 
son    école,  et    paroissoit   digne  d'un  tel 
maître. 
»..,.   .  Au  lieu  de  poursuivre  les  rebelles  disper- 

1Ç70.    ses ,  le  duc  d'Anjou  s'arrêta  imprudemment 
fagem''Jâui  à  faire  des  sièges ,  et  profita  peu  de  la  vic- 
prote5canj  f^j^-g^  Lg  Poitou  ,  la  Saintonge  ,  le  Béarn , 
la  Guienne ,  furent  inondés  de  sang.  La  fu- 
reur des  deux  partis  croissoit  chaque  jour ,  et 
les  protestans  ne  vouloient  mettre  bas  les 


I 


Charles  IX.  jî 

armes  qu'à  des  conditions  avantageuses.  Ils 
les  obtinrent  par  le  traite  de  S.  Germain  en 
Laie.  On  leur  accorda  non-seulement  des 
prêches,  mais  quatre  villes  de  sûreté,  entre 
autres  la  Rochelle.  On  les  déclara  de  plus  ca- 
pables de  toutes  les  charges ,  on  leur  permit 
même  de  récuser ,   dans  leurs   procès  avec 
les  catholiques ,  un  certain  nombre  de  juges, 
sans  en  apporter  la  raison.  Cette  paix  ines- 
pérée étoit  un  triomphe  pour  eux.  Dans  les 
vues  cîe  Catherine   de  Médicis ,  ce  n'étoit 
vraisemblablement   qu'un    piège   fatal.  Elle 
vouloit  détruire  par  la  perfidie  ceux  qu'elle 
ne  pouvoit  abattre  autrement.  Charles  IX, 
imbu  de  ses  maximes ,  exercé  à  la  dissimula- 
tion, enclin  â  la  cruauté,  seconda  parfaite- 
ment son  dessein.  La  plus  atroce  méchanceté 
fut  couverte  des  plus  belles  apparences. 

Pour  attirer  à  la  cour  les  chefs  du  parti ,  Perfidie  dt 
le  roi  offrit  sa  sœur  Marguerite  en  mariage  ^^°"^' 
au  jeune  prince  de  Béarn.  La  reine  de  Na- 
varre ,  charmée  de  cette  marque  de  réconci- 
liation ,  vint  conclure  elle-même  le  traité. 
On  la  combla  d'honneurs  et  de  caresses. 
Après  la  première  entrevue  ,  Charles  IX 
demande  a  sa  mère  s'il  n'a  pas  bien  joué  son 
rôle»  —  Oui  ;  répond  Catherine  ;  mais  ce 
TLCst  rien  faire  que  de  commencer  ^  si  l'on 
n'achhe.  Il  réplique  en  jurant  Dieu,  ^^/'///ei" 
mettra  tous  dans  ses  filets.  Le  plus  difficile 
ctoit  d'y  mettre  l'amiral.  Cet  homme  sage 

B3 


34  Charles  IX. 

se  laissa  entraîner  par  un  appât  séduisant. 
Coligni       Les  Gueux  (  on  appeloit  ainsi  les  religion- 
danîTe      naires  des  Pays-bas)  ,  venoient  encore  de 
piege.       gg  révolter  contre  TEspagne,  et  le  prince 
d'Orange  profitoit  de  la  tyrannie  du  gou- 
vernement, pour  lui  enlever  des  sujets  ,.  et 
pour  fonder  la  république  des   Provinces- 
unies.  Dans  ces  conjonctures ,  le  roi  parut 
disposé  à  prendre  les  armes  contre  Philippe  IL 
^    Le  zèle  violent  de  ce  monarque ,  et  ses  liai- 
sons étroites  avec  les  Guises  le  rendoient  in- 
finiment odieux  aux  réformés.  Proposer  à 
Coligni  une  guerre  de  cette  nature,  et  lui 
o^ïir  le  commandement ,   c'étoit  le  prendre 
par  son  foible.  Malgré  ses  justes  défiances, 
il  se  rendit  auprès  de  Charles  IX ,  qui  reçut 
avec  de  grands  témoignages  d'amitié  celui 
dont  la  tête,  peu  auparavant ,  avoit  été  mise 
à  prix  avec  opprobre. 
""■  Cependant  une  mort  prématurée  enlève 

M 7^'    la  reine  de  Navarre.  Le  bruit  se  répand  sans 

Mort  delà  '  ii  '^  '  •  / 

reine  de    aucune  preuve ,  qu  elle  a  ete  empoisonnée» 
Kavarre.    jq^  ^^^^  ^  a  ^^^  ^^  exhorte  l'amiral  à  se  défier 

de  la  cour.  Un  capitaine  calviniste  prenant 
un  jour  congé  de  lui ,  et  l'amiral  lui  deman- 
dant pourquoi  il  se  retiroit  en  province  : 
c'est ,  dit-il ,  parce  qiion  nous  fait  ici  trop 
de  caresses,  Tairne  mieux  me  sauver  avec 
les  fous  ,  que  de  périr  avec  ceux  qui  se 
croient  trop  sages,  Coligni  se  moquoit  de 
ces  prétendues  terreurs  paniques.  Tant  il  est 


Charles  IX.  35 

vrai  que  les  plus  habiles  se  laissent  tromper 
par  qui  flatte  adroitement  leurs  passions. 

Enfin  le  prince  de  Béarn ,  qu'on  appeloit  Mariage 
le  roi  de  Navarre  depuis  la  mort  de  sa  mère  ,  fo„^fiJ^" 
arriva  aussi  avec  le  prince  de  Condé  son  cou- 
sin ,  à  peu  près  de  même  âge  que  lui.  Le  1 7 
août  se  fit  la  cérémonie  de  son  mariage  avec 
Marguerite  de  France.  Les  jours  suivans  se 
passèrent  dans  les  plaisirs  et  les  fêtes.  Toutes 
les  haines  sembloient  étouffées  ;  mais  le  feu 
couvoit  sous  la  cendre.  L'amiral  se  retirant    Coiisni 

*      •    1    I  1  A     1   f  1  zssàssiiii, 

a  pied  dans  son  hôtel  le  22  ,  sur  les  onzé__ 
"heures  du  matin,  après  avoir  vu  jouer  le  roi  à 
la  paume ,  fijt  blessé  d'un  coup  d'arquebuse, 
Vokà  ,  s'écria-t-il ,  le  fruit  de  ma  réconci- 
liation avec  le  duc  de  Guise.  Ce  duc  avoit 
effectivement  juré  de  venger  la  mort  de  son 
père  ,  dont  il  le  croyoit  auteur.  Charles  IX  , 
à  la  nouvelle  de  l'assassinat ,  paroît  trans- 
porté de  colère ,  il  va  voir  l'amiral ,  et  lui 
promet  une  vengeance  d'éclat.  Mon  père  , 
lui  dit-il ,  la  blessure  est  pour  vous  et  la 
douleur  pour  moi,  Etoit-ce  dissimulation 
ou  sincérité?  on  n'en  peut  juger  que  parles 
faits. 

Tandis  que  les  protestans  -  murmurent , 


menacent  tout  haut,Catherine  de  Médiciset  le    1 572. 

consellsecretdumonarqueméditentlemassa-^a^rthéîë-' 
cre  de  la  S.  Barthélemi.  Le  duc  de  Guise  est  ^^^ 

•  de  l'exécution  ,  lui  qu'on  vouloit  ar- 

iprcs  la  blessure  de  l'amiral.  Les  ordres 

B4 


35  Chaules  IX. 

sont  donnes  aussitôt  sans  que  le  secret  trans- 
pire. La  nuit  du  28  au  24  août  commence 
Mort  de  cette  effroyable  boucherie.  Coligni  est  une 
^  ^^"''     des  premières  victimes.  Son  ennemi  mortel , 
Guise ,  fait  lui-même  enfoncer  sa  porte ,  et 
Besme ,  domestique  du  duc ,  porte  le  pre- 
mier coup.  Jeune  homme ,  lui  dit  l'amiral 
d'un  air  tranquille,  tu  devrais  respecter 
mes  cheveux  blancs  ;  mais  fais  ce  que  tu 
youdras\  tu  ne  m' abrégeras  la  vie  que  de 
quelques  jours.   Il  ajouta  en  expirant  :   au. 
moins  si  je  mourois  de  la  main  d'un  hon^ 
nête  homme  et  non  pas  de  celle  d'un  gou- 
jat !  Une  foule  de  seigneurs  et  de  gentils- 
Ma^îacre  hommes  sont  égorges  jusques  dans  le  Lou- 
gênera ,    ^^^^   ^^^  Catholiques  remplissent   Paris  de 
carnage  ;  plusieurs  ,  pour  venger  leurs  que- 
relles particulières  ,  poignardent  d'autres  ca- 
tholiques ,  que  la  haine  transforme  à  leurs 
yeux  en  huguenots.  Enfans ,  vieillards ,  fem- 
mes grosses  ,   tout  est  confondu  sous  le  fer 
des  assassins.  Un  orfèvre  se  vantoit  d'avoir 
tué  pour  sa  part  quatre  cents  personnes.  Le 
massacre  dura  plusieurs  jours;  on  raconte 
que  le  maréchal  de  Tavanne  couroit  les  rues, 
criant  au  peuple  :  saignei  ^  saignei;  les 
médecins  disent  que  la  saignée  est  aussi 
bonne  en  tout  ce  mois  d^août  comme  en 
mai. 
Cruauté       Charles  IX  tira  lui-même  avec  une  fon- 
^"  ^^^*     gue  arquebuse  sur  les  malheureux  qui  pre- 

\ 


i 


Charles  IX.  37 

noient  la  tuire.  Le  corps  de  Colignl ,  cou- 
Vert  d'opprobres  par  la  populace ,  et  pendu 
au  gibet  de  Montfaucon  ,  fut  pour  lui  un 
agréable  spectacle.  Quelqu'un  ayant  dit  qu'il 
sentoit  mauvais  :  le  corps  cTun  ennemi  mort 
sent  toujours  bon  ,  répondit  le  roi.  Parole 
empruntée  de  Vitellius ,  et  également  odieuse 
dans  la  bouche  de  l'un  et  de  l'autre.  On  Conver- 
avoit  délibéré  si  le  roi  de  Navarre  et  le  prince  ^cleslH* 
de  Condé  seroient  compris  dans  la  pros-P""^^*» 
cription.  La  qualité  de  princes  du  sang  leur 
sauva  la  vie.  Charles  leur  commanda  de  re- 
noncer au  calvinisme.  Le  premier  fit  peu  de 
résistance  ;  le  second  parut  d'abord  inflexi- 
ble. Messe ,  mort ,  ou  bastille ,  lui  dit  un 
jour  le  roi  en  colère.  La  crainte  décida  la 
conscience  ;  mais  ces  conversions  forcées 
durèrent  autant  que  le  motif  qui  les  avoit 
produites. 

Paris  ne  fut  pas  le  seul  théâtre  de  cette   Massacre 
tragédie.  L'ordre  de  massacrer  les  calvinistes,  pfévii^ej* 
envoyé  par  tout  le  royaume,  s'exécuta  en 
plusieurs  endroits  avec  la  même  fureur.  Un 
historien  célèbre  con>j)te   environ  soixante 
mille  François  immolés  sous  prétexte  de  réiî^ 
gion  :  d'autres  en  comptent  cent  mille.  On     ^ 
bénit  aujourd'hui  les  noms  de  quelques  com- 
mandans  de  province ,  qui  refusèrent  coura- 
geusement d'ctre  les  meurtriers  de  leurs  ci- 
toyens.   Le   vicomte   d'Orthe    écrivit    de  Refiu  de 
Bayonne  au  roi  :  «  J'ai  communiqué  le  corn-  '''^"'"^'■* 

B6 


mi 


S8  Charles  IX. 

»  mandement  de  V.  M.  à  ses  fidèles  habî* 
»  tans  et  gens  de  guerre  de  la  garnison  :  je 
»  n'y  ai  trouvé  que  bons  citoyens  et  fermes 
»  soldats,  mais  pas  un  bourreau.  C'est 
»  pourquoi  eux  et  moi  ,  supplions  très- 
»  humblement  V.  M,  vouloir  employer  en 
»  choses  possibles  ,  quelque  hasardeuses 
>>  qu'elles  soient,  nos  bras  et  vies».  Pré- 
cieux monument  pour  l'humanité  ! 
Ou  célè-  Une  chose  presqu'aussi  étrange  que  ce 
Banhélê-  massacre ,  c'est  que  le  roi  n'eut  pas  honte 
d'en  prendre  sur  lui  tout  l'odieux.  Il  déclara 
dans  un  lit  de  justice  qu'il  avoit  été  fait  par 
ces  ordres  ;  il  en  exposa  les  raisons.  Le  pre- 
mier président  Christophe  de  Thou  loua  sa 
prudence ,  supposant  une  conjuration  formée 
contre  la  maison  royale.  Le  parlement  flétrit 
la  mémoire  de  Coligni ,  livra  les  restes  de 
son  cadavre  au  bourreau ,  et  ordonna  qu'on 
feroit  tous  les  ans  une  procession  pour  re- 
mercier Dieu  de  la  délivrance  du  royaume. 
Les  esprits  trop  échauffés  n'avoient  pas  en- 
core réfléchi  sur  l'atrocité  de  cette  barbarie. 
Elle  fut  célébrée  à  Rome  et  en  Espagne  par 
de  pompeux  panégyriques  ,  et  en  France 
par  une  médaille  dont  l'inscription  étoit, 
PIETAS  ARMAVIT  JUSTITIAM  (^Id  piété 
arma  la  justice^.  Heureusement,  on  sait 
de  nos  jours  que  la  piété  ne  peut  être  san- 
guinaire ,  ni  la  justice  barbare ,  et  l'on  ne 
craint  point ,  à  l'exemple  d'un  sage  prélat 


Coligm 


Charles  IX.  39 

François,  de  dépeindre  la  S.  Barthélemî 
comme  une  action  exécrable  qui  n' avait 
jamais  eu  et  qui  n  aura  ,  s' il  plaît  à  DieUj 
jamais  de  semblable  (  Péréfixe  ).  Du 
moins  est-ce  le  vœu  du  vrai  citoyen. 

On  trouva  dans  les  papiers  de  l'amiral  un  .ObjerVa- 
avis  au  roi  de  prendre  garde,  en  assignant  mirai  de 
l'apanage  à  sqs  frères ,  de  ne  pas  leur  donner  ^^^^ 
une  trop  grande  autorité.  La  reine  mère  fît 
lire  cet  article  devant  le  duc  d'Alençon  ,  le 
dernier  frère  de  Charles  IX ,  qu'elle  savoit 
affligé  de  la  mort  de  Coligni.  Voilà  votre 
bon  ami ,  lui  dit-elle;  voyez  le  conseil  qu'il 
donne  au  roi.  «  Je  ne  sais  pas ,  répondit  le 
»  duc  5  s'il  m'aimoit  beaucoup  ;  mais  je  sais 
»  qu'un  semblable  conseil  n'a  pu  être  donné 
■  que  par  un  homme  très-fidèle  à  Sa  Ma- 
^  jesté  5  et  très-zélé  pour  l'état  5> .  Si  ce  trait 
fait  quelque  honneur  à  l'amiral  de  Coligni", 
rien  ne  peut  effacer  la  tache  de  sa  rébellion. 
Un  grand  homme  armé  contre  les  rois  Qît 
toujours  un  grand  fléau.  Il  est  affreux  de  voir 
la  patrie  déchirée  par  ceux  qui  devroient  être 
sa  gloire  et  son  appui.  Mais  quelle  terrible 
leçon  la  providence  ne  semble-t-elle  pas  don- 
ner aux  ambitieux ,  dans  la  personne  de  touf 
ces  chefs  de  parti ,  si  distingués  par  leur  rang 
ou  par  leur  mérite  !  Ils  périrent  de  mort  vio- 
lente ,  François  de  Guise  ,  Louis  de  Condé 
et  l'amiral  ;  indignement  assassinés  :  le  cOu- 
nctabie  de  Montmorenci ,  le  roi  de  Navalrfô 


40  Charles  IX. 

Antoine  de  Bourbon ,  et  le  maréchal  de  S.  An-i 
dré ,  tués  dans  la  guerre  civile.  Tous ,  en  bou- 
leversant l'état ,  avoient  rendu  leur  vie  mal- 
heureuse 5  et  s'étoient  creusé  un  tombeau. 
Leiproteî-      L'effet  de  la  S.  Barthélemi  fut  précisément 
fUdeux"que  ^^  contraire  de  celui  qu'on  espéroit.  Au  lieu 
amais.      d'écraser  le  calvinisme ,  elle  rendit  ses  par- 
tisans plus  furieux.  L'expérience  a  prouvé 
cent  fois  que  le  zèle  des  religionnaires  s'irrite 
par  les  persécutions  sanglantes ,  et  qu'on  leur 
donne  des  forces  en  les  réduisant  au  déses- 
poir. Charles  IX  voulut  se  remettre  en  posses- 
sion des  places  de  sûreté  accordées  aux  cal- 
vinistes.  Ils  refusèrent  de  les  rendre;  ilsprotes- 
tèren  t  qu'après  la  trahison  qu'on  venoit  de  faire 
au  sein  de  la  paix  ,  ils  ne  pouvoient  se  fier  à 
la  cour  ,  et  qu'ils  aimoient  mieux  périr  en  dé- 
fendant leur  religion  et  leur  liberté ,  que  par 
la  main  d'un  bourreau.  Ainsi  le  massacre  ne 
servit  qu'à  rallumer  la  guerre. 
■   III   ■   ■!      Elle  ne  fut  pas  avantageuse  aux  catholi- 
ï57î-    ques.  Le  duc  d'Anjou  perdit  près  de  vingt- 
la  Ro?hei!  q^iatre  mjlle  hommes  au  siège  de  la  Rochelle. 

le  et  de     Cette  place  soutint   neuf  erands  assauts  et 
Sancerre-  ,  \,   ,   ,    .,  ^         tt 

une  mfinite  d  autres  attaques.  Hommes  et 

/emmes  travailloient  avec  la  même  ardeur  à 
repousser  les  assaillans.  Les  Rochelois  obtin- 
rent une  capitulation,  qui  ks  laissoit  maîtres 
chez  eux  ,  et  dans  laquelle  ils  firent  compren- 
dre Nîmes  et  Montauban.  H  fut  stipulé  que 
le  roi  y  mettroit  des  gouverneurs ,  mais  sans 


Charles  IX.  41 

garnison,  les  bourgeois  devant  se  garder 
eux-mcmes.  Ce  siège  mémorable  fut  moins 
étonnant  que  celui  de  la  petite  ville  de  San- 
ccrre.  Les  assiégés  ,  dépourvus  de  vivres  , 
mangèrent  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  dégoû- 
tant parmi  les  animaux  ,  et  dévorèrent  enfin 
les  os  des  morts  ,  les  cuirs ,  les  parchemins, 
qucîlques-uns  même ,  dit-on  ,  leurs  propres 
enfans.  Ce  n'étoient  point  des  soldats ,  mais 
d<is  bourgeois ,  des  artisans ,  des  vignerons , 
animés  d'un  fanatisme  invincible.  Après  plus 
de  sept  mois  de  siège,  ils  ne  se  rendirent 
qu'en  obtenant  la  liberté  de  conscience. 

On  venoit  d'apprendre  que  le  duc  d'Anjou    Le  duc 
ëtoit  élu  roi  de  Pologne.  La  renommée  qui  roi  de  pô». 
exagéroit  son  m.érite  ,  l'habileté  de  Montluc  ^°^"^* 
ëvcque  de  Valence,  ambassadeur  pour  cet 
objet ,  lui  avoient  procuré  les  suffrages.  Char- 
les IX,  extrêmement  jaloux  de  son  frère, 
tut  ravi  de  cette  occasion  de  l'éloigner.  Au- 
tant il  pressoit  son  départ ,   autant  le  duc 
craignoit  de  quitter  la  France  ,  où  il  espé- 
roit  de  régner  bientôt.   Cependant  il  fallut 
partir.  La  reine  mère  ,  qui  avoit  pour  lui  une 
affection  particulière ,  se  chargea  de  ses  in- 
térêts. Elle  conservoit  toujours  son  autorité, 
quelque  envie  qu'eût  le  roi  de  -s'en  affranchir. 
Les  troubles  de  l'état  le  tenoient  dans  la  dé- 
pendance. Déjà  le  goût  des  factions  se  rani- 
moit.  Il  s'en  forma  une  nouvelle  sous  le  nom    Faction 
de  MaUontens  ou  de  politiques  ^  qui,  lais-  2u«/°  '"' 


42  Charles  IX. 

sant  la  religion  à  l'écart ,  ne  parloît  que  de 
réformer  le  royaume ,  et  se  proposoit  sur- 
tout d'abaisser  les  Guises ,  dont  le  pouvoir 
n'avoit  presque  plus  de  bornes.  Le  duc  d'A- 
lençon  ,  frère  du  roi ,  esprit  inquiet ,  léger , 
inconsidéré ,  se  mit  k  la  tête  de  cette  cabale , 
excitée  par  les  Montmorenci.  Les  protes- 
tans  y  entrèrent ,  ainsi  que  le  roi  de  Na- 
varre et  le  prince  de  Condé ,  très-mécon- 
tens  de  la  cour.  Un  complot  pour  enlever 
ces  princes  fut  découvert.  On  emprisonna 
nombre  de  seigneurs  ,  on  arrêta  le  roi  de 
Navarre  et  le  duc  d'Alençon.  Les  fureurs  de 
la  guerre  renaissoient  dans  les  provinces , 
lorsque  le  roi ,  toujours  malade  depuis  la 
S.  Barthélemi  ,  mourut  à  l'âge  de  vingt- 
quatre  ans ,  sans  enfans  mâles ,  après  avoir 
déclaré  régente  Catherine  de  Médicis  ,  jus- 
qu'au retour  du  roi  de  Pologne  son  frère  et 
son  successeur. 

Charles  IX  avoit  des  qualités  estimables  , 
de  l'esprit ,  du  jugement ,  de  l'activité  ,  du 
courage.  Peut-être  seroit-il  devenu  un  grand 
roi ,  si  l'éducation  en  eût  fait  un  homme 
vertueux.  Le  maréchal  de  Retz  ,  Florentin  , 
abusa  de  sa  faveur  pour  le  corrompre ,  et  sa 
mère  lui  inspira  cette  politique  détestable 
que  Machiavel  avoit  enseignée  en  Italie. 
Né  avec  un  caractère  violent ,  il  s'étoit  en- 
durci l'âme  par  la  fureur  de  la  chasse.  Une 
dissimulation  perfide,  jointe  à  ce  fond  de 


Charles  IX.  4S 

cruauté,  le  rendit  capable  de  côttimander 
la  S.  Barthéiemi,  dont  sa  mère  ,  le  comte 
d'Anjou  i  Retz  ,  Tavanne ,  Gonzague  duc 
de  Nevers  ,  et  quelques  autres  furent  les  pre- 
miers auteurs.  Cependant  il  aimoit  les  lettres, 
et  cultivoit  même  la  poésie.  Daurat ,  Ron- 
sard et  Baït  furent  honorés  de  ses  bonnes 
grâces.  Il  fit  grand-aumônier  son  précepteur 
Amiot ,  le  traducteur  de  Plutarque ,  dont  le 
mérite  auroit  peut-être  croupi  dans  l'indi- 
gence sous  un  autre  règne.   Ce  n'est  pas  le 
premier  exemple  d'un  prince  sanguinaire  qui 
ait  eu  du  goût  pour  la  littérature.  Les  plaisirs 
de  l'esprit  ne  changent  pas  la  trempe  du 
cœur. 

Une  chose  bien  singulière,  c'est  que  nos  Laléghla- 

,  ...  ^ .  ^  [^  ,    tion  pet- 

plus  sages  lois  prirent  naissance  parmi  tant  de  fectionnée 

barbaries  et  de  désordres.  On  en  fut  redeva- d^i'HôpL 

ble  au  chancelier  de  l'Hôpital  «  qui  faisoit^^^* 

»  honneur  à  la  raison  et  à  la  justice ,  dit 

»  M.  Hénault,   de  penser  qu'elles  étoient 

»  plus  fortes  que  \qs  armes  mêmes  ,  et  que 

»  leur  sainte  majesté  avoit  des  droits  im- 

»  prescriptibles  sur  le  cœur  des  hommes  , 

»   quand   on  savoit  les  faire  valoir  ».  Les 

ordonnances  faites  par  ce  grand  homme  sont 

pleines  d'une  profonde  sagesse.  Elles  eussent 

établi  solidement  l'ordre  et   la   paix ,  si  la 

rage  Aqs  factions  avoit  pu  souffrir  un  frein 

salutaire.  C'étoit  toujours  un  bien  infini. 


at4  Charles  IX. 

que  les  lois  parlassent  avec  dignité,  aved 
précision ,  et  que  de  l'ancien  chaos ,  mal 
débrouillé  jusqu'alors ,  il  sortit  un  plan  ré- 
gulier qui  pût  conduire  à  une  législation 
encore  plus  parfaite. 
Loi?  re-       Les  baillis  et  les  sénéchaux  étoient  gens 

g]gj^"^*    de  guerre.  Louis  XII  avoit  ordonné  qu'ils 

prissent  des  gardes  ;  mais  les  gardes  ne  sup- 

Tous  les  pléoient  point  à  la  science.  Par  l'ordonnance 

jj"/^^|j|^'^ d'Orléans,  en  1660,  il  fut  réglé  qu'ils  se- 
roient  tous  de  robe  courte  ,  ce  qui  fit  passer 
à  leurs  lieutenans  l'administration  de  la  jus- 
tice 5  et  établir  une  distinction  entière  entre 
Moms  de  la  robe  et  l'épée.  La  même  ordonnance  veut 

rionîl'^'     qu'il  n'y  ait  qu'un  siège  de  justice  dans  les 
seigneuries  qui  ne  sont  pas  royales ,  en  con- 
servant le  droit  d'appel  ;   droit  précieux  , 
mais  que  les  degrés  de  juridiction  trop  mul- 
Le5  acteitipliésrendoient  préjudiciable.  Elle  veut  que 

"^"  ^*  les  actes  soient  signés  des  parties  :  on  n'a- 
voit  pas  encore  senti  la  nécessité  de  ce  régle- 

wonitoires  ment.  Elle  défend  de  publier  des  monitoires , 

reitremu.  ^[^^j^  ^^^^  Crime   et  scandale  (  il  étoit  si 

facile  d'abuser  de  ce  moyen  d'inquisition  au 

gré  de  la  haine ,  de  l'intérêt ,  ou  du  préjugé 

Déclara- et  de  l'ignorance  !  )  :  En  i56 1  ,  on  ordonna 

îenVÏer'-par  des  lettres'patentes  à  tous  les  bénéficiers  , 

bénéfices,  .^.j^  £^jj.g  ^^^g  déclaration  des  revenus  de  leurs 
bénéfices  ;  mais  ces  lettres  furent  révoquées, 
et  quoique  le  bien  de  l'état  semble  exiger 
que  le  gouvernement  connoisse  les  revenus 


Charles  IX.  45 

de  toutes  les  terres,  les  exemptions  ecclé- 
siastiques y  ont  toujours  mis  obstacle.  L'or-  Junîce  ré- 
donnance  de  Moulins  en  1 566  ,  rétbrma  en  °""^®* 
plusieurs  choses  la  justice  ,  qui  présente  en- 
core tant  de  choses  à  réformer  ;  elle  régla 
qu'on  puniroit  les  crimes  dans  le  li^  où  ils 
auroient  été   commis.  Un  éd'it  de  1567,  Succcmon 

,  X  /  1  .    -^  V  de5  mères 

porte  que  les  mères  ne  succéderont  pomt  a  umitwe. 
leurs  enfans  es  biens  provenans  du  coté 
paternel  :  c*étoit  pour  que  les  terres  ne  sor- 
tissent pas  des  familles.  Il  fut  ordonné  par  Informa, 

,      ,       *^  1         A  t  tion  de  vie 

des  lettres  patentes  dumeme  temps ,  que  nul  et  de 
ne  seroit  reçu  dans  un  office  de  judicature  j"^"^""' 
sans  information  de  vie  et  de  mœurs ,  et  s'il 
n'est  de  la  religion  catholique.  L'année  com-  L'annéene 

•     1  MI      1      T>^  '        \  commence 

mençoit  la  veille  de  raques  ;  usage  sujet  a  p1u5  à  Pâ* 
beaucoup  d'inconvéniens ,  cette  fête  étant  *^"^** 
mobile.  L'ordonnance  de  Roussillon  ,  en 
1564  ,  fixa  le  commencement  de  Tannée 
au  premier  Janvier.  Le  parlement  ne  con- 
sentit à  cette  réforme  que  trois  ans  après. 
Tant  l'empire  de  la  coutum*  prévaut  quel- 
quefois sur  la  raison. 

Pour  se  former  une  idée  des  mœurs  de  la  corruption 
cour,  qui  influent  nécessairement  sur  celles '^^ ^^ *^°^' 
de  la  nation  entière ,  il  taut  réunir  tous  les 
désordres  portés  aux  plus  grands  excès  ,  la 
superstition  et  l'athéisme  ,  la  méchanceté  et 
la  débauche ,  la  fourberie  et  la  cruauté.  Ca- 
therine de  Médicis  avoit  accrédité  l'astro» 
logie  judiciaire.  Rien  n'étoit  plus  commua 


46  Charles   IX. 

que  les  sortilèges ,  par  lesquels  on  croyoît 
se  défaire  de  ses  ennemis.  On  y  joignoit  mal- 
heureusement un  moyen  plus  efficace  ,  le 
poison.  Toutes  ces  pestes  venoient  princi- 
palement'd'Italie.  La  renaissance  des  lettres  , 
en  raffinant  les  esprits  ,  sembloit  avoir  dé- 
veloppé des  talens  pernicieux.  L'impiété 
d'une  pan ,  l'hérésie  de  l'autre ,  en  abu- 
soient  pour  le  malheur  de  la  société.  C'est 
que  la  plupart  ignoroient  encore  les  vrais 
principes  qui  doivent  régler  la  conduite  de 
chaque  particulier  et  le  gouvernement  des 
états. 

La  noble;-      D'ailleurs ,  la  noblesse  en  général  étoit  si 

ranu.°'  ignorante ,  qu'on  fit  venir  exprès  deux  gen- 
tilshommes pour  converser  en  latin  avec  les 

Montaigne  ambassadeurs  Polonois.  Cependant  Michel 
Montaigne  ,  gentilhomme  Gascon ,  égale- 
ment distingué  par  son  esprit  et  par  ses  lu- 
mières ,  cultivoit  paisiblement  la  philoso- 
phie. On  admire  encore  le  style  nerveux  et 
les  pensées  fortes  de  ses  Essais -,  ouvrage 
utile  pour  la  connoissance  du  cœur  humain, 
mais  où  la  religion  et  les  mœurs  ne  sont  pas 
toujours  respectées. 

Galanterie  Quoique  ks  femmes  influassent  plus  que 
jamais  dans  les  affaires  ,  et  que  la  galante- 
rie régnât  à  la  cour,  les  mœurs  étoient  aussi 
atroces  que  dépravées.  Un  amant  se  plaisoit 
à  faire  couler  son  sang  pour  sa  maîtresse  ;  il 
ne  craignoit  pas  de  s'obliger  pour  elle  aux 


Charles  IX.  47 

plus  grands  crimes  :  l'assassinat  ,  Teinpoi- 
sonnement  devenoient  pour  lui  en  quelque 
façon  des  devoirs.  Les  associations  étroites 
entre  les  seigneurs  ou  les  guerriers  tendoient 
souvent  au  mcme  but.  En  un  mot ,  on  ne 
respectoit  plus  rien.  Les  femmes  se  montrè- 
rent bar])ares  ainsi  que  les  hommes.  Si  le 
Louvre  fut  plusieurs  fois  un  théâtre  de  meur- 
tres et  de  scélératesse 5  jusqu'où  devoit  se 
porter  ailleurs  une  licence  effrénée  ? 

Sous  ce  règne,  il  se  passa  en  Amérique  LejFran- 
une  chose  mémorable.  L'amiral  de  Coligni  mérique.  * 
y  avoit  envoyé  une  colonie ,  qui  s'établit 
dans  la  Floride.  Les  Espagnols  ne  vouloient 
point  de  voisins  ,  s'imaginant  avoir  des 
droits  exclusifs  sur  cet  immense  hémisphère. 
Ils  surprirent  les  François ,  et  les  massacrè- 
rent tous ,  quoqu'il  n'y  eût  point  de  guerre 
entre  les  deux  nations.  La  cour  de  Madrid 
approuva  cette  injuste  cruauté  ;  celle  de 
Paris  ne  pouvoit  ou  ne  vouloit  pas  en  tirer 
vengeance.UngentilhommeGasconr, nommé  Dominique 
Dominique  Gourgues ,  entreprit  de  le  faire  ^°"^^""' 
sans  secours.  Il  vendit  son  bien  en  1667  , 
équipa  quelques  navires ,  attaqua  les  Espa- 
gnols ,  s'empara  de  leurs  forts  et  fit  pendre 
ceux  qui  tombèrent  entre  ses  mains.  On 
trouva  un  monument  de  leur  expédition  ,  où 
ils  se  vantoient  d'avoir  exterminé  les  habi- 
tansderanciennecolonie,/2o/2  co/zzme  i^rj/2- 
çois ,  mais  comme  Luthériens.  Gourgues 


48  Charles  IX. 

fit  graver  de  même  le  récit  de  sa  victoire, 
en  marquant  qu'il  avoit  ainsi  traité  les  Es- 
pagnols,  non  comme  Espagnols  ^  mais 
comme  traîtres ,  brigands  et  meurtriers. 
Loin  d'être  récompensé  à  son  retour ,  il 
courut  risque  de  perdre  la  vie.  Les  Guises  , 
par  ménagement  pour  Philippe  II  ,  deman- 
dèrent qu'on  lui  fit  son  procès.  L'injustice 
ne  fut  pas  poussée  si  loin.  Elisabeth,  qui  sa- 
voit  mieux  employer  le  mérite ,  offrit  à  ce 
brave  capitaine  le  commandement  d'une 
flotte  Angloise.  Il  se  disposoità  partir,  lors- 
qu'il mourut.  Peut-on  ne  pas  observer  com- 
bien ce  mot  mais  comme  Luthériens^  peint  ^ 
au  naturel  l'esprit  d'un  siècle  où  la  religion 
fut  le  prétexte  des  plus  monstrueuses  hor- 


reurs 


HENRI   in. 

,,„,     XL  est  étonnant  que  Henri  ÎII ,  dans  sa 
'574*  'K  ^  ,  ,  , 

Henri     vmgt-quatrieme  année  ,  soit  monte  sur  le 

Poigne,  trône  après  deux  de  ses  frères ,  François  II 
et  Charles  IX.  Il  l'est  encore  plus  que  ce 
prince,  qui  s'étoit  fait  une  brillante  réputa- 
tion n'étant  que  duc  d'Anjou ,  se  soit  ren- 
du si  méprisable  étant  roi.  L'ennui  le  dé- 
voroit  en  Pologne.  Impatient  de  revenir 
dans  sa  patrie  et  prévoyant  que  les  Polo- 
nois  mettroient  obstacle  à  son  retour,  il  s'é- 


Henri   III.  49 

vaxla  de  nuit  comme  uii  captif  qui  brise 
ses  chaînes.  L'empereur,  les  Vénitiens  et  Bons  con- 
les  plus  sages  des  François  lui  conseillèrent {fe/ui^pa;. 
vainement  de  ménager  les  calvinistes ,  et  de 
rétablir  le  calme  dans  le  royaume  agité 
de  factions  meurtrières.  Use  déclara  pour  les 
\  Mes  de  rigueur  ,  comme  il  avoit  fait  au 
i.:ips  du  massacre;  mais  il  ne  tarda  guère 
à  s'en  repentir.  La  petite  ville  de  Livron  , 
qu'il  vGuloit  forcer,  lui  résista  avec  insulte. 
Approche^^  assassins ^  crioit-on  du  haut 
des  murailles ,  vous  ne  nous  trouvere^pas 
endormis  comme  fa  mirai. 

Dès  le  commencement  de  son  règne ,  il  se  rr^^^.^^^r^ 

,         ,,    r  '  •     1      Henri  111. 

montra  tel  quil  fut  toujours,  ennemi  des 
affaires ,  occupé  sérieusement  de  parure  et 
de  bagatelles ,  livré  avec  quelques  jeunes 
seigneurs  ,  ses  mignons,  aux  plus  infâmes 
débauches  ,  et  augmentant  le  scandale  de  ses 
mœurs  par  des  grimaces  de  dévotion.  Que 
devoit-on  augurer  d'un  roi  qui ,  souillé  de 
vices  abominables ,  affectoit  d'aller  en  pro- 
cession sous  un  sac  de  confrère  pénitent  , 
et  de  contrefaire  le  dévot  en  vivant  comme 
un  impie  (  i  )  ? 


(i)  On  lit  dans  le  Journal  de  Henri  111  ^  non- 
seulement  qu'il  disoit  son  chapelet  de  têtes  de  mort 
le  long  des  rues,  mais  qu'il  le  marmotoit  jusques 
dans  ses  parties  de  débauche  ,  et  qu'il  l'appeloit  en 
plaisantant  k  fouet  de  ses  grandes  haquenées. 


5o  H  E  N  R  I    1 1  I. 

Factions      Le  duc  d'Alençon ,  à  qui  il  avoit  rendu* 
révolter.    |^  liberté  ainsi  qu'au  roi  de  Navarre  ,  cons- 
pira contre  sa  vie.  Henri  lui  pardonna  en 
frère  ;  ensuite  sur  quelques  nouveaux  soup- 
çons, il  conjura  le  roi  de  Navarre  de  le 
faire  périr.  Celui-ci  seroit  devenu  par  ce  cri- 
me l'héritier  présomptif  de   la  couronne; 
mais  il  étoit  incapable  d'une  noirceur,' et 
refusa  d'y  prêter  la  main.  Des  méconten- 
temens  communs  unirent  les  deux  princes ,  ' 
quoique  brouillés  par  antipathie  et  par  des 
intrigues  galantes.  Le  duc  d'Alençon  s'en-  ' 
fuit  de  la  cour.  La  confédération  des  poli-* 
tiques  et  des  protestans  acquit  de  nouvelles 
forces ,  ayant  à  sa  tête  le  frère  du  roi.  Il 
fut  bientôt  suivi  du  roi  de  Navarre,  qui  ne  ' 
se  vit  pas  plutôt  libre  ,  qu'à  l'exemple  du  ' 
prince   de  Condé ,  il  rétracta  l'abjuration 
qu'on  lui  avoit  arrachée  sous  le  dernier  rè- 
gne.   La   Saint-Barthélemi    auroit-elle    pu 
faire  de  bons  catholiques?  La  guerre  civile 
se  ralluma  dans  les  provinces. 
Imoîence      Montbrun ,  chef  des  huguenots  de  Dau- 
brum^"^"  phiné  ,  est  fait  prisonnier  et  on  lui  tranche 
la  tête.  Il  avoit  eu  l'insolence  de  dire  tout 
haut   :    «.  Le  roi  m'écrit  comme  roi  ,  et 
»  comme  si  je  devois  le  reconnoître  !  Je 
»  veux  qu'il  sache  que  cela  seroit  bon  en 
»  temps  de  paix;  mais  en  temps  de  guerre , 
»  qu'on  a  le  bras  armé  et  le  eu  sur  la  selle, 
»  tout  le  monde  est  compagnon  >^.  Il  verra 


H  EN  R  I     III.  51 

V/  est  mon  compagnon ,  dit  le  roi  en  appre- 
lant  qu'il  étoit  maître  de  sa  personne.  Le  gain 
l'une  bataille  ne  lui  eût  pas  causé  plus  de  joie. 
Déjà  des  troupes  Allemandes  étoient  venues 
m  secours  des  confédérés.  On  sentit  la  néces- 
,ité  de  la  paix.  11  n'étoitrplus  temps  de  la 
iâire  avec  honneur  ;  on  la  fit  telle  que  la  vou- 
lurent les  factieux. 

Les  plus  grands  avantages  furent  accor-    M 76. 
dés  aux  calvinistes  par  Tédit  de  pacification  ;  „^j%/^^^'^" 
liberté  entière  de  conscience ,  exercice  pu-  tnom- 
blic  àt  la  religion  prétendue  réformée  (ce 
sont  les  termes  de  Tédit  ) ,  excepté  à  deux 
lieues  de  Paris  et  de  la  cour;  chambres  mi- 
parties  de  catholiques  et  de  protestans  dans 
les  huit  parlemens  du  royaume  (  i  )  9  ^'^  ^^' 
moire  de  l'amiral  réhabilitée;  les  chefs  de 
la  confédération  reconnus  pour  bons  et  fi- 


(i)  Depuis  que  le  parlement  avoit  eu  une  con- 
sistance fixe  à  Paris ,  et  que  l'on  avoit  senti  mieux 
que  jamais  la  nécessité  des  lois ,  et  l'avantage  des 
tribunaux  chargés  de  rendre  la  justice,  un  parle- 
ment unique  ne  pouvant  embrasser  toutes  les  pro- 
vinces dans  son  ressort ,  on  en  établit  successive- 
ment plusieurs.  Celui  de  Toulouse  fut  créé  par 
Philippe  le  Bel,  et  les  autres  ensuite  par  différens 
rois.  Leur  sag^^sse  s'est  quelquefois  démentie  dans 
d.s  temps  de  troubles  et  de  vertiges  ;  mais  leur 
établissement , comme  l'observe  Loiseau ,  a  sauvé 
le  royaume  d'un  démembrement ,  et  l'a  maintsnu 
en  son  cnver.  Les  lois  sont  un  des  plus  fermes  rem- 
parts des  étais,  ^ 


'      '        52  H  E  N  R  I     1 1  I. 

délies  sujets.  On  déclare  que  les  prêtres  ou- 
moines  maries  ne  pourront  être  inquiétés  à 
ce  sujet ,  et  que  leurs  entans  seront  regar- 
dés comme  légitimes.  On  augmente  l'apana- 
ge du  duc  d'Alençon,  qui  devient, dès-lors 
duc  d'Anjou;  et  pour  comble  d'opprobre, 
on  achète  le  départ  àes  Allemands ,  on  leur 
donne  dus  otages ,  on  souffre  qu'ils  pillent 
les  provinces  en  se  retirant  chez  eux.  Voilà 
les  suites  de  la  Saint-Bar thélemi ,  à  laquelle 
Henri  III  n'avoit  que  trop  contribué.  Jamais 
l'hérésie  ne  parut  si  triomphante  ,  ni  le  gou- 
vernement si  avili. 
Nawnnce  L'indignation  et  le  zèle  des  catholiques 
a  ^S"^' produisirent  un  mal  encore  plus  funeste  ;  la 
sainte  Ligue  prit  naissance.  On  appella  ainsi 
cette  dangereuse  confédération  ,  dont  le 
motif  ou  le  prétexte  étoit  de  défendre  l'é- 
glise ,  le  roi  et  l'état  ;  mais  dont  le  princi- 
pal effet  fut  de  bouleverser  l'état ,  d'assas- 
siner le  roi-f  et  de  déshonorer  l'église.  Le 
cardinal  de  Lorraine  (  mort  en  1674)  passe 
pour  en  avoir  ébauché  le  plan  ;  ouvrage 
digne  de  son  excessive  ambition.  Les  hugue- 
nots ,  animés  de  l'esprit  répubhcain  ,  avoient 
formé  de  pareilles  entreprises  contre  l'au- 
torité souveraine.  Celle  des  catholiques  de- 
vint en  quelque  sorte  une  révolte  générale. 
C'étoitune  Dans  un  article  de  l'association,  telle  que 
manifefte.  ^^  rapporte  un  auteur  exact ,  il  étoit  dit  que  , 
pour  la  défense  commune,  on  procéderoit 

soit 


H  EN  R  I    III.  5S 

soit  par  la  voie  de  la  justice ,  ou  des 
armes  ^  sans  nulle  acception  de  person^ 
nés,  La  formule  dressée  par  la  Picardie ,  où 
la  ligue  prit  naissance  ,  porte  que  quicon- 
que retuseroit  ou  différeroit  d'y  entrer  ,  seroit 
réputé  ennemi  de  Dieu  ,  déserteur  de  sa 
religion  ,  rebelle  à  son  roi ,  traître  et  pro- 
diteur  de  sa  patrie ,  abandonné  de  tous  , 
et  exposé  à  toutes  les  injures  et  oppres- 
sions qui  lui  pourroient  survenir.  Enfin 
il  étoit  dit  qu'on  éliroit  au  plutôt  un  chef, 
a  qui  tous  les  confédérés  seroient  obligés 
d'obéir  ;  et  ceux  qui  refuseront ,  seront 
punis  selon  sa  volonté,,.  Le  chef  seul 
décidera  les  contestations  qui  pourroient 
survenir  entre  les  confédérés  ^  et  ils  ne 
■  pourront  recourir  aux  magistrats  ordi^ 
naires  sans  sa  permission.  Voilà  un  chef 
à  la  place  du  roi. 

Henri  duc  de  Gôise ,  surnommé  le  Bala-  ,^^"''.'  ^^^ 
fré  à  cause  d'une  blessure  qu'il  avoit  reçue 
au   visage   en  combattant  les   calvinistes  , 
animoit  sourdement  la  cabale  sans  paroître 
encore  en  être  le  chef.   Elle  fit  des   pro- 
grés rapides  ;  les  religionnaires  furent  insul- 
tés en  plusieurs  endroits,  et  la  cour,  malgré 
l'édit  de  pacification  ,  ne  pensa  guère  à  ré- 
primer ces  violences.  Ne  pouvant  contre-  Etats  de 
balancer  un  parti  par  l'autre ,  elle  se  déclara  foraûto^î- 
ouvertement  aux  états  de   Blois  contre  ce-  ^^  ^*  l^^"^- 
lui  qu'elle  espéroit  le  plus  d'accabler, ^et  ré- 
Tome  IIL  C 


.     54  Henri  II Î. 

voqua  Pedit  accorde  aux  protestaits.  C'étoît 
"  peu  de  leur  fournir  un  nouveau  prétexte  de 
guerre.  Le  roi  par  une  politique  inconceva- 
ble ,  autorisa  la  ligue  ,  s'en  déclara  le  chef , 
se  mit  à  la  tète  d'une  faction  formée  con- 
tre lui-même.  Tel  fut  le  fruit  des  états  de 
Blois  :  la  guerre  civile  et  nul  secours  d'ar- 
gent pour  la  soutenir. 
■■"        ■  "      A  peine  avoit-on  repris  les  armes ,  que 
M 77-    le  roi  désira  la  paix.  Il  accorde  un  nouvel 

Nouvelle  ,  ^       i  -r       ■  r  i     • 

paix.  edit  de  pacification  conforme  en  plusieurs 
points  au  dernier,  de  nouvelles  places  de 
sûreté  pour  le  calvinistes  ;  en  attendant , 
dit-il ,  qu'il  ait  plu  à  Dieu  de  lui  faire 
la  grâce  ^  par  le  moyen  d'un  bon ,  libre 
et  légitime  concile^  de  réunir  tous  ses 
sujets  à  r  église  catholique,  (  Expression 
Ordre  du  singulière  après  le  concile  de  Trente.  )  Dans 

S.  Esprit,  ^g  ^^^^^  intervalle  de  tranquillité,  Henri  III 
institua  Tordre  du  Saînt-Esprit.  Celui  de 
Saint-Michel ,  que  les  Guises  avoient  pro- 
digué pour  se  faire  des  créatures ,  étoit  tom- 
bé dans  un  tel  avilissement,  qu'on  l'appe- 
'  loit  le  collier  à  toutes  bêtes.  Les  catholi- 
ques seuls  pouvoient  être  admis  dans  le  nou- 
vel ordre  :  c'étoit  un  appât  pour  attirer  les 
protestans.  Mais  le  roi,  méprisé  des  premiers 
à  causé  de  sa  conduite  scandaleuse ,  détesté 
des  autres  comme  un  d^s  auteurs  de  la  S» 
Barthélemi  ,  ne  connoissoit  pas  les  vrais 
moyens  de  ramener  les  esprits  et  de  réta- 


^ 


Henri   m.  55 

blir  son  autorité.  En  prodiguant  tout  à  son 
luxe  et  à  ses  mignons ,  il  manquoit  de  tout 
pour  les  besoins  de  l'état.  Les  deux  partis 
ne  voyoient  dans  sa  personne  qu'un  prince 
foible ,  débauché  ,  et  bassement  hypocrite. 
Aussi    le  bravèrent-ils  tour-à-tour. 

Comme  la  cour  étoit  peu  fidelle  à  ses         "    -■' 
engagemens ,  le  roi  de  Navarre  ne  crut  pas    M  ^^'j^ 
devoir  l'ctre  davantage  aux  siens.    Il  re-d'x\iijou 
commença  la  guerre,  et  acquit  une  grande baï/^^^' 
réputation  au  siège  de  Cahors.  D'un  côté, 
le    duc  d'Anjou    (  auparavant   duc   d'A- 
lençon  ) ,  dont  l'humeur  ne  pouvoit  sym- 
pathiser avec  celle  de  Henri  III  son  iVère  , 
s'évada   secrètement ,    et   alla  profiter  des 
troubles  des  Pays-bas  ,  où  la  domination 
Espagnole  déclinoit  de  plus  en  plus.  Le  duc 
d'Albe,  après  avoir  livré  à  l'exécuteur  dix- 
huit  mille  hérétiques  en  cinq    ans  ,  s'étoit 
retiré  avec  le  chagrin    de  voir  l'hérésie   et 
la  révolte  plus  audacieuse  que  jamais.  Tout  ^j^^J"^^*" 
le  sang  versé  par  li::s  ordres  de  Philippe  II  Hollande. 
n'avoit  servi  qu  a  enflammer  la  haine  des 
peuples  contre  lui  ,  et  celle  des  protestans 
contre  l'église.  Le  prince  d'Orange,  qu'il 
venoit  de  proscrire  ,    dont   il  avoit  mis  la 
tête  à  prix,  détermina  enfin  les  états  à  .le 
déclarer  solennellement  d/chu  de  la  prin- 
cipauté^ pour  avoir  violé  les  privilégies 
des  peuples ,   contre  son  serment.  Pour 
cette  cause  y  ajoute  la  proclamation  ,  les 

Cl 


56  Henri   II  L 

états  ^  suivant  la  permission  que  le  roi 
Philippe  leur  en  avoit  donnée  lui-même 
lorsqu^il  fut  reconnu  prince  de  Flandre , 
étant  libres  et  dégagés  de  Vobéissance 
qui! ils  lui  av oient  vouée  ,  choisissent  pour 
Leur  prince  ,  de  leur  bon  gré  et  de  leur 
propre  mouvement ^  François  de  Valois  ^ 
duc  d* Alençon  ^  frère  du  roi  de  France. 
Le  roi  approuva  l'élection ,  mais  il  falloit , 
pour  la  soutenir ,  plus  de  génie  et  de  pru^ 
dence  que  n'en  avoit  le  duc  d'Anjou. 

*■'  Mécontent  de  ce  que  les  Provinces-unies 

1583.   gr^noient  son  autorité,  et  ialoux  du  prince' 

conduite    d'Orange  qui  n'avoit  eu  garde  de  se  donner  un 

ll'knjou,  maître  absolu ,  il  tenta  de  s'emparer  des  prin- 
cipales villes.  Cette  entreprise  ruina  ses  affai- 
res. Les  bourgeois  d'Anvers  repoussèrent  les 
François  ,  qui  crioient  partout  vive  le  duc  et 

Malheurs  la  Messe ,  et  ils  en  firent  un  grand  carnage. 

^l'nr/iiV?^Ce  malheureux  prince  fut  obligé  de  revenir 
en  France ,  ayant  perdu  par  sa  faute  un  état 
où  il  pouvoit  être  heureux  en  respectant  la 
liberté  nationale.  Il  se  flattoit  d'épouser  la 
reine  d'Angleterre  ;  il  en  avoit  même  reçu  un 
anneau  pour  gage  de  sa  foi.  C'étoit  la  coutu- 
me d'Elisabeth  de  nourrir  l'espoir  des  princes 
'  qui  vouloient  régner  avec  elle.  Elle  trompa 
le  duc  d'Anjou  comme  tant  d'autres  ,  quoi-^ 
que  amoureuse  de  lui.  Consumé  de  chagrin, 
il  mourut  en  1684.  Le  prince  d'Orange 
ayanr  été   assassiné  par  .un  fanatique,  la 


He  N  RI    III.  57 

nouvelle  république  offrit  au  roi  de  le  recon-  Les  Hoi- 

^  *  •        TT  /r         •  landois 

noitre  pour  souverain.  Une  ottre  si   avan- veulent  se 
tageuse  ne  fut  point  acceptée.  Sous  un  gou-  fa°  France. 
vernement  foible ,  les  occasions  échappent 
sans  retour. 

On  vit  enfin  que  la  sainte  ligue ,  colo-  »       ■    ■• 
fée  d'une  apparence  de  zèle  n'étoit  dans    1584- 
les  vues  des  principaux  chefs  qu'une  cons-  ligueurs,^^ 
piration  contre  l'autorité  royale  et  les  lois 
fondamentales  du  royaume.    La  mort   du 
duc  d'Anjou  fit  éclater  le  vrai  dessein  des 
ligueurs.   Comme  le  roi  de  Navarre  étoit 
dès-lors  l'héritier    présomptif    de    la   cou- 
ronne :  ils  affectèrent  plus   que   jamais  de 
gémir  sur  les  dangers  de  l'église  ,  sur  les 
triomphes  certains  de  l'hérésie  ,  en  cas  qu'un 
prince  hérétique  vînt  à  régner.  Ht^nri  III  invectives 
n'étoit  point  épargné  dans  leurs  invectives,  rcrj*^^^^ 
Les  édits  bursaux  dont  il  écrasoit  le  peu- 
ple ,  ses  profusions  pour  d'indignes  favoris, 
ses   débauches  monstrueuses  ,  ses    confré- 
ries ,    ses   processions    fréquentes ,    le    sac 
dont  il  se  couvroit  ,  une  discipline  et   un 
rosaire  à  sa  ceinture  ,  fournissoient  ample 
matière  de  satire.  Pour  le  décrier   davan- 
tage ,   on  le   peignoir  comme    fauteur  de 
l'hérésie ,   ami  secret  du  roi    de  Navarre , 
protecteur  déclaré   de  Genève  et  des  reli- 
gionnaires  Flamands.  Les  ecclésiastiques  et 
les  moines ,  transportés  la  plupart  d'un  zèle 
aveugle ,   souffloicnt  à  i'cnvi  le  feu  ;de  la 

C3        ^ 


58^  Henri    III. 

rébellion.  Ils  entraînoient  aisément  un  peu- 
ple crédule  et  enthousiaste. 

Le  pape  Le  duc  de  Guise  faisoit  jouer  tous  les 
la  révolte,  ressorts  avec  autant  de  prudence  que  d  ac- 
tivité. Un  Jésuite  Lorrain  ,  nommé  Mat- 
thieu ,  fut  un  de  ses  principaux  agens.  On 
Tappeloit  le  courrier  de  la  ligue.  Grégoire 
XIII ,  qu'il  avoir  commission  de  consulter 
sur  ce  cas  de  conscience  :  si  le  motif  de 
maintenir  la  religion  catholique  pouvoit 
dispenser  de  V obéissance  due  aux  souve- 
rains y  décida  verbalement ,  selon  les  an- 
ciennes maximes  de  Rome,  que  la  guerre 
en  ce  cas  étoit  perrnise  contre  le  roi.  Les 
scrupules  des  âmes  droites  étant  levés  par 
cette  réponse ,  il  n'y  eut  qu'une  voix  pour 
prendre  les  armes. 

Lecardi-      L'ambition  effrénée  de  Henri  de  Guise 

liai  de  .      .  a  n  1  •       d 

Bourbon,  aspiroit  au   trône.   Il  sut  la  couvrir  dun 
ij'gue.'^^  ^^  voile  imposant.  11  persuada  au  vieux  Charies 
cardinal  de  Bourbon,  oncle  du  roi  de  Na- 
varre ,  que  son  neveu  étant ,  comme  héré- 
tique, incapable  de  régner  ,  c'étoit  lui  que 
la  couronne  regardoit.  Ce  prélat  crédule» 
facile  5  imbu  d'ailleurs   de  préjugés   domi- 
nans,  se  laissa  éblouir  d'une  espérance  chi- 
mérique ,  qui    redoubloit  Tardeur   de    sort 
Son  mani-^èle.  Tout-à-coup  parut  un  manifeste  oii  il 
^^^^*        se  déclaroit  le  chef  de  la  ligue  en    expo- 
sant les  intentions  des  ligueurs.  Les  noms. 
du  papej  de  l'empereur  j   du  roi  d'Espa-< 


1 


H  E  N  R  I    III.  69 

çne ,  de  presque  tous  les  souverains  catho- 
liques ,  appuy oient  cette  déclaration.  Elle 
portoit  que  tous  les  confédérés  avoient  fait 
serment  de  tenir  la  main  forte  et  armée 
à  ce  que  l'église  fût  rétablie  en  sa  dignité , 
et  la  religion  catholique  maintenue  ,  le  peu- 
ple soulagé ,  les  nouveaux  impôts  abolis ,  etc. 

Aprè^   ce  signal  de  guerre,  les  ligueurs  Le  roi  ne 
se  mettent  bientôt  en  campagne.  Henri  111 ,  a^e°la  fol-^ 
quoiqu'en  état  de  les  dissiper ,  se  contente  blesse, 
de  faire  son  apologie.  Il   invite  le  roi   de 
Navarre  à  changer  de  religion ,  et  à  venir 
le  seconder  pour  leurs   communs  intérêts. 
Celui-ci  répond  qu'il  faut  auparavant  le  con- 
vaincre de  la  fausseté  de  sa  religion  ;  qu'il 
n'est  point  opiniâtre  sur  cet  article  ;   mais 
qu'en  attendant,  il  suivra  les  lumières  de 
sa  conscience.  La  cour  n'avoit  ni  prudence,  > 
ni  courage;  et  Catherine  de  Médicis  ,  soit- 
penchant  pour  la  ligue  ,  soit  envie  de  tem-  • 
poriser ,  augmenta  les  frayeurs  du  roi. 

On  fit  donc  à  Nemours  un  traité  de  paix ,         ,  1 
le  plus  avantageux  aux  ligueurs,  et  le  plus    1585. 
capable  de  révolter  les  protestans.  On  dé-  ^^^l^Hl 
pcuilloit  ces  derniers   de  tout   ce  qui   leur  ligueurs, 
avoitété  accordé;  on  accordoit  aux  autres 
tout   ce  que  des   rebelles  peuvent    désirer 
pour  l'anéantissement  delà  puissance  royale. 
Le  cardinal  de  Bourbon  et  les  princes  de 
la  maison  de  Guise  obtinrent  des   gardes, 
des  villes  de  sûreté ,  de  l'argent ,  et  une  ap- 

C  4 


6o  H  E  N  R  I    II L 

probation  authentique  de  tout  ce  qu'ils  avoient 
entrepris  contre  l'état.  Cette  nouvelle  frappa 
tellement  le  roi  de  Navarre  ,   qu'un   côté 
de  sa  moustache  ,  dit  son  historiographe 
Matthieu  ,  en  blanchit  tout-à-coup. 
Sixte-         Cependant  la  ligue  perdoit  son  crédit  à 
SmmunS^^"^^'  Sixte-Quint,  ce  pape  fier  et  entre- 
le  roi  de  prenant ,   né  d'un  vigneron  ,  nourri  dans 
un   cloître ,  parvenu  à  force  d'artifices  au 
pontificat ,  mais  capable  de  gouverner  un 
empire ,  la    regardoit  comme  une  cabale 
aussi  dangereuse  pour  la  religion  que  pour 
le  royaume.  Quoiqu'il  en  parlât  avec  mé- 
pris ,  il  ne  laissa  pas  de  lui  fournir  des  armes 
en  publiant  une  fameuse  bulle  ,  par  laquelle  i! 
excommunioit  le  roi  de  Navarre  et  le  prince 
de  Condé ,  comm^  hérétiques,  relaps,  ennemis 
de  Dieu  et  de   l'église ,  les  appellant  génC" 
ration  bâtarde  et  détestable  de  Villustre 
maison  de  Bourbon  ,  les  déclarant  privé$ 
de  tous  leurs  droits ,  incapables  de  succéder 
à  toute  souveraineté,  et  déliant  les  sujets  du 
roi  de  Navarre  de  leur  serment  de  fidélité. 
Le  parlement ,  indigné  de  cet  attentat ,  en 
fit  la  matière  des  plus  fortes  remontrances. 
Un  conseiller  fut  d'avis  de  £iire  brûler  cette 
bulle  injurieuse.  Les  deux  princes  en  appel- 
lèrent  à  un  concile  libre, 
tionvigou-      Le  roi  de  Navarre,   dans   sa  protesta- 
prlncei^^.^  tion  ,  donne  un  démenti  à  Sixte-Quint ,  et 
ajioute  que  si  par  le  passé  les  rois  et  prin* 


Henri   ïlï.  6i 

C€S  ses  prédécesseurs  ont  bien  su  châtier 
la  témérité  de  tels  galans  ,  comme  est  ce 
prétendu  Sixte  ^  lorsquils  se  sont  oubliés 
':•  leur  devoir^  et  passé  les  bornes  de 
.  ur  vocation  ,  confondant  le  temporel 
avec  le  spirituel  ;  //  espère  lui  qui  nest 
en  rien  inférieur  à  eux  ,  que  Dieu  lui 
fera  la  grâce  de  venger  V injure  faite  à 
son  roi  y  à  sa  maison  ^  à  son  sang  ,  et 
à  toutes  les  cours  du  parlement  de  Fran^ 
ce,  etc.  Selon  lui ,  c'est  le  pape  qu'on  doit  re- 
garder comme  hérétique  ;  et  il  prétend  le  prou- 
ver dans  un  concile  légitime.  Il  eut  le  cou- 
rage de  faire  afficher  ce  placard  dans  Rome 
même.  Le  pape  admira  sa  fermeté,  mais 
les  ligueurs  ne  manquèrent  pas  de  se  pré- 
valoir de  la  bulle.  C'étoit  tout  pour  eux 
de  paroître  n'attaquer  que  les  ennemis  de 
l'église.  Leur  cause  devenoit  ainsi  aux  yeux 
du  peuple   la  cause  de  la  religion. 

Henri  III  fut  forcé  de  lever  des  troupes  '  -• 

contre  le  roi  de  Navarre  et  les  calvinistes  ,     '^^^* 

<  •        /  '11-         /  1-  1       Piaiiîtes 

après   avoir  révoque  le  dernier  edit  rendu  du  roi  jur 
en  leur  faveur.  Il  manda  le  premier  présidenr,  \l  ISg^re-^* 
le  prévôt   des  marchands,  le  cardinal   de ^^'"'"'-'''' 
Guise,    et    leur  dit  avec  ironie,   «   quM  guerre, 
»  louoit  le  zèle  de  la  magistrature  ,  de  la 
»    bourgeoisie  et   du  clergé  pour  la  cause 
»  de   la   religion  ;  mais  que  la   guerre  ne 
»  se  faisoit  pas  sans  argent  ,•  qu'ainsi  tant 
»  qu'elle  dureroit ,  le  parlement  trouveroit 

C5 


&2i  Henri   IIL 

»  bon  que  sqs  gages  fussent  supprimés  ; 
»  que  \ts  bourgeois  fourniroient  volontiers. 
i>  deux  cents  mille  écus  cl  or  dont  il  avoit 
»  besoin;  qu'il  ne  se  feroit  pas  scrupule 
»  de  toucher  aux  revenus  ecclésiastiques  ;. 
»  car  c'étoit  une  guerre  sainte  ,  et  le  clergé 
»  devoit  la  soutenir  ».  Comme  on  vou- 
loit répliquer  ;  il  falloit  donc  ni  en  croire^ 
agouta-t-il  brusquement  ,  et  conserver  la 
paix  ,  plutôt  que  de  décider  la  guerre 
dans  une  boutique  ou  dans  un  chœur^ 
T appréhende  fort  que  pensant  à  détruire 
le  prêche ,  nous  ne  menions  la  messe  en 
grand  péril,  Davila ,  qui  rapporte  ce  fait , 
dit  que  le  roi  laissa  tout  confus  ceux  à  la 
bourse  desquels  la  guerre  étoit  ainsi  déclarée. 
ulïunà       -^^  venoit  d'ordonner  par  unédit,   sous 

*Ti'*  te'  P^*"^^  ^^  ^^^'^^  ^'^  lèse-majesté  ,  que  les 
hérétiques  abjurassent  dans  quinze  jours.  Le 
roi  de  Navarre  avoit  ordonné  à  son  tour , 
par  une  déclaration  ,  que  les  catholiques  fus- 
sent traités  comme  on  traiteroit  les  calvinis- 
tes. Cette  guerre  des  trois  Henris  (elle  est 
désignée  sous  ce  nom  )  ,  déchira  les  pro- 
vinces ,  sans  produire  de  grands  événemens. 
On  manquoit  de  ressources;  et  le  parlement 
rejetoit  les  édits  bursaux,  par  lesquels  on 
vouloir  épuiser  la  France,  "déjà  trop  malheu- 
reuse. Catherine  de  Médicis  tenta  encore 
les  voies  de  négociation, 

£ile   eut  une   conté rence  en  Saintonge 


H  E  N  R  I    1 1 L  ^3 

avec  le  roi  de  Navarre.  Elle  y  avoit  mené  Conféren- 
les  femmes  galantes  de  sa  cour,  moyen  de  reine  mère 
séduction  qui   lui   réussissoit   souvent.    Lely^^"^'^*^ 
prince  en  les  voyant  dit  à  la  reine  :  Il  n^y 
a  rien  la  que  je  veuille,  —  Ç^o/ ,  répli- 
qua-t-elle,  aurois'je  donc  pris  une  peine 
inutile  ,  moi  qui  n^aime  que  le  repos  ^ 
—  Madame  ^je  nen  suis  pas  cause ,  répon- 
dit le  prince ,  ce  nesî  pas  moi  qui  vous  em- 
pêche de  coucher  dans  votre  lit\  c'^est  vous 
qui  niempêche\  de  coucher  dans  le  mien, 
La  peine  que  vous  prene\  vous  plaît  et 
vous  nourrit ,  le  repos  est  le  plus  grand 
ennemi  de  votre  vie.  Le  duc  de  Nevers 
lui  représentant  qu'il  n  auroit  pas  même  le 
pouvoir  de  lever  un  impôt  à  la  Rochelle ,  il 
repartit  fièrement  :  je  fais  ^  la  Rochelle 
tout   ce  que  je  veux ,    parce  que  je  n'y 
veux  rien  que  ce  que  je  dois.  Cette  parole 
devoit  donner  une  haute  idée  de  Henri  IV. 
Nous  rappellerons  désormais  ainsi,  puisque, 
selon  la  remarque  de   M.  de  Vohaire,  ce 
nom  si  célèbre  est  devenu  un  nom  propre. 
Comme  il  persistoit  à  ne  vouloir  point  ab- 
jurer le  calvinisme  par  un  pur  motif  d'in- 
térêt ,  la  conR'rence  suspendit  à  peine  quel- 
que temps   les    hostilités^    On    s'égorgeoit 
impitoyablement  les    uns   les  autres.  J'ai 
peur  ^  disoit  le  vicomte  de  Turenne,  que 
cette  guerre   ne   nous  mange  tous  y  si 
Dieu  n'y  met  la  main. 

C6 


C4  Henri  IIL 

Il  I  n  Un  événement  affreux  augmenta  la  hainÈJ 
1587.  ^es  catholiques  contre  les  religionnaires , 
û*î  Marie  et   acheva  de   manifester  l'inertie  du  gou* 

5tuart.  vernement.  Marie  Stuart  reine  d'Ecosse  ^ 
après  la  mort  de  François  II  son  époux  , 
s'étoit  retirée  dans  ses  états.  Elisabeth  , 
qui  voyoit  en  elle  une  dangereuse  rivale  ^ 
fomenta  soigneusement  la  révolte  des  pro- 
testans  Ecossois  ,  plus  furieux  que  les  au- 
tres ,  parce  qu'ils  étoient  plus  fanatiques. 
Les  foiblesses  de  leur  reine  (  car  il  est 
difficile  de  la  justifier  de  galanterie  ,  quand 
on  pèse  les  témoignages  pour  et  contre  )  , 
servirent  peut-être  à  irriter  leur  fanatis- 
me. Chassée  de  son  royaume  en  i568  , 
elle  chercha  un  asile  auprès  de  son  enne- 
mie. Elisabeth ,  moins  généreuse  que  poli- 
tique, la  tint  en  prison  dix-neuf  ans,  et  lui 
£t  trancher  la  tête ,  sous  prétexte  des  sou- 
lèvemens  qu'elle  occasionnoit  dans  l'état.  Il 
est  certain  que  les  catholiques  avoient  for- 
mé quelques  conspirations  contre  Elisabeth. 
Mais  quel  droit  la  reine  d'Angleterre  pou- 
voit-tlle  avoir  sur  les  jours  de  la  reine  d'E- 
cosse? Celle-ci  reçut  la  mort  avec  un  hé- 
roïsme vraiment  chrétien,  Henri  III  ne 
pensa  pointa  venger  la  veuve  de  son  frèœy 
ni  les  droits  de  la  royauté.  Il  avoit  tout  à 
craindre  pour  lui-même. 

i»cs  Seiz€.  ^"  découvrit  en  ce  temps  là  une  nou- 
velle faction  très-dangereuse ,  la  ligue  des 


Henri  IIL  6i 

Sà^e  ,  ainsi  nommée  parce  que  ceux  qui 
la  composoient  étoient  distribués  dans  les 
seize  quartiers  de  Paris.  Elle  existoit  depuis 
deux  ans  ,  étroitement  unie  à  la  grande  li- 
gue,  et  formant  le  dessein,  non-seulement 
d'assujettir  le  roi ,  mais  encore  de  le  détrôner. 
Après  avoir  été  averti  de  ce  complot ,  il  n'ea 
fut  ni  plus  actif,  ni  plus  prévoyant.  Les  li- 
gueurs ,  qu'il  regardoit  avec  raison  comme 
ses  ennemis  mortels ,  l'obligent  à  continuer  • 
la  guerre  contre  Théritier  présomptif  de  la 
couronne.  Il  confie  le  commandement  de 
l'armée  au  duc  de  Joyeuse ,  l'un  de  ses  fa- 
voris ,  dont  les  qualités  brillantes  couvroient 
les  vices  ordinaires  de  la  cour.  Ce  seigneur 
est  défait  par  Henri  IV  à  la  journée  de  Cou- 
tras  en  Guienne. 

La  diffs^rence  des  deux  armées  sembloit  an-  Bataille  de 
p  '    /  T  ,  '     -^     1  •         1    Coutras. 

noncer  1  événement.  L  une  etoit  pleine  de 

jeune  noblesse ,  brave ,  impétueuse ,  mais  sans 
discipline  ,  amollie  par  le  luxe  ,  couverte 
d'armes  dorées  et  de  magnifiques  ajustemens  : 
l'autre,  composée  de  vrais  guerriers,  sim- 
plement vêtus,  endurcis  à  la  fatigue,  et  qui 
ne  pensoient  à  briller  que  par  leurs  exploits. 
Avant  la  bataille,  H<::nri  dit  au  prince  de  Cou- 
de et  au  comte  de  Soissons  :  Souvenei  vous 
que  vous  êtes  du  sang  de  Bourbon  ;  et  vive- 
Dieu  ,  je  vous  ferai  voir  que  je  suis  votre 
aîné.  Et  nous  ,  répondirent-ils ,  nous  vous 
montrerons  (lue  vous  ayeide  bons  cadets* 


66  Henri  IIÏ. 

De  jeunes  seigneurs  libertins  ,  voyant  îes 
calvinistes  faire  la  prière,  dirent  d'un  ton 
moqueur  :  Ils  sont  â  nous ,  les  poltrons , 
ils  tremblent  et  se  confessent.  Quelqu'un 
plus  sensé  répondit  ;  ne  nous  y  trompons 
pas  ;  quand  les  huguenots  font  cette  mine  y 
ils  ont  envie  de  se  bien  battre.  En  moins 
d'une  heure  la  victoire  fut  décidée. 
Gloire  de  Jamais  le  roi  de  Navarre  n'avoit  montré 
tant  de  conduite  ni  tant  de  valeur.  Il  se  dis- 
tingua encore  plus  par  sa  modération ,  pre- 
nant soin  des  blessés ,  renvoyant  les  prison- 
niers gratuitement ,  et  paroissant  aussi  digne 
d'amour  que  la  ligue  le  peignoir  digne  de 
haine.  Il  fit  rendre  les  honneurs  funèbres  au 
duc  de  Joyeuse ,  qu'on  avoit  tué  de  sang- 
froid  après  le  combat.  Ces  sortes  de  meur^ 
très ,  inspirés  par  le  fanatisme  ,  déshono- 
roient  tour-à-tour  les  deux  partis. 
Succès  du  Le  duc  de  Guise  se  signaloit  d'un  autre 
GuW^  côté  contre  les  Allemands ,  qui  venoient  aa 
secours  des  huguenots.  Leur  armée  étoitde 
huit  mille  Reîtres  et  de  cinq  mille  Lansque- 
nets ,  auxquels  dévoient  se  joindre  seize  mille 
Suisses,  (  On  appeloit  Reîtres  la  cavalerie 
Allemande,  et  Lansquenets  Tinfanterie.  J 
Ce  général  les  dissipa  aisém.ent  ;  car  déjà 
effrayés  du  mauvais  succès  de  leur  entre- 
prise ,  et  le  roi  de  Navarre  ne  marchant  point 
à  leur  secours ,  ils  ne  pensoient  qu  a  préci- 
piter leur  retraite.  Guise  çn  fit  un  grand  car- 


l 


Henri  IIL  67 

nage.  Alors  on  vit  redoubler  l'enthousiasme 
et  rinsolence  des  ligueurs.  Tout  Paris  élevoit 
leur  idole  jusqu'aux  nues.    Les  chaires  ne 
retentissoient  que  de  ses  louanges  ;  les  prédi- 
cateurs affectoient  de  rabaisser  le  roi  en  pré- 
conisant le  duc.  Ces  paroles ,  qu'ils  répé- 
toient  avec  enthousiasme ,  Saiil  en  a  tué 
mille  ,  mais  David  en  a  tue  dix  mille  , 
devinrent  le  cri  universel  de  la  populace. 
Les  esprits  étoient  si  étrangement  fascinés,  oécisiot» 
que  la  Sorbonne  décida  dans  une  assemblée  ^^Jj^e,^*'^'' 
secrète ,  qu'0/2  pouvait  6 ter  le  gouverne- 
ment aux  princes  que  Von  ne  trouverait 
pas  capables  y  comme  r administration  au 
tuteur  quel  on  avoit  pour  suspect  \mdi\\mQ 
dictée  par  les  Seize,  et  qu'ils  prétendoient 
mettre  en   pratique.  La  mort  du  prince  de  Mort  da 
Condé,  empoisonné  à  Saint-Jean  d'Angeli ,  condé.*^ 
augmenta  leur    confiance.    Leur    impunité 
même  ne  prouvoit   que  trop  combien   ils 
étoient  redoutables. 

Cependant  le  duc  cfe  Guise  ,  toujours  oc-  ■■■ 

cupé  de  ses  grands  desseins,  tandis  que  le    M^f» 

.*  ,  .  ^  ,1  ^  Assemblée: 

roi  demeuroit  comme  enseveli  dans  une  stu-  séditieuse 
pide  léthargie ,  assemble  à  Nancy  les  chefs  ^^  ^^"^y* 
de  la  ligue  et  les  princes  de  sa  maison.  Ils 
conviennent  entre  eux  de  faire  de  nouvelles 
demandes  à  Henri  III.    On  lui  envoie  un  Demande» 
mémoire  pour  le  prier  d'éloigner  de  la  cour^"^®** 
les  personnes  suspectes  ,  de  faire  publier  le 
concile  de  Trente ,  d'établir  le  tribunal  de 


U  Henri  ilL 

rinquisition  dans  les  principales  villes ,  et 
d'en  commettre  l'exercice  à  des  étrangers  ; 
d'abandonner  aux  chefs  de  la  ligue  hs  places 
d'importance  qu'on  désigneroit;  de  payer 
leurs  troupes  ,  etc  ,  etc.  De  pareilles  de- 
mandes mettoient  le  comble  à  la  révolte. 
Il  prend  Le  roi  dissimula  ,  résolu  de  faire  un  exemple 

un  parti  de  ^       c   ■  t\  i  v^i  • 

Vigueur,  sur  ks  beize.  Dans  cette  vue  ,  il  assemola 
quelques  troupes  ,  et  envoya  défense  au  duc 
de  Guise ,  qui  étoit  alors  à  Soissons  ,  de 
revenir  à  Paris.  Il  falloit  vingt-cinq  écus  au 
courrier  chargé  de  la  lettre;  on  ne  les  trouva 
point ,  et  la  lettre  fut  mise  à  la  poste. 

^Journée       Au  moment  qu'on  s'y  attend  le  moins. 

cades.  arrive  le  duc  de  Guise.  Présenté  au  roi ,  il 
jure  qu'il  n'a  reçu  aucun  ordre.  Deux  jours 

mriître  de^P^^^9  Henri  III  fait  entrer  les  Suisses ,  pour 

*'*''^"»  s'assurer  de  la  ville.  Les  bourgeois  séditieux 
prennent  les  armes ,  forment  des  barricades 
jusqu'au  Louvre ,  enveloppent  ou  désarment 
les  soldats.  Le  roi  s'enfuit,  et  abandonné  sa 
capitale  au  duc  rebella  ,  qui  auroit  voulu  se 
saisir  de  sa  personne ,  mais  qui  appréhenda 
peut-être  de  se  rendre  trop  odieux  parxette 
violence.  Les  Parisiens  Tadoroient ,  Paris  et 
la  Bastille  étoient  à  sa  disposition;  il  eut 
bientôt  rétabh   l'ordre   partout.  Achille  de 

Courage  Harlai ,  premier  président  ,  qu'il  alla  visiter, 

président,  plus  indigné  qu'effrayé  de  son  triomphe ,  lui 
dit  :  c'est  grand  pitié  quand  le  valet  chasse 
le  maître*  Au  reste ,  mon  âme  est  à  Dieu, 


i 


Henri  III.  6c) 

mon  cœur  est  à  mon  roi,  et  mon  corps 
est  entre  les  mains  des  méchans  :  quon  en 
fasse  ce  quon  voudra.  Ainsi  un  magistrat 
illustre  se  montroit  ,  par  sa  fidélité  et  sa 
vertu,  bien  supérieur  à  ce  héros  criminel. 
La  plupart  des  membres  du  parlement  parta- 
geoient  les  sentimens  de  leur  chef;  et  ÏEt2Lt 
n'avoit  plus  guère  d'autre  ressource. 

Les  Parisiens  rougirent  bientôt  de  leurs  Processfo» 
excès,  ou  plutôt  ils  craignirent  la  vengeance.  aè^T-^ 
Une    procession    de   capucins  alla  jusqu'à  ^"^""* 
Chartres  pour  fléchir   le  roi.   Frère  Ange 
(  Henri  de  Joyeuse ,  un  de  ses  mignons , 
devenu  novice  capucin  ) ,   marchoit  à   la 
tête,    portant  sur  les  épaules  une  grande 
croix  ,  et  frappé  de  coups  de  discipline  paf 
deux  religieux,  tandis  que  les  autres . chan- 
toient  le  Miserere ,  et  que  le  peuple  crioit 
d'un  ton  lamentable ,  miséricorde.  A  cette 
bizarre   cérémonie    succéda  une  députation 
respectueuse  pour  demander  pardon,  et  le 
parlement  sollicita  la  grâce  du  peuple.  Henri 
III  s'expliqua  d'abord  avec  assez  de  fermeté  ; 
il  accorda  ensuite  comme  auparavant  tout  ce 
que  pouvoient  souhaiter  les  rebelles. 

Un  édit  d'union ,  siené  à  Rouen  ,  porte  E^'t  /jon- 
qu  il  tera  serment  d  exterminer  1  heresie  dans  niou. 
son  royaume  :  de  ne  faire  jamais  ni  paix  ni 
trêve  avec  les  hérétiques  ,  ni  aucun  édit  en 
leur  faveur;  que  tous  s*:^  sujets  jureront  de 
ne  recevoir  pour  roi  après  sa  mort  aucun 


70  Henri   m. 

prince  hérétique  ou  fauteur  d'hérétique  ;  que 
toutes  les  charges  seront  données  aux  catho- 
liques ;  que  le  roi  aura  deux  armées  pour  ex- 
terminer l'hérésie  ;  que  le  concile  de  Trente 
sera  publié  au  plutôt ,  sans  préjudice  de  l'au- 
torité royale  et  des  libertés  de  l'église  Galli- 
cane ;  que  les  sujets  se  départiront  de  toutes 
intelligences,  ligues,  associations,  soit  au- 
dedans  ,  soit  au-dehors  ;  qu'il  y  aura  amnis- 
tie générale  pour  le  passé ,  et  nommément 
pour  la  journée  des  barricades ,  attendu  que 
tout  s'est  fait  par  zèle  pour  la  religion ,  etc. 
Le  seul  article  avantageux  au  roi ,  étoit  de 
lui  rendre  h  Bastille  ;  il  ne  fut  point  exécuté. 
Les  autres  le  livroient  en  quelque  manière  à  ^ 
la  discrétion  des  factieux.  Ainsi  plus  le  gou- 
vernement plie  dans  Its  orages  ,  plus  les  chefs 
de  partis  savent  profiter  des  circonstances. 

Flotte  m-      L'armement  prodigieux  de  Philippe  II, 

battiié.  auquel  on  donnoit  le  nom  de  Flotte  invin- 
cible ,  détermina  peut-être  la  cour  à  céder 
avec  tant  de  honte.  Cette  flotte  ,  composée 
de  cent  trente  gros  vaisseaux,  où  le  maître  du 
Pérou  avoit  déployé  toutes  si:^s  ïcrcQS ,  de- 
voit  détrôner  Elisabeth,  et  sembloit  menacer 
la  France  aussi  bien  que  l'Angleterre.  Mais 
elle  fut  battue  par  les  vents  et  par  les  Angîois, , 
de  manière  que  l'entreprise  ne  produisit  ab- 

K  solument  rien. 

1588.        Outré  de  l'avilissement  où  il  se  voyoit  ré- 

BioYs?   ^  duitpar  les  ligueurs ,  le  roi  résolut  enfin  de  faire 


Henri  III.  71 

^  coups  d'autorité.  Ceux  qui  lui  avoient 
conseille  jusqu'alors  les  voies  de  douceur  et 
de  conciliation,  perdirent  sa  confiance,  la 
reine  mère  en  particulier ,  qui  ,  indiiîerente 
pour  tous  les  partis  ,  sacrifioit  tout  à  Tam- 
bition  de  gouverner.  Les  états-généraux  fu- 
rent assemblés  à  Blois.  Henri  fit  serment  avec 
eux  d'observer  Tédit  d'union  comme  une  loi 
fondamentale  du  royaume.  Les  partisans  des 
Seize,  qui  vouloient  imposer  le  joug  au  sou- 
verain ,  proposèrent  hardiment  que  les  déli- 
bérations fussent  publiées  sans  attendre  les 
ordres  du  conseil ,  dont  les  longueurs  et  les 
modifications  ,  disoient-ils  ,  rendoient  inu- 
tiles ks  remèdes  les  plus  salutaires.  On  fit  au 
roi  de  nouvelles  demandes  propres  à  l'aigrir 
davantage.  On  vouloit  qu'il  exclût  nommé- 
ment de  la  couronne  le  roi  de  Navarre ,  déjà 
exclus  en  qualité  d'hérétique  par  le  traité  de 
Rouen.  On  insista  sur  la  publication  du  con- 
cile de  Trente  ;  moyen  infaillible  dont  le  duc 
de  Guise  se  servoit  pour  s'attacher  la  cour  de  « 

Rome. 

Cette  proposition  excita  de  violentes  dis-   Disriic& 
putes  au  sujet  des  libertés  de  l'église  Galli-  bertés  Gai* 
cane.  L'archevêque  de  Lyon  ,  Pierre  d'Espi-  ^i<=^»^*» 
nac  ,  osa  les  dépeindre  comme  des  chimères 
inventées  contre  l'autorité   du  saint   siège  ; 
mais  l'avocat  général  d'Espesses  les  défendit 
en  bon  François ,  comme  l'ancien  droit  com- 
mun que  la  France  avoit  eu  le  bonlieur  de 


72  Henri  III. 

conserver,  li  les  réduisit  à  ces  deux  maxi- 
mes 5  1  ^,  que  le  pape  n'avoit  rien  à  com- 
mander dans  le  royaume ,  et  ne  pouvoir  rien 
statuer  en  matière  civile;  i*^.  que,  quoiqu'il  fut 
reconnu  en  France  pour  le  chef  de  l'église,  on 
n'y  avoir  jamais  admis  cette puissanceabsolue 
qu'il  exerçoit  ailleurs.  Le  cardinal  de  Gondi 
se  récria  ,  disant  que  ceux  qui  parloient  de  la 
sorte  ne  savoient  guère  de  théologie.  D'Es- 
pesses  lui  ferma  la  bouche  en  répondant  qu'il 
s'avoueroit  vaincu  ,   si  celui  qui  le  taxoit 
d'ignorance  pouvoit  seulement  décliner  son 
nom  en   latin.    Cette   dispute,  humiliante 
pour  les  ligueurs ,  augmenta  leur  animosité  , 
mais  suspendit  une  délibération  embarras- 
sante. 
Henri  sent      Le  marquisat  de  Saluces  envahi  sous  pré- 
d'être  ^dé-  ^^^^^  ^^  zèlepar  le  duc  de  Savoie,  qu'on  croy  oit 
troué.       d'intelligence  avec  Henri  de  Guise  ;  les  des- 
seins de  ce  dernier ,  dont  le  but  étoit  évi- 
demment de  détrôner  le  monarque  ;  l'inso- 
lence des  Seize ,  qui  lui  étoient  tous  dé- 
voués ,  et  qui  dominoient  dans  le  tiers-état  ; 
le  ressentiment,  la  colère,  la  crainte  déter- 
minèrent Henri  III  à  faire  périr  un  chef  de 
parti  y  d'autant  plus  redoutable ,  qu'il  efFa- 
•  çoit  par  ses  grandes  qualités  presque  tous  ks 
princes  de  son  temps.  «  Ce  n'étoit  point  une 
»  terreur  panique ,  dit  M.  Hénault,  que  la 
»  crainte  des  entreprises  qu'il  pouvoit  for- 
»  mer  :  il  se  trouvoit  dans  des  circonstances 


Henri  III.  7? 

»  pareilles  à  celles  dont  Pépin  profita  :  Henri 
»III  ne  ressembloit  pas  mal  aux  derniers 
-  rois  de  la  première  race  ,  et  le  prétexte  de 
V  la  religion  auroit  fort  bien  pu  susciter 
»  quelque  pape  de  l'humeur  de  Zacharie  ». 

Il  paroissoit  impossible  dans  les  circons- Assassina: 

1      r  •       1  ^  j         J      /^    •         du  duc   et 

tances  de  raire  le  procès  au  duc  de  Guise ,  ducardinai 
tout  puissant  dans  le  royaume.  Un  assassinat  *^«  ^"**^* 
ëtoit  la  voie  la  plus  sûre  ;  on  ne  pensa  point 
que  c'étoit  la  plus  odieuse.  Henri  proposa  au 
brave  Grillon  de  s'en  charger.  Grillon  répon- 
dit qu'il  promettoit  de  tuer  ce  héros  dans  un 
combat  singulier ,  mais  que  l'office  de  bour- 
reau ne  lui  convenoit  point.  Les  meurtriers 
furent  choisis  parmi  les  gardes  appelés 
les  Quarante  -  cinq.  Le  roi ,  en  leur  distri- 
buant des  poignards  :  c'est  un  acte  de  jus- 
tice  ,  dit-il,  que  je  vous  commande  sur 
r  homme  le  plus  criminel  de  mon  royaume. 
Les  lois  divines  et  humaines  me  permet- 
tent de  le  punir.  Ne  pouvant  le  faire  par 
les  voies  ordinaires  de  la  Justice  ,  /e  vous 
autorise  à  le  faire  par  le  droit  que  me 
donne  ma  puissance  royale.  Guise  reçut 
avis  de  plusieurs  endroits  qu'on  tramoit  quel- 
que chose  contre  lui.  Un  billet  qu'il  trouva 
sous  sa  serviette  lui  annonçoit  une  prochaine 
catastrophe.  Il  écrivit  sur  ce  billet  avec  un 
crayon ,  on  noseroit ,  et  le  jetta  sous  la 
table.  Son  intrépidité  le  perdit.  Les  satellites 
le  percèrent  de  coups  dans  la  chambre  mcme 


74  Henri   III. 

du  roi,   qui  fit  assassiner  le  lendemain  le 
cardinal  de  Guise  son  frère ,  homme  aussi 
violent  que  le  duc  étoit  circonspect  et  me- 
suré dans  ses  démarches  (i). 
Mœurs  du      Ce  fameux  duc  ,    Fauteur  de  la  sainte 

duc,  -r  '  '  '  '  t  !•     •  \    1 

Ligue ,  qui  avoit  toujours  la  religion  a  la 
bouche  ,  étoit  si  peu  chrétien  par  les  mœurs, 
qu'il  ne  dissimuloit  guère  son  libertinage , 
et  que  la  jalousie  pour  une  maîtresse  lui  fit 
appeler  un  jour  en  duel  son  troisième  frère 
le  duc  de  Mayenne,  On  eut  soin  cependant 
de  brûler  son  corps  et  celui  du  cardinal ,  et 
de  jeter  leurs  cendres  au  vent ,  de  peur  qu'il 
ne  restât  au  peuple  un  objet  de  fanatisme  ,  et 
qu'on  ne  rendît  à  leurs  prétendues  reliques  le 
même  culte  qu'à  celles  des  martyrs.  Ils 
avoient  si  bonne  mine  ces  princes  Lor- 
rains ,  disoit  la  maréchale  de  Retz,  qu'au- 
près d'eux  les  autres  princes  paroissoient 
peuple.  Un  tel  avantage  ajoutoit  beaucoup 
aux  talens ,  dans  un  pays  oili  les  femmes 
avoient  déjà  tant  d'empire. 

w  A\x  lieu  de  voler  à  Paris  avec  des  troupes , 

M^9- .  et  de  profiter  de  la  première  consternation 

eii^com-    dcs  ligueurs  ,  le  roi  retombe  dans  son  indo- 

bustion. 

(i)  Le  cardinal  disoit  souvent  que  son  plaisir 
seroit  de  tenir  la  tête  du  roi ,  quand  on  lui  feroit 
une  troisième  couronne  chez  les  capucins.  Les  deux 
premières  étoient  celles  de  Pologne  et  de  France. 
11  vouloit  y  aJQuter  celle  de  moine. 


Henri  HT.  75 

lence  ordinaire  ,  ne  prend  aucune  mesure  , 
ne  donne  aucun  ordre  pour  prévenir  les  sé- 
ditions. Bientôt  tout  Paris  est  en  feu.  Les 
Seize  s'abandonnent  aux  derniers  excès. 
Leurs  prédicateurs  chano;ent  la  morale  chré-  Fanatîsma 

'  .  1         '       1  ^     1  en  ciiaire 

tienne  en  maximes  de  révolte  et  de  ven- et  aiikurs. 
geance.  Quelques-uns  exigent  de  leur  audi- 
toire un  serment  de  venger  les  princes  mas- 
sacrés. Un  de  ces  fanatiques,  apostrophant 
le  premier  président  de  Harlai ,  l'oblige  de 
lever  la  main  comme  les  autres  ,  sans  quoi  la 
populace  Vt^ùt  mis  en  pièces.  Un  curé,  fai- 
'  sant  Toraison  funèbre  du  duc  de  Guise,  dé- 
clame en  furieux  ces  vers  latins  dictés  par 
la  rage  : 

Exorîare  aUqu'is  nostris  ex  ossibus  ultor , 
Qiilface  Valesios  ferroque  scquare  tyrannos. 

La  Sorboime  déclare  les  sujets  déliés  de  leurs 
obligations  envers  le  souverain  ;  soixante  et 

•  dix  docteurs  signent  ce  décret ,  et  on  le 
donne  pour  le  sentiment  unanime  du  corps  , 
quoiqu'il  y  eût  quelques  opposans  parmi  les 
anciens.  La  confession  même  sert  à  inspirer 

'  le  crime.  Point  d'absolution  dans  la  plupart 
des  églises  pour  quiconque  n'a  pas  \t%  senti- 
mens  d'un  rebelle. 

Bu^si-le-Clcrc  ,  procureur,  à  qui   le  duc   Lepar!e- 
'  j  Guise  avoit  confié  la  Bastille  comme  aUsonnUrd"s 

,-plus  furieux  (\qs  Seize,  se  rend  au  palais, ^^'"* 


7<î  Henri  III. 

suivi  d'une  troupe  de  satellites.  II  présente 
une  requête  pour  que  le  parlement  déclare, 
conformément  au  décret  de  la  Sorbonne  , 
que  les  sujets  sont  déliés  du  serment  de  fidé- 
lité. Ne  trouvant  pas  cette  compagnie  dans 
les  dispositions  qu'il  exigeoit,  il  ordonne 
au  premier  président  et  à  quelques  autres  de  le 
suivre.  Tout  le  parlement  se  lève ,  et  marche 
à  la  suite  de  Harlai.  On  les  conduit  à  la  Bas- 
tille ;  on  forme  un  nouveau  parlement  corn-» 
posé  des  magistrats  les  moins  suspects  aux 
ligueurs.  La  requête  de  Bussi-le-Clerc  y  est 
entérinée ,  la  ligue  confirmée  ,  et  la  résolu- 
tion prise  avec  serment  de  venger  la  mort 
du  duc  et  du^cardinal  de  Guise ,  contre  tous 
ceux  qui  en  avoient  été  les  auteurs  ou  les 
complices. 
Mort  de  A  cette  multitude  d'attentats  ,  le  roi  n'op-  ^ 
de Méd'cis posoit  que  des  manifestes,  des  apologies, 
il  venoit  de  perdre  sa  mère  Catherine  de 
Médicis  ,  qui ,  depuis  trente  ans  ,  avoit , 
par  son  génie  ambitieux  et  sa  perfide  politi- 
que ,  fomenté  toutes  les  factions  pour  Iqs  faire 
servir  toutes  au  maintien  de  son  autorité  (i). 

(  i)  Ces  anciens  vers ,  en  forme  d'épitaphe,  ne 
peignent  pas  mal  le  caractère  et  le  gouvernement 
de  Catherine  de  Médicis. 

La  reine  qui  ci-gît  fut  un  diable  et  un  ange , 
Toute  pleine  de  blâme  ^  et  pleine  de  louangeT 
Elle  soutint  l'état ,  et  l'état  mis  à  bas , 
Elle  fit  maints  accords ,  et  pas  moins  de  débats. 

Quoiqu'elle 


Henri  IIL  77 

Quoiqu'elle  eut  toujours  haï  le  fol  de  Na- 
varre, elle  recommanda  en  mourant  à  son 
fils  de  se  réconcilier  avec  lui ,  et  ajouta  qu'il 
ne  pouvoit  rétablir  la  paix  dans  le  royaume 
qu'en  accordant  la  liberté  de  conscience; 
les  princes  d'Allemagne  et  plusieurs  autres 
souverains  de  son  siècle  n'ayant  jamais  pu 
pacifier  par  les  armes  les  troubles  excités  par 
la  religion.  La^ nécessité  donnoit  du  poids  à 
ce  double  conseil ,  fondé  sur  des  expériences 
palpables. 

Un  nouveau  chef  avoit  remplacé  le  duc  Le  duc  de 

j^.  >/-ii         i\#  •      Mayenne. 

de  Guise  :  c  etoit  le  duc  de  Mayenne ,  moms 
vif,  moins  audacieux,  mais  du  reste  digne 
successeur  de  son  frère.  Il  se  trouvoit  à  Lyon 
pendant  les  états  de  Blois.  Henri  III  n'ayant 
pu  s'assurer  de  sa  personne  tâcha  inutilement 
de  le  gagner  par  les  offres  les  plus  avanta- 
geuses ,  qui  tendoient  à  mettre  le  tiers  du 
royaume  entre  les  mains  des  princes  Lor- 
rains. On  devoit  bien  s'attendre  que  le  meur- 
tre de  ses  frères  exciteroit  sa  défiance  ,  et 
autoriseroit  ses  refus.  Les  ligueurs  et  leur 
parlement  (  le  roi  venoit  de  transférer  à 
Tours  celui  de  Paris)  le  déclarèrent  lieute- 
nant-général de  la  couronne  de  France.  Ils  le 


Elle  enfanta  cinq  rois  et  deux  guerres  civiles  , 
Fit  bâiir  des  châteaux  et  ruiner  des  villes  , 
Fit  bi-:n  de  bonnes  lois  et  de  mauvais  éditsJ 
Souhaite-lui ,  passant ,  enfer  et  paradis. 
Tome  m.  D 


fi  Henri  III. 

faisolent  roi  sous  un  autre  nom  ,  car  ils  sup- 
posoient  le  trône  vacant,  et  ne  pensoient 
qu'à  le  remplir.  Quantité  de  villes  considé- 
rables embrassèrent  hautement  le  parti  du 
duc.  A  peine  restoit-il  au  roi  quelques  pro- 
vinces ,  contenues  par  l'autorité  des  gouver- 
neurs. 
Henri  III      Dans  ces  fatales  circonstances ,  il  traite 
îv  uni"    enfin  avec  Henri  IV  ,  dont  on  l'avoit  forcé 
iSuQ,^  ^^   d'être  l'ennemi.  Ce  grand  prince  ne  balance 
point  à  venir  le  joindre  ,  malgré  les  inquié- 
tudes qu'on   tâche  de  lui  inspirer.  C'étoit 
unedémarche  hasardeuse,  après  tant  d'exem- 
ples de  perfidie  ;  mais  la  confiance  d'un  hé- 
ros ,  excité  par  l'amour  du  bien  public  ,  l'em- 
porte sur  les  considérations  personnelles.  Les 
deux  rois  s'embrassent  avec  tendresse,  et 
s'unissent  étroitement  contre  la  ligue. 
Générosité      Parmi  des  détails  peu  intéressans ,  nous 
trouvons  un  trait  digne  de  rester  dans  la  mé- 
moire des  hommes.  La  Noue ,  gentilhomme 
Breton  ,  le  modèle  des  protestans  ,  loué  par 
les  catholiques   mêmes,   (  tant  la  vertu  a 
d'empire  sur  les  cœurs  !  )  devoit  secourir 
promptement  Senlis ,  que  l'armée  des  Seize 
alloit  emporter.  Il  falloir  y  conduire  des  mu- 
nitions. Elles  étoient  toutes  prêtes  ,  mais  les 
marchands  refusoient  de  les  livrer  sans  ar- 
gent ou  sans  une  caution  sûre.  La  Noue  s'a- 
dresse à  quelques  traitans  enrichi  au  service 
du  roi  j  pas  \m  ne  veut  ouvrir  sa  bourse.  In- 


Henri  II L  79 

digne  de  leur  avare  ingratitude  :  oh  bien  , 
dit-il ,  ce  sera  donc  moi  qui  ferai  cette, 
dispense.  Garde  son  argent  quiconque  l'es- 
time  plus  que  son  honneur»  Tandis  que 
f  aurai  une  goutte  de  sang  et  un  arpent  dt 
terre ,  je  remploierai  pour  la  défense  dt 
ma  patrie.  Aussitôt  il  engage  ses  biens  aux 
marchands ,  vole  au  secours  de  Senlis ,  dé- 
fait les  ligueurs  ,  et  sauve  la  place. 

L'union  des  deux  rois  étoit  un  sujet  d'à-  Monitoire 
larmes  pour  la  cour  de  Rome.  Quoique  quIi^J^" 
Sixte-Quint  n'estimât  point  la  ligue,  il  la 
favorisoit  politiquement.  Le  massacre  du  duc 
de  Guise  lui  avoit  paru  un  acte  de  justice 
nécessaire;  mais  celui  du  cardinal  et  l'em- 
prisonnement de  quelques  prélats  ligueurs  lui 
paroissoient  des  attentats  crians  contre  l'é- 
glise et  le  saint  siège.  En  vain  le  roi  demanda 
l'absolution  sans  avoir  été  frappé  d'anathème. 
Ce  pape  altier ,  qui  avoit  l'ambition  de  maî- 
triser \q%  souverains ,  le  voyant  ligué  avec 
un  prince  hérétique ,  fulmina  contre  lui  un 
monitoire,  par  lequel  il  lui  ordonnoit  de 
mettre  en  liberté  le  cardinal  de  Bourbon , 
arrêté  aux  états  de  Blois ,  et  le  citoit  à  com- 
paroître  devant  lui  dans  soixante  jours  ou  en 
personne  ou  par  procureur  ;  le  déclarant 
excommunié ,  en  vertu  de  la  bulle  In  cœna 
Domini  ^  s'il  n'informoit  pas  le  saint  siège 
de  son  obéissance  dans  l'espace  de  trente 
jours. 

Da 


8o  Henri  III. 

Bulle  In       Cette  bulle  In  cœna  Dornini^  composée 
^mint     ^' de  plusieurs  bulles  ,  publiées  en   1 568  par 
Pie  V  (i)  toujours  rejetée  en  France  et  en 
quelques  autres  états ,  toujours  lue  à  Rome 
le  jeudi    saint  (  excepté  sous  le  pontificat 
de    Clément  XIV  )  ,    a    principalement 
pour  objet  les  immunités  de  l'église ,  et  va 
jusqu'au  point  d'excommunier  les  princes 
qui  exigeront  àes  ecclésiastiques  quelque  con- 
tribution  que  ce  puisse  être.  Elle  défend 
même  d'imposer  de  nouvelles  taxes  sur  les 
laïques  sanstine  permission  expresse  de  Rome, 
Les  excommunications  sans  nombre  qu'elle 
porte  sont  toutes  réservées    au  pape.  Elle 
excommunie  quiconque  appelle  au  futur  con- 
cile de  ses  décrets  ou  sentences  ,  quiconque 
enseigne  ou  croit  qu'il  est  soumis  au  concile 
général.  Toute  la  France  seroit  excommu- 
niée à  jamais  par  une  bulle ,  en  suivant  la 
doctrine  du  concile  de  Constance  !  tous  les 
princes  à  jamais  privés  des  droits  de  souve- 
rain !  et    la  cour  de  Rome  toujours  armée 
de  censures  pour  soutenir  ses  anciennes  pré- 
tentions !  Mais  si  les  princes ,  les  ministres 
et  les  peuples  venoient  un  jour  à  ouvrir  les 


(i)  On  fait  remonter  cette  bulle  jusqu'au  ponti- 
ficat de  Grégoire  XI  dans  le  quatorzième  siècle. 
Elle  existoit  en  partie  depuis  long-temps,  lorsque 
Pie  V ,  dominicain  ,  excessivement  zélé  pour  l'in- 
quisition ,  la  publia  telle  qu'on  la  voit  aujourd'hui. 


Henri   III.  Si 

yeux ,    quels    effets   cl«voit  nécessairement 
produire  cet  abus  de  Tautorlté  spirituelle  ? 

Le  timide  roi  fut  consterne  du  monitoire^^^.se  de 
de  Rome.  Henri  IV  eut  beaucoup  de  peine 
à  le  rassurer.  Vainquons ,  lui  dit-il ,  et 
nous  aurons  Pabsolution  ,  mais  si  nous 
sommes  battus  ,  nous  serons  excommu- 
niés ,  aggravés  et  réaggravés.  Effective- 
ment le  cardinal  de  Joyeuse  avoit  écrit  de 
Rome  qu'on  donneroit  ou  refuseroit  l'abso- 
lution 5  selon  que  les  armes  seroient  heu- 
reuses ou  malheureuses.  Il  falloit  assiéger 
Paris ,  et  étouffer  la  ligue  dans  son  fort.  Un 
secours  de  dix  mille  Suisses  ,  que  Sanci , 
maître  des  requêtes  ,  obtint  sans  argent  par 
un  prodige  de  zèle  et  d'habileté,  mit  l'ar- 
mée royale  en  état  de  former  cette  entre- 
prise. Le  roi  s'empare  de  S.  Cloud  le  29 
Juillet  1689.  C'est-là  que  le  fanatisme  de- 
voit  l'immoler. 

Un  jeune  prêtre  dominicain  ,   nommé  ^  Jacques 

•  r-y,       ^  ,.,      '.  r        Clément 

Jacques  Llement ,  grossier ,  Iibertm  et  fou-  assassine 
gueux ,  la  tête  échauffée  par  les  déclama-  ^  ^°^' 
tions  (\ts  prédicateurs ,  par  la  doctrine  cou- 
rante du  régicide  ,  et  par  les  entretiens  jour- 
naliers des  enthousiastes ,  se  croit  inspiré  de 
déhvrer  le  royaume  d'un  tyran.  (  On  ne 
donnoit  pas  d'autre  nom  à  Henri  III.  )  Bour- 
gouin  son  prieur  le  confirma  dans  sa  résolu- 
tion. Il  y  a  même  tout  sujet  de  croire  que 
à^s  personnes  du  premier  rang  en  furent  les 

D3 


Si  Henri  III. 

instigateurs ,  et  la  duchesse  de  Montpensier, 
sœur  des  Guises ,  femme  d'un  caractère  vio- 
lent et  de  mœurs  très-peu  respectables ,  fut 
particulièrement  soupçonnée.  Muni  de  passe- 
ports et  de  lettres  de  créance ,  Clément  se 
rend  à  S.  Cloud,  se  fait  présenter  au  roi, 
sous  prétexte  d'avoir  des  choses  essentielles 
à  lui  dire ,  et  avec  tout  le  sang-froid  d'un 
scélérat  lui  plonge  son  couteau  dans  le  ven- 
tre. Henri  III  mourut  le  lendemain  âgé  de 
trente-huit  ans,  entre  les  bras  du  roi  de 
Navarre ,  qu'il  appeloit  son  frère  et  son  suc- 
cesseur, La  race^es  Valois  étant  éteinte ,  la 
couronne  lui  appartenoit  comme  au  premier 
prince  du  sang. 
On  préco-      Si  le  relii^ieux  parricide  n'eût  pas   été 

«ise  le  té-  '  j»  i       j  i    •  i      . 

gicide.  massacre  d  abord  ,.-on  lui  auroit  sans  doute 
arraché  des  secrets  étranges.  Les  transport$ 
des  Parisiens  ,  après  cet  événement  firent 
assez  connoître  l'esprit  de  la  ligue.  La  du- 
chesse de  Montpensier  parcourut  les  rues  en 
carrosse  avec  sa  mère ,  criant  bonnes  nou- 
yellesj  et  excitant  le  peuple  à  la  joie.  Jac- 
ques Clément  iut  honoré  comme  un  saint  ; 
on  le  comparoit  dans  les  chaires  à  Judith  , 
qui  avoit  abattu  la  tête  d'Holopherne  ;  on 
exposa  son  image  sur  les  autels.  Le  pape 
s'exprima  sur  son  compte  de  la  même  fa- 
çon que  les  ligueurs.  Presque  tous  les  théo- 
logiens catholiques  soutenoient  cette  doc- 
trine atroce  et  absurde ,  qui  excite  au  meur- 


Henri   III.  83 

tre  ,  au  régicide  même  ,  pour  la  défense 
de  réglise.  Rien  ne  prouve  mieux  combien 
l'esprit  de  parti  et  le  faux  zèle  peuvent  étein- 
dre non-seulement  les  lumières  de  la  raison , 
mais  celles  de  la  religion.  Il  faut  avouer  que 
Ja  conduite  de  Henri  III  ne  contribua  pas 
peu  à  inspirer  cette  démence.  La  supersti- 
tion,  jointe  à  ses  autres  vices,  le  rendoit 
également  méprisable  et  odieux.  On  lui 
reprochoit  la  Saint-Barthélemi,  et  les  catho- 
liques semblèrent  être  les  vengeurs  des  nrc- 
testans.  Son  règne  fut  appelé  le  règne  des 
fa  vo  ris.     

Ce  prince  ,  par  l'ordonnance  de  Blois ,  „p,^ce  *Ju7 
déclara  que  les  roturiers  qui   acheteroient  la  nobies- 
des  fiefs  nobles  ne  seroient  plus~  ni  anoblis 
par-là ,  ni  mis  au  rang  de  la  noblesse.  Dès- 
lors  la  possession  des  fiefs  cessa  de  faire  das 
nobles.  Cet  abus  s'étoit  introduit  par  la  li- 
cence  du  gouvernement  ,   et  avilissoit  la 
noblesse  en  la  rendant  trop  commune.  Il 
étoit  d  ailleurs  contraire  aux  droits  du  souve- 
rain ,  qui  seul  doit  conférer   la   noblesse. 
Henri  IV  supprima  de  même  dans  la  suite 
celle  qu'on  acquéroit  par  la  profession  des 
armes.   Pour  s'anoblir  ,  il  fallut  désormais 
des  lettres  du  roi ,  ou  un  office  auquel  ce    ^  , 

•     I  /         /-A  ^  ,    ,  *  Ordoii« 

privilège  tut  attache.  .  nance  sur 

L'ordonnance  de  Blois,  de  1679  ,  ainsi  ^^"f^.'îfas'l' 
nommée  parce  qu  elle  fut  rendue  en  censé»  tiquci. 

D4 


^4  Henri  III. 

quence  des  fameux  états  de  Blois  ,  renfer- 
me plusieurs  rëglemens  ecclésiastiques ,  con- 
formes à  la  discipline  du  concile  de  Trente, 
que  ces  états  s'étoient  efforcés  de  faire  pu- 
blier dans  le  royaume.  Elle  fixe  les  vœux 
de  religion  à  seize  ans.  L'ordonnance  d'Or- 
léans les  avoit  fixés  à  vingt  ans  pour  le  filles , 
et  à  vingt-cinq  pour  les  hommes.  Un  chan- 
gement si  considérable  occasionné  par  le  con- 
cile de  Trente ,  se  rapportoit  -plus  à  l'intérêt 
des  religieux  qu'à  celui  de  la  société  civile. 
Raisons       Pour  peu  qu'on  réfléchisse  sur  quelques- 
empêché    "^^  ^^^  autres  décrets  du  concile ,  on  sen- 
tie rece-    tira  la  force  des  raisons  qui  empêchèrent 

voir  le  .  i      -r  j  •  j*     •    r 

çoucîie  de  toujours  la  rrance  de  recevoir  sa  discipnne, 
1  rente.  j|  jQ^mg^  ^  |a  juridiction  ecclésiastique  non- 
seulement  les  adultères ,  mais  tous  ceux  qui 
sont  mariés  ayant  la  tonsure  cléricale  ;  il 
attribue  anx  seuls  ordinaires  le  jugement 
des  livres ,  et  condamne  à  une  amende  ceux 
qui  en  débitent  de  prohibés  ;  il  ordonne 
la  confiscation ,  la  saisie  de  biens,  l'empri- 
sonnement même  des  laïques ,  en  certains 
cas ,  et  permet  aux  évéques  de  déposer  les 
administrateurs  des  hôpitaux  ;  il  leur  com- 
mande de  publier  les  censures  de  Rome  ; 
il  les  fait  exécuteurs  des  legs  pieux  ;  enfin  il 
les  suppose  délégués  du  pape  dans  leurs 
fonctions  ;  il  excommunie  les  rois  qui  pren- 
nent les  fruits  des  bénéfices  pour  quelque 
occasion  que  ce  puisse  être ,  et  par  consé- 


Henri  III.  S5 

quent  anéantit  le  droit  de  régale.  C'étoit 
autant  de  broches  faites ,  soit  à  la  puissance 
législatrice ,  soit  à  l'autorité  des  magistrats  , 
soit  aux  libertés  de  l'église  Gallicane  ,  dont 
la  plupart  des  éveques  François  semontroient 
alors  peu  jaloux,  ou  qu'ils  ne  connoissoient 

P<^irit.  ^  Index  de 

On  cherchoit  tous  les  moyens  d'arrêter  Roi^e  pour 

\qs  livres 

les  progrès  de  l'hérésie  ;  l'essentiel  étoit  d'en  défendus. 
trouver  de  bon ,  et  l'on  n'y  réussit  pas  tou- 
jours. A  la  terreur  des  supplices  ,  on  ajouta 
des  entraves  pour  l'esprit  humain,  qui,  en 
le  tenant  captif  dans  les  ténèbres ,  pouvoient 
nuire  à  la  religion  même  autant  qu'à  la  rai- 
son et  aux  sciences.  Philippe  II  fit  impri*- 
mer  le  catalogue  dt^s  livres  défendus  par  l'in- 
quisition d'Espagne.  Paul  IV  ,  l'année  sui- 
vante 1 669  ordonna  que  le  Saint  Office 
de  Rome  publiât  aussi  un  semblable  cata- 
^^i;ue.  C'est  l'origine  de  V Index  ^  où  se  trou- 
ant confondus  avec  les  livres  hérétiques 
tous  les  ouvrages  anonymes  imprimés  de- 
puis quarante  ans,  des  livres  de  littérature, 
et  généralement  (  ce  qui  paroît  incroyable  ) 
tous  les  livres  sans  distinction  sortis  de  la 
presse  de  soixante-deux  imprimeurs,  nom- 
més dans  une  liste  particulière.  Excommu- 
nication réservée  au  pape ,  privation  de  bé- 
néfice, infamie  perpétuelle,  etc.  c'étoient 
les  peines  prononcées  contre  les  lecteurs. 
On  vk  des  ouvrages  de  littérature,  sans  rap- 

D5 


U  Henri  IIî. 

port  à  la  religion ,  défendus  en  haine  de 
l'auteur  qu'on  jugeoit  ou  hérétique  ou  sus- 
pect. Les  livres  que  tel  auteur  pourroit  com- 
poser, furent  même  condamnés  ainsi  avant 
que  de  naître. 
Il  n'est       La  France  n'a  point  reconnu  ce  tribunal 
IS  France"  qui  flétrit  les  Erasme,  les  Galilée ,  et  tant  d'é- 
crivains  respectables  dont  ks  lumières  ont 
éclairé  toute  l'Europe.  Mais  si  les  principes 
des  ligueurs  avoient  prévalu ,  la  France  au- 
roit  porté  le  même  joug  que  l'Espagne  ,  le 
Portugal  et  l'Italie.  On  oublioit  que  /es  pas- 
teurs dans  les  premiers  temps  avoient 
soin  de  bien  instruire  les  chrétiens ,  cha- 
cun selon  sa  portée  y  sans  prétendre  les 
gouverner  par  la  soumission  aveugle  , 
qui  est  r effet  et  la  cause  de  l'ignorance: 
(Fleury,  VII  Disc.  ) 
Diimou-      Aucun  auteur  n'a  essuyé  de  plus  terribles 
ï"  ^rs  é  ^^"^^"^^^^^^"^  ^  Rome  ,  que  le  célèbre  ju- 
ciiilement.  r.sconsulte  Charles  Dumoulin.  Comme  il 
étoit  lu  et  admiré  en  dépit  de  V Index ,  Clé- 
ment VIII  défendit  de  nouveau  en    1602 
tous  ses  ouvrages,  même  ceux  qui  avoient 
été  corrigés  ,  parce  que  ,  dit  ce  pape  ils  ne 
peuvent  être  corrigés  que  par  le  feu,  En- 
xore  aujourd'hui  quand  la  congrégation  de 
V Index  permet  la  lecture  des  mauvais  livres , 
elle  excepte  toujours  les  livres  de  Dumou- 
lin. Un  poison  si  détestable  se  débite  en 
France  avec  privilège  du  roi,  et  ne  fait 


Henri   III.  87 

<3e  mal  qu'aux  prétentioiK  Aq  la  cour  Ro- 
maine. On  a  rectiHé  par  des  nott:s  ce  qu'il 
y  a  de  répréhensible  dans  le  texte.  Cela 
vaut  mieux  sans  doute  que  de  défendre 
la  lecture  d'excellens  ouvrages  où  il  s'est 
glissé  quelques  erreur^s  ,  mais  qui  renfer- 
ment un  trésor  de  vérités. 

Cependant  Grégoire  XIII  s'immortalisa  Lecaîeii- 
par  une  entreprise  digne  du  siècle  <i'Au- ^J^^/^^'' 
guste.  Il  employa  d'habiles  mathématiciens 
à  réformer  le  calendrier.  Cette  réforme  se  fit 
d'une  manière  très- simple,  en  retranchant 
dix  jours  de  l'année  1682.  Le  calendrier 
Grégorien  fut  établi  en  France  par  un  édit. 
Quelque  nécessaire  que  (ut  le  changement, 
les  pays  protestans  le  rejetèrent ,  parce  qu'il 
venoit  de  Rome.  On  l'auroit  peut-être  de 
même  rejeté  à  Rome,  s'il  étoit  venu  de  Ge- 
nève. C'est  la  bizarrerie  ordinaire  des  pré- 
jugés. 

L'exemple   du   célèbre  Ramus  étoit   ef-    Ramus 
frayant  pour  quiconque  osoit  brarver^esopi-^^^"^^^^"  *"" 
nions  les  plus  absurdes.  Ce  professeur  phi- 
losophe ,  mathématicien  ,  grand  littérateitf, 
essuya  des  persécutions  à  Paris  pour  avfiir 
enseigné  la  véritable  prononciation  du  Q, 
Il  suffisoit  de  prononcer  comme  lui  fua:n' 
^quafn  ,  au  lieu  de  kankam  ,  pour  encourir 
«la  cenaire.  Il  eut  le  courage  de  combattre  la 
'philosophie:  péripatéticienne  ,  et  il  fut  traité 
en  hérétique,  Pes  meurtriers  envoyés  par 

D6 


S8  Henri   IIL 

un  de  ses  rîvaux ,  le  tuèrent  à  la  S.  Barthë^ 
lemi.  Les  écoliers,  animés  de  l'esprit  des  pro- 
fesseurs ,  signalèrent  leur  haine  sur  son  cada- 
vre. On  doit  à  Ramus  la  fondation  d'une 
chaire  de  mathématique  au  collège  royal,  qui 
suffiroit  pour  rendre  sa  mémoire  précieuse. 
ïmpertî-  Qui  étoient  donc  ces  grands  zélateurs  , 
feuatiquel!  ^"^  ^^  prétendoient  les  soutiens  de  la  reli- 
gion en  persécutant  le  génie ,  en  boulever- 
sant l'état ,  et  détrônant  le  souverain  ?  Quels 
étoient  leurs  talens  et  leurs  lumières?  on 
peut  en  juger  par  un  exemple  rapporté  dans 
les  Mémoires  de  la  ligue.  En  1689  un  pré- 
dicateur annonça  qu'il  précheroit  non  le 
saint  du  jour ,  mais  les  déportemens  de 
Henri  de  Vfllois,  Le  sermon  finit  par  cette 
tirade  :  Bref^  cest  un  Turc  par  la  tête , 
un  Allemand  par  U  corps  ^  une  Harpie 
par  les  mains  .^  un  Anglais  par  la  jar- 
retière ,  un  Polonais  par  les  pieds ,  et  un 
yrai  diable  en  rame, 

HENRI   IV. 

»*=*===  J_i  A  France  ne  pouvoit  désirer  de  maître 

M89:    plus  digne  que  Henri  IV  de  la. gouverner, 

êe  Henri. 711  plus  .  Capable  de   reparer  ses  malheurs. 

^^*  Cétoit  un  prince  né  avec  une  grande  âme , 

un  beau  génie  ,  un    jugement  admirable  ; 

formé  par  une  éducation  mâle  et  simple  ; 

,      endurci  aux  fatigues  de  la  guerre  ,  éprouvé 


Henri   IV'.  89 

par  Tinfortune ,  qui  apprend  aux  rois  .1  t^tre 
hommes  ;  parvenu  à  l'âge  de  trente-six  ans 
où  Tesprit  et  le  corps  ont  toute  leur  force  ; 
plein  de  droiture  et  de  franchise  ,  de  gé- 
nérosité pour  ses  amis ,  d'affection  pour  les 
peuples  ;  trop  susceptible  des  foiblesses  de 
l'amour,  mais  aimant  la  gloire  et  le  bien 
public  préFérablement  aux  plaisirs ,  calviniste 
modéré  et  sans  entêtement ,  disposé  à  m.ain- 
tenir  la  religion  dominante  ,  à  l'embrasser 
même  quand  on  l'auroit  détrompé  de  sqs 
erreurs. 

Cependant  la  plus  erande  partie  de  la  Sa  reiigron 
France  refusoit  de  le  reconnoitre.  Chef  de  la  de  le  re- 
branche de  Bourbon-Vendôme,  descendant '^°"'"'"^* 
de  Robert,  comte  de  Clermont,  cinquième 
fils  de  saint  Louis ,  quoiqu'il  ne  fût  parent 
du  dernier  roi  qu'au  vingt-deuxième  degré , 
les  lois  lui  assuroient  la  couronne.  Il  n'avoit 
contre  lui  que  sa  propre  religion;  barrière 
presque  insurmontable  dans  un  temps  de 
fanatisme  et  de  révolte.  Leduc  d'Epernon 
et  d'autres  seigneurs  ou  gentilshommes  de 
l'armée  se  retirèrent  d'abord ,  sous  prétexte 
que  leur  conscience  ne  leur  permettoit  pas 
►  de  servir  un  prince  hérétique.  La  plupart 
;  (àes  autres  lui  demeurèrent  fidèles ,  à  con- 
dition qu'il  s'en  rapporteroit  au  jugement 
aconcife.  Mais  le  duc  de  Mayenne,  qui, 
suit  modération  ,  soit  politique  ,  ne  vou- 
lut point  du  ptre  de  roi ,  le  fit  donner  au 


90  Henri  IV, 

vieux  cardinal  de  Bourbon  encore  prison- 
nier ,  qu'on  proclama  quelques  mois  après 
sous  le  nom  de  Charles  X. 
Avantages      L'armée  royale  ,  forte    de  trente  mille 
gueiîrs.      hommes   au   commencement  du  siège    de 
Paris  ,  diminuoit  considérablement  tous  les 
jours.  Les  désertions  fréquentes,  la  retraite 
d'une  foule  d'officiers  qui  demandoient  leur 
congé  5  le  manque  d'argent ,  les  scrupules 
des  catholiques,  la  défiance  des  huguenots, 
tout  contribuoit  à  l'affoibiir.  Henri  IV  leva 
le  siège ,  et  se  retira  vers  Dieppe  ,  n'ayant 
plus  que  cinq  à  six  mille  combattans.  On 
délibéra    dans  le  conseil  s'il   passeroit   en 
Angleterre  ;  tant  les  ligueurs  avoient  de  supé- 
riorité. Mayenne  le   poursuivoit  avec  une 
armée  trois  ou  quatre  fois  plus  nombreuse 
que  la  sienne.  Il  se  vantoit  déjà  d'une  vic- 
toire infaillible.  Le  Béarnois  (c'est  le  nom 
que  la  ligue  donnoit  au  monarque)  ne  pou- 
voir ,    disoit-il ,  lui  échapper ,  à  moins  de 
se  jeter  dans  la  mer.  Le  péril  étoit  effrayant  ; 
mais  Henri  n'en  redoutoit  aucun. 
Mayenne      ^^  bataille  d'Arques  confondit  les  espé- 
battu  par  rances  des  rebelles.  Il  les  défit  avec  sa  petite 
-armée  (i).  Ce  fut  en  partie  la  faute  du  duc 
-de Mayenne,  trop  lent  dans  ses  opérations, 


(i)  Après  cette  bataille  ^  Henri  IV  écrivit  à 
Crillon ,  PendsHol ,  brave  Crïllon ,  nous  ayons  com^_ 
battu  à  Argues  j  et  tu  n'y  étoïs  pas, 


i 


Henri  IV.  91 

appesafitl  par  la  masse  de  son  corps  ,  et 
qui  perclolt  beaucoup  de  temps  au  lit  et  à 
table.  S'il  n'y  va  pas  (Tune  autre  façon  y 
clit  Henri  IV  ^ /e  suis  assuré  de  le  battre 
toujours  à  la  campagne.  L'activité  infati- 
gable et  l'extrénie  sobriété  du  roi  lui  don-  ^ 
noient  tout  l'avantage  sur  son  ennemi.  On 
a  écrit  qu'il  usoit  plus  de  bottes  que  l'autre 
n'usoit  de  souliers. 

Après  sa  victoire ,  ayant  reçu  un  ren-  Paris  pre». 
tort  de  quatre  mille  Anglois ,  il  va  porter  "^^'^  ^°^^^* 
la  terreur  jusqu'à  Paris  ,  où  Ton  avoit  ré- 
pandu le  bruit  de  sa  défaite.  Il  s'empare 
de  cinq  faubourgs  l'épée  à  la  main.  Si  le 
canon  étoit  arrivé  un  peu  plutôt,  la  ville 
pouvoit  être  forcée.  Les  ducs  de  Mayenne 
et  de  Nemours  .y  rentrèrent  à  propos  pour 
la  défendre.  Il  s'en  falloit  bien  que  Henri 
fut  au  terme  de  ses  épreuves. 

Tout  le  royaume  étoit   déchiré ,  et  le  Entreprise 
parti  de  la  ligue  dominoit.  Quelques    par-  roi. 
lemens  autorisoient  la  rébellion.    Celui  de 
Toulouse    rendit  un   arrêt   fanatique  ,  qui 
ordonnoit  des  processions  en  mémoire  de 
l'assassinat  de  Henri  III,  et  qui   déclaroit 
Henri  IV  incapable  de  succéder  à  la  cou- 
ronne. Sixte-Quint  avoit  envoyé  un   légat 
avec  commission  de  faire  élire. un  roi  tel 
tque  la  cour  de  Rome  pouvoit  le  souhaiter  ; 
«et  ce  légat ,  Gaétano ,  ne  ménageoit  rien  , 
quoique  les  ordres  du  pontife  l'obligeassent 


92  Henri  IV. 

à  des  ménagemens.  Philippe  II ,  roî  d'Es 
pagne ,  demandoit  le  titre  de  protecteur  de. 
la  France  ,  pour  la  démembrer  au  gré  de 
son  ambition.  Ce  prince  artificieux  vou- 
loit  se  rendre  maître  de  la  ligue.  En  lui 
accordant  des  secours  médiocres ,  il  se  pro- 
posoit  de  la  tenir  toujours  dans  la  dépen- 
dance. Mais  le  duc  de  Mayenne ,  résolu 
de  ne  pas  se  donner  un  maître ,  fit  avor- 
ter ses  projets  ,  sans  se  priver  de  sqs  se- 
cours. 11  diminua  le  pouvoir  des  Seize, 
dont  l'audace  ne  connoissoit  plus  de  frein. 

u  La  journée  d'Arqués  avoir  terni  sa  répu- 

1^90.    tadon.  Afin  de  la  rétablir  par  une   action 

û'^rif^^"  d'éclat,  il  marcha  contre  le  roi  qui  assiégcoit 
Dreux  ,  et  qui  leva  aussitôt  le  siège  pour 
aller  combattre.  Malgré  l'avantage  du  nom- 
bre, le  duc  fut  encore  défait  à  Ivri.  Cette 
fameuse  bataille  pourroit  seule  immortali- 
ser Henri  IV.  Général ,  et  soldat ,  il  mon- 
tra autant  d'habileté  que  de  bravoure.  C'est 
là  qu'avant  l'action  ,  parcourant  les  rangs 
avec  un  air  de  gaieté  qui  présageoit  la  vic- 
toire ^  il  dit  aux  troupes  :  Enfans  ,  si  les 
cornettes  vous  manquent  ,.  ralUe^-yous 
à  mon  panashe  blanc;  vous  le  trouverei 
toujours  au  chemin  de  Vhonneur  et  de  la 
gloire.  Dieu  est  pour  nous.  On  le  crut 
mort  dans  la  mêlée.  Dès- qu'il  reparut;, 
couvert  du  sang  àts  ennemis,  sts  soldats 
devinrent   autant  de   héros.  Les  ligueuK 


i 


H  E  N  R  I    I  V.  93 

furent  tailles  en  pièces.  Le  maréchal  de 
Biron  commandoit  le  corps  de  réserve  ;  et 
sans  être  au  fort  du  combat  ,  eut  beau- 
coup de  part  à  la  victoire.  Il  félicita  le  roi 
en  ces  termes  :  Sire ,  vous  avei  fait  au- 
jourd'hui ce  que  devoir  faire  Biron  ;  et 
Biron  ^  ce  que  le  roi  devoit  faire,  La  clé- 
mence du  vainqueur  releva  la  gloire  de  son  Bonté  du 
triomphe.  Sauve:^  les  François ,  s' écnoii-^^^' 
il ,  en  poursuivant  les  fuyards.  Tous  ces 
traits  peignent  le  grand  homme ,  qui  pos- 
sède Tart  de  gagner  les  cœurs.  On  doit 
y  ajouter  les  caresses  ,  les  éloges  dont  il 
honora  sts  officiers.  Le  maréchal  d'Au- 
mont  étant  venu  le  soir  prendre  ses  ordres , 
il  l'embrassa  tendrement,  l'invita  à  souper, 
le  fit  asseoir  à  sa  table.  Il  est  bien  juste  , 
dit-il  ,  quil  soit  du  festin  ,  puisquil  rna 
si  bien  servi  à  mes  noces. 

Nous  devons  surtout  admirer   la  répa-   Répara- 
ration  qu'il  avoit  faite  à  Schomberg.    Ce  f.'°'^  "^"''^^ 
général  des  Allemands,  quelques  jours  avant  Schom. 
la  bataille  ,  lui  demanda  la    paye  de   ses 
troupes.  Les  finances  manquoient;  un  mou- 
vement de  dépit  emporte  le  roi  :  Jamais 
homme  de  cœur ,  répondit-il ,  n'a  demandé 
de  l'argent  la  veille  d'une  bataille.    Se 
repentant  d'une  vivacité  injurieuse  ,  il  saisit 
pour  la  réparer  le  moment  où  l'on  alloit  se 
battre.  M,  de  Schomberg ^  dit-il, /e  vous 
ai  o£ènsé.  Cette  journée  sera  peut-être 


94  H  E  N  R  I    I V. 

la  dernière  de  ma  vie  :  je  ne  veux  point 
emporter  V honneur  d'un  gentilhomme; 
je  sais  votre  mérite  et  votre  valeur  :  je 
vous  prie  de  me  pardonner^  et  embrasse^- 
moi.  Schomberg  lui  répondit  ;  Il  est  vrai 
que  V»  M,  me  blessa  Vautre  jour;  aujour- 
d'hui elle  me  tue  :  car  l'honneur  qu!elU , 
me  fait  m^ohlige  de  mourir  en  cette  oc^ 
casion   pour  son  service.  Le  brave  Al- 
lemand  signala  en  q^qI  sa  valeur  ;  et  fut 
tué  auprès  du   roi. 
Blocus  de      Après  quelques  lenteurs  causées   par  le 
Paris.       besoin  d'argent ,  Henri  IV  forme  le  blo- 
cus de  Paris.  Le   duc  de  Nemours ,  frère 
utérin  du  duc  de  Mayenne ,  y  commandoit 
en  qualité  de  gouverneur.  Il  pourvut  à  tout 
avec  une  prudence  et  une  activité  singu- 
lière. Cependant   le   cardinal  de  Bourbon 
meurt  dans  sa  prison  de  Fontenai  en  Poi« 
tou  ,  bon    prélat ,  affectionné  au   roi  son 
neveu  ,  et  qui  s'étoit  prêté  aux  manèges 
des  ligueurs  moins  par  ambition  de  prince, 
Décret  de  que  par  zèle  de  catholique.  Alors  la  Sor- 
Jfe^^°'^^°""  bonne  décide  solennellement  q«e  Henri  de 
Fanatisme  gourl^Qn  ,  hérétique  ,  fauteur  d*hérétiques  , 

des  Pan-        ,  '  ^     .  '  7/11 

siens.  relaps  et  excommunie,  quand  même  il  se- 
roit  absous  des  censures  ,  ne  peut  être 
admis  à  la  couronne;  qu'on  est  obligé  en 
conscience  de  l'empêcher  d'y  parvenir;  qu'en 
mourant  pour  une  si  sainte  cause ,  on  s'as- 
sure la  palme  du  martyre.  Le  parlement. 


Henri  IV.  95 

ou  plutôt  le  reste  de  cette  illustre  compa- 
gnie ,  par  une  lâcheté  ou  un  délire  incon- 
cevable ,  approuve  ce  décret  aussi  plein 
d'extravagance  que~  de  fureur  ,  et  défend 
sous  peine  de  mort  de  parler  d'aucune  com- 
position avec  le  roi. 

Pour  comble  de  démence  ,  on  forme  Régimenrt 
une  espèce  de  régiment  de  prêtres  et  dCgf^g^'^^Q" 
moines ,  qui  parcourent  les  rues  en  procès-  '^s. 
sion ,  la  cuirasse  sur  le  dos  et  le  mousquet 
sur  l'épaule  ;  spectacle  ridicule  ,  mais  pro- 
pre à  exciter  le  fanatisme  de  la  populace. 
Le  légat  voulut  animer  la  troupe  par  sa  pré- 
sence. Un  de  ces  nouveaux  soldats  tira 
pour  le  saluer ,  ne  sachant  pas  sans  doute 
que  son  arquebuse  étoit  chargée  à  balle. 
L'aumônier  du  légat  reçoit  le  coup ,  et  meurt 
dans  le  carrosse.  On  s'écrie  de  toutes  parts 
qu'il  est  heureux  de  mourir  dans  une  si  sainte 
action;  c\\xil  faîloit  le  croire^  parce  que 
monseigneur  le  légat  ^  qui  savait  bien  ce 
qui  en  était ,  rassurait  ainsi. 

Il  restoit  environ  deux  cent  vingt  mille  Famfiit 
personnes  dans  Paris.  Trois  mois  de  blocus  ^^'"^^"**' 
avoient  épuisé  les  vivres.  La  famine  deve- 
noit  intolérable.  On  étoit  déjà  réduit  à 
pulvériser  \i^s  os  des  morts  pour  en  faire  du 
pain.  Les  religieux  qui  inspiroient  l'ardeur  du 
martyre,  n'étoient  pas  les  plus  indifférens 
pour  la  vie.  Une  visite  faite  dans  les  couvens 
dévoila  leurs  manœuvres   intéressées  i   et 


9^  Henri  IV. 

Mëzerai  assure  même   qu'on   trouva  dans 
celui  des  capucins,  d'abondantes  provisions; 
Cette  découverte  fut  une  petite  ressource. 
Bonté  ex-  Mais  Paris  ne  pouvoit  échapper  à  Henri  IV^ 

cessive  du    .  >  ^  i     i  /   -i    S   a  rr 

roi.  si  par  un  excès  de  bonté  il  n  eut  souffert  que 

les  bouches  inutiles  se  retirassent ,  que  sqs 
propres  officiers  et  ses  soldats  fissent  entrer 
des  rafraîchissemens  pour  leurs  amis.  On 
raconte  que  deux  paysans  qui  alloient  être 
pendus  pour  avoir  amené  du  pain  à  une 
poterne ,  s'étant  jetés  à  ses  genoux  ,  et  lui  re- 
présentant qu'il  n'avoient  pas  d'autre  moyen 
de  gagner  leur  vie  :  Alle\  en  paix ,  leur  dit- 
il  ,  en  leur  donnant  l'argent  qu'il  avoit  sur 
\\xi ,  U  Béarnois  est  pauvre  ;  s'il  en  avoit 
davantage ,  il  vous  le  donneroit.  Il  en- 
troit  sans  doute  de  l'Imprudence  dans  cette 
conduite  ,  mais  une  imprudence  digne  d'ad- 
miration, yaimerois  quasi  mieux ^  disoit  ce 
bon  prince,  n'avoir  point  de  Paris ^  que 
de  r avoir  tout  rainé  par  la  mort  de  tant 
de  personnes. 
Le  duc  de      Cependant  la  nécessité  rendoit  les  Pari- 
Parme  dé- siens  pIus  traitables.  Malgré  les   décrets  de 
la  faculté  de  théologie  et  les  arrêts  du  par- 
lement de  la  ligue ,  il  y  eut  quelques  con- 
férences pour  un  accommodement.  On  of- 
frit de  se  soumettre ,  pourvu  que  le  roi  re- 
nonçât au  calvinisme ,    mais  regardant  le 
succès  comme  infaillible,  il  vouloit  impo- 
ser les  conditions.  Un  événement  imprévu 


Henri  IV.  gj 

lui  fit  perdre  le  fruit  de  tant  de  travaux. 
Philippe  II ,  qui  craignoit  la  fin  (\tis  trou- 
bles ,  et  qui  se  flattoit  d'y  gagner  la  couronne 
de  France ,  avoit  ordonné  au  duc  de  Parme, 
Alexandre  Farnèse ,  gouverneur  àts  Pays- 
bas  ,  de  marcher  au  secours  de  Paris ,  quel- 
que dangereux  qu'il  fut  de  dégarnir  àts  pro- 
vinces exposées  aux  entreprises  ùqs  Hollan- 
dois.  Ce  fameux  général  approche  avec  une 
puissante  armée.  Henri  IV  au  désespoir  lui 
présente  la  bataille ,  et  lui  fait  dire  que  de  son 
côté  il  ne  Tesqui  voit  jamais.  Pour  moi ,  ré- 
pond le  duc  de  Parme ,  je  f  esquiverai  à 
ses  dépens  ,  et  quiconque  m  y  contraindra 
en  saura,  plus  que  moi,  La  délivrance  de 
Paris  étoit  le  but  de  son  expédition  :  il  réussit 
sans  peine.  Ce  coup  de  foudre  répandit  le  Embarras 

-i  ,       *■  *   .    ,  *^  ,  .es  pauvre- 

decouragement  parmi  \ts  troupes  du  roi.  té  du  roi. 
Elles  manquoient  d'argent  ,  d'habits ,  de 
nourriture.  Le  roi  lui-même ,  n'ayant  pas 
de  quoi  dîner,  alla  manger  un  jour  dans  la 
tente  de  François  d'O  ,  surintendant  des 
finances,  dont  la  table  n'étoit  que  trop  bien 
servie. 

Le  duc  de  Parme  se  retira  bientôt  dans  les  invasion 
Pays-bas;  la  guerre  continua  en  France  savo^è! '^^ 
avec  la  même  animosité ,  sans  rien  produire 
de  mémorable.  Un  ennemi  étranger  aug- 
menta les  malheurs  publics.  C'étoit  le  duc 
de  Savoie,  qui,  non  content  d'avoir  usurpé 
'    marquisat  de  Salaces  ,  vouloit  envahir  le 


g8  Henri   IV. 

Lesdisuiè-  Dauphiiië  et  la  Provence.  Lesdiguières ,  un 

res sauve  le  7  ,  i      1  1  i 

Da^phiiic.  des  plus  grands  hommes   de  guerre  de  ce 
temps-là  ,  rebelle  sous  les  règnes  précédens 
,    en  qualité  de  calviniste ,  mais  fidèle  à  Henri 
ï  V  5  et  zélé  pour  sa  propre  fortune  ,  mit  le 
Dauphiné  à  couvert  de  l'invasion.  Il  envoya 
demander  ensuite  le  gouvernement  de  Gre- 
nol^le.   Le  roi  refusa  d'abord ,  de  i*avis  de 
son  conseil ,  parce  qu'il  s*étoit  engagé  à  ré- 
server les  gouvernémens  pour  les  catholi- 
ques. Messieurs  y.d'it  l'envoyé  des  Lesdi- 
guières ,  votre  réponse  inopinée  rri.a  fait 
oublier  un  mot  :  c'est  que  ,  puisque  vous 
ne  trouve^  pas  à  propos  de  donner  à  • 
mon  maître  le  gouvernement  de  GrenO' 
hle  ,  vous  songiei  aux  moyens  de  le  lui 
êter.   Cette    hardiesse  ne   déplut  point  à 
Henri  IV.  Lesdiguières  étoit  tout  puissant 
dans  sa  province  ;  on  avoit  besoin  de  lui  ; 
on  jugea  que  dans  un  cas  extraordinaire  il 
falloit  passer  sur  les  règles.  Il  est  des  con- 
jonctures où  l'autorité  affoiblie  ne  se  soutient 
qu'en  mollissant. 
L'ennemi      Cétoit  beaucoup  de  garantir  le  Dauphiné; 
Piovence.  Hiais  le  duc  de  Savoie  fut  plus  heureux  en 
Provence.  On  le  reçut  dans  le  pays ,  comme 
s'il  en  eût  été  le  souverain.  Le  parlement 
d'Aix  l'en  déclara  gouverneur ,  et  lui  donnai 
le  titre  de   général  sous  la  couronne  de 
France..  Le  meilleur  des  rois  étoit  toujours 
regardé  comme  un  tyran  par  ceux-  qui  ne 


H  ET  N  R  I    I V.  9C> 

croyoïent  pas  qu'on  pût  régner  sans  être 
catholique  ;  préjugé  fatal  dont  l'ambition  se 
Servoit  pour  exercer  une  véritable  tyrannie. 

Rome  fut  toujours  redoutable  dans  ces* — ^-"-^ 
conjonctures  orageuses.  Sixte-Quint  étoit  p'^^^'^.j^ 
mort  en  i  590  ,  méprisant  la  ligue  qu'il  fa-se$de  Ro- 
vorisoit  par  une  fausse  bienséance ,  et  esti-"^^* 
mant  Henri  IV  qq'il  outrageoit  par  politique. 
Grégoire  XIV  ,  m^ujet  du  roi  d'Espagne  , 
abusa  encore  plus  que'Sixte  de  l'autorité  pon- 
tificale. Il  publia  des  monitoires  pour  or- 
donner sous  peine  d'excommunication ,  à 
toute  sorte  de  personnes ,  de  quitter  le  parti 
^'un  roi  hérétique  ,  relaps ,  persécuteur 
de  r  église ,  excommunié  et  privé  de  tous 
ses  domaines  ;  (  c'étoit  le  style  ordinaire.  ) 
Il  envoya  de  l'argent  et  promit  des  troupes 
aux  ligueurs.  En  vain  le  roi  ne  cessoit  de  pro- 
tester qu'il  étoit  prêt  à  se  faire  instruire ,  et 
que  ses  ennemis  l'en  empcchoient  par  une 
guerre  opiniâtre.  On  ne  daignoit  avoir  égard 
ni  à  ses  raisons  ni  à  sqs  promesses ,  tant  l'es- 
prit de  faction  envenimoit  l'aigreur  du  faux 
zèle. 

A  Rome  et  à  Paris ,  on  travailloit  moins  Politique 
pour  la  religion  que  pour  le  roi  d'Espagne.  p|  lu^^^" 
Cet  ambitieux  monarque  se  flattoit  d'usurper 
la  France ,  comme  il  s'ctoit  emparé  du  Por- 
tugalj  il  prétendoit  y  régner,  ou  du  moins 
y  faire  régner  sa  fille.  Comptant  sur  sa  poli- 
tique et  sts  trésors ,  il  disait  déjà  ma  ville 


Tôo  Henri   IV. 

Insolence  de  Paris ,  ma  ville  de  Rouen ,  etc.  Les 
Seize  entroient  avec  ardeur  dans  ses  vues. 
Leur  insolence  croissoit  tous  \qs  jours  ,  jus- 
qu'à vouloir  maîtriser  le  duc  de  Mayenne. 
Furieux  de  ce  que  le  parlement  avoit  ren- 
voyé absous  un  particulier  dont  ils  sollici- 
toient  la  mort  ,  ils  saisirent  trois  magistrats, 
entre  autres  le  président  Brisson  ,  qui  étoit 
alors  à  la  tèXQ  du  parlemcait  ;  ils  les  condam- 
nèrent à  être  pendus  ,  Ct  les  firent  exécuter, 

Mayenne      A  la  nouvelle  de  cet  attentat ,  Mayenne 

^'^^""^^  absent  se  hâte  de  revenir,  il  dissimule  quel- 
ques jours ,  il  livre  enfin  au  supplice  quel- 
ques-uns de  ces  furieux.  Bussi-le-Clerc  ,  le 
plus  coupable  de  tous ,  devenu  gouverneur 
de  la  Bastille ,  obtint  la  permission  de  se  re- 
,  tirer.  Ainsi  fut  détruite  la  tyrannie  des  Seize, 
faction  composée  de  quelques  curés  fanati- 
ques ,  et  d  un  grand  nombre  de  gens  de  la 
lie  du  peuple  ,  aussi  redoutable  aux  chefs  de 
la  ligue  qu'à  l'héritier  de  la  couronne.  Le 
curé  Pelletier  avoit  eu  le  front  de  leur  dire 
en  pleine  assemblée  ,  avant  l'exécution  des 
trois  magistrats  ;  Cest  trop  endurer ,  il 
faut  jouer  des  couteaux»  Voilà  comme  des 
prêtres  mêmes  prétendoient  défendre  la  cause 

Le  Jeune  ^e  Dieu  !  Il  s'étoit  formé  un  troisième  parti 

-ardinal  .  viir»  ry 

d^Bour-    en  faveur  du  jeune  cardinal  de  Bourbon,  fils 
du  prince  de  Condé  tué  à  Jarnac.  Le  roi 
découvrit  l'intrigue ,  et  l'étoufFa  en  s'assu- 
rant  de  la  personne  du  cardinal.  Peu  aupa- 
ravant 


ca 

d. 


i 


Henri  IV.  tôt 

ravant  11  avoit  fait  une  tentative  inutile  sur 
Paris.  Cest  ce  qu'on  appelle  \^  journée  des 
farines, 

Elisabeth  et  les  princes  protestans  d'Al-  P^""  ^«^ 
lemagne  lui  ayant  envoyé  des  troupes ,  il  Rouen, 
entreprit  le  siège  de  Rouen  ,  l'un  des  boule- 
vards de  la  ligue.  On  avoit  dit  des  Parisiens 
qu'ils  savoient  mieux  jeûner  que  se  battre. 
Ce  fut  le  contraire  à  Rouen.  Villars-Brancas, 
parfaitement  secondé  par  la  garnison  et  les 
bourgeois  ,  se  défendit  avec  une  valeur  dont 
il  y  a  peu  d'exemples  dans  l'histoire.  Henri  ÎV 
s'exposa  souvent  comme  un  officier  de  for- 
tune. Rosni  l'invitant  à  se  ménager  :  mon 
nmi ,  répondit-rl ,  cest  pour  ma  gloire  et 
pour  ma  couronne  que  je  combats ,  ma 
vie  et  toute  autre  chose  doivent  être 
comptées  pour  rien.  L'attaque  et  la  défense 
ëtoient  également  vives  ;  mais  les  rebelles 
auroif  nt  enfm  succombé  ,  si  le  duc  de  Parme 
netoit  encore  venu  à  leur  secours. 

Le  roi  marcha  avec  une  partie  de  l'armée  ■   ■■ 

pour  le  combattre.  Il  fut  blessé  d'un  coup    ^ ')9\- 
de  mousquet  dans  une  action,  ou  suivi  d^  délivre^?» 
xjuarante  chevaux  seulement ,  il  aiîronta  té-  ^^^'^** 
mérairement  trente  mille  hommes.  Les  en- 
nemis pouvoient  le  poursuivre  et  le  prendre. 
Le  duc  de  Parme ,  le  croyant  soutenu  de 
toute  sa  cavalerie,  manqua  cette  occasion 
décisive.  On  en  murmura;  sa  prudence  fut 
taxée  de  foiblesse.  Tayois  pensé  j  dit-il  pour 
Tome  III.  E 


102  Henri   IV. 

sa  justification,  avoir  affaire  à  un  général 
alarmée ,  et  non  pas  à  un  capitaine  de 
chevaux-Légers  ,  tel  que  je  cannois  main- 
tenant le  roi  de  Navarre»    Duplessis-x\îor- 
nai  écrivit  au  roi  sur  cette  action  :  Sire  ^ 
vous  ave{  asse^  fait  l'Alexandre;  il  est 
temps  que  vous  soye^  Auguste,   Cest  à 
nous  à  mourir  pour  vous ,  et  c'est  là  notre- 
gloire  5  à  vous  ^  Sire ,  de  vivre  pour  la 
France ,   et  j'ose  vous  dire  que  ce  vous 
est  un  devoir.  Henri  fut  contraint  de  lever 
le  siège  de  Rouen.  Mais  les  revers  n'étoient 
qu'un  aiguillon  pour  exciter  son  courage. 
Belle  i-e-      Il  poursuit  le  duc  de  Parme  ,  engagé  dans 
«[uc^da^"   le  pays  de  Caux.  Ce  général  manquant  de 
Parme,     vivres ,  serré  de  près ,  malade  d'une  blessure, 
se  voit  à  son  tour  dans  un  extrême  péril.  11 
ne  peut  échapper  qu'en  passant  la  Seine  à 
Caudebec,  où  elle  est  fort  large.  L'entreprise 
paroissoit  impossible.  Le  roi  ne  songea  pas 
même  à  y  mettre  obstacle.  Un  pont  de  ba- 
teaux se  trouve  prêt,  sans  qu'il  en  ait  le 
moindre  soupçon.  Lt;s  ennemis  passent ,  dé- 
truisent le  pont,   et  retournent  vers  Paris. 
On  dit  que  le  duc  de  Parme  ayant  envoyé 
demander  au  roi  ce  qu'il  pensoit  de  sa  re- 
traite,  ^1  répondit  brusquement  qu'il  ne  se 
connoissoit  point  en  retraite,  et  que  la  plus 
belle  du  monde  lui  paroissoit  une-  véritable 
fu'itQ.  Ce  mot  échappé  peut-être  dans  un 
premier  mouvement ,  n'est  pas  digne  d'un 


Henri  IV.  loj- 

prince  îi  éclairé ,  et  si  juste  estimateur  du 
mérite.  Péréfîxe  assure  quV/  estiméi  cette 
retraite  plus  glorieuse  que  deux  h at ailles  ; 
reconnaissant  que  le  chef-d'œuvre  d'un 
grand  capitaine  nest  pas  tant  de  combat- 
tre et  de  vaincre  ,  comme  de  faire  ce  quil 
a  entrepris  sans  hasarder  de  combat. 

Selon  le  même  auteur,  le  maréchal  de  Ambîtïoà 
Biron ,  intéressé  à  la  prolongation  de  la  ^  "^^'^ 
guerre ,  négligea  les  moyens  de  faire  périr 
l'armée  Espagnole.  Son  fils  lui  demandant 
quelques  troupes  pour  une  entreprise  essen- 
tielle et  immanquable  :  quoi  don€  ^~f?iaraudy 
-lui  dit  le  maréchal  en  jurant ,  nous  veux-tu 
envoyer  planter  des  choux  à  Biron  ?  Si 
Biron  ne  dit  pas  ce  que  l'historien  lui  fait 
dire ,  on  peut  présumer  quM  le  pensa  *,  car 
il  rapportoit  tout  à  lui-même. 

Les  affaires  prenoient  une  meilleure  face  §„;£„  de  la 
-en  Piovence,  où  le  duc  de  Savoie  perdit s"-^^^» 
Duîtrs  ses  conquêtes.  Lesdiguières  avoit  dis- 
sipé les  troupes  du  pape.  La  ligue  avoit  perdu 
son  héros,  le  chevalier  d'Aumale,  prince 
Lorrain  ,  tué  en  attaquant  S.  Denis.  Mais 
le  roi  regrettoit  aussi  le  brave  et  vertueux  la 
N  jLie  ,  tué  au  siège  de  Lambale.  Toutes  les 
provinces  étoient  inondées  de  sang ,  les  villes 
prises  et  reprises ,  les  campagnes  ravagées , 
une  infinité  de  petits  combats  exterminoient 
la  noblesse  et  dépeuploient  le  royaume.  Le 
maréchal  de  Biron  eut  la  tcte  emportée  d'ua 


'104  Henri  IV, 

coup  de  canon  devant  la  ville  d'Epernaî. 
C'étoit  le  premier  général  de  France ,  aussi 
prudent  que  brave,  aussi  distingué  par  son 
savoir  que  par  ses  exploits.  Henri  IV  lui  de- 
voit  beaucoup  ,  et  auroit  été  infiniment  sen- 
sible à  sa  perte  ,  si  la  hauteur  et  les  préten- 
tions de  ce  seigneur  n'avoient  un  peu  afFoibli 
la  reconnoissance  de  ses  service*?. 
''•■i-'  Dans  la  crise  violente  de  l'Etat,   Paris 

}')93'    étoit  le  centre  des  troubles.  Il  y  avoit  alors 
factions  à  deux  factions.  Celle  des  Seize ,  considéra- 
Fixus,       blement  déchue ,  vouée  aux  Espagnols  ,  ir- 
ritée contre  Mayenne ,  vouloit  pour  roi  le 
jeune  duc  de  Guise ,  qui  venoit  de  s'échap- 
per de  la  prison  où  il  avoit  été  mis  après  le 
meurtre  de  son  père.  Celle  des  Politiques  , 
composée  de  gentilshommes ,  de  magistrats, 
des  meilleurs  bourgeois ,  ne  demandoit  pour  ^ 
reconnoître  Henri  IV ,  que  de  le  voir  sou- 
mis à  l'église.   Le  duc  de  Mayenne ,  pen- 
chant aussi  à  la  paix ,  se  ménageoit  habile- 
ment entre  le  roi  d'Espagne ,  dont  il  ne  pou- 
voit  encore  se  passer ,  et  le  roi  de  France  , 
dont  il  prétendoit  tirer  bon  parti. 
Assemblée      Les  ligueurs  zélés  demandèrent  une  as- 
^nroi^^^^ semblée  des  états  pour  l'élection  d'un  roi. 
>  Clément  VIII ,  qui  suivoit  les  traces  de  Gré- 
goire XIV  ,  ordonna   aux  François  de  se 
réunir  au  plutôt ,  et  de  disposer  de.  la  cou- 
ronne.   Mayenne    assemble  ces   prétendus 
états-généraux.   Le  légat  du  pape  ose  leur 


HE  N  R  I   IV.  io5 

demander  un  serment  de  ne  point  se  conci- 
lier avec  le  roi  de  Navarre  ,  quand  même  il 
abjureroit  Thérésie.  Les  E<:pagnols  de  leur 
coté  demandent  l'abolition  de  la  loi  salique , 
et  que  Tintante  d'Espagne  soit  déclarée  reine 
de  France.  Comment  des  citoyens  ,  des 
François,  pouvoient-ils  ne  pas  frémir  à  ces 
demandes?  La  superstition  avoit  donc  changé 
la  nature. 

Jamais  Henri  IV  ne  se  trouva  dans  de  si  Leroipen- 

,,  .    ,         ^  .    ,,  -,         se  a  se  taire 

cruelles  perplexités.  Un  roi  elu  par  ks  états  catholique 
aaroit  vraisemblablement  entraîné  tous  les 
catholiques.'  Ceux  même  de  son  parti  mur- 
muroient  avec  aigreur  de  sa  persévérance 
dans  une  secte  détestée.  Il  falioit  se  résoudre 
ou  à  soutenir  éternellement  la  guerre ,  ou  à 
changer  de  religion.  Ce  qu'il  y  avoit  de  plus 
sage  parmi  les  huguenots  lui  conseilloientde 
se  décider  promptement.  Le  canon  de  ia 
messe ,  disoient-ils ,  étoit  le  meilleur  pour 
réduire  ks  rebelles.  Rosni  (  depuis  duc  de 
Snlli  ) ,  quoique  sincèrement  attaché  au  cal- 
vinisme ,    lui   ût  regarder  cette  démarche 
aussi  juste  que  nécessaire.  Quelques  ministres 
protestans ,  plus  modérés  que  les  autres  ,  ap- 
planirer.t  les  voies  ,  en  avouant  qu'il  pouvoir 
hiTQ  son  salut  dans  l'église  Romaine.  Si  l'on 
en  croit  Daniel ,  il  étoit  déjà  catholique  au 
fond  du  cœur.  De  fortes  raisons  peuvent  au 
moins  en  faire  douter.  Quoi  qu'il  en  soit 
(  car  Dieu  seul  pénètre  le  fond  des  coeurs  )  , 


io6  Henri  IW 

il  promit  de  se  faire  instruire  sans  délai, 
Con^'éren-  Alors  les  catholiques  attachés  à  sa  per- 
ce.^  de  Su-  jonne  proposent  des  conférences  à  ceux  de 
Paris.  Le  légat ,  les  Espagnols  et  leurs  parti- 
sans combattent  en  vain  un  projet  si  raison- 
nable. Ces  conférences  s'ouvrent  àSurenne. 
Les  prélats  ligueurs ,  l'archevêque  de  Lyon 
(  d'Espinac  )  à  leur  tête  ,  y  portent  leurs  pré- 
jugés contre  le  roi ,  affectant  de  révoquer  en 
doute  sa  sincérité  ;  alléguant  des  preuves  de 
son  attachement  à  l'hérésie  ;  soutenant  d'ail- 
leurs cju'on  ne  pouvoit  rien  conclure  sans  le 
pape  ',  qu'il  avoit  défendu  de  traiter  ave€  un 
prince  hérétique ,  et  que  l'obéissance  due  au 
chef  de  l'église  devoit  l'emporter  sur  tout  le. 
reste.  L'archevêque  de  Bourges  (  Semblan» 
çai  ) ,  réfute  leurs  chicanes  par  les  vrais  prin- 
cipes du  droit  àçs  couronnes  et  des  libertés 
de  l'église  nationale.  Il  étoit  facile  de  démon* 
trerquel'intérêtde  l'église  universelle,  comme 
celui  de  l'Etat ,  exigeoit  en  cette  occasion 
une  sage  condescendance.  Mais  les  zélateurs 
fougueux  et  obstinés  ne  voient  point  qu'ils 
ruinent  la  religion  en  se  glorifiant  de  la  sou- 
tenir. Les  conférences  produisirent  peu 
d'effet., 
JLes  Espa-  Cependant  l'ambassadeur  d'Espagne  in- 
mandant  ^istoit  sur  Télection  de  l'infante.  Afin  de  par- 
la couron-  venir  à  son  but ,  il  déclara  que  l'intention 

ne  pour        ,     rii    i-  ^      •      i      i    •    r  •        '  il 

l'iuiiaute.   de  Philippe  etoit  de  lui  taire  épouser  le  duc 
de  Guise ,  qui  seroit  élu  roi  conjointement 


Henri   IV.  107 

a\'ecel!e.  Les  Seize  le  désiroient  ;  le  duc  de 
Mayenne  n'avoit  garde  d'y  consentir.  Au 
milieu  de  ces  agitations  ,  le  parlement  ,  f^^^^^j.\^ 
quoique  captif  et  estropié  (ce  sont  les la^ loi, sa^V 
termes  de  Péretixe  )  ,  se  ressouvenant  de 
son  ancienne  vigueur  ,  rendit  un  arrêt 
pour  le  maintien  des  lois  fondamentales  du 
royaume ,  et  «  pour  empocher  que  ,  sous 
»  prétexte  de  religion ,  la  couronne  ne  fût 
transterée  en  mains  étrangères  ».  L'Espa- 
gnol déconcerté  par  cet  arrêt ,  le  fut  bien 
davantage  par  la  conversion  de  Henri  IV. 

Après  un  ou  deux  jours  de  conférence  Abinfation 
avec  des  évéques  ,  le  roi  fit  son  al^juration 
à  S.  Denis  entre  ks  mains  de  larchevêque 
de  Bourges ,  et  reçut  de  lui  l'absolution  de 
toutes  censures.  C'étoit  le  plus  heureux  évé- 
nement qu'on  pût  désirer.  Le  fougueux  Séga, 
ëvéque  de  Plaisance ,  légat  depuis  plusieurs 
années  ,  au  lieu  d'y  donner  les  mains ,  dé- 
fendit ,  sous  peine  d'excommunication  ,  d'as- 
sister à  Ja  cérémonie.  Les  Parisiens  ne  lais- 
sèrent pas  d'y  courir  en  foule.  On  vit  alors 
que  leur  haine  pour  la  religion  du  roi  ne  s'é- 
tendoit  point  h  sa  personne.  Mais  il  y  avoit 
de  ces  hommes  fanatiques  par  système  ,  qui 
reviennent  plus  difficilement  que  le  peuple. 
Le  docteur  Boucher  ,  flirieux  ligueur ,  se 
déchaîna  en  chaire  neuf  jours  de  suite  contre 
Je  monarque  catholique.  Plusieurs  théolo- 
giens et  prédicateurs  déclamèrent ,  écrivi*  - 

E4 


io8  Henri  IV. 

rent   avec    un    redoublement    de  frëne'sie» 
Cette  année  même,   H^nri  courut  risque 
dVtre  assassine. 
Attestât       Un  jeune  batelier,  nommé  Barrière,  en 
toi^^  ^  avoit  formé  le  dessein.  Découvert  par  un  ja- 
cobin ,  et  nrs  à  la  question ,  il  nomma  un 
capucin ,  un  jésuite ,  un  curé  de  Paris  ,  et 
un  autre  prêtre,    qui  Tavoient,  disoit-il, 
exhorté  à  cet  attentat.  Les  maximes  des  li- 
gueurs dévoient  produire  tôt  ou  tard  un  par- 
ricide exécrable.  Barrière  fut  exécuté,  et  le 
roi  ne  permit  point    qu'on  recherchât  les 
complices. 
Condni'-e      Mayenne  signa  une  trêve  de  trois  mois. 
d|Muy-n-  [[  promit  néanmoins  avec  serment  au  légat, 
et  de  maintenir  la  ligue  ,  et  de  ne  point  faire 
de  paix.  Sa  politique  cherchoit  Fappui  de  la 
CQur  de  Rome.  Pour  s'en  assurer ,  il  fit  re-  . 
cevoir  par  les  états  le  concile  de  Trente ,  et 
le  fit  publier  sans  restrictions  ni  modifica- 
tions quelconques  :  démarche  aussi  vaine 
Et  de  Clé- que  cette  assemblée  étoit  illégale.  Clément 
ment  VIII.  VlIIse  montroit  toujours  inflexible,  au  point 
de  refuser  audience  à  l'ambassadeur  du  roi. 
Saint  père  ,  lui  dit  un  auditeur  de  rote  Ita- 
lien ,  quand  ce  seroit  le  diable  qui  vous 
demanderait  audience  ,  s  il  y  avoit  espé- 
rance de  le  convertir^  vous  ne  pourrie:^ 
La  WiMepas  en  conscience  la  lui  refuser.  Malgré  cet 
tombe.      Q}5st3cle  ,  les  François  rentrèrent  peu  à  peu 
dans  le  devoir  ;  la  ligue  perdoit  son  crédit 


Hl£N  RI    IV.  ÎO9 

et  sa  puissance.  La  satire  Mt-nippù^i)^  qui 
parut  alors  ,  en  la  rendant  ridicule  ,  lui  porta, 
peut-ctre  un  coup  mortel  ;  car  rien  ne  re- 
ste au  ridicule  ,  lorque  la  réflexion  succède 
;  la  fureur  des.  partis.  iVîeaux  ,  Pontoise, 
(J)rleans ,  Bourges  ,  Lyon  ,  se  soumirent 
bientôt. 

Le  duc  de  Mayenne  quitta  Paris,  ne  se ■==«=33 
croyant  plus  en  sûreté.  11  en  avoit  fait  gou-   ii594- 
\erneur  le  comte  de  Brissac  ,  qui  préféra  le  jj-e  à^ Paris' 
devoir  de  sujet  à  tout  autre  engagement ,  et 
qui  vint  à  bout  par  sa  prudence  d'y  introduire 
le  roi  sans  tumulte  et  sans  combats.  Les  Es- 
pagnols furent  réduits  à  capituler.   On  les 
laissa  sortir  avec  les  honneurs  de  la  guerre. 
Henri  IV  les  regarda  passer  par  une  fenêtre , 
et  saluant  les  officiers  avec  honié:  Messieurs^ 
leur  dit-il ,  recommande\'moi  à  votre  maî- 
tre; mais  ri  y  revene^  plus.  Le  légat,  obs- 
tiné à  ne  point  le  voir,  obtint  la  permission 
de  se  retirer ,  d'emmener  même  le  curé  Aubri 
et  le   jésuite  Varade  ,    que  Barrière   avoit  • 
chargés  comme  ses  complices. 

11  importoit  surtout  de  rendre  au  parle-  Le  parle- 
ment sa  splendeur,  et  de  raffermir  la  mo-bir.^^^^"" 
narchie  par  Tautorité  des  lois.  Les  magistrats 
fidèles   revinrent  dans    la   capitale,   ayant 
Achille  de  Harlai  à  leur  tête.  Les  autres  f  :- 

(i)  C'est  un  recueil  de  diverses  pièces ,  publié 
par  î^icolas  Rapin. 

E5 


ïîo  HENïir  IV. 

rent  rétablis,  à  condition  que  les  premiers 
auroient  le  pas  sur  eux.  On  ne  vit  dès-lors 
dans  le  parlement  qu'un  même  esprit  de  pa- 
triotisme. Il  cassa  tous  les  arrêts ,  décrets  et  ser- 
mens  faits  depuis  1588,  qui  se  trouveraient 
préjudiciables  à  l'autorité  du  roi  et  aux 
lois  du  royaume^  comme  ayant  été  extor^ 
^ués  par  force  ;   il  révoqua  les   pouvoirs 
donnés  au  duc  de  Mayenne ,  et  annula  les 
actes  de  la  dernière  assemblée  de  Paris  sous  le 
noms  d'états-généraux  ,  etc.  Tout  ce  que  le 
fanatisme   avoit  inspiré  parut  condamné  à 
l'oubli  5  grâce  au  changement  des  conjonc* 
tures. 
Conduite      Si  quelque  chose  eût  été  capable  de  réuni? 
IV*  ^^^"   les  cœurs  de  la  nation ,  c'étoit  la  conduite 
du  roi.  On  peut  en  juger  par  ce  trait  parti- 
culier. Lorsqu'il  entra  dans  Paris ,   des  ser- 
gens  arrêtèrent  le  bagage  de  la  Noue  ,  pour 
dettes  que  son   père    avoit  contractées   au 
service  de  TEtat.  Ce   gentilhomme,  très- 
digne  de  considération  ,   se  plaignit  de  ia 
violence.  Henri  IV  lui  répondit  publique- 
ment :  la  Noucj  il  faut  payer  ses  dettes  ;: 
je  paye  bien  les  miennes  ,*  et  Tayant  tiré  à 
part ,  il  lui  donna  des  pierreries  à  engager 
pour  les  effets  qu'on  avoit  saisis.. 
Lesli-     •   Mais  tant  de  bonté  n'attiroit  que  foible- 
rieurs  lui, j^^jj^  les  prificlpaux  seigneurs  de  la  lieue., 

tout  acné-  ,  ,.      r   a      *^  i        "      •     i  ii        • 

ter  eur     L  intérêt  seulpouvoit  \^s  ramener.  Ils  mirent 
au  plus  haut  prix  leur  soumission  y,  prouvant 


Henr  I   IV.  Tir 

assez  que  la  religion  ëtoit  le  moindre  motif 
de  leur  révolte.  Villars  rendit  Rouen ,  en 
exigeant  douze  cents  mille  livres  pour  payer 
.s  dettes,  soixante  mille  livres  de  pension  , 
outre  îa  charge  d'amiral  et  le  gouvernement 
de  plusieurs  places.  Selon  les  mémoires  de 
Sulli ,  il  en  coûta  trente-deux  millions  pour 
satisfaire  la  cupidité  de  ces  hommes  avides»  • 
Un  autre  prince  auroit  su  éluder  dans  la  suite 
des  promesses  arrachées  par  le  besoin.  Henri 
acquitta  fidèlement  les  siennes  ,  lorsqu'il  se 
vit  en  état  de  les  violer  impunément» 

Cependant  l'esprit  superstitieux  de  la  ligue  jean  chf- 

subsistoit  encore.  Des  préjugés  de  religion  J^^  attente 
t      »  j-i         •  A  »    ^     sur  sa  vui- 

quelqu  atroces  qu  ils  puissent  être ,  ne  s  effa- 
cent qu'avec  lenteur.  L'attentat  projeté  par  _ 
Barrière  fut  exécuté  par  Jean  Châtel ,  fils 
d'un  marchand  de  Paris ,  jeune  homme  sus* 
ceptible  de  toutes  les  impressions  du  fana- 
tisme. S'étant  glissé  dans  une  chambre  paimi* 
la  f 3ule  qui  environnoit  le  roi ,  il  lui  ponta; 
un  coup  de  couteau  à  la  gorge.  Heureuse- 
ment Henri  se  penchoit  pour  embrasser  un- 
seigneur.  Le  coup  ne  le  blessa  qu'à  la  lèvre  j 
et  h'i  rompit  une  dent.  On  arrête  l'assassin.  Son  ûirer. 
Il  dit  dans  son  interrogatoire  que  ,  se  sentant 
coupable  de  grands  péchés  ,  il  avoit  cru  évi- 
ter Tenfer  par  cette  action ,  qu'il  la  croyoit 
juste  et  méritoire ,  parce  que  le  roi  n'étoit 
pas  réconcilié  avec  l'église,  et  devoit  être 
réputé  tyran  j  qu'il  l'avoit  entendu  décider 

E  6 


rosatJire* 


rj  1 2  H  E  N  R  r  I V. 

en  plusieurs  endroits ,  ainsi  que  chez  les  Jé- 
suites où  il  avoit  fait  une  partie  de  ses  études. 
ïi  ajouta  que  ces  pères  Tavoient  souvent  in- 
troduii  dans  une  chambre  de  méditations ,. 
pleine  de  figures  effroyables  de  l'enfer ,  dont 
sans  doute  son  imagination  avoit  été  trop 
émue.  On  croyoit  alors  ces  figures  propres 
à  imprimer  au  fond  de  lame  des  vérités 
éternelles ,  qui  doivent  y  entrer  par  la  foi  et 
non  par  les  sens. 
Haine  Les  Jésuitcs  étoient  haïs  d'une  infinité  de 
Jésuites,  personnes  considérables.  Outre  les  protes- 
tans ,  dont  ils  faisoient  gloire  d'exciter  la 
haine  (  mais  dont  il  eût  mieux  valu  attiret 
la  confiance ,  pour  hs  ramener  au  sein  de 
l'église  )  5  le  parlement  s'étoit  toujours  op- 
posé avec  vigueur  à  leur  établissement  ;  les 
religieux  qu'ils  avoient  comme  supplantés  ,. 
les  voyoient  en  général  de  mauvais  œil;, 
l'évéque  de  Paris  ,  Eustache  du  Bellai,  avoit 
déclaré  leur  ordre  contraire  aux  droits  de  la 
couronne  et  à  ceux  de  l'épiscopat  ;  l'univer- 
sité ne  leur  pardonnoit  pas  le  tort  que  la  con~ 
currence  faisoit  à  ses  collèges  ;  elle  leur  avoit 
suscité  un  grand  procès ,  où  Pasquier  et 
Arnaud  5  célèbres  avocats,  attaquèrent  leur 
institut  par  les  mêmes  moyens  à-peu-près 
qui  l'ont  fait  proscrire  de  nos  jours.  Les  dé- 
positions de  Jean  Châtel  précipitèrent  kur 
disgrâce. 

Il  est  certain  qu'on  pouvoit  reprocher  à 


Henri  IV.  ii3 

la  plupart  des  corps  de  Paris  ,  tant  eccle-  Cequiicf 

•       •  1-    •  \i  1    faisoit  pa- 

siastiques  que  religieux,  un  zcle  aveugle roîtte  plu» 
pour  la  cour  de  Rome  ,  un  attachement  cri-^*'^^"^"* 
minel  pour  Je  roi  d'Espagne ,  et  ces  maximes 
détestables  qui  conduisoient  au  régicide. 
Maison  crut  devoir  faire  un  exemple  sur  des 
hommes  plus  attachés  par  état  aux  opinions 
iiltramontaines ,  et  plus  capables  par  leurs 
intrigues  ,  leurs  talens  et  leurs  emplois  ,  par 
leur  régularité  même  ,  de  les  répandre  ou  de 
les  maintenir.  La  société  avoit  trop  contri- 
bué à  la  naissance  et  aux  profères  de  la  ligue, 
pour  qne  la  chute  de  Tune  ne  tût  pas  funeste 
à  Tautrc. 

Le  parlement  chassa  les  Jésuites  comme«==s=» 
corrupteurs  de  la  jeunesse  ,  perturbateurs    *  $95' 
du  repos  public  ^  ennemis  au  roi  et  deint  du  ro- 
F  Etat.  Guignard ,  bibliothécaire  du  collège  ^y^'-"^^^* 
fut  pendu  pour  avoir  gardé  des  écrits  sédi- 
tieux dont  il  étoit  Tauteur.  Ils  contenpient 
les  mcmes  extravagances  qui  avoient  retenti 
jusques  dans  les  chaires  :  Jacques  Clément 
a  fait  un  acte  héroïque  ,  inspiré  par  le 
S,  Esprit.  Si  on  peut  guerroyer  le  Béar- 
nais ,  qu'on  le  guerroyé  ;  si  on  ne  peut 
le  guerroyer  y  quon  l'assassine  ,  etc.  Ce 
malheureux  invoqua  l'amnistie  générale.  On 
avuit  ordonné  de  brûler  tous  les  ouvrages 
écrits  avant  lamnistie.  En  contrevenant  à 
Tarrct,  il  s'étoit  exposé  à  la  peine,  et  on 
le  jugea  selon  h  rigueur  des  lois.  Les  parle* 


iî4  Henri  IV. 

mens  de  Bordeaux  et  de  Toulouse  retinrent 
les  Jésuites.  Celui  de  Paris  ,  se  fondant  sur 
le  motif  de  la  sûreté  du  roi ,  n'avoit  point 
observé  à  leur  égard  les  formes  ordinaires. 
C'est  ce  qui  ficilita  leur  rappel. 
Négocia-  Pour  éloigner  tout  prétexte  de  révolte  , 
Kon!e!  ^"  sollicitoit  vivement  à  Rome  l'absolution 
de  Henri  IV.  Du  Perron  et  d'Ossat  (  depuis 
cardinaux  )  y  travailloient.  avec  autant  de 
prudence  que  d'activité ,  tandis  que  la  cour 
d'Espagne  employoit  son  or  à  corrompre  le 
sacré  collège.  Le  cardinal  Tolet ,  quoique 
Jésuite  et  Espagnol ,  seconda  utilement  les 
vœux  des  François.  Le  pape  fut  enfin  ébranlé» 
Olivieri ,  auditeur  de  Rote,  qui  lui  parloit 
librement,  le  frappa  un  Jour  par  ces  mots 
pleins  de  raison  :  Clément  VII perdit TAn^ 
gl  et  erre  pour  avoir  voulu  complaire  à 
Charles-Quint  ^  Clément  VIII perdra  la 
France  s'il  continue  de  vouloir  complaire 
n  Philippe  IL  Rien  n'étoit  plus  propre  en 
effet  que  l'expérience  des  derniers  schismes  à 
tempérer  l'extrême  rigueur  du  pontife.  Les 
cardinaux  de  la  faction  Espagnole  vouloient 
du  moins  des  conditions  conformes  à  leurs 
sentimens  ;  ils  demandoient  qu*on  effaçât 
cette  clause  de  l'arrêt  rendu  contre  Chàtel , 
^ue  le  roi  devoit  être  reconnu  pour  roi  ^ 
quand  même  il  nauroit  pas  l'absolution 
du  pape.  Leur  cabale  ne  prévalut  pas  sur 
l'intérêt  manifeste  de  l'église. 


H  E  N  R  I    I  V.  1 1 5 

Clément  VIII  accorda  Tabsolutlon  d'une  Absolution 
manière  dont  Henri  parut  content ,  et  Rome  le^pïpe!*^*^ 
en  témoigna  une  joie  extraordinaire.  Le  roi 
s'obligeoit  à  taire  publier  et  exécuter  le  con- 
cile de  Trente ,  excepté  dans  les  choses ,  s'il 
y  en  avoit  de  telles ,  qui  pourroient  troubler 
la  tranquillité  publique.  11  devoit ,  à  moins 
cjfi'il  n'y  eût  empêchement  légitime  ,  dire  le 
chapelet  tous  les  jours,  les  litanies  le  mer- 
credi ,  le  rosaire  le  samedi ,  entendre  tous 
les  jours  la  messe.  Il  devoit  se  confesser  et 
communier  en  public  pour  le  moins  quatre 
fois  l'an  ,  bâtir  un  couvent  dans  chaque  pro- 
vince,  etc.   Ces  pratiques    ou    pénitences 
ctoient  peu  de  chose ,  en  comparaison  de 
l'humiliante  cérémonie  que  subirent  pour  lui 
ses  ambassadeurs ,  en  recevant  à  genoux  des 
coups  de  verges  de  la  main  du  pontife. 

Du  petit  nombre  de  seigneurs  qui  persis-    Le  rpi 
toierrt  dans  la  rébellion  ,  le  duc  de  Mayenne  Mayenue^ 
ctoit  le  plus  dangereux  et  le  plus  coupable.  I.e 
roi  v^l'attaquer  dans  son  gouvernement  de 
Bourgogne.  11  y  trouve  une  armée  d'Espa- 
gnols sous  les  ordres  du  connétable  de  Cas- 
tille.  Ayant  été  reconnoître  l'ennemi  à  la 
tête  de  trois  cents  chevaux  ,  il  rencontre  tout- 
à-coup  l'armée  entière.  On  l'attaque  brusque-  Combatde 
ment.  A  moi ,  s  ecne-t-il ,  et  faites  comme  Françoisev 
vous  m^alle\  voIt  faire*  Jamais  il  ne  courut 
tant  de  risque,  et  ne  montra  tant  de  valeur 
qu'en  cette  journée  de  Fontaine-Françoise* 


ii6  Henri    IV. 

Le  général  Espagnol  ne  voulant  point  hasar- 
der de  bataille ,  et/  persuadé  ,  comme  autre- 
fois le  duc  de  Parme ,  que  le  roi  ne  s'expo- 
soit  pas  de  la  sorte  sans  être  soutenu  de  la  plus 
grande  partie  de  ses  troupes ,  se  retire  avec 
précipitation  ,  vaincu  par  une  poignée  de 
combattans.  Kenri  IV  disoit  qu'auparavant 
il  avoit  combattu  pour  la  victoire,  mais  quç 
dans  cette  occasion  il  l'avoit  fait  pour  la  vie. 
Il  accorda  une  trêve  au  duc  de  Mayenne. 
La  paix  fut  conclue  Tannée  suivante. 
>.  Cet  illustre  chef  de  parti ,  qu'on -ne  vouloit 

1596.  pas  pousser  à  bout,  obtint  cks  conditions 
soumis  ""^  plus  avantageuses  qu'il  ne  devoit  l'espérer. 
La  bonté  et  la  politique  du  roi  le  ramenèrent 
au  devoir.  Comblé  de  caresses  quand  il  vint 
lui  rendre  ses  hommages ,  il  assura  que  c'é- 
toit  alors  seulement  que  son  souverain  l'avoit 
vaincu.  Mayenne  étoit  extrêmement  replet. 
Henri  IV  l'ayant  lassé  à  plaisir  dans  une- 
partie  de  promiCnade  :  mon  cousin ,  lui  dit-il 
en  riant ,  voilà  le  seul  mal  que  je  vous 
ferai  de  ma  vie.  Le  duc  fut  désormais  un 
sujet  fidèle.  Tout  le  royaume  rentra  dans 
l'obéissance  ,  excepté  le  parti  qu'avoir  en 
Bretagne  le  duc  de  Mercœur ,  l'un  des  prin- 
ces de  la  maison  de  Lorraine,  si  féconde 
alors  en  hommes  redoutables  aux  rois  de 
Insolence  France. 

duducd'E^      Mais  le  duc  d'Epernon,  esprit  hautain  et. 
pernon,     ^mbitieux ,  gouverneur  de  Provence  où  il 


He  N  R  I    I  V.  ï  17 

avoit  servi  utilement,  excitolt  dans  cette 
province ,  par  son  despotisme ,  un  soulè- 
vement funeste.  Les  choses  allèrent  si  loin  , 
qu'après  d'inutiles  efforts  pour  l'engager  à 
se  démettre  de  sa  place ,  un  envoyé  de 
Henri  lui  déclara  qu'il  eût  à  le  faire  ,  ou 
que  le  roi  viendroit  lui-mcme  l'en  chasser. 
Qu'il  vienne  ,  dit  insolemment  le  duc; 
je  lui  servirai  de  fourrier ,  non  pas  pour 
lui  préparer  les  logis ,  mais  pour  brûler 
ceux  qui  seront  sur  son  passage,  11  se  ré- 
volta, se  soutint  quelque  temps  à  main 
armée  contre  le  duc  de  Guise  ,  nouveau 
gouverneur.  Vaincu  ,  mais  toujours  à  crain- 
dre ,  il  obtint  aisément  sa  grâce.  Les  Pro- 
vençaux lui  firent  présent  de  cinquante  mille 
écus  pour  accélérer  son  départ ,  et  le  roi 
lui  accorda  le  gouvernement  du  Limousin. 

Henri  avoit  enfin  déclaré  la  guerre  à  Phi-  Les  Eçpa- 
ijppe  11,   le  principal  moteur  des  troubles  nent  Ca, 
civils  ;  et  cette  guerre  înt  cbins  \t%  commence-  ^^'^* 
mcHs  malheureuse.  Les  Espagnols  s'étoient 
emparés   de   Cambrai.  Ils  firent  une  con- 
quête plus  importante,  en  prenant  Calais  et 
Àrdres.    Un    excellent    ofScier    François  , 
nommé  de  Rosne,  leur  procura  cet  avantage 
par  une  fatalité  singulière.  Résolu  de  rentrer 
au  service   du    roi ,   il  traitoit  secrètement 
avec  la  cour.  Les  ennemis  l'ayant  décou- 
rt,  pour  éviter  la  mort  qu'on  lui  prépa- 
.t ,  et  pour  dissiper  leurs  soupçons  à  force 


1 1  8  H  E  N  R  I    I  V. 

de  services  ,  il  offrit  de  faire  le   siège  de 
ces  deux  places,  auquel  ils  n'osoient  penser 
eux-mêmes.  Le  roi  solicita  le  secours  d'Eli* 
Conîîuites3}-5çth,  Elle  avoit  paru  très-sensible  à  son- 

o'Ei.sa-  11-  ,    .  '      r  • 

beth  en-  changement  de  religion,  et  lui  avoit  tait 
vers  eroj.^^^  reproches  d'une  démarche  qu'elle  eût 
sans  doute  imitée  en  pareilles  circonstances. 
Son  ambassadeur  promit  néanmoins  ài^s,  ef- 
forts pour  sauver  Calais,  à  condition  qu'on 
remettroit  la  place  aux  Anglois  jusqu'au 
paiement  des  sommes  que  la  reine  avoit 
prêtées.  La  noble  fierté  du  monarque"  ne 
pouvoit  souscrire  à  cette  proposition.  l\ 
refusa  en  disant  que  s'il  avoit  à  être  mor^ 
du  5  il  aimoit  autant  tétre  d'an  lion  que 
(Tune  lionne. 
Assemblée      Pressé  par  le    besoin   et   dépourvu    de 

de  Routn.  /  ,  r»  i  w 

Discours  moyens ,  n  convoque  a  Kouen  une  assemblée 
^"  ^^''  de  notables  ,  pour  subvenir  aux  nécessités 
du  royaume.  Là  il  prononce  ce  discours  , 
qu'on  ne  peut  lire  sans  une  tendre  admira- 
tion. Si  je  faisois  gloire  de  passer  pour 
excellent  orateur  ^  faurois  apporté  ici 
plus  de  belles  paroles  que  de  bonne  vo- 
lonté. Mais  mon  ambition  tend  à  quel- 
que chose  de  plus  haut  que  de  bien  par- 
ler, T aspire  au  glorieux  titre  de  libéra- 
teur et  de  restaurateur  de  la  France, 
Déjà ,  par  la  faveur  du  ciel  ,  par  les 
conseils  de  mes  fidèles  serviteurs ,  et  par 
ïépée  de  ma  brave  et  généreuse  noblesse 


Henri  IV.  119 

C  de  l  acte  lie  je  ne  distingue  point  mes 
princes  ^  la  qualité  de  gentilhomme  étant 
le  plus  beau  titre  que  nous  possédions  )  , 
je  Vai  tirée  de  la  servitude  et  de  la  ruine • 
Je  désire  maintenant  la  remettre  en  sa 
première  force  et  en  son  ancienne  splen- 
deur.  Participe^  ,  mes  sujets  ,  à  cette 
seconde  gloire  ,  comme  vous  ave^  par- 
ticipé  à  la  première.  Je  ne  vous  ai  point 
appelés  ,  comme  faisoient  mes  prédéces- 
seurs ,  pour  vous  obliger  d'approuver 
aveuglément  mes  volontés  \  je  vous  ai 
fait  assembler  pour  recevoir  vos  con- 
seils ^  pour  les  croire^  pour  les  suivre^ 
en  un  mot  pour  me  mettre  en  tutelle 
entre  vos  mains  (i).  Cest  une  envie  qui 
ne  prend  guère  aux  rois  ^  aux  barbes  gri- 
ses  ^  et  aux  victorieux  comme  moi\  mais 
l amour  que  je  porte  à  mes  sujets ,  et  V ex- 
trême désir  que  j"" ai  de  conserver  mon  état  ^ 
me  font  trouver  tout  facile  et  honorable. 
Uassemblée  témoigna  beaucoup  de  zèle,  et  fit 
peu  de  chose.  Elle  ne  proposa  que  des  moyens 
chimériques  pourrem.ç. lier  aux  maux  de  Tctat. 

Un  vice  radical ,  auquel  le  roi  n*avoit  en-    Mauvais 
core  pu  remédier ,  la  mauvaise  administra  " 


état  des  h- 
nunces. 


(  1  )  Gabrielle  d'Estrées ,  sa  maîtresse  ,  lui  ayant 
dit  qu'elle  étoit  surprise  de  ce  qu'il  a  voit  parié  de 
$e  mettre  en  tutelle.  Ventre-saim-^ns  ^  répondit-il, 
lltst  vrai  j  mais  je  l'entends  avec  mon  tpée  au  côié^ 


120  Henri  IV. 

tion  des  finances,  rendoit  inutiles  les  meil- 
leurs desseins.  Le  roi  écrivit  à  Sulli ,  pen- 
dant la  guerre  contre  l'Espagne  ;  Je  suis 
proche  de  mes  ennemis  ,  et  n*ai  quasi  pas 
un  cheval  sur  lequel  je  puisse  combattre. 
Mes  chemises  sont  toutes  déchirées  ,  mes 
pourpoints  troués  au  coude  ,  et  depuis 
deux  jours  je  dîne  che\  les  uns  et  che:^ 
les  autres ,  parce  que  mes  pourvoyeurs 
n*ont  plus  moyen  de  rien  fournir  pour 
ma  table.  On  levoit  cent  cinquante  mil- 
lions sur  le  peuple,  et  le  trésor  royal  en 
recevoit  environ  trente. 

Elles  sont  Béthune  ,  marquis  de  Rosni  ,  si  célèbre 
confiées  a  ^^^^  l^  ^^^  j^  Sullî ,  étoit  né  heureuse- 
ment pour  Henri  IV  et  pour  la  France.  Les 
talens  militaires  ,  les  talens  politiques,  réunis 
au  plus  haut  degré  dans  sa  personne  à  l'hé- 
roïsme ,  à  la  probité  et  à  toutes  les  vertus 
du  citoyen,  en  faisoient  un  de  ces  hommes 
rares  qui  immortalisent  la  gloire  de  leur  pa-  ' 
trie.  t)QS  sa  jeunesse ,  il  avoit  mérité  l'es- 
time et  l'amitié  de  son  maître.  Après  avoir 
prodigué  pour  lui  et  son  sang  et  sa  tbrtune , 
il  devoit  tirer  le  royaume  de  l'état  affreux 
où  \qs  guerres  civiles  Tavoient  réduit.  Le 
roi  lui  confia  les  finances  :  tout  changea  de 
face. 

Friits  de      Le  concussions  cessèrent  ,  l'avarice  d^s 

t^"y^"^""^" seigneurs   et  des    financiers   fut   réprimée, 

l'ordre  rétabli  partout,  l'argent  des  peuples 


Henri  IV.  121 

porté  directement  au  trésor  et  consacré  au 
bien  public  ,  les  emprunts  f^its  avec  sa- 
gesse ,  les  dettes  acquittées  fidèlement.  Une 
féconde  économie  enrichit  le  prince  et  le 
i royaume.  En  un  mot  dans  l'mtervalle  de 
'.({uinze  ans  que  dura  le  ministère  de  Suili, 
ïnalgré  la  diminution  considérable  des  tailles 
et  d'autres  impôts,  et  le  paiement  de  toutes 
L-s  dettes ,  les  revenus  de  la  couronne  aug- 
mentèrent de  quatre  millions.  Et  dans  quelles 
circonstances  ?  Mais  aussi  quel  roi  et  quel 
ministre  ! 

Reprenons  la  suite  des  événemens.  Les  ■ 

Espagnols  s'emparèrent  d'Amiens  par  sur-    'W» 
prise,    tandis   que    les    bourgeois    étoientgnoispren- 
au  sermon.  Ceux-ci  s'étoient  malheureuse- ^^JJ[e,jj^ 
ment  obstinés  à  vouloir  garder  leur  ville  ; 
imprudence  qui   leur  coûta  cher.  Sous  un  jj^^^^^^J'e^s' 
autre  règne  ,  cet  accident  auroit  pu  pro-  calvinistes 
duire  une  révolution.  Le  danger  menaçoit 
Paris,  la  terreur  se  répandoitde  toutes  parts. 
Le  roi   en    fut  d'autant  plus  inquiet ,  que 
les    calvinistes    lui    donnoient    eux-mêmes 
beaucoup  d'inquiétude.  Les  uns  étoient  in- 
dignés de  sa   conversion,  les  autres  jabux 
des  grâces  que  les  catholiques ,  les  ligueurs 
mcmes  obtuioicnt  ou  ,  arrachoi^ent  de  lui. 
Non  contens  de  h  Lberté  de   conscience 
qu''>n  leur  avoit  accoidée,  et  que   les  ca- 
tholiques sages    jugeoient  nécessaire  ,    ils 
voubient  des  prêches  dans  tout  le  royau- 


112  Henri   IV. 

me  ;  ils  demandoient  qu'on  leur  fournît  de 
l'argent ,  soit  pour  Tentrctien  des  garnisons 
de  leurs  villes  de  sûreté,  soit  pour  les  ap- 
pointemens  de  leurs  ministres.  Des  assem- 
blées séditieuses  ,  des  entreprises  insolentes 
contre  Tautoritë  royale  ,  faisoient  craindre 
de  leur  part  une  prochaine  révolte.  Lesdi- 
guières ,  quoique  attaché  à  leur  secte  ,  leur 
reprocha  une  conduite  si-contraire  aux  de- 
voirs de  citoyens.  Mais  Henri  IV  ne  put 
s'*empécher  de  les  satisfaire. 
Lf  roi         Son  grand  objet  étoit  alors  de  recouvrer 
Amiens,    la  Capitale  de  la  Picardie.  Il  osa  l'entrepren- 
dre sans  le  secours  des  calvinistes  ;  tant  leur 
assemblée  de  Saumur   se    montroit    indo- 
cile à  ses  demandes.  C'est  asse^  faire   le 
roi  de  France^  dit-il  un  jour ,  il  est  temps 
de  faire  le  roi  de  Navarre,  Il  court  assié- 
ger Amiens,  et  donner  de  nouvelles  preu- 
ves de  vaillance.   Une   armée  Espagnole , 
arrivée  des  Pays-bas ,  se  retire  sans   avoir 
osé  attaquer  sqs  lignes.  La  garnison  capitule 
après  une  résistance  vigoureuse.   Le   com- 
mandant dit  au  vainqueur  qu'/7  remettait 
cette  yille  à  un   roi   soldat  ,   puisqu'il 
ri  avait  pas  plu  à  son  maître  de  la  secourir 

par  des  capitaines  soldats.  Nul  seiojneur 
Louange  ^       ,,     .       '  ...         ,    ,  .  ,    ^ 

qu'il  don- ne  S  etoit  autant  distingue   a  cô  siei^e  que 
«eàBiroii.j^   maréchal  de  Biron  ,  fils   de  celui  dont 
nous  avons  raconté  la  mort.  Henri ,  tou- 
jours attentif  à  exciter  et  à    récompenstT 


HENR  I     IV.  T23 

le  nvjrirc  ,  fit  son  éloge  par  un  de  ces 
traits  ingénieux  qui  se  gravent  clans  la  mé- 
moire des  hommes.  Le  prévôt  des  mar- 
chands et  les  échevins  de  Paris  étant  venus 
le  complimenter  à  son  retour  :  Messieurs  , 
leur  dit-il ,  voilà  h  maréchal  de  Biron  , 
que  je  présente  volontiers  à  mes  amis  et 
à  mes  ennemis. 

Il  restoit  à  soumettre  le  duc  de  Mercœur ,         ■    ■' 
toujours  révolté  dans  son  gouvernement  de    M9^* 
Bretagne,   où  le  roi  n'avoit   point  encore gnesoumi- 
paru.  Il  y  alla  enfin.  Les  villes  s'empresse-  ^®* 
rent  à  le  recevoir  ,  et  le  duc  fut  trop  heu- 
reux d'obtenir  la  paix  ,  en  donnant  sa  fille 
héritière  de  tous  ses  biens  au  jeune  duc  de 
Vendôme ,  fils  naturel  de  Henri  IV  et  de 
Gabrielle  d'Estrées. 

Pendant  ce  voyage ,  lus  calvinistes  ob-  Edît  de 
tinrent  fédit  de  Nantes,  si  favorable  à  leur^^'^^^^* 
parti.  Liberté  entière  de  conscience ,  exer- 
cice public  de  leur  religion  dans  plusieurs 
villes ,  faculté  de  posséder  toute  sorte  de 
charges  et  d'emplois  ,  places  de  sûreté  pour 
huit  ans  ,  quarante-cinq  mille  écus  par  an 
pour  l'entretien  des  ministres  ;  c'étoit  plus 
qu'on  ne  leur  avoit  jamais  accordé.  Leur 
penchant  à  la  révolte  et  la  nécessité  de  pré- 
venir de  nouveaux  troubles ,  déterminèrent 
le  roi  à  cette  démarche.  Le  clergé ,  la  Sor- 
bonne,  l'université  ,  les  prédicateurs  ,  se 
récrièrent   contre  lui.  Il  trouva   beaucoup 


ii34  Henri  IV. 

de  résistance  de  la  part  du  parlement.  Mais 

ses  raisons  l'emportèrent. 
Raisons       La  religion  catholique^  dit-il  aux  ma- 
donne^  au  gisttats ,  ne  pcut  être  maintenue  que  par 
parieraeiit.  /^  p^^y; .  ^f-  [^  p^^y.  ^  Vétat  est  la  paix 

de  V église, . .  ./e  ressemble  au  berger  qui 
veut  ramener  ses  brebis  en  la   bergerie 

avec  douceur Il  ne  faut  plus  faire 

de  distinction  de  catholiques  et  de  hU" 
guenots  :  il  faut  que  tous  soient  bons 
François^  et  que  les  catholiques  conver^ 
tissent  les    huguenots  par  r exemple  de 

leur  bonne  vie Quand  on  faisoit 

des  édits  contre  ceux  de  la  religion  ,  lors- 
que  fétois  avec  eux  ^  je  faisois  des  ca- 
prioles  ;  je  disois  :  loué  soit  Dieu  !  car 
tantôt  nous  aurons  quatre  mille  hom- 
mes ,  et  tantôt  six  mille.  Et  nous  les 
trouvions  enfin  ,  car  ceux  qui  étoient 
dispersés  auparavant  étoit  contraints 
de  se  réunir,  ,  , .  Si  j' a  vois  envie  de  rui- 
ner la  religion  catholique  ,  vous  ne  rrien 
saurie\  empêcher.  Je  ferois  venir  vingt 
mille  hommes  ,  je  chasserois  d'ici  ceux 
qu'il  me  plairoLt\  je  dircis  :  messieurs 
les  juges  ^  il  faut  vérifier  fédit^  ou  je 
vous  ferai  mourir.  Mais  alors  je  ferois 
le  tyran  ,  etc. 
Consé-  On  voit  par  ces  morceaux  du  discours 
merde  ces  ^e  Henri  IV  5  qu'il  ne  séparoit  point  les 
raiçpiis.    intérêts  de  la  religion  de  ceux  de  l'état.  Si 

dès 


Henri  IV.  115 

dès  le  commencement  des  troubles ,  les  mê- 
mes maximes  avoient  prévalu ,  riiérésie  eût- 
elle  servi  de  prétexte  aux  emportemens  de 
la  ligue  ?  la  ligue  eût-elle  fini  par  augmenter 
les  avantages  de  l'hérésie  ?  L'expérience  est 
la  boussole  d'un  sage  gouvernement;  et 
quiconque  réfléchit  sur  les  événemens  de  tous 
les  siècles  ,  sentira  combien ,  dans  les  que-* 
relies  ecclésiastiques ,  une  modération  cir- 
conspecte «st  préférable  k  une  dangereuse 
\iolence. 

Le  traité  de  Vervins  avecle  roi  d'Espaçne  .Traité  de 
1  I      '    1  I-    1  11-    '1  Vcrvins, 

acheva  de  rétablir  la  tranquillité  du  royaume. 

Il  ne  pouvoit  être  plus  honorable.  Les  Es- 
pagnols rendirent  tout  ce  qu'ils  avoient  pris 
en  Picardie;  Henri  IV  ne  rendit  rien.  Phi-  Mort  de 
lippe  II  mourut  peu  après.  Sa  politique  avoit  ^^"^^^"^^  ^^ 
agité  sans  fruit  l'Europe  entière.  La  Hol- 
lande soustraite  à  sa  domination ,  la  France 
délivrée  de  ses  injustices ,  cinq  mille  cinq 
cents  millions  d'or  dissipés  en  projets  infruc- 
tueux ,  prouvent  qu'avec  toute  sa  puissance 
il  »ie  fut  ni  un  grand  roi  ni  un  grand  homme  (  1  ). 
Son  zèle  affecté  contre  le  protestantisme , 
qui  ne  l'empêchoit  pas  d'animer  les  protes- 

(0  Ecrivant  à  Henri  IV  ,  il  se  donnoit  des  ti- 
tres sans  fin.  La  réponse  du  rci  fut  signée ,  Henri  , 
bourgeois  de  Paris.  François  I  a  voit  de  même  tourné 
en  ridicule  la  vanité  d^  Charles-Quint ,  en  signant, 
François ,  premier  gentilhomme  de  JFrance  ,  seigneur, 
de  Vanvres  et  de  GenùlU^ 

Tome  m.  F 


126  Henri  IV. 

tans  contre  les  catholiques  au  gré  de  ses  inté^ 
rets  5  lui  attira  plus  de  haine  que  de  gloire. 
On  rappela  le  Démon  du  midi.  La  religion 
auroit  dû  le  rendre  plutôt  un  ange  de  paix, 
La  monarchie  Espagnole  languit  sous  Phi- 
lippe III  son  successeur. 
Amours       II  est  triste  de  ne  pouvoir  dissimuler  le 
"^"'^^  ^^  foible  des  grands  hommes  ;  mais  leurs  fautes 
mêmes  doivent  être  des  leçons  pour  le  genre 
humain.  Henri  IV ,  en  triomphant  de  ses  en- 
Gabriellenemis,  étoit  dominé  par  l'amour.  Gabrielle 
rees.  ^>£5jj.^g5  ^  duchesse  de  Beaufort  Ta  voit  tel- 
lement captivé,   qu'il  pensa,  dit-on,  à  la 
faire  reine.  Depuis  long-temps  il  vivoit  sé- 
paré de  sa  femme  Marguerite  de  Valois ,  dont 
la  conduite  dès  le  commencement  du  ma- 
riage avoit  mérité  de  grands  reproches.  \JnQ 
Promesse  antipathie  mutuelle  les  divisoit  sans  retour. 
f^MUeî'^^L'un  et  l'autre  désiroient  le  divorce  et  le  sol- 
s'i^s?'^^"    licitoient  à  Rome,  fondés  sur  ce  que  leur 
mariage  avoit  été  forcé ,  et  qu'ils  n'avoient 
pas  eu  les  dispenses  nécessaires.  Une  mort 
soudaine  enlève  la  belle  Gabrielle.  Le  roi  de- 
vient éperdûment   amoureux  de   Henriette 
d'Entragues  ,  fille  d'une  maîtresse  de  Char- 
les IX.  Elle  irrite  adroitement  sa  passion , 
€t  lui  déclare  qu'elle  ne  peut  le  satisfaire  sans 
une  promesse  de  mariage.  La  pi-omesse  étoit 
signée.  Henri  IV  la  montre  a  Sulli  (  J  ) ,  et  lui 

(i)  La  terre  de  Sulli  ne  fut  érigée  en  duché- 
pairie  que  plusieurs  années  après.  Mais  il  faut 
donner  à  Rosni  le  nom  sous  lequel  il  est  si  célèbre. 


Henri  IV.  117 

demande  conseil.  Ce  courageux  "^i^^^^^^  d^çjl"^^* 
prend  le  papier,  le  déchire  pour  toute  ré- 
ponse. Comment  morbleu ,  s'écrie  le  roi  en 
colère ,  je  crois  que  vous  êtes  fou  !  Sulli 
répond  froidement  :  //  est  vrai ,  sire ,  je 
suis  fou  ^  et  je  voudrois  litre  si  fort  que 
le  fusse  le  seul  en  France,  Il  ne  douta  point 
de  sa  disgrâce.  Quelques  jours  après ,  il  fut 
fait  grand  maître  de  Tartillerie.  Son  zèle  parut 
encore  mieux  récompensé  par  la  résolution 
que  prit  le  roi ,  de  conclure  un  autre  mariage. 
Les  commissaires  du  pape  ayant  prononcé  la 
sentence  de  divorce,  il  épousa  Marie  de 
Médicis,  qui  lui  donna  Louis  Xlîl. 

Parmi  les  femmes  quM  aima,  une  du  moins  Catherme- 
mérite  d'être  célébrée  dans  rhistoire.  Cathe-  <J^^"i^««- 
xine  de  Rohan   répondit  à  ses  déclarations 
d'amour  :  Je  suis  trop  pauvre  pour  être 
votre  femme ,  et  de  trop  bonne  maison 
pour  être  votre  maîtresse. 

Dans  le  temps  que  la  galanterie  sembloit 
rencliaîner,  il  poursuivit  avec  vigueur  ses 
droits  sur  le  marquisat  de  Saluces  ,  dont  le 
à\xc  de  Savoie  s'étoit  emparé  sous  le  derniet  ^^e  Savoie. 
.  règne.  Ce  prince  habile  et  rusé  vint  en  France 
comme  pour  traiter  avec  le  roi ,  se  flattant , 
ou  de  conserver  par  adresse  le  fruit  de  son 
usurpation ,  ou  de  former  un  parti  ^qs  mé- 
contens  du  royaume.  Mais  il  avoit  affaire  aii 
monarque  le  plus  prudent  et  le  plus  ferme. 
Henri ,  en  le  comblant  d'amitiés ,  pressait 


iii  Henri  IV. 

toujours  la  restitution  de  Saluces.  Le  duc 

promit ,  se  retira  ,    et  manqua  de  parole. 

Aussitôt  la  guerre  fut  déclarée  ,  la  Savoie  et 

La  Bresse  la  Bresse  conquise  en  trois  mois.  L'ennemi  fit 

etleBugeii         .  ^     'j     i     n  in-  i 

pour  S4lu- 13  p3ix ,  et  céda  la  Bresse  et  le  Bugei  poiu-  le 
^^^*  marquisat  de  Saluces.  Selon  quelques  histo- 
riens ,  Lesdiguières  dit  que  le  roi  avoir  con- 
clu cette  paix  en  marchand ,  et  le  duc  de  Sa- 
voie en  prince.  Mais  outre  que  l'échange 
étoit  avantageux  (  Saluces  n'étant  guère 
qu'une  occasion  de  dépenses  ) ,  le  roi  préfé- 
roit  la  solide  gloire  à  àts  chimères  de  vanité. 
Il  avoit  plus  à  cœur  de  guérir  les  maux  de  la 
France ,  que  de  s'ouvrir  un  passage  en  Italie, 
D'ailleurs ,  un  levain  de  révolte  fermentoit 
dans  quelques  esprits  remuans ,  et  il  impor- 
toit  de  finir  la  guerre  pour  les  contenir. 
Dispute  On  vit  pendant  ces  démêlés  politiques  une 
FerVon  et  disputc  singulière  de  religion ,  entre  deux 
Momai.  Sommes  qui  n'étoient  point  faits  pour  se  me- 
surer ensemble.  Duplessis-Mornai  5  grand 
homme  de  guerre ,  grand  négociateur ,  cal- 
viniste également  zélé  pour  sa  secte  et  pour 
son  roi  (  on  le  nommoit  le  pape  des  hugue- 
nots )  ,  ayant  publié  un  livre  contre  la  messe, 
l'évêque  d'Evreux  ,  du  Perron ,  s'engagea 
hautement  à  prouver  qu'il  y  avoit  plus  de 
cinq  cents  passages  falsifies  dans  ce  livre. 
L'auteur  accepta  le  défi.  Le  roi  nomma  d^s 
juges  ,  et  voulut  assister  aux  conférences  avec 
une  nombreuse  assemblée.  Vérifier  unemul* 


Henri  IV.  12^ 

tîtude  de  passages  amassés  par  des  compila- 
teurs, gens  ordinairementpeu  exacts ,  comme 
Fobserve  Mezerai ,  et  ne  soudant  pas  de 
fournir  de  bons  matériaux ,  pourvu  quils 
en  fournissent  quantité^  étoit  une  entre- 
l^rlse  trop  hasardeuse  pour  le  calviniste  ,  qui 
-  s*étoit  point  donné  la  peine  d'examiner  les 
originaux  :  du  Perron  eut  tout  l'avantage  Du  Perron 
dans  la  dispute.  Elle  devoit  recommencer  les  et  cTrdiual 
jours  suivans.  Une  maladie  soudaine,  cau- 
sée peut- être  par  le  chagrin  ,   tira  Mornai  de 
ce  mauvais  pas.  Durant  la  conférence  où  il 
fut  accablé  par  son  adversaire ,  le  roi  dit  à 
Sulli  :  Hé  bien  ,  que   vous  en  semble,  de 
votre  pape  ?  Il  me  semble ,  répondit-il , 
qu'il  est  plus  pape  que  vous  ne  pense^  ;  car 
ne  voyei  vous  pas  quil  donne  un  chapeau 
rouge  ri  M,  d'Evreux  F  Le  chapeau  rouge 
fut  en  effet  la  récompense  de  l'évêque. 

Ces  deux  antagonistes,  au  jugement  de  Jugement 

c  f  ■'    ^  îHr  CCS  un» 

M.  Huet ,  avoient  plus  de  réputation  l'un  tagouistes. 
et  l'autre  que  de  savoir.  Leur  rang  contri- 
buoit  sans  doute  beaucoup  à  cette  réputa- 
tion. Ce  qui  ne  seroit  pas  remarqué  dans  un 
simple  particulier ,  est  souvent  admiré  dans 
un  homme  en  place ,  dont  la  gloire  en  ce 
genre  dépend  beaucoup  de  ceux  qu'il  em- 
ploie. Un  mot  peut  faire  juger  le  cardinal 
du  Perron  :  dans  son  Rituel  d'Evreux ,  il 
donne  la  bulle  In  cana  Domini  pour  règle 
de  pénitence, 

F3 


i3o  HïNUrIV.. 

Sédition  .  Quelque  zèle  qu'eût  Henri  IV  pour  le  sou- 
lagement  des  peuples  ,  il  etoit  impossible , 
après  des  agitations  si  violentes ,  de  jouir 
d'une  parfaite  tranquillité.  Un  impôt  octroyé 
par  l'assemblée  des  notables  j  tenue  à  Rouen, 
excitoit  des  murmures,  les  murmures  pro- 
duisirent des  séditions  du  côté  dé  la  Loire* 
La  présence  du  roi ,  qui  se  rendit  à  Poitiers , 
ses  bontés,  ses  promesses  ,  eurent  bientôt 
calmé  les  esprits.  Dès  qu'il  vit  qu'on  respec- 
toit  l'autorité ,  il  signala  sa  bienveillance  en 
supprimant  cet  impôt. 

*'  _  '■  '  La  perfidie  du  maréchal  de  Biron  lui  causa 
/^°**,  des  chaerins  bien  plus  cruels.  Ce  seigneur 

maréchal  avoit  heritc  des  vices ,  comme  des  talens 
"''"'  militaires  de  son  père.  Il  passoit  pour  le 
plus  grand  général  du  royaume  ;  il  étoit 
tout  couvert  de  cicatrices ,  glorieuses  mar- 
ques de  sa  valeur  ;  mais  une  ambition  dé- 
mesurée, un  orgueil  ,  une  arrogance  in- 
supportable ternissoient  sa  gloire.  L'amitié 
et  les  grâces  du  roi  ne  firent  qu'un  ingrat. 
Lorsque  le  duc  de  Savoie  vint  en  France  , 
le  maréchal  se  lia  étroitement  avec  lui  , 
malgré  l'avis  de  son  maître  qui  lui  dit  un 
jour  ;  72^  laisse^  point  approcher  cet  liomme^ 
là  de  vous  ;  cest  une  peste  ,  il  vous  per- 
dra, Sts  intrigues  continuèrent.  Il  avoit  traité 

Sonotsti-  avec  le  duc  et  avec  l'Espagne.  Le  roi ,  ayant 

nation  le    j  .  •         j      i  •       *•  £* 

perd.        des  preuves  certaines  de  la  conjuration ,  fit 
tous  SQS  efforts ,  dans  des  entretiens  partie u- 


HENRI    IV.  l3l 

liers ,  pour  ei^ager  Biron  à  reconnoître  son 
crime  ,  résoki  de  pardonner  au  repentir.  La 
fierté  hautaine  et  inflexible  du  coupable  l'o- 
bligea malgré  lui  de  faire  un  exemple.  Biron 
tut  arrêté  et  jugé  ;  le  parlement  le  condamna 
à  perdre  la  tête.  Cet  homme  si  intrépide  dans  n  meurt 
Içs  C(^.mbats  devint  foible  et  fjrieux  aux  ap- lig^^J^^" 
proches  du  supplice.  Il  eut  la  double  honte 
d'avoir  mérité  la  mort ,  et  de  ne  savoir  pas 
mourir  Quon  ne  m  approche  pas ,  s'écria- 
t-il  eu  jurant  sur  réchafaud  ;  si  l'on  me  met 
en  fougue  ,  f  étranglerai  la  moitié  de  ce 
qui  est  ici.  Le  duc  cie  Bouillon  avoit  eu  part 
à  ses  complots.  On  le  pressa  en  vain  de  re- 
venir à  la  cour.  Son  génie  remuant  méditott 
de  nouvelles  entreprises  qui  éclatèrent  bientôt, 

Elisabeth  ,  après  te  règne  le  plus  glorieux " 

qu'on  eût  jamais  vu  en  Angleterre  ,  venoit    '^^S* 
de  mourir  âgée  de  69  ans ,   laissant  à  Jac-îisai)etii.' 
ques  I  son  royaume  enrichi  par  le  commerce,  gièïJ^'Jç^**' 
et  redoutable  aux  étrangers  par  la  marine. 
Elle  apprit  aux  souverains   que  Tautorité,  - 
maniée  avec  sagesse,  peut  maintenir  le  calme 
dans  un  état,  malgré  la  diversité  des  reli- 
gions :  mais  tous  les  siècles  lui  reprocheront 
la  mort  de  Marie  Stuart.  Henri  IV  perdoit 
une  alliée  dont  il  avoit  tiré  de  grands  se- 
cours. Le  nouveau  roi  ,  le  premier  qui  ait 
réuni   l'Angleterre  ,    l'Irlande  et  l'Ecosse  , 
pouvoit  influer  beaucoup  dans  les  affaires  de 
l'Europe.  Sulli  fut  envoyé  en  ambassade  pour 

F4 


iS2  Henri   IV. 

Traités  le  mettre  dans  les  intérêts  de  la  France.  Il 
^letenê  et  triompha  des  intrigues  de  TEspagne ,  de  la 
Suisse"  mauvaise  volonté  du  ministère  Anglois  ,  et 
conclut  une  ligue  défensive  en  faveur  des 
Provinces-unies  ,  toujours  en  guerre  avec  les 
Espagnols.  On  avoir  aussi  renouvelé  l'alliance 
avec  les  Suisses.  Ces  sages  mesures  mettoienH 
le  royaume  en  sûreté. 
Rétabns-  Depuis  long-temps  le  pape  soUicitoit  le 
Jésuites,  rétablissement  des  Jésuites.  C'étoit,  selon 
toute  apparence,  une  des  conditions  secrètes 
de  Tabsolution  du  roi.  Le  P.  Cotton ,  par 
son  esprit ,  sa  souplesse  ,  sqs  manières  insi-* 
nuantes  et  ses  sermons ,  vint  à  bout  de  ga- 
gner les  bonnes  grâces  de  Henri  ,  et  ne  per- 
dit pas  de  vue  les  intérêts  de  la  société  (i). 
Sulli ,  moins  comme  protestant  que  comme 
ministre  d'Etat,  ne  vouloit  point  des  Jésui- 
tes ,  insistant  en  particulier  sur  leur  zèle  pour 
la  maison  d'Autriche  et  sur  leur  obéissance 
aveugle  pour  un  général  étranger.  Mais  il  se 
rendit  à  cette  raison  de  son  maître  ;  que  ^ 
»  s'ils  étoient  capables  de  mauvais  desseins, 
:^  on  auroit  moins  à  craindre  en  les  capti- 
>»  vant  par  des  bienfaits ,  qu'en  ks  aigris- 
»  sant  par  des  rigueurs  ».  L'édit  de  rappel 
fut  envoyé  au  parlement.  Le  premier  prési- 


(i)  On  disoit  communément  :  Notre  roi  est  un 
Ion  prince ,  il  aime  la  vérité  ;  mais  il  a  du  coton  dans. 
Us  QnilUst  C  Lon^ueruana.  ) 


Henri  IV.  ijj 

dent  de  Harlai  y  opposa  des  remontrances 
capables  d'ébranler  le  monarque  ,  s'il  avoit 
été  moins  ferme  dans  ses  résolutions.  Il  ré- 
pondit par  un  discours  fort  honorable  aux 
jésuites ,  et  ordonna  l'enregistrement. 

Un  des  articles  de  Tédit  porte  qu'il  y  A  quelles 
auroit  toujours  à  la  cour  un  religieux  de  cet^  '^^"' 
ordre ,  en  qualité  de  prédicateur  du  roi ,  pour 
répondre  de  la  conduite  de  ses  confrères. 
Cette  condition  ,  qui  paroissoit  humiliante, 
devint  la  principale  source  de  leur  pouvoir. 
Chargés  de  la  conscience  des  princes ,  ha- 
biles à  profiter  des  conjonctures ,  il  acquirent 
bientôt  ce  dangereux  crédit ,  peu  compati- 
ble avec  la  simplicité  religieuse ,  et  plus  pro- 
pre à  faire  beaucoup  d'ennemis  secrets  que 
beaucoup  de  partisans  déclarés.  On  ne  par- 
donne point  à  ÔQS  hommes  voués  à  l'obéis- 
sance ,  l'envie  ou  le  pouvoir  de  dominer. 
Un  seul  intrigant ,  un  seul  ambitieux  dans 
ce  corps ,  pouvoit  attirer  la  haine  publique  à 
ceux  que  leurs  talens  et  leurs  vertus  rendoient 
respectables. 

Nous  sommes  parvenus  aux  belles  années  Leroyau- 
du  règne  de  Henri  IV.  Tout  le  royaume  sau:,^^"" 
recueillit  au  sein  de  la  paix  les  fruits  d'un 
gouvernement  plein  de  sagesse.  La  justice  , 
l'économie,  les  arts,  le  commerce,  l'agri- 
culture ,  réparèrent  sensiblement  les  anciens 
milheurs.  Trois  cents  trente  millions  de  diit' 
Us,  qui  en  feroient huit  cents  deux  de  notre 

F6 


i34  Henri^IV". 

inonnoie  d'aujourd'hui ,  n'efFray oient  point 
le  zèle  du  surintendant. 
Adminis-  En  1  607  il  avoit  déjà  acquitte  quàtre- 
S^iîl?"  ^^  vingt-sept  millions.  Les  financiers  englou- 
tissoient  auparavant  les  revenus  de  l'Etat, 
dont  il  n'entroit  qu'une  cinquième  partie 
dans  le  trésor.  SuUi  eut  besoin  de  toutes  sqs 
lumières  pour  approfondir  leurs  manœuvres, 
et  de  tout  son  courage  pour  les  réprimer.  Ces 
harpies  avoient  beaucoup  de  crédit  à  la  cour. 
Les  grands  profitoient  de  leurs  déprédations. 
Le  surintendant  ne  craignit  point  de  se  faire 
des  ennemis  pour  servir  le  roi  et  la  patrie. 
Ils  travaillèrent  à  le  perdre ,  et  peu  s'en  fallut 
qu'ils  n'y  réussissent;  car  il  n'y  a  rien  ^ 
dit-il ,  dont  il  soit  plus  difficile  de  se  dé- 
fendre que  d'une  calomnie  travaillée  de 
main  de  courtisan.  Déjà  presque  disgra- 
cié ,  un  entretien  qu'il  eut  avec  le  roi  dissipa 
enfin  les  nuages.  Son  génie  infatigable  trou- 
voit  des  ressources  pour  tous  les  besoins.  11 
favorisa  le  commerce,  mais  il  donna  ses  pre- 
miers soins  à  l'agriculture.  Le  roi ,  en  épar- 
gnant les  finances ,  trouva  encore  de  quoi 
élever  de  superbes  édifices.  La  galerie  du 
Louvre  et  le  Pont-neuf  sont  ses  ouvrages.  11 
commença  le  canal  de  Briare ,  qui  joint  la 
Seine  à  la  Loire. 

Parmi  tant  de  soins  ,  également  nobles 
et  utiles  5  sa  malheureuse  foiblesse  pour  les 
femmes  lui  attira  de  nouveaux  chagrins. 


Henri   IV.  i35 

Henriette  d'Entragues ,  qu'il  avoit  fliit  mar-  =*==«=» 
quisede  Verneuir,  conservoit  trop  d'empire  ^'^°V, 
sur  son  cœur.  La  reine  Marie  de  Medicis  en  tion  de 
étoit  cruelleinent  blessée  ,  et  le  desoloit  par  gug"."^*" 
<ies  manières  choquantes.  Ce  grand  prince 
4éprouvoit  comme  tant  d'autres  toute  l'amer- 
tume des  passions.  D'Entragues  le  père  et  la 
marquise  de  Verneuil  portèrent  l'ingratitude 
-;squ  a  conspirer  contre  lui,   voulant   faire 
valoir  la  promesse  de  mariage  qu'il  avoit  eu 
i'imprudence  de  donner.  Le  comte  d'Auver- 
gne étoit  de  la  conspiration ,  que  M.  Hë- 
nault  dit  avoir  été  conduite  par  un  capucin 
confesseur  de  la  marquise.  On  instruisit  leur 
procès ,  on  les  condamna ,  et  ils  obtinrent 
leur  grâce. 

D'un  autre  côte ,  le  duc  de  Bouillon,  quoi-  Le  duc  de 
que  redevable  à  Henri  IV  de  son  mariage  rtfrixaJ! 
avec  l'héritière  de  Sedan  ,  travaille  à  soule- 
ver les  huguenots.  Le  roi  ne  gagnant   lien 
par  la  douceur,  prend  la  résolution  d'em- 
ployer la  force.  Il  part  avec  des  troupes.  Le     - 
duc  s'humilie ,  et  livre  Sedan ,  qui  lui  est 
rendu  presque  aussitôt. 

Le  différent  de  la  république  de  Venise  ■  -   -     ' 
avec  Paul  V  fournit  au  roi  une  nouvelle  ma-  .î^°^: 
t:ere  de  gloire.  Ce  pape  voulut  exercer  en  des  Vcni- 
Italie  l'ancien   despotisme  de    la   cour  deie^^^pe^^^ 
Rome.    Les  Vénitiens  avoient  défendu  de 
bâtir  des  monastères  et  d'aliéner  des  biens 
aux  gens  d'église,   sans  la  permission  du 

F6 


i36  Henri  IV. 

sénat;  ils  avoient  fait  exécuter  un  moine  et 
emprisonner  deux  ecclésiastiques ,  coupables 
de  crimes  énormes.  Paul  V  regarda  ces  actes 
d'autorité  com.me  des  attentats  contre  Dieu 
et  contre  l'église.  Ses  menaces  ,  ses  ordres  , 
ne  furent  point  écoutés  ;  l'intérêt  des  citoyens 
parut  préférable  aux  prétentions  de  Rome. 
Le  pape  irrité  lança  les  foudres  de  l'excom- 
munication sur  le  doge  et  sur  le  sénat ,  et 
un  interdit  général  sur  la  république.  Les 
Jésuites  5  les  théatins ,  les  capucins ,  crurent 
devoir  s'y  soumettre.  Les  premiers  ,  qu'on 
craignoit  plus  que  les  autres ,  furent  bannis  à 
perpétuité, 
tîenrî  me-     Tout  annonçoit  une  guerre.  Le  pape  s^ 
préparoit  pour  soutenir    ses   censures ,  les 
Vénitiens  pour  soutenir  les  droits  de  la  répu- 
blique. Henri  IV ,  en  prince  véritablement 
chrétien ,  offrit  sa  médiation.  Depuis  long- 
temps la  cour  de  France  étoit  sans  crédit  à 
Rome  ;  celle  d'Espagne  y  dominoit.  Cepen- 
dant il  eut  la  gloire  d'être  choisi  pour  média- 
leur  et  de  termiaer  le  différent.  Les  Véni- 
tiens plièrent  en  suspendant  l'exécution  de 
leurs  lois ,  et  en  remettant  les  deux  prison- 
niers entre  hs  mains  d'un  délégué  du  pontife; 
mais  Paul  V  ne  put  obtenir  le  rétablissement 
des  Jésuites ,   l'un  des  objets  qu'il  avoit  le 
plus  à  cœur.  On  ne  ks  a  rappelés  qu'environ 
cinquante  ans  après ,  et  ils  se  sont  toujours 
..sentis  à  Venise  de  leur  ancienne  disgrâce. 


fliateur. 


Henri  IV.  187 

Le  titre  de  pacificateur,  plus  digne  d'un  il  ménase 

,       .  ^        1-1  '  ,     .    un  traite 

grand  prince  que  ceiui  de  conquérant,  etoit  entre l'Es- 
alors  réservé  au  roi  de  France.  Il  ménagea  fa^lïolla^ 
le  premier  traité  entre  l'Espagne  et  les  Pro-  de. 
vinces-unies.  Une  guerre  furieuse,  qui  du- 
roit  depuis  quarante  ans ,  sembloit  les  rendre 
irréconciliables.  D'un  côté ,  le  prince  d'O- 
range ,  Maurice  ,  vouloit  la  continuer  pour 
son  intérêt  particulier ,  tandis  que  le  sage 
Barnevelt  en  désiroit  la  fin  pour  le  bien  de  la 
patrie  ;  de  l'autre,  les  Espagnols  traitant  tou- 
jours les  HoUandois  de  rebelles ,  étoient  fort 
éloignés  de  le  satisfaire.  Le  président  Jeannin, 
ambassadeur  en  Hollande  ,  remplit  les  vues 
bienfaisantes  de  Henri  IV  par  un  prodige  de 
négociation.  Il  mania  si  habilement  les  es- 
prits ,  que  tous  les   obstacles  disparurent. 

Philippe  m  conclut  avec  les  Etats  une  trêve  « » 

de  douze  ans,  les  reconnaissans  pour  fVû/^  ,^2'i 

11  I  7-7  j     Les  Hol- 

€t  provinces  libres^  sur  lesquels  il  ne  pré-  landois  re- 
îendoit  rien.  Ainsi  furent  établies  authen- ^Tpeudauj 
tiquement  leur  liberté  et  leur  souveraineté. 
Us  en  étoient  redevables  à  leur  courage ,  à 
la  tyrannie  du  gouvernement  Espagnol ,  et 
:\  la  protection  de  la  France.  Rapportons 
w^  fait  qui  peint  les  mœurs  de  ces  indompta- 
bles républicains.   On  raconte  que  les  am-    Leurs 
bassadeurs  d  Espagne  allant  a   la  Haie  en  gales. 
1608  ,  rencontrèrent  les  députés  de  la  répu- 
blique ,  assis  sur  l'herbe  pour  prendre  leur 
repas.  Chacun  d'eux  avoit  apporté  s^  prcn 


Ï38  Henri   IV. 

visions.  C'étoit  du  pain ,  du  fromage  et  de 
la  bière.  A  cette  vue,  les  Espagnols  saisis 
d'étonnement  s'écrièrent  :  voilà  des  gens 
quon  ne  saurait  vaincre ,  et  avec  lesquels 
il  faut  nécessairement  faire  la  paix. 
Evasion  du  Rien  ne  manquoit  au  bonheur  et  à  la 
CQnàà^  gloire  du  roi ,  que  de  surmonter  la  plus  dan- 
gereuse des  passions.  Le  jeune  prince  de 
Condé  venoit  d*épouser  la  fille  du  maréchal 
de  Montmorenci.  Les  charmes  de  cette  prin- 
cesse frappèrent  vivement  Henri  IV.  Il  ne 
dissimula  point  son  penchant ,  et  s'attira  un 
nouveau  chagrin.  Tout-à-coup  le  premier 
prince  du  sang  disparoît ,  et  emmène  sa 
femme  à  Bruxelles  ,  où  la  cour  d'Espagne  ne 
manque  pas  de  lui  offrir  toute  sorte  d'avan- 
tages. I.e  roi  en  fut  extrêmement  affligé  ; 
mais  plus  il  avoit  à  se  reprocher  les  fautes  de 
l'amour ,  plus  il  les  effaçoit  par  les  soins  du 
gouvernement  et  par  de  grandes  entreprises, 
pi-oîetcon-  Il  devoit  bientôt  porter  la  guerre  en  Alle- 
soV  d'Au-  înagne»  La  maison  d'Autriche  y  disputoit  à 
triche,  .celles  de  Brandebourg  et  de  Neubourg  la 
succession  de  Clèves  et  de  Juliers.  En  sou- 
tenant les  droits  de  sqs  alliés  ,  il  saisissoit 
l'occasion  d'abaisser  la  puissance  Autri- 
chienne, et  de  la  resserrer  dans  de  justes 
bornes.  C'étoit  là  sans  doute  l'objet  de  son 
armement.  On  voit  dans  les  mémoires  de 
Sulh ,  qu'il  avoit  conçu  le  grand  projet  de 
former ,  de  quinze  dominations  de  l'Europe^ 


Henri   IV.  iSp 

ua  corps  appelé  la  république  chrétienne ,  idée  pour 
qui  auroit  ses  lois  ,  son  conseil ,  ses  armées  ,  péiuéile. 
et  dans  lequel  on  maintiendroit  Téquilibre  , 
en  s'unissant  contre  ceux  qui  voudroient  le 
rompre.  Projet  admirable  en  théorie ,  mais 
dont  l'exécution  devoit  paroître  trop  chimé- 
rique ,  pour  qu'un  prince  éclairé  se  flattât 
jd'en  venir  à  bout.  On  ne  peut  douter  au  con- 
traire que  la  maison  d'Autriche  ne  fût  me- 
nacée d'une  révolution  presque  inévitable. 
Toutes  les  mesures  étoient  concertées  ;  qua-  Mesuret 
rante  millions  destinés  à  cette  guerre  ;  des  gueîj-è.^ 
troupes  nombreuses  et  aguerries ,  des  provi- 
sions immenses ,  des  alliances  sûres  :  avec 
tant  de  forces  et  de  ressources ,  un  roi  coura- 
geux ,  expérimenté ,  ne  voyoit  point  d'en- 
nemis en  état  de  lui  tenir  tête.  Il  pressoit  le 
départ  avec  une  extrême  impatience.  La  cé- 
jémonie  du  couronnement  de  la  reine ,  qu'elle 
^ésiroit  trop  ,  Tarréta  malgré  lui ,  et  fut  l'oc- 
.casion  de  sa  perte.  On  assure  que  des  pres- 
sentimens  et  de  vives  inquiétudes  lui  annon- 
çoient  un  coup  fatal.  Plusieurs  historiens 
parlent  de  prédictions ,  de  présages  dont  le 
merveilleux  se  détruit  assez  de  lui-même. 

Ce   qu'il  y  a  de  trop  certain ,  c'est  que  '    ■      » 
le  meilleur  des  rois  fut  assassiné  au  milieu    '6io. 

1  1  \     p^  I         •  Henri  IV 

de  son  peuple ,  a   i  âge  de  cmquante-sept  assassaié, 
ans.  Ravaillac  mcditoit  depuis  long-temps 
Je  parricide.  Il  saisit  le  moment  oii  le  car- 
rosse de  Henri  IV  étoit  arrêté  par  un  em- 


^40  Henri  ÏV. 

barras  de  voitures  ,  et  lui  plongea  son  cou- 
teau dans  la  poitrine.  Ce  scélérat  ,  né  à 
Angouléme  ,  qui  avoit  été  novice  chez  les 
feuillans  de  Paris  ,  respiroit ,  comme  Jean 
Cliâtel ,  le  fanatisme  de  la  ligue.  Le  nom 
seul  de  huguenot  le  fàisoit  frémir  d'horreur , 
et  il  crut  expier  ses  crimes  par  le  martyre , 
en  égorgeant  un  héros  dont  quelques  in- 
sensés suspectoient  la  religion.  Il  soutint 
toujours  qu'il  n'avoit  point  de  complices. 
Effets  du  On  assure  que  c'étoit  au  moins  la  cin- 
fanatisme.qu3„j|^j^g  conspiration  contre  Henri  IV. 
Deux  dominicains  de  Flandre,  un  frère 
lai  sorti  de  chez  les  capucins  de  Milan , 
étoient  venus  exprès  pour  le  tuer ,  et  avoient 
été  punis  de  mort.  Ces  faits  ne  doivent  pas 
être  dérobés  à  la  connoissance  df^s  hommes. 
Ils  font  abhorrer  la  frénésie  du  faux  zèle; 
ils  font  aimer  les  vraies  maximes  de  l'évan- 
gile. Si  au  heu  d'échauffer  les  têtes  par  des 
invectives  atroces ,  ont  eût  prêché  la  dou- 
ceur et  la  charité  chrétienne  ,  qui  carac- 
térisent la  plus  sainte  des  religions  ,  auroit- 
on  vu  des  Poltrot,  des  Jacques  Clément, 
des  Jean  Châtel ,  àts  Ravailîac  ,  et  une  in- 
finité d'autres  ,  chercher  par  des  assassinats 
à  s'ouvrir  la  porte  du  ciel  ?  Les  calvinistes 
de  France  auroient-ils  allumé  les  feux  de  la 
guerre  civile  pour  se  soustraire  à  la  persé- 
cution, ou  pour  établir  la  réforme  sur  les 
fuines  de  la  monarchie }  Et  les  catholiques 


Henri  IV.  141 

d'Angleterre  auroient-ils  tente  en  i6o5  , 
de  faire  périr  Jacques  I ,  la  famille  royale 
et  tous  les  pairs  du  royaume ,  par  la  con- 
juration des  poudres  ?  Evénement  que  nous 
indiquons  ici ,  comme  une  nouvelle  preuve 
de  la  démence  fanatique  répandue  alors  dans 
toute  l'Europe.  Les  premiers  chrétiens  ,  qui 
ne  méloient  à  la  pureté  du  culte  et  de  la 
morale  ni  systèmes  contentieux ,  ni  pratiques 
bizarres  et  arbitraires,  fiirent  les  plus  doux  , 
les  plus  patiens ,  les  plus  soumis  de  tous  les 
hommes.  Avons -nous  d'autres  vérités  à 
croire ,  d'autres  maximes  à  pratiquer  ? 


Partieula* 
Henri  IV  étant  un  modèle  pour  les  rois ,  Heur/ïv, 
le  but  de  cet  ouvrage  permet  d'ajouter  quel- 
ques traits  à  l'abrégé  de  son  règne.  «  Il  unit 
»  a  une  extrtme  franchise  la  plus  adroite 
»  politique ,  aux  sentimens  ks  plus  élevés 
»  une  simplicité  de  mœurs  charmante  ,  et 
»  à  un  courage  de  soldat  un  fond  d'hu-  Sa  bonté* 
»  manité  inépuisable  (Hénault)  ».  Tout 
en  lui  étoit  l'expression  de  sa  bonté  d'âme. 
Souvent  il  se  familiarisoit  avec  les  soldats  et 
avec  le  peuple ,  de  manière  à  n'en  étreque  plus 
respecté. Tantôt  assis  dans  un  corps-de-garde, 
il  mangeoit  un  morceau  de  pain  noir  pour 
inspirer  aux  troupes  la  patience;  tantôt  il 
consoloit  les  paysans  des  misères  causées 


ï42  Henri   IV. 

par  la  ligue  ,  en  leur  témoignant  qu'il  les 
partageoit  avec  eux. 
II  vouioit  ■    Sa  grande  ambition  ëtoit  de  rendre  heu- 
p'Jance  fût  <'^"x  ses  sujets.  Le  duc  de  Savoie  lui  de- 
heureuse.  mandant  un  jour  ce  que  la  France  pouvoit 
lui  valoir  de  revenu  :  elle  me  vaut  ce  que 
je  veux  ,  lui  dit-il  ;  oui  ce  que  je  veux  ; 
parce  qu'ayant  le  cœur  de  mon  peuple , 
j'en  aurai  ce   que  je  voudrai.    Si  Dieu 
me  donne  la  vie ,  je  ferai  qu'il  n'y  aura 
point  de  laboureur  en  mon  royaume  qui 
nait  rnoyen  d'avoir  une  poule  dans  son 
pot.   Et  si ^   ajouta-t-il  fièrement,  je  ne 
laisserai  pas  d'entretenir  des  gens  de 
guerre  pour  mettre  à  la  raison  tous  ceux 
qui  choqueront  mon  autorité. 
liproté-      Quelques  maisons  de  paysans  a voientë té 
paysan?    P^^^^^s  ^^  Champagne  par  âits  soldats.  Il  le 
sut,  manda  aussitôt  les  capitaines  qui  ëtoient 
à  Paris ,  et  leur  dit  d'un  ton  sévère  ;  partei^ 
en  diligence  ^  mette^-y  ordre;  vous  m'en 
réponde'^.  Quoi]^  si  on  ruine  mon  peuple  ^ 
qui  me  nourrira  ?  qui  soutiendra  les  char* 
ges  publiques  ?  qui  payera  vos  pensions  ^ 
messieurs  ?   Vive  Dieu  !  s'en  prendre  à 
mon  peuple ,  cest  s*en  prendre  à   moi» 
Paroles  où  Ton  reconnoît  le  grand  politi- 
que dans  le  bon  prince. 
II  se faisoit      H  étoit  l'ami  à^s^  ^officiers  ,  comme  le  père 
•fficTers!^''  du  peuple..  L'ambassadeur  d'Espagne  lui  té- 
moignant sa  surprise,  de  le  voir  en  quelque 


Henri   IV.  148 

sorte  assiégé  par  une  troupe  de  gentilshom- 
mes :  si  vous  rnaviei  vu  un  jour  de  ba- 
taille y  lui  dit-il ,  ils  me  pressent  Bien  da- 
vantage. Un  jour ,  en  présence  des  grands 
de  la  cour  et  des  ministres  étrangers ,  met- 
tant la  main  sur  fépaule  de  Grillon  t  Mes- 
sieurs ,  dit-il ,  voilij  le  premier  capitaine 
du  monde.  Grillon  répliqua  avec  sa  naïveté 
militaire  :  vorts  en  ave^  menti ,  sire  ,  cest 
vous.  Un  tel  démenti  avoit  de  quoi  char- 
mer le  héros ,  plus  sensible  à  l'expression  in- 
génue du  sentiment ,  qu'aux  serviles  adula- 
tions de  la  bassesse. 

Cette  bonté  ne  dégénéroit  point  en  "ne.^j1[j^^2j^^« 
molle  complaisance.  Il  savoit  refuser  à  pro- 
pos ,  et  faire  goûter  la  justice  de  ses  refus. 
Un  hom.me  de  condition  lui  demandoit 
grâce  pour  son  neveu ,  coupable  d*un  meur- 
tre. Sa  réponse  est  celle  d'un  bon  prince  qui 
voudroit  pardonner  ,  et  qui  ne  peut  s'em- 
pêcher de  punir  :  je  ne  puis  accorder  ce 
que  vous  demande^.  Il  vous  sied  bien 
de  faire  Fonde  ,  et  xï  moi  de  faire  le  roi, 
J'' excuse  votre  requête  \  excuse^  mon  refus. 

Il  est  surprenant  qu'un  roi  si  guerrier  ait  Noblesse 
supprimé  en  1 600  la  noblesse  qui  s'acqué-  ^/ppiiméc 
roit  par  la  profession  des  armes  ,  comme 
Henri  III  avoit  supprimé  celle  que  don- 
noit  la  possession  des  fiefs.  Les  services 
militaires  avoient  un  droit  particulier  à  sa 
reconnoissance.  Mais  on  doit  observer  que 


144  .Henri  IV. 

la  profession  des  armes  suffisant  pour  faire 
un  gentilhomme ,  sans  lettres  du  roi ,  il  en 
résultoit  clés  inconvéniens  auxquels  Henri 
cherchoit  à  remédier.  En  supprimant  les 
abus ,  on  ne  peut  pas  toujours  y  substituer  de 
bonnes  lois.  Louis  XV  ,  par  son  ëdit  de 
1760  ,  a  exité  l'émulation  des  officiers  avec 
la  plus  grande  sagesse. 
Son  régne      Si  Henri   IV    prodigua  quelquefois   ks 

glor  eux ,         A  \     t  •  1    •  •  ' 

malgré  des  grâces  a  des  seigneurs  mal  mtentionnes  , 
•  et  récompensa  moins  généreusement  les  ser- 
vices de  ses  fidèles  capitaines  ;  s*il  établit  la 
Pauhtte  5  sorte  d'imposition  qui  conserve 
dans  hs  familles  les  charges  qu'on  devroit 
donner  au  mérite  ;sMlaissasubsister  beaucoup 
de  mauvaises  coutumes  ;  s'il  ne  fit  pas  tout 
le  bien  qu'il  méditoit  et  qu'il  auroit  pu  faire 
en  d'autres  temps  ,  ce  fut  moins  sa  faute 
que  celle  des  conjonctures.  Tout  étoit  à  ré- 
former ,  à  renouveler.  Mais  il  conquit  et  pa- 
cifia son  royaume  ;  il  étouffa  la  ligue  et  les 
guerres  de  religion ,  rétablit  Tordre  dans  les 
finances ,  se  fit  aimer  des  François ,  et  res- 
pecter des  puissances  étrangères  ;  il  régna 
enfin  glorieusement ,  malgré  tant  d'obsta- 
cles, taiU  de  désordres,  et  tant  d'ennemis, 
-C'est  un  prodige  auquel  il  n'y  a  presque 
rien  de  comparable  dans  l'histoire. 
Zèle  pour      Un  des  grands  objets  de  sa  politique, 

i^a^gncui-  conformément  aux  principes  de  Sulli ,  étoit 
de  vivifier  les  provinces  par  le  moyen  de  la- 


Henri  IV.  Ï45 

griculture ,  la  source  des  véritables  richesses  ; 
la  liberté  du  commerce  des  grains  y  con- 
tribua beaucoup  ,  comme  il  est  arrivé  en 
Angleterre.  Ennemi  du  luxe ,  qui  a  tou- 
jours plus  d'inconvéniens  que  d*avantages, 
mcme  dans  une  vaste  monarchie  ,  le  roi  le 
décréditoit  par  son  exemple  et  par  ses  dis- 
cours. Il  invitoit  les  seigneurs  à  se  retirer 
dans  leurs  terres ,  leur  apprenant,  dit  Péré- 
fixe,  ^ue  le  meilleur  fonds  qii'on  puisse 
faire  est  le  bon  ménage.  Il  railloit  ceux 
qui  portaient  leurs  moulins  et  leurs  bois 
de  haute  futaie  sur  leur  dos  (c'est  une 
des  expressions  naïves  de  ce  grand  roi  )• 
La  simplicité  de  ses  habits  étoit  une  assez 
bonne  leçon. 

Il  fit  défendre  de  porter  ni  or  ni  argent  Edit contra 
111-  /  •   1-      1  \  le  luxe, 

sur  les  habits ,  excepte  pourtant  (  dit-il  ) 

aux  filles  de  joie  et  auxfiloux^  en  qui  nous 
ne  prenons  pas  asseï  d'intérêt  pour  leur 
faire  Chonneur  de  donner  notre  atten^ 
tion  /}  leur  conduite.  Si  ce  tour  paroît  peu 
digne  de  la  gravité  des  lois  ,  du  moins  étoit- 
il  propre  à  inspirer  du  mépris  pour  des  vanités 
ruineuses.  Sulli  avoit  pour  maxime  :  Que 
les  bonnes  moeurs  et  les  bonnes  lois  se 
f()rment  réciproquement.  Le  peu  de  fruit 
des  lois  mêmes  les  plus  sages  confirme  mal- 
heureusement cette  maxime. 

Tandis  que  le  gouvernement  s'appliquoit 
aux  moyens  de  détourner  sur  les.  campagnes 


1^6  îiENRI    IV. 

L'Améri- des' dépenses  qui  appauvrissent  ailleurs,  et i 
ava^ntagèu- dont  la  terre  dédommage  avec  usure,  la  soifl 
griculture"  ^^  ^'^^  '  excitée  par  l'exemple  des  Espagnols 
et  des  Portugais ,  attiroit  quelques  François 
en  Amérique.  Mais  l'établissement  du  Canada 
fait  en  1 604  peut-il  être  regardé  comme  un 
avantage  ?  L'expérience  n'a  que  trop  décide 
cette  question.  Les  mines  du  Pérou  et  du 
Mexique  ne  valoient  pas  même  pour  l'Es- 
pagne ce  qu'elleauroittiré  de  son  propre  fonds 
en  le  cultivant.  Avec  tant  de  trésors ,  Phi- 
lippe II  fit  banqueroute.  «  L'Espagne,  dit 
»  Montesquieu ,  a  fait  comme  ce  roi  in- 
»  sensé  qui  demanda  que  tout  ce  qu'il  tou- 
»  cheroit  se  convertît  en  or ,  et  qui  fut 
•  »  obligé  de  revenir  aux  Dieux  pour  le  prier 
»  de  finir  sa  misère  »  (  Koyei  l'Esprit 
des  lois  XXI,  22).  Henri  IV^ ,  éclairé 
par  Sulli ,  tendoit  au  solide.  Il  parvint  à 
son  but  ,  puisqu'en  soulageant  le  peuple  , 
il  rétablit  les  finances. 
Attache-  Depuis  son  abjuration  ,  il  parut  toujours 
Sfc'!*^^   '''sincèrement  attaché  à  l'éirlise.  Le  clerg-é  1 


glisc. 


Ul 


ayant  fait  des  remontrances  en  1698  sur 
divers-  abus ,  spécialement  dans  la  nomina- 
tion des  bénéfices ,  il  répondit  que  ces  abus 
étoient  réels  ,  qu'il  les  avoit  trouvés  établis , 
qu'il  espéroit  les  réformer  ,  et  remettre  l'é- 
Avis  auglise  dans  un  état  florissant.  Mais  ^  ajouta-t- 
^  ^^^^'  il ,  contribuei-y ,  je  vous  prie  ,  de  votre 
côté.  Faites  par  vos  bons  exemples  que 


Henri  IV.  14/ 

te  peuple  soit  aussi  incité  à  bien  foire  ^ 
quil  en  a  été  ci-devant  détourné.  Vous 
mave\  exhorté  de  mon  devoir  ;  je  vous 
exhorte  du  vôtre.  Faisons  bien  à  Venvi 
les  uns  des  autres.  Malheureusement ,  il 
ne  trouva  pas  toujours  dans  les  ecclésias- 
tiques cet  amour  de  la  vertu  ,  qui  réussit 
mieux  par  l'exemple  que  par  les  paroles  ;  et 
il  disoit  quelquefois  ;/V  voudrois  bien  faire 
ce  quils  prêchent  ;  mais  ils  ne  pensent 
pas  que  je  sache  ce  quils  font,  II  ëtoit 
réservé  au  siècle  de  Louis  XIV  d'épurer 
les  mœurs  du  clergé ,  comme  de  polir  celles 
de  la  nation. 

Quant  aux  calvinistes ,   sa  modération   Conduite 
et  sa  fermeté  arrêtèrent,  non  sans  peine , verf  fés' 
le  cours   de  leurs   cabalts.  Un  jour  qu'ils '^'^-^"^"^" 
lui  demandoient  des  places  de  sûreté  ,  di- 
sant qu'ils  en  avoient  bien  obtenu  du  feu 
roi  ;  je  suis  ,  leur  répondit-il,  la  seule  as- 
surance  de  mes   sujets  ;  je  n^ai  encore 
manqué  de  foi  ù  personne,    Henri  III 
vous  craignoit ,  et  ne  vous  aimoit  point ^ 
mais  moi  je  vous  aime  ,  et  ne  vous  crains 
guère.  Son  système  étoit  de  gagner  les  es- 
prits par  la  douceur.  Il  en  donnoit  la   rai- 
son :  c'est  qu'on  prend  plus  de  mouches 
avec  une  cuillerée  de  miel  qu'avec  vingt 
tonneaux  de  vinaigre. 

On  lui  reproche  avec   justice  un   excès  pQijjjgjjg, 
-w  passion  pour  les  femmes  et  pour  le  jeu.  ^e  He»n. 


t4Ï  Henri  IV. 

Voilà  les  taches  d'une  si  belle  vîe.  Il  est 
si  rare  de  trouver  de  grandes  vertus  sans 
quelque  mélange  de  vice  !  Heureux  les  peu- 
ples lorsqu'un  prince  fait  ainsi  oublier  ses 
fautes  par  l'huma  ni  té  ,  la  justice  ,  par  la 
gloire  de  son  gouvernement  !  Henri  IV 
eut  six  enfens  de  Marie  de  Médicis  ,  et 
huit  de  différentes  maîtresses  ,  outre  ceux 
qu'il  n'avoua  point.  Toute  la  France  pleura 
sa  mort.  Les  troubles  dont  elle  fut  bientôt 
agitée  firent  encore  mieux  sentir  le  malheur 
de  l'avoir  perdu. 
I^rotectlo!!      Ce  ^rand  roi  ,  avec  beaucoup  d'esprit 

accordée  j»  /i  .     ^        \        /    T.  . 

auxgciisUeet  Q éloquence ,  ne  pouvoit  être  msensible 
ettf€j.  g^  g^^ A^  jg^  lettres ,  quoique  l'agitation  per- 
pétuelle de  sa  vie  ne  lui  permît  pas  de  les 
cultiver.  En  1699,  ^^^  professeurs  du  col- 
lège royal ,  qu'on  cessoit  depuis  long-temps 
de  payer ,  lui  présentèrent  leur  requête.  Tes^ 
time  mieux  ,  dit-il ,  quon  diminue  de 
ma  dépense  et  quon  ote  de  ma  table 
pour  en  payer  mes  lecteurs  :  M,  de  Rosni 
les  payera.  Rosni  ajouta  :  Les  autres  vous 
ont  donné  du  papier^  du  parchemin ,  de 
la  cire  ;  le  roi  vous  a  donné  sa  parole  , 
et  moi  je  vous  donnerai  de  l'argent»  La 
bibliothèque  royale  doit  beaucoup  au  zèle 
de  Henri  IV  pour  le  progrès  des  connois- 
sances  humaines. 
d^'régfise  Sous  ce  règne  parut  le  fameux  Traité 
Gallicane.  ^^^  Libertés  de  CEglisc  Gallicane ,   ou* 

vrage 


Henri  IV.  149 

Trage  de  Pierre  Pithou  ,  qui  a  presque 
force  de  loi  dans  le  royaume.  Les  maximes 
en  sont  si  évidemment  fondées  sur  les  pre- 
miers principes  de  la  raison ,  et  sur  les  an- 
ciennes règles  du  gouvernement  ecclésias- 
tiques ,  qu'il  a  fallu  des  siècles  d'usurpation 
et  d'ignorance  pour  en  effacer  la  trace.  LV/z- 
éex  de  Rome  a  proscrit  \ts  meilleurs  ou- 
vrages en  ce  genre,  mais  aujourd'hui  que 
les  princes  et  les  peuples  sentent  la  nécessité 
de  s'instruire ,  il  n'est  plus  possible  de  leur 
ôter  les  moyens  de  connoître  ce  qu'il  est  si 
dangereux  d'ignorer.  Pithou  et  d'autres 
savans  jurisconsultes  du  temps  de  la  ligue  Juriscon- 
ont  rendu  de  grands  services  aux  nations,  ks. 
S'ils  n'avoient  pas  toute  la  philosophie  né- 
cessaire pour  bien  saisir  l'esprit  des  lois  , 
ils  avoient  assez  d'érudition  et  de  lumières 
pour  dissiper  beaucoup  d'erreurs  et  pour  pré- 
parer les  matériaux  d'une  meilleure  légis- 
ïitiorL. 


LOUIS    XIII. 
ES  que  le  bruit  de  l'assassinat  de  Henri 


D 

IV   eut  pénétré  jusqu'au  Louvre  ,  la  reine    1610. 
Marie   de   Médicis    sortit    de  son  cabinet  jviéd[cîs'^® 
toute  éolorée  5  et  dit  au  chancelier  de  Sil-r^seme» 
leri  qu'elle  reicontra  :  le  roi  et  mort  !  Ma^ 
dame  y  répondit-il  sans  marquer  d'émotion, 
votre  majesté  m'çxcuscra  ,  les  rois  ne 
Tome  m.  G 


i5o  Louis  XIII. 

meurent  point  en  France.  On  dissimuloit 
ce  malheur  pour  prendre  les  mesures  néces- 
saires. Louis  XIII  n'avoit  que  neuf  ans.  Il 
falloit 'pourvoir  à  la  régence.  Le  duc  d'E- 
pernon  ,  Tun  à^s  seigneurs  qui  avoit  le  plus 
remué  sous  le  dernier  règne  ,  courut  au 
parlement  pour  faire  nommer  la  reine  ré- 
gente. Il  s'assit  sur  le  banc  des  pairs ,  et 
portant  la  main  à  la  garde  de  son  épée  : 
elle  est  encore  dans  le  fourreau  ,  dit-il , 
mais  il  faudra  qu*elle  en  sorte ,  si  on 
n'accorde  pas  dans  Vinstant  à  la  reine 
mhe  un  titre  qui  lui  est  du  selon  Vor- 
dre  de  la  nature  et  de  la  justice.  Les 
conjonctures  demandoient  de  la  célérité  ; 
les  menaces  de  ce  duc ,  aussi  puissant  que 
hautain ,  firent  d'ailleurs  impression  sur  les 
magistrats  ;  et  la  reine  fut  déclarée  régente 
par  un  arrêt. 
Mauvais  On  vit  bientôt  naître  une  nouvelle  forme 
gouverne-  ^^  gouvernement  qui  annonçoit  la  déca- 
dence du  royaume.  La  reine  étoit  gouvernée 
par  le  Florentin  Concini ,  et  surtout  par 
Eléonore  Galigaï  sa  femme ,  occupés  uni- 
quement de  leur  fortune  ,  et  n'aimant  la 
France  que  pour  s'enrichir  de  ses  dépouilles. 
Le  conseil  étoit  une  assemblée  confuse  d'où 
il  ne  pouvoit  rien  sortir  de  salutaire.  Dans 
un  conseil  secret  qu'on  tenoit  à  heures  in- 
dues ,  étoient  admis  le  nonce  du  pape  ,  l'am- 
bassadeur d'Espagne,  Concini  et  sa  femme , 


Louis  XIII.  i5i 

le  P.  Cotton ,  etc.  On  abandonna  les  grands 
projets  de  Henri  IV.  Autant  il  avoit  à  cœur 
de  se  venger  de  la  cour  d'Espagne  ,  autant 
marqua-t-on  d'empressement  à  se  réconcilier 
avec  elle.  En  vaip  Sulli  s'efforça  de  soutenir 
Fhonneur  de  la  nation.  Un  traité  fait  avec  le 
duc  de  Savoie,  pour  l'aider  à  conquérir  le 
Milanès  ,  fut  honteusement  rompu ,  et  ce 
prince  obligé  de  demander  grâce  à  Phi- 
lippe III. 

Le  plus  grand  homme  d'état  qu'il  y  eût  Retraite 
alors ,  le  duc  de  Sulli ,  toujours  détesté  des  ^  "  ^* 
courtisans  et  des  financiers,  dont  il  avoit 
toujours  bravé  l'injustice  et  les  murmures; 
trop  fier  pour  changer  de  vues  et  de  senti- 
mens  au  gré  de';  la  nouvelle  cour ,  ne  tarda 
guère  à  perdre  tout  son  crédit.  Il  donna  la 
démission  de  ses  charges  ,  et  se  retira.  Rap- 
pelé quelques  années  après ,  parce  qu'on  avoit 
besoin  de  ses  avis ,  son  habillement ,  ses 
manières ,  qui  n'étoient  plus  à  la  mode  ,  le 
firent  tourner  en  ridicule  par  les  jeunes  cour- 
tisans. Il  en  fut  indigné.  Sire  ,  dit  il  alors  à 
Louis  XIII ,  quand  le  roi  votre  père  me 
f ai  soit  r  honneur  de  me  consulter^  au 
préalable  il  f  ai  soit  sortir  tous  les  bouf- 
fons et  baladins  de  cour,  Sulli  mourut  dans 
sa  retraite  en  1641.  De  tels  hommes  sont 
faits  pour  des  Henri  IV. 

Un  autre  personnage  illustre,  le  prési-  Leprési^  . 
dent  de  Thou,  aussi  grand  magistrat  qu'ex- Thou.^ 

G  1 


I5Î  Louis  XIII. 

cellent  historien ,  ne  put  succéder  à  son  pa- 
rent Achille  de  Hailal ,  dans  la  charge  de 
premier  président ,  parce  que  son  histoire 
avoit  blessé  la  cour  de  Rome.  C'est  un  des 
plus  mauvais  présages  pour  l'Etat ,  lorsque 
lé  mérite  reconnu  succombe  sous  le  poids 
des  préventions  et  de  la  brigue. 

■  ■      À  mesure  que  le  gouvernement  s'affoiblit 

1613.    et  dégénère,   les  factions  se  forment,  les 

tion"écia- niécontens  deviennent  audacieux.  L'esprit 

tenu  ^Q  révolte  que  Henri  IV  avoit  eu  tant  de 
peine  à  contenir ,  éclate  parmi  les  protestans 
et  jusques  au  sein  de  la  cour.  Henri  prince 
de  Condé ,  le  duc  de  Vendôme  et  le  grand 
prieur  de  France ,  fils  naturel  du  dernier  roi , 
le  jeune  duc  de  Mayenne  ,  les  ducs  de  Lon- 
gueville  ,  de  Guise  ,  de  Nevers ,  etc.  se  re- 
tirent tout  prêts  à  prendre  les  armes.  Le  duc 
de  Bouillon  souffloit  le  feu.  Il  excitoit  les 
princes  contre  le  marquis  d'Ancre,  Concini , 
ce  faquin  de  Florentin^  disoit-il,  qui  avoit 
l'insolence  de  les  opprimer.  Les  plaintes  con- 
tre le  favori  tomboient  indirectement  sur  la 
reine.  On  manquoit  de  force  et  de  prudence 
pour  vaincre  un  parti  si  redoutable.  Les  mé- 
contens  obtinrent  tout  ce  qu'ils  voulurent 
par  le  traité  de  Sainte-Menehould. 

j,i  I  I  -1  Un  des  principaux  objets  de  leurs  deman- 
1614-    des  étoit  la  convocation  des  états-généraux, 

eéftéraux.  ^^^  ^^  tmrent  à  Paris  ,  et  ne  produisirent  que 
ce  qu  avoient  souvent  produit  ces  assemblées 


Louis   XIII.  i53 

tumultueuses ,  beaucoup  de  disputes  et  des 
remontrances  inutiles.  Le  clergé  sollicita  vi- 
vement la  publication  du  concile  de  Trente  : 
le  tiers-état  eut  la  même  ardeur  à  s'y  oppo- 
ser,  et  fit  éclater  son  zèle  en   demandant 
qu'on  établît  en  forme  de  loi  ;  qu'aucune 
puissance  temporelle  ni  spirituelle  na 
droit  de  disposer  du  royaume  ,  et  de  dis- 
penser les  sujets  du  serment  de  fidélité  ; 
et  que  t opinion  qu'il  soit  loisible  de  tuer 
les  rois  est  impie  et  détestable.  Mais  le    Préven- 
clergë,  en  convenant  qu'il  n'étoit  pas  permis  c;^ïgél" 
de  tuer  les  rois,  s'éleva  contre  le  reste  de  la 
proposition  ,  et  entraîna  la  noblesse  dans  son 
sentiment.  Tel  étoit  encore  l'empire  de  ces 
-préjugés,  qui.  sont  devenus  enfin  méprisa- 
bles aux  yeux  des  François,  Le  cardinal  du 
Perron  parla  comme  un  zélé  ultramontain 
sur  la  puissance  temporelle  des  papes  :/7/f/>2e, 
pi  en  i  s  si  me ,  directe  au  spirituel ,  et  indi- 
recte au  temporel.  Il  eût  pensé  autrement 
dans  notre  siècle;  mais   comment  pouvoit- 
on  soutenir  alors  une  chimère  si  pernicieuse? 
Comment  la  cour  en  particulier  étoit-elle  Aveual?- 
assez   aveugle  ou    assez  lâche  pour  favo- ""^"^  ^  ^" 
nser    une   opinion  si  contraire  a  l  autorité 
souveraine  l  Elle  supprima  un  arrêt  du  par- 
lement par  lequel  l'indépendance  de  la  cou- 
ronne étoit  déclarée  loi  fondamentale  du 
royaume.  Les  états  présentèrent  des  cahiers 
amenscs  ;  on  promit  de  ks  lire  ;  on  congédia 

G3 


i54  Louis  XIII. 

rassemblée  sans  avoir  rien  fait.  C'est  la  der- 
nière de  cette  nature  qu'il  y  ait  eu  en  France. 
T  Le  parlement ,  pour  y  suppléer  ,  convo- 

i6tç.    qua  les  pairs  sous  le  bon  plaisir  du  roi ^ 
Démar-  ^fin  d'aviser  en  commun  sur  les  proposi- 
vàïiemtni.  tions  qui  seroient  pour  Le  service  du  roi  , 
le  soulagement  de  ses  peuples  et  le  bien 
de  rEtat,  Cet  arrêté  choque  la  cour.  On 
défend  aux  pairs  de  se  rendre  à  la  convoca- 
tion. Le  parlement  fait  des  remontrances  , 
et  insiste  sur  la  dissipation  du  trésor ,  dont 
il  restoit  peu  de  chose  ,  sur  l'augmentation 
»  des  dépenses  de  la  cour,  sur  une  infinité 

d'abus  funestes.    Il  ne  restoit  plus  que  deux 
millions  cinquante  mille  livres  du  trésor  de 
Henri  IV.  Les  pensions ,  qui  ne  montoient 
de  son  temps  qu'à  dix-huit  cents  mille  livres , 
passoient  déjà  quatre  millions.  La  dépense 
de  sa  maison  n'étoit  que  de  onze  cents  mille 
livres  :  on  en  dépensoit  cinq  cents  mille  de 
plus.  C*est  de  quoi  se  plaignoit  le  parlement. 
Ses  remon-      Tai  entendu  vos  remontrances ,  répond 
iont"'al    le  roi  déjà  déclaré   majeur,  ye   nen  suis 
reçues,      point  content  ;   la  reine  ma  mère  vous 
dira  le  surplus.  Un  arrêt  du  conseil  décide 
que  le  parlement  n'est  point  en  droit  de 
prendre   connoissance  des    affaires   d'état. 
Marie  de    Médicis   ordonne  au   procureur 
^.         général  Mole  de  porter  lui-même  CQt  arrêt. 

Discours  î'        »     „         .  ^^r     y  ^      V        J- 

de  Mole  à  Après  lavoir  suppliée  a  genoux  de  1  en  dis- 
la  reine.    ^^^^^^  ^  -j  j^-  ^-^ ,  ^^  Madame  ,  vous  nous 


Louis  Xlil.  i55 

»  faites  porter  un  flambeau  qui  allumera  un 
^»   feu  dont  ks  cendres  dureront  long-temps  ; 

>  nous  en  craignons  Tévénement  »,  Quel 
fv/nement;  reprit  la  reine?  Est-ce  que  le 
peuple  remuera  ?  «  Non  ,  Madame ,  répli- 
»  qua  Mole  ;  mais  nous  craignons  un  chan- 

•  gement  dans  Taffection  des  peuples ,  et  la 
»  désolation  ^ts  grandes  compagnies  du 
»  royaume  qui  exercent  la  justice  ,  laquelle 
»  fait  régner  les  rois  ».  Louis  XIII  coupa 
court  par  ce  mot ,  je  le  veux ,  et  la  reine 
aussi.  Cependant  larrét  du  conseil  fut  sans 
exécution ,  comme  les  remontrances  du  par- 
lement sans  effet. 

Le  prince  de  Condé  se  révolta  de  nou-  Contîuua- 

^  ,  ,1     9   •    tioM  des 

veau ,  et  engagea  les  protestans  ,  qu  il  n  ai-  troubles. 
moit  point ,  à  se  déclarer  pour  lui.  11  publia 
ses  intentions  dans  un  violent  manifeste  ,  où 
le  marquis  d'Ancre,  devenu  maréchal  de 
France ,  étoit  peint  des  plus  noires  couleurs. 
Les  mouvemens  des  rebelles  n'empêchèrent 
pas  la  reine  de  conduire  son  fils  jusqu'à  Bor- 
deaux, pour  recevoir  Anne  d'Autriche  ,  in- 
fante d'Espagne,  dont  le  mariage  avec  le 
roi  excitoit  depuis  long-temps  beaucoup  de 
murmures.  Une  paix  trompeuse  assoupit  la 
guerre  civile.  Le  prince  revint  avec  l'espé-  .** 

rance  de  dominer.  On  le  fit  arrêter  au  mi-  on  arrêre 

lieu  du  Louvre  par  Thémines ,  qui  reçut  en  jf  vxn^ct 

I     w  !  /  ,     1    TT  de  Coude, 

recompense  le  bâton  de  maréchal.  Un  mo- 
ment avant  qu'on  le  saisît ,  le  roi  lui  avoit 

G4 


^55  Louis  XIII. 

dit  d'un  aîr  de  gaieté  :  bon  jour ,  monsieur 
le  prince.  Je  vais  à  la  chasse  ;  en  voulei- 
vous  être  ?  Le  garde  des  sceaux  du  Vair , 
le  président  Jeannin,  et  Villeroi,  ministres 
en  crédit ,  n'approuvant  point  la  conduite 
de  la  reine ,  furent  sacrifiés  à  la  maréchale 
Richelieu.  d'Ancre  ;  et  Richelieu  ,  évéque  de  Luçon  , 
sa  créature,  fut  nommé  secrétaire  d'état. 
Son  ambition  aspiroit  depuis  long-temps  au 
ministère.  Il  étoit  né  pour  avoir  les  plus 
grands  succès. 
^1  On  voyoit  déjà  la  quatrième  guerre  civile 

1617.    allumée  sous  ce  règne,  par  le  mécontente- 
ç.^°;'','i^®ment  àt%  princes  et  des  seigneurs.  Le  mare- 
maréchal  chai  d'Ancrc  offrit  de  soudoyer  à  ses  frais 
une  armée  de  sept  mille  hommes ,  lui  qui 
peu  auparavant  n'avoit  pas  de  quoi  payer  un 
domestique.  Sa  fortune  justifioit  assez  les  cris 
du  public;  mais  elle  ne  pouvoit  se  soutenir 
contre  tant  d'orages.  La  chute  de  l'Italien  fut 
aussi  étrange  que  son  élévation.  Les  princes 
n'avoient  encore  pu  le  renverser  ;  le  jeune 
Luynes  de  Luynes  en  vint  à  bout.  Ce  gentilhomme,. 
^euî"d/sà"^  dans  le  Comtat,  avoit  été  page  de  Henri 
disgrâce,    jy  ^  gj  s'étoit  insinué  dans  \^s  bonnes  grâces 
de  Louis  XIII ,  en  lui  dressant  des  oiseaux  de 
proie.  Sa  faveur  augmenta  de  jour  en  jour. 
Maître  de  la  confiance  du  roi ,  dont  l'âme 
foible  se  laissa  toujours   gouverner ,  il  lui 
inspira  l'envie  de  se  tirer  de  la  tutelle  d'une 


Louis  XIII.  157 

mère  qui  rëgnoit  sous  son  nom  ,  et  lui  per- 
suada de  commencer  par  se  défaire  du  maré- 
chal qui  exerçoit  toute  Tautorité  de  la  reine, 
Vitri ,  capitaine  des  gardes  du  corps  ,  fut 
chargé  de  Tarréter ,  avec  ordre  de  le  tuer  en 
cas  de  résistance.  On  eut  soin  d'interpréter 
cet  ordre  de  manièie  que  Concini  n'échappât 
point  à  la  mort.  Il  reçut  des  coups  de  pistolet 
en  entrant  au  Louvre. 

Vitri  se  mit  aussitôt  à  crier  vive  h  ro;.  Grande? ré- 

L.,  »    1     r     A^  ^  ^  /       •  compense 

OUÏS  parut  a  la  tenctre  ,  et  témoigna  son  pour  une 

contentement.  Ce  capitaine  des  2;ar des  futl^-lV,^^  ^^* 
hDnoré  du  bâton  ce  maréchal  de  France. 
C'est  avilir  les  grandes  places  que  de  les  don- 
ner pour  de  petites  causes.  Aussi  le  duc  de 
Bouillon  ,  en  parlant  de  Vitri  et  de  Thémi- 
nes ,  assura ,  dit-on  ,  qu'il  rougissoit  d'être 
maréchal  depuis  que  cette  dignité  étoit  la 
récompense  du  métier  de  sergent  et  de  celui 
(l'assassin.  Depuis  long- temps  les  maréchaux  Maréchaux 
de  France  commandoient  les  armées  sous  le  ^    ^*^"^'^* 
connétable.  Leur  office  étoit  d'abord  amo- 
vible; il  n'y  en  avoit  que  deux  à  la  fois. 
François  I  en  créa  quatre  ,  et  régla  qu'ils  le 
seroient  à  vie.  Le  nombre  n'en  a  plus  été  fixe 
depuis  son  règne. 

A  peine  Concini  fut-il  mort ,  que  la  reine    ?-^  ""^'"s 

\  .         .  .  ,  T  *  niere  réle- 

mere  se  vit  prisonnière  au  Louvre ,  et  en-  guée. 
suite  réléguée  a  Blois.  Son  fils  montra  autant 
de  dureté  pour  elle  qu'il  avoit  eu  jusqu'alors 
(le  soumission,  La  maréchale  d'Ancie  pou- 

G6 


i5g  Louis  XIIÎ. 

Procès  de  voit  être  renvoyée  en  Italie;  nulle  raison 
•haie  "  d'état  n*obligeoit  à  la  poursuivre ,  et  Thuma- 
d'Ancre,  j^j^^  sembloit  parler  en  sa  faveur.  Cependant 
on  ordonna  au  parlement  de  lui  faire  son 
procès.  La  sorcellerie  et  la  magie  furent  un 
des  principaux  chefs  d'accusation.  Elle  et  sor^ 
mari  avoient  effectivement  attiré  nombre  de 
ces  imposteurs  qui ,  sous  le  nom  d'astrolo- 
gues et  de  devins ,  abusoient  encore  de  la 
crédulité  des  grands  (i).  Mais  interrogée 
par  le  commissaire  du  parlement,  de  quel 
charme  elle  s'étoit  servie  pour  fasciner  la 
rein«  mère ,  elle  répondit  ;  de  r ascendant 
qu'un  esprit  supérieur  a  toujours  sur  un 
esprit  foible»  La  reine  a  si  peu  d'esprit,  di- 
soit-elle  quelquefois  ,  qu'il  ne  faut  pas  être 
sorcière  pour  la  gouverner.  Le  parlement  la 
déclara  criminelle  de  lèse-majesté  divine  et 
humaine ,  sans  spécifier  la  nature  du  dernier 
crime.  Elle  fut  exécutée  sur  l'échafaud ,  et 
son  corps  jeté  au  feu. 
Lnynes  Tant  de  richesses  accumulées  en  vendant 
Séyouilks!  toutes  les  grâces ,  faisoient  sans  doute  son 
plus  grand  crime.  On  en  vouloir  à  ses  biens 
et  à  ceux  du  maréchal.  Le  roi  donna  leur 

(  I  )  Le  prince  de  Condé  ,  dans  son  manifeste  , 
accusa  le  maréchal  d'avoir  appelé  à  Paris  et  à  la 
cour  des  personnes  déustables  envers  Dieu  et  envers 
les  horrmés ,  comme  juifs ,  magiciens  ,  empoisonneurs  y 
meurtriers ,  par  le  ministère  desquels  on  avait  fait  plu- 
rieurs  entreprises  contre  sa  vie. 


\ 


Louis  XIII.  159 

dépouille  à  son  favori.  Luynes  devint  tout-a- 
coup  un  des  plus  riches  seigneurs  du  royaume. 
Aussi  ëpousa-f-il  une  Rohan  ,  pouvant  aspi- 
rer à  tout ,  sous  un  maître  dont  il  dictoit  ks 
volontés. 

Pour  couvrir  ses  intrigues  d'une  apparence  ■ a 

de  zèle  ,  il  engagea  Louis  Xlll  à  convoquer  1618. 
une  assemblée  de  notables  à  Rouen ,  où  l'on  de^iSSea! 
délibéreroit  sur  les  moyens  de  réformer  les 
abus.  Cette  assemblée  n'étoit  qu'un  prétexte 
honnête  de  continuer  les  impôts.  Elle  pro- 
posa de  beaux  réglemens ,  auxquels  on  n'eut 
point  égard.  L'unique  fruit  qu'en  retirèrent 
les  peu  pies ,  fut  la  suppression  de  /a  Paulette^ 
par  un  édit  qui  fut  révoqué  trois  ans  après. 

Luynes  avoit  fait  cesser  la  guerre  civile  —  -    *^ 
en  faisant  périr  Concini  ;  mais  il  avoit  suc-    '^/9' 
cédé  à  la  haine  qu'on  lui  portoit ,  en  succé-  de  Uxqï^,^ 
dant  à  sa  fortune  qui  le  rendoit  odieux  ;  et  h  '"^'^*' 
paix  ne  pouvoit  se  maintenir  avec  un  mé- 
contentement général.  Le  fier  duc  d'Epernon 
conspire  avec  la  reine  mère;  elle  s'évade  de 
Blois  ,  et  le  suit  à  Angouleme.  Ils  écrivent  au 
roi  àts  kiiTQS  pleines  de  soumission  ,    en 
même  temps  qu'ils  lèvent  des  troupes  pour 
lui  résister.  Cette  guerre  finit  par  un   ac- 
commodement honteux.  On  donne  à  ia  reine 
le  gouvernement  d'Anjou,  au  lieu  de  celui 
de  Normarfdie;  le  duc  d'Epernon,  quoique 
crunmel  de  lèse-majesté  ,    cop'     vc  toutes 


^6o  Louis  XIIL 

ses  charges ,  et  triomphe  en  quelque  ma*^ 
nière  du  souverain. 

eom"é  "a"        Cependant  la  fortune  de  Luynes  franchis- 

We.  soit'tous  les  obstacles.  liétoit  déjà  duc  et 

pair,  maréchal  de  France  ;  on  ne  doutoit 
pas  qu'il  n'obtînt  aussi  la  charge  de  conné- 
table 5  vacante  par  la  mort  de  Henri  de 
Montmorenci.Le  duc  de  Mayenne  eut  beau 
dire,  qu'il  seroit  fort  étonnant  qu'on  fit 
connétable  un  homme  ^uî  ne  sayoit  pas  ce 
que  pesoit  une  épée ,  la  qualité  de  favori 
suppléoit  à  tout ,  et  Luynes  obtint  bientôt 
l'épée  de  connétable,  11  avoit  procuré  là 
délivrance  du  prince  de  Condé ,  espérant  de 
s'en  faire  un  appui  contre  les  jaloux.  Ce 
prince  n'oublia  plus  son  devoir  ;  mais  les 
factions  se  ranimèrent. 
Nouvelle      De  toutes  parts  les  mécontens  se  rendoient 

fevoite.  2upj.^5  jg  j^  xQxxit  mère ,  qui  tenoit  sa  cour 
à  Angers  ,  et  qui  refusoit  de  revenir  à  Paris. 
Le  fils  et  la  mère  reprirent  \ts  armes  l'un  con- 
tre l'autre.  Un  nouvel  accommodement  parut 
rétablir  la  tranquillité.  Ce  fut  en  partie  Tou- 
Richeiieuvrage  de  Févéque  de   Luçon ,    Richelieu, 

?reait.'^'^"^0"^  ^^  fortune  s'avançoit  rapidement.  Re- 
légué loin  de  la  cour  et  même  de  son  dio- 
cèse après  la  chute  de  Concini ,  il  avoit 
affecté  dans  sa  retraite  de  faire  des  livres  de 
dévotion  en  épiant  l'occasion  de  se  relevé* ,. 
La  reine  mère  ayant  eu  besoin  de  lui  ^  il  s'é- 
\«si\  rendu  le  maître  de  son  conseil  à  force 


20. 


Louis  XIII.  16^ 

de  politique  et  de  génie.  On  croit  qu'il  traita 
secrètement  avec  Luynes  pour  moyenner 
raccommodement ,  et  que  le  favori  le  gagna 
en  lui  promettant  le  chapeau  de  cardinal. 
Richelieu  servoit  du  moins  l'Etat  en  même 
temps  qu'il  travailloit  pour  lui-même. 

Ces  petites  guerres  civiles ,  presque  aussi- *= 
tôt  finies  que  commencées  ,  n'avoient  rien     '^ 
produit  de  considérable.  La  diversité  dere-de  f-.ire  la 
ligion  en  alluma  déplus  opiniâtres  et  de  plus  ^llfy-jfistes 
sanglantes.  Les  zélés  catholiques  souffroient 
impatiemment  la  liberté  que  1  edit  de  Nantes 
procuroit  aux  calvinistes.  Ceux-ci,  avec  un 
zèle  aussi  ardent ,  irrité  encore  par  la  dé- 
fiance,  cabaloient  pour  se   maintenir  dans 
leurs  privilèges.  Louis  XIIÏ  leur  avoit  enlevé 
les  biens  ecclésiastiques  du  Béarn ,  dont  ils 
étoient  depuis  soixante  ans  en  possession  ;  et 
quoiqu'il  se  fut  obHgé  à  leur  donner  féquiva- 
lent  des  revenus  sur  ses  domaines  (obliga- 
tion digne  d'un  si  mauvais  gouvernement  ) , 
leur  résistance  n'en  étoit  pas  moins  opiniâ- 
tre. Il  avoit  soutenu  de  sa  présence  cet  acte 
d'autorité  ,  auquel  le  parlement  de  Pau  s'op- 
posa en  vain.  L'inquiétude  des  religionnaires 
ne  se  bornoit  point  à  de  stériles  murmures. 
Leurs    assemblées    séditieuses  annonçoiei:tt 
une  révolte,  lis  formèrent  à  la  Rochelle  le 
projet  de  changer  la  France  en  république. 
Le  nouveau  connétable  se  flatta  de  les  écra- 
ser ,  et  la  guerre  fut  résolue. 


i62  Louis   XIII. 

Dupiessis-  Duplessis-Mornai ,  gouverneur  de  Sau- 
trompïpar  ^ur ,  l'une  de  leurs  plus  importantes  places 
la  cour,  ^g  sûreté  ,  n  entroit  point  dans  la  rébellion. 
Le  roi  se  rend  à  Saumur.  On  propose  à 
Mornai  de  remettre  son  gouvernement  pour 
cent  mille  écus  et  pour  le  bâton  de  maré- 
chal. Il  répond  fièrement  qu'il  n'a  tenu  qu'à 
lui  d'avoir  des  millions  ;  qu'il  a  été  plus  ja- 
loux de  mériter  les  charges ,  que  de  les  ob- 
tenir ,  comme  tant  d'autres  ,  par  des  impor- 
tunités  et  des  bassesses  ;  et  qu'il  ne  peut  se 
résoudre  à  vendre  la  liberté  et  la  sûreté  de 
ses  concitoyens ,  dont  il  se  trouve  respon- 
sable. Le  roi  lui  ordonne  cependant  de 
remettre  la  place  pour  trois  mois  entre  les 
mains  d'un  autre.  Il  obéit  ;  il  ne  put  jamais 
y  rentrer. 
■  Le  chef  des  calvinistes  étoit  le  duc  de 

1621.  Rohan  ,  attaché  par  conviction  à  leur  parti  , 
Rotcln'; '^^  très-capable  de  le  soutenir  par  ses  qualités 
j|jtue,iots. supérieures.  Le  duc  de  Soubise  son  frère, 
sommé  de  rendre  Saint-Jean  d'Angeli ,  ré- 
pondit par  ce  billet  :  je  suis  trh-humhU 
serviteur  du  roi  ;  mais  V exécution  de  ses 
commafidemens  n'est  pas  en  mon  pou- 
voir, La  ville  capitula.  Montauban  fut  as- 
siégé par  Louis  Xllï  en  personne,  Rohan 
s'y  étoit  rendu  pour  animer  le  courage  des 
calvinistes.  Vous  are{  juré ^  leur  dit-il, 
r union  des  églises  en  ma  présence.  Ce 
serment  est  sacré -,  vous  dcyei  le  garder 


Louis  XIII.  163 

inviolahUment,  Quand  il  n'y  aurait  que 
deux  personnes  de  la  religion  ,  je  serai 
un  des  deux.  Mes  maisons  et  mes  reve- 
nus sont  saisis  ;  mais  lépée  et  la  vie  me 
restent ,  et  j'emploierai  l'une  et  Vautre 
pour  votre  défense.  Il  tint  parole. 

En  vain  le  connétable   son  allié,   dans. i-e roi i^ve 

r'  VI  1    •        •>  rr  le  siège  de 

une  conierence  qu  il  eut  avec  lui,  s  errorca Montau» 
de  ménager  un  accommodement  ;  le  duc  , 
peu  sensible  à  l'intérêt  particulier ,  vouloit 
une  paix  générale.  On  continua  le  siège. 
Hommes  et  femmes  combattoient  sur  les 
remparts  avec  une  ardeur  invincible,  tandis 
que  les  chefs  de  l'armée  royale  ne  s'enten- 
doient  pas  entre  eux,  que  Lesdiguières  n'étoit 
point  écouté ,  et  que  Luynes  commandoit 
mal ,  faute  d'expérience.  Le  duc  de  Mayenne 
fut  tué  au  siège  de  Montauban ,  le  roi  eut 
la  honte  de  décamper ,  et  le  succès  enfla 
le  courage  des   rebelles. 

Lesdiguières  s'étoit  exposé  aux  plus  grands  Bmvoure 
périls.  On  le  blâmoit ,  on  l'accusoit  de  témt -  gui^/es!'' 
rité.  Bon  ,  dit-il ,  /7  y  a  soixante  ans  que 
les  mousquetades  et  moi  nous  nous  con- 
naissons ;  ne  vous  en  metteipas  en  peine, 
La  valeur  ctoit  souvent  poussée  à  cet  excès. 

Il  auroit  fallu  quelque  entreprise  mémorable    Mort  de 
pour  effacer  l'affront  que  Louis  avoit  reçu^"^""* 
devant    iMontauban.    On  se  contenta  d'as- 
siéger la  petite  ville  de  Monheur.  C'est  laque 
Luyi.esfjt  attaqué  d'une  fièvre  maligne  dont 


ï64  Louis  XIIL 

il  mourut  ,  âgé  de  quarante- trois  ans.  lî  i 
ëtoit  tout  à  la  fois  connétable  et  garde  * 
des  sceaux.  Personne  n'eut  tant  d'adresse 
du^rof'^^^^  profiter  de  la  faveur.  Le  monarque  sen- 
toit  déjà  qu'il  s'étoit  donné  un  maître.  Le 
voyant  arriver  un  jour  avec  un  cortège  fas- 
tueux ,  il  avoit  dit  à  un  seigneur  :  Voyc\ , 
cest  le  roi  qui  entre.  Mais  peut-être  n'au- 
roit-il  jamais  eu  la  force  de  rompre  ses  chaî  • 
nés.  Il  se  plaignoit ,  et  ne  savoit  pas  ré- 
gner. Aussi  vaillant  que  Henri  IV  ,  il  man- 
quoit  de  cette  vigueur  de  caractère  et  de  ce 
courage  d'esprit ,  qui  font  les  grands  hom- 
mes et  les  vrais  héros.  La  campagne  sui- 
vante lui  procura  la  gloire  dont  il  étoit 
le  plus  jaloux.  Il  s'exposa  aux  dangers ,  et 
affronta  plusieurs  fois  la  mort. 
u"  Le  maréchal  de  Lesdiguières ,  si  célèbre 

1622.    par  ses  exploits  ,  le  servit  en  qualité  de  con- 
J;*;^cifj\'j|l  nétable ,  ayant  enfin  sacrifié  sa   religion  à 
table.       5a  fortune  ;  car  1  epée  de  connétable  ne  se 
donnoit  qu'aux  catholiques.   Louis  XIII  , 
après  diverses  expéditions  en  Poitou  et  en 
Saintonge  ,  assiégea  Montpellier.  C^iiQ  ville 
se  défendoit  comme  Montauban  ^  et  parois- 
soit  résolue  aux  dernières   extrémités.  On 
Paixavan-^^gocia.   La  paix    se  fit  à  Aqs  conditions 
tageuse  .avantageuses  pour  les  huguenots.  Ils  obtin- 
nistes.       rent  la  confirmation  de  l'édit  de  Nantes  et 
de  tous  leurs  privilèges.   Le  roi  ne  devoit 
er^trer  dans  Montpellier  qu'avec  ses  gardes 


Louis  XIII.  i(^5 

et  les  Suisses.  Il  y  eut  amnistie  générale 
pour  le  passé  ;  huit  cents  mille  livres  pour 
le  duc  de  Rohan.  La  tbiblesse  du  monar- 
que le  réduisoit  à  récompenser  les  chefs  de 
la  rébellion.  Le  m.arquis  de  la  Force  ,  qui 
avoit  soutenu  le  siège  de  Montauban,  s'étoit 
déjà  accommodé  au  prix  de  deux  cents 
mille  écuset  du  bâton  de  maréchal.  De  pa- 
reils traités  ne  pouvoient  guère  inspirer  ni 
de  zèle  aux  bons  citoyens  ,  ni  de  soumission 
aux  séditieux. 

Cette  guerre ,  que  le  duc  de  Rohan  taxoit    Cette 
de  violence  et  de  tyrannie  ,  étoit ,  selon  fick  1m- 
le  continuateur  de  Daniel,  «  très-juste  et i- ^^^^®**^®' 
»  même  nécessaire ,  à  moins  qu'on  ne  dise 
»  qu'il  étoit  de  la  bonne  politique  de  laisser 
»  subsister  dans  l'état  une  espèce  de  répu- 
»  blique  ,  toujours  prête  à  combattre  con- 
»  tre  l'autorité    du  souverain  ».  Mais   en 
violant  les  traités  conclus  avec  les  calvi- 
nistes ,  on  leur  avoit  malheureusement  fourni 
des  prétextes  de  révolte ,  et  l'on  n'avoit  ni 
la  prudence  ni  la  force  nécessaires  pour  les 
dompter.  Leur  génie  républicain  étoit  sans 
cesse  excité  par   l'exemple  des  Holîandois* 
11  ne  pouvoir  céder  qu'au  génie  de  Richelieu. 

Durant  ces  troubles  du  royaume,  une  G^ie;rede 

j  ,.    .  .  i   .  '^  rel  sioiieji 

guerre  de  religion  avoit   cause  les  mcmes  AUemaguc 
malheurs  en  Allemagne.   Les  prctestans  de 
Bohcme  ayant  secoué  le  joug  de  l'empereur 
Ferdinand  II ,  sd  donnèrent  à  l'électeur  pa- 


i66  Louis  XIIL 

latin  Frédéric  V.  Ce  prince  ,  gendre  de 
Jacques  I ,  roi  pusillanime  d'Angleterre  , 
n'en  reçut  aucun  secours.  La  bataille  de 
Prague  en  i  6  2  o ,  lui  fit  perdre  la  Bohême  avec 
ses  propres  états.  C'étoit  la  plus  belle  oc- 
casion d'abaisser  la  maison  d'Autriche.  Ri- 
chelieu ne  l'eut  pas  manquée ,  mais  il  ne 
gouvernoit  pas  encore.  Louis  favorisa  l'em- 
pereur ,  aimant  mieux  faire  la  guerre  à  se& 
sujets,  que  d'affoiblir  une  puissance  n'atu- 
rellement  ennemie  de  sa  couronne. 
,  On  avoit  besoin  d'un  grand  génie  pour 

1624.    corriger  ces  fautes  de  politique.  Il  existoit, 
EJévationet  força  bientôt  tous  les  obstacles  qui  ar- 
nai  deRi-rctoient  sa  fortune.  La  reme  mère,  depuis 
*"  ^^^"*     sa  réconciliation  avec  le  roi,  étoît  rentrée 
au  conseil ,  et  désiroit  d'y  introduire  Riche- 
lieu devenu  enûn  cardinal.  Les  ministres , 
craignant  son  ambition  et  surtout  la  supé- 
riorité de  ses  lumières ,  l'avoient  décrié  dans 
l'esprit  de  Louis  XIIL  Les  galanteries  qu'on 
lui  reprochoit    ne    pouvoient  manquer   de 
choquer  un  prince  dévot ,  trop  soupçonneux 
d'ailleurs  et  trop  jaloux  de  l'autorité  ,  pour 
ne  pas  craindre  celui  qu'on  dépeignoit  com* 
me  le  plus  ambitieux  des  courtisans.  Marie 
de  Médicis  ne  se  rebuta  point.  Le  chancelier 
de  Silleri  et  Puisieux  son  fils,  l'un  et  l'autre 
contraires  au  cardinal ,  furent  disgraciés ,  et 
ses  ennemis  eurent  le  chagrin  de  le  voir 
admis  au  ministère.  Plus  il  briguoit  cette 


Louis  XIII.  167 

place,  plus  il  affecta  de  répuc^nance  de  Tac-  n  déduise 

'  ',.  '      )•      •.    1      t  son  ambi- 

cepter.  Sa  mauvaise  santé ,  disoit-il ,  le  ren-  ùon. 
doit  incapable  d'un  long  travail  ;  tout  ce 
quM  pouvoit  faire  étoit  d'assister  au  con- 
seil de  temps  en  temps ,  sans  se  mcler  d'af- 
faires d'état.  Le  roi  le  prétendoit  bien  ainsi  ; 
mais  Richelieu  avoit  d'autres  vues ,  et  quel- 
ques années  après ,  l'autorité  royale  fut  toute 
entière  entre  ses  mains. 

Dès  qu'il  entra  au  conseil ,  le   gouver-  Le  couver- 

^1  j  r^-  /^    nementde- 

nement   parut  changer   de   politique.    Un  vient meii- 
conçut  de  pluu  grands  desseins ,  et  l'on  prit  de  ^^"^' 
meilleures  mesures.  On  conclut  le  mariage 
d'Henriette  de  France  ,  sœur  du  roi ,  avec  le 
prince  de  Galles  (  Charles  l)  ^à.  condition  que 
cette  princesse  et  sa  maison  auroient  le  libre 
exercice  de  la  religion  catholique ,  et  que  sqs 
cnfans  seroient  élevés  par  la  mère ,  c'est-à-dire 
dans  sa  religion,  jusqu'à  l'âge  de  douze  ans.    Guene 
On  fit  un  nouveau  traité  avec  la  Hollande  q^g^g^f'" 
qui  avoit  repris  les  armes  contre  l'Espagne ,  Hollande. 
et  qui  étoit  déchirée  elle-même  par  une  con- 
troverse théologique,  devenue    une   affaire 
d'état.  Les  Gomaristes  et  les  Arminiens  s'a- 
charnoient  entre  eux  au  sujet  de  la  grâce  ^ 
du  libre  arbitre,  de  la  prédestination,  objets 
impénétrables  à  l'esprit  humain.    Le  célè- 
bre Barneveldt ,  l'un  des  plus  grands  hom- 
mes et  des  meilleurs  citoyens  qu*ait  eut  la 
Hollande ,  avoit  perdu  la  tcte  sur  un  écha- 
faud  en  1619,  comme  partisan  de  l'armi- 


i68  Louis  XIIL 

"nranisme.   L'ambition  de   Maurice    prince 
cFOrange,  s'était  servi  de  ce  vain  prétexte 
pour  TiiTimoIer.  On  reconnoît  partout  l'es- 
prit de  secte ,  et  partout  on  voit  les  ambi- 
tieux tourner  à  leur  profit  la  crédulité  ou 
le  fanatisme  du  peuple. 
Expédition     Enfin  l'expédition  de  la  Valteline  Commença 
teiine.  ^'^  relever  l'honneur  de  laFrance.  Le  roi  d'Es- 
pagne avoit  enlevé  aux  Grisons  cettepetitepro- 
vince ,  de  peur ,  disoit-il ,  que  l'hérésie  n'y  pé- 
nétrât ;  mais  en  effet  pour  s'assurer  un  passage 
en  Italie.  Louis  XIII  s'étoit  contenté  jus- 
qu'alors des  voies  de  négociation,  quoique 
l'entreprise  des  Espagnols  fût  contraire  au  bien 
du  royaume.  Tout  ce  qu'il  avoit  gagné  étoit 
que  le  pape  tînt  en  séquestre  les  places  de  la 
Valteline.  Richelieu  lui  fit  comprendre  que 
sa  gloire  et  son  intérêt  demandoient  plus  de 
vigueur.    Ce  ministre  déclara  fièrement  au 
nonce  du  pape  qu'on  suivoit  d'autres  maxi- 
mes, depuis  qu'il  n'y   avoit  plus  de  têtes 
légères   dans    le    conseil.   Le  marquis   de 
Cœuvres  ,    à  la  tête  d'une  armée  ,  pénétra 
dans  la  Valteline  y  traita  avec  les  habitans , 
et  les  délivra  du  joug  de  Rome  et  de  l'Es- 
pagne. 
■■"  '      Avant  la   fin   de  cette   expédition,  les 

162c.    hueuenots  se  soulevèrent  encore.  Ils  se  plai- 

Guerre   et       ^.  •  ,  p/         1  p 

paix  avec  gnoient  toujours  du  peu  a  égard  que  1  on 
Jjj'f5^^"^"^"avoit  aux  traités,  et  leur  penchant  à  la  ré- 
volte  s'autorisoit   de  griefs  sans  nombre. 


Louis  XIII.  169 

Les  duc  de  Rohan  et  de  Soublse  les  ani- 
mèrent par  leurs  discours.  Richelieu  ,  déjà 
maître  du  gouvernement  sans  être  premier 
ministre,  engagea  les  Anglois  et  les  Hol- 
bndois  à  tourner  leurs  armes  contre  ceux 
<ju  ils  regardoient  comme  leurs  frères.  On 
employa  des  vaisseaux  étrangers  pour  com- 
battre la  flotte  des  Rochelois ,  plus  consi- 
dérable que  toute  la  marine  de  France.  Les 
rebelles  furent  battus  sur  mer,  et  chassés 
ensuite  de  l'île  de  Rhé.  Malgré  ces  avanta- 
ges ,  on  leur  accorda  la  paix  aux  mêmes 
conditions  qu'auparavant. 

Le  cardinal  méditoit  leur   ruine:   mais  Projets  de 
.,  .  V  ,         -Il  •  j>  A      Richelieu, 

il  pensoit  surtout  a  humilier  la  maison  d  Au- 
triche. Pour  exécuter  ce  grand  dessein ,  il 
ne  pouvoit ,  disoit-il,  se  dispenser  de  scan- 
daliser le  monde  encore  une  fois  ,  en 
paroissant  favorable  aux  hérétiques.  Aussi 
fut-il  déchiré  par  des  libelles  pleins  de  fiel 
et  de  fanatisme.  On  l'appella  le  cardinal 
de  la  Rochelle  ,  le  pontife  des  calvinistes , 
le  patriarche  des  athées.  Ces  sortes  d'in- 
jures sont  les  armes  de  c^ux  qui  manquent 
de  raisons.  La  meilleure  réponse  à  y  faire 
est  le  mépris.  Richelieu ,  en  s'y  montrant 
fort  sensible ,  aiguisa  contre  lui-même  les 
traits  de  la  satire,  qui  le  poursuivit  opi- 
niâtrement. Un  traité  conclu  avec  l'Espa- 
gne, au  sujet  de  la  Valteline  qu'on  res- 
titua aux  Grisons,  termina  entièrement  cette 


I7Ô  Louis  XIII. 

guerre ,  dont  il  désiroit  la  fin  pour  affer» 

mir  son  autorité  et  la  puissance  royale. 

,...  Avant  que  d'agir  au  dehors  ,  il  se  pro- 

1626.     posoit  d'étouffer  les  factions  au  dedans.  Les 

tSrfbie^^"  princes  et  les  grands  seigneurs  étoient  de- 

aux  grands  venus  trop  redoutables  sous  un  roi  qui  ne 

savoit  pas  les  réprimer.  Maîtres  dans  leurs 

gouvernemens  ,   ils    cabaloient  à  la  cour. 

Gaston  duc  d'Orléans  ,  frère  de  Louis  Xill , 

avoit  un  parti.  Le  maréchal  d'Ornano  son 

gouverneur  Taigrissoit  contre  le  souverain 

et  le  ministre.  11  se  forma  un  complot  pour 

assassiner  Richelieu.    On  crut  que  Gaston 

prétendoit  à  la  couronne  et  à  la  femme  de 

son  frère.  Alors  commencèrent  les  rigueurs 

qui  ont  rendu  ce  règne  comparable  à  celui 

de  Louis  XI. 

Rigueurs      Ornano  est  mis  en  prison  :  les  Vendôme 

dugouver-  ^   ,        /^,     i   •     '         ^  i     i  i 

nemeiit.  sont  arrêtes;  C balais,  maître  de  la  garde- 
robe  ,  est  jugé  à  Nantes  ,  et  meurt  sur  un 
échafaud  :  il  étoit  accusé  d'une  conspira- 
tion ;  ÏQS  soupçons  's'étendoient  jusques  sur 
la  reine  Anne  d'Autriche;  le  roi  conçut 
pour  elle  une  aversion  insurmontable  ,  et 
si  l'on  en  croit  le  maréchal  de  Bassompierre, 
il  interdit  aux  hommes  l'entrée  de  son  ap- 
partement. Gaston  consent  à  épouser  l'hé- 
ritière de  Montpensier  ;  et  se  réconcilie 
avec  Louis  pour  se  brouiller  de  nouveau 
quand  il  y  sera  excité  par  ses  confidens.  Le 
danger  qu'avoit  couru  le   cardinal  lui   fit 


Louis  XIII.  171 

donner  une  compagnie  de  gardes  du  corps.  GardTe 
II  ctoit  devenu  nécessaire:  en  demandant ^"ïïltfer 
à  se  retirer,  il  avoit  comme  forcé  le  mo- 
narque à  lui  faire  des  instances  pour  le  re- 
tenir. Cet  habile  courtisan  oflrit  même  de 
céder  la  place  de  ministre  à  Barradas  ,  nou- 
veau favori  Q  car  il  en  falloit  toujours 
un  ).  Mais  le  favori  dont  il  se  défioit  fut 
bientôt  sacrifié  lui-même  au  ministre. 

Son  pouvoir  s'accrut  encore  par  la  sup-  son  p^u- 
pression  des  charges  d'amiral  et  de  conné-JJ^Jjjjç^^* 
table.  Lesdiguières  étoit  mort  :  il  ne  fut 
point  remplacé.  Le  duc  de  Montmorenci 
se  démit  de  l'amirauté ,  et  obtint  en  dédom- 
magement un  million.  Le  cardinal^  sous  le 
titre  de  surintendant  de  la  navigation ,  fut 
maître  de  la  marine.  Elle  étoit  entièrement 
ruinée;  il  sentoit  la  nécessité  de  la  réta- 
blir ,  et  en  fit  l'objet  de  ses  soins.  Pour 
autoriser  les  changemens  qu'il  méditoit,  on 
convoqua  une  assemblée  de  notables. 

On  y  représenta  que  les  revenus  ne  mon- Assemblée 
tant  qu'à  seize  millions,  il  s'en  dépensoit 
chaque  année  près  de  quarante  ;  qu'il  fal- 
loit diminuer  la  dépense  et  augmenter  la 
recette  ;  que  le  roi  étoit  obligé  de  faire  des 
retranchemens  considérables  »  d'animer  le 
commerce  et  la  marine  ,  d'empêcher  la 
dissipation  des  finances ,  et  de  grossir  l'é- 
pargne sans  fouler  le  peuple.  Richelieu  pro- 
posa SCS  vues ,  et  dit  sagement  qu'on  de- 


iji  Louis  XIIL 

voit  racheter  les  domaines ,  etc.  sans  dé- 
pouiller les  particuliers  de  ce  qu'ils  possé- 
doient  de  bonne  foi  ;  que  h  plus  grand 
bien    que  puissent  faire  les   rois  et  les  . 
états  est  de  garder  la  foi  publique  ,  qu'il  ' 
s'agissoit   moins    de  faire    beaucoup    d'or- 
donnances que  de  procurer  une  exécution 
réelle  ;  qu'il  falloit  peu  de  paroles  et  beau- 
Tiemznàecoup  d"* effet.  L'assemblée  approuva  tout, 
du  mmil-  excepté  une  demande  qu'il  n'eût  point  faite 
^^^*  si  elle  avoit  pu  être  approuvée  ;  c'étoit  qu'on 

modérât  les  peines  établies  contre  les  crimi- 
nels d'état.  Il  vouloir  se  faire  une  réputation 
de  douceur ,  assez  démentie  par  sa  conduite. 
Auroit-il  pardonné  aux  criminels  d'état ,  lui 
qui  fut  inexorable  pour  les  comtes  des  Chap- 
pelles  et  de  Boutteville  ,  seigneurs  distingués 
par  leur  bravoure  ,  dont  le  seul  crime  étoit 
de  s'être  battus  en  duel  ?  Ils  eurent  la  tête 
tranchée  en  1627. 
Fureur  des      La  fureur  des  duels  faisoient  alors  h^  plus 
*^"^^^'        terribles  ravages.  C'étoit  une  véritable  fré- 
nésie. Le  caprice  et  la  vanité ,  comme  les 
passions  violentes ,  imposoient  l'obligation 
de  se  battre.  Les  amis  dévoient  entrer  dans 
les  querelles  de  leurs  amis ,  et  les  vengean- 
ces devenoient  héréditaires  dans  les  familles. 
On  comptoit  près  de  huit  mille  lettres  de 
grâce ,  accordées  en  moins  de  vingt  ans  à 
des  gentilshommes  qui  en  avoient  tué  d'au- 
tres dans  ces  combats  singuhers.  C'est  ce 

qui 


Louis  XIIL  17$ 

qui  avoit  déterminé  Henri  IV  à  renouveler 
id  défense  des  duels  ;  mais  imbu  lui-même 
de  certains  préjugés  de  bravoure,  il  ferma 
les  yeux  sur  les  infractions  de  la  loi.  La  sé- 
vérité de  Louis  XIII ,  ou  plutôt  de  Riche- 
lieu sembloit  nécessaire  pour  extirper  cet 
abus.  Ils  n'en  vinrent  pas  à  bout.  L'huma- 
nité et  la  raison  ont  plus  de  force  que  les  lois 
contre  un  préjugé  barbare.  Il  falloit  adoucir 
les  mœurs  ,  et  faire  sentir  aux  hommes  Tab- 
surdité  d'un  point  d'honneur ,  qui  les  rend 
injustes  et  meurtriers. 

Tandis  que  le  cardinal  de  Richelieu  dis-  - •  '  '■ 

posoit  de  tout  le  royaume,  le  duc  de  Bue-    ^^^J'j. 
kingham,  ministre^ et  favori  de  Charles  I  avec  l'Ân- 
armoit  l'Angleterre  contre  la  France.    Les  ^  ^^*^^®' 
catholiques  François    qui   accompagnèrent 
Henriette  à  Londres ,  avoient  donné  beau- 
coup d'ombrages  aux  Angiois  par  l'impru- 
dence de  leur  zèle.  C'étoit  un  sujet  de  plain- 
tes ;  mais  la  vanité  seule  de  Buckingham  fut    Buckin» 
cause  de  la  rupture  entre  les  deux  couronnes.  Ist^c^use 
il  étoit   infatué  d'une  passion  romanesque  ^^'^^^"^^** 
pour  la  reine  Anne  d'Autriche;  il  avoit  osé 
en  faire  laveu ,  et  souhaité  de  revenir  à 
Paris ,  sous  prétexte  designer  un  traité  contre 
l'Espagne,  pour  se  rapprocher  de  l'objet  de 
son  amour.  Louis  XIII  lui  en  refusa  la  per- 
mission. Piqué  de  ce  refus ,  et  jaloux   du 
cardinal ,  il  se  détermine  à  la  guerre,  excite  les 
Rochelois  à  une  nouvelle  révolte  5  et  se  met  en 
Tome  III.  H 


174  Louis  XIII. 

mer  pour  les  secourir.  La  tcmérité  du  minis- 
tre Anglois  entraîna  la  ruine  de  la  Rochelle. 
Siège  de  la      Richelieu  entreprit  enfin  d'abattre  ce  bou- 
levard du  calvinisme.  Buckingham  ,   aussi 
mauvais    général    qu'audacieux   courtisan , 
échoua  à  l'île  de  Rhë ,  d'où  le  marquis  de 
Thoiras  chassa  les  Anglois.  La  Rochelle  (ut. 
investie.  On  vouloit  la  prendre  par  famine. 
Mais   comment  fermer  le   port  aux  flottes 
Aichelleii  Angloises  ?  Richelieu   imite  Alexandre.   Il 
sue.  ^"*""  ^*3Ît  construire  dans  l'océan  une  digue  pro- 
digieuse, dont  le  pro jet itoit  regardé  comme, 
chimérique,.  Louis  XIII  le  laissa  commander 
au  siège  en  qualité  de  général.  On  vit  alors 
combien  le  génie  peut'  suppléer  à   l'expé- 
rience même  dans   la  guerre.    L'ordre ,  la 
discipline  ,  l'abondance  ne  manquèrent  ja- 
mais. Le  cardinal  étonnoit  les  soldats  par  sa 
valeur,  et  les  caj)itaines  par  son  habileté. 
Cependant  les  Rochelois  sembloient  invinci- 
bles. Ils  avoient  élu  pour  maire  un  homme 
Le  maire  supérieur   à  tout  danger.  Guîton   (  c'est  le 
^  ""'     nom  de  l'intrépide  magistrat),  en  acceptant 
cette  charge  après  quelque  résistance,  prit 
un  poignard  ,  et  le  montrant  aux  citoyens  : 
/e  serais  maire  ,  puisque  vous  Le  youle^ , 
leur  dit-il  ,  à  condition  d'enfoncer  ce  poi- 
gnard  dans  le  sein  du  premier  qui  parlera 
de  se  rendre  ;  et  quon  s'en  serve  contre 
moi  y  si  je  propose  de  capituler.  Je  de- 


Louis  XIIL  175 

mande  fa'on  le  laisse  cou/ours  pour  cet 
effet  sur  la  table  du  conseil. 

Le  siège  traînoiten  longueur.  Les  Angloîs  Famint  â 
s'étoient  montrés  sans  agir.  Mais  Buckin- J^^^®^^^" 
gham  alloit  s'embarquer  avec  une  flotte  plus 
formidable ,  lorsqu'un  Irlandois  fanatique 
Fassassina.  Toutes  les  horreurs  de  la  famine 
se  firent  enfin  sentir  dans  la  Rochelle.  On  re- 
fusa le  passage  aux  bouches  inutiles.  Une  in- 
finité de  malheureux  périssoient  de  misère  et 
de  désespoir.  Quelqu'un  représentant  au 
maire  que  bientôt  il  ne  resteroit  plus  qu'une 
poignée  d'habitans  :  Hé  bien  ,  répondit-il 
sans  s'émouvoir,  il  suffit  quil  en  reste  un 
pour  fermer  les  portes,  Guiton  déclara  en 
plein  conseil  que,  si  l'on  vouîoit  le  tuer  pour 
se  nourrir  de  sa  chair,  il  y  consentiroit  plu- 
tôt que  de  se  rendre  à  l'ennemi.  Son  audace 
étoit  secondée  par  le  faiiatisme  des  ministres. 
La  mère  et  la  sœur  du  duc  de  Rt)han  ,  mar- 
tyres de  leur  secte  ,  donnoient  l'exemple 
d'une  patience  héroïque. 

Mais  la  flotte  Ani>loise,    si  long-tem.ps  ■ 

attendue  ,  n'ayant  pu  forcer  la  digue  et  ayant  *  628. 
été  repoussée,  toute  espé  ance  de  salut  s'é- se^cnX'^^^ 
tant  évanouie  avec  elle,  la  faim  dompta  le 
courage  des  Rochelois  :  ils  se  rendirent  après 
onze  mois  de  résistance.  Louis  XIII  étoit 
revenu  au  siège  ,  et  s'étoit  signalé  par  sa  va- 
leur. Plus  de  trois  cents  boulets  lui  passèrent 
sur  la  tête.  Le  cardinal  disoitné;^nmoinsqu*il 

Hz 


176  Louis   XIII. 

àvoit  pris  la  Rochelle  malgré  le  roi  d'Espa- 
gne, le  roi  d'Angleterre,  et  surtout  le  roi 
^  ■  de  France.  C'est  que  d'une  part ,  la  flotte 
Espagnole  qui  devoit  secourir  les  assiëgeans, 
s'étoit  retirée  sans  rien  faire  ;  et  de  l'autre  les 
ennemis  du  ministre  travalUoient  sourdement 
auprès  du  monarque  à  faire  avorter  une  en- 
treprise si  glorieuse.  La  plupart  des  grands , 
plus  attachés  à  leur  fortune  qu'au  bien  de 
l'Etat ,  craignoient  la  ruine  d'un  parti  dont 
ils  pouvoient  tirer  dans  l'occasion  de  grands 
avantages  ;  et  le  maréchal  de  Bassompierre 
avoit  osé  dire  publiquement  ;  nous  serons 
peut-être  asse^  fous  pour  prendre  la  Ro- 
chelle. 
Importai!-  Cette  ville  fameuse  par  sa  puissance  et  par 
conquC'te^^  ses  révoltes ,  qui  depuis  deux  cents  ans  s'é- 
toit rendue  redoutable  à  ses  souverains  ,  tou- 
jours prête  à  se  soulever  contre  eux  dans  les 
circonstances  les  plus  critiques ,  la  Rochelle 
ne  conserva  que  ses  biens  et  l'exercice  de  sa 
religion.  Ses  fortifications  furent  rasées  ,  et 
ses  privilèges  abolis.  Il  en  coûta  quarante 
milhons  pour  la  réduire  à  l'obéissance.  Le 
calvinisme  avoit  reçu  une  plaie  mortelle  , 
mais  il  respiroit  encore  par  la  fermeté  du  duc 
deRohan,  l'hommeie  plus  propre  à  être  l'âme 
et  le  soutien  d'un  parti.  On  continua  la 
guerre  en  Languedoc.  Louis  XIII  alla  ce- 
pendant au  secours  du  duc  de  Nevers  , 
Charles  de  Gonzague  ^  nouveau  duc   de 


Louis  XIII.  177 

Mantoue  ,  dévoué  à  la  France ,  auquel  Tem-  ■■'  ■       ■ 
pereur ,  le  roi  cFEspagne  et  le  duc  de  Savoie    ^,^^9- 
vouloient  enlever  ses  états.  Il  força  en  per- d'Italie, 
sonne  le  pas  de  Suze  ,  prit  cette  ville ,  déli- 
vra Cassai  assiégé  par  les  Espagnols  ,  et  re- 
vint triomphant  achever  de  soumettre  les 
huguenots. 

Un  traité  conclu  avec  l'Aneleterre  ne  leur  Les  caivi- 

...  ,  j       ^  »,       nistes  sou- 

laissoit  aucune  espérance  de  secours.  Le  duc  mis  paries 
de  Rohan  flit  réduit  à  l'extrémité,  et  de- ^"""* 
manda  enfin  la  paix.  Ce  seigneur,  que  le 
parlement  de  Toulouse  avoit  fait  exécuter 
en  effigie ,  obtint  encore  l'abolition  du  passé 
pour  tous  les  rebelles  ,  et  cent  mille  écus 
pour  lui-même;  mais  on  exigea  qu'il  sortît 
du  royaume  jusqu'à  ce  qu'il  plût  au  roi  d'en 
ordonner  autrement.  Les  calvinistes  ayant 
perdu  leurs  places  fortes  ,  furent  désormais 
hors  d'état  de  lutter  contre  le  monarque.  Si 
la  France  n'avoit  pas  eu  Richelieu ,  ils  au- 
roient  peut-être  exécuté  ce  grand  projet  de 
république  dont  ils  voyoient  un  modèle  dans 
ks  Provinces-unies.  La  liberté  de  conscience 
ne  reçut  aucune  atteinte.  Les  temples  ,  ks 
prêches  subsistèrent  ;  chacun  pouvoit  suivre 
sa  religion  sans  troubler  l'Etat ,  et  ce  n'étoit 
pas  le  moindre  fruit' de  la  politique  du  car- 
dinal. 

Ces   entreprises,    glorieusement    exécu-    Caba*e 
tçes ,  ne  faisoient  qu'irriter  la  jalousie  et  lachelitu. 
baine  de  ses  ennemis.  En  arrivant  à  la  cour, 

H3 


j-zS  Louis  XIII. 

il  fut  mal  reçu  de  la  reine  mère ,  dont  il  avoît 
autrefois  la  confiance.  Le  cardinal  de  Bé- 
rulle ,-  fondateur  et  général  de  TOratoire  5  la 
gouvernoit  alors  et  Tindisposoit  contre  le 
ministre.  Quand  il  parut ,  cette  princesse  lui 
demanda  froidemient-  des  nouvelles  de  si 
santé.  Je  me  porte  mieux ,  répondit-il  en 
^  présence  de  BéruUe ,  que  ceux  qui  sont  ici 
ne  voudraient.  Cependant  le  roi,  moins 
par  affection  que  par  besoin ,  lui  donna  la 
patente  de  premier  ministre,  le  nomma 
lieutenant  général  de  Tarmée  d'Italie ,  avec 
des  pouvoirs  si  vastes ,  quM  ne  s'étoit  ré- 
servé, disoient  les  plaisans  de  la  cour,  que 
celui  de  guérir  les  écrouelles, 
^m  '•'•  I  Tandis  que  Richelieu  faisoit  la  guerre  en 
Ï630.  Italie  pour  le  duc  de  Mantoue,  et  travail- 
fheaum^'loit  pat  ses  négociations  à  miner  la  maison 
5|J"^^^"  d'Autriche  ,  Marie  de  Médicis  redoubla  ses 
efforts  pour  le  perdre.  Il  pensa  en  être  la  vie» 
time.  Louis  XIII  étant  dangereusement  ma* 
lade  à  Lyon  ,  les  importunités  et  les  empor- 
temens  de  sa  mère  lui  arrachent  la  promesse 
de  renvoyer  le  cardinal ,  et  chacun  s'attend 
à  un  changement  de  scène  qui  pouvoit  bou- 
leverser le  royaume.  A  peine  guéri  le  roi  tâ- 
che de  les  réconcilier.  Richelieu  se  met  plu- 
sieurs fois  aux  pieds  de  la  reine  sans  pouvoir 
fléchir  sa  rigueur.  Je  me  donnerai  plutôt 
au  diable  ,  disoit-elle  ,  que  de  ne  pas  me 
yenger.  Louis,  fort  scandalisé  de  ses  dis- 


Louis  XIII.  179 

cours ,  cède  encore  à  ses  instances.  Le  mi- 
nistre ,  quelque  temps  après  ,  se  voit  au 
moment  d*une  disgrâce  sans  retour.  Il  étoit 
sur  le  point  de  partir  ;  il  mettoit'déjà  ses  tré- 
sors en  sûreté.  Le  favori  Saint-Simon  vient 
l'avertir  que  le  roi  veut  le  revoir.  Aussitôt  il 
court  à  Versailles,  pendant  que  Marie  de 
Médicis  triomphe  imprudemment  dans  son 
palais  de  Luxembourg.  L'orage  se  dissipe  eu 
un  instant.  Richelieu  est  reçu  comme  un  ami 
regretté.  Continuel  à  me  servir  comme 
vous  ave  i  fait  ^  lui  dit  le  monarque,  et  je 
vous  maintiendrai  contre  toutes  les. intri- 
gues de  vos  ennemis.  Ce  jour  fut  appelé  la 
journée  des  dupes.  On  n'a  guère  vu  diins 
les  cours  d^  révolution  plus  singulière,  ni 
plus  fatale  à  ceux  qui  se  croyoient  au  comble 
de  la  fâv^iur. 

Le  earde  des  sceaux  Marillac ,  et  le  mare-  ^^  *f  ^'-"^ 

1     1    1    E#      If  r  s  /  1     »x     •    Séries iVKi- 

cnal  de  Marillac  son  rrcre,  créatures  de  Marie  rillac 
de  Médicis ,  dévoient  succéder  au  crédit  du; 
premier  ministre.  Ils  sentirent  tout  le  poids 
de  sa  vengeance.  L'un  fut  forcé  de  rendre 
\ts  sceaux  ;  Tautre  arrêté  en  Italie ,  au  milieu 
de  Tarmée  qu'il  commandoit.  Ses  longs  ser- 
vices ,  ses  blessures  ,  sa  fidélité  ,  sembloient 
le  mettre  à  l'abri  d'une  procédure  criminelle. 
Mais  Richelieu  vouloit  un  exemple  qui  f\t 
trembler  ses  ennemis. 

Oïl  nomma  des  commissaires  pour  faire  Precèstîu 
le  procès  au  maréchal.  En  vain ,  le  parlement  "^^^^'^*^* 

H4 


^So  Louis  XIII. 

prétendit  avoir  droit  de  le  juger  :  l'autorité 
suspendit  le  cours  ordinaire  de  la  justice.  Les 
bienséances  furent  si  peu  ménagées  en  cette 
occasion  ,  qu'on  avoit  mis  au  nombre  des 
juges  l'auteur  d'une  sanglante  satire  contre 
hs  Marillac,  Ce  fameux  procès ,  qui  dura 
deux  ans ,  rouloit  uniquement  sur  des  con- 
cussions et  des  profits  illicites  y  dont  le  ma- 
réchal s'étoit  autrefois  rendu  coupable  ,  à 
l'exemple  de  presque  tous  ses  pareils.  Sa 
sentence  fut  prononcée  dans  la  maison  de 

II  est  coji.^^'^P^S"^  ^"  ministre.  On  le  condamna  au 
da;nné  à   supplice  des  criminels  d'état.  «  C'est  une 

mort.  Il-  f  1-    -1  .  >  • 

»  chose  bien  étrange ,  dit-il ,  qu  on  m  ait 
»  poursuivi  comme  on  a  fait.  Il  ne  s'agit 
»  dans  mon  procès  que  de  foin ,  de  paille  ^ 
»  de  bois  ,  de  pierres  et  de  chaux  ;  il  n'y  a 
»  pas  de  quoi  faire  fouetter  un  laquais.  Ua 
»  homme  de  ma  qu'alité  accusé  de  péculat  »  l 
L'ennemi  d'un  ministre  vindicatif  et  tout- 
puissant  étoit  aux  yeux  des  commissaires 
î'ennemi  du  roi.  Il  eut  la  tête  tranchée 
en  lô'Sz, 
Paroles  du  La  plupart  des  auteurs  du  temps  assurent 
ministre    g^g  Richelieu  dit  lui-même  ;  //  faut  avouer 

sur  ce  ju-  t  •  »        ?  v 

semeiu.  gue  Dieu  donne  aux  juges  des  lumières 
Içue  les  autres  nont  pas.  Je  ne  me  serois 
jamais  imaginé  quil  y  eût  de  quoi  con- 
damner à  mort  le  maréchal  de  Marillac^ 
Supposé  qu'il  tînt  un  pareil  discours  ,  ce  fut 
apparemment  pour  rejeter  sur  les  juge$,ro- 


Louis   XIII;  i.8ir 

dkux  de  cette  affaire  ;  mais  des  paroles  n'en 
imposent  pas  au  public  :  on  voyok  a^sez  la 
passion  qui  avoit  dicté  le  jugement.  ■? 

Cëtoit  une  déplorable  fatalité  ,  que  rintc-==?*. 
rét  public  ne  pût  éteindre  les  haines  person-,  ^^3'^*rV* 

,,'  '  .    .  ,  .     '  -  La  mère  et 

nelles,  et  que  ce  mmistre  nécessaire  au  roi  le  frère  du 
fut  un  sujet  de  discorde  dans  la  famille  royale.  ^^^^  "^rJ, 
Les  deux  reines  étoient  furieuses  contre  lui  ;<='^^^=^"» 
le  duc  d'Orléans ,  après  une  feinte  réconci- 
liation ,  se  déclara  son  ennemi  mortel ,  et  se 
retira  en  Lorraine,  sous  prétexte  de  fuir  sa 
tyrannie.  On  ne  voit  plus  que  dissentions  à 
la  cour.  Richelieu  ,  quoique  redevable  de  sa 
fortune  à  Marie  de  Médicis ,  est  forcé  par  les 
conjonctures  à  devenir  son  persécuteur.  Louis 
prend  parti  contre  sa  mère  pour  un  sujet  dont 
il  a  besom.  Il  la  laisse  prisonnière  à  Compie-. 
gne  :  il  exile  ou  fait  arrêter  ^es  amis ,  ses  do- 
mestiques. Le  maréchal  de  Bassompierre , 
sur  de  légers  soupçons ,  est  enfermé  pour 
douze  ans  à  la  Bastille.  Ceux  qui  ont  suivi  le 
duc  d'Orléans  sont  déclarés  criminels  de  lèse-  ---arirMn 
majesté  ,  et  le  parlement  traité  avec  rigueur,  .::«S?" 
pourn'avoir  pas  enregistré  d'abord  cette  dé- 
claration. Le  cardinal  s'élève  de  plus  en  plus 
sur  les  ruines  de  ses  adversaires.  On  érige  en 
duché-pairie  la  terre  de  Richelieu  pour  lui  et 
sa  famille.  De  Bruxelles ,  où  s'étoit  réfugiée 
la  reine  mère ,  partoient  une  infinité  de  li- 
belles atroces^  contre  ce  ministre.  Mais  dçs 
coups  portés  de  loin,  lui  faisoient  d'autant. 

H5 


i8a  Xôûis  XIII. 

moins  de  tort,  que  les  succès  de  sa  poIitîqiJb' 
ctoient  plus  brillans. 
Succn  de  II  venoit  de  terminer  la  guerre  d'Italie  par 
qîie'auïe.  des  traités  avantageux.  Le  duc  de  Mantoue 
^^''  étoit  rétabli ,  et  le  duc  de  Savoie  avoit  cédé 
PigneroLLe  grand  projet  d'abaisser  la  maison 
d'Autriche  commençoit  à  s'exécuter.  Ferdi- 
nand II  ,  en  ordonnant  la  restitution  des 
biens  ecclésiastiques  enlevés  par  les  protes- 
f  ans  ,  s'étoit  attiré  sur  les  bras  une  partie  de 
l'Allemagne  ;  et  Richelieu ,  malgré  les  cla- 
«neurs  des  catholiques ,  animoit  la  ligue  pro- 
testante favorable  à  ses  pra>ets.  La  religion 
tst  un  motif  de  guerre  pour  les  peuples  ;  la 
raison  d'état  décide  les  politiques.  Il  avoit 
armé  contre  l'empereur  le  plus  redoutable  àcs 
princes  luthériens ,  ce  fameux  Gustave  Adol- 
phe roi  de  Siiède ,  dont  les  victoires  ébranlè- 
rent tout  l'empire.  La  France  fournissoit 
douze  cents  mille  livres  seulement  ;  la  valeur 
^e  Gustave  faisoit  le  reste. 
«mil  Cependant  Gaston,  aidé  par  le  duc  de 

1632.  Lorraine,  dont  il  avoit  épousé  la  sœur  en 
diic^d'Ur-  secondes  noces ,  se  disposoit  à  la  guerre  ci- 
iéaas.  yjle  pour  se  venger  du  cardinal.  Celui-ci 
n'ignorgit  aucune  de  ses  démarches  :  il  avoit 
des  espions  partout ,  qui  le  servoient  avec 
zèle ,  parce  que  leurs  services  étojent  bien 
payés.  Les  eorrespondanct^s  de  Monsieur 
(  0:1  nommoil^insi  le  frère  du  roi  )  ,  avec  la 
niae  mère  et  la  cour  d'Espagne ,  ses  intri- 


Louis   XIII.  i8î 

giies  pour  engager  les  seigneurs  à  la  révolte , 
son  opiniâtreté ,  ses  invectives ,  ne  pouvoient 
rester  impunies  sous  wi  gouvernement  fenne 
et  sévère.  Le  duc  de  Lorraine  en  fut  puni  le 
premier.  Le  roi  saisit  quelques-unes  de  ses 
meilleures  places ,  et  lui  fit  promettre  par  deux 
traités  d'abandonner  entièrement  Gaston. 

Ce  dernier  n'avoit  plus  de  ressources  que  Montmc^. 
dans  le  duc  de  Montmorenci,  gouverneur  joint  à 
de  Languedoc  ,  l'un  des  plus  braves  et  des  Gaston. 
plus  aimables  seigneurs  de  son  temps ,  beau- 
firère  du  prince  de  Condé  ;  heureux  s'il  avoit 
su  borner  ses  désirs  !  Mais  il  auroit  voulu  être 
connétable  ,  et  il  se  plaignoit  de  la  cour , 
comme  les  ambitieux  à  qui  Ton  n'accorde 
pas  tout  ce  qu'ils  veulent.  Le  duc  d'Orléans 
l'ayant  entraîné  dans  son  parti ,  prit  la  route 
du  Languedoc  avec  quelques  troupes  étran- 
gères. 11  publia  un  manifeste  contre  le  mi- 
nistre, et  se  donna  le  titre  de  lieutenant 
général  du  roi ,  pour  la  r- formation  de$ 
désordres  introduits  dans  le  gouvernement 
pa r  le  ca rdin al  de  Rich elieu . 

Gaston  plus  foible  encore  que  son  frère ,  La  révolte 
Hvré  à  des  favoris  sans  mérite,  s'imaginoit^"'^""^^*' 
qu*un  maniftste  et  trois  ou  quatre  mille  sol- 
dats lui  attireroient  bientôt  une  foule  de  par- 
tisans. Personne  ne  remua  en  sa  faveur.  Les 
yilles  lui  fermèrent  leurs  portes.  Sa  petite 
armée  ne  subsista  que  de  rapines.  Richelieu 
•enoit  tout  dans  la  crainte  et  Tohéissance. 

H6 


ï84  touis  XIII. 

Montmorenci ,  épuisé  de  dettes ,  ne  pouvoîc 
de  son  côté  rassembler  beaucoup  de  troupes  , 
ni  se  faire  un  parti  considérable.  A  peine  ar- 
rivé en  Languedoc ,  le  prince  fut  poursuivi 
Combat  par  l'armée  royale.  Une  escarmouche ,  plu- 
îiaudaii.  tt)t  qu  un  combat,  finit  la  guerre  a  la  journée 
deCastelnaudari.  L'impétueux  Montmorenci 
ayant  franchi  un  fossé  presque  seul ,  se  jeta 
sur  les  escadrons  du  maréchal  de  Schomberg, 
reçut  un  coup  de  pistolet  dans  la  bouche  ,  et 
tomba  couvert  de  blessures  après  s'être  battu 
en  furieux.  Gaston  ,  spit  lâcheté  ,  soit  défé- 
rence pour  ses  favoris,  se  retira  sans  com- 
battre ,  quoiqu'il  eût  l'avantage  du  nombre  ; 
et  Schomberg  ne  crut  pas  devoir  pousser 
Théritier  présomptif  de  la  couronne. 

Procès        Cette  journée  décisive  amena  'des  propo- 
se  Mont-   .  •  j         •      1  •  1  V  r  y 

»oreaci.  sitions  de  paix.  Le  roi  pardonna  a  son  trere  , 
qui  promit  de  lui  demeurer  fidèle  et  d'aimer 
le  cardinal.  L'espérance  d'obtenir  la  grâce 
de  Montmorenci  inspiroit  ces  vaines  promes- 
ses. Mais  Richelieu  ne  connoissoit  pas  la 
clémence  :  il  vouloit  effrayer  les  grands  par 
une  inflexible  sévérité.  Le  prisonnier  prévit 
d'abord  son  malheur.  Un  chirurgien  le  féli- 
citant de  ce  qu'aucune  de  ses  blessures  n'é- 
toit  dangereuse  :  vous  ave^  oublié  votre 
métier^  lui  dit-il;  car  il  n  y  en  a  pas  une 
seule  ,  jusqu'à  la  plus  petite  ,  ^ui  ne  soie 
mortelle.  Le  parlement  de  Toulouse  rtçut 
ordre  de  lui  faire  incessamment  son  procès. 


Loris  XII L'  i85 

On  tenta  tous  les  efforts  imaginables  pour 
fléchir  le  roi  en  faveur  de  Thomme  de  France 
le  plus  chéri.  Naturellement  sévère  ,  excité 
à  la  rigueur  par  les  conseils  du  ministre,  il 
ferma  l'oreille  aux  prières.  Jt  ne  serais  pas 
roi ,  répondoit-il ,  si  favois  les  sentimens 
des  particuliers, 

La  constance  avec  laquelle  le  maréchal  Sçn  exé* 
de  Montmorenci  subit  son  sort ,  augmenta  ^"^^'^"' 
les  regrets  de  la  cour  et  du  public.  Il  ne  vou- 
lut point  décliner  la  juridiction  des  Toulou- 
sains. Mon  parti  est  pris ,  dit-il  d'abord  : 
je  ne  veux  pas  chicaner  ma  vie.  Le  jour 
de  l'exécution  ,  les  rues  de  Toulouse,  l'ap- 
partement même  de  Louis  XHI  qui  étoit 
venu  dans  cette  ville  ,  retentirent  de  gémis- 
semens.  Les  courtisans  à  genoux  ,  fondant  Dureté  do 
en  larmes  ,  firent  de  nouveaux  efforts  pour 
sauver  le  duc.  Il  faut  qu  il  meure  ^  dit  le 
roi  d'un  ton  chagrin  ;  ulle-;^  lui  dire  que 
toute  la  grâce  que  je  puis  lui  faire  ,  cést 
que  le  bourreau  ne  le  touchera  point ,  qu^il 
ne  lui  mettra  point  la  corde  sur  les  épau- 
les ,  et  qu'ail  ne  fera  que  lui  couper  le  cou. 
Paroles  qui  étvmneroient  moins  dans  la  bou- 
che de  Richelieu.  L'illustre  coupable  avouoit 
son  crime  ,  et  s'en  repentôit  :-  sa 'grâce  au- 
roit  pu  gagner  les  cœurs ,  son  supj^licé'k^  .  ;. 
aigrit  davantage.  •'   '•■■''         -^      '^i 

•    Gaston    furieux   quitte   de   nowvéaii  '^h  Suites  d^ 

-,  ',    _  „  ,       cette  uftaK 

rraiice,  et  se  retire  a  Bruxelles,  accusàntre. 


i«5  Louis  XIII. 

son  frère  de  lui  avoir  manqué  de  parole.  On 
a  cru  que  le  roi  avoit  promis  réellemene 
la  grâce  du  maréchal  ,  mais  elle  n'étoit 
point  stipulée  dans  le  traité,  et  il  paroît  que 
Je  prince  mécontent  prenoit  des  paroles  va- 
gues pour  une  promesse  positive.  Quelques 
ëvéques  du  Languedoc  qui  avoienl  embrassé 
son  parti ,  furent  jugés  par  des  commissaires 
du  pape.  Il  n*y  en  eut  que  deux  de  déposés. 
Uarchevêque  d*Albi  ,  ayant  eu  beaucoup 
de  part  à  la  rébellion ,  devoit  s'attendre  à 
un  traitement  plus  rigoureux  ,  et  le  cardi- 
nal ne  Tauroit  pas  sans  doute  épargné,  s'il 
n'avoit  été  que  grand  seigneur. 
Richelieu      fout  le  royaume  trembloit.  Les  exils  ,  les 

ferme  dans  .  -^  ,        .  ' 

sesprojers.  emprisonnemens  et  les  exécutions  se  multi- 
plioient  chaque  jour.  Richelieu  bravoit  la 
haine,  et  suivoit  toujours  le  plan  de  sapo». 
litique.  Gustave  avec  ses  secours  écrasoit 
en  Allemagne  la  puissance  Autrichienne. 
Ce  héros  fut  tué  à  la  bataille  de  Luzen  ; 
les  Suédois  ne  laissèrent  pas  d'être  vain-, 
queurs  On  fit  un  nouveau  traité  avec  la 
Suède ,  on  maintint  la  ligue  protestante  , 
on  excita  même  à  la  révolte  le  célèbre  "Wals- 
tein  ,  général  de  l'empereur.  Le  génie  du 
^  cardinal  sembloit  remuer  à  sop.  gré  toute, 
1633.    ^'Europe. 

Muriage  Cependant  le  duc  de  Lorraine  ,  autant 
d'Orufans.  P^r  légèreté  de  caractère  que  par  zèle  pour 
<i6€larénuiia  maison  d'Autriche  ,  viola  encore  s^s  pro- 


Louis  XIIÎ.  187 

fhesses ,  «t  s'attira  un  nouvel  orage.  Le  roi 
prit  Nanci ,  résolu  de  le  garder  jusqu'à  ce 
qu'on  lui  eût  remis  entre  les  mains  Mar^ 
guérite  de  Lorraine ,  que  Gaston  avoit  épou- 
sée secrètement.  Ce  mariage  s'étoit  fait  en 
présence  de  témoins ,  avec  le  consentement 
du  duc  et  (Iqs  princes  de  sa  maison.  L'uni- 
versité de  Louvain  l'avoit  déclaré  indisso-» 
lubie.  Les  docteurs  de  Paris  le  déclaroient 
nul ,  comme  contraire  aux  lois  de  l'état , 
par  le  défaut  de  consentement  du  roi  ;  con- 
sentement d'autant  plus  indispensable  ,  que 
Gaston  étoit  encore  l'héritier  présomptif 
de  la  couronne.  Le  parlement  cassa  ce  ma- 
riage. Gaston  tint  ferme  malgré  sa  foiblesse 
et  son  inconstance. 

Mais  les  liaisons  qu'il  entretenoit  avec  O"  tâchi 
l'Espagne  faisoient  désirer  son  retour  dans  'ler  ce"^' 
le   royaum.e.  Puilaurens  son  favori ,  gagné  p^"^*^^* 
par  les  offres  du  ministre  ,  le  ramena,  et 
obtint  pour  récompense  une  nièce  de  Ri- 
chelieu y  avec  la  dignité  dexluc  et  pair.  Trop 
fier  de  son  élévation  ,  et  infidèle  à  ses  en- 
gagemens ,  il  affermit  le  duc  d'Orléans  dans 
le  dessein  de  soutenir  son  mariage.  Man- 
quer au  cardinal ,  c'étoit  courir  à  une  perte 
certaine.  Le  nouveau  duc  fut  mis  à  la  Bas- 
tille ,    où  il  mourut  quelque  temps  après. 
Gaston  l'oublia  dès  le  moment   de  sa  dis- 
grâce. Si  telle  est  d'ordinaire  l'amitié  des 
grands ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'on  s'at- 


\ÎS  Louis  XIII. 

tache  plus  à  leur  fortune  qu'à  leur  personne! 
Au  milieu  des  cabales  et  des  conspirations 


1635.  qui  se  formoient  sans  cesse  contre  Richelieu, 
av?c' rS-  "i^^i^oi^  ^^  nouvelles  entreprises  contre  la  j 
pagne.  maison  d'Autriche.  C'étoit  le  moyen  de  se  - 
rendre  de  plus  en  plus  nécessaire  au  roi ,  in- 
capable de  soutenir  par  lui-même  un  si  grand 
ferdeau.  Les  Suédois ,  à  qui  Ton  ne  donnoit 
que  des  subsides ,  avoient  été  défaits  à 
Nordlmgue  Tannée  précédente ,  et  la  puis- 
sance et  la  fierté  Autrichienne  triomphoient 
dé  cet  évériement.  Par  un  traité  conclu  avec 
la  Hollande  ,  on  s'engage  à  faire  la  guerre 
au  roi  d'Espagne  Philippe  IV ,  s'il  ne  donnoit 
(joint  satisfaction  sur  différens  griefs  dont  on 
se  plaignoit  ;  on  projette  de  conquérir  les 
Pays-bas  Espagnols  ,  et  l'on  en  fait  d'avance 
le  partage.  Philippe  IV  ,  informé  de  ce  des- 
sein ,  fait  surprendre  la  ville  de  Trêves  ,  où 
l'électeur  est  arrêté  prisonnier.  Sous  prétexte 
que  Philippe  a  violé  le  droit  des  gens  à  l'é- 
gard d'un  prince  ami  de  la  France  ,  le  roi  lui 
envoie  déclarer  la  guerre  par  un  héraut  ;  cé- 
rémonie qui  ne  s'est  plus  pratiquée  depuis. 
Une  armée  Françoise  marche  dans  les  Pays- 
bas  ,  tandis  que  le  cardinal  de  la  Valette  , 
fils  du  fameux  duc  d'Epernon  ,  va  comman- 
der en  Allemagne. 
meale-  '  '  '  On  ne  réussit  d'abord  ni  en  Allemagne  ni 
rSnt^niN  en  Flandre.  Les  Flamans  demeurèrent  fidèles, 
heureux,    parce  que  le  gouvernement  Espagnol ,  plus 


Louis  XIII.  i8c^ 

modéré  et  plus  sage  que  sous  Philippe  II , 
les  laissoit  jouir  de  leurs  privilèges.  Les  Hol- 
landois  agirent  foiblement ,  de  peur  que  la 
république  ne  devînt  frontière  du  royaume. 
Le  cardinal  de  la  Valette  ,  manquant  de  vi- 
vres ,  fut  obligé  de  revenir  sur  ses  pas.  Une 
semblable  disette  avoit  rendu  l'expédition 
des  Pays-bas  infructueuse.  Louis  se  plaignoit 
amèrement  du  succès  de  ses  armes  ;  mais  . 
Richelieu  le  maîtrisoit  si  adroitement ,  que 
ces  plaintes  ne  lui  faisoient  aucun  tort.  Il 
avoit  eu  la  sagesse  de  rappeler  le  duc  de 
Rohan,  dont  les  talens  supérieurs  furent 
employés  enfin  au  service  de  l'Etat.  Ce  grand 
général  battit  plusieurs  fois  ks  Espagnols 
dans  la  Valteline ,  et  se  montra  aussi  zélé 
pour  le  souverain  qu'il  l'avoit  été  pour  le 
parti  protestant. 

Comme  la  guerre  épuisoit  les  finances ,  Edits  bur- 
on  eut  recours  à  Texpédient  des  édits  bur- 
saux.  Le  roi  dans  un  lit  de  justice  en  fit  en- 
registrer quarante-deux ,  sans  qu'il  fut  possi- 
ble de  les  lire  Qtde  ks  examiner.  Deux  jours 
après,  quelques  membres  du  parlement  de- 
mandèrent l'examen  des  édits.  On  se  plai- 
gnoit en  particulier  de  la  création  de  plusieurs 
charges  nouvelles.  Ce  moyen  d'avoir  de 
l'argent  fut  toujours  un  des  moins  conformes 
à  la  saine  politique.  Il  dégradoit  la  magis- 
trature en  multipliant  les  juges  ,  qui  étoient 
déjà  en  trop  grand  nombre  ;  il  procuroit  des 


îço  Louis  XÎIT. 

ressources  momentanées ,  mais  en  augmen- 
tant, avec  les  abus,  les  dettes  publiques.  Le 
parment  voulut  faire  dts  remontrances ,  dé- 
marche hasardeuse  sous  un  mirjistre  si  absolu. 
Cmq  magistrats  furent  d'abord  exilt's  ;  on 
reçut  ensuite  les  remontrances ,  et  la  cour  mit 
quelques  légères  modifications  à  ses  ordres. 
Prélats  Urbain  VIll,  fort  mécontent  de  Riche- 
cajuch"'  i^s^  »  ^'■^'i^  accusoit  de  combattre  les  catho- 
homme  t^ejjques  pourles  protestans ,  défendit  au  cardi* 
nal  de  la  Valette  de  commander  l'armée  d'Al- 
lemagne. Richelieu  s't^n  plaignit  hautement , 
et  cita  l'exemple  du  cardinal  infant  frère  de 
Philippe  IV  5  qui  commandoit  ks  troupes 
d'Espagne.  Le  pape  répondit  que  l'un  atta- 
quoit  lés  hérétiques  et  l'autre  les  catholiques. 
On,  répliqua  qu'il  ne  s'agissoit  point  de  reli- 
gion dans  cette  guerre.  La  Valette  fut  iîiain«» 
tenu  dans  le  commandement ,  mais  le  pape 
saisit  dès-lors  les  occasions  de  mortifier  le 
î^e  P.  Jo- ministre.  Il  refusa  constamment  un  chapeau 
*^*'  ^'  pour  le  P.  Joseph  (  du  Tremblai  ) ,  ce  fameux 
capucin ,  le  confident  de  Richelieu ,  employé 
dans  la  plupart  des  intrigues  de  cour ,  et  dan^ 
les  négociations  avec  les  cours  étrangères  (  i  ). 
Un  capucin  mêlé  dans  les  affaires  d'état ,  né- 
gociateur en  1 630  à  la  diète  de  Ratisbonne; 


(i)  Le  cardinal  disoir  ;  Je^ ne  cannois  aucun  mî-' 
nistre  ni  plénipotentiaire  en  Europe  capable  défaire 
la  barbe  à  ce  capucin ,  quoiqu*il  y  ait  belle  prise. 


Louis   XIII.  191 

des  cardinaux  marchant  à  la  tcte  des  armées  ; 
^'est  une  preuve  que  Ton  étoit  encore  peu 
délicat  sur  les  bienséances. 

D'un  autre  coté  les  disputes  violentes  de    Sourdis, 
l'archevêque  de  Bordeaux ,  Sourdis ,  avec  Ie<juVdr* 
duc  dTpernon    et  le  maréchal  de  Vitri ,  ^^^^^«"^ 
scandalisèrent  tout  le  royaume.  Un  secré- 
taire d'état  écrivoit  au  cardinal  de  la  Valette  : 
Al.  r archevêque  de   Bordeaux  a  eu  une 
grande  prise  avec  M.  le  maréchal  de  Vitri: 
mais  il  a  reçu  quelques  vingt  coups  de 
canne ,  ou  de  bâton ,  comme  il  vous  plaira. 
Je  crois  quila  dessein  de  se  faire  battre 
de  tout  le  monde  ^   afin  de   remplir  la 
France  d'excommunications^  Cet  arche- 
vêque guerrier  s'étoit  effectivement  vengé 
par  les  censures  ,  avec  aussi  peu  de  décence 
qu'il  en  avoit  mis  dans  %^%  querelles. 

Pour  réparer  le  mauvais  succès  de  la  der-  ■  ■  ■       1 

nière  campagne,  Richelieu  suivit  un  nouveau     i6?6. 

plan  qui  manqua  encore  dans  l'exécution.  Q^l^^^^^^a® 

Que  ique  les  Francomtois  eussent  fait  un  traité  ^f  E,'  '"^^. 
j  I-    /  1     T-  M  I    ^e  Coude, 

de  neutralité  avec  la  France,  il  entreprit  la 
conquête  de  leur  province  sous  prétexte  de 
quelques  infractions,  dont  ils  eurent  beau  se 
justifier.  Le  prince  de  Condé  fut  chargé  de  ^ 
prendre  Dole.  La  place  ,  disoit-on  ,  ne  pou- 
voit  tenir  que  sept  ou  huit  jours.  Mais  lors- 
que les  habitans  fiirent  sommés  i\t^^  rendre, 
ils  répondirent ,  rien  ne  nous  presse:  nprèx 
un  an  de  siège ,  nous  délibérerons  sur  la 


192  Louis  XIII. 

réponse  que  nous  avons  à  vous  faire.  Ce 
n'ëtoit  point  une  vaine  rodomontade.  Leur 
résistance  déconcerta  bientôt  les  François. 
Un  capucin ,  qui  conduisoit  l'artillerie  de  la 
ville  5  seconda  très-utilement  la  valeur  des 
'  assiégés. 

Les  enne-  Cependant  les  Espagnols  entrent  par  les 
ï^yalf^el^  Pays- bas  dans  la  Picardie,  et  prennent  en 
peu  de  jours  la  Capelle  ,  Corbie  ,  le  Catelet. 
Richelieu  avoit  négligé  de  fortifier  cette  fron- 
tière. Il  impute  aux  commandans  une  pertç 
qu'on  attribuoit  à  sa  négligence.  Il  ordonne 
qu'on  leur  fasse  leur  procès.  iVV/7^r^/2^:[/24 
gouverneurs ,  ni  lieutenans ,  nicapitaines  j 
ni  officiers  ^ni  soldats^  écrivoit  des  Noyers 
aux  commissaires  chargés  de  la  vengeance 
du  cardinal.  L'épouvante  trouble  Paris  et  la 
ïéie  de  la  cour  ;  mais  le  zèle  se  ranime  dans  le  péril  ; 
tous  lès  corps  s'empressent  à,, offrir  des  se- 
cours au  roi.  Louis  donne.audienceàleurs 
députés  ;  il  embrasse  même  les  savetiers; 
tant  l'adversité  ,  comme  l'observe  un  auteur 
du  temps  ,  humilie  les  hommes.  On  envoie 
ordre  au  prince  de  Condé  de  lever  le  siège  de 
pôle ,  après  trois  mois  d'eiforts  inutiles  ,  et 
Ton  ne  pense  qu'à  chasser  l'ennemi  du 
royaume. 
Danger  du  Dans  ces  fâcheuses  circonstances  ,  Ri- 
inimstre.  ^j^gjjgy  ^  ^^  butte  aux -traits  delà  haine  fut 
sur  le  point  de  quitter  le  ministère.  Le  P. 
Joseph  le  rassura  ,  lui  persuada  de  se  mon-» 


Louis  XIII.  193 

rrer  sms  gardes  dans  les  principales  rues  de 
Paris ,  soit  pour  calmer  le  peuple  par  un  air 
de  confiance  ,  soit  pour  TefFrayer  en  faisant 
voir  qu'il  ne  craignoit  rien.  L'événement 
justiha  ce  conseil.  Le  cardinal  flatta  le  peu- 
ple ,  et  n'en  reçut  que  des  bénédictions.  Hé 
bien ,  lui  dit  le  capucin  à  son  retour ,  ne 
vous  avois-je  pas  dit  que  vous  nUtie^ 
quune  poule  mouillée  ,  et  qu^avec  un 
peu  de  courage  et  de  fermeté  vous  réta- 
bliriez les  affaires  f 

Mais  des  ennemis  plus  puissans  tramolent  Complot 
h  perte  du  ministre.  Le  duc  d'Orléans  et  le  princes, 
comte  de  Soissons ,  qui  commandoit  l'ar- 
mée de  Picardie  ,  résolurent  de  le  faire  poi- 
gnarder chez  le  roi  même  à  la  sortie  du  con- 
seil. Le  moment  étoit  venu  :  les  assassins 
n'attendoient  qu'un  signal  de  Gaston  ;  ce 
prince  changeant ,  irrésolu  ,  effrayé  tout-à- 
coup  de  l'idée  d'un  assassinat ,  se  retira  brus- 
quement ,  et  Richelieu  sans  le  savoir  échappa 
au  danger  d'une  mort  inévitable.  Le  complot 
ne  pouvant  être  long-temps  ignoré  ,  les  deux 
princes  quittèrent  la  cour.  Nouveau  sujet 
d'inquiétude  pour  le  cardinal ,  dans  un  temps 
où  les  ennemis  du  dehors  étoienttrop  à  crain- 
dre. 11  négocia  un  accommodement ,  et  le 
roi  pour  regagner  son  frère ,  promit  enfin 
j  consentir  à  son  mariage  avec  Marguerite 
de  Lorraine. 

Les  Espagnols  furent  chassés  de  la  Picar- 


194  Louis  XIII. 

*-    ■        die  ,  le  cardinal  de  la  Valette  et  le  duc  de 
1637.    >^eimar  repoussèrent  le  duc  de  Lorraine  et 

Les  enne- ,       ,         ,  .   '  .  ,     /     ,     ,  , 

m«i  chas- les  Impériaux,  qui  avoiert  pénètre  dans  la 
Bourgogne.  La  petite  ville  de  Saint-Jean-de- 
Lône  leur  avoit  résisté  avec  un  courage  hé- 
roïque ,  Rantzau  étoit  survenu  à  temps  pour 
Epuise-  leur  faire  lever  le  siège,  llrestoit  cependant 

^Sfances?  toujours  un  grand  obstacle  au  succès  des  ar- 
mes ,  le  besoin  d'argent.  L'inexécution  dos 
derniers  édits  par  lesquels  on  avoit  créé  de 
nouvelles  charges  de  judicature  ,  irrita  Louis 
XIII  contre  le  parlement.   Il  en  fit  des  re« 

5jJP^^°j^^g^^^  proches  très-vifs  aux  députés  de  ce  corps, 

parlement.  L'argent  que  je  vous  demande  ,  leur  dit- il, 
nest  pas  pour  jouer  ni  pour  faire  de  jolies 
dépenses.  Ce  nest  pas  moi  qui  parle', 
c^est  mon  état ,  cest  le  besoin  que  Von 
en  a.  Ceux  qui  contredisent  mes  volontés 
me  j'ont  plus  de  mal  que  les  Espagnols, 
Vous  voyei  que  j'ai  affaire  de  vous  ;  vous 
vous  teneijbrts  ,*  mais  je  trouverai  bien 
moyen  d'avoir  ma  revanche.  L'économie 
de  Htn.'i  Iv  eût  été  la  meilleuie  de  toutes  ks 
ressources. 
Faste  de      Malheureusement  elle  ne  convenoit  p'^'nt 

^'^'^^'"-  au  foste  de  Richelieu.  La  dépense  de  sa 
maison  absorboit  seule  quatre  millions  cha- 
que année.  Il  vivoit  en  roi,  etéclipsoit  la 
splendeur  du  trône.  Louis  s'en  plaignoit  sou- 
vent ainsi  que  les  particuliers.  C'est  ce  qui 
engagea  peut-être  le  cardinal  à  lui  faire  don 


Louis  Xlll.  196 

du  palails  quM  avoit  bâti  (  aujourd'hui  le 
palais  Royal  ) ,  et  dans  lequel  il  étaloit  sa 
jnagnlîcence.  La  postérité  lui  reprochera 
toujv)UiS  de  n  avoir  pas  ménagé  ,  comme 
SulJi ,  les  revenus  de  TEtat ,  et  d'avoir  fait 
pour  les  autres  des  lois  somptuaires ,  sans 
mettre  â^s  bornes  à  son  propre  luxe.  L'épui- 
sement des  finances  fit  perdre  de  nouveau  la  Perte  je  la 
Valteline.  On  n'envoya  point  de  subsides  au  Vaiic.iac. 
duc  de  Rohan,  qui  s'en  étoit  rendu  maître.  Il 
fut  contraint  d'abandonner  cette  importante 
conquête;  et  se  retira  à  Genève,  de  peur 
que  le  ministre  ne  le  punît  d'un  malheur 
causé  par  la  faute  du  ministère. 

De  petites  intrigues  de  cour  inquiétèrent.LeP.Caus- 
encore  plus  Kjcneiieuque  les  evenemens  deie  roïcon- 
la  guerre.  Il  avoit  donné  pour  confesseur  à 
Louis  Xlll  le  P.  Caussin,  auteur  de  la  Cour 
Sainte ,  mauvais  ouvrage  de  dévotion  ,  le 
croyant  un  homme  simple ,  incapable  de 
remuer ,  et  qu'il  feroit  entrer  aisément  dans 
toutes  SUS  vues.  Peu  s'en  fallut  que  la  sunpli- 
citë  même  de  ce  jésuite  ne  changeât  la  face 
du  gouvernement.  Se^  préjugés  lui  fa  soient 
regarder  comme  une  cliose  abominable  l'al- 
liance avec  les  protestans  contre  la  maison 
d'Autriche.  Il  osoit  l'attribuer  à  l'ambition 
du  cardinal;  il  Taccusoit  d'accal^lcr  les  peu- 
ples d'impôts ,  de  traiter  inhumainement  la 
reine  mère  qui  manquolt  de  tout  à  Bruxelles, 
et  de  rendre  le  gouvernement  odieux  par  ses 


tre  le   mi- 
nistre» 


T96  Louis  XIÎI. 

injustices.  Le  monarque  dévot  "prétoît  vo* 
lontiers  l'oreille  aux  discours  de  l'imprudent 
confesseur.  IlFaimoit  à  l'entendre  déclamer 
contre  le  ministre  ;  il  étoit  le  premier  à  le 
blâmer  en  secret  ;  il  descendoit  jusqu'aux 
moindres  détails  de  sa  vie  privée ,  trouvant 
fort  mauvais,  par  exemple,  qu'il  ne  dît 
point  de  bréviaire,  lui  qui  avoit  tant  de" 
bénéfices.  La  consolation  des  âmes  foibles 
est  de  se  plaindre  sans  pouvoir  agir. 
Richelieu  Louis  désiroit  de  secouer  le  joug  du  car- 
aie  ^""5.^1^^!^  et  avouoit  ingénument  qu'il  n'osoit 
même  lui  parler  de  certaines  choses.  Cepen- 
dant les  scrupules  l'agitoient;  le  confesseur 
gagnoit  du  terrain  ,  mais  Richelieu  ne  s'en- 
dormoit  pas.  Dans  un  entretien  qu'il  eut 
avec  le  roi ,  il  dissipa  sans  peine ,  à  force  de 
raisons  et  d'éloquence  ,  les  impressions  que 
le  jésuite  avoit  faites  dans  cet  esprit  flexible; 
il  se  vengea  par  l'exil  de  Caussin  ,  qui  n'em- 
porta que  le  blâme  de  sa  propre  compagnie* 
ilntre  je- il  obligea  même  la  duchesse  de  Savoie  à 
fJjgyJjTg^ renvoyer  de  sa  cour  le  P.  Monod  ,  autre 
jésuite  ,  confesseur  de  cette  princesse  ,  lequel 
avoit,  disoit-il ,  autant  d* esprit  et  de  ma- 
lice que  Caussin  avoit  de  simplicité  et 
d'ignorance.  Monod  se  déchaînoit  ouverte- 
ment contre  lui.  Sa  disgrâce  fut  une  affaire 
d'état  pour  le  ministre ,  et  il  n'y  réussit  que 
par  des  coups  d'autorité.  Les  jésuites  avoient 
besoin  de  toute  leur  habileté ,  de  tout  leur 

c  redit 


Louis  XIII.  197 

crédit,  pour  conjurer  les  orages  que  ces  té- 
méraires confesseurs  pouvoient  attirer  sur 
«ux.  Quelques  années  auparavant,  ils  s'é- 
toient  vus  au  moment  d'être  chassés  du 
royaume.,  à  Toccasion  du  livre  séditieux  de 
Santarelli,  dont  nous  parlerons  dans  k  s  re- 
marques particulières, 

La  guerre  allumée  en  Europe  par  la  polltl-u — ^^^^n 
que  du  cardinal  produisoit  une  infinité  d*é-    ^^38. 
Tenemens  ,  dont  le  détail  ne  fournit  rien  1  g  "guerre.*^ 
d'instrnctrf.  Le  duc  de  Weimar ,  après  ^vorr  ^J".|J^^j^* 
été  battu  par  Jean  de  Wen  ,  fixa  enfin  la 
fortune  en  gagnant  la  bataille  de  Rheinfeld , 
où  quatre  généraux  de  l'empereur  furent  faits 
prisonniers.  Jean  de  \^ert ,  le  plus  célèbre 
<le  tous  fut  envoyé  à  Paris.  Les  armes  Fran- 
çoises  étoient  moins  heureuses,  et  le  prince 
de  Condé  ne  réussit  pas  mieux  au  siège  de 
Fontarabie  qu'à  celui  de  Dole. 

C'étoit  la  coutume  de  Richelieu  après  les  Procès  du 
revers,  d'i^n  punir  <|uelque  illustre  victime ,  vaiefte. ^* 
soit  pour  satisfaire  sa  vengeance,  soit  pout 
exciter  au  devoir  par  la  terreur.  Il  rendit  le 
<luc  de  la  Valette ,  qu'il  n'aimoit  point,  res- 
ponsable de  la  levée  du  siège  de  Fontarabie. 
11  le  fit  juger  par  des  commissaires  dont  il 
pouvoit  régler  les  démarches.  Le  rei  présida 
lui-même  au  jugement.  On  lit  dans  une  rela- 
tion, que  le  président  de  Bcllièvre  eut  le  cou- 
rage de  lui  dire  :  votre  ma/esté  pourroit- 
elle  soutenir  la  vue  d'un  gentilhomme 
Tome  IIL  1 


195  LotJis   XIIÎ. 

sur  la  sellette  ,  qui  ne  sortiroit  de  votre 
présence  que  pour  aller  mourir  sur  un 
échafaud?  Cela  est  incompatible  avec  la 
majesté  royale.  Le  prince  porte  partout 
les  grâces  avec  soi  :  tous  ceux  qui  parois- 
sent  devant  lui  doivent  se  retirer  contens 
et  joyeux.  Mais  Louis  XIII  n'avoit  pas 
inoins  de  penchant  que  son  ministre  à  une 
extrême  sévérité.  Il  reprocha  aux  chefs  du 
parlement  de  manquer  d'égards  à  ses  ordres 
absolus,  «  Ceux  qui  disent ,  ajouta-t-il ,  que 
»  je  ne  puis  pas  donner  les  juges  qu'il  me 
»  plaît  à  mes  sujets  quand  ils  m  ont  offensé, 
»  sont  des  ignorans ,  indignes  de  posséder 
»  leurs  charges  »,  Le  duc  de  la  Valette 
fut  condamné  à  mort ,  et  exécuté  en  effigie. 
Cette  sentence  pouvoitétre  regardée  comme 
un  renversement  des  lois.  Elle  fut  cassée  dès 
le  commencement  du  règne  de  Louis  XIV. 
Pnrticula^      Si  la  relation  publiée  par  les  amis  de  la 

rites  Si«r  ce  . 

procès.  Valette  n'est  point  fausse  ,  elle  présente  un 
étrange  tableau  des  procédés  de  la  cour. 
Après  que  le  procureur  général,  eut  requis 
que  le  duc  fût  décrété  de  prise  de  corps  et 
conduit  à  la  Bastille  ,  le  roi  demanda  l'avis 
de  Pinon  doyen  du  parlement.  Sire  ,  dit  ce 
magistrat ,  puisque  M,  de  la  Valette  est 
duc  et  pair  de  France ,  je  supplie  F".  M, 
de  le  renvoyer  au  parlement,  —  Opine^ , 
réplique  le  roi.  Pinon  ajoute  :  je  suis  d^avis 
que  M,  de  la  Valette  soit  renvoyé  au 


Louis  XIIT.  1^9 

parlement  pour  être  jugé.  Le  roi  dit  brus- 
quement :  je  ne  le  veux  pas  ;  ce  n'est  pas  là 
opiner,  —  Sire  ,  répond  le  magistrat  avec 
modestie,  un  renvoi  est  un  avis  légitime, 
' —  Opinei  sur  le  fond ,  s'écrie  Louis  en 
colère  ^  autrement  je  sais  bien  ce  que  j*au* 
rai  a  faire.  Alors  Pinon  ,  effrayé  sans  doute: 
puisque  V,  M,  me  l'ordonne ^  dît- û  ^  je 
suis  de  Vavis  des  conclusions.  Le  célèbre 
Talon  ne  rapporte  point  ce  détail  ;  mais  il 
est  difficile  de  n'y  pas  reconnoître  le  génie 
du  prince  et  du  ministre. 

Quatre  cents  nouvelles  charges  de  procu-       .  •  ^ 
reur  créées  au  parlement  de  Paris ,  et  d'au-    1639. 
très  moyens  extraordinaires  employés  pour  NoîTnLa-* 
avoir  de  l'argent ,  augmentèrent  les  murmu-  ^^^ 
Tes  de  la  nation.  Il  y  eut  une  grande  révolte 
en  Normandie,  On  l'étouffa  par  des  exécu- 
tions m.iUtaires  ,  et  le  parlement  de  Rouen 
lut  interdit ,  pour  n'avoir  pas  montré  assez 
de  vigueur  contre  les  séx:litieux.  Sous  un  gou- 
vernement dur  et  impitoyablement  sévère, 
ie  peujjle  auroit-il  osé  taire  du  bruit ,  si  la 
misère  ne  l'eût  point  réduit  au  désespoir  ? 

Malgré  ces  obstacles  ,  la  France  avoir  plu-         »  ■■ 
sieurs  armées  en  campagne,  et  continuoit    1640. 
la  guerre  avec  plus  de  succès  qu'auparavant,  x.uiîrct^^ 
Le  comte  d'Harcourt   se  fit  admirer  par  la  ^^'-^'^'^s* 
prise  de  Turin.  Son  camp  étoit  assiégé  tandis 
qu'il  assiégeoit  cette  place.  Pendant  vingt- 
deux  jours  il  manqua  presque  entièrement 


200  Louis   XIII. 

de  vivres.  Le  fameux'Jean  de  AVert ,  ayant 
appris  les  circonstances  du  siège  ,  dit  qu'il 
^imerok  mkuxêtve  gênerai  Harcourtqu  em- 
pereur, La  conquête  d'Arras  ne  fut  pas  moins 
glorieuse.  On  démentit  l'ancien  proverbe 
usité  dans  cette  ville  :  quand  les  François 
prendront,  Arras  ,  les  souris  prendront 

TTalt  vt.  les  rats.  Le  maréchal  de  Chatillon  y  signala 

liiarquable  jQj^  zèle  par  ûH  trait  digne  de  mémoire.  Son 
fils  ayant  été  renversé  d'un  coup  de  mous- 
quet ,  le  bruit  courut  qu'il  étoit  mort,  et  la 
nouvelle  en  vint  promptement  aux  oreilles 

^-  du  maréchal.  Il  est  bien  heureux^  dit-  il , 

d'être  mort  dans  une  si  belle  occasion 
pour  le  service  du  roi.  Ce  généreux  père 
eut  bientôt  le  plaisir  de  revoir  son  fils  cou- 
vert de  gloire. 

_— =3-      La  prise  d' Arras  ne  fut  pas  le  coup  le  plus 
164T.    funeste  à  l'Espagne.  Philippe  IV  ,  ou  plutôt 

L'Espasne  {^   j^^  d'Olivarès  ,   ministre  tout  puissant 

perd  la  Ca-  t-»-    1     i-  •      '     1»  '        j     J 

taiogne  et  comme  Richeueu ,   commit  a  1  égard   des 
le  Portugal  ^^^^j^^^  la  même  faute  qui  avoit  révolté 

les  Flamans  contre  Philippe  II.  Ce  peuple  , 
infiniment  jaloux  de  sqs  privilèges ,  ne  put 
souffrir  qu'on  voulût  l'en  dépouiller.  Des 
troupes  envoyées  dans  la  province  achevè- 
rent ,  par  leurs  violences  et  leurs  profana- 
tions ,  d'inspirer  la  haine  du  gouvernement. 
La  Catalogne  entière  secoua  le  joug ,  et  se 
donna  ensuite  à  la  France.  Les  intrigues  de 
Richelieu  contribuèrent  beaucoup  à  cette 


Louis  XIIÏ.  201 

révolution.  Il  avoit  aussi  jeté  les  semences 
de  celle  qui  détacha  le  Portugal  de  la  monar- 
chie Espagnole.  Philippe  II  s'en  étoit  autre- 
ibis  emparé  au  préjudice  de  la  maison  de 
Bragance.  Une  conjuration  imprévue  réta- 
blit la  maison  de  Bragance  sur  le  trône  dont 
elle  jouit  encore.  Ainsi  l'Espagne ,  trop  re- 
doutable sous  Charles-Quint ,  s'affoiblit  tout- 
à-coup  au  gré  du  ministre  François.  Il  y  a 
pour  les  empires  un  point  d'élévation  d'où  ils 
ne  peuvent  ordinairement  que  déchoir  lors- 
qu'ils y  sont  parvenus.  Mais  il  falloit  un  Ri- 
chelieu pour  profiter  des  circonstances. 

Ce  ministre  étoit  partout  le  même.  La  Richelieu 
cour  de  Rome ,  le  clergé  ,  le  parlement ,  cour  de 
éprouvoient  comme  les  grands  et  les  peuples ,  ^^'^^' 
la  force  de  son  pouvoir.  En  1689,  Urbain 
VIII ,  après  la  mort  du  cardinal  de  la  Va- 
lette ,  défendit  à  une  congrégation  dont  il 
étoit  membre  ,  de  taire  pour  lui  un  service  , 
selon  la  coutume  ;  le  cardinal  Barberin  ,  ne- 
veu du  pape ,  fut  soupçonné  d'avoir  com- 
mandé le  meurtre  d'un  écuyer  de  l'ambassa- 
deur de  France ,  dont  la  tête  fut  exposée  en 
public  comme  celle  d'un  criminel,  parce 
qu'il  avoit  arraché  son  domestique  des  mains 
d'une  troupe  de  sbirres  ;  on  se  plaignoit 
d'aiyeurs  d'un  nonce  extraordinaire  que  le 
pape  avoit  envoyé.  Ces  griefs  déterminèrent 
Richelieu  à  faire  un  éclat.  On  signifia  aux 
évcques  la  défense  d'avoir  aucune  communi- 

13 


102  Louis  XIIL 

cation  avec  le  nonce  Scoti.  Ayant  été  averti 
de  ne  plus  se  présenter  à  l'audience  du  roi  , 
il  avoit  osé  dire  que  la  plupart  des  évêques 
de  France  soutiendroient  les  intérêts  du  pape 
préférablement  à  ceux  de  sa  majesté.  Ce  pro- 
pos seul  devoit  exciter  rindignation. 
Assemblée      Richelieu  fait  tenir  a  "Mantes  une  assem- 
à  Maïues.^  ^^^^  ^^  clergé  en  1 64 1  ,  pour  obtenir  des 
secours  pécuniaires  dont  il  avoit  grand  be- 
soin. Deux  commissaires  du  roi  s'y  rendent 
le  premier  mars  ;  ils  demandent  six  millions 
six  cents  mille  livres  ,  représentant  que  tous, 
les  autres  ordres  sont  épuisés ,    et  assurant 
que  le  monarque  ,  par  reconnoissance  ,  ac* 
cordera  au  premier  corps  de  l'Etat  toutes  les. 
prérogatives  d'honneur  et  de  dignité,  qui 
pouvoient  lui  donner  un  nouveau  lustre.  On 
renvoie  la  réponse  à  huit  jours  :   l'affaire 
traîne  en  longueur  d'un  mois  à  Tautre  ;  le 
cardinal  exhorte  ,  conjure,  presse,  menace;, 
il  verse  même  quelques  larmes  pour  gagner 
l'archevêque  de  Toulouse  (  président  avec 
l'archevêque  de  Sens  )  ,  le  plus  opposé  aux 
vues  de  la  cour.  Enfin  le  27  mai,  on  déli- 
bère à  la  pluralité  des  voix  d'accorder  cinq 
millions  cinq  cents  mille  livres ,  à  quoi  la. 
première   somme   étoit  réduite.    Les  deux 
présidens   et    quelques  prélats    refusent  de 
signer  la  délibération  ;   ils  reçoivent  ordre 
de  se  retirer  aussitôt  dans  leurs  diocèses  sansi 
,    passer  à  Paris^ 


Louis    XIll.  2o3 

L'évéque  de  Grenoble  complimenta  Pvi-    Discours 

,     ,.  *  11'  ^     p         •    singulier 

chelieu  au  nom  du  cierge,  et  après  1  avoir f.itau car- 
comblé  de  flatteries  :    «  le  sauveur  de  nos  f^^^^^'^ 
»  âmes ,  notre  souvera-ra  pontife  ,   ajouta- clergé. 
»  t-il ,  présente  à  votre  éminence ,  pour  les 
»    vœux  de  cette  compagnie,  l'église  Galli- 
»  cane  sa  fille  aînée ,  afin  que  par  vos  soins 
»  elle  croisse  de  biens  ,  d'honneurs  et  d'au- 
»  torité  :  c'est  la  faveur  que  nous  voulons 
»  espérer  de  la  bonté  de  V.  E. ,.  nous  pro- 
»    mettant  aussi  qu'elle  balancera  toujours 
»  ses  grâces  entre  les  avantages  de  la  France 
»  et  les  intérêts  de  Téglise ,  puisque  sa  qua- 
»  lité  l'oblige  à  l'une  et  son  caractère  à  l'au- 
tre »,  Ce  discours  fut  imprimé  sous  le  titre 
^Q  Harangue  en  forme  de  trh-humhle  re- 
mercîment  fait  à  monseigneur  Véminen- 
îissime   cardinal  ;   et  le  discours  que    le 
même  évcque  adressa  au  roi ,  le  fut  sous  le 
titre  de  Harangue  en  forme  de  remon^ 
trance  faite  aa  roi.  On  pouvoit  demander 
lequel  des  deux  étoit  le  monarque. 

Comme  le  parlement  ne  se  plioit  pas  aLitdejuj- 
toutes  les  volontés  du  cardinal,  le  roi  tint fi'jfX^^f 

un  lit  de  justice  pour  faire  enregistrer  une  ^"  p^^^®" 
1/1        .  '  ,    .,  .  ^  meut, 

déclaration  ,    portant  défense  a  toutes  ses 

cours  de  prendre  aucune  connoissance  des 
affaires  d'état ,  à  moins  que  S.  M.  ne  leur  en 
donnât  le  pouvoir  et  commandement  spécial 
par  ses  lettres-patentes  ;  ordre  d'enregistrer 
les  édits  qui  conccrnoient  le  gouvernement 

I4 


;204  Louis  XIII. 

de  l'Etat  ,  sans  aucune  délibération  sur 
ces  édits  ,   et ,  pour  ceux  qui  regardoient 
hs  finances ,  ordre  de  \qs.  vérifier  tels  qu'on 
\qs  enverroit ,  lorsqu'après  avoir  entendu  les 
remontrances  ,  le  roi  jugeroit  à  propos  d'or- 
donner l'enregistrement.  On  déclara  ensuite 
la  suppression  des  charges  de  quelques  ma- 
gistrats ,  dont  le  ministre  étoit  mécontent.. 
L'avocat-général  Talon  s'efibrça  en  vain  de 
fléchir  par  un  long  discours  le  courroux  de 
Louis  XIII.  Nous  avons  entendu ,  lui  dit- 
il  ,  des  paroles  de  colhe  et  d'indignation^ 
semblables  aux  foudres  ,  qui  tombant  au 
milieu  d'une  asi>emblée  ^    quoiqu'ils  n  en 
frappent  que  cinq  ou  six^  laissent  partout 
des  marques  de  la  frayeur  et  Vimage  de 
la  mort.  On  enregistra  la  déclaration  ;  car 
il  n'étoit  pas  possible  de  SQn  défendre. 
Guerre  ci-      Cependant  le  comte  de  Soissons  ,  tou- 
comti"de   )^^^^  réfugié  à  Sedan  ,  se  préparoit  à  la 
Soissons.   guerre  civile.  Il  avoit  traité  avec  l'Espagne, 
et  étoit  soutenu  par  les  ducs  de  Bouillon  et 
de  Guise.  Avant  que   le  complot  éclatât, 
^Richelieu  voulut  engager  le  brave  Gassion  , 
alors  simple  colonel ,  à  feindre  d'embrasser 
le  parti  du  comte  ,  afin  de  pénétrer  dans  ses 
secrets  ,   et  d'en  instruire  la  cour.  C'étoit 
un  moyen  infaillible  de  parvenir  à  la  plus 
haute  fortune.  Gassion  ne  vouloit  s'élever 
Trait  de  que  par  des  voies  honorables.  Je  ne  puis 
^àiiiQii.    y^^^  ^y^^  donner  de  plus  que  ma  vie ,  dit-il 


Louis  XIII.  2o5 

su  ministre  ;  je  la  perdrai  volontiers  pour 
le  service  de  votre  éminence  ;  mais  il  ne 
ni  est  pas  possible  de  lui  sacrifier  mon 
honneur,  —  Cest  asseï ,  reprit  le  cardinal; 
votre  fortune  en  pourra  souffrir;  mais 
vous  ne  perdreipas  mon  estime.  Gassion 
garda  le  secret ,  et  Richelieu  ,  qui  avoit 
rame  noble,  lui  témoigna  son  contentement. 
Bientôt  les  rebelles  eurent  une  armée  con- 
sidérable. Le  maréchal  de  Chatillon  com- 
mandoit  celle  du  roi.  il  fut  battu  à  la  Marfée 
par  le  comte  de  Soissons.  Si  ce  prince  n'avoit 
pas  été  tué  dans  le  combat ,  sa  victoire  au- 
roit  eu  sans  doute  de  grandes  suites.  Le  duc 
de  Bouillon ,  pour  se  conserver  Sedan  ,  se 
hâta  de  faire  un  accommodement  simulé , 
et  trama  une  nouvelle  conspiration  en  jurant 
une  fidélité  inviolable.  Cinqmars  ,  favori  de 
Louis  Xlli  ,  fils  du  maréchal  d'EiFiat ,  fut  le 
principal  auteur  du  complot  :  Richelieu  de- 
voit  en  être  la  victime. 

Ce  jeune  homme  ,  parvenu  à  la  dignité  '  '- 

de  grand  écuyer  ,  étoit  redevable  de  sa  for-  }..^^' 
tune  au  cardmal,  qui  lui  avoit  appris  la  ma-  luvori. 
nière  de  captiver  le  cœur  du  roi.  L'ambition        r 
étouffa  en  lui  la  reconnoissance.  Il  détestoit 
son  bienfaiteur,  parce  que  celui-ci  préten- 
doit  le  maîtriser;  il  n'aimoit  guère  plus  le 
monarque  ,  dont  le  sérieux  et  la  tristesse  gé- 
noient  extrêmement  son  goût  pour  le  luxe 
et  les  plaisirs.   Je  suis  bien  malheureux , 

16 


2oS  Louis  XIII. 

disoit-il  à  ses  amis ,  de  vivre  avec  un  homme 
qui  îTL  ennuie  depuis  le  matin  jusqu'au 
soir.  Il  ne  dissimuloit  pas  au  roi  même  ce 
sentiment.  C'étoit  entr'eux  un  sujet  continuel 
de  brouilleries ,  sans  que  le  favori  en  fôt  moins 
*aimé;  tant  la  foiblesse  du  prince  lui  donnoit 
d'empire.  Louis  pardonnoit  tout ,  pour  avoir 
la  petite  satisfaction  de  blâmer  dans  ses  con- 
fidences un  ministre  auquel  il  abandonnoit 
5aconspi-Ies  rénes  de  l'Etat.  Cinqmars  changea  enfin 
ration.  ^^  système.  Autant  il  avoit  paru  ennuyé  de 
la  faveur,  autant  s'appliqua-t-il  à  la  cultiver» 
Séduit  par  l'espérance  de  supplanter  le  mi- 
nistre et  de  gouverner  le  royaume  ,  il  excita 
le  duc  d'Orléans  à  la  révolte  ,  il  attira  le  duc 
de  Bouillon  dans  sa  cabale.  On  envoya  un 
émissaire  en  Espagne ,  et  l'on  fit  un  traité 
au  nom  de  Gaston  pour  ouvrir  la  France  aux 
ennemis. 
Richelieu  Louis  XIII  étoit  allé  en  personne  conque- 
vre.  ''^^"'rir  le  Roussillon,  Jamais  le  crédit  de  Cinq- 
mars  ne  parut  mieux  établi  que  dans  ce 
voyage.  Il  ne  ménageoit  plus  rien;  il  déchi- 
roit  le  cardinal;  il  proposoit  tantôt  de  le 
faire  assassiner ,  tantôt  de  le  chasser  de  la 
cour.  Le  roi  sembloit  résolu  à  prendre  ce  der- 
nier parti  ,  et  Richelieu  ,  dangereusement 
malade  à  Tarascon ,  ne  doutoit  plus  de  sa 
disgrâce.  Mais  sa  fortune  le  tire  encore  de 
ce  danger.  Il  découvre  le  traité  conclu  par 
les  factieux  avec  l'Espagne  ,  et  en  donne  avis 


/ 


Louis  XIIL  207 

au  roi.  Tout  change  aussitôt.  L'imprudent 
Cinqmars  est  mis  en  prison  ;  le  duc  de  Bouil- 
^  m  est  arrêté  en  Italie ,  où  il  commandoit 
"armée  de  France.  Le  fils  du  fameux  prési- 
dent de  Thou ,  leur  ami  et  leur  confident^ 
^..bit  le  même  sort.  On  avoit  besoin  de  nou- 
>  elles  preuves  pour  les  condamner  :  Gaston 
n'eut  pas  honte  de  les  fournir  pour  acheter 
sa  propre  grâce.  Tel  avoit  tou)owrs  été  le 
rôle  de  ce  prince  ,  rebelle  par  caprice ,  et 
sacrifiant  ses  amis  par  lâcheté.  L'abbé  de  la 
Rivière  ,  qu'un  historien  appelle  le  plus  fa- 
rneux ,  le  plus  riche  et  le  mieux  ré com.' 
pensé  de  tous  les  traîtres  du  royaume , 
tut  soupçonné  d'avoir  trahi  le  secret  de 
Gaston  ,   dont  il  gouvernoit  l'esprit  à  son 

On  instruisit  à  Lyon  le  procès  des  cons- Procès  t'^e» 
pirateurs  ,  sous  les  yeux  du  ministre ,  qui  tsm*^*^"" 
voulut  que  de  Thou  tut  traité  comme  Cmq- 
mars ,  quoique  son  crim.e  se  réduisît  à  n  a- 
voirpas  révélé  une  conspiration  qu'il  désap^ 
prou  voit.  M,  le  chancelier  a  beau  dire 
(  ce  sont  les  termes  de  Richelieu)  ,  it  faux 
que  Thou  meure.  Celui-ci  représenta  qu'en 

(O  Avec  le  ton  décisif  que  donne  la  fatuité,  il 
vcuîoit  déterminer  le  duc  d'Orléans  à  lever  le 
iiég'i  de  Tournai  en  1646.  Monsieur  raùBé ,  lui 
oit  le  maréchal  d^  Gaision  ,  les  beaux  esprits  sons 
Je  pauvres  engins  à  la  guerre.  Heureusement  G  asiion 
l'emporta,  et  Tour;)ai  fur  pris» 

16 


2o8  Louis   XIII. 

accusant  le  frère  du  roi ,  le  duc  de  Bouillon 
et  le  grand  écuyer ,  sans  avoir  de  preuves 
pour  les  convaincre  ,  il  auroit  dû  passer  pour 
un  calomniateur.  Les  juges  ne  laissèrent  pas 
de  le  condamner  avec  son  ami  à  perdre  la 
tête ,  fondés  sur  un  édit  de  Louis  XI ,  qwe 
Richelieu  cita  lui-même  au  chancelier,  et 
qui  étoit  oublié  comme  une  loi  trop  rigide. 
Le  duc  de  Bouillon  en  fut  quitte  pour  sa 
principauté  de  Sedan  ,  qu'il  céda  au  roi  ;  il 
reçut  en  échange  des  terres  d'un  revenu  plus 
considérable.  Monsieur  se  soumit  humble- 
ment à  vivre  en  simple  particulier  ,  sans  gar- 
des 5  sans  gouvernement  et  sans  crédit.  Après 
l'exécution  de  Cinqmars  et  de  Thou  ,  le 
cardinal  ayant  reçu  la  nouvelle  de  la  prise  de 
Perpignan  ,  écrivit  au  roi  qui  étoit  retourné 
à  Paris  ;  Sire  ,  vos  ennemis  sont  morts  , 
et  vos  armes  sont  dans  Perpignan  (i). 
Fin  du  Triomphant  lui-même  de  ses  ennemis , 
5e' Riche-  plutôt  que  de  ceux  du  roi ,  mais  abattu  par 
^^^^''  la  maladie ,  il  prit  le  chemin  de  la  cour  , 
et  fit  une  partie  du  voyage  dans  une  espèce 
de  chambre  couverte  de  damas ,  que  ses 
gardes  portoient  sur  leurs  épaules.  L'épuise- 


(i)  On  raconte  que  le  roi,  sachant  à-peu-près 
Theure  de  l'exécution  ,  regardoit  quelquefois  sa 
montre  ,  et  qu'il  disoit  :  dans  une  heure  d'ici  M,  U 
Grand  passera  mal  son  temps,  Louis  XI  eût  peut-être 
dissimulé  ce  pUUir. 


LoùiS  XIII.  zo() 

ment  du  corps  n'ôtoit  rien  à  la  vigueur  de 
son  esprit.  Il  pensoit  encore  à  s'assurer  la 
régence  après  le  trépas  de  Louis  XIII, 
lorsqu'il  mourut  âgé  de  cinquante-sept  ans. 
En  recevant  le  viatique ,  il  avoit  pris  Dieu 
à  témoin  que  dans  le  cours  de  son  minis- 
tère, il  n^ avoit  jamais  eu  en  vue  que  h 
bien  de  la  religion  et  de  l'e'tat,  La  voix 
publique  ne  lui  rendoit  pas  un  témoignage 
si  flatteur. 

Son  ambition  ,  son  despotisme ,  ses  ven-  son  carao» 
geances  cruelles  ,  ses  petites  jalousies,  sa^^*^^* 
vanité  d'auteur  ne  peuvent  effacer  la  gloire 
de  sts  grandes  entreprises.  On  lui  reproche 
d'avoir  sacrifié  à  ses  passions  et  hs  lois  et 
rhumanité.  Mais  il  dompta  la  Rochelle  , 
contint  les  séditieux  ,  et  rendit  la  France 
respectable  à  ses  ennemis.  Il  disoit  -.je  nose 
rien  entreprendre  sans  y  avoir  bien  pensé: 
maisquand  une  fois f  ai  pris  ma  résolution^ 
je  vais  à  mon  but ,  je  renverse  tout  ^  je 
fauche  tout ,  et  ensuite  je  couvre  tout  de 
ma  soutane  rouge.  Tel  étoit  son  carac- 
tère :  beaucoup  de  profondeur  dans  les  pro- 
jets et  de  force  dar.s  l'exécution.  Le  czar 
Pierre  avoit  une  si  haute  idée  de  ce  minis- 
tre ,  qu'à  la  vue  de  son  mausolée  dans  l'église 
de  la  Sorbonne ,  il  s'écria  transporté  d'en- 
thi->us!asmé  :  oh ,  grand  homme  !  si  tu  vi- 
vois  ,  je  te  donne  rois  la  moitié  de  mon 
empire  pour  m'apprendre  à   gouverner 


210  Louis  XIIT. 

Vautre,  Marc-Aurele  eût  préféré  un  minis- 
tre humain  ,  équitable ,  plus  occupé  du  bon- 
heur des  peuples  que  de  la  gloire  des  gran- 
des et  périlleuses  entreprises. 
*-•  La  reine  mère  ,  Marie  de  Médicis  ,  mou- 

1643.   rut  à    Cologne  ,    dans   Tindis^ence.    Louis 

Mort  de  VIT'-  \    •  '      .  1  .  A 

Louis  XIII  ^ili  ne  lui  survécut  pas  long-temps.  Anne 
d'Autriche ,  après  vingt-trois  ans  de  stiri- 
lité ,  lui  avoir  donné  deux  fils.  Il  auroit 
voulu  ne  laisser  le  gouvernement  ni  à  cette 
princesse  qu'il  n'aimoit  pas  ,  ni  au  duc  d'Or- 
léans qui  méritoit  bien  moins  son  estime 
et  sa  tendresse.  II  fit  une  déclaration  par 
laquelle  ,  en  donnant  la  régence  à  sa  femme, 
et  le  titre  de  lieutenant  général  du  roi  mi- 
neur à  son  frère ,  il  établit  un  conseil  de 
régence  pour  restreindre  leur  autorité.  On 
verra  le  peu  d'effet  de  ctli^  déclaration. 
Sa  volonté  ne  fut  rien  après  sa  mort. 

Jugement       <<  Y\\s  et  père  de  deux  de  nos  plus  erands 
sur  ce  roi.  i-     »r    tt/        1       -i     /v        ■    i        a 

»  rois ,  dit  M.  Henault,  il  aitsrmitle  trône 
»  encore  ébranlé  de  Henri  IV  ,  et  prépara 
»  les  merveilles  du  siècle  de  Louis  XIV.  » 
C'est  moins  faire  l'éloge  de  Louis  XIII 
■  que  du  cardinal  de  Richelieu.  Celui-ci  ré- 
gna véritablement  :  l'autre  fut  toujours  gou- 
verné ;  mais  il  conserva  ,  m.algré  ses  dé- 
goûts et  sa  jalousie ,  un  ministre  sans  lequel 
il  n'eût  été  vraisemblablement  que  le  jouet 
Ats  factieux ,  de  ses  indignes  favoris  ,  et  de 
quelques  maîtresses  à  qui  il  se  livroit  sans 


Louis  XIIL  irr 

passion  ,  pour  leur  confier  ses  ennuis  et  ses 
peines.  Selon  le  continuateur  de  Daniel  , 
/■/  eut  très-peu  de  défauts ,  et  beaucoup 
de  vertus  qui  ont  toujours  été  sans  éclat* 
Sa  vie  publique  et  sa  vie  privée  offrent  ce- 
pendant plus  de  matière  de  blâme  que  de 
louange.  S'il  est  vrai ,  comme  le  disent  quel- 
ques historiens  ,  qu'on  lui  donna  dès  son 
entance  le  surnom  de  Juste  ,  parce  qu'il  étoit 
né  sous  le  signe  de  la  balance  5  ce  beau 
nom  ne  lui  fait  aucun  honneur,  et  jette  du 
ridicule  sur  la  crédulité  ou  la  superstition, 
de  son  siècle. 


Il  est  singulier  que  dans  le  teînps  même  Le  pouvoir 

où  l'Angleterre  ,  sous   Charles  I  ,   s'agitoit  j|^j^J^'g<;°/^7 

violemment  pour  anéantir  le  pouvoir  deiàmentô  par 
rf.   ,     ,.  *^      ,     ,  Kicneiieu. 

couronne ,  Richelieu  soit  venu  a   bout  en 

France  d'affermir  et  d'augmenter  ce  pou- 
voir. Le  fanatisme  des  presbytériens  Aii- 
glois  ,  partisans  du  système  rigide  de  Cal- 
vin ,  produisit  une  révolution  que  l'amour 
^cul  de  la  liberté  n'auroit  pas  produite.  Le 
fanatisme  des  calvinistes  François  pouvoit 
devenir  également  funeste  à  la  monarchie. 
En  continuant  de  l'irriter ,  il  falloit  que  la 
Rochelle  tombât  pour  que  le  roi  fut  le  maî- 
tre :  et  pour  abattre  la  Rochelle  ,  il  falloit  un 

Richelieu.  Il  employa 

Ce  coup  de  vieueur  et  la  hache  dubour-tiopjater- 

.'  ,      ,     .  ,  ,  .     reur  et  les 

reau  servirent  a  réprimer  les  grands ,  qui ,  supplices: 


1T2  Louis  XIIL 

au  commencement  du  règne  ,  affectoient 
l'indëpendance.  Lesdiguières  étoit  si  absolu 
dans  le  Dauphiné ,  qu'en  1617  il  faisoit 
la  guerre  aux  Espagnols  sans  ordre  du  roi. 
A  en  juger  par  les  révoltes  et  les  guerres 
civiles ,  toujours  au  désavantage  de  la  cour , 
les  fondemens  du  trône  eussent  été  fort 
ébranlés  ,  si  Louis  XIII ,  esclave  de  ses 
favoris ,  n'avoit  eu  pour  soutien  un  minis- 
tre inébranlable.  Mais  le  passage  du  niai 
au  bien  ne  peut-il  se  faire  que  par  les  voies 
de  la  violence  ?  Falloit-il  qu'un  sceptre  de 
fer  écrasât  l'orgueil  des  sujets  ?  que  les  écha- 
fauds  fissent  craindre  et  haïr  plutôt  que  res- 
pecter la  couronne  ?  que  les  lois  qui  protè- 
gent l'innocence  ne  devinssent  qu'un  sujet  de 
terreur  ?  que  les  arrêts  de  mort  fussent  dictés 
par  le  souverain  ?  et  que  les  jugemcris  mêmes 
donnassent  lieu  de  crier  à  l'injustice  ?  Le 
ministère  de  Richelieu  avoit  excité  une  haine 
générale  ;  il  n'eût  excité  que  de  l'admira- 
tion 5  s'il  eût  été  aussi  équitable  que  vigou- 
reux. 
Etat  pito-  La  guerre  contre  la  maison  d'Autriche 
finaifces  et  ^^ugmenta  beaucoup  les  maux  publics.  Il  fal- 
merce"^'  lut  épuiser  pour  la  soutenir  toutes  les  res- 
sources de  la  nation.  Le  commerce  n  etoit 
rien  moins  que  florissant.  Dans  l'assemblée 
des  notables  ,  en  i  626  ,  le  garde  des  sceaux 
déploroit  la  léthargie  des  François  à  cet 
égard.  «  Nos  voisins  (  selon  lui  )  met- 


Louis  XIII.  115 

»^  tolent  le  prix  à  nos  denrées  ,   et  nous 

>  obligeoient  de  prendre  les  leurs  au  prix 

»  qu'ils  vouloient  ;   en   quoi    nous  étions 

^^    d*autant  plus  blâmables,  que  le  royaume 

possédoit  les  plus  grands  avantages  pour 
»  la  marine  ;  qu'il  fournissolt  à  ces  peu- 
^  pies  le  fer  et  les  bois  de  construction, 
»  le  chanvre ,  les  toiles  ,  le  vin ,  le  cidre  , 
»  la  bière ,  le  biscuit  »,  On  voyoit  l'Angle- 
terre et  la  Hollande  s'enrichir  tous  les  jours 
par  le  commerce  maritime;  mais  on  avoit 
besoin  de  circonstances  plus  heureuses  pour 
profiter  de  leur  exemple.  Le  génie  actif  et 
industrieux  du  François  paroissoit  engourdi 
dans  la  misère ,  ou  ne  respiroit  que  les  fac- 
tions et  les   armes. 

Une  requête  de  la  noblesse,   présentée     Requête 
au  roi  pendant  cette  même  assemblée  ,  ren-  bLsse  ea~ 
ferme  quelques  vues  utiles,  dont  une  par-^^^^* 
tie  a  été  mise  en  exécution  par  les  derniers 
rois.  Entr'autres  articles  ,  on  demandoit  que 
la  vénalité  des  gouvernemens ,  des  emplois 
militaires  ,  des  charges  considérables  de  la 
cour,  fut  abolie  avec  ks  survivances  qui 
les  rendoient  héréditaires  ,*  que  le  nombre 
excessif  des  collèges  fut  retranché  ,  et  qu'à 
leur  place,  des  écoles  militaires  fussent  éta- 
blies dans  les  villes  métropolitaines,  pour 
Téducation  des  pauvres  gentilshommes  de- 
puis douze  ans  jusqu'à   dix-sept   (  on  bor- 
noit  à  deux  mille  écus  de  rente  l'entretien 


214  Louis  XIII. 

de  chacune  de  ces  écoles  )  ;  qu'il  plût  au  roi 
d'instituer  un  ordre  de  chevalerie  sous  le 
titre  de  S.  Louis ,  auquel  seroient  attachées 
des  commanderies,  la  moindre  de  cinq  cents 
livres  de  rente,  et  la  plus  forte  de  six  mille, 
à  prendre  sur  les  bénéfices  vacans ,  avec  le 
consentement  du  pape.  La  noblesse  deman- 
doit  encore  que  le    tiers   des   bénéfices  fût 
affecté  aux  seuls  gentilshommes ,  ainsi  que 
les  emplois  militaires  et  les  principales  char- 
ges de  ia  maison  du  roi.  L'intérêt  de  corps 
avoit  dicté  cette  requête  :  or^  oublioit  que 
rémulation  fait    de    grands  hommes   dans 
tous  les  états  ;  mais  on  donnoit  la  première 
idée  d'une  école  militaire  et  de  l'ordre  de 
S.    Louis.    C'étoit  préparer   de  loin  deux 
établissemens  très-avantageux  au  royaume. 
Code  xMa-      Michel  de  Marillac  ,  garde  des  "sceaux, 
té  par  leavoit  çompose  un  code  qu  on  appelle  vul- 
^^^^^'"^"^"  gairement  le  code  Michau.  Le  roi  tint  en 
1619  un  lit  de  justice  pour  le  faire  enre- 
gistrer en  forme  d'édit.  Marillac  y  prononça 
un  long  discours  sur  l'autorité  royale.  Nous 
sommes  tous  d'accord ^  dit-il,  çue  le  roi 
ne  doit  rien  faire  que  justement  :  il  le  sait 
et  le  croit  lui-même  ;  et  quoiqu'il  soit  au- 
dessus  de  la  loi  ,  il  veut  bien  néanmoins 
être  au-dessous  de   la   raison.   Mais  le 
point  de  la  question  est  ^  qui  sera  juge 
des  actions  du  roi  pour  dire  qu  elles  sont 
justes  ou  non  ?.  ^,  Si  les  princes  abusçni^ 


Louis  Xlll,  ii5 

de  leur  pouvoir ,  s^ils  suivent  t injustice , 
Dieu  qui  est  leur  juge  ne  manquera  pas 
d  y  pourvoir  par  les  moyens  qu'il  sait 
pratiquer   en   tel  cas.    On  demanda   du 
temps  pour  examiner  ce  code  ;  le  roi  voulut 
qu'on  obéît  sur   le  champ.  On   enregistra 
donc  ;  mais  les  chambres  assemblées  le  len- 
demain se  plaignirent  d'un  enregistrement 
si  précipité ,  et  le  déclarèrent   nul  jusqu'à 
ce  qu'on  eut  examiné  les  lois  contenues  dans 
r^dit ,  et  que  le  roi  eût  écouté  les  remon- 
trances du  parlement  sur  les   changemens 
qu'on  jugeroit  nécessaires.  Le  parlement  tint 
ferme  contre  les  ordres  de  la  cour  ;  d'autres 
affaires  survinrent  qui  firent  tomber  le  code;. 
les    avocats  même  n'osèrent   pas  le   citer, 
Etoit-ce  une  bonne  politique  de  fermer  la 
bouche  aux  magistrats  sur  des  objets  si  es- 
sentiels à  la  société  et  de  leur  faire  enregis- 
trer sans  examen ,  sans  délibération ,  des  lois 
nouvelles  dont  il  importoit  de  peser  les  avan- 
tages et  les  inconvéniens  ?  Consultons  Tau- 
tcar  de  TEsprit  des  lois. 

«   Le  cardinal  de  Richelieu  ,  dit-il,  veut  Réflexion» 
»  que  l'on  évite  dans  les  monarchies  les  épi-  b'.lïssance 
^   nés  des  compagnies  qui  forment  des  dif ''''^  =^-^5i^* 
»  hcultes  sur  tout  :  quand  cet  homme  n  au- 
»  roit  pas  eu  le  despotisme  dans  le  cœur, 
»  il  Fauroit  eu  dans  la  tête.  Les  corps  qui 
»  ont  le  dépôt  des  lois  n'obéissent  jamais 
»  mieux  que  quand  ils  vont  à  pas  tardifs  ^ 


2i6  Louis  XIII. 

»  et  qu'ils  apportent  dans  les  affaires  du 
»  prince  cette  réflexion  qu'on  ne  peut  guères 
»  attendre  du  défaut  de  lumières  de  la 
»  cour  sur  ks  lois  de  l'état ,  ni  de  la  pré- 
»  cipitation  de  ses  conseils.  Que  seroit  de^ 
»  venue  la  plus  belle  monarchie  du  monde , 
»  si  les  magistrats ,  par  leurs  lenteurs ,  par 
»  leurs  plaintes  ,  par  leurs  prières  ,  n'a- 
»  voient  arrêté  le  cours  des  vertus  même 
»  de  ses  rois ,  lorsque  ces  monarques ,  ne 
»  consultant  que  leur  grande  âme  ,  au- 
»  roient  voulu  récompenser  sans  mesure 
»  des  services  rendus  avec  un  courage  et 
»  une  fidélité  aussi  sans  mesure  »  }  (  Esprit 
des  Lois  ,  Liv,  V,  1 1 .  ) 
Loi  contre  On  remarque  dans  le  code  Marillac  Tar- 
hasard.  ticle  1 87  contre  les  jeux  de  hasard ,  con- 
forme aux  lois  romaines.  «  Celui  qui  aura 
»  gagné  aux  jeux  de  hasard ,  dit  Julien  , 
»  n'aura  point  d'action  pour  se  faire  payer  ; 
.  »  et  celui  qui  aura  perdu,  pourra  répéter 
»  ce  qu'il  aura  perdu  volontairement  ;  cette 
»  action  sera  perpétuelle ,  imprescriptible  , 
»  et  passera  de  lui  à  ses  héritiers  et  con- 
»  tre  \ts  héritiers  de  celui  qui  aura  gagné , 
»  etc.  »  (  V.  Hénault,  )  L'étrange  fu- 
reur du  jeu  a  rendu  comme  sacrées  dts 
dettes  illégitimes  ,  au  mépris  souvent  des 
Affaires  de  obligations  les  plus  inviolables, 
et  deY^Jé-  ^^"s  ^^  barrière  que  les  magistrats  op- 
suites.      posoient  aux  opinions  ultramontaines ,  tou- 


Louis  XIII.  217 

jours  enracinées  dans  le  royaume,  la  cour  de 
Rome  y  auroit  peut-être  conservé  long- temps 
son  ancien  empire.  Santarelli,  jésuite  Italien , 
ai'^rt  imprimécomme  d'autres  théologiens  de 
sa  compagnie  ,  les  maximes  les  plus  outrées 
sur  la  puissance  des  papes ,  et  les  plus  sé- 
ditieuses contre  les  droits  des  souverains. 
La  Sorbonne  censura  son  livre  ,  le  parle- 
ment le  fit  brûler;  et  Richelieu  qui  attri- 
buoit  aux  jésuites  une  partie  des  libelles  , 
qu'on  ne  cessoit  de  publier  contre  lui ,  les 
alloit  faire  chasser  par  un  arrêt  en  1626, 
s'ils  n'eussent  enfin  souscrit  à  la  censure 
de  l'ouvrage. 

Mais  le  cardinal  du  Perron,  et  Riche- Affaire  d« 
..u  lui-même,  et  des  membres  delà  Sor-Richer. 
bonne  ,   poursuivirent  le   fameux    docteur 
Edmond  Richer ,  à  l'occasion  du  petit  ou- 
vrage  de  la  puissance  ecclésiastique ,  et 
politique  ,  où  il  soutenoit  que  le  pape  n'est 
point  un  monarque  dans  l'église  ,  qu'il  est 
soumis  au  concile  général  ;  que  les  prmces 
ont  part  au   gouvernement  ecclésiastique  , 
en  ce  qut  regarde  les  biens  temporels  et  les  pei- 
nes corporelles   ,  le  mantien  de  la    disci- 
pline  et  des  canons  dans  leur  état.  Selon 
des  auteurs  dignes  de  foi ,  le  P.  Joseph  ayant  Commert 
attiré  chez    lui   le  docteur,    par  ordre  du  de  se^îél 

ordinal,  fit  paroître  des   assassins,  en  di-^""^^' 
3<iiu  :  il  faut  mourir  ^  ou  rétracter  votre 
livre  y  et  le  força  à  signer  la  rétractation , 


2i8  Louis  XIII. 

en  présence  d'un  notaire  apostolique  venu 
exprès  de  Rome.  Richer  persécuté  ,  déposé 
du  syndicat,  mis  en  prison,  auroit  été  li- 
vré au  pape ,  si  le  parlement  et  le  chan- 
celier ne  se  fussent  déclarés  en  sa  faveur. 
Il  eut  beau  soumettre  son  livre  au  juge- 
ment du  saint  siège  ,  et  offrit  de  l'expliquer 
dans  le  sens  le  plus  orthodoxe.  Richelieu 
sollicitoit  alors  pour  son  frère  un  chapeau 
de  cardinal  ;  le  docteur  fut  sacrifié  à  la  po- 
litique ;  il  mourut  en  se  reprochant  une 
rétractation  forcée.  On  lui  reproche  ,  dit 
l'abbé  Ladvocat ,  des  sentiraens  trop  répu- 
blicains. 
La  concnr.  L'ouvrage  de  la  concorde  du  sacerdoce. 
doc"^efd'e^^  ^^  /V/72/7/r€  étoit  propre  à  éclairer  tous  les 
l'cmpirc.  esprits.  Pierre  de  Marca,  conseiller  d'état , 
y  avoit  développé  les  meilleurs  principes; 
mais  ces  principes  choquèrent  la  cour  de 
Rome.  L'illustre  auteur ,  trop  flexible  dans 
ses  sentimens  au  gré  des  conjonctures  et  de 
la  fortune  ,  ayant  été  nommé  à  Tévêché  de 
Conserans ,  et  ne  pouvant  obtenir  ses  bul- 
les ,  donna  à^s  explications  de  son  livre  , 
aussi  favorables  qu'il  étoit  possible  à  la 
doctrine  ultramontaine.  A  ce  prix  ,  les  bul- 
les lui  furent  enfin  accordées  en  i  64'^.  Croi- 
roit-on  que  pour  être  évéque  en  France , 
il  fallût  en  quelque  sorte  désavouer  les  maxi- 
mes françoises  } 

Tout  gênoit  encore  l'amour  de  la  vérité. 


Louis  Xllf.  219 

On  renouvela  en  1626  la  défense  faite  par  Livr«$ 
enri  11 ,  d  imprimer  aucun  livre  sans  nom  défendus. 
d'auteur  ;  comme  si  un  livre  anonyme  ne 
pouvoit  pas  être  examiné  et  approuvé  ; 
comme  si  l'homme  le  plus  sage  et  le  plus 
habile  ne  pouvoit  pas  avoir  des  raisons  pour 
se  cacher  au  public  ,  en  l'instruisant  même 
sur  des  matières  essentielles  au  bonheur  ? 
C'est  un  problème  difficile  à  résoudre  ,  si 
la  licence  de  la  presse  a  fait  plus  de  mal 
en  certains  pays  ,  que  la  contrainte  exces- 
sive de  la  presse  n'a  empêché  de  bien  en 
plusieurs  autres. 

Il  y  avoit  d'autant  plus  d'absurdité  à  dé-  Licence 
fendre  les  livres  anonymes  ,  qu'on  laissoit  d^^p?  Ga- 
en  proie  à  la  satire  les  auteurs  respectables  '"^^-^' 
qui  avoient  le  courage  d'éclairer  leur  siècle. 
Quand  le  P.  Garasse  ,  jésuite  François , 
vomissoit  la  bile  et  le  fiel  sur  la  mémoire 
de  Pasquier  ;  quand  il  l'appeloit  sot  par 
nature ,  sot  par  b^qiiarre ,  sot  par  bémol , 
sot  à  double  semelle ,  sot  en  cramoisi  , 
sot  en  toute  sorte  de  sottises ,  etc.  etc.  ; 
on  pouvoit  regarder  ces  injures  comme 
celles  des  harengères  ,  dont  personne  ne 
daigne  s'offenser.  Mais  quand  il  l'accusoit 
d'être  un  chrétien  sans  religion ,  et  qu'il 
prodiguoit  les  noms  d'impie  et  d'athée  aux 
.  crivains  du  premier  mérite  ,  n'étoit-ce  pas 
jouer  le  rôle  d'Aristophane  sous  le  masque 
de  la  religion  ? 


1 

120  Louis  XIIT. 

Etat  des      Cependant  1  esprit  humain  commençoit 

lettres  et     r  j  j      \.  j-     •  i         7  x 

des  scien-a  user  cle  ses  droits,  pour  dissiper  les  tenc- 
^^^'  bres  de  la  barbarie  et  de  Terreur.    Malher- 

be et  Corneilie  créèrent  en  quelque  sorte 
notre  poésie.  Descartes  foudroya  les  ab- 
surdités de  l'école ,  et  ouvrit  par  un  doute 
sage  le  chemin  de  la  vérité.  Grotius  en 
Hollande  jeta  les  premiers  principes  des  droits 
précieux  de  Thumanité.  Le  chancelier  Bacon 
en  Angleterre  cultiva  le  germe  d'une  in- 
finité de  connoissances  utiles.  Galilée  en 
Italie  démontra  le  mouvement  de  la  terre 
autour  du  soleil.  Mais   ks  préiugés  aveu- 

Tyrannie    ,    .  •  ,  .  .      ,^    j\P      .  .  . 

x\es  prtju-gloient  toujours  la  multitude.  L  inquisition 
^^^'  emprisonna  Galilée,  comme  un  impie ,  parce 

-cju'il  avoit  connu  le  ciel  ;  Descartes  fut 
accusé  d'athéisme  ,  parce  qu'il  avoit  de  plus 
grandes  idées  de  Dieu  et  de  la  nature  que 
ses  imbécilles  accusateurs,*  et  Grotius  auroit 
péri  en  Hollande  même ,  avec  Barneveldt , 
sous  prétexte  d'hérésie,  s'il  n'avoit  été  tiré 
de  prison  par  sa  généreu-se  épouse.  A  peine 
peut-on  croire  maintenant  que  le  parlement 
de  Paris  défendit  sous  peine  de  mort  d'en- 
seigner un  doctrine  contraire  à  celle  d'A- 
Urbaîn  ristote.  Le  procès  d'Urbain  Grandier ,  curé 
lau  ler,  ^^  Loudun  ,  condamné  au  feu  en  16S4 
pour  avoir ,  disoit-on ,  ensorcelé  tout  un  cou- 
vent de  religieuses ,  est  encore  un  monu- 
ment célèbre  de  l'ignorance  de  nos  ancê- 
tres , 


Louis  XIII.  121 

Itres  ,  quoique  la  haine  de  Richelieu  eût  di'- 
rjgé   la  procédure. 

Cette  ignorance  dictoit  des  lois  injustes  ^  Salutaires 
faisoit  périr  dans  Tbs  supplices  des  malheu-  science?  ^ 
reux,  qu'elle  supposoit  faussement  coupa- 
bles (i).  Pour  sentir  la  nécessité  et  les  avan- 
tages de  la  science ,  il  ne  faut  que  voir  les 
abus  et  les  malheurs  dont  elle  a  délivré  le 
genre  humain.  Si  le  fanatisme  ne  se  baigne 
plus  dans  le  sang  ;  si  la  superstition  n'éteint 
plus  les  lumières  naturelles;  si  la  religion  pré" 
chée  avec  douceur,  et  pratiquée  avec  sagesse, 
ne  sert  qu'au  bonheur  des  citoyens  ;  s'ils 
jouissent  en  paix  d'une  société  douce  et 
polie,  rendons  en  grâce  à  cette  raison  su- 
périeure-qui  ébaucha  sous  le  règne  de  Louis 
Xlil  le  grand  ouvrage  qu'elle  a  perfec^ 
tienne  depuis. 

L'académie  Françoise  ,  établie  en  1636  Etablisse, 
par  les   soins  du  cardinal  de  Richelieu  ,  a  i'académie 
contribué,  plus   qu'il  ne  semble  d'abord  Z'^"'-'^"''- 
à  une   révoluticm  si  nécessaire.  Les  talens 
excités  se  développèrent  en  peu  de  temps  ; 
l'exemple  et  les  secours  mutuels  rendirent  leurs 
progrès  plus  rapides  ;  des  gens   de  lettres  , 
libres  et  sans  pédantisme,  réunis  en  société 

(  I  )  Le  parlement  de  Dole  condamna  au  feu  en 
1 574  un  homme  qui,  ayant  renoncé  à  Dieu  ,  et  jV- 
tant  obligé  par  serment  de  ne  plus  servir  que  le  diable, 
avait  i'té  changé  en  loup-garou.  (  V.  Mém.  de  l'Acad, 
des  Inscr.  r.  1 6.  ) 

Tome  i//.  K 


222  Louis  XIII. 

sous  la  protection  du  prince ,  dévoient  épurer 
le  goût;  Tart  d'écrire  dévoit  conduire  à 
l'art  de  penser  ;  et  de  ces  deux  arts  dévoient 
naître  les  plaisirs  de  l'esprit ,  la  délicatesse 
du  sentiment ,  l'amour  du  beau ,  du  vrai , 
de  l'utile.  Par  un  article  des  statuts  pré- 
sentés à  Richelieu,  c^^ci/;z  des  académie 
ciens  promettoit  de  révérer  la  vertu  et  la 
mémoire  de  monseigneur  leur  protecteur. 
Il  fit  effacer  cette  flatterie  qu'on  peut  à  peine 
pardonner  au  premier  enthousiasme  d'une 
Le  parle-  compagnie  naissante.  L'idée  d'académie  in- 
tnents'y  quiéta  le  parlement  ,  toujours  en  garde 
contre  la  nouveauté.  Craignant  que  ce  ne 
Kii  quelque  tribunal ,  auquel  le  ministre  at- 
tribueroit  le  jugement  de  ce  qui  concer- 
noit  les  livres  et  les  études  ,  il  refusoit 
d'enregistrer  les  lettres-patentes.  Richelieu 
en  écrivit  au  premier  président  ;  le  roi  en- 
voya des  lettres  de  cachet;  les  instances 
et  les  ordres  furent  inutiles  jusqu'en  1 687  , 
qu'on  enregistra  enfin  avec  cette  clause  ; 
à  la  charge  que  les  académiciens  ne  con- 
noitront  que  de  l'ornement  ^  embellisse- 
ment et  augmentation  de  la  langue  Fran- 
çoise ,  et  des  livres  qui  seront  par  eux 
faits  ,  et  par  autres  personnes  qui  le 
désireront  et  voudront.  Si  l'académie  Fran- 
çoise inspiroit  de  la  défiance  au  parlement , 
quels  obstacles  ne  devoit  pas  trouver  encore 


Louis  XIII.  22J 

la   vérité  dans   Tesprit  de  parti ,   dans  les 
intércts  et  les  préjugés  de  corps  l 

LOUIS    XIV. 

JLjoUIS  XIV,  né  en   i638,    commença  »        ^  -i 
dans   la  foiblesse  et  dans  les  troubles  d'une    '643. 

.    ,  \  ■   j         -^  ^         Minorité 

mmorite  orageuse  un  règne  qui  devoit  porter  orageuse. 
au  plus  haut  degré  la  gloire  de  la  nation  et  la 
puissance  royale.  Sa  mère,  Anne  d'Au- 
triche ,  eut  par  arrêt  du  parlement  la  ré- 
gence absolue  ;  le  conseil  de  régence,  éta- 
bli par  Louis  XIII  pour  la  limiter ,  tomba 
dans  Toubli.  Ce  n'est  pas  la  première  fois 
que  ks  volontés  des  souverains  avoient 
été  annulée  après  leur  mort  :  l'autorité 
actuelle  l'emporte  aisément  sur  un  pouvoir 
qui  n'existe  plus.  La  reine  changea  le  con- 
seil comme  elle  jugea  à  propos ,  et  nom- 
ma premier  ministre  le  cardinal  Jules  Maza-  Mazarin 
rin ,  devenu  dès-lors ,  quoiqu'étranger ,  mai- fjj'fjjj'j^^ç^ 
tre  du  gouvernement  de  l'état.  Richelieu 
l'avoit  connu  en  Italie  pendant  la  guerre 
de  1  63o.  Témoin  de  son  habileté  dans  les 
négociations,  il  l'avoit  ensuite  fixé  en  France, 
comme  un  homme  capable  de  seconder  sqs 
vues  et  de  manier  habilement  les  affaires.  ' 
Le  prudent  Italien  justifia  son  choix,  mais 
il  éprouva  combien  il  étoit  dangereux  de  lui 
succéder. 


1^4  Louis  XIV. 

Bataille  de  La  guerre  entreprise  contre  la  puissance 
gasïée  par  Autrichienne  ,  uniquement  pour  l'afFciblir, 
Jl£^"g^jjçjj  faisoit  depuis  long-temps  murmurer  la  na- 
tion 5  qui  en  portoit  les  charges  et  n'en 
sentoit  point  la  nécessité.  On  ne  laissa 
pas  de  suivre  le  plan  du  dernier  règne.  Des 
victoires  éclatantes  rendirent  le  nom  François 
respectable.  Les  Espagnols  étoient  sur  les 
frontières  de  Champagne.  Louis  duc  d'En- 
guien,  fils  du  prince  de  Condé,  héros  de  vingt- 
un  ans  ,  leur  livra  bataille  devant  Rocroi , 
malgré  les  ordres  de  la  cour ,  et  détruisit 
ces  vieilles  bandes  estimées  la  meilleure  in- 
fanterie de  l'Europe.  A  leur  tête  mourut 
Je  comte  de  Fuentes  leur  général  ,  et  le 
prince  dit  qiCil  voudroit  être  mort  conh- 
me  lai  ^  s'il  riavoit  pas  vaincu, 
...  Il  défit,  Tannée  suivante  ,  les  impériaux 

1 644.  à  Fribourg.  Quelques  historiens  assurent  que , 
^ûhQuït^?^^^  animer  les  troupes,  il  jeta  son  bâton 
de  commandement  dans  les  retranchemens 
des  ennemis  ,  et  qu'il  courut  le  reprendre 
répée  à  la  main.  Le  pommeau  de  sa  selle 
fut  emporté  d'un  coup  de  canon ,  le  four- 
reau de  son  épée  brisé  d'un  coup  de  mous- 
quet. L'impétuosité  de  son  courage  éga- 
loit  cette  vivacité  de  génie  ,  qui  le  rendoit 
déjà  supérieur  aux  plus  grands  hommes  de 
guerre.  Thionville  ,  Philisbourg  et  Mayen- 
ce  furent  les  fruits  de  ces  deux  victoires. 
Le  duc  d'Orléans  prit  Graveiines  dans 


Louis  XIV.  21b 

les  Pavs4)as,  après  qu?rante-huit  jours  de    Querelle 

,    /  '         5  11  des    geiié- 

tranchee;  mais  peu  s  en  tallut  que  cette  con-  raux  à^ 
quête  ne  devînt  funeste  par  une  jalousie  de  ^"^^^*'^^" 
rang.   Les  maréchaux  de  la   Meilleraie  et 
de  Gassion  se  disputèrent  à  qui  prendroit 
possession  de  la  place.  Ils  alloient  se  bat- 
tre ;  leurs  régimens  étoient  sur  le  point  de 
charger.  Le  marquis  de  Lambert ,  maréchal 
de  camp  ,  se  jette  entre    deux  avec    une 
noble    hardiesse  ,   et    adressant    la   parole 
aux  rJyiimens  :   «  Messieurs  ,  dit-il ,   vous 
n  êtes   les  troupes  du  roi  ;   il   ne  faut  pas 
r>  que  la   mésintelligence    de    deux    géné- 
»  taux  vous  fasse    couper    la   gorge.    Je 
»   vous  commande  de  la  part  du  roi  de  ne 
»  plus  obéir  ni  à  M.  de  la  Meilleraie,  ni 
»  à  M.  de  Gassion  ;  et  je  vais  donner  avis 
»  de  ce  qui  se  pasf^e  à  M.   le  duc  d'Or- 
»  léans ,  afin    qu'il    ordonne   ce  qu'il  lui 
»  plaira    ».    Ces    paroles    imprimèrent  le 
respect  ;  on  s'arrêta ,  et    le  prince  termina 
le  différent.  Il  est  beau  de    voir   un    infé- 
rieur  l'emporter  par  le  seul  ascendant  du 
devoir   sur  la  fougue  de  ses  supérieurs. 

Le    maréchal  de  Turenne  ,  dont   la  ré-  ■        -nw  % 
putation  n'étoit  pas  encore  aussi  brillante    164c. 
que  celle  du  duc  d'Enguien  beaucoup  plus  NoldUi^w 
jeune  que  lui ,  s'étant  laissé  surprendre  par 
le  général  Merci  à  Mariendîil  ^  le  vainqueur 
de  Rocroi  marche  à  son  secours,   et  ga- 
gne la  bataille  de  Nordlingue  ,  où  Merci 

K3 


126  Louis  XIV. 

est  tué.  Il  s'empare  de  Dunkerque  (  ï  646  )  ^ 
cette  place  si  importante  au  royaume.  On 
l'envoya  ensuite  en  Catalogne  faire  le  siège 
de  Lérida,  que  ks  Espagnols  avoient  re- 
prise. Il  n'y  réussit  point ,  faute  de  secours. 
Ses  services  excitoient  déjà  plus  de  Jalou- 
sie que  de  reconnoissance ,  et  les  ennemis 
de  sa  gloire  désiroient  qu'il  échouât. 
.^  Sur  ces  entrefaites  ,  la  Hollande  ,  mal- 

1647.  ?>^^  ^^^  promesses  authentiques  de  ne  point 
L'Kspasne  tj-^if^i-  53^5  \^^  Ftançois ,  fit  la  paix  avec 

lait  la  paix  ,  .  .  ^     , 

avec  la  le  îci  d'Espaçne  Philippe  IV*  qui  aban- ^ 
donna  toute  espèce  de  droits  sur  les  Pro- 
vinces-unies ,  et  reconnut  leur  souveraineté, 
Cétoit  le  fruit  d'une  guerre  de  quatre-vingts 
ans  5  soutenue  par  Théroïsme  républicain 
contre  toute  la  puissance  Espagnole.  Déjà 
la  Hollande  s'enrichissoit  dans  les  Indes , 
avec  autant  de  succès  qu'elle  se  soutenoit 
en  Europe,  Un  traité  si  avantageux  cou- 
ronnoir  sa  politique  ;  et  la  politique  en 
pareil  cas  oublie  aisément  l'intérêt  d'un  allié. 

m.  I        ■      On  négoeioit  depuis  long-temps  pour  la 

1648.  paix  générale ,  mais  en  continuant  la  guerre 
^«tis*.      ^avec   chaleur.  Le  prince   de    Condé  (  ce 

sera  désormais  le  nom  du  duc  d'Enguien  , 
dont  le  père  ne  vivoit  plus  )  fut  choisi 
pour  combattre  en  Flandre  les  ennemis  , 
qui  commençoient  à  se  faire  craindre.  Il 
gagna  la  fameuse  bataille  de  Lens  sur  l'ar- 
çhiduc  Léopold,    Amis^  seçria^t-il  aYanfi 


Louis  XIV.  227 

faction ,  souvenei-vous  de  Rocroi  ,  de 
Fnbourg  et  de  Nordlingue^  Ces  paroles , 
et  encore  plus  son  exemple  ,  rendoient  Tar- 
mée  invincible.  Turenne,  son  rival  de  gloire , 
contribua  beaucoup  au  succès.  L'âme  d'un 
grand  homme  ne  connoit  point  cette  basse 
jalousie ,  qui  trahit  la  cause  commune  par 
intérêt  personnel. 

La  France   avoit  une  foule   de    grands    On  s*op- 
capitaines ,  Rantzau ,  Harcourt ,  Gassion  ,  loge  d'ua' 
Schomberg  ,  Choiseuil-Praslin ,  etc.  qu'il  estf^""f  Su 
impossible  de  faire  connoître  dans  cet  ou-  viaiste. 
vrage  par  le  récit  de  leurs  exploits.  Les  ra- 
conter seroit  trop  long  ;  les  désigner  seule- 
ment   seroit  inutile  et    fatiojant.    Comme 
la  connoissance  des  moeurs  nous  intéresse 
davantage ,    je  ne  dois  pas  omettre  ce   fait 
singulier.  Le  maréchal  de  Gassion  ,  qui  n'a- 
voit  pas  voulu  se  marier,   parce  qu'il   fai- 
soit ,  disoit-il  ,  trop   peu  de  cas  de  k   vie 
pour  la  communiquer  à  personne,  mourut' 
calviniste  en  1647.  Un  professeur  de  rhé- 
torique de  Paris  avoit  composé  son  éloge  ; 
il  devoit  le  prononcer  le  jour  marqué  par 
des  affiches;  l'université  s'y  opposa,  regar- 
dant comme  honteux  qu'un  héros  protestant 
fik  loué  par  un  de  ses  professeurs.  Celui- 
ci  s'adressa   au   chancelier  ,  qui  appuya  la 
décision  de  l'université.  En  ce  temps  là  un 
maréchal  de  Saxe  auroit  pu  sauver  la  France  ^ 

K4 


228  Louis  XIV. 

sans  paroître   digne  d'un  hommage  pure- 
^   .  ,  ,  ment  littéraire. 

Traite  de  ^  ,.,,.. 

vveiti>hdiie      JLnhn  ,   après  tant  d  expéditions  meur- 
trières ,   dont  le  détail  reriipliroit  plusieurs 
volumes  ;  après  de  longues  négociations  où 
se  déploya  toute  Thabileté  des  politiques, 
Je  traité  de  "Westphalie  rétablit  le  calme  dans 
une  partie  de  l'Europe.  Il  mit  des  bornes 
étroites  au  pouvoir  de  Tempereur ,  établit 
ou  cimenta  le  droit  des  diètes  de  l'empire , 
fixa  les  droits    des  difFérens  princes   d'Al- 
lemagne ,  assura  aux  protestans  de  ce  pays 
la  possession  des  biens  ecclésiastiques  dont 
ils  s'étoient  emparés.  Le  roi  ds  France  se 
fit  céder  la   souveraineté  de  Metz ,    Toul 
et  Verdun ,  qu'il  possédoit  déjà ,  et  celle 
d'Alsace  qui  augmenta  sa  puissance.  Les 
.^^^^"^?s^' Suédois  obtinrent  des  avantages  plus  con- 
duis,       sidérables ,  Bremen ,  Verden ,  Stettin  ,  Wls- 
mar,  la  Poméranie    citérieure,  etc.  outre 
cinq  millions  d'écus.  La  valeur  et  la  disci- 
pline merveilleuse  de  leurs  troupes  avoient 
décidé  en  grande  partie  du  succès   de  la 
guerre.   Cette   armée   de   héros   ne  coûta 
qu'environ   un  million  de  livres  par  an  à 
la  France,  et  ruina  le  despotisme  de  la  mai- 
son d'Autriche.  Les   catholiques  signèrent 
à  Munster  le   traité  de  'Westphalie ,  et  ks 
protestans  à  Osnabruk.    L'Espagne  refusa 
d'y  accéder.  L^  guerre  civile  prête  à  s'aU 


Louis   XIV.  219 

lumer  dans  le  royaume  ,  lui  offroit  une  belle 
occasion  de  vengeance. 

Quoique  Mazarin  eût  affecté  dans  les  com-    Soulevé. 
mencemens  autant  de  modestie  et  de  dou-  [î|' Mazal 
ceur  que  Richelieu  avoit  eu  de  hauteur  et"^*"* 
de  dureté ,  il  était  l'objet  du  mépris  et  de 
la  haine  publique.  On  ne  pardonnoit  point 
à  un  étranger  cette  fortune  immense  qui  le 
rendoit  maître  de  l'état  ;  on  jetoit  du  ridi- 
cule sur  sa  personne  ,  sur  ses  manières ,  sur 
sa  mauvaise   prononciation,   et  le  ridicule 
en  France  peut  devenir  très-sérieux  par  sqs 
effets.  Un  arrêt  d'union  entre  le  parlement,    Arrêt 
la  chambre  des  comptes ,  la  cour  des  aides  ^'"'•'^*^ 
et  le  grand   conseil  ,   inspirant  de  l'inquié- 
tude au  ministre  ,  il  mande  les  députés  du 
parlement,  pour  leur  dire  que  la  reine  ne 
veut  point  de  pareils  arrêts.  Les  magistrats 
répondent  qu'il  n'y  a  rien  de .  contraire  aii 
service  du  roi.  «  Si  le  roi ,  réplique  Maza- 
>♦  rin  ,  ne   vouloit  pas  qu'on   portât   des 
»  glands  à  son  collet ,  il  n'en  faudroit  point    >- 
»  porter ,  parce  que  ce  n'est  pas   tant  la 
»  chose  défendue  que  la  défense   qui    fait 
»  le  crime  ».  La  comparaison  fournit  ma- 
tière à  dts  vaudevilles  ;  et  l'arrêt  (Toignom 
(car  c'est  ainsi  qu'il  prononçoit   umon  ) 
fut  célébré  de  toute  part  à  ses  dépens. 

Un    Italien   fort  inférieur   au  cardinal ,  MagiistrataK 
soit  par  la   naissance,  soit  par   le  mente, 
était  surintendant  des  finances.  Etneri(  c'est 

KS 


itSo  Louis  XIV. 

son  nom  )  ne  pensoit  qu'à  satisfaire  sa  pro- 
pre avidité,  et  à  multiplier  ces  dangereuses 
ressources  que  les    financiers  de  son  pays 
avoient  tant  de  fols  imaginées.  Quelques 
édits  bursaux  envoyés   au   parlement  exci- 
tèrent un  cri  général.  Le  président  de  Blanc- 
ménll  et  le  conseiller  Broussel  ,  ayant  opi- 
né avec  plus  de  force  que  les  autres  contre 
les  intentions  de  la  cour ,  dont  ils  étoient 
mécontens  en  particulier ,  furent  arrêtés  avec 
un  éclat  propre  à  soulever  le  peuple.  Cet 
événement  mit  bientôt  la  capitale  en  com- 
te €oad- bustion.  Un  prélat  aussi  factieux  que  liber- 
iJarricades tin ,  le  coadjuteur  de  Paris,  depuis  cardi- 
nal de  Retz  ,    attisa  le  feu  de  la   révolte» 
En  moins  de  deux  heures ,  il  y  eut  dans 
la  ville  plus  de  douze  cents  barricades ,  der- 
rière lesquelles  hs  bourgeois  en  sûreté  ti- 
roient  sur  les   troupes.  11   fallut  rendre  les 
deux  magistrats.  Les  Frondeurs  (on  nom- 
ma ainsi  les  séditieux  )  n'en  devinrent  que 
plus  hardis.   Ils  avoient  à  leur  tête  le  duc 
de  Beaufort  (Vendôme),  le  coadjuteur, 
le  prince  de  Conti  ,   le  duc  de  Bouillon  ,. 
k  maréchal  de  Turenne  son  frère  ,  etc.  Mais 
Condé  étoit  pour  la  cojur.  Une  étincelle  al- 
luma la  guerre  civile.  Jamais  il  n'y  en  eut 
de  plus  bizarre  dans  ses  principes  ni  dans 
ses  événemens.. 

On  vit  le  parlement ,  entraîné  par  la  vio- 
lence des.  factions  3^  rendre  des  arrêts  pour 


Louis   XIV.  ijr 

favoriser  la  guerre  ;    et  un  évequé  ,   em-  '    ■       ^* 
ployer  tout  son    génie  à  fomenter  la  dis-    i^49' 
corde  •    sans   aucun  prétexte   de  religion,  de  cette 
Louis  XIV  ,    qui  venoit  de   donner  desX^  "^ 
lois  à  l'Europe  par  le  traité  de  Westpltalie  ^, 
fîit  contraint  de  sortir  de  sa  capitale.  Condé 
l'assiégea ,  et  le  parlement  Içva  des  troupes 
pour  la  défendre.    Ce  qui  caractérise  sin- 
gulièrement cette    révolte  ,  c  est  le  ridicule 
dont  elle  fut  accompagnée.  On  plaisantoit 
les  armes  à  la  main.  Le  duc  de  Beaufort , 
petit-fîls  de   Henri  IV  ,  fut  appelé  U  roi 
des    Halles^   parce  que  ses  manières  po- 
pulaires  enchantoient  le   peuple.  Le   régi- 
ment du  coadjuteur    (    nommé  régiment 
de  Corinthe  ,  parce  que  son   chef  portoit 
le  titre  d'archevcque  de  Corinthe  ) ,  ayant 
été  battu  dans  une  sortie  ,  sa  déroute  devint 
un  sujet  de  bons  mots  :  c'étoit  la  première 
aux  Corinthiens.  Vingt  conseillers  de  nou- 
velle création    qui    avoient  fourni   quinze 
mille  livres  chacun  au  commencement  de 
la  guerre,  furent  connus  sous  le  nom   de 
Quinze-vingt.  Tandis  que  l'état  menaçoit 
ruine  ,  ce   goût  de  raillerie   devenoit   plus 
vif  de  jour  en  jour.  Cependant  les  Espa- 
gnols proijtoieiJt  des  conjonctures.  La  crainte 
de  ks  voir  bientôt  en  France  produisit  ua 
accommodement ,   dont  ni   la  cour  ni  ks 
frondeurs  ne  furent  satisfaits.  Mazarin  con- 
serva sa  place,  et  le  parlement  son  autorité. 

K6 


23i  Louis  XIV. 

■'■  ■  I  Quelque  temps  après ,  le  prince  de  Con»- 

1650.    dé,  se  croyant  mal  récompensé  de  ses  ser* 

«es°àrrétés  vices ,  insulte  le  ministre ,  brave  le  gouver- 
nement ,  s'unit  avec  le  prince  de  Conti  son 
'  frère  et  le  duc  de  Longueville  son  beau-frère. 
La  reine  fait  arrêter  ces  trois  princes ,  comme 
si  le  gouvernement  étoit  assez  ferme  pour  sou- 
tenir une  démarche  si  hasardeuse.  Le  peuple , 
également  aveugle  et  volage  ,  célèbre  leur 
détention  par  des  feux  de  joie.  Bientôt  il  se. 
forme  Ûqs  partis  pour  les  tirer  de  prison. 
Le  parlement  lance  des  arrêts  contre  Maza- 

fin  5  le  bannit  à  perpétuité.  Ce  ministre  vou- 

""  ''        lant  se  faire  honneur  de  la  délivrance  des 
Malariii  princes ,  va  lui-même  les  remettre  en  liberté  ^ 

quitte  la  g^  ne  reçoit  de  leur  part  que  des  mépris. 
Cédant  enfin  à  l'orage ,  il  quitte  le  royau- 
me 5  'Sans  rien  perdre  de  son  crédit  auprès 
de  la  reine.  On  i'avoit  forcée  de  donner  une 
déclaration  qui  interdisoit  l'entrée  du  con- 
seil aux  étrangers ,  et  même  aux  cardinaux 
de  la  nation. 
Révolte       Toujours  dirigée  par  les  conseils  de  Ma- 

de  Coadé!  zarin  3  etle  feint  de  se  réconcilier  avec  le 
prince  de  Condé,mais  en  travaillant  sous 
mains  à  lui  attirer  la  haine  des  frondeurs, 
La  vivacité  emportoit  ce  héros.  Trop  fier 
pour  ménager  aucun  parti ,  il  se  défioit  des 
uns  et  des  autres.  La  guerre  civile  lui  pa- 
rut préférable  à  cet  état  de  perplexité  ,  et 
U  devint  rebelle  par  caprice  et  par  impra- 


Louis  XIV.  i3a 

dence.  Il  avoit  quitté  brusquement  la  cour. 
On  lui  dépêche  un  courrier  chargé  de  pro- 
positions qui  dévoient  l'engager  à  revenir. 
Le  courrier  se  trompe  ,  confond  Anger- 
ville  avec  Augerville ,  et  n'exécute  point 
à  temps  sa  commission.  A  quoi  tient  sou- 
vent le  sort  des  peuples  !  Le  prince  avoua 
que  s'il  avoit  reçu  la  lettre  à  Angerville , 
les  offres  de  la  cour  Tauroient  empêché 
d'aller  plus  loin. 

Au  premier  signal  de  fa  guerre  civile  ,  h'm 

Mazarin  rentra  en  France  à  la  tête  de  sept    »6$2- 
mille  hommes.  Sa  tête  n'en  fut  pas  moins  fjazariu» 
mise  à  prix  par  un    arrêt  du   parlement  , 
obstiné  à  poursuivre  le  ministre  ,  tandis  qu'il 
déclaroit  criminel  de  lèse-majesté  le  prince 
de  Condé  ,   l'ennemi  du  ministre.  Condé  Condé  et 
s'étoit  malheureusement  ligué  avec  les  Espa-  opposés 
gnols  ,  et  Turenne  les  avoit  abandonnés  ^^g^^j.^^  ^^^ 
pour  servir  la  cour.  Ces  deux  grands  hom-vilc* 
mes  mesurèrent  leurs  forces ,  d^ibord  à  Gien  , 
où  Turenne  sauva  le  roi  et  la  famille  royale  ; 
ensuite  sous  les  murs  de  Paris ,  au  combat 
de  saint  Antoine,  célèbre  par  la  valeur  des 5 ^^^^'^j^^ 
combattans  et  par  l'habileté  des  généraux. 
Condé  eut  été  vaincu  ,  si    Mademoiselle  , 
fille  du  duc  d'Orléans,  neût  pas  fait  tirer 
le  canon  de  la  Bastille  sur  l'armée  royale. 
Ce  canon-là  vient  de  tuer    son    mari  , 
dit   Mazarin  en  parlant  de  cette  princesse , 
qui  désiroit   un  établissement  digne  de  sa. 


se  retire 
encore. 


234  Louis   XIV. 

naissance ,  et  qui  dès-lors  fut  perdue  dans 
l'esprit  du  roi. 
Nouveaux  Quoique  Louis  XIV  eût  atteint  Yage 
"^Ma/^uiii^^e  majorité  ,  le  parlement  déclara  lieutenant 
général  du  royaume  le  foible  Gaston  ,  tou- 
jours flottant  par  caractère,  mais  fixé  alors 
par  la  présence  du  prince  de  Condé.  Pour 
punir  le  parlement,  on  le  transféra  à  Pon- 
toise.  Quelques-uns  de  ses  mem.bres  obéi- 
rent ;  le  plus  grand  nombre  se  roidit  con- 
tre la  cour.  Le  roi  sacrifia  de  nouveau  son 
ministre  au  bien  de  la  paix.  Le  départ  de 
Mazarin  appaisa  les  troubles.  Paris  rentra 
dans  l'obéissance  ;  et  Condé  chercha  un 
asyle  aux  Pays-bas ,  où  le  roi  d'Espagne  le 
fit  généralissime  de  son  armée. 
CharV^s  I  «  Charle  I  roi  d'Angleterre ,  venoit  de 
en  Angle-»  perdre  la  tête  sur  un  échafaud  (en  1 649) 
terre.  ^^  pour  avoir,  dans  le  commencemient  â^^s- 
»  troubles ,  abandonné  le  sang  de  Straf- 
»  ford  son  ami  à  son  parlement.  Louis 
»  XIV  au  contraire  devint  le  maître  pai- 
»  sible  de  son  royaum.e  en  souffrant  l'exil 
»  de  Mazarin.  Ainsi  les  mêmes  foiblesses 
»  eurent  des  succès  bien  difFérens.  Le  roi 
»  d'Angleterre ,  en  abandonnant  son  fa- 
»  vori,  enhardit  un  peuple  qui  respiroit 
»  la  guerre  et  qui  haïssoit  les  rois  :  et  Louis 
»  XIV  ,  ou  plutôt  la  reine  mère  ,  en  ren- 
»  voyant  le  cardinal ,  ôta  tout  prétexte  de 
5>  révolte  à  ua  peuple  las  de  la  guerre  et 


Louis    XIV.  235 

»  qui  aimoit  la  royauté  »  (  Siècle  de 
Louis  XIV  ).  Ce  contraste  peint  le  ca- 
ractère des  deux  nations  ;  mais  on  doit  ob- 
server une  différence  plus  essentielle  dans 
les  deux  guerres. 

Un  esprit  de  cabale ,   sans  objet  fixe ,  Principe* 
sans  vues   profondes ,  plein  de  légèreté  et  afftéreiîs^* 
de  caprice ,  avoit  asité  la  France  comme  «'»  France 
un  orage  passager  tiouble  la  surfice  de  lagieterre. 
mer  :  au    lieu   qu*ua  fmatisme    violent  et 
Terithousiasme  de  la  liberté  avoient  armé 
les  Anglois  contre  le  malheureux  Charles. 
Les  Puritains  et  les  Indépendans  ,  plus  fa- 
natiques encore  que  les  ligueurs  sous  Henri 
III ,  se  firent  un  devoir  de  religion  d'abat- 
tre le  trône  ;  Thypocrite  CromWel  sut  em- 
ployer ces  puissans  ressorts    qui   transpor- 
tent les  hommes  hors  d'eux-mêmes.  Après 
avoir  vaincu  son  maître  et  subjugué  ses  pro- 
pres partisans,   il  dicta  l'horrible  sentence 
par  laquelle    des  sujets   attentèrent  juridi- 
quement sur  la  vie  d'un  roi  y  digne  de  leur 
vénération  et  de  leur  amour.  On  ne  peut 
dissimuler  que  le    cardinal    de   Richelieu  y. 
mécontent  de  la  cour  d'Angleterre ,   avoit 
fomenté  les  premiers  mouvemens  des  Puri- 
tains. Il  ne  prévoyoit  pas  sans  doute  la  ca- 
tastrophe ;  mais  pour  faire  connoître  qu'on 
ne  devoit  pas  le  mépriser   Q  ce  sont   ses 
termes  j,  de  voit-il  rendre  sa  politique  odieuse, 
en  favorisant  les  ennemis  de  la  raison  j^  de 


i36  Louis  XIV. 

la  religion  ,   de  la  royauté  ? 

r-  La  fronde  disparut  dès  que  le   roi  fut 

1653.    rentré  dans  la  capitale.  Il  relégua  son  on- 

cUssipée!^^  ^^^  Gaston  ,  qui  alla  finir  ses  jours  à  Blois, 
n'ayant  jamais  mérité  ni  la  gloire  de  bort 
sujet,  ni  la  réputation  de  chef  de  parti  ; 
toujours  factieux  sans  courage  et  sans  fer- 
meté ;  craignant  tout  pour  sa  personne  , 
et  rien  pour  ceux  qui  le  servoient.  Le  coad- 
Sortdu  juteur  parvenu  au  cardinalat  par  ses  in- 
tngues ,  plus  audacieux  que  le  duc  a  Or- 
léans n'étoit  timide,  brava  le  danger  en  se 
montrant  à  la  cour.  On  Tenvoya  en  pri- 
son. L'archevêque  de  Paris  étant  mort ,  il 
prit  possession  de  l'arche vêch^  par  procu- 
reur,  et  refusa  long-temps  de  s'en  démet- 
tre. Ce  fameux  cardinal  de  Retz  ,  après 
avoir  joué  un  si  grand  rôle ,  ne  fut  plus 
rien  dans  l'état  jusqu'en  1679  ,  qu'il  mou- 
rut dans  la  retraite  oii  il  faisoit  les  délices 
de  SQS  amis. 

Mazariti      Pour  Mazarin  ,  l'objet  de  tant  de  haines 
triomphe.     ^1  ••  -,  •^^n• 

et  de  conspirations,  il  revint  a  raris  com- 
me en  triomphe.  Le  peuple  ,  le  parlement 
même  le  reçurent  avec  les  plus  grands  hon- 
neurs  ;  le  prince  de  Conti  épousa  une  de 
ses  nièces;  enfin  ,  à  force  de  souplesse  et 
de  patience ,  il  devint  aussi  absolu  que  Ri- 
chelieu. Qu'avoit  donc  produit  la  guerre 
civile  ?  du  ridicule ,  àQ%  disgrâces  pour  les 
frondeurs,  et  une  augmentation  d'autorité: 


\ 

Louis   XIV.  2^7 

pour  'ic  ministre  qu'on  vouloit  abattre. 

Les  Espagnols,  profitant  de  la  folie  des  Succès  der 
François ,  avolent  repris  Barcelone ,  Casai ,  ^5'»'^"^^'» 
Graveiines  et  Dunkerque.  Turenne  les  ar- 
rêta. Il  fit  lever  le  siège  d'Arras  au  prince 
de  Condé ,  qui  ,  avec  le  malheur  de  com- 
battre contre  sa  patrie,  essuyoit  mille  dé- 
sagrémens  au  service  de  l'Espagne.  Il  se 
montroit  toujours  grand  général  ;  mais  sa 
destinée  sembloit  être  de  ne  vaincre  que 
pour  la  France.  Une  guerre  si  opiniâtre 
avoit  épuisé  les  deux  nations.  On  brigua 
de  part  et  d'autre  l'alliance  de  Cromwel , 
dont  l'attentat  étoit  généralement  abhorré. 

Cet  homme  singulier  régnoit  à  Londres      '     '  -i 
sous  le  titre  de  protecteur,  faisant  fleurir    ^^Sî- 

I  ,     *        .  ...  .  Traité 

Je  commerce ,  la  marme  et  la  justice  en  An-  avec 
gleterre,  après  avoir  souillé  le  royaume  clu  ^^^''"^'®^* 
sang  de  son  roi.  Les  têtes  couronnées  s'd- 
forçoient  de  l'attirer  dans  leur   parti  ;  tant 
la  politique  l'emporte  quelquefois    sur    ks 
bienséances.  Mazarin ,  à  force  de  souples- 
ses ,  le  décida  contre    les  Espagnols.  La 
condition  du  traité  fut  que  l'on   abandon* 
neroit  Charles  II.  Il  fallut  sacrifier  la  cause 
des  rois  à  l'usurpateur.    La  reine  d'Angle- 
terre ,  Henriette   fille  de  Henri  IV ,   vécut 
en  France  dans  la   pauvreté.  Ses  deux  fils 
se  retirèrent  en  Espagne.  Les  Espagnols  rem- 
plirent l'Europe  d'invectives  contre  le  mi- 
nistre Frp^rois ,  comme  si  on  avoit  pu  igao-- 


238  LotJis  XIV, 

rer  les  offres  qu'ils  avoient  faites  eux-mêmes 
au  protecteur. 
Expédi-      Dans  les  expéditions  de  Flandre,  Condé 

Flandre.  ^^  Turenne  augmentèrent  leur  réputati"on 
en  combattant  l'un  contre  Tautre.  Le  pre- 
mier eut  la  gloire  de  sauver  Cambrai ,  où 
il  se  jeta  avant  qu'on  eût  achevé  de  l'inves- 
tir; mais  il  perdit  la  bataille  des  Dunes  , 
suivie    de   la  prise  de  Dunkerque.   Cette 

Dunkercïue  place  fut  livrée  aux  Anelois.  On  l'avoit  pro- 

livree    aux  f^.,^  ,  .&  ^  .        a       ^   y 

Aiigiois.     mise  a  Cromwel ,  qui  mourut  bientôt  après 
'  dans  les  inquiétudes  inséparables  de  la  ty- 

rannie. 
■  Enfin  la  France  et  l'Espagne  finirent  une 

Traités  des  g^^ï'^^  également  funeste  aux  deux  nations  ; 
Pyrèuées.  mais  dont  l'Espagne  se  trouvoit  surtout  ac- 
cablée ,  parce  qu'elle  venoit  d'essuyer  les 
plus  grands  revers.  Les  conférences  pour 
la  paix  se  tinrent  dans  l'île  des  Faisans  ^ 
5ur  les  confins  des  deux  royaumes.  Mazarin 
et  don  Louis  de  Haro  y  négocièrent  plu- 
sieurs mois.  Celui-ci  reprochoit ,  dit-on  , 
à  l'autre  de  vouloir  toujours  tromper  ;  et  la 
finesse  de  l'Italien  trouvoit  de  grands  obs- 
tacles dans  la  défiance  de  l'Espagnol.  Ce- 
pendant le  traité  fut  conclu  d'une  manière 
avantageuse.  On  garda  le  Roussillon  et  une 
L'infar.te  partie  de  l'Artois  ;  le  roi  d'Espa2:ne  Phi- 
au  rou  lippe  iV  renonça  a  ses  prétentions  sur  i  Al- 
sace ,  l'infante  Marie-Thèrese  fut  accordée 
à  Louis  XIV.    Ce  mariage  étoit  depuis 


Louis   XIV.  289 

long-temps  le  principal  objet  de  la  politi- 
que de  Maz-irin ,  qui  prévoyoit  rinutilité 
des  renonciations  qu'on  exigeroit  de  l'in- 
fante ,  en  cas  qu'il  n'y  eut  point  d'héritier. 
mâle  de  la  monarchie  Espagnole.  Marie- 
Thèrese  renonça  en  effet  à  la  succession  ; 
mais  ses  droits  n'ont  pas  laissé  de  revivre , 
et  sa  postérité  jouit  maintenant  de  la  cou- 
ronne de  ses  pères. 

Le  rétablissement  du  prince  de  Condé  fut  Rétablis- 
une  des  conditions  de  la  paix.  Mazarin  n'y  au-  condé'.  ^^ 
roit  point  consenti ,  si  les  Espagnols  n'avoient 
paru  disposés  à  donner  au  prince  des  pla- 
ces fortes  dans  les  Pays-bas.  Ne  devoit-il  pas 
plutôt  s'empresser  à  faciliter  le  retour  de  ce  « 
grand  homme  ,  né  pour  la  défense  et  pour  la 
gloire  de  sa  patrie?  Un  roi  détrôné  et  fu- Charles  II, 
gitif ,  parent  des  rois  de  France  et  d'Espagne , 
l'infortuné  Charles  II,  ne  put  obtenir  qu'on 
fît  mention  de  lui  dans  le  traité.  Les  deux 
ministres ,  de  peur  d'offenser  les  Anglois  , 
refusèrent  même  de  le  voir.  Il  fut  cepen- 
dant rétabli  quelques   mois  après  ,  par  une 
de  ces  révolutions  soudaines  dont  l'Angle- 
.rre  fournit  seule  tant  d'exemples.  Un  au- Le  duc  de 
:.e  prince,  que  sa  légèreté,  son  imprudence, ^°"^*"^ 
sa  mauvaise  foi ,  avoient  toujours  rendu  mal- 
heureux, Charles  IV,  duc  de  Lorraine, obtint 
la  restitution  de  ses  états  ;  mais  à  conditioa 
qu'il  n'auroit  plus  de  troupes ,  et  que  les  for- 


240  Loui^  XIV. 

tifications  de  Nanci  seroient  démolies. 
Cette  paix      Ainsi  U  traité  des  Pyrénées  consomma 

glorieuse  à  ,  ,  i     i  •  .    .     i 

Mazarin.  ie  grand  ouvrage  de  la  paix ,  que  celui  de 
"V^estphalie  avoit  déjà  fort  avancé.  L'un 
et  l'autre  fait  la  gloire  de  Mazarin;  gloire 
préférable  en  un  sens  à  celle  de  Richelieu  y 
dont  la  politique  embrasa  l'Europe  pour 
laisser  à  son  successeur  le  soin  d'éteindre 
Tincendie. 

'■  Louis  XIV  alla  recevoir  son  épouse  sur 

1660.    1^3  frontières  d'Espaene.  Avant  les    néeo- 

Managedu    .     .  -i     '      •       1  i- 

roh  Sou  ciations ,  il  etoit  devenu  amoureux  d  une 
une'^lan!des  nièces  du  cardinal.  Ce  ministre,  dit- 
*""•  on,  se  flatta  d'abord  qud  l'épouseroit ,  et 
en  parla  un  jour  à  la  reine  mère  pour  la 
pressentir ,  feignant  de  craindre  ce  que  l'am- 
bition lui  faiSo;t  apparemment  désirer.  Si 
le  roi  étoit  capable  de  cette  indignité^ 
lui  dit  Anne  d'Autriche  ,  je  me  mettrois 
avec  mon  second  fils  à  la  tête  de  la  na- 
tion contre  le  roi  et  contre  vous. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  anecdote  , 
Mort  du  ^3zarin  ,  épuisé  par  le  travail  ,  mourut 
cardinal  comme  Richelieu  avant  l'âee  de  soixante 
ans.  Autant  l'un  étoit  naturellement  fier , 
sublime  et  hardi  y  autant  l'autre  étoit  sou^ 
pie  5  rusé,  et  circonspect.  Il  avoit  procuré  les 
plus  grands  établissemens  à  ses  sept  nièces , 
et  le  duché  de  Nevers  à  son  neveu  Man- 
cici,  dont  la  postérité  et  un  àts  ornemens. 


Louis  XIV.  241 

du  royaume.  (  i  )  Ses  richesses ,  qu'on  fait 
monter  à  près  de  deux  cents  millions  de 
notre  monnoie  actuelle,  sont  une  preuve 
de  l'avarice  dont  il  étoit  accusé.  Il  faut 
quitter  tout  cela  ,  disoit-il  en  soupirant 
quand  le  médecin  lui  eut  annoncé  la  mort. 
Les  besoins  de  l'état  rendoient  cette  opu- 
lence du  ministre  trop  odieuse ,  pour  n'être 
pas  flétrie  par  le  jugement  du  publicf.  Du 
reste  ,  les  riches  abbayes  accumulées  sur 
sa  tcte,  outre  Tévêché  de  Metz,  étoient 
la  principale  source  de  cette  opulence.  Agité 
de  remords  à  la  fin  de  sa  carrière  ,  il  fit  au 
roi  une  donation  de  tous  ses  biens.  Le  roi 
la  lui  remit ,  comme  il  favoit  sans  doute 
prévu  ,  et  parut  le  regretter  sincèrement , 
quoiqu'impatient  d*exercer  lui-même  son 
autorité. 

En  i655,  après  sa  première  campagne,  Leroij'a- 
il  avoit  montré  par  une  action  d'éclat  com-  i-aluorîté. 
bien  il  en  seroit  jaloux.  Le  parlement  s'étant 
assemblé  au  sujet  de  quelques  édits  ,  il  entra 
dans  la  salle  en  habit  de  chasse,  en  bottes, 
le  fouet  à  la  main  ;  et  d'un  ton  de  maître 
irrité  et  absolu  ,  il  ordonna  de  rompre  Tas- 


Ci)  En  saisissant  cette  occasion  de  rendre  pu- 
blique ma  reconnaissance ,  pour  les  bontés  dont 
m'honore  M.  le  duc  de  Nivérnois,  je  ne  crains 
pas  qu'on  me  soupçonne  de  donner  ici  la  moindre 

atteinte  à  la  vérité  historique. 


^41  Louis  XIV. 

semblée  ,  et  défendit  d'en  faire  de  nou- 
velles. Ses  ordres  furent  dans  la  suite  ac* 
compagnes  de  toute  la  dignité  -royale  ,  et 
n'en  furent  que  plus  respectés. 
Ilgouver-  Le  temps  étoit  venu  où  la  France  devoit 
même!  ^"^' changer  de  face.  Deux  ministres  tout-puis- 
sans  l'avoient  gouvernée  avec  empire  sans 
faire  son  bonheur.  Partagés  entre  leurs  inté- 
rêts particuliers  et  ceux  de  la  nation  ,  en  lui 
procurant  de  la  gloire  ils  l'avoient  laissée  plus 
pauvre ,  moins  iiorissante  ,  qu'elle  ne  l'étoit 
sous  Henri  IV.  Mais  on  vit  bientôt  ce  que 
peut  un  roi ,  qui  joint  à  la  noblesse  des 
sentimens  la  pénétration  de  l'esprit  et  l'ap- 
plication aux  affaires.  Dès  que  Louis  XIV 
voulut  régner,  il  devint  l'idole  des  François, 
et  excita  Tadmiration  de  l'Europe.  Pres- 
qu'aucun  souverain  ne  se  distinguoit  alors 
rSne'd'"^  par  un  mérite  personnel.  La  fille  de  Gustave 
Suéde,  Adolphe ,  Christine  reine  de  Suède ,  avoit 
abdiqué  sa  couronne  en  1664,  pour  aller 
cultiver  dans  Rome  la  philosophie  et  Its 
beaux-arts  ;  exemple  singulier ,  qui  lui  at- 
tira de  la  part  des  gens  de  lettres  plus  d  e- 
loges  que  n'en  méritoient  sa  conduite  et 
son  caractère;  car  la  véritable  gloire  des 
rois  consiste  à  faire  le  bien  des  peuples.  On 
ne  s'attendoit  point  qu'un  monarque  de 
vingt-deux  ans  ,  aimant  les  plaisirs ,  ayant 
à  peine  une  teinture  de  politique ,  si  long- 
temps  soumis  aux  volontés  de  Mazarin, 


Louis  XIV.  248 

voulût  se  charger  des  rênes  de  Tétat ,  et 
fût  capable  de  les  soutenir.  Sa  résolution 
etoit  prise  :  il  Texécuta  sur  le  champ. 

Au  premier  conseil  qui  se  tint  après  lap^^^f^j* 
mort  du  ministre  ,  il   déclara  qu'il  vouloit  maîttc. 
touf  voir  par  lui-même ,  et  défendit  de  rien 
faire  sans  ses  ordres.  La  face  du  théâtre 
change ,  ajouta-t-il  ;  j'aurai  d'autres  prin- 
cipes dans  le  gouvernement  de  mon  état , 
dans  la  régie  de  mes  finances  ,  et  dans 
les  négociations  au-dehors  ,  que  n'avoit 
feu  M,  le  cardinal.  Vous  save^  mes  vo-  . 
lontés  ;  cest  à  vous  maintenant  ,  mes- 
sieurs ,  de  les  exécuter,  Des  ce  moment , 
le  conseil  prit  une  forme  respectable.  Ma-  Le  coiueil 

„         r  ,  •!•  1    dev:ent 

zarm  1  avoit  en  quelque  sorte  avili ,  en   le  respecta- 
tenant  dans  sa  chambre  ,  pendant  qu'on  le    ^' 
rasoit,  qu'on  Thabilloit,  ou  qu'il  badinoit 
avec  un  oiseau  ou  une  guenon.  Le  roi  ai- 
moit  l'ordre  et  la  décence  dans  les  choses 
les  plus  communes. 

Une  des  plus  dangereuses  plaies  du  ro-  Disgrîice 
yaume  étoit  l'épuisement  des  finances,  éga-^'^^^"^"'^^ 
lement  funeste,  et  au  prince  dont  il  tra- 
verse les  desseins ,  et  aux  sujets  sur  lesquels 
il  attire  des  impôts.  Louis  sentoit  le  besoin 
pressant  d'y  remédier.  Les  déprédations  du 
surintendant  Fouquet ,  aussi  prodigue  que 
Mazarin  étoit  avare  aux  dépens  de  l'état  , 
l'avoient  décidé  à  le  perdre.  Il  le  fit  arrêter 
après  l'avoir  comblé  de  caresses.  La  crainte 


244  Louis  XIV. 

Colbert  d'une  révolte  peu  vraisemblable  fut  le  mo 
leur.gC-jie'-  ^^^ <^^  Cette  étrange  dissimulation.  Colbert, 
^^^'  Tun  des  auteurs  de  la  ruine  de  Fouquet ,  lui 

succéda  sous  le  titre  de  contrôleur-général 
des  finances  ,  et  Ton  abolit  la  charge  de 
surintendant.  Beaucoup  de  zèle ,  d'applica- 
tion ,  de  sagacité ,  rendoit  ce  ministre  digne 
du  choix  de  Louis  XIV.  Les  impôts  furent 
d'abord  considérablement  diminués;  et  le 
commerce  devint  en  peu  de  temps  une  source 
-de  richesses.  Après  trois  années  de  procé- 
dures ,  on  condamna  le  surintendant  à  un 
bannissement ,  qui  fut  commué  en  prison 
perpétuelle.  L'académicien  Pélisson  eut  le 
courage  de  le  défendre  ,  tandis  que  la  plu- 
part de  ses  amis  l'abandonnoient  dans  la  dis- 
grâce. Ce  trait  de  générosité  ornera  toujours 
les  fastes  de  la  littérature. 
■  '"  '  Les  occasions  développent  le  caractère 
1662.    Jes  hommes.  Le  roi,  naturellement  fier, 

Louis  hu-  .  ,  1  1    •  1  -i       >         • 

imiie  le  roi  passionne  pour  la  gloire  ,  dont  il  n  avoit 
£spagne.p25  des  idées  parfeitement  justes ,  fit  bien- 
tôt connoître  à  quel  point  il  vouloit  être  res- 
pecté au-dehors.  Son  ambassadeur  à  Lon- 
dres ayant  été  insulté  par  celui  d'Espagne  , 
qui  lui  disputoit  le  pas  ,  il  menaça  Philippe 
IV  son  beau- père  de  reprendre  les  armes 
contre  lui  s'il  ne  réparoit  cette  insulte.  De- 
puis Philippe  II ,  la  monarchie  Espagnole 
languissoit,  foible  et  pauvre  avec  tous  les 
trésors  du  nouveau  monde.  Le  roi  d'Es- 
pagne 


Louis  XIV*  145 

-f  agne  eut  la  sagesse  de  plier.  Un  ambassa- 
deur extraordinaire  qu'il  envoya  exprès  à 
Louis  XIV ,  déclara  publiquement  que  les 
ministres  Espagnols  ne  concourroient  plus 
avec  ceux  de  France. 

Un  pape  lui-même,  Alexandre  VU,  Affaïred» 
fut  contraint  de  s'humilier  devant  le  jeune  °^"^* 
monarque.  Les  laquais  du  duc  de  Créqui, 
ambassadeur  de  France  ,  avoient  attaqué 
quelques  soldats  de  la  garde  Corse.  Ces 
sortes  de  violences  n*ëtoient  alors  que  trop 
ordinaires  aux  François ,  dont  la  pétulance 
et  Taudace  bravoient  souvent  toute  disci- 
pline. Les  Corses  furieux  assiégèrent  Thôtel 
de  Tambassadeur ,  et  lui  tuèrent  quelques 
domestiques.  On  tira  même  sur  lui  :  on  at- 
taqua le  carrosse  de  l'ambassadrice  au  mi- 
lieu des  rues.  A  cette  nouvelle,  le  roi  de- 
manda satisfaction  au  pape.  La  cour  de 
Rome  veut  gagner  du  temps  pour  se  tirer 
d'embarras.  Mais  on  se  saisit  d'Avignon  ; 
moyen  facile  de  lui  arracher  ce  qu'on  dési- 
roit.  Alexandre  envoya  le  cardinal    Chigi  .  _, 

son  neveu  demander  pardon  au  roi  ;  il  fal-    1654. 
lut  casser  la  earde  Corse ,  et  élever  une  pyra-  ..^'^  P?pe 

•1  ,^     .        ,  '    ,     ,  •!<        s  humilie 

mide  en  mémoire  de  cet  événement.  Tant  devant  le 
de  vigueur  ,  dans  les  affaires  médiocres ,  '°'* 
annonçoit  aux  princes  de  l'Europe  ce  qu'ils 
dévoient  attendre  d'un  jeune  roi ,  si  déhcat 
sur  le  point  d'honneur. 

Il  acquit  une  gloire  plus  solide  en  secou- 
Torne  m.  L 


^4^  Ltoui^s  X'IV. 

^Acquisi-rant  l'empetêur  Gbntfe  les  Turcs,  -et  enofo- 
Dunker-    curant  au    royaume    des  avantages    réels, 
^"^*         Charles  II  lui  vendit  Dunkerque  cinq  mil- 
lions (à  vingt-six  livres  dix  sous  le  marc 
d'argent  ).  Ce  port,  par  les  ôiivrciges  im- 
itierrses  qu'on  y  fit,  devint  un  objet  cle  ja- 
lousie et  de  terreur  pour   TAngleterre ,  qui 
ne  pardonn-a  jamais  â  Charles  un  marché 
contraire  au   bien  de  la  nation.  Les  linan- 
ces  que   Colbert  avoit  rétablies  ,  mettoient 
Louis  XIV  en  état  de  former  les  plus  grands 
desseins. 
Savans  ré-      J)éià  il  fiiisoit  renaître  le  siècle  d*Au- 

compeîKes  '  ,  .      ^  . 

.  gusfe  par  les  bienfaits  prodigues  aux  gens 

de  lettres,  même  dans  les  pays  étrangers,  (i  ) 

Canal  de  [[  faisoit  commencer  ce  merveilleux  canal 

Languedoc  .....  , 

du  Languedoc ,  qui  joint  les  deux  m€vs ,  mal- 
gré les  montagnes  qui  ks  séparent;  li  ton- 
doit  la  compagnie  des  Indes;  ilétablissoit 
des  manufactures  propres  à  enrichir  le  royau- 
Marine  me;  il  créoit  une  nouvelle  nurine,  d'au- 
tant plus  nécessaire  que. la  Hollande  et  l'An- 
gleterre couvroient  1  Océan  de  vaisseaux  , 
tandis  que  la  France  en  avoit  à  peine  quinze 
ou  seize.  Sa  politique  veilloiteimieme  temps 


(i^Colbert'écrivit  à  Yossius  ;  (Quoique  U  roi 
ne  soit  pas  votre  souverain.,  il  veut  néanmoins  être 
votre  bienfaiteur  ^  et  m'a  commandé  de  vous  envoyer 
la  lettre  de  change  adjointe  ,  comme  une  marque  ^e 
son  estime  et  un  gage  de  sa  protection. 


.Louis  XIV.  147 

sur  les  affaires  de  l'Europe^  et  n'attèndoit 
que  l'occasion  de  se  signaler  par  des  ea- 
treprises  éclatantes.  Jl  ambitionnoit  .sur- 
tout cette  espèce  de  gloire  qui  < coûte  trop 
de  larmes  à  rhumanité ,  ila  gloire  ÛQS  con- 
quérans  ;  l'occasion  de  lacquérirse  présenta 
bientôt. 

Après  la  mort  de 'Philippe  fW,   on  pré- 


tendit en  France  que  la  reine  ^Marie-Thérèse  ^^^• 
d'Autriche,  sa  fille  du  premier  lit,  avoitcctre'^'* 
des  droits  sur  le  .Brabant,  à  l'exclusion  du^'^sp^e'^P» 
nouveau  roi  dlEspagne  ,  Charles  II ,  enfant 
du  second  lit.  «  Si  les  causes  des  rois,  dit 
»  M,  de  Voltaire ,  pouvoient  se  :jus;er  par 
»  les  lois  des  nations  à  un  tribunal  jdésin- 
>>  téressé ,  Taffaire  eût  été  un  peu  douteuse  ». 
Elle  parut  certaine  h  ceux  que  Louis  char* 
gea  de  l'examiner.  On. n'eut  point  d'égard 
aux  renonciations  faites  par  la  reine  ;  on  se 
plaignoitde  la  cour  de  Madrid,  qui-n'avoit 
point  payé  sa  dot.  Les  droits  respectifs ^- 
rent  discutés  dans  divers  ouvrages  publiés 
en  France  et  en  Espagne;  mais  les  armes 
dévoient  décider  le  procès.  Un  monarque 
absolu ,  riche  et  bien  servi  ,  étoit  sûr  de 
vaincre  l'Espagne,  que  gouvernoit  le  P. 
Nitard,  jésuite  Allemand  ,  confesseur  de  b 
reine  mère ,  maître  de  l'esprit  de  sa  péni- 
tente ,  maître  de  l'état. 

Le  marquis  de  Louvois,  ministre  de  Ja  'fOi'vois, 
guerre  ,   admirable  dans  cette  partie,  ap-^eiaguer- 

L  1 


148  '         Louis  XIV. 

planit  toutes  les  difficultés  de  la  conquête* 
Il  établit  des  magasins  pour  la  subsistance 
des  troupes  ;  méthode  excellente ,    incon- 
Conquête  nue  dans  des  siècles  moins  heureux.  Le  roi , 
Flandre,    ayant  sous  lui  le  maréchal  de  Turenne  avec 
des    troupes    parfaitement  disciplinées ,   se 
rend  maître  en  une  seule  campagne  de  pres- 
■■  ■  ■  »     que  toute  la  Flandre.  Lille ,  la  plus   forte 
1668.    place  du  pays,  ne  soutint  que  neuf  jours  de 
d^îa  FÏan!  si^ge.  A  peine  le  vainqueur  s'est-il  délassé 
che-Comté  ^q  5^5  fatigues ,  qu'il  va  fondre  sur  la  Fran- 
che-Comté ,  au  cœur  de  l'hiver.  Condé  le 
suit  dans  cette  expédition.  La  province  est 
conquise  en  trois  semaines.  Il  s'y  trouva 
des   traîtres  que   l'argent   de  France  avoit 
corrompus.  Rien  ne  résista.  Dole  même,  qui 
s'étoit  si  bien  défendue  contre  le  père  du 
grand  Condé  ,  fut  prise  par  Louis  XIV  le 
quatrième  jour  du  siège. 
Triple  al-      Ces  rapides  conquêtes  ne  pouvoient  man- 
liaiice  «on- çjygj.  ^q  [^i    (^[^q  ^qs  ennemis.    Elles  an- 
tre Louis.   T         .  ... 

nonçoient  une   ambition  et  une  puissance 

capables  d'alarmer  toute  l'Europe.  La  Hol- 
lande craignit  le  voisinage  des  François , 
dont  le  secours  lui  avoit  été  si  avantageux 
jusqu'alors.  Elle  se  ligua  tout-à-coup  avec 
l'Angleterre  son  ennemie  ,  et  avec  la  Suède 
long-temps  amie  de  la  France,  en  faveur 
de  l'Espagne,  contre  qui  elle  avoit  toujours 
combattu.  C'est  ainsi  que  la  politique  rompt 
tous  les  liens ,  et  en  forme  de  nouveau  au  gré 


Louis  XIV.  249 

de  rintérêt  présent.  Le  roi  prévint  les  tf- 
kts  de  cette  triple  alliance,  en  offrant  la 
paix  à  TEspagne.  Elle  fut  signée  à  Aix-la- 
Chapelle.  On  rendit  la  Franche-Comté;  mais  ,,Jr«iîé 

on  garda  toutes  les  conquêtes  de  rlandre  ,GhapeUe. 
Charleroi ,  Ath ,  Douai ,  Lille ,  Oudenarde, 
Courtrai,  Armentièrcs,  etc. 

Vauban  avoit  déjà  fortifié  quelques-unes  Vauban.. 
de  ces  places  selon  sa  nouvelle  méthode. 
Ce  grand  ingénieur ,  au  lieu  d'élever  les 
fortifications  comme  on  faisoit  autrefois, 
les  mettoit  presque  au  niveau  de  la  campa- 
gne. Moins  exposées  au  canon ,  elles  ren- 
doient  les  approches  de  Tennemi  plus  dif- 
ficiles. L'art  de  la  guerre  se  perfectionnoit 
tous  les  jours  ;  mais  les  autres  peuples  pro- 
fitèrent de  l'exemple  des  François. 

Si  Louis  inspiroit  la  terreur  aux  étrangers  police  dans 
il  travailloit  sans  relâche  à  rendre  le  royaume 
plus  florissant.  Les  beaux  arts  excités  par 
ses  bienfaits ,  augmentèrent  ks  richesses  et  le 
bonheur  de  la  nation.  Paris  devint  un  sé- 
jour délicieux  et  magnifique.  Toutes  ks  rues 
furent  pavées ,  éclairées  de  lanternes  pen- 
dant la  nuit.  Une  police  exacte  pourvut  à 
la  sûreté  des  habitans.  On  avoit  ordonné 
sous  Henri  IV  que  les  spectacles  commen- 
ceroient  en  hiver  à  deux  heures  après  midi  ; 
tant  les  boues,  l'obscurité  et  les  voleurs 
rendoient  la  ville  impraticable  sur  la  fin  du 
jour.  Le  bel  ordre  qu'on  y  voit  régner  ea 

L3 


:^^  LûviS'  XÎV. 

tout  temps  n'est  pas  le  moindre  ouvrage  de 

Louis  XIV..      . 
invilides.       Itfondoit  les  Invalklesi : . il  forcoîti  la na- 
etc.  tare  a  Versailles  avec  trop  de  dtipensés  ;  il 

relevoit  la  splendeur  du  trône  par  des  fêtes 
somptueuses  ,- sans  perdre  de  vue  les  affaires 
Secours  à  de  TEurope.  Un  secours  de  sept  mille  hom- 
mes  qu  il  envoya  a  Candie ,  retarda  plus' 
de  trois  mois  la  prise  de  cette  importante 
place,  dont  les  Turcs  faisoient  le  siège.  Les 
autres  princes  eurent  à  rougir  d'un  exemple 
de  générosité  qu'aucun  n'imita. 
Lerotirrî-  Excessivement  jaloux  de  sa  gloire,  il  ne 
îtoîiundef  P'^^<^^'^"^^^  P^s  aux  Hollaudois  d'avoit  osé 
contrarier  ses  desseins.  La  fierté  républicaine 
de  leur  ambassadeur,  Van-Beuning,  ravoit 
choqué  dans  le  temps  qu'on  négocioit  W 
dernier  traité  avec  l'Espagne.  C'est  lui  qui , 
à  cette  question  d'un  ministre,  ne  vous 
fie^'vous  pas  à  la  parole  du  roi  ?  répon* 
dit  librement  \  j'ignore  ce  que  veut  le  roi  ^ 
je  considère  ce  qu^il  peut.  L'insolence  des 
gazetiers  de  Hollande ,  et  quelques  médail- 
les orgueilleuses  frappées  dans  le  pays  ,  pa-^ 
rurent  un  attentat  contre  la  personne  de 
Etat  de  Lo^is  XIV.    Cette  république  ,    si  fbible 

cette  repu-  ^  1  ^    r    ^     i 

biique.  par  elle  -  mem.e  et  par  la  stérilité  de  ses 
campagnes ,  étoit  devenue  ,  par  l'industrie 
et  le  commerce  ,  assez  puissante  pour  s'e- 
norgueillir. Ses  conquêtes  ,  ses  établisse-, 
mens  dans  les  Indeî^  orientales,  une  marine 


Louis  XîV.  251 

prodigieuse,  lui  faisolent  disputer  aux  An- 
glois  Tempire  de  TOcëan,  etses  flottes  avoient 
souvent  combattu  celles  d'Angleterre  pour 
le  vain  honneur  dU  pavillon.  Elle  cessa  de 
ménager  la  France  ,  l'Msqu'élle  put  S€  passer 
tfe  son  appui  ,  et  qu'elle  se  crut  intéressée 
à  se  liguer  contre  son-  pouvoir. 

Loins  se  croyant  offensé  ne  daigna  point  Lrguecotj. 
-an-Ller  srî<ivtacYi;>n  auTi  étftis,  La  mCKlé-^^^^^^Q^^^ 
iin  eut  H^ ri  ré  d^s  éloges   :   il^  aima  les  il. 
in,e;>é  feipe  éclater  sa  grandeur  par  une  ven- 
geance terrible.  Résolu  de  subjuguer  la  Hol- 
lande ,  il  dé*achs  d*abord  de  ses  intérêts  le 
roi' d'Angleterre  ,  Charles    11^  prince  vo- 
luptueux et  prodigue ,  que  Te  besoin  d'ar- 
^«nt  rendort- fort  trait-able.  La  Suède  gagnée 
aussi  renonce  à   la  triple  aliiance.  Toutes 
les  mesures  étant  prises  ,  avec  autant  de  se- 
cret que  d'activité,  on  déctart?  et  Ton  com- 
mence la  guerre. 

Près  de  deux  cents  mille  hommes  étoient  ■'  '■     ^ 
destinés  à  conquérir  un  petit  état ,  qui  n*avoit    1 67  2. 
qu'environ  vingt-cinq  mille  soldats  pour  sa  de  la  hSÎ! 
défense.  Le  roi  y  entra  ,  suivi  de  son  frère,*^"^^ 
de  Condé,  de  Turenne,  de  Luxembourg,, 
de  Vauban  ,  de  Louvois ,   etc.  répandant 
de  loin  la  terreur  et  le  désespoir.   Le  pas- Pawagedu 
sage  du  Rhin  ,  célébré  peut-être  avec  trop  ^"*^ 
d'empha':e  ,  fut  uiîe  action  moins  périHeuse 
que   brillante.  Les  chaleurs  avoiçnt  rendu 
guéaWe  un  bras  de  ce  fleuve.  La  cavakrife 

L4 


25i  Louis  XIV. 

ne  trouva  qu'un  espace  médiocre  à  nager  ^ 
et  dissipa  sans  peine  quelques  troupes  qui 
gardoient  la  rive.  L'infanterie  passa  ensuite 
sur  un  pont  de  bateaux.  On  perdit  le  jeune 
duc  de  Longueville;  mais  il  se  fit  tuer  par  sa 
faute.  Quoique  les  ennemis  demandassent 
quartier ,  il  tira  sur  eux ,  en  criant  :  point 
de  quartier  pour  cette  canaille.  Aussitôt 
partit  une  décharge  qui  le  coucha  sur  le 
carreau. 

Campngne  La  rapidité  êiQS  succès  de  cette  campa- 
gne  tient  du  prodige.  Irois  provmces 
(  Utrecht ,  Overissel  et  Gueldres  )  et  plus 
de  quarante  places  fortifiées  furent  conqui- 
ses en  peu  de  mois.  Amsterdam  voyoit 
presque  les  François  à  ses  portes.  Malgré 
Je  prince  d'Orange ,  opposé  au  grand  pen- 
sionnaire Jean  de  WiX. ,  Its  états  implorè- 
rent la  clémence  du  vainqueur.  Les  con- 
ditions de  paix  qu*il  proposa  parurent  acca- 
blantes à  un  peuple  libre ,  dont  le  courage , 
comme  il  arrive  ordinairement ,  fut  rani- 
mé par  le  désespoir.  Exiger  le  rétablisse- 
ment de  la  religion  catholique ,  tout  le  pays 
au-delà  du  Rhin  ,  des  places  au  centre  même 
de  la  république ,  c'étoit  forcer  les  Hollan- 
dois  à  vaincre  ou  à  mourir. 

Le  prince      Jean   de  ^yit,  que   ses   longs  services 

stathoudfr  dévoient  faire  respecter ,  devint  odieux  pour 

avoir  désiré  la  paix.  L'injuste  fureur  de  k 

populace  l'immola  cruellement  à  la  haine 


Louis  XIV.  158 

du  prince  d'Orange ,  nommé  stathouder , 
quoique  le  stathoudérat  eût  cté  nouvelle- 
ment aboli.  On  ne  pensa  plus  qu'à  sauver 
la  république  ,  ou  à  s'ensevelir  sous  ses  rui- 
nes. On  perça  les  digues  de  la  mer  ;  on 
s'exposa  par  cette  inondation  aux  plus  dures 
incommodités;  une  pinte  d'eau  douce  se 
vendit  jusqu'à  six  sous  :  mais  l'amour  de  la  li- 
berté et  de  la  patrie  rend  tout  supportable. 
Tandis  que  la  Hollande  étoit  sous  les  eaux 
ou  entre  les  mains  des  François,  les  flottes 
Hollandoises  combattirent  souvent  celles  de 
France  et  d'Angleterre  ,  et  le  fameux  amiral 
Ruyter  soutint  la  gloire  de  sa  nation.  .    .^ 

Cependant  l'empereur  Léopold,  le  roi  1673. 
d'Espagne  Charles  II  ,  la  plupart  des  ^vacuarion 
prmces  de  1  empire  ,  alarmes  des  con-  lande. 
quêtes  de  Louis  XIV  ,  s'unirent  avec  la 
Hollande  pour  arrêter  un  torrent  qui  sem- 
bloit  menacer  l'Europe  entière.  Le  roi 
d'Angleterre  fut  comme  forcé  par  son  par- 
lement de  faire  la  paix.  On  se  repentit 
alors  de  n'avoir  pas  ,  suivant  le  conseil 
de  Condé  et  de  Turenne,  démoli  cette 
multitude  de  places  dont  les  garnisons  dé- 
voient trop  affoiblir  l'armée.  Louis ,  après 
le  siège  de  Maestricht,  où  il  mérita  beaucoup 
de  gloire ,  eut  le  chagrin  d'abandonner  les 
trois  provinces  qu'il  venoit  de  subjuguer 
rapidement.  Une  grande  partie  de  l'Europe 
lui  tomboit  sur  les  bras  ;  mais  ce  fut  pour 

L6 


25^4  Louis  XIV. 

lui  un  nouveau  sujet  de  triomphes.  Il  sut  se 
défendre  et  faire  encore  des  conquêtes. 
'  La   Franche-Comté  ^  soumise   pour  la 

1674.    seconde  fois  en  six  semaines,  fut  enlevée 

Conquête  ,  .     _    '  , 

deiaFran-sans  retour  a  la  monarchie  Espagnole,  sous 
c  e-comte  jg^^gjjg  ^g^jg  province  formoit  une  espèce  de 
république ,  contente  de  sa  pauvreté  en  jouis- 
Turenne-Sant  dtf  ses  privilèges.  Du  côté  de  TAlle- 
Uihm  ^^  P^ù^^  >   Turenne  ,.  avec   une   armée  fort 
inférieure  à  celle  des  ennemis ,  déconcerta 
toutes  leurs  mesures ,  et  remporta  des  avan- 
tages considérables.  La  dévastation  du  Pa- 
latinat ,  où  deux  villes  et  vingt-cinq  villa- 
ges furent  impitoyablement  réduits  en  cen- 
dres ,  jvengea  les  François  des  cruautés  qu'on 
avoît  exercées  sur  quelques  particulieis.  Le 
ministre    avoit  ordonné  cette  vengeance  ; 
le  vertueux  Turenne  en  fut  malgré  lui  l'ms- 
trument. 
Gondé        Condé  tenoit  tête  dans  les  Pays-bas  au 
pdnci  ^^    prince  d'Orange  ,  plus  fort  de  moitié  par 
B'Safue  de^^  nombre  de  sgs  troupes.  La  sanglante  ba- 
Seiief.       taille  de  Ssnef  fit  périr  d&  hommes   sans 
produire  de  bien.   Au  rapport  des  curés  , 
on  enterra  vingt-cinq  mille  cadavres  dans 
un  espace  de  Cieux  lieues.  Le  piince  Fran- 
çois eut  trois  chevaux  tués  sous  lui.  11  ne 
ménagea  pas  plus  sa  personne  que  ses  trou- 
pes. Cest  tout  au  plus  une  nuit  de  Paris , 
dit-il  au  sujet   de   la  boucherie  de  Senef» 
Turenne  disoit  avec  beaucoup  plus  de  rai- 


LovisXïV.  255 

son,  qu'il  falloit  trente  ans  pour  faire  un 
s<>kiat.  Toutes  CCS  hoi-reurs  {U  la  guerre  re- 
tombent sur  k  genre  humain,  victime  trop 
peu  regrettée  de  l'ambitioa  d^s  rois  et  de 
la  gloire  des  héros.  De  part  et  d'autre  on 
chanta  des  Te  Dmrn ,  avec  beaucoup  plus 
de  raisons  de  pleurer  que  de  se  réjouir. 

L'empereur   avoit   opposé   au    maréchal  =>'   '     '^  ■*» 
de  Turenac  la  célèbre  général  Montécuculli.    1^75- 

^        j  ■  ^.  '  •    /   1»    1       Mort  de 

Ces  deux  rivaux,  après  avoir  excite  1  ad-Tuieuue. 
miration  de  l'Europe ,  par  des  marches  et 
des  campemens  plus  glorieux  que  des  vic- 
toires ,    étoient  sur  le  point  d'en  venir  à 
une  action  décisive,   lorsque  Turenne  fut 
tué  d'un  coup  de  canon  ,  en  examinant  la 
place  d'une  batterie.  Le  même  boulet  ayant 
emporté  le  bras  du  marquis  de  Saint-Hilaire , 
lieutenant-général ,  son  fils  courut  à  lui  tout 
éploré.  Mon  fils  ^  s'écria  Saint-Hilaire,  ce 
nest  pas    moi   quil  faut  pleurer  ,  cest 
ce  grand  homme.    Turenne   méritoit  uo 
pareil  éloge ,  autant  par  les  qualités  de  son 
âmj,  que  par  la  supériorité  de  ses  talens.  If 
avoit  abjuré  le   calvinisme    en    i668.  Les 
protestans  désolés  de  sa  conversion  ne   la 
crurent  point  sincère.   On  soupçonna  qu'iL 
aspiroit  à  la  dignité  de  connétable;  mais  sa- 
lîranchise  et  sa  noble  simplicité  le  mettoienf 
à  Tabri  de  ces  malignes  conjectures.  Si  l'a- 
mour lui  fit  faire  des  fautes ,  même  sur  le. 
letour  de  l'âge  ,  il  les  couvrit  de  tant  de: 

Ld 


iS6  Louis  XIV.* 

vertus ,  aussi-bien  que  les  égaremens  de  sa 
jeunesse ,  qu'à  peine  trouve-t-on  dans  notre 
histoire  un  guerrier  digne  de  lui  être  com- 
paré. Louvois  ëtoit  jaloux  de  ce  héros ,  et 
se  réjouit  de  sa  mort,  dont  il  auroit  dû 
être  affligé  en  ministre  comme  en  citoyen. 
Dernière  Malgré  la  consternation  que  la  mort  de 
5e"çottdé.  Turenne  répandit  dans  toute  l'armée ,  le 
comte  de  Lorges  fit  une  retraite  honora- 
ble. Cependant  Montécuculli  passa  le  Rhin , 
pénétra  en  Alsace.  Le  grand  Condé  mar- 
cha contre  lui  et  l'arrêta.  Renonçant  en- 
suite au  commandement ,  que  sa  santé  ne 
lui  permettoit  plus  de  soutenir ,  il  alla  jouir 
dans  la  retraite  de  lui-même  ,  de  sa  gloire  , 
des  sciences ,  des  lettres  et  des  beaux-arts. 
Cette  même  année,  Montécuculli  quitta  le 
service  de  l'empereur ,  parce  que ,  dit-il ,  un 
homme  qui  avoit  combattu  les  Condé  et  les 
Turenne  ne  devoit  pas  compromettre  sa  ré- 
putation contre  des  généraux  eommençans. 
Telle  étoit  la  force  du  gouvernement, 

■ ks  ressources  du  ministère,  l'habileté  des 

ï 676,77. généraux,  la  discipline  et  le  courage  des 
la  France,  troupes ,  que  la  France  conserva  sa  supério- 
rité jusqu'à  la  fin  de  cette  guerre,  quoi- 
que le  maréchal  de  Créqui  eût  été  battu  à 
Consarbruk;  malheur  qu'il  répara  par  deux 
campagnes  glorieuses.  La  Sicile  révoltée  con- 
tre l'Espagne  s'étant  livrée  aux  François, 
Ray  ter  vint   au  secours    des   Espagnols  i 


Louis  XIV.  267 

mais  il  trouva  dans  le  célèbre  Duquesne 
un  émule  redoutable.  Notre  flotte  flit  trois 
fois  victorieuse ,  et  la  Hollande  perdit  Ruy-  Ruyicr* 
ter ,  que  Louis  XIV  lui-même  honora  de 
ses  regrets.  De  mousse  et  valet  de  vaisseau, 
il  étoit  devenu  par  son  mérite  l'un  des  pre- 
miers hommes  de  la  république  ;  et  la  bas- 
sesse de  son  origine  donna  un  nouveau 
lustre  à  sa  renommée.  Le  roi  fit  deux  cam- 
pagnes en  Flandre ,  aussi  glorieuses  que  les 
premières.  Son  frère  ,  quoiqu'énervé  par  la 
mollesse ,  signala  aussi  sa  valeur.  La  prise 
de  Valenciennes  (i),  de  Cambrai,  de 
Saint-Omer ,  et  la  bataille  de  Cassel ,  ga- 
gnée par  le  duc  d'Orléans  sur  le  prince  d'O- 
range ,  sont  les  événemens  mémorables  de 
l'année   1677.  Mot  flat- 

Louis  de  retour  à  Versailles  dès  le  moiscineauroi. 
de  mai ,  dit  à  Racine  et  à  Despréaux  ,  ses 
historiographes  :  /e  suis  fâché  que  vous  ne 
soyei  pas  venus  o  cette  dernihe  campa- 
gne :  vous  aurie^  vu  la  guerre  ,  et  votre 
voyage  neût  pas  été  long.  Votre  ma- 
jesté ,   répondit  Racine  ,  ne  nous  a  pas 

(1)  Valenciennes,  place  extrêmement  forte, 
défendue  par  une  bonne  garnison  ,  fut  emportée 
d'assaut ,  ijprcs  sept  à  huit  jours  de  tranchée  ou- 
verte. Vauban  persuada  ,  contre  /avis  du  minis- 
tre et  de  cinq  maréchaux ,  de  faire  l'attaque  en 
plein  jour.  Les  mousquetaires  y  firent  des  prodi- 
ges de  valeur ,  et  même  d*habi!eté. 


:^5»  Louis  XïV. 

donné  h  temps  de  faire  faire  nos  habits^ 
Réponse  ingénieuse ,  où  l'on,  reconnoit  i'art: 
si  commun  à  la  cour  d'assaisonner  fine- 
ment, la  âatterie.  Ce  grand  poète  étoit  peut- 
être  trop  courtisan  pour  bien  remplir  les  de- 
voirs d'historien.  Aussi  ii'a-t-il  nen  laissé 
de  considérable  sur  Louis  XIV.  L'histoire 
des  rois,  à  parler  en  général,  ne  doit  pas 
s'écrire  sous  leurs  yeux. 

w>  Le  roi    triomphoit   de  tous   côtes ,  ou 

1678.    par  lui-même^  ou  par  ses  généraux.  Quoi- 

Nimégue.^ <î^'il  eût  évacué  la  Sicile,  que  la  licence 
à^s  François  avoit  souvent  révoltée  ,-le  suc- 
cès de  ses  armes  le  rendoit  l'arbitre  de  l'Eu- 
rope»  Il  lui  donna  la  paix  ,  et  en  imposa 
les  conditions.  Le  traité  de  Nimegue  fut 
son  ouvrage.  Les  HoUandois  seuls ,  qui 
avoient  conclu  les  premiers  séparéir.ent ,  ne 
perdirent  aucune  de  leurs  villes.  L'Espagne 
céda  la  Franche  -  Comté  et  une  grande 
partie  de  la  Flandre.  L'empereur  céda 
Fribourg,.  dont  Créqui  s'étoit  emparé.  Le 
jeune  duc  de  Lorraine ,  successeur  de  Char- 
les IV  ,  devoit  être  rétabli  dans  ses  états ,, 
mais  à  des  conditions  qu'il  eut  le  courage 
de  refuser  5.  aimant  mieux  vivre  dép'Juiiié 
et  fugitif,  que  de  subir  la  loi  de  Louis  XIV., 
Le  prince      Quatre  jours  a^près  que  le  traité  de  Ni- 

attaq^u!!^  îî^ègue  eut  été  signé  avec  la  Hollande,  le 

ttaité.^^    prince  d'Orange,  qui  pouvoit  en  être  ins- 
truit, qui  du  moins  ne  pouvoit  douter  que 


Louis   XIV.  lô^i 

la  paix  ne  fut  trcs-proc haine,  vint  à  la  tête 
de  cinquante  mille  hommes  attaquer  près 
de  Mons  le  maréchal  de  Luxembourg.  Cet 
élève  du  grand  Condé ,  ayant  reçu  la  nou- 
velle de  la  paix,  ne  s'attendoit  à  rien  moins 
qu'à  une  bataille.  11  eut  la  gloire  de  repous- 
ser l'ennemi ,  et  le  prince  d'Orange  ne  put 
se  jusnfier  aux  yeux  du  public  d'avoir  pro- 
digué le  sang  humain  par  une  cruelle,  et 
stérile  ambition. 

Louis  étoit  alors  au  comble  de  la  gran-  ^^^^^^H 
deur.  On  lui  donna  en  France  le  surnom  de  Brisac 
de  grand  ;  l'Europe  jalouse  n'osa  réclamer 
contre  ce  titre.  La  paix  ,  dont  il  avoit  pres- 
crit les  conditions,  ne  l'empêcha  point  d'é- 
tendre encore  sîjs  domaines.  Deux  cham- 
bres étabhes  à  Metz  et  à  Bnsac ,  pour  réu- 
nir à  la  couronne  toutes  les  anciennes  dé- 
pendances des  trois  évcchés  et  de  l'Alsace, 
enlevèrent  par  leurs  arrêts  un  grand  nom- 
bre de  seigneuries  à  des  souverains  qui  en 
jouissoient  depuis  long- temps. 

Strasbourg    conservoit  sa  liberté  ;  ville      rn'''^ 
puissante ,  d'autant  plus  redoutable,  qu'ayant  Redd  ti'o»i 
un  pont  sur  le  Rhin  ,  elle  ouvroit  aux  en-^^*^  ^^"'^^ 
nemis  i  entrée  du  royaume.  Louvois  entre- 
prend de  la  réduire.  Il  traite  avec   les  irja- 
gisuats  ,  gagne  les  uns  ,  intimide  les  autres. 
Ln  même  temps  une  armée  Françoise  me- 
nace Strasbourg.  Le  traité  de  reddition  €St 
conclu ,  malgré  les  gémissemens  d'un  peu* 


i6o  Louis  XIV; 

pîe  républicain.  Bientôt  cette  grande  place 
fortifiée  par  Vauban  devint  le  rempart  de  la 
France  du  côté  de  l'Allemagne. 

Colbert  avoit  mis  la  marine  dans  un  état 
Bombâr-^^  florissant,  que  le  roi  ordonna  de    faire 

dément  baisser  pavillon  à  tous  les  vaisseaux  Espa- 
gnols. Il  avoit  soixante  mille  matelots.  L'An- 
gleterre ni  la  Hollande  n'en  pouvoient  en- 
tretenir un  si  grand  nombre.  Les  corsaires 
qui  infestoient  la  méditerannée  disparurent 
devant  ses  escadres.  Duquesne  alla  bom- 
barder Alger.  On  fit  usage  pour  la  pre- 
mière fois  des  galiotes  à  bombes ,  inventées 
par  un  François  (  Bernard  Renaud  )  ,  mais 
dont  les  ennemis  profitèrent  à  leur  tour  con- 
tre la  France.  Jusqu'alors  on  n'avoit  pas 
cru  possible  que  les  mortiers  jouassent  avec 
effet  sur  une  machine  flottante.  Alger  , 
après  avoir  été  foudroyée  ,  envoya  faire 
des  soumissions.  Tunis  et  Tripoli  subirent 

,      ..    ..  le  même  sort. 
i6î^4.        Mécontent  de   Gènes,  qui  avoit  vendu 

dfmeiu^de  ^^  ^^  poudre  aux  corsaires  ,  le  roi  lui  fit  sen- 

Gêues.  tir  comme  à  eux  tout  le  poids  de  sa  ven- 
geance. Quatorze  mille  bombes  écrasèrent 
une  grande  partie  de  cette  ville  superbe. 
11  fallut  que  le  doge  vînt  en  personne 
demander   grâce.  Au  milieu  âf^s    magnifi- 

Versaifics?  ^^"^^^  ^^^  Versailles  ,  interrogé  sur  ce  qu'il 
y  trouvoit  de  plus  singulier ,  il  répondit  :. 
c'ea  de  m'y  yoiu  M.  de   Voltaire  ajoute. 


Louis  XIV.  261 

qu'il  fut  charmé  de  la  politesse  du  monar- 
que, et  blessé  de  la  fierté  des  ministres. 
Le  roi  y  disoit-il ,  ote  à  nos  cœurs  la  li- 
berté par  la  manière  dont  il  nous  reçoit  ; 
mais  ses  ministres  nous  la  rendent.  Il 
étoit  plus  glorieux  à  Louis  XIV  de  mériter 
cet  éloge  ,  que  de  voir  à  ses  pieds  le  chef 
d'une  république ,  traitée  avec  tant  de  ri- 
gueur pour   une  faute  qui  paroît  légère. 

Cependant  le  pape  Innocent  XI ,  ver-    Démêlés 

*^         •       1  •  •    n      -Il         1  -^  avec  lima- 

tueux,  mais  altier  et  innexibie,  bravoit  ce  cent  XI. 
monarque  si  redoutable.  Ils  étoient  brouillés 
depuis  long-temps  au  sujet  de  la  régale. 
C'est  un  droit  particulier  aux  rois  de  France, 
qui  remonte  jusqu'aux  temps  les  plus  reculés, 
par  lequel  ils  perçoivent  les  revenus  à^s 
évêchés  vacans ,  et  nomment  pendant  la  va- 
cance aux  bénéfices  dépendans  de  Tévéché. 
Quelques  églises  se  prétendoient  exemptes 
de  ce  droit  :  Louis  XIV  déclara  par  un  édit, 
en  1 673  ,  que  la  régale  s*étendoit  à  tout  le 
royaume.  Les  évéques  d'AIet  et  de  Pamiers, 
célèbres  par  leur  opposition  au  formulaire 
concernant  Jansénius  (  nous  en  parlerons 
ailleurs  )  ,  osèrent  seuls  se  roidir  contre  l'au- 
torité ,  et ,  ce  qu'il  y  a  de  plus  singulier  , 
furent  soutenus  par  Innocent  XI ,  quoique 
rebelles  au  décret  d'un  pape.  La  dispute 
f'échauffa  ;  l'assemblée  générale  du  clergé 
en  1682  prit  le  parti  de  la  cour. 

Le  pape  ayant  condamné  cette  démar- 


.i6i  Louis   XIV"» 

Les  quatre  chejOn  Saisit  Foccasion  d'examiner  les  Jrcits 

articles  du    ^  •  '^      ^-  i  a  m 

ckfgé.      et  les  prétentions  du  pape  même  ;  et  1  assem*^ 
blée  se  signala  par  ces  quatre  fameux  articles, 
où  fut  exposée  la  doctrine  de  légl  se  Gal- 
licane. Ils  portent  ea  substance  ,  i  ^\  que  la 
puissance  ecclésiastique  n'a  aucun   pouvoir 
sur  le  temporel  des  princes;  2®.  que  lé  con- 
cile général  est  supérieur  aii  pape  ,  comme 
le  concile  de  Constance  Ta  décidé;  3.^.  que 
ks  coutumes  et  les  lois  reçues  dans  1  e^lîse 
Gallicane    doivent    être  maintenue»  ;   4^» 
que  le  jugement  du  souverain  pontife ,  en 
matière  de  foi,  n'est  infaillible  qu'ap.'ès  le 
consentement  de  l'église.  Des  vérités  que 
le  simple  bon  sens,  j'>intàune  connorssancei' 
médiocre  de  l'antiquité,  fait  sentir  à  tout 
hx)mme  non  prévenu  ,  parurent  alors  d-es  dé- 
cisions hardies.  A  Rome,  elles  étoient  taxées, 
d'erreurs ,  et  les  préjugés  ultramontains.,  qui 
avoient  inspiré  la  ligue  n'étoient  pas  encore 
étouffés  dans  tout  le  royaume.  L'affaire  ût 
beaucoup  de  bruit  ;   elle  n'en  feroit  point 
de  nos  jours. 
Roideur       Innocent   XT  ,  plus  irrité   qtie  jamais  ^^ 
tt  pape.    çQ^ç[^^Y\m   les  propositions  du  clergé ,   et 
refusa  des   bulles  à  tous  les  évéques  nom- 
més par  le  roi.  Cette  inflexible  roideur  pou- 
voit  produire  une  scission.    Plusieurs  par- 
loient  déjà  d'établir  en  France  un  patriarche 
indépendant  de  Rome.  La  religion  éx  roi 


Louis  XIV.  1(^3 

fempccha  toujours  d'en  venir  à  cette  extré- 
mité. 

Mais  il  étoit  trop  fier  pour  céder  au  pape.    Affaires 
Celui-ci    vouloir   abolir   les  franchises    deschises.' 
ambassadeurs ,  dont  les  hôtels  ,  et  même  les 
quartiers  d'alentour  ,    étoient  comme    ua 
asile    inviolable.    Voleurs,   as^.assins ,    s*y 
mettoient  à  couvert  de  la  justice.  Un   tel 
abus  dans  la  capitale  du  monde  chrétiea 
ne   subsistoit  que  parce  que  l'honneur  &cs 
couronnes    y  paroissolt  intéressé.   L'eiMpe- 
reur,  les  rois  d'Espagne  et  de  Pologne  se 
rendirent  aux  vœux  d'Innocent.  Louis  dé- 
clara,   dit-on,  au  nonce,    que  jamais  il 
navoit  pris  pour  règle  VexempU  d'au- 
trui ,  et  que  c  étoit  à  lui  à  servir  d'exemple. 
Cette  hauteur  fut  soutenue  par   des  effets. 
Le  marquis  de  Lavardin,  nouvel  ambassa- Excommu- 

,  1       T-  1  r»  nicationde 

deur    de   rrancs  ,    entra  dans    Rome  enrambassa- 
1687  ^^'^^  ^"  cortège  de  gens  de  guerre,  ^"^' 
et  affecta  de  braver  le  pontife ,  qui  avoit 
supprimé  absolument  les  franchises.  Les  cen- 
sures dont  il  fut  frappé  ne  servirent  qu'à 
aigrir  le  roi.  On  s'empara   d'Avignon.  Si 
Louis    XIV    avoit    eu    moins    de    respect 
pour  le  saint  siège ,  l'imprudence   du  pape 
lui  eût  sans  doute  attiré   de    plus    grands, 
iialheurs.   La  France  ,  dans  l'opinion  des 
,)C)litiques ,  ne  tenoit  plus  à  Rome  que  pac 
n  fîl  prêt  à  se  rompre. 
Dans  le  temps  même  de  ces  yiolens  dé' 


264  Louis  XïV. 

Projet  de  mélës  ZYQC  Innocent  XI ,  Louis  signala 
caiyîjiTsme  son  zèle  pour  la  catholicité,  en  portant  le 
coup  mortel  au  calvinisme.  Depuis  la  prise 
de  la  Rochelle ,  les  calvinistes,  hors  d'état 
de  former  dès  factions ,  jouissoient  paisi- 
blement de  leurs  privilèges  sans  inquiéter 
le  gouvernement.  Leur  génie  séditieux  avoit 
fléchi  sous  l'autorité  suprême.  Le  monar- 
que ne  les  craignoit  point,  et  profitoit  de 
leurs  services.  Mais  on  lui  persuada  aisé- 
ment que  sa  gloire  et  l'intérêt  de  la  cou- 
ronne demandoient  l'extinction  de  l'hérésie, 
qu'il  pouvoit  tout,  que  tout  céderoit  à  sa 
volonté.  Plein  de  ces  idées  flatteuses ,  am- 
bitionnant d'ailleurs  le  mérite  de  servir  la 
religion  malgré  ses  griefs  contre  le  pape, 
il  commença  par  gêner  les  protestans ,  par 
restreindre  de  plus  en  pKis  leur  liberté ,  et 
employa  bientôt  la  violence,  qui  ne  sup- 
plée jamais  à  la  persuasion. 
Violences  Des  missionnaires  envoyés  dans  ks  pro- 
ealwnistes  vinces  ,  et  l'argent  distribué  aux  convertis , 
ne  produisant  pas  un  effet  assez  rapide ,  on 
envoya  des  troupes  pour  inspirer  la  terreur. 
Le  chancelier  le  Tellier  et  Louvois  son 
fils  étoient  naturellement  portés  aux  voies 
dangereuses  du  despotisme.  La  mort  de 
Colbert  (i),  qui  avoit  protégé  les  calvi- 

(O  Colbert  mourut  en  1683.  C'est  à  lui  prin- 
cipalement que  le  royaume  devoitsa  splendeur  et 


Louis  XIV.  i65 

nistes  comme  citoyens ,  laissoit  à  ces  deux 
ministres  tout  pouvoir  de  suivre  leur  pen- 
chant. Louvois  s'exprima  ainsi  dans  les 
lettres  écrites  de  sa  main  :  Sa  majesté 
y  eut  qu'on  fasse  éprouver  les  dernières 
rigueurs  à  ceux  qui  ne  voudront  pas  se 
faire  de  sa  religion  ;  et  ceux  qui  auront 
la  sotte  gloire  de  vouloir  demeurer  les 
derniers  ,  doivent  être  poussés  jusqiHà 
la  dernière  extrémité:,  comme  si  la  façon 
de  penser  dépendoit  d'un  ordre  de  la  cour. 
Les  troupes  chargées  de  la  commission  ,  \qs  nragonade 
dragons  surtout ,  ne  l'exécutèrent  que  trop 
bien.  L'Europe  retentit  des  plaintes  exci- 
tées par  leurs  violences.  Dans  les  églises 
protestantes ,  la  dragonade  étoit  comparée 
aux  persécutions  de  l'ancienne  église.  Cette 
rigueur  produisit  Teffet  ordinaire  ;  elle  chan- 
gea d'abord  en  enthousiasme  le  zèle  des 
calvinistes.  Ils  ne  regardoient  leur  patrie 
que  comme  une  nou%'elIe  Babylone;  et 
plus  on  prenoit  de  précautions  pour  les  em- 
pêcher de  s'enfuir,  plus  ils  se  croyoient 
obligés  de  rompre  leurs  fers. 


ses  richesses  ;  mais  comme  la  guerre  et  les  dépen- 
ses excessives  de  la  cour  l'avoient  enfin  obligé 
d'employer  des  moyens  extraordinaires ,  qu'il  ne 
Çoûtoit  point ,  le  peuple  oubliant  ce  qu'il  avoit 
fait  de  bien ,  s'emporta  jusqu'à  vouloir  ouirageç 
son  cadavre. 


aSS  Louis  XW. 

"-  •  Errfm  Louis  XiV  rëvaqueie  fameux  édit 

*^^^    de  Nantes  donné  par  Henri  :fV,  et    con- 
tionde  '  firmépar  LouisXUI.  Lalibertéde-tonscience 
KaiJtesf    ^^^  otfie  aux  protestans ,  kuEs  temples  sont 
démolis,,  ^et  les  eufans  arrachas  des  bras  de 
leurs  pères, et  -mères  ,  pour. être  > élevés  dans 
Désertion  la  religion  catholique.  .Les  défenses  <  de  sor- 
tans^'^^^^^'tir  du   royaume  ,  les  g^^rdes  répandus  en 
foule  sur  les  cotes  et.les-ifontières,  famour 
du  pays  natal ,  ks  liens  du  sang ,  l'intérêt 
delà  fortvine,  rien  ne  peut  arrêter  des  hom- 
mes qu'entraîne  le    fanatisme  ou  le  déses* 
poir.  Ils  désertent  par  milliers.  La  Hollande, 
l'Angleterre  ,  rAIlemagne,.leur  tendent  les 
bras.  Ils  y  emportent  des  sommes  immen- 
ses ,    une  industrie  plus  précieuse  encore  , 
les  manufactures  qui  enrichissoient  le  royau- 
me.  En  peu  d'années  là  France  perdit  en* 
viron  cinq    cents  mille  citoyens ,  quelques 
uns  disent  huit  cents  mille  :  perte  difficile 
à  réparer. 
Réflexions      C'étoit  sans  doute  un  grand  bien  que  de 
aftaiie.      rétablir  l'uniformité  de  culte  et  de  croyance. 
Mais  c'étoit  un  grand  mal ,  et  pour  le  roi , 
et  pour   la  religion  même:,  que  d'allumer 
la  haine  d'une  infinité  de  François,  deve- 
nus dès-lors  les  plus  implacables  ennemis  de 
la  patrie  et  de  l'église. 'Plusieurs ,  par  esprit 
dezèk,  ont  admiré  cette  démarche  de" Louis 
XIV.  La  politique  humaine,  en  balançant 
le  pour  et  contre  ,  préfère  la  •  conduite  de 


Louis  XIV.  267 

JHenr!  IV.  II  est  impossible  d'ailleurs  de 
concilier  avec  les  maximes  évangéliques  , 
/bien  différentes  de  celles  de  Timpitoyable 
iLouvols ,  des  cruautés  qui  révoltent  au  lieu 
^îde  convertir.  Ce  ne  fut  qu'après  ces  vexa- 
-lions  que  les  calvinistes  remuèrent  dans 
l'état.      :. 

La  reme  Christme  écrivit  de  Rome,  où  Paroles  de 
.  ile  avoit  abjuré  le  protestantisme  :  je  con-  ^^"^'^'"*' 
'd}re  aujourdliui  la.   France  comme  un 
malade  /)  qui  on  coupe  bras  et  jambes  , 
•pour  le  guérir  d'un  mal  quun  peu  de 
^patience  et  /ie   douceur  aurait  entière- 
,ment:gu/ri;  mais  je  crains  fart  que  ce 
mal  ne  s^ aigrisse  et  ne  devienne  enfin  incu- 
rable ^  etc.   Cette  princesse  affectoit   pour- 
tant beaucoup  de  zèle  pour  la  religion  catho- 
lique ;  et  le  meurtre  de  son   grand   écuyer 
Monaldeschi,  qu'elle  fit  assassiner  en  1667 
dans  la  gaJerie  de  Fontainebleau  ,  étoitune 

preuve  (k  son  penchant  au  despotisme.        » 

La  hauteur  et   la  puissance*  du  roi  ,  ses     1687. 
entreprises  en  pleine  paix.,  les  confiscations  d'Augs- 
sur  SCS  voisins,  la  conquête  de  Strasbourg, ^'®^'^^' 
suivie  en   i683    du   bombardement  de  la 
prise  de  Luxembourg,  sans  parier  de  la  pros- 
cription du  calvinisme ,  lui  firent  presqu'au- 
tant  d'ennemis ,  qu'il  y  avoit  de  princes  en 
Europe.  Le  plus   dangereux  de   tous ,  soit 
par    son   excessive  ambition  ,  soit    par  :sa 
profonde  politique ,  c'étoit  Guillaume  prince 


i68  Louis  XIV. 

d'Orange  ,  méprisé  des  François  ,  parce 
qu'il  n'étoit  point  heureux  à  la  guerre, 
mais  qui  leur  apprit  bientôt  de  quoi  son 
génie  le  rendoit  capable.  Il  fut  le  moteur 
de  la  fameuse  ligue  projetée  secrètement  à 
Augsbourgen  1686,  et  conclue  à  Venise 
l'année  suivante.  L'empereur  et  la  plus 
grande  partie  de  l'empire,  le  roi  d'Espagne, 
la  Hollande ,  le  duc  de  Savoie  ,  presque 
toute  l'Italie,  s'unirent  contre  la  France.  In- 
nocent XI ,  aussi  fier  que  Louis  XIV  dont 
il  éprouvoit  alors  le  ressentiment,  secon- 
doit  par  ses  intrigues  celles  du  prince  Hol- 
landois.  On  vit  un  pape  et  un  protestant, 
sans  agir  de  concert,  travailler  avec  le  mê- 
me zèle  à  l'abaissement  du  roi  très-chrétien. 
—  •     '  "      Dès  que  Louis  sut  qu'on  vouloit  l'atta- 

s^  e  de  ^^^^^  »  ^^  P°^^^  ^^*  premiers  coups.  Le  dau- 
Phiiips-  phin ,  nommé  Monseigneur,  fut  chargé 
ie*dauphîn  d'aller  prendre  Philipsbourg  ,  qui  étoit  la 
clé  de  l'Allemagne.  Mon  fils ,  lui  dit  le  roi 
à  son  départ,  en  vous  envoyant  comman- 
der  mes  armées  ,  je  vous  donne  les  oc- 
casions de  faire  connaître  votre  rkérite  ; 
allei  le  montrer  a  toute  VEurope ,  afin 
que  quand  je  viendrai  à  mourir  ,  on  ne 
s'aperçoive  pas  que  le  roi  soit  mort.  Le 
dauphin  se  montra  digne  en  effet  de  sa 
confiance.  Adoré  des  troupes ,  chéri  de 
tout  le  monde  ,  plein  de  douceur  et  de 
courage,  mais  d'un  courage  prudent  tel 

que 


Louis   XIV*  26^ 

ijlie  Celui  de  son  père  ,  la  gloire  qu'il  acquit 
par  la  prise  de  Philipsbourg  causa  une  joie 
universelle  dans  le  royaume. 

Le  duc  de  Montausier  son  gouverneur  ,  9°"^^^"^ 
homme  d  une  vertu  rare  ,  lui  écrivit  après  sier  le féiu 
cet  événement  :  Monseigneur ,  je  ne  vous  ^^^^' 
fais  point  de  compliment  sur  la  prise  de 
Philipsbourg  :  vous  aviei  une  bonne  ar- 
mée ^  des  bombes^  du  canon ^  et  Vau- 
ban.  Je  ne  vous  en  fais  point  aussi  sur 
ce  que  vous  êtes  brave  :  c'*est  une  vertu 
héréditaire  dans  votre  maison  ;  mais  je 
me  réjouis  avec  vous  de  ce  que  vous  êtes 
libéral ,  généreux  ,  humain  ,  et  faisant 
valoir  les  services  de  ceux  qui  font  bien, 
Montausier  pouvoit  se  teliciter  g  avoir  cul- 
tivé avec  fruit  les  vertus  de  son  élève.  Les 
leçons  de  Bossuet  son  précepteur ,  et  d'Huet 
sous- précepteur,  produisirent  moins  d'eifct. 
On  lit  dans  les  lettres  ce  madame  de  Ma^n- 
tenon,  que  le  dauphin  savoit  à  cinq  ou 
six  ans  mille  mots  latins  ,  et  pas  un 
quand  il  fut  maître  de  lui, 

11  ï\y  avoit  encore  qu'une  première  étin-Jacmiesïl. 
celle  de  guerre.  La  révolution  qui  précipita  iL'^noInt'"'^ 
du  trône  les  Stuart  acheva  l'embrasement.  '^-^'^  <^«- 
Charles  II  avoit  laissé  la  couronne  d'An- 
gleterre à  Jacques  II  son  frère  ,  devenu  ca- 
tholique ,  par  conséquent  odieux  à  ses  peu- 
ples ,  d'autant  plus  que  se  croyant  absolu 
ou  voulant  Fctre ,  il  ne  ménagecit  point  leur 
Tome  III.  M 


i7o  Louis  XIV. 

religion  ni  leur  liberté.  Des  ëvéques  Angll* 
,  cans  mis  en  prison ,  un  nonce  du  pape  reçu 
à  la  cour,  les  jésuites  en  faveur,  un  d'eux 
gouvernant  l'esprit  du  monarque ,  et  admis 
"     au  conseil  privé  ;  le  projet  mal  concerté  de 
rétablir  le  catholicisme ,   que   les   Anglois 
ne  peuvent  souffrir  ;  toute  la  conduite  de  Jac- 
ques les  disposoit  à  la  révolte.  L'imprudence 
de  son  zèle  le  faisoit  blâmer  dans   Rome 
même.  Les  sages   prévirent  qu'il  en   seroit 
la  victime,  et   que  loin  de  servir  l'église^ 
il  la  ruineroit  pour  toujours  en  Angleterre. 
Le  prince      Après  des  plaintes  inutiles,  les  Anglois 
fai?7a"fé.  Conspirèrent.  Le  prince  d'Orange,  qui  avoit 
voiution.    épousé  la  fille  de  Jacques ,  sollicité  de  se  met- 
tre à  leur  tête  ,  étoit  trop  ambitieux   pour 
ne  pas  saisir  cette  occasion  de  fortune.  Le 
complot  fut  conduit  avec  un  secret  et  une 
prudence  admirable.  Jacques  surpris  ne  résiste 
point.  Plusieurs  officiers  l'abandonnent,  entre 
autres  Churchill  son  favori ,  que  nous  verrons 
bientôt  s'immortahser  sous  le  nom  de  Marl- 
borough.  Le  malheureux  roi   tombe  entre 
les  mains  du  prince  d'Orange ,  son  gendre 
■====et  son  oppresseur.  On  le  laisse  bientôt  s'éva- 
'^°9-    der.  Il  cherche  un  asile  auprès  de  Louis  XIV", 
dont  il  avoit  négligé  les  avis  et  refusé  les 
secours.  L'usurpateur  est  déclaré  roi  d'An- 
gleterre ,    sous   le  nom   de  Guillaume  III , 
conjointement  avec  sa  femme ,  la  princesse 
Marie  ;  et  la  nation  fixe  d^s  bornes  plus  étroi- 


Louis  XIV.  lyv 

tes  à  rautorité  royale ,  qui  reste  néanmoins 
fort  étendue^ 

C'est  alors  que  Louis  commença  uneLouîsXlV 
guerre  ouverte  avec  l'Angleterre,  la  Hol- {i'^fj^tr^il 
lande  ,  l'Espagne  déclarée  aussi  contre  Jac- 
ques, Ayant  reçu  ce  prince  de  la  manière 
la  plus  généreuse ,  il  fit  les  plus  grands  ef- 
forts pour  le  rétablir»  Une  flotte  considéra- 
ble devoit  le  conduire  en  Irlande.  Le  roi 
lui  dit  en  le  quittant  :  tout  ce  gue  je  puis 
vous  souhaiter  de  mieux  est  de  ne  vous 
jamais  revoir.  Les  escadres  Françoises  dis- 
sipèrent celles  des  ennemis.  Tourviile ,  vice- 
amiral  ,  remporta  en  i  690  à  la  hauteur  de 
Dieppe  une  célèbre  victoire  ,  après  laquelle 
ils  n'osèrent  plus  se  montrer.  Louis  XIV 
conserva  deux  ans  l'empire  de  la  mer ,  lui 
qui  au  commencement  de  son  règne  étoit 
sans  vaisseaux. 

Mais  tant  de  secours  ne  changèrent  point  ■! 

la  destinée  de  Jacques.  Son  ancienne  valeur    '690. 
sembloit  s'être  évanouie  avec  sa  fortune.  Il  de  if  Bo>*- 
fut  défait  par  son  gendre  à  la  bataille  déci-"^'^'^j^ji.g^' 
sive  de  la  Boyne.  Le  vieux  maréchal  de  Jacques. 
Schomberg ,  protestant ,  y  fut  tué  en  com- 
battant à  la  tête  des  réfugiés  François.  Voilà 
vos  persécuteurs ,  avoit-il  dit  pour  les  ani- 
mer. On  vit  dès-lors  quels  ennemis  s'étoit 
fait  Louis  XIV  parmi  ses  sujets,  parla  ré- 
vocation de  redit  de  Nantes.  Le  bruit  courut 
que  le  prince  d'Orange  étoit  mort  dans  la 

Ml 


271  Louis  XIV, 

bataille ,  parce  qu'il  avoit  eu  Te'paule  effleu- 
rée d'un  coup  de  canon.  A  cette  nouvelle  , 
le  peuple  de  Paris,  sans  égard  pour  la  bien- 
séance ,  fit  éclater  une  folle  joie,  et  le 
brûla  même  en  effigie.  Jacques  revint  en 
France.  Louis  redoubla  inutilement  ses  ef- 
forts en  faveur  d'un  roi  qui  ne  savoir  plus 
combattre ,  depuis  qu'il  avoit  sa  couronne 
à  recouvrer ,  et  qui ,  vivant  avec  les  jésuites, 
paroissoit  plus  occupé  de  théologie  et  d'exer- 
cices de  dévotion ,  que  de  moyens  de  répa- 
rer sa  disgrâce. 
Guerre  de  L'Allemagne  5  les  Pays-bas ,  les  frontiè- 
'res  d'Espagne  et  d'Italie,  furent  tout  à  la 
fois  le  théâtre  de  la  guerre.  Il  suffit  d^en 
indiquer  les  principaux  événemens.  On  avoit 
pris  le  Palatinat,  l'une  des  plus  belles  con- 
trées de  l'empire ,  où  il  ne  restoit  aucune 
trace  de  l'embrasement  exécuté  par  Turen- 
Embrase-  ^g^  Pour  empêcher  les  ennemis  d'y  subsis- 
Pulatinat.  ter ,  Louis  XIV  suivant  le  conseil  de  Lou- 
vois ,  commanda  un  nouvel  incendie.  Villes , 
châteaux  ,  villages ,  tout  fut  livré  aux  flam- 
mes avec  une  rigueur  excessive.  On  ne  res- 
pecta pas  même  les  tombeaux  des  électeurs 
Palatins.  Le  soldat  les  ouvrit  dans  l'espé- 
rance d'y  trouver  de  l'or ,  et  jeta  au  vent  les 
cendres  qu'ils  renfermoient.  Cette  affreuse 
expédition  fut  généralement  détestée.  Le 
roi  n'avoit  pas  cru  sans  doute  que  ses  ordres 
produiroient  tant  de  malheurs,  mais  pour 


Louis  XIV.  178 

peu  qu'on  lâche  la  bride  à  une  soldatesque 
avide  et  brutale  ,  elle  se  porte  d'elle-même 
aux  plus  grands  excès.  Si  les  lois  de  la 
guerre  autorisent  des  actions  qui  répugnent 
à  rhumanité ,  la  politique  comme  on  lob- 
servoit  alors ,  sembloit  exiger  des  ménage- 
mens.  Les  ennemis  ne  pouvoient-ils  pas  pé- 
nétrer dans  le  royaume  ?  et  jusqu'où  au- 
roient-ils  porté  le  droit  de  représailles  ? 

Le  duc  de  Lorraine  Charles  V ,  prince  Belle  de'- 
sans  états,  mais  général  redoutable,  com-Ma^^enœ. 
mandoit  les   Impériaux.  Il  reprit  Bonn  et^p^'-f;* 
Mayence  ,  où  les  François  se  défendirent 
glorieusement ,   quoique    ces    deux    places 
fussent  mal  fortifiées.  Après  vingt-une  sorties, 
le  marquis  d'Uxeîles  rendit  Mayence  faute 
de  poudre.  Il  ne  méritoit  que  des  éloges , 
îl  ne  reçut  à  Paris  que  des  huées  en  plein 
théâtre.  Telle  est  souvent  l'injustice  d'un 
peuple  léger  ,  qui  décide  sans  examen  ,  qui 
fronde  ou  qui  admire  sans  raison ,  qui  ne 
revient  de   ses    bizarres   préventions   qu'a- 
près   avoir  insulté   au  mérite  ou  encensé 
la  fortune. 

Aux  Pays-bas  et  en  Italie,  les  premières  an-    Batailles 
nées  de  la  guerre  furent   un  enchaînement  charde'^LÛ- 
de  victoires  mémorables.  Le  maréchal  de^^'^^^"^^ 
Luxembourg    marchoit    sur    les   traces   du 
grand  Condé  ,  dont  il  sembloit  avoir  le  gé- 
nie ,  la  vivacité  et  le  courage.  Il  gagna  la 
bataille  de  Fleurus  en  1690  par  la  supério- 


274  Louis  XIV, 

Fleurus.ritë  de  ses  talens.  Surpris  à  Steinkerque  en 
1692  ,   par  une  ruse  du  roi  Guillaume,  il 
Steinker- vint  à  bout ,  quoique  malade,  de  le  repous- 
^"^*         ser  et  de  le  vaincre.  Plusieurs  princes  du 
sang ,  à  la  tête  de  la  maison  du  roi ,  firent 
dans   cette  occasion  des  prodiges   de   va^ 
leur  qui  décidèrent  la  victoire.  L'année  sui- 
^^erwînde.  vante  ,  Luxembourg  avec  ces  mêmes  hé- 
ros 5  surprit  lui-même  Guillaume  à  Nerwin- 
de ,  et  gagna  une  nouvelle  bataille.  Vingt 
mille  hommes  environ  y  furent  tués ,  parmi 
lesquels  huit  mille  François. 
Antresvic-      Dans  cet  intervalle  de  temps,  le  roi  en 
Franc  Gif  ;  pcrsonne  prit  Mons   et  Namur  ;   le  maré-- 
presque     ç]^^\  ^q  Catinat ,  vrai  philosophe  et  grand 
*  capitaine ,  qui  ne  deroit  son  élévation  qu'à 
son  mérite ,  défît  le  duc  de  Savoie  à  Sta- 
farde  et  â  la  Marsaille;  le  majechal  de  NoaiU 
hs  fut  vainqueur  en  Catalogne;  le  maré-^ 
chai  de  Lorges  l'avoit  été  en  Allemagne,. 
Jamais  tant  de  victoires  éclatantes.  Une 
seule    auroit  suffi  autrefois  pour  produire 
un€  révolution  :   cependant   tout  restoit  à 
peu  près    dans   le  même  état.    Tuer  des 
hommes ,  ruiner  des  villes ,   dévaster   des. 
provinces  ,  épuiser  les  nations  :  c'est   or-t 
dinairement   Tunique   fruit    de    la  guerre^ 
lorsque  les  forces  sont  à  peu  près  en  équi- 
libre ,  comme  il   arrive    dans  le  système 
moderne  de  l'Europe. 

touis  XIV 5  malgré  se^  victoires,  ne 


Louis  XIV.  276 

paroissoit  plus  invincible.  Il  perdit  quatorze ,  Revers. 

"^         ,  .*  /:  >     1     •  '    Journée  de 

grands  vaisseaux  en  1092  après  la  journée  la  Hogue. 
de  la  Hogue,  où  Tourville  attaqua  par  sqs 
ordres  la  flotte  ennemie ,  une  fois  plus  nom- 
breuse que  la  sienne.  A  la  nouvelle  de  ce  mal- 
heur :  Tourville  est-il  sauvé ^  dit  le  roi  ;  car 
pour  des  vaisseaux  on  peut  en  trouver  ; 
mais  on  ne  trouveroit  pas  aisément  un 
officier  comme  lui.  Paroles  qui  font  autant 
d'honneur  au  prince  qu'au  général.  La  mort 
de  Luxembourg  arrêta  le  cours  de  ses  triom- 
phes en  Flandre.  Le  roi  Guillaume  ,  souvent 
battu ,  mais   qui  savoit  admirablement  ré-    P""''«  ^* 
parer  sqs  pertes,  reprit  Namur  en  1696  , Guillaume. 
à  la  vue  du  maréchal  de  Villeroi  qui  com- 
mandoit  plus  de  quatre-vingt   mille  homr 
mes  ;  et  malgré  les  efforts  du  maréchal  de 
Boufflers  qui  défendoit  la  place.  Les  flottes 
Angloises  bombardèrent  Dieppe ,  le  Havre , 
Saint-Malo  ,  Calais  et  Dunkerque,  La  con- 
fiance diminuoit  parmi  les  troupes  ,  ks  re- 
crues   devenoient    difficiles  ,    les    finances 
ctoient  affbiblies    depuis  la  mort  de  Col- 
bert.  On  ne  devoir  plus  s'attend re-aux  an- 
ciennes prospérités. 

Cependant  Pointis ,  chef  d*escadre ,  prit    Pointi», 
Carthagcne  en   Amérique  ,    où  ks  Espa-  xrouSr 
gnols  perdirent  environ  vingt  millions.  Du- 
guay-Trouin ,  le  plus  célèbre  des  armateurs , 
luinoit  le  commerce  maritime  cks  ennemis* 

M4 


176  Louis  XîV. 

Le  fléau  de  la  guerre  se  faisoit  sentir  à  tout 
le  monde  ;  et  le  roi  désira  la  paix. 
avTJîi^duc      ^^  commença  par  détacher   de  la   ligue 
de  Savoie,  le  duc   de  Savoie  Victor-Amédée ,  beau- 
coup moins  scrupuleux  sur  ses  engagemens , 
que  zélé  pour  ses  intérêts.  Catinat   fut  le 
négociateur  du  traité.  On  rendit  à  ce  prince 
ses  états ,  et  Ton  destina  sa  fille  au  duc  de 
Bourgogne,  fils  du   dauphin.   Cet  événe- 
ment ,  suivi  de  la  prise  de  Barcelone  par 
Vendôme  ,  hâta  le  succès  des  négociations  , 
qui  se  faisoient  à  Risvick  avec  les  autres 
confédérés. 
'■'  ■      Louis  montra  une  modération  dont  T-Eu- 
^^^^■7-  rope  ne  le  croyoit  pas  capable.  Il  sacrifia 
i\»'5wicK*    les  conquêtes  qu'il  avoit  faites  sur  l'Espa- 
gne, Luxembourg,  Mons,  Ath  ,  Courtrai , 
et  ce  qu'on  avoit  pris  vers  les  Pyrénées  ;  il 
rendit  à  l'empire  Fribourg  ,  Philipsbourg  , 
avec  tout  ce  que  les  chambres  de  Metz  et 
de  Brisac   avoient  réuni    à   la  couronne  ; 
Guillaume  ait    reconnu  pour    roi  légitime 
d'Angleterre  ,  et  Jacques    II   abandonné  ; 
enfin  le  duc  de  Lorraine  rétabli.  Ce  n'étoit 
plus  Charles  V  ,  ce  grand  général  de  l'em- 
pereur ,  mais  son  fils  Léopold  ,  dont  la  Lor- 
raine bénira  éternellement  la  mémoire,  com- 
me celle  de  Stanislas  le  Bienfaisant. 
Murmures      Cette  paix  de  Riswick  causa  en  France 
euFrajice.jj^QJj^g  jg  JQjg  q^g  ^j^  mécontentement  et 

de  murjîiures.  Il  parut  honteux  que  le  roi , 


Louis  XIV.  277 

accoutumé  à  faire  la  loi  aux  nations  ,  eût 
cédé  tant  d'avantages  à  ses  ennemis ,  mal- 
gré la  supériorité  de  ses  armes.  Plusieurs 
ont  cru  que  c'étoit  une  politique  adroite 
pour  parvenir  à  la  succession  d'Espagne  ;, 
que  Ton  vouloit  écarter  le  reproche  d'am.- 
bition ,  et  se  ménager  le  temps  de  faire 
des  préparatifs,  de  concerter  ks  mesures 
et  de  lever  les  obstacles.  L'auteur  du  Siè- 
cle de  Louis  XIV  prouve  la  fausseté  de  ces 
conjectures.  On  fit  la  paix ,  selon  lui  ,  par 
lassitude  de  la  guerre.  «  Des  sentimens  ^,, 
»  vertueux,  a)oute-t-il  y  innuerent  certai-deia  taix, 
»  nement.  Ceux  qui  pensent  que  les  rois 
V  et  leurs  ministres  sacrifient  sans  cesse  et 
»  sans  mesure  à  l'ambition ,  ne  se  trompent 
»  pas  moins  que  celui  qui  penseroit  qu'ils 
M  sacrifient  toujours  au  bonheur  du  monde  ». 

Qu'on  juge  par  l'état  des  finances  ,  du  Xristeétat. 
besoin  que   le  royaume  avoit  de  la   paix.  ^^^  <i»iau* 
Les  cinq  premières  campagnes  avoient  ab- 
sorbé plus  de  deux  cents  millions  d'extraor- 
dinaire. Il  étoit  dangereux  d'augmenter  les 
taxes.  Cependant ,  après  des  emprunts ,  des 
créations  d'offices  ,  et  autres  pareilles  opé- 
rations de  finances  ;    après  avoir  augmenté 
de  trois  livfes  la  valeur  numéraire  du  marc 
d'argent,  on  établit  la  capitation  en  1695. 
Cet  impôt,  auparavant  inconnu  ,  produisit 
:ngt-un    millions  ;    mais  les   revenus    du 
coi  ne  passèrent  c|ue  de  dix  millior.s  ceiix. 


178  Louis  XIV. 

de  Tannée  précédente.  Les  grandes  armée? 
de  Louis  XIV ,  ses  bâtimens  ,  sa  magnifi- 
cence ,  devenoient  un  flirdeau  capable  d'é- 
craser la  France. 
Le  prince  Lorsqu'on  étoit  sur  le  point  de  signer  la. 
j^^^;^l%p2L'ixgénér3ik  à  Riswicîc,  l'abbé  de  Poli- 
Pologne,  gnac  5  par  son  esprit  et  son  éloquence ,  fit 
élire  roi  de  Pologne  le  prince  de  Conti , 
dont  la  valeur  avoit  brillé  à  Steinkerque 
et  à  Nervinde.  Deux  heures  après  ,  un 
autre  parti  beaucoup  moins  nombreux  pro- 
clama rélecteur  de  Saxe.  La  première  élec- 
tion étoit  la  seule  légitime,  mais  l'argent 
de  Saxe  prévalut.  Louis  XIV  ne  pouvant 
donner  au  prince  de  Conti  assez  de  sec(  urs, 
auroit  dû  peut-être  l'empêcher  de  faire  une 
fausse  démarche.  Ce  prince  alla  se  mon- 
trer dans  la  rade  de  Dantzièk  ;  on  lui  fer- 
ma les  portes,  et  il  revint  sur  ses  pas. 
Pais  gêné-  Toute  l'Europe  jouit  alors  d'une  paix 
ie  dwré^e.^P^^^"^"^^'  Il  sem.ble  que  cet  état  de  bon- 
heur soit  un  état  violent  pour  le  genre  hu- 
main ,  tant  la  durée  en  est  courte.  Le  nord 
fut  bientôt  désolé  par  une  guerre  sanglante ,. 
que  l'ambition  suscita  au  jeune  roi  de  Suède 
Charles  XII ,  héros  et  général  dès  l'âge 
de  seize  ans.  Les  autres  puissances  qui  ve- 
noient  de  quitter  les  armes ,  les  reprirent 
presque  aussitôt  contre  le  roi ,  au  sujet  de 
îa  succession  d'Espagne.  C'est  ici  surtout  ,, 
qu'on  peut  admirex  cet  ordre   de   provL- 


Louis  XI V^  279 

dence  qui  enchame  les  ëvénemens  d'une 
manière  inexplicable,  et  qui  conduit  cha- 
que chose  à  sa  fin  ,  par  des  voies  souvent 
opposées  en  apparence  aux  effets  qui  en  ré- 
sultent. 

Charles  II ,  roi    d'Espagne ,   d'épérissoit  Succession 

.        ,'  '  •    '      t  I  u      de  Charles 

sans  avoir    de  postérité,  bes  plus   proches  n  roi  d'Es- 
héritiers  étoient  Monseigneur,  fils  de  Louis ^^^^"^' 
XIV ,  et  Joseph  roi   des  Romains ,  fils  de 
Tempereur    Léopold  ;  mais   Marie-Thérèse 
d'Autriche,  mère  du  premier ,  étoit  i'ainée 
de  la  mère  de  Joseph.  On  craignoit  égale- 
ment en  Europe  la  réunion  de  l'Espagne  y 
soit  à  la  couronne    de    France,   soit    aux 
états  de  la  branche  allemande  d'Autriche.  ^_^^^^ 
Le  roi  Guillaume  proposa  un   partage  de    j^^g^ 
la  succession  ,  propre  à  maintenir  l'équili-    Premier 
bre  qu'on  désiroit.  Le  dauphin  devoit  avoir  pacage! 
la  Sicile,   Naples  et   plusieurs  villes  d'Es- 
pagne ;   Milan    étoit    destiné  à    l'archiduc 
Charles  ,    et  le  reste  au  jeune  prince  de 
Bavière ,  enfant  de  huit  ans.  Le  roi  d'Es- 
pagne indigné  qu'on  disposât  de  son  bien 
avant  sa  mort,  fit  un  testament  en  faveur 
du  jeune  prince  de  Bavière  ,  qu'il  déclara 
son  seul  héritier.  Cet  enfant  mourut.  Noii- 

cau  traité  de  partage  en  1700,  concerté  Secoinlt 
entre  le  roi  de  France,  le  roi  d'Angleterre pa^^y^ 
et    les  Etats-généraux  ,  par   lequel  on  met 

archiduc  à  la  place  du  prince  de  Bavière;, 
en  ajoute  la  Lorraine  à  la  portion  du  dau- 


'28o  Louis   XIV. 

phin ,  et  Ton  assigne  le  xMilanès  au  duc  je 
Lorraine. 
Charles       Le    roi  d*Espao;ne  ne  pou  voit  souffrir  . 

mécontent  ,  V    ^  t-  '^i  „•  i  /        ,,    ' 

de  la  cour  non   pIus  que  les  espagnols  ,  1  idée   d  un 

^    ^®""*^*  démembrement  de  la  monarchie.  Il  offrit 

alors  tous  ses  états  à  l'empereur  pour  l'ar- 

chiduc  son  second  fils ,  prévoyant  que  s'il 

les  donnoit  à  l'aîné ,  toute  l'Europe  con- 

courroit  à  lui  ravir  ce  grand  héritage.  La 

fierté  méprisante  de  la  cour   de   Vienne  , 

les  épines  qu'elle  mit  dans  sts  négociations  , 

l'indisposèrent   contre  elle  ,  tandis    que  le 

maréchal  d'Harcourt,  ambassadeur  de  France 

à  Madrid  ,  commençoit  à  y  faire  aimer  sa 

nation  par  une    conduite  aimable  ,  pleine 

de  sagesse  et  de  dignité.  Cependant  le  triste 

monarque ,  aussi  foible  d'esprit  que  de  corps , 

déchiré  d'inquiétudes  et  d'irrésolutions ,  ap- 

prochoit  du  tombeau  sans  savoir  à  qui  laisser 

sa  dépouille.  Il  parut    se  réconcilier    avec 

l'empereur.  Louis  XIV  menaça  ,   rappela 

son  ambassadeur  et  leva  des  troupes. 

■m  Quelques    grands  d'Espagne    persuadé- 

1700.    rent  à  leur   maître  moribond  ,  que,  pour 

rr?ente"^^' éviter  le  démembrement  de  la  monarchie, 

i>veur  du  il  falloit  la  donner  à  un  petit- fils  du  roi  de 

tJuc  d'An-  1  1      1      r       wr       1  5 

jou.  France,  plus  capable  de  la  derendre  qu  un 

prince  éloigné,  qui  trouveroit  sur  sa  route 
une  infinité  d'obstacles.  En  vain  l'on  op- 
poseroit  la  renonciation  de  Marie-Thaese  : 
robjet  de  cette  renonciation  étoit  rempli.,. 


Louis  XIV.  28 1 

des  qu'on  prenoit  des  mesures  pour  empê- 
cher la  reunion  des  deux  couronnes  sur 
une  même  tête  :  l'Espagne  seroit  le  par- 
tage  df^s  cadets,  et  ne  pourroit  passer  aux 
aînés.  Ces  raisons  étpient  plausibles.  Char- 
les ,  par  délicatesse  de  conscience ,  fit  con- 
sulter des  théologiens ,  et  demanda  l'avis 
du  pape.  Les  théologiens  pensèrent  com- 
me les  grands  ;  le  pape  Innocent  Xïl  répon- 
dit que  les  lois  d'Espagne  et  le  bien  de  la 
chrétienté  exigoient  qu'il  préférât  la  mai- 
son de  France.  Il  ne  balança  plus  à  choisir 
pour  héritier  le  duc  d'Anjou ,  second  fils 
du  dauphin  ,  déclarant  qu'au  défaut  des 
puînés  de  France  y  la  succession  retourne- 
roit  à  l'archiduc ,  de  manière  que  l'empire 
et  l'Espagne  ne  pussent  jamais  être  réunis. 
Ces  dernières  dispositions  de  Charles  IX 
furent  si  secrètes  ,  qu'après  sa  m.ort  l'am- 
bassadeur de  Vienne  les  croyoit  encore  fa- 
vorables à  l'archiduc.  Quelle  fut  sa  surprise 
et  celle  de  l'Europe  entière,  lorsqu'on  vit 
un  prince  Fiançois  héritier  de  cette  vaste 
monarchie  ,  qui  depuis  deux  cents  ans  étoit 
en  gu^re  avec  la  France  ! 

Louis  XIV  fut  regardé  comme  l'auteur  Lo":sXrv 
d'un  testament  auquel  il  n'avolt  eu  aucune  test^j 
part  ,  et  qu'il  n'avoit  pas  mcme  espéré.  On 
délibéra  au  conseil  s'il  falloit  l'accepter  ou 
s'en  tenir  au  dernier  traité  de  partage.  Quul- 
c^ues-uns  préféroient  k  second  parti ,  pour 


cceptf-  le 
ment. 


iSi  Louis  XIV, 

éviter  une  guerre  dangereuse.  Le  roi  ac- 
cepta le  testament.  Quelque  parti  que  je 
'prenne  ,  disoit-il,  je  sais  bien  que  je  se- 
rai blâmé.  Mais  ileomptoit  sur  ses  forces,, 
et  vouloir  soutenir  la  gloire  de  sa  maison. 
D'ailleurs,  pouvoit-on  espérer  que  l'Angle- 
terre et  la  Hollande  soutiendroient  ce  traité 
de  partage ,  qui  tendoit  à  l'agrandissement 
de  la  monarchie  ?  pouvoit-on  même  se  flat- 
ter qu'elles  n'y  opposeroient  pas  toutes  leurs 
forces  ?  Le  duc  d'Anjou  fut  déclaré  roi 
d'Espagne,  sous  le  nom  de  Philippe  V.  Le 
roi  lui  dit  à  son  départ  :  il  ny  a  plus  de  Py- 
rénées :  belle  parole  pour  exprimer  l'union 
future  àts  deux  peuples.  D'abord  l'Angle- 
terre et  la  Hollande  le  reconnurent  ;  le  duc. 
de  Savoie ,  dont  il  alloit  épouser  la  fille  ^ 
se  montra  zélé  pour  ses  intérêts.  Ces  trois 
puissances  dévoient  bientôt  s'armer  pour 
le  perdre. 
'^-  ■      Loin  de  ménager  les   Anglois  dans  des 

i7°ï-     conjonctures  si    critiques,  Louis  les  irrita. 

Il    irrite         '  .       ,  ,     ,  ^     .   ',         .    , 

l'Angieter- par  un  trait  de  générosité  qui  leur  parut 
connoisl^"  "-^'^"^  outrage»  Jacques  II  étant  mort,,  il  donna 
siint  le       au  prince  de  Galles  son   fils  ,    le   titre  de 

prince  de 

Caiies.  roi  d'Angleterre ,  contre  l'avis  unanime  du 
conseil ,  auquel  il  avoit  souscrit  lui-m-émc. 
Les  larmes  de  la  veuve  du  mort ,  appuyées 
des  instances  de  madame  de  Maintenon ,. 
le  firent  changer  subitement  de  dessein  , 
et  il   reconnut  Jacques  III  le  jour  mcrae: 


Louis  XIV.  283^ 

qiul  ëtoit  convenu  de  ne  point  le  recon- 
noître.  Deux  femmes  remportèrent  sur 
les  raisons  du  conseil  ;  c'est  que  leurs  dé- 
sirs s'accordolent  avec  le  penchant  du  roi 
pour  les  entreprises  glorieuses.  Il  eut  beau 
déclarer  son  intention  de  s'en  tenir  fidèle- 
ment au  traité  de  Risvick  ,  qui  assuroit 
les  droits  de  Guillaume.  Les  Anglois  et  les 
Hollandois  ne  tardèrent  pointa  s'unir  avec 
l'empereur. 

Guillaume ,  quoiqu^infirme  et  languissant ,    Wo*^  ^^ 
imprimoit  le  mouvement  à  cette  ligue.    Il  in. 
mourut  au  milieu  de  ses  préparatifs  :  enne- 
mi  dangereux,  dont  le  génie  et  la  politi- 
que profonde  étoient  inépuisables  en   res- 
sources. Sans    être   aimé  chs   Anglois  ,   il 
conserva  sa  couronne  ,  en  respectant  la  li- 
berté d'un  peuple  fier  et  ombrageux  :  mais 
il  eut  toujours  plus  de  pouvoir  dans  sa  pa- 
trie que  dans  son  royaume.  On  l'appeloit 
le  stathouder  des   Anglois    et    le   roi   des 
Hollandois.  La  princesse  Anne,  sa   belle-    La  reinet 
sœur ,  seconde  fille  de  Jacques  H  et   fcm-^""^* 
me  du  prince  de  Danemarck  ,  lui  succéda , 
et  suivit    d'abord  toutes  ses   vues  ,    parce 
qu'elles  étoient    conformes   au  vœu  de  la 

ition.  De  toutes  parts  se  formoit  un  orage 

rrible  contre  la  France. 

Avant  que  les  autres  alliés  se  déclaras-  Commen- 

^      i>  •     1  cernent  de; 

sent ,  1  empereur  ccmmençoit  la  guerre  en  la  guerre.. 
'^:ilic.  Il  avoit  pour  général  le  prince  Eu- 


284  Louis  XIV. 

Le  prince  gène  de  Savoie,  né  en  France  du  comtfr 
de  Soissons  (1)  et  d'une  nièce  du  cardinal 
Mazarin;  connu  à  la  cour  dans  sa  jeunesse^ 
sous  le  nom  d'abbé  de  Savoie  ,  et  si  mal 
Gonini  alors  ,  que  ,  quand  il  quitta  le  royau- 
me en  1  684  ,  Louis  XIV  parut  le  mépriser, 
et  les  courtisans  parlèrent  de  lui  comme 
ci'une  tête  dérangée  ,  incapable  de  tout 
bien.  Jamais  prévention  ne  fut  plus  injuste-, 
ni  mieux  démentie  par  les  faits.  Le  prince 
Eugène ,  avec  toutes  les  qualités  d'un  grand 
homme ,  ne  pouvoit  manquer  de  faire  re- 
pentir un  jour  ceux  qui  ne  lui  avoient  pas 
rendu  justice.  Agé  de  trente-sept  ans  ,  et 
déjà  célèbre  par  sqs  victoires  sur  les  Turcs  , 
il  com.mandoit  trente  mille  iiommes ,  dont 
il  disposoit  à  son  gré. 

Catinat  et  Catinat ,  advecsaire  disne  de  lui ,  étoit 
gcne  par  des  ordres  supérieurs,  qui  1  em- 
pêchèrent de  réussir,  en  donnant  des  en~ 
traves  à  son  génie.  Il  fit  une  campagne  mal- 
heureuse, recula  toujours  devant  Eugène , 
et  perdit  une  grande  étendue  de  pays.  Le 
maréchal  de  Viileroi ,  favori  de  Louis  XIV  ,. 
plein  de  courage  et  de  confiance  ,  mais  qui 
avoit  le  mérite  d'un  grand  seigneur,   plu- 


(i)  L'héritière  du  comte  de  Soissons  ^  tué  à; 
Sedan  ,  avoit  épousé  un  prince  de  Carignan. 
C'est  ce  qui  avoit  fait  passer  le  nom  de  Soissons  ài 
des  princes  de  la  maison  de  Savoie* 


Louis  XIV.  28^5 

tôt  que  celui  d'un  grand  capitaine  ,  se  flatta 
de  réparer  ce  malheur.    On  lui    donna  le 

minandement  de  l'armée ,  sous  le  duc  de 
Savoie.  Ce  prince ,  avec  le  titre  de  géné- 
ralissime ,  étoit  presque  sans  autorité.  Les 
airs  dédaigneux  du  maréchal  le  disposèrent 
à  une  rupture.  Cependant  il  le  seconda  vail- 
lamment à  Chiari ,  près  de  TOglio  ,  où 
\'illeroi  se  fit  battre  par  son  imprudence  ; 
et  où  Catinat  fit  une  belle  retraite  ,  après 
avoir  cherché  inutilement  la  mort. 

L'année  suivante  ,    au   fort  de  Fhiver ,  ■  ■■  '     "     ' 
le  prince  Eueène  introduit  des  troupes  dans  _  '7°^*.^ 
Crémone  par  unegout.  Le  maréchal  de  Vil-Cremoue. 
leroi  dormoit  tranquillement.  On  le  réveille. 
Il  sort  de   sa  maison ,  et  tombe  entre  les 
mains  des  ennemis.  Crémone  étoit  prise  , 
si  un  régiment  François ,  qui  devoit  passer 
en  revue,  ne  s'éroit   mis  de  grand  matin 
sous  les  armes.  Sa  résistance  donna  au  reste 
de  la  garnison  le  temps  de  se  reconnoître. 
Elle  chassa  les  ennemis  après  un  combat 
opiniâtre. 

On  envoie  le  duc  de  Vendôme  remplacer  Ver.dômôr 
le  général  prisonnier.  Ce  petit-fils  de  Henri  ^"  ^"^^'" 
IV  avoit  passé  par  tous  les  grades  mili- 
taires. Ses  défauts  considérables,  une  pro- 
digalité sans  mesure ,  beaucoup  de  négli- 
gence et  de  mollesse,  peu  de  soin  d'entre- 
tenir la  disciphne  ,  étoient  effacés  par  de 
grands   talcns  ;  les  soldats  radoroicnt  ;  et 


286  Louis  XIV. 

dans  les  jours   d'action  ,  son  génie  excité 
par  le  péril  faisoit  âts  miracles.  Le  prince 
Eugène  pouvoit  seul  lui  tenir  tète,  lis  li- 
Bataiiiedeyrèrent  la  bataille  de  Luzara,  où  se  trouva 
le  jeune  roi  cl  Espagne.  Les  François  eurent 
l'avantage  ;  les  Impériaux  se  l'attribuèrent 
^^^^ecti^oii  également.    Bientôt  après    Victor-Amédée 
An\pdée.   trahit  la  France.  Beau-père  du  roi  d'Espa- 
gne et  du  duc  de  Bourgogne,  ii abandonna 
ses  gendres ,  pour  profiter  des  offres  avan- 
tageuses de  l'empereur.  Si  la  politique  peut 
approuver  cette  démarche ,  elle  compte  pour 
bien  peu  de  chose  les  lois  de  la  nature  et 
de  l'honneur, 
Mafibç-      La  guerre  se  faisoit  aux  Pays-bas  moins 
JaJjfqJ^^^r!  ^leureusement  encore  qu'en  Italie.   Le  fa- 
meux duc  de  Marlborough,  ce  même  Chur- 
chill qui  avoit  trahi  Jacques  II,  commandoit 
les  troupes  d'Angleterre  et  de  Hollande.  Ses  ta- 
lens  sublimes^  soit  pour  le  commandement , 
soit  pour  les  négociations ,  le  rendoient  d'au- 
tant plus  à  craindre,  que  la  reine  Anne,  le  parle- 
ment Anglois  et  les  Etats-généraux  entroient 
dans  toutes  ses  vues.  Ileutl'avantagedelacam» 
pagne  sur  le  duc  de  Bourgogne ,  le  plus  res- 
pectable des  princes  par  ses  vertus  ;  et  sur 
le  maréchal  de  Boufflers  ,  l'un   des    plus 
grands  hommes  de  France. 
Succès  de      Mais  Villars  ,  qui  n'étoit  alors  que  lieu- 
Jîle^^agfj'e tenant-général,  et  qui  devoit  un  jour  sau- 
ver rétat ,  gagna  en  Allemagne  la  bataille  d^ 


Louis  XIV.  287 

Fridlingen,  après  laquelle  il  reçut  le  bâton  ==—« 
de    maréchal,  que  le  suffrage  de  l'armée    ^7^3- 
lui  donna  d'avance.  Réuni  ensuite  à  Télec- 
teur  de  Bavière ,  allié  du  roi ,   il  le  Força 
en  quelque  manière  à  combattre  dans   ks 
plaines  de  Hochstet,   près   de   Donavert  , 
et  remporta  une  seconde  victoire.  Le  ma- 
réchal de  Taîlard  fut  aussi  vainqueur  auprès 
de  Spire.  On  pouvoit  aller  jusqu'à  Vienne. 
L'empereur  trembloit  pour  sa  capitale»  Mal-  ^^  ,^?^  ''^P* 
heureusement  le  caractère  fier  et  impvétueux 
de  Villars  déplut  tellement  à  l'électeur  de 
Bavière ,  que  ce  prince  fe  fit  rappeler. 

Le  maréchal  flit  employé  dans  les  Ce-  ^  Révofae 

>     ,  "^    1     1  desCeveu- 

vennes  ,  ou  ks  montagnards  huguenots, nés. 
dans  un  délire  de  fanatisme ,  excités  par 
leurs  prophètes  et  leurs  prophétesses ,  avoient 
levé  l'étendard  de  la  révolte.  Point  d'im^ 
pots ,  et  liberté  de  conscience  :  c'étoit 
leur  cri  de  guerre ,  très-propre  à  enflammer 
la  fureur  d'une  populace  fanatique.  Villars , 
qui  eût  servi  si  utilement  en  Allemagne,  né- 
gocia avec  un  chef  cJe  cts  furieux  y  mais  le 
feu  de  la  révolte  ne  fut  pas  éteint ,  et  ùqux 
maréchaux  de  France ,  Montrevel  et  Ber- 
vick ,  eurent  encore  à  combattre  les  Cj- 
misars.  (  On  nommoit  ainsi  les  rebelles.) 

C'en   étoit  fait  de  l'empereur,  si  Eugène      *       * 
et  Marlborough  n'avoient  couru  le  secou-gJ^^°4-^ 
rir.  Ces    deux  généraux  rencontrèrent  l'ar-  Hochstet , 
mée  Françoise  et  Bavaroise ,  dans  ces  mé-  [flFfancë! 


'288  Louis  XIV. 

mes  plaines  de  Hochstet  où  elle  avoit  vaincu 
l'année  prëcëclente.  On  pouvoit  éviter  la 
bataille;  les  ennemis  se  seroient  dissipés 
faute  dé  fourrages.  La  supériorité  du  nom- 
bre et  Tespérance  d*une  seconde  victoire 
déterminèrent  au  parti  le  plus  dangereux. 
Les  maréchaux  de  Tallard  et  de  Marsin  , 
joints  à  rélecteur  de  Bavière  furent  entiè- 
rement défaits.  Un  corps  de  douze  mille 
hommes  des  meilleures  troupes  de  France , 
enfermé  dans  un  village ,  fut  réduit  à  se  ren- 
dre sans  combat.  Si  les  généraux  n'avoient 
pas  commis  de  grandes  fautes  ;  si  Tallard  , 
dont  la  vue  étoit  extrêmement  foible  ,  ne 
s'étoit  pas  jeté  au  milieu  d*un  escadron  en- 
nemi où  il  resta  prisonnier ,  cette  armée , 
jusqu'alors  victorieuse,  auroit  eu  sans  doute 
plus  de  succès  ou  moins  de  malheur.  A 
peine  de  soixante  mille  hommes  en  ras- 
sembla-t-on  vingt  miille.  Villars  ayant  ap- 
pris dans  les  Cevennes  les  dispositions  faites 
par  les  généraux  ,  avoit  prédit  qu'ils  se» 
roient  battus.  C'étoit  un  motif  de  plus  pour 
le  faire  regretter  :  il  est  ôqs  circonstances 
où  la  destinée  de  peuples  dépend  d'une- 
seule  tête. 
Suite  c!e  Cette  bataille  de  Hochstet ,  ou  de  Blein- 
tzlne,  ^'  heim ,  comme  l'appellent  les  Anglois ,  fît 
perdre  environ  cent  lieues  de  pays.  D'une 
part ,  les  vainqueurs  inondèrent  la  Bavière  , 
et  de  l'autre,  ils  pénétrèrent  juiq^ues  dans: 


Louis  XIV.  z^y 

ïAls3Lce»  La  France  étoit  consternée;  le 
.souvenir  des  anciennes  prospérités  rendoit 
plus  vif  le  sentiment  cîe  ce  désastre.  Cha-Legouvet» 
millard  ,  qui  n'avoit  guère  que  le  mérite  JJI^néfoii 
d'honnête  homme,  devenu  par  le  crédit 
de  madame  de  Maintenon  ministre  de  la 
guerre  et  des  finances,  auroit  eu  besoin 
du  génie  de  Colbert  et  de  Louvois ,  pour 
soutenir  l'honneur  de  la  nation.  Depuis  la 
mort  de  ces  deux  ministres ,  les  ressorts  du 
gouvernement  s'étoient  relâchés  peu-à-peu  , 
les  tinances  manquoient,  la  discipline  lan- 
guissoit  ;  les  régimens  se  donnoient  à  la 
faveur ,  à  la  jeunesse  ;  les  croix  de  S.  Louis 
se  vendoient  dans  les  bureaux  :  tout  présa- 
geoit  la  décadence.  Un  premier  revers  en 
attira  bientôt  de  plus  funestes. 

Les  Anglois  firent  un  armement   formi-i-^A'^sioî» 
1  ,  ,  °  i,T7  VI  ,    •  en  Espagne 

dahle  contre!  Espagne,  qu  ils  vouloient con- 
quérir à  l'archiduc.  Us  s'emparèrent  en  1 704 
de  Gibraltar  regardé  comme  imprenable  ; 
et  s'ouvrirent  ainsi  la  communication  des 
deux  mers.  Les  efforts  qu'on  tenta  pour 
reprendre  cette  place  ne  servirent  qu*à  rui- 
ner la  marine  Françoise.  En  peu  de  temps 
les  provinces  de  Valence  et  de  Catalogne 
passèrent  sous  le  joug  des  ennemis.  Bar- 
celone fut  prise  comme  Gibraltar ,  autant 
par  un  coup  de  fortune  que  «  par  la  force 
des  armes.  Les  ennemis  avoient  engagé  le 
Portugal  dans  leur  alliance  ;  mais  ils  n'en 


190  Louis  XIV. 

tirèrent  pas  les  secours  qu  ils  s'étolent  pfo* 
mis.  La  qualité  d'hérétique,  si  odieuse  aux 
Portugais ,  afFoiblit  leur  zèle  pour  une  cause 
protégée  par  l'Angleterre. 
luuf^  *"      ^^  grands  succès  en  Italie  consolèrent  de 
ces  pertes.   Vendôme    repoussa  le  prince 
Eugène  à  Cassano  ,  et  gagna  en  son  absence 
la  bataille  de  Cassinato.   Victor- Amédée  , 
pour  prix  de  sa  défection  ,  étoit  presqu'en* 
'^'         ■  tièreiTient  dépouillé.  On  alloit  prendre   sa 
Bj,*J°jfjg capitale,  lorsque  la  journée  de  Ramillies  en 
Rdmiiiies.  Flandre  dissipa  les  espérances  des  François, 
Le  maréchal  de  Villeroi ,  sorti  de  sa  pri- 
son ,  toujours  sûr  de  l'amitié  de  Louis  XIV  , 
et  trop  confiant  pour  ne  pas  faire  chs  fau- 
tes ,  commandoit  une  armée  de  quatre- vingt 
mille  hommes.    Marlborough    lui   présente 
la  bataille.    Il  l'accepte ,  contre  l'avis  des 
officiers  généraux  ;  il  s'obstine  à  suivre  un 
mauvais  plan  dont  on  lui  montre  le  danger. 
En  moins  d'une  demi-heure ,  cette  grande 
armée  est  mise  en  déroute.  Toute  la  Flan- 
dre Espagnole  subit    la  loi  du  vainqueur. 
Rien  ne  prouve  mieux  la  grandeur  d'âme 
du  roi  que  la  manière  dont  il  reçut  son  gé- 
néral. Point  d'humeur ,  point  de  reproches. 
Monsieur  le  maréchal  ^  lui  dit-il ,  on  nest 
pas  heureux  à  notre  âge.  Mais  sans  doute 
on  eût  été  plus  heureux  sous  un  chef  habile. 
Alors  le  duc   de  Vendôme   est  rappelé 
4'Italie,   comme  un  général  digne   d'être 


Louis   XIV.  ïpt' 

opposé  à  Marlborouglî.  Avant  son  départ ,  Siège  der 
il  laisse  avancer  le  prince  Eugène  qui  ve- 
noit  au  secours  de  Turin.  Cette  place  étoit 
assiégée  par  le  duc  de  la  Feuillade,  gen- 
dre du  ministre  ,  seigneur  distingué  par 
son  esprit ,  son  courage  ,  sa  magnificence  , 
mais  plein  de  cette  vivacité  légère  qu'on 
reproche  souvent  aux  François ,  et  dont  le 
principal  inconvénient  est  de  ne  pas  assez 
réfléchir  sur  les  grandes  entreprises.  Malgré 
les  préparatifs  immenses  de  Chamillard  pour 
Je  succès  de  l'expédition ,  le  siège  de  Turin 
alioit  fort  lentement ,  parce  que  la  Feuil- 
lade s'y  prenoit  mal.  Il  avoit  dédaigne  les 
offres  du  maréchal  de  Vauban  ,  qui  en  bon 
citoyen ,  s'étoit  offert  à'servir  sous  lui  com- 
me volontaire.  Négliger  par  présomption 
un  pareil  secours ,  c'est  se  rendre  aux  yeux 
du  public  responsable  des  événemens. 

Le  roi  envoya  le  duc  d'Orléans  son  ne-    Le  duc 
veu  remplacer  Vendôme  en  Italie.  Ce  prince  joint  Y"hi 
n'ayant  pu  arrêter  Eugène  ,  se  joint  au  duc  feuillade. 
de  la   Feuillade  devant  Turin.  11  propose 
de  marcher  à  l'ennemi ,   plutôt  que  de  se 
laisser  attaquer  dans    des  lignes  trop  diffi- 
ciles à  défendre.  Le  conseil  de  guerre  con- 
vient que  c'est  le  parti  le  plus  prudent  com- 
me le  plus  honorable.  Malheureusement  la 
cour  avoit  décidé  le  contraire.  Le  maréchal 
de  Marsin  montre  un  ordre  secret  qui  em- 
pêche de  passer  outre. 


È^i  Louis  XIV, 

.  Déssttre      Bientôt  le  pTince  Eugène  et  le  duc  de| 
F^anço?sï  Savoie  forcent  les  retranchemens.  Soixante! 
devant  Tu- j^jjlg  fj-ançois    sont  dispersés  :  cent  qua- 
rante pièces   de  canon  ,  les  provisions ,  le 
bagage,  la  caisse  militaire,  tout  reste  au  pou- 
voir de  l'ennemi  :  il  s'empare  du  Milanès , 
du  Piémont ,  du  Mantouan  et  du  royaume 
de  Naples.  On  a  cru  ,    on  a   écrit  que   la 
Feuillade   avoit  promis  à   la   duchesse,  de 
Bourgogne  5    fille  de   Victor-Arrédée ,    de 
ne" pas  prendre  Turin.  Ce   conte   hasardé 
peut  être  mis  au  nombre  de  tant  de  bruits 
populaires ,  que  la  malignité  ou  la  crédu* 
lité  des  hommes  reçoit  d'abord  sans  exa- 
men,  et  qui  se  dissipent  insensiblement  com- 
me les  autres  erreurs. 
Affaires       En  Espagne  ,  Philippe  V  étoit  vivement 
<r£sragiie  p|-ess^  par  Tarchiduc  son  compétiteur,  ou  plu- 
tôt par  les  Anglois  ennemis  de  la  maison 
de  France.  Il  voulut  reprendre  Barcelone. 
Le  maréchal  de  Tessé  ,  commandant  sous 
lui,    ne  réussit  pas  mieux  qu'au   siège  de 
Gibraltar.  Ruvigni ,  François  ,  devenu  lord 
Galway,  fit  proclam.er  l'archiduc  dans  Ma- 
Fidélitvî  drid  même  ;  mais  la  fidélité  des  Castillaîis 
faûs?^^"^'  ftit  inébranlable.   Plus  on  s'obstinoit  à  leur 
.  donner  un  roi  malgré  eux ,  plus  ils  s'effor- 
cèrent de  soutenir  celui  qu'ils  avoient  sou- 
haité. Leur  zple  augmentoit  à  proportion  cks 
.obstacles.   Louis    XIV  ,  quoique  vaincu  , 
leur  envoya  de  nouveaux  secours.  Le  ma- 
réchal 


Louis  XIV.  293 

tëchal  de  Berwick  rétablit  les  affaires  du  roi   '    "  "■ 
d'Espagne  ,  en  gagnant  la   Bataille   d'Aï-    b^^^Ûc 
manza,  où  Ton  remarque  avec  surprise  que  d'Aiman- 
ni  Philippe  V  ni  Tarchiduc  ne  parurent  à  la  '  * 
tête  de  leurs  armées.  Le  duc  d'Orléans  prit 
Lérida ,  dont  le  grand  Condé  avoit  autrefois 
levé  le   siège. 

Jusqu'alors  la  France  afFoiblie  par  tant  Siège  de 
de  revers  n'étoit  pas  encore  entamée.  Le  ■'^°"^*'"* 
prince  Eugène  et  le  duc  de  Savoie  y  péné- 
trèrent enfin.  Toulon  fut  assiégé.  La  perte 
de  cette  importante  place  auroit  entraîné 
celle  de  Marseille.  Il  étoit  à  craindre  que 
le  Dauphiné  et  la  Provence  ne  tombassent 
au  pouvoir  des  ennemis.  Les  maladies  ,  la 
rareté  des  vivres  ,  les  efforts  du  maréchal 
de  Tessé  firent  échouer  leur  entreprise.  La 
Provence  fut  toujours  l'écueil  des  Autri- 
chiens ,  comme  l'Italie  celui  des  François. 

Au  milieu  de  ses  malheurs  ,  Louis  con- 


servoit  cette  élévation   de   caractère ,    qui    '7°^- 
Favoit  porté  aux  plus  grandes  choses.  Atta-  roi  ^'^d  >ns 
que  de  toutes  parts ,  il  fit  encore  en  faveur  ^^^  '^^^^"* 
du  fils  de   Jacques   II    ce   qu'il  avoit  fait 
pour  le  père  :  il  entreprit  de  le  remettre  sur 
le  trône.  Le  chevalier  de  Forbin  devoir  le 
conduire  en  Ecosse  ;  un  parti  considérable 
l'y  attendoit  pour  se  déclarer.  Les  Anglois 
prévinrent  ce  soulèvement  ,  et  l'entreprise 
n'eut  aucun  succès.  Forbin  sauva  la  flotte , 
quoique  ks  ennemis  couvrissent  la  mer  de 
Tome  ni.  N 


294  Louis  XIV. 

leurs  vaisseaux.  Mais  on  essuya  de  nouveaux 
désastres  sur  terre. 
Le  duc  de      Le    duc   de   Bourgogne  ëtoit  dans  les 
*°Vendô*. Pays-bas,  à  la  tête  d'environ  cent  mille 
îne  dans  hommes  ,    et  Vendôme  commandoit  sous 
baj,         lui.   On  les  regardoit  comme  la  dernière 
ressource  de  l'état.  En  agissant  de  concert 
avec  des  forces  supérieures  ,  ils  pouvoient 
effacer  la  honte  des  précédentes  défaites, 
La  mésintelligence  qui  se  mit  entre  eux  , 
leur  fut  aussi  funeste  que  l'union  qui  régnoit 
entre   Marlborougli  et   le  prince   Eugène. 
Vendôme  ne  plaisoit  point  au  conseil  du 
duc   de  Bourgogne.  Ses  avis  étoient  négli- 
gés. On  se  contrarioit  au  lieu  de  s'entendre; 
on  fit  des  fautes  dont  les  ennemis  profitè- 
pn  perd  rent.  Ils  assiégèrent  Lille  devant  une  armée 
^^"**       si  formidable  ;  et  malgré  la  belle  défense 
du  maréchal  de  Boufflers ,  ils  furent  maîtres 
de  la  place  après  quatre  mois  de  siège. 
On  raconte  qu'un  courtisan  du  duc  de 
Reproche  Bourgogne  dit  un  jour  à  Vendôme  :  voilà 
dôml^^""<^^  f"^  <^^^^  ^^  n  aller  jamais  à  la  messe  ; 
aussi  vous  voye^  quelles  sont  nos  disgrâ- 
ces ;  et  que  ce  général  répondit  :  croyei^ 
vous  que  Marlborough  y  aille  plus  sou- 
vent  que  moi  ?  Vendôme   auroit  dû  sans 
doute  imiter  la  religion   du  prince  ;  mais 
ceux  qui  cherchent  dans   la   conduite  des 
hommes  une  cause  naturelle  des  événemens , 


Louis  XIV.  195 

jugent  bien  que  la  division  des  chefs  sufîi- 
soit  pour  produire  ces  disgrâces.  En  adorant 
Li  providence ,  il  faut  raisonner  sur  le  rapport 
des  causes  secondes  avec  leurs  effets.  L'hom- 
me le  plus  religieux  doit-il  s'attendre  à  réussir 
par  miracle  ,  quand  il  prend  des  mesures 
propres  à  le  faire  échouer  ? 

Déjà  le  royaume  étoit  ouvert  aux  enne-  '■> 

-mis.  Un  parti  Hollandois  s'avança  jusqu'à    '7°9* 

--.,,*  ,  >  I  Le  roi 

Versailles ,  et  enleva  un  seigneur  qu  il  crut denande; 
être  le  dauphin.  On  manquoit  d'argent  pour  ^''  ^^^^ 
payer  les  troupes ,  au  lieu  que  le  parlement 
d'Angleterre  avoit  accordé  à  la  reine  plus 
de  sept  maillions  sterling.  Le  peuple  se  voyoit 
en  proie  à  l'avidité  des  traitans.  Quelques 
négocians  hardis  apportèrent  du  Pérou  trente 
millions ,  dont  ils  prêtèrent  la  moitié  au 
.  roi.  Ce  fut  une  ressource  précieuse  ;  mais 
l'hiver  de  1709  ayant  ruiné  toute,  espérance 
de  récolte  ,  la  misère  et  la  désolation  furent 
si  grandes ,  que  le  roi  envoya  en  Hollande 
le  marquis  de  Torci ,  son  principal  ministre  , 
demander  la  paix. 

Les  ennemis  enflés  de  leurs  avantages ,   OHeuses 
montrèrent  plus  de  hauteur  que  Louis  n'en  i\'o^,^s^  aë$ 
avoit  eu  à  leur  égard  dans  le  cours  de  ses  ennemis* 
prospérités.  Ils  exigoient  non-seulement  la 
cession  de  l'Alsace  et  de  plusieurs  villes  de 
.  Flandre ,  mais  encore  que   Louis   XIV  se 
joignit  à  eux  pour  détrôner  Philippe  V  son 
petit-fils.  L'humanité  devoit  frémir  à  cette 

N  z 


19^  Louis  XIV". 

jiTopos'iiion,  Puisqu'il  faut  faire  la  guerre  y 
dit  le  roi,  faime  mieux  la  faire  à  mes 
ennemis  qu!à  mes  enfans,  La  nation  ,  qui 
murmuroit  d'un  fardeau  presque  intolérable , 
fut  indignée  comme  lui  de  l'abaissement  où 
il  se  trouvoit  réduit  ^par  l'infortune.   Elle 
redoubla  ses  efforts  pour  le  seconder. 
Bataille      Tournai  étoit  pris  et  Mons  menacé  d'un 
quet.        siège.   Villars    passe  en  Flandre  a   la  tête 
d'environ  quatre-vingt  mille  hommes.  Bouf- 
flers  ,  plein  de  ce  zèle  patriotique  dont  les 
exemples  sont  si  rares  et  si  glorieux  ,avoit 
demandé  ,  quoique  son  ancien ,  à  servir  sous 
lui.  Eugène  et  Marlborough  leur  livrent  ba- 
taille près  du  village  de  Malplaquet.  Depuis 
iong-temps  nulle  journée   n'avoit  été  plus 
meurtrière.  Les  Hollandois  sont  taillés  en 
pièces  ;  mais  Marlborough  enfonce  le  centre 
de  l'armée  ;  Villars  reçoit  une  blessure ,  et 
la  bataille  est  perdue.  On  compte  près  de 
trente  mille  morts  ou  blessés ,  parmi  les- 
quels huit  à  neuf  mille  François  seulement. 
Nos  soldats   avoient  manqué  de  pain  un 
jour  entier  ;  ils  venoient  d'en  recevoir  quand 
l'action  commença ,   et  ils  en  jetèrent  une 
partie  pour  courir  se  battre.  Leur  courage 
fut  admiré  :  la  retraite  que  fit  le  maréchal 
de  Boufîîers  ne  le  fut  pas  moins.  Cependant 
les  ennemis  ,  malgré  leur  perte ,  assiégèrent 
Mons  et  le  prirent;  tant  le  nom  seul  de 
bataille  gagnée  influe  quelquefois  dans  les 


Louis  XIV.  297 

succès  d'une  campagne.  Tout  dépend  quel- 
quefois de  l'opinion. 

L'épuisement  de  l'état  et  la  misère  des'      '  ''^ 
peuples  augmentèrent  de  plus  en  plus,  et    [^'^^'j 
ce  fut  pour  Louis  XIV  une  cruelle  néces-  s'immiiie 
site  de   s'humilier  de  nouveau  devant  lesvant  les 
vainqueurs.  Il  demanda  la  paix  avec  une^y^J'^j^ 
sorte  de  soumission  ,  offrant  de  reconnoître 
l'archiduc  pour  roi   d'Espagne  ,  et  même 
de  donner  de  l'argent   pour   détrôner  son 
petit-fils.  Pendant  qu'on  négocicit ,  les  en- 
nemis s'emparèrent  de  Douai ,  de  Béthune, 
d'Aire,  de  Saint- Venant.  Leur  inhumanité 
croissoit  avec  leur    fortune.  Ils  vouloient 
absolument   que    lui   seul  ,  chassât   d'Es- 
pagne    Philippe   V.  L'empereur  Joseph , 
fils  de  Léopold ,  avoit  déjà  forcé  le  pape 
Clément  XI  à  reconnoître  l'archiduc  son 
frère  ,  malgré  le  penchant  du  pontife  pour 
la  maison  de  France.  La  bataille  de  Sara- 
gosse  ,   gagnée   par  Stahrenberg  ,  général 
Autrichien  ,  sembloit  fixer  la  couronne  d'Es- 
pagne sur  la   têtQ  de  ce  prince.  Philippe 
fuyoit  loin  de  Madrid;  le  peu   de  troupes 
qui  lui  festoient  fut  rappelé  pour  les  besoins 
de  la  France. 

Alors  le  conseil  d'Espagne  demande  à  Vendôme 
Louis  XIV  un  seul  homme ,  le  duc  de  Ven-  pagne. 
dôme ,  qui  n'étoit  plus  employé.  La  présence 
de  ce  général  produit  une  révolution.  On 
s'empresse  à  fournir  de  l'argent  ;  on  accourt 


29*  Louis  XIV. 

se  ranger  sous  ses  drapeaux  ,*  les  vainqueurs 
reculent  devant  lui  ;  il  les  poursuit  rapi- 
dement ;  il  remporte  une  victoire  complète 
Bataille  à  Villaviciosa.  Cette  journée  fiât  aussi  glo- 
çfjj^^^^^^' rieuse  que  décisive  pour  Philippe  ,  qui  com- 
battit à  la  tête  de  l'aile  droite.  On  raconte 
qu'après  la  bataille  ,  n'y  ayant  point  de  lit 
pour  le  monarque  ;  je  vais  ,  lui  dit  Ven- 
dôme 5  vous  faire  donner  le  plus  beau  lit 
sur  lequel  jamais  roi  ait  couché.  Il  le  fit 
coucher  sur  les  étendards  de  Tennemi. 
Révolu,      De  petites   intrigues  de  cour  servirent 
îr' miliTs"  P^^s  ^"^  ^^  grand  événement  à  la  conclusion 
tère  d'Aii-de  la  paix.  La  duchesse  de  Marlborough 

jleterre.  .      *  /  i         •         a  • 

avoit  gouverne  la  reme  Anne  avec  empire , 
et  n'avoit  pas  peu  contribué  à  rendre  le  duc 
maître  du  gouvernement.  Trop  de  hauteur 
et  de  caprice  le  rendit  insupportable.  La 
reine  changea  de  favorite ,  et  bientôt  après 
de  ministre.  Marlborough  perdit  son  crédit, 
II  s'obstinoit  à  continuer  une  guerre  avan- 
tageuse à  sa  fortune  ;  mais  on  cessa  de 
suivre  ses  vues  ;  on  s'aperçut  que  l'intérêt 
,  Suspen-  de  la  nation  n'étoit  pas  de  s'épuiser  en  fa- 

sion  d'ar-  ,,  .  ^ ,  ,     *   ,  , 

ânes  avec  veur  d  une  puissance  étrangère.  La  mort  de 
/lois.  "'  l'empereur  Joseph  dissipa  toute  incertitude. 
L'archiduc  son  frère  (  Charles  VI  )  étoit 
son  successeur.  Vouloir  encore  lui  procurer 
la  couronne  d'Espagne,  c'eût  été  vouloir 
rétablir  la  maison  d'Autriche  dans  son  an- 
cienne puissance^   La  haine  contre  Louis 


Louis  XIV.  299 

XIV  ëtoit  assez  satisfaite.  Pourquoi  ne  pas 
soulager  les  peuples  accablés  de  tant  de 
fléaux  ?  Ces  considérations  déterminèrent  le 
conseil  de  Londres.  Une  suspension  d'armes 
fut  conclue  entre  la  France  et  l'Angleterre , 
et  Dunkerque  remis  aux  Anglois  pour  sû- 
reté des  engagemens. 

Cependant  le  prince  Eugène  faisoit  en   ' 
Flandre  de  nouveaux  progrès.   Il   assiégea  .17!  ^' 

y         1-T  11  1  •  1-    bailleurs 

Landreci.  Les  malheurs  domestiques  du  roi  domesti- 
mettoient  le  comble  à  la  désolation  de  ses  Louis'xiv. 
peuples.  L^  dauphin  Monseigneur  étoit  mort 
depuis  quelques  mois  :  prince  doux  et  sage  , 
qai  promettoit  un  gouvernement  pacifique. 
Le  duc  de  Bourgogne  son  fils  aîné ,  l'élève 
de  Fénélon  ,  fait  pour  exercer  sur  le  trône 
toutes  les   vertus  ,    et  pour  gouverner  les 
hommes  en  philosophe  chrétien ,  mourut 
aussi ,  âgé  de  trente  ans.  De  deux  fils  qu'il 
laissa ,  l'un  le  suivit  de  près  dans  le  tombeau  ; 
le  second  ,  qui  se  nommoitle  duc  d'Anjou  , 
(Louis  XV)  se  trouva  en  danger  de  mort. 
Louis  XIV  n'avoit  été  le  plus  heureux  des 
rois ,  que  pour  devenir  en  quelque  sorte  le 
plus  malheureux  des  hommes.  Landreci  ne    Sa  fer- 
pouvoit  soutenir  un  long  siège  :  on  délibéra  "^^'^* 
si  le  roi  nes'éloigneroit  point  de  la  capitale. 
Toujours  ferme  dans  l'adversité  ,    il  dit  : 
«  qu'en  cas  d'un  nouveau  malheur ,  il  convo- 
»  queroit  toute  la  noblesse  de  son  royaume , 
»  qu'il  la  conduiroit  à  l'ennemi  malgré  son 

N4 


3.0O  Lotns  XIV. 

»  âge  de  soixante  et  quatorze  ans  ,  et  qu*il 
»  périroit  à  leur  tête  », 
Viiiars  Le  maréchal  de  Villars  tira  Louis  et  la 
rTauce?  France  de  cet  extrême  péril.  Les  lignes  du 
prince  Eugène  s'étendoient  fort  loin.  Villars 
feint  de  vouloir  Tattaquer  dans  son  camp  de 
Landreci ,  lui  donne  le  change ,  et  va  forcer 
les  retranchemens  du  duc  d'AIbermale  à 
Denain.  La  victoire  est  décidée  lorsque  Eu- 
gène arrive.  On  le  repousse  ;  on  assiège 
Marchiennes  ,  le  dépôt  de  ses  magasins. 
Cette  ville  est  prise  au  bout  de  trois  jours  ^ 
Landreci  délivré  ;  Douai ,  le  Quesnoy  , 
Bouchain  enlevés  a  Tennemi  ;  quarante  ba- 
taillons faits  prisonniers  dans  le  cours  de  la 
SoM  carac- campagne.  Ilfalloit  préconiserVillars  comme 
jfos^e  à ^^' le  sauveur  de  la  France;  mais  Tenvie  se  dé^ 
l'çavie.  chaîna  toujours  contre  lui ,  parce  qu'il  l'irri- 
toit  par  une  fierté  trop  voisine  de  l'orgueil. 
En  prenant  un  jour  congé  du  roi ,  il  lui 
dit  publiquement  :  Sire  ,je  vais  combattre 
les  ennemis  de  votre  majesté ,  et  je  vous 
laisse  au  milieu  des  miens.  Un  mérite 
supérieur  ne  peut  manquer  de  se  rendre  jus- 
tice à  soi-même  :  rarement  il  l'obtient  des 
autres  ,  lorsqu'il  semble  écraser  avec  dédaia 
leur  amour  propre. 

-■ La  paix  ,  si  désirée  et  si  nécessaire ,  fut 

\7^y,  le  fruit  des  succès  du  maréchak  On  la  signa 

d'Uueciit.  enfin  à  Utrecht.  Philippe  V  renonça  à  ses 

droits,  sur  la  couronne,  de  France.  Le  duc 


Louis   XIV.  Soi 

Je  Savoie  eut  la  Sicile  ,  avec  le  titre  de 
roi  ;  on  kissa  la  Flandre  Espagnole  à  Tem- 
pereur  ;  on  en  livra  plusieurs  villes  aux 
Hollandois  ^  pour  leur  servir  de  barrière  ^ 
mais  sans  qu'ils  en  eussent  le  domaine  ;, 
l'Angleterre  garda  Gibraltar  et  l'île  de  Mi- 
norque  ;  on  lui  céda  Terre-neuve ,  TAcadie 
et  la  baie  de  Hudson  en  Amérique  ;  le  roi 
fut  obligé  à  démolir  et  à  combler  k  port  de 
Dunkerque ,  qui  lui  avoit  coûté  des  som- 
mes immenses  ;  il  abandonna  une  partie  de 
ses  anciennes  conquêtes  dans  les  Pays-bas  ; 
Lille  5  Aire  ,  Béthune  et  Saint- Venant  lui 
furent  rendus. 

Charles  VI  ne  voulut  point  entrer  dans    L'empew 
cette  négociation  ,  et  eut  lieu  de  s  en  re-  tinue  la. 
pentir.  Villars  pass^  vers  le  Rhin  ,  reprit  ^^'^'^®*^ 
Landau  dont  ks  ennemis  s'étoient emparés  , 
força  leurs  lignes  dans  le  Brisgau,  se  rendit 
maître  de  Fribourg.   Ces  exploits   produi-=   -     ■   • 
sirent  le  même  avantage  que  k  victoire  de  jraj^éje 
Denain.  La  cour  de  Vienne  se  hâta  de  faire  Radstadi^ 
la  paix.  Le  maréchal  en  régla  les  conditions 
à  Radstadt  avec  le  prince  Eugène.  (ï)^^ 
tout  ce  que  la  France  avoit  offert ,   Stras- 
bourg, l'Alsace,  etc»,  l'empereur  n'eut  riea 


(i)  Un  des  premiers  discours  que  le  maréchal 
lint  au  prince  Eugène  fut  celui-ci  :  Monsieur  ^ 
nous  ne  sommes  point  ennemis  ^  vos  ennemis  sont  ùi 
VUrme ,  #/  Us  miens  à  Versailles.  (  Voltaire.  J 


joi  Louis  XIV. 

pour  avoir  voulu  trop  avoir.  Il  fut  obligé 
de  rétablir  les  électeurs  de  Bavière  et  de 
Cologne  ,  dépouillés  de  leurs  états.  Naples 
et  la  Sardaigne  lui  restèrent,  démembremens 
de  la  monarchie  d'Espagne. 
Résultat      Telle  fut  la  fin  de  cette  guerre  malheu- 
Eueïfe!^    rtuse ,  qui  avoit  réduit  Louis  XIV  aux  der- 
nières extrémités  ,  et  qui   sembloit  devoir 
lui  enlever  plusieurs  provinces  ,   dépouiller 
son  petit-fils  de  la  succession  pour  laquelle 
on  avoit  embrasé  l'Europe.  La  France  per- 
dit seulement  quelques-unes  de  ses  conquê- 
tes ;  Philippe  V  demeura  paisible  possesseur 
de  l'Espagne  et  des  plus  riches  contrées  de 
L«  Cata- l'Amérique.  Les  Catalans  refusèrent  d'abord 
Ihfite  à^iâ  l'obéissance  à  leur  roi  ,  et  poussèrent  la  ré- 
llQ^^^'    volte  jusqu'à  des  excès  inouïs  ;  mais  le  ma- 
réchal de  Berwick  les  dompta.  Barcelone 
se  rendit  à  discrétion  y  après  soixante  et  un 
îours  de  tranchée   ouverte.  Cette  furieuse 
résistance  fut  en  partie  l'ouvrage  du  fana- 
tisme.   Les  ecclésiastiques    et  les  religieux 
échauffoient  le  peuple   par  leurs  exemples 
autant  que  par  leurs  discours.  On  prétend 
qu'il  en  mourut  plus  de  cinq  cents  les  armes 
à  la  main. 
Edit  en      L'amour  paternel  inspira  au  roi  de  déclarer 

faveur  des  ^  >  ..  ,*  *  j  T  ^    j 

grinces  lé- héritiers  de  sa  couronne,   au   défaut   des 
giùmis,    princes  du  sang  ,   le  duc  du  Maine  et  le 
comte  de  Toulouse  ,  ses  fils  naturels  légi- 
timés. Leur  état  devoit  être  égal  en  tout  à 


Louis  XIV.  So3 

celui  des  princes  du  sang.  L'édlt  fait  à  cette 
occasion  fut  enregistré  sans  obstacle.  Louis 
XV  l'a  révoqué  depuis ,  en  laissant  toute- 
fois aux  enfans  légitimés  les  honneurs  dont 
ils  jouissoient.  La  mort  du  roi  devoit  être  •Testa- 
suivie  d  une  mmonte.  11  établit  par  son  tQS'  roi. 
tament  un  conseil  de  régence  ,  dont  le  duc 
d'Orléans  seroit  le  chef.  Je  l'ai  fait ,  dit-il 
à  une  princesse  ,  parce  qu'ils  Vont  voulu; 
car  du  reste ,  il  en  sera  de  ce  testament 
comme  de  celui  de  mon  père  :  quand 
f  aurai  les  yeux  fermés ,  on  n'y  aura  aucun 
égard.  En  effcit  le  titre  de  régent  fut  déféré 
sans  restriction  au  duc  d'Orléans. 

Louis  XIV  mourant  soutint  la  fermeté  "^  ■ 
de  son  caractère.  Les  sentimens  de  religion  ]J^l'l^ 
dont  il  étoit  pénétré  lui  donnoient  une  nou-roi. 
velle  force.  Pourquoi  pleurez-vous ,  dit-il 
à  ses  domestiques  ?  l^' est-il  pas  temps  que 
je  finisse  ?  Vous  avei  dû  depuis  long- 
temps vous  préparera  me  perdre,  M'avei- 
vous  cru  immortel  ?  Il  se  fit  apporter  le 
dauphin  son  arrière-petit-fils ,  et  le  tenant 
entre  ses  bras  ;  il  lui  adressa  ces  paroles  mé- 
morables :  Mon  enfant ,  vous  all€\  être 
bientôt  roi  d'un  grand  royaume.  Ce  que 
je  vous  recommande  plus  fortement  est 
de  n  oublier  jamais  les  obligations  que 
vous  ave[  à  Dieu,  Souvenei-vous  que 
vous  lui  devei  tout  ce  que  vous  êtes. 
Tâche\  de  conserver  la  paix  avec  vos 

N  6 


504  Louis  XIV. 

voisins,  Tai  trop  aimé  la  guerre  ;  nt 
niimite\  pas  en  cela  ,  non  plus  que  dans 
les  trop  grandes  dépenses  que  j'ai  faites,. 
FrcneT^  conseil  en  toutes  choses ,  et  cher- 
che i  à  connoîlre  le  meilleur  pour  le  suivre 
toujours,  Soulage\  y.os  peuples  le  plutôt 
que  vous  pourrez ,  et  faites  ce  que  j'ai 
^u  le  malheur  de  ne  pouvoir  faire  moi* 
même,  l\  expira  le  i  septembre  1716, 
âge  de  soixante  et  dix-sept  ans  ;  il  en  avoit 
tégiié  soixante  et  cloute.. 


taritYs^sur      ^^  justifions  point  la  mémoire  de  Louîs:. 

3.ouisxiV.  XIV  sur  les  reproches  qu'il  se  fit  à  lui-même  , 
dans  Aqs  leçons  q^u'ii  laissa  au  jeune  roi  soa 
successeur.  Trop  de  passion  pour  la  guerre,^ 
trop  de  penchant  au  despotisme  ,  trop  de. 
hauteur  à  Fégard  de  ses  voisins  ,  trop  de 
goût  pour  les  dépenses  fastueuses  et  super- 
flues ;  une  certaine  vanité  dans  sa  conduite^ 
entretenue  par  hs  louanges   excessives  des 
flatteurs  :  sans  cçs  défauts  ,  dont  une  meiU 
ieure  éducation  Tauroit   peut-é*tre  garanti  ^ 
quels  services  n'eut-il  pas  rendu   au  genre 
humain  ,  puisqu'ils  ne  l'empêchèrent  pas  de.- 
feire  tant  de  choses  également  utiles  et  ad- 
mirables ?  Les  poètes  ,  ks  orateurs  de  soa 
temps  l'ont  en  quelque  sorte  déifié.  En  ra- 
battant de  leurs  éloges  tout  ce  qu'une  rigide, 
philosophie  peut  trouver  digne  de  blâme  3^ 


Louis  XIV.  joî 

on  verra  encore  clans  Louis  XIV  le  grand 
homme  et  le  grand  roi. 

Sa  vie  privée  fut  un  modèle  de  décence.  Sa  vit- 
Il  eut  le  foible  d'une  infinité  de  héros  sé-^"^""*^ 
duits  par  les  charmes  du  plaisir  ;  mais  il 
honora  toujours  la  reine  ,  et  quand  il  apprit 
sa  mort  en  1684,  voiL)  ,  dir-il  ,  le  pre- 
mier chagrin  quelle  m'hait  jamais  donnée 
Il  tempéroit  par  une  politesse  aimable  la 
majesté  de  sa  personne ,  attentif  aux  bien- 
séances ,  et  connoissant  mieux  qu'aucua 
autre  prince  l'art  d'enchanter  les  cœurs  par 
un  mot  placé  à  propos..  La  duchesse  de 
Bourgogne ,  encore  très-jeune ,.  plaisantant 
un  jour  à  souper  sur  la  laideur  d'un  officier 
qui  éioit  présent  :  je  le  trouve  ^  madame  y 
lui  dit  le  roi  >  un  des  plus  beaux  hommes 
de  mon  royaume  ;  car  cest  un  des  plus 
braves.  Son  éducation  avoit  été  fort  né-  Ec^ncatio» 

|.     ,       T,  .  .  ,v  1     ae  ses  eiw 

gugee.  11  en  sentit  mieux  1  importance  de  fans, 
veiller  à  celle  de  ses  enfans.  Des  hommes 
vraiment  illustres  par  leurs  vertus ,  par  leurs 
tal'ens  et  leur  doctrine,  un  Montausier ,  ua 
Beauvilliers  ,  un  Bossuet ,  un  Huet ,  un  Fé- 
nélon  furent  chargés  de  ce  précieux  dépôt. 
Jamais  choix  neméritaplus  d'être  applaudi. 
II  arrivera  peut-être  un  jour  que  les  princes, 
élevés  avec  moins  de  faste  et  de  mollesse  ,. 
accoutumés  à  voir  les  hommes  plutôt  qu'à, 
être  encensés  par  les  courtisans ,  exercés  au 
travail  q^u'impose  la  souveraineté  plus  que:- 


So6  Louis    XIV. 

tous  les  autres  états  de  la  vie,  feront  dès 
Tenfance  le  pénible  apprentissage  de  leurs 
devoirs.  Il  étoit  presque  impossible  qu'un 
Henri  IV  sortît  de  la  cour  voluptueuse  de 
Louis  XIV.  Cependant  le  duc  de  Bour- 
gogne mérita  d'être  cité  pour  modèle  à  tous 
les  princes  ;  tant  les  leçons  de  la  sagesse  peu» 
vent  triompher  des  attraits  du  vice! 
Madame      Madame  de   Maintenon ,  femme  pleine 

de    Main-  j,         -^     ^     i  '  -^  1/      a       t       -^^ixr 

teiiou.  d  esprit  et  de  mente,  dégoûta  Louis  XI V 
de  la  galanterie  ,  et  sut  tellement  se  rendre 
maîtresse  de  son  cœur ,  qu'il  Tépousa  se- 
crètement en  1686.  La  dévotion  qu'elle  lui 
avoit  inspirée  servit  à  sa  fortune  ;  mais  son 
désintéressement ,  soit  pour  elle  -  même , 
soit  pour  sa  famille  ,  ne  se  démentit  point 
dans  une  place  où  elle  pouvoit  disposer  de 
tout.  Le  roi  lui  donna  très-peu  ,  parce  qu'elle 
ne  voulut  pas  davantage.  L'ennui  quiladé- 
voroit  doit  apprendre  à  connoître  les  chi- 
mères de  l'ambition.  Ne  voye^-vous  pas  , 
ëcrivoit-elle  à  une  amie,  çue  /e  meurs  de 
tristesse  dans  une  fortune  qu  on  aurait  eu 
peine  à  imaginer} 
Etablis-      Elle  eut  beaucoup  de  part  à  la  fondation 

semensuti-jg  Saint  -  Cyr  ,  pour  l'éducation  de  deux 
cents  cinquante  filles  nobles.  Cet  établisse- 
ment et  celui  des  Invalides  ,  où  quatre  mille 
soldats  sont  récompensés  de  leurs  services 
et  consolés  de  leurs  blessures  ,  font  plus 
d'honneur  à  Louis  XIV  que  ce  magnifique 


Louis  XIV.  So/ 

château  de  Versailles  où  il  dépensai  tant  de 
millions.  L'utilité  publique  met  le  prix  aux 
choses.  Tout  se  perfectionna  en  France.  On 
vit  naître  les  plus  belles  manufactures.  Le  Commeiv 
commerce  ,  qui  enrichit  les  états ,  devmt  un  culture. 
des  principaux  objets  de  la  politique.  L'a- 
griculture ,  plus  essentielle  encore  ,  fut  moins 
protégée  ;  et  c'est  en  quoi  l'administration 
de  Sulli  paroît  préférable  à  celle  de  Colbert. 

Si  Louis  XIV  laissa  deux  milliards  six  Finance* 
cents  millions  de  dettes ,  (  à  vingt-huit  li-  ^^'^"^®*** 
vres  le  marc ,  )  au  lieu  que  Henri  IV  laissa 
un  trésor  dans  l'épargne  ;  s'il  fut  obligé 
d'avoir  recours  aux  traitans  ,  que  Henri  IV 
avoit  heureusement  écartés  ;  c'étoit  une  suite 
presque  inévitable  des  prodigieuses  dépenses 
de  la  cour ,  ainsi  que  des  malheurs  de  la 
guerre.  La  capitation  établie  en  1696  ,  le 
dixième  imposé  en  1710,  plusieurs  taxes 
onéreuses,  l'altération  des  monnoies  (  1  ), l'in- 
vention d'une  multitude  d'expédiens  bizarres 
pour  amasser  de  l'argent ,  (  tel  que  celui  de 
vendre  la  noblesse  deux  mille  écus  ,  ea 
1  696  ;  )  tout  cela  répandit  dans  le  royaume  y 
sur  la  fin  de  ce  règne  ,  un  mécontentement 


(  i  )Colbert  avoit  trouvé  la  valeur  numéraire  du 
marc  d'argent  à  16  francs ,  et  ne  l'avoir  poussée 
qu*à  27  et  à  28.  Dans  les  dernières  années  de  ce 
fègne,lemarc  fut  à  40  francs. Toucher  aux  nion-* 
noies  a  toujours  été  une  resstjurçe  ruijieuse.. 


So8  Lours  XIV. 

universel.  Plus  d'économie  auroit  épargna 
bien  des  maux  à  la  nation  ,  et  au  roi  le 
chagria  terrible  de  perdre  Tailectioa  de  ses 
sujets. 
Commer-  Les  matières  d'administration  politique 
îuisîb"e\* excitent  trop  la  curiosité,  pour  que  je  sup- 
tiiîï'^"'"  prime  tout  détail.  Les  riches  manufactures: 
en  tout  genre ,  multipliées  par  Colbert ,  sont 
regardées  comme  une  des  plus  grandes  sour- 
ces de  richesse.  Cependant  Sulli  rraimoit 
point  les  manufactures  de  soie.  On  l'en  a 
souvent  blâmé..  «  Mais  ceux  qui  savent  ^ 
»  dit  M.  Thomas  ,  que  le  luxe  dts  soies. 
»  a  parmi  nous  fait  tomber  les  laines  ;  que 
»  l'avilissement  des  laines  a  porté  sur  le 
»  nombre  des  troupeaux  ,•  que  la  diminu- 
»  tion  des  troupeaux  a  altéré  une  des  sources 
»  de  la  fécondité  :  ceux  qui  savent  que  l'a- 
^  grieulture  en  France  ne  rend  aujourd'hui 
î»  qu'un  sixième  de  ce  q-u'elle  rendoit  alors  y 
»  et  que  pour  gagner  quelques  millions  à 
^  fabriquer  et  vendre  de  belles  étoffes^ 
»  nous  avons  perdu  des  milliards  sur  le 
»  produit  de  nos  terres  ;  ceux  enfin  qui 
»  ont  calculé  que  deux  millions,  de  culti- 
»  vateurs  peuvent  faire  naître  un  milliard 
»  de  productions  ,  au  Heu  que  trois  millions; 
»  d'artistes  ne  produiront  à  l'état  que  sept 
»  cent  millions  en  marchandises  de  main- 
»  d'œuvre  ;  ceux-là  sans  doute  ne  seront 
»  pas,  si  prompts,  à  condamner  un  grand 


Louis  XIV.  809 

»  homme  ».  II  est  très-difficile  de  fixer  le 
point  où  la  politique  doit  s'arrêter  par  rap- 
port au  commerce  de  luxe  ;  mais  il  est 
certain  que  les  productions  de  la  terre  fai- 
sant la  véritable  richesse  d*un  pays  fertile , 
tout  ce  qui  intéresse  l'agriculture  mérite  sur- 
tout l'attention  du  gouvernement. 

Colbert  réduisit  l'intérêt  de  l'argent  au  Intérêt  cTe 
denier  vingt;  SuUi  l'avoit réduit  du  denier J^u'iti'pil.^ 
dix  et  douze  au  denier  seize  ;  et  Richelieu ,  l^^^^^]  .^^! 
du  denier  seize  au  dix-huit.  Le  nombre  des  nancej.. 
offices  s'étoit  si  prodigieusement  augmenté  ^ 
que  l'on  en  compta  quarante-cinq  mille  sept 
centsquatrc-vingt  eni764.  Colbertdiminua 
cet  abus ,  éejalement  nuisible  au  prince  et 
au  peuple.  Sulli  avoit  commencé  la  réforme. 
Une  de  ses  maximes  étoit ,  que  la  mu/n-^ 
plicité  effrénée  des  offices  est  la  marque 
assurée  de  la  décadence  prochaine  d'un 
état»  Depuis  Colbert  ,  on  n'a  pas  laissé  de 
les  rendre  plus  nombreux  qu'auparavant» 

Sous  ce  ministre,  les  revenus  ordinaires  Dépense» 
de  la  couronne  ne  montoient  qu'à  cent  dix-  gne, 
sept  millions,  à  ly  ou  28  hvres  le  marc 
d'argent.  Pendant  la  guerre  de  1672,  il 
flit  obligé  de  faire  pour  quatre  cents  millions 
d'affaires  extraordinaires  en  six  années.  C'est 
une  preuve  de  ce  que  dit  M.  de  Voltaire 
avec  trop  de  raison  ;  la  guerre ,  aii  bout 
de  quelques  années ,  rend  le  vainqueur 
presque  aussi  malheureux  que  le  vainca^  . 


3to  Louis  XIV. 

Selon  cet  historien ,  Louis  XIV ,  dans  son 
règne  ,  dépensa  dix-huit  milliards  ;  en  1709, 
il  fut  obligé  de  remettre  aux  peuples  neuf 
millions  de  tailles ,  les  vivres  de  l'armée 
coûtèrent  quarante-cinq  millions  ,  et  le  roi 
n'en  tira  pas  quarante-neuf  de  son  revenu 
ordinaire.  Aussi  l'état  se  trouvoit-il  ruiné  à 
sa  mort. 
Principe      Un  de   ses  principes  de   eouvernement 

de  gouver-  /^    •  »        \  ■  •     >  i  rr  •  t 

iiemeiit.  ^toit  qu  apres  avoir  examine  les  affaires ,  il 
faut  prendre  soi-même  un  parti ,  et  le  suivre 
avec  fermeté.  On  lit  dans  un  écrit  de  sa 
main  :  les  fautes  que  j*ai  faites  et  qui 
ni  ont  donné-  des  peines  infinies  ^  ont  été 
par  complaisance  et  pour  me  laisser  aller 
trop  nonchalamment  aux  ayjs  des  autres. 
Rien  n^est  si  dangereux  que  la  faiblesse  y 
de  quelque  nature  qiHelle  soit. 

Triste  ex-      Dans  Its  commencemens ,  il  voulut  e;oû- 

du  roi.  ter  ïqs  douceurs  de  1  amitie  ;  mais  il  m  de 
mauvais  choix.  Tai  cherché  des  amis , 
disoit-il,  et  je  n*ai  trouvé  que  des  in* 
trigans.  Il  disoit  aussi  :  toutes  les  fois  que 
je  donne  une  place  vacante  ,  je  fais  cent 
mécontens  et  un  ingrat.  Ceux  qui  envient 
le  sort  des  grands ,  n'ont  besoin  que  de  ré- 
fléchir sur  ces  paroles. 

Réformes  Les  lois  furent  considérablement  réfor- 
mées ;  les  Séguier  ,  les  Lamoignon  ,  \qs 
Talon  ,  les  Bignon  ,  les  Pussort ,  y  travaillé* 
rent  dès  l'an  1 667  ;  mais  la  chicane  subsiste 


Louis   XIV.  3ir 

iw.*jours  ,  et  ne  sera  extirpée  que  par  un 
chef-d'œuvre  de  législation.  La  sévérité  du 
roi  réprima  en  grande  partie  la  fureur  des 
duels  ;  la  raison  achèvera  peut-être  de  Tétein- 
dre.  Les  uniformes  des  régimens  ,  Tusage  de 
la  baïonnette ,  rétablissement  des  grenadiers, 
les  écoles  d'artillerie ,  le  corps  des  ingé- 
nieurs ,  les  exercices  réglés  des  troupes  , 
l'institution  de  Tordre  de  S.  Louis,  contri- 
buèrent beaucoup  à  perfectionner  l'art  mi- 
litaire, cet  art  également  funeste  et  utile, 
qui  fait  quelquefois  la  sûreté  des  états  ,  et 
t.Hijours  le  fléau  du  genre  humain. 

Nous  avons  vu  la  naissance  ,  le  progrès  Marin*, 
et  la  chute  de  la  marine.  L'expérience  n'a 
que  trop  prouvé  combien  il  étoit  essentiel 
de  la  rétablir.  C'est  ce  que  pouvoit  et  ce 
qu'auroit  dû  faire  le  cardinal  de  Fleuri  dans 
un  ministère  paisible.  Sqs  vues  ne  s'étendi- 
rent pas  si  loin.  Avec  des  ports  admirables 
sur  les  deux  mers  ,  avec  des  avantages  pour 
la  navigation  que  nulle  puissance  maritime 
ne  peut  avoir  au  même  degré  ,  la  France 
s'est  trouvée  hors  d'état  de  défendre  son 
commerce  et  ses  colonies.  Le  malheur  a 
servi  du  moins  à  l'instruire  sur  ses  intérêts. 

Ce  qui  immortalise  principalement  Louis  ,  Progrèt 

■VTTT-         »         lï  '         n     •  XII  des  lettres 

AlV  ,  c  est  ietat  tiorissant  ou  les  lettres  et  et  des 
les  sciences  parvinrent  sous  son  règne  et'*^'^"^*** 
par  sa  protection.  Tous  les  talens  se   dé- 
veloppèrent ;  on  vit  naître  des  chefs  d'œuvre 


312  Louis  XIV. 

en  tout  genre ,  et  le  siècle  d'Auguste  parut 
se  renouveler.  Corneille ,  Racine  et  Molière 
éclipsèrent  la  gloire  du  théâtre  Grec  ;  la 
-  Fontaine  surpassa  tous  les  modèles  d'une 
'  élégante  naïveté  ;  Despréaux  donna  les  ré- 
gies et  l'exemple  du  bon  goût  ;  la  sublime 
éloquence  bnlla  dans  Bossuet;  Bourdaloue 
réunit  la  force  du  raisonnement  à  la  pro- 
fondeur des  vérités  évangéliques  ;  Fénélon  , 
par  les  charmes  de  son  style  ,  rendit  ai- 
mables les  leçons  austères  de  la  morale. 
La  langue  Françoise  ,  jusqu'alors  informe 
et  grossière  ,  acquit  bientôt  sa  perfection.. 
Une  foule  de  bons  écrivains  l'employèrent 
sur  les  objets  mêmes  dont  les  savans  sem- 
bloient  se  réserver  la  connoissance.  Chacuîî 
lisant  leurs  ouvrages  ^  le  corps  de  la  nation 
s'éclaira.  Trois  académies  littéraires  rassem- 
blèrent dans  Paris  les  génies  nés  pour  per- 
fectionner le  goût  et  pour  reculer  les  bornes 
de  nos  connoissances»  Alors  l'état  d'homme 
de  lettres ,  quand  il  ne  fut  point  avili  par 
un  honteux  abus  des  talens  ,  devint  d'autant 
plus  respectable  qu'il  servoit  davantage  à  la 
gloire  et  au  bonheur  de  la  société.  La  lumière 
et  la  politesse  se  répandirent  jusqu'au  fond 
des  provinces  ,  quoique  le  pédantisme  régnât 
encore  dans  les  écoles, 
robstàçiet  Sans  Varrét  burUsqiu  de  Despréaux ,  le 
sopMel^  °'  parlement ,  trompé  par  de  faux  rapports  ^ 
allait  renouveler  ladéfense  d'enseigner  une  au- 


Louis  XIV.  3i3 

tre  philosophie  que  celle  des  Péripatéticiens. 
Tel  est  fempire  des  préjugés  anciennement 
établis  ;  Tamour  propre  ,  Tintérét ,  la  foi- 
blessé  ,  les  changent  en  principes  ;  et  la 
crainte  de  la  nouveauté  ,  poussée  au-delà 
des  bornes  ,  les  fait  prévaloir  sur  des  vérités 
utiles  que  le  temps  n'a  pas  encore  mises  à 
répreuve.  Mais  dès  que  la  carrière  est  ou- 
verte aux  bonnes  études,  les  progrès  de 
la  philosophie  suivent  nécessairement  ceux 
du  goût,  La  France,  après  avoir  eu  d'ex- 
cellens  poètes ,  a  produit  d*excellens  philo- 
sophes. Fontenelle  fut  un  des  premiers  et 
des  plus  illustres.  Son  exemple  lui  a  suscité 
des  émules  qui  l'ont  surpassé. 

Tandis  que  les  gens  de  lettres  cultivoient  Quiétis* 
paisiblement  leur  raison  ,  les  querelles  théo- 
logiques troublèrent  l'état.  Celle  du  .Quié- 
tisme  ,  occasionnée  par  les  extravagances 
mystiques  d'une  dévote  nommée  madame 
Guyon  ,  causa  la  disgrâce  du  célèbre  ar- 
chevêque de  Cambrai.  La  piété  de  Fénélon  Fénéloii 
s'égara  dans  un  faux  système  de  spiritualité.  etBossuet, 
En  croyant  rectifier  les  rêveries  de  cette 
femme  sur  le  pur  amour  de  Dieu  ,  il  donna 
prise  à  la  censure.  L'évéque  de  Meaux, 
dont  il  avoit  été  le  disciple,  jaloux  peut- 
être  de  sa  réputation  ,  (  car  les  grands  hom- 
mes ont  leurs  foiblesses ,  et  la  passion  parut 
se  mùkv  au  zèle  ,  )  Bossuet ,  dis-je  ,  le 
dénonça  au  roi  comme  un  novateur.  L'affaire 


3i4  Louis  XîV. 

fut  portée  à  Rome.  On  y  condamna  les 
Maximes  des  Saints  de  Tarchevêque.  Loia 
de  se  défendre  après  le  jugement ,  comme 
il  avoit  fait  au  commencement  de  la  dispute  , 
il  se  fit  admirer  par  une  soumission  humble 
et  sans  réserve  :  il  n'hésita  point  à  se  con- 
damner lui-même.  Retiré  dans  son  diocèse 
et  regretté  à  la  cour ,  surtout  de  son  digne 
élève ,  il  se  délassoit  des  fonctions  épis- 
copaîes  par  les  travaux  de  la  littérature. 
Tant  qu'il  y  aura  du  goût  et  de  l'humanité 
parmj  les  hommes ,  l'auteur  de  Télémaquc 
sera  cité  comme  un  des  plus  grands  maîtres 
dans  l'art  d'écrire  ,  et  dans  celui  d'inspirer 
l'amour  de  la  vertu, 
îaiisénis-  Si  les  théologiens  en  général  avoient  eu 
^*'  la  noble  docilité  de  Fénélon  ,  le  Jansénisme 

seroit  depuis  long-temps  oublié.  Cinq  pro- 
^^  positions  ,  tirées  d'un  gros   livre    latin  de 

Jansénius ,   év(2que  d'Ipres  ,  sur  la  Grâce  , 
et  condamnées  par  Innocent  X  en  1663  , 
allumèrent   dans    1  église  de  France   cette 
guerre  malheureuse  qui  a  causé  tant  de  scan- 
dales. Ils'agissoit  d'un  mystère  que  la  raison 
ne  peut  éclaircir  ni  concevoir.  L'esprit  de 
contention  en  avoit  plus  de  jeu  dans  l'obs- 
LesJésui.curité.  Les  jésuites,  zélés  défenseurs  du  dé- 
ses^a vec '"  c^^^  de  Rome  et  de  leur  science  moyenne  y 
Port-ro-    trouvèrent  des  adversaires  aussi  redoutables 
par  le  talent  de  bien  écrire  en  François  ,  que 
par  l'étendue  de  leur  doctrine.  Le  fameux 


Louis  XIV.  Si5 

Arnaud ,  génie  profond  ,  ardentet  inflexible ,  "^ 

décria  leurs  casuistes  avec  sa  véhémence 
x)rdinaire  (i).  Le  ridicule  piquant  que  Pascal 
jeta  sur  eux  dans  les  Lettres  Provinciales  , 
fit  une  impression  qui  ne  s'est  point  effacée. 

On  prit  des  tempéramens  pour  appaiser    _Formu- 
la  querelle.  Les  écrivains  de  Port-royal  etfaitdeJau- 
leurs  partisans  rejetèrent  les  cinq  proposi- "■''""^* 
tiens  ,  sans  vouloir  convenir  qu'elles  tussent 
dans  Jansénius.  Ce  point   de   fait  ,    quoi 
qu'indifférent  au  premier   coup-d'œil  ,  ra- 
nima les  animosités  et  la  discorde.  Il  fallut    , 
signer    le   formulaire  de   Rome  où  le  fait 
ëtoit    formellement   énoncé.   Ceux   qui   se 
roidirent  furent  traités  comme   coupables. 
En  vain  les  religieuses  de  Port-royal  pro- 
testèrent que  ,   n'entendant   pas  le  latin  , 
elles  ne  pouvoient  signer  que  Jansénius  eut 
mis  dans  son  livre  la  doctrine  que  Ton  con- 
damnoit.  Leur  obstination  irrita  Louis  XIV 
dirigé  par  le  fameux  P.  de  la  Chaise.  Il  fit 

(i)  Depuis  qu'on  avoit  subtilisé  sur  la  morale  , 
réduit  en  question  les  devoirs ,  calculé  arbitrai- 
rement les  degrés  de  péché,  tiré  de  même  la 
ligne  de  séparation  entre  le  mortel  et  le  véniel  , 
substitué  enfin  les  opinions  d'un  écrivain  aux  ora- 
cles de  la  conscience  et  de  l'évangile  ,  une  foule 
de  casuistes  avoient  enseigné  dei  extravagances 
monstrueuses.  De  célèbres  jésuites ,  étrangers  pour 
la  plupart ,  s'étoient  signalés  dans  cette  carrière: 
leur  probabilisme  seul  ouvroit  un  vaste  champ 
à  la  censure. 


3i5  Louis  XIV. 

enlever,  disperser  les  religieuses  ;  il  fit  ra-seî 
leur  maison. 
L«s  ré-      Le  P.  Quesnel ,  de  l'Oratoire  ,  avoit  pu*- 
'QuesneU  ^^^^  ^^^  ^(fl^x^ons  mora/es  sur  le  Nouveau, 
troJi»"'^"*  Testament.  Ce  livre  fournit  matière  à  deï 
nouveaux  troubles.  Le  cardinal  de  Noailles , 
archevêque  de  Paris  ,  moins  distingué  par 
son  rang  que  par  ses  qualités  personnelles , 
s'étoit  déclaré  le  protecteur  d'un  ouvrage 
qu'il  croyoit  propre  à   inspirer   ks  vertus 
chrétiennes.  C'en  fut. assez  pour  le  perdre 
lui-même  à  la  cour.  Le  P.  le  Tellier ,  de- 
venu confesseur  du  roi  ,  dont  le  caractère 
violent  ne  ménageoit  rien  ,  dont  le  crédit 
pouvoit  tout  écraser,  et  que  la  feuille  des 
bénéfices  rendoit  en  quelque  sorte  le  maître 
du  clergé  de  France  ,  se  porta  contre  Ques- 
nel ,  et  contre  ceux  qu'il  soupçonnoit  de 
jansénisme ,  à  des  excès  qui  attirèrent  aux 
jésuites  une  haine  irréconciliable.  Il  inspira 
ses  sentimens   à  Louis  XIV  ,  affaibli  par 
l'âge  ,  trop  peu  instruit  pour  prévoir  qu'en 
poussant  à  bout  des  esprits  ardens  et  en- 
têtés, on  perpétueroit  une  dispute  que  la 
prudence  pouvoit  assoupir. 
Bulle         Ce  monarque  demanda  au  pape  Clément 
4uT.°  '  '    XI  la  condamnation  de  Quesnel.  Cent  et 
une  de  ses  propositions  envoyées  de  France 
furent  censurées  en    1718  par  la  fameuse 
bulle   Unigenùus.  Quelques-unes  qui  pa- 
roissoient  exactes ,  (  celle-ci  surtout,  la 

crainte 


Louis  XIV.  S17 

crainte  d'une  excommunication  injuste 
ne  doit  point  empêcher  de  faire  son  de- 
voir ,  )  devinrent  le  prétexte  de  mille  ré- 
clamations. Si  l'auteur  y  avoit  attaché  un 
mauvais  sens ,  ses  apologistes  n'en  vouloient 
pas  convenir  ;  et  comment ,  disoit-on  ,  s'as- 
surer du  sens  de  l'auteur?  Louis  ordonna 
que  la  bulle  fut  acceptée.  Quarante  évcques 
l'acceptèrent,  en  expliquant  ce  qu'on  ju- 
geoit  avoir  besoin  d'explication.  Mais  le 
cardinal  de  Noailles ,  d'autres  évéques  en 
plus  petit  nombre ,  une  multitude  de  parti- 
culiers et  de  communautés  s'élevèrent  contre 
la  décision  du  pape  ,  qu'ils  regardoient 
comme  l'ouvrage  des  jésuites.  Les  lettres 
de  cachet ,  les  manœuvres  de  le  Tellier , 
envenimèrent  les  cœurs.  Le  roi  finit  dou- 
loureusement ses  jours  au  milieu  de  ces 
tempêtes  ecclésiastiques  ,  qu'un  autre  siècle 
auroit  vu  dégénérer  en  guerre  civile. 

Elles  ont  agité  le  royaume  jusqu'à  nos   Fune^es 
jours  ,  malgré  la  modération  d'un  monarque  ces  quercl» 
.  ami  de  la  paix ,  et  attentif  aux  moyens  de  "* 
la  conserver.  L'église  gémit  de  la  discorde, 
les  incrédules  en  triomphent  ;  les  sages  s'é- 
tonnent que  l'on  se  déchire  par  zèle ,  au 
lieu  de  s'unir    par  l'esprit   de  charité  :  ils 
croient  qu'en  disputant  moins  sur  le  dogme 
et  en  pratiquant  mieux  la  morale,  on  seroit 
tout  à  la  fois  meilleur  citoyen  et  meilleur 
dirétien.  Mais  l'esprit  de  parti  est  toujours 
Tome  III.  O 


3î8  Louis   XIV. 

aveugle  :  l'objet  qui  l'enflamme  lui  dérobe 
l'importance  des  autres  objets  ,  et  peu  lui 
importe  le  suffrage  des  hommes  modérés  , 
pourvu  qu'il  soit  applaudi  de  ces  hommes 
inquiets  et  turbulens  ,  dont  les  éloges  éphé* 
mères  sont  démentis  par  le  jugement  du 
public.  La  décence ,  la  saine  morale  ,  les 
lumières ,  qui  caractérisent  depuis  un  siècle 
le  clergé  de  France  ,  font  espérer  des  jours 
plus  sereins ,  où  la  religion  resserrera  les  liens 
de  la  société ,  que  le  fanatisme  a  si  long- 
temps rendue  malheureuse. 
Gratid  On  peut  dire  qu'il  se  forma  sous  Louis 
change-     XI V  une  nouvelle  nation  Françoise ,  fort 

ment  dans         ,  .  .         ,   j,        / 

les  mœurs,  supérieure  en  plusieurs  points  a  1  ancienne, 
t5on$!  etc.  Les  mœurs ,  les  coutumes ,  les  goûts  ,  les 
opinions  changèrent ,  et  ce  changement  fut 
commun  à  tous  les  états.  Les  grands ,  amollis 
par  le  luxe ,  attachés  au  prince  par  intérêt 
et  par  devoir ,  cessèrent  d'être  factieux , 
devinrent  courtisans  ,  et  consacrèrent  au 
service  de  la  couronne  cette  ambition  qui 
les  rendoit  autrefois  si  dangereux.  La  no- 
blesse joignit  au  mérite  de  la  bravoure  celui 
de  la  raison  ,  de  l'urbanité  ,  de  la  dou- 
ceur ;  et  ce  qu'elle  dut  perdre  par  le  raffi- 
nement des  plaisirs,  fut  compensé  par  la 
culture  des  qualités  sociales.  Le  clergé  se- 
coua le  joug  des  préjugés  contraires  à  l'indé- 
pendance du  souverain ,  et  malgré  quelques 
restes  d'anciens  abus  >  trop  difficiles  à  déra- 


Louis  XIV.  jtj 

ciner  dans  les  corps ,  il  rendit  le  ministère 
ecclésiastique  aussi  respectable  qu'on  l'avoit 
vu  avIK  auparavant.  La  robe  tempera  sa 
gravité  par  les  agrémens  de  la  politesse  : 
d'illustres  magistrats  ,  un  d'Aguesseau  en 
particulier  ,  furent  des  modèles  en  tout 
genre  ;  ornement  de  la  société  ;  oracles  de 
la  nation  ,  dignes  de  réformer  les  lois  ,  et 
de  porter  au  pied  du  trône  la  vérité  salutaire 
et  le  vœu  des  bons  citoyens.  Enfin  les  hon- 
nétes  gens  de  toute  condition  apprirent  à 
penser  et  à  vivre  ;  le  peuple  acquit  de  l'in- 
dustrie et  des  tilens ,  et  dépouilla  une  partie 
de  sa  rudesse  en  perdant  son  indocilité  fou- 
gueuse. 

En  un  mot  la  France,  même  pour  les  La  France 

,  11  1  A  1      pertec- 

etrangers  ,  devint  le  centre  du  goût  ,  des  tiounce, 
talens ,  de  la  société ,  et  des  plaisirs.  Si  l'on 
y  trouve  des  ridicules ,  des  vices  plus  raffinés 
qu'autrefois  ,  plus  de  frivolité  ,  de  suffisance , 
de  présomption ,  de  caprices  ,  de  mollesse , 
de  cupidité  ;  c'est  une  preuve  que ,  même 
en  se  perfectionnant  ,  l'humanité  peut  se 
corrompre,  ou  plutôt  qu'incapable  d'une 
certaine  perfection  ,  elle  conserve  toujours 
un  fond  vicieux,  même  en  avançant  dans 
le  chemin  de  la  vérité  et.de  la  vertu.  Mais 
que  ne  peuvent  pas  de  bonnes  lois ,  un  bon 
gouvernement ,  une  éducation  solide  ,  une 
vigilance  particulière  sur  les  mœurs,  l'au- 
torité en   un   mot  jointe  à  la  raison  pour 

O2 


jao  LOUIS   XIV. 

faire  le  bien  et  pour  extirper  le  mal ,  dans 
un  état  où  le  sentiment  de  l'honneur  a  tant 
de  force  ;  où  l'exemple  seul  d'un  roi  sage 
et  vertueux  est  capable  de  produire  la  plus 
heureuse  révolution  ? 


IDEE    GENERALE 

DES     PRINCIPAUX     ÉVÉNEMENS 
POLITIQUES 

DU  RÈGNE  DE  LOUIS  XV. 

Je  n'entreprends  pas  d'écrire  l'abrégé  de 
ce  règne ,  qui  fournira  les  matériaux  les 
plus  intéressans  de  l'histoire.  Il  y  a  des  faits 
dont  on  ne  peut  juger  avec  certitude  ,  qu'en 
les  voyant  d'une  certaine  distance  ;  et  des 
matières  délicates ,  sur  lesquelles  il  paroîtroit 
téméraire  de  porter  un  jugement  particulier, 
avant  que  celui  du  public  soit  bien  arrêté  et 
bien  connu.  Bornons-nôus  donc  au  précis 
des  principaux  événemens  politiques.  Une 
exposition  simple  fera  connoître  les  vicissi- 
tudes qu'a  éprouvées  le  royaume,  et  sa 
situation  par  rapport  aux  puissances  de  l'Eu- 
rope. 

Le  duc  d'Orléans  ,  prince  aimable  ,  génie 

Régence  Supérieur  ,  mais  trop  livré  au  plaisir  et  trop 

5*briéans.  amoureux  de  la  nouveauté ,  eut  la  régence 

'  absolue  par  arrêt  du  parlement ,  malgré  les 


Louis  XV.  321 

dispositions  de  Louis  XIV.  Le  cardinal 
Albéroni  gouvemoit  l'Espagne  sous  Phi- 
lippe V.  Il  vouloit  reprendre  la  Sardaigne 
et  la  Sicile ,  détachées  de  ce  royaume 
depuis  le  traité  d'Utrecht  ;  il  vouloit  ren- 
jrser  le  gouvernement  d'Angleterre  où 
regnoit  Georges  I  ,  successeur  de  la  reine 
Anne  ;  il  vouloit  enlever  au  duc  d'Orléans 
la  régence  pour  la  faire  passer  au  roi  d'Es- 
pagne. Sqs  projets  aussi  téméraires  qu'am-  ^^!^^^"^^^ 
bitieux  firent   armer  la  France  contre  ce  pagne; 

F,  .,  •      /     1  r  quadruple 

rançois  qu  elle  avoit  établi  avec  alliance. 

tant  d'efforts.  Le  régent  s'unit  avec  Geor- 
ges ,  avec  l'empereur  Charles  VI,  avec  I.1 
Hollande.  Les  Espagnols  s'étoient  emparés 
de  la  Sardaigne  et  d'une  grande  partie  de 
la  Sicile.  Battus  par  une  flotte  Angloise  , 
ils  perdirent  bientôt  leurs  conquêtes.  La 
Sicile  où  régnoit  le  duc  de  Savoie  fut  donnée 
à  l'empereur  ;  et  la  Sardaigne  donnée  ea 
échange  au  duc  de  Savoie.  On  obligea 
Philippe  V  de  renvoyer  son  ministre.  La 
guerre,  commencée  en  lyiS^  finit  de  la 
sorte  en  1720.  Heureux  les  peuples,  s'il 
n'y  en  avoit  jamais  de  plus  longue  I 

Dans  le  même  temps ,  un  fléau  inconnu    Système 
jusqu'alors  ,  le  fameux  système  ,  ravagea  la  "ource^^è 
France.  Ce  fut  le  fruit  de  l'avidité  de  Jean"^a"ieurs. 
Law   (vulgairement  Lass)  Ecossois ,  qui 
pour  s'enrichir   lui-même,  avoit    proposé 
d'établir    une  compagaie   pour    payer   les 

03 


311  Louis    XV. 

dettes  de  Tetat  en  billets.  Le  régent  se  laissa 
éblouir  par  ce  projet  spécieux.  En  1 7 1 6  , 
Lav  eut  une  banque  en  son  propre  nom  , 
qu'on  déclara  banque  du  roi  en  17 18.  Le 
commerce  du  Mississipi ,  du  Sénégal  et  des 
Indes  devint  la  base  du  système  ;  la  comr 
pagnie  devoit  acquitter  sur  ses   profits  la 
Fureur  de  dette  nationale.   Bientôt  la  fureur  des  ri- 
a»'otage.  çjjgjjgj  produisit  un  vertige  universel.  On 
changeoit  à  Tenvi  l'argent  en  papier  ;  les 
actions  haussoient ,  se  mukiplioient  prodi- 
gieusement; elles  valurent  en  1719  ,selon 
M.  de  Voltaire ,  quatre-vingt  fois  tout  l'ar- 
gent que  la    circulation  pouvoit  répandre 
dans  le  royaume  ;  un  édit  inconcevable  dé- 
fendoit  d'avoir  chez  soi  plus  de  cinq  cents 
francs  d'argent  comptant  ;  enfin  les  créan- 
ciers de  l'état  furent  remboursés  en  billets. 
Le  crédit  tombe  tout-à-coup  ;  les  fonds  de 
la  banque  s'épuisent ,  l'argent  disparoît ,  il 
ne  reste  qu'un  vain  papier, 
Bouiever-      Ce  ne  fut  alors  que  bouleversement  dans 
iortuues.   l^s  fortunes.  Une  infinité  de  familles  ruinées 
sans  ressource ,  quelques  particuliers  horri- 
blement enrichis,  la  défiance  et  les  soup- 
çons répandus  partout  5  l'avarice  et  le  luxe 
portés  aux  derniers  excès  ,   Law  obligé  de 
s'enfuir  en  1720,  après  avoir  été  fait  mi- 
nistre des  finances  et  emportant  les  malé- 
dictions de  tout  le  royaume  ;  voilà  ce  que 
produisit  un  système  pernicieux ,  qui  la  même 


Louis  XV;  )2y 

année   1720  fut  imité  en  Angleterre  avec 
le  même  succès. 

La  majorité  du  roi  mettant  fin  à  la  ré-"  •"* 

gence,  le  régent  prit  le   ntre  de  premier    U^,}'^^ 
ministre  ,  et  mourut  bientôt  après.  Le  duc  régent.  Le 
de  Bourbon-Condé ,  son  successeur  dans  le  de  Fleuri. 
ministère  ,  se  vit  aussitôt  supplanté  par  le 
cardinal  de  Fleuri ,  dont  la  modération  et 
l'économie  mériteroient  beaucoup  plus  d'é- 
loges ,  s'il  y  avoit  joint  une  politique  plus 
prévoyante  et  plus  courageuse.  Fixé   à  la 
cour  en  qualité  de  précepteur  du  roi ,  il 
Vétoit  ouvert  par  ses  qualités  aimables  Je 
chemin    du    ministère.    II   y    parvint    en 
1726  ,  à  l'âge    de   soixante  -  treize    ans; 
jusqu'à   sa   mort  en    1748  ,    il  conserva 
toute  son  autorité  ,  toute  sa  tétQ  ,  et  réussit 
presqu'en  tout.  Exemple  de  bonheur  peut- 
^tre  unique   dans  les  prerpières  places  de 
Tétat.  La  France  épuisée  avoit  besoin  d'un 
ministère  sage  et  paisible.  Elle  répara  bientôt 
ses  pertcS  ;  elle  s'enrichit  à  la  faveur  d'une 
longue  paix. 

Cette  paix,  dont  les  fruits  étoient  pré-  .Double 
cieux  ,  fut  troublée  par  1  élection  d  un  roi  d'un  roi  de 
de  Pologne.  Stanislas  Leczinski ,  que  Charle$/'°^°^"*' 
XU  avoit  déjà  fait  élire  en  1704  ,  et  que 
le  Czar  Pierre  avoit  détrôné,  élu  de  nou- 
veau (en  1733  )  après  la  mort  d'Auguste 
II ,  ne  put  jouir  de  la  couronne  ,  quoique 
soutenu  par  Louis  XV  son  gendre.  L'em- 

04 


324  Louis  XV. 

pereur  Charles  VI  agit  efficacement  pour 

l'électeur   de  Saxe ,   fils  du  dernier  roi   de 

Le  roi  Sts- Pologne^  Le  parti  le  moins  nombreux  l'em- 

nislas  sans  1  \       t  •  1    • 

royaume,  porta  dans  ce  pays  ou  de  mauvaise!  lois 
ne  servent  qu'à  perpétuer  Panarchie  et  à 
rendre  tout  incertain.  La  Russie  ,  presque 
inconnue  avant  le  règne  de  Pierre  le  Grand  , 
et  devenue  par  lui  seul  une  puissance  res- 
pectable ,  étoit  jointe  avec  l'empereur  contre 
le  roi  Stanislas  ;  le  cardinal  de  Fleuri  n'en- 
voya qu'un  foible  secours  de  quinze  à  dix- 
huit  cents  hommes.  Stanislas  se  sauva  de 
Dantzick  déguisé ,  et  pensa  tomber  plusieurs 
fois  entre  les  mains  des  Russes  qui  avoient 
mis  sa  tête  à  prix. 
Guerre  de      Q^   résolut  de  venger  cet   affront  sur 

17Î4  con-  •        i»r^  1      r 

tre  l'empe- 1  empereur.  Les  rois  d  lispagne  et  de  Sar- 
^^^'^'  daigne  s'unirent  à  la  France.  Philippe  V 
avoit  déjà  établi  en  Italie  Don  Carlos  son 
fils ,  né  d'Elisabeth  Farnese  sa  seconde 
femme;  il  avoit  engagé  Charles  VI  à  lui 
donner  l'investiture  de  Parme  ,  de  Plai- 
sance ,  du  grand  duché  de  Toscane ,  dont 
la  succession  n'étoit  pas  ouverte  ,  et  il  vou- 
loit  lui  procurer  un  établissement  plus  consi- 
dérable. Charles  Emmanuel,roi  de  Sardaigne, 
successeur  de  son  père  Victor  -  Amédée  , 
(qui  en  1780  avoit  abdiqué  la  couronne 
et  s'en  étoit  inutilement  repenti  ,  )  espéroit 
agrandir  ses  états  aux  dépens  de  la  maison 
d'Autriche ,  et  ki  enlever  le  Milanès ,  objet 


Louis  XV.  325 

de  tant  de  prétentions  opposées.  La  n)odé- 
ration  du  ministère  de  France  étoit  si  connue, 
que  rAiiglvterre  et  ia  Hollande  consentirent 
à  ne  point  se  mêler  de  cette  guerre. 

Elle  SQ  fit  avec  le  plus  grand  succès  en *'"  *      ■ 
Italie.  Le  maréchal  de  VilLirs  y  finit  k  S2     *734' 

.,  ,  j\ii  1    Campugne 

ans  sa  carrière  par  la  prise  de  Milan,  de  décisive 
Tortone  ,  de  Novare  ,  etc.  ;  le  maréchal^'*  ^^*^^^ 
de  Cnrgni  gagna  les  batailles  de  Parme  et 
de  Guastalla  ;  la  bataille  de  Bitonto  ,  gagnée 
par  le  duc  de  Montemar ,  mit  don  Carlo§ 
en  possession  des  deux  Siciles.  La  seule 
campagne  de  1734  enleva  à  Tempereiir 
presque  tous  ses  états  d'Italie  ;  suite  étrange 
de  l'élection  d'un  roi  de  Pologne.  Telle  est 
la  chaîne  invisible  des  événemens  de  ce 
monde.  .  , 

La  France  souhaitoit  la  paix  et  en  régla  =*=== 
les  conditions.  On  siena  les  articles  préli-  J!73?- 

.      .  ,      ..^  ^  .    '     Traire  de 

minaires  en  173D;  il  y  eut  une  suspension  Vietuie. 

d'armes;  cependant  le  traité  ne  fut  conclu 

qu'en    1788.  Ce  traité  de  Vienne  donne 

Naples  et  la  Sicile  à  don  Carlos ,  le  No- 

varois ,  le  ToYtonois ,  les  hets  à^s  Langhes 

au  roi  de  Sardaigne ,  à  qui  l'on  avoit  promis 

tout  le  Milanès  ,  l'expectative  de  la  Toscane 

au  duc  de  Lorraine ,  gendre  de  l'empereur  ; 

au  roi  Stanislas ,  le  Barrois  et  la  Lorraine ,    Acquîsf- 

A^  /      •  >  ^    V    1  tion  de  la 

,pour  être  reunis  après  sa  mort  a  Ja  cou-  Lorraine 
ronne  de  Frr.nce.   A'ps:  ^  pour  la  féconde 

:gc  des  ^  ' 
'06 


3i6  Louis  XV. 

quoique  le  dernier  grand  duc  de  cette  maison 
vécût  encore.  C'est  que  la  Toscane  étoit 
regardée  comme  un  fief  de  l'empire.  Parme 
et  Plaisance   furent  cédés  à  l'empereur  en 
propriété.  Le  pape  s'en  prétendoit  toujours 
suzerain  ^    et  avoit  même  reçu  l'hommage 
du  dernier  duc  de  Parme  ;    tant   le  droit 
bizarre  des  fiefs   a  jeté  de  confusion  dans 
le  système  politique  de  l'Europe.  L'acqui- 
sition de  la  Lorraine  fut  un  de  ces  heureux 
événemens  ,  où  la  fortune  conduit  sans  que 
la  prudence  paroisse  lui  avoir  préparé  le» 
voies. 
*  ■        j      Peu  de  temps  après  ^  arrive  la  mort  de 
1740»    Charles  VI  ,   dernier  prince  de  la  maison 
l'empel  ^  d'Autriche.  Pour  assurer  sa  succession  in- 
IcsV?^^'  divisible  à  sa  fille  Marie-Thérèse  épouse  du 
grand-duc,   il  avoit  fait   une  pragmatique 
cimentée  par  la  garantie  de  la  plupart  des 
puissances.   Mais   outre    que   ses    mesures 
ëtoient  mal  prises,  pouvoit-on   croire  que 
les  princes  exclus  d'un  héritage  sur  lequel 
ils  avoient  des  prétentions  ,  respecteroient 
une  loi  qu'ils  regardoient  comme  injuste  ? 
Préten- Charles- Albert ,   électeur  de  Bavière  >  Au- 
«uccest  *  guste  III ,  roi  de  Pologne  ,  électeur  de  Saxe , 
>»«^«'        le  roi  d'Espagne  Philippe  V ,  se  croyoient 
fondés  à  réclamer  la  succession  en  tout  ou 
en  partie  ;  et  si  le  roi  de  France  eût  été 
ambitieux  ,  il  ne  manquoit  pas  de  titres  à 
alléguer  pour  lui-même,  descendant  de  la 


Louis  XV.  327 

branche  aînée  d'Autriche  par  les  femmes 
de  ses  prédécesseurs.  Mane-Thérèse  se  mit 
d'abord  en  possession  de  tous  les  états  de 
son  père ,  sans  qu'aucune  puissance  remuât. 
Les  Hongrois  en  particulier ,  jusqu'alors  im- 
patiens du  joug  d'Autriche  ,  lui  marquèrent 
le  plus  grand  attachement,  parce  qu'elle  jura 
de  ne  point  enfreindre  leurs  privilèges. 

\Jn  prince  dont  on  parloit  peu ,  et  qui  Le  roi  da 
devoit  remplir   l'Europe  du    bruit  de  soritaque  la" 
nom  ,  Frédéric  II ,  roi  de  Prusse  ,  porta  seul  HoTgrie! 
les  premiers  coups.  L'empereur  Léopoid ,  en 
faveur  de  l'électeur  de  Brandebourg  ,  avoit 
érigé  la  Prusse  en  royaume  au  commence- 
ment de  ce  siècle.  Le  second  roi ,  père  de 
celui-ci  ,  pendant  un  règne  de  vingt-huit 
ans ,  s'étoit  continuellement  occupé  du  soin 
de  peupler  son  royaume  ,    d'en   faire  dé- 
"fricher  les  terres  incultes ,  d'amasser  un  grand 
trésor   par  l'économie ,  de  former  et    de 
discipliner  une  armée   nombreuse  dont  il 
ne  se  servoit  point.  Son  fils ,  capable  de 
tout  entreprendre  avec  ces  moyens  ,  et  sur- 
tout avec  un  génie  et  un  courage  de  héros , 
s'empara  sur-le-champ  de  la  Silésie.  Il  en  Con«ruête 
avoit  demande  en  vam  une  partie  a  Marie-  $ie, 
Thérèse ,  lui  promettant   de  la  servir  de 
toutes  ses  forces  ,  et  de  faire  empereur  son 
époux.  La  bataille  de  Molvitz  ,  qu'il  gagna 
par  la  discipline  de  ses  troupes  ,  assura  cette 
conquête  ,  et  apprit  combien  il  étoit  redou- 
table. O  6 


3^8  Louis  XV. 

La  France      Au  signal  qu'avoit  pour  ainsi  dire  donné 

liguée  con-|  •  j     n  ht- 

tre  TAutri- le  roi  de  rrusse,  1  Europe  se  mit  en  mou- 
^^^'         vement.  Malgré  l'aversion  du  cardinal  de 
Fleuri  pour  la  guerre ,  le  comte  depuis  ma- 
réchal duc  de  Belle-Isle  vint  à  bout  de  la 
faire  entreprendre.  On  l'envoya  négocier  en 
Allemagne  en  faveur  du  duc  de  Bavière  , 
qu'on  vouloit  élever  à  l'empire  et  enrichir 
des  dépouilles  d'une  maison  si  long-temps 
rivalç  de. la  France,  Il  convint  de  tout  avec 
Frédéric  et  avec  ta  cour  de  Saxe, 
Guerre       j^q  Bavarois ,  créé  lieutenant-général  de 
Charles     Louis  XV ,  $e  rend  maître  de  Passau  ,  arrive 
reux  et  '  à  Lintz  capitale  de  la  haute  Autriche  ;  mais 
rçS^""    au  lieu  d'assiéger.  Vienne  dont  la  prise  eût 
été  un  coup  décisif,  il  marche  vers  Prague, 
la  prend  ,  s'y  fait  couronner  roi  de  Bohême  ^ 
et  va  recevoir  à  Francfort  la  couronne  im* 
Ressour-  périale  sous  le  nom  de  Charles  VII.  Avec 
rfe -'ïhé!'  nioins  de  courage  et  de  vertu  ,  Marie-Thé« 
*<^5e.        rèse  auroit  été  sans   doute  accablée.    Ses 
sujets  l'adorent  et  soutiennent  ses  espéran- 
ces ;  l'Angleterre  et  la  Hollande  lui  envoient 
des  secours  d'argent  ;  ses  ennemis  n'agis- 
sent point  ,de  concert ,  se  plaignent  les  uiis 
des  autres ',•  les  armées  Françoises  en  Bavièi:e 
et  en  bohème  s'afFoiblissent  de  Jour  en  jour; 
Prague  est  assiégée  ,  reprise  ,  et  le  maréchal 
de  Belle-Isle  sauve  à  peine  treize  mille  hom- 
mes par  une  retraite  glorieuse ,  au  mois  de 
décemtrè  i74Za 


Louis  XV.  329 

L'année  suivante  ,  la  bataille  de  Det-  Bataille 
tingen  ,  que  les  François  perdirent  contre  g|u.  ^"**' 
Georges  II ,  roi  d'Angleterre  ,  parce  que 
le  maréchal  de  Noailles  fut  mal  obéi  ,  sem- 
bla détruire  les  ressources  de  Tempereur. 
Le  ministère,  en  montrant  de  la  foiblesse, 
avoit  encouragé  le  parti  Autrichien  ;  la  reine 
de  Hongrie  avoit  acquis  des  alliés  ;  elle 
fît  la  paix  au  prix  de  la  Silène  avec  le  roi 
de  Prusse. 

Après  la  mort  du  cardinal  de  Fleuri  en  E«nem»* 
1740  y  la  France  ,  qui  ne  combattoit  au-  ce. 
paravant  qu*en  qualité  d'auxiliaire ,  eut  sur 
les  bras,  l'Autriche  ,  l'Angleterre  avec  Ha- 
nover ,  la  Hollande  et  le  roi  de  Sardaigne; 
mais  le  roi  de  Prusse  reprit  avec  elle  ses 
premiers  engagemens  ,  dès  qu'il  craignit  que 
la  reine  de  Hongrie  ne  fût  trop  forte  avec 
de  tels  alliés. 

Louis  XV ,  gouvernant  par   luî-méme     Campa- 
son  royaume  et  commandant  ses  années  ,  roi"$uccé5 
acquit   la  gloire  des  conquérans  ,   et   une^"  Fïm^ 
gloire  plus  digne  de  son  cœur ,  celle  des 
bons  rois.  Après  avoir  pris  Menin  ,  Cour- 
trai  ,  Ipres  ,  etc. ,  il  marcha  contre  le  prince 
Charles  de  Lorraine  ,  qui  avoit  passé  le  Rhin 
et  pénétré  dans  le  royaume.  Une  maladie 
dangereuse  l'arrête  à  Metz  :  la  France  trem- 
ble et  gémit  comme  une   femille   qui  va 
..perdre  le  meilleur  des  pères.  Il  guérit ,  as- 
?rège  Fribourg  et  le  prend.  Il  gagne  l'année 


jjo  Louis  XV. 

suivante  (  1 746  ) ,  la  fameuse  bataille  de 
Fontenoi ,  où  le  maréchal  de  Saxe ,  frère 
naturel  du  roi  de  Pologne  ,  commandoit 
Tarmée  étant  malade.  Jusqu'à  la  fin  de  cette 
guerre  ,  on  ne  vit  en  Flandre  que  des  succès 
admirables.  Le  combat  de  la  Mêle  suivi 
de  la  prise  de  Gand ,  Ostende  forcée  en 
trois  jours  ,  Bruxelles  prise  au  cœur  de  l'hi- 
ver ,  tout  le  Brabant  Hollandois  subjugué  , 
Berg-op-zoom  emporté  d'assaut ,  Maestricht 
investi  en  présence  de  quatre-vingt  mille 
hommes ,  etc.  ;  chacun  de  ces  faits  méri- 
teroit  un  détail  particulier  ;  ils  restent  gravés 
dans  la  mémoire  des  contemporains  ,  et 
passeront  à  la  dernière  postérité. 
Campa-  On  se  battoit  avec  la  même  ardeur  en 
Italie  ,  pour  établir  dans  le  Milanès ,  Parme 
et  Plaisance  ,  Tinfant  don  Phihppe  frère 
puîné  de  don  Carlos.  Le  prince  de  Conti 
força  glorieusement  en  1744  ^^5  passages 
àes  Alpes  ,  les  retranchemens  de  Ville- 
franche  et  de  Château-dauphin.  L'infant 
et  ce  prince  gagnèrent  la  bataille  de  Coni , 
sans  pouvoir  prendre  la  ville  de  Coni  qu'ils 
assiégeoient.  Cependant  don  Philippe  en 
j  745  se  trouva  maître  de  Milan  et  des  pays 
d'alentour.  Mais  la  bataille  de  Plaisance , 
perdue  en  1 746  par  le  maréchal  de  Maille- 
bois  ,  ruina  totalement  les  affaires  ;  on  se 
retira.  Bientôt  les  ennemis  ravagèrent  ^ 
Provence.  Chassés  de  cette  province ,  et 


gnes  d'Ita- 
lie. 


Louis  XV.  331 

ensuite  de  Gènes  dont  ils  s'étoient  empares , 
ils  n'en  conservèrent  pas  moins  la  supério- 
rité de  leurs  armes  ;  et  le  funeste  combat  de 
TAssiète  où  le  chevalier  de  Belle-Isle  se  fit 
tuer,  ferma  l'Italie  aux  François. 

Au  milieu  de  ces  vicissitudes  ,  mourut  en  jjf'r|j' 
1746  Tempereur  Charles  VII ,  accablé  d'in-  tonde  une 
fortunes  à  cause  de  son  élévation.  La  reine 'maison^ 
de  Hongrie  eut  la  gloire  de  procurer  Tem-  l'^Penale, 
pire  à  son  époux  François  I  ;  et  le  roi  de 
Prusse  ,  après  avoir  pris  Dresde  et  remporté 
d'autres  avantages  ,  fit  encore  la  paix  sé- 
parément ,  parce  qu'il  n'avoit  plus  besoin  de 
la  guerre.  11  reconnut  l'empereur  :  l'impé- 
ratrice lui  céda  de  nouveau  la  Silésie.  C^tte 
grande  princesse  fondoit  ainsi  la  nouvelle 
maison  impériale  d'Autriche-Lorraine,  après 
avoir  été  sur  le   point  de  perdre  tous  les 
états  de  sa  maison. 

Pour  le  malheur  du  genre  humain  ,  le  Pertes  lur 
feu  de  la  guerre  ne  peut  plus  embraser  l'Eu-  Angiois 
rope  ,  sans  se  répandre  aussitôt  jusqu'aux  J-gurs," 
extrémités    du  monde.  On  reconnut  trop 
tard   la  faute   énorme  que   le   cardinal  de 
Fleuri  avoit  commise  en  négligeant  la  ma^ 
rine.  Tandis  que  les  Anglois  avec  de  nom- 
breuses escadres  ,  avec  plus  de  deux  cents 
quarante  vaisseaux  de  guerre  ou  frégates , 
ruinoient  le  commerce  de  leurs  ennemis  , 
la  France  n'eut  à  leur  opposer  qu'environ 
trente-cinq  vaisseaux  j    qui    se   rédaisirent 


331  Louis  XV. 

enfin  à  un  seul.  Ils  s'emparèrent  (en  174^) 
de  Louisbourg  et  du  Cap-Breton  ,  autre- 
ment nommé  Tlsle-royale  ;  ils  firent  partout 
des  prises  immenses  ;  le  fameux  Anson  ren- 
dit funeste  à  TEspagne  son  voyage  autour 
du  globe  ;  la  bataille  navale  de  Finistère , 
qu'il  gagna  ensuite  sur  les  François  (  1 747)  , 
fut  un  triomphe  plus  éclatant  pour  sa  nation. 
Mais  ce  que  la  marine  du  roi  de  France 
n'auroit  pu  tenter,  des  négocians  guerrieis 
Texécutèrent  dans  les  Indes  :  la  Bourdonnais 
enleva  Madras  aux  Anglois  ;  et  Dupleix 
leur  fit  lever  le  siège  de  Pondichéri  dont  il 
étoit  gouverneur. 
'  Louis  XV  ,  en  remportant  des  victoires , 

U^  1  avoit  offert  généreusement  la  paix  ,  et  on 
d'Aix-ia-l'avoit  opiniâtrement  refusée  ;  mais  on  la 
demanda  en  voyant  Maestricht  sur  le  point 
de-  tomber  en  son  pouvoir  ,  et  la  Hollande 
menacée  d'une  invasion  (i).  Elle  fut  conclue 
à  Aix-la-Chapelle.  Le  roi  ne  voulut  garder 


(i)  Le  maréchal  de  Saxe  disoit  en  homme  clair- 
voyant ;  la  paix  est  dans  Maestricht.  On  ne  conçoit 
pas  comment  .es  Hollandois,  fort  déchus  de  IcHr 
puissance ,  s'étoient  engagés  dans  cette  guerre.  Ils 
pouvoient  pacifier  TEurope ,  et  ils  s'exposèrent 
aux  dtrniers  malheurs.  Ils  perdirent  même  en 
grande  partie  leur  liberté ,  en  établissant  le  sta- 
thoudérat  perpétuel  et  héréditaire;  ce  qui  fait 
aujourd'hui  de  la  Hollaade  une  espèce  de  ïho- 
jiarchie  mixte. 


Chapelle. 


Louis  XV.  353 

aucune  de  ses  conquêtes.  Il  se  contenta 
d'assurer  Parme  5  Plaisance  et  Guastalla  à 
don  Philippe  son  cendre  ,  et  le  royaume 
des  deux  Siciles  à  don  Carlos  ;  de  rétablir 
le  duc  de  Modène  son  allié  et  la  république 
de  Gènes  dans  tous  leurs  droits.  Le  roi  de 
Prusse  conserva  la  Silésie  ;  le  roi  de  Sar- 
daie^ne  obtint  de  nouveaux  domaines  dans 
le  Milanès  ;  toutes  les  puissances  garanti- 
rent la  Pragmatique-sanction  de  Charles 
VI,  en  vertu  de  laquelle  Marie- Thérèse 
possédoit  les  états  de  ses  ancêtres. 

Le  prince  Edouard ,  fils  du  prétendant ,  Sort  d» 
avoit  fait  sur  FEcosse  (  1745  )  une  tenta- Edouard. 
tive  audacieuse  ,  qui  ne  servit  qu'à  faire 
périr  ses  partisans  sur  les  échafauds  ou  par 
les  gibets.  La  France  garantit  l'ordre  de 
succession  réglé  en  faveur  de  la  maison  de 
Hanover  ,  et  s'obligea  de  ne  point  souffrir 
sur  ses  terres  les  princes  de  la  maison  de 
Stuart.  En  conséquence  on  fit  sortir  du 
royaume  ce  jeune  prince  ,  dont  la  destinée , 
si  brillante  un  moment ,  esf  devenue  tout- 
à-coup  si  obscure.  Une  chose  trop  digne 
d'observation  ,  c'est  que  la  guerre  entre 
l'Espagne  et  l'Angleterre  avoit  commencé 
dès  l'an  178^  pour  un  vaisseau  ,  et  que 
l'affaire  du  vaisseau  resta  indécise. 

11  eût  été  facile  de  prévenir  par  le  traité    Retraite 
d'Aix-la-Chapelle  les  funestes  contestations  source^de 
que  la  France  eut  bientôt  avec  l'Angleterre  ,  ^"•'^'^*' 


334  Louis  XV. 

et  qui  pour  quelques  déserts  de  l'Amérique 
armèrent  de  nouveau  les  nations  Européen- 
nes ,  les  plus  capables  de  connoître  les 
avantages  de  la  paix.  En  stipulant  la  res- 
titution du  Cap  -  Breton  et  de  toutes  les 
conquêtes  des  Anglois ,  on  avoit  ajouté  ces 
termes  vagues  :  toutes  choses  d'ailleurs 
seront  réunies  sur  le  pied  qu^ elles  étoient y 
OU  DEVOIENT  être  ,  ayant  la  présente 
guerre»  Avec  de  pareilles  clauses  ,  quiconque 
veut  envahir ,  quand  il  n'y  a  ni  titres  ni 
limites  incontestables ,  est  sûr  de  troi^vet; 
mille  prétextes  d'invasion, 
Çntrepri-  En  1 747  ^  les  Anglois  établis  dans  TA- 
sloh^en"'^^^'^  ,  qu'ils  avoient  eu,e  par  le  traité  d'U- 

Améri,     treclit ,  voulant  s'étendre  sur  le  Canada  , 

Que» 

commirent  àe%  hostilités  contre  les  Fran- 
çois ,  pour  rétablir  les  choses  sur  le  pied 
où  elles  dévoient  être  selon  eux.  La  cour 
de  France  eut  beau  se  plaindre ,  et  offrir 
toutes  les  voies  d'accommodement.  La  né- 
gociation traîna  en  longueur  ;  l'Angleterre  , 
qui  se  préparoit  de  loin  à  une  rupture , 
éclata  en  1 755  ,  et  sans  déclaration  de  guerre 
fit  attaquer  les  vaisseaux  François.  Louis 
XV  ,  avec  le  plus  grand  amour  de  la  paix , 
fut  obligé  de  prendre  les  armes  ,  et  d'opposer 
la  force  à  la  violence. 
Nouvelle      Alors  on  vit  dans  le  système  politique 

liancessin-de  l'Europe  un  changement   aussi  incon- 

fiuiieres.    çg^^j^jg  ^yg  çg^^g  guerre.  Le  ici  de  Prusse , 


Louis  XV.  3}5 

auparavant  allié  de  la  France ,  se  ligue 
avec  les  Anglois ,  TAutriche  s'unit  étroite- 
ment avec  la  France  ,  dont  elle  étoit  fen- 
nemie  depuis  deux  siècles  ;  la  Suède  se 
trouve  aillée  de  l'Autriche  ,  qu'elle  avoit 
tant  combattue  depuis  Gustave.  L'Espagne , 
le  roi  de  Sardaigne  ,  la  Hollande  ,  jus- 
qu'alors si  intéressés  dans  les  guerres  ,  gar- 
dent une  parfaite  neutralité.  Chaque  puis- 
sance a  pour  but  son  intérêt  particulier; 
mais  l'humanité  s'applaudit  en  général  de 
voir  les  deux  premières  maisons  de  l'Europe 
changer  en  amitié  une  haine  trop  féconde 
en  ruines  et  en  massacres.  Changement  dû 
au  zèle  du  cardinal  de  Bernis* 

Les  commencemens  de  la  guerre  furent  "* 

glorieux  pour  la  France.  Les  Anglois ,  battus  p^J^f^^^^ 
vers  le   Canada,  craignirent  une   invasion  campa- 
dans  leur  île;  ils   perdirent  Port-,MahonAit^niai 
regardé  comme  imprenable ,  que  le  maréchal  ^"^* 
de  Richelieu   prit  d'assaut ,  après  une  vic- 
toire navale  du  marquis  delaGalissonnière. 
D'un   autre  côté ,    le   maréchal    d'Estrées 
gagna  la  bataille  de  Hastimbek  sur  le  duc 
de  Cumherland  ;  le  maréchal  de  Richelieu  , 
envoyé  pour  commander  à  sa  place  ,  poussa 
l'Anglois  et  le  força  de  capituler  à  Closter- 
Seven  avec  toute  son   armée.   L'électorat 
de  Hanover  étoit  conquis.  Le  roi  de  Prusse 
qui  s'étoit  emparé  de  la  Saxe  sur  un  soupçon , 
qui  avoit  remporté  à  Prague  une  victoire 


33^  Louis  XV. 

sanglante ,  mais  qui  avoit  été  vaincu  vers 
le  même  endroit  par  le  général  Daun  ,  avec 
une  perte  d'environ  vingt-cinq  mille  hom- 
mes ,  le  roi  de  Prusse  sembîoit  infaillible- 
ment perdu.  Le  conseil  aulique  le  déclare 
ennemi  de  Tempire  ,  privé  de  tous  ses  fiefs  ; 
le  prince  de  Soubise  marche  contre  lui  en 
Saxe  avec  une  puissante  armée  des  cercles. 
On  ne  doutoit  point  du  succès. 
Bataille      ^3)5  j^  bataille  de  Rosbac  f  s  novembr» 

«eRosbac.         r      \      1  1       r  i  rr  ' 

1767)  change  la  race  des  affaires  en  un 
moment.  La  manœuvre  ,  l'artillerie ,  la  dis- 
cipline Prussiennes  ,  répandent  une  terreur 
panique  dont  il  y  a  peu  d'exemples.  Vain- 
queur presque  sans  combat ,  le  roi  de  Prusse  , 
vole  en  Silésie  ,  gagne  encore  la  bataille 
de  Lissa ,  reprend  Schweidnitz  et  Breslau 
que  les  Autrichiens  venoient  de  lui  enlever, 
Uélectorat  de  Hanover  est  repris  de  même 
par  ks  Anglois ,  malgré  la  capitulation  de 
Closter-Seven  dont  ils  se  crurent  dégagés, 
pivsrses  On  voit  en  Allemagne  une  longue  suite 
tfons.  '  de  batailles  avec  différens  succès ,  sans  que 
la  perte  des  hommes  ni  la  dévastation  des 
pays  rende  la  querelle  des  princes  moins 
opiniâtre.  Les  François  battus  à  Crevelt 
par  le  prince  de  BrunsVick  en  1768  ,  le 
battent  à  Bergen  l'année  suivante ,  et  sont 
battus  de  nouveau  à  "WarbourgetàMinden. 
Frédéric  II  de  son  côté ,  tantôt  vaincu  ^ 
tantôt  vainqueur,  mais  affoibli  par  ses  vicr 


Louis  XV.  337 

tolres  mcmes ,  se  voit  enlever  la  Prusse  , 
-Dresde  et  une  grande  partie  de  la  Saxe.  Il 
avoit  contre  lui  la  Russie  liguée  avs^c  l'Au- 
t  iche.  Elizabeth,  impératrice  de  Russie, 
meurt.  Pierre  III  son  successeur  se  déclare 
pour  Frédéric  ;  Pierre  est  détrôné  tout-à- 
coup;  sa  femme  Catherine  lui  succède  et 
se  déclare  pour  la  reine  de  Hongrie.  Ces 
vicissitudes  soudaines  ,  en  variant  la  situa- 
tion du  roi  de  Prusse,  lui  laissent  toujours 
la  même  intrépidité  et  une  constance  iné- 
branlable. 

La  France ,  malgré  ses  malheurs  ,  ne  fut  Conquêtes 
entamée  nulle  part  ;  mais   elle  perdit  dans  seT  dls^  ' 
les   Indes    Chandernagor ,    Pondichéri   et^"^^°^** 
tous  les  établrssemens  de  cette  compagnie 
de    commerce  ,    dont    on   a  sans  doute 
trop  vanté  les  avantages.  En  Afrique ,  elle 
perdit  ce  qu'elle  avoit  sur  le  Sénégal  avec 
-..l'ile  de  Corée,  c'est-à-dire,  tout  son  com- 
-  merce   dans  cette    partie    du  monde  ,•   en 
Amérique ,  Louisbourg  ,  Québec  ,  tout  le 
Canada  ,   la  Guadeloupe  ^  la  Martinique  , 
en  un  mot ,  d<:s  possessions  immenses  moins 
dignes  de  regret  que  les  hommes  et  les  tré- 
sors qu  elles  ont  coûtés. 

Ctf  prodigieux  accroissement  de  la  puis-    P^cte  d£ 
sance  des  Anglois,  qui  affectoient  tant.de^'""'"** 
zèle  pour  l'équilibre  ,  devoit  alarmer  toute 
_  l'Europe.  La  neutralité  de  TEspagne  sous 
Ferdinand  VI   leur  avoit  été  trop  av^n- 


338  Louis  XV. 

tageuse.  Charles  III ,  frère  et  successeur 
de  Ferdinand  ,  s'unit  enfin  avec  Louis  XV  : 
le  pacte  .de  famille  conclu  (  en  1761) 
entre  toutes  les  branches  souveraines  de  la 
maison  de  France ,  forme  l'alliance  la  plus 
glorieuse  pour  le  ministre  célèbre  qui  en 
conçut  et  exécuta  le  projet.  Cette  alliance 
désastres^  ^^'^  néanmoins  suivie  de  nouveaux  désastres. 
Lts  Espagnols  attaquèrent  sans  succès  le 
Portugal  qu'on  pouvoit  regarder  alors  com- 
me une  riche  province  d'Angleterre.  Les 
Anglois  sauvèrent  ce  royaume  ;  prirent  à 
l'Espagne  dans  le  golfe  du  Mexique  la  Ha- 
vane et  l'île  de  Cuba ,  où  leur  butin  fut 
estimé  plus  de  quatre-vingt  millions  (1762); 
ils  lui  enlevèrent  les  îles  Philippines  dans 
la  mer  des  Lides  ,  et  s'enrichirent  à  Manille 
comme  à  la  Havane.  Leurs  flottes  subju- 
guoient  tout  dans  l'un  et  l'autre  hémisphère. 
Belle-Isle  étoit  en  leur  pouvoir  ,  la  marine 
Françoise  qu'on  avoit  tâché  de  rétablir  étoit 
ruinée ,  ainsi  que  le  commerce  de  la  nation. 
'"  Toutes  les  couronnes  avoient  besoin  de 

TraTtés^'de^^  paix  ;  et  l'Angleterre,  quoi  qu'en  aient 
Paris  et  de  pu  dire  les  ennemis  du  ministère,  ne  pou- 
bourg.  '  voit  la  faire  dans  une  conjoncture  plus  fa- 
vorable. «  Car  (  selon  la  remarque  de  M. 
»  l'abbé  de  Mably  ) ,  il  faut  faire  la  paix 
»  àès  qu'on  la  peut  faire  utilement;  c'est 
»  un  principe  qui  ne  souffre  aucune  ex- 
»  ception.  Des   espérances   formées  dans 


tours  XV.  339 

y*  rivresse  de  la  prospérité  n'ont  jamais  été 
»  justifiées  par  Tévénement  :  on  doit  crain- 
H  dre  d'être  trop  heureux  ,  parce  qu'un 
>♦  trop  grand  bonheur  est  le  signe  d'une 
»  décadence.  »  Par  le  traité  de  Paris ,  la 
-France  cède  à  l'Angleterre  Louisbourg  et  le  • 
Cap-Breton ,  le  Canada  ,  toutes  les  terres 
sur  la  gauche  du  Mississipi ,  excepté  la  Nou- 
velle-Orléans ;  l'Espagne  y  ajoute  encore  la 
Floride.  L'Angleterre  gagne  environ  deux 
•mille  lieues  de  terrain  en  Amérique  ;  elle 
'  accorde  à  peine  aux  François  le  droit  de 
pèche  vers  l'île  de  Terre-neuve.  On  lui 
abandonne  le  Sénégal ,  et  elle  restitue  la  Co- 
rée. On  échange  Minorque  contre  Belle-Isle. 
On  est  obligé  de  démolir  les  fortifications 
de  Dunkerque  du  côté  de  la  mer.  Le  traité 
de  Habersbourg  entre  les  puissances  d'Al- 
lemagne remit  les  choses  dans  l'état  où  elles 
se  trouvoient  avant  la  guerre.  Tel  fut  le 
fruit  de  sept  années  d'expéditions  sanglantes 
et  ruineuses. 

Cette  guerre  peut  être  regardée  comme  ï^éflexions 
une  des  meilleures  leçons  de  politique.  La  guerre, 
supériorité  inouie  des  armes  Angloises  dé- 
montre la  nécessité  d'une  puissante  marine, 
pour  toute  nation  ^ui  a  un  commerce  à 
protéger  ,  et  des  possessions  à  défendre  hors 
du  continent  qu'elle  habite.  Les  succès  et 
la  résistance  du  roi  de  Prusse  contre  des 
forces  extrêmement  supérieures ,  démontrent 


340  Louis  XV, 

qu'avec  une  sage  économie  et  avec  d'ex4 
cellentes  troupes,  un  grand  capitaine ,  maî- 
tre de  toutes  les  opérations  ,  peut  faire  lui 
seul  ce  qu'à  peine  on  croiroit  possible  à 
une  ligue  formidable.  Mais  ce  qu'il  importe 
surtout  d'examiner  dans  l'état  actuel  de 
l'Europe  ,  ce  sont  d'une  part ,  les  maux 
infinis  de  la  guerre,  et  de  l'autre,  le  peu 
d'avantage  qu'elle  procure.  Prodiguer  le 
sang  des  peuples ,  épuiser  les  finances  dont 
on  sent  plus  que  jamais  la  nécessité ,  faire 
des  millions  de  malheureux  ,  et  s'exposer 
aux  plus  grands  malheurs  ,  pour  un  coin  de 
terre  qui  sera  un  objet  éternel  de  haine  et 
de  discorde  :  est-ce  donc  un  système  digne 
de  la  sagesse  des  gouvernemens  ?  Pour  un 
intérêt  particulier  de  commerce  faudra-t-il 
ruiner  tout  le  commerce  ?  faudra-t-il  ruiner 
son  propre  pays  pour  une  acquisition  in- 
certaine ?  faudra-t-il  semer  au-dehors  à  pure 
perte  cet  argent  devenu  si  précieux ,  qui 
fructifieroit  au  centuple  s'il  étoit  employé 
à  défricher  de  vastes  terrains  stériles  ,  à 
ouvrir  des  canaux  au  commerce  intérieur , 
à  vivifier  les  provinces  languissantes ,  à  mul- 
tiplier les  ressources  du  peuple  et  par -là 
celles  du  Prince  ?  L'Angleterre  ,  accablée 
d'une  dette  énorme  ,  ne  se  repentira-t-elle 
pas  elle  -  même  de  cette  guerre  ,  où  elle 
semble  avoir  gagné  un  empire  ?  Cet  empire 

est 


Louis  XV.  34f 

est  6é]2  l'objet  de  ses  craintes.  Elle  se  sou- 
viendra un  jour  de  Cartha£;e. 

Puissent  les  souverains  ,  éclairés  par  le  Politique 

^       ,  1     i»L-       •         ^  i>         '  •  1    salutaire 

flambeau  de  1  histoire  et  par  1  expérience  de  auxyeuplcs 
tous  les  siècles  ,  conduits  par  les  sentimens 
d'humanité  qu'inspire  la  droite  raison ,  cher- 
cher enfin  leur  bonheur  dans  celui  de  leurs 
sujets  ;  regarder  la  guerre  comme  un  fléau 
d'autant  plus  horrible  ,  que  rien  aujourd'hui 
ne  peut  compenser  les  maux  qu'elle  entraîne  ; 
employer  les  armes  pour  la  sûreté  publique 
et  non  pour  l'ambition  personnelle  ;  s'appli- 
quer de  concert  à  guérir  les  plaies  de  leurs 
états ,  au  lieu  de  les  rendre  incurables  par  de 
nouvelles  discordes  ! 

Les  beaux  jours  de  l'histoire  et  du  règne 


de  Louis  XV  sont  passés.  Le  désordre  des  1757. 
finances ,  et  surtout  de  malheureuses  divi-  d^u"roi|"*^ 
sions  sur  des  points  de  théologie  qui  ne  sont 
et  ne  devroient  jamais  être  l'objet  d'une  dis- 
cussion et  encore  moins  d'une  querelle  pu- 
blique, toutjetoit  les  germes  d'un  mécon- 
tentement général.  Les  esprits  s'exaspéroient, 
les  têtes  s'échauffbient ,  et  le  fanatisme  arma 
bientôt  le  coupable  Damien. 

Cet  homme  de  la  lie  du  peuple  osa  con- 
cevoir le  projet  d'assassiner  le  roi  ;  il  l'exé- 
cuta le  5  janvier,  dans  la  cour  de  Versail- 
les ,  au  milieu  de  ses  gardes  et  des  grands 
officiers  de  la  couronne.  Arrêté ,  il  déclare 
c]ue  son  intention  n'étoit  point  de  tuer  le 
Tome  111.  P 


342  Louis  XV. 

roi  (  ce  qu'il  auroit  fait  s'il  Tavoit  voulu)  , 
mais  seulement  de  le  blesser  pour  le  toucher 
et  le  portera  remettre  toutes  choses  en  places 
et  rétablir  la  tranquillité  dans  ses  états.  Il  fut 
impossible  d'arracher  l'aveu  et  le  nom  de 
quelques  complices ,  soit  qu'en  effet  il  n'en 
eût  point,  soit  que  le  fanatisme  donne  à 
celui  qu'il  égare  la  force  et  la  constance  de 
braver  les  tortures  et  de  s'élever  au-dessus  de  la 
foiblesse  humaine.  Ce  malheureux  expia  son 
atroce  folie  dans  des  supplices  dont  l'idés  fait 
frémir,  et  que  l'histoire  ne  doit  point  rap- 
porter. Nous  observerons  seulement  que  le 
parlement ,  qui  depuis  long-temps  étoit  assez 
mal  avec  le  roi ,  crut  faire  preuve  de  son  zèle 
dans  cette  circonstance ,  en  mettant  dans  le 
procès  du  régicide  une  recherche  de  cruauté, 
qui  fit  frissonner  le  roi  lui-même ,  qui  ne  put 
s'empêcher  de  s'écrier ,  à  la  lecture  de  l'arrêt; 
Ah  le  malheureux  !  pour  une  égratignure 
quil  nia  faite ,  //  va  bien  souffrir  ! 
Quelques  années  après  les  parlemens  se 
,  signalèrent  par  un  coup  d'autorité  qui ,  peu 

1764.  d'années  auparavant ,  eût  semblé  impratica- 
Jésuites  ble,  ou  du  moins  téméraire.  Le  corps  des 
jésuites ,  cette  mstitution  qui  a  tait  tant  de 
bien  et  tant  de  mal ,  qu'il  est  difficile  de  pro- 
noncer aujourd'hui  sur  le  danger  ou  l'utilité 
de  son  rétablissement  ;  ce  corps  si  long-^ 
t^ps  inabordable  à  Tautorité  publique ,  fut 


Louis  XV.  343 

solennellement  détruit   en  France ,  par  un 
arrct  du  parlement,  du  11  février  1764. 

Lh  banqueroute  du  pore  la  Valette  à  la 
Martinique,  fut  le  prétexte  dont  on  se  ser- 
vit :  mais  la  cause  véritable  étoit  Tinfiuenco 
prodigieuse  et  l'ascendant  que  les  jésuites 
prenoient  journellement ,  et  la  guerre  sur- 
tout qu'ils  avoient  déclarce  à  la  philosophie 
moderne. 

Fatigués  de  la  longue  guerre  qu'ils  venoient  1^ ^..  m 

de  faire  aux  Corses,  les  Génois  cédèrent  1768. 
cette  isle  à  la  France,  par  un  traité  signé  àg^^^^^jÇ^''"* 
Compiègne.  Mais  fiers  et  jaloux  de  leur  indé- 
pendance ,  et  soutenus  en  secret  par  l'Angle- 
terre ,  ks  Corses  défendirent  quelque  temps 
leur  liberté ,  contre  les  armes  de  la  France, 
Mais  tout  céda  au  génie  du  duc  de  Choiseul, 
alors  ministre  ,  et  la  Corse  fut  totalement 
subjuguée  Tannée  suivante. 

Louis  XV  mourut  à  Versailles ,  le  i  o  mai 
I  "74 ,  moins  chéri  et  moins  regretté  de  son 
peuple,  qu'il  ne  devoit  s'attendre  à  l'être. 
Mais  ks  troubles  et  les  désordres  des  derniè- 
res années  de  son  règne  avoient  afFoibli  l'in- 
térêt qu'il  inspiroitet  diminué  l'affection  de 
ses  sujets  ;  il  est  du  nombre  de  ceux  dont  on 
a  pu  dire  avec  une  douloureuse  vérité  ,  qu'il 
a  voit  trop  \écu. 


Dans  l'espace  de  ce  règne,  qui  a  duré     Progrés 
près  de  soixante  ans,  l'esprit  humain  a  fait humaltt,'^^* 

Pi 


344  Louis  XVI. 

des  progrès  dans  les  différentes  sciences.  Nous 
allons  emprunter ,  d'une  autre  plume  ,  de 
Voltaire ,  ce  morceau  qu'il  seroit  impossible 
de  mieux  traiter, 

a  Un  ordre  entier  (i)  aboli  par  la  puis-' 
»  sance  sécMllère  ,  la  discipline  de  quelques 
»  autres  ordres  reformée  par  cette  puissance  , 
»  les  divisions  mêmes  entre  toute  la  magis- 
»  trature  et  l'autorité  épiscopale,  ont  fait 
»  voir  combien  de  préjugés  se  sont  dissipés  , 
»  combien  la  science  du  gouvernement  s'est 
»  étendue ,  et  à  quel  point  les  esprits  se  sont 
»  éclairés.  Les  semences  de  cette  science 
»  utile  furent  jetées  dans  le  dernier  siècle  : 
»  elles  ont  germé  de  tous  côtés  dans  celui- 
»  ci  5  jusqu'au  fond  des  provinces ,  avec  la 
»  véritable  éloquence ,  qu'on  ne  connoissoit 
»  guères  qu'à  Paris ,  et  qui  tout  d'un  coup 
»  a  fleuri  dans  plusieurs  villes  ;  témoins  les 
»  discours  sortis  ou  du  parquet  ou  de  l'as- 
»  semblée  des  chambres  de  quelques  parle- 
»  mens  ;  discours  qui  sont  des  chefs-d'œu- 
»  vres  (2)  de  l'art  de  penser  et  de  s'exprimer, 
»  du  moins  à  beaucoup  d'égards.  Du  temps 
»  des  Daguesseau  ,  les  seuls  modèles 
»  étoient  dans  la  capitale,  et  encore  très- 
»  rares.  Une  raison  supérieure  s'est  fait  en- 


(1)  La  société  des  jésuites. 

(2)  Voyez  les  discours  de  MM.  de  Montclar  i 
d^la  Chalotois'jdQ  Castillon ,  àt Servant (ii  d'autrej^ 


Louis  XV.  345 

»  tendre  clans  nos  derniers  jours ,  du  pied 
»  des  Pyrénées  au  nord  de  la  France,  La 
»  philosophie ,  en  rendant  Tesprit  plus  juste  , 
»  et  en  bannissant  le  ridicule  d'une  parure 
»  recherchée ,  a  rendu  plus  d'une  province 
»  rémule  de  la  capitale. 

»  En  général,  le  barreau  a  mieux  connu 
»  cette  jurisprudence  universelle  ,  puisée 
»  dans  la  nature ,  qui  s'élève  au-dessus  de 
»  toutes  les  lois  de  convention  ou  de  simple 
»  autorité  ;  lois  souvent  dictées  par  les  ca- 
»  prices  ou  par  des  besoins  d'argent  ;  res- 
»  sources  dangereuses  plus  que  lois  utiles , 
»  qui  se  combattent  sans  cesse  ,  et  qui  for- 
»  ment  plutôt  un  chaos  qu'un  corps  de  lé- 
»  gislation. 

»  Les  académiciens  ont  rendu  service  en 
»  accoutumant  les  jeunes  gens  à  la  lecture  , 
»  et  en  excitant ,  par  des  prix ,  leur  génie 
»  avec  leur  émulation.  La  saine  physique  a 
»  éclairé  les  arts  nécessaires  ;  et  ces  arts  ont 
»  commencé  déjà  à  fermer  les  plaies  de  l'é- 
»  tat ,  causées  par  deux  guerres  funestes. 
»  Les  étoffes  se  sont  manufacturées  à  moins 
»  de  frais,  par  les  soins  d'un  des  plus  célè- 
»  bres  mécaniciens  (i).  Un  académicien  , 
»  encore  plus  utile  par  (2)  les  objets  qu'il 
»  embrasse,  a  perfectionné  beaucoup  l'a- 

(1)  M.   Vaucanson, 
(a)  M,  Duhamel, 


34^  Louis  XV. 

»  griculture ,  et  un  ministre  éclairé  a  rendu 
»  enfin  les  blés  exportables  ;  commerce 
»  nécessaire  ,  défendu  trop  long-temps ,  et 
»  qui  doit  être  contenu  peut-être  autant 
»  qu'encouragé. 

»  Un  autre  académicien  (  i  )  a  donné  le 
>f  moyen  le  plus  avantageux  de  fournir  à 
»  toutes  les  maisons  de  Paris  l'eau  qui  leur 
»  manque  ;  projet  qui  ne  peut  être  rejeté 
»  que  par  la  pauvreté  ,  ou  par  la  négligence, 
»  ou  par  Tavarice. 

»  Un  médecin  (i)  à  trouvé  enfin  le  se- 
>^  cret  ,  long-temps  cherché ,  de  rendre 
»  Teau  de  la  mer  potable.  Il  ne  s'agit  plus 
»  que  de  rendre  cetie  expérience  assez  facile 
»  pour  qu'on  en  puisse  profiter  en  tout 
»  temps  ,  sans  trop  de  frais. 

»  Si  quelque  convention  peut  suppléer  à 
»  h  connoissance  qui  nous  est  refusée  cks 
»  longitudes  sur  la  mer ,  c'est  celle  du  plus 
»  habile  horloger  de  France  (3)  qui  dispute 
»  cette  invention  à  l'Angleterre.  Mais  il 
»  faut  attendre  que  le  temps  mette  son  sceau 
»  à  toutes  ces  découvertes  :  il  n'en  est  pas 
»  d'une  invention  qui  peut  avoir  son  utilité 
»  et  ses  inconvéniens  ,  d'une  découverte  qui 
»  peut  être  contestée ,   d'une  opinion  qui 


(i)  M.  Deparcîeux» 

(2)  xM.  Poissonnier, 

(3)  M.  Leroî, 


Louis  XV.  347 

»  peut  ctre  combattue  ,  comme  de  ces 
»  grands  monumens  des  beaux  arts  en  poé- 
»  sie  »  en  éloquence ,  en  musique ,  en  ar- 
•^  chitecture,  en  sculpture,  en  peinture, 
qui  forcent  tout  d\ia  coup  le  suffrage  de 
»  tQutes  les  nations ,  et  qui  s'assurent  ceux 
-  de  la  postérité  par  un  éclat  que  rien  ne 
peut  obscurcir. 

»  Quant  au  célèbre  dépôt  des  connois- 
»  sances  humaines  ,  qui  a  paru  sous  le  titre 
>>  de  dictionnaire  encyclopédique  ;  c'est  une 
»  gloire  éternelle  pour  la  nation ,  que  àçs 
»  otnciers  de  guerre  sur  terre  et  sur  mer  , 
*>  d'anciens  magistrats ,    des  médecins  qui 
connoissent  la  nature,  de  vrais  doctes, 
r  quoique  docteurs  ,  des  hommes  de  lettres 
»  dont  le  goût  a  ratiné  les  connoissances , 
»  des  géomètres  ,  des  physiciens  aient  tous 
»  concouru  à  ce  travail  aussi  utile  que  pé- 
»  njble,  sans  aucune  vue  d'intérêt ,   sans 
»  même  rechercher  la  gloire,  puisque  plu- 
^>  sieurs  cachoient  leurs  noms  :  enfin ,  sans 
■!^>  être  ensemble  d'intelligence ,  et  par  con- 
SLquent  exempts  de  l'esprit  de  parti. 
»  Mais ,  ce  qui  est  encore  plus  honora- 
ble pour  la  patrie ,  c'est  que  dans  ce  re- 
cueil immense ,  le  bon  l'emporte  sur  le 
P  mauvais,  ce  qui  n'étoit  pas   encore  ar- 
»   rivé.  Les  persécutions  qu'il  a  essuyées  ne 
»  sont  pas  si  honorables  pour  la  France.  Ce 
2)   même  malheureux  esprit  de  formes ,  mêlé 


34S  Louis   XV. 

»  d'orgueil,  d'envie  et  d'ignorance,  qui 
»  fit  proscrire  l'imprimerie  du  temps  de 
»  Louis  XI  ^  les  spectacles  sous  le  grand 
S>  Henri  IV  ,  les  commencemens  de  la 
»  saine  philosophie  sous  Louis  XIII  ^ 
M  enfin  l'émëtique  et  l'inoculation  ;  ce 
»  même  esprit ,  dis-je  ,  ennemi  de  tout  ce 
»  qui  instruit ,  et  de  tout  ce  qui  s'élève , 
»  porta  des  coups  presque  mortels  à  cette 
»  mémorable  entreprise  :  il  est  parvenu 
»  même  à  la  rendre  moins  bonne  qu'elle 
»  n'auroit  été ,  en  lui  mettant  des  entraves 
»  dont  il  ne  faut  jamais  enchaîner  la  raison  ; 
»  car  on  ne  doit  réprimer  que  la  témérité  et 
»  non  la  sage  hardiesse ,  sans  laquelle  l'es- 
»  prit  h\iniain  ne  peut  faire  aucun  progrès. 
»  Il  est  certain  que  la  connoissance  de  la  na- 
»  ture ,  l'esprit  de  doute  sur  les  fables  an- 
»  ciennes ,  honorées  du  nom  d'histoires  ,  la 
»  saine  métaphysique ,  dégagée  des  im  per- 
»  tinences  de  l'école ,  sont  les  fruits  de  ce 
»  siècle ,  et  que  la  raison  s'est  perfectionn  ée. 
»  Il  est  vrai  que  toutes  les  tentatives  n'ont 
»  pas  été  heureuses.  Des  voyages  au  bout 
»  du  monde ,  pour  constater  une  vérité  que 
»  Newton  avoit  démontrée  dans  son  cabi- 
»  net,  ont  laissé  des  doutes  sur  l'exactitude 
»  des  mesures.  L'entreprise  du  fer  brut  , 
»  forgé  ou  converti  en  acier,  celle  de  faire 
»  éclore  des  animaux ,  à  la  manière  de  l'E- 
»  gypte ,  dans  des  climats  trop  différens  de 


Louis  XV.  349 

»  TEgy  pte ,  beaucoup  d'autres  efforts  pareils, 
»  ODt  tait  perdre  un  temps  précieux ,  et  ruiné 
»  même  quelques  familles.  Des  systèmes 
»  trop  hasardés  ont  déiiguré  cks  travaux  qui 
»  auroient  été  très-utiles.  On  s'est  fondé  sur 
»  des  expériences  trompeuses ,  pour  faire 
»  revivre  cette  ancienne  erreur ,  que  des 
»  animaux  pouvoient  naître  sans  germe. 

»  Qui  croiroit  que  des  géomètres  ont  été 
»  assez  extravagans  pour  imaginer  qu'en 
»  exaltant  son  âme  ,  on  pouvoit  voir  Tave- 
»  nir  comme  le  présent.  Plus  d'un  philoso- 
^  phe ,  comme  on  l'a  déjà  dit  ailleurs  ,  a 
»  voulu  ,  à  l'exemple  de  Descartes  ^  se 
»  mettre  à  la  place  de  DiEU  ,  et  créer  , 
»  comme  lui ,  un  monde  avec  la  parole  ; 
»  mais  bientôt  toutes  ces  folies  de  la  philo- 
»  Sophie  sont  réprouvées  des  sages  ;  et 
»  même  ces  édifices  fantastiques ,  détruits 
»  par  la  raison ,  laissent  dans  leurs  ruines 
»  des  matériaux  dont  la  raison  même  fait 
»  usage. 

»  Une  extravagance  pareille  a  infecté  la 
»  morale.  Il  s'est  trouvé  des  esprits  assez 
»  aveugles ,  pour  saper  tous  les  fondemens 
»  de  la  société,  en  croyant  la  réformer. 
»  On  a  été  assez  fou  pour  soutenir  que  le 
»  tien  et  le  mien  sont  des  crimes  ,  et  qu'on 
>>  ne  doit  point  jouir  de  son  travail  ;  que 
»  non  -  seulement  tous  les  hommes  sont 
».  égaux ,  mais  qu'ils  ont  perverti  l'ordre  de 


35©  Louis    XV. 

»  la  nature  ,  en  se  rassemblant;  que  Thom- 
»  me  est  né  pour  être  isolé  comme  une  béte 
»  farouche-^  que  ks  castors,  les  abeilles  et 
»  les  fourmis  dérangent  les  lois  éternelles  , 
»  en  vivant  en  république. 

»  Plus  d'un  abus  semblable  a  infecté  là 
»  littérature  ;  une  foule  d'écrivains  s'est 
»  égarée  dans  une  style  recherché,  vio- 
»  Itnt,  inintelligible,  ou  dans  la  négligence 
i>  totale  de  la  grammaire.  On  est  parvenu 
»  jusqu'à  rendre  Tacite  ridicule  :  on  a 
i>  beaucoup  écrit  dans  ce  siècle  ;  on  avoil 
»  du  génie  dans  l'autre.  La  langue  fut  portée 
»  sous  Louis  XIV  au  plus  haut  point  de 
»  perfection ,  dans  tous  hi  genres  ,  non  pas 
j->  en  employant  des  termes  nouveaux ,  inu- 
»  tiles ,  mais  en  se  servant  avec  art  de  toui 
»  les  mots  nécessaires  qui  étoient  en  usage* 
»  Il  est  à  craindre  aujourd'hui  que  cette 
»  belle  langue  ne  dégénère  par  cette  mal- 
»  heureuse  facilité  d'écrire ,  que  le  siècle 
»  passé  à  donné  aux  siècles  suivans  :  caries 
»  modèles  produisent  une  foule  d'imita- 
»  teurs  ,  et  ces  imitateurs  cherchent  tou- 
»  jours  à  mettre  en  paroles  ce  qui  leur  man- 
»  que  en  génie.  Ils  défigurent  le  langage, 
s>  ne  pouvant  l'embellir.  La  France  surtout 
»  s'étoit  distinguée  dans  le  beau  siècle  de 
»  Louis  XIV,  par  la  perfection  singulière 
»  khquàk Racine  éleva  le  théâtre,  et  par 
»   le  charme  de  la  parole  qu'il  porta  à  ua 


Louis   XV.  35i 

»  degré  d'élégance  et  de  pureté  inconnu 
»  jusqu'à  lui.  Cependant  on  applaudit  après 

-  lui  à  des  pièces  écrites  aussi  barbarement 
»  que  ridiculement  construites.... 

»   Mais  eniin ,  la  littérature ,  quoique  sou- 

-  vent  corrompue ,  occupe  presque  toute  la 
»  jeunesse  bien  élevée  ;  elle  se  répand  dans 
»  les  conditions  qui  l'ignoroient.  C'est  à 
»  elle  qu'on  doit  l'éloignement  des  débau- 
»  ches  grossières ,  et  la  conservation  de  la 
»  politesse  introduite  dans  la  nation  par 
V  Louis  XIV  et  par  sa  mère.  Cette  littéra- 
»  ture  utile  dans  toutes  les  conditions  de  la 
»  vie ,  console  même  des  calamités  publi- 
»  ques ,  en  arrêtant  sur  des  objets  agréa- 
»  blés ,  l'esprit  qui  seroit  trop  accablé  de  la 
^  contemplation  des  misères  humaines  » . 


Fin. 


Louis    X  V  I.  ZbS 


PRECIS 

D  U 
RÈGNE  DE  LOUIS  XVL 

Pur     Marie  -  Auguste    Amar 
DU    RiriER, 

L'histoire  peint  ',  la  postdriié  juge. 

PREMrERE  PARTIE. 

JLouiS  XV  terminoit  un  règne  de  soi-^^^^' '^l^!* 

1    •        •     >  •  rrance  a  la 

xnnte  ;ins;-etiaissou  a  son  )eane  succès- ^^ort  de 
St'ur  l'ius  d'un  siècle  de  maux  à  réparer.  LouisXVI, 
Blessé  profondément  ,  l'état  marchoit 
depuis  long-temps  à  sa  ruine,  et,  pareil 
à  ces  corps  que  miae  Sourdement  une 
plaie  invisible,  sa  dissolution  devcnoit 
de  jour  en  jour  plus  i;iévirable.  La  ma- 
rine détruite  ,  le  comme?  ce  anéanti,  L^s 
finances  f'puisjes  par  une  guerre  do.ible- 
ment  oné  eose  ;  une  soniino  de  pliis  de 
5oixante-dix  millious  dévorée  d'avance 
sur  les  revenus  de  l'état  ;  un  excédent 
d  j  vingt- deux  millions  de  la  dépense  sur 

Q 


.?ô6  Louis    X  V  l. 

la  recette;  toutes  les  ressources  épuifées 
en  apparence  ;  les  anciens  services  ou- 
bliés,  ou  laissés  sans  récompenses  5  les 
rentiers  tremblant  pour  leurs  capitaux, 
]e  décourasiement  dans  les  villes  comme 
dans  les  campagnes  ;  tel  est  le  tableau 
tristement  fidèle  qui  frappa  les  premiers 
regards  de  Louis  XVI ,  lors  de  son  avè- 
nement au  trône  de  Sc;s  pères.  Tant  de 
maux  échappoient  à  la  légèreté  natio- 
nale p  et  n'étoient  perfidement  calculés 
que  par  ceux  qui ,  dirigeant  depui*^  long- 
tems  tous  leurs  voeux  du  côté  d'une  ré- 
volution, fomentoient  à  la  fois  tous  les 
germes  de  discorde  qui  dévoient  enfin 
ramener^ 

Un  seul  homme  peut-être  gémissoit 
en  silence  ,  sur  l'état  de  son  pays  ,  et 
fornioit  des  vœux  sincères  pour  voir  For- 
drese  rétablir  dans  toutes  les  parties  de 
l'administration,  la  prospérité  ranimer 
toutes  les  branches  de  l'industrie  com- 
merciale, et  la  France  redevenir  enfin  ce" 
<]  u'elle  avoit  été  dans  les  beaux  jours  de  la 
monarchie:  cet  homme  éîoit Louis  XVI  ! 
Caracrère  Etranger  dans  tous  les  tems  aux  vices 
xVi  ^''""'^  ^^^  courtisans  ,  inacce^sibleà  leurs  flat- 
teries, et  formé  aux  vertus  et  aux  sciences 
par  un  père  digne  de  ce- te  tâche  hono- 
rable, Louis  avoit  contracté  de  bojine 
heure  cette  espèce  de  sévérité  de  moeurs 
qui  ne  sait  point  composer  avec  le  vice  , 


L  o  u  I  s    X  V  I.  357 

€t  qui  l'attaque  sans  ménagement ,  quel- 
que forme  quNl  emprunte.  Sa  franchise 
à  cet  égard  ^lloit  quelquefois  jusqu'à  la 
rudesse  (i,.  Il  ne  savoir  dissimuler  ,niîe 
mépris  que  lui  inspiroit  Timmoralité  de 
la  dernière  cour,  nil^intentioii  bien  for- 
melle où  il  étoit  d'opérer  une  réforme 
completteàcetégard.  Un  contraste  aussi 
frappant  ne  pouvoit  que  révolter  l'or- 
gueil et  aigrir  les  esprits  de  tous  ceux 
dont  il  étoit  la  censure  manifeste.  Les 
goûts  et  les  occupation?  du  prince  of- 
froient  un  prétexte  de  plus  à  la  njali- 
gnité  des  courtisans, et  ellel'avoit  saisi, 
pour  avilir  d'avance  aux  yeux  du  peu- 
ple ,  le  chef  de  la  nation,  ^    ^  ^ 

Ainsi  Louis  s  avança  au  trône  iran- lions. 
çois  précédé  dans  l'opinion  publique 
d'une  réputation  qui  ne  permettoit  pas 
de  brillantes  espérances  ;  et  telle  étoit  à 
son  sujet  la  force  du  préjugé  ,  que  ceux 
mêmes  qui  lui  supposoient  l'intention  , 
ne  lui  accordoitnt  pas  les  moyens  né- 
cessaires pour  faire  le  bien  de  son  peuple. 


(i)  Madame  Dubarri  avanr  sollicité  l'honneur  de 
sotiper  avec  madame  la  Dauphine,  le  Dauphin  se 
rendit  chez  le  Koi ,  ei  lui  dit  avec  une  noble  fer- 
meté :  Sire  ,  je  suis  dispose  à  dor.r  er  peisonnellemenî  à 
rotre  maieBe  toutes  les  marques  pessihles  de  soumission 
et  de  T€>peû  ;  mjs  il  est  de  mcn  inteièt  ainsi  que  de 
nwn  devoir  ^  de  ne  Lisser  apprvcher  de  AI  a  dame  ïj. 
Va  phiM  aucun  Kandcle  (  Vie  de  Louis  XVI  ) 

o» 


358  L  o  u  I  s    X  V  î. 

11  scmbloit  d'ailleurs  que  la  destinée  de 
ce  prince  eût  é\é,  dès  le  principe  ,  frap- 
pée d'un  caractère  sinistre  :  le  ciel  qui 
le  réservoit  à  de  si  douloureuses  épreu- 
ves ,  marqua,    depuis  le  berceau,  les 
époques  principales  de  sa  vie  par  quel- 
ques-uns de  ces  événemens  ,  qui ,  dus 
eh  apparence  au  seul  hazard  ,  n'en  lais- 
sent pas  moins  des  traces  profondes  dans 
l'esprit  du  peuple  ;  et  l'on  n'ignore  pas 
quelle  est  sur  le  vulgaire  l'influence  des 
présages.  A  peine  est-il  né,  que  le  cour- 
rier chargé  d'en  porter  la  nouvelle  à  la 
cour,  fait  une  cbûre  ,  dont  il  meurt  sur 
le  champ.  La  fête  que  donne  la  ville  de 
Paris  à  roccision  de  son  mariage  ,  coûte 
la  vie  à  phis  de  quinze  cents  specta- 
teurs. Cette  dernière  circonstance  ailii- 
gea  sensiblement  le  Dauphin ,  et  l'his- 
toire a  recueilli   avec  attend. issement 
la  lettre  qu'il  en  écrivit  sur  le  champ  au 
lieutenant  de  police  de  Paris.  Tai  ap- 
pris  les  malheurs  arrivés  à  mon  occasion; 
fen  suis  pcnétré-  Je  reçois  en  V  instant  ce 
que  le  roi  me  donne  tous  les  moispourmes 
menus  plaisirs  ;je  ne  puis  disposer  que  de 
cela,  jevous V envoie, secoure\  lesplus mal- 
heureux.  L'histoire  attestera  également 
qu'il  mit,  jusqu'à  la  mort  de  louis  XV, 
tous  ses  soins  à  effacer  le  souvenir  de 
ce  funeste  événement  par  mille  traits  de 
bienfaisance ,  qui  n'ont  pu  échapper  à' 


L  o  u  I  s    X  V  I.  339 

Poiibli,  malgré  les  précautions  qu'il  pre- 
noii  pour  les  HéroSer  k  la  connoissance 
da puh'ic.  VoïIh cepen-Jant  l'homme  que 
Sc*s  ennemis  ont  peiat  comme  un  tigre 
altéré  du  sa  ig  de  ses  sujets  ^  comme  un 
tyran  sans  cesse  armé  conire  eux.  Mais, 
bornés  au  récit  des  fai^s  ,  et  circonscrits 
d'ailleurs  dans  des  limites  étroites,  nous 
n'entreprendrons  point  ici  de  venger  la 
mémoire  deLoais  XVl,de  reproches  trop 
vils  pour  Tatteindre  ,  ettroj;  dépourvus 
de  vraisemblance  pour  trouver  dans  les 
nés  honnêtes  une  ombre  de  confiance. 

L'histoire  publiera  à  la  louange  de 
Louis  XVI,  que  si  jamais  prince  ne  prit 
les  rênes  d'un  empire  dans  des  circons- 
tances plus  pénibles,  et  sous  des  auspices 
moins  favorables  ,  jamais  prince  aussi  ne 
sentit  plus  vivement  quel  poids  immense 
de  responsabilité  alloit  reposer  sur  lui. 
Quand  il  fut  salué  roi  de  France  et  de 
Navarre  ;  il  joignit  les  mains  ,  et  levant 
au  ciel  ses  yeux  baignés  de  pleurs  ,  il 
s'écria  ;  ô mon  Dieu  !  a'idi\  mon  insuffi- 
sance !  comme  s'il  eût  pressenti ,  ajoute 
l'historien  de  sa  vie,  que  ses  facultés 
seroient accablées  de  l'hc^norable  fardeau 
dont  il  alloit  être  chargé. 

Le  premier  objet  qui  appela  la  solli- 
citude du  jeune  roi,  fut  l'érat  déplora- 
ble oîi  se  trouvoient  les  finances  ;  le  dé  - 
lir  et  l'espoir  de  les  restaurer  ne  s'cipi- 

Q3 


35o  Louis    XVI. 

gnèrent  jamais  un  moment  de  sa  pen- 
sée ;  c'éioit  l^ame  de  tous  ses  projets , 
le  but  de  toutes  ses  réformes  ,  le  sujet 
même  de  tous  ses  discoars-  Mais  le  mal 
étoit  déjà  trop  grand ,  et  rinsuffisance 
des  remèdes  se  faisoi.  sentir,  dès  qu'il 
s'agissoit  d'en  fairerapplicatioii.  Rien  de 
tout  Cela  n'échappoit  à  la  sagacité  du 
monarque ,  et  il  le  consigna  authenti- 
E^îf         quement  dans  le  préambule  de  son  pre- 
rant  remise  ni ier  édit ,  qui  avoit  pour  objet  la  re- 
du  droit  de  mise  du  droit  de  joyeux  avènement, 

»  il  a  plu  à  Dieu  de  nous  élever  ,  nous 
w  espérons  que  sa  bonté  soutiendra  no- 
«  ire  jeunesse  et  nous  guidera  dans  les 
^)  moyens  qui  pourront  rendre  nos  peu- 
>r  pies  heureux:  c'est  notre  premier  désir. 
nConnoissant  que  cetie  félicité  dépend 
p  priiicipalement  d'une  sage  adminis- 
r>  tration  des  finances  ,  parce  que  c^est 
w  elle  qui  détermine  un  des  rapports 
ries  plus  essentiels  entre  les  princes  et 
«les  sujets,  c'est  vers  cette  administra- 
n  tion  que  se  tourneront  nos  premiers 
w  soins  et  notre  première  étude. . . 

»  Après  avoir  pourvu  à  la  sûreté  des 
«créanciers  de  l'état,  et  consacré  les 
«  principes  de  justice  qui  feront  la  base 
«de  notre  règne,  nous  devons  nous 
M  occuper  de  soulager  nos  peuples  dt| 
«  poids  des  impositions  i  nous  ne  pour- 


L  o  D  I  s    X  V  ï.^  36i 

»  vons  y  parvenir  que  par  Tordre  et 
»  Técr^nomie. . .. 

*  Il  est  des  dépenses  nécessaires  qu'il 
w  fa.it  c  >ncilier  avec  la  sûreté  de  nos 
»  étais  ;  il  en  est  qui  dérivent  de  libé- 
9  ralités  peut  être  susceptibles  de  mo- 
y  dération....  Il  en  est  enfin  qui  tien- 
»  nent  à  notre  personne  et  au  faste  de 
»  notre  cour.  Sur  celles-là  ,  nous  pour- 
y>  rons  suivre  plus  promptement  ks 
î>  mouvemens  de  notre  cœur,  et  nous 
V  nous  occupons  déjà  des  moyens  de 
»  les  réduire  à  des  bornes  convenables. 
»  De  tels  sacrifices  ne  nous  coûteront 
w  rien  »  dès  qu'ils  pourront  tourner  au 
«  soulagement  de  nos  S'>j«ts.  Leur  bon- 
ty  heur  fera  notre  gloire  ,  et  le  bien  que 
»  nous  pourrons  leur  faire  sera  la  plus 
»  douce  récompense  de  nos  travaux. 
»  Voulant  que  cet  édit ,  le  premier 
y  émané  de  notre  autorité,  porte  l'em- 
»  preinte  de  ces  dispositions  ,  et  soit 
»  comme  le  gage  de  nos  intentions,  nous 
»  nous  proposons  de  dispenser  nos  su- 
»  jets  du  droit  qui  nous  est  dû  à  caus^ 
»  de  notre  avènement  à  la  couronne  v>. 

Ainsi  le  premier  acte  d'autorité  de 
Louis  XVI  fut  un  acte  de  bienfaifance, 
et  un  sûr  garant  de  ses  intentions  pouc 
le  bonheur  de  ses  peuples.  Mais  c'étoit 
peu  d'en  énoncer  le  désir  :  il  falloit  son- 

Q4 


362  L  o  u  I  s    X  V  I. 

ger  aux  moyer.s  d'exécution,  et  le  roi 
s'en  occupa  sur  le  champ. 
Miniptrss     Les  diveiScS  parties  de  l'administra- 

sous  Louis  tioii  exigeoieut  une  prompte  réforme.  Le 
ministère  desfiiance^  s.]  rioutétoitdepuis 
long-tems  la  proie  d'hommes  ineptes  ou 
bassement  avides,  qui  créa  soient  da- 
vantage de  jour  en  jaur  le  gouifre  qui  a 
fui i  par  les  engloutir.  Constamment  oc- 
cupé di  ce  qui  pounoit  an':éliorer  le 
sort  de  ses  sujets  et  réparer  les  maux 
de  l'état ,  h  nouveau  monarque  ne  con^ 
SU! ta  ,  dans  le  choix  de  ses  ministres  , 
que  ropinion  générale,  et  rinjustieelui 
fit  bientôt  un  crime  de  cette  déférence 
à  ce  qu'il  croyoit  le  vœu  de  son  peuple* 
La  secte    des   économistes  lui  indiqua 

Turgor.  'l'ur^ot  ^  pour  contrôleur  des  finances  ;, 
Turgot  5  Tami  et  le  protecfleur  secret  de 
tout  le  pani  philosophe  :  (i)  Turgot  , 
qui ,  déjà  en  révolte  indirecte   avec  le 


(f)  DaJembert  écrivoit  à  Voltaire; 
»  Vû)U^  aiirez  blen^ôr  une  visite  dont  je  vous  préviensî 
»  c'esrcelie  de  M.  Turbot,  maître  des  requêtes ,  plein 
»  de  pbiîosopliie  ,  de  lumières  ,  de  connoissances ,  et 
»  fjr  de  mes  amis  ,  qui  veut  vous  voir  en  bonne for^ 
»  Tune  Je  dis  en  bonne  r"  tune,  car  propter  metus 
y  judcrorum  ,  il  ne  faut  p  '  qu'il  s'en  vanie  trop  ni 
»  vous  non  plu>  y>.  (  tS.y  letr.  en  1760.  ) 
Voltaire  vit  Tur^jot  y  et  répondit; 

V  Si  vous  avez  plusieurs  maîtres  de  cette  espèce 
»  dans  votre  sece,  je  tren^ble  pour  Vinfàme  ,  (  c'esr- 
»  à-di  e,  pour  la  re4!gion  )  ;  elle  est  perdue  pour  la 
»  bonne  compagnie  »•  (77me.  lettre.  ) 


L  o  u  I  s    X  V  I.  S63 

uvernement ,  n'avoit  dans  fon  înten- 
ice  de  Languedoc ,  aboli  K  s  corvées  , 
et  fait  d'autres  actes  de  bienfaisance 
philosophique  ,  que  pour  s'établir  ùnè 
réparation  de  popularité  et  de  philàntro- 
pie  qui  devoit  le  conduire  à  Son  but  ;  et 
ce  but  étoit  si  marqué,  si  connu  d'a- 
yance,  que  Fb/rj/>e regarde  quelque  part 
ï'appel  de  Turgot  au  nlinist^re  ,  comme 
ie  commencement  d'une  grande  révolu- 
tion, hvx\vé  à  ce  poste  brillant  par  tou- 
tes les  intrigues  delà  secte,  Turgot  ne 
"tarda  pas  à  abuser  delà  facilité  du  jeune 
monarque,  toujours  aisément  séduii:  , 
quand  onlui  faisoit  entrevoirlebonhear 
du  peuple-  Les  innovations  du  ministre 
"portoient  un  caractère  auquel  il  étoit 
facile  de  se  méprendre  ;  et  le  bon  cœur 
de  Louis  XVI ,  cédoit  trop  volontiers 
peut-être  à  l'apparence  du  bien.  Mais 
Texpériencene  tarda  pas  h  le  détromper, 
et  il  fallut  bien  se  résoudre  à  renvoyer 
un  ministre,  disgracié  trop  tôt  au  gré 
des  philosophes  ,  et  trop  tard  pour  ie 
bonhear  de  la  France  et  le  salut  de  son 

'•  Appelé  de  son  ambassade  de  Suède  Vergennes. 
au  ministère  ài^s  affaires  étrangères  , 
V'ergennesne  justi  fia  qu'enpanie  le  choix 
du  roi.  C*est  à  lui  qu'est  dû  le  fameux 
traité  de  commerce  entre  la  France  et 
'''\ngleterre^  traité  qui  eût  pu  devenir 

Qi 


B64  L  o  u  I  s    X  V  r. 

pour  notre  patrie  unt  source  féconde 
de  prospérité,  et  qui,  par  Fimprévoyan- 
ce  du  ministre,  nous  devint  beaucoup 
plus  funeste  qu'avantageux. 
Sartmes»  Un  Seul  homme  travailla  réellement , 
pendant  son  ministère ,  à  la  gloire  de 
son  pays  et  h  celle  de  son  maître  :  ce 
fut  M.  de  Sartines.  Elevé  de  la  police 
de  Paris  ,  au  ministère  de  la  marine,  il 
y  porta  son  esprit  d'ordre  et  de  détails  ; 
et,  dans  l'espace  de  deux  années,  la 
France  qui  avoit  perdu  sa  marine ,  comp* 
ta  soixante-sept  vaisseaux  de  ligne,  qua- 
rante-neuf frégates;  huit  chébecs,  seize 
corvettes  ,  et  soixante  autres  petits  bâ- 
timens.  Il  n'est  pas  inutile  d'observer 
que  cette  création  qui  tenoit  du  prodi- 
ge ,  ne  coûta  pas  à  la  nation  le  plus  lé- 
ger impôt.  Mais ,  cette  exception  faite  > 
il  sembloit  que  tout  se  liguât  d'avance 
contre  le  malheureux  Louis  XVI ,  que 
sa  perte  fut  jurée  dès  le  moment  qu'il 
monta  sur  le  trône,  et  que  tout  ce  qui 
l'environnoit  y  dût  contribuer  d'une 
manière  quelconque. 
Sf.  Ger-  Tandis  que  le  ministre  chargé  desur- 
"^*"'  veiller  lalibrairielaissoitimpruxiemment 
circuler  des  écrits  où  la  licence  sappoit 
également  et  le  trôneetl'a;:tel,  M.dé  St. 
Germain  exaspéroit  le  militaire,  aliénoit 
du  monarque  les  cœurs  de  ses  soldats  par 
des  léforines  sévères,  par  une  discipline 


Louis  X  V  I.  ^  3/56 
rivlicalement  exagérfe ,  et  préparoît  la 
chute  de  son  maître  ,  en  supprimant 
presque  tous  les  corps  quicouiposoient 
la  m?ison  da  roi. 

Tels  sont  les  principaux  ministres  qui 
ont  goîiverné  sous  Louis  XVI  ;  et  si  par 
rimpéritie  des  uns  ou  par  la  négligence 
des  autres  la  prospérité  de  Térat  n'a  pas 
été  aussi  grande  qu'elle  auroit  pu  le 
devenir,  il  n'y  en  auroit  pas  moins  d'in- 
justice à  reprocher  à  la  mémoire  du  roi 
des  choix  ,  qui ,  à  Texception  d'un  seul , 
M.  de  Meaurepas,  lui  étoient  indiqués 
par  la  voix  publique  ou  par  quelque 
homme  di^ne  de  sa  confiance  et  de  son 
estime. 

Ttlle  étoit  cependant  la  majesté  de  la   ^    Guerre 
nation  Françoise  et  son  influencepolitique  ^'•^"^•'«i^e 
au-dehors  ,  qu'elle  y  jouissoit  toujours 
d'une  considération,  que  la  guerre  d'A- 
mérique ne  fît  qu'augmenter  encore. 

La  guerre  avec  la  France  étolt  à  peine 
terminée,  que  l'Angleterre  sentit  tout  le 
poids  de  sa  dette  nationale  :  elle  se 
montoit  à  cent  cinquanre  raillions  de  li- 
vres sterlings.  Pour  combler  ce  vuide 
effrayant,  on  eut  recours  aux  impôts  ,  et 
tout  ce  qui  fut  susceptible  d'enrecevoir^ 
fut  taxé,  jusqu'aux  fenêtres  et  auxdés 
à  jouer.  Le  parlement  rendit  un  Bill , 
en  vertu  duquel  les  colonies  am.éiicaï- 

Q5 


M6  L  o  c  I  s    X  V  r. 

nés  dévoient  être  chargées  d'une  partie 
de  cette  dette'.  Juste  d2ns  son  principe, 
le  Bill  ne  Pétoit  pas  dans  son  applica- 
tion. Les  colonies  faisant  partie  de  l'em- 
pire britannique,  les  dépenses  occasion- 
nées par  elles  entroient  nécessairement 
dans  la  dette  nationale  :  mais  ces  mê- 
mes colonies  n'ayant  aucune  part  dans 
la  représentation  nationale, n'avoient été 
pour  rien  dans  les  résolutions  malheu- 
reuses quiavoient  accumulé  la  dette  et 
grossi  le  déficit. 

Le  Bill  du  parlement  ne  pouvoit  donc 
être  que  fort  mal  accueilli  j  et  la  pro- 
vince de  Massachus  :t  fut  la  première  à 
en  témoigner  son  mécontentement.  Le 
Bill  sur  le  timbre  souleva  la  ville  de 
Boston  i  qui  arrêta,  dans  une  assemblée 
générale  de  la  province,  qu^il  seroit  lé- 
gal,  nonobstant  Tacte  du  parlement, 
de  contracter  sur  papier  or-iinaire.NeW- 
Yoi  k  et  Philadelphie  suivirent  l'exem- 
ple de  Boston  ,  et  votèrent  ,  comme 
elle ,  le  rejet  d?  tou^  ce  qui  leur  vien- 
droit  de  la  métropole,  tant  que  ce  bilî 
ne  seroit  point  retiré.  Tour  le  commerce 
anglois  frémit  le  cette  résolution,  etTacte 
du  timbre  fut  révoqué  par  un  autre, 
dont  le  préaniDuie  injurieux  ne  pouvoit 
qu'aiou'er  à  la  fermentation.  Il  portoit 
que  robjet  de  ce  dtrnier  étoit  de  mieux 
assurer  au  roi  et  au  parlement  la  dé- 


louis    X  V  T.  36/ 

,    riclancedes  domaines  britanniques  eit 
Amérique 

Cependant  le  mécontentement  aug- 
menoit,  et  les  mesures  de  rigueur  em- 

{îloyé^^s  {  our  le  réprimer  produisirent 
eur  efFer  naturel,  qui  étoit  d'aigrir  les 
esprits  au  lieu  de  les  calmer.  Bientôt  les 
progrès  de  l'insurrection  ne  furent  plus 
susceptibles  d'êire  arrêtés:  l'esprit  qui 
Tavoit  fait  naître  et  qui  la  dirigeoit  se 
propagea  dans  toutes  les  co'onies  ,  la 
révolution  s*y  manifesta  sous  des  formes 
alarmantes  ,  et  le  gouvernement  bri- 
tannique réduit  à  employer  la  force  , 
faisoit  par  cela  même  l'aveu  de  l'impuis- 
sance des  antres  moyens. 

Charles-Town  ,  Philadelphie  ,  NeW- 
Yurk  et  Boston  surtout  ,  devinrent  le 
théâtre  fréquent  de  ces  émeutes  popu- 
laires,dont  il  est  rarement  permis  d'ar- 
rêter, ou  possible  de  calculer  les  suites. 
Ici  des  régimens  entiers  furent  écrasés  ; 
là  ,  des  approvisionnemens  furent  brû- 
lés publiquement  ou  jeiés  à  la  mer  par 
la  populace  en  fureur.  Plus  loin  ,  des 
gouverneurs  de  places  furent  pendus  en 
efÏÏi^ie  ,  ou  personnellement  insultés  : 
ailleurs,  des  forts  furent  enlevés  à  maia 
armée,  par  tout  enfm  le  peuple  Juridi- 
quement soulevé  contre  l'autorité  légiti- 
me, se  permit  ces  forfaits  politiques  ,  ces 
vengeances  nationales  qui  ne  furent  que 


368  L  o  u  I  s     X  V  î. 

le  prélude  et  le  modèle ,  trop  fidèle- 
ment suivi,  de  celles  dont  la  France 
gémit  bientôt  après ,  et  saignera  encore 
long-tems. 

L'histoire  dira  cependant  en  faveur 
des  Américains  que  si  leur  révolution 
fut  souillée  dans  le  principe  par  des  cri- 
mes toujours  inexcusables^ la  justice  du 
moins  étoit  de  leur  côté,  et  l'oppres- 
sion du  cô.é  de  leur  gouveruemeat.  Tels 
furent  fans  doute  les  motifs  qui  déter- 
minèrent i'équité  de  Louis  XVI  à  proté- 
ger une  insurrection  oîi  il  ne  voyoit  que 
le  droit  des  nations  à  soutenir.  On  ne  ces- 
soit  d'ailleurs  de  remettre  sous  ses  ytux 
l'iniquité  du  gouvernement  anglois  ,  son 
esprit  d'oppression,  deperfrdie  etd\)r- 
gueil  :  on  lui  rappeloit  surtout  comment 
dans  la  dernière  guerre  ,  au  sein  d'une 
paix  profonde,  sans  aucune provocati an 
de  notre  part,  avant  aucune  déclara- 
tion de  guerre  ,  ils  avoient  capturé  cinq 
cens  de  nos  vasiseau^i ,  et  récemment  en- 
core insulté  dans  l'Inde  le  pavif  on  Fran- 
çois. Tout  se  réunissoit  donc  pour  lui 
faire  croire  qu'il  étoit  de  la  prudence 
comme  de  la  politique  de  profiter  de  îa 
crise  actuelle,  pour  porter  un  coup  dé- 
cisif à  la  marine  de  ce  peuple  qui  se  dit 
insolemment  le  roi  des  mers,  et  qui  n'en 
est  que  le  tyran.  Attentive  à  tous  les 
mouvement  du  cabinet  de  Versailles, 


L  o  u  I  s-    X  V  î.  Z6cp 

l'Angleterre  s'attendoit  à  une  rupture 
prochaîne ,  et  elle  fat  inévitable ,  quand 
Louis  XVI  reconnut  Tindépendance  des 
Américains.  Il  signa  avec  eux  un  traité 
de  paix  et  de  commerce,  le  20  mars  1778; 
et  le  19  juillet  suivant,  la  guerre  fut 
déclarée  à  l'Angleterre. 

Cependant  cette  guerre, si  irapolitique 
dans  son  objet  et  si  funeste  par  ses  con- 
féquences,  ne  fut  pas  sans  éclat  pour  la 
nation  françoise.  SufFren  ,  dans  l'Inde, 
d'Efttaing  ,  Vaudreuil ,  Guichen,  La- 
motte-Piquet  et  d'Orvilliers  ,  dans  les 
mers  d'Amérique ,  firent  plus  d'une 
fois  triompher  notre  marine  ,  dont  la 
gloire  s'étoit  sensiblement  affoiblie  dans 
la  guerre  précédente.  Mais  les  succès  fu- 
rent balancés  ,  les  pertes  réelles  de  part 
et  d'autre  ,  et  le  résultat  d'une  guerre 
de  cinq  ans  futjpour  les  Anglois,  la  perte 
de  leurs  colonies  d' Amériqc  e ,  et  pour  les 
François,  celledeleiirséîablissemens  aux 
Indes  Orientales.  Les  finances  des  deux 
peuples  se  trouvèrent  également  épuisées 
et  leur  dette  nationale  respectivement 
augmentée.  Mais  le  malle  plus  réel  que 
nous  ait  fait  cette  guerre,  c'est  le  ressen- 
timent profond  qu'en  garda  contre  nous 
le  gouvernement  Anglois  ,  ressentiment 
qui  ne  tarda  pas  à  éclater ,  et  que  les 
circonstances  ne  favorisèrent  que  trop* 

Dès  que  les  premiers  germes  de  l'iiv- 


370  L  o  u  I  s    X  V  î. 

Siirrection  coaimencèrent  à  se  dévelop- 
per en  France  3  l'Angleteire  saisit  avec 
une  joie  barbare  l'occasion  de  se  ven- 
ger ;  et ,  protégeant  à  son  tour  des  su- 
jets en  révolte  ouverte  contre  leur  sou- 
verain ,  elle  attisa  tous  les  feux  de  la 
discorde ,  interdit  ou  paralysa  tous  les 
moyens  de  rapprochement  encre  le  mo- 
narqueetson  peuple,  et  sourit  d'avance 
à  l'idée  cruelle  de  voir  marcher  à  Técha- 
faud  le  malheureux  prince  qai  avoit 
prêté  un  appui  imprudent  à  ses  colonies 
rebelles. 

Cette  faute  (  et  c'en  est  une  que  la 
sévérité  de  l'histoire  ne  doit  pas  dissi- 
muler) a  creusé  l'abîne  ou  Louis  est 
tombé ,  en  y  entraînari'  s  ir  ses  pas  une 
foule  innombrable  de  ses  sujets  ;  mal- 
heur qu'il  eût  évité,  s'il  s'en  fût  tenu 
à  la  réponse  de  Joseph  II,  qui ,  consulté 
par  Louis  XVI  sur  le  paiti  qu'il  devoit 
prendre  dans  cette  occasion,  lui  répondit 
que  le  métier  d^un  roi  etoit  d*  être  royaliste, 
Âlais  il  y  avoit ,  nous  le  répétons  en- 
core, une  fatahté  tellement  attachée  â 
toutes  les  actions  de  ce  prince,  qu'avec 
les  intentions  les  plus  pures,  il  n'a  pres- 
que jamais  travaillé  qu'à  son  malheur 
et  à  celui  de  tous  ceux  dont  il  désiroit 

Aflàire  de  si  sincèrement  la  félicité. 

Hoiande.       La  France  respiroit  à  peine  de  la  guerre 
d'Amérique,  que,  fidèle  à  son  plan  de 


L  o  u  I  s    X  V  I.  371 

rengeance ,  l'Angleicrre  ne  songea  plus 
q  l'aux  moyens  de  le  réaliser.  Redouta- 
ble par  elle-mêiue  ,  par  la  nature  et  l'a- 
bondance de  ses  ressources,  la  France 
1  étoit  encore  par  ses  alliés  :  TAne^leterre 
épia  l'occasion  de  semer  la  mésintelli- 
gence et  d'amener  enhn  des  ruptures 
éclatantes  er^ire  elle  et  les  puissances 
alliées.  Cette  occasion  ne  tarda  pas  à 
s'oifrir  :  la  Hollande  et  l'empereur  la 
lui  fournirent,  au  sujet  de  la  naviga- 
tion de  l'Escaut ,  également  réclamée 
par  ks  deux  puissances.  La  maison 
d'Autriche  fondoit  ses  réclamations  sur 
ce  que  ce  fleuve  sert  de  limites  à  diffé- 
rentes parties  des  deux  territoires.  La 
Hollande  alléguoit  la  foi  des  traités  , 
une  jouissance  non  interrompue,  et  la 
sûreté  de  ses  frontières  qu'elle  craignoit 
de  voir  compromise  ;  et  quoique  le  roi 
de  Fiance  fût  beau-frère  de  l'empereur  , 
elle  attendoit  de  sa  justice?  qu'il  interpo- 
seroit  sa  médiation  ,  et  lui  prêteroit 
même,  s'il  étoit  nécessaire,  l'appui  de 
ses  armes  ,  pour  défendre  ses  droits. 
Cette  demande  étoit  juste,  et  Louis  XVI 
ne  pouvoit  s'y  refuser.  Mais  ,  lié  par 
sa  pirole,  il  avoit  solemnellement  pro- 
mis à  l'empereur  de  ne  se  point  oppo- 
ser à  sa  réclamation,  à  condition  toute 
fois  qu'il  ne  prendroit  aucune  part  direc- 
te ni  indirecte  à  la  guerre  d'Amériquew 


372  L  o  u  I  S    X  V  I. 

L'empereur  avoit  tenu  parole  >  et  avoît 
gardé  la  plus  exacte  neutralité,  mal- 
gré les  pressantes  sollicitations  du  duc 
d'Yorck  qui  avoit  Fait  à  ce  sujet  le  voya- 
ge de  Bruxelles.  Le  roi  de  France  se 
voyoit  donc  placé  dans  la  fâcheuse  alter- 
native ou  d'abandonner  ses  anciens  et 
fidèles  alliés  les  HoUandois,  ou  de  man- 
quer à  sa  parole.  Dans  les  deux  cas  ,  la 
guerre  étoit  inévitable ,  et  c'est  ce  qu'es- 
péroit  l'Angleterre,  Mais  la  sagesse  de 
Louis  déjoua  ses  espérances.  Sa  conduite 
fut  ce  qu'elle  devoit  être  dans  de  pa- 
reilles circonstances.  Il  se  rendir  média- 
teur ,  engagea  les  deux  parties  à  faire  des 
sacrifices:  l'empereur  aban  donna  ses  pré- 
tentions ,  les  HoUandois  lui  donnèrent 
de  l'argent ,  et  Louis  XVI  paya  une 
partie  de  la  somme  convenue.  Ainsi 
cette  conduite  politique  fit  un  égal  hon- 
neur aux  deux  princes,  et  devoit  rete- 
nir les  HoUandois  dans  notre  alliance  ; 
mais  la  haine  jalouse  de  l'Angleterre  et  le 
destin  de  la  France  en  avoient  autrement 
ordonné. 
Jnvasloii  de  Trompé  une  fois  dans  ses  vues  à  Pégard 
laHolUnde.^g  la  Hollande,  le  cabinet  britannique 
ne  rabattit  cependant  rien  de  ses  espé- 
rances ,  et  n'en  travailla  qu'avec  une 
nouvelle  ardeur  à  les  réaliser.  Pour  re- 
connoître  ,  et  payer  à  sa  manière  l'inac- 
tion à  lacjuelle  le  Stathouder  avoit  CQU^ 


L  o  u  I  s    X  V  î.  573 

damné  la  marine  hollandoise  pendant 
la  guerre  d*  Amérique,  l'Angleterre  trou-  \^ 
va  le  moyen  d'intére^-ser  la  Presse  à 
former  avec  elle  et  la  Hollande  une  tri- 
ple alliance  ofieiisive  et  défensive.  Pour 
y  parvenir  ,  le  duc  de  Brunswick  parut 
tout-àcoiip  sur  les  frontières  de  la  Hol- 
lande ,  à  la  tête  des  troupes  prussiennes, 
et  avec  un  appareil  menaçant.  Le  devoir 
et  Tintérêt  de  la  France  étoir  de  s'oppo- 
ser à  cette  invasion  ;  mais  Tépuifement 
de  ses  finances  ne  lui  permit  que  des 
vœux,  et  le  duc  de  Brunswick,  fidèle- 
ment instruit  que  le  camp  françois  indi- 
qué auprès  de  Valencienaes  n'existoit 
que  dans  les  gazettes  ,se  présenta  bien- 
tôt aux  portes  d'Amsterdam,  qui  lui  fu- 
rent ouvertes  sans  résistance.  La  triple 
alliance  projetée  fut  une  conséquence 
naturelle  de  cette  mesure  de  circons- 
tance. Ainsi  la  France  eut  la  douleur  de 
voir  passer  du  côié  de  son  ancienne  enne- 
mie, un  deses  plus  fidèlesaîliés;  et  la  con- 
sidération dont  ellejouissoit  au-dehors , 
une  fois  ébranlée  ,  ne  fit  plus  que  dimi- 
nuer insensiblement  de  jour  en  jour.  o 

Il  lui  restoit  cependant  encore  des  res-avecla  Ru$. 
sources  et  des  alliés  puissans.  A  la  fa-sie    er    la 
veur  d'un  traité  heureusement   niénagé ^^^^^ç*   ^'^' 
entre  la  Russie  et  la  Porte  Ottomane  ,  son 
commerce  tleurissoit  dans  les  échelles  du 


3/4  L  o  VI  s    X  V  I. 

Levant.  Ce  restede  prospérité  commer* 
claie  importunoit  TAngleterre  ,  qui  en- 
treprit dès  lois  de  compromettre  et  de 
brouiller  le  gouvernement  françois  avec 
la  Porte  ou  la  Russie.  Le  succès  passa 
ses  espérances  ;  les  Russes  nous  retirè- 
rent leur  amitié  ,  les  Turcs  leur  appui  ; 
et  l'Europe  entière  resta  convaincv^e 
de  notre  impuissance  ou  de  notre  foi- 
blesse. 
Conspira-  Tandis  que  par  les  intrigues  de  Lon- 
tion  d'Or-dres,  la  France  perdoit  son  crédit  au- 
leans.  dehors  et  la  protection  de  presque  tors 
ses  alliés ,  Un  parti  formidable  s'élevoit 
dans  le  sein  même  du  royaume  ,  moins 
contre  la  monarchie  elle-même,  que 
contre  le  monarque  infortuné,  dontl*in- 
concevable  bonté  grossit  le  nombre  et 
encouragea  PeSjîoir  coupable  des  conspi- 
rateurs. L'impulsion  une  fois  donnée, 
la  marche  des  événemens  est  devenue 
si  rapide,  qu'elle  a  entraîné  plus  loin 
qu'ils  ne  le  désiroient  eux-mêmes  ^  ceux 
qui  avoient  donné  le  signal  du  soulève- 
ment ;  et  la  machine  révolutionnaire  , 
une  fois  mise  en  mouvement  a  écrasé 
les  premiers  ceux  qui  se  flattoient  de  la 
diriger  à  leur  gré. 

A  la  tête  de  cette  faction  usurpatrice, 
Porrrair  ^ugg  tiouvoit  un  de  ces  hommes   que  la 

eue     d  Ur-  -,  ,  c  \  r   • 

i<^dns.        nature  semble  enianter  quelquefois  pour 


L  o  u  1  s     X  V  I.  3;5 

[iire  croire  au  génie  du  mal  ;  nn  homme 
i  ;  rofonde-nent  pervers  ,  quc l'histoire, 
)o  ir  le  peindre,  rassemblera  en  vain  sur 
u    les  traits  principaux  des  ^r..nJs  cou- 
îaMes    qu'elle  a  ju^^és  ,   et  qu'elle  sera 
)hlirée  de  créer  dfS  termes    nouveaux 
>our  carac  ériser   un    genre    nouveau 
le   <^célératfsse.  Comptable   à  la  posté-. 
rite  de  tout  lesan^  qu'a  versé  larevolu- 
:ion  :   personnellement  souillé    de  tous 
es  <-!ttentats  qui  Pont  avilie  aux  yeux,  de 
'univers  ,  sujet  rebelle  ,  fils  dénaturé > 
nauvais    père  ,  le  prodige    du  vice  , 
:omme  son  épouse  l'étoit  de  la  vertu  ; 
îssez  méchant  pour  concevoir  tous  les 
crimes,  et  trop  lâche  pour  en  exécuter 
par  lui-même  aucun  :  de  loin,  il  dévo- 
roitsa  proi,?  avec  la  joie  féroce  du  tigre, 
H  pâlissoit  en  sa  présence  :  monstre  en- 
fin ,  dont  aucune  ombre  de  vertu  nera- 
chetoit  les  vices  multipliés  :  telfutLouis- 
Phi lippe-Joseph  d'Orléans. 
Voilà  l'homme  cependant  qui  conçut  c^^n^ri^,^ 

I  •       1         1-1  \  \  Ml    )      r        1  oesprc>)ci5. 

le  projet  hardi  de  tramera  1  echaraud  un 
roi  puissant,  aimé  de  ses  sujets  et  di- 
gne de  leur  amour  :  Voilà  l'homme  qui 
aspiroit  à  régner  sur  la  France  y  et  qui, 
pojr  y  parvenir,  couvrit  cette  même 
France  de  crimes ,  d*incendies  et  de  car- 
nage. 

Premier  prince  du  sang  des  Bourbons , 
cetitreétoit assez  poux  sa  gloire,  et  de^ 


37<5  L  o  u  I  s    X  V  t, 

voit  suffire  à  son  ambition  ;  et  peut- 
être  son  ame  naturellement  abjecte   ne 
se  fut  jamais  éWvée  jusqu'à  l'idée  de  ré- 
gner ,  si  la  soif  de  la   vengeance  ,   plus 
forte  encore  en  lui  que  l'ambition,  ne 
l'eût  aveuglé  sur  le  nombre  ,  la  nature 
des  obstacles  ,   et  rmipuissance  de  ses 
moyens.  Mais  dès  l'instant  que  le  ser- 
ment affreux  de  perdre  Louis  XVI  fut 
sorti  de  cette  ame  atroce ,  il  ne  calcula 
plus  rien  ,  ne  vit  plus  que  son  projet ,  et 
y  sacrifia  sans   relâclie  comme  sans  re- 
mords ,  son  honneur,  sa  fortune  et  sa  vie 
enfin,  qui  lui  fut  arrachée  parses  propres 
complices ,  quand  ils  n'eurent  plus  be- 
soin de  lui,  ou  qu'ils  s'en  crurent  trahis. 
Motifs  de     9^  ^?^^  remonter  la  cause  de  cette 
fi  haine,    haine  si  profondément  jurée  et  si  acti- 
vement servie  ,  au  refus   de  la  charge 
de  grand-amiral  de  France,  dont  le  duc 
espéroit  la  Survivance.  Ce   n'étoit  pas 
sans  doute  sur  sa  bravoure  qu^il  fondoit 
ses  prétentions  -^ce  grade.  Sa  conduite  à 
l'affaire  d'Ouëssant  n'étoit  plus  un  mys- 
tère pour  le  public  ;  on  sa  voit  qu'il  y 
avoit  montré   une  lâcheté  qui  eût  dés'\ 
honoré  le  dernier  des  matelots  ,  et   les 
François  se  vengeuient  par  des  huécS  , 
et  par  des  sarcasmes  du  moment  d'esti- 
me qu'il  avoit  usurpé  à  celte  époque. 
Louis  XVl  qui  n'ignoioir  rien  de  sacon- 
duite;  résolut  de  fairepasser  la  charge  de 


I 


L  0  u  I  s    X  V  I.  377 

jrand  amiral,  du  duc  de  Penthièvre 
|ui  en  étoit  revêtu ,  à  l'un  des  fils  du 
^:omte  d'Artois.  Il  n'en  fallut  pas  da- 
/•antage  pour  aigrir  Tanimcsité  sourde 
jue  d*Orléa:is  nourrissoit  depuis  long- 
eius  contre  la  dyjiastie  régnante  ,  et 
:ontre  le  roi  en  particulier.  Son  ambition 
rompée  dégénéra  bientôt  en  une  haine 
jui  ne  connat  plus  de  frein.  Dès  ce  mo- 
nent,  il  s'attacha  à  rechercher  la  faveur, 
i  capter  la  bienveillance  du  peuple,  de 
:e  même  peuple  dont  il  avoit  eu  la  bas- 
sesse de  dire  qu'il  ne  donneroit  pas  un 
ku  :  de  ce  peuple  qui  devint,  sans  le 
savoir,  l'instrument  de  ses  propres  mal- 
leurs  ,  le  vengeur  aveugle  et  la  victime 
des  querelles  étrangères. 

Cependant  l'instant  approchoit ,  où 
ia  machine  politique,  ébranlée  par  tant 
de  secousses  successives  ,  alloit  enfin  se 
briser  avec  éclat,  couvrir  la  France  de 
ses  débris,  étonner  TEurope  de  sa  chu- 
te, et  l'entraîner  presque  toute  entière 
dans  sa  ruine.  L'Angleterre  avoit  amené 
les  choses  à  un  point,  où  cette  dissolu- 
tion effrayante  ne  pou  voit  qu'être  très- 
prochaine,  et  la  haine  du  duc  d'Orléans 
se  chargea  de  consommer  l'ouvrage  que 
l'or  et  l'intrigue  de  Londres  avoient  si 
malheureusement  commencé.  L'épui- 
sement du  trésor  pub  jc  étoit  tel ,  qu'une 
faillite  e*i  apparence  inévitable  >  mena- 


378  Louis    X  V  ï. 

çoit  et  alla  rmoît  les  capitalistes  le  parti 
du  duc  d'Orléans  5  déjà  grossi  de  tout 
ce  ramas  d'hommes  qui  ne  ^e  plaisent 
qa*au  rniHea  des  innovations  ,  parce 
qu'ils  ne  peuvent  exister  que  par  elles  , 
augmenta  les  craintes  de  la  nation  S':r 
l'immensité  et  les  conséquences  du  défi- 
cit. Il  fit  entrevoir  que  Necker  pouvoit 
seul  sauver  la  France  ;  mais  ce  choix  ne 
fat  pas  celui  de  la  cour  ,  qai  pré-éra 
Lomelie  de  Brienne  y  Brienne,  dont  il  ne 
reste  aujourd'hui  que  le  ridicule  de  sa 
cour plé nière  ^  et  le  souvenir  d'une  mort 
digne  de  sa  vie. 
Biienne.  Jamaisle  partisan  le  plus  déclaré  d'Or- 
léans n'eût  mieux  servi  ses  projets  ,  que 
ne  le  fit  Brienne  y  en  présentant  à  l'en- 
registrement du  parlement  deux  édits 
également  désastreux  pour  le  peuple  , 
également  favorables  aux  conspirateurs. 
L'un  avoit  pour  objet  de  contraindre 
les  gens  de  campagne  à  la  corvée  ;  l'au- 
tre permettoit  l'exportation  des  grains, 
et  le  parlement  eut  la  foiblesse  de  les  en- 
registrer l'un  et  l'autre,  soit  que  d('jà 
vendu  en  partie  à  d'Orléans  ,  il  vit  dans 
cette  mesure  un  moyen  de  seconder  ses 
vues,  soit  que  flottant  depuis  quelque 
tems  entre  le  monarque  ei  Us  f  uje  s  >  il 
crut  devoir  sacrifier  les  uns  à  l'espoir 
de  reconquérir  l'eSLime  de  l'autre. 
Quoiqu'il  ensoit ,  cette  arme  terrible 

prodaisit 


_  L  o  u  I  s    X  V  1.  3/9 

produisit ,  dans  la  main  des  conjurés  , 
un  erfet  aussi  sur  que  rapide  ,  et  accé- 
léra l'époque  et  la  marche  de  la  révolu- 
tion ,  en  soulevant  le  peuple  contre 
la  cour.  Enhardi  par  ce  premier  suc- 
cès y  Lomélie  présenta  bientôt  au  par- 
lement l'édit  du  timbre.  Mais  ce  même 
parlement  qui  venoit  d'enregistrer  avec 
tant  de  complaisance  deux  édit«  évi* 
demment  contraires  à  l'intérêt  du  peu- 
ple ,  se  refusa  à  l'enregistrement  de  celui 
^ur  le  timbre  ;  cette  circonstance  mit  tout 
le  peuple  de  son  côté.  Il  en  fut  de  même 
de  l'impôt  territorial:  comme  il  frappoit 
particulièrement  sur  les  grands  proprié- 
taires y  le  parlement  étoit  intéressé  à  s'y 
oppofer,  persuadé  que  la  classe  nom- 
breuse des  négocians  le  soutiendroit,  en 
raison  de  son  refus  de  l'enregistrement 
sur  le  timbre.  Ainsi  le  parlement,  pressé 
d'enregistrer  un  édit  qui  lui  étoit  oné- 
reux, demanda  pour  se  soustraire  à 
cette  nécessité ,  la  convocation  des  états- 
généraux. 

1  Le  roi  déploya  de  la  fermeté  ,  tint  un  mmmmm^m 
lit  de  justice  ,  et  fit  enregistrer  en  sa  pré-  ^TyiSo, 
sence  les  dcux  édrts  proposés.  Le  parle- 
ment protesta  et  fut  exilé  à  Troyes.  Mais 
le  vuide  des  fmancesse  faisant  sentir  de 
jour  en  jour  d'une  manière  plus  elFrayan- 
te  y  le  besoin  rapprocha  le  roi  de  son 
Tome  IIL  R 


38o  Louis    XVI. 

parlement ,  et  il  hn  rappelé,  à  condi- 
tion ,  qu'il  enregistrèrent  l'emprunt  de 
quatre  cent  vingt  milliorfs  ,  et  que  la 
séance  tenue  par  le  roi  seroit  dite  royale 
et  non  pas  lit  de  justice  ,  parce  que  ce 
nom  commençoit  à  devenir  odieux» 
Cette  condescendance  du  roi  donna  aux 
factieux  le  secret  de  sa  foiblesse  ,  et  les 
preuves  passées  desa  bonté  ne  furent  que 
de  nouveaux  motifs  pour  enhardir  leur 
audace.  H  fut  donc  arrêté  chez  le  duc 
d'Orléans  que  l'on  profiteroit  de  l'oc- 
casion qu'ofFroit  cette  séance  loyale  , 
pour  mettre  à.ts  bornes  à  ^autorité  ^q^ 
ministres  ,  et  pour  forcer  le  roi  à  con- 
voquer les   états-généraux. 

La  séance  eut  lieu  le  lendemain» 
Louis  XVI  s'y  rendit ,  sans  être  revêtu 
d'aucun  des  ornemens  de  la  royauté,  et 
c'est  une  faute  que  l'histoire  est  en  droit 
de  lui  reprocher  ;  ce  n'étoit  pas  en  pré* 
sence  de  ses  ennemis^  dans  un  parlement 
qui  venoit  de  donner  l'exemple  de  l'in- 
subordination,  qu'il  devoit  rien  rabat- 
tre de  tout  ce  qui  pouvoit  en  imposer 
autour  de  lui ,  et  lui  concilier  les  res- 
pects de  son  peuple.  Mais  le  roi  se  flat- 
toit  de  ramener  les  esprits  en  multipliant 
les  sacrifices  ;  et  cette  erreur  ,  qui  est 
celle  d'une  belle  ame  ,  ne  l'a  jamaiç 
abandonné  un  instant. 

Le   garde    des  sceaux,    Lamoignon 


Louis    XVI.  ZH 

annonça  la  volonté  du  roi  ;  elle  étoit 
que  chacun  dît  librement  son  avis  sur 
les  édits  qu'il  s'agissoit  d'enregistrer  ; 
mais  que  quand  ilcroiroitavoir  sufTisani- 
ment  recueilli  de  lumières  ,  il  ordonne- 
roit  ce  qu'il  jugeroit  à  propos  ,  et  que 
l'obéissance  seroit  le  seul  parti  qui  reste- 
roit  àlassemblée.  Cette  décision  conve- 
noit  à  la  majesté  du  trône  ;  mais  pour- 
quoi alors  ôter  à  la  séance  son  véritable 
nom  y  Pourquoi  n'y  pas  paroître  en  roi, 
puisque  l'on  y  vouloit  agir  en.  roi  ? 
C'est  ainsi  que  ce  malheureux  prince  , 
toujours  flottant  entre  le  désir  de  soute- 
nir la  dignité  et  les  droits  de  la  couron- 
ne ,  et  la  crainte  de  sévir  contre  des 
sujets  qui  bravoient  l'une  et  ofFensoient 
les  autres ,  perdoit  d'un  côté  ce  qu'il 
ga^noit  de  l'autre  ,  et  fournissoit  des 
armes  contre  lui  par  les  précautions 
mêmes  qu'il  prenoit  pour  détourner  les 
coups  qu'on  luiportoit.  Cette  séance  lui 
en  fournit  la  preuve  atïligeante.  C'est  là 
que  l'oii  vit  s'établir  pour  la  première 
fois  une  lutte  scandaleuse  entre  l'auto- 
rité légitime  et  une  poignée  de  factieux  : 
c'est  là  que  l'on  entendit  un  Robert  de 
St,  Vincent  haranguer  grossièrement  les 
ministres,  se  répandre  en  sarcasme  con- 
tre les  grands,  parler  sans  adresse  comme 
sans  ménagement  du  monarque  lui-mê- 
me :  un  tréteau  se  jeter  dans  une  dis- 

Ra 


582  L  o  u  I  s    X  V  I. 

cussion  étrangère  à  Pobjet  de  la  séance, 
et  critiquer  avec  autant  d'ii^norance  que 
de  maavaife  foi  les  travaux  diplomati- 
ques du  roi  et  des  ministres.  Quel- 
ques autres  magistrats  parlèrent  éga- 
lement contre  la  teneur  des  édits  ; 
mais  d'une  manière  plus  respectueuse 
et  plus  conforme  à  leur  caractère.  Fati- 
gué de  la  discussion  ,  le  roi  la  termina 
en  ordonnant,  par  l'organe  de  son  garde 
des  sceaux  ,  que  Tédit  portant  création 
d*un  emprunt,  fût  enregistré  sur  le 
champ. 

Alors  d'Orléans  ,  hardi  et  courageux 
pour  la  première  et  Tunique  fois  de  sa 
vie  5  lance  sur  les  magisratts  un  regard 
d'indignation ,  se  lève  brusquement, re- 
garde insolemment  le  monarque  lui- 
même  ,  et  lui  demande  ,  si  la  séance 
présente  est  une  séance  royale  ,  ou  un 
lit  de  justice.  C''^jf;  répond  le  roi^  une 
séance  royale- 

»  Sire ,  continua  le  duc  d'Orléans  , 
»  je  supplie  votre  majesté  de  permettre 
»  que  je  dépose  à  ses  pieds  et  dans  le 
»  sein  de  la  cour  la  déclaration  que  je 
V  regarde  cet  enregistrement  comme 
»  illégal  jet  qu'il  seroit  nécessaire  pour 
»  la  décharge  des  personnes  qui  sont 
^  censées  y  avoir  délibéré  ,  d'ajouter 
i^  que  c'est  par  exprès  commandement 
)>  du  roi.  » 


L  o  u  I  s    X  V  I.  385 

Cette  déclaration,  qui  fut  pour  h 
France  le  si^.nal  à  la  his  et  le  présage 
de  tous  ses  maux  ,  annonçqit  à  tousles 
mécontens  qu'ils  pouvoient  désormais 
compter  sur  un  chef  ;  que  le  premier 
prmce  du  fangs'offroit  à  eux,  rompoit 
avec  son  roi ,  etne  prétendoitplus  gar- 
der à  l'avenir  aucune  espèce  de  ména- 
gement. 

Le  roi  se  contenta  de  dire  que  cette 
séance  n'offroit  rien  qui  ne  fût  très-lé- 
gal ,  persista  kordonner  l'enregistrement 
de  Temprunt ,  fut  obéi  et  se  retira. 

Moins  offensé  de  la  déclaration  du 
duc  ,  que  du  ton  presque  menaçant  dont 
îtilTavoit  accompagnée,  Louis  XVI  n'a- 
yoit  cependant  donné  aucune  suite  à 
ion  ressentiment  ;  mais  la  reine  exigea 
.et  obtint  la  punition  du  coupable.  En 
vain  on  lui  représenta  que  les  demi- 
mesures  en  pareil  cas,  ne  font  qu'aggra- 
ver le  mal  au  lieu  àà  le  guérir,  qu'il 
est  plus  prudent  de  dissimuler  ^  quand 
'la  diiTiculté  du  tems  ne  permet  pas  de 
proportionner  la  peine  au  délit.  La  triple 
lettre  de  cachet  fut  expédiée  contre  les  ,  ^^'Lt* 
conseilleis  Jr reteau  et  oabbatLer  ^  et  con-  leans. 
tre  le  duc  d'Orléans  ,  à  qui  Villers- 
Cotteret  fut  assigné  pour  le  lieu  de  son 
exil.  A  peine  y  fut- il  arrivé  ,  que  le  roi 
fut  assiégé  ,  et  le  public  inondé  d'écrits 
parlementaires ,  plus  ou  moins  hardi* 


384  Louis    XVI. 

dans  l'expression  ,  mais  qui  tous  éta- 
loient  ces  inovations  spécieuses^  qui  ne 
tendoient  à  rien  inoins  qu'à  la  subver- 
sion tôt  de  de  notre  droit  public  ;  maxi- 
mes d'a.jtant  plus  dangereuses^  que  le 
premier  organe  des  lois  leur  donnoit  une 
espèce  de  sanction.  L'objet  principal  de 
toutes  ces  représentations  étoit  le  rap- 
pel du  grand  coupable ,  que  l'on  regar- 
doit  comme  le  sauveur  de  la  patrie.  Le 
roi  répondit  à  quelques-unes  de  ces  re- 
Rappe!  du  "^ontrances  avec  une  fermeté  noble  >et 
dttc  d'Or- persista  dans  sarésolution.  Le  rappel  du 
leans.  j^^  d'Orléans  ne  fut  accordé  qu'à  la 
vertu  et  aux  touchantes  sollicitations  de 
la  princesse  son  épouse.  Revenu  enfin  de 
son  exil  y  le  duc  parut  devant  le  roi,  y 
fit  l'aveu  de  ses  torts  ,  protesta  pour 
l'avenir  d'une  soumission  entière  aux 
volontés  du  monarque.  Il  parut  en  effet 
étranger  pendant  quelque  tems  à  tous 
les  troubles  élevés  entre  les  parlemens 
et  les  ministres  ;  mais  il  n'en  poursui- 
voit  qu'avec  plus  d'acharnement  l'exé- 
cution de  ses  desseins.  Jamais  circons- 
tance n'avoit  été  plus  favorable. 

L'ineptie  de  Brienne^  et  la  ridicule 
hardiesse  de  ses  innova  teurs,avoient  sou- 
levé contre  lui  tous  les  ordres  de  l'état* 
Il  fut  dont  arraché  du  timon  des  affai- 
res et  alla  cacher  sa  honte  dans  une  re- 
traite ^  où  il  se  tua  bientôt^  de  dépit  ^ 


NecVcr. 


t  ô  û  I  S     X  V  I.  3^5 

ajoute  un  écrivain  du  tems  y  de  ne  pou- 
voir p^us  faire  le  mal.  Necker  fut  dési- 
gné p.)ur  le  remplacer.  Necker  ,  ami 
et  créature  secret  te  de  d'Orléans  ,  tour- 
à-tour  l'appui  et  l'oppresseur  de  son  roi, 
homme  sans  ^énie  et  sans  caractère , 
dont  la  conduite  fut  si  mobile,  et  les 
traits  politiques  si  incertains  ,  que  la 
postérité  ne  saura  si  elle  le  doit  placer 
parmi  les  plus  ineptes  ,  ou  à  côté  des 
plus  méchans  des  hommes. 

Tel  étoit  l'état  des  choses  ,  quand  les 
notables  furent  appelés  pour  la  seconde 
fois.  L'objet  de  cette  seconde  assemblée 
fut  de  régler  le  mode  de  convocation 
des  états-généraux,  et  la  manière  dont 
ils  seroient  composés. 

Enfm  ces  états-généraux  ;  attendus 
depuis  si  long-tems  ,  sollicités  à  grand 
cris  par  tous  les  ordres  de  l'état,  impé- 
rieusement commandés  par  les  circons- 
tances ,  s'ouvrirent  à  Versailles  le  5  m  ai, 
dans  la  salle  des  Menus  Plaisirs. 

L'histoire  consignera  dans  ses  fastes,    Etats- 
et  la   postérité  lira  toujours  avec  inré- généraux, 
rêt  le  discours  que  le  roi  adressa  aux  dé- 
putés. Il  étoit  fait  pourlui  concilier  l'ji- 
mour  de  tous  les  François.  Nous   ne 
pouvons  nous  refuser  au  plaisir  de  lui 
donner  une  place  ici. 
Messieurs  , 

^  Ce  jour  que  mon  cœur  attendoit 

R4 


386  L  o  u  I  s    X  y  r. 

»  depuis  long-tems  est  enfin  arrivé,  et 
?5  je  me  vois  entouré  des  représentans 
»  de  la  nation  à  laquelle  je  me  tais 
w  gloire  de  commander, 

»  Un  long  intervalle  s'étoit  écoulé 
»  depuis  les  dernièr«:^s  tenues  des  états- 
*>  généraux;  et  quoique  la  convocation 
»  de  ces  assemblées  parût  être  tombée 
i>  en  désuétude  ,  je  n'ai  pas  balancé  à 
»  rétablir  un  usage  dont  le  royaume 
»  peut  tirer  une  nouvelle  force  ,  et  qui 
7y  peut  ouvrir  à  la  nation  une  nouvelle 
»  source  de  bonheur. 

*  La  dett^  de  l'état  déjà  immense  à 
»  mon  avènement  au  trône  s'est  encore 
»  accrue  fous  mon  règne.  Une  guerre 
i>  dispendieuse  ,  mais  honorable  ,  en  a 
»  été  la  cause  :  l'augmenta tion  àes  im- 
w  pots  en  a  été  la  suite  nécessaire ,  et 
»  rendu  plus  sensible  leur  inégale  sé- 
»  partition. 

9>  Une  inquiétude  générale  »  un  désir 
V  exagéré  d'innovation  se  sont  emparés 
»  des  esprits,  et  fmiroient  par  égarer 
»  totalement  les  opinions  ,  si  on  ne  se 
»  hâtoit  de  les  fixer  par  une  léuniou 
»  d'avis  sages  et  modérés. 

>3  C'est  dans  cette  confiance  ,  mes-» 
»  sieurs  y  que  je  vous  ai  rassemblés  ,  et 
w  je  vois  avec  sensibilité  qu'elle  a  déjà 
îi>  été  justifiée  par  les  dispositions  que 
H  les  deux  premiers  ordres  ont  montrées 


L  o  u  I  s    X  V  I.  3^7 

}'  h  renoncer  k  leurs  privilèges  pécu- 
»  niaires.  L'espérance  que  j'ai  conçue 
m  de  voir  tous  les  ordres  réunis  de  seii- 
»  timeiis  ,  concourir  avec  moi  au  bien 
w général  de  l'état,  ne  sera  point  troni- 
»>pie. 

"Les  esprits  sont  dans  l'agitation  ; 
"  mais  une  assemblée  de  représentons 
»  de  Li  nation,  n'écoutera  saiis  do^te 
M  que  les  conseils  de  la  sagesse  et  de  la 
»  prudence. . . . 

»  Jeconnois  l'autorité  et  la  puissance 
M  d'im  roi  juste  au  milieu  d'un  peuple 
»  fidèle  et  attaché  de  tout  tems  aux 
»  principes  de  la  monarchie  ;  ils  ont 
;»>fait  la  gloire  et  Tétat  de  la  France  ; 
»  je  dois  en  être  le  soutien  ,  et  je  le  se- 
»  rai  constamment. 

»  Mais  tout  ce  qu'on  peut  attendre 
i>  du  plus  tendre  intérêt  au  boiilieur  pu- 
»  b!ic  ;  tout  ce  qu'on  per.t  demander  à 
»  un  souv^erain  ,  le  premier  amidescs 
»  peuples,  vous  pouvez^  vous  devez 

'.'esi^érer  de  mes  sentimens. 

»  Puisse  ,  Messieurs  ,  un  heurei.x 
3>  accord  régner  dans  cette  assemblée  , 
»  et  cette  époque  devenir  à  jamais  mé- 
i>  n;orable  pour  le  bonheur  et  la  pros- 

,>érité  de  ce  royaume  !  C'est  le  plus 
r  ardent  de  mes  vœux  ;  c'est  enfm  le 
j>  prix. que  j'attends  de  la  droiture  de 

R5 


Zîi  i  ô  V  i  f^   %  V  h 

»  mes  intentions ,  et   de  mon  amo.  r 
»  pour  mes  peuples.  » 

Il  étoit  impossible  de  concilier  plus 
heureusement  et  la  dignité  d'un  roi  et  la 
tendre  sollicitude  d'un  père.  Mais  quel 
effet  pouvoit  produire  un  tel  discours 
sur  des  esprits  prévenus  d'avance  con- 
tre les  intentions  du  monarque  ?  sur  des 
hommes  dont  le  plan  étoit  fait,  et  qui, 
sourds  àtou  t  au  tre  sen  timent>nevoyoien  t 
que  Pinstant  d^en  consommer  l'exécu. 
tionDans  cette  même  séance,  le  contrô- 
leur général  mit  sous  les  yeux  de  l'as- 
semblée le  compte  des  revenus  et  des 
dépenses  de  l'état.  Les  revenus  se  trou- 
voient  monter  à  476,2^4,000  livres  , 
et  les  dépenses  étant  de  63i,2p4,coo  li- 
vres ,  surpassoientles  revenus  annuels 
de  55,i6o,oco  livres. 

Voilà  le  grand  objet  qui  devoit  fixer 
l'attention  toute  entière  de  l'assemblée. 
C'étoit  le  but  spécial  de  sa  convocation; 
mais  telle  étoit  déjà  l'influence  de  la 
faction  que  ,  dès  le  lendemain  6  ,  le 
trouble  et  la  division  se  manifestèrent 
dans  l'assemblée  d'une  manière  alar- 
mante. La  vérification  des  pouvoirs  fut 
le  premier  objet  qai  mit  aux  prises  les 
intérêts  divers  des  trois  ordres  ;  et  ce 
devoit  être  une  suite  de  l'égalité  derepré- 
fentaiion  accordée  aux  tiers.  Louis  XVI, 
au  lieu  de  sV  opposer   comme  il  le 


t  o  u  I  s    X  V  I.  089 

pouvoir  et  le  devoit  nécessairement  , 
appuya  de  toute  son  autorité  ce  projet 
d*éga!ité  présenté  par  Necker.  C'étôit 
Une  conséquence  naturelle  de  son  pen- 
chant à  ne  rien  repausser  de  ce  qu'il 
croyoitdevair  être  Utile  à  son  peuple  ;et 
le  ministre  lui  avoit  persuadé  qu'il  n'y 
a  voit  pas  d'autre  moyen  de  se  procurer 
les  subsides  dont  on  avoît  besoin» 

Louis  ne  tarda  pas  k  s'apperccv.jir 
tombien  ses  vœux  étoient  tro  ri pés  ,  et 
quel  mouvement  rapide  entraînoit  mal- 
gré lui  et  les  hommes  et  les  choses.  Le 
17  juin  ,  sur  la  proposition  de  Syeyes  , 
les  députés  du  tiers-état  se  constituent 
en  assemblée  nationale  ,  et  le  20  la  salle 
est  fermée ,  par  ordre  du  roi ,  en  atten- 
dant une  séance  royale,  proclamée  par 
des  hérauts  d'armes. 

Les  députés  du  tiers ,  se  réunissent 
alors  dans  un  jeu  de  paume  à  Ver- 
sailles ,  et  y  tiennent  la  séance  mémo- 
rable ,  d'où  date  vraiment  la  révolu- 
tion. Là  ,  chacun  fait  entre  les  mains 
de  Bailly  le  serment  de  ne  point  se  sé- 
parer avant  d'avoir  donné  une  constitu- 
tion à  la  France.  La  majorité  du  clergé , 
plusieurs  membres  de  la  noblesse,  le  duc 
d'Orléans  à  leur  tête,  viennent  se  réunir 
aux  députés  du  tiers-état,  et  s'assem- 
blent dans  l'église  de  St.  Louis  pour  y 
délibérer. 

R  6 


ij  )uin. 


390        ^     Louis     XVI. 

— r — •  Le  séance  royale  eutenfîn  lieu,  et  le 
^J  :.^1  roi  la  termina  en  ordonnant  aux  députés 
d^  se  retirer  sur  le  champ  dansla  cham- 
bre affectée  à  chaque  ordre,  pour  y  re- 
prendre la  suite  de  leur  travaux.  Les  dé- 
putés du  tiers-état  étant  restés  dans  la 
salle,  le  roi  leur  envoya  le  grand  maître 
des  cérémonies  ,  qui  dit  au  président  : 
monsieur, vous  connoissez  les  intentions 
du  roi.  Les  représentans  du  peuple  ,  ré- 
pond le  présiden-t ,  ne  reçoivent  les  ordres 
•  Jfper^o/27Zf.  Mirabeau  fe  lève  ensuite,  s'a- 
dressant  à  celui  que  le  roi  avoit  envoyé: 
alle\  y  lui  dit-il,  dire  d  ceux  qui  vous  en- 
voient ,  que  nous  sommes  ici  par  la.  vo- 
lonté du  peuple  et  que  nous  n  en  sortirons 
que  par  la  puissance  des  baïonnettes- 

C'est  à  cette  époque  que  se  termine, 
à  proprement  parler,  le  règne  de  Louis 
XVL  Comment  en  effets  sans  un  abus 
complet  des  termes  ,  donner  désormais 
le  titre  de  roi,  à  l'instrument  passif  des 
fureurs  de  tous  les  partis  ;  le  titre  de 
maître,  à  celui  qui  ,  prisonnier  danssoii 
propre  palais  ,  et  au  milieu  de  ceux  qui 
se  disoient  ses  sujets,  ne  poavoit  obte- 
nir d'eux  la  liberté  seulement  d'aller  res- 
pirer l'air  de  la  campagne  ?  Comment 
appeler  régner ^  donner  unesanction  for- 
cée à  des  lois  présentées  à  son  accep- 
tation a  la  pointe  d'un  sabre  ou  d'une 
baïonnette  ? 


L  o  u  I  s    X  V  I.  3y»i 

Dès  le  moment  que  les  députés  du 
tiers  Ce  furent  constitués  en  assemblée. 
nationdle ,  il  n'y  eut  plus  de  monarchie 
en  France  et  la  double  représentation 
accordée  à  ce  même  tiers  ,  a  été  le  pre- 
mier pas  de  Louis  vers  l'échafaud.  la 
digue  étoit  rompue  ,  et  les  efforts  qu'il 
opposa  depuis  au  torrent  ,  ne  firent 
qu'ajouter  à  sa  fureur.  ^  .       ,.       Reuniotr 

Laseancedu23)um,n  ayant  tait  qu  ir-des  rrob 
literies  esprits ,  quoique  les  trois  ordres  ordres, 
se fusient réunis  d'après  rinjonction  qui 
en  avoitété  faite  par  le  roi  aux  membres 
du  clergé  et  de  la  noblesse,  il  fallut  bien 
prendre  un  moyen  qui  put  mettre  le 
trône  à  l'abri  des  coups  que  la  faction  lai 
portoit  si  visiblement.  Mais  ces  moyens 
ne  pouvant  être  que  de  rigueur  3  dévoient 
aigrir  les  esprits  et  amener  des  maux  in- 
calculables, Louis  venoit  de  faire  un 
devoir  aux  députés  scissionnaires  de  se 
réunir  à  ceux  du  tiers-état  ;  c'étoit  ôter 
à  son  trône  un  appui  réel ,  et  faire  au 
peuple  un  abandon  simulé  de  ses  droits  y 
c'étoit  donc  provoquer  ce  même  peuple 
et  s'exposer  à  sa  haine  ,  que  d'appeler , 
le  lendemain  ,  une  force  imposante  , 
pour  défendre  des  droits  si  inutilement 
sacrifiés  la  veille.  C'est  ainsi  que  par 
cette  incroyable  alternative  de  sévérité 
dans  les  mesures  premières  y  et  de  foi- 
blesses  dans  l'exécution^  Louis  toujoius 


392  L  o  ù  I  s    X  V  t. 

mal  conseillé:,  rouloit  de  précipice eiï 
précipice  jusqu'au  fond  de  Tabîme  qui 
l'a  englouti  avec  la  monarchie. 

,  Toutes  les  plumes  se  sont  emparées 
de  la  révolution  :  chaccn  l'a  peinte 
comme  il  ]*a  vue,  on  comme  il  vou- 
loit  la  voir. Aussi  n'aVons-nous  jusqu'ici- 
que  l'histoire  de  telle  ou  telle  opinion  , 
et  nous  attendons  encore  celle  de  la  ré- 
volution. Nous  attendons  la  main  exer- 
cée qui  se  chargera  de  nous  développer 
les  ressorts  qui  ont  imprimé  un  mouve- 
ment aussi  effrayant  que  rapide  à  la 
aiarche  des  affaires  ,  qui  dévoilera  les 
causes  de  ces  terribles  effets  ;  et  peut- 
être  saura- t-on  alors  comment  le  peuple 
le  plus  léger  et  le  plus  aimable  de  l'Eu- 
rope  5  fut  tout  à  coup  métamorphosé  en 
une  troupede  Cannibales, dont  les  atro- 
cités sont  restées  sans  nom.  comme  elle^ 
étoient  sans  exemple.  En  attendant  ,1e 
devoir  de  celui  qui  fe  charge  de  re- 
cueillir des  matériaux  pour  l'histoire  , 
est  de  présenter  les  faits  dans  leur  ordre 
naturel ,  de  peindre  ,  et  non  de  juger  les 
personnages  qu'il  introduit  sur  la  scène; 
de  n'avoir  qu'une  passion  y  celle  de  la 
vérité;  qu'un  objet,  celui  d'être  utile, 
et  de  tout  rapporter  à  ce  but  estimable. 

Tel  est  le  plan  que  nous  nous  sommes 
préposé,  en  traçant  cette  première  par- 
tie du  siècle  de  Louis  XVI  :  ce  sera  celui 


Louis     X  V  î.  5i^§ 

de  la  seconde,  où  ,  par  un  renverse- 
ment d^idées  ,  et  par  une  immoralité 
politique  qui  n'appartenoient  qu'à  no- 
tre siècle  ,  le  premier  personnage  de 
Tétat  ,  le  chef  suinênie  de  la  nation  ,- 
ne  va  plus  être  traité,  par  son  peuple  y 
que  comme  le  dernier  et  le  plus-  infor- 
tuné de  ceux  qui  furent  ^s  sujets. 


Fin  dç  la  première  partie 


394  L  o  u  I  s    X  V  I. 


SECONDE    PARTIE. 


Appel  et  La  cour  sentant  la  nécessité  de  s'op- 
renvoi  des  poser ,  s'il  en  étoit  tems  encore ,  aux 
troupes.  pjogj.^s  de  Tinsurrection  ,  et  ayant 
d'ailleurs  de  fortes  raisons  de  suspecter 
la  fidélité  de  plusieurs  régi  mens  François 
crut  devoir  s'entourer  de  troupes  étran- 
gères et  les  placer  entre  Versailles  et 
Paris  ,  afin  d'en  imposer  à  la  fois  à  ces 
deux  villes ,  et  de  couper  ^  au  besoin  , 
toute  espèce  de  communication  entre 
elles.  Cette  mefure  ,  commandée  par 
les  circonstances,  étoit  d'ailleurs  con- 
forme aux  règles  de  la  prudence.  On 
n'en  fit  pas  moins  un  crime  à  Louis  ;  et , 
k  dater  de  cette  époque,  tout  ce  qu'il 
tenta  pour  prévenir,  ne  fit  que  précipi* 
ter  sa  chute- 

A  l'aspect  des  troupes  qui,  des  divers 
points  de  la  France  ,  se  dirigeoient  vers 
la  capitale ,  la  fermentation  devint  gé- 
nérale dans  l'assemblée  :  on  n'y  rougit 
point  de  supposer  au  roi  des  intentions 
perfides  ,  de  le  publier  hautement ,  et 
d'aigrir  contre  lui  ce  même  peuple ,  qui, 
peu  de  jours  auparavant,  avoit  béni  son 
nom  et  fait  retentir  les  airs  des  cris  mille 
fois  répétés  de  ripe  le  roi.  Ces  acclama- 


I  o  c  r  s  X  V  I.  ^  ^b 
fions  éloîent  sincères  ,  et  c'est  précisé- 
ment pour  Ccrla  que  la  faction  en  fré- 
missoit  de  rage  ,  et  ne  pardonnoit  pas 
au  prinœ  rattachement  de  ses  sujets. 
•  Parmi  \es  nombreux  complices  que 
^'or  de  d^Orleans  soudoyoit  de  toutes 
parts,  que  des  vengeances  particulières 
à  exercer,ou  que  le  seul  instinct  du  crime 
rapprochoient  de  lui  ,  la  postérité  en 
remarquera  pimsieurs ,  dont  les  e^ces  ont 
mérité  une  honteuse  distinction.  A  leur 
tête,  se  présente  ce  Mirabeau ,  qui  avoit*^»'*^^*!' 
déjà  acquis  la  célébrité  du  crime,  et  la 
réputation  dos  talens.  Tous  les  vices  -* 
avoient  déshonoré  sa  jeunesse:  parvenu 
à  rage  mur  ,  les  prisons  l'avoient  long- 
tems  dévoué  au  glaive  de  la  justice  , 
et  en  eussent  purgé  la  société ,  tant 
qu^auroit  subsisté  le  règne  de  l'ordre  et 
des  mœurs.  La  révolution  le  rendit  à 
cette  même  société,  ne  respirant  qu'une 
Vengeance  aussi  prompte  que  terrible  , 
et  ne  dissimulant  pas  contre  qui  il  pré- 
tendoit  spécialement  la  diriger.  Un  tel 
hommenepouvoitéchapperàd^Orléans: 
il  réuniss  .it  en  lui  tout  ce  qui  pojvoit 
utilement  servir  un  chef  de  parti,  trop 
lâche  pour  se  présenter  jamais  lui-même 
au  combat.  Nous  avons  déjà  vu  Mira- 
beau défier  insolemment  Pautorité  du 
prince ,  et  donner  au  peuple  françois 
le  signal  et  Texerapîe  à  la  fois  de  la  rer 


396  L  o  u  I  s    X  V  I. 

bellion.  C'est  encore  lui  qui  s*erapare 
de  la  tribune  ,  pour  demander  le  renvoi 
des  troupes  y  et  pour  faire  décréter  que 
des  ministres  ,  disgraciés  alors  par  le 
roi,  conservoient  l'estime  et  la  con- 
fiance de  la  nation  ,  et  que  leurs  suc- 
cesseurs seroient  responsables  de  tous 
_  les  malheurs  qui  pourroient  arriver! 

"~j  gQ^  Ce  décret  étoit  un  manifeste  réel  de  la 
14  Juillet,  guerre  que  l'assemblée,  au  nom  du  peu- 
Prise  de  la  pie  François  ,  déclaroit  à  son  roi.  Cepen- 
Bastille.  ^^j^^  igg  bustes  de  Necker  et  du  duc 
d'Orléans  sont  portés  en  triomphe  dans 
Paris:  l'agitation  est  au  comble.  Ce  n'est 
plus  une  portion  du  peuple  égaré  pai 
quelques  factieux  ,  c'est  une  ville  en- 
tière en  mouvement^  c^est  tout  un  peu- 
ple qui  court  aux  armes  ;  les  arsenaux 
sont  envahis  ,  la  Bastille  est  prise  >  son 
gouverneur  massacré  ,  et  des  têtes  san- 
glantes se  promènent  ûans  Paris.  La 
cour  est  muette  d'effroi ,  et  l'assemblée 
elle-même  tremble  un  moment  pour  sa 
sûreté;  le  roi  se  présente  avec  sécurité 
au  milieu  des  représentans  de  k  nation, 
leur  confie  ses  peines  ,  leur  parle  avec 
la  bonté  attendrissante  d'un  père  eî 
leur  laisse  ces  paroles  de  paix  et  de  con- 
solation : 

»  Je  ne  suis  qu'un  avec  ma  nation  ; 
^  c'est  moi  qui  me  fie  à  vous  ,  aidez- 
it  mui  dans  celte  cixGoastaiice  à  a-ssurei 


L  o  u  j  s    X  V  r  397 

y  le  salut  de  Tétat,  comptant  sur  t'hoiv- 
»  neur  et  la  fidélité  de  mes  sujets,  j'ai 
*  donné  ordre  aux  troupes  de  s'éloi- 
»  gner  de  Paris  et  de  Versailles.  » 

Le  lendemain  il  vient  renouvellera 
Paris  ,  entre  les  mains  du  maire  ,  ces 
assurances  de  son  amour  pour  son  peu- 
ple ,  et  il  reprend  encore  une  fois  sa 
place  dans  le  cœur  de  ses  sujets. 

Mais  le  monstre  acharné  a  sa  perte  , 
ne  lui  laissa  pas  long-tems  cette  satisfac- 
tion. Maître  absolu  des  subsistances  par 
le  coupable  monopole  qu'il  exerçoitsur 
les  grains,  d'Orléans  tenoit  entre  ses 
mains  ,  et  faisoit  mouvoir  à  son  gré , 
le  ressort  puissant  qui  ne  manque  ja- 
mais fon  effet  sur  cette  portion  du  peu- 
ple, à  laquelle  il  n'y  a  rien  à  répondre, 
^uand  elle  demande  du  pain.  Journër 

y  Une  disette  factice  commençoit  à  exci- des  5  Sc& 
ter  des  murmures  dans  Paris,  quand  on o^^^^*"*^- 
y  répandit  insidieusement  la  nouvelle 
que  les  gardes  du  corps  venoient  de 
donner  au  régiment  de  Flandre  un  re- 
pas ,  ou  l'on  avoit  chanté  des  couplets 
anti-c'iviques,  foulé  aux  pieds  la  cocarde 
tricolore  ,  et  insulté  eiifm  la  nation.  Car 
il  faut  observer  que  déjà  le  résine  des 
mots  étoit  établi  ,  leurs  sens  naturel 
déjà  détourné  de  sa  véritable  acception, 
i?t  que  le  premier  eiTet  de  cette  lang.ae 


398  L  o  u  I  s     X  V  I. 

barbare  ,  qui  devoit  être  bientôt  cell 
de  tout  un  peuple ,  a  été  de  faire  coule 
des  flots  de  sang.  A.u  récit  exagéré  d 
cette  insulte  prétendue  faite  à  la  ncitio 
et  à  sa  cocarde  ,  hommes  ,  femmes  s 
pressent ,  se  heurtent ,  se  rassemblen 
en  tumulte  ,  crient  qu'il  faut  se  porte 
sans  délai  à  Versailles  ,  pour  y  venge 
l'honneur  de  la  nation  ,  punir  les  au 
teurs  de  l'outrage,  et  surtout  la  reine 
à  qui  la  calomnie  attribuoit  tout  l'c 
dieux  de  ce  complot.  Les  bataillon  3 
s'ébranlent ,  et  entraînent  leur  chef 
frappé  lui-même  de  la  terreur  qui  me 
nace  tant  d^illustres  têtes  ,  et  qui  s'a 
vançoit  au  secours  de  son  roi ,  comm 
s'il  eût  marché  au  supplice.  Toute  1 
France  a  su  ,  et  la  postérité  frémira  ei  : 
apprenant  les  dangers  auxquels  ia  fa 
mille  royale  fut  exposée  dans  la  nui 
du  6  au  6  octobre. 

La  nature  de  notre  plan  exclut  le  dé 
tail  de  ces  horreurs  ,  et  c'est  une  obli 
gation  de  plus  que  nous  lui  avons.  Mai 
nous  sommes  ,  parla  nature  même  df 
ce  plan  ,  dans  la  nécessité  Ae  ne  riei 
omettre  de  ce  qui  peut  caractérifer  1 
conduite  du  roi  ,  aux  époques  orageu 
ses  ou  le  plaçoit  si  souvent  la  révolu 
tion. 

Louis  à  quis€s  ministres  avoientlai^ 


L  o  u  I  s    X  V  I.  399 

gnorer  ce  qui  se  passoit ,  revenoit  de 

'4eu don, sur  l'avis  tardifqiie  l'und^eax, 

"*     !e  St.  Priest  ,  venoit  de  lui  en  don- 

On  le  supplioit  de  mettresa  vie  en 

té  ,  ou  de  permettre   du    moins  à 

-  "   très  l'honneur  de  la  défendre.  M. 

le  S  t.  Priest  y   répondit-il,  me  mande 

'■'  y  CL  eu  du  mouvement  à  la  halle  ,  et 

les  jemmes   d:  Paris  viennent  me 

lemander  du  pain  !  he'las  !  ajouta  t-  il , 

•n  répandant  Aes  larmes  ,  si  fen  ayois  y 

ti  n  attendrais  pas  qu  elles  vinssent  m'en 

Umander.  Allons  Leur  parler,     ^ 

A  son  arrivée  à  Versailles  ,  le  comte 
le  Luxembourg  lui  deraandeses  ordres. 
Allons  donc  .  pour  des  femmes  !  Vous 
'  'ous  moque\  de  moi  y  Af.  de  Luxembourg. 
le  étoit  la  sécurité  de  Louis,  tandis 
;     le  tumulteet  le  délire  s'accroissoient 
tlans  l'assemblée,,  à  mesure  que  les  con- 
urés  pressentoientl'irruption  des  forces 
parisiennes .  Il  faut  des  victimes  aux  na- 
tions ,    s'écrioit  Mirabeau  ,  et  il  venoit 
de  dénoncer  la  reine.  Ce  cri  de  mort  étoi  t 
appuyé,  répété  par  Pétion  ,  Lameth , 
:''^ry  ,  etc.  ,  par  un  Puget  de  Barban- 
e,  qui  disoit:  on  voit  bien  que  ces 
nissieurs  veulent  encore  des  lanternes  : 
hé  bien!  ils  en  auront.  Oui  ,  des  lan- 
ternes :  oui  y  il  faut  encore  des  lanternes , 
'    hoit  le  duc  de  Chartres  ,  et  il  bat- 
.   des  mains.  Nous  le  demanderons 


4oo  H  o  u  I  s     XVI. 

ici  aux  amis  de  l^ordre ,  et  de  la  justiœ 
et  surtout  de  la  vérité  ,  s'il  nefalloitpas 
perdre  toute  espèce  de  pudeur  ,  poux 
s^ohstiner  à  ne  pas  voir  dans  cette  con- 
duite des  ministres  ,  dans  ces  discours 
des  députés  vendus  à  ia  faction  orléa- 
mûe,  la  plus  horrible  conspiration  qui 
ait  jamais  existé  contre  les  jours  dW 
monarque. 

Heureusement  trompés  dans  leurs 
fureurs  ,  les  conjurés  ne  commirent 
que  la  moitié  du  crime.  Le  roi  et  la 
reine  échappèrent  à  leurs  poignards  , 
grâce  au  zèle  et  au  courage  de  leurs 
gardes,  qui  périrent,  dans  cette  nuit 
affreuse ,  victimes  honorables  de  leur 
attachement  à  une  cause  si  juste  ,  et  k 
des  maîtres  si  chers. 

Enhn  aux  cris  des  victimes  que  l'on 
égorgeoit,  les  grenadiers  accourent ,  et 
font  tomber  le   glaive   des   mains  des 
assassins.  Tout  k  coup  la  pitié  et  le  res- 
pect succèdent  à  toutes  les  horreurs  de 
l.e     rcM  cette  nuit  affreuse  :   le  François  rede- 
vîent  a  Pa- ^jgj^j.  françcis  un  moment  ;  on  crie: 
i^it^e  le  roi  ,  pip'e  la  reine ,  ^zVe  la  nation. 
Le  roi  est  conjuré  de  venir  demeurer 
à  Paris.  Il  se  détermine  à  s'y  rendre 
avec  toute  sa  famille  ;  mais  cette  rési- 
gnation trompe  le  vœu  de  ses  assassins:, 
c'est  sa  fuite,    ou  sa  mort  qu'ils  vou- 
loient.  Ils  n'ignoroient  pas  ce  que  pou- 


L  o  u  I  s    X  V  I.  401 

-oit  sur  des  cœurs  François  l'aspect 
Tun  roi  assez  grand  pour  se  fier  à  leur 
oyauté  ,  assez  généreux  po.'r  oublier 
ant  d'outrages  et  ne  se  ressouvenir 
jue  de  son  amour  !  Aussi  eurent-ils 
oia  de  l'abreuver  d'humiliations  pen- 

•  lant  toute  la  route,  et  à  Ton  entrée 
i^  Pans  ,  à  Tinstant  oa  l'auguste  vie- 
imesembloit  échapper  pour  toujours 

•i  leur  rage  ,  un  coup  de  fusil  ,  dirigé 

:ur  la  voiture  du  roi  ,   va  frapper   la 

Tialheureuse  DuprateaUy    qui   expire 

iur  le  champ. 

Tant  de  forfaits  ,  dont  l'auteur  étoit 

^généralement  connu,  restèrent  cepen- 
dant impunis. . . .  que  dis  je  ?  C'eût  été 
trop  peu   pour  le  règne  du  crime  :  ils 

■furent  solemnellement  justifiés,  et  un 
Chabroud  mit  le  comble  à  l'opprobre  de 

^'assemblée  ,  en  lui  arrachant  le  décret 
qui   déchargeoit   le  duc  d'Orléans   de 
toute  accusation  à  cet  égard.  Le  Châ- 
telet ,  qui  s'étoit  emparé  de  la  procé- 
dure ,  fut  aussi  lâche  que  l'assemblée  , 
acquitta  les  vrais  coupables ,  pour  leur 
substituer  celui  de  tous  les  hommes  qui 
étoit  le  plus  étranger  à  toutes  ces  atro-     .. 
cites  ,  l  infortuné  marquiS  de  ravras.  Pavras. 
Mais  il  étoit  coupable  d'un  grand  crime  9  octobre. 
aux  yeux  àes  conjurés;  il  avoit  refusé  .  '^^;"^)'- 
de  partager  leur  complot.  .  s^mbleena- 

Louis,  prisonnier  dans  son  palais  des^iunaie   à 

Pâiis, 


i^l  L  O  17  I  S     X  V  I, 

Thuileries,  et  captif  au  milieu  de  son 
peuple,  reçoit  bientôt  l'ordre  {  car  c'est 
ainsi  quM  convieiu  d'appeler  les  pré- 
tendues prières  qu'on  lui  adressoii  j  de 
faire  venir  rassemblée  nationale  à  Paris* 
Elle  s'y  transporte  y  et  choisit  le  Ma- 

^^^^_^^    nège  pour  le  lieu  de  ses  séances. 

— — ; —  Les  premiers  orages  de  la  révolution 
J/ji^'j.  avoient   déjà  écarté  du  sol  françois  la 

graiioii.  plupart  de  ceux  que  leur  nom  ,  leur 
crédit ,  ou  la  haine  profonde  qu'ils  por- 
toient  aux  novateurs  dési^noient  aux 
poii^nards  des  assassins.  Tous  s'étoient 
enfuis  à  la  lueur  de  leurs  châteaux  dé- 
vorés par  les  flammes:  plusieurs  même 
avoient  été  Ibrcés  de  disputer  leur  vie 
aux  brigands  et  avoient  porté  chez  l'é- 
tranger les  marques  honorables  de  leur 
résistance.Le  plus  grand  nombre  cepen- 
dant s'étoit  armé  d'un  courage  égal  à 
leur  malheur;  leur  attachement  pour 
la  personne  du  roi ,  l'espoir  de  lui  être 
encore  utile ,  leur  avoit  fait  à  son  exem- 
ple ,  prendre  leurs  maux  en  patienceij 
Mais  quand  ils  virent  cet  infortuné 
monarque  l'éternelle  victime  de  la  bonté 
de  son  coeur  et  de  la  pureté  de  ses  in- 
tentions ;  quand  ils  virent  l'ombre  de 
pouvoir  qu'on  lui  laissoit  encore  telle- 
ment paralysée  entre  ses  mains  ,  qu'il 
lui  étoit  désormais  impossible  d'opérer 
le  bien,  tristement  convaincus   alors 

qu'il 


L  o  u  I  s    X  V  I.  4o3 

qu'il  n'y  avoir  plus  rien  à  faire  ,  rien  à 
espérer  ni  pour  lui  ni  pour  eux^  les 
François  quittèrent  en  pleurant ,  une 
patrie,  qui  ,  quelque  injuste  qu'elle  fe 
montrât  à  leur  égard  ,  étoit  et  sera  tou- 
jours chère  à  leur  cœur.  Sensiblement 
artligéde  leurs  départ,  le  roi  fit  ce  qu'il 
put  pour  arrêter  le  torrent  de  l'émigra- 
tion. Mais  on  n'ignoroit  pas  l'ascendant 
que  l'assemblée 5  les  ministres  et  la  com- 
mune même  de  Paris  avoient  pris  sur 
Louis  XVI.  — On  savoitque  toutlui  étoit 
dicté  ,  qu'il  ne  lui  étoit  plus  libre  de 
parler  ou  d'agir  d'après  son  cœur,  que 
s'opposer  à  sa  volonté  apparente  étoit 
par  conséquent  moins  lui  désobéir  ,  que 
braver  les  décrets  d'une  autorité  usur- 
patrice de  la  sienne.  Le  roi ,  en  effet  , 
éioit  lui-même  gardé  de  si  près  ,  qa*il 
demanda  et  n'obtint  pas  la  liberté  d'al- 
ler à  Saint-Cloud  avec  sa  famille,  et 
qu'il  fut  injurieusement arrêté  aux  por- 
tes de  son  palais ,  lorsqu'il  crut  pou- 
voir prendre  sur  lui  cette  permission. 
Abandonné  de  ses  amis  ^  ei;  de  ses 
frères  ,  resté  seul  en  butte  à  des  ou- 
trages qui  navroient  son  cœur  et  qui 
se  réitéroient  tous  les  jours ,  il  forma 
enfm  le  projet  d'échapper  à  tant  de  bar- 
barie, à  une  captivité  aussi  ééroite 
qu'injurieufe.  Et  ce  projet  ,  quand  le 
forma-t-il  ?  quand  sa  famille  en  pleurs 
Tome  III.  S 


î 

4o4  L  o  u  I  s     X  V  I.  ' 

l'en  conjura  à  ses  pieds,  et  après  avoir 
opposé,  pendant  deux  ans,  la  patience 
d*un  ange  à  des  traitemens ,  dont  le  seul 
récit  fait  frémir  ,  mais  qui  n'étoient 
cependant  encore  que  le  prélude  de 
ceux  que  l'avenir  lui  réservoit. 

,1.  I      _^^       Il  part  enfin.  Mais  reconnu  ,  arrêté  à 
17^1,    Varenne  et  ramené  à  Paris ,  il  retombe 

ai  Juin,     dans  une  captivité  plus  affreuse  cent 
Le  roi  £QJg  qyg  ^q[\q  j^qj^j.  [i  ^  voulu  s'affran- 

^art     pour    ,  .    ^^,         .    .  i>l  •    .      •  i- 

Varenne ,  chii.  C  est  ICI  que  1  historien  aura  heu 
il  est  arrêté-  d'examiner  douloureusement  par  quelle 
suite  de  combinaifons  plus  fâcheuses  les 
unes   que  les  autres ,    ce  malheureux 
prince  étoit  invinciblement  entraîné  à 
sa  perte  :  comment  les  mesures  mêmes 
conseillées  par  la  prudence  et  dirigées 
])arlaplus  mûre  réflexion,  se  tournoient 
bientôt  contre  lui ,  et  ne  faisoient  qu'ag- 
graver  les  maux  dont  il  cherchoit  le 
terme.  Mais  le  sacrifice  de  Louis  étoit 
écrit  ;  il    falloit    bien    qu'il   fût    con- 
sommé. 
^i  Juin.     A  peine  de  retour  à  Paris  ,  le  roi  fut 
Son  retour  s^gpgn^i^  de  ses  fouctious  ,  jusqu'à  l'a- 
a  Pans,      chëvemeut  de  la  constitution. 

14  Se]i:.  Cette  constitution  promise  avectant 
lacons^^i^de  faste,  attendue  avec  tant  d'impa- 
tion.  tience  de  l'Europe  entière  ,   fut  enfin 

terminée  le  3  septembre  ,  présentée  à  la 
sanction  du  roi ,  et  solemnellement  ac- 
ceptée par  lui  le  14  du  même  mois. 


t  D  u  I  s    X  V  T.  40& 

Le  oo  ,  l'assemblée  qui  s'étoit  ditecons^ 
lituante  ,  termina  ses  travaux ,  et  remit 
ses  pouvoirs  à  l'assemblée  législative^ 
convoquée  pour  la  remplacer. 

Cette  première  assemblée  ofFroit  une 
majorité  distinguée  par  de  grands  ta- 
lens  et  par  de  rares  vertus.  Mais  cette 
respectable  majoritëétoit  tellement  sub- 
jiigiîée  par  les  intrigues  et  l'ascendant 
de  la  faction,  qu'elle  agit  constamment 
contre  le  vœu  de  son  cœur  ou  l'intérêt 
de  son  pays  y  et  prépara  les  maux  de 
la  France,  en  renversant  les  trois  gran- 
des bases  sur  lesquelles  avoit  reposé  sa 
félicita  ,  pendant  une  longue  suite  de 
siècles. 

Le  décret  qui  abolit  la  noblesse,  les  Décret  quî 
privilé^^es  et  les  distinctions,annonçoit ^^^55"',^"°^ 
le  règne  des  Niveleurs,  et  frappoit  de 
mort  la  monarchie,  à  laquelle  il  ne  lais- 
soit  plus  que  des  formes  illusoires,  aussi 
Injurieuses  pourle  monarque  lui-même, 
qu'avilissantes  pour  la  nation  qui  le 
souffroit. 

Le  décret  sur  la  constitution  civile  Décret  sur 
du  clergé  a  donné  aux  législatures  sui-l*^^*"^"'"' 

?     1  "  1       ,  ,        non    civile 

vantes  le  dangereux  exemple  de  ne  plus  «j^  clergi. 
rien  refpecter  ,  et  a  porté  à  la  religion 
€t  aux  mœurs  un  coup ,  dont  elles  ne 
se  sont  pas  encore  relevées. 

Son  système  sur  le  pouvoir  exécutif 
n*étoit  qu'une  dérision  y  qui  a  conduit 

S2 


4c5  L  o  u  I  s    X  V  I. 

le  roi  à  Péchafaud,  parce  qu'il  étoit 
impossible  qu'il  ne  s  r. ccombât  pas,  dans 
la  lutte  perfide  établie  par  la  nature 
même  de  la  constitution,  entre  les  deux 
pouvoirs  rivaux.  Il  n'est  pas  permis 
même  de  douter  aujourd'hui  que  cène 
tût  l'intention  bien  formelle  de  la  plu- 
part des  constituans  ,  et  tout  le  prou- 
ve ,  jusqu'à  la  facilité  avec  laquelle 
l'assemblée  législative  renversa  leur  ou- 
vrage. 
Assemblée  L'histoire  de  cette  législature  ne  pré- 
Iv'ijiilative.  sente  au  lecteur  qu'un  attentat  conti- 
nuel contre  le  peu  de  pouvoir  délégué 
au  roi  parla  constitution. C'est  une  suite 
non  interrompue  de  dénonciations  con- 
tre tous  les  ministres  indistinctement , 
quelles  que  fussent  leurs  opérations,  afm 
de  décourager  leur  zèle,  d'isoler  le  roi  ^ 
et  de  le  mettre  dans  la  nécessité  ,  pour 
ainsi  dire,  de  se  trouver  coupable:  c'est 
une  perpétuelle  violation  de  cette  charte 
constituiionnelle  que  ces  mêmes  hom- 
mes avoient ,  dans  leur  première  séan- 
ce ,  solemnellement  juré  de  respecter 
et  de  défendre. 

Cette  assemblée  étoit  composée  en 
^co  ins.  gj.^^^g  partie  ,  et  dominée  insolemment 
par  ces  hommes  qui,  honteusement  cé- 
lëcres  sous  le  nom  de  Jacobins ^om cou- 
vert la  France  d'opprobre ,  de  sang  et 
de  raines.  Ce  colosie  hideux  prenoit 


L  o  u  î  s    X  V  I.  407 

de  jour  en  jour  un  accroissement  for- 
midable, et  jetoit  les  bases  d'une  pui- 
sance  si  ridiculement  monstrueuse  , 
qu'elle  laissera  douter  à  la  postérité  ,  si 
nous  avons  été  plus  ineptes  encore  que 
mfcîians.  Ennemis  naturels  de  tout  ce 
qui  présentoit  l'idée  de  Tordre  et  l'au- 
torité de  la  loi ,  on  sent  bien  que  de 
tels  hommes  ne  voyoient  qu'en  frémis- 
sant une  constitution  qui  ,  toute  foi- 
ble  qu'elle  étoit  ,  renfermoit  cepen- 
dant Paudace  des  novateurs  dans  des 
bornes  difficiles  à  franchir.  Ce  fantô- 
me de  roi  et  de  royauté  les  importu- 
noit  surtout  ;  ils  ne  cherchèrent  plus 
que  les  moyens  de  fe  défaire  de  l'un  et 
de  l'autre. 

Le  Vet^x  opposé  par  le  roi  aux  dé- 
crets sur  les  émigrés  et  les  prêtres  in- 
sermentés ;  l'asile  donné  aux  émigrés  à 
Coblentz,  la  coalition  de  Pilnitz,  e  t 
l'armement  des  puissances  ,  qui  en  fut 
la  suite  ,  fournirent  à  la  rage  des  JacO' 
bins  plus  d'un  prétexte  de  soupçonner 
la  sincérité  du  roi. 

En  vain  Louis  ,  fidèle  à  la  constitu- 
tion par  cela  seul  qu'il  avoit  juré  de 
l'être  ,  écrivit  aux  puissances  ,  pour  Us 
engager  à  ne  point  souflrir  que  ses  frè- 
res et  les  émigrés  fissent  des  rassemble- 
mens  armés  sur  leur  territoire;  en  vain 
il  ordonna  à  ceux-ci  de  rentrer  avant 

S3 


4o8  L  o   u  I  s    X  V  r. 

le  i5  janvier^  sous  peine  d'être  traites 
en  ennemis.  On  ne  croyoit  point  à  la 
sincérité  de  ses  lettres  :  les  soupçons  , 
les  rumeurs  s^accumuloient  contre  le 
roi  ,  et  plus  il  protestoit  de  sa  fidélitef 
à  la  constitution,  plus  les  Jacobins  s'ef-* 
tbrçoient  de  le  peindre  comme  un  ro! 
parjure  ,  indigne  de  la  confiance  et  sur-î 
tout  de  l'attachement  d'une  grande 
nation. 
ieclâfée"^  Cependant  les  puissances  étrangères, 
soulevées  par  les  clameurs  des  princes 
et  des  émigrés  ,  convaincues  que  le  roi 
ne  leur  écrivoit  que  sous  la  dictée  des 
jacobins,  et  justement  indignées  du 
traitement  qu'il  éprouvoit  journelle- 
-ment^  commencèrent  à  faire  des  pré-i 
para  tifs  ,  pour  seconder  de  leurs  armes 
une  cause  quidevenoit  celle  de  tous  les 
rois.  La  guerre  fut  inévitable  ;  et  quoi- 
qu'il en  coûtât  au  cœur  de  Louis , 
quels  que  fussent  les  maux  dont  il  en- 
trevoyoit  qu'elle  seroit  la  source ,  il 
fallut  bien  se  résoudre  à  la  déclarer, 
et  elle  le  fut  à  Perapereur. 
Les  jacobins  triomphoient,  ils  avoient 


1792.    voulu  la  guerre  ,  parce  que  ,  quels  que 
'^o  A.vril.£^gggj^j.lçg  ^^^j^gj^^j^g^jjg  y  voyoient  un 

moyen  infaillible  de  perdre  Louis  ,  leur 
ennemi  mortel  ^  par  cela  seul  qu'il  étoit 
roi ,  et  que  les  Jacobins  ne  vouloient 
point  de  roi.  11  fut  donc  convenu  entre- 


Louis     XVI.  409 

eux  de  désorganiser Tarmée  ,  afin  que, 
privée  de  ses  meilleurs  Crhefs  ,  et  de  ses 
plus  braves  officiers  ,  cette  guerre  ne 
pût  être  que  funeste ,  et  que  les  mal- 
heurs en  fussent  naturellement  imputés 
au  roi. L'événement  répondit  à  leur  at- 
tente :  le  premier  clioc  eut  lieu  à  la  fin 
d'avril ,  aux  environs  de  Tournay  ;  et 
les  ennemis  ,  supérieurs  en  nombre  , 
obtinrent  un  léger  succès. 

Il  n'en  fallut  pas  davantage  ,  pour  Succès  des 
compromettre  de  nouveau  la  personne^""^""^* 
du  roi.  Alors  les  papiers  publics  furent 
inondés  ,  et  la  tribune  souillée  de  blas- 
phèmes ,  de  vociférations  qui  toutes 
appeloient  la  mort  sur  la  tête  de  Loais  , 
et  mettoient  le  poignard  à  la  main  des 
factieux:  alors  des  forcenés  s'écrioient 
à  la  barre  de  l'assemblée:  "Ce  peuple 
»  qu'on  a  toujours  voulu  égorger  ,  est 
»  las  de  parer  des  coups  ;   il  veut  en 

*  porter Il  est  tems  que  ce  peu- 

»  pie  se  lève  ;  ce  lion  généreux  va  sor- 
f)  tir  de  son  repos,  s'élancer  sur  la  meute 
»  des  conspirateurs. .  . .  Point  de  quar- 
"  tier  ,  puisque  vous  n'en  avez  point  à 
>5  espérer."  » 

Telsétoient  lestyle  et  lebut  àesPe-    Jonm^e 
titionnaires.  On  frémissoitdans  l'attente^'-^  ^°  *^^^"- 
d'un  événement  désastreux,  et  le  20 
juin  rint  confirmer  les  terreur^  du  mo- 

s* 


4io  L  0  u  I  sr    X  V  I. 

ment ,  et  donner  de  nouvelles  alarmes? 

pour  Tavenir. 

Cette  joarnée  destinée,  dans  le  plan 
des  monstres,  à  consommer  les  attentats 
des  5  et  6  octobre ,  offrit  un  genre  nou- 
veau d'atrocité,  et  fournit  au  prince  , 
qui  en  étoit  le  déplorable  objet  ,  une 
nouvelle  occasion  de  déployer  la  gran- 
deur et  la  fermeté  de  son  âme.  Dès  le 
matin  ,  un  rassemblement  plus  hideux 
encore ,  que  celui  qui  s'étoit  porté  à 
Versailles ,  et  toujours  grossi  dans  sa 
marche ,  se  dirige  vers  l'assemblée  , 
dont  il  force  les  barrières  ,  inonde  le 
Carrousel ,  les  cours  ,  les  terrasses  et 
le  château ,  et  se  présente  insolemment 
à  la  porte  du  roi.  Des  gardes  s'apprêtent 
à  en  défendre  l'approche  :  Non  ,  non  , 
leur  dit  Louis  :  remettei  vos  épées  dans 
le  fourreau  i  je  J?'iii  rien  à  craindre  des 
François.  Non  ^  prince  magnanime  et 
aussi  grand  que  ton  infortune;  non  ,  tu 
n'as  rien  à  craindre  des  François  ;  mais 
tu  as  tout  à  redouter  des  monstres  qui 
te  poursuivent,  qui  sont  altérés  de  ton 
sang  ,  et  dont  la  rage  ne  sera  satisfaite, 
que  quand  ils  Pauront  versé.  Malgré 
tous  tes  eiForts  pour  leur  épargner  un 
grand  crime,  ils  le  commettront,  parce 
que  leur  haine  l'a  juré  ,  et  que  la  haine 
ne  pardonne  pas. 


L  0  u  1  s    X  V  I.  411 

A  peine  le  roi  eut-il  enchaîné  ,  d'an 
mot ,  le  courage  qui  s'apprêtoit  à  C091- 
battre  pour  lui  ,  que  des  forcenés  s'é- 
lancent dans  les  appartemens  ,  avec  des 
cris  de  Cannibales.  Ou  est-il ^  dit  l'un, 
^U'^je  le  tue  !  Abus  Monsieur  et  Madame. 
Veto  ,  dit  un  autre.  Quand  nousjetere\- 
vous  la  tête  du  roi  et  celle  de  la  reine ,  s'ë- 
crioient  ceux  qui  étoient  restés  dans  les 
cours  et  sur  les  terrasses  !  Cqs  cris  de 
mortétoient  accompagnés  de  gestes  plus 
alTreux  encore  :  plus  d'une  fois  le  roi 
courut  le  danger  de  sa  vie ,  plus  d'un 
poignard  fut  dirigé  sur  lui.  Ce  cortège 
horrible  réunissoit  enfin  tout  ce  qui  pou- 
voit  inspirer  l'épouvante  et  jeter  dans 
son  âme  les  angoisses.de  mille  morts  réu- 
nies. L'un  de  ces  monstres  portoit  au 
bout  d'une  fourche  un  cœur  sanglant  de 
veau  ,  avec  cette  inscription  :  cceur  des 
aristocrates:  un  autre.. .  .Puissances  du 
ciel,  qui  contempliez  Louis  luttant  seul 
avec  sa  vertu  contre  cette  horde  d'assas- 
sin?, vous  qui  le  couvriez  sans  doute  de 
votre  égide  ,  puisqu'il  échappa  encore 
une  fois  à  leurs  fureurs,  dites-nous  si 
jamais  il  se  montra  plus  digne  de  vos 
regards  et  de  votre  protection ,  que 
dans  cette  funeste  journée.  La  reine  en 
partagea  ,  avec  lui  ,  les  dangers  et  les 
outrages  :  c'est  contre  elle  que  sediri- 
geoient  principalement  les  poignards  et 

S  5 


iii       ^  t  d  t/ 1  i  t  if  i. 

les  imprécations ,  c'est  elle  surtout,  que 
d'Orléans  vouloit  égorger.  Son  courage 
n'en  fat  point  abattu ,  la  sérénité  de 
son  front  n'en  fut  pas  troublée  un  mo- 
ment. Calme  au  milieu  des  hurlemens 
qui  demandoient  sa  tête  ,  et  tremblante 
seulement  pour  les  jours  du  roi  et  pour 
ses  enfans  ,  elle  opposa  constamment 
aux  brigands  une  dignité  tranquille,  et 
son  seul  regard  les  faisoit  pâlir,  ou  le^  at- 
tendrissoit  malgré  eux. C'est  une  justice 
que  la  postérité  doit  et  rendra  à  cette 
illustre  malheureuse,  qu'elle  sut  tou- 
jours être  reine  ,  et  que  le  sentiment  de 
ce  qu'elle  devoit  être  ne  l'abandonna 
pns  un  instant,  et  la  suivit  jusque  sur 
l'échafaud. 

Tel  est  l'ascendant  invincible  de  la 
vertu  et  du  courage  fur  les  âmes  les 
plus  féroces ,  qne  la  contenance  noble 
et  ferme  du  roi  et  de  la  reine  lassèrent 
enfin  00  désarmèrent  encore  une  fois 
la  rage  de  leurs  bourreaux.  Cette  hor- 
rible journée,  commencée  sous  les  aus- 
pices les  plus  sinistres,  se  termina  enfin 
sans  TefFusion  du  sang  proscrit,  et  les 
monstres  se  retirèrent,  coniens  d'avoir 
affublé  ces  têtes  augustes  deleur  hideux 
bonnet  rouge  ,  qui  eût  été  honoré  dès 
ce  moment ,  si  le  signe  du  crime  pou- 
voit  l'être  jamais. 

Les  intentions  de  ceux  quidirigeoieut 


L  0  u  I  8    X  V  i.  4x3 

ces  mouvemens  étoient  si  formellement 
prononcéts  ,  que  Tun  des  chefs  ne  put 
s'empêcher  de  dire,  en  descendant  l'es- 
calier du  chAteau  :  k  coup  est  manqué. 
Il  le  fut  en  effet  pour  cette  fois  >*  et  ces 
mêmes  hommes  qui  étoient  venus  poar 
se  baigner  dans  le  sang  de  la  famille 
royalr  :  s'en  re  tournoient  en  criant:  vive 
le  toi,  vive  la.  reine.  La  rage  des  factieux 
en  pâlit  :  mais  ,  revenus  bientôt  de  ce 
moment  d'alarmes  ,  leur  opiniâtre  fé- 
rocité conçut ,  enfanta  ,  organisa  la 
iournée  du   lo  août.  Jouméedu 

Leurs  mesures  furent  tellement  prises  loaoût. 
alors ,  leur  plan  si  bien  concerté  ,  q\i'i\ 
étoitimpossiblequeleur  victime  ne  suc- 
combât pas  enfm  à  tant  de  moyens  réu- 
nis pour  la  perdre.  L*ame  se  déchire  et 
la  plume  se  refuse  au  récit  de  ces  scènes 
d'fiorreurs  si  souvent  renouvelées  dans 
un  espace  de  tems  aussi  court  5  et  nous 
nous  sentons  à  peine  la  force  de  décrire  ^ 
ce  que  Louis  a  eu  le  courage  d'endurer. 
Jusqu'ici  nous  n'avons  vu  qu'une  poi- 
gnée de  brigands,  l'écume  des  faubourgs 
de  Paris ,  s'appelant  insolemment  le 
peuple  français  ,  la  nation  ,  se  porter 
successivement  à  des  excès  scandaleux, 
mais  faciles  à  réprimer.  Il  n'en  est  plus 
de  même  aujourd'hui  ;  c'est  tout  ce  que 
la  France  receloit  de  bandits  ,  vomis 
tout  à  coup  dans  les  murs  de  la  capi- 

b6 


414  L  o  u  I  s    X  V  L 

taie,  et  marchant  au  crime  sous  un 
étendard  de  sang.  Cette  horde  d'assas- 
sins arriva  à  Paris  le  3o  juillet  ,  et  des 
assassinats  signalèrent  leur  arrivée.  Ad- 
mis à  la  barre  de  rassemblée  ,  ils  diseni; 
ridée  de  rai  ne  présente  que  Vidée  des 
trahisons  :  et  cependant  vous  n'ape^  pià 
encore  prononcer  sa  déchéance.  Peu  de 
jours  après  ,  (  /^  3  août)  Péthion  haran- 
gue l'assemblée  ^ et  termine  en  disant: 
s*  il  faut  avoir  thonneur  de  mourir  pour 
lapatrie  ,  qu^avant  de  rendre  le  dernier 
soupir  ,  chacun  de  nous  illustre  sa  mé- 
moire  par  la  mort  d'un  esclave  ou  d'un 
tyran.  Tandis  que  ces  discours  incen- 
diaires circulent  dans  une  partie  de  Pa- 
ris et  échauffent  les  têtes  ;  on  soulève, 
on  excite  les  faubourgs, on  les  rapproche 
àes  Marseillois  ,  on  leur  retrace  leurs 
premiers  exploits,  et  on  leur  peint  la 
mort  du  tyran  ,  comme  le  terme  de 
leurs  maux  et  l'aurore  de  leur  liberté. 
Le  roi  étoit  instruit,  depuis  plusieurs 
Jours,  de  tout  ce  que  l'on  faisoit  pour 
agiter  le  peuple^  et  pour  le  portera 
quelque  grand  mouvement.  Tant  d'ex- 
périences douloureuses  l'avoient  con- 
vaincu depuis  long-tems  que  sa  perte 
étoit  décidée,  et  la  journée  du  20  juin 
l'a  voit  résigné  au  sacrifice  de  sa  vie. 
Simple  particulier ,  il  pouvoit  attendre 
tranquillement  la  mort  >  et  donner  en- 


Louis    XVI.  4i£» 

•core  ce  grand  exemple  de  courage  ;  roi , 
il  devoir  plus;  il  étoit  comptable  à  la 
France,  à  ses  sujets  ,  à  la  postérité  ,  des 
moyens  employés  pour  sa  défense  ,  et 
c'est  précisément  parce  qu'il  n'y  avoit 
plus  pour  lui  de  salut  que  dans  une  ré- 
sistance vigoureuse,  qu'il  ne devoit  rien 
négliger  pour  IV  pposer  à  ses  ennemis. 
Tel  étoit  Tavis  de  la  reine  ,  et  celui  de 
la  plupart  de  ceux  qui  entouroient  le 
roi;  il  en  sentoit  lui-  même  toute  la  force. 
Mais  les  sentimens  se  partageoient  au- 
tour de  lui  5  et  battu  par  ce  reflux  ora- 
geux d'opinions  contraires,  il  lui  éioit 
difTicile  de  prendre  un  parti.  Répétons- 
le  encore  une  fois  ;  il  ne  manquoit  ni  de 
sagaciié  pour  prévoir ,  ni  de  force  pour 
résoudre  ;  mais  Texéciition  Tépocvan- 
toit  :  tous  les  moyens  violens  répu- 
gnaient à  son  cœur  ;  et,  à  la  seule  idée 
du  sang  ,  et  du  sang  versé  par  ses  or- 
dres ,  sa  force  l'abandonnoit ,  et  il  se 
trouvoit  le  plus  foible  des  hommes. 
Voilà  le  principe  de  tous  ses  malheurs 
et  la  cause  unique  de  sa  chûie. 

-A  ux  6  et  6  octobre ,  un  ordre  de  sa  part 
dissipoit  Tattroiipement.Mais  cet  ordre 
eût  fait  couler  le  sang  ,  et  le  cœur  de 
Louis  s'y  refusa.  A  Varennes  ,  un  mot 
seulement  ,  et  sa  marche  étoit  libre. 
Mais  il  préféra  les  fers  d'une  captivité 
plus  dure  encore  que  la  première  ,  à  la 
douleur  de  voir  couler  le  sang  françois. 


4i5  L  o  u  î  s    X  V  1. 

Aux  20  juin  et  ic  août  ,  Tappareil 
de  la  résistance  eût  sufTi  pour  mettre eii 
fuite  ces  hordes  de  brigands  indiscipli-i 
nés.  Mais  il  conjure  tout  Ce  qui  lui  esf 
attaché  ,  tout  ce  qui  prétend  à  l*hon- 
fteur  de  le  défendre ,  de  respecter  le 
sang  de  ses  sujets.  Partout  enfin  il  répète 
qu'A  ne  veut  pas  qu'un  seul  homme  pe- 
risse  pour  sa  cause.  Elan  sublime  de 
rhéroïsnie  chrétien,  mais  qui  ne  sauve 
ni  les  rois  deTéchafaud,  ni  les  peuples 
de  la  tyrannie  des  brigands* 

Le  tocsin  sonne,  le  sang  va  couler;  il 
ne  nous  reste  plus  que  des  massacres  à 
décrire.  Ranimons  cependant  nos  for- 
ces^ etrappelonsnous  pourles  soutenir^ 
que  celai  dont  nous  écrivons  l'histoire  i' 
souffert,  sans  marmure,  tout  ce  que 
nous  ne  peindrons  pas  sans  répugnance* 

Un  petit  nombre  d'amis  fidèles  ,  pres- 
que sans  armes  ,  mais  résolus  de  mou-^, 
rir  à  ses  pieds  ;  quelques  compagnies?^ 
de  Suisses  inaccessibles  à  la  peur,  quel* 
ques  bataillons  de  la  garde  nationale  : 
voilà  donc  lesforces  queLouis  peut  oppo- 
ser au  torrent  d'ennemis  qui  innondent 
son  palais  !  Voilà  donc  tout  ce  qui  lui 
reste  po)ir  défendre  son  trône,  ses  jours 
et  ceux  de  sa  famille  !  Quelques  îoibles 
que  fussent  cependant  ces  moyens  de 
résistance,  on  en  tira  le  meilleur  parti 
possible  ,  on  fit  toutes  les  dispositions 
qu'exigeoient  les  localités,  et  que  per- 


Louis    ^  V  Î.  417 

lïiettoient  les  forces  présentes.  Le  roi 
en  fit  lui-même  la  revue ,  visita  tous 
les  post'-s  ,  et  lut  sur  tous  les  visages 
rattachement  ,  le  respect  etsurtout  le 
désir  bien  prononcé  de  ne  pas  l'aban- 
donner ,  de  périr  on  de  vaincre  à  ses 
côtés.  Oui  ,  j'en  jure  ici  les  mânes  des 
braves  m^riyrs  de  cette  grande  cause: 
oui ,  ce  voeu  étoit  dans  tous  les  cœurs  ; 
tt  ce  serment  de  l'amour ,  le  courage 
l'auroit  rempli.  Mais  le  sort  en  avoir 
autrement  ordonné  ,  et  tandis  que  Ton 
n'attendoit  qu'un  ordre  de  sa  bouche 
pour  dissiper  Tinsurrection,  Louis,  cé- 
dant aux  perfides  insinuations  de  ses 
plus  dangereux  enuemis  ,  prenoit  le 
parti  funeste  de  se  rendre,  avec  sa 
famille  ,  dans  le  sein  de  l'assemblée  na- 
tionale. 

Rendons  toujours  justice  k  ses  inten-  I  oms  se 
fions  :  il  vouloit  épargr>er  le  sang....  Le  s!"  famine 
sang  coula-t-il  moins  ?  A  peine  est-ildaw  lesein 
^endu  dans  le  sein  du  corps  législatif ,  jj^^.^'^^s^?- 

au  milieu  des  imprécations  d^unepopir-iafive/^'^" 
lace  effrénée  ,  qu'une  décharge  d'artil- 
lerie se  fait  entendre.  Le  cœur  de  Louis  « 
en  tressaille.  Ah!  s'écrie-t-il  doulou- 
reusement: Pavois  donné  des  ordre  s. pour 
qiîon  ne  tirât  pas.  Le  tumulte  augmente, 
les  décharges  se  succèdent  avec  rapidité; 
les  balles  viennent  frapper  les  croisées 
de  l'assemblée.Onannonce  bientôt  après 
que  les  insurgés  sont  en  fuite  ,  que  les 


4i8  Louis    XVI. 

Suisses  ont  vaincu,  et  que  leurs  cama- 
rades accourent  de  Ruelle  pour  les  se- 
conder. Oa  force  le  roi   de  signer  s  ar 
le  champ  l'ordre ,  aux  uns ,  de  retour- 
ner sur  leurs  pas  ;  aux  autres:,  de  ces- 
ser le  feu.  Le  feu  cesse:  les  gémissemens 
Massacre  et  les  accens  de  la  mort  succèdent  à  ce 
des  Suisses,  lugubre  silence.    Enhardi   par  l'ordre 
donné  aux  Suisses  ,  les  insurgés  revien- 
nent avec  un  nouvel  acharnement ,  et 
commencent   cet  effroyable  carnage  , 
qui  nous  épouvanteroit  dans  l'histoire 
des  peuples  les  plus  barbares.  V^ous  l'a- 
vez permis,  grand  Dieu  !  il  falloir  bien 
montrerune  fois  de  quoi  la  perversité  de 
Louis  dé-  l'homme  étoit  capable  î  La  déchéance 
chuettrans-du  roi  est  prononcée  à  grands  cris  ,  et 
feré    au     ji  ggi-  (iécrété  que  lui  et  sa  famille reste- 
t^o^P  e.     ^^^^  en  otage  sous  la  saupe- garde  de  la 
loi  et  des  vertus  hospitalières  du  peuple 
François,  Louis  ne  quitte  l'assemblée  que 
pour  êire  enseveli  avec  sa  femme  ,  sa 
fœur  et  ses  enfàns  ^  dans  les  cachots  du 
Temple. 
-  Au  récit  de  ce  nouvel  attentat?  les 

l^es  enne—        .  •,-    ,  i  a  \  i 

mis  pren-  puissances  Coalisées  se  hâtèrent  de  mar- 
nent cher  au  secours  du  roi.  Longwi  et 
Lon^wi  et  Ygj^^m-j  tombent  en  leur  pouvoir  y  et  ils 
mettent  le  siège  devant  Lille.La  stupeur 
paralyse  un  moment  l'assemblée  et  les 
jacobins  ;  mais  ils  reprennent  bientôt 
courage  y  et  le  premier  usage  qu'ils  en 
font,  est  d'organiser  le  massacre  de  tout 


Louis    XV  f.  419 

Ce  quelps  prisons  avoientenglouti  d'amis 
du  loi  et  de  l'(>rdre  ,  depuis  la  journée  Massacrccfa- 
du  10  août.  Alors  commença  en  France?  stptem- 
ce  cours  effrayant  d'assassinats  ,  cette 
chaîne  sanglante  de  forfaits  ,  si  inouis 
jusqu'au  siècle  qui  les  a  vu  naître ,  que 
l'on  n'a  pu  leur  trouver  d'autre  nom 
encore  ,  que  celui  des  jours  aifreux  qui 
en  ont  été  les  témoins. 

Le  décret  qui  avoit  prononcé  1?  dé-  .  ^^"^'^"I 
cheance  de  Louis  AVI,   avoit  convo- nale. 
que  en  même  tems  une  convention  na- 
tionale, dont  le  premier,  le  grand  ob- 
jet devoit  êire  de  juger  \e  roi.  Jusques 
là  ,  il  y  avoit  eu  un  mode  observé  dans 
les  élections  ;  mais   alors  on  laissa  au 
crime  une  latitude  effrayante ,  en  don- 
.nantauxélecteursTinconcevable  faculté 
de  choisir  leurs  députés  par  tout  où  ils 
le  jugeroient  à  propos  ;  afm  ,  sans  dou- 
te ,   quMn'y  eût  pas  un  bandit  au  mon- 
de ,  qui  ne  pût  se  prévaloit  de  ses  titres, 
pour  siéger  dans  une  pareille  assemblée; 
cela  étou  conséquent  :    c'étoit  appeler 
selon  eux  ,  à  ce  sénat  auguste,  les  ta- 
.lens  et  les  vertus  ,  quelque  part  qu'ils 
se  trouvassent:  cela  étoit  bien  plus  con- 
séquent encore.  Grâces  soient  rendues 
une  fois  à  la  démence  en  fureur  !  Elle 
voulut  affranchir,  en  partie  du  moins  , 
les  François  de  l'opprobre  dont  l'assem- 
blée nouvelle  alloit  se  souiller. 

Fidèle  au  vœu  qui  la  convoquoit  3  la 


420  L  o  tï  I  s     X  V  I. 

convention  nationale  commença  ,  en 
abolissant  la  royauté ,  par  dépouiller  W 
François  du  respect  qui  pouvoit  encore 
leur  parler  pour  leur  roi.  Un  vil  histrion 
méprisé  même  dans  son  état  ;  un  homme 
au-dessous  duquel  le  mépris  neyoitplui 
rien  ,  Collot-  d'Herhols  parle  :  et  à  sa 
voix  ,  quatorze  cents  ans  de  monarchie 
-  s'écroulent ,  et  la  France  est  proclamée 

ai  Septem.  r»  '      ;  ;•         iV  '      • 

La  Fiance  Kepubliquel  Cette  monstrueuse  création 

proclamée  étonua  tellementceuxmême  qui  a  voient 

Képubliquei^pl^g  d'intérêt  à  la  protéger  ,  que  i^o- 

bespierre  disoit  que  la  république  s'é- 

toit  glissée  à  Tinsçu  et  au  milieu  de 

tous  les  partis  :  Danton  ,  que  ,  nouveau 

Saturne ,   elle  alloit  dévorer  tous  ses 

en  fans. 

a?  Seprem.      Le  23,  la  convention  décrète  que  le 

Procès  du  ^^-^  seiSLJu^é  par  elle,  et  le  12  du  mois 

rot.  iicom-       .  ^  .f      '^  .    f    , 

parou  à  lasuivaut,  il  est  tire  ûe  sa  prison ,  et  con- 
b^.rrede  la  duit  à  la  baiTe  de  l'assemblée, 
coavennon  ^^  ^  ^^  j,^-  présente  une  longue  série 
d'accusations,  appuyées  de  leurs  piè- 
ces. Il  répond  à  tout  avec  clarté  et  pré- 
cision, sans  trouble  ,  sans  le  plus  léger 
mouvement  d'impatience  ou  d'indi- 
gnation. Ses  assassins  eux-mêmes  en 
font  consternés.  Comme  il  m^afait pleu- 
rer ^  s'écrie  malgré  elle,  une  des  Mégè- 
res stipendiées  pour  vociférer  sa  mort- 
Ce  respect  involontaire  attaché  à  une 
grande  infortune  ,  ce  rapprochement 
terrible  de  l'état  passé  à  l'éiat  présent 


Louis    XVI.  421 

de  Tauguste  accusé  ,  sa  chevelure  en 
désordre,  sa  longue  barbe,  ce  front  tlétri 
par  la  douleur,  ce  regard  qui  faisoit 
encore  pâlir  ses  bourreaux  ,  tout  devoit 
commander  Tintérêt ,  et  faire  naître 
l'attendrissement.  Mais  fléchir  des  ti- 
gres! Attendrir  un  d'Orléans  !.... 

Louis  avoit  demandé  ce  qu'on  ne  re- 
if  use  pas  au  plus  criminel  ,  la  commu- 
nication des  pièces  à  sa  charge,  et  un 
conseil  pour  rédiger  sa  défense.  En  at- 
tendant la  réponse  de  la  convention  ,  it 
s'étoit  retiré  dans  la  salle  des  conféren- 
ces; il  étoit  quatre  heures  du  soir.  Exté- 
nué de  fatigues  et  encore  à  jeun  ,  il  re- 
garde autour  de  lui,  et  demande  à  ceux 
qui  l'environnent,  s  il  ne  leur  seroit  pas 
possible  de  lui  procurer  un  morceau  de 
pain!,,  .  un  morceau  de  pain  !  Sujets  in- 
grats qui  l'entouriez  !  et  votre  coeur  ne 
s'est  pas  brisé  de  douleur  à  ces  accens  l 
vous  n'êtes  pas  tombés  à  ses  genoux  > 
pour  lui  offrir  votre  existence  !  le  voilà 
donc  réduit,  celui  qui  fut  votre  maître 
et  votre  père  y  le  voilà  donc  réduit  à 
vous  demander  ,  incertain  encore  de 
l'obtenir  ,  ce  que  votre  pitié  n'oseroit 
pas  refuser  au  pauvre  inconnu  qui  le 
mendie  à  votre  porte  tous    les  jours  î 

Tandis  que  Louis  mange  en  le  trem- 
pant de  ses  pleurs  ,  ce  morceau  de  pain^ 
les  débats  s'échaufFentdansl'assemblée, 
LesOrléanistes  s'attendoient  tellement  k 


4i2  L  o  u  1  s    X  V  T. 

le  voir  condamner  le  jour  même  ,  qu'il 
lui  avoient  fait  dresser  un  lit  dans  um 
dessalles  voisines.  Les  monstres  insis 
toient  donc  avec  acharnement,  pou] 
que  tout  conseil  de  défense  lui  fût  refu 
se 3  et  qu'il  fût  jugé  séance  tenante.  Mai; 
cette  opinion  trop  visiblement  atroce 
n'étoit  pas  l'opinion  générale.  Parmi  le: 
députés ,  les  uns  ne  vouioient  que  la  dé 
chéance;  les  autres  ,  qu'un  otage  contn 
les  puissances  ennemies  ;  un  très-granc 
nombre ,  l'appel  au  peuple-  Ces  opinioai 
diverses  se  heurtoient  avec  tant  de  vio- 
lence qu'il  fut  arrêté  que  Louis  seroi 
reconduit  au  Temple.  Il  y  revint  à  tra 
vers  les  cris  déchirans  pour  son  cœu: 
de  pive  la  nation  !  vive  la  république  : 
vive  Louis  Capet  à  la  guillotine, 
Oa  accoroe  La  convention  y  par  un  reste  de  pu- 
«n  conseil  à  jg^j-^  et  effrayée  peut-être  de  son  pro- 
pre ouvrage  ,  n'osa  refuser  au  malheu- 
reux Louis  ce  qu'il  avoit  demandé.  Elle 
décréta  qu'il pourroit  se  choisir  un  con- 
seil ,  et  communiquer  librement  avec 
lui ,  ainsi  qu'avec  sa  famille. 

Le  choix  du  roi  se  porta  d'abord  sui 
Target;  Target,  qui,  loin  de  sentir  toui 
le  prix  de  cette  honorable  préférence  j 
ne  craignit  pas  de  s'immortaliser  parla 
lâcheté  de  son  refus.  Le  roi  s'y  montra 
sensible;  mais  combien  il  fut  dédomma- 
gé, dans  ce  momentd'ingiatitude,  enli- 
sant parmi  IcS  noms  de  ceux  qui  récla- 


L  o  u  I  s    X  V  I.  4-3 

loient  à  Tenvi  cette  dangereuse  fonc- 
ion  ,  le  nom  du  vertueux  Malesherbes  , 
ui  avoit  été  deux  fois  so:i  ministre  ,  et 
toit  constamment  resté  son  ami. 

M.  Tronchet  fut  désigné  par  le  roi 

our  remplacer  le  lâche  Target,  et  il  se 

enditau  Temple  dans  la  matinée  du  14 

;Vec  M.  de  Malesherbes.  Comme  il  f.il- 

oit  que  le  roi ,   en  vertu  du  décret  de 

a  convention  ,  reparût  à  la  barre  le  26, 

:  es  deux  défenseurs  de  Louis  lui  propo- 

ërent  de   s'adjoindre  M.Desèze  ,  qui 

partagea  dès  ce  moment ,  Phonneur  de 

eur  immortalité.  M.  Desèze  travailla 

avec  la  rapidité  et  la  chaleur  du  zèle;  et 

.6  26  ,  Louis  fe  rendit  de  nouveau  à  la 

convention,  accompagné  de  son  conseil. 

Le  jeune  orateur  lut  son  plaidoyer  ,36  Décem. 
qu'il  terminaainfi  :  "Entendez  d'avance     Louis 
»w  rhistoire  qui  redira  à  la  renommée  :  ^e'^f^uv^eau 
'» Louis    étoit   monté   sur   le    trône   ànlaconven- 
'o  vingt  ans  ,   et  à  vingt  ans  ,    il  donna"''"    *''??= 
'wsur  le  trône  l'exemple  des  mœurs  ;  il'''  '""'''^* 
•»>n'y  porta  aucune  fiblesse  coupable, 
•»>  ni  aucune  passion  corruptrice  ;   il  y 
f)fut   économe,  jr.ste  ,    sévère;  il  sy 
fj  mourra  toujours    l'ami   constant  du 
'W  peuple.  Le  peuple  désiroitla  destruc- 
w  tîond'un  impôt  désastreux  qii  pesoit 
V  sur  lui ,  il  le  détruisit  ;  le  peuple  de- 
»  mandoit  l'abolition  de  la  servitude, 
»  il  commen.a  par  l'abolir  lui-même  ; 
»  le  peuplesollicitcit  des  réformes  dans 


4t'4    ^         L  o  u  I  s    X  V  L 
»  la  législation  criminelle,  pour  l'adou 
»  cissemeot  du  sort  des  accusés  ,  il  fi 
»  ces  réformes.  Le  peuple  vouloit  qut 
»  des  millions  de  François  ,  que  la  ri 
5>  gueurde  nos  usages  avoit  privés  jus- 
»  qu'alors  d^s  droits  qui  appartienneni 
»  aux  citoyens ,  acquissent  ces  droits  e 
»  les  recouvrassent  5  il  les  en  fit  joui] 
»  par  ses  lois.  Le  peuple  voulut  la  licerté 
w  il  la  lui  donna:  Il  vint  même  au-devan 
»  de  lui  par  des  sacrifices  5  et  cependant 
»  c'estaunom  de  ce  même  peuple  qu'or 
»  demande  aujourd'hui. . . .  Citoyens . 
»  je  n'achève  pas. ...  Je  m'arrête  de- 
»  vaut  l'histoire ,  songez  qu'elle  jugen 
>5  votre  jugement,  et  que  le  sien  sen 
»  celui  des  siècles.»  Quand  il  eut  ache- 
vé ,  Louis,  d'une  voix  que  le  malheui 
n'avoit  point  altérée,  adressa  à  Passem- 
Liée  ce  discours  aussinoble  que  touchant 
Dî' cours     a  On  vient  de  vous  exposer  mes  moyenj 
»  de  défense,  je  ne  les   renouvellera 
»  point,  en  vous  parlant  peut  être  pom 
»  la  dernière  fois.  Je  vous  déclare  que 
i>  ma  conscience  ne  me  reproche  rien 
»  et  que  mes  défenseurs  ne  vous  ont  di 
»  que  la  vérité.  Je  n'ai  jamais  craint  qut 
»  ma  conduite  fût  exposée  publique- 
»  ment  ;  mais  mon  cœur  est  déchiré  dt 
>>  trouver  dans  l'acte  d'accusation  l'im- 
»  putation  d'avoir  voulu  faire  répandre 
»  le  sang  du  peuple ,  et  furtout  qr.( 
»  les  malheurs  du   10  août  me  soien 


'ûv.  roi 


LOUIS    XVI.  4i5 

attribués.  J'avoue  que  les  preuves 
multipliées  que  j'avois  données  dans 
tous  les  tems  de  mon  amour  pour  le 
peuple,  et  la  manière  dont  je  m'étois 
toujours  conduit,  me  paroissoient  de- 
voir prouver  que  je  craignois  peu  de 
m'exposer  pour  épargner  son  sang  , 
et  éloigner  à  jamais  une  pareille  im- 
putation». 

C'étoit  le  langage   du  sentiment   et 
çixpression  de  la  vérité.  Mais  le  dis- 
ours de  Louis ,  l'éloquence  de  Desëze, 
■  L  les  pleurs  du  vénérable  Malesherbes, 
out  fut  inutile  ,  rien  n*étoit  plus  capa- 
»le  d'amolir  ces  cœurs  féroces  :  l'arrêt 
toit  porté,  et  Louis,  condamné  avant 
l'avoir  été  entendu,  Ce  vain  appareil , 
[  'b  toutes  les  formes  judiciaires  étoient 
^nolées ,  etla  majesté  des  lois  si  indigne- 
i^nent  compromise,  n'étoit  qu'une  cou- 
pable dérision  ,  et  un  crime  de  plus. 

L'innocence  de  Louis  et  l'atroce  per- 
versité de  ses  ennemis  n*ont  jamais  été 
•  3t  ne  pouvoient  être  l'objet  d'une  dis- 
cussion. Le  simple  exposé  des  faits  cons- 
tate Tune  et  l'autre  d'une  manière  si 
positive  ,  qu'elle  ne  laisse  pas  même  de 
place  àTexamen.  Ils  le  sentoient  bien  , 
ses  farouches  pertécuteurs  5  et  voilà 
pourquoi  il  leur  tardoit  de  voir  expirer 
leur  victime  ;  pourquoi  surtout  ils  re- 
'  lent  avec  fureur  l'idée  de  l'appel  au 
,     iiAq  y  qui  l'eût  peut-être  sauvé  ,  et 


426  L  o  u  I  s    X  V  I. 

qui ,  bientôt  après  devint  un  titre  de 
proscription  pourlesdéputés  qui  avoient 
eu  le  courage  de  le  propofer. 

L'ordre  des  délibérations  fut  réglé  de 
la  manière  suivante ,  dans  cette  révol- 
tante procédure. 

ï.""  Louis  Capet,  est  il  coupable  de 
conspiration  contre  la  liberté  nationale, 
et  d'attentats  contre  la  sûreté  générale 
de  Vàat  ? 

Il  n'y  eut  qu'une  voix  pour  TafTir- 
mative  sur  cette  première  question  ;  et , 
pour  cette  fois  ,  les  nionstres  raisonnè- 
rent avec  quelque  justesse. Ils  avoienten 
effet  déclaré  si  souvent  ,dans  leurs  pla- 
cards et  dans  leurs  diatribes  ,  Louis 
coupable  de  ces  prétendus  attentats  , 
qu'il  n'étoit  pas  vraisemblable  qu'ils 
voulussent  tomber  dans  une  contradic- 
tion, qui  en  eût  fait  tout  à  coup  de  vé- 
ritable royalistes. 

2.**  l.e  jugement  qui  sera  rendu  surLouis 
soit  qu  il  condamne  ou  qu  ilabsob  e  ,sèra- 
t-il  soumis  a  la  ratification  du  peuple , 
réuni  dans  ses  assemblées  primaires  ? 

11  tut  décidé,  à  ia  pluralité  des  voix, 
que  le  jugement  de  Louis  ne  seroit 
point  soumis  au  peuple  assemblé  ;  et 
le  peuple  se  trouva  absous  de  la  mort 
d'un  roi,  qu'il  lui  eût  été  peut-être  im- 
possible de  sauver. 

3 .  ^  Quelle  peine  infligera-t-on  à  Louis 
Cap  et  ?   <■ 

Parmi 


L  0  u  I  s    X  V  ï.  427 

Parmi  les  dépatv^'s  ,  les  uns  votèrent 
pour  la  déportation,  les  autres  pour  laf 
détention.  Mais  les  Orléanistes  ,  par  des 
menées  que  l'histoire  développera  en 
frémissant ,  obtinrent  une  majorité  de 
cinq  voix.  Ainsi  une  foible  majorité  d<3t 
cinq  voix,  COI  d  LU  si  t  àTéchafaudle  des- 
cendant de  soixante-six  rois;  et  comme 
to:t  devoit  porter  ,  dans  cet  eiirayant 
pr<)cès,  le  caractèi"e  d'une  perversité 
inouie,  son  déli[  principal  fut  de  n'a- 
voir pas  été  fiJële  à  cette  même  consti- 
tution 5  que  ses  bourreaux  venoi^nc 
de  renverser  avec  tant  d'audacCr 

Qiiand  !e  tour  de  Tinfâme  d'Orléans 
fut  venu  àe  prononcer  sur  cette  troi- 
sième et  dernière  question  ,  il  monta  à 
la  tribune  ,  et  prononça  ou  lut  ces 
effroyables  paroles  :: 

«  Uniquement  occupé  de  mon  de- 
»  voir,  et  convaincu  que  tous  ceux  qui 
»  ont  ai  tenté. ou  attenteroient  par  la  sai- 
»  te  à  la  souveraineté  du  peuple,  méri- 
»  tent  la  mort  ,  je  vote  pour  la  mort!  » 

La  mortl  Ce  mot  ^  dans  la  bouche 
du  monstre,  fit  pousser  un  cri  d'efFioi 
à  des  hommes  mêmes  quePon  necroyoit 
plus  susceptibles  d'humanité.  ïs  se  le- 
vèrent brusquement  y  détournèrent  la 
tête,  en  faisant  avcc  les  mains  un  mcu- 
vement,  comme  pour  repousser  ce  mi- 
s/rahle  du  mili-a  d'eux,-  ils  s'ccvièrems 
Oh  horreur  !  oh  le  monstre  ! 

Tome  IIL  S  * 


4â8  L  a  u  I  s    XV  L 

Quittons  enfin  cet  antre  de  cannibales  r 
oîi  noire  sujet,, grâces  au  ciel,  ne  noaâ' 
ramènera  plus  ,  et  transportons-nous 
dans  le  temple,  dans  cette  prison  ,  ho- 
norée dt  puis  lon^^-temps  parles  malheurs 
et  les  vertus  de  Louis. 

On  vient  lui  communiquer  son  juge-^ 
ment.  Il  s'y  Ptiendoit  ;  il  Pécoute  sans- 
trouble,  et  s'y  résigne  sans  marmure^ 
Y^-^^*    C*est  un  des  beaux  momens  dj  sa  vie. 
""l  e^"'i'eÎ!Î'^\^^"'P^^^'^^^  d'une  autre  plume  le  détail 

condamné    Suivaut. 

à  murr  On      <v  J^^  voulas  être  du  nombre  de  ceux^^ 

Vient     lux  •    j  •       4.    A  '  V    r    1 

ct.mmuni-  ^  ^^^^  aev(3ient  e.re  presens  a  la  lecture- 
querscnju-  -*  de  l'arrêt  de  mort  de  Louis.  Il  écouta 
gtmeiu,  ^^  gy^j,  jjri  s  ng-froid  rare  la  heure  de 
»  ce  jiigemen.t.  Lorsqu'elle  fut  achevée, 
»  il  denic-nda  sa  famille,  un  ro-nfesseiT,. 
»  enhn  iout  ce  qui  \, ou  voit  Lii  être  de 
y  quelque  Sv)ulagement  à  son  heure  der- 
»  Uière.  Ilmitiant  d';  ncaon,de  dignité  y, 
»  de  n^o^Fesse,  de  grandei^r  dans  som 
^  mainiien  et  dans  s^^s  paroltis ,  que  je 
^  ne  pus  y  tenic.  D^s  pleurs  de  rpge' 
y  vinrent  mouiller  mes  paupières,  il 
»  avol'  dans  ses  r.'g.'^rds  et  dans  ses  ma- 
»  niëres  q  le'q  le  cliose  de  visiblement 
s>  surnaturel  à  Thamme.Te  me  ret  rai  tn- 
»  vou  ani  retenir  des  larmes  qui.  cou- 
»  loient  malgré  mol,  et  bien  résolu  de 
»  fmir  là  mon  ministère.  Je  m'en  ouvris 
»  à  un  de  mes  col'.è  ;ues  ,  qui  n'avoit  pas 
»  plus  de  fermeté  <iue  moi;  pour  le  conr 


L  a  u  I  s    X  V  r.  4i9» 

If  tinuer,  et  je  lii  d-s,  avec  ma  fr^n- 
3^  c  hise  ordinaire:  Mon  ami  y  les  prêtres^ 
»  membres  de  ta  convention  y  en  votant 
»  pour  la  mort  y  quoique  la  sainteté  de 
ï^  leur  caractère  h  Leuraeft  ndlt  yOntfo^^mé 
»  la  majorité  qui  nous  délivre  du  tyran; 
»  th  bien  !  que  ce  soit  aussi  des  prêtres 
fi  constitutionnels  qui  le  conduisent  à 
y  Céchàfaud.  Des  prêtres  constitutionnels 
»  ont  seuls  asse^  de  férocité  pour  remplir 
y  un  tel  emploi.  Nous  fîmes  en  effet  dé- 
»  cidcrr  ,  mon  collègue  et  mai ,  que  ce 
»  s-roient  les  deux  prêtres  municipaux  ^ 
y  Jacques  Roux  ^Pierre  Bernard,  qui 
»  C(  nduiroitnt  Louis  à  la  mort  ;  et  l'en 
»  sait  qu'ils  s'acquittèrent  de  cette  fonc- 
»  tiorr  avec  Tinsensibilité  des  bê;es  fé- 
»  rocfs,  y> 

Ce  témoignage  autRentique  arraché 
à  la  force  de  la  vérité  ^  paroîtra  d'au- 
tant moins  suspect ,  qu'il  est  liit-^ale- 
ment  copié  du  plus  fougueux  démagogue 
qui  ait  jamais  blasphémé  la  leli^ion  et 
les  rois  de  son  pays  ,  de  cet  Hébert  , 
souillé  de  célébrité  dans  les  fastes  révo- 
lutioiinaires.  Il  semble  même  que  la  plu- 
me orduriëre  du  père  DuMne  ,  se  soit 
élevée  malgré  elle  à  la  dignité  du  sujet  , 
et  ait  oublié  pour  un  iour  ,  de  se  trem- 
per dans  la  fange» 

Arrivé  au  heu  fatal  de  l'exécution  y 
et  déjà  monté  sur  le  théâtre  sanglant  oîi' 
tant  d'autres  victimes  dévoient  le  sui^ 


4^à  t  o  u  I  s    X  V  T. 

Vre ,  et  oîi  la  mort  alloit  terminer  se; 
souffrances,  Lo-iis  vo-uîut  prononcf 
quelques  mots.  Qu'on  r empêche  de  par 
1er,  s'écrie  une  voix  ternble>  et  leroa 
lenient  des  tambours  étouffe  k  voix  du 
juste. 

L'exécuteur  veut  ssisir  les  mains  àh 
roi  pour  les  lier  :  Louis  s'y  refuse.  Jt 
suis  sur  de  moi ,  dit  il.  Encore  cette  con 
formité  apec  votre  divin  maître  y  Ini  dit 
son  contesseur.  Le  roi  cède,  l'autel  re- 
çoit la  victiaie...  Le  sacrifice  s'achève... 
'  ,*-       ,.  L ou  i  s  n'e s  t  D 1  u  s  ! 

^  mort   de        n  »,  *        •  ^ 

Lotiïsxvi;  lour  qa  il  ne  manquât  rien  a  cette 
fcène  d^horreur  ,  et  à  la  scélératesse  de 
d'Orléans  ^  il  fut  présent  à  toute  l'exé- 
cution ,  le  rire  étoit  sur  ses  lèvres  ,  et 
Une  joie  féroce  brilloit  dans  ses  regards, 
îl  n-^  se  retira  que  quand  le  corps  de 
l'infortuné  monarque  fut  conduit  au  lieu 
de  sa  sépulture. 

Ainsi  périt  à  îrente-ueuf  anset  demi, 
et  après  un  règne  de  19  ans  y  le  derni-r 
roi  des  François,  laissant  un  grand  exem- 
ple à  ta  post^'ri  é,  une  leçon  terrible  aux 
Souverains  ,et  ksf^s  bourreaux  d'éieriiels 
remords. ...  s'ils  sont  jamais  Suscepti- 
Mes  d'en  éprouver. 


FIN. 


43 1 


TABLE 
DES     MATIERES 

Contenues  dans  ce  troisième  Volume. 

FRANÇOIS    II. 

JtpOQUE  des  guerres  de  la  religion.Troîs  factions 
à  la  cour.  Catherine  de  Médicis.  Les  protestans 
disposés  à  la  révolte.  Supplice  d'Anne  du  Bourg. 
Conjuration  d'Amboise.  La  cour  use  de  ménage- 
mens.  Michel  de  l'Hôpital  ,  chancelier.  Les  sup- 
plices révoltent  les  protestans.  Traité  avec  la  reine 
d'Angleterre.  Assemblée  de  Fontainebleau.  Re- 
quête des  protestans.  Deux  évêques  pour  la  tolé- 
rance. Plaintes  de  Coligni.  Sécurité  aveugle  des 
princes  Bourbons.  Procès  de  Condé.  Mort  du  roi. 
Les  Guises  accusés  d*un  crime  affreux.  Despo- 
tisme du  cardinal  de  Lorraine. 

CHARLES    IX. 

Politique  de  Catherine  de  Médicis.  Trait  hardi 
du  connétable.  Etats  d'Orléans.  Mauvais  état 
des  finances.  Ordonnance  sur  la  Pragmatique. 
Montmorenci  retenu  à  la  cour.  Projet  de  con- 
férences avec  les  protestans.  Colloque  de  Poissi, 
Etablissement  des  jésuites.  Le  roi  de  Navarre 
change  de  parti.  Liberté  de  conscience.  Massacre 
de  Vassi.  Déclamations  pour  et  contre  le  duc 
de  Guise.  Guerre  civile.  Le  roi  de  Navarre  tué 
au  siège  de  Rouen,  Bataille  de  Dreux.  Guise 
Tçmc  m  T 


43»  TABLE 

couche  avec  son  ennemi.  Le  duc  de  Guise  assas- 
siné. Religion  politique  des  Guises,  Coligni  accusé 
par  Poltrot.  Paix  qui  dura  peu.  On  reprend  le 
Havre  ,  et  l'on  garde  Calais.  Concile  de  Trente  : 
les  protestans  le  méprisent  :  il  n'est  pas  publié  en 
France.  Disputes  au  concile  sur  des  choses  de 
cour.  Embarras  de  Catherine  de  Médicis.  Con- 
férences de  Baïonne.  Révolte  des  Pays-bas  contre 
l'Espagne.  Seconde  guerre  civile.  Bataille  de 
Saint-Denis.  Mort  du  connétable  de  Montmo- 
renci:  personne  ne  le  remplace.  Le  duc  d'Anjou. 
Troisième  guerre  civile.  Disgrâce  du  chancelier 
de  rHôpital.  Bataille  de  Jarnac.  Mort  du  prince 
de  Condé.  Ressources  des  huguenots.  Le  prince 
de  Béarn.  Secours  des  protestans  étrangers.  Ba- 
taille de  Moncontour.  Paix  avantageuse  aux  pro- 
testans vaincus.  Perfidie  de  la  cour.  Coligni  donne 
dans  le  piège.  Mort  de  la  reine  de  Navarre.  Ma- 
riage de  Henri  son  fils.  Coligni  assassiné.  La 
Saint-Barthelemi.  Mort  de  Coligni.  Massacre 
général.  Cruauté  du  roi.  Conversions  forcées 
des  princes.  Massacre  dans  les  provinces.  Refus 
de  massacrer.  On  célèbre  la  Saint-Bai thelemi. 
Observation  sur  l'amiral  de  Coligni ,  etc.  Les 
protestans  plus  furieux  que  jamais.  Sièges  de  la 
Rochelle  et  de  Sancerre.  Le  duc  d'Anjou  ,  roi  de 
Pologne.  Faction  des  Politiques.  Mort  du  roi. 

La  législation  perfectionnée  par  Michel  de 
l'Hôpital.  Lois  remarquables.  Tous  les  juges, 
gens  de  robe.  Moins  de  juridictions.  Les  actes 
signés.  Monitoires  restreints.  Déclaration  du  re- 
venu des  bénéfices.  Justice  réformée.  Succession 
des  mères  limitée.  Information  de  vie  et  de  mœurs. 
L'année  ne  commence  plus  à  pâques.  Corruption 
de  la  cour.  La  noblesse  ignorante.  Montaigne. 
Galanterie  atroce.  Les  François  en  Amérique. 
Dominique  Gourgues, 


DES    MATIERES.  433 


HENRI    III. 

Henri  quitte  la  Pologne.  Bons  conseils  qu'il  ne 
suit  pas.  Vices  d^  Henri  III.  Factions,  révoltes. 
Insolence  de  Montbrun.  Les  calvinistes  triom- 
phans.  Naissance  de  la  ligue  :  c*étoit  une  révolte 
manifeste.  Henri  duc  de  Guise.  Etats  de  Blois. 
Le  roi  autorise  la  ligue.  Nouvelle  paix.  Ordre 
du  Saint-Esprit.  Le  duc  d'Anjou  aux  Pays-bas. 
République  de  Hollande.  Mauvaise  conduite  du 
duc  d'Anjou  :  malheurs  et  mort  de  ce  princ«. 
Les  Hollandois  veulent  se  donner  à  la  France. 
'Projets  des  ligueurs.  Invectives  contre  le  roi. 
Le  pape  approuve  la  révolte.  Le  cardinal  de 
Bourbon  ,  chef  de  la  ligue  :  son  manifeste.  Le  roi 
ne  montre  que  de  la  foiblesse.  Traité  avec  les 
ligueurs.  Sixte-Quint  excommunie  le  roi  de  Na- 
varre :  Protestation  vigoureuse  de  ce  prince. 
Plaintes  du  roi  sur  la  nécessité  de  recommencer 
la  guerre.  Il  prend  les  armes  contre  les  calvinistes. 
Conférence  de  la  reine  mère  avec  Henri  IV.  Sup- 
plice de  Marie  Stuart.  Les  Seize.  Bataille  de 
Coutras.  Gloire  de  Henri  IV.  Succès  du  duc 
de  Guise.  Décision  de  la  Sorbonne.  Mort  du 
prince  de  Condé.  Assemblée  séditieuse  de  Nanci. 
Demandes  au  roi  :  Il  prend  un  parti  de  vigueur. 
Journée  des  barricades.  Guise  maître  de  Paris. 
Courage  du  premier  président.  Procession  bizarre 
des  ligueurs.  Edit  honteux  d'union.  Flotte  invîn-* 
cible  battue.  Etats  de  Bluis.  Dispute  sur  les  li- 
bertés Gallicanes.  Henri  sent  qu'il  risque  d'écie 
détrôné.  Assassinat  du  duc  et  du  cardinal  de 
Guise.  Mœurs  du  duc.  Tout  Paris  en  combustion. 
Fanatisme  en  chaire  et  ailleurs.  Le  parlement  j 
prisonnier  des  Seize.  Mort  de  Catherine  de  Mé-> 
dicis.  Le  duc  de  Mayenne.  Henri  ill  et  Henri 
IV  unis  contre  la  ligue.  Générosité  de  la  Noue. 

Ti 


434  TABLE 

Monitoire  de  Sixte-Quint.  Bulle  Incctna  Dom'ml, 
Siège  de  Paris.  Jacques  Clément  assassine  le  roi. 
On  préconise  le  régicide. 

Ordonnance  sur  la  noblesse.  Ordonnance  sur 
les  affaires  ecclésiastiques.  Raisons  qui  ont  em- 
pêché de  recevoir  le  concile  de  Trente.  Index  de 
Rome  pour  les  livres  défendus  :  il  n'est  point  reçu 
en  France.  Du  Moulin  condamné  spécialement. 
Le  calendrier  réforme.  Ramus  persécuté.  Imper- 
tinences des  fanatiques. 


HENRI    IV. 

Caractère  de  Henri  IV.  Sa  religion  empê- 
che de  le  reconnoître.  Avantages  des  ligueurs; 
Mayenne  battu  par  Henri  IV.  Paris  presque 
forcé.  Entreprises  contre  le  roi.  Bataille  d'Ivri. 
Bonté  du  roi.  Réparation  qu'il  fit  à  Schomberg. 
Blocus  de  Paris.  Décret  de  la  Sorbonne.  Fana- 
tisme des  Parisiens.  Régiment  de  prêtres  et  de 
moines.  Famine  dans  Paris.  Bonté  excessive  du 
roi.  Le  duc  de  Parme  délivre  Paris.  Embarras 
et  pauvreté  du  roi.  Invasion  du  duc  de  Savoie. 
Lesdiguières  sauve  le  Dauphiné.  L'ennemi  reçu 
en  Provence.  Entreprises  de  Rome.  Politique  de 
Philippe  11.  Insolence  des  Seize.  Mayenne  les 
réprime.  Le  jeune  cardinal  de  Bourbon.  Henri 
assiège  Rouen  ;  Farnèse  délivre  la  place.  Belle 
retraite  du  duc  de  Parme.  Ambition  de  Biron. 
Suite  de  la  guerre.  Différentes  factions  à  Paris. 
Assemblée  pour  élire  un  roi.  Le  roi  pense  à  se 
faire  catholique.  Conférences  de  Surenne.  Les 
Espagnols  demandent  la  couronne  pour  l'infante. 
Arrêt  en  faveur  de  la  loi  salique.  Abjuration  du 
roi.  Attentat  contre  le  roi.  Conduite  de  Mayenne 
et  de  Clément  VIII.  La  ligue  tombe.  Le  roi  entre 
à  Paris.  Le  parlement  rétabli,  Conduite  de  Henû 


DES    MATIERES.  43c 

!V  '.les  ligueurs  lui  font  acheter leur'soumission; 
Jean  Châtel  attente  sur  sa  vie  :  son  interroga- 
toire. Haine  pour  les  jésuites  :  ce  qui  les  faisoit 
paroitre  plus  dangereux.  On  les  bannit  du  royau- 
me. Négociations  à  Rome.  Absolution  du  roi 
par  le  pape.  Le  roi  poursuit  Mayenne.  Combat 
de  Fontaine-Françoise.  Mayenne  soumis.  Inso- 
lence et  révolte  du  duc  d'Epernon.  Les  Espagnols 
prennent  Calais.  Conduite  d'Elisabeth  envers  le 
roi.  Assemblée  de  Rouen.  Discours  du  roi.  Mau- 
vais état  des  finances  :  elles  sont  confiées  àSulli. 
Fruits  de  son  ministère.  Les  Espagnols  prennent 
Amiens.  Mouvemens  des  calvinistes.  Le  roi  re- 
prend Amiens.  Louange  qu'il  donne  à  Biron.  La 
Bretagne  soumise.  Edit  de  Nantes  :  raisons  qu'il 
en  donne  au  parlement.  Conséquences  à  tirer  de 
ces  raisons.  Traité  deVervins.  Mort  de  Philippe 
II.  Amours  de  Henri  IV.  Gabrielle  d'Estrées. 
Promesse  de  mariage  à  Mlle.  d'Entragues  :  Sulli 
la  déchire.  Catherine  de  Rohan.  Guerre  avec  le 
duc  de  Savoie.  La  Bresse  et  le  Bugei  pour  Saluces, 
Dispute  entre  du  Perron  et  Mornai.  Du  Perron 
vainqueur  et  cardinal.  Jugement  sur  ses  antago- 
nistes. Sédition  calmée.  Crime  du  maréchal  de 
Biron  :  son  obstination  le  perd  :  il  meurt  avec 
faiblesse.  Mort  d'Elisabeth  ,  reine  d'Angleterre. 
Traité  avec  l'Angleterre  et  avec  les  Suisses.  Ké- 
tab.issement  des  jésuites  :  à  quelles  conditions. 
Le  royaume  florissant.  Administration  de  Sulli, 
Conspiration  de  d'Entrnoues.  Le  duc  de  Bouillon 
réprimé.  Querelle  des  Véniîi:ns  avec  le  pape; 
Henri  médiatîur  :  il  ménage  un  traité  entre  l'Es- 
ï-^iene  et  la  Hollande.  L?s  Hoilandois  reconnus 
épendans  :  leu.-s  mœurs  frugales.  Evasion  du 
nce  de  Condé.  Projet  contre  la  maison  d'Au- 
:he.  Idée  pour  la  paix  perpétuelle.  Mesures 
peur  la  guerre,  Henri  IV  assassiné.  Effets  du  fa- 

T3 


4^6  TABLE 

Particularités  sur  Henri  IV  :  sa  bonté.  II  vou- 
loit  que  la  France  fût  heureuse.  Il  protégeoit  les 
paysans.  Il  se  faisoit  aimer  des  officiers.  Trait 
de  justice.  Noblesse  militaire  supprimée.  Son 
lègne  glorieux  ,  malgré  des  abus.  Zèle  pour  l'a- 
griculture. Edit  contre  le  luxe.  L'Amérique  moins 
avantageuse  que  l'agriculture.  Attachement  à  l'é- 
glise. Avis  au  clergé.  Conduite  sage  envers  les 
calvinistes.  Foiblesbes  de  Henri.  Protection  accor- 
dée aux  gens  de  lettres.  Libertés  de  i'église  Galli- 
cane. Jurisconsultes  utiles. 


LOUIS    XIH. 

Marie  de  Médicis  régente.  Mauvais  gouver- 
nement. Retraite  de  SuUi.  Le  président  de  Thou, 
Les  factions  éclatent.  Etats-généraux.  Préventions 
du  clergé.  Aveuglement  delacoun  Démarches  du 
parlement  :  ses  remontrances  sont  mal  reçues. 
Discours  de  Moié  à  la  reine.  Continuation  des 
troubles.  On  arrête  le  prince  de  Condé.  Richelieu. 
Mort  de  Ccncini ,  maréchal  d'Ancre.  Luines  fa- 
vori ,  auteur  de  sa  disgrâce.  Grande  récompense 
pour  une  petite  action.  Maréchaux  de  France.  La 
xeine  mère  reléguée.  Procès  de  la  maréchale  d'An- 
cre. Luines  pr<  fi:e  des  dépouilles.  Assemblée  de 
Rouen.  Révolte  de  la  reine  m.ère.  Lûmes  conné- 
table. Nouvelle  révolte.  Richelieu  reprend  du 
crédît.  Rébolutioji  de  faire  la  gu.^.rre  aux  calvi- 
nistes. Duplessis-Mornai  ,  trompé  par  la  cour.  Le 
duc  de  Rchan ,  chef  des  huguenots.  Le  roi  lève 
le  siège  de  Montauban.  Bravoure  de  Lesdiguières. 
Mort  de  Luines.  Caractère  du  roi.  Lesdiguières 
connétable,  Paix  avantageuse  aux  calvinistes.  Cet  te 
guerre  étoit  imprudente.  Guerre  de  religion  en 
Allemagne.  Elévation  du  cardinal  de  Richelieu  : 
il  déguise  sQn  ambition.  Le  gouvernement  devient 


DES    MATIERES.  437 

meilleur.  Guerre  théologique  en  Hollande.  Expé- 
dition de  la  Valteline.  Guerre  et  paix  avec  les 
huguenots.  Projets  d^  Richelieu.  Richelieu  terrible 
aux  grands.  Rigueurs  du  gouvernement.  Garde 
donnée  au  ministre  ;  son  pouvoir  augmente.  As- 
semblée des  notables.  Demande  politique  du  mi- 
nistre. Fureur  des  duels.  Rupture  avec  l'Angle- 
terre. Buckingham  en  est  cause  par  vanité.  Siège 
de  la  Rochelle.  Richelieu  s'y  distingue.  Le  maire 
Guiton.  Famine  à  la  Rochelle.  La  ville  se  rend. 
Importance  de  cette  conquête.  Guerre  d'Italie. 
Les  calvinistes  soumis  par  les  armes.  Cabale  contre 
Richelieu.  Il  triomphe  au  moment  de  sa  disgrâce  : 
il  se  venge  sur  les  Marillac.  Procès  du  maréchal. 
Il  est  condamné  àmort.  Parole  du  ministre  sur  ce 
jugement.  La  mère  et  le  frère  du  roi  sacrifiés  à 
Richelieu.  Succès  de  sa  politique  au  dehors.  Ré- 
volte du  duc  d'Orléans.  Monrmorenci  se  joint 
4  Gaston.  La  révolte  est  dissipée.  Combat  de 
Castelnaudari.  Procès  de  Montmorenci.  Son  exé- 
cution. Dureté  du  roi.  Suite  de  cette  affaire.  Ri- 
chelieu ferme  dans  ses  projets.  Mariage  du  duc 
d'Orléans  déclaré  nul.  On  tâche  de  ramener  ce 
prince.  Guerre  avec  l'Espagne.  Les  comracnce- 
mens  en  sont  malheureux.  Editsbursaux.  Prélats 
guerriers  ;  capucin  homme  de  cour.  Le  P.  Joseph. 
Sourdis  ,  archevêque  de  Bordeaux.  Siège  de  Doîe 
par  le  prince  de  Condé.  Les  ennemis  dan§  le 
royaume.  Zèle  de  la  nation.  Danger  du  ministre. 
Complot  des  deux  princes.  Les  ennemis  chassés. 
Epuisement  des  finance*:.  Reproche  du  roi  au  par- 
nent.  Faste  de  Richelieu.  Perte  de  la  Valteline. 
i_e  P.  Cdussin  anime  le  roi  contre  le  miaistre.  Ri- 
chelieu a  le  dessus.  Autre  jésuite  dont  ii  se  venge. 
Suites  de  la  guerre.  Bataille  de  Rheinfeld.  Procès 
du  duc  de  la  Valette.  Particularités  sur  ce  pro- 
cès. Révolte  en  Normandie.  Prise  de  Turin  et 
d'Arris»  Traité  remarquable.  L'Espagne  perd  la 


43»  TABLE 

Catalogne  et  le  Portugal.  Richelieu  brave  la  cour 
de  Rome.  Assemblée  du  clergé  à  Mantes,  pis- 
cours  singulier  fait  au  cardinal  au  nom  du  clergé. 
Lit  de  justice  sur  les  fonctions  du  parlement. 
Guerre  civile  du  comte  de  Soissons.  Trait  de 
Gassion.  Cinqmars  favori  :  sa  conspiration  :  Ri- 
chelieu )a  découvre.  Procès  des  conspirateurs.  Fin 
du  cardinal  de  Richelieu  :  son  caractère.  Mort  de 
Louis  XIII.  Jugement  sur  ce  roi. 

Le  pouvoir  de  la  couronne  augmenté  par  Ri- 
chelieu. 11  employa  trop  la  terreur  et  les  supplices. 
Etat  pitoyable  des  finances  et  du  commerce.  Re- 
quête de  la  noblesse  en  1623. Code  Marillacrejeté 
par  le  parlement.  Réflexions  sur  l'obéissance  des 
Magistrats.  Loi  contre  les  jeux  de  hasard.  Affaire 
de  Santarelli  et  des  jésuites.  Affaire  du  docteur 
Richer.  Comment  on  le  force  de  se  rétracter^ 
La  concorde  du  sacerdoce  et  de  l'empire.  Livres  ano-P 
nimes  défendus.  Licence  satirique  du  père  Ga- 
rasse. Etat  des  lettres  et  des  sciences.  Tyrannie 
des  préjugés.  Urbain  Grandier.  Salutaires  effets  d 
la  science.  Etablissement  de  l'académie  Françoise 
Le  parlement  s'y  oppose. 


e 

) 


LOUIS    XIV. 

Minorité  orageuse.  Mazarin ,  premier  ministre. 
Bataille  de  Rocroi ,  gagnée  par  le  duc  d'Engulen. 
Bataille  de  Fribourg.  Querelle  à(is  çréîTéraux  à 
Graveiines.  Bataille  de  Nordiingue.  L'Espagne 
fait  la  paix  avec  la  Hollande.  Bataille  de  Lons. 
On  s'oppose  à  l'éloge  d'un  grand  général  calvi- 
niste. Traité  de  Westphalie.  Avantages  des  Sué- 
dois. Soulèvement  contre  Mazarin.  Arrêt  d'union. 
Magistrats  arrêtés.  Lecoadjuteur.  Barricadas.  Ri- 
diculede  cette  guerre  civile.  Trois  princes  arrêtés, 
Mazarin  quitte  la  Francç,  Révokç  du  prince  de 


DES    MATIERES.         439 

Condé.  Retour  de  Mazarin.  Condé  et  Turenne 
opposés  dans  la  guerre  civile.  Combat  de  Saint- 
Antoine.  Nouveaux  troubles.  Mazarin  se  retire 
encore    Charles  I  décapité  en  Angleterre.  Prin- 
cipes de  révolte  différens  en  France  et  en  An- 
gleterre. La  fronde  dissipée.  Sort  du  coadjuteur, 
Mazarin  triomphe.  Succès  des  Espagnols.  Traité 
avec  Cromwel.  Expéditions  en  Flandre.  Dunker- 
qne  livré  aux  Anglois.  Traité  des  Pyrénées.  L'in- 
fante accordée  au  roi.  Rétablissement  de  Condé. 
Charles  II    Le  (iv.c  de  Lorraine.  Crtte  paix  glo- 
rieuse à  Mszarin.  Mariage  du  roi.  Son  goût  pour 
une  Mancini.  Mort  du  cardinal  Mazarin.  Le  roi 
jaloux  de   l'autorité  :  il  gouverne  par  lui-même. 
Christine  ,  reine  de  Suède.  Louis  parle  en  maître. 
Le  conseil  devient  respectable.  Disgrâce  de  Fou- 
quet.  Colbert ,  contrôleur-général.  Louis  humilie 
îe  roi    d'Espagne.    Affaire    de   Rome.  Le  pape 
s'humilie  devant  le  roi.  Acquisition  de  Dunkerque. 
Savans  récompensés.   Canal  de  Languedoc,  Ma- 
rine créée.  Guerre  contre   l'Espagne.   Louvois  , 
ministre  de  la  guerre.  Conquête  du  roi  en  Flan- 
dre.  Conquête  de    la   Franche -Comté.  Triple 
alliance  contre  Louis.  Traité  d'Aix-la-Chapelle. 
Vauban.  Police  dans  Paris.  Invalides ,  Versailles  , 
etc.  Secours  à  Candie.    Le   roi  irrité  contre  la 
Hollande  :  état  de  cette  république.  Ligue  contre 
elle  avec  Charles  II.  Invasion   de  la  Hollande. 
Passage  du  Rhin.  Campagne  étonnante.  Le  prince 
d'Orange  ,  stathoudjr.  Evacuation  de  laHolîande. 
Conquête  de  la  Franche-Comté.    Turenne  dans 
le  Palatinatr  Condé  contre  le  prince  d'Orange, 
Bataille  de  Senef.  Mort  de  Turenne.  Dernière 
campagne  de  Condé.  Succès  de  la  France.  Ruyter. 
Mot  flatteur  de  Racine  au  roi.  Paix  de  Nimègue. 
Le  prince  d'Orange  attaque  après  le  traité.  Cham- 
bres de  Metz  et  de  Brisac.  Reddition  de  Stras- 
bourg   Bombardement  d'Alger.  Bombardemeot 


440  TABLE 

de  Gènes  :  le  dcge  à  Versailles.  Démêlés  avec 
Innocent  X!.  Les  quatre  articles  du  clergé.  Roi- 
deur  du  pape.  Affaires   des  franchises.  Excom- 
munication de  l'aorbassadeur.  Projet  de  détruire 
Je  calvinisme.  Violences   contre  les  calvinistes, 
Dragonade  et  ses  effets.  Révocation  de  l'édit  de 
Nantes.  Désertion  des  protestans.  Réflexions  sur 
cette  affaire.  Paroles  de  Christine,  Ligue  d'Augs- 
Bourg.  Siège  de  Philisbourg  par  le  dauphin.  Com- 
ment Montausier   le   félicite.  Jacques  II  haï  et 
sur  le  point  d'être  détrôné.  Le  prince  d'Orange 
fait   la   révolution.  Louis  XIV    protège   le   roi 
détrôné.  Bataille  de    la   Boyne  décisive  contre 
Jacques.  Guerre  de  tous  côtés.  Embrasement  du 
Palatinat.  Belle"  défense  de  Mayenne  mal  jugée 
à  Paris.  Batailles  du  maréchal  de  Luxembourg. 
Fieurus.  Steinkerque.  Nerwinde.  Autres  victoires 
des  François  ;  presque  sans  fruit.  Revers,  Jour- 
née  de  la  Hcgue.  Prise  de  Namurpar  Guillaume. 
Pointis  j  Duguay-Trouin.  Traité  avec  le  duc  de 
Savoie,  Paix  de  Riswik.  Murmures  en  France, 
Nécessité  de  la  paix.   Triste   état  des  finances. 
Le  prince  de  Conti   élu    roi  de  Pologne.    Paix 
générale  de  peu  de  durée.  Succession  de  Charles 
Il ,  roi   d'Espagne.    Premier  traité   de  partage. 
Second    traité   de    partage,   Charles  mécontent 
de  la  cour  de  Vienne  :  son  testament  en  faveur 
du  duc   d'Anjou,  Louis  XIV  accepte   le  testa- 
ment ;  il  irrite  l'Angleterre  en  reconnoissant  le 
prince  de  Galles.   Mort   de    Guillaume  III,  La 
reine  Anne,  Commencement  de  la  guerre.   Le 
prince  Eugène.  Catinat  et  Villeroi.  Surprise  de 
Crém.one.  Vendôme  en  Italie,  Bataille  de  Luzara. 
Défection  de  Victor-Amédée.  Marlborough  déjà 
vainqueur.  Succès  de  Villars  en   Allemagne  :  il 
est  rappelé.   Révolte   des  Cévennes,  Bataille  de 
Hochstet,  fatale  pour  la  France.  Suites  de  cette 
bataille,  le  gouvernement  dégénéroit.  Les  An* 


DES    MATIERES.  441 

'  'i  en  Espagne.  Succès  en  Italie.  Bataille  de 
...ullies.  jiéga  de  Turin.  Le  duc  d'Orléans 
,|oint  la  Feuillade.  Désastres  de  l'armée  Fran- 
çoise devant  Turin.  Affaires  d'Espagne.  Fidélité 
des  Castillans.  Bataille  d'AImanza.  Siège  de  Tou- 
lon. E^'orts  du  roi ,  dans  ses  revers.  Le  duc  de 
Bourgogne  et  Vendôme  dans  les  Pays-bas.  On 
perd  Lille.  Reproche  fait  à  Vendôme.  Le  roi 
demande  la  pai.x.  Odieuses  propositions  des  en- 
nemis. Bataille  de  Malplaquet.  L«  roi  s'humilie 
encore  devant  les  vainqueurs.  Vendôme  sauve 
l'Espagne.  Bataille  de  Villaviciosa.  Révolution 
dans  le  ministère  d'Angleterre.  Suspension  d'ar- 
mes avec  les  Anglois.  Malheurs  domestiques  de 
Louis  XIV  :  sa  fermeté.  Villars  sauve  la  France  : 
son  caractère  l'expose  à  l'envie.  Traité  d'Utrecht. 
L'empereur  continue  la  guerre.  Traité  de  Rads- 
tadt.  Résultat  de  cette  guerre.  La  Catalogne  ré- 
duite à  la  soumission.  Edit  en  faveur  des  princes 
légitimés.  Testament  du  roi.  Mort  du  roi. 

Particularités  sur  Louis  XIV  :  sa  vie  privée: 
Education  de  ses  enfans.  Madame  de  Maintenon. 
Etablissemens  utiles.  Commerce  ;  agriculture. 
Finances  dérangées.  Commerce  de  luxe, nuisible 
à  l'agriculture.  Intérêt  de  l'argent  ;  multiplica- 
tion des  offices.  Dépenses  de  ce  règne.  Principe 
de  gouvernement.  Triste  expérience  du  roi.  Ré- 
formes utiles.  Marine.  Progrès  des  lettres  et  des 
sciences.  Obstacles  à  la  philosophie.  Quiétisme. 
Fénélon  et  Bossuet.  Jansénisme.  Les  jésuites  aux 
prises  avec  Port-royal.  Formulaire  sur  le  fait  de 
Jansénius.  Les  R  flexions  de  Qaesnel ,  sujet  des 
troubles.  Bulle  Unigcnhus  Funestes  letFets  de  ces 
qu 'relies.  Grand  changement  dans  les  mœurs,  les 
opinions ,  etc.  La  France  perfectionnée. 


'44^  TABLE 


Idée  générale  des  principaux  événemens 
politiques  du  règne  de  Louis  XV. 

Régence  du  duc  d'Orléans.  Guerre  avec  l'Es- 
pagne ;  quadruple  alliance.  Système  de  Law  , 
source  de  malheurs.  Fureur  de  Tagiotage.  Bou- 
leversement de  fortunes.  Mort  du  régent.  Le 
cardinal  de  Fleury.  Double  élection  d'un  roi  de 
Pologne.  Le  roi  Stanislas  sans  royaume.  Guerre 
de  1734  contre  l'empereur.  Campagne  décisive 
en  Italie,  Traité  de  Vienne.  Acquisition  de  la 
Lorraine.  Mort  de  l'empereur  Charles  Vï.  Pré- 
tendans  à  la  succession.  Le  roi  de  Prusse  attaque 
la  reine  de  Hongrie.  Conquête  de  la  Silésie.  La 
France  liguée  contre  l'Autriche.  Guerre  de  1741. 
Charles  VII  heureux  et  malheureux.  Ressources 
de  Marie-Thérèse.  Bataille  de  Dettingen.  Enne- 
mis de  la  France.  Campagnes  du  roi  ;  succès 
en  Flandre.  Campagnes  d'Italie.  Marie-Thérèse 
fonde  une  nouvelle  maison  impériale.  Pertes  sur 
mer.  Les  Anglois  trop  supérieurs.  Traité  d'Aix- 
la-Chapelle.  Sort  du  prince  Edouard.  Ce  traité 
est  une  source  de  guerre.  Entreprise  des  An- 
glois en  Amérique.  Nouvelle  guerre.  Alliance 
singulière.  Premières  campagnes  en  Allemagne. 
Bataille  de  Rosbac.  Diverses  révolutions.  Con- 
quêtes prodigieuses  des  Anglois.  Pacte  de  famille. 
Nouveaux  désastres.  Traité  de  Paris  et  de  Hu- 
bersbourg.  Réflexions  sur  cette  guerre.  Politique 
salutaire  aux  peuples.  Assassinat  du  roi.  Jésuites 
chassés.  La  Corse  acquise.  Mort  de  Louis  XV. 
progrès  de  l'esprit  humain. 


iouis 


TABLE.  44^ 


L  ,0  U  I  S    XVI. 

ÉTAT  de  la  France  à  la  mort  de  Louîâ 
XV.  Caractère  de  Louis  XVi.  Ses  inten- 
tions. Edit  portant  remise  du  droit  de 
joyeux  avènement.  Ministres  sous  Louis 
XVI  :  Turgot  :  Vergcnnes  :  Sartines  :  Sr. 
Germain.  Guerre  d'Amérique.  Affaire 
de  Hollande.  Invasion  de  la  Hollande. 
Rupture  avec  la  Rassie  et  la  Porte  Ot- 
tomane. (  onspiraiion  du  duc  d'Orléans  : 
son  portrait  :  ses  projets  :  motifs  de  sa 
haine.  Brienne.  Exil  du  duc  d'Orléans  : 
«on  rappel.  Necker.  Etats- généraux.  Réu* 
Ttion  des  trois  ordres.  Appel  et  renvoi 
des  troupes.  Mirabeau.  14  juillet,  pris© 
de  la  Easiillc.  Jeu. née  des  6  et  6  octobre. 
Le  Roi  vieiit  à  Paris.  Mort  de  Favras. 
Translation  de  l'assemblée  nationale  à  Pa- 
ris. De  l'émigrat'on.  Le  roi  part  pour  Va- 
lennes  :  il  est  arrêté  :  son  retour  à  Paris  : 
il  accepte  la  constiruiion.  Décret  qui  abo- 
'  lit  la  noblesse.  Dtcret  sur  la  constitution 
civile  du  clerg-^  Assemblée  législative. 
Jacobins.  La  guerre  déclarée.  Succès  des 
ennemis.  Journée  du  20  juin.  Journée  da 
10  aoûsr.  Louis  se  rend  avec  sa  famillo 
dans  le  sein  do  rassemblée  législative. 
Massacre  des  Suisses.  Louis  déchu  et 
transféré  au  Temr-le.  Les  ennemis  pien- 
nent  Longwi  et  Verdun.  Massacre  du  2 
•eptembre*  Convention  Nationale.  La 
France  proclamée  République.  Procès  da 

Tome  IIL  V 


444  T  A  B  L  E. 

Roi.  Il  comparoir  à  la  barre  de  ïa  Con- 
vention. On  accorde  un  conseil  à  Louis, 
lîcomparoit  de  nouveau  à  la  convention 
avec  ses  ccr.seils.  Discours  du  Roi.  11 
€st  condamné  â  mort.  On  vient  lui  com- 
m-  niqu«r  son  iugement.  Mort  de  Louis 
XVI. 


Fin  de  ta  TabU  dei  matihe&é 


iDir:G  SE^..  Huu^^ 


X  Millot,  Claude  François 

39  Xavier 

M54.  fillraens  de  l'histoire  de 

1801  France,     Nouvelle  éd. 

t. 3 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY