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Full text of "Logique et principes de grammaire : ouvrages posthumes en partie & en partie extraits de plusieurs traités qui ont déjà paru de cet auteur"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/logiqueetprinciOOduma 


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BlBLiOTHECA 


LOGIQUE 


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PRINCIPES 


DÉ     GRAMMAIRE. 


LOGIQUE 

E  T 

PRINCIPES 

DE     GRAMMAIRE^ 

Par   M.   DU   Marsais. 

Ouvrages  pojlhumes  en  partie  j  &  en  partit 
extraits  de  plujteurs  Traités  qui  ont  ^éja  paru 
de  cet  Auteur, 


À    PARIS, 

Briasson,  Libraire  >  rue  S,  Jacques; 
^-      j  Le  Breton  ,  premier  Imprimeur  du  Roi\' 
rue  de  la  Harpe. 

Hérissant  Fils  5  Libraire,  rue  S.  Jacques^; 


M.  DCC  LXIX. 

^vcç  Approbation  &  Privilège  du  RoU 


ryi^il 


A  VIS 

DE    L'ÉDITEUR. 

lE  Public  n'a  pas  une  en-, 
tière  confiance  dans  les  Ou- 
vrages pofthumes  -,  de  fes  fpup- 
^ons,  à  cet  égard,  ne  font 
que  trop  fouvent  fondes.  Quel- 
quefois ces  fortes  d'ouvrages 
font  imprimes  fur  des  copies 
inexades  ou  fur  des  fragmens 
interceptés,  qu'on  réunit  le 
mieux  qu'il  eft  polTiblej,&: 
d'ailleurs  il  n  élit  pas  fans  exçni- 

<2  3 


vj  AVIS 

pie  quun  livre,  qui  etoit  bon 
en  fortant  des  mains  de  fou 
auteur,  fe  foit  trouvé  au-def- 
{bus  du  médiocre  à  force  d'être 
corrigé  par  une  main  étran- 
gère. \]i\  Editeur  efl  flaçé 
d'ajouter  quelque  chofe  du 
fien  àfon  original  j  mais  il  faut 
être  bien  sûr  de  ioi-même  pour 
confondre  fes  propres  idées 
avec  celles  d'un  Ecrivain  dont 
la  réputation  eft  faite. 

Pour  diffiper  les  doutes  qui 
pouroient  naître  par  rapport 
aux  deux  ouvrages  de  feu  M. 
duMarfais,  que  nous  donnons 
t^n [Public,  nous  croyons  de^ 


DE  L'ÉDITEUR,  vij 

voir  dire  ici  comment  ils  nous 
font  parvenus. 

Vers  l'année  1745,  M.  du 
Marfais  fe  lia  d'amitié  avec 
M.  de  Rochebrune,  Commit- 
faire  au  Châtelet.  Cette  liaifon 
fe  fortifia  dans  la  fuite  y  par  la 
conformité  de  leurs  goûts  pour 
un  même  genre  d'études  \  ôc  le 
Philofophe  voulut  témoigner 
à  fon  ami  l'afFedion  qu'il  lui 
portoit  i  par  un  préfent  qui  fût 
analogue  au  motif  qui  les 
uniffoit.  Ce  préfent  fut  long- 
temps attendu  _,  on  en  parloit 
toujours  j    mais    enfin   il    fut 

fait  en  1750.  ce  Je  crois  qu« 

a  4 


viij         A  FI  s 

a>  cet  ouvrage  vous  fera  beau* 
93  coup  de  plaifir,  dit  M.  du 
M  Marfais  à  M.  de  Rochebrune 
M  en  lui  donnant  fa  Logique  : 
M  acceptez-le  comme  un  gage 
93  de  mon  eftime  pour  vous..,, 
03  Je  veux  que  vous  en  dif 
«>  pofiez  comme  dune  çhofe 
03  qui  vous  appartient.  33  Le 
fragment  fur  les  Caufes  de  la 
parole  a  été  pareillement  don^ 
ne  à  M.  de  Rochebrune:,  par 
fauteur,  en  une  autre  çircon^ 
fiance. 

La  liaifon  de  c€s  deux 
amis  fubfifta  jufqua  la  mort 
die  M.  du  Marfais,  arrivée  au 


DE  V ÉDITEUR,     ix 

mois  d'août  1756.  Dans  cet 
intervalle  ils  eurent  occafioa 
de  revoir  plufieurs  fois  le  ma- 
iiufcrit  qui  contenoit  la  Logi- 
que \  ôc  Fauteur  y  fit  les  clian- 
gemens  ou  additions  nécefTai- 
res.  C'eft  fur  ce  manufcrit, 
dont  M.  de  Rochebrune  à 
fon  tour  ma  fait  prelent,  que 
cette  édition  eft  faite. 

Nous  venons  de  voir  que 
M.  du  Marfais  étoit  content 
de  fon  ouvrage  j  &c  les  per- 
fonnes  qui  l'ont  connu  ^  &  qui 
favent  combien  il  étoit  difficile 
fur  fes  produ61:ions,  s'en  rap- 
porteront volontiers  à  fon  fuf- 


X  "AVIS 

frage.  Ceux  qui  n'ont  point 
connu  notre  auteur  _,  ne  feront 
pas  fâches  de  trouver  ici ,  fur  la 
Logique  de  M.  du  Marfais ,  le 
fentiment  d'un  homme  célèbre, 
d'un  Philofophe  que  le  Nord 
nous  a  envié,  &  qui  a  pré- 
féré aux  honneurs  &  à  la  for- 
tune qui  l'attendoient  ailleurs, 
la  gloire,  plus  defirée  d'un 
fage ,  d  être  utile  à  fa  patrie. 

ce  II  avoit  compofé  pour 
35  l'ufage  de  fes  élèves ,  ou  pour 
M  le  fien,  d'autres  ouvrages 
>3  qui  n'ont  point  paru.  Nous 
>5  ne  citerons  que  fa  Logique 
93  ou  Réflexions  fur  les  opéra- 


DE  V ÉDITEUR,    xj 

33  tions  de  Teiprir.  Ce  traité 
05  contient ,  fur  lart  de  raifon- 
03  ner,  tout  ce  qu'il  eft  utile 
ô>  d  apprendre  j  &  fur  la  me-' 
03  taphyfique  y  tout  ce  qu'il  eft 
03  permis  de  fa  voir  ^.  a^ 

Ces  deux  fuffrages  femblent 
garantir  celui  de  la  plus  faille 
partie  du  Public. 


*  Éloge  dç  M.  du  Marfais ,  par  M. 
d'AIembert,  tome  1 1  do  fes  Mélanges  de 
Littérature,  d'Hiftoire  &  de  PhUofophie, 
pag.  11 6. 


Nota.  On  ne  trouvera  point  ici  l'hottogiaphe  particulière 
dont  fe  fervoit  l'Auteur  :  il  a  paru  plus  convenable  de  fuivrc 
l'Académie  dmis  uii  ouvrage  didaftiquc. 


xi; 


TABLE 

DES     TITRES 

Contenus  dans  ce  Volume. 

IjOGIQUE  ^   ou  RÉFLEXIONS  fur   IcS, 

principales  opérations  de  Vtfprit^  p^ge  i 

Article  I.  Dt  la  diQérence  de  range  &  de 
Vame  humaine  j  4 

Art.  II.  De  la  diftinciion  de  Vame  & 
du  corps  j  5 

Art.  IIL  De    V union   de  Vam,e    &    du 
corps  jy  7 

Art.  IV.  Des  propriétés  de  Vame  y       8 

Art.  V.  Des  quatre  principales   opéra-- 
tions  de  Vefprit  ^  25 

Art.  VI.  Remarques  fur  Vidée  j         31 

Art.  VIL  Du  Raifonnement  ^  38 

Art.  VIII.  Du  Syllogifme  ^  41 

Art.  IX.  Obfervations  fur  le  fondement 
du  Syllogifmcjy  4î> 

Art.  X,  De  la  matière  du  Syllogifmc^  5  6! 


DES    TITRES,  xiij 

Art.  XI.  Fondement  du  Syllogifme  ^  5  8 
Art.  XTI.  Règles  du  Syllogifme  j  6z 
Art.  XIII.  Des  Sophifmes  j  70 

Art.  XIV.  Des  différentes  manières  de 

raifonner  j  148 

Art,  XV.  De  TEnthymèmej  151 

Art.  XVI.  Du  Dilemme  ^  155 

Art.  XVII.  Du  Sorite  _,  157 

Art.  XVîlî.  t)e  V Induction:,  159 

Art.  XIX.  ^Conclujion  ^  i6q 

Akt.  XX.  De  la  Méthode  j  16^ 

Art.  XX l.  De  la  méthode  des  GéO'* 

mètres  j,  166 

Principes  de   Grammaire  j    ou 

'     Fr^gMens  fur   les    Caufes   de    la 

parole  j  i6ç) 

De  la  Construction  'Gramma- 
ticale j  229 

I.  De  la  Çonfiruclion  firnple  ^  255 

II.  i5d  la  Çonfiruclion  fl^ré^ ^  251 

l.VEllipfe,  :>,,.  z)7 

IL  Le  PUonafme ,  271 

III.  La  Syllepfe  ou  Synthife^  275 

IV.  VHyperbate  ,  27; 

V.  L^HellenifmCj  ôcc,  2S0 

VI.  UAttraclion^  283 


xîv  TABLE 

ÎIL  De  la  Conjlruclion  ufuelle  j  i%é 

Du  Difcours  conjidéré  grammaticalement^ 
&  des  parties  qui  le  compofent  j     294 
De  la  Période  j  307 

IV.  Propq/ition  principale  ^  5 1 5 

,V.  Propojition  explicite jy  ^ij 

iVI.  Propojition  conjidérée  grammaticale^' 
mentj  ^it 

Table  des  divers  noms  que  Von  donne  aux 
propojitions  ^  aux  fujets  &  aux  attri^ 
iutSj  ^ij 

Deux  raports  généraux  entre  les  mots  y 
dans  la  conjlruclion.  $  3 1 

î.  Raport  d^ identité  y  ibid. 

IL  Raporù  de  détermination  y  ibid» 

^Autres  remarques  pour  bien  faire  la  con^ 

Jlruclion^  341 

Idylle  de  Madame  Deshoulières  y  les 
Moutons  >  947 

ConftruSion  grammaticale  &  raifonnée  fur 
cette  Idylle  j  34^ 

Obfervations  fur  ce  que  les  Grammairiens 
appellent  Difconvenance  >  385 

De  l'Article  y  35c 

Des  Noms  propres  j  448 

Des  Noms  de  pays  ^  456^ 


DES    TITRES,    xr 

Noms  conflruits  avec  V article  ou  prénom  ^ 
fans  prépojîtion ,  47 1 

Noms  conflruits  avec  la  prépojîtion  &  /'^r- 

ticlcy  47^ 

'Remarques  fur  Vufage  de  P article  y  quand 

Padjeâif  précède  lejuhflantify  ou  quand 

il  eft  après  le  fuhflantif,  ibid» 

Observations  sur  les  Lettres 
DE  l'Alphabet  j  49Ç; 

De  la  lettre  £>  55c 

I>ES  Diphtongues j  55 j 

Des  Accens^  568 

Des  noms  Adjectifs ^  583 

Du  Comparatif j  éio 

De5  Cas  j  614 

Observations  sur  les  Verbes  ^ 

Des  Verbes  auxiliaires  3  ibîcî» 

Des  Conjugaisons  j  ^58 

Des  Prépositions  j  &  en  particulier 

de  la  prépojîtion  A>  ^49 

De  l'Adverbe  j  659 

Des  Conjonctions  j  6711 

De  ce  quon  appelle  Accident  ^  en  ter-^ 

mes  de  Grammaire^  ^8$, 

Fin  de  U  T^blc, 


lOGlQUEj 


LOGIQUE, 

O  V 

RÉFLEXIONS 

Sur  les  principales  opérations, 
de  VEfprit. 

Dieu  a  tiré  du  néant  deux 
fubftances,  la  fu-bftance  fpirituelle, 
&  la  fubftance  corporelle. 

Par  la  fubftance  fpirituelle,  on 
entend  celle  qui  a  la  propriété  de 
penfer,  d'apercevoir,  de  vouloir, 
de  raifonner  &c  de  fentir,  c'eft  -  à- 
dire,  d'avoir  desaftedionsfenfibles,; 

A 


&  Œuvres  pofthumes 

On  ne  diftingue  que  deux  fortes 
de  fubftances  fpirituelles  créées  j 
favoir,  lange ,  &  lame  humaine. 

A  l'égard  des  anges,  nous  n'en 
favons  que  ce  que  la  foi  nous  en 
enfeigne.  Comme  les  anges  font 
des  fubftances  fpirituelles  5  ils  ne 
peuvent  point  affeder  nos  fens,  &, 
par  conféquent,  ils  font  au-delTus 
de  nos  lumières  naturelles  j  &  c'eft 
un  axiome  reçu  de  tous  les  favans, 
qu'à  regard  des  anges ,  la  foi  nous 
en  apprend  fort  peu  de  chofes,  l'i- 
magination beaucoup,  &:  la  raifon 
rien:  en  efïet,  le  peuple  en  raconte 
une  infinité  d'hiftoires  fabuleufes. 

Au  refte ,  par  ce  mot  ange  ^  on 
entend  les  anges  bons  &  les  anges 
mauvais ,  c'eft  -  à-dire ,  les  démons* 
Les  opérations  des  uns  bc  des  autres 


■JeM.  du  Marfais.  'f 

kie  nous  font  connues  que  ^par  îa 
foi. 

A  Fégard  de  Famé,  c'eft  à-dire^ 
de  cette  fubftance  qui  penfe  eu 
nous,  qui  aperçoit,  qui  veut,  qui 
fent ,  nous  ne  la  connoifTons  que  par 
le  fentiment  intérieur  que  nous 
avons  de  nos  penfées,  de  nos  per- 
ceptions, de  nos  vouloirs  ou  volon- 
tés, &  de  nos  fentimens  de  plaiiit 
ou  de  douleur. 

Ainiî,  remarquez  que  nous  ne 
connoifTons  point  la  fubUancé  de 
famé.  Nous  ne  connoifTons  Tame 
que  par  le  fçntiment  intérieur  que 
nous  avons  de  fes  propriétés  d'aper« 
eevoir^  de  vouloir  &  de  fentir. 


m 


A  % 


(ouvres  pojlhumes 


Article     premier. 

De  la  différence  de  Vange-^  ù   de 
Vdme  humaine. 

Toute  la  différence  que  les  fa- 
vans  mettent  entre  lange  &:  Tame 
humaine ,  c'eft,  difent  ilsj  que  Tange 
eft  une  fubftance  complète,  f^^f" 
tantia  compléta^  &  que  i'ame  eft 
une  fubftance  incomplète  ,  f^i^f- 
tantia  incompleta;  c'eft-à-dire,  que 
l'ange  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  être 
ange ,  &  exifte  indépendamment  de 
toute  autre  fubftance;  au  lieu  que 
l'âme  humaine  doit  être  unie  au 
corps:  c'eft  ainfi  qu'un  pied  &  une 
main  ont  relation  à  un  corps;  en 
un  mot,  l'ange  eft  un  tout ^  au  lieu 


de  M.  dit  Marfals.  y. 

que   lame   humaine  neft   qu'uiiq 

partie. 

Article     IL' 

De  la  dijimcîion  de  Vame  0  du 
corps. 

Xi  A  foi  nous  enfeîgne  que  Famé 
eft  diftinguée  du  corps^de  la  même 
dillindion  qu  il  y  a  entre  une  fubf- 
tance  &  une  autre  fubftance,  &  non 
de  la  diftindion  quil  y  a  entre  une 
fubftance  &  fes  propriétés. 

Voici  la  preuve  que  Ion  doni:^ 
de  la  diftindion  de  lame  &  du 
corps  par  les  lumières  de  la  raifon: 

Un  être  eft  diftingué  d'un  autre 
être  quand  l'idée  que  j'ai .  de  Tua 
eft  différente  de  celle  que  j'ai  d^ 


W  (ouvres  pofihumes 

Tautre,  &  fur -tout  Icrfque  l'une  eft 
incompatible  avec  Tautrej  Tidée 
que  j'ai  du  foleîl  efl  différente  de 
l'idée  que  j'ai  de  la  terre:  donc  le 
foleil  &  la  terre  font  deux  fubftances 
différentes. 

La  diftindion  fera  encore  plus 
grande  5  fî  une  idée  exclud  l'autre 
idée,  par  exemple,  l'idée  du  cercle 
exclud  l'idée  du  carré  :  or  l'idée  que 
nous  avons  de  l'étendue  renfermq^ 
l'idée  de  parties  5  de  longueur ,  de 
largeur  &  de  profondeur,  &:  elle 
exclud  l'idée  de  penfée  6c  de  fenti- 
ment;  donc  ce  qui  eft  étendu  eft 
diftingué  de  ce  o^ipenfe  ;  de  même 
î'idée  que  nous  avons  de  la  penfée 
ne  renferme  point  l'idée  de  l'éten- 
due, ôc  mçme  l'excludj  ainjfi,  l'ame 
^tant  çn  n,ous  Xètre  quipenfe^  n'cft 


de  M.  du  Marfah.  7 

pas  ïêtre  qui  efl  étendu  ;  &c  le  corps 
étant  en  nous  ïêtre  étendu  y  n  eft 
pas  ïttre  qui  penfe  ^  parce  que 
ridée  de  iun  n'eft  pas  l'idée  dç 
l'autre. 


Article     II  L 
De  V union  de  Vame  &  du  corpsi 

On  ne  conçoit  pas  comment  mt 
être  purement  fpirituel,  c'eft-à-dirCy 
penfant  fans  être  étendu  ^  peut  être 
uni  à  un  corps  qui  eft  étendu  &  ne 
penfe  point.  Nous  ne  pouvons  pas 
cependant  douter  de  cette  union , 
puifque  nous  penfons  6c  que  nous 
avons  un  corps. 

Cette  union  eft  le  fecret  du  Créa^ 
teur»  Tout  ce  que  nous  en  favons> 

A4 


?8  (Ruvres  pofihumes 

c'eft  qu'à  roccafion  des  penfées  & 
des  volontés  de  lame,  notre  corps 
fait  certains  mouvemens,  &  que 
réciproquement,  à  Toccafion  des 
mouvemens  de  notre  corps ,  notre 
ame  a  certaines  penfées  &  certains 
fentimenSj,  le  tout  conformément 
aux  loix  établies  par  l'Auteur  de 
la  nature.  Ce  font  ces  loix  qu'on 
appelle  les  loix  de  l'union  de  Vamt 
&  du  corps. 


Article     IV- 

Des  propriétés  de  Vante. 

J^^ous  ne  connoiflbns  lame  & 
fes  propriétés,  que  par  le  fentiment 
intérieur  que  nous  en  avons.  Nous 
/entons,  &  même  nous  avons  un 


de  M.  du  Marfais.  ^ 

rentîment  réfléchi  de  nos  fenfations} 
nous  fentons  que  nous  fentons. 

Ce  fcntimenc  intérieur  eft  la 
propriété  la  plus  étendue  de  lame* 
Le  corps  eft  incapable  de  fentimentj 
c'eft  Tame  feule  qui  fent. 

De -là  eft  venue  l'opinion  des 
Cartélîens,  qui  ont  imaginé  que 
les  bctcs  n'ctolciic  que  de  fîmples 
automates,  comme  le  Auteur  &  le 
canard  de  M.  de  Vaucanfonj  car, 
difent-ils,  fi  les  bêtes  fentent,  elles 
ont  une  ame  j  iî  elles  ont  une  ame; 
elles  font  capables  de  bien  &  de 
maU  &5  pai-^  conféquent,  de  récom- 
pcnfe  &  de  punition  j  d'où  il  s'en- 
fuivroit,  continuent -ils  5  que  Tame 
des  bêtes  feroit  immortelle. 

Mais  quand  nous  parlons  des 
propriétés  de  Famé  ?  nous  ne  parlons 


t  o  (Euvfes  pojîhumcs 

que  de  lame  humaine.  Ce  qui  fc 
pafle  dans  les  bêces  eft  connu  de 
Dieu,  dont  la  puifTance  infinie  peut 
avoir  fait  des  âmes  de  différens  or- 
dres, dont  les  unes  feront  immor- 
telles  &  les  autres  mortelles  :  les 
unes  connoîtront  le  bien  &  le  mal, 
&  les  autres  n'en  auront  aucune 
connoiflancc-Il  y  a  différcns  ordres 
dans  les  anges;  il  y  a  différens  de- 
grés de  lumière  parmi  les  âmes  des 
hommes;  &:  ne  convient-on  pas  que 
les  imbécilles ,  les  infenfés ,  &  même 
les  enfans  jufqua  un  certain  âge^ 
font  incapables  de  bien  &  de  mal? 

Avant  Defcartes^  les  anciens  & 
les  modernes  ont  cru  que  les  ani- 
maux avoient  le  fentiment  de  la 
vue  ,  de  l'ouie ,  &c.  &  qu'ils  étoienc 
fenfibles  au  plaifir  &:  à  la  douleur* 


de  M.  du  Marfais:  1 1 

Je  ne  fais  que  vous  me  voyez ,  que 
parceque  je  vois  que  vous  avez  des 
yeux  comme  les  miens  5  &  que  vous 
agilTez  en  conféquence  des  impref- 
iîons  que  vos  yeux  reçoivent  :  je 
remarque  les  mêmes  organes  &  la 
même  fuite  d'opérations  dans  les 
animaux. 

Obfervez  deux  fortes  de  fentî- 
îTient:  i.^lun  que  nous  appelons 5 
fentiment  immédiat^  &  l'autre  que 
XiOM%2i^^z\ovi^^fentiment  médiat. 

Le  fentiment  immédiat;  eft  celui 
que  nous  recevons  immédiatement 
des  impreflions  extérieures  des  ob- 
îets  fur  les  organes  des  fens. 

%?  Le  fentiment  médiat  5  eft  la 
réflexion  intime  que  nous  faifons 
fur  rimpreiïîon  que  nous  avons 
reçue  par  le  fentiment  immédiat^ 


a  2;  Œuvres  pojthumes 
C'efl:  le  fentiment  du  fentîment.  Il 
cft  appelle  fentiment  médiat ,  par- 
cequ'il  fuppofe  un  moyen,  &  ce 
moyen  eft  le  fentiment  immédiat* 
Quand  jai  vu  le  foleil^  ce  fentiment 
que  le  foleil  a  excité  en  moi  par  lui- 
même  5  eft  ce  que  nous  appelons  le 
fentiment  immédiat  ^  parce  que  ce 
fentiment  ne  fuppofe  que  Tobjet  & 
Torgane.  Le  fentiment  que  je  reçok 
à  Toccafion  d'un  inftrument  de  mu- 
fique,  cft  un  fentiment  immédiat  ^ 
parcequ  il  ne  fuppofe  que  Tinftru- 
ment  &  les  oreilles. 

Mais  les  réflexions  intérieures 
que  je  fais  enfuite  à  Toccafion  de 
ces  premiers  fentimens,  fe  font  par 
un  fentiment  médiat  j  c'eft-à-dire> 
par  un  fentiment  qui  fuppofe  ua 
fentiment  antérieur. 


de  M.  du  Marfais.         i  3 

Lame  n'a  cette  faculté  de  fentir, 
foit  immédiatement ,  foit  médiate- 
ment,  que  par  les  différens  organes 
du  corps  y  félon  les  loix  de  Funion 
établies  par  le  Créateur. 

Elle  fent  immédiatement  par  les 
fens  extérieurs,  &  elle  fent  média- 
tement  par  les  organes  du  fens  in- 
térieur du  cerveau. 

Un  fens  extérieur  eft  une  partie 
extérieure  de  mon  corps ,  par  la- 
quelle je  fuis  aflFeilé  de  manière,  que 
toute  autre  partie  de  mon  corps  ne 
m'affedera  jamais  de  même.  Ainfî, 
je  ne  vois  que  par  mes  yeux,  &  je 
n  entends  que  par  mes  oreilles. 

On  compte  ordinairement  cinq 
fens  extérieurs  :  la  vue ,  fouie ,  le 
goût,  le  toucher  &  l'odorat. 

La  vue,  aperçoit  la  lumière  & 


î  4         Œuvres  pofihumes 

les  couleurs  i  Fouie ,  eft  affectée  pac 
les  fons,  le  goût,  par  les  faveurs, 
Todorat  ,  par  les  odeurs  j  enfin  lé 
toucher,  par  les  différentes  quali- 
tés tadiles  des  objets  :  tels  font  la 
chaleur,  le  froid ,  la  dureté ,  la  mol- 
leffe^la  propriété  d'être  ou  de  n'être 
pas  poli,  &  quelques  autres  femblai 
blés,  s'il  y  en  a. 

La  ftrudure  des  fens  extérieurs 
eft  digne  de  la  curiolîté  d'un  Philo- 
fophe  :  il  fufEt  de  remarquer  ici  que 
les  nerfs,  par  lefquels  toutes  les  fen- 
fations  fe  font,  ont  deux  extrémi- 
tés j  l'une  extérieure,  qui  reçoit  Tim^. 
preflîon  des  objets  y  &  l'autre  inté- 
rieure ,  qui  la  communique  au  cer- 
veau. 

Le  cerveau  eft  une  fubftance  mol^ 
le,  plus  ou  moins  blanchâtre,  com* 


de  M.  du  Marfais.  1 5 
pofée  de  glandes  extrêmement  peti- 
tes 5  remplies  de  petites  veines  capil- 
laires i  elle  eft  le  réfervoir  &  la  fource 
des  efprits  animaux.  Tous  les  nerfs 
par  lefquels  nous  recevons  des  im- 
preffions  ^  aboutiflent  au  cerveau  j  & 
fur-tout  à  cette  partie  du  cerveau 
qu'on  appelle  le  corps  calleux  ^  que 
Ton  regarde  comme  le  fiége  de 
Tame. 

De  la  variété  qui  fe  trouve  dans 
la  confîftance  5  dans  la  nature  & 
dans  Tarrangement  des  parties  fines 
qui  compofcnt  la  fubftance  du  cer- 
veau 5  vient  la  différence  prefque 
infinie  des  efprits  5  fuivant  cet 
axiome  )  que  tout  ce  qui  eji  reçu  y 
ejl  reçu  fuivant  la  difpojition  ù 
Vétat  de  ce  qui  reçoit.  C'eft  ainfi 
<^ue  les  rayons  du  foleil  durciflenc 


ï  6  Œuvres  pojihumes 

la  terre  glaife,   &   amollirent  la 

cire. 

Quand  les  imprefîions  des  objets 
qui  aftedent  la  partie  extérieure  des 
fensj  font  portées  par  Textrémité 
intérieure  des  nerfs  fenfuels  dans  la 
fubllance  du  cerveau ,  alors  nous 
apercevons  les  objets;  &  c'eft  là 
une  impreffion  immédiate. 

Cette  première  impreffion  fait 
une  trace  dans  le  cerveau,  &  cette 
trace  y  demeure  plus  ou  moins,' 
félon  lamollefTe  ou  la  folidité  de  la 
fubftancedu  cerveau.  Quand  cette 
trace  ,  ce  pli  >  cette  impreffion  efl 
réveillée  par  le  cours  des  efprits 
animaux  ou  du  fang,  nous  nous 
rappelons  l'idée  première  ou  im- 
médiate i  &  c  eft  ce  qu  on  appelle 
mémoire. 

Cell 


de  M,  du  Marfais.  .  1 7 
Ceft  par  le  fecours  de  ces  traces 
ou  veftiges  ^  qu'en  réfléchifTant  fur 
nous-mêmes  5  nous  fentons  que  nous 
avons  fentij  &  c'eft  ce  fentiment 
réfléchi  ^  que  nous  appelons  idée 
médiate  „  puifqu  elle  ne  nous  vient 
que  par  le  moyen  des  premières 
impreffions  que  nous  avons  reçues 
par  les  fens. 

Après  que  nous  avons  reçu  quel- 
ques impreffions  par  les  yeux,  nous 
pouvons  nous  rappeler  l'image  des 
objets  qui  nous  ont  afFedés.  On 
appelle  cette  faculté ,  imagination. 
C  eft  encore  un  effet  des  traces  qui 
font  refiées  dans  le  cerveau. 

Nous  ne  faurions  nous  former 
des  idées  5  ni  des  images  deschofes, 
qui,  précédemment,  nauroientfaic 
aucune    impreffion  fur  nos  fens  \ 

B 


1 8  Œuvres  pojihumes 

mais  voici  quelques  opérations  que 
nous  pouvons  faire  à  l'occafion  des 
impreffions  que  nous  avons  reçues* 

K^  Nous  pouvons  joindre  en- 
lemble  certaines  idées.  Par  exem- 
ple ,  de  l'idée  de  montagne  &  de 
ridée  d'or,  nous  pouvons  nous  ima^ 
giner  une  montagne  d'or. 

2*^  Nous  pouvons  nous  former 
des  idées  par  ampliation ,  comme 
lorfque  de  l'idée  de  l'homme ,  nous 
nous  formons  l'idée  d'un  géant. 

3.^  Nous  pouvons  auiîi  nous  for- 
mer des  idées  par  diminution  , 
comme  lorfque  de  l'idée  d'un  hom- 
me^ nous  nous  formons  l'idée  d'un 
nain  ou  d'un  pigmée. 

4.°  La  manière  médiate  la  plus 
remarquable  de  nous  former  àc^ 
idées  p  eft  celle  qui  fe  fait  par  abf- 


de  M  du  MarfaiS.  ï  ^ 

XtQidàoTi.  Ab/lraire ,  c'eft  tirer  ^  fépa- 
rer-,  ainfi^  après  avoir  reçu  des  im- 
preflioiis  duii  objec>nous  pouvons 
faire  attention  à  ces  impreffions  , 
ou  à  quelqu'unes  de  ces  impreffions, 
fans  penfer  à  l'objet  qui  les  a  eau- 
fées.  Nous  acquérons  >  par  Tufage 
de  la  vie  5  une  infinité  d'idées  par- 
ticulières 5^  à  Foccafion  des  impref- 
fions fenfibles  des  objets  qui  nous 
affedent.  Nous  penfons  enfiiite, 
féparémcnt  &  par  âbftradion ,  à 
quelqu'une  de  ces  impreffions,  fans 
nous  attacher  à  aucun  objet.  Nous 
avons  fouvcnt  compté  des  corps 
particuliers  :  de-là  Tidée  des  nom- 
bres 5  auxquels  nous  penfons  en*- 
fuite,  &  dont  nous  raifonnons  pat 
âbftradion ,  c'eft-à-dire, fans penfet 
â  aucun  corps  particulier  j  comme 


't  o  CE  livre  s  pofthumes 
quand  nous  difons  :  i  &  z  font  4  s 
I  ajouté  à  5  fait  6  :  z  font  à  4, 
comme  4  font  à  8;  Ceft  ainlî  que 
quand  on  parle  de  la  diftance  qu'il 
y  a  entre  une  ville  &  une  autre  ville, 
on  ne  fait  attention  qu'à  la  longueur 
<lu  chemin,  fans  avoir  aucun  égard 
à  la  largeur  ,  ni  aux  autres  circont 
t-xnccs  du  chemin*  •  * 

Ceft  par  cette  opération  de  lef- 
|>rit  que  les  Géomètres  difent  que 
la  ligne  n'a  point  de  largeur,  &  que 
le  point  n'a  point  d'étendue.  Il  n'y 
a  point  de  lignes  phyfîques  fans 
largeur,  ni  de  points  phyfîques  fans 
étendue  :  mais  comme  les  Géomè^ 
très  ne  font  ufage  que  de  la  lo$i-f 
gueur  de  la  ligne ,  &:  qu'ils  ne  re- 
gardent le  point  que  comme  le 
terme  d'où  l'on  part ,  ou  celui  où 


de  M.  du  Marfais.  if- 

Ton  arrive  ,  fans  aucun  befoin  de 
rétendue  de  ce  terme^ou  de  cette 
borne  i  ils  difenr,  par  abftradion^ 
que  la  ligne  n'a  point  de  largeur,  & 
que  le  point  n  a  pas  d  étendue. 

Obfervez  que  toutes  ces  maniè- 
res de  penfer  ,  par  réminifcence  , 
par  imagination,  par  ampliation, 
par  diminution ,  par  abftrafition  ,. 
&c.  fuppofent  toujours  des  impref- 
fîons  antérieures  immédiates. 

La  volonté  5  ceft-à-dire,  la  fa- 
culté que  nous  avons  de  vouloir, 
ou  de  ne  vouloir  pas ,  eft  auiîî  une- 
propriété  de  notre  ame.  On  ob- 
ferve  encore  ce  que  les  Philofophes 
appellent  ï appétit  fenjiùf;  c'eft-à- 
dire ,  ce  penchant  que  nous  avons 
pour  le  bien  fenfible ,  &  leloigne- 
raent  que  nous  avons  pour  tout  ce 

B  i 


1  i  Œuvres  pofihumes^ 

qui  nous  afFede  défagréablemeivt  l 

Si  pour  tout  ce  qui  eft  fenfiblement 

oppofé  à  notre  bien-être  &  à  notre 

confervation. 

Il  y  a  fur-tout  quatre  opérations, 
de  notre  efprit  qui  demandent  une 
attention  particulière. 

K^  L'idée  >  qui  comprend  auiïi 
Timagination. 

1.^  Le  jugement. 

3.^  Le  raifonnement^, 

4.^  La  méthode. 

L'abftradian  eft:  donc ,  pour  ainfî 
^ircjle  point  de  réunion  félon  le- 
quel notre  efprit  aperçoit  que  cer- 
tains objets  conviennent  entre  eux.. 
Ceft  le  réfultat  de  la  rcfleniblançe 
des  individus* 

L'abftradion  fe  fait  donc  par  un 
point  de  Yue  de;  l'efprit,  qui ,  à 


de  M.  du  Marfais.  i  5 

Toccafion  de  runiformité  ou  ref- 
femblance  de  quelques  imprcflîons 
fenfibles,  fait  une  réflexion,  à  la* 
quelle  il  donne  un  nom ,  par  imi- 
tation des  noms  que  nous  donnons 
aux  objets  réels. 

Par  exemple  5  nous  avons  vu  plu- 
(îeursperfonnes  mourir,  nous  avons 
inventé  le  nom  de  mon  ;  &  ce 
nom  marque  le  point  de  vue  de 
lefprit  qui  confîdèrc ,  par  abftrac- 
tion ,  l'état  de  lanimal  qui  cefle  de 
vivre.  Tous  les  animaux  convien- 
nent entre  eux  par  rapport  à  cet 
état  i  &  lorfque  nous  confîdérons 
cet  état  fans  en  faire  aucune  appli- 
cation particulière  ,  cette  vue  de 
notre  efprit  eft  une  abftradion.  On 
parle  enfuite  de  la  mort^  comme 
d'un  objet  réclj  mais  il  n'y  a  de 

B4 


44  (S^uvrcs  pojlhumes 

réel  que  les  êtres  particuliers ,  qui 
cxiftent  indépendamment  de  notre 
efprit  :  tous  les  autres  mots  ne  mar- 
quent que  des  points  de  vue,  oa 
coniidérations  de  Tefprit  5  &  le 
terme  général  étant  une  fois  trouvé , 
nous  pouvons  en  faire  des  applica- 
tions particulières  ,  par  imitation 
de lufage  que  nous  faifons  des  mots 
qui  marquent  des  objets  réels.  Ainfî, 
comme  nous  difons  Xhabit  de  Pier* 
re^  la  main  de  Pierre  y^  nous  difons 
auflî  la  mort  de  Pierre^  \2l probité ^ 
Ufiience ,  &c.  de  Pierre. 


% 


de  M.  dit  Marfais. 


Article     V, 

Des  quatre  principales  opérations 
de  l^efprit. 

Jl  AR  ce  mot  5  ^fp^^^  ^  ^^  entend 
ki  la  faculté  que  nous  avons  de 
concevoir  &  Ôl  imaginer.  On  Tap- 
pelle  auiîî  entendement. 

Toute  afFedion  de  notre  ame  par 
laquelle  nous  concevons^  ou  nous 
imaginons  ^  eft  ce  qu'on  appelle 
idée.  Idée^  en  général ,  eft  donc 
un  terme  abftrait.  C  eft  le  point  de 
réunion  auquel  nous  rapportons 
tout  ce  qui  n'eft  qu'une  limple  con- 
iîdération  de  notre  efprit. 

Nous  ferons  enfuite  des  applica- 
tions particulières  de  ce  mot  idée. 


z  6  (Kuvres  poflkumes 

Lorfque  Je  ne  fais  que  me  repré- 
fenter  un  triangle  ,  cette  affedion 
de  mon  efprit,  par  laquelle  je  me 
repréfente  le  triangle  y  eft  appelée 
Vidée  du  triangle. 

Idée  y  eft  donc  le  nom  que  je 
donne  aux  afFedions  de  lame  qui 
conçoit ,  ou  qui  fe  repréfente  un 
objet,  fans  en  porter  aucun  juge- 
ment. 

Car  fi  je  juge,  c'eft-à-dire,  fi  je 
penfe ,  par  exemple ,  que  le  triangle 
à  trois  côtés,  je  pafle  de  ïidée  au 
jugement. 

hc  jugement  eft  donc  auflî  ua 
terme  abftraitj  c'eft  le  nom  que 
Ton  donne  à  l'opération  de  lefprit  > 
par  laquelle  nous  penfons  qu'un 
objet  efiy  ou  nefl  pas  de  telle  ou 
telle  manière. 


de  M  du  Marfais.  17^ 

Tout  jugement  fuppofe  donc 
Xidée  ;  car  il  faut  avoir  l'idée  d'une 
chofc  3  avant  que  de  penfer  qu  elle 
eji^  ou  qu  elle  vlefl:  pas  de  telle  ou 
telle  manière. 

'Lz  jugement  fuppofe  néceflairc-î 
ment  deux  idées  :  fidée  de  Tobjet 
dont  on  juge,  &  l'idée  de  ce  quoa 
juge  de  l'objet.  Il  y  a  de  plus  dans 
le  jugement  une  opération  de  Tef- 
prit  par  laquelle  nous  regardons 
l'objet,  &  ce  que  nous  en  jugeons, 
comme  ne  faifant  qu  un  même  tout. 
Nous  unifions,  pour  ainfî  dire,  lun 
avec  Taucre. 

L'objet  dont  on  juge  s'appelle  le 

fujet  du  jugement  ;  &c  quand  le  ju- 

gemcnt  eft  exprimé  par  des  mots , 

l'ailemblage  de  tous  ces  mots,  qui 

font  lexpreflion  du  jugement,  eft 


1 8  (Kuvres  pojihumes 

appelé  propojition  ;  &  alors  les 
mots  qui  expriment  l'objet  du  juge- 
ment font  appelés  Ije  fujtt  de  la 
propojition. 

Ce  que  Ton  juge  de  ccfujet^  efii 
appelé  ï attribut ^ip2i^cc  que  ceft  ce 
que  Ton  attribue  au  fujet.  On  lap- 
pelle  aufïî  le  prédicat  y  parcequc 
c  eft  ce  qu'on  dit  du  fujct ,  dont  la 
valeur  emporte  avec  elle  le  ligne 
ou  la  marque  que  Ton  juge  \  c'eft-à- 
dkc  y  que  Ton  regarde  un  objet 
com.me  étant  de  telle  ou  telle  façon  : 
ain(î  le  verbe  eji^  eft  le  mot  de  la. 
propofition  qui  marque  expreffé- 
ment  l'action  de  Tefprit  qui  unit  un 
attribut  au  fujet. 

Le  verbe  eft  une  partie  efTcn- 
tielle  de  l'attribut.  La  terre  est 
rçndc  :  ces  trois  mots  forrpentune- 


de  M.  du  Marfais.  19 

propoficion  j  c'eft-à-dire ,  qu'ils  font 
renoncé  du  jugement  intérieur  que 
je  porte  ,  quand  je  penfe  que  la 
terre  efi  ronde. 

La  terre  eft  le  fujet  de  la  propo- 
fitionj  car  c'eft  de  la  terre  dont  on 
juge. 

Eft  ronde  ^CQMzttnhut  y  &  dans 
cet  attribut,  il  y  a  le  verbe  eft^  qui 
fait  connoître  que  je  juge  que  la 
terre  eft  ronde  5  c'eft-à-dire ,  que  je 
regarde  la  terre  comme  étant  ou 
cxiftant  ronde. 

Le  jugement  eft  une  réflexion 
ou  attention  par  laquelle  nous  ex- 
'  primons  les  afFedions  que  les  objets 
ont  faites  en  nous  :  nous  difons  ce 
que  nous  avons  fenti.  Le  ft)leil  eft 
lumineux  ;  j'exprime  que  le  foleil 
a  excité  en  mpi  le  fentimenc  de 


$  ô         (Êuvres  pofthumc$ 
lumière.    Le  fucre  efl  doux  ;  ]c%r 
prime  que  le  fucre  m'a  afFedé  par 
fa  douceur. 

Il  n'eft  pas  inutile  de  remarquer 
que  l'on  diftingue  ordinairement 
deux  fortes  de  jugemens  j  l'un  , 
qu  on  appelle  yz^^^/;2^/2r  affirmadf  ; 
c  eft  la  réflexion  que  je  fais  fur  ce 
que  j'ai  réellement  fenti.  Le  fucre 
efl  doux  ;  je  me  rends  à  moi-même 
le  témoignage  que  le  fucre  a  excité 
en  moi  le  fentiment  de  douceur. 

L'autre  forte  de  jugement  s'ap- 
pelle jugement  négatif  :  en  réflc- 
chiffant  fur  moi- même ,  j'obferve 
que  je  n'ai  pas  fenti ,  &  que  je  n'ai 
pas  reçu  l'impreflion  que  le  juge- 
ment afîirmatif  fuppoleroit. 

Ce  jugement  fe  marque  dans  le 
langage  ou  dans  la  propofition ,  par 


de  M.  du  Marfah.  3 1 

les  particules  négatives  >  non^ne^ 
pas^  ou  point;  par  exemple  ^  le  fucré 
Yiefl  point  amer. 

Il  y  a  une  affirmation  dans  tout 
jugement  négatif,  en  ce  qu'on  af- 
firme ou  afTure  qu'on  n'a  pas  fentî. 


Article      VI. 
Remarques  fur  Vidée. 

Les  Philofophes  diftinguent  plu- 
(leurs  fortes  d'idées,  ou  perceptions; 
Les  idées  qu'ils  appellent  adven- 
tices 5  ce  font  celles  qui  nous  vien- 
nent immédiatement  des  objets, 
comme  l'idée  du  foleil ,  &  toutes 
les  autres  idées  immédiates.  Ce  mot 
adventices ,  vient  du  latin  ADVE^^ 
:njre  ^  arriver^ 


3  z  ouvres  pojlhiimes 

Il  y  a  d'autres  idées  qu'on  ap- 
pelle faclices  ^  du  mot  latin  FA* 
CERE  5  faire  :  ce  font  celles  que 
nous  faifons  par  ampliation,  dimi- 
nution, &c.  comme  lorfque  nous 
imaginons  une  montagne  d'or. 

Quelques  Philofophesdifent  qu'il 
y  a  des  idées  innées  y  c'eft-à-dire, 
nées  avec  nous,  mais  nous  croyons 
que  fi  l'on  y  fait  bien  attention ,  que 
fi  on  veutprendrelapeinedefe  rap- 
peler l'hifloire  de  fes  idées  dès  la  pre^ 
mière  enfance,  on  fera  convaincu 
que  toutes  les  idées  font  adventices, 
&:  qu'il  n'y  a  en  nous  d'z/z/z/^,  qu'une 
difpofition,  plus  ou  moins  grande  , 
à  recevoir  certaines  idées.  Ainfi 
ce  principe  ,  qu'/7  faut  rendre  a 
chacun  ce  qui  lui  eft  dû  y  n'eft  pas 
un  principe  inné i  il  fuppofe  l'idée 

acquife 


de  M.  du  Marfaïs.  '5  )^ 

àcquife  de  rendre  ^  Tidée  de  devoir^ 
&  l'idée  de  chacun  :  idées  que  nous 
acquérons  dès  Tenfauce ,  par  Tufage 
de  la  vie. 

Mais  ce  principe  eft  bien  plus 
facilement  entendu ,  qu'un  principe 
abftraitde  métaphyiîque.  La  nécet- 
lîté  de  la  confervation  de  la  fociété 
&  notre  propre  intérêt,  nous  font 
aifément  entendre  que  tout  feroic 
bouleverfé,  fi  on  ne  rendoit  pas  à 
autrui  ce  qui  lui  appartient. 

Les  créatures  nous  élèvent  aifé-' 
ment  à  la  connoiffance  du  Créa- 
ceur,  fans  qu'il  foit  néceffaire  que 
l'idée  de  Dieu  foit  innée  ;  &  ii  nous 
voulons  nous  rappeler  de  bonne 
foil'hiftoire  de  notre  enfance,  nous 
avouerons  que  nous  ne  fommes 
parvenus  à  l'idée  du  Créateur,  qu'a- 

Ç 


34  (Euvres  pofihumes 

près  que  notre  cerveau  a  eu  acquis 
une  certaine  coniîftance  ,  &  qu'a- 
près que  nous  avons  eu  obfervé  des 
caufes  &  des  effets. 

Les  idées  abftraites,  telles  que 
de  couleur  en  général ,  ai  être ,  de 
néant  y  de  vérité^  de  menfonge^  font 
une  produdioa  de  nos  réflexions. 
Nous  avons  inventé  ces  mots,  pour 
marquer  l'uniformité  qui  fe  trouve 
entre  certaines  impreiîîons.  Tous 
les  objets  blancs  font  en  moi  une  im- 
preffion  femblablc  :  je  réalife  ,  en 
quelque  forte ,  cette  manière  de 
m'affederi&  la  considérant,  pour 
ainfi  dire  >  en  elle-même  &  fans 
aucune  application  particulière,  je 
l'appelle  blancheur.  Ces  idées  abf- 
traites peuvent  être  rapportées  à  la 
claffe  des  làicsfacîiccs. 


de  M.  dit  Marfais.  3  5 

îi  y  a  des  idées  qu'on  appelle 
claires  ^  Si  d'autres  qu'on  appelle 
confufes.  Les  idées  claires  y  font 
celles  qu'on  aperçoit  aifément,  &: 
dont  on  embrafle  tout  d'un  coup 
toute  l'étendue. 

A  parler  cxadement ,  il  n'y  a 
d'idées  confufes ,  que  par  rapport  à 
une  idée  plus  dillinde  que  nous 
avons  eue.  L'idée  d'un  homme  vu 
de  loin ,  eft  l'idée  claire  d'un  homme 
vu  de  loin  :  nous  ne  devons  juger 
de  ctx.  homme  que  lorfque  nous  le 
verrons  de  plus  près ,  parcequ  il  faut 
toujours  attendre  que  notre  juge- 
ment ait  la  caufe  propre  &  précife 
qui  doit  l'exciter.  Mais  parceque 
nous  avons  une  idée  claire  &  com- 
plète d'un  homme  que  nous  voyons 
de   près,   nous   appelons   confufc 


$6  (Kuvres  pofîhumes 

ridée  de  celui  que  nous  voyons  de 
loin.  Ainfî,  à  pioprement  parler , 
ridée  confufe  n  eft  qu'une  idée  in- 
complète ;  c'cft-à-dire  ,  une  idée  , 
une  image  à  laquelle  notre  expé- 
rience &  notre  réflexion  nous  font 
fentir  qu'il  manque  quelque  chofe. 

Il  y  a  des  idées  qu  on  appelle 
accejfoires.  Une  idée  acceJJoire^cQ: 
celle  qui  eft  réveillée  ea  nous  à 
Toccafion  d  une  autre  idc3. 

Lorfque  deux  ou  plufieurs  idées 
ont  été  excitées  en  nous  dans  le 
même  temps ,  li  dans  la  fuite  l'une 
des  deux  eft  excitée ,  il  eft  rare  que 
l'autre  ne  le  foit  pas  auftij  &  c'eft 
cette  dernière  que  l'on  appelle  ac^. 
cejjbire. 

Si  l'on  parle^par  exemple,  d'une 
ville  où  l'on, a  demeuré,  fimage  dç 


de  M.  du  Marfaîs.  3  7 

quelque  objet  qu'on  aura  vu  dans 
cette  ville ,  fe  retracera  à  notre  ima- 
gination, &r  excitera  en  nous  une 
idée  accejjoire. 

Il  y  a  auiîî  des  idées  qu'on  ap- 
pelle idées  exemplaires.  Ce  font 
celles  qui  fervent,  pour  ainfi  dire, 
de  modèles  à  celles  que  nous  rece- 
vons dans  la  fu'te. 

L  expérience,  c'eft-à-dire  5  les  îm- 
prelîîons  extérieures  que  nous  rece- 
vons des  objets  par  Tufage  de  la  vie, 
&les  réflexionsque  nous  faifons  en- 
fuite  fur  QQ,s  impreflîons ,  font  les 
deux  feules  caufes  de  nos  idées  j  tou- 
te autre  opinion  n  eft  qu'un  Roman^ 
Il  faut  prendre  Thomme  tel  qu'il  eft^, 
&  ne  pas  faire  des  fuppofitions  qui 
ne  font  quimaginées.  La  princi- 
pale caufe  de  ces  fortes  d'erreurs .i 


3?  (Kuvres  poftkumes 

vient  de  ce  qu  on  réalife  de  fîmples 
abftradions,  ou  des  êtres  de  raifon. 
C'efl:  ainfi  que  le  Père  Mallebranche 
regarde  les  idées  comme  des  réali- 
tés diftindes  &  féparées  de  l'enten- 
dement qui  les  reçoit. 

Les  idées,  confîdérces  féparément 
de  notre  entendement  ^  ne  font  pas 
plus  des  êtres ,  que  la  blancheur 
confîdérée  par  abftradion  ,  indé- 
pendamment de  tout  objet  blanc  y 
ou  la  figure  confidérée  indépen- 
damment de  tout  objet  figuré* 


Article     VIL 
Du  Raifonnement. 

I^OMME  tout  jugement  fuppofe 
des  idées,  de  même  tout  raifonne- 


de  M.  du  Marfals.  3  5 

ment  fuppofe  des  jugemens.  Le 
raifonnement  confifte  à  déduire,  à 
inférer ,  à  tirer  un  jugement  d'autres 
jugemens  déjà  connus  j  ou  plutôt  à 
faire  voir  que  le  jugement  dont  il 
s  agit,  a  déjà  été  porté  dune  ma- 
nière implicite  i  de  forte  qu'il  n'eft 
plus  queftion  que  de  le  développer, 
&  d'en  faire  voir  l'identité  avec  quel- 
que jugement  antérieur.  Cette  opé- 
ration de  l'efprit,  par  laquelle  nous 
tirons  un  jugement  d'autres  juge- 
mens ,  s'appelle  raifonnement.  Par 
exemple  : 

Toute  perfonne  qui  veut  apprendre  3 

doit  écouter  -, 
Vous  voulez  apprendre  : 
Ponc  vous  devez  écouter. 

Tous  ces  jugemens  pris  cnfem- 
ble,  forment  ce  qu'on  appelle  un 

C4 


^o  (Euvres  pojîhumes 

raifonnemcnt  y   &  en    latin  DI S^ 
eu  Rsu  s. 

Les  êtres  particuliers  excitent  en 
nous  des  idées  exemplaires  ;  c'eftr-: 
à-dire  5  des  idées  qui  font  le  modèle 
des  imprefïîons  que  nous  trouvons 
dans  la  fuite ,  ou  femblables  ou 
différentes.  Par  exemple ,  le  difque 
de  la  lune ,  ou  quelqu'autre  cercle 
particulier;,  m'a  donné  lieu  de  me 
former  l'idée  exemplaire  ou  géné- 
rale du  cercle.  J'ai  donné  un  nom 
à  cette  idée  abftraice  :  j'ai  appelé 
cercle  toute  figure  dont  les  lignes  ^ 
tirées  du  centre  à  la  circonférence  3^ 
font  égales. 

Ainfî,  toute  figure  qui  me  rap- 
pellera la  même  idée  5  fera  cercle. 

Tout  objet  qui  excite  la  même 
idée,  eft  le  même,  par  rapport  à 


de  M.  du  Marfais:         ^.  f 

cette  idée  :  tout  ce  qui  eft  rond  eft 
rond.  Un  tel  cercle  en  particulier, 
a  toutes  les  mêmes  propriétés  qu  un 
autre  cercle ,  en  tant  que  cercle. 

Je  veux  prouver  que  Pierre  eft 
animal,  je  confulte  l'idée  que  j'ai 
de  Pierre ,  &  l'idée  que  j'ai  d'ani* 
mal  j  &  voyant  que  Pierre  excite 
en  moi  l'idée  d'animal ,  je  dis  qu  en 
ce  point,  il  eft  un  de  ces  individus 
qui  m'ont  donné  lieu  de  me  former 
îidée  d'animal,  &  que  je  développe 
par  cet  argument. 

Tout  être  qui  a  du  fentiment  &  du 
mouvement,  eft  ce  que  j'appelle 
animaL 

Or  je  vois  que  Pierre  a  du  fentiment 
&  du  mouvement  : 

Donc  il  eft  animal, 

C'eft  donc  avec  raifon  que  jie 


42.  (Euvres  poftkumes 

conclus   que   Pierre  eft    animal. 

Ce  qui  efi  ^  efl.  Une  chofe  ne 
fauroit  ctre  &  rt'ctre  pas.  Le  cercle 
eft  rond ,  &  en  tant  que  rond  ,  il 
n'eft  pas  quarré  j  &  en  tant  que 
rond ,  il  a  toutes  les  propriétés  du 
rond. 

Ainfî  y  la  règle  véritable  &  fon- 
damentale du  raifonnement ,  ou 
fyllogifme>  eft  que  le  fujet  de  la 
concluûon  foit  compris  dans  Tex- 
tenfion  de  l'idée  générale  à  la-i 
quelle  on  a  recours  pour  en  tirer 
la  conclufion. 


Article     VIII. 
Du  Syllogifme. 

Le  Syllogifme  eft  toujours  compor 
fé  de  crois  propofîtionsi  la  première 


de  M.  du  Marfais.         43 

s'appelle  la  majeure  ^  la  féconde 
s'appelle  la  mineure^  &  la  troifièmc 
eft  appelée  la  conféquence. 

Dans  la  première  propofition  l 
on  cherche  ce  qui  ,  de  l'aveu  de 
celui  à  qui  on  parle ,  a  la  propriété 
qui  eft  en  queftion.  Dans  la  fécon- 
de 5  on  fait  voir  que  le  fujet  dont  il 
s'agit,  eft  un  des  individus  compris 
dans  l'extenfion  de  l'idée  générale 
dont  les  individus  ont  cette  pro- 
priété :  d'où  l'on  conclud,  dans  k 
conféquence  5  que  le  fujet  dont  il 
s'agit  a  la  propriété  qu  on  lui  dif- 
pute. 

Vous  convenez  que  ce  qui  eft 
chaud,  dilate  l'air  :  or,  le  foleil  eil 
compris  dans  l'extenfion  de  l'idée 
générale  de  ce  qui  eft  chaud  :  donc 
le  foleil  dilate  lair,  parcequ'il  doit 


44  (ouvres  pofihumes 

avoir  les  mêmes  propriétés  que  ce 
qui  eft  chaud.  Puifque  ce  qui  efi^ 
efl ;  une  chofe  ne  fauroit  être  &: 
n'être  pas  :  puifque  le  foleil  eft 
compris  dans  l'idée  générale  de 
ce  qui  eft  chaud  ,  il  doit  avoir 
les  mêmes  propriétés  en  tant  que 
chaud. 

Les  deux  premières  propofitions 
du  fyllogifme ,  font  appelées  pré- 
mijjes ,  c'eft-à-dire ,  mifes  avant  la 
conféquence. 

Si  les  deux  prémifTcs  font  vé- 
ritables y  &  qu'on  en  convienne , 
on  doit  accorder  la  conféquence  : 
au  contraire ,  fl  les  prémifles ,  ou 
quelqu'une  des  prémifles,  neft  pas 
véritable  ,  alors  on  nie  la  confé- 
quence. 

Il  arrive  fouvent  qu  une  des  pré- 


de  M.  du  Mdrfais:  45 
ïnifTes  eft  véritable  à  quelques 
égards,  &  fauflc  à  quelques  autres 
égards  :  alors  la  conféquence  efl: 
véritable  ,  dans  le  fens  que  cette 
prémifle  eft  véritable  j  &  elle  eft 
faufte ,  dans  le  fens  que  cette  pré- 
mifle eft  fauffe. 

En  cts  occafîons,  on  diftingue 
la  prémifle  i  mais  on  nie  la  confé- 
quence. Quelquefois  on  la  diftin- 
gue. Par  exemple,  fî  lorfqu'ii  eft 
jour,  &  que  le  temps  eft  couvert, 
quelqu'un  vouloir  prouver  que  les 
cadrans  folaires  doivent  marquer 
rheure,  &  qu'il  ie  fervît  de  ce  fyl- 
iogifme  : 

Lorfque  le  foleil  eft  fur  notre  ho- 
rifon,  les  cadrans  folaires  marquent 
rheure. 


*4^  (ouvres  pofihume  s 

Or   le    foleil  eft  aduellement   fuf 
notre  horifon  : 

Donc  \qs  cadrans  folaires  doivent  ac- 
tuellement marquer  Theure. 

Ce  fyllogifme  eft  en  bonne  for* 
me  j  mais  il  faut  diftinguer  la  ma- 
jeure de  cette  forte  :  lorfque  le  foleil 
eft  fur  notre  horizon  ^  &  qu'il  n'y  a 
point  de  nuages  qui  interceptent 
fcs  rayons  de  lumière  ^  les,  cadrans 
folaîres  doivent  marquer  Theure  : 
jaccorde  la  majeure.  Lorfque  le 
foleil  eft  fur  notre  horizon,  &:  qu'il 
y  a  des  nuages  qui  interceptent  fes 
rayons  de  lumière,  les  cadrans  fo- 
laires  doivent  marquer  l'heure  j  je 
nie  la  majeure  :  donc  les  cadrans 
folaires  doivent  marquer  l'heure, 
a6tuellement  que  le  Ciel  eft  couvert 
de  nuages  j  je  nie  la  conféquencc. 


de  M.  du  Marfais.  ^47 
On  fait  5  dans  les  Ecoles  5  plufieurs 
ôbfervations  fur  la  forme  des  fyllo- 
gifmes ,  comme  fur  les  argumens 
en  BARBARA  OU  en  BAROCO.  Ces 
ôbfervations  ne  font  pas  d  un  grand 
iifage  dans  la  pratique  j  quelques 
perfonnes  les  appellent  des  baga- 
telles   difficiles,    DIFFICILES 

La  voyelle  A^  qui  eft  dans  les 
trois  fyllabes  de  BARBARA  y  marque 
que  les  trois  propofîtions  qui  corn- 
pofent  l'argument  en  BARBARA  ^ 
doivent  être  des  propofitions  affir- 
matives univerfelles  5  parcequ'oneft 
convenu  que  la  lettre  A  feroit  le 
figne  de  la  propofition  affirmative 
univerfelle. 

JJfent  A  y  negat  E  )  verum  gênera- 
liter  ambo. 


^S  (Euvres  pojîhumes 

AJferlt  I,  negat  O  \  fcd  panlculai^ 
riter  ambo. 

Ceft-à-dire,  A  affirme  ,  E  nîe  î 
mais  l'une  &  l'autre  généralement  : 
aînfî  un  fyllogifme  en  BARBARA^ 
eft  compofé  de  trois  propoiicionç 
affirmatives  unîverfelles. 

Par  exemple  : 

Ceux  qui  n'étudient  point ,  font  igno? 

rans  \ 
Les  parefîèux  n*étudient  point: 
Donc  les  parefleux  font  ignorans. 

On  a  fait  des  mots  artificiels,  ou 
ces  quatre  lettres  A^E ^I^  Oy  font 
combinées  félon  toutes  le  combi- 
naifons  poffibles,  pour  faire  voir  les 
diftérentes  efpèces  de  fyllogifmes. 

Mais  il  nous  fuffit  de  bien 
comprendre    le     fondement     du 

fyllogifme. 


de  M.  du  Marfais.  ^ij 

lyllogifme  5  &  les  difterentes  règles 
que  roii  doit  obferver. 

■I  < 

Article     IX* 

Obfervdtîons  fur  le  fondement  du 
Syllogifme. 

i.^  1 L  n  y  à  dans  le  monde  que  deS 
êtres  particuliers.  Pierre,  Paul,  &c: 
font  des  êtres  particuliers  \  ce  dia- 
mant, cette  pierre  font  aufïi  des 
êtres  particuliers  j  cet  écu,  ce  louis 
d'or,  font  auflî  des  êtres  particu- 
liers. Il  en  eft  de  même  de  tout  ce 
qui  exifte  dans  l'univers. 

Les  êtres  particuliers  font  appe- 
lés, par  les  Philofophes,  des/Wz* 
yidus  i  c'eft-à-dire,  des  êtres  qui  ne 
peuvent  pas  être  divifés  fans  cefTer, 

D 


50  Œuvres  pojlkumes 

d'être  ce  qu  ils  font.  Ce  diamant  ] 
fi  vous  le  divifez ,  ne  fera  plus  ce 
diamant  i  il  naura  ni  la  même  va- 
leur,  ni  le  même  poids ,  ni  les  mê- 
mes propriétés. 

Notre  efprit  fait  enfuite  des  ob- 
fervations  fur  les  individus  &  fur 
leur  manière  d'être  j  &  ce  font  ces 
obfervations ,    ces  réflexions ,  ces 
abftradions  ,  qui   forment   Tordre 
jnétaphyfîque ,  &  les  êtres  purement 
abftraits,  que  nous  exprimons  par 
des  mots ,  à  l'imitation  des  noms 
que  nous  donnons  aux  êtres  réels. 
Par  exemple ,  quand  je  vois  un  écu , 
j'en  obferve  la  figure ,  la  matière  , 
le  poids,  &c.  j'ai  l'idée  de  cet  écu 
&  de  fes  propriétés.  J'apprends  en- 
fuite  5  par  l'ufage ,  que  cet  écu  n'eft 
pas  le  feul  qu'il  y  ait  dans  le  mondej 


de  M.  du  MarfaiS.  ç  ti 

je  vois  d'autres  écus  qui  me  ré^ 
veillent  l'idée  du  premier  écu  ôi 
de  fes  propriétés  :  f  obferve  tout  ce 
cil  quoi  les  écus  font  femblables 
entre  eux. 

J'obferve  de  même  que  les  louis 
d'or  font  femblables  entre  eux,  & 
que,  de  plus,  ils  ont  auilî  des  pro- 
priétés différentes  des  propriétés 
del'écu.  Voilà  une  reffemblance  & 
une  différence. 

C  eft  ce  qui  a  donné  lieu  à  ce  que 
les  Philofophes  apfiellent  efpcce  &c 
genre.  L'écu  eft  une  efpèce  de  mon- 
noie  i  le  louis  d'or  eft  une  autre 
efpèce  de  monnoie  :  monnaie 
eft  le  genre.  Tous  les  êtres  dans 
lefquels  nous  remarquons  des  qua- 
lités communes ,  nous  ont  donné 
lieu  de  former  l'idée  abftraitc  ôc 


'5  ^  (Euvres  pofikumes 
métaphyfîque  de  genre  :  ainfî,  l'idée 
que  nous  avons  de  monnoie  ^  eft 
l'idée  du  genre,  par  rapport  aux 
différences  efpèces  de  tnonnoiel 
Toutes  les  monnoies  conviennent 
entr'elles,  en  ce  qu  elles  font  la  ma- 
tière qui  nous  fert  à  acquérir  tout 
ce  dont  nous  avons  befoinj  mais, 
parmi  les  monnoies,  il  y  en  a  qui 
font  d'or ,  d'autres  d'argent ,  d'au- 
tres de  cuivre,  d'autres  plus  gran- 
des, d'autres  plus  petites:  c'eft  ce 
qui  conftitue  les  différentes  efpèces. 
C'efl  la  différence  que  nous  remar- 
quons entre  les  individus  du  même 
genre  qui  nous  a  donné  lieu  de 
former  le  terme  abflrait  efpèce. 

z.^  Nous  appelons  animal  tout 
individu  qui  a  du  fentiment,  qui  a 
Ja  propriété  de  fe  mouvoir,  qui  vit. 


de  M.  du  Marfais.  ^f 

qui  mange,  &c.Ces  propriétés, que 
nous  obfervons  dans  un  fî  grand 
nombre  d'individus,  nous  ont  donné 
lieu  de  former  Fidée  abftraitc  d'^- 
nîmaL 

Nous  avons  obfervé  dans  ces 
animaux  des  propriétés  qui  ne  con- 
viennent qu'à  un  certain  nombre 
d'individus  ;  par  exemple ,  quelques- 
uns  de  CCS  animaux  volent,  pendant 
que  les  autres  n'ont  point  d'ailes  j 
quelques  -  uns  marchent  à  quatre 
pieds,  d'autres  rampent.  Ces  pro- 
priétés qui  ne  conviennent  qu'à  un 
certain  nombre  d'animaux,  &  par 
lefquelles  ils  diffèrent  les  uns  des 
autres,  nous  ont  donné  lieu  de  for^ 
mer  l'idée  abftraite  d'efpèce  d'ani- 
maux. 

Le  point  de  vue  de  lefprit  qui^ 


5  4  (Ëuvres  poftkumes 

après  un  grand  nombre  d'idées  ac-, 
quifes  par  lufage  de  la  vie ,  obferve 
que  les  propriétés  qu'il  a  obfervécs 
conviennent  à  tous  les  animaux, 
eft  ce  qu'on  appelle  genre. 

Le  point  de  vue  de  l'cfprit  par 
lequel  on  confidère  enfemble  les 
propriétés  qui  ne  conviennent  qu'à 
quelques  individus  du  genre  ^  eft 
ce  qu'on  appelle  efpèce. 

Genre  fuppofe  efpèce  ;  efpèce 
fuppofe^^/zr^  réciproquement 5  ce- 
pendant obfervez  que  ce  qui  fera 
genre  par  rapport  à  certaines  ef- 
pèceS)  peut  n'être  confidéré  par 
notre  efprit  que  comme  une  efpèce, 
li  vous  ne  faites  attention  qu'à  des 
propriétés  plus  générales.  Par  exem- 
ple ^fî,  par  un  point  de  vue  de 
votre  efprit^  vous  ne  confîdére2  3i 


de  M.  du  Marfais.  5  j 

dans  le  nombre  infini  des  individus 
qui  font  dans  le  monde ,  que  la 
iimple    propriété    dexifter,    vous 
vous  formerez  l'idée  abftraite  d'êtrej 
&  les  différences  que  vous  obfer- 
vcrez  entre  les  êtres  en  feront  au- 
tant d'efpèces.  Ainfi  animal ^  qui 
cft  genre  par  rapport  à  toutes  les 
efpèces  d  animaux ,  ne  fera  plus  ici 
c^xxefpece  par  rapport  à   être;    &C 
animal  y  qui  eft  efpèce  par  rapport 
à  être  y  deviendra  genre  par  rappor^ 
à  fes  inférieurs,  parce  qu animal (o 
divife   en  raifonnable    &  irraifon- 
iiable.  Tout  cela  prouve  que    ce 
ne  font  que  les  différentes  vues  de 
Tefprit  qui  forment  tous  ces  diffé- 
rens  êtres  métaphyfiques.  11  y  en  a 
cinq,  qu'on  appelle  les  cinq  uni-. 
Yerfaux ,  c'eft-à-dire  5  cinq  idées  abf! 

D4 


^  6  Œuvres  pofthumes 

traites,  qu'on  exprime  par  des  ter* 
mes  abfolus  ou  noms  fubftantifs  i 
genre  y  efpece  ^  différence  ^  propre  ^ 
accident.. 

Article     X. 
De  la  matière  du  Syllogifmel 

Le  fyllogifme  eft  néceflairement 
çompofé  de  trois  idées  fîmples  ou 
complexes.  La  queftion  qui  dans 
le  fyllogifme  devient  la  conclu{îon> 
eft  compofée  de  deux  idées,  dont 
lune  s'appelle  le  fujet ^  &  l'autre 
Xattribut. 

Le  fujet  eft  appelé  le  petit  terme ^ 
'de  en  latin  MINUS  extremum. 

L'attribut  de  la  conclufîon,  ainfi 
appelé  parce  qu'on  l'attribue  au 
fujçt,  eft  appelé  le  grand  terme ^  & 


de  M.  du  Marfals.  57 

en  latin  MAJUS  EXTREMUM^ 
parce  qu'il  peut  fe  dire  d'un  plus 
grand  nombre  d'individus, 

Outre  CCS  deux  idées,  on  a  re- 
cours à  une  troifième ,  qu'on  appelle 
le  moyen  ^  MEDIUM.  Ceft  par  l'en- 
tremife  de  cette  troifîème  idée  que 
Ton  découvre  fi  l'attribut  de  la  con- 
clufion  convient  ou  ne  convient 
pas  au  fujet  de  cette  même  con- 
clufion. 

L'Etre  tout-puifTant  doit  être  adoré  j 
Dieu  eft  TÊtre  tout-puiiïant  : 
Donc  Dieu  doit  être  adoré» 

Dieu  eft  le  fujet  de  la  propofitionj 
doit  être  adoré  qù,  l'attribut  i  ïEtre 
tout-puijfant  eft  le  moyen  terme. 

Tous  les  hommes  peuvent  fe  tromperi 

Vous  êtes  homme  : 

Donc  vous  pouvez  vous  trompçr. 


5  8  (Ëuvres  pojlhumes 

Vous  eft  le  fujet  de  la  coiicIufion> 
&r  par  conféquent  le  petit  terme  ; 
pouve^  vous  tromper  ^cHl'^ittnbuti 
tous  les  Ao>7z;;2(fj^  eft  le  moyen  terme 
ou  ridée  moyenne. 


Article     XL 

Fondement  du  Syllogifme. 

V^OMME  dans  Tordre  phyfîque 
on  ne  peut  tirer  d'un  corps  que  les 
différentes  matières  qui  y  font  con- 
tenues j  de  même  dans  l'ordre  me- 
taphyfique  on. ne  peut  déduire  un 
jugement  ou  conféquence  d'un  autre 
jugement,  que  parce  que  cette  con- 
féquence ou  jugement  a  déjà  été 
porté  en* d'autres  termes, ou, com- 
me on  dit  communément,  c'eft  que 


de  M.  du  Marfais.  5  9 

la  majeure  ou  propofîtion  générale 
contient  la  conclufion ,  &  la  mineure 
fait  voir  que  cette  conclufion  eft 
contenue  dans  la  majeure. 

Ainfi,  c'eft  l'identité  qui  eft  le  feul 
&  véritable  fondement  du  fyllo- 
gifme. 

La  conclufion  eft  en  dautres 
termes  le  même  jifgement  qu  on  a 
porté  dans  la  majeure ,  avec  la  feule 
différence  que  la  majeure  eft  plus 
étendue  &  plus  générale  que  la  con- 
clufion \  c'eft  ce  qu  il  eft  aifé  de  faire 
voir  par  des  exemples. 

L'Etre  tout-puiflant  doit  être  adoré  j 
Dieu  eft  TÈtre  tout-puifTant  : 
Donc  Dieu  doit  être  adoré. 

Je  dis  que  cette  conclufion  :Z)/V^^ 
doit  être  adoré ^  eft  dans  le  fond  le 
même  jugement  que  celui-ci  :  VEtrc 


6o  CEuvres  pofthumes 

tout  '  puijfant  doit  être  adoré.  En 
effet,  cette  propofition,  XEtre  tout- 
puijjant  doit  être  adoré ^  contient 
celle-ci  :  Dieu  doit  être  adoré  ^  parce 
que  Dieu  feu!  eft  ÏEtre  tout^ 
puijjant. 

La  miiieure  fert  uniquement  à 
faire  voir  que  la  conféquence  eft 
contenue  dans  la  majeure  ,  puif-^ 
quelle  vous  dit  que  Dieu  efi  l'Etre 
tout'puijfant  ;  d'où  il  fuit  que  ce  que 
vous  dites  de  VEtre  toutpuijjant  ^ 
vous  le  dites  de  Dieu.. 

Tous  les  hommes  peuvent  fe  tromper  j 
Or  vous  êtes  homme  : 
,  Donc  vous  pouvez  vous  tromper. 

Cette  proportion:  tous  les  hom^ 
mes  peuvent  fe  tromper^  contient 
vifiblement  celle-ci  5  vo^j  êtes  hom^^ 


de  M.  dû  Marfais.  6  i 

me.  Il  eft  vifîble  qu  homme  eft  un 
mot  générique  qui   contient   tous 
les  individus  qui  font  hommes  ;  &C 
qu  ainfî  tout  ce  que  je  dis  de  {'hom- 
me^ feulement  en  tant  qu  homme , 
je  le  dis  de  vousi  par  conféquent 
lorfque  j'ai  dit:  tous  les  hommes  peu- 
vent fe  tromper^  j'ai  déjà  dit  de  vous 
que  vous  pouviez  vous  tromper  , 
puifque  vous  &  homme  eft  la  même 
chofe,  en  ce  fens  que  vous  êtes 
contenu  dans  l'idée  exemplaire  que 
j'ai  de  l'homme,  comme  le  cercle 
en   particulier    eft    contenu    dans 
l'idée  exemplaire  que  j'ai  du  cercle 
en  général.  Cette  matière  étendue 
que  j'appelle  cercle  ^  n'eft  ain(i  ap- 
pelée que  parce  qu'elle  excite  en 
moi  une  impreffion  que  je  trouve 
conforme  à  l'idée  exemplaire  que 


6%         (Ruvrcs  pofthumes 

j  ai  acquife  du  cercle  par  Tufage  d^ 
la  vie. 


Article     XI  L 

Règles  du  SyllogifmCé 

Quoique  les  mots  paroifTent  nous 
donner  des  idées  différentes ,  ce- 
pendant 5  quand  le  fens  que  nous 
donnons  aux  mots  eft  bien  ap- 
précié, il  eft  évident  que,  quoique 
Ton  s'explique  en  termes  différens, 
fouvent  on  entend  la  même  chofe. 
Ainli ,  par  XEtre  tout  -  puijfant  ^ 
j entends  Dieu.  D'où  Ion  pourroit 
conclure  qu  à  la  rigueur  il  n'y  a  que 
deux  termes  dans  le  lyllogifme ,  & 
qu'en  un  fens,  la  conclufion  eft  la 
même  propofttion  que  la  majeure  ; 


de  M.  du  Marfais.  ^3 

ï  Etre  tout-puijfant  doit  être  adoré ^ 
&  Dieu  doit  être  adoré ,  c'eft  au 
fond  la  même  chofc. 

De  ce  principe  ,  bien  entendu , 
fuivent  les  règles  qu'on  donne  dans 
les  Ecoles  touchant  le  fyllogifme. 

Première  Règle. 

L'idée  moyenne,  c'eft-à-dire ,  les 
mots  qui  l'expriment  ,  doivent 
être  pris  ,  au  moins  une  fois,  uni- 
yerfellement. 

Explication. 

Le  moyen  ,  cft  l'idée  qui  doit 
contenir  le  fujet  de  la  concluiîonj 
il  ne  peut  le  contenir  que  lorfqu'il 
cftpris  généralement  j  par  exemple  : 

Quclqu'homme  eft  favant  j 
Quelqu'homme  eft  riche  : 
Donc  quelque  riche  eft  favanr. 


6^,         Œuvres  pofihumes 

Le  mot  à^homme  de  la  majeure 
&  de  la  mineure,  étant  pris  particu^ 
lièrement ,  puifque  dans  Tune  ôi 
dans  l'autre  propofition ,  il  fignifie 
diverfes  fortes  d'hommes,  ne  peut 
contenir  le  fujet  de  la  conclufîon  > 
ou  y  être  appliqué  j  parce  que  le 
particulier  neft  point  renfermé 
dans  le  particulier,  mais  dans  1q 
général. 

Seconde    Règle; 

Les  termes  ne  doivent  pas  être; 
pris  plus  univerfellement  dans   la 
conclufion ,  qu'ils  ne  l'ont  été  dans 
les  prémifles* 

Explication. 

Puifque  la  majeure  doit  contenir 
la  conclufion,  &  que  le  particulier 

ne 


de  M.  du  MarfaiS.  éf 

ne  fauroit  contenir  le  général  j  il 
eft  évident  que  fî  les  termes  de 
la  concluiîon  font  pris  univerfelle- 
ment  dans  la  conclufion ,  &  parti-; 
culièrement  dans  les  prémifTes^  le 
raifonnemcnt  fera  faux:  comme  fî 
de  ce  que  quelqu'homme  eft  noir, 
je  concluois  que  tout  homme  eft 
noin 

TiROISiÈME       RÈGLE. 

On  ne  peut  rien  conclure  dc( 
deux  proportions  négatives. 

Explication. 

Les  propofîtions  négatives  ne 
contiennent  que  la  négation  de  ce 
quelles  nient jainfi,  on  ncn  peuc 
tirer  une  autre  négation.  De  ce  que 
je  dis  que  Pierre  n  a  pas  dix  louis;, 

E 


€6  Œuvres  pojlhumes 

il  ne  s'enfuit  pas  qu'il  n'ait  pas  d'ei- 
prit.  D'une  propofition  négative , 
vous  pouvez  encore  moins  tirer, 
une  conclufîon  affirmative:  de  ce 
que  Pierre  neft  pas  riche  5  il  ne 
s'enfuit  pas  qu'il  foit  favant. 

Les  Efpagnols  ne  font  pas  Turcs  i 
Les  Turcs  ne  font  pas  Chrétiens  : 
Donc  les  Efpagnols  ne  font  pasChré- 
tiens. 

On  voit  vîfîblement  que  la  con- 

{equence   n'eft  pas  contenue  dans 

la  majeure* 

Quatrième    règle* 

On  ne  peut  pas  prouver  une 
conclulîon  négative  par  deux  pro: 
pofitions  affirmatives. 

.       Explication. 

:  Lî^ne-  propofition*  eft  négative  y 


de  M.  du  Marfais.         ^y  . 

quand  on  n  aperçoit  aucune  iden- 
tité entre  le  fujet  &  l'attribut,  &: 
qu'au  contraire  on  y  découvre  de 
la  différence  &  de  l'oppoiition. 

Au  contraire,  une  propofition  eft 
affirmative ,  quand  on  aperçoit  que 
le  fujet  &  l'attribut  ne  font  qu'un 
même  tout:  or  la  conclufîon  étant 
négative ,  elle  ne  peut  pas  être  la 
même  chofe  qu'une  ou  deux  pro^ 
poiitions  affirmatives. 
'Cinquième     règle; 

Si  une  des  prémifTes  efl  particu-^' 
lière,  la  conclufîon  doit  être  parti-» 
culière  j  &  fi  une  des  prémifïes  efl 
négative,  la  conclufîon  doit  aufïî 
être  négative  :  c'efl  ce  qu'on  dic 
communément  dans  les  écoles,  que 
la  conclufîon  fuit  toujours  la  plus 
foible  partie* 


6$  Œuvres  pofihumes 

Explication. 

La  conclufîon  devant  toujours 
être  contenue  dans  les  prémifTes, 
elle  ne  fauroit  avoir  une  plus  grande 
étendue  que  les  prémifTes:  or  elle 
auroit  plus  d'étendue  ,  il  elle  étoit 
univerfellejorfqu  une  des  prémiffes 
cft  particulière. 

D'ailleurs,  elle  ne  peut  pas  affir-î 
mer  lorfqu  une  des  prémifTes  eft  né- 
gative par  la  même  raifon. 

De  cette  règle  il  fuit  qu'une  pro- 
poiîtion  qui  conclud  le  général  3^ 
conclud  le  particulier  :vSi  roui  kom-- 
me  a  une  ame  ^Vicno  a  une  ame. 

Mais  une  propofîcion  qui  conclud 
le  particulier  5  ne  conclud  pas  pour 
cela  le  général,  ou  plutôt  neft  pas 
la  même  chofe  que  le  général: 
Quelques  hommes  font  noirs ^  il  ne 


de  M.  du  Marfais:         "6^5? 

s'enfuît  pas  dc-là  que^o^^  les  hom^ 
mes  f oient  noirs. 

Sixième     règle. 

On  ne  peut  rien  conclure  de 
deux  propoiîcions  particulières  > 
c'eft-à-dire,  que  de  deux  propoâ- 
tions  particulières  on  ne  fauroit  ea 
déduire  une  troifième  propofition. 
De  ce  que  Pierre  eft  favant,  &  que 
Paul  eft  fage,  il  ne  s'enfuit  pas  que 
Jean  foit  fage  ou  favant. 

E  X  P  L  I  c  A  T  I  o  n: 

Les  propofîtions  particulières  ne 
font  dites  que  des  objets  particuliers 
qu  elles  expriment  :  on  ne  peut  donc 
pas  les  appliquer  aux  autres  objets 
dont  elles  ne  difcnt  rien.  Une  ma- 
jeure particulière  u  étant  dite  qua 


70  GEuvres  poflhumes 

de  quelques  objets  particuliers  y  ne 
peut  donc  point  contenir  une  con- 
féquence  qui  eft  différente  d'elle- 
même. 


Article     X  I  I  I. 
Des  Sophifmcsl 

Tout  ce  qui  nefl:  pas  conforme 
à  la  règle,  n  eft  pas  droit  :  il  faut 
donc  avoir  la  connoifTance  de  la 
règle  5  pour  dire  que  ceci  ou  cela 
n  eft  pas  droit.  Il  en  eft  de  même 
du  raifonnement  j  il  faut  en  favoir 
les  règles  5  pour  bien  démêler  un 
raifonnement  faux. 

I  .^  Une  des  principales  obferva- 
lions,  c'eft  que  tout  jugement  doit 
être  excité  par  une  caufe  extérieure^ 


de  M.  du  Marfais.  7 1 
;&  que  cette  caufe  extérieure  doit 
être  la  caufe  propre  &  précife  de 
ce  jugement.  Tout  jugement  doit 
avoir  fon  motif  propre  j  ainfi,  un 
hiftorien  qui  raconte  un  fait  qui 
s'eft  paiTé  plufîeurs  fiècles  avant  lui, 
n'eft  pas  digne  de  foi ,  à  moins  qu  il 
ne  s'appuie  fur  le  témoignage  des 
auteurs  contemporains ,  &  ce  témoi- 
gnage eft  encore  fujet  à  l'examen. 

z.^  Le  raifonnement  eft  intérieur^ 
on  ne  raifonne  que  fur  {^s  propres 
idées:  ainfî,  dans  la  fuite  d'un  rai- 
fonnement il  faut  toujours  confer- 
ver  les  mêmes  idées.  Car  ce  qui  eft 
vrai  d'une  idée  ne  l'eft  pas  d'une 
autre  j  ainfi^quand  on  raifonne  avec 
quelqu'un,  il  faut  bien  prendre 
garde,  s'il  a  les  mêmes  idées  que 
nous  i  s'il  entend  les  mots  donc  nous 

E4  ' 


"^  i  Œuvres  pojihumcs 

nous  fervonsjdans  le  même  fens  que 

nous  les  entendons. 

Il  faut  fur  -  tout  prendre  garde? 
dans  la  chaleur  de  la  difpute,  de 
donner  toujours  précifément  le  mê- 
me fens  aux  mots  dont  on  fe  fert  ; 
parce  que  ce  que  vous  dites  d'un 
mot  pris  en  un  certain  fens  n  eft  pas 
vrai  lorfque  vous  prenez  ce  mot 
dans  une  fignification  différente* 
C'eft  pour  cela  qu'en  certaines  oc- 
cafions  il  eft  bon  de  définir  les  ter- 
mes j  &r  de  convenir  de  leur  iîgnifi- 
cation. 

Les  paflîons  font  comme  autant 
de  verres  colorés ,  qui  nous  font 
voir  les  objets  autrement  que  nous 
ne  les  verrions,  fi  nous  étions  dans 
i'état  tranquille  de  la  raifi)n.  Nous 
devons  donc  nous  défier  de  nos 


de  M.  du  Marfais.  7  3 
paflions  fi  nous  voulons  porter  des 
jugemens  fains. 

Les  préjugés,  c'eft-à-dire,  les  ju- 
gemens que  nous  avons  portés  dans 
notre  enfance,  &  qui  n  ont  pas  été 
précédés  de  l'examen,  nous  induî- 
fent  fouvent  en  erreur. 

Les  obfervations  que  nous  venons 
de  faire  ne  feront  pas  inutiles  pour 
nous  aider  à  démêler  les  fubtilités 
'des  fophifmes.  On  entend  par  fo^ 
phifmes  ^  certains  raifonnemens 
éblouiflans  dont  on  fent  bien  la 
fauffeté  j  mais  on  eft  embaraffé  à  la . 
découvrir,  &  à  dire  précifémenc 
pourquoi  tel  raifonnement  eft  faux 
&  captieux. 


^ 


74         Œuvres  poflhumes^ 
Premier     Sophisme. 

Ambiguïté  des  termes  y  ou 

équivoque. 

Le  fophifmej  qui  conififte  dans 
Tambiguité  des  termes ,  eft  appelé 
par  les  VhWoÇo^h^s^GRAMMATICA 
FALLACIA. 

Par  exemple: 

Il  y  a  dans  le  ciel  une  conftellation 

qui  eft  le  lion  j 
Or  le  lion  rugit: 
Donc  il  y  a  dans  le   ciel  une  conf^ 

tellation  qui  rugit. 

La  faufTeté  de  ce  raifomiement 
confifte  dans  lambiguité  du  mot 
lion;  défaut  qu'on  appelle  aufll 
amphybologie  :  car  dans  la  première 
proposition 5  le  mot  lion  ne  fîgnific 
que  le  fîmple  nom  qu'on  a  donné  à 


de  M.  du  Marfais.         75 

une  certaine  conftellation;  au  lieu 
que  dans  la  féconde  propofition , 
lion  fignifie  une  forte  ô^ animal  qui 
rugit.  ÀinfîjCet  argument  a  quatre 
termes;   i.^  conftcUation  dans  le 
cie^>  1.^  lion  eft  pris  pour  le  iîmple 
nom  que  Ton  donne  à  cette  conf- 
tellation;  3.''  lion  eft  pris  pour  un 
animal  véritable;  4.^  rugit  :  or  un 
argument  ne  doit  avoir  que  trois 
termes;  favoir,   i.^  le  fujet  de  la 
conclufion;  iJ"  l'attribut  de  la  con- 
clufion;   3.^   le   mot  qui  exprime 
ridée  exemplaire  que  Ton  compare 
avec  le  fujet  delà  conclufion^pour 
voir  (i  ce  fujet  eft  contenu  dans 
cette  idée  moyenne  &  exemplaire , 
&;  s'il  eft  la  même  chofe. 

Le  rat  ronge  ; 

Or  le  rat  eft  une  fyllabe  : 

Donc  une  fyllabe  ronge. 


7  6  Œuvres  pofthumes 

Il  eft  aifé  de  faire  voir  dam 
cet  argument  le  même  défaut  que 
dans  le  précédent:  rat  y  eft  pris 
en  deux  fens  différens- 

L'homme  penfe  -, 

Or  Thomme  eft  compofé  de  genre 

&  de  différence  : 
.  Donc    le    genre    &    la    différence 

penfent. 

Le  défaut  de  cet  argument  con- 
fîfte  en  ce  qu  on  pafTe  de  Tordre 
phyfique  à  l'ordre  métaphyfique^ 
L'homme  dans  Tordre  phyfique  &C 
réel  penfe.  Il  eft  vrai  que  Thomme 
a  des  propriétés  communes  à  tous 
les  animaux ,  on  appelle  ces  pro- 
priétés communes,  le  genre.  Il  a 
aufïî  des  propriétés  particulières 
qui  le  diftinguent  des  autres  ani- 
mauxi  ces  propriétés  font  appelées^^ 


de  M.  du  Marfais.         77 

k  différence.  Ce  genre  &'  cette  dif- 
férence ^  qui  ne  font  que  des  êtres 
métaphyfîques ,  c'eft-à-dire ,  de  fim- 
ples  vues  de  refprit ,  ne  font  point 
l'homme  phyfique  qui  penfe;  ainfi, 
la  conclufion  n'eft  point  contenue 
dans  la  majeure. 

Dieu  eft  par  -  tout  ; 

Par  "tout  eft  un  adverbe: 

Donc  Dieu  eft  un  adverbe. 

Dans  cet  argument,  le  mot^^^r-: 
tout  eft  d'abord  pris  félon  fa  fîgnifi- 
cation.  Dieu  efl par  -  tout  ^  c'eft-à* 
dire,  Dieu  efl  en  tous  lieux  ;  en- 
fuite  on  con{îdère/(2r  -  tout  gram- 
maticalement, &  en  tant  que  par-- 
tout  eft  un  mot. 


^ 


yS  (ouvres  pojîhumes 

I  I.     S  O   P  H   I   s    M    E» 

Ignoratio  elenchi  5  ^mvxo^. 
Mot  grec  qui  fignifie  argument^ 
fujet. 

Ce  fophifme  confîfte  dans  rigno- 
rance  du  fujet.Ceft  lorfqu  on  prouve 
contre  fon  adverfaire  toute  autre 
chofe  que  ce  dont  il  s'agit,  ou  ce 
qu'il  ne  nie  point,  ou  enfin  tout  ce 
qui  eft  étranger  à  la  queftion  :  c'eft 
proprement  le  QUI  PRO  QUO. 

Les  exemples  n'en  font  que  trop 
fréquens  dans  la  converfation,  dans 
les  difputes,  dans  les  mémoires  d'af- 
faires, où  l'on  s'efforce  fou  vent  de 
prouver  ce  qui  ne  fait  rien  à  la  quef- 
tion dont  il  s'agit.  On  en  voit  auiîî 
plufieurs  exemples  dans  les  livres 
didacîîqucs.  [cf}cfhcFHco  fignifie  enfci-^ 
gner). 


de  M.  du  Marfais.         y() 

Les  auteurs  de  comédies  nous 
fournifTenc  fouvènt  des  exemples  de 
ces  QUI  PRO  Quoiqu'ils  n ont  ima- 
ginés que  pour  amufer  les  fpe£ta- 
teurs.  11  y  en  a  un  exemple  dans  la 
troifième  fcène  du  cinquième  ade 
de  l'Avare  de  Molière.  Harpagon 
accufe  Valère  d'avoir  commis  l'at- 
tentat le  plus  horrible  qui  jamais 
ait  été  commis.  Valère  répond  que 
puifqu  on  a  tout  découvert  à  Harpa- 
gon, il  ne  veut  pas  nier  la  chofeî 
mais  Harpagon  vouloit  parler  de 
Targenc  qu'on  lui  avoît  volé,  &  Va- 
lère entendoitparler  d'Elife^fa  maî- 
crelTe,  fille  d'Harpagon.  Il  y  a  un 
exemple  pareil  dans  les  Plaideurs 
de  Racine,  où  la  comtefTe  de  Pim- 
befche  s'imagine  qu'on  la  traite  de 
folle  à  lier,  pendant  qu  on  lui  con» 


Bo         Œuvres  poflhumes 

feille  fîmplement  d'aller  fe  jcttei 

aux  pieds  de  fon  juge. 

i.°  La  précaution  qu'il  y  a  à 
prendre  contre  ce  fophifme,  c'eft 
de  bien  déterminer  l'état  de  la 
queftion,  en  évitant  exadement 
réquivoque  dans  les  mots  &  dans 
le  fens. 

z!"  Quand  une  fois  Tétat  de  la 
queftion  eft  bien  déterminé,  &  que 
votre  adverfaire  s'en  écarte,  il  faut 
avoir  foin  de  l'y  rappeler. 

IIL    Sophisme. 

La  pétition  de  principe. 

Dans  le  fophifme  précédent  on; 
répond  à  autre  chofe  que  ce  qui 
eft  en  queftion  j  au  lieu  que  dans 
Iz. pétition  de  principe^  on  répond  en 
termes  différens  la  même  chofe  que 


£' 


dt  M.  du  Marfais. 
C€  qui  eft  en  queftion:  Qu*efî-ce 
que  le  beau?  c*efi  ce  qui  plaît ,  ou 
bien ,  difenc  quelques  anciens ,' 
c*eft  ce  qui  convient.  Voilà  une  véri- 
table pétition  de  principe. 

Ce  mot  s  appelle  ^/r/rio/z  de  prin^^ 
cipe^  du  mot  grec  TiiiofAouij  qui  fi- 
gnifie  voler  vers  quelque  ckofe^Je 
porter j  recourir  û:  ....  &  du  mot 
latin  PRINCIPIUM,  qui  veut  dire 
commencement;  ainfi  faire  une  pé* 
tition  de  principe  ^  c'eft  recourir  en 
d'autres  termes  à  la  même  chofa 
que  ce  qui  a  d'abord  été  mis  en 
queftion:  c'eft  rendre  en  d'autres 
termes  le  même  fens  que  ce  qu'on 
vous  a  demandé  d'abord. 

Molière,  dans  le  Malade  imagis 
naire,  fait  demander  pourquoi  /'o- 
pium  fait  dormir  ?  on  répond  quq 

F 


$z  ouvres  poflhumes 

c'eft  parce  qu*il  a  une  vertu  dor* 
mitive  y  où  vous  voyez  que  c  eft  ré- 
porïdre,  en  termes  diiïerens,  la  mê- 
me chofe  que  ce  qui  eft  en  queftion. 
Celui  qui  demande  pourquoi  l'o- 
pium fait  dormir,  fait  fort  bien  que 
l'opium  a  une  vertu  dormitive  \  mais 
il  demande  pourquoi  il  a  cette 
yertu  î 

Pourquoi  l'opium  fait- il  dormir  ^ 

ou  pourquoi  l'opium  a-t-il  une  vertu 

dormitive  ?  c'eft  la  même  demande. 

Pourquoi  le  vin   enivre -t- il,  oa 

pourquoi  le  vin  a-t-il  une  vertu  qui 

enivre  ?  c'eft  faire  la  même  queftion  > 

ainfi  que  l'un  foit  la  réponfe  ou  la 

demande ,  on  n'en  eft  pas  plus  inf- 

truit.  C'eft  répondre  précifément  ce 

qui  eft  en  queftion  j  c'eft  recourir 

au  principe ,  au  commencement  dç 


de  M.  du  Marfais.  8 1 
la  queftion ,  à  ce  qu'on  demandoic 
d'abord. 

La  plupart  des  jeunes  gens  qui 
apprennent  le  latin,  s'accoutument 
à  cette  mauvaife  manière  de  raifon- 
ner  j  car  fi  on  leur  demande  pour- 
quoi ,  quand  on  è\x.LUM.EJ<i  SOLIS, 
SOLIS  eft-ii  au  génitif?  ils  répon- 
dent que  c'eft  par  la  règle  de  LIBER 
Pétri  :  ce  qui  eft  une  pétition  de 
principe;  car  pourquoi  Petri  eft- 
il  au  génitif?  Il  feroit  mieux,  ce  me 
fcmble ,  de  répondre  que  SOLIS  eft 
au  génitif,  parce  qu'il  détermine 
LUMEN ,  qu'il  en  fixe  la  fignifica- 
tion.  Lumen  fignifie  toute  lumière; 
mais  fi  vous  ajoutez  s  o  l  i  s  à 
LUMEN  y  vous  déterminez  la  figni- 
fication  vague  de  lumen  à  ne 
plus  fignifier  que   la  lumière  du 


84  (Eavres  pofihumeis 

foleil,  &  telle  eft  en  latin  la  defti- 
nation  du  génitif:  on  met  au  géni-: 
tif  un  nom  qui  en  détermine  un 
autre. 

Il  en  eft  de  même  dans  cet  exem* 
pie  :  AMO  Deum.  Pourquoi  DejjM 
eft-il  à  laccufatif î  on  répond  c'eft 
parce  que  AMO  gouverne  laccu- 
iatif 5  ce  qui  eft  une  véritable  péti- 
tion de  principe i  car  c'eft  dire: 
Deum  eft  à  raccufatif  après  AMO  ^ 
parce  qu  après  ^  M  o  il  eft  à  Taccu- 
fatif  i  au  lieu  de  dire  que  les  mots 
latins  changent  de  terminaifon  pour 
marquer  les  diftérentes  vues  fous 
lefquelles  fefprit  confidère  le  même 
objet,  &  que  la  terminaifon  de  lac- 
cufatif eft  deftinée  à  marquer  que 
le  nom  qui  eft  à  laccufatif^  eft  le 
terme  pu  lobjet  du  fentiment  ou 


de  M.  du  Marfaîs:         ^  ^ 

îde  Tadion  que  le  verbe  fignifies 
ainfî,  Z)rc/M  à  laccufatif  marque 
que  Dieu  eft  le  terme  du  fentiment 
^aimcry  que  c'eft  ce  que  j'aimeJ. 
Le  cercle  vicieux  eft  une  pétition 
de  principe.  C  eft  une  forte  d'argu- 
ment vicieux  dans  lequel  on  fup- 
pofe  d'abord  ce  qu'on  doit  prouver; 
&  enfuite  ce  qu'on  a  fuppofé  von  le 
prouve  par  ce  qu'on  croit  avoir 
prouvé  par  cette  première  fuppo- 
fition:  comme  ces  métaphyficiens 
qui  prouvent  Dieu  par  les  créatu- 
res, ôc  les  créatures  par  l'idée  qu'ils 
ont  de  Dieu,  &ceux  qui  prouvent 
l'exiftence  des  corps  par  la  foi. 


té         (ouvres  pofîhumes 
IV.     Sophisme.' 

De  falfo  fupponcnte, 
Suppofer  pour  vrai  ce  qui  e fi  faux, 

II  n'arrive  que  trop  fouvent  que 
par  une  forte  de  bonne  foi  natu- 
relle on  ne  s'imagine  pas  qu'on 
puiffc  être  trompé  de  fang- froid  & 
fans  aucun  intérêt  de  la  part  de 
ceux  qui  nous  trompent,  &  qui 
fouvent  font  trompés  eux  -  mêmes 
les  premiers  j  ainfi,on  fuppofe  que 
ce  qu'ils  difent  cft  vrai,  ce  qui 
d'ailleurs  féconde  notre  parefTejôS 
nous  exempte  de  la  peine  de  l'exa- 
men. C'eft  ainfi  que  les  anciens  ont 
été  trompés ,  en  croyant  leshiftoires 
fabuleufes  du  Phénix  j  du  Rémora 
H.  de  tanç  d  autres  contes  populai* 


de  M.  du  Marfais.  S7 

res  dont  tous  les  livres  font  remplis* 
Il  arrive  fouvent  par  le  même  fo- 
phjfme,  quau  lieu  d  avouer  fou 
ignorance,  on  explique  ce  qui  n'eft 
pas,  par  ce  qui  neft  pas  aullî,  té- 
moin rhiftoîrc  de  la  prétendue 
dent  d  or.  Un  charlatan  du  dix- 
feptième  fîècle  montroit  de  ville 
en  ville  un  jeune  homme  qui  avoit, 
difoit-il,  une  dent  d'or.  Les  Philo- 
fophes  de  ces  temps -là  firent  des 
differtations  pour  faire  voir  que  la 
matière  avoit  pu  sarranger  dans  la' 
dent  de  ce  jeune  homme  de  la 
même  manière  quelle  s'arrange 
dans  les  mines  d'or  3  mais  un  Chi- 
rurgien plus  habiic  découvrit  que 
cette  prétendue  dent  d'or  ne  con* 
iîftoit  qu'en  une  feuille  d'or  donc 
on  avoit  enveloppé   la   dent,  &- 

F4 


^8  (Ëuvres  poflhumes 
qu'on  avoir  adroitement  infinuéé 
dans  la  gencive-  Cet  exemple  fait 
voir  quavant  que  d'entreprendre 
d'expliquer  la  caufe  d'un  effet ,  il 
faut  commencer  par  fe  bien  afTurer 
a  le  fait  exifte» 

W*      S   G   P   H  I   s   M   E. 

Non  caufa  pro  caufa. 

T rendre  pour  caufe  ce   qui  n^eji 
pas  caufe. 

Rien  ne  coûte  tant  à  l'efprît  hu- 
main que  de  demeurer  indéterminé 
&  de  dire  y (^  n'en  fais  rien  ^  jus- 
qu'à ce  qu'on  ait  le  motif  propre 
que  le  jugement  fuppofe  :  de  -  là 
vient  que  lorfqu'on  voit  arriver  ua 
effet  dont  on  ignore  la  caufe,  au 
lieu  de  convenir   fimplement   d^. 


de  M.  du  Marfais.         8^ 
notre  ignorance  naturelle  &  des 
bornes  des  connoifTances   humai- 
nes, nous  prenons  pour  caufe  de 
cet  effet  5  ou  ce  qui  eft  arrivé  avant 
l'effet  fans  y  avoir  aucun  rapport , 
ou  ce  qui  arrive  en  même  temps  ^ 
&  qui  n  a  aucune  liaifon  phyfîque 
avec  cet  effet.  Cefl  ce  qu'on  ap- 
pelle POST  HOC  ^  ERGO  PROPTER 
HOC  ^  OU  bien  CUM  HOC  ^^  ERGO 
PROPTER  HOC. 

Souvent  après  qu  une  comète  a 
paru  dans  le  ciel ,  il  arrive  quelqu'un 
de  ces  accidens  fâcheux  auxquels 
les  hommes  font  fujets,  comme  la 
pefte,  la  famine  ou  la  mort  d'un 
Prince.  Cette  comète  n'a  aucune 
liaifon  phyfique  avec  ces  événe- 
mensi  cependant  le  peuple  regarde 
la  comète  comme  la  caufe  de  1  evé^ 


jo         Œuvres  pofihumes 

ncment:  post  hoc,  ergo 
PROPTER  HOC.  Lcvénement  eft 
arrivé  après  la  comète  :  donc  il  eft 
arrivé  à  caufc  de  la  comète.  Ceft 
un  fophifme  populaire. 

Il  pleut  après  la  nouvelle  ou  la 
pleine  lune  :  donc  il  pleut  à  caufe 
de  la  pleine  ou  de  la  nouvelle  lune: 
C  eft  encore  une  erreur  populaire. 
On  a  obfervé ,  après  un  grand  nom- 
bre d'expériences  réitérées,  que  la 
lune  ne  produifoit  fur  le  globe  ter- 
reftrc  aucun  de  ces  effets  phyfîques 
que  le  peuple  lui  attribue ,  &  qu'il 
eft  inutile  d'obferver  les  quartiers 
de  la  lune  pour  femer  &  pour  cul- 
tiver les  plantes,  auffi-bien  que  pour 
les  changemens  des  temps.  Voyez 
la  Quintinie  ,  infiruclions  fur  les 
jardins  ^  &  une  belle  difTercation 


de  M.  du  Marfais.  9 1 

fur  les  prétendues  influences  de  la 
lune  j  dans  le  Mercure  de  1740. 

Les  anciens  Romains  ne  corn- 
mencoient  aucune  affaire  fans  con- 
fulter  les  dieux  par  le  moyen  des 
aufpiees,  pourfavoir  fî  lentreprife 
feroit  heureufe  ou  malheureufe.  II 
cft  évident  que  le  vol  des  oifeaux 
&  les  autres  opérations  de  ces  ani- 
maux n'ont  aucune  liaifon  nécef- 
faire  avec  les  événemens  futurs,  & 
que,  par  conféquent,  ils  ne  peur 
vent  en  être  ni  la  caufe  ni  même  le 
{îgnej  ainfi,  que  Faufpice  (ut  favo- 
rable ounon,cetoit  mal  raifonner 
que  den  attendre  un  événement 
heureux  ou  malheureux. 

Lorfque  Claudius  Pulcher ,  Coti- 
ful  Romain  &  Général  de  l'armée 
navale  5  fut  envoyé  contre  les  Car- 


'9  £  Œuvres  pofthumes 
thaginois,  on  confulta  les  facrés 
poulets  >  qui  ne  voulurent  point 
manger-  Le  Conful  ordonna  que 
puifquils  ne  vouloient  point  man- 
ger,  on  les  jettât  dans  la  mer  pour 
les  faire  boire  i  il  arriva  par  Tévéne- 
ment  que  les  Romains  perdirent  la 
bataille  i  mais  on  ne  doit  point  at« 
tribuer  cette  perte  aux  aufpices  : 
ce  feroit  prendre  pour  caufe  ce  qui 
ne  feroit  pas  caufe ,  &  tomber  dans 
le  fophifme  FO$T  KOC ^  ERGO^ 
FROPTER   HOC.^ 

Les  Hiftoriens  remarquent  ques 
les  Carthaginois  avoient  de  meil- 
leurs vailfeaux  &  des  rameurs  plus 
habiles  que  ceux  des  Romains  j  ils 
ajoutent  que  les  Carthaginois 
avoient  choifi  un  lieu  plus  avan- 
tageux i  que  les  Romains  ne  pou^ 


de  M.  du  Marfah.  9  3 

Voient  rompre  Tordre  de  rennemî, 
ni  l'envelopper,  à  caufe  de  la  pe- 
fanteur  de  leurs  vaifîeaux  oC  de 
Tincapacité  de  leurs  rameurs  : 
d'ailleurs  le  trouble  intérieur  &  les 
remords  que  le  mépris  de  la  reli- 
gion infpiroit  aux  foldats  ^  leur 
abattoient  le  courage  ^  &  ils 
croyoient  combattre  contre  les 
dieux  irrités.  Voilà  les  véritables 
caufes  de  la  perte  de  la  bataille 
de  Claudius  Pulcher  contre  les 
Carthaginois.  Il  faut  rapporter  les 
cvénemens  à  )eurs  véritables  cau- 
fes, fi  on  les  connoît,  finon  il  faut 
avouer  qu'on  les  ignore. 

C'eft  encore  prendre  pour  caufe 
ce  qui  n'eft  pas  caufe,  que  d'ex- 
pliquer les  effets  phyfiques  en  ks 
attribuant  à  dçs  qualités  occultesv 


'^4  (Ëuvres  poflhumes 

à  l'horreur  du  vuide  ou  à  lattrâc* 
tîon,  &€•  Il  eft  plus  raifonnable  de 
convenir  de  fon  ignorance,  que 
d  être  fatisfait  par  des  mots  qui  ne 
préfentent  aucune  idée  à  Tefprit. 

Les  paroles  &  les  autres  grimaces 
des  prétendus  forciers  ne  peuvent 
pas  non  plus  raifonnablement  être 
prîfes  pour  de  véritables  caufes  phy* 
lîqucs.  Les  paroles  ne  font  qu  un 
air  battu  j  ainfî ,  elles  ne  peuvent 
produire  phyfîquement  &  par  elles* 
mêmes  d'autre  effet  que  le  fon.  Ceux 
qui  leuf  donnent  une  autre  vertu, 
fuppofent  deux  chofcs  qui  nous 
font  également  inconnues,  &  qui 
même  font  injurieufes  au  fouverain 
Etre,  à  l'Etre  parfait j  car,  puifque 
l'on  convient  que  les  démons  ne 
peuvent  rien  faire  fans  la  permilîion 


de  M,  du  Marfais,         ç  y 
de  Dieu,  les  paroles  magiques  fup- 
pofent  une  convention  particulière 
entre  Dieu  &  le  démon.  Il  faudroic 
en  effet  que  Dieu  fût  convenu  que 
toutes  les  fois  que  certains  hommes 
diroient  telles  ou  telles  paroles ,  ou 
fcroient  telle  ou  telle  adion,  ilper- 
mettroit  au  démon  de  produire  tel 
pu  tel  effet. 

Il  faodroit,  en  fécond  lieu,  que 
nous  eullîons  une  révélation  détail- 
lée de  cette  prétendue  convention 
entre  Dieu  &  le  démon.  Il  y  a  dans 
l'un  &  l'autre  point  bien  peu  de  rait 
fon  &  de  décence. 

Si  une  femme  joue  heureufemenC 
pendant  que  quelqu'un  eft  auprès 
d'elle ,  elle  s'imagine  que  cette  pcr-; 
fonne  lui  porte  bonheur.  Ceft  le 
ibphifme  eu  M  eoCj   erg  a 


9?  (Euvrès  pojlhumei 

PROPTER  HOC.  Le  bonheur  n'eff 
point  un  être  réel  quon  puifTe 
porter. 

Quelques  petfonnes  ont  de  la 
peine  à  fe  trouver  à  table  au  nom- 
bre de  treize  convives. 

En  effet,  Il  arrive  fouvent  que 
de  treize  perfonnes  qui  fe  font 
trouvées  enfemble  à  table,  il  en 
meurt  quelqu'une  dans  le  courant 
de  Tannée  y  ce  qui  feroit  bien  moins 
étonnant  fî  au  lieu  de  treize  convi- 
yes  il  y  en  avoir  eu  trente.  Ainfî, 
un  convive  eft  mort ,  non  parce 
qu'il  s'eft  trouvé  à  table  avec  douze 
autres  perfonnes  i  mais  parce  que 
les  hommes  font  mortels,  &  qu'ainfî 
plus  il  y  a  de  perfonnes  affemblées^ 
plus  il  eft  vraifemblable  de  dire 
que   dans    l'efpace    d'un    certain 

jemps 


de  M.  du  Marfais.         97^ 

temps  quelqu'une  de  ces  perfonnes 
paiera  à  la  nature  le  tribut  que 
toutes  les  autres  paieront  chacune 
à  leur  tour. 

Ceux  qui  confultent  les  fonges  ; 
ceux  qui  ajoutent  foi  à  la  chiro- 
mancie'^"5  ceux  qui  croient  qu'oa 
tft  heureux  quand  on  eft  né  coëiFé^ 
&c.  tombent  dans  le  fophifme  dont 
nous  venons  de  parler. 

La  honte  d'ignorer,  le  goût  da 
merveilleux  &c  le  penchant  à  la  fu-î 
perdition,  font  la  caufe  de  ce  fo? 
phifmca 

V  L     S  G  ]>  H  I  s  M  e; 

Dénombrement  imparfait. 
-    Autrefois  on  fe  moquoit  de  quel^' 


^  Art  de  deviner  par  U  confidératioa  dea 


j^  8  (Ëuvres  pofthumes 

ques  Philofophes  qui  difoient  qu  iî 
y  avoit  des  Antipodes  :  quel  eft 
rhomme  aflez  infenfé,  difoic  Lac- 
tance,  «  pour  croire  quil  y  a  des 
»  hommes  dont  les  pieds  font  plus 
»  élevés  que  la  tête^?» 

L'expérience  a  fait  voir  que  ceux 
qui  trouvoient  les  Antipodes  im* 
poffibles,  fe  font  trompés.  Leur  er- 
reur eft  venue  du  dénombrement 
imparfait.  Ils  n'avoient  pas  examiné 
ni  connu  la  véritable  raifon  qui  fait 
que  les  hommes  marchent  fur  la 
terre^  &  font  pouflés  vers  le  centre 
du  globe  terreftre,  quelque  part  où 
ils  fc  trouvent  fur  ce  globe,  &  ne 
font  jamais  poufles  vers  le  ciel. 

On  tombe  donc  dans  le  fophif- 


de  M.  du  Marfais.  99 

me  du  dénombrement  imparfliit^ 
lorfque  connoiflanc  une  ou  plufieurs 
manières  dont  une  choie  le  fait,  on 
croit  qu'il  n'y  a  que  ces  manières- 
là  qui  foient  la  caufe  de  cet  effet, 
pendant  qu'il  y  en  a  quelqu'autre 
qu'on  ne  compte  point,  &  qui  ce- 
pendant en  eft  la  caufe  véritable. 
Vous  connoiffez  qu'une   chofe   fe 
fait    d'une    certaine    façon ,    d'où 
vous  concluez  qu'elle  ne  fe  peut 
faire   que    de   cette   manière -là: 
c'eft  tomber  dans  le  fophifme  du 
dénombrement    imparfait.    Avant 
que  de  décider,  vous  devez  exa- 
miner fi  vous  connoiffez  toutes  les 
manières  dont  une  chofe  fe  peut 
faire,  &  ne  pas  décider  téméraire- 
ment qu'une  chofe  ne  peut  fe  faire 
que  de  la  manière  que  vous  con- 


lyBLIOTHECA    | 


ï  0  o        (Euvres  pofthumes 
noiiTez.  C  eft  comme  fi  un  aveugle 
difoit   que   la    matière   ne  fauroic 
être  lumineufe,  parce  quil  ne  lui 
connoît  pas  cette  propriété. 

Un  Officier  étoit  payé  tous  les 
ans  de  fa  penfion  au  tréfor  royal , 
au  bout  de  la  rue  du  Roi  de  Sicile. 
Un  autre  Officier  étoit  auffi  payé 
de  fa  penfion  au  tréfor  royal ,  rue 
d'Orléans  j  enfin,  un  troifiéme  étoit 
auffi  payé  de  fa  penfion  au  tréfor 
royal,  rue  des  Quatre-Fils.  Ces  trois 
Officiers  fe  trouvèrent  enfemble  à 
la  promenade.  Le  premier  dit  qu'i[ 
avoit  été  payé  de  la  penfjon  au  tré- 
for royal,  rue  du  Roi  de  Sicile j  les 
autres  foutinrent  que  le  tréfor  royal 
XI étoit  point  rue  du  Roi  de  Sicile, 
&  qu  ils  avoient  été  payés  ailleurs: 
ce  qui  donna  lieu  à  une  contefta: 


de  M.  du  Marfais.         lo  r, 

tion  très-vive  5  par  le  fophifme  da 
dénombrement  imparfait^  car,  quoi- 
qu'il ny  ait  proprement  qu  un  tréfor 
royal,  il  y  a  cependant  trois  Gardes 
du  tréfor  royal  qui  font  fueceili- 
vement  en  exercice,  &  paient 
chacun  ce  qui  les  concerne. 

VII.     S  o  P  H  I  s  M  eJ 

Induclion  défecîueufe. 

On  appdlc  înduciion^  une  confé-^ 
quence  générale  ,  que  Ton  tire  du 
dénombrement  que  l'on  fait  de 
plufieurs  chofes  particulières.  Ce 
fophifme  a  beaucoup  de  rapport  au 
dénombrement  imparfait  dont  nous 
venons  de  parler.  La  différence 
Goniîfte  en  ce  que ,  dans  le  dénom- 
brement imparfait  ^  on   ne  conû- 


loi  Œuvres  pofthumes 
dère  pas  affez  toutes  les  manières 
dont  une  chofe  peut  être  ou  peut 
arriver  j  d'où  on  conclud  qu  elle 
n  eft  pas 5  quoique  fouvent  elle  foit 
d'une  manière  à  laquelle  on  na 
pas  fait  attention.  Dans  l'indudion  y 
on  commence  par  la  confidération 
des  chofes  particulières ,  d'où  on 
tire  enfuite  une  conféquencc  gé- 
nérale. Par  exemple,  on  a  éprouvé, 
fur  beaucoup  de  mers,  que  Teau  en 
eft  falée,  &  fur  beaucoup  de  riviè- 
res, que  Teau  en  eft  douce  :  de-là 
on  a  conclu  généralement  que 
Teau  de  la  mer  étoit  faléc ,  &  celle 
des  rivières  douce.  On  n'a  point 
trouvé  dépeuple,  dans  aucun  pays> 
où  les  hommes  ne  fe  ferviffent  point 
des  fons  de  la  voix  pour  fîgniiîer 
leurs  penfées  :  de-là  on  a  conclu 


de  M.  du  Marfais:  105 
que  tous  les  peuples  avoient  Tufage 
de  la  parole. 

Ces  forces  de  conféquences  géné- 
rales ne  font  juftes^  qu'autant  que 
le  dénombrement  des  chofes  iîngu-^ 
lières  qu  elles  fuppofent ,  eft  exad. 
îAinfi,  fi  on  difoit,  les  François  font 
blancs,  les  Anglois  font  blancs,  les 
Italiens  &  les  Allemands  font  blancs, 
donc  tous  les  hommes  font  blancs  5 
la  conféquence  ne  feroit  pas  jufte, 
par  la  faute  du  dénombrement,  qui 
ne  feroit  pas  cxa6t.  L 'indudion  fe- 
roit tirée  d  un  dénombrement  dé- 
fedueux  ,  puifqu  en  Ethiopie  les 
hommes  font  noirs. 

Avant  les  expériences  que  Ion  a 
faites ,  vers  le  milieu  du  dernier  {îé- 
cle,  fur  la  pefanteur  de  l'air,  on 
croyoit  qu'il  étoit  impolïible  de  tirer, 

G  4 


ï  04  (Kuvres  poftkumes 
le  plfton  d  une  fcringue  ^  bien  bou^ 
chée,  fans  la  faire  crever  j  &  que 
l'on  pouvoit  faire  monter  de  leau 
auiîî  haut  que  Ton  voudroit  ^  par  le 
moyen  des  pompes  afpîrances.  On 
tiroit  ces  conféquences  des  expé- 
riences que  Fou  avoit  faites  j  mais 
on  n'en  avoit  pas  fait  aflez.  Les 
nouvelles  expériences  ont  fait  voir 
qu'on  tire  le  pifton  d'une  feringue  ^ 
quelque  bouchée  qu'elle  foit,  pour- 
vu qu'on  y  emploie  une  force  fupé-r 
rieure  au  poids  de  fa  colomne  d'air^ 
Elles  ont  fait  voir  auffi  qu'une  pom- 
pe afpirante  ne  peut  élever  l'eau 
plus  haut  de  3 1  à  33  pieds. 

Remarquez  la  différence  qu'il  y 
a  entre  l'ndu^tion  &  l'idée  géné^ 
lale  ou  exemplaire- 

L'indudion  ne  tombe  que  fur  les 


de  M.  du  Marfais.  i  o  f 
qualités  accidentelles  des  objets , 
aulieu  que  l'idée  exemplaire  qui 
nous  fert  de  modèle ,  regarde  Tef- 
fencc.  Pour  dire  que  Teau  des  ri- 
vières eft  douce,  il  eft  nécefTaire 
d'avoir  goûté  de  Teau  de  plufîeurs 
rivières  i  mais  pour  dire  que  tout 
triangle  a  trois  côtés ,  il  n  eft  pas 
nécefTaire  que  j'aie  vu  plufîeurs 
triangles  i  parce  que  le  premier 
triangle  que  j'ai  vu,  m'a  donné 
ridée  du  triangle  :  j'appelle  triangle, 
tout  ce  qui  eft  conforme  à  cette 
îdéej  &;  je  dis  que  tout  ce  qui  n'y 
çftpas  conforme^n  eft  pas  triangle. 


[I  o  (î      ouvres  pojlkumes 
VIII.    Sophisme. 

Pajfer  de  ce  qui  efi  vrai  a  quelque 
égard ^  à  ce  qui  eji  vrai  Jimple- 
ment» 

Les  hiftoriens  Romains  ont  écrit 
quelques  faits  fabuleux  :  il  feroit 
déraifonnable  d'en  conclure  que 
tout  ce  qu'ils  ont  écrit  eft  fabu- 
leux. 

La  forme  humaine  eft,  à  ce  que 
nous  croyons ,  la  plus  belle ,  par 
rapport  aux  autres  animaux  :  de- 
là les  Epicuriens  concluoient  que 
les  Dieux  avoient  la  forme  hu- 
maine. 

Pierre  eft  bon  *, 

Pierre  eft  Peintre  : 

Donc  Pierre  eft  bon  Peintre. 


de  M.  du  Alarfais.       1 07 
Ou  bien  : 

Pierre  eft  bon  Peintres 

Pierre  eft  homme  : 

Donc  Pierre  eft  bon  homme. 

Il  y  a  plufieurs  défauts  dans  ces 
fophifmes.  i  ?  Le  mot  de  bon ,  eft 
pris  en  deux  fens  difFérens.  Bon  y 
joint  à  F  cintre  ,  fîgnifie  habile  ; 
bon  3  joint  à  homme  ,  fîgnifie  hu-, 
main  j  doux  ^  complaifant. 

z.^  D'ailleurs ,  en  difant  que 
Pierre  eft  bon  Peintre^  fi  on  étend 
le  mot  bon  à  fignifier  toute  forte  de 
bonté,  on  paffera  de  ce  qui  eft  vrai; 
à  quelque  égard  5  à  ce  qui  eft  vrai 
fîmplement. 


it  o  B       (Euvres  pofthumes 
IX.     Sophisme. 

Juger  d'une  ckofe  par  ce   qui   ne 
lui  convient  que  par  accident. 

Fallaeia  accidentis. 
C'efl:  lorfqu  on  tire  une  confér 
quence  abfolue ,  fîmple  &  fans  ref- 
tridion,  de  ce  qui  neft  vrai  que 
par  accident.  Ceft  ce  que  font 
ceux  qvii  blâment  les  fciences  &  les 
arcs 5  à  caufe  des  abus  que  quel- 
ques perfonnes  en  font.  L'émétique 
mal  appliqué,  produit  de  mauvais 
effets  :  donc  il  ne  faut  jamais  s'en 
fervir.  La  conféquence  neft  pas 
jufte.  Quelques  Médecins  font  des 
fautes  dans  l'exercice  de  la  méde- 
cine :  donc  il  faut  blâmer  abfolu- 
ment  la  médecine.  Ce  feroit  mai 
caifonnen 


ic  M.  du  Marfais.        I  o^ 

X     Sophisme. 

Taffer  du  fcns  diviféaufcns  cotn- 
pofé y  ou  du  fcns  compofé  au 
fcns  divifé. 

Nous  avons  déjà  remarque  quci 
tâans  le  raifonnenient,  il  tauc  dé- 
mêler bien  précifément  le  fens  des 
mots,  &  prendre  toujours  le  même 
mot  dans  le  même  fens ,  dans  toute 
la  fuite  du  raifonnement. 

Saint  Jean-Baptifte  ayant  envoyé 
'deux  defes  difciples  à  Jefus^Chrift; 
pour  lui  demander  s'il  étoit  celui 
qui  devoit  venir  :  Jefus-Chrifl;  ré- 
pondit :  les  aveugles  voient  ^  les 
boiteux  marchent  ^  les  fourds  en^ 

tendent  y  ùc. 

Or,  les  aveugles  ne  voient  point, 
les   bpiteux    ne    marchent   point 


î  I  a        (Euvres  pofihumes 
comme  les  autres^  &  les  fourds  n  eni 
tendent  point. 

Ceft  que  dans  la  première  pro* 
pofîtion ,  qui  eft  celle  de  Jefus- 
Chrill,  par  les  aveugles  ^  on  en-; 
tend  ceux  qui  étoient  aveugles  :  ce 
font  les  aveugles ,  divîfés  de  leur 
aveuglement.  Ceft  ce  qu'on  ap- 
pelle le  fens  divifé.  Les  fourds  en-- 
tendent  :  on  parle  encore  -  là  des 
fourds  dans  le  fens  divifé  i  c'eft-à- 
dire,  de  ceux  qui  étoient  fourds > 
&  qui  ne  le  font  plus. 

Au  lieu  que  dans  la  féconde  pro-- 
pofîtion ,  les  aveugles  ne  voient 
point  ^  il  eft  clair  qu'on  veut  parler 
des  aveugles,  entant  qu aveugles j 
ce  qui  eft  le  fens  compofé. 

Une  chofe  eft  prife  dans  le  fens 
compofé ,  quand  cIIq  çft  regardée 


de  M.  du  Marfais.         1 1 1 

conjointement  avec  une  autre  j  &: 
elle  cft  prife  dans  le  fens  divifé  , 
quand  elle  eft  confidérée  féparé- 
ment.  Dieu  jujlifie  les  impies  : 
impies^  eft  pris  là  dans  le  fens  divifé  j 
c  eft-à-dire ,  que  Dieu  les  juftifie  par 
fa  grâce,  en  les  féparant  de  leur 
impiété.  Au  lieu  que  fi  vous  difiez  : 
les  impies  n^ entreront  point  dans 
le  royaume  du  Ciel^  vous  prendriez 
impies  dans  le  fens  compofé.  Ceft 
dans  ce  fens  compofé  que  faint  Paul 
a  dit  que  les  médifans  y  les  avares  ^ 
&CC.  n'entreront  point  dans  le  royau- 
me du  Ciel  ;  c'eft- à-dire,  s'ils  per* 
févèrent  jufqu  a  la  mort  dans  ces 
habitudes  criminelles. 

On  ne  peut  pafTer,  fans  fophifmc, 
de  Tun  de  ces  fens  à  l'autre ,  dans 
)a  fuite  d'un  même  raifonnemenc. 


[C 1 1        ouvres  pofihumes 

On  peut  rapporter  ici  les  fauJC 
îugemens  que  Ton  fait  quelquefois 
fur  la  conduite  des  hommes,  en 
les  confidérant  félon  le  fens  divifé  ; 
c'eft-à-dire  ,  félon  quelques-unes 
de  leurs  bonnes  ou  de  leurs  mauvai- 
fes  qualités ,  fans  avoir  égard  aux 
autres. 

Annibal  étoît  grand  capitaine  : 
félon  cette  confidérarion ,  après  la 
bataille  de  Cannes,  on  jugea  qu'il 
alloit  fe  rendre  maître  de  Rome  : 
c'étoit  le  fens  divifé.  Mais  le  trop 
de  confiance  &  la  mollefle  le  re- 
tinrent à  Capouci  &  par  cette  con- 
duite 5  félon  le  fens  compofé  ,  il 
donna  aux  Romains  le  temps  de  fe 
mettre  en  état  de  le  chafTer  de  l'I- 
talie. 

Ce  magiftrat^en  tant  que  ma-. 


giftrat  ^ 


'de  M.  du  Màrfaisl  1 1  j' 
giftrat,  ce  religieux,  en  tant  que 
religieux ,  cet  homme  d  efprit .  en 
tant  qu'homme  d'efprit,  ne  fera  pas 
une  telle  adion  j  c'eft  le  fens  corn* 
pofé  :  mais  en  tant  que  fujet  à  une; 
paillon  plus  forte  que  la  confidé- 
ration  de  fes  devoirs ,  il  fe  laiflera 
emporter  à  cette  palTion ,  malgré 
fes  lumières  :  c'eft-là  le  fens  divifé; 
Ce  qui  fait  voir  qu'il  ne  faut  pas 
juger  des  hommes  5  ni  par  certaines 
qualités  extérieures  >  ni  même  par 
ce  qui  eft  de  leur  propre  intérêt  j 
mais  par  leur  tempérament ,  leurs 
penchans,  leurs  inclinations  j  en  un 
mot,  dans  le  fens  compofé. 

Dans  le  fens  compofé,  un  mot 
Conferve  fa  fignification  à  tous 
égards ,  &  cette  fignification  entre 
li^ns  la  compoficipn  de  toute  \k 

H 


[ï  i  4  (Êuvres  pojihumes 
|)hrafe  :  au  lieu  que  dans  le  fens 
divilé  5  ce  n  eft  qu'en  un  certain 
fens  &  avec  reftriâiion,  qu'un  mot 
conferve  fa  première  fîgnification, 
J^es  aveugles  voient;  c'eft- à-dire  ^ 
<:eux  qui  ont  été  aveugles. 

XI.     Sophisme. 

PaJJer  du  fens  colleclif  au  Cens 
diflributïf^  Ù  du  fens  dijirihui 
tif  au  fens  colleclif 

Par  exemple  : 

L'homme  penfe; 

Or  Thomme  eft  compofé  de  corps  & 

d'ame  : 
Donc  le  corps  &  Tame  penfent. 

L'homme  penfe  dans  le  fens 
îdiftributif  5  c'eft-à-dire ,  félon  une 
de  fes  parties  y  ce  qui  fufEt  pouE 


de  M.  du  Marfais.  \i^^ 
Faire  dire  en  général  que  l'homme 
penfe  ;  mais  Thomme  ne  penfe  pas 
coUedivemcnt  5  félon  toutes  fes 
parties. 

Ceft  aînfi  qu'on  réfout  ce  fophif^ 
jne  puérile. 

Les  Apôtres  étoient  douze  -, 
Of  Saint  Pierre  étoit  Apôtre  : 
Donc  Saint  Pierre  étoit  douze. 

Les  Apôtres  étoient  dow^e  col- 
ïedivement,  c'eft- à-dire  5  pris  tous 
enfemble  ,  &  non  diftributivementi 
c'eft  -  à  -  dire  ,  pris  chacun  féparé-^ 
tatnn.Doncfaint  Pierre  étoit  dou-^e^ 
c'eft-à-dire,  qu'il  étoit  diftributive- 
ment  lun  des  douze,  &  non  tous 
les  douze  enfemble  colledivement*; 


r^^ 
^ 


H^ 


Xî6        (ouvres  poflhumeS 

XII.     Sophisme. 

Du  naturel  au  furnaturel;  du  nal 
turcl  a  l'anificieL 

Paffer  d'un  genre  à  un  autré> 
i.°  Lorfque  Ton  palïe  de  Tordre 
niéraphyfique  à  Tordre  phyfîque. 
Je  fais  ce  que  fentends  quand  ]o 
parle  de  montagne,  de  ville,  d'affir- 
mation,  de  négation,  de  vie,  de 
mort,  &c.  Je  dis  alors  que  j'ai  Tidée 
de  montagne ,  de  ville ,  ^c.  Maïs  lô 
verbe  avoir  eft  pris  là  par  abus  dans 
un  Tens  figuré  j  nous  n'avons  pas  Une 
idée  de  la  même  manière  que  nous 
avons  quelque  objet  réel:  ainfi,  ceux 
qui  regardent  les  idées  comme  des 
êtres  réels,  paiîént  de  Tordre  meta* 
phyfique  à  Tordre  phyfique. 

Il  en  eft  de  même  de  madère i 
Les  ditFércns  corps  particuliers  U 


de  M.  du  Marfais.  Xiy 
réels  qui  nous  environnent,  nous 
afFedent  par  les  impreflîons  qu'ils 
font  fur  les  organes  de  nos  fensv 
Enfuite,  faifant  abftraftion  de  toutes; 
les  inipreffions  particulières ,  c'eft-à-' 
dire,  n'ayant  égard  ni  à  la  couleur; 
ni  à  la  folidité,  ni  à  la  molleffe,  ni 
enfin  à  aucune  autre  forte  de  pro^ 
priété  fenfible  des  corps  particuliers^^ 
nous  nous  formons  par  analogie  ,^ 
avec  une  bafe  ou  un  pied  -  d'eftal 
fur  quoi  on  pofe  quelque  chofe  ^  l'i- 
dée d  un  fuppôt  généi^  de  toutes 
ces  propriétés  >  &  ce  fuppôt  ima- 
giné nous  ^appelons  matière  ou  ma-^ 
tière  première  ^  que  nous  regardons 
comme  la  bafe  de  toutes  ces  pro-? 
priétés  5  &  qui  n  eft:  qu  ua  terme 
abftrait,  tel  que  longueur ^  blani 
cheur  ^  couleur^  &c.  car  il  ny  a^ 


{i  1 8         dEuvres  pofihumes 

point  d  être  réel  qui  n^  foie  que 

matière  dépouillée  de  toute  autrq 

propriété. 

.     Il  n'y  a  parmi  les  créatures  que 

^es  êtres  particuliers.  La  matière  en 

général ,  ou  matière  première ^  n  eft 

qu'un  terme  abftrait  &;  une  pure 

production  àc  notre  efprit* 

AinJfî  j  au  lieu  de  nous  borner  à 
Be  confidérer  la  matière  que  com- 
me le  fuppôt  imaginé  des  propriétés 
<ies  corps,  regardons- la  comme  un 
iîgne  dune'^afFedion  de  notre  ef- 
prit,  en  un  mot,  d'une  abftradion, 
^non  comme  l'expreffion  d'un  ob-. 
jet  réel  i  car  c'eft  paffer  de  l'ordre 
raéçaphyfique  ou  idéal  à  l'ordre 
phyfiquç,  que  de  regarder  la  ma- 
tière comme  un  être  réel  y  (uicc^- 
îîbie  de  toutes  fortes  de  formes,  ôf 


de  M.  du  Marfais.        4  t  ^ 

de  croire  que  les  corps  particuliers 
jue  font  ce  qu'ils  font,  que  par  l'ar-^ 
rangement  ou  difpofîcion  des  par-*; 
ties  de  cette  prétendue  madère prei 
mière^  qui,  n étant  elle-même  rien' 
de  réel,  ne  fauroit  avoir  de  parties^ 

C'efl  cette  fauffe  manière  de  rai-i 
fonner  qui  a  fait  imaginer  à  certains 
fanatiques,  toujours  dupes  de  leur 
prévention,  que  Texiftence  de  l'or 
ne  coniîftoit  que  dans  un  certain 
arrangement  de  matière  j  qu  ainfi, 
l'art  pouvoit  donner  cet  arrange- 
ment aux  autres  métaux,  &  par  -  là 
les  faire  devenir  or. 

Mais  les  corps  particuliers,  dans 
Tordre  phyfique,  font  intrinsèque- 
ment en  eux  -  mêmes  &  par  leiiç 
propre  exiftence,  ce  qu'ils  font,  & 
ne  peuvent  recevoir    daltératioa 

«4 


%iù  ouvres  pofthumes 
que  jufquà  un  certain  point,  ^ 
félon  le  procédé  uniforme  &  inva-^ 
ri^ble  de  la  nature,  &  dont  le  peu 
de  fagacité  des  organes  de  noS 
fens  nous  dérobe  le  méchanifme» 
yous  n'aurez  jamais  de  bled  que 
par  des  grains  de  bled,  ni  d'ani- 
mal vivant  que  par  la  voie  établie 
dans  la  na^ture  pour  la  production 
des  animaux:  vous  n'aurez  jamais 
de  nourriture  folide  avec  de  fîm-; 
ples  liqueurs,  &  votre  eftomach 
ne  formera  jamais  de  bon  chile 
avec  du  poifon.  Cç  que  Ton  dit  de 
Mithridate  n'eft  quune  fable.  Le 
Czar  Pierre  voulut  accoutumer  les 
çnfans  de  (es  matelots  à  ne  boire 
que  de  l'eau  de  la  mer.  Ils  mou- 
rurent tous. 

Ainfi,  nç  regardons  le  mo;:  c|e 


^de  M.  du  Marfais:  1 1  i] 
matière  que  comme  un  terme  abf- 
trait,  &  comme  le  fuppôt  imaginé 
des  qualités  fenfibles  :  n  ôtons  ni 
n'ajoutons  rien  à  ce  que  nous  en- 
tendons par  cette  idée. 

Les  Mathématiciens  regardent 
par  abftradion  la  ligne  comme  une 
f impie  longueur:  ce  feroit  encore 
paiTer  de  Tordre  métaphyfique  à 
Tordre  phyfique,  que  de  ne  confî- 
dérer  enfuite  la  ligne  phyfique  uni- 
quement que  félon  fa  longueur,  & 
dire  qu'une  ligne  tirée  fur  quelque 
corps,  n'a  que  de  la  longueur  fans 
aucune  largeur. 

z.^  On  pafTe  encore  d'un  genre 
à  un  autre,  lorfque  Ton  veut  expli- 
quer les  myftères  de  la  Religion; 
qui  font  de  Tordre  furnaturel,  par 
4es  raifonnemens  fondés  fur  Tordre^ 


'1 2  a        (Euvres  pofthumeS 

phyfique.  Quelques  anciens  font 
tombés  dans  ce  fophifme ,  lorfqu  ils 
ont  voulu  expliquer  le  myftére  de 
la  réfurredion  par  le  phénix  j  en 
quoi  ils  fe  font  encore  égarés  pat 
le  fophifme  de  la  fauffe  fuppofition; 
car  il  n'y  a  jamais  eu  de  phénix  re: 
produit  de  (es  propres  cendres. 

Ainfi ,  quand  il  s'agic  des  myftèrea 
de  la  foi,  on  doit  impofer  (ilence  à 
la  raifon ,  pour  s'en  tenir  fimplemenc 
à  la  révélation,  ceft-à-dire,  aux 
chofes  que  Dieu  a  découvertes  aux 
hommes  d'une  manière furnaturellei 
au  lieu  de  donner  la  torture  à  l'ef- 
prit  pour  imaginer  des  fyftèmes  de 
conciliation  entre  la  foi  &  la  rai-; 
fon.  Si  le  point  dont  il  s'agit  efl 
révélé,  tout  eft  ditj  il  faut  le 
croirç:  0  ALTITUDO  !  Plus  dç 


dt  M.  du  Marfais,        113 

raîfonnementjplus  de  comparaifon 
ni  d  analogie  5  plus  de  création  de 
termes  abflraits, imaginés  pour  élu- 
der des  difficultés  qui  doivent  cé- 
der à  Tautorité  divine.  Si  ce  dont 
il  s'agit  neft  pas  révélé^ou  n  eft  pas 
une  conféquence  néceffaire  d'une 
vérité  révélée,  la  raifon,  dont  Dieu 
même  eft  l'auteur  ^  rentre  dans  fes 
droits.  On  ne  doit  fuivre  alors  que 
les  fimples  lumières  naturelles  5  rec-. 
tifiées  par  l'expérience  &  par  les  ré- 
flexions, c'eft-à-dire,  par  l'efprit 
d  obfervation  &  de  juft elTe ,  fans  re- 
courir à  des  raifonnemens  qui  nous 
paroilTent  analogues  avec  les  myf- 
tères. 

Ainfî  5  ceux  qui  veulent  ou  excu- 
fer  ou  défendre  le  merveilleux  ima- 
giné du  paganifme  >  par  la  reflem^; 


ï  24        (Euvres  pofihumes 
blaiice  qu'ils  y  trouvent  avec  le  meifi 
veillcux  réel  &  révélé  de  TEcriturel 
faintc  y  me  paroijrent  tomber  dan^ 
le  fophifme  dont  nous  parlons. 

Homère,  à  la  fin  du  19^  livre  de 
fon  Iliade,  fait  parler  le  cheval 
d'Achille.  Madame  Dacier  ne  fe 
contente  pas  de  rexcuferv  elle  Tad- 
mire.  ccÇétoit  (  dit-elle  )  une  tradi- 
^  tion  reçue  parmi  les  Grecs ,  que 
»  le  bélier  de  Phryxus  ayoit  parlée' 
»  L'hiftoire  ancienne  >  où  l'on  rapn 
»  porte  plufiçurs  iniracles  fembla^^î 
»  blés,  par  exemple,  qu'un  bœuf 
»  a  parlé ,  fembloit  autorifer  Ho,-; 
33  mère.  D'ailleurs,  il  pouvoir  avoiç 
»  oui  parler  du  miracle  de  rânefTe! 
»  de  Balaam ,  qui  parla.  »  Et  dans 
le  livre  de  la  corruption  du  Goût  ^ 
p.  iSj,  ccj  ofe  dire  (  cefl  Madame 


^de  M.  du  Mdrfais:  125 
Dacîer  qui  parle  )  qu  il  n'y  a  point 
»  dendroît  dans  Homère  où  la 
»  grande  adrefle  de  ce  Poète  pa- 
a>  roifTe  dans  un  plus  grand  jour. 
»  Le  P.  Le  BofTu  a  fort  bien  dit , 
(continue-t-elle)  que  cet  incident 
t>  doit  être  mis  entre  les  miracles 
»  do  nt  riliàde  eft  pleine  i  comme 
»  on  lit  dans  l'hiftoire  Romaine  qtie 
*>  cela  eft  tjuelquefois  arrive  y  & 
9>  comme  nous  le  fçavons  de  1  a- 
3>  neffô  de  Balaam  :  de  forte  que 
v>  quand  Homère  auroic  ufé  plus 
9>  fouvent  de  cette  licence ,  on  ne 
»  pourroit  blâmer  fa  fable  de  quel- 
:p  que  irrégularité.  Voilà  (pourfuît 
toujours  Madame  Dacier  )  com- 
»  me  parlent  les  gens  inftruits- 

11  me  paroît,  au  contraire,  que 
4;€ft  manquer  d'inftru^ion  &  de 


as         Œuvres  paflhumes 

juftefTe  dans  le  raifonnement  \  8è 
avoir  bien  peu  médité  fur  le  carac- 
tère de  Tefprit  humain ,  &  fur  la 
différence  que  l'on  doit  mettre 
entre  Tordre  naturel  &  Tordre  fur- 
naturel  ,  que  de  fe  fervir  de  Texem- 
ple  de  Tâncffe  de  Balaam  pour  juf- 
tifier  la  fidion  puérile  d'Homère^ 
ou  pour  nous  faire  croire  ce  que 
Thiftoire  profane  rapporte  des  ani- 
maux qui  ont  parlé.  Ceft  abufer 
de  l'Ecriture  fainte,  que  de  la  faire 
fervir  à  autorifer  les  rêveries  des 
Poètes  ou  des  Hiftoriens  profanes , 
&  les  bruits  populaires  quicouroient 
de  leur  •  temps. 

Qu  Agamemnon  immole  fa  fîlle 
Iphigénie ,  &  que  notre  imagina- 
tion s'amufe  encore  aujourd'hui  à 
la  repréfentation  de  cette  hiftoireg^ 


de  M.  du  Marfais.  1 2,7 
Ou  de  cette  fable ,  fi  honteufe  à  la 
manière  de  penfer  de  ces  temps-là  i 
mais  qu'on  ne  l'autorife  ni  de  l'e- 
xemple de  Jephté  ,  ni  de  celui 
d'Abraham.  En  un  mot ,  tenons- 
nous  aux  bonnes  règles ,  foit  pour 
former  notre  goût  dans  les  ouvra- 
ges d'cfprit ,  foie  pour  la  conduite 
de  nos  mœurs ,  foit  enfin  pour  la 
croyance  que  nous  devons  accor- 
der ou  refufer  à  ce  que  l'hiftoire 
nous  raconte  dé  merveilleux* 

Il  a  plu  autrefois  à  Dieu  de  faire 
connoître  fa  volonté  par  des  fongesj 
nous  fervirons-nous  de  ces  exemples 
particuliers  pour  autorifer  le  fonge 
d'Hécube,  &  tant  d'autres  fonges 
dont  il  eft  parlé  dans  l'hiftoire,  dans 
la  fable  î  &  n'eft-ce  pas  avec  raifon 
c^ue  l'Eglife  nous  défend  aujourd'hui 


fil 8  (Euvres  pojihumts 
d'ajouter  foi  aux  fonges  &  à  tout^ 
révélation  quelle  nautorife  pas  î 
Elle  feule  eft  la  colonne  de  la  vé- 
rité ,  la  règle ,  le  canal  &  Tinterprète 
de  la  divine  révélation. 

L'ordre  naturel  eft  uniforme  J 
ainfi^  nous  avons  droit  de  raifonner 
par  analogie  &  fur  de  fîmples  con- 
formités 5  dans  les  chofes  naturel- 
les. Ce  qui  eft  vrai  une  fois  dans 
Tordre  de  la  nature,  Teft  toujours ^^ 
quand  les  circonftances  fe  trouvent 
exadement  les  mêmes  :  ainfî,  où 
nous  voyons  les  mêmes  apparences; 
nous  devons  juger  la  même  caufej 
&  il  ne  nous  faut  pas  moins  qu'à 
faint  Jofeph  ,  ce  chafte  époux  de 
Marie,  une  divine  révélation  pour 
nous  tirer  de  Tordre  commun. 

Mais  la  manière  dont  Dieu  agit 

dan§ 


de  M.  du  Marfais.       Tz^ 

(dans  Tordre  fùrnatuiel,  n  eft  poinc 
fondée  fur  une  pareille  uniformité  : 
au  contraire ,  les  faits  furnaturels  ne 
font  produits  que  par  une  volonté 
particulière  de  Dieu  ,  ou  par  une 
permiflion  fpéciale.  Ainfî,  nous  ne 
devons  jamais  raifonner  par  ana- 
logie dans  les  faits  de  Tordre  furna^ 
turel  ,  &  nous  devons  nous  tenir 
précifément  à  ce  qui  en  eft  révélé. 

L'Ecriture  fainte  nous  apprend 
que  Nabuchodonofor  fut  changé 
CM  bœuf  5  par  une  punition  divine  r 
c'eft  paflér  d'un  genre  à  un  autre  ^ 
que  de  fe  fervir  de  cet  exemple 
pour  autorifer  les  mctamorphofes 
d'Ovide  \  &  ii  quelques  fanatiques  fe 
croyoient  changés  en  bœuts  ou  en 
loups,  les  IViédecins  &  les  Philofo-  M 

phes   ne  devroient  pas  moins  les 

I 


:T5  b  Œuvres  pofikiimes 
traiter  d'hypocondriaques,  &  re- 
garder ces  accidens  comme  des 
effets  de  la  force  &  du  dérèglement 
de  l'imagination.  Horace  5  dans  le 
récit  qu'il  fait  d'un  de  fes  voyages, 
dit  que  lorfqu  il  fut  arrivé  à  Gnatia, 
les  habitans  de  cette  ville  lui  four- 
nirent une  occalion  de  rire  &  de 
plaifanter.  «Ils  voulurent  nous  per- 
05  fuader  ^  dit-il ,  que  l'encens  qu'ils 
»  mettent  fur  le  feuil  de  leur  tem- 
o>  pie  5  s'enflâme  de  lui-même  fans 
>^  feu  ».  Sur  quoi  Madame  Dacier 
ne  manque  pas  d'obferver  que  ce 
îfnitacle  a  beaucoup  de  contormité 
avec  celai  d'Elie  ,  qui  fie  defcendre 
le  feu  du  Ciel  fur  fon  facrifice  : 
ce  qui  eft  pafler  d'un  ordre  à  un 
autre. 

En  un  mot,  tous  nos  jugement 


de  M.  du  Marfais.  t  3  i 
doivent  avoir  un  motif  propre  & 
légitime  ^  fur  lequel  l'acquiefcenlent 
de  notre  elprit  doit  être  fondé.  Les 
faits  furnaturels  marqués  dans  l'E- 
criture fainte ,  nous  font  connus  par 
un  témoignage  qui  a  droit  d'exiger 
notre  confentement  j  au  lieu  que 
ce  que  lo^s  hommes  nous  racontent 
de  contraire  aux  règles  uniformes 
de  la  nature  5  ne  peut  être  qu'une 
produdion  oudeleurignorance^ou 
de  leur  goût  pour  le  merveilleux^ 
ou  de  leur  imbécilité,  ou  du  déran- 
gement de  leurs  idées  5  ou  du  plaifîr 
que  les  efprits  gauches  trouvent  à 
en  impofer  aux  autres ,  ou  enfin  de 
leur  fourberie  ,  qui  s'accorde  fou- 
yent  avec  leur  intérêt. 

Ainfi  5  toutes  les  fois  que  les  faits 
extraordinaires  ne  feront  pas  autor 

I  2. 


^x  3"ê.  (Euvres  poflhumes 
rifés  exprcfTément  par  l'Auteur  &  \é 
Maître  de  la  nature  même,  la  droite 
raifon  exige  que  nous  foyons  per- 
fuadés  que  ceux  qui  les  racontent 
fe  trompent^  ou  qu'ils  font  trompés^ 
plutôt  que  de  croire>fur  leur  lîmple 
témoignage ,  donc  nous  ne  connoif- 
fons  que  trop  la  foibleire,  que  la 
nature  fe  foie  démentie ,,  &:  que  fon 
divin  Auteur  ,  dont  nous  adorons 
l'immutabilité  ,  s'affujettiiTe  à  nos 
caprices. 

Mais  rien  ne  coûte  tant  à  Tefprit 
que  d'avouer  fôh  ignorance ,  &  de 
fe  tenir  fimplement  dans  cet  aveu» 
D'un  autre  côté,  l'efpric  eft  paref- 
feux,  &c  n'aime  pas  les  difcufÏÏons 
de  l'examen  j  cependant  il  veut 
Juger,  &:  quand  il  ne  voit  pas  dune 
première  jue  la  caufe   d'un  cfFei; 


de  M,  du  Marfals.  f  5  y 
■qui  rétonne ,  il  en  imagine  une  9 
&  fi  une  caufe  naturelle  ne  fe  pré- 
fente point  à  fon  efprit ,  on  a  re- 
cours aux  caufes  fnrnaturelles.  Ceft 
ainfi  que  les  joueurs  de  gobelets  i 
les  danfeurs  de  corde ,  ceux  qui 
paroifTent  manger  du  feu  &  faire 
fortir  du  ruban  de  leur  bouche ,  U 
même  ceux  qui  font  jouer  les  ma-î 
rionettes,  ont  fouvent  paffé  pour 
forciers  parmi  le  peuple ,  toujours 
avide  de  merveilleux ,  incapabla 
d'examen  &  de  réflexions  combi- 
nées, &  qui  ne  juge  des  hommes 
que  par  la  manière  commune  d'a- 
gir de  ceux  qui  l'environnent. 

Les  bergers  de  la  campagne,  qur^ 
par  des  caufes  très -naturelles ,  fe 
plaifent  à  furprendre  leurs  voifins.,; 
pu  fe  vengent  de  leurs  ennemis.^ 

Il 


1 3  4  tËuvres  pofthumes 
pafTent  auffi  pour  inftruits  des  myf- 
tères  de  la  magie.  Les  furieux ,  les 
épileptiques ,  pour  lefquels  la  fa- 
gefle  des  derniers  temps  a  faitconf: 
truire  des  hôpitaux  utiles  y  qui  en- 
lèvent au  peuple  un  prétexte  de 
fuperftition,  ont  fouvent  pafTé  pour 
démoniaques  :  mais  voici  quelques 
réflexions  qui  pourront  fervîr  de. 
préfcrvatif  contre  ces  erreurs. 

i.^  L'ignorance  de  la  Phyfique^. 
jointe  au  goût  du  merveilleux ,  &C 
au  penchant  de  vouloir  toujours  dé- 
cider &  trouver  une  caufe  quel* 
conque  5  plutôt  que  d'examiner  ou 
de  demeurer  indéterminé ,  a  donné 
lieu  de  recourir  à  une  caufe  furna- 
tureile  j  ce  qui  eft  arrivé  ^  même 
dans  le  paganifme  ,  &  qui  ar- 
rive  encore   aujourd'hui   dans  le 


de  M.  du  Marfais.  '  jf  3  j^ 
Nord ,  aux  Indes ,  &  chez  tous 
les  peuples  où  la  Phyfiq^ue  eit 
ignorée. 

Ce  fut  cette  ignorance  de  la^ 
Phyfîque  qui  porta  autrefois  des 
perfonnes,  d'ailleurs  très  -  refpeda- 
blcs,  à  condamner  ceux  qui,  voyant 
que  le  foleil  fe  lève  le  matin  d  ua 
côté  &c  fe  couche  le  foir  d'un  autre; 
foupçonnèrent  que  ce  coucher  dtt 
foleiUpar  rapporta  nous^pouroit 
bien  être  fon  lever ,  par  rapport  à 
d'autres  peuples.  Ces  malheureux 
Philofophes  furent  condamnés  >  & 
même  exclus  de  la  fociété  des  £[• 
dèles  :  cependant  ,  l'expérience  a 
juftifié  leurs  conjectures,  &  a  fait 
voir  avec  combien  de  fagefle  &  de 
retenue  oa  doit  agir  en  ces  reni 
contres  5  avant  que  de  faire  éclatç^ 


1 5?  (Euvres  pofihumef 
la  condamnation.  Je  pourois  en  rapï' 
porter  plufîeurs  autres  exemples 5 
mais  je  me  contenterai  d'obferver 
que  plus  on  aura  de  connoiffances 
aétaillées  dans  la  Phyfiquc  &  dans 
riiiftoire  des  mœurs  &  des  opinions 
des  hommes,  moins  on  fera  la  dupe 
des  erreurs  populaires. 

a.**  Tous  les  Théologiens  &  les 
Philofophes  nous  enfeignent  que  les 
pures  lumières  naturelles  ne  nous 
apprennent  rien  touchant  les  An- 
ges &  les  Démons  :  DE  Angelis 
ET  DmMONIBUS  ratio  NULLAy 
F  IDES  PAUCA  y  IMAGINATIO 
QUAMPLURIMA.  Ainfi,  lorfqu'au- 
cun  motif  furnaturel  ne  nous  tire 
pas  de  l'ordre  commun,  dans  le-i 
quel  nous  n'avons  que  la  raifon 
cour  guide,  nous  ne  devons  ja* 


de  M.  du  Marfaîs.        \  37 

ïTiaîs  avoir  recours  à  une  caufe 
quelle  ne  connoît  pas:  ce  feroit 
tomber  dans  le  fanatifme>  où  les 
jugemens  ne  font  fondés  fur  aucun 
motif  légitime* 

D'ailleurs,  la  Religion  nous  ap- 
prend que  les  démons  ne  peuvent 
rien  fans  une  permiflîon  fpéciale  de 
Dieuj  ainfî,  ceux  qui  croient, 
comme  les  payens,  qu'il  y  a  des 
hommes  qui  peuvent  produire  des 
effets  furnaturels  par  le  commerce 
qu'ils  ont  avec  le  démon ,  ne  pren- 
nent pas  garde  qu'outre  qu'ils  adop- 
tent en  cela  le  fyftème  du  paganif-, 
tne  5  il  faut  nécefîairement  qu'ils 
admettent  deux  fuppofîtions,  dont 
ils  ne  fauroient  apporter  aucune 
preuve.  En  effet  5  cette  opinion 
fuppofc,  i.^  une  convention  entre 


1 3  s  (Euvres  pojihumes 
Dieu  &  le  démon ,  que  toutes  leS 
fois  qu'il  plairoit  à  quelques  fanati- 
ques de  faire  certaines  opérations 
ou  de  prononcer  certaines  paroles^ 
Dieu  permettroit  au  démon  de 
produire  au  gré  du  fanatique  ce 
que  celui  -  ci  demanderoit.  z.^  Il 
faudroic  au  fanatique  une  révélation 
de  cette  convention,  pour  favoir^ 
&  les  paroles  qu'il  doit  dire,  &  les 
grimaces  qu'il  doit  faire  :  or  quelles 
preuves  avons-nous  d'un  traité  (i 
injurieux  au  fouverain  Etre,  dont 
nous  adorons  la  fageife  &  la  bonté 
infinie?  &  puifqu'on  n'a  aucune  ré- 
vélation de  ce  traité,  comment 
peut-on  favoir  que  telles  paroles  ou 
telles  opérations  font  plus  propres 
que  d'autres  à  produire  les  efFeks 
dont  il  s'agit  î 


de  M.  du  Marfais.  i  ^^ 
5.^  Les  corps  obfervent  cntr'cux 
un  certain  ordre  invariable  ,  qui 
n  eft  point  fubordonné  à  la  volonté 
des  efprits  créés,  qui,  par  leur  na- 
ture, nont  aucune  relation  avec  les 
corps.  Il  n  y  auroit  plus  rien  de  cer- 
tain dans  la  Phyfique,  fi  des  êtres 
fpirituels  pouvoient  changer  les 
mouvemens:  ainfî,  tous  les  préten- 
dus eflets  furnaturels^  s'ils  ont  quel- 
que fondement,  ne  doivent  être  at- 
tribués qu'à  des  caufes  naturelles  i 
&  s'ils  font  fuppofés,  ils  ne  font  que 
de  vaines  productions  de  l'impof- 
ture  ou  du  fanatifme. 

4.°  Certains  effets,  tels  que  ceux 
de  la  pierre  d'aimant,  de  l'éledricitér 
de  la  produdion  des  plantes,  de  la 
génération  des  animaux,  de  leur 
Butrition,  ^c.  quelques  merveilleux 


K 


34  ù  (Ruvres  poflkumes 
quils  foient,  n'excitent  point  tn 
nous  ce  fentiment  d'admiration  qui 
nous  fait  recourir  à  une  caufe  fur- 
naturelle  :  pourquoi  ?  feroit-ce  par^ 
ce  que  nous  trouvons  ces  effets  dans 
la  nature  ?  cela  feul  devroit  fuffire  i 
mais  nontc'eft  parcequ'ils  arrivent 
tous  les  jours  5  nous  y  fommes  ac4 
coutumes. 

Or  les  événemens  plus  rares  qui 
nous  étonnent,  font-ils  moins  dans 
la  nature,  parcequ'ils  arrivent  raH 
rement,  &  que  nous  en  ignorons  la; 
caufe  ?  eft-ce  là  une  raifon  qui  doive 
nous  faire  recourir  à  une  caufe  fur- 
naturelle  ?  Une  comète  ne  paroît 
pas  (î  fréquemment  que  la  lune  ou 
le  foleil:  en  eft-elle  moins  dans 
Tordre  de  la  nature?  Un  bruit  fou-i 
.dain  nous  éveille  pendant  la  nuiç^ 


de  M.  du  Marfais.  141 
clone  c'eft  un  efprit  follet  ou  un  re- 
venant qui  la  caufé :  n eft-ce  pas  là 
paffer  de  Tordre  naturel  à  Tordre 
furnaturel?  ne  feroit-il  pas  plus  rai- 
fonnable  d'attribuer  ce  bruit  à  queL 
que  caufe  naturelle,  quoiqu in- 
connue ? 

5  .^  Il  y  a  eu  dans  toUs  les  temps 
'des  impofteurs  &:  des  fanatiques  de 
bonne  ioi,  qui,  fécondés  par  Tigno- 
rance,  la  foibleffe  &  la  fuperftition 
des  peuples,  ont  établi  des  fectes, 
qui ,  femblables  à  la  contagion ,  ou , 
il  vous  voulez,  aux  comètes  ,  ont 
duré  plus  ou  moins  long  -  temps. 
Environ  mille  ans  avant  notre  ère, 
le  culte  de  Tidole  Fo  ou  Foë  fut 
établi  dans  TAfie  orientale  ,  où  il 
fubiifte  encore  aujourd'hui*  C'eft  ce 
dieu  que  prêchent  les  Bonzes  à  la 


142.  Œuvres  poflhumes 

Chincj  c'eft  en  fon  nom,  dit  rAuteUf 
de  THiftoire  dererprithumain^qu  ils 
prêchent  une  vie  immortelle  5  & 
que  des  milliers  de  Bonzes  confa- 
crent  leurs  jours  à  des  exercices  de- 
pénitence  qui  effraient  la  nature* 
Quelques-uns  pafTent  leur  vie  nuds 
&  enchaînés ,  d'autres  portent  un 
carcan  de  fer  qui  plie  leur  corps,  & 
tient  leur  front  toujours  baifle  en 
terre.  On  peut  dire,  à  leur  égard,  ce 
que  TertulHen  difoit  autrefois  :  Ce 
neft  pas  le  fupplice  qui  fait  le 
martyr,  c'eft  la  caufe.  Ces  Bonzes 
font  féduits  par  leur  fanatifme ,  &r 
leur  fanatifme  féduit  ces  peuples 
par  ce  qu'il  a  de  merveilleux  &  de 
furprenant.  Si  ces  Bonzes  menoienc 
une  vie  commune,  &  qu'ils  donnaf- 
fent  des  leçons  &:  des  exemples  de 


de  M.  du  Marfais.  145 
moIIcfTe  ou  de  volupté,  le  peuple 
ne  trouveroit  rien  de  furnaturei 
dans  leurs  fermons  ni  dans  leur 
conduite  \  au  lieu  que  la  vie  ex- 
traordinaire qu'ils  mènent^fait  que, 
le  peuple,  que  tout  furprend,  hors 
le  commun  &:  l'ordinaire,  pafle  à 
leur  égard  de  l'ordre  naturel  dont 
il  ne  connoît  pas  l'étendue ,  à  un 
ordre  furnaturei  dont  fon  imagina- 
tion fe  trouve  étonnée,  fatisfaite 
î&  remplie. 

C'eft  encore  pafTer  d'un  ordre  à 
tin  autre,  que  de  prendre  dans  le 
fens  propre,  ce  qui  n'efl:  dit  que 
dans  le  fens  figuré. 

Quand  Jefus  -  Chrift  dit  que  la 
où  cji  notre  tréfor  ,  la  efi  notre 
ccEURj  par  ce  mot  cœur  on  ne 
doit  point  entendre  cette  partie  de 


1144  (ouvres  pofihumes 
notre  corps  qu'on  regarde  commd 
la  principale  j  on  entend  en  cet  eni 
droîtjpar  ce  tnot^Vaffeciîon  de  Vame^ 
Ceft  ainfî  que  ïowàXvJ)onne\votrc 
CŒUR  a  Dieu  y  c'eft-à-dire,  aime':^ 
Dieu.  Il  y  a  plufieurs  autres  façons 
de  parler  5  où  ce  mot  cœur  ne  doit 
être  entendu  que  dans  un  fens  fi^- 
guré  :  c'efl:  ainfî  qu'on  dit  donner 
fon  cœur  ^  reprendre  j on  cœur  ^  &rc* 
Cependant,  un  grand  prédicateur 
du  feizième  fîècle,  dit  qu'un  Sei- 
gneur avare  étant  mort,  lorfque  l'on 
fit  Touvcrture  de  iow  corps  pour 
lembaumer,  on  n'y  trouva  point 
de  caur,  ce  qui  furprit  beaucoup 
les  Chirurgiens  :  mais  un  perfon- 
nage  grave  &  favant,  qui  étoit  pré- 
fent  à  l'ouverture  du  cadavre ,  per- 
fuada  aux  parens  ^  aux  Chirurgiens 

d-'allet 


de  M.  du  MarfaiS.         145^ 

d'aller  voir  fi  le  cœur  ne  feroit  pas 
dans  le  cofïre-fort:  Allez,  dit-il,  au 
coffre-fort  du  défunt^  peut  être  que, 
félon  la  parole  du  Seigneur,  vous  y 
trouverez  ce  cœur  que  vous  ne 
trouvez  point  dans  fon  corps.  En 
effet,  dit  lauteur,  on  va  au  coffre- 
fort,  on  l'ouvre ,  &  on  y  trouve  réel- 
lement le  cœur  de  cet  avare.  De 
pareilles  fables,  débitées  de  bonne 
foi,  font  plus  inftrudives  que  les  fa- 
bles d'Efope,  parce  quelles  appren- 
fient  à  connoître  lefprit  humain. 

Nota  exemplum  de  illo  avaro 
divite  y  cujus  cum  cadaver  pofi 
tnonem  aperiretur^  forte  ut  balfa- 
maretur  ^  Jicut  Nobilibus  interdum 
jieri  foLet  y  nec  a  Chirurgicis  cor 
ejus  inveniretur  y  ait  quidam  vir 
gravis  ù  doclus  ibi  adflans  :  Itc 

K 


i^ë        Œuvres  pofihumes 

ad  arcam  in  quâ  recondïti  funt  thc'^ 
fauri  ejus^  &  forte  invenictis  ^  juxta 
Doniini  fcntwtiam.  Quod  cum  fac-- 
tum  fuijjct  ^  ibi  realiter  inventum 
eji  divino  nutu  ^  cor  ejus  ^  infignum 
damnadonis  fax  ^  nulli  dubium. 

Expojido  Evangclîorum  quadragejima^ 
lium  R.  F.  Guill.  VQ^im^PariJlenJis  Doct. 
TheoL  Ord.  P radie.  Venetiis  1658.  Expof 
in  du  Cincrum.  pag^  i  z ,  verfo. 

XII  I.     Sophisme. 

Pajfer  de  l'ignorance  a  la  Science. 

La  règle  eft  de  paiGTer  du  connu 
à  l'inconnu  ;  mais  il  y  a,  au  con- 
traire, des  perfonnes  qui  veulent 
nous  faire  pafTer  de  l'inconnu  à  ce 
qu  ils  croient  favoir. 


de  M.  du  Marfais,       i  j\y^ 

XIV*     Sophisme* 

Du    pouvoir   à  Tade. 

A  pojjc  ad  actum^  non  valet  cpn^^ 
fequentia. 

Du  cercle   vicieux; 

Ceft  ce  quon  appelle  autre-î 
ment  dlallele  ou  alternatoire  ^^ 
Aiûi^Tici^iç  )  d?^€tyri ,  M  UT  ATI  O 
a?^ccajco ,  M  U  T  O.  Lorfque  pour 
prouver  une  chofe  qui  eft  en 
queftion,  nous  nous  fervons  dWe 
autre  chofe  dont  la  preuve  dépend 
de  celle-là  même  qui  eft  en  quef"- 
tîon ,  les  concluions  doivent  être 
renfermées  dans  les  propoiitions 
dont  on  les  tire» 


i^.S       Œuvres  pojîhumes 


Article     XIV- 

jD^  différentes  fnanières    de  rai^ 
former. 

JN  G  u  s  avons  dit  que  le  fyllogîfme 
étoit  compofé  de  trois  propofîtiôns, 
la  majeure 5  la  mineure ,  la  conclu- 
iion  ou  conféquence^ 

Dans  les  difcours  t3ratoires  &  dans 
les  converfations  familières^on  ne  fe 
fert  point  explicitement  du  fyllogif- 
me-,  ceferoitune  manière  de  parler 
trop  dure  &  trop  sèche  ;  mais  le  fyl- 
logiimeeft  toujours  exprimé  ou  ren- 
fermé dans  tont  raifonnement.  Les 
Orateurs  prennent  chaque  propofî- 
tion  en  particulier,  les  entendent,  les 
amplifient  j  avant  que  de  venir  à  la 


de  M.,  du  Marfais.  i^jr 
conclufion.  Par  exemple,  le  Logi- 
cien dira:Tout  le  monde  eft  obligé 
d'honorer  les  Rois  j  Louis  XV  eft 
Roi  :  donc  tout  le  monde  eft  obligé 
dlionorer  Louis  XV.  L'Orateur  s  dé- 
tendra fur  chaque  propofition^il  fera 
voir  que  les  loix  naturelles ,  divi- 
nes &  humaines ,  que  la  piété ,  que 
la  Religion ,  obligent  les  fujets  d'ho- 
norer les  Rois.  Enfuite  il  paflfera  à 
la  féconde  proportion.  Il  admirera 
la  grandeur 5  la- puiffance,  la  mo- 
dération 5  la  bonté  de  Louis  XV, 
la  vafte  étendue  de  fon  génie  ,  &:c. 
Enfin,  il  conclura  que  fes  fujets 
doivent  l'aimer  comme  leur  père  j 
le  révérer  comme  leur  maître,  & 
l'honorer  comme  celui  qui  tient 
la  place  de  Dieu  même  fur  la, 
terrco 


1 5  o        (ouvres  pojihumes 

L'oraifon  de  Ciceron  ^  pour  la 
défenfe    de    Milon  ,   n'eft    quun 
fyllogifme    tourné     en     Orateur. 
Un  Logicien  auroit  dit  fimplement 
qu'il  eft  permis  de  tuer  celui    qui 
nous  drefle    des   embûches  ;  que 
Clodius  a  dreflé  des  embûches  à 
Milon  :  donc  il  a   été   permis  à 
Milon  de   tuer  Clodius.    Ciceron 
étend  d'abord  la  première  propo. 
iition  i  il  la  prouve  par  le  droit  na- 
turel ,  par  le  droit  des  gens ,  par 
les  exemples ,  &:c.  Il  defcend  en- 
fuite  à  la   féconde  propofition  j  il 
examine  l'équipage  ,  la  fuite  y  & 
toutes  les  circonftances  du  voyage 
de  Clodius  i  &  il  fait  voir  que  Clo- 
dius vouloit  exécuter  le  projet  d  af- 
faffiner  Milon:  d'où  il  concludquc 
Miioa  n'étoit  point  coupable  d'à- 


de  M,  du  Marfals.  ï  5  t 
voir  ufé  du  droit  que  donne  la  né- 
ceflicé  d'une  légitime  défenfe. 

Outre  le  fyllogifme,  à  quoi  fe 
réduifent  tous  les  difcours  fuivis ,  il 
faut  encore  obferver lenthymème, 
le  dilemme ,  le  forite  &  l'indudion. 


Article     XV. 

De  VEmhymhne. 

Lenthymème  cft  un  fyllogifme  im- 
parfait dans  rexpreiïîon  :  fyllogij- 
mus  truncatus  ;  parcequ'on  y  fup- 
prime quelqu'une  des  proportions, 
comme  trop  claires  &:trop  connues. 
Oh  fuppofe  que  ceux  à  qui  Ton 
parle  pourront  aifément  la  fup- 
pléer.  Par  exemple:  la  comédie 
ell  dangereufe  ,  parcequ'elle  amal- 

lie  Iq  cœur. 

K4 


it  5  2.        (Ëuvres  pofihumes. 
Ou  bien  : 

Tout  ce  qui  amollit  le  cœur  eft  daii-f 

gereux  : 
Donc  la  comédie  eft  dangereufe. 

Il  eft  vifîblc  que  Ton  fous-cntenci 
la  mineure  dans  cet  enthymème. 
Le  fyllogifme  feroit: 

Tout  ce  qui  amollit  le  cœur  eft  dan*^ 

gereux  5 
Or  la  comédie  amollit  le  cœur: 
Donc  la  comédie  eft  dangereufe. 

On  donne  ordinairement  pour 
exemple  ce  vers  que  Senèque  fait 
dire  à  Mcdée  : 

fai  bien  pu  te  fauvcr;  ne  puis  -je 
pas  te  perdre  f 

Le  fyllogifme  feroit  : 

Il  eft  plus  facile  de  perdre  quelqu'un^' 
que  de  le  fauver; 


de  M.  du  Marfais.        153 

Or  Je  t'ai  fauve  : 
Donc  je  peux  te  perdre. 

Tel   eft  encore  CQ.t  enthymèmc 
fameux. 

Mortel,  ne  garde  point  une  haine 
immortelle. 

Le  fyllogifme  feroît  : 

Ce  qui  eft  mortel  ne  doit  pas  confer- 
ver  une  haine  immortelle  qui  dure 
plus  que  lui. 

Or  vous  êtes  mortel  : 

Donc  vous  ne  devez  pas  conferveif 
une  haine  immortelle. 


Article     XVI, 
Du  Dilemme. 

IjE  dilemme  eft  un  raifonnement 
ÇQmpofé ,  dans  lequel  on  divife  un 


1 54  (ouvres  pofthumcs 
tout  en  Tes  parties i  &  Ton  conclud 
du  tout  5  ce  que  Ton  a  conclu  de 
chacune  de  fes  parties.  Ceft pour- 
quoi on  rappelle  :  Argumentum 
utrimque  fcriens  ;  c'eft-a-dire,  argu- 
ment qui  frappe  des  deux  cous. 
C  eft  pour  cela  encore  qu'on  l'ap- 
pelle argument  fourchu.  Par  exem- 
ple, on  dit  aux  Pyrrhoniens ,  qui 
prétendent  qu'on  ne  peut  rien  fa- 
voir: 

Ou  vous  favez  ce  que  vous  dites  5  ou 
vous  ne  le  favez  pas. 

Si  vous  favez  ce  que  vous  dites ,  oti 
peut  donc  favoir  quelque  chofe  : 

Si  vous  ne  favez  ce  que  vous  dites, 
vous  avez  donc  tort  d  affurer  qu'on 
ne  peut  rien   favoir;  car  on  ne 
doit  point  afïurer  ce    qu*on   ne  . 
lait  pas. 

La  grande  règle  des  dilemmes  ; 


de  M.  du  Marfais.        155 

c'eft  que  le  tout  foit  divifé  exade- 
ment  en  toutes  fes  parties  \  car  fî 
le  dénombrement  eft  imparfait  5  il 
eft  évident  que  la  conclulion  ne 
fera  pas  jufte. 

Par  exemple  ,  un  Philofophe 
prouvoit  qu'il  ne  falloit  pas  fe  ma- 
rier, parceque  ,  difoit  -  il ,  ou  la 
femme  que  l'on  époufe  eft  belle, 
DU  elle  eft  laide  \  fi  elle  eft  belle , 
elle  caufera  de  la  jaloufie  j  fi  elle 
eft  laide ,  elle  déplaira. 

La  divifion  n'eft  pas  exade,  & 
la  conclufîon  particulière  de  chaque 
partie  n  eft  pas  nécelîaire \  car, 

i.^  Il  peut  y  avoir  des  femmes 
qui  ne  feront  pas  belles  au  point  de 
caufer  de  la  jaloufie  \  ni  fi  laides  > 
qu  elles  déplaifent. 

^.^  Une  femme  peut  être  belle;, 


15^        ouvres  poflhumes 
&  en  même  temps  être  fi  fage  & 
il  vertueufe^  qu  elle  ne  caufera  point 
de  jalouiîei  &  une  laide  peut  plaire 
par  Tefprit  &  le  caraftère. 

11  faut  fur- tout,  dans  le  dilemme^ 
dans  les  autres  raifonnemens ,  fe 
mettre  à  labri  de  la  rétorfion.  Par 
exemple ,  un  ancien  prouvoit  qu  on 
ne  devoit  point  fe  charger  des  af- 
faires de  la  République  ,  par  ce 
dilemme  : 

Ou  Ton  s  Y  conduira  bien,  ou  Tou 

s-y  conduira  mal  -, 
Si  Ton  s'y  conduit  bien ,  on  fe  fersi 

des  ennemis; 
Si  Ion  s  y  conduit  mal ,  on  ofFenfera 

les  dieux. 

On  lui  répliqua  par  cette  rétor- 
ïîor^  : 

Si  Ton  s^j  gouverne  avec  foupleiïç  $ç 


de  M.  du  Marfais.        i  57 

avec  condefcendance,  on  fe  fera  des  amisj 
&  fi  Ton  garde  exadement  la  juftice,  on 
contentera  les  dieux. 


Article     XVII. 
Du  Sorite. 

Il  y  a  une  autre  forte  de  raîfon- 
nement,  compofé  dune  fuite  de 
propofitions ,  dont  la  féconde  doit 
expliquer  l'attribut  de  la  première  \ 
la  troifième,  lattribut  de  la  fécon- 
de 5  ainfi  de  faite  jufqu  à  ce  qu'enfin 
on  arriveàlaconféquenceque  Ton 
yeut  tirer. 

Par  exemple ,  je  veux  prouver 
que  les  avares  font  miférables ,  je 
dis  : 

Les  avares  font  pleins  de  defîrs  \ 


1 5  8         (Suvres  pofihumes 

Ceux  qui  font  pleins  de  defir.^  ^  man- 
quent de  beaucoup  de  chofes-, 
Ceux  qui  manquent  de  beaucoup  de 

chofes,  font  miférables  : 
Donc  les  avares  font  miférables. 

Remarquez  qu'il  eft  eflentiel  à 
un  bon  forite  que  les  propoiîtions 
qui  fe  fuivent  foient  liées ,  &  que 
Tune  explique  l'autre  i  autrement, 
elles  ne  feroient  qu'autant  de  pro- 
pofitions  particulières  qui  ne  con- 
tiendroicnt  pas  la  conclufion.  Par 
exemple,  ce  forites  de  Cyrano  de 
Bergerac. 

L'Europe  eft  la  plus  belle  partie  du 

monde  -, 
La  France  eft  le  plus  beau  royaume 

de  TEurope", 
Paris  eft  la  plus   belle  ville  de  h 

France i 


de  M.  du  Marfais.         i  5  9 

Le  collège  de  Beauvais  eft  le  plus 
beau  collège  de  Paris*, 

Ma  chambre  eft  la  plus  belle  cham- 
bre du  collège  de  Beauvais  -, 

Je  fuis  le  plus  bel  homme  de  ma 
chambre  : 

Donc  je  fuis  le  plus  bel  homme  du 
monde. 

Ce  raifonnement  n'eft  compofé 
que  de  propofîtîons ,  qui  ne  font 
chacune  féparémenc,  qu  autant  de 
propofîtîons  particulières  ,  dont 
Tune  n'explique  pas  lautre  ,  & 
dont  aucune  ne  contient  la  confé- 
quence. 

Article     XVII  L' 

De  VInduclion. 

Aj'iNDUCTiON  eft  encore  une  forte 
de  raifonnement,  par  lequel  on  va 


r  ^o         (Euvres  pofihumes 
delà  connoiiTance  de  plufieurscho- 
its  particulières,  à  la  connoifTancc 
dune  vérité  générale.  Par  exem- 
ple 5  on  a    obfervé    que  tous   les 
hommes  aiment  à  recevoir  des  fm- 
preflions  agréables  j  qu'ils  évitoient 
tout  ce  qui  leur  caufoit  de  la  dou- 
leur :  de  ces  différentes  obferva- 
lions  particulières  on  en  a  conclu  5 
par  induétion  ,  que  tous  les  hom- 
mes aimoient  le  bien,  &  qu'aucun 
ne  pouvoit  aimer  le  mal,  en  tant 
que  mal. 


Article     XIX. 

Conclujion. 

IL  eft  évident,  par  tout  ce  que 
nous  venons  de  dire ,  que  le  rai- 
sonnement 


de  M,  du  Marfais,  1 6 11 
foiinement  ne  confîfte  qu'en  trois 
opérations  de  l'efprit  : 

i.°  A  fe  rappeler  l'idée  exem- 
plaire de  ce  dont  on  veut  juger.' 
Ces  idées  exemplaires,  nous  les  ac- 
quérons par  lulage  de  la  vie ,  & 
par  la  réflexion.  Nous  prenons  l'idée 
exemplaire  la  plus  connue  ,  par 
rapport  au  fujet  dont  il  s'agit  dans 
la  conclufîon. 

a.°  A  examiner  fi  l'objet  dont  il 
s'agit ,  eft ,  ou  n  eft  pas  conforme 
à  cette  idée  exemplaire. 

3.°  A  exprimer,  par  la  conclu- 
{ion ,  ce  que  je  fens  touchant  cette 
conformité  ou  cette  non- confor- 
mité. Par  exemple,  on  me  difpute 
que  cette  figure  O  foit  un  cercle  5 
je  me  rappelle  l'idée  exemplaire  du 
cercle  i  je  compare  cette  figure  à 


ï6i        Œuvres  poflhumes 
cette  idée  5  &  j'exprime ,  par  la  con- 
clufîon,  ce  que  je  fens  à  roccafîon 
de  cette  comparaifon. 


Article     XX. 

De  la  Méthode. 

La  Méthode  efl:  Fart  de  difpofer 
fes  idées  &  fes  raifonnemcns,  de 
manière  qu'on  les  entende  foi -mê- 
me avec  plus  d'ordre,  &  qu'on  les 
faffe  entendre  aux  autres  avec  plus 
de  facilité. 

On  dit  comm.unément  qu'il  y  a 
deux  fortes  de  méthode  i  l'une 
qu'on  appelle  analyfe^  &  l'autre 
jynthcfe. 

L'analyfe  fe  fait  lorfque ,  par  les 
4écajls^  on  parvient  à    ce    quQii 


de  M.  du  Marfais.         i  ^  j 

cherche  :  ceft  une  forte  d'induc- 
tion. On  l'appelle  aufli  méthode  de 
réfoLution^ 

La  fynthèfe,  qu'on  appelle  aufÏÏ 
méthode  de  compojition y  confîfte  à 
commencer  par  les  chofes  les  plus 
générales  5  pour  palier  à  celles  qui 
le  font  moins  :  par  exemple ,  expli- 
quer le  genre  avant  que  de  parler 
àQS  efpeces  &  des  individus.  On 
appelle  auilî  cette  méthode  ,  me-- 
thode  de  doclrine  ^  parceque  ceux 
qui  enfeignent,  commencent  ordt- 
nairemcnt  par  les  principes  géné- 
raux. 

L'une  &;  Tautre  méthode  peut 
pourtant  être  fuivie  pour  enfeigner; 
&  Tanalyfe  eft  fouvent  la  plus  pro- 
pre ,  parcequ'eile  fuit  l'hiftoirc  de 


I  ^4       (Ëuvres  pofthumes 

nos  idées,  en  nous  menant  du  par-^ 

ticulier  au  général. 

Voici  quelques  principes  de  mé- 
thode: 

i,^  Aller  toujours  du  connu  à 
l'inconnu. 

1.^  Concevoir  nettement  &  dif- 
tindement  le  point  précis  de  la 
queftion.  On  fait  fouvent  ce  qu€ 
feroit  un  domeftique  à  qui  le  Mai- 
tre  diroit:  Allez  me  chercher  un 
de  mes  amis.  Si  le  domeftique  par- 
toit  avant  que  de  s'être  fait  expli- 
quer précifément  quel  eft  cet  ami 
que  fon  maître  demande  5  il  tom- 
beroit  dans  le  défaut  de  fe  détermi- 
ner, avant  que  de  concevoir  bien 
diftindement  ce  qu  on  lui  demande. 
3o^  Ecarter  tout  ce  qui  eft  inu- 


de  M  du  Marfais:       t  ^f ; 
tile    &    étranger  à   la    qucftion. 

4.^  N  admettre  jamais  pour  vraî^ 
que  ce  que  Ton  connoît  évidem- 
ment être  vrai. 

5.^  Eviter  la  précipitation  &  la 
prévention. 

6.^  Ne  comprendre  dans  fes  ju- 
gemens  rien  de  plus  que  ce  qu'ils 
préfentent  à  refprit. 

7.^  Examiner  ïi  le  jugement  efî: 
fondé  fur  le  motif  extérieur  & 
propre  qu'il  fuppofe. 

8.^  Prendre  pour  vrai  ce  qui 
paroît  évidemment  vrai,  pour  dou- 
teux ce  qui  eft  douteux  ,  &  pour 
vraifemblable  ce  qui  nell  que 
yraifemblable. 

^?  Divifer  le  fujet  dont  il  s'agît 
en  autant  de  parties  que  cela  eft 


t  ëé       Œuvres  pojihumcs 
néceflaire  ,  pour  réclaiccir  &   le 
bien  traiter. 

lo.^  Faire  par-tout  des  dénom- 
bremens  fi  entiers ,  qu'on  puifïc 
s  afTurer  de  ne  rien  omettre. 


A  R  T   I   e  L  E      XXI. 

De  la  Méthode  des  Géomètres. 

î^^'JLes  Géomètres  commencent 
par  les  définitions,  afin  de  ne  laif- 
fer  aucune  ambiguïté  dans  les  ter- 
mes j  ils  n'emploient  dans  ces  défi- 
nitions que  des  termes  connus  ou 
expliqués. 

x.^  Ils  établifTenc  cnfuite  des 
principes  clairs  &  évidensj  par 
exemple^  que  le  tout  eft  plus  grand 


de  M.  du  Marfais.  i  ^7 
*jue  quelques  -  unes  de  fes  parties, 
prifes  en  particulier. 

3.°  Ils  prouvent  les  propofitions 
un  peu  obfcures  ou  difficiles,  par 
les  définitions  qui  ont  précédé, 
ou  par  les  axiomes  qui  ont  été 
d'abord  expliqués,  ou  qui  leur  ont 
été  accordés,  ce  qu'ils  appellent 
demande  ;  ou ,  enfin ,  par  des  pro- 
pofitions  qui  ont  déjà  été  démon- 
trées. 

FIN. 


^ 


PRINCIPES 

DE   GRAMMAIRE, 

o  V 

FR  A  GMEN  S 

Sur  les   caufes  de  la  Paroles 

JDes  que  nous  venons  au  monde;; 
nous  fommes  afFedcs  de  différentes 
fortes  de  fenfations,à  Toccafion  des 
impreiTions  fenfîbles  que  les  objets 
extérieurs  font  fur  nos  fens.  Nous 
fommes  capables  de  voir,  d'enten- 
jdre,  d'imaginer^  de  concevoir ,  de 


1 70  (Ëuvres  poflhutnes 
relTentir  du  plaifîr  &  de  la  douleur^ 
&  dans  la  fuite  nous  réfléehiflons 
fur  toutes  ces  diftércntes  affedions; 
nous  les  comparons,  nous  en  tirons 
des  inductions,  &c. 

Ces  fentimens  ou  affedions  fup- 
pofent  premièrement,  &  de  notre 
part,  qu'il  y  ait  en  nous  tout  ce 
qu'il  faut  pour  en  être  fufceptiblesj 
ceft-à-dire,  que  nous  ayons  les  or- 
ganes deftinés  par  l'Auteur  de  la 
nature  à  produire  ces  effets,  &  que 
ces  organes  foient  bien  difpofés. 

En  fécond  lieu,  il  efl  néceffairc 
de  la  part  des  objets,  qu'ils  foient 
tels  qu'ils  doivent  être ,  afin  que  tel 
fentiment  réfulte  de  telle  impref- 
fion. 

Les  aveugles  ne  voient  point , 
parceque  leurs  yeux  n'ont  pomt  U 


de  M.  du  Marfais.  1 7  r 
conformation  requife  pour  voirj 
&:  nous  ne  voyons  point  dans  les 
ténèbres  ,  parceque  les  corps  ne 
reçoivent  aucune  lumière  qu'ils 
puifTent  renvoyer  à  nos  yeux. 

Les  impreffions  que  les  objets 
font  fur  les  parties  extérieures  de 
nos  fens,  font  portées  jufqu  au  cer- 
veau ,  qui  eft  le  fens  interne ,  &  où 
tous  les  nerfs  des  fens  extérieurs 
aboutifTentj  ou,  ce  qui  eft  la  même 
chofe  ,  tous  les  nerfs  partent  du 
cerveau  &  fe  terminent  aux  diffé- 
rentes extrémités  de  notre  corps, 
propres  à  recevoir  &  à  porter  au 
cerveau  les  impreffions  extérieures 
des  objets. 

Comment  tout  cela  fe  fait  -  il  î 
ceft  le  fecret  du  Créateur  Nos 
connoifTances  ne  peuvent  aller  <^ue 

M  % 


ï  7  ^  (ouvres  pofihumes 
jufqu'à  un  certain  point,  après  le-- 
quel  il  vaut  mieux  reconnoître  iîm- 
plemenc  les  bornes  de  notre  efprit, 
que  de  nous  laifler  féduire  par  de 
frivoles  imaginations.  Si  la  Nature 
a  des  procédés  au  -  deflus  de  nos 
lumières, c'eftfavoir  beaucoup  que 
de  reconnoître  que  nous  ne  pou- 
vons les  pénétrer ,  &  que  nous  fom- 
mes  à  cet  égard  ce  qu  eft  Taveugle- 
né  par  rapport  aux  couleurs,  &  le 
fourd  de  naiflance  par  rapport  aux 
fons* 

Je  dis  donc  qu'en  conféquence 
'de  notre  état  naturel,  &  des  diffé- 
rentes imprefîîons  des  objets,  nous 
voyons,  nous  entendons,  nous 
comparons ,  nous  connoifïbns,  nour 
jugeons  y  nous  faifons  des  réflexions^ 
&c- 


de  M.  du  Marfais.  175 
Ces  différentes  penfées  &  ces 
divers  jugemens  fe  font  en  nous 
par  un  point  de  vue  de  fefprit  qui 
forme  d'abord  fans  divifion  toute 
la  penfée. 

Je  veux  dire  que  nos  jugemens 
fe  font  d'abord  par  fentiment  5  c'eft- 
à-dire,  par  une  affedion  intérieure 
ou  perception  de  fefprit,  fans  que 
fefprit  divife  fa  penfée ,  &  confidèrc 
premièrement  la  chofe,  puis  la  qua- 
lité, &  enfin  unifle,  comme  on  dit,' 
une  idée  à  une  autre  idée.  Cette 
diviiion  de  la  penfée  cft  une  féconde 
opération  de  fefprit  qui  fe  fait  rela- 
tivement à  félocution. 

Ces  mots  idée  ^  concept  ^  j'^g^^ 
ment  ^  doute  ^  imagination  y  ne  font 
que  des  termes  abftraits  &  méta- 
phyfiques  inventés  par    imitation 


,^r  74        (Euvres  poflhumes 

pour  abréger  le  difcours,  &  réduire 
à  des  clafles  particulières  certaines 
fortes  de  points  de  vue  de  fefprit. 

Nous  avons  d'abord  donné  des 
noms  aux  êtres  feniîbles  qui  nous 
ontaffcdés,  lefoleil^  la  lune  ^  le 
pain  3  un  livre  _,  une  montre  ^  &cc^ 
cnfuite  nous  en  avons  inventé  par 
imitation,  qui  nous  fervent  à  énon- 
cer des  points  de  vue  particuliers 
de  notre  efprit.  Par  exemple ,  pour 
marquer  l'état  précis  de   l'animal  > 
en  tant  quil  exerce  fes  fondions , 
nous  difons  la  vie  ;  l'état  où  il  eft^ 
quand  il  ceffe  de  vivre ,  nous  l'ap- 
pelons la  mçru  II  en  eft  de  niéme 
de  fommtil\  ouie  ^  peur ^  amour ^ 
haine  y  envie  ;  beauté  y  laideur  ,  & 
d'une    infinité    d'autres.  Tous  ces 
mots  ne  marquent  point  d'objets. 


de  M.  du  Marfais.        175 

réels  qui  exilloni  hors  de  notre  ef- 
prit,  tels  que  les  noms  que  nous 
donnons  aux  objets  fenfibics.  Les 
termes  mécaphyfîques  dont  je  parle 
font  des  mots  inventés  par  imita-i 
tion,  pour  nous  fervir  à  énoncer 
avec  plus  de  facilité  &  de  préci^ 
{ion  certaines  contidérations  parti- 
culières de  notre  efprit.  C'eft  ainfi 
que  nous  nous  fervons  des  fîgnes 
de  l'arithmétique  &  de  ceux  de  l'al- 
gèbre. 

Quand  je  confîdère  le  foleîl,  je 
donne  un  certain  temps  à  cette 
conddération.  Si  je  penfe  enfuite  à 
la  mer,  à  la  lune,  aux  étoiles, 
chacune  de  ces  penfées  a  auflî  fou 
temps,  dont  l'un  eft  différent  de 
'  lautre,  &  chacun  des  objets  de  ces 
penfées  a  fon  nom»  De  même>  je 


17^        ouvres  pofikume  s 
fens  que  dans  l'état  où  je  me  trouve? 
quand  je  fuis  occupé  d'une  abftrac- 
tion,  &  que  je  réduis,  par  exemple, 
chaque   forte   de   propriété   à    un 
certain  point  auquel  je  les  rapporte 
toutes,  chacune  féparémentj  ces 
différens  états  de  moi  penfant  ont 
chacun  leur  inftant,  &  je  donne  des 
noms  particuliers  à  ces  différentes 
penfées  abftraites,  fans  qu'il  y  aie 
hors  de  moi  aucun  objet  réel  qui 
réponde  à  chacun  de  ces  noms, 
comme  il  y  a  un  objet  qui  répond 
au  mot  foleil  ^  un  autre  au   mot 
lune  y  &  ainfî  des  autres  mots  qui 
font  les  noms  d'êtres  qui  ont  une 
exiftence    indépendante    de    ma 
penfée. 

L'ordre  phyfîque  a  des   noms 
appellatifs  qui  ne    font  au   fond 

que 


de  M.  du  Marfais.  177 
que  des  termes  abftraits  quand  on 
nen  fait  aucune  application  parti- 
culière j  par  exemple  5  ville  y  mon^ 
tàgnè  y  rivière  y  arbre ^  animal^ 
homme  y  &c.  Ces  noms  font  dits  en- 
fuite  des  objets  particuliers  à  la 
itianière  des  noms  adjedifs.  Il  en  eft 
de  même  dans  Tordre  métaphy- 
sique. Il  a  aufli  Tes  noms  appellatifs, 
idée  y  concept  y  jugement  ^  affirma-* 
tion  y  négation  y  doute  y  &C,  On  eft 
fait  auffi  des  applications  iingulières, 
une  telle  idée  y  un  tel  jugement  y  &c. 
&  ces  noms  ainfi  appliqués  dans 
lun  ou  l'autre  ordre  netant  plus 
conddérés  félon  ce  qu'ils  ont  de 
commun,  ou  avec  des  confîdéra* 
tions  pareilles  de  refprit,ou  avec 
d'autres  êtres  femblables  5  ils  dévien- 
nent comme  autant  de  noms  pro- 

N 


î^S       (ouvres  poflhumes 
près,  en  vertu  des  mots  que  nous  y 
joignons  pour  en  faire  une  applica* 
tion  (îngulière. 

Ces  termes  métaphyfîques  étant 
une  fois  inventés  &:  adoptés  par 
Tufage  5  ils  entrent  dans  le  didion- 
naire  de  la  langue ,  &:  nous  en  ufons 
de  la  même  manière  que  nous  ufons 
des  mots  qui  marquent  des  objets 
réels» 

Nous  commençons  toujours  par 
le  fenfible.  Nous  avons  dit>y^^i  un 
habit  ^  j'ai  une  pomme  y  j'ai  un 
livre.  Nous  nous  fommes  familia- 
Tifés  avec  le  verbe  avoir  ^  qui  eft  un 
mot  très-intéreflant.  Enfuite  la  di- 
fette  de  termes, &  le  befoin  de  nous 
exprimer,  nous  ont  fain  tranfporter 
ce  mot  avoir  en  d'autres  Qcca- 
iîons,  où  nous  obfervons  quelque 


de  M.  du  Marfais.        i'^^ 
Ibrte  de  rapport  à  la  pofTeflionj 
parce  qu'en  eftet  nous  voulons  ex- 
primer alors  un  état  qui  nous  cft 
propre.  Ainii,  comme  nous  avons 
dityW  un  livre  ^j^ al  un  diamant ^ 
y  ai  une  montre  ^  nous  difons  pat 
imitation,  y  W  la  fièvre^  f  ai  envie ^ 
j'ai  peur  ^  J'ai  un  doute ^  j'ai  pitié ^ 
j'ai  une  idée  ^  &c.  mais  livre  y  dia- 
mant ^  montre  ^(onx.  autant  de  noms 
d'objets  réels  qui  exiftent  indépen- 
damment  de   notre    manière     de 
penfer;  au  lieu  (\\iq  fanté^  fièvre  ^ 
^peur^doutey  envie  ^  ne  font  que  des 
termes  métaphyiîques  qui  ne  défi- 
gnent   que    des    manières    d'êrres 
confidérés  par  des  points  de   vud: 
particuliers  de  i'efprit* 

Dans   cet   exemple  ^  j'ai  .  unâ 
montre  ^  fai  éft  uiie  exprelïîon  qui 


vi^o        Muvres  poflhumes 

doit  être  prife  dans  le  Cens  propre^ 
tnais  dans  j^ai  une  idée  ^  ')ai  n  eft 
dit  que  par  une  imitation.  Ceft  une 
exprelîion  empruntée*  J'ai  une 
idée  j  c'eft-à-dire ,  Je  penfe  y  je  con-- 
çois  de  telle  ou  telle  manière.  J'ai 
envie  y  c'eft-à-dîre,  y^  dejire;  j'ai 
la  volonté  y  ceft-à-dire,  je  veux  ^ 
&:c. 

Ainfî,  idée  y  concept  ^  imagina- 
tion ^  ne  marquent  point  d'objets 
réels,  &  encore  moins  des  êtres 
fenfibles  que  Ton  puifTe  unir  l'un 
avec  l'autre* 

Ge  n  eft  point  par  de  telles  opé- 
rations que  les  enfans  commencent 
à  juger  5  ni  que  les  fourds  &  muets 
de  naifl'ance  forment  leur  jugement. 
Ils  n'ont  pas  l'ufage  des  mots  qui 
feuls  nous  fervent  dans  la  fuite  à 


de  M.  du  Marfais.  r  8 1- 
idîvifer  notre  penfée.  Les  mots  n  é- 
tant  formés  que  par  des  fons  qui  fe 
fuccédent  lun  à  l'autre ,  ils  peuvent 
être  ou  joints  ou  féparés,  &  c'eft 
ainfî  qu'ils  nous  fervent  à  confidé- 
rer  féparément  ce  qui  en  foi  n'eft 
point  féparé. 

Un  enfant  à  qui  pour  la  première 
fois  on  donne  du  fucre,  fent  que 
le  fuGre  eft  douxj  mais  il  ne  confî-- 
dèrc  pas  féparément  le  fucre  &puis 
la  qualité  de  doux,  dont  il  n'a 
point  encore  fait  un  terme  abftrair^ 
D'abord  il  n'a  que  le  fentiment,  & 
lorfque'^ans  la  fuite  il  fe  rappelle 
C€  fentiment  par  la  réflexion,  ou 
qu'il  le  compare  avec  quel  qu'autre 
fenfation,  tout  cela,  fe  fait  par  au- 
tant de  points  de  vue  de  l'efprit  qui 
{ont  la  fuite  ou  le  réfultat  des  dif^ 

Ni 


i  B\         Mièvres  pofihumes 
férençes  irnprelTions  qu'il  a  reçues  3^ 
hm  qu'il  faile  eacore  aucune  de 
ces  cofiJddérations  particulières  qui 
divifeat  la  penfée. 

Mais  il  nous  imparte  par  bien 
des  motifs  de  faire  connaître  aux 
autres  nos  fentimens  ou  nas  pen^: 
fçes  :  or  comrnent  leur  communi-^ 
quer  les  affedions  intérieures  ?  les. 
autres  hommes ,  auiïi  bien  que  nous,^ 
ne  peuvent  connoître  que  ce  qui 
fait  quelque  impreflion  fenfible  fur 
Ips  organes  de  leurs  fens,  ou  ce  qui 
n'eft  qu  une  fuite ,  une  conféquence  % 
une  indudion  de  quelques-unes  de 
cesinipreiïîons:  or  ce  qui  fe  pafTe 
au-dedans  de  nous-mêmes,  çç  qui 
lious  afte^e  intérieurement^ne  peut 
par  foi  exciter  aucune  impreffioa 
i\\X  les  organes  des  autres  hornmeSh, 


de  M.  du  Marfais.  i  S  ^ 
Nos  befoins  nous  ont  appris  le 
fecrct  de  cette  communication  de 
pcnfées,  D  abord  la  Nature  nous  a 
donné  les  fignes  des  paflionsj  ils 
font  entendus  dans  toutes  les  na- 
tions, à  caufe  d'une  forte  d'uniiTon 
qu'il  y  a  entre  nos  organes  &  les 
organes  des  autres  hommes.  Ces 
fignes  des  pafïîons  font  le  rire,  les 
larmes,  les  cris,  les  foupirs,  les  re- 
gards, les  émotions  du  vifage,  les 
geftes ,  &c.  Un  feul  mouvement  de 
tête  fait  connoître  une  approbation^; 
lin  confentemenc  ou  un  refus.  Ces. 
fîgnes  répondent  à  la  {implicite  & 
à  Tunité  de  la  penfée  j  mais  ils  ne  la 
détaillent  pas  aifez,  &  par -là  ils  ne 
peuvent  fuffire  à  tout. 

C  eft  ce  qui  nous  fait  recourir  à. 
l'ufage  de  la  parole.  Les  fons  ani?- 

N4 


''i§4  (Kuvres  pofihumes 
culés  qui  font  en  grand  nombre  ^  & 
auxquels  Texpérience  &  Tufage  ont 
enfin  donné  des  deftinations  parti- 
culières:,  nous  fourniflent  le  moyen 
d'habiller  5  pour  ainfi  dire,  notre 
penfée,  de  la  rendre  fenfible,  de  la 
divifer,  de  ranalyfer,  en  un  mot 
de  la  rendre  telle  qu  elle  puifTe  être 
communiquée  aux  autres  avec  plus 
de  précifion  &:  de  détail. 

Ainfi  5  les  penfées  particulières 
font,  pour  ainfi  dire,  chacune  un 
cnfemble^  un  tout  que  l'ufage  de  la 
parole  divife,  analyfe  &  diftribuç 
en  détail  par  le  moyen  des  diffé- 
rentes articulations  des  organes  de 
la  parole  qui  forment  les  mots. 

La  néceflicé  d'analyfer  notre 
penféç ,  afin  de  pouvoir  lenoncer 
par  rcutreniife  des  mots,  nous  y 


de  M.  du  Marfaîs.  1 8  5 
fait  obferver  ce  que  nous  n  y  au- 
rions jamais  remarqué  5  (1  nous  n'a- 
vions  point  été  torcés  de  recourir 
à  cette  analyle  pour  rendre  nos 
pcnfées  communicables,  &  les  faire 
paffer,  pour  ainfi  dire  y  dans  refprit 
des  autres. 

L  éducation  &  le  commerce  que 
nous  avons  avec  les  autres  hommes , 
nous  apprennent  peu  à  peu  la  va- 
leur des  mots  5  leurs  différentes  def- 
tinations,  les  diverfes  ufages  de  leurs 
terminaifons,  &  ce  qui  fait  quils 
concourent  enfemble  à  exciter  dans 
lefprit  de  celui  qui  lit.ou  qui  écoute, 
le  fens  total  ou  la  penfée  que  nous 
voulons  faire  naître.  L'ufage  de  la 
vie  nous  fournit  une  abondante 
provifîon  de  ces  différens  fecours  5 
^uç  l'habitude  &  Timitation  nous 


i  8  6        ouvres  pofikumcs 

font  enfuice  employer  au  befoin  & 

à  propos. 

Mais  il  s'en  faut  bien  que  tous 
les  peuples  du  monde  fe  fervent  des 
mêmes  mots  &  de  la  même  méthode 
pour  analyfer  leurs  penfées,& pour 
les  communiquer  aux  autres. 

Comme  chaque  langue  particu- 
lière eft  d mftitution  humaine,  & 
qu  elles  ont  été  formées  en  diffé- 
rentes fociétés  d'hommes  raflemblés 
en  certains  pays,  qui  ne  pouvoienc 
point  avoir  un  commerce  de  tous 
les  jours  &  de  toutes  les  heures  avec 
les  autres  peuples  j  de  -  là  eft  venu 
la  différence  dans  les  langages, 
aufïi-bien  que  la  variété  que  Ton 
remarque  dans  la  manière  de  s'ha- 
biller,  dans  les  mœurs,  dans  les 
goûts  &  dans  dautres  ufages.  Le 


de  M.  du  Marfais.  1 87 
climat  &  le  concours  de  mille  au- 
tres circonftances  apporte  auflî  des 
différences  dans  tous  les  points  j 
mais  pour  ne  parler  que  du  langage, 
obfervons  que  les  langues  différent 
entre  elles, 

I  ^  Par  la  nomenclature ,  e'eft-à- 
dire,  par  le  fon  particulier  des  mots. 
Nous  difons  le  Roi  ^  les  Latins  di- 
foient  Rcx  ^  les  Grecs  fictoiÀîuç. 

1.^  Les  langues  différent  par 
l'abondance  des  mots.  Il  y  a  des 
langues  bien  plus  riches  en  mots, 
&  même  en  lettres  que  d'autres 
langues.  Dans  les  langues  riches, 
les  penfées  font  analyfées  avec  plus 
de  détail,  de  netteté  &  de  préci- 
iion.  La  langue  hébraïque  eft  fore 
ftérile;  la  langue  grecque  eft  trèS' 
aboadante. 


î  8  8         ouvres  poJiJiumes 

On  peut  obferver  à  ce  fujet  qu^II 
ny  a  point  de  langue  qui  n'ait 
quelque  mot  qu'on  ne  fauroit  rendre 
en  nulle  autre  langue,  autrement 
que  par  une  pérîphrafe.  Par  exem- 
ple ,  nous  avons  règne  &  royaume; 
les  Latins  n'ont  que  regnum  ^  royau- 
me, &  s'ils  veulent  dire  fou^  le 
règne  d'AuguJie  ^  ils  ont  recours  à 
la  périphrafe ,  dans  le  temps  qu^Au^ 
gufie  régnoit  ^  Cous  Augufle  régnant: 
régnante  C^fare  Augufio. 

3.°  Il  y  a  dans  toutes  les  langues- 
des  façons  de  parler  particulières^ 
qu'on  appelle  idiotifnies  ou  phrafes 
d'une  langue. O/Zi^/V^eft  unephrafe 
de  la  langue  françoife. -5/  dice  ^  eft 
une  phrafe  de  la  langue  italienne. 
Il  arrive  fouvent  que  les  tra-< 
dudeurs  ne  peuvent  rejidre  ces  fa- 


de  M  du  Marfah.  189 
Çons  de  parler  par  d'autres  qui  y 
répondent  exademenrj  alors  on  a 
recours  à  des  équivalens,  ou  à  la 
périphrafe. 

Tous  les  mots  &r  toutes  les  façons 
de  parler  qui  ne  font  point  en  ulage 
dans  une  ration,  blefl'ent  les  oreil- 
les de  Ceux  qui  n'y  font  pas  accou- 
tumés 5  parcequ'il  faut  alors  que  les 
efprits  animaux  fe  fraient  dans  le 
cerveau  une  route  nouvelle. Ondoit, 
dans  ces  occafîons ,  fe  fervir  de  fa- 
çons de  parler  connues  qui  répon- 
dent, autant  qu'il  eft  poffible,  au 
fens  de  la   phrafe  étrangère.  Par 
exemple  :   comment  vous  portez- 
vous  ?   ne  fauroit  être   rendu   en 
latin  par  quomodo  fers  te?  Cette 
façon  de  parler  \2it\ïic:  dabis  p^nas^ 
qui  veut  dire  vous  en  fere\  puni  j 


t^o  QÈuvres  pojthiimes 
vous  en  porterez  la  peine  y  no.  îiM^ 
roit  être  exprimée  en  François  par 
vous  donnere\  les  peines.  Si  le  feu 
prend  à  la  maifon>  nous  crions  au 
feu;  les  Latins  crioient  les  eaux, 

Tcrrita  vicinos  Teïa  clamât  aquas. 
Propert.  lib.  IV.  Eleg.  ix.  Ce  qu'on 
ne  fauroit  bien  rendre  en  François 
qu'en  difant  :  Teie  épouvantée  vou-^ 
lant  faire  venir  les  voijîns  a  fon  fe-^ 
cours  j  fe  met  a  crier  au  feu ^  au  feu. 
Ce  qui  Fait  bien  voir  qu'avant  de 
compoFer  en  une  langue  ^  le  bon 
fcns  &  la  droite  raifon  demandent 
qu'on  ait  appris  par  Texpiication  les 
difFércntes  taçons  de  parler  propres 
à  cette  latiÊ^ue  :  en  un  mot  5  on  doit 
connoître  l'original  avant  que  de 
faire  des  copies.  Tel  eit  le  Fentiment 
de  tous  les  grands  Maîtres. 


âe  M^  du  Marfais.        \  $  t 

Outre  les  différences  arbitraires 
qui  diftinguent  les  langues  l'une  de 
lautre^  on  doit  obferver  que  toutes 
les  langues  conviennent  en  ce 
qu  elles  ne  forment  de  fens  que  pat 
îe  rapport  ou  la  relation  que  les 
înots  ont  entre  eux  dans  la  même 
propolicion.  Ces  rapports  font  mar- 
qués par  Tordre  fuccefîîf  obfervé 
dans  la  conftrudion  fîmple,  où  les 
mots  fe  divifent  en  détermines  & 
en  déterminans. 

Outre  cette  conftrudion  fîmpic 
&:  naturelle  qui  énonce  les  mots, 
félon  la  détermination  que  le  mot 
qui  fuit  donne  à  celui  qui  le  pré* 
cède,  il  y  a  encore  la  conftruction 
ufuelle  &  élégante,  félon  laquelle 
à  la  vérité  cet  ordre  eft  interrompu^ 
mais  il  doit  être  rétabli  par  iefprit. 


1^1  ouvres  pofthumes 
qui  n  entend  le  fens  -que  par  ceÊ 
ordre ,  &  par  la  détermination  fuc- 
ceflive  des  mots,  fur-tout  dans  les 
langues  qui  ont  des  cas.  Les  diffé- 
rentes terminaifons  de  ces  cas 
aident  refprit  à  rétablir  Tordre 
quand  toute  la  propofîtion  eft  finie; 

Tityre  j  tu  patuU  recubans  fub  teg-- 

mine  fagl  j 
Formofam  refonare  doccs  Amaryl-^ 

liia  Sylvas. 

.  Après  que  la  phrafe  eft  finie  >  Tef^ 
prit  aperçoit  des  rapports  de  tous 
les  corrélatifs,  &  les  range  félon 
Tordre  de  ces  rapports:  Tityre ^ 
m  recubans  fub  tegmine  fagi  pa^ 
tuU  y  doces  Sylvds  refofiare  Ama-- 
rylLida formofam.  On  trouve  dans 
Cicéron ,  tuas  accepi  litteras  y  & 
litteras  accepi  tuas  j  &  enfin  accepi 

Hueras 


de  M.  du  Marfah.  195 
iitteras  tuas.  Ces  trois  manières 
fignifienc  également:  J'ai  reçu  votre 
lettre,  parce  que  les  terminaifons 
indiquent  à  Tefprit  Tordre  iignifi^ 
catif. 

En  François,  dans  la  conftruc- 
tion  ufuelle  même,  on  fuit  commu- 
nément l'ordre  de  la  conftrudion 
fimplc,&:  l'on  ne  s'en  écarte  que 
quand  cet  ordre  peut  facilement 
être  aperçu  par  l'efprit.  Le  Roi 
aime  le  peuple  :  le  Roi  y  le  peuple  ^ 
voilà  les  noms  fans  aucune  variété 
d'inflexion^  &  par  conféquent  fans 
cas.  Mais,  félon  l'ordre  fucceiïîf  de 
leurs  relations^  le  Roi  étant  mis  le 
premier^  &  le  peuple  étant  placé 
après  le  verbe  j  c'eft  le  Roi  qui 
aime  ^  &  c'eft  le  peuple  qui  eft  aimée 
Ce  qui  eft  li  vrai^  que  fi  l'on  dit  U 

O 


î^4  (ouvres  pofihumes 
peuple  aime  le  Roi  :  cet  arrange- 
ment fait  un  autre  fens.  //  vient  ^ 
vient 'il?  ce  font  deux  fens  diffé- 
rens.  Le  dernier  marque  une  inter- 
rogation. Les  Latins  pour  la  mar- 
quer, fefervoient  de  certaines  parti- 
cules: nîim  ^  an^  numquid ^  &c. 

Il  faut  donc  non -feulement  en- 
tendre les  mots,  mais  on  doit  de 
plus  connoître  les  figncs  établis  dans 
une  langue,  pour  marquer  les  rap- 
ports que  Ton  met  entre  les  mots 
quand  on  fait  fanalyfe  des  penfées, 
fans  quoi  nous  ne  faurions  les  déve- 
lopper aux  autres.  Ceft  ce  qui  fait 
l'embarras  où  fe  trouvent  les  jeunes 
gens,  &  ceux  qui  ont  pafTé  dans  la 
folitude  les  premières  années  de  leur 
vie.  Quand  ils  veulent  énoncer  leurs 
penfées;)  ils  n  ont  point  acquis  une 


dcM.duMarfais.        \^% 

fuififante  provifîon  de  mots  ou  fî-; 
gnes  pour  développer  nettement  ce 
qu'ils  penfent,  félon  l'ufage  établi 
parmi  ceux  qui  ont  vécu  dans  le 
commerce  des  honnêtes  gens  d'une 
nation. 

La  connoiflance  du  figne  de  la 
relation  des  mots  eft  fî  néceflaire^ 
que  quand  même  vous  entehdrieii 
la  iimple  fignif^cation  de  tous  les 
mots  d'une  langue  ^  fahs  avoir  la 
connoifTance  du  figne  dont  nous 
parlons,  Vous  ne  pourriez  expliquer 
que  les  phrafes  dont  les  mots  fc- 
roient  arrangés  fuivant  l'ordre  que 
nous  fuivons  en  François.  Par  exem- 
ple ,  Phèdre  parlant  de  l'épouvante 
où  furent  les  grenouilles  après  que 
Jupiter  leur  eut  envoyé  un  hydre 
pour  roi^    dit:    Vocam   prjidudk 


r^ô        Œuvres  pofthumes 
metus.  Je  fuppofe   que   quelqu'un 
ne  connoilTe  point  le  fîgne  de  la 
relation  des  mots  latins,  &  que  ce- 
pendant il  fâche  que  vocem  fignifie 
la    voix  3   mctus  _,  la   crainte  ;    s'il 
traduit  félon  Tordre  où  il  trouve 
que  les  mots  font  placés  en  latin,  il 
dira  la  voix  leur  ferme  la  crainte  ; 
ce  qui  fera  un  contre-fens  ridicule. 
Mais  celui    qui  connoîc   le    figne 
établi  en  latin  pour  marquer  la  re- 
lation dont  nous  parlons,  voyant 
vocem  à  raccufatif,   &:    metus    au 
nominatif,     comprendra     d'abord 
Tordre  fîgnificatif  que  Phèdre  avoir 
dans    l'efpriti    quainii    l'auteur    a 
voulu  dire  que  la  crainte  étouffa  la 
voix  aux  grenouilles. 

Dans  la  conftrudion  qui  eft  en 
ufage  parmi  ceux  qui  eni^ndent  & 


de  M.  du  Marfais.        i^y 

qui  parlent  bien  une  langue,  on 
ufe  de  tranfpofîtions,  d'ellipfes  &; 
des  autres  jfîgures  qui  fans  nuire  à 
la  clarté  du  difcours,  y  apportent 
de  la  vivacité  &  de  l'agrément. 

Ceft  ainfî  que  Cicéron  a  dît: 
Diuturnl  jilentiï ^  quo  eram  his 
tcmporlbus  ufus  ^  Jînem  kodicrnus 
dits  attulit. 

Selon  la  même  manière^  M.  Flé- 
chier  a  dit:  «  Ce  fut  après  un  fo- 
n  lemnel  &  magnifique  facrifîce , 
y>  où  coula  le  fang  de  mille  vidi- 
»  mes  en  préfence  du  Dieu  dlfraël, 
y>  que  Salomon  déjà  rempli  de  foa 
33  efprit  &  de  fa  fagefle  y  fit  cex 
5ï  éloge  du  Roi  fon  père. 

Et  dans  la  Henriade: 
Sur  les  bords  fortunés  de  lantique  Idaîîc, 


.1 9  S        Oeuvres  poft humes 

Lieux  où  finit  lEurope,  &  commence 

rAfie, 
S'élève  un  vieux  Palais  refpedé  par   le 

temps. 

Ceux  qui  entendent  Tune  & 
Tautre  langue ,  conçoivent  aifémenc 
la  penfée  de  l'orateur  Romain, 
celle  de  l'orateur  François  &  celle 
de  notre  Poète  j  mais  ce  neft 
qu'après  que  Ton  a  achevé  de  lire 
l'enfemble  des  mots  qui  énoncent 
la  penfée.  De  plus,  obfervez,  i .''  que 
vous  ne  comprendriez  rien  dans 
ces  exemples,  fi  vous  n'entendiez 
la  nomenclature,  c'eft-à-dire,  la 
fîgnificacion  de  chaque  mot  parti- 
culier. En  fécond  lieu,  vous  n'y 
comprendriez  rien  non  plus,  fi  par 
une  vue  de  l'efprit  vous  ne  rappro- 
chiez les  mots  qui  ont  relation  Tua 


de  M.  du  Marfais.        1 99 

à  lautre.  Ce  que  vous  ne  pouvez 
faire  qu'après  avoir  entendu  toute 
la  phrafe.Par  exemple,  fî  vous  avez 
quelque  ufage  du  latin ,  lorfque  vous 
lifez  la  phrafe  que  je  viens  de  rap- 
porter de  Cicéron,  en  jetant  les 
yeux  fur  diuturni  Jilentii  y  vous 
voyez  bien  que  ces  deux  mots  ont 
la  terminaifon  du  génitif,  &  qu'ils 
.  ne  peuvent  lavoir  que  parcequils 
fe  rapportent  à  quelque  nom  fubf- 
tantif,  &  vous  apercevrez  que  ce 
nom  ne  peut  être  que  finem.  Vous 
dites  âionc  finem  filentii  diuturni; 
mais  finem  étant  à  Taccufatif,  vous 
le  rapportez  à  attulit  ^  attulit  fi- 
nem diuturni  filentii.  Vous  voyezi 
aufli  Q^attulit  cft  à  la  troifième 
pcrfonne  du  fîngulier,  ce  qui  fup- 
pofe  un  nom  iîngulier  de  la  troi- 

04 


**.oo        (Êuvres  poflhume^ 

fième  perfonne,  &  ce  nom  vous  îe 
trouvez  en  dies  hodiernus.  L'ufage 
de  la  langue  vous  ayant  donné  la 
peixeption  de  ces  différens  rapports^ 
vous  entendez  la  penfée  de  Cicéron 
^ufli  facilement  que  s'il  avoit  dit: 
Dies  hodiernus  attulit  jînem  diu- 
turni  Jîlentu.  S'il  y  a  quelque  cif- 
conftance  accidentelle,  ou  de 
temps 5  ou  de  lieu,  ou  de  manière, 
&c.  elles  n'empêchent  pas  d'aper- 
cevoir les  relations  eiTcntielles  dont 
nous  parlons. 

Mais  puifqu'il  faut  que  Tefprit 
aperçoive  cqs  divers  rapports  5  pour- 
quoi Cicéron  ne  s'eft-il  point 
énoncé  félon  l'ordre  de  la  relatiori 
des  mots  ?  c'eft  que  les  Latins  ayant 
çontradé  dès  l'enfance  l'habitude^ 
^e  démêler  avec  facilité  cqs  diver-. 


] 


de  M.  du  Marfais.        20 r 

fcs  relations^par  la  différence  &:  la 
dcftinacion  des  terminaifons ,  ils 
ecoient  moins  attachés  à  fuivre  fcm- 
puleufement  Tordre  (te  &  meta- 
phyfique  de  ces  relations  aifées 
pour  eux  à  apercevoir,  qu'ils  ne- 
toient  fenfibles  à  l'harmonie  ,  au 
nombre,  au  rithme  que  produit  un 
certain  arrangement  de  fyllabes  & 
de  mots  pour  ceux  qui  ont  un 
grand  ufage  de  la  langue  i  &  ils  aï- 
moient  mieux  fuivre  les  faillies  de 
rimagination  qui  conduit  fon  pin- 
ceau comme  il  lui  plaît,  que  de 
s'àftreindre  à  la  féchereffe  de  l'ordre 
grammatical.  D'un  cotè^  Tufage 
de  la  langue  leur  donnoit  l'intellî- 
gcnce,  &  de  l'autre  l'arrangemenE 
des  mots  leur  procuroitl'agrémenç- 
^  l'harmonie   à   quoi  ils   étokpç 


201  (Euvres  pofikumes 
très-fenfibles,  à  caufe  de  leurs  lon- 
gues &  leurs  brèves,  &  de  leur 
manière  de  prononcer ,  qui  étoic^ 
une  efpèce  de  chant.  Tout  cela 
étoit  bien  plus  marqué  parmi  les 
anciens  quil  ne  left  aujourd'hui 
parmi  nous ,  quoique  nous  ne  foyons 
pas  dépourvus  de  ces  agrémens. 

Mais  remarquez  que  foit  en  la- 
tin ^foit  en  François,  ou  dans  toute 
autre  langue,  le  déplacement  des 
mots  ne  doit  pas  tellement  fervir 
rharmonie  &  l'imagination,  qu'il 
nuife  à  l'intelligence  &  à  la  clarté 
du  difcours,  c'eft-à-dire,  que  ce 
déplacement  ne  doit  pas  être  un 
obftacle  qui  empêche  l'efprit  de 
celui  qui  lit  ou  qui  entend,  de  dé- 
mêler, après  que  la  phrafe  eft  finie  ^ 
les  différentes  relations  que  celui 


de  M.  du  Marfais.  103 
qui  a  écrit  a  mifes  entre  les  mots, 
ou  que  celui  qui  parle  y  met.  Le 
but  eilentiel  du  difcours,  c'eft  que 
Ton  foit  entendu.  Les  agrémens 
ont  leur  prix,  mais  ce  ne  font  que 
des  acceffoires.  C  eft  ainfî  que  Ton 
n'a  inventé  les  habits  que  pour  fe 
garantir  des  injures  de  l'air,  quoi- 
que dans  la  fuite  on  les  ait  fait 
fervir  à  la  parure* 

Ainfî,  lorfque  nous  parlons  une 
langue  qui  nous  eft  connue,  &  que 
cette  langue  eft  familière  à  ceux 
qui  nous  lifent  ou  qui  nous  écou- 
tent, nous  devons  analyfcr  nos 
penfées  par   le   fecours  des  mots 

fclon  Ja  manière  la  plus  générale- 

roent  ufitée  parmi  les  honnêtes  gens 

de  la  nation. 

.  Ceft  cette  manière  qu'on  appellç 


îL  04        (Havres  pojlhumes 
conjirucîion   élégante  ^  conflruaion 
ordinaire  ^  conflruciion  ufuelle  ou 
d'ufage. 

Mais  cette  manière  ne  peut  être 
entendue  que  par  la  perception 
àzs  relations  ou  rapports  que  les 
mots  ont  entre  eux  dans  1  efprit  de 
celui  qui  parle >  foit  qu'il  les  ex- 
prime tous,  foît  qu'il  n'en  énonce 
qu'une  partie. 

Remarquez  que  lorfquil  s'agit 
de  faire  entendre  une  langue  à 
ceux  à  qui  cette  langue  eft  incon- 
nue ,&  fur-tout  une  langue  morte, 
il  eft  plus  naturel  &  plus  facile  de 
faire  d'abord  lanalyfe  des  penfées 
félon  l'ordre  de  la  relation  des 
mots  5  &  c'eft-là  une  autre  forte 
d'analyfe  dont  j'entends  parler. 

Puifque  ceux  mêmes  qui  entea^ 


de  M.  du  Marfdis.       105 

tfent  une  langue  morte  ne  lentcn* 
dent  que  par  la  perception  de  la 
relation  des  mots^  il  eft  indifpenfa- 
ble  de  faire  apercevoir  ces  relations 
à  ceux  qui  veulent  apprendre  une 
langue.  Or  cette  opération  neft- 
elle  pas  plus  facile,  11  Ton  déplace 
les  mots  qui  interrompent  les  rela- 
tions, &  qu'on  les  range  tous  félon 
Tordre  du  rapport  qui  eft  entre  eux? 
C'eft  un  facrifice  indifpenfable  que 
rélégance  &    l'harmonie    doivent 
faire  à  l'intelligence  j  &'  voilà  pour- 
quoi, quand  on  explique  un  auteur 
latin  dans  les  premières  clafTes ,  on 
en  fait  ce  qu'on  appelle  la  conf- 
truclion.  Ce  qu'on  pratique  à  cet 
égard  de  vive-voix  dans  les  col- 
lèges, peut  fort  bien  être  exécuté 
par  écrit;  afin  de  faciliter  les  répé- 


io<?  Œuvres  pojlkuinès 

tïtions,  &  que  ceux  qui  veulent  âp* 
prendre  puilTent  toujours  avoir  un 
maître  tout  prêt. 

Par-là  ils  peuvent  plus  facîlemene 
étudier  les  originaux ,  obferver  la 
différence  de  la  conftrudtion  élé- 
gante d'avec  celle  qui  n'a  d'autre 
but  que  de  donner  Tintelligence, 
&  qui  bien  que  moins  ufîtée  eft 
Tunique  fondement  de  celle  qui  eft 
en  ufage.  Enfin,  par  ces  obferva- 
tions,  on  fe  trouvera  en  état  d'en- 
tendre les  meilleurs  auteurs» 

Tel  eft  le  but  que  Ton  doit  fè 
propofer  dans  la  conftrudion  du 
texte  des  auteurs  latins» 

Au  refte,  on  doit  faire  cette 
conftrudion,  non  félon  le  françois, 
ainiî  que  quelques  perfonnes  le  pu- 
blient, mais  félon  Tordre  lignificatif 


de  M.  du  Marfais.  loy 
des  mots  de  toutes  langues  i  &  telle 
cft  la  relation  que  l'efprit  de  tout 
auteur  met  entre  les  membres  de 
chaque  proportion  particulière  de 
fon  difcours. 

Ainfî ,  la  phrafe  de  Cicéron  que 
j'ai  rapportée  plus  haut  fera  rangée 
de  cette  forte  :  Dies  hodiernus  at^ 
tulit  finem  fUendi  diuturni  ^  quo 
eram  ufus  in  kis  tewporibus. 

La  phrafe  de  M.  Fléchier ,  quand 
on  veut  en  faire  entendre  la  conf- 
trudion  à  un  étranger  3  doit  être 
rangée  ainfî  : 

Ce  y  a  [avoir  que  Salomon  déjà 
rempli  de  la  fagejfe  ù  de  Vefprit 
de  Dieu  ^  fit  cet  éloge  du  roi  fi)n 
père  ;  cela^  dis- je ,  fut  ^  c'cft-à-dire , 
arriva  après  un  facrifice  folemnel 


%oS         (Eavres  pojîhumes 

&  magnifique  ^  ou  k  fang  de  mille 

viclimes  coulué 

Dans  la  même  vue,  les  vers  de  la 
Henriade  doivent  être  conftruits 
félon  Tanalyfe  donc  il  s'agit  en  la 
manière  qui  fuit.  Un  vieux  palais 
refpcclé  par  les  temps  s' élevé ^ 
c'eft-à-dire,  eft  élevé,  eft  bati  fiir 
les  bords  fortunés  de  VIdalie  an- 
tique ^  lieux  ou  l'Europe  finit  ^  ù 
ou  VAfie  commence. 

Le  but  de  cette  forte  d'analyfe 
n  eft  que  pour  donner  Tintelligence, 
&  faire  apercevoir  les  rapports  des 
mots  à  ceux  qui  veulent  apprendre 
une  langue,  ou  entendre  un  au-* 
teur  difficile  à  leur  égard* 

Il  y  a  une  grande  injuftice,  ou 
peu  de  bonne  foi,  ou,  ce  qui  me 

parole 


de  M.  du  Marfais.  109 
paroît  plus  vraifemblable  &  plus 
digne  d  excufe  ^  il  y  a  bien  peu 
de  lumière  dans  ceux  qui  publient 
que  cette  manière  éloigne  les  jeunes 
gens  de  1  élégance.  Ceft  précifé- 
ment  tout  le  contraire.  Cette  ana- 
lyfe  fait  voir  les  fondemens  de  la 
conftrudtion  élégante  j  &  quand  une 
fois  on  entend  bien  le  fens  de  ce 
qu'on  lit,  on  prend  avec  bien  plus 
de  facilité  le  goût  de  la  conftrudion 
élégante  ,  par  la  fréquente  ledurc 
du  texte  de  l'auteur.  On  y  obfcrve 
les  tranfpofîtions,  les  ellipfes  &  tout 
ce  qui  rend  le  difcoursplus  vif ,  plus 
harmonieux,  &  le  fait  lire  avec 
plailîr  &  avec  goût.  Je  prends  à 
témoin  ce  grand  nombre  de  per- 
fonnes  qui  ont  négligé  leurs  études 
pendant  le  temps  précieux  qui  y 

P 


^lô         (Euvres  pofthumes 

écoit    deftiné.    Il    leur    eft    arrivé  * 

quelquefois  dans  la   fuite    d'avoir 

ouvert  un  Horace  ou  un  Virgile, 

&  d'avoir  refermé  le  livre  par  la 

feule  raifon  qu'ils  n'y  comprenoient 

rien. 

Il  y  a.  par  exemple ,  bien  plus 
d'harmonie  à  dire  avec  Fléchier 
dans  le  ftyle  élevé,  ou'  coula  le 
fcing  de  mille  victimes  .  qu'à  luivre 
l'ordre  de  la  conftrudion  que'  nous 
avons  rapporté. 

Je  pourrois  ajouter  ici  plufieurs 
autres  exemplesjpour  faire  voir  que 
nous  avons  aufli  des  inveriions  en 
fr^içois  \  mais  elles  doivent  toujours 
être  de  façon  à  ne  point  caufer  d'é- 
quivoques, &  ne  doivent  point  em- 
pêcher fefprit  d'apercevoir  aifé- 
ment  les  différentes  relations  des 


de  M.  du  Marfais.        i  r  il 

mots,  ainfi  que  nous  l'avons  déjà 
remarqué. 

Ce  n  eft  pas  feulement  lorfque 
les  mots  font  déplacés  &  tranfportés 
félon  la  conftrudion  ufuelle  &  élé- 
gante, qu'on  doit  les  ranger  fuivanc 
Tordre  de  leur  relation  refpedive  > 
on  doit  encore  fuivre  cet  ordre 
ou  cette  féconde  forte  d'analyfe^ 
lorfque  dans  la  phrâfe  élégante  tous 
les  mots  ne  font  pas  exprimés  ainfî 
qu'ils  le  feroient  iî  quelque  raifon 
particulière  n  étoit  pas  la  caufe  de 
leur  fupprefîion. 

Comme  nous  faiiliTons  toute 
notre  perifée  par  uti  feul  point  dé 
Vue  de  Tefprit,  lious  aimons  à  abré- 
ger le  difcours,  &  à  le  faire  répon- 
dre 5  autant  qu'il  eft  poffible,  à  k 
fimplicité  &  à  l'unité  de  la  penfée^ 


iii       Œuvres  pofthumes 

Àinfî,  dans  les  circonftances  où 
nous  jugeons  qu  un  mot  ou  deux 
fuififent  pour  nous  faire  entendre, 
nous  nous    difpenfons   d'exprimer 
les  autres  mots  établis  félon  l'ana- 
logie &  Tufage  de  la  langue  ,  pouf 
énoncer  en  détail  toute  la  penfée. 
Si  nous  nous  exprimions  alors  tout 
au  long,  nous  nous  fervirions  de 
plufîeurs  mots  qui  devenus  inutiles 
par  les    circonftances ,   ne  fourni- 
roient  aucune  occupation  à  Tefprit. 
Quand  une  fois  on  a  préfenté  à 
Tefprit   tout  ce   qu'on   veut    qu'il 
failîfte,  &  qu'on  s'aperçoit  qu'il  l'a 
faifî,  c'eft  le  bleffer  que  de  lui  faire 
prendre  la  peine  d'écouter  ce  qui 
n'ajoute  rien  de  nouveau  à  la  penfée 
qu'on  y  a  fait  naître. 

Telle  eft  la  caufe  de  toutes  ces 


de  M.  du  Marfais.        1 1  5 

propofîtions  abrégées  qui  font  en 
nfage  non-feulement  dans  la  con- 
verfation,  mais  encore  dans  les 
meilleurs  auteurs  en  toutes  les  lan- 
gues. Quand  viendrez  -  vous  ? 
demain.  Il  cft  évident  que  ce  feul 
mot^  demain^  préfente  à  Tefprit  de 
celui  qui  a  fait  l'interrogation,  un 
fens  complet  qui  ne  peut  être  ana- 
lyfé  en  détail  que  par  ces  mots:  Je 
viendrai  demain. 

Dans  Corneille  5  le  père  des  trois 
Horaces  ne  fâchant  point  encore 
le  motif  de  la  fuite  de  fon  fîls,  ap- 
prend avec  douleur  qu'il  a  fui 
devant  les  trois  Curraces  :  Que  vou- 
lie^'vous  qu'il  fît  contre  trois  ^  lui 
dit  Julie?  qu'il  mourût ^  répond  le 
père.  Or  vous  voyez  que  ces  mots,, 
quilmourât^^Tiékntcnt  un  fens  total 


I.I4        (S.uvres  pofthumes 
dont  ranalyfe  eft:  J' aurais  mieux 
aimé  qu^ il  mourût  ^  que  de  le  voir 
couvert  de  honte  ù  d^ infamie  par 
la  fuite. 

Dans  une  autre  tragédie  de  Cor- 
neille y  Prufîas  die  qu  il  veut  fe  con- 
duire tn  père  y  en  mari:  Nç  foye\ 
ni  Vun  ni  l'autre  ^  lui  ditNicomède. 
Prufias  répond:  Et  que  dois  -je 
être?  Roi  y  réplique  Nicomède.  Ce 
feul  moti^o/^excite  dans  Tefprit  un 
fens  total  qui  eft  aifément  entendu 
par  ce  qui  précède,  &  qui  ne  peut 
être  énoncé  en  détail  que  par  la 
proposition  entière:  J^ous  deve'^ 
vous  conduire  en  Roi;  vous  deve^y 

Obfervez  que  tous  ces  mots  ifor 
lés  font  toujours  conftruits  dans 
çoiues  les  langues  de  la  même  ma- 


de  M.  du  Marfais.  1 1  5 
nière  qu'ils  le  feroient/i  le  fens  qui 
cft  dans  refpric  de  celui  qui  parle 
étoic  énoncé  en  détail  par  une  pro- 
poiition  entière  ;  ce  qui  eft  encore 
plus  fenfîble  en  latin  ^  à  caufe  de 
la  différence  des  terminaifons. 

Quand  on  voit  un  étourdi  qui , 
fans  conduite  &  fans  lumières,  fc 
mêle  de  donner  des  avis  à  un  hom- 
me fagc  &  inftruic  j  Oe fi  gros  Jcan^ 
difons  -  nous  5  qui  remontre  a  fi^ri 
Curé.  Les  Latins  en  pareil  cas  di- 
foient  :  Sus  Mznervam  ;  c'eft  un 
cochon,  un  animal,  une  groile 
bête  qui  veut  donner  des  leçons  à 
Minerve,  déelfe  de  la  fageife,  de 
la  fcience  ^  des  beaux  arts.  Pour- 
quoi le  premier  de  ces  deux  mots 
eft -il  au  nominatif  &  le  fécond  à 
racçufatifî  c'eft  que  fi  la  penfée  que 

P4 


Il  6        Œuvres  pojihume  S 

ces  deux  mots  excitent  dansrefprk 
de  celui  qui  parle  &  de  celui  qui 
écoute  5  étoit  exprimée  en  détail 
félon  l'ufage  de  la  langue  latine  > 
on  diroit  :  Sus  docet  Mincrvam  ; 
ainfî^y^/ieft  au  nominatif ^ parce- 
qu'il  eft  le  fujet  de  lapropofîtion5& 
Mincrvam  eft  à  laccufatif,  parce- 
qu'il  eft  le  terme  de  l'adion  de 
docet  ou  doceat  ^  quoique  ce  mot  ne 
foit  pas  exprimé.  Ainfi,  ces  mots 
îfolés  ont  une  véritable  relation  à 
ceux  avec  lefquels  ils  exprimeroient 
le  fens  total  qui  eft  dans  l'efprit  de 
celui  qui  parle,  fi  la  conftrudion 
étoit  pleine  &  entière. 

Sur  le  rideau  ou  la  toile  de  la 
comédie  italienne  on  lit:  Sublato 
jure  nocendi.  Pourquoi  ces  trois 
mots  font-ils  dans  des  cas  obliques  \ 


de  M.  du  Marfals.  z  i  y 
c'efl:  que  les  circonftances  du  lieu, 
6c  ee  qu'on  fait  qui  s  y  palTe,  réveil- 
lent  dans  refprit  de  tout  homme 
inftruit  un  fens  qui  feroit  exprimé 
tout  au  long  en  ces  termes  :  Ride- 
mus  vitiafub  jure  nocendi  fublato. 
Nous  rions  ici  des  défauts  d^ autrui ^ 
fans  nous  permettre  de  blejfer  per- 
fonne. 

Il  en  eft  de  même  du  fameux 
quos  ego  de  Virgile,  du  quid  ais 
omnium  de  Térence,  &  de  tous  les 
autres  exemples  pareils,  où  les  mots 
ne  peuvent  jamais  être  conftruits 
que  dépendamment  de  la  relation 
qu'ils  ont  avec  ceux  qu'on  exprî- 
meroit  (î  la  penfée  étoit  énoncée 
en  détail. 

Ainfi,  en  toute  langue,  les  mots 
exprimés  ou  fous -entendus   font 


z  1 8  Œuvres  poflkumes 
toujours  conftruits  félon  le  fîgne  du 
rapport  qu'ils  ont  entre  eux  dans  la 
même  proportion.  Ceft-là  le  prin- 
cipe fondamental  de  toute  fyntaxe; 
c'eft  le  fil  d' Ariane,  qui  doit  nous 
conduire  dans  le  labyrinthe  des 
tranfpofitions  &  des  ellipfes.  On 
doit  toujours  rapprocher  les  mots 
de  leurs  corrélatifs,  &  exprimer 
ceux  qui  font  fous-entendus,lorfque 
Ton  peut  pénétrer  le  fens  de  Tau- 
teur  qui,  dans  le  temps  même  qu'il 
ne  renonce  qu'en  peu  de  mots, 
parle  toujours  conformément  à  l'a- 
nalogie de  fa  langue ,  &  imite  les 
façons  de  parler  où  tous  les  mots 
font  exprimés.  Ce  n'efl:  que  par 
cette  imitation,&  en  vertu  de  cette 
uniformité,  que  ces  énonciations 
abrégées  peuvent  être  entendues. 


de  Al.  du  Marfals.        z  1 9 

Cette  remarque  nous  auroit 
épargné  bien  des  règles  inutiles  & 
embarraffantes  de  la  méthode  vul- 
gaire. M.  l'abbé  Girard,  de  l'Aca- 
démie Françoife,  dit-que  ces  règles, 
quoique  faites  pour  nous  guider> 
nous  égarent  dans  un  labyrinthe 
d'exceptions ,  d'où  il  ne  réfulte 
qu'un  cahos  dans  l'imagination,  & 
un  poids  afTommant  pour  la  mé- 
moire»  Tome  premier  y  pag.jo.  «Cç 
o:»  qui  fait^ajoute-t-il,  que  l'efprit  des 
»  jeunes  gens  eft  continuellemenc 
9^  dans  l'incertitude,  &  flotte  entre 
3i  un  flux  &  reflux  perpétuel  de 
3?  règles  &  d'irrégularités.  »  Tome 
premier  3  pag.  ^6. 

Eu  effet,  ces  règles  ne  font  pas 
tirées  du  rapport  établi  en  toutes 
langues  çntre  les  penfées  ^  les  f;^ 


zio  Œuvres  pojlhumes 
gnes  deftinés  à  les  exprimer.  Par 
exemple,  le  refponfif,  die -on,  doit 
être  au  même  cas  que  Tinterrogarit 
Quis  te  redemït  ?  Ç^.  Chriflus. 
Cknftus ^  dit  oTi,  eft  au  nominatif,, 
parceque  l'interrogatif  quis  eft  au 
nominatif.  Cujus  efl  liber?  ^.  Pétri. 
Pétri  eft  au  génitif,  parceque 
cuJus  eft  au  génitif. 

Cette  règle,  ajoute-t-on,  a  deux 
exceptions,  i.°  fî  vous  répondez 
par  un  pronom,  ce  pronom  doit 
être  au  nominatif.  Cujus  ejl  liber  ? 
^.  Meus.  1°  Si  le  refponfif  eft  un 
nom  de  prix ,  on  le  met  à  l'ablatif* 
Quanti  emi/ii  ?  '^.  decem  ajjibus. 

Pour  moi,  qui  connois  l'inurilité 
de  toutes  ces  règles,  &  qui  fuis  per- 
fuadé  qu'au  lieu  d'éclairer  &  de 
former  la  raifon  des  jeunes  gens  3 


de  M.  du  Marfais.  an 
elles  ne  font  propres  qu  a  leur  ga- 
rer refprit,  parcequ  elles  n'ont  au- 
cun fondement  dans  la  Nature ,  &: 
que  ce  ne  font  point  ces  règles  qui 
ont  guidé  ceux  qui  les  premiers  ont 
fait  ufage  de  la  parole,  je  les  réduis 
toutes  à  la  connoiflancc  de  la  pro- 
pofîtion  5  de  la  période  &  des  fi- 
gnes  des  différentes  relations  que 
\q,s  mots  ont  entre  eux  dans  la  mê- 
me proportion j  caries  mots  dune 
proportion  ne  fe  conftruifent  pas 
avec  ceux  d'une  autre  propofîtion. 
Il  n'y  a  de  conftrudion  qu'entre  les 
mots  de  la  même  propoiition^parce- 
qu'il  n'y  a  d'affemblages  de  mots 
propres  à  former  un  fens  félon  l'inf- 
titution  d'une  langue,  qu'autant 
qu'il  y  a  de  fens  particuliers  à  ex-: 


izl  (Euvres  pojlhumes 
primer.  Ainfi,  les  mots  ne  doivenè 
concourir  entre  eux  qu  a  exprimer 
chacun  de  ces  fens  particuliers,  au- 
trement tout  feroit  confondu-  Quîs 
te  redemit  ?  Voilà  un  fens  particu- 
lier^avec  lequel  les  mots  de  la  ré- 
ponfe  nont  rien  de  commun  par 
rapport  à  leur  conftrudionj  &  fi 
on  répond  Chrijius ^  ceft  que  lé 
répondant  a  dans  Tefprit  Ckrifius 
redemit  me,  Ainfî,  Chrijias  eft  au 
nominatif,  non  par  la  raifon  de 
quis  ^  mais  parceque  Chriftus  eft  le 
fujetde  la  propofition  du  répondant^ 
qui  auroic  pu  donner  un  autre  tour 
à  fa  réponfe,  fans  en  altérer  le 
fens.  Cujus  eji  liber?  ^.  Petri^ 
c'eft-à-dire,  kic  liber  eji  Lber  Petru 
Cujus  eft  liber?  ^.  meus  ^  c'eft  -  à- 


de  M.  du  Marfais.         113 

dire,  klc  liber  efi  meus.  Quand 
einifli  ?  ^.  decem  ajjibus  ,  c  eft  -  à- 
dire,  eml pro  decem  ajjibus. 

Les  mots  étant  une  fois  trouvés  > 
&  leur  valeur  ainfi  que  leur  defti- 
nation  &  leur  emploi  étant  déter- 
miné par  Tufage  5  l'arrangement  que 
Ton  en  a  fait  dans  la  propofîtion, 
félon  Tordre  de  leur  relation ,  eft 
la  manière  la  plus  fîmple  danalyfer 
la  penfée. 

Tâchons  donc  de  donner  de  la 
proportion  &;  de  la  période  la 
connoiflance  néceflaire  à  tout 
Grammairien  judicieux. 

Je  fais  bien  qu'il  y  a  des  Gram- 
mairiens dont  l'efprit  eft  aiTez  peu 
philofophique  pour  défapprouver 
la  pratique  que  je  propole.  Ils  veu- 
lent qu'on  s'en  tienne  feulement  à 


5^4  (ouvres  poflhumes 
un  ufage  aveugle,  comme  fi  cette 
pratique  avoît  d'autre  but  que  de- 
clairer  le  bon  ufage,  &  de  le  faire 
fuivre  avec  plus  de  lumière,  par 
conféquent  avec  plus  de  goût. 
Comme  les  perfonnes  dont  je  parle 
fe  rendent  plutôt  à  Tautorité  qu  a 
la  raifon,  je  me  contente  de  leur 
oppofer  ce  pafTage  de  Prifcien, 
Grammairien  célèbre,  qui  vivoit  à 
la  fin  du  cinquième  fiècle  6c  au 
commencement  du  fixième  : 

Sicut  rccla,  ratio  fcripturx  docet 
litttrarum  congruam  juncluram  ^  Jic 
etiam  reclani  orationis  compojîno- 
nem  ratio  ordinationis  ojlendit.  So- 
ht  qujiri  caufa  ordinis  elementorum ^ 
jïc  etiam  de  ordinatione  cafuum^  ù 
ipfarum  partium  orationis  foLet 
^u^ri:  quamyis  quidam  fu,c  fola- 

tium 


de  M.  du  Marfais.  î  i  j 
iium  impcritU  quxrentes  ^  aiunt 
non  oponere  de  hujufmodi  rébus 
qu£rere  y  fufpicantes  fortuïtas  ejfc 
ordifiationis  pofitwnes ;  quod  exijii^ 
mare  penïtus  fiultum  efl.  Si  autem 
in  quibufdam  concedunt  ejje  ord'ina- 
îionem  y  necejfe  efl-etiam  in  omni- 
bus eam  concedere  (  £  ). 

A  lautorité  de  cet  ancien  Gram- 
mairien^ on  fe  contentera  d'ajouter 
celle  d'un  célèbre  Grammairien  du 
XV^  fiècle,  qui  âvoit  été  pendant 
plus  de  trente  ans  Principal  d'un 
fameux   collège   d'AllemagnCé 

In  grammatica  diclionum  fytt- 
taxi  y  puerorum  plurimum  intereji 
ut  inter  exponendum  ^  non  modo 
fcnfum  3  pluribus  verbis   utcuhque 


(i)  Prifcianus,  de  ConflruSionc  >  lib.XIX,  fub 
initiOà 


%t6  Œuvres  poflhumes 
ac  confuse  coacervads^  reddantyfci 
digérant  etiam  ordine  grammatico 
voces  alîcujus  pcriodi  ^  qu£  alioqui 
apud  autores  acri  aurium  judicio 
confulentes  y  rhctoricâ  compojidonc 
commijfd  funt. 

Hune  verborum  ordïnem  apueris 

in  interpretando  ad  unguem  exi-^ 

gère  y  quidnam   utilitads   afferat  ^ 

ego  ipfe  y  qui  duos  &  triginta  jam 

annos  Phronûjierii fordes  ^  molefiias 

ac  curas  pertuliy  nonfemel  expertus 

fum.  Illi  enim   hac  via  fixis  ^  ut 

aiunt  y  ocuds  intuentur  y  accuradus- 

que  animadvertunt  y  quot  voces  fen^ 

film  abfolvant  y  quo   pdcîo  dicdo^ 

num  Jirucîura  cohareat  y  quot  modis 

fnguds  nominibus  fngula    verba 

refpondeant.    Quod    quidem   fieri 

nequit  y  pr^cipue    in    longiufculâ 

periodo  y    nifi    hoc    ordine    veluti 


de  M.  du  Marfais.  117 
per  fcalarum  gradus  per  fingulas 
pcriodi  partes  progredîantur  (i). 


(i)  Gratpmaticae  ani&  inftitutio  per  Joannem 
Fufembrotum  Ravenfpurgi  ludi  magiftrum  jam 
icnuo  accuratè  concinnata.  BafiUœ  ^  an,  iCz^^ 


DE 


DELA 

CONSTRUCTION 

GRAMMATICALE. 

1-j  N*  termes  de  Grammaire  ,  on  appelle 
€onJlruclLon^  1  arrangement  des  mots  dans 
le  difcours.  Le  mot  eft  pris  ici  dans  un  lens 
métaphorique  j  &  vient  du  latin  5  conjlruerc^ 
conftruire,  bâtir,  arranger. 

La  conftrucftion  eft  vicieufe,  quancf  les 
mots  d'une  phrafe  ne  font  pas  arrangés  fe-* 
Ion  lufage  d une  langue.  On  dit  qu une 
coliftrudion  eft  grecque  ou  latine  j  lorfque 
ks  mots  font  rangés  dans  un  ordre  confor- 
me à  Tufage  5  au  tour ,  au  génie  de  la  langue 
grecque ,  ou  à  celui  de  la  langue  latine. 

Conftruclion  louche.  C'eft  lorfque  Iqs 
mots  font  placés  de  façon  qu'ils  femblent 
fe  rapporter  à  ce  qui  précède  ,  pendant 
qu  ils  fe  rapportent  réellement  à  ce  qui  fuit. 

On  a  donné  ce  nom  à  cette  forte  de  con- 

R 


%  3  o  Principes 

ftrudion  ,  par  une  métaphore  tirée  de  ce 
que  dans  le  fens  propre ,  les  louches  fem- 
blent  regarder  d  un  côté  5  pendant  qu'ils 
regardent  d'un  autre» 

On  dit  Conjlruclion  pleine  ^  quand  011 
exprime  tous  les  mots  dont  les  rapports 
fucceffifs  forment  le  fens  que  Ton  veut 
énoncer.  Au  contraire  5  la  conjlruclion  eft 
elliptique  j  lorfque  quelqu'un  de  ces  mots 
cfi:  fous-entendu. 

Je  crois  qu'on  ne  doit  pas  confondre 
conjlruclion  avecjyntaxe.  Conftru6tion  ne 
préfente  que  Tidée  de  combinaifon  &  d'ar- 
rangement. Cicéron  a  dit,  félon  trois  corn-* 
binaifons  différentes  5  ^cc^/7i  Hueras  tuas; 
tuas  accepi  litteras  j  8c  Htteras  accepi  tuas, 
'  Il  y  a  là  trois  conjlruclions  différentes ,  puif- 
qu'il  Y  a  trois  diftérens  arrangemens  de 
mots  :  cependant  il  ny  a  qu'une  fyntaxe  -, 
car  dans  chacune  de  ces  conftru£bions  5  il  y 
a  les  mêmes  fignes  des  rapports  que  les  mors 
ont  entre  eux  :  ainlî  ces  rapports  font  les 
mêmes  dans  chacune  de  ces  phrafes.  Cha- 
que mot  de  lune  indique  également  le  mê- 


âc  Grammaire^  431; 

ïne  cotrélatif  qui  eft  indiqué  dans  chacune 
des  deux  autres  :  en  forte  qu'après  qu'on  a 
achevée  de  lire  ou  d'entendre  quelqu'une 
de  c^%  trois  propofitions/reiprit  voit  éga- 
lement que  litteras  eft  le  déterminant  d'^c- 
ctpi  ;  que  tuas  eft  1  adjedif  de  litteras^ 
Ain(î  5  chacun  de  ces  trois  arrangemens 
excite  dans  Tefprit  le  même  kns^Tal  reçu 
votre  lettre.  Or  ce  qui  fait  en  chaque  lan** 
gue  5  que  les  mots  excitent  le  fens  que  Ton 
veut  faire  naître  dans  refprit  de  ceux  qui 
favent  la  langue  jc'eft  ce  qu'on  appelle^/z- 
taxe.  La  fyntaxe  eft  donc  la  partie  de  la 
Graiiimaire  qui  donne  la  connoiflance  des 
iîgnes  établis  dans  une  langue  pour  exciter 
un  lens  dans  Tefprit.  Gesfîgnes,  quand  on 
en  fait  la  deftination  5  font  connoître  les 
rapports  fuccefîîfs  que  les  mots  ont  entre 
eux.  G'eft  pourquoi ,  lorfque  celui  qui  parle 
où  qui  écrit  s'écarte  de  cet  ordre  ,  par  des 
tranfpo^îtions  que  l'ufage  autotife ,  l'efpric 
de  celui  qui  écoute  ou  qui  lit ,  rétablit  ce- 
pendant tout  dans  i  ordre  >  en  vertu  des 


%j2^  Principes 

figues  dont  nous  parlons  5  &  dont  il  COxi 
Koîtla  deftination  par  ufage. 

Il  y  a  en  toute  langue  trois  fortes  de  con-i 
ftrudtions ,  qu  il  faut  bien  remarquer. 

I.  Construction  nécessjTire  ^ 

SIGNIFICATIVE    OU     ÉNONCIATIVE: 

C'eft  celle  par  laquelle  feule  les  mots  font 
un  fens.  On  l'appelle  aulïï  Construc- 
tion SIMPLE  8c  Construction  na^^ 
TURELLE  5,parceque  c'eft  celle  qui  eft  la 
plus  conforme  à  Tétat  des  chofes ,  comme 
nous  le  fçrons  voir  dans  la  {uite^Sc  que  d'ail- 
leurs cette  conjiruclion  eft  le  moyen  le  plus 
propre  &  le  plus  facile  que  la  nature  nous 
ait  donné  pour  faire  connoître  nos  penfées 
par  la  parole.  Ceft  ainfî  que  lorfque  dans 
un  traité  de  Géométrie  ,  Its  proportions 
font  rangées  dans  un  ordre  fucceflîf  qui 
nous  en  fait  apercevoir  aifément  la  liaifoa 
&  le  rapport ,  fans  qu'il  y  ait  aucune  pro- 
portion intermédiaire  à  fuppléer  >  nous 
difons  que  les  propofîtions  de  ce  tr;^itSr 
font  rangées  dans  l'ordre  naturel* 


de  Grammaire".  i3j; 

Cette  conftrudtion  eft  encore  appellée 
i^ÉCESSAiREj  parceque  c'eft  d'elle  feule 
que  les  autres  conftrudions  empruntent  la 
propriété  qu'elles  ont  de  fîgnifier  :  au  point 
que  il  la  conjlrucllon  nécejfalre  ne  pouvoit 
pas  Te  retrouver  dans  les  autres  fortes  d'é- 
iionciations ,  celles-ci  n'exciteroient  aucun 
fens  dans  refprit ,  ou  n'y  exciteroient  pas 
celui  qu'on  vouloir  y  faire  naître.  C'eft  ce 
que  nous  ferons  voir  bientôt  plus  fenfible- 
ment. 

IL  La  féconde  forte  de  confiruciion^  eft' 
la  Construction  figurée. 

IIL  Enfin ,  la  troifième  eft  celle  où  les 
mots  ne  font  ni  tous  arrangés  fuivant  Tor- 
dre de  la  conflrucilon  Jimpte  _,  ni  tous  dîf- 
pofés  félon  la  conjtruclion  figurée.  Cette 
troifième  forte  d'arrangement  eft  le  plus 
en  ufage,  c'eft  pourquoi  je  I  appelle  CoN^ 
^STRUCTION  USUELLE. 

I.  De  la  Confiruclion  fimple. 

Pour  bien  comprendre  ce  que  j'entens 
par  Construction  simple  &  né-^ 


154  Principes 

CESSAIRE  j  il  faut  olDferver  qu'il  y  a  hïen 
de  la  difFérence  entre  concevoir  un  fens 
total  y  &  énoncer  enfuite  par  la  parole  ce 
qu'on  a  conçu. 

L'homme  eft  un  être  vivant ,  capable  de 
fentir ,  de  penfer  >  de  connoître ,  d'imagi- 
ner ,  de  juger ,  de  vouloir ,  de  fe  reflbuve* 
ïiir  5  Sec.  Les  aâ:es  particuliers  de  ces  facul- 
tés fe  font  en  nous  d'une  manière  qui  ne 
nous  eft  pas  plus  connue  que  la  caufe  du 
mouvement  du  cœur ,  ou  de  celui  des  pieds 
&  des  mains*  Nous  iavons  par  ientiment 
intérieur,  que  chaque  afte  particulier  de 
la  faculté  de  penfer ,  ou  chaque  penfée  fin- 
guhère,  eft  excitée  en  nous  en  un  inftant^, 
fans  divifion ,  &  par  une  fimple  affection 
intérieure  de  nous-mêmes.  C'eft  une  vérité 
dont  nous  pouvons  aifément  nous  convain* 
cre  par  notre  propre  expérience  ,  &  fur- 
tout,  en  nous  rappellant  ce  qui  fe  paiïe  en 
nous  dans  les  premières  années  de  notre 
enfance.  Avant  que  nous  enflions  fait  une 
afTez  grande  provifion  de  mots  pour  énon- 
cer nos  penfées  ^  les  mots  nous  manquoient^^ 


de  Grammaire.         15  y 

&  nous  ne  laiflîons  pas  de  penfer ,  de  fen- 
tir  5  d'imaginer ,  de  concevoir  &  de  juger* 
Ceft  ainfi  que  nous  voulons,  par  un  aéte 
fîmple  de  notre  volonté  \  a6le  dont  notre 
fens  interne  efl:  affedté  auffi  promptemenc 
que  nos  ieux  le  font  par  les  différentes 
împreflîons  fingulières  de  la  lumière.  Ainfi 
je  crois  que  fi  après  la  création  Thomme 
fût  demeuré  feul  dans  le  monde  5  il  ne  fe 
feroit  jamais  avifé  d'obferver  dans  fa  pen- 
fée  un  Sujet,  un  Attribut,  un  Subftantif , 
un  Adjectif,  une  Conjonction ,  un  Adver- 
be ,  une  Particule  négative ,  &c. 

C  eft  ainfi  que  fou  vent  nous  ne  faifons 
connoître  nos  fentimens  intérieurs  que  par 
des  geftes ,  des  mines  ,  des  regards ,  des 
foupirs ,  des  larmes ,  &  par  tous  les  autres 
fignes  5  qui  font  le  langage  des  paflîans  plu- 
tôt que  celui  de  Tintelligence.  La  penfée  >^ 
tant  qu'elle  n'eft  que  dans  notre  efpritj 
fans  aucun  égard  à  renonciation  y  n'a  be^ 
foin  ni  de  bouche  ,  ni  de  langue ,  ni  du 
fon  des  fyllabes  :  elle  n'eft  ni  hébraïque  :> 
ni  grecque  ^  ni  latine  y  ni  barbare  ,  elk 

^4 


zj'ê  Principes 

ï/eft  qu'à  nous.  Intus  j  in  domicdîo  cog!^-, 
tadonis  j  nec  hebr<za  j    nec  gr£ca  _,   nec 
latina^  nec  Barbara  ventas  j  Jine   oris  & 
lingU(Z   organis  j    Jïnc  Jlrepitu  fyllaba^ 
rum.   (i) 

Mais  dès  qu'il  s  agit  de  faire  connoître 
aux  autres  les  affedions  ou  penfées  fingu- 
licres  & ,  pour  ainfî  dire  ,  individuelles  de 
Tintelligence  >  nous  ne  pouvons  produire 
cet  effet  qu'en  faifant  en  détail  des  impref- 
fions  ,  ou  fur  Torgane  de  fouie ,  par  des 
fons,  dont  les  autres  hommes  connoiffênt, 
comme  nous  ,  la  deftination ,  ou  fur  for- 
gane  de  la  vue ,  en  expofant  à  leurs  ieux 
par- récriture  5  les  lignes  convenus  de  ces 
mêmes  fons.  Or ,  pour  exciter  c^s  impref- 
fîonSj  nous  fommes  contraints  de  donner 
à  notre  penfée  de  l'étendue  ,  pour  ainfî 
dire  5  &  des  parties ,  afin  de  la  faire  pafler 
dans  l'efprit  des  autres ,  où  elle  ne  peue 
s'introduire  que  par  leurs  fens. 

Ces  parties  que  nous  donnons  ainfi  ii^ 

(0  Se  Ausuftin?.  Confejf,  U  xi  >  c.  }• 


^d&  Grammaire.         ^37 

ïiotre  penféc  par  la  nécefiîté  de  rélocution  , 
deviennent  enfuite  Toriginal  des  fignes 
dont  nous  nous  fervons  dans  l'ufage  de  la 
parole.  Ainfî  nous  divifons  5  nous  analy  fons, 
comme  par  inftind  ,  notre  penfée  :  nous 
en  raffemblons  toutes  les  parties  5  félon 
Tordre  de  leurs  rapports  :  nous  lions  ces 
parties  à  des  fignes.  Ce  font  les  mots,  dont 
nous  nous  fervons  enfuite  pour  en  affe6ter 
les  fens  de  ceux  à  qui  nous  voulons  com- 
muniquer notre  penfée.  Ainfiles  mots  font 
en  même  temps,  &  rinftrument,  &  le  li- 
gne de  la  divifion  de  la  penfée.  C'eft  de-là 
que  vient  la  différence  des  langues  &  celle 
des  idiotifmes  \  parceque  les  hommes  ne 
fe  fervent  pas  des  mêmes  fignes  par-tout , 
&  que  le  même  fond  de  penfée  peut  être 
analyfé  &  exprimé  en  plus  d'une  manière. 
Dès  les  premières  années  de  la  vie ,  le 
penchant  que  la  nature  &  la  conftitution 
des  organes  donnent  aux  enfanspour  Timi- 
cation ,  les  befoins ,  la  curiofité ,  &  la  pré- 
fence  des  objets  qui  excitent  Tattention , 
]^s  fignes  qu'on  fait  aux  enfans  en  leuç 


A  5  s  Principes 

montrant  les  objets  5  les  noms  qu'ils  enten*^ 
dent  en  même  temps  qu'on  leur  donne  % 
Tordre  fuccefïîf  qu  ils  obfervent  que  Tonr 
fuit  5  en  nommant  d'abord  les  objets ,  & 
en  énonçant  enfuite  les  modificatifs  &  les 
mots  déterminans ,  Texpérience  répétée  à 
chaque  inftant  &  d*une  manière  unifor- 
me -,  toutes  ces  circonftances  5  &  la  liaifon 
qui  fe  trouve  entre  tant  de  mouvemens 
excités  en  même  temps  :  tout  cela,  dis- je, 
apprend  aux  enfans ,  non  -  feulement  les 
fons  &  la  valeur  des  mots  i  mais  encore 
lanalyfe  qu'ils  doivent  faire  de  la  penfée 
qu'ils  ont  à  énoncer,  &  de  quelle  manière 
ils  doivent  fe  fervir  des  mots  pour  faire 
cette  analyfe,  &  pour  former  un  fens  dans 
Teiprit  des  citoyens  parmi  lefquels  la  Pro«^ 
vidence  les  a  fait  naître. 

Cette  méthode  ,  dont  on  s^eft  fervi  à 
notre  égard,  eft  la  même  qu'on  a  employée 
dans  tous  les  temps  &  dans  tous  les  pays 
du  monde  ^  &  c'efî:  celle  que  les-  Nations 
les  plus  policées  &  les  Peuples  les  plus  bar- 
bares mettent  en  œuvre  pour  apprendre- 


^c  Grammaire.        ^39 

à  parler  à  leurs  enfans  :  c'eft  un  art  que  la 
nature  même  enfeigne.  Ainfi  5  je  trouve  que 
dans  toutes  les  langues  du  monde ,  il  n  y  a 
qu'une  même  manière  néceflaire  pour  for- 
mer un  fens  avec  les  mots  :  c'eft  l'ordre  fuc- 
cefïîf  des  relations  qui  fe  trouvent  entre  les 
mots  5  dont  les  uns  font  énoncés  comme 
devant  être  modifiés  ou  déterminés 3&  les 
autres  comme  modifiant  ou  déterminant. 
Les  premiers  excitent  lattention  &  la  eu- 
riofité  5  ceux  qui  fuivent ,  la  fatisfont  fuc- 
ceflîvement, 

C'eft  par  cette  manière  que  Ton  a  conv 
mencé  dans  notre  enfance  à  nous  donner 
lexemple & lufage de Télocution.  D abord 
on  nous  a  montré  l'objet  \  enfuite  on  la 
nommé*  Si  le  nom  vulgaire  étoit  compofé 
de  lettres  dont  la  prononciation  fût  alors 
trop  difficile  pour  nous  5  on  en  fubftituoit 
d'autres  plus  aifées  à  articuler.  Après  le 
nom  de  lobjet ,  on  ajoutoit  les  mots  qui  le 
modifioient ,  qui  en  marquoient  les  qualités 
ou  les  actions  >  &  que  les  circonftances  &: 


■z/f.u  Principes 

fes  idées  acceflfoires   pouvoient  aifement 
nous  faire  connoître. 

A  mefure  que  nous  avancions  en  âgev 
&  que  l'expérience  nous  apprenoit  le  fens 
&  lufage  des  Prépofitions,  des  Adverbes > 
des  Conjondions ,  &  fur-tout  des  différen- 
tes terminaifons  des  Verbes,  deftinées  à 
marquer  le  nombre  ,  les  perfônnes  êc  les 
temps  5  nous  devenions  plus  habiles  à  démê- 
ler les  rapports  des  mots,  &  à  en  aperce- 
voir Tordre  fucceffif ,  qui  forme  le  fens  to- 
tal des  phrafes ,  &  qu'on  avoir  grande  atten-» 
tion  de  fuivre  en  nous  parlant* 

Cette  manière  d'énoncer  les  mots  fuccet 
(îvement,  félon  Tordre  de  la  modification^ 
ou  détermination  que  le  mot  qui  fuit  donne 
à  celui  qui  le  précède ,  a  fait  règle  dans  notre 
efprit.  Elle  eft  devenue  notre  modèle  inva- 
riable i  au  point  que ,  fans  elle,  ou  du  moins 
fans  les  fecours  qui  nous  aident  à  la  réra-^ 
blir  5  les  mots  ne  préfentent  que  leur  figni^^ 
fication  abfolue ,  fans  que  leur  enfemblo 
puilTe  former  aucun  fens.  Par  exemple  : 


4^6  Grammaire.  1411 

Arma  virumque  canu  ^  Trojce  qui  primu^ 
ab  oris  j 

Italiam  y  fato  profugus  ?  Lavinaquc  ycnit 

Littora. 

Otez  à  CCS  mots  latins  les  termînaifons 
©il  délînances,  qui  font  les  fignes  de  leiit 
valeur  relative  ,  &  ne  leur  laiflez  que  la 
première  terminaifon^  qui  n'indique  aucun 
rapport,  vous  ne  formerez  aucun  fens.  Ce 
ieroit  comme  fî  Ton  difoit  :  • 

Armes  y  homme  y  je  chante^  Troie  y  qui i . 

premier  y  des  côtes  y 
Italie  y  deftin  y  fugitif  y  Laviniens  y  vinc^ 

rivages. 

Si  ces  mots  étoient  ainiî  énoncés  en  latin 
avec  leurs  terminaifons  abfolues  ,  quand 
même  on  les  rangeroit  dans  Tordre  où  on 
les  voit  dans  Virgile  ,  non  -  feulement  ils 
perdroient  leur  grâce ,  mais  encore  ils  ne 
fbrmeroienc  aucun  fens  :  propriété  qu'ils 
n'ont  que  par  leurs  terminaifons  relatives  > 
qui  5  après  que  toute  la  Propofition  eft  finie, 
lîous  les  font  regarder  félon  Tordre  de  leurs 
jfgipports^  &  par  conféquent  félon  Tordre 


±4^  Principe^ 

âe  la  cônjlruciion  Jlmplc  ^  nécejfalre  Scjî^ 
gnijîcadve. 

Canô  arma  atque  vlrum^  qui  v/r  j  pro^ 
fugus  à  fato  j  vcmtprimus  ^  ah  oris  Trojéi  ^ 
m  Italiam  j  atque  ad  littora  Lavina  :  tant 
h  fuite  des  mots  &  leurs  délînances  ont  de 
force  pour  faire  entendre  le  fens  ! 

Tantum  f cries  junBuraqut  pollét^ 

Horace ,  Art  Poet.  v.  240* 

Quand  une  fais  cette  opéiration  ma  con* 
dait  à  rintellîgénce  du  fens  ,  je  lis  8^  je 
relis  le  texte  de  Tauteur  ,  Je  me  livre  au 
pîaiiîr  que  me  caufe  le  foin  de  rétablir ,  fans 
trop  de  peine  ,  Tordre  que  la  vivacité  8c 
Tempreilement  de  l'imagination,  Télégan- 
ce  &  fharmonie  avoient  renverfé^  Se  ces 
fréquentes  ledtures  me  font  acquérir  un 
goût  éclairé  pour  la  belle  latinité . 

La  cùnjlruciion  Jîmple  eft  auffi  appellée 
Construction  naturelle^  parce- 
que  c*eft  celle  que  nous  avons  appri/e  fans 
maître ,  par  la  feule  conftitution  méchani- 
que  de  nos  organes  5  par  notre  attention 
&  notre  penchant  à  rimitation.  Elle  eft  Iqt 


de  Grammaire.        145 

feul  moyen  nécefTaire  pour  énoncer  nos 
penfées  par  la  parole  5  puifque  les  autres 
fortes  de  conjlruclions  ne  forment  un  fens, 
que  lorfque  par  un  fîmple  regard  de  l'ef- 
prit  5  nous  y  apercevons  aifément  Tordre 
ilicceiTîf  de  la  conftrudion  limple- 

Cet  ordre  eft  le  plus  propre  à  faire 
apercevoir  les  parties  que  la  néceflîté  de 
rélocution  nous  fait  donner  à  la  penfée.  Il 
nous  indique  les   raports  que  ces  parties 
ont  entr'elles  :  rapports  dont  le  concert 
produit  Tenfemble ,  &  5  pour  ainfî  dire  5  le 
corps  de  chaque  penfée  particulière.  Telle 
cft  la  relation  établie  entre  la  penfée  &  les 
mots  5  c'eft'à-dire  5  entre  la  chofe  &  les 
fîgnes  qui  la  font  connoître  :  connoiiïance 
acquife  dès  les  premières  années  de  la  vie  3 
par  des  a6tes  fî  fouvent  répétés ,  qu'il  en 
réfulte  une  habitude  que  nous  regardons 
comme  un  eftet  naturel.  Que  celui  qui  parle 
emploie  ce  que  lart  a  de  plus  féduifant 
pour  nous  plaire 5  &  de  plus  propre  à  nous 
toucher  >  nous  applaudirons  à  fes  talens. 
Mais  fon  premier  devoir  eft  de  reipedec 


2L44  Principes 

les  règles  de  la  conjlruclionjimple  ^  Se  d'é- 
viter les  obftacles  qui  pouroient  nous  em- 
pêcher d  y  réduire  fans  peine  ce  qu'il  nous 
dit. 

Comme  par-tout  les  hommes  penfènt; 
&  qu'ils  cherchent  à  faire  connoître  la  pen- 
fée  par  la  parole ,  Tordre  dont  nous  parlons 
eft  au  fond  uniforme  par-tout ,  &  c^'eft  en^ 
core  un  autre  motif  pour  l'appeler  naturel. 

Il  eft  vrai  qu'il  y  a  des  différences  dans 
les  langues ,  différence  dans  le  vocabulaire 
ou  la  nomenclature  ,  qui  énonce  les  noms 
des  objets  &  ceux  de  leurs  qualificatifs  > 
différence  dans  les  terminaifons ,  qui  font 
les  fîgnes  de  l'ordre  fucceflîf  des  corréla- 
tifs 5  différence  dans  l'ufage  des  métapho- 
res ^  dans  les  idiotifmes ,  &  dans  les  tours 
de  la  conjlruclion  ufuelle  :  mais  il  y  a  uni- 
formité 5  en  ce  que  par-tout  la  penfée  qui 
eft  à  énoncer  eft  divifée  par  les  mots  qui 
en  repréfentent  les  parties ,  &  que  ces  par- 
ties ont  des  fignes  de  leur  relation. 

Enfin  cette  conftrudion  eft  encore  ap- 
pelée I^^ATURELLE^  patcequ'clle  fuit  la 

nature  \ 


de  Grammaire^  245 
nature  \  je  veux  dire ,  parcequ'elle  énonce 
\\ts  mots  félon  Tétat  où  Telprit  conçoit  les 
chofes.  Le  Soleil  ejl  lumineux.  On  fuit  ou 
Tordre  de  la  relation  des  caufes  avec  les 
effets ,  ou  celui  des  effets  avec  leur  caufe. 
Je  veux  dire  que  la  conjiruclionjimple  pro- 
cède ^  ou  en  allant  de  la  caufe  à  Teffet,  ou 
de  Tagent  au  patient  5  comme  quand  on 
dit  :  Dieu  a  créé  le  monde  :  Julien  le  Roi 
a  fait  cette  montre  :  Augujle  vainquit  An^ 
toine  :  c  efl:  ce  que  les  Grammairiens  ap- 
pellent la  voix  active  :  ou  bien  la  conjlru-^ 
clion  énonce  la  penfée ,  en  remontant  de 
TefFetà  la  caufe,  &  du  patient  à  lagent, 
félon  le  langage  des  philofophes  :  ce  que 
les  Grammairiens  appellent  la  voixpajjive  : 
Le  monde  a  été  créé  par  VEtre  tout-puif 
fant  :  Cette  montre  a  été  faite  par  Julien 
le  Roi  :  Antoine  fut  vaincu  par  Augujie. 
La  conftrudtion  iîmple  préfente  d'abord 
Tobjet  ou  fujct  5  enfuite  elle  le  qualifie  fé- 
lon les  propriétés  ou  les  accidens  que  les 
fens  y  découvrent ,  ou  que  rimaginaiion 
y  fuppofe* 


2l^€  Principes 

Or  5  dans  lun  &  dans  Tautre  de  ces  deuic 
cas  y  récat  des  chofes  demande  que  Ton 
commence  par  nommer  le  fujet.  En  effet, 
la  nature  &  la  raifon  ne  nous  apprennent- 
elles  pas  5  I .°  qu'il  faut  être  avant  que 
d'opérer  y  prias  eji  ejfe  quàm  operari  ; 
2.^  qu'il  faut  exifter  avant  que  de  pouvoir 
être  l'objet  de  Fadtion  d'un  autre  :  3.^  en- 
fin 5  qu'il  faut  avoir  une  exiftence  réelle  ou 
imaginée  5  avant  que  de  pouvoir  être  qua- 
lifié 5  c'eft-à~dire  ^  avant  que  de  pouvoir 
être  confidéré  comme  avant  telle  ou  telle 
modification  propre,  ou  bien  tel  ou  tel  de 
ces  accidens  qui  donnent  lieu  à  ce  que  les 
Logiciens  ^x^^ûXtnt  des  dénominations  ex^ 
ternes  :  Il  ejl  aimé  :  Ileji  haï  :  //  eJi  loué  : 
Il  ejl  blâmé. 

On  obferve  la  même  pratique  par  imi- 
tation 5  quand  on  parle  de  noms  abftraits 
&  d'êtres  purement  métaphyfiques.  Ainfî 
on  dit  que  la  vertu  a  des  charmes  j  com- 
me on  dit  que  le  Roi  a  des  Soldats. 

La  conftrudtion  fimple  5  comme  nous 
Tavons  déjà  remarqué  ^  énonce  d'abord  le 


de  Grammaire.         147 

fujet  dont  on  juge  :  après  quoi  elle  dit ,  ou 
Q^il  eji  jOu  Q^ il  fait  ^  ou  ^H  fouffrc  ^ 
ou  quV/  a^  foit  dans  le  fens  propre  ,  foie 
au  figuré. 

Pour  mieux  faire  entendre  ma  penfée , 
quand  je  dis  que  la  conjfruclionjimple  fuit 
Vétat  des  chofes  ^  j'obferverai  que  dans 
la  réalité  TAdjedif  n'énonce  qu'une  qua- 
lification du  Subftantif.  L'Adjeétif  n  eft 
donc  que  le  Subftantif  même  5  confidéré 
avec  telle  ou  telle  modification.  Tel  eft 
rétat  des  chofes.  Auflî ,  la  conjlruclionfim^ 
pie  ne  fepare-t-elle  jamais  TAdjedif  du 
Subftantif.  Ainfî  quand  Virgile  a  dit  : 

Frigiius  ^  Agricolam  ^  fi  quando  contitict 
imber  (i). 

UAdjeétif  frigiius  étant  féparé  par  plu- 
fieurs  mots  de  fon  Subftantif  i/;2^^rj  cette 
conftrudtion  fera ,  tant  qu'il  vous  plaira  , 
une  conftrudion  élégante  5  mais  jamais 
une  phrafe  de  la  conftrudionfimple,  parce- 
qu'on  n'y  fuit  pas  l'ordre  de  Tétat  des  cho- 

(z)  Georg,  lih,  I^  v.  z;?, 

S* 


i^S  Principes 

Tes,  ni  du  rapport  immédiat  qui  eft  entre 
les  mots  y  en  conféquence  de  cet  état. 

Lorfque  les  mots  eflfentiels  à  la  propofî- 
tion  ont  des  modificatifs  qui  en  étendent 
ou  qui  en  reftreignent  la  valeur  ^  la  con- 
ftrudion  iîmple  place  ces  modificatifs  à  la 
fuire  des  mots  qu'ils  modifient.  Ainlî  tous 
les  mots  fe  trouvent  rangés  fijcceilîvement, 
félon  le  rapport  immédiat  du  mot  qui  fuip 
avec  celui  qui  le  précède.  Par  exemple  : 
Alexandre  vainquit  Darius  ;  voici  une 
fîmple  propofîtion.  Mais  fi  j^ajoute  des 
modificatifs  ou  adjoints  à  chacun  de  fes 
termes  ,  la  conftruckion  fîmple  les  placera 
fucceffivement ,  félon  Tordre  de  leur  rela- 
tion. Alexandre  j  fils  de  Philippe  &  roi 
de  Macédoine  ^  vainquit  ^y  avec  peu  de  trou-^ 
pes  y  Darius  _,  roi  des  Perfes  ^  qui  étoit  à 
la  tète  d'une  armée  nombreufe. 

Si  Ton  énonce  des  circonftances  ,  dont 
le  fens  tombe  fur  toute  la  propofîtion,  on 
peut  les  placer  ou  au  commencement ,  ou 
à  la  fin  de  la  propofition.  Par  exemple  : 
En  la  troifièmç  année  d^  la  CXII^  olym^ 


de  Grammaire)         149 

j^iaic  j  5  50  ans  avant  Jefus-Chnjl ^  on'^c 
jours  après  une  éclipfe  de  Lune  j  Alexan^ 
dre  vainquit  Darius  :  ou  bien ,  Alexandre 
vainquit  Darius  en  la  troijième  année  jy&cc. 

Les  liaifons  des  différentes  parties  du 
difcours,, telles  que  cependant^  fur  ces  en-- 
trefaites  J  dans  ces  circonflances  ^  mais  y 
quoique  j  après  que  j  avant  que  _,  &c.  doi** 
vent  précéder  le  fujet  de  la  propofition 
oii  elles  fe  trouvent  vparceque  ces  liaifons 
ne  font  pas  des  parties  néceflaires  de  la 
propofition  :  elles  ne  font  que  des  adjoints, 
ou  des  tranfitions  ou  des  conjondions  par- 
ticulières qui  lient  les  propofitions  partieLî» 
les  dont  les  périodes  font  compofées.. 

Par  la  même  raifon ,  le  rdanfquij  qwa^ 
quodj  &  nos  qui  j  que  ^  dont  j  précèdent 
tous  les  mots  de  la  propofition  à  laquelle 
ils  appartiennent,  parcequ'ils  fervent  àJier 
cette  propofition  à  quelque  mot  d'une  au- 
tre y  &  que  ce  qui  lie  doit  être  entre  deux. 
termes.  Ainfi  dans  cet  exemple  vulgaire , 
Deus  quem  adoramus  ejl  omnipotens  j  le 

Dieu  que  nous  adorqns  eft  tout-puiflaat ,, 

S  5 


250  Principes 

quem  précède  aioramus^  &  que  eft  avant 
nous  adorons  :y  quoique  Tun  dépende  d'^- 
doramus  &  l'autre  de  nous  adorons  j^avcc^ 
que  quem  détermine  D^^/i*.  Cette  place  du 
relatif  entre  les  deux  propofitions  corréla- 
tives 5  en  fait  apercevoir  la  liaifon  plus  ai- 
fément ,  que  11  le  quem  ou  le  que  étoient 
placés  après  les  verbes  qu'ils  déterminent. 

Je  dis  donc  que  pour  s'exprimer  felor^ 
la  conftruction  fîmple  5  on  doit  i  .^  énon- 
cer tous  les  mots  qui  font  les  fîgnes  des 
différentes  parties  que  l  on  eft  obligé  de 
donner  à  la  penfée  5  par  la  nécellîté  de  Té- 
locution  5  &  félon  l'analogie  de  la  langue 
en  laquelle  on  a  à  s'énoncer. 

2.^  En  fécond  lieu ,  la  conftrudion  fîm- 
ple exige  que  les  mots  foient  énoncés  dans, 
l'ordre  fuccellîf  des  rapports  qu'il  y  a  en- 
tr'eux  3  en  forte  que  le  m.ot  qui  eft  à  modi- 
fier ou  à  déterminer ,  précède  celui  qui  le 
modifie  ou  le  détermine. 

5.®  Enfin  5  dans  les  langues  où  les  mots 
ont  des  terminaifons  qui  font  les  figues  de 
leur  poiîtion  &  de  leurs  relations  ?  ce  ferojc 


de  Grammaire.         251 

une  faute  ,  fi  Ton  fe  contentoit  de  placei: 
un  mot  dans  Tordre  où  il  doit  être  félon 
la  conftrudtion  fimple,  fans  lui  donner  la 
terminaifon  deftinée  à  indiquer  cette  pofi- 
tion.  Ainfi  on  ne  dira  pas  en  latin,  D'diges 
Dominus  Deus  tuus  ,  ce  qui  feroit  la  ter- 
minaifon de-la  valeur  abfolue ,  ou  celle  du 
fujet  de  la  propofition ,  mais  on  dira  JDz- 
liges  Dominum  Deum  tuum  _,  ce  qui  eft  la 
terminaifon  de  la  valeur  relative  de  cqs 
trois  derniers  mots.  Tel  eft  dans  ces  lan- 
gues le  fervice  &  la  deftination  des  termi- 
naifons  :  elles  indiquent  la  place  &  les  rap- 
ports des  mots  :  ce  qui  eft  d  un  grand  ufage 
lorfqu'il  y  a  inverfion  5  c*eft-à-dire  ,  lorf- 
que  les  mots  ne  font  pas  énoncés  dans  Tor- 
dre de  la  conftrudion  fimple  :  ordre  tou- 
jours indiqué ,  mais  rarement  obfervé  dans 
la  conftruftion  ufuelle  des  langues  dont  les 
noms  ont  des  cas,  c'eft-à-dire,  des  termi- 
naifons  particulières  deftinées  en  toute  con- 
ftru£tion  à  marquer  lesdiftérentes  relations 
ou  les  différentes  fortes  de  valeurs  relatives, 
des  mots» 


i  5  7.  Principes 

IL  De  la  Conjlruclion  figurée. 

L'ordre  fucceflîf  des  rapports  des  mots 
ii'eft  pas  toujours  exadlement  fuivi  dans 
Texécution  de  la  parole,  La  vivacité  de 
l'imagination  5  l'empreflement  à  faire  con-^ 
noître  ce  qu'on  penfe  >  le  concours  des 
idées  acceiïbires ,  l'harmonie  ,  le  nombre  5 
le  rythme  5  &c.  font  fouvent  que  l'on  fup- 
prime  des  mots  5  dont  on  fe  contente  d'é- 
noncer les  corrélatifs.  On  interrompt  l'or- 
dre de  ranalyfe  ;  on  donne  aux  mots  une 
place  ou  une  forme,  qui  au  premier  afpe6t 
ne  paroît  pas  être  celle  qu'on  auroit  dû 
leur  donner.  Cependant  5  celui  qui  lit  ou 
qui  écoute,  ne  laiflTe  pas  d'entendre  le  fens 
de  ce  qu'on  lui  dit  ,  parceque  Tefprit  rec- 
tifie l'irrégularité  de  renonciation ,  &  pla- 
ce dans  l'ordre  de  l'analyfe  les  divers  fens 
particuliers,  &:  même  le  fens  des  mots  qui 
ne  font  pas  exprimés. 

C'efr  en  ces  occafions  que  l'analogie  eft 
d'un  grand  ufage.  Ce  n'eft  alors  que  par 
analogie  ,  par  imitation ,  &  en  aliant  du 


dt   Grammaire.         Z55 

Connu  \  Tinconnu ,  que  nous  pouvons  con- 
cevoir ce  qu  on  nous  dit.  Si  cette  analogie 
nous  manquoit ,  que  pourions-nous  com- 
prendre dans  ce  que  nous  entendrions  dire  ? 
Ce  feroit  pour  nous  un  langage  inconnu 
&  inintelligible.  La  connoifTance  &  la  pra-  ' 
tique  de  cette  analogie  ne  s'acquièrent  que 
par  imitation  5  &  par  un  long  ufage  com- 
mencé dès  les  premières  années  de  notre 
vie. 

Les  façons  déparier  dont  Tanalogie  efl:> 
pour  ain(î  dire ,  Tinterprête ,  font  des  phra- 
î^s  de  la  conftrudion  figurée. 

La  Conflruclion  figurée  eft  donc  celle 
où  Tordre  &  le  procédé  de  Tanaly fe  énon- 
ciativc  ne  font  pas  Hiivis  ,  quoiqu'ils  doi- 
vent toujours  être  aperçus  \  redifiés  ou 
fuppléés. 

Cette  féconde  forte  de  conftruâiion  eft 
appelée  Conflruclion  figurée  ^  parcequen 
cftet  elle  prend  une  figure  ,  une  forme , 
qui  n'eft  pas  celle  de  la  conftruâion  fimple. 
La  conftrudion  figurée  eft  à  la  vérité  auto- 


i54  Principes 

lifée  par  un  ufage  particulier  :  maïs  elle 
n'eft  pas  conforme  à  la  manière  de  parler 
la  plus  régulière,  c'eft-à-dire,  à  cette  con- 
ftrudion  pleine  &  fuivie  dont  nous  avons 
parlé  d'abord.  Par  exemple  ,  félon  cette 
première  forte  de  conftrudtion  5  on  dit  :  La 
foiblejje  des  hommes  ejl  grande  :  le  verbe 
ejl  s'accorde  en  nombre  8c  en  perfonne 
avec  fon  fujet  lafoible(fe  j  &  non  avec  des 
hommes.  Tel  ell  Tordre  (îgnificatif ,  teleft 
Tufage  général.  Cependant  on  dit  fort  bien^ 
La  plupart  des  hommes  fe  perfuadentj  Sec. 
où  vous  voyez  que  le  verbe  s'accorde  avec 
des  hommes  _,  &  non  avec  la  plupart.  Les 
favans  difent  ;  les  ignorans  s^ imaginent  j,^ 
Sec.  telle  eft  la  manière  de  parler  généra- 
le :  le  nominatif  pluriel  eft  annoncé  par 
l'article  les.  Cependant  on  dit  fort  bien  5 
Des  favans  mont  dit;  des  ignorans  s'ima* 
glnent  ;  du  pain  &  de  Veau  fuffifent^  êcc^ 
Voila  auffî  des  nominatifs  ?  félon  nos 
Grammairiens.  Pourquoi  ces  prétendus  no- 
minatifs ne  font-ils  point  analogues  aux 


de  Grammaire.  155 

nominatifs  ordinaires  ?  Il  en  efl;  de  même 
en  latin ,  &  en  toutes  langues.  Je  me  con- 
tenterai de  ces  deux  exemples, 

I  ^  La  prépofition  Ante  fe  conftruit  avec 
Taccufatif  :  tel  eft  Tufage  ordinaire  :  cepen- 
dant on  trouve  cette  prépofition  avec  Ta- 
blatif  dans  les  meilleurs  auteurs  :  Multis 
ante  annls. 

2.^  Selon  la  pratique  ordinaire  >  quand 
le  nom  de  la  perfonne  ,  ou  celui  de  I'Sl 
chofe  eft  le  fujct  de  la  propofition ,  ce  nom 
eft  au  nominatif.  Il  faut  bien  ,  en  effet, 
nommer  la  perfonne  ou  la  chofe  dont  on 
juge  5  afin  qu'on  puifte  entendre  ce  qu'on 
en  dit.  Cependant  on  trouve  des  phrafes 
fans  nominatif-,  &  ce  qui  eft  plus  irrégulier 
encore  5  c'eft  que  le  mot  qui 3  félon  la  règle, 
devroit  être  au  nominatif ,  fe  trouve  au 
contraire  en  un  cas  oblique.  Pœnitet  me 
peccati  ;  Je  me  repens  de  mon  péché.  Le 
verbe  eft  ici  à  la  troificme  perfonne  en 
latin  5  &  à  la  première  en  françois. 

Qii'il  me  foit  permis  de  comparer  la 
conjiruction  fimpk  au  droit  commun  3  &  la 


1^6  PnncipôS 

figurée  au  droit  privilégié.  Les  Jurifcon-^ 
fuites  habiles  ramènent  les  privilèges  aux 
loix  fupérieures  du  droit  commun ,  &  re- 
gardent comme  des  abus  que  les  Légifla- 
teurs  devroisnt  réformer  ^  les  privilèges 
qui  ne  fauroient  être  réduits  à  ces  loix. 

Il  en  eft  de  même  des  phrafes  de  la 
conftruclion  figurée  :  elles  doivent  toutes 
être  raportées  aux  loix  générales  du  dif^ 
cours  y  en  tant  qu'il  eft  figne  de  lanalyfe 
des  penfées  &  des  différentes  vues  de  YeC- 
prit*  Ceft  une  opération  que  le  peuple  fait 
par  fentiment ,  puifqu'il  entend  le  fens  de 
ces  phrafes.  Mais  le  Grammairien  philofo- 
phe  doit  pénétrer  le  myftère  de  leur  irré- 
gularité 5  &  faire  voir  que  malgré  le  maf- 
que  qu'elles  portent  de  Tanomalie  ,  elles 
font  pourtant  analogues  à  la  conftrudtioa 
fîmple. 

C'efi:  ce  que  nous  tâcherons  de  faire-       1 
voir  par  plufieurs  exemples..  Mais  pour  y        1 
procéder  avec  plus  de  clarté,  il  faut  obser- 
ver qu'il  y  a  ifîx  fortes  de  figures  qui  font 
d'un  grand  ufage  dans  Tef^èçe  de    cou- 


de  Grammaire.         157 

ïtrucftion  dont  nous  parlons ,  &  auxquelles 
en  peut  réduire  toutes  les  autres, 

L  VEllïpfc. 

L'Ellipse  ,  c'eft-à-dire ,  Manquement ^ 
défaut  ^  fupprejfion  :  ce  qui  arrive  lorfque 
quelque  mot  néceilàire  pour  réduire  la 
phrafe  à  la  conftruélion  fimple  n'eft  pas  ex- 
primé, &  que  cependant  ce  mot  eft  la  feule 
caufe  de  la  modification  d'un  autre  mot 
de  la  phrafe.  Par  exemple  :  Ne  fus  Mine r- 
vam.  Minervam  n'eft  à  1  accufatif  ,  que 
parceque  ceux  qui  entendent  le  fens  de 
ce  proverbe  fe  rappellent  aifément  dans 
lefprit  le  verbe  doceat.  Cicéron  la  expri- 
mé (ï).  Ainfi  le  fens  eft  ,  Sus  non  doceat 
Minervam  ;  Quun  cochon  ,  qu'une  bêre^ 
qu'un  ignorant  ne  s'avife  pas  de  vouloir 
donner  des  leçons  à  Minerve ,  déefle  de 
la  Science  &  des  beaux  Arts.  Trifîe  lupus 
flahulis  j  c'^eft-à-dire  5  Lupus  eji  negotium 
trijle  fiabulis.  Ad  Cafloris  ^  fuppléez 
p  —— — i— — ■— —         ^ 

(i)  Açad.  I ,  c.  ^. 


258  Principes 

éLdcm^  ou  tcmplum  Cajîoris.  Sandius  &  les 
autres  Analogiftes  ont  recueilli  un  grand 
nombre    d'exemples  où  cette  figure  eft 
en  ufage.  Mais  comme  les  auteurs  latins 
emploient  fouvent  cette  figure ,  &  que  la 
langue  latine  eft  ^  pour  ainfi  dire  ^  route 
elliptique  >  il  n'eft  pas  polîîble  de  rappor- 
ter toutes  les  occafions  où  cette  figure  peut 
avoir  lieu.  Peut-être  même  n'y  a-t-il  aucun 
mot  latin  qui  ne  foit  fous -entendu  en 
quelque  phrafe.  Vulcani  item  cumplures  ^ 
fuppléez  fuerunt.  Primus  cœlo  natus  ;  ex- 
quo  Minerva  Apollinem  j  où  l'on  fous- 
entend/?^/?mr  (i).  Et  dans  Térence  (i)^ 
Egone   illam  ?    Qua  illum  ?   Qua  me  ? 
QîiéL  non  ?   Sur  quoi  Donat  obierve  que 
l'ufage  de  l'ellipfe  eft   fréquent  dans  la 
colère ,  &  qu'ici  le  fens  eft  :  Ego  ne  illam 
non  ulcifcar?  Qu(Z  illum  recepit?  Quét  ex- 
clujit  me  ?  QuéL  non  admijit?  Prifcien  rem- 


(i)  Cicéron  >  de  natura  Deorum^   lit>,   III  ^ 
c.  12.. 

(2)  Eunuc.  Ait,  !•  Se,  I. 


de  Grammaire.         259 

plit  ces  Ellipfcs  de  la  manière  fui  vante  : 
Egone  ïllam  dignor  adventu  meo  ?  Qu£. 
illum  pmpofuu  mïhi  ?  Qua  me  fprev'u  ? 
QuA  non  fufcepit  heri? 

Il  eft  indifférent  que  rElIipfe  foit  rem- 
plie par  tel  ou  tel  mot  5  pourvu  que  le  fens 
indiqué  par  les  adjoints  &  par  les  circon- 
ftances  foit  rendu. 

Ces  fous  -  ententes  ^  dit  M.  Patru  (i)  , 

font  fréquentes  en  notre  langue  j  comme 

en  toutes  les  autres.   Cependant  elles  y 

font  bien  moins  ordinaires  qu'elles  ne  le 

font  dans  les  langues  qui  ont  des  cas ,  par- 

ceque  dans  celles-ci  le  rapport   du  mot 

exprimé  avec  le  mot  fous  -  entendu  5  eft 

indiqué  par  une  terminaifbn  relative  :  au 

lieu  qu'en  françois  &  dans  \ts  langues, 

dont  les  mots  gardent  toujours  leur  ter- 

minaifon  abfolue,  il  ny  a  que  Tordre,  ou 

obfervé  ou  facilement   aperçu  &  rétabli 

par  l'efprit,  qui  puilîe  faire  entendre  le 

fens  des  mots  énoncés. 

(i)  Notes  fur  ks  Remarques  de  Vaugelas  > 
tGTîi.  I,  j^ag,  2^^z  ^  édit.  de  i73^S. 


zièo  Principes 

Ge  n'eft  qu'à  cette  condition ,  que  Tufagc? 
autorife  les  tranfpofîtions  &  les  Ellipfes. 
Or  cette  condition  eft  bien  plus  facile  à 
remplir  dans  les  langues  qui  ont  des  cas  : 
ce  qui  eft  fenfîble  dans  l'exemple  que  nous 
avons  rapporté  >  Ne  fus  Minervam  :  ces 
deux  mots  rendus  en  François  n'indique- 
roient  pas  ce  qu'il  y  a  à  fuppléer.  Mais 
quand  la  condition  dont  nous  venons  de 
parler  peut  aiiement  être  remplie ,  alors 
nous  faifons  ufage  de  TElIiple  ,  fur  -  tout 
quand  nous  fommes  animés  de  quelque 
paflîon. 

(i)  Je't^aimois  inconfiant  h  Qu'aurais  -je 
fait  fidèle  ? 

On  voit  aifément  que  le  fens  eft ,  Que 
naurois'jepasfaitjîtu  avals  été  fidèle? 
Avec  quelle  ardeur  ne  t^aurois-je  pas  aimé 
fi  tu  avois  été  fidèle.  Mais  TEllipfe  rend 
Texpreffion  de  Racine  bien  plus  vive,  que 
fî  ce  poète  avoit  fait  parler  Hermione  félon 


(i)  Racine >  fr^^/i/.  d'Andromaque ,  Aâ.  IV> 

Sv.  y. 

la 


de  Grammaire.  iCi 

k  conftrucftion  pleine.  Ceft  ainfi  que  lorf- 
que  dans  la  converfation  on  nous  demande, 
X^uand  reviendre:^'VOus  ?  nous  répondons , 
ia  femàine  prochaine  ;  c'eft-à-dire  ,  Je  re- 
viendrai  dans  la  femaine  prochaine  :  A 
la  mi-Aoûrt  ^  c'eft-à-dire  ^  a  la  moitié  du 
mois  d'Août.  A  la  S.  Martin  ;  à  la 
TouJJaints  ;  au  lieu  de  à  la  fête  de  S. 
Martin  ;  à  la  fête  de  tous  les  Saints^ 
Que  vous  a-t'il  dit?  Rien  :  c  eft  -  à-  dire, 
il  ne  m^a  rien  dit;  nullam  rem  :  on  fous-en- 
tend  la  négation  ne.  Qudfciffe  ce  qu'il 
voudra  j  ce  qu'il  lui  plaira  :  on  fous-enrend 
faire  ;  &  c'eft  de  ce  mot  fousrentendu  que 
dépend  le  que  apoftrophé  devant  il. 

Ceft  par  rEllipfe  qu'on  doit  rendre  rai^ 
fon  d'une  façon  de  parler  qui  n'eft  plus  en 
ufage  aujourd'hui  dans  notre  langue  -,  mais 
qu'on  trouve  dans  les  livres  ,  même  du 
fîècle  paflfé.  Ceft  ,  Et  qu  ainfi  ne  foit  ^ 
pour  dire,  ce  que  je  vous  dis  efi fi  vrai 
que  j  &c.  Cette  manière  de  parler,  dit 
Danet ,  verho  Ainsi  ^  fe  prend  en  un 
fens  tout  contraire  à  celui  qu'elle  femble 

T 


i€z  Principes 

avoir  -,  car ,  dit  -  il ,  elle  eft  affirmative  % 
nonobftant  la  négation.  J'étois  dans  ce 
jardin  jy  &  quainjî.  ne  foit  j  voila  une  fleur 
que  jy  ai  cueillie  :  c  eft  comme  fî  je  di- 
fois  s  &  pour  preuve  de  cela  j  voila  une  fleur 
que  jy  ai  cueillie  :  Atque  ut  rem  ita  ejje 
intelligas.  Joubert  dit  auflî  5  Et  quainfi 
ne  foit  j  ceik'k-dite  y  pour  preuve  que  cela 
cjl ;  Argumento  eft  qubdj  au  mot  Ainsi. 

Molière 5. dans  Pourceaugnac  ,  Adel, 
Se.  XI 5  fait  dire  à  un  médecin ,  que  M,  de 
Pourceaugnac  eft  atteint  &  convaincu  de  la 
maladie  qu'on  appelle  Mélancholie  hypo- 
condriaque :  Et  qu  ainfi  ne  foit  ^  ajoute  le 
médecin  ,  pour  diagnoftic  inconteftahle  de 
ce  que  je  dis  ^  vous  nave':^  quà  confidérer 
ce  grand  férieux  j  &c. 

M.  de  la  Fontaine ,  dans  fon  Belphégor^ 
qui  eft  imprimé  à  la  fin  du  XII«  livre  des 
fables  5  dit': 

Ceft  le  cœur  feul  qui  peut  rendre  tran* 
quille  : 

Le  cœur  fait  tout ,  le  reft^e  eft  inutile. 

Qu^aiuji  ne /bit)^  y àyon^  d'autres  états?  &c. 


de  Grammaire.  16  j 

L'ElIipfe  explique  cette  façon  de  parler. 
En  voici  la  conftru6tion  pleine ,  Et  afin 
çu€  vous  ne  difie^  point  que  cela  ne  foit 
pas  ainfi  j  cefi  que  ^  8cc. 

PafTons  aux  exemples  que  nous  avons 
rapportés  pkis  haut  :  Des  favans  m^ont  dit; 
des  ignorans  Y  imaginent.  Quand  je  dis^ 
Les  favans  difent^  Les  ignorans  s^ imagi- 
nent j^  Je^ark  de  tous  les  favans  &  de  tous 
les  ignorans  :  je  prensy2?Vi^/2^  &  ignorans 
dans  un  fens  appellatif ,  c'eft-à-dire  5  dans 
une  étendue  qui  comprend  tous  les  indi- 
vidus auxquels  ces  mots  peuvent  étire  ap- 
pliqués. Mais  quand  je  dis ,  Des  favans 
m^ont  dit  ^  Des  ignorans  s^ imaginent  j  je 
ne  veux  parler  que  de  quelques-uns  d'en- 
tre les  favans ,  ou  d  entre  les  ignorans  : 
c'eft  une  façon  de  parler  abrégée.  On  a 
dans  Tefprit ,  quelques-  uns  :  c'eft  ce  plu- 
riel qui  eft  le  vrai  fujet  de  la  propofî- 
tion  :  de  &  des  ne  font  eh  ces  occaiions 
que  des  prépodtions  extradives  ou  parti- 
tives. Sur  quoi  je  ferai  en  paflant  une 
légère  obferyation  ;  c  eft  qu'on  dit  qu'alors 

T  z 


2  ^4  Principes 

favans  Se  ignorans  font  pris  dans  un  fens 
partitif.  Je  croîs  que  le  partage  ou  Textrac* 
tion  n'eft  marqué  que  par  la  prépofition 
&  par  le  mot  fous-entendu ,  &  que  le  mot 
exprimé  eft  dans  toute  fa  valeur  ,  &  par 
conféquent  dans  toute  fon  étendue ,  puif- 
que  ceft  de  cette  étendue  ou  généralité 
que  Ton  tire  les  individus  dont  on  parle  : 
Quelques-uns  de  les  favans. 

Il  en  efl:  de  même  de  ces  phrafes ,  Du 
pain  &  de  Veau  Juffifent;  Donnez-moi  du 
pain  &  de  l'eau  ^  &c.  c'eft-à-dire?  quelque 
chofe  de  j  une  portion  de  ou  duj  &c.  Il  y 
a  dans  ces  façons  de  parler  Syllepfe  & 
Ellipfe.  Il  y  a  Syllepfe  ,  puifqu'on  fait  la 
conftru6tion  félon  le  fens  que  Ton  a  dans 
Tefprit,  comme  nous  le  dirons  bientôt^  & 
il  y  a  Ellipfe  ,  c'eft  -  à  •  dire  ,  f^pprejfion  ^ 
manquement  de  quelques  mots  dont  la 
valeur  ou  le  fens  eft  dans  Tefprit.  L  em- 
preflTement  que  nous  avons  à  énoncer  notre 
penfée ,  &  à  favoir  celle  de  ceux  qui  nous 
parlent ,  eft  la  caufe  de  la  fupprelîîon  de 
bien  des  mots  qui  feroient  exprimés ,  iî 


de  Gfanimaire.         i6<j 

Ion  fuivoit  exadement  le  détail  de  Taiia- 
lyfe  énonciative  des  penfées, 

Multis  antc  annis.  Il  y  a  encore  ici  une 
Ellipfe.  Ante  n'eft  pas  le  corrélatif  de  an- 
nis ;  car  on  veut  dire  que  le  fait  dont  il 
s'agit  s'eft  padé  dans  un  tems  qui  eft  bien 
antérieur  au  temps  où  Ton  parle  :  Illud 
fuit  gcjium  in  annis  multis  ante  hoc  tem- 
pus.  Voici  un  exemple  de  Cicéron  (i)  qui 
juftifie  bien  cette  explication  :  Hofpitium  ^ 
multis  annis  ante  hoc  tempus  ^  Gaditani 
cum  Lucio  Cornelio  Balbo  fecerant  :  où 
vous  voyez  que  la  conftru£tion  félon  Tor- 
dre de  lanaly fe énonciative  eft ,  Gaditani 
fecerant  hofpitium  cum  Lucio  Cornelio 
Balbo  j  in  multis  annis  ante  hoc  tempus^ 

Pœnitet  me  peccati  ;  Je  me  repens  de 
mon  péché.  Voila  fans  doute  une  propor- 
tion en  latin  &  en  fran^ois.  Il  doit  donc  y 
avoir  un  fujet  &  un  attribut  exprimé  ou 
fous-entendu.  J  aperçois  Tattribut ,  car  je 


(i)  Dans  VQn\iôïi)pro  L.  Corn.  Balèo<,. 

T  5 


i6^  Principes 

vois  le  verbe  pœnltet  me.  L'attribut  com-» 
nience  toujours  par  le  verbe  ,  &  ici  pœnî-^ 
tet  me  eft  tout  Tattribut.  Cherchons  le 
fujet.  Je  ne  vois  d'autre  mot  que  peccati. 
Mais  ce  mot  étant  au  génitif ,  ne  fauroit 
être  le  fujet  de  la  propofîtion  ,  puifque , 
félon  lanalogie  de  la  conftru6tion  ordi-* 
naire  5  le  génitif  eft  un  cas  oblique  qui  ne 
fert  qu'à  déterminer  un  nom  defpèce. 
Quel  eft  ce  nom  qqe  peccati  détermine  ? 
Le  fond  de  la  penfée  &  l'imitation  doivent 
nous  aider  à  le  trouver.  Commençons  par 
l'imitation.  Plante  fait  dire  à  une  jeune 
mariée  (i)  :  Et  m£  qu'idem  hac  candîtia 
nunc  non  pœnitet.  Cette  condition  _,  c'eft-* 
à-dite  y  ce  mariage  ne  me  fait  point  de 
peine  j  ne  m^ affecte  pas  de  repentir  :  Je 
ne  me  repens  pas  d^ avoir  épeufé  le  mari  que 
mon  père  m^a  donné  ;  ou  vous  voyez  que 
conditio  eft  le  nominatif  de/^cr/zir^r.  Et  Ci- 
céron  dit  :  (z)  Sapientis  ejipropriumj  nihil 


(i)  Stick.  Ad.  1 5  Se.  I  •  V.  ]o. 
(2)  Tufc.  //t.  V,  c,  iS^ 


de  Grammaire.         i6y 

quod pœnitcrcpojjit  yfacere  :  c  eft-à-dire  , 
Nonfacere  hïlum  quod pojfu  pœnitcre  fa- 
pientem  ^  eji  proprium  faplcntis  :  où  vous 
voyez  que  quod  eft  le  nominatif  de  pojfic 
pœnitere  :  rien  qui  puijje  affecter  le  fage 
de  repentir.  Accius  dit  (i)  que  ,  neque  id 
fane  me  pœnitet  :  cela  ne  m  affede  point 
de  repentir. 

Voici  encore  un  autre  exemple:  Si.  vous 
avie'[  eu  un  peu  plus  de  déférence  pour 
mes  avis  j  dit  Cicéron  à  fon  frère  j  Ji  vous 
avie:(ficrifé  quelques  bons  mots  ^  quelques 
plaifanteries  j  nous  n  aurions  pas  lieu  au-' 
jourd^hui  de  nous  repentir.  Si  apud  te  plus 
autorïtas  mea  j  quam  dicendi  fal  facctiA* 
que  valuiffet  y  nihil  fane  effet  quod  nos. 
pœniteret.  Il  ny  auroit  rien  qui  nous  af- 
fectât de  repentir  {i). 

Souvent  >  dit  Faber  dans  fon  Tréfor^  au 
mot  pœnitet  y  les  anciens  ont  donné  un 
nominatif  à  ce  verbe.  Veteres&  cum  no- 
T^inativo  copularunt. 

(i)  A]?ni  Gall.  tu  A  ,  lih.  XIII ,  c.  2. 
(i)  Cicéron  5  ai  Quint,  fratr.  lib.  I>  ep.  zi 

T  4. 


z6î  Principes 

Pourfuivons  notre  analogie.  Ciccro/.i  a 
dit  (i)  ,  Confcientia  peccatorum  dmore 
nocentes  afficit ;  &  ailleurs  (2)5  Tua  Ubi'- 
dînes  torquent  te  ;  confcienti(&  maleficio- 
rum  tuorum  'Jiimulant  te  :  Vos  remors 
vous  tourmentent  :  &  ailleurs  on  trouve , 
Confcientia  fcelerum  improbos  in  morte 
vexât  \  A  l^ article  de  la  mort  ^  lesméchans 
font  tourmentés  par  leur  propre  confcience^ 

Je  dirai  donc  par  analogie,  par  imita- 
tion :  Confcientia  peccati  pœnitet  me  : 
ct&'àrdke^ajfficitmepœnâ  ;  comme  Cicé- 
ton  a  dit  5  afficit  timoré  jjlimulat  j  vexât ^^ 
torquet  ^  mordet  :  le  remors  ^  le  fouvenir y 
la  penfée  de  mafaut^  în  affecte  de  peine  ^ 
m"" afflige  j^  me  tourmente  ;  je  m'en  afflige  ; 
je  m'en  peine  ;  je  m'en  repens.  Notre 
verbe  repentir  eft  formé  de  la  prépofition, 
înféparable  ,  re  ^  rétro  ^  &  de  peine  ;  fc 
peiner  du  paffé.  Nicot  écrit  fe  pèner  de  .^ 
ainfî  fe  repentir  ^  c'eft  s  affliger  5  fe  punir 


(i)  Parad.  V. 
(2)  Parad.  IL 


de  Grammaire.  z6^ 

ibi-même  de:  QuempœnîtetjiSjdolendo^ 
àfe  quajipœnam  fudtemeritatis  exigit  (l). 

Le  fens  de  la  période  entière  fait  fou- 
vent  entendre  le  mot  qui  eft  fous-entendu. 
Par  exemple  :  Félix  qui  potuit  rerum  co- 
gnofcere  caufas  (2).  L'antécédent  de  qui 
n'eft  point  exprimé.  Cependant  le  fens 
nous  fait  voir  ,  que  Tordre  de  la  conftru- 
âion  eft: ,  Ille  qui  potuit  cognofcerc  caufas 
rerum  ejl  felix. 

Il  y  a  une  forte  d'Ellipfe  qu'on  appelle 
^eugma  _,  mot  grec ,  qui  lignifie  connexion^ 
ajfemblage.  Cette  figure  fera  facilement 
entendue  par  les  exemples.  Sallufte  a  dit  : 
Non  de  tyranno  j  fcd  de  cive  j  non  de 
domino  ^fed  de  parente  loquimur  ;  ou  vous 
voyez  que  ce  mot  loquimur  lie  tous  ces 
divers  fens  particuliers,  &  qu'il  eft:  fous- 
entendu  en  chacun.  Voila  TEllipfe  qu'on 
appelle  \cugma.  Ainfi  le  -^eugma  fe  fait  lorf* 
qu'un  mot  exprimé  dans  quelque  membre 


(i)  MartinuSj,  verho  Pœnitet. 
(i)  Virgile  ,  Gsorg,  U  II ,  r.  490, 


%j(y  Principes 

d  une  période ,  eft  fous-entendu  dans  un 
autre  membre  de  la  même  période.  Sou- 
vent le  mot  eft  bien  le  même,  eu  égard  à 
la  fîgnification  5  mais  il  eft  différent  par 
raport  au  nombre  ou  au  genre.  AquiU  vo- 
larunt  jy  hdtc  ah  oriente  ^  illa  ab  occidente. 
La  conftrudion  pleine  eft ,  Hdic  volavitab 
ariente  ;  illa  volavit  ab  occidente  :  ou  vous 
voyez  que  volavit  ^  qui  eft  fous-entendu  ^ 
diffère  de  volarunt  par  le  nombre^  Et  de 
même  dans  Virgile  (i) ,  Hic  illius  arma^ 
hic  currus  fuit  :  ou  vous  voyez  qu'il  faut 
jfous  -  entendre  fuerunt  dans  le  premier 
membre.  Voici  une  différence  par  raport 
au  genre  :  Utinam  aut  hic  furdus  j  aut 
h<zc  mutafaclajit{i).  Dans  le  premier  fens 
on  fous-entend  faclus  fit  ^  8c  il  y  a  facla 
dans  le  fécond.  L'ufage  de  cette  forte  de 
zeugma  eft  fouffert  en  latin ,  mais  la  lan- 
gue françoife  eft  plus  délicate  &  plus  dif-^ 
ficile  à  cet  égard.  Comme  elle  eft  plus  af- 
fujétie  à  Tordre  iîgnifîcatif  ,  on  n'y  doit 

(i)  JEn.  l.  L 

(2.)  Téieace,.  Jf/z^.  Aft.  IIL  Se.  L. 


de  Grammaire.  %y\ 

fous-entendre  un  mot  déjà  exprimé  5  que 
quand  ce  mot  peut  convenir  également  au 
membre  de  phrafe  oii  il  eft  fous-entendu. 
Voici  un  exemple  qui  fera  entendre  ma  pen- 
fée.  Un  auteur  moderne  a  dit  :  Cette  hijloi" 
re  achèvera  de  défabufer  ceux  qui  méritent 
de  Vètre  :  on  fous-entend  défabufcs  dans 
ce  dernier  membre  ou  incife,  &  c'eft  défa- 
bufer qui  eft  exprimé  dans  le  premier.  C  eft 
une  négligence  dans  laquelle  de  bons  au- 
teurs font  tombés, 

II.    Le  Pléonafme. 

La  féconde  forte  de  figure  eft  le  con- 
traire de  TEllipfe.  Ceft  lorfqu'il  y  a  dans 
la  phrafe  quelque  mot  fuperflu  ,  qui  pou- 
roit  en  être  retranché  fans  rien  faire  per- 
dre du  fens.  Lorfque  ces  mots  ajoutés  don- 
nent au  difcours  ou  plus  de  grâce ,  ou  plus 
de  netteté ,  ou  enfin  plus  de  force  ou  plus 
d'énergie ,  ils  font  une  figure  approuvée^ 
Pat  exemple,  quand,  en  certaines  occafions, 
on  dit  5  Je  l'ai  vu  de  mes  ieux  ;  je  Val 
enfcndu  de  mes  propres  oreilles^  &c.  Je  me 


2^7^  Principes 

meurs;  ce  me  n*eft-là  que  par  énergie.  C  eâ 
peut-être  cette  raifon  de  Ténergie  qui  a 
confàcré  le  Pléonafme  en  certaines  façons 
de  parler ,  comme  quand  on  dit  :  C'ejl  une 
affaire  oh  il  y  va  du  falut  de  l'Etat  :  ce  qui 
eft  mieux,  que  (î  Ton  difoit  y  C'ejl  une  af- 
faire oh  il  vaj  &c.  en  fupprimant  jj  qui 
eft  inutile  à  caufe  de  oh.  Car ,  comme  on 
l'a  obfexvé  dans  les  Remarques  &  décijions  " 
de.V Académie  Frantoife y  165^8  5  pag.  55, 
Il  y  va  _,  ily  cij  il  en  ejlj  font  des  formu- 
les autorifées  dont  on  ne  peut  rien  oter. 

La  figure  dont  nous  parlons  eft  appelée 
JPléonafmejy  mot  grec  qui  fîgnifie  yir^i5o/z- 
dance.  Au  refte ,  la  furabondance  qui  n'eft  ■ 
pas  confacrée  par  Tufàge,  &  qui  n'apporte  * 
ni  plus  de  netteté ,  ni  plus  de  grâce  5  ni  plus 
d'énergie  ,  eit  un  vice ,  ou  du  moins  une 
négligence  qu'on  doit  éviter.  Aiufijon  ne 
doit  pas  Joindre  à  un  fubftantif  une  épi- 
thète  qui  n'ajoute  rien  au  fens  y  &  qui  n'ex- 
cite que  la  même  idée  :  par  exemple ,  une 
tempête  orageufe.  Il  en  eft  de  même  de 
cette  façon  de  parler  :  //  eji  vrai  de  dire 


de  Grammaire.        ly^ 

ifue  ;  de  dire  eft  entièrement  inutile.  Un 
de  nos  auteurs  a  dit  (  i) ,  que  Cicéron  avoit 
étendu  Us  bornes  &  les  limites  de  Télo- 
quence.  Limites  n'ajoute  rien  à  l'idée  de 
hornes  :  c'eft  un  Pléonafine. 

m.  La  Syllepfe  ou  Synthefe. 

La  troifième  forte  de  figure  eft  celle 
qu'on  appelle  Syllepse  ou  Synthèse. 
C'eft  lorfque  les  mots  font  conftruits  félon 
k  fens  &  la  penfée ,  plutôt  que  félon  Tufage 
de  la  conftru6tion  ordinaire.  Par  exemple , 
Monjlrum  étant  du  genre  neutre ,  le  relatif 
qui  fuit  ce  mot  doit  aufîî  être  mis  au  genre 
neutre  5  monjlrum  quod.  Cependant  Hora- 
ce ,  lib.  I ,  od.  5  7  5  a  dit  :  Fatale  monjlrum^ 
quA  generojius  perire  qudtrens.  Mais  ce  pro- 
dige y  ce  monftre  fatal ,  c'eft  Cléopatre  : 
ainh  Horace  a  dit  qua,  au  féminin ,  parce- 
qu  il  avoit  Cléopatre  dans  Tefprit.  Il  a  donc 
fait  la  conftrudtion  félon  la  penfée  &  non 
félon  les  mots.  Ce  font  des  hommes  qui 

(i)  Défcnfc  de  Voiture ,  j^agn  i. 


2-74  Principes 

ont  :  font  eft  au  plurieU  auflî  -  bien  que- 

ontj^  parceque  Tobjet  de  la  penfée  c'ejl  dci 

hommes  jy  plutôt  que  ce  ^  qui  eft  pris  ici 

Golleétivement. 

On  peut  auiïî  refondre  ces  façons  dé 
parler  par  l'ElIipfe.  Car ,  ce  font  des  hom-- 
mes  qui  ont  j  Sec.  ce  ^  c'eft-à-dirè,  les  per- 
fonnes  qui  ont  j  &c.  font  du  nombre  des 
hommes  qui  ^  &c.  Quand  on  dit ,  La  foi- 
blejfe  des  hommes  eji  grande  j  le  verbe  eji 
érant  au  fingulier ,  s'accorde  avec  fon  no- 
minatif la  foiblejfe  :  mais  quand  on  dit, 
La  plupart  des  hommes  s^ imaginent  j  8cc. 
ce  mot  la  plupart  préfente  une  pluralité 
à  lefprit  :  ainfî  le  verbe  répond  à  cette 
pluralité  ,  qui  eft  fon  corrélatif.  C'eft  en- 
core ici  une  Syllepfe  ou  S/nthèfe  *,  c*eft-à* 
dire ,  une  figure  lelon  laquelle  les  mots 
font  conftruits  félon  la  penfée  &  la  chofe , 
plutôt  que  félon  la  lettre  &  la  forme  gram- 
maticale. Ceft  par  la  même  figure  que  le 
mot  de  perfonne  ^  qui  grammaticalement 
eft  du  genre  féminin ,  fe  trouve  fouvenc 
fuivi  de  il  ou  ils  au  mafculin  j  parcequ  a- 


de  Grammaire.         275 

îors  on  a  dans  refprit  Thomme  ou  les  hom- 
mes dont  on  parle  5  qui  font  phy fiquement 
du  genre  mafculin,  C'eft  par  cette  figure 
que  Ton  peut  rendre  raifon  de  certaines 
phrafes  011  Ton  exprime  la  particule  ne  j 
quoiqu'il  femble  qu  elle  dût  être  fuppri- 
mée  5  comme  lorfqu  on  dit  :  Je  crains  qu'il 
ne  vienne  ;  f  empêcherai  quil  ne  vienne  ; 
y  ai  peur  quil  n  oublie  ;  &c.  En  ces  occa- 
sions 5  on  eft  occupé  du  defir  que  la  chofe 
n'arrive  pas  :  on  a  la  volonté  de  faire  tout 
ce  qu'on  poura  ,  afin  que  rien  n'apporte 
d'obftacle  à  ce  qu'on  fouhaite.  Voila  ce 
qui  fait  énoncer  la  négation. 

IV.     VUyperlate. 

La  quatrième  forte  de  figure  ,  c'eft 
X'BYVIc.KBAT'E  ;  c'eft-à-dire  ,  confufion  j 
mélange  de  mots,  C'eft  lorfqu'on  s'écarte 
de  Tordre  fucceflîf  de  la  conftrudion  fim- 
ple*  Saxa  vocant  Itali  ^  mediis  qu£  infiu" 
clibusjaras  (i).  La  conftrudion  eft,  Itali 

(i)  JEndd,  1. 1 ,  V.  115. 


tj6  Principes 

vocant  aras  illafaxa  qu^funt  infLUcilhuÈ 
mcdïis.  Cette  figure  étoit,  pour  ainfi  dire, 
naturelle  au  latin.  Comme  il  n'y  avoit  que 
les  terminaifons  des  mots ,  qui  dans  Tufage 
ordinaire  fuflent  les  fignes  de  la  relation 
que  les  mots  avoient  enrr'eux ,  les  Latins 
n'avoient  égard  qu'à  ces  terminaifons ,  & 
ils  plaçoient  les  mots  félon  qu^ils  étoient 
préfentés  à  Timagination,  ou  felon'que  cet 
arrangement  leur  paroiiToit  produire  une 
cadence  &  une  harmonie  plus  agréable', 
mais  parcequ'en  françois  les  noms  ne  chan- 
gent point  de  terminaifon  ,  nous  fommes 
obligés  communément  de  fuivre  Tordre 
de  la  relation  que  les  mots  ont  entr'eux. 
Ainfî  nous  ne  faurions  faire  ufage  de  cette 
figure  >  que  lorfque  le  raport  des  corréla- 
tifs n'eft  pas  difficile  à  apercevoir.  Nous 
ne  pourions  pas  dire  comme  Virgile  (i)  : 

Frigidus  >  â  pueri  y  fugitc  hinc  ^  latet  anguis 
in  kerba. 

lJad]cdiï(  fngiclus  commence  le  vers ,  &  le 

(i)  Eclog.  III.  V,  $)3» 

fubftantif 


de  Grammaire.  277 

ï\àh\[mxiî  anguls  en  eft  féparé  par  plufieurs 
mors  5  Tans  que  cette  féparation  apporte  la 
moindre  confufîon.  Les  terminaifons  font 
aifément  rapprocher  Tun  de  Tautrc  à  ceux 
qui  favent  la  langue.  Mais  nous  ne  ferions 
pas  entendus  en  françois  >  fi  nous  mettions 
un  fi  grand  intervalle  entre  le  fijbftantif  & 
radjedif.  Il  faut  que  nous  difions  :  Fuyc'{  j 
un  froid  fcrpent  eji  caché  fous  V  herbe. 

Nous  ne  pouvons  donc  faire  ufage  dQS 
inverfions  ,  que  lorfqu'elles  font  aifées  à 
ramener  à  Tordre  fignificatif  delà  conftru- 
âion  fimple.  Ce  n'eft  que  relativement  à 
cet  ordre  5  que  lorfqu'il  n'eft  pas  fuivi,  on 
dit  en  toute  langue  qu'il  y  a  inverfion,  & 
non  par  raport  à  un  prétendu  ordre  d'in- 
térêt &  de  paffion  ^  qui  ne  fauroit  jamaiî 
être  un  ordre  certain  ,  auquel  on  peut  op* 
pofer  le  terme  d'inverfion  :  Incerta  hàicjt 
tu  poflules  ratione  certâfacere^  nihilo  plus 
agas  j  quàmji  des  opérant  ut  cum  ratione 
infanias  (  i  ). 


(i)  Tàence  >  Eunuch,  Ad.  I.  Se.  I.  v,  i^. 


lyt  Principes 

En  effet  on  trouve  dans  Cicéron  &dans 
chacun  des  auteurs  qui  ont  beaucoup  écrit  j 
on  trouve ,  dis-je  ,  en  difFérens  endroits  > 
le  même  fond  de  penfée  énoncé  avec  Ie$ 
mêmes  mots ,  mais  toujours  difpofé  dans 
un  ordre  différent.  Quel  eft  celui  de  ces 
divers  arrangemens ,  par  raport  auquel  on 
doit  dire  qu'il  y  a  inverfîon  ?  Ce  ne  peut 
jamais  être  que  relativement  à  la  conftru- 
étion  fimple.  Il  ny  a  inverfion  que  lorfque 
i^et  ordre  n'eft  pas  fuivi.  Toute  autre  idés 
eft  fans  fondement ,  &  n'oppofe  inverfion 
qu  au  caprice  ou  à  un  goût  particulier  & 
momentanée. 

Mais  revenons  à  nos  inverfîons  françoi-- 
fes.  M^^  Deshoulières  dit  : 

Que  les  fougueux  Aquilons  > 
Sous  fa  nef  >  ouvrent  de  Tonde 
Les  gouffres  les  plus  profonds. 

^  La  conftrudion  limple  eft  ,  Que  Us 
Aquilons  fougueux  ouvrent  fous  fa  nef  les 
gouffres  les  plus  profonds  de  l'onde.  M. 
Fléchier ,  dans  uoe  de  fes  Oraifpns  funè- 


ilc  Grammaire:  2.79 

î>res  5  a  dit  5  Sacrifice  où  coula  le  fang  de 
fnille  viclimes.  La  conftru6tion  eft ,  Sacri^ 
fice  où  le  fang  de  mille  yiclimes  coula. 

Il  faut  prendre  garde  que  les  tranfpo- 
fîtions  &  le  renverfement  d'ordre  ne  don- 
nent pas  lieu  à  des  phrafes  louches  >  équi- 
voques >  &  où  Tefprit  ne  puilfe  pas  aifé* 
ment  rétablir  Tordre  fignificatif.  Garonne 
doit  jamais  perdre  de  vue  qu'on  ne  parle 
que  pour  être  entendu.  Ainfi  lorfque  les 
tranfpofitions  fervent  à  la  clarté  ,  on  doit  j 
même  dans  le  difcours  ordinaire,  les  pré- 
férer à  la  conftrudion  iîmple.  M^«  Def^, 
toulières  a  dit  :  - 

Dans  les  tranfports  quinfpirc 
Cette  agréable  faifon , 
Où  le  cœur ,  à  fon  empire, 
Aflujeitit  la  raifon. 

X'efprit  faifit  plus  aifément  la  penféèj  que 
il  cette  illuftre  Dame  avoir  dit>  Dans  les 
tranfports  que  cette  agréable  faifon  j  oà 
le  cœur  affujettit  la  raifon  à  fon  empire^ 
infpire.  Cependant ,  eu  ces  occafious  là 

y  z 


z8o  Principes 

même  5   refprit  aperçoit  les  raports  des 

mots  5    félon  Tordre  de  la  conftrudlion 

fîgnifîcative. 

V.     V Hellénïfme  ^  Sec. 

La  cinquième   forte  de  figure  ,  c'elt 
Timitacion    de  quelque  façon   de   parler 
d'une  langue  étrangère  5  ou  même  de  la 
langue  qu'on  parle.  Le  commerce  &  les 
relations  qu'une  nation  a  avec  les  autres 
peuples  ,  font  fouvent  pafiTer  5  dans  une 
langue,  non-feulement  des  mots ,  mais  en- 
core des  façons  de  parler,  qui  ne  font  pas 
conformes  à  la  conftrudion  ordinaire  de 
cette  langue.  Ceft  ainfi  que  dans  les  meil- 
leurs auteurs  latins  on  obferve  des  phra- 
fes  grecques  qu'on  appelle  Hellénifmes* 
C'eft  par  une  telle  imitation  qu'Horace  a 
dit  (i  )  5  Daunus  agrejlium  regnavit popu'^ 
Jorum.  Les  Grecs  difent  'È^a.aihivcrî  7(ov  haZy. 
Il  y  en  a  plusieurs  autres  exemples.  Mais 
dans  ces  façons  de  parler  grecques,  il  7  a 

(i)  Lib.llL  Ode  io.v.  iz. 


de  Grammaire^  z8 1 

eu  un  nom  fubftantif  fous  -  entendu ,  ou 
quelqu'une  de  ces  prépofitions  grecques 
qui  fe  conftruifent  avec  le  génitif..  Ici  on 
fous-entend,  BstW^ct;^  5.  comme  M.  Dacier 
Ta  remarqué  :  Regnavitregnum populorum^ 
Horace  a  dit  ailleurs  (i)  regnata  rura.  Ainiî 
quand  on  dit  que  telle  façon  de  parler  eft 
une  phrafe  grecque ,  cela  veut  dire  que 
TEllipfe  d'un  certain  mot  eft  en  ufage  en 
grec  dans  ces  occafions  ,  &  que  cette  Eî- 
lipfe  n'eft  pas  en  ufage  en  latin  dans  la 
conftrudion  ufuelle  ,  qu'ainfî  on  ne  l'y 
trouve  que  par  imitation  des  Grecs.  Les 
Grecs  ont  pluileurs  prépofitions  qu'ils  con- 
ftruifent avec  le  génitif  ,  &  dans  Tufage 
ordinaire  ils  fuppriment  les  prépofitions  y 
en  forte  qu*il  ne  refte  que  le  génitif.  C'eft 
ce  que  les  Latins  ont  fouvent  imité.  Voye^ 
Sandius ,  &  la  Méthode  de  P.  R.  de  l'HelIé- 
ni^mQ y pag.  559^  Mais,  foit  en  latin,  foit 
en  grec ,  on  doit  toujours  tout  réduire  à 
b  conftrudion  pleine  &  à  l'analogie  ordi- 

(i)  Lib^ll.Od^Cy  V.  ïia. 


t^2J  Principes 

mire.  Cette  figute  eft  aulîî  ufitée  dans  fà 
même  langue ,  fur-tout  quand  on  pafle  du 
fens  propre  au  fens  figuré.  On  dit  au  fens 
propre  >  qu'un  homme  a  de  V argent  -^  une 
montré  y  un  livre  ^  &  Ton  dit  par  imitation , 
qu'il  a  envie  yi^'A  a  peur  y  qu'il  a  hefoin^ 
qu'il  a  faim  y  &ç. 

L^'imitation  a  donné  lieu  à  plufîeurs  fa- 
çons de  parler ,  qui  ne  font  que  des  for- 
mules que  Tufage  â  confacrées.  On  fe  fert 
fî  fou  vent  du  pronom  il  ^  pour  rappeler 
dans  Teiprit  la  perfonne  déjà  nommée  y 
que  ce  pronom  a  paflTé  enfuite  par  imi^ 
îation  dans  plulleurs   façons  de  parler  y 
où  il  ne  rappelle  l'idée  d'aucun  individu 
particulier.  //  eft  plutôt  une  forte  de  nom 
métaphyfîque  idéal  ^  ou  d'imitation.  C'eft 
ainfî  que  Ton  dit  :  //  pleut  y  il  tonne  y  il 
faut  y  il  y  a  des  gens  qui  s^  imaginent  ^  8cc. 
Ce  il  y  illud  y  eft  un  mot  qu'on  emploie 
par  analogie  >  à  l'imitation  de  k  conftru- 
^lion  ufuelle  y  qui  donne  un  nominatif  à 
tout  verbe  au  mode  fini.  Ainfî  il  pleut  y 
c  eft  le  ciel  ouïe  tems  qui  eft  tel,  quU 


de  Grammaire.         z  8  5 

feit  tomber  la  pluie,  ///^^r^  c'cft-à-dire, 
€da  j  illud  j  telle  chofe  eji  nécejfaire  j  fa^ 
yoirj  8cc. 

VL     VAttraclion. 

On  raporte  à  rHellénifme  une  figure 
remarquable  ,  qu'on  appelle  Att RA-- 
CT I  o  N.  En  efFet ,  cette  figure  eft  fort 
ordinaire  aux  Grecs,  Mais  parcequ'on  en 
trouve  auffi  des  exemples  dans  les  autres 
langues ,  j'en  faisiciune  figure particulière* 

Pour  bien  comprendre  cette  figure,  il 
faut  obferver,  que  fouvent  le  méchanifme 
des  organes  de  la  parole  apporte  des  chan- 
.gemens  dans  les  lettres  des  mots  qui  pré- 
cèdent 3  ou  qui  fuivent  d'autres  mots. 
Ainfi  5  au  lieu  de  dire  régulièrement  ad^ 
loqui  aliquem  j  on  change  le  d  de  la  pré-- 
pofition  ad  en  l  ^  à  caufe  de  IV  qu'on  va 
prononcer ,  &  Ton  dit,  al-loqui  aliquem  j, 
plutôt  que  ad-loqui;  &  de  même  îr-ruere^ 
au  lieu  de  in-ruere^  col-loquij  au  lieu  de 
cum  ou  con-loqui ,  &c.  Ainfi  17  attire  iine 
autre /j&Cr 


2^4  Principes 

Ce  que  le  méchanifme  de  la  parole  fait 
faire  à  l'égard  des  lettres ,  la  vue  de  l'ef- 
prit  tournée  vers  un  mot  principal  5  le  fait 
pratiquer  à  l'égard  de  la  tcrminaifon  des 
mots.  On  prend  un  mot  félon  fa  iîgnifica- 
tion  ^  on  n*en  change  point  la  valeur  : 
mais  à  caufe  du  cas  ^  ou  du  genre  5  ou  du 
nombre ,  ou  enfin  de  la  terminaifon  d'un 
autre  mot ,  dont  l'imagination  eft  occupée  3 
on  donne  à  un  mot  voifin  de  celui-là  3  une 
terminaifon  différente  de  celle  qu'il  au- 
roit  eu  félon  la  conftru6tion  ordinaire  5  en 
forte  que  la  terminaifon  du  mot  dont  l'ef- 
prit  eft  occupé  5  attire  une  terminaifon 
femblable  5  mais  qui  n'eft  pas  la  régulière. 
Urbem  quam  Jlatuo  vejlra  ejc  {i).  Qjiam 
Jlatuo  a  attiré  urbem  ^  au  Jieu  de  urbs  ;  & 
de  même  ^Populo  ut  placèrent  quas  fectf- 
fet  fabulas  ;  au  lieu  de  fabuU  (2). 

Je  fais  bien  qu'on  peut  expliquer  c^s 
exemples  par  l'ElIipfe  :  H^zc  urbs  j  quam 


(i)  JE^.  1.  I. 

(1)  Téreuce,  Andr^  TroU 


de  Grammaire.  xS^ 

urlcmjiatuo  j  &c.  IIU  fabuU  j  quas  fabu- 
las fecîjfet  :  mais  lattradion  en  eft  peut- 
être  la  véritable  raifon.  Dii  non  concejfêrc 
poetis  ejfc  mediocribus  (i).  Mediocribus 
eft  attiré  par  pocds.  Animal  providum  & 
fagax  j  qucm  vacamus  hominem  (2);  ou 
vous  voyez  que  hominem  a  attiré  quem  ^ 
parcequ en  effet  hominem  étoit  dans  lef- 
prit  de  Cicérôn  dans  le  temps  qu'il  a  dit , 
dznimal  providum.  Benevolentia  ^  qui  ejt 
amicitidL  fons  (5).  Fons  a  attiré  qui  j  au  lieu 
de  qua.  Benevolentia  eji  fons  y  qui  eji 
fons  amicitiA.  Il  y  a  un  grand   nombre 
d'exemples  pareils  dans  Saaâius  5  &  dans 
la  Méthode  latine  de  P.  R.  On  doit  en 
rendre  raifon ,  par  la  diredion  de  la  vue 
de  Tefprit ,  qui  fe  porte  plus  particulière- 
ment vers  un  certain  mot,  ainfi  que  nous 
venons  de  Tobferver,  Ceft  le  reftbrt  des 
idées  acceflbires* 


(i)  Horace,  de  Arte  Foîtica^ 

(2)  Cicéron,  Lcg.  L  7. 

(3)  Cicéron. 


zBé  Principes 

III.   De  la  Conjlrucllon  ufuelle. 

La  troifième  force  de  conftriMÎtion  elî 
compofée  des  deux  précédentes.  Je  1  ap^ 
pelle  Construction  usuelle  j,  par- 
ceque  j'entens  par  cette  conftruâion,  Tac- 
rangement  des  mots  qui  efl:  en  ufage  dans 
les  livres  y  dans  les  lettres  >  &  dans  la  con- 
verfation  des  honnêtes  gens.  Cette  con- 
ftruétion  n^eft  fouvent  ^  ni  toute  fimple  ^ 
ni  toute  figurée.  Les  -mots  doivent  être 
fimples  y  clairs ,  naturels  ,  &  exciter  dans 
Teiprit  plus  defens  que  la  lettre  ne  paroîc 
en  exprimer.  Les  mots  doivent  être  énon- 
cés dans  un  ordre  qui  n^excite  pas  un  fen' 
timent  défàgréable  à  Toreille.  On  doit  y 
obferver  >  autant  que  la  convenance  des  dif- 
férens  ftyles  le  permet ,  ce  qu'on  appelle 
le  nombre  j  le  rythme  ^l'harmonie  ^  &c.  Je 
ne  m  arrêterai  point  à  recueillir  les  diffé- 
rentes remarques  queplufieurs  bons  auteurs 
ont  faites  au  fujet  de  cette  conftruûion* 
Telles  font  celles  de  MM.  de  l'Académie 
Françoife  y  de  Vaugelâs  >  de  M»  FAbbd 


de  Grammaire.  187 

d'OIîvet,du  P.  Bouhours,  de  TAbbé  de 
Bcllegarde ,  de  M.  de  Gamaches  >  &c.  Je 
remarquerai  feulement ,  que  les  figures 
dont  nous  avons  parlé  5  fe  trouvent  fou- 
vent  dans  la  conftrudion  ufuelle ,  mais 
elles  n  y  font  pas  nécefTaires  ^  &  même 
communément ,  Télégance  eft  jointe  à  la 
/implicite  5  &  fî  elle  admet  des  tranlpofi- 
tians,  des  ellipfes,  ou  quelqu'autre  figure, 
elles  font  aifées  à  ramener  à  Tordre  de 
ranalyfeénonciative.  Les  endroits  qui  font 
les  plus  beaux  dans  les  anciens ,  font  auffi 
les  plus  fîmples  &  les  plus  faciles. 

Jl  y  a  donc  i.°  une  CoNSTRUCTioi/r 
SIMPLE  j  nécefïàire,  naturelle,  où  chaque 
penfée  eft  analyfée  relativement  à  Tenon* 
cia^ion.  Les  mots  forment  un  tout  qui  a 
des  parties  :  or  la  perception  fimple  du 
raport  que  ces  parties  ont  Tune  à  Tautre , 
Se  qui  nous  en  fait  concevoir  Tenfemble, 
nous  vient  uniquement  de  la  conftrudion 
fîmple  5  qui ,  énonçant  les  mots  fuivant 
Tordre  fuccefîîf  de  leurs  raports ,  nous  Içs 
péfeate  de  la  manière  la  plus  propre  à 


1 8S^  Principes 

nous  faire  apercevoir  ces  raports,  &  à  faire 
naître  la  penfée  totale. 
Cette  première  forte  de  conftruâion  eft  le 
fondement  de  toute  énonciation.  Si  elle  ne 
fert  de  bafe  à  TOrateur ,  la  chute  du  difcours 
cft  certaine ,  dit  Quintilien  (  i  ).  Niji  Ora^ 
tori  fundamenta  fideliter jecerit  j  quidquii 
fuperjlruxerit  corrueu  Mais  il  ne  faut  pas 
croire,  avec  quelques  Grammairiens,  que 
ce  foit  par  cette  manière  fimple  que  quel- 
que langue  ait  jamais  été  formée.  Ça  été 
après  des  aflèmblages  fans  ordre  de  pierres 
èc  de  matériaux ,  qu'ont  été  faits  les  édifia 
ces  \qs  plus  réguliers  :  font-ils  élevés ,  l'or- 
dre fimple  qu^on  y  obferve  cache  ce  qu'il 
en  a  coûté  à  lart.  Comme  nous  faifififons 
aifément  ce  qui  eft  fimple  &  bien  ordonné , 
&  que  nous  apercevons  fans  peine  les 
raports  des  parties  qui  font  lenfemble  , 
nous  ne  faifons  pas  afiez  d  attention  que 
ce  qui  nous  paroît  avoir  été  fait  fans  peine , 
eft  le  fruit  de  la  réflexion,  du  travail ,  à.ç: 

(i)  Inflit.  or.  h  I.  c*  ly» 


de  Grammaire.         285 

Texpérience  &  de  Texercice.  Rien  de  plus 
irrégulier  qu'une  langue  qUi  fe  forme  ou 
qui  fe  perd. 

Ainfi ,  quoique  dans  Tétat  d'une  langue 
formée ,  la  conftrudtion  dont  nous  parlons 
foît  la  première ,  à  caufe  de  Tordre  qui 
fait  apercevoir  la  liaifon  5  la  dépendance 
&  le  raport  des  mots-,  cependant  les  lan- 
gues n  ont  pas  eu  d  abord  cette  première 
forte  de  conftrudtion.  Il  y  a  une  efpèce  de 
métaphyfique  d'inftinét  &  de  fentiment , 
qui  a  préfîdé  à  la  formation  des  langues  : 
fur  quoi  les  Grammairiens  ont  fait  enfuite 
leurs  obfervations ,  &  ont  aperçu  un  ordre 
grammatical  ,  fondé  fur  Tanalyfe  de  la 
penfée,  fur  les  parties  que  la  néceiîîté  de 
rélocution  fait  donner  à  la  penfée,  fur  les 
fignes  de  ces  parties,  &  fur  le  raport  &  le 
fervice  de  ces  lignes.  Ils  ont  obfervé 
encore  Tordre  pratique  &  d'ufage. 

2.*^  La  féconde  forte  de  conftruélion  eft 
appelée  Construction  figurée. 
Celle-ci  s'écarte  de  Tarrangement  de  k 


ipo  Principes 

conjiruciionjimple  >  &  de  Tordre  de  Tanâ*' 
lyfe  énonciative. 

3.°  Enfin  5  il  y  a  une  CONSTRUCTION 
USUELLE  j  où  Ton  fuit  la  manière  ordi- 
ijaire  de  parler  des  honnêtes  gens  de  la 
nation  dont  on  parle  la  langue ,  foit  que 
les  expreffions  dont  on  fe  fert  fe  trouvent 
conformes  à  la  conftrudion  fimple  ,  ou 
qu'on  s'énonce  par  la  conftru6ltion  figurée» 
Au  refte ,  par  les  honnêtes  gens  de  la  na^ 
tionj  j'entens  les  perfonnes  que  la  condi- 
tion 5  la  fortune  ou  le  mérite  élèvent  au- 
deflus  du  vulgaire >  &  qui  ont  le/prit  cul- 
tivé par  la  ledure,  par  la  réflexion ,  &  par 
le  commerce  avec  d'autres  perfonnes  qui 
ont  ces  mêmes  avantages.  Trois  points  qu'il 
ne  faut  pas  féparer  :  i.°  Diflinâion  au- 
deflus  du  vulgaire ,  ou  par  la  naiflîànce  & 
la  fortune ,  ou  par  le  mérite  perfonnel  j 
2.°  avoir  l'efprit  cultivé  i  5.^  être  en  com- 
merce avec  des  perfonnes  qui  ont  ces  mê- 
mes avantages. 

Toute  conftrudlioajflmple  n/eft  pas  tou?r 


de  Grammaire.         49 1 

jours  conforme  à  la  conflruction  ufuelîe* 
Mais  une  phrafe  de  la  condrudion  ufuel- 
îe,  même  de  la  plus  élégante,  peut  être 
énoncée  félon  l'ordre  de  la  conftrudtion 
fîmpîe.  Turenne  ejl  mort  ;  la  fortune  chan-^ 
celle  y  la  victoire  s^ arrête  ;  le  courage  des 
troupes  ejl  abattu  par  la  douleur ^  &  rani'' 
mépar  la  vengeance  i  tout  le  camp  demeure 
immobile  (i).  Qiioi  de  plus  /impie  dans 
la  conftrudtion  !  quoi  de  plus  éloquent  & 
de  plus  élégant  dans  rexpreflîon  ! 

Il  en  eft  de  même  de  la  conftrudion  fi- 
gurée. Une  conftrudion  figurée  peut  être 
ou  n'être  pas  élégante.  Les  ellipfes ,  les 
tranfpofitions  &  les  autres  figures  5  fe  trou- 
vent dans  les  difcours  vulgaires ,  comme 
elles  fe  trouvent  dans  les  plus  fublimes.  Je 
fais  ici  cette  remarque ,  parceque  la  plu- 
part des  Grammairiens  confondent  la  con- 
ftrudion  élégante  avec  la  conftrudion  fi- 
gurée 5  &  s'imaginent  que  toute  conftru- 


(  I  )  Flcchicr  >    Oraifon  funèbre  d^  M.  dt 
Turenne^ 


z^t  Principes 

€lion  figurée  eft  élégante  ,  &  que  toute 
conftrudion  fimple  ne  Teft  pas. 

Au  refte^  la  conftrudion  figurée  eft  dé- 
feâueufe ,  quand  elle  n'eft  pas  autorifée 
par  Tufage.  Mais  5  quoique  Tufage  &  Tha- 
bitude  nous  faflent  concevoir  aifément  le 
fens  de  ces  conflruftions  figurées  5  il  n'eft 
pas  toujours  (î  facile  d  en  réduire  les  mots 
à  Tordre  de  la  conftruftion  fimple.  C  eft 
pourtant  à  cet  ordre  qu'il  faut  tout  rame- 
ner 5  fi  Ton  veut  pénétrer  la  raifon  des  dif- 
férentes modifications  que  les  mots  reçoi- 
vent dans  le  difcours.  Car ,  comme  nous 
l'avons  déjà  remarqué  5  les  conftru6tions 
figurées  ne  font  entendues ,  que  parceque 
Tefprit  en  redtifie  Tirrégularité  5  par  le  fe- 
cours  des  idées  acceftoires ,  qui  font  con- 
cevoir ce  qu  on  lit  &  ce  qu'on  entend , 
comme  fi  le  fens  étoit  énoncé  dans  1  ordre 
de  la  conftru6tion  fimple. 

C*eft  par  ce  motif,  fans  doute  5   que 

dans  les  écoles  où  Ton  enfeigne  le  latin , 

fur-tout  félon  la  méthode  de  l'explication, 

les  maîtres  habiles  commencent  par  arran- 
ger 


de  Grammaire.  295 
^^  les  mots  félon  Tordre  dont  nous  par-^ 
Jons;  &  c  eft  ce  qu'on  appelle /^/rd  la  con< 
Jlruclion.  Après  quoi  on  accoutume  les  jeu- 
nes gens  à  Télégance  >  par  de  fréquentes 
ledures  du  texte  ,  dont  ils  entendent  alors 
le  fens ,  bien  mieux ,  &  avec  plus  de  fruit > 
que  (1  Ton  avoir  commencé  par  le  texte  ^ 
fans  le  réduire  à  laconftrudtion  fimple. 

Hé ,  n'eft-ce  pas  ainfî  que  ,  quand  on 
enfeigne  quelqu'un  des  Arts  libéraux,  la 
danfe  ,  la  mufique.  la  peinture  5  Técriture, 
&:c.  on  mène  long-temps  les  jeunes  élèves 
comme  par  la  main  :  on  les  fait  pafler  par 
ce  qu'il  7  a  de  plus  fimple  &  de  plus  facile  j 
on  leur  montre  les  fondemens  &  les  prin- 
cipes de  TArt^  &  on  les  mène  enfuite  fans 
peine  à  ce  que  fart  a  de  plus  fublime. 

Ainli  5  quoi  qu'en  puiiîènt  dire  quelques 
perfonnes ,  peu  accoutumées  à  l'exaélitude 
du  raifonnement3&  à  remonter  en  tout  aux: 
vrais  principes ,  la  méthode  dont  je  parle 
cfl:  extrêmement  utile.  Je  vais  en  expofer 
ici  les  fondemens  5  &  donner  les  connoiflan^ 
ces  néceUaires  pour  la  pratiquer  avec  fuccèg. 


2^4  Principes 

DU    DISCOURS 

CONSIDÉRÉ  GRAMMATICALEMENT^ 
Et  des  parties  qui  le  compofent. 

JLE  Difcours  eft  un  aflemblage  de  propo- 
rtions,  d'énonciations  &  de  périodes,  qui 
toutes  doivent  fe  raporter  à  un  but  princi- 
pal. 

La  propofition  eft  un  affemblage  de 
mots  5  qui  par  le  concours  des  différens  ra- 
ports  qu'ils  ont  entr'eux ,  énoncent  un  ju- 
gement ou  quelque  confidération  particu- 
lière de  refprit ,  qui  regarde  un  objet 
comme  tel. 

Cette  confidération  de  Tefprit  peut  fe 
faire  en  plufieurs  manières  différentes  i  & 
ce  font  ces  différentes  manières  qui  ont 
donné  lieu  aux  modes  des  verbes. 

Les  mots  dont  laflemblage  forme  ufl 
fens,  font  donc,  ou  le  figne  d'un  jugement, 
ou  Texpreffion  d'un  fimple  regard  de  V^Ç" 
prit,  qui  confidère  uu  objet  avec  telle  ou 


de  Grammaire.         1515 

telle  modification  \  ce  qu'il  faut  bien  diftin- 
guet. 

Juger  j  c'eft  penFer  qu  un  objet  eft  d« 
telle  ou  telle  façon  •,  c'eft  affîrnier  ou  nierj 
c'eft  décidet  relativement  à  l'état  ou  Ton 
fuppofe  que  les  objets  font  en  eux-mêmes* 
Nos  jugemens  font  donc  ou  affirmatifs  oa 
négatifs.  La  une  tourne  autour  du  foleil: 
voila  un  jugement  affirmatif.  Le  foleil  ne 
tourne  point  autour  de  la  terre  :  voila  un 
jugement  négatif.  Toutes  les  propofitions 
exprimées  par  le  mode  indicatif  énoncent 
autant  de  jugemens.  Je  chante  jje  chamois  y 
y  aï  chanté  j  favois  chanté  ^  je  chanterai  ^ 
ce  font  là  autant  de  proportions  affirma- 
tives 5  qui  deviennent  négatives  par  la 
feule  addition  des  particules  ne  j  non^  ne 
pas  ^  &c 

Ces  propofitions  marquent  un  état  réel 
de  Tobjet  dont  on  juge.  Je  veux  dire ,  que 
nous  fuppofons  alors  que  Tobjet  eft  ou 
qu'il  a  été  ,  ou  enfin  qu'il  fera  tel  que  nous 
le  difons ,  indépendamment  de  notre  ma- 
nière de  penfer» 


'  y  ? 


2.9e  Principes 

Maïs  quand  Je  dis  Soye'^fage  ^  Ce  n  eff 
que  dans  mon  efprit  que  je  raporte  à  vous 
h  perception  ou  idée  d'être  fage,  fans 
rien  énoncer,  au  moins  directement  5  de 
votre  état  a£tuel.  Je  ne  fais  que  dire  ce 
que  je  fouhaite  que  vous  foyez  :  ra6lioa 
de  mon  efprit  n'a  que  cela  pour  objets  & 
non  d'énoncer  que  vous  êtes  fage ,  ni  que 
vous  ne  Têtes  pas.  Il  en  eft  de  même  de 
ces  autres  phrafes  :  Si  vous  êtie^fage  ;  afin 
que  vous  foye^  fage  ;  &  même  des  phrafes 
énoncées  dans  un  fens  abdrait  par  Tinfini- 
tif  >  Pierre  être  fage.  Dans  toutes  ces  phra- 
fes 5  il  y  a  toujours  le  iîgne  de  TaCtion  de 
Tefprit  3  qui  applique  ,  qui  raporte  ,  qui 
adapte  une  perception  ou  une  qualifica- 
tion à  un  objet  \  mais  qui  Tadapte ,  ou  avec 
la  forme  de  commandement ,  ou  avec  celle 
de  condition  ,  de  fouhait  5  de  dépendance, 
&c.  mais  il  n'y  a  point  là  de  décifîon  qui 
affirme  ou  qui  nie  5  relativement  à  Tétat 
pofitif  de  Tobjet. 

Voila  une  différence  efTentielIe  entre 
les  propofîtions  :  les  unes  font  dire(^emenc 


I 


de  Grammaire.  297 
ûffirmatives  ou  négatives  5  &  énoncent  des 
Jugemensj  les  autres  n'entrent  dans  le  dif- 
cours  que  pour  y  énoncer  certaines  vues 
de  lefprit.  Ainfi  elles  peuvent  être  appe- 
lées fîmplement  énonciations. 

Tous  les  modes  du  verbe ,  autre  que 
Tindicatif  5  nous  donnent  de  ces  fortes 
d'énonciations  >  même  Tinfinitif  5  fur-tout 
en  latin  :  ce  que  nous  expliquerons  bientôt 
plus  en  détail.  Il  fufïît  maintenant  d'obfer- 
ver  cette  première  divifîon  générale  de  \x 
propoiîtion. 

L  Propojidoa  directe  énoncée  par  le  mode 
indicatif. 

Tropojition  oblique  y  onjîmple  énonciatiort  ex^ 
primée  par  quelqu^uji  des  autres  modes  du. 
verbe. 

I L  ne  fera  pas  inutile  d'obferver  ,  que 
les  propofitions  &  les  énonciations  font 
quelquefois  appelées  Phrafes.  Mais  phra- 
fe  eft  un  mot  générique  qui  fe  dit  de  tout: 

aflèmbUge  de  mot?  liéçentr'eux,  foit  qu'ils. 

X  5 


%^B  Principes 

faflent  un  fens  fini ,  ou  que  ce  fens  ne  foît 
qu'incomplet. 

Ce  mot  phrafe  fe  dit  plus  particulière- 
ment d'une  façon  de  parler ,  d  un  tour 
d'expreffion  ,  en  tant  que  les  mots  y  font 
conftruits  5c  afïemblés  d'une  manière  par- 
ticulière. Par  exemple ,  On  dit  j  eft  une 
phrafe  françoife  ,  Hoc  dicitur  ^  eft  une 
phrafe  latine  i  Si  dice  j  eft  une  phrafe  ita-- 
ïienne  :  Il  y  a  long-temps  j  eft  une  phrafe 
françoife  -,  E  molto  tempo  ^  eft  une  phrafe 
italienne  :  voila  autant  de  manières  diffé- 
rentes d'analyfer  &  de  rendre  la  penfée^ 
Quand  on  veut  rendre  raifon  d'une  phra- 
fe 5  il  faut  toujours  la  réduire  à  la  propo- 
rtion 5  &  en  achever  le  fens  j  pour  démê^ 
1er  exadement  les  raports  que  les  mots  ont 
cntr'eux ,  félon  Tufage  de  la  langue  dont 
il  s'agit. 

Des  parties  de  la  propojîtion   &  de 
renonciation. 
La  propofîtion  a  deux  parties  efTentiel- 
les  :  !•''  le  Sujet  :    xJ"  X Attribut.  Il  en 
eft  de  même  de  renonciation. 


de  Grammaire.         Z95 

1.^  \^t  fujct.  C'eft  le  mot  qui  marque 
la  perfonne  ou  la  chofe  dont  on  Juge ,  ou 
que  Ton  regarde  avec  telle  ou  telle  qualité 
ou  modification, 

2.^  \1  attribut.  Ce  font  les  mots  qui 
marquent  ce  que  Ton  juge  du  fujet,  ou 
ce  que  Ton  regarde  comme  mode  du  fujet. 

L'attribut  contient  elTentiellement  le 
verbe ,  parceque  le  verbe  eft  dit  du  fujet  > 
&  marque  Tadion  de  Tefprit,  qui  confî- 
dère  le  fujet  comme  étant  de  telle  ou  telle 
façon  3  comme  ayant  ou  faifant  telle  ou 
telle  chofe,  Obfervez  donc  que  Tattribut 
commence  toujours  par  le  verbe. 

Différentes  fortes  de  Sujets^ 

Il  y  a  quatre  fortes  de  fujets.  i.^  Sujet 
fmple  j  tant  au  fingulier  qu'au  plurier  j 
2.^  fujet  multiple  ;  5.''  fu/et  complexe; 
4.^  fujet  énorxé  par  plufieurs  mots  qui 
forment\n  fens  totale  &  qui  font  équivU'- 
iens  à  un  nom. 

i^  Sujet  fimpUy  énoncé  en  un  feul 

mot.  LefoUil  eji  levé;  lefoleil  eft  le  fujet 

X4 


jcô  Principes 

lîmple  au fingulier.  Xe^  ajlres  hnlknt\  Ici 

ajlres  font  le  fujet  fimple  au  plurier. 

2  ."^  Sujet  multiple.  Ceft  lorfque  pour* 
abréger ,  on  donne  un  attribut  commun  à 
plufîeurs  objets  différens,  La  foi  ^  l'cfpé- 
rance  &  la  charité  font  trois  vertus  théolo- 
gales ;  ce  qui  eft  plus  court,  que  fi  Ton  di* 
foit  5  La  foi  eji  une  vertu  théologale  ;  Vef- 
pérance  eflune  vertu  théologale  ;  la  charité 
eJi  une  vertu  théologale.  Ces  trois  mots, 
la  foî  j  Vefpéranct  j  la  charité ^  font  le 
fujet  multiple.  Et  de  même ,  S.  Pierre^ 
S.  Jean  ^  S.  Matthieu  ^  &c.  etoient  apô^^ 
très  :  S.  Pierre  ^  S.  Jean  j  S.  Matthieu  ^ 
voila  le  fujet  multiple ,  étoient  apôtres  > 
en  eft  Tattribut  commun. 

3.*^  Sujet  complexe.  Ce  mot  complexe 
vient  du  latin  complexus  ^  qui  fignifie  em-^ 
harafféjy  compofé.  Un  fujet  eft  complexe, 
lorfqu'il  eft  accompagné  de  quçlqu'adjeâif 
OU  de  quelqu  autre  modificatif.  Alexandre 
vainquit  Darius  ;  Alexandre  eft  un  fujet 
fimplç.  Mais  fi  je  dis,  Alexandre  j, fils  de 
Philippe  j  ou  Alexandre  j  roi  dç  Maçé-^ 


^ de  Grammaire^.  ^301 
ttoint  ^  voila  un  fujet  complexe.  Il  faut 
bien  diftinguer  ,  dans  le  fujet  complexe  s 
k  fujet  perfafinel  ou  individuel  ,  &  les 
mots  qui  le  rendent  fujet  complexe.  Dans 
Texemple  ci-defïùs ,  Alexandre  eft  le  fujet 
perfonnel  •,  fils  de  'Philippe  _,  ou  roi  de 
Macédoine  _,  ce  font  les  mots  qui  n'étant 
point  fépai'és  d^ Alexandre  j  rendent  ce 
mot  fujet  complexe. 

On  peut  comparer  le  fujet  complexe  à 
une  perfonne  habillée.  Le  mot  qui  énonce 
le  fujet  eft,  pour  ainfi  dire  >  la  perfonne  j 
&  les  mots  qui  rendent  le  fujet  complexe^ 
ce  font  comme  les  habits  de  la  perfonne. 
Obfervez  que  lorfque  le  fujet  eft  com- 
plexe ,  on  dit  que  la  proportion  eft  com-^ 
plexe  ou  compofée. 

L  attribut  peut  auffi  être  complexe.  Si 
je  dis  5  qu  Alexandre  vainquit  Darius  j 
roi  de  Perfe  j  Tattribut  eft  complexe  : 
ainfî  la  proportion  eft  compofée  par  rap- 
port à  Tattribut.  Une  propofition  peut 
auflî  être  complexe ,  par  raport  au  fujet> 
§c  par  rapport  à  T^ttribut* 


3oa  Principes 

4^^  La  quatrième  forte  de  fujetj  eft; 
un  fujet  énoncé  par  plufîeurs  mots ,  qui 
forment  un  fens  total  y  ôc  qui  font  équi va- 
lens  à  un  nom. 

Il  11  y  a  point  de  langue  qui  ait  un  aflfez 
grand  nombre  de  mots  >  pour  fufEre  à  ex- 
primer par  un  nom  particulier  chaque  idée 
ou  penfée  qui  peut  nous  venir  dans  Tef- 
prit  :  alors  on  a  recours  à  la  périphrafe» 
Par  exemple  »  les  Latins  n'avoient  point 
de  mot  pour  exprimer  la  durée  du  temps 
pendant  lequel  un  prince  exerce  fon  au- 
torité. Ils  ne  pouvoient  pas  dire ,  comme 
nouSySaus  le  règne  d'AuguJle  :  ils  difoient 
alors  5  Dans  le  temps  quAuguJle  étoit  em- 
pereur :  Imperante  Ctzfare  Augufio  ;  car 
regnum  ne  fignifie  que  royaume. 

Ce  que  je  veux  dire  de  cette  quatrième 
forte  de  fujet  ,  s'entendra  mieux  par  des 
exemples.  Différer  de  profiter  de  l'occa^ 
fiouy  cefifouvent  la  laijfer  échaper  fans 
retour.  Différer  de  profiter  de  Voccafion  j. 
voila  le  fujet  énoncé  par  plufieurs  mots  qui 
forment  un  fens  total ,  dont  on  dit  que 


^ de  Grammaire.  305 

c^ejl  fouvent  laijfer    cchaper    Voccajion 
fans  retour. 

C'cji  un  grand  art  ^  de  cacher  Fart.  Ce  ^ 
hoc  y  à  favoir  5  cacher  Vart  ^  voila  le  fujet, 
dont  on  dit  que  cejl  un  grand  art. 

Bien  vivre  ^  eji  un  moyen  fur  de  dé  far-* 
mer  la  médifance.  Bien  vivre  eft  lé  fujet; 
cji  un  moyen  fur  de  défarmer  la  médifan'^ 
ce  j  c'eft  lattribut. 

//  vaut  mieux  être  jujle  j  que  d^être  rî^ 
che  ;  être  raifonnable ^  que  d'être  favant.  Il 
y  a  là  quatre  propofitions ,  félon  Tanaly/c 
grammaticale  *,  deux  affirmatives ,  &  deux 
jnégatives  5  du  moins  en  François. 

i.^  //j  illud jy  cecij  à  favoir  être  jujie ^ 
vaut  mieux  que  l'avantage  à'être  riche  ne 
vaut.  Etre  jujle  eft  le  fujet  de  la  première 
propofition  ^  qui  eft  affirmative.  Etre  riche 
eft  le  fujet  de  la  féconde  propofition  5  qui 
eft  négative  en  François ,  parcequ  on  fous- 
entend  5  ne  vaut  ^  être  riche  ne  vaut  j^as 
tant. 

2.®  Il  en  eft  de  même  de  la  fuivante  : 
Btrc  raifonnable  vaut  mieux  que  d'être 


504  FrîncLpes 

[avant.  "Etre  ralfonnable  eft  le  fujet  5  d^nt 
on  dit  vaut  mieux  jy  8c  cette  première  pro- 
pofition  eft  affirmative.  Dans  la  corréla- 
tive 5  être  /avant  ne  vaut  pas  tant  5  être 
/avant  eft  le  fujet. 

Majus  eji  j  certeque  gratius  j  prode/fc 
hominibus  y  quàm  opes  magnas  habere  (  i  }• 
Prode/fe  hominibus  y  être  utile  aux  hom-- 
mes  ;  voila  le  fujet  ',  c'eft  de  quoi  on  affir- 
me que  c'eft  une  chofe  plus  grande,  plus 
louable  &  plus  fatisfaifante:»  que  de  poiTé- 
der  de  grands  biens.. 

Remarquez  5  i,"^  que  dans  ces  fortes  de 
fujets ,  il  n'y  a  point  de  fujet  perfonnel , 
que  Ton  puifle  féparer  des  autres  mots. 
C'eft  le  fens  total  ?  qui  réfulte  des  divers 
raports  que  les  mots  ont  entr'eux  5  qui  eft 
fujet  de  la  propofition.  Le  jugement  na 
tombe  que  fur  Tenfemble ,  &  non  fur  au- 
cun mot  particulier  de  la  phrafe.  2.^  Ob- 
fervez  que  Ton  n'a  recours  à  plufieurs 
mots  pour  énoncer  un  fens  total ,  que  par- 

(t)  Cicéron ,  d^  Nat.  Dcor*  «#  ^  J* 


I 


f  • 


de  Grammaire.         505 

cequ*on  ne  trouve  pas  dans  la  langue  un 
nom  fubftanrif  deftiné  à  Texprimer.  Ainfî 
les  mots  qui  énoncent  ce  fens  total ,  fup- 
pléent  à  un  nom  qui  manque.  Par  exem- 
pie  5  Aimer  à  obliger  &  à  faire  du  bien  y 
ejl  une  qualité  qui  marque  une  grande 
ame.  Aimer  a  obliger  &  à  faire  du  bien  y 
voila  le  fujet  de  la  propofition.  M.  Tabbé 
de  Saint-Pierre  a  mis  en  ufage  le  mot  de 
bienfaifance  j  qui  exprime  le  fens  à' aimer 
k  obliger  &  à  faire  du  bien.  Ainfî ,  au  lieit 
de  ces  mots ,  nous  pouvons  dire ,  la  bien- 
faifance efl  une  qualité  qui  marque  une 
grande  ame.  Si  nous  n^avions  pas  le  mot 
Nourice  ^  nous  dirions  5  une  femme  qui 
donne  à  téter  à  un  enfant  j  &  qui  prend 
foin  de  la  première  enfance. 

Autres  fortes  de  propojîtions  à  diftinguer  ^  pouf 
bien  faire  la  conftruction. 

II.     Propofition   abfolue  ou  complette  : 
Propofition  relative  ou  partielle. 

i.°  LoRSQii'uNE  propofition  eft  telle, 
que  Tefprit  n'a  befoin  que  des  mots  qui  y 


^oé  Principes 

font  énoncés  pour  en  entendre  le  fens  ^ 
nous  difons  que  c'eft  -  là  une  propojition 
abfolue  ou  complette. 

1.^  Quand  le  fens  d  une  propofition  met 
Te/prit  dans  la  (îtuation  d'exiger  ou  de 
fuppofer  le  fens  d'une  autre  propofition , 
nous  difons  que  ces  propofitions  font  rela- 
tives ,  &  que  l'une  eft  la  corrélative  de 
Tautre.  Alors  ces  propofitions  font  liées 
entr'elies  par  des  conjonétions ,  ou  par 
des  termes  relatifs.  Les  raports  mutuels 
que  ces  propofitions  ont  alors  entr'elles , 
forment  un  fens  total  5  que  les  Logiciens 
appellent  propojition  compofée  :  &  ces 
propofitions ,  qui  forment  le  tout  ,  font 
chacune  des  propofitions  partielles, 

L'alïèmblage  de  différentes  propofitions 
liées  entr'elles ,  par  des  conjondions  ou 
par  d'autres  termes  relatifs,  eft  appelé 
PÉRIODE  par  les  Rhéteurs.  Il  ne  fera  pas 
inutile  d  en  dire  ici  ce  que  le  Grammai* 
rien  en  doit  favoir* 


de  Grammaire.         307; 

DE  LA  PÉRIODE. 

La  période  eft  un  afïemblage  de  propo- 
fitions  liées  entr'elles  par  des  conjondlions, 
&  qui  toutes  enlemble  font  un  fens  fînî. 
Ce  fens  fini  eft  auffî  appelé  fens  compktm 
Le  fens  eft  fini  5  lorfque  Tefprit  n  a  pas 
befoin  d'autres  mots  pour  Tintelligence 
complette  du  fens  ,  en  forte  que  routes 
les  parties  de  Tanalyfe  de  la  penfée  font 
énoncées.  Je  fuppofe  qu'un  ledleur  enten- 
de fâ  langue  3  qu'il  foit  en  état  de  démêler 
ce  qui  eft  fujet ,  &  ce  qui  eft  attribut  dans 
une  proportion  ,  &  qu'il  connoifle  les  fi- 
gues qui  rendent  les  propofitions  corréla- 
tives. Les  autres  connoiflànces  font  étran* 
gères  à  la  Grammaire. 

Il  y  a  dans  une  période  autant  de  pro- 
pofitions qu'il  y  a  de  verbes ,  fur-tout  à 
quelque  mode  fini  :  car  tout  verbe  employé 
dans  une  période  ,  marque  ou  un  juge^ 
ment,  ou  un  regard  de  lefprit  qui  appli- 
que un  qualificatif  à  un  fujer.  Or  tout  juge- 
ment fuppofe  un  fujet,  puifqu on  ne  peur 


5o8  Principes 

Juger  5  qu'on  ne  juge  de  quelqu'un  ou  de 
quelque  chofe.  Ainfî  le  verbe  m'indique 
néceflairement  un  fujet  &  un  attribut  : 
par  conféquent  il  m'indique  une  propo- 
fition  >  puifque  la  proposition  n'eft  qu'un 
aflemblage  des  mots  qui  énoncent  un 
Jugement  porté  fur  quelque  fujet.  Ou  bien 
le  verbe  mlndique  une  énonciation ,  puif- 
que le  verbe  marque  Tadion  de  Teipric 
qui  adapte  ou  applique  un  qualificatif  à 
un  fujet  5  de  quelque  manière  que  cette 
application  fe  faflTe. 

Je  dis  ,  fur-tout  à  quelque  mode  fini  : 
car   Tinfinitif  eft  fouvent  pris  pour  un 
mom  5  je  veux  lire  ;  &  lors  même  qu'il  eft 
verbe,  il  forme  un  fens  partiel  avec  un 
nom  ;  &  ce  fens  eft  exprimé  par  une  énon- 
ciation 5  qui  eft  3  ou  le  fujet  d'une  propo- 
fîtion  logique ,  ou  le  terme  de  ladtion 
d  un  verbe  j  ce  qui  eft  très-ordinaire  en 
latin.  Voici  des  exemples  de  Tun  &  de 
l'autre -,  &  premièrement,  d'une  énoncia- 
tion ,  qui  eft  le  fujet  d'une  propofîtion 
logique^  Ovide  fait  dire  au  Noyer  >  qu'il 

eft 


de  Grammaire.  309 

«ft  bien  fâcheux  pour  lui  de  porter  des 
fruits,  Nocet  e(fe  feracem  ;  mot  à  mot. 
Etre  fertile  efi  nuifible  à  moi  :  où  vous 
voyez  que  ces  mots,  être  fertile  ^  font  un 
fens  total ,  qui  eft  le  fujet  de  efi  nuflble  ^ 
nocet.  Et  de  même ,  Magna  ars  efi  j  non 
apparerc  artem  ;  mot  à  mot ,  Vart  ne  point 
paroître  ^  efi  un  grand  art  ;  c'eft  un  grand 
art ,  de  cacher  i  art  5  de  travailler  de  façon 
qu'on  ne  reconnoifle  pas  la  peine  que  Tou- 
rricr  a  eue  *,  il  faut  qu'il  femble  que  les 
chofes  fe  foient  faites  ainfi  naturellemehr. 
Dans  un  autre  fens ,  cacher  l'art  j  c'eft  ne 
pas  donner  lieu  de  fe  défier  de  quelqu'ar- 
tifice.  Ainfi  ,  l'art  ne  point  paroître  j  voilà 
le  fujet  dont  on  dit  que  c'ejl  un  grand  art. 
Te  duci  ad  mortem  j  Catilina  j  jam  prl-- 
dem  oportebat  (i)  :  mot  à  mot,  Toi  être 
mené  à  la  mort  ^  efi  ce  quon  auroit  du 
faire  il  y  a  long-temps.  Toi  être  mené  à, 
la  mort  ^  voila  le  fujet.  Et  quelques  lignes 
après  >  Cicéron  ,   ajoute  Interfecium  te 

(i)  Cicçron,  I.Çatilin. 


j  r  o  Principe^ 

ejfe  j  Catillna  j  convenu.  Toi  être  tué  s 
Catilina  ^  convient  à  la  République.  Toi 
être  tué  j  voila  le  fujet  -,  Convient  à  la 
République  _,  c  ^ft  l'attribut.  Hominem  ejfe 
folum  nonejibonum  :  Hominem  ejfe  folum^ 
voila  le  fujet  :  Non  ejl  bonum^c^ik  Tattri- 
but. 

Ce  fens  formé  par  un  nom  avec  un  in- 
finitif, eft  auffi  fort  fou  vent  le  terme  de 
laôtion  d'un  verbe  :  Cupio me  ejfe  clemen- 
tem  (i).  Cupio  ^  je  dejîre  :  &  quoi  ?  me  ejfe 
clementem  _,  moi  être  indulgent  :  où  vous 
voyez  y  que  me  ejfe  clementem  fait  un  fens 
total  5  qui  eft  le  terme  de  Taétion  de  cupîo^ 
Cupio  j  hoc  nempe  j  me  ejfe  clem.cntem.  Il 
y  a  en  latin  un  très-grand  nombre  d'exem- 
ples, de  ce  fens  total  formé  par  un  nom 
avec  un  Infinitif  5  fens  qui  étant  équivalent 
à  un  nom  ,  peut  également  être  ,  ou  le 
fujet  d'une  proportion  ,  ou  le  terme  de 
ladion  du  verbe. 

Ges  fortes  d'énonciations ,  qui  détermi- 

i— ■— ■  — — Ml    I       ■  I  I  II  !■  1.1— — Wi> 

(i)  Ciccron,  I.  CaùU  fub  initio. 


de  Grammairel  ^  i  il 

ncnt  un  verbe,  &:  qui  en  font  une  appli- 
cation ,  comme  quand  on  dit,  ]c  veux  être 
fdgc  ;  être  fage  détermine  je  veux  :  ces 
fortes  d'énonciations ,  dis-je  ,  ou  de  déter- 
minations ,  ne  fe  font  pas  feulement  par 
des  infinitifs  >  elles  fe  font  auffî  quelque- 
fois par  des  propofitions  même ,  comme 
quand  on  dit,  Je  ne  fais  qui  a  fait  cela\ 
8c  en  latin ,  Nefcio  quis  fecU  \  Nefcio  uur^ 
ôcc. 

Il  y  a  donc  des  propofitions  ou  énoncia- 
tions  ,  qui  ne  fervent  qu'à  expliquer  ou 
déterminer  un  mot  d'une  propcficion  pré- 
cédente. Mais  avant  que  de  parler  de  ces 
fortes  de  propoiîcions ,  &  de  quitter  la 
période  ,  il  ne  fera  pas  inutile  de  faire  les 
obfervations  fuivantes. 

Chaque  phrafe  ou  aflemblage  de  mots 
qui  forme  un  fens  partiel  dans  une  pério- 
de 5  &  qui  a  une  certaine  étendue ,  eft  ap- 
pelée membre  de  la  période,  ^kqv.  Si  le 
fens  eft  énoncé  en  peu  de  mots,  on  l'ap- 
pelle Incife  j  ')^(jLi/^dL ,  fegmen  ^  incifum.  Si 
tous  les  fens  particuliers  qui  compofent 

Y  a. 


3  i  ^  Principes 

Ja  période ,  font  ainfi  énoncés  en  peu  de 
mots  5  c'efl:  le  ftyle  coupé  ;  c'eft  ce  que 
Cicéron  appelle  ,  Incijîm  dïcere  \  Parler 
par  incife.  C'eft  ainfi ,  comme  nous  Tavonc 
déjà  vu  5  que  M.  Fléchier  a  dit  :  Turennc 
ejl  mort  *,  la  victoire  s'arrête  \  la  fortune 
chancelle  \  tout  le  camp  demeure  immobile. 
iVoila  quatre  propofitions  y  qui  ne  font  re- 
gardées que  comme  des  incifes ,  parce- 
qu'elles  font  courtes  :  le  ftyle  périodique 
emploie  des  phrafes  plus  longues. 

Ainfi  y  une  période  peut  être  compo- 
fée  5  ou  feulement  de  membres  y  ce  qui 
arrive  lorfque  chaque  membre  a  une  cer- 
taine étendue  ;  ou  feulement  d'incifes , 
lorfque  chaque  fcns  particulier  eft  énonce 
en  peu  de  mots,  ou  enfin  une  période  eft 
compofée  de  membres  &  d'incifes% 

III.     Propojition  explicative. 
Fropojition  dcterminative. 

La  propofition  explicative  eft  différente 
de  la  déterminative  j  en  ce  que  celle  qui 
ne  fert  qu  à  expliquer  un  ni9t  >  laiflc  I« 


de  Grammaire.         '3 1  j 

«iiot  dans  toute  ik  valeur  ,  fans  aucune 
reftriétion  :  elle  ne  fert  qu'à  faire  remar- 
quer quelque  propriété  5  quelque  qualité 
de  Tobjet.  Par  exemple  :  V homme ^  qui  ejl 
un  animal  raifonnablc  ^  devroit  s^ attacher 
à  régler  fes  pajfions  :  Qui  ejl  un  animal 
raifonnable  j  c'efl:  une  proposition  expli- 
cativc  5  qui  ne  reftreint  point  Tétendue  du 
mot  à' homme.  L'on  pouroit  dire  égale- 
ment :  Vhemme  devroit  s^ attacher  à  régler 
fes  pajfions.  Cette  proportion  explicative 
fait  feulement  remarquer  en  Thommc  une 
propriété ,  qui  eft  une  raifon  qui  devtoit 
le  porter  à  régler  fes  paflîons. 

Mais  fî  je  dis ,  Vhemme  qui  m^eft  venu 
voir  ce  matin  j  ou  l'homme  que  nous  ve- 
nons de  rencontrer  j  ou  dont  vous  m'ave:^ 
parlé j  ef  fort  f avant  :  ces  trois  propolî- 
tions  font  déterminatives.  Chacune  d'elles, 
reftreint  la  fignificationd'hommejàunfeul 
individu  de  Tefpèce  humaine  ,  &  je  ne 
puis  pas  dire  fimplement ,  l'homme  effort^ 
f avant  ^  parceque  Thomme  ferait  pris  alors, 
4ans  toute  fon  étendue  :  c'eft-à-dire,  qu'il 


^  1 4  Principes 

feroit  dit  de  tous  les  individus  de  1  efpèce 
humaine.  Les  hommes  ^  qui  font  créés  pour 
aimer  Dieu  j  ne  doivent  point  s^ attacher 
aux  bagatelles  :  Qui  font  créés  pour  aimer 
Dieu  ;  voila  une  nropofîtion  explicative  ^ 
qui  ne  reftreinr  point  Tétendue  du  mot 
hommes*  tes  hommes  qui  font  complais 
fans  fe  font  aimer  :  Qui  font  complaifans ^ 
t'efl:  une  proposition  déterminative  >  qui 
restreint  Térendue  â! hommes  ^  à  ceux  qui 
font  complaifans  :  en  forte  que  l'attribut  y 
fe  font  aimer  j,  n'eftpas  dit  de  tous  les  hon> 
mes  5  mais  feulement  de  ceux  qui  font  çom-. 
plaifans. 

Ces  énonciations ,  ou  proportions ,  qui 
ne  font  Q^u  explicatives  ou  déterminatives  ^ 
font  communément  liées  aux  mots  qu'elles 
expliquent ,  ou  à  ceux  qu'elles  détermi- 
nent, par  qul^  ou  par  que  j  ou  par  dont^ 
duquel  ^  8cc. 

Elles  font  liées  par  qui  j  îorfque  ce  mot 
eft  le  fujet  de  la  propolîtion  explicative  ou 
déterminative.  Celui  qui  craint  le  Sei" 
^neur  :  Les  jeunes  gens  qui  étt^dicnt. 


de  Grammaire.         3  i  5 
Elles  font  liées  par  que  :  ce  qui  arrive 
en  deux  manières. 

i.^  Ce  mot  que  y  eft  fouvent  le  terme 
de  ladlion  du  verbe  qui  fuit.  Par  exem- 
ple 5  Le  livre  que  je  lis  ;  que  eft  le  terme 
deladlion  de  lire,  Ceft  ainfî  que  dont ^ 
duquel  j  defquels  y  à  qui  j  auquel  j  aux- 
quels  j  fervent  auffi  à  lier  les  propositions, 
félon  les  raports  que  ces  pronoms  relatifs 
ont  avec  les  mots  qui  fuivent. 

2.°  Ce  mot  que  _,  eft  encore  fouvent  le 
repréfentatif  de  la  propofition  détermina- 
tive  qui  va  fuivre  un  verbe  :  Je  dis  que  i 
que  eft  d abord  le  terme  de  laction  je  dis; 
Dico  quod  :  la  propofition  qui  le  fuit  eft 
l'explication  de  que  :  Je  dis  que  les  gens 
de  bien  font  ejlimés.  Ainfi  il  y  a  des  pro- 
pofitions  qui  fervent  à  expliquer  ou  à  dé-^ 
terminer  quelque  mot ,  avec  lequel  elles 
entrent  enfuite  dans  la  compoiîtion  d'une 
période. 


y^ 


^  I  ^  Principes 

IV-     Propojition  principale, 
Propojition  incidente. 

Un  mot  n*a  de  raport  grammatical  avec 
un  autre  mot ,  que  dans  la  même  propO'^ 
fition.  Il  eft  donc  effentiel  de  raporter 
chaque  mot  à  la  propofition  particulière 
dont  il  fait  partie  ,  fur-tout  quand  le  ra- 
port des  mots  fe  trouve  interrompu  par 
quelque  propofition  incidente  5  ou  par 
quelqu'incife  ou  feas  détaché, 

La  propofition  incidente  eft  celle  qui 
fe  trouve  entre  le  fijjet  perfonnel,  &  Tat- 
tribut  d'une  autre  propofition  5  qu'on  ap^ 
pelle  propofitzon  principale  j  parceque 
celle-ci  contient  ordinairement  ce  que  Ton 
yeut  principalement  faire  entendre. 

Ce  mot  incidente  vient  du  latin  inciderej 
tomber  dans.  Par  exemple  >  Alexandre  ^ 
qui  était  roi  de  Macédoine  j  vainquit  Da- 
rius. Alexandre  vainquit  Darius  ^^  yoiîa  1« 
propofition  principale.  Alexandre  en  eft 
le  fujet  j  vainquit  Darius  j  c'eft  Tattribur. 
Mais  entre  Alexandre  &  vainquit  il  y  2, 


de  Grammaire.  317 

Gnc  autre  propofiticn  5  qui  était  roi  de 
Macédoine.  Comme  elle  tombe  entre  le 
flijet  &  1  attribut  de  la  propofition  princi- 
pale 5  on  l'appelle  propofition  incidente. 
Qui  j  en  eft  le  fujet  :  ce  qui  rapelle  l'idée 
d'Alexandre  qui  ;  c'eft-à-dire  >  lequel  Ale^ 
xandre;  étoit  roi  de  Macédoine  y  c  eft  Tat- 
tribut.  Deus  quem  adoramus  ejl  omnipo- 
tens  ;  Le  Dieu  que  nous  adorons  ejl  tout^ 
puijfant.  Deus  ejl  omnipotens  ;  voila  la 
propofition  principale  •,  quem  adoramus  ^ 
c  eft  la  propofition  incidente.  Nos  adora-^ 
mus  quem  Deum  ;  nçu^  adorons  lequel 
Dieu. 

Ces  propofitions  incidentes  font  aufli 
des  propofitions  explicatives  5  ou  des  pro- 
pofitions déterminatives. 

V.    Propojition  explicite. 
Propofition  implicite  ou  elliptique. 

Une  propofition  eft  explicite  5  lorsque 
le  fijjet  &  l'attribut  y  font  exprimés. 

Elle  eft  implicite  5  imparfaite  ou  ellipti- 
i^qc  5  lorfque  le  fujet  ou  le  verbe  ne  font 


3  î  8  Principes 

pas  exprimés,  &  que  Ton  fe  contente  d'é- 
noncer quelque  mot ,  qui  par  la  liaifon  que 
les  idées  acceflbires  ont  entr^elles  >  eft  de- 
ftiné  à  réveiller  dans  lefprit  de  celui  qui 
lit,  le  fens  de  toute  la  propofition* 

Ces  propofitions  elliptiques  font  fort  en 
ufage  dans  les  devifes  &  dans  les  prover- 
bes. En  ces  occafions  >  les  mots  exprimés 
doivent  réveiller  aifément  Tidée  des  autres 
mots  que  Tellipfe  fupprime* 

Il  faut  obferver ,  que  les  mots  énoncés 
doivent  être  préfentés ,  dans  la  forme  qu'ils 
le  feroient  iî  la  propofition  étoit  explicite  * 
ce  qui  eft  fenfible  en  latin.  Par  exemple  » 
dans  le  proverbe  dont  nous  avons  parlé , 
2Jefus  Minervam  :  Minervam  n'eft  à  Tac- 
cufatif  ,queparcequ'il  y  feroit  dans  la  pro- 
pofition explicite?  à  laquelle  ces  mots  doi- 
vent être  raportés  ;  Su^  non  doceat  Miner- 
yam  :  Quun  ignorant  ne  fe  mêle  point  de 
vouloir  injlruire  Minerve.  Et  de  même,  c^s 
trois  mots  Deo  optimo  maximo  j  qu'on  ne 
défigne  fouvent  que  par  les  lettres  initia- 
les, D.  O.  M.  font  une  propofition  impli- 


de  Grammaire.         415^ 

cite,  dont  la  conftrudtion  pleine  eft.  Hoc 
monumentum  ou  Thejis  hdtc  dlcatur ^  vove- 
tur^  confccratur  Deo  optimo  maximo. 

Sur  le  rideau  de  la  comédie  Italienne , 
on  lit  ces  mots  ,  tirés  de  XArt  poétique 
d'Horace  :  Suhlatojure  nocendi  :  le  droit  de 
nuire  çté.  Les  circonftances  du  lieu  doi- 
vent faire  entendre  au  ledeur  intelligent, 
que  celui  qui  a  donné  cette  infcription ,  a 
eu  defîèin  de  faire  dire  aux  Comédiens  : 
Kidemus  vitia  j  fublato  jure  nocendi  : 
Nous  rions  ici  des  défauts  d* autrui  ^  faqs 
nous  permettre  de  blelTer  perfonne, 

La  devife  eft  une  repréfentacion  allégo- 
rique 5  dont  on  fe  fert  pour  faire  entendre 
une  penfée,par  une  comparaifon.  La  de- 
vife doit  avoir  un  corps  &  une  ame.  Le 
corps  de  la  devife ,  c'ed  Timage  ou  repré- 
Tentation.  Lame  de  la  devife,  font  \ts 
paroles  qui  doivent  s'entendre  dabord 
littéralement  de  Timage  ou  corps  fymbo- 
lique  5  &  en  même  temps ,  le  concours  du 
corps  &  de  l'ame  de  la  devife ,  doit  porter 
refprit  à  l'application  que  Ton  veut  faire  ^ 


'^lù  Principes 

c  eft-à-dire  y  à  Tôbjet  de  la  comparaifon»: 
L  ame  de  la  devife  eft  ordinairement 
une  propofition  elliptique.  Je  me  conten- 
terai de  ce  feul  exemple.  On  a  repré fente 
le  foleil  air  milieu  d'un  cartouche ,  &  au- 
tour  du  foleil  on  a  peint  d  abord  les  pla- 
nètes -,  ce  qu'on  a  négligé  de  faire  dans  la 
fuite.  L'ame  de  cette  devife  eft,  Nec plu- 
ribus  impar  :  mot  à  mot ,  //  neft  pas  in-' 
fuffiant  pour  plujieurs.  Le  roi  Louis  XIV 
fut  l'objet  de  cette  allégorie.  Le  deflein 
de  l'auteur  fut  de  faire  entendre  ,  que 
comme  le  foieil  peut  fournir  allez  de  lu- 
mière pour  éclairer  ces  différences  planè- 
tes ,    &  qu'il  a  allez  de  force  pour  fur- 
monter  tous  les  obftacles  ,  &  produire 
dans  la  nature  les  différens  effets  que  nous 
voyons  tous  les  Jours  qu'il  produit  :  ainfi. 
le  roi  eft  doué  de  qualités  fi  éminentes  y 
qu*il  feroit  capable  de  gouverner  plufîeurs 
royaumes.  Il  a  d'ailleurs  tant  de  refTour- 
ces  &  tant  de  forces,  qu'il  peut  réfîfter  à 
ce  grand  nombre  d'ennemis  ligués  contre 
m  5  &  les  vaincre.  De  forte  que  la  coa^» 


de  Grammaire.         511; 

ftru(ftion  pleine,  eft,  Skut fol  non  ejlim^ 
par  pluribus  orhlbus  illumlnandh  j  ita  Lu-^ 
dovïcus  XIV  non,  ejl  impar  pluribus  rc- 
gnls  rcgcndis  y  ncc  pluribus  hojlib us  profil- 
gandis.  Ce  qui  fait  bien  voir ,  que  lorfqu'il 
s  agit  de  conftrudion,  il  faut  toujours  ré- 
duire toutes  les  phrafes  &  toutes  les  pro- 
pofîtions  à  la  conftrudion  pleine. 

NI.  Propojidon  conjidércc  grammaticale^ 
ment. 

Tropojîtion  conjidcrce  logiquement. 

On  peut  confidérer  une  propofîtion,  ou 
grammaticalementyOulogiquement.Quand 
on  confîdère  une  propofition  grammatica- 
lementjOn  n'a  égard  qu'aux  raports  récipro- 
ques qui  font  entre  les  mots  :  au  lieu  que 
dans  la  propofition  logique  5  on  n'a  égard 
qu  au  fens  total  qui  réfulte  de  raflTeniblage 
des  mots.  En  forte  qu'on  pouroit  dire^  que 
la  propofition  conildérée  grammaticale- 
ment 3  eft  la  propofition  de  Télocution  j 
au  lieu  que  la  propofition  confidérée  logi- 
isjucment,  eft  celle  de  retttendemçnt,  qui 


^iz  Principes 

n  a  égard  qu  aux  différentes  parties  >  je 
veux  dire  aux  différens  points  de  vue  de 
fa  penfée-  Il  en  confiJèr^  une  partie  com- 
me fujet  5  l'autre  comme  attribut ,  fans  avoir 
égard  aux  mots  :  ou  bien ,  il  en  regarde 
une  comme  caufe  ,  Tautife  comme  effet', 
ainfî  des  autres  manières  qui  font  Tobjet 
de  la  penfée.  C'eft  ce  qui  va  être  éclairci 
par  des  exemples. 

Celui  qui  me  fuit  ^  dit  Jefus^ChriJl  j  nt 
marche  point  dans  les  ténèbres.  Confidé-^ 
roiis  d  abord  cette  phrafe  ou  cet  affem- 
blage  de  mots  grammaticalement,  c'eft-à- 
dire  ,  félon  les  raports  que  les  mots  ont 
entr  eux  :  raports  d'où  réfulte  le  'it\\%.  Je 
trouve  que  cette  phrafe  ,  au  lieu  d  une 
feule  proportion ,  en  contient  trois. 

i.^  Celui  j  eft  le  fujet  de  ne  marche 
point  dans  les  ténèbres  ;  &  voila  une  propo- 
rtion principale.  C^/^^i  étant  le  fujet,  eft 
ce  que  les  Grammairiens  appellent  le  no- 
minatif du  verbe. 

Ne  marche  point  dans  les  ténèbres^  c'eft 
lattribute  Marche  eft  le  verbe  y  qui  eft  au 


de  Grammaire^         313'] 

fîngulier,  &  à  la  troifième  perfonne,  par- 
ceque  le  fujet  eft  au  fîngulier>  &  eft  un  nom 
de  la  troilîème  perfonne,  puifqu'il  ne  mar- 
que ni  la  perfonne  qui  parle ,  ni  celle  à  qui 
I  on  parle*  Ne  point  ^^  eft  la  négation  ,  qui 
nie  du  fujet ,  ladion  de  marcher  dans  les 
ténèbres. 

Dans  les  ténèbres  ^  eft  une  modification 
de  laârion  de  celui  qui  marche  :  //  marche 
dans  les  ténèbres.  Dans  eft  une  prépofi- 
tion  qui  ne  marque  d'abord  qu'une  modi- 
fication ou  manière  inconiplette ,  c  eft-à- 
dire  ,  que  dans  étant  une  prépofition  , 
n'indique  d'abord  qu'une  efpèce ,  une  forte 
de  modification ,  qui  doit  être  enfuite  fin- 
gularifée  5  appliquée  >  déterminée  par  un 
autre  mot ,  qu'on  appelle  par  cette  raifon 
le  complément  de  la  prépofition.  Ainfi  les 
ténèbres  eft  le  complément  de  dans  :  & 
alors  ces  mots  5  dans  les  ténèbres  j  for- 
ment un  fens  particulier  qui  modifie  mar^ 
che  ;  c'eft-à-dire,  qui  énonce  une  manière 
particulière  de  marcher. 

z.°  Qui  me  fuit.  Ce§  troi$  mots  font  une 


3^-4  P^rincipes 

propofition  incidente,  qui  déteripinc  ce* 
îuij  8c  le  reftreint  à  ne  fîgnifier  que  Le 
difdple  de  Jefus-Chrifi  j  c'eft-à-dire,  celui 
qui  règle  fa  conduite  &  fes  mœurs  far  les 
maximes  de  TEvangile.  Les  propofitions 
incidentes ,  énoncées  par  qui  j  font  équi- 
valentes à  un  adjeétif. 

Q^ul  eft  le  fujet  de  Cette  proportion  in- 
cidente ;  me  fuit  j  eft  lactribut;  fultj  eft 
le  verbe i  me j  eft  le  déterminant,  ou  ter- 
me de  Taftion  de  fuit  :  car  félon  Tordre 
de  la  penfée  &  des  raports  ,  me  eft  après 
fuit  ;  mais  félon  Télocution  ordinaire,  ou 
conftrudion  ufuelle ,  ces  fortes  de  pronoms 
précèdent  le  verbe.  Notre  langue  a  con- 
lervé  beaucoup  plus  d'inverlîons  latines 
qu'on  ne  penfe. 

3.°  Dit  Jefus  -  Ckrif.  Cell:  une  troific- 
me  propofition ,  qui  fait  une  incife  ou  fens 
détaché  :  c'eft  un  adjoint.  En  ces  occafîons , 
la  coiiftrudion  ufuelle  met  le  fujet  de  h 
propofition  après  le  verbe  :  Jefus  *  Chriji 
eft  le  fujet,  &  dit  eft  lattribut. 

Confidérons  maintenant  cette  propofi- 

cio« 


ile  Grammaire.  515 

tien  à  la  manière  des  Logiciens*  Commen- 
çons d'abord  à  en  réparer  ïincifc,  di t  Jef us* 
Chriji  :  il  ne  nous  reftera  plus  qu'une  feule 
propofition  :  Celui  qui  me  Juit.  Ces  mots 
ne  forment  qu'un  fens  total.  Qui  eft  le  fujet 
de  la  propofition  logique ,  fujet  complexe 
ou  compofé  :  car  on  ne  juge  de  celui  ^ 
qu'entant  qu'il  eft  celui  qui  me  fuit.  Voila 
le  fujet  logique  ou  de  l'entendement.  C  eft 
de  ce  fujet ,  que  l'on  penfe  ,  &  que  Ion 
dit  qu'//  ne  marche  point  dans  les  ténèbres^ 
Il  en  eft  de  même  de  cette  autre  pro- 
portion :  Alexandre  ^  qui  étoit  roi  de 
Macédoine  ^  vainquit  Darius.  Examinons 
d'abord  cette  phrafe  grammaticalement* 
J'y  trouve  deux  propofitions  :  Alexandre 
vainquit  Darius  :  vOiU  une  propcjfition 
principale  :  Alexandre  en  eft  le  fujet  ^  vain^ 
quit  Darius  jy  c'eft  l'attribut.  Qui  étoit  roi 
de  Macédoine  ^  c'eft  une  propofition  inci* 
dente  :  Qui  en  eft  le  (ujet ,  &  étoit  roi 
de  Macédoine  j  l'attribut.  Mais  logique- 
ment, ces  mots ,  Alexandre  j  qui  étoit  roi 

de  Macédoine  j  fprment  un  iens  total , 

Z 


^i6  Principes 

équivalant  à ,  Alexandre  roi  de  Macédoine: 
Ce  fens  total  eft  le  fujet  complexe  de  k 
propofition  :  Vainquit  Darius  ^c^ik  Fat- 
tribut. 

Je  crois  qu'un  Grammairien  ne  peut 
pas  fe  difpenfer  de  connoître  ces  différen- 
tes fortes  de  propositions  ,  s'il  veut  faire 
k  conftruftion  d'une  manière  raifonnable. 

Les  divers,  noms  que  Ton  donne  aux 
différentes  propositions  ,  &  fouvent  à  la 
même,  font  tirés  des  divers  points  de  vue 
fous  lefquels  on  les  confîdère.  Nous  allons 
raflfembler  ici  celles  dont  nous  venons  de 
parler  5  &  que  nous  croyons  qu'un  Gram- 
mairien doit  connoître. 


^ 


Grammaire^ 


'317 


'32-8  Principes 

Il  faut  obferver  que  les  Logiciens  don- 
nent le  nom  de  Propojidon  compofée  à 
tout  fens  total  qui  réfulte  du  raport  que 
deux  propoiîrions  grammaticales  ont  en- 
tr'elles  :  raport  qui  eft  marqué  par  la 
valeur  des  diftérentes  conjondions  qui 
uniflfent  les  propofîtions  grammaticales. 

Ces  proporuions  compofées  ont  divers 
noms  5  félon  la  valeur  de  la  conjonétion 
ou  de  Tadverbe  c©njon6tif ,  ou  du  relatif 
qui  unit  les  fimples proportions  partielles, 
&  en  fait  un  tout.  Par  exemple,  cu^aut^ 
yel  jy  eft  une  conjondion  disjondive  ou 
de  divifion.  On  raflemble  d'abord  deux  ob- 
jets 5  pour  donner  enfuite  lalternative  de 
Tun  ou  de  l'autre.  Ainfi ,  après  avoir  d'a- 
bord raffemblé  dans  mon  eforit  l'idée  du 
foleil  &  celle  de  la  terre ,  je  dis  que  c*eft 
ou  le  foleil  qui  tourne  ,  ou  que  c'eft  la 
terre.  Voila  deux  propofitions  grammati- 
cales relatives ,  dont  les  Logiciens  ne  font 
qu'une  proportion  compofée  ,  qu'ils  ap- 
pellent Propojition  disjonciive. 

Telles  font  encore  les  propoiîtions  con- 


dô  Grammaire.  319 

cîitionnelles ,  qui  réfultent  du  raport  de 
deux  propofitions ,  par  la  conjondion  con- 
ditionnelle Si  j  ou  pourvu  que  t  Si  vous 
etudic'i  bien  _,  vous  deviendrez  /avant  : 
voila  une  propofîtion  Gompofée  5  qu'on 
appelle  conditionnelle.  Ces  proportions 
font  compofées  de  deux  proportions  par^ 
ticulières  >  dont  Tune  exprime  une  condi- 
tion 5  d  où  dépend  un  effet  que  l'autre 
énonce.  Celle  oii  eft  la  condition  s'appelle 
V antécédent  :  Si  vous  étudie^  bien.  Celle 
qui  énonce  Teffet  qui  fuivra  la  condition  5 
eft  appellée  le  conféquent  :  vous  deviens 
dre'z  [avant. 

Il  ejl  ejlimé  _,  parcequil  eji  favant  & 
vertueux.  Voila  une  propofîtion  compofée , 
que  les  Logiciens  appellent  cau/ale  j  du 
mot parceque  j  qui  fert  à  exprimer  la  caufc 
de  Tefïet  que  la  première  propofîtion  énoi> 
ce.  //  eJi  ejiimé  y  voila  Tetîet  :  pourquoi  ? 
Parcequil  eji  f ayant  &  vertueux  :  voila 
la  caufe  de  Teftime. 

..  La  fortune  peut  bien  ôter  les-  richejfes.; 
mais  elle  ne  peut  pas  ôter  la  vertu.  Voila. 


[ijo  Principes 

une  prôpofîtion  compofée  qu'on  appelle  ad^ 
yerfative  ou  difcrétive  (  O^qui  fert  à  ieparer^^ 
à  diftinguer,  parcequ'elle  eft  compofée  de 
deux  propofitions ,,  dont  la  féconde  mar- 
que une  diftindion  j  une  féparation  5  une 
forte  de  contrariété  &  d'oppofition  ,  par 
raport  à  la  première  i  &  cette  féparation 
eft  marquée  par  la  conjondtion  adverfative 
mais. 

Il  eft  faicile  de  démêler  ainfi  les  autres 
fortes  de  propofitions  compofées.  Il  fuffiç 
pour  cela  de  connoître  la  valeur  des  con- 
jonctions qui  lient  les  propofitions  parti- 
culières, &  qui  par  cette  liaifon  forment 
un  tout  5  qu'on  appelle  Propojition  com^ 
pofée^  On  fait  enfuite  aifément  la  conftru- 
^ion  détaillée  de  chacune  des  propofi- 
tions particulières,  qu'on  appelle  aufîîjt7^r^ 
tidlcs  j  ou  corrélatives. 

Je  ne  parle  point  ici  des  autres  fortes 
de  propofitions,  commç  des  propofitions 
univcrf elles  j  des  particulières j  des  fingu^ 

(i)  Du  Jaiin)  Difcntivus^ 


de  Grammaire^.  331 

rares  j  des  indéfinies  j  des  affirmatives  ^ 
àts  négatives  ^  des  contradicloires  j  8cc. 
Quoique  ces  connoillances  foient  très-uti- 
les  3  j'ai  cru  ne  devoir  parler  ici  de  la  pro- 
pofition  5  qu'autant  qu'il  eft  nécefTaire  de 
la  connoître,pour  avoir  des  principes  fûrs 
de  conftru6tion« 

Deux  raports  généraux  entre 
LES  MOTS  j  dans  la  conflruclion. 

\.    Raport  d^Identith 
II.   Raport  de  Détermination. 

Tous  les  raports  particuliers  de  conftru- 
âion ,  fe  réduifent  à  deux  for  tes  de  raports 
généraux. 

I.  Raport  d'identité.  Ceft  le  fonde- 
ment de  l'accord  de  l'adjedif  avec  fon  fub- 
ftantif,  car  l'adjedtif  ne  fait  qu'énoncer  ou 
-déclarer  ce  que  l'on  dit  qu'eft  le  fubftantif: 
enforte  que  l'adjedif  5  c'eft  le  fubftantif 
analyfé,  c'eft -à -dire,  confidéré  comme 
étant  de  telle  ou  telle  façon ,  comn^  ayant 

teliô  ou  t^elle  qu^Iitét  Ainfî  Tadjedif  ne 

Z4 


'5  3  2/  Principes 

doit  pas  marquer ,  par  raport  au  genre ,  au 
nombre  &  au  cas ,  des  vues  qui  foient  dif- 
férentes de  celles  fous  lefquelies  Tefprit 
confîdère  le  fubftantif. 

Il  en  eft  de  même  entre  le  verbe  &  le 
fujet  de  la  propofition  >  parceque  le  verbe 
énonce  que  Tefprit  confîdère  le  fujet  com- 
me étant,  ayant ,  ou  faifant  quelque  chofç. 
Ainfi  le  verbe  doit  indiquer  le  même  nom- 
bre &  la  mê^iie  perfonne  que  le  fujet  indi- 
que :  &  il  y  a  des  langues,  tel  eft  THébreu , 
où  le  verbe  indique  même  le  genre.  Voila 
ce  que  j'appelle  raport  ou  raifort  d'idcu'- 
zité j  du  Latin  idem. 

H.  La  féconde  forte  de  raport ,  qui  règle 
la  conftrudtion  des  mots ,  c'eft  le  raport 
de  détermination. 

Le  fervice  des  mots  dans  le  difcours^  ne 
conlîfte  qu'en  deux  points. 

i.°  A  énoncer  une  idée  :  Lumen  ^  lu- 
mière 5  Sol  j  foleil. 

2.°  A  faire  connoître  le  raport  qu  une 
dée  a  avec  une  autre  idée.  Ce  qui  fe  fait 
par  les  fîgnes  établis  ei;î  chaque  langue  ;i 


de  Grammaire^.         33 j 

pour  étendre,  ou  reftreindre  les  idées 5  & 
en  faire  des  applications  particulières. 

L'efprit  conçoit  une  penfée  tout  d'un 
coup  ,  par  la  fimple  intelligence ,  comme 
nous  l'avons  déjà  remarqué.  Mais  quand 
il  s'agit  d'énoncer  une  penfée  5  nous  fouî- 
mes obligés  de  la  divifer ,  de  la  préfenter 
en  détail  par  les  mots ,  &  de  nous  fervir 
des  fîgnes  établis  ,  pour  en  marquer  les 
divers  raports.  Si  je  veux  parler  de  la  lu- 
mière du  foleil  5  je  dirai  en  latin  ,  Lumen 
folïs  ^  &  en  françois  5  De  le  foleil  jy  &  par 
contra6tion  5  Du  foleil^  félon  la  conftru- 
étion  ufuelle.  Ainfi  en  latin ,  la  terminai- 
fon  de  Solis  jy  détermine  Z/^m^/2  à  nefîgnî- 
fier  alors  que  la  lumière  du  foleil.  Cette 
détermination  fe  marque  en  françois  par 
la  prépofition  de  _,  dont  les  Latins  ont 
jTouvent  fait  le  même  uiage  5  comme  nous 
le  ferons  voir  en  parlant  de  l'Article  : 
Templum  de  marmore  ;  un  temple  d5 
marbre. 

La  détermination  qui  fe  fait  en  latin  par 
la  terminaifon  de  raccufatif  :  Diiiges  Do- 


554  Principes 

mlnufn  Deum  tuum  ^  ou  Domlnum  Deum 
îwnm  diliges  ;  cette  détermination,  dis-je  , 
fe  marque  en  François  par  la  place  ou  po(î- 
tion  du  mot  ^  qui  >  félon  la  conftruftioii 
ordinaire  ^  fe  met  après  le  verbe  :  Tu  ai-- 
meras  le  Seigneur  ton  Dieu.  Les  autres, 
déterminations  ne  fe  font  aujourd'hui  en 
françois  >  que  par  le  fecours  des  prepofî- 
tions.  Je  dis  >  aujourd'hui  j  parcequ'autre* 
fois  un  nom  fubftantif  placé  immédiate* 
nient  après  un  autre  nom  fubftantif,  le  dé- 
terminoit  de  la  même  manière  qu'en  latin^ 
Un  nom  qui  a  la  terminaifon  du  génitif, 
détermine  le  nom  auquel  il  fe  raporte  : 
Lumen  foUs  ;  Liber  Pétri  :  Al  ttns  Inno- 
cent III [i)  i  au  temps  ^Innocent  III: 
L^ Incarnation  Notre-Seigneur^y  pour  Tin- 
carnation  de  Notre-Seigneur  :  Le  fer  vice 
Deu  j  pour  le  fervice  de  Dieu  -,  Le  frère 
fEmpereor^pom  Le  frère  de  V  Empereur: 
&  c'eft  de-Ià  qu'on  dit  encore  VHotel^ 
Dieu  j  &c.  Voyez  la  Préface  des  Anti^ 


(i)  Villehardouin* 


de  Grammaire.  535 

quhés  Gauloifes  de  BoreL  Ainfi  nos  Pères 
ont  d'abord  imité  lune  &  l'autre  manière 
des  Latins  :  premièrement ,  en  fe  fervant 
en  Qzs  occafions  de  la  prépofition  de  :  Tem^ 
plum  de  marmore ,  un  temple  de  marbre  ; 
fecondement,  en  plaçant  le  fubftantif  mo- 
difiant immédiatement  après  le  modifié  : 
Frater  Impcratoris  ^  le  Frère  V  Empereur  ; 
Domus  Dei  j  THôtel  Dieu.  Mais  alors  le 
latin  défignoit,  par  une  terminaifon  par- 
ticulière 5  leffet  du  nom  modifiant  :  avan- 
tage qui  ne  fe  trouvoit  point  dans  les 
noms  François  5  dont  la  terminaifon  ne  va- 
rie  point.  On  a  enfin  donné  la  préférence 
à  la  première  manière,  qui  marque  cette 
forte  de  détermination  par  le  fecours  de 
Ja  prépofition  de  :  La  gloire  de  Dieu. 

La  fyntaxe  d  une  langue  ne  confifte  quê 
dans  les  fîgnes  de  ces  différentes  détermi- 
nations. Quand  on  connoît  bien  lufage  & 
la  deftination  de  ces  fîgnes,  on  fait  la  fyn- 
taxe de  la  langue.  J  entends  la  fyntaxe 
necejfaire  ;  car  hjyntaxe  ufuelle  &  élé^ 
gante  demande  encore  d^autres  obferva- 


^53?^  Principes 

tions.  Mais  ces  obfervations  fupporent  tou- 
jours celles  de  la  fyntaxe  néceflaire  ,  &  ne 
regardent  que  la  netteté  ,  la  vivacité  &  les 
grâces  de  Télocution  :  ce  qui  n'eft  pas 
maintenant  de  notre  fujet. 

Un  mot  doit  être  fuivi  d\in  ou  de  plu- 
fieurs  autres  mets  déterminans ,  toutes  les 
fois  que  par  lui-même  ,  il  ne  fait  qu'une 
partie  de  Tanalyfe  d'un  fens  particulier. 
Uefprit  fe  trouve  alors  dans  la  nécefïité 
d'attendre  &  de  demander  le  mot  déter- 
minant ,  pour  avoir  tous  le  fens  particulier 
que  le  premier  mot  ne  lui  annonce  qu'en 
partie.  Ceft  ce  qui  arrive  à  toutes  les  pré- 
pofitions  5  &  à  tous  les  verbes  actifs  tran- 
fîtifs  :  //  ejl  allé  à  ;  à  n^énonce  pas  tout  kr 
fens  particulier  -,  &  je  demande  oà  ?  041 
répond  yà  la  chajfc  j  à  Vcrf ailles _>  félon 
le  fens  particulier  quon  aà  défigner.  Alors 
le  mot  qui  achève  le  fens,  dont  la  prépo- 
iîtion  n'a  énoncé  qu'une  partie,  eft  le  com- 
plément de  la  prépofition  :  c*efl:-à-dire,  que 
la  prépofition  &  le  mot  qui  la  détermine  3, 
fontenfemble  un  fens  partiel?  qui  eft:  en- 


de  Grammaire)         357 
fuite  adapté  aux  autres  mots  de  la  phrafe. 
En  forte  que  la  prépofition  eft,  pour  ainfî 
dire,  un  mot  d'efpcce  ou  de  forte,  qui 
doit  enfuite  être  déterminé  individuelle- 
ment. Par  exemple ,  Cela  eji  dans  ;  dans 
marque  une  forte  de  manière  d'être  par 
rapport  au  lieu  :  &  fî  j^ajoute  dans  la  mai- 
Jon^jc  détermine,  j'individualife,pour  ainft 
dire*,  cette  manière  fpécifique  d'être  dans. 
Il  en  eft  de  même  des  verbes  adifs.  Qiiel- 
qu'un  me  dit  que  le  Roi  a  donne  :  ces  mots , 
a  donné  y  ne  ibnt  qunne  partie  du  fens 
particulier  :  Tefprit  n'eft  pas  fatisfait  5  il 
û  eft  qu  ému.  On  attend ,  ou  Ton  deman- 
de >  i.°  ce  que  le  Roi  a  donné  ;  z.°  à  qui 
il  a  donné.  On  répond  ,  par  exemple  ,  à  la 
première  queftion ,  que  le  Roi  a  donné  un 
régiment\voil2i  Tefprit  fatisfait  par  raportà 
la  chofe  donnée  -,  régiment  eft  donc  à  cet 
égard  le  déterminant  de  a  donné  :  il  dé- 
termine a  donné.  On  demande  enfuite ,  A 
qui  le  Roi  a-t-il  donné  un  régiment  ?  0\\  ic- 
^ond  à  Monjieur  iV.  AinG  la  prépofition  à, 
fuivie  du  ngm  qui  U  déterminerait  un  fen5 


^^S  Prmcipei 

partiel  qui  ejft  le  déterminant  de  a  donne  ^ 
par  raport  à  la  pcrfonne  à  qui.  Ces  deux 
fortes  de  relations  font  encore  plus  feniî- 
bles  en  latin ,  oii  elles  font  marquées  par 
à^s  terminaifbns  particulières.  Redditc 
{\\\'à)  qu<R  funt  Cdfaris  j,  Cétfari ^  &  (iila) 
qiKzfuntDci  ^  Deo. 

Voila  deux  fortes  de  déterminations  > 
aufïî  néceflàires  &  auffi  dire6tes  1  une  que 
l'autre ,  chacune  dans  fon  eipèce.  On  peut^ 
à  la  vérité ,  ajouter  d'autres  circonftances 
à  Tadlion  ,  comme  le  temps ,  le  motifs  la 
manière.  Les  mots  qui  marquent  ces  cir- 
conftances ne  font  que  des  adjoints ,  que 
les  mots  précédens  n'exigent  pas  néceflai- 
rement.  Il  faut  donc  bien  diftinguer  les 
déterminations  nécelïaires  ,  davec  celles 
qui  n'influent  en  rien  à  Teilënce  de  la  pro- 
portion grammaticale  ,  en  forte  que  fans 
ces  adjoints  on  perdroit,à  la  vérité ,  quel- 
ques circonftances  de  fens  \  mais  la  propo- 
fition  n'en  fer  oit  pas  moins  telle  propolî- 
tion. 

A  ToccaHon  du  raport  de  détermina- 


de  Grammaire:  539 

rion  5  il  ne  fera  pas  inutile  d'obferver  qu'un 
nom  fubftantif  ne  peut  déterminer  que 
trois  fortes  de  mots:  i.°  Un  autie  nom, 
2.^  un  verbe  ,  5*^  5  ou  enfin ,  une  prépo- 
sition. Voila  les  feules  parties  du  difcours 
qui  aient  befoin  d'être  déterminées  :  car 
ladverbe  ajoute  quelque  circonftance  de 
temps ,  de  lieu  5  ou  de  manière.  Ainfi  il  dé- 
termine lui-même  Tadlion ,  ou  ce  qu'on  dit 
du  fujet,  &  n'a  pas  befoin  d'être  détermine- 
Les  conjonctions  lient  les  propofitions  s  8c 
à  regard  de  Tadjeftif ,  il  fe  conftruit  avec 
fbn  fubftantif  5  par  le  raport  d'identité. 

i.°  Lorfqu'un  nom  fubftantif  détermine 
un  autre  nom  fubftantif,  le  fubftantif  dé- 
terminant fe  met  au  génîtif  en  latin ,  lu-" 
mcn  folis  \  &  en  françois ,  ce  raport  fe 
marque  par  la  prépofition  de.  Sur  quoi  il 
faut  remarquer  5  que  lorfque  le  nom  dé- 
terminant eft  un  individu  de  Tefpèce  qu'il 
détermine ,  on  peut  confidérer  le  nom  d'ef- 
pèce  comme  un  adjedif ,  &  alors  on  met 
les  deux  noms  au  même  cas ,  par  raporC 
d'identité  v  Urbs  Roma  ^    Rorna  ^u^  ^ 


j^o  Principes 

urbs  :  c'eft  ce  que  les  Grammairiens  appeî-f 
lent  appojition.  Ceft  ainfi  que  nous  difons 
Le  Mont'ParnaJfe  j  le  fleuve  Don  _,  &  /^ 
Cheval  Pégafe  y  &c.  mais ,  en  dépit  des 
Grammairiens  modernes ,  les  meilleurs  Au- 
teurs latins  ont  aulîî  mis  au  génitif  le  nom 
de  Tindividu  ,  par  raport  de  détermina- 
tion :  In  oppido  AntlochiA  (i)  :  8c  Celfam 
Butroti  afcendimus  urbem  (2).  Exemple 
remarquable  *,  car  urbem  Butroti  effc  à  la 
queftion  quo.  Auilîjes  Commentateurs  qui 
préfèrent  la  règle  de  nos  Grammairiens  à 
Virgile  ,  n^ont  pas  manqué  démettre  dans 
leurs  notes ,  Afcendimus  in  urbem  Butro- 
tunu  Pour  nous ,  qui  préférons  Tautorité 
inconteftable  &  foutenue  des  Auteurs  latins^ 
aux  remarques  frivoles  de  nos  Grammai- 
riens, nous  croyons  que  quand  on  dit  , 
Maneo  Lutedas^  il  faut  foufentendre ,  in 
urbe. 

2.°  Quand  un  nom  détermine  un  ver- 


(i)  Ciceron. 

(1)  Yirs^lc  >  j£ti.  L  III.  V.  293» 

be  , 


de  Grammaire.         i/i^i\ 

I)e5  il  faut  fuivre  Tufage  établi  dans  une 
langue,  pour  marquer  cette  détermina- 
tion. Un  verbe  doit  être  fuivi  d'autant  de 
noms  déterminans,  qu'il  y  a  de  fortes  d'é- 
motions que  le  verbe  excite  nécelïaire- 
ment  dans  Te/prit.  J'ai  donné  ;  quoi  ?  & 
à  qui  ? 

l^  A  l'égard  de  la  prépofition,  nous 
venons  d'en  parler.  Nous  obferverons  feu- 
lement ici ,  qu'une  prépofition  ne  déter- 
mine qu'un  nom  fubftantif ,  ou  un  mot 
pris  fiibftantivement  •,  &  que  quand  on 
trouve  une  prépofition  fuivie  d'une  autre , 
comme  quand  on  dit ,  pour  du  pain  ^  par 
des  hommes  ^  &c.  alors  il  y  a  ellipfe  , 
pour  quelque  partie  dupain  jy  par  quelques-- 
uns  des  hommes. 

Autres  remarques  pour  bien  faire  la 
conjiruclion. 

I.  QiTAND  on  veut  faire  la  conftrucftion 

d'une  Période  ,   on  doit  d'abord  la  lire 

entièrement  y  8c  s'il  y  a  quelque  mot  de 

A  a 


54^*'  Principes 

foufentendu  >  le  fens  doit  aider  à  le  fup- 
pléer.  Ainfî  l'exemple  trivial  des  rudimens  » 
D-eus  quem  adoramus^  eft  défedrueux.  On 
jie  voit  pas  pourquoi  Deus  eft  au  nomina- 
tif: il  faut  dire,  Deus  quem  adoramus  ejl 
omnipotens.  Deus  eft  omnipotens  ;  voila 
une  propofition  :  Quem  adoramus  ^  en  eft 
une  autre. 

IL  Dans  les  propositions  abfolues  ou 
complettes ,  il  faut  toujours  commencer 
par  le  fujet  de  la  propofition  -,  &  ce  iujec 
eft  toujours  ou  un  individu  y  foit  réel ,  foit 
métaphyfique  i  ou  bien  un  fens  total  ex- 
primé par  plufieurs  mots. 

III.  Mais  lorfque  les  propoiîtions  font 
relatives,  &  qu'elles  forment  des  Périodes , 
on  commence  par  les  conjonctions  ou  par 
les  adverbes  conjondtifs ,  qui  les  rendent 
relatives  -,  par  exemple,  7^ j^t/^W^  lorf- 
que j  pendant  que  j  &c.  On  met  à  part  la 
conjondion ,  ou  Tadverbe  conjonftif ,  & 
Ton  examine  enfuite  chaque  propofition 
féparément  :  car  il  faut  bien  obferver  qu'un 
imot  n'a  aucun  accident  grammatical ,  qu  à 


de  Grammaire.         345 

caufc  de  fon  fervice  dans  la  feule  propofî- 
tion  où  il  eft  employé. 

IV.  Divifez  d'abord  la  propofition  en 
fujet  &  en  attribut ,  le  plus  fimplement 
qu'il  fera  poflîble.  Après  quoi ,  ajoutez  au 
fu)et  perfonnel ,  ou  réel  5  ou  abftrait  5  cha- 
que mot  qui  y  a  raport ,  foit  par  la  raifoa 
de  l'identité  ^  ou  par  la  raifon  dô  la  dé  ter-- 
mination.  Enfuite^  paflez  à  Tattribuc  5  en 
commençant  par  le  verbe ,  &  ajoutant  cha- 
que mot  qui  y  a  raport  félon  Tordre  le 
plus  fîmple  ,  &  félon  les  déterminations 
que  les  mots  fe  donnent  fucceffivement. 

SU  y  a  quelque  adjoint  ou  iiicife  5  qui 
ajoute  à  la  propofition  ,  quelque  circonf- 
cance  de  temps  ,  de  manière ,  ou  quel- 
qu  autre  •,  après  avoir  fait  la  conftruâ:ion 
de  Q^t  incife ,  &  après  avoir  connu  la  rai- 
fon de  la  modification  qu'il  a  ^  placez-le  au 
commencement  ou  à  la  fin  de  la  période  , 
(èlon  que  cela  vous  paroîtra  plus  fimple  & 
plus  natureL 

Par  exemple  5  Imperante  C^fare  Au- 
gujio  j  unigcnitus  Dci  fiiius  Chrijius  j  in 

Aa  1 


544  Principes 

CLvitate  David  ^  qudt  vocatur  Bethléem  j 
natus  eft.  Je  cherche  d'abord  le  fujet  per^ 
fonnel ,  &  je  trouve  Chrifius.  Je  palTe  à 
ratcribut,  &  je  vois  ejl  natus.  Je  dis  d'a- 
bord 3  Chnflus  ejl  natus.  Enfuite  je  con- 
nois  par  la  terminaifon ,  que  Filius  uni- 
genitus ,  fe  raporte  à  Chnflus  ,  par  raport 
d'identité  ,  &  je  vois  que  jD^i  étant  au  gé- 
nitif, fe  raporte  à  Fïlius  y  par  raport  de 
détermination.  Ce  mot  Dei  détermine  jPi- 
lius  à  fignifier  ici  \efl/s  unique  de  Dieu. 
Ainfi  j'écris  le  fujet  total  :  Chnflus  unige- 
nitus  filius  Dei. 

Eflnatusywoïh  l'attribut  nécefTaire.  Na- 
tus  eft  au  nominatif  5  par  raport  d'identité 
avec  Chriflus  :  car  le  verbe  efl  marque  fim- 
plement  que  le  fujet  eft ,  &  le  mot  natus 
dit  ce  qu'il  eft ,  né  :  Efl  natus  j  efl  né ^  efl 
celui  qui  naquit  ;  efl  natus  j  comme  nous 
difons,  il  efl  venu  ^  il  efl  allé.  L'indica- 
tion du  temps  paflfé  eft  dans  le  participe 
yenu  _,  allé  j  natus  _,  &c. 

In  civitate  David  ;  voila  un  adjoint  , 
qui  marque  la  circonftance  du  lieu  de  la 


de  Grammaire.  34 j 

naiiïance.  In  ,  prépofitioa  de  lieu  5  déter- 
minée par  civitate  David.  David  ^  nom 
propre ,  qui  détermine  civitate.  David  : 
ce  mot  fe  trouve  quelquefois  décliné  à  la 
manière  des  Latins  5  D^vic/^  Davidis.  Mais 
ici  il  eft  employé  comme  nom  hébreu  , 
qui  partant  dans  la  langue  latine ,  fans  eu 
prendre  les  inflexions ,  eft  confîdéré  com- 
me indéclinable- 
Cette  cité  de  David  eft  déterminée  plus 
(îngulièrement  par  la  proportion  inciden- 
te, qua  vocatur  Bethléem. 

Il  y  a  de  plus  ici  un  autre  adjoint  5  qui 
énonce  une  circcnftance  de  temps ,  impe^ 
tante  Cdifare  Au^ujlo.  On  place  ces  fortes 
d'adjoints  ou  au  commencement ,  ou  à  la 
fin  de  la  propoiltion  5  félon  que  Ton  fent 
que  la  manière  de  les  placer  aporte  ou  plus 
de  grâce  ,  ou  plus  de  clarté. 

Je  ne  voudrois  pas  que  Ton  fatiguât  les 
jeunes  gens  qui  commencent,  en  les  obli- 
geant de  f^ire  ainfi  eux-mêmes  la  conftru- 
ction,  nid  en  rendre  raifonde  la  manière 
que  nous  venons  de  le  faire.  Leur  cerveau 

Aa  5 


J4^  Principes 

11  a  pas  encore  aflczde  confiftance  pour  ces 
opérations  réfléchies.  Je  voudrois  feule- 
ment ,  qu'on  ne  les  occupât  d  abord  qu'à 
expliquer  un  texte  fuivi ,  conftruit  feloii 
ces  idées.  Ils  commenceront  ainfi  à  les  fai- 
fîr  par  fentiment  :  &  lorfqu'ils  feront  en 
état  de  concevoir  les  raifons  de  la  con- 
ftrudion,  on  ne  leur  en  apprendra  point 
d  autres  y  que  celles  dont  la  nature  &  leurs 
propres  lumières  leur  feront  fentir  la  vé- 
rité. Rien  de  plus  facile  que  de  les  leur 
faire  entendre  peu-à-peu,  fur  un  latin  où 
elles  font  obfervées ,  &  qu'on  leur  a  faic 
expliquer  pluiîeurs  fois.  Il  en  réfulte  deux 
grands  avantages  :  i.^  moins  de  dégoût  & 
moins  de  peine  \  2.°  leur  railbn  fe  forme» 
leur  efprit  ne  fe  gâte  point ,  &  ne  s'accou- 
tume point  à  prendre  le  faux  pour  le  vrai; 
les  ténèbres  pour  la  lumière,  ni  à  admet- 
tre des  mots  pour  des  chofes»  Quand  on 
connoît  bien  les  fondemens  de  la  confl;ru- 
élion  ,  on  prend  le  goût  de  l'élégance  par 
de  fréquentes  lectures  des  Auteurs  qui  ont 
le  plus  de  réputation. 


de  Grammaire.        347 

Les  principes  métaphyfiques  de  la  con- 
ftrudion ,  font  les  mêmes  dans  toutes  les 
langues.  Je  vais  en  faire  Tapplication  fur 
une  Idylle  de  Madame  Deshoulières. 

Idylle  de  Madame  Deshoulières. 

LES     MOUTONS. 

-M  1 L  A  s  !  petits  moutons ,  que  vous  êtes  heureux  ! 
Vous  paifïèz  dans  nos  champs  ,  fans  fouci ,  fans  alarmes. 

Aulïi-tôt  aimes  qu'amoureux , 
On  ne  vous  force  point  à  répandre  des  larmes. 
Vous  ne  formez  jamais  d'inutiles  defirs  : 
Dans  vos  tranquilles  cœurs  l'amour  fuit  la  nature. 
Sans  relTentir  fes  maux ,  vous  avez  fes  plaifîrs. 
L'ambition,  l'honneur^  Tintérct,  rimpofture,; 

Qui  font  tant  de  maux  parmi  nous  , 

Ne  fe  rencontrent  point  chez  vous. 
Ccpaidant  nous  avons  la  raifon  pour  partage  , 

Et  vous  en  ignorez  l'ufage. 
Innocens  animaux,  n'en  foyez  point  jaloux; 

Ce  n'eft  pas  un  grand  avantagei 
Cette  fière  raifon  y  dont  on  fait  tant  de  bruit  » 
Contre  les  paflîons  n'eft  pas  un  fure  remède. 

Un  peu  de  vin  la  trouble  , 

Un  enfant  la  féduit. 
Et  déchirer  un  cœur  qui  Tappelle  à  fon  aide  ^ 

Eft  toutTefFet  qu'elle  produit. 

Toujours  impuiHànte  6c  févcre  « 
Elle  s^oppofe  à  tout ,  &  ne  furmonte  rien. 

Sous  la  garde  de  votre  chien , 

Aa  4 


3  4  S  Principes 

Vous  devez  beaucoup  moins  redouter  la  cc&it 

Des  loups  cruels  &  raviflaîis  , 
Que  ,   fous  l'autorité  J'ujie  telle  chimère  ; 

Nous  ne  devons  craindre  nos  fens. 
Ne  vaudroit-il  pas  mieux  vivre  ,  comme  vous  faîtes» 

Dans  une  douce  olllveté  ? 
Ne  vaudroit-il  pas  mieux  être ,  comme  vous  êtes  ; 
Dans  une  heureufc  obfcurité  » 
Que  d'avoir  ,  fans  tranquillité  , 
Des  ridielîès ,  de  la  nailTance  , 
De  Pefprit  &  de  la  beauté  f 
Ces  prétendus  tréfors  y  dont  on  fait  vanité  ; 

Valent  moins  que  votre  indolence.' 
Ils  nous  livrent  fans  cefis  à  des  foiJis  criminels. 

Par  eux  ^  plus  d'un  remors  nous  ronge. 
Nous  vouloJis^es  rendre  éternels. 
Sans  fonger ,  qu'eux  &  nous ,  palTeront  comme  un  fonge^ 
Il  n'eft  ,  dans  ce  vafte  univers  , 
Rien  d'afTuré  ,  rien  de  folide* 
Des  chores  d'ici-bas  ,  la  fortune  décide  ^ 
Selon  fes  caprices  divers. 
Tout  l'effort  de  notre  prudence 
Ne  peut  nous  dérober  au  moind'-e  de  i^ts  coups: 
Faifïèz,  moutons,  pailTez,  fans  règle  &:  fansfcience^ 

Malgré  la  trompeufe  apparence  , 
Vous  h^s  plus  heureux  5<  plus  fages  que  nous. 

Conjlmciion  grammaticale    &   raifonnéc 
de  cette  Idylle. 

Hélas  t  petits  moutons  ,  que  vous  êtes  heureux  / 

T^ous  êtes  heureux.  C'cftîa  propofîtîon. 


de  Grammaire.         349 

Hélas  l petits  moutons.  Ce  font  les  ad- 
joints à  la  propofition  *,  c'eft-à-dire ,  que  c^ 
font  des  mots  qui  n'entrent  grammaticale- 
ment, ni  dans  le  fujet,  ni  dans  Tattribut 
de  la  propofition. 

Hélas  !  eft  une  interjeâiion ,  qui  mar- 
que un  fentiment  de  compaflîon.  Ce  fen- 
riment  a  ici  pour  objet ,  la  perfonne  même 
qui  parle.  Elle  fe  croît  dans  un  état  plus 
malheureux  que  la  condition  des  mou- 
tons. 

Petits  moutons.  Ces  deux  mots  font 
une  fuite  de  Texclamation.  Ils  marquent , 
que  c'eft  aux  moutons  que  TAuteur  adrefle 
la  parole.  Il  leur  parle  comm.e  à  des  per- 
fonnes  raifonnabîes. 

Moutons  j  c'efl:  le  fubftantif  *,  c'eft-à- 
dire,  le  fuppôt ,  Têtre  exiftant  >  c'eft  le 
mot  qui  explique  vous. 

Petits  :  c'eft  Fadjeclif  ou  qualificatif. 
C  eft  le  mot  qui  marque  que  Ton  regarde 
le  fubftantif  avec  la  qualification  que  ce 
mot  exprime.  C  eft  le  fubftantif  même 
confidéré  fous  un  tel  point  de  vue. 


3  J  o  Principes 

Petits  ^  n'eft  pas  iciunadjedif  quimar-- 
que  diredement  le  volume  &  la  petiteffe 
des  moutons  :  c'eft  plutôt  un  terme  d'arte- 
étion  &  de  tendrefle.  La  nature  nous  inf- 
pire  ce  fentiment  pour  les  enfans  &  pour 
les  petits  animaux,  qui  ont  plus  de  befoin 
de  notre  fècours  que  les  grands. 

Petits  moutons.  Selon  Tordre  de  Tana- 
lyfe  énonciative  de  la  penfée ,  il  faudroit 
dire  moutons  petits  j  car  petits  fuppofe 
moutons  :  on  ne  met  petits  au  plurier  & 
au  mafculin ,  que  parceque  moutons  cd:  au 
plurier  &  au  mafculin.  L  adjedif  fuit  le 
nombre  &  le  genre  de  fon  fubftantif  > 
parceque  radjedif  n'eft  que  le  fubftantif 
même  confîdéré  avec  telle  ou  telle  qualifi- 
cation. Mais  parceque  ces  diftérentes  con- 
fidérations  de  Tefprit  fe  font  intérieure- 
ment dans  le  même  inftant ,  &  qu'elles  ne 
font  divifées  que  par  la  néceffité  de  renon- 
ciation 3  la  conftrudion  ufuelle  place  au 
gré  de  Tufage  certains  adjectifs  avant ,  & 
d'autres  après  leurs  fubftantifs. 

Que  vous  êtes  heureux  !  Que  eft  pris 


de  Grammaire.         351 

adverbialement  5  &  vient  du  latin  quan- 
tum  j  ad  quantum  ;  à  quel  point  j  com^ 
bien.  Ainfi  ,  que  modifie  le  verbe  :  il  mar- 
que  une  manière  d'être  ,  &  vaut  autant 
que  Tadverbe  combien. 

Fous  j  eft  le  fujet  de  la  propofition  -, 
c*eft  de  vous  que  Ton  juge,  f^ous  j  eft  le 
pronom  de  la  féconde  perfonne.  Il  eft  ici 
au  plurier. 

Etes  heureux ,  c eft  lattribut  :  c'eft  ce 
qu'on  juge  de  vous. 

Etes  jy  eft  le  verbe  qui ,  outre  la  valeur 
ou  (îgnification  particulière  de  marquer 
Texiftence,  fait connoître  ladion  de  Tef- 
prit  qui  attribue  cette  exiftence  heureufe  à 
vous  :  &  c'eft  par  cette  propriété  que  ce 
mot  eft  verbe.  On  affirme  que  vous  exi- 
fie^^  heureux. 

Les  autres  mots  ne  font  que  des  déno- 
minations :  mais  le  verbe ,  outre  la  valeur 
ou  fignification  particulière  du  qualificatif 
qu'il  renferme ,  marque  encore  Taétion  de 
lefprit  qui  attribue  ou  applique  cette  va- 
leur à  un  fujet. 


3  5  2.  Principes 

Etes.  La  terminaifon  de  ce  verbe  mar- 
que encore  le  nombre ,  la  perfonne  &  le 
temps  préfent. 

Heureux  ^  eft  le  qualificatif,  que  l'ef- 
prit  confidcre  comme  uni  &  identifié  à 
vous  j  à  votre  exiftence.  Ceft  ce  que  nous 
appelons  ravort  d'identité. 

Vous  paijfe{  dans  nos  champs^  fans  foucij  fans  alarmes. 

Voici  une  autre  propofition. 

Vous  j  en  eft  encore  le  fujet  fîmpîe, 
Ceft  un  pronom  fubftantif ,  car  c'eft  le 
nom  de  la  féconde  perfonne  ,  en  tant 
qu  elle  eft  la  perfonne  à  qui  on  adreffe  la 
parole  -/comme  roi  j  pape ,  font  des  noms 
de  perfonnes  y  en  tant  qu'elles  pofsèdent 
ces  dignités.  Enfiûte^ies  circonftances  font 
connoître  de  quel  roi  ou  de  quel  pape  on 
entend  parler.  De  même  ,  ici ,  les  circon- 
ftances, les  adjoints,  font  connoître  que 
ce  vous  j  ce  font  les  moutons.  Ceft  fe 
faire  une  faufte  idée  des  pronoms ,  que  de 
les  prendre  pour  de  (impies  vice-gérens , 
&:  les  regarder  comme  des  mots  mis  à  la 


dt  Grammaire.         ^3^5^ 

place  des  vrais  noms.  Si  cela  étoit  5  quand 
les  Latins  difent  Cérès  pour  le  pain  ^  ou 
Bacchus  pour  le  vin  ;  Cérès  &  Bacchus 
feroient  des  pronoitis. 

Paij[fe^  j  eft  le  verbe ,  dans  un  fens  neu- 
tre 5  c'eft-à-dire ,  que  ce  verbe  marque  ici 
un  état  de  fujet  :  il  exprime  en  même- 
temps  Tadion  &:  le  terme  de  Tadion.  Car 
vous  paijje-;^  ,  eft  autant  que  vous  mange-;^ 
Vherhe.  Si  le  terme  de  l'adion  étoit  expri- 
mé féparément,  &  qu'on  dît  vous  paij[fe:^ 
r herbe  naijfante  j  le  verbe  feroit  adif  tran- 
fitif. 

Zkins  nos  champs  j    voila  une  circon- 
ftance  de  Tadtion. 

Dans  eft  une  prépofition  qui  marque 
une  vue  de  Teiprit  par  raport  au  lieu.  Mais 
dans  ne  détermine  point  le  lieu  :  c'eft  un 
de  ces  mots  incomplets  dont  nous  avons 
parlé ,  qui  ne  font  qu'une  partie  d'un  fens 
'particulier  5  &  qui  ont  beloin  d'un  aucre 
mot  pour  former  ce  fens.  Ainfi  dans  eft 
la  prépofition  ,  &  nos  champs  en  eft  le 
complément.  Alors ,  ces  mots ,  dans  nos 


354  Principes 

champs  j  font  unfens  particulier,  qui  en- 
tre dans  la  compofition  de  la  propofition. 
Ces  fortes  de  fens  font  fouvent  exprimés 
en  un  feul  mot ,  qu'on  appelle  adverbe. 

Sans  fouci  ;  vojla  encore  une  prépofî- 
tion  avec  fon  compliment  :  c'eft  un  fens 
particulier ,  qui  fait  un  incife.  Incife  vient 
du  latin  ïncifum^  qui  fîgnifie  coupé.  C'eft 
un  fens  détaché  qui  ajoute  une  circonftance 
de  plus  à  la  propofition.  Si  ce  fens  étoic 
fupprimé ,  la  propofition  auroit  une  cir- 
conftance de  moins  -,  mais  elle  n'en  feroit 
pas  moins  propofition. 

Sans  alarmes  j  eft  un  autre  incife» 

AuJJî-'tôt  aimés  qu'amoureux  , 
On  ne  yous  force  point  à  répandre  des  larmes. 

Voici  une  nouvelle  période  :  elle  a  deux 
membres. 

AuJJi'tôt  aimés  qu  amoureux  j  c'eft  Iç 
premier  membre  :  c'eft-à-dire ,  le  premier 
fens  partiel  5  qui  entre  dans  la  compofition 
de  la  période. 

Il  y  a  ici  ellipfe  >  c  eft-à-dire ,  que  pour 


de  Grammaire.  3^5 

faire  la  conftrudion  pleine ,  il  faut  fup- 
pléer  des  mots  que  la  conftrudtion  ufuelJe 
fupprime,  mais  dont  le  fens  eft  dans  I  efprit. 

Aujji'tôt  aimés  qu  amoureux  ;  c'eft-à- 
dire  ,  comme  vous  êtes  aimés  aujfi-tôt  que 
vous  êtes  amoureux. 

Comme  j  eft  ici  un  adverbe  relatif  5  qui 
fert  au  raifonnement,  &  qui  doit  avoir  un 
cortéhtif '^  comme  y  ceft-à-dire^  &  parce- 
que  vous  êtes  j  &c. 

f^ous  j  eft  le  fujet  *,  êtes  aimés  aujjl-tôty 
eft  l'attribut.  Aujfi-tôt  eft  un  adverbe  rela- 
tif de  temps ,   dans  le  même-temps. 

Qucy  autre  adverbe  de  temps  \  c'eft  le 
corrélatif  à*aujji-tôt.  Que  appartient  à  la 
propofîtion  fuivante  5  que  vous  êtes  amou^ 
veux  :  ce  que  vient  du  latin ,  In  que ,  dans 
lequel ,  cum. 

Vous  êtes  amoureux  ;  c'eft  la  propolî- 
tion  corrélative  de  la  précédente. 

On  ne  vous  force  point  à  répandre  des 
larmes.  Cette  proportion  eft  la  corréla- 
tive du  fens  total  des  deux  propu)fitions 
précédentes. 


$^é  Principes 

On  y  eft  le  fujet  de  la  propofîtioii.  On 
vient  de  homo.  Nos  pères  difoient  hom  , 
nou  y  a  hom  fur  la  terre  (i)»  On  ^  fe  prend 
dans  un  fens  indéfini  5  indéterminé  ,  une- 
perfonne  quelconque  j  un  individu  de  votre 
efpèce. 

Ne  vous  force  point  à  répandre  deslar-^ 
mes.  Voila  tout  l'attribut  :  c'eft  lattribut 
total  :  c'eft  ce  qu  on  juge  de  on. 

Force  ,  eft  le  verbe  qui  eft  dit  de  on  : 
c'eft  pour  cela  qu'il  eft  au  fîngulier  ,  &:  à 
la  troifîème  perfonne. 

Ne  point  :  ces  deux  mots  font  une  né- 
gation :  ainfî  la  propofition  eft  négative. 
.Voyez  ce  que  nous  difons  de  points  en 
parlant  de  V Article  ,  vers  la  fin. 

Vous.  Ce  mot ,  félon  la  conftru6tion 
ufuelle  5  eft  ici  avant  le  verbe  \  mais ,  félon 
Tordre  de  la  conftrudion  ^qs>  vues  de  Tef- 
prit,  vous  eft  après  le  verbe,  puifqu'il  eft 
le  terme  ou  Tobjet  de  Tadion  de  forcer. 

Cette  tranfpofîtion  du  pronom  n'eft  pas 

(i)  Voye^  Bord  au  mot  Hom^ 

en 


de  Grammaire:  3  ^y 

tîil  ufage  dans  toutes  les  langues.  Les  h\\^ 
glois  difent,  I  drejfmy  felf;  mot  à  mot, 
j' habillé  moi^mtme.  Nous  difonsyV  rriha- 
hillc  ,  félon  la  conftru6tion  ufuelle  \  ce  qui 
«ft  une  véritable  inveriîon  ,  que  l'habi- 
tude nous  fait  préférer  à  la  conftrudion 
téguhcre.  On  lit  trois  fois  ,  au  dernier 
chapitre  de  l'Evangile  de  Saint  Jean ,  Si- 
mon j  diligls  me  ?  Simon  ,  amas  me  ? 
Pierre  3  aime-:^  -  vous  moi  ?  Nous  difons 
Pierre  j   rnaime^-vous  ? 

La  plupart  des  étrangers  qui  viennent 
du  nord,  àiknt  j'aime  vous  ^  j'aime  lui  ; 
au  lieu  de  dire ,  je  vous  aime  j  je  l'aime  ^ 
félon  notre  conftrudion  ufuelle. 

A  répandre  des  larmes.  Répandre  des 
larmes  ;  ces  trois  mots  font  un  fens  to- 
tal 5  qui  eft  le  complément  de  la  prépofi- 
tion  à.  Cette  prépohtioii  met  le  feiis  total 
en  rapôrt  âVec  force ,  forcer  à  ^  cogère 
ad^  Virgile  a  dit ,  Cogitur  ire  ad  lacry^ 
mas  (  i)  j  &  Vocant  ad  lacrymas  (1. 


{0  ^^'  ^-  IV.  y-  413*       (2.)  i.  XL  V.  9^, 

Bb 


^^55^  Principes 

Répandre  des  larmes.  Des  larmes  n*eft 
pas  ici  le  complément  immédiat  de  répan- 
dre. Des  larmes  ^^  ici  dans  un  fens  par- 
titif. Il  y  a  ellipfe  d\in  fubftantif  généri-^ 
que  ,  répandre  une  certaine  quantité  de 
les  larmes  ;  ou  j  comme  difent  les  poètes 
latins  5  Imbrem  lacrymarum  _,  une  pluie  de 
larmes. 

Vous  neformti  jamais  d'inutiUs  dejïrs.  J 

F'ous  j  eft  le  fujet  de  la  propofition,     m 
Les  autres  mots  font  Tattribut.  Forme^  j 
eft  le  verbe  ,  à  la  féconde  perfonne  du 
préfent  de  l'indicatif. 

Ne  j  eft  la  négation,  qui  rend  la  pro- 
portion négative.  Jamais  eft  un  adverbe 
de  temps.  Jamais ,  en  aucun  temps.  Ce 
mot  vient  de  deux  mots  latins ,  jam  8c 
magis. 

D'inutiles  deJirs.  Ceft  encore  un  fens 
partitif.  Vous  ne  forme'^  jamais  certains 
defirs  j  quelques  deJirs  qui  f oient  du  no  nu 
bre  des  defirs  inutiles. 

D'inutiles  defirs.  Quand  le  fubftantif  &: 


de  Grammaire,  H  9 

ladjecîtif  font  ainfî  le  déterminant  d un 
verbe ,  ou  le  complément  d'une  prépo/î- 
tion  dans  un  fens  aflîrmatif ,  fî  radje6ti£ 
précède  le  fubftantif  ^  il  tient  lieu  d'arti- 
cle ^  &  marque  la  forte  ou  efpèce,  l^ous 
formel^  d'Inutiles  dejirs.  On  qualifie  d'inu^ 
tïlcs  ^  les  defirs  que  vous  formez.  Si  au 
contraire  5  le  fubitantif  précède  Tadjcilif, 
on  lui  rend  l'article  :  c'eft  le  fens  indivi- 
duel :  Vous  forme^  des  dejirs  inutiles.  On 
veut  dire  que  les  defirs  particuliers  ou  fin- 
guliers  que  vous  formez  ,  font  du  nombre 
de  les  defirs  inutiles.  Mais  dans  le  fens  né** 
gatif,  on  diroit.  Vous  ne  forme':^  jamais  j^ 
pas,  point,  de  defirs  inutiles.  Ceft  alorg 
le  fens  fpécifique.  Il  ne  s'agit  point  de  dé- 
terminer tels  ou  tels  defirs  finguliers.  On 
ne  fait  que  marquer  l'efpèce  ou  forte  de 
defirs  que  vous  formez. 

Dans  vos  tranquilles  cœurs  Vamourjiiit  ta  natiiic. 

La  conftrudion  eft  :  L'amour  fuit  la  na-^ 
ture  dans  vos  cœurs  tranquilles.  U amour  ^ 
çft  le  fujet  de  la  propofition ,  &  par  cette 

Bbi 


[3^a  Principes 

raifon  il  précède  le  verbe.  La  nature  j  eft 
le  terme  de  Tadion  de  fuit  5  &  par  cette 
raifon  ce  mot  efl:  après  le  verbe.  Cette  po- 
fîtion  efl:  dans  toutes  les  langues,  félon 
Tordre  de  renonciation  &  de  Tànalyfe  des 
penfées.  Mais  lorfque  cet  ordre  efl:  inter- 
rompu par  des  tranfpofitions ,  dans  les  lan- 
gues qui  ont  des  cas  5  il  efl:  indiqué  par 
une  terminaifon  particulière  ,  qu'on  ap- 
pelle accufatlf.  En  forte  qu  après  que  toute 
la  phrafe  efl:  finie  >  Tefprit  remet  le  mot  à 
fa  place. 

Sans  rejfentirfes  maux  ,  vous  avei  fesplaijirs. 

Confl:ru6tion  5  F'ous  ave^fes  plaijirs  ^ 
fans  rejfentirfes  maux^  Vous  ^  efl:  le  fu- 
Jet  :  les  autres  mots^  font  l'attribut. 

Sans  rejfentïr  fes  maux.  Sans  efl:  une 
prépofition  ,  dont  rejfentir  les  maux  efl: 
le  complément.  Rejfentïr  fes  maux  ^  efl: 
un  fens  particulier ,  équivalent  à  un  nom. 
Rejfentïr  j  efl:  ici  un  nom  verbal.  Sans 
rejfentir  j  efl:  une  proportion  implicite  , 
fans  que  vous  reffentie:^.  Ses  maux  ^ 
efl:  après  Tinfinitif  r^/zr/r,  parcequ'il  en 


de  Grammaire:         3^1! 

eft  le  déterminant.    Il   eft   le  terme  de 
Tadion  de  rejjendr. 

Z'amhition  ,  l'honneur,   V intérêt ,  VimpoJIurt, 
Qui  font  tant  de  maux  parmi  nous  ^ 
Nefe  rencontrent  point  chei  vous. 

Voila  la  propofition  principale. 

V ambition^  V honneur ^  l'Intérêt^  Hm^ 
pojlure  :  c'eft  là  le  fujet  de  la  propofition. 
Cette  forte  de  fujet  eft  appelée  fujet  mul-- 
tiplc  j  parceque  ce  font  plufieurs  indivi- 
dus 5  qui  ont  un  attribut  commun.  Ces  in- 
dividus font  ici  des  individus  métaphy- 
iîques  5  des  termes  abftraits ,  \  rimitation 
d'objets  réels. 

Ne  fc  rencontrent  point  chc^  vônSj  c'eft 
Tattribut.  On  pouvoit  dire,  l'ambition  ne 
fe  rencontre  point  che^  vous  ;  Vhonneur 
ne  fe  rencontre  point  ckei  vous  ;  Vinté^ 
rêt  j  &c.  ce  qui  auroit  fait  quatre  propofî- 
tions.  En  raflTemblant  les  divers  fujetsdonc 
on  veut  dire  la  mcme  chofe,  on  abrège  le 
difcours ,  &  on  le  rend  plus  vif. 

Qui  font  tant  de  maux  parmi  nous.  C'eft 

la  propofition  incidente.  Qiii  ^  en  eft  le 

Bb  5 


^3  èz  Principes 

i'ujer.  Ceft  le  pronom  relatif.  Il  rappelle  à 
refprit  l'ambition  j  l'honneur ,  l'intérêt  ^ 
Vimpôfiurè  ^  dont  on  vient  de  parler. 

Font  tant  de  maux  parmi  nous.  Ceft 
lattribut  de  la  propofîtion  incidente. 

Tant  de  maux  \  c'eft  le  déterminant  de 
font  ;  Veft  le  terme  de  Tadtion  de  font. 

Tant  jy  vient  de  Vaôi]tdiïitantusj  a^  um^ 
Tant  eft  pris  ici  fubftantivement  :  Tan- 
tum  malorum  ^  tantum  x^îj/zct  malorum  ^ 
une  Jî  grande  quantité  de  maux^ 

De  maux  _,  eil  le  qualificatif  de  tant. 
C  eft  un  des  ufages  de  la  prépofîtion  de  y 
de  fervir  à  la  qualification. 

Maux  j  eft  ici  dans  un  fens  ipécifique , 
indéfini  5  &  non  dans  un  fens  individuel. 
Ainfî  5  maux  n'eft  pas  précédé  de  Tar-^ 
ticle  les. 

Parmi  nous  j  eft  une  circonftance  de 
lieu.  Nous  5  eft  le  complément  de  la  prç- 
pofition  parmi. 

Cependant ,  nous  avofis  la  raifon  pour  iJartage  ^ 
Et  vous  en  ignore:^  Vufage, 

Voila  deux  proportions  liées  entr'elles. 


de  Grammaire.         ^6 y 

par  la  conjond:ion  &.  Cependant  j  adver- 
be y  OU  conjonction  adverfative  5  c'eft-à- 
dire,  qui  marque  reftridion  ou  oppofir 
tion  5  par  raport  à  une  autre  idée  ou  pen- 
fée.  Ici  cette  penfée  eft  ,  Nous  avons  la 
raifon  ;  cependant  malgré  cet  avantage  y 
les  pajfions  font  tant  de  maux  parmi  nous. 
Ainfi  5  cependant  marque  oppofîcion  , 
contrariété ,  entre  avoir  la  raifon ,  &  avoir 
des  pafftons.  Il  y  a  donc  ici  une  de  c^s 
propofîcions  que  les  Logiciens  appellent 
adverfative  ou  difcrétive. 

Nous  j  eft  le  fujet  :  Avons  la  raifon 
jpour partage  ^  eft  Tattribut. 

La  raifon  pour  partage.  L'auteur  pou- 
voit  dire  ,  la  raifon  en  partage  :  mais 
alors  il  y  auroit  eu  un  bâillement  ou  hia-- 
tus  5  parceque  la  rcifon  finit  par  la  voyelle 
nafale  on ,  qui  auroit  été  fui  vie  de  en.  Les 
Poètes  ne  font  pas  toujours*^  exads^  & 
redoublent  Vn  en  ces  occadons  -,  la  raifon-- 
n- en  partage  :  ce  qui  eft  une  prononcia- 
tion vicieule.  D'un  autre  côté  5  en  difant, 
pour  partage  j  la  rencontre  de  ces  deux 

B  b  4 


'5  ^4  Principes 

fylîabes  y  pour  j  par^  eft  défagréable  à  To 


reille. 


Vous  en  Ignore':^  l^ufage.  Vous -y  eft  le 
fiijet  -,  en  ignore^  Vujage  ^  eft  Tattribut. 
Ignorei  ^  eft  le  verbe.  Vufage  ^  eft  le  dé- 
terminant de  Ignore'^  :  c^'eft  le  terme  de  la 
lignification  à' ignorer  ;  c'eft  la  chofe  igno- 
rée, Ceft  le  mot  qui  détermine  Ignore'^. 

En  j  eft'  une  forte  d'averbe  pronomi- 
nal. Je  dis  que  en  eft  une  forte  d'adverbe  ^ 
parcequ'il  lignifie  autant  qu'une  prépofi- 
rion  &  un  nom.  En  j  Inde  ;  de  cela;  de  la 
raifon.  En  j  eft  un  adverbe  pronominal , 
parcequ  il  n  eft  employé  que  pour  réveil-r 
1er  ridée  d  un  autre  mot  >  Vous  îgnore'^^ 
tuf  âge  de  la  raifon. 

Inneczns  animaux  ,  n^enfoyei  point  jaloux: 

Ceft  ici  une  énonciation  à  Timpératif. 

Innocens  animaux.  Ces  mots  ne  dépen- 
dent d'aucun  autre  qui  les  précède  ,  & 
font  énoncés  fans  articles.  Ils  marquent , 
en  pareil  cas  >  la  perfonne  à  qui  Ton  adrefT^ 
Ja  parole^ 


de   Grammaire.         ^6<^ 

Soye^  j  efl;  le  verbe  à  Timpératif.  Ne 
point  y  eft  la  négation. 

£n  j  de  cela  j  de  ce  que  nous  avons  la 
taifon  pour  partage. 

Jaloux  eft  ladjeftif.  C'efl:  ce  qu'on  dit 
tjue  les  animaux  ne  doivent  pas  être.  Ain- 
(î  5  félon  la  penfée ,  jaloux  fe  raporte  à  ani-* 
maux  j  par  raport  d'identité ,  mais  néga- 
tivement j  ne  foye\  pas  jaloux. 

Cen*ejlj^as  un  grand  avantage; 

Ce  j  pronom  de  la  troifième  perfonne-; 
Hoc^  ce  J  cela  ^  a  favoir  que ,  nous  avons 
la  raifon  _,  nejipas  un  grand  avantage. 

Cette  fière  raifon  ,  dont  on  fait  tant  de  bruit , 
Contre  les  pajjions  n'ejî  pas  un  fur  remède. 

Voici  propofition  principale  >  &  propo* 
iîtion  incidente. 

Cette  fierc  raifon  nefl  pas  un  remède 
fur  contre  les  pajfions  ;  voila  la  propofi- 
tion principale. 

Dont  on  fait  tant  de  bruit  :  c  eft  la  prqp 
pofition  incidente. 

Vontj  eft  encore  un  adverbe  prono- 


3  èé  Principes 

minai,  de  laquelle  ^  touchant  laquelle.  Dont 
vient  du  mot  unde  j  par  mutation  ou 
tranfpofîtion  de  lettres ,  dit  Nicot.  Nous 
nous  en  fervons  pour  duquel  ^  de  laquelle  ^ 
de  qui  _,  de  quoi. 

On  j  eft  le  fujet  de  cette  proportion  in- 
cidente. 

Fait  tant  de  bruit  ,  en  eft  Tattribur. 
Faitj  eft  le  verbe.  Tant  de  bruit  jy  eft  le  dé- 
terminant de  fait.  Tant  de  bruit  j  tantum 
y^f^jaclationisj  tantam  remjaclationis^ 

Un  peu  de  vîn  la  trouble; 

Un  peu  :  peu  eft  un  fubftantif  \parum 
yïni  ;  une  petite  quantité  de  vin.  On  dit^/e 
peu^  de  peujy  à  peu^  pour  peu»  Peu^  eft  or* 
dinairement  fuivi  d  un  qualificatif.  De  virt  ^ 
eft  le  qualificatif  de  peu.  Un  peu  ;  un  8c  le 
font  des  adjeélifs  prépofitifs  qui  indiquent 
des  individus.  Le  &  ce  indiquent  des  in- 
dividus déterminés  -,  au  lieu  que  un  indi- 
que un  individu  indéterminé  :  il  a  le  même 
fens  que  quelque.  Ainfi  un  peu  eft  bien  dif- 
férent de  le  peu  :  celui-ci  précède  Tindi- 


de  Grammaire^         3^7 

vidu  déterminé  ,  &  Tautre  Tindividu  in- 
déterminé. 

Un  peu  de  vin.  Ces  quatre  mots  expri- 
ment une  idée  particulière  ,  qui  eft  le  Tu- 
jet  de  la  propofition. 

La  trouble  _,  c  efl:  Tattribut.  Trouble  3 
eft  le  verbe.  La  _,  eft  le  terme  de  Tadion 
du  verbe.  La  ^  eft  un  pronom  de  la  troi- 
fîème  perfonne  ;  c'eft-à-dire,  que  la  ra- 
pelle  l'idée  de  la  perfonne  ou  de  la  chofe 
dont  on  a  parlé  ;  Trouble  la  j  elle  y  la 
raifon. 

Un  enfant  (  l'amour  )  îaféduit, 

C'eft  la  mxme  conftrudion  que  dans  la 
propofition  précédente. 

Et  déchirer  un  cceiir ,    qui  VappeUe  àfon  aide  , 
Eft  tout  l'effet  qu* eUe  produit. 

La  conftru6tion  de  cette  petite  période 
mérite  attention.  Je  dis  période  5  gramma- 
ticalement parlant ,  parceque  cette  phrafè 
eft  compofée  de  trois  propoiîtions  gram- 
maticales :  car  il  y  a  trois  verbes  à  l'indi- 
catif, appelle  j  eji  ^  produit. 

Déchirer  un  cœur  ejl  tout  l'effet  :  c'eft 


5^S  Principes 

la   première  propofition  grammaticale  > 

c  eft  la  propofition  principale. 

Déchirer  un  cœur  j  c'eft  le  fujet  énoncé 
par  plufieurs  mors  ,  qui  font  un  fens  qui 
pouroit  être  énoncé  par  un  feul  mot,  Ci 
Tufage  en  avoit  établi  un.  Trouble  j  agi- 
tation j^  repentir^  remors  ^  font  à  peu  près 
les  équivalens  de  déchirer  un  cœur. 

Déchirer  un  cœurj  eft  donc  le  fujet  ,& 
eft  tout  l'effet  j  c'eft  lattribut. 

Qui  l^ appelle  àfon  aide  ;  c'efl:  une  pro*^ 
pofîtion  incidente. 

Qui ^  en  eft  le  fujet  :  ce  quicG:  le  pro- 
nom relatif  qui  rapelle  ,  cœur. 

V appelle  à  [on  aide  _,  c  eft  Tattribut  de 
qui  ;  la  j  eft  le  terme  de  Tadion  d' appelle  : 
appelle  elle  j  appelle  la  raifon. 

Quelle  produit  ;  elle  produit  lequel 
effet  ;  c'eft  la  troifième  propofition. 

Elle  j  eft  le  fujet  :  elle  eft  un  pronom 
qui  rapelle  raifon. 

Produit  que  j  c'eft  lattribut  à* elle.  Que 
eft  le  terme  de  produit.  C'cft  un  pronom 
qui  rappelle  effet. 


de  Grammaïrcl  ^^ë^ 

Que  étant  le  déterminant  y  ou  terme 
de  Tadion  de  produit  j  eft  après  produit  ^ 
dans  Tordre  des  penfées ,  &  félon  la  con- 
ftrudion  (impie  :  mais  la  conftrudioii 
ufuelle  rénonce  avant  produit  ;  parceque 
le  que  étant  un  relatif  conjondif,  ilrapelle 
effet  j  &  joint ,  elle  produit  ^  avec  effet. 
Or  5  ce  qui  joint ,  doit  être  entre  deux 
termes.  La  relation  en  eft  plus  aifémcnt 
apperçue  5  comme  nous  lavons  déjà  re- 
marqué. 

Voila  trois  propofitions  grammaticales  ; 
"mais  logiquement ,  il  n  y  a  là  qu'une  feule 
proportion. 

Et  déchirer  un  cœur  qui  V appelle  à  fort 
<iide  :  ces  mots  font  un  fens  total ,  qui  eft 
le  fujet  de  la  propofition  logique. 

EJl  tout  l'effet  quelle  produit:  voila  uii 
autre  fens  total  5  qui  eft  Tattribut,  C  eft  ce 
^u  on  dit  de  déchirer  un  cœur. 

toujours  impuîffante  Sf  fivère  , 
Elle  s'oppofc  à  tout  y  &  ne  furmonte  rien; 

ïï  y  a  encore  ici  ellipfe,  dans  le  pre- 


^yo  Principes 

mier  membre  de  cette  phraie.  La  conilru* 
âion  pleine  eft  :  La  raifon  ejl  toujours  im- 
puissante &  févère.  Elle  s'oppofe  à  tout  y 
parccquelle  ejl  févère  ;  &  elle  nefurmontc 
rien  j  parcequellc  ejl  impuiffante. 

Elle  s^oppoje  à  tout  jy  ce  que  nous  vou- 
drions faire  qui  nous  feroit  agréable.  Op- 
pofer  y  ponere  oh  ^  pofer  devant  ^  s'op-^ 
pojer  y  oppofer  foi  j  fe  mettre  devant 
comme  un  ohjlacle.  Se  ^  eft  le  terme  de 
Fadion  d' oppofer.  La  conftrudlion  ufuelle 
le  met  avant  fon  verbe  ,  comme  me  ^te  ^ 
Icj  quej,  8cc.  à  tout  ;  Cicéron  a  dit,  O^* 
ponere  ad. 

Nefurmonte  rien.  Rien  ^  eft  ici  le  terme 
de  ladion  àtfurmonte^  Rien  ^  eft  toujours 
accompagné  de  la  négation  exprimée  ou 
fous-entendue.  Rien  ^  nullam  rem. 

Sur  toutes  riens  garde  ces  points.  Me- 
hun  3  au  Teftament  :  où  vous  voyez  que 
fur  toutes  riens  j  veut  dire  ,  fur  toutes 
chofes. 

Sous  ta  garde  de  votre  chien  , 
Vous  deyei  hiaucou2  moins  redouter  la  colèra     ■ 


de  Grammaire.         3711 

Des  loups  cruels  0  ravijfans , 
^ut  f  fous  V autorité  d'une  telle  chimère  , 
Nous  ne  devons  craindre  nos  fens. 

Il  y  a  ici  ellipfe  &:  fynthcfe.  La  /ynthcfe 
Ce  fait  lorfque  les  mots  fe  trouvent  expri- 
més ou  arrangés  félon  un  certain  fens  que 
Ton  a  dans  Tefprit. 

De  ce  que  (  ex  eo  quod^propterea  quod) 
vous  êtes  fous  la  garde  de  votre  chien  , 
vous  devez  redouter  la  colère  des  loups 
cruels  &  raviflans  ,  beaucoup  moins  ;  au 
lieu  que  nous,  qui  ne  fommes  que  fous  la 
garde  de  la  raifon ,  qui  n'eft  qu'une  chi- 
mère 5  nous  n'en  devons  pas  craindre  nos 
fens  beaucoup  moins* 

Nous  nen  devons  pas  moins  craindre 
nos  fens  :  voila  la  fynthèfe  ou  fyllepfe  3 
qui  attire  le  ne  dans  cette  phra/e. 

Lu  colère  des  loups.  La  poé/îe  fe  permet 
cette  exprefïïon.  Limage  en  eft  plus  noble 
&  plus  vive.  Mais  ce  n'eft  pas  par  colère , 
que  les  loups  &  nous  mangeons  les  mou- 
tons. Phèdre  a  dit  y  fauce  improbà  ;  &  la 
Fontaine  a  dit ,  l^  faim. 


;37i  Principes 

Beaucoup  moins  3  multo  minus  :  e  eft 
une  exprelîîon  adverbiale ,  qui  fert  à  la 
comparaifon  5  &  qui ,  par  conféquent ,  de- 
mande un  corrélatif  5  que  j  &c.  Beaucoup 
moins ,  félon  un  coup  moins  beau  j  moins 
grand.  Voyez  ce  que  nous  difons  de 
Beaucoup  j  en  parlant  de  Tarticle. 

Ne  vaudrait 'il -pas  mieux  vivre  ,  comme  vous  faites  ^ 
Dans  une  douce  oijiveté. 

Voila  une  propofition  qui  fait  un  fens 
incomplet ,  parceque  la  corrélative  n'efi: 
pas  exprimée  :  mais  elle  va  Têtre  dans  la  pé- 
riode fuivante ,  qui  a  le  même  tour. 

Comme  vous  faites  j  eft  une  propofîr 
tion  incidente. 

Comme  j  adverbe.  Quomodo  :  à  la  ma,i 
niere  que  vous  le  faites^ 

Ne  vaudroitMpas  mieux  tire ,  comme  vous  êtes  ^ 
Dans  une  heureufe  ohfcurité  , 
Que  d'avoir  ^  fans  tranquillité  , 
Des  richejfes  ,  de  la  naijfance  , 
De  Vefprit  (y  de  la  beauté. 

Il  n'y  a  dans  cette  période ,  que  deu3% 
proportions  relatives  p  &  une  incidente- 

Ne 


I 


de  Grammaire.  373 

Ne  vaudroh'il pas  mieux  être  ^  comme 
yous  êtes  _,  dans  une  keureufe  ohfcunté  : 
c'eft  la  première  propofition  relative,  avec 
Fincidente ,  comme  vous  êtes* 

Notre  fyntaxe  marque  l'interrogation  , 
en  mettant  les  pronoms  perfonels  après 
le  verbe ,  même  lorfque  le  nom  e(t  expri- 
mé. Le  Roi  ira-t-il  à  Fontainebleau  ?  Ai- 
me:^'VOus  la  vérité  ?  Irai-je^ 

Voici  qu'el  eft  le  fiijet  de  cette  propor- 
tion. //_,  illud  ^  ceci  j,  à  favoir  ,  être  dans 
une  heureufe  ohfcurité  ;  fens  total  énoncé 
par  plufieurs  mots  équivalens  à  un  feuL  Ce 
fens  total  eft  le  fujetde  la  propofition. 

Ne  vaudroLt'il  pas  mi/ux  ?  Voila  Tat- 
tdbiit  ,  avec  le  figne  de  Tinterrogation. 
Ce  ne  interrogatif  nous  vient  des  Latins  , 
JE  go  ne  j  adeone  jfuperatne  ^  jamne  vides  ? 
Voye^-vous  ?  Ne  voye^-vous  pas  ? 

Que  ^  quam.  Ceft  la  conjondlion  ou 
particule ,  qui  lie  la  propofition  fiiivante  j 
en  forte  que  la  propofition  précédente  & 
celle  qui  fuit,  font  les  deux  corrélatives  de 
la  comparaifon. 

Ce 


374  Principes 

Que  la  chofe  ^  l'agrément  d^ avoir  j  fans 
tranquillité  j  l'abondance  des  richejfes  ^ 
l'avantage  de  la  naijfance  ^  de  l'efprit  & 
de  la  beauté.  Voila  le  fujet  de  la  propofi- 
tion  corrélative. 

Ne  vaut  ^  qui  efl:  fous-entendu ,  en  eft 
l'attribut.  Ne  ^  parcequ'on  a  dans  Te/prit , 
ne  vaut  pas  tant  que  votre  obfcurité  vaut. 

Ces  prétendus  tréfors  ,  dont  on  fait  vanité  , 
Valent  moins  que  votre  indolence. 

Ces  prétendus  tréfors  valent  moins  ; 
voila  une  proportion  grammaticale  re- 
lative. 

Que  votre  indolence  ne  vaut ,  voila  la 
corrélative. 

Votre  indolence  n'eft  pas  dans  le  même 
cas  :  elle  ne  vaut  pas  ce  moins  :  elle  vaut 
bien  davantage. 

Dont  on  fait  vanité  j  eft  une  propofî- 
tion  incidente  :  On  fait  vanité  defquels  ^ 
à  caufe  defquels.  On  dit ,  faire  vanité ^  ti- 
rer vanité  de  ^  dont^  defquels.  On  j  ait  va-^ 
nité  :  ce  mot  vanité  entre  dans  la  cômpo- 


de  Grammaire.  375 

iîrion  du  verbe,  &  ne  marque  pas  une 
telle  vanité  en  particulier  ,  ainfî  il  n'y  a 
point  d'article. 

Ils  nous  livrent  fans  cejfe  à  des  foins  criminels. 

Ils  (  ces  tréfors ,  ces  avantages  )  :  Ils  eft 
le  fujer. 

Livrent  nous  fans  cejje  à  ^  &c.  c^eîl  lat- 
tribut. 

A  des  foins  criminels  ;  c'eft  le  fens  par- 
titif -,  c'eft-à-dire  ,  que  les  foins  aufquels 
ils  nous  livrent ,  font  du  nombre  des  foins 
criminels  ;  ils  en  font  partie.  Ces  préten- 
dus avantages  nous  livrent  à  certains  foins, 
à  quelques  foins ,  qui  font  de  la  clalle  des 
foins  criminels. 

Sans  ceffe  j  façon  de  parler  adver- 
biale p  fine  ulla  intermiffione. 

Par  eux  ,  plus  d'un  remors  nous  ronge. 

plus  d'un  remors  j  voila  le  fujet  com- 
plexe de  lapropofîtion, 

Bx)nge  nous  par  eux  j  à  Toccafion  de 

ces  tréfors  ;  c'eft  l'attribut. 

Ce  z 


57<^  Principes 

Plus  d'un  remors.  Plus  j  eft  ici  le  fub- 
ftantif  5  &  fignifie  une  quantité  de  remors 
plus  grande  que  celle  d'un  feul  remors. 

Nous  voulons  les  rendre  éternels  , 
Sans  fou ger  qu'eux  0"  nous  pajferons  comme  unfonge, 

Nous  jy  eft  le  fujet  de  la  propofirion. 

flouions  les  rendre  éternels  ^  fans  f on-* 
gerj  &c.  c'eft  lattribut  logique. 

Voulons  j  eft  un  verbe  adtif.  Quand  o» 
veut^  on  veut  quelque  chofe  ,  les  rendre 
éternels  ^  rendre  ces  tréfors  éternels  :  ces 
mots  forment  un  fens ,  qui  eft  le  terme 
de  ladion  de  voulons  :  c'eft  la  chofe  que 
nous  voulons. 

Sans  fonger  qu'eux  (/  nous  pajferons  comme  unfongel 

Sans  f on  ger.  Sans  jy  prépofition.  Son- 
ger j  eft  pris  ici  fubftantivement.  C  eft  le 
complément  de  la  prépofition  y^/2»y  y  fans 
la  p  en  fée  que.  Sans  fonger  peutauflî  être 
regardé  comme  une  propofition  implicite  : 
fans  que  nous  fongions. 

Que  j  eft  ici  une  conjoncftion ,  qui  unit 
h  fonger  j  la  cnofe  à  quoi  Ton  ne  fonge 
point. 


de  Grammaire.  377 

Eux  &  nous  pajjerons  comme  unfonge. 
Ces  mots  forment  un  fens  total ,  qui  ex- 
prime la  chofe  à  quoi  Ton  dcvroit  fongcr. 
Ce  fcns  total  eft  énoncé  dans  la  forme 
d'une  propofition  ,  ce  qui  eft  ordinaire  en 
toutes  les  langues.  Je  ne  fais  qui  a  fait 
cela  j  Nefdo  quis  fedt  ;  Quis  jecït  eft  le 
terme  ou  l'objet  de  nefcio  :  Nefdo  hoc  j 
iiempc  ,  quis  fedt. 

Il  n'eft  dans  ce  vaJJe  univers  , 
Rien  d*ajfuré  ,  rien  de  folide. 

Il  j  illud  y  nempè  ,  ceci  :,  à  f avoir  ^  rien 
d^affuré  ^  rien  de  folide.  Quelque  chofc 
d^ajfure  j  quelque  chofe  de  folide  :  voila  le 
fujet  de  la  propafition,  N'ef  (^sls)  dans 
ce  vajle  univers  ;  en  voila  Tattribut.  La  né- 
gation ne  rend  la  proportion  négative.  • 

D'ajfure.  Ce  mor  eft  pris  ici  fijbftan- 
tivement  :  Ne  hilum  quidcm  certi.  D'affuré 
eft  encore  ici  dans  un  fens  qualificatif  >  Se 
non  dans  un  fens  individuel  *,  &  c*eft  pour 
cela  qu'il  n'eft  précédé  que  de  la  prépofi- 
tion  de  j  fans  article. 

Ce  5 


57  s  Principes 

Des  chofes  d*ici  bas  la  Fortune  décide  , 
Selon  f es  caprices  divers. 

La  Fortune^  fujet  fimple ,  terme  abftrait 
perfonifîé  :c'eft  le  fujet  de  la  propofition* 
Qpand  nous  ne  connoiÏÏbns  pas  la  caufe 
d'un  événement ,  notre  imagination  vient 
au  fecours  de  notre  efprit ,  qui  n  aime  pas 
à  demeurer  dans  un  état  vague  &  indéter- 
miné. Elle  le  fixe  à  des  fantômes  qu'elle 
réalife  5  &  aufquels  elle  donne  des  noms , 
Fortune^  Hafard y  Bonheur ^  Malheur. 

Décide  des  chofes  d'ici  bas  ^  félon  fes 
caprices  divers.  Ceft  lattribut  complexe. 

Des  chofes  j  de  les  chofes  :  de  lignifie 
ici  touchant. 

D' ici-bas  détermine  chofc.  Ici-bas  eft 
pris  fubftantivement. 

Selon  fes  caprices  divers  j  eft  une  ma- 
nière de  décider.  Selon  j  eft  la  prépofi'» 
tion.  Ses  caprices  divers  j  eft  le  complé- 
ment de  la  prépofition. 

jfbwf  l'effort  de  notre  prudenct 
JN^e  peut  nous  dérober  au  moindre  de  fes  coups; 

Tout  l'effort  de  notre  prudence  j  voila  la 


de  Grammaire.  379 

(ujet  complexe  :  de  notre  prudence  déter- 
mine Teftort ,  &  le  rend  fujet  complexe. 
V effort  de  eft  un  individu  métaphyfique  > 
&  par  imitation  ;  comme  un  tel  homme 
ne  peut  5  de  même  foz/r  V effort  ne  peut. 

Ne  peut  dérober  nous  ;  Se  félon  la  con- 
ftru(5Hon  ufuelle  y  nous  dérober. 

Au  moindre  j  à  le  moindre  ;  à  ^  eft  la 
prépofitioft  î  le  moindre  j  eft  le  complé- 
ment de  la  prépofîtion. 

j4u  moindre  de  fes  coups  ;  au  moindre 
€Oup  de  fes  coups.  De  fes  coups  ^  eft  dans 
le  fens  partiti£ 

J^^^'Jf^x  9  moutons ,  pai/i^.  Sans  règle  Cf  fans  fcicnct  ^ 

Malgré  la  îrompeufc  apparence  , 
Vous  êtes  plus  heureux  &  plus  f âge  s  que  nous. 

La  trompeufe  apparence  ^  eft  ici  un  in- 
dividu métaphyfique  perfonifié. 

Malgré.  Ce  mot  eft  compofé  de  Tad- 

]tOiif  mauvais  jy  &  du  fubftantif  ^r/^  qui 

fe  prend  poui:  volonté  ^  goût.    Avec  le 

mauvais  gré  de  _,  en  retranchant  le  de  j-  à 

la  manière  de  nos  pères ,  qui  fupprimoienc 

^auvent  cette  prépofitioa,  comme  noua 

C  c  4. 


j^o  Principes 

Ta  vous  obfervé  en  parlant  du  raport  de 
détermination.  Les  anciens  difoient  mau^ 
gré  ;  puis  on  a  dit  malgré.  Malgré  moi  y 
avec  le  mauvais  gré  de  moi  ;  Cum  mea 
mala gratia  ;  me  invito.  Aujourd'hui,  on 
fait  de  malgré  unt  prépofition.  Malgré  la 
trompeufe  apparence  _,  qui  ne  cherche  qu'à 
en  impofer  &  à  nous  en  faire  accroire  , 
vous  êtes ,  au  fond  &  dans  la  réalité ,  plus 
heureux  &  plus  fages  que  nous  ne  le 
fommes. 

Tel  eft  le  détail  de  la  conftrudion  à^^ 
mots  de  cette  Idylle.  Il  n  y  a  point  d  ou- 
vrage, en  quelque  langue  que  ce  puiffe 
être ,  qu'on  ne  pût  réduire  aux  principes 
que  je  viens  d'expoier ,  pourvu  que  Ton 
connût  les  fîgnes  des  raports  des  mots  en 
cette  langue ,  &  ce  qu'il  y  a  d'arbitraire  > 
qui  la  diftingue  des  autres. 

Au  refte  ,  fi  les  obfervations  que  jai 
faites  paroifTent  trop  métaphyfiques  à 
quelques  perfonnes  ,  peu  accoutumées 
peut-être  à  réfléchir  fur  ce  qui  fe  paiTe  en 
elles-mêmes,  je  les  prie  de  confidérer  qu'on 


de  Grammaire.         581 

ne  fauroit  traiter  raifonnablement  de  ce 
qui  concerne  les  mots,  que  ce  ne  foie  re- 
lativement à  la  forme  que  ion  donne  à 
la  penfée ,  &  à  ranalyfe  que  Ton  eft  obli- 
gé d'en  faire  par  la  néceffité  de  rélocutio!! , 
c'eft-à-dire ,  pour  la  faire  pafifer  dans  Ict 
prit  des  autres-,  &  dès-lors  on  fe  trouve  dans 
le  pays  de  la  Métaphyfique.  Je  r/ai  donc 
pas  été  chercher  de  la  Métaphyfique,  pour 
en  amener  dans  une  contrée  étrangère  :  Je 
n'ai  fait  que  montrer  ce  qui  eft  dans  Tef- 
prit,  relativement  au  difcours  &  à  la  né- 
cefîîté  deTclocution.  C'eft  ainfi  que  Tana- 
tomifte  montre  les  parties  du  corps  hu- 
main ,  fans  y  en  ajouter  de  nouvelles.  Tout 
ce  qu'on  dit  des  mots ,  qui  n'a  pas  une  re- 
lation diredte  avec  la  penfée,  ou  avec  la 
forme  de  la  penfée  -,  tout  cela  ,    dis-Je  ' 
n'excite  aucune   idée  nette  dans  l'efprit. 
On   doit  connoître  la  raifon  des  règles 
de  rélocution  ,  c'eft-à-dire  ,  de  l'art  de 
parler  &  d'écrire,  afin  d'éviter  Its  fautes 
de  conftruûion ,  &  pour  acquérir  l'habi- 
tude de  s'énoncer  avec  une  exadtitude  rai- 


jSi  Principes 

fonnablequi  ne  contraigne  point  le  génîe. 

Il  eft  vrai  que  l'imagination  auroit  été 
plus  agréablement  amufée^  par  quelques 
réflexions  fur  la  fimplicité  &  la  vérité  des 
images ,  aufîî  bien  que  fur  les  expreflîons 
fines  &  naïves ,  par  lefquelles  cette  illuftre 
Dame  peint  fî  bien  le  fentimenc. 

Mais,  comme  la  conjlruclion  Jimple  & 
néceflaire ,  eft  la  bafe  &  le  fondement  de 
toute  conjlruclion  ufuellc  &  élégante  ;  que 
les  penfées  les  plus  fubîimes ,  aufR  -  bien 
que  les  plus  (impies,  perdent  leur  prix  y 
quand  elles  font  énoncées  par  des  phrafes 
irrégulières  j  &  que  d'ailleurs  le  public  eft 
moins  riche  en  obfervations  fur  cette  co/z- 
Jlruclion  fondamentale  ,  j'ai  cru  qu'après 
avoir  tâché  d'en  déveloper  les  véritables 
principes ,  il  ne  feroit  pas  inutile  d'en  faire 
l'application  fur  un  ouvrage  aufîî  connu  & 
auffi  généralement  eftimé  que  l'eft  l'Idylle 
des  Moutons  de  Madame  Deshoulières»  * 


de  Grammaire.  385 

Obftrvations  fur  ce  que  les  Grammairiens 
appellent  Disconvenance. 

On  fe  fert  du  terme  de  Difconvenance  j 
pour  défigner  des  mots  qui  compofent  les 
divers  membres  d  une  période  ,  lorfque 
ces  mots  ne  conviennent  pas  entr'eux,  foie 
parcequ'ils  font  conftruits  contre  lanalo- 
gie ,  ou  parcequ'ils  rafTemblent  des  idées 
difparates ,  entre  lefquelles  Tefprit  apper- 
çoit  de  roppofîtion,  ou  ne  voit  aucun  ra- 
port.  Il  femblc  qu'on  tourne  d'abord  Tef 
prit  d  un  certain  côté ,  &  que  lorfqull 
croit  pourfuivre  la  même  route ,  il  fe  fent 
tout-d  un-coup  tranlporté  dans  un  autre 
chemin.  Ce  que  je  veux  dire  s'entendra 
niieux  par  des  exemples. 

Un  de  nos  Auteurs  a  dit  que ,  Notre  ré- 
putation ne  dépend  pas  des  louanges  qu'on 
nous  donne ,  mais  des  actions  louables  que 
nous  faifons. 

Il  y  a  difconvenance  entre  les  deux  mem- 
bres de  cette  période,  en  ce  que  le  premier 
préfente  d  abord  un  fens  négatif,  ne  dé- 


384  Principes 

pend  pas  ;  8c  dans  le  fécond  membre  5  on 
fous-entend  le  même  verbe  dans  un  fens 
affirmatif.  lifaloit  dire.  Notre  réputation 
dépend  ^  non  des  louanges  qu'on  nous 
donne  j  maïs  des  actions  louables  que  nous 
faifons. 

Nos  Grammairiens  foutiennent  ,  que 
lorfque  dans  le  premier  membre  d'une  pé- 
riode 5  on  a  exprnné  un  adjedif ,  auquel 
on  a  donné,  ou  le  genre  mafculin,  ou  le 
féminin ,  on  ne  doit  pas  dans  le  fécond 
membre  fous-entendre  cet  adjectif  en  un 
autre  genre  ,  comme  dans  ce  vers  de 
Racine  : 

Sa  réponfe  efl  diSce  y  &  même  fort  Jilcnce. 

Les  oreilles  &  les  imaginations  délicates 
veulent  qu'en  ces  occalions ,  TElIipfe  foit 
précifément  du  même  mot  au  même  gen- 
re •,  autrement ,  ce  feroit  un  mot  différent,. 

Les  adjedifs  qui  ont  la  même  termi- 
naifon  au  mafculin  &  au  féminin  ,  fage  j 
fidèle  j  volage  ^  ne  font  pas  expofés  à 
cette  difconvenance. 

Voici  une  difconvenance  de  temps.  // 


de  Grammaire.  585 

regarde  votre  malheur ,  comme  une  puni- 
tion du  peu  de  complaifance  que  vous  ave:^ 
tue  pour  lui  y  dans  le  temps  qu'il  vous 
pria  j  &c.  Il  faloit  dire  5  que  vous  eûtes 
pour  lui  j  dans  le  temps  qu'il  vous  pria. 

On  dit  fort  bien  :  Les  nouveaux  pkilo- 
fophes  difent  que  la  couleur  eft  un  fend' 
ment  de  Vame  :  mais  il  faut  dire  ,  les  nou- 
veaux philofophes  veulent  que  la  couleur 
foit  un  fentimcnt  de  Vame. 

On  dit.  Je  crois  jy je  foutiens ^  fajfure  ^ 
que  vous  êtes  favant  :  mais  il  faut  dire , 
je  veux  j  jefouhaite  j  je  dejire ,  que  vous 
{oyez /avant. 

Une  difconvenance  bien  fenfible  ,  eft 
celle  qui  fe  trouve  afTez  fouvent  dan:;  les 
mots  d'une  métaphore.  Les  exprelîîons 
métaphoriques  doivent  être  liées  entr'ellès 
de  la  même  manière  qu'elles  le  feroient 
dans  le  fens  propre.  On  a  reproché  à 
Malherbe  d'avoir  dit  : 
Prends  ta  foudre  ,  Louis  y  &va  comme  un  lion. 

Il  faloit  dire ,  comme  Jupiter.  Il  y  a  dif- 
convenance Qutre  foudre  &  lion. 


^26  Principes 

Dans  les  premières  éditions  du  Cid  i 
Chimène  difoit  : 
Maigre  des  feux  Ji  beaux  y  qui  rompent  ma  colère» 

Feux  &  rompre  ne  vont  point  enfem- 
ble  :  c'eft  une  difconvenance  ,  comme 
TAcadémie  Ta  remarqué. 

Ecorce  fe  dit  fort  bien  dans  un  fens  mé- 
taphorique 5  pour  les  dehors  j  l'apparence 
des  chofes.  Ainfî  ,  Ton  dit  que  les  igno^ 
rans  s'arrêtent  à  l' ecorce  ;  qu'ils  s'amu- 
fent  à  récorce.  Ces  verbes  conviennent 
fort  bien  avec  écorce  pris  au  propre.  Mais 
on  ne  diroit  pas  au  propre  ^fondre  l' écorce  : 
Fondre  fe  dit  de  la  glace  ou  du  métal.  J  a- 
voue  Q^^  fondre  V écorce  m'a  paru  une  ex- 
preffîon  trop  hardie  dans  une  Ode  de 
Rouilèau  : 

'Et  les  jeunes  [éphirs  ypar  leurs  chaudes  haleines. 

Ont  fondu  Técorce  des  eaux. 

Livre  III.  Ode  VI. 

Il  y  a  un  grand  nombre  d'exemples  de 
difconvenances  de  mots  ,  dans  nos  meil- 
leurs écrivains ,  parceque  ,  dans  la  chaleur 
de  la  compofîtion ,  on  eft  plus  occupé  des 


de  Grammaire.  387 

penfées ,  qu'on  ne  Teft  des  mots  qui  fer- 
vent à  énoncer  les  penfées. 

On  doit  encore  éviter  les  difconvenan- 
ces  dans  le  ftyle  -,  comme  ,  îorfque  trai^ 
tant  un  fujec  grave ,  on  fe  fert  de  termes 
bas  5  ou  qui  ne  con tiennent  qu'au  flyle 
fîmple.  Il  y  a  auffi  des  diiconvcnances  dans 
les  penfées,  dans  les  geftes,  &c. 

Singula  quaequc  locum  teneant  fortita  dccenter. 
Ut  ridcncibus  arndent ,    ira  flentibus  adfunt 
Humani  vultus.   Si  vis  me  flere  >  dolendum  eft 
Primùm  ipfe  tibi,  ôcc.  (i) 

Des  mots  explétifs. 

Le  mot  explétif  ^  vient  du  latin,  tx^ 
plere  j  remplir.  En  efFet,  les  mots  explé- 
tifs ne  fervent ,  comme  les  interjeâiions  :, 
qu'à  remplir  le  difcours,  &  n'entrent  pour 
rien  dans  la  conftru6tionde  la  phrafe,  dont 
on  entend  également  le  fens,foit  que  le  mot 
explétif  Coït  énoncé,  ou  qu'il  ne  le  foit  pas. 

Notre  moi  &  notre  vous  font  quelque- 
fois explétifs  dans  le  ftyle  familier.  On  fe 

(z)Horacç>  de  Aru po'ùiça. 


388  Principes 

fert  de  moi  j  quand  on  parle  à  Timpéra- 
tif  &  au  préfent.  On  fe  fert  de  vous  j  dans 
les  narrations.  Tartuffe  ,  dans  Molière  , 
acle  III 5  fcene  1  j  voyant  Dorine ,  dont 
la  gorge  ne  lui  paroifToit  pas  afièz  cou- 
verte ,  tire  un  mouchoir  de  fa  poche  ,  & 
lui  dit  : 

•  .  •  •  •  jâh  !  mon  Dieu  ^je  vous  prie% 
Avant  que  de  parUr^  prenei" moi  ce  mouchoir. 
&  Marot  a  dit  : 

Faites- leS'tnoï  les  plus  laids  que  VonpuiJJe  : 
Pochei  cet  ail  ^fejfei- moi  cette  cuijje» 

En  forte  que  5  lorfque  je  lis  dans  Té- 
rence  {i)yfac  me  utfciam^  je  fuis  fort 
tenté  de  croire  que  ce  me  eft  explétif  en 
latin ,  comme  notre  moi  en  françois. 

On  a  aufïî  plufîeurs  exemples  du  vous 
explétif  5  dans  les  façons  de  parler  fami- 
lières :  //  vous  la  prend  &  V emporte  _,  &:c. 
Notre  même  eft  fouvent  explétif:  Le  Roi 
y  tjl  venu  lui-même  :  J'irai  moi-même.  Ce 
même  n  ajoute  rien  à  la  valeur  du  mot 
Roi  j  ni  à  celle  de  je. 

(i)  Hcaut.  aâ.  î.fcen.  IV.  v.  )z. 

Au 


de  Grammaire  389 

Au  troifième  livre  de  TEnéide ,  v,  6 }  2 
Achéménide  dit  qu'il  a  vu  lui-même  le  cy- 
clope  fe  faifir  de  deux  autres  compagnons 
d'Ulyfïe  5  &  les  dévorer  : 

Vïdi  ego-mct  duo  de  numéro  ,  ôcc. 

Où  vous  voyez  qu'après  vidi  &  après 
ego  _,  la  particule  met  n'ajoute  rien  au  fcns. 
Ainfi  met  eft  une  particule  explétive ,  dont 
il  y  a  plufieurs  exemples  :  E^o-met  narra-- 
bo  (i)  i  Sufcipe  me-mct  totum  j  dit  Vati- 
niusà  Cicéron ,  en  le  priant  de  le  recevoir 
tout  entier  fous  fa  protedion.  C'eft  aind 
qu'on  lit  dans  les  manufcrits. 

La  fyllabe  er  ^  ajoutée  à  Tinfinîtif  palîîf 
d'un  verbe  latin ,  eft  explétive ,  puifqu'elle 
n*indîque  ni  temps  5  ni  perfonne ,  ni  aucun 
autre  accident  particulier  du  verbe.  Il  eft 
vrai  qu'en  vers  elle  fert  à  abrévier  Vi  de 
l'infinitif  5  &  à  fournir  une  daftyle  eu 
Poète,  C*eft  la  raifon  qu'en  donne  Ser- 
vons, fur  ce  vers  de  Virgile  5  -Enéide  5  livre 
m  ,  V,  493, 

Ci)  rèïQncç y  Adelp.  aâ.lYyfcen,lll,v,  lu 

Dd 


390  Principes 

Dulce  caput ,  magicas  invitam  accingi-ct  arte^^ 

Accingiery  idejl  pr^eparari ,  dit  Servius. 
ACCINGIER  autem  j  ut  ad  înfinitum  mo- 
dura  et  addatur  3  ratio  cffidt  mctri.  Nam 
cumin  eo  ACCINQI  ultima Jit longa  j  ad-- 
dita  HKfyllaba  j  brcvisfit.  Mais,  ce  qui 
eft  remarquable  ,  &  ce  qui  nous  autorife  à 
regarder  cette  fyllabe  comme  expJétive  , 
c'eiT:  qu^on  en  trouve  aufîî  des  exemples 
en  profe.  Vatinius  clicns  pro  fc  caufam 
BlClER  vult.  (i)  Quand  on  ajoute  ainfî 
quelque  fyllabe  à  la  fin  d'un  mot  >  les 
Grammairiens  difent  que  c'eft  une  figure 
qu^on  appelle  Paragoge. 

Parmi  nous,  dit  M.  TAbbé  Régnier  (1)  ^ 
il  y  a  auiïî  des  particules  explétiv^s.  Par 
exemple ,  les  pronoms  me  ^  te  jfe  j  joints 
à  la  particule  en  j  comme  quand  on  dit  > 
Je  m'en  retourne  :  //  s^en  va.  Les  pronoms 
moi  j  toi  y  lui  ^  employés  par  répétition  : 
S'il  ne  veut  pas  vous  le  dire  j  je  vous  le 

^  (1)  Apuà  Cicéron.  lib.  V.  adfamil.  cpift.  ixa 
(2)  Grammaire  ^  pag.  j^j ,  7/2-4. 


de  Grammaire.         591 

dirai  j  moi  \  Il  ne  m^ appartient  pas  ^  à 
moi  5  de  me  mêler  de  vos  affaires  :  Il  lui 
appartient  hien  j  à  lui,  de  parler  comme  il 
fuit. 

Ces  mots  ,  enfin  ^  feulement  j  à  tout 
hafard  j  après  tout ^  &  quelques  autres  , 
ne  doivent  fouvent  être  regardés  que 
comme  des  mots  explétifs  &  furabondans -, 
c'eft-à-dire  ,  des  mots  qui  ne  contribuent 
en  rien  à  la  conftrudion  ni  au  fens  de  la 
propofition  -,  mais  ils  ont  deux  fervices. 

I.  Nous  avons  remarqué  ailleurs ,  que 
les  langues  fe  font  formées  5  par  ufage  , 
&  comme  par  une  efpèce  d'inftind  ,  & 
non  après  ime  délibération  raifonnée  de 
tout  un  peuple.  Ainfî  ,  quand  certaines 
façons  de  parler  ont  été  autorifées  par  une 
langue  pratique,  &  qu'elles  font  reçues 
parmi  les  honnêtes  gens  de  la  nation  , 
nous  devons  les  admettre  ,  quoiqu'elles 
nous  paroiflTent  compofées  de  mots  rédon* 
dans  &  combinés  d'une  manière  qui  ne 
nous  paroît  pas  régulière. 

Ayons-nous  à  traduire  ces  deux  mots 

Ddz 


392^  Principes 

d'Horace ,  funt  quos ,  &c.  au  lieu  de  dire, 
quelques-uns  font  y  qui  j  &c.  nous  devons 
dire  ,  il  y  en  a  qui ,  &c.  ou  prendre  quel- 
qu'autre  tour  qui  foitenufage  parmi  nous. 
L'Académie  Françoife  a  remarqué ,  que 
dans  cette  phrafe  :  C'ejl  une  affaire  ou  il 
y  va  dufalut  de  Vétat ,  la  particule  j  pa-» 
roît  inutile ,  puifque  ou  fufïit  pour  le  fens. 
Mais  y  dit  TAcadémie  (i)  >  c^  font  la  des 
formules  dont  on  ne  peut  rien  oter.  La  par- 
ticule ne  eft  auffi  fort  fouvent  explétive  > 
&  ne  doit  pas  pour  cela  être  retranchée. 
3^ai  affaire  j  &  je  ne  veux  pas  quon 
vienne  ni* interrompre  :  Je  crains  pourtant 
que*  vous  ne  venie^.  Que  fait -là  ce  ne} 
c'eft  votre  venue  que  je  crains  :  je  devrois 
donc  dire  fîmplement,  je  crains  que  vous 
venie^.  Non  j  dit  TAcadémie.  //  eji  cer- 
tain 5  ajoute-t-elle ,  auffi  bien  que  Vauge- 
las  5  Bouhours ,  &c.  qu'avec  craindre ,  em- 
pêcher,  5*  quelques  autres  verbe  s  ^  ilfautné- 


(  I  )  Remarques  &  décijîons  de  VAcadcmit 
Françoijèn  Chez  Coignard >  i6^^» 


de  Grammaire.         395 

eejfairement  ajouter  la  négative  ne.  yem-- 
pécherai  bien  que  vous  ne  /oye^  du  nom-* 
trejy&cc. 

C'crt  la  penfce  habituelle  de  celui  qui 
parle  ,  qui  attire  cette  négation.  Je  ne 
veux  pas  que  vous  venie\  :  Je  crains  en 
fouhaitant  que  vous  ne  venie-;^  pas.  Mon 
efprit  touirrté  vers  la  négation ,  la  met  dans 
le  difcours.  Voyez  ce  que  nous  avons  dit 
de  \2ifyllepfe  &  de  Yattraclion  ^  dans  l'ar- 
ticle de  la  Conftrudiort. 

Ainfî  y  le  premier  fervice  des  particules 
explétives  ,  c'eft  d'entrer  dans  certaines 
façons  de  parler  confacrées  par  Tufage. 

II.  Le  fécond  fervice,  &  le  plus  raifon- 
nable?  c'eft  de  répondre  au  fentiment  in- 
térieur dont  on  eft  afFedé  5  &  de  donner 
ainfî  plus  de  force  &  d'énergie  à  l'expref- 
fîon.  L'intelligence  eft  prompte  :  elle  n'a 
qu'un  inftant.  Mais  le  fentiment  eft  plus 
durable  :  il  nous  affecte  -,  &  c'eft  dans  le 
temps  que  dure  cette  nffedion ,  que  nous 
îaiflbns  échaper  les  interjections  >  &  que 

nous  prononçons  les  mots  explétifs  5.  qui 

Dd3 


594  Principes 

font  une  forte  d'interjeârionjpuifqu'ilsfont 

on  effet  du  fentiment. 

Cefl  a  vous  a  fortir  y   vous  qui  pârUi  (i). 

J^ous  qui  parlc^  j  eft  une  phrafe  exple- 
tive  j  qui  donne  plus  de  force  au  dif- 
cours. 

Je  Vai  vu  y  dis- je  y  v\x  y  de  mes  propres  ieux  va  j 

Ce  qu^on  appelle  vu  (i). 
£V  je  ne  puis  du  tout  me  mettre  dans  Vejprit  y 
Qi/il  ait  ofé  tenter  les  chofes  que  Von  dit. 

Ces  mots  y  vu  de  mes  ieux  ^  du  tout  j 
font  explétifs ,  &  ne  fervent  qu'à  mieux 
affurer  ce  que  Ton  dit.  Je  ne  parle  pas  fur 
le  témoignage  d^un  autre  ;  Je  l^ai  vu  moi- 
même  ;  je  Vai  entendu  de  mes  propres 
oreilles  :  &  dans  Virgile,  au  neuvième  livre 
de  \ Enéide  j  vers  457  : 
Me  me  adjum  qui  feci  :  in  me  convertite  ferrum^ 

Ces  deux  premiers  me  ne  font  là  que 

par  énergie,  &  par  fentiment.  Elocutio 

cjl  dolore  turbati  j  dit  Servius. 

— — ^ 
(i)  Molière, 
(z)  Idem.  Tartuffe,  a3.  Y.fcca.  5. 


de  Grammaire. 


395 


DE  L'ARTICLE. 

J-jE  mot  article,  vient  du  latin  artlculus y 
diminutif  de  anus  ^  membre  ,  parceque 
dans  le  fens  propre  on  entend  par  article 
les  jointures  des  os  du  corps  des  animaux, 
unies  de  différentes  manières,  &:  félon  les 
divers  mouvemens  qui  leur  font  propres  -, 
de-Ià,par  métaphore  &  par  extenhon,  on 
a  donné  divers  fens  à  ce  mot. 

Les  Grammairiens  ont  appelle  articles  3 
certains  petits  mots  qui  ne  lignifient  rien 
de  phyfique  ,  qui  font  identifiés  avec  ceux 
devant  lefquels  on  les  place  ,  &  les  font 
prendre  dans  une  acception  particulière. 
Par  exemple,  Le  roi  aime  le  peuple  ;  Je 
premier  le  ne  préfente  qu  une  même  idée 
avec  roi<,  mais  il  m'indique  un  roi  particu- 
lier que  les  circonftances  du  pays  où  je 
fuis,  ou  du  pays  dont  on  parle ,  me  font 
entendre.  L'autre  le  qui  précède  peuple  j 

fait  aufli  le  même  effet  à  legard  de  peuple; 

Dd4^ 


$cf6  Principes 

&  de  plus  le  peuple  étant  placé  après  aimt^ 
cette  poiîtion  fait  connoître  que  le  peuple 
e!t  le  terme  ou  l'objet  du  fentiment  que 
Ton  attribue  au  roi. 

Les  articles  ne  (îgnifîent  point  des  chô- 
fes  ni  des  qualités  feulement  :  ils  indiquent 
à  lefprit  le  mot  qu'ils  précèdent,  &  le  font 
confidérer  comme  un  objet  tel ,  que  fans 
Tarticle,  cet  objet  feroit  regardé  fous  un 
autre  point  de  vue  :  ce  qui  s'entendra 
'mieux  dans  la  fuite  5  fur- tout  par  les  exem- 
ples. 

Les  mots  que  les  Grammairiens  appellent 
articles,  n'ont  pas  toujours  dans  les  autres 
langues  des  équivalens  qui  y  aient  le  même 
ufage.  Les  Grecs  mettent  fouvent  leurs  ar* 
ticles  devant  les  noms  propres ,  tels  que 
Philippe  j  Alexandre  j  Céfar  ^  &c.  Nous 
ne  mettons  point  larticle  devant  ces  mots- 
là.  Enfin  5  il  y  a  des  langues  qui  ont  des 
articles,  &  d  autres  qui  n  en  ont  point. 

Les  Latins  faifoient  un  ufage  fi  fréquent 
de  leur  adjedtif  démonftratif,  ille  ^  illa  y 
illudj  qu'il  y  a  lieu  de  croire  que  c'eft  de 


de  Grammaire.  ^^y 

ces  mots  que  viennent  notre  !e  &  notre 
Ici.  Ille  ego  ;  Midicr  ïlla  :  Hic  illa  parva 
Petilia  Philoaeu  (  i  ),  Cejl  là  que  la 
petite  ville  de  Pétilie  fut  bâtie  par  Philoc- 
tête.  AufoniiZ  pars  illa  procul  quam  pandit 
Apollo.  (2).  Pétrone  faifant  parler  un  guer- 
rier qui  fe  plaignoit  de  ce  que  Ton  bras 
étoit  devenu  paralytique  5  lui  fait  dire  : 
Funerata  ejt  pars  illa  corporis  mei  _,  qua. 
quondam  Achïlles  eram  :  Il  eji  mort  ^^  ce 
bras  y  par  lequel  f  étois  autrefois  un  Achille. 
Ille  Deum  pater.  Quifquis  fuit  ille  Dec- 
rum.  Ovid. 

Il  y  a  un  grand  nombre  d'exemples  de 
cet  ufage  que  les  Latins  faifoient  de  leur 
ille  j  illa  ^  illud  ^  fur-tout  dans  les  comi- 
ques 5  dans  Phèdre ,  &  dans  les  auteurs  de 
la  balle  latinité.  C'eft  de  la  dernière  fyila- 
be  de  ce  mot  ille  j  quand  il  n'eft  pas  em- 
ployé comme  pronom,  &  qu'il  n'eft  qu'un 
fimple  adjedif  indicatif,  que  vient  notre 
article  le  :  à  Tégard  de  notre  article  la  j 

(i;  Virgile,  JEncid.  1.  }.  v*  401, 
(2)  Ibid.  V.  475>. 


39^  Principes 

îi  vient  du  féminin  illa.  La  première  /yî- 
Jabe  du  mafculin  ille  a  donné  lieu  à  notre 
pronom  il  ^  dont  nous  faifons  ufàge  avec 
les  verbes.  Ille  affirmât.  Ille  fecit.  Ingénia 
vires  ille  dat.,  ille  rapit.  A  l'égard  de  elle  j 
il  vient  de  illa.  Illa  veretur. 

Dans  prefque  toutes  les  langues  vulgai- 
res 5  les  peuples,  foit  à  l'exemple  des  Grecs, 
foit  plutôt  par  une  pareille  di/pofîtion 
d'efprit  ,  fe  font  fait  de  ces  prépofitifs 
qu'on  appelle  articles.  Nous  nous  arrête- 
rons principalement  à  Y  article  françois. 

Tout  prépofitif  n'eftpas  appelle  article. 
Ce  y  ces  ;  cet  y  cette  '^  ceci  ^  cela  ;  celui  ^ 
celle  ;  ceux  _,  celles  ;  celui-ci  j  celui:  -là; 
celles-ci  j  celles-là  ;  certain  j  quelque  j  tout^ 
chaque  j  nul j  aucun _,  mon  ^ma  ^  mes ^  &c. 
ne  font  que  des  adjedifs  métaphyfiques. 
Ils  précèdent  toujours  leurs  fubftantifs  :  & 
puifqu'ils  ne  fervent  qu'à  leur  donner  une 
qualification  métaphyfique ,  je  ne  fais  pour- 
quoi on  les  met  dans  la  clafîe  des  pronoms. 
Quoi  qu'il  en  foit ,  on  ne  donne  pas  le 
nom  Ôl  article  à  ces  adjedifs  :  ce  font  fpé- 


de  Grammaire.  399 

cialemcnt  ces  trois  mots ,  k  j  la  j  les  _,  que 
nos  Grammairiens  nomment  ^mV/t^jj  peut- 
être  parceque  ces  mots  font  d  un  ufage 
plus  fréquent.  Avant  que  d  en  parler  plus 
en  détail ,  obfcrvons  que  : 

I .°  Nous  nous  fer vons  de  /e  devant  les 
noms  mafculins  au  (îngulier  ,  le  roi  ^  It 
jour.  1^  Nous  employons  la  devant  les 
noms  féminins  au  fingulier ,  la  reine  ^  la 
nuit.  5.°  La  lettre  s  j  qui , félon  lanalogie 
de  la  langue  5  marque  le  plurier,  quand 
elle  eft  ajoutée  au  lîngulier,  a  formé  tes^ 
du  lîngulier  le.  Les  fert  également  pour 
les  deux  genres,  les  rois  j  les  reines  j,  les 
jours  j  les  nuits.  4.^  Le  j  la  ^  les  ^  font  les 
trois  articles  iîmples  ,  mais  ils  entrent  aufS 
en  compofition  avec  la  prépofition  à  ^8c 
avec  la  propofîtion  de.  Alors  ils  forment 
les  quatre  articles  compofés  >  eu  j  aux  ^ 
du  j  des. 

Au  eft  compofé  de  la  prépofition  à  ^  8c 
de  Tarticle  le  ;  en  forte  que  au  eft  autant 
que  à  le.  Nos  pcres  difoient  al ^  al  tems 
Innocent  III  :  c'eft-à-dire ,  Au  temps  d'Iu- 


40^  Principes 

ilocent  III.  Vapojioile  manda  al prodomej 
&c.  Le  pape  envoya  au  prud'homme  (i)« 
Mainte  lernie  i  fu  plorée  de  pitié  al  dépar^ 
tir  (i).  Vigenere  traduit  :  Maintes  larmes 
furent  plorées  à  leur  département  j  &  au 
prendre  congé.  C'efl:  le  Ton  obicur  de  Vc 
muet  de  l'article  fîmple  /^  j  &  le  change- 
ment alTez  commun  en  notre  langue  de 
/  en  u  j  comme  mal^  maux  ;  cheval  j  chc^ 
vaux  ;  altus  ^  haut  ;  alnus  j  aulne  (  arbre  *,  ) 
alna  jy  aune  (  mefure  ,  )  alter ^  autre  ^  qui 
ont  fait  dire  au  j  au  lieu  à^  à  le  ^  ou  de 
aL  Ce  n'eft  que  quand  les  noms  mafculins 
commencent  par  une  confonne  ou  une 
voyelle  afpirée  ,  que  Ton  fe  fert  àt  au  j 
au  lieu  de  à  le.  Car  fi  le  nom  mafculiii 
commence  par  une  voyelle  ,  alors  on  ne 
fait  point  de  contraction  ,  la  prépo/îtion 
à  &  l'article  le  demeurent  chacun  dans 
leur  entier.  Ainlî,  quoiqu'on  dife/^co^^rj 
au  cœurj  on  dit  l^efpritj  à  l'efprit  ;  le  père  y 


(i)  Villehardouirij  //v.  i  ,p.  i. 
(z)  Ibid.pag,  i6t 


de  Grammaire.  401 

eu  père  j  &  on  dit  l'enfant  _,  à  V enfant  ; 
on  dit  le  plomb  j  au  plomb;  &conà\tl'or  j 
à  l'or;  l'argent  _,  à  l'argent.  Car  quand  le 
fubftantif  commence  par  une  voyelle ,  Ve 
muet  de  le  s'élide  avec  cette  voyelle,  Ainfî 
la  railon  qui  a  donné  lieu  à  la  contraction 
au  ne fiibfîfte  plus-,  &  d'ailleurs  >  il  ie  fcroic 
un  bâillement  défagréable  fi  Ton  difoit  au 
efprltj  au  argent  j  au  enfant  ^  ôcc.  Si  le 
nom  eft  féminin ,  n^'y  ayant  point  d'e  mueb 
dans  l'article  la  j  on  ne  peur  plus  en  faire 
au;  ainfi  Ton  conferve  alors  la  prépofition 
&  Tarticle,  la  raifon  j  à  la  raifon  ;  la 
vertu  j  à  la  vertu. 

Aux  fert  au  plurier  pour  les  deux  gen- 
res. Ceft  une  contra6tion  pour  à  les  j  aux 
hommes  j  aux  femmes  ;  aux  rois  j  aux 
reines  j  pour  à  les  hommes  j  à  les  femmes  ; 
à  les  rois  J  à  les  reines  j  &c. 

Du  eft  encore  une  contradion  pour  de 
le.  C'eft  le  fon  obfcur  des  deux  e  muets  de 
fuite  de  le  j  qui  a  amené  la  contraÔion 
du.  Autrefois  on  difoit  del  :  La  fin  delcon- 
fcilfi  fu  tels  :  L'arrêté  du  confail  fut  ^ 


^oz  Principes 

&c.  (i)  Gervaifc  dcl  Châtcl  ^  Gervaîs  du 
Cajlel.  On  dit  donc  du  bien  ^  &:  du  mal  j 
pour  de  le  bien  _,  de  le  mal ^  &  ainfi  de 
tous  les  noms  mafculins  qui  commencent 
par  une  confonne  :  car  fî  le  nom  commen- 
ce par  une  voyelle,  ou  qu'il  foit  du  genre 
féminin,  alors  on  revient  à  la  fimplicité  de 
la  prépofîcion  ,  &  à  celle  de  l'article  qui 
convient  au  genre  du  nom.  Ainfî  on  dit, 
de  Vefprit  j  de  la  vertu  j  de  la  peine.  Par- 
là  on  évite  le  bâillement  :  c'eft  la  même 
raifon  que  Ton  a  marquée  fur  au. 

Enfin,  des  fert  pour  les  deux  genres  au 
plurier,  &  fe  dit  pour  de  les  j  des  rois  ^ 
des  reines. 

Nos  enfans,  qui  commencent  à  parler, 
s'énoncent  d*abord  fans  contraéticn.  Ils  di- 
fent  de  le  pain  j  de  le  vin.  Tel  eft  encore 
l'ufage  dans  prefque  toutes  nos  provinces 
limitrophes ,  fur- tout  parmi  le  peuple.  C^eft 
peut-être  ce  qui  a  donné  lieu  aux  premiè- 
res obfervations  que  nos  Grammairiens 
ont  faites  de  ces  contrariions. 

(i)  Villehaidouin,  lit.  7  ^  f^g^  î<57. 


de  Grammaire.         405 

Les  Italiens  ont  un  plus  grand  nombre 
de  prépofîtions  qui  fc  contractent  avec 
leurs  articles. 

Mais  les  Anglois  5  qui  ont  comme  nous 
desprépofîtions  &  des  articles,  ne  font  pas 
ces  contrarions.  Ainfi  ils  dilcnt  ofthe^dc 
le  j  où  nous  dilons  du  ;  tac  klng  ^  le  roi  ;  of 
the  king^de  le  roi  j  &  en  trançois  du  roi  : 
ofthc  queen  j  de  la  reine  ;  ta  the  king^  à  le 
roi  j  au  roi  ;  to  the  queen  jyàla  reine.  Cette 
remarque  n^eft  pas  de  fîmple  curiofué.  Il 
eft  important  ,  pour  rendre  raifon  de  la 
conftrudtion ,  de  féparer  la  prépofition  de 
larticle ,  quand  ils  font  l'un  &  i autre  en 
compofîtion.  Par  exemple  ,  iî  Je  veux  ren- 
dre raifon  de  cette  façon  de  parier  5  i/:^ 
painfu^t;  je  commence  à  dire  de  le  pain. 
Alors  la  prépofitiou  de  y  qui  eft  ici  une 
prépofition  extraétive,  &  qui  comme  tou- 
tes les  autres  prépoiîtions  doit  être  entre 
deux  termes ,  cette  prépoiltion ,  dis-je ,  me 
fait  connoître  qu'il  y  a  ici  une  ellipfe. 

Phèdre ,  dans  la  fable  de  la  Vipère  & 
de  la  Lime  ^  pour  dire  que  cette  vipère 


404  Principes 

cherchoit  deqiioi  manger,  dit  :  H^c^  quhm 
tentaretji  qua  res  effet  cibi  :  où  vous  voyez 
c^ue  a/iqua  res  cibi  ^  fait  connoître  par  ana- 
logie, que  dupa'in  _,  c'eft  aliqua  res  panis ^ 
paululum  partis;  quelque  chofe^  une  partie  ^ 
une  portion  du  pain.  C'eft  ainfi  que  les  An- 
gloîs,  pour  dire,  Donne^  •  moi  du  pain  3 
dilent  Give  me  fonte  hredd  ^  Donne"^  •  moi 
quelque  pain  :  &  pour  dire ,  yai  vu  des 
hommes  j  I  hâve  feen  fome  men  ;  mot  à 
mot ,  y  ai  vu  quelques  hommes  ;  à  des 
médecins  j  to  fome  phyjicians  ^  à  quelques 
médecins. 

L'ufage  de  fous-entendre  ainfi  quelque 
nom  générique  devant  de  ^  du  j  des  ^  qui 
commencent  une  phrafe  ,  n  etoit  pas  in- 
connu aux  Latins.  Lenrulus  écrit  à  Cicé- 
ron  de  s'intérefler  à  fa  gloire  >  de  faire 
valoir  dans  le  fénat  &  ailleurs  ,  tout  ce 
qui  pouroit  lui  faire  honneur  :  De  nojlra 
dignitate  velim  tibi  utjempcr  curA  fit  (i). 
Il  eft  évident  que  de  noflra  dignitate  j  ne 

(i)  Cicéron,  Epijî.  lib,  12.,  ep.  14^ 

peur 


de   Grammaire.         4  o  j 
peut  être  le  nominatif  de  cuvAjit.  Cepen- 
dant ce  verbe  7?r  étant  à  un  mode  fini, 
doit  avoir  un  nominatif.   Ainfî  Lentulus 
avoit  dans  Tefprit ,  ratio  j  ou  fcrmo  de  nef- 
ira  dignitate  ^  rintérct  de  ma  gloire.  Et 
quand  même  on  ne  trouveroit  pas  en  ce  à 
occafîons  de  mot  convenable  à  fupplcer> 
Teiprit  n'en  feroit  pas  mcjins  occupé  d'une 
idée  que  les  mots  énoncée  dans  ]a  phrafe 
réveillent ,  rn^is  qu^ils  n'expriitient  point. 
Telle  eft  Tanalogie  5  td  eft  Tordre  de  la- 
iialyfe  de  l'énonciation.  Ainfî  nos  Gram- 
mairiens manquent  d'exaétitudê  ,  quand 
ils  difent  que  ïa  prépofition  dont  nous  par- 
ions y^rr  a  marquer  le  nominatifs  lorfmion 
ne  veut  que  déjigner  une  partie  de  la  cho'- 
Je  (i).  Ils  ne  prennent  pas  garde  que  les 
prépofitions  ne  fauroient  entrer  dans  le 
difcours  fans  marquer  un  raport  ou  rela* 
tion  entre  deux  termes ,  entre  un  mot  & 
un  mot.  Par  exemple  ,  la  prépofition  pouf 


(i)  Grammaire  de  Régnier  >  _p^^.  170;   de 
Reftaut^  pag.  7;  &  418. 

Ee 


'40  5  Principes 

marque  un  motif,  une  fin ,  une  raifon  : 
mais  enfuite  il  faut  énoncer  Tobjet  qui  eft 
le  terme  de  ce  motif  5  &  c'eft  ce  qu'on 
appelle  le  complément  de  la  propojidon  • 
Par  exemple ,  //  travaille  pour  la  patrie  ^ 
la  patrie  eft  le  complément  de  pour  ^  c'eft 
le  mot  qui  détermine /?o^<fr.  Ces  deux  mots , 
pour  la  patrie  j  font  un  fens  particulier 
qui  a  raport  à  travaille  ;  &  ce  dernier  au 
fujet  de  la  propofition,  /^  roi  travaille  pour 
la  patrie.  Il  en  eft  de  même  dés  prépofî- 
tîons  de  &c  a  :  Le  livre  de  Pierre  eji  beau. 
Pierre  eft  le  complément  de  de  ;  &  ces 
deux  mots,  de  Pierre  fe  raportent  à  livre ^ 
qu'ils  déterminent  :  c'eft-à-dire ,  qu'ils  don- 
nent à  ce  mot  le  fens  particulier  qu'il  a 
dans  l'efprit ,  &  qui  dans  renonciation  le 
rend  fujet  de  Tattribut  qui  le  fuit.  C'eft 
de  ce  livre  que  je  dis  qu'il  eft  beau. 

A  eft  aullî  une  prépolition ,  qui  entr 'au- 
tres ufages  5  marque  un  raport  d'attribu- 
tion :  Donner  f on  cœur  à  Dieu  :  Parler  à 
quelquan:  Dire  fa  penfée  à  fo7i  ami. 

Cependant ,  communément  nos  Gram- 


de  Grammaire.  407 
maîriens  ne  regardent  cq^  deux  niots  {de 
&  ^  )  que  comme  des  particules ,  qui  fer- 
vent, difent-ils,  à  décliner  nos  noms.  L'une 
cft,  dit-on,  la  marque  du  génitif,  &  l'au- 
tre, celle  du  datif.  Mais,  n'eft-il  pas  plus 
fîmple ,  &  plus  analogue  au  procédé  àt'^ 
langues ,  dont  les  noms  ne  changent  point 
leur  dernière  fyllabe  ,  de  n  y  admettre  ni 
cas  ,  ni  déclinaifons ,  &  d'obferver  feule- 
ment comment  ces  langues  énoncent  les 
mêmes  vues  de  Tefprit ,  que  les  Latins  font 
connoître  par  la  différence  des  terminai- 
fons  ?  Tout  cela  fe  fait  ou  par  la  place  du 
mot,  ou  par  le  fecours  des  prépofitions. 

Les  Latins  n'ont  que  fix  cas  *,  cependant 
îl  y  a  bien  plus  de  raports  à  marquer  :  ce 
plus  3  ils  l'énoncent  par  le  fecours  de  leurs 
prépofitions.  Hé  bien ,  quaiid  la  place  du 
mot  ne  peut  pas  nous  fervir  à  faire  con- 
noître le  raporc  que  nous  avons  à  marquer, 
nous  faifons  alors  ce  que  les  Latins  faifoient 
au  défaut  d'une  définence  ou  terminaison 
particulière.  Comme  nous  n'avons  point 
de  terminaifon  deftinée  à  marquer  le  gé- 

E  e  z 


40  8  Principes 

nitif  5  nous  avons  recours  à  une  prcpofitioiî. 
Il  en  eft  de  même  du  raport  d  attribution  : 
nous  le  marquons   par  la  prépofition  à  y        u 
ou  par  la  prépofition  pour  jy  &  même  par       m 
quelques  autres,  &  les  Latins  marquoienc      S 
ce  raport  par  une  terminaifon particulière, 
qui  faifoit  dire  que  le  mot  étoit  alors  au 
datif. 

Nos  Grammairiens  ne  nous  donnent  que 
(îx  cas  5  fans  doute  parceque  les  Latins  n*en 
ont  que  (îx.  Notre  accufatif ,  dit-on  ,  eft 
toujours  femblable  au  nominatif.  Hé ,  y  a- 
t-il  autre  chofe  qui  les  diftingue,  finon 
la  place  ?  l'un  fe  met  devant ,  &  Tautre 
après  :  dans  Tune  &  dans  lautre  occafion, 
le  nomn'eft  qu'une  fimple  dénomination. 
Le  génitif ,  félon  nos  Grammaires ,  eft 
auffi  toujours  fômblable  à  lablatif.  Le  datif 
a  le  privilège  d  être  feul  avec  le  prétendu 
article  à.  Mais  de  8c  à  ont  toujours  un 
complément  ,  comme  les  autres  prépofi- 
tiens  5  &  ont  également  des  raports  parti- 
culiers à  marquer.  Par  conléquent.  Ci  de  Se 
à  font  des  cas  yfur^parj  pour  jfous  j  dans^ 


de  Grammaire.         409 

0.VCC ^  &  les  autres  prépofitions ,  devroient 
en  faire  aufïî.  Il  n'y  a  que  le  nombre  dé- 
terminé des  iîx  cas  latins ,  qui  s'y  oppofe. 
Ce  que  )e  veux  dire  eft  encore  plus  fenfi- 
ble  en  italien.  On  trouvera  dans  la  Gram- 
maire de  Buommatéi  5  la  plus  eftimée  pour 
la  langue  italienne  ,  un  grand  nombre 
d'exemples  qui  prouvent,  que  di  jà jyda^ 
qui  fervent  à  former  ce  qu^on  appelle  c^^^ 
ne  font  que  des  prépofitions  jointes  à  l'ar- 
ticle 5  &  qull  y  a  beaucoup  d  autres  prépo- 
fitions qui  fe  joignent  aux  mots,  comme 
celles-là* 

Mais  pour  fe  convaincre  que  notre  de  8c 
notre  à  ne  font  que  des  prépofitions ,  il  faut 
encore  obferver  quelles  viennent  ,  Tune 
de  la  prépofition  latine  de j  ôc  lautre  de 
ad  j  ou  â. 

Les  Latins  ont  fait  de  leur  prépofition 
de  le  même  ufage  que  nous  faifons  de  no- 
tre de.  Or  fi  en  latin  de  efl:  toujours  prépofi- 
tionjeûfe  françois  doit  l'être  auffi  toujours, 
i,^  Le  premier  ufige  de  cette  prépofi- 
tion eft  de  marquer  Textradion  >  c'eft-à- 

E  e  5 


4 1 D  Principes 

dire,  d'où  une  chofe  eft  tirée  ,  d'où  elle 
vient  y  d'où  elle  a  pris  fon  nom*  Ainfi  nous 
diions  5  Un  temple  de  marbre  j  un  pont  dt 
pierres  j  un  homme  du  peuple  j  les  femmes 
de  notre  Jie de. 

2.^  Et  par  extenfion  ,  cette  prépofîtion 
fert  à  marquer  la  propriété  :  Le  livre  de 
Pierre  ^  c'eft-à-dire  ,  le  livre  tiré  d'entre 
les  chofes  qui  appartiennent  à  Pierre. 

C'eft  félon  ces  acceptions ,  que  les  Latins 
ont  dit,  Templum  de  marmore  ponam  (i). 
Je  ferai  bâtir  un  temple  de  marbre.  Fuit 
in  tcclis  de  marmore  templum  (i).  Il  y  avoit 
dans  fon  palais  un  temple  de  marbre. 

Solido  de  marmore  templa 

Jnjlituam y  fefto/que  dies  de  nominc  Phœbi  {i). 

Je  ferai  bâtir  des  temples  de  marbre  ^ 
&  f  établirai  des  fêtes  ■,  du  nom  de  Phébus  ^ 
en  r honneur  de  Phébus. 

Les  Latins,  au  lieu  de ladjeûif,  fe  font 


(i)  Virgile  ,  Georg.  1.  III.  v.  13. 

(z)   Mn,lV,v.  4f7. 
(3)   JEn.Vly  V,  70. 


de  Grammaire^  4 1  il 

fouvent  fervi  de  la  prépofition  de  fuivie 
du  nom  i  ainfi  de  marmore  eft  équivalent 
à  marmoreum.  On  pouroit  en  raporter  un 
très-grand  nombre  d'exemples. 

3,°  De  fe  prend  au(Ti  en  latin  &  en  Fran- 
çois pour  pendant.  De  die  j  de  nocle  5  De 
jour  j  de  nuit. 

4.°  De  pour  touchant  j  au  regard  de. 
Si  res  de  amore  meo  fecund<z  ejfent  :  fi  les 
affaires  de  mon  amour  ailoient  bien  (i). 
Legati  de  pace  :  des  envoyés  touchant  la 
paix  5  pour  parler  de  paix.  De  captivis 
commutandis  :  pour  l'échange  des  prifo- 
niers. 

5.*^  De  j  à  caufe  de  j  pour  :  Nos  amas 
de  fidicinâ  ijiac  :  vous  m'aimez  à  caufe  de 
cette  muficienne.  Ldtus  de  arnica  :  il  eft 
gai  à  caufe  de  IS  maîtreffe.  Rapto  de  fra-- 
tre  dolentis  :  inconfolable  de  la  mort  de 
fon  frère.  Accufare  ^  ar guère  de  :  accufer, 
reprendre  de. 

6.°  Enfin,  cette  prépofition  fert  à  for- 


(i)  Tércnce» 

E  e  4 


4^%.  Principes^ 

mer  des  Êiçons  de  parler  adverbiales.  De 
întegro  j  de  nouveau.  De  indujlria  j  de 
propos  délibéré  ,  à  deffein. 

Si  nous  paffions  aux  auteurs  de  la  ba(Te 
latinité ,  nous  trouverions  encore  un  plus 
grand  nombre  d'exemples.  De  cœlis  Deusy 
Dieu  desCieux.  Pannus  de lana jun drap, 
une  étoffe  de  laine. 

Ainfi  Tufage  que  les  Latins  ont  fait  de 
cette  prépofition  a  donné  lieu  à  celui  que 
nous  en  taifons.  Les  autorités  que  je  viens 
de  raporter  doivent  fuflire ,  ce  me  fembîe  > 
pour  détruire  le  préjugé  répandu  dans 
toutes  nos  Grammaires,  que  notre  de  eft 
ta  marque  du  génitif.  Mais  ^  encore  un 
coup  5  puifqu'en  latin  ,  Templum  de  mar^ 
more  ;  primas  de  plèbe  ;  rahula  de  foro } 
declamator  de  ludo  ;  homo  defchola;  muy^ 
lïeres  de  nojlro Jdculo  ^  aud  f ponte  peccant\ 
reliquum  de  ratluncula  ;  pannus  de  lana  jf 
de  n'eit  qu'une  prépofition  avec  fon  com-^ 
ptément  à  Tablatif ,  pourquoi  ce  même  de 
pafïant  dans  la  langue  françoife  avec  un 
pareil  çomplçment ,  fe  trouv croit-il  trani[^ 


de  ùrammalre.  41  3 

formé  en  particule ,  &  pourquoi  ce  com- 
plément ,  qui  eft  à  l'ablatif  en  latin  y  fe  trou- 
veroit-ii  au  génitif  en  françois  ? 

Il  n'y  eft  ni  au  génitif,  ni  à  Tablatif. 
Nous  n'avons  point  de  cas  proprement 
dits  en  françois.  Nous  ne  faifons  que  nom- 
mer :  &  à  regard  des  raports  ou  vues  dif- 
férentes fous  lefquels  nous  confîdérons  les 
mots  5  nous  marquons  ces  vues ,  ou  par  la 
place  du  mof,  ou  par  le  fecours  de  quel- 
que prépofition. 

La  prépofition  de  eft  employée  le  plus 
fjuvent  à  la  qualification  &  à  la  détermi- 
nation :  c'eft-à-dire ,  qu'elle  fert  à  mettre 
en  raport  le  mot  qui  qualifie  avec  celui 
qui  eft  qualifié.  Un  palais  de  roi  j  un  cou- 
rage de  héros. 

Lorfqu'il  n'y  a  que  la  iîmpic  prépofi- 
tion de  j  fans  l'article ,  la  prépofition  & 
fon  omplément  font  pris  adjedivement. 
Un  palais  de  roi  jy  eft  équivalent  à  un  pa- 
lais royal  ;  une  valeur  de  héros  équivaut 
à  une  valeur  héroïque.  C'eft  un  fens  fpéci- 
fîque  ou  de  forte.  Mais  quand  il  y  a  un 


4î4  Principes 

fens  individuel  ou  perfonnel,  foit  univer* 
fel  5  foir  fingulier  ^  c'eft-à-dire  ,  quand  on 
veut  parler  de  tous  les  rois  perlbnnelle- 
nient ,  comme  fi  Ton  difoit  Y  intérêt  des 
rois  j  ou  de  quelque  roi  particulier  5  la 
gloire  du  roi  _,  la  valeur  du  héros  que  faî' 
me  j  alors  on  ajoute  l'article  à  la  prépofi- 
tion  :  car  des  rois  j  c'eft  de  les  rois  ;  Se 
du  héros  j  c'eft  de  le  héros. 

A  regard  de  notre  à  ^  il  vient  le  plus 
fouvent  de  la  prépofition  latine  ad  j  dont 
les  Italiens  fe  fervent  encore  aujourd'hui 
deva  it  une  voyelle  :  ad  uomo  d'intelleclo^ 
à  un  homme  d^efprit  :  ad  uno  ad  uno  j  un 
à  un.  Les  Latins  difoient  également  loqui 
clicui  &  loqui  ad  aliquem  :  afferre  aliquid 
alicui  j  ou  ad  aliquem.  Parler  à  quelqu'un  : 
apporter  quelque  chofe  à  quelqu'un.  Si  de 
ces  deux  manières  de  s'exprimer,nous  avons 
choifi celle  qui  s'énonce  parla  prépofition , 
c'eft  que  nous  n'avons  point  de  datif. 

I.®  Les  Latins  difoient  audî  pertinere 
ad  :  nous  difons  de  même  avec  la  prépo- 
iîtion  >  apartenir  à. 


de  Grammaire.         415 

2.^  Notre  prépofition  à  vient  auffî  quel- 
quefois de  la  prépofition  latine  à  ow  ah  ^ 
auferrc  aliquid  alïcui  ou  ab  allquo  j  ôter 
quelque  chofe  à  quelqu'un,  Ox\  dit  auffi, 
tripere  aliquid  allcui  ou  ab  aliquo.  Petere 
venlam   à    Dca.    Demander   pardon    à 

Dieu. 

Tout  ce  que  dit  M.  l'abbé  Rcgnief, 
pour  faire  voir  que  nous  avons  des  datifs, 
me  pardît  bien  mal  aflbrti  avec  tant  d  ob- 
fèrvations  judicieufes  qui  font  répandues 
dans  fa  Grammaire.  Selon  ce  célèbre  aca- 
démicien 5  ipag.  238.)  quand  on  dit ,  voilA 
un  chien  qui  sejl  donné  à  moi  ^  à  moi  eft 
au  datif.  Mais  fi  Ton  dit  5  un  chien  qui  s*ejl 
adonné  à  moi  j  cet  à  moi  n'eft  plus  alors 
au  datif  i>  c'eft ,  dit-il ,  la  prépofition  latine 
ad.  J'avoue  que  je  ne  faurois  reconnoître 
la  prépofition  latine  dans  adonné  à  _,  fans 
la  voir  auffi  dans  donné  à  ;  8c  que  dans 
Tune  &  dans  l'autre  de  ces  phrafes ,  les 
deux  à  me  paroiffènt  de  même  efpèce, 
&  avoir  la  même  origine.  En  un  mot, 
puifque  ad  aliquem  ^  ou  ab  aliquo  ^  ne  font 


4 1  ^  Principes 

point  des  datifs  en  latin  ,  Je  ne  vois  pas 
pourquoi  à  quelqu'un  pburoit  être  un  da- 
tif en  francois. 

> 

Je  regarde  donc  de  Se  à  comme  de  iîm- 
ples  prépofitions  >  auflî  -  bien  que  par  ^ 
pour  y  avec  ^  &c.  Les  unes  &  les  autres  fer- 
vent à  faire  connoître  en  francois  les  ra- 
ports  particuliers  que  Tufage  les  a  chargés 
de  marquer  y  fauf  à  la  langue  latine  à  ex- 
primer autrement  ces  mêmes  raperts* 

A  l'égard  de  le  j^  la  .y  les  y  je  n'en  fais 
pas  une  claflTe  particulière  de  mots  fous  le 
nom  à' Article  ;  je  les  place  avec  les 
adjeétifs  prépofitifs ,  qui  ne  fe  mettent  Ja- 
mais que  devant  leurs  fubftantifs  5  &  qui 
ont  chacun  un  fervice  qui  leur  eft  propre» 
On  pouroit  les  appeller  Prénoms. 

Comme  la  fociété  civile  ne  fauroit  em- 
ployer trop  de  moyens  pour  faire  naître 
dans  le  cœur  des  hommes  des  fentimens, 
qui  d'une  part  les  portent  à  éviter  le  mal 
qui  eft  contraire  à  cette  fociété  5  Se  de 
l'autre  les  engagent  à  pratiquer  le  bien  , 
qui  fert  à  la  maintenir  &  à  la  rendre  flo- 


de  Grammaire.         417 

tiflante  ;  de  même  Tart  de  la  parole  ne 
fauroit  nous  donner  trop  de  fccours  pour 
nous  faire  éviter  robfcurité  &  l'amphibo- 
logie, ni  inventer  un  afTez  grand  nombre 
de  mots,  pour  énoncer  non-feulement  les 
diverfes  idées  que  nous  avons  dans  lefprit, 
mais  encore  pour  exprimer  les  diftérentes 
faces  fous  lefquelles  nous  confîdérons  les 
objets  de  ces  idées. 

Telle  eft  la  deftination  des  prénoms  ou 
adjectifs  métaphy/îques  ,  qui  marquent , 
non  des  qualités  phyfiques  des  objets,  mais 
feulement  des  points  de  vue  de  Tefprit , 
ou  des  faces  diftérentes  fous  lefquelles  Tef- 
prit  confidère  le  même  mot.  Tels  font, 
tout  j  chaque  ^  nul  ^  aucun  ^  quelque  ^  cer- 
tain j  dans  le  fens  de  quidam  ^  un  ^  ce  ^ 
cette  ^  ces  j  le  .y  la  j  les  .y  auxquels  on  peut 
joindre  encore  les  adje6tifs  pofireiTifs  tirés 
des  pronoms  perfonncls,  tels  font  mon  j 
ma  j  mes  j  &  les  noms  de  nombre  cardinal, 
un  j  deux  j  trois  j  quatre  j  cinq  j  Jix  j  &c. 

Ainfî  je  mets  le  ^  la  ^  les  au  rang  de  ces 
prénoms  ouadjedits  métaphyfîques.  Pour- 


41- s  Principes 

quoi  les  ôter  de  la  claiTe  de  c^s  autres  ad* 
je(5tifs  ? 

Ils  font  adjedlifs  ,  puifqu'ils  modifient 
leur  fubftantif 5  &  qu'ils  le  font  prendre 
dans  une  acception  particulière  ,  indivi- 
duelle &  perfonnelle.  Ce  font  des  adjedifs 
méraphyfiques  >  puifqu'ils  marquent ,  non 
des  qualités  phyjfîques  ,  mais  une  iîmple 
vue  particulière  de  Tefprit. 

Prefque  tous  nos  Grammairiens  (  Ré- 
gnier ^pcig*  141.  Reftaut  ^  /?^^.  64.  )  nous 
difent  que  le  ^la  ^  les  ^  fervent  à  faire  con- 
noître  le  genre  des  noms, comme  lî  c'étoic 
là  une  propriété  qui  fût  particulière  à  cts 
petits  mots.  Quand  on  a  un  adjedlif  à  join- 
dre à  un  nom  >  on  donne  à  cet  adjectif,  ou 
la  terminaifon  mafculine,  ou  la  féminine, 
félon  ce  que  Tufage  nous  en  a  apris.  Si 
nous  difons  lefoleil  j  plutôt  que  lafokily 
comme  les  Allemans  5  c'efl:  que  nous  favons 
qu'en  françois/o/^/Veft  du  genre  mafculin , 
c*eft-à-dire ,  qu'il  efl:  dans  la  claffe  des  noms 
de  chofes  inanimées  auxquelles  Tuiàge  a 
confacré  la  terminaifon  des  adjedifs  déjà 


< 


de  Grammaire.  419 

deflinés  aux  noms  des  mâles ,  quand  il  s'a- 
git des  animaux.  Ainfi ,  lorfque  nous  par- 
lons du  foleil  5  nous  difons  le  foleil  ^  plu- 
tôt que  la  _,  par  la  même  raifon  que  nous 
dirions  beau  foleil  ^  brillant  foleil  j  plutôt 
que  belle  j  brillante. 

Au  refte ,  quelques  Grammairiens  met- 
tent le  jy  la  y  les  ^  au  rang  des  pronoms. 
Mais  fi  le  pronom  eft  un  mot  qui  fe  met 
à  la  place  du  nom  dont  il  rappelle  Tidée , 
le  y  la  j  les  j  ne  feront  pronoms ,  que  lorf- 
qu  ils  feront  cette  fonction.  Alors  ces  mots 
vont  tous  feuîs  ,  &  ne  fe  trouvent  point 
avec  le  nom  qu'ils  repréfentent  :  La  vertu 
ejl  aimable  ;  aime'^'la.  Le  premier  la  eft 
adjedif  métaphyfique ,  ou ,  comme  on  dit , 
article*,  il  précède  ion  fubftantif  vertus  il 
perfonifie  la  vertu  ;  il  la  fait  regarder 
comme  un  individu  métaphyfique.  Mais 
le  fécond  la  j  qui  eft  après  aime^  j  rappelle 
la  vertu  ;  &  c'eft  pour  cela  qu'il  eft  pro- 
nom ,  &  qu'il  va  tout  feul.  Alors  la  vient 
de  illam  _,  elle. 

Ceft  la  différence  du  fcrvice  ou  emploi 


4^.0  Principes 

cîes  mots ,  &  non  la  différence  matérielle 
du  fon  j  qui  les  fait  placer  en  différentes 
claiïes.  C'eft  ainfi  que  Tinfinitif  des  verbes 
eft  fouvent  nom ,  le  boire  j  le  manger. 

Mais  fans  quitter  nos  mots  ^  ce  même 
fon  la  n'eft'il  pas  auffi  quelquefois  un  ad* 
verbe  qui  répond  aux  adverbes  latins /^i_, 
hâcjijlhâcjy  illâc  :  il  demeure  là  ^  il  va  là  j 
&c.  N'eft-il  pas  encore  un  nom  fubftantif  ^ 
quand  il  fignifie  une  note  de  mufîque  ? 
Enfin  5  n'eft-il  pas  auffi  une  particule  ex- 
plétive  qui  fert  à  l'énergie  ?  Ce  jeune  hom- 
me-la ^  cette  femme-la. 

A  regard  de  un  j  une  j  dans  le  fens  de 
quelque  ou  certain  ^  en  latin  quidam  ^  c'efl: 
encore  un  adjedif  prépofitif  qui  défigne 
un  individu  particulier  3  tiré  d  une  efpèce> 
mais  fans  déterminer  fingulièrement  quel 
eft  cet  individu ,  fi  c'eft  Pierre  ou  Paul. 
Ce  mot  nous  vient  auiîî  du  Latin.  Quis 
ejî  is  homo  j  unufne  amator?  Hic  ejl  unus  - 
fcrvus  violentijjîmus  (1).  Sicutunus  patcr- 


(i)  Plaute. 

fawMias^ 


A 


de  Grammaire.  411 

fanûRas  (i).  Qui  variare  cupit  rem  prodi- 
gialitcr  unam  (i).  Celui  qui  croit  embellir 
un  {\^)^x.•^unam  rem  ^  en  y  faifant  entrer  du 
merveilleux.  Forte  unam  afpicio  adolcf- 
centulam  (  5  ).  Donat ,  qui  a  commente 
Térence^  dans  le  temps  que  la  langue  la- 
tine étoit  encore  une  langue  vivante ,  dit 
flir  ce  pafïàge,  que  Tcrence  a  parlé  félon 
Tufage  \  &  que  s*il  a  dit  unam^  au  lieu  d^ 
quandam jy  ceft  que  telle  étoit,  dit-il,  & 
que  telle  eft  encore  la  manière  de  parler. 
La  Grammaire  générale  de  P.  R.  dit 
que  un  eft  article  indéfini.  Ce  mot  ne  me 
paroît  pas  plus  article  indéfini,  que  tout ^ 
article  univerfel,  ou  ce  j  cette  j  ces  ^  arti- 
cles définis.  L  auteur  ajoute  ,  qu'0/2  croit 
d'ordinaire  que  un  na  point  de  plurkr  ; 
qu'il  ejl  vrai  quil  nen  a  point  qui  foit 
formé  de  lui  -même  :  (  on  dit  pourtant  les 
uns  j  quelques-uns  ;  8c  les  Latins  ont  dit 
au  plurier ,  uni  _,  un^z  j  &c.  Ex  unis  ge^ 

(j)  Cicéron. 

(2)  Horac^e. 

(3)  Tcrcncce 

Ff 


4ii  Principes 

minas  mlhi  conficiet  nuptias  (i).  Aderït 
una  in  unis  ddibus  (z).  )  Je  dis  j  pourfuit 
Fauteur  5  que  un  a  un  plurier  pris  d'un  au* 
trc  mot  3  qui  ejlà^s  y  avant  les  fubjlantifs  3 
des  animaux ,  6*  de  ,  quand  l' adjectif  pré- 
i:ède  j  de  beaux  lits.  De  un  plurier  !  cela 
cft  nouveau. 

Si  l'on  veut  bien  faire  attention  que  des 
€ft  pour  de  les  ;  que  quand  oiî  dit  à  des 
hommes  ^  c'eft  à  de  les  hommes  ;  que  de 
ne  fauroit  alors  déterminer  à;  qu'ainfi  il 
y  a  ellipfe  5  à  des  hommes  _,  c'eft-à-dire»  à 
quelques-uns  de  les  hommes  _,  quibufdam 
^x  hominihus  ;  qu'au  contraire,  quand  on 
dit  le  Sauveur  des  hommes  _,  la  conftru- 
âion  eft  toute  (impie  5  on  dit  au  fingulier^ 
le  Sauveur  de  l'homme  ^  &  au  plurier  le 
Sauveur  de  les  hommes  ;  il  n  y  a  de  dif- 
férence que  de  le  k  les  j  &  non  à  la  pré- 
pofition  :  il  feroit  inutile  &  ridicule  de  la 
répéter.  Il  en  eft  de  des ,  comme  de  aux  ; 


(1)  Térence. 


dt  Crammaire.  4^1 1 

Tun  eft  de  les  ^  &  Tautre  à  les.  Or ,  com- 
me lorfque  le  fens  n'eft  pas  partitif,  on 
dit  aux  hommes  j  fans  ellipfe,  on  dit  auiîi 
des  hommes  dans  le  même  fens  général. 
L'ignorance  des  hommes  j  la  vanité  des 
hommes, 

Ainfi  regardons  i.°  le ^^  la  ^  les  ^  com- 
ïîie  de  (impies  adjedifs ,  indicatifs  &  meta- 
phyfiques,  auffî-bien  que  ce  jy  cet ^  cette  ^ 
un  j  quelqu'un  j  certain  _,  &c. 

2.^  Confidétons  de  comme  une  prépo- 

fition  5  qui ,  ainfî  que  par  ^  pour  ^  en  j  avecj 

/ans  j  8cc.  fert  à  tourner  Tefprit  vers  deux 

objets ,  &  à  faire  apercevoir  le  raport  qu'on 

veut  indiquer  etitre  Tun  &  lautre. 

3.^  Enfin,  décompofons  au  j  aux  ^  du  y 
des  jy  faifant  attention  à  la  deftination  &  à 
ia  nature  de  chacun  des  mots  décompofés, 
&  tout  fe  trouvera  applani» 

Mais  avant  que  de  paffer  à  un  plus  grand 
détail  touchant  l'emploi  &  Tufage  de  ces 
adjectifs,  je  crois  qu'il  ne  fera  pas  inutile 
de  nous  arrêter  un  moment  aux  confidé- 
rations  fuivantes, 

Ffz 


414  Principes 

Chaque  être  fingulier  devroit  a\roîr  fon 
iiom  propre ,  comme  dans  chaque  famille, 
chaque  perfonne  a  le  fien.  Mais  cela  n'a  pas 
été  poiïîble  3  à  caufe  de  la  multitude  innom- 
brable de  ces  êtres  particuliers ,  de  leurs 
propriétés,  &  de  leurs  raports.  On  a  donc 
été  obligé  de  donner  le  même  nom  à  tous 
les  individus  qui  ont  entr'eux  certaines  qua- 
lités  communes  >  c'eft- à-dire >  qui  en  for- 
ment refpcce. 

î.°  Le  nom  propre  j^  c'eft  le  nom  qui 
n'eft  dit  que  d'un  être  particulier^  du  moins 
dans  la  fphcre  où  cet  être  fe  trouve.  Ainfî 
Zouis  j  Marie  j  font  des  noms  propres ,  qui , 
dans  les  lieux  où  on  en  connoît  la  deftina- 
rion ,  ne  défignent  que  telle  ou  telle  per- 
fonne y  8c  non  une  forte  ou  efpèce  de  per- 
fonnes. 

Les  objets  particuliers  auxquels  on  donne 
C3s  fortes  de  noms,  font  appelles  des  indi- 
vidus ;  c'eft-à'dire  ,  que  chacun  deux  ne 
fauroit  être  divifé  en  un  autre  lui-même , 
fans  ccrter  d  être  ce  qu'il  eft.  Ce  diamant  > 
fi  vous  le  divifez ,  ne  fera  plus  ce  diamant» 


de  Grammaire.  415 

L'idée  qui  le  repréfente  ne  vous  offre  que 
lui  5  &  n'en  renferme  pas  d'autres  qui  lui 
foient  fubordonncs. 

1^  Les  noms  (ïefpcccj  ce  font  des  noms 
qui  conviennent  à  tous  les  individus  qui 
ont  entr'eux  certaines  qualités  communes. 
Ainfi  5  chien  eft  un  nom  d'efpèce ,  parceque 
ee  nom  convient  à  tous  les  chiens  particu- 
liers, dont  chacun  eft  un  individu  j  fem- 
blable  en  certains  points  eflentiels  à  tous 
les  autres  individus ,  qui ,  à  caufe  de  cette 
relTemblance ,  font  dits  être  de  même  ef- 
pcce  &  ont  entr'eux  un  nom  commun, 
chien. 

3.*^  Il  y  a  une  troifîème  forte  de  noms, 
qu'il  a  plu  aux  maîtres  de  fart  d'^appeller 
noms  de  genre  ^  c'èft-à-dire  5  norns  plus  gé- 
néraux j  plus  étendes  encore  que  les  fim- 
ples  noms  d'elpcce.  Ce  font  ceux  qui  font 
communs  a  chaque  individu  de  toutes  lés 
efpèces  fubordonnées  à  ce  genre.  Par  exen> 
pie  5  animal  fc  dit  du  chien  j  du  cheval  j  du 
lion  j  du  cerfj  &  de  tous  les  individus  par- 
ticuliers qui  viveiH  5  qui  peuvent  fe.  tranf-. 

vu  ' 


41^  Prîncipes^ 

porter  par  eux-mêmes  d'un  lieu  à  un  autre  > 
qui  ont  des  organes. 

Les  efpèces  fubordonnées  à  leur  genre  > 
font  diftinguées  les  unes  des  autres  pat 
quelque  propriété  eflTentielIe.  Chaque  ef* 
pèce  a  un  caradère  propre  >  qui  la  diftin- 
gue  dune  autre  efpèce>  comme  chaque 
individu  à  [on  fuppôt  particulier  incommur 
nicable  à  tout  autre. 

Ce  caradère  diftindif >  ce  motifs  cette 
raifon  qui  nous  a  donné  lieu  de  nous  for- 
mer ces  divers  noms  d  elpèce  y  eft  ce  qu'on 
appelle  différence. 

Remarquez  -  bien  que  tous  ces  noms  > 
genre  jefpèce  ^  différence  j  ne  font  que  des 
termes  métaphyfiques  5  tels  que  les  noms 
abftraits  humanité ^  bonté ^  &  une  infinité 
d'autres  qui  ne  marquent  que  des  confî- 
dérationsparticuhères  de  notre  efprit,  fai^ 
qu'il  Y  ait  hors  de  nous  d'objet  réel  qui 
foit  ou  efpece  ^  ou  genre  j  ou  humanité j  &c. 

L'ufage  où  nous  fommes  de  donner  des 
noms  aux  objets  des  idées  qui  nous  repré- 
fentent  des  êtres  réels  5  nous  a  portés  à  ea 


l 


de  Grammaire.         417 

donner  auflî  par  imitation  aux  objets  mé- 
taphyfîques  des  idées  abftraites  dont  nous, 
avons  connoiffance.  Ainfi  nous  en  parlons 
comme  naus  faifons  des  objets  réels.  En- 
forte  que  Tordre  métaphyfique  a  auiïî  fes 
noms  derpèce  &  fes  noms  d'individus. 
Cette  vérité  j  cette  venu  ^  ce  vice  y  voila 
des  mots  pris  par  imitation  dans  un  fens 
individuel. 

C  eft  le  befoin  de  faire  connoître  aux 
autres  les  objets  finguliers  de  nos  idées,  & 
certaines  vues  ou  manières  particulières  de 
confidérer  ces  objets  ,  foit  réels ,  foit  ab- 
ftraits  ou  métaphyfiques ,  c'eft  ce  befoin  y 
dis-je  5  qui ,  au  défaut  des  noms  propres 
pour  chaque  idée  particulière  5  nous  adon- 
né lieu  d'inventer  5  d'un  côté  les  noms  d  ef- 
pèce  5  &  de  Tautre  les  adjedifs  prépofitifsj, 
qui  en  font  des  applications  individuelles.. 
Les  objets  particuliers  dont  nous  voulons. 
parler  5  &  qui  n'ont  pas  de  nom  propre  3, 
fe  trouvent  confondus  avec  tous  les  autres 
individus  de  leur  efpèce.  Le  nom  de  cettch 
^fpèce  leur  convient  également  à  tous^ 

Ff4 


4^8  JPnncîpe^ 

Chacun  de  ces  êtres  innombrables  qui 
nagent  dans  la  mer  eft  également  appelle 
foijjon.  Ainfi  le  nom  d*efpèce  tout  feul , 
&  par  lui-même,  n'a  qu'aune  valeur  indé- 
finie _,  c'eft-à-dire  ?  une  valeur  applicable, 
qui  n'eft  adaptée  à  aucun  objet  particulier  j 
comme  quand  on  dit  vrai  j  bon  ^  beau  ^ 
fans  joindre  ces  adjedifs  à  quelqu'être  réel 
ou  métaphyfique*  Ce  font  les  prénoms  qui  , 
de  concert  avec  les  autres  mots  de  la 
phrafe,  tirent  Tobjet  particulier  dont  oh 
parle ,  de  l'indétermination  du  nom  d'ef^ 
pèce  3  &  en  font  ainfi  une  forte  de  nom 
propre.  Par  exemple,  fi  laftre  qui  nous 
éclaire  n'avoit  pas  fon  nom  propre  j/oleil^ 
&  que  nous  euffions  à  en  parler ,  nous  prea- 
drions  d'abord  le  nom  d'efpèce  ,  aftre  : 
enfuite  nous  *nous  fervirions  du  prépofitif 
qui  conviendroit  pour  faire  connoître  que 
nous  ne  voulons  parler  que  d'un  individu 
de  Tefpèce  d'ajire  :  ainfi  nous  dirions,  cet 
ajlre  y  ou  Yajlre  :  après  quoi  nous  aurions 
recours  aux  mots  qui  nous  paroîtroient  les 
plus  propres  à  déterminer  fingulièremcnt 


de  Grammaire.         415^ 

cet  individu  à'ajlre.  Nous  dirions  donc , 
Cet  ajlre  qui  nous  éclaire  ;  Vajlre  père  du 
jour  ;  l'ame  de  la  nature  ^  &:c.  Autre  exem- 
ple ,  Livre  eft  un  nom  d'efpcce  dont  la 
valeur  n'eft  point  appliquée.  Mais  fi  je  dis. 
Mon  livre  j  ce  livre  _,  le  livre  que  je  viens 
d'acheter  j  on  conçoit  d'abord  par  les  pré- 
noms ou  prépofitifs ,  77ion  j  ce  j  le  ^  8c  en- 
fuite  par  les  adjoints  ou  mots  ajoutés,  que 
)e  parle  d\in  tel  livre ,  d'un  tel  individu 
de  refpèce  de  livre. 

Obfervez  que  ,  lorfque  nous  avons  h 
appliquer  quelque  qualification  à  des  in* 
dividus  d'une  efpèce  ^  ou  nous  voulons  faire 
cette  application  i."^  à  tous  les  individus 
de  cette  efpèce ,  2.°  ou  feulement  à  quel- 
ques-uns que  nous  ne  voulons  ou  que  nous 
ne  pouvons  pas  déterminer;  j.*^  ou  enfin 
à  un  feul  que  nous  voulons  faire  connoî- 
tre  fingulièrement.  Ce  font  ces  trois  fortes 
de  vues  de  l'elprit  que  les  Logiciens  ap- 
pellent Y  étendue  de  la  propojltion. 

Tout  difcQurs  eft  compofé  de  divers  fens 
particuliers  énoncés  par  des  alTemblages  de 


45^  Principes 

mots  qui  forment  des  proportions ,  &  \et 
proportions  font  les  périodes.  Or  ,  toute 
propofîtion  a  i.^  ou  une  étendue  univer- 
felle  5  c'eft  le  premier  cas  dont  nous  avons 
parlé  :  2.°  ou  une  étendue  particulière  v 
c  eft  le  fécond  cas  :  5."^  ou  enfin ,  une  éten- 
due fîngulière  >  c'eft  le  dernier  cas» 

I  f"  Si  celui  qui  parle  donne  un  fens  uni- 
verfel  au  fujet  de  fa  proportion  ,  c'eft-à» 
dire  5  s'il  applique  quelque  qualificatif  à 
tous  les  individus  d'une  efpèce  5  alors 
rétendue  de  la  proportion  eft  univerfelle  i 
ou,  ce  qui  eft  la  même  chofe,  la  propofi- 
tion  eft  univerfelle. 

2.°  Si  Tindividu  dont  on  parle  ,  n'eft 
pas  déterminé  expreflfément ,  alors  on  dit 
que  lapropofition  eft  particulière  :  elle  n'a 
qu'une  étendue  particulière.  C*eft-à-dire, 
que  ce  qu  on  dit ,  n  eft  dit  que  d'un  fujet 
qui  n'eft  pas  dérgné  exprefsément^ 

5.^  Enfin  5  les  proportions  font  rngu- 
lières,  lorfque  le  fujet  5  c'eft-à-dire  laper- 
fonne  ou  la  chofe  dont  on  parle ,  dont  o\x 
juge, eft  uii  individu  fîngulier  déterminé;.. 


I 


de  Grammaire.  451 

Alors  Tattribut  de  la  propofition ,  c'cft-à- 
dire,  ce  qu'on  juge  du  fujet  ,  iVa  quune 
étendue  fingulière,  ou  ce  qui  eft  la  même 
chofe  5  ne  doit  s'entendre  que  de  ce  Tujet* 
Louis  XV  a  triomphé  de  f es  ennemis  :  Le 
foleil  efi  levé^ 

Dans  chacun  de  ces  trois  cas ,  notre  lan- 
gue nous  fournit  un  prénom  deftiné  à 
chacune  de  ces  vues  particuhères  de  notre 
efprit.  Voyons  donc  l'effet  propre ,  ou  le 
fervice  particulier  de  ces  prénoms, 

I.  Tout  homme  ejl  animal  ;  Chaque 
homme  ejl  animal.  Voila  chaque  individu 
de  l'efpèce  humaine  qualifié  par  animal^ 
qui  alors  fe  prend  adjedivement.  Car  tout 
homme  efi  animal^  c'eft-à-dire,  touthom-- 
me  végète ^efi  vivant  ^  fe  meut  ^y  a  des  fen^ 
fations  \  en  un  mot ,  tout  homme  a  les 
qualités  qui-  difiinguent  l'animal  de  l'Etre 
infenfible.  Ainfi ,  tout  étant  le  prépoiîtif 
d'un  nom  appellatif ,  donne  à  ce  nom  une 
extenfîon  univerfelle  \  c'eft-à-dire  ,  que 
ce  que  l'on  dit  alors  du  nom ,  par  exemple 
à' homme  j  eft  cenfé  dit  de  chaque  individu 


432i  Principes 

de  refpèce  :  ainfî  la  propofition  efl:  unîver»^ 
felle.  Qiiand  je  dis  tout  homme  ejl  mortel j^ 
c^eft  autant  que  fî  Je  difois ,  Alexandre  étoït 
mortel  ;  Ce  far  étoït  mortel  ;  'Philippe  efl 
mortel ^  &  ainiî  de  chaque  individu  5  paflfé, 
préfent  &  à  venir ,  &  même  poflîble  de 
Teipèce  humaine. 

Remarquez  ces  trois  façons  de  parler, 
tout  homme  efl:  ignorant  y  tous  les  hommes 
font  ignorans  ^  tout  homme  nefl  que  foi- 
hlefl^e.  Tout  homme  ^  c'eft- à-dire  5  chaque 
individu  de  Tefpèce  humaine,  quelqu 'in- 
dividu que  ce  puilïe  être  de  refpèce  hu- 
maine :  alors  tout  efl  un  pur  adjedif.  Tous 
les  hommes  font  ignorans  ;  c'eft  encore  le 
même  fens  :  ces  deux  propofîtions  ne  font 
différentes  que  par  la  forme.  Dans  la  pre- 
mière 5  ro^r  veut  dire  chaque  :  elle  préfente 
la  totalité  diftributivement ,  ceft-à-dire, 
qu'elle  prend  en  quelque  force  ks  indivi- 
dus l'un  après  l'autre  ',  au  lieu  que  tous  les 
hommes  les  préfeate  colledivement  tous 
enfemble.  Alors  tous  eft  un  prépofîtif  defti- 
né  à  marquçr  Tuniverfalité  de  les  hommes^ 


de  Grammaire.  453 

Tous  a  ici  une  forte  de  fignification  adver* 
biale,  avec  la  forme  adjedtive  :  c'eft  ain(î 
<jue  le  participe  tient  du  verbe  &  du  nom. 
Tous  j  ceft-à-dire,  univerfellement  ^fans 
exception  :  ce  qui  efl  (î  vrai  5  qu'on  peut 
réparer  ro:/j  de  fan  fubftantif ,  &  le  join- 
dre au  verbe.  Qiiinaut  5  parlant  des  oifeaux^ 
dit  :   En  amour  ils  font  tous  moins  bêtes 
que  nous.  Et  voila  pourquoi  5  en  ces  phra- 
Tes,  larticle  les  ne  quitte  point  fon  fub- 
ftantif  ^  &  ne  fe  met  pas  avant  tous.  Tout 
r homme  j  c'eft-à-dire  5  V homme  en  entier  y 
Thomme  entièrement  ^  Tbomme  confidéré 
comme  un  individu  fpécifîque.  Nul  ^  au-- 
cun  j  donnent  auflî  une  extenfion  univer- 
felle  à  leur  fubftantif  -,  mais  dans  un  fens 
négatif.  Nul  homme  _,  aucun  homme  j  nejl 
immortel  :  je  nie  Timmortalité  de  chaque 
individu  de  Telpèce  humaine.  La  propofi- 
tioii  eft  univerfelle ,  mais  négative  *,  au  lieu 
qu'avec  tous  j  fans  négation  5  la  propofîtion 
eft  univerfelle  affirmative.  Dans  les  propo- 
fitions  dojit  nous  parlons  ,  nul  &  aucun 
étant  adje(5tifsdu  iùjet  >  doivent  être  accom- 


454  Principes 

pagnes  d'une  négation.  Nul  homrtit  nefi 

exempt  de  la  nécejjité  de  mourir.  Aucun 

philofophe  de  l^ antiquité  na  eu  autant  dé 

connoi(Jances  de  phyjique  quon  en  a  au-^ 

jourd'hu'u 

IL  Tout  jy  chaque  j  nul  jy  aucun  ^  font 
donc  la  marque  de  la  généralité  ou  univer- 
falité  des  propofîtions.  Mais  fouvent  cqs 
mots  ne  font  pas  exprimés ,  comme  quand 
on  dit  :  Lts  François  font  polis  ;  Les  Ita- 
liens font  politiques.  Alors  ces  propofîtions 
ne  font  que  moralement  univerfelles  ,  de 
more^  ut  funt  mores  ;  ceft-à-dire,  félon 
ce  qu'on  voit  communément  parmi  les 
hommes.  Ces  proportions  font  aufîî  appel-* 
lées  indéfinies  j  parceque  d'un  côté  on  ne 
peut  pas  afllirer  qu'elles  comprennent  gé- 
néralement &  fans  exception  tous  les  indi- 
vidus dont  on  parle  ,  &  d'un  autre  côté , 
on  ne  peut  pas  dire  non  plus  qu'elles  ex- 
cluent tel  ou  tel  individu.  Ainfî  ,  comme 
les  individus  compris  &  les  individus  ex- 
clus ne  font  pas  précifément  déterminés , 
&;  que  ces  propoiitions  ne  doivent  être 


de  Grammaire.        455 

entendues  que  du  plus  grand  nombre,  on 
dir  qu'elles  font  indéfinies. 

III.   Quelque  y  un  ^  marquent  auflî  un 
individu  de  lefpèce  dont  on  parle.  Mais 
ces  prénoms  ne  déiîgnent  pas  fîngulière* 
ment  cet  individu.    Quelque  homme  efi: 
riche  j^  unfavant  m^efl  venu  voir  :  je  parle 
d'un  individu  de  refpèce  humaine,  mais 
je  ne  détermine  pas  iî  cet  individu   eft 
Pierre  ou  Paul.  C'eil:  ainfi  qu'on  dit  5  une 
certaine  perfonne  y  un  particulier  ;  &  alors 
particulier  eft  oppofé  à  général  &  ^fingu* 
lier.  Il  marque  à  la  vérité  un  individu; 
mais  un  individu  qui  n'eft  pas  déterminé 
iîngulièremenr.  Ces  propofîtions  font  ap* 
peilées  particulières. 

Aucun  j  fans  négation ,  a  aullî  un  fens 
particulier  dans  les  vieux  livres ,  &  fîgni* 
fie  quelqu'un  j  quifpiain  j  non-nullus  j  non^- 
nemo.  Ce  mot  eft  encore  en  ufage  en  ce 
fens  parmi  le  peuple ,  &  dans  le  ftyle  du 
Palais.  Aucuns  foutiennent  _,  &c.  quidam 
affirmant  j  &c.  AinCi  y  aucune/ois  j  dans  le 
vieux  ftyle  ,    veut  dire  quelquefois^  de 


43^  Principes 

temps  en  temps  ;  plerumqiie  j  interium  l 

nonnunquam. 

On  ferc  auiïî  aux  propofitions  particuliè- 
res. On  m^a  dit  jy  c'eft-à-dire,  Quelquuh 
ma  dit  ;  un  homme  m^a  dit.  Car  on  vient 
de  homme  ;  &  c'eft  par  cette  raifon  que 
pour  éviter  le  bâillement  ou  rencontre  de 
deux  voyelles,  on  dit  fouvent  Votî^  com- 
me on  dit  l'homme  jji  Ton.  Dans  plufieurs 
autres  langues  >  le  mot  qui  fignifie  homme ^ 
fe  prend  auiîî  en  un  féns  indéfini ,  comme 
notre  on.  De  ^  des  3  qui  font  des  prépofî- 
tions  extradives,  fervent  aulîî  à  faire  des 
propoiîtions  particulières.  Des  Philofo- 
phes  ou  et  anciens  Philofophes  ont  cru 
quily  avoit  des  antipodes  ^  c'eft-à-dirê , 
Quelques-uns  des  Philofophes  j  ou  un  cer- 
tain nombre  d'anciens  Philofophes  j  ou  ert 
vieux  ftyle ,  aucuns  Philofophes. 

IV.  Ce  marque  un  individu  déterminé  ) 
qu'il  préfente  à  l'imagination.  Ce  livre  ^ 
cet  homme  ^  cette  femme  _,  cet  enfant  ^  Sec. 

Vi   Le  j  la  j  les  j  indiquent  que  Ton 

parle i  ï.^  ou  d'un  tel  individu  réel,  que 

loii 


de  Grammaire.         /{.^y 

Ton  tire  de  Ton  efpèce ,  comme  quand  on 
dit.  Le  roi  j  la  reine ^  le  foleil ^  la  lune  : 
2.^  ou  d  un  individu  métaphyfîque,&  par 
imitation  ou  analogie  :  La  vérité j  le  men- 
fonge  ;  Ve/prit  ^  c'eft-à-dire  ,  le  génie  ;  le 
€œurj  cVft-à-dire  ^  la  fenjibillté ;  r enten- 
dement^ la  volonté j  la  vie^  la  mort^  la  natu- 
re j  le  mouvement  ^  U  repos  j  le  néant j^  &c. 
C'eft  ainfi  que  Ton  parle  d^  refpèœ 
tirée  du  genre  auquel  ^Ile  eft  fubordonnce , 
lorfqu'on  la  confîdère  par  abftraâion ,  &: 
pour  ainfî  dire,  en  ell<?-même  fous  la  for- 
me d*un  tout  individuel  &  métaphyfique. 
Par  exemple ,  quand  on  dit  c^^Jt  parmi  les 
animaux  ^  l'homme  feu l  ejl  raifonnable  ^ 
rhomme  -eft-là  un  individu  fpécifique. 

C'eft  encore  ainfi  que  ,  fans  parler  d  au- 
cun objet  réel  en  particulier  ,  on  dit  par 
âbftradion ,  Vor  eft  le  plus  précieux  des 
métaux  ;  le  ferfe  fond  &  fe  forge  ;  le  mar- 
bre fert  d'ornement  aux  édifices  ;  le  verre 
nefi  point  malléable  ;  la  pierre  efi  utile  ; 
le  cercle  efl  rond  j  &c.  Tous  ces  mots ,  l'orj 
b  fcr^  le  marbre^  &c.  font  pris  dans  un 


458  Principes 

fens  individuel ,  iTiais  métaphyfique  &  fpé- 
cifique  5  ceft-à-dire ,  que  fous  un  nom  (în- 
gulier  ils  comprennent  tous  les  individus 
d'une  efpèce  \  en  forte  que  ces  mots  ne  font 
proprement  que  les  noms  de  Tidée  exem- 
plaire du  point  de  réunion  5  ou  concept  5 
que  nous  avons  dans  lefprit,  de  chacune 
de  ces  efpèces  d'êtres.  Ce  font  ces  indivi- 
dus métaphyfiques  qui  font  Tobjet  des  Ma- 
thématiques 5  le  points  la  ligne  j  le  cercle  ^ 
le  triangle  j^  Sec. 

C'eft  par  une  pareille  opération  de  Tei^ 
prit,  que  Ton  perfonifie  fi  fouvent  la 72^- 
ture  dfi  Vart. 

Ces  noms  d'individus  fpécifiques  font 
fort  en  ufage  dans  TApologue.  Le  loup  & 
r agneau  ;  V homme  &  le  cheval j  &c.  On  ne 
fait  parler  ni  aucun  loup  ni  aucun  agneau 
particulier  :  c'eft  un  individu  Ipécifique  & 
métaphyfique  qui  parle  avec  un  autre  in- 
dividu. 

Ajoutons  ici  quelques  obfervations  à 
loccafion  de  ces  noms  fpécifiques. 

iJ^  Qtiund  un  nom  d'elpèce  eft  pris 


de  Grammaire.         439 

adjcâivement ,  il  n'a  pas  befoin  d'article  : 
Tout  homme  ejl  animal  :  homme  eft  pris 
/ubftantivemenf,  c'eft  un  individu  fpccifi- 
^ue  qui  a  Ton  prépofitif  tout  :  mais  animal 
-eft  pris  adjedivemenc ,  comme  nous  1  Sa- 
vons déjà  obfervé.  Ainlî  il  n'a  pas  plus  de 
prépofitif  que  tout  autre  adjedtif  n'en  au- 
roit^  &  Ton  dit  ici  animal  ^  comme  Ton 
diroit  mortel  jy  ignorant  ^^^  Sec. 

C  eft  ainfi  que  TEcriture  dit  que  toute 
<hair  eft  foin  _,  omnis  carofœnum,  (i  ] ,  c'eft- 
à-dire ,  peu  durable  5  périflable,  corrupti- 
ble-,  &c.  &  c'eft  ainfi  que  nous  difons  d'un 
homme  fans  efprit,  quV/  ef  bête. 

2.°  Le  nom  d'efpèce  n  admet  pas  l'arti- 
cle lorfqu'il  eft  pris  félon  fa  valeur  indéfi- 
nie, fans  aucune  extenfion  ni  reftridion  , 
ou  application  individuelle  :  c'eft-à-dire  , 
qu'alors  le  nom  eft  confidéré  indéfiniment 
comitit  forte  y  comme  efpèu  j  &  non  com- 
me un  individu  fpécifique.  C'eft  ce  qui 
arrive  fur-tout,  lorfque  le  nom  defpcce 


(i)  Ifaie,  c.  40.  y.  (T. 


44^  Principes 

précédé  d'une  prépofition ,  forme  un  fens 
adverbial  avec  cecre  prépofition ,  comme 
quand  on  dit  >  par  jaloujie  j  avec  pru- 
dence ^  en  préfence  jy  fans  contrainte  ^  fans 
feinte.  C'eft  dans  ce  même  fens  indéfini 
que  Ton  dit  5  Avoir  peur  j  avoir  honte  y 
faire  pitié.  Aind  on  dira  fans  article  :  Che^ 
val  efi  un  nom  d'efpèce  :  Homme  efl  un 
nom  d'efpece  ;  &  Ton  ne  dira  pas  5  le  che- 
val cfl  un  nom  d^efpèce;  l'homme  efl  un  nom 
^''<^y]7^c:e^,parceque  le  prénom /dmarqueroit 
que  Ton  voudroit  parler  d'un  individu,  ou 
d'un  nom  confidéré  individuellement. 

3.^  C  eft  par  la  même  raifon  que  le  nom 
d'efpèce  n'a  point  de  prépofîtif  5  lorfqu'a- 
vec  le  fecours  de  la  prépofition  de  ^  il  ne 
fait  que  lofEce  de  fimple  qualificatif  d'ef- 
pèce,  c'eft-à-dire  5  lorfqu'il  nefert  qu'à  dé- 
ligner  qu'un  tel  individu  eft  de  telle  elpè- 
ce  :  Une  montre  d'or ^  uneepée  d'argent; 
un  homme  de  robe  ;  un  marchand  de  vin  ; 
un  joueur  de  violon  j  &c.  une  aclion  de 
clémence  ;  une  femm.e  de  vertu. 

4.*^  Mais  quand  on  perfonifie  l'efpècc , 


de  Grammaire.         441 

qu'on  en  parle  comme  d'un  individu  fpé- 
cîfique ,  ou  qu'il  ne  s'agit  que  d'un  individu 
particulier  tiré  de  la  généralité  de  cette 
même  efpèce  ,  alors  le  nom  d'efpèce  étant 
confidéré  individuellement ,  efl  précédé 
d'un  prénom  :  La  peur  trouble  la  raifort  ; 
la  peur  que  fai  de  mat  faire  ;  la  crainte 
de  vous  importuner  ;  V  envie  de  bien  faire  ; 
l'animal  efl  plus  parfait  que  l'être  infen- 
fible  ;  jouer  du  violon  j  du  luth  ^  de  la  har--' 
pe  :  on  regarde  alors  le  violon  j  le  luth  y 
la  harpe  ^  &c.  comme  tel  inftrument  par- 
ticulier 5  &  on  n'a  point  d'individu  à  qua- 
lifier adjectivement. 

Ainfi  on  dira  dans  le  fens  qualificatif  ad- 
jcdiif.  Un  rayon  d'efpérance ^un  rayo\i  de 
gloire  j  un  fentiment  d'amour  :  au  lieu  que 
fi  l'on  perfonifie  la  gloire  j  l'amour  ^  &c. 
on  dira  avec  un  piépoucif  : 

Un  héros  que  la  gloire  élève 
N'efl:  qu'à  demi  rccompenfc  : 
Et  c'eft  peu  ,  fi  l'amour  n'achève 
Ce  que  la  gloire  a  commencé  (i). 

(i)  Quinault. 

G  g  5. 


44^  Principes 

Et  de  même ,  on  dira ,  J'ai  acheté  une 
tabatière  d'or  j^  8c  J'ai  fait  faire  une  taba- 
tière  d'un  or  ou  de  l'or  qui  inefl  venu 
d'Efpagne.  Dans  le  premier  e:xcmple, 
d'or  eft  qualificatif  indéfini ,  au  plutôt  c'eft: 
un  qualificatif  pris  adjeâivement ,  au  Heu 
que  dans  le  fécond,  de  l'or  j  ou  d'un  or  _, 
il  s'agit  d'un  tel  or  :  c'eft  un  qualificatif 
individuel  ,  c'efl:  un  individu  de  Tefpèce 
de  l'or. 

On  dit  d'un  prince  ou  d'un  miniftre, 
qu'/7  a  l'efprit  de  gouvernement  ;  de  gou^ 
yernement  eft  un  qualificatif  pris  adjcdlive- 
ment.  On  veut  dire  que  ce  miniftre  gou- 
ver|ieroit  bien ,  dans  quelque  pays  que  ce 
puiffe  être  ou  il  fer  oit  employé  ^  au  lieu 
que  fi  l'on  difoit  de  ce  miniftre  ,  qu'i/  a 
l'efprit  du  gouvernement  j  du  gouverne-- 
ment  feroit  un  qualificatif  individuel  de 
l'efprit  de  ce  miniftre,  on  le  regarderoit 
comme  propre  fingulièrement  à  la  con- 
duite des  affaires  du  pays  particulier  où  on 
le  met  en  œuvre^ 

Il  faut  donc  bien  diftinguer  le  quaîifi- 


de  Grammaire.  44  î 
catif  fpécifique  adjeûif ,  du  qualificatif  in- 
dividuel. Une  tabatière  d'or  j  voila  un 
qualificatif  adjeètif  :  une  tabatière  de  l'or 
que  j  ou  d'un  or  que  j  c'eft  un  qualificatif 
individuel  :  c'eft  un  individu  de  refpcce 
de  Tor.  Mon  efprit  eft  occupé  de  deux 
fubftantifs  :  i.°  de  la  tabatière  ,  2.^  deTor 
particulier  dont  elle  a  été  faite. 

Obfervez  qu'il  y  a  auffi  des  individus 
collectifs ,,  ou  plutôt  des  noms  colle6tifs  > 
dont  on  parle  comme  fi  c'étoit  autant  d'inr 
dividus  particuliers.  Cefi:  ainfi  que  Ton  dit,. 
le  peuple  ^  l'armée  j  la  nation  y  le  parle- 
mentj  Sec. 

On  confidère  ces  mots-là  comme  noms 
d'un  tout  5  d'un  enfemble ,  leTprit  les  regar- 
de par  imitation  comme  autant  de  noms 
d'individus  réels  qui  ont  plufieurs  parties  ^ 
&  c'eft  par  cette  raifon ,  que  lorfque  quel- 
qu'un de  ces  mots  eft  le  fu].et  d'une  propos 
iition,  les  Logiciens  difent  cpe  la  piopoU- 
tion  eft  fingulière. 

On  voit  donc  que  le  annonce  toujours 

G  g  4 


444  Principes 

un  objet  canfidéré  individuellement  par 
celui  qui  parle  *,  foit  au  fîngulier ,  la  maifon 
de  mon  voijin;  foit  au  plurier ,  les  maifons 
d^une  telle  ville  font  bâties  de  brique. 

Ce  ajoute  à  Tidée  de  le ^  en  ce  qui! 
montre  5  pour  ainfi  dire ,  Tobjet  à  rimagi- 
nation ,  &  fuppofe  que  cet  objet  eft  déjà 
connu  5  ou  qu  on  en  a  parlé  auparavant. 
C'eft  ainfî  que  Cicéron  a  dit ,  Quïd  ejl  enim 
hoc  ipfum  diu  ?  Qu'eft-ce  en  effet  que  ce 
long-temps. 

Dans  le  ftyle  didaftique,  ceux  qui  écri- 
vent en  latin,  lorfqu'ils  veulent  faire  remar- 
quer un  mot,  en  tant  qu'il  eft  un  tel  mot, 
fe  fervent  >  les  uns  de  larticle  grec  to  ,  les 
autres  de  ly^  to  adhuc  ejl  adverbium  com^ 
pojitum  :  Ce  mot  adhuc  eft  un  adverbe 

compofé  (i). 

Et  Tauteur  d'une  Logique ,  après  avoir 
dit  que  V homme  feul  ejl  raifonnable  ;  homo 
tantum  rationalis  j  ajoute  que  ly  tantum 

OmÊmmmmÊmÊÊmmmmmÊmmimmmmmmimmmmmmmmmmmmimÊÊmmmmmmmnmmmÊmimÊÊmmmmmmmmmmmmmÊÊmmÊmmÊl^mmmm 

(i)  Pcrifaniusj  in  Sanâii  Minerva,  p,  J7^. 


de  Grammaire.  445 
rtliqua  cntia  excluait  :  Ce  mot  tantum  cx- 
clud  tous  les  autres  êtres  (i). 

Ce  fut  Pierre  Lombard ,  dans  le  XII^ 
fiècle  5  &  faint  Thomas  dans  le  Xlir ,  qui 
introduifirent  lufage  de  ce  ly.  Leurs  difci- 
ples  les  ont  imités.  Ce  ly  n  eft  autre  chofe 
que  larticle  François  //_,  qui étoiten ufàge 
dans  ces  temps-là.  Ainjl  fu  II  chatîau  de 
Galathas pris  :  Li  baron  &  li  dux  de  Vc^ 
nife  :  Li  Vénitiens  par  mer&  li  François 
par  terre  (2). 

Villehardouin  &fes  contemporains  écri- 
voient  //  ^  &  quelquefois  Ij  j  d  où  on  a 
fait  fyj  foit  pour  remplir  la  lettre ,  foit 
pour  donner  à  ce  mot  un  air  fcientifique, 
&  rélever  au-KÎeffus  du  langage  vulgaire 
de  ces  temps-là. 

Les  Italiens  ont  confervé  cet  article  au 
plurier ,  &  en  ont  fait  auffi  un  adverbe  qui 
iignifie  là  :  en  forte  que  ly  tantum  ^  c'eft 
comme  fi  Ton  difoit  ce  mot-là  tantum. 

(i)  Fhilof.  ration,  auû.  P.  Franc.  Caro.  Ve- 
net.  166^. 

(2}  Villehardouin , //v.  3 .  p^£^.  n« 


44^  Principes 

Notre  ce  &  notre  le  ont  le  même  office 
indicatif  que  to  &  que  ly  ;  mais  ce  avec 
plus  d'énergie  que  le. 

5  .^  iV/o«  ^  m^  3  ;;2ej  -,  ton  _,  m  _,  r^5  ^yo/?, 
fa^fes  y  8cc.  ne  font  que  de  fîmples  ad- 
jedifs  tirés  des  pronoms  perfonnels.  Ils 
marquent  que  leur  fubftantif  a  un  raporc 
de  propriété  avec  la  première,  la  féconde, 
ou  la  troifième  perfonne.  Mais  de  plus> 
comme  ils  font  eux-mêmes  adjedifs  pré- 
pofitifs  5  &  qu'ils  indiquent  leurs  fubftan- 
tifs  5  ils  n'ont  pas  befoin  d'être  accompa- 
gnés de  l'article  le.  Qiîe  fi  l'on  dit  le  mieriy 
le  tien  j  c'eft  que  ces  mots  font  alors  des 
pronoms  fubftantifs.  On  dit  proverbiale- 
ment que  Le  mien  &  h  tien  font  pères  de 
la  difcorde. 

é.^  Les  noms  de  nombre  cardinal  un  j. 
deux  jy  &c.  font  auffi  l'office  de  prénoms 
ou  adjedtifs  prépofitifs,  Dixfoldats^  cent 
ccus. 

Mais  fi  Tadjedif  numérique  &  fon  fub- 
ftantif font  enfemble  un  tout  >  une  forte 
d'individu  collectif  >  &  que  l'on  veuille 


de  Grammaire.         447 

marquer  que  Ton  confîdère  ce  tout  fous 
quelque  vue  de  lefprit,  autre  encore  que 
celle  de  nombre ,  alors  le  nom  de  nombre 
eft  précédé  de  l'article  ou  prénom  ,  qui 
indique  ce  nouveau  raport.  Le  jour  de  la 
multiplication  des  pains ,  les  Apôtres  di- 
rent à  Jcfus-Chrift  :  Nous  n  avons  que  cinq 
pains  &  deux  poijjons  :  voila  cinq  pains 
&  deux  poi[fons  dans  un  fens  numérique 
âbfolu.  Mais  enfuite  TEvangélifte  ajoute 
que  Jefus-Chrift  prenant  les  cinq  pains  & 
les  deux  poijfons  j  les  bénit  _,  &c.  voila 
les  cinq  pains  &  les  deux  poijjons  dans  un 
fens  relatif  à  ce  qui  précède.  Ce  font  les 
cinq  pains  &  les  deux  poififons  dont  on 
avoit  parlé  d'abord.  Cet  exemple  doit  bien 
faire  fentir  que  le  ^  la  jy  les ,  ce  _,  cette  y  cesj 
ne  font  que  des  adjectifs  qui  marquent  le 
mouvement  de  lefprit ,  qui  fe  tourne  vers 
l'objet  particulier  de  fon  idée. 

Les  prépofîtifs  défîgnent  donc  des  in- 
dividus déterminés  dans  l'efprit  de  celui 
qui  parle.  Mais  lorfque  cette  première 
détermination  n'eft  pas  aifée  à  apercevoir 


44^  Principes 

par  celui  qui  lit  ou  qui  écoute  ^  ce  font  les 
circonftances  ou  les  mots  qui  fuivent  >  qui 
ajoutent  ce  que  l'article  ne  fauroit  faire 
entendre.  Par  exemple ,  fi  je  dis  :  Je  viens 
de  Verf ailles  ^j\  ai  vu  le  roi  _,  les  circon- 
ftances font  connoître  que  je  parle  de  notre 
augufte  monarque.  Mais  fi  je  vouîois  faire 
entendre  que  j'y  ai  vu  le  roi  de  Pologne  » 
je  ferois  obligé  d'ajouter  de  Pologne  à  le 
roi  :  &  de  même  fi  en  lifant  Thiftoire  de 
quelque  monarchie  ancienne  ou  étran- 
gère,  je  voyois  qu'en  un  tel  temps  le  roi 
fit  telle  chofe  ^  je  comprendrois  bien  que 
ce  feroit  1^  roi  du  royaume  dont  il  s'agi- 
roit. 

DES   NOMS   PROPRES. 

Les  noms  propres  n'étant  pas  des  noms 
d'efpèces  ,  nos  pères  n'ont  pas  cru  avoir 
befoin  de  recourir  à  l'article  pour  en  faire 
des  noms  d'individus ,  puifque  par  eux- 
mêmes  ils  ne  font  que  cela. 

Il  en  eft  de  même  des  êtres  inanimés 
auxquels  on  adrefie  la  parole.  On  les  voit  > 


de  Grammaire.        449 

fes  êtres,  puifqu'on  leur  parle  :  ils  font 
préfens  5  au  moins  à  l'imagination.  On  n'a 
donc  pas  befoin  d'article  pour  les  tirer  de 
la  généralité  de  leur  efpèce ,  &  en  faire 
des  individus. 

Coulez,  luifTeau,  coulez,  fuyez-nous. 
Hélas,  petits  moutons, que  vous  ères  heureux! 
Fille  des  plaifirs ,  trifte  goutte  (i). 

Cependant  5  quand  on  veut  appeller  un 
homme  outune  femme  du  peuple  qui  pafîc, 
on  dit  communément ,  V  homme  \  la  femme  y 
écoute-}^  la  belle  fille  y  la  belle  enfant  ^  &c. 
Je  crois  qu'alors  il  y  a  ellipfe  :  Ecoute^  ^ 
vous  qui  êtes  la  belle  fille  j  &c.  F'ous  qui 
êtes  l'homme  à  qui  je  veux  parler  j  &c. 
Nous  ne  mettons  pas  l'article  ,  fur-tout 
devant  les  noms  propres  perfonnels  :  Pier-' 
re  j  Marie  j  Alexandre  j  Céfar^  &c.  Voici 
quelques  remarques  à  ce  fujet. 

I.  Si  par  figure  on  donne  à  un  nom  pro- 
pre une  fignification  de  nom  d'efpèce,  & 

(i)  Deshoulicrcs. 


45<>  Principes 

qu'on  applique  enfuite  cette  fignification  ; 
alors  Oïl  aurabeloin  de  Tarticle.  Par  exem- 
ple 5  il  vous  donnez  au  nom  d'Alexandre 
la  fignification  de  conquérant  ou  de  héros  y 
vous  direz  que  Charles  XII  a  été  l'Alexan^» 
dre  de  notre  Jîècle.  C'eft  ainfî  qu'on  dit 
les  Cicérons  ^  les  Démojlhenes  ;  c'eft-à- 
dire,  les  grands  orateurs,  tels  que  Cicé- 
ton  &  Démofthènes.  Les  Virgïles  j  c'eft- 
à-dire ,  les  grands  poètes. 

Dieu  eft  le  nom  du  fouverain  Etre.  Mais 
(î  par  raport  à  fes  divers  attributs ,  on  en 
fait  une  forte  de  nom  d'efpèce ,  on  dira , 
Le  Dieu  de  miféricorde  ;  le  Dieu  des  Chré^ 
tiens  3  &CC. 

II.  Il  y  a  un  très-grand  nombre  de  noms 
propres,  qui  dans  leur  origine  n'étoient 
que  des  noms  appellatifs.  Par  exemple, 
Ferté  qui  vient  par  fyncope  de  fermeté ^ 
fîgnifioit  autrefois  citadelle.  Ainfi,  quand 
on  vouloir  parler  d'une  citadelle  particu- 
lière, on  difoit  la  Ferté  dun  tel  endroit  : 
&  c'eft  de-là  que  nous  viennent  la  Ferté^ 
Imhaulty  la  Ferté- Milan  ^  &c. 


de  Grammaire.  451 

Mefnil^Çt  au(Tî  un  vieux  mot,  qui  (î- 
gnifioit  maifon  de  campagne  ^  village  _,  du 
latin  Manile  &  Mafnïle  dans  la  bafle  lati- 
nité. C'eft  de  -  là  que  nous  viennent  les 
noms  de  tant  de  petits  bourgs  appelles  le 
Mefnil.  Il  en  eft  de  même  de  le  Mans  ^ 
le  Perche^  Sec.  Le  Câtelet  ^  c'eft-à-dire  , 
le  petit  château  ;  le  Quefnoi  _,  c'étoit  un 
lieu  planté  de  Chênes  ;  le  ché  prononcé  par 
ké  à  la  manière  de  Picardie  3  &  des  pays 
circonvoifins. 

Il  y  a  auflî  plufieurs  qualificatifs  qui 
font  devenus  noms  propres  d'hommes, 
tels  que  le  Blanc  ^  le  Noir  ^  le  Brun  ^  le 
Beaujy  le  Bel  jy  le  Blond  j^  &c.  &  ces  noms 
confervent  leurs  prénoms  5  quand  on  parle 
de  la  fem.me.  Madame  le  Blanc  j  c'eft-à- 
àvcQ^  femme  de  M.  le  Blanc. 

III.  Quand  on  parle  de  certafines  fem- 
mes ,  on  fe  fert  du  prénom  la  _,  parcequ*il 
y  a  un  nom  d  efpcce  fous- entendu.  La  le 
Maire ^  c*eft:-à-dire>  Vacirice  le  Maire. 

IV.  C'eft  peut-être  par  la  même  raifon 
qu'on  dit  ^  le  Tajje  j  l' Ariojie  ^  le  Dante ^ 


452*  Principes 

en  fous-entendant  poète  ;  8c  qu'on  dit  le 
Titien  j  le  Carache  ^  en  fous-entendant 
peintre  :  ce  qui  nous  vient  des  Italiens. 

Qu'il  me  foit  petmis  d'obferver  ici  que 
les  noms  propres  de  famille  ne  doivent 
être  précédés  de  la  prépofition  de  j  que 
lorfqulls  font  tités  de  noms  de  terre.  Nous 
avons  en  France  de  grandes  maifbns  qui 
ne  font  connues  que  par  le  nom  de  la  prin- 
cipale terre  que  le  chef  de  la  maifon  pof- 
fédoit  avant  que  les  noms  propres  de  fa- 
mille fuflent  en  ufage.  Alors  le  nom  cft 
précédé  de  la  prépofition  de  ^  parcequ'on 
(bus-entend  Jire  ^feïgneur ^  duc  j  marquis ^ 
&c.  ow  fieur  d'un  tel  fief.  Telle  eft  la  mai- 
fon de  France  ^  dont  la  branche  d'aîné  en 
aîné  n'a  d'autre  nom  que  France. 

Nous  avons  aufîî  des  maifons  très-ilJu- 
ftres  &  très-anciennes ,  dont  le  nom  n'eft 
point  précédé  de  la  prépofition  de  _,  parce- 
que  ce  nom  n'a  pas  été  tiré  d'un  nom  de 
terre.  C'eft  un  nom  de  famille  ou  maifon. 

Il  y  a  de  la  petitefle  à  certains  gentils- 
hommes d'ajouter  le  de  à  leur  nom  de  fa- 
mille 


de  Grammaire.        455 

mille  i  rien  ne  décèle  tant  rhomme  nou- 
veau &  peu  inftruit* 

Qiielqucfois  les  noms  propres  font  ac- 
compagnés d  adjedifs  \  furquoi  il  y  a  quel- 
ques obfervations  à  faire. 

I.  Si  Tadjedif  eft  un  nom  de  nombre 
ordinal ,  tel  que /'remi^r_,y^co/2^^  &c.  & 
<ju  il  fuive  immédiatement  fon  fubftanrif , 
comme  ne  faifant  enfemble  qu^un  même 
tout,  alors  on  ne  fait  aucun  ufage  de  l'ar- 
ticle, Ainfi  on  dît ,  François  Ij  Char/es  II ^ 
Henri  IV ^  pour  quatrième. 

IL  Quand  on  fe  fert  de  ladjedif  pour 
marquer  une  fimple  qualité  du  fubftantif 
^u  il  précède ,  alors  l'article  eft  mis  avant 
ladjedif  Le  [avant  Scaliger ^  le  galant 
Ovide. 

III.  De  même,  fi  Tadjeâif  n'eft  ajouté 
que  pour  diftinguer  le  fubftantif  des  au- 
tres qui  portent  le  même  nom ,  alors  Tad- 
Jedif  fuir  le  fubftantif,  &  cet  adjedif  eft 
précédé  de  Tarticle.  Henri  le  Grande  Louis 
le  Jufle  y  &c.  où  vous  voyez  que  le  tire 

Henri  &  Louis  du  nombre  des  autres  lien* 

Hh 


454  Principes 

ris  &  des  autres  Louis  j  &  en  fait  des  in- 
dividus particuliers  ,  diftingués  par  une 
ijualité  fpéciale. 

IV.  On  dit  auffi  avec  le  comparatif  & 
avec  le  fupcrlatif  relatif ,  Homère  j  le  meiU 
leur  poète  de  l^  antiquité  :  Varron^  le  plus 
favant  des  Romains. 

Il  paroît ,  par  les  obfcrvations  ci-de(îus , 
que  lorfqu'à  la  iîmple  idée  du  nom  propre 
on  joint  quelqu'autre  idée,  ou  que  le  nom 
dans  fa  première  origine  a  été  tiré  d'un 
nom  d'efpèce  ,  ou  d'un  qualificatif  qui  a 
été  adapté  à  un  objet  particulier ,  par  le 
changement  de  quelques  lettres  5  alors  on 
a  recours  au  prépofitif ,  par  une  fuite  de 
la  première  origine.  Ceft  ainfi  que  nous 
difons  le  paradis  ;  mot  qui  à  la  lettre  fîgni- 
fie  un  jardin  planté  d  arbres  qui  portent 
toute  forte  d  excellens  fruits ,  &  par  exten- 
(îon  un  lieu  de  délices. 

L'enfer  jy  c'eft  un  lieu  bas ,  à'inferus.  Via 
inféra  ^  la  rue  d'enfer ,  rue  inférieure  par 
raport  à  une  autre  qui  eft  audefllis. 

V univers  ^univerfus  orbis  ;  l'être  uni* 


de  Grammaire.  45.5 

Vtrftl'^  l'ajfemblage  de  tous  les  êtres  créés ^ 
Le  monde  j  du  latin  mundus  j  adjedlif 
<]Ui  fignifie  propre  _,  élégant  ^  ajujlé ^paré ^ 
5c  qui  cft  pris  ici  fubftantivemenr.  Les 
Païens  5  frapés  de  Téclat  des  aftres ,  &  de 
Tordre  qui  leur  paroiflToit  régner  dans  Tu- 
Hivers  3  lui  donnèrent  un  nom  tiré  de  cette 
beauté  &  de  cet  ordre. 

Mandas  eft  encore  pris  fubftantivemenr, 
lorfqu'on  dit  Mandas  malïebris  j  la  toilette 
des  dames  5  où  font  tous  !es  petits  meubles 
dont  elles  fe  Icrvent  pour  ie  rendre  plus 
propres 5  plus  ajuftéesj  plus  féduifantes.  Le 
mot  grec  y^iuoç^  qui  lignifie,  ordre ^  orne-' 
tnentjheauté^vépond  au  mandas  des  Latins* 
Le  foleiljy  affolas .,  félon  Cicéron  ,  par- 
ceque  c'eft  le  feul  aftre  qui  nous  paroilîe 
auffî  grand  ,  &  que  lorfqull  eft  levé ,  tous 
les  autres  difparoiftènt  à  nos  ieux. 

Lji  lanej  à  lacendo^  c'eft-à-dire ,  la  pla^» 
nete  qui  nous  éclaire,  fur-tout  en  certains 
temps  pendant  la  nuit.  Sol  jy  vel  qaia  folas 
tx  ômnibas  Jiderihas  eji  tantas  _,  vel  qaia 
cùm  cxortusj  obf car  cuis  omnibus  ^  folas  ap^ 


4  5  ^  Principes 

parct.  Luna  à  luccndo  nominata  \  eadem 

ejl  cnim  Luclna  (  i  ). 

La  /7zer^  ceft-à-dire  >  l'eau  arrière.  Pro^ 
prie  autem  Mare  appellatur^  eo  quod  aquét 
ejus  amarAjint  (i  ). 

La  terre  ^  c'eft-à-dire  ,  V élément  fec  y 
du  grec  7ii^co  ^  fécher  ^  &  au  futur  fécond 
T2fS.  Auffi  voyons-nous  qu^elle  eftappellée 
Arida  dans  la  Genèfe,  ch.  i ,  v,  95  &  en 
faint  Matthieu 5  c/t.  25,  v.  15.  Circuitis 
mare  &  aridam.  Cette  étymologie  me 
paroît  plus  naturelle  que  celle  que  Varron 
en  donne.  Terra  dicta  eo  quod  teritur(^)* 

Elément  eft  donc  le  nom  générique  de 
quatre  efpèces,  qui  font  le  feu ^  Vair^  l'eau 
&  la  terre. 

DES  NOMS  DE  PAYS. 

Les  noms  de  pays,  de  royaumes,  de 
provinces,  de  montagnes, de  rivières,  en- 
trent fouventdans  le  difcours  fans  article, 

(i)  Cicéron ,  de  Natura  Deorum  ,1.  2^  c,  27. 

(2)  liîdor.  /.  13,  c.  14. 

{})  Va^-ron ,  de  Lingua  Lavina ^  JV}  4% 


de  Grammaire.  457 

comme  noms  qualificitifs ,  le  royaume  de 
France  j  d'Efpagnc  j  &c.  En  d'autres  oc- 
cafions ,  ils  prennent  l'article  >  foit  qu'on 
fous  entende  alors  terre^  ou  région  ^paysy 
montagne  ^  fleuve  ^  rivière  j  vaijjeau  ^  &c. 
Ils  prennent  fur-  tout  larticle  quand  ils  font 
perfonifiés  :  l'intérêt  de  La  France  \  la, 
politejfe  de  la  France. 

Quoi  qu'il  en  foit ,  j'ai  cru  qu'on  feroit 
bien  aife  de  trouver  dans  les  exemples  fui- 
vans  5  quel  eft  aujourd'hui  Tufage  à  l'égard 
de  ces  mots ,  fauf  au  ledteur  à  s'en  tenir 
(implement  à  cet  ufage  5  ou  à  chercher  à 
faire  l'application  des  principes  que  nous 
avons  établis ,  s'il  trouve  qu'il  y  ait  lieu. 

Noms  propres  employés 
feulement  avec  une  pré- 
pojîtionfans  l'article. 


Royaume  de  Valence, 
Ifle  de  Candie. 
Royaume  de  France,  ôcc. 


Noms  propres  employés 
avec  l'article. 


La  France^ 
L'Efparrne, 
L* Angle  te  rr4. 
La  Chine, 
Le  Japon. 


Il  vient  de  la  Chine ,  duTa^ 
pan  ,  de  L*Aniériqu&  yda 


Il  vient  de  Pologne. 

.11  cAallé  enPerfe,  en  Suéde, 

Iw6.  l      Féroiu 

Hh  5 


45 


8 


Principes 


Il  eft  revenu  d*Efpagne ,  de 
Perfe  ,  d'Afrique  ,  d'A- 
fie  y  &c. 

Il  demeure  en  Italie  ,  en 
France  ,  &c  à  Malthe ,  à 
Koueiiy  à  Avignon  (i)  , 
ôcc. 

tes  modes ,  les  vins  de  Fran- 
ce ,  les  vins  de  Bourgo- 
gne f  de  Champagne  ,  de 
Bourdeaux  ^  de  Tokay. 


îi  vient  de  Flandre, 
A  mon  départ  d'Allemagne, 
L'Empire  d'Allemagne, 
Chevaux   d'Angleterre  ,  de 
Barbarie  .  Ôcc. 


Il  demeure  au  Pérou,  atg 
Japon ,  à  la  Chine  ,  aux 
Indes ,  à  Vljle  Saint-Dû^ 
mingue, 

La  politeflè  de  la  France* 

L'intérêt  de  l'Efpagne. 

On  attribue  à  l'Allemagne 

l'invention  de  l'Imprimerie» 
Le  Mexique,  U  Pérou  ,  Us 

Indes. 
Le  Maine  ,  la  Marche  ,  te 

Perche  ,  le  Milanei  ,  le 

Mantouan ,  le  Parmejan^ 

Vin  du  Rhin, 

Il  vient  de  la  Flandre  Froj^ 

çoife. 
La  gloire  de  VAUcmOigne^ 


On  dit  par  appofition,  le  Mont-Par^ 
naffe  j  le  Mont-Valérien  ^  &cc.  8c  on  dit 
la  montagne  de  Tarare.  On  dit  le  fleuve 
Don  y  &  la  rivière  de  Seine  :  ainfi  de 
quelques  autres  >  fur  quoi  nous  renvoyons 
à  Tufage. 


(i).Lcs  Languedociens  &:  les  Provençaux  difcnt  tn  Avi>* 
gtm y' fout  évitci  le  bâillement.  Cefl  une  faute» 


de  Grammaire.         459 

Remarques  sur  ces  phrases. 
I  .^  Il  a  beaucoup  d'argent  \  il  a  bien 
de  V argent:  2.°  //  a  beaucoup  d' argent 'j 
il  na  point  d'argents 

I.  L'or ,  l'argent ,  refprit,  &c.  peuvent 
être  confidérés,  ainfi  que  nous  lavons  ob- 
fervé  5  comme  des  individus  fpécifiques. 
Alors,  chacun  d^  ces  individus eft  regardé 
comiT^e  un  tout ,  dont  on  peur  tirer  uite 
portion.  Ainfi  5  11  a  de  l'argent  jy  c'eft  //  a 
une  portion  de  ce  tout  qu'on  appelle  ar^ 
gent  y  efprit  j  &c.  La  prépofîtion  de  efl: 
alors  ext?enfîve  d^un  individu  5  comme  la 
prépofîtion  latine  ex  ou  de.  Il  a  bien  de 
r  argent  jy  de  F  efprit  ^  8cc  :  c'eft  la  même 
analogie  que  il  a  de  F  argent  y  &c.  C  eft 
ainfi  que  Plaute  dit.  Credo  ego  illk inejfc 
auri  &  argenti  largiter. 

IL  A  regard  de  //  a  beaucoup  d'argent  j. 
d' efprit  :y  &c  :  il  n  3.  point  d'argent  y  d' ef- 
prit y  8cc  y  il  feue  obferver  que  ces  mo^s 
beaucoup  y  peu  ^  pas  ^  pointj  rien  ^  forte  ^ 
efpècc  j  tant  j  moins j plus  j  que  lorfquil 

Hh4 


^6o  Principes 

vient  de  quantum  y  comme  dans  ces  versj; 

Que  de  noépris  vous  avez  rutr  pour  l'autre! 
Et  que  vous  avez  de  raifonî 

ces  mots  >  dis-je,  ne  font  point  des  adver- 
bes-, ils  font  de  véritables  noms, du  moins 
dans  leur  origine,  &  c'eft  pour  cela  qu'ils 
font  modifiés  par  un  (impie  qualificatif  in- 
défini, qui  n'étant  point  pris  individuelle- 
ment, n'a  pas  befoin  d  article.  Il  ne  lui 
faut  que  la  feule  prépofition  pour  le  met- 
tre en  raport  avec  beaucoup  ^  peu  ^foint^ 
pasj  rîeny  forte  j  &c. 

Beaucoup  vient,  félon  Nicot,  de  èella^ 
id  ejij  bona  &  magna  copia  ;  une  belle 
abondance  j  comme  on  dit  un  belle  récolte, 
&c.  Ainfi  ,  d'argent  j  d'efprit  j  font  les 
qualificatifs  de  coup^  en  tant  qu'il  vient 
de  copia.  Il  a  abondance  d  argent,  d'ef- 
prit ,  &c. 

M.  Ménage  dit  que  ce  mot  eft  formé  de 
ladjeftif  beau ^  &  du  fubftantif  co^//?.  Ainfî 
quelqu'étymologiie  qu'on  lui  donne,  on 
voit  que  ce  n'eft  que  par  abus  qu'il  eft 


de  Grammaire.         4^1 

confîdéré  comme  un  adverbe.  On  dit,  // 
cjl  meilleur  de  beaucoup  j  c'eft-à-dire ,  fé- 
lon un  beaucoup  :  où  vous  voyez  que  la 
prépofition  décèle  le  fubftantif. 

Peu  fîgnifie  petite  quantité.  On  dit  le 
peu  j  un  peu  _,  de  peu  _,  à  peu  _,  quelque  peu. 
Tous  les  analogiftes  foutiennent  qu'en  la- 
tin zstcparum  _,  on  fous-en  tend  ad  ou  per^ 
&  qu'on  dit  parum-per  ^  comme  on  dit 
te-cum  j  en  mettant  la  prépofition  après  le 
nom.  Ainfî  nous  difons  un  peu  de  vin  ^ 
comme  les  Latins  difent  parum  vini.  En-» 
forte  que  comme  vini  qualifie  parum  fub- 
ftantif, notre  de  vin  qualifie  peu  par  le 
moyen  de  la  prépofition  de. 

Rien  vient  de  rem  j  accufatif  de  res.  Les 
langues  qui  fe  font  formées  du  latin ,  ont 
fouvent  pris  des  cas  obliques  pour  en  faire 
des  dénominations  diredes  \  ce  qui  eft  fort 
ordinaire  en  italien.  Nos  pères  difoient, 
fur  toutes  riens  (i)  ;  &  dans  Nicot,  Elle 
le  hait  fur  tout  rien  _,  c'eft-à-dire  ^fur  tou- 

•ii— —  ■    I       I  I     I  II 

(i)  Mehun, 


4^t  Principes 

tes  chofes.  Aujourd'hui  rien  veut  dire  au^ 
cane  chofc.  On  fouSTenrend  la  négation ,  & 
on  1  exprime  même  ordinairement  :  Ne 
dites  rien  ^  ne  faites  rien.  On  dit,  le  rïert 
vaut  mieux  que  le  mauvais.  Ainfi  ,  rien  de 
bon  y  ni  de  beau  j  c^eft  aucune  chofe  de 
hon  j,  ôcc. 

De  ion  ou  de  beau  j  font  donc  des  qua* 
lificatifs  de  rien  ;  Se  aiors  de  bon  ou  de 
Beau  étant  pris  dans  un  fens  qualificatif  de 
ibrte  ou  d'efpèce,  ils  n'ont  point  Tarticle* 
Au  lieu  que  lî  Ton  prenoit  bon  ou  beau  in- 
dîviduellement,  ils  feroient  précédés  d*un 
prénom  -,  le  beau  vous  touche  ;  jaime  le 
vraij  8cc. 

Nos  pères ,  pour  exprimer  le  fens  néga- 
tif, fe  fervirent  d^abord ,  comme  en  latin , 
de  la  fimple  négative  ne  :  Sachie^  nos  ne  ve- 
nifmes  por  vos  mal  faire  [i).  Dans  la  fuite, 
pour  donner  plus  de  force  &  plus  d'éner- 
gie à  la  négation,  on  y  ajouta  quelqu'un 
des  mots  qui  ne  marquent  que  de  petits 

(i)  Villehardouin  jP^^.  48, 


de  Grammaire.  4^5 

©b)ets  5  tels  que  grain  j  goutte  ^  mie  ^  brin^ 
pas  j  point  :  Quia  res  eji  minuta  ^fermoni 
vernaculo  additur  ad  majorem  negatio* 
nem  (i).  Il  y  a  toujours  quelque  mot  de 
fous-entendu  en  ces  occafions  :  ]c  nen  aï 
grain  ne  goutte  :  Je  nen  ai  pour  la  valeur 
eu  la  grojfeur  d'un  grain  ^  &c.  Ainfi ,  quel- 
que ces  mots  fervent  à  la  négation ,  ils  n'ea 
font  pas  moins  de  vrais  fubftantifs.  h  ne 
yeux  pas  ou  point  ;  c'eft-à-dire ,  Je  ne  veux 
cela  même  de  la  longueur  d'un  Pas  ^  ni 
de  la  grojfeur  d'un  Point.  Je  n'irai 
point  :  c'eft  comme  fi  Ton  difoit  :  Je  n^ 
ferai  un  Pas  pour  y  aller  ;  je  ne  m'avan-- 
ceraid'un  Point  :  QuaJidicaSj  dit  Nicotj 
ne  puncium  quidem  progrediar  ut  eam  illh^ 
Ceft  ainfî  que  mie  j  dans  le  fèns  de  miette 
de  pain  j  s'employoit  autrefois  avec  la  par- 
ticule négative  :  //  ne  l'aur<i  mie  :  U  n'efi 
mie  un  homme  de  bien  :  Ne  probitatis  qui^ 
dem  mica  in  eo  ejl[i).  Cette  façon  de  par- 
ler eft  encore  en  ufage  en  Flandre. 

fc  ■■  I  M  I   -    m  I  I,     I.        Il,      ■      ■  I  III 

(1)  Nïcoîtz\x  moi  Goutte. 
(e)  Idem. 


'4^4  Principes 

Le  fubftantif  brin  j  qui  fe  dit  au  propre 
des  menus  jets  des  herbes  ,  fert  fouvenc 
par  figure  à  faire  une  négation  y  comme 
pas  &  point.  Et  Ci  Tufage  de  ce  mot  étoit 
auflî  fréquent  parmi  les  honnêtes  gens  qu  il 
Teft  parmi  le  peuple  ,  il  feroit  regardé , 
âuffi-bien  quQ  pas  8c  point  j  comme  une 
particule  négative  :  A-t-il  de  l'cfprit?  il 
nen  a  brin.  Je  ne  l'ai  vu  qiiun  petit 
hrin  j  &.c. 

On  doit  regarder  ne  pas  ^  ne  point  j 
comme  le  nihil  des  Latins.  Nihil  efl:  corn- 
pofé  de  la  négation  ne  j  &  du  mot  hilum 
qui  fignifie  la  petite  marque  noire  qu'on 
voit  au  bout  d'une  fève.  Les  Latins  di- 
foient  :  Hoc  nos  neque  pertinet  hilum  (i)-. 
Cela  ne  nous  interejfe  en  rien  ^  pas  même 
de  la  valeur  de  la  petite  marque  noire  d'une 
fève.  Neque  proficit  hilum  ^  &c. 

Or  5  comme  dans  la  fuite  le  hilum  des 
Latins  s'unit  fî  fort  avec  la  négation  ne  j 
que  ces  deux  mots  n'en  firent  plus  qu'un 

(i)  Lucrèce  )  liv.  3«  v.  843* 


de  Grammaire.  j\6e 
feul  nîhilum  j  nihil ^  nil  j  8c  que  nihil 
fe  prend  fouvent  pour  le  fîmple  non  : 
Nihil  circuitione  ufus  es  (i)  i  de  même 
notre  pas  &  notre  point  ne  font  plus  re- 
gardés dans  Tufage ,  que  comme  des  par- 
ticules négatives  qui  accompagnent  la  né- 
gation ne  ;  mais  qui  ne  laiflènt  pas  de  con- 
ferver  toujours  des  marques  de  leur  ori- 
gine. 

Or ,  comme  en  latin  nihil  eft  fouvent 
fuivi  d'un  qualificatif,  nihil falji  dixi  y  mi 
fenex  (2) ,  nihil  incommodi  j  nihil gratia^ 
nihil  lucri^nïhilf ancli  j  &c.  de  même  le 
pas  &  le  point  étant  pris  pour  une  très- 
petite  quantité ,  pour  un  rien  ^  font  fuivis 
en  françois  d  un  qualificatif  :  Il  n  a  pas  de 
pain  j  d'argent  j  d'efprit  y  &c.  ces  noms 
pain  y  argent  j  efprit  y  étant  alors  des  qua- 
lificatifs indéfinis  ,  ils  ne  doivent  point 
avoir  de  prépofitif. 

Les  Latins  difoient  aufli ,  Ne  faire  pas 

(i)  Tércncc. 
(z)  Idem. 


j^66  Principes 

plus  de  cas  de  quelqu'un  ou  de  quelque 
chofe,  qu'on  en  fait  de  ces  petits  floccons 
de  laine  ou  de  foie  que  le  vent  emporte, 
fioccifacerejy  c'eft-à-dire^/^cere  rem  flocci  : 
nous  difons  un  fétu. 

La  Grammaire  générale  dit  (  pag.  82), 
qye  dans  le  fens  afïirmatif ,  on  dit  avec 
larticle  ^11  a  de  V argent ^y  du  cxur ^  de  la 
charité  ^  de  V ambition  ;  au  lieu  qu'on  dit 
négativement  fans  article  :  //  na  point 
d'argent^  de  cœur ^  de  charité ^  d'ambition^ 
parceque,  dit-on,  le  propre  de  la  négation 
eft  de  tout  ôter. 

Je  conviens  que  félon  le  fens  5  la  néga- 
tion ôte  le  tout  de  la  chofe  \  mais  Je  ne 
vois  pas  pourquoi  dans  Texpreflion ,  elle 
nous  ôteroit  Tarticle  5  fans  nous  ôter  la 
prépofîtion.  D  ailleurs ,  ne  dit-on  pas  dans 
le  fens  affirmatif,  fans  article,  //  a  encore 
un  peu  d'' argent  j  &  dans  le  fens  négatif 
avec  l'article ,  Un  a  pas  le  fou  ;  Il  n  a  plus 
un  fou  de  l' argent  qu  il  avoit  ;  Les  langues 
ne  font  point  des  fciences  :  On  ne  coupe 
point  des  mots  inféparables  j  dit  fort  bien 


de  Grammaire.         ^6y 

M*  Tabbé  d'Oliver.  Ainfi  ,  je  crois  que  Ja 
véritable  raifon  de  la  différence  de  ces  fa- 
çons de  parler  doir  fe  tirer  du  iens  indi- 
viduel &  défini ,  qui  feul  admet  Tarticle, 
&  du  fens  fpccifiquc  indéfini  &  qualifica- 
tif, qui  n'eft  jamais  précédé  de  i  article. 

Les  éclairciflemcnb  que  Ton  vient  de 
donner  pouront  fervir  à  réfoudre  les  prin- 
cipales difficultés  que  Ton  pouroit  avoir 
au  fujet  des  articles.  Cependant ,  on  croie 
devoir  encore  ajouter  ici  des  exemples 
<jui  ne  feront  point  inutiles  dans  les  cas 
pareils. 

Noms  conjlruits  fans  prénom  ni  prépoji" 
tiouj  à  la  fuite  d'un  verbe  dont  ils  font 
le  complément. 

Souvent  un  nom  eft  mis  fans  prénom 
.  ni  prépofition  après  un  verbe  qu'il  déter- 
mine -,  ce  qui  arrive  en  deux  occafîons  : 
i.""  parceque  le  nom  eft  pris  alors  dans  un 
fens  indéfini,  comme  quand  on  dit,  liai-- 
me  à  faire  plaifr^  à  rendre  fervice  ;  car 
il  ne  s'agit  pas  alors  d  un  tel  plaifîr ,  ni  d  un 


\ 


4^S  Principes 

tel  fervice  particulier,  en  ce  cas  on  diroit ^ 
faites-moi  ce  ou  le  plaijir  ;  rendez-moi  ce 
fervice  3  ou  le  fervice  y  ou  un  fervice  ^  qui , 
&c.  2.^  Cela  fe  fait  auffi  fouvent  pour  abré- 
ger 5  par  ellipfe  ,  ou  dans  des  façons  de 
parler  familières  &  proverbiales  ;  ou  enfin 
parceque  les  deux  mots  ne  font  qu'une 
forte  de  mot  compofé  :  ce  qui  fera  facile 
à  démêler  dans  les  exemples  fuivans  : 

Avoir  faim^  fiif  ^  dejfein  j  honte  j^ 
coutume  ^ pitié ^  compajfion  j  froid j  chaud j 
maljy  befoin  ^  part  au  gâteau  j  envie  j  8cc. 

Chercher  fortune  j  malheur. 

Courir  fortune  ^  rifque. 

Demander  raifon  j  vengeance  j  grâ* 
ce  J  pardon  ^juflice. 

Dire  vrai  j  faux  ^  matines  ^  vêpres. 

Donner  prife  j  jour^  parole  j  avis  j 
caution  ^  quittance  j  atteinte  _,  &c. 

ECHAPER.  Il  l'a  échapé  belle;  c'eft- 
à-dire  5  peu  s'en  efl  fallu  quil  ne  lui  foie 
arrivé  quelque  malheur. 

Entendre  raifon^  raillerie  j malice j 
yêpres  j  Sec. 

Faire 


de  Grammaire:  ^^9 

Faire  vie  qui  dure  ^  bonne  chère  ^  e/2- 
yie  y  corps  neuf  ^  réflexion  j  honte  ^  hon^ 
neur  jpeurjf/aiflrj  cas  de  quelqu'un  j  al- 
liance jy  marché ^  argent  de  tout  ^  provifion^ 
Jkmblant  ^  route  ^  front  ^  face  ^  difficulté. 

Gagner  pays  j  gros. 

Mettre  ordre  ^  fin. 

Parler  vrai^  raifon  j  bonfens^ladnj 
francois  j  8cc* 

Porter  envie  j  témoignage  ^  <:oup  ^ 
bonheur  j  malheur  ^  compajjion^ 

Prendre  garde  j  patience  j  féance  j 
médecine  j  congé  j  confeil  j  langue  j  &c. 

Rendre  fervice  ^  amour  pour  amour j 
^ifi^^  J  gorge  J  &c 

Savoir  lire  ^  vivre  ^  chanter  j  Sec. 

Tenir  parole  j  prifon^  bon  ^  ferme* 
Ces  adjedtifs  font  pris  adverbialement. 

Noms  ccnjlruits  avec  une  prépofition  fans 
article^ 

Les  noms  d'efpèce  qui  font  pris  felou 
leur  fîmple  fignification  fpécifique ,  fe  con- 
firuifèot  avec  une  prépofition  fans  article* 

li 


470  Principes 

Change^  ces  pierres  en  pains.  Véiuca-- 
tion  que  le  père  £  Horace  donna  àfonfils 
ejl  digne  d'être  prife  pour  modèle.  A  Ro- 
me j  à  Athènes  j  à  bras  ouverts.  Il  efi  ar- 
rivé à  bon  port  j  à  minuit.  Il  ejl  à  jeun.  A 
Dimanche:,  à  Vêpres.  Tout  ce  que  VEf- 
pagne  a  nouri  de  vaillans.  Vivre  fans 
pain.  Une  livre  de  pain.  Il  na  pas  de 
pain.  Un  peu  de  pain.  Beaucoup  de  pain.. 
Une  grande  quantité  de  pain. 

J'ai  un  coquin  de  frère ^cçk-^ràiTt  ^  qui 
efi  de  Vefpèce  de  frère  _,  comme  on  dit , 
quelle  efpèce  d'homme  êtes-vous.  Térence 
a  dit  j  Quid  hominis  j  Se  ailleurs ,  Quid 
monjlri. 

Remarquez  qiie  dans  ces  exemples ,  le 
qui  ne  fe  raporte  point  au  nom  fpécifique, 
mais  au  nom  individuel  qui  précède.  Ctfi 
un  bon  homme  de  père  qui  ;  le  qui  fe  ra^ 
porte  à  bon  homme. 

Se  conduire  par  fentiment  ;  parler  avec 
cfpritj  avec  grâce  ^  avec  facilité  ;  agir 
par  dépit  ^  par  colère  j  par  am^urj  parfois 


de  Grammaire.  471 

En  fait  de  phyjiquc  y  on  donne  fouvenc 
des  mots  pour  des  chofes.  Phyjîque  elt  pris 
dans  un  fens  fpécifique  qualificatif  d^  fait. 
A  l'égard  de  on  donne  des  mots  ^  c'eft  le 
fens  individuel  partitif.  Il  y  a  ellipfe.  Le 
régime  ou  complément  immédiat  du  verbe 
donner  eft  ici  fous-entendu  ;  ce  que  Ton 
entendra  mieux  par  les  exemples  fuivans. 

Noms  conjlrults  avec  V article  ou  prénom  ^ 
fans  prépojition. 

Ce  que  j'aime  le  mieux  ^  cejl  le  pain  j 
(  individu  fpécifique  ).  Jpporte:^  le  pain; 
voila  le  pain^  qui  eft  le  complément  im- 
médiat ou  régime  naturel  du  verbe.  Ce 
qui  fait  voir ,  que  quand  on  dit ,  apporte^ 
ou  donne:^-moi  du  pain  _,  alors  il  y  a  ellipfc. 
Donne'^-moi  une  portion  _,  quelque  chofc 
du  pain.  Ceft  le  fens  individuel  partitif. 

Tous  les  pains  du  marché  ^  ou  colIed:i- 
vement ,  Tout  le  pain  du  marché  ne  fuffi- 
roit  pas  pour  ^  &c. 

I>onne^'moi  un  pain.  Emportons  quel* 
dj^s  pains  pour  k  yoyiêig^. 

1  i  1 


47^  Principes 

Noms  conjlruîts  avec  la  prépojition  & 
^article. 

Donne\  -  moi  du  pain  j  c'eft-à-dire ,  de 
le  pain.  Encore  un  coup  ,  il  y  a  ellipfe 
dans  les  phrafes  pareilles.  Car  la  chofe  don- 
née fe  joint  au  verbe  donner  fans  le  fe- 
cours  d'une  prépofition.  Ainfi ,  donne^-^ 
moi  du  pain  ^  c'eft ,  donne:^  -  mol  quelque 
chofe  de  le  pain  j  de  ce  tout  fpécifique  in- 
dividuel qu'on  appelle  pain.  Le  nombre 
des  pains  que  vous  ave^  apporté  nefi  pas 
fuffifant. 

Voila  bien  des  pains  j  de  les  pains  ;  in- 
dividuellement ,  c'eft-à-dire  ,  confidérés 
comme  faifant  chacun  un  être  à  part. 

Remarques  fur  Vu f âge  de  V article  j  quand 
l^ adjectif  précède  le  fubflantlf  ^  0U 
quand  II  ejl  après  le  fubflantlf 

Si  un  nom  fubftantif  eft  employé  dans 
le  difcours  avec  un  adjeâ:if ,  il  arrive  ou 


de  Grammaire.        47  j 

que  radjedlif  précède  le  fubftantif ,  ou 
qu'il  le  fuir. 

Uadjedtif  neft  féparé  defon  fubftantif  y 
que  lorfque  le  fubftantif  eft  le  fujet  de  la 
prépofîtion,  &  que  radjedif  en  eft  affir- 
mé dans  Tattribut.  Dieu  ejl  le  tout-puijfant^ 
Dieu  eft  le  fujet;  tout  - puijfant j  qui  eft 
dans  Tattribut,  en  eft  féparé  par  le  verbe 
ejij  qui  félon  notre  manière  d'expliquer 
la  propofition ,  fait  partie  de  Tattribur* 
Car  ce  n'eft  pas  feulement  tout  -  -puisant 
que  je  juge  de  Dieu  }  }'en  juge  qu'il  eft , 
qu'il  exifte  tel. 

Lorfqu  une  phrafe  commence  par  un 

adjedif  feul,  par  exemple ,  S  avant  en  Van 

de  régner  ^  ce  prince  fejît  aimer  de  fes  fu-- 

jets  &  craindre  de  fes  voijins;  il  eft  évident 

qu'alors  on  fous-entend  >  ce  prince  qui  étoit 

favantj8cc.  Mnfifavanten  V  art  de  régner ^ 

eft  une  propofition  incidente ,  implicite ,. 

je  veux  dire  ,  dont  tous  les  mots  ne  font 

pas  exprimés.  En  réduifant  ces  proportions 

à  la  conftrudion  fimple,  on  voit  qu'il  n'y 

a  rien  contre  les- règles  \  &  que  fi  dans  la 

li3 


474  Principes 

conftrudion  ufuelle  on  préfère  la  façor>  de 
parler  elliptique ,  c*eft  que  lexpreffioii er^ 
€ft  plus  ferrée  &  plus  vive. 

Qiiand le fubftantif  &  ladjeâif  foht  en- 
fcmble  le  fujet  de  la  propofition  ,  ils  for- 
ment un  tout  inféparable.  Alors  les  prépo- 
sitifs fe  mettent  avant  celui  des  deux  qui 
commence  la  phrafe.  Ainlî  on  dit  : 

I .°  Dans  les  proportions  univerfelles  i 
Tout  homme  j  chaque  homme  j  tous  les 
hommes  ^  nul  homme  ^  aucun  homme. 
.  x.^  Dans  les  propofitions  indéfinies: 
Les  Turcf^  les  Perfans^  les  hommes  fa^ 
vans  j  les  favans  philofophes. 

5.^  Dans  les  proportions  particulières: 
Quelques  hommes  ^  certaines  perfonnes 
foutiennent ^  &c.  Un  f avant  m'' a  dit;  des 
favans  m^ont  dit  j  en  fous  -  entendant 
quelques-uns  j  aucuns  j  ou  de  favans  phi-* 
lofophesj  en  fous  -  entendant  ^  un  certain 
nombre  ^  ou  quelqu'autre  mot. 

4.^  Dans  les  proportions  (îngulières  :  Le 
foleil  efl  levé  :  la  lune  eji  dans  fon  plein  ^ 
cet  homme  j  cette  femme  ^  ce  livre. 


\ 


de  Grammaire.         475 

Ce  que  nous  venons  de  dire  des  noms 
qui  font  fujets  d'une  propolition ,  fe  doit 
auflî  entendre  de  ceux  qui  font  le  complé- 
ment immédiat  de  quelque  verbe  ou  de 
quelques  prépofirions  :  Détejions  tous  Ici 
vices  j  pratiquons  toutes  les  vertus  ^  &c. 
Dans  le  ciel  y  fur  la  terre  j  &c* 

J'ai  dit  le  complément  immédiat  :  j^en- 
tens  par-là  tout  fubftantif  qui  fait  un  fens 
avec  un  verbe  ou  une  prépoiîtion  ,  (ans 
qu'il  Y  ait  de  mot  fous-entendu  entre  l'un 
&  l'autre.  Car  quand  on  dit ,,  Kous  aime:^^ 
dus  ingrats  y  des  ingrats  n'eJÏ  pas  le  com- 
plément immédiat  de  aime:^.  La  conftru- 
étion  entière  eft ,  F'ous  aime^  certaines 
perfonneSy  qui  font  du  nombre  des  ingrats j^ 
ou  quelques  -  uns  des  ingrats  j  de  les  in^ 
grats.  Ainfi  des  ingrats  énonce  une  par- 
tition, c'eft  un  fens  partitif.  Nous  en  av>ons 
fbuvent  parlé. 

Mais  dans  Time  ou  dans  Tautre  de  ces 
deux  occafions  3  c'eft-à-dire ,  1.^  quand 
Tadjeâif  &  le  fubftantif  font  le  fujet  de 

la  propofition;  2.°  ou  qu'ils  (ont  le  con^^ 

Ii4 


47^  Principes 

plément  d'un  verbe  ou  d'une  prépofîtîoiii 
en  quelles  occafions  faut-il  n'employer  que 
cette  iîmple  prépofîtion ,  8c  en  quelles  oc- 
.  cafions  faut-il  y  joindre  l'article,  &  dire 
du  ou  de  le  j  ôc  des  j  c'eft-à-dire ,  de  les  ? 

La  Grammaire  générale  dit  (  pag.  54) 
c^ avant  les  fuhjlantifs  on  dit  Des  j  des 
animaux  ^  &  qu'o/2  dit  De  quand  Fad^ 
jeclif  précède  ^  de  beaux  lits. 

Mais  cette  règle  n'eft  ps  générale.  Car 
dans  le  fens  qualificatif  indéfini  on  fe  fert 
de  la  fîmple  prépofîtion  de^  même  devant 
le  fubftantif  5  fur-tout  quand  le  nom  qua- 
lifié eft  précédé  du  prépofîtif  ^/z  j  &  on  fe 
fert  de  des  ou  de  les  ^  quand  le  mot  qui 
qualifie  eft  inviduel:  Les  lumières  des  phi^ 
lofophes  anciens  ^  ou  des  anciens  philofo^ 
phes. 

Voici  une  lifte  d'exemples,  dont  le  lec* 
teur  judicieux  poura  faire  ufage,  &  Ju* 
ger  des  principes  que  nous  avons  établis. 


les  oavrages  de  Cicéroti  f     Les  ouvrages  de  CîcéroA 
font  pleins  des  idées  Us  plus  |  font  pleins  d'idées  faines^ 
faines.  (  de  les  idées  ).  | 


de  Grammaire. 


A17 


Voila  îdus  dans  le  feus 
individuel. 

Faites-vous  des  principes, 
Cdi  le  fens  individuel. 


toéfai tes- vous  des  préju- 
gés de  Tenfance. 

Cet  arbre  porte  des  fruits 
txcellens. 

Les  efpèces  différentes  des 
cnimaux  qui  font  fur  la  terre. 
(  fens  individuel  univerfel  ) . 

Entrez  dans  le  détail  des 
règles  d'une  faine  dialecti- 
que. 


Ces  raifons  font  des^on* 
jeâures  bien  foibles. 

T^kcdes  mots  nouveaux. 

Choiiîr  des  fruits  excel' 
lens. 

Chercher  des  détours. 


Se  fervîr''<£<r5  termes  établis 
par  Tufage. 

Evitez  Pair  de  V affecta- 
tion. (  fens  individuel  méra- 
phyfique). 

Charger  fa  mémoire  des 
fkrafes  de  Cicéron. 

Difcôurs  foutenus  par  des 
âxprejfions  fortes. 


Idées  faines  cft  dans  le 
fens  fpécifique  indéfini ,  gêné» 
rai  de  forte. 

Nos  connoilîànces  doivent 
être  tirées  de  principes  évi-*^ 
dens. 

Sens  fpécifique  :  où  vous 
voyez  que  le  fubftantif  pré* 
cède. 

N*avez-vous  point  de  prc" 
jugé  fur  cette  queftion. 

Cet  aibre  porte  d'exceU 
lens  fruits,  (  fens  de  forte  ). 

Il  y  a  différentes  efpeccs 
d'animaux  fur  la  terre. 

Différentes  fortes  depoif* 
fons ,  &c. 

Il  entre  dans  un  grand  dé- 
tail de  règles  frivoles. 

Voila  le  fubftantif  qui  pré- 
cède. C'efi:  le  fens  fpécifique 
indéfini.  On  ne  parle  d*aucu- 
nes  règles  particulières.  C'ell 
le  fens  de  forte. 

Ces  raifons  font  de  foi'i 
blés  conjectures. 

Faire  de  nouveaux  mots. 

Choiiîr  d*  ex  cellens fruits: 

Chercher  de  longs  détours 
pour  exprimer  les  chofes  les 
plus  aifées. 

Ces  exemples  peuvent  fer» 
vir  de  modèles. 

Evitez  tout  ce  qui  a  un  ait 
d'affectation. 

Charger  fa  mémoire  dt 
phrafes. 

Difcôurs  foutenus  par  d€ 
viyci  expreffions. 


47» 


Principes 


Plein  des  fentimens  les 
plus  beaux. 

Il  a  recueilli  des  préceptes 
pour  ia  langue  &  pour  la 
morale. 

Servez  -  vous  des  fignes 
Àowx.  nous  fommes  convenus. 

Le  choix  des  études. 

Les  connoifïànces  ont  tou- 
jours cté  l'objet  de  Vejlime  _, 
des  louanges  &  de  Vadmi- 
ration  des  hommes. 

Les  richejfes  de  refprit  ne 
peuvent  être  acquifes  que  par 
l'étude. 

Les  biens  de  la  fortune 
font  fragiles. 

L'enchaînement  des  preu' 
ves  fait  qu'elles  plaifent  & 
qu'elles  perfuadent. 

Ceft  par  la  méditation  Tur 
ce  qu'on  lit  qu'on  acquiert 
des  connoijfances  nouvelles. 

Les  avajitages  de  la  mé- 
moire, 

La  mémoire  dts  faits  cft 
la  plus  brillante. 

La  mémoire  eft  le  tréfbr  dt 
Vefprit  y  le  fruit  de  /'atten- 
tion &  de  la  réflexion. 

Le  but  des  bons  maîtres 
doit  être  de  cultiver  l'efprit 
de  leurs  difciples. 

On  ne  doit  propofer  des 
difficultés  que  pour  faire 
triompher  la  vérité. 


Plein  de  fintimens. 

Plein  de  grands  fenti^ 
mens. 

Recueil  de  préceptes  fouz 
la  langue  6c  pour  la  morale. 

Nous  Tommes  obligés  d'u 
fer  de  fignes  extérieurs  pour 
nous  faire  entendre. 

Il  a  fait  un  choix  de  livres 
qui  font ,  &c. 

Ceft  un  fujet  d'ejîime  ,  do 
louanges  &  d'admiration. 


Il  y  a  au  Pérou  une  abon- 
dance prodigieufé  de  richef* 
fes  inutiles. 

Des  biens  de  fortune. 

Il  y  a  dans  ce  livre  urt 
admirable  enchaînement  de 
preuves  folides,  (  fens  de 
forte  ). 

C'cift  par  la  méditation 
qu'on  acquiert  de  nouvelles 
connoijfances. 

Il  y  a  différentes  fortes  de 
mémoire. 

Il  n'a  qu'une  mémoire  de 
faits ,  &  ne  retient  aucun 
raifonnement. 

Préfcnce  d*efprit.  La  mé- 
moire d'efprit  &  de  raifott 
eft  plus  utile  que  les  autres 
fortes  de  mémoire. 

11  a  un  air  de  maître  qui 
choque. 

Il  a  fait  un  recueil  de  dif 
f cultes,  dont  il  cherche  U 
fglution. 


de  Grammaire.         47^ 


le  goût  des  hommts  eft 
fi^ec  à  dos  viciilicudes. 


Il  n'a  pas  befoin  de  la  le- 
fo/ique  V01I5  voulez,  lui  don» 
lier. 


Une  fociété  d*hommc& 
ckoijis  :  {d'hommes  choijif 
qualifie  la  fociétc  adjc(flivc* 
ment). 

Ce  far  n'eut  pas  bcfoiai 
d'exemple. 

Il  n'a  pas  befoin  de  leçons» 


Remarque. 
Lorfque  le  fubftantif  précède ,  comme 
il  fîgnifie  par  lui-même  ,  ou  un  être  réet 
ou  un  être  métaphyfique  confidéré  par 
imitation  5  à  la  manière  des  êtres  réels,  il 
préfeiite  d  abord  à  refprit  une  idée  d'in- 
dividualité d'être  féparé  exiftant  par  lui- 
même  ;  au  lieu  que  lorfque  Fadjedif  pré- 
cède 5  il  offre  à  Tefprit  une  idée  de  quali- 
fication 5  une  idée  de  forte  ,  un  fens  ad- 
jeâif.  Ainfi  larticle  doit  précéder  le  fub- 
ftantif :  au  lieu  qu'il  fuffit  que  la  prépofî- 
tion  précède  Tadjedif ,  à  moins  que  l'ad- 
jeftif  ne  ferve  lui-même  avec  le  fubftantif 
à  donner  Tidée  individuelle, comme  quand^ 
on  dit  :  Les  favans  hommes  de  l'antiquité: 
lefentiment  des  grands philofophes  de  Van-- 
tiqulté  ^  des  plus  favans  philofophes.  On 
a  fait  la  defcription  des  beaux  lits  qu'on 
envoie  en.  Portugal. 


4^0  Principes 

Reflexions    sur   cette  Règle 
de  M.  de  Vaugelas  : 

Qjuon  ne  doit  point  mettre  de  relatif  après 
un  nom  fans  article. 

L'auteur  de  la  Grammaire  générale  a 
examiné  cette  règle  (  II  partie  ^  ch.  i  o  )• 
Cet  auteur  paroît  la  reftreindre  à  Tufage 
préfent  de  notre  langue.  Cependant  5  de 
la  manière  que  je  la  conçois  >  je  la  crois  de 
toutes  les  langues:^  &  de  tous  les  temps. 

En  toute  langue  &  en  toute  conftru- 
£tion  5  il  y  a  une  juftefle  à  obferver  dans 
l'emploi  que  Ton  fait  des  fignes  deftinés  par 
Tufage  pour  marquer  non  -  feulement  les 
objets  de  nos  idées,  mais  encore  les  diffé- 
rentes vues  fous  lefquelles  Tefprit  confî- 
dère  ces  objets.  L'article ,  les  prépofîtions> 
les  conjondions ,  les  verbes  avec  leurs  dif- 
férentes inflexions ,  enfin  tous  les  mots  qui 
ne  marquent  point  des  chofes ,  n'ont  d'au- 
tre deftination  que  de  faire  connoître  ces 
différentes  vues  de  Tefprit. 

D'ailleurs ,  c'eft  une  règle  des  plus  corn* 


de  Grammaire:         '48  ii 
tîiunes  du  raifonnement ,   que  lorfqu'au 
commencement  du  difcours  on  a  donné  à 
un  mot  une  certaine  fîgnification  ,  on  ne 
doit  pas  lui  en  donner  une  autre  dans  la 
fuite  du  même  difcours.  Il  en  eft  de  mê- 
me par  raport  au  fens   grammatical.  Je 
veux  dire  >  que  dans  la  même  période  5  un 
mot  qui  eft  au  fingulier  dans  le  premier 
membre  de  cette  période  ,  ne  doit  pas 
avoir  dans  l'autre  membre  un  corrélatif  ou 
adjeétif  qui  le  fuppofe  au  plurier.  En  voici 
nu  exemple ,  tiré  de  la  Princejfe  de  Clèves^ 
(tom.  2  5  p.  1 1 9)  :  M.  de  Nemours  ne  laijfoit 
échaper  aucune  occajîon  de  voir  Madame 
de  Clèvesjfans  laijfer  paroure  néanmoins 
quil  les  cherchât.  Ce  les  du  fécond  mem- 
bre étant  au  plurier,  ne  devoir  pas  être 
deftiné  à  rappeller  occajîon^  qui  eft  au  fin- 
gulier  dans  le  premier  membre  de  la  pério* 
de.  Par  la  même  raifon ,  (î  dans  le  premier 
membre  de  la  phrafe  5  vous  m'avez  d'abord 
préfenté  le  mot  dans  un  fens  fpécifique, 
c*eft-à-dire 5  comme  nous  Tavons  dit,  dans 
uu  fens  qualificatif  adjedif ,  vous  ne  dcvc* 


4^2.  Principes 

pas,  dans  le  membre  qui  fait,  donner  à  ce 
mot  un  relatif,  parceque  le  relatif  rappelle 
toujours  l'idée  d'une  perfonne  ou  d'une 
chofe  5  d'un  individu  réel  ou  métaphyfî- 
que ,  &  jamais  celle  d'un  fimple  qualifica- 
tif, qui  n'a  aucune  exiftence,  &  qui  n'eft 
que  mode.  C'eft  uniquement  à  un  iubftan- 
tif,  ou  à  un  adjedtif  confidéré  comme  fub- 
ftantif  5  &  non  comme  mode ,  que  le  qui 
peut  fe  raporter.  L  antécédent  de  qui  doit 
être  pris  dans  le  même  fens ,  auffi-bien  dans 
toute  l'étendue  de  la  période ,  que  dans 
toute  la  fuite  du  fyllogîfme. 

Ainfi ,  quand  on  dit  jll  a  eu  re^u  avec 
pvlitejfe  ^  ces  deux  mots ,  avec  poUteJfe^ 
font  une  ^xpreflîon  adverbiale ,  modifica- 
tivc ,  adjedive ,  qui  ne  préfente  aucun  être 
réel  ni  métaphyiîque.  Ces  mots  avec  poli-- 
tejfe  ne  marquent  point  une  telle  politeflc 
individuelle.  Si  vous  voulez  marquer  une 
telle  politefle>  vous  avez  befoin  d'un  pré- 
pofîtif  qui  donne  à  politejfe  un  (cns  indivi- 
duel, réel,  foitiiniverfel,foit particulier j 
(bit  fmgulier  5  alors  le  qui  fera  fon  office^ 


de  Grammaire:         485 

Encore  un  coup ,  avec  politejfe  efl:  une 
ôxpreflîon  adverbiale.  C  eft  l'adverbe /7o/i- 
ment  décompofé. 

Or ,  ces  fortes  d'adverbes  font  abfolus , 
ceft-à-dire,  qu'ils  n'ont  ni  fuite  ni  com- 
plément :  &  quand  on  vClit  les  rendre  re- 
latifs 5  il  faut  ajouter  quelque  mot  qui  mar- 
que la  corrélation.  //  a  été  reçu  si  poU^ 
ment  que  ^  8cc.  Il  a  été  reçu  avec  TANT 
de  politejfe jy  que ,  &c  :  ou  bien ,  avec  UNE 
politejfe  quîj  &c. 

Ainiî  5  je  crois  que  le  fens  de  la  règle 
de  Vaugelas  eft  que  ,  lorfqu'en  un  pre- 
mier membre  de  la  période  un  mot  eft 
pris  dans  un  fens  abfolu ,  adjeétivement 
ou  adverbialement,  ce  qui  eft  ordinaire- 
ment marqué  en  françois  par  la  fuppref- 
fion  de  l'anicle ,  &  par  les  circonftances , 
on  ne  doit  pas  ,  dans  le  membre  fuivant , 
ajouter  un  relatif,  ni  même  quelqu  autre 
mot  qui  fuppoferoit  que  la  première  cx- 
preffion  auroit  été  prife  dans  un  fens  fini 
&  individuel ,  foit  univerfel ,  foit  panicu'» 
lier  ou  fîngulicr.  Ce  feroit  tomber  dans 


484  Principes 

le  fophifme  que  les  Logiciens  appellent  i 
Pajfcr  de  Vefplcc  à  l'individu  ;  pajjcr  du 
général  au  particulier. 

Ainfi  5  je  ne  puis  pas  dire ,  V homme  ejl 
animal  qui  raifonne  j  parceque  animal ^ 
dans  le  premier  membre,  étant  fans  arti- 
cle, eft  un  nom  d'efpèce  pris  adjedtivc- 
lîient  &  dans  un  fens  qualificatif.  Or ,  qui 
raifonne  ne  peut  fe  dire  que  d'un  individu 
réel  qui  eft  ou  déterminé  ou  indéterminé  > 
c'eft- à-dire  pris  dans  le  fens  particulier 
dont  nous  avons  parlé.  Ain(î  je  dois  dire. 
L'homme  eji  lefeul  animal ^  ou  un  animal 
qui  raifonne. 

Par  la  même  raifon,  on  dira  fort-bien, 

//  na  point  de  livre  qu'il  n'ait  lu.  Cette 

propofition  eft  équivalente  à  celles-ci  :  // 

n'a  pas  un  feul  livre  qu'il  n'ait  lu.  Cha^ 

que  livre  quil  a^  il  l'a  lu.  Il  n'y  a  point 

d'injufice  qu'il  ne  commette  ;  c'eft-à-dire , 

Chaque  forte  d'injujlice  j  il  la  commet. 

Ejl'il  ville  dans  le  royaume  qui  foit plus 

cbéijfante?  ccd-a-dite  y  Efl-il  dans  le 

royaume  quelqu  autre  yillc  ^  une  ville  qui 

foit 


de  Grammaire:  485 

fcit  plus  ohéijfante  que?  &c.  //  n'y  a 
homme  qui  fâche  cela  ;  aucun  homme  ne 
fait  cela. 

Ainfî,  ceft  le  fens  individuel  qui  auto- 
tife  le  relatif  5  &  c  eft  le  fens  qualificatif 
adjedif  ou  adverbial  qui  fait  fupprimer  l'ar- 
ticle 5  la  négation  n  y  fait  rien  ,  quoi  qu'en 
dife  Fauteur  de  la  Grammaire  générale.  Si 
Ton  dit  de  quelqu'un  qu'il  agit  en  roi^ 
en  père  ^  en  ami  ^  &  qu'on  prenne  roi  j 
pèrcj  amûjy  dans  le  fens  fpécifique  5  &  félon 
toute  la  valeur  que  ces  mots  peuvent  avoir  j 
on  ne  doit  point  ajouter  le  qui.  Mais  fi  les 
circonftances  font  connoître  qu'en  difant 
roi  :y  père  j  ami^  on  a  dans  l'efprit  l'idée 
particulière  de  tel  roi  ^y  de  tel  père  j  de  tel 
ûmij  &  que  Texpreffion  ne  Toit  pas  con- 
facrée  par  Tufage  au  feul  fens  fpécifique  ou 
adverbial ,  alors  on  peut  ajouter  le  qui  : 
Il  fe  conduit  en  père  tendre  qui  :  car  c'eft 
autant  que  fi  l'on  difoit ,  comme  un  père 
tendre.  C'eft  le  fens  particulier ,  qui  peut 
recevoir  enfuite  une  détermination  fingu^ 
lière* 

Kk 


48^  Principe^ 

Il  ejl  accablé  de  maux  j  c'eft-à-dire  5  de 
maux  particuliers  j  ou  de  dettes  particu-- 
litres  quij  &c.  Une  forte  de  fruits  qui  ^ 
&c.  Une  forte  tire  ce  mot  fruits  de  la  gé- 
îiéralité  du  nom  fruit.  Une  forte  t^  un  in- 
dividu fpécifique  ^  ou  uti  individu  colIe6tif# 
Ainfi)  je  crois  que  la  vivacité,  le  feu, 
renthoufiafme  5  que  le  ftyle  poétique  de- 
mande ,  ont  pu  autorifer  Racine  à  dire 
(Efther,  Ad.  2  ,  Se.  8  ).  Nulle  paix  pour 
r impie  :  il  la  cherche  j  elle  le  fuit.  Mais 
cette  expreiîîon  ne  feroit  pas  régulière  en 
profe  5  parceque  la  première  proposition 
étant  univerlelle  négative  ,  &   où   nulle 
emporte  toute  paix  pour  Timpie,  les  pro- 
noms la  &  elle  des  propofitions  qui  fui"» 
vent  5  ne  doivent  pas  rappeller  dans  un  fens 
affirmatif  &  individuel ,  un  mot  qui  a  d Sa- 
bord été  pris  dans  un  fens  négatif  univerfel* 
Peut-être  pouroit-on  dire ,  Nulle  paix  qui 
foit  durable  nejl  donnée  aux  hommes  :  mais 
on  feroit  encore  mieux  de  dire  :  Une  paix 
durable  neji  point  donnée  aux  hommes. 
Telk  cil  la  juftelTe  d  efprit,  &  la  prc- 


àc  Crammaire.         48^ 

•éînon  que  nous  demaiîdons  dans  ceux  qui 
veulent  écrire  en  notre  langue ,  &  même 
dans  ceux  qui  la  parlent.  Ainlî  5  on  dit 
abfolument  dans  un  fens  indéfini ,  Se  don- 
ner  en  fpcctacle  ^  avoir  peur  ^  avoir  pitié  y 
un  efprît  de  parti  j  un  efprit  d\rreur.  Ovi 
ne  doit  donc  pas  ajouter  enfuite  à  ces 
fubftantifs,  pris  dans  un  fens  général,  des 
adjedifs  qui  les  fuppoferoient  dans  un  fens 
fini ,  &  en  feroient  des  individus  métaphy- 
fîques.  On  ne  doit  donc  point  dire,  Se 
donner  en  fpeclacle  funejle  ^  ni  un  efprit 
d^ erreur  fatale  ^  de  fécurité  téméraire  ^  ni 
4LVoir  peur  terrible.  On  dit  pourtant  avoir 
^rand^ peur  j  parcequ'alors  cet  adjectif 
grand  j  qui  précède  fon  fubftantif,  &  qui 
perd  même  ici  fa  terminaifon  féminine ,  ne 
fait  qu  un  même  mot  avec  peur  jy  comme 
dans  grand" mejfe  _,  grand'mère.  Par  le  mê** 
me  principe ,  je  crois  <ju'un  de  nos  auteurs 
îi'a  pas  parlé  exadtemenr ,  quand  il  a  dit  (  i  ) , 
Ociavien  déclare  en  plein  fénatj  qu  il  veut 


(î)  Le  P.  Sanadon^  f^ie  d^Horact  y  pag.  47» 


488  Principes 

lui  remettre  le  gouvernement  de  la  répuMU 
que.  En  plein  fénat  eft  une  circonftance  de 
lieu  :  c'eft  une  forte  d  expreffîon  adverbia- 
le, on  fénat  ne  fe  préfente  pas  fous  l'idée 
d*un  être  perfonifié.  C'efl:  cependant  cette 
idée  que  fuppofe  lui  remettre.  Il  falloit 
dire,  Oclavien  déclare  au  fénat  affemblé  y 
quil  veut  lui  remettre  j  &g.  ou  prendre 
quelqu  autre  tour. 

Si  les  langues  qui  ont  des  articles  ont  un 
avantage  fur  celles  qui  nen  ont  point. 

La  perfection  àt%  langues  confîftê  prin- 
cipalement en  deux  points.  i.°  Avoir  une 
alTez  grande  abondance  de  mots  pour  fuf- 
fire  à  énoncer  les  ditïérens  objets  des  idées 
que  nous  avons  dans  Tefprit.  Par  exemple  ^ 
en  latin  ,  regnum  fîgnifîe  royaume  ;  c'eft 
le  pays  dans  lequel  un  fouverain  exerce 
fon  autorité.  Mais  les  Latins  n*ont  point  de 
nom  particulier  pour  exprimer  la  durée  de 
l'autorité  du  fouverain.  Alors  ils  ont  re»- 
cours  à  la  périphrafe.  Ainfi,  pour  dire^ 
fous  k  îègnc  d'AuguJle  >  ils  dzfcnt  Impc- 


de  Grammaire.         4S9 

rame  C^farc  Augujlo  j  dans  le  temps 
quAuguJie  régnoit.  Au  lieu  qu'en  français 
nous  avons  royaume  ^  &  de  plus  règne.  La 
langue  françoife  n'a  pas  toujours  de  pareils 
avantages  fur  la  latine.  2.°  Une  langue  eft 
plus  pa.;rfaite ,  lorfqu'elle  a  plus  de  moyens 
pour  exprimer  les  divers  points  de  vue 
fous  lefquels  notre  efpric  peut  confidérer 
le  même  objet.  Le  rai  aime  le  peuple  j  & 
le  peuple  aime  le  roi.  Dans  chacune  de 
ces  phrafes  le  roi  &  le  peuple  lont  confî- 
dérés  fous  un  raport  différent.  Dans  la  pre- 
mière 5  c'eft  le  roi  qui  (^im^;  dans  la  fécon- 
de ,  c'eft  le  roi  qui  eft  aiméi  La  place  ou 
poiîtion  dans  laquelle  on  met  roi  &  peu- 
ple j  fait  connoître  Tua  &  l'autre  de  c^s 
points  de  vue. 

Les  prépofitifs  &  les  prépofitions  fer- 
vent aulîî  à  de  pareils  ufages  en  françois. 

Selon  ces  principes ,  il  paroît  qu'une 
langue  qui  a  une  forte  de  mots  de  plus 
qu'une  autre  3  doit  avoir  un  moyen,  de  plus 
pour  exprimer  quelque  vue  fine  de  l'efprif, 
^u'ainiî  les  langues  qui  ont  des  articles  ou 

K  k  3 


4^<^  Principes 

prépofitîfs,  doivent  s'énoncer  avec  plus, 
de  juftefTe  &  de  précifion  que  celles  qui 
n'en  ont  point.  L'article  le  tire  un  nom  de 
la  généralité  du  nom  d'efpèce ,  &  en  fait 
un  nom  d'individu  j  le  roi,  ou  d'individus» 
les  rois.  Le  nom.  fans  article  ou  prépofitif 
eft  un  nom  d'efpèce ,  ç'eft  unadjeftif.  Les 
Latins  >  qui   n'avoient   point   d'articles  ^ 
avoient  fouvent  recours  aux  adjectifs  dé- 
monftratifs.    Die   ut   lapides  ifti  panes 
fiant  :  Dites  que  ces  pierres  deviennent 
pains.  Quand  ces  adjectifs  manquent ,  les 
adjoints   ne  fuffifent  pas   toujours  pour 
mettre  la  phrafe  dans  toute  la  clarté  qu'elle 
doit  avoir  :  Si  films  Dei  es  ^  on  peut  tra< 
duire ,  Si  vous  êtes  fils  de  Dieu  y  &  voila 
fils  nom  d'eipèce;  au  lieu  quentraduifant 
Si  vous  êtes  le  fils  de  Dieuj  le  fils  eft  in- 
dividu. 

Nous  mettons  de  la  différence  eotre  ce^ 
quatre  expreflîons  :  i.fils  de  roi  ;  i.  fils 
d'un  roi  ;  l^fils  du  roi;  4.  le  fils  du  roi^ 
hnfils  de  roij  roi  eft  un  nom  d'elpccCf. 
qui  5  avec  la  prépaiîtion ,  n'cft  qu'un  qua- 


de  Grammaire.        491 

Jificatif.  2.  Fils  d'un  roi  ;  d'un  roi  eft  pris 
dans  le  fens  particulier  dont  nous  avons 
parlé,  c'eft  le  fils  de  quelque  roi.  3.  Fils 
du  roi  ;  fils  eft  un  nom  d'efpèce  ou  appel- 
latif  5  &  roi  eft  un  nom  d'individu  ^fils  de 
le  roi.  4.  Le  fils  du  roi  j  le  fils  marque  un 
individu.  Filius  régis  ne  fait  pas  fentir  ces 
difFérences. 

Etes-^vous  roi?  Etes-vous  le  roi?  Dans 
la  première  phrafe ,  roi  eft  un  nom  appel- 
latif  :  dans  la  féconde ,  roi  eft  pris  indivi- 
duellement» Rex  es  tu  ?  ne  diftingue  pas 
ces  diverfes  acceptions.  Nemo  fatis  gra^ 
tiam  régi  refert  (  i  )  _>  ou  régi  peut  fignifier 
au  roi  j  ou  à  un  roi. 

Un  palais  de  prince  j  eft  un  beau  palais 
qu'un  prince  habite ,  ou  qu'un  prince  pou- 
roit  habiter  décemment.  Mais  le  palais  du 
prince  (de  le  prince)  eft  le  palais  déterminé 
qu'un  tel  prince  habite.  Ces  différentes 
vues  ne  font  pas  diftinguées  en  latin  d'une 
manière  aulTî  fîmple.  Si ,  en  fe  mettant  à 

(i)  TércncC)  Phorm.  II >  i,  24. 

Kk4 


'492'  Principes 

table,  on  demande  le  pain jy  c*efi:  une  tota- 
lité qu'on  demande  :  le  latin  dira  da  oa 
affer  panem.  Si^  étant  à  table,  on  de^ 
mande  du  pain  j  c  eft  une  portion  de  ic 
pain  :  cependant  le  btin  dira  également 
panem. 

îl  eft  dit  au  fécond  chapitre  de  faint 
Matthieu,  que  les  Mages  s'étant  mis  en 
chemin  au  fortir  du  palais  d'Hérode ,  vi- 
dentés  Jiellam  ^  gaviji  funt  ;  &  intrantes 
domum  ^  invenerunt  puerum.  Voila  étoile ^ 
maifon^  enfant ^  fans  aucun  adjeâif  déter- 
minatif.  Je  conviens  que  ce  qui  précède 
fait  entendre  que  cette  étoile  eft  celle  qui 
avoit  guidé  les  Mages  depuis  TOrient',  que 
cette  maifon  eft  la  maifon  que  Tétoile  leur 
indiquoit ,  &  que  cet  enfant  eft  celui  qu'ils 
venoient  adorer.  Mais  le  latin  n'a  rien  qui 
préfente  ces  mots  avec  leur  détermination 
particulière.  Il  faut  que  Tefprit  fupplée  à 
tout.  Ces  mots  ne  feroient  pas  énoncés 
autrement,  quand  ils  feroient  noms  def 
pèce.  N'eft-ce  pas  un  avantage  de  la  lan* 
g^e  françoife^  de  ne  pouvoir  employer  cea 


de  Grammaire  495 

crois  mots  qu'avec  un  prépoiîtif  qui  faflè 
connoître  qu'ils  font  pris  dans  un  fens 
individuel  déterminé  par  les  eirconftan- 
ces?  Ils  virent  r étoile  ;  ils  entrèrent  dans 
la  maifon  ;  &  trouvèrent  V enfant. 

Je  pourois  raporter  plufieurs  exemples, 
qui  feroient  voir  que  lorfqu'on  veut  s'ex- 
primer en  latin  d'une  manière  qui  diftin- 
gue  le  fens  individuel  du  itw^  adjedif  ou 
indéfini ,  ou  bien  le  fens  partitif  du  kï\s 
total  5  on  eft  obligé  d'avoir  recours  à  quel- 
qu'adjedif  démonftratif,  ou  à  quelqu'au- 
tre  adjoint.  On  ne  doit  donc  pas  nous  re- 
procher que  nos  articles  rendent  nos  ex- 
prellîons  moins  fortes  &  moins  ferrées  que 
celles  de  la  langue  latine.  Le  défaut  de 
force  &  de  précifion  eft  le  défaut  de  l'écri- 
vain 3  &  non  celui  de  la  langue. 

Je  conviens  que  quand  l'article  ne  fert 
point  à  rendre  Texpreffion  plus  claire ,  & 
plus  précife  5  on  devroit  être  autorifé  à  le 
fupprimer.  J'aimerois  mieux  dire  >  comme 
lios  pères.  Pauvreté nefi pas  vicej  que  de 
(dire,  la  pauvreté  nejipas^  un  vke^  Il  y  a 


494  Principes 

plus  de  vivacité  &  d'énergie  dans  la  phrafe 
ancienne ,  mais  cette  vivacité  &  cette  éner- 
gie ne  font  louables,  que  lorfque  la  fup- 
preflîon  de  larticle  ne  fait  rien  perdre  de 
la  précifion  de  Tidée  >  &  ne  donne  aucun 
lieu  à  Tindétermination  du  fena. 

L'habitude  de  parler  avec  précifion,  de 
diftinguer  le  fens  individuel  du  fens  fpéci- 
fique  adjedif  &  indéfini ,  nous  fait  quel- 
quefois mettre  Tarticle  où  nous  pouvions 
le  fupprimer.  Mais  nous  aimons  mieux  que 
notre  ftyle  foit  alors  moins  ferré ,  que  de 
nous  expofer  à  être  obfcurs.  Car  en  géné- 
ral, il  eji  certain  (i)  que  l'article  mis  ou 
fupprimé  devant  un  nom  j  fait  quelquefois 
une  fi  grande  différence  de  fens  j  qu'on  ne 
peut  douter  que  les  langues  qui  admettent 
/^article ,  n  aient  un  grand  avantage  fur  la 
langue  latine  ^  pour  exprimer  nettement 
&  clairement  certains  raports  ou  vues  de 
Tefprit,  que  l'article  feul peut  défigner^ï^ns 
quoi  le  leâeur  eft  expofé  à  fe  méprendre. 

(i)Rcgnicr,  Grammaire^  pag,  ijz. 
\ 


de  Grammaire.  495 

Je  me  contenterai  de  ce  feul  exemple. 
Ovide  faifant  la  defcription  des  enchante- 
mens  qu'il  imagine  que  Médée  fit  pour 
rajeunir  Jafon  5  dit  que  Médée  (i)  Tcclis^ 
nuda  pedenij  egreduur.  Les  traducteurs 
inftruits  que  les  poètes  emploient  fouvent 
un  fîngulier  pour  un  plurier ,  figure  dont 
ils  avoient  un  exemple  devant  les  ieux  eu 
crincm  irroravit  aquis  (2)^  qui  fe  trouvent 
quelques  vers  plus  bas  •,  ces  tradu(^eurs , 
dis- je  5  ont  cru  qu'en  nuda  pedem  ^  pcdem 
éroit  aufïî  un  fingulier  pour  un  plurier-,  Se 
tous ,  hors  l'abbé  Banier ,  on  traduit  nuda 
pedcm^  par  ayant  les  pieds  nuds.  Ils  dé- 
voient mettre  ,  comme  l'abbé  Banier  » 
ayant  un  pied  nud.  C'étoit  efïeâ:ivement 
la  pratique  de  ces  magiciens,  dans  leurs 
preftiges,  d'avoir  un  pied  chauflfé ,  &  l'au- 
tre nud.  Nuda  pedem  peut  donc  fignifier 
ayant  un  pied  nud ^ou  ayant  les  pieds  nuds; 
Se  alors  la  langue ,  faute  d'anicles  5  manque 


(i)  Metam.  lib.  7,  v.  184. 


"49^  Principes 

de  préGifion ,  &  donne  lieu  aux  méprire^,. 
il  eft  vrai  que  par  le  fecours  des  adjedtits 
dérerminatifs,  le  latin  peut  (uppléer  au  dé^ 
faut  des  articles  :  &  c'eft  ce  que  Virgile  a 
fait  en  une  occaiîon  pareille  à  celle  dont 
parle  Ovide.  Mais  alors  le  latin  perd  le 
prétendu  avantage  d'être  plus  ferré  &  plus 
concis  que  le  françois. 

Lorfque  Didon  eut  recours  aux  enchaur 
temens,  elle  avoit  un  pied  nud,  dit  Vir- 
gile... (t).  Unum  cxuta  pedem  vind'is  ; 
Se  ce  pied  5  c'étoit  le  gauche,  félon  les 
commentateurs. 

Je  conviens  qu'Ovide  s'efl:  énoncé  d'une 
manière  plus  ferrée  >  nuda  pedem  ;  mais  il 
a  donné  lieu  à  une,  méprife.  Virgile  a  parlé 
comme  il  auroit  fait ,  s'il  avoit  écrit  eu 
françois  5  unwn  cxuta  ped^m^  ayant  un 
pied  nud.  Il  a  évité  l'équivoque ,  par  le 
fecours  de  l'adjedtif  indicatif  unum  ;  & 
ainfi  il  s'eft  exprimé  avec  plus  de  juftelu 
quOvide. 

(i)  Mneid.  lib,  4)  v.  ;i8. 


de  'Grammaire.         497 

En  un  mot ,  la  netteté  &  la  préciiïoa 
font  les  premières  qualités  que  le  difcours 
doit  avoir.  On  ne  parle  que  peur  exciter 
dans  refprit  des  autres  une  penfée ,  préci- 
fëment  telle  qu'on  la  conçoit.  Or ,  les  lan- 
gues qui  ont  des  articles ,  ont  un  inftru- 
ment  de  plus  pour  arriver  à  cette  fin  -,  & 
j'ofe  afTurer  qu'il  y  a  dans  les  livres  latins 
bien  des  paflàges  obfcurs,  qui  ne  font  tels 
que  par  le  défaut  d  articles  ;  défaut  qui  a 
fbuvent  induit  les  auteurs  à  négliger  les 
autres  adjectifs  démonftratifs ,  à  caufe  de 
l'habitude  où  étoient  ces  auteurs  d'énon- 
cer les  mots  fans  articles ,  &  de  laifïer  au 
ledeur  à  fuppléer. 

Je  finis  par  une  réflexion  Judicieufe  du 
P.  BufEer  (i).  Nous  avons  tiré  nos  éclair- 
ciflTemens  d'une  métaphyjîque  jy  peut-être 

un  peu  fubtile  3  mais  très-réelle ^ 

C'efi  ainji  que  les  fciences  fe  prêtent  mu^ 
tuellement  leurs  fecours.  Si  la  Métaphyjî-* 
^ue  contribue   à   démêler   nettement  des 

Il  I  I     — — — — n^ 

(i)  Grammaire  j  n>  340. 


498  Principes 

joints  ejfentkls  à  la  Grammaire  ^  ccÙe<l 
bien  apprife  ^  ne  contribueroit  peut  -  être 
pas  moins  à  édaircir  ks  difcours  ks  plus 
métaphyjiques. 


mm 


OBSERFATIONS 

SUR  LES  Lettres  de  l'AltbabeTi 

vJn  divife  les  lettres  en  voyelles  &  en 
confonnes*  Les  voyelles  font  ainfi  appellées 
du  mot  voix  j  parcequ'elles  Te  font  enten- 
dre par  elles-mêmes.  Elles  forment  routes 
feules  un  fon ,  une  voix.  Les  confonnes  > 
au  contraire,  ne  font  entendues  qu'avec 
lair  qui  fait  la  voix  ou  voyelle ,  &  c'eft  de-là 
que  vient  le  nom  de  confonne>  confonanSy 
c'eft-à^dire  ,  qui  fonne  avec  une  autre. 

Il  n  y  a  aucun  être  particulier  qui  foit 
"voyelle  j  ni  aucun  qui  foit  confonne.  Mais 
on  a  obfervé  des  diftérences  dans  les  modi^ 
fications que  Ion  donne  à  Tair  qui  fort  d^s 
poumons ,  lorfqu'on  en  fait  ufage  pour  for- 
mer les  fons  deftinés  à  être  les  (îgnes  dts 
penfées.  Ce  font  ces  différentes  coniîdéra^ 


de  Grammaire:         45)9 

cions  ou  précifions  de  notre  efprit ,  à  Toc- 
cafion  des  modifications  de  la  voix  -,  ce 
font ,  dis-je ,  ces  précifions  qui  nous  ont 
donné  lieu  de  former  les  mots  de  voyelle  y 
de  confonne  j  à' articulât  ion  ^  &  autres.  Ce 
^ui  diftingue  les  difFérens  points  de  vue 
•de  notre  efprit  5  fijr  le  méchanifine  de  la 
parole ,  &  nous  donne  lieu  d'en  difcourir 
;ivec  plus  de  juftefle. 

Mon  defiein  n'eft  pas  d'entrer  ici  dans 
lexamen  &  dans  le  détail  de  la  formation 
de  chaque  lettre  particulière.  Mais  comme 
la  méchanique  de  la  voix  eft  un  fiijet  inté- 
relTant,  que  c*eft  principalement  par  la 
parole  que  nous  vivons  en  fociété ,  j  ai  cru 
devoir  donner  une  idée  générale  de  la  mé- 
chanique de  la  voix  ,  qui  fera  entendre 
plus  aifément  la  différence  qu'il  y  a  entre 
la  confonne  &  la  voyelle. 

D'abord  il  faut  obferver,  que  Tâir  qui 
fort  des  poumons  eft  la  matière  de  la  voix , 
c  eft-à-dire ,  du  chant  &  de  la  parole.  Lorfi 
que  la  poitrine  s'élève  par  1  adion  de  ccr- 
cains  mufcles^  lair  extérieur  entre  dans  les 


5  oô  Prihcîpes 

véficules  des  poumons ,  comme  il  entré 
dans  une  pompe  dont  on  élève  le  piftom 
Ce  mouvement,  par  lequel  les  poumons 
reçoivent  Tair ,  eft  ce  qu'on  appelle  infpi^ 
ration.  Qiiand  la  poitrine  s'affaiffe  ,  Tair 
fort  des  poumons  :  c'eft  ce  qu'on  nomme 
expiration.  Le  mot  de  refpiranon  com- 
prend lun  &  l'autre  de  cts  mouvemens : 
ils  en  font  les  deux  efpèces. 

Les  cartilages  &  les  mufcles  de  la  partie  - 
flipérieure  de  la  trachée  artère  forment 
une  efpèce  de  tête ,  ou  une  forte  de  cou- 
ronne oblongue  qui  donne  pafîàge  à  l'air 
que  nous  refpirons.  C'eft  ce  que  le  peu- 
ple appelle  la  pomme  ou  le  morceau  d'A^ 
dam.    Les  Anatomiftes  le  nomment   la- 
rynx ^  ')dfvy^'j  d'oii  vient  Aap^^w,  clamo^ 
je  crie.  L'ouverture  du  larynx  eft  appel- 
lée  glotte  jy  yy^Zilct  ^  &  fuivant  qu'elle  eft 
reflerrée  ou  dilatée  par  le  moyen  de  cer- 
tains mufcles  5  elle  forme  la  voix  ,  ou  plus 
grêle  ou  plus  pleine. 

Au-delïusde  la  glotte,  il  y  a  une  efpccQ 
de  foupape ,  qui  dans  le  temps  du  paftage 

des 


de  Grammaire.  5 ô f , 

ifes  alimens  couvre  la  glotte  :  ce  qui  les 
empêche  d'entrer  dans  la  trachée  artère* 
On  l'appelle  épiglottc  ;  ô^i^ ,  fi^P^^j  fur  ^ 
&  yhœiitf.  5  ou  yKoiilrç. 

M.  Ferrein  ,  célèbre  anatomifl:e,.a  ob- 
fervé  à  chaque  lèvre  de  la  glotte  une  ef- 
pèce  de  ruban  large  d'une  ligne  ,  tendu 
horifontalement.  L'adion  de  l'air  quipaffe 
par  la  fente  ou  glotte,  excite  dans  ces  ru- 
bans des  vibrations  qui  les  font  fonner 
comme  les  cordes  d'un  inftrument  de  mu- 
fîque.  M,  Ferrein  appelle  c^s  rubans  cordes 
vocales.  Les  mufcles  du  larynx  tendent  ou 
relâchent  plus  ou  moins  ces  cordes  vocales: 
ce  qui  fait  la  différence  des  tons  dans  le 
chant,  dans  les  plaintes  &  dans  les  cris  (1)0 

Les  poumons,  la  trachée  artère,  le  la- 
rynx ,  la  glotte  &  fes  cordes  vocales ,  font 
les  premiers  organes  de  'la  voix ,  auxquels 
il  faut  ajouter  le  palais ^  c'eft-à-dire,  la 
partie  fupérieure  &  intérieure  de  la  bou* 

(i)  Voyez  le  Mémoire  de  M,  Ferrein,  Jï//?* 
de  VAcddïmic  dis  Sciences  .  année  1741  ^ 
pag,  409*  -- 

L  I 


ijôl  Principes 

che>  les  dents,  les  lèvres ,  la  langue,  & 
même  ces  deux  ouvertures  qui  font  au 
fond  du  palais  &  qui  répondent  aux  nari- 
nes :  elles  donnent  paflage  à  Tair  quand  la 
bouche  eft  fermée. 

Tout  air  qui  fort  de  la  trachée  artère 
n*excitepas  pour  cela  du  fon.  Il  faut, pour 
produire  cet  effet  ,  que  lair  foit  pouffé 
par  une  impulfîon  particulière  ,  &  que 
dans  le  temps  de  fon  paffage  il  foit  rendu 
fonore  par  les  organes  de  la  parole.  Ce 
qui  lui  arrive  par  deux  caufes  différentes. 

I .®  L  air  étant  ^pouffé  avec  plus  ou  moins 
de  violence  par  les  f)oumons ,  il  efl  rendu 
fonore  par  la  feule  fîtuation  oii  fe  trouvent 
les  organes  de  la  bouche.  2.°  L'air  qui  fort 
de  la  trachée  artère  efl  rendu  fonore  dans 
fon  paflàge ,  par  Tadion  ou  mouvement 
de  quelqu'un  des  organes  de  la  parole. 

Voila  deux  caufes  qu'il  faut  bien  diflin- 
guer-,  i.°  fîmple  fîtuation  des  organes î 
2.°  adtion  ou  mouvernent  de  quelqu'or- 
gane  particulier  fur  Tair  qui  fort  de  la  tra- 
cliéô  grtèret 


de  Grammaire:  505 

Je  compare  la  première  manière  à  ces 
fentes  qui  rendent  fonore  le  vent  quiy  pallèi 
&  je  trouve  qu'il  en  eft  à  peu  près  de  la  fe- 
conde,comme  de  TefFet  que  produit  ladipu 
d'un  corps  folide  qui  en  frappe  un  autre. 

Les  différentes  fortes  de  parties  qui  for* 
tuent  ienfemble  de  lorgane  de  la  voixj 
donnent  lieu  de  comparer  cet  organe,  fé- 
lon les  dittérens  effets  de  ces  parties  >  tantôt 
à  un  inftrument  à  vent  5  tel  que  l'orgue  ou  la 
flûte,  tantôt  à  un  inftrument  à  corde,  tan- 
tôt enfin  à  quelqu'autre  corps  capable  de 
faire  entendre  un  fon,  comme  une  cloche 
frapée  par  fon  battant ,  ou  une  enclume  fur 
laquelle  on  donne  des  coups  de  marteaut 
Par  exemple  3  s'agit -il  d  expliquer  la 
Voyelle  ,  on  aura  recours  à  une  comparai- 
fon  tirée  de  quelqu'inftrument  à  venc. 
Suppoforis  un  tuyau  d'orgue  ouvert  \ 
il  eft  certain  que  tant  que  ce  tuyau  de- 
meurera ouvert ,  &  tant  que  le  foufflçc 
fournira  de  vent  ou  d'air,  le  tuyau  rendra 
le  fon  qui  eft  l'effet  propre  de  l'état  &  de 

la  fituation  ou  fe  trouvent  les  parties  par 

LU 


504  Principes 

Icfquelles  lair  pafle.  Il  eti  eft  de  même  de 
la  flûte.  Tant  que  celui  qui  en  joue  y  fouf- 
fle  de  l'air  >  on  entend  le  fon  propre  au 
trou  que  les  doigts  laiflent  ouvert.  Le 
tuyau  d  orgue  ni  la  flûte  n  agifïent  point  ; 
ils  ne  font  que  fe  prêter  à  Tair  pouffe ,  & 
demeurent  dans  1  état  où  cet  air  les  trouve. 

Voila  précifément  la  voyelle.  Chaque 
voyelle  exige  que  les  organes  de  la  bou- 
che foient  dans  la  fituation  requife  pour 
faire  prendre  à  l'air  qui  fort  de  la  trachée 
îirtère  la  modification  propre  à  exciter  le 
fon  de  telle  ou  telle  voyelle.  La  fituation 
qui  doit  faire  entendre  Va  _,  n'eft  pas  la 
même  que  celle  qui  doit  exciter  le  fon  de 
Vi.  Ainfî  des  autres. 

Tant  que  la  fituation  des  organes  fub- 
fifte  dans  le  même  état ,  on  entend  la  mê- 
me voyelle ,  auffi  long-temps  que  la  res- 
piration peut  fournir  d'air.  Les  poumoms 
ïbnt  à  cet  égard  ce  que  les  fouftlets  font 
à  l'orgue. 

Selon  ce  que  nous  venons  d'obferver ,  il 
fuit  que  le  nombre  des  voyelles  çft  bien 


de  Grammaire.  çof] 

plus  grand  qu'on  ne  le   dit  commune* 
ment. 

Tout  fon  qui  ne  réfuire  que  d  une  fîtuâ* 
tion  d'organe  ,  fans  exiger  aucun  batte* 
ment  ni  mouvement  qui  furvienne  aux: 
parties  de  la  bouche ,  &  qui  peut  être  con- 
tinué auffî  long-temps  que  l'expiration  peut 
fournir  d'air ,  un  tel  fon  eft  une  voyelle. 
Ain(î  dj  âj  éy  èj  êj  ij  Oj  Uj  ou^  euy  &  fa 
foible  e  muet,  &  les  nazales ,  t2/2j erij  &g; 
tous  ces  fons  -  là  font  autant  de  voyelles 
particulières,  tant  celles  qui. ne  font  écrites 
que  par  un  feul  cara6tère>tel  que  a^  e ^  iy 
CjUj  que  celles  qui  faute  d'un  caractère 
propre ,  font  écrites  par  plufieurs  lettres , 
telles  que  ou  j  euj  oient  j  &c.  Ce  n'eft 
pas  la  manière  d'écrire  qui  fait  la  voyelle, 
ç'eft  la  fîmplicité  du  fon ,  qui  ne  dépend 
que  d'une  fituation  d'organes  :,  &  qui  peut 
être  continué.  Ainfi,  auj  cauj  ou^  eu  y 
oient  y  Sccj  quoiqu'éçrits  par  plus  d'une 
lettre ,  n'en  font  pas  moins  de  iîmples 
voyelles.  Nous  avons  donc  la  voyelle  u  &  * 
ligt  voyelle  ou  :  les  Italiens  n'ont  que  ïou^ 


1^0  s  Principes 

qu'ils  écrivent  par  le  iîmple  u^  Nous  avons 
de  plus  la  voyelle  eu  j  feu  j  lieu  :  Ye  muet 
cù  eft  la  foible ,  Se  auffi  une  voyelle  par- 
ticulière. 

Il  n'en  eft  pas  de  même  de  la  confonne; 
Elle  ne  dépend  pas ,  comme  la  voyelle  y 
d  une  fîtuation  d'organes  qui  puifïe  être 
permanente.  Elle  eft  l'effet  d'une  adiori 
paflàgère,  d'un  trémoufïement ,  ou  d'ua 
mouvement  momentanée  (i)  4e  quelque 
ctgane  de  la  parole ,  comme  de  la  langue , 
des  lèvres ,  &c.  En  forte  que  fi  j'ai  comparé 
la  voyelle  au  fon  qui  réfulte  d'un  tuyau 
d'orgue  ou  du  trou  d'une  flûte ,  je  crois 
pouvoir  comparer  la  confonne  à  l'effet  que  j 
produit  le  battant  d'une  cloche  ou  le  m.ar*       1 

■t..      '  -  ,  ,  -     .  .       .       • 

(i)  Ecrivez  momentanée  par  deux  ee.  Telle  eft 
Tanaiogie  des  mots  françois  qui  viennent  dei 
tnots  latins  eu ,  eus.  C'eft  ainfi  que  l'on  dit  les. 
ÇhampS'Elifccs  ;  les  Monts- Pyrénées  ,  le  Colli^ 
(ce  y  àc  non  le  Colifé  ;  le  ûtuvc  Alpàee  ^  ôc  non 
le  fleuve  Alphé y  fluvius  Alpkeus.  Voyez  le 
Didiionaire  de  l'Académie,  celui  de  Trévoux», 
^  celui  de  Joubcrc^  aux  mots  m^mcnfaneç  v^ 


de  Grammaire^        507^ 

teau  fur  lenclume.  Fourniflez  de  Tair  \ 
un  tuyau  d'orgue ,  ou  au  trou  d^une  flûte  , 
vous  entendez  toujours  le  même  fon  :  auî 
lieu  qu'il  faut  répéter  les  coups  du  battant 
de  la  cloche  &  ceux  du  marteau  fur  Icn- 
clume  5  pour  avoir  encore  le  fon  qu'on  a 
entendu  la  première  fois.  De  même  ,  fi 
vous  ceiTez  de  répéter  le  mouvement  des 
lèvres  qui  a  fait  entendre  le  be  ou  le/?^;  (î 
vous  ne  redoublez  point  le  trémouflèment 
de  la  langue  qui  a  produit  le  rt  ^  on  n'en- 
tendra plus  ces  confonnes.  On  n'entend 
de  fon ,  que  par  le  trémouflèment  que  les 
parties  fonores  de  Tait  reçoivent  des  divers 
corps  qui  les  agitent.  Or  l'adtion  àts  lèvres 
ou  les  agitations  de  la  langue,  donnent  à 
l'air  qui  fort  de  la  bouche  la  modification 
propre  à  faire  entendre  telle  ou  telle  con- 
fonne.  Or,  fi  après  une  telle  modification, 
l'émiffion  de  l'air  qui  l'a  reçue  dure  en- 
core 5  la  bouche  demeurant  néceflairemenc 
ouverte  pour  donner  paflàge  à  l'air ,  &  les 
organes  fe  trouvant  dans  la  fituation  qui  a 
fait  entendre  la  voyelle ,  le  fon  de  cette 


•50E  Principes 

voyelle  poura  être  continué  auffi  lojtg^ 
temps  que  Témiffion  de  lair  durera  :  au 
lieu  que  le  fon  de  la  confonne  n'eft  plus 
entendu ,  après  Tadion  de  Torgane  qui  Ta 
produite. 

L'union  ou  combinaifon  d  une  confonnç 
avec  une  voyelle  ne  peut  fe  faire  que  par 
une  même  émilïîon  de  voix.  Cette  union 
eft  appellée  articulation.  Il  y  a  des  articu* 
lations  fîmples  &  d'autres  qui  font  plus  ou 
moins  çompofées  :  ce  que  M.  Hardouia, 
fecrétaire  de  la  Société  Littéraire  d'Arras, 
a  extrêmement  bien  dévelopé  dans  ua 
Mémoire  particuliei;.  Cette  combinaifon 
fe  fait  d'une  manière  fucceffive,  &  elle  ne 
peut  être  que  momentanée.  L'oreille  diftiu- 
gue  l'effet  du  battement  &  celui  de  la  fî- 
tuation  :  elle  entend  féparément  l'un  après 
l'autre*  Par  exemple  5  dans  la  fyllabe  ^^^ 
Toreille  entend  d'abord  \q  b  ^  enfuitel'^; 
&  l'on  garde  ce  même  ordre,  quand  oa 
écrit  les  lettres  qui  font  les  fyllabes>  &  Içs 
fylUbes  qui  font  Jes  mots. 

Enfiu  a  cette  union  eft  de  pçu  de  durécj 


dô  Grammaire^  509 
parcequ'il  ne  feroit  pas  pofTible  qiie  les 
organes  de  la  parole  fuffent  en  même  temps 
en  deux  états ,  qui  ont  chacun  leur  effet 
propre  &  différent.  Ce  que  nous  venons 
d'obferver  à  Tégard  de  la  confonne  qui 
entre  dans  la  compolîtion  d  une  fyllabe  , 
arrive  aulîî  par  la  même  raifon  dans  les 
deux  voyelles  qui  font  une  diphtongue, 
comme  ul  ^  dans  luï^  nuit  y  bruit  j,  &c.  \^ii 
eft  entendu  le  premier  ;  &  il  n'y  a  que  le 
fon  de  Xi  qui  puifTe  être  continué ,  parce- 
que  la  fituation  des  organes  qui  forme  Xi 
a  fuccédé  fubitement  à  celle  qui  avoir  fait 
entendre  Xu. 

L'articulation  ou  combinaifon  dune 
confonne  avec  une  voyelle  fait  une  fyllabe  : 
cependant  une  feule  voyelle  fait  auffi  fore 
fouvent  une  fyllabe,  La  fyllabe  eft  un  fon, 
ou  fimple  ou  compofé ,  prononcé  par  une 
feule  impuldon  de  voix.  A-jou-té^  ré-u-nî^ 


crc-e. 


Les  fyllabes  qui  font  terminées  par  des 
confonnes  font  toujours  fuivics  d'un  ion 
foible ,  qui  eft  regardé  comme  un  5  muet» 


jio  Principes 

C  efl:  le  nom  qu'on  donne  à  TefFet  de  la 
dernière  ondulation ,  ou  du  dernier  tré- 
moulîèment  de  Fair  fonore ,  c'eft;  le  dernier 
ébranlement  que  le  nerf  auditif  reçoit  de 
cet  air.  Je  veux  dire  que  cet  e  muet  foible 
n'eft  pas  de  même  nature  que  Ve  muet 
excité  à  delîein ,  tel  que  Ve  de  la  fin  des 
mots  vu-e  ^  vi-e  j  &  tels  que  font  tous  les 
c  de  nos  rimes  féminines.  Ainfi  il  y  a  bien 
de  la  diftérence  entre  le  fon  foible  que 
Ion  entend  à  la  fin  du  mot  Michel j  &  le 
dernier  du  mot  Michéle  ;  entre  bel  8c 
belle  ;  entre  coq  &  coque  ;  entre  Job  8c 
robe;  bal  8c  balle  ;  cap  8c  cape  ;  Siam  8c 
ame  j  8cc. 

S'il  y  a  dans  un  mot  plufieurs  confonnes 
de  fuite  >  il  faut  toujours  fuppofer  entre 
chaque  confonne  cet  e  foible  &  fort  bref. 
Il  eft  comme  le  fon  que  Ton  diftingue  en- 
tre chaque  coup  de  marteau ,  quand  il  y 
en  a  plufieurs  qui  fe  fuivent  d'auffi  près 
qu'il  eft  pofîîble.  Ces  réflexions  font  voir 
que  Ve  muet  foible  eft  dans  toutes  les 
langues. 


de  Grammairel  5 1 W 

Recueillons  de  ce  que  nous  avons  dit, 
que  la  voyelle  eft  le  fon  qui  ré  fuite  de  la 
fituation  où  les  organes  de  la  parole  fc 
trouvent  dans  le  temps  que  Tair  de  la  voix 
fort  par  la  trachée  artère  ,  &  que  la  con-» 
fonne  eft  Teifet  de  la  modification  pafla- 
gère  que  cet  air  reçoit  de  ladion  momen- 
tanée  de  quelqu'organe  particulier  de  la 
parole» 

Ceft  relativement  à  chacun  de  ces  or-* 
ganes,  que  dans  toutes  les  langues  on  di- 
Vife  les  lettres  en  certaines  claflTes ,  où  elles 
ibnt  nommées  du  nom  de  Torgane  parti- 
culier qui  paroît  contribuer  le  plus  à  leur 
formation.  Ainfi  les  unes  font  appelées  la^ 
iialesj  d'^niiiCS  linguales j  ou  bien  palada^ 
iesj  ou  dentales  j  ou  naiales  j  ou  guttu* 
raies.  Quelques-unes  peuvent  être  dans 
Tune  &  dans  lautre  de  ces  clafles,  lorfquc 
4ivers  prganei  concourent  à  leur  formai 

lion. 

Labiales-B,P,F,V>M. 
Linguales.  D ,  T ,  N ,  L ,  R* 
Pal^ii*Ies*  G,  J,  G  fon  ou  K  ou  Q; 


5  î  2;  Principes 

le  mouîllé  fort  Ille  &  le  mouillé  foibIey^# 

Dentales  ou  fiflantes.  S  ou  C  doux  j  tel 
que  fejjij,  Z,  CH.  Ceft  à  caufe  de  ce 
fîflemcnt  que  les  anciens  ont  appelle  cqs 
confonnes  fémivocales  ^  femivocalcs  ^  de- 
mi-voyelJes  -,  au  lieu  qu'ils  appelloient  les 
autres  muettes. 

Nazales.  M ,  N.  G  N. 

Gutturales.  Ceft  le  nom  qu  on  donne  à 
celles  qui  font  prononcées  avec  une  afpi- 
ration  forte ,  &  par  un  mouvement  du 
fond  de  la  trachée  artère.  Ces  afpirations 
fortes  font  fréquentes  en  orient  &  au  midi. 
Il  y  a  des  lettres  gutturales  parmi  les  peu- 
ples du  nord.  Ces  lettres  paroiflent  rudes 
à  ceux  qui  n'y  font  pas  accoutumés.  Nous 
n  avons  de  fon  guttural  que  le  hé  j  qu  on 
appelle  communément  H  afpirée.  Cette 
afpiration  eft  Teffet  d'un  mouvement  par- 
ticulier des  parties  internes  de  la  trachée 
artère.  Nous  ne  l'articulons  qu'avec  les 
voyelles  ,  le  héros  ^  la  hauteur. 

Il  y  a  des  Grammairiens -qui  mettent  le 
H  au  rang  des  çonfQnnes  ^  d  autres  >,  au 


de  Grammaire^         515 

Côntraircfbutiennent  que  ce  figne  ne  mar- 
quant aucun  fon  particulier  y  analogue  aux 
fons  des  autres  confonnes ,  il  ne  doit  être 
confidéré  que  comme  un  figne  d'afpiration* 

Pour  moi  >  je  crois  que  puifque  les  uns 
&  les  autres  de  ces  Grammairiens  convien. 
iient  de  la  valeur  de  ce  fîgne  5  ils  doivent 
fe  permettre  réciproquement  deTappeler, 
ou  conforme  _,  ou  figne  d'afpiraàon  _,  félon 
le  point  de  vue  qui  les  affecte  le  plus. 

La  diverfité  des  climats  caufe  des  diffé- 
rences dans  la  prononciation  des  langues. 
Il  y  a  des  peuples  qui  mettent  en  adiort 
certains  organes  5  &  même  certaines  par- 
ties des  organes,  dont  les  autres  ne  font 
point  ufage.  Il  y  a  auffi  une  forme  ou  ma-* 
nière  particulière  de  faire  agir  les  organes. 
De  plus,  en  chaque  nation,  en  chaque  pro- 
vince, &  même  en  chaque  ville,  on  s'é- 
iionce  avec  une  forte  de  modulation  par- 
ticulière :  c'eft  ce  qu'ion  appelle  accent  na^ 
tionalj  ou  accent  provincial.  On  en  con*- 
tradte  Thabitudcpar  l'éducation  j  &  quand 
les  efprits  animaux  ont  pris  une  certaine 


jt4  Principes 

toute,  il  eft  bien  difficile ,  malgré  Tempifô 
de  lame ,  de  leur  en  faire  prendre  une 
nouvelle.  De-Jà  vient  auflî  qu'il  y  a  de$ 
peuples  qui  ne  fauroient  prononcer  cer* 
taines  lettres.  Les  réflexions  qu'on  peut 
faire  fur  ce  fujet  font  fort  utiles  pour  ren- 
dre raifon  des  changemens  arrivés  à  cer- 
tains mots  5  qui  ont  paflfé  d'une  langue 
dans  une  autre.  Voyez  la  D'ijfertadon  de 
M.  Falconet  ^fur  les  principes  de  Vétymo^ 
lôgie  ^  dans  YHiJloire  de  l'Académie  des 
Belles-Lettres.  Il  faut  voir  auffi  les  Gram-» 
maires  des  différentes  langues. 

A  regard  du  nombre  de  nos  confonnes, 
(î  Ton  ne  compte  que  ces  fons ,  &  qu'on 
ne  s'arrête  point  aux  caradères  de  notre 
alphabet,  ni  à  lufage  fouvent  déraifonna* 
ble  que  Ton  fait  de  ces  caractères ,  on  trou* 
vera  que  nous  avons  dix-huit  confonnes, 
qui  ont  un  fon  bien  marqué ,  &  auxquelles 
la  qualification  de  confonnc  n'eft  point 
conteftée. 

Nous  devrions  donner  un  caradlcre  pro* 
pre,  déterminé,  unique  &:  invariable  à 


de  Grammairci  5;  i  j 

chacun  de  ces  fons  :  ce  que  les  Grecs 
ont  fait  exactement,  conformément  aux 
lumières  naturelles.  Eft  -  il  en  effet  raifon- 
nable  que  le  même  fîgne  ait  des  deftina- 
tions  différentes  dans  le  même  genre  j  & 
que  le  même  objet  foit  indiqué  tantôt  par 
lin  figne ,  tantôt  par  un  autre  ? 

Avant  que  d'entrer  dans  le  compte  de 
nos  confonnes  ,  je  crois  devoir  faire  une 
courte  obfervation  fur  la  manière  de  les 
nommer. 

Il  y  a  cent  ans  que  la  Grammaire  gêné- 
raie  de  Port-Royal  (i)  propofa  une  manière 
d'apprendre  à  lire  facilement  en  toutes 
fortes  de  langues.  Cette  manière  confifl^ 
à  nommer  les  confonnes  par  le  fon  pro- 
pre qu  elles  ont  dans  les  fyllabes  où  elles 
fe  trouvent,  en  ajoutant  feulement  à  ce 
fon  propre  celui  de  Vc  muet ,  qui  eft  lef- 
fet  de  Timpulfion  de  l'air  néceffàire  poui: 
faire  entendre  la  confonne.  Par  exemple, 
il  je  veux  nommer  la  lettre  B  dans  les  mots 

(i)  Partie  l  ^  ch.  6. 


5[  i^  Principes 

Babylone j  Bihus j  &e.  je  lappdlerai  Ifâj 

comme  on  le  prononce  dans  la  dernière 

fyllabe  de  tombe  j  ou  dans  la  première  de 

befoin. 

Ainfi  du  Z>j  que  je  nommerai  de^com* 
me  on  Tentend  dans  ronde. 

Je  ne  dirai  plus  effe  ;  je  dirai  fe  j  com- 
me à^nsfera  j  étoffe. 

Cette  pratique  facilite  extrêmement  la 
liaifon  des  confonnes  avec  les  voyelles, 
pour  en  faire  des  fyllabes.  Elle  a  été  renou- 
vellée  de  nos  jours,  par  MM.  de  Launay, 
père  &  fils,  &  par  d'autres  maîtres  habiles. 
Les  mouvemens  que  M*  Dumas  s^'efl:  don- 
nés pendant  fa  vie  pour  établir  fon  bureau 
typographique,  ont  auflî  beaucoup  con- 
tribué à  faire  connoître  cette  dénomina- 
tion y  en  forte  qu'elle  eft  aujourd'hui  pra- 
tiquée même  dans  les  petites  écoles. 

Voyons  maintenant  le  nombre  de  nos 
confonnes.  Je  les  joindrai,  autant  qu'il 
ferapoiïîble,  à  chacune  de  nos  huit  voyel- 
les principales. 

Exemples 


de  Grammaire. 


1  ic  U 
lettre. 


b. 


P7 


Nom  de 
U  hrtr* 


Fe. 


CyC  dur]  Que. 


D,  d. 


F,f. 


C^dur 


De. 


Fc. 


Guc 


Exemples  de  chaque  confoûnè  avec 
chaque  voyelle. 

a  é  i  6 

Babylone ,  Beat ,  bière ,  bonnet  ^ 

u  ou  eu  e  muet. 

bule,  boule,  beurre,  bedeau. 

Cadre  ou  quadre,  karat  ou  cir 
rat ,  Icalendes  ou  calendes ,  le  Que- 
noi ,  qui ,  kiricle  ,  coco  ,  cure , 
le  cou ,  queue ,  quérir ,  querelle. 

Comme  je  ne  cherche  que  les  fons 
propres  de  chaque  lettre  de  notre  lan- 
gue, défignés  par  un  fèul  caradtère  in- 
communicable à  tout  autre  fon  ,  je  ne 
donne  ici  au  c  que  le  fon  fort  qu'il  a 
dans  les  fyllabes  ca  fCo  ,  eu.  Le  fon  doux 
ce  y  ci  y  appartient  au  iS*,*  &  le  fon  ;je> 
[i  j  appartient  à  la  lettre  j. 

David ,  un  dé ,  Diane  ,  dodu  ^ 
duché 5 douleur,  deux ^  demander. 

Faveur^  féminin  ^  fini  ,  forêt, 
funefte,  le  four ,  le  feu ,  femelle* 

Gage ,  guérir ,  guide  ,  à  gogo  i 

guttural ,  goulu ,  gueux ,  guédé* 
M  m 


Figure' Nom  rfrt 


Principes 


àe  la 
Uttre, 


J,J. 


u lettn  Je  ne  donne  ici  à  ce  caraûcre ,  que  le 
fon  qu'il  a  devant  dyOj  w  ;  le  fon  foiblc 
g€^  gij  appartient  au  /. 


Je. 


L,!. 


M,  m. 


N,   n 


Pf  P- 


Le. 


Me. 


Ne, 


Pe. 


Jamais,  jéfuite ,  j*irai ,  joli ,  jupe^ 
joue  5  jeu  5  jetter ,  jetton. 

Le  fon  du  /devant  i  a  été  donné  dans 
notre  orthographe  vulgaire  au  g- doux, 
gibier  y  gîte  y  giboulée  ^  6cc  :  ôc  fouvent 
malgré  l'étymologie ,  comme  dans  ci 
gît  y  hic  jacet.  Les  partifans  de  l'ortho- 
graphe vulgaire  ne  rerpeâent  l'étymo- 
logie que  lorfqu^elle  eft  favorable  à  leurs 
préjugés. 

La  5  légion ,  livre ,  loge ,  la  lune , 
Louis  5  leurrer ,  leçons. 

Machine  5  médifant ,  midi ,  mo- 
rale 5  mufe  5  moulin ,  meunier ,  me- 
ner. 

Nager ,  Néron ,  Nicole,  novice, 
nuage ,  nourice ,  neutre ,  mener. 

Pape ,  péril ,  pigeon ,  pommade, 
punition , poupée ,  peuple,  pelé, 
pelote* 


de  Grammaire, 


5^9: 


de  la  \lahttre\ 
Utfre,  I  I 


R,  r. 


«,  r. 


T,  c. 


V,  r. 


Z,     2. 


Ae. 


Se. 


Te. 


Ve. 


Ze. 


Ragoût ,  règle ,  rivage ,  Rome , 
rude,  rouge , Rcutlingen ,  ville  de 
Souabe  j  revenir. 

Sage,  féjour,  Sion,  Solon,  fia- 
cre 5  fouvenir ,  feul ,  femaine. 

Table ,  ténèbres ,  tiarre ,  tonère, 
tuteur,  Touloufe,  r  ordre  Teuto- 
nique  en  Allemagne  ^  tenir. 

Valeur ,  vélin ,  ville ,  volonté ., 
vulgaire ,  vouloir  ,ye  veux ,  venir, 

Zacharie ,  zéphire ,  zizanie  >  zo- 
ne, Zurich  ,  ville  de  SuiJJe. 

Aux  quinze  fons  que  nous  venons  dç 
remarquer ,  on  doit  en  ajouter  encore 
quatre  autres ,  qui  devroient  avoir  ua 
caraûcre  particulier.  Les  Grecs  n'au- 
roient  pas  manqué  de  leur  en  donner 
un ,  comme  ils  firent  à  Ve  long ,  à  Vo 
long  6c  aux  lettres  afpirces.  Les  quatre 
Ions  dont  je  veux  parler  ici  font  le  ch  , 
qu'on  nomme  cAe,  le  gn,  quonnom* 
tue  gne,  le  //  ou  lUj  qui  cft  un  foa 
Mm  i 


510  ,  Principes 


Ch,ch, 


Gn,gn, 


Tigurê  Kom  ie 
de  la  la  lettre 
lettre. 


Chc. 


Gne. 


L,   I. 


mouillé  fort  >  &  le  y  qu'on  nomme  yt , 
qui  eft  un  fon  mouille  foible. 

Chapeau ,  chérir ,  chicane ,  cho- 
ie 5  chute  y  chou ,  chemin  5  cheval. 

Il  ne  s'agit  pas  de  ces  deux  lettres  > 
quand  elles  gardent  leur  fon  propre , 
comme  dans  gnomes ,  magnas  ;  il  s'agit 
du  fon  mouillé  qu*oïi  leur  donne  dans, 

Pays  de  Coca-gne,  Allema-gnc, 
ma-gnanime ,  Champa-gne  5  rè-gne, 
h-gne,  infî-gne  jma-gnifiquej  Avi- 
gnon 5  oi-gnon. 

Les  Efpagnols  marquent  ce  fon  pat- 
un  n  furmonté  d'une  petite  ligne  >  qu'ils 
appellent  tilde ,  c'eft  -  à  -  dire  ^  titre. 
Montana  ,  montagne  ;  Ejpaha  y  Ef pa- 


rie. 

mouillé 
fort* 


k 


Nous  devrions  avoir  auffi  un 
caradère  particulier  deftiné  uni- 
quement à  marquer  le  ion  de  /  mouillé. 
Comme  ce  caractère  nous  manque ,  notre 
orthographe  n'eft  pas  uniforme  dans  la  ma- 
fiière  de  défigner  ce  fon.  Tantôt  nous  Tin* 


de  Grammaire.        Çïî 

âiquons  par  un  feul  /  j  tantôt  par  deux  //, 
<jucIquefois  par  /A.  On  doit  feuleiîient  ob- 
ferver  que  /  mouillé  eft  prefque  toujours 
précédé  d'un  L  Mars  cet  i  n'eft  pas  pour 
cela  la  marque  caradériftique  du  /  mouillé, 
comme  on  le  voit  dans  àvilj  nll  ^  exil  :^ 
Jllj  file^  vllj  vile  j  où  le  /  n'eft  point 
mouillé  5  non  plus  que  dans  Achille  j  pu-- 
pille  j  tranquille  j  qu'on  feroit  mieux  de 
n'écrire  qu'avec  un  feul  /. 

Il  faut  obferver ,  qu'en  plufieurs  mots 
Vi  fe  fait  entendre  dans  la  fyilabe  avant  le 
fon  mouillé ,  comme  dsins péril  j  on  entend 
Yij  enfuite  le- fon  mouillé /? /-ri-/. 

Il  y  a  au  contraire ,  plufîeurs  mots  où 
Yi  eft:  muet  \  c'eft:-à-dire ,  qu'il  n'y  eft  pas 
entendu  féparément  du  fon  mouillé.  Il  eft 
confondu  avec  ce  fon ,  ou  plutôt ,  ou  il  n'y 
eft:  point  quoiqu'on  l'écrive ,  ou  il  y  eft 
bien  foible. 

Exemple  où  l\  ejl  entendu. 

Péri-l  5  avri-1 ,  babi-1 ,  du  mi-1 ,  genti-I« 

homme,  Bréû-1>  fi-Ue ,  babi-lle  ^véti-lle^ 

M  m  3 


^ 


jzi  Principes 

freti-IIe  i  chevi-lle  ,  fami-lle  y  cédi-IIe  i 
Sévi-Ue* 

Exemples  ou  Vïejlmuet  ^  &  confondu  avec 
lefon  mouillé. 

De  Ta-il,  de  Vaily  qu'il  s^en  ai-Ile, 
bou-ill-on ,  bouillir  y  boute-ille  ,  berca-il , 
éma-il ,  éventa-il ,  quil  fou-ille  5  quil 
fa-ille  5  le  village  de  Sulli ,  merve-ille  , 
fnou-iIIe>  mou-iller  5  ni  fou  ni  ma-ille  ,y2?/2j 
pare-ille ,  il  ra-ille  *,  le  due  de  Sulli  y  le  feu-il 
de  la  porte  j  /^fomme-il,  i/ fomme-ilIe> 
fou-iller ,  trava-il  5  travailler,  qu'il  veu-ille, 
ta  ve-ille  5  rien  qui  va-ille. 

Le  fon  mouillé  du  /  eft  auflî  naarqué  dans 
quelques  noms  propres  par  Ih  j  Milhaud  ^ 
ville  de  Rouergue  ,  M.  Silkon  ^  M.  de 
Pardalhac. 

On  a  obfervé  que  nous  n'avons  point  de 
mots  qui  commencent  par  le  fon  mouillé. 

Du  yé  5  ou  mouillé  foible. 

Le  peuple  de  Paris  change  le  mouillé 
fort  en  mouillé  foible.  Il  prononce ^-y^^ 
^u  lieu  dt  fille  ^  Verfa-yes^  pour  Ferfail^ 


de  Grammaire.  513' 
hs^  Cette  prononciation  a  donné  lieu  à 
quelques  Grammairiens  modernes  d  obfer- 
ver  ce  mouillé  foible.  En  effet,  il  y  a  bien 
de  la  différence  dans  la  prononciation  de 
len  dans  mien  y  tien  ^  &c,  &  de  celle  de 
mo-yen  y  pa-yen^  a-yeux  j  a-yant^ 
Ba  -yonne  ^  Ma-yence  j  Bla  -ye  ville  de 
QuÏQmiQ^  fa-yance  y  emplo-yons  à  Tindi- 
catif  5  afin  que  nous  emplo-i-yons  ^  que 
vous  a-i-yei^  j  que  vous  fo-i-ye'nf^  au  fub- 
Jondif.  La  ville  de  No-yon^  le  duc  de 
Ma  -yenne  j  le  chevalier  Ba  -yard  j  la 
Ca-yenné  j  cayer ^fo-yer^  bo-yaux. 

Ces  Grammairiens  difent  que  ce  foti 
mouillé  eft  une  confonne.  M.  du  Mas  5  qui 
a  inventé  le  bureau  typographique  5  dit 
que  dans  les  vcioi^pa-yer^  emplo-yer^  &c, 
j/efl  une  efpèce  d'i  mouillé  confonne  ou 
demi'Confonne  (i). 

M.  de  Launay  dit  que  cette  lettre  y  efi: 
amphibie  •,  qu'elle  eft  voyelle  quand  elle  a 
la  prononciation  de  Xi;  mais  qu'elle  eft. 


(i)  Bibliothèque  des  Enfens,  III^  vol^p.  209* 

Mm  4 


5 14  Principes 

CQiifonne  ,.  quand  on  l'emploie  avec  les 
voyelles ,  comme  dans  les  fyllabesy^j^/j. 
5$ci  &  qu'alors  il  la  met  au  rang  des  coîk^ 
fqnnes  (i). 

Pour  moi ,  je  ne  difpute  point  fur  le 
nom  5  Teflèntiel  eft  de  bien  diftinguer  & 
de  bien  prononcer  cette  lettre.  Je  regarde 
ce  fon  yé  dans  les  exemples  ci-delïus  ,. 
comme  un  fon  mixte ,  qui  me  paroît  tenir 
de  la  voyelle  &  de  la  confonne^  &  faire 
une  claile  à  part. 

Ain(î  y  en  ajoutant  le  che  &  les  deux 
fons  mouillés  gn  &  Il ^  aux  quinze  premiè- 
res corifonnçs  y  cela  fait  dix-huit  confon- 
nés ,  fans  compter  le  h  afpiré ,  ni  le  mouillé 
fpible  ou  fon  mixte  ye^ 

Jt  n'ai  poir^t  placé  la  lettre  x  parmi  let 
cc^ofpnnesjparcequ'elle  n'a  point  de  foa 
qui  lui  foit  propre.  Ceft  une  lettre  dou- 
ble, quç  leç.  CQpiftes  ont  mife  en  ufage 
ppur  abréger.  Elle  fait  quelquefois  le  fer^ 
Vipe  des  deux  lettrçs  fortes  csj,  &  quçlque^ 
fqis  celui  des  deux  fpibles^:^. 


I 


tie  Grammaire: 

X  pour  es. 

exemples. 

Frononceiy 

Axe^ 

Ac-fe. 

Axiome. 

Ac-fiome. 

Alexandre. 

Alec-fandre. 

Fluxion, 

Fluc-fîon. 

Sexe* 

Sec-fe. 

Taxe, 

Tac-fe. 

Vexé. 

Vec.fé. 

Xavier* 

Cfa-vier; 

Xénophon. 

Cfé-nophon. 

X  pour  GZ^ 

Exemples^ 

Prononcei^ 

Examen. 

Eg-zamen; 

Exempte. 

Eg-zemple.' 

Exaucer. 

Eg-zaucer* 

Exarque. 

Eg-zarque. 

Exercice. 

Eg-zercicCa 

Exil. 

Eg-zil. 

Exiger. 

Eg-ziger. 

Exode. 

Eg-zode. 

Exhorter, 

Eg-?horcer. 

'5i< 


^lé  Principes 

A  la  fin  des  mots  5  Yxay  en  quelques 
noms  propres,  le  fon  du  es;  AjaXj  Pollux^ 
Styx  :  on  prononce  Ajacs^  Pollux^  Stycs. 
Il  en  eft  de  même  de  radjedif /?r<?jÎAr  j 
qu'on  prononce /7re)îc^. 

Mais  dans  les  autres  mots  que  les  maî- 
tres à  écrire  3  pour  donner  plus  de  jeu  à 
la  plume,  ont  terminés  par  un  a: j  ce  a: 
tient  feulement  la  place  du  s^  comme  dans 
je  veux  ^  les  deuXj  les  ieux^  la  voixjjîx^ 
dix  j  chevaux. 

Le  X  eft  employé  pour  deux  jf  dans 
foixante  y  Bruxelles  ^  Auxone  y  Auxerre. 
On  dit  AuJJerre  j  /biffante  j  Brujfelles  j 
Aujfone  J  à  la  manière  des  Italiens  qui 
n'ont  point  de  a;  ^  dans  leur  Alphabet ,  &: 
qui  emploient  les  deux  ^  à  la  place  de  J 
cette  lettre  :  Alejfandro  j  Alejjïo. 

On  écrit  auflî ,  par  abus ,  le  a:  au  lieu 
du  ^j  en  ces  mots  Jixième  j  deuxième  j 
quoiqu'on  prononce  Ji'^ième  _,  dew^ième. 
Le  X  tient  lieu  du  c  dans  excellent ^^  pro- 
noncez eccellent. 

Dans  la  lifte  que  j  ai  donnée  des  con* 


de  Grammaire.  ^ly 

(bnnes ,  j  ai  rejette  les  caradtcres  auxquels 
un  ufagc  aveugle  a  donné  le  fon  de  quel- 
qu'un de  ceux  que  ]y  ai  comptés.  Tels 
font  le  k  8cIq  q  j  puifque  le  c  dur  marque 
exactement  le  fon  de  ces  lettres.  Je  n'ai 
point  donné  au  c  le  fon  dufj  ni  au  fj  le 
fon  du  ^.  Ceft  ainfî  qu'en  grec  le  x^  cappa^ 
eft  toujours  c^/?/?a  ^X^f^figma^  toujours 
Jigma.  De  forte  que  fi  en  grec  la  pronon- 
ciation d'un  mot  vient  à  changer ,  ou  par 
contraction,  ou  par  la  forme  de  la  conju- 
gaifon ,  ou  par  la  raifbn  de  quelque  dia- 
le(5te,  lorthographe  de  ce  mot  fe  confor- 
me au  nouveau  fon  qu'on  lui  donne.  On 
n'a  égard,  en  grec,  qua  la  manière  de 
prononcer  les  mots  ,  &  non  à  la  fource 
d  où  ils  viennent  5  quand  elle  n'influe  en 
rien  fur  la  prononciation ,  qui  eft  le  feul 
but  de  l'orthographe.  Elle  ne  doit  que 
peindre  la  parole  ,  qui  eft  fon  original  -, 
elle  ne  doit  point  en  doubler  les  traits ,  ni 
lui  en  donner  qu'il  n'a  pas,  ni  s'obftiner 
à  Je  peindre  à  préfent  tel  qu'il  étoic  il  y 
a  plufieurs  années. 


îjfiS  Principes 

Au  refte  y  les  réflexions  que  Je  fais  kÎ 
n'ont  d  autre  but ,  que  de  tacher  de  dé- 
couvrir les  fons  de  notre  langue.  Je  ne 
cherche  que  le  fait.  D'ailleurs,  je  reipede 
lufage  5  dans  le  temps  même  que  j'en 
reconnois  les  écarts  &  la  déraifon ,  &  je 
m  y  conforme  ,  malgré  la  réflexion  fag« 
du  célèbre  prote  de  Poitiers  &  de  M, 
Refl:aut ,  qui  nous  difent  (i)  c^' il  ejl  tou- 
jours louable j  en  fait  d'orthographe  j  de 
quitter  une  mauvaife  habitude  pour  en 
contracter  une  meilleure  ;  c'eft-à-dire,  plus 
conforme  aux  lumières  naturelles  &  au  but 
de  Fart. 

Que  fî  quelqu'un  trouve  qu'il  y  a  de 
la  contrariété  dans  cette  conduite ,  je  lui 
répons  que  tel  efl:  le  procédé  du  genre 
humain.  AgifTons-nous  toujours  conformé* 
ment  à  nos  lumières  &  à  nos  principes  ? 

Depuis  M.  labbé  de  Dangeau  ,  nos 
Grammairiens  divifent  les  confonnes  en 


(i)  Traité  de  rOrthograghc  en  forme    d^ 
DicHonaircy  à  la  lettre  X. 


dô  Grammaire.         jx^' 

foibUs  &  en  fortes.  EfFedtivement  il  y  a 
plufîcurs  lettres  qui  fe  prononcent  facile- 
ment Tune  pour  1  autre  y  parceque  ces 
lettres  étant  produites  par  les  mêmes  orga- 
nes, il  fuffit  d'appuyer  un  peu  plus  ou  un 
peu  moins  pour  les  faire  entendre  >  «u 
Tune  ou  l'autre.  Aind  le  même  organe 
poufïe  par  un  mouvement  doux,  produit 
une  confonne  foible,  comme  B  j  8c  s'il 
a  un  mouvement  plus  fort  &  plus  appuyé, 
il  fait  entendre  une  confonne  forte,  com- 
me P.  B  eft  donc  la  foible  de  P  ^  Se  P 
eft  la  forte  de  B.  Je  vais  oppofer  ici  ces 
lettres  les  unes  aux  autres. 


Confonnes 

fo. 

'b/es. 

Conformes  forces. 

B. 

P. 

Bâcha. 

Pacha. 

Baigner, 

Peigner. 

Bain. 

Pain. 

Bal. 

Pal ,  terme  de  Blafon. 

Balle. 

Pâle. 

Ban. 

Vm^  divinité  du  P  a- 
ganifme. 

5  3  ô  Principes 

Conformes  foibles.       Confonnes  fortes^ 


Baquet. 

Paquet. 

Bar  3  duché 

en  Lor 

.  Par. 

raine. 

Bâté. 

Pâté. 

Bâtard. 

Patar ,   petite  mon* 
noie.^ 

Beau. 

Peau. 

Bêcher.    • 

Pêcher. 

Bercer. 

Percer. 

Billard. 

Pillard. 

Blanche. 

Planche. 

Bois. 

Pois. 

D. 


T. 


Padfcyle  ,  terme  de   TaOiile ,  qui  peut  être 


Foéjie. 

touché^  ou  qui  con^ 

cerne  lefens  du  tou* 

cher  :  les  qualités 

taciiles. 

Danfer* 

Tanfer  j  réprimander. 

Dard. 

Tard. 

Dîirer. 

Tâter. 

de  Grammaire:         531: 
Confonnes  faibles.       Conformes  fort&s. 


Déifte, 

Théifte. 

Dette. 

Tette,  Tête. 

Doge. 

Toge. 

Doigt. 

Toit. 

Donner. 

Tonner. 

G ,  gue. 

C  dur ,  K  ou  Q,  qu€^ 

Cabaret  (i). 

Cabaret. 

Gâche. 

Cache. 

Gage. 

Cage. 

Gale. 

Cale  5  terme  de  Ma- 

rine. 

Gand.         Quand. 

Can  5  qu'on  écrit  com- 

munément Cacn. 

Glace. 

ClafTe. 

Grâce. 

Crafife. 

Grand. 

Cran. 

Grève. 

Crève. 

Gris. 

Cri,  cris. 

(i)  Ville  de  Gafcogne. 


5  ?^'  Principes 

Confonnes  foïbks.       Confonnes  forttsi 


Groflë. 

Crofle. 

Grotte* 

Crotte. 

J,  je. 

Ch ,  ckcè 

Japon. 

Chapon. 

Jarretière. 

Charretièreé 

Jatte* 

Chatte* 

V,  vc. 

T,fc. 

Vaîn. 

Faim» 

Valoir. 

Faloir. 

Vaneri» 

Faner. 

Vendre,  vendu. 

Fendre ,  fendu* 

2>î^- 

s,/^. 

Zèle. 

Selle. 

Zonç. 

il  Sonne ,  de  fonncr. 

La  Saône ,  rivière. 

Ye  mouillé foihké 

L,  \\  mouillé foa. 

Qu'il  pai*-ye* 

Pa-ille. 

Pa-yen. 

Ma-ille. 

Mo-ycn^ 

Ya-iUc. 

Conformes 


âe  Grammaire:         53^ 

'Conformes  faibles.         Conformes  fottesi 

!La  ville  de  Bla-ye  en  Verfa-illes. 

Guyenne^ 
Xes  if  es  Luca-yes  en  Fi-lle* 

Amérique. 
La  ville  de  No-yon  Fami-IIe ,  &c. 

en  Picardie  5  &Cé 

Par  ce  détail  des  conformes  foibles  & 
des  fortes  5  il  paroîc  qu'il  n'y  a  que  les 
deux  lettres  nazales  m^y  n  &  les  deux  liqui- 
des /  j  r  j  dont  le  fon  ne  change  point  d'un 
plus  foible  en  un  plus  fort,  ni  d'un  plus 
fort  en  un  plus  foible.  Et  ce  qu'il  y  a  de 
plus  remarquable  à  Tégard  de  ces  quatre 
lettres?  félon  TobfervationqueM.  Harduiit 
a  faite  dans  le  Mémoire  dont  j'ai  parlé ,  c'eft 
qu^elles  peuvent  fe  lier  avec  chaque  ef- 
pèce  de  C'jnfonne,  foit  avec  les  foibles  > 
foit  avec  les  fortes  5  fans  apporter  aucune 
altération  à  ces  lettres.  Par  exemple ,  im^ 
bibé ;  voila  le  ni  devant  une  foible*,  impi* 
toyable  j  le  voila  devant  une  forte.  Je  ne 
prétens  pas  dire  que  ces  quatre  confonnes 


N 


a 


'5  3  4  Principes 

foient  immuables  \  elles  fe  changent  fou- 
vent,  fur-tout  entr'elles  :  je  dis  feulement 
qu'elles  peuvent  précéder  ou  fuivre  indif- 
féremment ou  une  lettre  foible  ou  une 
lettre  forte.  C'eft  peut-être  par  cette  rai- 
fon  que  les  anciens  ont  donné  le  nom  de 
liquides  à  ces  quatre  confonnes  ^  Z^,  /72j  Hj  r. 

Au  lieu  qu'à  Tégard  des  autres ,  fi  une 
foible  vient  à  être  fuivie  d'une  forte ,  les 
organes  prenant  la  difpofition  requile  pour 
articuler  cette  lettre  forte,  font  prendre 
le  fon  fort  à  la  foible  qui  précède  i  en  forte 
que  celle  qui  doit  être  prononcée  la  der- 
nière, change  celle  qui  eft  devant  en  une 
lettre  de  fon  efpèce  :  la  forte  change  la 
foible  en  forte  ,  &  la  foible  fait  que  la  1 
forte  devient  foible.  % 

C'eft  ainfi  que  nous  avons  vu  que  le  x 
vaut  tantôt  es  j  qui  font  deux  fortes  3&: 
tantôt  g'[^  qui  font  deux  foibles.  C'eft  par 
la  même  raifon  ,  qu'au  prétérit  le  h  de 
Jcribo  fe  change  en/?j  à  caufe  d'une  lettre 
forte  qui  doit  fuivre  :  ainfi  on  dit ^fcribo^ 
fcriv/i j  fcriptum.  M,  Harduin  eft  entré  à 


de  Grammaire:  53 J 
ce  fujet  dans  un  détail  fort  exa6t ,  par  ra- 
port  à  la  langue  françoife  \  &  il  obfervé 
que,  quoique  nous  écrivions  abfcnt ^  Ç\ 
Î10US  voulons  y  prendre  garde,  nous  trou- 
verons que  nous  prononçons  apfent. 


De  la  Lettre  E. 

l^A  lettre  E  j  e  ^  ett:  h  cinquième  de  la 
plupart  des  alphabets ,  &  la  féconde  des 
voyelles. 

Les  anciens  Grecs  s'étant  apperçus  qu'en 
certaines  fyllabes  de  leurs  mots ,  ïe  étoic 
moins  long  &  moins  ouvert  qu'il  neTétoic 
en  d  autres  fyllabes  ,  trouvèrent  à  propos 
de  marquer  par  des  caractères  particuliers 
cette  différence  ,  qui  étoit  fî  fenfîbîe  dans 
la  prononciation* 

En  latin ,  &  dans  la  plupart  des  langues^ 
ïe  eft  prononcé ,  comme  notre  e  ouvert 
commun  au  milieu  des  mots,  lorfqu'il 
cft  fuivi  d'une  confonne  ^  avec  laquelle  it 
ne  fait  qu'une  même  fy llabe-,  cœ-lèbsj 
mèl  j  pèr.j  patrèm  omnipo-ten-ûm  j  pèsi 

Nn  à 


j  5  <^  Principes 

ctj  Sec  :  mais  félon  norr^  manière  de  pro- 
noncer le  latin  ,  Ye  eft  fermé ,  quand  il 
finit  le  mot  s  rnarc  y  tubile  j  pâtre  j  &c. 
Dans  nos  provinces  d'au-delà  de  la  Loire, 
on  prononce  Ve  final  latin ,  comme  un  e 
ouvert.  Ceft  une  faute. 

Il  y  a  beaucoup  d  analogie  entre  Ye  fer- 
mé &  Ti  :  c'eft  pour  cela  que  Ton  trouve 
fouvent  Tune  de  ces  lettres  au  lieu  de 
Fautre,  herè  j  herl.  Ceft  par  la  même  rai- 
fon,  que  Pablatif  de  plufieurs  mots  latins 
cft  en  e  ou  en  i  ;  prudente  &  prudenti. 

Mais  palTons  à  notre  e  françois.  J'obfer- 
verai  d'abord,  que  plufieurs  de  nos  Gram- 
mairiens difent>  que  nous  avons  quatre 
fortes  dV.  La  Méthode  de  Port-Royal  au 
Traité  des  Lettres,  pag.  621 ,  dit  que  ces 
quatre  prononciations  différentes  de  \e  fe 
peuvent  remarquer  dans  ce  feul  mot ,  dé- 
terrement i  mais  il  eft  aifé  de  voir  qu'au- 
jourd'hui \e  de  la  dernière  fyllable ,  /Tz^/zr^ 
n'eft  e  que  dans  l'écriture. 

La  prononciation  de  nos  mots  a  varié. 
L'écriture  n'a  été  inventée,  que  pour  indi- 


de  Grammaire.         537 

l^uer  la  prononciation  \  mais  elle  ne  fau- 
roit  en  fuivre  tous  les  écarts ,  je  veux  dire, 
tous  les  divers  changemens.  Les  enfans 
s'éloignent  infenfibleiiicnt  de  la  pronon- 
ciation de  leurs  pères  :  ainfi  Torthographe 
ne  peut  fe  conformer  à  fa  deftination  que 
de  loin  en  loin.  Elle  a  d'abord  été  liée 
dans  les  livres  5  au  gré  des  premiers  inven- 
teurs. Chaque  figne  ne  fîgnifioit  d  abord 
que  le  fon  pour  lequel  il  avoir  été  inventé  : 
le  figne  ^^  marquoit.le  fon  a;  le  figne  e^ 
le  fon  e  j  &c.  C'eft  ce  que  nous  voyons 
encore  aujourd'hui  dans  la  langue  grec- 
que 5  dans  la  latine ,  &  même  dans  Tita- 
lienne  &  dans  Tefpagnole.  Ces  deux  der-^ 
nières,   quoique  langues  vivantes,  font 
moins  fujetes  aux  variations,  que  la  notre* 
Parmi  nous  3  nos  ieux  s'accoutument  dès 
Fcnfance  à  la  manière  dont  nos  pètes  écri-* 
voient  un  mot ,.   conformément  à  leur 
manière  de  le  prononcer  ^  de  forte  que» 
quand  la  prononciation  eft  venu  a  chan-^ 
ger  ,  les  ieux  accoutumés  à.. la.  manière' 
4'ççrire  de  nos  pères ,  fe  font  oppofés  au 

Nn5 


5  5  s  Principes 

concert  que  la  raifon  auroit  voulu  întrcH 
dluire  entre  la  prononciation  &  Torthogra-» 
phe  y  félon  la  première  deftination  des 
caractères.  Ainfî  il  y  a  eu  alors  parmi  nous, 
la  langue  qui  parle  à  l'oreille ,  &  qui  feule 
eft  la  véritable  langue  ;  &  il  y  a  eu  la  r  la-* 
iiière  de  la  repréfenter  aux  ieux ,  non  telle 
que  nous  l'articulons  5  rqais  telle  que  nos 
pères  la  prononçoient  ;  en  forte  que  nous 
avons  à  reconnoître  un  moderne  fous  un 
habillement  antique.  Nous  faifons  alors 
une  double  faute  :  celle  d'écrire  un  mot 
autrement  que  nous  ne  le  proHonçons,  & 
celle  de  le  prononcer  enfuite  autrement 
qu'il  n  eft  écrit.  Nous  prononçons  a  & 
nous  écrivons  e  ^  uniquement  parceque 
nos  pères  prononçoient  &  écri voient  e. 
a ..,.., .  Le  premier  e  dans  les  mots  em-^ 
pereur  ^  çnfant  j  femme  j  &c,  fait  voir 
feulement ,  que  Ton  prononçoit  empereur j, 
enfant  jy  féme  ;  8c  c'eft  ainfi  que  ces  mots 
foqt  prononcés  dans  quelques-unes  de  nos 
povinces;  Mais  cela  ne  fait  pas  une  qua,-» 
(çiçwe  fe^te  d'^,.  -^^  ^'^i- 


de  Grammaire.         ;y59t 

Nous  n'avons  proprement  que  trois 
fortes  dV.  Ce  qui  les  diftingue,  c'eft  la 
itianière  de  prononcer  Vcj  ou  en  un  temps 
plus  ou  moins  long ,  ou  en  ouvrant  plus  ou 
moins  la  bouche.  Ces  trois  fortes  à'e^  font 
Ve  ouvert ,  Ve  fermé ,  &  Yt  muet.  On  les 
trouve  tous  trois  en  plufieurs  mots.  Fèrmetc 
honnêteté ^  évêque  jfevère^  échelle  ^  Sec. 

Le  premier  e  de  fermeté  efl  ouvert  :  c'efl: 
pourquoi  il  eft  marqué  d'un  accent  grave# 
La  féconde  fylJabe  me  n'a  point  d  accent  » 
parceque  Ve  y  eft  muet.  Té  eft  marqué  de 
Taccent  aigu ,  c'eft  le  fîgne  de  Ye  fermé. 

Ces  trois  fortes  d'e  font  encore  fufce- 
ptibles  de  plus  ou  de  moins. 

Ve  ouvert  eft  de  trois  fortes  :  L  Ve  ou- 
vert commun  :  IL  Ve  plus  ouvert  :  III.  IV 
très-ouvert. 

I.  Ve  ouvert  commun  :  c  eft  Ve  de  pres- 
que toutes  les  langues  :  c'eft  Ve  que  nous 
prononçons  dans  les  premières  fyllabes  de 
père  ^  mère  j  frère  j  &  dans  il  appelle  j  il 
mène  j  ma  nièce  j  &  encore  dans  tous  les 
mots  où  Ye  eft  fuivi  d  une  confonne,  avec 

Nn4 


i540  Principes 

laquelle  il  forme  la  même  fyllabe,  à  moins 
que  cette  confonne  ne  foit  Inouïe  ^jquî 
marquent  le  pluriel,  ou  le  nt  de  la  troifîè* 
me  perfonne  du  plurier  des  verbes.  Ainfî 
on  dit  examen  &  non  examen.  On  dit  tèl^ 
hèlj  ciel ^  chèfj  href^  Joseph  j  nef^  reliefs 
Ifraeh  Ahel^  Babel,  réel,  Michel,  mièt^ 
pluriel  j  criminel,  quel,  naturel,  hôtel j 
mortel ,  mutuel ,  l^hymèn  ,  Sadducéen^ 
Chaldéen  ,  il  vient,  \\foutiènt,  &c. 

Toutes  les  fois  qu'un  mot  finit  par  un  e 
muet  5  on  ne  fauroit  foutenir  la  voix  fur 
cet  e  muet,  puifque  iî  on  la  fôutenoit, 
IV  ne  feroit  plus  muet.  Il  faut  donc  que 
Ton  appuie  fur  la  fyllabe  qui  précède  cet  ^ 
muet',  &  alors,  (î  cette  fyllabe  eft  elle- 
même  un  e  muetji  cet  e  devient  ouvert 
commun,  &  fert  de  point  d'appui  à  la 
voix ,  pour  rendre  le  dernier  e  muet  :  ce 
qui  s'entendra  mieux   par  les  exemples^ 
t^Dans  mener ,  appeller,  8cc.  le  premier  e 
eit  muet,  8c  n'eft  point  accentué.  Mais  f\ 
|e  dis  je  mène^  j'appelle^  cet  e  muet  devient 
ouvert  commun,  &  doit  être  accentué  :/c 


de  Grammaire^.         '541] 

fnènCj  f  appelle.  De  même  5  quand  je  dis 
y  aime  j  je  demande  j  le  dernier  e  de 
chacun  de  ces  mots  eft  muet  :  mais  iî  je 
dis,  par  interrogatiom,  aimè-je j  ne  de^ 
mandè-je pas?  alors  Ve  ^  qui  étoit  muet* 
devient  e  ouvert  commun. 

Je  fais  qu'à  cette  occafion ,  nos  Gram- 
mairiens dilent  que  la  raifon  de  ce  change- 
ment de  Xe  muet,  c'eft  qu/7  nefauroity 
uvoir  deux  e  muets  de  fuite  :  mais  il  faut 
ajouter,  cl  la  fin  d' un  mot.  Car,  dès  que 
la  voix  paflTe  ,  dans  le  même  mot ,  à  une 
fyllabe  foutenue ,  cette  fyllabe  peut  être 
précédée  de  plus  d'un  e  muet,  REDE^ 
mander  j  REVEnirj  &c.  Nous  avons  mê- 
tne  plufieurs  e  muets  de  fuite ,  par  des  ma-» 
nofyllabes  :  mais  il  faut  que  la  voix  palTe  de 
Ve  muet  à  une  fyllabe  foutenue.  Par  exem- 
ple ,  de  ce  que  je  redemande  ce  qui  m^ejl 
du ^  &c -,  voila  fix  e  muets  de  fuite,  au 
commencement  de  cette  phrafe ,  &  il  ne 
iauroit  s  en  trouver  deux  précifément  à  la 
fin  du  mot. 

II,  Ve  eft  plus  ouvert  en  plufieurs  mots» 


542U  principes 

comme  dans  la  première  fyllabe  de  fcr^ 
metéj  ou  il  eft  ouvert  bref.  Il  eft  ouvert 
long  dans  greffe. 

III.  Ve  eft  très-ouvert  dans  accès  ^fuc^ 
cèsj  êtrcj  tempête  j  il  ejl  ^  ahbeffe  ^  fans 
ceffe^  profèffc  jy  arrêta  forêt ^  trêve ^  la 
grève  ^  il  rêve  ^  h  tête. 

Ve  ouvert  commun  au  fîngulier,  de- 
vient ouvert  long  au  plurier>  le  CHEF  ^ 
les  chefs  ;  un  mot  bref  j^  les  mots  brefs  ; 
un  autel  j  des  autels.  Il  en  eft  de  même 
des  autres  voyelles,  qui  deviennent  plus 
longues  au  plurier.  Voye-^  le  Traité  de  la 
Profodicj  de  M.  Tabbé  d'Olivet. 

Ces  différences  font  très-fenfibles  aux 
perfonnes  qui  ont  reçu  une  bonne  éduca- 
tion dans  la  capitale.  Depuis  qu'un  certain 
efprit  de  juftelTe,  de  précifîon  &  d'exaéti- 
tude  s'eft  un  peu  répandu  parmi  nous ,  nous 
marquons  par  des  accens  la  différence  des  e. 

C  eft  fur-tout  à  loccafion  de  nos  e  brefs 
&  de  nos  e  longs  5  que  nos  Grammairiens 
font  deux  obfervations  qui  ne  me  paroif- 
fent  pas  juftes* 


de  Grammaire.        '54J; 

La  première,  c'efl:  qu  ils  prétendent  que 
nos  pères  ont  doublé  les  confonnes,  pour 
marquer  que  la  voyelle  qui  précède  étoit 
brève.  Cette  opération  ne  me  paroît  pas 
naturelle.  Il  ne  feroit  pas  difficile  de  trou- 
ver plufieurs  mots  où  la  voyelle  eft  lon- 
gue 5  malgré  la  confonne  doublée  5  com- 
me dans  greffe  &  nefie.  Le  premier  e  eft 
long,  félon  M.  labbé  d'Olivet  (i). 

L'e  eft  ouvert  long  dans  ahbèjfe  j  pro-^ 
pjje  j  fans  cè£e  j  malgré  lyredoublée.  Je 
crois  que  ce  prétendu  effet  de  la  confonne 
redoublée,  a  été  imaginé  par  zèle  pour 
lancienne  orthographe.  Nos  pères  écri- 
voient  ces  doubles  lettres ,  parcequ'ils  \t% 
prononçoient ,  ain(î  qu'on  les  prononce  ea 
latin  5  &  comme  on  a  trouvé  par  tradition 
ces  lettres  écrites,  les  ieux  s'y  font  telle-^ 
ment  accoutumés,  qu'ils  en  fouffrentavec 
peine  le  retranchement.  Il  falloit  bien 
trouver  une  raifon  pour  excufer  cette  foi-? 
bleiTe/ 

t-    "  ■  .111  I  i      u^ 

'   (x)  Profoii.  pag.  <7* 


1^44  '  Principe^ 

Quoi  qu^il  en  foit  5  il  faut  confidécer  là 
voyelle  en  elle-même ,  qui  en  tel  mot  eft 
brève ,  &  en  tel  autre  longue.  Ua  eft  bref 
à^ns  place  ^  &  long  dans  grâce  j  &c. 

Quand  les  poètes  Latins  avoient  befoin 
d'allonger  une  voyelle  ,  ils  redoubloient 
la  confonne  fuivante  5  reUlglo.  La  première 
de  ces  confonnes  étant  prononcée  avec  la 
voyelle ,  la  rendoit  longue  :  cela  paroît 
raifonnable.  Nîcot,  dans  fon  Diclionaire^ 
au  mot  Aagej,  obferve  que ,  ce  mot  ejl  écrit 
par  un  double  aa^pour  dénoter  ce  grand  A 
François  ^  ainfi  que  Va  grec  :  lequel  aa, 
nous  prononçons  avec  traînée  de  la  voix 
en  aucuns  mots  j  comme  en  Chaalons. 
Aujourd'hui ,  nous  mettons  laccent  cir- 
eonflexe  fur  Va.  Il  ieroit  bien  extraordi-i 
naire  que  nos  pères  euflent  doublé  les 
voyelles  pour  allonger  ^  &  les  confonnes 
pour  abréger* 

La  féconde  obfervation ,  qui  ne  me  pa- 
roît pas  exadle ,  c'eft  qu'on  dit  qu'ancien- 
nement les  voyelles  longues  étoient  fui-» 
vies'dymuettes  qui  en  marquoient  la  jcvi-; 


de  Grammaire.  545I 

gueur.  Les  Grammairiens  qui  ont  fait  cette 
remarque  5  n'ont  pas  voyagé  au  midi  de 
la  France ,  où  tous  ces /Te  prononcent  en- 
core ,  même  celle  de  la  troifième  perfonne 
du  verbe  ejl  :  ce  qui  fait  voir  que  toutes 
Ccs/n^ont  d'abord  été  écrites,  que  parce- 
qu'elles  étoient  prononcées.  L'orthographe 
a  d'abord  fuivi ,  fort  exadement ,  fa  pre- 
mière deftination  :  on  écrivoit  une/*j  par- 
cequ'on  prononçoit  une  f.  On  prononce 
encore  ces /en  pluficurs  mots ,  qui  ont  h 
même  racine  que  ceux  où  elle  ne  fe  pro- 
nonce plus.  Nous  difons  encore /^i/Zj  de 
Jête  ;  la  Bajllllc  j   &  en  Provence  ,  la 
Bajlide  ^  de  bâtir.  Nous  difons ,  prendre 
une  ville  par  efcalade  j  à^ échelle  ;  donner 
la  bafionnadcj  de  bâton  \  ce  jeune  homme 
a  fait  une  efcapadej  quoique  nous  difions, 
séchaper  ^  fsLusfi 

En  Provence ,  en  Languedoc ,  &  dans 
les  autres  provinces  méridiopales  ,  on 
prononce  l'/de  Pafquc ;  &  à  Paris,  quoi- 
qu'on dife  5  Pâquc  j  on  dit  3  Pafcalj  PaJ^ 
quin  j  pafquinadc. 


^46  Priticîpeà 

Nous  avons  une  efpèce  de  chiens,  qu'oit 
appelloit  autrefois ,  Efpàgnolsj  parcequ'ils 
nous  viennent  d'Efpagne.  Aujourd'hui ,  on 
écrit  Epagneul ;  on  prononce  ce  mot  fans 
f^  &  Ve  y  eft  brefT  On  dit  prejlolet  j  prej- 
bytère  j  de  prêtre  ;  prejladon  de  ferment  ; 
prejiejfcj  ccleritas^  dcpreflo  effcj  être  prêt. 

Ve  eft  aufïî  bref  en  pluiîeurs  mots  y  quoi- 
que fuivi  d'une  y*j  comme  dans  prefque  > 
modejlej  lefie^  terrejire^  trimejire  ^  &c. 

Selon  M.  Tabbé  d'Olivet  (i),  il  y  a 
suffi  plufieurs  mots  où  Ye  eft  bref,  quoi- 
que lyen  ait  été  retranchée ,  échelle.  Etre 
eft  long  à  Tinfinitif  5  mais  il  eft  bref  dans 
yous  êtes  j  il  a  été. 

Enfin  5  M.  Reftaut ,  dans  le  Dicllonairè 
de  l'Orthographe  françoife  j  au  mot  régi- 
fire^  dit  que  ly  fonne  auffi  fenfiblement 
dans  regijlrejy  que  dans  lijle  Se  funejle  ;  & 
îl  obferve,  que  du  temps  de  Marot,  on 
prononçoit  épijlre  ^  comme  regijlre  j  8c 
que  c'eft  par  cette  raifon  que  Marot  a  fait 

(i)  Profod, 


de  Grammaire.  547 

rimer  regljlrc  avec  épijlre.  Tant  il  eft  vrai 
que  c'ell  de  la  prononciation  que  l'on  doit 
tirer  les  règles  d<e  lorthographe.  Mais  re- 
venons à  nos  e. 

lue  fermé  eft  celui  que  Ton  prononce 
en  ouvrant  moins  la  bouche  ,  qu'on  ne 
Touvre  lorfqu'on  prononce  un  c  ouvert 
commun.  Tel  eft  IV  de  la  dernière  fyllabe 
dQ  fermeté  ^  bonté j  Sec. 

Cet  e  eft  aufîî  appelle  mafculin ,  parce- 
que  lorfqu'il  fe  trouve  à  la  fin  d'un  parti- 
cipe ou  d'un  adjedif  5  il  indique  le  maf- 
culin 5  ciifé ^  habillé  j  aimé ^  Sec. 

Ve  des  infinitifs  eft  fermé  y  tant  que  IV 
ne  fe  prononce  point^mais  lî  Ion  vient  à  pro- 
noncer IVj  ce  qui  arrive  toutes  les  fois  que 
le  mot  qui  fuit  commence  par  une  voyelle, 
alors  Ve  fermé  devient  ouvert  commun  9 
ce  qui  donne  lieu  à  deux  obfervations. 

i.^  Ve  fermé  ne  rime  point  avec  IV 
©uvert  :  aimer ^  abîmer^  ne  riment  point 
avec  la  mer^  mare.  Ainfi  Madame  Deshou- 
lières  n'a  pas  été  exade,  lorfque  dans  17- 
dylle  du  ruijjeaii ,  elle  a  dit  : 


54§  Principes 

Dans  votre  fein  il  cherche  à  s^abîmen 
Vous  &  lui  5  jufqu^a  la  mer  y 
Vous  n^êtes  qiHune  même  chofe. 

2.^  Mais  comme  Ve  de  Tinfinitif  devient 
'f)uvert  commun,  lorfque  IV  qui  le  fuit  eft 
lié  avec  la  voyelle  qui  commence  le  mot 
fùivant,  on  peut  rappeller  la  rime  ^  en 
difant  : 

Dans  votre  fein  il  cherche  à  s'abîmer  j 
Et  vous  &  lui  y  jufqu^à  la  mer  y 
^  Vous  îi?êtes  qu'une  même  chofe. 

lie  muet  eft  ainfi  appelle ,  relativemcnc 
aux  autres  é.  Il  n'a  pas,  commue  ceux-ci, 
un  fon  fort ,  diftind  &  marqué.  Par  exem- 
ple, dans  mener  ^  demander  jy  on  fait  en- 
tendre Vm  &  le  ^  j  comme  fî  Ton  écrivoit, 
mner  j  dmander. 

Le  fon  foible  qui  fe  fait  à  peine  fentir 

entre  Xm  &  Xn  de  mener ^  &  entre  le  d 

&  Xm  de  demander  jy  eft  précifément  Xe 

muet.  C'eft  une  fuite  de  lair  fonore  qui  a 

été  modifié  par  les  organes  de  la  parole, 

pour  faire  entendre  ccs^confonnes. 

Vu 


de  Grammaire.        549 

Ue  muet  des  monofyllabes  me^  te^  fe^ 
ic^  dcj  eft  un  peu  plus  marqué.  Mais  il  ne 
ïaut  pas  en  faire  un  c  ouvert,  comme  font 
ceux  qui  difent  amènt-lè  :  Ve  prend  plutôt 
alors  le  fon  de  Veu  foible. 

Dans  le  chant,  à  la  fin  des  mots,  tel  que 
gloire  3  fidèle  ^  triomphe  ^  Ye  muet  eft 
moins  foible  que  Ve  muet  commun,  & 
approche  d  avantage  de  Veu  foible. 

LV  muet  foible ,  tel  qu'il  eft  dans  me- 
ner :y  demander^  fe  trouve  dans  touces  les 
langues,  toutes  les  fois  qu'une  confonne  eft 
fuivie  immédiatement  par  une  autre  con- 
fonne. Alors,  la  première  de  ces  confon- 
nes  ne  fauroit  être  prononcée  fans  le  fe- 
cours  d'un  efprit  foible.  Tel  eft  le  fon  que 
Ton  entend  entr€  le  /?  &  Vf^y  dans  pfeudoy 
pjalmus^  Pfittacusjy  &  entre  Y  m  &  Yn  de 
mna  ^  une  mine  ,  efpèce  de  monnoie  *> 
Mnemofine^  la  mère  odes  Mufes,  la  Décile 
de  la'mémoire. 

On  peut  comparer  Ye  muet ,  au  fon  foi-i 
Ible  que  roû  entend  après   le  fon  for% 


^ 


5jo  'Principes 

<jue  produit  un  coup  de  marteau  qui  frappe 

un  corps  folide^ 

Ainfî  il  faut  toujours  s'arrêter  fur  la 
fyllabe  qui  précède  un  c  muet  à  la  fin  des 
mots. 

Nous  avons  déjà  obfervé  ,  qu  on  ne 
fauroit  prononcer  deux  e  muets  de  fuite, 
à  la  fin  d un  mot,  &  que  c'eft  la  raifon 
|)Our  laquelle  Ve  muet  de  mener  devient 
puvert  dans  je  mène. 

Les  vers  qui  finilTent  par  un  e  muet  > 
ont  une  fyllabe  de  plus  que  les  autres , 
|)ar  la  raifon  que  la  dernière  fyllabe  étant 
muette?  on  appuie  fur  la  pénultième.  Alors, 
je  veux  dire  à  cette  pénultième  ,  Toreille 
eft  fatisfaite  ,  par  raport  au  complément 
du  rithme  &  du  nombre  des  fyllabes  :  & 
comme  la  dernière  tombe  foiblement,  & 
qu'elle  n'a  pas  un  fon  plein  ,  elle  n  eft 
point  comptée ,  &  la  mefure  eft  remplie 
à  la  pénultième  : 

Jmn€  &  vaillant  hiros ,  dont  la  haute  fageffu 


de  Grammaire:         yjiT 

ÎL  oreille  eft  fatisfaite  à  la  pénultième  > 
^cf^  qui  eft  le  point  d  appui  >  après  lequel 
X)\\  entend  Xc  muet  de  la  dernière  fyllabe 

A 

LV  muet  eft  appelle  féminin^  parce-^ 
qu'il  fert  à  former  le  féminin  des  adjeétifs^ 
Par  exemple,  faint  jy  fainte  ;  pur  ^  pure  ; 
hon  j  bonne  j  Sec.  Au  lieu  que  ïe  fermé  eft 
appelle  mafculin  ^  parceque  lorfqu'il  ter- 
mine  un  adjeétif,  il  indique  le  genre  maf- 
culin, un  homme  aimé ^  &c. 

Ve  qu  on  ajoute  après  le  ^3  il  mangea j, 
êccy  n'eft  que  pour  empêclier  quon  ne 
donne  au  g  le  fon  fort  gaj  qui  eft  le  ieul 
qu'il  devroit  marquer.  Or,  cet  e  fait  qu'on 
lui  donne  le  fon  foible,  ilmerija.  Ainli  cet 
e  n'eft  ni  ouvert,  ni  fermé,  ni  muet.  Il 
marque  feulement ,  qu'il  faut  adoucir  le  ^j 
&  prononcer  je  ^  comme  dans  la  dernière 
fyllabe  de  gage.  On  trouve  en  ce  mot  le 
{qi\  fort  &  le  fon  foible  du  ^^ 

h'e  muet  eft  la  voyelle  foible  de  eu  :  ce 
qui  paroit  dans  le  chant,  lorfqu'un  mot 
fmx  par  un  c  muet  moins  foible. 


j$z  Principes 

Rien  ne  peut  i^arreter 
Quand  la  gloire  V appelle,. 

Cet  eu  y  qui  eft  la  forte  de  Ve  muet ,  eft 
une  véritable  voyelle.  Ce  n'eft  qu\in  forr 
fimple  5  fur  lequel  on  peut  faire  une  tenue*. 
Cette  voyelle  eft  marquée  dans  1  écriture 
par  deux  earadtères  :  il  ne  s'enfuit  pas  de- 
là  que  eu  foit  une  diphtongue  à  Toreille  y 
puifqu'on  n'entend  pas  deux  fons  voyelles. 
Tout  ce  que  nous  pouvons  en  conclure  y 
c  eft  que  les  auteurs  de  notre  Alphabet  ne 
lui  ont  pas  donné  un  caradtère  propre. 

Les  lettres  écrites ,  qui ,  par  les  change* 
jnens  furvenus  à  la  prononciation ,  ne  fe 
prononcent  point  aujourd'hui,  ne  doivent 
que  nous  avertir  que  la  prononciation  a 
changé.  Mais  ces  lettres  multipliées  ne  chai> 
gent  pas  la  nature  du  fon  fimple,  qui  feut 
eft  aujourd'hui  en  ufage,  comme  dans  la 
dernière  fyllabe  de  ils  aimoientj,  amahant^ 

JJe  eft  muet  long  dans  les  dernières 
lyllabes  des  troifièmes  perfonnes  du  plu- 
mier des  verbes ,  quoique  cet  c  foit  fuivi 


dd  Grammaire:  %^y 

Snt  qu'on  prononçoit  autrefois  ^  &  que 
les  vieillards  prononcent  encore  en  cer- 
taines provinces.  Ces  deux  lettres  vien- 
nent du  latin  ,  amant ^  ils  aiment. 

Cet  e  muet  eft  plus  long  &  plus  fenfi- 
ble  qu'il  ne  Teft  au  fingulier.  Il  y  a  pea 
de  perfonnes  qui  ne  Tentent  pas  la  diffé- 
rence qu'il  y  a  dans  la  prononciation  5  en- 
tre il  aime  j  &  ils  aiment. 


DES    DIPHTONGUES. 

Xj  e  mot  diphtongue  par  lui  -  même  eŒ 
^i]cô:i{ de Jyllabe  ;  mais  dans  Tufage  ou 
le  prend  fubftantivement.  j4  eft  une  fyl- 
labe  monophtongue  5  c'eft-à-dire,  une  fyU 
Jabe  énoncée  par  un  fon  unique  ou  fimplei 
au  lieu  que  la  fyllabe  au  prononcée  à  la 
latine  a  ou  j  8c  comme  on  la  prononce  en- 
core en  Italie  5  &c.  &  même  dans  nos  Pro- 
vinces méridionales-,  auj  dis-je,  ou  plutôt 
a-ouj  c'eft  une  diphtongue,  c'eft-à-dire> 

O03 


j^j:^  Principes, 

une  fyllabe  qui  fait  entendre  le  fon  cïtf 
deux  voyelles  par  une  même  émiffion  de 
voix,  modifiée  par  le  concours  des  mpu- 
vemens  fîmukanés  des  organes  de  la  pa- 
role. De  cT/V ,  bis  j  &  <pboyyoç^fonus. 

L'eflTence  de  la  diphtongue  confifte 
donc  en  deux  points. 

I.®  Qu'il  n'y  ait  pas  >  du  moins  fenfîble- 
ment>  deux  mouvemens  fucceiïîfs  dans 
les  organes  de  la  parole. 

2.^  Que  Toreille  fente  diftindtement 
les  deux  voyelles  par  la  même  émiflîon  de 
voix.  Dieu;  j'entens  Ti  &  la  voyelle  eu; 
8c  ces  deux  fons  fe  trouvent  réunis  en 
une  fèuIe  fyllabe,  &  énoncés  en  un  feul 
temps.  Cette  réunion ,  qui  efl:  Teftet  d  une 
feule  émifîîon  de  voix  ,  fait  la  diphton- 
gue j  ainfi  ^z/ ^  aij  oient  j  &c.  prononcés 
à  la  françoife,  o^  èj  êj  ne  font  point 
diphtongues.  Le  premier  eft  prononcé 
comme  un  ô  long ,  au-mône  ^  au-  ne.  Les 
partifansmême  de  lancienne  orthographe 
récrivent  par  o  en  plufieurs  mots,  malgré 
rétymologie ,  or  de  aurum  ;  o  -  rcille  4e 


de  Grammaire:        ^f  5  5; 

mirb;  &  \  Tégard  de  ai^  oit:,  aient  ^  011 
les  prononce  comme  un  e  ^  qui  le  plus 
fouvent  eft  ouvtn-,  palais  commtfuccès;. 
ils  av-oientj  ils  ave  j  &c. 

Cette  différence  entre  Torthographe  Se 
la  prononciation)  a  donné  lieu  à  nos  Gram- 
mairiens de  divifer  les  diphtongues  en. 
vraies  ou  propres,  &  en  faulTes  ou  impro- 
pres. Ils  appellent  auffi  les  premières  dipk^ 
longues  d^  L'oreille  jy  &  les  autres  diphton'-- 
gues  aux  ieux.  Ainfî  V^  &  TCE  ^  qui  ne 
fe  prononcent  plus  aujourd'hui  que  comme 
un  e^  ne  font  diphtongues  qu'aux  ieux; 
c'efl:  improprement  qu'on  les  appelle  diph-*^ 


tangues. 


Nos  voyelles  font  a^J^è  y  ê  j  ij  Oj  euy^ 
c  muet  5  ou.  Nous  avons  encore  nos  voyel- 
les nafaleSj^/Zj  ^/2j  in^  on  ^  un.  Ceft  la. 
combinaifon  ou  l'union  de  deux  de  ces 
voyelles  en  une  feuîe  fyllabe  >  en  un  feul 
temps,  qui  fait  la  diphtongue. 

Les  Grecs  nomment  pr^/^q/TnVe  la  pre-» 
îjiicre  voyelle  de  la  diphtongue ,  8>cpoJlpo^ 
Jitive  la  fçconde  :  ce  n  eft  que  fur  celle  -  ci 

Oq4 


j  5  5  S  Principes 

que  Ton  peut  faire  une  tenue,  commç^ 
310US  lavons  remarqué  en  parlant  des  coiv 
fonnes. 

Il  feroit  à  fouhaiter  que  nos  Gramman 
riens  fuflent  d'accord  entr'eux  fur  le  nom- 
bre de  nos  diphtongues  ;  mais  nous  n'en 
fommes  pas  encore  à  ce  point  là.  Nous 
avons  une  Grammaire  qui  commence  la 
lifte  des  diphtongues  par  eo  j  dont  elle 
donne  pour  exemple  Géographie  ^  Théo^ 
logie.  Cependant  il  me  femble  que  qq^ 
îiiors  font  de  cinq  fyllables ,  Gé  -  o  -  gra- 
phite j  Thé'O-lo'gi-e.  Nos  Grammairiens 
&  nos  Didionaires  me  paroiiTent  avoir 
manqué  de  juftefTe  &  d'exaditude  au  fujet 
des  diphtongues ,  mais  lans  me  croire  plus 
infaillible,  voici  celles  que  j'ai  remarquées 
en  fuivant  Tordre  des  voyelles.  Les  unes 
fe  trouvent  en  pluiieurs  iTvots,  &  les  au^ 
1res  feulement  en  quelques  uns, 

A  ij  tel  qu'on  Tentend  dans  Tinterje^ 
âion  de  douleur  ou  d'exclamation ,  aij  aij 
al  ;  &  quand  Va  entre  en  compofition  dans 
ia  mêuie  fyllabe  avec  le  mouillé  fore  3  corn- 


de  Grammaire:        557 

me  dans  m^alljy  b-ail^  de  Y-aîlj  a-tï-r-ail^ 
évan-t-ail ^por-t-ail  j  8cc.  ou  qu'il  eft  fuivi 
du  mouillé  foible^la  ville  de  Bl-aye  en 
Guienne ,  les  îles  Lu-c-ayes  en  Amérique. 

Cette  diphtongue  ai  e/l  fort  en  ufage 
dans  nos  provinces  d'au-delà  de  la  Loire. 
Tous  les  mots  qu'on  écrit  en  François  par 
ai  j  comme  faire  j  néce [faire  ^  jamais  y 
plaire  jy  palais  j  &c.  y  font  prononcés  par 
^  -  i  j  diphtongue  •,  on  entend  Va  &  1'/. 
Telle  étoit  la  prononciation  de  nos  pères, 
&  c  eft  ainfî  qu'on  prononce  cette  diphton- 
gue en  grec ,  uovmi ,  t/^/.  Telle  eft  aufîî 
la  prononciation  des  Italiens,  des  Efpa- 
gnols,  &c.  ce  qui  fait  bien  voir  avec  com- 
bien peu  de  raifon  quelques  perfonnes 
s'obftinent    à    vouloir    introduire    cette 
diphtongue  oculaire   à   la   place    3e    1^ 
diphtongue  oculaire  oi    dans    les    mots 
français  j  croire  _,  comme  fî  ai  étoit  plus 
propre  que  oi  à  repréfenter  le  fon  de  1'^. 
Si  vous  avez  à  réformer  oi  dans  les  mots 
où  il  fe  prononce  è  ^  mettez  è  j  autrement 
c'eft  reformer  un  abus  par  un  plus  grand  > 


^5^  Principes 

&  c eft  pécher  contre  lanalogie.  Si  Toit 
écrit  François  j  j'avois  y  c'eft  que  nos 
pères  prononçoient  François  j  pavois  ; 
mais  on  n'a  Jamais  prononcé  Français  cth 
'faifant  entendre  Va  &  Yi.  En  un  mot  (i 
Von  vouloit  une  réforme,  il  falloir  plutôt. 
la  tirer  de  procès  j  fuccèsj  très  ^  auprès  ^ 
dès  _,  &c,  que  de  fe  régler  fur  palais  8c  fut 
un  petit  nombre  de  mots  pareils  qu'on 
écrit  par  ai  j  par  la  raifon  de  Fétymologie 
palatiunzj  &  parceque  telle  étoit  la  pro- 
nonciation de  nos  pères:  prononciation, 
qui  fe  con/èrve  encore,  non  -  feulement 
dans  les  autres  langues  vulgaires  ,  mais 
iîiême  dans  quelques  -  unes  de  nos  Pro-. 
vinces. 

Il  n'y  a  pas  long  -  temps  que  Ton  écri- 
voit  naij  natus  ;  il  ejl  nai.  Mais  enfin  la 
prononciation  a  foumis  Torthographe  en 
ce  mot,  &  Ton  écrit  né. 

Mais  pafTons  aux  autres  diphtongues. 

J'obferverai  d'abord  que  Vi  ne  doit 
être  écrit  par  y^  que  lorfqu  il  eft  figne  du. 
mouillé  foible. 


de  Grammaire.         ^^^ 

Eau.  Fléau;  ce  mot  eft  de  deux  fyllabes: 

Etre  V effroi  du  monde  y  &  k  fléau  de  Dieu  (i)* 

A  regard  defeauj  eau  ^  communément 
ces  trois  lettres  eau  fe  prononcent  comme 
un  o  fort  long,  &  alors  leur  enfemble 
n'eft  qu'une  diphtongue  oculaire  ou  une 
forte  de  demi  -  diphtongue,  dont  la  pro- 
nonciation doit  être  remarquée  ;  car  il  y  a 
bien  de  la  diffsrence  dans  la  prononcia- 
tion entre  un  feau  à  puifer  de  Teau  &  un 
fotj  entre  de  Veau  &  un  os  jy  entre  \2ipeau 
Se  le  Pçj  rivière,  ou  Pau^  ville.  M. 
l'abbé  Régnier  dit  (  2  )  que  Ve  qui  eft 
joint  à  au  dans  cette  diphtongue  fe  pro- 
nonce comme  un  e  féminin ,  &  d'une  ma- 
nière prefqu'imperceptibic. 

El  j,  comme  en  grecTÇ/i/o»,  tendo.  Nous 
ne  prononçons  guère  cette  diphtongue 
que  dans  des  mots  étrangers,  bei  ou  bcy  ; 
dei  ou  dey  ;  le  De'i  de  Tunis  ;  ou  avec  Vn 


(i)  Corneille. 

(2.)  Grammaire ,  pa^.  70* 


5  ^6  Principes 

nazai ,  comme  dans  teindre jy  Reims j  ville* 

Selon  quelques  Grammairiens,  on  en- 
tend en  ces  mots  un  i  très-foible ,  ou  un 
fon  particulier ,  qui  tient  de  Ye  &  de  Vu 
Il  en  eft  de  même  devant  le  fon  mouillé 
dans  les  mots  fo-l-eil  ^  con-f-eil  ^  fomr 
m-eilj  8cc. 

Mais  félon  d'autres  y  il  n'y  a  en  ces  der- 
niers 5  que  ïe ,  fuivi  du  fon  mouillé ,  le 
V-ie-il  homme  ^  con-f-e-il  ^^  fomm-c-ïl  jy  &c; 
&  de  même  avec  les  voyelles  a  ^ou^  eu^ 
Ainfî,  félon  ces  Grammairiens,  dans  œil  y 
qu'on  prononce  euil^  il  \\y  a  que  eu  fuivi 
d'un  fon  mouillé  ,  ce  qui  me  paroît  plus 
exact.  Comme  dans  la  prononciation  du 
fon  mouillé ,  les  organes  commencent  d'a- 
bord par  être  difpofés,  comme  fî  l'on  alloit 
prononcer  i  j  il  femble  qu'il  y  ait  un  i  : 
mais  on  n'entend  que  le  fon  mouillé ,  qui 
dans  le  mouillé  fort  eft  une  confonne* 
Mais  à  regard  du  mouillé  foible,  c'eft  un 
fon  mitoyen,  qui  me  paroît  tenir  de  la 
voyelle  &  de  la  confonne  :  mo-ycn  _, 
pa-yçn  :  en  ces  mots,  je/z  eft  un  fon  bien 


de  Grammaire.  ^éi 
cfifFérent  de  celui  qu'on  entend  dans  bicn^ 
mien  ^  tien. 

Ia.  D-ia-crej  i-la-mant ^  fur-tout  dans 
le  dilcours  ordinaire.  F-ia-cre  ;  les  Plé-ia-- 
des  j  de  la  v-ia-nde  ;  négo-c-iant  ;  incon- 
vé-n-ien-t. 

Ie.  P'ie  ou  p-iedj  les  p-ié-ds  ;  ami-t-ié ^ 
pi't'ié ;  pre-m-ier  j,  der-n-ier  ;  mé-t-ier. 

Ie  ouvert.  Une  v-ie-Z^jinflrument;  vo^ 
l'ie-re  ^  Gu-ie-ne  ^  province  de  France  \ 
V-iè-nCj  ville ,  ou  yeihe^veniat;  n-iai-s; 
b'iai-s  ;  on  prononce  niés  ^  biès ;  f-iè-r  ^ 
un  t'iè-rs  ;  le  c-ie-l;  Ga-br-ic-l  ;  cf-fen^ 
t-ie-l  ;  du  m-ièl;  f-ie-L 

Ien  j  où  Yi  neft  pas  mouillé  foible; 
h-ien  j  m-ien  ^  t-ien  ^  f-ien  _,  en-tre-t-ien  ^ 
ch-ïen  j  co-mé-d'ien  j  In-d-ien  j  gar-d-ienj, 
pra-ti-c-ien.  L*i  &  la  voyelle  nazale  en  en 
font  la  diphtongue. 

Ieu  -,  D'ieu  j  l'ieu  j  les  c-ieux  ^  m-ieux. 

lo 'y  f-io-lej  ca-pr-io'lcj  car-iode^  v-io-le^ 
fur-tout  en  profe. 

/OW  j  p-iorij  que  nous  ai-m-ion-Sj  di^^ 


^6z  Prihcipes 

f-ion-s  jy  Sec.  Ac-t-ion;  occa'f'ion.Ionçii 
fouvent  de  deux  fyllabes  en  vers. 

lou.  Cette  diphtongue  n'eft  d'ufage 
que  dans  nos  provinces  méridionales,  ou 
bfcn  en  des  mots  qui  viennent  de-là.  Mon^ 
tef-^qu'iou  j  Ch-zou-r-me  ;  O-l-iou-les  j  ville 
de  Provence  :  la  Ciotat  3  ville  de  Provence  ; 
on  dit  la  C-iou-tat, 

Y  A  j  y  an  j  ye  ^  e  muet  5  ye  j  &c.  L7 
ou  Vy  a  fouvent  devant  les  voyelles  un 
fon  mouillé  foible,  c'eft-à-dire,  un  fon  ex- 
primé par  un  mouvement  moins  fort ,  que 
celui  qui  fait  entendre  le  fon  mouillé ,  dans 
Vcrfailles  ^  paille  :  mais  le  peuple  de  Pa- 
ris, qui  prononce  Verfa-ye  ^  pa-ye  ^  fait 
entendre  un  mouillé  foible.  Ce  fon  effc 
TefFet  du  mouvement  affoibli  qui  produit 
le  mouillé  fort.  Ce  qui  fait  une  prononcia- 
tion particulière ,  différente  de  celle  qu'on 
entend  dans  mien^  tien  ^  où  il  nj  a  point 
de  fon  mouillé ,  comme  nous  lavons  déjà 
obfèrvé. 

Ainfi  je  crois  pouvoir  mettre  au  rang 
ge«  diphtongues  les  fons  compofés ,  qui 


de  Grammaire.  ^^f 

téfultent  d'une  voyelle  jointe  au  mouillé 
foible.  A-yanty  vc-yant^pa-yen^pai-yarity 
]cpai-yej  emplo-yer^  do-yen;  afin  que 
vous  fo-ye'i^  dé-lai-ye-r  ^  bro-ye-r» 

Ol.  La  prononciation  naturelle  de  cette 
diphtongue  eft  celle  que  Ton  fuit  en  grec, 
?^^^f.  On  entend  Yo  &  ÏL  Ceft  ain(î 
qu'on  prononce  communément,  vol-ye-Ie^ 
voî-ye-r  j  moi-yen  j  loi-ya/j  roi-yaume. 
On  écrit  communément,  voyelle ^  voyer^ 
moyen  y  loyal  ^  royaume.  On  prononce 
encore  ainfi  plufieurs  mots,  dans  les  pro* 
vinces  d  au-delà  de  la  Loire.  On  dit  Sa^ 
v-oî-ej  en  faifant  entendre  Yo  &  IV.  A 
Paris  ,  on  dit  Savo  -  ya-rd  :  y  a  eft  la 
diphtongue. 

Les  autres  manières  de  prononcer  lai 
^diphtongue  oi  ne  peuvent  pas  fe  faire  en- 
tendre exadement  par  écrit.  Cependant , 
ce  que  nous  alons  obferver ,  ne  fera  pas 
inutile  à  ceux  qui  ont  les  organes  affèz  dé* 
licats  &  afiez  fouples  pour  écouter  &  pour 
imiter  les  perfonnes  qui  ont  eu  l'avantage 
^'^Yoir  été  élevées  dans  la  capitale  3  &  d'y; 


5  ^4  Pnncipei 

avoir  reçu  une  éducation  perfedtionéé 
par  le  commerce  des  perfonnes  qui  ont 
leiprit  cultivé. 

Il  y  a  des  mots  ou  oi  eft  aujourd'hui 
prefque  toujours  changé  en  oe^  d  autres  ou 
CL  fe  change  en  ou  j  8c  d'autres  enfin  en 
cua^  Mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  s 
que  hors  les  mots  où  Ton  entend  l'o  &  Tô 
comme  en  grec  hd^^i ,  il  n'eft  pas  pofïîble 
de  repréfenter  bien  exadement  par  écrit 
les  différentes  prononciations  de  cette 
diphtongue. 

Oi  j  prononcé  par  ocj  où  IV  a  un  Ton 
ouvert,  qui  approche  de  Yo  :  F-oij  l-oîj 
fr-oi'd^  t^oi*t  j  m-oij  z  f-oi-fon^  qu-oi  ^ 
c-ol'ffe  j  oi'feau  ^  J-oî-e  j  d-oi-gt  j  d-od-tj 
cb-oi-s  j  t-OL-le  ^  8cc. 

Oij  prononcé  par  ou  :  M-ol-s  j  p-oî-Sy 
n-oi-x  j  tr-oi'S  j  la  ville  de  Tr-oi-e  j  &c* 
Prononcez ,  m-oa  j  p-oa  j  &c. 

Oij  prononcé  par  oua^  h-oi-s  ;  pro- 
noncez 5  b-ou-a. 

OiN.  S-oin  J  l-oin  j  be-f-om  j  f-oïn  ^ 
j-çm-drcj  m-çin^s^  Ou  doit  plutôt  pro- 
noncer 


de  Gramfnaire.  ^^^ 
îîoncer  en  ces  mots  une  forte  d'e  nazal 
après  Xe  ^  que  de  prononcer  ouin  :  aînfi 
jprononcezyc>^//2  j  plutôt  que  fouin. 

Il  faut  toujours  fe  reflou venir  que  nous 
li^avons  '  pas  de  figues  pour  reprcfenter 
'exactement  ces  fortes  de  fons. 

Oua  j  écrit  par  ua  j  éq-ua-teurj  éq-ua-- 
fîonj  aq^ua-tique  j  quinq-ua-géfime.  Pro- 
noncez é-c-oua-teurj^  é-q-oua-tionj  a-q-oud- 
tique  j  quïn-q-oua^géfime. 

Ce,  P-oe-tc  j  p'Oe-me.  Ces  nîors  font 
plus  ordinairement  de  trois  fyriàbes  en 
vers.  Mais  dans  la  liberté  de  la  coiiverfa- 
tion ,  on  prononce  poe  jy  comme  diphtoiîL 
gue. 

Oue'n.  E-C'  oncri'^    R  -  <:iuen  3  villes^ 
Diphtongues  en  profe. 
'     OuE.  Oue-Jlj  Sud'OuC'fi, 

Oui*  Bouisj  Louis ^  en  profe.  Ce  dèf- 
hier  mot  eft  de  deux  fyliabcs  en  vers, 
}Ouz  j  ita>> 

Oui  y  '  ce  font  ces  plaijîrs  6'  ces  pleurs  que  yenvie\ 
Oui  j  je  t^ achevai  U  Praticien  François. 

Racinéé 


^46  Principes 

OuiN.  Bara-g-ouin  j  ba-b-ouîn^ 
Ue.  Statue  éq-ue-Jlrej  caf-ue4j  ann-ue-lj, 
éc-ue-llcj  r-uc-lk  ^  tr-ue-lle  ^  fur-tout  en 
.profe. 

Ui.  L'îd  ^  ét'Uljy  Tî'ui't  j  br-ui'tj  fr-ui-t^ 
h'ui't ^  l'ui-re;  je/^/^i-^un  S-ui-Jfe. 

UlN.  Al-c-uirij  théologien  célèbre  du 
temps  de  Charlemagne.  Q;uin-quagéjtme^ 
|)rononcez  quin.^  comme  en  latin,  &  de 
même  Q^uln-tiUïen  j  le  mois  de  J-uia. 
On  entend  Xu  &  ïi  nazal. 

Je  ne  parle  point  de  Caën  j  laon  j, 
paon  j  Jean  j  &c.  parcequ'on  n'entend 
plus  aujourd'hui  qu'une  voyelle  nazale  en 
ces  mots-là,  Can^  Pan  j  Lanj  Jan. 

•Enfin  il  faut  obferver  5  qu'il  y  a  des 
combinaifons  de  voyelles  qui  font  diphtoi> 
gués  en  profe  &  dans  la  converfation  ,  &• 
eue  nos  poètes  font  de  deux  fyllabes  : 

Voudrois-tu  bien  chanter  pour  moi^cker  LicidaSj 
Quelqu^air  Si-ci-li-en  (i). 

On  dit  Si'Ci'Uen^  en  trois  fyllabes  3  dana 

le  difcours  ordinaire. 

-#—  ■         '         I      ■ ■  I 

(1}  Longcpierrc* 


de  Grammaire.  '^^ 

'JLaJhiy  cènœudjacrej  c^'U-eri  pré-<:i'€U3cl^i); 

'Jlefi  jujiej  grand  Roi  >  qu^un  îutmtxi- cr  perijfe.ii^ 
u4lleiy  vous  devii-ez  mourir  de  pure  honte  (3).  ^ 
^ous  pcrdti-ez7^  temps  en  difcoursfupcrflus  (4)/ 
Cette  fière  raifon  y  dont  on  fait  tant  Je  bruit. 
Contre  les  paflfi-ons  n^eflpas  un  fur  remède  (  j)i 
'Non  y  je  ne  hais  rïehtant  que  les  conto'rfî-ons 
De  tous  ces  grands  faifeurs  de  ptoceftarîoh^  {6}^ 

La  plupart  des  mots  en  ion  &  /otzj  font 

diphtongues  en  profe.  Voyez  les  divers 

'traités  que  nous  avons  de  la  vèriificaticm 

francoife.  i"*-^^  '- 

> 

.  Au  refte  5  qu'il  jr  ait  en  notre  langue 
plus  ou  moins  de  diphtongues  qtre  je  neû 
m  m.arque^cela  eft  fort  indifférenr^  pourvu 
qu'on  les  prononce  bien.  Il  eft  utile  ,  dit 
iQiiintilien ,  de  faire  cts  ol;>fei:vatioiis.  Çé- 
far  5  dit -il,  Cicéron  ,  &  d'autres  granc^ 
hommes  5  les  ont  faites  5  mais  il  ne  faut 
les  faire  qu'en  pafl&nt.  Marcus /  Tullius 
vrator^  artis  hujus  dïligentijjimus fuit\  & 
in  filio  j,  .ut  in  epifiolis  apparcu  Non  oB- 

,  »  •  '_  -.M    ,  r        ■   I •    ■  -  •  ,.111  TU 

(i)  Brcbeuf.  (4)  Fonteneilc* 

•     (2)  Corneille,  (f)  Deshoaliéres^"*' 

.     (3)  Môliçre^  \s)  Molière.      ^z 


^'5^8  Principes 

fiant  hA  difciplin^t  per  illas  cuntibus  j  fed 
ucirca  illas  hétrentïhus  (i).  J 

DES     A  C  C  E  N  S. 

Le  mot  Accent  vient  âiaccentumj 
fupin  du  verbe  acClncre^  qui  vient  de  &  ad 
.de  cancre.  Les  Grecs  lappellent  UfomJ'U ? 
TTiodulatio  qu<z  fyllabîs  adhihetur  ^  venant 
de  ^^oç  >  prépoiîrion  grecque  qui  entre  dans  û 
la  compofition  des  mots,  &  qui  a  divers 
xifages  5  &  d'ûj/îj ,  camus  j  chant.  On  1  ap- 
pelle auiîî  TDKor,  ton. 

Il  faut  ici  diftinguei  la  chore>&:  Iç  iîgne 
de  la  chofe. 

La  chofe ,  c'eft  la  voix  \  la  parole ,  c  cft 
le  mot  )  en  tant  que  prononce  avec  toutes 
les  modifications  établies  par  Tufàge  de  la 
langue  que  Ton  parle. 

Chaque  nation,  chaque  peuple ,  chaque 
province ,  chaque  ville  même ,  diftëre  d  un 
«utre  dans  le  langage ,  non-feulement  par- 

(t)  Qïiimilicu>///Jî;V.  Qrat,  lib.i,  c?i^.7}infinù 


1 


de  Grammaire.  jrf^- 
c^qu*on  fe  fert  de  mots  dift'érens  -,  mais 
encore  par  la  manière  d'articuler  &  de 
prononcer  \^%  motSi 

Cette  manière  différente  dans  larticu* 
lation  des  mots  eft  appellée^cce/zr.  En  ce 
fens  les  mots  écrits  n'ont  point  daccens}, 
car  Taccent  ou  l'articulation  modifiée,  ner 
peut  affeder  que  loreille  :  or  Técriturc 
n'eft  apperçue  que  par  les  ieux.  > 

C'eft  encore  en  ce  fens  que  les  poètes^ 
difent  :  Prêtez  Toreille  àines  triftes  accens;. 
&  que  M.  PellilTGJi  difoit  aux  Réfugiés  >. 
Vous  tâcherez  de  vous  former  aux  acccns^ 
d  une  langue  étrangère» 

Cette  efpèce  de  modulation  dans  le  diA^ 
cours,  particulière  à  chaque  pays,  eft  cç: 
que  M.  labbé  d'Olivet ,  dans fon  excellent 
Traité  de  la  Profodk  j  appelle  accent  na^. 
tXonaL 

Pour  bien  parler  une  langue  vivante,  il 
faudroit  avoir  le  même  accent  >  la  même 
inflexion  de  voix  qu'ont  les  honnêtes  gens 
de  la  capitale.  Ainii,  quand  on  dit  que 
fOur  bien  parler  français  j  il  ne  faut  point 


fY^:         ;"  Principes 

tivoir"  ci'accentj,  on  veut  dire  qu  îl  ne  faut 
aV'Bir  lii  Faccent  italien,  ni  Taccent  gafcon  ,, 
ni  laccent  picard ,  ni  aucun  autre  accent  j^, 
qiii  nVft  pas  celui  des  hoimetes  gens  de  la 
capitale. 

\Jccentj  ou  modulation  de  la  voix  dans 
le  difcours,  eft  le  genre  dont  chaque  ac-. 
cent  national  eft  une  ef^èce  particulière^- 
Ceft  ainfî  qu*on  dit  Yaccenc  gafcon  ^  Yac-r. 
cent  flamand.  L'accent  gafcon  élève  la 
voix  5  où,  félon  le  bon  ufage,  on  labaifïev 
il  abrège  des  lyllabes  que  le  bon  ufage- 
allonge.  Par  exemple ,  un  Gafcon  dit  par-- 
confquent  au  lieu  de  dire  Par  conféquent. 
Jl  prononce  fëchçment  toutes  les  voyelles 
nazales  an^  e/^j  in^  on^  Un^  Sec. 

Selon  !e  méchanifme  des  organes  de  h 
parole ,  ir  y  a  plufieurs  fortes  de  modifica- 
tions particulières  à  obferver  dans  l'accenD 
en  général  5  &  toutes  ces  modifications  fe 
rouvent  aullî  dans  chaque  accent  natio-^ 
liai  5,  quoiqu'elles  foient  appliquées  difté-n 
gemment  :  car  fi  l'on  veut  y  prendre  garde, 
^n  trouve  par-tout  ynifqrmicé  $c  variétés. 


de  Grammaire.        ^-^6 

Pàt-tout  'les  hommes  ont  un  vifage,  & 
pas  lin  ne  reflenibfe^  parfaitement  à  un  au- 
tre i  paMour les  hommes  parlent,  &  cha- 
que pays  a  fa  manière  particuhère  de  par- 
let  &  de  modifier  la  voix.  Voyons  donc 
quelles  font  ct^  différentes  môdifications^^ 
de  voix  qui  font  comprifes  fous  le  mot- 
général  d'^cc^;?r.  / 

I.  Premièrement,  il  faut  cfbfcTver  que 
les  fyllabes,  en  toute  langue,  ne'font  pas* 
prononcées  du  même  ton.  Il  y  a  diverfes 
inflexions  de  voix ,  dont  les  ùriés  élèvent 
le  ton,  les  autres  le  baiflent,  &  d'autres 
enfin  Félcvent  d'abord  ,   &  le  rabaiïTenr 
cnfiiite  fur  la  même  fyllabe.  Le  ton  élevé 
cft  ce  qu'on  appelle  accent  dl^u  ;  le  toi^ 
bas  ou  baiffë  eft  ce  qu'on  nomme  yz^c:^;?^ 
grave  ;  enfin  le  ton  élevé  &  baiÏÏé  fuccef- 
fivement  &  prefqu'en  même  temps  fur  la 
même  fyllabe ,  eft  l'accent  circonflexe. 
'     ce  La  nature  de  la  voix  eft  admîrable^ 
9i dkCiceran  :  toute  forte  de  chant  eft! 
»»  agréablement  vsrié  par^e-torr-circon- 
3î.flexe,  par  Taigu  &  pac  le  grava  :  or;  le 


57^'  Principes  " 

5o  difcours  ordinaire ,  pourfuît-li^  efi:  aufiS 
une  çfpèçe  de  chant  55.  Mira  efi  naturct 
XOcU  ^  cujus  quidcm  ^  è  tribus,  omnino  fo^ 
nis  ^  inficxo  y  acuto  y  gravi  y  tanta  fit  5*, 
tam  fiuavis  Vfzrietas  perfecia  in,  cantibus  t 
efi  autem  in  ,dicendo  ctiam  quidam  can-^ 
tus  {{)..  Cette  différente  modification  du 
ton,  tantôt  aigu,  tantôt  grave  &  tantôt 
circonflexe  ■>  eft  encore  fenfible  dans  le 
cri  de^  animaux  &  dans  tes  inflrumens  de 
xilufîque.  .      :  ,  .,,,.,.... 

II.  Outre  cette  variété  dans  le  ton.,  qui 
eft  ou  grave  5  ou  aigu  ,  ou  circonflexe ,  il  yf 
a  encore  à  obferver  le  temps  que  Ton  meç 
à  proiioncer  chaque  fyllabe.  Les  unes  font 
prononcées  en  moins  de  temps  que  les  au- 
tres, &  Ion  dit  de  celles-ci  qu elles  fonç 
longues5&  de  celles-là  qu  elles  font  brèves. 
Les  brèves  foiit  prononcées  dans  le  moins 
de  temps  qu'il  ell  pofïible  :  auffî  dit  -  oa 
quelles  n'ont  qu'un  temps ,  ceft-à-dirç  j^ 
une  mefure ,  un  battement  :  au  heu  que 

(i^  Cifiixon)  Orator^  n.  17,  &  iS» 


de  Grammaire.         '575 

les  longues  en  ont  deux*,  &  voila  pour- 
quoi les  anciens  doubloient  fouvent  danS; 
récriture  les  voyelles  longues  >  ce  que 
nos  pères  ont  imité  en  écrivant  aage. 

Les  anciens  relevoient  la  voix  fur  Xa  du . 
nominatif  5  &  le  marquoient  par  un  accent 
aigu  5  Mufâ.  :  au  lieu  qu'à  Fablatif  ,  ils 
relevoient  d'abord  3  &  la  rabaiffoient  en- 
fuite  5  comme  s'il  y  avoit  eu  Mufàà  ;  8c 
voila  laccent  circonflexe  que  nous  avons 
confervé  dans  l'écriture ,  quoique  nous  en 
ayons  perdu  la  prononciation. 

III,  On  obferve  encore  lafpiration  qui . 
fe  fait  devant  les  voyelles  en  certains  mots, 
&  qui  ne  fe  pratique  pas  en  d'autres, 
quoiqu'avec  la  même  voyelle  &  dans  une 
fyllabe  pareille.  C'eft  ainfî  que  nous  pro- 
nonçons /e  héros  avec  afpiration,  &  que 
nous  difons  l^ héroïne  ^  rhéroïfmc  &  les 
vertus  héroïques  fans  afpiration. 

IV.  A  ces  trois  diftérences ,  que  nous 
venons  d'obferver  dans  la  prononciation  , 
il  faut  encore  ajouter  la  variété  du  ton 
Pathétique  ^  comme  dans  Tintcrrogation , 


04  Principes 

I admiration,  rironie,  la  colère  &  les  au^ 
très  paffions.  C'èfi:  ce  que  M.  labbé  d'O- 
livet  appelle  Yaccent  onatoire. 

V.  Enfin  5  il  y  a  à  obferver  les  intervalles 
que  Ton  met  dans  la  prononciation  ^  depuis 
la  fin  d  une  période  jufqu'au  commence- 
ment de  la  période  qui  fuit ,  &  entre  une 
propofition  5  &  une  autre  propoiîtion  :  en- 
tre une  incife  5  une  parenthèfe ,  une  propo-  . 
iition  incidente  5  &  les  mots  de  la  propoe. 
lîrion  principale ,  dans  lefquels  cette  incife , 
cette  parenthèfe  ou  cette  propofition  in- 
cidente font  enfermées. 

Toutes  ces  modifications  de  la  voix  5. 
qui  foiit  très-fenfibles  dans  Télocution , 
font,  ou  peuvent  être  marquées  dans  ré- 
criture, par  des  fignes  particuliers,  que 
les  anciens  Grammairiens  ont  auflî  appelles 
accens^  Ainfî  ils  ont  donné  le.  même  nom. 
à  la  chofe ,  &  au  figne  de  la  chofe. 

Quoique  Ton  dife  communément  que 
ces  fignes  ou  accens  foiv  une  invenrioa 
qui  n'eft  pas  trop  ancienne ,  &  quoiqu'on 
r^ontre  des  manufcrits  de  mille  ans^daas. 


de  Grammaire:         57^: 

lefquels  on  ne  voit  aucun  de  ces  lignes  > 
&  où  les  mots  font  écrits  de  fuite,  fans 
être  féparés  les  uns  des  autres ,  j  ai  bien  de 
la  peine  à  croire  que  lorfqu'une  langue  a 
eu  acquis  un  certain  degré  de  perfedion  > 
lorfqu  elle  a  eu  des  orateurs  &  des  poètes  t, 
&  que  les  Mufes  ont  joui  de  la  tranquillité 
qui  leur  eft  néceflaire  pour  faire  ufage  de 
leurs  talens  •,  j  ai ,  dis-^je ,  bien  de  la  peine 
à  me  perfuader  qu  alors  les  copiftes  habiles 
n'aient  pas  fait  tout  ce  qu'il  falloit  pour 
peindre  la  parole  avec  toute  lexaditude 
dont  ils  étoient  capables  \  qu'ils  n'aient  pas 
féparé  les  mots  par  de  petits  intervalles  y 
comme  nous  les  féparons  aujourd'hui,  & 
qu  ils  ne  fe  foient  pas  fervi  de  quelques^ 
fignes  pour  indiquer  la  bonne  pi:onançia- 
tion. 

:  Voici  un  paflage  de  Cicéron  qui  me 
paroît  prouver  bien  clairement  qu'il  y 
avoit  de  fon  temps  des  notes  ou  fîgnes 
dont  les  copiftes  faifoient  ufage.  Hanc, 
dillgcntiam  fubfequitur  modus  ctïam  & 
forma  ycrhorum.  Kcrfus  caim  vctçres  i{ll^ 


'57^  Principes 

in  hac  foluta  orationc  propemodùm  j  hoc 
eji  numéros  quûfdam  nobis  ejje  adhibendos 
putarunt.  Interfpirationis  enim^  non  dcfa-- 
tîgationïs  noflr<z^  neque  librariorum  notis^ 
fed  verborum  &  fententiarum  modo  inter-^ 
punclas  claufulas  in  orationibus  effe  vo- 
luerunt  :  idque  princeps  Ifocrates  injii^ 
tuijfe  fertur  (i).  ce  Les  anciens,  dlt-ll^  ont 
3>  voulu  qu'il  y  eût  dans  la  profe  même 
3>  des  intervalles  5  des  féparations,  du  nom- 
30  bre  &  de  la  mefure ,  comme  dans  les 
»  vers  :  &  par  ces  intervalles,  cette  mefure, 
3>  ce  nombre ,  ils  ne  veulent  pas  parler  ici 
»  de  ce  qui  eft  déjà  établi  pour  la  facilité 
3>de  la  refpiration  &pour  foulager  la  poi- 
a>  trine  de  Torateur  ,  ni  des  notes  ou  fignes 
2^  des  copiftes  :  mais  ils  veulent  parler  de 
»  cette  manière  de  prononcer  qui  donne 
»  de  Tame  &  du  fentiment  aux  mots  &  aux 
îp  phrafes ,  par  une  forte  de  niodulatioa 
»  pathétique  3^.  Il  me  femble  que  TonpeHt 
conclure  de  ce  pa(îage  ,  que  les  fignes, 

(i)  Ciccron,  Orator*  lib.  }^  n,  44* 


de  Grammaire.  ^jf 

les  notes ,  les  accens  ,  écoicnt  connus  St 
pratiqués  dès  avant  Cicéron ,  au  moins  pat 
3fes  copiftes  habiles. 

Ifidore  5  qui  vivoit  il  y  a  environ  douze 
cens  ans  ,  après  avoir  parlé  des  accens  9 
parle  encore  de  certaines  notes  qui  étoient 
en  ufage,  dit-il,  chez  les  auteurs  célèbres, 
&  que  les  anciens  avoienc  inventées,  pour- 
fuit-il,  pour  la  diftindion  de  Técriture, 
&  pour  montrer  la  raifon  ,  ceft-à-dire, 
le  mode ,  la  manière  de  chaque  mot  &  de 
chaque  phrafe.  Pmterea^  qudtdam  fcnten^ 
tiarum  notdt  apud  celeberrimos  autores  fue-» 
funt  j  quafquc  antlqui  ad  diJUnclionem 
fcripturarum  y  carmïnïhus  &  hijlonis  ap-- 
pofuerunty  ad  demonjlrandam  unumquam- 
que  verbi  j  fcntcntîarumquc  j  ac  verfuum 
ratio nem  (i). 

Qiioi  qu'il  en  foit ,  il  eft  certain  que  la 
manière  d'écrire  a  été  fujette  à  bien  des 
variations  ,  comrne  tous  Iq^  autres  arcs» 
Ainfi,  tout  ce  que  Ion  peut  conclure  de 


(i)  liidore,  Origin,  lib.  i ,  c.  20. 


^yi  Pnncipts 

ces  manufcrits  >  où  Ton  ne  voit  ni  diftancd 
entre  les  mots ,  ni  accens  5  ni  points ,  ni 
virgules ,  c'eft  qu'ils  ont  été  écrits  ou  dans 
des  temps  d'ignorance  >  ou  par  des  copiftes 
peu  inftruits. 

Les  Grecs  paroifTent  être  les  premiers 
qui  ont  introduit  Tufage  des  accens  dans 
récriture.  Mais  leurs  accens  n'avoient  pour 
objet  que  les  inflexions  de  la  voix  5  eu 
tant  qu  elle  peut  être  ou  élevée  ou  ra- 
"bailTée. 

L'accent  aigu ,  que  Ton  écrivoit  de  droit 
à  gauche  ',  marquoit  qu'il  faloit  élever 
la  voix  en  prononçant  la  voyelle  fur  la- 
quelle il  étoit  écrit. 

L  accent  grave  3  ainfî  écrit  ^ ,  marquoit 
au  contraire  qull  faloit  rabaiffer  la  voix. 

L'accent  circonflexe  efl:  compofé  de 
Taigu  &  du  grave  ^  Dans  la  fuite  les  co- 
pifl:es  Tarondirent  de  cette  manière  "  5  ce 
qui  n'eït  en  ufage  que  dans  le  grec.  Cet 
accent  étoit  deftiné  à  faire  entendre  qu'a- 
près avoir  d'abord  élevé  la  voix ,  il  faloit 
la  rabailFer  fur  b  même  fyllabe» 


de  Grammaire.         57^ 

Les  Latins  ont  fait  le  même  ufage  de 
tes  trois  accens.  Cette  élévation  &  cette 
dépreflîon  de  la  voix  étoient  plus  fenlîbles 
chez  les  anciens,  qu'elles  ne  le  font  parmi 
nous,  parceque  leur  prononciation  étoit 
plus  foutenue  &  plus  chantante.  Nous 
avons  pourtant  auffî  élcvement  &  abaifle- 
ment  de  la  voix  dans  notre  manière  de 
parler  -,  &  cela  indépendamment  des  au- 
tres mots  de  la  phrafe*,  enforte  que  les 
iyllabes  de  nos  mots  font  élevées  &  baif- 
fées  félon  laccent  profodique  ou  toniques 
indépendamment  de  l'accent  pathétique  > 
c'eft-à-dire  du  ton  que  la  paffîon  &  le  fen- 
timent  font  donner  à  toute  la  phrafe  :  car 
il  eft  de  la  nature  de  chaque  voix,  dit 
Tauteur  de  la  Méthode  grecque  de  Port-- 
Roy  al j  (  pag.  551)  d'avoir  quelqu'élève- 
ment  qui  foutienne  la  prononciation ,  Si 
cet  élèvement  eft  enfuite  modéré  &  di- 
minué 5  &  ne  porte  pas  fur  les  fyllabcs 
fuivantes. 

Nous  ne  femmes  pas  dans  Tufage  de 
marquer  dans  Téçriture ,  par  des  fignes  ou 


SSo  Principes 

«ccens  cet  élèvement  &  cet  abaifTement  de 
•la  voix.  Notre  prononciation ,  encore  iiii 
coup  5  efl  moins  foutenue  &  moins  chan- 
tante que  la  prononciation  des  anciens  j 
par  conféquent  la  modification  ou  ton  de 
voix  dont  il  s'agit  nous  eft  moins  fenfîble* 
L'habitude  augmente  encore  la  difficulté 
de  démêler  ces  différences  déhcates.  Les 
anciens  prononçoient  ,  au  moins  leurs 
vers  y  de  façon  qu'ils  pouvoient  mefurer 
par  des  battemens  la  durée  des  fyllabes» 
Adfuetam  moram  ^  poUicls  fonore  vcl 
plaufu  pedis  ^  difcriminare  ^  qui  docent 
artcm ^  fohnt  (i)*  Ce  que  nous  ne  pou- 
vons faire  qu*en  chantant.  Enfin  5  en  toutes 
fortes  d'accens  oratoires ,  foit  en  interro- 
geant 5  en  admirant ,  en  nous  fâchant ,  &c* 
les  fyllabes  qui  précèdent  nos  c  muets  ne 
font-elles  pas  foutenues  &  élevées  comme 
elles  le  font  dans  le  difcours  ordinaire  ? 

Cette  différence  entre  la  prononciation 
des  anciens  &  la  nôtre ,  me  paroît  être  la 


(i)  Tcrcmianus  Maurus  ^  dcMttris^fuh  med^ 

véritable 


de  Grammaire^         jSt 

véritable  raifon  pour  laquellejquoique  nous 
a/ons  une  quantité,  comme  ils  en  avoienc 
une ,  cependant  la  différence  de  nos  Ion-» 
gués  &  de  nos  brèves  n'étant  pas  égale- 
luent  fenfible  en  tous  nos  mots,  nos  vers 
ne  font  formés  que  par  Tharmonie  qui 
réfulte  du  nombre  des  fyllabes ,  au  lieu 
que  les  vers  grecs  &  les  vers  latins  tirent 
leur  harmonie  du  nombre  dès  pieds  alTor- 
tis  p^r  certaines  combinaifons  de  longues 
&  de  brèves. 

Aujourd'hui  >  dans  la  Grammaire  latine, 
on  ne  donne  le  nom  d'accent  qu'aux 
tfois  fignes  dont  nous  avons  parlé  ,  le 
grave  ,  Taigu  &  le  circonflexe.  Mais  les 
anciens  Grammairiens  latins  donnoient  le 
nom  d'accent  à  plufieurs  autres  lignes  em- 
ployés dans  récriture.  Prifcien,  qui  vivoic 
dans  lé  fîxième  fiècle ,  &  Ifîdore ,  qui  vi- 
voit  peu  de  temps  après  ,  difent  égale- 
ment que  les  Latins  ont  dix  accens. 

A  notre  égard ,  nous  donnons  le  nom 
d'accent ,  premièrement  aux  inflexions  de 
voix  j  &  à  la  manière  de  prononcer  des 


j'^Sl  TrlncipeS 

pays  particuliers.  Ainfî ,  comme  nous  I*^- 
Vons  déjà  remarqué ,  nous  difons  V accent 
gafcon  jy  &c.  Cet  homme  a  T accent  étran^ 
^er^  c'eft-à-dire,  qu'il  a  des  inflexions  de 
Voix  &  une  manière  de  parler ,  qui  n'eft 
pas  celle  des  perfonnes  nées  dans  la  capi- 
tale. En  ce  fens,  accent  comprend  Téléva- 
tion  de  la  voix,  la  quantité  &  là  pronon- 
ciation particulière  de  chaque  mot  &  de 
chaque  fyllabe. 

En  fécond  lieu  ,  nous  avons  confervé 
le  nom  d'accent  à  chacun  des  trois  fignes 
du  ton  5  qui  eft  ou  aigu ,  ou  grave ,  ou 
circonflexe.  Mais  ces  trois  fignes  ont  perdu 
parmi  nous  leur  ancienne  deftination.  Ils 
ne  font  plus ,  à  notre  égard ,  que  des  ac- 
cens  imprimés. 

En  françois ,  nous  élevons  la  fyllabe  qui 
précède  un  e  muet,  Ainfi ,  quoique  dans 
mener,  Ve  de  la  première  fyllabe  me  foit 
muet  y  cet  e  devient  ouvert ,  &  doit  être 
foutenu  dans  y  ^  mène  ^  parcequ'alors  il  eft 
fuivi  d  un  e  muet ,  qui  finit  le  mot.  Cet  tf 
final  devient  plus  aifément  muet ,  quand 


de  Grammaîrii         '^t^^ 

la  fyllabe  <!jui  le  précède  eft  foutenue,  C^eft 
le  méchanifme  de  la  parole  ^  qui  produit; 
toutes  ces  variétés  5  ^ui  paroiflTent  des  bî- 
farerîes  ou  des  caprices  de  Tufage  à  ceux 
qui  ignorent  les  véritables  caufes  des 
cho/esi» 

L  ufage  n*a  point  encore  établi  de  met* 
tre  un  accent  fur  Vè  ouvert^  quand  cet  e> 
eft  fuivi  d  une  confonne ,  avec  laquelle  il 
ne  fait  qu  une  fyllabe.  Ainfî  on  écrit  fans 
accent,  la  merj  \tfer^  aimer ^  donner j  èca 

DES  NOMS  AD  JECTIF  S^ 

JLe  mot  àdjeclif  vient  du  latin  adjeclus^ 
ajouté j  parcequ'en  effet  le  liom  àdjeclif 
ieft  toujours  ajouté  à  un  nom  fubftantif^ 
qui  eft  ou  exprimé  ou  fous-entendu.  L'ad- 
je6lif  eft  un  mot  qui  donne  une  qualifica-» 
tion  au  fubftantif  :  il  en  délîgne  la  qualité 
ou  manière  d'être.  Or  ^  comme  toute  qua^ 
lité  fuppofe  la  fubftance  dont  elle  eft  qua^ 
Iké ,  il  eft  évident  que  tout  adje<aif  Ç\f^. 


15^4  Principes 

pofe  un  fubftantif  :  car  il  faut  être,  pour 
être  tel.  Que  iî  iious  difons ,  le  beau  vous 
touche  ;  le  vrai  doit  être  t objet  de  nos  re* 
cherches  ;  le  bon  ejl  préférable  au  beau  ^ 
Sec.  il  eft  évident  que  nous  ne  confidé- 
rons  même  alors  ces  qualités ,  qu'en  tant 
qu'elles  font  attachées  à  quelque  fubftance 
€U  fuppôt  :  le  beau  y  c'efi:*à-dire  >  ce  qui  ejl 
beau;  le  vr^ijc'eft- à-dire,  ce quitjlvraîj 
&c.  En  ces  exemples ,  le  beau  j  le  vrai  ^ 
ne  font  pas  de  purs  adjedifs.  Ce  font  des 
adjedifs  pris  fubftantivement ,  qui  déCi- 
gnent  un  fuppôt  quelconque,  en  tant  qu'il 
cft  ou  beau  j  ouvrai j  ou  bonj  &c.  Ces 
mots  font  donc  alors  en  même  temps  ad- 
jectifs &  fubftantifs*  Ils  font  fubftantifs, 
puifqu'ils  défignent  un  fuppôt  y  le....  Ils 
font  adjectifs,  puifqu'ils  défignent  ce  fup- 
Ipôt ,  en  tant  qu'il  eft  tel. 

Il  y  a  autant  de  fortes  d  adjedifs,  qu'i! 
y  a  de  fortes  de  qualités ,  de  manières  & 
de  relations  que  notre  efprit  peut  confî- 
dérer  dans  les  objets. 

Nous  ne  connoilTons  point  les  fubllau^ 


de  Grammaire.        [^%^ 

ires  en  elles-mêmes  :  nous  ne  les  connoif-* 
fons  que  par  les  imprcfîîons  qu^elles  font 
fur  nos  fens  ',  &  alors  nous  difons  que  les 
objets  font  tels ,  félon  le  fens  que  ces  \\x^ 
prefïîons  afFedtent.  Si  ce  font  les  ieux  qui 
font  afFeûés ,  nous  difons  que  Tobjet  eft 
coloré  y  qu'il  eft  ou  blanc  >  ou  noir ,  ou 
rouge  5  ou  bleu  >  &c.  Si  c'eft  le  goût  y  le 
corps  eft  ou  doux ,  ou  amer ,  ou  aigre ,  ou 
fade ,  &c.  Si  c eft  le  tad ,  lobjet  eft  ou 
rude ,  ou  poli  -,  ou  dur ,  ou  mpu  \  gras  9 
huileux  ou  fec,  &c. 

Ainfî,  ces  mots  5  blanc ^  noir  ^  rouge  ^ 
hlcu  y  doux  j  amer  _,  aigre  j  fade  ^  &c. 
font  autant  de  qualifications  que  nous  don- 
nons aux  objets ,  &  font  par  conféquent 
autant  de  noms  adjectifs.  Et  parceque  ce 
font  les  imprefïîons  que  les  objets  phyfi- 
ques  font  fur  nos  fens ,  qui  nous  font  don- 
ner à  ces  objets  les  qualifications  dont 
nous  venons  de  parler ,  nous  appellerons 
ces  fortes  d  adjectifs ,  adjectifs  phyfiques^ 

Comme   nous  fommes  accoutumés   à 
qualifier  les  êtres  phyfîques ,    en  conCe.- 


|l|  Pnncîpôà 

quence  des  impreffions  immédiates  qu*îfe 
font  fur  nous ,  nous  quahfions  auffi  leai 
^res  métaphyfiques  Se  abftraits  >  en  confé- 
quence  de  quelque  confidération  de  notre 
clprit  à  notre  égard.  Les  adjedtifs  qui  ex-? 
{priment  ces  fortes  de  vues  ou  confidéra- 
tions  ,  font  ceux  que  j'appelle  aéjeciîfi 
métaphyjiques. 

Les  adjedîft  métaphyfiques  font  em 
très-grand  nombre.  On  pouroit  en  faire^ 
autant  de  clafïes  différentes  >  qu'il  y  a  de 
fortes  de  vues  fous  lefquelles  Tefprit  peut 
confîdérer  les  êtres  phyfiques  &  Içs  êtres 
ïiiétaphyfiques. 

Suppofons  une  allée  d  arbres ,  xjans  une 
vafte  plaine.  Deux  hommes  arrivent  à 
cette  allée >  lun  par  un  bout y^  1  autre  par 
le  bout  oppofé.  Chacun  de  ces  hommes 
regardant  les  arbres  de  cette  allée,  dit. 
Voila  h  premier  :  de  forte  que  1  arbre 
que  l'un  appelle  le  premier  ^  eft  le  dernier 
"par  raport  à  Tautre.  Ainfi  premier ^  der^ 
nier  ^  &  les  autres  noms  de  nombre  or- 
dinal 3  ne  font  que  des  adjectifs  métaph/* 


de  Grammaire,  ^%J 

lîques.  Ce  font  des  adjectifs  de  relation 
^&  de  raport  numéral. 

Les  noms  de  nombre  cardinal ,  tels  que 
deux  j  trois  j  &c  font  auflî  des  adjedife 
métaphyfîques ,  qui  qualifient  une  coller 
â:ion  d'individus.. 

Mon  j  ma;  ton  y  ta;  fon ^  fa^  Sec. 
font  auflî  des  adjedifs  métaphyliqucs ,  qui 
défignent  un  raport  d'appartenance  ou  de 
propriété,  &  non  une  qualité  phyiîque 
&  permanente  des  objets. 

Grand  &  petit  font  encore  des  adjeûife 
métaphyfiques.  Car  un  corps  5  quel  qu'il 
{bit  5  n'eft  ni  grand ,  ni  petit  en  lui-même  ; 
il  n'eft  appelle  tel ,  que  par  raport  à  uu 
autre  corps.  Ce  à  quoi  nous  avons  donné 
le  nom  de  grand  ^  a  fait  en  nous  une  im- 
preflîon  différente  de  celle  que  ce  que 
nous  appelions  petit  nous  a  faite.  C'eft  la 
perception  de  cette  différence ,  qui  nous 
^  donné  lieu  d'inventer  les  noms  de  grande 
de  petit  j  de  moindre  j  8cç. 

Différent  y  pareil  jfemblable y  font  auft^ 
4e$^djedifs  métaphyfiques,  qui  qualifieiîu. 

9.4  + 


5^8         'Principes 

les  noms  fubftantifs,  en  conféquencé  de 
certaines  vues  particulières  de  refprit. 
Différent  qualifie  un  nom ,  précifément 
en  tant  que  je  fens  que  la  chofe  n'a  pas 
fait  en  moi  des  iiTiprefïîons  pareilles  à 
celles  qu'un  autre  y  a  faites.  Deux  objets» 
tels  que  j  apperçois  que  1  un  n'eft  pas  Tau- 
tre  5  font  pourtant  en  moi  des  impreffions 
pareilles  çn  certains  points.  Je  dis  qu'ils 
(ont  femb labiés  en  ces  points-là  5parceque 
je  me  fens  affedé  à  cet  égard  de  la  même 
manière.  kinCi^femblable  efl:  un  adjedlif 
métaphyfique. 

Tout  corps  me  paroît  borné ,  &  je  vois 
wne  étendue  au-delà.  Je  dis  donc  que  ces 
corps  font  terminés  j  bornés  j  finis.  Aind 
borné ^  terminé ^  fini  y  ne  fuppofent  que 
des  bornes  &  la  connoiffance  d'une  éten- 
due ultérieure  \  ce  font  donc  des  adjectifs 
îTiétaphyfiques. 

Tout  ce  qui  nous  paroît  tel ,  que  noiîs 
n'apperccYons  pas  qu'il  puifiTe  avoir  un 
degré  de  bonté  &  d  excellence  au-delà  > 
^ous  X'^ps^t\!io\\s  par  fait. 


de  Grammaire:         5  S 51 

Voici  encore  d'autres  adjectifs  meta- 
phyfiques  qui  demandent  de  l'attention. 

\5y\  nom  eft  adjedif  5  quand  il  qualifie 
un  nom  fubftantif.  Or,  qualifier  un  noni 
fubftantif  5  ce  n'eft  pas  feulement  dire  qu'il 
eft  rouge  ou  bleu  j  grand  ou  petit;  c'eft  en 
fixer  rétendue  ,  la  valeur  ,  lacception  , 
étendre  cette  acception  ou  la  reftteindre, 
en  forte  pourtant  que  toujours  Tadjedtif 
&  le  fubftantif  pris  enfemble ,  ne  préfen- 
tent  qu  un  même  objet  à  Tefprit.  Au  lieu 
que  il  je  dis  lîher  Pétri  j  Pétri  fixe  à  la 
vérité  rétendue  de  la  iîgnification  de 
liber  :  mais  ces  deux  mots  préfentent  à 
lefprit  deux  objets  diftérens  ,  dont  Tui^ 
n'eft  pas  l'autre.  Au  contraire ,  quand  je 
dis  ^  le  beau  livre  ■,  il  n  y  a  là  qu'un  objet 
réel,  mais  dont  j'énonce  qu'il  eft  beau. 
Ainfi,  tout  mot  qui  fixe  l'acception  du 
fubftantif,  qui  en  étend  ou  qui  en  reftreint 
la  valeur,  &  qui  ne  préfente  que  le  même 
objet  à  l'cfprit,  eft  un  véritable  adjedtif. 
Kinû  nécejfairej  accidentel  j  poffïble  j  im^ 
pojjible  j  tout  j  nul  j  quelque ^  aucun jch(l^ 


f^S  '  Principe^ 

que  y  tel  y  quel  y  certain  ^  ce^  cet  y  cette  % 
mon  y  ma  y  ton  y  ta^  vos  y  votre  y  notre  y 
&  même  le  y  la  y  les  y  font  de  véritables 
adjedifs  métaphyfiques ,  puifqu'ils  modi- 
fient des  fubftantifs ,  &  les  font  regarder 
ibus  des  points  de  vue  particuliers.  Tout 
homme  y  préfente   homme  dans  un  fens 
général  affîrmatif  :  nul  homme  Tannonce 
dans  un  fens  général   négatif  :   quelque 
homme  préfente  un  fens  particulier  indé- 
terminé \  fony  fa  y  fes  y  vos  ^   &c.   font 
confîdérer  le  fubftantif  fous  un  fens  d  ap- 
partenance &  de  propriété.  Car  quand  je 
dis   meus  enjis  y  meus  eft  autant  iîmple 
adjedtif  quç  Evandrius  y  dan$  ce  vers  de 
.Virgile  (i) 5 

I>lam  tibi  y  Thymhre  ^  caput 'Evandrius  àbftulk 
cnjis  ; 

Meus  marque  Tappartenance  par  raport  ï 
moi  5  &  Evandrius  la  marque  par  raport  à 
Evandre. 

.  femmmmÊÊÊmifmÊmmmtmÊmÊmmmimmmmmmÊÊmammmmÊm^mmtmÊmmmmÊmmmmmmmmmmmmmmÊ 

..    {i)  Mncid,  Ub.  lo,  v.  39^* 


de  Grammaire:         '59K. 

Il  faut  ici  obferver ,  que  les  mots  chan- 
gent de  valeur,  félon  les  différentes  vues 
que  Tufàge  leur  donne  à  exprimer.  Boire ^ 
manger^  font  des  verbes-,  mais  quand  oa 
dit  h  boire  y  le  manger  ^  8cc.  alors  ioirs 
&  manger  font  des  noms.  Aimer  eft  un 
verbe  adif  5  mais  dans  ce  vers  de  TOper^ 
d'Atys, 

,  ,Taime ,  c'efi  mon  defiin  d^ aimer  toute  ma  vie^ 

^Aimer  eft  pris  dans  un.  fens  neutre.  Mien^ 
tien  yfien^  étoient  autrefois  adjectifs.  On 
difoit  unjîenfrere^  un  mien  ami.  Aujouç- 
"â'hui  5  en  ce  fens  5  il  n'y  a  que  mon^  ton^ 
\fon  j  qui  foient  adjedifs.  Mien  ^  tien^ 
Jienjy  font  de  vrais  fubftantifs  de  la  clafïè 
des  pronoms*,  Iç  mien  ^  le  tien ^  le  fien^ 
La  difcorde  ^  dit  la  Fontaine ,  vint 

'  '        Avec  Que  Jî^  Que  non ,  fon  frire  ^ 
Avec  le  tien^  le  mien,  f on  père, 

iV^o^^vo^j  font  toujours  adjedifs',  mai$ 
vôtre  j  nôtre  j  font  fouvent  adjeclifs  & 
fbuvent  pronoms  :  le  vôtre ^  le  nôtre.  Vous 
^  les  vôtres  :  yqilu  le  votre  ^  voici  Icfien 


f^i  Principes 

&  le  mien.  Ces  pronoms  indiquent  alors 
des  objets  certains  dont  on  a  déjà  parlé. 

Ces  réflexions  fervent  à  décider  fi  ces 
mots,  pcrcy  roîj  &  autres  femblables ,  font 
adjectifs  ou  fubftantifs  :  qualifient-ils?  ils 
font  adjedifs.  Louis  XFeji  roi;  roi  qualifie 
Louis  XV-,  donc  roi  eft-là  adjeétif.  Le  roi 
eji  à  l^ armée  :  le  roi  déiîgne  alors  un  in- 
dividu :  il  eft  donc  fubftantif.  Ainfî  ces 
mots  font  pris,  tantôt  adjedivement,  tan- 
tôt fubftantivement  :  cela  dépend  de  leur 
fervice ,  c'eft-à-dire ,  de  la  valeur  qu'on 
leur  donne  dans  Temploi  qu'on  en  fait. 

Il  refte  à  parler  de  la  fyntaxe  des  ad- 
jedifs.  Ce  qu'on  peut  dire  à  ce  fujet  fe 
réduit  à  deux  points  :  i.^  la  terminaifon 
de  ladjedif  :  2.*  hpojidon  de  iadjiedif* 

1.  A  regard  du  premier  point,  il  faut 
fe  rappeller  ce  principe  dont  nous  avons 
parlé  ci-defTus,  queladjecStif  &  le  fubfta»- 
tif  mis  enfemble  en  conftrudlion ,  ne  pré- 
fentent  à  Tefprit ,  qu'un  feul  &  même 
individu ,  ou  phyfîque  ou  métaphyfîque,; 
Ainfi,  ladjedif  a ét^iK  réellement  que  le- 


de  Grammaire.  595^ 

fubftàntif  même  confidéré  avec  la  qualifi- 
cation que  ladjedif  énonce*,  ils  doivent 
avoir  1  un  &  lautre  les  mêmes  fignes  des 
vues  particulières  fous  lefquelles  Tefprit 
confidère  la  chofe  qualifiée.  Parle  -  t  -  on 
d*un  objet  iîngulier  ?  ladjedif  doit  avoir 
la  terminaifon  deftinée  à  marquer  le  fin- 
gulier.  Le  fubftantif  eft  -  il  de  la  clalfe  des 
noms  qu'on  appelle  mafculins?  Tadjedif 
doit  avoir  le  fighe  deftiné  à  marquer  les 
noms  de  cette  clafïe.  Enfin ,  y  a  - 1  -  il  dans 
une  langue  une  manière  établie  pour  ma*:- 
quer  les  raports  ou  points  de  vue  qu  oa 
appelle  cas?  ladjedif  doit  encore  fè  con- 
former ici  au  fubftantif.  En  un  mot,  il 
doit  énoncer  les  mêmes  raports  ,  &  f^ 
préfenter  fous  les  mêmes  faces  que  le  fub- 
ftantif, parcequ'il  neft  qu'un  avec  lui* 
Ceft  ce  que  les  Grammairiens  appellenr 
la  concordance  de  l' adjectif  avec  le  fub^ 
Jiantif^  qui  n'eft  fondée  que  fur  ridentité 
phyfique  de  Tadjeftif  avec  le  fubftantif. 

II.  A  regard  de  la  pojîtion  de  1  ad- 
jeûif ,  c  eft-à-dire ,  s'il  faut  le  placer  avaar 


\^  94  Principes 

©u  après  le  fubftantif,  s'il  doit  être  âlî 
commencement  ou  à  la  fin  de  la  phrafe^ 
^'il  peut  être  féparé  du  fubftantif  par  d'au- 
tres mots,  je  réponds  que  dans  les  lan- 
gues qui  ont  des  cas,  c'eft- à-dire ^  qui 
marquent  par  de^terminaifons  les  raports 
que  les  mots  ont  entr'cux,  la  pofition  n'eft 
d  aucun  ufage  pour  faire  connoître  l'iden- 
tité de  l'adjeétif  avec  fon  fubftantif.  C'eft: 
Touvrage  ou  plutôt  la  deftination  de  la 
term.inaifon -,  elle  feule  a  ce  privilège.  Et 
dans  ces  langues,  on  confulte  feulement 
l'oreille  pour  la  pofition  de  l'adjedif,  qui 
jnême  peut  être  féparé  de  fon  fubftantif 
par  d'autres  mots* 

Mais  dans  les  langues  qui  n^ont  point 
de  cas,  comme  le  François ,  l'adjeclif  eil 
toujours  joint  à  fon  fubftantif.  Il  n'en  eft: 
féparé  que  lorfque  Tadjedif  eft  attribut , 
comme  Louis  ejijujie;  Phébus  ejifourd; 
Pegafe  ejl  rétif;  &  encore  avec  rendre  j 
devenir  j  paroître^ 

Un  vers  étoit  trop  foiblc ,  &  vous  le  réndei  dui^ 
Jévitc  d'être  long,  ôc  je  deviens  obfcur. 


de  Grammaire:        ^j^yt 

Dans  les  phrafes  telles  que  celle  qui 
fuit,  les  adjedifs  qui  paroiflènt  ifolés  for- 
ment fculs  par  ellipfe  Une  propoiîtion 
particulière. 

Heureux  qui  peut  voir ,  du  rivage , 
Le  terrible  Océan  par  les  vents  agité. 

Il  y  a  là  deux  propofitions  grammatica- 
les. Celui  (  qui  peut  voir ,  du  rivage ,  le 
terrible  Océan  par  les  vents  agité)  eft  heu- 
reux. Où  vous  voyez  que  heureux  eft  lat- 
tribut  de  la  propofition  principale. 

Il  n'eft  point  inaifFérent  en  françois^ 
félon  la  fyntaxe  élégante  &  d\i{age ,  d'é- 
noncer le  fubftanrif  avant  iadjed:if ,  ou 
ladjeftif  avant  le  fubftantif,  Il  eft  vrai  que 
pour  faire  entendre  le  fens,  il  eft  égal  de 
dire  bonet  blanc  ou  blanc  bonet;  mais  par 
raport  à  Télocution  &  à  la  fyntaxe  d'ufa- 
ge,  on  ne  doit  dire  (\uq  bonet  blanc.  Nous 
n'avons  fur  ce  point  d autre  règle  que  lo- 
reille  exercée >  c'eft-à  -  dire,  accoutumée 
au  commerce  des  perfonnes  de  la  nation 
gui  font  le  bon  ufage.  Ainfi  je  me  c^n- 


59<?  Principes 

tenterai  de  donner  ici  des  exemples  qui 
pouront  fervir  de  guide  dans  les  occafions 
analogues.  On  dit  habit  rouge  ;  ainfî  dites 
habit  bleu  ^  habit  gris  ^  &  non  bleu  habit j 
gris  habit.  On  dit  mon  livre  ;  ainfi  dites 
ton  livre  jfon  livre  ^  leur  livre.  Vous  ver- 
rez dans  la  lifte  fuivante ,  '^one  torride  j 
ainfi  dites  par  analogie  y^one  tempérée  & 
\one  glaciale  :  ainiî  des  autres  exemples* 

Lific  de  plujieurs  adjectifs  qui  ne 
vont  qu'après  leurs  fubflantifs 
dans  les  exemples  qu'on  en  don-- 
ne  ici. 

Accent  gafcon*  Air  indolente  Ange  gar-- 
iien.  Beauté  parfaite^  Beauté  romaine^ 
Bonet  blanc.  Cas  direct.  Cas  oblique* 
Chapeau  noir.  Chemin  raboteux.  Contrat 
clandejlin.  Couleur  jaune.  Dîme  royale. 
Bifcours  concis.  Empire  Ottoman.  Efprit 
invincible.  État  eccléfiafiique.  Étoiles  fi- 
xes. ExpreJJion  littérale.  Fables  choijîcs. 
Figure  ronde.  Forme  ovale.  Canif  éguifé. 

Cénic 


de  Grammaire.        f  95^ 

'Génie  fupérUur.  Grammaire  raljbnnéci 
Mommage  rendu.  Homme  injlruit.  Homme 
jujie.  Laine  blanche.  Lettre  anonyme^ 
Lieu  inaccejfible.  Ligne  droite»  Livret 
choifis.  Vue  courte.  Vue  baffe.  Des  ieuri 
noirs.  Zone  torride  j  &c. 

Il  y  a  au  contraire  des  adjectifs  qui  pré^ 
cèdent  toujours  les  fubftantifs  qu'ils  quali* 
fient,  comme. 

Certaines  gens.  Grand  général.  <Grand 
capitaine.  Mauvaife  habitude.  Brave  fol^ 
dat.  Belle  fituation.  Jufte  défenfe.  Beau, 
jardin.  Bon  ouvrier.  Gros  arbre.  Petit 
arbre.  Petit  animal.  Saint  religieux.  Prc^ 
fond  refpecl.  Jeune  homme.  Vieux  pécheur*. 
Cher  ami^  Réduit  à  lu  dernière  misère^ 
Tiers-Ordre.  Triple  alliance  j  8cc^ 

Je  n'ai  pas  prétendu  inféret  dans  ces 
liftes  tous  les  adjedifs  qui  fe  plac^ent  les 
uns  devant  les  fubftantifs  %  8c  les  autres 
après.  J  ai  voulu  feulement  faire  voir  que 
cette  pofition  n'étoit  pas  arbitraireé 

Les  adjedtifs  métaphyfiques ,  commd 
ie  ^  la  J  les  j  ce  j  cetj  quelque  jun^  tout  j^ 

Rr 


ç^S  Principes 

chaque  j  telj  quel  j  fon  ^  fa  ^  fes  ^  votre  j 
nos  ^  leur^  fe  placent  toujours  avant  les 
fubftantifs  qu'ils  qualifient. 

Les  adjedlifs  de  nombre  précèdent  auffî 
les  fubftantifs  appellatifs,  &  fuivent  les 
ftoms  propres.  Le  premier  homme  j  Fran^ 
cois  premier  ;  quatre  perfonnes  _,  Henri 
quatre  j  pour  quatrième.  Mais  en  parlant 
du  nombre  de  nos  rois,  nous  difons  dans 
un  fens  appellatif ,  qu*z7  y  a  eu  quatorze 
Louis  ^  &  que  nous  en  fommes  au  quin* 
\ieme.  On  dit  aufîî  dans  les  citations ,  livre 
premier  :^  chapitre  fécond  :  hors  de -là  on 
dit  le  premier  livre  j  le  fécond  livre. 

D'autres  enfin  fe  placent  également 
bien  devant  ou  après  leurs  fubftantifs. 
C'eft  un  f avant  homme  ^  cefl  un  homme 
f avant  :  c^ejl  un  habile  avocat  j,  ou  un 
avocat  habile  ;  8c  encore  mieux,  c^ejl  un 
homme  fort  favant  j  c^ejl  un  avocat  fort 
habile.  Mais  on  ne  dit  point,  c^efi  un  ex-^ 
périmenté  avocat  j  au  lieu  qu'on  dit,  c'eji 
un  avocat  expérimenté ^  ou  fort  expéri^ 
mente\  Cejl  un  beau  livre  ;  ceft  un  livre 


de  Grammaire:  ^^^ 

fort  beau.  Ami  véritable  ^  véritable  amh 
De  tendres  regards  _,  des  regards  tendres^. 
V intelligence  fùprême  ^  la  fuprême  intelliL 
gence.  Savoir  profond  j  profond  favoin 
Affaire  fnalheureufe  ^  malheuxcufc  affai^ 
re  j  8cc. 

Voila  des  pratiques  que  le  feul  bo/l 
ufage  peut  apprendre  -,  &  ce  font-là  de 
ces  fineiles  qui  nous  échapent  dans  les 
langues  mortes,  &  qui  étoient  fans  doutô 
très-fenfibles  à  ceux  qui  parlôient  ces  lâni 
guesi  dans  le  temps  qu'elles  étaient  vi- 
vantes. 

La  pôélîe,  ou  les  trahfpofitions  font 
jpermifes ,  &  même  oii  elles  ont  quelque- 
fois des  grâces,  a  fur  ce  point  plus  dô 
liberté  que  la  profe. 

Cette  pofition  de  ladjedif  devant  où 
après  le  fubftantif  eft  Ci  peu  indifférente  y 
qu'elle  change  quelquefois  entièrement 
la  vâleut  du  fubftantif.  En  voici  des  extern- 
jples  bien  fendbleSb 

C'eji  une  nouvelle  certaine;  ceft  unt 
thofe  cercaine  ;  c'eft-^dire  ^  âffurée  j  vét 

Rri 


^oc  -Principes 

ritabUj  confiante.  J'ai  appris  certaines 
chofes  ^  certaine  nouvelle  :  alors  certaine 
répond  au  quidam  des  Latins ,  &  fait  pren* 
dre  le  fubftantif  dans  un  fens  vague  & 
indéterminé* 

Un  honnête  homme  eft  un  homme  qui 
a  des  mœurs  ,  de  la  probité  ,  &  de  la 
droiture.  Un  homme  honnête  eft  un  hom- 
me poli  5  qui  a  envie  de  plaire.  Les  hon-* 
riêtes  gens  d'une  ville ,  ce  font  les  perfon- 
nes  de  la  ville  qui  font  au-delTus  du  peu- 
ple, qui  OTit  du  bien  ,  une  réputation  in- 
tégre, une  naiflance  honnête,  &  qui  ont 
eu  de  l'éducation.  Ce  font  ceux  dont 
Horace  dit ,  Quibus  ejl  equus  &  pater  & 
res. 

Vrai  a  un  fens  différent,  félon  qu'il  eft 
placé  avant  ou  après  un  fubftantif.  Gilles 
ejl  un  vrai  charlatan  j  c  eft-à-dire  ,  qu  il 
eft  réellement  un  charlatan.  C'eft  un  hom* 
me  vraij  c'eft-à-dire,  véridique.  C'èjiunc 
nouvelle  vraie ^  c'eft- à-dire,  véritable. 

CUJl  un  pauvre  homme  j  fe  dit  par  mé- 
pris d'un  IjQinme  qui  na  pas  une  forte 


de  Grammairei  4ot 
!de  mérite,  d'un  homme  qui  néglige  ou 
qui  efl:  incapable  de  faire  ce  qu'on  attend 
de  lui  ;  &  ce  pauvre  homme  peut  être  rzche^ 
Au  lieu  qu'un  homme  pauvre  efl;  un  hom- 
me fans  biens. 

Un  homme  galant  n'efl:  pas  toujours  ua 
galant  homme.  Le  premier  efl:  un  homme 
qui  cherche  à  plaire  aux  femmes ,  qui  leur 
rend  de  petits  foins.  Au  lieu  qu'un  galant 
homme  efl:  un  honnête  homme,  qui  n'a 
que  des  procédés  fîmples, 

£n  françois ,  nos  adjedifs  font  termi- 
nés, i*""  ou  parun  emuer,  œmmefagej, 
fidèle  j  utile jy  facile j  habile^  timide j  riche^ 
aimable  j  volage  j,  troifième^  quatrième  ^ 
Sec.  Alors  radjedif  fert  également  pour 
le  mafculin  &  pour  le  féminin.  Un  amant 
jidèle  jy  une  femme  fidèle.  Ceux  qui  écri- 
vent ^ûf^/^  utiljy  font  la  même  faute  que 
s'ils  écrivoienty^z^j  au  lieu  de  fage.^  qui  (^ 
dit  également  pour  les  deux  genres. 

2.°  Si  l'adjedif  eft  terminé  dans  fa  pre- 
mière dénomination  par  quelqu'autre 
ettre  que  par  un  c  muet  5  alors  cette  pre* 


êoi^         .     Principes 

jçLiière  terminaifon  fert  pour  le  genre  tnaCi 
çulin  >  pur j  dur j  brun^ /avant j  fort  j^  bon. 
/  A  l'égard  du  genre  féminin»  il  faut 
diftinguçr,  Qu  radjeftif  finit  au  mafculia 
par  yne  voyelle  5  ou  il  efl:  terminé  par 
^ine  confonne. 

Si  Tadjeâiif  mafcuîin  finit  par  toute  am 
çre  v<jyelle  que  par  un  e  muet  >  ajoutez 
feulement  Ve  muet  après  cette  voyelle  j 
vous;  aurez  la  terminaifon  féminine  de  l'adï^ 
jedlif.  Senfé yfenféç.  Joli  j  jolie.  Bourru j^ 
kourruc. 

Si  ladjeâiif  mafcuîin  finit  par  une  con- 
Conne?  détaches^  cette  confonne  de  la  lettre 
qui  la  précède  ,  &  ajoutez  un  e  muet  à 
cette  confonne  détachée  5  vous  aurez  1? 
terminaifon  féminine  de  Tadjedif.  Pur^ 
pu-re*  Saint  j  fain-te.  Sain  ^  fai-ne^ 
Grand  y  gran-de.  Sot  y  fo-te.  Bon  ^  bo-ne^, 

Je  fais  bien  que  les  maîtres  à  écrire, 
pour  multiplier  les  jambages  5  .dont  la  fuite 
rend  récriture  plus  unie  &  plus  agréable 
à  la  vue  5  ont  introduit  une  féconde  n  dans 
^a-/î^  J  comme  ils  ont  introduit  ui^e  m. 


de  Grammaire^  60  \ 

dans  ho'tne  :  ainfî  on  écrit  communément 
benne  ^  homme  j  honneur^  &c.  mais  ces 
lettres  redoublées  font  contraires  à  i  a- 
nalogie  ,  &  ne  fervent  qu  a  multiplier  les 
difficultés  pour  les  étrangers  &  pour  les 
gens  qui  aprennent  à  lire. 

Il  y  a  quelques  adjedifs  qui  s'écartent 
de  la  règle  :  en  voici  le  détail. 

On  difoit  autrefois  au  mafculin>  bel ^ 
nouvel  ji  fol  j  mol  j  8c  au  féminin  5  félon 
la  règle ,  belle  j  nouvelle  j  folle  j  molle. 
Ces  féminins  fe  font  confervés  :  mais  les 
mafculins  ne  font  en  ufage  que  devant  une 
voyelle  >  un  bel  homme  j  un  nouvel  amant ^ 
un  fol  amour  :  ainfî  beau^  nouveau  j  fou j, 
moue^  ne  forment  point  de  féminin.  Mais 
Efpagnol  eft  en  ufage  5  d'où  vient  Efpa* 
gnole  j  félon  la  règle  générale.  Blanc  fait 
blanche  y  franc  y  franche.  Long  fait  /c?/2- 
gue  :  ce  qui  fait  voir  que  le  g  de  long  eft 
le  g  fort  que  les  modernes  appellent  gue.. 
Il  eft  bon  5  dans  ces  occafions  5  d'avoir  re* 
cours  à  Tanalogie  qu'il  y  a  entre  l'adjeélif* 
^  le  fubftantif  abftrait.  Par  exemple  >  lon-^ 

Rr4 


5o4  Principes 

gueur  ^  long  ^  longue  ;   douceur  j  doux  i^ 

doucd;  jaloufie  jy  jaloux  ^  jaloufe  ;  fraî^ 

cheur  x  frais  ^  fraîche  ;  fécherejfe  j  fec  ^ 

féche. 

Le  /&  le  V  font  au  fond  la  même  lettre 
divifée  en  forte  &  en  foible.  Le/eft  U 
forte,  &  le  V  eft  la  foible.  De-là  naïf^ 
naive  ;  abufif  .y  abujive  ;  chétïf  ^  chétïve  ; 
défenfif  X  défenjive  ;  pajftf^  paffive  ;  né- 
gatifs négative  ;  purgatifs  purgative  _,  &a 
On  àïtmony  ma:  ton^  ta:  fon ^  fa; 
inais  devant  une  voyelle  on  dit  également 
^u  féminin  mon  ^  ton  _,  fon  ;  mon   ame  _, 
ton  ardeur  s  fon  épée.  Ce  que  le  méchanif- 
lîie  des  organes  de  la  parole  a  introduit 
pour  éviter  le  bâillement  qui  fe  feroit  à 
la  rencontre  des  deux  voyelles  ma  ame^ 
$a  épée  ^fa  époufè.  En  ces  occafionsy^/î  ^ 
toUj  mon  font  féminins,  de  la  même  ma- 
nière que  mes  ^  tes  j  fès  j  les  le  font  au 
pluriel,    quand    on  dit   mes  filles ^y    les 
femmes  s  &c. 

L'adjedif  doit  avoir  la  terminaifon  qui 
(jQnviçnt  au  gcnrç  que  Tufage  a  dominé  z\x 


de  Grammaire.  â'oç- 

fubftantif.  Sur  quoi  on  doit  faire  une  re- 
marque fîngulière  fur  le  mot  Gens.  On 
donne  la  terminaifon  féminine  à  Tadjec- 
tif  qui  précède  ce  mot ,  &  la  mafculinc 
à  celle  qui  le  fuit ,  fût  -  ce  dans  la  même 
phrafe.  Il  y  a  de  certaines  gens  qui  font 
bien  fots. 

Le  pluriel  de  l'adjectif  fe  forme  en 
ajoutant  une  s  au  fîngulier,  bon^  bons  ; 
fort ^  forts.  Par  conféquent  puifqu'on  écrit 
au  fingulier  gâté ^  gâtée  ^  on  doit  écrire 
au  plurier  gâtés  ^y  ^(îr/ei'j  ajoutant  fimple- 
ment  Vs  pour  le  plurier  mafculin ,  comme 
on  lajoute  pour  le  plurier  féminin.  Cela 
me  paroît  plus  analogue,  que  d'ôter  l'ac- 
cent aigu  au  mafculin,  &  ajouter  un  ç> 
gcite^.  Je  ne  vois  pas  que  le  :{  ait  plutôt; 
que  r^  le  privilège  de  marquer  que  IV  qui 
le  précède  eft  un  e  ferm.é.  Pour  moi  je  ne 
fais  ufage  du  ^  après  Ve  fermé,  que  pour 
la  ieconde  perfonne  plurielle  du  verbe  ^^ 
vous  aime'[  j  ce  qui  diftingue  le  verbe  du 
participe  8c  de ladje^ftif :  vous  àej  aimé^;^ 


êo^'  Principes 

ks  perdreaux  font  gâtés  ;  vous  gàte\  €e 
livre. 

Les  adjecftifs  terminés  au  fingulîer  par 
une  j^  fervent  aux  deux  nombres.  //  eji 
gros  &  gras  ;  ils  font  gros  &  gras. 

Il  y  a  quelques  adjedifs  qu'il  a  plu 
aux  Maîtres  à  écrire  de  terminer  par  un 
^  j  au  lieu  de  Sj  qui  finiflant  en  dédans  ne 
donne  pas  à  la  main  la  liberté  de  faire  de 
ces  figures  inutiles  qu'ils  appellent  traits.. 
îi  faut  regarder  cet  x  comme  une  véri- 
table s.  Ainfi  on  dit,  il  eft  jaloux ^  8c  ih 
font  jaloux  ;  il  ejl  doux  jy  &  ils  font  doux  ^ 
répoux  j  les  époux  j  &c.  VI  final  fe  chan- 
ge en  auXj  qu'on  feroit  mieux  d'écrire 
aus  j  égal  j  égaus  j  verbal  ^  verbaus  ^  féo-* 
dal jy  féodaus  jy  nuptial  ■,  nuptiaus  ^  &c. 

A  l'égard  des  adjedifs  qui  finiflent  par 
€nt  OM  ant  2M  fîngulier,  on  forme  leur 
plurier  en  ajoutant  s ^  félon  la  règle  géné- 
rale -,  &  alors  on  peut  laiffer  ou  rejetter  le 
ti  cependant  lorfque  le  t  fert  au  féminin  y 
l'analogie  demande  qu'oji  le  garde:  ex-^ 


de  Grammaire.  60^. 

ctllenty  excellente  ;  excellents  j  excellen^^ 
tes. 

Outre  le  genre,  le  nombre  &  le  cas» 
dont  nous  venons  4e  parler,  les  adjedifs 
font  encore  fujets  à  un  autre  accident, 
qu'on  appelle  les  dégrés  de  comparaifon^ 
&  qu'on  devroit  plutôt  appeler  dégrés  de 
qualification  ;  car  la  qualification  eft  fuf- 
ceptible  de  plus  ou  de  moins ,  bon  j  meil-* 
hur y  excellent;  [avant ^  plus  favant ^ 
très-favant.  Le  premier  de  ces  dégrés  effc 
appelle /^q/Zri/*;  le  fécond,  comparatifs  &; 
le  troifièmeyi/?^r/^ri/! 

Il  ne  fera  pas  inutile  d'ajouter  ici  deuK 
abfervations* 

-  La  première ,  c'efl:  que  les  adjedifs  fe 
prennent  fouvent  adverbialement.  Facilh 
<$»  difficile  s  dit  Donat,  quA  adverbia  po-^ 
nuntur  y  nomina  potius  dicenda  fiint  ^  pro^ 
adverbiis  pofita  ;  ut  eft  ^  torvùm  clamât  i 
horrendûm  refonat  ^  &  dans  Horace  (  i  )^ 
turbidhm  Utatur;  relient  les  faillies  d  uae 

■f  I      II    ■ ■■   ■■  iwia ■,11. riiyrai 

(î)  Ub.  2.  04,  i9>  V,  €, 


€b8  Principes 

joie  agitée  &  confufe  (i) ,  Perfidhm  rident 
Venus  j  Vénus  avec  un  fourire  perfide.  Et 
même  >  primo  j  fecundo  j  tcrtih  j  pqftremoy 
fero  y  optato  y  ne  font  que  des  adjedifs 
pris  adverbialement.  Il  eft:  vrai  qu  au  fond, 
radjedif  conferve  toujours  fa  nature,  & 
qu'en  ces  occafions  même  il  faut  toujours 
(bus -entendre  une  prépofition  &  un  nom 
ftibftantif,  à  quoi  tout  adverbe  eft  réduc- 
tible. Ainfî  turbidhm  Utatur  ^  id  eft  Uta-- 
tur  juxta  negodum^  ou  modum  turbidum. 
Primo  y  fecundo  y  id  eft,  in  primo  vel  fe^ 
cundo  loco i  optato  advenis j  id  eft,  in 
tempore  optato. 

A  l'imitation  de  cette  façon  de  parler 
latine,  nos  adjeârifs  font  fouvent  pris  ad- 
verbialement. Parler  haut  ^  parler  bas  y, 
fentir  mauvais  j  voir  clair,  chanter  faux  y. 
chanter  jufle  y  &c.  On  peut  en  ces  occa- 
fions fous- entendre  une  prépofition  &  un 
nom  fubftantif.  Parler  d'un  ton  haut^fen^ 


{\\  luih.  i.  Od.  Z7,  v^  6j^ 


dt  Grammaire.        60  ^ 

tir  un  mauvais  gout^  voir  d'un  œil  clair ^ 
chanter  d*un  ton  faux.  Mais  quand  il  ic- 
iroit  vrai  qu'on  ne  pouroit  point  trouver 
de  nom  fubftantif  convenable  &  ufité  5  la 
façon  de  parler  n'en  feroit  pas  moins  el- 
liptique -,  on  y  fous  -  entendroit  Tidée  de 
chofc  ou  ^ctre  dans  un  fens  neutre. 

La  féconde  remarque,  c'eft  qu'il  lie 
faut  pas  confondre  ladjeâ-if  avec  le  nom 
fubftantif  qui  énonce  une  qualité ,  comme 
blancheur  ^  étendue.  L'adjedtif  qualifie  un 
fubftantif^  c'eft  le  fubftantif  même  confi- 
déré  comme  étant  tel  :  Magiflrat  équita-* 
hle.  Ainfi  Tadjeélif  n^exifte  dans  le  difcours 
que  relativement  au  fubftantif  5  qui  en  eft 
le  fuppôt  5  &  auquel  il  fe  raporre  par  l'i- 
dentité \  au  lieu  que  le  fubftantif  qui  ex- 
prime une  qualité  5  eft  un  terme  abftrait 
&  métaphyfique ,  qui  énonce  un  concept 
particulier  de  Tefprit,  qui  confidère  la 
qualité  indépendamment  de  toute  appli- 
cation particulière,  &  comme  iî  le  mot 
étoit  le  nom  d  un  être  réel  &  fubfiftant 
par  lui  -  même.  Tels  font,  couleur  y  éten-* 


#rô  Principes 

duc  y  équité ^  Sec.  ce  font  des  noms  fub- 
ftantifs  par  imitation. 

Au  refte)  les  adjedifs  font  d'un  grand 
ufage,  fur-tout  en  poéfîe ,  où  ils  fervent  à 
faire  des  images  &  à  donner  de  Ténergle. 
Mais  il  faut  toujours  que  TOrateur  ou  le 
Poète  aient  Tart  d'en  ufer  à  propos ,  &  que 
ladjedtif  n'ajoute  jamais  au  fubftantif  une 
idée  accefibire  5  inutile  5  vaine  ou  déplacée* 


JDU    COMPARATIF. 

1  ouR  bien  entendre  ce  mot,  c'eft  un 
adje6tif  pris  fubftantivement ,  il  faut  obfer- 
ver  que  les  objets  peuvent  être  qualifiés 
ou  abfolument  fans  aucun  raport  à  d'au- 
tres objets,  où  relativement 5  c'eft-à-dirCà 
par  raport  à  d'autres. 

I.  Lorfqu'on  qualifie  un  objet  abfolu- 
ment, Tadje^^if  qualificatif  eft  dit  être  au 
pofitif.  Ce  premier  degré  eft  appelle  pq/i- 
dfj  parcequ  il  eft  comme  la  première 
pierre  qui  eft  poféé  pour  fervir  de  fonde* 


de  Grammaire:  6 1 1 

ment  aux  autres  dégrés  de  fignification* 
Ces  dégrés  font  appelles  communément 
degrés  de  comparai/on.  Céfar  étoit  vail- 
lant: le  fôleil  eft  brillant,  vaillant  &  M/- 
lant  font  au  pofîtif. 

En  fécond  lieu,  quand  on  qualifie  un 
objet  relativement  à- un  autre  ou  à  d'au- 
tres ,  alors  il  7  a  entre  ces  objets  ou  un 
rapport  d'égalité,  ou  un  raport  de  fupé- 
riorité  ,  ou  enfin  un  raport  de  préémi- 
nence. 

S'il  y  a  un  rapport  d'égalité ,  ladjeftif 
qualificatif  efl:  toujours  regardé  comme 
étant  au  pofitif -,  alors  l'égalité  eft  mar- 
quée par  des  adverbes  ,  é^que  ac  ^  tam 
quant  ^  ïta  ut ^  8c  en  françois  par  autant 
que  j  aujjl  que.  Céfar  étoit  aujji  brave 
qu'Alexandre  l'avoir  été.  Si  nous  étions 
plus  proches  des  étoiles ,  elles  nous  paroî- 
troient  aujji  brillantes  que  Je  foleil.  Aux 
équinoxes,  les  nuits  font  aujfi  longues  que 
les  jours. 

II.    Lorsqu'on  obferve  un  raport  de 
plus  ou  un  raport  de  moins  dans  la  qua- 


۔^  Principes 

lité  de  deux  chofes  comparées 5  alors  lad» 
jedif  qui  énonce  ce  raport  eft  dit  être 
au  comparatif.  C'eft  le  fécond  degré  de 
/îgnification ,  ou ,  comme  on  dit ,  de  corn- 
paraifon  :  Petrus  ejl  dociior  Paulojy  Pierre 
eft  plus  favant  que  Paul  :  le  foleil  eft  plu^ 
irïllant  que  la  lune.  Où  vous  voyez  qu'en 
latin  le  comparatif  eft  diftingué  du  pofitif 
par  une  terminaifon  particulière^  &  qu'en 
françois  il  eft  diftingué  par  Tadditiçn  du 
niot  plus  ou  du  mot  moins. 

III.  Enfin  5  le  troifième  degré  eft  appelé 
fupcrlaûf  Ce  mot  eft  formé  de  deux  mots 
latins, yZ^/er^  au-deffusj  &  latus ^  porté* 
Ainfî  le  fuperlatif  marque  la  qualité  por- 
tée au  fuprême  degré  de  plus  ou  de 
moins. 

Il  7  a  deux  fortes  de  fuperlatifs  en 
François. 

I.  Le  fuperlatif  ahfolu  y  que  n®us  for- 
mons avec  les  mots  très  y  fort^  extrême^ 
ment;  &  quand  il  y  a  admiration,  avec 
bien.  Il  eji  bien  raifonnable.  Très  vieix 

du  latin  ter^  trois  fois,  très-^rand ^  c  eft- 

à-dire  ^ 


de  Grammàirel  6i  f 

à-dire,  trois  fois  grand.  Fore  eft  un  abré- 
gé ào  fortement. 

IL  Nous  avons  encore  le  fupe.iatif 
relatif  II  ejl  le  plus  raifonnahle  de  fès 
frères. 

Les  adverbes  ont  auffi  des  dégrés  de 
iignificatiôn,  bien  ^  mieu}c  ^  fort  bie/îi 
iencj  ynelius  j  optime. 

ce  Notre  langue,  dit  le  P.  Bouhours, 
»  n  a  point  pris  de  fuperlatifs  des  Latins. 
33  Elle  n'en  a  point  d  autre  que  Générar 
*>  lijjime  j  qui  eft  tout  François ,  &  que  le 
o^  cardinal  de  Richelieu  fit  de  Ton  auto- 
05  rite  >  allant  commander  les  armées  de 
ù^  France  en  Italie ,  iî  nous  en  croyons 
»  Balzac  {i)  ^^ 

Nous  avons  emprunté  des  Italiens  cinq 
ou  fix  termes  de  dignités ,  dont  nous  nous 
fervons  en  certaines  formules ,  &  auxquels 
nous  nous  contentons  de  donner  une  ter- 
minaifon  françoife ,  qui  n'empêche  pas  de 
reconnoîcre  leur  origine  latine.  Tels  font, 

(i)  Doutes  fur  la,  Langue  francoife^  i^^'y^Co^ 

Si 


^14  Principes 

reverendijjîme  j   illujîrijjime  j  cxcdlentif- 
Jimc  j  éminentijjïme. 

WÊÊfÊmmÊtmKÊÊÊÊmmÊÊmÊÊÊmÊÊmmmÊmÊmÊmmammaBm 

tm  ■   I    I  ■*  I       I  ■  ■  11.11  m» 

DES     CAS.    ' 

J^E  mot  Cas  vient  du  latin  cafus  j 
chute  :  racine ,  c^dere  j  tomber.  Les  cas 
d'un  nom  font  les  différentes  inflexions 
ou  terminaifons  de  ce  nom.  On  a  regardé 
ces  terminaifons  comme  autant  de  diflé- 
rentes  chutes  d'un  même  mot.  L'imagina- 
tion &  les  idées  accelîbires  ont  beaucoup 
*de  part  aux  dénominations  &  à  bien  d'au- 
tres fortes  de  penfées  ;  ainfî  ce  mot  cas 
eft  dit  ici  dans  un  fens  figuré  &  m.étaphori- 
que.  Le  nominatif,  c'eft-à.dire>  la  pre- 
mière dénomination  tombant,  pour  ainfî 
dire ,  en  d'autres  terminaifons ,  fait  les  au- 
tres cas  qu'on  appelle  obliques.  Nomina- 
tivus  ^Jive  Reclus  j  cadens  àfua  termina^ 
tlone  in  alias  j  facit  obUquos  cafus  (i).  - 

(i)  Prifc.  //v.  ;  j  de  Cafu, 


de  Grammalrèl         -^i^ 

Ces  terminaifons  font  auflTi  appellécs 
déjinanccs ;  mais  ces  mots  termlnaifon  :^ 
déjinance  ^  font  le  genre.  Cas  eft  Xefpece  y 
qui  ne  fe  dit  ijue  des  noms',  car  les  verbes 
.ont  auflî  des  terminaifons  différentes, 
j^  aime  ^  y  aimois  j  y  aimerai  ^  ôcc.  Cepen- 
dant on  ne  donne  le  nom  de  cas  qu'aux 
terminaifons  des  noms^  foit  au  finguliçr, 
foit  au  plurier.  Pater  j  patris  j  patri  ^  par 
tremj  pâtre.  Voila  toutes  les  terminaifons 
de  ce  mot  au  fingulier*,  en  voila  tous  les 
cas>  en  obfervant  feulement  que  la  pre^ 
mière  terminaifon  pater  fert  égalgiiiçiiï 
pour  nommer  &  pour  appeller.       ^' Sr 

Ljes  Latins  ont  fîx  cas,  tant  au  fingulief 
qu'au  plurier ,  nominatif  ^  génitif  ^  datifs 
ixccufatifjy  vccatifjy  ablatif. 

Le  premier,  c'eft  le  nominatif  II  e(l 
appelle  cas  par  extenfion,  &  parcequ'il 
doit  fe  trouver  dans  la  lifte  des  autres  ter- 
minaifons du  nom.  Il  nomme  ;  il  énonce 
robjet  dans  toute  Tétendue  de  Tidée  qu'on 
en  a,  fans  aucuneinodiiîcation* C'eft pour 
cela  quon  Tappelle  auiïîle  ç^^  direct  ^ 


'?r^  Principes 

reclus*  Quand  un  nom  efl:  au  nominatif, 
Iqs  Grammairiens  difent  qu'il  eft  in  reclo. 

Le  génitif  eft  ainfî  appelle ,  parcequ'îl 
eft,  pour  ainfi  dire,  le  fils  aîné  du  nomi- 
natif, &  qu'il  fert  enfuira  plus  particulière- 
ment à  former  les  cas  qui  le  fuivent.  Ils  en 
gardent  toujours  la  lettre  caraétériftique 
ou  figurative ,  c'eft-à  -  dire ,  celle  qui  pré- 
cède la  tctminaifon  propre  qui  fait  la  dif- 
férence des  déclinaifons  :  par  exemple ,  is^ 
ij  cm  ou  im  j  e  ou  ij  font  les  terminaifons 
des  noms  de  la  troifième  déclinaifon  des 
Latins  au  fingulier.  Si  vous  avez  à  décliner 
quelqu'un  de  ces  noms,  gardez  la  lettre 
qui  précédera  is  au  génitif.  Par  exemple  , 
nominatif  rex  j  c'eft-à  -  dire ,  regs  j  génitif 
reg'is  j  enfui  te  reg-i  ^  reg-  cm  j  rcg-e  ^  &  de 
même  au  plurier,  reg-es  j  reg-um^  reg- 
ibus.  Genitivus  naturale  vinculum  generis 
pojfidct:  nafcitur  quidcm  à  nominative^ 
générât  xiutcm  omncs  obliques  fequenr 
tes{i). 

(x)  Prifc.  ibid. 


de  Grammaire.  617 

Le  dattffQït  à  marquer  principalement 
le  rapport  d  attribution ,  le  profit ,  le  dom- 
mage 3  par  rapport  à  quoi,  le  pourquoi, 
Jinis  cui. 

L'accujQztîfaccuk^  c^eft-à-dire,  déclare 
Tobjet  ou  le  terme  de  Taétion  que  le  verbe 
iîgnifie.  On  le  conftruit  auffi  avec  certaines 
prépofitions  8c  avec  Tinfinitif. 

Le  vocatif  (en  à  appeller.  Prifcien  Tap- 
pelle  ^uΕ  falutatorius. 

L'ablatif  fert  à  ôter ,  avec  le  fecours 
d'une  prépofition. 

Il  ne  faut  pas  oublier  la  remarque  judî- 
cieufe  de  Prifcien.  ce  Chaque  cas,  dit  -  ilj 
D:>a  plufieurs  ufages-,  mais  les  dénomina* 
v>  tions  fe  tirent  de  Tufage  le  plus  connu  & 
»  le  plus  fréquent  t>.  Multas  alias  quoquc 
&  diverfas  unufquïfquc  cafus  habct  Jjgni^ 
ficatlones ;fed  à  nodoribus  &  frequendori^ 
hus  accepcrunt  nominadonem  ^  Jîcut  ir\ 
alïis  quoquc  mulds  hoc  Invenimus  (i). 

Quand  on  dit  de  fuite  &  dans  un  cer- 


(1)  Vnk^ibid* 


6iB  '  Principes 

tain  ordre   toutes  les  terminaifons  cfu» 

rioiii>  c'eft  ce  qu  on  appelle  décliner.  C'eft 

encore  une  métaphore.  On  commence  par 

la  première  terminaifon  d  un  nom ,  enfuite 

ondefcend,  on  décline,  on  va  jufqu'à  la 

dernière. 

Les  anciens  Grammairiens  fe  fervoienç 
également  du  mot  décliner  j  tant  à  Tégard 
des  noms  qu'à  Tégard  des  verbes.  Mais  il 
y  a  long-temps  que  Ion  a  confacré  le  mot 
(décliner  aux  noms  y  &  que  lorfqu'il  s'agit 
de  verbes,  on  dit  conjuguer ^  c'eft-à-dire, 
ranger  toutes  les  terminaifons  d'un  verbe 
dans  une  même  lifte,  &  tout  de  fuite 
comme  fous  un  même  joug.  C'eft  encore 
une  métaphore. 

Il  y  a  en  latin  quelques  mots  qui  gardent 
toujours  la  terminaifon  de  leur  première 
dénomination.  On  dit  alors  que  ces  mots 
font  indéclinables.  Tels  font^^i'^  nef  as  y 
§ornu  au  fingulier,  Stc.  ainfi  ces  mots  n'onç 
point  de  cas,^ 

Cependant,  quand  ces  mots  fe  trouvent 
d^qs  unç  phrafe  ^  comme  lorfqu'Horace  a 


de  Grammaire.         6if 

dit  (i)  Fas  atque  nef  as  exïguofint  libidi^. 
num  difcernunt avidi ;  8c  ailleurs  {  i)  :  Et 
peccare  nefas  ^  aut  pretium  ejl  mori  ;  & 
Virgile  (5)  :  Jam  cornu petat  ;  &  (4)  cornu 
ferit  ille^  caveto  ;  alors  le  fens,  c'eft-  à- 
dire,  lenfemble  des  mots  de  la  phrafe, 
fait  connoître  la  relation  que  ces  mots  in- 
déclinables ont  avec  les  autres  mots  de  la 
même  proportion ,  &  fous  quel  rapport 
ils  y  doivent  être  confidérés. 

Ainli  dans  le  premier  partage  d'Ho- 
race ,  je  vois  bien  que  la  conftrudtion  eft 
////  avidi  difcernunt  fas  &  nefas.  Je  dirai 
donc  que  fas  &  nefas  font  le  terme  de 
Tadion  ou  l'objet  de  difcernunt  ^  &c.  Si  je 
dis  qu'ils  font  à  Taccufatif ,  ce  ne  fera  que 
par  extenfion  &  par  analogie  avec  les  au- 
tres mots  latins  qui  ont  des  cas,  &  qui  en 
une  pareille  pofition  auroient  la  terminai- 
fon  de  Taccufatif.  J'en  dis  autant  de  cornu 


(i)  Lih.  I.  Od.  18  >  V.  10. 
(1)  Lih.  3.  OJ.  4^  V.  24. 
(3)  Eclogac  9>  V.  J7. 
(4.)  EcU  9,v.  2j. 

Sf4 


4tb  Principes 

ferit  :  ce  ne  fera  non  plus  que  par  anaîo-" 
gie  que  cornu  eft  là  à  Tablatif  *,  &  Ton  ne 
diroit  ni  l'un  ni  Tautre,  fî  les  autres  mots 
de  la  langue  latine  étoiçn-t  également  in^ 
déclinables. 

Je  fais  œs  obfervations  pour  faire  voir , 
I.  Que  ce  font  les  terminaifons  feules 
qui  par  leur  variété  conftituent  les  cas ,  & 
doivent  être  appellées  cas  ;  en  forte  qu'il 
n'y  a  point  de  cas,  ni  par  conféquent  de 
déclinaifon  dans  Içs  langues  où  les  noms 
gardent  toujours  la  terminaifon  de  leur 
première  dénomination-,  &  que  lorfque 
nous  difons  un  temple  de  marbre  ^  cçs  deux 
mots  de  marbre  ne  font  pas  plus  au  génitif 
que  les  mots  latins  de  marmore  y  quancj 
.Virgile  a  dit,  Templum  de  marmore  po- 
nam{î).  Ainfî  à  ôc  de  ne  marquent  pas 
plus  des  cas  en  François,  que  par ^  pour  j, 
çn  y  fur  y  &c.  Voyez  ce  que  nous  avon? 
dit  fur  ce  fujet  en  traitant  de  Y  article. 
IL  Le  fécond  point  qui  eft  à  confidérer 


(i^)  Georg.  //y.  3  j  ^'-  U^  ^  ailkurç, 


de  Grammaire.  6ti 

dans  les  cas  ^  c*eft  Tufage  qu'on  en  fait 
dans  les  langues  qui  ont  des  cas. 

Ainfî  il  faut  bien  obferver  la  deftina- 
tion  de  chaque  terminaifon  particulière. 
Tel  raport ,  telle  vue  de  refprit  eft  mar- 
qué par  tel  cas  ^  c  eft-à'dire  >  par  telle 
terminaifon. 

Or  ces  terminaifons  fuppofent  un  ordre 
dans  les  mots  de  la  phrafe.  C'eft  l'ordre 
fucceflîf  des  vues  de  l'efprit  de  celui  qui 
a  parlé.  C'eft  cet  ordre  qui  eft  le  fonde- 
ment des  relations  immédiates  des  mots , 
de  leurs  enchaînemens  &  de  leurs  termi- 
naifons. Pierre  bat  Paul;  moi  aime  toi j^ 
êcc.  On  va  entendre  ce  que  je  veux  dire* 

Les  cas  ne  font  en  ufage  que  dans  les 
langues  où  les  mots  font  tranfpofés ,  foit 
par  la  raifon  de  l'harmonie  ,  foit  par  le 
feu  de  l'imagination ,  ou  par  quelqu'autre 
caufe. 

Or  ,  quand  les  mots  font  tranlpofés, 
comment    puis-je    connoitre  leurs  rela-^ 

tJORS? 

Ce  font  les  différentes  terminaifons  ^  çc 


6zt  Principes 

font  les  cas  qui  m'indiquent  ces  relations 5 
&  qui  ,  lorfque  la  phrafe  eft  finie  ^  me 
donnent  le  moyen  de  rétablir  Tordre  des 
mots,  tel  qu'il  a  été  néceflairement  dans 
Telpric  de  celui  qui  a  parlé  ,  lorfqu'il  a 
voulu  énoncer  fa  penfée  par  des  mots.  Par 
exemple  : 

Frigidus  agricolamjl  qiiando  continet  imher  {i)^ 

Je  ne  puis  pas  douter  que ,  lorfque  Virgile 
a  fait  ce  vers,  il  n'ait  joint  dans  fon  efprit 
Tidée  de  frigidus  à  celle  à'imber;  puifque 
l'un  eft  le  fubftantif ,  &  l'autre  TadjecStif. 
Or  le  fubftantif  &  Tadjedif  font  la  chofe 
même  :  c'eft  l'objet  confidéré  comme  tel  : 
ainfî  l'efprit  ne  les  a  point  féparés. 

Cependant,  voyez  combien  ici  ces  deux 
mots  font  éloignés  Tun  de  l'autre.  Frigi^ 
dus  commence  le  vers ,  &  imher  le  finit. 

Les  terminaifons  font  que  mon  efprit 
reproche  ces  deux  mots ,  &  les  remet  dans 
1  ordre  des  vues  de  l'elprit,  relatives  à 

(i)  Georg.  lib.  i  j  v.  zjs^. 


de  Grammaire.  ^zj 

féîocutîon  :  car  refprit  ne  divife  ainfi  fes 
penfées  que  par  la  néceffité  de  rénonda^ 
rion. 

Comme  la  terminaifon  de  frigidus  mo 
fait  raporter  cet  adjeûif  à  imber  ^  de  mê- 
me voyant  qu^grlcolam  eft  à  raccufatif , 
j  aperçois  qu'il  ne  peut  avoir  de  raport 
qu'avec  commet.  Ainfi  je  range  ces  mots 
félon  leur  ordre  fucceflîf ,  par  lequel  feul 
ils  font  un  fens  :  Si  quando  imber  frigidus 
continet  domi  Agricolam.  Ce  que  nous 
difons  ici  eft  encore  plus  fenfible  dans  ce 
vers  : 

Arctagtr%  vitio^  moriens^Jititj  aëris y  herha(i). 

Ces  mots ,  ainfi  féparés  de  leurs  corrélatifs, 
ne  font  aucun  fens. 

EJi  fec  j  le  champ  jy  vice  jy  mourant^  a 
fôif  jy  de  l'air^  l'herbe.  Mais  les  terminai- 
fons  m'indiquent  les  corrélatifs ,  &  dès-lors 
Je  trouve  le  fens.  Voila  le  vrai  ufage  des 
cas. 

a  ■        ■  ■  ■      Il        -^ 


ëi4  Principes 

Ager  arety  herha  moriens  Jltit  ptx  vido  aëris^ 

Ainfi  les  cas  font  les  fignes  des  raports^ 
&  indiquent  Tordre  fuccellîf ,  par  lequel 
feul  les  mots  font  un  fens.  Les  cas  n'indi'- 
quent  donc  le  fens  5  que  relativement  à 
cet  ordre  -,  &  voila  pourquoi  les  langues 
dont  la  fyntaxe  fuit  cet  ordre ,  &  ne  s'en 
écarte  que  par  des  inverfions  légères  aifées 
à  apercevoir  5  &  que  Tefprit  rétablit  aifé- 
ment  -,  ces  langues,  dis-je,  n'ont  point  de 
cas  :  ils  y  feroient  inutiles,  puifqu'ils  ne 
fervent  qu'à  indiquer  un  ordre  que  ces 
langues  fuivent  :  ce  feroit  un  double  em- 
ploi. Ainfî,  fi  je  veux  rendre  raifon  d'une 
pbrafe  françoife  -,  par  exemple ,  de  celle- 
ci  ,  Le  roi  aime  le  peuple  j  je  ne  dirai 
pas  que  le  rai  eft  au  nominatif,  ni  que  le 
peuple  eft  à  laccufatif  :  je  ne  vois  en  l'un 
ni  en  l'autre  mot  qu'aune  fimple  dénomi- 
nation ,  le  roi  j  le  peuple*  Mais  comme 
je  fais,  par  Tufage ,  l'analogie  &  la  fyntaxe 
de  ma  langue ,  la  fimple  pofition  de  ces 
mots  me  fait  conngître  leurs  raportsr  & 


de  Grammaire.        (ii^ 

les  différentes  vues  de  refprit  de  celui 
qui  a  parlé. 

Ainfî  je  dis  i  •^  Qiie  le  roi  paroiflant  le 
premier ,  eft  le  fujet  de  la  propofition  i 
qu'il  eft  lagent ,  que  c'eft  la  perfonne 
qui  a  le  fentiment  d'aimer. 

2.*^  Que  le  peuple  étant  énoncé  après 
le  verbe  ,  le  peuple  eft  le  complément 
A' aime  :  je  veux  dire  que  aimej  tout  feul, 
ne  feroit  pas  un  fens  fufïîfànt  -,  Tefprit  ne 
feroit  pas  fatisfait.  Il  aime,  hé  quoi  ?  le 
peuple.  Ces  deux  mots,  aime  le  peuple^ 
font  un  fens  partiel  dans  la  propofition. 
Ainfi  le  peuple  eft  le  terme  du  iêntiment 
d'aimer  -,  c'eft  Tobjet ,  c'eft  le  patient ,  c  eft 
Tobjet  du  fentiment  que  j'attribue  au  roi. 
Or  ces  raports  font  indiqués  en  françois 
par  la  place  ou  pofition  des  mots,  &  ce 
même  ordre  eft  montré  en  latin  par  les 
terminaifons. 

Qu'il  me  foit  permis  d'emprunter  ici 
pour  un  moment  le  ftyle  figuré.  Je  dirai 
donc,  qu'en  latin  l'harmonie  ou  le  caprice 
accordent  aux  mots  la  liberté  de  s'écartec 


4zè  Principes 

de  la  place  que  Tintelligence  leur  âVOit 
d'abord  marquée.  Mais  ils  n'ont  cette  per- 
iniffion  5  qu'à  condition  qu'après  que  toute 
la  propofition  fera  finie  ?  Te/prit  de  celui 
qui  lit  ou  qui  écoute  ,Je^  remettra  par 
Vin  fîmple  point  de  vue  dans  le  mêmç 
ordre  où  ils  auront  été  d'abord  dans  l'ef- 
prit  de  celui  qui  aura  parlé. 

Amufons-nous  un  moment  à  une  fidrioué 
S'il  plaifoit  à  Dieu  de  faire  revivre  Cicé* 
ron  5  de  nous  en  donner  la  connoiiTance  > 
&  que  Dieu  ne  donnât  à  Cicéron  que  l'in- 
telligence des  mots  françois ,  &  nullement 
celle  de  notre  fyntaxe ,  c'eft-à-dire ,  de  ce 
qui  fait  que  nos  mots  aflTemblés  &  rangés 
dans  ,un  certain  ordre ,  font  un  fens.  Je 
dis  que  fi  quelqu'un  difoit  à  Cicéron , 
Illujlre  Romain  y  après  votre  mort  Au- 
gujle  vainquit  Antoine ^  Cicéron  enten- 
droit  chacune  de  ces  paroles  en  particu- 
lier 5  mais  il  ne  connoîtroit  pas  qui  eft 
celui  qui  a  été  le  vainqueur ,  ni  celui  qui 
a  été  vaincu.  Il  auroit  befoin  de  quelques 
Jours  d'ufagc>  pour  apprendre  parmi  nous 


de  Grammaire.         6ij 

que  c'eft  Tordre  des  mots ,  leur  pofîtion , 
&:  leur  place ,  qui  eft  le  iîgne  principal  de 
leurs  raports. 

Or ,  comme  en  latin  il  faut  que  le  mot 
ait  la  terminaîfon  deftinée  à  fa  pofition , 
&  que  fans  cette  condition ,  la  place  n'in- 
flue en  rien  pour  faire  entendre  le  fens, 
Augujius  vicit  Antonïus  ne  veut  rien  dire 
en  latin.  Ainfi ,  Augujlc  vainquit  Antoine 
ne  formcroit  d  abord  aucun  fens  dans  Tel- 
prit  de  Cicéron  ;  parceque  Tordre  fucceffif 
ou  lîgnificatif  des  vues  de  Tefprit  n'eft  indi- 
qué en  latin  que  par  les  cas  ou  terminai- 
fons  des  mots  :  ainfi  il  eft  indiffirent  de 
dire  Antonium  vicit  Augujius  ^  ou  Augu- 
jius vicit  Antonium.  Cicéron  ne  conce- 
vroit  donc  point  le  fens  d'une  phra(e , 
dont  la  fyntaxe  lui  feroit  entièrement  in^ 
connue.  Ainfi  il  n'entendroit  rien  à  Au- 
gujlc vainquit  Antoine  :  ce  feroit  là  pour 
lui  trois  mots  qui  n'auroient  aucun  figne 
de  raporr.  Mais  reprenons  la  fuite  de  nos 
réflexions  fur  les  cas* 

Il  y  a  des  langues  qui  ont  plus  de  fix 


€i^  Principes 

cas,  &  d  autres  qui  en  ont  moins.  Le  P* 
Galanus  5  Théatin  5  qui-  avoit  demeuré  plu- 
fleurs  années  chez  les  Arméniens  5  dit  qu'il 
y  a  dix  cas  dans  la  langue  arménienne. 
Les  Arabes  n'en  ont  que  trois. 

Les  Grecs  n'ont  que  cinq  cas>  nomina." 
^If  ^  g^'^^^^fj  ^^^{f^  accufatif  jy  vocatif. 
Mais  la  force  de  lablatif  eft  fouvent  ren- 
due  par  le  génitif,  &  quelquefois  par  le 
datif.  Ahlatïvi  forma  Gtaci  carent  ^  non 
yi  j  quéê  gemdvo  &  aliquando  dadvo  rc* 
fertur  (i). 

Nous  avons  dit  qu'il  y  a  dans  une  lan- 
gue &  en  chaque  déclinaifon  5  autant  de 
cas  que  de  terminaifons  difîérentes  dans 
les  noms.  Cependant  le  génitif  &  le  datif 
de  la  première  déclinaifon  des  Latins,  font 
femblables  au  fingulier.  Le  datif  de  la  fe- 
conde  eft  auflî  terminé  comme  Tablatif. 
Il  femble  donc  qu'il  ne  devroit  y  avoir 
que  cinq  cas  en  ces  déclinaifons. 

Maisi."^  il  eft  certain  que  la  pronon- 


(i)  Caniûi  Hcllcnirmij  Pa;r,  orat.  p.  87. 

ciation 


i 


de  GrammaîrCé  ^ijf 

tîation  dç  \'a  au  nominatif  de  la  première 
iJécIinaifon  étoit  différente  de  celle  de  Yà 
à  lablatif.  Le  premier  eft  bref,  l'autre eÛ: 
long. 

'  ï.^  Le  génitif  fut  d'abord  terminé  eii 
^ij  d'où  Ton  forma  ^  pour  lé  datif.  là 
prima  dcclihationc  dlcium  olim  menfai  , 
&  hinc  deinde  fornïatum  in  dativo  iiieri- 

5.°  Enfin  l'analogie  deinande  cette  uni- 
formité de  (îx  cas  dans  lés  cinq  déclinai- 
fons  \  &  alors  ceu^  iqui  ont  une  terininai- 
fon  femblable  i  font  des  cas  par  imitation 
avec  les  cas  des  autres  terminaifons  :  ce 
qui  rend  uniforme  la  raifon  des  conftru- 
tlions.  Cafus  funt  non  vocis  ^  fed  Jignifi- 
cationis  j  necnon  etiam  Jiruclur(Z  rationcm 
Jervamus  (2.}. 

Les  raports  qui  ne  font  pas  indiqués  par 
des  cas  en  grec ,  en  latin ,  &  dans  les  autres 


(i)  Perizonius,  in  Sanûii  Minerva  ,  /•!,  c.  ^^ 
(0  Prifc.  h  <i,dc  Cafu; 

Tt 


é^50  Principes 

hngues  qui  ont  des  cas  >  ces  raports ,  dis- 
je  )  font  fuppléés  par  des  prépoiîtions.  Clam 
patrçm. 

Ces  prépofitions  qui  précèdent  les 
poms,  équivalent  à  des  cas  pour  le  fens, 
puifquelles  marquent  des  vues  particuliè- 
res de  Tefprit.  Mais  elles  ne  font  point 
des  cas  proprement  dits ,  car  TelTence  du 
cas  ne  confifte  que  dans  la  terminaifon  du 
nom,  deftinée  à  indiquer  une  telle  rela- 
tion particulière  d'un  mot  à  quelqu'autre 
mot  de  la  propofitioiu 


de  Grammaire.  €^1 

OBSERVATIONS 

SUR     LES     VERBES, 

DES    VERBES  AUXILIAIRES. 

JLe  mot  auxiliaire  vient  du  latin  auxU 
liaris  j  &  fignifie  qui  vient  au  fccours^ 
On  appelle  verbes  auxiliaires  le  verbe 
être  &  le  verbe  avoir  j  parcequ'ils  aident 
à  conjuguer  certains  temps  des  autres  ver- 
bes,  &  ces  temps  font  appelles  temps  corn-* 
pofési. 

Il  7  a  dans  les  verbes  des  temps  qu'on 
aç^^Wt/imples*  C'eft  lorfque  la  valeur  dû 
verbe  eft  énoncée  en  un  feul  mot: j'aime  j 
j'aimois  ^  j'aimerai  ^  &c. 

Il  y  a  encore  des  temps  compofés  :  y  ^jf 
aimé ^  j'avois  aimé ^  j' aurais  aimé ^  &c# 
ces  temps  font  énoncés  en  deux  mots. 

Il  y  a  même  des  temps  doublement 
çompofés  ,  qu'on  appelle  fur  -  compofés^ 
Ceft  lorfque  le  verbe  eft  énoncé  par  troi^ 

T  t  a 


tfi  Principes 

uiots;  quand  il  a  eu  dîné  ;  f  aurais  été 
cime .  Sec. 

r  7      /■^       ,--->,  ■■■}'■■ 

"-  Plafibursde  ces  temps,  (pi  font  com«^ 
pofés  Gu  fur  -  compofés  en  François  y  font 
Innples  en  latin ,  fur-tout  à  Tadtif ,  amavi  > 
fai  aiméj  Sec.  Le  françois  n'a  point  de 
temps  fîmples  au  pafîîf.  Il  en  eft  de  même 
en  efpagnol ,  en  italien ,  en  allemand  >  Se 
dans  plufîeurs  autres  langues  vulgaires. 
Ainfi,  quoiqu'on  dife  en  latin  ,  en  un  feul 
mot,  amor^  amarisj  amatur j  on  dit  en 
françois ,  je  fuis  aimé j  &c.  en  efpagnol , 
foy  amado  j  ères  amado  ^  es  amado  ;  en 
italien  5/0/20  amato  y  fei  amato  ^  e  amato. 
Les  verbes  pallîfs  des  Latins  ne  font 
compofés  qu'aux  prétérits  &  aux  autres 
temps  qui  fe  forment  du  participe  paflTé  ; 
amatus  jum  ou  fui  j  fai  été  aimé  ;  ama^ 
tus  ero  ou  fuero  j  f  aurai  été  aimé.  On 
dit-  auffî  à  Tadtif ,  amatum  ire  ^  quil  ai" 
mer  a  ovl  quil  doit  aimer  '^  &  au  paffif, 
amatum  iri  ^  quil  fera  ou  quil  doit  être 
aimé^  Amatum  eft  alors  un  nom  indécli- 
nable,  ire  ou  iri  ad  amatum^ 


de  Grammaire.  ^53 

Cependant ,  on  ne  s  eft  point  avifé  en 
latin  de  donner  en  ces  occafions  le  nonx 
d'auxiliaire  au  verbe  fum^  ni  à  habeo  ^ 
Ali  à  Ire^  quoiqu'on  dife  habeo  perfuafum  ; 
Se  que  Céfar  ait  dit,  Mîjït  copias  quas 
habebat  paratas  :  habere  gr^cs^^fidcm., 
mendonem y  odïum ^  &c.  '-■-;  {,  j*  ^  t .7 
.  :^î^otre  veçbe  devoir  wç,  fert-il'pas  auffi 
d^âuxiliaire  atix  autres  verbçs,par  niéta- 
phore  ou  par  extenfîon  ,  pour  fignifier  ce 
qui  zxi\xtt2.\JC'dois  aller  demain  à  Vçr- 
failles  ;  je  dois  recevoir  ;  il  doit  paf  tir  j 
il  doit  arriver  y  &c.  ^  -\    ::/]  ;  -7 

Le  vetbe  faire  a  fouvent  auflîle  men^ 
ufage,  faire  voir^  faire  part  ^  faire  des 
complimens  y  faire  honte^  faire  peury^  faire 
pitié  y  &ç. 

Je  crois  qu'on  n'a  jdonné  le  pQm  d'au- 
xiliaire à,  être  &  à  avoir  j  qjje  parceque 
ces  verbes  étant  fui  vis  dun  nom  verbal, 
deviennent  équivalens  à  un  verbe  fimple 
des  Latins.  Feni  ^  je  fuis  venu.  Ceft  aii:^(î 
.que  parçe^que  propter  eft:  une  prépofitioa 

en  latin  >  çn  a  mis  auiîî  norr^;^  caufc  au 

Tt3 


6^4  Principes 

rang  des  prépofîtioiis  françaifes,  &  ainfi 
de  quelques  autres.  ^ 
'  Pour  moi  je  fuis  perfiiàd^ ,  qu'il  ne  faut 
jifger  de  la  nature  des  mots,  qUe  relative* 
'ment  au  fervice  qu'ils  tendent  dans  la 
langue  ou  ils  font  en  ùfage  5  &  non  par 
raport  à  quelqu'autre  langue,  dont  ils  font 
réquivalent.  Ainfi  ce  n'eft  que  par  péri-^ 
phrale  ou  circonlocution  que  >  je  fuh 
venu  eft  le  prétérit  de  venir.  Je  eft  le  fujet  ^ 
c'eft  un  pronom  perfonnel  :  fuis  eft  feul 
le  verbe  5  à  la  première  pérfonhe  du  temps 
ftéfem  y  Je  Juis  adfcuellement  :  venu  eft  un 
participe  oti  âdjedif  Verbal ,  qui  fignifîe 
line  aétioii  pâflTée  5  &  qui  la  fignifie  ad- 
Jeftivement  comme  arrivée,  au  lieu  qu'^- 
yènement  la  fignifie  fubftantivement  ^ 
dans  un  fens  abftrait.  Ainfî,  zV  ejl  venu ^ 
c*eft-à-dire  ,  il  ejl  actuellement  celui  qui 
âfjè  venu  j  comme  les  Latins  difent,  r^.^-' 
turus  efi  yileji  açluellement  celui  qui  doit 
venir. 

y  ai  aimé:  le  verbe  n'eft  que  ai^  hab^o^ 
Tai  çft  dit  ^ors  par  figure  >  par  mct^- 


de   Grammaire.        5  j  Ç 

phore,  par  fimilimde.  Quand  nousdifbns> 
j^ai  un  livre  ^  &c.  Tai  eft  au  propre ,  & 
nous  tenons  le  même  langage  par  compa- 
raifon ,  lorfque  nous  nous  fervons  de  ter-^ 
mes  abftraits.  Aiafî  nous  difons ,  j^ai  ai-, 
mé jy  comme  nous  difons ,  fai  honte  jf  ai 
peur  y  j'ai  envie  ^  fai/bifj  j'ai  faim  j  j'ai 
chaud  j  j'ai  froid.  Je  regarde  donc  aime  ^ 
comme  un  véritable  npmfubftantif  abftraiç 
&:  métaphyfique,  qui  répond  à  ^//z^r^/w  j 
amatu  des  Latins ,  quand  ils  difenc  ^ma^ 
tum  ire  ^  aller  au  fentiment  d  aimçt  >  ou 
amatum  iri  ^  TaiStion  d'aller  au  felitiment 
d  aimer  être  pris  ,  viam  iri  ad  amatum. 
Or  :>  comme  en  latin  amatum  j   am^tu  ^ 
n  eft  pas  le  même  mot  o^amatus^  a^  tuniy 
de  même  aimé ^  d^insj'ai  aiméj  n'çft,pas 
le  même  mot  que  dans  je  fuis  aimé  ou 
aimée.  Le  premier  eft  adtif,  j^alairné; 
au  lieu  que  Tautre  eft  paflif  ^ye  fuis  aimc\ 
Ainfi  quand  un  officier  dit , /ai  A^^i/Ze'" 
mon  régiment  j  mes  troupes  ^  habillé  eft: 
un  nom  abftrait  pris  dans  un  Tens  aâtif* 


•^3'iS  ~  Principe S:^ 

'Au  lieu  que  quand  il  dit,  les  troupes  qùô 
f^l'^habillées  j  habillées  eft  un  pur  ad-» 
jedif  participe  5  qui  eft  dit  dans  le  même 
icn^  que  paratasy  dans  la  phrafe  ci-defliis^,? 
copias  quas  habebat'paratas  (i)." 

Ainîî  il  me  femble  que  nos  Grammaires 
j)our'OÎent  bien  fe  pafler  du  mot  à'auxi^.^ 
iîaîre-j  Se  qu'il  fufïiroit  de  remarquer  en 
ces  oecafions  le  mot  qui  eft  le  verbe ,  le 
niot  qui  eft  le  nom  y  &  la  périphrafe  qui 
équivaut  au  mot  fîmple  des  Latins.  Si  cette 
ppédfîon  paroît  trop  recherchée  à  c^nsti* 
îies  pérfonnes  5  du  moins  elles  n^  trouve- 
ront rien  qui  'les  empêche  de  s'en  tenir 
au  train  commun  ^  Ou  plutôt  à  ce  qu'elles 
iaventdéja.  ':^    -   - 

Cewx  qui  ne  favent  rien  ont  bien  plu« 
de  facilité  à  apprendre*  bien  ,  que  ceux 
qm^deja  favent  maL 

Nos  Grammairiens,  en  voulant'  donner 
^  nos  verbes  des  temps  qui  répondiffent 

li^l^^  ■.    ■  "'^ — ■ ■ — ^' ' ' 

(0  Çç% 


de  Grammaire.  ^37 

comme  en  un  feul  mot,  aux  temps  fîmr 
pies  des  Latins  ,  ont  inventé  le  mot  de 
yerbe  auxiliaire.  Ceft  ainfi  qu'en  voulant 
aflfujétir  les  langues  modernes  à  la  méthode 
latine ,  ils  les  ont  embarafTées  d'un  grand 
nombre  de  préceptes  inutiles,  de  cas ^A^ 
déclinaifons  &  autres  termes  qui  ne  con- 
viennent point  à  ces  langues  5  &  qui  n'y* 
auroient  jamais  été  reçus  5  fi  les  Grammai- 
riens n'avoient  pas  commencé  par  Tétude 
de  la  langue  latine.   Ils  ont  afTujéti  de 
fîmples  équivalens  à  des  règles  étrangères.. 
Mais  on  ne  doit  pas  régler  la  Grammaire 
d'une  langue ,  par  les  formules  de  la  Gçam^ 
maire  d'une  autre  langue. 

Les  règles  dune  langue  ne  doivent  fe 
tirer  que  de  cette  langue  même.  Les  lan- 
gues ont  précédé  les  Grammaires;  &  celles* 
ci  ne  doivent  être  formées  que  d  obferva-^ 
rions  jufte^  tirées  du  bon  ufage  de  la  lan^ 
^ue  particulière  dont  elles  traitent. 


ÉjS  Principes 

DES     CONJUGAISONS. 

La  Conjugaifon  (i)  efi:  un  arrangement 
fuivijde  toutes  les  terminaifons  d'un  verbe> 
félon  les  voix,  les  modes ^  les  temps,  les 
nombres  &  les  perfonnes,  termes  de  Gram- 
maire qu'il  faut  d*abord  expliquer. 

Le  mot  voix  eft  pris  ici  dans  un  fens 
figuré.  Oh  perfonifie  le  verbe ,  on  lui  don- 
ne une  voix,  comme  fi  le  verbe  parloiti 
car  les  hommes  penfent  de  toutes  chofes 
par  reflTemblance  à  eux-mêmes:  ainfi  la 
voix  eft  comme  le  ton  du  verbe.  On 
range  toutes  les  terminaifons  des  verbes 
en  deux  clafles  différentes  :  i  .^  les  termi- 
naifons qui  font  connoître  que  le  fujet 
de  la  propofition  fait  une  aârion,  font 
dites  être  de  la  voix  active  j  c'eft-à  -  dire, 
que  le  fujet  eft  çonfidéré  alors  comme 
agent:  c'eft  le  fens  adif:  i.^  toutes  celles 


(i)  En  latin,  Conjugatio.  Ce  mot  fignifie> 
jonction  ^  ajjemblage.  Racine ,  ConjungcrcK 


de  Grammaire,  659 

qui  font  deftinées  à  indiquer  que  le  fujét 
de  la  propofîtion  eft  le  terme  de  ladion 
4tfun  autre  fait,  qu'il  en  eft  le  patient, 
ces  terminaifons  font  dites  ctrc  de  la  roix 
pajjïve  j  c'eft'à-dire  ,  que  le  verbe  énonce 
alors  un  fens  pafïîf. 

Par  modes  ^  on  entend  les  différentes 
manières  d*exprimer  Taction.  Il  y  a  quatre 
principaux  modes.  Vindicatif j,  h  fuhjon^ 
cii/j  V  impératif  8c  Y  infinitif ^  auxquels  en 
certaines  langues  on  ajoute  Voptatif 

Vindicatif  énonce  ladion  dune  ma- 
nière abfolue,  comme  j'aime  j  f  ai  aimé^ 
f  avois  aimé j  j' aimerais  C'eft  le  feul  mode 
■qui  forme  des  propofitions,  c'çft-à-dire, 
qui  énonce  des  jugemensi  les  autres  mo^ 
des  ne*  font  que  des  énonciations.  Voyez 
ce  que  nous  dirons  à  ce  fujet  à  l'article 
'^Construction' j  où  nous  faifons  voir 
la  différence  qu'il  y  a  entre  une  propofi- 
çion  &  une  ftmple  éhonciati(3>n. 

Le  yi^/o/zc?//  exprime  lailion  d'une 
manière  dépendante  5  fubordonnée,  in^ 
certaine,  conditionelle ,  en  un  mot  d'une 


€^0  Principes 

manière  qui  n'eft  pas  abfolue  y  &  qui  fup- 
pofe  toujours  un  indicatif:  quand  f  aime- 
rois  j  afin  que  j^ aimajfc  ;  ce  qui  ne  dit  p^^^ 
que  y  aime  _,  ni  que  j^aie  aimé. 

Voptadfj  que  quelques  Grammairiens 
ajoutent  aux  modes  que  nous  avons  nom- 
més, exprime  ladion  avec  la  forme  de 
defir  &  de  fouhait.  Plût  à  Dieu  quil 
vienne.  Les  Grecs  opt  des  terminaifons 
particulières  pour  Toptatif.  Les  Latins  n'en 
ont  point.  Qiiand  ils  veulent  énoncer  le 
fens  de  loptatif ,  ils  empruntent  les  termi- 
naifons du  fubjondif  5  auxquelles  ils  ajou-r 
tent  la  particule  de  defir  5  Utinam  _,  plût  à 
J)ieu  que.  Dans  les  langues  où  Toptatif  n  a 
point  de  terminaifons  qui  lui  foient  pro- 
pres ,  il  eft  inutile  d'en  faire  un  modç 
féparé  du  fubjon6tif, 

L'i/7z^/mri/"marque  Tadlion  avec  la  foç- 
iiie  de  commandement,  ou  d  exhortation, 
ou  de  prière  5 /?re/2^  j  viens  j  va  donc. 

V infinitif  énonce  Tac^ion  dans  un  fens 
abftrait,  &  n'en  fait  par  lui-même  aucune 
application  fmgulière  &  adaptée  à  un  fur. 


de  Grammaire]        èj{t 

jet:  Aimer j  donner j  venir.  Ainfï  il  a  be- 
foin,  comme  les  prépofitions,  lesadjedifs, 
&c.  d'être  joint  à  quelqu'autrc  mot,  afin 
qu'il  pUifTe  faire  un  fens  fingulier  &  adapte. 

A  l'égard  des  temps  j  il  faut  obferver 
que  toute  àdion  eft  relative  à  un  temps , 
puifqu'elle  fe  paflfe  dans  le  temps.  Ces  ra-* 
ports  de  l'adion  au  temps  font  marqués  en 
quelques  langues  par  des  particules  ajou- 
tées au  verbe.  Ces  particules  font  les  fignes 
du  temps.  Mais  i!  eft  plus  ordinaire  que  les 
temps  foient  défîgnés  par  des  terminaifons 
particulières,  au  moins  dans  les  temps  (im- 
pies. Tel  efl:  Tufage  en  grec  ,  en  latip ,  en 
francois ,  &c. 

Il  y  a  trois  temps  principaux  \  le  préfent, 
comme  amo  j  j'aime  ;  le  paflTc  ou  prétérit, 
comme  amavi  ^  j'ai  aimé  ;  l'avenir  ou 
futur,  comme  amabo ^  j^ aimerai. 

Ces  trois  temps  font  des  temps  fimples 
&  abfolus.  On  y  ajoute  les  temps  relatifs  & 
combinés  J  comme  y^  lifois  ^  quand  vou$ 
êtes  venu. 

Les  nombres.  Ce  mot  fe  dit  de  la  pr©^ 


€4%  Principes 

priété  qu  ont  les  terminaifons  des  noms  5l 
celles  des  verbes  de  marquer  fî  le  mot  doit 
être  entendu  d'une  feule  perfonne,  ou  fi 
on  doit  l'entendre  de  plufieurs,  amo^ 
amamus. 

Enfin  y  il  faut  favoir  ce  qu'on  entend 
par  les  pcrfonnes grammaticales.  Pour  cela 
il  faut  obferver  que  tous  les  objets  qui 
peuvent  faire  la  matière  du  difcours ,  font, 
i.^  ou  laperfonne  qui  parle  d'elle-même > 
^mo  j  j'aime  ;  i.^  ou  la  perfonne  à  qui 
©n  adreffe  la  parole ,  amas  j  vous  aime:^  ; 
3.*^  ou  enfin  qaelqu'autre  objet,  qui  n'efl: 
ni  la  perfonne  qui  parle ,  ni  celle  à  qui  Ton 
parle,  Rex  amat populum ^  le  Roi  aime 
le  peuple. 

Cette  confidétation  des  mots,  félon 
quelqu'une  de  ces  trois  vues  de  Tefprit,  a 
donné  lieu  aux  Grammairiens  de  faire  un 
ufage  particulier  du  mot  perfonne  par  ra- 
pott  au  difcours.  Ils  appellent  première 
perfonne  celle  qui  parle,  parceque  c'eft 
d'elle  que  vient  le  difcours.  La  perfonne 
à  qui  s'adrefîe  le  difcours  eft  appelée  la 


de  Grammaire.         €^y 

Jitonde  perfonne.  Enfin ,  la  troifieme  per^* 
fonne  _,  c'eft  tout  ce  qui  eft  confidéré  com- 
me étant  l'objet  dont  la  première  per- 
fonne parle  à  la  féconde. 

Voyez  combien  de  fortes  de  vues  de 
refprit  font  énoncées  en  même  temps  par 
une  feule  terminaifon  ajoutée  aux  lettres 
radicales  du  verbe.  Par  exemple,  dans 
amarcy  ces  deux  lettres  a^  m^  font  les  ra- 
dicales ou  immuables.  Si  à  ces  deux  lettres 
j'ajoute  o  j  }e  forme  amo.  Or  en  difànt 
amoy  je  fais  connoître  que  je  juge  de  moi  j 
je  m'attribue  le  fentiment  d  aimer.  Je  mar- 
que donc  en  même  temps  la  voix,  le  mode, 
le  temps,  le  nombre,  la  perfonne. 

Je  fais  ici  en  paflant  cette  obfervation , 
pour  faire  voir  qu'outre  la  propriété  de 
marquer  la  voix ,  le  mode ,  la  perfonne , 
&c.  &  outre  la  valeur  particulière  de  cha- 
que verbe,  qui  énonce  ou  TefTence,  ou 
l'exiftence ,  ou  quelqu'adion ,  ou  quelque 
fentiment,  &c.  le  verbe  marque  encore 
l'adtion  de  Tefprit  qui  applique  cette  va- 
leur à  uniujet,  foit  dans  les  propofitiong. 


^44  Principes 

fbit  dans  les  amples  énonciations^  &  c'eft 
i:e.  qui  diftingue  le  verbe  des  autres 
mots ,  qui  ne  font  que  de  fimples  déno- 
minations. Mais  revenons  au  mot  conju-^ 
gai/on. 

On  peut  auffî  regarder  ce  mot  comme 
un.  terme  métaphorique  tiré  de  laftion 
d  atteler  les  animaux  fous  le  joug  au  même 
chai  &  à  la  même  charrue,  ce  qui  em^ 
porte    toujours   Tidée   daffemblage,  de 
liaifon  &  de  jonction.  Les  anciens  Gram- 
mairiens fe  font  fervi  indifféremment  du 
mot  de  conjugaifon  &  de  celui  de  décU^ 
naifon^  foit  en  parlant  d'un  verbe,  foit 
en  parlant  d'un  nom.  Mais  aujourd'hui  on 
emploie  declmatio  &  declinatc  quand  il 
s'agit  des  noms*,  &  on  fe  fert  de  conju-^ 
gatio  &  de  eonjugare  quand  il  eft  queftioh 
des  verbes. 

Les  Grammairiens  de  chaque  langue 
©nt  obfervé  qu'il  y  avoir  des  verbes  qui 
énonçoient  les  modes,  les  temps , les  nom' 
bres  &  les  perfonnes  par  certaines  termi- 

Haifons,   &   que  d'autres   verbes   de   k 

mên:€ 


ae  Grammaire.         ^45* 

Wiême  langue  avoient  des  terminaifons 
tbutes  différentes  pour  marquer  les  mê- 
mes modes,  les  mêmes  temps,. les  mêmes 
nombres  &  les  mêmes  perfonnes.  Alors 
les  Grammairiens  ont  fait  autant  de  clafles 
différentes  de  ces  verbes,  qu'il  y  a  de  va- 
riétés entre  leurs  terminaifons,  qui  malgré 
leurs  différences  ont  cependant  une  égale 
deftination  par  raport  au  temps,  au  nom- 
bre &  à  la  perfonne.  Par  exemple  >  a/72<?3 
àmavi,^  amatum^  aiiiare ;  moneo ymonui ^ 
monïtum  y  monere  ;  icgo^  kgi  ^  le-clûm  ^ 
légère  ;  audio  ^  audivi  3  audltum  j  audire^ 
Ces  quatre  fortes  de  terminaifons  différen- 
tes entr'elles ,  énoncent  égalemeiit  des  vues 
de  lefpiit  de  même  efpèce.  Amavi ^  j'ai 
aimé  *,  monui^  j'ai  averti',  Icgi ^  j'ai  lu  3  au* 
dîvij  j'ai  entendu.  Vous  voyez  que  ces  dif^ 
férentes  terminaifons  marquent  également 
la  première  perfonne  au  fingulier  ,  &  au 
temps  palfé  de  l'indicatif.  Il  n  y  a  de  dif- 
férence que  dans  l'aélion  que  l'on  attribue 
à  chacune  de  ces  premières  perfonnes-,  & 
cette  adion  eft  marquée  par  les  lettres 

Vu 


é^ê  Principes 

radicales  du  verbe  5  am^mouj  kg  ^  aud. 
A  regard  du  François,  il  faut  d'abord 
obfGrver  que  tous  nos  verbes  font  terminés 
à  Tinfinîtif,  ou  en  er^  ou  en  zVj  ou  en 
cir ^  ou  en  re.  Ainfî  ce  feul  mot  techni- 
que >  er-ir-oir-re  j  énonce  par  chacune  de^ 
fes  fyllabes,  chacune  de  nos  quatre  con- 
jugaifons  générales. 

Ces  quatre  conjugaifons  générales  font 
cnfuite  fubdivifées  en  d autres,  à  caufe 
des  voyelles  ou  des  diphtongues,  ou  des 
confonnes  qui  précèdent  la  terminaifon 
générale.  Par  exemple,  er  eft  une  termi- 
naifon générale  :  mais  fi  er  eft  précédé  d'un 
fon  mouillé  foible,  comme  dans  envo-yery 
ennu-yer  _,  ce  fon  apporte  quelques  diffé- 
rences dans  la  conjugaifon.  Il  en  eft  de 
même  dans  re.  Ces  deux  lettres  font  quel- 
quefois précédées  de  confonnes,  comme 
dans  vaincre  j  rendre  j  bâtre  j  &c. 

Je  crois  que  plutôt  que  de  fatiguer  Tef- 
prit  &  la  mémoire  de  règles,  il  vaut  mieux 
donner  un  paradygme  de  chacune  de  ces 
quatre  conjugaifpns  générales ,  &  mettre 


âe  Grammaire.  6\j 

fenfuite  audeflus  une  lifte  alphabétique  des 
verbes  que  Tufage  a  exceptés  de  la  règle. 

Je  crois  auffi  que  Ton  peun  s'épargner 
la  peine  de  fe  fatiguer  après  les  obferva- 
tions  que  les  Grammairiens  ont  faites  fur 
les  formations  des  temps.  La  feule  infpe- 
Ûion  du  paradygme  donne  lieu  à  chacun 
de  faire  lès  remarques  fur  ce  point.  , 

D'ailleurs  les  Grammairiens  ne  -s'accor* 
dent  point  fur  ces  formations.  Les  uns 
commencent  par  Tinfinitif.  Il  y.  en  a  qui 
tirent  les  formations  de  la  première  per- 
fonne  du  préfent  de  l'indicatif  :  d'autres 
de  la  féconde,  &c.  L'elTentiel  eft  de  bien 
connoître  la  fignificatiôn  ,  l'uiage  &  lè 
fervice  d'un  mot.  Amufez-vous  enfuitc  > 
tant  qu'il  vous  plaira ,  à  obferver  les  ra- 
ports  de  filiation  ou  de  paternité  que  ce 
mot  peut  avoir  avec  d'autres. 

S'il  eut  été  pôilîble  que  les  langues  euf^ 
fent  été  le  réfultat  d'une  aflfembiée  géné- 
rale de  la  nation  j  &  qu'après  bien  des  dif- 
cuflîôns  &  des  raifortnemens  v  ks  philofo- 
|>hes  y  euffènt  été  écoutés  ,.&  euflfent  eu 

y  u  % 


,^4^*  Principes 

voix  délibérative,  il  eft  vraifemblable  qu'il 
y  auroit  eu  plus  d'uniformité  dans  les  lan- 
gues* Il  n'y  auroit  eu ,  par  exemple ,  qu'une 
feule  Gonjugaifon  ,  &  un  feul  paradygme 
|)bùt  tous  les  verbes  d  une  langue.  Mais 
comme  les  langues  n  ont  été  formées  que 
par  une  forte  de  métaphyfique  d'inftinét 
&  de.fentiment  3  s'il  eft  permis  de  parler 
ainfi  ;  il  aeft  pas  étonnant  qu'on  n'y  trouve 
pas  une  analogie  bien  exade  ,  &  qu'il  y 
ait  des  irrégularités.  Par  exemple ,  nous 
défîgnons  la  même  vue  de  l'efprit  par  plus 
d'uae  manière  ,  foit  que  la  nature  des  let- 
tres radicales  qui  ferment  le  mot  amène 
cette  différence,  ou  par  la  feule  raifon  du 
caprice  &  d'un  uiàge  aveugle.  Ainlî  nous 
inarquons  la  première  perfonne  au  (îngu- 
lier  5  quand  nous  difons  j^aime.  Nous  défi- 
gnons  auflî  cette  première  perfonne ,  en 
difant ,  je  finis  ^  ou  bien  y e  reçois  j  ou  je 
mens  y  Sec.  Ce  font  ces  différentes  fortes 
de  terminaifons  auxquelles  les  verbes  font 
aflùjétis  dans  une  langue  ,  qui  font  les 
diôéieates  conjugaifous,  comme  nous  la- 


dt  Grammaire.        €4 ^ 

yons  déjà  obfervc.  Il  y  a  des  langues  où 
les  diftérentes  vues  de  leiprît  font  mar-^ , 
quéesi  par  des  particule^  ,  dont  Içs  unes 
ppéqcdent ,  &  les  autres  fuivent  Jes,çâdicar.f 
les-  Qu'importe  comment,  pourvu  .que  les 
vues  de  l'efprit  foient  diftinguées  javec 
netteté  ,  &  que  l'on  apprenne  par  ufageà 
connoître  les  figues  de  ces  diftindions  î    j 


DE  S    PRJè  POS  I  T  ÏÔNS^ 

&  en  particulier  de  la  PrépoJitiQn  A. 

x  fout  obferver,  à  regard  des  prepofî;:*, 
tions  :  ,  .. 

I.  Que  toute  prépofîtion  eft  entre  deux 
termes  qu'elle  lie,  &  qu'elle  met  en  raport. 

II.  Que  ce  raport  eft  fouvent  marqué 
par  la  fignification  propre  de  la  prépofi- 
cion  même ,  comme ,  avec j. dans j  fur j8ccm, 

in.  Mais  que  fouvent  auffi  les  prépofi- 
tions,  fur-tout,  à  j  de j  ou  duj  outre  le. 
raport  qu'elles  indiquent  quand  elles  font 
pififes  dans  leur  fens  primitif  &  propre,  nq 


éfo'         •'    Principes 

féîit  ^fuité  par  figure  &  par  extenfioiYi" 
qiie  lié'*  fîmples.  prépoiîtians  unitives  on 
indicatives  >  qui  ne  font  que  mettre  deux; 
mots  feh  rà^brt  :  en  forte*  qu  alof  s  c'eft  ai 
ref|)ritii'rême  à  remarquer  la  fôi^te  de  ra* 
port  qu'il  y  à  entre  les  deux  termes  de  1^' 
relation  unis  entr'eux  par  la  prépofition* 
Par  éxertifile  ,  Appr&che^  -  vous  du  feu  :^ 
du^  lie  feu  avec  approche^  -  vous  :  &  lei^ 
prit  ot>(çrye  enfuite  un  i^aport  d  approxi^ 
rôatiori  5  que  du  ne  marque  pas.  Eloignei;^ 
vous  du  feu  ;  ^^  lie  feu  avec  éloigne'i-vouSj, 
&  lefprit  obierve  là  un  raport  d'éloigné-» 
ment*  Yous  voyez  que  la  même  prépo/î-^ 
tion  fert  à  marquer  des  raports  oppofés. 
On  dit  de  même  donrier  à^  8c  ôter  à.  AïïïCx 
çesTortés  de  raports  diffèrent  autant  que' 
les^  mots  dilFèrent  entreux. 

Je  crois  donc ,  que,  lôrfque  les  prépofi-? 
tîons  ne  font,  ou  ne  paroiflent  pas  prifei 
dans  lé  fens:  propre  de  leur  première  defti- 
nation ,  &  que  par  conféquent  elles  n'indi-» 
^lent  pas  par  elles-mêmes  la  forte  de  i»-» 
port  particulier  que  celui  qui  parle  veuç 


de  Gramtnaire.        £511 

faire  entendre ,  alors  c  eft  à  celui  qui  îccôure 
ou  qui  lit,  à  reconnoître  la  forte  de.raport 
qui  fe  trouve  entre  les  mots  liés  par.  la  pré- 
pofitionfîmplement  miitive  ou  indicativeu 
-'"^  Cependant ,  quelques  Gramniairiens-ont 
mieux  aimé  épu^fer  la  métaphyfique  la 
plus  recherchée  5  &  (î  je  Tofe  dire,  la 
plus  inutile  &  la  plus  vaine ,  que  d^aban- 
donner  le  ledeur  au  difcernement  queiui 
donne  la  connoiflance  &  lufage  de  & 
propre  XdLUguQ:  Raport  de  caufe  ;  rapcrt 
d* effet  j  d' injlrument  jy  de  Jituaûom^  d'épo^ 
que.  Table  à  pieds  de  biche  ;  c'ejl  là  un 
raport  de  forme  j  dit  Tabbé  Girard  (  i  ). 
BaJJin  à  barbe  j  raport  de  fervke  ;  Pierre 
'à  feu  j  raport  de  propriété  produclive  (z)  j 
^Scc.  La  prépofition  iz  n*eft  point  deftinée 
■à -marquer  par  elle-même  un  raport  de 
propriété  productive  ^  ou  de  fervice  j  ou 
^e  yor/Tz^j  &c,  quoique  ces  raports  fe  trou- 
vent entre  les  mots  liés  par  la  prépofîtioa 

■>■  ■■  ""       '     '■        ''        ■"■■■■  Il    H— — — — MW1— Mi 

(i)   Tom.  II  ^pag.  159^ 
(ij  ldçm>  ibid. 

Vii4 


^5^^  •  -  ^  ^^  Principes 
w;  :©*ailleursy  les  mcraes  raports  font  fou* 
::vreiitï  indiqués  par  des  prépofîiions  diffé-» 
tenues  5  &  feu  vent  des  raports  oppofés  font 
indiqués  par  la.même  prépofîtion. 
:::  limé  paroît  donc  que  Ton  doit  dabordi 
obferver  fa  première  &  principale  deftina^ 
tion  d'une  prépofition..  Par  exemple,  I3 
principale  deftination  de  là  prépofîtion  à^, 
eft  de  roarquer  la  relation  d'une  chofe  è 
une  autre ,  comme  ^  le  terme  où  Ton  va  3 
ou  à  quoi  ce  qu'on  fait  fç  termine  5  le  but^ 
la  fin  5  j'attribution ,  le  pourquoi.  Aller  à 
Rome  :  Prêter  de  l'argent  à  ufure^  à  grof 
intérêt  :  Donner  quelque^chofi  a  quelquun^ 
Sec.  Les  autres  ufagçs  de  cette  prépoiîtion 
reviennent  enfuite  à  ceux-là  >  pav  cata- 
chrèfe>  abus ,  exténfîon ,  ou  imitation.  Mais 
il  eft  bon  de  remarquer  quelques-uns  de 
ces  ufagesi  afin  devoir  des  exemples  qui 
puiflent  fervir  de  règle ,  &  aider  à  décidei:^ 
les  doutes  par  analogie  &  pgr  imitatioiii^ 
On  dit  donc  : 


de  Grammaire^  6*5  5 

Apres  un  nom  fuhftantif. 

Air  à  chanter.  Billet  à  ordre ^  c'eft-à-dire , 
payable  à  ordre.  Chaife  à  deux.  Doute  à 
éclalrçir^yEntreprife  à  exécuter.  Grenier  à 
feL  Habit  à  la  rnode.  Injlrument  à  yent. 
Matière  à  procès.  Plaine  à  perte  de  vuej^ 

Après  un  adjeclif. 

Agréable  à  la  vue.  Contraire  à  lafanté^ 
Délicieux  à  manger.  Facile  à  faire. 
*  "  Obfervez  cju'on  dit ,  //  ejl  facile  de 
faire' cela. 

Quand  on  le  veut ,  il  efl  facile 
De  s^ajjlirerun  repos  plein  drapas. 

La  raifon  de  cette  différence  eft  que  dans 
le  dernier  exemple  de  n'a  pas  raport  à 
facile  ;  mais  à  il.  Il,  hoc^  cela,  à  favoir 
de  faire  \y  &CC.  efh  facile  ^  eft  une  chofe 
facile.  Ainfî ,  il^des^affurer  un  repos  plein 
d'apasy  eft  le  fujet  de  la  prépofition ,  & 
;€/Z  j^^//é:jf  en  eft  1  attribut. 


<î54  Principes 

Après  un  verbe. 

S^ abandonner  à  fes  pajfions.  S^amufcr 
à  dès  bagatelles.  Applaudir  à  quelquun. 
Aimer  à  boire ^  à  faire  du  bien.  Les  hom^ 
mes  n  aiment  point  à  admirer  les  autres  : 
ils  cherchent  eux-mêmes  à  être  goûtés  & 
à  être  applaudis.  La  Btuyèrc.  Aller  à  che^ 
val.  S^ appliquer  à.  S' attacher  à.  Blejfef 
à.  Crier  à  l'aide  _,  au  feu  _,  &c.  Conf ciller 
quelque  chofi  à  quclquun*  Demander  à^ 
Donner  à  boire  à  quelquun.  Etre  àj  8cc. 
Voyons  à  qui  tçiutre^  ceft-à-dire ,  voyons 
à  ceci  ^  (  attendamus  ad  hoc^  nempe  )  4 
/avoir  qui  Vaura. 

Avant  une  autre  prçpojition. 

A  fe  trouve  quelquefois  avant  la  pré?* 
pofition  de  j  comme  en  ces  exemples: 

P^ut'çn  ne  pas  céder  à  de  Jt  puijjans  charmes? 
Et  peut-on  refufer  fon  cceur 
À  de  beaux  ieux  qui  le  demandent. 

Je  crois  qu*en  ces  occafîons  »  il  y  a  une 
ellipfe  fynthétjque  :  Teiprit  eft  occupé  âj^% 


de  \  Grammaire.         ^55 

charmes,  qui  rpHt;  frapçv&  il  met  ces  char- 
mes au  rang  des  charmes  puifTans  dont  on 
ne  fauroit  fe  garantir.  F  eut-on  ne  pas  cé^ 
der  à  l'attrait  ^  au  pouvoir  deji  puijfans 
charmes.  Peut-on  refufer  fon  cœur  à  ces 
îeax:,  qui  font  de  la  clajfe  des  hèaux  leux^ 
L'ufagé  abrège  enfqite  rexprefîîon  ,  & 
introduit  des  façons  de  parler  particuhc- 
res,  auxquelles  on  doit  fe  conformer ,  & 
qui  ne  détruifcnt  pas  les  règles. , 

AinÏÏ  je  crois  que.  de  ou  des  j  font  tou- 
jours des  prépofitioris  extraftives',  &  que' 
quand  on  dit  ^  des  favans  foutiennent;  des 
hommes  m^ ont  dit  j  Sec.  des  Javans  ^  des 
hommes  j  ne  font  pas  aq  nominatif.  Et  de 
même,  quand  on  dit  ?  j^ai  vu  des  femmes; 
fai  vu  des  hommes  j  &c.  des  femmes  ^  des 
hommes  3  ne  font  pas  à  raccufatif.  Car  fi 
Ton  veut  bien  y  prendre  garde  >  on  recon- 
noîtra  que  ex  hominibus  ^  ex  mulierïhus ^ 
&ç. ^e^ .peu vent  ^i^feiai  le  fujct  4^  la  pro- 
pofitiçvi  î  ni  le  terme  de  laflion  du  verbe; 
&  _-que  çplui  ^  qui  parle  5  veut  dire  ?  que 
^He,l(^^f^'^un^  des /çivans  fouticnnem  ^  ^ç^ 


iS^S  Principes    - 

gue/^ttes^uns  des  hommes;  quelques-unes 
des  femmes^  difent,  &c. 

A  5  après  des  adverbes» 

On  ne  fe  fert  de  la  prépofition  à  après 
un  adverbe  5  que  lorfque  l'adverbe  mar- 
que relation.  Alors  Tadrerbe  exprime  la 
forte  de  relation ,  &  la  prépofition  indique^ 
le  corrélatif.  Aînfi  on  dit ,  conformément  à. 
On  a  jugé  conformément  à  TOrdannance 
de  1667.  On  dit  auffi  relativement  à. 

D'ailleurs  Tadverbe  ne  marquant  qu'une 
circonftance  abfolue  &  déterminée  de 
ladion,  n  eft  pas  fuivi  de  la  prépofition  à. 

A^en  des  façons  de  parler  adverbiales^  & 
en  celles  qui  font  équivalentes  à  des 
prépojîtions  latines  ^  ou  de  quelqu^au-*^ 
tre  langue. 

A  jamais.  A  toujours.  A  Vencontre*  Tour 
à  tour.  Pas  à  pas.  f^is-à-vis.  A  pleines 
mains.  A  fur  &  à  mefure.  A  la  fin  j  tan- 
dem y  aliquando,  Ccfi-^à-dirc  j  nempe  j^ 


de  Grammaire.  6^'jf 

fcilicet*  Suivre  à  la  pijle.  Faire  le  diable 
à  quatre.  Se  faire  tenir  à  quatre,  A  caufe^ 
qu'on  rend  en  latin  par  la  prépolltion, 
propter.  A  raifon  de.  Jufquà  j  ou  juf- 
ques  à.  Au-delà.  Au-dejfus.  Au-dejfous. 
A  quoi  bon  j  quorfum.  A  la  vue  j  à  la 
préfenee  j  ou  en  préfence  j  coram. 

Telles  font  les  principales  occafions  où 
l*ufage  à  confacré  la  prépofîtion  à.  Les 
exemples  que  nous  venons  de  raporter, 
ferviront  à  décider  par  analogie  les  diffi- 
cultés que  Ton  pouroit  avoir  fur  cette 
prépofîtion. 

Au  refte  la  prépofîtion  au  eft  la  même 
que  la  prépofîtion  à.  La  feule  différence 
qu'il  y  a  entre  Tune  &  Tautre  >  c'efl  que 
à  cfl  un  mot  fîmple  ,  &  que  au  efl  un 
mot  compofé. 

Ainfî  il  faut  confîdérer  la  prépofîtion  à 
en  deux  états  différens. 

L  Dans  fon  état  fîmple  :  i .®  Rende:^  à, 
Céfar  ^  ce  qui  appartient  à  Céfar  :  i.^  Se 
prêter  à  l'exemple  :  3.^  Se  rendre  à  la 
raifon.  Dans  le  premier  exemple  à  eft 


^5^  Principes 

devant  un  nom  fans  article.  Dans  le  fécond 
exemple  5  à  eft  fuivi  de  Tarticle  mafcu- 
lirt  5  parçeque  le  mot  commence  par  un^ 
voyelle-,  à  l'exemple  ^  à  Vefprit,^  a  Va^ 
mour.  Enfin  dans  le  dernier ,  la  prépofuion 
à  précède  Tarticle  féminin. 

II.  Hors  de  ces  trois  cas ,  la  prépofi- 
tion  à  devient  un  mot  compofé  par  fa 
jonction  avec  Tarticle  lè^  ou  avec  rartîclè 
plurier  les.  L'article  le  ^\  caufe  du  fon 
fourd  de  IV  muet,  a  amené  au ^  de  forte 
qu'au  lieu  de  dire  à  le  y  nous  difons  au^  iî 
le  nom  ne  commence  pas  par  une  voyel- 
le i  s'adonner  au  bien.  Et  au  plurier ,  au 
lieu  de  dire  a  les  j  nous  changeons  /  en 
u  ;  ce  qui  arrive  fouvent  dans  notre  lan- 
gue ,  &  nous  difons  aux  j  foit  que  le  nom 
commence  par  une  voyelle  >  ou  par  une 
confonne,  aux  hommes  j  aux  femmes. 
Ainû  au  eft  autant  que  àkj&c  aux  ^  que 
à  les. 


de  Grammairel         (^59 


DE     V  ADVERBE. 

JL  E  mot  adverbe  eft  formé  de  la  prépofî- 
tioîi  adj  versj  auprès  j  &  du  mot  verbe  ^ 
parceque  Tadverbe  fe  met  ordinairement 
auprès  du  verbe  5  auquel  il  ajoute  quelque 
modification  ou  circonftance»  //  aime  cou'^ 
Jlamment  :  il  écrit  rnaL  Les  dénomina- 
tions fe  tirent  de  Tufage  le  plus  fréquent  : 
or  le  fervice  le  plus  ordinaire  des  adver- 
bes eft  de  modifier  Tadion  que  le  verbe 
fîgnifie  5  &  par  conféquent  de  n'en  être 
pas  éloigné  :  &  voila  pourquoi  on  les  a 
appelles   adverbes  -,  c'eft  -  à  -  dire  ,  mots 
Joints  au  verbe.  Ce  qui  n*empêche  pas 
qu'il  n'y  ait  des  adverbes  qui  fe  raportent 
auffi  au  nom  adjedif ,  au  participe  ,  &  à 
des  noms  qualificatifs  5  tels  que  roi  ^  père  ^ 
&c.  car  on  dit^  il  nt" a  paru  fort  changé  : 
cejl  une  femme  extrêmement /^^^  &  fort 
aimable.  Il  ejl  véritablement  roi. 

En  faifant  i'énumération  des  différentct 


€6ù  Principes 

fortes  de  mots  qui  entrent  dans  le  difcour^i 
je  place  ladverbe  après  la  prépoiîtion  , 
parcequ'il  me  paroît  que  ce  qui  diftingue 
Tadverbe  des  autres  efpèces  de  mots ,  c'eft 
que  Tadverbe  vaut  autant  qu'une  prépofi* 
tiôii  &  un  nom  :  il  a  la  valeur  d'une  prê- 
pofîtion  avec  fon  complément  :  c'eft  un 
mot  qui  abrège.  Par  cyietnph  fagemenc  ^ 
vaut  autant  que^  avec  fagejfe. 

Ainfi,  tout  mot  qui  peut  être  rendu  par 
une  prépofition  &  un  nom ,  eft  un  ad- 
verbe. Par  conféquent  ce  mot  y^  quand 
on  dit,  il  y  ejl^  ce  mot,  dis -je ,  eft  un 
adverbe  qui  vient  du  latin  Ihi.  Car ,  Il  y 
ejl  j  eft  comme  ii  Ton  difoit ,  il  eji  dans 
ce  lieu'là. 

Où  eft  encore  un  adverbe  qui  vient  du 
larin  Ubi  ^  que  Ton  prononçoit  oubi.  Où 
ejl'il  j  c*eft-à-dire,  en  quel  lieu. 

Sij  quand  il  n'eft  pas  conjonAion  con- 
ditionelle ,  eft  auffi  adverbe ,  comme  quand 
on  dit ,  elle  ejl  fi  fage  ^  il  efi  fi  favanu 
Alors  5  7?  vient  du  latin  Sic ^  c'eft-à-dire, 
A  ce  point  j  au  point  que  j  &c.  C'eft  la 

valeur 


àe  Grammaifc.  é'éî 

Valeur  ou  iîgnification  du  mot  5  &  nom 
Ib  nombre  des  fyllabes  ,  qui  doit  faire 
mettre  un  mot  en  telle  clafle  >  plutôt  qu'en 
t-elle  autre.  Ainfi  A  eft  prépofition ,  quand 
il  a  le  fens  de  la  prépofition  latine  ^  ^  ou 
celui  de  ad  :  au  lieu  que  A  eft  mis  au 
rang  des  verbes ,  quand  il  iîgnific  habct^ 
§:  alors  nos  pères  ecrivoient.i^/z. 

Puifque  Tadveibe  emporte  toujours 
aveclui  la  valeur  dune  prépofition,  & 
que  chaque  prépofition  marque  une  efpèca^ 
de  manière  d'être  >  une  forte  de  modifica-* 
tion  dont  le;mot  qui  fuit  la  prépofition 
feit  une  application  particulière  5  il  eft  évi^ 
dent  que  Tadverbe  doit  ajouter  quelque 
modification  ou  quelque  circonftance  à 
laftion  que  le  verbe  fignifie*  Par  exemple  , 
il, a:  été  reçu  avec  politejfe  3   ou  poliment^ 

Il  fuit  encore  de-là  que  Tad verbe  n  a 
bas  befoin  lui-n;îême  de  complément.  C'eft: 
un  mot  qui  fert  à  modifier  d'autres  mots, 
&  qui  ne  lailTè  pas  Tefprit.dans  lattente 
nécefiaire  d'un  autre  mot ,  comme  font  lè 
ycrbe  aétif  &  la  prépofition.  Car  fi  je  di| 


é^t  'Principes  ' 

eu  roi  5  qu^il  a  donnée  on  me  demandera 
quoij  &  à  qui.  Si  je  dis  de  quelqu'un  qu'il 
s'eft  (Conduit  avec  ^  ou  pafj  on  fans  ^  ces 
prépofitions  font  attendre  leur  complé- 
ment.^Au  lieu  que  fi  Je  dis ,  il  s^eji  con-- 
duit  prudemment  ^  &c.  Tefprit  n'a  plus  de 
queftion  néçeflaire  à  faire  par  raport  à 
prudemment.  Je  puis  bien ,  à  la  vérité  » 
demander  en  quoi  à  corififté  cette  pru- 
dence -,  mais  ce  n'eft  plus  là  le  fens  nécef- 
faire  &  gràmtiiaticah 

Pour  bien  entendre  ce  que  Je  veux  dire, 
îl  faut  obferver  que  toute  proportion  qui 
forme  un  fens  complet ,  eft  compofée  de 
divers  fens  ou  concepts  particuliers ,  qui , 
par  le  raport  qu'ils  ont  entre  eux  >  for- 
ment Tenfemble  ou  fens  complet. 

Ces  divers  fens  particuliers  >  qui  /ont 
comme  les  pierres  du  bâtiment,  ont  aufîi 
leur  enfemble.  Quand  je  dis>  le  foleil  efi 
levé ^  voila  un  fens  complet.  Mais  ce  fena 
complet  eft  compofé  de  deux  concepts 
particuliers  :  j'ai  le  concept  de  yo/^i/^  8c 
le  concept  de  cjllevé.  Or  remarquez  ^  que 


de  Grammâirél  "^t^ 
tè  dernier  concept  eft  compofé  de  deux 
mots,  efi  &  levé ^  &  que  ce  dernier  fup^ 
pofe  le  premier.  Pierre  dort  ^  voila  deux 
concepts  énoncés  par  deux  mots  :  mais  (1 
)e  dis  Pierre  bat  ^  ce  mot  bat  n  efl:  qu  une 
partie  de  mon  concept,  il  faut  que  j'énonce 
la  perfonne  ou  la  chofc  que  Pierre  bat^ 
Pierre  bat  Paul;^  alors  Paul  efi:  le  com- 
plément de  bat  :  bat  Paul  efi;  le  concept 
entier  s  mais  concept  partiel  de  la  propo- 
lîtion  Pierre  bat  Paul. 

De  même,  fi  je  dis  Pierre  efi  avec i 
fur^  ou  dans  ^  ces  mots  avec  ^  fur  ^  ou 
dansj^  ne  font  que  des  parties  de  concept^ 
&  ont  befoin  chacun  d  un  compIémeiit<r 
Or  ces  mots  joints  à  un  complément  font 
Un  concept  y  qui ,  étant  énoncé  en  un  feu! 
mot  5  forme  ladverbe,  qui  en  tant  que 
concept  particulier  &  tout  formé ,  n'a  pas 
befoin  àt  coinplément  pour  être  tel  con- 
cept particulier. 

Selon  cette  notion  de  Tadverbe ,  il  elî 
évident  que  les  mots  qui  ne  peuvent  pas 
être  réduits  à  une  prépofuion  fuivie  de  fca 

Xx  a, 


#^4  Principes 

complément ,  font  ou  des  conjonélionà 
eu  des  particules ,  qui  ont  des  ufages  par- 
ticuliers. Mais  ces  mots  ne  doivent  point 
être  mis  dans  la  clafle  des  adverbes.  Ainfî 
je  ne  mets  pas  noriyni  oui  parmi  les  adverbes» 
Non  ^  ne  ^  font  des  particules  négatives. 

A  regard  de  oui  j  je  crois  que  ceft  le 
participe  pafïîf  du  verbe  ouir^  &  que  nous 
difons  oui  ^  par  elliple,  cela  eji  ouij  cela 
eji  entendu.  Ceft  dans  le  même  fens  que 
les  Latins  difoient  dictum  puta  (i). 

Il  y  a  donc  autant  de  fortes  d  adverbes 
qu  il  y  a  d  efpèces  de  manières  d'être  qui 
peuvent  être  énoncées  par  une  prépofition 
&  fon  complément.  On  peut  les  réduire 
à  certaines  clafles. 

AiyvE^B^s  DE  Temps. 

Il  y  a  deux  queftions  de  temps  qui  fe 
font  par  des  adverbes ,  &  auxquelles  on 
répond  ou  par  des  adverbes,  ou  par  des 
prépofitions  avec  un  complément. 

(i)  Tércncç,  Aadr.  aâ.  l^fc,  L 


de  Grammaire:  ^Sti 

'!•  Quand  viendrez  -  vous  ?    demain  ^ 
dans  trois  jours. 

1.  Combien  de  temps?  Si  long-temps 
que.  Autant  de  temps  que.  Combien  de 
temps  Jefus-Chrift  a-t-il  vécu  ?  Trente-trois 
ans,  on  fous-entend,/7^/2^^/2r. 

Voici  encore  quelques  adverbes  de 
temps,  Jufquà  ce  que.  Tous  les  jours  ^  on 
fous-entend  la  ^ti^o^mon  pendant.  Main-- 
tenant.  Préfentement.  Alors j  c'eft-à-dire, 
à  Vheure. 

Auparavant.  Ce  mot  étant  adverbe  5  ne 
'doit  point  avoir  de  complément.  Ainfî 
c'eft  une  faute  de  dire  auparavant  cela  :  il 
faut  dire ,  avant  cela.  Autrefois.  Derniè- 
rement. 

Aujourd'hui  ^  c'eft-à-dire ,  au  jour  de 
hui  ^  au  jour  préfent.  On  difoit  autrefois 
fimplement  hui  :  je  n'irai  hui.  Nicod* 
Hui  eft  encore  en  ufage  dans  nos  provia- 
ces  méridionales* 

Hier.  Demain.  Autrefois.  Unjourj  poar 
le  paflfé  &  pour  Tavenir.  Quelquefois  j  le 
matin  j  Icfoir.  Tard^  Avant -hier.  Quj^I:^ 


$0i  Principes 

que  joufj  avec  affirmation.  Jamais  y  avec 
négation.  Déjà.  Long-umps.  Depuis  peu. 
Quand.  Ci-devant.  Ci-après.  A  V avenir. 
^ Avant  que.  Jufquà  ce  que.  Tandis  que. 
Bientôt.  D'abord.  Tout  à  l'heur.  Aiors^ 
pès'lors.  Enfin.  A  Vavenir.  Ordinaire-^, 
ment.  D' ordinaire. _ 

'Ai>v br:bes    j) e    Lieu. 

Il  y  a  quatre  manières  d'envifager  îe 

lieu.  On  peut  le  regarder ,  i .®  comme 

étant  le  lieu  où  Ton.  eft ,  où  Ton  demeure  : 

Z*^    comme  étant  le   lieu  où  Ton  va  : 

j.^  comme  étant  le  lieu  par  où  Ton  paffe  : 

4.^  comme  étant  le  lieu  d'où  Ton  vient. 

G  eft  ce  que  les  Grammairiens  appellent, 

çz  Ipco  y  ad  locum  j  per  locum  j  de  loco  ^ 

<Mi  autrement,  ubi  y  quo  ^  qua^  unde.  Où 

eft-il  î  II  eft  là.  Où  &  là  font  des  adver-. 

fciçs  :  car  on  peut  dire  En  quel  lieu  ?  Ençc 

im;Scç. 

Voici  encore  quelques  adverbes  de  lieuj 
*^  4ç  fituation,  7;  il  j  eft.  Ailleurs.  De- 


de  Grammaire.        C^j 

Vanu  Derrière.  Dejfus.  Dejfous.  Dedans. 
Dehors.  Par-tout.  Autour.  -,  , 

Adverbes  de  Quantité. 
Combien.  Beaucoup,  Peu.  Davantage^ 
'^Très-fort.  Un  peu.  Médiocrement.  Am- 
plement. En  abondance.  4  foifon.  Large-- 
ment. 

Adverbes   de    Qualité. 

Savamment.  Pîeufement.  Ardemment. 
'Sagement.  Gaiement.  Bien.  Mal.  Heu^ 
reufement  ;  &  grand  nombre  d  autres  for- 
més des  adjeâifs  qui  qualifient  leurs  fub- 
.ftantifs* 
Adverbes  de   Manière. 

Promptement.  Tout  d^un  coup.  Lente^ 
ment.  A  la  hâte.  Peu  à  peu.  Confufément. 
Infolemment.  De  diverfes  manières. 

Il  y  a  des  adverbes  qui  fervent  à  mar- 
quer le  raport  ou  la  relation  de  reflèm- 
blance.  Ainji  que.  Comme.  D^  la  même 
manière  que.  De  même  que. 

D'autres  au  contraire  marquent  diver-r 
ïîté»  Autrement.,D' ailleurs. 

Xx4 


^éZ  Principes 

D'autres  adverbes  fervent  à  compter 
combien  de  fois.  Quelquefois.  Combien  de 
fois.  Encore.  Souvent.  Rarement.  Une  fois^ 
deux  fois  ^  trois  fois  y  cent  fois^  mille  fois  :- 
en  François  nous  faus- entendons  ici  quel- 
ques prépoiîtions ,  pendant ^  pour^  par. 

D^autres  font  adverbes  de  nombre  of- 
<}inal.  Premièrement.  Secondement.  En 
poificmc  lieu  ^  &:c, 

^DFEi^jBEs  d'Interrogation'. 

Pourquoi.  Pour  quel  fujet.  Comment. 
Il  y  a  aufïî  j  fur-tout  en  latin,  des  particu- 
les qui  fervent  à  Tinterrogation.  An^anne^ 
num  j  nunquidj  nonne.  Ne  joiat  à  un  mot^ 
^ Vides  ne?  J^oye'^-vous?  Ec  joint  à  cer- 
f  ains  mots  >  Ecquando  j^  quand  ?  Ecquis  > 
^ui?.  Ecqua  millier  j  quelle  femrae? 

AnvERBEs     p' Affirmation. 

Aiinf.    Certainement.    Vraiment  ouU 
S.^ns  dçiicc^ 


de  Grammaire.        66 f 
Jdverbes  jqe  Négation. 

En  aucune  manière^  Nullement.  Point 
du  tout.  Nulle  part^ 

Jdvejr,bes  de  DiMiNUTion^ 

Prefque.  Peu  s^en  faut. 

Adverbes  de  Doute. 

Peut-être. 

Il  y  a  auffi  des  adverses  qui  (ervent 
dans  le  raifonnement.  Ain^.  Or.  Par 
conféquent. 

D  autres  marquent  aflemblage.  Enfem^ 
lie  ^  conjointement  y  pareillement.  D  au- 
tres y  divifîon.  A  part^  en  particulier ^ 
féparémentj  en  détail^  Vun  après  Vautre. 
D'autres  d*exception  )  feulement  j  &c. 

Il  y  a  auffi  des  mots  qui  fervent  dans 
les  comparaifons  >  pour  augmenter  la  fîgni- 
fication  des  adje£lifs.  Par  exemple ,  on  dit 
au  ^(d{\x\iypieux^  plus  pieux ^  très  ou  fort 
pieux.  Ces  mots  plus  j  très  j  fort  j  font 
çonfidércs  comme  des  adverbes.  Fort^ 


€jo  Principes 

c  eft  -  à  -  dire  3  fortement  ^  extrêmement. 
Très  vient  de  ter  j  trois- fois.  PlusjCed- 
a-dite  y  félon  une  plus  grande  valeur.  Moins 
eft  encore  un  adverbe  qui  fert  à  la  com- 
^paraifon* 

Il  y  a  des  adverbes  qui  fe  comparent  5 
fur-tout  les  adverbes  de  qualité  >  ou  qui 
expriment  ce  qui  eft  {lifceptible  de  plus 
ou  de  moins.  Comme  long-  temps  j  plus 
long-temps.  Savamment^  plus  favamment^ 
tres-favamrnent.  Vaillamment  j  plus  vaiU 
lamment  _,  très  -  vaillamment. 

Il  y  a  des  mots  que  certains  Grammai- 
riens placent  avec  les  conjondlions ,  & 
que  d  autres  mettent  avec  les  adverbes,. 
iVIais  fi  ces  mots  renferment  la  Valeur 
dune  prépofition  &  de  fon  complément, 
comme  parceque  j  Vejl  pourquoi  j  &c.  ils 
font  adverbes ^  &  s'ils  font  de  plus  loffice 
de  conjonction  5  nous  dirons  que  ce  font 
des  adverbes  conjoncStifs. 

Il  y  a  plufieurs  adjedifs  qui  font  pris 
adverbialement.  Il  fent  bon.  Il  fent  mau-* 
vais.  Il  voit  clair.  Il  chante  ju^c^  Parle\ 


de  Grammaire.        6yi 

las.  Parle\  haut.  Frape^  fort.  Tenir  bon^ 
Tenir  ferme  ^  &c. 

On  appelle  exprellîon  adverbiale^  celle 
qui  eft  équivalente  à  un  adverbe.  Si  Tufage 
avoir  établi  un  feul  mot  pour  exprimer  le 
même  fens ,  ce  mot  feroit  un  adverbe  : 
mais  comme  ce  fens  eft  énoncé  en  deux 
mots,  on  dit  que  c'eft  une  expreflîon 
adverbiale.  Il  en  eft  de  même  de  vis-à-vis^ 
tout  d^un  coup  j  tout'à'Coup  _,  à  coup  fur  y 
qu'on  exprime  en  latin  en  un  feul  mot, 
par  des  adverbes  particuliers*,  Improvisé^ 
fubito:  certbj  Se  tout  de  bon^ferio^  &Co 


DES    CONJONCTIONS. 

JLes  conjondions  font  de  petits  mots 
qui  marquent  que  Feiprit ,  outre  la  per- 
ception qu'il  a  de  deux  objets,  aperçoit 
entre  ces  objets  un  raport  ou  d'accomp^- 
enement,  ou  d'oppofition ,  ou  de  quel- 
qu.  autre  efpcce.  L  efpri;  raproche  alors  çi\ 


4j7^  Principes 

lui-même  ces  objets,  &  les  coniîdère  Vnxi 
par  raport à lautre > félon  cetce  vue  particu- 
lière. Or  le  mot  qui  n  a  d  autre  office  que 
de  marquer  cette  confidération  relative 
de  refprit ,  eft  appelle  Conjondion. 

Par  exemple ,  fi  je  dis  que  Ciçéron  & 
Qulndlien  font  les  auteurs  les  plus  judl-^ 
deux  de  rantiquitéj  je  porte  de  Quinti- 
lien  le  même  jugement  que  j'énonce  de 
Cicéron.  Voila  le  motif  qui  fait  que  je  raf- 
femUe  Cicéron  avec  QuintiJien.  Le  mot 
&  qui  marque  cette  liaifon  >  eft  la  con- 
jonâûon. 

Il  en  eft  de  même  iî  Ton  veut  marquer 
quelque  raport  d^oppofition  ou  de  difcon- 
venance.  Par  exemple ,  Ci  je  dis  quV/y  a 
un  avantage  réel  à  être  injiruit  ;  &  que 
j^ajoute  enfuite ,  fans  aucune  liaifon ,  qu^^i/ 
ne  faut  pas  que  la  fçience  infpire  de  Vor^ 
gueiljy  j'énonce  deux  fens  féparés.  Mais  C\ 
je  veux  pprocher  ces  deu5^  fens,  &  en 
former  Tun  de  ces  enfembles  qu'on  ap-» 
pçlle  Période  ^  j'aperçois  d'abord  de  la 


de  Grammaire:         67^^ 

cïTrconvcnance ,  &  une  forte  d  éloigne- 
ment  &  d'oppofition  qui  doit  fe  trouver 
entre  la  fcience  &  Torgueil. 

Voila  le  motif  qui  me  fait  réunir  ces 
deux  objets.  Ceft  pour  en  marquer  la  dif^ 
convenance.  Ainfi  en  les  raiTemblant, 
j'énoncerai  cette  idée  acceflbire  par  la 
conjondion  maïs.  Je  dirai  donc  :  Il  y  a 
un  avantage  réel  à  être  injlruit  ;  mais  il 
ne  faut  pas  que  cet  avantage  infpire  de 
l^ orgueil.  Ce  mais  raproche  les  deux  pro- 
pofitions  ou  membres  de  la  période,  &  les 
met  en  oppofition. 

Ainfi,  la  valeur  de  la  conjondfcion  con- 
lîfte  à  lier  des  mots  par  une  nouvelle  mo- 
dification, ou  idée  accefToire,  ajoutée  à 
lun  par  raport  à  l'autre.  Les  anciens  Gram- 
mairiens ont  balancé  s'ils  placeroient  les 
conjon6tions  au  nombre  des  parties  du 
difcours  \  &  cela  par  la  raifon  que  les 
conjonctions  ne  repréfentent  point  d'idées 
de  chofes.  Mais  quejl<e  quêtre  partie 
du  difcours j,  dit  Prifcien  {i)^finon énoncer 

(i)  Lib.  XI  y  fuh  initio. 


^74  Principes 

quelque  concept^  qwdqu  affection  ou  ihoïi^ 
yement  intérieur  de  l'efprit?  Quidenim  ejl 
aliud  pars  orationis  ^   nijl  vox  indicans 
mentis  conctptum  ^^  id  eji  cogitationem?  Il 
eft  vrai  que  les  conjondions  n'énoncent 
pas,  comme  font  les  noms,  des  idées  d'êtres 
ou  réels  ou  méraphyfiques  :  mais  elles  ex- 
priment Té  tat  ou  aft'edion  de  lefprit  en- 
tre une  idée  &  une  autre  idée,  entre  une 
proportion    &    une    autre   propofitioni 
Ainfi  Iç^s  conjond:ions  fuppofent  toujours 
deux  idées  &  deux  propoiîtions ,  &  elles 
font  connoître  Tefpèce   d'idée  accefToire 
que  lefprit  conçoit  entre  lune  &  l'au- 
tre. 

Si  Ton  ne  regarde  dans  les  conjonctions, 
que  la  feule  propriété  de  lier  un  fens  à 
un  autre ,  on  doit  reconnoître  que  ce  fer- 
vice  leur  eft  commun  avec  bien  d'autres 
mots. 

i.°  Le  verbe,  par  exemple,  lie  l'attri- 
but au  fujet.  Les  pronoms  lui^  elle-,  eux^ 
Icj,  laj  les  y  leur  y  lient  une  propofition  à 
une  autre.  Mais  ces  mots  tirent  leur  dé* 


de  Grammaire.         Gyf 

nomination  d  un  autre  emploi  qui  leui  eft 
plus  particulier. 

2.^  Il  y  a  aufîî  des  adjeélifs  relatifs  qui 
font  Tolfice  de  canjonclion.  Tel  eft  le  iQ-* 
\:ix\i  qui ^  lequel^  laquelle.  Car  outre  que 
ce  mot  rapelle  &  indique  l'objet  dont  on 
a  parlé  >  il  joint  encore  &  unit  une  autre 
propofition  à  cet  objet.  Il  identifie  même 
cette  nouvelle  propofition  avec  l'objet. 
Dieu  que  nous  adorons  eft  tout-pui(fant  : 
cet  attribut,  eji  tout-puijfantj  eft  affirmé 
de  Dieu ,  en  tant  qu'il  eft  celui  que  nous 
adorons.  Telj  quelj  Talisj  qualisj  tantus^ 
quantusy  tôt  y  quoty  &c.  font  aufl[i  loffice 
de  conjonélions. 

3.^  Il  y  a  des  adverbes  qui ,  outre  la 
propriété  de  marquer  une  circonftance 
de  temps  ou  de  lieu ,  fuppofent  de  plus 
quelqu'autre  penfée  qui  précède  la  propo- 
fition où  ils  fe  trouvent.  Alors  ,ces'  advier-^ 
bes  font  auiîî  l'office  de  conjonction.  Tels 
font  afin  que.  On  trouve  dans  quelques 
anciens ,  &  Ton  dit  même  encore  aujour- 
d'hui en  certaines  provinces  3  à  celle  fin 


éy^  Principe^ 

que  j  ad  hune  finem  fccundùm  quem  ;  oii 
vous  voyez  la  prépofîtion  &  le  nom  qui 
font  1  adverbe  5  &  de  plus  Tidée  acceflbire 
de  iiaifon  &  de  dépendance.  Il  en  eft  de? 
même  de  à  caufc  que  ^  propterca  quod  ; 
jparceque  y  quia  y  encore  y  adhuc  ;  déjà  ^ 
jam  y  &c.  Ces  mots  doivent  être  confidé- 
rés  comme  adverbes  conjondifs  ,  puif- 
qu'ils  font  en  même  temps  Toffice  d  ad- 
verbes &  celui  de  conjonârions.  Ceft  du 
fervice  des  mots  dans  la  phrafe  qu'on  doit 
tirer  leur  dénomination. 

A  regard  des  conjonctions  proprement 
dites ,  il  y  en  a  d'autant  de  fortes ,  qu'il  y 
a  de  différences  dans  les  points  de  vue  fous 
lefquels  notre  efprit  obfervé  un  raport 
entre  un  mot  &  un  mot,  ou  entre  une 
penfée  &  une  autre  penfée.  Ces  différen- 
ces font  autant  de  manières  particulières 
de  lier  les  propoiîtions  &  les  périodes. 

Les  Grammairiens  ,  fur  chaque  partie 
du  difcours,  obfervent  ce  qu'ils  appellent 
les  accidens.  Or  ils  en  remarquent  de  deux 
fortes  dans  les  con]on(^ions/ 


de  Gràmfnàirci  Gjj 

t.^  La  fimplicité  &  la  compefition.» 
G  cft  ce  que  les  Grammairiens  appellent 
la  figure*  Ils  entendent  par  ce  terme ,  la 
propriété  d'ctre  un  mor  lîmple,  ou  d'être 
un  mot  compofé. 

Il  y  a  des  conjondions  fîmples  ,  telles 
font  &  ^  ou  ^  niais ^  fij  car^  ni  ^  aujjl  ^  orj^ 
donc  j  &c; 

Il  y  en  a  d  autres  qui  font  compofées, 
à  moins  que  ^  pourvu  que  j  de  fi:)rte  que  > 
j>arceque  _,  par  conféquent  j  8cc. 

2.°  Le  fécond  accident  des  coiijon* 
éfcions  5  e'eft  leur  lignification  5  leur  effet: 
ou  leur  valeur.  C  eft  ce  qui  leur  a  fait 
donner  les  divers  noms  dont  nous  allons 
parler.  Siirqudi  j*ai  cru  né  pouvoir  mieux 
feire  que  de  fuivre  Tordre  que  M;  Tabbé 
Girard  a  gardé  dans  fa  Grammaire  ^  au 
traité  des  conjonctions  (i).  Cet  ouvrage 
eft  rempli  d'obfervations  utiles ,  qui  don- 
nent lieu  d'en  faire  d'autres  ,   que  Ton 


(i)  Les   véritahlcs  principes  de    là   langue 
'  /réLnçoiJi ,  XIF  Difeours. 


678  Principes 

n  auroit  peut  -  être  jamais  faites  5  C\  l'on 
n*avoic  point  lu  avec  réflexion  l'ouvrage 
de  ce  digne  Académicien. 

I.     Conjonctions  copulatlves. 

Et  j  ni  j  font  deux  conjonftions ,  qu'on 
appelle  copulatlves  j  du  latin  >  copulare  ^ 
joindre,  aiïembler>  lier.  La  première  eft 
en  ufage  dans  Taffirmation,  &  l'autre  dans 
la  négation.  //  n^a  ni  vice  ni  vertu.  Ni 
vient  du  nec  des  Latins  ,  qui  vaut  autant 
que  &  non.  On  trouve  fouvent  &  au  lieu 
de  ni  dans  les  proportions  négatives  i  mais 
cela  ne  me  paroît  pas  exa6t  r 

Je  ne  connollfois  pas  Almanzor  ôc  TAmour. 

J'aimerois  mieux  ni  l'amour.  De  même  : 
La  poéjie  n  admet  pas  les  exprejjions  &  les 
tranfpojitions  particulières  j  qui  ne  peuvent 
pas  trouver  quelquefois  leur  place  en  profe 
dans  le  jlyle  vif  &  élevé.  Il  faut  dire  5 
avec  le  père  Buffier  :  la  poéjïe  n  admet  ni 
cxprejfion  ni  tranfpojition  ^  &c. 

Obfervez  que  comine  refprit  eft  plus 


'de  Grammaif'e.  cy^ 

prompt  que  la  parole  ,  rcmpreflement 
d'caoncer  ce  que  Ton  conçoit ,  fait  fou- 
vent  fiipprimer  les  conjonétions ,  &  fut- 
tout  les  copulàtives.  Attention  j  Joins  ^ 
crédit  _,  argent  j  j^aî  mis  tout  en  ufagc 
pour  ^  &c.  Cette  fupprelîlon  rend  le  dif- 
cours  plus  vif.  On  peut  faire  la  même  re- 
marque  à  Tégard  de  quelques  autres  coil- 
jondions,  fur-tout  dans  le  ftyle  poétique, 
&  dans  le  langage  de  la  pafîîon  Se  dé 
renthoufiafme. 

II.     Conjonctions  augmentatlvcs  ^  du  ad^ 
verbes  conjonclifs  augmentatifs. 

De  plus^  d^ ailleurs.  Ces  mots  fervent 
fouvent  de  traîiiition  dans  le  difcours, 

III.     Conjônclions  alternatives^ 

Ou  jyjinoh^  tantôt.  Il  faut  qu  une  porte 

.foit  ouverte  ou  fermée.  Life:^  ou  écrive'^^ 

Pratiqiie'^là  vertu  jy  finon  vous  fere:^  maU 

heureux.  Tantôt  il  rit ^  tantôt  il  pleure. 

Tantôt  il  veut  ^  tantôt  il  ne  veut  pas. 

Ces  conjonctions,  que  M.  l'abbé  Girard 


éZo  Principes 

appelle  alternatives  j  parcequ'elles  inar^ 
^uent  une  alternative ,  une  diftindion  5 
bu  réparation  dans  les  chofes  dont  on 
parle*,  ces  cônjon6tions >  dis- je >  font  ap- 
pellées  plus  communément  disjondtives. 
Ce  font  des  conjondtions ,  parcequ'elles 
uniffent  d'abord  deux  objets,  pour  nier 
enfuite  de  Tun  ce  qu'on  affirme  de  rautre.*" 
Par  exemple  ,  on  confîdère  d  abord  le 
foleil&  la  terre,  &  Ton  dit  enfuite,. que 
c'eft  le  foleil  qui  tourne  autour  de  la  terre, 
ou  bien  que  c'eft  la  terre  qui  tourne  autour 
du  foleil.  De  même,  en  certaines  circon- 
ftances,  on  regarde  Pierre  &  Paul  comme 
les  feules  perfonnes  qui  peuvent  avoir  fait 
une  telle  aétion.  Les  voila  donc  d  abord 
confidérés  enfemble ,  c'eft  la  conjonétion  : 
enfuite  on  les  défunit,  fi  l'on  ajoute  Cejl 
eu  Pierre  ou  Paul  qui  a  fait  cela  :  cejl 
Vun  ou  cejl  Vautre, 

IV.     Conjonclions  hypothétiques^ 

Si  j  fait  j  pourvu  que  ^  à  moins  que  ^ 
quand  jfauf.  M,  labbé  Girard  les  appelle 


de  Grammaire.         ^%t 

hypothétiques jCcd-a-diTe ,  conditlonelles j 
parcequ'eii  effet  ces  conjondions  énon- 
cent une  condition  5  une  fuppofition ,  une 
hypothèfe. 

S'u  II  y  a  un  Ji  conditionel.  Vous  de- 
viendrez  f avant  Ji  vous  alme:^  I^ étude.  SI 
vous  aîme^  l'étude  j  voila  rhypothèfe  ou 
la  condition.  Il  y  a  un  7?  de  doute  i  Je  ne 
fais  Ji  y  &c.  Il  y  a  encore  un  7?  qui  vient 
àxx  Jiç  des  Latins.  //  ejl  Ji  Jludieux  ^  quil 
deviendra  /avant.  CqJi  eft  alors  adverbe  : 
fcj  adeo j  à  ce  point,  tellement. 

Soit  j  Jive  ;  foit  goût  j  /bit  rai/on j  /oit 
caprice  j  il  aime  la  retraite.  On  peut  auflî 
regarder  ybi^jT^v^j  comme  une  conjoa- 
£tion  alternative  ou  de  diftinâion. 

Sauf  ^  défigae  une  hypothèfe  ,  mais 
Hvec  reftriilion. 

V,     Conjonctions  adver/atives. 

On  appelle  Conjondions  adverfatives  > 
dçs  conjondtions  qui  marquent  quelque  dif- 
fçrence ,  quelque  reftridion  ou  oppofitioa 
entre  ce  qui  fuit  &  ce  qui  précède*  Eile^ 


^Sz  Principes: 

fafTemblent  les  idées,  &  font  fèrvir  Tmià 
a  contrebalancer  l'autre.  Le  mot  adverfà^ 
tive   vient  du  latin  adverfus  ^  contraire  y 
oppofé.  Il  y  a  fept  conjondions  adverfati- 
ves  :  maiSj  quoique  ^  bien  que  y  cependant^ 
pourquoi j  néanmoins  .y  toutefois.  Il  y  a  cette 
différence  entre  les  conjonctions  adverfa- 
tives  &  les  disjondtives^  que  danè  les  ad- 
verfatives ,  le  premier  fens  peut  fubfifter 
fans  le  fécond ,  qui  lui  eft  oppofé  j  au  lieii 
qu^avec  les  disjoncfcives,  Tefprit  coniîdèrâ 
d  abord  les  deux  inembres  enfemble,  & 
enfuite  les  divife  y  en  donnant  ralterna- 
îive,  en  les  partageant  &  les  diftinguanr. 
C'ejl  le  foleil  ou  la  terre  qui  tourne.  Cejt 
vous  ou  moi.  Soit  que  vous  mangie'^  _,  foit 
que  vous  buvie^.  En  un  mot  5  radverlâtive 
2:eilreint  ou  contrarie  5  au  lieu  que  4a  dif- 
|on6live  fépate  ou  divife,. 

Il  y  a  des  conjonftions  que  M-  labbé 
Girard  appelle  extenfives  y  parcequ'eiles 
lient  par  extenfion  de  fens  :  telles  fc^nt 
jufquesy  encore  y  aujji  ^  même^  tant  que]^ 
"mn  j  plus  3  enfin^  -      • 


de  Grammaire,  683 

Il  y  a  des  adverbes  de  temps  que  Ton 
peut  aufïî  regarder  comme  de  véritables 
conjondtions.  Par  exemple  ,  lorfque  y 
quand  ^  dès  que  j  tandis  que.  Le  lien  que 
ces  mots  expriment  conUfte  dans  une  cor- 
refpondance  de  temps. 

VL  D  autres  marquent  un  motif,  un 
but,  une  raifon.  Afin  que j  parceque j 
puifque  ^  car^  comme ^  aujfi  j  attendu  quej 
d^ autant  que.  M.  Tabbé  Girard  prétend  (  i) 
qu'il  faut  bien  diftinguer  dautant  que  y 
conjonction,  qu'on  écrit  fans  apoftrophe, 
&  d^ autant  y  adverbe  qui  eft  toujours  fé- 
paré  de  que  ^  par  jplus^  mieux  ou  moins  y 
£  autant  plus  que  y  &  qu'on  écrit  avec 
1  apoftrophe,  Lô  père  Joubert ,  dans  fou 
Diâionaire,  dit  auffi  dautant  que  ^  con- 
jonétion  :  on  l'écrit ,  dit-il ,  fans  apoftro- 
phe ,  quia  y  quoniam.  Mais  M.  labbé 
Régnier ,  dans  fa.  Grammaire  y  écrit  d^au^ 
tant  que  j  conjondtion ,  avec  Tapoftrophe  \ 
&  obferve  que  ce  mot,  qui  autrefois  étoit 


(l)    Jb/72,   II  ,    pag'.    2,%Q. 

Yy4 


(g8"4  Principes 

fort  en  ufage  ,  eft  renfermé  aujourd'hui 
au  ftyle  de  chancellerie  &  de  pratique* 
Pour  moi  3  Je  crois  que  d^ autant  que  & 
d'autant  mieux  que  font  le  même  adverbe, 
qui  de  plus  fait  Toffice  de  conjonction  daias 
cet  exemple,  que  M.  labbé  Girard  cite 
pour  faire  voir  que  d- autant  que  eft  con- 
jondfeion  fans  apqftrophe  On  ne^  deyoît 
pas  ^  fort  le  louer  ^  d'aut^int  qu'il  ne  U 
méritoit  pas.  N*eft  -  il  pas  évident  que 
d'autant  que  répond  à  ex  eo  qu^odj  ex  eo 
momento  fecundàm.  quod  j  ex  ea  radone 
fecundùm  quam  ;  &  que  Tan  pouroit  auffi 
dire,  d'autant  mieux  qu'il  ne  le  méritoit 
p^i".  Dans  les  premières  éditions  de  Danet, 
on  avoit  écrit  dautant  que  fans  apoftro- 
phe  ",  mais  on  a  corrigé  cette  faut^  dans 
Fédition  de  1 7  2 1 .  La  même  faute  eft  auffi 
dans  Richelet.  Nicot,  Diclionaire^  16.06  y 
écrit  îoujçurs  d'autant  que  avec  Tapo- 
ftrophe. 

VII.  On  compte  quatre  con|on6l!oDS 
ccndujives  ^  c'eft-à-dirc  ,  qui  fervent  à 
déduire  une  conféquence^  donç^  par  çon-^^ 


de  Grammaire.         685 

fequent  j  ainjî ^partant.  Mais  ce  derniec 
n'eft  guère  d'ufage  que  dans  les  comptes  > 
oii  il  marque  un  réfultat. 

VIII.  Il  y  a  des  conjonctions  explica^ 
tlves  j  comme  lorfqu'il  fe  préfente  une 
iîmilitude  ou  une  conformité  :  en  tant: 
que  j  f avoir ^  fur-tout. 

Auxquelles  on  joint  les  cinq  exprelîîons 
fuivantes,  qui  font  des  conjonélions  corn- 
pofées,  de  forte  que^  aïnfi  que^  de  façon 
que  y  cefl-à-dire^fibïcnque^ 

On  obferve  des  conjondions  tranfitU 
ves  j  qui  marquent  un  pafTage  ou  une 
tranfition  d'une  chofe  à  une  autre.  Or^  au 
refie  j  quanf  à  ^  pour^  c'eft-à-dire ,  à  /V- 
gard  de  ;  comme  quand  on  dit ,  l^un  ejl 
venu;  pour  l^ autre ^  il  efl  demeuré. 

IX,  La  conjondion  que.  Ce  mot  eft 
d'un  grand  ufage  en  françois.  M.  labbé 
Girard  Tappelle  conjonction  conduclive  ^ 
parcequ'elle  fert  à  conduire  le  fens  à  ion 
complément.  Elle  eft  toujours  placée  entre 
deux  idées ,  dont  celle  qui  précède  en  fait 
toujours  attendre  une  autre  pour  formée 


6^é  Principes 

un  fens,  de  manière  que  Tunion  dès  deux 
eft  néceflaire  pour  former  une  continuité 
de  fens.  Par  exemple  :  //  eji  important  que 
ton  f oit  infiruit  de  fes  devoirs.  Cette  con- 
Jondion  eft  d*un  grand  ufage  dans  les 
comparaifons.  Elle  conduit  du  terme  com- 
paré 5  au  terme  qu'on  prend  pour  modèle 
ou  pour  exemple  :  Les  femmes  ont  autant 
d'intelligence  que  les  hommes  :  alors  elle 
eft  comparative.  Enfin  ,  la  conjondioa 
que  fert  encore  à  marquer  une  reftridtion 
dans  les  propositions  négatives.  Par  exem- 
ple :  Il  n  èjlfait  mention  que  d'un  tel  pré- 
dicateur. Sur  quoi  il  faut  obferver  que  Ton 
préfente  d'abord  une  négation  y  d'où  Ton 
tire  la  chafe  pour  la  préfenter  dans  un  fens 
affirmatif  exclufîvement  à  tout  autre.  // 
ny  avoit  dans  cette  ajjemblée  que  tel  qui 
eût  de  Vefprit  :  Nous  n  avons  que  peu  de^ 
temps  à  vivre j  &  nous  ne  cherchons  qu'à 
le  perdre.  M.  Tabbé  Girard  appelle  alors 
cette  conjondlion  rejlriclive^ 

Au  fond  >  cette  conjonftîon  que  ^  n*eft 
"  Couvent  autre  çhofe  que  le  ^ubd  des  Latins  > 


de  Grammaire.  687 

pris  dans  le  fens  de  hoc.  Je  dis  que  vous 
êtes  fagCj  dico  quod ;  c'eft-à-dire,  dico 
hocj  nempè  j  vous  êtes  fage.  Que  vient 
^uffi  quelquefois  de  quam^  ou  à^  quart- 
îum  ^  ou  enfin  de  quou 

Au  refte  on  peut  fe  dilpenfer  de  char- 
ger fa  mémoire  des  divers  noms  de  cha- 
que forte  de  conjonftion,  parcequ'indé- 
pendammen,t  de  quelqu'autre  fonction 
qu'il  peut  avoir ,  il  lie  un  mot  à  un  autre 
mot 5  ou  un  fens  à  un  autre  fens,  de  la 
manière  que  nous  Tavons  expliqué  d'abord* 
Ainfî  il  y  a  des  adverbes  &  des  préposi- 
tions qui  font  aufïî  des  conjonctions  corn-- 
pofées  ;  comme  5  afin  que  j  parceque  j  à 
caufe  que  ^  8cc.  Ce  qui  eft  bien  différent 
du  fîmple  adverbe  &  de  la  fimple  prépo- 
lîtion  5  qui  ne  font  que  marquer  une  cir-- 
confiance  ou  une  manière  d'être  du  nom 
çu  du  verbe. 


'^88  Principes 


De  ce  quon  appelle  ACCIDENT ^  en  tcr^ 
mes  de  Grammaire. 

JL  E  terme  accident  eft  fur-tout  en  ufage 
dans  les  anciens  Grammairiens.  Ils  ont 
d'abord  regardé  le  mot  5  comme  ayant  la 
propriété  de  fignifier*  Telle  eft ,  pour  ainû 
dire  >  la  fubftance  du  mot.  C'eft  ce  qu'ils 
appellent  nominis  pojîtio.  Enfuite  ils  oac 
fait  des  obfervations  particulières  fur  cette 
poiîtion,  ou  fubftance  métaphyfîque  :  & 
ce  font  ces  obfçrvations  qui  ont  donné 
lieu  à  ce  qu'ils  ont  appelle  acçidens  dçs 
didtions  >  diclionum  accïdentia. 

Ainfi  >  par  accident  ^  les  Grammairiens 
entendent  une  propriété  qui,  à  la  vérité, 
eft  attachée  au  mot,  mais  qui  n'entre  point 
dans  la  définition  eftèntielle  du  mot.  Car, 
de  ce  qu'un  mot  fera  primitif,  ou  qu'il 
fera  dérivé ,  fimplç  ou  compofé ,  il  n'ea 
iera  pas  moins  un  terme  ayant  une  fignifir 
çâçion.  Voici  quels  font  ces  accideas*. 


de  Grammaire.         62$' 

I.  Toute  di6tion  ou  mot,  peut  avoir 
un  fens  propre  ou  un  fens  figuré.  Un  mot 
eft  au  propre,  quand  il  fignifie,  ce  pour- 
quoi il  a  été  premièrement  établi.  Le  mot 
Lion  a  été  d  abord  deftiné  à  fignifier  cet 
animal  qu'on  appelle  Lion.  Si  en  parlant 
d'un  homme  emporté,  je  dis  que  c*eft  un 
lion  ;  lion  eft  alors  dans  un  fens  figuré» 
Quand  par  comparaifon ,  ou  analogie ,  un 
mot  fe  prend  en  quelque  fens ,  autre  que 
celui  de  fa  première  deftination  ,  cet  acci- 
dent peut  être  appelle  Y  acception  du  mot* 
IL  En  fécond  lieu ,  on  peut  obferver  fi 
un  mot  eft  primitif,  ou  s'il  eft  dérivé. 

Un  mot  eft  primitif,  lorfqu^il  n'eiT:  tiré 
d'aucun  autre  mot  de  la  langue  dans  la- 
quelle il  eft  en  ufagc.  Ainfî,  en  françois> 
ciel  jy  roijy  bon  ,  font  des  mots  primitifs. 

Un  mot  eft  dérivé ,  lorfqu'il  eft  tiré  de 
quelqu autre  mot,  comme  de  fa  fource* 
Ainfi  célejle  ^  royal  ^  royaume  jy  royauté ^^ 
royalement  ^  honte  ^  bonnement  font  au- 
tant de  dérivés.  Cet  accident  eft  appelle 
par  les  Grammairiens  Xefphc  du  mot.  l\% 


i^b  Principes 

difent  qu  un  mot  eft  de  refpèce  primitive , 
ou  de  refpèce  dérivée. 

IIL  On  peut  obferver  fi  un  mot  eil 
fimple,  ou  s'il  eft  compofé.  Jujlcjjujliccy 
font  des  mots  fimples  :  injujlc^  injujiice  3 
font  des  mots  compofés.  En  latin ,  rcs  eft 
un  mot  fimpîe,  publka  eft  encote  un  mot 
iîmple  :  mais  refpublica  eft  un  mot  com- 
pofé. 

Cet  accident  d'être  fîiliple  ou  d'être 
compofé  3  a  été  appelle  par  les  anciens 
Grammairiens  5  la  figure.  Ils  difent  qu'un 
mot  eft  de  la  figure  fimple  3  ou  qu'il  eft  de  Lt 
figure  corapofée,  enforte  c^q  figure  vient 
ici  àQ  fingerej  &  fe  prend  pour  la  forme 
GU  conftitution  d'un  mot,  qui  peut  être 
ou  fimple  ou  compofé,  C'eft  ainlî  que  les 
anciens  ont  appelle  Vafa  ficlUia  ^  ces  va- 
fes  qui  fe  font  en  ajoutant  matière  à  ma- 
tière ,  &  figulusj  l'ouvrier  qui  les  fait ,  à 
fingendo* 

IV.  Un  autre  accident  des  mots  regardé 
la  prononciation.  Sur  quoi  il  faut  diftin- 
guer  l'accent,   qui  eft  une  jélcvation,  ou 


dt  Grammairél  69 1 

un  abaifTement  de  la  voix,  toujours  inva- 
riable;.dans  le  même  mots  &  le  ton  8c 
1  emphafe  >  qui  font  des  inflexions  de 
voix  qui  varient  félon  les  diverfes  paffions 
&  les  différentes  circonftances  >  un  ton 
ficr^y  un  ton  fournis^  un  ton  infolcnt ^  &c* 

Voila  quatre  accidens  ^  qui  fe  trouvent 
en  toutes  fortes  de  mf)ts.  Mais  de  plus 
chaque  forte  particulière  de  mots  a  (ts 
accidens  ^  qui  lui  font  propres. 

Ainfî  le  nom  fubftantif  a  encore  pour 
accidens,  le  genre ^  le  cas ^  la  décUnaifon^ 
le  nombre. 

Le  nom  adjéétif  a  un  accident  de  plus^ 
qui  efi:  la  comparaifon  :  doclus  j  dociior  ^ 
doclijjimus  i  favantj  plus  favant^  très^ 
/avant. 

Les  pronoms  ont  les  mêmes  accidens 
que  les  noms* 

A  regard  des  verbes ,  ils  ont  auffi  par 
accident  : 

i.°  V acception  y  qui  eft  ou  propre  ou 
figurée.  Ce  vieillard  marche  d'un  pas  fer^ 
me  :  marcher  eft  là  au  propre*  Celui  qui 


i^i'  Principe^ 

me  fuit  ne  marche  point  dans  les  teriebréi^ 
dit  Jefus-Chrift  -,  fuit  &  marche  forit  pris 
dans  un  fens  figuré. 

2.^  Vefpèce  eft  auffi  un  accident  des 
verbes*  Ils  font,  ou  primitifs j  comme /^^^r- 
ler^  boire ^  fauter j  trembler  ;  ou  dérivés  j 
comme  parlementer  ^  buvoter  ^  fautiller  y 
tremblotter.  Cette  efpèce  de  verbes  déri- 
vés en  renferme  plufieurs  autres  \  tels  font 
les  inchoatifs  j  les  fréquentatifs  j  les  au-;* 
gmentatifs  j  les  diminutifs  j  les  imitatifs 
&  les  défidératifsh. 

3,^  Les  verbes  ont  auflî  la  fîglire,  c'eft- 
à^dirCj  qu'ils  font  fînlples,  comme  venir  y 
tenir ^  faire;  ou  compofés,  comme /?/'/ve- 
niri  convenir^  refaire  ^  &c. 

4.°  La  voix  ou  forme  du  verbe.  Elld 
eft  de  trois  fortes ,  la  voix  ou  forme  active j 
la  forme  paffive  j  &  la  forme  neutre. 

5.°  Le  modcj,  c'eft-à^dire  >  les  différen- 
tes manières  d'exprimer  ce  que  le  verbe 
lignifie  5  ou  par  Vindicatif  qui  eft  le  mode 
diredfc  &  abfolu  5  ou  par  Yimpératifj  oU 
pari  e  fuhjonciif ^  ou  enfin  par  ï infinitif 

6."  Le 


de  Grammaire.         è^^ 

•  1^.^  Le  (îxième  accident  des  verbes  i 
ccA  de  marquer  le  temps  par  des  termi* 
naifons  particulières.  J'aime  ^  j'aimois  ^ 
y^i  aimé  '^  &c. 

7.°  Le  feptième  eft  de  marquer  les 
perfonnes  5  celle  qui  parle  5  celle  à  qui  oa 
parle  5  celle  ou  ce  dont  on  parle. 

En  latin  &  en  grec  ,  les  perfonnes 
&  les  temps  font  marqués  d'une  manière 
plus  diftinéte ,  par  des  terminaifons  parti- 
culières. Au  lieu  qu'en  François ,  la  différ 
rence  des  terminaifons  n'eft  fouvent  pas 
bien  fenfible ,  &  c'eft  pour  cela  que  nous 
joignons  aux  verbes  les  pronoms  5  qui  mar- 
quent les  perfonnes  :  Je  chante^  tu  chan-^ 
tes  jy  il  chante. 

8.^  Le  huitième  accident  des  verbes  eft 
la  conjugaifon.  La  conjugaifon  eft  une 
diftribution  ou  lifte  de  toutes  les  parties 
&  de  toutes  les  inflexions  du  verbe  5  félon 
Une  certaine  analogie. 

9.^  Enfin,  le  dernier  accident  des  ver- 
bes, eft  V analogie jy  ou  V anomalie:  c'eft-^ 
à -dire,  dette  réguliers,  &  de  fuivrç 

!Z  2 


6  94  Principes 

\ analogie  de  leur  paradygme ,  o«  bien  cïe 
s'en  écarter ,  &  alors  on  dit  qu'ils  font 
irréguliers  ou  anomaux. 

Que  s'il  arrive  qu'ils  manquent  de  queP 
que  mode,  de  quelque  temps,  ou  de  quel-' 
que  perfonne ,  on  les  appelle  défeclifs, 

A  regard  des  prépofitiôns,  elles  font 
toutes  primitives  &  fimples,  à^^ie  y  dansj, 
avecj  &c.  Sur  quoi  il  faut  obferver ,  qu'il 
Y  a  des  langues  qui  énoncent  en  un  feuf 
mot  ces  Vues  de  Tefprit ,  ceî^  raports ,  ces 
manières  d'être  ,  au  lieu  qu'en  d'autres 
langues,  ces  mêmes  raports  font  divifés 
par  rélocution,  &  exprimés  par  plufieurs 
mots.  Par  exemple  ,  coram  pâtre  j  en  pré-- 
fence  de  fon  père  :  ce  mot  coram  j  ent 
latin ,  eft  un  mot  primitif  &  fimple  qui 
n*exprime  qu'une  manière  d'être  confîdé- 
rée  par  une  vue  fïmple  de  l'efprit.  L*éIo- 
cution  n'a  point  en  françois  de  terme  pour 
lexprimer.  On  la  divife  en  trois  mots ,  en 
préfence  de.  Il  en  eft  de  même  dcpropter^ 
pour  l'amour  de  J  &  de  quelques  autres  ex- 
preflîons ,  que  nos  Grammairiens  François 


de  Grammaire.         €9^ 

»C  mettent  au  nombre  des  prépofitions , 
que  parcequ'elles  répondent  à  des  prépo- 
iîtions  latines. 

La  prépofîtion  ne  fait  qu'ajouter  une 
circonftance  ou  manière  au  mot  qui  pré- 
cède, &  elle  eft  toujours  confîdérée  fous 
le  même  point  de  vue  :  c'eft  toujours  la 
aiême  manière  ou  circonftance  qu'elle  ex- 
prime. //  ejl  dans  jy  que  ce  foit  dans  la 
ville  5  ou  dans  la  maifon ,  ou  dans  le  coffre, 
ce  fera  toujours  être  dans.  Voila  pourquoi 
les  prépofitions  ne  fe  déclinent  point» 

Mais  il  faut  obferver  qu'il  y  a  des  pré- 
pofitions y^/^tzm^/ei'j  telles  que  dans ^  fur ^ 
avec  ^  &c.  &  d'autres  qui  font  apellées 
inféparabUs  j  parcequ'elles  entrent  dans 
la  compofition  des  mots  5  de  façon  qu'elles 
n'en  peuvent  être  féparées  fans  changer 
la  fignification  particulière  du  mot.  Par 
exemple  ,  refaire  ^  furfaire  j  défaire  ^ 
contrefaire  :  ces  mots  re  ^  fur ^  dé j  con- 
tre j  &c.  font  alors  des  prépofitions  infc- 
parables. 

A  regard  de  lad  verbe  >  c*eft  un  mot> 

ZZ2 


éc^è  Principes 

qui  dans  ia  valeur  vaut  autant  qu'une  pré^ 
pofîtion  &  fon  complément.  Ainfi  ,  pru^ 
demment  ^  c'eft  avec  prudence  ^  fa gement y 
avec  figejjcjy  8cc.  Voyez  l'article  ^Dr 
FEi^^E  3  ci-devant,  pag.  559. 

Il  y  a  trois  accidens  à  remarquer  dans 
Tadverbe  5  outre  la  fîgnification,  comme 
dans  tous  les  autres  mots.  Ces  trois  acci^ 
dens  font  : 

1.^  Vejpèccj  qui  eft  toujours  jpr/7;2zV/v^j 
ou  dérivadve.  Ici  ^  là^  ailleurs^  quand ^ 
lors  ^  hier  jy  oàj  &c.  font  des  adverbes  de 
Tefpèce  primitive  5  parcequ'ils  ne  viennent 
d  aucun  autre  mot  de  la  langue. 

Au  lieu  que  jujlement  j  fenfement  j  po-' 
liment  jy  abfolument  ^  tellement ^  8cc.  font 
de  1  efpèce  dérivative.  lis  viennent  des 
noms  ^]ed[ï(syjuJIejfenféjpolij  ahfolu^ 
tel  j^  Sec. 

2.*^  La  figure  :  c'eft  d'être  fimple  ou 
compofé.  Les  adverbes  font  de  la  figure 
ilmple  5  quand  aucun  autre  mot ,  ni  au- 
cune prépofition  inféparable  n'entre  dans 
îeu^'  compoiiùon,  hmCiy  jufiemeritj  lo^'s^ 


de  Grammaire.  ë^f 

Jamais  j  font  des  adverbes  de  la  figure 
iîmple* 

Mais,  injujlement  j  alors ^  aujourd'hui^ 
Se  en  latin  y  hodie  _,  fout  de  la  figure  corn- 
pofée. 

3.^  La  Comparaifon  eft  le  troificnie 
accident  des  adverbes.  Les  adverbes  qui 
viennent  des  noms  de  qualité  fe  compa- 
rent :  jujlement^  plus  jujlement  ^  très  ou 
fort  jujiement  ^  le  plus  jujîement  ;  bien  j 
mieux  ^  le  mieux  ;  mal  j  pis  _,  le  pis  j  plus 
malj  très-mal  J  fort  mal  j  &c. 

A  regard  de  la  conjoncSfcion  ,  c'^eft^à- 
dire ,  de  ces  petits  mots  qui  fervent  à  ex- 
primer la  liaifon  que  Tefprit  met  entre  des 
mots  &  des  mots ,  ou  entre  des  phrafes  6c 
des  phrafes ,  outre  leur  fignification  par- 
ticulière, il  y  a  encore  leur  figure  &  leut 
pofition. 

i.""  Qiiant  à  \^  figure  ^  il  y  en  a  de 
(impies,  comme,  &jOUj  mais ^  fi ^  car ^ 
ni  J  &c. 

Il  y  en  a  beaucoup  de  compofées,  6' 
fij  mais  fi i  Se  même  il  y  en  a  qui  fouc 


t^  s  Principes 

çompofées  de  noms  ou  de  verbes  :  pai 
exemples,  à  moins  que  j,  de  forte  que^  bien 
entendu  que  ^  pourvu  que. 

2.®  Pour  ce  qui  eft  d@  leur  fojltïon^ 
c'eft-à-dire>  de  Tordre  ou  rang  que  les 
conjonctions  doivent  tenir  dans  le  difcours, 
il  faut  obferver,  qu'il  n'y  en  a  point  qui 
ne  fuppofe  au  moins  un  fens  précédent  ; 
car  ce  qui  joint  ,  doit  être  entre  deux 
termes,  Ainfi  vous  ne  fauriez  commencer 
pn  difcours  par  maïs  ^  &  y  or^  donc  jy  &c. 
Mais  ce  fens  peut  quelquefois  être  tranf- 
pofé  :  ce  qui  arrive  avec  la  conditionelle 
Ji  j   qui  peut  fort  bien  commencer  un 
difcours.  Sî  vous  êtes  unie  à  la  fociété ^ 
elle  pourvoira  à  vos  befoins.   Ces  deux 
phrafes  font  liées  par  la  conjondion  Ji. 
W  eft  comme  s'il  y  avoir  :  La  fociété pour^ 
voira  à  vos  befoins  j  fi  vous  y  êtes  utile._^ 
S'il  arrive  qu'un  difcours  commence  par 
or  ou  donc  :y  ce  difcours  n'eft  point  cenlé 
Ja  fuite  d'un  autre  qui  s'eft  tenu  intérieu- 
)j'ement ,  &  que  l'orateur  ou  l'écrivain  a 
foys-entendu  2  pour  donner  plus  de  Yéh4* 


cte  Grammaire.  69^ 
mence  à  fon  début  -,  c'eft  plutôt  une  ex- 
clamation,  une  interrogation,  Malherl^e, 
dans  fon  Ode  à  Louis  XIII  '  partant  pour 
la  Rochelle  ,  lui  dit  : 

Donc  un  nouveau  labeur  à  tes  armes  s^aprête^ 

C  eft  comme  s'il  y  avoit  5  Un  nouveau  la-^ 
beur  s'aprêtc  donc  à  tes  armes?  Mais  cette 
manière  de  s'exprimer  eft  rare.  Elle  ne 
peut  être  en  ufage  que  dans  la  poéfie  opi 
le  ftyle  oratoire.  Dans  le  ftyle  moins  orné* 
Malherbe  auroit  dit ,  P^oid  un  nouveau 
labeur  qui  s'^aprête  à  tes  armes.     ' 

A  regard  des  Interjetions  5  elles  ne 
fervent  qu'à  marquer  des  mouvemens  fu- 
bits  de  Tame.  Il  y  a  autant  de  fortes  d'in- 
terje£tions ,  qu  il  y  a  de  pafïîons  différen- 
tes. Ainfi  il  y  en  a  pour  la  triftelTe  &  la 
compafîîon  :  hélas \  ha  l  pour  la  douleur, 
ai  ai  j  ha  !  pour  Taverfion  &  le  dégoût  > 
Ji.  Les  interjeétions  ne  fervent  qu'à  ce 
feul  ufage  ,  &  n  étant  jamais  confidérées 
fous  la  même  face ,  ne  font  lujétes  à  au- 
cun autte  accident.  On  peut  feulement 


700  Principes  de  Grammaire: 

obferver ,  qu'il  y  a  des  noms ,  des  verbes^ 
&  des  adverbes,  qui  étant  prononcés  dans 
certains  mouvemens  de  paffions ,  ont  la 
force  de  Tinter) eâ:ion  :  Courage^  allons  y 
bon  Dieu  j  voyc:^  y  marche  ^  tout-beau  y 
paix  y  &c.  C'eft  le  ton  5  plutôt  que  le  mot> 
qui  fait  alors  Tinterjeétion. 


F  I  N.. 


APPROBATION. 

J'ai  lu  par  ordre  de  Monfeigneiir  le  Vice- 
Chancelier  ,  un  Manufcrit  intitulé  (Suvres 
pofthumes  de  du  Marfais ^  contenant^  ï.^  la. 
Logique  ou  Réflexions  fur  les  principales  opéra-» 
lions  de  Vefprit  ;  i."^  des  fragmens  fur  les  Caufes 
de  la  parole.  Je  n'y  ai  rien  remarqué  qui  puifTe 
en  empêcher  rimpreflîon.  A  Paris  cej  décerna 
bre  ijGj. 

DUPUY. 


PRIFILEGE  DU  ROI. 


X-zOUIS,    PAR    LA    GRACE    DE  DlEU  ^  Roi   DE 

France  et  de  Navarre:  A  nos  amés  &  féaux 
Confeillers  les  gens  tenant  nos  Cours  de 
Parlement  3  Maîtres  des  Requêtes  ordinaires 
de  notre  Hôtel  ^  Grand-Confeil  ^  Prévôt  de 
Paris 5  Baillifs  ,  Sénéchaux,  leurs  Lieutenans 
Civils  &  autres  nos  JulHciers  qu'il  appar-* 
tiendra:  Salut.  Notre  amé  Jean  -  Thomas 
Heriflant  ^  fils  ,  Libraire ,  Nous  a  fait  expofer 
qu'il  defireroit  faire  imprimer  &  donner  au 
public  des  Œuvres  pofthumes  de  du  Marfais  , 
contenant  la  Logique  ou  Reflexions  fur  les  prin- 
cipales opérations  de  Vefprit  y  &  fragmens 
Jiir  les  Caujes  de  la  parole  ;  Démonftration 
dû  Vcxiflcncc  de  Dieu  par  Vidéç  que  nous  ap 


û?^on$y  s'il  Nous  plaifoit    lui   accorder  nos 

Lettres  de  Privilège  pour  ce  néceffaîres  :  A 
Cîs  CAUSIS5  voulant  favorablement  traiter 
TExpcfant^  Nous  lui  avons  permis  &  permet- 
tons par  ces  préfentes  ^  de  faire  imprimer  ledit 
Ouvrage  autant  de  fois  que  bon  lui  femblera^S^ 
de  le  vendre,  faire  vendre  &  débiter  par- 
tout notre  Royaume  pendant  le  temps  de  fix 
années  consécutives  >  à  compter  du  jour  de  la 
date  des  préfentes.  Faisons  défenfes  à  tous 
ÏHiprimeurs,  Libraires ,  &  autres  perfonnes, 
de  quelque  qualité  &  condition  qu'elles 
foient^,  d'en  introduire  d'impreflion  étrangère 
dans  aucun  lieu  de  notre  obéifîance  i  comme 
auffi  d'imprimer,  ou  faire  imprimer^  vendre, 
faire  vendre ,  débiter ,  ni  contrefaire  ledit 
Ouvrage  ,  ni  d'en  faire  aucun  extrait  fous 
quelque  prétexte  que  ce  puiffe  être^,  fans  la 
permiffion  exprelTe  &  par  écrit  dudit  Ex- 
pofant,  ou  de  ceux  qui  auront  droit  de  lui;» 
à  peine  de  confifcation  des  exemplaires 
contrefaits ,  de  trois  mille  livres  d'amende 
contre  chacun  des  contrevenans,  dont  un 
tiers  à  Nous,  un  tiers  à  l'Hôtel  -  Dieu  de 
Paris,  &  l'autre  tiers  audit  Expofant,  ou  à 
celui  qui  aura  droit  de  lui,  &  de  tous  dépens, 
dommages  &  intérêts;  à  la  charge  que  ces 
préfentes  feront  enregiftrées  tout  au  long 
fur  le  Regiftre  de  la  Communauté  des  Im- 
primeurs &  Libraires  de  Paris  ,  dans  trois 
mois  de  la  date  d'icelles>  que  rimprefTion 
dudit  Ouvrage  fera  faite  dans  notre  Royaume 
&  non  ailleurs,  en  beau  papier  &  beaux 
ç:araftèfçs ,  conformément  aux  Règlemens 


de  la  Librairie ,  &  notamment  à  celui  dtt 
lo  Avril  lyz^ ,  à  peine  de  déchéance  du 
prcfent  Privilège  ;  qu'avant  de  les  expofef 
en  vente  5 le  manufcrit  qui  aura  fervi  de  copie 
à  rimpreflîon  dudit  Ouvrage^  fera  remis, 
dans  le  même  état  où  l'Approbation  y  aura 
été  donnée  ,  es  mains  de  notre  très-cher  & 
féal  Chevalier^  Chancelier  de  France^  le  fieur 
D£  Lamoignon  3  &  qu'il  en  fera  enfuite  remis 
deux  exemplaires  dans  notre  Bibliothèque 
publique  ^  un  dans  celle  de  notre  Château ^du 
Louvre  3  un  dans  celle  de  notredit  /leur  db 
Lamoignon  ,  &  un  dans  celle  de  notre  très- 
cher  &  féal  Chevalier  ,  Vice-Chancelier  8c 
Garde  des  Sceaux  de  France ,  le  Sieur  de 
Mauplou:  le  tout  à  peine  de  nullité  des  pré- 
fentes 5  du  contenu  defquelles  vous  mandons 
&  enjoignons  de  faire  jouir  ledit  Expofant 
&  fes  ayans  caufes,  pleinement  &  pailîble- 
ment  3  fans  foufïlir  qu'il  leur  foit  fait  aucun 
trouble  ou  empêchement.  Voulons  que  la 
copie  des  préfentes  ^  qui  fera  imprimée  touc 
au  long  au  commencement  ou  à  la  En  dudic 
Ouvrage  ^  foit  tenue  pour  dûement  fignifiée  , 
&  qu'aux  copies  collationnées  par  l'un  de 
nos  amés  &  féaux  Confeillers- Secrétaires, 
foi  foie  ajoutée  comme  à  Toriginal  :  Com- 
mandons au  premier  notre  Huiffier  ou  Ser- 
gent fur  ce  requis,  de  faire  pour  l'exécution 
d'icelles ,  tous  aftes  requis  &  nécefl'aires  y 
fans  demander  autre  pçrmiffion ,  &  nonobf-* 
tant  clameur  de  Haro,  Charte  Normande 
&  Lettres  à  ce  contraires  :  car  tel  eft  notre 
plaifir.  Donné  à  Verfailles  le  cinquième  jour 


fàvi  mois  de  Janvîer.ran  de  grâce  milfept  cent 
foixarlte -huir^  &  de  notre  Règne  le  ciii^ 
quante-troifième.  Par  le  Roi  en  fon  Confeil. 

Signe  LE  BEGUE. 

Regijlré  fur  le  Regîftre  XVII  de  la  Chambre 
royale  (Jr  Jyndicale  des  Libraires  £r  Imprimeurs  dz 
Paris  jTi,^  1675  ^fol.  355,  conformément  au  Règlement 
dt  I725.  A  Paris  ce  15  Janvier  1768. 

G  A'NLAV,  Syndic,    - 

Je  foufîîgné,  reconnoîs  que  MM.  Brias^on  &  îe 
Bketon  ,  font  întérelTés  chacun  pour  un  quart  dans 
le  préfent  Privilège  ,  fuivant  les  conventions  faites 
««tre  Nous.  A  Paris  ^  ce  2^  Mai  17^8.  Hérissant  iils* 


pie' 


La  Bibliothèque 
Université  d'Ottawa 
EchéaQce 


The  Library 
University  of  Ottawa 
Date  due 


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