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Digitized by the Internet Archive
in 2011 with funding from
University of Toronto
http://www.archive.org/details/logiqueetprinciOOduma
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BlBLiOTHECA
LOGIQUE
Ë T
PRINCIPES
DÉ GRAMMAIRE.
LOGIQUE
E T
PRINCIPES
DE GRAMMAIRE^
Par M. DU Marsais.
Ouvrages pojlhumes en partie j & en partit
extraits de plujteurs Traités qui ont ^éja paru
de cet Auteur,
À PARIS,
Briasson, Libraire > rue S, Jacques;
^- j Le Breton , premier Imprimeur du Roi\'
rue de la Harpe.
Hérissant Fils 5 Libraire, rue S. Jacques^;
M. DCC LXIX.
^vcç Approbation & Privilège du RoU
ryi^il
A VIS
DE L'ÉDITEUR.
lE Public n'a pas une en-,
tière confiance dans les Ou-
vrages pofthumes -, de fes fpup-
^ons, à cet égard, ne font
que trop fouvent fondes. Quel-
quefois ces fortes d'ouvrages
font imprimes fur des copies
inexades ou fur des fragmens
interceptés, qu'on réunit le
mieux qu'il eft polTiblej,&:
d'ailleurs il n élit pas fans exçni-
<2 3
vj AVIS
pie quun livre, qui etoit bon
en fortant des mains de fou
auteur, fe foit trouvé au-def-
{bus du médiocre à force d'être
corrigé par une main étran-
gère. \]i\ Editeur efl flaçé
d'ajouter quelque chofe du
fien àfon original j mais il faut
être bien sûr de ioi-même pour
confondre fes propres idées
avec celles d'un Ecrivain dont
la réputation eft faite.
Pour diffiper les doutes qui
pouroient naître par rapport
aux deux ouvrages de feu M.
duMarfais, que nous donnons
t^n [Public, nous croyons de^
DE L'ÉDITEUR, vij
voir dire ici comment ils nous
font parvenus.
Vers l'année 1745, M. du
Marfais fe lia d'amitié avec
M. de Rochebrune, Commit-
faire au Châtelet. Cette liaifon
fe fortifia dans la fuite y par la
conformité de leurs goûts pour
un même genre d'études \ ôc le
Philofophe voulut témoigner
à fon ami l'afFedion qu'il lui
portoit i par un préfent qui fût
analogue au motif qui les
uniffoit. Ce préfent fut long-
temps attendu _, on en parloit
toujours j mais enfin il fut
fait en 1750. ce Je crois qu«
a 4
viij A FI s
a> cet ouvrage vous fera beau*
93 coup de plaifir, dit M. du
M Marfais à M. de Rochebrune
M en lui donnant fa Logique :
M acceptez-le comme un gage
93 de mon eftime pour vous..,,
03 Je veux que vous en dif
«> pofiez comme dune çhofe
03 qui vous appartient. 33 Le
fragment fur les Caufes de la
parole a été pareillement don^
ne à M. de Rochebrune:, par
fauteur, en une autre çircon^
fiance.
La liaifon de c€s deux
amis fubfifta jufqua la mort
die M. du Marfais, arrivée au
DE V ÉDITEUR, ix
mois d'août 1756. Dans cet
intervalle ils eurent occafioa
de revoir plufieurs fois le ma-
iiufcrit qui contenoit la Logi-
que \ ôc Fauteur y fit les clian-
gemens ou additions nécefTai-
res. C'eft fur ce manufcrit,
dont M. de Rochebrune à
fon tour ma fait prelent, que
cette édition eft faite.
Nous venons de voir que
M. du Marfais étoit content
de fon ouvrage j &c les per-
fonnes qui l'ont connu ^ & qui
favent combien il étoit difficile
fur fes produ61:ions, s'en rap-
porteront volontiers à fon fuf-
X "AVIS
frage. Ceux qui n'ont point
connu notre auteur _, ne feront
pas fâches de trouver ici , fur la
Logique de M. du Marfais , le
fentiment d'un homme célèbre,
d'un Philofophe que le Nord
nous a envié, & qui a pré-
féré aux honneurs & à la for-
tune qui l'attendoient ailleurs,
la gloire, plus defirée d'un
fage , d être utile à fa patrie.
ce II avoit compofé pour
35 l'ufage de fes élèves , ou pour
M le fien, d'autres ouvrages
>3 qui n'ont point paru. Nous
>5 ne citerons que fa Logique
93 ou Réflexions fur les opéra-
DE V ÉDITEUR, xj
33 tions de Teiprir. Ce traité
05 contient , fur lart de raifon-
03 ner, tout ce qu'il eft utile
ô> d apprendre j & fur la me-'
03 taphyfique y tout ce qu'il eft
03 permis de fa voir ^. a^
Ces deux fuffrages femblent
garantir celui de la plus faille
partie du Public.
* Éloge dç M. du Marfais , par M.
d'AIembert, tome 1 1 do fes Mélanges de
Littérature, d'Hiftoire & de PhUofophie,
pag. 11 6.
Nota. On ne trouvera point ici l'hottogiaphe particulière
dont fe fervoit l'Auteur : il a paru plus convenable de fuivrc
l'Académie dmis uii ouvrage didaftiquc.
xi;
TABLE
DES TITRES
Contenus dans ce Volume.
IjOGIQUE ^ ou RÉFLEXIONS fur IcS,
principales opérations de Vtfprit^ p^ge i
Article I. Dt la diQérence de range & de
Vame humaine j 4
Art. II. De la diftinciion de Vame &
du corps j 5
Art. IIL De V union de Vam,e & du
corps jy 7
Art. IV. Des propriétés de Vame y 8
Art. V. Des quatre principales opéra--
tions de Vefprit ^ 25
Art. VI. Remarques fur Vidée j 31
Art. VIL Du Raifonnement ^ 38
Art. VIII. Du Syllogifme ^ 41
Art. IX. Obfervations fur le fondement
du Syllogifmcjy 4î>
Art. X, De la matière du Syllogifmc^ 5 6!
DES TITRES, xiij
Art. XI. Fondement du Syllogifme ^ 5 8
Art. XTI. Règles du Syllogifme j 6z
Art. XIII. Des Sophifmes j 70
Art. XIV. Des différentes manières de
raifonner j 148
Art, XV. De TEnthymèmej 151
Art. XVI. Du Dilemme ^ 155
Art. XVII. Du Sorite _, 157
Art. XVîlî. t)e V Induction:, 159
Art. XIX. ^Conclujion ^ i6q
Akt. XX. De la Méthode j 16^
Art. XX l. De la méthode des GéO'*
mètres j, 166
Principes de Grammaire j ou
' Fr^gMens fur les Caufes de la
parole j i6ç)
De la Construction 'Gramma-
ticale j 229
I. De la Çonfiruclion firnple ^ 255
II. i5d la Çonfiruclion fl^ré^ ^ 251
l.VEllipfe, :>,,. z)7
IL Le PUonafme , 271
III. La Syllepfe ou Synthife^ 275
IV. VHyperbate , 27;
V. L^HellenifmCj ôcc, 2S0
VI. UAttraclion^ 283
xîv TABLE
ÎIL De la Conjlruclion ufuelle j i%é
Du Difcours conjidéré grammaticalement^
& des parties qui le compofent j 294
De la Période j 307
IV. Propq/ition principale ^ 5 1 5
,V. Propojition explicite jy ^ij
iVI. Propojition conjidérée grammaticale^'
mentj ^it
Table des divers noms que Von donne aux
propojitions ^ aux fujets & aux attri^
iutSj ^ij
Deux raports généraux entre les mots y
dans la conjlruclion. $ 3 1
î. Raport d^ identité y ibid.
IL Raporù de détermination y ibid»
^Autres remarques pour bien faire la con^
Jlruclion^ 341
Idylle de Madame Deshoulières y les
Moutons > 947
ConftruSion grammaticale & raifonnée fur
cette Idylle j 34^
Obfervations fur ce que les Grammairiens
appellent Difconvenance > 385
De l'Article y 35c
Des Noms propres j 448
Des Noms de pays ^ 456^
DES TITRES, xr
Noms conflruits avec V article ou prénom ^
fans prépojîtion , 47 1
Noms conflruits avec la prépojîtion & /'^r-
ticlcy 47^
'Remarques fur Vufage de P article y quand
Padjeâif précède lejuhflantify ou quand
il eft après le fuhflantif, ibid»
Observations sur les Lettres
DE l'Alphabet j 49Ç;
De la lettre £> 55c
I>ES Diphtongues j 55 j
Des Accens^ 568
Des noms Adjectifs ^ 583
Du Comparatif j éio
De5 Cas j 614
Observations sur les Verbes ^
Des Verbes auxiliaires 3 ibîcî»
Des Conjugaisons j ^58
Des Prépositions j & en particulier
de la prépojîtion A> ^49
De l'Adverbe j 659
Des Conjonctions j 6711
De ce quon appelle Accident ^ en ter-^
mes de Grammaire^ ^8$,
Fin de U T^blc,
lOGlQUEj
LOGIQUE,
O V
RÉFLEXIONS
Sur les principales opérations,
de VEfprit.
Dieu a tiré du néant deux
fubftances, la fu-bftance fpirituelle,
& la fubftance corporelle.
Par la fubftance fpirituelle, on
entend celle qui a la propriété de
penfer, d'apercevoir, de vouloir,
de raifonner &c de fentir, c'eft - à-
dire, d'avoir desaftedionsfenfibles,;
A
& Œuvres pofthumes
On ne diftingue que deux fortes
de fubftances fpirituelles créées j
favoir, lange , & lame humaine.
A l'égard des anges, nous n'en
favons que ce que la foi nous en
enfeigne. Comme les anges font
des fubftances fpirituelles 5 ils ne
peuvent point affeder nos fens, &,
par conféquent, ils font au-delTus
de nos lumières naturelles j & c'eft
un axiome reçu de tous les favans,
qu'à regard des anges , la foi nous
en apprend fort peu de chofes, l'i-
magination beaucoup, &: la raifon
rien: en efïet, le peuple en raconte
une infinité d'hiftoires fabuleufes.
Au refte , par ce mot ange ^ on
entend les anges bons & les anges
mauvais , c'eft - à-dire , les démons*
Les opérations des uns bc des autres
■JeM. du Marfais. 'f
kie nous font connues que ^par îa
foi.
A Fégard de Famé, c'eft à-dire^
de cette fubftance qui penfe eu
nous, qui aperçoit, qui veut, qui
fent , nous ne la connoifTons que par
le fentiment intérieur que nous
avons de nos penfées, de nos per-
ceptions, de nos vouloirs ou volon-
tés, & de nos fentimens de plaiiit
ou de douleur.
Ainiî, remarquez que nous ne
connoifTons point la fubUancé de
famé. Nous ne connoifTons Tame
que par le fçntiment intérieur que
nous avons de fes propriétés d'aper«
eevoir^ de vouloir & de fentir.
m
A %
(ouvres pojlhumes
Article premier.
De la différence de Vange-^ ù de
Vdme humaine.
Toute la différence que les fa-
vans mettent entre lange &: Tame
humaine , c'eft, difent ilsj que Tange
eft une fubftance complète, f^^f"
tantia compléta^ & que i'ame eft
une fubftance incomplète , f^i^f-
tantia incompleta; c'eft-à-dire, que
l'ange a tout ce qu'il faut pour être
ange , & exifte indépendamment de
toute autre fubftance; au lieu que
l'âme humaine doit être unie au
corps: c'eft ainfi qu'un pied & une
main ont relation à un corps; en
un mot, l'ange eft un tout ^ au lieu
de M. dit Marfals. y.
que lame humaine neft qu'uiiq
partie.
Article IL'
De la dijimcîion de Vame 0 du
corps.
Xi A foi nous enfeîgne que Famé
eft diftinguée du corps^de la même
dillindion qu il y a entre une fubf-
tance & une autre fubftance, & non
de la diftindion quil y a entre une
fubftance & fes propriétés.
Voici la preuve que Ion doni:^
de la diftindion de lame & du
corps par les lumières de la raifon:
Un être eft diftingué d'un autre
être quand l'idée que j'ai . de Tua
eft différente de celle que j'ai d^
W (ouvres pofihumes
Tautre, & fur -tout Icrfque l'une eft
incompatible avec Tautrej Tidée
que j'ai du foleîl efl différente de
l'idée que j'ai de la terre: donc le
foleil & la terre font deux fubftances
différentes.
La diftindion fera encore plus
grande 5 fî une idée exclud l'autre
idée, par exemple, l'idée du cercle
exclud l'idée du carré : or l'idée que
nous avons de l'étendue renfermq^
l'idée de parties 5 de longueur , de
largeur & de profondeur, &: elle
exclud l'idée de penfée 6c de fenti-
ment; donc ce qui eft étendu eft
diftingué de ce o^ipenfe ; de même
î'idée que nous avons de la penfée
ne renferme point l'idée de l'éten-
due, ôc mçme l'excludj ainjfi, l'ame
^tant çn n,ous Xètre quipenfe^ n'cft
de M. du Marfah. 7
pas ïêtre qui efl étendu ; &c le corps
étant en nous ïêtre étendu y n eft
pas ïttre qui penfe ^ parce que
ridée de iun n'eft pas l'idée dç
l'autre.
Article II L
De V union de Vame & du corpsi
On ne conçoit pas comment mt
être purement fpirituel, c'eft-à-dirCy
penfant fans être étendu ^ peut être
uni à un corps qui eft étendu & ne
penfe point. Nous ne pouvons pas
cependant douter de cette union ,
puifque nous penfons 6c que nous
avons un corps.
Cette union eft le fecret du Créa^
teur» Tout ce que nous en favons>
A4
?8 (Ruvres pofihumes
c'eft qu'à roccafion des penfées &
des volontés de lame, notre corps
fait certains mouvemens, & que
réciproquement, à Toccafion des
mouvemens de notre corps , notre
ame a certaines penfées & certains
fentimenSj, le tout conformément
aux loix établies par l'Auteur de
la nature. Ce font ces loix qu'on
appelle les loix de l'union de Vamt
& du corps.
Article IV-
Des propriétés de Vante.
J^^ous ne connoiflbns lame &
fes propriétés, que par le fentiment
intérieur que nous en avons. Nous
/entons, & même nous avons un
de M. du Marfais. ^
rentîment réfléchi de nos fenfations}
nous fentons que nous fentons.
Ce fcntimenc intérieur eft la
propriété la plus étendue de lame*
Le corps eft incapable de fentimentj
c'eft Tame feule qui fent.
De -là eft venue l'opinion des
Cartélîens, qui ont imaginé que
les bctcs n'ctolciic que de fîmples
automates, comme le Auteur & le
canard de M. de Vaucanfonj car,
difent-ils, fi les bêtes fentent, elles
ont une ame j iî elles ont une ame;
elles font capables de bien & de
maU &5 pai-^ conféquent, de récom-
pcnfe & de punition j d'où il s'en-
fuivroit, continuent -ils 5 que Tame
des bêtes feroit immortelle.
Mais quand nous parlons des
propriétés de Famé ? nous ne parlons
t o (Euvfes pojîhumcs
que de lame humaine. Ce qui fc
pafle dans les bêces eft connu de
Dieu, dont la puifTance infinie peut
avoir fait des âmes de différens or-
dres, dont les unes feront immor-
telles & les autres mortelles : les
unes connoîtront le bien & le mal,
& les autres n'en auront aucune
connoiflancc-Il y a différcns ordres
dans les anges; il y a différens de-
grés de lumière parmi les âmes des
hommes; &: ne convient-on pas que
les imbécilles , les infenfés , & même
les enfans jufqua un certain âge^
font incapables de bien & de mal?
Avant Defcartes^ les anciens &
les modernes ont cru que les ani-
maux avoient le fentiment de la
vue , de l'ouie , &c. & qu'ils étoienc
fenfibles au plaifir &: à la douleur*
de M. du Marfais: 1 1
Je ne fais que vous me voyez , que
parceque je vois que vous avez des
yeux comme les miens 5 & que vous
agilTez en conféquence des impref-
iîons que vos yeux reçoivent : je
remarque les mêmes organes & la
même fuite d'opérations dans les
animaux.
Obfervez deux fortes de fentî-
îTient: i.^lun que nous appelons 5
fentiment immédiat^ & l'autre que
XiOM%2i^^z\ovi^^fentiment médiat.
Le fentiment immédiat; eft celui
que nous recevons immédiatement
des impreflions extérieures des ob-
îets fur les organes des fens.
%? Le fentiment médiat 5 eft la
réflexion intime que nous faifons
fur rimpreiïîon que nous avons
reçue par le fentiment immédiat^
a 2; Œuvres pojthumes
C'efl: le fentiment du fentîment. Il
cft appelle fentiment médiat , par-
cequ'il fuppofe un moyen, & ce
moyen eft le fentiment immédiat*
Quand jai vu le foleil^ ce fentiment
que le foleil a excité en moi par lui-
même 5 eft ce que nous appelons le
fentiment immédiat ^ parce que ce
fentiment ne fuppofe que Tobjet &
Torgane. Le fentiment que je reçok
à Toccafion d'un inftrument de mu-
fique, cft un fentiment immédiat ^
parcequ il ne fuppofe que Tinftru-
ment & les oreilles.
Mais les réflexions intérieures
que je fais enfuite à Toccafion de
ces premiers fentimens, fe font par
un fentiment médiat j c'eft-à-dire>
par un fentiment qui fuppofe ua
fentiment antérieur.
de M. du Marfais. i 3
Lame n'a cette faculté de fentir,
foit immédiatement , foit médiate-
ment, que par les différens organes
du corps y félon les loix de Funion
établies par le Créateur.
Elle fent immédiatement par les
fens extérieurs, & elle fent média-
tement par les organes du fens in-
térieur du cerveau.
Un fens extérieur eft une partie
extérieure de mon corps , par la-
quelle je fuis aflFeilé de manière, que
toute autre partie de mon corps ne
m'affedera jamais de même. Ainfî,
je ne vois que par mes yeux, & je
n entends que par mes oreilles.
On compte ordinairement cinq
fens extérieurs : la vue , fouie , le
goût, le toucher & l'odorat.
La vue, aperçoit la lumière &
î 4 Œuvres pofihumes
les couleurs i Fouie , eft affectée pac
les fons, le goût, par les faveurs,
Todorat , par les odeurs j enfin lé
toucher, par les différentes quali-
tés tadiles des objets : tels font la
chaleur, le froid , la dureté , la mol-
leffe^la propriété d'être ou de n'être
pas poli, & quelques autres femblai
blés, s'il y en a.
La ftrudure des fens extérieurs
eft digne de la curiolîté d'un Philo-
fophe : il fufEt de remarquer ici que
les nerfs, par lefquels toutes les fen-
fations fe font, ont deux extrémi-
tés j l'une extérieure, qui reçoit Tim^.
preflîon des objets y & l'autre inté-
rieure , qui la communique au cer-
veau.
Le cerveau eft une fubftance mol^
le, plus ou moins blanchâtre, com*
de M. du Marfais. 1 5
pofée de glandes extrêmement peti-
tes 5 remplies de petites veines capil-
laires i elle eft le réfervoir & la fource
des efprits animaux. Tous les nerfs
par lefquels nous recevons des im-
preffions ^ aboutiflent au cerveau j &
fur-tout à cette partie du cerveau
qu'on appelle le corps calleux ^ que
Ton regarde comme le fiége de
Tame.
De la variété qui fe trouve dans
la confîftance 5 dans la nature &
dans Tarrangement des parties fines
qui compofcnt la fubftance du cer-
veau 5 vient la différence prefque
infinie des efprits 5 fuivant cet
axiome ) que tout ce qui eji reçu y
ejl reçu fuivant la difpojition ù
Vétat de ce qui reçoit. C'eft ainfi
<^ue les rayons du foleil durciflenc
ï 6 Œuvres pojihumes
la terre glaife, & amollirent la
cire.
Quand les imprefîions des objets
qui aftedent la partie extérieure des
fensj font portées par Textrémité
intérieure des nerfs fenfuels dans la
fubllance du cerveau , alors nous
apercevons les objets; & c'eft là
une impreffion immédiate.
Cette première impreffion fait
une trace dans le cerveau, & cette
trace y demeure plus ou moins,'
félon lamollefTe ou la folidité de la
fubftancedu cerveau. Quand cette
trace , ce pli > cette impreffion efl
réveillée par le cours des efprits
animaux ou du fang, nous nous
rappelons l'idée première ou im-
médiate i & c eft ce qu on appelle
mémoire.
Cell
de M, du Marfais. . 1 7
Ceft par le fecours de ces traces
ou veftiges ^ qu'en réfléchifTant fur
nous-mêmes 5 nous fentons que nous
avons fentij & c'eft ce fentiment
réfléchi ^ que nous appelons idée
médiate „ puifqu elle ne nous vient
que par le moyen des premières
impreffions que nous avons reçues
par les fens.
Après que nous avons reçu quel-
ques impreffions par les yeux, nous
pouvons nous rappeler l'image des
objets qui nous ont afFedés. On
appelle cette faculté , imagination.
C eft encore un effet des traces qui
font refiées dans le cerveau.
Nous ne faurions nous former
des idées 5 ni des images deschofes,
qui, précédemment, nauroientfaic
aucune impreffion fur nos fens \
B
1 8 Œuvres pojihumes
mais voici quelques opérations que
nous pouvons faire à l'occafion des
impreffions que nous avons reçues*
K^ Nous pouvons joindre en-
lemble certaines idées. Par exem-
ple , de l'idée de montagne & de
ridée d'or, nous pouvons nous ima^
giner une montagne d'or.
2*^ Nous pouvons nous former
des idées par ampliation , comme
lorfque de l'idée de l'homme , nous
nous formons l'idée d'un géant.
3.^ Nous pouvons auiîi nous for-
mer des idées par diminution ,
comme lorfque de l'idée d'un hom-
me^ nous nous formons l'idée d'un
nain ou d'un pigmée.
4.° La manière médiate la plus
remarquable de nous former àc^
idées p eft celle qui fe fait par abf-
de M du MarfaiS. ï ^
XtQidàoTi. Ab/lraire , c'eft tirer ^ fépa-
rer-, ainfi^ après avoir reçu des im-
preflioiis duii objec>nous pouvons
faire attention à ces impreffions ,
ou à quelqu'unes de ces impreffions,
fans penfer à l'objet qui les a eau-
fées. Nous acquérons > par Tufage
de la vie 5 une infinité d'idées par-
ticulières 5^ à Foccafion des impref-
fions fenfibles des objets qui nous
affedent. Nous penfons enfiiite,
féparémcnt & par âbftradion , à
quelqu'une de ces impreffions, fans
nous attacher à aucun objet. Nous
avons fouvcnt compté des corps
particuliers : de-là Tidée des nom-
bres 5 auxquels nous penfons en*-
fuite, & dont nous raifonnons pat
âbftradion , c'eft-à-dire, fans penfet
â aucun corps particulier j comme
't o CE livre s pofthumes
quand nous difons : i & z font 4 s
I ajouté à 5 fait 6 : z font à 4,
comme 4 font à 8; Ceft ainlî que
quand on parle de la diftance qu'il
y a entre une ville & une autre ville,
on ne fait attention qu'à la longueur
<lu chemin, fans avoir aucun égard
à la largeur , ni aux autres circont
t-xnccs du chemin* • *
Ceft par cette opération de lef-
|>rit que les Géomètres difent que
la ligne n'a point de largeur, & que
le point n'a point d'étendue. Il n'y
a point de lignes phyfîques fans
largeur, ni de points phyfîques fans
étendue : mais comme les Géomè^
très ne font ufage que de la lo$i-f
gueur de la ligne , &: qu'ils ne re-
gardent le point que comme le
terme d'où l'on part , ou celui où
de M. du Marfais. if-
Ton arrive , fans aucun befoin de
rétendue de ce terme^ou de cette
borne i ils difenr, par abftradion^
que la ligne n'a point de largeur, &
que le point n a pas d étendue.
Obfervez que toutes ces maniè-
res de penfer , par réminifcence ,
par imagination, par ampliation,
par diminution , par abftrafition ,.
&c. fuppofent toujours des impref-
fîons antérieures immédiates.
La volonté 5 ceft-à-dire, la fa-
culté que nous avons de vouloir,
ou de ne vouloir pas , eft auiîî une-
propriété de notre ame. On ob-
ferve encore ce que les Philofophes
appellent ï appétit fenjiùf; c'eft-à-
dire , ce penchant que nous avons
pour le bien fenfible , & leloigne-
raent que nous avons pour tout ce
B i
1 i Œuvres pofihumes^
qui nous afFede défagréablemeivt l
Si pour tout ce qui eft fenfiblement
oppofé à notre bien-être & à notre
confervation.
Il y a fur-tout quatre opérations,
de notre efprit qui demandent une
attention particulière.
K^ L'idée > qui comprend auiïi
Timagination.
1.^ Le jugement.
3.^ Le raifonnement^,
4.^ La méthode.
L'abftradian eft: donc , pour ainfî
^ircjle point de réunion félon le-
quel notre efprit aperçoit que cer-
tains objets conviennent entre eux..
Ceft le réfultat de la rcfleniblançe
des individus*
L'abftradion fe fait donc par un
point de Yue de; l'efprit, qui , à
de M. du Marfais. i 5
Toccafion de runiformité ou ref-
femblance de quelques imprcflîons
fenfibles, fait une réflexion, à la*
quelle il donne un nom , par imi-
tation des noms que nous donnons
aux objets réels.
Par exemple 5 nous avons vu plu-
(îeursperfonnes mourir, nous avons
inventé le nom de mon ; & ce
nom marque le point de vue de
lefprit qui confîdèrc , par abftrac-
tion , l'état de lanimal qui cefle de
vivre. Tous les animaux convien-
nent entre eux par rapport à cet
état i & lorfque nous confîdérons
cet état fans en faire aucune appli-
cation particulière , cette vue de
notre efprit eft une abftradion. On
parle enfuite de la mort^ comme
d'un objet réclj mais il n'y a de
B4
44 (S^uvrcs pojlhumes
réel que les êtres particuliers , qui
cxiftent indépendamment de notre
efprit : tous les autres mots ne mar-
quent que des points de vue, oa
coniidérations de Tefprit 5 & le
terme général étant une fois trouvé ,
nous pouvons en faire des applica-
tions particulières , par imitation
de lufage que nous faifons des mots
qui marquent des objets réels. Ainfî,
comme nous difons Xhabit de Pier*
re^ la main de Pierre y^ nous difons
auflî la mort de Pierre^ \2l probité ^
Ufiience , &c. de Pierre.
%
de M. dit Marfais.
Article V,
Des quatre principales opérations
de l^efprit.
Jl AR ce mot 5 ^fp^^^ ^ ^^ entend
ki la faculté que nous avons de
concevoir & Ôl imaginer. On Tap-
pelle auiîî entendement.
Toute afFedion de notre ame par
laquelle nous concevons^ ou nous
imaginons ^ eft ce qu'on appelle
idée. Idée^ en général , eft donc
un terme abftrait. C eft le point de
réunion auquel nous rapportons
tout ce qui n'eft qu'une limple con-
iîdération de notre efprit.
Nous ferons enfuite des applica-
tions particulières de ce mot idée.
z 6 (Kuvres poflkumes
Lorfque Je ne fais que me repré-
fenter un triangle , cette affedion
de mon efprit, par laquelle je me
repréfente le triangle y eft appelée
Vidée du triangle.
Idée y eft donc le nom que je
donne aux afFedions de lame qui
conçoit , ou qui fe repréfente un
objet, fans en porter aucun juge-
ment.
Car fi je juge, c'eft-à-dire, fi je
penfe , par exemple , que le triangle
à trois côtés, je pafle de ïidée au
jugement.
hc jugement eft donc auflî ua
terme abftraitj c'eft le nom que
Ton donne à l'opération de lefprit >
par laquelle nous penfons qu'un
objet efiy ou nefl pas de telle ou
telle manière.
de M du Marfais. 17^
Tout jugement fuppofe donc
Xidée ; car il faut avoir l'idée d'une
chofc 3 avant que de penfer qu elle
eji^ ou qu elle vlefl: pas de telle ou
telle manière.
'Lz jugement fuppofe néceflairc-î
ment deux idées : fidée de Tobjet
dont on juge, & l'idée de ce quoa
juge de l'objet. Il y a de plus dans
le jugement une opération de Tef-
prit par laquelle nous regardons
l'objet, & ce que nous en jugeons,
comme ne faifant qu un même tout.
Nous unifions, pour ainfî dire, lun
avec Taucre.
L'objet dont on juge s'appelle le
fujet du jugement ; &c quand le ju-
gemcnt eft exprimé par des mots ,
l'ailemblage de tous ces mots, qui
font lexpreflion du jugement, eft
1 8 (Kuvres pojihumes
appelé propojition ; & alors les
mots qui expriment l'objet du juge-
ment font appelés Ije fujtt de la
propojition.
Ce que Ton juge de ccfujet^ efii
appelé ï attribut ^ip2i^cc que ceft ce
que Ton attribue au fujet. On lap-
pelle aufïî le prédicat y parcequc
c eft ce qu'on dit du fujct , dont la
valeur emporte avec elle le ligne
ou la marque que Ton juge \ c'eft-à-
dkc y que Ton regarde un objet
com.me étant de telle ou telle façon :
ain(î le verbe eji^ eft le mot de la.
propofition qui marque expreffé-
ment l'action de Tefprit qui unit un
attribut au fujet.
Le verbe eft une partie efTcn-
tielle de l'attribut. La terre est
rçndc : ces trois mots forrpentune-
de M. du Marfais. 19
propoficion j c'eft-à-dire , qu'ils font
renoncé du jugement intérieur que
je porte , quand je penfe que la
terre efi ronde.
La terre eft le fujet de la propo-
fitionj car c'eft de la terre dont on
juge.
Eft ronde ^CQMzttnhut y & dans
cet attribut, il y a le verbe eft^ qui
fait connoître que je juge que la
terre eft ronde 5 c'eft-à-dire , que je
regarde la terre comme étant ou
cxiftant ronde.
Le jugement eft une réflexion
ou attention par laquelle nous ex-
' primons les afFedions que les objets
ont faites en nous : nous difons ce
que nous avons fenti. Le ft)leil eft
lumineux ; j'exprime que le foleil
a excité en mpi le fentimenc de
$ ô (Êuvres pofthumc$
lumière. Le fucre efl doux ; ]c%r
prime que le fucre m'a afFedé par
fa douceur.
Il n'eft pas inutile de remarquer
que l'on diftingue ordinairement
deux fortes de jugemens j l'un ,
qu on appelle yz^^^/;2^/2r affirmadf ;
c eft la réflexion que je fais fur ce
que j'ai réellement fenti. Le fucre
efl doux ; je me rends à moi-même
le témoignage que le fucre a excité
en moi le fentiment de douceur.
L'autre forte de jugement s'ap-
pelle jugement négatif : en réflc-
chiffant fur moi- même , j'obferve
que je n'ai pas fenti , & que je n'ai
pas reçu l'impreflion que le juge-
ment afîirmatif fuppoleroit.
Ce jugement fe marque dans le
langage ou dans la propofition , par
de M. du Marfah. 3 1
les particules négatives > non^ne^
pas^ ou point; par exemple ^ le fucré
Yiefl point amer.
Il y a une affirmation dans tout
jugement négatif, en ce qu'on af-
firme ou afTure qu'on n'a pas fentî.
Article VI.
Remarques fur Vidée.
Les Philofophes diftinguent plu-
(leurs fortes d'idées, ou perceptions;
Les idées qu'ils appellent adven-
tices 5 ce font celles qui nous vien-
nent immédiatement des objets,
comme l'idée du foleil , & toutes
les autres idées immédiates. Ce mot
adventices , vient du latin ADVE^^
:njre ^ arriver^
3 z ouvres pojlhiimes
Il y a d'autres idées qu'on ap-
pelle faclices ^ du mot latin FA*
CERE 5 faire : ce font celles que
nous faifons par ampliation, dimi-
nution, &c. comme lorfque nous
imaginons une montagne d'or.
Quelques Philofophesdifent qu'il
y a des idées innées y c'eft-à-dire,
nées avec nous, mais nous croyons
que fi l'on y fait bien attention , que
fi on veutprendrelapeinedefe rap-
peler l'hifloire de fes idées dès la pre^
mière enfance, on fera convaincu
que toutes les idées font adventices,
&: qu'il n'y a en nous d'z/z/z/^, qu'une
difpofition, plus ou moins grande ,
à recevoir certaines idées. Ainfi
ce principe , qu'/7 faut rendre a
chacun ce qui lui eft dû y n'eft pas
un principe inné i il fuppofe l'idée
acquife
de M. du Marfaïs. '5 )^
àcquife de rendre ^ Tidée de devoir^
& l'idée de chacun : idées que nous
acquérons dès Tenfauce , par Tufage
de la vie.
Mais ce principe eft bien plus
facilement entendu , qu'un principe
abftraitde métaphyiîque. La nécet-
lîté de la confervation de la fociété
& notre propre intérêt, nous font
aifément entendre que tout feroic
bouleverfé, fi on ne rendoit pas à
autrui ce qui lui appartient.
Les créatures nous élèvent aifé-'
ment à la connoiffance du Créa-
ceur, fans qu'il foit néceffaire que
l'idée de Dieu foit innée ; & ii nous
voulons nous rappeler de bonne
foil'hiftoire de notre enfance, nous
avouerons que nous ne fommes
parvenus à l'idée du Créateur, qu'a-
Ç
34 (Euvres pofihumes
près que notre cerveau a eu acquis
une certaine coniîftance , & qu'a-
près que nous avons eu obfervé des
caufes & des effets.
Les idées abftraites, telles que
de couleur en général , ai être , de
néant y de vérité^ de menfonge^ font
une produdioa de nos réflexions.
Nous avons inventé ces mots, pour
marquer l'uniformité qui fe trouve
entre certaines impreiîîons. Tous
les objets blancs font en moi une im-
preffion femblablc : je réalife , en
quelque forte , cette manière de
m'affederi& la considérant, pour
ainfi dire > en elle-même & fans
aucune application particulière, je
l'appelle blancheur. Ces idées abf-
traites peuvent être rapportées à la
claffe des làicsfacîiccs.
de M. dit Marfais. 3 5
îi y a des idées qu'on appelle
claires ^ Si d'autres qu'on appelle
confufes. Les idées claires y font
celles qu'on aperçoit aifément, &:
dont on embrafle tout d'un coup
toute l'étendue.
A parler cxadement , il n'y a
d'idées confufes , que par rapport à
une idée plus dillinde que nous
avons eue. L'idée d'un homme vu
de loin , eft l'idée claire d'un homme
vu de loin : nous ne devons juger
de ctx. homme que lorfque nous le
verrons de plus près , parcequ il faut
toujours attendre que notre juge-
ment ait la caufe propre & précife
qui doit l'exciter. Mais parceque
nous avons une idée claire & com-
plète d'un homme que nous voyons
de près, nous appelons confufc
$6 (Kuvres pofîhumes
ridée de celui que nous voyons de
loin. Ainfî, à pioprement parler ,
ridée confufe n eft qu'une idée in-
complète ; c'cft-à-dire , une idée ,
une image à laquelle notre expé-
rience & notre réflexion nous font
fentir qu'il manque quelque chofe.
Il y a des idées qu on appelle
accejfoires. Une idée acceJJoire^cQ:
celle qui eft réveillée ea nous à
Toccafion d une autre idc3.
Lorfque deux ou plufieurs idées
ont été excitées en nous dans le
même temps , li dans la fuite l'une
des deux eft excitée , il eft rare que
l'autre ne le foit pas auftij & c'eft
cette dernière que l'on appelle ac^.
cejjbire.
Si l'on parle^par exemple, d'une
ville où l'on, a demeuré, fimage dç
de M. du Marfaîs. 3 7
quelque objet qu'on aura vu dans
cette ville , fe retracera à notre ima-
gination, &r excitera en nous une
idée accejjoire.
Il y a auiîî des idées qu'on ap-
pelle idées exemplaires. Ce font
celles qui fervent, pour ainfi dire,
de modèles à celles que nous rece-
vons dans la fu'te.
L expérience, c'eft-à-dire 5 les îm-
prelîîons extérieures que nous rece-
vons des objets par Tufage de la vie,
&les réflexionsque nous faifons en-
fuite fur QQ,s impreflîons , font les
deux feules caufes de nos idées j tou-
te autre opinion n eft qu'un Roman^
Il faut prendre Thomme tel qu'il eft^,
& ne pas faire des fuppofitions qui
ne font quimaginées. La princi-
pale caufe de ces fortes d'erreurs .i
3? (Kuvres poftkumes
vient de ce qu on réalife de fîmples
abftradions, ou des êtres de raifon.
C'efl: ainfi que le Père Mallebranche
regarde les idées comme des réali-
tés diftindes & féparées de l'enten-
dement qui les reçoit.
Les idées, confîdérces féparément
de notre entendement ^ ne font pas
plus des êtres , que la blancheur
confîdérée par abftradion , indé-
pendamment de tout objet blanc y
ou la figure confidérée indépen-
damment de tout objet figuré*
Article VIL
Du Raifonnement.
I^OMME tout jugement fuppofe
des idées, de même tout raifonne-
de M. du Marfals. 3 5
ment fuppofe des jugemens. Le
raifonnement confifte à déduire, à
inférer , à tirer un jugement d'autres
jugemens déjà connus j ou plutôt à
faire voir que le jugement dont il
s agit, a déjà été porté dune ma-
nière implicite i de forte qu'il n'eft
plus queftion que de le développer,
& d'en faire voir l'identité avec quel-
que jugement antérieur. Cette opé-
ration de l'efprit, par laquelle nous
tirons un jugement d'autres juge-
mens , s'appelle raifonnement. Par
exemple :
Toute perfonne qui veut apprendre 3
doit écouter -,
Vous voulez apprendre :
Ponc vous devez écouter.
Tous ces jugemens pris cnfem-
ble, forment ce qu'on appelle un
C4
^o (Euvres pojîhumes
raifonnemcnt y & en latin DI S^
eu Rsu s.
Les êtres particuliers excitent en
nous des idées exemplaires ; c'eftr-:
à-dire 5 des idées qui font le modèle
des imprefïîons que nous trouvons
dans la fuite , ou femblables ou
différentes. Par exemple , le difque
de la lune , ou quelqu'autre cercle
particulier;, m'a donné lieu de me
former l'idée exemplaire ou géné-
rale du cercle. J'ai donné un nom
à cette idée abftraice : j'ai appelé
cercle toute figure dont les lignes ^
tirées du centre à la circonférence 3^
font égales.
Ainfî, toute figure qui me rap-
pellera la même idée 5 fera cercle.
Tout objet qui excite la même
idée, eft le même, par rapport à
de M. du Marfais: ^. f
cette idée : tout ce qui eft rond eft
rond. Un tel cercle en particulier,
a toutes les mêmes propriétés qu un
autre cercle , en tant que cercle.
Je veux prouver que Pierre eft
animal, je confulte l'idée que j'ai
de Pierre , & l'idée que j'ai d'ani*
mal j & voyant que Pierre excite
en moi l'idée d'animal , je dis qu en
ce point, il eft un de ces individus
qui m'ont donné lieu de me former
îidée d'animal, & que je développe
par cet argument.
Tout être qui a du fentiment & du
mouvement, eft ce que j'appelle
animaL
Or je vois que Pierre a du fentiment
& du mouvement :
Donc il eft animal,
C'eft donc avec raifon que jie
42. (Euvres poftkumes
conclus que Pierre eft animal.
Ce qui efi ^ efl. Une chofe ne
fauroit ctre & rt'ctre pas. Le cercle
eft rond , & en tant que rond , il
n'eft pas quarré j & en tant que
rond , il a toutes les propriétés du
rond.
Ainfî y la règle véritable & fon-
damentale du raifonnement , ou
fyllogifme> eft que le fujet de la
concluûon foit compris dans Tex-
tenfion de l'idée générale à la-i
quelle on a recours pour en tirer
la conclufion.
Article VIII.
Du Syllogifme.
Le Syllogifme eft toujours compor
fé de crois propofîtionsi la première
de M. du Marfais. 43
s'appelle la majeure ^ la féconde
s'appelle la mineure^ & la troifièmc
eft appelée la conféquence.
Dans la première propofition l
on cherche ce qui , de l'aveu de
celui à qui on parle , a la propriété
qui eft en queftion. Dans la fécon-
de 5 on fait voir que le fujet dont il
s'agit, eft un des individus compris
dans l'extenfion de l'idée générale
dont les individus ont cette pro-
priété : d'où l'on conclud, dans k
conféquence 5 que le fujet dont il
s'agit a la propriété qu on lui dif-
pute.
Vous convenez que ce qui eft
chaud, dilate l'air : or, le foleil eil
compris dans l'extenfion de l'idée
générale de ce qui eft chaud : donc
le foleil dilate lair, parcequ'il doit
44 (ouvres pofihumes
avoir les mêmes propriétés que ce
qui eft chaud. Puifque ce qui efi^
efl ; une chofe ne fauroit être &:
n'être pas : puifque le foleil eft
compris dans l'idée générale de
ce qui eft chaud , il doit avoir
les mêmes propriétés en tant que
chaud.
Les deux premières propofitions
du fyllogifme , font appelées pré-
mijjes , c'eft-à-dire , mifes avant la
conféquence.
Si les deux prémifTcs font vé-
ritables y & qu'on en convienne ,
on doit accorder la conféquence :
au contraire , fl les prémifles , ou
quelqu'une des prémifles, neft pas
véritable , alors on nie la confé-
quence.
Il arrive fouvent qu une des pré-
de M. du Mdrfais: 45
ïnifTes eft véritable à quelques
égards, & fauflc à quelques autres
égards : alors la conféquence efl:
véritable , dans le fens que cette
prémifle eft véritable j & elle eft
faufte , dans le fens que cette pré-
mifle eft fauffe.
En cts occafîons, on diftingue
la prémifle i mais on nie la confé-
quence. Quelquefois on la diftin-
gue. Par exemple, fî lorfqu'ii eft
jour, & que le temps eft couvert,
quelqu'un vouloir prouver que les
cadrans folaires doivent marquer
rheure, & qu'il ie fervît de ce fyl-
iogifme :
Lorfque le foleil eft fur notre ho-
rifon, les cadrans folaires marquent
rheure.
*4^ (ouvres pofihume s
Or le foleil eft aduellement fuf
notre horifon :
Donc \qs cadrans folaires doivent ac-
tuellement marquer Theure.
Ce fyllogifme eft en bonne for*
me j mais il faut diftinguer la ma-
jeure de cette forte : lorfque le foleil
eft fur notre horizon ^ & qu'il n'y a
point de nuages qui interceptent
fcs rayons de lumière ^ les, cadrans
folaîres doivent marquer Theure :
jaccorde la majeure. Lorfque le
foleil eft fur notre horizon, &: qu'il
y a des nuages qui interceptent fes
rayons de lumière, les cadrans fo-
laires doivent marquer l'heure j je
nie la majeure : donc les cadrans
folaires doivent marquer l'heure,
a6tuellement que le Ciel eft couvert
de nuages j je nie la conféquencc.
de M. du Marfais. ^47
On fait 5 dans les Ecoles 5 plufieurs
ôbfervations fur la forme des fyllo-
gifmes , comme fur les argumens
en BARBARA OU en BAROCO. Ces
ôbfervations ne font pas d un grand
iifage dans la pratique j quelques
perfonnes les appellent des baga-
telles difficiles, DIFFICILES
La voyelle A^ qui eft dans les
trois fyllabes de BARBARA y marque
que les trois propofîtions qui corn-
pofent l'argument en BARBARA ^
doivent être des propofitions affir-
matives univerfelles 5 parcequ'oneft
convenu que la lettre A feroit le
figne de la propofition affirmative
univerfelle.
JJfent A y negat E ) verum gênera-
liter ambo.
^S (Euvres pojîhumes
AJferlt I, negat O \ fcd panlculai^
riter ambo.
Ceft-à-dire, A affirme , E nîe î
mais l'une & l'autre généralement :
aînfî un fyllogifme en BARBARA^
eft compofé de trois propoiicionç
affirmatives unîverfelles.
Par exemple :
Ceux qui n'étudient point , font igno?
rans \
Les parefîèux n*étudient point:
Donc les parefleux font ignorans.
On a fait des mots artificiels, ou
ces quatre lettres A^E ^I^ Oy font
combinées félon toutes le combi-
naifons poffibles, pour faire voir les
diftérentes efpèces de fyllogifmes.
Mais il nous fuffit de bien
comprendre le fondement du
fyllogifme.
de M. du Marfais. ^ij
lyllogifme 5 & les difterentes règles
que roii doit obferver.
■I <
Article IX*
Obfervdtîons fur le fondement du
Syllogifme.
i.^ 1 L n y à dans le monde que deS
êtres particuliers. Pierre, Paul, &c:
font des êtres particuliers \ ce dia-
mant, cette pierre font aufïi des
êtres particuliers j cet écu, ce louis
d'or, font auflî des êtres particu-
liers. Il en eft de même de tout ce
qui exifte dans l'univers.
Les êtres particuliers font appe-
lés, par les Philofophes, des/Wz*
yidus i c'eft-à-dire, des êtres qui ne
peuvent pas être divifés fans cefTer,
D
50 Œuvres pojlkumes
d'être ce qu ils font. Ce diamant ]
fi vous le divifez , ne fera plus ce
diamant i il naura ni la même va-
leur, ni le même poids , ni les mê-
mes propriétés.
Notre efprit fait enfuite des ob-
fervations fur les individus & fur
leur manière d'être j & ce font ces
obfervations , ces réflexions , ces
abftradions , qui forment Tordre
jnétaphyfîque , & les êtres purement
abftraits, que nous exprimons par
des mots , à l'imitation des noms
que nous donnons aux êtres réels.
Par exemple , quand je vois un écu ,
j'en obferve la figure , la matière ,
le poids, &c. j'ai l'idée de cet écu
& de fes propriétés. J'apprends en-
fuite 5 par l'ufage , que cet écu n'eft
pas le feul qu'il y ait dans le mondej
de M. du MarfaiS. ç ti
je vois d'autres écus qui me ré^
veillent l'idée du premier écu ôi
de fes propriétés : f obferve tout ce
cil quoi les écus font femblables
entre eux.
J'obferve de même que les louis
d'or font femblables entre eux, &
que, de plus, ils ont auilî des pro-
priétés différentes des propriétés
del'écu. Voilà une reffemblance &
une différence.
C eft ce qui a donné lieu à ce que
les Philofophes apfiellent efpcce &c
genre. L'écu eft une efpèce de mon-
noie i le louis d'or eft une autre
efpèce de monnoie : monnaie
eft le genre. Tous les êtres dans
lefquels nous remarquons des qua-
lités communes , nous ont donné
lieu de former l'idée abftraitc ôc
'5 ^ (Euvres pofikumes
métaphyfîque de genre : ainfî, l'idée
que nous avons de monnoie ^ eft
l'idée du genre, par rapport aux
différences efpèces de tnonnoiel
Toutes les monnoies conviennent
entr'elles, en ce qu elles font la ma-
tière qui nous fert à acquérir tout
ce dont nous avons befoinj mais,
parmi les monnoies, il y en a qui
font d'or , d'autres d'argent , d'au-
tres de cuivre, d'autres plus gran-
des, d'autres plus petites: c'eft ce
qui conftitue les différentes efpèces.
C'efl la différence que nous remar-
quons entre les individus du même
genre qui nous a donné lieu de
former le terme abflrait efpèce.
z.^ Nous appelons animal tout
individu qui a du fentiment, qui a
Ja propriété de fe mouvoir, qui vit.
de M. du Marfais. ^f
qui mange, &c.Ces propriétés, que
nous obfervons dans un fî grand
nombre d'individus, nous ont donné
lieu de former Fidée abftraitc d'^-
nîmaL
Nous avons obfervé dans ces
animaux des propriétés qui ne con-
viennent qu'à un certain nombre
d'individus ; par exemple , quelques-
uns de CCS animaux volent, pendant
que les autres n'ont point d'ailes j
quelques - uns marchent à quatre
pieds, d'autres rampent. Ces pro-
priétés qui ne conviennent qu'à un
certain nombre d'animaux, & par
lefquelles ils diffèrent les uns des
autres, nous ont donné lieu de for^
mer l'idée abftraite d'efpèce d'ani-
maux.
Le point de vue de lefprit qui^
5 4 (Ëuvres poftkumes
après un grand nombre d'idées ac-,
quifes par lufage de la vie , obferve
que les propriétés qu'il a obfervécs
conviennent à tous les animaux,
eft ce qu'on appelle genre.
Le point de vue de l'cfprit par
lequel on confidère enfemble les
propriétés qui ne conviennent qu'à
quelques individus du genre ^ eft
ce qu'on appelle efpèce.
Genre fuppofe efpèce ; efpèce
fuppofe^^/zr^ réciproquement 5 ce-
pendant obfervez que ce qui fera
genre par rapport à certaines ef-
pèceS) peut n'être confidéré par
notre efprit que comme une efpèce,
li vous ne faites attention qu'à des
propriétés plus générales. Par exem-
ple ^fî, par un point de vue de
votre efprit^ vous ne confîdére2 3i
de M. du Marfais. 5 j
dans le nombre infini des individus
qui font dans le monde , que la
iimple propriété dexifter, vous
vous formerez l'idée abftraite d'êtrej
& les différences que vous obfer-
vcrez entre les êtres en feront au-
tant d'efpèces. Ainfi animal ^ qui
cft genre par rapport à toutes les
efpèces d animaux , ne fera plus ici
c^xxefpece par rapport à être; &C
animal y qui eft efpèce par rapport
à être y deviendra genre par rappor^
à fes inférieurs, parce qu animal (o
divife en raifonnable & irraifon-
iiable. Tout cela prouve que ce
ne font que les différentes vues de
Tefprit qui forment tous ces diffé-
rens êtres métaphyfiques. 11 y en a
cinq, qu'on appelle les cinq uni-.
Yerfaux , c'eft-à-dire 5 cinq idées abf!
D4
^ 6 Œuvres pofthumes
traites, qu'on exprime par des ter*
mes abfolus ou noms fubftantifs i
genre y efpece ^ différence ^ propre ^
accident..
Article X.
De la matière du Syllogifmel
Le fyllogifme eft néceflairement
çompofé de trois idées fîmples ou
complexes. La queftion qui dans
le fyllogifme devient la conclu{îon>
eft compofée de deux idées, dont
lune s'appelle le fujet ^ & l'autre
Xattribut.
Le fujet eft appelé le petit terme ^
'de en latin MINUS extremum.
L'attribut de la conclufîon, ainfi
appelé parce qu'on l'attribue au
fujçt, eft appelé le grand terme ^ &
de M. du Marfals. 57
en latin MAJUS EXTREMUM^
parce qu'il peut fe dire d'un plus
grand nombre d'individus,
Outre CCS deux idées, on a re-
cours à une troifième , qu'on appelle
le moyen ^ MEDIUM. Ceft par l'en-
tremife de cette troifîème idée que
Ton découvre fi l'attribut de la con-
clufion convient ou ne convient
pas au fujet de cette même con-
clufion.
L'Etre tout-puifTant doit être adoré j
Dieu eft TÊtre tout-puiiïant :
Donc Dieu doit être adoré»
Dieu eft le fujet de la propofitionj
doit être adoré qù, l'attribut i ïEtre
tout-puijfant eft le moyen terme.
Tous les hommes peuvent fe tromperi
Vous êtes homme :
Donc vous pouvez vous trompçr.
5 8 (Ëuvres pojlhumes
Vous eft le fujet de la coiicIufion>
&r par conféquent le petit terme ;
pouve^ vous tromper ^cHl'^ittnbuti
tous les Ao>7z;;2(fj^ eft le moyen terme
ou ridée moyenne.
Article XL
Fondement du Syllogifme.
V^OMME dans Tordre phyfîque
on ne peut tirer d'un corps que les
différentes matières qui y font con-
tenues j de même dans l'ordre me-
taphyfique on. ne peut déduire un
jugement ou conféquence d'un autre
jugement, que parce que cette con-
féquence ou jugement a déjà été
porté en* d'autres termes, ou, com-
me on dit communément, c'eft que
de M. du Marfais. 5 9
la majeure ou propofîtion générale
contient la conclufion , & la mineure
fait voir que cette conclufion eft
contenue dans la majeure.
Ainfi, c'eft l'identité qui eft le feul
& véritable fondement du fyllo-
gifme.
La conclufion eft en dautres
termes le même jifgement qu on a
porté dans la majeure , avec la feule
différence que la majeure eft plus
étendue & plus générale que la con-
clufion \ c'eft ce qu il eft aifé de faire
voir par des exemples.
L'Etre tout-puiflant doit être adoré j
Dieu eft TÈtre tout-puifTant :
Donc Dieu doit être adoré.
Je dis que cette conclufion :Z)/V^^
doit être adoré ^ eft dans le fond le
même jugement que celui-ci : VEtrc
6o CEuvres pofthumes
tout ' puijfant doit être adoré. En
effet, cette propofition, XEtre tout-
puijjant doit être adoré ^ contient
celle-ci : Dieu doit être adoré ^ parce
que Dieu feu! eft ÏEtre tout^
puijjant.
La miiieure fert uniquement à
faire voir que la conféquence eft
contenue dans la majeure , puif-^
quelle vous dit que Dieu efi l'Etre
tout'puijfant ; d'où il fuit que ce que
vous dites de VEtre toutpuijjant ^
vous le dites de Dieu..
Tous les hommes peuvent fe tromper j
Or vous êtes homme :
, Donc vous pouvez vous tromper.
Cette proportion: tous les hom^
mes peuvent fe tromper^ contient
vifiblement celle-ci 5 vo^j êtes hom^^
de M. dû Marfais. 6 i
me. Il eft vifîble qu homme eft un
mot générique qui contient tous
les individus qui font hommes ; &C
qu ainfî tout ce que je dis de {'hom-
me^ feulement en tant qu homme ,
je le dis de vousi par conféquent
lorfque j'ai dit: tous les hommes peu-
vent fe tromper^ j'ai déjà dit de vous
que vous pouviez vous tromper ,
puifque vous & homme eft la même
chofe, en ce fens que vous êtes
contenu dans l'idée exemplaire que
j'ai de l'homme, comme le cercle
en particulier eft contenu dans
l'idée exemplaire que j'ai du cercle
en général. Cette matière étendue
que j'appelle cercle ^ n'eft ain(i ap-
pelée que parce qu'elle excite en
moi une impreffion que je trouve
conforme à l'idée exemplaire que
6% (Ruvrcs pofthumes
j ai acquife du cercle par Tufage d^
la vie.
Article XI L
Règles du SyllogifmCé
Quoique les mots paroifTent nous
donner des idées différentes , ce-
pendant 5 quand le fens que nous
donnons aux mots eft bien ap-
précié, il eft évident que, quoique
Ton s'explique en termes différens,
fouvent on entend la même chofe.
Ainli , par XEtre tout - puijfant ^
j entends Dieu. D'où Ion pourroit
conclure qu à la rigueur il n'y a que
deux termes dans le lyllogifme , &
qu'en un fens, la conclufion eft la
même propofttion que la majeure ;
de M. du Marfais. ^3
ï Etre tout-puijfant doit être adoré ^
& Dieu doit être adoré , c'eft au
fond la même chofc.
De ce principe , bien entendu ,
fuivent les règles qu'on donne dans
les Ecoles touchant le fyllogifme.
Première Règle.
L'idée moyenne, c'eft-à-dire , les
mots qui l'expriment , doivent
être pris , au moins une fois, uni-
yerfellement.
Explication.
Le moyen , cft l'idée qui doit
contenir le fujet de la concluiîonj
il ne peut le contenir que lorfqu'il
cftpris généralement j par exemple :
Quclqu'homme eft favant j
Quelqu'homme eft riche :
Donc quelque riche eft favanr.
6^, Œuvres pofihumes
Le mot à^homme de la majeure
& de la mineure, étant pris particu^
lièrement , puifque dans Tune ôi
dans l'autre propofition , il fignifie
diverfes fortes d'hommes, ne peut
contenir le fujet de la conclufîon >
ou y être appliqué j parce que le
particulier neft point renfermé
dans le particulier, mais dans 1q
général.
Seconde Règle;
Les termes ne doivent pas être;
pris plus univerfellement dans la
conclufion , qu'ils ne l'ont été dans
les prémifles*
Explication.
Puifque la majeure doit contenir
la conclufion, & que le particulier
ne
de M. du MarfaiS. éf
ne fauroit contenir le général j il
eft évident que fî les termes de
la concluiîon font pris univerfelle-
ment dans la conclufion , & parti-;
culièrement dans les prémifTes^ le
raifonnemcnt fera faux: comme fî
de ce que quelqu'homme eft noir,
je concluois que tout homme eft
noin
TiROISiÈME RÈGLE.
On ne peut rien conclure dc(
deux proportions négatives.
Explication.
Les propofîtions négatives ne
contiennent que la négation de ce
quelles nient jainfi, on ncn peuc
tirer une autre négation. De ce que
je dis que Pierre n a pas dix louis;,
E
€6 Œuvres pojlhumes
il ne s'enfuit pas qu'il n'ait pas d'ei-
prit. D'une propofition négative ,
vous pouvez encore moins tirer,
une conclufîon affirmative: de ce
que Pierre neft pas riche 5 il ne
s'enfuit pas qu'il foit favant.
Les Efpagnols ne font pas Turcs i
Les Turcs ne font pas Chrétiens :
Donc les Efpagnols ne font pasChré-
tiens.
On voit vîfîblement que la con-
{equence n'eft pas contenue dans
la majeure*
Quatrième règle*
On ne peut pas prouver une
conclulîon négative par deux pro:
pofitions affirmatives.
. Explication.
: Lî^ne- propofition* eft négative y
de M. du Marfais. ^y .
quand on n aperçoit aucune iden-
tité entre le fujet & l'attribut, &:
qu'au contraire on y découvre de
la différence & de l'oppoiition.
Au contraire, une propofition eft
affirmative , quand on aperçoit que
le fujet & l'attribut ne font qu'un
même tout: or la conclufîon étant
négative , elle ne peut pas être la
même chofe qu'une ou deux pro^
poiitions affirmatives.
'Cinquième règle;
Si une des prémifTes efl particu-^'
lière, la conclufîon doit être parti-»
culière j & fi une des prémifïes efl
négative, la conclufîon doit aufïî
être négative : c'efl ce qu'on dic
communément dans les écoles, que
la conclufîon fuit toujours la plus
foible partie*
6$ Œuvres pofihumes
Explication.
La conclufîon devant toujours
être contenue dans les prémifTes,
elle ne fauroit avoir une plus grande
étendue que les prémifTes: or elle
auroit plus d'étendue , il elle étoit
univerfellejorfqu une des prémiffes
cft particulière.
D'ailleurs, elle ne peut pas affir-î
mer lorfqu une des prémifTes eft né-
gative par la même raifon.
De cette règle il fuit qu'une pro-
poiîtion qui conclud le général 3^
conclud le particulier :vSi roui kom--
me a une ame ^Vicno a une ame.
Mais une propofîcion qui conclud
le particulier 5 ne conclud pas pour
cela le général, ou plutôt neft pas
la même chofe que le général:
Quelques hommes font noirs ^ il ne
de M. du Marfais: "6^5?
s'enfuît pas dc-là que^o^^ les hom^
mes f oient noirs.
Sixième règle.
On ne peut rien conclure de
deux propoiîcions particulières >
c'eft-à-dire, que de deux propoâ-
tions particulières on ne fauroit ea
déduire une troifième propofition.
De ce que Pierre eft favant, & que
Paul eft fage, il ne s'enfuit pas que
Jean foit fage ou favant.
E X P L I c A T I o n:
Les propofîtions particulières ne
font dites que des objets particuliers
qu elles expriment : on ne peut donc
pas les appliquer aux autres objets
dont elles ne difcnt rien. Une ma-
jeure particulière u étant dite qua
70 GEuvres poflhumes
de quelques objets particuliers y ne
peut donc point contenir une con-
féquence qui eft différente d'elle-
même.
Article X I I I.
Des Sophifmcsl
Tout ce qui nefl: pas conforme
à la règle, n eft pas droit : il faut
donc avoir la connoifTance de la
règle 5 pour dire que ceci ou cela
n eft pas droit. Il en eft de même
du raifonnement j il faut en favoir
les règles 5 pour bien démêler un
raifonnement faux.
I .^ Une des principales obferva-
lions, c'eft que tout jugement doit
être excité par une caufe extérieure^
de M. du Marfais. 7 1
;& que cette caufe extérieure doit
être la caufe propre & précife de
ce jugement. Tout jugement doit
avoir fon motif propre j ainfi, un
hiftorien qui raconte un fait qui
s'eft paiTé plufîeurs fiècles avant lui,
n'eft pas digne de foi , à moins qu il
ne s'appuie fur le témoignage des
auteurs contemporains , & ce témoi-
gnage eft encore fujet à l'examen.
z.^ Le raifonnement eft intérieur^
on ne raifonne que fur {^s propres
idées: ainfî, dans la fuite d'un rai-
fonnement il faut toujours confer-
ver les mêmes idées. Car ce qui eft
vrai d'une idée ne l'eft pas d'une
autre j ainfi^quand on raifonne avec
quelqu'un, il faut bien prendre
garde, s'il a les mêmes idées que
nous i s'il entend les mots donc nous
E4 '
"^ i Œuvres pojihumcs
nous fervonsjdans le même fens que
nous les entendons.
Il faut fur - tout prendre garde?
dans la chaleur de la difpute, de
donner toujours précifément le mê-
me fens aux mots dont on fe fert ;
parce que ce que vous dites d'un
mot pris en un certain fens n eft pas
vrai lorfque vous prenez ce mot
dans une fignification différente*
C'eft pour cela qu'en certaines oc-
cafions il eft bon de définir les ter-
mes j &r de convenir de leur iîgnifi-
cation.
Les paflîons font comme autant
de verres colorés , qui nous font
voir les objets autrement que nous
ne les verrions, fi nous étions dans
i'état tranquille de la raifi)n. Nous
devons donc nous défier de nos
de M. du Marfais. 7 3
paflions fi nous voulons porter des
jugemens fains.
Les préjugés, c'eft-à-dire, les ju-
gemens que nous avons portés dans
notre enfance, & qui n ont pas été
précédés de l'examen, nous induî-
fent fouvent en erreur.
Les obfervations que nous venons
de faire ne feront pas inutiles pour
nous aider à démêler les fubtilités
'des fophifmes. On entend par fo^
phifmes ^ certains raifonnemens
éblouiflans dont on fent bien la
fauffeté j mais on eft embaraffé à la .
découvrir, & à dire précifémenc
pourquoi tel raifonnement eft faux
& captieux.
^
74 Œuvres poflhumes^
Premier Sophisme.
Ambiguïté des termes y ou
équivoque.
Le fophifmej qui conififte dans
Tambiguité des termes , eft appelé
par les VhWoÇo^h^s^GRAMMATICA
FALLACIA.
Par exemple:
Il y a dans le ciel une conftellation
qui eft le lion j
Or le lion rugit:
Donc il y a dans le ciel une conf^
tellation qui rugit.
La faufTeté de ce raifomiement
confifte dans lambiguité du mot
lion; défaut qu'on appelle aufll
amphybologie : car dans la première
proposition 5 le mot lion ne fîgnific
que le fîmple nom qu'on a donné à
de M. du Marfais. 75
une certaine conftellation; au lieu
que dans la féconde propofition ,
lion fignifie une forte ô^ animal qui
rugit. ÀinfîjCet argument a quatre
termes; i.^ conftcUation dans le
cie^> 1.^ lion eft pris pour le iîmple
nom que Ton donne à cette conf-
tellation; 3.'' lion eft pris pour un
animal véritable; 4.^ rugit : or un
argument ne doit avoir que trois
termes; favoir, i.^ le fujet de la
conclufion; iJ" l'attribut de la con-
clufion; 3.^ le mot qui exprime
ridée exemplaire que Ton compare
avec le fujet delà conclufion^pour
voir (i ce fujet eft contenu dans
cette idée moyenne & exemplaire ,
&; s'il eft la même chofe.
Le rat ronge ;
Or le rat eft une fyllabe :
Donc une fyllabe ronge.
7 6 Œuvres pofthumes
Il eft aifé de faire voir dam
cet argument le même défaut que
dans le précédent: rat y eft pris
en deux fens différens-
L'homme penfe -,
Or Thomme eft compofé de genre
& de différence :
. Donc le genre & la différence
penfent.
Le défaut de cet argument con-
fîfte en ce qu on pafTe de Tordre
phyfique à l'ordre métaphyfique^
L'homme dans Tordre phyfique &C
réel penfe. Il eft vrai que Thomme
a des propriétés communes à tous
les animaux , on appelle ces pro-
priétés communes, le genre. Il a
aufïî des propriétés particulières
qui le diftinguent des autres ani-
mauxi ces propriétés font appelées^^
de M. du Marfais. 77
k différence. Ce genre &' cette dif-
férence ^ qui ne font que des êtres
métaphyfîques , c'eft-à-dire , de fim-
ples vues de refprit , ne font point
l'homme phyfique qui penfe; ainfi,
la conclufion n'eft point contenue
dans la majeure.
Dieu eft par - tout ;
Par "tout eft un adverbe:
Donc Dieu eft un adverbe.
Dans cet argument, le mot^^^r-:
tout eft d'abord pris félon fa fîgnifi-
cation. Dieu efl par - tout ^ c'eft-à*
dire, Dieu efl en tous lieux ; en-
fuite on con{îdère/(2r - tout gram-
maticalement, & en tant que par--
tout eft un mot.
^
yS (ouvres pojîhumes
I I. S O P H I s M E»
Ignoratio elenchi 5 ^mvxo^.
Mot grec qui fignifie argument^
fujet.
Ce fophifme confîfte dans rigno-
rance du fujet.Ceft lorfqu on prouve
contre fon adverfaire toute autre
chofe que ce dont il s'agit, ou ce
qu'il ne nie point, ou enfin tout ce
qui eft étranger à la queftion : c'eft
proprement le QUI PRO QUO.
Les exemples n'en font que trop
fréquens dans la converfation, dans
les difputes, dans les mémoires d'af-
faires, où l'on s'efforce fou vent de
prouver ce qui ne fait rien à la quef-
tion dont il s'agit. On en voit auiîî
plufieurs exemples dans les livres
didacîîqucs. [cf}cfhcFHco fignifie enfci-^
gner).
de M. du Marfais. y()
Les auteurs de comédies nous
fournifTenc fouvènt des exemples de
ces QUI PRO Quoiqu'ils n ont ima-
ginés que pour amufer les fpe£ta-
teurs. 11 y en a un exemple dans la
troifième fcène du cinquième ade
de l'Avare de Molière. Harpagon
accufe Valère d'avoir commis l'at-
tentat le plus horrible qui jamais
ait été commis. Valère répond que
puifqu on a tout découvert à Harpa-
gon, il ne veut pas nier la chofeî
mais Harpagon vouloit parler de
Targenc qu'on lui avoît volé, & Va-
lère entendoitparler d'Elife^fa maî-
crelTe, fille d'Harpagon. Il y a un
exemple pareil dans les Plaideurs
de Racine, où la comtefTe de Pim-
befche s'imagine qu'on la traite de
folle à lier, pendant qu on lui con»
Bo Œuvres poflhumes
feille fîmplement d'aller fe jcttei
aux pieds de fon juge.
i.° La précaution qu'il y a à
prendre contre ce fophifme, c'eft
de bien déterminer l'état de la
queftion, en évitant exadement
réquivoque dans les mots & dans
le fens.
z!" Quand une fois Tétat de la
queftion eft bien déterminé, & que
votre adverfaire s'en écarte, il faut
avoir foin de l'y rappeler.
IIL Sophisme.
La pétition de principe.
Dans le fophifme précédent on;
répond à autre chofe que ce qui
eft en queftion j au lieu que dans
Iz. pétition de principe^ on répond en
termes différens la même chofe que
£'
dt M. du Marfais.
C€ qui eft en queftion: Qu*efî-ce
que le beau? c*efi ce qui plaît , ou
bien , difenc quelques anciens ,'
c*eft ce qui convient. Voilà une véri-
table pétition de principe.
Ce mot s appelle ^/r/rio/z de prin^^
cipe^ du mot grec TiiiofAouij qui fi-
gnifie voler vers quelque ckofe^Je
porter j recourir û: .... & du mot
latin PRINCIPIUM, qui veut dire
commencement; ainfi faire une pé*
tition de principe ^ c'eft recourir en
d'autres termes à la même chofa
que ce qui a d'abord été mis en
queftion: c'eft rendre en d'autres
termes le même fens que ce qu'on
vous a demandé d'abord.
Molière, dans le Malade imagis
naire, fait demander pourquoi /'o-
pium fait dormir ? on répond quq
F
$z ouvres poflhumes
c'eft parce qu*il a une vertu dor*
mitive y où vous voyez que c eft ré-
porïdre, en termes diiïerens, la mê-
me chofe que ce qui eft en queftion.
Celui qui demande pourquoi l'o-
pium fait dormir, fait fort bien que
l'opium a une vertu dormitive \ mais
il demande pourquoi il a cette
yertu î
Pourquoi l'opium fait- il dormir ^
ou pourquoi l'opium a-t-il une vertu
dormitive ? c'eft la même demande.
Pourquoi le vin enivre -t- il, oa
pourquoi le vin a-t-il une vertu qui
enivre ? c'eft faire la même queftion >
ainfi que l'un foit la réponfe ou la
demande , on n'en eft pas plus inf-
truit. C'eft répondre précifément ce
qui eft en queftion j c'eft recourir
au principe , au commencement dç
de M. du Marfais. 8 1
la queftion , à ce qu'on demandoic
d'abord.
La plupart des jeunes gens qui
apprennent le latin, s'accoutument
à cette mauvaife manière de raifon-
ner j car fi on leur demande pour-
quoi , quand on è\x.LUM.EJ<i SOLIS,
SOLIS eft-ii au génitif? ils répon-
dent que c'eft par la règle de LIBER
Pétri : ce qui eft une pétition de
principe; car pourquoi Petri eft-
il au génitif? Il feroit mieux, ce me
fcmble , de répondre que SOLIS eft
au génitif, parce qu'il détermine
LUMEN , qu'il en fixe la fignifica-
tion. Lumen fignifie toute lumière;
mais fi vous ajoutez s o l i s à
LUMEN y vous déterminez la figni-
fication vague de lumen à ne
plus fignifier que la lumière du
84 (Eavres pofihumeis
foleil, & telle eft en latin la defti-
nation du génitif: on met au géni-:
tif un nom qui en détermine un
autre.
Il en eft de même dans cet exem*
pie : AMO Deum. Pourquoi DejjM
eft-il à laccufatif î on répond c'eft
parce que AMO gouverne laccu-
iatif 5 ce qui eft une véritable péti-
tion de principe i car c'eft dire:
Deum eft à raccufatif après AMO ^
parce qu après ^ M o il eft à Taccu-
fatif i au lieu de dire que les mots
latins changent de terminaifon pour
marquer les diftérentes vues fous
lefquelles fefprit confidère le même
objet, & que la terminaifon de lac-
cufatif eft deftinée à marquer que
le nom qui eft à laccufatif^ eft le
terme pu lobjet du fentiment ou
de M. du Marfaîs: ^ ^
îde Tadion que le verbe fignifies
ainfî, Z)rc/M à laccufatif marque
que Dieu eft le terme du fentiment
^aimcry que c'eft ce que j'aimeJ.
Le cercle vicieux eft une pétition
de principe. C eft une forte d'argu-
ment vicieux dans lequel on fup-
pofe d'abord ce qu'on doit prouver;
& enfuite ce qu'on a fuppofé von le
prouve par ce qu'on croit avoir
prouvé par cette première fuppo-
fition: comme ces métaphyficiens
qui prouvent Dieu par les créatu-
res, ôc les créatures par l'idée qu'ils
ont de Dieu, &ceux qui prouvent
l'exiftence des corps par la foi.
té (ouvres pofîhumes
IV. Sophisme.'
De falfo fupponcnte,
Suppofer pour vrai ce qui e fi faux,
II n'arrive que trop fouvent que
par une forte de bonne foi natu-
relle on ne s'imagine pas qu'on
puiffc être trompé de fang- froid &
fans aucun intérêt de la part de
ceux qui nous trompent, & qui
fouvent font trompés eux - mêmes
les premiers j ainfi,on fuppofe que
ce qu'ils difent cft vrai, ce qui
d'ailleurs féconde notre parefTejôS
nous exempte de la peine de l'exa-
men. C'eft ainfi que les anciens ont
été trompés , en croyant leshiftoires
fabuleufes du Phénix j du Rémora
H. de tanç d autres contes populai*
de M. du Marfais. S7
res dont tous les livres font remplis*
Il arrive fouvent par le même fo-
phjfme, quau lieu d avouer fou
ignorance, on explique ce qui n'eft
pas, par ce qui neft pas aullî, té-
moin rhiftoîrc de la prétendue
dent d or. Un charlatan du dix-
feptième fîècle montroit de ville
en ville un jeune homme qui avoit,
difoit-il, une dent d'or. Les Philo-
fophes de ces temps -là firent des
differtations pour faire voir que la
matière avoit pu sarranger dans la'
dent de ce jeune homme de la
même manière quelle s'arrange
dans les mines d'or 3 mais un Chi-
rurgien plus habiic découvrit que
cette prétendue dent d'or ne con*
iîftoit qu'en une feuille d'or donc
on avoit enveloppé la dent, &-
F4
^8 (Ëuvres poflhumes
qu'on avoir adroitement infinuéé
dans la gencive- Cet exemple fait
voir quavant que d'entreprendre
d'expliquer la caufe d'un effet , il
faut commencer par fe bien afTurer
a le fait exifte»
W* S G P H I s M E.
Non caufa pro caufa.
T rendre pour caufe ce qui n^eji
pas caufe.
Rien ne coûte tant à l'efprît hu-
main que de demeurer indéterminé
& de dire y (^ n'en fais rien ^ jus-
qu'à ce qu'on ait le motif propre
que le jugement fuppofe : de - là
vient que lorfqu'on voit arriver ua
effet dont on ignore la caufe, au
lieu de convenir fimplement d^.
de M. du Marfais. 8^
notre ignorance naturelle & des
bornes des connoifTances humai-
nes, nous prenons pour caufe de
cet effet 5 ou ce qui eft arrivé avant
l'effet fans y avoir aucun rapport ,
ou ce qui arrive en même temps ^
& qui n a aucune liaifon phyfîque
avec cet effet. Cefl ce qu'on ap-
pelle POST HOC ^ ERGO PROPTER
HOC ^ OU bien CUM HOC ^^ ERGO
PROPTER HOC.
Souvent après qu une comète a
paru dans le ciel , il arrive quelqu'un
de ces accidens fâcheux auxquels
les hommes font fujets, comme la
pefte, la famine ou la mort d'un
Prince. Cette comète n'a aucune
liaifon phyfique avec ces événe-
mensi cependant le peuple regarde
la comète comme la caufe de 1 evé^
jo Œuvres pofihumes
ncment: post hoc, ergo
PROPTER HOC. Lcvénement eft
arrivé après la comète : donc il eft
arrivé à caufc de la comète. Ceft
un fophifme populaire.
Il pleut après la nouvelle ou la
pleine lune : donc il pleut à caufe
de la pleine ou de la nouvelle lune:
C eft encore une erreur populaire.
On a obfervé , après un grand nom-
bre d'expériences réitérées, que la
lune ne produifoit fur le globe ter-
reftrc aucun de ces effets phyfîques
que le peuple lui attribue , & qu'il
eft inutile d'obferver les quartiers
de la lune pour femer & pour cul-
tiver les plantes, auffi-bien que pour
les changemens des temps. Voyez
la Quintinie , infiruclions fur les
jardins ^ & une belle difTercation
de M. du Marfais. 9 1
fur les prétendues influences de la
lune j dans le Mercure de 1740.
Les anciens Romains ne corn-
mencoient aucune affaire fans con-
fulter les dieux par le moyen des
aufpiees, pourfavoir fî lentreprife
feroit heureufe ou malheureufe. II
cft évident que le vol des oifeaux
& les autres opérations de ces ani-
maux n'ont aucune liaifon nécef-
faire avec les événemens futurs, &
que, par conféquent, ils ne peur
vent en être ni la caufe ni même le
{îgnej ainfi, que Faufpice (ut favo-
rable ounon,cetoit mal raifonner
que den attendre un événement
heureux ou malheureux.
Lorfque Claudius Pulcher , Coti-
ful Romain & Général de l'armée
navale 5 fut envoyé contre les Car-
'9 £ Œuvres pofthumes
thaginois, on confulta les facrés
poulets > qui ne voulurent point
manger- Le Conful ordonna que
puifquils ne vouloient point man-
ger, on les jettât dans la mer pour
les faire boire i il arriva par Tévéne-
ment que les Romains perdirent la
bataille i mais on ne doit point at«
tribuer cette perte aux aufpices :
ce feroit prendre pour caufe ce qui
ne feroit pas caufe , & tomber dans
le fophifme FO$T KOC ^ ERGO^
FROPTER HOC.^
Les Hiftoriens remarquent ques
les Carthaginois avoient de meil-
leurs vailfeaux & des rameurs plus
habiles que ceux des Romains j ils
ajoutent que les Carthaginois
avoient choifi un lieu plus avan-
tageux i que les Romains ne pou^
de M. du Marfah. 9 3
Voient rompre Tordre de rennemî,
ni l'envelopper, à caufe de la pe-
fanteur de leurs vaifîeaux oC de
Tincapacité de leurs rameurs :
d'ailleurs le trouble intérieur & les
remords que le mépris de la reli-
gion infpiroit aux foldats ^ leur
abattoient le courage ^ & ils
croyoient combattre contre les
dieux irrités. Voilà les véritables
caufes de la perte de la bataille
de Claudius Pulcher contre les
Carthaginois. Il faut rapporter les
cvénemens à )eurs véritables cau-
fes, fi on les connoît, finon il faut
avouer qu'on les ignore.
C'eft encore prendre pour caufe
ce qui n'eft pas caufe, que d'ex-
pliquer les effets phyfiques en ks
attribuant à dçs qualités occultesv
'^4 (Ëuvres poflhumes
à l'horreur du vuide ou à lattrâc*
tîon, &€• Il eft plus raifonnable de
convenir de fon ignorance, que
d être fatisfait par des mots qui ne
préfentent aucune idée à Tefprit.
Les paroles & les autres grimaces
des prétendus forciers ne peuvent
pas non plus raifonnablement être
prîfes pour de véritables caufes phy*
lîqucs. Les paroles ne font qu un
air battu j ainfî , elles ne peuvent
produire phyfîquement & par elles*
mêmes d'autre effet que le fon. Ceux
qui leuf donnent une autre vertu,
fuppofent deux chofcs qui nous
font également inconnues, & qui
même font injurieufes au fouverain
Etre, à l'Etre parfait j car, puifque
l'on convient que les démons ne
peuvent rien faire fans la permilîion
de M, du Marfais, ç y
de Dieu, les paroles magiques fup-
pofent une convention particulière
entre Dieu & le démon. Il faudroic
en effet que Dieu fût convenu que
toutes les fois que certains hommes
diroient telles ou telles paroles , ou
fcroient telle ou telle adion, ilper-
mettroit au démon de produire tel
pu tel effet.
Il faodroit, en fécond lieu, que
nous eullîons une révélation détail-
lée de cette prétendue convention
entre Dieu & le démon. Il y a dans
l'un & l'autre point bien peu de rait
fon & de décence.
Si une femme joue heureufemenC
pendant que quelqu'un eft auprès
d'elle , elle s'imagine que cette pcr-;
fonne lui porte bonheur. Ceft le
ibphifme eu M eoCj erg a
9? (Euvrès pojlhumei
PROPTER HOC. Le bonheur n'eff
point un être réel quon puifTe
porter.
Quelques petfonnes ont de la
peine à fe trouver à table au nom-
bre de treize convives.
En effet, Il arrive fouvent que
de treize perfonnes qui fe font
trouvées enfemble à table, il en
meurt quelqu'une dans le courant
de Tannée y ce qui feroit bien moins
étonnant fî au lieu de treize convi-
yes il y en avoir eu trente. Ainfî,
un convive eft mort , non parce
qu'il s'eft trouvé à table avec douze
autres perfonnes i mais parce que
les hommes font mortels, & qu'ainfî
plus il y a de perfonnes affemblées^
plus il eft vraifemblable de dire
que dans l'efpace d'un certain
jemps
de M. du Marfais. 97^
temps quelqu'une de ces perfonnes
paiera à la nature le tribut que
toutes les autres paieront chacune
à leur tour.
Ceux qui confultent les fonges ;
ceux qui ajoutent foi à la chiro-
mancie'^"5 ceux qui croient qu'oa
tft heureux quand on eft né coëiFé^
&c. tombent dans le fophifme dont
nous venons de parler.
La honte d'ignorer, le goût da
merveilleux &c le penchant à la fu-î
perdition, font la caufe de ce fo?
phifmca
V L S G ]> H I s M e;
Dénombrement imparfait.
- Autrefois on fe moquoit de quel^'
^ Art de deviner par U confidératioa dea
j^ 8 (Ëuvres pofthumes
ques Philofophes qui difoient qu iî
y avoit des Antipodes : quel eft
rhomme aflez infenfé, difoic Lac-
tance, « pour croire quil y a des
» hommes dont les pieds font plus
» élevés que la tête^?»
L'expérience a fait voir que ceux
qui trouvoient les Antipodes im*
poffibles, fe font trompés. Leur er-
reur eft venue du dénombrement
imparfait. Ils n'avoient pas examiné
ni connu la véritable raifon qui fait
que les hommes marchent fur la
terre^ & font pouflés vers le centre
du globe terreftre, quelque part où
ils fc trouvent fur ce globe, & ne
font jamais poufles vers le ciel.
On tombe donc dans le fophif-
de M. du Marfais. 99
me du dénombrement imparfliit^
lorfque connoiflanc une ou plufieurs
manières dont une choie le fait, on
croit qu'il n'y a que ces manières-
là qui foient la caufe de cet effet,
pendant qu'il y en a quelqu'autre
qu'on ne compte point, & qui ce-
pendant en eft la caufe véritable.
Vous connoiffez qu'une chofe fe
fait d'une certaine façon , d'où
vous concluez qu'elle ne fe peut
faire que de cette manière -là:
c'eft tomber dans le fophifme du
dénombrement imparfait. Avant
que de décider, vous devez exa-
miner fi vous connoiffez toutes les
manières dont une chofe fe peut
faire, & ne pas décider téméraire-
ment qu'une chofe ne peut fe faire
que de la manière que vous con-
lyBLIOTHECA |
ï 0 o (Euvres pofthumes
noiiTez. C eft comme fi un aveugle
difoit que la matière ne fauroic
être lumineufe, parce quil ne lui
connoît pas cette propriété.
Un Officier étoit payé tous les
ans de fa penfion au tréfor royal ,
au bout de la rue du Roi de Sicile.
Un autre Officier étoit auffi payé
de fa penfion au tréfor royal , rue
d'Orléans j enfin, un troifiéme étoit
auffi payé de fa penfion au tréfor
royal, rue des Quatre-Fils. Ces trois
Officiers fe trouvèrent enfemble à
la promenade. Le premier dit qu'i[
avoit été payé de la penfjon au tré-
for royal, rue du Roi de Sicile j les
autres foutinrent que le tréfor royal
XI étoit point rue du Roi de Sicile,
& qu ils avoient été payés ailleurs:
ce qui donna lieu à une contefta:
de M. du Marfais. lo r,
tion très-vive 5 par le fophifme da
dénombrement imparfait^ car, quoi-
qu'il ny ait proprement qu un tréfor
royal, il y a cependant trois Gardes
du tréfor royal qui font fueceili-
vement en exercice, & paient
chacun ce qui les concerne.
VII. S o P H I s M eJ
Induclion défecîueufe.
On appdlc înduciion^ une confé-^
quence générale , que Ton tire du
dénombrement que l'on fait de
plufieurs chofes particulières. Ce
fophifme a beaucoup de rapport au
dénombrement imparfait dont nous
venons de parler. La différence
Goniîfte en ce que , dans le dénom-
brement imparfait ^ on ne conû-
loi Œuvres pofthumes
dère pas affez toutes les manières
dont une chofe peut être ou peut
arriver j d'où on conclud qu elle
n eft pas 5 quoique fouvent elle foit
d'une manière à laquelle on na
pas fait attention. Dans l'indudion y
on commence par la confidération
des chofes particulières , d'où on
tire enfuite une conféquencc gé-
nérale. Par exemple, on a éprouvé,
fur beaucoup de mers, que Teau en
eft falée, & fur beaucoup de riviè-
res, que Teau en eft douce : de-là
on a conclu généralement que
Teau de la mer étoit faléc , & celle
des rivières douce. On n'a point
trouvé dépeuple, dans aucun pays>
où les hommes ne fe ferviffent point
des fons de la voix pour fîgniiîer
leurs penfées : de-là on a conclu
de M. du Marfais: 105
que tous les peuples avoient Tufage
de la parole.
Ces forces de conféquences géné-
rales ne font juftes^ qu'autant que
le dénombrement des chofes iîngu-^
lières qu elles fuppofent , eft exad.
îAinfi, fi on difoit, les François font
blancs, les Anglois font blancs, les
Italiens & les Allemands font blancs,
donc tous les hommes font blancs 5
la conféquence ne feroit pas jufte,
par la faute du dénombrement, qui
ne feroit pas cxa6t. L 'indudion fe-
roit tirée d un dénombrement dé-
fedueux , puifqu en Ethiopie les
hommes font noirs.
Avant les expériences que Ion a
faites , vers le milieu du dernier {îé-
cle, fur la pefanteur de l'air, on
croyoit qu'il étoit impolïible de tirer,
G 4
ï 04 (Kuvres poftkumes
le plfton d une fcringue ^ bien bou^
chée, fans la faire crever j & que
l'on pouvoit faire monter de leau
auiîî haut que Ton voudroit ^ par le
moyen des pompes afpîrances. On
tiroit ces conféquences des expé-
riences que Fou avoit faites j mais
on n'en avoit pas fait aflez. Les
nouvelles expériences ont fait voir
qu'on tire le pifton d'une feringue ^
quelque bouchée qu'elle foit, pour-
vu qu'on y emploie une force fupé-r
rieure au poids de fa colomne d'air^
Elles ont fait voir auffi qu'une pom-
pe afpirante ne peut élever l'eau
plus haut de 3 1 à 33 pieds.
Remarquez la différence qu'il y
a entre l'ndu^tion & l'idée géné^
lale ou exemplaire-
L'indudion ne tombe que fur les
de M. du Marfais. i o f
qualités accidentelles des objets ,
aulieu que l'idée exemplaire qui
nous fert de modèle , regarde Tef-
fencc. Pour dire que Teau des ri-
vières eft douce, il eft nécefTaire
d'avoir goûté de Teau de plufîeurs
rivières i mais pour dire que tout
triangle a trois côtés , il n eft pas
nécefTaire que j'aie vu plufîeurs
triangles i parce que le premier
triangle que j'ai vu, m'a donné
ridée du triangle : j'appelle triangle,
tout ce qui eft conforme à cette
îdéej &; je dis que tout ce qui n'y
çftpas conforme^n eft pas triangle.
[I o (î ouvres pojlkumes
VIII. Sophisme.
Pajfer de ce qui efi vrai a quelque
égard ^ à ce qui eji vrai Jimple-
ment»
Les hiftoriens Romains ont écrit
quelques faits fabuleux : il feroit
déraifonnable d'en conclure que
tout ce qu'ils ont écrit eft fabu-
leux.
La forme humaine eft, à ce que
nous croyons , la plus belle , par
rapport aux autres animaux : de-
là les Epicuriens concluoient que
les Dieux avoient la forme hu-
maine.
Pierre eft bon *,
Pierre eft Peintre :
Donc Pierre eft bon Peintre.
de M. du Alarfais. 1 07
Ou bien :
Pierre eft bon Peintres
Pierre eft homme :
Donc Pierre eft bon homme.
Il y a plufieurs défauts dans ces
fophifmes. i ? Le mot de bon , eft
pris en deux fens difFérens. Bon y
joint à F cintre , fîgnifie habile ;
bon 3 joint à homme , fîgnifie hu-,
main j doux ^ complaifant.
z.^ D'ailleurs , en difant que
Pierre eft bon Peintre^ fi on étend
le mot bon à fignifier toute forte de
bonté, on paffera de ce qui eft vrai;
à quelque égard 5 à ce qui eft vrai
fîmplement.
it o B (Euvres pofthumes
IX. Sophisme.
Juger d'une ckofe par ce qui ne
lui convient que par accident.
Fallaeia accidentis.
C'efl: lorfqu on tire une confér
quence abfolue , fîmple & fans ref-
tridion, de ce qui neft vrai que
par accident. Ceft ce que font
ceux qvii blâment les fciences & les
arcs 5 à caufe des abus que quel-
ques perfonnes en font. L'émétique
mal appliqué, produit de mauvais
effets : donc il ne faut jamais s'en
fervir. La conféquence neft pas
jufte. Quelques Médecins font des
fautes dans l'exercice de la méde-
cine : donc il faut blâmer abfolu-
ment la médecine. Ce feroit mai
caifonnen
ic M. du Marfais. I o^
X Sophisme.
Taffer du fcns diviféaufcns cotn-
pofé y ou du fcns compofé au
fcns divifé.
Nous avons déjà remarque quci
tâans le raifonnenient, il tauc dé-
mêler bien précifément le fens des
mots, & prendre toujours le même
mot dans le même fens , dans toute
la fuite du raifonnement.
Saint Jean-Baptifte ayant envoyé
'deux defes difciples à Jefus^Chrift;
pour lui demander s'il étoit celui
qui devoit venir : Jefus-Chrifl; ré-
pondit : les aveugles voient ^ les
boiteux marchent ^ les fourds en^
tendent y ùc.
Or, les aveugles ne voient point,
les bpiteux ne marchent point
î I a (Euvres pofihumes
comme les autres^ & les fourds n eni
tendent point.
Ceft que dans la première pro*
pofîtion , qui eft celle de Jefus-
Chrill, par les aveugles ^ on en-;
tend ceux qui étoient aveugles : ce
font les aveugles , divîfés de leur
aveuglement. Ceft ce qu'on ap-
pelle le fens divifé. Les fourds en--
tendent : on parle encore - là des
fourds dans le fens divifé i c'eft-à-
dire, de ceux qui étoient fourds >
& qui ne le font plus.
Au lieu que dans la féconde pro--
pofîtion , les aveugles ne voient
point ^ il eft clair qu'on veut parler
des aveugles, entant qu aveugles j
ce qui eft le fens compofé.
Une chofe eft prife dans le fens
compofé , quand cIIq çft regardée
de M. du Marfais. 1 1 1
conjointement avec une autre j &:
elle cft prife dans le fens divifé ,
quand elle eft confidérée féparé-
ment. Dieu jujlifie les impies :
impies^ eft pris là dans le fens divifé j
c eft-à-dire , que Dieu les juftifie par
fa grâce, en les féparant de leur
impiété. Au lieu que fi vous difiez :
les impies n^ entreront point dans
le royaume du Ciel^ vous prendriez
impies dans le fens compofé. Ceft
dans ce fens compofé que faint Paul
a dit que les médifans y les avares ^
&CC. n'entreront point dans le royau-
me du Ciel ; c'eft- à-dire, s'ils per*
févèrent jufqu a la mort dans ces
habitudes criminelles.
On ne peut pafTer, fans fophifmc,
de Tun de ces fens à l'autre , dans
)a fuite d'un même raifonnemenc.
[C 1 1 ouvres pofihumes
On peut rapporter ici les fauJC
îugemens que Ton fait quelquefois
fur la conduite des hommes, en
les confidérant félon le fens divifé ;
c'eft-à-dire , félon quelques-unes
de leurs bonnes ou de leurs mauvai-
fes qualités , fans avoir égard aux
autres.
Annibal étoît grand capitaine :
félon cette confidérarion , après la
bataille de Cannes, on jugea qu'il
alloit fe rendre maître de Rome :
c'étoit le fens divifé. Mais le trop
de confiance & la mollefle le re-
tinrent à Capouci & par cette con-
duite 5 félon le fens compofé , il
donna aux Romains le temps de fe
mettre en état de le chafTer de l'I-
talie.
Ce magiftrat^en tant que ma-.
giftrat ^
'de M. du Màrfaisl 1 1 j'
giftrat, ce religieux, en tant que
religieux , cet homme d efprit . en
tant qu'homme d'efprit, ne fera pas
une telle adion j c'eft le fens corn*
pofé : mais en tant que fujet à une;
paillon plus forte que la confidé-
ration de fes devoirs , il fe laiflera
emporter à cette palTion , malgré
fes lumières : c'eft-là le fens divifé;
Ce qui fait voir qu'il ne faut pas
juger des hommes 5 ni par certaines
qualités extérieures > ni même par
ce qui eft de leur propre intérêt j
mais par leur tempérament , leurs
penchans, leurs inclinations j en un
mot, dans le fens compofé.
Dans le fens compofé, un mot
Conferve fa fignification à tous
égards , & cette fignification entre
li^ns la compoficipn de toute \k
H
[ï i 4 (Êuvres pojihumes
|)hrafe : au lieu que dans le fens
divilé 5 ce n eft qu'en un certain
fens & avec reftriâiion, qu'un mot
conferve fa première fîgnification,
J^es aveugles voient; c'eft- à-dire ^
<:eux qui ont été aveugles.
XI. Sophisme.
PaJJer du fens colleclif au Cens
diflributïf^ Ù du fens dijirihui
tif au fens colleclif
Par exemple :
L'homme penfe;
Or Thomme eft compofé de corps &
d'ame :
Donc le corps & Tame penfent.
L'homme penfe dans le fens
îdiftributif 5 c'eft-à-dire , félon une
de fes parties y ce qui fufEt pouE
de M. du Marfais. \i^^
Faire dire en général que l'homme
penfe ; mais Thomme ne penfe pas
coUedivemcnt 5 félon toutes fes
parties.
Ceft aînfi qu'on réfout ce fophif^
jne puérile.
Les Apôtres étoient douze -,
Of Saint Pierre étoit Apôtre :
Donc Saint Pierre étoit douze.
Les Apôtres étoient dow^e col-
ïedivement, c'eft- à-dire 5 pris tous
enfemble , & non diftributivementi
c'eft - à - dire , pris chacun féparé-^
tatnn.Doncfaint Pierre étoit dou-^e^
c'eft-à-dire, qu'il étoit diftributive-
ment lun des douze, & non tous
les douze enfemble colledivement*;
r^^
^
H^
Xî6 (ouvres poflhumeS
XII. Sophisme.
Du naturel au furnaturel; du nal
turcl a l'anificieL
Paffer d'un genre à un autré>
i.° Lorfque Ton palïe de Tordre
niéraphyfique à Tordre phyfîque.
Je fais ce que fentends quand ]o
parle de montagne, de ville, d'affir-
mation, de négation, de vie, de
mort, &c. Je dis alors que j'ai Tidée
de montagne , de ville , ^c. Maïs lô
verbe avoir eft pris là par abus dans
un Tens figuré j nous n'avons pas Une
idée de la même manière que nous
avons quelque objet réel: ainfi, ceux
qui regardent les idées comme des
êtres réels, paiîént de Tordre meta*
phyfique à Tordre phyfique.
Il en eft de même de madère i
Les ditFércns corps particuliers U
de M. du Marfais. Xiy
réels qui nous environnent, nous
afFedent par les impreflîons qu'ils
font fur les organes de nos fensv
Enfuite, faifant abftraftion de toutes;
les inipreffions particulières , c'eft-à-'
dire, n'ayant égard ni à la couleur;
ni à la folidité, ni à la molleffe, ni
enfin à aucune autre forte de pro^
priété fenfible des corps particuliers^^
nous nous formons par analogie ,^
avec une bafe ou un pied - d'eftal
fur quoi on pofe quelque chofe ^ l'i-
dée d un fuppôt généi^ de toutes
ces propriétés > & ce fuppôt ima-
giné nous ^appelons matière ou ma-^
tière première ^ que nous regardons
comme la bafe de toutes ces pro-?
priétés 5 & qui n eft: qu ua terme
abftrait, tel que longueur ^ blani
cheur ^ couleur^ &c. car il ny a^
{i 1 8 dEuvres pofihumes
point d être réel qui n^ foie que
matière dépouillée de toute autrq
propriété.
. Il n'y a parmi les créatures que
^es êtres particuliers. La matière en
général , ou matière première ^ n eft
qu'un terme abftrait &; une pure
production àc notre efprit*
AinJfî j au lieu de nous borner à
Be confidérer la matière que com-
me le fuppôt imaginé des propriétés
<ies corps, regardons- la comme un
iîgne dune'^afFedion de notre ef-
prit, en un mot, d'une abftradion,
^non comme l'expreffion d'un ob-.
jet réel i car c'eft paffer de l'ordre
raéçaphyfique ou idéal à l'ordre
phyfiquç, que de regarder la ma-
tière comme un être réel y (uicc^-
îîbie de toutes fortes de formes, ôf
de M. du Marfais. 4 t ^
de croire que les corps particuliers
jue font ce qu'ils font, que par l'ar-^
rangement ou difpofîcion des par-*;
ties de cette prétendue madère prei
mière^ qui, n étant elle-même rien'
de réel, ne fauroit avoir de parties^
C'efl cette fauffe manière de rai-i
fonner qui a fait imaginer à certains
fanatiques, toujours dupes de leur
prévention, que Texiftence de l'or
ne coniîftoit que dans un certain
arrangement de matière j qu ainfi,
l'art pouvoit donner cet arrange-
ment aux autres métaux, & par - là
les faire devenir or.
Mais les corps particuliers, dans
Tordre phyfique, font intrinsèque-
ment en eux - mêmes & par leiiç
propre exiftence, ce qu'ils font, &
ne peuvent recevoir daltératioa
«4
%iù ouvres pofthumes
que jufquà un certain point, ^
félon le procédé uniforme & inva-^
ri^ble de la nature, & dont le peu
de fagacité des organes de noS
fens nous dérobe le méchanifme»
yous n'aurez jamais de bled que
par des grains de bled, ni d'ani-
mal vivant que par la voie établie
dans la na^ture pour la production
des animaux: vous n'aurez jamais
de nourriture folide avec de fîm-;
ples liqueurs, & votre eftomach
ne formera jamais de bon chile
avec du poifon. Cç que Ton dit de
Mithridate n'eft quune fable. Le
Czar Pierre voulut accoutumer les
çnfans de (es matelots à ne boire
que de l'eau de la mer. Ils mou-
rurent tous.
Ainfi, nç regardons le mo;: c|e
^de M. du Marfais: 1 1 i]
matière que comme un terme abf-
trait, & comme le fuppôt imaginé
des qualités fenfibles : n ôtons ni
n'ajoutons rien à ce que nous en-
tendons par cette idée.
Les Mathématiciens regardent
par abftradion la ligne comme une
f impie longueur: ce feroit encore
paiTer de Tordre métaphyfique à
Tordre phyfique, que de ne confî-
dérer enfuite la ligne phyfique uni-
quement que félon fa longueur, &
dire qu'une ligne tirée fur quelque
corps, n'a que de la longueur fans
aucune largeur.
z.^ On pafTe encore d'un genre
à un autre, lorfque Ton veut expli-
quer les myftères de la Religion;
qui font de Tordre furnaturel, par
4es raifonnemens fondés fur Tordre^
'1 2 a (Euvres pofthumeS
phyfique. Quelques anciens font
tombés dans ce fophifme , lorfqu ils
ont voulu expliquer le myftére de
la réfurredion par le phénix j en
quoi ils fe font encore égarés pat
le fophifme de la fauffe fuppofition;
car il n'y a jamais eu de phénix re:
produit de (es propres cendres.
Ainfi , quand il s'agic des myftèrea
de la foi, on doit impofer (ilence à
la raifon , pour s'en tenir fimplemenc
à la révélation, ceft-à-dire, aux
chofes que Dieu a découvertes aux
hommes d'une manière furnaturellei
au lieu de donner la torture à l'ef-
prit pour imaginer des fyftèmes de
conciliation entre la foi & la rai-;
fon. Si le point dont il s'agit efl
révélé, tout eft ditj il faut le
croirç: 0 ALTITUDO ! Plus dç
dt M. du Marfais, 113
raîfonnementjplus de comparaifon
ni d analogie 5 plus de création de
termes abflraits, imaginés pour élu-
der des difficultés qui doivent cé-
der à Tautorité divine. Si ce dont
il s'agit neft pas révélé^ou n eft pas
une conféquence néceffaire d'une
vérité révélée, la raifon, dont Dieu
même eft l'auteur ^ rentre dans fes
droits. On ne doit fuivre alors que
les fimples lumières naturelles 5 rec-.
tifiées par l'expérience & par les ré-
flexions, c'eft-à-dire, par l'efprit
d obfervation & de juft elTe , fans re-
courir à des raifonnemens qui nous
paroilTent analogues avec les myf-
tères.
Ainfî 5 ceux qui veulent ou excu-
fer ou défendre le merveilleux ima-
giné du paganifme > par la reflem^;
ï 24 (Euvres pofihumes
blaiice qu'ils y trouvent avec le meifi
veillcux réel & révélé de TEcriturel
faintc y me paroijrent tomber dan^
le fophifme dont nous parlons.
Homère, à la fin du 19^ livre de
fon Iliade, fait parler le cheval
d'Achille. Madame Dacier ne fe
contente pas de rexcuferv elle Tad-
mire. ccÇétoit ( dit-elle ) une tradi-
^ tion reçue parmi les Grecs , que
» le bélier de Phryxus ayoit parlée'
» L'hiftoire ancienne > où l'on rapn
» porte plufiçurs iniracles fembla^^î
» blés, par exemple, qu'un bœuf
» a parlé , fembloit autorifer Ho,-;
33 mère. D'ailleurs, il pouvoir avoiç
» oui parler du miracle de rânefTe!
» de Balaam , qui parla. » Et dans
le livre de la corruption du Goût ^
p. iSj, ccj ofe dire ( cefl Madame
^de M. du Mdrfais: 125
Dacîer qui parle ) qu il n'y a point
» dendroît dans Homère où la
» grande adrefle de ce Poète pa-
a> roifTe dans un plus grand jour.
» Le P. Le BofTu a fort bien dit ,
(continue-t-elle) que cet incident
t> doit être mis entre les miracles
» do nt riliàde eft pleine i comme
» on lit dans l'hiftoire Romaine qtie
*> cela eft tjuelquefois arrive y &
9> comme nous le fçavons de 1 a-
3> neffô de Balaam : de forte que
v> quand Homère auroic ufé plus
9> fouvent de cette licence , on ne
» pourroit blâmer fa fable de quel-
:p que irrégularité. Voilà (pourfuît
toujours Madame Dacier ) com-
» me parlent les gens inftruits-
11 me paroît, au contraire, que
4;€ft manquer d'inftru^ion & de
as Œuvres paflhumes
juftefTe dans le raifonnement \ 8è
avoir bien peu médité fur le carac-
tère de Tefprit humain , & fur la
différence que l'on doit mettre
entre Tordre naturel & Tordre fur-
naturel , que de fe fervir de Texem-
ple de Tâncffe de Balaam pour juf-
tifier la fidion puérile d'Homère^
ou pour nous faire croire ce que
Thiftoire profane rapporte des ani-
maux qui ont parlé. Ceft abufer
de l'Ecriture fainte, que de la faire
fervir à autorifer les rêveries des
Poètes ou des Hiftoriens profanes ,
& les bruits populaires quicouroient
de leur • temps.
Qu Agamemnon immole fa fîlle
Iphigénie , & que notre imagina-
tion s'amufe encore aujourd'hui à
la repréfentation de cette hiftoireg^
de M. du Marfais. 1 2,7
Ou de cette fable , fi honteufe à la
manière de penfer de ces temps-là i
mais qu'on ne l'autorife ni de l'e-
xemple de Jephté , ni de celui
d'Abraham. En un mot , tenons-
nous aux bonnes règles , foit pour
former notre goût dans les ouvra-
ges d'cfprit , foie pour la conduite
de nos mœurs , foit enfin pour la
croyance que nous devons accor-
der ou refufer à ce que l'hiftoire
nous raconte dé merveilleux*
Il a plu autrefois à Dieu de faire
connoître fa volonté par des fongesj
nous fervirons-nous de ces exemples
particuliers pour autorifer le fonge
d'Hécube, & tant d'autres fonges
dont il eft parlé dans l'hiftoire, dans
la fable î & n'eft-ce pas avec raifon
c^ue l'Eglife nous défend aujourd'hui
fil 8 (Euvres pojihumts
d'ajouter foi aux fonges & à tout^
révélation quelle nautorife pas î
Elle feule eft la colonne de la vé-
rité , la règle , le canal & Tinterprète
de la divine révélation.
L'ordre naturel eft uniforme J
ainfi^ nous avons droit de raifonner
par analogie & fur de fîmples con-
formités 5 dans les chofes naturel-
les. Ce qui eft vrai une fois dans
Tordre de la nature, Teft toujours ^^
quand les circonftances fe trouvent
exadement les mêmes : ainfî, où
nous voyons les mêmes apparences;
nous devons juger la même caufej
& il ne nous faut pas moins qu'à
faint Jofeph , ce chafte époux de
Marie, une divine révélation pour
nous tirer de Tordre commun.
Mais la manière dont Dieu agit
dan§
de M. du Marfais. Tz^
(dans Tordre fùrnatuiel, n eft poinc
fondée fur une pareille uniformité :
au contraire , les faits furnaturels ne
font produits que par une volonté
particulière de Dieu , ou par une
permiflion fpéciale. Ainfî, nous ne
devons jamais raifonner par ana-
logie dans les faits de Tordre furna^
turel , & nous devons nous tenir
précifément à ce qui en eft révélé.
L'Ecriture fainte nous apprend
que Nabuchodonofor fut changé
CM bœuf 5 par une punition divine r
c'eft paflér d'un genre à un autre ^
que de fe fervir de cet exemple
pour autorifer les mctamorphofes
d'Ovide \ & ii quelques fanatiques fe
croyoient changés en bœuts ou en
loups, les IViédecins & les Philofo- M
phes ne devroient pas moins les
I
:T5 b Œuvres pofikiimes
traiter d'hypocondriaques, & re-
garder ces accidens comme des
effets de la force & du dérèglement
de l'imagination. Horace 5 dans le
récit qu'il fait d'un de fes voyages,
dit que lorfqu il fut arrivé à Gnatia,
les habitans de cette ville lui four-
nirent une occalion de rire & de
plaifanter. «Ils voulurent nous per-
05 fuader ^ dit-il , que l'encens qu'ils
» mettent fur le feuil de leur tem-
o> pie 5 s'enflâme de lui-même fans
>^ feu ». Sur quoi Madame Dacier
ne manque pas d'obferver que ce
îfnitacle a beaucoup de contormité
avec celai d'Elie , qui fie defcendre
le feu du Ciel fur fon facrifice :
ce qui eft pafler d'un ordre à un
autre.
En un mot, tous nos jugement
de M. du Marfais. t 3 i
doivent avoir un motif propre &
légitime ^ fur lequel l'acquiefcenlent
de notre elprit doit être fondé. Les
faits furnaturels marqués dans l'E-
criture fainte , nous font connus par
un témoignage qui a droit d'exiger
notre confentement j au lieu que
ce que lo^s hommes nous racontent
de contraire aux règles uniformes
de la nature 5 ne peut être qu'une
produdion oudeleurignorance^ou
de leur goût pour le merveilleux^
ou de leur imbécilité, ou du déran-
gement de leurs idées 5 ou du plaifîr
que les efprits gauches trouvent à
en impofer aux autres , ou enfin de
leur fourberie , qui s'accorde fou-
yent avec leur intérêt.
Ainfi 5 toutes les fois que les faits
extraordinaires ne feront pas autor
I 2.
^x 3"ê. (Euvres poflhumes
rifés exprcfTément par l'Auteur & \é
Maître de la nature même, la droite
raifon exige que nous foyons per-
fuadés que ceux qui les racontent
fe trompent^ ou qu'ils font trompés^
plutôt que de croire>fur leur lîmple
témoignage , donc nous ne connoif-
fons que trop la foibleire, que la
nature fe foie démentie ,, &: que fon
divin Auteur , dont nous adorons
l'immutabilité , s'affujettiiTe à nos
caprices.
Mais rien ne coûte tant à Tefprit
que d'avouer fôh ignorance , & de
fe tenir fimplement dans cet aveu»
D'un autre côté, l'efpric eft paref-
feux, &c n'aime pas les difcufÏÏons
de l'examen j cependant il veut
Juger, &: quand il ne voit pas dune
première jue la caufe d'un cfFei;
de M, du Marfals. f 5 y
■qui rétonne , il en imagine une 9
& fi une caufe naturelle ne fe pré-
fente point à fon efprit , on a re-
cours aux caufes fnrnaturelles. Ceft
ainfi que les joueurs de gobelets i
les danfeurs de corde , ceux qui
paroifTent manger du feu & faire
fortir du ruban de leur bouche , U
même ceux qui font jouer les ma-î
rionettes, ont fouvent paffé pour
forciers parmi le peuple , toujours
avide de merveilleux , incapabla
d'examen & de réflexions combi-
nées, & qui ne juge des hommes
que par la manière commune d'a-
gir de ceux qui l'environnent.
Les bergers de la campagne, qur^
par des caufes très -naturelles , fe
plaifent à furprendre leurs voifins.,;
pu fe vengent de leurs ennemis.^
Il
1 3 4 tËuvres pofthumes
pafTent auffi pour inftruits des myf-
tères de la magie. Les furieux , les
épileptiques , pour lefquels la fa-
gefle des derniers temps a faitconf:
truire des hôpitaux utiles y qui en-
lèvent au peuple un prétexte de
fuperftition, ont fouvent pafTé pour
démoniaques : mais voici quelques
réflexions qui pourront fervîr de.
préfcrvatif contre ces erreurs.
i.^ L'ignorance de la Phyfique^.
jointe au goût du merveilleux , &C
au penchant de vouloir toujours dé-
cider & trouver une caufe quel*
conque 5 plutôt que d'examiner ou
de demeurer indéterminé , a donné
lieu de recourir à une caufe furna-
tureile j ce qui eft arrivé ^ même
dans le paganifme , & qui ar-
rive encore aujourd'hui dans le
de M. du Marfais. ' jf 3 j^
Nord , aux Indes , & chez tous
les peuples où la Phyfiq^ue eit
ignorée.
Ce fut cette ignorance de la^
Phyfîque qui porta autrefois des
perfonnes, d'ailleurs très - refpeda-
blcs, à condamner ceux qui, voyant
que le foleil fe lève le matin d ua
côté &c fe couche le foir d'un autre;
foupçonnèrent que ce coucher dtt
foleiUpar rapporta nous^pouroit
bien être fon lever , par rapport à
d'autres peuples. Ces malheureux
Philofophes furent condamnés > &
même exclus de la fociété des £[•
dèles : cependant , l'expérience a
juftifié leurs conjectures, & a fait
voir avec combien de fagefle & de
retenue oa doit agir en ces reni
contres 5 avant que de faire éclatç^
1 5? (Euvres pofihumef
la condamnation. Je pourois en rapï'
porter plufîeurs autres exemples 5
mais je me contenterai d'obferver
que plus on aura de connoiffances
aétaillées dans la Phyfiquc & dans
riiiftoire des mœurs & des opinions
des hommes, moins on fera la dupe
des erreurs populaires.
a.** Tous les Théologiens & les
Philofophes nous enfeignent que les
pures lumières naturelles ne nous
apprennent rien touchant les An-
ges & les Démons : DE Angelis
ET DmMONIBUS ratio NULLAy
F IDES PAUCA y IMAGINATIO
QUAMPLURIMA. Ainfi, lorfqu'au-
cun motif furnaturel ne nous tire
pas de l'ordre commun, dans le-i
quel nous n'avons que la raifon
cour guide, nous ne devons ja*
de M. du Marfaîs. \ 37
ïTiaîs avoir recours à une caufe
quelle ne connoît pas: ce feroit
tomber dans le fanatifme> où les
jugemens ne font fondés fur aucun
motif légitime*
D'ailleurs, la Religion nous ap-
prend que les démons ne peuvent
rien fans une permiflîon fpéciale de
Dieuj ainfî, ceux qui croient,
comme les payens, qu'il y a des
hommes qui peuvent produire des
effets furnaturels par le commerce
qu'ils ont avec le démon , ne pren-
nent pas garde qu'outre qu'ils adop-
tent en cela le fyftème du paganif-,
tne 5 il faut nécefîairement qu'ils
admettent deux fuppofîtions, dont
ils ne fauroient apporter aucune
preuve. En effet 5 cette opinion
fuppofc, i.^ une convention entre
1 3 s (Euvres pojihumes
Dieu & le démon , que toutes leS
fois qu'il plairoit à quelques fanati-
ques de faire certaines opérations
ou de prononcer certaines paroles^
Dieu permettroit au démon de
produire au gré du fanatique ce
que celui - ci demanderoit. z.^ Il
faudroic au fanatique une révélation
de cette convention, pour favoir^
& les paroles qu'il doit dire, & les
grimaces qu'il doit faire : or quelles
preuves avons-nous d'un traité (i
injurieux au fouverain Etre, dont
nous adorons la fageife & la bonté
infinie? & puifqu'on n'a aucune ré-
vélation de ce traité, comment
peut-on favoir que telles paroles ou
telles opérations font plus propres
que d'autres à produire les efFeks
dont il s'agit î
de M. du Marfais. i ^^
5.^ Les corps obfervent cntr'cux
un certain ordre invariable , qui
n eft point fubordonné à la volonté
des efprits créés, qui, par leur na-
ture, nont aucune relation avec les
corps. Il n y auroit plus rien de cer-
tain dans la Phyfique, fi des êtres
fpirituels pouvoient changer les
mouvemens: ainfî, tous les préten-
dus eflets furnaturels^ s'ils ont quel-
que fondement, ne doivent être at-
tribués qu'à des caufes naturelles i
& s'ils font fuppofés, ils ne font que
de vaines productions de l'impof-
ture ou du fanatifme.
4.° Certains effets, tels que ceux
de la pierre d'aimant, de l'éledricitér
de la produdion des plantes, de la
génération des animaux, de leur
Butrition, ^c. quelques merveilleux
K
34 ù (Ruvres poflkumes
quils foient, n'excitent point tn
nous ce fentiment d'admiration qui
nous fait recourir à une caufe fur-
naturelle : pourquoi ? feroit-ce par^
ce que nous trouvons ces effets dans
la nature ? cela feul devroit fuffire i
mais nontc'eft parcequ'ils arrivent
tous les jours 5 nous y fommes ac4
coutumes.
Or les événemens plus rares qui
nous étonnent, font-ils moins dans
la nature, parcequ'ils arrivent raH
rement, & que nous en ignorons la;
caufe ? eft-ce là une raifon qui doive
nous faire recourir à une caufe fur-
naturelle ? Une comète ne paroît
pas (î fréquemment que la lune ou
le foleil: en eft-elle moins dans
Tordre de la nature? Un bruit fou-i
.dain nous éveille pendant la nuiç^
de M. du Marfais. 141
clone c'eft un efprit follet ou un re-
venant qui la caufé : n eft-ce pas là
paffer de Tordre naturel à Tordre
furnaturel? ne feroit-il pas plus rai-
fonnable d'attribuer ce bruit à queL
que caufe naturelle, quoiqu in-
connue ?
5 .^ Il y a eu dans toUs les temps
'des impofteurs &: des fanatiques de
bonne ioi, qui, fécondés par Tigno-
rance, la foibleffe & la fuperftition
des peuples, ont établi des fectes,
qui , femblables à la contagion , ou ,
il vous voulez, aux comètes , ont
duré plus ou moins long - temps.
Environ mille ans avant notre ère,
le culte de Tidole Fo ou Foë fut
établi dans TAfie orientale , où il
fubiifte encore aujourd'hui* C'eft ce
dieu que prêchent les Bonzes à la
142. Œuvres poflhumes
Chincj c'eft en fon nom, dit rAuteUf
de THiftoire dererprithumain^qu ils
prêchent une vie immortelle 5 &
que des milliers de Bonzes confa-
crent leurs jours à des exercices de-
pénitence qui effraient la nature*
Quelques-uns pafTent leur vie nuds
& enchaînés , d'autres portent un
carcan de fer qui plie leur corps, &
tient leur front toujours baifle en
terre. On peut dire, à leur égard, ce
que TertulHen difoit autrefois : Ce
neft pas le fupplice qui fait le
martyr, c'eft la caufe. Ces Bonzes
font féduits par leur fanatifme , &r
leur fanatifme féduit ces peuples
par ce qu'il a de merveilleux & de
furprenant. Si ces Bonzes menoienc
une vie commune, & qu'ils donnaf-
fent des leçons &: des exemples de
de M. du Marfais. 145
moIIcfTe ou de volupté, le peuple
ne trouveroit rien de furnaturei
dans leurs fermons ni dans leur
conduite \ au lieu que la vie ex-
traordinaire qu'ils mènent^fait que,
le peuple, que tout furprend, hors
le commun &: l'ordinaire, pafle à
leur égard de l'ordre naturel dont
il ne connoît pas l'étendue , à un
ordre furnaturei dont fon imagina-
tion fe trouve étonnée, fatisfaite
î& remplie.
C'eft encore pafTer d'un ordre à
tin autre, que de prendre dans le
fens propre, ce qui n'efl: dit que
dans le fens figuré.
Quand Jefus - Chrift dit que la
où cji notre tréfor , la efi notre
ccEURj par ce mot cœur on ne
doit point entendre cette partie de
1144 (ouvres pofihumes
notre corps qu'on regarde commd
la principale j on entend en cet eni
droîtjpar ce tnot^Vaffeciîon de Vame^
Ceft ainfî que ïowàXvJ)onne\votrc
CŒUR a Dieu y c'eft-à-dire, aime':^
Dieu. Il y a plufieurs autres façons
de parler 5 où ce mot cœur ne doit
être entendu que dans un fens fi^-
guré : c'efl: ainfî qu'on dit donner
fon cœur ^ reprendre j on cœur ^ &rc*
Cependant, un grand prédicateur
du feizième fîècle, dit qu'un Sei-
gneur avare étant mort, lorfque l'on
fit Touvcrture de iow corps pour
lembaumer, on n'y trouva point
de caur, ce qui furprit beaucoup
les Chirurgiens : mais un perfon-
nage grave & favant, qui étoit pré-
fent à l'ouverture du cadavre , per-
fuada aux parens ^ aux Chirurgiens
d-'allet
de M. du MarfaiS. 145^
d'aller voir fi le cœur ne feroit pas
dans le cofïre-fort: Allez, dit-il, au
coffre-fort du défunt^ peut être que,
félon la parole du Seigneur, vous y
trouverez ce cœur que vous ne
trouvez point dans fon corps. En
effet, dit lauteur, on va au coffre-
fort, on l'ouvre , & on y trouve réel-
lement le cœur de cet avare. De
pareilles fables, débitées de bonne
foi, font plus inftrudives que les fa-
bles d'Efope, parce quelles appren-
fient à connoître lefprit humain.
Nota exemplum de illo avaro
divite y cujus cum cadaver pofi
tnonem aperiretur^ forte ut balfa-
maretur ^ Jicut Nobilibus interdum
jieri foLet y nec a Chirurgicis cor
ejus inveniretur y ait quidam vir
gravis ù doclus ibi adflans : Itc
K
i^ë Œuvres pofihumes
ad arcam in quâ recondïti funt thc'^
fauri ejus^ & forte invenictis ^ juxta
Doniini fcntwtiam. Quod cum fac--
tum fuijjct ^ ibi realiter inventum
eji divino nutu ^ cor ejus ^ infignum
damnadonis fax ^ nulli dubium.
Expojido Evangclîorum quadragejima^
lium R. F. Guill. VQ^im^PariJlenJis Doct.
TheoL Ord. P radie. Venetiis 1658. Expof
in du Cincrum. pag^ i z , verfo.
XII I. Sophisme.
Pajfer de l'ignorance a la Science.
La règle eft de paiGTer du connu
à l'inconnu ; mais il y a, au con-
traire, des perfonnes qui veulent
nous faire pafTer de l'inconnu à ce
qu ils croient favoir.
de M. du Marfais, i j\y^
XIV* Sophisme*
Du pouvoir à Tade.
A pojjc ad actum^ non valet cpn^^
fequentia.
Du cercle vicieux;
Ceft ce quon appelle autre-î
ment dlallele ou alternatoire ^^
Aiûi^Tici^iç ) d?^€tyri , M UT ATI O
a?^ccajco , M U T O. Lorfque pour
prouver une chofe qui eft en
queftion, nous nous fervons dWe
autre chofe dont la preuve dépend
de celle-là même qui eft en quef"-
tîon , les concluions doivent être
renfermées dans les propoiitions
dont on les tire»
i^.S Œuvres pojîhumes
Article XIV-
jD^ différentes fnanières de rai^
former.
JN G u s avons dit que le fyllogîfme
étoit compofé de trois propofîtiôns,
la majeure 5 la mineure , la conclu-
iion ou conféquence^
Dans les difcours t3ratoires & dans
les converfations familières^on ne fe
fert point explicitement du fyllogif-
me-, ceferoitune manière de parler
trop dure & trop sèche ; mais le fyl-
logiimeeft toujours exprimé ou ren-
fermé dans tont raifonnement. Les
Orateurs prennent chaque propofî-
tion en particulier, les entendent, les
amplifient j avant que de venir à la
de M., du Marfais. i^jr
conclufion. Par exemple, le Logi-
cien dira:Tout le monde eft obligé
d'honorer les Rois j Louis XV eft
Roi : donc tout le monde eft obligé
dlionorer Louis XV. L'Orateur s dé-
tendra fur chaque propofition^il fera
voir que les loix naturelles , divi-
nes & humaines , que la piété , que
la Religion , obligent les fujets d'ho-
norer les Rois. Enfuite il paflfera à
la féconde proportion. Il admirera
la grandeur 5 la- puiffance, la mo-
dération 5 la bonté de Louis XV,
la vafte étendue de fon génie , &:c.
Enfin, il conclura que fes fujets
doivent l'aimer comme leur père j
le révérer comme leur maître, &
l'honorer comme celui qui tient
la place de Dieu même fur la,
terrco
1 5 o (ouvres pojihumes
L'oraifon de Ciceron ^ pour la
défenfe de Milon , n'eft quun
fyllogifme tourné en Orateur.
Un Logicien auroit dit fimplement
qu'il eft permis de tuer celui qui
nous drefle des embûches ; que
Clodius a dreflé des embûches à
Milon : donc il a été permis à
Milon de tuer Clodius. Ciceron
étend d'abord la première propo.
iition i il la prouve par le droit na-
turel , par le droit des gens , par
les exemples , &:c. Il defcend en-
fuite à la féconde propofition j il
examine l'équipage , la fuite y &
toutes les circonftances du voyage
de Clodius i & il fait voir que Clo-
dius vouloit exécuter le projet d af-
faffiner Milon: d'où il concludquc
Miioa n'étoit point coupable d'à-
de M, du Marfals. ï 5 t
voir ufé du droit que donne la né-
ceflicé d'une légitime défenfe.
Outre le fyllogifme, à quoi fe
réduifent tous les difcours fuivis , il
faut encore obferver lenthymème,
le dilemme , le forite & l'indudion.
Article XV.
De VEmhymhne.
Lenthymème cft un fyllogifme im-
parfait dans rexpreiïîon : fyllogij-
mus truncatus ; parcequ'on y fup-
prime quelqu'une des proportions,
comme trop claires &:trop connues.
Oh fuppofe que ceux à qui Ton
parle pourront aifément la fup-
pléer. Par exemple: la comédie
ell dangereufe , parcequ'elle amal-
lie Iq cœur.
K4
it 5 2. (Ëuvres pofihumes.
Ou bien :
Tout ce qui amollit le cœur eft daii-f
gereux :
Donc la comédie eft dangereufe.
Il eft vifîblc que Ton fous-cntenci
la mineure dans cet enthymème.
Le fyllogifme feroit:
Tout ce qui amollit le cœur eft dan*^
gereux 5
Or la comédie amollit le cœur:
Donc la comédie eft dangereufe.
On donne ordinairement pour
exemple ce vers que Senèque fait
dire à Mcdée :
fai bien pu te fauvcr; ne puis -je
pas te perdre f
Le fyllogifme feroit :
Il eft plus facile de perdre quelqu'un^'
que de le fauver;
de M. du Marfais. 153
Or Je t'ai fauve :
Donc je peux te perdre.
Tel eft encore CQ.t enthymèmc
fameux.
Mortel, ne garde point une haine
immortelle.
Le fyllogifme feroît :
Ce qui eft mortel ne doit pas confer-
ver une haine immortelle qui dure
plus que lui.
Or vous êtes mortel :
Donc vous ne devez pas conferveif
une haine immortelle.
Article XVI,
Du Dilemme.
IjE dilemme eft un raifonnement
ÇQmpofé , dans lequel on divife un
1 54 (ouvres pofthumcs
tout en Tes parties i & Ton conclud
du tout 5 ce que Ton a conclu de
chacune de fes parties. Ceft pour-
quoi on rappelle : Argumentum
utrimque fcriens ; c'eft-a-dire, argu-
ment qui frappe des deux cous.
C eft pour cela encore qu'on l'ap-
pelle argument fourchu. Par exem-
ple, on dit aux Pyrrhoniens , qui
prétendent qu'on ne peut rien fa-
voir:
Ou vous favez ce que vous dites 5 ou
vous ne le favez pas.
Si vous favez ce que vous dites , oti
peut donc favoir quelque chofe :
Si vous ne favez ce que vous dites,
vous avez donc tort d affurer qu'on
ne peut rien favoir; car on ne
doit point afïurer ce qu*on ne .
lait pas.
La grande règle des dilemmes ;
de M. du Marfais. 155
c'eft que le tout foit divifé exade-
ment en toutes fes parties \ car fî
le dénombrement eft imparfait 5 il
eft évident que la conclulion ne
fera pas jufte.
Par exemple , un Philofophe
prouvoit qu'il ne falloit pas fe ma-
rier, parceque , difoit - il , ou la
femme que l'on époufe eft belle,
DU elle eft laide \ fi elle eft belle ,
elle caufera de la jaloufie j fi elle
eft laide , elle déplaira.
La divifion n'eft pas exade, &
la conclufîon particulière de chaque
partie n eft pas nécelîaire \ car,
i.^ Il peut y avoir des femmes
qui ne feront pas belles au point de
caufer de la jaloufie \ ni fi laides >
qu elles déplaifent.
^.^ Une femme peut être belle;,
15^ ouvres poflhumes
& en même temps être fi fage &
il vertueufe^ qu elle ne caufera point
de jalouiîei & une laide peut plaire
par Tefprit & le caraftère.
11 faut fur- tout, dans le dilemme^
dans les autres raifonnemens , fe
mettre à labri de la rétorfion. Par
exemple , un ancien prouvoit qu on
ne devoit point fe charger des af-
faires de la République , par ce
dilemme :
Ou Ton s Y conduira bien, ou Tou
s-y conduira mal -,
Si Ton s'y conduit bien , on fe fersi
des ennemis;
Si Ion s y conduit mal , on ofFenfera
les dieux.
On lui répliqua par cette rétor-
ïîor^ :
Si Ton s^j gouverne avec foupleiïç $ç
de M. du Marfais. i 57
avec condefcendance, on fe fera des amisj
& fi Ton garde exadement la juftice, on
contentera les dieux.
Article XVII.
Du Sorite.
Il y a une autre forte de raîfon-
nement, compofé dune fuite de
propofitions , dont la féconde doit
expliquer l'attribut de la première \
la troifième, lattribut de la fécon-
de 5 ainfi de faite jufqu à ce qu'enfin
on arriveàlaconféquenceque Ton
yeut tirer.
Par exemple , je veux prouver
que les avares font miférables , je
dis :
Les avares font pleins de defîrs \
1 5 8 (Suvres pofihumes
Ceux qui font pleins de defir.^ ^ man-
quent de beaucoup de chofes-,
Ceux qui manquent de beaucoup de
chofes, font miférables :
Donc les avares font miférables.
Remarquez qu'il eft eflentiel à
un bon forite que les propoiîtions
qui fe fuivent foient liées , & que
Tune explique l'autre i autrement,
elles ne feroient qu'autant de pro-
pofitions particulières qui ne con-
tiendroicnt pas la conclufion. Par
exemple, ce forites de Cyrano de
Bergerac.
L'Europe eft la plus belle partie du
monde -,
La France eft le plus beau royaume
de TEurope",
Paris eft la plus belle ville de h
France i
de M. du Marfais. i 5 9
Le collège de Beauvais eft le plus
beau collège de Paris*,
Ma chambre eft la plus belle cham-
bre du collège de Beauvais -,
Je fuis le plus bel homme de ma
chambre :
Donc je fuis le plus bel homme du
monde.
Ce raifonnement n'eft compofé
que de propofîtîons , qui ne font
chacune féparémenc, qu autant de
propofîtîons particulières , dont
Tune n'explique pas lautre , &
dont aucune ne contient la confé-
quence.
Article XVII L'
De VInduclion.
Aj'iNDUCTiON eft encore une forte
de raifonnement, par lequel on va
r ^o (Euvres pofihumes
delà connoiiTance de plufieurscho-
its particulières, à la connoifTancc
dune vérité générale. Par exem-
ple 5 on a obfervé que tous les
hommes aiment à recevoir des fm-
preflions agréables j qu'ils évitoient
tout ce qui leur caufoit de la dou-
leur : de ces différentes obferva-
lions particulières on en a conclu 5
par induétion , que tous les hom-
mes aimoient le bien, & qu'aucun
ne pouvoit aimer le mal, en tant
que mal.
Article XIX.
Conclujion.
IL eft évident, par tout ce que
nous venons de dire , que le rai-
sonnement
de M, du Marfais, 1 6 11
foiinement ne confîfte qu'en trois
opérations de l'efprit :
i.° A fe rappeler l'idée exem-
plaire de ce dont on veut juger.'
Ces idées exemplaires, nous les ac-
quérons par lulage de la vie , &
par la réflexion. Nous prenons l'idée
exemplaire la plus connue , par
rapport au fujet dont il s'agit dans
la conclufîon.
a.° A examiner fi l'objet dont il
s'agit , eft , ou n eft pas conforme
à cette idée exemplaire.
3.° A exprimer, par la conclu-
{ion , ce que je fens touchant cette
conformité ou cette non- confor-
mité. Par exemple, on me difpute
que cette figure O foit un cercle 5
je me rappelle l'idée exemplaire du
cercle i je compare cette figure à
ï6i Œuvres poflhumes
cette idée 5 & j'exprime , par la con-
clufîon, ce que je fens à roccafîon
de cette comparaifon.
Article XX.
De la Méthode.
La Méthode efl: Fart de difpofer
fes idées & fes raifonnemcns, de
manière qu'on les entende foi -mê-
me avec plus d'ordre, & qu'on les
faffe entendre aux autres avec plus
de facilité.
On dit comm.unément qu'il y a
deux fortes de méthode i l'une
qu'on appelle analyfe^ & l'autre
jynthcfe.
L'analyfe fe fait lorfque , par les
4écajls^ on parvient à ce quQii
de M. du Marfais. i ^ j
cherche : ceft une forte d'induc-
tion. On l'appelle aufli méthode de
réfoLution^
La fynthèfe, qu'on appelle aufÏÏ
méthode de compojition y confîfte à
commencer par les chofes les plus
générales 5 pour palier à celles qui
le font moins : par exemple , expli-
quer le genre avant que de parler
àQS efpeces & des individus. On
appelle auilî cette méthode , me--
thode de doclrine ^ parceque ceux
qui enfeignent, commencent ordt-
nairemcnt par les principes géné-
raux.
L'une &; Tautre méthode peut
pourtant être fuivie pour enfeigner;
& Tanalyfe eft fouvent la plus pro-
pre , parcequ'eile fuit l'hiftoirc de
I ^4 (Ëuvres pofthumes
nos idées, en nous menant du par-^
ticulier au général.
Voici quelques principes de mé-
thode:
i,^ Aller toujours du connu à
l'inconnu.
1.^ Concevoir nettement & dif-
tindement le point précis de la
queftion. On fait fouvent ce qu€
feroit un domeftique à qui le Mai-
tre diroit: Allez me chercher un
de mes amis. Si le domeftique par-
toit avant que de s'être fait expli-
quer précifément quel eft cet ami
que fon maître demande 5 il tom-
beroit dans le défaut de fe détermi-
ner, avant que de concevoir bien
diftindement ce qu on lui demande.
3o^ Ecarter tout ce qui eft inu-
de M du Marfais: t ^f ;
tile & étranger à la qucftion.
4.^ N admettre jamais pour vraî^
que ce que Ton connoît évidem-
ment être vrai.
5.^ Eviter la précipitation & la
prévention.
6.^ Ne comprendre dans fes ju-
gemens rien de plus que ce qu'ils
préfentent à refprit.
7.^ Examiner ïi le jugement efî:
fondé fur le motif extérieur &
propre qu'il fuppofe.
8.^ Prendre pour vrai ce qui
paroît évidemment vrai, pour dou-
teux ce qui eft douteux , & pour
vraifemblable ce qui nell que
yraifemblable.
^? Divifer le fujet dont il s'agît
en autant de parties que cela eft
t ëé Œuvres pojihumcs
néceflaire , pour réclaiccir & le
bien traiter.
lo.^ Faire par-tout des dénom-
bremens fi entiers , qu'on puifïc
s afTurer de ne rien omettre.
A R T I e L E XXI.
De la Méthode des Géomètres.
î^^'JLes Géomètres commencent
par les définitions, afin de ne laif-
fer aucune ambiguïté dans les ter-
mes j ils n'emploient dans ces défi-
nitions que des termes connus ou
expliqués.
x.^ Ils établifTenc cnfuite des
principes clairs & évidensj par
exemple^ que le tout eft plus grand
de M. du Marfais. i ^7
*jue quelques - unes de fes parties,
prifes en particulier.
3.° Ils prouvent les propofitions
un peu obfcures ou difficiles, par
les définitions qui ont précédé,
ou par les axiomes qui ont été
d'abord expliqués, ou qui leur ont
été accordés, ce qu'ils appellent
demande ; ou , enfin , par des pro-
pofitions qui ont déjà été démon-
trées.
FIN.
^
PRINCIPES
DE GRAMMAIRE,
o V
FR A GMEN S
Sur les caufes de la Paroles
JDes que nous venons au monde;;
nous fommes afFedcs de différentes
fortes de fenfations,à Toccafion des
impreiTions fenfîbles que les objets
extérieurs font fur nos fens. Nous
fommes capables de voir, d'enten-
jdre, d'imaginer^ de concevoir , de
1 70 (Ëuvres poflhutnes
relTentir du plaifîr & de la douleur^
& dans la fuite nous réfléehiflons
fur toutes ces diftércntes affedions;
nous les comparons, nous en tirons
des inductions, &c.
Ces fentimens ou affedions fup-
pofent premièrement, & de notre
part, qu'il y ait en nous tout ce
qu'il faut pour en être fufceptiblesj
ceft-à-dire, que nous ayons les or-
ganes deftinés par l'Auteur de la
nature à produire ces effets, & que
ces organes foient bien difpofés.
En fécond lieu, il efl néceffairc
de la part des objets, qu'ils foient
tels qu'ils doivent être , afin que tel
fentiment réfulte de telle impref-
fion.
Les aveugles ne voient point ,
parceque leurs yeux n'ont pomt U
de M. du Marfais. 1 7 r
conformation requife pour voirj
&: nous ne voyons point dans les
ténèbres , parceque les corps ne
reçoivent aucune lumière qu'ils
puifTent renvoyer à nos yeux.
Les impreffions que les objets
font fur les parties extérieures de
nos fens, font portées jufqu au cer-
veau , qui eft le fens interne , & où
tous les nerfs des fens extérieurs
aboutifTentj ou, ce qui eft la même
chofe , tous les nerfs partent du
cerveau & fe terminent aux diffé-
rentes extrémités de notre corps,
propres à recevoir & à porter au
cerveau les impreffions extérieures
des objets.
Comment tout cela fe fait - il î
ceft le fecret du Créateur Nos
connoifTances ne peuvent aller <^ue
M %
ï 7 ^ (ouvres pofihumes
jufqu'à un certain point, après le--
quel il vaut mieux reconnoître iîm-
plemenc les bornes de notre efprit,
que de nous laifler féduire par de
frivoles imaginations. Si la Nature
a des procédés au - deflus de nos
lumières, c'eftfavoir beaucoup que
de reconnoître que nous ne pou-
vons les pénétrer , & que nous fom-
mes à cet égard ce qu eft Taveugle-
né par rapport aux couleurs, & le
fourd de naiflance par rapport aux
fons*
Je dis donc qu'en conféquence
'de notre état naturel, & des diffé-
rentes imprefîîons des objets, nous
voyons, nous entendons, nous
comparons , nous connoifïbns, nour
jugeons y nous faifons des réflexions^
&c-
de M. du Marfais. 175
Ces différentes penfées & ces
divers jugemens fe font en nous
par un point de vue de fefprit qui
forme d'abord fans divifion toute
la penfée.
Je veux dire que nos jugemens
fe font d'abord par fentiment 5 c'eft-
à-dire, par une affedion intérieure
ou perception de fefprit, fans que
fefprit divife fa penfée , & confidèrc
premièrement la chofe, puis la qua-
lité, & enfin unifle, comme on dit,'
une idée à une autre idée. Cette
diviiion de la penfée cft une féconde
opération de fefprit qui fe fait rela-
tivement à félocution.
Ces mots idée ^ concept ^ j'^g^^
ment ^ doute ^ imagination y ne font
que des termes abftraits & méta-
phyfiques inventés par imitation
,^r 74 (Euvres poflhumes
pour abréger le difcours, & réduire
à des clafles particulières certaines
fortes de points de vue de fefprit.
Nous avons d'abord donné des
noms aux êtres feniîbles qui nous
ontaffcdés, lefoleil^ la lune ^ le
pain 3 un livre _, une montre ^ &cc^
cnfuite nous en avons inventé par
imitation, qui nous fervent à énon-
cer des points de vue particuliers
de notre efprit. Par exemple , pour
marquer l'état précis de l'animal >
en tant quil exerce fes fondions ,
nous difons la vie ; l'état où il eft^
quand il ceffe de vivre , nous l'ap-
pelons la mçru II en eft de niéme
de fommtil\ ouie ^ peur ^ amour ^
haine y envie ; beauté y laideur , &
d'une infinité d'autres. Tous ces
mots ne marquent point d'objets.
de M. du Marfais. 175
réels qui exilloni hors de notre ef-
prit, tels que les noms que nous
donnons aux objets fenfibics. Les
termes mécaphyfîques dont je parle
font des mots inventés par imita-i
tion, pour nous fervir à énoncer
avec plus de facilité & de préci^
{ion certaines contidérations parti-
culières de notre efprit. C'eft ainfi
que nous nous fervons des fîgnes
de l'arithmétique & de ceux de l'al-
gèbre.
Quand je confîdère le foleîl, je
donne un certain temps à cette
conddération. Si je penfe enfuite à
la mer, à la lune, aux étoiles,
chacune de ces penfées a auflî fou
temps, dont l'un eft différent de
' lautre, & chacun des objets de ces
penfées a fon nom» De même> je
17^ ouvres pofikume s
fens que dans l'état où je me trouve?
quand je fuis occupé d'une abftrac-
tion, & que je réduis, par exemple,
chaque forte de propriété à un
certain point auquel je les rapporte
toutes, chacune féparémentj ces
différens états de moi penfant ont
chacun leur inftant, & je donne des
noms particuliers à ces différentes
penfées abftraites, fans qu'il y aie
hors de moi aucun objet réel qui
réponde à chacun de ces noms,
comme il y a un objet qui répond
au mot foleil ^ un autre au mot
lune y & ainfî des autres mots qui
font les noms d'êtres qui ont une
exiftence indépendante de ma
penfée.
L'ordre phyfîque a des noms
appellatifs qui ne font au fond
que
de M. du Marfais. 177
que des termes abftraits quand on
nen fait aucune application parti-
culière j par exemple 5 ville y mon^
tàgnè y rivière y arbre ^ animal^
homme y &c. Ces noms font dits en-
fuite des objets particuliers à la
itianière des noms adjedifs. Il en eft
de même dans Tordre métaphy-
sique. Il a aufli Tes noms appellatifs,
idée y concept y jugement ^ affirma-*
tion y négation y doute y &C, On eft
fait auffi des applications iingulières,
une telle idée y un tel jugement y &c.
& ces noms ainfi appliqués dans
lun ou l'autre ordre netant plus
conddérés félon ce qu'ils ont de
commun, ou avec des confîdéra*
tions pareilles de refprit,ou avec
d'autres êtres femblables 5 ils dévien-
nent comme autant de noms pro-
N
î^S (ouvres poflhumes
près, en vertu des mots que nous y
joignons pour en faire une applica*
tion (îngulière.
Ces termes métaphyfîques étant
une fois inventés &: adoptés par
Tufage 5 ils entrent dans le didion-
naire de la langue , &: nous en ufons
de la même manière que nous ufons
des mots qui marquent des objets
réels»
Nous commençons toujours par
le fenfible. Nous avons dit>y^^i un
habit ^ j'ai une pomme y j'ai un
livre. Nous nous fommes familia-
Tifés avec le verbe avoir ^ qui eft un
mot très-intéreflant. Enfuite la di-
fette de termes, & le befoin de nous
exprimer, nous ont fain tranfporter
ce mot avoir en d'autres Qcca-
iîons, où nous obfervons quelque
de M. du Marfais. i'^^
Ibrte de rapport à la pofTeflionj
parce qu'en eftet nous voulons ex-
primer alors un état qui nous cft
propre. Ainii, comme nous avons
dityW un livre ^j^ al un diamant ^
y ai une montre ^ nous difons pat
imitation, y W la fièvre^ f ai envie ^
j'ai peur ^ J'ai un doute ^ j'ai pitié ^
j'ai une idée ^ &c. mais livre y dia-
mant ^ montre ^(onx. autant de noms
d'objets réels qui exiftent indépen-
damment de notre manière de
penfer; au lieu (\\iq fanté^ fièvre ^
^peur^doutey envie ^ ne font que des
termes métaphyiîques qui ne défi-
gnent que des manières d'êrres
confidérés par des points de vud:
particuliers de i'efprit*
Dans cet exemple ^ j'ai . unâ
montre ^ fai éft uiie exprelïîon qui
vi^o Muvres poflhumes
doit être prife dans le Cens propre^
tnais dans j^ai une idée ^ ')ai n eft
dit que par une imitation. Ceft une
exprelîion empruntée* J'ai une
idée j c'eft-à-dire , Je penfe y je con--
çois de telle ou telle manière. J'ai
envie y c'eft-à-dîre, y^ dejire; j'ai
la volonté y ceft-à-dire, je veux ^
&:c.
Ainfî, idée y concept ^ imagina-
tion ^ ne marquent point d'objets
réels, & encore moins des êtres
fenfibles que Ton puifTe unir l'un
avec l'autre*
Ge n eft point par de telles opé-
rations que les enfans commencent
à juger 5 ni que les fourds & muets
de naifl'ance forment leur jugement.
Ils n'ont pas l'ufage des mots qui
feuls nous fervent dans la fuite à
de M. du Marfais. r 8 1-
idîvifer notre penfée. Les mots n é-
tant formés que par des fons qui fe
fuccédent lun à l'autre , ils peuvent
être ou joints ou féparés, & c'eft
ainfî qu'ils nous fervent à confidé-
rer féparément ce qui en foi n'eft
point féparé.
Un enfant à qui pour la première
fois on donne du fucre, fent que
le fuGre eft douxj mais il ne confî--
dèrc pas féparément le fucre &puis
la qualité de doux, dont il n'a
point encore fait un terme abftrair^
D'abord il n'a que le fentiment, &
lorfque'^ans la fuite il fe rappelle
C€ fentiment par la réflexion, ou
qu'il le compare avec quel qu'autre
fenfation, tout cela, fe fait par au-
tant de points de vue de l'efprit qui
{ont la fuite ou le réfultat des dif^
Ni
i B\ Mièvres pofihumes
férençes irnprelTions qu'il a reçues 3^
hm qu'il faile eacore aucune de
ces cofiJddérations particulières qui
divifeat la penfée.
Mais il nous imparte par bien
des motifs de faire connaître aux
autres nos fentimens ou nas pen^:
fçes : or comrnent leur communi-^
quer les affedions intérieures ? les.
autres hommes , auiïi bien que nous,^
ne peuvent connoître que ce qui
fait quelque impreflion fenfible fur
Ips organes de leurs fens, ou ce qui
n'eft qu une fuite , une conféquence %
une indudion de quelques-unes de
cesinipreiïîons: or ce qui fe pafTe
au-dedans de nous-mêmes, çç qui
lious afte^e intérieurement^ne peut
par foi exciter aucune impreffioa
i\\X les organes des autres hornmeSh,
de M. du Marfais. i S ^
Nos befoins nous ont appris le
fecrct de cette communication de
pcnfées, D abord la Nature nous a
donné les fignes des paflionsj ils
font entendus dans toutes les na-
tions, à caufe d'une forte d'uniiTon
qu'il y a entre nos organes & les
organes des autres hommes. Ces
fignes des pafïîons font le rire, les
larmes, les cris, les foupirs, les re-
gards, les émotions du vifage, les
geftes , &c. Un feul mouvement de
tête fait connoître une approbation^;
lin confentemenc ou un refus. Ces.
fîgnes répondent à la {implicite &
à Tunité de la penfée j mais ils ne la
détaillent pas aifez, & par -là ils ne
peuvent fuffire à tout.
C eft ce qui nous fait recourir à.
l'ufage de la parole. Les fons ani?-
N4
''i§4 (Kuvres pofihumes
culés qui font en grand nombre ^ &
auxquels Texpérience & Tufage ont
enfin donné des deftinations parti-
culières:, nous fourniflent le moyen
d'habiller 5 pour ainfi dire, notre
penfée, de la rendre fenfible, de la
divifer, de ranalyfer, en un mot
de la rendre telle qu elle puifTe être
communiquée aux autres avec plus
de précifion &: de détail.
Ainfi 5 les penfées particulières
font, pour ainfi dire, chacune un
cnfemble^ un tout que l'ufage de la
parole divife, analyfe & diftribuç
en détail par le moyen des diffé-
rentes articulations des organes de
la parole qui forment les mots.
La néceflicé d'analyfer notre
penféç , afin de pouvoir lenoncer
par rcutreniife des mots, nous y
de M. du Marfaîs. 1 8 5
fait obferver ce que nous n y au-
rions jamais remarqué 5 (1 nous n'a-
vions point été torcés de recourir
à cette analyle pour rendre nos
pcnfées communicables, & les faire
paffer, pour ainfi dire y dans refprit
des autres.
L éducation & le commerce que
nous avons avec les autres hommes ,
nous apprennent peu à peu la va-
leur des mots 5 leurs différentes def-
tinations, les diverfes ufages de leurs
terminaifons, & ce qui fait quils
concourent enfemble à exciter dans
lefprit de celui qui lit.ou qui écoute,
le fens total ou la penfée que nous
voulons faire naître. L'ufage de la
vie nous fournit une abondante
provifîon de ces différens fecours 5
^uç l'habitude & Timitation nous
i 8 6 ouvres pofikumcs
font enfuice employer au befoin &
à propos.
Mais il s'en faut bien que tous
les peuples du monde fe fervent des
mêmes mots & de la même méthode
pour analyfer leurs penfées,& pour
les communiquer aux autres.
Comme chaque langue particu-
lière eft d mftitution humaine, &
qu elles ont été formées en diffé-
rentes fociétés d'hommes raflemblés
en certains pays, qui ne pouvoienc
point avoir un commerce de tous
les jours & de toutes les heures avec
les autres peuples j de - là eft venu
la différence dans les langages,
aufïi-bien que la variété que Ton
remarque dans la manière de s'ha-
biller, dans les mœurs, dans les
goûts & dans dautres ufages. Le
de M. du Marfais. 1 87
climat & le concours de mille au-
tres circonftances apporte auflî des
différences dans tous les points j
mais pour ne parler que du langage,
obfervons que les langues différent
entre elles,
I ^ Par la nomenclature , e'eft-à-
dire, par le fon particulier des mots.
Nous difons le Roi ^ les Latins di-
foient Rcx ^ les Grecs fictoiÀîuç.
1.^ Les langues différent par
l'abondance des mots. Il y a des
langues bien plus riches en mots,
& même en lettres que d'autres
langues. Dans les langues riches,
les penfées font analyfées avec plus
de détail, de netteté & de préci-
iion. La langue hébraïque eft fore
ftérile; la langue grecque eft trèS'
aboadante.
î 8 8 ouvres poJiJiumes
On peut obferver à ce fujet qu^II
ny a point de langue qui n'ait
quelque mot qu'on ne fauroit rendre
en nulle autre langue, autrement
que par une pérîphrafe. Par exem-
ple , nous avons règne & royaume;
les Latins n'ont que regnum ^ royau-
me, & s'ils veulent dire fou^ le
règne d'AuguJie ^ ils ont recours à
la périphrafe , dans le temps qu^Au^
gufie régnoit ^ Cous Augufle régnant:
régnante C^fare Augufio.
3.° Il y a dans toutes les langues-
des façons de parler particulières^
qu'on appelle idiotifnies ou phrafes
d'une langue. O/Zi^/V^eft unephrafe
de la langue françoife. -5/ dice ^ eft
une phrafe de la langue italienne.
Il arrive fouvent que les tra-<
dudeurs ne peuvent rejidre ces fa-
de M du Marfah. 189
Çons de parler par d'autres qui y
répondent exademenrj alors on a
recours à des équivalens, ou à la
périphrafe.
Tous les mots &r toutes les façons
de parler qui ne font point en ulage
dans une ration, blefl'ent les oreil-
les de Ceux qui n'y font pas accou-
tumés 5 parcequ'il faut alors que les
efprits animaux fe fraient dans le
cerveau une route nouvelle. Ondoit,
dans ces occafîons , fe fervir de fa-
çons de parler connues qui répon-
dent, autant qu'il eft poffible, au
fens de la phrafe étrangère. Par
exemple : comment vous portez-
vous ? ne fauroit être rendu en
latin par quomodo fers te? Cette
façon de parler \2it\ïic: dabis p^nas^
qui veut dire vous en fere\ puni j
t^o QÈuvres pojthiimes
vous en porterez la peine y no. îiM^
roit être exprimée en François par
vous donnere\ les peines. Si le feu
prend à la maifon> nous crions au
feu; les Latins crioient les eaux,
Tcrrita vicinos Teïa clamât aquas.
Propert. lib. IV. Eleg. ix. Ce qu'on
ne fauroit bien rendre en François
qu'en difant : Teie épouvantée vou-^
lant faire venir les voijîns a fon fe-^
cours j fe met a crier au feu ^ au feu.
Ce qui Fait bien voir qu'avant de
compoFer en une langue ^ le bon
fcns & la droite raifon demandent
qu'on ait appris par Texpiication les
difFércntes taçons de parler propres
à cette latiÊ^ue : en un mot 5 on doit
connoître l'original avant que de
faire des copies. Tel eit le Fentiment
de tous les grands Maîtres.
âe M^ du Marfais. \ $ t
Outre les différences arbitraires
qui diftinguent les langues l'une de
lautre^ on doit obferver que toutes
les langues conviennent en ce
qu elles ne forment de fens que pat
îe rapport ou la relation que les
înots ont entre eux dans la même
propolicion. Ces rapports font mar-
qués par Tordre fuccefîîf obfervé
dans la conftrudion fîmple, où les
mots fe divifent en détermines &
en déterminans.
Outre cette conftrudion fîmpic
&: naturelle qui énonce les mots,
félon la détermination que le mot
qui fuit donne à celui qui le pré*
cède, il y a encore la conftruction
ufuelle & élégante, félon laquelle
à la vérité cet ordre eft interrompu^
mais il doit être rétabli par iefprit.
1^1 ouvres pofthumes
qui n entend le fens -que par ceÊ
ordre , & par la détermination fuc-
ceflive des mots, fur-tout dans les
langues qui ont des cas. Les diffé-
rentes terminaifons de ces cas
aident refprit à rétablir Tordre
quand toute la propofîtion eft finie;
Tityre j tu patuU recubans fub teg--
mine fagl j
Formofam refonare doccs Amaryl-^
liia Sylvas.
. Après que la phrafe eft finie > Tef^
prit aperçoit des rapports de tous
les corrélatifs, & les range félon
Tordre de ces rapports: Tityre ^
m recubans fub tegmine fagi pa^
tuU y doces Sylvds refofiare Ama--
rylLida formofam. On trouve dans
Cicéron , tuas accepi litteras y &
litteras accepi tuas j & enfin accepi
Hueras
de M. du Marfah. 195
iitteras tuas. Ces trois manières
fignifienc également: J'ai reçu votre
lettre, parce que les terminaifons
indiquent à Tefprit Tordre iignifi^
catif.
En François, dans la conftruc-
tion ufuelle même, on fuit commu-
nément l'ordre de la conftrudion
fimplc,&: l'on ne s'en écarte que
quand cet ordre peut facilement
être aperçu par l'efprit. Le Roi
aime le peuple : le Roi y le peuple ^
voilà les noms fans aucune variété
d'inflexion^ & par conféquent fans
cas. Mais, félon l'ordre fucceiïîf de
leurs relations^ le Roi étant mis le
premier^ & le peuple étant placé
après le verbe j c'eft le Roi qui
aime ^ & c'eft le peuple qui eft aimée
Ce qui eft li vrai^ que fi l'on dit U
O
î^4 (ouvres pofihumes
peuple aime le Roi : cet arrange-
ment fait un autre fens. // vient ^
vient 'il? ce font deux fens diffé-
rens. Le dernier marque une inter-
rogation. Les Latins pour la mar-
quer, fefervoient de certaines parti-
cules: nîim ^ an^ numquid ^ &c.
Il faut donc non -feulement en-
tendre les mots, mais on doit de
plus connoître les figncs établis dans
une langue, pour marquer les rap-
ports que Ton met entre les mots
quand on fait fanalyfe des penfées,
fans quoi nous ne faurions les déve-
lopper aux autres. Ceft ce qui fait
l'embarras où fe trouvent les jeunes
gens, & ceux qui ont pafTé dans la
folitude les premières années de leur
vie. Quand ils veulent énoncer leurs
penfées;) ils n ont point acquis une
dcM.duMarfais. \^%
fuififante provifîon de mots ou fî-;
gnes pour développer nettement ce
qu'ils penfent, félon l'ufage établi
parmi ceux qui ont vécu dans le
commerce des honnêtes gens d'une
nation.
La connoiflance du figne de la
relation des mots eft fî néceflaire^
que quand même vous entehdrieii
la iimple fignif^cation de tous les
mots d'une langue ^ fahs avoir la
connoifTance du figne dont nous
parlons, Vous ne pourriez expliquer
que les phrafes dont les mots fc-
roient arrangés fuivant l'ordre que
nous fuivons en François. Par exem-
ple , Phèdre parlant de l'épouvante
où furent les grenouilles après que
Jupiter leur eut envoyé un hydre
pour roi^ dit: Vocam prjidudk
r^ô Œuvres pofthumes
metus. Je fuppofe que quelqu'un
ne connoilTe point le fîgne de la
relation des mots latins, & que ce-
pendant il fâche que vocem fignifie
la voix 3 mctus _, la crainte ; s'il
traduit félon Tordre où il trouve
que les mots font placés en latin, il
dira la voix leur ferme la crainte ;
ce qui fera un contre-fens ridicule.
Mais celui qui connoîc le figne
établi en latin pour marquer la re-
lation dont nous parlons, voyant
vocem à raccufatif, &: metus au
nominatif, comprendra d'abord
Tordre fîgnificatif que Phèdre avoir
dans l'efpriti quainii l'auteur a
voulu dire que la crainte étouffa la
voix aux grenouilles.
Dans la conftrudion qui eft en
ufage parmi ceux qui eni^ndent &
de M. du Marfais. i^y
qui parlent bien une langue, on
ufe de tranfpofîtions, d'ellipfes &;
des autres jfîgures qui fans nuire à
la clarté du difcours, y apportent
de la vivacité & de l'agrément.
Ceft ainfî que Cicéron a dît:
Diuturnl jilentiï ^ quo eram his
tcmporlbus ufus ^ Jînem kodicrnus
dits attulit.
Selon la même manière^ M. Flé-
chier a dit: « Ce fut après un fo-
n lemnel & magnifique facrifîce ,
y> où coula le fang de mille vidi-
» mes en préfence du Dieu dlfraël,
y> que Salomon déjà rempli de foa
33 efprit & de fa fagefle y fit cex
5ï éloge du Roi fon père.
Et dans la Henriade:
Sur les bords fortunés de lantique Idaîîc,
.1 9 S Oeuvres poft humes
Lieux où finit lEurope, & commence
rAfie,
S'élève un vieux Palais refpedé par le
temps.
Ceux qui entendent Tune &
Tautre langue , conçoivent aifémenc
la penfée de l'orateur Romain,
celle de l'orateur François & celle
de notre Poète j mais ce neft
qu'après que Ton a achevé de lire
l'enfemble des mots qui énoncent
la penfée. De plus, obfervez, i .'' que
vous ne comprendriez rien dans
ces exemples, fi vous n'entendiez
la nomenclature, c'eft-à-dire, la
fîgnificacion de chaque mot parti-
culier. En fécond lieu, vous n'y
comprendriez rien non plus, fi par
une vue de l'efprit vous ne rappro-
chiez les mots qui ont relation Tua
de M. du Marfais. 1 99
à lautre. Ce que vous ne pouvez
faire qu'après avoir entendu toute
la phrafe.Par exemple, fî vous avez
quelque ufage du latin , lorfque vous
lifez la phrafe que je viens de rap-
porter de Cicéron, en jetant les
yeux fur diuturni Jilentii y vous
voyez bien que ces deux mots ont
la terminaifon du génitif, & qu'ils
. ne peuvent lavoir que parcequils
fe rapportent à quelque nom fubf-
tantif, & vous apercevrez que ce
nom ne peut être que finem. Vous
dites âionc finem filentii diuturni;
mais finem étant à Taccufatif, vous
le rapportez à attulit ^ attulit fi-
nem diuturni filentii. Vous voyezi
aufli Q^attulit cft à la troifième
pcrfonne du fîngulier, ce qui fup-
pofe un nom iîngulier de la troi-
04
**.oo (Êuvres poflhume^
fième perfonne, & ce nom vous îe
trouvez en dies hodiernus. L'ufage
de la langue vous ayant donné la
peixeption de ces différens rapports^
vous entendez la penfée de Cicéron
^ufli facilement que s'il avoit dit:
Dies hodiernus attulit jînem diu-
turni Jîlentu. S'il y a quelque cif-
conftance accidentelle, ou de
temps 5 ou de lieu, ou de manière,
&c. elles n'empêchent pas d'aper-
cevoir les relations eiTcntielles dont
nous parlons.
Mais puifqu'il faut que Tefprit
aperçoive cqs divers rapports 5 pour-
quoi Cicéron ne s'eft-il point
énoncé félon l'ordre de la relatiori
des mots ? c'eft que les Latins ayant
çontradé dès l'enfance l'habitude^
^e démêler avec facilité cqs diver-.
]
de M. du Marfais. 20 r
fcs relations^par la différence &: la
dcftinacion des terminaifons , ils
ecoient moins attachés à fuivre fcm-
puleufement Tordre (te & meta-
phyfique de ces relations aifées
pour eux à apercevoir, qu'ils ne-
toient fenfibles à l'harmonie , au
nombre, au rithme que produit un
certain arrangement de fyllabes &
de mots pour ceux qui ont un
grand ufage de la langue i & ils aï-
moient mieux fuivre les faillies de
rimagination qui conduit fon pin-
ceau comme il lui plaît, que de
s'àftreindre à la féchereffe de l'ordre
grammatical. D'un cotè^ Tufage
de la langue leur donnoit l'intellî-
gcnce, & de l'autre l'arrangemenE
des mots leur procuroitl'agrémenç-
^ l'harmonie à quoi ils étokpç
201 (Euvres pofikumes
très-fenfibles, à caufe de leurs lon-
gues & leurs brèves, & de leur
manière de prononcer , qui étoic^
une efpèce de chant. Tout cela
étoit bien plus marqué parmi les
anciens quil ne left aujourd'hui
parmi nous , quoique nous ne foyons
pas dépourvus de ces agrémens.
Mais remarquez que foit en la-
tin ^foit en François, ou dans toute
autre langue, le déplacement des
mots ne doit pas tellement fervir
rharmonie & l'imagination, qu'il
nuife à l'intelligence & à la clarté
du difcours, c'eft-à-dire, que ce
déplacement ne doit pas être un
obftacle qui empêche l'efprit de
celui qui lit ou qui entend, de dé-
mêler, après que la phrafe eft finie ^
les différentes relations que celui
de M. du Marfais. 103
qui a écrit a mifes entre les mots,
ou que celui qui parle y met. Le
but eilentiel du difcours, c'eft que
Ton foit entendu. Les agrémens
ont leur prix, mais ce ne font que
des acceffoires. C eft ainfî que Ton
n'a inventé les habits que pour fe
garantir des injures de l'air, quoi-
que dans la fuite on les ait fait
fervir à la parure*
Ainfî, lorfque nous parlons une
langue qui nous eft connue, & que
cette langue eft familière à ceux
qui nous lifent ou qui nous écou-
tent, nous devons analyfcr nos
penfées par le fecours des mots
fclon Ja manière la plus générale-
roent ufitée parmi les honnêtes gens
de la nation.
. Ceft cette manière qu'on appellç
îL 04 (Havres pojlhumes
conjirucîion élégante ^ conflruaion
ordinaire ^ conflruciion ufuelle ou
d'ufage.
Mais cette manière ne peut être
entendue que par la perception
àzs relations ou rapports que les
mots ont entre eux dans 1 efprit de
celui qui parle > foit qu'il les ex-
prime tous, foît qu'il n'en énonce
qu'une partie.
Remarquez que lorfquil s'agit
de faire entendre une langue à
ceux à qui cette langue eft incon-
nue ,& fur-tout une langue morte,
il eft plus naturel & plus facile de
faire d'abord lanalyfe des penfées
félon l'ordre de la relation des
mots 5 & c'eft-là une autre forte
d'analyfe dont j'entends parler.
Puifque ceux mêmes qui entea^
de M. du Marfdis. 105
tfent une langue morte ne lentcn*
dent que par la perception de la
relation des mots^ il eft indifpenfa-
ble de faire apercevoir ces relations
à ceux qui veulent apprendre une
langue. Or cette opération neft-
elle pas plus facile, 11 Ton déplace
les mots qui interrompent les rela-
tions, & qu'on les range tous félon
Tordre du rapport qui eft entre eux?
C'eft un facrifice indifpenfable que
rélégance & l'harmonie doivent
faire à l'intelligence j &' voilà pour-
quoi, quand on explique un auteur
latin dans les premières clafTes , on
en fait ce qu'on appelle la conf-
truclion. Ce qu'on pratique à cet
égard de vive-voix dans les col-
lèges, peut fort bien être exécuté
par écrit; afin de faciliter les répé-
io<? Œuvres pojlkuinès
tïtions, & que ceux qui veulent âp*
prendre puilTent toujours avoir un
maître tout prêt.
Par-là ils peuvent plus facîlemene
étudier les originaux , obferver la
différence de la conftrudtion élé-
gante d'avec celle qui n'a d'autre
but que de donner Tintelligence,
& qui bien que moins ufîtée eft
Tunique fondement de celle qui eft
en ufage. Enfin, par ces obferva-
tions, on fe trouvera en état d'en-
tendre les meilleurs auteurs»
Tel eft le but que Ton doit fè
propofer dans la conftrudion du
texte des auteurs latins»
Au refte, on doit faire cette
conftrudion, non félon le françois,
ainiî que quelques perfonnes le pu-
blient, mais félon Tordre lignificatif
de M. du Marfais. loy
des mots de toutes langues i & telle
cft la relation que l'efprit de tout
auteur met entre les membres de
chaque proportion particulière de
fon difcours.
Ainfî , la phrafe de Cicéron que
j'ai rapportée plus haut fera rangée
de cette forte : Dies hodiernus at^
tulit finem fUendi diuturni ^ quo
eram ufus in kis tewporibus.
La phrafe de M. Fléchier , quand
on veut en faire entendre la conf-
trudion à un étranger 3 doit être
rangée ainfî :
Ce y a [avoir que Salomon déjà
rempli de la fagejfe ù de Vefprit
de Dieu ^ fit cet éloge du roi fi)n
père ; cela^ dis- je , fut ^ c'cft-à-dire ,
arriva après un facrifice folemnel
%oS (Eavres pojîhumes
& magnifique ^ ou k fang de mille
viclimes coulué
Dans la même vue, les vers de la
Henriade doivent être conftruits
félon Tanalyfe donc il s'agit en la
manière qui fuit. Un vieux palais
refpcclé par les temps s' élevé ^
c'eft-à-dire, eft élevé, eft bati fiir
les bords fortunés de VIdalie an-
tique ^ lieux ou l'Europe finit ^ ù
ou VAfie commence.
Le but de cette forte d'analyfe
n eft que pour donner Tintelligence,
& faire apercevoir les rapports des
mots à ceux qui veulent apprendre
une langue, ou entendre un au-*
teur difficile à leur égard*
Il y a une grande injuftice, ou
peu de bonne foi, ou, ce qui me
parole
de M. du Marfais. 109
paroît plus vraifemblable & plus
digne d excufe ^ il y a bien peu
de lumière dans ceux qui publient
que cette manière éloigne les jeunes
gens de 1 élégance. Ceft précifé-
ment tout le contraire. Cette ana-
lyfe fait voir les fondemens de la
conftrudtion élégante j & quand une
fois on entend bien le fens de ce
qu'on lit, on prend avec bien plus
de facilité le goût de la conftrudion
élégante , par la fréquente ledurc
du texte de l'auteur. On y obfcrve
les tranfpofîtions, les ellipfes & tout
ce qui rend le difcoursplus vif , plus
harmonieux, & le fait lire avec
plailîr & avec goût. Je prends à
témoin ce grand nombre de per-
fonnes qui ont négligé leurs études
pendant le temps précieux qui y
P
^lô (Euvres pofthumes
écoit deftiné. Il leur eft arrivé *
quelquefois dans la fuite d'avoir
ouvert un Horace ou un Virgile,
& d'avoir refermé le livre par la
feule raifon qu'ils n'y comprenoient
rien.
Il y a. par exemple , bien plus
d'harmonie à dire avec Fléchier
dans le ftyle élevé, ou' coula le
fcing de mille victimes . qu'à luivre
l'ordre de la conftrudion que' nous
avons rapporté.
Je pourrois ajouter ici plufieurs
autres exemplesjpour faire voir que
nous avons aufli des inveriions en
fr^içois \ mais elles doivent toujours
être de façon à ne point caufer d'é-
quivoques, & ne doivent point em-
pêcher fefprit d'apercevoir aifé-
ment les différentes relations des
de M. du Marfais. i r il
mots, ainfi que nous l'avons déjà
remarqué.
Ce n eft pas feulement lorfque
les mots font déplacés & tranfportés
félon la conftrudion ufuelle & élé-
gante, qu'on doit les ranger fuivanc
Tordre de leur relation refpedive >
on doit encore fuivre cet ordre
ou cette féconde forte d'analyfe^
lorfque dans la phrâfe élégante tous
les mots ne font pas exprimés ainfî
qu'ils le feroient iî quelque raifon
particulière n étoit pas la caufe de
leur fupprefîion.
Comme nous faiiliTons toute
notre perifée par uti feul point dé
Vue de Tefprit, lious aimons à abré-
ger le difcours, & à le faire répon-
dre 5 autant qu'il eft poffible, à k
fimplicité & à l'unité de la penfée^
iii Œuvres pofthumes
Àinfî, dans les circonftances où
nous jugeons qu un mot ou deux
fuififent pour nous faire entendre,
nous nous difpenfons d'exprimer
les autres mots établis félon l'ana-
logie & Tufage de la langue , pouf
énoncer en détail toute la penfée.
Si nous nous exprimions alors tout
au long, nous nous fervirions de
plufîeurs mots qui devenus inutiles
par les circonftances , ne fourni-
roient aucune occupation à Tefprit.
Quand une fois on a préfenté à
Tefprit tout ce qu'on veut qu'il
failîfte, & qu'on s'aperçoit qu'il l'a
faifî, c'eft le bleffer que de lui faire
prendre la peine d'écouter ce qui
n'ajoute rien de nouveau à la penfée
qu'on y a fait naître.
Telle eft la caufe de toutes ces
de M. du Marfais. 1 1 5
propofîtions abrégées qui font en
nfage non-feulement dans la con-
verfation, mais encore dans les
meilleurs auteurs en toutes les lan-
gues. Quand viendrez - vous ?
demain. Il cft évident que ce feul
mot^ demain^ préfente à Tefprit de
celui qui a fait l'interrogation, un
fens complet qui ne peut être ana-
lyfé en détail que par ces mots: Je
viendrai demain.
Dans Corneille 5 le père des trois
Horaces ne fâchant point encore
le motif de la fuite de fon fîls, ap-
prend avec douleur qu'il a fui
devant les trois Curraces : Que vou-
lie^'vous qu'il fît contre trois ^ lui
dit Julie? qu'il mourût ^ répond le
père. Or vous voyez que ces mots,,
quilmourât^^Tiékntcnt un fens total
I.I4 (S.uvres pofthumes
dont ranalyfe eft: J' aurais mieux
aimé qu^ il mourût ^ que de le voir
couvert de honte ù d^ infamie par
la fuite.
Dans une autre tragédie de Cor-
neille y Prufîas die qu il veut fe con-
duire tn père y en mari: Nç foye\
ni Vun ni l'autre ^ lui ditNicomède.
Prufias répond: Et que dois -je
être? Roi y réplique Nicomède. Ce
feul moti^o/^excite dans Tefprit un
fens total qui eft aifément entendu
par ce qui précède, & qui ne peut
être énoncé en détail que par la
proposition entière: J^ous deve'^
vous conduire en Roi; vous deve^y
Obfervez que tous ces mots ifor
lés font toujours conftruits dans
çoiues les langues de la même ma-
de M. du Marfais. 1 1 5
nière qu'ils le feroient/i le fens qui
cft dans refpric de celui qui parle
étoic énoncé en détail par une pro-
poiition entière ; ce qui eft encore
plus fenfîble en latin ^ à caufe de
la différence des terminaifons.
Quand on voit un étourdi qui ,
fans conduite & fans lumières, fc
mêle de donner des avis à un hom-
me fagc & inftruic j Oe fi gros Jcan^
difons - nous 5 qui remontre a fi^ri
Curé. Les Latins en pareil cas di-
foient : Sus Mznervam ; c'eft un
cochon, un animal, une groile
bête qui veut donner des leçons à
Minerve, déelfe de la fageife, de
la fcience ^ des beaux arts. Pour-
quoi le premier de ces deux mots
eft -il au nominatif & le fécond à
racçufatifî c'eft que fi la penfée que
P4
Il 6 Œuvres pojihume S
ces deux mots excitent dansrefprk
de celui qui parle & de celui qui
écoute 5 étoit exprimée en détail
félon l'ufage de la langue latine >
on diroit : Sus docet Mincrvam ;
ainfî^y^/ieft au nominatif ^ parce-
qu'il eft le fujet de lapropofîtion5&
Mincrvam eft à laccufatif, parce-
qu'il eft le terme de l'adion de
docet ou doceat ^ quoique ce mot ne
foit pas exprimé. Ainfi, ces mots
îfolés ont une véritable relation à
ceux avec lefquels ils exprimeroient
le fens total qui eft dans l'efprit de
celui qui parle, fi la conftrudion
étoit pleine & entière.
Sur le rideau ou la toile de la
comédie italienne on lit: Sublato
jure nocendi. Pourquoi ces trois
mots font-ils dans des cas obliques \
de M. du Marfals. z i y
c'efl: que les circonftances du lieu,
6c ee qu'on fait qui s y palTe, réveil-
lent dans refprit de tout homme
inftruit un fens qui feroit exprimé
tout au long en ces termes : Ride-
mus vitiafub jure nocendi fublato.
Nous rions ici des défauts d^ autrui ^
fans nous permettre de blejfer per-
fonne.
Il en eft de même du fameux
quos ego de Virgile, du quid ais
omnium de Térence, & de tous les
autres exemples pareils, où les mots
ne peuvent jamais être conftruits
que dépendamment de la relation
qu'ils ont avec ceux qu'on exprî-
meroit (î la penfée étoit énoncée
en détail.
Ainfi, en toute langue, les mots
exprimés ou fous -entendus font
z 1 8 Œuvres poflkumes
toujours conftruits félon le fîgne du
rapport qu'ils ont entre eux dans la
même proportion. Ceft-là le prin-
cipe fondamental de toute fyntaxe;
c'eft le fil d' Ariane, qui doit nous
conduire dans le labyrinthe des
tranfpofitions & des ellipfes. On
doit toujours rapprocher les mots
de leurs corrélatifs, & exprimer
ceux qui font fous-entendus,lorfque
Ton peut pénétrer le fens de Tau-
teur qui, dans le temps même qu'il
ne renonce qu'en peu de mots,
parle toujours conformément à l'a-
nalogie de fa langue , & imite les
façons de parler où tous les mots
font exprimés. Ce n'efl: que par
cette imitation,& en vertu de cette
uniformité, que ces énonciations
abrégées peuvent être entendues.
de Al. du Marfals. z 1 9
Cette remarque nous auroit
épargné bien des règles inutiles &
embarraffantes de la méthode vul-
gaire. M. l'abbé Girard, de l'Aca-
démie Françoife, dit-que ces règles,
quoique faites pour nous guider>
nous égarent dans un labyrinthe
d'exceptions , d'où il ne réfulte
qu'un cahos dans l'imagination, &
un poids afTommant pour la mé-
moire» Tome premier y pag.jo. «Cç
o:» qui fait^ajoute-t-il, que l'efprit des
» jeunes gens eft continuellemenc
9^ dans l'incertitude, & flotte entre
3i un flux & reflux perpétuel de
3? règles & d'irrégularités. » Tome
premier 3 pag. ^6.
Eu effet, ces règles ne font pas
tirées du rapport établi en toutes
langues çntre les penfées ^ les f;^
zio Œuvres pojlhumes
gnes deftinés à les exprimer. Par
exemple, le refponfif, die -on, doit
être au même cas que Tinterrogarit
Quis te redemït ? Ç^. Chriflus.
Cknftus ^ dit oTi, eft au nominatif,,
parceque l'interrogatif quis eft au
nominatif. Cujus efl liber? ^. Pétri.
Pétri eft au génitif, parceque
cuJus eft au génitif.
Cette règle, ajoute-t-on, a deux
exceptions, i.° fî vous répondez
par un pronom, ce pronom doit
être au nominatif. Cujus ejl liber ?
^. Meus. 1° Si le refponfif eft un
nom de prix , on le met à l'ablatif*
Quanti emi/ii ? '^. decem ajjibus.
Pour moi, qui connois l'inurilité
de toutes ces règles, & qui fuis per-
fuadé qu'au lieu d'éclairer & de
former la raifon des jeunes gens 3
de M. du Marfais. an
elles ne font propres qu a leur ga-
rer refprit, parcequ elles n'ont au-
cun fondement dans la Nature , &:
que ce ne font point ces règles qui
ont guidé ceux qui les premiers ont
fait ufage de la parole, je les réduis
toutes à la connoiflancc de la pro-
pofîtion 5 de la période & des fi-
gnes des différentes relations que
\q,s mots ont entre eux dans la mê-
me proportion j caries mots dune
proportion ne fe conftruifent pas
avec ceux d'une autre propofîtion.
Il n'y a de conftrudion qu'entre les
mots de la même propoiition^parce-
qu'il n'y a d'affemblages de mots
propres à former un fens félon l'inf-
titution d'une langue, qu'autant
qu'il y a de fens particuliers à ex-:
izl (Euvres pojlhumes
primer. Ainfi, les mots ne doivenè
concourir entre eux qu a exprimer
chacun de ces fens particuliers, au-
trement tout feroit confondu- Quîs
te redemit ? Voilà un fens particu-
lier^avec lequel les mots de la ré-
ponfe nont rien de commun par
rapport à leur conftrudionj & fi
on répond Chrijius ^ ceft que lé
répondant a dans Tefprit Ckrifius
redemit me, Ainfî, Chrijias eft au
nominatif, non par la raifon de
quis ^ mais parceque Chriftus eft le
fujetde la propofition du répondant^
qui auroic pu donner un autre tour
à fa réponfe, fans en altérer le
fens. Cujus eji liber? ^. Petri^
c'eft-à-dire, kic liber eji Lber Petru
Cujus eft liber? ^. meus ^ c'eft - à-
de M. du Marfais. 113
dire, klc liber efi meus. Quand
einifli ? ^. decem ajjibus , c eft - à-
dire, eml pro decem ajjibus.
Les mots étant une fois trouvés >
& leur valeur ainfi que leur defti-
nation & leur emploi étant déter-
miné par Tufage 5 l'arrangement que
Ton en a fait dans la propofîtion,
félon Tordre de leur relation , eft
la manière la plus fîmple danalyfer
la penfée.
Tâchons donc de donner de la
proportion &; de la période la
connoiflance néceflaire à tout
Grammairien judicieux.
Je fais bien qu'il y a des Gram-
mairiens dont l'efprit eft aiTez peu
philofophique pour défapprouver
la pratique que je propole. Ils veu-
lent qu'on s'en tienne feulement à
5^4 (ouvres poflhumes
un ufage aveugle, comme fi cette
pratique avoît d'autre but que de-
clairer le bon ufage, & de le faire
fuivre avec plus de lumière, par
conféquent avec plus de goût.
Comme les perfonnes dont je parle
fe rendent plutôt à Tautorité qu a
la raifon, je me contente de leur
oppofer ce pafTage de Prifcien,
Grammairien célèbre, qui vivoit à
la fin du cinquième fiècle 6c au
commencement du fixième :
Sicut rccla, ratio fcripturx docet
litttrarum congruam juncluram ^ Jic
etiam reclani orationis compojîno-
nem ratio ordinationis ojlendit. So-
ht qujiri caufa ordinis elementorum ^
jïc etiam de ordinatione cafuum^ ù
ipfarum partium orationis foLet
^u^ri: quamyis quidam fu,c fola-
tium
de M. du Marfais. î i j
iium impcritU quxrentes ^ aiunt
non oponere de hujufmodi rébus
qu£rere y fufpicantes fortuïtas ejfc
ordifiationis pofitwnes ; quod exijii^
mare penïtus fiultum efl. Si autem
in quibufdam concedunt ejje ord'ina-
îionem y necejfe efl-etiam in omni-
bus eam concedere ( £ ).
A lautorité de cet ancien Gram-
mairien^ on fe contentera d'ajouter
celle d'un célèbre Grammairien du
XV^ fiècle, qui âvoit été pendant
plus de trente ans Principal d'un
fameux collège d'AllemagnCé
In grammatica diclionum fytt-
taxi y puerorum plurimum intereji
ut inter exponendum ^ non modo
fcnfum 3 pluribus verbis utcuhque
(i) Prifcianus, de ConflruSionc > lib.XIX, fub
initiOà
%t6 Œuvres poflhumes
ac confuse coacervads^ reddantyfci
digérant etiam ordine grammatico
voces alîcujus pcriodi ^ qu£ alioqui
apud autores acri aurium judicio
confulentes y rhctoricâ compojidonc
commijfd funt.
Hune verborum ordïnem apueris
in interpretando ad unguem exi-^
gère y quidnam utilitads afferat ^
ego ipfe y qui duos & triginta jam
annos Phronûjierii fordes ^ molefiias
ac curas pertuliy nonfemel expertus
fum. Illi enim hac via fixis ^ ut
aiunt y ocuds intuentur y accuradus-
que animadvertunt y quot voces fen^
film abfolvant y quo pdcîo dicdo^
num Jirucîura cohareat y quot modis
fnguds nominibus fngula verba
refpondeant. Quod quidem fieri
nequit y pr^cipue in longiufculâ
periodo y nifi hoc ordine veluti
de M. du Marfais. 117
per fcalarum gradus per fingulas
pcriodi partes progredîantur (i).
(i) Gratpmaticae ani& inftitutio per Joannem
Fufembrotum Ravenfpurgi ludi magiftrum jam
icnuo accuratè concinnata. BafiUœ ^ an, iCz^^
DE
DELA
CONSTRUCTION
GRAMMATICALE.
1-j N* termes de Grammaire , on appelle
€onJlruclLon^ 1 arrangement des mots dans
le difcours. Le mot eft pris ici dans un lens
métaphorique j & vient du latin 5 conjlruerc^
conftruire, bâtir, arranger.
La conftrucftion eft vicieufe, quancf les
mots d'une phrafe ne font pas arrangés fe-*
Ion lufage d une langue. On dit qu une
coliftrudion eft grecque ou latine j lorfque
ks mots font rangés dans un ordre confor-
me à Tufage 5 au tour , au génie de la langue
grecque , ou à celui de la langue latine.
Conftruclion louche. C'eft lorfque Iqs
mots font placés de façon qu'ils femblent
fe rapporter à ce qui précède , pendant
qu ils fe rapportent réellement à ce qui fuit.
On a donné ce nom à cette forte de con-
R
% 3 o Principes
ftrudion , par une métaphore tirée de ce
que dans le fens propre , les louches fem-
blent regarder d un côté 5 pendant qu'ils
regardent d'un autre»
On dit Conjlruclion pleine ^ quand 011
exprime tous les mots dont les rapports
fucceffifs forment le fens que Ton veut
énoncer. Au contraire 5 la conjlruclion eft
elliptique j lorfque quelqu'un de ces mots
cfi: fous-entendu.
Je crois qu'on ne doit pas confondre
conjlruclion avecjyntaxe. Conftru6tion ne
préfente que Tidée de combinaifon & d'ar-
rangement. Cicéron a dit, félon trois corn-*
binaifons différentes 5 ^cc^/7i Hueras tuas;
tuas accepi litteras j 8c Htteras accepi tuas,
' Il y a là trois conjlruclions différentes , puif-
qu'il Y a trois diftérens arrangemens de
mots : cependant il ny a qu'une fyntaxe -,
car dans chacune de ces conftru£bions 5 il y
a les mêmes fignes des rapports que les mors
ont entre eux : ainlî ces rapports font les
mêmes dans chacune de ces phrafes. Cha-
que mot de lune indique également le mê-
âc Grammaire^ 431;
ïne cotrélatif qui eft indiqué dans chacune
des deux autres : en forte qu'après qu'on a
achevée de lire ou d'entendre quelqu'une
de c^% trois propofitions/reiprit voit éga-
lement que litteras eft le déterminant d'^c-
ctpi ; que tuas eft 1 adjedif de litteras^
Ain(î 5 chacun de ces trois arrangemens
excite dans Tefprit le même kns^Tal reçu
votre lettre. Or ce qui fait en chaque lan**
gue 5 que les mots excitent le fens que Ton
veut faire naître dans refprit de ceux qui
favent la langue jc'eft ce qu'on appelle^/z-
taxe. La fyntaxe eft donc la partie de la
Graiiimaire qui donne la connoiflance des
iîgnes établis dans une langue pour exciter
un lens dans Tefprit. Gesfîgnes, quand on
en fait la deftination 5 font connoître les
rapports fuccefîîfs que les mots ont entre
eux. G'eft pourquoi , lorfque celui qui parle
où qui écrit s'écarte de cet ordre , par des
tranfpo^îtions que l'ufage autotife , l'efpric
de celui qui écoute ou qui lit , rétablit ce-
pendant tout dans i ordre > en vertu des
%j2^ Principes
figues dont nous parlons 5 & dont il COxiÂ
Koîtla deftination par ufage.
Il y a en toute langue trois fortes de con-i
ftrudtions , qu il faut bien remarquer.
I. Construction nécessjTire ^
SIGNIFICATIVE OU ÉNONCIATIVE:
C'eft celle par laquelle feule les mots font
un fens. On l'appelle aulïï Construc-
tion SIMPLE 8c Construction na^^
TURELLE 5,parceque c'eft celle qui eft la
plus conforme à Tétat des chofes , comme
nous le fçrons voir dans la {uite^Sc que d'ail-
leurs cette conjiruclion eft le moyen le plus
propre & le plus facile que la nature nous
ait donné pour faire connoître nos penfées
par la parole. Ceft ainfî que lorfque dans
un traité de Géométrie , Its proportions
font rangées dans un ordre fucceflîf qui
nous en fait apercevoir aifément la liaifoa
& le rapport , fans qu'il y ait aucune pro-
portion intermédiaire à fuppléer > nous
difons que les propofîtions de ce tr;^itSr
font rangées dans l'ordre naturel*
de Grammaire". i3j;
Cette conftrudtion eft encore appellée
i^ÉCESSAiREj parceque c'eft d'elle feule
que les autres conftrudions empruntent la
propriété qu'elles ont de fîgnifier : au point
que il la conjlrucllon nécejfalre ne pouvoit
pas Te retrouver dans les autres fortes d'é-
iionciations , celles-ci n'exciteroient aucun
fens dans refprit , ou n'y exciteroient pas
celui qu'on vouloir y faire naître. C'eft ce
que nous ferons voir bientôt plus fenfible-
ment.
IL La féconde forte de confiruciion^ eft'
la Construction figurée.
IIL Enfin , la troifième eft celle où les
mots ne font ni tous arrangés fuivant Tor-
dre de la conflrucilon Jimpte _, ni tous dîf-
pofés félon la conjtruclion figurée. Cette
troifième forte d'arrangement eft le plus
en ufage, c'eft pourquoi je I appelle CoN^
^STRUCTION USUELLE.
I. De la Confiruclion fimple.
Pour bien comprendre ce que j'entens
par Construction simple & né-^
154 Principes
CESSAIRE j il faut olDferver qu'il y a hïen
de la difFérence entre concevoir un fens
total y & énoncer enfuite par la parole ce
qu'on a conçu.
L'homme eft un être vivant , capable de
fentir , de penfer > de connoître , d'imagi-
ner , de juger , de vouloir , de fe reflbuve*
ïiir 5 Sec. Les aâ:es particuliers de ces facul-
tés fe font en nous d'une manière qui ne
nous eft pas plus connue que la caufe du
mouvement du cœur , ou de celui des pieds
& des mains* Nous iavons par ientiment
intérieur, que chaque afte particulier de
la faculté de penfer , ou chaque penfée fin-
guhère, eft excitée en nous en un inftant^,
fans divifion , & par une fimple affection
intérieure de nous-mêmes. C'eft une vérité
dont nous pouvons aifément nous convain*
cre par notre propre expérience , & fur-
tout, en nous rappellant ce qui fe paiïe en
nous dans les premières années de notre
enfance. Avant que nous enflions fait une
afTez grande provifion de mots pour énon-
cer nos penfées ^ les mots nous manquoient^^
de Grammaire. 15 y
& nous ne laiflîons pas de penfer , de fen-
tir 5 d'imaginer , de concevoir & de juger*
Ceft ainfi que nous voulons, par un aéte
fîmple de notre volonté \ a6le dont notre
fens interne efl: affedté auffi promptemenc
que nos ieux le font par les différentes
împreflîons fingulières de la lumière. Ainfi
je crois que fi après la création Thomme
fût demeuré feul dans le monde 5 il ne fe
feroit jamais avifé d'obferver dans fa pen-
fée un Sujet, un Attribut, un Subftantif ,
un Adjectif, une Conjonction , un Adver-
be , une Particule négative , &c.
C eft ainfi que fou vent nous ne faifons
connoître nos fentimens intérieurs que par
des geftes , des mines , des regards , des
foupirs , des larmes , & par tous les autres
fignes 5 qui font le langage des paflîans plu-
tôt que celui de Tintelligence. La penfée >^
tant qu'elle n'eft que dans notre efpritj
fans aucun égard à renonciation y n'a be^
foin ni de bouche , ni de langue , ni du
fon des fyllabes : elle n'eft ni hébraïque :>
ni grecque ^ ni latine y ni barbare , elk
^4
zj'ê Principes
ï/eft qu'à nous. Intus j in domicdîo cog!^-,
tadonis j nec hebr<za j nec gr£ca _, nec
latina^ nec Barbara ventas j Jine oris &
lingU(Z organis j Jïnc Jlrepitu fyllaba^
rum. (i)
Mais dès qu'il s agit de faire connoître
aux autres les affedions ou penfées fingu-
licres & , pour ainfî dire , individuelles de
Tintelligence > nous ne pouvons produire
cet effet qu'en faifant en détail des impref-
fions , ou fur Torgane de fouie , par des
fons, dont les autres hommes connoiffênt,
comme nous , la deftination , ou fur for-
gane de la vue , en expofant à leurs ieux
par- récriture 5 les lignes convenus de ces
mêmes fons. Or , pour exciter c^s impref-
fîonSj nous fommes contraints de donner
à notre penfée de l'étendue , pour ainfî
dire 5 & des parties , afin de la faire pafler
dans l'efprit des autres , où elle ne peue
s'introduire que par leurs fens.
Ces parties que nous donnons ainfi ii^
(0 Se Ausuftin?. Confejf, U xi > c. }•
^d& Grammaire. ^37
ïiotre penféc par la nécefiîté de rélocution ,
deviennent enfuite Toriginal des fignes
dont nous nous fervons dans l'ufage de la
parole. Ainfî nous divifons 5 nous analy fons,
comme par inftind , notre penfée : nous
en raffemblons toutes les parties 5 félon
Tordre de leurs rapports : nous lions ces
parties à des fignes. Ce font les mots, dont
nous nous fervons enfuite pour en affe6ter
les fens de ceux à qui nous voulons com-
muniquer notre penfée. Ainfiles mots font
en même temps, & rinftrument, & le li-
gne de la divifion de la penfée. C'eft de-là
que vient la différence des langues & celle
des idiotifmes \ parceque les hommes ne
fe fervent pas des mêmes fignes par-tout ,
& que le même fond de penfée peut être
analyfé & exprimé en plus d'une manière.
Dès les premières années de la vie , le
penchant que la nature & la conftitution
des organes donnent aux enfanspour Timi-
cation , les befoins , la curiofité , & la pré-
fence des objets qui excitent Tattention ,
]^s fignes qu'on fait aux enfans en leuç
A 5 s Principes
montrant les objets 5 les noms qu'ils enten*^
dent en même temps qu'on leur donne %
Tordre fuccefïîf qu ils obfervent que Tonr
fuit 5 en nommant d'abord les objets , &
en énonçant enfuite les modificatifs & les
mots déterminans , Texpérience répétée à
chaque inftant & d*une manière unifor-
me -, toutes ces circonftances 5 & la liaifon
qui fe trouve entre tant de mouvemens
excités en même temps : tout cela, dis- je,
apprend aux enfans , non - feulement les
fons & la valeur des mots i mais encore
lanalyfe qu'ils doivent faire de la penfée
qu'ils ont à énoncer, & de quelle manière
ils doivent fe fervir des mots pour faire
cette analyfe, & pour former un fens dans
Teiprit des citoyens parmi lefquels la Pro«^
vidence les a fait naître.
Cette méthode , dont on s^eft fervi à
notre égard, eft la même qu'on a employée
dans tous les temps & dans tous les pays
du monde ^ & c'efî: celle que les- Nations
les plus policées & les Peuples les plus bar-
bares mettent en œuvre pour apprendre-
^c Grammaire. ^39
à parler à leurs enfans : c'eft un art que la
nature même enfeigne. Ainfi 5 je trouve que
dans toutes les langues du monde , il n y a
qu'une même manière néceflaire pour for-
mer un fens avec les mots : c'eft l'ordre fuc-
cefïîf des relations qui fe trouvent entre les
mots 5 dont les uns font énoncés comme
devant être modifiés ou déterminés 3& les
autres comme modifiant ou déterminant.
Les premiers excitent lattention & la eu-
riofité 5 ceux qui fuivent , la fatisfont fuc-
ceflîvement,
C'eft par cette manière que Ton a conv
mencé dans notre enfance à nous donner
lexemple & lufage de Télocution. D abord
on nous a montré l'objet \ enfuite on la
nommé* Si le nom vulgaire étoit compofé
de lettres dont la prononciation fût alors
trop difficile pour nous 5 on en fubftituoit
d'autres plus aifées à articuler. Après le
nom de lobjet , on ajoutoit les mots qui le
modifioient , qui en marquoient les qualités
ou les actions > & que les circonftances &:
■z/f.u Principes
fes idées acceflfoires pouvoient aifement
nous faire connoître.
A mefure que nous avancions en âgev
& que l'expérience nous apprenoit le fens
& lufage des Prépofitions, des Adverbes >
des Conjondions , & fur-tout des différen-
tes terminaifons des Verbes, deftinées à
marquer le nombre , les perfônnes êc les
temps 5 nous devenions plus habiles à démê-
ler les rapports des mots, & à en aperce-
voir Tordre fucceffif , qui forme le fens to-
tal des phrafes , & qu'on avoir grande atten-»
tion de fuivre en nous parlant*
Cette manière d'énoncer les mots fuccet
(îvement, félon Tordre de la modification^
ou détermination que le mot qui fuit donne
à celui qui le précède , a fait règle dans notre
efprit. Elle eft devenue notre modèle inva-
riable i au point que , fans elle, ou du moins
fans les fecours qui nous aident à la réra-^
blir 5 les mots ne préfentent que leur figni^^
fication abfolue , fans que leur enfemblo
puilTe former aucun fens. Par exemple :
4^6 Grammaire. 1411
Arma virumque canu ^ Trojce qui primu^
ab oris j
Italiam y fato profugus ? Lavinaquc ycnit
Littora.
Otez à CCS mots latins les termînaifons
©il délînances, qui font les fignes de leiit
valeur relative , & ne leur laiflez que la
première terminaifon^ qui n'indique aucun
rapport, vous ne formerez aucun fens. Ce
ieroit comme fî Ton difoit : •
Armes y homme y je chante^ Troie y qui i .
premier y des côtes y
Italie y deftin y fugitif y Laviniens y vinc^
rivages.
Si ces mots étoient ainiî énoncés en latin
avec leurs terminaifons abfolues , quand
même on les rangeroit dans Tordre où on
les voit dans Virgile , non - feulement ils
perdroient leur grâce , mais encore ils ne
fbrmeroienc aucun fens : propriété qu'ils
n'ont que par leurs terminaifons relatives >
qui 5 après que toute la Propofition eft finie,
lîous les font regarder félon Tordre de leurs
jfgipports^ & par conféquent félon Tordre
±4^ Principe^
âe la cônjlruciion Jlmplc ^ nécejfalre Scjî^
gnijîcadve.
Canô arma atque vlrum^ qui v/r j pro^
fugus à fato j vcmtprimus ^ ah oris Trojéi ^
m Italiam j atque ad littora Lavina : tant
h fuite des mots & leurs délînances ont de
force pour faire entendre le fens !
Tantum f cries junBuraqut pollét^
Horace , Art Poet. v. 240*
Quand une fais cette opéiration ma con*
dait à rintellîgénce du fens , je lis 8^ je
relis le texte de Tauteur , Je me livre au
pîaiiîr que me caufe le foin de rétablir , fans
trop de peine , Tordre que la vivacité 8c
Tempreilement de l'imagination, Télégan-
ce & fharmonie avoient renverfé^ Se ces
fréquentes ledtures me font acquérir un
goût éclairé pour la belle latinité .
La cùnjlruciion Jîmple eft auffi appellée
Construction naturelle^ parce-
que c*eft celle que nous avons appri/e fans
maître , par la feule conftitution méchani-
que de nos organes 5 par notre attention
& notre penchant à rimitation. Elle eft Iqt
de Grammaire. 145
feul moyen nécefTaire pour énoncer nos
penfées par la parole 5 puifque les autres
fortes de conjlruclions ne forment un fens,
que lorfque par un fîmple regard de l'ef-
prit 5 nous y apercevons aifément Tordre
ilicceiTîf de la conftrudion limple-
Cet ordre eft le plus propre à faire
apercevoir les parties que la néceflîté de
rélocution nous fait donner à la penfée. Il
nous indique les raports que ces parties
ont entr'elles : rapports dont le concert
produit Tenfemble , & 5 pour ainfî dire 5 le
corps de chaque penfée particulière. Telle
cft la relation établie entre la penfée & les
mots 5 c'eft'à-dire 5 entre la chofe & les
fîgnes qui la font connoître : connoiiïance
acquife dès les premières années de la vie 3
par des a6tes fî fouvent répétés , qu'il en
réfulte une habitude que nous regardons
comme un eftet naturel. Que celui qui parle
emploie ce que lart a de plus féduifant
pour nous plaire 5 & de plus propre à nous
toucher > nous applaudirons à fes talens.
Mais fon premier devoir eft de reipedec
2L44 Principes
les règles de la conjlruclionjimple ^ Se d'é-
viter les obftacles qui pouroient nous em-
pêcher d y réduire fans peine ce qu'il nous
dit.
Comme par-tout les hommes penfènt;
& qu'ils cherchent à faire connoître la pen-
fée par la parole , Tordre dont nous parlons
eft au fond uniforme par-tout , & c^'eft en^
core un autre motif pour l'appeler naturel.
Il eft vrai qu'il y a des différences dans
les langues , différence dans le vocabulaire
ou la nomenclature , qui énonce les noms
des objets & ceux de leurs qualificatifs >
différence dans les terminaifons , qui font
les fîgnes de l'ordre fucceflîf des corréla-
tifs 5 différence dans l'ufage des métapho-
res ^ dans les idiotifmes , & dans les tours
de la conjlruclion ufuelle : mais il y a uni-
formité 5 en ce que par-tout la penfée qui
eft à énoncer eft divifée par les mots qui
en repréfentent les parties , & que ces par-
ties ont des fignes de leur relation.
Enfin cette conftrudion eft encore ap-
pelée I^^ATURELLE^ patcequ'clle fuit la
nature \
de Grammaire^ 245
nature \ je veux dire , parcequ'elle énonce
\\ts mots félon Tétat où Telprit conçoit les
chofes. Le Soleil ejl lumineux. On fuit ou
Tordre de la relation des caufes avec les
effets , ou celui des effets avec leur caufe.
Je veux dire que la conjiruclionjimple pro-
cède ^ ou en allant de la caufe à Teffet, ou
de Tagent au patient 5 comme quand on
dit : Dieu a créé le monde : Julien le Roi
a fait cette montre : Augujle vainquit An^
toine : c efl: ce que les Grammairiens ap-
pellent la voix active : ou bien la conjlru-^
clion énonce la penfée , en remontant de
TefFetà la caufe, & du patient à lagent,
félon le langage des philofophes : ce que
les Grammairiens appellent la voixpajjive :
Le monde a été créé par VEtre tout-puif
fant : Cette montre a été faite par Julien
le Roi : Antoine fut vaincu par Augujie.
La conftrudtion iîmple préfente d'abord
Tobjet ou fujct 5 enfuite elle le qualifie fé-
lon les propriétés ou les accidens que les
fens y découvrent , ou que rimaginaiion
y fuppofe*
2l^€ Principes
Or 5 dans lun & dans Tautre de ces deuic
cas y récat des chofes demande que Ton
commence par nommer le fujet. En effet,
la nature & la raifon ne nous apprennent-
elles pas 5 I .° qu'il faut être avant que
d'opérer y prias eji ejfe quàm operari ;
2.^ qu'il faut exifter avant que de pouvoir
être l'objet de Fadtion d'un autre : 3.^ en-
fin 5 qu'il faut avoir une exiftence réelle ou
imaginée 5 avant que de pouvoir être qua-
lifié 5 c'eft-à~dire ^ avant que de pouvoir
être confidéré comme avant telle ou telle
modification propre, ou bien tel ou tel de
ces accidens qui donnent lieu à ce que les
Logiciens ^x^^ûXtnt des dénominations ex^
ternes : Il ejl aimé : Ileji haï : // eJi loué :
Il ejl blâmé.
On obferve la même pratique par imi-
tation 5 quand on parle de noms abftraits
& d'êtres purement métaphyfiques. Ainfî
on dit que la vertu a des charmes j com-
me on dit que le Roi a des Soldats.
La conftrudtion fimple 5 comme nous
Tavons déjà remarqué ^ énonce d'abord le
de Grammaire. 147
fujet dont on juge : après quoi elle dit , ou
Q^il eji jOu Q^ il fait ^ ou ^H fouffrc ^
ou quV/ a^ foit dans le fens propre , foie
au figuré.
Pour mieux faire entendre ma penfée ,
quand je dis que la conjfruclionjimple fuit
Vétat des chofes ^ j'obferverai que dans
la réalité TAdjedif n'énonce qu'une qua-
lification du Subftantif. L'Adjeétif n eft
donc que le Subftantif même 5 confidéré
avec telle ou telle modification. Tel eft
rétat des chofes. Auflî , la conjlruclionfim^
pie ne fepare-t-elle jamais TAdjedif du
Subftantif. Ainfî quand Virgile a dit :
Frigiius ^ Agricolam ^ fi quando contitict
imber (i).
UAdjeétif frigiius étant féparé par plu-
fieurs mots de fon Subftantif i/;2^^rj cette
conftrudtion fera , tant qu'il vous plaira ,
une conftrudion élégante 5 mais jamais
une phrafe de la conftrudionfimple, parce-
qu'on n'y fuit pas l'ordre de Tétat des cho-
(z) Georg, lih, I^ v. z;?,
S*
i^S Principes
Tes, ni du rapport immédiat qui eft entre
les mots y en conféquence de cet état.
Lorfque les mots eflfentiels à la propofî-
tion ont des modificatifs qui en étendent
ou qui en reftreignent la valeur ^ la con-
ftrudion iîmple place ces modificatifs à la
fuire des mots qu'ils modifient. Ainlî tous
les mots fe trouvent rangés fijcceilîvement,
félon le rapport immédiat du mot qui fuip
avec celui qui le précède. Par exemple :
Alexandre vainquit Darius ; voici une
fîmple propofîtion. Mais fi j^ajoute des
modificatifs ou adjoints à chacun de fes
termes , la conftruckion fîmple les placera
fucceffivement , félon Tordre de leur rela-
tion. Alexandre j fils de Philippe & roi
de Macédoine ^ vainquit ^y avec peu de trou-^
pes y Darius _, roi des Perfes ^ qui étoit à
la tète d'une armée nombreufe.
Si Ton énonce des circonftances , dont
le fens tombe fur toute la propofîtion, on
peut les placer ou au commencement , ou
à la fin de la propofition. Par exemple :
En la troifièmç année d^ la CXII^ olym^
de Grammaire) 149
j^iaic j 5 50 ans avant Jefus-Chnjl ^ on'^c
jours après une éclipfe de Lune j Alexan^
dre vainquit Darius : ou bien , Alexandre
vainquit Darius en la troijième année jy&cc.
Les liaifons des différentes parties du
difcours,, telles que cependant^ fur ces en--
trefaites J dans ces circonflances ^ mais y
quoique j après que j avant que _, &c. doi**
vent précéder le fujet de la propofition
oii elles fe trouvent vparceque ces liaifons
ne font pas des parties néceflaires de la
propofition : elles ne font que des adjoints,
ou des tranfitions ou des conjondions par-
ticulières qui lient les propofitions partieLî»
les dont les périodes font compofées..
Par la même raifon , le rdanfquij qwa^
quodj & nos qui j que ^ dont j précèdent
tous les mots de la propofition à laquelle
ils appartiennent, parcequ'ils fervent àJier
cette propofition à quelque mot d'une au-
tre y & que ce qui lie doit être entre deux.
termes. Ainfi dans cet exemple vulgaire ,
Deus quem adoramus ejl omnipotens j le
Dieu que nous adorqns eft tout-puiflaat ,,
S 5
250 Principes
quem précède aioramus^ & que eft avant
nous adorons :y quoique Tun dépende d'^-
doramus & l'autre de nous adorons j^avcc^
que quem détermine D^^/i*. Cette place du
relatif entre les deux propofitions corréla-
tives 5 en fait apercevoir la liaifon plus ai-
fément , que 11 le quem ou le que étoient
placés après les verbes qu'ils déterminent.
Je dis donc que pour s'exprimer felor^
la conftruction fîmple 5 on doit i .^ énon-
cer tous les mots qui font les fîgnes des
différentes parties que l on eft obligé de
donner à la penfée 5 par la nécellîté de Té-
locution 5 & félon l'analogie de la langue
en laquelle on a à s'énoncer.
2.^ En fécond lieu , la conftrudion fîm-
ple exige que les mots foient énoncés dans,
l'ordre fuccellîf des rapports qu'il y a en-
tr'eux 3 en forte que le m.ot qui eft à modi-
fier ou à déterminer , précède celui qui le
modifie ou le détermine.
5.® Enfin 5 dans les langues où les mots
ont des terminaifons qui font les figues de
leur poiîtion & de leurs relations ? ce ferojc
de Grammaire. 251
une faute , fi Ton fe contentoit de placei:
un mot dans Tordre où il doit être félon
la conftrudtion fimple, fans lui donner la
terminaifon deftinée à indiquer cette pofi-
tion. Ainfi on ne dira pas en latin, D'diges
Dominus Deus tuus , ce qui feroit la ter-
minaifon de-la valeur abfolue , ou celle du
fujet de la propofition , mais on dira JDz-
liges Dominum Deum tuum _, ce qui eft la
terminaifon de la valeur relative de cqs
trois derniers mots. Tel eft dans ces lan-
gues le fervice & la deftination des termi-
naifons : elles indiquent la place & les rap-
ports des mots : ce qui eft d un grand ufage
lorfqu'il y a inverfion 5 c*eft-à-dire , lorf-
que les mots ne font pas énoncés dans Tor-
dre de la conftrudion fimple : ordre tou-
jours indiqué , mais rarement obfervé dans
la conftruftion ufuelle des langues dont les
noms ont des cas, c'eft-à-dire, des termi-
naifons particulières deftinées en toute con-
ftru£tion à marquer lesdiftérentes relations
ou les différentes fortes de valeurs relatives,
des mots»
i 5 7. Principes
IL De la Conjlruclion figurée.
L'ordre fucceflîf des rapports des mots
ii'eft pas toujours exadlement fuivi dans
Texécution de la parole, La vivacité de
l'imagination 5 l'empreflement à faire con-^
noître ce qu'on penfe > le concours des
idées acceiïbires , l'harmonie , le nombre 5
le rythme 5 &c. font fouvent que l'on fup-
prime des mots 5 dont on fe contente d'é-
noncer les corrélatifs. On interrompt l'or-
dre de ranalyfe ; on donne aux mots une
place ou une forme, qui au premier afpe6t
ne paroît pas être celle qu'on auroit dû
leur donner. Cependant 5 celui qui lit ou
qui écoute, ne laiflTe pas d'entendre le fens
de ce qu'on lui dit , parceque Tefprit rec-
tifie l'irrégularité de renonciation , & pla-
ce dans l'ordre de l'analyfe les divers fens
particuliers, &: même le fens des mots qui
ne font pas exprimés.
C'efr en ces occafions que l'analogie eft
d'un grand ufage. Ce n'eft alors que par
analogie , par imitation , & en aliant du
dt Grammaire. Z55
Connu \ Tinconnu , que nous pouvons con-
cevoir ce qu on nous dit. Si cette analogie
nous manquoit , que pourions-nous com-
prendre dans ce que nous entendrions dire ?
Ce feroit pour nous un langage inconnu
& inintelligible. La connoifTance & la pra- '
tique de cette analogie ne s'acquièrent que
par imitation 5 & par un long ufage com-
mencé dès les premières années de notre
vie.
Les façons déparier dont Tanalogie efl:>
pour ain(î dire , Tinterprête , font des phra-
î^s de la conftrudion figurée.
La Conflruclion figurée eft donc celle
où Tordre & le procédé de Tanaly fe énon-
ciativc ne font pas Hiivis , quoiqu'ils doi-
vent toujours être aperçus \ redifiés ou
fuppléés.
Cette féconde forte de conftruâiion eft
appelée Conflruclion figurée ^ parcequen
cftet elle prend une figure , une forme ,
qui n'eft pas celle de la conftruâion fimple.
La conftrudion figurée eft à la vérité auto-
i54 Principes
lifée par un ufage particulier : maïs elle
n'eft pas conforme à la manière de parler
la plus régulière, c'eft-à-dire, à cette con-
ftrudion pleine & fuivie dont nous avons
parlé d'abord. Par exemple , félon cette
première forte de conftrudtion 5 on dit : La
foiblejje des hommes ejl grande : le verbe
ejl s'accorde en nombre 8c en perfonne
avec fon fujet lafoible(fe j & non avec des
hommes. Tel ell Tordre (îgnificatif , teleft
Tufage général. Cependant on dit fort bien^
La plupart des hommes fe perfuadentj Sec.
où vous voyez que le verbe s'accorde avec
des hommes _, & non avec la plupart. Les
favans difent ; les ignorans s^ imaginent j,^
Sec. telle eft la manière de parler généra-
le : le nominatif pluriel eft annoncé par
l'article les. Cependant on dit fort bien 5
Des favans mont dit; des ignorans s'ima*
glnent ; du pain & de Veau fuffifent^ êcc^
Voila auffî des nominatifs ? félon nos
Grammairiens. Pourquoi ces prétendus no-
minatifs ne font-ils point analogues aux
de Grammaire. 155
nominatifs ordinaires ? Il en efl; de même
en latin , & en toutes langues. Je me con-
tenterai de ces deux exemples,
I ^ La prépofition Ante fe conftruit avec
Taccufatif : tel eft Tufage ordinaire : cepen-
dant on trouve cette prépofition avec Ta-
blatif dans les meilleurs auteurs : Multis
ante annls.
2.^ Selon la pratique ordinaire > quand
le nom de la perfonne , ou celui de I'Sl
chofe eft le fujct de la propofition , ce nom
eft au nominatif. Il faut bien , en effet,
nommer la perfonne ou la chofe dont on
juge 5 afin qu'on puifte entendre ce qu'on
en dit. Cependant on trouve des phrafes
fans nominatif-, & ce qui eft plus irrégulier
encore 5 c'eft que le mot qui 3 félon la règle,
devroit être au nominatif , fe trouve au
contraire en un cas oblique. Pœnitet me
peccati ; Je me repens de mon péché. Le
verbe eft ici à la troificme perfonne en
latin 5 & à la première en françois.
Qii'il me foit permis de comparer la
conjiruction fimpk au droit commun 3 & la
1^6 PnncipôS
figurée au droit privilégié. Les Jurifcon-^
fuites habiles ramènent les privilèges aux
loix fupérieures du droit commun , & re-
gardent comme des abus que les Légifla-
teurs devroisnt réformer ^ les privilèges
qui ne fauroient être réduits à ces loix.
Il en eft de même des phrafes de la
conftruclion figurée : elles doivent toutes
être raportées aux loix générales du dif^
cours y en tant qu'il eft figne de lanalyfe
des penfées & des différentes vues de YeC-
prit* Ceft une opération que le peuple fait
par fentiment , puifqu'il entend le fens de
ces phrafes. Mais le Grammairien philofo-
phe doit pénétrer le myftère de leur irré-
gularité 5 & faire voir que malgré le maf-
que qu'elles portent de Tanomalie , elles
font pourtant analogues à la conftrudtioa
fîmple.
C'efi: ce que nous tâcherons de faire- 1
voir par plufieurs exemples.. Mais pour y 1
procéder avec plus de clarté, il faut obser-
ver qu'il y a ifîx fortes de figures qui font
d'un grand ufage dans Tef^èçe de cou-
de Grammaire. 157
ïtrucftion dont nous parlons , & auxquelles
en peut réduire toutes les autres,
L VEllïpfc.
L'Ellipse , c'eft-à-dire , Manquement ^
défaut ^ fupprejfion : ce qui arrive lorfque
quelque mot néceilàire pour réduire la
phrafe à la conftruélion fimple n'eft pas ex-
primé, & que cependant ce mot eft la feule
caufe de la modification d'un autre mot
de la phrafe. Par exemple : Ne fus Mine r-
vam. Minervam n'eft à 1 accufatif , que
parceque ceux qui entendent le fens de
ce proverbe fe rappellent aifément dans
lefprit le verbe doceat. Cicéron la expri-
mé (ï). Ainfi le fens eft , Sus non doceat
Minervam ; Quun cochon , qu'une bêre^
qu'un ignorant ne s'avife pas de vouloir
donner des leçons à Minerve , déefle de
la Science & des beaux Arts. Trifîe lupus
flahulis j c'^eft-à-dire 5 Lupus eji negotium
trijle fiabulis. Ad Cafloris ^ fuppléez
p —— — i— — ■— — ^
(i) Açad. I , c. ^.
258 Principes
éLdcm^ ou tcmplum Cajîoris. Sandius & les
autres Analogiftes ont recueilli un grand
nombre d'exemples où cette figure eft
en ufage. Mais comme les auteurs latins
emploient fouvent cette figure , & que la
langue latine eft ^ pour ainfi dire ^ route
elliptique > il n'eft pas polîîble de rappor-
ter toutes les occafions où cette figure peut
avoir lieu. Peut-être même n'y a-t-il aucun
mot latin qui ne foit fous -entendu en
quelque phrafe. Vulcani item cumplures ^
fuppléez fuerunt. Primus cœlo natus ; ex-
quo Minerva Apollinem j où l'on fous-
entend/?^/?mr (i). Et dans Térence (i)^
Egone illam ? Qua illum ? Qua me ?
QîiéL non ? Sur quoi Donat obierve que
l'ufage de l'ellipfe eft fréquent dans la
colère , & qu'ici le fens eft : Ego ne illam
non ulcifcar? Qu(Z illum recepit? Quét ex-
clujit me ? QuéL non admijit? Prifcien rem-
(i) Cicéron > de natura Deorum^ lit>, III ^
c. 12..
(2) Eunuc. Ait, !• Se, I.
de Grammaire. 259
plit ces Ellipfcs de la manière fui vante :
Egone ïllam dignor adventu meo ? Qu£.
illum pmpofuu mïhi ? Qua me fprev'u ?
QuA non fufcepit heri?
Il eft indifférent que rElIipfe foit rem-
plie par tel ou tel mot 5 pourvu que le fens
indiqué par les adjoints & par les circon-
ftances foit rendu.
Ces fous - ententes ^ dit M. Patru (i) ,
font fréquentes en notre langue j comme
en toutes les autres. Cependant elles y
font bien moins ordinaires qu'elles ne le
font dans les langues qui ont des cas , par-
ceque dans celles-ci le rapport du mot
exprimé avec le mot fous - entendu 5 eft
indiqué par une terminaifbn relative : au
lieu qu'en françois & dans \ts langues,
dont les mots gardent toujours leur ter-
minaifon abfolue, il ny a que Tordre, ou
obfervé ou facilement aperçu & rétabli
par l'efprit, qui puilîe faire entendre le
fens des mots énoncés.
(i) Notes fur ks Remarques de Vaugelas >
tGTîi. I, j^ag, 2^^z ^ édit. de i73^S.
zièo Principes
Ge n'eft qu'à cette condition , que Tufagc?
autorife les tranfpofîtions & les Ellipfes.
Or cette condition eft bien plus facile à
remplir dans les langues qui ont des cas :
ce qui eft fenfîble dans l'exemple que nous
avons rapporté > Ne fus Minervam : ces
deux mots rendus en François n'indique-
roient pas ce qu'il y a à fuppléer. Mais
quand la condition dont nous venons de
parler peut aiiement être remplie , alors
nous faifons ufage de TElIiple , fur - tout
quand nous fommes animés de quelque
paflîon.
(i) Je't^aimois inconfiant h Qu'aurais -je
fait fidèle ?
On voit aifément que le fens eft , Que
naurois'jepasfaitjîtu avals été fidèle?
Avec quelle ardeur ne t^aurois-je pas aimé
fi tu avois été fidèle. Mais TEllipfe rend
Texpreffion de Racine bien plus vive, que
fî ce poète avoit fait parler Hermione félon
(i) Racine > fr^^/i/. d'Andromaque , Aâ. IV>
Sv. y.
la
de Grammaire. iCi
k conftrucftion pleine. Ceft ainfi que lorf-
que dans la converfation on nous demande,
X^uand reviendre:^'VOus ? nous répondons ,
ia femàine prochaine ; c'eft-à-dire , Je re-
viendrai dans la femaine prochaine : A
la mi-Aoûrt ^ c'eft-à-dire ^ a la moitié du
mois d'Août. A la S. Martin ; à la
TouJJaints ; au lieu de à la fête de S.
Martin ; à la fête de tous les Saints^
Que vous a-t'il dit? Rien : c eft - à- dire,
il ne m^a rien dit; nullam rem : on fous-en-
tend la négation ne. Qudfciffe ce qu'il
voudra j ce qu'il lui plaira : on fous-enrend
faire ; & c'eft de ce mot fousrentendu que
dépend le que apoftrophé devant il.
Ceft par rEllipfe qu'on doit rendre rai^
fon d'une façon de parler qui n'eft plus en
ufage aujourd'hui dans notre langue -, mais
qu'on trouve dans les livres , même du
fîècle paflfé. Ceft , Et qu ainfi ne foit ^
pour dire, ce que je vous dis efi fi vrai
que j &c. Cette manière de parler, dit
Danet , verho Ainsi ^ fe prend en un
fens tout contraire à celui qu'elle femble
T
i€z Principes
avoir -, car , dit - il , elle eft affirmative %
nonobftant la négation. J'étois dans ce
jardin jy & quainjî. ne foit j voila une fleur
que jy ai cueillie : c eft comme fî je di-
fois s & pour preuve de cela j voila une fleur
que jy ai cueillie : Atque ut rem ita ejje
intelligas. Joubert dit auflî 5 Et quainfi
ne foit j ceik'k-dite y pour preuve que cela
cjl ; Argumento eft qubdj au mot Ainsi.
Molière 5. dans Pourceaugnac , Adel,
Se. XI 5 fait dire à un médecin , que M, de
Pourceaugnac eft atteint & convaincu de la
maladie qu'on appelle Mélancholie hypo-
condriaque : Et qu ainfi ne foit ^ ajoute le
médecin , pour diagnoftic inconteftahle de
ce que je dis ^ vous nave':^ quà confidérer
ce grand férieux j &c.
M. de la Fontaine , dans fon Belphégor^
qui eft imprimé à la fin du XII« livre des
fables 5 dit':
Ceft le cœur feul qui peut rendre tran*
quille :
Le cœur fait tout , le reft^e eft inutile.
Qu^aiuji ne /bit)^ y àyon^ d'autres états? &c.
de Grammaire. 16 j
L'ElIipfe explique cette façon de parler.
En voici la conftru6tion pleine , Et afin
çu€ vous ne difie^ point que cela ne foit
pas ainfi j cefi que ^ 8cc.
PafTons aux exemples que nous avons
rapportés pkis haut : Des favans m^ont dit;
des ignorans Y imaginent. Quand je dis^
Les favans difent^ Les ignorans s^ imagi-
nent j^ Je^ark de tous les favans & de tous
les ignorans : je prensy2?Vi^/2^ & ignorans
dans un fens appellatif , c'eft-à-dire 5 dans
une étendue qui comprend tous les indi-
vidus auxquels ces mots peuvent étire ap-
pliqués. Mais quand je dis , Des favans
m^ont dit ^ Des ignorans s^ imaginent j je
ne veux parler que de quelques-uns d'en-
tre les favans , ou d entre les ignorans :
c'eft une façon de parler abrégée. On a
dans Tefprit , quelques- uns : c'eft ce plu-
riel qui eft le vrai fujet de la propofî-
tion : de & des ne font eh ces occaiions
que des prépodtions extradives ou parti-
tives. Sur quoi je ferai en paflant une
légère obferyation ; c eft qu'on dit qu'alors
T z
2 ^4 Principes
favans Se ignorans font pris dans un fens
partitif. Je croîs que le partage ou Textrac*
tion n'eft marqué que par la prépofition
& par le mot fous-entendu , & que le mot
exprimé eft dans toute fa valeur , & par
conféquent dans toute fon étendue , puif-
que ceft de cette étendue ou généralité
que Ton tire les individus dont on parle :
Quelques-uns de les favans.
Il en efl: de même de ces phrafes , Du
pain & de Veau Juffifent; Donnez-moi du
pain & de l'eau ^ &c. c'eft-à-dire? quelque
chofe de j une portion de ou duj &c. Il y
a dans ces façons de parler Syllepfe &
Ellipfe. Il y a Syllepfe , puifqu'on fait la
conftru6tion félon le fens que Ton a dans
Tefprit, comme nous le dirons bientôt^ &
il y a Ellipfe , c'eft - à • dire , f^pprejfion ^
manquement de quelques mots dont la
valeur ou le fens eft dans Tefprit. L em-
preflTement que nous avons à énoncer notre
penfée , & à favoir celle de ceux qui nous
parlent , eft la caufe de la fupprelîîon de
bien des mots qui feroient exprimés , iî
de Gfanimaire. i6<j
Ion fuivoit exadement le détail de Taiia-
lyfe énonciative des penfées,
Multis antc annis. Il y a encore ici une
Ellipfe. Ante n'eft pas le corrélatif de an-
nis ; car on veut dire que le fait dont il
s'agit s'eft padé dans un tems qui eft bien
antérieur au temps où Ton parle : Illud
fuit gcjium in annis multis ante hoc tem-
pus. Voici un exemple de Cicéron (i) qui
juftifie bien cette explication : Hofpitium ^
multis annis ante hoc tempus ^ Gaditani
cum Lucio Cornelio Balbo fecerant : où
vous voyez que la conftru£tion félon Tor-
dre de lanaly fe énonciative eft , Gaditani
fecerant hofpitium cum Lucio Cornelio
Balbo j in multis annis ante hoc tempus^
Pœnitet me peccati ; Je me repens de
mon péché. Voila fans doute une propor-
tion en latin & en fran^ois. Il doit donc y
avoir un fujet & un attribut exprimé ou
fous-entendu. J aperçois Tattribut , car je
(i) Dans VQn\iôïi)pro L. Corn. Balèo<,.
T 5
i6^ Principes
vois le verbe pœnltet me. L'attribut com-»
nience toujours par le verbe , & ici pœnî-^
tet me eft tout Tattribut. Cherchons le
fujet. Je ne vois d'autre mot que peccati.
Mais ce mot étant au génitif , ne fauroit
être le fujet de la propofîtion , puifque ,
félon lanalogie de la conftru6tion ordi-*
naire 5 le génitif eft un cas oblique qui ne
fert qu'à déterminer un nom defpèce.
Quel eft ce nom qqe peccati détermine ?
Le fond de la penfée & l'imitation doivent
nous aider à le trouver. Commençons par
l'imitation. Plante fait dire à une jeune
mariée (i) : Et m£ qu'idem hac candîtia
nunc non pœnitet. Cette condition _, c'eft-*
à-dite y ce mariage ne me fait point de
peine j ne m^ affecte pas de repentir : Je
ne me repens pas d^ avoir épeufé le mari que
mon père m^a donné ; ou vous voyez que
conditio eft le nominatif de/^cr/zir^r. Et Ci-
céron dit : (z) Sapientis ejipropriumj nihil
(i) Stick. Ad. 1 5 Se. I • V. ]o.
(2) Tufc. //t. V, c, iS^
de Grammaire. i6y
quod pœnitcrcpojjit yfacere : c eft-à-dire ,
Nonfacere hïlum quod pojfu pœnitcre fa-
pientem ^ eji proprium faplcntis : où vous
voyez que quod eft le nominatif de pojfic
pœnitere : rien qui puijje affecter le fage
de repentir. Accius dit (i) que , neque id
fane me pœnitet : cela ne m affede point
de repentir.
Voici encore un autre exemple: Si. vous
avie'[ eu un peu plus de déférence pour
mes avis j dit Cicéron à fon frère j Ji vous
avie:(ficrifé quelques bons mots ^ quelques
plaifanteries j nous n aurions pas lieu au-'
jourd^hui de nous repentir. Si apud te plus
autorïtas mea j quam dicendi fal facctiA*
que valuiffet y nihil fane effet quod nos.
pœniteret. Il ny auroit rien qui nous af-
fectât de repentir {i).
Souvent > dit Faber dans fon Tréfor^ au
mot pœnitet y les anciens ont donné un
nominatif à ce verbe. Veteres& cum no-
T^inativo copularunt.
(i) A]?ni Gall. tu A , lih. XIII , c. 2.
(i) Cicéron 5 ai Quint, fratr. lib. I> ep. zi
T 4.
z6î Principes
Pourfuivons notre analogie. Ciccro/.i a
dit (i) , Confcientia peccatorum dmore
nocentes afficit ; & ailleurs (2)5 Tua Ubi'-
dînes torquent te ; confcienti(& maleficio-
rum tuorum 'Jiimulant te : Vos remors
vous tourmentent : & ailleurs on trouve ,
Confcientia fcelerum improbos in morte
vexât \ A l^ article de la mort ^ lesméchans
font tourmentés par leur propre confcience^
Je dirai donc par analogie, par imita-
tion : Confcientia peccati pœnitet me :
ct&'àrdke^ajfficitmepœnâ ; comme Cicé-
ton a dit 5 afficit timoré jjlimulat j vexât ^^
torquet ^ mordet : le remors ^ le fouvenir y
la penfée de mafaut^ în affecte de peine ^
m"" afflige j^ me tourmente ; je m'en afflige ;
je m'en peine ; je m'en repens. Notre
verbe repentir eft formé de la prépofition,
înféparable , re ^ rétro ^ & de peine ; fc
peiner du paffé. Nicot écrit fe pèner de .^
ainfî fe repentir ^ c'eft s affliger 5 fe punir
(i) Parad. V.
(2) Parad. IL
de Grammaire. z6^
ibi-même de: QuempœnîtetjiSjdolendo^
àfe quajipœnam fudtemeritatis exigit (l).
Le fens de la période entière fait fou-
vent entendre le mot qui eft fous-entendu.
Par exemple : Félix qui potuit rerum co-
gnofcere caufas (2). L'antécédent de qui
n'eft point exprimé. Cependant le fens
nous fait voir , que Tordre de la conftru-
âion eft: , Ille qui potuit cognofcerc caufas
rerum ejl felix.
Il y a une forte d'Ellipfe qu'on appelle
^eugma _, mot grec , qui lignifie connexion^
ajfemblage. Cette figure fera facilement
entendue par les exemples. Sallufte a dit :
Non de tyranno j fcd de cive j non de
domino ^fed de parente loquimur ; ou vous
voyez que ce mot loquimur lie tous ces
divers fens particuliers, & qu'il eft: fous-
entendu en chacun. Voila TEllipfe qu'on
appelle \cugma. Ainfi le -^eugma fe fait lorf*
qu'un mot exprimé dans quelque membre
(i) MartinuSj, verho Pœnitet.
(i) Virgile , Gsorg, U II , r. 490,
%j(y Principes
d une période , eft fous-entendu dans un
autre membre de la même période. Sou-
vent le mot eft bien le même, eu égard à
la fîgnification 5 mais il eft différent par
raport au nombre ou au genre. AquiU vo-
larunt jy hdtc ah oriente ^ illa ab occidente.
La conftrudion pleine eft , Hdic volavitab
ariente ; illa volavit ab occidente : ou vous
voyez que volavit ^ qui eft fous-entendu ^
diffère de volarunt par le nombre^ Et de
même dans Virgile (i) , Hic illius arma^
hic currus fuit : ou vous voyez qu'il faut
jfous - entendre fuerunt dans le premier
membre. Voici une différence par raport
au genre : Utinam aut hic furdus j aut
h<zc mutafaclajit{i). Dans le premier fens
on fous-entend faclus fit ^ 8c il y a facla
dans le fécond. L'ufage de cette forte de
zeugma eft fouffert en latin , mais la lan-
gue françoife eft plus délicate & plus dif-^
ficile à cet égard. Comme elle eft plus af-
fujétie à Tordre iîgnifîcatif , on n'y doit
(i) JEn. l. L
(2.) Téieace,. Jf/z^. Aft. IIL Se. L.
de Grammaire. %y\
fous-entendre un mot déjà exprimé 5 que
quand ce mot peut convenir également au
membre de phrafe oii il eft fous-entendu.
Voici un exemple qui fera entendre ma pen-
fée. Un auteur moderne a dit : Cette hijloi"
re achèvera de défabufer ceux qui méritent
de Vètre : on fous-entend défabufcs dans
ce dernier membre ou incife, & c'eft défa-
bufer qui eft exprimé dans le premier. C eft
une négligence dans laquelle de bons au-
teurs font tombés,
II. Le Pléonafme.
La féconde forte de figure eft le con-
traire de TEllipfe. Ceft lorfqu'il y a dans
la phrafe quelque mot fuperflu , qui pou-
roit en être retranché fans rien faire per-
dre du fens. Lorfque ces mots ajoutés don-
nent au difcours ou plus de grâce , ou plus
de netteté , ou enfin plus de force ou plus
d'énergie , ils font une figure approuvée^
Pat exemple, quand, en certaines occafions,
on dit 5 Je l'ai vu de mes ieux ; je Val
enfcndu de mes propres oreilles^ &c. Je me
2^7^ Principes
meurs; ce me n*eft-là que par énergie. C eâ
peut-être cette raifon de Ténergie qui a
confàcré le Pléonafme en certaines façons
de parler , comme quand on dit : C'ejl une
affaire oh il y va du falut de l'Etat : ce qui
eft mieux, que (î Ton difoit y C'ejl une af-
faire oh il vaj &c. en fupprimant jj qui
eft inutile à caufe de oh. Car , comme on
l'a obfexvé dans les Remarques & décijions "
de.V Académie Frantoife y 165^8 5 pag. 55,
Il y va _, ily cij il en ejlj font des formu-
les autorifées dont on ne peut rien oter.
La figure dont nous parlons eft appelée
JPléonafmejy mot grec qui fîgnifie yir^i5o/z-
dance. Au refte , la furabondance qui n'eft ■
pas confacrée par Tufàge, & qui n'apporte *
ni plus de netteté , ni plus de grâce 5 ni plus
d'énergie , eit un vice , ou du moins une
négligence qu'on doit éviter. Aiufijon ne
doit pas Joindre à un fubftantif une épi-
thète qui n'ajoute rien au fens y & qui n'ex-
cite que la même idée : par exemple , une
tempête orageufe. Il en eft de même de
cette façon de parler : // eji vrai de dire
de Grammaire. ly^
ifue ; de dire eft entièrement inutile. Un
de nos auteurs a dit ( i) , que Cicéron avoit
étendu Us bornes & les limites de Télo-
quence. Limites n'ajoute rien à l'idée de
hornes : c'eft un Pléonafine.
m. La Syllepfe ou Synthefe.
La troifième forte de figure eft celle
qu'on appelle Syllepse ou Synthèse.
C'eft lorfque les mots font conftruits félon
k fens & la penfée , plutôt que félon Tufage
de la conftru6tion ordinaire. Par exemple ,
Monjlrum étant du genre neutre , le relatif
qui fuit ce mot doit aufîî être mis au genre
neutre 5 monjlrum quod. Cependant Hora-
ce , lib. I , od. 5 7 5 a dit : Fatale monjlrum^
quA generojius perire qudtrens. Mais ce pro-
dige y ce monftre fatal , c'eft Cléopatre :
ainh Horace a dit qua, au féminin , parce-
qu il avoit Cléopatre dans Tefprit. Il a donc
fait la conftrudtion félon la penfée & non
félon les mots. Ce font des hommes qui
(i) Défcnfc de Voiture , j^agn i.
2-74 Principes
ont : font eft au plurieU auflî - bien que-
ontj^ parceque Tobjet de la penfée c'ejl dci
hommes jy plutôt que ce ^ qui eft pris ici
Golleétivement.
On peut auiïî refondre ces façons dé
parler par l'ElIipfe. Car , ce font des hom--
mes qui ont j Sec. ce ^ c'eft-à-dirè, les per-
fonnes qui ont j &c. font du nombre des
hommes qui ^ &c. Quand on dit , La foi-
blejfe des hommes eji grande j le verbe eji
érant au fingulier , s'accorde avec fon no-
minatif la foiblejfe : mais quand on dit,
La plupart des hommes s^ imaginent j 8cc.
ce mot la plupart préfente une pluralité
à lefprit : ainfî le verbe répond à cette
pluralité , qui eft fon corrélatif. C'eft en-
core ici une Syllepfe ou S/nthèfe *, c*eft-à*
dire , une figure lelon laquelle les mots
font conftruits félon la penfée & la chofe ,
plutôt que félon la lettre & la forme gram-
maticale. Ceft par la même figure que le
mot de perfonne ^ qui grammaticalement
eft du genre féminin , fe trouve fouvenc
fuivi de il ou ils au mafculin j parcequ a-
de Grammaire. 275
îors on a dans refprit Thomme ou les hom-
mes dont on parle 5 qui font phy fiquement
du genre mafculin, C'eft par cette figure
que Ton peut rendre raifon de certaines
phrafes 011 Ton exprime la particule ne j
quoiqu'il femble qu elle dût être fuppri-
mée 5 comme lorfqu on dit : Je crains qu'il
ne vienne ; f empêcherai quil ne vienne ;
y ai peur quil n oublie ; &c. En ces occa-
sions 5 on eft occupé du defir que la chofe
n'arrive pas : on a la volonté de faire tout
ce qu'on poura , afin que rien n'apporte
d'obftacle à ce qu'on fouhaite. Voila ce
qui fait énoncer la négation.
IV. VUyperlate.
La quatrième forte de figure , c'eft
X'BYVIc.KBAT'E ; c'eft-à-dire , confufion j
mélange de mots, C'eft lorfqu'on s'écarte
de Tordre fucceflîf de la conftrudion fim-
ple* Saxa vocant Itali ^ mediis qu£ infiu"
clibusjaras (i). La conftrudion eft, Itali
(i) JEndd, 1. 1 , V. 115.
tj6 Principes
vocant aras illafaxa qu^funt infLUcilhuÈ
mcdïis. Cette figure étoit, pour ainfi dire,
naturelle au latin. Comme il n'y avoit que
les terminaifons des mots , qui dans Tufage
ordinaire fuflent les fignes de la relation
que les mots avoient enrr'eux , les Latins
n'avoient égard qu'à ces terminaifons , &
ils plaçoient les mots félon qu^ils étoient
préfentés à Timagination, ou felon'que cet
arrangement leur paroiiToit produire une
cadence & une harmonie plus agréable',
mais parcequ'en françois les noms ne chan-
gent point de terminaifon , nous fommes
obligés communément de fuivre Tordre
de la relation que les mots ont entr'eux.
Ainfî nous ne faurions faire ufage de cette
figure > que lorfque le raport des corréla-
tifs n'eft pas difficile à apercevoir. Nous
ne pourions pas dire comme Virgile (i) :
Frigidus > â pueri y fugitc hinc ^ latet anguis
in kerba.
lJad]cdiï( fngiclus commence le vers , & le
(i) Eclog. III. V, $)3»
fubftantif
de Grammaire. 277
ï\àh\[mxiî anguls en eft féparé par plufieurs
mors 5 Tans que cette féparation apporte la
moindre confufîon. Les terminaifons font
aifément rapprocher Tun de Tautrc à ceux
qui favent la langue. Mais nous ne ferions
pas entendus en françois > fi nous mettions
un fi grand intervalle entre le fijbftantif &
radjedif. Il faut que nous difions : Fuyc'{ j
un froid fcrpent eji caché fous V herbe.
Nous ne pouvons donc faire ufage dQS
inverfions , que lorfqu'elles font aifées à
ramener à Tordre fignificatif delà conftru-
âion fimple. Ce n'eft que relativement à
cet ordre 5 que lorfqu'il n'eft pas fuivi, on
dit en toute langue qu'il y a inverfion, &
non par raport à un prétendu ordre d'in-
térêt & de paffion ^ qui ne fauroit jamaiî
être un ordre certain , auquel on peut op*
pofer le terme d'inverfion : Incerta hàicjt
tu poflules ratione certâfacere^ nihilo plus
agas j quàmji des opérant ut cum ratione
infanias ( i ).
(i) Tàence > Eunuch, Ad. I. Se. I. v, i^.
lyt Principes
En effet on trouve dans Cicéron &dans
chacun des auteurs qui ont beaucoup écrit j
on trouve , dis-je , en difFérens endroits >
le même fond de penfée énoncé avec Ie$
mêmes mots , mais toujours difpofé dans
un ordre différent. Quel eft celui de ces
divers arrangemens , par raport auquel on
doit dire qu'il y a inverfîon ? Ce ne peut
jamais être que relativement à la conftru-
étion fimple. Il ny a inverfion que lorfque
i^et ordre n'eft pas fuivi. Toute autre idés
eft fans fondement , & n'oppofe inverfion
qu au caprice ou à un goût particulier &
momentanée.
Mais revenons à nos inverfîons françoi--
fes. M^^ Deshoulières dit :
Que les fougueux Aquilons >
Sous fa nef > ouvrent de Tonde
Les gouffres les plus profonds.
^ La conftrudion limple eft , Que Us
Aquilons fougueux ouvrent fous fa nef les
gouffres les plus profonds de l'onde. M.
Fléchier , dans uoe de fes Oraifpns funè-
ilc Grammaire: 2.79
î>res 5 a dit 5 Sacrifice où coula le fang de
fnille viclimes. La conftru6tion eft , Sacri^
fice où le fang de mille yiclimes coula.
Il faut prendre garde que les tranfpo-
fîtions & le renverfement d'ordre ne don-
nent pas lieu à des phrafes louches > équi-
voques > & où Tefprit ne puilfe pas aifé*
ment rétablir Tordre fignificatif. Garonne
doit jamais perdre de vue qu'on ne parle
que pour être entendu. Ainfi lorfque les
tranfpofitions fervent à la clarté , on doit j
même dans le difcours ordinaire, les pré-
férer à la conftrudion iîmple. M^« Def^,
toulières a dit : -
Dans les tranfports quinfpirc
Cette agréable faifon ,
Où le cœur , à fon empire,
Aflujeitit la raifon.
X'efprit faifit plus aifément la penféèj que
il cette illuftre Dame avoir dit> Dans les
tranfports que cette agréable faifon j oà
le cœur affujettit la raifon à fon empire^
infpire. Cependant , eu ces occafious là
y z
z8o Principes
même 5 refprit aperçoit les raports des
mots 5 félon Tordre de la conftrudlion
fîgnifîcative.
V. V Hellénïfme ^ Sec.
La cinquième forte de figure , c'elt
Timitacion de quelque façon de parler
d'une langue étrangère 5 ou même de la
langue qu'on parle. Le commerce & les
relations qu'une nation a avec les autres
peuples , font fouvent pafiTer 5 dans une
langue, non-feulement des mots , mais en-
core des façons de parler, qui ne font pas
conformes à la conftrudion ordinaire de
cette langue. Ceft ainfi que dans les meil-
leurs auteurs latins on obferve des phra-
fes grecques qu'on appelle Hellénifmes*
C'eft par une telle imitation qu'Horace a
dit (i ) 5 Daunus agrejlium regnavit popu'^
Jorum. Les Grecs difent 'È^a.aihivcrî 7(ov haZy.
Il y en a plusieurs autres exemples. Mais
dans ces façons de parler grecques, il 7 a
(i) Lib.llL Ode io.v. iz.
de Grammaire^ z8 1
eu un nom fubftantif fous - entendu , ou
quelqu'une de ces prépofitions grecques
qui fe conftruifent avec le génitif.. Ici on
fous-entend, BstW^ct;^ 5. comme M. Dacier
Ta remarqué : Regnavitregnum populorum^
Horace a dit ailleurs (i) regnata rura. Ainiî
quand on dit que telle façon de parler eft
une phrafe grecque , cela veut dire que
TEllipfe d'un certain mot eft en ufage en
grec dans ces occafions , & que cette Eî-
lipfe n'eft pas en ufage en latin dans la
conftrudion ufuelle , qu'ainfî on ne l'y
trouve que par imitation des Grecs. Les
Grecs ont pluileurs prépofitions qu'ils con-
ftruifent avec le génitif , & dans Tufage
ordinaire ils fuppriment les prépofitions y
en forte qu*il ne refte que le génitif. C'eft
ce que les Latins ont fouvent imité. Voye^
Sandius , & la Méthode de P. R. de l'HelIé-
ni^mQ y pag. 559^ Mais, foit en latin, foit
en grec , on doit toujours tout réduire à
b conftrudion pleine & à l'analogie ordi-
(i) Lib^ll.Od^Cy V. ïia.
t^2J Principes
mire. Cette figute eft aulîî ufitée dans fà
même langue , fur-tout quand on pafle du
fens propre au fens figuré. On dit au fens
propre > qu'un homme a de V argent -^ une
montré y un livre ^ & Ton dit par imitation ,
qu'il a envie yi^'A a peur y qu'il a hefoin^
qu'il a faim y &ç.
L^'imitation a donné lieu à plufîeurs fa-
çons de parler , qui ne font que des for-
mules que Tufage â confacrées. On fe fert
fî fou vent du pronom il ^ pour rappeler
dans Teiprit la perfonne déjà nommée y
que ce pronom a paflTé enfuite par imi^
îation dans plulleurs façons de parler y
où il ne rappelle l'idée d'aucun individu
particulier. // eft plutôt une forte de nom
métaphyfîque idéal ^ ou d'imitation. C'eft
ainfî que Ton dit : // pleut y il tonne y il
faut y il y a des gens qui s^ imaginent ^ 8cc.
Ce il y illud y eft un mot qu'on emploie
par analogie > à l'imitation de k conftru-
^lion ufuelle y qui donne un nominatif à
tout verbe au mode fini. Ainfî il pleut y
c eft le ciel ouïe tems qui eft tel, quU
de Grammaire. z 8 5
feit tomber la pluie, ///^^r^ c'cft-à-dire,
€da j illud j telle chofe eji nécejfaire j fa^
yoirj 8cc.
VL VAttraclion.
On raporte à rHellénifme une figure
remarquable , qu'on appelle Att RA--
CT I o N. En efFet , cette figure eft fort
ordinaire aux Grecs, Mais parcequ'on en
trouve auffi des exemples dans les autres
langues , j'en faisiciune figure particulière*
Pour bien comprendre cette figure, il
faut obferver, que fouvent le méchanifme
des organes de la parole apporte des chan-
.gemens dans les lettres des mots qui pré-
cèdent 3 ou qui fuivent d'autres mots.
Ainfi 5 au lieu de dire régulièrement ad^
loqui aliquem j on change le d de la pré--
pofition ad en l ^ à caufe de IV qu'on va
prononcer , & Ton dit, al-loqui aliquem j,
plutôt que ad-loqui; & de même îr-ruere^
au lieu de in-ruere^ col-loquij au lieu de
cum ou con-loqui , &c. Ainfi 17 attire iine
autre /j&Cr
2^4 Principes
Ce que le méchanifme de la parole fait
faire à l'égard des lettres , la vue de l'ef-
prit tournée vers un mot principal 5 le fait
pratiquer à l'égard de la tcrminaifon des
mots. On prend un mot félon fa iîgnifica-
tion ^ on n*en change point la valeur :
mais à caufe du cas ^ ou du genre 5 ou du
nombre , ou enfin de la terminaifon d'un
autre mot , dont l'imagination eft occupée 3
on donne à un mot voifin de celui-là 3 une
terminaifon différente de celle qu'il au-
roit eu félon la conftru6tion ordinaire 5 en
forte que la terminaifon du mot dont l'ef-
prit eft occupé 5 attire une terminaifon
femblable 5 mais qui n'eft pas la régulière.
Urbem quam Jlatuo vejlra ejc {i). Qjiam
Jlatuo a attiré urbem ^ au Jieu de urbs ; &
de même ^Populo ut placèrent quas fectf-
fet fabulas ; au lieu de fabuU (2).
Je fais bien qu'on peut expliquer c^s
exemples par l'ElIipfe : H^zc urbs j quam
(i) JE^. 1. I.
(1) Téreuce, Andr^ TroU
de Grammaire. xS^
urlcmjiatuo j &c. IIU fabuU j quas fabu-
las fecîjfet : mais lattradion en eft peut-
être la véritable raifon. Dii non concejfêrc
poetis ejfc mediocribus (i). Mediocribus
eft attiré par pocds. Animal providum &
fagax j qucm vacamus hominem (2); ou
vous voyez que hominem a attiré quem ^
parcequ en effet hominem étoit dans lef-
prit de Cicérôn dans le temps qu'il a dit ,
dznimal providum. Benevolentia ^ qui ejt
amicitidL fons (5). Fons a attiré qui j au lieu
de qua. Benevolentia eji fons y qui eji
fons amicitiA. Il y a un grand nombre
d'exemples pareils dans Saaâius 5 & dans
la Méthode latine de P. R. On doit en
rendre raifon , par la diredion de la vue
de Tefprit , qui fe porte plus particulière-
ment vers un certain mot, ainfi que nous
venons de Tobferver, Ceft le reftbrt des
idées acceflbires*
(i) Horace, de Arte Foîtica^
(2) Cicéron, Lcg. L 7.
(3) Cicéron.
zBé Principes
III. De la Conjlrucllon ufuelle.
La troifième force de conftriMÎtion elî
compofée des deux précédentes. Je 1 ap^
pelle Construction usuelle j, par-
ceque j'entens par cette conftruâion, Tac-
rangement des mots qui efl: en ufage dans
les livres y dans les lettres > & dans la con-
verfation des honnêtes gens. Cette con-
ftruétion n^eft fouvent ^ ni toute fimple ^
ni toute figurée. Les -mots doivent être
fimples y clairs , naturels , & exciter dans
Teiprit plus defens que la lettre ne paroîc
en exprimer. Les mots doivent être énon-
cés dans un ordre qui n^excite pas un fen'
timent défàgréable à Toreille. On doit y
obferver > autant que la convenance des dif-
férens ftyles le permet , ce qu'on appelle
le nombre j le rythme ^l'harmonie ^ &c. Je
ne m arrêterai point à recueillir les diffé-
rentes remarques queplufieurs bons auteurs
ont faites au fujet de cette conftruûion*
Telles font celles de MM. de l'Académie
Françoife y de Vaugelâs > de M» FAbbd
de Grammaire. 187
d'OIîvet,du P. Bouhours, de TAbbé de
Bcllegarde , de M. de Gamaches > &c. Je
remarquerai feulement , que les figures
dont nous avons parlé 5 fe trouvent fou-
vent dans la conftrudion ufuelle , mais
elles n y font pas nécefTaires ^ & même
communément , Télégance eft jointe à la
/implicite 5 & fî elle admet des tranlpofi-
tians, des ellipfes, ou quelqu'autre figure,
elles font aifées à ramener à Tordre de
ranalyfeénonciative. Les endroits qui font
les plus beaux dans les anciens , font auffi
les plus fîmples & les plus faciles.
Jl y a donc i.° une CoNSTRUCTioi/r
SIMPLE j nécefïàire, naturelle, où chaque
penfée eft analyfée relativement à Tenon*
cia^ion. Les mots forment un tout qui a
des parties : or la perception fimple du
raport que ces parties ont Tune à Tautre ,
Se qui nous en fait concevoir Tenfemble,
nous vient uniquement de la conftrudion
fîmple 5 qui , énonçant les mots fuivant
Tordre fuccefîîf de leurs raports , nous Içs
péfeate de la manière la plus propre à
1 8S^ Principes
nous faire apercevoir ces raports, & à faire
naître la penfée totale.
Cette première forte de conftruâion eft le
fondement de toute énonciation. Si elle ne
fert de bafe à TOrateur , la chute du difcours
cft certaine , dit Quintilien ( i ). Niji Ora^
tori fundamenta fideliter jecerit j quidquii
fuperjlruxerit corrueu Mais il ne faut pas
croire, avec quelques Grammairiens, que
ce foit par cette manière fimple que quel-
que langue ait jamais été formée. Ça été
après des aflèmblages fans ordre de pierres
èc de matériaux , qu'ont été faits les édifia
ces \qs plus réguliers : font-ils élevés , l'or-
dre fimple qu^on y obferve cache ce qu'il
en a coûté à lart. Comme nous faifififons
aifément ce qui eft fimple & bien ordonné ,
& que nous apercevons fans peine les
raports des parties qui font lenfemble ,
nous ne faifons pas afiez d attention que
ce qui nous paroît avoir été fait fans peine ,
eft le fruit de la réflexion, du travail , à.ç:
(i) Inflit. or. h I. c* ly»
de Grammaire. 285
Texpérience & de Texercice. Rien de plus
irrégulier qu'une langue qUi fe forme ou
qui fe perd.
Ainfi , quoique dans Tétat d'une langue
formée , la conftrudtion dont nous parlons
foît la première , à caufe de Tordre qui
fait apercevoir la liaifon 5 la dépendance
& le raport des mots-, cependant les lan-
gues n ont pas eu d abord cette première
forte de conftrudtion. Il y a une efpèce de
métaphyfique d'inftinét & de fentiment ,
qui a préfîdé à la formation des langues :
fur quoi les Grammairiens ont fait enfuite
leurs obfervations , & ont aperçu un ordre
grammatical , fondé fur Tanalyfe de la
penfée, fur les parties que la néceiîîté de
rélocution fait donner à la penfée, fur les
fignes de ces parties, & fur le raport & le
fervice de ces lignes. Ils ont obfervé
encore Tordre pratique & d'ufage.
2.*^ La féconde forte de conftruélion eft
appelée Construction figurée.
Celle-ci s'écarte de Tarrangement de k
ipo Principes
conjiruciionjimple > & de Tordre de Tanâ*'
lyfe énonciative.
3.° Enfin 5 il y a une CONSTRUCTION
USUELLE j où Ton fuit la manière ordi-
ijaire de parler des honnêtes gens de la
nation dont on parle la langue , foit que
les expreffions dont on fe fert fe trouvent
conformes à la conftrudion fimple , ou
qu'on s'énonce par la conftru6ltion figurée»
Au refte , par les honnêtes gens de la na^
tionj j'entens les perfonnes que la condi-
tion 5 la fortune ou le mérite élèvent au-
deflus du vulgaire > & qui ont le/prit cul-
tivé par la ledure, par la réflexion , & par
le commerce avec d'autres perfonnes qui
ont ces mêmes avantages. Trois points qu'il
ne faut pas féparer : i.° Diflinâion au-
deflus du vulgaire , ou par la naiflîànce &
la fortune , ou par le mérite perfonnel j
2.° avoir l'efprit cultivé i 5.^ être en com-
merce avec des perfonnes qui ont ces mê-
mes avantages.
Toute conftrudlioajflmple n/eft pas tou?r
de Grammaire. 49 1
jours conforme à la conflruction ufuelîe*
Mais une phrafe de la condrudion ufuel-
îe, même de la plus élégante, peut être
énoncée félon l'ordre de la conftrudtion
fîmpîe. Turenne ejl mort ; la fortune chan-^
celle y la victoire s^ arrête ; le courage des
troupes ejl abattu par la douleur ^ & rani''
mépar la vengeance i tout le camp demeure
immobile (i). Qiioi de plus /impie dans
la conftrudtion ! quoi de plus éloquent &
de plus élégant dans rexpreflîon !
Il en eft de même de la conftrudion fi-
gurée. Une conftrudion figurée peut être
ou n'être pas élégante. Les ellipfes , les
tranfpofitions & les autres figures 5 fe trou-
vent dans les difcours vulgaires , comme
elles fe trouvent dans les plus fublimes. Je
fais ici cette remarque , parceque la plu-
part des Grammairiens confondent la con-
ftrudion élégante avec la conftrudion fi-
gurée 5 & s'imaginent que toute conftru-
( I ) Flcchicr > Oraifon funèbre d^ M. dt
Turenne^
z^t Principes
€lion figurée eft élégante , & que toute
conftrudion fimple ne Teft pas.
Au refte^ la conftrudion figurée eft dé-
feâueufe , quand elle n'eft pas autorifée
par Tufage. Mais 5 quoique Tufage & Tha-
bitude nous faflent concevoir aifément le
fens de ces conflruftions figurées 5 il n'eft
pas toujours (î facile d en réduire les mots
à Tordre de la conftruftion fimple. C eft
pourtant à cet ordre qu'il faut tout rame-
ner 5 fi Ton veut pénétrer la raifon des dif-
férentes modifications que les mots reçoi-
vent dans le difcours. Car , comme nous
l'avons déjà remarqué 5 les conftru6tions
figurées ne font entendues , que parceque
Tefprit en redtifie Tirrégularité 5 par le fe-
cours des idées acceftoires , qui font con-
cevoir ce qu on lit & ce qu'on entend ,
comme fi le fens étoit énoncé dans 1 ordre
de la conftru6tion fimple.
C*eft par ce motif, fans doute 5 que
dans les écoles où Ton enfeigne le latin ,
fur-tout félon la méthode de l'explication,
les maîtres habiles commencent par arran-
ger
de Grammaire. 295
^^ les mots félon Tordre dont nous par-^
Jons; & c eft ce qu'on appelle /^/rd la con<
Jlruclion. Après quoi on accoutume les jeu-
nes gens à Télégance > par de fréquentes
ledures du texte , dont ils entendent alors
le fens , bien mieux , & avec plus de fruit >
que (1 Ton avoir commencé par le texte ^
fans le réduire à laconftrudtion fimple.
Hé , n'eft-ce pas ainfî que , quand on
enfeigne quelqu'un des Arts libéraux, la
danfe , la mufique. la peinture 5 Técriture,
&:c. on mène long-temps les jeunes élèves
comme par la main : on les fait pafler par
ce qu'il 7 a de plus fimple & de plus facile j
on leur montre les fondemens & les prin-
cipes de TArt^ & on les mène enfuite fans
peine à ce que fart a de plus fublime.
Ainli 5 quoi qu'en puiiîènt dire quelques
perfonnes , peu accoutumées à l'exaélitude
du raifonnement3& à remonter en tout aux:
vrais principes , la méthode dont je parle
cfl: extrêmement utile. Je vais en expofer
ici les fondemens 5 & donner les connoiflan^
ces néceUaires pour la pratiquer avec fuccèg.
2^4 Principes
DU DISCOURS
CONSIDÉRÉ GRAMMATICALEMENT^
Et des parties qui le compofent.
JLE Difcours eft un aflemblage de propo-
rtions, d'énonciations & de périodes, qui
toutes doivent fe raporter à un but princi-
pal.
La propofition eft un affemblage de
mots 5 qui par le concours des différens ra-
ports qu'ils ont entr'eux , énoncent un ju-
gement ou quelque confidération particu-
lière de refprit , qui regarde un objet
comme tel.
Cette confidération de Tefprit peut fe
faire en plufieurs manières différentes i &
ce font ces différentes manières qui ont
donné lieu aux modes des verbes.
Les mots dont laflemblage forme ufl
fens, font donc, ou le figne d'un jugement,
ou Texpreffion d'un fimple regard de V^Ç"
prit, qui confidère uu objet avec telle ou
de Grammaire. 1515
telle modification \ ce qu'il faut bien diftin-
guet.
Juger j c'eft penFer qu un objet eft d«
telle ou telle façon •, c'eft affîrnier ou nierj
c'eft décidet relativement à l'état ou Ton
fuppofe que les objets font en eux-mêmes*
Nos jugemens font donc ou affirmatifs oa
négatifs. La une tourne autour du foleil:
voila un jugement affirmatif. Le foleil ne
tourne point autour de la terre : voila un
jugement négatif. Toutes les propofitions
exprimées par le mode indicatif énoncent
autant de jugemens. Je chante jje chamois y
y aï chanté j favois chanté ^ je chanterai ^
ce font là autant de proportions affirma-
tives 5 qui deviennent négatives par la
feule addition des particules ne j non^ ne
pas ^ &c
Ces propofitions marquent un état réel
de Tobjet dont on juge. Je veux dire , que
nous fuppofons alors que Tobjet eft ou
qu'il a été , ou enfin qu'il fera tel que nous
le difons , indépendamment de notre ma-
nière de penfer»
' y ?
2.9e Principes
Maïs quand Je dis Soye'^fage ^ Ce n eff
que dans mon efprit que je raporte à vous
h perception ou idée d'être fage, fans
rien énoncer, au moins directement 5 de
votre état a£tuel. Je ne fais que dire ce
que je fouhaite que vous foyez : ra6lioa
de mon efprit n'a que cela pour objets &
non d'énoncer que vous êtes fage , ni que
vous ne Têtes pas. Il en eft de même de
ces autres phrafes : Si vous êtie^fage ; afin
que vous foye^ fage ; & même des phrafes
énoncées dans un fens abdrait par Tinfini-
tif > Pierre être fage. Dans toutes ces phra-
fes 5 il y a toujours le iîgne de TaCtion de
Tefprit 3 qui applique , qui raporte , qui
adapte une perception ou une qualifica-
tion à un objet \ mais qui Tadapte , ou avec
la forme de commandement , ou avec celle
de condition , de fouhait 5 de dépendance,
&c. mais il n'y a point là de décifîon qui
affirme ou qui nie 5 relativement à Tétat
pofitif de Tobjet.
Voila une différence efTentielIe entre
les propofîtions : les unes font dire(^emenc
I
de Grammaire. 297
ûffirmatives ou négatives 5 & énoncent des
Jugemensj les autres n'entrent dans le dif-
cours que pour y énoncer certaines vues
de lefprit. Ainfi elles peuvent être appe-
lées fîmplement énonciations.
Tous les modes du verbe , autre que
Tindicatif 5 nous donnent de ces fortes
d'énonciations > même Tinfinitif 5 fur-tout
en latin : ce que nous expliquerons bientôt
plus en détail. Il fufïît maintenant d'obfer-
ver cette première divifîon générale de \x
propoiîtion.
L Propojidoa directe énoncée par le mode
indicatif.
Tropojition oblique y onjîmple énonciatiort ex^
primée par quelqu^uji des autres modes du.
verbe.
I L ne fera pas inutile d'obferver , que
les propofitions & les énonciations font
quelquefois appelées Phrafes. Mais phra-
fe eft un mot générique qui fe dit de tout:
aflèmbUge de mot? liéçentr'eux, foit qu'ils.
X 5
%^B Principes
faflent un fens fini , ou que ce fens ne foît
qu'incomplet.
Ce mot phrafe fe dit plus particulière-
ment d'une façon de parler , d un tour
d'expreffion , en tant que les mots y font
conftruits 5c afïemblés d'une manière par-
ticulière. Par exemple , On dit j eft une
phrafe françoife , Hoc dicitur ^ eft une
phrafe latine i Si dice j eft une phrafe ita--
ïienne : Il y a long-temps j eft une phrafe
françoife -, E molto tempo ^ eft une phrafe
italienne : voila autant de manières diffé-
rentes d'analyfer & de rendre la penfée^
Quand on veut rendre raifon d'une phra-
fe 5 il faut toujours la réduire à la propo-
rtion 5 & en achever le fens j pour démê^
1er exadement les raports que les mots ont
cntr'eux , félon Tufage de la langue dont
il s'agit.
Des parties de la propojîtion & de
renonciation.
La propofîtion a deux parties efTentiel-
les : !•'' le Sujet : xJ" X Attribut. Il en
eft de même de renonciation.
de Grammaire. Z95
1.^ \^t fujct. C'eft le mot qui marque
la perfonne ou la chofe dont on Juge , ou
que Ton regarde avec telle ou telle qualité
ou modification,
2.^ \1 attribut. Ce font les mots qui
marquent ce que Ton juge du fujet, ou
ce que Ton regarde comme mode du fujet.
L'attribut contient elTentiellement le
verbe , parceque le verbe eft dit du fujet >
& marque Tadion de Tefprit, qui confî-
dère le fujet comme étant de telle ou telle
façon 3 comme ayant ou faifant telle ou
telle chofe, Obfervez donc que Tattribut
commence toujours par le verbe.
Différentes fortes de Sujets^
Il y a quatre fortes de fujets. i.^ Sujet
fmple j tant au fingulier qu'au plurier j
2.^ fujet multiple ; 5.'' fu/et complexe;
4.^ fujet énorxé par plufieurs mots qui
forment\n fens totale & qui font équivU'-
iens à un nom.
i^ Sujet fimpUy énoncé en un feul
mot. LefoUil eji levé; lefoleil eft le fujet
X4
jcô Principes
lîmple au fingulier. Xe^ ajlres hnlknt\ Ici
ajlres font le fujet fimple au plurier.
2 ."^ Sujet multiple. Ceft lorfque pour*
abréger , on donne un attribut commun à
plufîeurs objets différens, La foi ^ l'cfpé-
rance & la charité font trois vertus théolo-
gales ; ce qui eft plus court, que fi Ton di*
foit 5 La foi eji une vertu théologale ; Vef-
pérance eflune vertu théologale ; la charité
eJi une vertu théologale. Ces trois mots,
la foî j Vefpéranct j la charité ^ font le
fujet multiple. Et de même , S. Pierre^
S. Jean ^ S. Matthieu ^ &c. etoient apô^^
très : S. Pierre ^ S. Jean j S. Matthieu ^
voila le fujet multiple , étoient apôtres >
en eft Tattribut commun.
3.*^ Sujet complexe. Ce mot complexe
vient du latin complexus ^ qui fignifie em-^
harafféjy compofé. Un fujet eft complexe,
lorfqu'il eft accompagné de quçlqu'adjeâif
OU de quelqu autre modificatif. Alexandre
vainquit Darius ; Alexandre eft un fujet
fimplç. Mais fi je dis, Alexandre j, fils de
Philippe j ou Alexandre j roi dç Maçé-^
^ de Grammaire^. ^301
ttoint ^ voila un fujet complexe. Il faut
bien diftinguer , dans le fujet complexe s
k fujet perfafinel ou individuel , & les
mots qui le rendent fujet complexe. Dans
Texemple ci-defïùs , Alexandre eft le fujet
perfonnel •, fils de 'Philippe _, ou roi de
Macédoine _, ce font les mots qui n'étant
point fépai'és d^ Alexandre j rendent ce
mot fujet complexe.
On peut comparer le fujet complexe à
une perfonne habillée. Le mot qui énonce
le fujet eft, pour ainfi dire > la perfonne j
& les mots qui rendent le fujet complexe^
ce font comme les habits de la perfonne.
Obfervez que lorfque le fujet eft com-
plexe , on dit que la proportion eft com-^
plexe ou compofée.
L attribut peut auffi être complexe. Si
je dis 5 qu Alexandre vainquit Darius j
roi de Perfe j Tattribut eft complexe :
ainfî la proportion eft compofée par rap-
port à Tattribut. Une propofition peut
auflî être complexe , par raport au fujet>
§c par rapport à T^ttribut*
3oa Principes
4^^ La quatrième forte de fujetj eft;
un fujet énoncé par plufîeurs mots , qui
forment un fens total y ôc qui font équi va-
lens à un nom.
Il 11 y a point de langue qui ait un aflfez
grand nombre de mots > pour fufEre à ex-
primer par un nom particulier chaque idée
ou penfée qui peut nous venir dans Tef-
prit : alors on a recours à la périphrafe»
Par exemple » les Latins n'avoient point
de mot pour exprimer la durée du temps
pendant lequel un prince exerce fon au-
torité. Ils ne pouvoient pas dire , comme
nouSySaus le règne d'AuguJle : ils difoient
alors 5 Dans le temps quAuguJle étoit em-
pereur : Imperante Ctzfare Augufio ; car
regnum ne fignifie que royaume.
Ce que je veux dire de cette quatrième
forte de fujet , s'entendra mieux par des
exemples. Différer de profiter de l'occa^
fiouy cefifouvent la laijfer échaper fans
retour. Différer de profiter de Voccafion j.
voila le fujet énoncé par plufieurs mots qui
forment un fens total , dont on dit que
^ de Grammaire. 305
c^ejl fouvent laijfer cchaper Voccajion
fans retour.
C'cji un grand art ^ de cacher Fart. Ce ^
hoc y à favoir 5 cacher Vart ^ voila le fujet,
dont on dit que cejl un grand art.
Bien vivre ^ eji un moyen fur de dé far-*
mer la médifance. Bien vivre eft lé fujet;
cji un moyen fur de défarmer la médifan'^
ce j c'eft lattribut.
// vaut mieux être jujle j que d^être rî^
che ; être raifonnable ^ que d'être favant. Il
y a là quatre propofitions , félon Tanaly/c
grammaticale *, deux affirmatives , & deux
jnégatives 5 du moins en François.
i.^ //j illud jy cecij à favoir être jujie ^
vaut mieux que l'avantage à'être riche ne
vaut. Etre jujle eft le fujet de la première
propofition ^ qui eft affirmative. Etre riche
eft le fujet de la féconde propofition 5 qui
eft négative en François , parcequ on fous-
entend 5 ne vaut ^ être riche ne vaut j^as
tant.
2.® Il en eft de même de la fuivante :
Btrc raifonnable vaut mieux que d'être
504 FrîncLpes
[avant. "Etre ralfonnable eft le fujet 5 d^nt
on dit vaut mieux jy 8c cette première pro-
pofition eft affirmative. Dans la corréla-
tive 5 être /avant ne vaut pas tant 5 être
/avant eft le fujet.
Majus eji j certeque gratius j prode/fc
hominibus y quàm opes magnas habere ( i }•
Prode/fe hominibus y être utile aux hom--
mes ; voila le fujet ', c'eft de quoi on affir-
me que c'eft une chofe plus grande, plus
louable & plus fatisfaifante:» que de poiTé-
der de grands biens..
Remarquez 5 i,"^ que dans ces fortes de
fujets , il n'y a point de fujet perfonnel ,
que Ton puifle féparer des autres mots.
C'eft le fens total ? qui réfulte des divers
raports que les mots ont entr'eux 5 qui eft
fujet de la propofition. Le jugement na
tombe que fur Tenfemble , & non fur au-
cun mot particulier de la phrafe. 2.^ Ob-
fervez que Ton n'a recours à plufieurs
mots pour énoncer un fens total , que par-
(t) Cicéron , d^ Nat. Dcor* «# ^ J*
I
f •
de Grammaire. 505
cequ*on ne trouve pas dans la langue un
nom fubftanrif deftiné à Texprimer. Ainfî
les mots qui énoncent ce fens total , fup-
pléent à un nom qui manque. Par exem-
pie 5 Aimer à obliger & à faire du bien y
ejl une qualité qui marque une grande
ame. Aimer a obliger & à faire du bien y
voila le fujet de la propofition. M. Tabbé
de Saint-Pierre a mis en ufage le mot de
bienfaifance j qui exprime le fens à' aimer
k obliger & à faire du bien. Ainfî , au lieit
de ces mots , nous pouvons dire , la bien-
faifance efl une qualité qui marque une
grande ame. Si nous n^avions pas le mot
Nourice ^ nous dirions 5 une femme qui
donne à téter à un enfant j & qui prend
foin de la première enfance.
Autres fortes de propojîtions à diftinguer ^ pouf
bien faire la conftruction.
II. Propofition abfolue ou complette :
Propofition relative ou partielle.
i.° LoRSQii'uNE propofition eft telle,
que Tefprit n'a befoin que des mots qui y
^oé Principes
font énoncés pour en entendre le fens ^
nous difons que c'eft - là une propojition
abfolue ou complette.
1.^ Quand le fens d une propofition met
Te/prit dans la (îtuation d'exiger ou de
fuppofer le fens d'une autre propofition ,
nous difons que ces propofitions font rela-
tives , & que l'une eft la corrélative de
Tautre. Alors ces propofitions font liées
entr'elies par des conjonétions , ou par
des termes relatifs. Les raports mutuels
que ces propofitions ont alors entr'elles ,
forment un fens total 5 que les Logiciens
appellent propojition compofée : & ces
propofitions , qui forment le tout , font
chacune des propofitions partielles,
L'alïèmblage de différentes propofitions
liées entr'elles , par des conjondions ou
par d'autres termes relatifs, eft appelé
PÉRIODE par les Rhéteurs. Il ne fera pas
inutile d en dire ici ce que le Grammai*
rien en doit favoir*
de Grammaire. 307;
DE LA PÉRIODE.
La période eft un afïemblage de propo-
fitions liées entr'elles par des conjondlions,
& qui toutes enlemble font un fens fînî.
Ce fens fini eft auffî appelé fens compktm
Le fens eft fini 5 lorfque Tefprit n a pas
befoin d'autres mots pour Tintelligence
complette du fens , en forte que routes
les parties de Tanalyfe de la penfée font
énoncées. Je fuppofe qu'un ledleur enten-
de fâ langue 3 qu'il foit en état de démêler
ce qui eft fujet , & ce qui eft attribut dans
une proportion , & qu'il connoifle les fi-
gues qui rendent les propofitions corréla-
tives. Les autres connoiflànces font étran*
gères à la Grammaire.
Il y a dans une période autant de pro-
pofitions qu'il y a de verbes , fur-tout à
quelque mode fini : car tout verbe employé
dans une période , marque ou un juge^
ment, ou un regard de lefprit qui appli-
que un qualificatif à un fujer. Or tout juge-
ment fuppofe un fujet, puifqu on ne peur
5o8 Principes
Juger 5 qu'on ne juge de quelqu'un ou de
quelque chofe. Ainfî le verbe m'indique
néceflairement un fujet & un attribut :
par conféquent il m'indique une propo-
fition > puifque la proposition n'eft qu'un
aflemblage des mots qui énoncent un
Jugement porté fur quelque fujet. Ou bien
le verbe mlndique une énonciation , puif-
que le verbe marque Tadion de Teipric
qui adapte ou applique un qualificatif à
un fujet 5 de quelque manière que cette
application fe faflTe.
Je dis , fur-tout à quelque mode fini :
car Tinfinitif eft fouvent pris pour un
mom 5 je veux lire ; & lors même qu'il eft
verbe, il forme un fens partiel avec un
nom ; & ce fens eft exprimé par une énon-
ciation 5 qui eft 3 ou le fujet d'une propo-
fîtion logique , ou le terme de ladtion
d un verbe j ce qui eft très-ordinaire en
latin. Voici des exemples de Tun & de
l'autre -, & premièrement, d'une énoncia-
tion , qui eft le fujet d'une propofîtion
logique^ Ovide fait dire au Noyer > qu'il
eft
de Grammaire. 309
«ft bien fâcheux pour lui de porter des
fruits, Nocet e(fe feracem ; mot à mot.
Etre fertile efi nuifible à moi : où vous
voyez que ces mots, être fertile ^ font un
fens total , qui eft le fujet de efi nuflble ^
nocet. Et de même , Magna ars efi j non
apparerc artem ; mot à mot , Vart ne point
paroître ^ efi un grand art ; c'eft un grand
art , de cacher i art 5 de travailler de façon
qu'on ne reconnoifle pas la peine que Tou-
rricr a eue *, il faut qu'il femble que les
chofes fe foient faites ainfi naturellemehr.
Dans un autre fens , cacher l'art j c'eft ne
pas donner lieu de fe défier de quelqu'ar-
tifice. Ainfi , l'art ne point paroître j voilà
le fujet dont on dit que c'ejl un grand art.
Te duci ad mortem j Catilina j jam prl--
dem oportebat (i) : mot à mot, Toi être
mené à la mort ^ efi ce quon auroit du
faire il y a long-temps. Toi être mené à,
la mort ^ voila le fujet. Et quelques lignes
après > Cicéron , ajoute Interfecium te
(i) Cicçron, I.Çatilin.
j r o Principe^
ejfe j Catillna j convenu. Toi être tué s
Catilina ^ convient à la République. Toi
être tué j voila le fujet -, Convient à la
République _, c ^ft l'attribut. Hominem ejfe
folum nonejibonum : Hominem ejfe folum^
voila le fujet : Non ejl bonum^c^ik Tattri-
but.
Ce fens formé par un nom avec un in-
finitif, eft auffi fort fou vent le terme de
laôtion d'un verbe : Cupio me ejfe clemen-
tem (i). Cupio ^ je dejîre : & quoi ? me ejfe
clementem _, moi être indulgent : où vous
voyez y que me ejfe clementem fait un fens
total 5 qui eft le terme de Taétion de cupîo^
Cupio j hoc nempe j me ejfe clem.cntem. Il
y a en latin un très-grand nombre d'exem-
ples, de ce fens total formé par un nom
avec un Infinitif 5 fens qui étant équivalent
à un nom , peut également être , ou le
fujet d'une proportion , ou le terme de
ladion du verbe.
Ges fortes d'énonciations , qui détermi-
i— ■— ■ — — Ml I ■ I I II !■ 1.1— — Wi>
(i) Ciccron, I. CaùU fub initio.
de Grammairel ^ i il
ncnt un verbe, &: qui en font une appli-
cation , comme quand on dit, ]c veux être
fdgc ; être fage détermine je veux : ces
fortes d'énonciations , dis-je , ou de déter-
minations , ne fe font pas feulement par
des infinitifs > elles fe font auffî quelque-
fois par des propofitions même , comme
quand on dit, Je ne fais qui a fait cela\
8c en latin , Nefcio quis fecU \ Nefcio uur^
ôcc.
Il y a donc des propofitions ou énoncia-
tions , qui ne fervent qu'à expliquer ou
déterminer un mot d'une propcficion pré-
cédente. Mais avant que de parler de ces
fortes de propoiîcions , & de quitter la
période , il ne fera pas inutile de faire les
obfervations fuivantes.
Chaque phrafe ou aflemblage de mots
qui forme un fens partiel dans une pério-
de 5 & qui a une certaine étendue , eft ap-
pelée membre de la période, ^kqv. Si le
fens eft énoncé en peu de mots, on l'ap-
pelle Incife j ')^(jLi/^dL , fegmen ^ incifum. Si
tous les fens particuliers qui compofent
Y a.
3 i ^ Principes
Ja période , font ainfi énoncés en peu de
mots 5 c'efl: le ftyle coupé ; c'eft ce que
Cicéron appelle , Incijîm dïcere \ Parler
par incife. C'eft ainfi , comme nous Tavonc
déjà vu 5 que M. Fléchier a dit : Turennc
ejl mort *, la victoire s'arrête \ la fortune
chancelle \ tout le camp demeure immobile.
iVoila quatre propofitions y qui ne font re-
gardées que comme des incifes , parce-
qu'elles font courtes : le ftyle périodique
emploie des phrafes plus longues.
Ainfi y une période peut être compo-
fée 5 ou feulement de membres y ce qui
arrive lorfque chaque membre a une cer-
taine étendue ; ou feulement d'incifes ,
lorfque chaque fcns particulier eft énonce
en peu de mots, ou enfin une période eft
compofée de membres & d'incifes%
III. Propojition explicative.
Fropojition dcterminative.
La propofition explicative eft différente
de la déterminative j en ce que celle qui
ne fert qu à expliquer un ni9t > laiflc I«
de Grammaire. '3 1 j
«iiot dans toute ik valeur , fans aucune
reftriétion : elle ne fert qu'à faire remar-
quer quelque propriété 5 quelque qualité
de Tobjet. Par exemple : V homme ^ qui ejl
un animal raifonnablc ^ devroit s^ attacher
à régler fes pajfions : Qui ejl un animal
raifonnable j c'efl: une proposition expli-
cativc 5 qui ne reftreint point Tétendue du
mot à' homme. L'on pouroit dire égale-
ment : Vhemme devroit s^ attacher à régler
fes pajfions. Cette proportion explicative
fait feulement remarquer en Thommc une
propriété , qui eft une raifon qui devtoit
le porter à régler fes paflîons.
Mais fî je dis , Vhemme qui m^eft venu
voir ce matin j ou l'homme que nous ve-
nons de rencontrer j ou dont vous m'ave:^
parlé j ef fort f avant : ces trois propolî-
tions font déterminatives. Chacune d'elles,
reftreint la fignificationd'hommejàunfeul
individu de Tefpèce humaine , & je ne
puis pas dire fimplement , l'homme effort^
f avant ^ parceque Thomme ferait pris alors,
4ans toute fon étendue : c'eft-à-dire, qu'il
^ 1 4 Principes
feroit dit de tous les individus de 1 efpèce
humaine. Les hommes ^ qui font créés pour
aimer Dieu j ne doivent point s^ attacher
aux bagatelles : Qui font créés pour aimer
Dieu ; voila une nropofîtion explicative ^
qui ne reftreinr point Tétendue du mot
hommes* tes hommes qui font complais
fans fe font aimer : Qui font complaifans ^
t'efl: une proposition déterminative > qui
restreint Térendue â! hommes ^ à ceux qui
font complaifans : en forte que l'attribut y
fe font aimer j, n'eftpas dit de tous les hon>
mes 5 mais feulement de ceux qui font çom-.
plaifans.
Ces énonciations , ou proportions , qui
ne font Q^u explicatives ou déterminatives ^
font communément liées aux mots qu'elles
expliquent , ou à ceux qu'elles détermi-
nent, par qul^ ou par que j ou par dont^
duquel ^ 8cc.
Elles font liées par qui j îorfque ce mot
eft le fujet de la propolîtion explicative ou
déterminative. Celui qui craint le Sei"
^neur : Les jeunes gens qui étt^dicnt.
de Grammaire. 3 i 5
Elles font liées par que : ce qui arrive
en deux manières.
i.^ Ce mot que y eft fouvent le terme
de ladlion du verbe qui fuit. Par exem-
ple 5 Le livre que je lis ; que eft le terme
deladlion de lire, Ceft ainfî que dont ^
duquel j defquels y à qui j auquel j aux-
quels j fervent auffi à lier les propositions,
félon les raports que ces pronoms relatifs
ont avec les mots qui fuivent.
2.° Ce mot que _, eft encore fouvent le
repréfentatif de la propofition détermina-
tive qui va fuivre un verbe : Je dis que i
que eft d abord le terme de laction je dis;
Dico quod : la propofition qui le fuit eft
l'explication de que : Je dis que les gens
de bien font ejlimés. Ainfi il y a des pro-
pofitions qui fervent à expliquer ou à dé-^
terminer quelque mot , avec lequel elles
entrent enfuite dans la compoiîtion d'une
période.
y^
^ I ^ Principes
IV- Propojition principale,
Propojition incidente.
Un mot n*a de raport grammatical avec
un autre mot , que dans la même propO'^
fition. Il eft donc effentiel de raporter
chaque mot à la propofition particulière
dont il fait partie , fur-tout quand le ra-
port des mots fe trouve interrompu par
quelque propofition incidente 5 ou par
quelqu'incife ou feas détaché,
La propofition incidente eft celle qui
fe trouve entre le fijjet perfonnel, & Tat-
tribut d'une autre propofition 5 qu'on ap^
pelle propofitzon principale j parceque
celle-ci contient ordinairement ce que Ton
yeut principalement faire entendre.
Ce mot incidente vient du latin inciderej
tomber dans. Par exemple > Alexandre ^
qui était roi de Macédoine j vainquit Da-
rius. Alexandre vainquit Darius ^^ yoiîa 1«
propofition principale. Alexandre en eft
le fujet j vainquit Darius j c'eft Tattribur.
Mais entre Alexandre & vainquit il y 2,
de Grammaire. 317
Gnc autre propofiticn 5 qui était roi de
Macédoine. Comme elle tombe entre le
flijet & 1 attribut de la propofition princi-
pale 5 on l'appelle propofition incidente.
Qui j en eft le fujet : ce qui rapelle l'idée
d'Alexandre qui ; c'eft-à-dire > lequel Ale^
xandre; étoit roi de Macédoine y c eft Tat-
tribut. Deus quem adoramus ejl omnipo-
tens ; Le Dieu que nous adorons ejl tout^
puijfant. Deus ejl omnipotens ; voila la
propofition principale •, quem adoramus ^
c eft la propofition incidente. Nos adora-^
mus quem Deum ; nçu^ adorons lequel
Dieu.
Ces propofitions incidentes font aufli
des propofitions explicatives 5 ou des pro-
pofitions déterminatives.
V. Propojition explicite.
Propofition implicite ou elliptique.
Une propofition eft explicite 5 lorsque
le fijjet & l'attribut y font exprimés.
Elle eft implicite 5 imparfaite ou ellipti-
i^qc 5 lorfque le fujet ou le verbe ne font
3 î 8 Principes
pas exprimés, & que Ton fe contente d'é-
noncer quelque mot , qui par la liaifon que
les idées acceflbires ont entr^elles > eft de-
ftiné à réveiller dans lefprit de celui qui
lit, le fens de toute la propofition*
Ces propofitions elliptiques font fort en
ufage dans les devifes & dans les prover-
bes. En ces occafions > les mots exprimés
doivent réveiller aifément Tidée des autres
mots que Tellipfe fupprime*
Il faut obferver , que les mots énoncés
doivent être préfentés , dans la forme qu'ils
le feroient iî la propofition étoit explicite *
ce qui eft fenfible en latin. Par exemple »
dans le proverbe dont nous avons parlé ,
2Jefus Minervam : Minervam n'eft à Tac-
cufatif ,queparcequ'il y feroit dans la pro-
pofition explicite? à laquelle ces mots doi-
vent être raportés ; Su^ non doceat Miner-
yam : Quun ignorant ne fe mêle point de
vouloir injlruire Minerve. Et de même, c^s
trois mots Deo optimo maximo j qu'on ne
défigne fouvent que par les lettres initia-
les, D. O. M. font une propofition impli-
de Grammaire. 415^
cite, dont la conftrudtion pleine eft. Hoc
monumentum ou Thejis hdtc dlcatur ^ vove-
tur^ confccratur Deo optimo maximo.
Sur le rideau de la comédie Italienne ,
on lit ces mots , tirés de XArt poétique
d'Horace : Suhlatojure nocendi : le droit de
nuire çté. Les circonftances du lieu doi-
vent faire entendre au ledeur intelligent,
que celui qui a donné cette infcription , a
eu defîèin de faire dire aux Comédiens :
Kidemus vitia j fublato jure nocendi :
Nous rions ici des défauts d* autrui ^ faqs
nous permettre de blelTer perfonne,
La devife eft une repréfentacion allégo-
rique 5 dont on fe fert pour faire entendre
une penfée,par une comparaifon. La de-
vife doit avoir un corps & une ame. Le
corps de la devife , c'ed Timage ou repré-
Tentation. Lame de la devife, font \ts
paroles qui doivent s'entendre dabord
littéralement de Timage ou corps fymbo-
lique 5 & en même temps , le concours du
corps & de l'ame de la devife , doit porter
refprit à l'application que Ton veut faire ^
'^lù Principes
c eft-à-dire y à Tôbjet de la comparaifon»:
L ame de la devife eft ordinairement
une propofition elliptique. Je me conten-
terai de ce feul exemple. On a repré fente
le foleil air milieu d'un cartouche , & au-
tour du foleil on a peint d abord les pla-
nètes -, ce qu'on a négligé de faire dans la
fuite. L'ame de cette devife eft, Nec plu-
ribus impar : mot à mot , // neft pas in-'
fuffiant pour plujieurs. Le roi Louis XIV
fut l'objet de cette allégorie. Le deflein
de l'auteur fut de faire entendre , que
comme le foieil peut fournir allez de lu-
mière pour éclairer ces différences planè-
tes , & qu'il a allez de force pour fur-
monter tous les obftacles , & produire
dans la nature les différens effets que nous
voyons tous les Jours qu'il produit : ainfi.
le roi eft doué de qualités fi éminentes y
qu*il feroit capable de gouverner plufîeurs
royaumes. Il a d'ailleurs tant de refTour-
ces & tant de forces, qu'il peut réfîfter à
ce grand nombre d'ennemis ligués contre
m 5 & les vaincre. De forte que la coa^»
de Grammaire. 511;
ftru(ftion pleine, eft, Skut fol non ejlim^
par pluribus orhlbus illumlnandh j ita Lu-^
dovïcus XIV non, ejl impar pluribus rc-
gnls rcgcndis y ncc pluribus hojlib us profil-
gandis. Ce qui fait bien voir , que lorfqu'il
s agit de conftrudion, il faut toujours ré-
duire toutes les phrafes & toutes les pro-
pofîtions à la conftrudion pleine.
NI. Propojidon conjidércc grammaticale^
ment.
Tropojîtion conjidcrce logiquement.
On peut confidérer une propofîtion, ou
grammaticalementyOulogiquement.Quand
on confîdère une propofition grammatica-
lementjOn n'a égard qu'aux raports récipro-
ques qui font entre les mots : au lieu que
dans la propofition logique 5 on n'a égard
qu au fens total qui réfulte de raflTeniblage
des mots. En forte qu'on pouroit dire^ que
la propofition conildérée grammaticale-
ment 3 eft la propofition de Télocution j
au lieu que la propofition confidérée logi-
isjucment, eft celle de retttendemçnt, qui
^iz Principes
n a égard qu aux différentes parties > je
veux dire aux différens points de vue de
fa penfée- Il en confiJèr^ une partie com-
me fujet 5 l'autre comme attribut , fans avoir
égard aux mots : ou bien , il en regarde
une comme caufe , Tautife comme effet',
ainfî des autres manières qui font Tobjet
de la penfée. C'eft ce qui va être éclairci
par des exemples.
Celui qui me fuit ^ dit Jefus^ChriJl j nt
marche point dans les ténèbres. Confidé-^
roiis d abord cette phrafe ou cet affem-
blage de mots grammaticalement, c'eft-à-
dire , félon les raports que les mots ont
entr eux : raports d'où réfulte le 'it\\%. Je
trouve que cette phrafe , au lieu d une
feule proportion , en contient trois.
i.^ Celui j eft le fujet de ne marche
point dans les ténèbres ; & voila une propo-
rtion principale. C^/^^i étant le fujet, eft
ce que les Grammairiens appellent le no-
minatif du verbe.
Ne marche point dans les ténèbres^ c'eft
lattribute Marche eft le verbe y qui eft au
de Grammaire^ 313']
fîngulier, & à la troifième perfonne, par-
ceque le fujet eft au fîngulier> & eft un nom
de la troilîème perfonne, puifqu'il ne mar-
que ni la perfonne qui parle , ni celle à qui
I on parle* Ne point ^^ eft la négation , qui
nie du fujet , ladion de marcher dans les
ténèbres.
Dans les ténèbres ^ eft une modification
de laârion de celui qui marche : // marche
dans les ténèbres. Dans eft une prépofi-
tion qui ne marque d'abord qu'une modi-
fication ou manière inconiplette , c eft-à-
dire , que dans étant une prépofition ,
n'indique d'abord qu'une efpèce , une forte
de modification , qui doit être enfuite fin-
gularifée 5 appliquée > déterminée par un
autre mot , qu'on appelle par cette raifon
le complément de la prépofition. Ainfi les
ténèbres eft le complément de dans : &
alors ces mots 5 dans les ténèbres j for-
ment un fens particulier qui modifie mar^
che ; c'eft-à-dire, qui énonce une manière
particulière de marcher.
z.° Qui me fuit. Ce§ troi$ mots font une
3^-4 P^rincipes
propofition incidente, qui déteripinc ce*
îuij 8c le reftreint à ne fîgnifier que Le
difdple de Jefus-Chrifi j c'eft-à-dire, celui
qui règle fa conduite & fes mœurs far les
maximes de TEvangile. Les propofitions
incidentes , énoncées par qui j font équi-
valentes à un adjeétif.
Q^ul eft le fujet de Cette proportion in-
cidente ; me fuit j eft lactribut; fultj eft
le verbe i me j eft le déterminant, ou ter-
me de Taftion de fuit : car félon Tordre
de la penfée & des raports , me eft après
fuit ; mais félon Télocution ordinaire, ou
conftrudion ufuelle , ces fortes de pronoms
précèdent le verbe. Notre langue a con-
lervé beaucoup plus d'inverlîons latines
qu'on ne penfe.
3.° Dit Jefus - Ckrif. Cell: une troific-
me propofition , qui fait une incife ou fens
détaché : c'eft un adjoint. En ces occafîons ,
la coiiftrudion ufuelle met le fujet de h
propofition après le verbe : Jefus * Chriji
eft le fujet, & dit eft lattribut.
Confidérons maintenant cette propofi-
cio«
ile Grammaire. 515
tien à la manière des Logiciens* Commen-
çons d'abord à en réparer ïincifc, di t Jef us*
Chriji : il ne nous reftera plus qu'une feule
propofition : Celui qui me Juit. Ces mots
ne forment qu'un fens total. Qui eft le fujet
de la propofition logique , fujet complexe
ou compofé : car on ne juge de celui ^
qu'entant qu'il eft celui qui me fuit. Voila
le fujet logique ou de l'entendement. C eft
de ce fujet , que l'on penfe , & que Ion
dit qu'// ne marche point dans les ténèbres^
Il en eft de même de cette autre pro-
portion : Alexandre ^ qui étoit roi de
Macédoine ^ vainquit Darius. Examinons
d'abord cette phrafe grammaticalement*
J'y trouve deux propofitions : Alexandre
vainquit Darius : vOiU une propcjfition
principale : Alexandre en eft le fujet ^ vain^
quit Darius jy c'eft l'attribut. Qui étoit roi
de Macédoine ^ c'eft une propofition inci*
dente : Qui en eft le (ujet , & étoit roi
de Macédoine j l'attribut. Mais logique-
ment, ces mots , Alexandre j qui étoit roi
de Macédoine j fprment un iens total ,
Z
^i6 Principes
équivalant à , Alexandre roi de Macédoine:
Ce fens total eft le fujet complexe de k
propofition : Vainquit Darius ^c^ik Fat-
tribut.
Je crois qu'un Grammairien ne peut
pas fe difpenfer de connoître ces différen-
tes fortes de propositions , s'il veut faire
k conftruftion d'une manière raifonnable.
Les divers, noms que Ton donne aux
différentes propositions , & fouvent à la
même, font tirés des divers points de vue
fous lefquels on les confîdère. Nous allons
raflfembler ici celles dont nous venons de
parler 5 & que nous croyons qu'un Gram-
mairien doit connoître.
^
Grammaire^
'317
'32-8 Principes
Il faut obferver que les Logiciens don-
nent le nom de Propojidon compofée à
tout fens total qui réfulte du raport que
deux propoiîrions grammaticales ont en-
tr'elles : raport qui eft marqué par la
valeur des diftérentes conjondions qui
uniflfent les propofîtions grammaticales.
Ces proporuions compofées ont divers
noms 5 félon la valeur de la conjonétion
ou de Tadverbe c©njon6tif , ou du relatif
qui unit les fimples proportions partielles,
& en fait un tout. Par exemple, cu^aut^
yel jy eft une conjondion disjondive ou
de divifion. On raflemble d'abord deux ob-
jets 5 pour donner enfuite lalternative de
Tun ou de l'autre. Ainfi , après avoir d'a-
bord raffemblé dans mon eforit l'idée du
foleil & celle de la terre , je dis que c*eft
ou le foleil qui tourne , ou que c'eft la
terre. Voila deux propofitions grammati-
cales relatives , dont les Logiciens ne font
qu'une proportion compofée , qu'ils ap-
pellent Propojition disjonciive.
Telles font encore les propoiîtions con-
dô Grammaire. 319
cîitionnelles , qui réfultent du raport de
deux propofitions , par la conjondion con-
ditionnelle Si j ou pourvu que t Si vous
etudic'i bien _, vous deviendrez /avant :
voila une propofîtion Gompofée 5 qu'on
appelle conditionnelle. Ces proportions
font compofées de deux proportions par^
ticulières > dont Tune exprime une condi-
tion 5 d où dépend un effet que l'autre
énonce. Celle oii eft la condition s'appelle
V antécédent : Si vous étudie^ bien. Celle
qui énonce Teffet qui fuivra la condition 5
eft appellée le conféquent : vous deviens
dre'z [avant.
Il ejl ejlimé _, parcequil eji favant &
vertueux. Voila une propofîtion compofée ,
que les Logiciens appellent cau/ale j du
mot parceque j qui fert à exprimer la caufc
de Tefïet que la première propofîtion énoi>
ce. // eJi ejiimé y voila Tetîet : pourquoi ?
Parcequil eji f ayant & vertueux : voila
la caufe de Teftime.
.. La fortune peut bien ôter les- richejfes.;
mais elle ne peut pas ôter la vertu. Voila.
[ijo Principes
une prôpofîtion compofée qu'on appelle ad^
yerfative ou difcrétive ( O^qui fert à ieparer^^
à diftinguer, parcequ'elle eft compofée de
deux propofitions ,, dont la féconde mar-
que une diftindion j une féparation 5 une
forte de contrariété & d'oppofition , par
raport à la première i & cette féparation
eft marquée par la conjondtion adverfative
mais.
Il eft faicile de démêler ainfi les autres
fortes de propofitions compofées. Il fuffiç
pour cela de connoître la valeur des con-
jonctions qui lient les propofitions parti-
culières, & qui par cette liaifon forment
un tout 5 qu'on appelle Propojition com^
pofée^ On fait enfuite aifément la conftru-
^ion détaillée de chacune des propofi-
tions particulières, qu'on appelle aufîîjt7^r^
tidlcs j ou corrélatives.
Je ne parle point ici des autres fortes
de propofitions, commç des propofitions
univcrf elles j des particulières j des fingu^
(i) Du Jaiin) Difcntivus^
de Grammaire^. 331
rares j des indéfinies j des affirmatives ^
àts négatives ^ des contradicloires j 8cc.
Quoique ces connoillances foient très-uti-
les 3 j'ai cru ne devoir parler ici de la pro-
pofition 5 qu'autant qu'il eft nécefTaire de
la connoître,pour avoir des principes fûrs
de conftru6tion«
Deux raports généraux entre
LES MOTS j dans la conflruclion.
\. Raport d^Identith
II. Raport de Détermination.
Tous les raports particuliers de conftru-
âion , fe réduifent à deux for tes de raports
généraux.
I. Raport d'identité. Ceft le fonde-
ment de l'accord de l'adjedif avec fon fub-
ftantif, car l'adjedtif ne fait qu'énoncer ou
-déclarer ce que l'on dit qu'eft le fubftantif:
enforte que l'adjedif 5 c'eft le fubftantif
analyfé, c'eft -à -dire, confidéré comme
étant de telle ou telle façon , comn^ ayant
teliô ou t^elle qu^Iitét Ainfî Tadjedif ne
Z4
'5 3 2/ Principes
doit pas marquer , par raport au genre , au
nombre & au cas , des vues qui foient dif-
férentes de celles fous lefquelies Tefprit
confîdère le fubftantif.
Il en eft de même entre le verbe & le
fujet de la propofition > parceque le verbe
énonce que Tefprit confîdère le fujet com-
me étant, ayant , ou faifant quelque chofç.
Ainfi le verbe doit indiquer le même nom-
bre & la mê^iie perfonne que le fujet indi-
que : & il y a des langues, tel eft THébreu ,
où le verbe indique même le genre. Voila
ce que j'appelle raport ou raifort d'idcu'-
zité j du Latin idem.
H. La féconde forte de raport , qui règle
la conftrudtion des mots , c'eft le raport
de détermination.
Le fervice des mots dans le difcours^ ne
conlîfte qu'en deux points.
i.° A énoncer une idée : Lumen ^ lu-
mière 5 Sol j foleil.
2.° A faire connoître le raport qu une
dée a avec une autre idée. Ce qui fe fait
par les fîgnes établis ei;î chaque langue ;i
de Grammaire^. 33 j
pour étendre, ou reftreindre les idées 5 &
en faire des applications particulières.
L'efprit conçoit une penfée tout d'un
coup , par la fimple intelligence , comme
nous l'avons déjà remarqué. Mais quand
il s'agit d'énoncer une penfée 5 nous fouî-
mes obligés de la divifer , de la préfenter
en détail par les mots , & de nous fervir
des fîgnes établis , pour en marquer les
divers raports. Si je veux parler de la lu-
mière du foleil 5 je dirai en latin , Lumen
folïs ^ & en françois 5 De le foleil jy & par
contra6tion 5 Du foleil^ félon la conftru-
étion ufuelle. Ainfi en latin , la terminai-
fon de Solis jy détermine Z/^m^/2 à nefîgnî-
fier alors que la lumière du foleil. Cette
détermination fe marque en françois par
la prépofition de _, dont les Latins ont
jTouvent fait le même uiage 5 comme nous
le ferons voir en parlant de l'Article :
Templum de marmore ; un temple d5
marbre.
La détermination qui fe fait en latin par
la terminaifon de raccufatif : Diiiges Do-
554 Principes
mlnufn Deum tuum ^ ou Domlnum Deum
îwnm diliges ; cette détermination, dis-je ,
fe marque en François par la place ou po(î-
tion du mot ^ qui > félon la conftruftioii
ordinaire ^ fe met après le verbe : Tu ai--
meras le Seigneur ton Dieu. Les autres,
déterminations ne fe font aujourd'hui en
françois > que par le fecours des prepofî-
tions. Je dis > aujourd'hui j parcequ'autre*
fois un nom fubftantif placé immédiate*
nient après un autre nom fubftantif, le dé-
terminoit de la même manière qu'en latin^
Un nom qui a la terminaifon du génitif,
détermine le nom auquel il fe raporte :
Lumen foUs ; Liber Pétri : Al ttns Inno-
cent III [i) i au temps ^Innocent III:
L^ Incarnation Notre-Seigneur^y pour Tin-
carnation de Notre-Seigneur : Le fer vice
Deu j pour le fervice de Dieu -, Le frère
fEmpereor^pom Le frère de V Empereur:
& c'eft de-Ià qu'on dit encore VHotel^
Dieu j &c. Voyez la Préface des Anti^
(i) Villehardouin*
de Grammaire. 535
quhés Gauloifes de BoreL Ainfi nos Pères
ont d'abord imité lune & l'autre manière
des Latins : premièrement , en fe fervant
en Qzs occafions de la prépofition de : Tem^
plum de marmore , un temple de marbre ;
fecondement, en plaçant le fubftantif mo-
difiant immédiatement après le modifié :
Frater Impcratoris ^ le Frère V Empereur ;
Domus Dei j THôtel Dieu. Mais alors le
latin défignoit, par une terminaifon par-
ticulière 5 leffet du nom modifiant : avan-
tage qui ne fe trouvoit point dans les
noms François 5 dont la terminaifon ne va-
rie point. On a enfin donné la préférence
à la première manière, qui marque cette
forte de détermination par le fecours de
Ja prépofition de : La gloire de Dieu.
La fyntaxe d une langue ne confifte quê
dans les fîgnes de ces différentes détermi-
nations. Quand on connoît bien lufage &
la deftination de ces fîgnes, on fait la fyn-
taxe de la langue. J entends la fyntaxe
necejfaire ; car hjyntaxe ufuelle & élé^
gante demande encore d^autres obferva-
^53?^ Principes
tions. Mais ces obfervations fupporent tou-
jours celles de la fyntaxe néceflaire , & ne
regardent que la netteté , la vivacité & les
grâces de Télocution : ce qui n'eft pas
maintenant de notre fujet.
Un mot doit être fuivi d\in ou de plu-
fieurs autres mets déterminans , toutes les
fois que par lui-même , il ne fait qu'une
partie de Tanalyfe d'un fens particulier.
Uefprit fe trouve alors dans la nécefïité
d'attendre & de demander le mot déter-
minant , pour avoir tous le fens particulier
que le premier mot ne lui annonce qu'en
partie. Ceft ce qui arrive à toutes les pré-
pofitions 5 & à tous les verbes actifs tran-
fîtifs : // ejl allé à ; à n^énonce pas tout kr
fens particulier -, & je demande oà ? 041
répond yà la chajfc j à Vcrf ailles _> félon
le fens particulier quon aà défigner. Alors
le mot qui achève le fens, dont la prépo-
iîtion n'a énoncé qu'une partie, eft le com-
plément de la prépofition : c*efl:-à-dire, que
la prépofition & le mot qui la détermine 3,
fontenfemble un fens partiel? qui eft: en-
de Grammaire) 357
fuite adapté aux autres mots de la phrafe.
En forte que la prépofition eft, pour ainfî
dire, un mot d'efpcce ou de forte, qui
doit enfuite être déterminé individuelle-
ment. Par exemple , Cela eji dans ; dans
marque une forte de manière d'être par
rapport au lieu : & fî j^ajoute dans la mai-
Jon^jc détermine, j'individualife,pour ainft
dire*, cette manière fpécifique d'être dans.
Il en eft de même des verbes adifs. Qiiel-
qu'un me dit que le Roi a donne : ces mots ,
a donné y ne ibnt qunne partie du fens
particulier : Tefprit n'eft pas fatisfait 5 il
û eft qu ému. On attend , ou Ton deman-
de > i.° ce que le Roi a donné ; z.° à qui
il a donné. On répond , par exemple , à la
première queftion , que le Roi a donné un
régiment\voil2i Tefprit fatisfait par raportà
la chofe donnée -, régiment eft donc à cet
égard le déterminant de a donné : il dé-
termine a donné. On demande enfuite , A
qui le Roi a-t-il donné un régiment ? 0\\ ic-
^ond à Monjieur iV. AinG la prépofition à,
fuivie du ngm qui U déterminerait un fen5
^^S Prmcipei
partiel qui ejft le déterminant de a donne ^
par raport à la pcrfonne à qui. Ces deux
fortes de relations font encore plus feniî-
bles en latin , oii elles font marquées par
à^s terminaifbns particulières. Redditc
{\\\'à) qu<R funt Cdfaris j, Cétfari ^ & (iila)
qiKzfuntDci ^ Deo.
Voila deux fortes de déterminations >
aufïî néceflàires & auffi dire6tes 1 une que
l'autre , chacune dans fon eipèce. On peut^
à la vérité , ajouter d'autres circonftances
à Tadlion , comme le temps , le motifs la
manière. Les mots qui marquent ces cir-
conftances ne font que des adjoints , que
les mots précédens n'exigent pas néceflai-
rement. Il faut donc bien diftinguer les
déterminations nécelïaires , davec celles
qui n'influent en rien à Teilënce de la pro-
portion grammaticale , en forte que fans
ces adjoints on perdroit,à la vérité , quel-
ques circonftances de fens \ mais la propo-
fition n'en fer oit pas moins telle propolî-
tion.
A ToccaHon du raport de détermina-
de Grammaire: 539
rion 5 il ne fera pas inutile d'obferver qu'un
nom fubftantif ne peut déterminer que
trois fortes de mots: i.° Un autie nom,
2.^ un verbe , 5*^ 5 ou enfin , une prépo-
sition. Voila les feules parties du difcours
qui aient befoin d'être déterminées : car
ladverbe ajoute quelque circonftance de
temps , de lieu 5 ou de manière. Ainfi il dé-
termine lui-même Tadlion , ou ce qu'on dit
du fujet, & n'a pas befoin d'être détermine-
Les conjonctions lient les propofitions s 8c
à regard de Tadjeftif , il fe conftruit avec
fbn fubftantif 5 par le raport d'identité.
i.° Lorfqu'un nom fubftantif détermine
un autre nom fubftantif, le fubftantif dé-
terminant fe met au génîtif en latin , lu-"
mcn folis \ & en françois , ce raport fe
marque par la prépofition de. Sur quoi il
faut remarquer 5 que lorfque le nom dé-
terminant eft un individu de Tefpèce qu'il
détermine , on peut confidérer le nom d'ef-
pèce comme un adjedif , & alors on met
les deux noms au même cas , par raporC
d'identité v Urbs Roma ^ Rorna ^u^ ^
j^o Principes
urbs : c'eft ce que les Grammairiens appeî-f
lent appojition. Ceft ainfi que nous difons
Le Mont'ParnaJfe j le fleuve Don _, & /^
Cheval Pégafe y &c. mais , en dépit des
Grammairiens modernes , les meilleurs Au-
teurs latins ont aulîî mis au génitif le nom
de Tindividu , par raport de détermina-
tion : In oppido AntlochiA (i) : 8c Celfam
Butroti afcendimus urbem (2). Exemple
remarquable *, car urbem Butroti effc à la
queftion quo. Auilîjes Commentateurs qui
préfèrent la règle de nos Grammairiens à
Virgile , n^ont pas manqué démettre dans
leurs notes , Afcendimus in urbem Butro-
tunu Pour nous , qui préférons Tautorité
inconteftable & foutenue des Auteurs latins^
aux remarques frivoles de nos Grammai-
riens, nous croyons que quand on dit ,
Maneo Lutedas^ il faut foufentendre , in
urbe.
2.° Quand un nom détermine un ver-
(i) Ciceron.
(1) Yirs^lc > j£ti. L III. V. 293»
be ,
de Grammaire. i/i^i\
I)e5 il faut fuivre Tufage établi dans une
langue, pour marquer cette détermina-
tion. Un verbe doit être fuivi d'autant de
noms déterminans, qu'il y a de fortes d'é-
motions que le verbe excite nécelïaire-
ment dans Te/prit. J'ai donné ; quoi ? &
à qui ?
l^ A l'égard de la prépofition, nous
venons d'en parler. Nous obferverons feu-
lement ici , qu'une prépofition ne déter-
mine qu'un nom fubftantif , ou un mot
pris fiibftantivement •, & que quand on
trouve une prépofition fuivie d'une autre ,
comme quand on dit , pour du pain ^ par
des hommes ^ &c. alors il y a ellipfe ,
pour quelque partie dupain jy par quelques--
uns des hommes.
Autres remarques pour bien faire la
conjiruclion.
I. QiTAND on veut faire la conftrucftion
d'une Période , on doit d'abord la lire
entièrement y 8c s'il y a quelque mot de
A a
54^*' Principes
foufentendu > le fens doit aider à le fup-
pléer. Ainfî l'exemple trivial des rudimens »
D-eus quem adoramus^ eft défedrueux. On
jie voit pas pourquoi Deus eft au nomina-
tif: il faut dire, Deus quem adoramus ejl
omnipotens. Deus eft omnipotens ; voila
une propofition : Quem adoramus ^ en eft
une autre.
IL Dans les propositions abfolues ou
complettes , il faut toujours commencer
par le fujet de la propofition -, & ce iujec
eft toujours ou un individu y foit réel , foit
métaphyfique i ou bien un fens total ex-
primé par plufieurs mots.
III. Mais lorfque les propoiîtions font
relatives, & qu'elles forment des Périodes ,
on commence par les conjonctions ou par
les adverbes conjondtifs , qui les rendent
relatives -, par exemple, 7^ j^t/^W^ lorf-
que j pendant que j &c. On met à part la
conjondion , ou Tadverbe conjonftif , &
Ton examine enfuite chaque propofition
féparément : car il faut bien obferver qu'un
imot n'a aucun accident grammatical , qu à
de Grammaire. 345
caufc de fon fervice dans la feule propofî-
tion où il eft employé.
IV. Divifez d'abord la propofition en
fujet & en attribut , le plus fimplement
qu'il fera poflîble. Après quoi , ajoutez au
fu)et perfonnel , ou réel 5 ou abftrait 5 cha-
que mot qui y a raport , foit par la raifoa
de l'identité ^ ou par la raifon dô la dé ter--
mination. Enfuite^ paflez à Tattribuc 5 en
commençant par le verbe , & ajoutant cha-
que mot qui y a raport félon Tordre le
plus fîmple , & félon les déterminations
que les mots fe donnent fucceffivement.
SU y a quelque adjoint ou iiicife 5 qui
ajoute à la propofition , quelque circonf-
cance de temps , de manière , ou quel-
qu autre •, après avoir fait la conftruâ:ion
de Q^t incife , & après avoir connu la rai-
fon de la modification qu'il a ^ placez-le au
commencement ou à la fin de la période ,
(èlon que cela vous paroîtra plus fimple &
plus natureL
Par exemple 5 Imperante C^fare Au-
gujio j unigcnitus Dci fiiius Chrijius j in
Aa 1
544 Principes
CLvitate David ^ qudt vocatur Bethléem j
natus eft. Je cherche d'abord le fujet per^
fonnel , & je trouve Chrifius. Je palTe à
ratcribut, & je vois ejl natus. Je dis d'a-
bord 3 Chnflus ejl natus. Enfuite je con-
nois par la terminaifon , que Filius uni-
genitus , fe raporte à Chnflus , par raport
d'identité , & je vois que jD^i étant au gé-
nitif, fe raporte à Fïlius y par raport de
détermination. Ce mot Dei détermine jPi-
lius à fignifier ici \efl/s unique de Dieu.
Ainfi j'écris le fujet total : Chnflus unige-
nitus filius Dei.
Eflnatusywoïh l'attribut nécefTaire. Na-
tus eft au nominatif 5 par raport d'identité
avec Chriflus : car le verbe efl marque fim-
plement que le fujet eft , & le mot natus
dit ce qu'il eft , né : Efl natus j efl né ^ efl
celui qui naquit ; efl natus j comme nous
difons, il efl venu ^ il efl allé. L'indica-
tion du temps paflfé eft dans le participe
yenu _, allé j natus _, &c.
In civitate David ; voila un adjoint ,
qui marque la circonftance du lieu de la
de Grammaire. 34 j
naiiïance. In , prépofitioa de lieu 5 déter-
minée par civitate David. David ^ nom
propre , qui détermine civitate. David :
ce mot fe trouve quelquefois décliné à la
manière des Latins 5 D^vic/^ Davidis. Mais
ici il eft employé comme nom hébreu ,
qui partant dans la langue latine , fans eu
prendre les inflexions , eft confîdéré com-
me indéclinable-
Cette cité de David eft déterminée plus
(îngulièrement par la proportion inciden-
te, qua vocatur Bethléem.
Il y a de plus ici un autre adjoint 5 qui
énonce une circcnftance de temps , impe^
tante Cdifare Au^ujlo. On place ces fortes
d'adjoints ou au commencement , ou à la
fin de la propoiltion 5 félon que Ton fent
que la manière de les placer aporte ou plus
de grâce , ou plus de clarté.
Je ne voudrois pas que Ton fatiguât les
jeunes gens qui commencent, en les obli-
geant de f^ire ainfi eux-mêmes la conftru-
ction, nid en rendre raifonde la manière
que nous venons de le faire. Leur cerveau
Aa 5
J4^ Principes
11 a pas encore aflczde confiftance pour ces
opérations réfléchies. Je voudrois feule-
ment , qu'on ne les occupât d abord qu'à
expliquer un texte fuivi , conftruit feloii
ces idées. Ils commenceront ainfi à les fai-
fîr par fentiment : & lorfqu'ils feront en
état de concevoir les raifons de la con-
ftrudion, on ne leur en apprendra point
d autres y que celles dont la nature & leurs
propres lumières leur feront fentir la vé-
rité. Rien de plus facile que de les leur
faire entendre peu-à-peu, fur un latin où
elles font obfervées , & qu'on leur a faic
expliquer pluiîeurs fois. Il en réfulte deux
grands avantages : i.^ moins de dégoût &
moins de peine \ 2.° leur railbn fe forme»
leur efprit ne fe gâte point , & ne s'accou-
tume point à prendre le faux pour le vrai;
les ténèbres pour la lumière, ni à admet-
tre des mots pour des chofes» Quand on
connoît bien les fondemens de la confl;ru-
élion , on prend le goût de l'élégance par
de fréquentes lectures des Auteurs qui ont
le plus de réputation.
de Grammaire. 347
Les principes métaphyfiques de la con-
ftrudion , font les mêmes dans toutes les
langues. Je vais en faire Tapplication fur
une Idylle de Madame Deshoulières.
Idylle de Madame Deshoulières.
LES MOUTONS.
-M 1 L A s ! petits moutons , que vous êtes heureux !
Vous paifïèz dans nos champs , fans fouci , fans alarmes.
Aulïi-tôt aimes qu'amoureux ,
On ne vous force point à répandre des larmes.
Vous ne formez jamais d'inutiles defirs :
Dans vos tranquilles cœurs l'amour fuit la nature.
Sans relTentir fes maux , vous avez fes plaifîrs.
L'ambition, l'honneur^ Tintérct, rimpofture,;
Qui font tant de maux parmi nous ,
Ne fe rencontrent point chez vous.
Ccpaidant nous avons la raifon pour partage ,
Et vous en ignorez l'ufage.
Innocens animaux, n'en foyez point jaloux;
Ce n'eft pas un grand avantagei
Cette fière raifon y dont on fait tant de bruit »
Contre les paflîons n'eft pas un fure remède.
Un peu de vin la trouble ,
Un enfant la féduit.
Et déchirer un cœur qui Tappelle à fon aide ^
Eft toutTefFet qu'elle produit.
Toujours impuiHànte 6c févcre «
Elle s^oppofe à tout , & ne furmonte rien.
Sous la garde de votre chien ,
Aa 4
3 4 S Principes
Vous devez beaucoup moins redouter la cc&it
Des loups cruels & raviflaîis ,
Que , fous l'autorité J'ujie telle chimère ;
Nous ne devons craindre nos fens.
Ne vaudroit-il pas mieux vivre , comme vous faîtes»
Dans une douce olllveté ?
Ne vaudroit-il pas mieux être , comme vous êtes ;
Dans une heureufc obfcurité »
Que d'avoir , fans tranquillité ,
Des ridielîès , de la nailTance ,
De Pefprit & de la beauté f
Ces prétendus tréfors y dont on fait vanité ;
Valent moins que votre indolence.'
Ils nous livrent fans cefis à des foiJis criminels.
Par eux ^ plus d'un remors nous ronge.
Nous vouloJis^es rendre éternels.
Sans fonger , qu'eux & nous , palTeront comme un fonge^
Il n'eft , dans ce vafte univers ,
Rien d'afTuré , rien de folide*
Des chores d'ici-bas , la fortune décide ^
Selon fes caprices divers.
Tout l'effort de notre prudence
Ne peut nous dérober au moind'-e de i^ts coups:
Faifïèz, moutons, pailTez, fans règle &: fansfcience^
Malgré la trompeufe apparence ,
Vous h^s plus heureux 5< plus fages que nous.
Conjlmciion grammaticale & raifonnéc
de cette Idylle.
Hélas t petits moutons , que vous êtes heureux /
T^ous êtes heureux. C'cftîa propofîtîon.
de Grammaire. 349
Hélas l petits moutons. Ce font les ad-
joints à la propofition *, c'eft-à-dire , que c^
font des mots qui n'entrent grammaticale-
ment, ni dans le fujet, ni dans Tattribut
de la propofition.
Hélas ! eft une interjeâiion , qui mar-
que un fentiment de compaflîon. Ce fen-
riment a ici pour objet , la perfonne même
qui parle. Elle fe croît dans un état plus
malheureux que la condition des mou-
tons.
Petits moutons. Ces deux mots font
une fuite de Texclamation. Ils marquent ,
que c'eft aux moutons que TAuteur adrefle
la parole. Il leur parle comm.e à des per-
fonnes raifonnabîes.
Moutons j c'efl: le fubftantif *, c'eft-à-
dire, le fuppôt , Têtre exiftant > c'eft le
mot qui explique vous.
Petits : c'eft Fadjeclif ou qualificatif.
C eft le mot qui marque que Ton regarde
le fubftantif avec la qualification que ce
mot exprime. C eft le fubftantif même
confidéré fous un tel point de vue.
3 J o Principes
Petits ^ n'eft pas iciunadjedif quimar--
que diredement le volume & la petiteffe
des moutons : c'eft plutôt un terme d'arte-
étion & de tendrefle. La nature nous inf-
pire ce fentiment pour les enfans & pour
les petits animaux, qui ont plus de befoin
de notre fècours que les grands.
Petits moutons. Selon Tordre de Tana-
lyfe énonciative de la penfée , il faudroit
dire moutons petits j car petits fuppofe
moutons : on ne met petits au plurier &
au mafculin , que parceque moutons cd: au
plurier & au mafculin. L adjedif fuit le
nombre & le genre de fon fubftantif >
parceque radjedif n'eft que le fubftantif
même confîdéré avec telle ou telle qualifi-
cation. Mais parceque ces diftérentes con-
fidérations de Tefprit fe font intérieure-
ment dans le même inftant , & qu'elles ne
font divifées que par la néceffité de renon-
ciation 3 la conftrudion ufuelle place au
gré de Tufage certains adjectifs avant , &
d'autres après leurs fubftantifs.
Que vous êtes heureux ! Que eft pris
de Grammaire. 351
adverbialement 5 & vient du latin quan-
tum j ad quantum ; à quel point j com^
bien. Ainfi , que modifie le verbe : il mar-
que une manière d'être , & vaut autant
que Tadverbe combien.
Fous j eft le fujet de la propofition -,
c*eft de vous que Ton juge, f^ous j eft le
pronom de la féconde perfonne. Il eft ici
au plurier.
Etes heureux , c eft lattribut : c'eft ce
qu'on juge de vous.
Etes jy eft le verbe qui , outre la valeur
ou (îgnification particulière de marquer
Texiftence, fait connoître ladion de Tef-
prit qui attribue cette exiftence heureufe à
vous : & c'eft par cette propriété que ce
mot eft verbe. On affirme que vous exi-
fie^^ heureux.
Les autres mots ne font que des déno-
minations : mais le verbe , outre la valeur
ou fignification particulière du qualificatif
qu'il renferme , marque encore Taétion de
lefprit qui attribue ou applique cette va-
leur à un fujet.
3 5 2. Principes
Etes. La terminaifon de ce verbe mar-
que encore le nombre , la perfonne & le
temps préfent.
Heureux ^ eft le qualificatif, que l'ef-
prit confidcre comme uni & identifié à
vous j à votre exiftence. Ceft ce que nous
appelons ravort d'identité.
Vous paijfe{ dans nos champs^ fans foucij fans alarmes.
Voici une autre propofition.
Vous j en eft encore le fujet fîmpîe,
Ceft un pronom fubftantif , car c'eft le
nom de la féconde perfonne , en tant
qu elle eft la perfonne à qui on adreffe la
parole -/comme roi j pape , font des noms
de perfonnes y en tant qu'elles pofsèdent
ces dignités. Enfiûte^ies circonftances font
connoître de quel roi ou de quel pape on
entend parler. De même , ici , les circon-
ftances, les adjoints, font connoître que
ce vous j ce font les moutons. Ceft fe
faire une faufte idée des pronoms , que de
les prendre pour de (impies vice-gérens ,
&: les regarder comme des mots mis à la
dt Grammaire. ^3^5^
place des vrais noms. Si cela étoit 5 quand
les Latins difent Cérès pour le pain ^ ou
Bacchus pour le vin ; Cérès & Bacchus
feroient des pronoitis.
Paij[fe^ j eft le verbe , dans un fens neu-
tre 5 c'eft-à-dire , que ce verbe marque ici
un état de fujet : il exprime en même-
temps Tadion &: le terme de Tadion. Car
vous paijje-;^ , eft autant que vous mange-;^
Vherhe. Si le terme de l'adion étoit expri-
mé féparément, & qu'on dît vous paij[fe:^
r herbe naijfante j le verbe feroit adif tran-
fitif.
Zkins nos champs j voila une circon-
ftance de Tadtion.
Dans eft une prépofition qui marque
une vue de Teiprit par raport au lieu. Mais
dans ne détermine point le lieu : c'eft un
de ces mots incomplets dont nous avons
parlé , qui ne font qu'une partie d'un fens
'particulier 5 & qui ont beloin d'un aucre
mot pour former ce fens. Ainfi dans eft
la prépofition , & nos champs en eft le
complément. Alors , ces mots , dans nos
354 Principes
champs j font unfens particulier, qui en-
tre dans la compofition de la propofition.
Ces fortes de fens font fouvent exprimés
en un feul mot , qu'on appelle adverbe.
Sans fouci ; vojla encore une prépofî-
tion avec fon compliment : c'eft un fens
particulier , qui fait un incife. Incife vient
du latin ïncifum^ qui fîgnifie coupé. C'eft
un fens détaché qui ajoute une circonftance
de plus à la propofition. Si ce fens étoic
fupprimé , la propofition auroit une cir-
conftance de moins -, mais elle n'en feroit
pas moins propofition.
Sans alarmes j eft un autre incife»
AuJJî-'tôt aimés qu'amoureux ,
On ne yous force point à répandre des larmes.
Voici une nouvelle période : elle a deux
membres.
AuJJi'tôt aimés qu amoureux j c'eft Iç
premier membre : c'eft-à-dire , le premier
fens partiel 5 qui entre dans la compofition
de la période.
Il y a ici ellipfe > c eft-à-dire , que pour
de Grammaire. 3^5
faire la conftrudion pleine , il faut fup-
pléer des mots que la conftrudtion ufuelJe
fupprime, mais dont le fens eft dans I efprit.
Aujji'tôt aimés qu amoureux ; c'eft-à-
dire , comme vous êtes aimés aujfi-tôt que
vous êtes amoureux.
Comme j eft ici un adverbe relatif 5 qui
fert au raifonnement, & qui doit avoir un
cortéhtif '^ comme y ceft-à-dire^ & parce-
que vous êtes j &c.
f^ous j eft le fujet *, êtes aimés aujjl-tôty
eft l'attribut. Aujfi-tôt eft un adverbe rela-
tif de temps , dans le même-temps.
Qucy autre adverbe de temps \ c'eft le
corrélatif à*aujji-tôt. Que appartient à la
propofîtion fuivante 5 que vous êtes amou^
veux : ce que vient du latin , In que , dans
lequel , cum.
Vous êtes amoureux ; c'eft la propolî-
tion corrélative de la précédente.
On ne vous force point à répandre des
larmes. Cette proportion eft la corréla-
tive du fens total des deux propu)fitions
précédentes.
$^é Principes
On y eft le fujet de la propofîtioii. On
vient de homo. Nos pères difoient hom ,
nou y a hom fur la terre (i)» On ^ fe prend
dans un fens indéfini 5 indéterminé , une-
perfonne quelconque j un individu de votre
efpèce.
Ne vous force point à répandre deslar-^
mes. Voila tout l'attribut : c'eft lattribut
total : c'eft ce qu on juge de on.
Force , eft le verbe qui eft dit de on :
c'eft pour cela qu'il eft au fîngulier , &: à
la troifîème perfonne.
Ne point : ces deux mots font une né-
gation : ainfî la propofition eft négative.
.Voyez ce que nous difons de points en
parlant de V Article , vers la fin.
Vous. Ce mot , félon la conftru6tion
ufuelle 5 eft ici avant le verbe \ mais , félon
Tordre de la conftrudion ^qs> vues de Tef-
prit, vous eft après le verbe, puifqu'il eft
le terme ou Tobjet de Tadion de forcer.
Cette tranfpofîtion du pronom n'eft pas
(i) Voye^ Bord au mot Hom^
en
de Grammaire: 3 ^y
tîil ufage dans toutes les langues. Les h\\^
glois difent, I drejfmy felf; mot à mot,
j' habillé moi^mtme. Nous difonsyV rriha-
hillc , félon la conftru6tion ufuelle \ ce qui
«ft une véritable inveriîon , que l'habi-
tude nous fait préférer à la conftrudion
téguhcre. On lit trois fois , au dernier
chapitre de l'Evangile de Saint Jean , Si-
mon j diligls me ? Simon , amas me ?
Pierre 3 aime-:^ - vous moi ? Nous difons
Pierre j rnaime^-vous ?
La plupart des étrangers qui viennent
du nord, àiknt j'aime vous ^ j'aime lui ;
au lieu de dire , je vous aime j je l'aime ^
félon notre conftrudion ufuelle.
A répandre des larmes. Répandre des
larmes ; ces trois mots font un fens to-
tal 5 qui eft le complément de la prépofi-
tion à. Cette prépohtioii met le feiis total
en rapôrt âVec force , forcer à ^ cogère
ad^ Virgile a dit , Cogitur ire ad lacry^
mas ( i) j & Vocant ad lacrymas (1.
{0 ^^' ^- IV. y- 413* (2.) i. XL V. 9^,
Bb
^^55^ Principes
Répandre des larmes. Des larmes n*eft
pas ici le complément immédiat de répan-
dre. Des larmes ^^ ici dans un fens par-
titif. Il y a ellipfe d\in fubftantif généri-^
que , répandre une certaine quantité de
les larmes ; ou j comme difent les poètes
latins 5 Imbrem lacrymarum _, une pluie de
larmes.
Vous neformti jamais d'inutiUs dejïrs. J
F'ous j eft le fujet de la propofition, m
Les autres mots font Tattribut. Forme^ j
eft le verbe , à la féconde perfonne du
préfent de l'indicatif.
Ne j eft la négation, qui rend la pro-
portion négative. Jamais eft un adverbe
de temps. Jamais , en aucun temps. Ce
mot vient de deux mots latins , jam 8c
magis.
D'inutiles deJirs. Ceft encore un fens
partitif. Vous ne forme'^ jamais certains
defirs j quelques deJirs qui f oient du no nu
bre des defirs inutiles.
D'inutiles defirs. Quand le fubftantif &:
de Grammaire, H 9
ladjecîtif font ainfî le déterminant d un
verbe , ou le complément d'une prépo/î-
tion dans un fens aflîrmatif , fî radje6ti£
précède le fubftantif ^ il tient lieu d'arti-
cle ^ & marque la forte ou efpèce, l^ous
formel^ d'Inutiles dejirs. On qualifie d'inu^
tïlcs ^ les defirs que vous formez. Si au
contraire 5 le fubitantif précède Tadjcilif,
on lui rend l'article : c'eft le fens indivi-
duel : Vous forme^ des dejirs inutiles. On
veut dire que les defirs particuliers ou fin-
guliers que vous formez , font du nombre
de les defirs inutiles. Mais dans le fens né**
gatif, on diroit. Vous ne forme':^ jamais j^
pas, point, de defirs inutiles. Ceft alorg
le fens fpécifique. Il ne s'agit point de dé-
terminer tels ou tels defirs finguliers. On
ne fait que marquer l'efpèce ou forte de
defirs que vous formez.
Dans vos tranquilles cœurs Vamourjiiit ta natiiic.
La conftrudion eft : L'amour fuit la na-^
ture dans vos cœurs tranquilles. U amour ^
çft le fujet de la propofition , & par cette
Bbi
[3^a Principes
raifon il précède le verbe. La nature j eft
le terme de Tadion de fuit 5 & par cette
raifon ce mot efl: après le verbe. Cette po-
fîtion efl: dans toutes les langues, félon
Tordre de renonciation & de Tànalyfe des
penfées. Mais lorfque cet ordre efl: inter-
rompu par des tranfpofitions , dans les lan-
gues qui ont des cas 5 il efl: indiqué par
une terminaifon particulière , qu'on ap-
pelle accufatlf. En forte qu après que toute
la phrafe efl: finie > Tefprit remet le mot à
fa place.
Sans rejfentirfes maux , vous avei fesplaijirs.
Confl:ru6tion 5 F'ous ave^fes plaijirs ^
fans rejfentirfes maux^ Vous ^ efl: le fu-
Jet : les autres mots^ font l'attribut.
Sans rejfentïr fes maux. Sans efl: une
prépofition , dont rejfentir les maux efl:
le complément. Rejfentïr fes maux ^ efl:
un fens particulier , équivalent à un nom.
Rejfentïr j efl: ici un nom verbal. Sans
rejfentir j efl: une proportion implicite ,
fans que vous reffentie:^. Ses maux ^
efl: après Tinfinitif r^/zr/r, parcequ'il en
de Grammaire: 3^1!
eft le déterminant. Il eft le terme de
Tadion de rejjendr.
Z'amhition , l'honneur, V intérêt , VimpoJIurt,
Qui font tant de maux parmi nous ^
Nefe rencontrent point chei vous.
Voila la propofition principale.
V ambition^ V honneur ^ l'Intérêt^ Hm^
pojlure : c'eft là le fujet de la propofition.
Cette forte de fujet eft appelée fujet mul--
tiplc j parceque ce font plufieurs indivi-
dus 5 qui ont un attribut commun. Ces in-
dividus font ici des individus métaphy-
iîques 5 des termes abftraits , \ rimitation
d'objets réels.
Ne fc rencontrent point chc^ vônSj c'eft
Tattribut. On pouvoit dire, l'ambition ne
fe rencontre point che^ vous ; Vhonneur
ne fe rencontre point ckei vous ; Vinté^
rêt j &c. ce qui auroit fait quatre propofî-
tions. En raflTemblant les divers fujetsdonc
on veut dire la mcme chofe, on abrège le
difcours , & on le rend plus vif.
Qui font tant de maux parmi nous. C'eft
la propofition incidente. Qiii ^ en eft le
Bb 5
^3 èz Principes
i'ujer. Ceft le pronom relatif. Il rappelle à
refprit l'ambition j l'honneur , l'intérêt ^
Vimpôfiurè ^ dont on vient de parler.
Font tant de maux parmi nous. Ceft
lattribut de la propofîtion incidente.
Tant de maux \ c'eft le déterminant de
font ; Veft le terme de Tadtion de font.
Tant jy vient de Vaôi]tdiïitantusj a^ um^
Tant eft pris ici fubftantivement : Tan-
tum malorum ^ tantum x^îj/zct malorum ^
une Jî grande quantité de maux^
De maux _, eil le qualificatif de tant.
C eft un des ufages de la prépofîtion de y
de fervir à la qualification.
Maux j eft ici dans un fens ipécifique ,
indéfini 5 & non dans un fens individuel.
Ainfî 5 maux n'eft pas précédé de Tar-^
ticle les.
Parmi nous j eft une circonftance de
lieu. Nous 5 eft le complément de la prç-
pofition parmi.
Cependant , nous avofis la raifon pour iJartage ^
Et vous en ignore:^ Vufage,
Voila deux proportions liées entr'elles.
de Grammaire. ^6 y
par la conjond:ion &. Cependant j adver-
be y OU conjonction adverfative 5 c'eft-à-
dire, qui marque reftridion ou oppofir
tion 5 par raport à une autre idée ou pen-
fée. Ici cette penfée eft , Nous avons la
raifon ; cependant malgré cet avantage y
les pajfions font tant de maux parmi nous.
Ainfi 5 cependant marque oppofîcion ,
contrariété , entre avoir la raifon , & avoir
des pafftons. Il y a donc ici une de c^s
propofîcions que les Logiciens appellent
adverfative ou difcrétive.
Nous j eft le fujet : Avons la raifon
jpour partage ^ eft Tattribut.
La raifon pour partage. L'auteur pou-
voit dire , la raifon en partage : mais
alors il y auroit eu un bâillement ou hia--
tus 5 parceque la rcifon finit par la voyelle
nafale on , qui auroit été fui vie de en. Les
Poètes ne font pas toujours*^ exads^ &
redoublent Vn en ces occadons -, la raifon--
n- en partage : ce qui eft une prononcia-
tion vicieule. D'un autre côté 5 en difant,
pour partage j la rencontre de ces deux
B b 4
'5 ^4 Principes
fylîabes y pour j par^ eft défagréable à To
reille.
Vous en Ignore':^ l^ufage. Vous -y eft le
fiijet -, en ignore^ Vujage ^ eft Tattribut.
Ignorei ^ eft le verbe. Vufage ^ eft le dé-
terminant de Ignore'^ : c^'eft le terme de la
lignification à' ignorer ; c'eft la chofe igno-
rée, Ceft le mot qui détermine Ignore'^.
En j eft' une forte d'averbe pronomi-
nal. Je dis que en eft une forte d'adverbe ^
parcequ'il lignifie autant qu'une prépofi-
rion & un nom. En j Inde ; de cela; de la
raifon. En j eft un adverbe pronominal ,
parcequ il n eft employé que pour réveil-r
1er ridée d un autre mot > Vous îgnore'^^
tuf âge de la raifon.
Inneczns animaux , n^enfoyei point jaloux:
Ceft ici une énonciation à Timpératif.
Innocens animaux. Ces mots ne dépen-
dent d'aucun autre qui les précède , &
font énoncés fans articles. Ils marquent ,
en pareil cas > la perfonne à qui Ton adrefT^
Ja parole^
de Grammaire. ^6<^
Soye^ j efl; le verbe à Timpératif. Ne
point y eft la négation.
£n j de cela j de ce que nous avons la
taifon pour partage.
Jaloux eft ladjeftif. C'efl: ce qu'on dit
tjue les animaux ne doivent pas être. Ain-
(î 5 félon la penfée , jaloux fe raporte à ani-*
maux j par raport d'identité , mais néga-
tivement j ne foye\ pas jaloux.
Cen*ejlj^as un grand avantage;
Ce j pronom de la troifième perfonne-;
Hoc^ ce J cela ^ a favoir que , nous avons
la raifon _, nejipas un grand avantage.
Cette fière raifon , dont on fait tant de bruit ,
Contre les pajjions n'ejî pas un fur remède.
Voici propofition principale > & propo*
iîtion incidente.
Cette fierc raifon nefl pas un remède
fur contre les pajfions ; voila la propofi-
tion principale.
Dont on fait tant de bruit : c eft la prqp
pofition incidente.
Vontj eft encore un adverbe prono-
3 èé Principes
minai, de laquelle ^ touchant laquelle. Dont
vient du mot unde j par mutation ou
tranfpofîtion de lettres , dit Nicot. Nous
nous en fervons pour duquel ^ de laquelle ^
de qui _, de quoi.
On j eft le fujet de cette proportion in-
cidente.
Fait tant de bruit , en eft Tattribur.
Faitj eft le verbe. Tant de bruit jy eft le dé-
terminant de fait. Tant de bruit j tantum
y^f^jaclationisj tantam remjaclationis^
Un peu de vîn la trouble;
Un peu : peu eft un fubftantif \parum
yïni ; une petite quantité de vin. On dit^/e
peu^ de peujy à peu^ pour peu» Peu^ eft or*
dinairement fuivi d un qualificatif. De virt ^
eft le qualificatif de peu. Un peu ; un 8c le
font des adjeélifs prépofitifs qui indiquent
des individus. Le & ce indiquent des in-
dividus déterminés -, au lieu que un indi-
que un individu indéterminé : il a le même
fens que quelque. Ainfi un peu eft bien dif-
férent de le peu : celui-ci précède Tindi-
de Grammaire^ 3^7
vidu déterminé , & Tautre Tindividu in-
déterminé.
Un peu de vin. Ces quatre mots expri-
ment une idée particulière , qui eft le Tu-
jet de la propofition.
La trouble _, c efl: Tattribut. Trouble 3
eft le verbe. La _, eft le terme de Tadion
du verbe. La ^ eft un pronom de la troi-
fîème perfonne ; c'eft-à-dire, que la ra-
pelle l'idée de la perfonne ou de la chofe
dont on a parlé ; Trouble la j elle y la
raifon.
Un enfant ( l'amour ) îaféduit,
C'eft la mxme conftrudion que dans la
propofition précédente.
Et déchirer un cceiir , qui VappeUe àfon aide ,
Eft tout l'effet qu* eUe produit.
La conftru6tion de cette petite période
mérite attention. Je dis période 5 gramma-
ticalement parlant , parceque cette phrafè
eft compofée de trois propoiîtions gram-
maticales : car il y a trois verbes à l'indi-
catif, appelle j eji ^ produit.
Déchirer un cœur ejl tout l'effet : c'eft
5^S Principes
la première propofition grammaticale >
c eft la propofition principale.
Déchirer un cœur j c'eft le fujet énoncé
par plufieurs mors , qui font un fens qui
pouroit être énoncé par un feul mot, Ci
Tufage en avoit établi un. Trouble j agi-
tation j^ repentir^ remors ^ font à peu près
les équivalens de déchirer un cœur.
Déchirer un cœurj eft donc le fujet ,&
eft tout l'effet j c'eft lattribut.
Qui l^ appelle àfon aide ; c'efl: une pro*^
pofîtion incidente.
Qui ^ en eft le fujet : ce quicG: le pro-
nom relatif qui rapelle , cœur.
V appelle à [on aide _, c eft Tattribut de
qui ; la j eft le terme de Tadion d' appelle :
appelle elle j appelle la raifon.
Quelle produit ; elle produit lequel
effet ; c'eft la troifième propofition.
Elle j eft le fujet : elle eft un pronom
qui rapelle raifon.
Produit que j c'eft lattribut à* elle. Que
eft le terme de produit. C'cft un pronom
qui rappelle effet.
de Grammaïrcl ^^ë^
Que étant le déterminant y ou terme
de Tadion de produit j eft après produit ^
dans Tordre des penfées , & félon la con-
ftrudion (impie : mais la conftrudioii
ufuelle rénonce avant produit ; parceque
le que étant un relatif conjondif, ilrapelle
effet j & joint , elle produit ^ avec effet.
Or 5 ce qui joint , doit être entre deux
termes. La relation en eft plus aifémcnt
apperçue 5 comme nous lavons déjà re-
marqué.
Voila trois propofitions grammaticales ;
"mais logiquement , il n y a là qu'une feule
proportion.
Et déchirer un cœur qui V appelle à fort
<iide : ces mots font un fens total , qui eft
le fujet de la propofition logique.
EJl tout l'effet quelle produit: voila uii
autre fens total 5 qui eft Tattribut, C eft ce
^u on dit de déchirer un cœur.
toujours impuîffante Sf fivère ,
Elle s'oppofc à tout y & ne furmonte rien;
ïï y a encore ici ellipfe, dans le pre-
^yo Principes
mier membre de cette phraie. La conilru*
âion pleine eft : La raifon ejl toujours im-
puissante & févère. Elle s'oppofe à tout y
parccquelle ejl févère ; & elle nefurmontc
rien j parcequellc ejl impuiffante.
Elle s^oppoje à tout jy ce que nous vou-
drions faire qui nous feroit agréable. Op-
pofer y ponere oh ^ pofer devant ^ s'op-^
pojer y oppofer foi j fe mettre devant
comme un ohjlacle. Se ^ eft le terme de
Fadion d' oppofer. La conftrudlion ufuelle
le met avant fon verbe , comme me ^te ^
Icj quej, 8cc. à tout ; Cicéron a dit, O^*
ponere ad.
Nefurmonte rien. Rien ^ eft ici le terme
de ladion àtfurmonte^ Rien ^ eft toujours
accompagné de la négation exprimée ou
fous-entendue. Rien ^ nullam rem.
Sur toutes riens garde ces points. Me-
hun 3 au Teftament : où vous voyez que
fur toutes riens j veut dire , fur toutes
chofes.
Sous ta garde de votre chien ,
Vous deyei hiaucou2 moins redouter la colèra ■
de Grammaire. 3711
Des loups cruels 0 ravijfans ,
^ut f fous V autorité d'une telle chimère ,
Nous ne devons craindre nos fens.
Il y a ici ellipfe &: fynthcfe. La /ynthcfe
Ce fait lorfque les mots fe trouvent expri-
més ou arrangés félon un certain fens que
Ton a dans Tefprit.
De ce que ( ex eo quod^propterea quod)
vous êtes fous la garde de votre chien ,
vous devez redouter la colère des loups
cruels & raviflans , beaucoup moins ; au
lieu que nous, qui ne fommes que fous la
garde de la raifon , qui n'eft qu'une chi-
mère 5 nous n'en devons pas craindre nos
fens beaucoup moins*
Nous nen devons pas moins craindre
nos fens : voila la fynthèfe ou fyllepfe 3
qui attire le ne dans cette phra/e.
Lu colère des loups. La poé/îe fe permet
cette exprefïïon. Limage en eft plus noble
& plus vive. Mais ce n'eft pas par colère ,
que les loups & nous mangeons les mou-
tons. Phèdre a dit y fauce improbà ; & la
Fontaine a dit , l^ faim.
;37i Principes
Beaucoup moins 3 multo minus : e eft
une exprelîîon adverbiale , qui fert à la
comparaifon 5 & qui , par conféquent , de-
mande un corrélatif 5 que j &c. Beaucoup
moins , félon un coup moins beau j moins
grand. Voyez ce que nous difons de
Beaucoup j en parlant de Tarticle.
Ne vaudrait 'il -pas mieux vivre , comme vous faites ^
Dans une douce oijiveté.
Voila une propofition qui fait un fens
incomplet , parceque la corrélative n'efi:
pas exprimée : mais elle va Têtre dans la pé-
riode fuivante , qui a le même tour.
Comme vous faites j eft une propofîr
tion incidente.
Comme j adverbe. Quomodo : à la ma,i
niere que vous le faites^
Ne vaudroitMpas mieux tire , comme vous êtes ^
Dans une heureufe ohfcurité ,
Que d'avoir ^ fans tranquillité ,
Des richejfes , de la naijfance ,
De Vefprit (y de la beauté.
Il n'y a dans cette période , que deu3%
proportions relatives p & une incidente-
Ne
I
de Grammaire. 373
Ne vaudroh'il pas mieux être ^ comme
yous êtes _, dans une keureufe ohfcunté :
c'eft la première propofition relative, avec
Fincidente , comme vous êtes*
Notre fyntaxe marque l'interrogation ,
en mettant les pronoms perfonels après
le verbe , même lorfque le nom e(t expri-
mé. Le Roi ira-t-il à Fontainebleau ? Ai-
me:^'VOus la vérité ? Irai-je^
Voici qu'el eft le fiijet de cette propor-
tion. //_, illud ^ ceci j, à favoir , être dans
une heureufe ohfcurité ; fens total énoncé
par plufieurs mots équivalens à un feuL Ce
fens total eft le fujetde la propofition.
Ne vaudroLt'il pas mi/ux ? Voila Tat-
tdbiit , avec le figne de Tinterrogation.
Ce ne interrogatif nous vient des Latins ,
JE go ne j adeone jfuperatne ^ jamne vides ?
Voye^-vous ? Ne voye^-vous pas ?
Que ^ quam. Ceft la conjondlion ou
particule , qui lie la propofition fiiivante j
en forte que la propofition précédente &
celle qui fuit, font les deux corrélatives de
la comparaifon.
Ce
374 Principes
Que la chofe ^ l'agrément d^ avoir j fans
tranquillité j l'abondance des richejfes ^
l'avantage de la naijfance ^ de l'efprit &
de la beauté. Voila le fujet de la propofi-
tion corrélative.
Ne vaut ^ qui efl: fous-entendu , en eft
l'attribut. Ne ^ parcequ'on a dans Te/prit ,
ne vaut pas tant que votre obfcurité vaut.
Ces prétendus tréfors , dont on fait vanité ,
Valent moins que votre indolence.
Ces prétendus tréfors valent moins ;
voila une proportion grammaticale re-
lative.
Que votre indolence ne vaut , voila la
corrélative.
Votre indolence n'eft pas dans le même
cas : elle ne vaut pas ce moins : elle vaut
bien davantage.
Dont on fait vanité j eft une propofî-
tion incidente : On fait vanité defquels ^
à caufe defquels. On dit , faire vanité ^ ti-
rer vanité de ^ dont^ defquels. On j ait va-^
nité : ce mot vanité entre dans la cômpo-
de Grammaire. 375
iîrion du verbe, & ne marque pas une
telle vanité en particulier , ainfî il n'y a
point d'article.
Ils nous livrent fans cejfe à des foins criminels.
Ils ( ces tréfors , ces avantages ) : Ils eft
le fujer.
Livrent nous fans cejje à ^ &c. c^eîl lat-
tribut.
A des foins criminels ; c'eft le fens par-
titif -, c'eft-à-dire , que les foins aufquels
ils nous livrent , font du nombre des foins
criminels ; ils en font partie. Ces préten-
dus avantages nous livrent à certains foins,
à quelques foins , qui font de la clalle des
foins criminels.
Sans ceffe j façon de parler adver-
biale p fine ulla intermiffione.
Par eux , plus d'un remors nous ronge.
plus d'un remors j voila le fujet com-
plexe de lapropofîtion,
Bx)nge nous par eux j à Toccafion de
ces tréfors ; c'eft l'attribut.
Ce z
57<^ Principes
Plus d'un remors. Plus j eft ici le fub-
ftantif 5 & fignifie une quantité de remors
plus grande que celle d'un feul remors.
Nous voulons les rendre éternels ,
Sans fou ger qu'eux 0" nous pajferons comme unfonge,
Nous jy eft le fujet de la propofirion.
flouions les rendre éternels ^ fans f on-*
gerj &c. c'eft lattribut logique.
Voulons j eft un verbe adtif. Quand o»
veut^ on veut quelque chofe , les rendre
éternels ^ rendre ces tréfors éternels : ces
mots forment un fens , qui eft le terme
de ladion de voulons : c'eft la chofe que
nous voulons.
Sans fonger qu'eux (/ nous pajferons comme unfongel
Sans f on ger. Sans jy prépofition. Son-
ger j eft pris ici fubftantivement. C eft le
complément de la prépofition y^/2»y y fans
la p en fée que. Sans fonger peutauflî être
regardé comme une propofition implicite :
fans que nous fongions.
Que j eft ici une conjoncftion , qui unit
h fonger j la cnofe à quoi Ton ne fonge
point.
de Grammaire. 377
Eux & nous pajjerons comme unfonge.
Ces mots forment un fens total , qui ex-
prime la chofe à quoi Ton dcvroit fongcr.
Ce fcns total eft énoncé dans la forme
d'une propofition , ce qui eft ordinaire en
toutes les langues. Je ne fais qui a fait
cela j Nefdo quis fedt ; Quis jecït eft le
terme ou l'objet de nefcio : Nefdo hoc j
iiempc , quis fedt.
Il n'eft dans ce vaJJe univers ,
Rien d*ajfuré , rien de folide.
Il j illud y nempè , ceci :, à f avoir ^ rien
d^affuré ^ rien de folide. Quelque chofc
d^ajfure j quelque chofe de folide : voila le
fujet de la propafition, N'ef (^sls) dans
ce vajle univers ; en voila Tattribut. La né-
gation ne rend la proportion négative. •
D'ajfure. Ce mor eft pris ici fijbftan-
tivement : Ne hilum quidcm certi. D'affuré
eft encore ici dans un fens qualificatif > Se
non dans un fens individuel *, & c*eft pour
cela qu'il n'eft précédé que de la prépofi-
tion de j fans article.
Ce 5
57 s Principes
Des chofes d*ici bas la Fortune décide ,
Selon f es caprices divers.
La Fortune^ fujet fimple , terme abftrait
perfonifîé :c'eft le fujet de la propofition*
Qpand nous ne connoiÏÏbns pas la caufe
d'un événement , notre imagination vient
au fecours de notre efprit , qui n aime pas
à demeurer dans un état vague & indéter-
miné. Elle le fixe à des fantômes qu'elle
réalife 5 & aufquels elle donne des noms ,
Fortune^ Hafard y Bonheur ^ Malheur.
Décide des chofes d'ici bas ^ félon fes
caprices divers. Ceft lattribut complexe.
Des chofes j de les chofes : de lignifie
ici touchant.
D' ici-bas détermine chofc. Ici-bas eft
pris fubftantivement.
Selon fes caprices divers j eft une ma-
nière de décider. Selon j eft la prépofi'»
tion. Ses caprices divers j eft le complé-
ment de la prépofition.
jfbwf l'effort de notre prudenct
JN^e peut nous dérober au moindre de fes coups;
Tout l'effort de notre prudence j voila la
de Grammaire. 379
(ujet complexe : de notre prudence déter-
mine Teftort , & le rend fujet complexe.
V effort de eft un individu métaphyfique >
& par imitation ; comme un tel homme
ne peut 5 de même foz/r V effort ne peut.
Ne peut dérober nous ; Se félon la con-
ftru(5Hon ufuelle y nous dérober.
Au moindre j à le moindre ; à ^ eft la
prépofitioft î le moindre j eft le complé-
ment de la prépofîtion.
j4u moindre de fes coups ; au moindre
€Oup de fes coups. De fes coups ^ eft dans
le fens partiti£
J^^^'Jf^x 9 moutons , pai/i^. Sans règle Cf fans fcicnct ^
Malgré la îrompeufc apparence ,
Vous êtes plus heureux & plus f âge s que nous.
La trompeufe apparence ^ eft ici un in-
dividu métaphyfique perfonifié.
Malgré. Ce mot eft compofé de Tad-
]tOiif mauvais jy & du fubftantif ^r/^ qui
fe prend poui: volonté ^ goût. Avec le
mauvais gré de _, en retranchant le de j- à
la manière de nos pères , qui fupprimoienc
^auvent cette prépofitioa, comme noua
C c 4.
j^o Principes
Ta vous obfervé en parlant du raport de
détermination. Les anciens difoient mau^
gré ; puis on a dit malgré. Malgré moi y
avec le mauvais gré de moi ; Cum mea
mala gratia ; me invito. Aujourd'hui, on
fait de malgré unt prépofition. Malgré la
trompeufe apparence _, qui ne cherche qu'à
en impofer & à nous en faire accroire ,
vous êtes , au fond & dans la réalité , plus
heureux & plus fages que nous ne le
fommes.
Tel eft le détail de la conftrudion à^^
mots de cette Idylle. Il n y a point d ou-
vrage, en quelque langue que ce puiffe
être , qu'on ne pût réduire aux principes
que je viens d'expoier , pourvu que Ton
connût les fîgnes des raports des mots en
cette langue , & ce qu'il y a d'arbitraire >
qui la diftingue des autres.
Au refte , fi les obfervations que jai
faites paroifTent trop métaphyfiques à
quelques perfonnes , peu accoutumées
peut-être à réfléchir fur ce qui fe paiTe en
elles-mêmes, je les prie de confidérer qu'on
de Grammaire. 581
ne fauroit traiter raifonnablement de ce
qui concerne les mots, que ce ne foie re-
lativement à la forme que ion donne à
la penfée , & à ranalyfe que Ton eft obli-
gé d'en faire par la néceffité de rélocutio!! ,
c'eft-à-dire , pour la faire pafifer dans Ict
prit des autres-, & dès-lors on fe trouve dans
le pays de la Métaphyfique. Je r/ai donc
pas été chercher de la Métaphyfique, pour
en amener dans une contrée étrangère : Je
n'ai fait que montrer ce qui eft dans Tef-
prit, relativement au difcours & à la né-
cefîîté deTclocution. C'eft ainfi que Tana-
tomifte montre les parties du corps hu-
main , fans y en ajouter de nouvelles. Tout
ce qu'on dit des mots , qui n'a pas une re-
lation diredte avec la penfée, ou avec la
forme de la penfée -, tout cela , dis-Je '
n'excite aucune idée nette dans l'efprit.
On doit connoître la raifon des règles
de rélocution , c'eft-à-dire , de l'art de
parler & d'écrire, afin d'éviter Its fautes
de conftruûion , & pour acquérir l'habi-
tude de s'énoncer avec une exadtitude rai-
jSi Principes
fonnablequi ne contraigne point le génîe.
Il eft vrai que l'imagination auroit été
plus agréablement amufée^ par quelques
réflexions fur la fimplicité & la vérité des
images , aufîî bien que fur les expreflîons
fines & naïves , par lefquelles cette illuftre
Dame peint fî bien le fentimenc.
Mais, comme la conjlruclion Jimple &
néceflaire , eft la bafe & le fondement de
toute conjlruclion ufuellc & élégante ; que
les penfées les plus fubîimes , aufR - bien
que les plus (impies, perdent leur prix y
quand elles font énoncées par des phrafes
irrégulières j & que d'ailleurs le public eft
moins riche en obfervations fur cette co/z-
Jlruclion fondamentale , j'ai cru qu'après
avoir tâché d'en déveloper les véritables
principes , il ne feroit pas inutile d'en faire
l'application fur un ouvrage aufîî connu &
auffi généralement eftimé que l'eft l'Idylle
des Moutons de Madame Deshoulières» *
de Grammaire. 385
Obftrvations fur ce que les Grammairiens
appellent Disconvenance.
On fe fert du terme de Difconvenance j
pour défigner des mots qui compofent les
divers membres d une période , lorfque
ces mots ne conviennent pas entr'eux, foie
parcequ'ils font conftruits contre lanalo-
gie , ou parcequ'ils rafTemblent des idées
difparates , entre lefquelles Tefprit apper-
çoit de roppofîtion, ou ne voit aucun ra-
port. Il femblc qu'on tourne d'abord Tef
prit d un certain côté , & que lorfqull
croit pourfuivre la même route , il fe fent
tout-d un-coup tranlporté dans un autre
chemin. Ce que je veux dire s'entendra
niieux par des exemples.
Un de nos Auteurs a dit que , Notre ré-
putation ne dépend pas des louanges qu'on
nous donne , mais des actions louables que
nous faifons.
Il y a difconvenance entre les deux mem-
bres de cette période, en ce que le premier
préfente d abord un fens négatif, ne dé-
384 Principes
pend pas ; 8c dans le fécond membre 5 on
fous-entend le même verbe dans un fens
affirmatif. lifaloit dire. Notre réputation
dépend ^ non des louanges qu'on nous
donne j maïs des actions louables que nous
faifons.
Nos Grammairiens foutiennent , que
lorfque dans le premier membre d'une pé-
riode 5 on a exprnné un adjedif , auquel
on a donné, ou le genre mafculin, ou le
féminin , on ne doit pas dans le fécond
membre fous-entendre cet adjectif en un
autre genre , comme dans ce vers de
Racine :
Sa réponfe efl diSce y & même fort Jilcnce.
Les oreilles & les imaginations délicates
veulent qu'en ces occalions , TElIipfe foit
précifément du même mot au même gen-
re •, autrement , ce feroit un mot différent,.
Les adjedifs qui ont la même termi-
naifon au mafculin & au féminin , fage j
fidèle j volage ^ ne font pas expofés à
cette difconvenance.
Voici une difconvenance de temps. //
de Grammaire. 585
regarde votre malheur , comme une puni-
tion du peu de complaifance que vous ave:^
tue pour lui y dans le temps qu'il vous
pria j &c. Il faloit dire 5 que vous eûtes
pour lui j dans le temps qu'il vous pria.
On dit fort bien : Les nouveaux pkilo-
fophes difent que la couleur eft un fend'
ment de Vame : mais il faut dire , les nou-
veaux philofophes veulent que la couleur
foit un fentimcnt de Vame.
On dit. Je crois jy je foutiens ^ fajfure ^
que vous êtes favant : mais il faut dire ,
je veux j jefouhaite j je dejire , que vous
{oyez /avant.
Une difconvenance bien fenfible , eft
celle qui fe trouve afTez fouvent dan:; les
mots d'une métaphore. Les exprelîîons
métaphoriques doivent être liées entr'ellès
de la même manière qu'elles le feroient
dans le fens propre. On a reproché à
Malherbe d'avoir dit :
Prends ta foudre , Louis y &va comme un lion.
Il faloit dire , comme Jupiter. Il y a dif-
convenance Qutre foudre & lion.
^26 Principes
Dans les premières éditions du Cid i
Chimène difoit :
Maigre des feux Ji beaux y qui rompent ma colère»
Feux & rompre ne vont point enfem-
ble : c'eft une difconvenance , comme
TAcadémie Ta remarqué.
Ecorce fe dit fort bien dans un fens mé-
taphorique 5 pour les dehors j l'apparence
des chofes. Ainfî , Ton dit que les igno^
rans s'arrêtent à l' ecorce ; qu'ils s'amu-
fent à récorce. Ces verbes conviennent
fort bien avec écorce pris au propre. Mais
on ne diroit pas au propre ^fondre l' écorce :
Fondre fe dit de la glace ou du métal. J a-
voue Q^^ fondre V écorce m'a paru une ex-
preffîon trop hardie dans une Ode de
Rouilèau :
'Et les jeunes [éphirs ypar leurs chaudes haleines.
Ont fondu Técorce des eaux.
Livre III. Ode VI.
Il y a un grand nombre d'exemples de
difconvenances de mots , dans nos meil-
leurs écrivains , parceque , dans la chaleur
de la compofîtion , on eft plus occupé des
de Grammaire. 387
penfées , qu'on ne Teft des mots qui fer-
vent à énoncer les penfées.
On doit encore éviter les difconvenan-
ces dans le ftyle -, comme , îorfque trai^
tant un fujec grave , on fe fert de termes
bas 5 ou qui ne con tiennent qu'au flyle
fîmple. Il y a auffi des diiconvcnances dans
les penfées, dans les geftes, &c.
Singula quaequc locum teneant fortita dccenter.
Ut ridcncibus arndent , ira flentibus adfunt
Humani vultus. Si vis me flere > dolendum eft
Primùm ipfe tibi, ôcc. (i)
Des mots explétifs.
Le mot explétif ^ vient du latin, tx^
plere j remplir. En efFet, les mots explé-
tifs ne fervent , comme les interjeâiions :,
qu'à remplir le difcours, & n'entrent pour
rien dans la conftru6tionde la phrafe, dont
on entend également le fens,foit que le mot
explétif Coït énoncé, ou qu'il ne le foit pas.
Notre moi & notre vous font quelque-
fois explétifs dans le ftyle familier. On fe
(z)Horacç> de Aru po'ùiça.
388 Principes
fert de moi j quand on parle à Timpéra-
tif & au préfent. On fe fert de vous j dans
les narrations. Tartuffe , dans Molière ,
acle III 5 fcene 1 j voyant Dorine , dont
la gorge ne lui paroifToit pas afièz cou-
verte , tire un mouchoir de fa poche , &
lui dit :
• . • • • jâh ! mon Dieu ^je vous prie%
Avant que de parUr^ prenei" moi ce mouchoir.
& Marot a dit :
Faites- leS'tnoï les plus laids que VonpuiJJe :
Pochei cet ail ^fejfei- moi cette cuijje»
En forte que 5 lorfque je lis dans Té-
rence {i)yfac me utfciam^ je fuis fort
tenté de croire que ce me eft explétif en
latin , comme notre moi en françois.
On a aufïî plufîeurs exemples du vous
explétif 5 dans les façons de parler fami-
lières : // vous la prend & V emporte _, &:c.
Notre même eft fouvent explétif: Le Roi
y tjl venu lui-même : J'irai moi-même. Ce
même n ajoute rien à la valeur du mot
Roi j ni à celle de je.
(i) Hcaut. aâ. î.fcen. IV. v. )z.
Au
de Grammaire 389
Au troifième livre de TEnéide , v, 6 } 2
Achéménide dit qu'il a vu lui-même le cy-
clope fe faifir de deux autres compagnons
d'Ulyfïe 5 & les dévorer :
Vïdi ego-mct duo de numéro , ôcc.
Où vous voyez qu'après vidi & après
ego _, la particule met n'ajoute rien au fcns.
Ainfi met eft une particule explétive , dont
il y a plufieurs exemples : E^o-met narra--
bo (i) i Sufcipe me-mct totum j dit Vati-
niusà Cicéron , en le priant de le recevoir
tout entier fous fa protedion. C'eft aind
qu'on lit dans les manufcrits.
La fyllabe er ^ ajoutée à Tinfinîtif palîîf
d'un verbe latin , eft explétive , puifqu'elle
n*indîque ni temps 5 ni perfonne , ni aucun
autre accident particulier du verbe. Il eft
vrai qu'en vers elle fert à abrévier Vi de
l'infinitif 5 & à fournir une daftyle eu
Poète, C*eft la raifon qu'en donne Ser-
vons, fur ce vers de Virgile 5 -Enéide 5 livre
m , V, 493,
Ci) rèïQncç y Adelp. aâ.lYyfcen,lll,v, lu
Dd
390 Principes
Dulce caput , magicas invitam accingi-ct arte^^
Accingiery idejl pr^eparari , dit Servius.
ACCINGIER autem j ut ad înfinitum mo-
dura et addatur 3 ratio cffidt mctri. Nam
cumin eo ACCINQI ultima Jit longa j ad--
dita HKfyllaba j brcvisfit. Mais, ce qui
eft remarquable , & ce qui nous autorife à
regarder cette fyllabe comme expJétive ,
c'eiT: qu^on en trouve aufîî des exemples
en profe. Vatinius clicns pro fc caufam
BlClER vult. (i) Quand on ajoute ainfî
quelque fyllabe à la fin d'un mot > les
Grammairiens difent que c'eft une figure
qu^on appelle Paragoge.
Parmi nous, dit M. TAbbé Régnier (1) ^
il y a auiïî des particules explétiv^s. Par
exemple , les pronoms me ^ te jfe j joints
à la particule en j comme quand on dit >
Je m'en retourne : // s^en va. Les pronoms
moi j toi y lui ^ employés par répétition :
S'il ne veut pas vous le dire j je vous le
^ (1) Apuà Cicéron. lib. V. adfamil. cpift. ixa
(2) Grammaire ^ pag. j^j , 7/2-4.
de Grammaire. 591
dirai j moi \ Il ne m^ appartient pas ^ à
moi 5 de me mêler de vos affaires : Il lui
appartient hien j à lui, de parler comme il
fuit.
Ces mots , enfin ^ feulement j à tout
hafard j après tout ^ & quelques autres ,
ne doivent fouvent être regardés que
comme des mots explétifs & furabondans -,
c'eft-à-dire , des mots qui ne contribuent
en rien à la conftrudion ni au fens de la
propofition -, mais ils ont deux fervices.
I. Nous avons remarqué ailleurs , que
les langues fe font formées 5 par ufage ,
& comme par une efpèce d'inftind , &
non après ime délibération raifonnée de
tout un peuple. Ainfî , quand certaines
façons de parler ont été autorifées par une
langue pratique, & qu'elles font reçues
parmi les honnêtes gens de la nation ,
nous devons les admettre , quoiqu'elles
nous paroiflTent compofées de mots rédon*
dans & combinés d'une manière qui ne
nous paroît pas régulière.
Ayons-nous à traduire ces deux mots
Ddz
392^ Principes
d'Horace , funt quos , &c. au lieu de dire,
quelques-uns font y qui j &c. nous devons
dire , il y en a qui , &c. ou prendre quel-
qu'autre tour qui foitenufage parmi nous.
L'Académie Françoife a remarqué , que
dans cette phrafe : C'ejl une affaire ou il
y va dufalut de Vétat , la particule j pa-»
roît inutile , puifque ou fufïit pour le fens.
Mais y dit TAcadémie (i) > c^ font la des
formules dont on ne peut rien oter. La par-
ticule ne eft auffi fort fouvent explétive >
& ne doit pas pour cela être retranchée.
3^ai affaire j & je ne veux pas quon
vienne ni* interrompre : Je crains pourtant
que* vous ne venie^. Que fait -là ce ne}
c'eft votre venue que je crains : je devrois
donc dire fîmplement, je crains que vous
venie^. Non j dit TAcadémie. // eji cer-
tain 5 ajoute-t-elle , auffi bien que Vauge-
las 5 Bouhours , &c. qu'avec craindre , em-
pêcher, 5* quelques autres verbe s ^ ilfautné-
( I ) Remarques & décijîons de VAcadcmit
Françoijèn Chez Coignard > i6^^»
de Grammaire. 395
eejfairement ajouter la négative ne. yem--
pécherai bien que vous ne /oye^ du nom-*
trejy&cc.
C'crt la penfce habituelle de celui qui
parle , qui attire cette négation. Je ne
veux pas que vous venie\ : Je crains en
fouhaitant que vous ne venie-;^ pas. Mon
efprit touirrté vers la négation , la met dans
le difcours. Voyez ce que nous avons dit
de \2ifyllepfe & de Yattraclion ^ dans l'ar-
ticle de la Conftrudiort.
Ainfî y le premier fervice des particules
explétives , c'eft d'entrer dans certaines
façons de parler confacrées par Tufage.
II. Le fécond fervice, & le plus raifon-
nable? c'eft de répondre au fentiment in-
térieur dont on eft afFedé 5 & de donner
ainfî plus de force & d'énergie à l'expref-
fîon. L'intelligence eft prompte : elle n'a
qu'un inftant. Mais le fentiment eft plus
durable : il nous affecte -, & c'eft dans le
temps que dure cette nffedion , que nous
îaiflbns échaper les interjections > & que
nous prononçons les mots explétifs 5. qui
Dd3
594 Principes
font une forte d'interjeârionjpuifqu'ilsfont
on effet du fentiment.
Cefl a vous a fortir y vous qui pârUi (i).
J^ous qui parlc^ j eft une phrafe exple-
tive j qui donne plus de force au dif-
cours.
Je Vai vu y dis- je y v\x y de mes propres ieux va j
Ce qu^on appelle vu (i).
£V je ne puis du tout me mettre dans Vejprit y
Qi/il ait ofé tenter les chofes que Von dit.
Ces mots y vu de mes ieux ^ du tout j
font explétifs , & ne fervent qu'à mieux
affurer ce que Ton dit. Je ne parle pas fur
le témoignage d^un autre ; Je l^ai vu moi-
même ; je Vai entendu de mes propres
oreilles : & dans Virgile, au neuvième livre
de \ Enéide j vers 457 :
Me me adjum qui feci : in me convertite ferrum^
Ces deux premiers me ne font là que
par énergie, & par fentiment. Elocutio
cjl dolore turbati j dit Servius.
— — ^
(i) Molière,
(z) Idem. Tartuffe, a3. Y.fcca. 5.
de Grammaire.
395
DE L'ARTICLE.
J-jE mot article, vient du latin artlculus y
diminutif de anus ^ membre , parceque
dans le fens propre on entend par article
les jointures des os du corps des animaux,
unies de différentes manières, &: félon les
divers mouvemens qui leur font propres -,
de-Ià,par métaphore & par extenhon, on
a donné divers fens à ce mot.
Les Grammairiens ont appelle articles 3
certains petits mots qui ne lignifient rien
de phyfique , qui font identifiés avec ceux
devant lefquels on les place , & les font
prendre dans une acception particulière.
Par exemple, Le roi aime le peuple ; Je
premier le ne préfente qu une même idée
avec roi<, mais il m'indique un roi particu-
lier que les circonftances du pays où je
fuis, ou du pays dont on parle , me font
entendre. L'autre le qui précède peuple j
fait aufli le même effet à legard de peuple;
Dd4^
$cf6 Principes
& de plus le peuple étant placé après aimt^
cette poiîtion fait connoître que le peuple
e!t le terme ou l'objet du fentiment que
Ton attribue au roi.
Les articles ne (îgnifîent point des chô-
fes ni des qualités feulement : ils indiquent
à lefprit le mot qu'ils précèdent, & le font
confidérer comme un objet tel , que fans
Tarticle, cet objet feroit regardé fous un
autre point de vue : ce qui s'entendra
'mieux dans la fuite 5 fur- tout par les exem-
ples.
Les mots que les Grammairiens appellent
articles, n'ont pas toujours dans les autres
langues des équivalens qui y aient le même
ufage. Les Grecs mettent fouvent leurs ar*
ticles devant les noms propres , tels que
Philippe j Alexandre j Céfar ^ &c. Nous
ne mettons point larticle devant ces mots-
là. Enfin 5 il y a des langues qui ont des
articles, & d autres qui n en ont point.
Les Latins faifoient un ufage fi fréquent
de leur adjedtif démonftratif, ille ^ illa y
illudj qu'il y a lieu de croire que c'eft de
de Grammaire. ^^y
ces mots que viennent notre !e & notre
Ici. Ille ego ; Midicr ïlla : Hic illa parva
Petilia Philoaeu ( i ), Cejl là que la
petite ville de Pétilie fut bâtie par Philoc-
tête. AufoniiZ pars illa procul quam pandit
Apollo. (2). Pétrone faifant parler un guer-
rier qui fe plaignoit de ce que Ton bras
étoit devenu paralytique 5 lui fait dire :
Funerata ejt pars illa corporis mei _, qua.
quondam Achïlles eram : Il eji mort ^^ ce
bras y par lequel f étois autrefois un Achille.
Ille Deum pater. Quifquis fuit ille Dec-
rum. Ovid.
Il y a un grand nombre d'exemples de
cet ufage que les Latins faifoient de leur
ille j illa ^ illud ^ fur-tout dans les comi-
ques 5 dans Phèdre , & dans les auteurs de
la balle latinité. C'eft de la dernière fyila-
be de ce mot ille j quand il n'eft pas em-
ployé comme pronom, & qu'il n'eft qu'un
fimple adjedif indicatif, que vient notre
article le : à Tégard de notre article la j
(i; Virgile, JEncid. 1. }. v* 401,
(2) Ibid. V. 475>.
39^ Principes
îi vient du féminin illa. La première /yî-
Jabe du mafculin ille a donné lieu à notre
pronom il ^ dont nous faifons ufàge avec
les verbes. Ille affirmât. Ille fecit. Ingénia
vires ille dat., ille rapit. A l'égard de elle j
il vient de illa. Illa veretur.
Dans prefque toutes les langues vulgai-
res 5 les peuples, foit à l'exemple des Grecs,
foit plutôt par une pareille di/pofîtion
d'efprit , fe font fait de ces prépofitifs
qu'on appelle articles. Nous nous arrête-
rons principalement à Y article françois.
Tout prépofitif n'eftpas appelle article.
Ce y ces ; cet y cette '^ ceci ^ cela ; celui ^
celle ; ceux _, celles ; celui-ci j celui: -là;
celles-ci j celles-là ; certain j quelque j tout^
chaque j nul j aucun _, mon ^ma ^ mes ^ &c.
ne font que des adjedifs métaphyfiques.
Ils précèdent toujours leurs fubftantifs : &
puifqu'ils ne fervent qu'à leur donner une
qualification métaphyfique , je ne fais pour-
quoi on les met dans la clafîe des pronoms.
Quoi qu'il en foit , on ne donne pas le
nom Ôl article à ces adjedifs : ce font fpé-
de Grammaire. 399
cialemcnt ces trois mots , k j la j les _, que
nos Grammairiens nomment ^mV/t^jj peut-
être parceque ces mots font d un ufage
plus fréquent. Avant que d en parler plus
en détail , obfcrvons que :
I .° Nous nous fer vons de /e devant les
noms mafculins au (îngulier , le roi ^ It
jour. 1^ Nous employons la devant les
noms féminins au fingulier , la reine ^ la
nuit. 5.° La lettre s j qui , félon lanalogie
de la langue 5 marque le plurier, quand
elle eft ajoutée au lîngulier, a formé tes^
du lîngulier le. Les fert également pour
les deux genres, les rois j les reines j, les
jours j les nuits. 4.^ Le j la ^ les ^ font les
trois articles iîmples , mais ils entrent aufS
en compofition avec la prépofition à ^8c
avec la propofîtion de. Alors ils forment
les quatre articles compofés > eu j aux ^
du j des.
Au eft compofé de la prépofition à ^ 8c
de Tarticle le ; en forte que au eft autant
que à le. Nos pcres difoient al ^ al tems
Innocent III : c'eft-à-dire , Au temps d'Iu-
40^ Principes
ilocent III. Vapojioile manda al prodomej
&c. Le pape envoya au prud'homme (i)«
Mainte lernie i fu plorée de pitié al dépar^
tir (i). Vigenere traduit : Maintes larmes
furent plorées à leur département j & au
prendre congé. C'efl: le Ton obicur de Vc
muet de l'article fîmple /^ j & le change-
ment alTez commun en notre langue de
/ en u j comme mal^ maux ; cheval j chc^
vaux ; altus ^ haut ; alnus j aulne ( arbre *, )
alna jy aune ( mefure , ) alter ^ autre ^ qui
ont fait dire au j au lieu à^ à le ^ ou de
aL Ce n'eft que quand les noms mafculins
commencent par une confonne ou une
voyelle afpirée , que Ton fe fert àt au j
au lieu de à le. Car fi le nom mafculiii
commence par une voyelle , alors on ne
fait point de contraction , la prépo/îtion
à & l'article le demeurent chacun dans
leur entier. Ainlî, quoiqu'on dife/^co^^rj
au cœurj on dit l^efpritj à l'efprit ; le père y
(i) Villehardouirij //v. i ,p. i.
(z) Ibid.pag, i6t
de Grammaire. 401
eu père j & on dit l'enfant _, à V enfant ;
on dit le plomb j au plomb; &conà\tl'or j
à l'or; l'argent _, à l'argent. Car quand le
fubftantif commence par une voyelle , Ve
muet de le s'élide avec cette voyelle, Ainfî
la railon qui a donné lieu à la contraction
au ne fiibfîfte plus-, & d'ailleurs > il ie fcroic
un bâillement défagréable fi Ton difoit au
efprltj au argent j au enfant ^ ôcc. Si le
nom eft féminin , n^'y ayant point d'e mueb
dans l'article la j on ne peur plus en faire
au; ainfi Ton conferve alors la prépofition
& Tarticle, la raifon j à la raifon ; la
vertu j à la vertu.
Aux fert au plurier pour les deux gen-
res. Ceft une contra6tion pour à les j aux
hommes j aux femmes ; aux rois j aux
reines j pour à les hommes j à les femmes ;
à les rois J à les reines j &c.
Du eft encore une contradion pour de
le. C'eft le fon obfcur des deux e muets de
fuite de le j qui a amené la contraÔion
du. Autrefois on difoit del : La fin delcon-
fcilfi fu tels : L'arrêté du confail fut ^
^oz Principes
&c. (i) Gervaifc dcl Châtcl ^ Gervaîs du
Cajlel. On dit donc du bien ^ &: du mal j
pour de le bien _, de le mal ^ & ainfi de
tous les noms mafculins qui commencent
par une confonne : car fî le nom commen-
ce par une voyelle, ou qu'il foit du genre
féminin, alors on revient à la fimplicité de
la prépofîcion , & à celle de l'article qui
convient au genre du nom. Ainfî on dit,
de Vefprit j de la vertu j de la peine. Par-
là on évite le bâillement : c'eft la même
raifon que Ton a marquée fur au.
Enfin, des fert pour les deux genres au
plurier, & fe dit pour de les j des rois ^
des reines.
Nos enfans, qui commencent à parler,
s'énoncent d*abord fans contraéticn. Ils di-
fent de le pain j de le vin. Tel eft encore
l'ufage dans prefque toutes nos provinces
limitrophes , fur- tout parmi le peuple. C^eft
peut-être ce qui a donné lieu aux premiè-
res obfervations que nos Grammairiens
ont faites de ces contrariions.
(i) Villehaidouin, lit. 7 ^ f^g^ î<57.
de Grammaire. 405
Les Italiens ont un plus grand nombre
de prépofîtions qui fc contractent avec
leurs articles.
Mais les Anglois 5 qui ont comme nous
desprépofîtions & des articles, ne font pas
ces contrarions. Ainfi ils dilcnt ofthe^dc
le j où nous dilons du ; tac klng ^ le roi ; of
the king^de le roi j & en trançois du roi :
ofthc queen j de la reine ; ta the king^ à le
roi j au roi ; to the queen jyàla reine. Cette
remarque n^eft pas de fîmple curiofué. Il
eft important , pour rendre raifon de la
conftrudtion , de féparer la prépofition de
larticle , quand ils font l'un & i autre en
compofîtion. Par exemple , iî Je veux ren-
dre raifon de cette façon de parier 5 i/:^
painfu^t; je commence à dire de le pain.
Alors la prépofitiou de y qui eft ici une
prépofition extraétive, & qui comme tou-
tes les autres prépoiîtions doit être entre
deux termes , cette prépoiltion , dis-je , me
fait connoître qu'il y a ici une ellipfe.
Phèdre , dans la fable de la Vipère &
de la Lime ^ pour dire que cette vipère
404 Principes
cherchoit deqiioi manger, dit : H^c^ quhm
tentaretji qua res effet cibi : où vous voyez
c^ue a/iqua res cibi ^ fait connoître par ana-
logie, que dupa'in _, c'eft aliqua res panis ^
paululum partis; quelque chofe^ une partie ^
une portion du pain. C'eft ainfi que les An-
gloîs, pour dire, Donne^ • moi du pain 3
dilent Give me fonte hredd ^ Donne"^ • moi
quelque pain : & pour dire , yai vu des
hommes j I hâve feen fome men ; mot à
mot , y ai vu quelques hommes ; à des
médecins j to fome phyjicians ^ à quelques
médecins.
L'ufage de fous-entendre ainfi quelque
nom générique devant de ^ du j des ^ qui
commencent une phrafe , n etoit pas in-
connu aux Latins. Lenrulus écrit à Cicé-
ron de s'intérefler à fa gloire > de faire
valoir dans le fénat & ailleurs , tout ce
qui pouroit lui faire honneur : De nojlra
dignitate velim tibi utjempcr curA fit (i).
Il eft évident que de noflra dignitate j ne
(i) Cicéron, Epijî. lib, 12., ep. 14^
peur
de Grammaire. 4 o j
peut être le nominatif de cuvAjit. Cepen-
dant ce verbe 7?r étant à un mode fini,
doit avoir un nominatif. Ainfî Lentulus
avoit dans Tefprit , ratio j ou fcrmo de nef-
ira dignitate ^ rintérct de ma gloire. Et
quand même on ne trouveroit pas en ce à
occafîons de mot convenable à fupplcer>
Teiprit n'en feroit pas mcjins occupé d'une
idée que les mots énoncée dans ]a phrafe
réveillent , rn^is qu^ils n'expriitient point.
Telle eft Tanalogie 5 td eft Tordre de la-
iialyfe de l'énonciation. Ainfî nos Gram-
mairiens manquent d'exaétitudê , quand
ils difent que ïa prépofition dont nous par-
ions y^rr a marquer le nominatifs lorfmion
ne veut que déjigner une partie de la cho'-
Je (i). Ils ne prennent pas garde que les
prépofitions ne fauroient entrer dans le
difcours fans marquer un raport ou rela*
tion entre deux termes , entre un mot &
un mot. Par exemple , la prépofition pouf
(i) Grammaire de Régnier > _p^^. 170; de
Reftaut^ pag. 7; & 418.
Ee
'40 5 Principes
marque un motif, une fin , une raifon :
mais enfuite il faut énoncer Tobjet qui eft
le terme de ce motif 5 & c'eft ce qu'on
appelle le complément de la propojidon •
Par exemple , // travaille pour la patrie ^
la patrie eft le complément de pour ^ c'eft
le mot qui détermine /?o^<fr. Ces deux mots ,
pour la patrie j font un fens particulier
qui a raport à travaille ; & ce dernier au
fujet de la propofition, /^ roi travaille pour
la patrie. Il en eft de même dés prépofî-
tîons de &c a : Le livre de Pierre eji beau.
Pierre eft le complément de de ; & ces
deux mots, de Pierre fe raportent à livre ^
qu'ils déterminent : c'eft-à-dire , qu'ils don-
nent à ce mot le fens particulier qu'il a
dans l'efprit , & qui dans renonciation le
rend fujet de Tattribut qui le fuit. C'eft
de ce livre que je dis qu'il eft beau.
A eft aullî une prépolition , qui entr 'au-
tres ufages 5 marque un raport d'attribu-
tion : Donner f on cœur à Dieu : Parler à
quelquan: Dire fa penfée à fo7i ami.
Cependant , communément nos Gram-
de Grammaire. 407
maîriens ne regardent cq^ deux niots {de
& ^ ) que comme des particules , qui fer-
vent, difent-ils, à décliner nos noms. L'une
cft, dit-on, la marque du génitif, & l'au-
tre, celle du datif. Mais, n'eft-il pas plus
fîmple , & plus analogue au procédé àt'^
langues , dont les noms ne changent point
leur dernière fyllabe , de n y admettre ni
cas , ni déclinaifons , & d'obferver feule-
ment comment ces langues énoncent les
mêmes vues de Tefprit , que les Latins font
connoître par la différence des terminai-
fons ? Tout cela fe fait ou par la place du
mot, ou par le fecours des prépofitions.
Les Latins n'ont que fix cas *, cependant
îl y a bien plus de raports à marquer : ce
plus 3 ils l'énoncent par le fecours de leurs
prépofitions. Hé bien , quaiid la place du
mot ne peut pas nous fervir à faire con-
noître le raporc que nous avons à marquer,
nous faifons alors ce que les Latins faifoient
au défaut d'une définence ou terminaison
particulière. Comme nous n'avons point
de terminaifon deftinée à marquer le gé-
E e z
40 8 Principes
nitif 5 nous avons recours à une prcpofitioiî.
Il en eft de même du raport d attribution :
nous le marquons par la prépofition à y u
ou par la prépofition pour jy & même par m
quelques autres, & les Latins marquoienc S
ce raport par une terminaifon particulière,
qui faifoit dire que le mot étoit alors au
datif.
Nos Grammairiens ne nous donnent que
(îx cas 5 fans doute parceque les Latins n*en
ont que (îx. Notre accufatif , dit-on , eft
toujours femblable au nominatif. Hé , y a-
t-il autre chofe qui les diftingue, finon
la place ? l'un fe met devant , & Tautre
après : dans Tune & dans lautre occafion,
le nomn'eft qu'une fimple dénomination.
Le génitif , félon nos Grammaires , eft
auffi toujours fômblable à lablatif. Le datif
a le privilège d être feul avec le prétendu
article à. Mais de 8c à ont toujours un
complément , comme les autres prépofi-
tiens 5 & ont également des raports parti-
culiers à marquer. Par conléquent. Ci de Se
à font des cas yfur^parj pour jfous j dans^
de Grammaire. 409
0.VCC ^ & les autres prépofitions , devroient
en faire aufïî. Il n'y a que le nombre dé-
terminé des iîx cas latins , qui s'y oppofe.
Ce que )e veux dire eft encore plus fenfi-
ble en italien. On trouvera dans la Gram-
maire de Buommatéi 5 la plus eftimée pour
la langue italienne , un grand nombre
d'exemples qui prouvent, que di jà jyda^
qui fervent à former ce qu^on appelle c^^^
ne font que des prépofitions jointes à l'ar-
ticle 5 & qull y a beaucoup d autres prépo-
fitions qui fe joignent aux mots, comme
celles-là*
Mais pour fe convaincre que notre de 8c
notre à ne font que des prépofitions , il faut
encore obferver quelles viennent , Tune
de la prépofition latine de j ôc lautre de
ad j ou â.
Les Latins ont fait de leur prépofition
de le même ufage que nous faifons de no-
tre de. Or fi en latin de efl: toujours prépofi-
tionjeûfe françois doit l'être auffi toujours,
i,^ Le premier ufige de cette prépofi-
tion eft de marquer Textradion > c'eft-à-
E e 5
4 1 D Principes
dire, d'où une chofe eft tirée , d'où elle
vient y d'où elle a pris fon nom* Ainfi nous
diions 5 Un temple de marbre j un pont dt
pierres j un homme du peuple j les femmes
de notre Jie de.
2.^ Et par extenfion , cette prépofîtion
fert à marquer la propriété : Le livre de
Pierre ^ c'eft-à-dire , le livre tiré d'entre
les chofes qui appartiennent à Pierre.
C'eft félon ces acceptions , que les Latins
ont dit, Templum de marmore ponam (i).
Je ferai bâtir un temple de marbre. Fuit
in tcclis de marmore templum (i). Il y avoit
dans fon palais un temple de marbre.
Solido de marmore templa
Jnjlituam y fefto/que dies de nominc Phœbi {i).
Je ferai bâtir des temples de marbre ^
& f établirai des fêtes ■, du nom de Phébus ^
en r honneur de Phébus.
Les Latins, au lieu de ladjeûif, fe font
(i) Virgile , Georg. 1. III. v. 13.
(z) Mn,lV,v. 4f7.
(3) JEn.Vly V, 70.
de Grammaire^ 4 1 il
fouvent fervi de la prépofition de fuivie
du nom i ainfi de marmore eft équivalent
à marmoreum. On pouroit en raporter un
très-grand nombre d'exemples.
3,° De fe prend au(Ti en latin & en Fran-
çois pour pendant. De die j de nocle 5 De
jour j de nuit.
4.° De pour touchant j au regard de.
Si res de amore meo fecund<z ejfent : fi les
affaires de mon amour ailoient bien (i).
Legati de pace : des envoyés touchant la
paix 5 pour parler de paix. De captivis
commutandis : pour l'échange des prifo-
niers.
5.*^ De j à caufe de j pour : Nos amas
de fidicinâ ijiac : vous m'aimez à caufe de
cette muficienne. Ldtus de arnica : il eft
gai à caufe de IS maîtreffe. Rapto de fra--
tre dolentis : inconfolable de la mort de
fon frère. Accufare ^ ar guère de : accufer,
reprendre de.
6.° Enfin, cette prépofition fert à for-
(i) Tércnce»
E e 4
4^%. Principes^
mer des Êiçons de parler adverbiales. De
întegro j de nouveau. De indujlria j de
propos délibéré , à deffein.
Si nous paffions aux auteurs de la ba(Te
latinité , nous trouverions encore un plus
grand nombre d'exemples. De cœlis Deusy
Dieu desCieux. Pannus de lana jun drap,
une étoffe de laine.
Ainfi Tufage que les Latins ont fait de
cette prépofition a donné lieu à celui que
nous en taifons. Les autorités que je viens
de raporter doivent fuflire , ce me fembîe >
pour détruire le préjugé répandu dans
toutes nos Grammaires, que notre de eft
ta marque du génitif. Mais ^ encore un
coup 5 puifqu'en latin , Templum de mar^
more ; primas de plèbe ; rahula de foro }
declamator de ludo ; homo defchola; muy^
lïeres de nojlro Jdculo ^ aud f ponte peccant\
reliquum de ratluncula ; pannus de lana jf
de n'eit qu'une prépofition avec fon com-^
ptément à Tablatif , pourquoi ce même de
pafïant dans la langue françoife avec un
pareil çomplçment , fe trouv croit-il trani[^
de ùrammalre. 41 3
formé en particule , & pourquoi ce com-
plément , qui eft à l'ablatif en latin y fe trou-
veroit-ii au génitif en françois ?
Il n'y eft ni au génitif, ni à Tablatif.
Nous n'avons point de cas proprement
dits en françois. Nous ne faifons que nom-
mer : & à regard des raports ou vues dif-
férentes fous lefquels nous confîdérons les
mots 5 nous marquons ces vues , ou par la
place du mof, ou par le fecours de quel-
que prépofition.
La prépofition de eft employée le plus
fjuvent à la qualification & à la détermi-
nation : c'eft-à-dire , qu'elle fert à mettre
en raport le mot qui qualifie avec celui
qui eft qualifié. Un palais de roi j un cou-
rage de héros.
Lorfqu'il n'y a que la iîmpic prépofi-
tion de j fans l'article , la prépofition &
fon omplément font pris adjedivement.
Un palais de roi jy eft équivalent à un pa-
lais royal ; une valeur de héros équivaut
à une valeur héroïque. C'eft un fens fpéci-
fîque ou de forte. Mais quand il y a un
4î4 Principes
fens individuel ou perfonnel, foit univer*
fel 5 foir fingulier ^ c'eft-à-dire , quand on
veut parler de tous les rois perlbnnelle-
nient , comme fi Ton difoit Y intérêt des
rois j ou de quelque roi particulier 5 la
gloire du roi _, la valeur du héros que faî'
me j alors on ajoute l'article à la prépofi-
tion : car des rois j c'eft de les rois ; Se
du héros j c'eft de le héros.
A regard de notre à ^ il vient le plus
fouvent de la prépofition latine ad j dont
les Italiens fe fervent encore aujourd'hui
deva it une voyelle : ad uomo d'intelleclo^
à un homme d^efprit : ad uno ad uno j un
à un. Les Latins difoient également loqui
clicui & loqui ad aliquem : afferre aliquid
alicui j ou ad aliquem. Parler à quelqu'un :
apporter quelque chofe à quelqu'un. Si de
ces deux manières de s'exprimer,nous avons
choifi celle qui s'énonce parla prépofition ,
c'eft que nous n'avons point de datif.
I.® Les Latins difoient audî pertinere
ad : nous difons de même avec la prépo-
iîtion > apartenir à.
de Grammaire. 415
2.^ Notre prépofition à vient auffî quel-
quefois de la prépofition latine à ow ah ^
auferrc aliquid alïcui ou ab allquo j ôter
quelque chofe à quelqu'un, Ox\ dit auffi,
tripere aliquid allcui ou ab aliquo. Petere
venlam à Dca. Demander pardon à
Dieu.
Tout ce que dit M. l'abbé Rcgnief,
pour faire voir que nous avons des datifs,
me pardît bien mal aflbrti avec tant d ob-
fèrvations judicieufes qui font répandues
dans fa Grammaire. Selon ce célèbre aca-
démicien 5 ipag. 238.) quand on dit , voilA
un chien qui sejl donné à moi ^ à moi eft
au datif. Mais fi Ton dit 5 un chien qui s*ejl
adonné à moi j cet à moi n'eft plus alors
au datif i> c'eft , dit-il , la prépofition latine
ad. J'avoue que je ne faurois reconnoître
la prépofition latine dans adonné à _, fans
la voir auffi dans donné à ; 8c que dans
Tune & dans l'autre de ces phrafes , les
deux à me paroiffènt de même efpèce,
& avoir la même origine. En un mot,
puifque ad aliquem ^ ou ab aliquo ^ ne font
4 1 ^ Principes
point des datifs en latin , Je ne vois pas
pourquoi à quelqu'un pburoit être un da-
tif en francois.
>
Je regarde donc de Se à comme de iîm-
ples prépofitions > auflî - bien que par ^
pour y avec ^ &c. Les unes & les autres fer-
vent à faire connoître en francois les ra-
ports particuliers que Tufage les a chargés
de marquer y fauf à la langue latine à ex-
primer autrement ces mêmes raperts*
A l'égard de le j^ la .y les y je n'en fais
pas une claflTe particulière de mots fous le
nom à' Article ; je les place avec les
adjeétifs prépofitifs , qui ne fe mettent Ja-
mais que devant leurs fubftantifs 5 & qui
ont chacun un fervice qui leur eft propre»
On pouroit les appeller Prénoms.
Comme la fociété civile ne fauroit em-
ployer trop de moyens pour faire naître
dans le cœur des hommes des fentimens,
qui d'une part les portent à éviter le mal
qui eft contraire à cette fociété 5 Se de
l'autre les engagent à pratiquer le bien ,
qui fert à la maintenir & à la rendre flo-
de Grammaire. 417
tiflante ; de même Tart de la parole ne
fauroit nous donner trop de fccours pour
nous faire éviter robfcurité & l'amphibo-
logie, ni inventer un afTez grand nombre
de mots, pour énoncer non-feulement les
diverfes idées que nous avons dans lefprit,
mais encore pour exprimer les diftérentes
faces fous lefquelles nous confîdérons les
objets de ces idées.
Telle eft la deftination des prénoms ou
adjectifs métaphy/îques , qui marquent ,
non des qualités phyfiques des objets, mais
feulement des points de vue de Tefprit ,
ou des faces diftérentes fous lefquelles Tef-
prit confidère le même mot. Tels font,
tout j chaque ^ nul ^ aucun ^ quelque ^ cer-
tain j dans le fens de quidam ^ un ^ ce ^
cette ^ ces j le .y la j les .y auxquels on peut
joindre encore les adje6tifs pofireiTifs tirés
des pronoms perfonncls, tels font mon j
ma j mes j & les noms de nombre cardinal,
un j deux j trois j quatre j cinq j Jix j &c.
Ainfî je mets le ^ la ^ les au rang de ces
prénoms ouadjedits métaphyfîques. Pour-
41- s Principes
quoi les ôter de la claiTe de c^s autres ad*
je(5tifs ?
Ils font adjedlifs , puifqu'ils modifient
leur fubftantif 5 & qu'ils le font prendre
dans une acception particulière , indivi-
duelle & perfonnelle. Ce font des adjedifs
méraphyfiques > puifqu'ils marquent , non
des qualités phyjfîques , mais une iîmple
vue particulière de Tefprit.
Prefque tous nos Grammairiens ( Ré-
gnier ^pcig* 141. Reftaut ^ /?^^. 64. ) nous
difent que le ^la ^ les ^ fervent à faire con-
noître le genre des noms, comme lî c'étoic
là une propriété qui fût particulière à cts
petits mots. Quand on a un adjedlif à join-
dre à un nom > on donne à cet adjectif, ou
la terminaifon mafculine, ou la féminine,
félon ce que Tufage nous en a apris. Si
nous difons lefoleil j plutôt que lafokily
comme les Allemans 5 c'efl: que nous favons
qu'en françois/o/^/Veft du genre mafculin ,
c*eft-à-dire , qu'il efl: dans la claffe des noms
de chofes inanimées auxquelles Tuiàge a
confacré la terminaifon des adjedifs déjà
<
de Grammaire. 419
deflinés aux noms des mâles , quand il s'a-
git des animaux. Ainfi , lorfque nous par-
lons du foleil 5 nous difons le foleil ^ plu-
tôt que la _, par la même raifon que nous
dirions beau foleil ^ brillant foleil j plutôt
que belle j brillante.
Au refte , quelques Grammairiens met-
tent le jy la y les ^ au rang des pronoms.
Mais fi le pronom eft un mot qui fe met
à la place du nom dont il rappelle Tidée ,
le y la j les j ne feront pronoms , que lorf-
qu ils feront cette fonction. Alors ces mots
vont tous feuîs , & ne fe trouvent point
avec le nom qu'ils repréfentent : La vertu
ejl aimable ; aime'^'la. Le premier la eft
adjedif métaphyfique , ou , comme on dit ,
article*, il précède ion fubftantif vertus il
perfonifie la vertu ; il la fait regarder
comme un individu métaphyfique. Mais
le fécond la j qui eft après aime^ j rappelle
la vertu ; & c'eft pour cela qu'il eft pro-
nom , & qu'il va tout feul. Alors la vient
de illam _, elle.
Ceft la différence du fcrvice ou emploi
4^.0 Principes
cîes mots , & non la différence matérielle
du fon j qui les fait placer en différentes
claiïes. C'eft ainfi que Tinfinitif des verbes
eft fouvent nom , le boire j le manger.
Mais fans quitter nos mots ^ ce même
fon la n'eft'il pas auffi quelquefois un ad*
verbe qui répond aux adverbes latins /^i_,
hâcjijlhâcjy illâc : il demeure là ^ il va là j
&c. N'eft-il pas encore un nom fubftantif ^
quand il fignifie une note de mufîque ?
Enfin 5 n'eft-il pas auffi une particule ex-
plétive qui fert à l'énergie ? Ce jeune hom-
me-la ^ cette femme-la.
A regard de un j une j dans le fens de
quelque ou certain ^ en latin quidam ^ c'efl:
encore un adjedif prépofitif qui défigne
un individu particulier 3 tiré d une efpèce>
mais fans déterminer fingulièrement quel
eft cet individu , fi c'eft Pierre ou Paul.
Ce mot nous vient auiîî du Latin. Quis
ejî is homo j unufne amator? Hic ejl unus -
fcrvus violentijjîmus (1). Sicutunus patcr-
(i) Plaute.
fawMias^
A
de Grammaire. 411
fanûRas (i). Qui variare cupit rem prodi-
gialitcr unam (i). Celui qui croit embellir
un {\^)^x.•^unam rem ^ en y faifant entrer du
merveilleux. Forte unam afpicio adolcf-
centulam ( 5 ). Donat , qui a commente
Térence^ dans le temps que la langue la-
tine étoit encore une langue vivante , dit
flir ce pafïàge, que Tcrence a parlé félon
Tufage \ & que s*il a dit unam^ au lieu d^
quandam jy ceft que telle étoit, dit-il, &
que telle eft encore la manière de parler.
La Grammaire générale de P. R. dit
que un eft article indéfini. Ce mot ne me
paroît pas plus article indéfini, que tout ^
article univerfel, ou ce j cette j ces ^ arti-
cles définis. L auteur ajoute , qu'0/2 croit
d'ordinaire que un na point de plurkr ;
qu'il ejl vrai quil nen a point qui foit
formé de lui -même : ( on dit pourtant les
uns j quelques-uns ; 8c les Latins ont dit
au plurier , uni _, un^z j &c. Ex unis ge^
(j) Cicéron.
(2) Horac^e.
(3) Tcrcncce
Ff
4ii Principes
minas mlhi conficiet nuptias (i). Aderït
una in unis ddibus (z). ) Je dis j pourfuit
Fauteur 5 que un a un plurier pris d'un au*
trc mot 3 qui ejlà^s y avant les fubjlantifs 3
des animaux , 6* de , quand l' adjectif pré-
i:ède j de beaux lits. De un plurier ! cela
cft nouveau.
Si l'on veut bien faire attention que des
€ft pour de les ; que quand oiî dit à des
hommes ^ c'eft à de les hommes ; que de
ne fauroit alors déterminer à; qu'ainfi il
y a ellipfe 5 à des hommes _, c'eft-à-dire» à
quelques-uns de les hommes _, quibufdam
^x hominihus ; qu'au contraire, quand on
dit le Sauveur des hommes _, la conftru-
âion eft toute (impie 5 on dit au fingulier^
le Sauveur de l'homme ^ & au plurier le
Sauveur de les hommes ; il n y a de dif-
férence que de le k les j & non à la pré-
pofition : il feroit inutile & ridicule de la
répéter. Il en eft de des , comme de aux ;
(1) Térence.
dt Crammaire. 4^1 1
Tun eft de les ^ & Tautre à les. Or , com-
me lorfque le fens n'eft pas partitif, on
dit aux hommes j fans ellipfe, on dit auiîi
des hommes dans le même fens général.
L'ignorance des hommes j la vanité des
hommes,
Ainfi regardons i.° le ^^ la ^ les ^ com-
ïîie de (impies adjedifs , indicatifs & meta-
phyfiques, auffî-bien que ce jy cet ^ cette ^
un j quelqu'un j certain _, &c.
2.^ Confidétons de comme une prépo-
fition 5 qui , ainfî que par ^ pour ^ en j avecj
/ans j 8cc. fert à tourner Tefprit vers deux
objets , & à faire apercevoir le raport qu'on
veut indiquer etitre Tun & lautre.
3.^ Enfin, décompofons au j aux ^ du y
des jy faifant attention à la deftination & à
ia nature de chacun des mots décompofés,
& tout fe trouvera applani»
Mais avant que de paffer à un plus grand
détail touchant l'emploi & Tufage de ces
adjectifs, je crois qu'il ne fera pas inutile
de nous arrêter un moment aux confidé-
rations fuivantes,
Ffz
414 Principes
Chaque être fingulier devroit a\roîr fon
iiom propre , comme dans chaque famille,
chaque perfonne a le fien. Mais cela n'a pas
été poiïîble 3 à caufe de la multitude innom-
brable de ces êtres particuliers , de leurs
propriétés, & de leurs raports. On a donc
été obligé de donner le même nom à tous
les individus qui ont entr'eux certaines qua-
lités communes > c'eft- à-dire > qui en for-
ment refpcce.
î.° Le nom propre j^ c'eft le nom qui
n'eft dit que d'un être particulier^ du moins
dans la fphcre où cet être fe trouve. Ainfî
Zouis j Marie j font des noms propres , qui ,
dans les lieux où on en connoît la deftina-
rion , ne défignent que telle ou telle per-
fonne y 8c non une forte ou efpèce de per-
fonnes.
Les objets particuliers auxquels on donne
C3s fortes de noms, font appelles des indi-
vidus ; c'eft-à'dire , que chacun deux ne
fauroit être divifé en un autre lui-même ,
fans ccrter d être ce qu'il eft. Ce diamant >
fi vous le divifez , ne fera plus ce diamant»
de Grammaire. 415
L'idée qui le repréfente ne vous offre que
lui 5 & n'en renferme pas d'autres qui lui
foient fubordonncs.
1^ Les noms (ïefpcccj ce font des noms
qui conviennent à tous les individus qui
ont entr'eux certaines qualités communes.
Ainfi 5 chien eft un nom d'efpèce , parceque
ee nom convient à tous les chiens particu-
liers, dont chacun eft un individu j fem-
blable en certains points eflentiels à tous
les autres individus , qui , à caufe de cette
relTemblance , font dits être de même ef-
pcce & ont entr'eux un nom commun,
chien.
3.*^ Il y a une troifîème forte de noms,
qu'il a plu aux maîtres de fart d'^appeller
noms de genre ^ c'èft-à-dire 5 norns plus gé-
néraux j plus étendes encore que les fim-
ples noms d'elpcce. Ce font ceux qui font
communs a chaque individu de toutes lés
efpèces fubordonnées à ce genre. Par exen>
pie 5 animal fc dit du chien j du cheval j du
lion j du cerfj & de tous les individus par-
ticuliers qui viveiH 5 qui peuvent fe. tranf-.
vu '
41^ Prîncipes^
porter par eux-mêmes d'un lieu à un autre >
qui ont des organes.
Les efpèces fubordonnées à leur genre >
font diftinguées les unes des autres pat
quelque propriété eflTentielIe. Chaque ef*
pèce a un caradère propre > qui la diftin-
gue dune autre efpèce> comme chaque
individu à [on fuppôt particulier incommur
nicable à tout autre.
Ce caradère diftindif > ce motifs cette
raifon qui nous a donné lieu de nous for-
mer ces divers noms d elpèce y eft ce qu'on
appelle différence.
Remarquez - bien que tous ces noms >
genre jefpèce ^ différence j ne font que des
termes métaphyfiques 5 tels que les noms
abftraits humanité ^ bonté ^ & une infinité
d'autres qui ne marquent que des confî-
dérationsparticuhères de notre efprit, fai^
qu'il Y ait hors de nous d'objet réel qui
foit ou efpece ^ ou genre j ou humanité j &c.
L'ufage où nous fommes de donner des
noms aux objets des idées qui nous repré-
fentent des êtres réels 5 nous a portés à ea
l
de Grammaire. 417
donner auflî par imitation aux objets mé-
taphyfîques des idées abftraites dont nous,
avons connoiffance. Ainfi nous en parlons
comme naus faifons des objets réels. En-
forte que Tordre métaphyfique a auiïî fes
noms derpèce & fes noms d'individus.
Cette vérité j cette venu ^ ce vice y voila
des mots pris par imitation dans un fens
individuel.
C eft le befoin de faire connoître aux
autres les objets finguliers de nos idées, &
certaines vues ou manières particulières de
confidérer ces objets , foit réels , foit ab-
ftraits ou métaphyfiques , c'eft ce befoin y
dis-je 5 qui , au défaut des noms propres
pour chaque idée particulière 5 nous adon-
né lieu d'inventer 5 d'un côté les noms d ef-
pèce 5 & de Tautre les adjedifs prépofitifsj,
qui en font des applications individuelles..
Les objets particuliers dont nous voulons.
parler 5 & qui n'ont pas de nom propre 3,
fe trouvent confondus avec tous les autres
individus de leur efpèce. Le nom de cettch
^fpèce leur convient également à tous^
Ff4
4^8 JPnncîpe^
Chacun de ces êtres innombrables qui
nagent dans la mer eft également appelle
foijjon. Ainfi le nom d*efpèce tout feul ,
& par lui-même, n'a qu'aune valeur indé-
finie _, c'eft-à-dire ? une valeur applicable,
qui n'eft adaptée à aucun objet particulier j
comme quand on dit vrai j bon ^ beau ^
fans joindre ces adjedifs à quelqu'être réel
ou métaphyfique* Ce font les prénoms qui ,
de concert avec les autres mots de la
phrafe, tirent Tobjet particulier dont oh
parle , de l'indétermination du nom d'ef^
pèce 3 & en font ainfi une forte de nom
propre. Par exemple, fi laftre qui nous
éclaire n'avoit pas fon nom propre j/oleil^
& que nous euffions à en parler , nous prea-
drions d'abord le nom d'efpèce , aftre :
enfuite nous *nous fervirions du prépofitif
qui conviendroit pour faire connoître que
nous ne voulons parler que d'un individu
de Tefpèce d'ajire : ainfi nous dirions, cet
ajlre y ou Yajlre : après quoi nous aurions
recours aux mots qui nous paroîtroient les
plus propres à déterminer fingulièremcnt
de Grammaire. 415^
cet individu à'ajlre. Nous dirions donc ,
Cet ajlre qui nous éclaire ; Vajlre père du
jour ; l'ame de la nature ^ &:c. Autre exem-
ple , Livre eft un nom d'efpcce dont la
valeur n'eft point appliquée. Mais fi je dis.
Mon livre j ce livre _, le livre que je viens
d'acheter j on conçoit d'abord par les pré-
noms ou prépofitifs , 77ion j ce j le ^ 8c en-
fuite par les adjoints ou mots ajoutés, que
)e parle d\in tel livre , d'un tel individu
de refpèce de livre.
Obfervez que , lorfque nous avons h
appliquer quelque qualification à des in*
dividus d'une efpèce ^ ou nous voulons faire
cette application i."^ à tous les individus
de cette efpèce , 2.° ou feulement à quel-
ques-uns que nous ne voulons ou que nous
ne pouvons pas déterminer; j.*^ ou enfin
à un feul que nous voulons faire connoî-
tre fingulièrement. Ce font ces trois fortes
de vues de l'elprit que les Logiciens ap-
pellent Y étendue de la propojltion.
Tout difcQurs eft compofé de divers fens
particuliers énoncés par des alTemblages de
45^ Principes
mots qui forment des proportions , & \et
proportions font les périodes. Or , toute
propofîtion a i.^ ou une étendue univer-
felle 5 c'eft le premier cas dont nous avons
parlé : 2.° ou une étendue particulière v
c eft le fécond cas : 5."^ ou enfin , une éten-
due fîngulière > c'eft le dernier cas»
I f" Si celui qui parle donne un fens uni-
verfel au fujet de fa proportion , c'eft-à»
dire 5 s'il applique quelque qualificatif à
tous les individus d'une efpèce 5 alors
rétendue de la proportion eft univerfelle i
ou, ce qui eft la même chofe, la propofi-
tion eft univerfelle.
2.° Si Tindividu dont on parle , n'eft
pas déterminé expreflfément , alors on dit
que lapropofition eft particulière : elle n'a
qu'une étendue particulière. C*eft-à-dire,
que ce qu on dit , n eft dit que d'un fujet
qui n'eft pas dérgné exprefsément^
5.^ Enfin 5 les proportions font rngu-
lières, lorfque le fujet 5 c'eft-à-dire laper-
fonne ou la chofe dont on parle , dont o\x
juge, eft uii individu fîngulier déterminé;..
I
de Grammaire. 451
Alors Tattribut de la propofition , c'cft-à-
dire, ce qu'on juge du fujet , iVa quune
étendue fingulière, ou ce qui eft la même
chofe 5 ne doit s'entendre que de ce Tujet*
Louis XV a triomphé de f es ennemis : Le
foleil efi levé^
Dans chacun de ces trois cas , notre lan-
gue nous fournit un prénom deftiné à
chacune de ces vues particuhères de notre
efprit. Voyons donc l'effet propre , ou le
fervice particulier de ces prénoms,
I. Tout homme ejl animal ; Chaque
homme ejl animal. Voila chaque individu
de l'efpèce humaine qualifié par animal^
qui alors fe prend adjedivement. Car tout
homme efi animal^ c'eft-à-dire, touthom--
me végète ^efi vivant ^ fe meut ^y a des fen^
fations \ en un mot , tout homme a les
qualités qui- difiinguent l'animal de l'Etre
infenfible. Ainfi , tout étant le prépoiîtif
d'un nom appellatif , donne à ce nom une
extenfîon univerfelle \ c'eft-à-dire , que
ce que l'on dit alors du nom , par exemple
à' homme j eft cenfé dit de chaque individu
432i Principes
de refpèce : ainfî la propofition efl: unîver»^
felle. Qiiand je dis tout homme ejl mortel j^
c^eft autant que fî Je difois , Alexandre étoït
mortel ; Ce far étoït mortel ; 'Philippe efl
mortel ^ & ainiî de chaque individu 5 paflfé,
préfent & à venir , & même poflîble de
Teipèce humaine.
Remarquez ces trois façons de parler,
tout homme efl: ignorant y tous les hommes
font ignorans ^ tout homme nefl que foi-
hlefl^e. Tout homme ^ c'eft- à-dire 5 chaque
individu de Tefpèce humaine, quelqu 'in-
dividu que ce puilïe être de refpèce hu-
maine : alors tout efl un pur adjedif. Tous
les hommes font ignorans ; c'eft encore le
même fens : ces deux propofîtions ne font
différentes que par la forme. Dans la pre-
mière 5 ro^r veut dire chaque : elle préfente
la totalité diftributivement , ceft-à-dire,
qu'elle prend en quelque force ks indivi-
dus l'un après l'autre ', au lieu que tous les
hommes les préfeate colledivement tous
enfemble. Alors tous eft un prépofîtif defti-
né à marquçr Tuniverfalité de les hommes^
de Grammaire. 453
Tous a ici une forte de fignification adver*
biale, avec la forme adjedtive : c'eft ain(î
<jue le participe tient du verbe & du nom.
Tous j ceft-à-dire, univerfellement ^fans
exception : ce qui efl (î vrai 5 qu'on peut
réparer ro:/j de fan fubftantif , & le join-
dre au verbe. Qiiinaut 5 parlant des oifeaux^
dit : En amour ils font tous moins bêtes
que nous. Et voila pourquoi 5 en ces phra-
Tes, larticle les ne quitte point fon fub-
ftantif ^ & ne fe met pas avant tous. Tout
r homme j c'eft-à-dire 5 V homme en entier y
Thomme entièrement ^ Tbomme confidéré
comme un individu fpécifîque. Nul ^ au--
cun j donnent auflî une extenfion univer-
felle à leur fubftantif -, mais dans un fens
négatif. Nul homme _, aucun homme j nejl
immortel : je nie Timmortalité de chaque
individu de Telpèce humaine. La propofi-
tioii eft univerfelle , mais négative *, au lieu
qu'avec tous j fans négation 5 la propofîtion
eft univerfelle affirmative. Dans les propo-
fitions dojit nous parlons , nul & aucun
étant adje(5tifsdu iùjet > doivent être accom-
454 Principes
pagnes d'une négation. Nul homrtit nefi
exempt de la nécejjité de mourir. Aucun
philofophe de l^ antiquité na eu autant dé
connoi(Jances de phyjique quon en a au-^
jourd'hu'u
IL Tout jy chaque j nul jy aucun ^ font
donc la marque de la généralité ou univer-
falité des propofîtions. Mais fouvent cqs
mots ne font pas exprimés , comme quand
on dit : Lts François font polis ; Les Ita-
liens font politiques. Alors ces propofîtions
ne font que moralement univerfelles , de
more^ ut funt mores ; ceft-à-dire, félon
ce qu'on voit communément parmi les
hommes. Ces proportions font aufîî appel-*
lées indéfinies j parceque d'un côté on ne
peut pas afllirer qu'elles comprennent gé-
néralement & fans exception tous les indi-
vidus dont on parle , & d'un autre côté ,
on ne peut pas dire non plus qu'elles ex-
cluent tel ou tel individu. Ainfî , comme
les individus compris & les individus ex-
clus ne font pas précifément déterminés ,
&; que ces propoiitions ne doivent être
de Grammaire. 455
entendues que du plus grand nombre, on
dir qu'elles font indéfinies.
III. Quelque y un ^ marquent auflî un
individu de lefpèce dont on parle. Mais
ces prénoms ne déiîgnent pas fîngulière*
ment cet individu. Quelque homme efi:
riche j^ unfavant m^efl venu voir : je parle
d'un individu de refpèce humaine, mais
je ne détermine pas iî cet individu eft
Pierre ou Paul. C'eil: ainfi qu'on dit 5 une
certaine perfonne y un particulier ; & alors
particulier eft oppofé à général & ^fingu*
lier. Il marque à la vérité un individu;
mais un individu qui n'eft pas déterminé
iîngulièremenr. Ces propofîtions font ap*
peilées particulières.
Aucun j fans négation , a aullî un fens
particulier dans les vieux livres , & fîgni*
fie quelqu'un j quifpiain j non-nullus j non^-
nemo. Ce mot eft encore en ufage en ce
fens parmi le peuple , & dans le ftyle du
Palais. Aucuns foutiennent _, &c. quidam
affirmant j &c. AinCi y aucune/ois j dans le
vieux ftyle , veut dire quelquefois^ de
43^ Principes
temps en temps ; plerumqiie j interium l
nonnunquam.
On ferc auiïî aux propofitions particuliè-
res. On m^a dit jy c'eft-à-dire, Quelquuh
ma dit ; un homme m^a dit. Car on vient
de homme ; & c'eft par cette raifon que
pour éviter le bâillement ou rencontre de
deux voyelles, on dit fouvent Votî^ com-
me on dit l'homme jji Ton. Dans plufieurs
autres langues > le mot qui fignifie homme ^
fe prend auiîî en un féns indéfini , comme
notre on. De ^ des 3 qui font des prépofî-
tions extradives, fervent aulîî à faire des
propoiîtions particulières. Des Philofo-
phes ou et anciens Philofophes ont cru
quily avoit des antipodes ^ c'eft-à-dirê ,
Quelques-uns des Philofophes j ou un cer-
tain nombre d'anciens Philofophes j ou ert
vieux ftyle , aucuns Philofophes.
IV. Ce marque un individu déterminé )
qu'il préfente à l'imagination. Ce livre ^
cet homme ^ cette femme _, cet enfant ^ Sec.
Vi Le j la j les j indiquent que Ton
parle i ï.^ ou d'un tel individu réel, que
loii
de Grammaire. /{.^y
Ton tire de Ton efpèce , comme quand on
dit. Le roi j la reine ^ le foleil ^ la lune :
2.^ ou d un individu métaphyfîque,& par
imitation ou analogie : La vérité j le men-
fonge ; Ve/prit ^ c'eft-à-dire , le génie ; le
€œurj cVft-à-dire ^ la fenjibillté ; r enten-
dement^ la volonté j la vie^ la mort^ la natu-
re j le mouvement ^ U repos j le néant j^ &c.
C'eft ainfi que Ton parle d^ refpèœ
tirée du genre auquel ^Ile eft fubordonnce ,
lorfqu'on la confîdère par abftraâion , &:
pour ainfî dire, en ell<?-même fous la for-
me d*un tout individuel & métaphyfique.
Par exemple , quand on dit c^^Jt parmi les
animaux ^ l'homme feu l ejl raifonnable ^
rhomme -eft-là un individu fpécifique.
C'eft encore ainfi que , fans parler d au-
cun objet réel en particulier , on dit par
âbftradion , Vor eft le plus précieux des
métaux ; le ferfe fond & fe forge ; le mar-
bre fert d'ornement aux édifices ; le verre
nefi point malléable ; la pierre efi utile ;
le cercle efl rond j &c. Tous ces mots , l'orj
b fcr^ le marbre^ &c. font pris dans un
458 Principes
fens individuel , iTiais métaphyfique & fpé-
cifique 5 ceft-à-dire , que fous un nom (în-
gulier ils comprennent tous les individus
d'une efpèce \ en forte que ces mots ne font
proprement que les noms de Tidée exem-
plaire du point de réunion 5 ou concept 5
que nous avons dans lefprit, de chacune
de ces efpèces d'êtres. Ce font ces indivi-
dus métaphyfiques qui font Tobjet des Ma-
thématiques 5 le points la ligne j le cercle ^
le triangle j^ Sec.
C'eft par une pareille opération de Tei^
prit, que Ton perfonifie fi fouvent la 72^-
ture dfi Vart.
Ces noms d'individus fpécifiques font
fort en ufage dans TApologue. Le loup &
r agneau ; V homme & le cheval j &c. On ne
fait parler ni aucun loup ni aucun agneau
particulier : c'eft un individu Ipécifique &
métaphyfique qui parle avec un autre in-
dividu.
Ajoutons ici quelques obfervations à
loccafion de ces noms fpécifiques.
iJ^ Qtiund un nom d'elpèce eft pris
de Grammaire. 439
adjcâivement , il n'a pas befoin d'article :
Tout homme ejl animal : homme eft pris
/ubftantivemenf, c'eft un individu fpccifi-
^ue qui a Ton prépofitif tout : mais animal
-eft pris adjedivemenc , comme nous 1 Sa-
vons déjà obfervé. Ainlî il n'a pas plus de
prépofitif que tout autre adjedtif n'en au-
roit^ & Ton dit ici animal ^ comme Ton
diroit mortel jy ignorant ^^^ Sec.
C eft ainfi que TEcriture dit que toute
<hair eft foin _, omnis carofœnum, (i ] , c'eft-
à-dire , peu durable 5 périflable, corrupti-
ble-, &c. & c'eft ainfi que nous difons d'un
homme fans efprit, quV/ ef bête.
2.° Le nom d'efpèce n admet pas l'arti-
cle lorfqu'il eft pris félon fa valeur indéfi-
nie, fans aucune extenfion ni reftridion ,
ou application individuelle : c'eft-à-dire ,
qu'alors le nom eft confidéré indéfiniment
comitit forte y comme efpèu j & non com-
me un individu fpécifique. C'eft ce qui
arrive fur-tout, lorfque le nom defpcce
(i) Ifaie, c. 40. y. (T.
44^ Principes
précédé d'une prépofition , forme un fens
adverbial avec cecre prépofition , comme
quand on dit > par jaloujie j avec pru-
dence ^ en préfence jy fans contrainte ^ fans
feinte. C'eft dans ce même fens indéfini
que Ton dit 5 Avoir peur j avoir honte y
faire pitié. Aind on dira fans article : Che^
val efi un nom d'efpèce : Homme efl un
nom d'efpece ; & Ton ne dira pas 5 le che-
val cfl un nom d^efpèce; l'homme efl un nom
^''<^y]7^c:e^,parceque le prénom /dmarqueroit
que Ton voudroit parler d'un individu, ou
d'un nom confidéré individuellement.
3.^ C eft par la même raifon que le nom
d'efpèce n'a point de prépofîtif 5 lorfqu'a-
vec le fecours de la prépofition de ^ il ne
fait que lofEce de fimple qualificatif d'ef-
pèce, c'eft-à-dire 5 lorfqu'il nefert qu'à dé-
ligner qu'un tel individu eft de telle elpè-
ce : Une montre d'or ^ uneepée d'argent;
un homme de robe ; un marchand de vin ;
un joueur de violon j &c. une aclion de
clémence ; une femm.e de vertu.
4.*^ Mais quand on perfonifie l'efpècc ,
de Grammaire. 441
qu'on en parle comme d'un individu fpé-
cîfique , ou qu'il ne s'agit que d'un individu
particulier tiré de la généralité de cette
même efpèce , alors le nom d'efpèce étant
confidéré individuellement , efl précédé
d'un prénom : La peur trouble la raifort ;
la peur que fai de mat faire ; la crainte
de vous importuner ; V envie de bien faire ;
l'animal efl plus parfait que l'être infen-
fible ; jouer du violon j du luth ^ de la har--'
pe : on regarde alors le violon j le luth y
la harpe ^ &c. comme tel inftrument par-
ticulier 5 & on n'a point d'individu à qua-
lifier adjectivement.
Ainfi on dira dans le fens qualificatif ad-
jcdiif. Un rayon d'efpérance ^un rayo\i de
gloire j un fentiment d'amour : au lieu que
fi l'on perfonifie la gloire j l'amour ^ &c.
on dira avec un piépoucif :
Un héros que la gloire élève
N'efl: qu'à demi rccompenfc :
Et c'eft peu , fi l'amour n'achève
Ce que la gloire a commencé (i).
(i) Quinault.
G g 5.
44^ Principes
Et de même , on dira , J'ai acheté une
tabatière d'or j^ 8c J'ai fait faire une taba-
tière d'un or ou de l'or qui inefl venu
d'Efpagne. Dans le premier e:xcmple,
d'or eft qualificatif indéfini , au plutôt c'eft:
un qualificatif pris adjeâivement , au Heu
que dans le fécond, de l'or j ou d'un or _,
il s'agit d'un tel or : c'eft un qualificatif
individuel , c'efl: un individu de Tefpèce
de l'or.
On dit d'un prince ou d'un miniftre,
qu'/7 a l'efprit de gouvernement ; de gou^
yernement eft un qualificatif pris adjcdlive-
ment. On veut dire que ce miniftre gou-
ver|ieroit bien , dans quelque pays que ce
puiffe être ou il fer oit employé ^ au lieu
que fi l'on difoit de ce miniftre , qu'i/ a
l'efprit du gouvernement j du gouverne--
ment feroit un qualificatif individuel de
l'efprit de ce miniftre, on le regarderoit
comme propre fingulièrement à la con-
duite des affaires du pays particulier où on
le met en œuvre^
Il faut donc bien diftinguer le quaîifi-
de Grammaire. 44 î
catif fpécifique adjeûif , du qualificatif in-
dividuel. Une tabatière d'or j voila un
qualificatif adjeètif : une tabatière de l'or
que j ou d'un or que j c'eft un qualificatif
individuel : c'eft un individu de refpcce
de Tor. Mon efprit eft occupé de deux
fubftantifs : i.° de la tabatière , 2.^ deTor
particulier dont elle a été faite.
Obfervez qu'il y a auffi des individus
collectifs ,, ou plutôt des noms colle6tifs >
dont on parle comme fi c'étoit autant d'inr
dividus particuliers. Cefi: ainfi que Ton dit,.
le peuple ^ l'armée j la nation y le parle-
mentj Sec.
On confidère ces mots-là comme noms
d'un tout 5 d'un enfemble , leTprit les regar-
de par imitation comme autant de noms
d'individus réels qui ont plufieurs parties ^
& c'eft par cette raifon , que lorfque quel-
qu'un de ces mots eft le fu].et d'une propos
iition, les Logiciens difent cpe la piopoU-
tion eft fingulière.
On voit donc que le annonce toujours
G g 4
444 Principes
un objet canfidéré individuellement par
celui qui parle *, foit au fîngulier , la maifon
de mon voijin; foit au plurier , les maifons
d^une telle ville font bâties de brique.
Ce ajoute à Tidée de le ^ en ce qui!
montre 5 pour ainfi dire , Tobjet à rimagi-
nation , & fuppofe que cet objet eft déjà
connu 5 ou qu on en a parlé auparavant.
C'eft ainfî que Cicéron a dit , Quïd ejl enim
hoc ipfum diu ? Qu'eft-ce en effet que ce
long-temps.
Dans le ftyle didaftique, ceux qui écri-
vent en latin, lorfqu'ils veulent faire remar-
quer un mot, en tant qu'il eft un tel mot,
fe fervent > les uns de larticle grec to , les
autres de ly^ to adhuc ejl adverbium com^
pojitum : Ce mot adhuc eft un adverbe
compofé (i).
Et Tauteur d'une Logique , après avoir
dit que V homme feul ejl raifonnable ; homo
tantum rationalis j ajoute que ly tantum
OmÊmmmmÊmÊÊmmmmmÊmmimmmmmmimmmmmmmmmmmmimÊÊmmmmmmmnmmmÊmimÊÊmmmmmmmmmmmmmÊÊmmÊmmÊl^mmmm
(i) Pcrifaniusj in Sanâii Minerva, p, J7^.
de Grammaire. 445
rtliqua cntia excluait : Ce mot tantum cx-
clud tous les autres êtres (i).
Ce fut Pierre Lombard , dans le XII^
fiècle 5 & faint Thomas dans le Xlir , qui
introduifirent lufage de ce ly. Leurs difci-
ples les ont imités. Ce ly n eft autre chofe
que larticle François //_, qui étoiten ufàge
dans ces temps-là. Ainjl fu II chatîau de
Galathas pris : Li baron & li dux de Vc^
nife : Li Vénitiens par mer& li François
par terre (2).
Villehardouin &fes contemporains écri-
voient // ^ & quelquefois Ij j d où on a
fait fyj foit pour remplir la lettre , foit
pour donner à ce mot un air fcientifique,
& rélever au-KÎeffus du langage vulgaire
de ces temps-là.
Les Italiens ont confervé cet article au
plurier , & en ont fait auffi un adverbe qui
iignifie là : en forte que ly tantum ^ c'eft
comme fi Ton difoit ce mot-là tantum.
(i) Fhilof. ration, auû. P. Franc. Caro. Ve-
net. 166^.
(2} Villehardouin , //v. 3 . p^£^. n«
44^ Principes
Notre ce & notre le ont le même office
indicatif que to & que ly ; mais ce avec
plus d'énergie que le.
5 .^ iV/o« ^ m^ 3 ;;2ej -, ton _, m _, r^5 ^yo/?,
fa^fes y 8cc. ne font que de fîmples ad-
jedifs tirés des pronoms perfonnels. Ils
marquent que leur fubftantif a un raporc
de propriété avec la première, la féconde,
ou la troifième perfonne. Mais de plus>
comme ils font eux-mêmes adjedifs pré-
pofitifs 5 & qu'ils indiquent leurs fubftan-
tifs 5 ils n'ont pas befoin d'être accompa-
gnés de l'article le. Qiîe fi l'on dit le mieriy
le tien j c'eft que ces mots font alors des
pronoms fubftantifs. On dit proverbiale-
ment que Le mien & h tien font pères de
la difcorde.
é.^ Les noms de nombre cardinal un j.
deux jy &c. font auffi l'office de prénoms
ou adjedtifs prépofitifs, Dixfoldats^ cent
ccus.
Mais fi Tadjedif numérique & fon fub-
ftantif font enfemble un tout > une forte
d'individu collectif > & que l'on veuille
de Grammaire. 447
marquer que Ton confîdère ce tout fous
quelque vue de lefprit, autre encore que
celle de nombre , alors le nom de nombre
eft précédé de l'article ou prénom , qui
indique ce nouveau raport. Le jour de la
multiplication des pains , les Apôtres di-
rent à Jcfus-Chrift : Nous n avons que cinq
pains & deux poijjons : voila cinq pains
& deux poi[fons dans un fens numérique
âbfolu. Mais enfuite TEvangélifte ajoute
que Jefus-Chrift prenant les cinq pains &
les deux poijfons j les bénit _, &c. voila
les cinq pains & les deux poijjons dans un
fens relatif à ce qui précède. Ce font les
cinq pains & les deux poififons dont on
avoit parlé d'abord. Cet exemple doit bien
faire fentir que le ^ la jy les , ce _, cette y cesj
ne font que des adjectifs qui marquent le
mouvement de lefprit , qui fe tourne vers
l'objet particulier de fon idée.
Les prépofîtifs défîgnent donc des in-
dividus déterminés dans l'efprit de celui
qui parle. Mais lorfque cette première
détermination n'eft pas aifée à apercevoir
44^ Principes
par celui qui lit ou qui écoute ^ ce font les
circonftances ou les mots qui fuivent > qui
ajoutent ce que l'article ne fauroit faire
entendre. Par exemple , fi je dis : Je viens
de Verf ailles ^j\ ai vu le roi _, les circon-
ftances font connoître que je parle de notre
augufte monarque. Mais fi je vouîois faire
entendre que j'y ai vu le roi de Pologne »
je ferois obligé d'ajouter de Pologne à le
roi : & de même fi en lifant Thiftoire de
quelque monarchie ancienne ou étran-
gère, je voyois qu'en un tel temps le roi
fit telle chofe ^ je comprendrois bien que
ce feroit 1^ roi du royaume dont il s'agi-
roit.
DES NOMS PROPRES.
Les noms propres n'étant pas des noms
d'efpèces , nos pères n'ont pas cru avoir
befoin de recourir à l'article pour en faire
des noms d'individus , puifque par eux-
mêmes ils ne font que cela.
Il en eft de même des êtres inanimés
auxquels on adrefie la parole. On les voit >
de Grammaire. 449
fes êtres, puifqu'on leur parle : ils font
préfens 5 au moins à l'imagination. On n'a
donc pas befoin d'article pour les tirer de
la généralité de leur efpèce , & en faire
des individus.
Coulez, luifTeau, coulez, fuyez-nous.
Hélas, petits moutons, que vous ères heureux!
Fille des plaifirs , trifte goutte (i).
Cependant 5 quand on veut appeller un
homme outune femme du peuple qui pafîc,
on dit communément , V homme \ la femme y
écoute-}^ la belle fille y la belle enfant ^ &c.
Je crois qu'alors il y a ellipfe : Ecoute^ ^
vous qui êtes la belle fille j &c. F'ous qui
êtes l'homme à qui je veux parler j &c.
Nous ne mettons pas l'article , fur-tout
devant les noms propres perfonnels : Pier-'
re j Marie j Alexandre j Céfar^ &c. Voici
quelques remarques à ce fujet.
I. Si par figure on donne à un nom pro-
pre une fignification de nom d'efpèce, &
(i) Deshoulicrcs.
45<> Principes
qu'on applique enfuite cette fignification ;
alors Oïl aurabeloin de Tarticle. Par exem-
ple 5 il vous donnez au nom d'Alexandre
la fignification de conquérant ou de héros y
vous direz que Charles XII a été l'Alexan^»
dre de notre Jîècle. C'eft ainfî qu'on dit
les Cicérons ^ les Démojlhenes ; c'eft-à-
dire, les grands orateurs, tels que Cicé-
ton & Démofthènes. Les Virgïles j c'eft-
à-dire , les grands poètes.
Dieu eft le nom du fouverain Etre. Mais
(î par raport à fes divers attributs , on en
fait une forte de nom d'efpèce , on dira ,
Le Dieu de miféricorde ; le Dieu des Chré^
tiens 3 &CC.
II. Il y a un très-grand nombre de noms
propres, qui dans leur origine n'étoient
que des noms appellatifs. Par exemple,
Ferté qui vient par fyncope de fermeté ^
fîgnifioit autrefois citadelle. Ainfi, quand
on vouloir parler d'une citadelle particu-
lière, on difoit la Ferté dun tel endroit :
& c'eft de-là que nous viennent la Ferté^
Imhaulty la Ferté- Milan ^ &c.
de Grammaire. 451
Mefnil^Çt au(Tî un vieux mot, qui (î-
gnifioit maifon de campagne ^ village _, du
latin Manile & Mafnïle dans la bafle lati-
nité. C'eft de - là que nous viennent les
noms de tant de petits bourgs appelles le
Mefnil. Il en eft de même de le Mans ^
le Perche^ Sec. Le Câtelet ^ c'eft-à-dire ,
le petit château ; le Quefnoi _, c'étoit un
lieu planté de Chênes ; le ché prononcé par
ké à la manière de Picardie 3 & des pays
circonvoifins.
Il y a auflî plufieurs qualificatifs qui
font devenus noms propres d'hommes,
tels que le Blanc ^ le Noir ^ le Brun ^ le
Beaujy le Bel jy le Blond j^ &c. & ces noms
confervent leurs prénoms 5 quand on parle
de la fem.me. Madame le Blanc j c'eft-à-
àvcQ^ femme de M. le Blanc.
III. Quand on parle de certafines fem-
mes , on fe fert du prénom la _, parcequ*il
y a un nom d efpcce fous- entendu. La le
Maire ^ c*eft:-à-dire> Vacirice le Maire.
IV. C'eft peut-être par la même raifon
qu'on dit ^ le Tajje j l' Ariojie ^ le Dante ^
452* Principes
en fous-entendant poète ; 8c qu'on dit le
Titien j le Carache ^ en fous-entendant
peintre : ce qui nous vient des Italiens.
Qu'il me foit petmis d'obferver ici que
les noms propres de famille ne doivent
être précédés de la prépofition de j que
lorfqulls font tités de noms de terre. Nous
avons en France de grandes maifbns qui
ne font connues que par le nom de la prin-
cipale terre que le chef de la maifon pof-
fédoit avant que les noms propres de fa-
mille fuflent en ufage. Alors le nom cft
précédé de la prépofition de ^ parcequ'on
(bus-entend Jire ^feïgneur ^ duc j marquis ^
&c. ow fieur d'un tel fief. Telle eft la mai-
fon de France ^ dont la branche d'aîné en
aîné n'a d'autre nom que France.
Nous avons aufîî des maifons très-ilJu-
ftres & très-anciennes , dont le nom n'eft
point précédé de la prépofition de _, parce-
que ce nom n'a pas été tiré d'un nom de
terre. C'eft un nom de famille ou maifon.
Il y a de la petitefle à certains gentils-
hommes d'ajouter le de à leur nom de fa-
mille
de Grammaire. 455
mille i rien ne décèle tant rhomme nou-
veau & peu inftruit*
Qiielqucfois les noms propres font ac-
compagnés d adjedifs \ furquoi il y a quel-
ques obfervations à faire.
I. Si Tadjedif eft un nom de nombre
ordinal , tel que /'remi^r_,y^co/2^^ &c. &
<ju il fuive immédiatement fon fubftanrif ,
comme ne faifant enfemble qu^un même
tout, alors on ne fait aucun ufage de l'ar-
ticle, Ainfi on dît , François Ij Char/es II ^
Henri IV ^ pour quatrième.
IL Quand on fe fert de ladjedif pour
marquer une fimple qualité du fubftantif
^u il précède , alors l'article eft mis avant
ladjedif Le [avant Scaliger ^ le galant
Ovide.
III. De même, fi Tadjeâif n'eft ajouté
que pour diftinguer le fubftantif des au-
tres qui portent le même nom , alors Tad-
Jedif fuir le fubftantif, & cet adjedif eft
précédé de Tarticle. Henri le Grande Louis
le Jufle y &c. où vous voyez que le tire
Henri & Louis du nombre des autres lien*
Hh
454 Principes
ris & des autres Louis j & en fait des in-
dividus particuliers , diftingués par une
ijualité fpéciale.
IV. On dit auffi avec le comparatif &
avec le fupcrlatif relatif , Homère j le meiU
leur poète de l^ antiquité : Varron^ le plus
favant des Romains.
Il paroît , par les obfcrvations ci-de(îus ,
que lorfqu'à la iîmple idée du nom propre
on joint quelqu'autre idée, ou que le nom
dans fa première origine a été tiré d'un
nom d'efpèce , ou d'un qualificatif qui a
été adapté à un objet particulier , par le
changement de quelques lettres 5 alors on
a recours au prépofitif , par une fuite de
la première origine. Ceft ainfi que nous
difons le paradis ; mot qui à la lettre fîgni-
fie un jardin planté d arbres qui portent
toute forte d excellens fruits , & par exten-
(îon un lieu de délices.
L'enfer jy c'eft un lieu bas , à'inferus. Via
inféra ^ la rue d'enfer , rue inférieure par
raport à une autre qui eft audefllis.
V univers ^univerfus orbis ; l'être uni*
de Grammaire. 45.5
Vtrftl'^ l'ajfemblage de tous les êtres créés ^
Le monde j du latin mundus j adjedlif
<]Ui fignifie propre _, élégant ^ ajujlé ^paré ^
5c qui cft pris ici fubftantivemenr. Les
Païens 5 frapés de Téclat des aftres , & de
Tordre qui leur paroiflToit régner dans Tu-
Hivers 3 lui donnèrent un nom tiré de cette
beauté & de cet ordre.
Mandas eft encore pris fubftantivemenr,
lorfqu'on dit Mandas malïebris j la toilette
des dames 5 où font tous !es petits meubles
dont elles fe Icrvent pour ie rendre plus
propres 5 plus ajuftéesj plus féduifantes. Le
mot grec y^iuoç^ qui lignifie, ordre ^ orne-'
tnentjheauté^vépond au mandas des Latins*
Le foleiljy affolas ., félon Cicéron , par-
ceque c'eft le feul aftre qui nous paroilîe
auffî grand , & que lorfqull eft levé , tous
les autres difparoiftènt à nos ieux.
Lji lanej à lacendo^ c'eft-à-dire , la pla^»
nete qui nous éclaire, fur-tout en certains
temps pendant la nuit. Sol jy vel qaia folas
tx ômnibas Jiderihas eji tantas _, vel qaia
cùm cxortusj obf car cuis omnibus ^ folas ap^
4 5 ^ Principes
parct. Luna à luccndo nominata \ eadem
ejl cnim Luclna ( i ).
La /7zer^ ceft-à-dire > l'eau arrière. Pro^
prie autem Mare appellatur^ eo quod aquét
ejus amarAjint (i ).
La terre ^ c'eft-à-dire , V élément fec y
du grec 7ii^co ^ fécher ^ & au futur fécond
T2fS. Auffi voyons-nous qu^elle eftappellée
Arida dans la Genèfe, ch. i , v, 95 & en
faint Matthieu 5 c/t. 25, v. 15. Circuitis
mare & aridam. Cette étymologie me
paroît plus naturelle que celle que Varron
en donne. Terra dicta eo quod teritur(^)*
Elément eft donc le nom générique de
quatre efpèces, qui font le feu ^ Vair^ l'eau
& la terre.
DES NOMS DE PAYS.
Les noms de pays, de royaumes, de
provinces, de montagnes, de rivières, en-
trent fouventdans le difcours fans article,
(i) Cicéron , de Natura Deorum ,1. 2^ c, 27.
(2) liîdor. /. 13, c. 14.
{}) Va^-ron , de Lingua Lavina ^ JV} 4%
de Grammaire. 457
comme noms qualificitifs , le royaume de
France j d'Efpagnc j &c. En d'autres oc-
cafions , ils prennent l'article > foit qu'on
fous entende alors terre^ ou région ^paysy
montagne ^ fleuve ^ rivière j vaijjeau ^ &c.
Ils prennent fur- tout larticle quand ils font
perfonifiés : l'intérêt de La France \ la,
politejfe de la France.
Quoi qu'il en foit , j'ai cru qu'on feroit
bien aife de trouver dans les exemples fui-
vans 5 quel eft aujourd'hui Tufage à l'égard
de ces mots , fauf au ledteur à s'en tenir
(implement à cet ufage 5 ou à chercher à
faire l'application des principes que nous
avons établis , s'il trouve qu'il y ait lieu.
Noms propres employés
feulement avec une pré-
pojîtionfans l'article.
Royaume de Valence,
Ifle de Candie.
Royaume de France, ôcc.
Noms propres employés
avec l'article.
La France^
L'Efparrne,
L* Angle te rr4.
La Chine,
Le Japon.
Il vient de la Chine , duTa^
pan , de L*Aniériqu& yda
Il vient de Pologne.
.11 cAallé enPerfe, en Suéde,
Iw6. l Féroiu
Hh 5
45
8
Principes
Il eft revenu d*Efpagne , de
Perfe , d'Afrique , d'A-
fie y &c.
Il demeure en Italie , en
France , &c à Malthe , à
Koueiiy à Avignon (i) ,
ôcc.
tes modes , les vins de Fran-
ce , les vins de Bourgo-
gne f de Champagne , de
Bourdeaux ^ de Tokay.
îi vient de Flandre,
A mon départ d'Allemagne,
L'Empire d'Allemagne,
Chevaux d'Angleterre , de
Barbarie . Ôcc.
Il demeure au Pérou, atg
Japon , à la Chine , aux
Indes , à Vljle Saint-Dû^
mingue,
La politeflè de la France*
L'intérêt de l'Efpagne.
On attribue à l'Allemagne
l'invention de l'Imprimerie»
Le Mexique, U Pérou , Us
Indes.
Le Maine , la Marche , te
Perche , le Milanei , le
Mantouan , le Parmejan^
Vin du Rhin,
Il vient de la Flandre Froj^
çoife.
La gloire de VAUcmOigne^
On dit par appofition, le Mont-Par^
naffe j le Mont-Valérien ^ &cc. 8c on dit
la montagne de Tarare. On dit le fleuve
Don y & la rivière de Seine : ainfi de
quelques autres > fur quoi nous renvoyons
à Tufage.
(i).Lcs Languedociens &: les Provençaux difcnt tn Avi>*
gtm y' fout évitci le bâillement. Cefl une faute»
de Grammaire. 459
Remarques sur ces phrases.
I .^ Il a beaucoup d'argent \ il a bien
de V argent: 2.° // a beaucoup d' argent 'j
il na point d'argents
I. L'or , l'argent , refprit, &c. peuvent
être confidérés, ainfi que nous lavons ob-
fervé 5 comme des individus fpécifiques.
Alors, chacun d^ ces individus eft regardé
comiT^e un tout , dont on peur tirer uite
portion. Ainfi 5 11 a de l'argent jy c'eft // a
une portion de ce tout qu'on appelle ar^
gent y efprit j &c. La prépofîtion de efl:
alors ext?enfîve d^un individu 5 comme la
prépofîtion latine ex ou de. Il a bien de
r argent jy de F efprit ^ 8cc : c'eft la même
analogie que il a de F argent y &c. C eft
ainfi que Plaute dit. Credo ego illk inejfc
auri & argenti largiter.
IL A regard de // a beaucoup d'argent j.
d' efprit :y &c : il n 3. point d'argent y d' ef-
prit y 8cc y il feue obferver que ces mo^s
beaucoup y peu ^ pas ^ pointj rien ^ forte ^
efpècc j tant j moins j plus j que lorfquil
Hh4
^6o Principes
vient de quantum y comme dans ces versj;
Que de noépris vous avez rutr pour l'autre!
Et que vous avez de raifonî
ces mots > dis-je, ne font point des adver-
bes-, ils font de véritables noms, du moins
dans leur origine, & c'eft pour cela qu'ils
font modifiés par un (impie qualificatif in-
défini, qui n'étant point pris individuelle-
ment, n'a pas befoin d article. Il ne lui
faut que la feule prépofition pour le met-
tre en raport avec beaucoup ^ peu ^foint^
pasj rîeny forte j &c.
Beaucoup vient, félon Nicot, de èella^
id ejij bona & magna copia ; une belle
abondance j comme on dit un belle récolte,
&c. Ainfi , d'argent j d'efprit j font les
qualificatifs de coup^ en tant qu'il vient
de copia. Il a abondance d argent, d'ef-
prit , &c.
M. Ménage dit que ce mot eft formé de
ladjeftif beau ^ & du fubftantif co^//?. Ainfî
quelqu'étymologiie qu'on lui donne, on
voit que ce n'eft que par abus qu'il eft
de Grammaire. 4^1
confîdéré comme un adverbe. On dit, //
cjl meilleur de beaucoup j c'eft-à-dire , fé-
lon un beaucoup : où vous voyez que la
prépofition décèle le fubftantif.
Peu fîgnifie petite quantité. On dit le
peu j un peu _, de peu _, à peu _, quelque peu.
Tous les analogiftes foutiennent qu'en la-
tin zstcparum _, on fous-en tend ad ou per^
& qu'on dit parum-per ^ comme on dit
te-cum j en mettant la prépofition après le
nom. Ainfî nous difons un peu de vin ^
comme les Latins difent parum vini. En-»
forte que comme vini qualifie parum fub-
ftantif, notre de vin qualifie peu par le
moyen de la prépofition de.
Rien vient de rem j accufatif de res. Les
langues qui fe font formées du latin , ont
fouvent pris des cas obliques pour en faire
des dénominations diredes \ ce qui eft fort
ordinaire en italien. Nos pères difoient,
fur toutes riens (i) ; & dans Nicot, Elle
le hait fur tout rien _, c'eft-à-dire ^fur tou-
•ii— — ■ I I I I II
(i) Mehun,
4^t Principes
tes chofes. Aujourd'hui rien veut dire au^
cane chofc. On fouSTenrend la négation , &
on 1 exprime même ordinairement : Ne
dites rien ^ ne faites rien. On dit, le rïert
vaut mieux que le mauvais. Ainfi , rien de
bon y ni de beau j c^eft aucune chofe de
hon j, ôcc.
De ion ou de beau j font donc des qua*
lificatifs de rien ; Se aiors de bon ou de
Beau étant pris dans un fens qualificatif de
ibrte ou d'efpèce, ils n'ont point Tarticle*
Au lieu que lî Ton prenoit bon ou beau in-
dîviduellement, ils feroient précédés d*un
prénom -, le beau vous touche ; jaime le
vraij 8cc.
Nos pères , pour exprimer le fens néga-
tif, fe fervirent d^abord , comme en latin ,
de la fimple négative ne : Sachie^ nos ne ve-
nifmes por vos mal faire [i). Dans la fuite,
pour donner plus de force & plus d'éner-
gie à la négation, on y ajouta quelqu'un
des mots qui ne marquent que de petits
(i) Villehardouin jP^^. 48,
de Grammaire. 4^5
©b)ets 5 tels que grain j goutte ^ mie ^ brin^
pas j point : Quia res eji minuta ^fermoni
vernaculo additur ad majorem negatio*
nem (i). Il y a toujours quelque mot de
fous-entendu en ces occafions : ]c nen aï
grain ne goutte : Je nen ai pour la valeur
eu la grojfeur d'un grain ^ &c. Ainfi , quel-
que ces mots fervent à la négation , ils n'ea
font pas moins de vrais fubftantifs. h ne
yeux pas ou point ; c'eft-à-dire , Je ne veux
cela même de la longueur d'un Pas ^ ni
de la grojfeur d'un Point. Je n'irai
point : c'eft comme fi Ton difoit : Je n^
ferai un Pas pour y aller ; je ne m'avan--
ceraid'un Point : QuaJidicaSj dit Nicotj
ne puncium quidem progrediar ut eam illh^
Ceft ainfî que mie j dans le fèns de miette
de pain j s'employoit autrefois avec la par-
ticule négative : // ne l'aur<i mie : U n'efi
mie un homme de bien : Ne probitatis qui^
dem mica in eo ejl[i). Cette façon de par-
ler eft encore en ufage en Flandre.
fc ■■ I M I - m I I, I. Il, ■ ■ I III
(1) Nïcoîtz\x moi Goutte.
(e) Idem.
'4^4 Principes
Le fubftantif brin j qui fe dit au propre
des menus jets des herbes , fert fouvenc
par figure à faire une négation y comme
pas & point. Et Ci Tufage de ce mot étoit
auflî fréquent parmi les honnêtes gens qu il
Teft parmi le peuple , il feroit regardé ,
âuffi-bien quQ pas 8c point j comme une
particule négative : A-t-il de l'cfprit? il
nen a brin. Je ne l'ai vu qiiun petit
hrin j &.c.
On doit regarder ne pas ^ ne point j
comme le nihil des Latins. Nihil efl: corn-
pofé de la négation ne j & du mot hilum
qui fignifie la petite marque noire qu'on
voit au bout d'une fève. Les Latins di-
foient : Hoc nos neque pertinet hilum (i)-.
Cela ne nous interejfe en rien ^ pas même
de la valeur de la petite marque noire d'une
fève. Neque proficit hilum ^ &c.
Or 5 comme dans la fuite le hilum des
Latins s'unit fî fort avec la négation ne j
que ces deux mots n'en firent plus qu'un
(i) Lucrèce ) liv. 3« v. 843*
de Grammaire. j\6e
feul nîhilum j nihil ^ nil j 8c que nihil
fe prend fouvent pour le fîmple non :
Nihil circuitione ufus es (i) i de même
notre pas & notre point ne font plus re-
gardés dans Tufage , que comme des par-
ticules négatives qui accompagnent la né-
gation ne ; mais qui ne laiflènt pas de con-
ferver toujours des marques de leur ori-
gine.
Or , comme en latin nihil eft fouvent
fuivi d'un qualificatif, nihil falji dixi y mi
fenex (2) , nihil incommodi j nihil gratia^
nihil lucri^nïhilf ancli j &c. de même le
pas & le point étant pris pour une très-
petite quantité , pour un rien ^ font fuivis
en françois d un qualificatif : Il n a pas de
pain j d'argent j d'efprit y &c. ces noms
pain y argent j efprit y étant alors des qua-
lificatifs indéfinis , ils ne doivent point
avoir de prépofitif.
Les Latins difoient aufli , Ne faire pas
(i) Tércncc.
(z) Idem.
j^66 Principes
plus de cas de quelqu'un ou de quelque
chofe, qu'on en fait de ces petits floccons
de laine ou de foie que le vent emporte,
fioccifacerejy c'eft-à-dire^/^cere rem flocci :
nous difons un fétu.
La Grammaire générale dit ( pag. 82),
qye dans le fens afïirmatif , on dit avec
larticle ^11 a de V argent ^y du cxur ^ de la
charité ^ de V ambition ; au lieu qu'on dit
négativement fans article : // na point
d'argent^ de cœur ^ de charité ^ d'ambition^
parceque, dit-on, le propre de la négation
eft de tout ôter.
Je conviens que félon le fens 5 la néga-
tion ôte le tout de la chofe \ mais Je ne
vois pas pourquoi dans Texpreflion , elle
nous ôteroit Tarticle 5 fans nous ôter la
prépofîtion. D ailleurs , ne dit-on pas dans
le fens affirmatif, fans article, // a encore
un peu d'' argent j & dans le fens négatif
avec l'article , Un a pas le fou ; Il n a plus
un fou de l' argent qu il avoit ; Les langues
ne font point des fciences : On ne coupe
point des mots inféparables j dit fort bien
de Grammaire. ^6y
M* Tabbé d'Oliver. Ainfi , je crois que Ja
véritable raifon de la différence de ces fa-
çons de parler doir fe tirer du iens indi-
viduel & défini , qui feul admet Tarticle,
& du fens fpccifiquc indéfini & qualifica-
tif, qui n'eft jamais précédé de i article.
Les éclairciflemcnb que Ton vient de
donner pouront fervir à réfoudre les prin-
cipales difficultés que Ton pouroit avoir
au fujet des articles. Cependant , on croie
devoir encore ajouter ici des exemples
<jui ne feront point inutiles dans les cas
pareils.
Noms conjlruits fans prénom ni prépoji"
tiouj à la fuite d'un verbe dont ils font
le complément.
Souvent un nom eft mis fans prénom
. ni prépofition après un verbe qu'il déter-
mine -, ce qui arrive en deux occafîons :
i."" parceque le nom eft pris alors dans un
fens indéfini, comme quand on dit, liai--
me à faire plaifr^ à rendre fervice ; car
il ne s'agit pas alors d un tel plaifîr , ni d un
\
4^S Principes
tel fervice particulier, en ce cas on diroit ^
faites-moi ce ou le plaijir ; rendez-moi ce
fervice 3 ou le fervice y ou un fervice ^ qui ,
&c. 2.^ Cela fe fait auffi fouvent pour abré-
ger 5 par ellipfe , ou dans des façons de
parler familières & proverbiales ; ou enfin
parceque les deux mots ne font qu'une
forte de mot compofé : ce qui fera facile
à démêler dans les exemples fuivans :
Avoir faim^ fiif ^ dejfein j honte j^
coutume ^ pitié ^ compajfion j froid j chaud j
maljy befoin ^ part au gâteau j envie j 8cc.
Chercher fortune j malheur.
Courir fortune ^ rifque.
Demander raifon j vengeance j grâ*
ce J pardon ^juflice.
Dire vrai j faux ^ matines ^ vêpres.
Donner prife j jour^ parole j avis j
caution ^ quittance j atteinte _, &c.
ECHAPER. Il l'a échapé belle; c'eft-
à-dire 5 peu s'en efl fallu quil ne lui foie
arrivé quelque malheur.
Entendre raifon^ raillerie j malice j
yêpres j Sec.
Faire
de Grammaire: ^^9
Faire vie qui dure ^ bonne chère ^ e/2-
yie y corps neuf ^ réflexion j honte ^ hon^
neur jpeurjf/aiflrj cas de quelqu'un j al-
liance jy marché ^ argent de tout ^ provifion^
Jkmblant ^ route ^ front ^ face ^ difficulté.
Gagner pays j gros.
Mettre ordre ^ fin.
Parler vrai^ raifon j bonfens^ladnj
francois j 8cc*
Porter envie j témoignage ^ <:oup ^
bonheur j malheur ^ compajjion^
Prendre garde j patience j féance j
médecine j congé j confeil j langue j &c.
Rendre fervice ^ amour pour amour j
^ifi^^ J gorge J &c
Savoir lire ^ vivre ^ chanter j Sec.
Tenir parole j prifon^ bon ^ ferme*
Ces adjedtifs font pris adverbialement.
Noms ccnjlruits avec une prépofition fans
article^
Les noms d'efpèce qui font pris felou
leur fîmple fignification fpécifique , fe con-
firuifèot avec une prépofition fans article*
li
470 Principes
Change^ ces pierres en pains. Véiuca--
tion que le père £ Horace donna àfonfils
ejl digne d'être prife pour modèle. A Ro-
me j à Athènes j à bras ouverts. Il efi ar-
rivé à bon port j à minuit. Il ejl à jeun. A
Dimanche:, à Vêpres. Tout ce que VEf-
pagne a nouri de vaillans. Vivre fans
pain. Une livre de pain. Il na pas de
pain. Un peu de pain. Beaucoup de pain..
Une grande quantité de pain.
J'ai un coquin de frère ^cçk-^ràiTt ^ qui
efi de Vefpèce de frère _, comme on dit ,
quelle efpèce d'homme êtes-vous. Térence
a dit j Quid hominis j Se ailleurs , Quid
monjlri.
Remarquez qiie dans ces exemples , le
qui ne fe raporte point au nom fpécifique,
mais au nom individuel qui précède. Ctfi
un bon homme de père qui ; le qui fe ra^
porte à bon homme.
Se conduire par fentiment ; parler avec
cfpritj avec grâce ^ avec facilité ; agir
par dépit ^ par colère j par am^urj parfois
de Grammaire. 471
En fait de phyjiquc y on donne fouvenc
des mots pour des chofes. Phyjîque elt pris
dans un fens fpécifique qualificatif d^ fait.
A l'égard de on donne des mots ^ c'eft le
fens individuel partitif. Il y a ellipfe. Le
régime ou complément immédiat du verbe
donner eft ici fous-entendu ; ce que Ton
entendra mieux par les exemples fuivans.
Noms conjlrults avec V article ou prénom ^
fans prépojition.
Ce que j'aime le mieux ^ cejl le pain j
( individu fpécifique ). Jpporte:^ le pain;
voila le pain^ qui eft le complément im-
médiat ou régime naturel du verbe. Ce
qui fait voir , que quand on dit , apporte^
ou donne:^-moi du pain _, alors il y a ellipfc.
Donne'^-moi une portion _, quelque chofc
du pain. Ceft le fens individuel partitif.
Tous les pains du marché ^ ou colIed:i-
vement , Tout le pain du marché ne fuffi-
roit pas pour ^ &c.
I>onne^'moi un pain. Emportons quel*
dj^s pains pour k yoyiêig^.
1 i 1
47^ Principes
Noms conjlruîts avec la prépojition &
^article.
Donne\ - moi du pain j c'eft-à-dire , de
le pain. Encore un coup , il y a ellipfe
dans les phrafes pareilles. Car la chofe don-
née fe joint au verbe donner fans le fe-
cours d'une prépofition. Ainfi , donne^-^
moi du pain ^ c'eft , donne:^ - mol quelque
chofe de le pain j de ce tout fpécifique in-
dividuel qu'on appelle pain. Le nombre
des pains que vous ave^ apporté nefi pas
fuffifant.
Voila bien des pains j de les pains ; in-
dividuellement , c'eft-à-dire , confidérés
comme faifant chacun un être à part.
Remarques fur Vu f âge de V article j quand
l^ adjectif précède le fubflantlf ^ 0U
quand II ejl après le fubflantlf
Si un nom fubftantif eft employé dans
le difcours avec un adjeâ:if , il arrive ou
de Grammaire. 47 j
que radjedlif précède le fubftantif , ou
qu'il le fuir.
Uadjedtif neft féparé defon fubftantif y
que lorfque le fubftantif eft le fujet de la
prépofîtion, & que radjedif en eft affir-
mé dans Tattribut. Dieu ejl le tout-puijfant^
Dieu eft le fujet; tout - puijfant j qui eft
dans Tattribut, en eft féparé par le verbe
ejij qui félon notre manière d'expliquer
la propofition , fait partie de Tattribur*
Car ce n'eft pas feulement tout - -puisant
que je juge de Dieu } }'en juge qu'il eft ,
qu'il exifte tel.
Lorfqu une phrafe commence par un
adjedif feul, par exemple , S avant en Van
de régner ^ ce prince fejît aimer de fes fu--
jets & craindre de fes voijins; il eft évident
qu'alors on fous-entend > ce prince qui étoit
favantj8cc. Mnfifavanten V art de régner ^
eft une propofition incidente , implicite ,.
je veux dire , dont tous les mots ne font
pas exprimés. En réduifant ces proportions
à la conftrudion fimple, on voit qu'il n'y
a rien contre les- règles \ & que fi dans la
li3
474 Principes
conftrudion ufuelle on préfère la façor> de
parler elliptique , c*eft que lexpreffioii er^
€ft plus ferrée & plus vive.
Qiiand le fubftantif & ladjeâif foht en-
fcmble le fujet de la propofition , ils for-
ment un tout inféparable. Alors les prépo-
sitifs fe mettent avant celui des deux qui
commence la phrafe. Ainlî on dit :
I .° Dans les proportions univerfelles i
Tout homme j chaque homme j tous les
hommes ^ nul homme ^ aucun homme.
. x.^ Dans les propofitions indéfinies:
Les Turcf^ les Perfans^ les hommes fa^
vans j les favans philofophes.
5.^ Dans les proportions particulières:
Quelques hommes ^ certaines perfonnes
foutiennent ^ &c. Un f avant m'' a dit; des
favans m^ont dit j en fous - entendant
quelques-uns j aucuns j ou de favans phi-*
lofophesj en fous - entendant ^ un certain
nombre ^ ou quelqu'autre mot.
4.^ Dans les proportions (îngulières : Le
foleil efl levé : la lune eji dans fon plein ^
cet homme j cette femme ^ ce livre.
\
de Grammaire. 475
Ce que nous venons de dire des noms
qui font fujets d'une propolition , fe doit
auflî entendre de ceux qui font le complé-
ment immédiat de quelque verbe ou de
quelques prépofirions : Détejions tous Ici
vices j pratiquons toutes les vertus ^ &c.
Dans le ciel y fur la terre j &c*
J'ai dit le complément immédiat : j^en-
tens par-là tout fubftantif qui fait un fens
avec un verbe ou une prépoiîtion , (ans
qu'il Y ait de mot fous-entendu entre l'un
& l'autre. Car quand on dit ,, Kous aime:^^
dus ingrats y des ingrats n'eJÏ pas le com-
plément immédiat de aime:^. La conftru-
étion entière eft , F'ous aime^ certaines
perfonneSy qui font du nombre des ingrats j^
ou quelques - uns des ingrats j de les in^
grats. Ainfi des ingrats énonce une par-
tition, c'eft un fens partitif. Nous en av>ons
fbuvent parlé.
Mais dans Time ou dans Tautre de ces
deux occafions 3 c'eft-à-dire , 1.^ quand
Tadjeâif & le fubftantif font le fujet de
la propofition; 2.° ou qu'ils (ont le con^^
Ii4
47^ Principes
plément d'un verbe ou d'une prépofîtîoiii
en quelles occafions faut-il n'employer que
cette iîmple prépofîtion , 8c en quelles oc-
. cafions faut-il y joindre l'article, & dire
du ou de le j ôc des j c'eft-à-dire , de les ?
La Grammaire générale dit ( pag. 54)
c^ avant les fuhjlantifs on dit Des j des
animaux ^ & qu'o/2 dit De quand Fad^
jeclif précède ^ de beaux lits.
Mais cette règle n'eft ps générale. Car
dans le fens qualificatif indéfini on fe fert
de la fîmple prépofîtion de^ même devant
le fubftantif 5 fur-tout quand le nom qua-
lifié eft précédé du prépofîtif ^/z j & on fe
fert de des ou de les ^ quand le mot qui
qualifie eft inviduel: Les lumières des phi^
lofophes anciens ^ ou des anciens philofo^
phes.
Voici une lifte d'exemples, dont le lec*
teur judicieux poura faire ufage, & Ju*
ger des principes que nous avons établis.
les oavrages de Cicéroti f Les ouvrages de CîcéroA
font pleins des idées Us plus | font pleins d'idées faines^
faines. ( de les idées ). |
de Grammaire.
A17
Voila îdus dans le feus
individuel.
Faites-vous des principes,
Cdi le fens individuel.
toéfai tes- vous des préju-
gés de Tenfance.
Cet arbre porte des fruits
txcellens.
Les efpèces différentes des
cnimaux qui font fur la terre.
( fens individuel univerfel ) .
Entrez dans le détail des
règles d'une faine dialecti-
que.
Ces raifons font des^on*
jeâures bien foibles.
T^kcdes mots nouveaux.
Choiiîr des fruits excel'
lens.
Chercher des détours.
Se fervîr''<£<r5 termes établis
par Tufage.
Evitez Pair de V affecta-
tion. ( fens individuel méra-
phyfique).
Charger fa mémoire des
fkrafes de Cicéron.
Difcôurs foutenus par des
âxprejfions fortes.
Idées faines cft dans le
fens fpécifique indéfini , gêné»
rai de forte.
Nos connoilîànces doivent
être tirées de principes évi-*^
dens.
Sens fpécifique : où vous
voyez que le fubftantif pré*
cède.
N*avez-vous point de prc"
jugé fur cette queftion.
Cet aibre porte d'exceU
lens fruits, ( fens de forte ).
Il y a différentes efpeccs
d'animaux fur la terre.
Différentes fortes depoif*
fons , &c.
Il entre dans un grand dé-
tail de règles frivoles.
Voila le fubftantif qui pré-
cède. C'efi: le fens fpécifique
indéfini. On ne parle d*aucu-
nes règles particulières. C'ell
le fens de forte.
Ces raifons font de foi'i
blés conjectures.
Faire de nouveaux mots.
Choiiîr d* ex cellens fruits:
Chercher de longs détours
pour exprimer les chofes les
plus aifées.
Ces exemples peuvent fer»
vir de modèles.
Evitez tout ce qui a un ait
d'affectation.
Charger fa mémoire dt
phrafes.
Difcôurs foutenus par d€
viyci expreffions.
47»
Principes
Plein des fentimens les
plus beaux.
Il a recueilli des préceptes
pour ia langue & pour la
morale.
Servez - vous des fignes
Àowx. nous fommes convenus.
Le choix des études.
Les connoifïànces ont tou-
jours cté l'objet de Vejlime _,
des louanges & de Vadmi-
ration des hommes.
Les richejfes de refprit ne
peuvent être acquifes que par
l'étude.
Les biens de la fortune
font fragiles.
L'enchaînement des preu'
ves fait qu'elles plaifent &
qu'elles perfuadent.
Ceft par la méditation Tur
ce qu'on lit qu'on acquiert
des connoijfances nouvelles.
Les avajitages de la mé-
moire,
La mémoire dts faits cft
la plus brillante.
La mémoire eft le tréfbr dt
Vefprit y le fruit de /'atten-
tion & de la réflexion.
Le but des bons maîtres
doit être de cultiver l'efprit
de leurs difciples.
On ne doit propofer des
difficultés que pour faire
triompher la vérité.
Plein de fintimens.
Plein de grands fenti^
mens.
Recueil de préceptes fouz
la langue 6c pour la morale.
Nous Tommes obligés d'u
fer de fignes extérieurs pour
nous faire entendre.
Il a fait un choix de livres
qui font , &c.
Ceft un fujet d'ejîime , do
louanges & d'admiration.
Il y a au Pérou une abon-
dance prodigieufé de richef*
fes inutiles.
Des biens de fortune.
Il y a dans ce livre urt
admirable enchaînement de
preuves folides, ( fens de
forte ).
C'cift par la méditation
qu'on acquiert de nouvelles
connoijfances.
Il y a différentes fortes de
mémoire.
Il n'a qu'une mémoire de
faits , & ne retient aucun
raifonnement.
Préfcnce d*efprit. La mé-
moire d'efprit & de raifott
eft plus utile que les autres
fortes de mémoire.
11 a un air de maître qui
choque.
Il a fait un recueil de dif
f cultes, dont il cherche U
fglution.
de Grammaire. 47^
le goût des hommts eft
fi^ec à dos viciilicudes.
Il n'a pas befoin de la le-
fo/ique V01I5 voulez, lui don»
lier.
Une fociété d*hommc&
ckoijis : {d'hommes choijif
qualifie la fociétc adjc(flivc*
ment).
Ce far n'eut pas bcfoiai
d'exemple.
Il n'a pas befoin de leçons»
Remarque.
Lorfque le fubftantif précède , comme
il fîgnifie par lui-même , ou un être réet
ou un être métaphyfique confidéré par
imitation 5 à la manière des êtres réels, il
préfeiite d abord à refprit une idée d'in-
dividualité d'être féparé exiftant par lui-
même ; au lieu que lorfque Fadjedif pré-
cède 5 il offre à Tefprit une idée de quali-
fication 5 une idée de forte , un fens ad-
jeâif. Ainfi larticle doit précéder le fub-
ftantif : au lieu qu'il fuffit que la prépofî-
tion précède Tadjedif , à moins que l'ad-
jeftif ne ferve lui-même avec le fubftantif
à donner Tidée individuelle, comme quand^
on dit : Les favans hommes de l'antiquité:
lefentiment des grands philofophes de Van--
tiqulté ^ des plus favans philofophes. On
a fait la defcription des beaux lits qu'on
envoie en. Portugal.
4^0 Principes
Reflexions sur cette Règle
de M. de Vaugelas :
Qjuon ne doit point mettre de relatif après
un nom fans article.
L'auteur de la Grammaire générale a
examiné cette règle ( II partie ^ ch. i o )•
Cet auteur paroît la reftreindre à Tufage
préfent de notre langue. Cependant 5 de
la manière que je la conçois > je la crois de
toutes les langues:^ & de tous les temps.
En toute langue & en toute conftru-
£tion 5 il y a une juftefle à obferver dans
l'emploi que Ton fait des fignes deftinés par
Tufage pour marquer non - feulement les
objets de nos idées, mais encore les diffé-
rentes vues fous lefquelles Tefprit confî-
dère ces objets. L'article , les prépofîtions>
les conjondions , les verbes avec leurs dif-
férentes inflexions , enfin tous les mots qui
ne marquent point des chofes , n'ont d'au-
tre deftination que de faire connoître ces
différentes vues de Tefprit.
D'ailleurs , c'eft une règle des plus corn*
de Grammaire: '48 ii
tîiunes du raifonnement , que lorfqu'au
commencement du difcours on a donné à
un mot une certaine fîgnification , on ne
doit pas lui en donner une autre dans la
fuite du même difcours. Il en eft de mê-
me par raport au fens grammatical. Je
veux dire > que dans la même période 5 un
mot qui eft au fingulier dans le premier
membre de cette période , ne doit pas
avoir dans l'autre membre un corrélatif ou
adjeétif qui le fuppofe au plurier. En voici
nu exemple , tiré de la Princejfe de Clèves^
(tom. 2 5 p. 1 1 9) : M. de Nemours ne laijfoit
échaper aucune occajîon de voir Madame
de Clèvesjfans laijfer paroure néanmoins
quil les cherchât. Ce les du fécond mem-
bre étant au plurier, ne devoir pas être
deftiné à rappeller occajîon^ qui eft au fin-
gulier dans le premier membre de la pério*
de. Par la même raifon , (î dans le premier
membre de la phrafe 5 vous m'avez d'abord
préfenté le mot dans un fens fpécifique,
c*eft-à-dire 5 comme nous Tavons dit, dans
uu fens qualificatif adjedif , vous ne dcvc*
4^2. Principes
pas, dans le membre qui fait, donner à ce
mot un relatif, parceque le relatif rappelle
toujours l'idée d'une perfonne ou d'une
chofe 5 d'un individu réel ou métaphyfî-
que , & jamais celle d'un fimple qualifica-
tif, qui n'a aucune exiftence, & qui n'eft
que mode. C'eft uniquement à un iubftan-
tif, ou à un adjedtif confidéré comme fub-
ftantif 5 & non comme mode , que le qui
peut fe raporter. L antécédent de qui doit
être pris dans le même fens , auffi-bien dans
toute l'étendue de la période , que dans
toute la fuite du fyllogîfme.
Ainfi , quand on dit jll a eu re^u avec
pvlitejfe ^ ces deux mots , avec poUteJfe^
font une ^xpreflîon adverbiale , modifica-
tivc , adjedive , qui ne préfente aucun être
réel ni métaphyiîque. Ces mots avec poli--
tejfe ne marquent point une telle politeflc
individuelle. Si vous voulez marquer une
telle politefle> vous avez befoin d'un pré-
pofîtif qui donne à politejfe un (cns indivi-
duel, réel, foitiiniverfel,foit particulier j
(bit fmgulier 5 alors le qui fera fon office^
de Grammaire: 485
Encore un coup , avec politejfe efl: une
ôxpreflîon adverbiale. C eft l'adverbe /7o/i-
ment décompofé.
Or , ces fortes d'adverbes font abfolus ,
ceft-à-dire, qu'ils n'ont ni fuite ni com-
plément : & quand on vClit les rendre re-
latifs 5 il faut ajouter quelque mot qui mar-
que la corrélation. // a été reçu si poU^
ment que ^ 8cc. Il a été reçu avec TANT
de politejfe jy que , &c : ou bien , avec UNE
politejfe quîj &c.
Ainiî 5 je crois que le fens de la règle
de Vaugelas eft que , lorfqu'en un pre-
mier membre de la période un mot eft
pris dans un fens abfolu , adjeétivement
ou adverbialement, ce qui eft ordinaire-
ment marqué en françois par la fuppref-
fion de l'anicle , & par les circonftances ,
on ne doit pas , dans le membre fuivant ,
ajouter un relatif, ni même quelqu autre
mot qui fuppoferoit que la première cx-
preffion auroit été prife dans un fens fini
& individuel , foit univerfel , foit panicu'»
lier ou fîngulicr. Ce feroit tomber dans
484 Principes
le fophifme que les Logiciens appellent i
Pajfcr de Vefplcc à l'individu ; pajjcr du
général au particulier.
Ainfi 5 je ne puis pas dire , V homme ejl
animal qui raifonne j parceque animal ^
dans le premier membre, étant fans arti-
cle, eft un nom d'efpèce pris adjedtivc-
lîient & dans un fens qualificatif. Or , qui
raifonne ne peut fe dire que d'un individu
réel qui eft ou déterminé ou indéterminé >
c'eft- à-dire pris dans le fens particulier
dont nous avons parlé. Ain(î je dois dire.
L'homme eji lefeul animal ^ ou un animal
qui raifonne.
Par la même raifon, on dira fort-bien,
// na point de livre qu'il n'ait lu. Cette
propofition eft équivalente à celles-ci : //
n'a pas un feul livre qu'il n'ait lu. Cha^
que livre quil a^ il l'a lu. Il n'y a point
d'injufice qu'il ne commette ; c'eft-à-dire ,
Chaque forte d'injujlice j il la commet.
Ejl'il ville dans le royaume qui foit plus
cbéijfante? ccd-a-dite y Efl-il dans le
royaume quelqu autre yillc ^ une ville qui
foit
de Grammaire: 485
fcit plus ohéijfante que? &c. // n'y a
homme qui fâche cela ; aucun homme ne
fait cela.
Ainfî, ceft le fens individuel qui auto-
tife le relatif 5 & c eft le fens qualificatif
adjedif ou adverbial qui fait fupprimer l'ar-
ticle 5 la négation n y fait rien , quoi qu'en
dife Fauteur de la Grammaire générale. Si
Ton dit de quelqu'un qu'il agit en roi^
en père ^ en ami ^ & qu'on prenne roi j
pèrcj amûjy dans le fens fpécifique 5 & félon
toute la valeur que ces mots peuvent avoir j
on ne doit point ajouter le qui. Mais fi les
circonftances font connoître qu'en difant
roi :y père j ami^ on a dans l'efprit l'idée
particulière de tel roi ^y de tel père j de tel
ûmij & que Texpreffion ne Toit pas con-
facrée par Tufage au feul fens fpécifique ou
adverbial , alors on peut ajouter le qui :
Il fe conduit en père tendre qui : car c'eft
autant que fi l'on difoit , comme un père
tendre. C'eft le fens particulier , qui peut
recevoir enfuite une détermination fingu^
lière*
Kk
48^ Principe^
Il ejl accablé de maux j c'eft-à-dire 5 de
maux particuliers j ou de dettes particu--
litres quij &c. Une forte de fruits qui ^
&c. Une forte tire ce mot fruits de la gé-
îiéralité du nom fruit. Une forte t^ un in-
dividu fpécifique ^ ou uti individu colIe6tif#
Ainfi) je crois que la vivacité, le feu,
renthoufiafme 5 que le ftyle poétique de-
mande , ont pu autorifer Racine à dire
(Efther, Ad. 2 , Se. 8 ). Nulle paix pour
r impie : il la cherche j elle le fuit. Mais
cette expreiîîon ne feroit pas régulière en
profe 5 parceque la première proposition
étant univerlelle négative , & où nulle
emporte toute paix pour Timpie, les pro-
noms la & elle des propofitions qui fui"»
vent 5 ne doivent pas rappeller dans un fens
affirmatif & individuel , un mot qui a d Sa-
bord été pris dans un fens négatif univerfel*
Peut-être pouroit-on dire , Nulle paix qui
foit durable nejl donnée aux hommes : mais
on feroit encore mieux de dire : Une paix
durable neji point donnée aux hommes.
Telk cil la juftelTe d efprit, & la prc-
àc Crammaire. 48^
•éînon que nous demaiîdons dans ceux qui
veulent écrire en notre langue , & même
dans ceux qui la parlent. Ainlî 5 on dit
abfolument dans un fens indéfini , Se don-
ner en fpcctacle ^ avoir peur ^ avoir pitié y
un efprît de parti j un efprit d\rreur. Ovi
ne doit donc pas ajouter enfuite à ces
fubftantifs, pris dans un fens général, des
adjedifs qui les fuppoferoient dans un fens
fini , & en feroient des individus métaphy-
fîques. On ne doit donc point dire, Se
donner en fpeclacle funejle ^ ni un efprit
d^ erreur fatale ^ de fécurité téméraire ^ ni
4LVoir peur terrible. On dit pourtant avoir
^rand^ peur j parcequ'alors cet adjectif
grand j qui précède fon fubftantif, & qui
perd même ici fa terminaifon féminine , ne
fait qu un même mot avec peur jy comme
dans grand" mejfe _, grand'mère. Par le mê**
me principe , je crois <ju'un de nos auteurs
îi'a pas parlé exadtemenr , quand il a dit ( i ) ,
Ociavien déclare en plein fénatj qu il veut
(î) Le P. Sanadon^ f^ie d^Horact y pag. 47»
488 Principes
lui remettre le gouvernement de la répuMU
que. En plein fénat eft une circonftance de
lieu : c'eft une forte d expreffîon adverbia-
le, on fénat ne fe préfente pas fous l'idée
d*un être perfonifié. C'efl: cependant cette
idée que fuppofe lui remettre. Il falloit
dire, Oclavien déclare au fénat affemblé y
quil veut lui remettre j &g. ou prendre
quelqu autre tour.
Si les langues qui ont des articles ont un
avantage fur celles qui nen ont point.
La perfection àt% langues confîftê prin-
cipalement en deux points. i.° Avoir une
alTez grande abondance de mots pour fuf-
fire à énoncer les ditïérens objets des idées
que nous avons dans Tefprit. Par exemple ^
en latin , regnum fîgnifîe royaume ; c'eft
le pays dans lequel un fouverain exerce
fon autorité. Mais les Latins n*ont point de
nom particulier pour exprimer la durée de
l'autorité du fouverain. Alors ils ont re»-
cours à la périphrafe. Ainfi, pour dire^
fous k îègnc d'AuguJle > ils dzfcnt Impc-
de Grammaire. 4S9
rame C^farc Augujlo j dans le temps
quAuguJie régnoit. Au lieu qu'en français
nous avons royaume ^ & de plus règne. La
langue françoife n'a pas toujours de pareils
avantages fur la latine. 2.° Une langue eft
plus pa.;rfaite , lorfqu'elle a plus de moyens
pour exprimer les divers points de vue
fous lefquels notre efpric peut confidérer
le même objet. Le rai aime le peuple j &
le peuple aime le roi. Dans chacune de
ces phrafes le roi & le peuple lont confî-
dérés fous un raport différent. Dans la pre-
mière 5 c'eft le roi qui (^im^; dans la fécon-
de , c'eft le roi qui eft aiméi La place ou
poiîtion dans laquelle on met roi & peu-
ple j fait connoître Tua & l'autre de c^s
points de vue.
Les prépofitifs & les prépofitions fer-
vent aulîî à de pareils ufages en françois.
Selon ces principes , il paroît qu'une
langue qui a une forte de mots de plus
qu'une autre 3 doit avoir un moyen, de plus
pour exprimer quelque vue fine de l'efprif,
^u'ainiî les langues qui ont des articles ou
K k 3
4^<^ Principes
prépofitîfs, doivent s'énoncer avec plus,
de juftefTe & de précifion que celles qui
n'en ont point. L'article le tire un nom de
la généralité du nom d'efpèce , & en fait
un nom d'individu j le roi, ou d'individus»
les rois. Le nom. fans article ou prépofitif
eft un nom d'efpèce , ç'eft unadjeftif. Les
Latins > qui n'avoient point d'articles ^
avoient fouvent recours aux adjectifs dé-
monftratifs. Die ut lapides ifti panes
fiant : Dites que ces pierres deviennent
pains. Quand ces adjectifs manquent , les
adjoints ne fuffifent pas toujours pour
mettre la phrafe dans toute la clarté qu'elle
doit avoir : Si films Dei es ^ on peut tra<
duire , Si vous êtes fils de Dieu y & voila
fils nom d'eipèce; au lieu quentraduifant
Si vous êtes le fils de Dieuj le fils eft in-
dividu.
Nous mettons de la différence eotre ce^
quatre expreflîons : i.fils de roi ; i. fils
d'un roi ; l^fils du roi; 4. le fils du roi^
hnfils de roij roi eft un nom d'elpccCf.
qui 5 avec la prépaiîtion , n'cft qu'un qua-
de Grammaire. 491
Jificatif. 2. Fils d'un roi ; d'un roi eft pris
dans le fens particulier dont nous avons
parlé, c'eft le fils de quelque roi. 3. Fils
du roi ; fils eft un nom d'efpèce ou appel-
latif 5 & roi eft un nom d'individu ^fils de
le roi. 4. Le fils du roi j le fils marque un
individu. Filius régis ne fait pas fentir ces
difFérences.
Etes-^vous roi? Etes-vous le roi? Dans
la première phrafe , roi eft un nom appel-
latif : dans la féconde , roi eft pris indivi-
duellement» Rex es tu ? ne diftingue pas
ces diverfes acceptions. Nemo fatis gra^
tiam régi refert ( i ) _> ou régi peut fignifier
au roi j ou à un roi.
Un palais de prince j eft un beau palais
qu'un prince habite , ou qu'un prince pou-
roit habiter décemment. Mais le palais du
prince (de le prince) eft le palais déterminé
qu'un tel prince habite. Ces différentes
vues ne font pas diftinguées en latin d'une
manière aulTî fîmple. Si , en fe mettant à
(i) TércncC) Phorm. II > i, 24.
Kk4
'492' Principes
table, on demande le pain jy c*efi: une tota-
lité qu'on demande : le latin dira da oa
affer panem. Si^ étant à table, on de^
mande du pain j c eft une portion de ic
pain : cependant le btin dira également
panem.
îl eft dit au fécond chapitre de faint
Matthieu, que les Mages s'étant mis en
chemin au fortir du palais d'Hérode , vi-
dentés Jiellam ^ gaviji funt ; & intrantes
domum ^ invenerunt puerum. Voila étoile ^
maifon^ enfant ^ fans aucun adjeâif déter-
minatif. Je conviens que ce qui précède
fait entendre que cette étoile eft celle qui
avoit guidé les Mages depuis TOrient', que
cette maifon eft la maifon que Tétoile leur
indiquoit , & que cet enfant eft celui qu'ils
venoient adorer. Mais le latin n'a rien qui
préfente ces mots avec leur détermination
particulière. Il faut que Tefprit fupplée à
tout. Ces mots ne feroient pas énoncés
autrement, quand ils feroient noms def
pèce. N'eft-ce pas un avantage de la lan*
g^e françoife^ de ne pouvoir employer cea
de Grammaire 495
crois mots qu'avec un prépoiîtif qui faflè
connoître qu'ils font pris dans un fens
individuel déterminé par les eirconftan-
ces? Ils virent r étoile ; ils entrèrent dans
la maifon ; & trouvèrent V enfant.
Je pourois raporter plufieurs exemples,
qui feroient voir que lorfqu'on veut s'ex-
primer en latin d'une manière qui diftin-
gue le fens individuel du itw^ adjedif ou
indéfini , ou bien le fens partitif du kï\s
total 5 on eft obligé d'avoir recours à quel-
qu'adjedif démonftratif, ou à quelqu'au-
tre adjoint. On ne doit donc pas nous re-
procher que nos articles rendent nos ex-
prellîons moins fortes & moins ferrées que
celles de la langue latine. Le défaut de
force & de précifion eft le défaut de l'écri-
vain 3 & non celui de la langue.
Je conviens que quand l'article ne fert
point à rendre Texpreffion plus claire , &
plus précife 5 on devroit être autorifé à le
fupprimer. J'aimerois mieux dire > comme
lios pères. Pauvreté nefi pas vicej que de
(dire, la pauvreté nejipas^ un vke^ Il y a
494 Principes
plus de vivacité & d'énergie dans la phrafe
ancienne , mais cette vivacité & cette éner-
gie ne font louables, que lorfque la fup-
preflîon de larticle ne fait rien perdre de
la précifion de Tidée > & ne donne aucun
lieu à Tindétermination du fena.
L'habitude de parler avec précifion, de
diftinguer le fens individuel du fens fpéci-
fique adjedif & indéfini , nous fait quel-
quefois mettre Tarticle où nous pouvions
le fupprimer. Mais nous aimons mieux que
notre ftyle foit alors moins ferré , que de
nous expofer à être obfcurs. Car en géné-
ral, il eji certain (i) que l'article mis ou
fupprimé devant un nom j fait quelquefois
une fi grande différence de fens j qu'on ne
peut douter que les langues qui admettent
/^article , n aient un grand avantage fur la
langue latine ^ pour exprimer nettement
& clairement certains raports ou vues de
Tefprit, que l'article feul peut défigner^ï^ns
quoi le leâeur eft expofé à fe méprendre.
(i)Rcgnicr, Grammaire^ pag, ijz.
\
de Grammaire. 495
Je me contenterai de ce feul exemple.
Ovide faifant la defcription des enchante-
mens qu'il imagine que Médée fit pour
rajeunir Jafon 5 dit que Médée (i) Tcclis^
nuda pedenij egreduur. Les traducteurs
inftruits que les poètes emploient fouvent
un fîngulier pour un plurier , figure dont
ils avoient un exemple devant les ieux eu
crincm irroravit aquis (2)^ qui fe trouvent
quelques vers plus bas •, ces tradu(^eurs ,
dis- je 5 ont cru qu'en nuda pedem ^ pcdem
éroit aufïî un fingulier pour un plurier-, Se
tous , hors l'abbé Banier , on traduit nuda
pedcm^ par ayant les pieds nuds. Ils dé-
voient mettre , comme l'abbé Banier »
ayant un pied nud. C'étoit efïeâ:ivement
la pratique de ces magiciens, dans leurs
preftiges, d'avoir un pied chauflfé , & l'au-
tre nud. Nuda pedem peut donc fignifier
ayant un pied nud ^ou ayant les pieds nuds;
Se alors la langue , faute d'anicles 5 manque
(i) Metam. lib. 7, v. 184.
"49^ Principes
de préGifion , & donne lieu aux méprire^,.
il eft vrai que par le fecours des adjedtits
dérerminatifs, le latin peut (uppléer au dé^
faut des articles : & c'eft ce que Virgile a
fait en une occaiîon pareille à celle dont
parle Ovide. Mais alors le latin perd le
prétendu avantage d'être plus ferré & plus
concis que le françois.
Lorfque Didon eut recours aux enchaur
temens, elle avoit un pied nud, dit Vir-
gile... (t). Unum cxuta pedem vind'is ;
Se ce pied 5 c'étoit le gauche, félon les
commentateurs.
Je conviens qu'Ovide s'efl: énoncé d'une
manière plus ferrée > nuda pedem ; mais il
a donné lieu à une, méprife. Virgile a parlé
comme il auroit fait , s'il avoit écrit eu
françois 5 unwn cxuta ped^m^ ayant un
pied nud. Il a évité l'équivoque , par le
fecours de l'adjedtif indicatif unum ; &
ainfi il s'eft exprimé avec plus de juftelu
quOvide.
(i) Mneid. lib, 4) v. ;i8.
de 'Grammaire. 497
En un mot , la netteté & la préciiïoa
font les premières qualités que le difcours
doit avoir. On ne parle que peur exciter
dans refprit des autres une penfée , préci-
fëment telle qu'on la conçoit. Or , les lan-
gues qui ont des articles , ont un inftru-
ment de plus pour arriver à cette fin -, &
j'ofe afTurer qu'il y a dans les livres latins
bien des paflàges obfcurs, qui ne font tels
que par le défaut d articles ; défaut qui a
fbuvent induit les auteurs à négliger les
autres adjectifs démonftratifs , à caufe de
l'habitude où étoient ces auteurs d'énon-
cer les mots fans articles , & de laifïer au
ledeur à fuppléer.
Je finis par une réflexion Judicieufe du
P. BufEer (i). Nous avons tiré nos éclair-
ciflTemens d'une métaphyjîque jy peut-être
un peu fubtile 3 mais très-réelle ^
C'efi ainji que les fciences fe prêtent mu^
tuellement leurs fecours. Si la Métaphyjî-*
^ue contribue à démêler nettement des
Il I I — — — — n^
(i) Grammaire j n> 340.
498 Principes
joints ejfentkls à la Grammaire ^ ccÙe<l
bien apprife ^ ne contribueroit peut - être
pas moins à édaircir ks difcours ks plus
métaphyjiques.
mm
OBSERFATIONS
SUR LES Lettres de l'AltbabeTi
vJn divife les lettres en voyelles & en
confonnes* Les voyelles font ainfi appellées
du mot voix j parcequ'elles Te font enten-
dre par elles-mêmes. Elles forment routes
feules un fon , une voix. Les confonnes >
au contraire, ne font entendues qu'avec
lair qui fait la voix ou voyelle , & c'eft de-là
que vient le nom de confonne> confonanSy
c'eft-à^dire , qui fonne avec une autre.
Il n y a aucun être particulier qui foit
"voyelle j ni aucun qui foit confonne. Mais
on a obfervé des diftérences dans les modi^
fications que Ion donne à Tair qui fort d^s
poumons , lorfqu'on en fait ufage pour for-
mer les fons deftinés à être les (îgnes dts
penfées. Ce font ces différentes coniîdéra^
de Grammaire: 45)9
cions ou précifions de notre efprit , à Toc-
cafion des modifications de la voix -, ce
font , dis-je , ces précifions qui nous ont
donné lieu de former les mots de voyelle y
de confonne j à' articulât ion ^ & autres. Ce
^ui diftingue les difFérens points de vue
•de notre efprit 5 fijr le méchanifine de la
parole , & nous donne lieu d'en difcourir
;ivec plus de juftefle.
Mon defiein n'eft pas d'entrer ici dans
lexamen & dans le détail de la formation
de chaque lettre particulière. Mais comme
la méchanique de la voix eft un fiijet inté-
relTant, que c*eft principalement par la
parole que nous vivons en fociété , j ai cru
devoir donner une idée générale de la mé-
chanique de la voix , qui fera entendre
plus aifément la différence qu'il y a entre
la confonne & la voyelle.
D'abord il faut obferver, que Tâir qui
fort des poumons eft la matière de la voix ,
c eft-à-dire , du chant & de la parole. Lorfi
que la poitrine s'élève par 1 adion de ccr-
cains mufcles^ lair extérieur entre dans les
5 oô Prihcîpes
véficules des poumons , comme il entré
dans une pompe dont on élève le piftom
Ce mouvement, par lequel les poumons
reçoivent Tair , eft ce qu'on appelle infpi^
ration. Qiiand la poitrine s'affaiffe , Tair
fort des poumons : c'eft ce qu'on nomme
expiration. Le mot de refpiranon com-
prend lun & l'autre de cts mouvemens :
ils en font les deux efpèces.
Les cartilages & les mufcles de la partie -
flipérieure de la trachée artère forment
une efpèce de tête , ou une forte de cou-
ronne oblongue qui donne pafîàge à l'air
que nous refpirons. C'eft ce que le peu-
ple appelle la pomme ou le morceau d'A^
dam. Les Anatomiftes le nomment la-
rynx ^ ')dfvy^'j d'oii vient Aap^^w, clamo^
je crie. L'ouverture du larynx eft appel-
lée glotte jy yy^Zilct ^ & fuivant qu'elle eft
reflerrée ou dilatée par le moyen de cer-
tains mufcles 5 elle forme la voix , ou plus
grêle ou plus pleine.
Au-delïusde la glotte, il y a une efpccQ
de foupape , qui dans le temps du paftage
des
de Grammaire. 5 ô f ,
ifes alimens couvre la glotte : ce qui les
empêche d'entrer dans la trachée artère*
On l'appelle épiglottc ; ô^i^ , fi^P^^j fur ^
& yhœiitf. 5 ou yKoiilrç.
M. Ferrein , célèbre anatomifl:e,.a ob-
fervé à chaque lèvre de la glotte une ef-
pèce de ruban large d'une ligne , tendu
horifontalement. L'adion de l'air quipaffe
par la fente ou glotte, excite dans ces ru-
bans des vibrations qui les font fonner
comme les cordes d'un inftrument de mu-
fîque. M, Ferrein appelle c^s rubans cordes
vocales. Les mufcles du larynx tendent ou
relâchent plus ou moins ces cordes vocales:
ce qui fait la différence des tons dans le
chant, dans les plaintes & dans les cris (1)0
Les poumons, la trachée artère, le la-
rynx , la glotte & fes cordes vocales , font
les premiers organes de 'la voix , auxquels
il faut ajouter le palais ^ c'eft-à-dire, la
partie fupérieure & intérieure de la bou*
(i) Voyez le Mémoire de M, Ferrein, Jï//?*
de VAcddïmic dis Sciences . année 1741 ^
pag, 409* --
L I
ijôl Principes
che> les dents, les lèvres , la langue, &
même ces deux ouvertures qui font au
fond du palais & qui répondent aux nari-
nes : elles donnent paflage à Tair quand la
bouche eft fermée.
Tout air qui fort de la trachée artère
n*excitepas pour cela du fon. Il faut, pour
produire cet effet , que lair foit pouffé
par une impulfîon particulière , & que
dans le temps de fon paffage il foit rendu
fonore par les organes de la parole. Ce
qui lui arrive par deux caufes différentes.
I .® L air étant ^pouffé avec plus ou moins
de violence par les f)oumons , il efl rendu
fonore par la feule fîtuation oii fe trouvent
les organes de la bouche. 2.° L'air qui fort
de la trachée artère efl rendu fonore dans
fon paflàge , par Tadion ou mouvement
de quelqu'un des organes de la parole.
Voila deux caufes qu'il faut bien diflin-
guer-, i.° fîmple fîtuation des organes î
2.° adtion ou mouvernent de quelqu'or-
gane particulier fur Tair qui fort de la tra-
cliéô grtèret
de Grammaire: 505
Je compare la première manière à ces
fentes qui rendent fonore le vent quiy pallèi
& je trouve qu'il en eft à peu près de la fe-
conde,comme de TefFet que produit ladipu
d'un corps folide qui en frappe un autre.
Les différentes fortes de parties qui for*
tuent ienfemble de lorgane de la voixj
donnent lieu de comparer cet organe, fé-
lon les dittérens effets de ces parties > tantôt
à un inftrument à vent 5 tel que l'orgue ou la
flûte, tantôt à un inftrument à corde, tan-
tôt enfin à quelqu'autre corps capable de
faire entendre un fon, comme une cloche
frapée par fon battant , ou une enclume fur
laquelle on donne des coups de marteaut
Par exemple 3 s'agit -il d expliquer la
Voyelle , on aura recours à une comparai-
fon tirée de quelqu'inftrument à venc.
Suppoforis un tuyau d'orgue ouvert \
il eft certain que tant que ce tuyau de-
meurera ouvert , & tant que le foufflçc
fournira de vent ou d'air, le tuyau rendra
le fon qui eft l'effet propre de l'état & de
la fituation ou fe trouvent les parties par
LU
504 Principes
Icfquelles lair pafle. Il eti eft de même de
la flûte. Tant que celui qui en joue y fouf-
fle de l'air > on entend le fon propre au
trou que les doigts laiflent ouvert. Le
tuyau d orgue ni la flûte n agifïent point ;
ils ne font que fe prêter à Tair pouffe , &
demeurent dans 1 état où cet air les trouve.
Voila précifément la voyelle. Chaque
voyelle exige que les organes de la bou-
che foient dans la fituation requife pour
faire prendre à l'air qui fort de la trachée
îirtère la modification propre à exciter le
fon de telle ou telle voyelle. La fituation
qui doit faire entendre Va _, n'eft pas la
même que celle qui doit exciter le fon de
Vi. Ainfî des autres.
Tant que la fituation des organes fub-
fifte dans le même état , on entend la mê-
me voyelle , auffi long-temps que la res-
piration peut fournir d'air. Les poumoms
ïbnt à cet égard ce que les fouftlets font
à l'orgue.
Selon ce que nous venons d'obferver , il
fuit que le nombre des voyelles çft bien
de Grammaire. çof]
plus grand qu'on ne le dit commune*
ment.
Tout fon qui ne réfuire que d une fîtuâ*
tion d'organe , fans exiger aucun batte*
ment ni mouvement qui furvienne aux:
parties de la bouche , & qui peut être con-
tinué auffî long-temps que l'expiration peut
fournir d'air , un tel fon eft une voyelle.
Ain(î dj âj éy èj êj ij Oj Uj ou^ euy & fa
foible e muet, & les nazales , t2/2j erij &g;
tous ces fons - là font autant de voyelles
particulières, tant celles qui. ne font écrites
que par un feul cara6tère>tel que a^ e ^ iy
CjUj que celles qui faute d'un caractère
propre , font écrites par plufieurs lettres ,
telles que ou j euj oient j &c. Ce n'eft
pas la manière d'écrire qui fait la voyelle,
ç'eft la fîmplicité du fon , qui ne dépend
que d'une fituation d'organes :, & qui peut
être continué. Ainfi, auj cauj ou^ eu y
oient y Sccj quoiqu'éçrits par plus d'une
lettre , n'en font pas moins de iîmples
voyelles. Nous avons donc la voyelle u & *
ligt voyelle ou : les Italiens n'ont que ïou^
1^0 s Principes
qu'ils écrivent par le iîmple u^ Nous avons
de plus la voyelle eu j feu j lieu : Ye muet
cù eft la foible , Se auffi une voyelle par-
ticulière.
Il n'en eft pas de même de la confonne;
Elle ne dépend pas , comme la voyelle y
d une fîtuation d'organes qui puifïe être
permanente. Elle eft l'effet d'une adiori
paflàgère, d'un trémoufïement , ou d'ua
mouvement momentanée (i) 4e quelque
ctgane de la parole , comme de la langue ,
des lèvres , &c. En forte que fi j'ai comparé
la voyelle au fon qui réfulte d'un tuyau
d'orgue ou du trou d'une flûte , je crois
pouvoir comparer la confonne à l'effet que j
produit le battant d'une cloche ou le m.ar* 1
■t.. ' - , , - . . . •
(i) Ecrivez momentanée par deux ee. Telle eft
Tanaiogie des mots françois qui viennent dei
tnots latins eu , eus. C'eft ainfi que l'on dit les.
ÇhampS'Elifccs ; les Monts- Pyrénées , le Colli^
(ce y àc non le Colifé ; le ûtuvc Alpàee ^ ôc non
le fleuve Alphé y fluvius Alpkeus. Voyez le
Didiionaire de l'Académie, celui de Trévoux»,
^ celui de Joubcrc^ aux mots m^mcnfaneç v^
de Grammaire^ 507^
teau fur lenclume. Fourniflez de Tair \
un tuyau d'orgue , ou au trou d^une flûte ,
vous entendez toujours le même fon : auî
lieu qu'il faut répéter les coups du battant
de la cloche & ceux du marteau fur Icn-
clume 5 pour avoir encore le fon qu'on a
entendu la première fois. De même , fi
vous ceiTez de répéter le mouvement des
lèvres qui a fait entendre le be ou le/?^; (î
vous ne redoublez point le trémouflèment
de la langue qui a produit le rt ^ on n'en-
tendra plus ces confonnes. On n'entend
de fon , que par le trémouflèment que les
parties fonores de Tait reçoivent des divers
corps qui les agitent. Or l'adtion àts lèvres
ou les agitations de la langue, donnent à
l'air qui fort de la bouche la modification
propre à faire entendre telle ou telle con-
fonne. Or, fi après une telle modification,
l'émiffion de l'air qui l'a reçue dure en-
core 5 la bouche demeurant néceflairemenc
ouverte pour donner paflàge à l'air , & les
organes fe trouvant dans la fituation qui a
fait entendre la voyelle , le fon de cette
•50E Principes
voyelle poura être continué auffi lojtg^
temps que Témiffion de lair durera : au
lieu que le fon de la confonne n'eft plus
entendu , après Tadion de Torgane qui Ta
produite.
L'union ou combinaifon d une confonnç
avec une voyelle ne peut fe faire que par
une même émilïîon de voix. Cette union
eft appellée articulation. Il y a des articu*
lations fîmples & d'autres qui font plus ou
moins çompofées : ce que M. Hardouia,
fecrétaire de la Société Littéraire d'Arras,
a extrêmement bien dévelopé dans ua
Mémoire particuliei;. Cette combinaifon
fe fait d'une manière fucceffive, & elle ne
peut être que momentanée. L'oreille diftiu-
gue l'effet du battement & celui de la fî-
tuation : elle entend féparément l'un après
l'autre* Par exemple 5 dans la fyllabe ^^^
Toreille entend d'abord \q b ^ enfuitel'^;
& l'on garde ce même ordre, quand oa
écrit les lettres qui font les fyllabes> & Içs
fylUbes qui font Jes mots.
Enfiu a cette union eft de pçu de durécj
dô Grammaire^ 509
parcequ'il ne feroit pas pofTible qiie les
organes de la parole fuffent en même temps
en deux états , qui ont chacun leur effet
propre & différent. Ce que nous venons
d'obferver à Tégard de la confonne qui
entre dans la compolîtion d une fyllabe ,
arrive aulîî par la même raifon dans les
deux voyelles qui font une diphtongue,
comme ul ^ dans luï^ nuit y bruit j, &c. \^ii
eft entendu le premier ; & il n'y a que le
fon de Xi qui puifTe être continué , parce-
que la fituation des organes qui forme Xi
a fuccédé fubitement à celle qui avoir fait
entendre Xu.
L'articulation ou combinaifon dune
confonne avec une voyelle fait une fyllabe :
cependant une feule voyelle fait auffi fore
fouvent une fyllabe, La fyllabe eft un fon,
ou fimple ou compofé , prononcé par une
feule impuldon de voix. A-jou-té^ ré-u-nî^
crc-e.
Les fyllabes qui font terminées par des
confonnes font toujours fuivics d'un ion
foible , qui eft regardé comme un 5 muet»
jio Principes
C efl: le nom qu'on donne à TefFet de la
dernière ondulation , ou du dernier tré-
moulîèment de Fair fonore , c'eft; le dernier
ébranlement que le nerf auditif reçoit de
cet air. Je veux dire que cet e muet foible
n'eft pas de même nature que Ve muet
excité à delîein , tel que Ve de la fin des
mots vu-e ^ vi-e j & tels que font tous les
c de nos rimes féminines. Ainfi il y a bien
de la diftérence entre le fon foible que
Ion entend à la fin du mot Michel j & le
dernier du mot Michéle ; entre bel 8c
belle ; entre coq & coque ; entre Job 8c
robe; bal 8c balle ; cap 8c cape ; Siam 8c
ame j 8cc.
S'il y a dans un mot plufieurs confonnes
de fuite > il faut toujours fuppofer entre
chaque confonne cet e foible & fort bref.
Il eft comme le fon que Ton diftingue en-
tre chaque coup de marteau , quand il y
en a plufieurs qui fe fuivent d'auffi près
qu'il eft pofîîble. Ces réflexions font voir
que Ve muet foible eft dans toutes les
langues.
de Grammairel 5 1 W
Recueillons de ce que nous avons dit,
que la voyelle eft le fon qui ré fuite de la
fituation où les organes de la parole fc
trouvent dans le temps que Tair de la voix
fort par la trachée artère , & que la con-»
fonne eft Teifet de la modification pafla-
gère que cet air reçoit de ladion momen-
tanée de quelqu'organe particulier de la
parole»
Ceft relativement à chacun de ces or-*
ganes, que dans toutes les langues on di-
Vife les lettres en certaines claflTes , où elles
ibnt nommées du nom de Torgane parti-
culier qui paroît contribuer le plus à leur
formation. Ainfi les unes font appelées la^
iialesj d'^niiiCS linguales j ou bien palada^
iesj ou dentales j ou naiales j ou guttu*
raies. Quelques-unes peuvent être dans
Tune & dans lautre de ces clafles, lorfquc
4ivers prganei concourent à leur formai
lion.
Labiales-B,P,F,V>M.
Linguales. D , T , N , L , R*
Pal^ii*Ies* G, J, G fon ou K ou Q;
5 î 2; Principes
le mouîllé fort Ille & le mouillé foibIey^#
Dentales ou fiflantes. S ou C doux j tel
que fejjij, Z, CH. Ceft à caufe de ce
fîflemcnt que les anciens ont appelle cqs
confonnes fémivocales ^ femivocalcs ^ de-
mi-voyelJes -, au lieu qu'ils appelloient les
autres muettes.
Nazales. M , N. G N.
Gutturales. Ceft le nom qu on donne à
celles qui font prononcées avec une afpi-
ration forte , & par un mouvement du
fond de la trachée artère. Ces afpirations
fortes font fréquentes en orient & au midi.
Il y a des lettres gutturales parmi les peu-
ples du nord. Ces lettres paroiflent rudes
à ceux qui n'y font pas accoutumés. Nous
n avons de fon guttural que le hé j qu on
appelle communément H afpirée. Cette
afpiration eft Teffet d'un mouvement par-
ticulier des parties internes de la trachée
artère. Nous ne l'articulons qu'avec les
voyelles , le héros ^ la hauteur.
Il y a des Grammairiens -qui mettent le
H au rang des çonfQnnes ^ d autres >, au
de Grammaire^ 515
Côntraircfbutiennent que ce figne ne mar-
quant aucun fon particulier y analogue aux
fons des autres confonnes , il ne doit être
confidéré que comme un figne d'afpiration*
Pour moi > je crois que puifque les uns
& les autres de ces Grammairiens convien.
iient de la valeur de ce fîgne 5 ils doivent
fe permettre réciproquement deTappeler,
ou conforme _, ou figne d'afpiraàon _, félon
le point de vue qui les affecte le plus.
La diverfité des climats caufe des diffé-
rences dans la prononciation des langues.
Il y a des peuples qui mettent en adiort
certains organes 5 & même certaines par-
ties des organes, dont les autres ne font
point ufage. Il y a auffi une forme ou ma-*
nière particulière de faire agir les organes.
De plus, en chaque nation, en chaque pro-
vince, & même en chaque ville, on s'é-
iionce avec une forte de modulation par-
ticulière : c'eft ce qu'ion appelle accent na^
tionalj ou accent provincial. On en con*-
tradte Thabitudcpar l'éducation j & quand
les efprits animaux ont pris une certaine
jt4 Principes
toute, il eft bien difficile , malgré Tempifô
de lame , de leur en faire prendre une
nouvelle. De-Jà vient auflî qu'il y a de$
peuples qui ne fauroient prononcer cer*
taines lettres. Les réflexions qu'on peut
faire fur ce fujet font fort utiles pour ren-
dre raifon des changemens arrivés à cer-
tains mots 5 qui ont paflfé d'une langue
dans une autre. Voyez la D'ijfertadon de
M. Falconet ^fur les principes de Vétymo^
lôgie ^ dans YHiJloire de l'Académie des
Belles-Lettres. Il faut voir auffi les Gram-»
maires des différentes langues.
A regard du nombre de nos confonnes,
(î Ton ne compte que ces fons , & qu'on
ne s'arrête point aux caradères de notre
alphabet, ni à lufage fouvent déraifonna*
ble que Ton fait de ces caractères , on trou*
vera que nous avons dix-huit confonnes,
qui ont un fon bien marqué , & auxquelles
la qualification de confonnc n'eft point
conteftée.
Nous devrions donner un caradlcre pro*
pre, déterminé, unique &: invariable à
de Grammairci 5; i j
chacun de ces fons : ce que les Grecs
ont fait exactement, conformément aux
lumières naturelles. Eft - il en effet raifon-
nable que le même fîgne ait des deftina-
tions différentes dans le même genre j &
que le même objet foit indiqué tantôt par
lin figne , tantôt par un autre ?
Avant que d'entrer dans le compte de
nos confonnes , je crois devoir faire une
courte obfervation fur la manière de les
nommer.
Il y a cent ans que la Grammaire gêné-
raie de Port-Royal (i) propofa une manière
d'apprendre à lire facilement en toutes
fortes de langues. Cette manière confifl^
à nommer les confonnes par le fon pro-
pre qu elles ont dans les fyllabes où elles
fe trouvent, en ajoutant feulement à ce
fon propre celui de Vc muet , qui eft lef-
fet de Timpulfion de l'air néceffàire poui:
faire entendre la confonne. Par exemple,
il je veux nommer la lettre B dans les mots
(i) Partie l ^ ch. 6.
5[ i^ Principes
Babylone j Bihus j &e. je lappdlerai Ifâj
comme on le prononce dans la dernière
fyllabe de tombe j ou dans la première de
befoin.
Ainfi du Z>j que je nommerai de^com*
me on Tentend dans ronde.
Je ne dirai plus effe ; je dirai fe j com-
me à^nsfera j étoffe.
Cette pratique facilite extrêmement la
liaifon des confonnes avec les voyelles,
pour en faire des fyllabes. Elle a été renou-
vellée de nos jours, par MM. de Launay,
père & fils, & par d'autres maîtres habiles.
Les mouvemens que M* Dumas s^'efl: don-
nés pendant fa vie pour établir fon bureau
typographique, ont auflî beaucoup con-
tribué à faire connoître cette dénomina-
tion y en forte qu'elle eft aujourd'hui pra-
tiquée même dans les petites écoles.
Voyons maintenant le nombre de nos
confonnes. Je les joindrai, autant qu'il
ferapoiïîble, à chacune de nos huit voyel-
les principales.
Exemples
de Grammaire.
1 ic U
lettre.
b.
P7
Nom de
U hrtr*
Fe.
CyC dur] Que.
D, d.
F,f.
C^dur
De.
Fc.
Guc
Exemples de chaque confoûnè avec
chaque voyelle.
a é i 6
Babylone , Beat , bière , bonnet ^
u ou eu e muet.
bule, boule, beurre, bedeau.
Cadre ou quadre, karat ou cir
rat , Icalendes ou calendes , le Que-
noi , qui , kiricle , coco , cure ,
le cou , queue , quérir , querelle.
Comme je ne cherche que les fons
propres de chaque lettre de notre lan-
gue, défignés par un fèul caradtère in-
communicable à tout autre fon , je ne
donne ici au c que le fon fort qu'il a
dans les fyllabes ca fCo , eu. Le fon doux
ce y ci y appartient au iS*,* & le fon ;je>
[i j appartient à la lettre j.
David , un dé , Diane , dodu ^
duché 5 douleur, deux ^ demander.
Faveur^ féminin ^ fini , forêt,
funefte, le four , le feu , femelle*
Gage , guérir , guide , à gogo i
guttural , goulu , gueux , guédé*
M m
Figure' Nom rfrt
Principes
àe la
Uttre,
J,J.
u lettn Je ne donne ici à ce caraûcre , que le
fon qu'il a devant dyOj w ; le fon foiblc
g€^ gij appartient au /.
Je.
L,!.
M, m.
N, n
Pf P-
Le.
Me.
Ne,
Pe.
Jamais, jéfuite , j*irai , joli , jupe^
joue 5 jeu 5 jetter , jetton.
Le fon du /devant i a été donné dans
notre orthographe vulgaire au g- doux,
gibier y gîte y giboulée ^ 6cc : ôc fouvent
malgré l'étymologie , comme dans ci
gît y hic jacet. Les partifans de l'ortho-
graphe vulgaire ne rerpeâent l'étymo-
logie que lorfqu^elle eft favorable à leurs
préjugés.
La 5 légion , livre , loge , la lune ,
Louis 5 leurrer , leçons.
Machine 5 médifant , midi , mo-
rale 5 mufe 5 moulin , meunier , me-
ner.
Nager , Néron , Nicole, novice,
nuage , nourice , neutre , mener.
Pape , péril , pigeon , pommade,
punition , poupée , peuple, pelé,
pelote*
de Grammaire,
5^9:
de la \lahttre\
Utfre, I I
R, r.
«, r.
T, c.
V, r.
Z, 2.
Ae.
Se.
Te.
Ve.
Ze.
Ragoût , règle , rivage , Rome ,
rude, rouge , Rcutlingen , ville de
Souabe j revenir.
Sage, féjour, Sion, Solon, fia-
cre 5 fouvenir , feul , femaine.
Table , ténèbres , tiarre , tonère,
tuteur, Touloufe, r ordre Teuto-
nique en Allemagne ^ tenir.
Valeur , vélin , ville , volonté .,
vulgaire , vouloir ,ye veux , venir,
Zacharie , zéphire , zizanie > zo-
ne, Zurich , ville de SuiJJe.
Aux quinze fons que nous venons dç
remarquer , on doit en ajouter encore
quatre autres , qui devroient avoir ua
caraûcre particulier. Les Grecs n'au-
roient pas manqué de leur en donner
un , comme ils firent à Ve long , à Vo
long 6c aux lettres afpirces. Les quatre
Ions dont je veux parler ici font le ch ,
qu'on nomme cAe, le gn, quonnom*
tue gne, le // ou lUj qui cft un foa
Mm i
510 , Principes
Ch,ch,
Gn,gn,
Tigurê Kom ie
de la la lettre
lettre.
Chc.
Gne.
L, I.
mouillé fort > & le y qu'on nomme yt ,
qui eft un fon mouille foible.
Chapeau , chérir , chicane , cho-
ie 5 chute y chou , chemin 5 cheval.
Il ne s'agit pas de ces deux lettres >
quand elles gardent leur fon propre ,
comme dans gnomes , magnas ; il s'agit
du fon mouillé qu*oïi leur donne dans,
Pays de Coca-gne, Allema-gnc,
ma-gnanime , Champa-gne 5 rè-gne,
h-gne, infî-gne jma-gnifiquej Avi-
gnon 5 oi-gnon.
Les Efpagnols marquent ce fon pat-
un n furmonté d'une petite ligne > qu'ils
appellent tilde , c'eft - à - dire ^ titre.
Montana , montagne ; Ejpaha y Ef pa-
rie.
mouillé
fort*
k
Nous devrions avoir auffi un
caradère particulier deftiné uni-
quement à marquer le ion de / mouillé.
Comme ce caractère nous manque , notre
orthographe n'eft pas uniforme dans la ma-
fiière de défigner ce fon. Tantôt nous Tin*
de Grammaire. Çïî
âiquons par un feul / j tantôt par deux //,
<jucIquefois par /A. On doit feuleiîient ob-
ferver que / mouillé eft prefque toujours
précédé d'un L Mars cet i n'eft pas pour
cela la marque caradériftique du / mouillé,
comme on le voit dans àvilj nll ^ exil :^
Jllj file^ vllj vile j où le / n'eft point
mouillé 5 non plus que dans Achille j pu--
pille j tranquille j qu'on feroit mieux de
n'écrire qu'avec un feul /.
Il faut obferver , qu'en plufieurs mots
Vi fe fait entendre dans la fyilabe avant le
fon mouillé , comme dsins péril j on entend
Yij enfuite le- fon mouillé /? /-ri-/.
Il y a au contraire , plufîeurs mots où
Yi eft: muet \ c'eft:-à-dire , qu'il n'y eft pas
entendu féparément du fon mouillé. Il eft
confondu avec ce fon , ou plutôt , ou il n'y
eft: point quoiqu'on l'écrive , ou il y eft
bien foible.
Exemple où l\ ejl entendu.
Péri-l 5 avri-1 , babi-1 , du mi-1 , genti-I«
homme, Bréû-1> fi-Ue , babi-lle ^véti-lle^
M m 3
^
jzi Principes
freti-IIe i chevi-lle , fami-lle y cédi-IIe i
Sévi-Ue*
Exemples ou Vïejlmuet ^ & confondu avec
lefon mouillé.
De Ta-il, de Vaily qu'il s^en ai-Ile,
bou-ill-on , bouillir y boute-ille , berca-il ,
éma-il , éventa-il , quil fou-ille 5 quil
fa-ille 5 le village de Sulli , merve-ille ,
fnou-iIIe> mou-iller 5 ni fou ni ma-ille ,y2?/2j
pare-ille , il ra-ille *, le due de Sulli y le feu-il
de la porte j /^fomme-il, i/ fomme-ilIe>
fou-iller , trava-il 5 travailler, qu'il veu-ille,
ta ve-ille 5 rien qui va-ille.
Le fon mouillé du / eft auflî naarqué dans
quelques noms propres par Ih j Milhaud ^
ville de Rouergue , M. Silkon ^ M. de
Pardalhac.
On a obfervé que nous n'avons point de
mots qui commencent par le fon mouillé.
Du yé 5 ou mouillé foible.
Le peuple de Paris change le mouillé
fort en mouillé foible. Il prononce ^-y^^
^u lieu dt fille ^ Verfa-yes^ pour Ferfail^
de Grammaire. 513'
hs^ Cette prononciation a donné lieu à
quelques Grammairiens modernes d obfer-
ver ce mouillé foible. En effet, il y a bien
de la différence dans la prononciation de
len dans mien y tien ^ &c, & de celle de
mo-yen y pa-yen^ a-yeux j a-yant^
Ba -yonne ^ Ma-yence j Bla -ye ville de
QuÏQmiQ^ fa-yance y emplo-yons à Tindi-
catif 5 afin que nous emplo-i-yons ^ que
vous a-i-yei^ j que vous fo-i-ye'nf^ au fub-
Jondif. La ville de No-yon^ le duc de
Ma -yenne j le chevalier Ba -yard j la
Ca-yenné j cayer ^fo-yer^ bo-yaux.
Ces Grammairiens difent que ce foti
mouillé eft une confonne. M. du Mas 5 qui
a inventé le bureau typographique 5 dit
que dans les vcioi^pa-yer^ emplo-yer^ &c,
j/efl une efpèce d'i mouillé confonne ou
demi'Confonne (i).
M. de Launay dit que cette lettre y efi:
amphibie •, qu'elle eft voyelle quand elle a
la prononciation de Xi; mais qu'elle eft.
(i) Bibliothèque des Enfens, III^ vol^p. 209*
Mm 4
5 14 Principes
CQiifonne ,. quand on l'emploie avec les
voyelles , comme dans les fyllabesy^j^/j.
5$ci & qu'alors il la met au rang des coîk^
fqnnes (i).
Pour moi , je ne difpute point fur le
nom 5 Teflèntiel eft de bien diftinguer &
de bien prononcer cette lettre. Je regarde
ce fon yé dans les exemples ci-delïus ,.
comme un fon mixte , qui me paroît tenir
de la voyelle & de la confonne^ & faire
une claile à part.
Ain(î y en ajoutant le che & les deux
fons mouillés gn & Il ^ aux quinze premiè-
res corifonnçs y cela fait dix-huit confon-
nés , fans compter le h afpiré , ni le mouillé
fpible ou fon mixte ye^
Jt n'ai poir^t placé la lettre x parmi let
cc^ofpnnesjparcequ'elle n'a point de foa
qui lui foit propre. Ceft une lettre dou-
ble, quç leç. CQpiftes ont mife en ufage
ppur abréger. Elle fait quelquefois le fer^
Vipe des deux lettrçs fortes csj, & quçlque^
fqis celui des deux fpibles^:^.
I
tie Grammaire:
X pour es.
exemples.
Frononceiy
Axe^
Ac-fe.
Axiome.
Ac-fiome.
Alexandre.
Alec-fandre.
Fluxion,
Fluc-fîon.
Sexe*
Sec-fe.
Taxe,
Tac-fe.
Vexé.
Vec.fé.
Xavier*
Cfa-vier;
Xénophon.
Cfé-nophon.
X pour GZ^
Exemples^
Prononcei^
Examen.
Eg-zamen;
Exempte.
Eg-zemple.'
Exaucer.
Eg-zaucer*
Exarque.
Eg-zarque.
Exercice.
Eg-zercicCa
Exil.
Eg-zil.
Exiger.
Eg-ziger.
Exode.
Eg-zode.
Exhorter,
Eg-?horcer.
'5i<
^lé Principes
A la fin des mots 5 Yxay en quelques
noms propres, le fon du es; AjaXj Pollux^
Styx : on prononce Ajacs^ Pollux^ Stycs.
Il en eft de même de radjedif /?r<?jÎAr j
qu'on prononce /7re)îc^.
Mais dans les autres mots que les maî-
tres à écrire 3 pour donner plus de jeu à
la plume, ont terminés par un a: j ce a:
tient feulement la place du s^ comme dans
je veux ^ les deuXj les ieux^ la voixjjîx^
dix j chevaux.
Le X eft employé pour deux jf dans
foixante y Bruxelles ^ Auxone y Auxerre.
On dit AuJJerre j /biffante j Brujfelles j
Aujfone J à la manière des Italiens qui
n'ont point de a; ^ dans leur Alphabet , &:
qui emploient les deux ^ à la place de J
cette lettre : Alejfandro j Alejjïo.
On écrit auflî , par abus , le a: au lieu
du ^j en ces mots Jixième j deuxième j
quoiqu'on prononce Ji'^ième _, dew^ième.
Le X tient lieu du c dans excellent ^^ pro-
noncez eccellent.
Dans la lifte que j ai donnée des con*
de Grammaire. ^ly
(bnnes , j ai rejette les caradtcres auxquels
un ufagc aveugle a donné le fon de quel-
qu'un de ceux que ]y ai comptés. Tels
font le k 8cIq q j puifque le c dur marque
exactement le fon de ces lettres. Je n'ai
point donné au c le fon dufj ni au fj le
fon du ^. Ceft ainfî qu'en grec le x^ cappa^
eft toujours c^/?/?a ^X^f^figma^ toujours
Jigma. De forte que fi en grec la pronon-
ciation d'un mot vient à changer , ou par
contraction, ou par la forme de la conju-
gaifon , ou par la raifbn de quelque dia-
le(5te, lorthographe de ce mot fe confor-
me au nouveau fon qu'on lui donne. On
n'a égard, en grec, qua la manière de
prononcer les mots , & non à la fource
d où ils viennent 5 quand elle n'influe en
rien fur la prononciation , qui eft le feul
but de l'orthographe. Elle ne doit que
peindre la parole , qui eft fon original -,
elle ne doit point en doubler les traits , ni
lui en donner qu'il n'a pas, ni s'obftiner
à Je peindre à préfent tel qu'il étoic il y
a plufieurs années.
îjfiS Principes
Au refte y les réflexions que Je fais kÎ
n'ont d autre but , que de tacher de dé-
couvrir les fons de notre langue. Je ne
cherche que le fait. D'ailleurs, je reipede
lufage 5 dans le temps même que j'en
reconnois les écarts & la déraifon , & je
m y conforme , malgré la réflexion fag«
du célèbre prote de Poitiers & de M,
Refl:aut , qui nous difent (i) c^' il ejl tou-
jours louable j en fait d'orthographe j de
quitter une mauvaife habitude pour en
contracter une meilleure ; c'eft-à-dire, plus
conforme aux lumières naturelles & au but
de Fart.
Que fî quelqu'un trouve qu'il y a de
la contrariété dans cette conduite , je lui
répons que tel efl: le procédé du genre
humain. AgifTons-nous toujours conformé*
ment à nos lumières & à nos principes ?
Depuis M. labbé de Dangeau , nos
Grammairiens divifent les confonnes en
(i) Traité de rOrthograghc en forme d^
DicHonaircy à la lettre X.
dô Grammaire. jx^'
foibUs & en fortes. EfFedtivement il y a
plufîcurs lettres qui fe prononcent facile-
ment Tune pour 1 autre y parceque ces
lettres étant produites par les mêmes orga-
nes, il fuffit d'appuyer un peu plus ou un
peu moins pour les faire entendre > «u
Tune ou l'autre. Aind le même organe
poufïe par un mouvement doux, produit
une confonne foible, comme B j 8c s'il
a un mouvement plus fort & plus appuyé,
il fait entendre une confonne forte, com-
me P. B eft donc la foible de P ^ Se P
eft la forte de B. Je vais oppofer ici ces
lettres les unes aux autres.
Confonnes
fo.
'b/es.
Conformes forces.
B.
P.
Bâcha.
Pacha.
Baigner,
Peigner.
Bain.
Pain.
Bal.
Pal , terme de Blafon.
Balle.
Pâle.
Ban.
Vm^ divinité du P a-
ganifme.
5 3 ô Principes
Conformes foibles. Confonnes fortes^
Baquet.
Paquet.
Bar 3 duché
en Lor
. Par.
raine.
Bâté.
Pâté.
Bâtard.
Patar , petite mon*
noie.^
Beau.
Peau.
Bêcher. •
Pêcher.
Bercer.
Percer.
Billard.
Pillard.
Blanche.
Planche.
Bois.
Pois.
D.
T.
Padfcyle , terme de TaOiile , qui peut être
Foéjie.
touché^ ou qui con^
cerne lefens du tou*
cher : les qualités
taciiles.
Danfer*
Tanfer j réprimander.
Dard.
Tard.
Dîirer.
Tâter.
de Grammaire: 531:
Confonnes faibles. Conformes fort&s.
Déifte,
Théifte.
Dette.
Tette, Tête.
Doge.
Toge.
Doigt.
Toit.
Donner.
Tonner.
G , gue.
C dur , K ou Q, qu€^
Cabaret (i).
Cabaret.
Gâche.
Cache.
Gage.
Cage.
Gale.
Cale 5 terme de Ma-
rine.
Gand. Quand.
Can 5 qu'on écrit com-
munément Cacn.
Glace.
ClafTe.
Grâce.
Crafife.
Grand.
Cran.
Grève.
Crève.
Gris.
Cri, cris.
(i) Ville de Gafcogne.
5 ?^' Principes
Confonnes foïbks. Confonnes forttsi
Groflë.
Crofle.
Grotte*
Crotte.
J, je.
Ch , ckcè
Japon.
Chapon.
Jarretière.
Charretièreé
Jatte*
Chatte*
V, vc.
T,fc.
Vaîn.
Faim»
Valoir.
Faloir.
Vaneri»
Faner.
Vendre, vendu.
Fendre , fendu*
2>î^-
s,/^.
Zèle.
Selle.
Zonç.
il Sonne , de fonncr.
La Saône , rivière.
Ye mouillé foihké
L, \\ mouillé foa.
Qu'il pai*-ye*
Pa-ille.
Pa-yen.
Ma-ille.
Mo-ycn^
Ya-iUc.
Conformes
âe Grammaire: 53^
'Conformes faibles. Conformes fottesi
!La ville de Bla-ye en Verfa-illes.
Guyenne^
Xes if es Luca-yes en Fi-lle*
Amérique.
La ville de No-yon Fami-IIe , &c.
en Picardie 5 &Cé
Par ce détail des conformes foibles &
des fortes 5 il paroîc qu'il n'y a que les
deux lettres nazales m^y n & les deux liqui-
des / j r j dont le fon ne change point d'un
plus foible en un plus fort, ni d'un plus
fort en un plus foible. Et ce qu'il y a de
plus remarquable à Tégard de ces quatre
lettres? félon TobfervationqueM. Harduiit
a faite dans le Mémoire dont j'ai parlé , c'eft
qu^elles peuvent fe lier avec chaque ef-
pèce de C'jnfonne, foit avec les foibles >
foit avec les fortes 5 fans apporter aucune
altération à ces lettres. Par exemple , im^
bibé ; voila le ni devant une foible*, impi*
toyable j le voila devant une forte. Je ne
prétens pas dire que ces quatre confonnes
N
a
'5 3 4 Principes
foient immuables \ elles fe changent fou-
vent, fur-tout entr'elles : je dis feulement
qu'elles peuvent précéder ou fuivre indif-
féremment ou une lettre foible ou une
lettre forte. C'eft peut-être par cette rai-
fon que les anciens ont donné le nom de
liquides à ces quatre confonnes ^ Z^, /72j Hj r.
Au lieu qu'à Tégard des autres , fi une
foible vient à être fuivie d'une forte , les
organes prenant la difpofition requile pour
articuler cette lettre forte, font prendre
le fon fort à la foible qui précède i en forte
que celle qui doit être prononcée la der-
nière, change celle qui eft devant en une
lettre de fon efpèce : la forte change la
foible en forte , & la foible fait que la 1
forte devient foible. %
C'eft ainfi que nous avons vu que le x
vaut tantôt es j qui font deux fortes 3&:
tantôt g'[^ qui font deux foibles. C'eft par
la même raifon , qu'au prétérit le h de
Jcribo fe change en/?j à caufe d'une lettre
forte qui doit fuivre : ainfi on dit ^fcribo^
fcriv/i j fcriptum. M, Harduin eft entré à
de Grammaire: 53 J
ce fujet dans un détail fort exa6t , par ra-
port à la langue françoife \ & il obfervé
que, quoique nous écrivions abfcnt ^ Ç\
Î10US voulons y prendre garde, nous trou-
verons que nous prononçons apfent.
De la Lettre E.
l^A lettre E j e ^ ett: h cinquième de la
plupart des alphabets , & la féconde des
voyelles.
Les anciens Grecs s'étant apperçus qu'en
certaines fyllabes de leurs mots , ïe étoic
moins long & moins ouvert qu'il neTétoic
en d autres fyllabes , trouvèrent à propos
de marquer par des caractères particuliers
cette différence , qui étoit fî fenfîbîe dans
la prononciation*
En latin , & dans la plupart des langues^
ïe eft prononcé , comme notre e ouvert
commun au milieu des mots, lorfqu'il
cft fuivi d'une confonne ^ avec laquelle it
ne fait qu'une même fy llabe-, cœ-lèbsj
mèl j pèr.j patrèm omnipo-ten-ûm j pèsi
Nn à
j 5 <^ Principes
ctj Sec : mais félon norr^ manière de pro-
noncer le latin , Ye eft fermé , quand il
finit le mot s rnarc y tubile j pâtre j &c.
Dans nos provinces d'au-delà de la Loire,
on prononce Ve final latin , comme un e
ouvert. Ceft une faute.
Il y a beaucoup d analogie entre Ye fer-
mé & Ti : c'eft pour cela que Ton trouve
fouvent Tune de ces lettres au lieu de
Fautre, herè j herl. Ceft par la même rai-
fon, que Pablatif de plufieurs mots latins
cft en e ou en i ; prudente & prudenti.
Mais palTons à notre e françois. J'obfer-
verai d'abord, que plufieurs de nos Gram-
mairiens difent> que nous avons quatre
fortes dV. La Méthode de Port-Royal au
Traité des Lettres, pag. 621 , dit que ces
quatre prononciations différentes de \e fe
peuvent remarquer dans ce feul mot , dé-
terrement i mais il eft aifé de voir qu'au-
jourd'hui \e de la dernière fyllable , /Tz^/zr^
n'eft e que dans l'écriture.
La prononciation de nos mots a varié.
L'écriture n'a été inventée, que pour indi-
de Grammaire. 537
l^uer la prononciation \ mais elle ne fau-
roit en fuivre tous les écarts , je veux dire,
tous les divers changemens. Les enfans
s'éloignent infenfibleiiicnt de la pronon-
ciation de leurs pères : ainfi Torthographe
ne peut fe conformer à fa deftination que
de loin en loin. Elle a d'abord été liée
dans les livres 5 au gré des premiers inven-
teurs. Chaque figne ne fîgnifioit d abord
que le fon pour lequel il avoir été inventé :
le figne ^^ marquoit.le fon a; le figne e^
le fon e j &c. C'eft ce que nous voyons
encore aujourd'hui dans la langue grec-
que 5 dans la latine , & même dans Tita-
lienne & dans Tefpagnole. Ces deux der-^
nières, quoique langues vivantes, font
moins fujetes aux variations, que la notre*
Parmi nous 3 nos ieux s'accoutument dès
Fcnfance à la manière dont nos pètes écri-*
voient un mot ,. conformément à leur
manière de le prononcer ^ de forte que»
quand la prononciation eft venu a chan-^
ger , les ieux accoutumés à.. la. manière'
4'ççrire de nos pères , fe font oppofés au
Nn5
5 5 s Principes
concert que la raifon auroit voulu întrcH
dluire entre la prononciation & Torthogra-»
phe y félon la première deftination des
caractères. Ainfî il y a eu alors parmi nous,
la langue qui parle à l'oreille , & qui feule
eft la véritable langue ; & il y a eu la r la-*
iiière de la repréfenter aux ieux , non telle
que nous l'articulons 5 rqais telle que nos
pères la prononçoient ; en forte que nous
avons à reconnoître un moderne fous un
habillement antique. Nous faifons alors
une double faute : celle d'écrire un mot
autrement que nous ne le proHonçons, &
celle de le prononcer enfuite autrement
qu'il n eft écrit. Nous prononçons a &
nous écrivons e ^ uniquement parceque
nos pères prononçoient & écri voient e.
a ..,.., . Le premier e dans les mots em-^
pereur ^ çnfant j femme j &c, fait voir
feulement , que Ton prononçoit empereur j,
enfant jy féme ; 8c c'eft ainfi que ces mots
foqt prononcés dans quelques-unes de nos
povinces; Mais cela ne fait pas une qua,-»
(çiçwe fe^te d'^,. -^^ ^'^i-
de Grammaire. ;y59t
Nous n'avons proprement que trois
fortes dV. Ce qui les diftingue, c'eft la
itianière de prononcer Vcj ou en un temps
plus ou moins long , ou en ouvrant plus ou
moins la bouche. Ces trois fortes à'e^ font
Ve ouvert , Ve fermé , & Yt muet. On les
trouve tous trois en plufieurs mots. Fèrmetc
honnêteté ^ évêque jfevère^ échelle ^ Sec.
Le premier e de fermeté efl ouvert : c'efl:
pourquoi il eft marqué d'un accent grave#
La féconde fylJabe me n'a point d accent »
parceque Ve y eft muet. Té eft marqué de
Taccent aigu , c'eft le fîgne de Ye fermé.
Ces trois fortes d'e font encore fufce-
ptibles de plus ou de moins.
Ve ouvert eft de trois fortes : L Ve ou-
vert commun : IL Ve plus ouvert : III. IV
très-ouvert.
I. Ve ouvert commun : c eft Ve de pres-
que toutes les langues : c'eft Ve que nous
prononçons dans les premières fyllabes de
père ^ mère j frère j & dans il appelle j il
mène j ma nièce j & encore dans tous les
mots où Ye eft fuivi d une confonne, avec
Nn4
i540 Principes
laquelle il forme la même fyllabe, à moins
que cette confonne ne foit Inouïe ^jquî
marquent le pluriel, ou le nt de la troifîè*
me perfonne du plurier des verbes. Ainfî
on dit examen & non examen. On dit tèl^
hèlj ciel ^ chèfj href^ Joseph j nef^ reliefs
Ifraeh Ahel^ Babel, réel, Michel, mièt^
pluriel j criminel, quel, naturel, hôtel j
mortel , mutuel , l^hymèn , Sadducéen^
Chaldéen , il vient, \\foutiènt, &c.
Toutes les fois qu'un mot finit par un e
muet 5 on ne fauroit foutenir la voix fur
cet e muet, puifque iî on la fôutenoit,
IV ne feroit plus muet. Il faut donc que
Ton appuie fur la fyllabe qui précède cet ^
muet', & alors, (î cette fyllabe eft elle-
même un e muetji cet e devient ouvert
commun, & fert de point d'appui à la
voix , pour rendre le dernier e muet : ce
qui s'entendra mieux par les exemples^
t^Dans mener , appeller, 8cc. le premier e
eit muet, 8c n'eft point accentué. Mais f\
|e dis je mène^ j'appelle^ cet e muet devient
ouvert commun, & doit être accentué :/c
de Grammaire^. '541]
fnènCj f appelle. De même 5 quand je dis
y aime j je demande j le dernier e de
chacun de ces mots eft muet : mais iî je
dis, par interrogatiom, aimè-je j ne de^
mandè-je pas? alors Ve ^ qui étoit muet*
devient e ouvert commun.
Je fais qu'à cette occafion , nos Gram-
mairiens dilent que la raifon de ce change-
ment de Xe muet, c'eft qu/7 nefauroity
uvoir deux e muets de fuite : mais il faut
ajouter, cl la fin d' un mot. Car, dès que
la voix paflTe , dans le même mot , à une
fyllabe foutenue , cette fyllabe peut être
précédée de plus d'un e muet, REDE^
mander j REVEnirj &c. Nous avons mê-
tne plufieurs e muets de fuite , par des ma-»
nofyllabes : mais il faut que la voix palTe de
Ve muet à une fyllabe foutenue. Par exem-
ple , de ce que je redemande ce qui m^ejl
du ^ &c -, voila fix e muets de fuite, au
commencement de cette phrafe , & il ne
iauroit s en trouver deux précifément à la
fin du mot.
II, Ve eft plus ouvert en plufieurs mots»
542U principes
comme dans la première fyllabe de fcr^
metéj ou il eft ouvert bref. Il eft ouvert
long dans greffe.
III. Ve eft très-ouvert dans accès ^fuc^
cèsj êtrcj tempête j il ejl ^ ahbeffe ^ fans
ceffe^ profèffc jy arrêta forêt ^ trêve ^ la
grève ^ il rêve ^ h tête.
Ve ouvert commun au fîngulier, de-
vient ouvert long au plurier> le CHEF ^
les chefs ; un mot bref j^ les mots brefs ;
un autel j des autels. Il en eft de même
des autres voyelles, qui deviennent plus
longues au plurier. Voye-^ le Traité de la
Profodicj de M. Tabbé d'Olivet.
Ces différences font très-fenfibles aux
perfonnes qui ont reçu une bonne éduca-
tion dans la capitale. Depuis qu'un certain
efprit de juftelTe, de précifîon & d'exaéti-
tude s'eft un peu répandu parmi nous , nous
marquons par des accens la différence des e.
C eft fur-tout à loccafion de nos e brefs
& de nos e longs 5 que nos Grammairiens
font deux obfervations qui ne me paroif-
fent pas juftes*
de Grammaire. '54J;
La première, c'efl: qu ils prétendent que
nos pères ont doublé les confonnes, pour
marquer que la voyelle qui précède étoit
brève. Cette opération ne me paroît pas
naturelle. Il ne feroit pas difficile de trou-
ver plufieurs mots où la voyelle eft lon-
gue 5 malgré la confonne doublée 5 com-
me dans greffe & nefie. Le premier e eft
long, félon M. labbé d'Olivet (i).
L'e eft ouvert long dans ahbèjfe j pro-^
pjje j fans cè£e j malgré lyredoublée. Je
crois que ce prétendu effet de la confonne
redoublée, a été imaginé par zèle pour
lancienne orthographe. Nos pères écri-
voient ces doubles lettres , parcequ'ils \t%
prononçoient , ain(î qu'on les prononce ea
latin 5 & comme on a trouvé par tradition
ces lettres écrites, les ieux s'y font telle-^
ment accoutumés, qu'ils en fouffrentavec
peine le retranchement. Il falloit bien
trouver une raifon pour excufer cette foi-?
bleiTe/
t- " ■ .111 I i u^
' (x) Profoii. pag. <7*
1^44 ' Principe^
Quoi qu^il en foit 5 il faut confidécer là
voyelle en elle-même , qui en tel mot eft
brève , & en tel autre longue. Ua eft bref
à^ns place ^ & long dans grâce j &c.
Quand les poètes Latins avoient befoin
d'allonger une voyelle , ils redoubloient
la confonne fuivante 5 reUlglo. La première
de ces confonnes étant prononcée avec la
voyelle , la rendoit longue : cela paroît
raifonnable. Nîcot, dans fon Diclionaire^
au mot Aagej, obferve que , ce mot ejl écrit
par un double aa^pour dénoter ce grand A
François ^ ainfi que Va grec : lequel aa,
nous prononçons avec traînée de la voix
en aucuns mots j comme en Chaalons.
Aujourd'hui , nous mettons laccent cir-
eonflexe fur Va. Il ieroit bien extraordi-i
naire que nos pères euflent doublé les
voyelles pour allonger ^ & les confonnes
pour abréger*
La féconde obfervation , qui ne me pa-
roît pas exadle , c'eft qu'on dit qu'ancien-
nement les voyelles longues étoient fui-»
vies'dymuettes qui en marquoient la jcvi-;
de Grammaire. 545I
gueur. Les Grammairiens qui ont fait cette
remarque 5 n'ont pas voyagé au midi de
la France , où tous ces /Te prononcent en-
core , même celle de la troifième perfonne
du verbe ejl : ce qui fait voir que toutes
Ccs/n^ont d'abord été écrites, que parce-
qu'elles étoient prononcées. L'orthographe
a d'abord fuivi , fort exadement , fa pre-
mière deftination : on écrivoit une/*j par-
cequ'on prononçoit une f. On prononce
encore ces /en pluficurs mots , qui ont h
même racine que ceux où elle ne fe pro-
nonce plus. Nous difons encore /^i/Zj de
Jête ; la Bajllllc j & en Provence , la
Bajlide ^ de bâtir. Nous difons , prendre
une ville par efcalade j à^ échelle ; donner
la bafionnadcj de bâton \ ce jeune homme
a fait une efcapadej quoique nous difions,
séchaper ^ fsLusfi
En Provence , en Languedoc , & dans
les autres provinces méridiopales , on
prononce l'/de Pafquc ; & à Paris, quoi-
qu'on dife 5 Pâquc j on dit 3 Pafcalj PaJ^
quin j pafquinadc.
^46 Priticîpeà
Nous avons une efpèce de chiens, qu'oit
appelloit autrefois , Efpàgnolsj parcequ'ils
nous viennent d'Efpagne. Aujourd'hui , on
écrit Epagneul ; on prononce ce mot fans
f^ & Ve y eft brefT On dit prejlolet j prej-
bytère j de prêtre ; prejladon de ferment ;
prejiejfcj ccleritas^ dcpreflo effcj être prêt.
Ve eft aufïî bref en pluiîeurs mots y quoi-
que fuivi d'une y*j comme dans prefque >
modejlej lefie^ terrejire^ trimejire ^ &c.
Selon M. Tabbé d'Olivet (i), il y a
suffi plufieurs mots où Ye eft bref, quoi-
que lyen ait été retranchée , échelle. Etre
eft long à Tinfinitif 5 mais il eft bref dans
yous êtes j il a été.
Enfin 5 M. Reftaut , dans le Dicllonairè
de l'Orthographe françoife j au mot régi-
fire^ dit que ly fonne auffi fenfiblement
dans regijlrejy que dans lijle Se funejle ; &
îl obferve, que du temps de Marot, on
prononçoit épijlre ^ comme regijlre j 8c
que c'eft par cette raifon que Marot a fait
(i) Profod,
de Grammaire. 547
rimer regljlrc avec épijlre. Tant il eft vrai
que c'ell de la prononciation que l'on doit
tirer les règles d<e lorthographe. Mais re-
venons à nos e.
lue fermé eft celui que Ton prononce
en ouvrant moins la bouche , qu'on ne
Touvre lorfqu'on prononce un c ouvert
commun. Tel eft IV de la dernière fyllabe
dQ fermeté ^ bonté j Sec.
Cet e eft aufîî appelle mafculin , parce-
que lorfqu'il fe trouve à la fin d'un parti-
cipe ou d'un adjedif 5 il indique le maf-
culin 5 ciifé ^ habillé j aimé ^ Sec.
Ve des infinitifs eft fermé y tant que IV
ne fe prononce point^mais lî Ion vient à pro-
noncer IVj ce qui arrive toutes les fois que
le mot qui fuit commence par une voyelle,
alors Ve fermé devient ouvert commun 9
ce qui donne lieu à deux obfervations.
i.^ Ve fermé ne rime point avec IV
©uvert : aimer ^ abîmer^ ne riment point
avec la mer^ mare. Ainfi Madame Deshou-
lières n'a pas été exade, lorfque dans 17-
dylle du ruijjeaii , elle a dit :
54§ Principes
Dans votre fein il cherche à s^abîmen
Vous & lui 5 jufqu^a la mer y
Vous n^êtes qiHune même chofe.
2.^ Mais comme Ve de Tinfinitif devient
'f)uvert commun, lorfque IV qui le fuit eft
lié avec la voyelle qui commence le mot
fùivant, on peut rappeller la rime ^ en
difant :
Dans votre fein il cherche à s'abîmer j
Et vous & lui y jufqu^à la mer y
^ Vous îi?êtes qu'une même chofe.
lie muet eft ainfi appelle , relativemcnc
aux autres é. Il n'a pas, commue ceux-ci,
un fon fort , diftind & marqué. Par exem-
ple, dans mener ^ demander jy on fait en-
tendre Vm & le ^ j comme fî Ton écrivoit,
mner j dmander.
Le fon foible qui fe fait à peine fentir
entre Xm & Xn de mener ^ & entre le d
& Xm de demander jy eft précifément Xe
muet. C'eft une fuite de lair fonore qui a
été modifié par les organes de la parole,
pour faire entendre ccs^confonnes.
Vu
de Grammaire. 549
Ue muet des monofyllabes me^ te^ fe^
ic^ dcj eft un peu plus marqué. Mais il ne
ïaut pas en faire un c ouvert, comme font
ceux qui difent amènt-lè : Ve prend plutôt
alors le fon de Veu foible.
Dans le chant, à la fin des mots, tel que
gloire 3 fidèle ^ triomphe ^ Ye muet eft
moins foible que Ve muet commun, &
approche d avantage de Veu foible.
LV muet foible , tel qu'il eft dans me-
ner :y demander^ fe trouve dans touces les
langues, toutes les fois qu'une confonne eft
fuivie immédiatement par une autre con-
fonne. Alors, la première de ces confon-
nes ne fauroit être prononcée fans le fe-
cours d'un efprit foible. Tel eft le fon que
Ton entend entr€ le /? & Vf^y dans pfeudoy
pjalmus^ Pfittacusjy & entre Y m & Yn de
mna ^ une mine , efpèce de monnoie *>
Mnemofine^ la mère odes Mufes, la Décile
de la'mémoire.
On peut comparer Ye muet , au fon foi-i
Ible que roû entend après le fon for%
^
5jo 'Principes
<jue produit un coup de marteau qui frappe
un corps folide^
Ainfî il faut toujours s'arrêter fur la
fyllabe qui précède un c muet à la fin des
mots.
Nous avons déjà obfervé , qu on ne
fauroit prononcer deux e muets de fuite,
à la fin d un mot, & que c'eft la raifon
|)Our laquelle Ve muet de mener devient
puvert dans je mène.
Les vers qui finilTent par un e muet >
ont une fyllabe de plus que les autres ,
|)ar la raifon que la dernière fyllabe étant
muette? on appuie fur la pénultième. Alors,
je veux dire à cette pénultième , Toreille
eft fatisfaite , par raport au complément
du rithme & du nombre des fyllabes : &
comme la dernière tombe foiblement, &
qu'elle n'a pas un fon plein , elle n eft
point comptée , & la mefure eft remplie
à la pénultième :
Jmn€ & vaillant hiros , dont la haute fageffu
de Grammaire: yjiT
ÎL oreille eft fatisfaite à la pénultième >
^cf^ qui eft le point d appui > après lequel
X)\\ entend Xc muet de la dernière fyllabe
A
LV muet eft appelle féminin^ parce-^
qu'il fert à former le féminin des adjeétifs^
Par exemple, faint jy fainte ; pur ^ pure ;
hon j bonne j Sec. Au lieu que ïe fermé eft
appelle mafculin ^ parceque lorfqu'il ter-
mine un adjeétif, il indique le genre maf-
culin, un homme aimé ^ &c.
Ve qu on ajoute après le ^3 il mangea j,
êccy n'eft que pour empêclier quon ne
donne au g le fon fort gaj qui eft le ieul
qu'il devroit marquer. Or, cet e fait qu'on
lui donne le fon foible, ilmerija. Ainli cet
e n'eft ni ouvert, ni fermé, ni muet. Il
marque feulement , qu'il faut adoucir le ^j
& prononcer je ^ comme dans la dernière
fyllabe de gage. On trouve en ce mot le
{qi\ fort & le fon foible du ^^
h'e muet eft la voyelle foible de eu : ce
qui paroit dans le chant, lorfqu'un mot
fmx par un c muet moins foible.
j$z Principes
Rien ne peut i^arreter
Quand la gloire V appelle,.
Cet eu y qui eft la forte de Ve muet , eft
une véritable voyelle. Ce n'eft qu\in forr
fimple 5 fur lequel on peut faire une tenue*.
Cette voyelle eft marquée dans 1 écriture
par deux earadtères : il ne s'enfuit pas de-
là que eu foit une diphtongue à Toreille y
puifqu'on n'entend pas deux fons voyelles.
Tout ce que nous pouvons en conclure y
c eft que les auteurs de notre Alphabet ne
lui ont pas donné un caradtère propre.
Les lettres écrites , qui , par les change*
jnens furvenus à la prononciation , ne fe
prononcent point aujourd'hui, ne doivent
que nous avertir que la prononciation a
changé. Mais ces lettres multipliées ne chai>
gent pas la nature du fon fimple, qui feut
eft aujourd'hui en ufage, comme dans la
dernière fyllabe de ils aimoientj, amahant^
JJe eft muet long dans les dernières
lyllabes des troifièmes perfonnes du plu-
mier des verbes , quoique cet c foit fuivi
dd Grammaire: %^y
Snt qu'on prononçoit autrefois ^ & que
les vieillards prononcent encore en cer-
taines provinces. Ces deux lettres vien-
nent du latin , amant ^ ils aiment.
Cet e muet eft plus long & plus fenfi-
ble qu'il ne Teft au fingulier. Il y a pea
de perfonnes qui ne Tentent pas la diffé-
rence qu'il y a dans la prononciation 5 en-
tre il aime j & ils aiment.
DES DIPHTONGUES.
Xj e mot diphtongue par lui - même eŒ
^i]cô:i{ de Jyllabe ; mais dans Tufage ou
le prend fubftantivement. j4 eft une fyl-
labe monophtongue 5 c'eft-à-dire, une fyU
Jabe énoncée par un fon unique ou fimplei
au lieu que la fyllabe au prononcée à la
latine a ou j 8c comme on la prononce en-
core en Italie 5 &c. & même dans nos Pro-
vinces méridionales-, auj dis-je, ou plutôt
a-ouj c'eft une diphtongue, c'eft-à-dire>
O03
j^j:^ Principes,
une fyllabe qui fait entendre le fon cïtf
deux voyelles par une même émiffion de
voix, modifiée par le concours des mpu-
vemens fîmukanés des organes de la pa-
role. De cT/V , bis j & <pboyyoç^fonus.
L'eflTence de la diphtongue confifte
donc en deux points.
I.® Qu'il n'y ait pas > du moins fenfîble-
ment> deux mouvemens fucceiïîfs dans
les organes de la parole.
2.^ Que Toreille fente diftindtement
les deux voyelles par la même émiflîon de
voix. Dieu; j'entens Ti & la voyelle eu;
8c ces deux fons fe trouvent réunis en
une fèuIe fyllabe, & énoncés en un feul
temps. Cette réunion , qui efl: Teftet d une
feule émifîîon de voix , fait la diphton-
gue j ainfi ^z/ ^ aij oient j &c. prononcés
à la françoife, o^ èj êj ne font point
diphtongues. Le premier eft prononcé
comme un ô long , au-mône ^ au- ne. Les
partifansmême de lancienne orthographe
récrivent par o en plufieurs mots, malgré
rétymologie , or de aurum ; o - rcille 4e
de Grammaire: ^f 5 5;
mirb; & \ Tégard de ai^ oit:, aient ^ 011
les prononce comme un e ^ qui le plus
fouvent eft ouvtn-, palais commtfuccès;.
ils av-oientj ils ave j &c.
Cette différence entre Torthographe Se
la prononciation) a donné lieu à nos Gram-
mairiens de divifer les diphtongues en.
vraies ou propres, & en faulTes ou impro-
pres. Ils appellent auffi les premières dipk^
longues d^ L'oreille jy & les autres diphton'--
gues aux ieux. Ainfî V^ & TCE ^ qui ne
fe prononcent plus aujourd'hui que comme
un e^ ne font diphtongues qu'aux ieux;
c'efl: improprement qu'on les appelle diph-*^
tangues.
Nos voyelles font a^J^è y ê j ij Oj euy^
c muet 5 ou. Nous avons encore nos voyel-
les nafaleSj^/Zj ^/2j in^ on ^ un. Ceft la.
combinaifon ou l'union de deux de ces
voyelles en une feuîe fyllabe > en un feul
temps, qui fait la diphtongue.
Les Grecs nomment pr^/^q/TnVe la pre-»
îjiicre voyelle de la diphtongue , 8>cpoJlpo^
Jitive la fçconde : ce n eft que fur celle - ci
Oq4
j 5 5 S Principes
que Ton peut faire une tenue, commç^
310US lavons remarqué en parlant des coiv
fonnes.
Il feroit à fouhaiter que nos Gramman
riens fuflent d'accord entr'eux fur le nom-
bre de nos diphtongues ; mais nous n'en
fommes pas encore à ce point là. Nous
avons une Grammaire qui commence la
lifte des diphtongues par eo j dont elle
donne pour exemple Géographie ^ Théo^
logie. Cependant il me femble que qq^
îiiors font de cinq fyllables , Gé - o - gra-
phite j Thé'O-lo'gi-e. Nos Grammairiens
& nos Didionaires me paroiiTent avoir
manqué de juftefTe & d'exaditude au fujet
des diphtongues , mais lans me croire plus
infaillible, voici celles que j'ai remarquées
en fuivant Tordre des voyelles. Les unes
fe trouvent en pluiieurs iTvots, & les au^
1res feulement en quelques uns,
A ij tel qu'on Tentend dans Tinterje^
âion de douleur ou d'exclamation , aij aij
al ; & quand Va entre en compofition dans
ia mêuie fyllabe avec le mouillé fore 3 corn-
de Grammaire: 557
me dans m^alljy b-ail^ de Y-aîlj a-tï-r-ail^
évan-t-ail ^por-t-ail j 8cc. ou qu'il eft fuivi
du mouillé foible^la ville de Bl-aye en
Guienne , les îles Lu-c-ayes en Amérique.
Cette diphtongue ai e/l fort en ufage
dans nos provinces d'au-delà de la Loire.
Tous les mots qu'on écrit en François par
ai j comme faire j néce [faire ^ jamais y
plaire jy palais j &c. y font prononcés par
^ - i j diphtongue •, on entend Va & 1'/.
Telle étoit la prononciation de nos pères,
& c eft ainfî qu'on prononce cette diphton-
gue en grec , uovmi , t/^/. Telle eft aufîî
la prononciation des Italiens, des Efpa-
gnols, &c. ce qui fait bien voir avec com-
bien peu de raifon quelques perfonnes
s'obftinent à vouloir introduire cette
diphtongue oculaire à la place 3e 1^
diphtongue oculaire oi dans les mots
français j croire _, comme fî ai étoit plus
propre que oi à repréfenter le fon de 1'^.
Si vous avez à réformer oi dans les mots
où il fe prononce è ^ mettez è j autrement
c'eft reformer un abus par un plus grand >
^5^ Principes
& c eft pécher contre lanalogie. Si Toit
écrit François j j'avois y c'eft que nos
pères prononçoient François j pavois ;
mais on n'a Jamais prononcé Français cth
'faifant entendre Va & Yi. En un mot (i
Von vouloit une réforme, il falloir plutôt.
la tirer de procès j fuccèsj très ^ auprès ^
dès _, &c, que de fe régler fur palais 8c fut
un petit nombre de mots pareils qu'on
écrit par ai j par la raifon de Fétymologie
palatiunzj & parceque telle étoit la pro-
nonciation de nos pères: prononciation,
qui fe con/èrve encore, non - feulement
dans les autres langues vulgaires , mais
iîiême dans quelques - unes de nos Pro-.
vinces.
Il n'y a pas long - temps que Ton écri-
voit naij natus ; il ejl nai. Mais enfin la
prononciation a foumis Torthographe en
ce mot, & Ton écrit né.
Mais pafTons aux autres diphtongues.
J'obferverai d'abord que Vi ne doit
être écrit par y^ que lorfqu il eft figne du.
mouillé foible.
de Grammaire. ^^^
Eau. Fléau; ce mot eft de deux fyllabes:
Etre V effroi du monde y & k fléau de Dieu (i)*
A regard defeauj eau ^ communément
ces trois lettres eau fe prononcent comme
un o fort long, & alors leur enfemble
n'eft qu'une diphtongue oculaire ou une
forte de demi - diphtongue, dont la pro-
nonciation doit être remarquée ; car il y a
bien de la diffsrence dans la prononcia-
tion entre un feau à puifer de Teau & un
fotj entre de Veau & un os jy entre \2ipeau
Se le Pçj rivière, ou Pau^ ville. M.
l'abbé Régnier dit ( 2 ) que Ve qui eft
joint à au dans cette diphtongue fe pro-
nonce comme un e féminin , & d'une ma-
nière prefqu'imperceptibic.
El j, comme en grecTÇ/i/o», tendo. Nous
ne prononçons guère cette diphtongue
que dans des mots étrangers, bei ou bcy ;
dei ou dey ; le De'i de Tunis ; ou avec Vn
(i) Corneille.
(2.) Grammaire , pa^. 70*
5 ^6 Principes
nazai , comme dans teindre jy Reims j ville*
Selon quelques Grammairiens, on en-
tend en ces mots un i très-foible , ou un
fon particulier , qui tient de Ye & de Vu
Il en eft de même devant le fon mouillé
dans les mots fo-l-eil ^ con-f-eil ^ fomr
m-eilj 8cc.
Mais félon d'autres y il n'y a en ces der-
niers 5 que ïe , fuivi du fon mouillé , le
V-ie-il homme ^ con-f-e-il ^^ fomm-c-ïl jy &c;
& de même avec les voyelles a ^ou^ eu^
Ainfî, félon ces Grammairiens, dans œil y
qu'on prononce euil^ il \\y a que eu fuivi
d'un fon mouillé , ce qui me paroît plus
exact. Comme dans la prononciation du
fon mouillé , les organes commencent d'a-
bord par être difpofés, comme fî l'on alloit
prononcer i j il femble qu'il y ait un i :
mais on n'entend que le fon mouillé , qui
dans le mouillé fort eft une confonne*
Mais à regard du mouillé foible, c'eft un
fon mitoyen, qui me paroît tenir de la
voyelle & de la confonne : mo-ycn _,
pa-yçn : en ces mots, je/z eft un fon bien
de Grammaire. ^éi
cfifFérent de celui qu'on entend dans bicn^
mien ^ tien.
Ia. D-ia-crej i-la-mant ^ fur-tout dans
le dilcours ordinaire. F-ia-cre ; les Plé-ia--
des j de la v-ia-nde ; négo-c-iant ; incon-
vé-n-ien-t.
Ie. P'ie ou p-iedj les p-ié-ds ; ami-t-ié ^
pi't'ié ; pre-m-ier j, der-n-ier ; mé-t-ier.
Ie ouvert. Une v-ie-Z^jinflrument; vo^
l'ie-re ^ Gu-ie-ne ^ province de France \
V-iè-nCj ville , ou yeihe^veniat; n-iai-s;
b'iai-s ; on prononce niés ^ biès ; f-iè-r ^
un t'iè-rs ; le c-ie-l; Ga-br-ic-l ; cf-fen^
t-ie-l ; du m-ièl; f-ie-L
Ien j où Yi neft pas mouillé foible;
h-ien j m-ien ^ t-ien ^ f-ien _, en-tre-t-ien ^
ch-ïen j co-mé-d'ien j In-d-ien j gar-d-ienj,
pra-ti-c-ien. L*i & la voyelle nazale en en
font la diphtongue.
Ieu -, D'ieu j l'ieu j les c-ieux ^ m-ieux.
lo 'y f-io-lej ca-pr-io'lcj car-iode^ v-io-le^
fur-tout en profe.
/OW j p-iorij que nous ai-m-ion-Sj di^^
^6z Prihcipes
f-ion-s jy Sec. Ac-t-ion; occa'f'ion.Ionçii
fouvent de deux fyllabes en vers.
lou. Cette diphtongue n'eft d'ufage
que dans nos provinces méridionales, ou
bfcn en des mots qui viennent de-là. Mon^
tef-^qu'iou j Ch-zou-r-me ; O-l-iou-les j ville
de Provence : la Ciotat 3 ville de Provence ;
on dit la C-iou-tat,
Y A j y an j ye ^ e muet 5 ye j &c. L7
ou Vy a fouvent devant les voyelles un
fon mouillé foible, c'eft-à-dire, un fon ex-
primé par un mouvement moins fort , que
celui qui fait entendre le fon mouillé , dans
Vcrfailles ^ paille : mais le peuple de Pa-
ris, qui prononce Verfa-ye ^ pa-ye ^ fait
entendre un mouillé foible. Ce fon effc
TefFet du mouvement affoibli qui produit
le mouillé fort. Ce qui fait une prononcia-
tion particulière , différente de celle qu'on
entend dans mien^ tien ^ où il nj a point
de fon mouillé , comme nous lavons déjà
obfèrvé.
Ainfi je crois pouvoir mettre au rang
ge« diphtongues les fons compofés , qui
de Grammaire. ^^f
téfultent d'une voyelle jointe au mouillé
foible. A-yanty vc-yant^pa-yen^pai-yarity
]cpai-yej emplo-yer^ do-yen; afin que
vous fo-ye'i^ dé-lai-ye-r ^ bro-ye-r»
Ol. La prononciation naturelle de cette
diphtongue eft celle que Ton fuit en grec,
?^^^f. On entend Yo & ÏL Ceft ain(î
qu'on prononce communément, vol-ye-Ie^
voî-ye-r j moi-yen j loi-ya/j roi-yaume.
On écrit communément, voyelle ^ voyer^
moyen y loyal ^ royaume. On prononce
encore ainfi plufieurs mots, dans les pro*
vinces d au-delà de la Loire. On dit Sa^
v-oî-ej en faifant entendre Yo & IV. A
Paris , on dit Savo - ya-rd : y a eft la
diphtongue.
Les autres manières de prononcer lai
^diphtongue oi ne peuvent pas fe faire en-
tendre exadement par écrit. Cependant ,
ce que nous alons obferver , ne fera pas
inutile à ceux qui ont les organes affèz dé*
licats & afiez fouples pour écouter & pour
imiter les perfonnes qui ont eu l'avantage
^'^Yoir été élevées dans la capitale 3 & d'y;
5 ^4 Pnncipei
avoir reçu une éducation perfedtionéé
par le commerce des perfonnes qui ont
leiprit cultivé.
Il y a des mots ou oi eft aujourd'hui
prefque toujours changé en oe^ d autres ou
CL fe change en ou j 8c d'autres enfin en
cua^ Mais il ne faut pas perdre de vue s
que hors les mots où Ton entend l'o & Tô
comme en grec hd^^i , il n'eft pas pofïîble
de repréfenter bien exadement par écrit
les différentes prononciations de cette
diphtongue.
Oi j prononcé par ocj où IV a un Ton
ouvert, qui approche de Yo : F-oij l-oîj
fr-oi'd^ t^oi*t j m-oij z f-oi-fon^ qu-oi ^
c-ol'ffe j oi'feau ^ J-oî-e j d-oi-gt j d-od-tj
cb-oi-s j t-OL-le ^ 8cc.
Oij prononcé par ou : M-ol-s j p-oî-Sy
n-oi-x j tr-oi'S j la ville de Tr-oi-e j &c*
Prononcez , m-oa j p-oa j &c.
Oij prononcé par oua^ h-oi-s ; pro-
noncez 5 b-ou-a.
OiN. S-oin J l-oin j be-f-om j f-oïn ^
j-çm-drcj m-çin^s^ Ou doit plutôt pro-
noncer
de Gramfnaire. ^^^
îîoncer en ces mots une forte d'e nazal
après Xe ^ que de prononcer ouin : aînfi
jprononcezyc>^//2 j plutôt que fouin.
Il faut toujours fe reflou venir que nous
li^avons ' pas de figues pour reprcfenter
'exactement ces fortes de fons.
Oua j écrit par ua j éq-ua-teurj éq-ua--
fîonj aq^ua-tique j quinq-ua-géfime. Pro-
noncez é-c-oua-teurj^ é-q-oua-tionj a-q-oud-
tique j quïn-q-oua^géfime.
Ce, P-oe-tc j p'Oe-me. Ces nîors font
plus ordinairement de trois fyriàbes en
vers. Mais dans la liberté de la coiiverfa-
tion , on prononce poe jy comme diphtoiîL
gue.
Oue'n. E-C' oncri'^ R - <:iuen 3 villes^
Diphtongues en profe.
' OuE. Oue-Jlj Sud'OuC'fi,
Oui* Bouisj Louis ^ en profe. Ce dèf-
hier mot eft de deux fyliabcs en vers,
}Ouz j ita>>
Oui y ' ce font ces plaijîrs 6' ces pleurs que yenvie\
Oui j je t^ achevai U Praticien François.
Racinéé
^46 Principes
OuiN. Bara-g-ouin j ba-b-ouîn^
Ue. Statue éq-ue-Jlrej caf-ue4j ann-ue-lj,
éc-ue-llcj r-uc-lk ^ tr-ue-lle ^ fur-tout en
.profe.
Ui. L'îd ^ ét'Uljy Tî'ui't j br-ui'tj fr-ui-t^
h'ui't ^ l'ui-re; je/^/^i-^un S-ui-Jfe.
UlN. Al-c-uirij théologien célèbre du
temps de Charlemagne. Q;uin-quagéjtme^
|)rononcez quin.^ comme en latin, & de
même Q^uln-tiUïen j le mois de J-uia.
On entend Xu & ïi nazal.
Je ne parle point de Caën j laon j,
paon j Jean j &c. parcequ'on n'entend
plus aujourd'hui qu'une voyelle nazale en
ces mots-là, Can^ Pan j Lanj Jan.
•Enfin il faut obferver 5 qu'il y a des
combinaifons de voyelles qui font diphtoi>
gués en profe & dans la converfation , &•
eue nos poètes font de deux fyllabes :
Voudrois-tu bien chanter pour moi^cker LicidaSj
Quelqu^air Si-ci-li-en (i).
On dit Si'Ci'Uen^ en trois fyllabes 3 dana
le difcours ordinaire.
-#— ■ ' I ■ ■ I
(1} Longcpierrc*
de Grammaire. '^^
'JLaJhiy cènœudjacrej c^'U-eri pré-<:i'€U3cl^i);
'Jlefi jujiej grand Roi > qu^un îutmtxi- cr perijfe.ii^
u4lleiy vous devii-ez mourir de pure honte (3). ^
^ous pcrdti-ez7^ temps en difcoursfupcrflus (4)/
Cette fière raifon y dont on fait tant Je bruit.
Contre les paflfi-ons n^eflpas un fur remède ( j)i
'Non y je ne hais rïehtant que les conto'rfî-ons
De tous ces grands faifeurs de ptoceftarîoh^ {6}^
La plupart des mots en ion & /otzj font
diphtongues en profe. Voyez les divers
'traités que nous avons de la vèriificaticm
francoife. i"*-^^ '-
>
. Au refte 5 qu'il jr ait en notre langue
plus ou moins de diphtongues qtre je neû
m m.arque^cela eft fort indifférenr^ pourvu
qu'on les prononce bien. Il eft utile , dit
iQiiintilien , de faire cts ol;>fei:vatioiis. Çé-
far 5 dit -il, Cicéron , & d'autres granc^
hommes 5 les ont faites 5 mais il ne faut
les faire qu'en pafl&nt. Marcus / Tullius
vrator^ artis hujus dïligentijjimus fuit\ &
in filio j, .ut in epifiolis apparcu Non oB-
, » • '_ -.M , r ■ I • ■ - • ,.111 TU
(i) Brcbeuf. (4) Fonteneilc*
• (2) Corneille, (f) Deshoaliéres^"*'
. (3) Môliçre^ \s) Molière. ^z
^'5^8 Principes
fiant hA difciplin^t per illas cuntibus j fed
ucirca illas hétrentïhus (i). J
DES A C C E N S.
Le mot Accent vient âiaccentumj
fupin du verbe acClncre^ qui vient de & ad
.de cancre. Les Grecs lappellent UfomJ'U ?
TTiodulatio qu<z fyllabîs adhihetur ^ venant
de ^^oç > prépoiîrion grecque qui entre dans û
la compofition des mots, & qui a divers
xifages 5 & d'ûj/îj , camus j chant. On 1 ap-
pelle auiîî TDKor, ton.
Il faut ici diftinguei la chore>&: Iç iîgne
de la chofe.
La chofe , c'eft la voix \ la parole , c cft
le mot ) en tant que prononce avec toutes
les modifications établies par Tufàge de la
langue que Ton parle.
Chaque nation, chaque peuple , chaque
province , chaque ville même , diftëre d un
«utre dans le langage , non-feulement par-
(t) Qïiimilicu>///Jî;V. Qrat, lib.i, c?i^.7}infinù
1
de Grammaire. jrf^-
c^qu*on fe fert de mots dift'érens -, mais
encore par la manière d'articuler & de
prononcer \^% motSi
Cette manière différente dans larticu*
lation des mots eft appellée^cce/zr. En ce
fens les mots écrits n'ont point daccens},
car Taccent ou l'articulation modifiée, ner
peut affeder que loreille : or Técriturc
n'eft apperçue que par les ieux. >
C'eft encore en ce fens que les poètes^
difent : Prêtez Toreille àines triftes accens;.
& que M. PellilTGJi difoit aux Réfugiés >.
Vous tâcherez de vous former aux acccns^
d une langue étrangère»
Cette efpèce de modulation dans le diA^
cours, particulière à chaque pays, eft cç:
que M. labbé d'Olivet , dans fon excellent
Traité de la Profodk j appelle accent na^.
tXonaL
Pour bien parler une langue vivante, il
faudroit avoir le même accent > la même
inflexion de voix qu'ont les honnêtes gens
de la capitale. Ainii, quand on dit que
fOur bien parler français j il ne faut point
fY^: ;" Principes
tivoir" ci'accentj, on veut dire qu îl ne faut
aV'Bir lii Faccent italien, ni Taccent gafcon ,,
ni laccent picard , ni aucun autre accent j^,
qiii nVft pas celui des hoimetes gens de la
capitale.
\Jccentj ou modulation de la voix dans
le difcours, eft le genre dont chaque ac-.
cent national eft une ef^èce particulière^-
Ceft ainfî qu*on dit Yaccenc gafcon ^ Yac-r.
cent flamand. L'accent gafcon élève la
voix 5 où, félon le bon ufage, on labaifïev
il abrège des lyllabes que le bon ufage-
allonge. Par exemple , un Gafcon dit par--
confquent au lieu de dire Par conféquent.
Jl prononce fëchçment toutes les voyelles
nazales an^ e/^j in^ on^ Un^ Sec.
Selon !e méchanifme des organes de h
parole , ir y a plufieurs fortes de modifica-
tions particulières à obferver dans l'accenD
en général 5 & toutes ces modifications fe
rouvent aullî dans chaque accent natio-^
liai 5, quoiqu'elles foient appliquées difté-n
gemment : car fi l'on veut y prendre garde,
^n trouve par-tout ynifqrmicé $c variétés.
de Grammaire. ^-^6
Pàt-tout 'les hommes ont un vifage, &
pas lin ne reflenibfe^ parfaitement à un au-
tre i paMour les hommes parlent, & cha-
que pays a fa manière particuhère de par-
let & de modifier la voix. Voyons donc
quelles font ct^ différentes môdifications^^
de voix qui font comprifes fous le mot-
général d'^cc^;?r. /
I. Premièrement, il faut cfbfcTver que
les fyllabes, en toute langue, ne'font pas*
prononcées du même ton. Il y a diverfes
inflexions de voix , dont les ùriés élèvent
le ton, les autres le baiflent, & d'autres
enfin Félcvent d'abord , & le rabaiïTenr
cnfiiite fur la même fyllabe. Le ton élevé
cft ce qu'on appelle accent dl^u ; le toi^
bas ou baiffë eft ce qu'on nomme yz^c:^;?^
grave ; enfin le ton élevé & baiÏÏé fuccef-
fivement & prefqu'en même temps fur la
même fyllabe , eft l'accent circonflexe.
' ce La nature de la voix eft admîrable^
9i dkCiceran : toute forte de chant eft!
»» agréablement vsrié par^e-torr-circon-
3î.flexe, par Taigu & pac le grava : or; le
57^' Principes "
5o difcours ordinaire , pourfuît-li^ efi: aufiS
une çfpèçe de chant 55. Mira efi naturct
XOcU ^ cujus quidcm ^ è tribus, omnino fo^
nis ^ inficxo y acuto y gravi y tanta fit 5*,
tam fiuavis Vfzrietas perfecia in, cantibus t
efi autem in ,dicendo ctiam quidam can-^
tus {{).. Cette différente modification du
ton, tantôt aigu, tantôt grave & tantôt
circonflexe ■> eft encore fenfible dans le
cri de^ animaux & dans tes inflrumens de
xilufîque. . : , .,,,.,....
II. Outre cette variété dans le ton., qui
eft ou grave 5 ou aigu , ou circonflexe , il yf
a encore à obferver le temps que Ton meç
à proiioncer chaque fyllabe. Les unes font
prononcées en moins de temps que les au-
tres, & Ion dit de celles-ci qu elles fonç
longues5& de celles-là qu elles font brèves.
Les brèves foiit prononcées dans le moins
de temps qu'il ell pofïible : auffî dit - oa
quelles n'ont qu'un temps , ceft-à-dirç j^
une mefure , un battement : au heu que
(i^ Cifiixon) Orator^ n. 17, & iS»
de Grammaire. '575
les longues en ont deux*, & voila pour-
quoi les anciens doubloient fouvent danS;
récriture les voyelles longues > ce que
nos pères ont imité en écrivant aage.
Les anciens relevoient la voix fur Xa du .
nominatif 5 & le marquoient par un accent
aigu 5 Mufâ. : au lieu qu'à Fablatif , ils
relevoient d'abord 3 & la rabaiffoient en-
fuite 5 comme s'il y avoit eu Mufàà ; 8c
voila laccent circonflexe que nous avons
confervé dans l'écriture , quoique nous en
ayons perdu la prononciation.
III, On obferve encore lafpiration qui .
fe fait devant les voyelles en certains mots,
& qui ne fe pratique pas en d'autres,
quoiqu'avec la même voyelle & dans une
fyllabe pareille. C'eft ainfî que nous pro-
nonçons /e héros avec afpiration, & que
nous difons l^ héroïne ^ rhéroïfmc & les
vertus héroïques fans afpiration.
IV. A ces trois diftérences , que nous
venons d'obferver dans la prononciation ,
il faut encore ajouter la variété du ton
Pathétique ^ comme dans Tintcrrogation ,
04 Principes
I admiration, rironie, la colère & les au^
très paffions. C'èfi: ce que M. labbé d'O-
livet appelle Yaccent onatoire.
V. Enfin 5 il y a à obferver les intervalles
que Ton met dans la prononciation ^ depuis
la fin d une période jufqu'au commence-
ment de la période qui fuit , & entre une
propofition 5 & une autre propoiîtion : en-
tre une incife 5 une parenthèfe , une propo- .
iition incidente 5 & les mots de la propoe.
lîrion principale , dans lefquels cette incife ,
cette parenthèfe ou cette propofition in-
cidente font enfermées.
Toutes ces modifications de la voix 5.
qui foiit très-fenfibles dans Télocution ,
font, ou peuvent être marquées dans ré-
criture, par des fignes particuliers, que
les anciens Grammairiens ont auflî appelles
accens^ Ainfî ils ont donné le. même nom.
à la chofe , & au figne de la chofe.
Quoique Ton dife communément que
ces fignes ou accens foiv une invenrioa
qui n'eft pas trop ancienne , & quoiqu'on
r^ontre des manufcrits de mille ans^daas.
de Grammaire: 57^:
lefquels on ne voit aucun de ces lignes >
& où les mots font écrits de fuite, fans
être féparés les uns des autres , j ai bien de
la peine à croire que lorfqu'une langue a
eu acquis un certain degré de perfedion >
lorfqu elle a eu des orateurs & des poètes t,
& que les Mufes ont joui de la tranquillité
qui leur eft néceflaire pour faire ufage de
leurs talens •, j ai , dis-^je , bien de la peine
à me perfuader qu alors les copiftes habiles
n'aient pas fait tout ce qu'il falloit pour
peindre la parole avec toute lexaditude
dont ils étoient capables \ qu'ils n'aient pas
féparé les mots par de petits intervalles y
comme nous les féparons aujourd'hui, &
qu ils ne fe foient pas fervi de quelques^
fignes pour indiquer la bonne pi:onançia-
tion.
: Voici un paflage de Cicéron qui me
paroît prouver bien clairement qu'il y
avoit de fon temps des notes ou fîgnes
dont les copiftes faifoient ufage. Hanc,
dillgcntiam fubfequitur modus ctïam &
forma ycrhorum. Kcrfus caim vctçres i{ll^
'57^ Principes
in hac foluta orationc propemodùm j hoc
eji numéros quûfdam nobis ejje adhibendos
putarunt. Interfpirationis enim^ non dcfa--
tîgationïs noflr<z^ neque librariorum notis^
fed verborum & fententiarum modo inter-^
punclas claufulas in orationibus effe vo-
luerunt : idque princeps Ifocrates injii^
tuijfe fertur (i). ce Les anciens, dlt-ll^ ont
3> voulu qu'il y eût dans la profe même
3> des intervalles 5 des féparations, du nom-
30 bre & de la mefure , comme dans les
» vers : & par ces intervalles, cette mefure,
3> ce nombre , ils ne veulent pas parler ici
» de ce qui eft déjà établi pour la facilité
3>de la refpiration &pour foulager la poi-
a> trine de Torateur , ni des notes ou fignes
2^ des copiftes : mais ils veulent parler de
» cette manière de prononcer qui donne
» de Tame & du fentiment aux mots & aux
îp phrafes , par une forte de niodulatioa
» pathétique 3^. Il me femble que TonpeHt
conclure de ce pa(îage , que les fignes,
(i) Ciccron, Orator* lib. }^ n, 44*
de Grammaire. ^jf
les notes , les accens , écoicnt connus St
pratiqués dès avant Cicéron , au moins pat
3fes copiftes habiles.
Ifidore 5 qui vivoit il y a environ douze
cens ans , après avoir parlé des accens 9
parle encore de certaines notes qui étoient
en ufage, dit-il, chez les auteurs célèbres,
& que les anciens avoienc inventées, pour-
fuit-il, pour la diftindion de Técriture,
& pour montrer la raifon , ceft-à-dire,
le mode , la manière de chaque mot & de
chaque phrafe. Pmterea^ qudtdam fcnten^
tiarum notdt apud celeberrimos autores fue-»
funt j quafquc antlqui ad diJUnclionem
fcripturarum y carmïnïhus & hijlonis ap--
pofuerunty ad demonjlrandam unumquam-
que verbi j fcntcntîarumquc j ac verfuum
ratio nem (i).
Qiioi qu'il en foit , il eft certain que la
manière d'écrire a été fujette à bien des
variations , comrne tous Iq^ autres arcs»
Ainfi, tout ce que Ion peut conclure de
(i) liidore, Origin, lib. i , c. 20.
^yi Pnncipts
ces manufcrits > où Ton ne voit ni diftancd
entre les mots , ni accens 5 ni points , ni
virgules , c'eft qu'ils ont été écrits ou dans
des temps d'ignorance > ou par des copiftes
peu inftruits.
Les Grecs paroifTent être les premiers
qui ont introduit Tufage des accens dans
récriture. Mais leurs accens n'avoient pour
objet que les inflexions de la voix 5 eu
tant qu elle peut être ou élevée ou ra-
"bailTée.
L'accent aigu , que Ton écrivoit de droit
à gauche ', marquoit qu'il faloit élever
la voix en prononçant la voyelle fur la-
quelle il étoit écrit.
L accent grave 3 ainfî écrit ^ , marquoit
au contraire qull faloit rabaiffer la voix.
L'accent circonflexe efl: compofé de
Taigu & du grave ^ Dans la fuite les co-
pifl:es Tarondirent de cette manière " 5 ce
qui n'eït en ufage que dans le grec. Cet
accent étoit deftiné à faire entendre qu'a-
près avoir d'abord élevé la voix , il faloit
la rabailFer fur b même fyllabe»
de Grammaire. 57^
Les Latins ont fait le même ufage de
tes trois accens. Cette élévation & cette
dépreflîon de la voix étoient plus fenlîbles
chez les anciens, qu'elles ne le font parmi
nous, parceque leur prononciation étoit
plus foutenue & plus chantante. Nous
avons pourtant auffî élcvement & abaifle-
ment de la voix dans notre manière de
parler -, & cela indépendamment des au-
tres mots de la phrafe*, enforte que les
iyllabes de nos mots font élevées & baif-
fées félon laccent profodique ou toniques
indépendamment de l'accent pathétique >
c'eft-à-dire du ton que la paffîon & le fen-
timent font donner à toute la phrafe : car
il eft de la nature de chaque voix, dit
Tauteur de la Méthode grecque de Port--
Roy al j ( pag. 551) d'avoir quelqu'élève-
ment qui foutienne la prononciation , Si
cet élèvement eft enfuite modéré & di-
minué 5 & ne porte pas fur les fyllabcs
fuivantes.
Nous ne femmes pas dans Tufage de
marquer dans Téçriture , par des fignes ou
SSo Principes
«ccens cet élèvement & cet abaifTement de
•la voix. Notre prononciation , encore iiii
coup 5 efl moins foutenue & moins chan-
tante que la prononciation des anciens j
par conféquent la modification ou ton de
voix dont il s'agit nous eft moins fenfîble*
L'habitude augmente encore la difficulté
de démêler ces différences déhcates. Les
anciens prononçoient , au moins leurs
vers y de façon qu'ils pouvoient mefurer
par des battemens la durée des fyllabes»
Adfuetam moram ^ poUicls fonore vcl
plaufu pedis ^ difcriminare ^ qui docent
artcm ^ fohnt (i)* Ce que nous ne pou-
vons faire qu*en chantant. Enfin 5 en toutes
fortes d'accens oratoires , foit en interro-
geant 5 en admirant , en nous fâchant , &c*
les fyllabes qui précèdent nos c muets ne
font-elles pas foutenues & élevées comme
elles le font dans le difcours ordinaire ?
Cette différence entre la prononciation
des anciens & la nôtre , me paroît être la
(i) Tcrcmianus Maurus ^ dcMttris^fuh med^
véritable
de Grammaire^ jSt
véritable raifon pour laquellejquoique nous
a/ons une quantité, comme ils en avoienc
une , cependant la différence de nos Ion-»
gués & de nos brèves n'étant pas égale-
luent fenfible en tous nos mots, nos vers
ne font formés que par Tharmonie qui
réfulte du nombre des fyllabes , au lieu
que les vers grecs & les vers latins tirent
leur harmonie du nombre dès pieds alTor-
tis p^r certaines combinaifons de longues
& de brèves.
Aujourd'hui > dans la Grammaire latine,
on ne donne le nom d'accent qu'aux
tfois fignes dont nous avons parlé , le
grave , Taigu & le circonflexe. Mais les
anciens Grammairiens latins donnoient le
nom d'accent à plufieurs autres lignes em-
ployés dans récriture. Prifcien, qui vivoic
dans lé fîxième fiècle , & Ifîdore , qui vi-
voit peu de temps après , difent égale-
ment que les Latins ont dix accens.
A notre égard , nous donnons le nom
d'accent , premièrement aux inflexions de
voix j & à la manière de prononcer des
j'^Sl TrlncipeS
pays particuliers. Ainfî , comme nous I*^-
Vons déjà remarqué , nous difons V accent
gafcon jy &c. Cet homme a T accent étran^
^er^ c'eft-à-dire, qu'il a des inflexions de
Voix & une manière de parler , qui n'eft
pas celle des perfonnes nées dans la capi-
tale. En ce fens, accent comprend Téléva-
tion de la voix, la quantité & là pronon-
ciation particulière de chaque mot & de
chaque fyllabe.
En fécond lieu , nous avons confervé
le nom d'accent à chacun des trois fignes
du ton 5 qui eft ou aigu , ou grave , ou
circonflexe. Mais ces trois fignes ont perdu
parmi nous leur ancienne deftination. Ils
ne font plus , à notre égard , que des ac-
cens imprimés.
En françois , nous élevons la fyllabe qui
précède un e muet, Ainfi , quoique dans
mener, Ve de la première fyllabe me foit
muet y cet e devient ouvert , & doit être
foutenu dans y ^ mène ^ parcequ'alors il eft
fuivi d un e muet , qui finit le mot. Cet tf
final devient plus aifément muet , quand
de Grammaîrii '^t^^
la fyllabe <!jui le précède eft foutenue, C^eft
le méchanifme de la parole ^ qui produit;
toutes ces variétés 5 ^ui paroiflTent des bî-
farerîes ou des caprices de Tufage à ceux
qui ignorent les véritables caufes des
cho/esi»
L ufage n*a point encore établi de met*
tre un accent fur Vè ouvert^ quand cet e>
eft fuivi d une confonne , avec laquelle il
ne fait qu une fyllabe. Ainfî on écrit fans
accent, la merj \tfer^ aimer ^ donner j èca
DES NOMS AD JECTIF S^
JLe mot àdjeclif vient du latin adjeclus^
ajouté j parcequ'en effet le liom àdjeclif
ieft toujours ajouté à un nom fubftantif^
qui eft ou exprimé ou fous-entendu. L'ad-
je6lif eft un mot qui donne une qualifica-»
tion au fubftantif : il en délîgne la qualité
ou manière d'être. Or ^ comme toute qua^
lité fuppofe la fubftance dont elle eft qua^
Iké , il eft évident que tout adje<aif Ç\f^.
15^4 Principes
pofe un fubftantif : car il faut être, pour
être tel. Que iî iious difons , le beau vous
touche ; le vrai doit être t objet de nos re*
cherches ; le bon ejl préférable au beau ^
Sec. il eft évident que nous ne confidé-
rons même alors ces qualités , qu'en tant
qu'elles font attachées à quelque fubftance
€U fuppôt : le beau y c'efi:*à-dire > ce qui ejl
beau; le vr^ijc'eft- à-dire, ce quitjlvraîj
&c. En ces exemples , le beau j le vrai ^
ne font pas de purs adjedifs. Ce font des
adjedifs pris fubftantivement , qui déCi-
gnent un fuppôt quelconque, en tant qu'il
cft ou beau j ouvrai j ou bonj &c. Ces
mots font donc alors en même temps ad-
jectifs & fubftantifs* Ils font fubftantifs,
puifqu'ils défignent un fuppôt y le.... Ils
font adjectifs, puifqu'ils défignent ce fup-
Ipôt , en tant qu'il eft tel.
Il y a autant de fortes d adjedifs, qu'i!
y a de fortes de qualités , de manières &
de relations que notre efprit peut confî-
dérer dans les objets.
Nous ne connoilTons point les fubllau^
de Grammaire. [^%^
ires en elles-mêmes : nous ne les connoif-*
fons que par les imprcfîîons qu^elles font
fur nos fens ', & alors nous difons que les
objets font tels , félon le fens que ces \\x^
prefïîons afFedtent. Si ce font les ieux qui
font afFeûés , nous difons que Tobjet eft
coloré y qu'il eft ou blanc > ou noir , ou
rouge 5 ou bleu > &c. Si c'eft le goût y le
corps eft ou doux , ou amer , ou aigre , ou
fade , &c. Si c eft le tad , lobjet eft ou
rude , ou poli -, ou dur , ou mpu \ gras 9
huileux ou fec, &c.
Ainfî, ces mots 5 blanc ^ noir ^ rouge ^
hlcu y doux j amer _, aigre j fade ^ &c.
font autant de qualifications que nous don-
nons aux objets , & font par conféquent
autant de noms adjectifs. Et parceque ce
font les imprefïîons que les objets phyfi-
ques font fur nos fens , qui nous font don-
ner à ces objets les qualifications dont
nous venons de parler , nous appellerons
ces fortes d adjectifs , adjectifs phyfiques^
Comme nous fommes accoutumés à
qualifier les êtres phyfîques , en conCe.-
|l| Pnncîpôà
quence des impreffions immédiates qu*îfe
font fur nous , nous quahfions auffi leai
^res métaphyfiques Se abftraits > en confé-
quence de quelque confidération de notre
clprit à notre égard. Les adjedtifs qui ex-?
{priment ces fortes de vues ou confidéra-
tions , font ceux que j'appelle aéjeciîfi
métaphyjiques.
Les adjedîft métaphyfiques font em
très-grand nombre. On pouroit en faire^
autant de clafïes différentes > qu'il y a de
fortes de vues fous lefquelles Tefprit peut
confîdérer les êtres phyfiques & Içs êtres
ïiiétaphyfiques.
Suppofons une allée d arbres , xjans une
vafte plaine. Deux hommes arrivent à
cette allée > lun par un bout y^ 1 autre par
le bout oppofé. Chacun de ces hommes
regardant les arbres de cette allée, dit.
Voila h premier : de forte que 1 arbre
que l'un appelle le premier ^ eft le dernier
"par raport à Tautre. Ainfi premier ^ der^
nier ^ & les autres noms de nombre or-
dinal 3 ne font que des adjectifs métaph/*
de Grammaire, ^%J
lîques. Ce font des adjectifs de relation
^& de raport numéral.
Les noms de nombre cardinal , tels que
deux j trois j &c font auflî des adjedife
métaphyfîques , qui qualifient une coller
â:ion d'individus..
Mon j ma; ton y ta; fon ^ fa^ Sec.
font auflî des adjedifs métaphyliqucs , qui
défignent un raport d'appartenance ou de
propriété, & non une qualité phyiîque
& permanente des objets.
Grand & petit font encore des adjeûife
métaphyfiques. Car un corps 5 quel qu'il
{bit 5 n'eft ni grand , ni petit en lui-même ;
il n'eft appelle tel , que par raport à uu
autre corps. Ce à quoi nous avons donné
le nom de grand ^ a fait en nous une im-
preflîon différente de celle que ce que
nous appelions petit nous a faite. C'eft la
perception de cette différence , qui nous
^ donné lieu d'inventer les noms de grande
de petit j de moindre j 8cç.
Différent y pareil jfemblable y font auft^
4e$^djedifs métaphyfiques, qui qualifieiîu.
9.4 +
5^8 'Principes
les noms fubftantifs, en conféquencé de
certaines vues particulières de refprit.
Différent qualifie un nom , précifément
en tant que je fens que la chofe n'a pas
fait en moi des iiTiprefïîons pareilles à
celles qu'un autre y a faites. Deux objets»
tels que j apperçois que 1 un n'eft pas Tau-
tre 5 font pourtant en moi des impreffions
pareilles çn certains points. Je dis qu'ils
(ont femb labiés en ces points-là 5parceque
je me fens affedé à cet égard de la même
manière. kinCi^femblable efl: un adjedlif
métaphyfique.
Tout corps me paroît borné , & je vois
wne étendue au-delà. Je dis donc que ces
corps font terminés j bornés j finis. Aind
borné ^ terminé ^ fini y ne fuppofent que
des bornes & la connoiffance d'une éten-
due ultérieure \ ce font donc des adjectifs
îTiétaphyfiques.
Tout ce qui nous paroît tel , que noiîs
n'apperccYons pas qu'il puifiTe avoir un
degré de bonté & d excellence au-delà >
^ous X'^ps^t\!io\\s par fait.
de Grammaire: 5 S 51
Voici encore d'autres adjectifs meta-
phyfiques qui demandent de l'attention.
\5y\ nom eft adjedif 5 quand il qualifie
un nom fubftantif. Or, qualifier un noni
fubftantif 5 ce n'eft pas feulement dire qu'il
eft rouge ou bleu j grand ou petit; c'eft en
fixer rétendue , la valeur , lacception ,
étendre cette acception ou la reftteindre,
en forte pourtant que toujours Tadjedtif
& le fubftantif pris enfemble , ne préfen-
tent qu un même objet à Tefprit. Au lieu
que il je dis lîher Pétri j Pétri fixe à la
vérité rétendue de la iîgnification de
liber : mais ces deux mots préfentent à
lefprit deux objets diftérens , dont Tui^
n'eft pas l'autre. Au contraire , quand je
dis ^ le beau livre ■, il n y a là qu'un objet
réel, mais dont j'énonce qu'il eft beau.
Ainfi, tout mot qui fixe l'acception du
fubftantif, qui en étend ou qui en reftreint
la valeur, & qui ne préfente que le même
objet à l'cfprit, eft un véritable adjedtif.
Kinû nécejfairej accidentel j poffïble j im^
pojjible j tout j nul j quelque ^ aucun jch(l^
f^S ' Principe^
que y tel y quel y certain ^ ce^ cet y cette %
mon y ma y ton y ta^ vos y votre y notre y
& même le y la y les y font de véritables
adjedifs métaphyfiques , puifqu'ils modi-
fient des fubftantifs , & les font regarder
ibus des points de vue particuliers. Tout
homme y préfente homme dans un fens
général affîrmatif : nul homme Tannonce
dans un fens général négatif : quelque
homme préfente un fens particulier indé-
terminé \ fony fa y fes y vos ^ &c. font
confîdérer le fubftantif fous un fens d ap-
partenance & de propriété. Car quand je
dis meus enjis y meus eft autant iîmple
adjedtif quç Evandrius y dan$ ce vers de
.Virgile (i) 5
I>lam tibi y Thymhre ^ caput 'Evandrius àbftulk
cnjis ;
Meus marque Tappartenance par raport ï
moi 5 & Evandrius la marque par raport à
Evandre.
. femmmmÊÊÊmifmÊmmmtmÊmÊmmmimmmmmmÊÊmammmmÊm^mmtmÊmmmmÊmmmmmmmmmmmmmmÊ
.. {i) Mncid, Ub. lo, v. 39^*
de Grammaire: '59K.
Il faut ici obferver , que les mots chan-
gent de valeur, félon les différentes vues
que Tufàge leur donne à exprimer. Boire ^
manger^ font des verbes-, mais quand oa
dit h boire y le manger ^ 8cc. alors ioirs
& manger font des noms. Aimer eft un
verbe adif 5 mais dans ce vers de TOper^
d'Atys,
, ,Taime , c'efi mon defiin d^ aimer toute ma vie^
^Aimer eft pris dans un. fens neutre. Mien^
tien yfien^ étoient autrefois adjectifs. On
difoit unjîenfrere^ un mien ami. Aujouç-
"â'hui 5 en ce fens 5 il n'y a que mon^ ton^
\fon j qui foient adjedifs. Mien ^ tien^
Jienjy font de vrais fubftantifs de la clafïè
des pronoms*, Iç mien ^ le tien ^ le fien^
La difcorde ^ dit la Fontaine , vint
' ' Avec Que Jî^ Que non , fon frire ^
Avec le tien^ le mien, f on père,
iV^o^^vo^j font toujours adjedifs', mai$
vôtre j nôtre j font fouvent adjeclifs &
fbuvent pronoms : le vôtre ^ le nôtre. Vous
^ les vôtres : yqilu le votre ^ voici Icfien
f^i Principes
& le mien. Ces pronoms indiquent alors
des objets certains dont on a déjà parlé.
Ces réflexions fervent à décider fi ces
mots, pcrcy roîj & autres femblables , font
adjectifs ou fubftantifs : qualifient-ils? ils
font adjedifs. Louis XFeji roi; roi qualifie
Louis XV-, donc roi eft-là adjeétif. Le roi
eji à l^ armée : le roi déiîgne alors un in-
dividu : il eft donc fubftantif. Ainfî ces
mots font pris, tantôt adjedivement, tan-
tôt fubftantivement : cela dépend de leur
fervice , c'eft-à-dire , de la valeur qu'on
leur donne dans Temploi qu'on en fait.
Il refte à parler de la fyntaxe des ad-
jedifs. Ce qu'on peut dire à ce fujet fe
réduit à deux points : i.^ la terminaifon
de ladjedif : 2.* hpojidon de iadjiedif*
1. A regard du premier point, il faut
fe rappeller ce principe dont nous avons
parlé ci-defTus, queladjecStif & le fubfta»-
tif mis enfemble en conftrudlion , ne pré-
fentent à Tefprit , qu'un feul & même
individu , ou phyfîque ou métaphyfîque,;
Ainfi, ladjedif a ét^iK réellement que le-
de Grammaire. 595^
fubftàntif même confidéré avec la qualifi-
cation que ladjedif énonce*, ils doivent
avoir 1 un & lautre les mêmes fignes des
vues particulières fous lefquelles Tefprit
confidère la chofe qualifiée. Parle - t - on
d*un objet iîngulier ? ladjedif doit avoir
la terminaifon deftinée à marquer le fin-
gulier. Le fubftantif eft - il de la clalfe des
noms qu'on appelle mafculins? Tadjedif
doit avoir le fighe deftiné à marquer les
noms de cette clafïe. Enfin , y a - 1 - il dans
une langue une manière établie pour ma*:-
quer les raports ou points de vue qu oa
appelle cas? ladjedif doit encore fè con-
former ici au fubftantif. En un mot, il
doit énoncer les mêmes raports , & f^
préfenter fous les mêmes faces que le fub-
ftantif, parcequ'il neft qu'un avec lui*
Ceft ce que les Grammairiens appellenr
la concordance de l' adjectif avec le fub^
Jiantif^ qui n'eft fondée que fur ridentité
phyfique de Tadjeftif avec le fubftantif.
II. A regard de la pojîtion de 1 ad-
jeûif , c eft-à-dire , s'il faut le placer avaar
\^ 94 Principes
©u après le fubftantif, s'il doit être âlî
commencement ou à la fin de la phrafe^
^'il peut être féparé du fubftantif par d'au-
tres mots, je réponds que dans les lan-
gues qui ont des cas, c'eft- à-dire ^ qui
marquent par de^terminaifons les raports
que les mots ont entr'cux, la pofition n'eft
d aucun ufage pour faire connoître l'iden-
tité de l'adjeétif avec fon fubftantif. C'eft:
Touvrage ou plutôt la deftination de la
term.inaifon -, elle feule a ce privilège. Et
dans ces langues, on confulte feulement
l'oreille pour la pofition de l'adjedif, qui
jnême peut être féparé de fon fubftantif
par d'autres mots*
Mais dans les langues qui n^ont point
de cas, comme le François , l'adjeclif eil
toujours joint à fon fubftantif. Il n'en eft:
féparé que lorfque Tadjedif eft attribut ,
comme Louis ejijujie; Phébus ejifourd;
Pegafe ejl rétif; & encore avec rendre j
devenir j paroître^
Un vers étoit trop foiblc , & vous le réndei dui^
Jévitc d'être long, ôc je deviens obfcur.
de Grammaire: ^j^yt
Dans les phrafes telles que celle qui
fuit, les adjedifs qui paroiflènt ifolés for-
ment fculs par ellipfe Une propoiîtion
particulière.
Heureux qui peut voir , du rivage ,
Le terrible Océan par les vents agité.
Il y a là deux propofitions grammatica-
les. Celui ( qui peut voir , du rivage , le
terrible Océan par les vents agité) eft heu-
reux. Où vous voyez que heureux eft lat-
tribut de la propofition principale.
Il n'eft point inaifFérent en françois^
félon la fyntaxe élégante & d\i{age , d'é-
noncer le fubftanrif avant iadjed:if , ou
ladjeftif avant le fubftantif, Il eft vrai que
pour faire entendre le fens, il eft égal de
dire bonet blanc ou blanc bonet; mais par
raport à Télocution & à la fyntaxe d'ufa-
ge, on ne doit dire (\uq bonet blanc. Nous
n'avons fur ce point d autre règle que lo-
reille exercée > c'eft-à - dire, accoutumée
au commerce des perfonnes de la nation
gui font le bon ufage. Ainfi je me c^n-
59<? Principes
tenterai de donner ici des exemples qui
pouront fervir de guide dans les occafions
analogues. On dit habit rouge ; ainfî dites
habit bleu ^ habit gris ^ & non bleu habit j
gris habit. On dit mon livre ; ainfi dites
ton livre jfon livre ^ leur livre. Vous ver-
rez dans la lifte fuivante , '^one torride j
ainfi dites par analogie y^one tempérée &
\one glaciale : ainiî des autres exemples*
Lific de plujieurs adjectifs qui ne
vont qu'après leurs fubflantifs
dans les exemples qu'on en don--
ne ici.
Accent gafcon* Air indolente Ange gar--
iien. Beauté parfaite^ Beauté romaine^
Bonet blanc. Cas direct. Cas oblique*
Chapeau noir. Chemin raboteux. Contrat
clandejlin. Couleur jaune. Dîme royale.
Bifcours concis. Empire Ottoman. Efprit
invincible. État eccléfiafiique. Étoiles fi-
xes. ExpreJJion littérale. Fables choijîcs.
Figure ronde. Forme ovale. Canif éguifé.
Cénic
de Grammaire. f 95^
'Génie fupérUur. Grammaire raljbnnéci
Mommage rendu. Homme injlruit. Homme
jujie. Laine blanche. Lettre anonyme^
Lieu inaccejfible. Ligne droite» Livret
choifis. Vue courte. Vue baffe. Des ieuri
noirs. Zone torride j &c.
Il y a au contraire des adjectifs qui pré^
cèdent toujours les fubftantifs qu'ils quali*
fient, comme.
Certaines gens. Grand général. <Grand
capitaine. Mauvaife habitude. Brave fol^
dat. Belle fituation. Jufte défenfe. Beau,
jardin. Bon ouvrier. Gros arbre. Petit
arbre. Petit animal. Saint religieux. Prc^
fond refpecl. Jeune homme. Vieux pécheur*.
Cher ami^ Réduit à lu dernière misère^
Tiers-Ordre. Triple alliance j 8cc^
Je n'ai pas prétendu inféret dans ces
liftes tous les adjedifs qui fe plac^ent les
uns devant les fubftantifs % 8c les autres
après. J ai voulu feulement faire voir que
cette pofition n'étoit pas arbitraireé
Les adjedtifs métaphyfiques , commd
ie ^ la J les j ce j cetj quelque jun^ tout j^
Rr
ç^S Principes
chaque j telj quel j fon ^ fa ^ fes ^ votre j
nos ^ leur^ fe placent toujours avant les
fubftantifs qu'ils qualifient.
Les adjedlifs de nombre précèdent auffî
les fubftantifs appellatifs, & fuivent les
ftoms propres. Le premier homme j Fran^
cois premier ; quatre perfonnes _, Henri
quatre j pour quatrième. Mais en parlant
du nombre de nos rois, nous difons dans
un fens appellatif , qu*z7 y a eu quatorze
Louis ^ & que nous en fommes au quin*
\ieme. On dit aufîî dans les citations , livre
premier :^ chapitre fécond : hors de -là on
dit le premier livre j le fécond livre.
D'autres enfin fe placent également
bien devant ou après leurs fubftantifs.
C'eft un f avant homme ^ cefl un homme
f avant : c^ejl un habile avocat j, ou un
avocat habile ; 8c encore mieux, c^ejl un
homme fort favant j c^ejl un avocat fort
habile. Mais on ne dit point, c^efi un ex-^
périmenté avocat j au lieu qu'on dit, c'eji
un avocat expérimenté ^ ou fort expéri^
mente\ Cejl un beau livre ; ceft un livre
de Grammaire: ^^^
fort beau. Ami véritable ^ véritable amh
De tendres regards _, des regards tendres^.
V intelligence fùprême ^ la fuprême intelliL
gence. Savoir profond j profond favoin
Affaire fnalheureufe ^ malheuxcufc affai^
re j 8cc.
Voila des pratiques que le feul bo/l
ufage peut apprendre -, & ce font-là de
ces fineiles qui nous échapent dans les
langues mortes, & qui étoient fans doutô
très-fenfibles à ceux qui parlôient ces lâni
guesi dans le temps qu'elles étaient vi-
vantes.
La pôélîe, ou les trahfpofitions font
jpermifes , & même oii elles ont quelque-
fois des grâces, a fur ce point plus dô
liberté que la profe.
Cette pofition de ladjedif devant où
après le fubftantif eft Ci peu indifférente y
qu'elle change quelquefois entièrement
la vâleut du fubftantif. En voici des extern-
jples bien fendbleSb
C'eji une nouvelle certaine; ceft unt
thofe cercaine ; c'eft-^dire ^ âffurée j vét
Rri
^oc -Principes
ritabUj confiante. J'ai appris certaines
chofes ^ certaine nouvelle : alors certaine
répond au quidam des Latins , & fait pren*
dre le fubftantif dans un fens vague &
indéterminé*
Un honnête homme eft un homme qui
a des mœurs , de la probité , & de la
droiture. Un homme honnête eft un hom-
me poli 5 qui a envie de plaire. Les hon-*
riêtes gens d'une ville , ce font les perfon-
nes de la ville qui font au-delTus du peu-
ple, qui OTit du bien , une réputation in-
tégre, une naiflance honnête, & qui ont
eu de l'éducation. Ce font ceux dont
Horace dit , Quibus ejl equus & pater &
res.
Vrai a un fens différent, félon qu'il eft
placé avant ou après un fubftantif. Gilles
ejl un vrai charlatan j c eft-à-dire , qu il
eft réellement un charlatan. C'eft un hom*
me vraij c'eft-à-dire, véridique. C'èjiunc
nouvelle vraie ^ c'eft- à-dire, véritable.
CUJl un pauvre homme j fe dit par mé-
pris d'un IjQinme qui na pas une forte
de Grammairei 4ot
!de mérite, d'un homme qui néglige ou
qui efl: incapable de faire ce qu'on attend
de lui ; & ce pauvre homme peut être rzche^
Au lieu qu'un homme pauvre efl; un hom-
me fans biens.
Un homme galant n'efl: pas toujours ua
galant homme. Le premier efl: un homme
qui cherche à plaire aux femmes , qui leur
rend de petits foins. Au lieu qu'un galant
homme efl: un honnête homme, qui n'a
que des procédés fîmples,
£n françois , nos adjedifs font termi-
nés, i*"" ou parun emuer, œmmefagej,
fidèle j utile jy facile j habile^ timide j riche^
aimable j volage j, troifième^ quatrième ^
Sec. Alors radjedif fert également pour
le mafculin & pour le féminin. Un amant
jidèle jy une femme fidèle. Ceux qui écri-
vent ^ûf^/^ utiljy font la même faute que
s'ils écrivoienty^z^j au lieu de fage.^ qui (^
dit également pour les deux genres.
2.° Si l'adjedif eft terminé dans fa pre-
mière dénomination par quelqu'autre
ettre que par un c muet 5 alors cette pre*
êoi^ . Principes
jçLiière terminaifon fert pour le genre tnaCi
çulin > pur j dur j brun^ /avant j fort j^ bon.
/ A l'égard du genre féminin» il faut
diftinguçr, Qu radjeftif finit au mafculia
par yne voyelle 5 ou il efl: terminé par
^ine confonne.
Si Tadjeâiif mafcuîin finit par toute am
çre v<jyelle que par un e muet > ajoutez
feulement Ve muet après cette voyelle j
vous; aurez la terminaifon féminine de l'adï^
jedlif. Senfé yfenféç. Joli j jolie. Bourru j^
kourruc.
Si ladjeâiif mafcuîin finit par une con-
Conne? détaches^ cette confonne de la lettre
qui la précède , & ajoutez un e muet à
cette confonne détachée 5 vous aurez 1?
terminaifon féminine de Tadjedif. Pur^
pu-re* Saint j fain-te. Sain ^ fai-ne^
Grand y gran-de. Sot y fo-te. Bon ^ bo-ne^,
Je fais bien que les maîtres à écrire,
pour multiplier les jambages 5 .dont la fuite
rend récriture plus unie & plus agréable
à la vue 5 ont introduit une féconde n dans
^a-/î^ J comme ils ont introduit ui^e m.
de Grammaire^ 60 \
dans ho'tne : ainfî on écrit communément
benne ^ homme j honneur^ &c. mais ces
lettres redoublées font contraires à i a-
nalogie , & ne fervent qu a multiplier les
difficultés pour les étrangers & pour les
gens qui aprennent à lire.
Il y a quelques adjedifs qui s'écartent
de la règle : en voici le détail.
On difoit autrefois au mafculin> bel ^
nouvel ji fol j mol j 8c au féminin 5 félon
la règle , belle j nouvelle j folle j molle.
Ces féminins fe font confervés : mais les
mafculins ne font en ufage que devant une
voyelle > un bel homme j un nouvel amant ^
un fol amour : ainfî beau^ nouveau j fou j,
moue^ ne forment point de féminin. Mais
Efpagnol eft en ufage 5 d'où vient Efpa*
gnole j félon la règle générale. Blanc fait
blanche y franc y franche. Long fait /c?/2-
gue : ce qui fait voir que le g de long eft
le g fort que les modernes appellent gue..
Il eft bon 5 dans ces occafions 5 d'avoir re*
cours à Tanalogie qu'il y a entre l'adjeélif*
^ le fubftantif abftrait. Par exemple > lon-^
Rr4
5o4 Principes
gueur ^ long ^ longue ; douceur j doux i^
doucd; jaloufie jy jaloux ^ jaloufe ; fraî^
cheur x frais ^ fraîche ; fécherejfe j fec ^
féche.
Le /& le V font au fond la même lettre
divifée en forte & en foible. Le/eft U
forte, & le V eft la foible. De-là naïf^
naive ; abufif .y abujive ; chétïf ^ chétïve ;
défenfif X défenjive ; pajftf^ paffive ; né-
gatifs négative ; purgatifs purgative _, &a
On àïtmony ma: ton^ ta: fon ^ fa;
inais devant une voyelle on dit également
^u féminin mon ^ ton _, fon ; mon ame _,
ton ardeur s fon épée. Ce que le méchanif-
lîie des organes de la parole a introduit
pour éviter le bâillement qui fe feroit à
la rencontre des deux voyelles ma ame^
$a épée ^fa époufè. En ces occafionsy^/î ^
toUj mon font féminins, de la même ma-
nière que mes ^ tes j fès j les le font au
pluriel, quand on dit mes filles ^y les
femmes s &c.
L'adjedif doit avoir la terminaifon qui
(jQnviçnt au gcnrç que Tufage a dominé z\x
de Grammaire. â'oç-
fubftantif. Sur quoi on doit faire une re-
marque fîngulière fur le mot Gens. On
donne la terminaifon féminine à Tadjec-
tif qui précède ce mot , & la mafculinc
à celle qui le fuit , fût - ce dans la même
phrafe. Il y a de certaines gens qui font
bien fots.
Le pluriel de l'adjectif fe forme en
ajoutant une s au fîngulier, bon^ bons ;
fort ^ forts. Par conféquent puifqu'on écrit
au fingulier gâté ^ gâtée ^ on doit écrire
au plurier gâtés ^y ^(îr/ei'j ajoutant fimple-
ment Vs pour le plurier mafculin , comme
on lajoute pour le plurier féminin. Cela
me paroît plus analogue, que d'ôter l'ac-
cent aigu au mafculin, & ajouter un ç>
gcite^. Je ne vois pas que le :{ ait plutôt;
que r^ le privilège de marquer que IV qui
le précède eft un e ferm.é. Pour moi je ne
fais ufage du ^ après Ve fermé, que pour
la ieconde perfonne plurielle du verbe ^^
vous aime'[ j ce qui diftingue le verbe du
participe 8c de ladje^ftif : vous àej aimé^;^
êo^' Principes
ks perdreaux font gâtés ; vous gàte\ €e
livre.
Les adjecftifs terminés au fingulîer par
une j^ fervent aux deux nombres. // eji
gros & gras ; ils font gros & gras.
Il y a quelques adjedifs qu'il a plu
aux Maîtres à écrire de terminer par un
^ j au lieu de Sj qui finiflant en dédans ne
donne pas à la main la liberté de faire de
ces figures inutiles qu'ils appellent traits..
îi faut regarder cet x comme une véri-
table s. Ainfi on dit, il eft jaloux ^ 8c ih
font jaloux ; il ejl doux jy & ils font doux ^
répoux j les époux j &c. VI final fe chan-
ge en auXj qu'on feroit mieux d'écrire
aus j égal j égaus j verbal ^ verbaus ^ féo-*
dal jy féodaus jy nuptial ■, nuptiaus ^ &c.
A l'égard des adjedifs qui finiflent par
€nt OM ant 2M fîngulier, on forme leur
plurier en ajoutant s ^ félon la règle géné-
rale -, & alors on peut laiffer ou rejetter le
ti cependant lorfque le t fert au féminin y
l'analogie demande qu'oji le garde: ex-^
de Grammaire. 60^.
ctllenty excellente ; excellents j excellen^^
tes.
Outre le genre, le nombre & le cas»
dont nous venons 4e parler, les adjedifs
font encore fujets à un autre accident,
qu'on appelle les dégrés de comparaifon^
& qu'on devroit plutôt appeler dégrés de
qualification ; car la qualification eft fuf-
ceptible de plus ou de moins , bon j meil-*
hur y excellent; [avant ^ plus favant ^
très-favant. Le premier de ces dégrés effc
appelle /^q/Zri/*; le fécond, comparatifs &;
le troifièmeyi/?^r/^ri/!
Il ne fera pas inutile d'ajouter ici deuK
abfervations*
- La première , c'efl: que les adjedifs fe
prennent fouvent adverbialement. Facilh
<$» difficile s dit Donat, quA adverbia po-^
nuntur y nomina potius dicenda fiint ^ pro^
adverbiis pofita ; ut eft ^ torvùm clamât i
horrendûm refonat ^ & dans Horace ( i )^
turbidhm Utatur; relient les faillies d uae
■f I II ■ ■■ ■■ iwia ■,11. riiyrai
(î) Ub. 2. 04, i9> V, €,
€b8 Principes
joie agitée & confufe (i) , Perfidhm rident
Venus j Vénus avec un fourire perfide. Et
même > primo j fecundo j tcrtih j pqftremoy
fero y optato y ne font que des adjedifs
pris adverbialement. Il eft: vrai qu au fond,
radjedif conferve toujours fa nature, &
qu'en ces occafions même il faut toujours
(bus -entendre une prépofition & un nom
ftibftantif, à quoi tout adverbe eft réduc-
tible. Ainfî turbidhm Utatur ^ id eft Uta--
tur juxta negodum^ ou modum turbidum.
Primo y fecundo y id eft, in primo vel fe^
cundo loco i optato advenis j id eft, in
tempore optato.
A l'imitation de cette façon de parler
latine, nos adjeârifs font fouvent pris ad-
verbialement. Parler haut ^ parler bas y,
fentir mauvais j voir clair, chanter faux y.
chanter jufle y &c. On peut en ces occa-
fions fous- entendre une prépofition & un
nom fubftantif. Parler d'un ton haut^fen^
{\\ luih. i. Od. Z7, v^ 6j^
dt Grammaire. 60 ^
tir un mauvais gout^ voir d'un œil clair ^
chanter d*un ton faux. Mais quand il ic-
iroit vrai qu'on ne pouroit point trouver
de nom fubftantif convenable & ufité 5 la
façon de parler n'en feroit pas moins el-
liptique -, on y fous - entendroit Tidée de
chofc ou ^ctre dans un fens neutre.
La féconde remarque, c'eft qu'il lie
faut pas confondre ladjeâ-if avec le nom
fubftantif qui énonce une qualité , comme
blancheur ^ étendue. L'adjedtif qualifie un
fubftantif^ c'eft le fubftantif même confi-
déré comme étant tel : Magiflrat équita-*
hle. Ainfi Tadjeélif n^exifte dans le difcours
que relativement au fubftantif 5 qui en eft
le fuppôt 5 & auquel il fe raporre par l'i-
dentité \ au lieu que le fubftantif qui ex-
prime une qualité 5 eft un terme abftrait
& métaphyfique , qui énonce un concept
particulier de Tefprit, qui confidère la
qualité indépendamment de toute appli-
cation particulière, & comme iî le mot
étoit le nom d un être réel & fubfiftant
par lui - même. Tels font, couleur y éten-*
#rô Principes
duc y équité ^ Sec. ce font des noms fub-
ftantifs par imitation.
Au refte) les adjedifs font d'un grand
ufage, fur-tout en poéfîe , où ils fervent à
faire des images & à donner de Ténergle.
Mais il faut toujours que TOrateur ou le
Poète aient Tart d'en ufer à propos , & que
ladjedtif n'ajoute jamais au fubftantif une
idée accefibire 5 inutile 5 vaine ou déplacée*
JDU COMPARATIF.
1 ouR bien entendre ce mot, c'eft un
adje6tif pris fubftantivement , il faut obfer-
ver que les objets peuvent être qualifiés
ou abfolument fans aucun raport à d'au-
tres objets, où relativement 5 c'eft-à-dirCà
par raport à d'autres.
I. Lorfqu'on qualifie un objet abfolu-
ment, Tadje^^if qualificatif eft dit être au
pofitif. Ce premier degré eft appelle pq/i-
dfj parcequ il eft comme la première
pierre qui eft poféé pour fervir de fonde*
de Grammaire: 6 1 1
ment aux autres dégrés de fignification*
Ces dégrés font appelles communément
degrés de comparai/on. Céfar étoit vail-
lant: le fôleil eft brillant, vaillant & M/-
lant font au pofîtif.
En fécond lieu, quand on qualifie un
objet relativement à- un autre ou à d'au-
tres , alors il 7 a entre ces objets ou un
rapport d'égalité, ou un raport de fupé-
riorité , ou enfin un raport de préémi-
nence.
S'il y a un rapport d'égalité , ladjeftif
qualificatif efl: toujours regardé comme
étant au pofitif -, alors l'égalité eft mar-
quée par des adverbes , é^que ac ^ tam
quant ^ ïta ut ^ 8c en françois par autant
que j aujjl que. Céfar étoit aujji brave
qu'Alexandre l'avoir été. Si nous étions
plus proches des étoiles , elles nous paroî-
troient aujji brillantes que Je foleil. Aux
équinoxes, les nuits font aujfi longues que
les jours.
II. Lorsqu'on obferve un raport de
plus ou un raport de moins dans la qua-
۔^ Principes
lité de deux chofes comparées 5 alors lad»
jedif qui énonce ce raport eft dit être
au comparatif. C'eft le fécond degré de
/îgnification , ou , comme on dit , de corn-
paraifon : Petrus ejl dociior Paulojy Pierre
eft plus favant que Paul : le foleil eft plu^
irïllant que la lune. Où vous voyez qu'en
latin le comparatif eft diftingué du pofitif
par une terminaifon particulière^ & qu'en
françois il eft diftingué par Tadditiçn du
niot plus ou du mot moins.
III. Enfin 5 le troifième degré eft appelé
fupcrlaûf Ce mot eft formé de deux mots
latins, yZ^/er^ au-deffusj & latus ^ porté*
Ainfî le fuperlatif marque la qualité por-
tée au fuprême degré de plus ou de
moins.
Il 7 a deux fortes de fuperlatifs en
François.
I. Le fuperlatif ahfolu y que n®us for-
mons avec les mots très y fort^ extrême^
ment; & quand il y a admiration, avec
bien. Il eji bien raifonnable. Très vieix
du latin ter^ trois fois, très-^rand ^ c eft-
à-dire ^
de Grammàirel 6i f
à-dire, trois fois grand. Fore eft un abré-
gé ào fortement.
IL Nous avons encore le fupe.iatif
relatif II ejl le plus raifonnahle de fès
frères.
Les adverbes ont auffi des dégrés de
iignificatiôn, bien ^ mieu}c ^ fort bie/îi
iencj ynelius j optime.
ce Notre langue, dit le P. Bouhours,
» n a point pris de fuperlatifs des Latins.
33 Elle n'en a point d autre que Générar
*> lijjime j qui eft tout François , & que le
o^ cardinal de Richelieu fit de Ton auto-
05 rite > allant commander les armées de
ù^ France en Italie , iî nous en croyons
» Balzac {i) ^^
Nous avons emprunté des Italiens cinq
ou fix termes de dignités , dont nous nous
fervons en certaines formules , & auxquels
nous nous contentons de donner une ter-
minaifon françoife , qui n'empêche pas de
reconnoîcre leur origine latine. Tels font,
(i) Doutes fur la, Langue francoife^ i^^'y^Co^
Si
^14 Principes
reverendijjîme j illujîrijjime j cxcdlentif-
Jimc j éminentijjïme.
WÊÊfÊmmÊtmKÊÊÊÊmmÊÊmÊÊÊmÊÊmmmÊmÊmÊmmammaBm
tm ■ I I ■* I I ■ ■ 11.11 m»
DES CAS. '
J^E mot Cas vient du latin cafus j
chute : racine , c^dere j tomber. Les cas
d'un nom font les différentes inflexions
ou terminaifons de ce nom. On a regardé
ces terminaifons comme autant de diflé-
rentes chutes d'un même mot. L'imagina-
tion & les idées accelîbires ont beaucoup
*de part aux dénominations & à bien d'au-
tres fortes de penfées ; ainfî ce mot cas
eft dit ici dans un fens figuré & m.étaphori-
que. Le nominatif, c'eft-à.dire> la pre-
mière dénomination tombant, pour ainfî
dire , en d'autres terminaifons , fait les au-
tres cas qu'on appelle obliques. Nomina-
tivus ^Jive Reclus j cadens àfua termina^
tlone in alias j facit obUquos cafus (i). -
(i) Prifc. //v. ; j de Cafu,
de Grammalrèl -^i^
Ces terminaifons font auflTi appellécs
déjinanccs ; mais ces mots termlnaifon :^
déjinance ^ font le genre. Cas eft Xefpece y
qui ne fe dit ijue des noms', car les verbes
.ont auflî des terminaifons différentes,
j^ aime ^ y aimois j y aimerai ^ ôcc. Cepen-
dant on ne donne le nom de cas qu'aux
terminaifons des noms^ foit au finguliçr,
foit au plurier. Pater j patris j patri ^ par
tremj pâtre. Voila toutes les terminaifons
de ce mot au fingulier*, en voila tous les
cas> en obfervant feulement que la pre^
mière terminaifon pater fert égalgiiiçiiï
pour nommer & pour appeller. ^' Sr
Ljes Latins ont fîx cas, tant au fingulief
qu'au plurier , nominatif ^ génitif ^ datifs
ixccufatifjy vccatifjy ablatif.
Le premier, c'eft le nominatif II e(l
appelle cas par extenfion, & parcequ'il
doit fe trouver dans la lifte des autres ter-
minaifons du nom. Il nomme ; il énonce
robjet dans toute Tétendue de Tidée qu'on
en a, fans aucuneinodiiîcation* C'eft pour
cela quon Tappelle auiïîle ç^^ direct ^
'?r^ Principes
reclus* Quand un nom efl: au nominatif,
Iqs Grammairiens difent qu'il eft in reclo.
Le génitif eft ainfî appelle , parcequ'îl
eft, pour ainfi dire, le fils aîné du nomi-
natif, & qu'il fert enfuira plus particulière-
ment à former les cas qui le fuivent. Ils en
gardent toujours la lettre caraétériftique
ou figurative , c'eft-à - dire , celle qui pré-
cède la tctminaifon propre qui fait la dif-
férence des déclinaifons : par exemple , is^
ij cm ou im j e ou ij font les terminaifons
des noms de la troifième déclinaifon des
Latins au fingulier. Si vous avez à décliner
quelqu'un de ces noms, gardez la lettre
qui précédera is au génitif. Par exemple ,
nominatif rex j c'eft-à - dire , regs j génitif
reg'is j enfui te reg-i ^ reg- cm j rcg-e ^ & de
même au plurier, reg-es j reg-um^ reg-
ibus. Genitivus naturale vinculum generis
pojfidct: nafcitur quidcm à nominative^
générât xiutcm omncs obliques fequenr
tes{i).
(x) Prifc. ibid.
de Grammaire. 617
Le dattffQït à marquer principalement
le rapport d attribution , le profit , le dom-
mage 3 par rapport à quoi, le pourquoi,
Jinis cui.
L'accujQztîfaccuk^ c^eft-à-dire, déclare
Tobjet ou le terme de Taétion que le verbe
iîgnifie. On le conftruit auffi avec certaines
prépofitions 8c avec Tinfinitif.
Le vocatif (en à appeller. Prifcien Tap-
pelle ^uΕ falutatorius.
L'ablatif fert à ôter , avec le fecours
d'une prépofition.
Il ne faut pas oublier la remarque judî-
cieufe de Prifcien. ce Chaque cas, dit - ilj
D:>a plufieurs ufages-, mais les dénomina*
v> tions fe tirent de Tufage le plus connu &
» le plus fréquent t>. Multas alias quoquc
& diverfas unufquïfquc cafus habct Jjgni^
ficatlones ;fed à nodoribus & frequendori^
hus accepcrunt nominadonem ^ Jîcut ir\
alïis quoquc mulds hoc Invenimus (i).
Quand on dit de fuite & dans un cer-
(1) Vnk^ibid*
6iB ' Principes
tain ordre toutes les terminaifons cfu»
rioiii> c'eft ce qu on appelle décliner. C'eft
encore une métaphore. On commence par
la première terminaifon d un nom , enfuite
ondefcend, on décline, on va jufqu'à la
dernière.
Les anciens Grammairiens fe fervoienç
également du mot décliner j tant à Tégard
des noms qu'à Tégard des verbes. Mais il
y a long-temps que Ion a confacré le mot
(décliner aux noms y & que lorfqu'il s'agit
de verbes, on dit conjuguer ^ c'eft-à-dire,
ranger toutes les terminaifons d'un verbe
dans une même lifte, & tout de fuite
comme fous un même joug. C'eft encore
une métaphore.
Il y a en latin quelques mots qui gardent
toujours la terminaifon de leur première
dénomination. On dit alors que ces mots
font indéclinables. Tels font^^i'^ nef as y
§ornu au fingulier, Stc. ainfi ces mots n'onç
point de cas,^
Cependant, quand ces mots fe trouvent
d^qs unç phrafe ^ comme lorfqu'Horace a
de Grammaire. 6if
dit (i) Fas atque nef as exïguofint libidi^.
num difcernunt avidi ; 8c ailleurs { i) : Et
peccare nefas ^ aut pretium ejl mori ; &
Virgile (5) : Jam cornu petat ; & (4) cornu
ferit ille^ caveto ; alors le fens, c'eft- à-
dire, lenfemble des mots de la phrafe,
fait connoître la relation que ces mots in-
déclinables ont avec les autres mots de la
même proportion , & fous quel rapport
ils y doivent être confidérés.
Ainli dans le premier partage d'Ho-
race , je vois bien que la conftrudtion eft
//// avidi difcernunt fas & nefas. Je dirai
donc que fas & nefas font le terme de
Tadion ou l'objet de difcernunt ^ &c. Si je
dis qu'ils font à Taccufatif , ce ne fera que
par extenfion & par analogie avec les au-
tres mots latins qui ont des cas, & qui en
une pareille pofition auroient la terminai-
fon de Taccufatif. J'en dis autant de cornu
(i) Lih. I. Od. 18 > V. 10.
(1) Lih. 3. OJ. 4^ V. 24.
(3) Eclogac 9> V. J7.
(4.) EcU 9,v. 2j.
Sf4
4tb Principes
ferit : ce ne fera non plus que par anaîo-"
gie que cornu eft là à Tablatif *, & Ton ne
diroit ni l'un ni Tautre, fî les autres mots
de la langue latine étoiçn-t également in^
déclinables.
Je fais œs obfervations pour faire voir ,
I. Que ce font les terminaifons feules
qui par leur variété conftituent les cas , &
doivent être appellées cas ; en forte qu'il
n'y a point de cas, ni par conféquent de
déclinaifon dans Içs langues où les noms
gardent toujours la terminaifon de leur
première dénomination-, & que lorfque
nous difons un temple de marbre ^ cçs deux
mots de marbre ne font pas plus au génitif
que les mots latins de marmore y quancj
.Virgile a dit, Templum de marmore po-
nam{î). Ainfî à ôc de ne marquent pas
plus des cas en François, que par ^ pour j,
çn y fur y &c. Voyez ce que nous avon?
dit fur ce fujet en traitant de Y article.
IL Le fécond point qui eft à confidérer
(i^) Georg. //y. 3 j ^'- U^ ^ ailkurç,
de Grammaire. 6ti
dans les cas ^ c*eft Tufage qu'on en fait
dans les langues qui ont des cas.
Ainfî il faut bien obferver la deftina-
tion de chaque terminaifon particulière.
Tel raport , telle vue de refprit eft mar-
qué par tel cas ^ c eft-à'dire > par telle
terminaifon.
Or ces terminaifons fuppofent un ordre
dans les mots de la phrafe. C'eft l'ordre
fucceflîf des vues de l'efprit de celui qui
a parlé. C'eft cet ordre qui eft le fonde-
ment des relations immédiates des mots ,
de leurs enchaînemens & de leurs termi-
naifons. Pierre bat Paul; moi aime toi j^
êcc. On va entendre ce que je veux dire*
Les cas ne font en ufage que dans les
langues où les mots font tranfpofés , foit
par la raifon de l'harmonie , foit par le
feu de l'imagination , ou par quelqu'autre
caufe.
Or , quand les mots font tranlpofés,
comment puis-je connoitre leurs rela-^
tJORS?
Ce font les différentes terminaifons ^ çc
6zt Principes
font les cas qui m'indiquent ces relations 5
& qui , lorfque la phrafe eft finie ^ me
donnent le moyen de rétablir Tordre des
mots, tel qu'il a été néceflairement dans
Telpric de celui qui a parlé , lorfqu'il a
voulu énoncer fa penfée par des mots. Par
exemple :
Frigidus agricolamjl qiiando continet imher {i)^
Je ne puis pas douter que , lorfque Virgile
a fait ce vers, il n'ait joint dans fon efprit
Tidée de frigidus à celle à'imber; puifque
l'un eft le fubftantif , & l'autre TadjecStif.
Or le fubftantif & Tadjedif font la chofe
même : c'eft l'objet confidéré comme tel :
ainfî l'efprit ne les a point féparés.
Cependant, voyez combien ici ces deux
mots font éloignés Tun de l'autre. Frigi^
dus commence le vers , & imher le finit.
Les terminaifons font que mon efprit
reproche ces deux mots , & les remet dans
1 ordre des vues de l'elprit, relatives à
(i) Georg. lib. i j v. zjs^.
de Grammaire. ^zj
féîocutîon : car refprit ne divife ainfi fes
penfées que par la néceffité de rénonda^
rion.
Comme la terminaifon de frigidus mo
fait raporter cet adjeûif à imber ^ de mê-
me voyant qu^grlcolam eft à raccufatif ,
j aperçois qu'il ne peut avoir de raport
qu'avec commet. Ainfi je range ces mots
félon leur ordre fucceflîf , par lequel feul
ils font un fens : Si quando imber frigidus
continet domi Agricolam. Ce que nous
difons ici eft encore plus fenfible dans ce
vers :
Arctagtr% vitio^ moriens^Jititj aëris y herha(i).
Ces mots , ainfi féparés de leurs corrélatifs,
ne font aucun fens.
EJi fec j le champ jy vice jy mourant^ a
fôif jy de l'air^ l'herbe. Mais les terminai-
fons m'indiquent les corrélatifs , & dès-lors
Je trouve le fens. Voila le vrai ufage des
cas.
a ■ ■ ■ ■ Il -^
ëi4 Principes
Ager arety herha moriens Jltit ptx vido aëris^
Ainfi les cas font les fignes des raports^
& indiquent Tordre fuccellîf , par lequel
feul les mots font un fens. Les cas n'indi'-
quent donc le fens 5 que relativement à
cet ordre -, & voila pourquoi les langues
dont la fyntaxe fuit cet ordre , & ne s'en
écarte que par des inverfions légères aifées
à apercevoir 5 & que Tefprit rétablit aifé-
ment -, ces langues, dis-je, n'ont point de
cas : ils y feroient inutiles, puifqu'ils ne
fervent qu'à indiquer un ordre que ces
langues fuivent : ce feroit un double em-
ploi. Ainfî, fi je veux rendre raifon d'une
pbrafe françoife -, par exemple , de celle-
ci , Le roi aime le peuple j je ne dirai
pas que le rai eft au nominatif, ni que le
peuple eft à laccufatif : je ne vois en l'un
ni en l'autre mot qu'aune fimple dénomi-
nation , le roi j le peuple* Mais comme
je fais, par Tufage , l'analogie & la fyntaxe
de ma langue , la fimple pofition de ces
mots me fait conngître leurs raportsr &
de Grammaire. (ii^
les différentes vues de refprit de celui
qui a parlé.
Ainfî je dis i •^ Qiie le roi paroiflant le
premier , eft le fujet de la propofition i
qu'il eft lagent , que c'eft la perfonne
qui a le fentiment d'aimer.
2.*^ Que le peuple étant énoncé après
le verbe , le peuple eft le complément
A' aime : je veux dire que aimej tout feul,
ne feroit pas un fens fufïîfànt -, Tefprit ne
feroit pas fatisfait. Il aime, hé quoi ? le
peuple. Ces deux mots, aime le peuple^
font un fens partiel dans la propofition.
Ainfi le peuple eft le terme du iêntiment
d'aimer -, c'eft Tobjet , c'eft le patient , c eft
Tobjet du fentiment que j'attribue au roi.
Or ces raports font indiqués en françois
par la place ou pofition des mots, & ce
même ordre eft montré en latin par les
terminaifons.
Qu'il me foit permis d'emprunter ici
pour un moment le ftyle figuré. Je dirai
donc, qu'en latin l'harmonie ou le caprice
accordent aux mots la liberté de s'écartec
4zè Principes
de la place que Tintelligence leur âVOit
d'abord marquée. Mais ils n'ont cette per-
iniffion 5 qu'à condition qu'après que toute
la propofition fera finie ? Te/prit de celui
qui lit ou qui écoute ,Je^ remettra par
Vin fîmple point de vue dans le mêmç
ordre où ils auront été d'abord dans l'ef-
prit de celui qui aura parlé.
Amufons-nous un moment à une fidrioué
S'il plaifoit à Dieu de faire revivre Cicé*
ron 5 de nous en donner la connoiiTance >
& que Dieu ne donnât à Cicéron que l'in-
telligence des mots françois , & nullement
celle de notre fyntaxe , c'eft-à-dire , de ce
qui fait que nos mots aflTemblés & rangés
dans ,un certain ordre , font un fens. Je
dis que fi quelqu'un difoit à Cicéron ,
Illujlre Romain y après votre mort Au-
gujle vainquit Antoine ^ Cicéron enten-
droit chacune de ces paroles en particu-
lier 5 mais il ne connoîtroit pas qui eft
celui qui a été le vainqueur , ni celui qui
a été vaincu. Il auroit befoin de quelques
Jours d'ufagc> pour apprendre parmi nous
de Grammaire. 6ij
que c'eft Tordre des mots , leur pofîtion ,
&: leur place , qui eft le iîgne principal de
leurs raports.
Or , comme en latin il faut que le mot
ait la terminaîfon deftinée à fa pofition ,
& que fans cette condition , la place n'in-
flue en rien pour faire entendre le fens,
Augujius vicit Antonïus ne veut rien dire
en latin. Ainfi , Augujlc vainquit Antoine
ne formcroit d abord aucun fens dans Tel-
prit de Cicéron ; parceque Tordre fucceffif
ou lîgnificatif des vues de Tefprit n'eft indi-
qué en latin que par les cas ou terminai-
fons des mots : ainfi il eft indiffirent de
dire Antonium vicit Augujius ^ ou Augu-
jius vicit Antonium. Cicéron ne conce-
vroit donc point le fens d'une phra(e ,
dont la fyntaxe lui feroit entièrement in^
connue. Ainfi il n'entendroit rien à Au-
gujlc vainquit Antoine : ce feroit là pour
lui trois mots qui n'auroient aucun figne
de raporr. Mais reprenons la fuite de nos
réflexions fur les cas*
Il y a des langues qui ont plus de fix
€i^ Principes
cas, & d autres qui en ont moins. Le P*
Galanus 5 Théatin 5 qui- avoit demeuré plu-
fleurs années chez les Arméniens 5 dit qu'il
y a dix cas dans la langue arménienne.
Les Arabes n'en ont que trois.
Les Grecs n'ont que cinq cas> nomina."
^If ^ g^'^^^^fj ^^^{f^ accufatif jy vocatif.
Mais la force de lablatif eft fouvent ren-
due par le génitif, & quelquefois par le
datif. Ahlatïvi forma Gtaci carent ^ non
yi j quéê gemdvo & aliquando dadvo rc*
fertur (i).
Nous avons dit qu'il y a dans une lan-
gue & en chaque déclinaifon 5 autant de
cas que de terminaifons difîérentes dans
les noms. Cependant le génitif & le datif
de la première déclinaifon des Latins, font
femblables au fingulier. Le datif de la fe-
conde eft auflî terminé comme Tablatif.
Il femble donc qu'il ne devroit y avoir
que cinq cas en ces déclinaifons.
Maisi."^ il eft certain que la pronon-
(i) Caniûi Hcllcnirmij Pa;r, orat. p. 87.
ciation
i
de GrammaîrCé ^ijf
tîation dç \'a au nominatif de la première
iJécIinaifon étoit différente de celle de Yà
à lablatif. Le premier eft bref, l'autre eÛ:
long.
' ï.^ Le génitif fut d'abord terminé eii
^ij d'où Ton forma ^ pour lé datif. là
prima dcclihationc dlcium olim menfai ,
& hinc deinde fornïatum in dativo iiieri-
5.° Enfin l'analogie deinande cette uni-
formité de (îx cas dans lés cinq déclinai-
fons \ & alors ceu^ iqui ont une terininai-
fon femblable i font des cas par imitation
avec les cas des autres terminaifons : ce
qui rend uniforme la raifon des conftru-
tlions. Cafus funt non vocis ^ fed Jignifi-
cationis j necnon etiam Jiruclur(Z rationcm
Jervamus (2.}.
Les raports qui ne font pas indiqués par
des cas en grec , en latin , & dans les autres
(i) Perizonius, in Sanûii Minerva , /•!, c. ^^
(0 Prifc. h <i,dc Cafu;
Tt
é^50 Principes
hngues qui ont des cas > ces raports , dis-
je ) font fuppléés par des prépoiîtions. Clam
patrçm.
Ces prépofitions qui précèdent les
poms, équivalent à des cas pour le fens,
puifquelles marquent des vues particuliè-
res de Tefprit. Mais elles ne font point
des cas proprement dits , car TelTence du
cas ne confifte que dans la terminaifon du
nom, deftinée à indiquer une telle rela-
tion particulière d'un mot à quelqu'autre
mot de la propofitioiu
de Grammaire. €^1
OBSERVATIONS
SUR LES VERBES,
DES VERBES AUXILIAIRES.
JLe mot auxiliaire vient du latin auxU
liaris j & fignifie qui vient au fccours^
On appelle verbes auxiliaires le verbe
être & le verbe avoir j parcequ'ils aident
à conjuguer certains temps des autres ver-
bes, & ces temps font appelles temps corn-*
pofési.
Il 7 a dans les verbes des temps qu'on
aç^^Wt/imples* C'eft lorfque la valeur dû
verbe eft énoncée en un feul mot: j'aime j
j'aimois ^ j'aimerai ^ &c.
Il y a encore des temps compofés : y ^jf
aimé ^ j'avois aimé ^ j' aurais aimé ^ &c#
ces temps font énoncés en deux mots.
Il y a même des temps doublement
çompofés , qu'on appelle fur - compofés^
Ceft lorfque le verbe eft énoncé par troi^
T t a
tfi Principes
uiots; quand il a eu dîné ; f aurais été
cime . Sec.
r 7 /■^ ,--->, ■■■}'■■
"- Plafibursde ces temps, (pi font com«^
pofés Gu fur - compofés en François y font
Innples en latin , fur-tout à Tadtif , amavi >
fai aiméj Sec. Le françois n'a point de
temps fîmples au pafîîf. Il en eft de même
en efpagnol , en italien , en allemand > Se
dans plufîeurs autres langues vulgaires.
Ainfi, quoiqu'on dife en latin , en un feul
mot, amor^ amarisj amatur j on dit en
françois , je fuis aimé j &c. en efpagnol ,
foy amado j ères amado ^ es amado ; en
italien 5/0/20 amato y fei amato ^ e amato.
Les verbes pallîfs des Latins ne font
compofés qu'aux prétérits & aux autres
temps qui fe forment du participe paflTé ;
amatus jum ou fui j fai été aimé ; ama^
tus ero ou fuero j f aurai été aimé. On
dit- auffî à Tadtif , amatum ire ^ quil ai"
mer a ovl quil doit aimer '^ & au paffif,
amatum iri ^ quil fera ou quil doit être
aimé^ Amatum eft alors un nom indécli-
nable, ire ou iri ad amatum^
de Grammaire. ^53
Cependant , on ne s eft point avifé en
latin de donner en ces occafions le nonx
d'auxiliaire au verbe fum^ ni à habeo ^
Ali à Ire^ quoiqu'on dife habeo perfuafum ;
Se que Céfar ait dit, Mîjït copias quas
habebat paratas : habere gr^cs^^fidcm.,
mendonem y odïum ^ &c. '-■-; {, j* ^ t .7
. :^î^otre veçbe devoir wç, fert-il'pas auffi
d^âuxiliaire atix autres verbçs,par niéta-
phore ou par extenfîon , pour fignifier ce
qui zxi\xtt2.\JC'dois aller demain à Vçr-
failles ; je dois recevoir ; il doit paf tir j
il doit arriver y &c. ^ -\ ::/] ; -7
Le vetbe faire a fouvent auflîle men^
ufage, faire voir^ faire part ^ faire des
complimens y faire honte^ faire peury^ faire
pitié y &ç.
Je crois qu'on n'a jdonné le pQm d'au-
xiliaire à, être & à avoir j qjje parceque
ces verbes étant fui vis dun nom verbal,
deviennent équivalens à un verbe fimple
des Latins. Feni ^ je fuis venu. Ceft aii:^(î
.que parçe^que propter eft: une prépofitioa
en latin > çn a mis auiîî norr^;^ caufc au
Tt3
6^4 Principes
rang des prépofîtioiis françaifes, & ainfi
de quelques autres. ^
' Pour moi je fuis perfiiàd^ , qu'il ne faut
jifger de la nature des mots, qUe relative*
'ment au fervice qu'ils tendent dans la
langue ou ils font en ùfage 5 & non par
raport à quelqu'autre langue, dont ils font
réquivalent. Ainfi ce n'eft que par péri-^
phrale ou circonlocution que > je fuh
venu eft le prétérit de venir. Je eft le fujet ^
c'eft un pronom perfonnel : fuis eft feul
le verbe 5 à la première pérfonhe du temps
ftéfem y Je Juis adfcuellement : venu eft un
participe oti âdjedif Verbal , qui fignifîe
line aétioii pâflTée 5 & qui la fignifie ad-
Jeftivement comme arrivée, au lieu qu'^-
yènement la fignifie fubftantivement ^
dans un fens abftrait. Ainfî, zV ejl venu ^
c*eft-à-dire , il ejl actuellement celui qui
âfjè venu j comme les Latins difent, r^.^-'
turus efi yileji açluellement celui qui doit
venir.
y ai aimé: le verbe n'eft que ai^ hab^o^
Tai çft dit ^ors par figure > par mct^-
de Grammaire. 5 j Ç
phore, par fimilimde. Quand nousdifbns>
j^ai un livre ^ &c. Tai eft au propre , &
nous tenons le même langage par compa-
raifon , lorfque nous nous fervons de ter-^
mes abftraits. Aiafî nous difons , j^ai ai-,
mé jy comme nous difons , fai honte jf ai
peur y j'ai envie ^ fai/bifj j'ai faim j j'ai
chaud j j'ai froid. Je regarde donc aime ^
comme un véritable npmfubftantif abftraiç
&: métaphyfique, qui répond à ^//z^r^/w j
amatu des Latins , quand ils difenc ^ma^
tum ire ^ aller au fentiment d aimçt > ou
amatum iri ^ TaiStion d'aller au felitiment
d aimer être pris , viam iri ad amatum.
Or :> comme en latin amatum j am^tu ^
n eft pas le même mot o^amatus^ a^ tuniy
de même aimé ^ d^insj'ai aiméj n'çft,pas
le même mot que dans je fuis aimé ou
aimée. Le premier eft adtif, j^alairné;
au lieu que Tautre eft paflif ^ye fuis aimc\
Ainfi quand un officier dit , /ai A^^i/Ze'"
mon régiment j mes troupes ^ habillé eft:
un nom abftrait pris dans un Tens aâtif*
•^3'iS ~ Principe S:^
'Au lieu que quand il dit, les troupes qùô
f^l'^habillées j habillées eft un pur ad-»
jedif participe 5 qui eft dit dans le même
icn^ que paratasy dans la phrafe ci-defliis^,?
copias quas habebat'paratas (i)."
Ainîî il me femble que nos Grammaires
j)our'OÎent bien fe pafler du mot à'auxi^.^
iîaîre-j Se qu'il fufïiroit de remarquer en
ces oecafions le mot qui eft le verbe , le
niot qui eft le nom y & la périphrafe qui
équivaut au mot fîmple des Latins. Si cette
ppédfîon paroît trop recherchée à c^nsti*
îies pérfonnes 5 du moins elles n^ trouve-
ront rien qui 'les empêche de s'en tenir
au train commun ^ Ou plutôt à ce qu'elles
iaventdéja. ':^ - -
Cewx qui ne favent rien ont bien plu«
de facilité à apprendre* bien , que ceux
qm^deja favent maL
Nos Grammairiens, en voulant' donner
^ nos verbes des temps qui répondiffent
li^l^^ ■. ■ "'^ — ■ ■ — ^' ' '
(0 Çç%
de Grammaire. ^37
comme en un feul mot, aux temps fîmr
pies des Latins , ont inventé le mot de
yerbe auxiliaire. Ceft ainfi qu'en voulant
aflfujétir les langues modernes à la méthode
latine , ils les ont embarafTées d'un grand
nombre de préceptes inutiles, de cas ^A^
déclinaifons & autres termes qui ne con-
viennent point à ces langues 5 & qui n'y*
auroient jamais été reçus 5 fi les Grammai-
riens n'avoient pas commencé par Tétude
de la langue latine. Ils ont afTujéti de
fîmples équivalens à des règles étrangères..
Mais on ne doit pas régler la Grammaire
d'une langue , par les formules de la Gçam^
maire d'une autre langue.
Les règles dune langue ne doivent fe
tirer que de cette langue même. Les lan-
gues ont précédé les Grammaires; & celles*
ci ne doivent être formées que d obferva-^
rions jufte^ tirées du bon ufage de la lan^
^ue particulière dont elles traitent.
ÉjS Principes
DES CONJUGAISONS.
La Conjugaifon (i) efi: un arrangement
fuivijde toutes les terminaifons d'un verbe>
félon les voix, les modes ^ les temps, les
nombres & les perfonnes, termes de Gram-
maire qu'il faut d*abord expliquer.
Le mot voix eft pris ici dans un fens
figuré. Oh perfonifie le verbe , on lui don-
ne une voix, comme fi le verbe parloiti
car les hommes penfent de toutes chofes
par reflTemblance à eux-mêmes: ainfi la
voix eft comme le ton du verbe. On
range toutes les terminaifons des verbes
en deux clafles différentes : i .^ les termi-
naifons qui font connoître que le fujet
de la propofition fait une aârion, font
dites être de la voix active j c'eft-à - dire,
que le fujet eft çonfidéré alors comme
agent: c'eft le fens adif: i.^ toutes celles
(i) En latin, Conjugatio. Ce mot fignifie>
jonction ^ ajjemblage. Racine , ConjungcrcK
de Grammaire, 659
qui font deftinées à indiquer que le fujét
de la propofîtion eft le terme de ladion
4tfun autre fait, qu'il en eft le patient,
ces terminaifons font dites ctrc de la roix
pajjïve j c'eft'à-dire , que le verbe énonce
alors un fens pafïîf.
Par modes ^ on entend les différentes
manières d*exprimer Taction. Il y a quatre
principaux modes. Vindicatif j, h fuhjon^
cii/j V impératif 8c Y infinitif ^ auxquels en
certaines langues on ajoute Voptatif
Vindicatif énonce ladion dune ma-
nière abfolue, comme j'aime j f ai aimé^
f avois aimé j j' aimerais C'eft le feul mode
■qui forme des propofitions, c'çft-à-dire,
qui énonce des jugemensi les autres mo^
des ne* font que des énonciations. Voyez
ce que nous dirons à ce fujet à l'article
'^Construction' j où nous faifons voir
la différence qu'il y a entre une propofi-
çion & une ftmple éhonciati(3>n.
Le yi^/o/zc?// exprime lailion d'une
manière dépendante 5 fubordonnée, in^
certaine, conditionelle , en un mot d'une
€^0 Principes
manière qui n'eft pas abfolue y & qui fup-
pofe toujours un indicatif: quand f aime-
rois j afin que j^ aimajfc ; ce qui ne dit p^^^
que y aime _, ni que j^aie aimé.
Voptadfj que quelques Grammairiens
ajoutent aux modes que nous avons nom-
més, exprime ladion avec la forme de
defir & de fouhait. Plût à Dieu quil
vienne. Les Grecs opt des terminaifons
particulières pour Toptatif. Les Latins n'en
ont point. Qiiand ils veulent énoncer le
fens de loptatif , ils empruntent les termi-
naifons du fubjondif 5 auxquelles ils ajou-r
tent la particule de defir 5 Utinam _, plût à
J)ieu que. Dans les langues où Toptatif n a
point de terminaifons qui lui foient pro-
pres , il eft inutile d'en faire un modç
féparé du fubjon6tif,
L'i/7z^/mri/"marque Tadlion avec la foç-
iiie de commandement, ou d exhortation,
ou de prière 5 /?re/2^ j viens j va donc.
V infinitif énonce Tac^ion dans un fens
abftrait, & n'en fait par lui-même aucune
application fmgulière & adaptée à un fur.
de Grammaire] èj{t
jet: Aimer j donner j venir. Ainfï il a be-
foin, comme les prépofitions, lesadjedifs,
&c. d'être joint à quelqu'autrc mot, afin
qu'il pUifTe faire un fens fingulier & adapte.
A l'égard des temps j il faut obferver
que toute àdion eft relative à un temps ,
puifqu'elle fe paflfe dans le temps. Ces ra-*
ports de l'adion au temps font marqués en
quelques langues par des particules ajou-
tées au verbe. Ces particules font les fignes
du temps. Mais i! eft plus ordinaire que les
temps foient défîgnés par des terminaifons
particulières, au moins dans les temps (im-
pies. Tel efl: Tufage en grec , en latip , en
francois , &c.
Il y a trois temps principaux \ le préfent,
comme amo j j'aime ; le paflTc ou prétérit,
comme amavi ^ j'ai aimé ; l'avenir ou
futur, comme amabo ^ j^ aimerai.
Ces trois temps font des temps fimples
& abfolus. On y ajoute les temps relatifs &
combinés J comme y^ lifois ^ quand vou$
êtes venu.
Les nombres. Ce mot fe dit de la pr©^
€4% Principes
priété qu ont les terminaifons des noms 5l
celles des verbes de marquer fî le mot doit
être entendu d'une feule perfonne, ou fi
on doit l'entendre de plufieurs, amo^
amamus.
Enfin y il faut favoir ce qu'on entend
par les pcrfonnes grammaticales. Pour cela
il faut obferver que tous les objets qui
peuvent faire la matière du difcours , font,
i.^ ou laperfonne qui parle d'elle-même >
^mo j j'aime ; i.^ ou la perfonne à qui
©n adreffe la parole , amas j vous aime:^ ;
3.*^ ou enfin qaelqu'autre objet, qui n'efl:
ni la perfonne qui parle , ni celle à qui Ton
parle, Rex amat populum ^ le Roi aime
le peuple.
Cette confidétation des mots, félon
quelqu'une de ces trois vues de Tefprit, a
donné lieu aux Grammairiens de faire un
ufage particulier du mot perfonne par ra-
pott au difcours. Ils appellent première
perfonne celle qui parle, parceque c'eft
d'elle que vient le difcours. La perfonne
à qui s'adrefîe le difcours eft appelée la
de Grammaire. €^y
Jitonde perfonne. Enfin , la troifieme per^*
fonne _, c'eft tout ce qui eft confidéré com-
me étant l'objet dont la première per-
fonne parle à la féconde.
Voyez combien de fortes de vues de
refprit font énoncées en même temps par
une feule terminaifon ajoutée aux lettres
radicales du verbe. Par exemple, dans
amarcy ces deux lettres a^ m^ font les ra-
dicales ou immuables. Si à ces deux lettres
j'ajoute o j }e forme amo. Or en difànt
amoy je fais connoître que je juge de moi j
je m'attribue le fentiment d aimer. Je mar-
que donc en même temps la voix, le mode,
le temps, le nombre, la perfonne.
Je fais ici en paflant cette obfervation ,
pour faire voir qu'outre la propriété de
marquer la voix , le mode , la perfonne ,
&c. & outre la valeur particulière de cha-
que verbe, qui énonce ou TefTence, ou
l'exiftence , ou quelqu'adion , ou quelque
fentiment, &c. le verbe marque encore
l'adtion de Tefprit qui applique cette va-
leur à uniujet, foit dans les propofitiong.
^44 Principes
fbit dans les amples énonciations^ & c'eft
i:e. qui diftingue le verbe des autres
mots , qui ne font que de fimples déno-
minations. Mais revenons au mot conju-^
gai/on.
On peut auffî regarder ce mot comme
un. terme métaphorique tiré de laftion
d atteler les animaux fous le joug au même
chai & à la même charrue, ce qui em^
porte toujours Tidée daffemblage, de
liaifon & de jonction. Les anciens Gram-
mairiens fe font fervi indifféremment du
mot de conjugaifon & de celui de décU^
naifon^ foit en parlant d'un verbe, foit
en parlant d'un nom. Mais aujourd'hui on
emploie declmatio & declinatc quand il
s'agit des noms*, & on fe fert de conju-^
gatio & de eonjugare quand il eft queftioh
des verbes.
Les Grammairiens de chaque langue
©nt obfervé qu'il y avoir des verbes qui
énonçoient les modes, les temps , les nom'
bres & les perfonnes par certaines termi-
Haifons, & que d'autres verbes de k
mên:€
ae Grammaire. ^45*
Wiême langue avoient des terminaifons
tbutes différentes pour marquer les mê-
mes modes, les mêmes temps,. les mêmes
nombres & les mêmes perfonnes. Alors
les Grammairiens ont fait autant de clafles
différentes de ces verbes, qu'il y a de va-
riétés entre leurs terminaifons, qui malgré
leurs différences ont cependant une égale
deftination par raport au temps, au nom-
bre & à la perfonne. Par exemple > a/72<?3
àmavi,^ amatum^ aiiiare ; moneo ymonui ^
monïtum y monere ; icgo^ kgi ^ le-clûm ^
légère ; audio ^ audivi 3 audltum j audire^
Ces quatre fortes de terminaifons différen-
tes entr'elles , énoncent égalemeiit des vues
de lefpiit de même efpèce. Amavi ^ j'ai
aimé *, monui^ j'ai averti', Icgi ^ j'ai lu 3 au*
dîvij j'ai entendu. Vous voyez que ces dif^
férentes terminaifons marquent également
la première perfonne au fingulier , & au
temps palfé de l'indicatif. Il n y a de dif-
férence que dans l'aélion que l'on attribue
à chacune de ces premières perfonnes-, &
cette adion eft marquée par les lettres
Vu
é^ê Principes
radicales du verbe 5 am^mouj kg ^ aud.
A regard du François, il faut d'abord
obfGrver que tous nos verbes font terminés
à Tinfinîtif, ou en er^ ou en zVj ou en
cir ^ ou en re. Ainfî ce feul mot techni-
que > er-ir-oir-re j énonce par chacune de^
fes fyllabes, chacune de nos quatre con-
jugaifons générales.
Ces quatre conjugaifons générales font
cnfuite fubdivifées en d autres, à caufe
des voyelles ou des diphtongues, ou des
confonnes qui précèdent la terminaifon
générale. Par exemple, er eft une termi-
naifon générale : mais fi er eft précédé d'un
fon mouillé foible, comme dans envo-yery
ennu-yer _, ce fon apporte quelques diffé-
rences dans la conjugaifon. Il en eft de
même dans re. Ces deux lettres font quel-
quefois précédées de confonnes, comme
dans vaincre j rendre j bâtre j &c.
Je crois que plutôt que de fatiguer Tef-
prit & la mémoire de règles, il vaut mieux
donner un paradygme de chacune de ces
quatre conjugaifpns générales , & mettre
âe Grammaire. 6\j
fenfuite audeflus une lifte alphabétique des
verbes que Tufage a exceptés de la règle.
Je crois auffi que Ton peun s'épargner
la peine de fe fatiguer après les obferva-
tions que les Grammairiens ont faites fur
les formations des temps. La feule infpe-
Ûion du paradygme donne lieu à chacun
de faire lès remarques fur ce point. ,
D'ailleurs les Grammairiens ne -s'accor*
dent point fur ces formations. Les uns
commencent par Tinfinitif. Il y. en a qui
tirent les formations de la première per-
fonne du préfent de l'indicatif : d'autres
de la féconde, &c. L'elTentiel eft de bien
connoître la fignificatiôn , l'uiage & lè
fervice d'un mot. Amufez-vous enfuitc >
tant qu'il vous plaira , à obferver les ra-
ports de filiation ou de paternité que ce
mot peut avoir avec d'autres.
S'il eut été pôilîble que les langues euf^
fent été le réfultat d'une aflfembiée géné-
rale de la nation j & qu'après bien des dif-
cuflîôns & des raifortnemens v ks philofo-
|>hes y euffènt été écoutés ,.& euflfent eu
y u %
,^4^* Principes
voix délibérative, il eft vraifemblable qu'il
y auroit eu plus d'uniformité dans les lan-
gues* Il n'y auroit eu , par exemple , qu'une
feule Gonjugaifon , & un feul paradygme
|)bùt tous les verbes d une langue. Mais
comme les langues n ont été formées que
par une forte de métaphyfique d'inftinét
& de.fentiment 3 s'il eft permis de parler
ainfi ; il aeft pas étonnant qu'on n'y trouve
pas une analogie bien exade , & qu'il y
ait des irrégularités. Par exemple , nous
défîgnons la même vue de l'efprit par plus
d'uae manière , foit que la nature des let-
tres radicales qui ferment le mot amène
cette différence, ou par la feule raifon du
caprice & d'un uiàge aveugle. Ainlî nous
inarquons la première perfonne au (îngu-
lier 5 quand nous difons j^aime. Nous défi-
gnons auflî cette première perfonne , en
difant , je finis ^ ou bien y e reçois j ou je
mens y Sec. Ce font ces différentes fortes
de terminaifons auxquelles les verbes font
aflùjétis dans une langue , qui font les
diôéieates conjugaifous, comme nous la-
dt Grammaire. €4 ^
yons déjà obfervc. Il y a des langues où
les diftérentes vues de leiprît font mar-^ ,
quéesi par des particule^ , dont Içs unes
ppéqcdent , & les autres fuivent Jes,çâdicar.f
les- Qu'importe comment, pourvu .que les
vues de l'efprit foient diftinguées javec
netteté , & que l'on apprenne par ufageà
connoître les figues de ces diftindions î j
DE S PRJè POS I T ÏÔNS^
& en particulier de la PrépoJitiQn A.
x fout obferver, à regard des prepofî;:*,
tions : , ..
I. Que toute prépofîtion eft entre deux
termes qu'elle lie, & qu'elle met en raport.
II. Que ce raport eft fouvent marqué
par la fignification propre de la prépofi-
cion même , comme , avec j. dans j fur j8ccm,
in. Mais que fouvent auffi les prépofi-
tions, fur-tout, à j de j ou duj outre le.
raport qu'elles indiquent quand elles font
pififes dans leur fens primitif & propre, nq
éfo' •' Principes
féîit ^fuité par figure & par extenfioiYi"
qiie lié'* fîmples. prépoiîtians unitives on
indicatives > qui ne font que mettre deux;
mots feh rà^brt : en forte* qu alof s c'eft ai
ref|)ritii'rême à remarquer la fôi^te de ra*
port qu'il y à entre les deux termes de 1^'
relation unis entr'eux par la prépofition*
Par éxertifile , Appr&che^ - vous du feu :^
du^ lie feu avec approche^ - vous : & lei^
prit ot>(çrye enfuite un i^aport d approxi^
rôatiori 5 que du ne marque pas. Eloignei;^
vous du feu ; ^^ lie feu avec éloigne'i-vouSj,
& lefprit obierve là un raport d'éloigné-»
ment* Yous voyez que la même prépo/î-^
tion fert à marquer des raports oppofés.
On dit de même donrier à^ 8c ôter à. AïïïCx
çesTortés de raports diffèrent autant que'
les^ mots dilFèrent entreux.
Je crois donc , que, lôrfque les prépofi-?
tîons ne font, ou ne paroiflent pas prifei
dans lé fens: propre de leur première defti-
nation , & que par conféquent elles n'indi-»
^lent pas par elles-mêmes la forte de i»-»
port particulier que celui qui parle veuç
de Gramtnaire. £511
faire entendre , alors c eft à celui qui îccôure
ou qui lit, à reconnoître la forte de.raport
qui fe trouve entre les mots liés par. la pré-
pofitionfîmplement miitive ou indicativeu
-'"^ Cependant , quelques Gramniairiens-ont
mieux aimé épu^fer la métaphyfique la
plus recherchée 5 & (î je Tofe dire, la
plus inutile & la plus vaine , que d^aban-
donner le ledeur au difcernement queiui
donne la connoiflance & lufage de &
propre XdLUguQ: Raport de caufe ; rapcrt
d* effet j d' injlrument jy de Jituaûom^ d'épo^
que. Table à pieds de biche ; c'ejl là un
raport de forme j dit Tabbé Girard ( i ).
BaJJin à barbe j raport de fervke ; Pierre
'à feu j raport de propriété produclive (z) j
^Scc. La prépofition iz n*eft point deftinée
■à -marquer par elle-même un raport de
propriété productive ^ ou de fervice j ou
^e yor/Tz^j &c, quoique ces raports fe trou-
vent entre les mots liés par la prépofîtioa
■>■ ■■ "" ' '■ '' ■"■■■■ Il H— — — — MW1— Mi
(i) Tom. II ^pag. 159^
(ij ldçm> ibid.
Vii4
^5^^ • - ^ ^^ Principes
w; :©*ailleursy les mcraes raports font fou*
::vreiitï indiqués par des prépofîiions diffé-»
tenues 5 & feu vent des raports oppofés font
indiqués par la.même prépofîtion.
::: limé paroît donc que Ton doit dabordi
obferver fa première & principale deftina^
tion d'une prépofition.. Par exemple, I3
principale deftination de là prépofîtion à^,
eft de roarquer la relation d'une chofe è
une autre , comme ^ le terme où Ton va 3
ou à quoi ce qu'on fait fç termine 5 le but^
la fin 5 j'attribution , le pourquoi. Aller à
Rome : Prêter de l'argent à ufure^ à grof
intérêt : Donner quelque^chofi a quelquun^
Sec. Les autres ufagçs de cette prépoiîtion
reviennent enfuite à ceux-là > pav cata-
chrèfe> abus , exténfîon , ou imitation. Mais
il eft bon de remarquer quelques-uns de
ces ufagesi afin devoir des exemples qui
puiflent fervir de règle , & aider à décidei:^
les doutes par analogie & pgr imitatioiii^
On dit donc :
de Grammaire^ 6*5 5
Apres un nom fuhftantif.
Air à chanter. Billet à ordre ^ c'eft-à-dire ,
payable à ordre. Chaife à deux. Doute à
éclalrçir^yEntreprife à exécuter. Grenier à
feL Habit à la rnode. Injlrument à yent.
Matière à procès. Plaine à perte de vuej^
Après un adjeclif.
Agréable à la vue. Contraire à lafanté^
Délicieux à manger. Facile à faire.
* " Obfervez cju'on dit , // ejl facile de
faire' cela.
Quand on le veut , il efl facile
De s^ajjlirerun repos plein drapas.
La raifon de cette différence eft que dans
le dernier exemple de n'a pas raport à
facile ; mais à il. Il, hoc^ cela, à favoir
de faire \y &CC. efh facile ^ eft une chofe
facile. Ainfî , il^des^affurer un repos plein
d'apasy eft le fujet de la prépofition , &
;€/Z j^^//é:jf en eft 1 attribut.
<î54 Principes
Après un verbe.
S^ abandonner à fes pajfions. S^amufcr
à dès bagatelles. Applaudir à quelquun.
Aimer à boire ^ à faire du bien. Les hom^
mes n aiment point à admirer les autres :
ils cherchent eux-mêmes à être goûtés &
à être applaudis. La Btuyèrc. Aller à che^
val. S^ appliquer à. S' attacher à. Blejfef
à. Crier à l'aide _, au feu _, &c. Conf ciller
quelque chofi à quclquun* Demander à^
Donner à boire à quelquun. Etre àj 8cc.
Voyons à qui tçiutre^ ceft-à-dire , voyons
à ceci ^ ( attendamus ad hoc^ nempe ) 4
/avoir qui Vaura.
Avant une autre prçpojition.
A fe trouve quelquefois avant la pré?*
pofition de j comme en ces exemples:
P^ut'çn ne pas céder à de Jt puijjans charmes?
Et peut-on refufer fon cceur
À de beaux ieux qui le demandent.
Je crois qu*en ces occafîons » il y a une
ellipfe fynthétjque : Teiprit eft occupé âj^%
de \ Grammaire. ^55
charmes, qui rpHt; frapçv& il met ces char-
mes au rang des charmes puifTans dont on
ne fauroit fe garantir. F eut-on ne pas cé^
der à l'attrait ^ au pouvoir deji puijfans
charmes. Peut-on refufer fon cœur à ces
îeax:, qui font de la clajfe des hèaux leux^
L'ufagé abrège enfqite rexprefîîon , &
introduit des façons de parler particuhc-
res, auxquelles on doit fe conformer , &
qui ne détruifcnt pas les règles. ,
AinÏÏ je crois que. de ou des j font tou-
jours des prépofitioris extraftives', & que'
quand on dit ^ des favans foutiennent; des
hommes m^ ont dit j Sec. des Javans ^ des
hommes j ne font pas aq nominatif. Et de
même, quand on dit ? j^ai vu des femmes;
fai vu des hommes j &c. des femmes ^ des
hommes 3 ne font pas à raccufatif. Car fi
Ton veut bien y prendre garde > on recon-
noîtra que ex hominibus ^ ex mulierïhus ^
&ç. ^e^ .peu vent ^i^feiai le fujct 4^ la pro-
pofitiçvi î ni le terme de laflion du verbe;
& _-que çplui ^ qui parle 5 veut dire ? que
^He,l(^^f^'^un^ des /çivans fouticnnem ^ ^ç^
iS^S Principes -
gue/^ttes^uns des hommes; quelques-unes
des femmes^ difent, &c.
A 5 après des adverbes»
On ne fe fert de la prépofition à après
un adverbe 5 que lorfque l'adverbe mar-
que relation. Alors Tadrerbe exprime la
forte de relation , & la prépofition indique^
le corrélatif. Aînfi on dit , conformément à.
On a jugé conformément à TOrdannance
de 1667. On dit auffi relativement à.
D'ailleurs Tadverbe ne marquant qu'une
circonftance abfolue & déterminée de
ladion, n eft pas fuivi de la prépofition à.
A^en des façons de parler adverbiales^ &
en celles qui font équivalentes à des
prépojîtions latines ^ ou de quelqu^au-*^
tre langue.
A jamais. A toujours. A Vencontre* Tour
à tour. Pas à pas. f^is-à-vis. A pleines
mains. A fur & à mefure. A la fin j tan-
dem y aliquando, Ccfi-^à-dirc j nempe j^
de Grammaire. 6^'jf
fcilicet* Suivre à la pijle. Faire le diable
à quatre. Se faire tenir à quatre, A caufe^
qu'on rend en latin par la prépolltion,
propter. A raifon de. Jufquà j ou juf-
ques à. Au-delà. Au-dejfus. Au-dejfous.
A quoi bon j quorfum. A la vue j à la
préfenee j ou en préfence j coram.
Telles font les principales occafions où
l*ufage à confacré la prépofîtion à. Les
exemples que nous venons de raporter,
ferviront à décider par analogie les diffi-
cultés que Ton pouroit avoir fur cette
prépofîtion.
Au refte la prépofîtion au eft la même
que la prépofîtion à. La feule différence
qu'il y a entre Tune & Tautre > c'efl que
à cfl un mot fîmple , & que au efl un
mot compofé.
Ainfî il faut confîdérer la prépofîtion à
en deux états différens.
L Dans fon état fîmple : i .® Rende:^ à,
Céfar ^ ce qui appartient à Céfar : i.^ Se
prêter à l'exemple : 3.^ Se rendre à la
raifon. Dans le premier exemple à eft
^5^ Principes
devant un nom fans article. Dans le fécond
exemple 5 à eft fuivi de Tarticle mafcu-
lirt 5 parçeque le mot commence par un^
voyelle-, à l'exemple ^ à Vefprit,^ a Va^
mour. Enfin dans le dernier , la prépofuion
à précède Tarticle féminin.
II. Hors de ces trois cas , la prépofi-
tion à devient un mot compofé par fa
jonction avec Tarticle lè^ ou avec rartîclè
plurier les. L'article le ^\ caufe du fon
fourd de IV muet, a amené au ^ de forte
qu'au lieu de dire à le y nous difons au^ iî
le nom ne commence pas par une voyel-
le i s'adonner au bien. Et au plurier , au
lieu de dire a les j nous changeons / en
u ; ce qui arrive fouvent dans notre lan-
gue , & nous difons aux j foit que le nom
commence par une voyelle > ou par une
confonne, aux hommes j aux femmes.
Ainû au eft autant que àkj&c aux ^ que
à les.
de Grammairel (^59
DE V ADVERBE.
JL E mot adverbe eft formé de la prépofî-
tioîi adj versj auprès j & du mot verbe ^
parceque Tadverbe fe met ordinairement
auprès du verbe 5 auquel il ajoute quelque
modification ou circonftance» // aime cou'^
Jlamment : il écrit rnaL Les dénomina-
tions fe tirent de Tufage le plus fréquent :
or le fervice le plus ordinaire des adver-
bes eft de modifier Tadion que le verbe
fîgnifie 5 & par conféquent de n'en être
pas éloigné : & voila pourquoi on les a
appelles adverbes -, c'eft - à - dire , mots
Joints au verbe. Ce qui n*empêche pas
qu'il n'y ait des adverbes qui fe raportent
auffi au nom adjedif , au participe , & à
des noms qualificatifs 5 tels que roi ^ père ^
&c. car on dit^ il nt" a paru fort changé :
cejl une femme extrêmement /^^^ & fort
aimable. Il ejl véritablement roi.
En faifant i'énumération des différentct
€6ù Principes
fortes de mots qui entrent dans le difcour^i
je place ladverbe après la prépoiîtion ,
parcequ'il me paroît que ce qui diftingue
Tadverbe des autres efpèces de mots , c'eft
que Tadverbe vaut autant qu'une prépofi*
tiôii & un nom : il a la valeur d'une prê-
pofîtion avec fon complément : c'eft un
mot qui abrège. Par cyietnph fagemenc ^
vaut autant que^ avec fagejfe.
Ainfi, tout mot qui peut être rendu par
une prépofition & un nom , eft un ad-
verbe. Par conféquent ce mot y^ quand
on dit, il y ejl^ ce mot, dis -je , eft un
adverbe qui vient du latin Ihi. Car , Il y
ejl j eft comme ii Ton difoit , il eji dans
ce lieu'là.
Où eft encore un adverbe qui vient du
larin Ubi ^ que Ton prononçoit oubi. Où
ejl'il j c*eft-à-dire, en quel lieu.
Sij quand il n'eft pas conjonAion con-
ditionelle , eft auffi adverbe , comme quand
on dit , elle ejl fi fage ^ il efi fi favanu
Alors 5 7? vient du latin Sic ^ c'eft-à-dire,
A ce point j au point que j &c. C'eft la
valeur
àe Grammaifc. é'éî
Valeur ou iîgnification du mot 5 & nom
Ib nombre des fyllabes , qui doit faire
mettre un mot en telle clafle > plutôt qu'en
t-elle autre. Ainfi A eft prépofition , quand
il a le fens de la prépofition latine ^ ^ ou
celui de ad : au lieu que A eft mis au
rang des verbes , quand il iîgnific habct^
§: alors nos pères ecrivoient.i^/z.
Puifque Tadveibe emporte toujours
aveclui la valeur dune prépofition, &
que chaque prépofition marque une efpèca^
de manière d'être > une forte de modifica-*
tion dont le;mot qui fuit la prépofition
feit une application particulière 5 il eft évi^
dent que Tadverbe doit ajouter quelque
modification ou quelque circonftance à
laftion que le verbe fignifie* Par exemple ,
il, a: été reçu avec politejfe 3 ou poliment^
Il fuit encore de-là que Tad verbe n a
bas befoin lui-n;îême de complément. C'eft:
un mot qui fert à modifier d'autres mots,
& qui ne lailTè pas Tefprit.dans lattente
nécefiaire d'un autre mot , comme font lè
ycrbe aétif & la prépofition. Car fi je di|
é^t 'Principes '
eu roi 5 qu^il a donnée on me demandera
quoij & à qui. Si je dis de quelqu'un qu'il
s'eft (Conduit avec ^ ou pafj on fans ^ ces
prépofitions font attendre leur complé-
ment.^Au lieu que fi Je dis , il s^eji con--
duit prudemment ^ &c. Tefprit n'a plus de
queftion néçeflaire à faire par raport à
prudemment. Je puis bien , à la vérité »
demander en quoi à corififté cette pru-
dence -, mais ce n'eft plus là le fens nécef-
faire & gràmtiiaticah
Pour bien entendre ce que Je veux dire,
îl faut obferver que toute proportion qui
forme un fens complet , eft compofée de
divers fens ou concepts particuliers , qui ,
par le raport qu'ils ont entre eux > for-
ment Tenfemble ou fens complet.
Ces divers fens particuliers > qui /ont
comme les pierres du bâtiment, ont aufîi
leur enfemble. Quand je dis> le foleil efi
levé ^ voila un fens complet. Mais ce fena
complet eft compofé de deux concepts
particuliers : j'ai le concept de yo/^i/^ 8c
le concept de cjllevé. Or remarquez ^ que
de Grammâirél "^t^
tè dernier concept eft compofé de deux
mots, efi & levé ^ & que ce dernier fup^
pofe le premier. Pierre dort ^ voila deux
concepts énoncés par deux mots : mais (1
)e dis Pierre bat ^ ce mot bat n efl: qu une
partie de mon concept, il faut que j'énonce
la perfonne ou la chofc que Pierre bat^
Pierre bat Paul;^ alors Paul efi: le com-
plément de bat : bat Paul efi; le concept
entier s mais concept partiel de la propo-
lîtion Pierre bat Paul.
De même, fi je dis Pierre efi avec i
fur^ ou dans ^ ces mots avec ^ fur ^ ou
dansj^ ne font que des parties de concept^
& ont befoin chacun d un compIémeiit<r
Or ces mots joints à un complément font
Un concept y qui , étant énoncé en un feu!
mot 5 forme ladverbe, qui en tant que
concept particulier & tout formé , n'a pas
befoin àt coinplément pour être tel con-
cept particulier.
Selon cette notion de Tadverbe , il elî
évident que les mots qui ne peuvent pas
être réduits à une prépofuion fuivie de fca
Xx a,
#^4 Principes
complément , font ou des conjonélionà
eu des particules , qui ont des ufages par-
ticuliers. Mais ces mots ne doivent point
être mis dans la clafle des adverbes. Ainfî
je ne mets pas noriyni oui parmi les adverbes»
Non ^ ne ^ font des particules négatives.
A regard de oui j je crois que ceft le
participe pafïîf du verbe ouir^ & que nous
difons oui ^ par elliple, cela eji ouij cela
eji entendu. Ceft dans le même fens que
les Latins difoient dictum puta (i).
Il y a donc autant de fortes d adverbes
qu il y a d efpèces de manières d'être qui
peuvent être énoncées par une prépofition
& fon complément. On peut les réduire
à certaines clafles.
AiyvE^B^s DE Temps.
Il y a deux queftions de temps qui fe
font par des adverbes , & auxquelles on
répond ou par des adverbes, ou par des
prépofitions avec un complément.
(i) Tércncç, Aadr. aâ. l^fc, L
de Grammaire: ^Sti
'!• Quand viendrez - vous ? demain ^
dans trois jours.
1. Combien de temps? Si long-temps
que. Autant de temps que. Combien de
temps Jefus-Chrift a-t-il vécu ? Trente-trois
ans, on fous-entend,/7^/2^^/2r.
Voici encore quelques adverbes de
temps, Jufquà ce que. Tous les jours ^ on
fous-entend la ^ti^o^mon pendant. Main--
tenant. Préfentement. Alors j c'eft-à-dire,
à Vheure.
Auparavant. Ce mot étant adverbe 5 ne
'doit point avoir de complément. Ainfî
c'eft une faute de dire auparavant cela : il
faut dire , avant cela. Autrefois. Derniè-
rement.
Aujourd'hui ^ c'eft-à-dire , au jour de
hui ^ au jour préfent. On difoit autrefois
fimplement hui : je n'irai hui. Nicod*
Hui eft encore en ufage dans nos provia-
ces méridionales*
Hier. Demain. Autrefois. Unjourj poar
le paflfé & pour Tavenir. Quelquefois j le
matin j Icfoir. Tard^ Avant -hier. Quj^I:^
$0i Principes
que joufj avec affirmation. Jamais y avec
négation. Déjà. Long-umps. Depuis peu.
Quand. Ci-devant. Ci-après. A V avenir.
^ Avant que. Jufquà ce que. Tandis que.
Bientôt. D'abord. Tout à l'heur. Aiors^
pès'lors. Enfin. A Vavenir. Ordinaire-^,
ment. D' ordinaire. _
'Ai>v br:bes j) e Lieu.
Il y a quatre manières d'envifager îe
lieu. On peut le regarder , i .® comme
étant le lieu où Ton. eft , où Ton demeure :
Z*^ comme étant le lieu où Ton va :
j.^ comme étant le lieu par où Ton paffe :
4.^ comme étant le lieu d'où Ton vient.
G eft ce que les Grammairiens appellent,
çz Ipco y ad locum j per locum j de loco ^
<Mi autrement, ubi y quo ^ qua^ unde. Où
eft-il î II eft là. Où & là font des adver-.
fciçs : car on peut dire En quel lieu ? Ençc
im;Scç.
Voici encore quelques adverbes de lieuj
*^ 4ç fituation, 7; il j eft. Ailleurs. De-
de Grammaire. C^j
Vanu Derrière. Dejfus. Dejfous. Dedans.
Dehors. Par-tout. Autour. -, ,
Adverbes de Quantité.
Combien. Beaucoup, Peu. Davantage^
'^Très-fort. Un peu. Médiocrement. Am-
plement. En abondance. 4 foifon. Large--
ment.
Adverbes de Qualité.
Savamment. Pîeufement. Ardemment.
'Sagement. Gaiement. Bien. Mal. Heu^
reufement ; & grand nombre d autres for-
més des adjeâifs qui qualifient leurs fub-
.ftantifs*
Adverbes de Manière.
Promptement. Tout d^un coup. Lente^
ment. A la hâte. Peu à peu. Confufément.
Infolemment. De diverfes manières.
Il y a des adverbes qui fervent à mar-
quer le raport ou la relation de reflèm-
blance. Ainji que. Comme. D^ la même
manière que. De même que.
D'autres au contraire marquent diver-r
ïîté» Autrement.,D' ailleurs.
Xx4
^éZ Principes
D'autres adverbes fervent à compter
combien de fois. Quelquefois. Combien de
fois. Encore. Souvent. Rarement. Une fois^
deux fois ^ trois fois y cent fois^ mille fois :-
en François nous faus- entendons ici quel-
ques prépoiîtions , pendant ^ pour^ par.
D^autres font adverbes de nombre of-
<}inal. Premièrement. Secondement. En
poificmc lieu ^ &:c,
^DFEi^jBEs d'Interrogation'.
Pourquoi. Pour quel fujet. Comment.
Il y a aufïî j fur-tout en latin, des particu-
les qui fervent à Tinterrogation. An^anne^
num j nunquidj nonne. Ne joiat à un mot^
^ Vides ne? J^oye'^-vous? Ec joint à cer-
f ains mots > Ecquando j^ quand ? Ecquis >
^ui?. Ecqua millier j quelle femrae?
AnvERBEs p' Affirmation.
Aiinf. Certainement. Vraiment ouU
S.^ns dçiicc^
de Grammaire. 66 f
Jdverbes jqe Négation.
En aucune manière^ Nullement. Point
du tout. Nulle part^
Jdvejr,bes de DiMiNUTion^
Prefque. Peu s^en faut.
Adverbes de Doute.
Peut-être.
Il y a auffi des adverses qui (ervent
dans le raifonnement. Ain^. Or. Par
conféquent.
D autres marquent aflemblage. Enfem^
lie ^ conjointement y pareillement. D au-
tres y divifîon. A part^ en particulier ^
féparémentj en détail^ Vun après Vautre.
D'autres d*exception ) feulement j &c.
Il y a auffi des mots qui fervent dans
les comparaifons > pour augmenter la fîgni-
fication des adje£lifs. Par exemple , on dit
au ^(d{\x\iypieux^ plus pieux ^ très ou fort
pieux. Ces mots plus j très j fort j font
çonfidércs comme des adverbes. Fort^
€jo Principes
c eft - à - dire 3 fortement ^ extrêmement.
Très vient de ter j trois- fois. PlusjCed-
a-dite y félon une plus grande valeur. Moins
eft encore un adverbe qui fert à la com-
^paraifon*
Il y a des adverbes qui fe comparent 5
fur-tout les adverbes de qualité > ou qui
expriment ce qui eft {lifceptible de plus
ou de moins. Comme long- temps j plus
long-temps. Savamment^ plus favamment^
tres-favamrnent. Vaillamment j plus vaiU
lamment _, très - vaillamment.
Il y a des mots que certains Grammai-
riens placent avec les conjondlions , &
que d autres mettent avec les adverbes,.
iVIais fi ces mots renferment la Valeur
dune prépofition & de fon complément,
comme parceque j Vejl pourquoi j &c. ils
font adverbes ^ & s'ils font de plus loffice
de conjonction 5 nous dirons que ce font
des adverbes conjoncStifs.
Il y a plufieurs adjedifs qui font pris
adverbialement. Il fent bon. Il fent mau-*
vais. Il voit clair. Il chante ju^c^ Parle\
de Grammaire. 6yi
las. Parle\ haut. Frape^ fort. Tenir bon^
Tenir ferme ^ &c.
On appelle exprellîon adverbiale^ celle
qui eft équivalente à un adverbe. Si Tufage
avoir établi un feul mot pour exprimer le
même fens , ce mot feroit un adverbe :
mais comme ce fens eft énoncé en deux
mots, on dit que c'eft une expreflîon
adverbiale. Il en eft de même de vis-à-vis^
tout d^un coup j tout'à'Coup _, à coup fur y
qu'on exprime en latin en un feul mot,
par des adverbes particuliers*, Improvisé^
fubito: certbj Se tout de bon^ferio^ &Co
DES CONJONCTIONS.
JLes conjondions font de petits mots
qui marquent que Feiprit , outre la per-
ception qu'il a de deux objets, aperçoit
entre ces objets un raport ou d'accomp^-
enement, ou d'oppofition , ou de quel-
qu. autre efpcce. L efpri; raproche alors çi\
4j7^ Principes
lui-même ces objets, & les coniîdère Vnxi
par raport à lautre > félon cetce vue particu-
lière. Or le mot qui n a d autre office que
de marquer cette confidération relative
de refprit , eft appelle Conjondion.
Par exemple , fi je dis que Ciçéron &
Qulndlien font les auteurs les plus judl-^
deux de rantiquitéj je porte de Quinti-
lien le même jugement que j'énonce de
Cicéron. Voila le motif qui fait que je raf-
femUe Cicéron avec QuintiJien. Le mot
& qui marque cette liaifon > eft la con-
jonâûon.
Il en eft de même iî Ton veut marquer
quelque raport d^oppofition ou de difcon-
venance. Par exemple , Ci je dis quV/y a
un avantage réel à être injiruit ; & que
j^ajoute enfuite , fans aucune liaifon , qu^^i/
ne faut pas que la fçience infpire de Vor^
gueiljy j'énonce deux fens féparés. Mais C\
je veux pprocher ces deu5^ fens, & en
former Tun de ces enfembles qu'on ap-»
pçlle Période ^ j'aperçois d'abord de la
de Grammaire: 67^^
cïTrconvcnance , & une forte d éloigne-
ment & d'oppofition qui doit fe trouver
entre la fcience & Torgueil.
Voila le motif qui me fait réunir ces
deux objets. Ceft pour en marquer la dif^
convenance. Ainfi en les raiTemblant,
j'énoncerai cette idée acceflbire par la
conjondion maïs. Je dirai donc : Il y a
un avantage réel à être injlruit ; mais il
ne faut pas que cet avantage infpire de
l^ orgueil. Ce mais raproche les deux pro-
pofitions ou membres de la période, & les
met en oppofition.
Ainfi, la valeur de la conjondfcion con-
lîfte à lier des mots par une nouvelle mo-
dification, ou idée accefToire, ajoutée à
lun par raport à l'autre. Les anciens Gram-
mairiens ont balancé s'ils placeroient les
conjon6tions au nombre des parties du
difcours \ & cela par la raifon que les
conjonctions ne repréfentent point d'idées
de chofes. Mais quejl<e quêtre partie
du difcours j, dit Prifcien {i)^finon énoncer
(i) Lib. XI y fuh initio.
^74 Principes
quelque concept^ qwdqu affection ou ihoïi^
yement intérieur de l'efprit? Quidenim ejl
aliud pars orationis ^ nijl vox indicans
mentis conctptum ^^ id eji cogitationem? Il
eft vrai que les conjondions n'énoncent
pas, comme font les noms, des idées d'êtres
ou réels ou méraphyfiques : mais elles ex-
priment Té tat ou aft'edion de lefprit en-
tre une idée & une autre idée, entre une
proportion & une autre propofitioni
Ainfi Iç^s conjond:ions fuppofent toujours
deux idées & deux propoiîtions , & elles
font connoître Tefpèce d'idée accefToire
que lefprit conçoit entre lune & l'au-
tre.
Si Ton ne regarde dans les conjonctions,
que la feule propriété de lier un fens à
un autre , on doit reconnoître que ce fer-
vice leur eft commun avec bien d'autres
mots.
i.° Le verbe, par exemple, lie l'attri-
but au fujet. Les pronoms lui^ elle-, eux^
Icj, laj les y leur y lient une propofition à
une autre. Mais ces mots tirent leur dé*
de Grammaire. Gyf
nomination d un autre emploi qui leui eft
plus particulier.
2.^ Il y a aufîî des adjeélifs relatifs qui
font Tolfice de canjonclion. Tel eft le iQ-*
\:ix\i qui ^ lequel^ laquelle. Car outre que
ce mot rapelle & indique l'objet dont on
a parlé > il joint encore & unit une autre
propofition à cet objet. Il identifie même
cette nouvelle propofition avec l'objet.
Dieu que nous adorons eft tout-pui(fant :
cet attribut, eji tout-puijfantj eft affirmé
de Dieu , en tant qu'il eft celui que nous
adorons. Telj quelj Talisj qualisj tantus^
quantusy tôt y quoty &c. font aufl[i loffice
de conjonélions.
3.^ Il y a des adverbes qui , outre la
propriété de marquer une circonftance
de temps ou de lieu , fuppofent de plus
quelqu'autre penfée qui précède la propo-
fition où ils fe trouvent. Alors ,ces' advier-^
bes font auiîî l'office de conjonction. Tels
font afin que. On trouve dans quelques
anciens , & Ton dit même encore aujour-
d'hui en certaines provinces 3 à celle fin
éy^ Principe^
que j ad hune finem fccundùm quem ; oii
vous voyez la prépofîtion & le nom qui
font 1 adverbe 5 & de plus Tidée acceflbire
de iiaifon & de dépendance. Il en eft de?
même de à caufc que ^ propterca quod ;
jparceque y quia y encore y adhuc ; déjà ^
jam y &c. Ces mots doivent être confidé-
rés comme adverbes conjondifs , puif-
qu'ils font en même temps Toffice d ad-
verbes & celui de conjonârions. Ceft du
fervice des mots dans la phrafe qu'on doit
tirer leur dénomination.
A regard des conjonctions proprement
dites , il y en a d'autant de fortes , qu'il y
a de différences dans les points de vue fous
lefquels notre efprit obfervé un raport
entre un mot & un mot, ou entre une
penfée & une autre penfée. Ces différen-
ces font autant de manières particulières
de lier les propoiîtions & les périodes.
Les Grammairiens , fur chaque partie
du difcours, obfervent ce qu'ils appellent
les accidens. Or ils en remarquent de deux
fortes dans les con]on(^ions/
de Gràmfnàirci Gjj
t.^ La fimplicité & la compefition.»
G cft ce que les Grammairiens appellent
la figure* Ils entendent par ce terme , la
propriété d'ctre un mor lîmple, ou d'être
un mot compofé.
Il y a des conjondions fîmples , telles
font & ^ ou ^ niais ^ fij car^ ni ^ aujjl ^ orj^
donc j &c;
Il y en a d autres qui font compofées,
à moins que ^ pourvu que j de fi:)rte que >
j>arceque _, par conféquent j 8cc.
2.° Le fécond accident des coiijon*
éfcions 5 e'eft leur lignification 5 leur effet:
ou leur valeur. C eft ce qui leur a fait
donner les divers noms dont nous allons
parler. Siirqudi j*ai cru né pouvoir mieux
feire que de fuivre Tordre que M; Tabbé
Girard a gardé dans fa Grammaire ^ au
traité des conjonctions (i). Cet ouvrage
eft rempli d'obfervations utiles , qui don-
nent lieu d'en faire d'autres , que Ton
(i) Les véritahlcs principes de là langue
' /réLnçoiJi , XIF Difeours.
678 Principes
n auroit peut - être jamais faites 5 C\ l'on
n*avoic point lu avec réflexion l'ouvrage
de ce digne Académicien.
I. Conjonctions copulatlves.
Et j ni j font deux conjonftions , qu'on
appelle copulatlves j du latin > copulare ^
joindre, aiïembler> lier. La première eft
en ufage dans Taffirmation, & l'autre dans
la négation. // n^a ni vice ni vertu. Ni
vient du nec des Latins , qui vaut autant
que & non. On trouve fouvent & au lieu
de ni dans les proportions négatives i mais
cela ne me paroît pas exa6t r
Je ne connollfois pas Almanzor ôc TAmour.
J'aimerois mieux ni l'amour. De même :
La poéjie n admet pas les exprejjions & les
tranfpojitions particulières j qui ne peuvent
pas trouver quelquefois leur place en profe
dans le jlyle vif & élevé. Il faut dire 5
avec le père Buffier : la poéjïe n admet ni
cxprejfion ni tranfpojition ^ &c.
Obfervez que comine refprit eft plus
'de Grammaif'e. cy^
prompt que la parole , rcmpreflement
d'caoncer ce que Ton conçoit , fait fou-
vent fiipprimer les conjonétions , & fut-
tout les copulàtives. Attention j Joins ^
crédit _, argent j j^aî mis tout en ufagc
pour ^ &c. Cette fupprelîlon rend le dif-
cours plus vif. On peut faire la même re-
marque à Tégard de quelques autres coil-
jondions, fur-tout dans le ftyle poétique,
& dans le langage de la pafîîon Se dé
renthoufiafme.
II. Conjonctions augmentatlvcs ^ du ad^
verbes conjonclifs augmentatifs.
De plus^ d^ ailleurs. Ces mots fervent
fouvent de traîiiition dans le difcours,
III. Conjônclions alternatives^
Ou jyjinoh^ tantôt. Il faut qu une porte
.foit ouverte ou fermée. Life:^ ou écrive'^^
Pratiqiie'^là vertu jy finon vous fere:^ maU
heureux. Tantôt il rit ^ tantôt il pleure.
Tantôt il veut ^ tantôt il ne veut pas.
Ces conjonctions, que M. l'abbé Girard
éZo Principes
appelle alternatives j parcequ'elles inar^
^uent une alternative , une diftindion 5
bu réparation dans les chofes dont on
parle*, ces cônjon6tions > dis- je > font ap-
pellées plus communément disjondtives.
Ce font des conjondtions , parcequ'elles
uniffent d'abord deux objets, pour nier
enfuite de Tun ce qu'on affirme de rautre.*"
Par exemple , on confîdère d abord le
foleil& la terre, & Ton dit enfuite,. que
c'eft le foleil qui tourne autour de la terre,
ou bien que c'eft la terre qui tourne autour
du foleil. De même, en certaines circon-
ftances, on regarde Pierre & Paul comme
les feules perfonnes qui peuvent avoir fait
une telle aétion. Les voila donc d abord
confidérés enfemble , c'eft la conjonétion :
enfuite on les défunit, fi l'on ajoute Cejl
eu Pierre ou Paul qui a fait cela : cejl
Vun ou cejl Vautre,
IV. Conjonclions hypothétiques^
Si j fait j pourvu que ^ à moins que ^
quand jfauf. M, labbé Girard les appelle
de Grammaire. ^%t
hypothétiques jCcd-a-diTe , conditlonelles j
parcequ'eii effet ces conjondions énon-
cent une condition 5 une fuppofition , une
hypothèfe.
S'u II y a un Ji conditionel. Vous de-
viendrez f avant Ji vous alme:^ I^ étude. SI
vous aîme^ l'étude j voila rhypothèfe ou
la condition. Il y a un 7? de doute i Je ne
fais Ji y &c. Il y a encore un 7? qui vient
àxx Jiç des Latins. // ejl Ji Jludieux ^ quil
deviendra /avant. CqJi eft alors adverbe :
fcj adeo j à ce point, tellement.
Soit j Jive ; foit goût j /bit rai/on j /oit
caprice j il aime la retraite. On peut auflî
regarder ybi^jT^v^j comme une conjoa-
£tion alternative ou de diftinâion.
Sauf ^ défigae une hypothèfe , mais
Hvec reftriilion.
V, Conjonctions adver/atives.
On appelle Conjondions adverfatives >
dçs conjondtions qui marquent quelque dif-
fçrence , quelque reftridion ou oppofitioa
entre ce qui fuit & ce qui précède* Eile^
^Sz Principes:
fafTemblent les idées, & font fèrvir Tmià
a contrebalancer l'autre. Le mot adverfà^
tive vient du latin adverfus ^ contraire y
oppofé. Il y a fept conjondions adverfati-
ves : maiSj quoique ^ bien que y cependant^
pourquoi j néanmoins .y toutefois. Il y a cette
différence entre les conjonctions adverfa-
tives & les disjondtives^ que danè les ad-
verfatives , le premier fens peut fubfifter
fans le fécond , qui lui eft oppofé j au lieii
qu^avec les disjoncfcives, Tefprit coniîdèrâ
d abord les deux inembres enfemble, &
enfuite les divife y en donnant ralterna-
îive, en les partageant & les diftinguanr.
C'ejl le foleil ou la terre qui tourne. Cejt
vous ou moi. Soit que vous mangie'^ _, foit
que vous buvie^. En un mot 5 radverlâtive
2:eilreint ou contrarie 5 au lieu que 4a dif-
|on6live fépate ou divife,.
Il y a des conjonftions que M- labbé
Girard appelle extenfives y parcequ'eiles
lient par extenfion de fens : telles fc^nt
jufquesy encore y aujji ^ même^ tant que]^
"mn j plus 3 enfin^ - •
de Grammaire, 683
Il y a des adverbes de temps que Ton
peut aufïî regarder comme de véritables
conjondtions. Par exemple , lorfque y
quand ^ dès que j tandis que. Le lien que
ces mots expriment conUfte dans une cor-
refpondance de temps.
VL D autres marquent un motif, un
but, une raifon. Afin que j parceque j
puifque ^ car^ comme ^ aujfi j attendu quej
d^ autant que. M. Tabbé Girard prétend ( i)
qu'il faut bien diftinguer dautant que y
conjonction, qu'on écrit fans apoftrophe,
& d^ autant y adverbe qui eft toujours fé-
paré de que ^ par jplus^ mieux ou moins y
£ autant plus que y & qu'on écrit avec
1 apoftrophe, Lô père Joubert , dans fou
Diâionaire, dit auffi dautant que ^ con-
jonétion : on l'écrit , dit-il , fans apoftro-
phe , quia y quoniam. Mais M. labbé
Régnier , dans fa. Grammaire y écrit d^au^
tant que j conjondtion , avec Tapoftrophe \
& obferve que ce mot, qui autrefois étoit
(l) Jb/72, II , pag'. 2,%Q.
Yy4
(g8"4 Principes
fort en ufage , eft renfermé aujourd'hui
au ftyle de chancellerie & de pratique*
Pour moi 3 Je crois que d^ autant que &
d'autant mieux que font le même adverbe,
qui de plus fait Toffice de conjonction daias
cet exemple, que M. labbé Girard cite
pour faire voir que d- autant que eft con-
jondfeion fans apqftrophe On ne^ deyoît
pas ^ fort le louer ^ d'aut^int qu'il ne U
méritoit pas. N*eft - il pas évident que
d'autant que répond à ex eo qu^odj ex eo
momento fecundàm. quod j ex ea radone
fecundùm quam ; & que Tan pouroit auffi
dire, d'autant mieux qu'il ne le méritoit
p^i". Dans les premières éditions de Danet,
on avoit écrit dautant que fans apoftro-
phe ", mais on a corrigé cette faut^ dans
Fédition de 1 7 2 1 . La même faute eft auffi
dans Richelet. Nicot, Diclionaire^ 16.06 y
écrit îoujçurs d'autant que avec Tapo-
ftrophe.
VII. On compte quatre con|on6l!oDS
ccndujives ^ c'eft-à-dirc , qui fervent à
déduire une conféquence^ donç^ par çon-^^
de Grammaire. 685
fequent j ainjî ^partant. Mais ce derniec
n'eft guère d'ufage que dans les comptes >
oii il marque un réfultat.
VIII. Il y a des conjonctions explica^
tlves j comme lorfqu'il fe préfente une
iîmilitude ou une conformité : en tant:
que j f avoir ^ fur-tout.
Auxquelles on joint les cinq exprelîîons
fuivantes, qui font des conjonélions corn-
pofées, de forte que^ aïnfi que^ de façon
que y cefl-à-dire^fibïcnque^
On obferve des conjondions tranfitU
ves j qui marquent un pafTage ou une
tranfition d'une chofe à une autre. Or^ au
refie j quanf à ^ pour^ c'eft-à-dire , à /V-
gard de ; comme quand on dit , l^un ejl
venu; pour l^ autre ^ il efl demeuré.
IX, La conjondion que. Ce mot eft
d'un grand ufage en françois. M. labbé
Girard Tappelle conjonction conduclive ^
parcequ'elle fert à conduire le fens à ion
complément. Elle eft toujours placée entre
deux idées , dont celle qui précède en fait
toujours attendre une autre pour formée
6^é Principes
un fens, de manière que Tunion dès deux
eft néceflaire pour former une continuité
de fens. Par exemple : // eji important que
ton f oit infiruit de fes devoirs. Cette con-
Jondion eft d*un grand ufage dans les
comparaifons. Elle conduit du terme com-
paré 5 au terme qu'on prend pour modèle
ou pour exemple : Les femmes ont autant
d'intelligence que les hommes : alors elle
eft comparative. Enfin , la conjondioa
que fert encore à marquer une reftridtion
dans les propositions négatives. Par exem-
ple : Il n èjlfait mention que d'un tel pré-
dicateur. Sur quoi il faut obferver que Ton
préfente d'abord une négation y d'où Ton
tire la chafe pour la préfenter dans un fens
affirmatif exclufîvement à tout autre. //
ny avoit dans cette ajjemblée que tel qui
eût de Vefprit : Nous n avons que peu de^
temps à vivre j & nous ne cherchons qu'à
le perdre. M. Tabbé Girard appelle alors
cette conjondlion rejlriclive^
Au fond > cette conjonftîon que ^ n*eft
" Couvent autre çhofe que le ^ubd des Latins >
de Grammaire. 687
pris dans le fens de hoc. Je dis que vous
êtes fagCj dico quod ; c'eft-à-dire, dico
hocj nempè j vous êtes fage. Que vient
^uffi quelquefois de quam^ ou à^ quart-
îum ^ ou enfin de quou
Au refte on peut fe dilpenfer de char-
ger fa mémoire des divers noms de cha-
que forte de conjonftion, parcequ'indé-
pendammen,t de quelqu'autre fonction
qu'il peut avoir , il lie un mot à un autre
mot 5 ou un fens à un autre fens, de la
manière que nous Tavons expliqué d'abord*
Ainfî il y a des adverbes & des préposi-
tions qui font aufïî des conjonctions corn--
pofées ; comme 5 afin que j parceque j à
caufe que ^ 8cc. Ce qui eft bien différent
du fîmple adverbe & de la fimple prépo-
lîtion 5 qui ne font que marquer une cir--
confiance ou une manière d'être du nom
çu du verbe.
'^88 Principes
De ce quon appelle ACCIDENT ^ en tcr^
mes de Grammaire.
JL E terme accident eft fur-tout en ufage
dans les anciens Grammairiens. Ils ont
d'abord regardé le mot 5 comme ayant la
propriété de fignifier* Telle eft , pour ainû
dire > la fubftance du mot. C'eft ce qu'ils
appellent nominis pojîtio. Enfuite ils oac
fait des obfervations particulières fur cette
poiîtion, ou fubftance métaphyfîque : &
ce font ces obfçrvations qui ont donné
lieu à ce qu'ils ont appelle acçidens dçs
didtions > diclionum accïdentia.
Ainfi > par accident ^ les Grammairiens
entendent une propriété qui, à la vérité,
eft attachée au mot, mais qui n'entre point
dans la définition eftèntielle du mot. Car,
de ce qu'un mot fera primitif, ou qu'il
fera dérivé , fimplç ou compofé , il n'ea
iera pas moins un terme ayant une fignifir
çâçion. Voici quels font ces accideas*.
de Grammaire. 62$'
I. Toute di6tion ou mot, peut avoir
un fens propre ou un fens figuré. Un mot
eft au propre, quand il fignifie, ce pour-
quoi il a été premièrement établi. Le mot
Lion a été d abord deftiné à fignifier cet
animal qu'on appelle Lion. Si en parlant
d'un homme emporté, je dis que c*eft un
lion ; lion eft alors dans un fens figuré»
Quand par comparaifon , ou analogie , un
mot fe prend en quelque fens , autre que
celui de fa première deftination , cet acci-
dent peut être appelle Y acception du mot*
IL En fécond lieu , on peut obferver fi
un mot eft primitif, ou s'il eft dérivé.
Un mot eft primitif, lorfqu^il n'eiT: tiré
d'aucun autre mot de la langue dans la-
quelle il eft en ufagc. Ainfî, en françois>
ciel jy roijy bon , font des mots primitifs.
Un mot eft dérivé , lorfqu'il eft tiré de
quelqu autre mot, comme de fa fource*
Ainfi célejle ^ royal ^ royaume jy royauté ^^
royalement ^ honte ^ bonnement font au-
tant de dérivés. Cet accident eft appelle
par les Grammairiens Xefphc du mot. l\%
i^b Principes
difent qu un mot eft de refpèce primitive ,
ou de refpèce dérivée.
IIL On peut obferver fi un mot eil
fimple, ou s'il eft compofé. Jujlcjjujliccy
font des mots fimples : injujlc^ injujiice 3
font des mots compofés. En latin , rcs eft
un mot fimpîe, publka eft encote un mot
iîmple : mais refpublica eft un mot com-
pofé.
Cet accident d'être fîiliple ou d'être
compofé 3 a été appelle par les anciens
Grammairiens 5 la figure. Ils difent qu'un
mot eft de la figure fimple 3 ou qu'il eft de Lt
figure corapofée, enforte c^q figure vient
ici àQ fingerej & fe prend pour la forme
GU conftitution d'un mot, qui peut être
ou fimple ou compofé, C'eft ainlî que les
anciens ont appelle Vafa ficlUia ^ ces va-
fes qui fe font en ajoutant matière à ma-
tière , & figulusj l'ouvrier qui les fait , à
fingendo*
IV. Un autre accident des mots regardé
la prononciation. Sur quoi il faut diftin-
guer l'accent, qui eft une jélcvation, ou
dt Grammairél 69 1
un abaifTement de la voix, toujours inva-
riable;.dans le même mots & le ton 8c
1 emphafe > qui font des inflexions de
voix qui varient félon les diverfes paffions
& les différentes circonftances > un ton
ficr^y un ton fournis^ un ton infolcnt ^ &c*
Voila quatre accidens ^ qui fe trouvent
en toutes fortes de mf)ts. Mais de plus
chaque forte particulière de mots a (ts
accidens ^ qui lui font propres.
Ainfî le nom fubftantif a encore pour
accidens, le genre ^ le cas ^ la décUnaifon^
le nombre.
Le nom adjéétif a un accident de plus^
qui efi: la comparaifon : doclus j dociior ^
doclijjimus i favantj plus favant^ très^
/avant.
Les pronoms ont les mêmes accidens
que les noms*
A regard des verbes , ils ont auffi par
accident :
i.° V acception y qui eft ou propre ou
figurée. Ce vieillard marche d'un pas fer^
me : marcher eft là au propre* Celui qui
i^i' Principe^
me fuit ne marche point dans les teriebréi^
dit Jefus-Chrift -, fuit & marche forit pris
dans un fens figuré.
2.^ Vefpèce eft auffi un accident des
verbes* Ils font, ou primitifs j comme /^^^r-
ler^ boire ^ fauter j trembler ; ou dérivés j
comme parlementer ^ buvoter ^ fautiller y
tremblotter. Cette efpèce de verbes déri-
vés en renferme plufieurs autres \ tels font
les inchoatifs j les fréquentatifs j les au-;*
gmentatifs j les diminutifs j les imitatifs
& les défidératifsh.
3,^ Les verbes ont auflî la fîglire, c'eft-
à^dirCj qu'ils font fînlples, comme venir y
tenir ^ faire; ou compofés, comme /?/'/ve-
niri convenir^ refaire ^ &c.
4.° La voix ou forme du verbe. Elld
eft de trois fortes , la voix ou forme active j
la forme paffive j & la forme neutre.
5.° Le modcj, c'eft-à^dire > les différen-
tes manières d'exprimer ce que le verbe
lignifie 5 ou par Vindicatif qui eft le mode
diredfc & abfolu 5 ou par Yimpératifj oU
pari e fuhjonciif ^ ou enfin par ï infinitif
6." Le
de Grammaire. è^^
• 1^.^ Le (îxième accident des verbes i
ccA de marquer le temps par des termi*
naifons particulières. J'aime ^ j'aimois ^
y^i aimé '^ &c.
7.° Le feptième eft de marquer les
perfonnes 5 celle qui parle 5 celle à qui oa
parle 5 celle ou ce dont on parle.
En latin & en grec , les perfonnes
& les temps font marqués d'une manière
plus diftinéte , par des terminaifons parti-
culières. Au lieu qu'en François , la différ
rence des terminaifons n'eft fouvent pas
bien fenfible , & c'eft pour cela que nous
joignons aux verbes les pronoms 5 qui mar-
quent les perfonnes : Je chante^ tu chan-^
tes jy il chante.
8.^ Le huitième accident des verbes eft
la conjugaifon. La conjugaifon eft une
diftribution ou lifte de toutes les parties
& de toutes les inflexions du verbe 5 félon
Une certaine analogie.
9.^ Enfin, le dernier accident des ver-
bes, eft V analogie jy ou V anomalie: c'eft-^
à -dire, dette réguliers, & de fuivrç
!Z 2
6 94 Principes
\ analogie de leur paradygme , o« bien cïe
s'en écarter , & alors on dit qu'ils font
irréguliers ou anomaux.
Que s'il arrive qu'ils manquent de queP
que mode, de quelque temps, ou de quel-'
que perfonne , on les appelle défeclifs,
A regard des prépofitiôns, elles font
toutes primitives & fimples, à^^ie y dansj,
avecj &c. Sur quoi il faut obferver , qu'il
Y a des langues qui énoncent en un feuf
mot ces Vues de Tefprit , ceî^ raports , ces
manières d'être , au lieu qu'en d'autres
langues, ces mêmes raports font divifés
par rélocution, & exprimés par plufieurs
mots. Par exemple , coram pâtre j en pré--
fence de fon père : ce mot coram j ent
latin , eft un mot primitif & fimple qui
n*exprime qu'une manière d'être confîdé-
rée par une vue fïmple de l'efprit. L*éIo-
cution n'a point en françois de terme pour
lexprimer. On la divife en trois mots , en
préfence de. Il en eft de même dcpropter^
pour l'amour de J & de quelques autres ex-
preflîons , que nos Grammairiens François
de Grammaire. €9^
»C mettent au nombre des prépofitions ,
que parcequ'elles répondent à des prépo-
iîtions latines.
La prépofîtion ne fait qu'ajouter une
circonftance ou manière au mot qui pré-
cède, & elle eft toujours confîdérée fous
le même point de vue : c'eft toujours la
aiême manière ou circonftance qu'elle ex-
prime. // ejl dans jy que ce foit dans la
ville 5 ou dans la maifon , ou dans le coffre,
ce fera toujours être dans. Voila pourquoi
les prépofitions ne fe déclinent point»
Mais il faut obferver qu'il y a des pré-
pofitions y^/^tzm^/ei'j telles que dans ^ fur ^
avec ^ &c. & d'autres qui font apellées
inféparabUs j parcequ'elles entrent dans
la compofition des mots 5 de façon qu'elles
n'en peuvent être féparées fans changer
la fignification particulière du mot. Par
exemple , refaire ^ furfaire j défaire ^
contrefaire : ces mots re ^ fur ^ dé j con-
tre j &c. font alors des prépofitions infc-
parables.
A regard de lad verbe > c*eft un mot>
ZZ2
éc^è Principes
qui dans ia valeur vaut autant qu'une pré^
pofîtion & fon complément. Ainfi , pru^
demment ^ c'eft avec prudence ^ fa gement y
avec figejjcjy 8cc. Voyez l'article ^Dr
FEi^^E 3 ci-devant, pag. 559.
Il y a trois accidens à remarquer dans
Tadverbe 5 outre la fîgnification, comme
dans tous les autres mots. Ces trois acci^
dens font :
1.^ Vejpèccj qui eft toujours jpr/7;2zV/v^j
ou dérivadve. Ici ^ là^ ailleurs^ quand ^
lors ^ hier jy oàj &c. font des adverbes de
Tefpèce primitive 5 parcequ'ils ne viennent
d aucun autre mot de la langue.
Au lieu que jujlement j fenfement j po-'
liment jy abfolument ^ tellement ^ 8cc. font
de 1 efpèce dérivative. lis viennent des
noms ^]ed[ï(syjuJIejfenféjpolij ahfolu^
tel j^ Sec.
2.*^ La figure : c'eft d'être fimple ou
compofé. Les adverbes font de la figure
ilmple 5 quand aucun autre mot , ni au-
cune prépofition inféparable n'entre dans
îeu^' compoiiùon, hmCiy jufiemeritj lo^'s^
de Grammaire. ë^f
Jamais j font des adverbes de la figure
iîmple*
Mais, injujlement j alors ^ aujourd'hui^
Se en latin y hodie _, fout de la figure corn-
pofée.
3.^ La Comparaifon eft le troificnie
accident des adverbes. Les adverbes qui
viennent des noms de qualité fe compa-
rent : jujlement^ plus jujlement ^ très ou
fort jujiement ^ le plus jujîement ; bien j
mieux ^ le mieux ; mal j pis _, le pis j plus
malj très-mal J fort mal j &c.
A regard de la conjoncSfcion , c'^eft^à-
dire , de ces petits mots qui fervent à ex-
primer la liaifon que Tefprit met entre des
mots & des mots , ou entre des phrafes 6c
des phrafes , outre leur fignification par-
ticulière, il y a encore leur figure & leut
pofition.
i."" Qiiant à \^ figure ^ il y en a de
(impies, comme, &jOUj mais ^ fi ^ car ^
ni J &c.
Il y en a beaucoup de compofées, 6'
fij mais fi i Se même il y en a qui fouc
t^ s Principes
çompofées de noms ou de verbes : pai
exemples, à moins que j, de forte que^ bien
entendu que ^ pourvu que.
2.® Pour ce qui eft d@ leur fojltïon^
c'eft-à-dire> de Tordre ou rang que les
conjonctions doivent tenir dans le difcours,
il faut obferver, qu'il n'y en a point qui
ne fuppofe au moins un fens précédent ;
car ce qui joint , doit être entre deux
termes, Ainfi vous ne fauriez commencer
pn difcours par maïs ^ & y or^ donc jy &c.
Mais ce fens peut quelquefois être tranf-
pofé : ce qui arrive avec la conditionelle
Ji j qui peut fort bien commencer un
difcours. Sî vous êtes unie à la fociété ^
elle pourvoira à vos befoins. Ces deux
phrafes font liées par la conjondion Ji.
W eft comme s'il y avoir : La fociété pour^
voira à vos befoins j fi vous y êtes utile._^
S'il arrive qu'un difcours commence par
or ou donc :y ce difcours n'eft point cenlé
Ja fuite d'un autre qui s'eft tenu intérieu-
)j'ement , & que l'orateur ou l'écrivain a
foys-entendu 2 pour donner plus de Yéh4*
cte Grammaire. 69^
mence à fon début -, c'eft plutôt une ex-
clamation, une interrogation, Malherl^e,
dans fon Ode à Louis XIII ' partant pour
la Rochelle , lui dit :
Donc un nouveau labeur à tes armes s^aprête^
C eft comme s'il y avoit 5 Un nouveau la-^
beur s'aprêtc donc à tes armes? Mais cette
manière de s'exprimer eft rare. Elle ne
peut être en ufage que dans la poéfie opi
le ftyle oratoire. Dans le ftyle moins orné*
Malherbe auroit dit , P^oid un nouveau
labeur qui s'^aprête à tes armes. '
A regard des Interjetions 5 elles ne
fervent qu'à marquer des mouvemens fu-
bits de Tame. Il y a autant de fortes d'in-
terje£tions , qu il y a de pafïîons différen-
tes. Ainfi il y en a pour la triftelTe & la
compafîîon : hélas \ ha l pour la douleur,
ai ai j ha ! pour Taverfion & le dégoût >
Ji. Les interjeétions ne fervent qu'à ce
feul ufage , & n étant jamais confidérées
fous la même face , ne font lujétes à au-
cun autte accident. On peut feulement
700 Principes de Grammaire:
obferver , qu'il y a des noms , des verbes^
& des adverbes, qui étant prononcés dans
certains mouvemens de paffions , ont la
force de Tinter) eâ:ion : Courage^ allons y
bon Dieu j voyc:^ y marche ^ tout-beau y
paix y &c. C'eft le ton 5 plutôt que le mot>
qui fait alors Tinterjeétion.
F I N..
APPROBATION.
J'ai lu par ordre de Monfeigneiir le Vice-
Chancelier , un Manufcrit intitulé (Suvres
pofthumes de du Marfais ^ contenant^ ï.^ la.
Logique ou Réflexions fur les principales opéra-»
lions de Vefprit ; i."^ des fragmens fur les Caufes
de la parole. Je n'y ai rien remarqué qui puifTe
en empêcher rimpreflîon. A Paris cej décerna
bre ijGj.
DUPUY.
PRIFILEGE DU ROI.
X-zOUIS, PAR LA GRACE DE DlEU ^ Roi DE
France et de Navarre: A nos amés & féaux
Confeillers les gens tenant nos Cours de
Parlement 3 Maîtres des Requêtes ordinaires
de notre Hôtel ^ Grand-Confeil ^ Prévôt de
Paris 5 Baillifs , Sénéchaux, leurs Lieutenans
Civils & autres nos JulHciers qu'il appar-*
tiendra: Salut. Notre amé Jean - Thomas
Heriflant ^ fils , Libraire , Nous a fait expofer
qu'il defireroit faire imprimer & donner au
public des Œuvres pofthumes de du Marfais ,
contenant la Logique ou Reflexions fur les prin-
cipales opérations de Vefprit y & fragmens
Jiir les Caujes de la parole ; Démonftration
dû Vcxiflcncc de Dieu par Vidéç que nous ap
û?^on$y s'il Nous plaifoit lui accorder nos
Lettres de Privilège pour ce néceffaîres : A
Cîs CAUSIS5 voulant favorablement traiter
TExpcfant^ Nous lui avons permis & permet-
tons par ces préfentes ^ de faire imprimer ledit
Ouvrage autant de fois que bon lui femblera^S^
de le vendre, faire vendre & débiter par-
tout notre Royaume pendant le temps de fix
années consécutives > à compter du jour de la
date des préfentes. Faisons défenfes à tous
ÏHiprimeurs, Libraires , & autres perfonnes,
de quelque qualité & condition qu'elles
foient^, d'en introduire d'impreflion étrangère
dans aucun lieu de notre obéifîance i comme
auffi d'imprimer, ou faire imprimer^ vendre,
faire vendre , débiter , ni contrefaire ledit
Ouvrage , ni d'en faire aucun extrait fous
quelque prétexte que ce puiffe être^, fans la
permiffion exprelTe & par écrit dudit Ex-
pofant, ou de ceux qui auront droit de lui;»
à peine de confifcation des exemplaires
contrefaits , de trois mille livres d'amende
contre chacun des contrevenans, dont un
tiers à Nous, un tiers à l'Hôtel - Dieu de
Paris, & l'autre tiers audit Expofant, ou à
celui qui aura droit de lui, & de tous dépens,
dommages & intérêts; à la charge que ces
préfentes feront enregiftrées tout au long
fur le Regiftre de la Communauté des Im-
primeurs & Libraires de Paris , dans trois
mois de la date d'icelles> que rimprefTion
dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume
& non ailleurs, en beau papier & beaux
ç:araftèfçs , conformément aux Règlemens
de la Librairie , & notamment à celui dtt
lo Avril lyz^ , à peine de déchéance du
prcfent Privilège ; qu'avant de les expofef
en vente 5 le manufcrit qui aura fervi de copie
à rimpreflîon dudit Ouvrage^ fera remis,
dans le même état où l'Approbation y aura
été donnée , es mains de notre très-cher &
féal Chevalier^ Chancelier de France^ le fieur
D£ Lamoignon 3 & qu'il en fera enfuite remis
deux exemplaires dans notre Bibliothèque
publique ^ un dans celle de notre Château ^du
Louvre 3 un dans celle de notredit /leur db
Lamoignon , & un dans celle de notre très-
cher & féal Chevalier , Vice-Chancelier 8c
Garde des Sceaux de France , le Sieur de
Mauplou: le tout à peine de nullité des pré-
fentes 5 du contenu defquelles vous mandons
& enjoignons de faire jouir ledit Expofant
& fes ayans caufes, pleinement & pailîble-
ment 3 fans foufïlir qu'il leur foit fait aucun
trouble ou empêchement. Voulons que la
copie des préfentes ^ qui fera imprimée touc
au long au commencement ou à la En dudic
Ouvrage ^ foit tenue pour dûement fignifiée ,
& qu'aux copies collationnées par l'un de
nos amés & féaux Confeillers- Secrétaires,
foi foie ajoutée comme à Toriginal : Com-
mandons au premier notre Huiffier ou Ser-
gent fur ce requis, de faire pour l'exécution
d'icelles , tous aftes requis & nécefl'aires y
fans demander autre pçrmiffion , & nonobf-*
tant clameur de Haro, Charte Normande
& Lettres à ce contraires : car tel eft notre
plaifir. Donné à Verfailles le cinquième jour
fàvi mois de Janvîer.ran de grâce milfept cent
foixarlte -huir^ & de notre Règne le ciii^
quante-troifième. Par le Roi en fon Confeil.
Signe LE BEGUE.
Regijlré fur le Regîftre XVII de la Chambre
royale (Jr Jyndicale des Libraires £r Imprimeurs dz
Paris jTi,^ 1675 ^fol. 355, conformément au Règlement
dt I725. A Paris ce 15 Janvier 1768.
G A'NLAV, Syndic, -
Je foufîîgné, reconnoîs que MM. Brias^on & îe
Bketon , font întérelTés chacun pour un quart dans
le préfent Privilège , fuivant les conventions faites
««tre Nous. A Paris ^ ce 2^ Mai 17^8. Hérissant iils*
pie'
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
EchéaQce
The Library
University of Ottawa
Date due
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IË1.C