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in 2010 witii funding from
University of Ottawa
littp://www.arcli ive.org/details/loiseaubleufeOOmaet
L'OISEAU BLEU
Ouvrages de MAURICE MAETERLINCK
La Sagesse et la Destinée (iO'' mille). (Fas-
quelle, édit.) o fr. 50
Ia Vie des Abeilles (46'= mille). (Fasquelle,
édit.). 3 fr. 50
Le Temple Enseveli (18' mille). (Fasquelle.). 3 fr. 50
Le Double Jardin (16'= mille). (Fasquelle, édit.). 3 fr. 50
L'Intelligence des Fleurs (24<^ mille.). (Fas-
quelle, édit.) 3 fr. 50
Le Trésor des Humbles (6l'= édition.). (Mercure
de France.) 3 fr. 50
.loYZEXLE,|iicce en 5 actes (10*= raille). (Fasquelle,
édit.) 3 fr. 50
MoNNA Vanna, pièce en 3 actes (3'2'= mille).
(Fasquelle, édit.) 2 fr. »
MoNNA Vanna, drame lyrique en 4 actes et 5 ta-
bleaux. Musi(iue de Henry Février (G" mille).
(Fasquelle, édit.) 1 fr. »
L'Oiseau bleu, féerie en 6 actes et 12 tableaux
(âl"- mille). (Fasquelle, édit.) 3 fr. 5J
Théâtre, (l.acomblez, éditeur à Bruxelles, Del-
gique.) 3 vol. à 3 fr. 50
Serres Chaudes (poésies). (l.acomblez, édit.). 3 fr. »
1/Ornement des Noces stibituelles, de Paiys-
broecli r.VduHrable, traduit du flamand et
précédéd'une Iniroduclion. (Lacomblez,édit.). 5 fr. i>
Les Dlsciples a Sais et les Fragments de
.NovALls, traduits de l'allemand et précédés
d'une Introduction. (Lacomblez, édit.) ... 5 fr. »
Album DE DOUZE Chansons. (Sioik, édit.). . . . Épuisé.
78'Ji. — Lil)i'.-liii[ii-. rrniiii'>. 7, i ne Saiiil-Bcnoîl. Paris.
tt
MAURICE MAETERLINCK
L'OISEAU BLEU
FÉERIE EN SIX ACTES ET DOl ZE TABLEAUX
Représentée pour la preniièn' foin,
sur le Thédire Artistique de Moscou, le SO Septembre 1908,
et à Paris, sur la scène du i Théâtre Ré jane,
le 2 Mars 1911.
DIX-HUITIÈME MILLE
PARIS
ilt
^
51
y
1
Librairie CHARPENTIER et FASQUELLE
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR
11, RI E D !•: G « E N E L L E , 11
1911
Droits de tradiiclion, de roproduction et de représentation réserves pour ious pays.
Copyri"lil by KL:(u:yK FAsyiiKi.i.K, 1909.
MiCROFORMEO BY
PRESERVATION
SERVIŒS
9 "à
(D'à"
'^ A-
IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE :
Cent exemplaires mimérotés sur papier du Japon
réimposés dans le format in-octavo
et otmés de 16 compositions en couleur
de Wladimir Egoroff.
COSTUMES
TYLTYL : Costume du Petit-Poucet dans les contes de Per-
rault : petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu
tendre, bas blancs, souliers ou bottines de cuir fauve.
MYTYL : Costume de Grethel ou bien du Petit Chaperon rouge.
LA LUMIÈRE : Robe couleur de lune, c'est-à-dire d'or pâle
à reflets d'argent, gazes scintillantes, formant des
rayons, etc. Style néo-grec ou anglo-grec genre Walter
Crâne ou même plus ou moins Empire. — Taille haute,
bras nus, etc. — Coiffure : sorte de diadème ou même de
couronne légère.
LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT : Cos-
tume classique des pauvresses de contes de fées. On
pourrait supprimer au premier acte la transformation de
la Fée en princesse.
LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL,
GRAND'MAMAN TYL : Costumes légendaires des
bûcherons et des paysans allemands dans les contes de
Grimm.
LES FRÈRES ET SŒURS DE TYLTYL : Variantes du
costume'du Petit-Poucet, i
VI
LE TEMPS : Costume classique du Temps : vaste manteau
noir ou gros bleu, barbe blanche et flottante, faulx,
sablier.
L'AMOUR MATERNEL : Costume à peu près semblable à
celui de la Lumière, c'est-à-dire voiles souples et presque
transparents de statue grecque, blancs autant que pos-
sible. Perles et pierreries aussi riches et aussi nom-
breuses qu'on voudra, pourvu qu'elles ne rompent pas
l'harmonie pure et candide de l'ensemble.
LES GRANDES JOIES : Comme il est dit dans le texte, robes
lumineuses aux subtiles et suaves nuances : réveil de
rose, sourire d'eau, rosée d'ambre, azur d'aurore, etc.
LES BONHEURSDELAMAISON:Robesde diverses couleurs,
ou si l'on veut, costumes de paysans, de bergers, de
bûcherons, etc., mais idéalisés et féeriquement inter-
prétés.
LES GROS BONHEURS : Avant la transformation : amples et
lourds manteaux de brocarts rouges et jaunes, bijoux
énormes et épais, etc. Après la transformation : maillots
café ou chocolat, donnant l'impression de pantins en
baudruche.
LA NUIT : Amples vêtements noirs mystérieusement cons-
tellés, à reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.
LA PETITE FILLE DE LA VOISINE : Chevelure blonde et
lum'neuse, longue robe blanche.
LE CHIEN : Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies,
chapeau ciré; costume rappelant plus ou. moins celui de
John Bull.
LA CHATTE : Maillot de soie noire à paillettes
Il convient que les têtes de ces deux personnages
soient discrètement animalisées.
vil
LE PAIX: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie
ou de velours cramoisi, broché d'or. Vaste turban.
Cimeterre. Ventre énorme, face rouge et extrêmement
joufflue.
LE SUCRE : Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques,
mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier
d'emballage des pains de sucre. Coiffure des gardiens du
sérail.
LE FEU : Maillot rouge, manteau vermillon à reflets cha-
toyants, doublé d'or. Aigrette de flammes versicolores.
L'EAU : Robe couleur du temps du conte de Peau d'Ane,
c'est-à-dire bleuâtre ou glauque, à reflets transparents,
effets de gaze ruisselante, également style néo ou. anglo-
grec, mais plus ample, ..plus flottant. Coiffure de fleurs
et d'algues ou de roseaux.
LES ANIMAUX : Costumes populaires ou paysans
LES ARBRES : Robes, nuances variées du vert ou de la
teinte tronc d'arbres. Attributs, feuilles ou branches qui
les fassent reconnaître.
TABLEAUX
1" TABLEAU (acte I) : La Cabane du Bûcheron.
2^ TABLEAU (acte II) : Chez la Fée.
3" TABLEAU (acte II) : Le Pays du Souvenir.
4e TABLEAU (acte III) : Le Palais de la Nuit.
5« TABLEAU (acte III) : La Forêt.
Ge TABLEAU (acte IV) : Devant le Rideau.
"e TABLEAU (acte IV) : Le Cimetière.
8« TABLEAU (acte IV) : Devant le Rideau.
9e TABLEAU (acte IV) : Le Palais des Bonheurs.
10° TABLEAU (acte V) : Le Royaume de r Avenir.
lie TABLEAU (acte VI) : V Adieu.
12e TABLEAU (acte VI) : Le Réveil.
PERSONNAGES
P?*^ (dans l'ordre de leur entrée en scène)
LA MÈRE TYL. M"e Méthivet.
TYLTYL M. Delphin.
MYTYL M"« Odette Carlia.
LA FÉE M^e GiNA Barbieri.
LE PAIN. \ MM. R. L. Fugère.
LE FEU AuRÈLE Sydney.
L'EAU M"" Isis.
LE LAIT DiRis.
LE SUCRE MM. Bosman.
LE CHIEN Séverin-Mars.
LE CHAT Stephen.
LA LUAHÈRE M"e Georgette Leblanc.
Mlles ]\J-j^j ]VIji^iv,o.
Henriette Maillefer.
Fernande Faveret.
Blanche Faveret.
Suzanne Bailly.
LES HEURES } Raymonde Faveret.
Laurence Petit.
Jane Faveret.
Berthe Libovitz.
Antoinette Raymond.
Deroissy.
Georges.
X
LE PÈRE TYL M. Félix Barré.
GRAND'MÈRE TYL M""; Daynes Grassot.
GRAND-PÈRE TYL M. Maillard.
PIERROT M"" SUTERRE.
ROBERT Maria Promet.
JEANNETTE Jeanne Evrard.
MADELEINE Giavelli.
PIERRETTE ' . 'Henriette Gallet.
PAULINE Henriette Maillefer.
RIQUETTE NiNi Mano.
LA NUIT. Glarel.
LE SOMMEIL Louise Starck.
LA MORT Rachel Horelick.
LE RHUME DE CERVEAU. . . . Renée Dahox.
1" ENFANT BLEU Maria Promet.
2« — • Laura Walter.
3^ — Maria Dumont.
4* — Fernande Faveret.
5'' — Maud Loti.
6« — Suterre.
7« — Suzanne Bailly.
8^ — Giavelli.
9« — Madeleine Promet.
LE ROI DES NEUF PLANÈTES. Batistina Rousseau.
11« ENFANT BLEU Renée Pré.
12e — Henriette Maillefer.
13* — BÉATRICE Raymond.
14" — Jeanne Corrège.
LAMOUREUX LucY Flelry.
L'AMOUREUSE Blanche Borelli.
LE TEMPS M. Garry.
LE PETIT FRÈRE A NAITRE. . M"^ Maria Promet.
jyjlles BeRTHE LiBOVITZ.
L Fernande Faveret.
LES AUTRES ENFANTS BLEUS. ^ Suzanne Faveret.
f Blanche Faveret.
Raymonde Faveret.
XI
M''
LES AUTRES ENFANTS BLEUS. s
LES GARDIENNES j
LE CHEF DES GROS BONHEURS. M.
1 MM
LES AUTRES BONHEURS S ""^'
I M"'-'
LES PETITS BONHEURS /
LES ADOLESCENTS.
LE CHEF DES BONHEURS. . . .
LE BONHEUR DE SE BIEN
PORTER
— DE L'AIR PUR . .
~ D'ALMER SES PA-
RENTS
— DU CIEL BLEU.
— DE LA FORÊT . .
' Henriette Gallet.
Jeanne Evrard.
Denise Choquet.
Léa Dumont.
Marcelle Malherbe.
Juliette Malherbe.
Lucienne Chezéaux.
Dupechier.
Deroissy.
George.
Théloz.
Albert.
Barré.
Alfroy.
Adalbert, etc.
Lucienne Chezéaux.
NiNi Mano.
Jeanne Corrège.
Henriette Maillefer.
Fernande Faveret.
Blanche Faveret.
Louise Starck.
Rachel Horelick.
Jane Faveret.
Raymonde Faveret.
Maud Loti.
Annette Libovitz.
Laurence Petit.
Renée Beauval.
Dorchèze.
Fleury.
Gannoz.
Blanche Borelli.
DiRIS.
XII
LE BONHEUR DES HEURES DE
SOLEIL M'">= BoissiÈRE.
— DU PRINTEMPS. Renée Dahon.
DES COUCHERS
DE SOLEIL. . . . Soyez.
— DE VOIR SE LEVER
LES ÉTOILES. . Georges.
— DE LA PLUIE . . Darièze.
— DU FEU D'HIVER. Carène.
— DES PENSÉES IN-
NOCENTES .... Laura Walter.
— - DE COURIR NU-
PIEDS DANS LA
ROSÉE Antoinette Raymond.
LA JOIE D'ÊTRE JUSTE Albert.
— D'ÊTRE BONNE Bulaine.
— DE LA GLOIRE Théloz.
— DE PENSER Deroissy.
— DE COMPRENDRE. . . . Lefebvre.
— DE VOIR CE QUI EST
BEAU Didier.
— D'AIMER Dervil.
L'AMOUR MATERNEL Méthivet.
/ Soyez.
LES JOIES INCONNUES. ...'.. Delettraz.
( Dessoyer, etc.
LA VOISINE BERLINGOT M-* Gina Barbieri.
SA PETITE FILLE M^e Juliette Malherbe.
L'OISEAU BLEU
ACTE PREMIER
PREMIER TABLEAU
LA CABANE DU BUCHERON
Le théâtre ^représente l'intérieur d'une cabane de
bûcheron, simple, rustique, mais non point misérable.
— - Cheminée à manteau où s'assoupit un feu de bûches.
— Ustensiles de cuisine, armoire, huche, horloge à poids,
rouet, fontaine, etc. — Sur une table, une lampe allu-
mée. — Au pied de l'armoire, de chaque côté de celle-ci,
endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et
une Chatte. — Entre eux deux, un grand pain de sucre
blanc et bleu. — Accrochée au mur, une cage ronde ren-
lermant une tourterelle. — Au fond, deux fenêtres dont
les volets intérieurs sont fermés. — Sous l'une des
fenêtres, un escabeau. — A gauche, la porte d'entrée de
la maison, munie d'un gros loquet. — A droite, une
lutre porte. — Échelle menant à un grenier. — Égale-
1
2 L'OISEAU BLEU
ment à droite, deux petits lits d'enfant, au chevet des-
quels, sur deux chaises, des vêtements se trouvent soi-
gneusement plies.
(Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément endor-
mis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une dernière
fois, se penche sur eux, contemple un moment leur sommeil,
et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête dans l'entre-
bâillement de la porte. La Mère Tyl met un doigt sur les
lèvres pour lui commander le silence, puis sort à droite sur
la pointe des pieds, après avoir éteint la lampe. La scène reste
obscure un instant, puis une lumière dont l'intensité aug-
mente peu à peu filtre par les lames des volets. La lampe sur
la table se'rallume d'elle-même. Les deux enfants semblent
s'éveiller et se mettent sur leur séant.)
TYLTYL
Mytyl?
Tyltyl?
Tu dors?
Et toi?...
TYLTYL
Mais non, je dors pas puisque je te parle...
MYTYL
TYLTYL
MYTYL
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU 3
MYTYL
C'est Noël, dis?...
TYLTYL
Pas encore; c'est demain. Mais le petit Noël
n'apportera rien cette année...
MYTYL
Pourquoi?...
TYLTYL
J'ai entendu maman qui disait qu'elle n'avait
pu aller à la ville pour le prévenir... Mais il
viendra l'année prochaine...
MYTYL
C'est long, l'année prochaine?...
TYLTYL
Ce n'est pas trop court... Mais il vient cette
nuit chez les enfants riches...
MYTYL
Ah?...
TYLTYL
Tiens!... Maman a oublié la lampe!... J'oi une
idée?...
LOISEAU BLEU
MYTYL
TYLÏYL
Nous allons nous lever...
MYTYL
C'est défendu...
TYLTYL
Puisqu'il n'y a personne... Tu vois lesvolets?...
MYTYL
Oh! qu'ils sont clairs!...
TYLTYL
C'est les lumières de la fête.
MYTYL
Quelle fête?
TYLTYL
En face, chez les petits riches. C'est l'arbre
de Noël. Nous allons les ouvrir...
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU
MYTYL
Est-ce qu'on peut?
TYLTYL
Bien sûr, puisqu'on est seuls... Tu entends la
musique?... Levons-nous...
Les deux enfants se lèvent, courent à l'une des fenêtres,,
montent sur l'esrabean el poussent les volets. Une vive
clarté prnètrc dans la pièce. Les enfants regardent
avidement au dehors.
TYLTYL
On voit tout!...
MYTYL, qui ne trouve qu'une place précaire sur l'escabeau.
Je vois pas...
TYLTYL
Il neige!... Voilà deux voitures à six che-
vaux!... '
MYTYL
Il en sort douze petits garçons!...
L'OISEAU BLEU
TYLTYL
T'es bête!... C'est des petites filles...
MYTYL
Ils ont des pantalons...
TYLTYL
Tu t'y connais... Ne me pousse pas ainsi!
MYTYL
Je t'ai pas touché.
TYLTYL, qui occupe à lui seul tout l'escabeau.
Tu prends toute la place...
AIYTY'L
Mais j'ai pas du tout de place !...
TYLTYL
Tais-toi donc, on voit l'arbiv!...
MYTYL
Quel arbre?...
ACTE PllEMIEH, PIlEiMIER TABLEAU 7
TYLTYL
Mais Tarbrede Noël!... Tu regardes le mur!...
MYTYL
Je regarde le mur parce qu'y a pas de place...
TYLTYL, lui cédant une petite place avare sur l'escabeau.
Là!... En as-tu assez?... G'est-y pas la meil-
leure?... Il y en a des lumières ! Il y en a!.. .
MYTYL
Qu'est-ce qu'ils font donc ceux qui font tant
de bruit?...
TYLTYL
Ils font de la musique.
MYTYL
Est-ce qu'ils sont fâchés?...
TYLTYL
Non, mais c'est fatigant.
^ L'UlbEAU -BLEU
MYTYL
Encore une voiture attelée de chevauxblancsl...
TYLTYL
Tais-toi!... Regarde donc!...
MYTYL
Qu'est-ce qui pend là. en or, après les bran-
ches?...
TYLTYL
Mais les jouets, pardi!... Des sabres, des fusils,
des soldats, des canons...
MYTYL
Et des poupées, dis, est-ce qu'on en a mis?...
TYLTYL
Des poupées?... C'est trop bête; ça ne les
amuse pas...
MYTYL
Et autour de la table, qu'est-ce^^que c'est tout
ça?...
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU !*
TYLTYL
C'est des gâteaux, des fruits, des tartes à la
crème...
MYTYL
J'en ai mangé une fois, lorsque j'étais petite...
TYLTYL
Moi aussi; c'est meilleur que le pain, mais on
en a trop peu...
MYTYL
Ils n'en ont pas trop peu... Il y en a plein la
table... Est-ce qu'ils vont les manger?...
TYLTYL
Bien sûr; qu'en feraient-ils?...
MYTYL
Pourquoi qu'ils ne les mangent pas tout de
suite?...
TYLTYL
Parce qu'ils n'ont pas faim...
10 L'OISEAU BLEU
MYTYL, stupéfaite.
Ils n'ont pas faim?... Pourquoi?...
TYLTYL
C'est qu'ils mangent quand ils veulent...
MYTYL, incrédule.
Tous les jours?...
TYLTYL
On le dit...
MYTYL
Est-ce qu'ils mangeront tout?... Est-ce qu'ils
en donneront?...
TYLTYL
A qui?...
MYTYL
A nous...
TYLTYL
Ils ne nous connaissent pas...
ACTE PREiMIER, PREMIER TABLEAU il
MYTYL
Si on leur demandait?...
TYLTYL
Cela ne se fait pas.
MYTYL
Pourquoi?...
TYLTYL
Parce que c'est défendu.
MYTYL, battant des mains.
Oh! qu'ils sont donc jolis!...
TYLTYL, enthousiasme.
Et ils rient et ils rient!...
MYTYL
Et les petits qui dansent!...
TYLTYL
Oui, oui, dansons aussi!...
Ils trépignent de joie sur lescabeau.
1-2 I/O I SEAU BLEU
MYTYL
Oh! que c'est amusant!...
TYLTYL
On leur donne les gâteaux!... Ils peuvent y
toucher!... Ils mangent! ils mangent! ils man-
gent!...
MYTYL
Les plus petits aussi!... Ils en ont deux, trois,
quatre!...
TYLTYL, ivre de joie.
Oh! c'est bon!... Que c'est bon! que c'est
l)on!...
MYTYL, comptant des gâteaux imaginaires.
Moi, j'en ai reçu douze!...
TYLTYL
Et moi quatre fois douze!... Mais je t'en
donnerai...
On frappe à la porte de la [cabane.
ACTE PREMIER, PREMIER TARLEAU 13
TYLTYL, subitement calmé et efl'rayé.
Qu'est-ce que c'est?...
MYTYL, épouvantée.
C'est papa!...
Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se
soulever de lui-même, en grinçant; la porte s'entre-
bâille pour livrer passage à une petite vieille habillée
de vert et coiffée d'un chaperon rouge. Elle est bos-
sue, boiteuse, borgne; le nez et le menlon se rencon-
trent, et elle marche courbée sur un bàlon. Il n'est
pas douteux que ce ne soit une fée.
LA FÉE
Avez-vous ici l'herbe qui chante ou l'oiseau
qui est bleu?...
TYLTYL
Nous avons de l'herbe, mais elle ne chante
pas...
MYTYL
Tyltyl a un oiseau.
TYLTYL
\ Mais je ne peux pas le donner.-,
U L'OISMU BLEU
LA FÉE
Pourquoi?...
TYLTYL
Parce qu'il est à moi.
LA FÉE
C'est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oi-
seau?...
TYLTYL, montrant la cagjç.
Dans la cage...
LA FEE, mettant SCS besicles pour examiner l'oiseau.
Je n'en veux pas; il n'est pas assez bleu. Il
faudra que vous m'alliez chercher celui dont
j'ai besoin.
TYLTYL
Mais je ne sais pas où il est...
LA FÉE
Moi non plus. C'est pourquoi il faut le cher-
cher. Je puis à la rigueur me passer de l'herbe
ACTE PREMIER, PREMIER TARLEAU
qai chante; mais il me faut absolument l'Oiseau
Bleu. C'est pour ma petite fille qui est très ma-
lade.
TYLTYL
Qu'est-ce qu'elle a?.,.
LA FÉE
On ne sait pas au juste ; elle voudrait être
heureuse...
TYLTYL
Ah?...
LA FÉE
Savez-vous qui je suis?...
TYLTYL
Vous ressemblez un peu à notre voisine, Ma-
dame Berlingot...
LA FÉE, se fâchant subitement.
En aucune façon... Il n'y a aucun rapport...
C'est abominable!... Je suis la Fée Bérylune...
J(i L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Ah! très bien...
LA FÉE
Il faudra partir tout de suite.
TYLTYL
Vous viendrez avec nous?...
LA FÉE
C'est absolument impossible à cause du pot-
au-feu que j'ai mis ce matin et qui s'empresse
de déborder chaque fois que je m'absente plus
d'une heure... (Montrant successivement le plafond, la che-
minée et la fenêtre.) Voulez-vous sortir par ici, par
là ou par là?...
TYLTYL, montrant timidement la porte.
J'aimerais mieux sortir par là...
LA FÉE, se fâchant encore subitement.
C'est absolument impossible, et c'est une ha-
bitude révoltante!... (indiquant la fenêtre.) NoUS SOr-
ACTE PREMIER, PREMIER TARLEAU 17
tirons par là... Eh bien!,.. Qii'attendez-vous?...
Habillez-vous tout de suite... (Les enfants obéissent
et s'habillent rapidement.) Je vais aider Mytyl...
TYLTYL
Nous n'avons pas de souliers...
LA FÉE
Ça n'a pas d'importance. Je vais vous donner
un petit chapeau merveilleux. Où sont donc
vos parents?...
TYLTYL, montrant la porte à droite.
Ils sont là; ils dorment...
LA FÉE
Et votre bon-papa et votre bonne-maman?...
TYLTYL
Ils sont morts...
LA FÉE
Et vos petits frères et vos petites sœurs...
Vous en avez?...
9
i8 L'OISEAU BLEi;
TYLTYL
Oui, oui; trois petits frères...
MYTYL
Et quatre petites sœurs...
LA FÉE
Où sont-ils?...
TYLTYL
Ils sont morts aussi...
LA FÉE
Voulez-vous les revoir?...
TYLTYL
Oh oui!... Tout de suite!... Montrez-les!...
LA FÉE
Je ne les ai pas dans ma poche... Mais ça
tombe à merveille; vous les reverrez en passant
par le pays du Souvenir. C'est sur la route de
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU 19
rOiseau-Bleu. Tout de suite à gauche, après le
troisième carrefour. — Que faisiez-vous quand
j'ai frappé?.,.
TYLTYL
Nous jouions à manger des gâteaux.
LA FÉE
Vous avez des gâteaux?... Où sont-ils?
TYLTYL
Dans le palais des enfants riches.... Venez
voir, c'est si beau!...
11 entraîne la Fée vers la fenêtre.
LA FÉE, à la fenêtre.
Mais ce sont les autres qui les mangent!...
TYLTYL
Oui; mais puisqu'on voit tout...
LA FÉE
Tu ne leur en veux pas?...
20 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Pourquoi?...
LA FÉE
Parce qu'ils mangent tout. Je trouve qu'ils
ont grand tort de ne pas t'en donner...
TYLTYL
Mais non, puisqu'ils sont riches... Hein? que
c'est beau chez eux!...
LA FÉE
Ce n'est pas plus beau que chez toi.
TYLTYL
Heu!... Chez nous c'est plus noir, plus petit,
sans gâteaux...
LA FÉE
C'est absolument la même chose; c'est que
tu n'y vois pas...
TYLTYL
Mais si, j'y vois très bien, et j'ai de très bons
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU 21
yeux. Je lis Theure au cadran de l'église que
papa ne voit pas...
LÀ FEE, se fâchant subitement.
Je te dis que tu n'y vois pas!... Gomment
donc me vois-tu?... Comment donc suis-je
faite ?... (Silence gêné de Tyiiyi.) Eh bien, répon-
dras-tu? que je sache si tu vois?... Suis-je belle
ou bien laide?... (Silence de plus en plus embarrasse.)
Tu ne veux pas "répondre?... Suis-je jeune ou
bien veille?... Suis-je rose ou bien jaune?... j'ai
peut-être une bosse?...
TYLTYL, conciliant.
Non, non, elle n'est pas grande...
LA FÉE
Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme...
Ai-je le nez crochu et l'œil gauche crevé?...
TYLTYL
Non, non. je ne dis pas... Qui est-ce qui l'a
crevé?...
22 L'OISEAU BLEU
LA FEE, de plus en plus irritée.'
Mais il n'est pas crevé!... Insolent! misé-
rable!... Il est plus beau que l'autre; il est plus
grand, plus clair, il est bleu comme le ciel...
Et mes cheveux, vois-tu?... Ils sont blonds
comme les blés... on dirait de l'or vierge!... Et
j'en ai tant et tant que la tête me pèse... Ils
s'échappent de partout... Les vois-tu sur mes
mains?...
Elle élalc deux maigres mèches de cheveux gris.
TYLTYL
Oui, j'en vois quelques-uns...
LA FÉE, indignée.
Quelques-uns!... Des gerbes! des brassées!
des touffes! des flots d'or!... Je sais bien que
des gens disent qu'ils n'en voient point; mais
tu n'es pas de ces méchantes gens aveugles, je
suppose?... —
TYLTYL
Non, non, je vois très bien ceux qui ne se
cachent point...
ACTE PREMIKR, PUEiMIER TAlîLEAL 2:5
LA. FÉE
Mais il faut voir les autres avec la même au-
dace!... C'est bien curieux, les hommes... Depuis
la mort des fées, ils n'y voient plus du tout et ne
s'en doutent point... Heureusement que j'ai
toujours sur moi tout ce qu'il faut pour rallu-
mer les yeux éteints... Qu'est-ce que je tire de
mon sac?...
TYLTYL
Oh! le joli petit chapeau vert!... Qu'est-ce
qui brille ainsi sur la cocarde?...
LA FÉE
C'est le gros Diamant qui fait voir...
TYLTYL
Ah!...
LA FÉE
Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on
tourne un peu le Diamant : de droite à gauche,
par exemple, tiens, comme ceci, vois-tu?... Il
appuie alors sur une bosse de la tête que per-
sonne ne connaît, et qui ouvre les yeux...
-24 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Ça ne fait pas de mal?...
LA FÉE
Au contraire, il est fée... On voit à l'instant
même ce qu'il y a dans les choses ; Tàme du pain,
du vin, du poivre, par exemple...
MYTYL
Est-ce qu'on voit aussi l'âme du sucre?...
LA FÉE, subitement fâchée.
Cela va sans dire!... Je n'aime pas les ques-
tions inutiles... L'âme du sucre n'est pas plus in-
téressante que celle du poivre... Voilà, je vous
donne ce que j'ai pour vous aider dans la re-
cherche de l'Oiseau-Bleu... Je sais bien que
r.^nneau-qui-rend-invisible ou le Tapis-Volant
vous seraient plus utiles... Mais j'ai perdu la
clef de l'armoire où je les ai serrés... Ah! j'allais
oublier... (Montrant le Diamant.) Quand OU Ic tient
ainsi, tu vois... un petit tour de plus, on revoit
le Passé... Encore un petit tour, et l'on voit
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU 25
l'Avenir... C'est curieux et pratique et ça ne fait
pas de bruit...
TYLTYL
Papa me le prendra...
LA FÉE
Il ne le verra pas; personne ne peut le voir
tant qu'il est sur ta tête... Veux-tu l'essayer?...
(Klle coiffe Tytlyl du petit chapeau vert.) A présent,
tourne le Diamant... Un tour et puis après...
A peine Tyllyl a-t-il tourné le Diamant, qu'un changc-
meut soudain et prodigieux s'opère en toutes choses.
La vieille fée est tout à coup une belle princesse mer-
veillnusp; les cailloux dont sont bâtis les murs de la
cabane s'illuminent, bleuissent comme des saphirs,
deviennent transparents, scintilh^nt, éblouissent à l'égal
des pierres les plus précieuses. Le pauvre mobilier
s'anime et resplendit; la tible de bais blanc s'affirme
aussi grave, aussi noble qu'une table de marbre, le
cadran de l'horloge cligne de l'œil et sourit avec auié-
nité, tandis que la porte derrière quoi va nt vient le
balancier s'entr'ouvre et laisse s'échapper les Heures,
qui, se tenant les mains et riant aux éclats, se mettent
à danser aux sons d'une musique délicieuse. Effare-
ment légitime de Tyltyl qui s'écrie en montrant les
Heures.
TYLTYL
Qu'est-ce que c'est que toutes ces belles
dames?...
-2ô L'OISEAU BLEU
LA FÉE
N'aie pas peur; ce sont les heures de ta vie
qui sont heureuses d'être libres et visibles un
instant...
TYLTYL
Et pourquoi que les murs sont si clairs?...
Est-ce qu'ils sont en sucre ou en pierres pré-
cieuses?...
LA FÉE
Toutes les pierres sont pareilles, toutes les
pierres sont précieuses : mais l'homme n'en
voit que quelques-unes...
l'enilaiil nuMIs parlent ainsi, la l'écrii! continue et se
com|tièlc. Los Times des Pains-ile-qu:itio-livres, sons
la fiMinc di' bon^liiimmcs en miillnts couleur eroûte-
(lc-|iatn, aliiiiis el (louiirés df farine, se di'iiêtrent de
la liiiclic cl gnmbad nt autour de la talilc où ils son*
rejnints par le Kcu, q li, sorti de l'àtro en maillot
stutlre et vermillon, les poursuit en se tordant de
riic.
TYLTYL
Qu'est-ce que c'est que ces vilains bons-
hommes?...
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU 27
LA FÉE
Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-
quatre- livres qui profitent du règne de la vérité
pour sortir de la huche où elles se trouvaient
à l'étroit...
TYLTYL
Et le grand diable rouge qui sent mauvais?...
LA FÉE
Chut!... Ne parle pas trop haut, c'est le
Feu... Il a mauvais caractère.
Ce fiialogue n'a pas intenompu la féerie. Le Chien el la
Clialte, coiuhés en rond au pied de l'armoite, poiis«ant
simiilUmémonl un grand cii, disparai-îsenl dans une
trappp, et à leur plac-' surgissent deux persimnages,
dont l'un porte un masque de bnuledogue, el l'autre
une tête de challe. Aussitôt, le petit homme an m isque
de boiiledogue — que noos ;ippellerons doi-énaviuit le
Chien — se précipite sur Tjllyl qu'il embr;isse violem-
ment et accable de bruyantes et impétueust^s caresses,
cepcndmt que la petilu fomme au masque dt^ chatte
— que nous appellerons dus simplemiMit la (ihalte — se
donne un coup de peigne, se lave les mains et se
lisse la moustachi% avant de s'approcher de Mytyl.
LE CHIEN, hurlant, sautant, bousculant tout,
insupportable. ■
Mon petit dieu!... Bonjour! bonjour, mon
28 L'OISEAU BLEU
petit dieu !... Enfin, enfin, on peut parler! J'avais
tant de choses à te dire!... J'avais beau aboyer
et remuer la queue!... Tu ne comprenais pas!...
Mais maintenant!... Bonjour! bonjour!... Je
t'aime!... Je t'aime!... Veux-tu que je fasse
quelque chose d'étonnant?... Veux-tu que je
fasse le beau?... Veux-tu que je marche sur les
mains ou que je danse à la corde?...
TYLTYL, à la Fée.
Qu'est-ce que c'est que ce monsieur à tête de
chien?...
LA FÉE
Mais tu ne vois donc pas?... C'est l'âme de
Tylô que tu as délivrée...
LA CHATTE, s'approcliant de Mytyl et lui tendant la main,
cérémunieusenient, avec circonspection.
Bonjour, Mademoiselle... Que vous êtes jolie
ce matin!...
MYTYL
Bonjour. Madame... (A la Fée.) Qui est-ce?...
ACTE PREMIER, PREMIER TARLEAU 29
LA FÉE
C'est facile à voir; c'est l'âme de Tylette qui
te tend la main... Embrasse-la...
LE CHIEN, bousculant la Chatte.
Moi aussi!... J'embrasse le petit dieu!...
J'embrasse la petite fille!... J'embrasse tout le
monde!... Chic!... On va s'amuser!... Je vais
faire peur à Tylette!... Hou! hou! hou!...
LA CHATTE
Monsieur, je ne vous connais pas...
LA FEE, menaçant le Chien de sa baguette.
Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon
tu rentreras dans le silence, jusqu'à la fin
des temps...
Cependant, la féerie a poursuivi son cours : le Rouet
s'est mis à tourner vertigineusement dans son coin en
filant de splcndides rayons de lumière; la Fonl:iin<'.
dans l'autre angle, se prend à chanter d'une voix sur-
aiguë et, se transformant en fontaine lumineuse,
inonde l'évier de nappes de perles et d'émerauiles,
à travers lesquelles s'élance l'âme de l'Eau, pareille
à une jeune fille ruisselante, échevelée, pleurarde, qui
va incontinent se battre avec le Feu.
30 L'OISEAU I5LEU
TYLTYL
Et la dame mouillée?...
LA FÉE
N'aie pas peur, c'est l'Eau qui sort du ro-
})inet...
Le Pot-a)i-lait se renverse, tombe de la table, se brise
sur le sol; et du lait répandu s'élève une grande forme
blanche et pudibonde qui semble avoir peur de tout.
TYLTYL
Et la dame en chemise qui a peur?...
LA FÉE
C'est le Lait qui a cassé son pot...
Le Pain-de-sucre posé au pied de l'armoire grandit,
s'élargit et crève son enveloppe de papier d'où émerge
un être doucereux et papelard, vêtu d'une souque -
nille mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béa-
tement, s'avance vers Mvtji.
MYTYL, avec inquiétulc.
Que veut-il?...
LA FÉE
-Mais c'est l'âme du Sucre!...
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU 31
MYTYL, rassurée.
Est-ce qu'il a des sucres d'orge?...
LA FÉE
Mais il n'a que ça dans ses poches, et chacun
de ses doigts en est un...
La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa
flamme se redresse et se transforme en une lumineuse
vierge d'une incomparable beauté. Elle est vêtue de
longs voiles transparents et éblouissants, et se tient
immobile en une sorte d'extase.
TYLTYL
C'est la Reine!
MYTYL
C'est la Sainte Vierge!...
LA FÉE
Non, mes enfants, c'est la Lumière...
Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme
des toupies hollandaises, l'armoire à linge claque ses
battants et commence un magnifique déroulement
d'étoffes couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent,
non moins splendides, des chiffons et des guenilles qui
descendent l'échelle du grenier. Mais voici que trois
coups assez rudes sont frappés à la porte de droite.
?d L'OISEAU BLEU
TYLTYL, cffray.é.
C'est papa!... Il nous a entendus!...
LA FÉE
Tourne le Diamant!... De gauche à droite!...
(TvUyl tourne vivement le iliamaiit.) PaS si vite!... Mon
Dieu! Il est trop tard!... Tu l'as tourné trop
brusquement. Ils n'auront pas le temps de re-
prendre leur place, et nous aurons bien des en-
nuis... (La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane
éteignent leurs sjilendeurs, les Heures rentrent dans l'horloge,
le Rouet s'arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général-
tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à 1.»
recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui
n'a pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout ci5
poussant des rugissements d'épouvante.) Qu y a-t-il?...
LE PAIN, tout en larmes.
Il n'y a plus de place dans la huche!...
LA FEE, se penchant sur la huche.
Mais si. mais si... (Poussant les autres pains qui onl
repris leur place primitive.) VoyonS, vite, rangez-VOUS...
On iicurtc encore à la porte.
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU 3;;
LE PAIiS, éperdu, s'eftorçanl vainemeul d'entrer
dans la liuclic.
Il n'y a pas moyen!... Il me m^angera le pre-
mier!...
LE CHIEN, gambadant autour de Tyltyl.
Mon petit dieu!... Je suis encore ici!... Je puis
encore parler! Je puis encore l'embrasser!...
Encore! encore! encore!...
LA FÉE
Gomment, toi aussi?... Tu es encore là?...
LE CHIEN
J'ai de la veine... Je n'ai pas pu rentrer dans
le silence; la trappe s'est refermée trop vite...
LA CHATTE
La mienne aussi... Que va-t-il arriver?...
Est-ce que c'est dangereux?
31 LOISEAU BLEU
LA FÉE
Mon Dieu, je dois vous dire la vérité : tous
ceux qui accompagneront les deux enfants,
îiiourront à la fin du voyage...
LA CHATTE
Et ceux qui ne les accompagneront pas?...
LA FÉE
Ils survivront quelques minutes...
LA CHATTE, au Chien.
Viens, rentrons dans la trappe...
LE CHIEN
Non, non!... Je ne veuxpas!... Je veux accom-
pagner le petit dieu!... Je veux lui parler tout
le temps!...
LA CHATTE
Imbécile!...
On liL'urte encore à la porle.
ACTE PREMIER, PREMIER TABLEAU l
LE PAIN, pleurant à chaudes larmes.
Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!.
Je veux rentrer tout de suite dans ma huche!.
LE FEU, qui n'a cessé de parcourir vertigineusement
la pièce en poussant des sifflements d'angoisse.
Je ne trouve plus ma cheminée!...
L EAU, qui tente vainement de rentrer dans le robinet.
Je ne peux plus rentrer dans le robinet!...
LE SUCRE, qui s'agite autour de sou enveloppe de papi'.-r.
J'ai crevé mon papier d'emballage!...
LE LAIT, Ijmpliatiquc et pudibond.
On a cassé mon petit pot !...
LA FÉE
Sont-ils bêtes, mon Dieu!... Sont-ils bêtes et
poltrons!... Vous aimeriez donc mieux continuer
de vivre dans vos vilaines boites, dans vos
trappes et dans vos robinets que d'accompagner
les enfants qui vont chercher l'Oiseau?...
•'56 L'OISEAU BLEU
TOUS, à rexception du Chien et de la Lumière.
Oui! oui! Tout de suite!... Mon robinet!... Ma
huche!... .Ma cheminée!... Ma trappe!...
LA FEE, à la Lumière iiui regarde rêveusement
les débris de sa lampe.
Et toi, la Lumière, qu'en dis-tu?...
LA LUMIÈRE
J'accompagnerai les enfants...
LE CHIEN, hurlant de joie.
Moi aussi! moi aussi!...
LA FÉE
Voilà qui est des mieux. Du reste, il estjtrop
lard pour reculer; vous n'avez plus le choix,
vous sortirez tous avec nous... Mais toi, le Feu,
ne t'approche de personne, toi, le Chien, ne ta-
quine pas la Chatte, et toi, l'Eau, tiens-toi droite
et tâche de ne pas couler partout...
Des coups violents sont oncorc frap;)éi ù la porte de
droite.
ACTE PREMIER, PREMIER TARLEAU 37
TYLTYL, (■coûtant.
C'est encore papa!... Cette fois, il se lève, je
l'entends marcher...
LA FÉE
Sortons par la fenêtre... Vous viendrez tous
chez moi, où j'habillerai convenablement les
animaux et les phénomènes... (Au Pain.) Toi, le
Pain, prends la cage dans laquelle on mettra
l'Oiseau-Bleu... Tu en auras la garde... Vite, vite,
ne perdons pas de temps...
La fenêtre s'allonge brusquement, comme une porte. Ils
sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme
primitive et se referme innocemment. La chambre est
redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés
dans l'ombre. La porte à droite s'entr'ouvre, et dans
l'entrebâillement paraissent les têtes du père et de la
mère Tyl.
LE PÈRE TYL
.Ce n'était rien... C'est le grillon qui chante...
LA MÈRE TYL
Tu les vois?...
38 L'OISEAU BLEU
LE PÈRE TYL
Bien sûr... Ils dorment tranquillement.
LA MÈRE ÏYL
Je les entends respirer...
La ooi'te se reforme.
RIDEAU
ACTE DEUXIÈME
DEUXIÈME TABLEAU
CHEZ LA FÉE
Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée
Bérylune. Colonnes de marbre clair à chapiteaux d'or et
"d'argent, escaliers, portiques, balustrades, etc.
Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la Chatte, le
Sucre et le Feu. Ils sortent d'un appartement d'où émanent
des rayons de lumière; c'est la garde-robe de la Fée. La
Ciiatte a jeté une gaze légère sur son maillot de soie noire,
le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de blanc et de
bleu tendre, et le Feu, coifte d'aigrettes multicolores, un long
manteau cramoisi doublé d'or. Ils traversent toute la salle et
descendent au premier plan, à droite, où la Chatte les réunit
sous un portir|ue.
LA CHATTE
Par ici. Je connais tous les détours de ce pa-
lais... La Fée Bérylune Ta hérité de Barbe-
40 L'OISEAU BLEU
Bleue... Pendant que les enfants et la Lumière
rendent visite à la petite fille de la Fée, profi-
tons de notre dernière minute de liberté... Je
vous ai fait venir ici, afin de vous entretenir
de la situation qui nous est faite... Sommes-
nous tous présents?...
LE SUCRE
Voici le Chien qui sort de la garde-robe de la
Fée...
LE FEU
Gomment diable s'est-il habillé?...
LA CHATTE
Il a pris la livrée d'un des laquais du carrosse
de Gendrillon... C'est bien ce qu'il lui fallait...
Il a une âme de valet... Mais dissimulons-nous
derrière la balustrade... Je m'en méfie étrange-
ment... Il vaudrait mieux qu'il n'entende pas
ce que j'ai à vous dire...
LE SUCRE
C'est inutile... Il nous a éventés... Tiens, voilà
ACTE DEUXIEME, DEUXIÈiME TABLEAU 41
TEau qui sort en même tepips de la garde-robe...
Dieu! qu'elle est belle!...
Le Chien et l'Eau rejoignent le premier groupe.
LE CHIEN, gambadant.
Voilà! voilà!... Sommes-nous beaux! Regar-
dez donc ces dentelles, et puis ces broderies!...
C'est de For et du vrai!...
LA CHATTE, ù l'Eau.
C'est la robe « couleur-du-temps » de Peau-
d'Ane?... Il me semble que je la connais...
l'eau
Oui, c'est encore ce qui m'allait le mieux...
LE FEU, entre les dents.
Elle n'a pas son parapluie...
l'eau
Vous dites?...
LE VEV
Rien, rien...
L'OISEAL BLEU
L EAU
Je croyais que vous parliez d'un gros nez
rouge que j'ai vu l'autre jour...
LA CHATTE
Voyons, ne nous querellons pas, nous avons
mieux à faire... Nous n'attendons plus que le
Pain : où est -il?...
LE CHIEN
Il n'en finissait pas de faire de l'embarras pour
choisir son costume...
LE FEU
C'est bien la peine, quand on a l'air idiot et
qu'on porte un gros ventre...
LE CHIEN
Finalement, il s'est décidé pour une robe
turque, ornée de pierreries, un cimeterre et un
turban...
ACTE DEUXIÈME, DEUXIEME TABLEAU 43
LA CHATTE
Le voilà!... Il a mis la plus belle robe de
Barbe-Bleue...
Entre le Pain, dans le costume qu'on vient de décrire.
La robe de soie est péniblement croisée sur son énorme
ventre. Il tient d'une main la garde du cimeterre passé
dans sa ceinture et de l'autre la cage destinée à l'Oi-
seau-Bleu.
LE PAIN, se dandidant vaniteusement.
Eh bien?... Comment me trouvez-vous?...
LE CHIEN, gambadant autour du Pain.
Qu'il est beau ! qu'il est bête ! qu'il est beau !
qu'il est beau!...
LA CHATTE, au Pain.
Les enfants sont-ils habillés?...
LE PAIN
Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge,
les bas blancs et la culotte bleue du Petit-Pou-
cet ; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a la robe
44 I/OISEAU BLEU
de Grethel et les pantoufles de Cendrillon...
Mais la grande affaire, c'a été d'habiller la Lu-
mière!...
LA CHATTE
Pourquoi?...
LE PAIN
La Fée la trouvait si belle qu'elle ne voulait
pas rhabiller du tout!... Alors j'ai protesté au
nom de notre dignité d'éléments essentiels et
éminemment respectables; et j'ai fini par décla-
rer que, dans ces conditions, je refusais de sor-
tir avec elle...
LE FEU
Il fallait lui acheter un abat-jour!...
LA CHATTE
Et la Fée, qu'a-t-elle répondu?...
LE PAIN
Elle m'a donné quelques coups de bâton sur
la tête et le ventre...
ACTE DEUXIÈME, DEUXIÈME TABLEAU 45
LA CHATTE
Et alors?...
LE PAIN
Je fus promptement convaincu, mais au der-
nier moment, la Lumière s'est décidée pour la
robe « couleur-de-lune » qui se trouvait au fond
du coffre aux trésors de Peau-d'Ane...
LA CHATTE
Voyons, c'est assez bavardé, le temps presse...
Il s'agit de notre avenir... Vous l'avez entendu,
la Fée vient de le dire, la fin de ce voyage mar-
quera en même temps la fin de notre vie... Il
s'agit donc de le prolonger autant que possible
et par tous les moyens possibles... Mais il y a
encore autre choses il faut que nous pensions
au sort de notre race et à la destinée de nos
enfants...
LE PAIN
Bravo! bravo!... La Chatte a raison!...
LA CHATTE
Écoutez-moi... Nous tous ici présents, ani-
46 L'OISEAU BLEU
maux, choses et éléments, nous possédons une
âme que l'homme ne connaît pas encore. C'est
pourquoi nous- gardons un reste d'indépen-
dance; mais, s'il trouve l'Oiseau-Bleu, il saura
tout, il verra tout, et nous serons complètement
à sa merci... C'est ce que vient de m'apprendre
ma vieille amie la Nuit, qui est en même
temps la gardienne des mystères de la Vie... JI
est donc de notre intérêt d'empêcher à tout prix
qu'on ne trouve cet oiseau, fallût-il aller jusqu'à
mettre en péril la xie même des enfants...
. LE CHIEN, indigné.
Que dit-elle, celle-là?... Répète un peu que
j'entende bien ce que c'est?
LE PAIN
Silence!... Vous n'avez pas la parole!... Je
préside l'assemblée...
LE FEU
Qui vous a nommé président?...
l'eau, au Feu.
Silence!... De quoi vous mêlez- vous?...
ACTE DEUXIÈME, DEUXIÈME TABLEAU 47
LE FEU
Je me mêJe de ce qu'il faut... Je n'ai pas d'ob-
servations à recevoir de vous...
LE SUCRE, conciliant.
Permettez... Ne nous querellons point...
L'heure est grave... Il s'agit avant tout de s'en-
tendre sur les mesures à prendre...
LE PAIN
Je partage entièrement l'avis du Sucre et de
la Chatte...
LE CHIEN
C'est idiot!... Il y a l'Homme, voilà tout!...
Il faut lui obéir et faire tout ce qu'il veut!... Il
n'y a que ça de vrai... Je ne connais que lui!...
Vive l'Homme!... A la vie, à la mort, tout pour
l'Homme!... l'Homme est dieu!...
LE PAIN
Je partage entièrement l'avis du Chien.
LA CHATTE, au Cliien.
Mais on donne ses raisons...
L'OISEAU BLEU
LE CHIEN
Il n'y a pas de raisons!... J'aime l'Homme, ça
suffît!... Si vous faites quelque chose contre lui,
je vous étranglerai d'abord et j'irai tout lui
révéler...
LE SUCRE, inlervenant avec douceur.
Permettez... N'aigrissons pas la discussion...
D'un certain point de vue, vous avez raison,
l'un et l'autre... Il y a le pour et le contre...
LE PAIN
Je partage entièrement l'avis du Sucre!...
LA CHATTE
Est-ce que tous ici, l'Eau, le Feu, et vous-
mêmes le Pain et le Chien, nous ne sommes pas
victimes d'une tyrannie sans nom?... Rappelez-
vous le temps où, avant la venue du despote,
nous errions librement sur la face de la Terre...
l'Eau et le Feu étaient les seuls maîtres du
inonde; et voyez ce qu'ils sont devenus!...
Quant à nous, les chétifs descendants des grands
fauves... Attention!... N'ayons l'air de rien... Je
ACTE DEUXIEME, DEUXIÈME TABL
vois s'avancer la Fée et la Lumière..
s'est mise du parti de l'Homme; r'
ennemie... Les voici...
Entrent à droite, la Fée et la Lu
et de Mytyl.
LA FÉE
Eh bien?... Qu'est-ce qu
vous dans ce coin?... Vo
rer... Il est temps de s
viens de décider que la '
Vous lui obéirez tou!=-
lui confie ma bague
ce soir leurs gran
Vous ne les accon^
Ils passeront la
décédée... Pen
tout ce qu'il
sera longue
cun à son "
C'est
]a Fée
cieuse
voir ;
de m
a|«^t
L'OISEAU BLEU
LE CHIEN
'^... Attends un peu!...
la Chatte, mais Tylty), qui a prévenu son
Tête d'un geste menaçant.
TYLTYL
nds garde; et s'il t 'arrive
is pas, c'est elle qui...
çant.
'in. ce soir, re-
oossible que
^é, chez les
ne chance
Eh bien.
Fée...
tous,
ACTE DEUXIÈiAIE, TROISIÈME TABLEAU 59
GRAND 'm AMAN TYL
Tyltyl!... Mytyl!... C'est toi!... C'est elle!...
C'est eux!.., (S'efforçant de courir au-devant d'eux.) Je IlC
peux pas courir!... J'ai toujours mes rhuma-
tismes !
GRAND-PAPA TYL, accourant de mémo en clopinant.
Moi non plus... Rapport à ma jambe de bois
qui remplace toujours celle que j'ai cassée en
tombant du gros chêne...
Les grands-parents et les enfants s'embrassent follement.
GRAND'mAMAN TYL
Que tu es grandi et forci, mon Tyltyl!...
GRAND-PAPA TYL, caressant les cheveux de Mytyl.
Et Mytyl!... Regarde donc!... Les beaux che-
veux, les beaux yeux!... Et puis, ce qu'elle sent
bon!....
GRANd'mAMAN TYL
Embrassons-nous encore!... Vfinez sur mes
irriioux...
60 l/OISEAU BLEU
GRAND-PAPA TYL
Et moi, je n'aurai rien?...
GRAND'mAMAN TYL
Non, non... A moi d'abord... Comment vont
Papa et Maman Tyl?...
TYLTYL
Fort bien, bonne-maman... Ils dormaient
quand nous sommes sortis...
GRAND'mAMAN tyl, les contemplant et les accablant
de caresses.
Mon Dieu, qu'ils sont jolis et bien débar-
bouillés!... C'est maman qui t'a débarbouillé?...
Et tes bas ne sont pas troués!... C'est moi qui
les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous
pas nous voir plus souvent?... Cela nous fait
tant de plaisir!... Voilà des mois et des mois que
vous nous oubliez et que nous ne voyons plus
personne...
TYLTYL
Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et
c'est grâce à la Fée qu'aujourd'hui...
ACTE DEUXIÈME, TROISIÈME TABLEAU 61
grand'maman tyl
Nous sommes toujours làj à attendre une
petite visite de ceux qui vivent... Ils viennent si
rarement!... La dernière fois que vous êtes ve-
nus, voyons, c'était quand donc?... C'était à la
Toussaint, quand la cloche de l'église a tinté...
TYLTYL
A la Toussaint?... Nous ne sommes pas sortis
ce jour-là, car nous étions fort enrhumés...
grand'maman tyl
Non, mais vous avez pensé à nous...
TYLTYL
Oui...
grand'maman tyl
Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous,
nous nous réveillons et nous vous revoyons...
TYLTYL
Comment, il suffitque...
62 L'OISEAU BLEU
GRAND 'm AMAN TYL
Mais voyons, tu sais bien...
TYLTYL
Mais non, je ne sais pas...
GRAND'.AIAMAN TYL, à Granil-Papa Tyl.
C'est étonnant, là-haut... Ils ne savent pas
encore... Ils n'apprennent donc rien?...
GRAND -PAPA TYL
C'est comme de notre temps... Les Vivants
sont si bêtes quand ils parlent des Autres...
TYLTYL
Vous dormez tout le temps?...
GRAND-PAPA TYL
Oui, nous dormons pas mal, en attendant
qu'une pensée des Vivants nous réveille... Ah!
c'est bien bon de dormir, quand la vie est finie...
Mais il est agréable aussi de s'éveiller de temps
en temps...
ACTE DEUXIÈME, TROISIÈME TABLEAU G3
TYLTYL
Alors, vous n'êtes pas morts pour de vrai?...
GRAND-PAPA TYL, sursautant.
Que dis-tu?... Qu'est-ce qu'il dit?... Voilà
qu'il emploie des mots que nous ne compre-
nons plus... Est-ce que c'est un mot nouveau,
une invention nouvelle?...
TYLTYL
Le mot « mort »?...
GRAND-PAPA TYL
Oui; c'était ce mot-là... Qu'est-ce que ça veut
dire?...
TYLTYL
Mais ça veut dire qu'on ne vit plus...
GRAND-PAPA TYL
Sont-ils bêtes, là-haut!...
TYLTYL
Est-ce qu'on est bien ici?...
L'OISEAU BLEU
GRAND-PAPA TYL
Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l'on
priait encore...
TYLTYL
Papa m'a dit qu'il ne faut plus prier...
GRAND -PAPA TYL
Mais si, mais si... Prier c'est se souvenir...
GRAND 'm AMAN TYL
Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous ve-
niez nous voir plus souvent... Te rappelles-tu,
Tyltyl?... La dernière fois, j'avais fait une belle
tarte aux pommes... Tu en as mangé tant et
tant que tu t'es fait du mal...
TYLTYL
Mais je n'ai pas mangé de tarte aux pommes
depuis l'année dernière... Il n'y a pas eu de
pommes cette année...
GRAND'mAMAN TYL
Ne dis pas de bêtises... Ici il y en a toujours...
ACTE DEUXIÈiME, TROISIÈiMfc: TABLEAU 65
TYLTYL
Ce n'est pas la même chose...
GRAND 'm AMAN TYL
Comment? Ce n'est pas la même chose?...
Mais tout est la même chose puisqu'on peut
s'embrasser...
TYLTYL, regardant tour à tour son grand-père et sa grand'mère.
Tu n'as pas changé, bon-papa, pas du tout,
pas du tout... Et bonne-maman non plus n'a
pas changé du tout... Mais vous êtes plus beaux...
GRAND -PAPA TYL
Eh! ça ne va pas mal... Nous ne vieillissons
plus... Mais vous, grandissez-vous!... Ah! oui,
vous poussez ferme!... Tenez, là, sur la porte,
on voit encore la marque de la dernière fois...
C'était à la Toussaint... Voyons, tiens-toi bien
droit... (Tvltj'l se dresse contre la porte.) Quatre
doigts!... C'est énorme!... (Mytyl sn dresse également
contre la porte.) Et Mytyl, quatre et demi!... Ah,
ah! la mauvaise graine!... Ce que ça pousse, ce
que ça pousse!...
6.
66 L'OISEAU BLEU
TYLTYL, regardant autour de soi avec ravissement.
Gomme tout est bien de même, comme tout
est à sa place!... Mais comme tout est plus
beau!... Voilà l'horloge avec la grande aiguillé
dont j'ai cassé la pointe....
GRAND-PAPA TYL
Et voici la soupière que tu as écornée...
TYLTYL
Et voilà le trou que j'ai fait à la porte, le jour
que j'ai trouvé le vilebrequin...
GRAND-PAPA TYL
Ah oui, tu en as fait des dégâts!... Et voici le
prunier où tu aimais tant grimper quand je
n'étais pas là... Il a toujours ses belles prunes
rouges...
TYLTYL
Mais elles sont bien plus belles!...
M Y TYL
Et voici le vieux merle!... Est-ce qu'il chante
encore?...
Le merle se réveille et se met à chanter à tue-tèle.
ACTE DEUXIÈME, TROISIÈME TABLEAU 67
grand'maman tyl
Tu vois bien... Dès que l'on pense à lui...
TYLTYL, remarquant av«c stupéfaction que le merle
est parfaitement bleu.
Mais il est bleu!... Mais c'est lui, l'Oiseau-
Bleu que je dois rapporter à la Fée!... Et vous
ne disiez pas que vous l'aviez ici! Oh! qu'il est
bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre bleu !...
(Suppliant.) Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous
me le donner?...
GRAND -PAPA TYL
Bien oui, peut-être bien... Qu'en penses-tu,
maman Tyl?...
grand'maman tyl
Bien sûr, bien sûr... A quoi qu'il sert ici... Il
ne fait que dormir... On ne l'entend jamais...
TYLTYL
Je vais le mettre dans ma cage... Tiens, où
est-elle, ma cage?... Ah! c'est vrai, je l'ai oubliée
derrière le gros arbre... (il court à l'arbre, rapporte la
cage et y enferme le merle.) AlorS, Vrai, VOUS me le
68 L'OISEAU BLEU
donnez pour de vrai?... C'est la Fée qui sera
contente!... Et la Lumière donc!...
GRAND-PAPA TYL
Tu sais, je n'en réponds pas, de l'oiseau... Je
crains bien qu'il ne puisse plus s'habituer à la
vie agitée de là-haut, et qu'il ne revienne ici
par le premier bon vent... Enfin, on verra bien...
Laisse-le là, pour l'instant, et viens donc voir la
vache...
TYLTYL, remarquant les ruches.
Et les abeilles, dis, comment vont-elles?...
GRAND-PAPA TYL
Mais elles ne vont pas mal... Elles ne vivent
plus non plus, comme vous dites là-bas; mais
elles travaillent ferme...
TYLTYL, s'approchant des ruches.
Oh oui!... Ça sent le miel!... Les ruches doi-
vent être lourdes!... Toutes les fleurs sont si
belles!... Et mes petites sœurs qui sont mortes,
sont-elles ici aussi?...
ACTE DEUXIÈME, TROISIÈME TABLEAU G9
MYTYL
Et mes trois petits frères qu'on avait enter-
rés, où sont-ils?...
A ces mots, sept petits enfants do tailles inégales, en flûte
de Pan, sortent un à un de la maison.
grand'maman tyl
Les voici, les voici!... Aussitôt qu'on y pense,
aussitôt qu'on en parle, ils sont là, les gail-
lards!...
Tyltyl et Mjtyl courent au-devant des enfants. On se bous-
cule, on s'embrasse, on danse, on tourbillonne, on
pousse des cris de joie.
TYLTYL
Tiens, Pierrot!... (ils se prennent aux cheveux.) Ah!
nous allons nous battre encore comme dans le
temps... Et Robert!... Bonjour, Jean!... Tu n'as
plus ta toupie?... Madeleine et Pierrette, Pau-
line et puis Riquette...
MYTYL
Oh! Riquette, Riquette!... Elle marche encore
à quatre pattes!,..
70 i;01SEAL) BLEU
grand'maman tyl
Oui, elle ne grandit plus...
TYLTYL, remarquant le petit Cliien qui jappe autour d'eux.
Voilà Kiki dont j'ai coupé la queue avec les
ciseaux de Pauline... Il n'a pas changé non plus...
GRAND-PAPA TYL, sentencieux.
Non, rien ne change ici...
TYLTYL
Et Pauline a toujours son bouton sur le
nez!...
grand'maman tyl
Oui, il ne s'en va pas; il n'y a rien à faire...
TYLTYL
Oh ! qu'ils ont bonne mine, qu'ils sont gras et
luisants!... Qu'ils ont de belles joues!... Ils ont
l'air bien nourris...
grand'maman tyl
Ils se portent bien mieux depuis qu'ils ne
ACTE DEUXIÈME, TROISIÈME TABLEAU 71
vivent plus... Il n'y a plus rien à craindre, on
n'est jamais malade, on n'a plus d'inquiétudes...
Dans la maison, l'horloge sonne huit lieiires.
GRAND MAMAN TYL, slnpéfaile.
Qu'est-ce que c'est?...
GRAND-PAPA TYL
Ma foi, je ne sais pas... Ce doit être l'hor-
loge...
GRAND-MAMAN TYL
Ce n'est pas possible... Elle ne sonne jamais...
GRAND-PAPA TYL
Parce que nous ne pensons plus à l'heure...
Quelqu'un a-t-il pensé à l'heure?...
TYLTYL
Oui, c'est moi... Quelle heure est -il?...
GRAND -PAPA TYL
Ma foi, je ne sais plus... J'ai perdu l'habi-
tude... Elle a sonné huit coups, ce doit être ce
que, là-haut, ils appellent huit heures.
72 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
La Lumière m'attend à neuf heures moins le
quart... C'est à cause de la Fée... C'est extrême-
ment important... Je me sauve...
grand'maman tyl
Vous n'allez pas nous quitter ainsi au mo-
ment du souper!... Vite, vite, dressons la table
devant la porte... J'ai justement une excellente
soupe aux choux et une belle tarte aux prunes...
On sort la table, on la dresse devant la porte, on apporte
les plats, les assiettes, etc.. Tous y aident.
TYLTYL
Ma foi, puisque j'ai l'Oiseau-Bleu... Et puis
la soupe aux choux, il y a si longtemps !... Depuis
que je voyage... On n'a pas ça dans les hôtels...
grand'maman tyl
Voilà!... C'est déjà fait... A table, les enfants...
Si vous êtes pressés, ne perdons pas de temps...
On a allumé la lampe et servi la soupe. Les grands-
parents et les enfants s'assoient autour du repas du
soir, parmi d'3S bousculades, des bourrades, des cris
et des rires de joie.
ACTE DEUXIÈME, TROISIÈME TABLEAU 73
TYLTYL, inaiigeanl gloutonnement.
Qu'elle est bonne!... Mon Dieu, qu'elle est
donc bonne!... J'en veux encore! encore!...
Il brandit sa cuiller de bois et en frappe bruyamment
son assiette.
GRAND-PAPA TYL
Voyons, voyons, un peu de calme... Tu es
toujours aussi mal élevé; et tu vas casser ton
assiette...
TYLTYL, se dressant à demi sur son escabelle.
J'en veux encore, encore!...
Il atteint et attire à soi la soupière qui se renverse et
se répand sur la table, et de là sur les genoux des
convives. Cris et hurlements d'échaudés.
GRAND'mAMAN TYL
Tu vois!... Je te l'avais bien dit...
GRAND-PAPA TYL, donnant à Tyltyl une gifle retentissante.
Voilà pour toi!...
TYLTYL, un instant déconcerté, mettant ensuite la main
sur la joue, avec ravissement.
Oh! oui, c'était comme ça, les claques que tu
donnais quand tu étais vivant... Bon-papa,
qu'elle est bonne et que ça fait du bien!... Il
faut que je t'embrasse!...
71 I/OISEAU liLEU
GRAND-PAPA TYL
Bon, bon ; il y en a encore si ça te fait plaisir...
La demie île huit heures sonne à l'horloge.
TYLTYL, surs.iiilaiit.
Huit heures et demie !... (ii jeite sa cuiller.) Mytyl,
nous n'avons que le temps!...
GRAND-MAMAN TYL
Voyons!... Encore quelques minutes!;.. Le
feu n'est pas à la maison... On se voit si rare-
ment... (
TYLTYL
Non, ce n'est pas possible... La Lumière est si
bonne... Et je lui ai promis... Allons, Mytyl,
allons!...
GRAND-PAPA TYL
Dieu, que les Vivants sont donc contrariants
avec toutes leurs affaires et leurs agitations!...
TYLTYL. pronaiit sa cage t!l embrassant tout le iihiikIc; en
liàlc et à la ronde.
Adieu, Bon-papa... Adieu, Bonne-maman...
Adieu, frères, sœurs. Pierrot, Robert, Pauline,
ACTE DEUXIÈME, TROISIÈME TABLEAL 75
Madeleine, Riquette, et toi aussi, Kiki !... Je sens
bien que nous ne pouvons plus rester ici... Ne
pleure pas, Bonne-maman, nous reviendrons
souvent...
grand'maman tyl
Revenez tous les jours!...
TYLTYL
Oui, oui !\ nous reviendrons le plus souvent
possible...
grand'maman tyl
C'est notre seule joie, et c'est une telle fête
quand votre pensée nous visite!...
GRAND- PAPA TYL
Nous n'avons pas d'autres distractions...
TYLTYL
Vite, vite!... Ma cage!... Mon oiseau!...
GRAND-PAPA TYL, lui passant la cage.
Les voici!... Tu sais, je ne garantis rien; et s'il
n'est pas bon teint!...
TYLTYL
Adieu! adieu!...
76 L'OISEAU BLET
LES FRÈRES ET SŒURS TYL
Adieu, Tyltyl!... Adieu, Mytyl!... Pensez au
sucre d'orge!... Adieu!... Revenez!... Revenez!...
Tous agitent des mouchoirs tandis que Tyltyl et Mytyl
s'éloignent lentement. Mais déjà, durant les dernières
répliques, le brouillard du début s'est graduellement
reformé, et le son des voix s'est affaibli, de manière
qu'à la fin de la scène, tout a disparu dans la brume
et qu'au moment où le rideau baisse, Tyltyl et Mytyl
se retrouvent seuls visibles sous le gros chêne.
TYLTYL
C'est par ici, Mytyl...
MYTYL
Où est la Lumière?...
TYLTYL
Je ne sais pas... (Regardant l'oiseau dans la cage.)
Tiens! l'oiseau n'est plus bleu!... Il est devenu
noir!...
MYTYL
Donne-moi la main, petit frère... J'ai bien
peur et bien froid...
RIDEAU
ACTE TROISIÈME
QUATRIÈME TABLEAU
LE PALAIS DE LA NUIT
Une vaste et prodigieuse salle d'une magnificence
austère, rigide, métallique et sépulcrale, donnant l'im-
pression d'un temple grec ou égyptien, dont les colonnes,
les architraves, les dalles, les ornements seraient de
marbre noir, d'or et d'ébène. La salle est en forme de
trapèze. Des degrés de basalte, qui occupent presque
toute sa largeur, la divisent en trois plans successifs qui
s'élèvent graduellement vers le fond. A droite et à
gauche, entre les colonnes, des portes de bronze sombre.
Au fond, porte d'airain monument^ale. Une lumière dif-
fuse qui semble émaner de l'éclat même du marbre et de
l'ébène éclaire seule le palais.
Au lever du rideau, la Nuit, sous la ligure d'une très belle
femme, couverte de longs vêtements noirs, est assise sur le*
marches du second plan, entre deux enfants, dont l'un,
presque nu, comme l'Amour, sourit dans un profond sommeil,
tandis que l'autre se tient debout, immobile et voilé des pieds
à la tête. — Kntre, à droite, au premier plan, la Chatte.
LA NUIT
Qui va là?...
78 L'OISEAU BLEU
LA CHATTE, se laissant clioir avec accablement
sur les déifiés île marbre.
C'est moi, mère la Nuit... Je n'en peux plus.
LA NUIT
Qu'as-tu donc, mon enfant?... Tu es pâle,
amaigrie et te voilà crottée jusqu'aux mous-
taches... Tu t'es encore battue dans les gout-
tières, sous la neige et la pluie?...
LA CHATTE
Il est bien question de gouttières!... C'est de
notre secret qu'il s'agit!... C'est le commence-
ment de la fin!... J'ai pu m'échapper un instant
pour vous prévenir; mais je crains bien qu'il n'y
ait rien à faire...
LA NUIT
Quoi?... Qu'est-il donc arrivé?...
LA CHATTE
Je vous ai déjà parlé du petit Tyltyl, le fils
du bûcheron, et du Diamant merveilleux.... Eh
bien, il vient ici pour vous réclamer l'Oisoau-
Bleu...
ACTE TROISIÈME, (QUATRIÈME TABLEAU 79
LA NUIT
Il ne le tient pas encore...
LA CHATTE
Il le tiendra bientôt, si nous ne faisons pas
quelque miracle... Voici ce qui se passe : la
Lumière qui le guide et qui nous trahit tous,
car elle s'est mise entièrement du parti de v
r Homme, la Lumière vient d'apprendre que /
rOiseau-Bleu, le vrai, le seul qui puisse vivre /
à la clarté du jour, se cache ici, parmi les oi-
seaux bleus des songes qui se nourrissent des '
rayons de lune et meurent dès qu'ils voient le
soleil... Elle sait qu'il lui est interdit de fran-
chir le seuil de votre palais; mais elle y envoie \
les enfants; et comme vous ne pouvez pas empê-
cher l'Homme d'ouvrir les portes de vos se-
crets, je ne sais trop comment tout cela finira...
En tout cas, s'ils avaient le malheur de mettre
la main sur le véritable Oiseau-Bleu, nous n'au-
rions plus qu'à disparaître...
LA NUIT
Seigneur, Seigneur!... En quels temps vivons-
80 L'OISEAU BLEU
nous! Je n'ai plus une minute de repos... Je
ne comprends plus l'Homme, depuis quelques
années... Où veut-il en venir?... Il faut donc
qu'il sache tout?... Il a déjà saisi le tiers de mes
Mystères, toutes mes Terreurs ont peur et
n'osent plus sortir, mes Fantômes sont en fuite,
la plupart de mes Maladies ne se portent pas
bien...
LA CHATTE
Je sais, ma mère la Nuit, je sais, les temps
sont durs, et nous sommes presque seules à
lutter contre l'Homme... Mais je les entends
qui s'approchent... Je ne vois qu'un moyen :
comme ce sont des enfants, il faut leur faire une
telle peur qu'ils n'oseront pas insister ni ouvrir
la grande porte du fond, derrière laquelle se
trouvent les oiseaux de la Lune... Les secrets
des autres cavernes suffiront à détourner leur
attention ou à les terrifier...
LA NUIT, prêtatit l'oreille à un bruit du dehors.
Qu'est-ce que j'entends?... Ils sont donc plu-
eieurs?
ACTE TROISIÈME, QUATRIÈME TABLEAU 81
LA CHATTE
Ce n'est rien; ce sont nos amis : le Pain et le
Sucre; TEau est indisposée et le Feu n'a pu
venir, parce qu'il est parent de la Lumière...
Il n'y a que le Chien qui ne soit pas pour nous;
mais il n'y a jamais moyen de l'écarter...
Entrent timidement, à droite, au premier plan, Tyltyl,
Mytyl, le Pain, le Sucre et le Chien.
LA CHATTE, se précipitant au-devant de Tyltyl.
Par ici, par ici, mon petit maître... .J'ai pré-
venu la Nuit qui est enchantée de vous rece-
voir... Il faut l'excuser, elle est un peu souf-
frante ; c'est pourquoi elle n'a pu aller au-devant
de vous...
TYLTYL
Bonjour, madame la Nuit...
LA NUIT, froissée.
Bonjour? Je ne connais pas ça... Tu pourrais
bien me dire : bonne nuit, ou tout au moins :
bonsoir...
Si L'OISEAU BLEli
TYLTYL, inorlilu-.
Pardon, madame... Je ne savais pas... (Montrant
ilu doigt les deux enfants.) Ce SOnt VOS deUX petits
garçons?... Ils sont bien gentils...
LA NUIT
Oui, voici le Sommeil...
TYLTYL
Pourquoi qu'il est si gros?...
LA NUIT
C'est parce qu'il dort bien...
TYLTYL
Et l'autre qui se cache?... Pourquoi qu'il se
voile la figure?... Est-ce qu'il est malade?...
Comment c'est qu'il se nomme?...
LA NUIT
C'est la sœur du Soiumeil... Il vaut mieux ne
pas la nommer...
ACTE TROISIEME, OUATRIÈME TABLEAl ^3
TYLTYL
Pourquoi?...
LA NUIT
Parce que c'est un nom qu'on n'aime pas à
entendre... Mais parlons d'autre chose... La
Chatte vient de me dire que vous venez ici pour
chercher l'Oiseau-Bleu?...
TYLTYL
Oui, madame, si vous le permettez... Voulez-
vous me dire où il est?...
LA NUIT
Je n'en sais rien, mon petit ami... Tout ce que
je puis affirmer, c'est qu'il n'est pas ici... Je ne
l'ai jamais vu...
TYLTYL
Si, si... La Lumière m'a dit qu'il est ici; et
elle sait ce qu'elle dit, la Lumière... Voulez-
vous me remettre vos clefs?...
LA NUIT
Mais, mon petit ami, tu comprends bien que
84 L'OISEAU BLEU
je ne puis donner ainsi mes clefs au premier
venu... J'ai la garde de tous les secrets de la
Nature, j'en suis responsable et il m'est abso-
lument défendu de les livrer à qui que ce soit,
surtout à un enfant...
TYLTYL
Vous n'avez pas le droit de les refuser à
l'Homme qui les demande... je le sais...
LA NUIT
Qui te l'a dit?...
TYLTYL
La Lumière...
LA NUIT
Encore la Lumière! et toujours la Lumière!...
De quoi se mêle-t-elle à la fin?...
V
LE CHIEN
Veux-tu que je les lui prenne de force, mon
petit dieu?...
TYLTYL
Tais-toi, tiens-toi tranquille et tâche d'être
ACTE TROISIÈME, QUATRIÈME TARLEAU 85
poli... (A la Nuit.) Voyons, madame, donnez-moi
vos clefs, s'il vous plaît...
LA NUIT
As-tu le signe, au moins?... Où est-il?...
TYLTYL, louchant son chapeau.
Voyez le Diamant...
LA NUIT, se résignant à l'inévilable.
Enfin... Voici celle qui ouvre toutes les portes
de la salle... Tant pis pour toi s'il t'arrive
malheur... Je ne réponds de rien.
LE PAIN, fort inquiet.
Est-ce que c'est dangereux?...
LA NUIT
Dangereux?... C'est-à-dire que moi-même je
ne sais trop comment je pourrai m'en tirer,
lorsque certaines de ces portes de bronze s'ou-
vriront sur l'abîme... Il y a là, tout autour de la
salle, dans chacune de ces cavernes de basalte,
tous les maux, tous les fléauZr-toutes les mala-
8
86 l.'OISEAl' BLEU
(lies, toutes les épouvantes, toutes les catas-
trophes, tous les mystères qui affligent la vie
depuis le commencement du monde... J'ai eu
assez de mal à les enfermer là avec l'aide du
Destin; et ce n'est pas sans peine, je vous as-
sure, que je maintiens un peu d'ordre parmi ces
personnages indisciplinés... On voit ce qu'il
arrive lorsque l'un d'eux s'échappe et se montre
sur terre...
LE PXlHi
Mon grand âge, mon expérience et mon dé-
vouement font de moi le protecteur naturel de
ces deux enfants; c'est pourquoi, madame la
Nuit, permettez-moi de vous poser une ques-
tion...
LA îsUIT
Faites...
LE PAIN
En cas de danger, par où faut-il fuir?...
LA NUIT
[1 n'y a pas moyen de fuir.
ACTE TROISIÈME, OUATRIÈME TABLEAL' 87
TYLTYL, prenant la clef et montant les premières marches.
Commençons par ici... Qu'y a-t-il derrière
cette porte de bronze?...
LA NUIT
Je crois que ce sont les Fantômes... Il y a bien
longtemps que je ne l'ai ouverte et qu'ils ne
sont sortis...
TYLTYL, mettant la clef clans la serrure.
Je vais voir... (Au Pain) Avez-vous la cage de
rOiseau-Bleu?...
LE PAIN, claquant des ilenls.
Ce n'est pas que j'aie peur, mais ne ciX)yez-
vous pas qu'il serait préférable de ne pas ouvrir
et de regarder par le trou de la serrure?...
TYLTYL
Je ne vous demande pas votre avis...
MYTYL, se mettant à pleurer tout à coup.
J'ai peur!... Où est le Sucre?... Je veux rentrer
à la maison!...
88 L'OISEAU BLEU
LE SUCRE, empressé, obséquieux.
Ici, mademoiselle, je suis ici... Ne pleurez pas,
je vais couper un de mes doigts pour vous offrir
un sucre d'orge...
TYLTYL
Finissons-en...
Il tourne la clef et entr'ouvre prudemment la porte. Aus-
sitôt s'échappent cinq ou six Spectres de formes diverses
et étranges qui se répandent de tous côtés. Le Pain
épouvanté jetle la cage et va se cacher au fond de la
salie, pendant que la Nuit, pourchassant les Spectres,
crie à Tyltyl :
LA :nuit
Vite! vite!... Ferme la porte!... Ils s'échappe-
raient tous et nous ne pourrions plus les rat-
traper!... Ils s'ennuient là-dedans, depuis que
l'Homme ne les prend plus au sérieux... (Elle
pourchasse les Spectres en s'elTorçant, à l'aide d'un fouet
formé de serpents, de les ramener vers la porte de leur prison. \
Aidez-moi!... Par ici!... Par ici!...
TYLTYL, au Chien.
Aide-là, Tylô, vas-y donc!...
LE CHIEN, bondissant en aboyant.
Oui! oui! oui!...
ACTE TROISIÈME, QUATRIÈME TABLEAU 89
TYLTYL
Et le Pain, où est-iJ?...
LE PAIN, du fond de la salle.
Ici... Je suis près de la porte pour les empê-
cher de sortir...
Comme un des Spectres s'avance de ce côté, il fuit à
toutes jambes, en poussant des hurlements d'épouvante.
LA NUIT, à trois Spectres qu'elle a pris au collet.
Par ici, vous autres !... (a Tyiiyi.) Rouvre un
peu la porte... (Elle pousse les Spectres dans la caverne.)
Là, ça va bien... (Le chien eu ramène deux autres.) Et
encore ceux-ci... Voyons," vite, rangez-vous...
Vous savez bien que vous ne sortez plus qu'à la
Toussaint.
Elle referme la porte.
TYLTYL, allant à une autre porte.
Qu'y a-t-il derrière celle-ci?...
LA NUIT
A quoi bon?... Je te l'ai déjà dit, l'Oiseau-Bleu
00 i;OISEALI BLEl"
n'est jamais venu par ici... Enfin, comme tu
voudras... Ouvre-la si ça te fait plaisir... Ce sont
les Maladies...
TYLTYL, la clef dans la seniire.
Est-ce qu'il faut prendre garde en ouvrant?...
LA NUIT
Non, ce n'est pas la peine... Elles sont bien
tranquilles, les pauvres petites... Elles ne sont
pas heureuses... L'Homme, depuis quelque
temps, leur fait une telle guerre!... Surtout de-
puis la découverte des microbes... Ouvre donc,
tu verras...
Tyltjl ouvre la porte toiUe grande. Rien ne paraît.
TYLTYL
Elles ne sortent pas?...
LA NUIT
Je t'avais prévenu, presque toutes sont
souffrantes et bien découragées... Les méde-
cins ne sont pas gentils pour elles... Entre donc
un instant, tu verras...
Tyltyl enlrt- dans la cavcrm; et ressort aussilôt après.
ACTE TROISIEME, QLATRIEME TABLEAU 01
TYLTYL
L'Oiseau-Bleu n'y est pas... Elles ont l'air
bien malades, vos Maladies... Elles n'ont même
pas levé la tête... (Une petUc Maladie, en pantoufles,
robe de chambre et bonnet de coton, s'échappe de la caverne
et se met à gambader dans la salie.) Tiens!... Une
petite qui s'évade!... Qu'est-ce que c'est?...
LA NUIT
Ce n'est rien, c'est la plus petite, c'est le
Rhume de cerveau... C'est une de celles qu'on
persécute le moins et qui se portent le mieux...
(Appelant le Rhume de cerveau.) Viens ici, ma petite...
C'est trop tôt; il faut attendre le printemps...
Le Rhume de cerveau, étcrnuant, toussant et se mouchant,
rentre dans la. caverne dont Tyltyl relerme la porte.
TYLTYL, allant à la porte voisine.
Voyons donc celle-ci... Qu'est-ce que c'est?...
LA NUIT
Prends garde... Ce sont les Guerres... Elles
sont plus terribles et plus puissantes que ja-
mais... Dieu sait ce qui arriverait si l'une d'elles
92 L'OISEAU BLEU
s'échappait!... Heureusement, elles sont assez
obèses et manquent d'agilité... Mais tenons-
nous prêts à repousser la porte tous ensemble,
pendant que tu jetteras un rapide coup d'œil
dans la caverne...
Tyltyl, avec mille précautions, entrebâille la porte de
manière qu'il n'y ait qu'une petite fente où il puisse
appliquer l'œil. Aussitôt, il s'arc-boute en criant :
TYLTYL
Vite! vite!... Poussez donc!... Elles m'ont
vu!... Elles viennent toutes!... Elles ouvrent la
porte!...
LA NUIT
Allons, tous!... Poussez ferme!... Voyons, le
Pain, que faites-vous?... Poussez tous!... Elles
ont une force!... Ah! voilà! Ça y est... Elles
cèdent... Il était temps!... As-tu vu?...
TYLTYL
Oui, oui!... Elles sont énormes, épouvan-
tables!... Je crois qu'elles n'ont pas l'Oiseau*
Bleu...
ACTE TROISIÈME, QUATRIÈME TABLEAU 93
LA NUIT
Bien sûr qu'elles ne l'ont point... Elles le man-
geraient tout de suite... Eh bien, en as-tu assez ?...
Tu vois bien qu'il n'y a rien à faire...
TYLTYL
II faut que je voie tout... La Lumière l'a dit...
LA NUIT
La Lumière l'a dit... C'est facile à dire quand
on a peur et qu'on reste chez soi...
TYLTYL
Allons à la suivante... Qu'est-ce?...
LA NUIT
Ici, j'enferme les Ténèbres et les Terreurs...
TYLTYL
Est-ce qu'on peut ouvrir?...
LA NUIT
Parfaitement... Elles sont assez tranquilles;
c'est comme les Maladies...
!)l L'OISEAU r.LEl
TYLTYL, enir'ouvraril la porte avec une certaine méfiaiUL'
et risquant un regaiil dan.s la caverne.
Elles n'y sont pas...
LA NUIT, rei!;ai-dant à son tour dans la caverne.
Eh bien, les Ténèbres, que faites-vous?... Sor-
tez donc un instant, ça vous fera du bien, ça
vous dégourdira. Et les Terreurs aussi... Il n'y
a rien à craindre... (Quelques Ténèbres et quelques
Terreurs, sous la fi.ure île femmes couvertes, les premières
(le voiles noirs, les dernières de voiles verdàtres, risquent pi-
teusement quelques pas hors de la caverne, et, sur un geste
qirébauclie Tyltyl, rentrent précipitamment.) Voyons, te-
nez-VOUS donc... C'est un enfant, il ne vous
fera pas de mal... {A Tyiiyi). Elles sont devenues
extrêmement timides; excepté les grandes,
celles que tu vois au fond...
TYLTYL, regardant vers le fond de la caverne.
Oh! qu'elles sont effrayantes!...
LA NUIT
Elles sont enchaînées... Ce sont les seules qui
n'aient pas peur de l'Honime... Mais referme la
porte, de crainte qu'elles ne se fâchent...
ACTE TROISIÈME, QLATRIÈME TABLEAU 95
TYLTYL, allant .i la porte suivante.
Tiens!... Celle-ci est plus sombre... Qu'est-ce
que c'est?...
LA XUIT
Il y a plusieurs Mystères derrière celle-ci...
Si tu y tiens absolument, tu peux l'ouvrir
aussi... Mais n'entre pas... Sois bien prudent,
et puis préparons-nous à repousser la porte,
comme nous avons fait pour les Guerres...
TYLTYL, entr'oiivrant avec des précautions inouïes, et passant
l'raintivenient la ttJtc ilans l'entre-bàilleuient.
Oh!... Quel froid!... Mes yeux cuisent!... Fer-
mez vite!... Poussez donc! On repousse!... (La
Nuit, li^ Cliien, la Chatte et lo Sucre repoussent la porte.)
Oh! j'ai vu!...
LA MIT
Quoi donc?...
TYLTYL, bouli^vcrsé.
Je ne sais pas, c'était épouvantable!... Ils
étaient tous assis comme des monstres sans
yeux... Quel était le géant qui voulait me sai-
sir?...
90 L'OISEAU I5LEU
LA NUIT
C'est probablement le Silence; il a la garde
de cette porte... Il paraît que c'était effrayant?...
Tu en es encore tout pâle et tout tremblant...
TYLTYL
Oui, je n'aurais pas cru... Je n'avais Jamais
vu... Et j'ai les mains gelées...
LA NUIT
Ce sera bien pis tout à l'heure si tu continues...
TYLTYL, allant à la porte suivante.
Et celle-ci?... Est-elle aussi terrible?...
LA NUIT
Non, il y a un peu de tout... J'y mets les
Étoiles sans emploi, mes parfums personnels,
quelques Lueurs qui m'appartiennent, tels que
feux^oHets, vers luisants, JiHiioLej; on y serre
aussi la Rosée, le Chant des Rossignols, etc..
ACTE TROISIÈME, QUATHIÈME TABLEAU 97
TYLTYL
Justement, les Étoiles, le Chant des Rossi-
gnols... Ce doit être celle-là.
LA NUIT
Ouvre-donc si tu veux; tout cela n'est pas bien
méchant...
Tyltyl ouvre la porte toute grande. Aussitôt les Étoik-s,
sous la forme de belles jeunes filles voilées de lueurs
versicolores, s'échappent de leur prison, se répandent
dans la salle et forment sur les marches et autour ilc.^
colonnes de gracieuses rondes baignées d'une sorte de
lumineuse pénombre. Les Parfums de la iNuit, presque
invisibles, les Feux-follets, les Lucioles, la Rosée trans-
parente se joignent à elles, cependant que le Chant des
Rossignols, sortant à flots de la caverne, inonde le
palais nocturne.
MYTYL, ravie, battant des mains.
Oh! les jolies madames!...
TYLTYL
Et qu'elles dansent bien !...
MYTYL
Et qu'elles sentent bon!...
98 L'OISEAU HLEIJ
TYLTYL
Et qu'elles chantent bien!...
MYTYL
Qu'est-ce que c'est, ceux-là, qu'on ne voit
presque pas?,..
LA NUIT
Ce sont les Parfums de mon ombre...
TYLTYL
Et les autres, là-bas, qui sont en verre filé?...
LA NUIT
C'est la Rosée des forêts et des plaines...
Mais en voilà assez... Ils n'en finiraient pas...
C'est le diable de les faire rentrer une fois qu'ils
se sont mis à danser... (Frappant dans ses mains.)
Allons, vite, les Étoiles!... Ce n'est pas le mo-
ment de danser... Le ciel est couvert, il y a
de gros nuages... Allons, vite, rentrez tous,
sinon j'irai chercher un rayon de soleil...
Fuite «'poiivantce tl(3s Étoiles, Parfums, etc., ijiii se
précipitent dans la caverne ijue l'on referme sur eux.
En môme temps s'éteint le Chant des Rossignols.
ACTE TROISIÈME, QUATRIÈME TABLEAU 99
TYLTYL, allant ;i la porte du fond.
Voici la grande porte du milieu...
LA NUIT, gravement.
N'ouvre pas celle-ci...
TYLTYL
Pourquoi?...
LA NUIT
Parce que c'est défendu...
TYLTYL
C'est donc là que se cache i'Oiseau-Bleu ; la
Lumière me l'a dit...
LA NUIT, maternelle.
Écoute-moi, mon enfant... J'ai été bonne et
complaisante... J'ai fait pour toi ce que je n'avais
fait jusqu'ici pour personne... Je t'ai livré tous
mes secrets... Je t'aime bien, j'ai pitié de ta
jeunesse et de ton innocence et je te parle comme
une mère... Écoute-moi et crois-moi, mon en-
100 L'OISEAU BLEU
fant, renonce, ne va point plus avant, ne tente
pas le Destin, n'ouvre pas cette porte...
TYLTYL, assez ébranlé.
Mais pourquoi?...
LA >"UIT
Parce que je ne veux pas que tu te perdes...
Parce que nul de ceux, entends-tu, nul de ceux
qui l'ont entr' ouverte, ne fût-ce que de l'épaisseur
d'un cheveu, n'est revenu vivant à la lumière du
jour... Parce que tout ce qu'on peut imaginer
d'épouvantable, parce que toutes les terreurs,
toutes les horreurs dont on parle sur terre, ne
sont rien, comparées à la plus innocente de celles
qui assaillent un homme dès que son œil effleure
les premières menaces de l'abîme auquel per-
sonne n'ose donner un nom... C'est au point que
moi-même, si tu t'obstines, malgré tout, à tou-
cher cette porte, je te demanderai d'attendre
que je sois à l'abri dans ma tour sans fenêtres...
Maintenant c'est à toi de savoir, à toi de réflé-
chir...
Mylyl, tout en larmes, pousse des cris de terreur inarti-
culés et cherche à entraîner Tj'llyl.
ACTE THOISIÈME, QUATRIÈME TABLEAU 101
LE PAIN, claquant des dents.
Ne le faites pas, mon petit maître!... (Se jetant à
genoux.) Ayez pitié de nous !... Je vous le demande
à genoux... Vous voyez que la Nuit a raison...
LA CHATTE
C'est notre vie à tous que vous sacrifiez...
TYLTYL
Je dois l'ouvrir...
MYTYL, trépignant parmi des sanglots.
Je ne veux pas!... Je ne veux pas!...
TYLTYL
Que le Sucre et le Pain prennent Mytyl par
la main et se sauvent avec elle... Je vais ou-
vrir...
LA NUIT
Sauve qui peut!... Venez vite!... Il est
temps!...
Elle fuit.
102 L'OISEAU BLEU
LE PAIIS, fuyant cperdunient.
Attendez au moins que nous soyons au bout
de la salle!...
LA CHATTE, l'uvant également.
Attendez!... attendez!...
Ils se caclipiit tlcrriLTC les colonnes à l'aiilie bmit de la
salle. Tyllyl reste seul avec le Chien, près de la porte
nionumenlalc.
LE CHIEN, ijaletani^t liogiietant d'épou\aiite contenue.
Moi, je reste, je reste... Je n'ai pas peur... Je
reste!... Je reste près de mon petit dieu... Je
reste!... Je reste...
TYLTYL, caressant le Chien.
C'est bien, Tylô, c'est bien!... Embrasse-moi...
Nous sommes deux... Maintenant gare à nous!...
(Il met la clef dans la serrnre. Un cri d'épouvante partde l'autre
liant de la salle où se sont rcfiij;iés les fuyards. A peine la clef
a-t-ellc touché la porte que les hauts battants de celle-ci
s'ouvrent par le milieu, glissent latéralement et disparaissent.
ACTE TROISIÈME, (jlATRIÈME TAHLEAU 103
à droite et à gauche, dans l'cpaisseur des murs, découvrant
fout à coup, irréel, infini, ineffable, le plus inattendu de.s jar-
dins de rêve et de lumière nocturne, où, parmi les étoiles et les
planètes, illuminant tout ce qu'ils touchent, volant sans cesse
de pierreries en pierreries, de rayons de lune en rayons de
lune, de féeriques oiseaux bleus évoluent perpétuellement et
liarmonieusement jusqu'aux confins de l'horizon, innombrables
au point qu'ils semblent être le souffle, l'atmosphère azurée,
la substance môme du jardin merveilleux. — fyltyl, ébloui,
éperdu, debout dans la lumière du jardin :) Oh !... le ciel !...
(Se tournant vers ceux qui ont fui.)/ Venez vite!... Ils
sont là!... C'est eux! c'est eux! c'est eux!... Nous
les tenons enfin!... Des milliers d'oiseaux bleus!
Des millions!... Des milliards!... Il y en aura
trop!... Viens, Mytyl!..^ Viens, Tylô!... Venez
tous!... Aidez-moi!... (S'élançant parmi les oiseaux.) On
les prend à pleines mains!... Ils ne sont pas
farouches!... Ils n'ont pas peur de nous!... Par
ici! par ici!... (Mytyl et les autres accourent. Ils entrent
tous dans le jardin éblouissant, hormis la Nuit et la Chatte.)
Vous voyez!... Ils sont trop!... Ils viennent
dans mes mains!... Regardez donc, ils mangent
les rayons de la lune!... Mytyl, où donc es-tu?...
Il y a tant d'ailes bleues, tant de plumes qui
tombent qu'on n'y voit plus du tout!... Tylô!
ne les mord pas... Ne leur fais pas de mal!...
Prends-les très doucement!
104 L'OISEAU BLEl"
MYTYL, enveloppée iroiseaux bleus.
J'en ai déjà pris sept!... Oh! qu'ils battent
des ailes!... Je ne puis les tenir!...
TYLTYL
Moi non plus!... J'en ai trop!... Ils s'échap-
pent!... Ils reviennent!... Tylô en a aussi!... Ils
vont nous entraîner!... nous porter dans le
ciel !... Viens, sortons par ici !... La Lumière nous
attend!... Elle sera contente!... Par ici, par
ici!...
Ils s'évadent du jardin, les mains pleines d'oiseaux qui se
débattent, et, traversant toute la salle parmi l'affolement
des ailes azurées, sortent h droite, par où ils sont entrés,
suivis du Pain et du Sucre qui n'ont pas pris d'oiseaux.
— Restés seuls, la Nuit et la Chatte remontent vers le
fond et regardent anxieusement dans le jardin.
LA NUIT
Ils ne l'ont pas?...
LA CHATTE
Non... Je le vois là sur ce ravon de lune... Ils
ACTE TROISIÈME, QUATRIÈME TABLEAU 105
n'ont pas pu l'atteindre, il se tenait trop haut...
Le rideau tombe. Aussitôt après, devant le rideau tombé,
entrent simultanément, à gauche la Lumière, à droite
Tyltyl, Mytji et le Chien, accourant tout couverts des
oiseaux qu'ils viennent de capturer. Mais déjà ceux-ci
paraissent inanimés et, la tête pendante et les ailes
brisées, ne sont plus dans leurs mains que d'inertes
dépouilles.
LA LUMIÈRE
Eh bien, l'avez-vous-pris?...
TYLTYL
Oui, oui!... Tant qu'on voulait... Il y en a des
milliers!... Les voici!... Les vois-tu!... (Regardant
les oiseaux qu'il tend vers la Lumière et s'apcrcevant qu'ils
sont morts.) Tiens!... Ils ne vivent plus... Qu'est-ce
qu'on leur a fait?... Les tiens aussi, Mytyl?...
Ceux de TylÔ aussi. (Jetant avec colère les cadavres
d'oiseaux.) Ah! non, c'est trop vilain!... Qui est-ce
qui les a tués?... Je suis trop malheureux!...
11 se cache la tète sous le bras et paraît tout secoué de
sanglots.
LA LUMIERE, le serrant maternellement dans ses bras.
Ne pleure pas, mon enfant... Tu n'as pas
IdG I.'OISEAU BLEU
pris celui qui peut vivre en plein jour... 11 est
allé ailleurs... Nous le retrouverons...
LE CHIEN, regardant les oiseaux morts.
Est-ce qu'on peut les manger?...
Ils sortent tous à ijauclie.
CINQUIÈME TABLEAU
LA FORET
Une forêt. — ïl fait nuit. — Clair de lune. — Vieux
arbres de diverses espèces, notamment : un chêne, un
hêtre, un orme, un peuplier, un sapin, un cyprès, un til-
Jsur, un marronnier, etc.
Entre la Clialte.
LA CHATTE, saluant les arbres à la ronde.
Salut à tous les arbres!...
MURMURE DES FEUILLAGES
Salut!...
LA CHATTE
C'est un grand jour que ce jour-ci!... Notre
'nnemi vient délivrer vos énergies et se livrer
108 L'OISEAU BLEU
lui-même... C'est Tyltyl, le fils du bûcheron qui
vous a fait tant de mal... Il cherche l'Oiseau-
Bleu que vous cachez à l'Homme depuis le
commencement du monde, et qui sait seul notre
secret... (Murmure dans les feuilles.) VoUS dites?...
Ah! c'est le Peuplier qui parle... Oui, il possède
un Diamant qui a la vertu de délivrer un ins-
tant nos esprits; il peut nous forcer à livrer
rOiseau-Bleu, et nous serons dès lors, définiti-
vement, à la merci de l'Homme... (Murmure dans les
feuilles.) Qui parle?... Tiens! c'est le Chêne...
Comment allez-vous?... (Murmure dans les feuilles du
Chêne.) Toujours enrhumé?... La Réglisse ne vous
soigne plus?... Toujours les rhumatismes?...
Croyez-moi, c'est à cause de la mousse; vous en
mettez trop sur vos pieds... L'Oiseau-Bleu est
toujours chez vous?... (Murmures dans les feuilles du
Chêne.) Vous dites?... Oui, il n'y a pas à hésiter,
il faut en profiter, il faut qu'il disparaisse...
(Murmure dans les feuilles.) Plaît-il?... Oui, il GSt aveC
sa petite sœur; il faut qu'elle meure aussi...
(Murmure dans les feuilles.) Oui, le Chien les accom-
pagne; il n'y a pas moyen de l'éloigner... (Mur-
mure dansies feuilles.) Vous dites?... J-ieçorrorQpje?...
Impossible... J'ai essayé de tout... (Murmures parmi
les feuilles.) Ah! c'est toi, le Sapin?... Oui, pré-
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU 111
LA CHATTE, bas, à Tyltyl.
Vous tolérez pareille désobéissance?... Don-
nez-lui donc quelques coups de bâton sur le
nez, il est vraiment insupportable!...
TYLTYL, battant le Cliicii.
Voilà qui t'apprendra à obéir plus vite!...
LE CHIEX. hurlant.
Aïe! Aïe! Aïe!...
TYLTYL
Qu'en dis-tu?...
LE CHIEN
, Il faut que je t'embrasse puisque tu m'as
battu!...
Il embrasse et caresse violemment Tyltyl.
TYLTYL
Voyons... C'est, bien... Ça suffit... Va-t'en!...
MYTYL
Non, non; je veux qu'il reste... .l'ai peur de
l tout quand il n'est pas là...
\li L'OISEAU BLEU
LE CHIEN, bondissant et renversant presque Mytyl,
qu'il accable ilc caresses iirécipitces et enthousiastes.
Oh! la bonne petite fille!... Qu'elle est belle!
Qu'elle est bonne!... Qu'elle est belle, qu'elle
est douce!... Il faut que je l'embrasse! Encore!
encore! encore!...
LA CHATTE
Quel idiot!... Ma foi, nous verrons bien... Ne
perdons pas de temps... Tournez lé Diamant...
TYLTYL
Où faut-il me placer?
LA CHATTE
Dans ce rayon de lune; vous y verrez plus
clair... Là! tournez doucement...
Tj'Uji tourne le Diamant; aussitôt un long frémissement
agite les branches et les feuilles. Les troncs les jilus
anciens et If.s plus imposants sVntr'ouvrent pour livrer
passage à l'àme que chicun d'eux renferme. L'aspect
de ces âmes diffère suivant l'aspect et le caractère do
l'arbre qu'elles représentent. Celle de l'Orine, pu-
exemple, est une sorlc de gnome poussif, vcnlru,
bourru ; celle du Tilleul est placide, fa nilièn-, joviale :
celle du Hêtre, élégante et agile; celic du Bouleau,
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU J13
blanche, réservée, inquiète; celle du Saul^, pahûjigrie,
éckfiïeiéêj pl'iinlive ; celle du Sapin, longue, efilan-
quée. taciturne; celle du Cyprès, tragique; ceil« du
Marronnier, prétentieuse, un peu snob; colle ilu Peu-
plier, allègre, encombrante, bavarde. Les unes sortent
leiileinenl de leur tronc, engouriiifs, séliranf, conime
après une captivité ou un sommeil sécnlMire. les :iut es
s'en dégaiient d'un bond, alertes, empres-^ées, et toutes
viennent se ranger autour des deux enfants, tout en
se tenant autant q le possible à proximité de l'arbre
dont elles sont nées.
LE PEUPLIER, accourant le premier et criant à lue-tôt»».
Des Hommes!... De petits Hommes!... On
pourra leur parler!... C'est fini le Silence!... C'est
fmi!... D'où viennent-ils?... Qui est-ce?... Qui
sont-ils?... (.4u Tilleul qui s'avance en fumant tranqnilii'-
ment sa pipe.) Les connais-tu, toi, père Tilleul?...
LE TILLEUL
Je ne me rappelle pas les avoir vus...
LE PEUPLIER
Mais si, voyons, mais si!... Tu connais tous
les Hommes, tu es toujours à te promener
autour de leurs maisons...
10.
lU L'OISEAT m.EL
LE TILLEUL, examinant les enfants.
Mais non, je vous assure... Je ne les connais
pas... Ils sont encore trop jeunes... Je ne con-
nais bien que les amoureux qui viennent me voir
, au clair de lune ;'0U les buveurs de bière qui trin-
quent sous mes branches...
LE MARRONNIER, pincé, ajustant son monocle.
Qu'est-ce que c'est que ça?... C'est des pauvres
de la campagne?...
LE PEUPLIER
Oh! vous, monsieur le Marronnier, depuis que
^ ous ne fréquentez plus que les boulevards des
grandes villes...
J/ry-tt^"^^ LE SAULE, s'avançant en sabots cl geignard.
Mon Dieu, mon Dieu!... Ils viennent encore
me couper la tête et les bras pour en faire des
fagots!...
LE PEUPLIER
Silence!... Voici le Chêne qui sort de son pa-
lais!... Il a l'air bien souffrant ce soir... Ne
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU lf5
trouvez-vous pas qu'il vieillit?... Quel âge
peut-il avoir?... Le Sapin dit qu'il a quatre
mille ans; mais je suis sûr qu'il exagère... Atten-
tion, il va nous dire ce que c'est...
Le Chêne s'avance lentement. Il est faliuleusement vieux,
' couronné de gui et vêtu d'une longue robe verte bro-
dée de mousse et de lichen. Il est aveugle, sa barbe
blanche flotte au vent. Il s'appuie d'une main sur un
bâton noueux et de l'autre sur un jeune Chèneau qui
lui sert de guide. L'Oiseau-Bleu est pen.hé sur son
épaule. A son approche, mouveuient de respect parmi
les arbres qui se rangent et s'inclinent.
TYLTYL
11 a l'Oiseau-Bleu!... Vite! vite!... Par ici!...
Donnez-le-moi!...
LES ARBRES
Silence!...
LA CHATTE, à lytl\l.
Découvrez-vous, c'est le Chêne!...
LE CHÈ>'E, à Tyl'.U.
Qui es-tu?...
TYLTYL
Tyltyl, monsieur... Quand est-ce que je pourrai
prendre TOiseau-Bleu?...
116 L'OISEAU BLEU
LE CHÊNE
Tyltyl, le fils du bûcheron?...
TYLTYL
Oui, monsieur...
LE CHÊNE
Ton père nous a fait bien du mal... Dans ma
seule famille il a mis à mort six cents de mes fils,
quatre cent soixante-quinze oncles et tantes,
douze cents cousins et cousines, trois cent
quatre-vingts brus et douze mille arrière-petits-
fils!...
TYLTYL
Je ne sais pas, monsieur... Il ne l'a pas fait
exprès...
LE CHÊNE
Que viens-tu faire ici, et pourquoi as-tu fait
sortir nos âmes de leurs demeures?...
TYLTYL
Monsieur, je vous demande pardon de vous
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU 1)7
avoir dérangé... C'est la Chatte qui m'a dit que
vous alliez nous dire où se trouve l'Oiseau-
Bleu...
LE CHÊNE
Oui, je sais, tu cherches l'Oiseau-BIeu, c'est-
à-dire le grand secret des choses et du bonheur,
pour que les Hommes rendent plus dur encore
notre esclavage...
TYLTYL
Mais non, monsieur; c'est pour la petite fille
de la Fée Bérylune qui est très malade...
LE CHENE, lui imposant silence.
Il suffit!... Je n'entends pas les Animaux... Où
sont-ils?... Tout ceci les intéresse autant que
nous... Il ne faut pas que nous, les Arbres, assu-
mions seuls la responsabilité des mesures graves
qui s'imposent... Le jour où les Hommes appren-
dront que nous avons fait ce que nous allons
faire, il y aura d'horribles représailles... 11
convient donc que notre accord soit unanime,
pour que notre silence le soit également...
118 L'OISEAU BhEV
LE SAPIN, rey;arilajit pui-ilcssiis les autres arbres.
Les Animaux arrivent... Ils suivent le Lapin...
Voici l'âme du Cheval, du Taureau, du Bœuf,
de la Vache, du Loup, du Mouton, du Porc, du
Coq, de la Chèvre, de l'Ane et d'C l'Ours...
Enîrée successive des âmes des Animaux qui, à mesure
que les énumère le Sapin, s'avancent et vcint s'asseoir
eulrc les arbres, à l'exception de l'âme de la Chèvre
qui vai,'abonde çà et là, cl de celle du Porc qui fouillo
les racines.
LE CHÊ-NE
Tous sont-ils ici présents?...
LE LAPIN
La Poule ne pouvait pas abandonner ses
œufs, le Lièvre faisait des courses, le Cerf a.
mal aux cornes, k Renard est souffrant, —
voici le certificat du médecin, — l'Oie n'a pas
tompris et le Dindon s'est mis en colère...
LE CHÊNE
Ces abstentions sont extrêmement regretta-
bles... Néanmoins, nous sommes en nombre
suffisant... Vous savez, mes frères, d'C quoi il
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU ilH
'-,{ question. L'enfant que voici, grâce à un
talisman dérobé aux puissances de la Terre,
peut s'emparer de notre Oiseau-Bleu, et nous
arracher ainsi le secret que nous gardons de-
puis l'origine de la Vie... Or, nous connaissons
assez l'Homme pour n'avoir aucun doute sur le
sort qu'il nous réserve lorsqu'il se trouvera en
possession de ce secret. C'est pourquoi il me
semble que toute hésitation serait aussi stupide
que criminelle... L'heure est grave; il faut que
l'enfant disparaisse avant qu'il soit trop tard...
TYLTYL
Que dit-il?...
LE CHIEN, rôdant autour du Cliêne en montrant ses crocs.
As-tu VU mes dents, vieux perclus?...
LE HÊTRE, indigiiL'.
Il insulte le Chê.^e!...
LE CHÊNE
C'est le Chien?... Qu'on l'expulse! Il ne faut
pas que nous tolérions un traître parmi nous!...
120 L'OISEAU BLEU
LA CHATTE, bas, à Tyllyl.
Éloignez le Chien... C'est un malentendu...
Laissez-moi faire, j'arrangerai les choses... Mais-
éloignez-le au plus vite...
TYLTYL, au f.liicn.
Veux-tu t'en aller!...
LE CHIEX
Laisse-moi donc lui déchirer ses pantoufles
de mousse à ce vieux goutteux-là!... On va
rire!...
TYLTYL
Tais-toi donc!... Et va-t'en!... Mais va-t'en,
vilaine bête!...
LE CHLEN
Bon, bon, on s'en ira... Je reviendrai quand tu
auras besoin de moi...
LA CHATTE, bas, à Tyltjl.
Il serait plus prudent de l'enchaîner, sinon il
fera des bêtises; les Arbres se fâcheront, et
tout cela finira mal...
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAl 121
TYLTYL
Comment faire?... J'ai égaré sa laisse.
LA CHATTE
Voici tout juste le Lierre qui s'avance avec de
solides liens...
LE CHIEN, grondant.
Je reviendrai, je reviendrai!... Podagre!
bronchiteux!... Tas de vieux rabougris, tas de
vieillesracines!... C'est la Chatte qui mène tout!...
Je lui revaudrai ça!... Qu'as-tu donc à chuchoter
ainsi, Judas, Tigre, Bazaine!... Wa, wa! wa!...
LA CHATTE
Vous voyez, il insulte tout le monde...
TYLTYL
C'est vrai, il est insupportable et l'on ne.
s'entend plus... Monsieur le Lierre, voulez-
vous l'enchaîner?...
LE LIERRE, s'approchanl assez craintivement du Chien.
Il ne mordra pas?...
11
122 L'OISEAU BLEU
LE CHIEN, grondant.
Au contraire! au contraire!:... Il va bien
t'embrasser!... Attends, tu vas voir ça!... Ap-
proche, approche donc, tas de vieilles ficelles!...
TYLTYL, le menaçiint du bâton.
Tylô!...
LE CHIEÎs, rampant aux pieds de Tyllyl en agitant la queiio.
Que faut-il faire, mon petit dieu?...
TYLTYL
Te coucher, à plat ventre!... Obéis au Lierre...
Laisse-toi garotter, sinon...
LE CHIEN, grondant entre les dents peadant. qive le Lierre
le garolte.
Ficelle!... Corde à pendus!... Laisse à veaux!...
Chaîne à porcs!... Mon petit dieu, regarde... Il
me tord les pattes... Il m'étrangle!...
TYLTYL
Tanrt pis!... Tu l'as voulu!... Tais-toi, tiens-
toi tranquille, tu es insupportable!...
ACTE TROISIÈME, CrNQCTÈME TADEE.vr 123
LE CHIEN
C'est égal, tu as tort... Us ont de vilakies in-
tentions... Mon petit dieu, prends garde!... Il
me ferme la bouche!... Je ne peux plus parler!...
l* LE LIERRE, qui a ficelé le Chien comme un paquet.
Où faut-il le porter?... Je l'ai bien bâii-
lonné... il ne souffle plus mat...
LE CHÊNE
Qu'on l'attache solidement là-bas, derrière
mon tronc, à ma grosse racine... Nous verrons
ensuite ce qu'il convient d'^n faire... (Le Lierre
aidé du l'cuplier porte le Chien ilcrrière le tronc du Gticiie )
Est-ce fait?... Bien, maintenant que nous
voilà débarrassés de ce témoin gênant et de ce
renégat, délibérons selon notre justice et notre
vérité... Mon émotion, je ne vous le cache point,
est profonde et pénible... C'est la première fois
qu'il nous est donné de juger l'Homme et de lui
faire sentir notre puissance... Je ne crois pas
qu'après le mal qu'il nous a fait, après les mons-
trueuses injustices que nous avons subies, il
reste le moindre dou^e sur la sentence qui l'at-
tend...
124 L'OISEAU BLEU
TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
Non ! Non ! Non !... Pas de doute !... La pendai-
son!,.. La mort!... Il y a trop d'injustice!... Il a
trop abusé!... Il y a trop longtemps!... Qu'on
l'écrase! Qu'on le mange!... Tout de suite!...
Tout de suite!...
TYLTYL, à la Glialte.
Qu'ont-ils donc?... Ils ne sont pas contents?...
LA CHATTE
Ne vous "inquiétez pas... Ils sont un peu
fâchés à cause que le Printemps est en retard...
Laissez-moi faire, j'arrangerai tout ça...
LE CHÊNE
Cette unanimité était inévitable... Il s'agit
à présent de savoir, pour éviter les représailles,
quel genre de supplice sera le plus pratique, le
plus commode, le plus expéditif et le plus sûr;
celui qui laissera le moins de traces accusa-
trices lorsque les Hommes retrouveront les
petits corps dans la forêt...
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU 125
TYLTYL
Qu'est-ce que c'est que tout ça?... Où veut-il
en venir?... Je commence à en avoir assez...
Puisqu'il a l'Oiseau-Bleu, qu'il le donne...
LE TAUREAU, s'avançimt.
Le plus pratique et le plus sûr, c'est un bon
coup de corne au creux de l'estomac. — Vou-
lez-vous que je fonce?...
LE CHÊNE
Qui parle ainsi?...
LA CHATTE
C'est le Taureau.
LA VACHE
Il ferait mieux de se tenir tranquille... Moi, je
ne m'en mêle pas... J'ai à brouter toute l'herbe
de la prairie qu'on voit là-bas, dans le bleu de
la lune... J'ai trop à faire...
LE BŒUF
Moi aussi. D'ailleurs, j'approuve tout
d'avance...
11.
126 L'OISEAU B[>EW
LE HÊTRE
Moi, j'offre ma plus haute bran-che pour les
pendre...
LE LIERRE
Et moi le nœud coulant...
LE SAPI^f
Et moi les quatre planches pour la petite
boîte...
LE CYPRÈS
Et moi la concession à perpétuité...
LE SAULE
Le plus simple serait de les noyer dans une
de mes rivières... Je m'en charge.,.
LE TILLEUL, conciliant.
Voyons, voyons... Est-il bien nécessaire d'en
venir à ces extrémités? Ils sont encore bien
jeunes... On pourrait tout bonnement les em-
pêcher de nuire en les retenant prisonniers dans
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU 427
lin clos que je me charge de construire en me
plantant tout autour...
LE CHENE
Qui parle ainsi?... Je crois reconnaître la voix
mielleuse du Tilleul...
LE SAPIN
En effet...
LE CHÊNE
Il y a donc un renégat parmi nous, comme
parmi les Animaux?... Jusqu'ici, nous n'avions
à déplorer que la défection des Arbres fruitiers ;
mais ceux-ci ne sont pas de véritables Arbres...
LE PORC, roulant de petits yeux gloutons.
Moi, je pense qu'il faut d'abord manger la
petite fille... Elle doit être bien tendre...
TYLTYL
Que dit-il celui-là?... Attends un peu, espèce
de...
!-28 L'OISEAU BLEU
LA CHATTE
Je ne sais ce qu'ils ont; mais cela prend mau-
vaise tournure...
LE CHÊNE
Silence!... Il s'agit de savoir qui de nous aura
l'honneur de porter le premier coup; qui écar-
tera de nos cimes le plus grand danger que
nous ayons couru depuis la naissance de
l'Homme...
LE SAPIN
C'est à vous, notre roi et notre patriarche, que
revient cet honneur...
LE CHÊNE
C'est le Sapin qui parle?... Hélas! je suis
trop vieux! Je suis aveugle, infirme, et mes bras
engourdis ne m'obéissent plus... Non, c'est à
vous, mon frère, toujours vert, toujours droit,
c'est à vous, qui vîtes naître la plupart de ces
Vrbres, qu'échoit, à mon défaut, la gloire du
noble geste de notre délivrance...
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU 129
LE SAPIN
Je VOUS remercie, mon vénérable père...
Mais comme j'aurai déjà l'honneur d'ensevelir
les deux victimes, je craindrais d'éveiller la
juste jalousie de mes collègues; et je crois
qu'après nous, le plus ancien et le plus digne,
celui qui possède la meilleure massue, c'est le
Hêtre...
LE HÊTRE
Vous savez que je suis vermoulu et que ma
massue n'est point sûre... Mais l'Orme et le
Cyprès ont de puissantes armes...
l'orme
Je ne demanderais pas mieux; mais je puis à
peine me tenir debout... Une taupe, cette nuit,
m'a retourné le gros orteil...
LE CYPRÈS
Quant à moi, je suis prêt... Mais, comme mon
bon frère le Sapin, j'aurai déjà, sinon le privi-
lège de les ensevelir, tout au moins l'avantage
de pleurer sur leur tombe... Ce serait illégiti-
mement cumuler... Demandez au Peuplier...
13»! L'OISEAU BLEU
LE PEUPLIER
A moi?... Y pensez-vous?... Mais mon bois
e>i plus tendre que la chair d'un enfant!... Et
puis, je ne sais ce que j'ai... Je tremble de
lièvre... Regardez donc mes feuilles... J'ai d-û
prendre froid ce matin au Icvor du soleil...
LE CHENE, éclat) nt d'indign.ition.
Vous avez peur de l'Homme!... Même ces
petits enfants isolés et sans armes vous inspirent
la terreur mystérieuse qui fit toujours de nous
les esclaves que nous sommes!... Eh bien, non!
C'est assez!... Puisqu'il en est ainsi, puisque
l'heure est unique, j'irai seul, vieux, perclus,
tremblant, aveugle, contro l'prinemi hérédi-
taire!.. Où est-il?...
Tâtonnant de son bùton, il s'avance vers Tyltyl.
TYLTYL, tirant son couteau de sa poche.
C'est à moi qu'il en a, ce vieux-là, avec son
gros bâton?...
Tous les autres Arbres, poussant un cri d'épouvante à l,i
vue du couteau, l'arme mystérieuse et irrésistible de
l'Hiomme, s'interposent et relieuneiit le Ohéne.
ACTE TliOlSlÈME, CINQUIÈME TABLEAU KU
LES ARBRES
Le couteau!... Prenez gardel... Le eo.uteaii!...
LE CHÊNE, se (lébaltant.
Laissez-moi!... Que m'importe!... Le couteau
ou la hache !... Qui me retient?... Quoi * vous êtes
tous ici?... Quoi! vous tous vous voulez?...
(Jetant son bâton.) Eh bien, soit!... Hontc à nous!...
Que les Animaux nous délivrent!...
LE TAUREAU
C'est cela!... Je m'en charge!... Et d'un seul
coup de coirne!...
LE BŒUF et LA VACHE, le retenant par la queue.
De quoi te mêles-tu?.,. Ne fais pas de bêtises!...
C'est une mauvaise affaire!... Cela finira mal...
C'est nous qui trinquerons... Laisse doni...
C'est affaire aux Animaux sauvages...
LE TAUREAU
Non, non!... C'est mon affaire!... Attendez!...
Mais retenez-moi donc ou je fafô un malheur!...
132 L'OISEAU BLEU
TYLTYL, à Mylyl qui pousse des cris aigus.
N'aie pas peiirL.. Mets-toi derrière moi... J'ai
mon couteau...
LE COQ
C'est qu'il est crâne, le petit!...
TYLTYL
Alors, c'est décidé, c'est à moi qu'on en
veut?...
l'ane
Mais bien sûr, mon petit, tu y a mis le temps.
à t'en apercevoir!...
LE PORC
Tu peux faire ta prière, va, c'est ta dernière
heure. Mais ne cache pas la petite fille... Je veux
m'en régaler les yeux... C'est elle que je man-
gerai la première...
TYLTYL
Qu'est-ce que je vous ai fait?,..
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU d33
LE MOUTON
Rien du tout, mon petit... Mangé mon petit
frère, mes deux sœurs, mes trois oncles, ma
tante, bon-papa, bonne-maman... Attends, at-
tends, quand tu seras par terre, tu verras que
j'ai des dents aussi...
l'ane
Et que j'ai des sabots!...
LE CHEVAL, piaffant fièrement.
Vous allez voir ce que vous allez voir!...
Aimez-vous mieux que je le déchire à belles
dents ou que je vous l'abatte à coups de pied?...
(Il s'avance magnifiquement sur Tylt>l qui lui fait face en le-
vant son couteau. Tout à coup, le Ciievai, pris de panique,
tourne le dos et fuit à toutes jambes.) Ail! mais non!...
Ce n'est pas juste!... Ce n'est pas de jeu!... II
se défend!...
LE COQ, ne pouvant cacher son admiration.
C'est égal, le petit n'a pas froid aux yeux!...
LE PORC, à l'Ours et au Loup.
Précipitons-nous tous ensemble... Je vous
12
134 L'OISEAU BLEU
soutieHdrai par derrière... Nous les renverserons
et nous nous partagerons la petite fille quand
fille sera par terre...
LE LOUP
Amusez-les par là... Je vais faire un mouve-
jmcnt tournant...
11 tourne Tyltyl qu'il attaque par derrière et renverse à
demi.
TYLTYL
Judas!... (Il siî redresse sur au genou, brandissant son
«auleaii ot couvrant de son mieux sa peti'.e sœur qui pousse
des hiiHeiuenls de détresse. — Le voyant à demi renversé, ton-
le«Aiiiin,iuxelles Arbres se rapprochent et cherchent à lui por-
ter d-s coups. L'obscurité se fait subitement. Éperdument, TyHyl
appelle à l'aide.) A moi ! A mol!... Tylô! Tylô!...
Où est la Chatte?... Tylô!... Tylette! Tylettci...
Venez! venez!...
LA CHATTE, hypocritement, à l'écart.
Je ne peux pas... Je viens de me fouler la
patte...
TY^LTYL, parant les coups et se défendant de son mieux.
A moi!... Tylô! Tylô!... Je ne peux plus!... Ils
ACTE TROISIÈME, CINQUIKilE TABLEAU 135
r-'.nt trop!... L'Ours! le Cochon! le Loup!
l'Ane! le Sapin! le Hêtre!... Tylô! Tylo! Tylôl...
Traînant ses lieas brisés, le Chien bondit de derrière Irr
tronc du Cbène et, bousculant Àrlires et Animaux, se-
jetle devant Tyllyl qu'il délenJ avec rage.
].E CHIEN, tout en distribuant d'énormes coups de deat*.
Voilà! voilà! mon petit dieu!... N'aie pa.*^
peur! Allons-y!... J'ai de bons coups de gueule l...
Tiens, voilà pour toi. l'Ours, là dans ton gros
derrière!... Voyons, qui en veut encore?... Voilà
pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue
du Taureau! Voilà! j'ai déchiré la culotte du
Hêtre et le jupon du Chêne!... Le Sapin f...
arnp!... C'est ésraî. il fait rhaud!...
TYLTYL, accabb'.
•le n'en peux plus!... Le Cyprès m'a donn»
un grand coup sur la tête...
L" CHIEN
Aïe! c'est un coup ^u Saule!... Il m'a cassé Ih
ttr!...
TYLTYL
Ils reviennent à la charge! Tous ensemble T
Cette fois, c'est 1^ Loup!...
136 L'OISEAU BLEU
LE CHIEIN
Attends, que je l'étrenne!...
LE LOUP
Imbécile!... Notre frère!... Ses parents ont
noyé tes petits!...
LE CHIEN
Ils ont bien fait!... Tant mieux!... C'est qu'ils
te ressemblaient!...
TOUS LES ARBRES et TOUS LES ANIMAUX
Renégat!... Idiot!... Traître! Félon! Nigaud!...
.Judas!... Laisse-le! C'est la mort! Viens à nous!
LE CHIEN, ivre d'ardeur et de dévouement.
Non! non!... Seul contre tous!... Non, non!...
Fidèle aux dieux! aux meilleurs! aux plus
grands!... (a lyiiji.) Prends garde, voici l'Ours!...
Méfie-toi du Taureau... Je vais lui sauter à la
gorge... Aïe!... C'est un coup de pied... L'Ane
m'a cassé deux dents...
ACTE TROISIÈME, CINQUIÈME TABLEAU 137
TYLTYL
Je ne peux plus, Tylô!... Aie!... C'est un
coup de rOrme... Regarde, ma main saigne...
C'est le Loup ou le Porc...
LE CHIEN
Attends, mon petit dieu... Laisse-moi t'em-
brasser. Là, un bon coup de langue... Ça te fera
du bien... Reste bien derrière moi... Ils n'osent
plus approcher... Si!... Les voilà qui revien-
nent!... Ah! ce coup, c'est sérieux!,,. Tenons
ferme!.,.
TYLTYL, se laissant tomber sur le sol.
Non, ce n'est plus possible...
LE CHIEN
On vient!... J'entends, je flaire]...
TYLTYL
Où donc?.,. Qui donc?...
LE CHIEN
Là! là!... C'est la Lumière!... Elle nous a
12.
138 L'OISEAU BLEl
retrouvés!... Sauvés, mon petit roi!... Embrasse-
moi!... Sauvés!... regarde!... Ils se méfient!...
Ils s'écartent!... Ils ont peur!...
TYI.TYL
La Lumière!... La Lumière!... Venez donc!...
Hàtez-vous!... Ils se sont révoltés!... Ils sont
tous contre nous!...
Entre la Lumière; à mesure «(u'elle s'avance, l'Aurore
se lève sur la forêt qui s'c'elairo.
LA LUMIÈRE
Qu'est-ce donc?... Qu'y a-t-il?... Mais, malheu-
reux! tu ne savais donc pas!... Tourne le Dia-
mant! Ils rentreront dans le Silence et dans
rObscurité; et tu ne verras plus leurs senti-
ments...
Tvltjl tourne le Diamant. — Aussitôt les âmes de tous
les Arbres se précipitent dans les troncs qui se refcr-
nieul. — Les âmes des Animaux disparaissent égale-
ment; et l'on voit, au loin, brouter une Vache et un
Mouton paisibles, etc. — La Forêt redevient inno-
cente. Étonné, Tyltyl regarde autour de soi.
TYLTYL
Où sont-ils?... Qii'avaient-ils?... Est-ce qu'ils
étaient fous?...
ACTE TKOIS'IÈME, CrNOUlÈME TABLEAU iS»
LA LUMIÈRE
Mais non, ils sont toujours ainsi ; mais on ne
le sait pas parce qu'on ne le voit pas... Je te
l'avais bien dit : il est dangereux de les réveiller
quand je ne suis pas là...
TYLTYL, essuyant son couteau.
C'est égal ; sans le Chien et si je n'arâis pas eu
mon couteau... Je n'aurais jamais cru qu'ils
lussent si méchants!...
LA LUMIÈRE
Tu vois bien que l'Homme est tout seul
contre tous, en ce monde...
LE CHIEN
Tu n'as pas trop de mal, mon petit dieu?...
TYLTYL
Rien de grave... Quant à Mytyl, ils ne l'ont
pas touchée... Mais toi, mon bon Tylô?... Tu as
la bouf^-ho on sansr. pt ta patte est cassée?...
/
iX
UO L'OISEAU BLEU
LE CHIEN
Pas la peine d'en parler... Demain, il n'y pa-
raîtra plus... Mais l'affaire était chaude!...
LA CHATTE, sortant d'un fourré en boitant.
Je crois bien!.,. Le Bœuf m'a donné un coup
de corne dans le ventre... On n'en voit pas la
trace, mais il me fait bien mal... Et le Chêne
m'a cassé la patte...
LE CHIEN
J'aimerais bien savoir laquelle...
MYTYL, caressant la Chatte.
Ma pauvre Tylette, est-ce vrai?... Où donc
te trouvais-tu?... Je ne t'ai pas aperçue...
LA CHATTE, hypocritement.
Petite mère, j'ai été blessée tout de suite, en
attaquant le vilain Porc qui voulait te manger...
C'est alors que le Chêne m'a donné ce grand
<oup qui m'a étourdie...
ACTE TROlSlËiME, CINQUIÈME TABLEAU lii
LE CHIEN, à la Chatte, entre les dents.
Toi, tu sais, j'ai deux mots à te dire... Tu ne
perdras rien pour attendre!...
LA CHATTE, plaintivement, à Mytyl.
Petite mère, il m'insulte... Il veut me faire
du mal...
MYTYL, au Chien.
Veux-tu bien la laisser tranquille, vilaine
bête...
Ils sortent tous.
RIDEAU
ACTE QUATRIÈME
SIXIEME TABLEAU
DEVANT LE RIDEAU
Entrent Tyllji, Jlytyl, la Lumière, le Chien, le Clial,
le Pain, le Feu, le Sucre, TKau et le Lait.
LA LUMIÈRE
J'ai reçu un petit mot de la Fée Bérylune qui
m'apprend que l'Oiseau-Bleu se trouve proba-
blement ici... ^
TYLTYL
Où ça?...
LA LUMIÈRE
Ici, dans le cimetière qui est derrière ce mu]*...
Il paraît qu'un des morts de ce cimetière h
1-ii I/OISEAU BLEU
cache dans la tombe... Reste à savoir lequel... Il
faudra qu'on les passe en revue...
TYLTYL
• En revue?... Comment qu'on fera?...
LA LUMIÈRE
C'est bien simple : à minuit, pour ne pas trop
les déranger, tu tourneras le Diamant. On les
verra sortir de terre; ou bien on apercevra au
fond de leurs tombes ceux qui ne sortent pas...
TYLTYL
Ils ne seront pas fâchés?...
LA LUMIÈRE
Nullement, ils ne s'en douteront même pas...
Ils n'aiment pas qu'on les dérange; mais comme
de toutes façons ils ont coutume de sortir à mi-
nuit, cela ne les gênera pas...
TYLTYL
Pourquoi que le Pain, le Sucre et le Lait sont
si pâles et pourquoi qu'ils ne disent rien?...
ACTE QUATRIÈME, SIXIÈME TABLEAU 145
LE LAIT, chancelant.
Je sens que je vais tourner... \
LA LUMIERE, Las, à Tyltyl.
Ne fais pas attention... Ils ont peur des morts..
LE FEU, gambadant.
Moi, je n'en ai pas peur!... J'ai l'habitude de
les brûler... Dans les temps, je les brûlais tous;
c'était bien plus amusant qu'aujourd'hui...
TYLTYL
Et pourquoi Tylô tremble-t-il?... Est-ce qu'il
a peur aussi?.
LE CHIEN, claquant des dents.
Moi?... Je ne tremble pas!... Moi, je n'ai ja-
mais peur; mais si tu t'en allais, je m'en irais
aussi..
TYLTYL
Et la Chatte ne dit rien?...
13
146 L'OISEAU BLEfJ
LA CHATTE, inyMéricus
Je sais ce que c'est...
TYLTYL, à la Lumière.
Tu viendras arec nous?...
LA LUMIÈRE
Non, il est préférable que je reste à la porte
du cimetière avec les Choses et les Animaux..,
L'heure n'est pas venue... La Lumière ne peut
pas encore pénétrer chez les morts... Je vais
te laisser seul avec Mytyl...
TYLTYL
Et Tylô ne peut pas rester avec-nous?...
LE CHIEN
Si, si, je reste, je reste ici... Je veux rester
près de mon petit dieu!...
A€TE QUATRIÈME, SIXIÈME TABLEAU iïl
LA LUMIERE
C'est impossible... L'ordre de la Fée est for-
mel; du reste, il n'y a rien à'craindre...
LE CHIEN
Bien, bien, tant pis... S'ils sont méchants,
mon petit dieu, tu n'as qu'à faire comme ça
M sime.) et tu verras... Ce sera comme dans la
forêt :Wa!Wa! Wa!...
LA LUMIÈRE
Allons, adieu, mes chers petits... Je ne serai
pas loin... (Elle embrasse les enfants.) Geux qui m'ai-
ment et que j'aime me retrouvent toujours...
Aux Choses et aux Animaux.) VoUS autres... par ici.
Elle sort avec les Choses et les Animaux. Les enfants
restent seuls au milieu de la scène. Le rideau s'ouvre
pour découvrir le septième tableau.
SEPTIÈME TABLEAU
LE CIMETIÈRE
Il fait nuit. Clair de lune. Un cimetière de campagne.
Nombreuses tombes, tertres de gazon, croix de bois,
dalles funéraires, etc.
Tylljl et Mytjl sont debout près d'un cippe.
MYTYL
J'ai peurï
TYLTYL, assez peu rassuré.
Moi, je n'ai jamais peur...
MYTYL
C'est méchant, les morts, dis?...
ACTE QUATRIÈME, SEPTIÈME TABLEAU 149
TYLTYL
Mais non, puisqu'ils ne vivent pas...
MYTYL
Tu en~as déjà vu?...
TYLTYL
Oui, une fois, dans le temps, lorsque j'étais
très jeune...
MYTYL
Comment c'est fait, dis?...
TYLTYL
C'est tout blanc, très tranquille et très froid,
et'ça ne parle pas...
MYTYL
Nous allons les voir, dis?... '
TYLTYL
Bien sûr, puisque la Lumière l'a promis...
13.
no L'OISEAU BLEU
MYTYL
Où c'est qu'ils sont, les morts?...
TYLTYL
Ici, sous le gazon ou sous ces grosses pierres.
MYTYL
Ils sont là toute l'année?...
TYLTYL
Oui.
MYTYL, montrant les dalles.
'C'est les portes de leurs maisons?...
TYLTYL
Oui.
MYTYL
Est-ce qu'ils sortent quand il fait beau?...
TYLTYL
Ils ne peuvent sortir qu'à la nuit... .
ACTE QUATRIÈME, SEPTIÈME TABLEAU 151
MYTYL
Pourquoi?...
TYLTYL
Parce qu'ils sont en chemise...
MYTYL
Est-ce]^qu'ils sortent aussi quand il pleut?...
TYLTYL
Quand il pleut, ils restent chez eux...
MYTYL
C'est beau chez eux, dis?...
TYLTYL
On dit que c'est fort étroit...
MYTYL
Est-ce qu'ils ont des petits enfants?...
TYLTYL
Bien sûr; ils ont tous ceux qui meurent...
15-2 L'OISEAU BLEU
MYTYL
Et de quoi vivent-ils?...
TYLTYL
Ils mangent des racines...
MYTYL
Est-ce que nous les verrons?...
TYLTYL
Bien sûr, puisqu'on voit tout quand le Dia-
mant est tourné.
MYTYL
Et qu'est-ce qu'ils diront?...
TYLTYL
Ils ne diront rien, puisqu'ils ne parlent pas...
MYTYL
Pourquoi qu'ils ne parlent pas?...
TYLTYL
Parce qu'ils n'ont rien à dire...
ACTE QUATRIÈME, SEPTIÈME TABLEAU 153
MYTYL
Pourquoi qu'ils n'ont rien à dire?...
TYLTYL
Tu m'embêtes...
Un silence.
MYTYL
Quand tourneras-tu le Diamant?...
TYLTYL
Tu sais bien que la Lumière a dit d'attendre
à minuit, parce qu'alors on les dérange moins...
MYTYL
Pourquoi qu'on les dérange moins?...
TYLTYL
Parce que c'est l'heure où ils sortent prendre
rair.
MYTYL
Il n'est pas minuit?...
45i I. OISEAU 151-E']
TYLTYL
Vois-tu le cadran de l'église?...
MYTYL
"Oui, je vois même la petite aiguille...
TYLTYL
Et bien ! minuit va sonner... Là !...Tout juste...
Entends-tu?...
On entend sonner les douze coups de m nuit.
MYTYL
Je veux m'en aller!... \
TYLTYL
Ce n'est pas le moment... Je vais tourner le
Diamant...
MYTYL
Non, non!... Ne le fais pas!... Je veux m'en
aller!... J'ai si peur, petit frère!... J'ai terrible-
ment peur!...
ACTE QUATRIÈME, SEPTIÈME TABLEAU 155-
TYLTYL
Mais il n'y a pas de danger...
MYTYL
Je ne veux pas voir les morts!... Je ne veux
pas les voir!...
TYLTYL
C'est bon, tu ne les verras pas, tu fermeras les
yeux...
MYTYL, s'accrochant aux vêtements de TyltyL
Tyltyl, je ne peux pas!... Non, ce n'est pas
possible!... Ils vont sortir de terre!...
TYLTYL
Ne tremble pas ainsi... Ils ne sortiront qu'un
moment...
MYTYL
Mais tu trembles aussi, toi!... Ils seront
eiïrayants!... :
156 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Il est temps, l'heure passe...
Tyltyl tourne le Diamant. Une terrifiante minute de si-
lence et (l'immobilité; après quoi, lentement, les croix
chancellent, les tertres s'entr'ouvrent, les dalles se sou-
lèvent.
MYTYL, se blottissant contre Tyltyl.
Ils sortent!... Ils sont là!...
Alors, de toutes les tombes béantes monte graduellement
une floraison d'abord grêle et timide comme une va-
peur d'eau, puis blanche et virginale et de plus en plus
touffue, de plus en plus haute, surabondante et mer-
veilleuse, qui peu à peu, irrésistiblement, envahissant
toutes choses, transforme le cimetière en une sorte de
jardin féerique et nuptial, sur lequel ne tardent pas à
se lever les premiers rayons de l'aube. La rosée scin-
tille, les fleurs s'épanouissent, le vent murmure dans
les feuilles, les abeilles bourdonnent, les oiseaux
s'éveillent et inondent l'espace des premières ivresses
de leurs hymnes au soleil et à la vie. Stupéfaits, éblouis,
Tyltyl et Mytyl, se tenant par la main, font quelques
pas parmi les fleurs en cherchant la trace des tombes.
MYTYL, cherchant dans le gazon.
Où sont-ils, les morts?...
r TYLTYL, cherchant de même.
I II n'y a pas de morts...
RIDEAU
HUITIÈME TABLEAU
DEVANT LE RIDEAU QUI REPRÉSENTE
DE BEAUX NUAGES
Entrent: Tyltyl, Mytji, la Lumière, le Chien, la Chatte,
le Pain, le Feu, le Sucre, l'Eau et le Lait.
LA LUMIERE
Je crois que cette fois nous tenons TOiseau-
Bleu. J'aurais du y penser dès la première
étape... Ce n'est que ce matin, en reprenant
mes forces dans l'aurore, que l'idée m'est ve-
nue comme un rayon du ciel... Nous sommes à
l'entrée des jardins enchantés où se trouvent
réunis sous la garde du Destin, toutes les Joies,
tous les Bonheurs des Hommes...
14
15S L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Il y en a beaucoup? Est-ce qu'on en aura?
Est-ce qu'ils sont petits?...
LA LUMIÈRE
Il en est de petits et de grands, de gros et
de délicats, de très beaux et d'autres qui sont,
moins agréables... Mais les plus vilains furent,,
il y a quelque temps, expulsés des jardins et
cherchèrent refuge chez les Malheurs. Car il
faut remarquer que les Malheurs habitent un
antre contigu, qui communique avec le jardin
des Bonheurs et n'en est séparé que par une
sorte de vapeur ou de rideau subtil que le vent
qui souffle des hauteurs de la Justice ou du
fond de l'Éternité soulève à chaque instant...
Maintenant, il s'agit de s'organiser et de
prendre certaines précautions. En général, les
Bonheurs sont fort bons, pourtant il en est
quelques-uns qui sont plus dangereux et plus
perfides que les plus grands Malheurs...
LE PAIN
J'ai une idée! S'ils sont dangereux et per-
ACTE QUÂTiUÈME, HUITIÈME TABLEAU 150
îides, ne serait-il pas préférable que nous at-
tendissions tous à la porte, afin d'être à même
de prêter main-forte aux enfants s'ils étaient
obligés de fuir?...
LE CHIEN
Pas du tout! pas du tout!... Je veux aller
partout avec mes petits dieux!... Que tous
ceux qui ont peur restent donc à la porte!...
Nous n'avons pas besoin (Regardant le Pain.) de
poltrons, (Regardant la Chatte.) ni de traîtres...
LE FEU
Moi, j'y vais !...I1 paraît que c'est amusant!...
On y danse tout le temps...
LE PAIN
Est-ce qu'on y mange aussi?...
L EAU, gémissant.
Je n'ai jamais connu le plus petit Bonheur!...
Je veux en voir enfin!... •
160 L'OISEAU BLEU
LA LUMIÈRE
Taisez-vous! Personne ne demande vos avis...
Voici ce que j'ai décidé : le Chien, le Pain et le
Sucre accompagneront les enfants. L'Eau n'en-
trera pas, parce qu'elle est trop froide, ni le
Feu qui est trop turbulent. J'engage vivement
le Lait à rester à la porte, parce qu'il est trop
impressionnable; quant à la Chatte, elle fera
comme elle voudra...
LE CHIEN
Elle a peur!...
LA CHATTE
J'irai saluer en passant quelques Malheurs
qui sont de vieux amis et habitent à côté des
Bonheurs...
TYLTYL
Et toi, la Lumière, est-ce que tu ne viens
pas?...
LA LUMIÈRE
Je ne peux pas entrer ainsi chez les Bonheurs;
la plupart ne me supportent pas... Mais j'ai
ACTE QUATFtlÈiME, HUITIÈME TABLEAL' 16t
ici le voile épais dont je me couvre quand je
visite les gens heureux... (Elle déplie un long voile dont
elle s'enveloppe soigneusement.) Il ne faut paS qu'un
rayon de mon âme les effraye, car il est beaucoup
de Bonheurs qui ont peur et ne sont pas heu-
reux... Voilà, de cette façon, les moins jolis et
es plus gros eux-mêmes n'auront plus rien à
redouter...
Le rideau s'ouvre pour découvrir le neuvième tableau.
14.
NEUVIÈME TABLEAU
LES JARDINS DES BONHEURS
Quand s'ouvre le rideau, on découvre, prise sur les
premiers plans des jardins, une sorte de salle formée de
hautes colonnes de marbre entre lesquelles, masquant
tout le fond, sont tendues de lourdes draperies de pourpre
que soutiennent des cordages d'or. Architecture rap-
pelant les moments les plus sensuels et les plus somp-
tueux de la Renaissance vénitienne ou flamande (Véro-
nése et Rubens). Guirlandes, cornes d'abondance,, tor-
sades, vases, statues, dorures prodigués de toutes parts.
— Au milieu, massive et féerique table de jaspe et de
vermeil, encombrée de flambeaux, de cristaux, de vais-
selle d'or et d'argent et siirchargée de mets fabuleux. —
Autour de la table, mangent, boivent, hurlent, chantent,
s'agitent, se vautrent ou s'endorment parmi les venai-
sons, les fruits miraculeux, les aiguières et les amphores
renversées, les plus gros Bonheurs de la terre. Ils sont
énormes, invraisemblablement (ibèses et rubiconds,
couverts de velours et de brocarts, couronnés d'or, de
perles et de pierreries. De belles esclaves apportent
sans cesse des plats empanachés et des breuvages écu-
ACTE OUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 163
niants. — Musique vulgaire, hilare et brutale où domi-
nent les cuivres. — Une lumière lourde et rouge baigne
la scène.
Tyltyl, Mytyl, le Cliien, le Pain et le Sucre, d'abord assez
intimidés, se pressent, à droite, au premier plan, autour de
la Lumière. La Chatte, sans rien dire, se dirige vers le fond,
également à droite, soulève un rideau sombre et disparait.
TYLTYL
Qu'est-ce que ces gros messieurs qui s'amu-
sent et mangent tant de bonnes choses?
LA LUMIÈRE
Ce sont les plus gros Bonheurs de la Terre,
ceux qu'on peut voir à l'œil nu. Il est possible,
bien qu'assez peu probable, que l'Oiseau-Bleu
se soit un instant égaré parmi eux. C'est pour-
quoi ne tourne pas encore le Diamant. Nous
allons, pour la forme, explorer tout 'd'abord
cette partie de la salle.
TYLTYL
Est-ce qu'on peut s'approcher?
164 L'OISEAU BI-EU
LA LUMIÈRE
Certainement. Ils ne sont pas méchants,
bien que vulgaires et, d'habitude, assez mal
élevés.
MYTYL
Qu'ils ont de beaux gâteaux!...
LE CHIEN
Et du gibier! et des saucisses! et des gigots
d'agneau et du foie de veau!... (Proclamant.) Rien
au monde n'est meilleur, rien n'est plus beau
et rien ne vaut le foie de veau!...
LE PAIN
Excepté les Pains-de-quatre-livres pétris de
fine fleur de froment! Ils en ont d'admirables!...
Qu'ils sont beaux! qu'ils sont beaux!... Ils sont
plus gros que moi!...
LE SUCRE
Pardon, pardon, mille pardons... Permettez,
permettez... Je ne voudrais froisser personne;
mais n'oubliez-vous pas les Sucreries qui sont
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 16S
la gloire de cette table et dont l'éclat et la ma-
gnificence surpassent, si j'ose m'exprimer ainsi,
tout ce qu'il y a dans cette salle et peut-êtr&
en tout autre lieu...
TYLTYL
Qu'ils ont l'air contents et heureux!... Et ils
crient! et ils rient! et ils chantent!... Je crois
qu'ils nous ont vus...
En eflet, une douzaine des plus Gros Bonlieurs se sont
levés de table et s'avancent péniblement, en soute-
nant leur ventre, vers le groupe des enfants.
LA LUMIÈRE
Ne crains rien, ils sont très accueillants... Ils
vont probablement t'inviter à dîner... N'accepte
pas, n'accepte rien, de peur d'oublier ta mis-
sion...
TYLTYL *
Quoi? Pas même un petit gâteau? Ils ont l'air
si bons, si frais, si bien glacés de sucre, ornés
de fruits confits et débordants de crème!...
LA LUMIÈRE
Ils sont dangereux et briseraient ta volonté^
\{j6 L"0ISEAL" dleu
Il faut savoir sacrifier quelque chose au devoir
<|u'on remplit. Refuse poliment mais avec fer-
meté. Les voici...
LE PLUS GROS DES BONHEURS, tcmlant la main à Tyltyl.
Bonjour, Tyltyl!...
TYLTYL, ••tonne.
Vous me connaissez donc.-*... Qui ctes-vous?..,
LE GROS BONHEUR
Je suis le plus gros des Bonheurs, le Bonheur-
d'être-riche, et je viens, au nom de mes frères,
vous prier, vous et votre famille, d'honorer
de votre présence notre repas sans fm. Vous
vous trouverez au milieu de tout ce qu'il y a
de mieux parmi les vrais et gros Bonheurs de
de cette Terre. Permettez que je vous présente
les principaux d'entre eux. Voici mon gendre,
le Bonheur-d'êtrft-propriétaire,qui a le ventre en
poire. Voici le Bonheur-de-la-vanité-satisfaite,
dont le visage est si gracieusement bouffi.
(Le Bonlieur-ile-la-vanilc-satisf.iitc salue d'un air protecteur.)
Voici le Bonheur-de-boire-quand-on-n'a-plus-
soif et le Bonheur-de-manger-quand-on-n'a-
ACTE QUATRIÈME, .NEUVIÈME TABLEAU 107
plus-faim, qui sont jumeaux et ont les jambes
en macaroni, (ils saluent eu cimnceiam.) Voici le
Bonheur-de-ne-rien-savoir, qui est sourd comme
une limande, et le Bonheur-de-ne-rien-com-
prendre, qui est aveugle comme une taupe.
Voici le Bonheur-de-ne-rien-faire et le Bonheur-
de-dormir-plus-qu'il-n'est-nécessaire, qui ont
les mains en mie de pain et les yeux en gelée
de pêche. Voici enfin le Rire- Épais qui est
fendu jusqu'aux oreilles et auquel rien ne peut
résister...
Le Rire-Épais salue en se lordaut.
TYLTYL, montrant du doigt un Gros Bonheur qui se tient
un peu à l'écart.
Et celui-là, qui n'ose pas approcher et nous
tourne le dos?...
LE GROS BONHEUR
N'insistez pas, il est un peu gêné et n'est pas
présentable à des enfants... (Saisissant les mains de
Tyityl.) Mais venez donc! On recommence le fes-
tin... C'est la douzième fois depuis l'aurore.
On n'attend plus que vous... Entendez-vous
tous les convives qui vous réclament à grands
168 L'OISEAU BLEU
€ris?... Je ne puis vous les présenter tous, ils
sont extrêmement nombreux... (Offrant le bras aux
deux enfants.) Permettez que je vous conduise aux
deux places d'honneur...
TYLTYL
Je vous remercie bien, monsieur le Gros
Bonheur... Je regrette vivement... Je ne peux
pas pour le moment... Nous sommes très pressés,
nous cherchons l'Oiseau-Bleu. Vous ne sauriez
pas, par hasard, où il se cache?
LE GROS BONHEUR
L'Oiseau-Bleu?... Attendez donc... Oui, oui,
je me rappelle... On[m'en a parlé dans le temps...
C'est, je croiSj un oiseau qui n'est pas comes-
tible... En tout cas, il n'a jamais paru sur notre
table... C'est vous dire qu'on le tient en médiocre
estime... Mais ne vous mettez pas en peine;
nous avons 'tant d'autres choses bien meil-
leures... Vous allez vous mêler à notre vie, vous
verrez tout ce que nous faisons...
TYLTYL
Que faites-vous?
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 109
LE GROS BONHEUR
Mais nous nous occupons sans cesse à ne rien
faire... Nous n'avons pas une minute de repos...
Il faut boire, il faut manger, il faut dormir.
C'est extrêmement absorbant...
TYLTYL
Est-ce que c'est amusant?
LE GROS BONHEUR
Mais oui... Il le faut bien, il n'y a pas autre
chose sur cette Terre...
LA LUMIÈRE
Croyez-vous?...
LE GROS BONHEUR, indiquant du doigt
la Lumière, bas, à Tyltyl.
Quelle est cette jeune personne mal élevée?...
Durant toute la conversation précédente, une foule de
•Gros Bonlieurs de second ordre s'est occupée du
Chien, du Sucre et du Pain, et les a entraînés vers
l'orgie. Tyltyl aperçoit soudain ces derniers qui, atta-
blés fraternellement avec leurs hôtes, mangent, boi-
vent et se trémoussent follement.
15
170 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Voyez donc, la Lumière!... Ils sont à table!..,
LA LUMIÈRE
Rappelle-les! sinon cela finira mail...
TYLTYL
Tylô!...Tylô! ici!... Veux-tu venir ici, tout de
suite, entends-tu!... Et vous, là-bas, le Sucre et
le Pain, qui donc vous a permis de me quitter?...
Qu'est-ce que vous faites là, sans autorisation?..,
LE PAIN, la bouche pleine.
Est-ce que tu ne pourrais pas nous parler plus
poliment?...
TYLTYL
Quoi? C'est le Pain qui se permet de me tu-
toyer?... Mais qu'est-ce qui te prend?... Et toi,
Tylô!... Est-ce ainsi qu'on obéit? Allons, viens
ici, à genoux, à genoux!... Et plus vite que
ca!...
ACTE QLATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 171
LE CHIEN, à mi-voix et du bout de )a lable.
Moi, quand je mange, je n'y suis pour per-
sonne et je n'entends plus rien...
LE SUCRE, miellcuscmenl.
Excusez-nous, nous ne saurions quitter ainsi,
sans les froisser, d'aussi aimables hôtes...
LE GROS BONHEUR
Vous voyez!... Ils vous donnent l'exemple...
Venez, on vous attend... Nous n'admettons pas
de refus... On vous fera une douce violence...
Allons, les Gros Bonheurs, aidez-moi!... Pous-
sons-les de force vers la table, pour qu'ils soient
heureux malgré eux!..
Tous les Gros Bonheurs, ;ivec des cris de joie et gam-
badant de leur mieux, entraînent les enfants qui se
débattent, tandis que Je Rire-Épais saisit vigoureuse-
ment la Lumière par la taille.
LA LUMIÈRE
Tourne le Diamant, il est temps!...
Tjllyl fait ce qu'ordonne la Lumière. Aussitôt la scène
s'illumine d'une flarlé ineffablemenl pure, disinemcnt
17-2 L'OISEAU DLEU
rosée, harmonieuse et légère. Les lourds ornement»
(lu premier plan, les épaisses tentures rouges se dé-
tachent et disparaissent, dévoilant un fabuleux et doux
jardin de paix légère et de sérénité, une sorte de palais
(le verdure aux perspectives harmonieuses, où la magnrt-
ficence dos feuillages, puissants et lumineux, exubérants
et néanmoins disciplinés, où l'ivresse virginale des fleurs
et la fraîche allégresse des eaux qui coulent, ruissellent
et jaillissent de toutes parts spmblenl entraîner jus-
qu'aux conlitis de l'horizon l'idée même de la félicite.
La table de l'orgie s'etlondre sans laisser de traces; les
velours, les brocarts, les couronnes des Gros Bonheurs,
au souffle lumineux qui envahit la scène, se soulèvent,
se déchirent et lombenl, en même temps que les masques
hilares, aux pieds des convives abasourdis. Ceux-ci se
dégonflent à vue d'œil, comme des vessies crevées,
s'entre-regardent, clignotent sous les rayons inconnus
■ qui les blessent, et, se voyant enfin tels qu'ils sont en
vérité, c'est-à-dire nus, hideux, flasques et lamentables^
se mettent à pousser des hurlements de honte et d'épou-
vante, parmi lesquels on distingue très nettement
ceux du Rire-Épais qui dominent tous les autres. Seul
le Bonheur-de-ne-rien-comprendre demeure parfaite-
ment calme, tandis que ses collègues s'agitent éperdu-
ment, cherchent à fuir, à se cacher dans les coins
qu'ils espèrent plus sombres. Mais il n'y a plus d'ombre
dans le jardin éblouissant. Aussi la plupart se déci-
dent-ils à franchir, en désespoir de cause, le rideau
menaçiint qui, sur la droite, dans un angle, ferme la
voûte de la caverne des Malheurs. A chaque fois que
l'un d'eux, dans la panique, soulève un pan de ce ri-
deau, on entend s'élever du creux de l'antre une tem-
pête d'injures, d'imprécations et de malédictions.
Quant au Chien, au Pain et au Sucre, l'oreille basse,
ils rejoignent le groupe des enfants, et, très penauds,
se dissimulent derrière eux.
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 17S
TYLTYL, regardant fuir les Gros Bonheurs.
Dieu qu'ils sont laids!... Où vont-ils?...
LA LUMIÈRE
Ma foi, je crois qu'ils ont perdu la tête... Ils
vont se réfugier chez les Malheurs où je crains
fort qu'on ne les retienne définitivement...
TYLTYL, regardant autour de soi, émervi'illé.
Oh! le beau jardin, le beau jardin!... Où
sommes-nous?...
LA LUMIÈRE
Nous n'avons pas changé de place; ce sont
tes yeux qui ont changé de sphère... Nous
voyons à présent la vérité des choses; et nous
allons apercevoir l'âme des Bonheurs qui sup-
portent la clarté du Diamant.
TYLTYL
Que c'est beau!... Qu'il fait beau!... On se
croirait en plein été... Tiens! on dirait qu'on
15.
174 L'OISEAU BLEU
s'approche et qu'on va s'occuper de nous...
En effet, les jardins commencent à se peupler de formes
angcliques qui semblent sortir d'un long sommeil et
glissent harmonieusement entre les arbres. Elles sont
vêtues de robes lumineuses, aux subtiles et suaves
nuances : réveil de rose, sourire d'eau, azur d'aurore,
rosée d'ambre, etc..
LA LUMIÈRE
Voici que s'avancent quelques Bonheurs ai-
mables et curieux qui vont nous renseigner...
TYLTYL
Tu les connais?...
LA LUMIÈRE
Oui, je les connais tous; je viens souvent chez
eux, sans qu'ils sachent qui je suis...
TYLTYL
Il yen a, il y en a!... Ils sortent de tous côtés!...
LA LUMIÈRE
Il y en avait beaucoup plus dans le temps.
Les Gros Bonheurs leur ont fait bien du tort.
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 175
TYLTYL
C'est égal, il en reste pas mal...
LA LUMIÈRE
Tu en verras bien d'autres, à mesure que l'in-
fluence du Diamant se répandra parmi les jar-
dins... On trouve sur la Terre beaucoup plus de
Bonheurs qu'on ne croit; mais la plupart des
Hommes ne les découvrent point...
TYLTYL
En voici de petits qui s'avancent, courons à
leur rencontre...
LA LUMIÈRE
C'est inutile; ceux qui nous intéressent pas-
seront par ici. Nous n'avons pas le temps de
faire la connaissance de tous les autres...
Une bande de Petits Bonheurs, gambadant et riant aux
éclats, accourt du load des verdures et diiise une ronde
autour des enCanls.
TYLTYL
Qu'ils sont jolis, jolis!... D'où viennent-ils,
qui sont-ils?...
17G L'OISEAU BLEU
LA LUMIÈRE
Ce sont les Bonheurs des enfants...
TYLTYL
Est-ce qu'on peut leur parler?...
LA LUMIÈRE
C'est inutile. Ils chantent, ils dansent, ils
rient, mais ils ne parlent pas encore...
TYLTYL, frétillant.
Bonjour! Bonjour!... Oh! le gros, là, qui rit!...
Qu'ils ont de belles joues, qu'ils ont de b'elles
robes!... Ils sont tous riches ici?...
LA LUMIÈRE
Mais non, ici comme partout, il y a bien plus
de pauvres que de riches...
TYLTYL
Où sont les pauvres?...
LA LUMIÈRE
On ne peut pas les distinguer... Le Bonhei>r
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TADLEAU 177
d'un enfant est toujours revêtu de ce qu'il y a
de plus beau sur terre et dans les cieux.
TYLTYL, ne tenant plus en place.
Je voudrais danser avec eux...
LA LUMIÈRE
C'est absolument impossible, nous n'avons
pas le temps... Je vois qu'ils n'ont pas l'Oiseau-
Bleu... Du reste, ils sont pressés, tu vois, ils sont
déjà passés... Eux non plus n'ont pas de tenips
à perdre, car l'enfance est très brève...
Une autre bande de Bonheurs, un peu plus grands que
les précédents, se précipite dans le jardin, et chantant à
tue-tètc : « Les voilà ! les voilà ! Ils nous voient ! Ils
nous voient!... » danse autour des enfants une joyeuse
farandole, à la fin de laquelle, celui qui paraît être le
chef de la petite troupe s'avance vers Tyltyl en lui
tendant lu main.
LE BONHEUR
Bonjour, Tyltyl!...
TYLTYL
Encore un qui me connaît!... (A la Lumière.) On
commence à me connaître un peu partout...
Qui es-tu?...
i78 L'OISEAU BLEU
LE BONHEUR
Tu ne me reconnais pas?... Je parie que tu ne
reconnais aucun de ceux qui sont ici?...
TYLTYL, assez embarrassée
Mais non... Je ne sais pas... Je ne me rappelle
pas vous avoir vus...
LE BONHEUR
Vous entendez?... J'en étais sûr!... Il ne nous
a jamais vus!... (Tous les autres Bonheurs de la bande
éclatent de rire.) Mais, mon petit Tyltyl, tu ne
connais que nous!... Nous sommes toujours
autour de toi!... Nous mangeons, nous buvons,
nous nous éveillons, nous respirons, nous vivons
avec toi!... ^
TYLTYL
Oui, oui, parfaitement, je sais, je me rap-
pelle... Mais je voudrais savoir comment on
vous appelle...
LE BONHEUR
Je vois bien que tu ne sais rien... Je suis le
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 179
chef des Bonheurs-de-ta-maison; et tous ceux-ci
sont les autres Bonheurs qui l'habitent...
TYLTYL
Il y a donc des Bonheurs à la maison?...
Tous les Bonheurs éclatent de rire.
LE BONHEUR
Vous l'avez entendu!... S'il y a des Bonheurs
dans ta maison!... Mais, petit malheureux, elle
en est pleine à faire sauter les portes et les fe-
nêtres!... Nous rions, nous chantons, nous
créons de la joie à refouler les murs, à soulever
les toits; mais nous avons beau faire, tu ne vois
rien, tu n'entends rien... J'espère qu'à l'avenir
tu seras un peu plus raisonnable... En atten-
dant, tu vas serrer la main aux plus notables...
Une fois rentré chez toi, tu les reconnaîtras ainsi
plus facilement... Et puis, à la fin d'un beau
jour, tu sauras les encourager d'un sourire, les
remercier d'un mot aimable, car ils font vrai-
ment tout ce qu'ils peuvent pour te rendre la
vie légère et délicieuse... Moi d'abord, ton ser-
viteur, le Bonheur-de-se-bien-porter... Je ne
suis pas le plus joli, mais le plus sérieux. Tu me
*8U I/OISEAU BLEU
reconnaîtras?... Voici le Bonheur-de-l'air-pur,
qui est à peu près transparent... Voici le
Bonheur-d'aimer-ses-parents, qui est vêtu de
gris et toujours un peu triste, parce qu'on ne
le regarde jamais... Voici le Bonheur-du-ciel-
î)leu, qui est naturellement vêtu de bleu; et le
Bonhcur-de-la-forêt qui, non moins naturelle-
ment, est habillé de vert, et que tu reverras
chaque fois que tu te mettras à la fenêtre...
Voici encore le bon Bonheur-des-heures-de-
soleil qui est couleur de diamant, et celui du-
Printemps qui est d'émeraude folle...
TYLTYL
Et vous êtes aussi beaux tous les jours?...
LE BONHEUR
Mais oui, c'est tous les jours dimanche, dans
toutes les maisons, quand on ouvre les yeux...
Et puis, quand vient le soir, voici le Bonheur-
des-couchers-de-soleil, qui est plus beau que tous
les rois du monde; et que suit le Bonheur-de-
voir-se-lever-les-étoiles, doré comme un dieu
d'autrefois... Puis, quand il fait mauvais, voici
le Bonheur-de-la-pluie qui est couvert de perles,
)
II
ACÏI': Ol'ATIUÈME, NEUVIÈME TAHI^EVU 181
et le Bonheur-du-feu-d'hiver qui ouvre aux
mains gelées son beau manteau de pourpre...
Et je ne parle pas du meilleur de tous, parce
qu'il est presque frère des grandes Joies lim-
pides que vous verrez bientôt, et qui est le
Bonheur-des-pensées-innocentes, le plus clair
d'entre nous... Et puis, voici encore... Mais vrai-
ment, ils sont trop!... Nous n'en finirions pas,
et je dois prévenir d'abord les Grandes-Joies
qui sont là-haut, au fond, près des portes du
ciel, et ne savent pas encore que vous êtes arri-
vés... Je vais leur dépêcher le Bonheur-de-courir-
nu-pieds-dans-la-rosée, qui est le plus agile...
(Au Bonheur qu'il vient de nommer et f|ui s'ava ce en faisant
(les cabrioles.) Va !...
A ce moment, une sorte de diablotin en maillot noir,
bousculant tout le monde en poussant des cris inarti-
cuics, s"approclie de Tyltyl, et g;imbude follement en
l'acciblant de nasardes, taloches et coiips de j ied insai-
sissables.
TYLTYL, ahuri et profondément imii^né.
Qu'est-ce que c'est que ce sauvage?
LE BO>^HEUR
Bon! c'est encore le Plaisir-d'être-insuppor-
16
182 L'OISEAU BLEU
table qui s'est échappé de la caverne des Mal-
heurs. On ne sait où l'enfermer. Il s'évade de
partout, et les Malheurs eux-mêmes ne veulent
plus le garder.
Le diablotin continue de luliner Tyltyl qui essaye vaine-
ment de se défendre, puis, soudain, riant aux éclats,
disp irait sans raison, con)me il était venu.
TYLTYL
Qu'est-ce qu'il a? Il est un peu fou?
LA LUMIÈRE
Je ne sais. Il parait que c'est ainsi que tu es
toi-même lorsque tu n'es pas sage. Mais en at-
tendant, il faudrait s'informer de l'Oiseau-Bleu.
Il se peut que le chef des Bonheurs-de-ta-
maison n'ignore pas où il se trouve...
TYLTYL
Où est-il?...
LE BONHEUR
Il ne sait pas où se trouve l'Oiseau-Bleu!...
Tous les Bonhci rs-de-'a-maison éclatent de rire.
ACTE QUATRIEME, XEUVJÈME TABLEAU 183
TYLTYL, vexé.
Mais non, je ne sais pas... Il n'y a pas de quoi
rire...
Nouveaux éclats de rires.
LE BONHEUR
Voyons, ne te fâche pas... et puis, soyons
sérieux... Il ne sait pas, que voulez-vous, il
n'est pas plus ridicule que la plupart des
Hommes... Mais voici que le petit Bonheur-
de-courir-nu-pieds-dans-la-rosée a prévenu les
Grandes-Joies qui s'avancent vers nous..
Eu effet, les hautes et belles figures angéliques, vêtues
(le robes lumineuses, s'approchent lentement.
TYLTYI
Qu'elles sont belles!... Pourquoi ne rient-
elles pas?... Ne sont-elles pas heureuses?...
LA LUMIÈRE
Ce n'est pas quand on rit qu'on est le plus
heureux...
184 LOISEAl' IJLEL'
TYLTYL
Qui sont-elles?...
LE BONHEUR
Ce sont les Grandes-Joies...
TYLTYL
Tu sais leurs noms?...
LE BONHEUR
Naturellement, nous jouons souvent avec
elles... Voici d'abord : devant les autres, la
Grande- Joie-d'être-juste, qui sourit chaque fois
qu'une injustice est réparée, — je suis trop
jeune, je ne l'ai pas encore vu sourire. Der-
rière elle, c'est la Joie-d'être-bonne, qui est la
plus heureuse, mais la plus triste; et qu'on a
bien du mal à empêcher d'aller chez les Malheurs
qu'elle voudrait consoler. A droite, c'est la
Joie-du-travail-accompli à côté de la Joie-de-
penser. Ensuite, c'est la Joie-de-comprendre qui
cherche toujours son frère, le Bonheur-de-ne-
rien-comp:'cndre...
ACTE OLiATlUÈME, NEL \ lÈME TAULEAU 185
TYLTYL
Mais je l'ai vu, son frère!... Il est allé chez
les Malheurs avec les Gros Bonheurs...
LE BONHEUR
J'en étais sûr!... Il a mal tourné, de mau-
vaises fréquentations l'ont entièrement per-
verti... Mais n'en parle pas à sa sœur. Elle
voudrait aller le chercher et nous y perdrions
une des plus belles joies... Voici encore, parmi
les plus grandes, la Joie-de-voir-ce-qui-est-
beau, qui ajoute chaque jour quelques rayons
à la lumière qui règne ici...
TYLTYL
Et là, au loin, au loin, dans les nuages d'or,
celle que j'ai peine à voir en me dressant tant
que je peux sur la pointe des pieds?...
LE BONHEUR
C'est la grande Joie-d'aimer... Mais tu auras
beau faire, tu es bien trop petit pour la voir
tout entière...
16.
180 L'01SEA.i: ULEU
TYLTYL
Et là-bas, tout au fond, celles qui sont voilées
et ne s'approchent pas?...
LE BONHEUR
Ce sont C3lles que les Hommes ne connaissent
pas encore...
TYLTYL
Que nous veulent les autres?... Pourquoi
s'écartent-elles?...
LE BONHEUR
C'est devant une Joie nouvelle qui s'avance^
peut-être la plus pure que nous ayons ici..
TYLTYL
Qui est-ce?...
LE BONHEUR
Tu ne la reconnais pas encore?... Mais re-
garde donc mieux, ouvre donc tes deux yeux
jusqu'au cœur de ton âme!... Elle t'a vu, elle
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 187
t'a vu!... Elle accourt en te tendant les bras!..
C'est la Joie de ta mère, c'est la Joie sans-égale-
de-l'amour-maternel !...
Après l'avoir acclamée, les antres Joies, accouiues de
toutes parts, s'é.arlcnt en silence devant la Joie-de-
i'amour-maternel.
l'amour maternel
■ Tyltyl! Et puis Mytyl!... Comment, c'est
vous, c'est vous que je retrouve ici!... Je ne
m'attendais pas!... J'étais bien seule à la mai-
son, et voici que tous deux vous montez jus-
qu'au ciel où rayonnent dans la Joie l'âme de
toutes les mères!... Mais d'abord des baisers,
des baisers tant qu'on peut!... Tous les deux
dans mes bras, il n'y a rien au monde qui donne
plus de bonheur!... Tyltyl, tu ne ris pas?.,.
Ni toi non plus, Mytyl?... Vous ne connaissez
pas l'amour de votre mère?... Mais regardez-
moi donc, et n'est-ce pas mes yeux, mes lèvres
et mes bras?...
TYLTYL
Mais si, je reconnais, mais je ne savais pas...
Tu ressembles à maman, mais tu es bien plus
belle...
1S8 i;uisEAi ni. eu
L AMOUR MATERNEL
Évidemment, moi, je ne vieillis plus... Et
chaque jour qui passe m'apporte de la force, de
la jeunesse et du bonheur... Chacun de tes
sourires m'allège d'une année... A la maison,
cela ne se voit pas, mais ici l'on voit tout, et
c'est la vérité...
TYLTYL, l'iii Tvcillé, la coiilem;>liiiil et lYTiibiassanl
tuiir à luur.
Et cette belle robe, en quoi donc qu'elle est
faite?... Est-ce que c'est de la soie, de l'argent
ou des perles?..,
l'amour maternel
Non, ce sont des baisers, des regards, des ca-
resses... chaque baiser qu'on donne y ajoute un
rayon de lune ou de soleil...
TYLTYL
C'est drôle, je n'aurais jamais cru que tu
étais si riche... Où donc la cachais-tu?... Était-
elle dans l'armoire dont papa a la clef?...
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME T\IJUE\U IX'.I
l'amour maternel
Mais non, je l'ai toujours, mais on ne la voit
pas, parce qu'on ne voit rien quand les yeux
sont fermés... Toutes les mères sont riches quand
elles aiment leurs enfants... Il n'en est pas de
pauvres, il n'en est pas de laides, il n'en est
pas de vieilles... Leur amour est toujours la
plus belle des Joies... Et quand elles semblent
tristes, il suffit d'un baiser qu'elles reçoivent ou
qu'elles donnent pour que toutes leurs larmes
deviennent des étoiles dansle fond de leurs yeux...
TYLTYL, l.i regirJatil avec étonnemciil.
Mais oui, c'est vrai, tes yeux, ils sont remplis
d'étoiles... Et ce sont bien tes yeux, mais ils
sont bien plus beaux... Et c'est ta main aussi,
elle a sa petite bague... Elle a même la brûlure
que tu t'es faite un soir en allumant la lampe...
Mais elle est bien plus blanche et qu'elle a la
peau fine!... On dirait qu'on y voit couler de la
lumière... Elle ne travaille pas comme celle de
la maison?...
l'amour maternel
Mais si, c'est bien la même; tu n'avais donc
190 L'OISEAU BLEU
pas vu qu'elle devient toute blanche et s'emplit
de lumière dès qu'elle te caresse?...
TYLTYL
C'est étonnant, maman, c'est bien ta voix
aussi; mais tu parles bien mieux que chez
nous...
'amour maternel
Chez nous on a bien trop à faire et l'on n'a
pas le temps... Mais ce qu'on ne dit pas, on l'en-
tend tout de même... Maintenant que tu m'as
vue, me reconnaîtras-tu, sous ma robe déchirée,
lorsque tu rentreras demain dans la chaumière?...
TYLTYL
Je ne veux pas rentrer... Puisque tu es ici»
j'y veux rester aussi, tant que tu y seras...
l'amour maternel
Mais c'est la même chose, c'est là-bas que je
suis, c'est là-bas que nous sommes... Tu n'es,
venu ici que pour te rendre compte 3t pour
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 191
apprendre enfin comment il faut me voir quand
tu me vois là-bas... Comprends-tu, mon Tyl-
tyl?... Tu te crois dans le ciel; mais le ciel est
partout où nous nous embrassons... Il n'y a pas
deux mères, et tu n'en as pas d'autre... Chaque
-enfant n'en a qu'une et c'est toujours la même
et toujours la plus belle; mais il faut la con-
naître et savoir regarder... Mais comment as-tu
fait pour arriver ici et trouver une route que les
Hommes ont cherchée depuis qu'ils habitent la
Terre?...
TYLTYL, mourant la Lumière <iui, par discrctioii,
s'est un peu écartée.
C'est elle qui m'a conduit...
l'amour maternel
Qui est-ce?...
TYLTYL : '^
La Lumière...
l'amour maternel
Je ne l'ai jamais vue... On m'avait dit qu'elle
192 I/OISEAU BLEU
vous aimait bien et qu'elle était très bonne...
Mais pourquoi se cache-t-elle?... Elle ne montre
jamais son visage?...
TYLTYL
Mais si, mais elle a peur que les Bonheurs
aient peur s'ils y voyaient trop clair...
l'amour maternel
Mais elle ne sait donc pas que nous n'atten-
dons qu'elle!... {Appelant los autres Cramles Joiîs.)
Venez, venez, mes sœurs! Venez, accourez^
toutes, c'est la Lumière qui vient enfin nous
visiter!...'
Fn- riis^e. lient parmi les r.r;mili's Joies qui se ra|>pio-
clieul. Cris : " l.a l.uniioie est iei !... Lu Lumière, ht
Lumière '... »
LA JOIE-DE-COMPRENDRE, écarlnnt IduIcs les autres
pour seiiir e ubrasscr la Lumière.
Vous êtes la Lumière et nous ne savions pas!...
Et voici des années, des années, des années que
nous vous attendons!... Me reconnaissez-vous?...
C'est la Joic-de-comprendre qui vous a tant
ACTE OUATHIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 1'.':^
cherchée... Nous sommes très heureuses, mais
nous ne voyons pas au delà de nous-mêmes...
LA joie-d'être-juste, embrî.ssant la i.mniùie
il son tuur.
Me reconnaissez-vous ?... C'est la Joie-d'être-
juste qui vous a tant priée... Nous sommes
très heureuses, mais nous ne voyons pas au delà
de nos ombres...
LA JOIE-DE-VOIR-CE-QUI-EST-BEAU, rembrassant
également.
Me reconnaissez-vous?... C'est la Joie-des-
beautés qui vous a tant aimée... Nous sommes
très heureuses, mais nous ne voyons pas au delà
de nos songes...
LA JOIE-DE-COMPRENDRE
Voyez, voyez, ma sœur, ne nous faites plus
attendre... Nous sommes assez fortes, nous
sommes assez pures... Écartez donc ces voiles
qui nous cachent encore les dernières vérités
et les derniers bonheurs... Voyez, toutes mes
sœurs s'agenouillent à vos pieds... Vous êtes
notre reine et notre récompense...
17
lui i;OISE.\U CLEU
LA LU3IIERE, resserrant se5 voiles.
Mes sœurs, mes belles sœurs, j'obéis à mon
Maître... L'heure n'est pas venue, elle sonnera
peut-être et je vous reviendrai sans craintes et
sans ombres... Adieu, relevez-vous, embrassons-
nous encore comme des sœurs retrouvées, en at-
tendant le jour qui paraîtra bientôt...
l'amour maternel, embrassant l;i Lumière.
Vous avez été bonne pour mes pauvres
petits...
la lumière
Je serai toujours bonne autour de ceux qui
s'aiment...
LA JOIE-DE-COMPRENDRE, s'approo liant de l;i Lumitre.
Que le dernier baiser soit posé sur mon front...
Elles s'embrassent longuement, et, quand elles se sé-
parent et relèvent la tête, on voit des larmes dans
leurs yeux.
TYLTYL, étonné.
Pourquoi pleurez-vous?... (Refc'ard.iut les autres
ACTE QUATRIÈME, NEUVIÈME TABLEAU 195.
Joies.) Tiens! vous pleurez aussi... Mais pourquoi
tout le monde a-t-il des larmes plein les yeux?...
LA LUMIERE
Silence, mon enfant...
RIDEAU
ACTE CINQUIÈME
DIXIEME TABLE/VU
LE ROYAUME DE L'AVENIR
Les salles immenses du Palais d'Azur, où attendent
les enfants qui vont naître. — Infinies perspectives de
colonnes de saphir soutenant des voûtes de turquoise.
Tout ici, depuis la lumière et les dalles de lapis-lazuli
jusqu'aux pulvérulences du fond où se perdent les der-
niers arceaux, jusqu'aux moindres objets, est d'un bleu
irréel, intense, féerique. Seuls les chapiteaux et les
socles des colonnes, les clefs de voûte, quelques siègesi
quelques bancs circulaires sont de marbre blanc ou
d'albâtre. — A droite, entre les colonnes, de grandes
portes opalines. Ces portes, dont le Temps, vers la fin de
la scène, écartera les battants, s'ouvrent sur la Vie
actuelle et les quais de l'Aurore. Partout, peuplant har-
monieusement la salle, une foule d'enfants vêtus de
longues robes azurées. — ■ Les uns jouent, d'autres se
promènent, d'autres causent ou songent; beaucoup sont
endormis, beaucoup aussi travaillent, entre les colon-
nades, aux inventions futures; et leurs outils, leurs ins-
17.
i;8 L'OISEAU BLEU
truments, les appareils qu'ils construisent, les plantes,
les fleurs et les fruits qu'ils cultivent ou qu'ils cueillent
sont du même bleu surnaturel et lumineux que l'atmos-
phère générale du Palais. — Parmi les enfants, revêtues
d'un azur plus pâle et plus diaphane, passent et repas-
sent quelques figures de haute taille, d'une beauté sou-
veraine et silencieuse, qui paraissent être des anges.
Eniront à gauche, comme à la dérobée, en se glissant parmi
les colonnes du premier plan, Tyltyl, Wytyl et la Lumière.
Leur arrivée provoque un certain mouvement parmi les
Eufants-Bleus qui bientôt accourent de toutes parts et se
groupent autour des itisolites \isiteurs qu'ils contemplent avec
curiosité.
MYTYL
Où est le Sucre, la Chatte et le bon Pain ?...
LA LUMIÈRE
Ils ne peuvent pas entrer ici; ils connaîtraient
l'Avenir et n'obéiraient plus...
TYLTYL
Et le Chien?...
LA LUMIÈRE
Il n'est pas bon, non plus, qu'il sache ce qui
ACTE CINOUIÊME, DIXIÈME TADLEAU 19!>
l'attend dans la .suite des siècles... Je les ai em-
prisonnés dans les souterrains de l'église..
TYLTYL
Où sommes-nous?...
LA LUMIÈRE
Nous sommes dans le Royaume de l'Avenir^
au milieu des enfants qui ne sont pas encore nés.
Puisque le Diamant nous permet de voir clair
en cette région que les Hommes n'aperçoivent
pas, nous y trouverons fort probablement l'Oi-
seau-Bleu... ^
TYLTYL
Bien sûr que l'Oiseau sera bleu, puisque tout
y est bleu... (Regardant tout autour de soi.) Dieu que
c'est beau tout ça!...
LA. LUMIÈRE
Regarde les enfants qui accourent...
TYLTYL
Est-ce qu'ils sont fâchés?...
200 L'OISEAU BLEU
LA LUMIÈRE
Pas du tout... Tu vois bien, ils 'sourient, mais
ils sont étonnés...
LES ENFANTS-BLEUS, accourant
de plus eu plus nombreux.
Des petits Vivants... Venez voir les petits
Vivants!...
TYLTYL
Pourquoi qu'ils nous appellent « les petits
Vivants »?...
LA LUMIÈRE
Parce qu'eux, ils ne vivent pas encore...
TYLTYL
Qu'est-ce qu'ils font alors?...
LA LUMIÈRE
Ils attendent l'heure de leur naissance...
TYLTYL
L'heure de leur naissance?..
ACTE CIMJUIEME, DIXIEME TABLEAU 201
LA LUMIÈRE
Oui; c'est d'ici que viennent tous les enfants
qui naissent sur notre Terre. Chacun attend son
jour... Quand les Pères et les Mères désirent
des enfants, on ouvre les- grandes portes que
tu vois là, à droite; et les petits descendent...
TYLTYL
Y en a-t-ii! Y en a-t-il!...
LA LUMIÈRE
Il y en a bien davantage... On ne les voit pas
tous... Pense donc, il en faut de quoi peupler
la fin des temps... Personne ne saurait les comp-
ter...
TYLTYL
Et ce&grandes personnes bleues, qu'est-ce que
c'est?...
LA LUMIÈRE
On ne sait plus au juste... On croit que ce sont
des gardiennes... On dit qu'elles viendront sur
Terre après les Hommes... Mais il n'est pas per-
mis de les interroger...
202 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Pourquoi ?
LA LUMIÈRE
Parce que c'est le secret de la Terre...
TYLTYL
Et les autres, les petits, on peut leur parler?...
LA LUMIÈRE
Bien sûr, il faut faire connaissance... Tiens,
en voilà un plus curieux que les autres... Ap-
proche-toi, parle-lui...
TYLTYL
Qu'est-ce qu'il faut lui dire?...
LA LUMIÈRE
Ce que tu voudras, comme à un petit cama-
rade...
TYLTYL
Est-ce qu'on'peut lui donner la main?
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 203
LA LUMIÈRE
Évidemment, il ne te fera pas de mal... Mais
voyons, n'aie donc pas l'air si emprunté... Je
vais vous laisser seuls, vous serez plus à Taise
entre vous... J'ai d'ailleurs à causer avec la
Grande-personne Bleue...
TYLTYL, s'approchant de l'Enfant-Bleu et lui tendant
la main.
Bonjour!... (Touchant du doigt la robe bleue de l'Enfant.)
Qu'est-ce que c'est que ça?
L ENFANT, touchant gravement du doigt le chapeau
de Tyltj'l.
Et ça?..,
TYLTYL
Ça?... C'est mon chapeau... Tu n'as pas de
chapeau?... •
l'enfant
Non; pourquoi c'est faire?...
TYLTYL
C'est pour dire bonjour... Et puis, pour quand
fait froid...
201 ^ I/OISEAL' riLEU
l'enfant
Qu'est-ce que c'est faire froid?...
TYLTYL
'^uand on tremble comme ça : brrr! brrr!..,
qu'on souffle dans ses mains et qu'on fait aller
les bras comme ceci...
11 se brasse vigoureusement.
l'enfant
Il fait froid sur la Terre?...
TYLTYL
Mais oui, des fois, l'hiver, quand on n'a pas d?
feu...
l'enfant
Pourquoi qu'on n'en a pas?...
TYLTYI
Parce que ça coûte cher et qu'il faut de l'ar-
gent pour acheter du bois...
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 205
l'enfant
Quoi que c'est de l'argent?
TYLTYL
C'est avec quoi l'on paie...
l'enfant
Ah!...
TYLTYL
Il y en a qui en ont, d'autres qui n'en ont
point...
l'enfant
Pourquoi?...
TYLTYL
C'est qu'ils ne sont pas riches... Est-ce que tu
es riche?... Quel âge as-tu?...
l'enfant
.Je vais naître bientôt... Je naîtrai dans douze
ans... Est-ce que c'est bon, naître?...
TYLTYL
Oh oui!... C'est amusant!...
-'6
^06 L'OISEAU BLEU
l'enfant '
Comment que tu as fait?...
TYLTYL
Je ne me rappelle plus... Il y a si longtemps!...
l'enfant
On dit que c'est si beau, la Terre et les Vi-
vants!...
TYLTYL
Mais oui, ce n'est pas mal... Il y a des oiseaux,
■des gâteaux, des jouets... Quelques-uns les ont
tous; mais ceux qui n'en ont pas peuvent re-
garder les autres...
l'enfant
On nous dit que les mères attendent à la
porte... Elles sont bonnes, est-ce Vrai?...
TYLTYL
Oh oui!... Elles sont meilleures que tout ce
qu'il y a!... Les bonnes-mamans aussi; mais
elles meurent trop vite...
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 207
l'enfant
Elles meurent?... Qu'est-ce que c'est ça?...
TYLTYL
Elles s'en vont un soir, et ne reviennent plus...
l'enfant
Pourquoi?...
TYLTYL
Est-ce qu'on sait?... Peut-être qu'elles sont,
tristes...
l'enfant
Elle est partie, la tienne?...
TYLTYL
Ma bonne-maman?...
l'enfant
Ta maman ou ta bonne-maman, est-ce que-
je sais, moi?...
TYLTYL
Ah! mais, ça ii'est pas la même chose!.!. Les
208 L'OISEAU BLEU
bonnes-mamans s'en vont d'abord; c'est déjà
assez triste... La mienne était très bonne...
l'enfant
Qu'est-ce qu'ils ont, tes yeux?... Est-ce qu'ils
font des perles?...
TYLTYL
Mais non; c'est pas des perles...
l'enfant
Qu'est-ce que c'est alors?...
TYLTYL
C'est rien, c'est tout ce bleu qui m'éblouit un
peu...
l'enfant
Comment que ça s'appelle?...
TYLTYL '
Quoi?...
l'enfant
Là, ce qui tombe?...
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU "209
TYLTYL
C'est rien, c'est un peu d'eau..
l'enfant
Est-ce qu'elle sort des yeux?...
TYLTYL
Oui, des fois, quand on pleure...
l'enfant
Qu'est-ce que c'est pleurer?
0
TYLTYL
Moi, je n'ai pas pleuré; c'est la faute à ce
bleu... Mais si j avais pleuré ce serait la même
chose...
l'enfant
Est-ce qu'on pleure souvent?...
TYLTYL
Pas les petits garçons, mais les petites filles...
On ne pleure pas ici?...
i8.
210 L'OISEAU BLEU
l'enfant
Mais noiij je ne sais pas...
TYLTYL
Eh bien, tu apprendras... Avec quoi que tu
joues, ces grandes ailes bleues?...
l'enfant
Ça?... C'est pour l'invention que je ferai sur
Terre...
TYLTYL
Quelle invention?... ^Tu as donc inventé
quelque chose?...
l'enfant
Mais oui, tu ne sais pas?... Quand je serai sur
Terre, il faudra que j'invente la Chose qui
rend Heureux...
TYLTYL
Est-elle bonne à manger?... Est-ce qu'elle
fait du bruit?...
ACTE CLXQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 211
l'enfant
Mais non, on n'entend rien...
TYLTYL
C'est dommage...
l'enfant
J'y travaille chaque jour... Elle est presque-
achevée... Veux-tu voir?...
TYLTYL
Bien sûr... Où donc est-elle?...
l'enfant
Là, on la voit d'ici, entre ces deux colonnes..-
UN AUTRE ENFANT-BLEU, s'approchant de Tyltjl
et le tirant par la manche.
Veux-tu voir la mienne, dis?...
TYLTYL
Mais oui, qu'est-ce que c'est?...
2l:>. L'OISEAU BLEU
DEUXIÈME ENFANT
Les trente-trois remèdes pour prolonger la
vie... Là, dans ces flacons bleus...
TROISIÈME ENFANT, sortant île la foule.
Moi, j'apporte une lumière que personne ne
connaît!... (U s'illumine tout entier d'uue flamme extraordi-
naire.) C'est assez curieux, pas?..,
QUATRIÈME ENFANT, tirant Tyltyl par le bras.
Viens donc voir ma machine qui vole dans les
airs comme un oiseau sans ailes!...
CINQUIÈME ENFANT
Non, non; d'abord la mienne qui trouve les
trésors qui se cachent dans la lune!...
Les Enfants-Bliîus s'empressent autour de Tyltyl et di-
Mytyl en criant tous ensemble : « Non, non, viens voir
la mienne !... Non, la mienn;est plus belle !... La mienne
est étonnante!... La mienne est tout on sucre!... La
sienne n'est pas curieuse... I! m'en a pris l'idée!..., etc. ».
Parmi ces exclamations désordonnées, on entraine les
petits Vivants <iu côté des ateliers bleus; et là, chacun
des inventeurs met en mouverr^ent sa macliinc idéale.
C'est un tournoiement céruléen de roues, de disques,
de volants, d'engrenages, de |ioulies, de courroies.
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 213
d'objets étranges et encore innommés qu'enveloppent
les bleuâtres vapeurs de l'irréel. Une foule d'appareils
bizarres et mystérieux s'élancent et planent sous les
voijtes, ou rampent au pied des colonnes, tandis que
des enfants déroulent des caries et des plans, ouvrent
des livres, découvrent des statues azurées, apportent
d'énormes fleurs, de gigantesques fruits qui semblent
formés de saphirs et de turquoises.
UN PETIT ENFANT-BLEU, courbé sous le poid«
de colossales pàiiucreltes d'azur.
Regardez donc mes fleurs!..
TYLTYL
Qu'est-ce que c'est?... Je ne les connais
pas...
LE PETIT ENFANT-BLEU
Ce sont des pâquerettes!...
TYLTYL
Pas possible!... Elles sont grandes comme des
roues...
LE PETIT ENFANT-BLEU
Et ce qu'elles sentent bon!...
2i/t L'OISEAU BLEU
TYLTYL, les liumant.
Prodigieux!...
LE PETIT ENFANT-BLEU
Elles seront comme ça quand je serai sur
Terre...
TYLTYL
Quand donc?...
LE PETIT ENFANT-BLEU
r Dans cinquante-trois ans, quatre mois et
neuf jours...
Arrivent deux Enfants-Bleus qui portent comme un lustre,
pendue à une perche, une invraisemblable grappe de
raisins dont les baies sont plus grosses que des poires.
l'un DES ENFANTS QUI PORTENT LA GRAPPE
Que dis-tu de mes fruits?...
TYLTYL
Une grappe de poires!...
l'enfant
lais non, c'est des raisins!... Ils seront tous
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 215
ainsi, lorsque j'aurai trente ans... J'ai trouvé
le moyen...
UN AUTRE ENFA:ST, écrasé sous une corbeille d; pommes
bleues grosses comme des melons.
Et moi!... Voyez mes pommes!... '•
TYLTYL
Mais ce sont des melons!...
l'enfant
Mais non!... Ce sont mes pommes, et les
moins belles encore!... Toutes seront de même
quand je serai vivant... J'ai trouvé le système!...
UN AUTRE ENFANT, apporlaut sur une brouette bleue
des melons bleus plus gros que des citrouilles.
Et mes petits melons?...
TYLTYL
Mais ce sont des citrouilles!...
l'enfant aux melons
Quand je viendrai sur terre, les melons seront
216 L'OISEAU DLEU
fiers!... Je serai le jardinier du Roi des neuf
PJanètes...
TYLTYL
Le Roi des neuf Planètes?... Où est-il? ...
LE ROI DES KEUF PLANÈTES, s'avançant fièrement.
Il seinlile avoir quatre ans et peut à grand'peine se tenir
debout sur ses petites jambes torses.
Le voici!
TYLTYL
Eh bien! tu n'es pas grand...
LE ROI DES NEUF PLANÈTES, grave et sentencieux.
Ce que je ferai sera grand.
TYLTYL
Qu'est-ce que tu feras?
LE ROI DES NEUF PLANÈTES
Je fonderai la Confédération générale des
Planètes solaires.
TYLTYL, interloqué.
Ah, vraiment?
ACTE CLNOUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 21 7
LE ROI DES NEUF PLANÈTES
Toutes en feront partie, excepté Saturne,
Uranus et Neptune qui sont à des distances
exagérées et incommensurables.
Il se retire avec dignité.
TYLTYL
Il est intéressant...
UN ENFANT-BLEU
Et vois-tu celui-là?
TYLTYL
Lequel?
l'entant
Là, le petit qui dort au pied de la colonne...
TYLTYL
Eh bien?
l'enfant
Il apportera la joie pure sur le Globe..
TYLTYL
Comment?...
19
218 L'OISEAU HLEU
L ENFANT
Par des idées qu'on n'a pas encore eues.
TYLTYL
Et l'autre, le petit gros qui a les doigts dans
le nez, qu'est-ce qu'il fera, lui?...
L ENFANT
Il doit trouver le feu pour réchauffer la Terre
quand le Soleil sera plus pâle...
TYLTYL
Et lès deux qui se tiennent par la main et
s'embrassent tout le temps; est-ce qu'ils sont
frère et sœur?...
l'enfant
Mais non, ils sont très drôles... Ce sont les
Amoureux...
TYLTYL
Qu'est-ce que c'est?..
A :te cinq ième, dixième tableau -219
l'enfant
Je ne sais pas... C'est le Temps qui les appelle
ainsi pour s'en moquer... Ils se regardent tout
le jour dans les yeux, ils s'embrassent et se
disent adieu...
TYLTYL
Pourquoi?
l'enfant
Il paraît qu'ils ne pourront pas partir en-
semble...
TYLTYL
Et le petit tout rose, qui semble si sérieux et
qui suce son pouce, qu'est-ce que c'est?...
l'enfant
Il parait qu'il doit effacer l'Injustice sur la
Terre...
TYLTYL
Ah?...
l'enfant
On dit que c'est un travail effrayant...
2^20 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Et le petit rousseau qui marche comme s'il
n'y voyait pas. Est-ce qu'il est aveugle?..
l'enfant
Pas encore; mais il le deviendra... Regarde-le
bien; il paraît qu'il doit vaincre la ]\Iort...
TYLTYL
Qu'est-ce que ça veut dire?..
l'enfant
Je ne sais pas au juste; mais on dit que c'est
grand...
TYLTYL, montrant une foule d'enfants endormis au pied
des colonnes, sur les marches, les bancs, etc.
Et tous ceux-là qui dorment, — comme il y
en a qui dorment! — est-ce qu'ils ne font
rien?...
l'enfant
Ils pensent à quelque chose...
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 221
TYLTYL
A quoi?..
l'enfant
Ils ne le savent pas encore; mais ils doivent
apporter quelque chose sur la Terre; il est dé-
fendu de sortir les mains vides...
TYLTYL
Qui est-ce qui le défend?...
l'enfant
C'est le Temps qui se tient à la porte... Tu
verras quand il ouvrira... Il est bien embêtant...
UN ENFANT, accourant du fond de la salle,
en fendant la foule.
Bonjour, Tyltyl!...
TYLTYL
Tiens!... Comment sait-il mon nom?...
L ENFANT, qui vient d'accourir et qui embrasse Tjllyl
et Mytyl avec effusion.
Bonjour!... Ça va bien?... — Voyons, em-
19.
2i-2 L'OISEAU DLEU
brasse-moi, et toi aussi, Mytyl... Ce n'est pas
étonnant que je sache ton nom, puisque je
serai ton frère... On vient seulement de me dire
que tu es là... J'étais tout au bout de la salle, en
train d'emballer mes idées... — Dis à ma-
man que je suis prêt...
TYLTYL
Comment?... Tu comptes venir chez nous?
l'enfant
Bien sûr, l'année prochaine, le dimanche des
Rameaux... Ne me tourmente pas trop quand je
serai petit... Je suis bien content de vous
avoir embrassés d'avance... — Dis à Papa qu'il
répare le berceau... — Est-ce qu'on est bien
chez nous?..
TYLTYL
Mais on n'y est pas mal... Et Maman est si
bonne!...
l'enfant
Et la nourriture?...
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 2^23
TYLTYL
Ça dépend... Il y a même des jours où l'on a
des gâteaux, n'est-il pas vrai, Mytyl?...
MYTYL
Au Nouvel An et le Quatorze Juillet... C'est
maman qui les fait...
TYLTYL
u'as-tu là, dans ce sac?... Tu nous apportes
quelque chose?...
L ENFANT, très fièrement.
J'apporte trois maladies : la fièvre scarlatine,
la coqueluche et la rougeole...
TYLTYL
Eh bien, si c'est tout ça!... Et après, que fe-
ras-tu?...
l'enfant
Après?... Je m'en irai...
224 L'OISEAU BLEU
TYLTYL
Ce sera bien la peine de venir!...
l'enfant
Est-ce qu'on a le choix?..
A ce moment, on entend s'élever et se répandre une sorte
de vibration prolongée, puissante et cristalline qui
semble émaner des colonnes et des portes d'opale que
touche une lumière plus vivo.
TYLTYL
Qu'est-ce que c'est?...
UN ENFANT
C'est le Temps!... Il va ouvrir les portes!...
Aussitôt, un vaste remous se propage dans la foule des
Enfants-Bleus. La plupart quittent leurs machines et
leurs travaux, de nombreux dormeurs s'éveillent, et les
uns comme les autres tournent les yeux vers les portes
(l'opale et se ra]iproclicnt de collcs-ci.
LA LUMIÈRE, rejoignant Tyltyl.
Tâchons de nous dissimuler derrière les co-
lonnes... Il ne faut pas que le Temps nous dé-
couvre...
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 225
TYLTYL
D'où vient ce bruit?...
UN ENFANT
C'est l'Aurore qui se lève... C'est l'heure où
les enfants qui naîtront aujourd'hui vont des-
cendre sur Terre...
TYLTYL
Comment qu'ils descendront?... Il y a des
échelles?..
l'enfant
Tu vas voir... Le Temps tire les verrous...
TYLTYL
Qu'est-ce que c'est le Temps?...
l'enfant
C'est un vieil homme qui vient appeler ceux
qui partent...
TYLTYL
Est-ce qu'il est méchant?...
"220 L'OISEAU BLLl
L ENFANT
Non, mais il n'entend rien... On a beau sup-
plier, quand ce n'est pas leur tour, il repousse
tous ceux qui voudraient s'en aller...
TYLTYL
Est-ce qu'ils sont heureux de partir?.
l'enfant
On n'est pas content quand on reste; mais
on est triste quand on s'en va... Là! Là!...
Voilà qu'il ouvre!...
Les grandes portes opalines roulent lentement sur leurs
gonds. Ou entend, comme une musique lointaine, les
rumeurs de la Terre. Une clarté rouge et verte pénètre
dans la salle; et le Temps, haut vieillard à la barbe
lloltanle, armé de .sa faux et de son sablier, paraît sur
le seuil, tandis qu'on aperçoit l'extrémité ■ des voiles
blanches et dorées d'une galère amarrôc à une sorte de
ijuai que forment les vapeurs roses de l'Aurore.
LE TEMPS, sur le seuil.
Ceux dont l'heure est sonnée sont-ils prêts?...
DES ENFANTS-BLEUS, fendant la foule et accourant
de toutes p. iris.
Nous voici!... Nous voici!... Nous voici!...
ACTE CLNOUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 227
LE TEMPS, d'une voix boni rue, aux enfants
qui d'jlilant devant lui pour sortir.
Un à un!... Il s'en présente encore beaucoup
plus qu'il n'en faut!... C'est toujours la même
chose!... On ne me trompe pas!... (Repoussant uu
enfant.) Ce n'est pas ton tour!... Rentre, c'est
pour demain... Toi non plus, rentre donc et re-
viens dans dix ans... Un treizième berger?... Il
n'en fallait que douze ; on n'en a plus besoin, nous
ne sommes plus au temps de Théocrite ou de
Virgile... Encore des médecins?... II y en a déjà
trop; on s'en plaint sur la Terre... Et les ingé-
nieurs, où sont-ils?... On veut un honnête
homme, un seul, comme phénomène... Où donc
est l'honnête homme?... C'est toi?... (L'enfant fait
signe que oui.) Tu m'as l'air bien chétif... tu ne
vivras pas longtemps!... Holà, vous autres, là,
pas si vite!... Et toi, qu'apportes-tu?... Rien du
tout? les mains vides?... Alors on ne passe
pas... Prépare quelque chose, un grand crime, si
tu veux, ou une maladie, moi, cela m'est égal...
mais il faut quelque chose... (Avisant un polit que
d'autres poussent en avant et qui résiste de toutes ses forces.)
Eh bien, toi, qu'as-tu donc?... Tu sais bien que
c'est l'heure... On demande un héros qui com-
batte l'Injustice; c'est toi, il faut partir...
228 L'OISEAU BLEU
LES ENFANTS-BLEUS
Il ne veut pas, monsieur...
LE TEMPS
Comment?... Il ne veut pas?... Où donc se
croit-il, ce petit avorton?... Pas de réclamations,
nous n'avons pas le temps...
LE PETIT, que l'on pousse.
Non, non!... Je ne veux pas!... J'aime mieux
ne pas naître!... J'aime mieux rester ici!...
LE TEMPS
Il ne s'agit pas de ça... Quand c'est l'heure,
c'est l'heure!... Allons, vite, en avant!...
UN ENFANT, s'avançant.
Oh! laissez-moi passer!... J'irai prendre sa
place!... On dit que mes parents sont vieux et
m'attendent depuis si longtemps!...
LE TEMPS
Pas de ça... L'heure est l'heure et le temps est
,ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 229
le temps... On n'en finirait pas si l'on vous écou-
tait... L'un veut, l'autre refuse, c'est trop tôt,
c'est trop tard... (Écartant des enfajits qui ont envahi le
seuil.) Pas si près, les petits... Arrière les curieux...
Ceux qui ne partent pas n'ont rien à voir
dehors... Maintenant vous avez hâte; puis, votre
tour venu, vous aurez peur et vous reculerez...
Tenez, en voilà quatre qui tremblent comme
des feuilles... (A un enfant qui, sur le point de franchir le
seuil, rentre brusquement.) Eh bien, quoi?... Qu'aS-tu
donc?.. .
l'enfant
J'ai oublié la boîte qui contientles deux crimes
que je devrai commettre...
UN AUTRE ENFANT
Et moi le petit pot qui renferme l'idée pour
éclairer les foules...
TROISIÈME ENFANT
J'ai oublié la greffe de ma plus belle poire!...
LE TEMPS
Courez vite les chercher!... Il ne nous reste
230 L'OISEAU BLEU
plus que six cent douze secondes... La galère
de l'Aurore bat déjà des voiles pour montrer
qu'elle attend... Vous arriverez trop tard et
vous ne naîtrez plus... Allons, vite, embar-
quons!... (Saisissant un enfant qui veut lui passer entre les
,iami)cs pour gagner le quai.) Ah ! toi, non, par exemple !...
C'est la troisième fois que tu essayes de naître
avant ton tour... Que je ne t'y prenne plus,
sinon ce sera l'attente éternelle près de ma sœur
l'Éternité; et tu sais qu'on ne s'y amuse pas...
Mais voyons, sommes-nous prêts?... Tout le
monde est à son poste?... (Parcourant ilu regard les
enfants réunis sur le quai ou déjà assis dans la galère.) Il
en manque encore un... Il a beau se cacher, je
le vois dans la foule... On ne me trompe pas...
Allons, toi, le petit qu'on appelle l'Amoureux,
dis adieu à ta belle...
Les deux pelits qu'on appelle « les Amoureux », tendre-
ment enlaces et le visage livide de désespoir, s'avancent
vers le Temps d s'agenouillent à ses pieds.
PREMIER ENFANT
Monsieur le Temps, laissez-moi partir avec
lui!...
I
ACTE CLXOlilÈME, lUXIÉiME TADLEAU 231
DEUXIEME ENFANT
Monsieur le Temps, laissez-moi rester avec
elle!...
LE TEMPS
Impossible!... Il ne nous reste plus que trois
cent quatre-vingt-quatorze secondes..
PREMIER ENFANT
J'aime mieux ne pas naître!...
LE TEMPS
On n'a pas le choix...
DEUXIÈME ENFANT, suppliant.
Monsieur le Temps, j'arriverai trop tard!...
PREMIER ENFANT
Je ne serai plus là quand elle descendra!...
DEUXIÈME ENFANT
Je ne le verrai plus!...
%Vl L'OISEAU BLEU
PREMIER ENFANT
Nous serons seuls au monde!...'
LE TEMPS
Tout ça ne me regarde pas... Réclamez auprès
de la Vie... Moi, j'unis, je sépare, selon ce qu'on
m'a dit... (Saisissant l'un des enfants.) Viens!...
PREMIER ENFANT, se débattant.
Non, non, non!... Elle aussi!...
DEUXIEME ENFANT, s'accrochant aux vêtements
du premier.
Laissez-le!.... Laissez-le!...
LE TEMPS
Mais voyons, ce n'est pas pour mourir, c'est
pour vivre!... (Entraînant le premier enfant.) Viens!...
DEUXIEME ENFANT, tendant éperdument les bras
vers l'enfant (jifon enlève.
Un signe!... Un~seul signe!... Dis-moi, com-
ment te retrouver!...
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABLEAU 233
PREMIER ENFANT
Je t'aimerai toujours!...
DEUXIEME ENFANT
Je serai la plus triste!... Tu me reconnaî-
tras!...
Elle tombe et reste étendue sur le sol.
LE TEMPS
Vous feriez beaucoup mieux d'espérer... Et
maintenant, c'est tout... (Consultant son sablier.) Il
ne nous reste plus que soixante-trois secondes...
Derniers et violents remous parmi les enfants qui partent
et qui demeurent. — On échange des adieux précipités :
n Adieu, Pierre !... Adieu Jean... — As-tu tout ce qu'il
faut?... Annonce ma pensée!... — N'as-tu rien ou-
blié?... — Tâche de me reconnaître!... — Je te re-
trouverai!... — • Ne perds pas tes idées?... — Ne te
penche pas trop sur l'Espace!... — Donne-moi de tes
nouvelles!... — On dit qu'on ne peut pas!... — Si, si!...
essaie toujours!... — Tâche de dire si c'est beau!...
— J'irai à ta rencontre!... — Je naîtrai sur un
trône !..», etc., etc.
20.
234 L'OISEAU liLEU
LE TEMPS, agitant ses clefs et sa faux.
Assez! assez!... L'ancre est levée!...
Les voiles île la galère passent et disparaissent. On en-
tend s'éloiiçner les cris des enfants dans la galère :
« Terre !... terre !.. Je la vois!... Elle est belle!... Elle
est claire!... Eli; est grande!... ». Puis, comme sortant
du fond de l'abîme, un chant extrèmcmenl lointain
d'allégresse et d'attente.
TYLTYL, à la Lumière.
Qu'est-ce?... Ce n'est pas eux qui chantent...
On dirait d'autres voix...
LA LUMIÈRE
Oui, c'est le chant des Mères qui viennent à
leur rencontre..
Cependant, le Temps referme les portes opalines. Il se
retourne pour jeter un dernier regard dans la salle, et
soudain aperçoit Tyltyl, Mytyl et la Lumit'.re.
LE TEMPS, stupéfait et furieux.
Qu'est-ce que c'est?... Que faites- vous ici?...
Qui êtes-vous?... Pourquoi n'êtes-vous pas
bleus?... Par où êtes-vous entrés?...
Il s'avance en les menaçant de "sa faux.
Il
ACTE CINQUIÈME, DIXIÈME TABl.EAU 235
LA LUMIÈRE, à Tyltyl,
Ne réponds pas!... J'ai l'Oiseau-Bleu... Il est
caché sous ma mante... Sauvons-nous... Tourne
le Diamant, il perdra notre trace...
Ils s'esquivent à gauche, entre les colonnes du premier
plan.
RIDEAU
ACTE SIXIÈME
ONZIEME TABLEAU
L'ADIEU
La scène représente un mur percé d'une petite porte.
C'est la pointe du jour.
Entrent : Tyltyl, Mylyl, la Lumière, le Pain, le Sucre,
le Feu et le Lait.
LA LUMIERE
Tu ne devinerais jamais où nous sommes...
TYLTYL
Bien sûr que non, la Lumière, puisque je ne
sais pas...
238 L'OISEAU BLEl"
LA LUMIÈRE
Tu ne reconnais pas ce mur et cette petite
porte?..
TYLTYL
C'est un mur rouge et une petite porte verte...
LA LUMIÈRE
Et ça ne te rappelle rien?,..
TYLTYL
Ça me rappelle que le Temps nous a mis à la
porte...
LA LUMIÈRE
Qu'on est bizarre quand on rêve... On ne
reconnaît pas sa propre main...
TYLTYL
Qui est-ce qui rêve?... Est-ce moi?..
LA LUMIÈRE
C'est peut-être moi... Qu'en sait-on?... En
ACTE SIXIÈME, ONZIÈME TABLEAU "239
attendant, ce mur-entoure une maison que tu as
vue plus d'une fois depuis ta naissance...
TYLTYL
Une maison que j'ai vue plus d'une fois?
LA LUxMiÈRE
Mais oui, petit endormi!... C'est la maison
que nous avons quittée un soir, il y a tout juste,
jour pour jour, une année...
TYLTYL
Il y a tout juste une année?... Mais alors?...
LA LUMIÈRE
N'ouvre pas des yeux comme des grottes de
saphir... C'est elle, c'est la bonne maison des
parents...
TYLTYL, s'approchant de la porte.
Mais je crois... En effet... Il me semble... Cette
petite porte... Je reconnais la chevillette... Ils
sont là?... Nous sommes près de Maman?... Je
veux entrer tout de suite... Je veux l'embrasser
tout de suite!..
240 L'OISEAU BLEU
LA LUMIÈRE
Un instant... Ils dorment profondément; il ne
faut pas les réveiller en sursaut... Du reste, la
porte ne s'ouvrira que lorsque l'heure sonnera..
TYLTYL
Quelle heure?... Il y a longtemps à attendre?...
LA LUMIÈRE
Hélas, non!... quelques pauvres minutes...
TYLTYL
Tu n'es pas heureuse de rentrer?... Qu'as-tu
donc, la Lumière?... Tu es pâle, on dirait que
tu es malade..
LA LUMIÈRE
Ce n'est rien, mon enfant... Je me sens un peu
triste, parce qu^, je vais voiîs quitter...
TYLTYL
Nous quitter?... ^
ACTE SIXIÈME, ONZIÈME TABLEAU 241
LA LUMIERE
Il le faut... Je n'ai plus rien à faire ici; l'année
est révolue, la Fée va revenir et te demander
rOiseau-Bleu...
TYLTYL
Mais c'est que je ne l'ai pas, TOiseau-Bleu!...
Celui du Souvenir est devenu tout noir, celui de
l'Avenir est devenu tout rouge, ceux de la Nuit
sont morts et je n'ai pas pu prendre celui de la
Forêt... Est-ce ma faute à moi s'ils changent de
couleur, s'ils meurent ou s'ils s'échappent?...
Est-ce que la Fée sera fâchée, et qu'est-ce qu'elle
dira?...
LA LUMIÈRE
Nous avons fait ce que nous avons pu... Il
faut croire qu'il n'existe pas, l'Oiseau-Bleu ; ou
qu'il change de couleur lorsqu'on le met en
cage...
TYLTYL
Où est-elle, la cage?...
LE PAIN
Ici, maître... EUe^fut confiée à mes soins dili-
21
2r2 L'OISEAU CLEU
gents durant ce long et périlleux voyage ; aujour-
d'hui que ma mission prend fin, je vous la restitue,
intacte et bien fermée, telle que je la reçus...
(Comme un orateur qui prend la parole.) Maintenant, aU
nom de tous, qu'il e soit permis d'ajouter
quelques mots...
LE FEU
Il n'a pas la parole!...
l'eau
Silence!...
LE PAIN
Les interruptions malveillantes d'un ennemi
méprisable, d'un rival envieux... (Élevant la voix.)
ne m'empêcheront pas d'accomplir mon devoir
jusqu'au bout... C'est donc au nom de tous...
LE FEU
Pas au mien... J'ai une langue!...
LE PAIN
...C'est donc au nom de tous, et avec une émo-
tion contenue mais sincère et profonde, que je
ACTE SIXIEME, ONZIEME TABLEAU 243
prends congé de deux enfants prédestinés, dont
la haute mission se termine aujourd'hui. En
leur disant adieu avec toute l'affliction et toute
la tendresse qu'une mutuelle estime..
TYLTYL
Comment?... Tu dis adieu?... Tu nous quittes
donc aussi?...
LE PAIN
Hélas! il le faut bien... Je vous quitte, il est
vrai; mais la séparation ne sera qu'apparente,
vous ne m'entendrez plus parler...
LE FEU
Ce ne sera pas malheureux!...
l'eau
Silence!...
LE PAIN, très digne.
Cela ne m'atteint point... Je disais donc :
vous ne m'entendrez plus, vous ne me verrez
plus sous ma forme animée... Vos yeux vont se
fermer à la vie invisible des choses; mais je serai
Ui L'OISEAU BLEU
toujours là, dans la huche, sur la planche, sur
la table, à côté de la soupe, moi qui suis, j'ose
le dire, le plus fidèle commensal et le plus vieil
ami de l'Homme...
LE FEU
Eh bien, et moi?...
LA LUMIÈRE
Voyons, les minutes passent, l'heure est près
de sonner qui va nous faire rentrer dans le
silence... Hâtez-vous d'embrasser les enfants...
LE FEU, se précipitanL
Moi d'abord, d'abord moi!... (Il embrasse violem-
ment les enfants.) Adieu, Tyltyl et Mytyl!,.. Adieu,
mes chers petits... Souvenez-vous de moi si
jamais vous avez besoin de quelqu'un pour
mettre le Feu quelque part...
MYTYL
Aïe! aïe!... Il me brûle!...
TYLTYL
Aïe! aïe!. Il me roussit le nez!
ACTE SIXIÈME, ONZIÈME TABLEAU 245
LA LUMIÈRE
Voyons, le Feu, modérez un peu vos trans-
ports... Vous n'avez pas affaire à votre che-
minée...
l'eau
Quel idiot!...
LE PAIN
Est-il mal élevé !..j
L EAU, s'approchant des enfants.
Je vous embrasserai sans vous faire de mal,
tendrement, mes enfants...
LE FEU
Prenez garde, ça mouille!...
l'eau
Je suis aimante et douce; je suis bonne aux
humains...
LE FEU
Et les noyés?...
21.
•2iO L'OÎSEAU BLEU
L EAU
Aimez bien les Fontaines, écoutez les Ruis-
seaux... Je serai toujours là...
LE FEU
Elle a tout inondé!...
l'eau
Quand vous vous assiérez, le soir, au bord des
Sources, — il y en a plus d'une ici, dans la forêt,
— essayez de comprendre ce qu'elles essaient
de dire... Je ne peux plus... Les larmes me suf-
foquent et m'empêchent de parler...
1.E FEU
Il n'y parait point!.
L EAU
Souvenez-vous de moi lorsque vous verrez la
carafe... Vous me trouverez également dans le
broc, dans l'arrosoir, dans la citerne et dans le
robinet...
I
ACTE SIXIÈME, 0^'ZIÈME TAIILEAL 247
LE SUCRE, naturellement papelard et doucereux.
S'il reste une petite place dans votre sou-
venir, rappelez-vous que parfois ma présence
vous fut douce... Je ne puis vous en dire davan-
tage... Les larmes sont contraires à mon tempé-
rament, et me font bien du mal quand elles
tombent sur mes pieds..
LE PAIN
Jésuite!...
LE FEU, glapissant.
Sucre d'orge! berlingots! caramels!...
TYLTYL
Mais où donc sont passés Tylette et Tylô?...
Que font-ils?...
Au môme moment, on entend des cris aigus poussés par
la Chatte.
MYTYL, alarmée.
C'est Tylette qui pleure!... On lui fait du
mal!...
248 L'OISEAU BLEU
Entre en courant la Chatte, hérissée, dépeignée, les
vêtements déchirés, et tenant son mouchoir sur la joue,
comme si elle avait mal aux dents. Elle pousse des
gémissements courroucés et est serrée de très près par
le Chien qui l'accable de coups de tête, de coups de
poing et de coups de pied.
LE CHIEN, battant la Chatte.
Là!... En as-tu assez?... En veux-tu encore?...
Là! là! là!...
LA LUMIÈRE, TYLTYL et MYTYL, se précipitant
pour les séparer.
Tylô!... Es-tu fou?... Par exemple!... A bas!...
Veux-tu finir!... A-t-on jamais vu!... Attends!
attends!...
On les sépare énergiquemcnt.
LA LUMIÈRE
Qu'est-ce que c'est?... Que s'est-il passé?...
LA CHATTE, pleurnichant et s'essuyant les yeux.
C'est lui, madame la Lumière... Il m'a dit des
injures, il a mis des clous dans ma soupe, il
m'a tiré la queue, il m'a roué de coups, et je
n'avais rien fait, rien du tout, rien du tout!...
ACTE SIXIÈME, ONZIÈME TABLEAU 249
LE CHIEN, rimilant.
Rien du tout, rien du tout!... (A mi-voix, lui
faisant la nique.) C'est égal, t'en as eu, t'en as eu,
et du bon, et t'en auras encore!...
MYTYL, serrant la Chatte dans ses bras.
Ma pauvre Tylette, dis-moi donc où c'est que
t'as mal... Je vais pleurer aussi!...
LA LUMIÈRE, au Chien, sévèrement.
Votre conduite est d'autant plus indigne que
vous choisissez pour nous donner ce triste spec-
tacle le moment, déjà assez pénible par lui-
même, où nous allons nous séparer de ces pauvres
enfants...
LE CHIEN, subitement dégrisé.
Nous séparer de ces pauvres enfants?...
LA LUMIÈRE
Oui, l'heure que vous savez va sonner... Nous
allons rentrer dans le Silence... Nous ne pour-
rons plus leur parler...
250 1,'OISEAII BLEU
LE CHIEN, poussant tout à coup de véritables hurlements
de désespoir et se jetant sur les enfants qu'il accable de
caresses violentes et tumultueuses.
Non, non!... Je ne veux pas!... Je ne veux
pas!... Je parlerai toujours!... Tu me compren-
dras maintenant, n'est-ce pas, mon petit dieu?...
Oui, oui, oui !.... Et Ton se dira tout, tout, tout !...
Et je serai bien sage... Et j'apprendrai à lire,
à écrire et à jouer aux dominos!... Et je serai
toujours très propre... Et je ne volerai plus rien
dans la cuisine... Veux-tu que je fasse quelque
chose d'étonnant?... Veux-tu que j'embrasse la
Chatte?...^
MYTYL, à la Chatte.
Et toi, Tylette?... Tu n'as rien à nous dire.
LA CHATTE, pincée, énigmatique.
Je vous aime tous deux, autant que vous le
méritez...
LA LUMIÈRE
Maintenant, qu'à mon tour, mes enfants, je
vous donne le dernier baiser...
ACTE SIXIÈME, ONZIÈME TABLEAU "25!
TYLTYL et MYTYL, s'accrochant à la robe de la Lumière,
Non, non, non, la Lumière!... Reste ici, avec
nous!... Papa ne dira rien... Nous dirons à
Maman que tu as été bonne...
LA LUMIÈRE
Hélas! je ne peux pas... Cette porte nous est
fermée et je dois vous quitter..
TYLTYL
Où iras-tu toute seule?
LA LUMIÈRE
Pas bien loin, mes enfants; là-bas, dans le
pays du Silence des choses..
TYLTYL
Non, non; je ne veux pas... Nous irons avec
toi... Je dirai à Maman...
LA LUMIÈRE
Ne pleurez pas, mes chers petits... Je n'ai pas
de voix comme l'Eau; je n'ai que ma clarté que
25-2 L'OISEAU BLEU
l'Homme n'entend point... Mais je veille sur lui
jusqu'à la fin des jours... Rappelez-vous bien
que c'est moi qui vous parle dans chaque rayon
de lune qui s'épanche, dans chaque étoile qui
sourit, dans chaque aurore qui se lève, dans
chaque lampe qui s'allume, dans chaque pensée
bonne et claire de votre âme... (Huit heures sonnent
derrière le mur.) Écoutcz !... L'heure sonne...
Adieu!... La porte s'ouvre!... Entrez, entrez,
entrez!...
Elle pousse les enfants dans l'ouverture de la petite porte
qui vient de s'entre-bàiller et se referme sur eux. —
Le Pain essuie une larme furtive, le Sucre, l'Eau, tout
en pleurs, etc., fuient précipit^iniinent et disparaissent
à droite et à gauche, dans la coulisse. Hurlements du
Chien à la cantonade. La scène reste vide un instant,
puis le décor figurant le mur île la petite porte s'ouvre
par le milieu, pour découvrir le dernier tableau.
DOUZIÈME TABLEAU
LE REVEIL
Le même intérieur qu'au premier tableau, mais tout,
les murs, l'atmosphère, y paraît incomparablement,
féeriquement plus frais, plus riant, plus heureux. — La
lumière du jour filtre gaiement par toutes les fentes des
volets clos.
A droite, au fond de la pièce, en leurs deux petits lits, Tyltyl
et Mytyl sont profondément endormis. — La Chatte, le Chien
et les Objets sont à la place qu'ils occupaient au premier
tableau, avant l'arrivée de la Fée. — Entre la Mère Tyl.
LA MERE TYL, d'une voix allègrement grondeuse.
Debout, voyons, debout! les petits pares-
seux!... Vous n'avez donc pas honte?... Huit
heures sont sonnées, le soleil est déjà plus haut
que la forêt!... Dieu! qu'ils dorment, qu'ils
dorment!... (Elle se penche et embrasse les enfants.) Ils
'254 I/OISEAL DLEU
sont tout roses... Tyltyl sent la lavande et
Mytyl le muguet... (Les embrassant encore.) Que c'est
bon les enfants!... Ils ne peuvent pourtant pas
dormir jusqu'à midi... On ne peut pas en faire
des paresseux... Et puis, je me suis laissée dire
que ce n'est pas trop bon pour la santé... (Secouant
iioucement Tyltyl.) Allons, allons, Tyltyl...
TYLTYL, s'éveillant.
Quoi?... La Lumière?.,. Où est-elle? Non, non,
ne t'en vas pas...
LA MÈRE TYL
La Lumière?... mais bien sûr qu'elle est là...
Il y a déjà pas mal de tempe... Il fait aussi clair
qu'à midi, bien que les volets soient fermés...
Attends un peu que je les ouvre... (Elle pousse les
volets, l'aveuglante clarté du grand jour envahit la pièce.) Là,
voilà!... Qu'est-ce que t'as?... T'as l'air tout
aveuglé..,
TYLTYL, se frottant les yeux.
Maman, maman!... C'est toi!...
LA MÈRE TYL
Mais bien sûr que c'est moi... Qui veux-tu
que ce soit?...
ACTE SIXIÈME, DOUZIÈME TABLEAU -25ô
TYLTYL
C'est toi... Mais oui, c'est toxf...
LA MÈRE TYL
Mais oui, c'est moi... Je n'ai pas changé de
visage cette nuit... qu'as-tu donc à me regarder
comme un émerveillé?... J'ai peut-être le nez à
l'envers?..,
TYLTYL
Oh! que c'est bon de te revoir!... Il y a si long-
temps, si longtemps!... Il faut que je t'embrasse
tout de suite... Encore, encore, encore!... Et
puis, c'est bien mon lit!... Je suis dans la
maison!.,.
LA MÈRE TYL
Qu'est-ce que t'as?... Tu ne t'éveilles pas?...
T'es pas malade, au moins?... Voyons, montre
ta langue... Allons, lève-toi donc, et puis
habille-toi.,,
TYLTYL
Tiens! je suis en chemise!...
256 L'OISEAU BLEU
LA MERE TYL
Bien sûr... Passe ta culotte et ta petite veste...
Elles sont là, sur la chaise...
TYLTYL
Est-ce que j'ai fait ainsi tout mon voyage?...
LA MÈRE TYL
Quel voyage?...
TYLTYL
Mais oui, l'année dernière...
LA MÈRE TYL
L'année dernière?...
TYLTYL
Mais oui, donc!... A Noël, lorsque je suis
parti...
LA MÈRE TYL
Lorsque t'es parti?... T'as pas quitté la
chambre... Je j'ai couché hier soir, et je te
retrouve ce matin... T'as donc rêvé tout ça?...
ACTE SlXlEiME, D0LZIE3IE TABLEAU 257
TYLTYL
Mais tu ne comprends pas!.,. C'était Tannée
passée, lorsque je suis parti avec Mytyl, la Fée,
la Lumière... elle est bonne, la Lumière! le Pain,
le Sucre, TEau, le Feu. Ils se battaient tout le
temps... T'es pas fâchée?... T'as pas été trop
triste?... Et Papa, qu'a-t-il dit?... Je ne pouvais
pas refuser... J'ai laissé un billet pour expli-
quer...
LA MÈRE TYL
Qu'est-ce que tu chantes là?... Bien sûr que
t'es malade, ou bien tu dors encore... (Elle lui
donne une bourrade amicale.) Voyons, réveille-toi...
Voyons, ça va-t-il mieux?...
TYLTYL
Mais^ Maman, je t'assure... C'est toi qui dors
encore...
LA MÈRE TYL
Gomment! je dors encore?... Je suis debout
depuis six heures... J'ai fait tout le ménage et
rallumé le feu...
258 LOISEAU BLEU
TYLTYL
Mais demande à Mytyl si c'est pas vrai... Ah !
nous en avons eu des aventures!...
LA MÈRE TYL
Comment, Myty]?... Quoi donc?...
TYLTYL
Elle était avec moi... Nous avons revu bon-
papa et bonne-maman...
LA MÈRE TYL, de plus en plus ahurie.
Bon-papa et bonne-maman?...
TYLTYL
Oui, au Pays du Souvenir... C'était sur notre
route... Ils sont morts, mais ils se portent bien...
Bonne-maman nous a fait une belle tarte aux
prunes... Et puis les petits frères, Robert, Jean,
sa toupie, Madeleine et Pierrette, Pauline et
puis Riquette..,
MYTYL
Riquette, elle marche à quatre pattes!...
ACTE SIXIÈME, DOUZIÈME TABF.EAU 259
TYLTYL
Et Pauline a toujours son bouton sur le nez...
MYTYL
Nous t'avons vue aussi hier au soir.
LA MÈRE TYL
Hier au soir? Ce n'est pas étonnant puisque
je t'aicoucliée.
TYLTYL
Non, non, aux jardins des Bonheurs, tu étais
bien plus belle, mais tu te ressemblais...
LA MÈRE TYL
Le jardin des Bonheurs? Je ne connais pas
ça...
TYLTYL, la contemplant, puis l'embrassant.
Oui, tu étais plus belle, mais je t'aime mieux
comme ça..
260 L'OISEAU BLEU
MYTYL, l'embrassant également.
Moi aussi, moi aussi...
LA MÈRE TYL, attendrie, mais fort inquiète.
" Mon Dieu! qu'est-ce qu'ils ont?... Je vais les
perdre aussi, comme j'ai perdu les autres!..,
(Subitement affolée, el^c appelle.) Papa Tyl ! Papa
Tyl!... Venez donc! Les petits sont malades!...
Entre le Père Tyl, très calme une hache à la main.
LE PÈRE TYL
Qu'y a-t-il?...
TYLTYL et MYTYL accourant joyeusement pour embrasser
leur père.
Tiens, Papa!... C'est Papa!... Bonjour, Papal...
Tu as bien travaillé cette année?...
LE PERE TYL
Eh bien, quoi?... Qu'est-ce que c'est?... Ils
n'ont pas l'air malade; ils ont fort bonne mine...
ACTE SIXIÈME, DOUZIÈME TABLEAU 261
LA MÈRE TYL, larmoyante.
Il ne faut pas s'y fier... Ce sera comme les
autres... Ils avaient fort bonne mine aussi, jus-
qu'à la fin; et puis le bon Dieu les a pris... Je ne
sais ce qu'ils ont... Je les avais couchés bien
tranquillement hier au soir ; et ce matin, quand
ils s'éveillent, voilà que tout va mal... Ils ne
savent plus ce qu'ils disent; ils parlent d'un
voyage... Ils ont vu la Lumière, grand-papa,
grand'maman, qui sont morts mais qui se
portent bien...
TYLTYL
Mais bon-papa, il a toujours sa jambe de
bois...
MYTYL
Et bonne-maman ses rhumatismes...
LA MÈRE TYL
Tu entends?... Cours chercher le médecin!,..
-26-2 i;OISEAL DLEU
LE PÈRE TYL
Mais non, mais non... Ils ne sont pas encore
morts... Voyons, nous allons voir... (On frappe à la
porte lie la maison.) Entrez!
Entre la Voisine, petite vieille qui ressemble à la Fée
du premier acte, et qui marche en s'appuyant sur un
bàlon.
LA VOISINE
Bien le bonjour et bonne fête à tous !
TYLTYL
C'est la Fée Bérylune!
LA VOISINE
Je viens chercher un peu de feu pour mon
pot-au-feu de la fête... Il fait bien frisquet ce
matin... Bonjour, les enfants, ça va bien?...
TYLTYL
Madame la Fée Bérylune, je n'ai pas trouvé
rOiseau-Bleu...
ACTE SIXIÈME, DOIZIÈME TABLEAU 263
LA VOISINE
Que dit-il?.,.
LA MÈRE TYL
Ne m'en parlez pas, madame Berlingot... Ils
ne savent plus ce qu'ils disent... Ils sont comme
ça depuis leur réveil... Ils ont dû manger quelque
chose qui n'était pas bon...
LA VOISINE .
Eh bien, Tyltyl, tu ne reconnais pas la mère
Berlingot, ta voisine Berlingot?...
■ TYLTYL
Mais si, madame... Vous êtes la Fée Béiy-
lune... Vous n'êtes pas fâchée?,..
I
LA VOISINE
Béry... quoi?
TYLTYL
Bérvlune.
261 L'OISEAU BLEU
LA VOISINE
Berlingot, tu veux dire Berlingot...
TYLTYL
Bérylune, Berlingot, comme vous voudrez,
madame... Mais Mytyl qui sait bien...
LA MÈRE TYL
Voilà le pis, c'est que Mytyl aussi...
LE PÈRE TYL
Bah, bah!... Celasse passera; je vais leur
donner quelques claques...
LA VOISINE
Laissez donc, ce n'est pas la peine...' Je con-
nais ça; c'est rien qu'un peu de songeries... Ils
auront dormi dans un rayon de lune... Ma petite
fille qu'est bien malade est souvent comme ça...
ACTE SIXIÈME, DOUZIÈME TABLEAU 265
LA MERE TYL
{ A propos, comment qu'elle va, ta petite fille?
LA VOISINE
Couci-couci... Elle ne peut se lever... Le doc-
teur dit que c'est les nerfs... Tout de même je
sais bien ce qui la guérirait... Elle me le deman-
dait encore ce matin, pour son petit noël ; c'est
une idée qu'elle a...
LA MÈRE TYL
Oui, je sais, c'est toujours l'oiseau de Tyltyl...
Eh bien, Tyltyl, ne vas-tu pas le lui donner
enfin, à cette pauvre petite?...
TYLTYL
Quoi, Maman?...
LA MÈRE TYL
Ton oiseau... Pour ce que tu en fais... Tu ne le
regardes même plus... Elle en meurt d'envie
depuis si longtemps!...
23
266 L'OISEAL P.LEi:
TYLTYL
Tiens, c'est vrai, mon oiseau... Où est-il?...
Ah! mais voilà la cage!... Mytyl, vois-tu la
cage?... C'est celle que portait le Pain... Oui,
oui, c'est bien la même; mais il n'y a plus qu'un
oiseau... Il a donc mangé l'autre?... Tiens,
tiens!... Mais il est bleu!... Mais c'est ma tour-
terelle !... Mais elle est bien plus bleue que quand
je suis parti!... Mais c'est là l'Oiseau-Bleu que
"nous avons cherché!... Nous sommes allés si loin
et il était ici!... Ah! ça, c'est épatant!... Mytyl,
vois-tu l'oiseau?... Que dirait la Lumière?... Je
vais décrocher la cage... (Il monte sur uac chaise el
décroche la cage c|u"il apporte à la Voisine.) La VOlIà,
madame Berlingot... Il n'est pas encore tout
à fait bleu; ça viendra, vous verrez... Mais
portez-le bien vite à votre petite fille...
LA VOISINE
Non?... Vrai?... Tu me le donnes, comme ça,
tout do suite et pour rien?... Dieu! qu'elle va
être heureuse!... (Embrassant ïy lui.) Il faut que je
t'embrasse!... Je me sauve!... Je me sauve!...
ACTE SIXIÈME, DOUZIÈME TABLEAU 267
TYLTYL
/ Oui, oui; allez vite... Il y en a qui changent de )
couleur...
LA VOISINE
Je reviendrai vous dire ce qu'elle aura dit...
Elle sort.
TYLTYL, après avoir longuement regardé autour de soi.
Papa, Maman; qu'avez-vous fait à la mai-
son?... C'est la même chose; mais elle est bien
plus belle...
LE PÈRE TYL
Gomment, elle est plus belle?...
TYLTYL
Mais oui, tout est repeint, tout est remis à
neuf, tout reluit, tout est propre... Ça n'était
pas comme ça, l'année dernière...
LE PÈRE TYL
L'année dernière?...
268 i;01SE,\U liLEU
TYLTYL, allant à la fenêtre.
Et la forêt qu'on voit!... Est-elle grande, est-
elle belle!... On croirait qu'elle est neuve!...
Qu'on est heureux ici!... (Allant ouvrir la huche.) Où
est le Pain?... Tiens, ils sont bien tranquilles...
Et puis, voilà Tylô!... Bonjour, Tylô, Tylô!...
Ah! tu t'es bien battu!... Te rappelles-tu dans
la forêt?...
MYTYL
Et Tylette?... Elle me reconnaît bien, mais elle
ne parle plus...
TYLTYL
Monsieur le Pain... (Se làtant le front.) Tiens, je
n'ai plus le Diamant! Qui est-ce qui m'a pris
mon petit chapeau vert?... Tant pis! je n'en ai
plus besoin... — Ah! le Feu!... Il est bon!... Il
pétille en riant pour faire enrager l'Eau... (Cou-
rant à la fontaine.) — Et l'Eau?... Bonjour, l'Eau!...
Que dit-elle?... Elle parle toujours, mais je ne la
comprends plus aussi bien..
MYTYL
Je ne vois pas le Sucre...
ACTE SlXIÈiME, DOUZIÈME TABLEAU 269
TYLTYL
Dieu que je suis heureux, heureux, heureux !...
MYTYL
Moi aussi, moi aussi!...
LA MÈRE TYL
Qu'ont-ils donc à tourniller comme ça?...
LE PÈRE TYL
Laisse donc, t'inquiète pas... Ils jouent à être
heureux...
TYLTYL
\ Moi, j'aimais surtout la Lumière... Où est sa
lampe?... Est-ce qu'on peut l'allumer?... (Regar-
dant encore autour de soi.) Dieu ! que c'est beau tout
ça et que je suis content!...
On frappe à la porte de la maison.
LE PÈRE TYL
Entrez donc!.,.
Entre la Voisine, tenant par la main une petite fille d'une
beauté blonde et merveilleuse qui serre dans ses bras
la tourterelle de Tyltyl.
23.
-27) L'OISEAU BLEU
LA VOISINE
Vous voyez le miracle!...
LA MÈRE TYL
Pas possible!... Elle marche?...
LA VOISINE
Elle marche!... C'est-à-dire qu'elle court,
qu'elle danse, qu'elle vole!... Quand elle a vu
l'oiseau, elle a sauté, comme ça, d'un saut, vers
la fenêtre, pour voir à la lumière si c'était bien
la tourterelle de Tyltyl... Et puis pfff!... dans
la rue, comme un ange... C'est tout juste si je
pouvais la suivre...
TYLTYL, s'approcliaiit, émerveillé.
Oh! qu'elle ressemble à la Lumière!...
MYTYL
Elle est bien plus petite...
TYLTYL
Sûr!... Mais elle grandira...
ACTE SIXIEME DOUZlÈiME TABLEAU 271
LA. VOISINE
Que disent-ils?... Ça ne va pas encore?...
LA MÈRE TYL
Ça va mieux, ça se passe... Quand ilsauront
déjeuné, il n'y paraîtra plus...
lyA VOISINE, poussant la petite fille dans les bras de Tyltyl.
Allons, va, ma petite, va remercier Tyltyl...
Tyltyl, soudainement intimidé, recule d'un pas.
LA MÈRE TYL
Eh bien, Tyltyl, qu'est-ce que t'as?... T'as
peur de la petite fille?... Voyons, embrasse-la...
Voyons, un gros baiser... Mieux que ça... Toi si
effronté d'habitude!... Encore un!... Mais
qu'est-ce donc que t'as?... On dirait que tu vas
pleurer...
Tyltyl, après avoir gauchement embrassé la petite fille,
reste un moment debout devant elle, et les deux enfants
se regardent sans rien dire; puis, Tyltyl caressant la
tôLc de l'oiseau.
TYLTYL
Est-ce qu'il est assez bleu?...
272 L'OISEAU BLEU
LA PETITE FILLE
Mais oui, je suis contente...
TYLTYL
J'en ai vu de plus bleus... Mais les tout à fait
bleus, tu sais, on a beau faire, on ne peut pas
les attraper.
LA PETITE FILLE
Ça ne fait rien, il est bien joli...
TYLTYL
Est-ce qu'il a mangé?...
[la PETITE FILLE
Pas encore... Qu'est-ce qu'il mange?...
TYLTYL
De tout, du blé, du pain, du maïs, des cigales...
la PETITE FILLE
Gomment qu'il mange, dis?...
ACTE SIXIÈME, DOUZIÈME TABLEAU 273
TYLTYL
Par le bec, tu vas voir, je vais te montrer...
Il va pour prendre l'oiseau des mains de la petite fille;
celle-ci résiste instinctivement, et, profitant de l'hési-
tation de leur geste, la tourterelle s'échappe et s'en-
vole.
I.A PETITE FILLE, poussant un cri de désespoir.
Maman!.,. Il est parti!...
Elle éclate en sanglots.
TYLTYL
Ce n'est rien... Ne pleure pas... Je le rattra-
perai... (S'avançant sur le devant de la scène et s'adressant
au public.) Si quelqu'un le retrouve, voudrait-il
nous le rendre?... Nous en avons besoin pour
être heureux plus tard... ---'
RIDEAU
R — 7S"J2. — Libr -luipr. réunies, 7. rue Sainl-Benoît, Paris.
SiNUiiN» u.i«9^ ïiiiw ^ <^-vi
PC^ Maeterlinck, Maurice
2625 L'oiseaableu
A5
05
1913
cop.2
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