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LUMIÈRES DU MONDE
DV MÊME AUTEUR
AU LONG DES TERRASSES (Le BeSroî), 1906 ... I vol.
LA JOIE VAGABONDE (Mepcvre de France), 1909 . i vol.
PAUL CASTIAUX
- OCT 2 51972
Lumières du Monde
— POEMES
PARIS
MERCVRE DE FRANGE
XXVI, RVE DE CONDÉ, XXVI
MCMXIII
c
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE t
Cinq exemplaires sur Whatman
et quinze exemplaire^ sur Hollande^
numérotés
JUSTIFICATION DU TIRAGE
Tous droits de reproduction, de traduction e^ d'adaptation
réservé» pour tous pays.
LOIN, QUELQU'UN CHANTE SUR
LA ROUTE...
LOIN, QUELQU'UN CHANTE SUR LA ROUTE
« Et que fut-elle, notre vie,
Sinon tristesses inquiètes.
Sanglots profonds et forcenés,
Faux rire et masques grimaçants ?
« Après la scintillante joie,
Que reste-t-il à notre bouche
Sinon la cendre d'un automne
Que mâche notre lièvre éternellement pâle.
« Les pensées de la vie mortelle.
Nous voudrions les oublier;
LUMIÈRES DU MONDE
Les meilleures pensées des heures éclatantes
Ne sont plus que douleur à la mémoire en fuite.
« Et combien de fois notre cœur,
Pareil à un enfant couronné de printemps
Sur les allées claires du temps,
Fiança-t-il ses doigts aux fleurs des joies tremblantes?
(( Je vous revois et vous retrouve avec mes larmes.
Puériles émotions des heures closes,
Quand je donnais la main aux plus jeunes tendresses.
« La plus claire journée de mon adolescence,
Où donc meurt-elle? — Au fond d'un jardin de province
On dirait une robe lasse et que laissa
La chair d'un autre temps ancien.
LOIN, quelqu'un chante SUR LA ROUTE 11
0 ma pensée, éveille-toi,
Ecarte, agenouillée, les rideaux frais du rêve.
« Ecoute : un oiseau passe.
Le temps vole, la grille grince
Avec un cri de bête étouffée qui se meurt.
« Dans le brouillard du soir inquiet.
Lourdes nuées aventureuses
Passent comme une armée de drapeaux prisonniers.
« Il pleut et la forêt des fleurs ploie et se brise.
« Le voici revenir vers toi, ce soir passé,
Tremblant sous un manteau de froid.
2
Î2 LUMIÈRES DU MONDE
Vois : ne paraît-il pas un mendiant glacé ?
Le seul éclat de son regard
Semble t'aimer, te reconnaître et t'appeler.
Ecoute le murmure de ses lèvres :
« Tu devinais avec tes mains religieuses
La pudeur infinie et chaste de ses seins.
« Cette clarté que ton désir pleurait
Passait contre tes yeux comme un aveu d'aurore.
« Elle disait ; ...
« Mais les paroles sont tombées,
Qui n'étaient plut que du silence,
De sa bouche goûtant la cendre avec la mort.
LOIN, QUELQU UN CHANTE SUR LA ROUTE
Le mendiant s'en est allé...
« O ma pensée, ne pleure plus !
N'est-ce pas là ta plus belle heure?
Au fond du grand jardin provincial et tendre,
Voici qu'elle renaît, exquise et parfumée !
« Pourquoi se souvenir.
Et pourquoi réveiller avec des pas de fièvre
Les tristes frissons du passé.
Au plus vrai sanglotant de ces heures éteintes,
Au plus profond de cette vie ? »
METEMPSYCOSE
2.
MÉTEMPSYCOSE
Te souvient-il encor de ce soir ancien ?
Ne puis-je deviner, Amie,
Qu'il ressuscite en ton regard,
Ce regard doux
En qui s'infléchissait l'aile des lents silences,
Tandis que frémissait
Une extase fidèle à nos lèvres unies ?
Sous la coupe inondée d'étoiles du ciel calme,
Les bras unis
Comme deux branches nues joignant leurjeune amour,
Nous respirions
Les parfums de la mer glissant sur nos cheveux.
l8 LUMIÈRES DU MONDE
Nul bruit que la langueur si faible des flots clairs.
Jusqu'à nos pas venait la mer phosphorescente,
Familier troupeau aux toisons constellées
De l'innombrable éclat d'un lumineux trésor.
Tout un bondissement scintillant s'envolait,
Oiseaux de feu, rubis, topazes, émeraudes,
Qui semblaient retourner en un vol de féerie
Jusques au paradis natal du firmament.
De longs désirs heureux frissonnaient sur nos chairs.
Mais quand la brise tout à coup
Mit un bruissement aux tuniques des vagues,
Nous tremblâmes
D'un fraternel et long baiser qui nous fît peur.
I
MÉTEMPSYCOSE IQ
Amie, ce seul baiser, t'en souvient-il toujours,
Ce singulier baiser que nos lèvres lièrent
Et qui goûtait le sel des flots ?
Quand nous revînmes vers la ville
Lointaine paraissant contre l'horizon noir
Un grand jardin peuplé d'abeilles lumineuses.
Tu dis en inclinant les voiles de ton front :
« Ecoute^ Amî ; f entends, musicienne langueur,
Le souffle pur d'Éros frissonner sur la flûte. »
Le ciel semblait flotter à nos regards perdus,
Et célébrait, tout ruisselant d'un or splendide,
En l'exaltation du somptueux silence,
Notre amour parfumé comme un bois d'Aphrodite.
D'UNE PETITE VILLE
QUAND l'automne COMMENCE.
D'UNE PETITE VILLE
QUAND l'automne COMMENCE
Au soir des lampes Theure tiède vient de naître..
Foute cette journée je la vois déjà loin :
Elle s'en va derrière une ombre de brouillard
Semblable au mendiant timide qui s'éloigne,
— Sous des haillons couleur des nuages d'hiver -
Qui s'éloigne, peureux, au fond d'une rue creuse.
Fantôt, dans l'herbe d'un automne sans ramages.
Vies pas hallucinés du heurt des souvenirs
s'en sont allés devant cet horizon maussade,
Oevant ce ciel et ces longs arbres,
Nostalgiques veilleurs du paysage froid.
8
24 LUMIÈRES DU MONDE
Rappelle-toi, ô mon regard qui t'ennuyais,
La vigne douce et colorée d'un jeune sang
Qui paradait devant une maison menue :
Tu sus l'aimer comme une amie dans le silence.
...Mais voici que le soir des lampes vient de luire.
Mon angoisse se calme. Une blancheur tremblante
Dans la confusion des clartés me sourit
Gomme un visage doux à travers des roseaux...
La bucolique retombée des frais rideaux
Choit jusqu'au boulingrin lisse d'un tapis frais
O ma pensée, replie ton flot ;
Laisse glisser le rêve
Sur l'eau calme de l'heure.
d'une petite VILLE) QUAND l' AUTOMNE COMMENCE ^5
Lampe î Franges pleurant des sources de lumière,
Je veux qu'à ton printemps naissant
Se fiance ma rêverie,
Et qu'une infinie nonchalance
Me berce, délicate et tendre,
Dans un songe de souvenance.
Le piano que, là-bas, tu frôles, — si lointaine, —
Chante, tranquille essaim de guêpes murmurante».
Jeune et calme comme un matin,
Une voix brille et se prolonge
Pareille à la voile qui passe,
Bateau, cœur simple sur la mer,
Contre un décor de rochers vifs.
Plus tendrement ! Plus lentement I Caresse nue,
Brise de mai tiédie aux cheveux d'une femme !
26 LUMIÈRES DU MONDE
L'heure tremble et la joie de son cœur éphémère !
Voici que mon regard se distrait de mon rêve
Et va cueillir encor l'apparente mémoire
De cet après-midi de tantôt...
Et tout ce gris de fin septembre,
Et ces brouillards figés au lointain des buissons.
Le tour de ville maintenant
Est recueilli comme la mort.
L'ombre est partout comme de Vouate.
Entre les murs et les hauts arbres
PassCy sournois et froid, un humide silence ;
Et Von voudrait parfois quune goutte de bruit
DUNE PETITE VILLE, QUAND L AUTOMNE COMMENCE 2"]
S'en vînt tomher, pour Vémouvoiry
Sur l'eau malade de ce calme.
Mon regard glisse à pas frôleurs.
Voici des lampes de printemps dans un salon,
Et voici ta chansonqui luit comme un bonheur.
Sous leurs toits inclinés les maisons se recueillent^
Se font petites pour jouir ^
Tranquilles et charmées, écoutant ta chanson.
le croyais que la ville était tout à fait morte,
Et mon regard la trouve emplie de tendre extase.
3.
28 LUMIÈRES DU MONDE
Mes pas timides et muets n osent tracer
Dans V automne glacé d'invisibles gazons
Quelque sentier de promenade.
Et je m'arrête à écouter
Le venty passant hâtif,
Venu des dunes froides et que hante
Le lent roulement doux des lames qui s'allument
D'un long repli agonisant d'écume.
Le sable fondy fraîcheur de givre au creux des mains.
Très loin parfois, entre la plage et l'horizon^
Passe un bateau muet
Qui traverse la nuit.
Arbre géant et noir incrusté de phosphores.
D'bNE PETITE VILLE, QUAND l'aUTOMNE COMMENCE 30
Et les phares soudain
Déroulent en rubans leurs nacres irisées
Qui s'allongent sur Veau, pareilles à des roules...
De la mer à la ville où je vis, une (erre
Respire sous le ciel,
Toute une terre de nuit lourde où se recueille
Un sommeil de prairies paisibles.
Aux remparts de la ville où je rêve,
Un arbre immense vit,
Portant la lune et les étoiles dans ses branches.
La terre ainsi, aux nuits du plus calme silence,
Possède avec puissance, en un geste exalté,
Le ciel si proche et sa présence magnifique.
SO LUMIÈRES DU MONDE
Mais, brusquement, renchantement se meurt
Comme une voix se tait derrière du silence.
Mes paupières s'écartent lentes, et la vie
Retrouve mon regard qui caresse les choses
Autour de lui, ainsi qu'un enfant éveillé
Caresse un tout premier rayon de matinée,
Branche soudain fleurie naissant aux rideaux frêles.
Frileuse et alourdie d'une fièvre de rêve,
Ma pensée, lentement, vient rejoindre ma chair
Tout étonnée dans la maison qui s'abandonne
Au charme tiède et nonchalant de la chanson
Frôlant exquisement le paresseux instant
D'un doux plumage bruissant...
II
LE REPOS SUR LA COLLINE
LE REPOS SUR LA COLLINE
A Jules Mouquet.
Le grand soleil plénier de l'après-midi claire
Promène la caresse d'or de ses mains tièdes
Sur la chair végétalement nue des collines,
Et sur la ville en reposoir heureux de sieste.
Au pied de la terrasse,
Un lent frisson d'argent
Scintille et joue
Sur les feuilles des oliviers.
Jongleur de clartés roses
Contre le mur rugueux étreint de cactus raides.
36 LUMIÈRES DU MONDE
La musique du vent caresse le silence
Gomme un frémissement de robe parfumée.
0 la Ville, là-bas,
Couchée comme une adolescente fîère et tendre,
Rieuse de soleil et de doux crépuscule,
Spirituelle et reposée !
xVIais je ne la veux pas encore regarder
Des enfants jouent sur la terrasse contre moi,
Des enfants balançant le rythme de leurs jeux.
Petites filles, jardins roses, primevères,
Jardins d'avril. Dans la lumière or envolé.
Leur chevelure sous qui flotte,
Tiède miroir si frais d'aurore,
Un regard anadyomène !
LE REPOS SUR LA COLLINE
Or c'est dimanche, dans son repos immobile.
Là-bas — tout près — à l'autre rive du vallon,
Dans une brume mauve et grise de soleil,
Une villa
Redresse son visage inquiet de vieil ivoire
Troué par l'émeraude double de ses yeux.
Tout au loin.
Par la grave et apaisée campagne
Ceignant la ville
Avec les hanches amoureuses des collines.
En docile troupeau, les calmes maisons blanches,
Sommeillantes brebis,
Paissent le reposoir tendre du crépuscule.
38 LUMIÈRES DU MONDE
0 Ville, tu es là
Avec tes campaniles d'or et tes tours sveltes
Comme des cris harmonieux d'ivre jeunesse,
Tes dômes éclatants de marbre lumineux,
Larg-es seins de déesses
Pâmés vers l'impossible baiser de l'azur I
0 Ville!..
Jo ne veux pas encor que mon regard t'étreigne !
Le parfum attiédi et sucré des glycines
Glisse comme un effluve lent du crépuscule.
La caresse des roses rouges
Flotte sur les murs chauds où rampent des lézards
Entre les aloès dardant leurs tentacules.
LE REPOS SUR LA COLLINE Sq
De longs cyprès, hautains et noirs, au long des routes
Se promènent et descendent vers la ville,
Méthodiques sous leurs végétales toisons.
Avec ses palais nus, ses maisons et ses tours,
Couchée comme une femme au fond de la vallée,
Dans le religieux apaisement du soir,
La Ville est là !
Eclatement de gloire au long de son flanc calme.
Le fleuve flamboyant passe.
Fracas superbe de fanfare célébrante.
Tubas au clair dardant leurs cris, horde sonore !
0 Ville, tu es là, couchée comme une femme
Au pied de tes collines amoureuses
4.
40 LUMIÈRES DU MONDE
Couronnant de velours splendide ton repos,
Nue et chaude comme la Belle du Titien
Qui dort là-bas, derrière les rideaux du soir.
Tout ce jour je t'ai contemplée,
0 Belle 1 0 Femme ! 0 rêve incarné du sourire 1
Des myrtes à ton poing. Olympienne,
D'une main lente et apaisée ô promeneuse
Des désirs
Au paysage d'or de ta chair bienheureuse,
Tu rêves, nue, devant le beau pays du soir !
Et maintenant je te retrouve !
Olympienne ! Tu es la Ville !
Et ta chair tout entière, et tes yeux, et tes lèvres
Sourient au souvenir de tes métempsycoses.
LE REPOS SUR LA COLLINE 4^
0 Ville ! je t'embrasse,
Je te veux posséder en mes deux bras fervents,
Sur mon cœur fou scandant les rythmes héroïques,
En mes deux bras puissants,
Ta chair nue sur ma chair,
Ton calme cœur dans mon cœur ivre,
Et l'esprit familier de ta jeune vieillesse
Dans mon sang altéré de ta splendeur divine î
Mais le soleil descend vers la belle campagne
Somptueuse de crépuscule en encens d'or
Comme un charbon rougi fécondant l'encensoir.
Des voiles d'améthyste tombent
Enlinceulant la Ville en un rêve ébloui.
Le troupeau des maisons s'endort sur la colline.
Au long des routes les cyprès sont arrêtés ;
^2 LUMIÈRES DU MONDE
Les parfums montent plus fervents.
Et la tunique en frais lilas du crépuscule
Caresse le sommeil du soir voluptueux.
Scintillement ! 0 claire Joie, des cloches naissent,
Cristal éclos, jet d'eau de sons joyeux qui glissent,
Des cloches de la Ville !
Tout un troupeau joyeux doit passer dans le soir.
Sur les encens bleuis de la nuit nouveau-née,
A travers les campagnes de mouvants saphirs
Qui flottent sur la Ville ainsi que des nuages.
Cloches des campaniles î
Un envol clair de cloches
Monte, plane, et s'éparpille,
Vol rapide en cristal fragile
LE REPOS SUR LA COLLINE A3
D'oiseaux chanteurs
Qui se berce un instant, puis se tait, sur la Ville.
L'âme claire du soir est morte. — Et c'est la Nuit.
Entre les murs rugueux grimaçants de cactus
Je m'en vais. Des jardins respirent sous le ciel,
Pacifique Jardin fleuri de rires d'or.
J'écoute, rythme blanc, des jeux et des paroles
De jeunes femmes.
0 tuniques musiciennes du Printemps !
J'entends des rires doux comme de blanches roses...
Et je songe aux beaux soirs des vieux Décamérons '
Florence 1907.
LUMIERES D'APRES-MIDI
LUMIÈRES D'APRÈS-MIDI
La mer, endimanchée de satin bleu, s'étale,
Horizontale et frissonnante vers des îles
A rhorizon, vertes et roses.
Toute damasquinée de fragiles topazes,
La robe de la mer endimanchée s'étale
D'un bord à l'autre du beau ciel immaculé.
Mon cœur est vierge et veuf de toute nostalgie.
Même le souvenir d'une lointaine amie
5
48 LUMIÈRES DU MONDE
Se fait petit comme ce papillon
Se dépêchant, voilure minuscule et tendre
En pastel tremblotant, là-bas,
Vers les blanches villas aux toits tièdement bleus
Dormant leur sieste au frais d'un vallon bienheureux.
Gommuniale procession sur la mer,
Chastes comme le lin des mystiques autels,
Fidèles prosélytes, fronts clairs pâmés de foi,
Cœurs vierges comme les hosties du tabernacle,
Des yoles frêles.
Gréées de voiles nivescentes,
Doucement nagent vers la rive des fougères.
L'heureuse sieste au beau soleil d'après-midi !
Après-midi avec ses ors
Semés sur des pâtis de calmes verts.
LUMIÈRES d'après-midi 49
Un champ de blé, tout contre mes yeux amoureux,
S'affale, éblouissant, sur la rive penchante
D'un coteau descendant son torse vers la mer.
Repose-toi, mon cœur délié de la ville.
L'heure se fait plus lente au cœur de cette paix,
Et ta paresse communie
Avec la nage immaculée des blanches yoles.
Béatitude ! 0 la si calme après-midi !
Les cloches d'un pardon balancent dans l'air tiède
Tout un alléluia de clarines tintantes
Nées, bien là-bas, de ce clocher en cendre bleue
Derrière un rideau clair de peupliers.
Le chant des cloches vient jusque sur la mer calme
Et se repose en gouttes blanches immobiles,
Voiles d'adolescence musicale et frissonnante.
5o LUMIÈRES DU MONDE
Blanche anadyomène au jardin du silence,
La première nuée du soir,
Nubile comme un rêve à Taube des bonheurs.
Vierge splendeur promise au prochain crépuscule.
Proclame au seuil du ciel profond
Sa fiançaille en marche lente sur l'azur.
LUMIÈRES d'après-midi 5i
II
Devant l'église,
Un champ de blé frémit de clartés souveraines,
Tenant joyeux dans ses mains d'or
Tout le soleil d'après-midi.
Petite église agenouillée et recueillie
Sur le préau : son pignon luit
Comme un masque blanchi de vieillesse solide,
Petite église, petite vieille
Avec ses bras sur l'or des blés.
Dans le silence.
Petite église et son toit lourd
Où pousse un dur clocher petit
52 LUMIÈRES DU MONDE
Avec en son cœur bleu une cloche figée
Ne pouvant plus sonner, trop valétudinaire,
Et par-dessus un coq de bois
Semblant l'oiseau perché du gros arbre voisin.
L'heure est tendre qui sonne à mon cœur bucolique ;
Traînant des souvenirs épars, je me l'ecueille.
Silence I Ah comme tout est silence à cette heure !
Deux souvenirs pieux,
La tête basse, comme des veuves pendant vêpres,
Tout contre un vitrail bleu où le jour devient aube,
Deux souvenirs pieux
Joignent leurs mains avec leurs âmes.
LUMIÈRES d'après-midi 53
...Ah ! ce beau soir était si doux à son regard ^
Et mon cœur s'y penchait ainsi que vers un puits
Dont Veau porte le calme azur du paradis.
Silence, ô cœur mélancolique,
Bats moins rapide !
Ecoute le g^rand vent chanter dans les épis
Avec la magnifique et joyeuse lumière.
Accoude-toi avec ma chair sur le vieux mur,
Et regarde là-bas la si douce campagne,
Les toits lointains et bleus.
Couchés comme des robes
Sur la toison bruissante des fougères.
54 LUMIÈRES DU MONDE
Loin des rochers farouches la mer se repose
Avec ses îles transparentes
Sous une oasis de ciel rose.
Ecoute : le vieux chante en sarclant son champ pauvre.
Sa mélopée pourquoi ne la vouloir amie
Et fraternelle même,
Sa mélopée hachée de silences perclus
Que vient bercer le vent frissonnant sur les blés.
Le calvaire,
Avec son pauvre christ aux bras écartelés,
Dresse son simulacre en travers de Tazur.
Le soir descend du ciel, des arbres et des toits.
LUMIÈRES d'après-midi 55
Un lourd chariot d'herbes fauchées
S'engage, cahoteux, sur le sentier de boue,
Roulant du champ de blé jusqu'à la maison basse.
Et tandis que des vaches viennent, leurs flancs boulant,
Portant tout le soleil du jour sur leur poil roux
Que précède un regard profond
Où flotte la paresse infinie des labours,
La première fumée du soir,
Lucide et blonde.
Glisse sur le ciel bleu.
Ploumanac'h et Golgon.
PAYSAGE
PAYSAGE
De fines toiles d'araignée tombent du ciel.
Il pleut fin et perpétuel
Du ciel distant au ciel prochain de ma fenêtre.
La cendre minuscule et ténue de la pluie
Choit lentement, comme une trame de soie grise
Brûlée par les années, imperceptible poudre.
Un peu de l'âme omniprésente de la pluie
Vient jusqu'à moi et mouille un peu mon cœur lassé.
6o LUMIÈRES DU MONDE
La bruine plane sur les toits roses et bleus,
Sur les rochers massifs et gris,
Et sur ce petit village de là-bas,
Hier si clair,
Impuissant aujourd'hui, et cherchant à tâtons
De pointe, avec l'épée luisante du clocher,
L'azur dormant bien haut sur des coussins de pluie.
Un bateau gros et bas
Passe entre les rochers accroupis sur l'eau verte,
Avec des voiles couleur du temps et du pays,
Pour sa besogne si mer-à-mer de tous les jours.
Et quelque part, une batteuse mécanique
Ronfle sans répit, ronfle depuis le matin,
Encombrant le silence à plat sous le ciel gris,
Ronfle et vrombit.
Avec son bruit pareil à celui que ferait
Un lourd frelon géant rôdant sur la campagne.
Ploumanac'h.
D'UN HÉVE AU BORD DE LEAU
D'UN RÊVE AU BORD DE L'EAU
Sous un toit clair, si doux, squame de tuiles roses,
Contre qui vient briser en amoureux roulis,
Impatiente émeraude,
La frondaison du voisinage,
Tu sommeilles dans le silence du soleil,
0 vieux château que hante un songe !
Au loin de tes longs prés moutonnants de ciguës,
Grave, un noyer, lourd de lumière, en force vaste,
Semble veiller sur ton exil ;
6.
64 LUMIÈRES DU MONDE
De sveltes peupliers adolescents,
Tout frémissants de gemmes nues,
Montent parmi le ciel candide du matin,
Sous un baiser de brise frêle
S'éveille et brille
Le lac, plus bleu qu'un pli de robe d'innocence.
Une montagne
Reluit comme un couteau de marbre au fond du ciel.
Sur le toit du château un lis de pierre veille,
Signe hautain scellant l'azur.
Les murs, fardés comme la joue d'un siècle mort,
Semblent se recueillir pour un éveil lointain.
\
d'un rêve au bord de l'eau 65
0 songe clos des rêveries !
Je suis entré peureusement dans le jardin ;
Et seul a répondu à mon regard tremblant
Un long frémissement balancé de fleurs blanches.
Je songe à Tombre du noyer.
Là-bas, dans le maquis de la montagne,
Aux pentes d'un velours végétal
Où court un hallali éclatant de soleil,
Des toits luisent, pareils à des aciers d'épées.
L'ombre alentie d'une nuée
Se promène sur des forêts.
Je songe.
66 LUMIÈRES DU MONDE
0 château tu es seul avec moi contre l'heure,
Ecoutant le cristal joyeux de cent oiseaux,
Sur nous deux un ciel nu grifFé de nacres claires
Plane, où suaves, transparents,
De longs anges d'Angelico
Vont balançant les lis fervents des encensoirs...
Midi d'un cri de feu menace le silence.
Voici rheure tissue d'âmes de violettes.
L'ardeur calmée du jour agonise dans l'herbe.
0 clairs roseaux baisés d'un vol de libellules I
d'un rête au bord de l'eau 67
Il semble que le vent de ses doigts amoureux
Glisse sur Teau charmée la tendresse des roses.
Plus belle qu'une grappe de glycines, l'heure
Tremble en parfums évanouis
Sur le cœur frais du grand silence vespéral.
Et le soleil caresse ton beau songe,
0 château suranné !
Plus léger qu'un pétale aux doux vents chaviré,
Le doigt harmonieux du souvenir
Est venu caresser ton beau songe endormi,
Où, couché dans la fraîche oasis des silences,
S'endormait ton plus bel amour.
68 LUMIÈRES DU MONDE
Un soir pareil, Elle revint
Après avoir longtemps guetté
Au loin le blanc oiseau de la voile promise.
Elle revint par le chemin fidèle- k-V eau.
Voici la nuit... Tu rêves, bon château,
Discret et solennel.
Près de mon cœur noyé de délices lointaines.
Et tu murmures, dans le vent,
L'espoir pâle et fané de la Dame d'antan
Dont le plus bel amour encor frissonne
Aux lèvres closes des fenêtres.
Duingt.
L'APRES-MIDI DE SIROCCO
L'APRÈS-MIDI DE SIROCCO
A André Blandin,
Le jour torpide et lourd s'appuie à mon front las
Ainsi qu'un poinj^ de plomb chauffé par les midis.
Derrière Timmobile écran des nuées basses,
Un blanc soleil chauffe la plage
Où ma sieste, vautrée dans la tiédeur du sable,
Inutile, suppute un improbable orage.
»
Les pins lassés s'immobilisent sur les crêtes ;
El la mer calme, dans l'oubli de toute gloire,
7
73 LUMIÈRES DU MONDE
Sans nul oiseau, sans nulle ride et sans sourire,
Vient 86 mourir en un clapotis suffocant
Sur un tiède récif d'éblouissantes pierres.
Les collines, là-bas, à l'autre bout du golfe,
Dorment au centre du silence formidable,
Comme d'hiératiques chapes
Noyées dans le Léthé profond d'un encens bleu.
Seul un rire apaisé de villa tache Tombre.
...Et je m'endors, le cœur malade et lourd,
Lassé d'entendre
Un misérable élan avorté de clairon
S'obstinant, en dépit de la torpeur totale,
A plagier le galop d'une charge guerrière...
L*APBÈS-MIDI I>E SIROCCO
Le ciel semble descendre. Il va toucher nos têtes
Pour nous plonger dans l'immobilité tenace
De la mer lourde, et qui se meurt, et asphyxie,
Bruissant à peine, molle, flasque, sur le sable...
Contre le lamentable décor angoissant
Mon cœur s'éteint comme un drapeau sous nulle brise.
PorqueroUes.
L'HEURE DE iNUIT
I
L'HEURE DE NUIT
(Chanson)
Per arnica silentia lunée.
Hb ! la lune ivre titube au fond de l'eau..,
Je m'en reviens du bout du môle où, toute une heure,
J'ai regardé, couché sur un lit de granit,
La mer houleuse et fraîche avec cent mille étoiles
Dansant peureusement parmi les vagues souples.
^
Le pays bleu, là-bas, à l'autre bout du golfe,
78 LUMIÈRES DU MONDE
Dormait sous le beau ciel amoureux de Tété ;
Et les lumières d'une ville
Brillaient, tremblantes, minuscules,
Pollen d'or sur une aile d'ombre.
Le regard des étoiles, toute une heure d'extase,
S'est glissé jusqu'à mon visage bienheureux.
J'ai entendu passer sur moi
Le doux cri des oiseaux qui ramaient dans le vent
Avec leurs ailes invisibles...
Vers la place lointaine où chantent les soldats
Le chemin est si noir... La bonne lune est là
Pour éclairer la route.
Je vais, épouvantant la solitude avec mes pas.
L HEURE DE NUIT 79
I
Là, un moine géant sur l'eau dit ses prières,
Avec son long- bâton de pèlerin,
Son capuchon pendant sur sa robe de bure.
Signons-nous, et de peur !.. Non. C'est une tartane
Avec sa voile à l'abandon contre le mât...
\
Mes bons amis, la lune est très soûle ce soir :
Elle marche sous l'eau ainsi qu'un gai fantôme.
Revenant de la mer par le chenal si froid.
Et retournant vers les palmiers du port dormant.
Elle titube, mes gais amis, ce soir,
Elle titube à chaque pas contre les vagues...
Et la voici donner du nez contre une barque ?
Un coup de vent salé bute contre mon front
Et m'apporte... Ho ! Holà ! A la garde !
Un cri peureux de femme à coup sûr enlevée
Par des forbans qui la mèneront en Barbarie !
8o LUMIÈRES DU MONDE
Juste I Leur grand bateau lève Tancre là-bas
Dans le sillage, la bonne lune
S'éparpille, cassée en mille loques d or.
Le soir est tendre, parfumé d'eucalyptus,
Et le frisson subtil et doux des mimosas
Embaume de fraîcheur mon allègre retour.
Des vitres reflétant le cœur tremblant des lampes
Se mirent dans Teau calme d'un étang.
J'écoute le grelot timide d'un crapaud...
Mais avant de dormir, mes gais amis,
Prenons la barque. Nous pécherons
Les gros poissons de nuit luisants comme sequins,
l'heure de nuit 8i
A la dérive I Bonne lanterne de la proue,
Tu pleures jusqu'au fond des varechs turbulents
Tes grosses larmes de phosphore...
Quelle feuille, là-bas, de nénuphar tranquille
Reluit, bercée, candide et calme, entre deux eaux?
C'est la lune ressuscitée.
PorquerolU».
SOUVENIR
l
SOUVENIR
A Théo Varlet.
Je me souviens, ami si neuf et si ancien,
De nos belles journées
Couchées dans la chaleur heureuse des rochers.
Ou plus calmes enfuies,
Devant tes hauts cyprès tout vibrants de cigales.
l'horizon de ton jardin,
Un cap, debout, son front brûlant de rouge orgueil.
Montait dans le ciel bleu comme un geste de bronze.
86 LUMIÈRES DU MONDE
Et SOUS le gros figuier, nos cœurs unis chantaient,
Battant au rire d'or des heures fraternelles.
Jeunes divinités du fervent paysage.
Les clairs oliviers
Offraient au ciel lourd de lumière
Leurs feuillages polis et purs comme des coupes.
Le soir, je revenais
Vers le vieux port où tremble aux poupes des tartanes,
Luisant reflet d'eau frissonnante,
Un filet de lumière aux mailles ondulantes.
Et longtemps, jusqu'au bout de la venelle calme.
Je retournais mon lent départ pour saluer,
Comme un vieux bouclier dressée devant tes vignes,
0 frère ami, la bonne porte familière.
IMAGERIES
IMAGERIES
Il fait bien froid là-bas sur la grand'place
Où des saints au portail de l'église grelottent.
Contre la chasteté plaintive des étoiles,
La ville est là, comme un poing d'ombre,
Au milieu de la campagne,
Sous l'étreinte innombrable et bleue de la nuit pure.
Tu rêves. Le silence inouï des provinces
Flotte sur les murs blancs de la maison tranquille ;
QO LUMIÈRES DU MONDE
Et dans le grand salon,
L'âme du piano repose et se rappelle
La très douce fidélité de tes doigts frêles.
Les arbres des remparts,
Tout frissonnants de clair de lune,
Regardent vers la prairie immense et vers la mer.
...Il fait si tendre dans ta chambre,
Les amoureux reflets des soies tendent les murs;
Ton éventail est là, sur la console grêle.
Près d'une rose au clair nonchaloir de printemps.
Tu rêves. Une larme chagrine ton regard.
Et tu écoutes
Le vent qui siffle
Sous des doigts amoureux un souvenir de flûte...
IMAGERIES 91
II
Le soir provincial rêve aux vitres fanées.
Rien n'existe de cette ville abandonnée
Dont tressaute le cœur en glas de cloches lasses
Hachés par le vent froid d'un si dernier automne.
Rêvons près du soleil intime de la lampe.
Vois, le salon s'éloigne tant
Qu'un lambris, tout là-bas, semble un pâle horizon.
Le bûcher fond en vives flammes
Où brûle quelque conte attendri qui sanglote.
93 LUMIÈRES DU MONDE
Aux murs s'attardent — o si pareil et éternel
Sourire endimanché des portraits de famille 1
Quelques ligures de jadis.
Sous la vieille pendule au cadran d'émail bleu,
Un chat câlin traverse la pénombre.
Et tout à coup, tes doigts, d'un coffre en bois de rose,
— 0 clavecin ! —
Ouvrent la cage à mille notes enfantines.
Toute une danse d'enfants clairs semble tourner
Sur le rythme vieilli charmant le doux silence...
Et tandis que la pluie dehors pique les vitres
Avec ses ongles minuscules,
Nous reprenons, muets, la veillée nonchalante.
IMAGERIES 93
III
Dans un coin lumineux du salon, une harpe
Tend sa proue arrondie où brille un éclat d'or ;
Avec les gréements de ses cordes,
Serait-ce Argo, voulant cingler
Vers quel trésor et sous quel ciel ?
... Je me souviens des grands et beaux départs hautains,
0 navires, quand les voilures
^
94 LUMIÈRES DU MONDE
Se gonflent, fécondées par le vent amoureux,
Glissant vers l'horizon, sous le béant azur.
Avec transport, comme des lyres frémissantes !
... Mais point ! La pastorale plus ici se devine.
Je me vois tout fleuri de rubans bucoliques.
Près des potiches japonaises oii des guerriers
Meurent d'amour, percés de yatagans féroces,
Contre les belles aux regards longs et aux dents fraîches.
Et cependant que la clochette des idylles
Parfume d'un son clair la nuit si tendre et violette,
Petit berger peureux, je rêve paradis ;
Houlette désœuvrée.
Ma main traîne dans le silence, hésitante.
Cherchant la rose exquise et tremblante d'un songe
Au bord frileux encor du printemps deviné.
i
LE SOIR HESITE ET NE SAIT OÙ.
h
LE SOIR HÉSITE ET NE SAIT OÙ
Vers les hachures d'or de la grille lointaine,
La lumière du ciel éclatante de gloire
Passe comme un chemin splendide et triomphant
Entre la fête double et luisante des arbres,
Chemin d'azur pour quelle flèche
Dardée par un Centaure ivre d'été puissant !
Les colombes traversent Tair
Vers l'oasis des vasques claires ;
Et le soleil allume aux marronniers heureux
Toute une flamme d'émeraude :
98 LUMIÈRES DU MONDE
Leur forêt pèse s-ur le silence du jardin
D'oii s'exalte une haute fête
Ronde parmi le ciel d'orage.
Fleuri de cris d'enfants, le balustre de pierre,
Sur qui retombe le pastel des aubépines,
Se prolonge au candide ciel
Par cette coupe nue où frémit une fleur.
Gomme une femme nue fatiguée de baisers,
L'après-midi se meurt, et le soir tendrement
Verse sur sa chair moite une calme pluie d'or.
0 jardin ! Danaé riant sous le soleil
Qui se recule et bat des ailes dans les branches !
LE SOIR HÉSITE ET NE SAIT OU 99
A pas de frêles violettes la nuit tendre
Glisse des buissons frais,
Etend les voiles du brouillard.
Plus un cri. Quelque part la lune frêle accroche
Sa mousseline transparente dans les branches.
Loin, dans la rue, des gemmes crient,
Emeraudes, rubis, passant au pas pressé
De grelots paresseux.
Est-ce la ville ? Est-ce là-bas
Le retour d'un troupeau et ses fraîches claiines
9.'"
» ( eiSL/OTHECA
100 LUMIÈRES DU MONDB
On ne sait ; — mais le vieux Docteur
Affirmant son chapeau dessiné par Daumier
Dit : « voici le serein qui tombe »
Et le son mat et prolongé d'un lourd tambour
Règne dans le soir inquiet comme une angoisse.
Le jet d'eau pique d'un doigt frais le ciel timide.
Jardin du Luxembourg.
m
AFFIRMATIONS
AFFIRMATIONS
« Je l'aime et je vais vers toi.
« De cette chose-là je suis très sûr,
Et je sais aujourd'hui qu'elle vaut tout autant
Que la vie de mon cœur au centre de ma vie.
« Malgré son tumulte et sa fièvre géante,
La ville reste nue comme la solitude
Large d'une forêt.
106 LUMIÈRES DU MONDE
Je marche entre des bruits heurtant leurs trajectoires.
Je passe, un peu sournois, entre les bruits peuplant
Le soir tout encombré des cris fous des lumières.
« Je me glisse
Gomme celui cherchant à travers bois,
Entre les troncs pressés
Et qui fixe au lointain ses yeux
Qu'un doute immobilise à quelque carrefour,
Et qui repart tout droit ensuite vers le but.
({ Je sais que tu es là, que ton reg-ard est là :
A travers la forêt des bruits je vais plus vite.
J'arrive enfin sur cette place où je te sais :
« Elle est pareille à un autel d'apaisement
Qui s'élargit dans le silence.
AFFIRMATIONS IO7
Tu es là. \'oici pour moi la certitude.
Sans bruit, sans geste,
Je crie immensément en moi.
« La certitude, je la tiens ;
Elle est parmi ma chair comme un sang prisonnier
Qui ne peut pas mourir.
La voici qui grandit soudain et m'hallucine,
Je la retiens et la contiens. Voici la Joie 1
« Ton grand regard est là au milieu de la ville
Gomme Teau verte d'un étang, splendide et nue,
Calme avec des roseaux dociles
Frissonnants.
« Il n'y a plus que lui sous le ciel et la nuit
Il n'y a même plus d'étoiles dans le ciel I
10
Io8 LUMIÈRES DU MONDE
Il y a toi et ton regard,
Ton regard qui m'attend,
Où je pourrai mouiller les mains de mon désir.
« Il y a toi, et je vais pouvoir te toucher.
Un peu, à travers tes vêtements ;
Je vais pouvoir un peu toucher ce qui est toi.
« Alors, tout aussitôt, ma vie s'éclairera
Gomme un pays qui se révèle après la nuit,
Quand l'aube fraîche monte au faîte des collines.
« A tes lèvres je mordrai la Joie ;
Et je serai puissant et bienheureux
Comme un printemps tout clair de frémissantes feuilles,
« Gomme un printemps fécond.
Avec du soleil jusqu'au ciel I »
CHANT DE LA JOIE
CHANT DE LA JOIE
« Je vais sous l'innocente et persévérante pluie
Muant en fleuves blancs les voies trop coutumières.
« Ivre d'un seul regard immense, je reviens.
« La rue est large et longue comme une avenue.
La féerie de lumière en l'asphalte incrustée
Plonge jusqu'au nadir du monde
Ses poings furieux et célébrants, diadèmes
D'orgueils luisants et fous de gloire en clairs tumultes.
10.
112 LUMIÈRES DU MONDE
Je vais. Mon pas glissant est fait d'apothéoses.
J'ai le vertige. Et si le ciel n'existe plus,
Tout le frisson des nuits d'été vit sous mon pas,
Sous mon cœur vrombissant d'amour,
Et sous ma chair entière enfrissonnée d'extase,
Joyeuse et entêtée de bonheur, et dansante !
« Je suis comme un violon dans une symphonie.
Je suis le son joyeux et solitaire.
Et je suis celui-là qui projette sa joie
Autour de lui
Et qui reçoit l'écho multiple en lui.
« Ma chair est comme un faune en un clair paysage
D'azur limpide et de rocs durs.
Sifflant sous ses deux cornes joyeuses
Une chanson vers des échos
Qui rebondissent dans son cœur,
Pour le gonfler immensément de joies ferventes,
CHANT DE LA JOIE
ii3
« Me voici revenu. Je retrouve ta chair ;
« Ton rire sonne encor au bois du souvenir ;
« Ton regard luit encor sur moi comme un ciel d'ambre.
« En touchant les tapis où ta chair s'est posée,
Je crois encor toucher ta chair
Plus souple qu'un printemps de fleurs nues d'amandiers,
Et plus tiède que l'herbe claire
Au joyeux soleil de midi,
LUMIÈRES DU MONDE
« Ton regard vit en moi
Gomme le clair miroir d'une eau fraîche de puits,
Avec un doux été de feuillage miré
Entre les turquoises du ciel.
« Et le sanglot joyeux de ta caresse est encor là.
« ...Je suis seul, et la ville presque se tait.
« Je songe et je médite...
« Mais je ne suis plus seul :
Des fanfares là-bas naissent à Thorizon
Comme un troupeau de peupliers après l'orage,
Neuves armures de soleil.
CHANT DE LA JOIE Il5
« Des fanfares éclatent. Mille et une !
Non, je ne suis pas seul,
Je suis plus innombrable qu'une armée en marche
A l'aube des victoires frénétiques !
« Car tous les mots que tu m'as dits sonnent en moi.
Tous se réveillent. Tous chantent.
J'écoute, et dans mon cœur voici l'immense fête
D'un clairprintemps d'oiseaux au matin des campag^nes !
I
PAROLES CONTRE LE VENT
PAROLES CONTRE LE VENT
Je suis debout devant la mer sur la falaise.
La tempête ruée
Heurte, puissante, formidable, ma poitrine,
Vibrant sur moi
Comme une robe bruissante.
Ma chair, raidie, ne veut ployer et se redresse,
Cabrée dans sa défense raidissante ;
Ma chair violée par la caresse déchaînée
Se fixe droite au sol, en un spasme d'orgueil.
Le vent venu du bout des mers.
Arrachant aux flots clairs de vertes chevelures,
11
laO LUMIERES DU MONDE
Le vent venu des trag-édies de Thorizon,
Veut m'emporter d'entre les pins où je m'accroche
Et dont les troncs, sous le baiser farouche, tremblent.
Les aiguilles aux branches
Gomme mille serpents agacés de tempête.
Sifflent...
Et la pointe du roc
Reçoit le vent qui frotte, en criant, furieux.
Son mufle granitique éperonnant la mer.
La mer monte vers moi,
La mer jaillit jusqu'à mon front qui s'épouvante.
Mais je suis fort et veux que ma chair ne défaille,
Morceau de marbre dans le ciel.
PAROLES CONTRE LB VENT 121
Je vis dans la tempête ainsi qu'une victoire,
Ailes raidies par l'ouragan.
Mes pieds tiennent le sol pareils à deux racines.
Et mon regard reste fixé
Tout droit contre ce vent qui veut le traverser.
Sur la proue farouche du roc,
Qui se redresse en un cabrement titanique,
La mer bouge dans un chaos démesuré...
La mer et sa seule fureur :
Elle rugit et magnifique se secoue,
En échevèlements de crinières farouches.
Nulle fragile humanité entre ses lames !
122 LUMIÈRES DU MONDE
Jusqu'à la chevauchée tumultueuse des nuages,
La mer,
Ivres galops de chevaux verts aux poitrails fous,
La hennissante mer venue du ciel, là-bas,
Se rue contre le roc qui sépare sa vie
En deux morceaux de chair
Où bouillonne de la lumière.
Et ma bouche fleurie du sel de la tempête.
S'ouvre pour un cri fort brisé de vent jaloux.
Voici que mon effort se cabre
Gomme un navire qui s'exalte !
Plus le vent ploie ma chair faiblie,
Plus mon désir veut tout le vent.
PAROLES CONTRE LE VENT 133
Voici que mon cœur s'ouvre, ardent et frénétique,
Ainsi que la voilure éployée d'un navire 1
Le roc s'arrache à mon étreinte.
Les pins déracinés où s'accrochaient mes bras,
Epaves dures, sont partis.
Voici que mon désir, parmi son poing tenace,
Prend ma chair et ma vie, et d'un coup les délivre.
Je m'arrache de toi, terre petite.
Où frissonne et sanglote, sous de frêles huttes,
L'humanité, vouloir fragile...
11.
ia4 LUMIÈRES DU MONDE
Et je cingle, éperdu, à travers des victoires
Qui fouettent ma chair comme des étendards;
Je cingle,
Tout vibrant d'une joie dont mes regards s'inondent.
Cheveux raidis aux doigts furieux des tempêtes,
Je cingle droit dans le sillage du soleil !
LE RETOUR
LE RETOUR
Rageuses et mordues par l'âpre canicule,
Laborieuses au long du jour,
Les cigales perpétuelles
Travaillent de leurs scies féroces et menues
Les rochers fauves.
Héros farouche,
Jamais lassé
De l'onduleuse et bleue caresse
Vibrant en rires blancs de lames déferlantes,
Solide et nu, pesant et clair un roc debout
Sculpte dans tout le ciel, devant toute la mer,
Son torse rude éclaboussé de soleil rouge.
128 LUMIÈRES DU MONDE
Nul dieu que le soleil étreignant tout le Monde
Avec ses poings I
Et la mer bleue, criblée de topazes dansantes,
Écartelant sa splendeur nue,
Bacchante fécondée, jouit
Avec des rires d'or en fête sur sa chair I
Par les griffes de la lumière ensanglanté,
Le mur rouge et farouche du cap
Où brillent des toisons de pins peignées d'azur,
Brise le ciel d'un choc d'épaules formidables...
Les cigales scient les rochers , l'heure torride et le silence .
Avec mon cœur durci par l'éclatant midi.
Je suis debout sur la roche brûlante,
LE RETOUR 139
Après le périple marin
Mené fougueux au long des journées et des nuits.
Un vent joyeux venu du large
Fait battre mes pensées cinglant comme des voiles,
Ivres et claires
Contre le ciel.
Je respire avec force et mes pieds à nouveau
Possèdent la chaleur du sol.
Le soleil a franchi
L'immobile manteau de ma chair ;
Et sa torche, embrasant mon être tout entier,
Monte planter sa gloire éclatante et superbe,
Comme un drapeau de joie flambante.
Sur la cime de ma conscience possédée 1
1^0 LUMIÈRES DU MONDE
Ma pensée,
Embrasée par le vin flambant de la lumière,
Danse de joie
Avec des thyrses éclatants dans ses mains claires.
Le haut navire est reparti.
Au loin des mers de marbre,
Sa voilure, bandée par le vent dur.
Jaillit debout sur l'horizon comme une tour.
Je suis celui qui revient vers la patrie,
Et cherche, au loin de l'espérance,
LE RETOUR l3l
La maison calme où prendre Toffrande du sel.
Je souffre et tends les bras
Vers l'oasis d'un grand repos.
Et voici que ma volonté
Brusquement se retourne
Et cherche à renouer des fils,
Des fils épars vers le passé.
Le passé.
Peut-être que de lui tout est mort ?
Peut-être faudra-t-il reconstruire le temple,
Avec son fronton nu qui porte tout le ciel
Sur ses bras clairs
Et le dompte et l'unit à la terre féconde,
Le temple où la statue se dressera
Du nouveau dieu que veut devenir mon cœur las.
Qui s'émerveillera d'une nouvelle vie.
12
l33 LUMIÈRES DU MONDE
J'attends. Mes yeux sont rouges de lumière.
Le soleil, comme un fauve au mufle ensanglanté,
A pas tranquilles et repus de Tâpre chasse
Courue tout à travers de la journée entière,
Gagne la jungle des nuages
Lourds et tassés au ras de l'horizon marin.
Maintenant je m'étends pour la nuit.
Voici le crépuscule si rapide
Qui fait tomber sur lui un linceul de fraîcheur.
Tantôt la lune montera et sera froide
Gomme un baiser peureux de vierge adolescente.
Mon corps s'étend ainsi qu'un fleuve avec lenteur
Sur le lit du rocher rugueux et fraternel.
LE RETOUR l33
J'attends.
L'étreinte d'un demain nouveau viendra me prendre.
Ce jour fini scelle la vie antérieure.
Demain !... Demain !..
Au zénith une étoile
Laisse couler son lent baiser jusqu'à ma face.
Et je contemple au long- de l'heure,
Bercée par le doux rythme immense de la mer,
Étoiles nouveau-nées jaillies de l'horizon,
La calme ascension mystique de la nuit.
TABLE
12.
TABLE
LOIλ QUELQU UN CHANTE SUR LA ROUTE 7
MÉTEMPSYCOSE l5
d'unb pbtitb ville, quand l'automne commence. ... 31
II
LE REPOS SUR LA COLLINE 33
LUMIÈRES d' APRÈS-MIDI 45
PAYSAGE 57
d'un rêve au BORD DE l'eAU 6l
l'après-midi de sirocco 69
l'heure dk nuit 75
souvenir 83
imageries 86
le SOIR aésiTE et ne sait où 96
l38 LUMIÈRES DU MONDE
III
AFFIRMATIONS I03
LES PAROLES DE LA JOIE lOQ
PAROLES CONTRE LE VENT II7
LE RETOUR 125
ACHEVE D'IMPRIMER
Le vingt octobre mil neuf cent treize
PA.R
BUSSIÈRE
A SAINT-AMAND (cHEr)
pour le
MERGVRE
DE
FRANCE
La Bibliothèque
Jniversité d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date Due
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CE PC 2605
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