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Full text of "Lumières du monde : poèmes"

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LUMIÈRES  DU   MONDE 


DV  MÊME  AUTEUR 


AU  LONG  DES  TERRASSES  (Le  BeSroî),  1906  ...       I  vol. 
LA  JOIE  VAGABONDE  (Mepcvre  de  France),  1909     .       i  vol. 


PAUL   CASTIAUX 

-  OCT  2  51972 


Lumières  du  Monde 


—  POEMES 


PARIS 
MERCVRE   DE   FRANGE 

XXVI,  RVE  DE  CONDÉ,  XXVI 


MCMXIII 


c 


IL   A    ÉTÉ   TIRÉ   DE   CET   OUVRAGE    t 

Cinq  exemplaires  sur  Whatman 

et  quinze  exemplaire^  sur  Hollande^ 

numérotés 


JUSTIFICATION    DU    TIRAGE 


Tous  droits  de  reproduction,  de  traduction  e^  d'adaptation 
réservé»  pour  tous  pays. 


LOIN,  QUELQU'UN  CHANTE  SUR 
LA  ROUTE... 


LOIN,  QUELQU'UN  CHANTE  SUR  LA  ROUTE 


«  Et  que  fut-elle,  notre  vie, 
Sinon  tristesses  inquiètes. 
Sanglots  profonds  et  forcenés, 
Faux  rire  et  masques  grimaçants  ? 


«  Après  la  scintillante  joie, 

Que  reste-t-il  à  notre  bouche 

Sinon  la  cendre  d'un  automne 

Que  mâche  notre  lièvre  éternellement  pâle. 


«  Les  pensées  de  la  vie  mortelle. 
Nous  voudrions  les  oublier; 


LUMIÈRES    DU    MONDE 


Les  meilleures  pensées  des  heures  éclatantes 
Ne  sont  plus  que  douleur  à  la  mémoire  en  fuite. 


«  Et  combien  de  fois  notre  cœur, 

Pareil  à  un  enfant  couronné  de  printemps 

Sur  les  allées  claires  du  temps, 

Fiança-t-il  ses  doigts  aux  fleurs  des  joies  tremblantes? 


((  Je  vous  revois  et  vous  retrouve  avec  mes  larmes. 

Puériles  émotions  des  heures  closes, 

Quand  je  donnais  la  main  aux  plus  jeunes  tendresses. 


«  La  plus  claire  journée  de  mon  adolescence, 

Où  donc  meurt-elle?  —  Au  fond  d'un  jardin  de  province 

On  dirait  une  robe  lasse  et  que  laissa 

La  chair  d'un  autre  temps  ancien. 


LOIN,  quelqu'un  chante  SUR  LA  ROUTE        11 


0  ma  pensée,  éveille-toi, 

Ecarte,  agenouillée,  les  rideaux  frais  du  rêve. 


«  Ecoute  :  un  oiseau  passe. 

Le  temps  vole,  la  grille  grince 

Avec  un  cri  de  bête  étouffée  qui  se  meurt. 


«  Dans  le  brouillard  du  soir  inquiet. 

Lourdes  nuées  aventureuses 

Passent  comme  une  armée  de  drapeaux  prisonniers. 


«  Il  pleut  et  la  forêt  des  fleurs  ploie  et  se  brise. 


«  Le  voici  revenir  vers  toi,  ce  soir  passé, 
Tremblant  sous  un  manteau  de  froid. 

2 


Î2  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Vois  :  ne  paraît-il  pas  un  mendiant  glacé  ? 
Le  seul  éclat  de  son  regard 
Semble  t'aimer,  te  reconnaître  et  t'appeler. 
Ecoute  le  murmure  de  ses  lèvres  : 


«  Tu  devinais  avec  tes  mains  religieuses 
La  pudeur  infinie  et  chaste  de  ses  seins. 


«  Cette  clarté  que  ton  désir  pleurait 

Passait  contre  tes  yeux  comme  un  aveu  d'aurore. 


«  Elle  disait  ;  ... 


«  Mais  les  paroles  sont  tombées, 

Qui  n'étaient  plut  que  du  silence, 

De  sa  bouche  goûtant  la  cendre  avec  la  mort. 


LOIN,  QUELQU  UN  CHANTE  SUR  LA  ROUTE 


Le  mendiant  s'en  est  allé... 


«  O  ma  pensée,  ne  pleure  plus  ! 

N'est-ce  pas  là  ta  plus  belle  heure? 

Au  fond  du  grand  jardin  provincial  et  tendre, 

Voici  qu'elle  renaît,  exquise  et  parfumée  ! 


«  Pourquoi  se  souvenir. 

Et  pourquoi  réveiller  avec  des  pas  de  fièvre 

Les  tristes  frissons  du  passé. 

Au  plus  vrai  sanglotant  de  ces  heures  éteintes, 

Au  plus  profond  de  cette  vie  ?  » 


METEMPSYCOSE 


2. 


MÉTEMPSYCOSE 


Te  souvient-il  encor  de  ce  soir  ancien  ? 

Ne  puis-je  deviner,  Amie, 

Qu'il  ressuscite  en  ton  regard, 

Ce  regard  doux 

En  qui  s'infléchissait  l'aile  des  lents  silences, 

Tandis  que  frémissait 

Une  extase  fidèle  à  nos  lèvres  unies  ? 


Sous  la  coupe  inondée  d'étoiles  du  ciel  calme, 

Les  bras  unis 

Comme  deux  branches  nues  joignant  leurjeune  amour, 

Nous  respirions 

Les  parfums  de  la  mer  glissant  sur  nos  cheveux. 


l8  LUMIÈRES    DU    MONDE 


Nul  bruit  que  la  langueur  si  faible  des  flots  clairs. 


Jusqu'à  nos  pas  venait  la  mer  phosphorescente, 
Familier  troupeau  aux  toisons  constellées 
De  l'innombrable  éclat  d'un  lumineux  trésor. 


Tout  un  bondissement  scintillant  s'envolait, 
Oiseaux  de  feu,  rubis,  topazes,  émeraudes, 
Qui  semblaient  retourner  en  un  vol  de  féerie 
Jusques  au  paradis  natal  du  firmament. 


De  longs  désirs  heureux  frissonnaient  sur  nos  chairs. 


Mais  quand  la  brise  tout  à  coup 

Mit  un  bruissement  aux  tuniques  des  vagues, 

Nous  tremblâmes 

D'un  fraternel  et  long  baiser  qui  nous  fît  peur. 


I 


MÉTEMPSYCOSE  IQ 


Amie,  ce  seul  baiser,  t'en  souvient-il  toujours, 
Ce  singulier  baiser  que  nos  lèvres  lièrent 
Et  qui  goûtait  le  sel  des  flots  ? 


Quand  nous  revînmes  vers  la  ville 

Lointaine  paraissant  contre  l'horizon  noir 

Un  grand  jardin  peuplé  d'abeilles  lumineuses. 

Tu  dis  en  inclinant  les  voiles  de  ton  front  : 

«  Ecoute^  Amî  ;  f  entends,  musicienne  langueur, 

Le  souffle  pur  d'Éros  frissonner  sur  la  flûte.  » 


Le  ciel  semblait  flotter  à  nos  regards  perdus, 

Et  célébrait,  tout  ruisselant  d'un  or  splendide, 

En  l'exaltation  du  somptueux  silence, 

Notre  amour  parfumé  comme  un  bois  d'Aphrodite. 


D'UNE  PETITE  VILLE 

QUAND   l'automne    COMMENCE. 


D'UNE  PETITE  VILLE 

QUAND      l'automne     COMMENCE 


Au  soir  des  lampes  Theure  tiède  vient  de  naître.. 
Foute  cette  journée  je  la  vois  déjà  loin  : 
Elle  s'en  va  derrière  une  ombre  de  brouillard 
Semblable  au  mendiant  timide  qui  s'éloigne, 
—  Sous  des  haillons  couleur  des  nuages  d'hiver  - 
Qui  s'éloigne,  peureux,  au  fond  d'une  rue  creuse. 


Fantôt,  dans  l'herbe  d'un  automne  sans  ramages. 
Vies  pas  hallucinés  du  heurt  des  souvenirs 
s'en  sont  allés  devant  cet  horizon  maussade, 
Oevant  ce  ciel  et  ces  longs  arbres, 
Nostalgiques  veilleurs  du  paysage  froid. 

8 


24  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Rappelle-toi,  ô  mon  regard  qui  t'ennuyais, 
La  vigne  douce  et  colorée  d'un  jeune  sang 
Qui  paradait  devant  une  maison  menue  : 
Tu  sus  l'aimer  comme  une  amie  dans  le  silence. 


...Mais  voici  que  le  soir  des  lampes  vient  de  luire. 
Mon  angoisse  se  calme.  Une  blancheur  tremblante 
Dans  la  confusion  des  clartés  me  sourit 
Gomme  un  visage  doux  à  travers  des  roseaux... 


La  bucolique  retombée  des  frais  rideaux 
Choit  jusqu'au  boulingrin  lisse  d'un  tapis  frais 


O  ma  pensée,  replie  ton  flot  ; 

Laisse  glisser  le  rêve 

Sur  l'eau  calme  de  l'heure. 


d'une    petite    VILLE)    QUAND    l' AUTOMNE    COMMENCE       ^5 

Lampe  î  Franges  pleurant  des  sources  de  lumière, 

Je  veux  qu'à  ton  printemps  naissant 

Se  fiance  ma  rêverie, 

Et  qu'une  infinie  nonchalance 

Me  berce,  délicate  et  tendre, 

Dans  un  songe  de  souvenance. 


Le  piano  que,  là-bas,  tu  frôles,  —  si  lointaine,  — 
Chante,  tranquille  essaim  de  guêpes  murmurante». 


Jeune  et  calme  comme  un  matin, 
Une  voix  brille  et  se  prolonge 
Pareille  à  la  voile  qui  passe, 
Bateau,  cœur  simple  sur  la  mer, 
Contre  un  décor  de  rochers  vifs. 


Plus  tendrement  !  Plus  lentement  I  Caresse  nue, 
Brise  de  mai  tiédie  aux  cheveux  d'une  femme  ! 


26  LUMIÈRES    DU    MONDE 


L'heure  tremble  et  la  joie  de  son  cœur  éphémère  ! 


Voici  que  mon  regard  se  distrait  de  mon  rêve 

Et  va  cueillir  encor  l'apparente  mémoire 

De  cet  après-midi  de  tantôt... 

Et  tout  ce  gris  de  fin  septembre, 

Et  ces  brouillards  figés  au  lointain  des  buissons. 


Le  tour  de  ville  maintenant 
Est  recueilli  comme  la  mort. 


L'ombre  est  partout  comme  de  Vouate. 
Entre  les  murs  et  les  hauts  arbres 
PassCy  sournois  et  froid,  un  humide  silence  ; 
Et  Von  voudrait  parfois  quune  goutte  de  bruit 


DUNE    PETITE    VILLE,    QUAND    L  AUTOMNE    COMMENCE         2"] 

S'en  vînt  tomher,  pour  Vémouvoiry 
Sur  l'eau  malade  de  ce  calme. 


Mon  regard  glisse  à  pas  frôleurs. 


Voici  des  lampes  de  printemps  dans  un  salon, 
Et  voici  ta  chansonqui  luit  comme  un  bonheur. 


Sous  leurs  toits  inclinés  les  maisons  se  recueillent^ 

Se  font  petites  pour  jouir ^ 

Tranquilles  et  charmées,  écoutant  ta  chanson. 


le  croyais  que  la  ville  était  tout  à  fait  morte, 
Et  mon  regard  la  trouve  emplie  de  tendre  extase. 


3. 


28  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Mes  pas  timides  et  muets  n  osent  tracer 
Dans  V automne  glacé  d'invisibles  gazons 
Quelque  sentier  de  promenade. 


Et  je  m'arrête  à  écouter 

Le  venty  passant  hâtif, 

Venu  des  dunes  froides  et  que  hante 

Le  lent  roulement  doux  des  lames  qui  s'allument 

D'un  long  repli  agonisant  d'écume. 


Le  sable  fondy  fraîcheur  de  givre  au  creux  des  mains. 


Très  loin  parfois,  entre  la  plage  et  l'horizon^ 

Passe  un  bateau  muet 

Qui  traverse  la  nuit. 

Arbre  géant  et  noir  incrusté  de  phosphores. 


D'bNE    PETITE    VILLE,    QUAND    l'aUTOMNE    COMMENCE        30 

Et  les  phares  soudain 

Déroulent  en  rubans  leurs  nacres  irisées 

Qui  s'allongent  sur  Veau,  pareilles  à  des  roules... 


De  la  mer  à  la  ville  où  je  vis,  une  (erre 
Respire  sous  le  ciel, 

Toute  une  terre  de  nuit  lourde  où  se  recueille 
Un  sommeil  de  prairies  paisibles. 


Aux  remparts  de  la  ville  où  je  rêve, 

Un  arbre  immense  vit, 

Portant  la  lune  et  les  étoiles  dans  ses  branches. 


La  terre  ainsi,  aux  nuits  du  plus  calme  silence, 
Possède  avec  puissance,  en  un  geste  exalté, 
Le  ciel  si  proche  et  sa  présence  magnifique. 


SO  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Mais,  brusquement,  renchantement  se  meurt 
Comme  une  voix  se  tait  derrière  du  silence. 


Mes  paupières  s'écartent  lentes,  et  la  vie 
Retrouve  mon  regard  qui  caresse  les  choses 
Autour  de  lui,  ainsi  qu'un  enfant  éveillé 
Caresse  un  tout  premier  rayon  de  matinée, 
Branche  soudain  fleurie  naissant  aux  rideaux  frêles. 


Frileuse  et  alourdie  d'une  fièvre  de  rêve, 
Ma  pensée,  lentement,  vient  rejoindre  ma  chair 
Tout  étonnée  dans  la  maison  qui  s'abandonne 
Au  charme  tiède  et  nonchalant  de  la  chanson 
Frôlant  exquisement  le  paresseux  instant 
D'un  doux  plumage  bruissant... 


II 


LE  REPOS  SUR  LA  COLLINE 


LE  REPOS  SUR  LA  COLLINE 


A  Jules  Mouquet. 


Le  grand  soleil  plénier  de  l'après-midi  claire 
Promène  la  caresse  d'or  de  ses  mains  tièdes 
Sur  la  chair  végétalement  nue  des  collines, 
Et  sur  la  ville  en  reposoir  heureux  de  sieste. 


Au  pied  de  la  terrasse, 

Un  lent  frisson  d'argent 

Scintille  et  joue 

Sur  les  feuilles  des  oliviers. 

Jongleur  de  clartés  roses 

Contre  le  mur  rugueux  étreint  de  cactus  raides. 


36  LUMIÈRES    DU    MONDE 

La  musique  du  vent  caresse  le  silence 
Gomme  un  frémissement  de  robe  parfumée. 


0  la  Ville,  là-bas, 

Couchée  comme  une  adolescente  fîère  et  tendre, 
Rieuse  de  soleil  et  de  doux  crépuscule, 
Spirituelle  et  reposée  ! 


xVIais  je  ne  la  veux  pas  encore  regarder 


Des  enfants  jouent  sur  la  terrasse  contre  moi, 
Des  enfants  balançant  le  rythme  de  leurs  jeux. 
Petites  filles,  jardins  roses,  primevères, 
Jardins  d'avril.  Dans  la  lumière  or  envolé. 
Leur  chevelure  sous  qui  flotte, 
Tiède  miroir  si  frais  d'aurore, 
Un  regard  anadyomène  ! 


LE    REPOS    SUR    LA    COLLINE 


Or  c'est  dimanche,  dans  son  repos  immobile. 


Là-bas  —  tout  près  —  à  l'autre  rive  du  vallon, 
Dans  une  brume  mauve  et  grise  de  soleil, 
Une  villa 

Redresse  son  visage  inquiet  de  vieil  ivoire 
Troué  par  l'émeraude  double  de  ses  yeux. 


Tout  au  loin. 

Par  la  grave  et  apaisée  campagne 

Ceignant  la  ville 

Avec  les  hanches  amoureuses  des  collines. 

En  docile  troupeau,  les  calmes  maisons  blanches, 

Sommeillantes  brebis, 

Paissent  le  reposoir  tendre  du  crépuscule. 


38  LUMIÈRES    DU    MONDE 


0  Ville,  tu  es  là 

Avec  tes  campaniles  d'or  et  tes  tours  sveltes 

Comme  des  cris  harmonieux  d'ivre  jeunesse, 

Tes  dômes  éclatants  de  marbre  lumineux, 

Larg-es  seins  de  déesses 

Pâmés  vers  l'impossible  baiser  de  l'azur  I 

0  Ville!.. 

Jo  ne  veux  pas  encor  que  mon  regard  t'étreigne  ! 


Le  parfum  attiédi  et  sucré  des  glycines 

Glisse  comme  un  effluve  lent  du  crépuscule. 

La  caresse  des  roses  rouges 

Flotte  sur  les  murs  chauds  où  rampent  des  lézards 

Entre  les  aloès  dardant  leurs  tentacules. 


LE    REPOS    SUR    LA    COLLINE  Sq 

De  longs  cyprès,  hautains  et  noirs,  au  long  des  routes 
Se  promènent  et  descendent  vers  la  ville, 
Méthodiques  sous  leurs  végétales  toisons. 


Avec  ses  palais  nus,  ses  maisons  et  ses  tours, 
Couchée  comme  une  femme  au  fond  de  la  vallée, 
Dans  le  religieux  apaisement  du  soir, 
La  Ville  est  là  ! 


Eclatement  de  gloire  au  long  de  son  flanc  calme. 

Le  fleuve  flamboyant  passe. 

Fracas  superbe  de  fanfare  célébrante. 

Tubas  au  clair  dardant  leurs  cris,  horde  sonore  ! 


0  Ville,  tu  es  là,  couchée  comme  une  femme 
Au  pied  de  tes  collines  amoureuses 

4. 


40  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Couronnant  de  velours  splendide  ton  repos, 
Nue  et  chaude  comme  la  Belle  du  Titien 
Qui  dort  là-bas,  derrière  les  rideaux  du  soir. 


Tout  ce  jour  je  t'ai  contemplée, 

0  Belle  1  0  Femme  !  0  rêve  incarné  du  sourire  1 

Des  myrtes  à  ton  poing.  Olympienne, 

D'une  main  lente  et  apaisée  ô  promeneuse 

Des  désirs 

Au  paysage  d'or  de  ta  chair  bienheureuse, 

Tu  rêves,  nue,  devant  le  beau  pays  du  soir  ! 


Et  maintenant  je  te  retrouve  ! 

Olympienne  !  Tu  es  la  Ville  ! 

Et  ta  chair  tout  entière,  et  tes  yeux,  et  tes  lèvres 

Sourient  au  souvenir  de  tes  métempsycoses. 


LE    REPOS    SUR    LA    COLLINE  4^ 

0  Ville  !  je  t'embrasse, 

Je  te  veux  posséder  en  mes  deux  bras  fervents, 

Sur  mon  cœur  fou  scandant  les  rythmes  héroïques, 

En  mes  deux  bras  puissants, 

Ta  chair  nue  sur  ma  chair, 

Ton  calme  cœur  dans  mon  cœur  ivre, 

Et  l'esprit  familier  de  ta  jeune  vieillesse 

Dans  mon  sang  altéré  de  ta  splendeur  divine  î 


Mais  le  soleil  descend  vers  la  belle  campagne 
Somptueuse  de  crépuscule  en  encens  d'or 
Comme  un  charbon  rougi  fécondant  l'encensoir. 
Des  voiles  d'améthyste  tombent 
Enlinceulant  la  Ville  en  un  rêve  ébloui. 


Le  troupeau  des  maisons  s'endort  sur  la  colline. 
Au  long  des  routes  les  cyprès  sont  arrêtés  ; 


^2  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Les  parfums  montent  plus  fervents. 

Et  la  tunique  en  frais  lilas  du  crépuscule 

Caresse  le  sommeil  du  soir  voluptueux. 


Scintillement  !  0  claire  Joie,  des  cloches  naissent, 
Cristal  éclos,  jet  d'eau  de  sons  joyeux  qui  glissent, 
Des  cloches  de  la  Ville  ! 

Tout  un  troupeau  joyeux  doit  passer  dans  le  soir. 
Sur  les  encens  bleuis  de  la  nuit  nouveau-née, 
A  travers  les  campagnes  de  mouvants  saphirs 
Qui  flottent  sur  la  Ville  ainsi  que  des  nuages. 


Cloches  des  campaniles  î 
Un  envol  clair  de  cloches 
Monte,  plane,  et  s'éparpille, 
Vol  rapide  en  cristal  fragile 


LE    REPOS    SUR    LA    COLLINE  A3 

D'oiseaux  chanteurs 

Qui  se  berce  un  instant,  puis  se  tait,  sur  la  Ville. 


L'âme  claire  du  soir  est  morte.  —  Et  c'est  la  Nuit. 


Entre  les  murs  rugueux  grimaçants  de  cactus 
Je  m'en  vais.  Des  jardins  respirent  sous  le  ciel, 
Pacifique  Jardin  fleuri  de  rires  d'or. 


J'écoute,  rythme  blanc,  des  jeux  et  des  paroles 
De  jeunes  femmes. 


0  tuniques  musiciennes  du  Printemps  ! 

J'entends  des  rires  doux  comme  de  blanches  roses... 

Et  je  songe  aux  beaux  soirs  des  vieux  Décamérons  ' 

Florence  1907. 


LUMIERES  D'APRES-MIDI 


LUMIÈRES  D'APRÈS-MIDI 


La  mer,  endimanchée  de  satin  bleu,  s'étale, 
Horizontale  et  frissonnante  vers  des  îles 
A  rhorizon,  vertes  et  roses. 


Toute  damasquinée  de  fragiles  topazes, 
La  robe  de  la  mer  endimanchée  s'étale 
D'un  bord  à  l'autre  du  beau  ciel  immaculé. 


Mon  cœur  est  vierge  et  veuf  de  toute  nostalgie. 
Même  le  souvenir  d'une  lointaine  amie 

5 


48  LUMIÈRES   DU    MONDE 

Se  fait  petit  comme  ce  papillon 

Se  dépêchant,  voilure  minuscule  et  tendre 

En  pastel  tremblotant,  là-bas, 

Vers  les  blanches  villas  aux  toits  tièdement  bleus 

Dormant  leur  sieste  au  frais  d'un  vallon  bienheureux. 


Gommuniale  procession  sur  la  mer, 

Chastes  comme  le  lin  des  mystiques  autels, 

Fidèles  prosélytes,  fronts  clairs  pâmés  de  foi, 

Cœurs  vierges  comme  les  hosties  du  tabernacle, 

Des  yoles  frêles. 

Gréées  de  voiles  nivescentes, 

Doucement  nagent  vers  la  rive  des  fougères. 


L'heureuse  sieste  au  beau  soleil  d'après-midi  ! 

Après-midi  avec  ses  ors 

Semés  sur  des  pâtis  de  calmes  verts. 


LUMIÈRES    d'après-midi  49 

Un  champ  de  blé,  tout  contre  mes  yeux  amoureux, 
S'affale,  éblouissant,  sur  la  rive  penchante 
D'un  coteau  descendant  son  torse  vers  la  mer. 


Repose-toi,  mon  cœur  délié  de  la  ville. 
L'heure  se  fait  plus  lente  au  cœur  de  cette  paix, 
Et  ta  paresse  communie 
Avec  la  nage  immaculée  des  blanches  yoles. 


Béatitude  !  0  la  si  calme  après-midi  ! 

Les  cloches  d'un  pardon  balancent  dans  l'air  tiède 

Tout  un  alléluia  de  clarines  tintantes 

Nées,  bien  là-bas,  de  ce  clocher  en  cendre  bleue 

Derrière  un  rideau  clair  de  peupliers. 


Le  chant  des  cloches  vient  jusque  sur  la  mer  calme 
Et  se  repose  en  gouttes  blanches  immobiles, 
Voiles  d'adolescence  musicale  et  frissonnante. 


5o  LUMIÈRES    DU    MONDE 


Blanche  anadyomène  au  jardin  du  silence, 

La  première  nuée  du  soir, 

Nubile  comme  un  rêve  à  Taube  des  bonheurs. 

Vierge  splendeur  promise  au  prochain  crépuscule. 

Proclame  au  seuil  du  ciel  profond 

Sa  fiançaille  en  marche  lente  sur  l'azur. 


LUMIÈRES    d'après-midi  5i 


II 


Devant  l'église, 

Un  champ  de  blé  frémit  de  clartés  souveraines, 

Tenant  joyeux  dans  ses  mains  d'or 

Tout  le  soleil  d'après-midi. 


Petite  église  agenouillée  et  recueillie 

Sur  le  préau  :  son  pignon  luit 

Comme  un  masque  blanchi  de  vieillesse  solide, 

Petite  église,  petite  vieille 

Avec  ses  bras  sur  l'or  des  blés. 

Dans  le  silence. 


Petite  église  et  son  toit  lourd 
Où  pousse  un  dur  clocher  petit 


52  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Avec  en  son  cœur  bleu  une  cloche  figée 
Ne  pouvant  plus  sonner,  trop  valétudinaire, 
Et  par-dessus  un  coq  de  bois 
Semblant  l'oiseau  perché  du  gros  arbre  voisin. 


L'heure  est  tendre  qui  sonne  à  mon  cœur  bucolique  ; 
Traînant  des  souvenirs  épars,  je  me  l'ecueille. 


Silence  I  Ah  comme  tout  est  silence  à  cette  heure  ! 


Deux  souvenirs  pieux, 

La  tête  basse,  comme  des  veuves  pendant  vêpres, 

Tout  contre  un  vitrail  bleu  où  le  jour  devient  aube, 

Deux  souvenirs  pieux 

Joignent  leurs  mains  avec  leurs  âmes. 


LUMIÈRES    d'après-midi  53 

...Ah  !  ce  beau  soir  était  si  doux  à  son  regard ^ 
Et  mon  cœur  s'y  penchait  ainsi  que  vers  un  puits 
Dont  Veau  porte  le  calme  azur  du  paradis. 


Silence,  ô  cœur  mélancolique, 
Bats  moins  rapide  ! 


Ecoute  le  g^rand  vent  chanter  dans  les  épis 
Avec  la  magnifique  et  joyeuse  lumière. 


Accoude-toi  avec  ma  chair  sur  le  vieux  mur, 

Et  regarde  là-bas  la  si  douce  campagne, 

Les  toits  lointains  et  bleus. 

Couchés  comme  des  robes 

Sur  la  toison  bruissante  des  fougères. 


54  LUMIÈRES    DU    MONDE 


Loin  des  rochers  farouches  la  mer  se  repose 
Avec  ses  îles  transparentes 
Sous  une  oasis  de  ciel  rose. 


Ecoute  :  le  vieux  chante  en  sarclant  son  champ  pauvre. 

Sa  mélopée  pourquoi  ne  la  vouloir  amie 

Et  fraternelle  même, 

Sa  mélopée  hachée  de  silences  perclus 

Que  vient  bercer  le  vent  frissonnant  sur  les  blés. 


Le  calvaire, 

Avec  son  pauvre  christ  aux  bras  écartelés, 

Dresse  son  simulacre  en  travers  de  Tazur. 


Le  soir  descend  du  ciel,  des  arbres  et  des  toits. 


LUMIÈRES    d'après-midi  55 

Un  lourd  chariot  d'herbes  fauchées 
S'engage,  cahoteux,  sur  le  sentier  de  boue, 
Roulant  du  champ  de  blé  jusqu'à  la  maison  basse. 


Et  tandis  que  des  vaches  viennent,  leurs  flancs  boulant, 
Portant  tout  le  soleil  du  jour  sur  leur  poil  roux 
Que  précède  un  regard  profond 
Où  flotte  la  paresse  infinie  des  labours, 


La  première  fumée  du  soir, 
Lucide  et  blonde. 
Glisse  sur  le  ciel  bleu. 

Ploumanac'h  et  Golgon. 


PAYSAGE 


PAYSAGE 


De  fines  toiles  d'araignée  tombent  du  ciel. 

Il  pleut  fin  et  perpétuel 

Du  ciel  distant  au  ciel  prochain  de  ma  fenêtre. 


La  cendre  minuscule  et  ténue  de  la  pluie 

Choit  lentement,  comme  une  trame  de  soie  grise 

Brûlée  par  les  années,  imperceptible  poudre. 


Un  peu  de  l'âme  omniprésente  de  la  pluie 

Vient  jusqu'à  moi  et  mouille  un  peu  mon  cœur  lassé. 


6o  LUMIÈRES    DU    MONDE 


La  bruine  plane  sur  les  toits  roses  et  bleus, 

Sur  les  rochers  massifs  et  gris, 

Et  sur  ce  petit  village  de  là-bas, 

Hier  si  clair, 

Impuissant  aujourd'hui,  et  cherchant  à  tâtons 

De  pointe,  avec  l'épée  luisante  du  clocher, 

L'azur  dormant  bien  haut  sur  des  coussins  de  pluie. 


Un  bateau  gros  et  bas 

Passe  entre  les  rochers  accroupis  sur  l'eau  verte, 
Avec  des  voiles  couleur  du  temps  et  du  pays, 
Pour  sa  besogne  si  mer-à-mer  de  tous  les  jours. 


Et  quelque  part,  une  batteuse  mécanique 

Ronfle  sans  répit,  ronfle  depuis  le  matin, 

Encombrant  le  silence  à  plat  sous  le  ciel  gris, 

Ronfle  et  vrombit. 

Avec  son  bruit  pareil  à  celui  que  ferait 

Un  lourd  frelon  géant  rôdant  sur  la  campagne. 

Ploumanac'h. 


D'UN  HÉVE  AU  BORD  DE  LEAU 


D'UN  RÊVE  AU  BORD  DE  L'EAU 


Sous  un  toit  clair,  si  doux,  squame  de  tuiles  roses, 

Contre  qui  vient  briser  en  amoureux  roulis, 

Impatiente  émeraude, 

La  frondaison  du  voisinage, 

Tu  sommeilles  dans  le  silence  du  soleil, 

0  vieux  château  que  hante  un  songe  ! 


Au  loin  de  tes  longs  prés  moutonnants  de  ciguës, 
Grave,  un  noyer,  lourd  de  lumière,  en  force  vaste, 
Semble  veiller  sur  ton  exil  ; 


6. 


64  LUMIÈRES    DU    MONDE 

De  sveltes  peupliers  adolescents, 
Tout  frémissants  de  gemmes  nues, 
Montent  parmi  le  ciel  candide  du  matin, 


Sous  un  baiser  de  brise  frêle 

S'éveille  et  brille 

Le  lac,  plus  bleu  qu'un  pli  de  robe  d'innocence. 


Une  montagne 

Reluit  comme  un  couteau  de  marbre  au  fond  du  ciel. 


Sur  le  toit  du  château  un  lis  de  pierre  veille, 
Signe  hautain  scellant  l'azur. 


Les  murs,  fardés  comme  la  joue  d'un  siècle  mort, 
Semblent  se  recueillir  pour  un  éveil  lointain. 


\ 


d'un  rêve  au  bord  de  l'eau  65 

0  songe  clos  des  rêveries  ! 

Je  suis  entré  peureusement  dans  le  jardin  ; 

Et  seul  a  répondu  à  mon  regard  tremblant 

Un  long  frémissement  balancé  de  fleurs  blanches. 


Je  songe  à  Tombre  du  noyer. 


Là-bas,  dans  le  maquis  de  la  montagne, 

Aux  pentes  d'un  velours  végétal 

Où  court  un  hallali  éclatant  de  soleil, 

Des  toits  luisent,  pareils  à  des  aciers  d'épées. 


L'ombre  alentie  d'une  nuée 
Se  promène  sur  des  forêts. 


Je  songe. 


66  LUMIÈRES    DU    MONDE 


0  château  tu  es  seul  avec  moi  contre  l'heure, 
Ecoutant  le  cristal  joyeux  de  cent  oiseaux, 


Sur  nous  deux  un  ciel  nu  grifFé  de  nacres  claires 

Plane,  où  suaves,  transparents, 

De  longs  anges  d'Angelico 

Vont  balançant  les  lis  fervents  des  encensoirs... 


Midi  d'un  cri  de  feu  menace  le  silence. 


Voici  rheure  tissue  d'âmes  de  violettes. 
L'ardeur  calmée  du  jour  agonise  dans  l'herbe. 


0  clairs  roseaux  baisés  d'un  vol  de  libellules  I 


d'un  rête  au  bord  de  l'eau  67 

Il  semble  que  le  vent  de  ses  doigts  amoureux 
Glisse  sur  Teau  charmée  la  tendresse  des  roses. 


Plus  belle  qu'une  grappe  de  glycines,  l'heure 

Tremble  en  parfums  évanouis 

Sur  le  cœur  frais  du  grand  silence  vespéral. 


Et  le  soleil  caresse  ton  beau  songe, 
0  château  suranné  ! 


Plus  léger  qu'un  pétale  aux  doux  vents  chaviré, 
Le  doigt  harmonieux  du  souvenir 
Est  venu  caresser  ton  beau  songe  endormi, 
Où,  couché  dans  la  fraîche  oasis  des  silences, 
S'endormait  ton  plus  bel  amour. 


68  LUMIÈRES    DU    MONDE 


Un  soir  pareil,  Elle  revint 

Après  avoir  longtemps  guetté 

Au  loin  le  blanc  oiseau  de  la  voile  promise. 

Elle  revint  par  le  chemin  fidèle- k-V eau. 


Voici  la  nuit...  Tu  rêves,  bon  château, 

Discret  et  solennel. 

Près  de  mon  cœur  noyé  de  délices  lointaines. 


Et  tu  murmures,  dans  le  vent, 
L'espoir  pâle  et  fané  de  la  Dame  d'antan 
Dont  le  plus  bel  amour  encor  frissonne 
Aux  lèvres  closes  des  fenêtres. 

Duingt. 


L'APRES-MIDI  DE  SIROCCO 


L'APRÈS-MIDI  DE  SIROCCO 


A  André  Blandin, 


Le  jour  torpide  et  lourd  s'appuie  à  mon  front  las 
Ainsi  qu'un  poinj^  de  plomb  chauffé  par  les  midis. 


Derrière  Timmobile  écran  des  nuées  basses, 
Un  blanc  soleil  chauffe  la  plage 
Où  ma  sieste,  vautrée  dans  la  tiédeur  du  sable, 
Inutile,  suppute  un  improbable  orage. 


» 


Les  pins  lassés  s'immobilisent  sur  les  crêtes  ; 
El  la  mer  calme,  dans  l'oubli  de  toute  gloire, 

7 


73  LUMIÈRES    DU    MONDE 


Sans  nul  oiseau,  sans  nulle  ride  et  sans  sourire, 
Vient  86  mourir  en  un  clapotis  suffocant 
Sur  un  tiède  récif  d'éblouissantes  pierres. 


Les  collines,  là-bas,  à  l'autre  bout  du  golfe, 
Dorment  au  centre  du  silence  formidable, 
Comme  d'hiératiques  chapes 
Noyées  dans  le  Léthé  profond  d'un  encens  bleu. 


Seul  un  rire  apaisé  de  villa  tache  Tombre. 


...Et  je  m'endors,  le  cœur  malade  et  lourd, 
Lassé  d'entendre 

Un  misérable  élan  avorté  de  clairon 
S'obstinant,  en  dépit  de  la  torpeur  totale, 
A  plagier  le  galop  d'une  charge  guerrière... 


L*APBÈS-MIDI    I>E    SIROCCO 


Le  ciel  semble  descendre.  Il  va  toucher  nos  têtes 
Pour  nous  plonger  dans  l'immobilité  tenace 
De  la  mer  lourde,  et  qui  se  meurt,  et  asphyxie, 
Bruissant  à  peine,  molle,  flasque,  sur  le  sable... 


Contre  le  lamentable  décor  angoissant 

Mon  cœur  s'éteint  comme  un  drapeau  sous  nulle  brise. 

PorqueroUes. 


L'HEURE  DE  iNUIT 


I 


L'HEURE  DE  NUIT 
(Chanson) 


Per  arnica  silentia  lunée. 


Hb  !  la  lune  ivre  titube  au  fond  de  l'eau.., 


Je  m'en  reviens  du  bout  du  môle  où,  toute  une   heure, 
J'ai  regardé,  couché  sur  un  lit  de  granit, 
La  mer  houleuse  et  fraîche  avec  cent  mille  étoiles 
Dansant  peureusement  parmi  les  vagues  souples. 


^ 


Le  pays  bleu,  là-bas,  à  l'autre  bout  du  golfe, 


78  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Dormait  sous  le  beau  ciel  amoureux  de  Tété  ; 
Et  les  lumières  d'une  ville 
Brillaient,  tremblantes,  minuscules, 
Pollen  d'or  sur  une  aile  d'ombre. 


Le  regard  des  étoiles,  toute  une  heure  d'extase, 
S'est  glissé  jusqu'à  mon  visage  bienheureux. 
J'ai  entendu  passer  sur  moi 

Le  doux  cri  des  oiseaux  qui  ramaient  dans  le  vent 
Avec  leurs  ailes  invisibles... 


Vers  la  place  lointaine  où  chantent  les  soldats 
Le  chemin  est  si  noir...  La  bonne  lune  est  là 
Pour  éclairer  la  route. 


Je  vais,  épouvantant  la  solitude  avec  mes  pas. 


L  HEURE    DE    NUIT  79 


I 


Là,  un  moine  géant  sur  l'eau  dit  ses  prières, 
Avec  son  long-  bâton  de  pèlerin, 
Son  capuchon  pendant  sur  sa  robe  de  bure. 
Signons-nous,  et  de  peur  !..  Non.  C'est  une  tartane 
Avec  sa  voile  à  l'abandon  contre  le  mât... 


\ 


Mes  bons  amis,  la  lune  est  très  soûle  ce  soir  : 
Elle  marche  sous  l'eau  ainsi  qu'un  gai  fantôme. 
Revenant  de  la  mer  par  le  chenal  si  froid. 
Et  retournant  vers  les  palmiers  du  port  dormant. 


Elle  titube,  mes  gais  amis,  ce  soir, 

Elle  titube  à  chaque  pas  contre  les  vagues... 

Et  la  voici  donner  du  nez  contre  une  barque  ? 


Un  coup  de  vent  salé  bute  contre  mon  front 
Et  m'apporte...  Ho  !  Holà  !  A  la  garde  ! 
Un  cri  peureux  de  femme  à  coup  sûr  enlevée 
Par  des  forbans  qui  la  mèneront  en  Barbarie  ! 


8o  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Juste  I  Leur  grand  bateau  lève  Tancre  là-bas 
Dans  le  sillage,  la  bonne  lune 
S'éparpille,  cassée  en  mille  loques  d  or. 


Le  soir  est  tendre,  parfumé  d'eucalyptus, 
Et  le  frisson  subtil  et  doux  des  mimosas 
Embaume  de  fraîcheur  mon  allègre  retour. 


Des  vitres  reflétant  le  cœur  tremblant  des  lampes 
Se  mirent  dans  Teau  calme  d'un  étang. 


J'écoute  le  grelot  timide  d'un  crapaud... 


Mais  avant  de  dormir,  mes  gais  amis, 

Prenons  la  barque.  Nous  pécherons 

Les  gros  poissons  de  nuit  luisants  comme  sequins, 


l'heure  de  nuit  8i 


A  la  dérive  I  Bonne  lanterne  de  la  proue, 

Tu  pleures  jusqu'au  fond  des  varechs  turbulents 

Tes  grosses  larmes  de  phosphore... 


Quelle  feuille,  là-bas,  de  nénuphar  tranquille 
Reluit,  bercée,  candide  et  calme,  entre  deux  eaux? 


C'est  la  lune  ressuscitée. 
PorquerolU». 


SOUVENIR 


l 


SOUVENIR 


A  Théo  Varlet. 

Je  me  souviens,  ami  si  neuf  et  si  ancien, 

De  nos  belles  journées 

Couchées  dans  la  chaleur  heureuse  des  rochers. 

Ou  plus  calmes  enfuies, 

Devant  tes  hauts  cyprès  tout  vibrants  de  cigales. 


l'horizon  de  ton  jardin, 
Un  cap,  debout,  son  front  brûlant  de  rouge  orgueil. 
Montait  dans  le  ciel  bleu  comme  un  geste  de  bronze. 


86  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Et  SOUS  le  gros  figuier,  nos  cœurs  unis  chantaient, 
Battant  au  rire  d'or  des  heures  fraternelles. 


Jeunes  divinités  du  fervent  paysage. 

Les  clairs  oliviers 

Offraient  au  ciel  lourd  de  lumière 

Leurs  feuillages  polis  et  purs  comme  des  coupes. 


Le  soir,  je  revenais 

Vers  le  vieux  port  où  tremble  aux  poupes  des  tartanes, 

Luisant  reflet  d'eau  frissonnante, 

Un  filet  de  lumière  aux  mailles  ondulantes. 


Et  longtemps,  jusqu'au  bout  de  la  venelle  calme. 
Je  retournais  mon  lent  départ  pour  saluer, 
Comme  un  vieux  bouclier  dressée  devant  tes  vignes, 
0  frère  ami,  la  bonne  porte  familière. 


IMAGERIES 


IMAGERIES 


Il  fait  bien  froid  là-bas  sur  la  grand'place 
Où  des  saints  au  portail  de  l'église  grelottent. 


Contre  la  chasteté  plaintive  des  étoiles, 

La  ville  est  là,  comme  un  poing  d'ombre, 

Au  milieu  de  la  campagne, 

Sous  l'étreinte  innombrable  et  bleue  de  la  nuit  pure. 


Tu  rêves.  Le  silence  inouï  des  provinces 

Flotte  sur  les  murs  blancs  de  la  maison  tranquille  ; 


QO  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Et  dans  le  grand  salon, 

L'âme  du  piano  repose  et  se  rappelle 

La  très  douce  fidélité  de  tes  doigts  frêles. 


Les  arbres  des  remparts, 

Tout  frissonnants  de  clair  de  lune, 

Regardent  vers  la  prairie  immense  et  vers  la  mer. 


...Il  fait  si  tendre  dans  ta  chambre, 

Les  amoureux  reflets  des  soies  tendent  les  murs; 


Ton  éventail  est  là,  sur  la  console  grêle. 

Près  d'une  rose  au  clair  nonchaloir  de  printemps. 


Tu  rêves.  Une  larme  chagrine  ton  regard. 

Et  tu  écoutes 

Le  vent  qui  siffle 

Sous  des  doigts  amoureux  un  souvenir  de  flûte... 


IMAGERIES  91 


II 


Le  soir  provincial  rêve  aux  vitres  fanées. 


Rien  n'existe  de  cette  ville  abandonnée 

Dont  tressaute  le  cœur  en  glas  de  cloches  lasses 

Hachés  par  le  vent  froid  d'un  si  dernier  automne. 


Rêvons  près  du  soleil  intime  de  la  lampe. 

Vois,  le  salon  s'éloigne  tant 

Qu'un  lambris,  tout  là-bas,  semble  un  pâle  horizon. 


Le  bûcher  fond  en  vives  flammes 

Où  brûle  quelque  conte  attendri  qui  sanglote. 


93  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Aux  murs  s'attardent  —  o  si  pareil  et  éternel 
Sourire  endimanché  des  portraits  de  famille  1 
Quelques  ligures  de  jadis. 


Sous  la  vieille  pendule  au  cadran  d'émail  bleu, 
Un  chat  câlin  traverse  la  pénombre. 


Et  tout  à  coup,  tes  doigts,  d'un  coffre  en  bois  de  rose, 

—  0  clavecin  !  — 

Ouvrent  la  cage  à  mille  notes  enfantines. 


Toute  une  danse  d'enfants  clairs  semble  tourner 
Sur  le  rythme  vieilli  charmant  le  doux  silence... 


Et  tandis  que  la  pluie  dehors  pique  les  vitres 

Avec  ses  ongles  minuscules, 

Nous  reprenons,  muets,  la  veillée  nonchalante. 


IMAGERIES  93 


III 


Dans  un  coin  lumineux  du  salon,  une  harpe 
Tend  sa  proue  arrondie  où  brille  un  éclat  d'or  ; 


Avec  les  gréements  de  ses  cordes, 
Serait-ce  Argo,  voulant  cingler 
Vers  quel  trésor  et  sous  quel  ciel  ? 


...  Je  me  souviens  des  grands  et  beaux  départs  hautains, 
0  navires,  quand  les  voilures 


^ 


94  LUMIÈRES    DU    MONDE 


Se  gonflent,  fécondées  par  le  vent  amoureux, 
Glissant  vers  l'horizon,  sous  le  béant  azur. 
Avec  transport,  comme  des  lyres  frémissantes  ! 


...  Mais  point  !  La  pastorale  plus  ici  se  devine. 
Je  me  vois  tout  fleuri  de  rubans  bucoliques. 
Près  des  potiches  japonaises  oii  des  guerriers 
Meurent  d'amour,  percés  de  yatagans  féroces, 
Contre  les  belles  aux  regards  longs  et  aux  dents  fraîches. 


Et  cependant  que  la  clochette  des  idylles 

Parfume  d'un  son  clair  la  nuit  si  tendre  et  violette, 

Petit  berger  peureux,  je  rêve  paradis  ; 

Houlette  désœuvrée. 

Ma  main  traîne  dans  le  silence,  hésitante. 

Cherchant  la  rose  exquise  et  tremblante  d'un  songe 

Au  bord  frileux  encor  du  printemps  deviné. 


i 


LE  SOIR  HESITE  ET  NE  SAIT  OÙ. 


h 


LE  SOIR  HÉSITE  ET  NE  SAIT  OÙ 


Vers  les  hachures  d'or  de  la  grille  lointaine, 

La  lumière  du  ciel  éclatante  de  gloire 

Passe  comme  un  chemin  splendide  et  triomphant 

Entre  la  fête  double  et  luisante  des  arbres, 

Chemin  d'azur  pour  quelle  flèche 

Dardée  par  un  Centaure  ivre  d'été  puissant  ! 


Les  colombes  traversent  Tair 

Vers  l'oasis  des  vasques  claires  ; 

Et  le  soleil  allume  aux  marronniers  heureux 

Toute  une  flamme  d'émeraude  : 


98  LUMIÈRES    DU    MONDE 


Leur  forêt  pèse  s-ur  le  silence  du  jardin 
D'oii  s'exalte  une  haute  fête 
Ronde  parmi  le  ciel  d'orage. 


Fleuri  de  cris  d'enfants,  le  balustre  de  pierre, 
Sur  qui  retombe  le  pastel  des  aubépines, 
Se  prolonge  au  candide  ciel 
Par  cette  coupe  nue  où  frémit  une  fleur. 


Gomme  une  femme  nue  fatiguée  de  baisers, 
L'après-midi  se  meurt,  et  le  soir  tendrement 
Verse  sur  sa  chair  moite  une  calme  pluie  d'or. 


0  jardin  !  Danaé  riant  sous  le  soleil 

Qui  se  recule  et  bat  des  ailes  dans  les  branches  ! 


LE    SOIR    HÉSITE    ET    NE    SAIT    OU  99 


A  pas  de  frêles  violettes  la  nuit  tendre 
Glisse  des  buissons  frais, 
Etend  les  voiles  du  brouillard. 


Plus  un  cri.  Quelque  part  la  lune  frêle  accroche 
Sa  mousseline  transparente  dans  les  branches. 


Loin,  dans  la  rue,  des  gemmes  crient, 
Emeraudes,  rubis,  passant  au  pas  pressé 
De  grelots  paresseux. 


Est-ce  la  ville  ?  Est-ce  là-bas 

Le  retour  d'un  troupeau  et  ses  fraîches  claiines 


9.'" 


»  (      eiSL/OTHECA 


100  LUMIÈRES    DU   MONDB 

On  ne  sait  ;  —  mais  le  vieux  Docteur 
Affirmant  son  chapeau  dessiné  par  Daumier 
Dit  :  «  voici  le  serein  qui  tombe  » 


Et  le  son  mat  et  prolongé  d'un  lourd  tambour 
Règne  dans  le  soir  inquiet  comme  une  angoisse. 


Le  jet  d'eau  pique  d'un  doigt  frais  le  ciel  timide. 
Jardin  du  Luxembourg. 


m 


AFFIRMATIONS 


AFFIRMATIONS 


«  Je  l'aime  et  je  vais  vers  toi. 


«  De  cette  chose-là  je  suis  très  sûr, 

Et  je  sais  aujourd'hui  qu'elle  vaut  tout  autant 

Que  la  vie  de  mon  cœur  au  centre  de  ma  vie. 


«  Malgré  son  tumulte  et  sa  fièvre  géante, 
La  ville  reste  nue  comme  la  solitude 
Large  d'une  forêt. 


106  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Je  marche  entre  des  bruits  heurtant  leurs  trajectoires. 
Je  passe,  un  peu  sournois,  entre  les  bruits  peuplant 
Le  soir  tout  encombré  des  cris  fous  des  lumières. 


«  Je  me  glisse 

Gomme  celui  cherchant  à  travers  bois, 

Entre  les  troncs  pressés 

Et  qui  fixe  au  lointain  ses  yeux 

Qu'un  doute  immobilise  à  quelque  carrefour, 

Et  qui  repart  tout  droit  ensuite  vers  le  but. 


({  Je  sais  que  tu  es  là,  que  ton  reg-ard  est  là  : 
A  travers  la  forêt  des  bruits  je  vais  plus  vite. 
J'arrive  enfin  sur  cette  place  où  je  te  sais  : 


«  Elle  est  pareille  à  un  autel  d'apaisement 
Qui  s'élargit  dans  le  silence. 


AFFIRMATIONS  IO7 


Tu  es  là.  \'oici  pour  moi  la  certitude. 

Sans  bruit,  sans  geste, 

Je  crie  immensément  en  moi. 


«  La  certitude,  je  la  tiens  ; 

Elle  est  parmi  ma  chair  comme  un  sang  prisonnier 

Qui  ne  peut  pas  mourir. 

La  voici  qui  grandit  soudain  et  m'hallucine, 

Je  la  retiens  et  la  contiens.  Voici  la  Joie  1 


«  Ton  grand  regard  est  là  au  milieu  de  la  ville 
Gomme  Teau  verte  d'un  étang,  splendide  et  nue, 
Calme  avec  des  roseaux  dociles 
Frissonnants. 


«  Il  n'y  a  plus  que  lui  sous  le  ciel  et  la  nuit 
Il  n'y  a  même  plus  d'étoiles  dans  le  ciel  I 

10 


Io8  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Il  y  a  toi  et  ton  regard, 

Ton  regard  qui  m'attend, 

Où  je  pourrai  mouiller  les  mains  de  mon  désir. 


«  Il  y  a  toi,  et  je  vais  pouvoir  te  toucher. 

Un  peu,  à  travers  tes  vêtements  ; 

Je  vais  pouvoir  un  peu  toucher  ce  qui  est  toi. 


«  Alors,  tout  aussitôt,  ma  vie  s'éclairera 
Gomme  un  pays  qui  se  révèle  après  la  nuit, 
Quand  l'aube  fraîche  monte  au  faîte  des  collines. 


«  A  tes  lèvres  je  mordrai  la  Joie  ; 

Et  je  serai  puissant  et  bienheureux 

Comme  un  printemps  tout  clair  de  frémissantes  feuilles, 


«  Gomme  un  printemps  fécond. 
Avec  du  soleil  jusqu'au  ciel  I  » 


CHANT  DE  LA  JOIE 


CHANT  DE  LA  JOIE 


«  Je  vais  sous  l'innocente  et  persévérante  pluie 
Muant  en  fleuves  blancs  les  voies  trop  coutumières. 


«  Ivre  d'un  seul  regard  immense,  je  reviens. 


«  La  rue  est  large  et  longue  comme  une  avenue. 

La  féerie  de  lumière  en  l'asphalte  incrustée 

Plonge  jusqu'au  nadir  du  monde 

Ses  poings  furieux  et  célébrants,  diadèmes 

D'orgueils  luisants  et  fous  de  gloire  en  clairs  tumultes. 


10. 


112  LUMIÈRES    DU    MONDE 

Je  vais.  Mon  pas  glissant  est  fait  d'apothéoses. 

J'ai  le  vertige.  Et  si  le  ciel  n'existe  plus, 

Tout  le  frisson  des  nuits  d'été  vit  sous  mon  pas, 

Sous  mon  cœur  vrombissant  d'amour, 

Et  sous  ma  chair  entière  enfrissonnée  d'extase, 

Joyeuse  et  entêtée  de  bonheur,  et  dansante  ! 


«  Je  suis  comme  un  violon  dans  une  symphonie. 

Je  suis  le  son  joyeux  et  solitaire. 

Et  je  suis  celui-là  qui  projette  sa  joie 

Autour  de  lui 

Et  qui  reçoit  l'écho  multiple  en  lui. 


«  Ma  chair  est  comme  un  faune  en  un  clair  paysage 

D'azur  limpide  et  de  rocs  durs. 

Sifflant  sous  ses  deux  cornes  joyeuses 

Une  chanson  vers  des  échos 

Qui  rebondissent  dans  son  cœur, 

Pour  le  gonfler  immensément  de  joies  ferventes, 


CHANT    DE    LA    JOIE 


ii3 


«  Me  voici  revenu.  Je  retrouve  ta  chair  ; 


«  Ton  rire  sonne  encor  au  bois  du  souvenir  ; 


«  Ton  regard  luit  encor  sur  moi  comme  un  ciel  d'ambre. 


«  En  touchant  les  tapis  où  ta  chair  s'est  posée, 

Je  crois  encor  toucher  ta  chair 

Plus  souple  qu'un  printemps  de  fleurs  nues  d'amandiers, 

Et  plus  tiède  que  l'herbe  claire 

Au  joyeux  soleil  de  midi, 


LUMIÈRES    DU    MONDE 


«  Ton  regard  vit  en  moi 

Gomme  le  clair  miroir  d'une  eau  fraîche  de  puits, 

Avec  un  doux  été  de  feuillage  miré 

Entre  les  turquoises  du  ciel. 


«  Et  le  sanglot  joyeux  de  ta  caresse  est  encor  là. 


«  ...Je  suis  seul,  et  la  ville  presque  se  tait. 


«  Je  songe  et  je  médite... 


«  Mais  je  ne  suis  plus  seul  : 
Des  fanfares  là-bas  naissent  à  Thorizon 
Comme  un  troupeau  de  peupliers  après  l'orage, 
Neuves  armures  de  soleil. 


CHANT    DE    LA    JOIE  Il5 


«  Des  fanfares  éclatent.  Mille  et  une  ! 

Non,  je  ne  suis  pas  seul, 

Je  suis  plus  innombrable  qu'une  armée  en  marche 

A  l'aube  des  victoires  frénétiques  ! 


«  Car  tous  les  mots  que  tu  m'as  dits  sonnent  en  moi. 
Tous  se  réveillent.  Tous  chantent. 
J'écoute,  et  dans  mon  cœur  voici  l'immense  fête 
D'un  clairprintemps  d'oiseaux  au  matin  des  campag^nes  ! 


I 


PAROLES  CONTRE  LE  VENT 


PAROLES  CONTRE  LE  VENT 


Je  suis  debout  devant  la  mer  sur  la  falaise. 

La  tempête  ruée 

Heurte,  puissante,  formidable,  ma  poitrine, 

Vibrant  sur  moi 

Comme  une  robe  bruissante. 


Ma  chair,  raidie,  ne  veut  ployer  et  se  redresse, 
Cabrée  dans  sa  défense  raidissante  ; 
Ma  chair  violée  par  la  caresse  déchaînée 
Se  fixe  droite  au  sol,  en  un  spasme  d'orgueil. 


Le  vent  venu  du  bout  des  mers. 

Arrachant  aux  flots  clairs  de  vertes  chevelures, 

11 


laO  LUMIERES   DU   MONDE 

Le  vent  venu  des  trag-édies  de  Thorizon, 

Veut  m'emporter  d'entre  les  pins  où  je  m'accroche 

Et  dont  les  troncs,  sous  le  baiser  farouche,  tremblent. 


Les  aiguilles  aux  branches 

Gomme  mille  serpents  agacés  de  tempête. 

Sifflent... 


Et  la  pointe  du  roc 

Reçoit  le  vent  qui  frotte,  en  criant,  furieux. 

Son  mufle  granitique  éperonnant  la  mer. 


La  mer  monte  vers  moi, 

La  mer  jaillit  jusqu'à  mon  front  qui  s'épouvante. 


Mais  je  suis  fort  et  veux  que  ma  chair  ne  défaille, 
Morceau  de  marbre  dans  le  ciel. 


PAROLES  CONTRE  LB  VENT  121 

Je  vis  dans  la  tempête  ainsi  qu'une  victoire, 
Ailes  raidies  par  l'ouragan. 


Mes  pieds  tiennent  le  sol  pareils  à  deux  racines. 

Et  mon  regard  reste  fixé 

Tout  droit  contre  ce  vent  qui  veut  le  traverser. 


Sur  la  proue  farouche  du  roc, 

Qui  se  redresse  en  un  cabrement  titanique, 

La  mer  bouge  dans  un  chaos  démesuré... 


La  mer  et  sa  seule  fureur  : 

Elle  rugit  et  magnifique  se  secoue, 

En  échevèlements  de  crinières  farouches. 


Nulle  fragile  humanité  entre  ses  lames  ! 


122  LUMIÈRES   DU   MONDE 


Jusqu'à  la  chevauchée  tumultueuse  des  nuages, 

La  mer, 

Ivres  galops  de  chevaux  verts  aux  poitrails  fous, 


La  hennissante  mer  venue  du  ciel,  là-bas, 
Se  rue  contre  le  roc  qui  sépare  sa  vie 
En  deux  morceaux  de  chair 
Où  bouillonne  de  la  lumière. 


Et  ma  bouche  fleurie  du  sel  de  la  tempête. 
S'ouvre  pour  un  cri  fort  brisé  de  vent  jaloux. 


Voici  que  mon  effort  se  cabre 
Gomme  un  navire  qui  s'exalte  ! 


Plus  le  vent  ploie  ma  chair  faiblie, 
Plus  mon  désir  veut  tout  le  vent. 


PAROLES  CONTRE  LE  VENT  133 

Voici  que  mon  cœur  s'ouvre,  ardent  et  frénétique, 
Ainsi  que  la  voilure  éployée  d'un  navire  1 


Le  roc  s'arrache  à  mon  étreinte. 

Les  pins  déracinés  où  s'accrochaient  mes  bras, 

Epaves  dures,  sont  partis. 


Voici  que  mon  désir,  parmi  son  poing  tenace, 
Prend  ma  chair  et  ma  vie,  et  d'un  coup  les  délivre. 


Je  m'arrache  de  toi,  terre  petite. 

Où  frissonne  et  sanglote,  sous  de  frêles  huttes, 

L'humanité,  vouloir  fragile... 


11. 


ia4  LUMIÈRES   DU    MONDE 

Et  je  cingle,  éperdu,  à  travers  des  victoires 
Qui  fouettent  ma  chair  comme  des  étendards; 


Je  cingle, 

Tout  vibrant  d'une  joie  dont  mes  regards  s'inondent. 
Cheveux  raidis  aux  doigts  furieux  des  tempêtes, 
Je  cingle  droit  dans  le  sillage  du  soleil  ! 


LE  RETOUR 


LE  RETOUR 


Rageuses  et  mordues  par  l'âpre  canicule, 

Laborieuses  au  long  du  jour, 

Les  cigales  perpétuelles 

Travaillent  de  leurs  scies  féroces  et  menues 

Les  rochers  fauves. 


Héros  farouche, 

Jamais  lassé 

De  l'onduleuse  et  bleue  caresse 

Vibrant  en  rires  blancs  de  lames  déferlantes, 

Solide  et  nu,  pesant  et  clair  un  roc  debout 

Sculpte  dans  tout  le  ciel,  devant  toute  la  mer, 

Son  torse  rude  éclaboussé  de  soleil  rouge. 


128  LUMIÈRES   DU   MONDE 

Nul  dieu  que  le  soleil  étreignant  tout  le  Monde 
Avec  ses  poings  I 


Et  la  mer  bleue,  criblée  de  topazes  dansantes, 

Écartelant  sa  splendeur  nue, 

Bacchante  fécondée,  jouit 

Avec  des  rires  d'or  en  fête  sur  sa  chair  I 


Par  les  griffes  de  la  lumière  ensanglanté, 

Le  mur  rouge  et  farouche  du  cap 

Où  brillent  des  toisons  de  pins  peignées  d'azur, 

Brise  le  ciel  d'un  choc  d'épaules  formidables... 


Les  cigales  scient  les  rochers , l'heure  torride  et  le  silence . 


Avec  mon  cœur  durci  par  l'éclatant  midi. 
Je  suis  debout  sur  la  roche  brûlante, 


LE    RETOUR  139 


Après  le  périple  marin 

Mené  fougueux  au  long  des  journées  et  des  nuits. 


Un  vent  joyeux  venu  du  large 

Fait  battre  mes  pensées  cinglant  comme  des  voiles, 

Ivres  et  claires 

Contre  le  ciel. 


Je  respire  avec  force  et  mes  pieds  à  nouveau 
Possèdent  la  chaleur  du  sol. 


Le  soleil  a  franchi 

L'immobile  manteau  de  ma  chair  ; 

Et  sa  torche,  embrasant  mon  être  tout  entier, 

Monte  planter  sa  gloire  éclatante  et  superbe, 

Comme  un  drapeau  de  joie  flambante. 

Sur  la  cime  de  ma  conscience  possédée  1 


1^0  LUMIÈRES   DU    MONDE 


Ma  pensée, 

Embrasée  par  le  vin  flambant  de  la  lumière, 

Danse  de  joie 

Avec  des  thyrses  éclatants  dans  ses  mains  claires. 


Le  haut  navire  est  reparti. 

Au  loin  des  mers  de  marbre, 

Sa  voilure,  bandée  par  le  vent  dur. 

Jaillit  debout  sur  l'horizon  comme  une  tour. 


Je  suis  celui  qui  revient  vers  la  patrie, 
Et  cherche,  au  loin  de  l'espérance, 


LE    RETOUR  l3l 


La  maison  calme  où  prendre  Toffrande  du  sel. 
Je  souffre  et  tends  les  bras 
Vers  l'oasis  d'un  grand  repos. 


Et  voici  que  ma  volonté 
Brusquement  se  retourne 
Et  cherche  à  renouer  des  fils, 
Des  fils  épars  vers  le  passé. 


Le  passé. 

Peut-être  que  de  lui  tout  est  mort  ? 

Peut-être  faudra-t-il  reconstruire  le  temple, 

Avec  son  fronton  nu  qui  porte  tout  le  ciel 

Sur  ses  bras  clairs 

Et  le  dompte  et  l'unit  à  la  terre  féconde, 

Le  temple  où  la  statue  se  dressera 

Du  nouveau  dieu  que  veut  devenir  mon  cœur  las. 

Qui  s'émerveillera  d'une  nouvelle  vie. 


12 


l33  LUMIÈRES    DU    MONDE 

J'attends.  Mes  yeux  sont  rouges  de  lumière. 

Le  soleil,  comme  un  fauve  au  mufle  ensanglanté, 

A  pas  tranquilles  et  repus  de  Tâpre  chasse 

Courue  tout  à  travers  de  la  journée  entière, 

Gagne  la  jungle  des  nuages 

Lourds  et  tassés  au  ras  de  l'horizon  marin. 


Maintenant  je  m'étends  pour  la  nuit. 

Voici  le  crépuscule  si  rapide 

Qui  fait  tomber  sur  lui  un  linceul  de  fraîcheur. 


Tantôt  la  lune  montera  et  sera  froide 
Gomme  un  baiser  peureux  de  vierge  adolescente. 
Mon  corps  s'étend  ainsi  qu'un  fleuve  avec  lenteur 
Sur  le  lit  du  rocher  rugueux  et  fraternel. 


LE    RETOUR  l33 


J'attends. 


L'étreinte  d'un  demain  nouveau  viendra  me  prendre. 
Ce  jour  fini  scelle  la  vie  antérieure. 


Demain  !...  Demain  !.. 


Au  zénith  une  étoile 

Laisse  couler  son  lent  baiser  jusqu'à  ma  face. 


Et  je  contemple  au  long-  de  l'heure, 
Bercée  par  le  doux  rythme  immense  de  la  mer, 
Étoiles  nouveau-nées  jaillies  de  l'horizon, 
La  calme  ascension  mystique  de  la  nuit. 


TABLE 


12. 


TABLE 


LOIλ  QUELQU  UN  CHANTE  SUR  LA  ROUTE 7 

MÉTEMPSYCOSE l5 

d'unb  pbtitb  ville,  quand  l'automne  commence.      ...  31 


II 


LE  REPOS  SUR  LA  COLLINE 33 

LUMIÈRES  d' APRÈS-MIDI 45 

PAYSAGE 57 

d'un   rêve  au  BORD  DE   l'eAU 6l 

l'après-midi  de  sirocco 69 

l'heure  dk  nuit 75 

souvenir 83 

imageries 86 

le  SOIR  aésiTE  et  ne  sait  où 96 


l38  LUMIÈRES   DU    MONDE 


III 


AFFIRMATIONS I03 

LES  PAROLES  DE  LA  JOIE lOQ 

PAROLES  CONTRE  LE  VENT II7 

LE  RETOUR 125 


ACHEVE   D'IMPRIMER 
Le  vingt  octobre  mil  neuf  cent  treize 

PA.R 

BUSSIÈRE 

A    SAINT-AMAND   (cHEr) 
pour  le 
MERGVRE 

DE 

FRANCE 


La  Bibliothèque 
Jniversité  d'Ottawa 
Echéance 


The  Library 
University  of  Ottawa 
Date  Due 


a3900'3     OOÏO'ITsl b 


CE    PC      2605 
.A77e38L8    1913