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THÉODORE LEFÈVRE rr C- EMILE GUERIN , EDITEUR.
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MADEMOISELLE
POURQUOI
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MADEMOISELLE
POURQUOI
PAR
M^'^ L. HAMEAU
OUVRAGE ILLUSTRE
DE DIX PLANCHES EN COULEURS
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PARIS
LIBRAIRIE DE THÉODORE LEFÈVRE ET G'
EMILE GUÉRIN, ÉDITEUR
'2, RUE DES POITEVINS
I
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MADEMOISELLE POURQUOI
CHAPITRE PREMIER
Le baptême d'Alice. — Projets d'avenir.
— Pourquoi? Toujours pourquoi?
La faniill# Monval était en fête ; quel-
ques jy luparavant, naissait une jolie
petite fille, et les cloches de l'église son-
naient à toute volée pour annoncer son
aptême. A la porte du lieu saint, une
oupe de petits garçons se précipitait en
se bousculant sur les poignées de dragées
que leur jetaient le parrain et la marraine.
Le soir de ce beau jour, un excellent dîner
réunissait les parents, les amis ; chacun fêtait,
le verre en main, cet heureux événement.
MADEMOISELLE POURQUOL
Les grands-parents surtout étaient dans
l'enchantement, car le bébé avait été très
sage, et la cérémonie s'était bien passée.
Mais voilà-t-il pas qu'au dessert, lorsque
bonne-maman veut embrasser sa filleule,
elle se met à éternuer; atclii!... atchi!...
et cela avec une telle persistance qu'il fallut
y renoncer. Le grand-papa s'approche à
son tour; les éternuements redoublent.
Atchi!... atchi!... C'était désespérant; cha-
cun rit d'abord de cet incident ; puis on
s'inquiéta; les avis se partagèrent. — C'est
un coup d'air, dirent les uns. C'est l'eau du
baptême, qui était trop froide, dirent les
autres. Enfin on envoya chercher le mé-
decin de la famille qui, après examen, ras-
sura tout le monde. Montrant à M"'^ Mon-
val la tabatière des grands-parents :
— Voilà, dit-il, la seule cause de ce
qui arrive.
Tous deux venaient en effet de prendre
une prise de tabac, lorsqu'ils s'étaient pen-
chés vers leur petite-fille pour l'embrasser.
A partir de ce jour, ils se promirent bien
de renoncer à leur plaisir favori, plutôt que
LE BAPTEME D'ALICE.
de causer une souffrance à la chère petite
créature.
Les bons vieux tinrent parole, aussi le
même désagrément ne se renouvela plus
à l'avenir, et l'enfant, toujours très calme,
se laissa caresser sans sourciller.
C'était du reste la plus jolie petite fille
que l'on put voir; sa figure, toujours
fraîche et rose, ses yeux bleus, déjà pleins
de vivacité ; ses petites mains, toujours en
mouvement, appelaient les baisers. Chacun
portait envie à la jeune mère, qui ne con-
fiait à personne le soin de veiller sur son
cher trésor.
Assise près du joli berceau garni de soie
bleue et de mousseline, on voyait M""^ Mon-
val pendant de longues heures contempler
le sommeil de l'enfant; faisant, comme
toutes les mères, les plus beaux projets
d'avenir. Voyant la précoce sagesse de la
petite, elle se réjouissait à la pensée de
faire elle-même son éducation.
— Je veux, disaitla maman, lui apprendre
à parler, à marcher, et quel bonheur ce
sera de voir un jour ma petite Alice trotter
• V-, ^ •'
MADEMOISELLE POURQUOI
autour de moi! Je surveillerai ses jeux,
je consolerai ses premiers chagrins.
Les vraies mères sont ainsi, elles veulent
toutes les peines, afin de récolter un jour
toutes les joies. Ces désirs, ces espérances
maternelles devaient se réaliser pour
M"''' Monval. La fillette grandit, prit de la
force et courut bientôt dans toute la maison
comme un petit poulet.
Quelle fête surtout lorsqu'on partait pour
la promenade! Aux Champs-Elysées, aux
Tuileries, les promeneurs et surtout les
promeneuses, en passant près de la petite
voiture, admiraient le joli bébé ; mais bien-
tôt ces compliments qui flattaient l'orgueil
maternel ne suffirent plus à notre fillette.
A trois ans, les petites jambes ont besoin
de se remuer, de marcher, de courir.
Alice voulut jouer avec les autres enfants
de son âge; tous les jouets qu'elle leur vit
alors lui firent envie ; la poupée de caout-
chouc fut délaissée pour la pelle, le petit
seau et le ballon.
Quoi de plus gracieux que la réunion
de toutes ces mignonnes créatures ? Dans
LE BAPTEME D'ALICE.
nos jardins, dans nos promenades publi-
ques, ce n'est pas le coin le plus bruyant,
mais c'est peut-être le plus intéressant ; déjà
le caractère, l'intelligence de chacun com-
mencent à se montrer. Tandis que les
nourrices causent entre elles, que les ma-
mans lisent ou font du crochet, les bébés,
très attentionnés, luttent à qui fera les
plus beaux pâtés de sable. Les uns rient,
les autres se fâchent; on tombe, on se
relève ; et chaque jour le temps de la pro-
menade se passe de la même façon.
Plus tard, cette innocente occupation ne
suffît plus ; les garçons jouent aux chevaux ;
clic! clac! c'est la ceinture garnie de gre-
lots, le fouet bruyant qu'il leur faut; les
fillettes sautent à la corde ou lancent le
ballon. C'est le moment où la sui^eillance
devient plus difficile ; il ne s'agit plus, pour
la maman ou pour la bonne, de rester assise.
L'enfant peut tomber, salir sa toilette,
traverser une pelouse, s'égarer quelque-
fois dans l'immense jardin. Il y a aussi le
danger des bassins, des cours d'eau ; un
malheur est si vite arrivé !
6 MADEMOISELLE POURQUOL
Cependant, avec la petite Alice il n'y
avait pas trop à craindre; d'abord, elle ne
se mêlait jamais aux jeux sans en demander
la permission à sa mère, dont le regard la
suivait alors. Le plus souvent, la fillette se
contentait d'observer tout ce qui l'entou-
rait ; c'était ensuite des questions sans fin,
auxquelles M"^^ Monval se voyait forcée de
répondre.
Un jour que l'on se trouvait près d'un
bassin et qu'une foule de petits pierrots
venaient manger, autour de la fillette, les
miettes de pain qu'elle jetait, tantôt aux
oiseaux, tantôt aux poissons :
— Maman, demanda tout à coup Alice,
pourquoi les poissons rouges ne viennent-
ils pas aussi sauter près de nous, plutôt
que de se cacher sous l'eau comme des
peureux, lorsqu'on leur jette quelque chose?
— C'est que l'eau est leur élément, ré-
pondit M''''^ Monval, ils y trouvent leur nour-
riture ; sur la terre, les poissons ne pour-
raient pas vivre, étant organisés pour nager,
et non pour voler ou marcher, comme les
oiseaux.
LE BAPTÊME D'ALICE.
Bientôt, tout devint pour Teufant un pré-
texte à ce mot : Pourquoi? Flattée de ce
qu'elle regardait comme une preuve d'in-
telligence, M'"^ Monval ne se lassait jamais
de répondre aux nombreuses questions de
sa fille. Mais les bonnes ont quelquefois
moins de patience ; celle d'Alice se fatigua
bientôt de ces interminables questions ; un
joui*, ne sachant plus quelle réponse faire
à l'enfant:
— Pourquoi ceci ? pourquoi cela ? dit
cette fille, dame! mamzelle, à propos d'une
mouche qui vole^ ou d'un chat qui trotte
vous avez un pourquoi. Savez-vous que
c'est gcnant, à la fin, d'être curieuse comme
ça? Pour mon compte, je ne vous appellerai
plus que mademoiselle Pourquoi,
Cette fois, l'enfant s'éloigna, la tète basse,
et vint conter sa mésaventure à sa maman,
qui la consola de son mieux ; mais ce sur-
nom devait rester à la petite Alice.
CHAPITRE II
La première poupée. — Une belle
journée.
Alice vient d'atteindre sa sixième année ;
c'est une belle fillette, vive, intelHgente,
un peu espiègle ; son principal défaut est
de se montrer assez changeante dans ses
goûts. Pour cette raison, peut-être, sa ma-
man ne lui a donné jusque là que de
jouets sans importance.
Cependant, l'année précédente, Alice a eu
une belle poupée, la première, donnée par
sa marraine. Quoique ce cadeau l'eut ravie
tout d'abord, elle s'en est lassée comme
de toutes choses.
]yjme ]\ionval, s'étant aperçue de cet aban-
don, se promit d'en faire le prétexte d'une
leçon comme les mères savent en donne
Ayant ramassé, un jour, dans le coin
LA PREMIERE POUPEE.
■
I
elle gisait, la pauvre poupée abandonuée,
la maman d'Alice la fit réparer, habiller
richement ; puis elle acheta une jolie ber-
celonnette, garnie de dentelles et de ru-
bans, et cachant le tout dans une armoire,
attendit une occasion, qui ne tarda pas à
se présenter.
— Maman, dit un matin notre fillette,
si tu savais comme Yvonne a de jolies pou-
pées ; je voudrais bien l'inviter à venir
jouer avec moi, mais je n'ose pas.
— Cependant, ce serait très naturel,
puisque c'est ta petite amie, observa
M'^^Monval.
— Oui, mais c'est que moi je n'ai plus
une seule poupée à lui montrer.
— Comment, plus une seule? et celle
que votre marraine vous avait donnée?
— Je ne sais pas ce qu'elle est de-
venue.
— Petite désordonnée! une poupée
ne se perd pas ainsi ; vous devez savoir
oîi vous l'avez laissée?
— Dans un coin ; elle était sale, mal ba-
illée, je ne voulais plus la voir... j'ai dit
iO MADEMOISELLE POURQUOL
à ma bonne qu'elle pouvait la jeter au
ordures.
— C'est très vilain ce que vous avez
fait là.
— Pourquoi?
— Parce qu'une poupée n'est pas un
joujou ordinaire ; vous étiez la petite mère
de la vôtre. Si les mamans jetaient leurs
enfants à la rue, chaque fois qu'ils sont
sales, mal peignés, mal habillés, que devien
draient les pauvres petits ?
Alice comprit sa faute, mais il était trop
tard. Comment la réparer? Elle chercha de
tous côtés ; la vieille poupée demeurait in-
trouvable. Deux jours plus tard, l'enfant
n'y pensait plus, lorsqu'on lui amena sa
petite amie pour passer l'après-midi avec
elle.
Yvonne était une blondinette à peu pr
du même âge que M"^ Pourquoi, mais d'u
caractère plus tranquille. Elle paraissait
surtout aimer beaucoup ses poupées, car
même pour aller en visite ou à la prome-
nade, l'enfant consentait avec peine à s'en
séparer. Ce jour-là, le sacrifice lui avait
1
I
LA PREMIERE POUPÉE.
11
paru encore plus difficile, car Yvoune arri-
vait chez M""^ Monval avec une jolie poupée
dont la robe de soie bleue était encore
très fraîche. Alice ne put s'empêcher d'en
faire la remarque, et de peur que son amie
ne demandât à voiries siennes, elle s'em-
pressa de l'entraîner au jardin.
Le temps était magnifique, on courut
abord à travers les allées, sans but,
mme de petits oiseaux échappés ; puis
on joua au ballon. C'était le jeu préféré
d'Alice ; mais Yvonne^, moins habile, le
lança à plusieurs reprises dans les carrés de
fleurs, ce qui mécontenta le jardinier. A la
n, le bonhomme se lassa de voir massa-
r toutes ses plantes, et pria ces demoi-
es d'aller jouer plus loin.
Au même instant, M°^^ Monval appela sa
fille ; c'était l'heure du goûter ; le soleil
devenait très chaud. Les deux amies se di-
rigèrent donc vers la salle à manger ; mais,
en les voyant accourir ainsi toutes rouges,
essoufflées, ayant oublié ou perdu leurs
hapeaux de paille en route, la maman se
■âcha.
' "^r^ !^A'tf¥WI!/.^JA|^iJK^
MADEMOISELLE POURQUOI
— Je ne veux plus que vous retourniez
jouer au jardin, dit-elle.
— Pourquoi ? questionna effrontément
notre lutin.
— Pourquoi? vous osez le demander,
petite vilaine ?
Voyez dans quel état vous vous êtes
mise ; et si votre petite amie attrapait du
mal ici, j'en serais responsable. Aussitôt
que vous aurez goûté, continua M"^^ Mon val,
vous viendrez près de moi, au salon.
— Oui, maman, dit faiblement Alice, qui
devint soucieuse.
La fillette se disait avec raison:
— Une fois au salon, la question des
poupées va revenir, c'est certain ; com-
ment vais-je me tirer de là ?
Une grande surprise attendait mademoi-
selle Pourquoi.
En renti^ant dans cette pièce, la première
chose qui frappa ses regards fut la jolie
bercelonnette dont nous avons parlé plus
haut. Cependant, elle n'osait en approcher.
Déjà Yvonne avait repris sa jolie pou-
pée, posée en arrivant sur un fauteuil,
LA PREMIERE POUPEE.
13
et
de
la
proposait ae jouer a la maman.
~ Eh bien ? dit M'^'Monval, tu ne ré-
ponds pas à ton amie ; ce jeu n'est-il pas
de ton goût ?
Puis voyant que le silence de l'enfant se
prolongeait :
— Voyons, reprit-elle, ce n'est pas poli
à la fin, je suis sûre qu'Yvonne ne deman-
dera plus à venir te voir.
Alice, toujours hésitante, s'approchait
lentement du petit berceau ; tout à coup
elle en souleva le rideau et poussa un cri
de joie. Une poupée en riche toilette
blanche était couchée sur les coussins. La
prenant dans ses bras, la fillette courut la
montrer à Yvonne; puis, l'examinant elle-
même avec plus d'attention :
— Mère , demanda-t-elle , est-ce qu'il
y a aussi des médecins pour les pou-
pées ?
— A quel propos me fais-tu cette ques-
tion? dit M""^ Monval, je crois que celle-ci
a l'air assez bien portante.
— Oui, maintenant... mais je me sou-
viens que Nelly, ma vieille poupée, avait
14 MADEMOISELLE POURQUOL
un bras arraché, une jambe tordue et l'œil
droit presque enfoncé.
— Il eût fallu, en effet, un bien habile
docteur pour remettre tout cela, fît la
maman en souriant. Cependant si tu es
sûre de reconnaître cette pauvre Nelly?
— A présent, j'en suis sûre.
— Eh bien, je n'ai qu'une chose à te dire
mon enfant, soigne -la mieux à l'avenir,
si tu veux la conserver ; car pour les pou-
pées, comme pour les petites filles, le
meilleur médecin ne vaut pas les soins, la
soUicitude d'une bonne mère.
Comprenant tout ce qu'elle devait à la
sienne dans cette circonstance, Alice lui
sauta au cou et l'embrassa bien fort, en
promettant d'être plus soigneuse. Les deux
fillettes jouèrent ensuite à la maman; puis,
lorsque les poupées eurent été couchées et
promenées tour à tour, on leur fît faire la
dînette dans un joli petit service de por-
celaine qui, par hasard, se trouvait encore
au complet.
Cette belle journée se termina par une
promenade aux Tuileries, où l'on entendit
■
LA PREMIERE POUPÉE.
15
la musique militaire. Il fallut ensuite re-
conduire Yvonne chez sa maman, où Alice
fut invitée à son tour à venir passer toute
une après-midi.
I
.f .•.■^«.iJtiu...- r.i »■ ,;;'
CHAPITRE m
Une bonne résolution. — M"^ Caprice,
Un jour, M""^ Monval dit à sa fille :
— J'ai accepté pour jeudi l'invitation de
jyjme Dei^ville ; je te conduirai aussitôt le
déjeuner près de ta petite amie, et j'irai
te reprendre à Fheure du dîner, mais c'est
à une condition.
— Laquelle, petite mère ?
— C'est que jusque là tu seras très sage
et ne retomberas plus dans ce vilain dé-
sordre, dont je veux arriver à te corriger.
— Oh ! tu verras, petite mère, tu ne
trouveras plus un seul jouet à traîner.
Pendant deux jours, Alice parut, en effet,
bien décidée à tenir sa bonne résolution,
aussi sa mère n'eut pas une réprimande à
lui faire. Le troisième, cette grande sagesse
commença à lui peser. Se tenir correcte-
UNE BONNE RÉSOLUTION. 17
ent à table ; faire attention à ne pas
tacher sa robe ; attendre pour parler que
l'on vous interroge ; enfin ranger ses jouets
chaque fois que l'on a fini de s'en servir ;
tout cela devint trop difficile pour notre
espiègle, dont la persévérance n'était pas la
qualité dominante.
La fillette était même si capricieuse de
sa nature, qu'un soir son père, lassé de lui
voir chaque jour un nouveau caprice, lui
dit en sortant de table :
— Sais-tu, mon enfant, que si ta bonne
ne t'avait déjà nommée mademoiselle Pour-
quoi, je connais un surnom qui te convien-
drait parfaitement.
— Lequel ?
— Tu ne devines pas ?
— Non.
— C'est mademoiselle Caprice.
— Ton père a raison, ajouta la maman
d'Alice, et je t'apporterai demain un petit
livre où tu pourras lire toi-même, car les
caractères en sont assez gros, l'histoire
d'une petite fille dont certains travers ont
beaucoup de ressemblance avec les tiens.
3
18
MADEMOISELLE POURQUOL
lyjme ]\fQ2^yal tint parole. Ainsi que l'eus-
sent fait la plupart de mes petites lectrices,
Alite regarda d'abord la couverture dorée
de son livre, puis toutes les gravures, l'une
après l'autre. Avisant ensuite une marque
placée par sa mère vers la fin du volume,
elle l'ouvrit à cet endroit. Voici ce qu'elle
lut : c( Histoire de M^^^ Caprice.
c( Georgette était une petite fille incor-
rigible, qui, n'écoutant que sa fantaisie, et
ne tenant aucun compte des remontrances
maternelles, retombait toujours dans son
défaut principal. Plutôt que de donner le
bon exemple, elle entraînait même son
jeune frère Paul, le mettant de moitié dans
ses espiègleries. C'est ainsi qu'un matin, à
l'heure du déjeuner, on les vit accourir
de l'autre bout du jardin.
(( — Hue! la grise! criait Georgette, en
poussant devant elle un magnifique chien
de montagne, qu'elle avait coiff*é d'une
capote rose.
<c La pauvre bète eût bien voulu se dé-
barrasser de cet ornement; mais c'est en
vain qu'elle secouait la tète, Paul, à cheval
UNE BONNE RÉSOLUTION. 19
sur son dos, la retenait par son collier.
(( — Hue !.. en avant ! . . . plus vite ! . . .
plus vite !... répétait le petit garçon.
(( Les deux enfants firent ainsi leur
entrée triomphale dans la salle à manger.
Lorsqu'ils en eurent fait le tour, M. Paul,
voyant l'effet qu'il produisait, car tout le
monde riait, ne voulut plus descendre de
cheval. Sa mère eut de la peine à le per-
suader que le pauvre chien ne pouvait
pourtant pas lui servir de siège pendant
tout le repas.
(( A quelques jours de là, la petite capri-
cieuse, qui ne s'occupait plus que de la
basse-cour, était parvenue à apprivoiser
plusieurs poules ; elles mangeaient dans sa
main et la suivaient partout, comme des
petits chiens.
(( Tant que cette nouvelle fantaisie so
passa dans la cour, dans la cuisine, ou dans
les allées du jardin, Georgette ne fut pas
réprimandée ; mais bientôt la salle à man-
ger fut envahie. Une après-midi, enfin, que
sa mère recevait au salon, M"^ Caprice ne
trouva rien de mieux que d'aller au pou-
' .^^ ^.W-Yiftfï jfiL4Tt''tvir'^ ^.1 tJiiid^ ^ :
20
MADEMOISELLE POURQUOL
lailler ; suivie bientôt de tout son bataillon :
« — Entrez, mesdames!... cria-t-elle en
ouvrant la porte toute grande.
« Les personnes qui étaient en visite rirent
d'abord de cette nouvelle espièglerie, puis
on essaya de chasser ces visiteuses inatten-
dues. Ce fut difficile; les poules, effrayées,
sautaient sur les fauteuils, volaient de tous
côtés, en faisant un ramage assourdissant.
11 fallut leur céder la place; mais, lorsque
tout le monde fut parti. M""" Caprice fut
sérieusement grondée et la servante reçut
l'ordre de ne plus la laisser entrer au
poulailler.
(( George tte se rejeta alors vers le jardi-
nier. Un matin, comme le père Jérôme
plantait les premiers géraniums de la
saison, elle obtint qu'il lui en plantât une
belle pousse dans un pot rempli de terre
de bruyère. Le petit Paul eût bien voulu
avoir aussi une fleur à lui.
(( — Tu ne saurais pas la soigner, lui dit
sa sœur ; et pour le consoler tout à fait,
elle lui promit qu'ils seraient de moitié
lorsque le géranium aurait des fleurs.
UNE BONNE RÉSOLUTION.
« Mais la pauvre plante ne devait pas
pousser tranquille; vingt fois par jour, les
enfants venaient voir si les feuilles grandis-
saient, ou si les petits boutons roses se
montraient. On bêchait, on arrosait, peine
inutile; rien n'apparaissait.
(c- — Paul, dit un jour M'^^ Caprice, je
crois que cette eau est trop froide ; le jar-
dinier a dit que pour les géraniums il fallait
de la chaleur ; un peu d'eau chaude ne
ferait pas mal.
(( — Tu as raison, fît le petit garçon, je
vais aller en demander à Mariette.
<( Quelques minutes plus tard, il appor-
tait en effet un plein bol d'eau chaude, qui
fut versée jusqu'à la dernière goutte sur
la fleur. Comme, le lendemain, elle baissait
la tête :
(c — Je vois ce que c'est, fît Georgette
d'un air important, la chaleur ne suffît pas,
il faut aussi lui donner des forces. Tu vas
voir, j'ai une idée.
(( Courant vers la salle à manger, la
fîllette revint bientôt avec un flacon de vin
de quinquina.
22 MADEMOISELLE POURQUOL
u — Voici ce qu'il y a de plus fortifiant,
le médecin Fa dit l'autre jour à maman,
dit-elle en versant le précieux liquide.
(c — Oui, mais il a ajouté, observa Paul,
qu'il ne fallait pas manquer d'en prendre
un petit verre tous les matins.
a — Eh bien, nous recommencerons
demain, conclut Georgette.
« Tranquilles désormais sur le sort de
leur plante, les deux enfants rentrèrent à
la maison. Le lendemain, hélas ! le pauvre
géranium, brûlé, desséché, penchait tris-
tement sa tige vers la terre. Cet essai
malheureux fît oublier à M^^^ Caprice son
goût pour le jardiuage, mais elle n'était
jamais en peine d'espiègleries. Un jour,
l'idée lui vint d'un nouveau divertissement.
Il y avait encore réception chez ses pa-
rents; assise près de la fenêtre de sa
chambre, Georgette, plutôt que d'étudier
sa leçon, regardait arriver les belles dames
dans leurs élégantes toilettes.
(( — Sais-tu, dit-elle tout à coup à son
frère, pourquoi les petites filles ne met-
tent pas des crinolines pour faire bouffer
UNE BONNE RESOLUTION.
23
leurs robes ? ce serait bien plus joli.
« — C'est sans doute parce qu'elles
sont trop petites, répondit l'enfant.
a — Eh bien, je veux aussi en avoir
une, fit l'espiègle, tu vas voir.
(( Pliant alors une serviette, elle l'atta-
cha sous sa robe ; puis, ne trouvant pas ce
bourrelet suffisant, Georgette assujettit son
cerceau, à grand renfort d'épingles, au
bord de son jupon. Elle ressemblait ainsi
à l'une de ces cloches que l'on met sur
les melons pour les faire mûrir. Avisant
ensuite un chapeau garni de plumes et
un mantelet, oublié par sa mère, notre
lutin vint devant l'armoire à glace, et se
trouva tellement satisfaite de sa transfor-
mation, que l'idée lui vint de descendre au
salon dans cet équipage.
a — Et moi? demanda Paul, je voudrais
bien avoir l'air d'un beau monsieur ; que
faut-il faire pour me déguiser ?
(( — Viens dans la chambre de papa,
nous trouverons tout ce qu'il nous faut,
fit la sœur.
(( Bientôt, en eff'et, afi*ublé d'un habit
24 MADEMOISELLE POURQUOL
dont la queue balayait le tapis, et coiffé
d'un chapeau à haute forme, l'enfant n'était
plus reconnaissable. Cependant, il man-
quait encore quelque chose à son dégui-
sement.
(c — Viens, dit tout à coup Georgette,
et surtout ne bouge pas. Armée d'un petit
pinceau trempé dans l'encrier., elle fit à
Paul une superbe paire de moustaches.
« — Bravo ! s'écria le petit garçon, je
suis un homme maintenant, nous pouvons
descendre.
(( Quelques instants après, les deux lu-
tins, ouvrant la porte du salon, annonçaient
eux-mêmes :
(( — M. et M"^' Caprice!
(( Ce fut d'abord un éclat de rire géné-
ral; mais, le soir, au dîner, le frère et la
sœur ne riaient plus. Privés de dessert,
leur papa les gronda si fort, qu'ils n'eu-
rent pas envie de jouer une autre fois au
monsieur et à la dame.
(c Quelques semaines plus tard, les pa-
rents de Georgette, lassés de ses espiègle-
ries et de sa paresse, la mirent dans un
UNE BONNE RÉSOLUTION. 25
pensionnat où elle parvint, non sans peine,
à se corriger. »
— Que penses-tu de cette histoire? de-
manda la maman d'Alice, qui rentrait
comme la fillette en terminait la lecture.
— Je l'ai trouvée très amusante.
— Sans doute, M'^*" Caprice a des idées
originales, mais as-tu remarqué la conclu-
sion de tout ceci ? C'est la seule raison-
nable à mon avis, et je t'engage à la
méditer.
Alice ne répondit rien.
Ainsi qu'on va le voir, tous ces avertis-
sements passaient le plus souvent ina-
perçus.
CHAPITRE IV
Pauvre Trotty. - Les protégés d'Alice.
Un matin, M-Monval, en descendant de
sa chambre, trouva Alice en grande discus-
sion avec sa bonne.
— Je veux mon ballon, criait-elle, vous
devez l'avoir vu.
— Je vous assure, mademoiselle, que
je ne l'az pas trouvé.
— Et moi je vous dis que vous l'avez
cache exprès pour me faire chercher.
— Alice, dit alors M""^ Mouval, en se
montrant, c'est très mal ce que vous dites
la. Croyez-vous donc que Julie soit heu-
reuse de vous contrarier ou de vous faire
gronder ?
— Mais, maman, puisque, hier soir
encore, j'ai joué avec ce ballon, il ne
peut être loin.
CHAPITRE V
L'éducation en famille. — Une histoire
de singes. — Pourquoi les chiens ne
parlent pas.
^ A sept ans, on ne veut plus rester igno-
rante. Cependant, M"^^ Monval, trouvant sa
fille trop jeune pour lui faire suivre des
cours, exigeait qu'elle eut chaque jour deux
heures de lecture et de récitation.
Cette leçon avait lieu le matin ; c'est le
moment de la journée oii Ton risque le
moins d'être dérangé par les visiteurs. A
moins d'une indisposition, ou de quelque
contretemps imprévu, Ahce ne manquait
donc jamais de se rendre à l'heure indiquée
dans la chambre de sa mère. Il est vrai
que M"^^ Monval savait donner chaque jour
USX nouvel attrait au programme. Lorsque
fa fillette avait bien lu ou bien récité sa
34 MADEMOISELLE POURQUOL
leçon, elle lui lisait ou lui racontait quel-
que belle histoire, instructive et intéres-
sante tout à la fois.
C'est ainsi qu'un jour, ayant récité d'une
façon satisfaisante la fable le Thésauri-
seur et le Singe ^ sa mère, la faisant asseoir
près d'elle, ouvrit un livre, signé de l'un
de nos bons auteurs, et commença ainsi :
(( De tous les animaux, le singe est celui
qui possède au plus haut degré le talent
d'imitation ; moins capable d'attachement
que le chien, il étudie mieux tous nos mou-
vements. Il y a une très grande variété de
singes ; parmi les plus intelligents on cite
le sapajou et le chimpanzé.
(( Un jeune créole en avait élevé un de
cette dernière espèce; sa taille était celle
d'ini chien barbet. Son poil brun et soyeux
devenait plus clair autour de la face, qui
se trouvait ainsi encadrée d'une énorme
paire de favoris. »
— Mère, je me rappelle en avoir vu un
tout semblable au jardin d'acclimatation,
interrompit Alice.
(( Chaque jour, reprit M""^ Monval, l'en-
L'EDUCATION EN FAMILLE. 3o
faut lui apprenait de nouveaux tours d'agi-
lité ; il gambadait par toute la maison avec
une telle légèreté que son jeune maître
lui donna le nom de Bamboula. L'animal
obéissait au moindre signe, sa soumission
était si grande qu'elle eût pu servir d'exem-
ple à beaucoup d'enfants. Au premier com-
mandement il partait, sans que l'on eut
jamais besoin de répéter un ordre.
« Avant chaque repas, le singe venait se
placer debout devant son maître, une ser-
viette sur le bras, comme un petit domes-
tique, et par une pantomime expressive il
semblait lui dire :
(c — Parle, que veux-tu que je te serve
aujourd'hui?
(c Si c'était le mathi, le jeune garçon ré-
pondait le plus souvent :
(( — J'ai envie de manger un œuf à la
coque, va voir si cocote a pondu.
(C Bamboula se rendait aussitôt au pou-
lailler, et faisant au besoin déranger la
poule de son nid, il revenait joyeux, rap-
portant délicatement un bel œuf dans ses
doigts.
36
MADEMOISELLE POURQUOL
(( — Sans le casser? interrogea Alice.
(( — Certainement, il prenait assez de
précautions pour cela.
ce Si par hasard le panier de cocote se
trouvait vide, le singe rentrait la tête basse
et montrait ses deux mains avec un air
piteux qui disait clairement : Il faut nous
en passer.
(( Après le déjeuner, si le temps était
mauvais, le jeune garçon disait :
(( — Bamboula, nous ne descendrons pas
au jardin ce matin, va me chercher le livre
que je suis en train de lire. Le chimpanzé
courait alors du salon à la bibliothèque,
cherchant, remuant, examinant tous les
volumes, puis revenait en présenter un,
avec un mouvement de tête qui voulait
dire :
(( — Est-ce bien ça?
(( Si Bamboula s'était trompé, il repartait,
mais au second voyage en rapportait deux,
dont Tun était pour son propre compte.
(c — Comment cela? demanda AHce. Il y
a donc des singes qui savent lire?
« — Non vraiment, mais tu vas voir, ré-
L'EDUCATION EN FAMILLE.
37
pondit M'""^ Monval ; l'intelligent animal ne
faisait jamais rien à demi. S'installant près
de son maître, il tournait les pages en
même temps que lui ; s'interrompant aussi
parfois pour marquer un endroit, comme
s'il devait le retrouver plus tard. Le plus
curieux, c'est que notre singe tenait pres-
que toujours son livre la tête en bas,
« Si au contraire le temps était beau, son
jeune maître disait :
(( — Bamboula, nous sortons, il faut
faire notre toilette.
(( A ce mot de toilette, le singe ne man-
quait pas d'aller prendre son miroir; mais,
en apercevant son image, son premier
mouvement était de regarder derrière lui,
afin de s'assurer qu'il n'y avait personne.
La toilette terminée, on partait. Quelquefois
Bamboula montait sur le dos de Bellone,
magnifique chienne' terre-neuve, et faisait
ainsi le tour du jardin.
ce Un jour qu'il y avait du monde à dé-
jeuner, le malin animal, privé de ce plaisir,
ayant été enfermé dans la salle à manger,
sauta sur la table, encore servie, et se mit
'-.■ /. -'. .iftJriiiL:.Aif A*i .v: . i ■ . . .. ^
38
MADEMOISELLE POURQUOL
à renverser tout, verres, bouteilles, plats.
Comme Bamboula était très adroit d'ordi-
naire, on vit bien qu'il s'agissait d'une mé-
chanceté ; aussi notre singe reçut une bonne
correction, dont il se souvint à l'occa-
sion. »
Cette histoire amusa beaucoup Alice, qui
eût volontiers passé toute la journée à en
écouter de semblables. Du reste, elle n^était
pas seule à prendre plaisir à ces récits.
Diane, la grosse chienne, dont nous avons
parlé déjà, étant admise ainsi que le petit
Trotty dans les appartements^ les écoutait
jusqu'au bout, gravement assise sur son
derrière, et avec une attention qui frappa
un jour notre fillette.
— Mère, dit-elle tout à coup, je voudrais
bien savoir pourquoi les chiens ne parlent
pas?
jyjme ]\iQnval resta un instant embarrassée
par la brusquerie de cette question.
— C'est que, malgré toutes les preuves
d'intelligence qu'il donne, le chien n'est
pas, comme l'homme, une créature raison-
nable et pensante, répondit-elle.
L'ÉDUCATION EN FAMILLE.
39
_ Les perroquets parlent bien, reprit
M'" Pourquoi.
_ Sans doute, les perroquets sont des
oiseaux jaseurs, qui jacassent plutôt qu'ds
ne parlent, et le plus souvent n'ont pas
conscie.ice des mots qu'on leur fait répéter.
Mais à quel propos le silence des chiens
t'inquiète-t-il, mon enfant? Serait-ce à cause
de notre bonne Diane? ajouta la maman,
en caressant la grosse tète de l'animal.
_ Précisément, ses bons yeux sont tou-
jours fixés sur toi quand tu parles ; par
moments ils deviennent si vifs, que 1 on
croirait qu'elle comprend ce que tu dis et
va te remercier aussi des jolies histoires
que tu nous racontes.
— Ces pauvres animaux! il ne leur man-
que en effet que la parole, dit M- Monval;
on cite à ce sujet une foule de faits et d a-
■ necdotes qui sont toutes en faveur de la
fidélité ou de l'intelUgence des chiens. L es-
pèce des caniches surtout a donné de cu-
rieux exemples d'attachement et de facihte
de compréhension.
J'ai connu un vieux professeur qm se
40 MADEMOISELLE POURQUOI.
rendait chaque jour au même café avec son
fidèle caniche; souvent il lui arrivait d'ou-
blier son mouchoir ou sa tabatière. Le
maître n'avait alors qu'un signe à faire, le
chien reprenait aussitôt le chemin de la
maison, et lui rapportait l'objet demandé,
sans jamais se tromper.
Un autre de nos amis avait un épagneul
qu'il envoyait chaque soir chercher ses pan-
toufles et celles de sa femme. Quoique
l'ordre fût donné en même temps, la bête,
sans commettre d'erreur, venait placer de-
vant chacun les chaussures respectives. Ce
qui m'étonna un jour, après le déjeuner, ce
fut de voir le même chien ouvrir le bufî'et,
et prendre parmi d'autres sacs celui qui
contenait les gâteaux, dont sa maîtresse
avait coutume de le régaler;
— Oh! le vilain gourmand! fît AUce.
— Il y a aussi les chiens sauveteurs, re-
prit M™"" Monval; l'un d'eux, un magnifique
terre-neuve, après de nombreux sauveta-
ges, a été médaillé l'an passé à la société
des Sauveteurs Bretons. Je te conterai à ce
sujet l'histoire d'un petit garçon et de son
L'EDUCATION EiN FAMILLE.
41
chien, qui t'intéressera, j'en suis certaine.
— Conte-la-moi aujourd'hui, mère! dit
la fillette.
— Non, ce sera pour une autre fois, car
il est tard, le déjeuner nous attend et j'ai
ensuite des visites à faire.
CHAPITRE VI
La dent de lait. — Un enfant courageux.
Tous les jours se suivent et ne se ressem-
blent pas; le lendemain, M'^^ Pourquoi se
trouva prise d'une indisposition très com-
mune à cet âge, c'est-à-dire qu'elle fut très
tracassée au sujet d'une dent, assez ébran-
lée pour que son extraction devînt néces-
saire.
La veille, en croquant un petit os de
poulet, Alice avait senti un choc un peu
douloureux, mais n'en avait rien dit, sa-
chant bien que son papa ne plaisantait pas
sur ce sujet. Déjà, une autre fois, d'un coup
de pouce il lui en avait fait sauter une ; et
l'enfant avait dû convenir qu'il y avait eu
plus de peur que de mal. Cette fois, soit que
la dent fut un peu plus grosse ou la crainte
plus grande, elle ne disait rien, pensant
LA DENT DE LAIT.
43
que cela pouvait attendre. Mais, crac ! voilà
qu'au déjeuner une croûte malencontreuse
fait encore un second choc. Alice jette un
cri, porte la main à sa bouche; le papa, se
doutant de la nature de F accident, veut
voir de quoi il s'agit.
— Non, non, crie la fillette, en se sauvant
de table, tu me l'arracherais.
— Petite folle! si elle l'est déjà à moitié,
il vaut mieux en finir. Viens donc, tu sais
bien que cela ne fait pas mal.
Bah! l'enfant est déjà au jardin, le père
se met à la poursuivre, la maman en fait
autant. L'espiègle court toujours, se ca-
chant derrière chaque massif; au moment
oii les parents, abandonnant la poursuite,
regagnent la salle à manger, on leur annonce
la visite d'un vieil ami, le docteur Mallet.
— Où donc est Alice? fut la première
question du bon homme, qui adorait les
enfants.
On le mit au courant de ce qui arrivait.
— Bien, dit-il, je viens à propos; laissez
revenir la déserteuse; continuez de dé-
jeuner, et lorsqu'elle reprendra sa place, au
44
MADEMOISELLE POURQUOL
moment du dessert, je lui raconterai quel-
que chose qui la décidera. Laissez-moi
faire, je la connais.
On suivit le conseil du vieux docteur.
Tout se passa du reste comme il l'avait
prévu. Voyant qu'on ne la poursuivait plus,
la fillette, tout à fait calmée, revint à petits
pas et, se faufilant par la porte restée en-
tr'ouverte, se trouva juste assise devant son
assiette au moment où M""^ Monyal venait
d'y poser une belle grappe de raisin. Tan-
dis qu'elle la grapillait sans bruit, mais en
se tenant sur le qui- vive, ainsi qu'un oiseau
gourmand prêt à s'enfuir au moindre bruit :
<c Oui, fit le docteur Mallet, comme s'il
continuait une conversation commencée,
c'était le fils d'un de mes bons amis, il se
nommait Léon. Grand, fort, bien pris, pour
son âge, en un mot le plus bel enfant que
Ton put voir; mais ce que j'admirais le
plus en lui, c'était l'attachement rare, le
culte en quelque sorte, qu'il avait voué à
sa sœur Valentine, une blondinette d'une
année seulement plus jeune que lui.
(( A l'époque dont je veux parler, continua
LA DENT DE LAIT. 45
le docteur, ruii comptait sept ans, l'autre
venait d'en avoir six. Valentine avait une
superbe poupée à laquelle il ne manquait
qu'une seule chose, un chapeau. Un matin,
elle dit à Léon :
(( — J'ai bien du chagrin, va ! Maman ne
veut pas acheter un chapeau à ma fille ;
j'en ai vu de si jolis!...
(( Et en parlant ainsi deux grosses larmes
perlaient dans les yeux bleus de la petite.
(c — Console-toi, dit tout à coup le
frère, j'ai une idée.
(( Aussitôt, l'enfant monte à sa chambre,
prend sa tirelire, la casse, elle contenait
1 fr. 50. Ce n'était guère ; cependant, il
descend comme un tourbillon et, se diri-
geant vers la boutique d'une modiste qui
se trouvait dans le voisinage, il y entre
hardiment :
(c — - Madame, je voudrais un chapeau
de poupée.
(( — Mon petit ami, nous ne les faisons
que sur commande.
(( — Ah ! ... et combien prenez-vous ?
(( — Cela dépend.
46
MADEMOISELLE POURQUOL
(( — Je veux tout ce qu'il y a de plus
riche, de plus joli.
(c — Pour tout autre ce serait 5 francs,
répondit la modiste, qui venait de recon-
naître l'enfant pour l'avoir vu avec sa mère,
mais pour vous ce sera 2 fr. 50.
(( — Alors, dit Léon, tout penaud, vous
ne pouvez pas me le faire pour 1 fr. 50.
(c — Non, c'est comme je vous ai dit,
pas un sou de moins.
(( — Ah ! fit l'enfant, qui, la tête basse,
fait trois pas vers la porte.
c( Tout à coup une nouvelle inspiration
lui vient, il se frappe le front, et se retour-
nant majestueusement vers le comptoir :
(( — Madame, fit-il, quel jour ce cha-
peau pourra- t-il être fait?
(( — Demain soir.
(( — Ne manquez pas de le tenir prêt,
je viendrai demain soir.
a Or, le lendemain matin, à l'heure oii
j'allais partir pour faire mes visites, je vois
accourir mon petit Léon.
<( — Comment? seul ? qu'y a-t-il ? qu'est-
il arrivé ? demandai-je inquiet.
LA DENT DE LAIT.
47
(( — Marianne est en bas, mais je suis
pressé, fît l'enfant ; mon oncle, j'ai une
dent qui remue, il faut me l'arracher de
suite.
<( — Rien d'urgent, dis-je en visitant la
dent, attendons. Je dois dire ici que, chaque
fois qu'une de ses dents de lait se mettait
à remuer, je lui donnais une pièce de
vingt sous pour qu'il se la laissât arracher.
a — Non, non, s'écria Léon, d'un air
tout à fait résolu, je me sens brave, ce
matin; un autre jour, j'aurai peur. Vois,
petit oncle, elle remue beaucoup, je t'en
prie
! . . . ôte-la-moi ! . . .
(( Grimpant sur mes genoux, l'héroïque
gamin me supplia si bien que je cédai. La
vérité est que la dent ne remuait presque
pas; aussi eut-il un cri de douleur bientôt
réprimé. Tant de résolution m'étonnait, je
devinai presque un secret sous cet hé-
roïsme inaccoutumé ; mais l'enfant ne m'en
dit rien.
c( Lorsque le premier moment fut passé :
(( — Mes vingt sous, petit oncle? de-
manda-t-il, la main tendue.
48
MADEMOISELLE POURQUOL
(c — Tiens, lui dis-je, en l'embrassant de
bon cœur; cette fois, tu les as bien mérités.
(( Le soir, à la veillée, j'eus le mot de
cette énigme : lorsque j'arrivai chez mon
ami, on passait au salon. Valentine, cou-
rant alors chercher sa poupée, fit admirer à
tout le monde le magnifique chapeau que
son frère venait de lui apporter. Léon
semblait si fier, si heureux de son dévoue-
ment fraternel, que je ne voulus pas gâter
ce bonheur, en donnant des regrets à sa
sœur ; le secret de la dent de lait resta entre
nous deux. »
Le vieux docteur avait fini son histoire.
AUce, toute songeuse, semblait encore in-
décise ; puis, prenant tout à coup une ferme
résolution :
— Père, dit-elle, en venant s'asseoir sur
les genoux de M. Monval, si je te laisse
ôter ma dent, me donneras-tu aussi une
pièce de vingt sous ?
— Aussitôt, je te le promets.
— Tu ne me feras pas trop de mal ?
— Tu ne sentiras rien.
— En eff*et, cette dent ne tient presque
LA DENT DE L"
plus, affirma le docteur, qui s'était ap-
proché.
— La Yoici, et voilà tes vingt sous, dit
le papa, qui avait prestement terminé
l'opération.
— Que vas-tu faire de cet argent? de-
manda M^' Monval.
— Ah! c'est mon secret, répondit Alice.
— 11 faut le lui laisser, conclut le mé-
decin, en se levant pour se retirer, ce sera
le bénéfice du courage qu'elle a montré.
Le lendemain, la maman d'Alice eut le
mot de ce grand secret. Lorsqu'on sortit
pour aller à la promenade, l'enfant, s'arrê-
tant devant une boutique de mercerie,, de-
manda le prix d'une petite capeline en
laine bleue. Ainsi que le petit Léon, la
fillette joignit aux vingt sous le contenu de
sa bourse. Lorsque cet achat fut terminé,
M™"^ Monval, fort intriguée, la vit courir vers
une grande porte cocher e, sous laquelle se
tenait depuis quelque temps une pauvre
jeune femme allaitant un enfant de quel-
ques mois. Comme le froid commençait à
se faire sentir, la fillette avait pensé que
50
MADEMOISELLE POURQUOL
cette chaude coiffure serait utile au petit
être. Quand elle vint rejoindre sa mère :
— Je n'ai pas de sœur, dit la fillette, pour
lui acheter un chapeau de poupée, mais
j'ai fait un heureux tout de même.
Un bon baiser fut la récompense de
cette bonne action, puis, M"'' Monval ayant
ajouté quelque monnaie à l'aumône de sa
fille, on continua la promenade.
CHAPITRE VII
Histoire du petit Maurice et de son
chien. — D'où vient le nom de Terre-
Neuve.
Quelques jours plus tard, Alice, qui
n'avait pas oublié, malgré sa dent arrachée,
la promesse de sa mère, la supplia de lui
raconter l'histoire annoncée. Comme la
fillette avait bien lu et récité une leçon assez
longue, la maman ne demanda pas mieux
que de s'exécuter.
— Le jeune garçon dont je veux te
parler, commença M™"" Monval, se nommait
Maurice, il venait d'avoir huit ans à l'époque
où se passe ce récit.
Après une année bien employée au col-
lège, ses parents lui proposèrent de l'em-
mener avec eux à la campagne ; comme
tu le t>yT*^^ '^ \ Mnmniiîn^ "À r «^rr*»'
52
MADEMOISELLE POURQUOI.
suite. Maurice était même si heureux de
penser qu'il allait voir des forêts, courir
dans les champs, au bord de la rivière,
qu'il y pensait tout le jour et n'en dormait
plus la nuit. Tout cela eût été charmant^
si l'enfant se fut contenté des jeux de son
âge, s'il eût écouté surtout les recomman-
dations de ses parents. Mais Maurice était
d'un caractère aventureux, entreprenant,
et surtout très curieux.
Aussitôt que l'on fut installé à la cam-
pagne, chaque jour, il partit à l'aventure,
marchant pendant de longues heures, sans
que l'on sût ce qu'il était devenu.
Le voisinage d'une rivière, assez large
en certains endroits, inquiétait surtout la
maman du jeune garçon; car c'était préci-
sément vers ce cours d'eau qu'il dirigeait
ses promenades. Ces poissons qui venaient
frétiller près du bord, les jolies fleurs de
nénuphar qui s'épanouissaient à sa surface,
tout le tentait. Il eût voulu s'en emparer,
mais comment y parvenir ? Maurice ne
devait pas tarder aie savoir. Un jour, il vit
''^UX
ISTOIRE DU PETIT MAURICE.
53
genoux et entrer résolument dans l'eau.
Ayant trouvé un bon endroit, cet homme
resta longtemps à la même place, se bais-
sant et se relevant.
— Que peut-il bien faire ainsi ? se de-
mandait notre petit curieux ; sans doute il
prépare quelque bonne attrape pour mes-
sieurs les poissons. Si je pouvais arriver
derrière lui, quelle bonne pêche je ferais ! . . .
Maurice eut, en effet, la patience d'atten-
dre que le pêcheur s'éloignât ; quittant
alors bas et souliers, il releva le bord de
son pantalon court, puis entra bravement
dans la rivière. Tant qu'il eut pied, tout alla
bien ; mais plus il avançait, plus l'eau
semblait monter ; notre curieux en eut
bientôt jusqu'à la ceinture. Retourner eût
été plus prudent ; Maurice n'en fît rien.
Tout à coup, le courant le prit, et le fai-
sant tourner brusquement, l'entraîna à
une distance assez grande. Cette fois l'en-
fant perdit la tête, et se croyant perdu,
poussa un cri désespéré.
— Pauvre^ petit ! exclama Alke, comme
ild^irf
^_:^ i\\
•vV-
54 MADEMOISELLE POURQUOL
— Par bonheur, son appel fut entendu;
une voix répondit à la sienne. C'était Sultan,
son gardien ordinaire, un magnifique terre-
neuve, qui rôdait par là, à la recherche de
SOQ petit maître. Se mettant bravement à
l'eau, l'animal nagea vers lui et le saisit
par ses vêtements, juste au moment où il
allait disparaître. L'enfant était lourd; ce-
pendant, le brave chien eut bien soin de
lui tenir la tête hors de l'eau, et put ar-
river ainsi jusqu'au bord. Le déposant
alors sur la berge, il se mit à lui lécher
les mains et la figure, le réchauffant de
son haleine, jusqu'à ce que Maurice ouvrît
enfin les yeux.
Quelques minutes plus tard, notre petit
imprudent était debout, un peu étourdi
seulement à la suite de ce bain forcé.
Voyant près de lui son fidèle Sultan, il
comprit ce qui était arrivé, et prenant à
deux mains la tête de l'animal, l'embrassa
à plusieurs reprises. Un autre embarras se
présenta alors, ses habits étaient ruisse-
lants d'eau, tachés de boue, un de ses sou-
HISTOIRE DU PETIT MAURICE. S5
^A
— Comment faire? dit-il en pleurant; si
je rentre dans cet état, je vais être grondé,
puni, c'est certain. Sultan, voyant son hé-
sitation, le tirait par sa blouse ; le brave
chien ne comprenait qu'une chose, c'était
d'éloigner au plus vite son petit maître de
cette vilaine rivière où il avait manqué de
se noyer. Maurice le comprit et se décida
bientôt à se mettre en marche ; bien que
le soleil fût très chaud à cette heure de la
journée, il ne put cacher à ses parents les
traces de cette escapade malheureuse. Non
seulement il fut sévèrement réprimandé,
mais on lui défendit expressément de sortir
seul à l'avenir. C'est ainsi qu'il gâta par sa
faute une partie de son séjour à la cam-
pagne. Pendant quelques jours, un gros
rhume le retint même à la maison; bien
heureux d'en être quitte à si bon marché.
— Et Sultan? demanda Alice.
— Sultan fut fêté, caressé, choyé par
toute la famille, notre jeune garçon en
particuher n'oublia jamais qu'il lui devait
la vie.
— Mère, si je tombais à l'eau, ajouta
il'^ilAI^^M^^'.
36
MADEiMOlSELLE POURQUOI,
notre questionneuse, crois-tu que Diane
serait capable de me sauver aussi ?
— Certainement, mon enfant, Diane nous
est très attachée, elle t'aime beaucoup ;
pourtant je ne vois pas d'utilité à tenter
cette épreuve, conclut en souriant la maman
d'Alice.
, L'enfant prenait de plus en plus goût à
ces récits, et souvent, si on l'eût écoutée,
tout le temps de la leçon eût été employé
ainsi ; mais avant tout il fallait lire et réciter
convenablement. Il est vrai que ces his-
toires avaient presque toujours un but ins-
tructif ou moral, et donnaient lieu à une
foule de questions dans le genre de celle-ci :
— Mère, je voudrais savoir d'où vient
le nom de terre-neuve^ que l'on donne à
l'espèce de chien dont tu viens de parler ?
— Ce nom leur vient, répondit M'"^ Mon-
val, de l'endroit ou ils sont nés et élevés
en grande quantité, pour être expédiés
ensuite dans toutes les parties de l'Eu-
rope.
Prenant ensuite un traité géographique
et historique de nos colonies, M'""" Monval
HISTOIRE DU PETIT MAURICE.
57
en lut à la fillette quelques pages, dont
nous extrayons ce qui suit:
L'Ile de Terre-Neuve dépend de TAmé-
rique septentrionale, et se trouve située
vis-à-vis de l'embouchure du Saint-Laurent
de façon à fermer presque le golfe oii se
jette ce fleuve. Elle appartenait autrefois
à la France, mais elle devint possession an-
glaise en 1713.
A une petite distance de cette île, se
trouve une grande étendue de bas-fonds,
appelée le banc de Terre-Neuve, c'est là
que les pêcheurs de morue se rendent cha-
que année. La moindre habitation de l'île
possède une douzaine de ces chiens; car
ils sont pendant les longs hivers d'une
grande ressource pour les naturels comme
bêtes de trait.
Attelés par deux, par quatre ou par six,
ils transportent ainsi des charges de bois
ou autres objets, voiturent même les habi-
tants sur la glace. On les emploie aussi
pour la pêche du loup marin. Enfin ils sont
l'objet d'un grand commerce, chaque jeune
chien se vendant de 10 à 20 francs. Il y
58 MADEMOISELLE POURQUOI.
a deux espèces de terre-neuve, les poils
ras et les poils longs ; les premiers sont
ceux que l'on estime le plus dans le pays,
étant plus robustes, nageant mieux et plus
longtemps. La fourrure épaisse des seconds
les rend plus lourds parce que les glaçons
s'attachent à leurs poils; mais 'pour l'ex-
portation, c'est la seule espèce qui ait de
la valeur.
Dans la saison de la pêche, les habitants
nourrissent leurs chiens avec les débris des
morues ; le reste de l'année, ils ne vivent
que de maraude, c'est-à-dire des animaux
dérobés par eux dans les pâturages. Quoi-
que très forts et très voraces, ils sont peu
redoutables pour l'homme.
C'est dans une espèce de cave, ménagée
sous la maison, que l'habitant de l'île réunit
sa meute; c'est de là qu'elle sort en gro-
gnant et en montrant les crocs aux pas-
sants. Mais il ne s'agit que de faire bonne
contenance, lever un bâton, ou se baisser
pour ramasser luie pierre ; tous ces chiens
rentrent alors en grondant dans leur ta-
nière.
HISTOIRE DU PETIT MAURICE.
59
Pris tout jeune, et élevé dans un mi-
lieu plus civilisé, le terre-neuve devient
doux comme un mouton, aimant tout le
monde, et se laissant caresser par le pre-
mier venu.
— C'est très vrai, cela, approuva M^'*^ Pour-
quoi; te souviens-tu, mère, de celui que
nous avons vu chez M'^^ Belmont? Il
jouait tout le jour avec les petits garçons
qui en faisaient ce qu'ils voulaient.
— L'eau est le véritable élément du
terre-neuve, reprit M"^^ Mouval, il s'y jette
avec bonheur, avec enthousiasme, dé-
ployant dans cet exercice sa grâce, sa vi-
gueur, sasouplesse. Alors, ses mouvements
sont pleins d'aisance, son œil, languissant
d'habitude, s'anime et lance des éclairs.
Tout ce qu'on jette à l'eau, tout corps
flottant, devient l'objet de sa sollicitude ;
il le saisit dans sa gueule et le ramène au
bord, quelque lourd qu'il soit. C'est là son
mérite, sa gloire même, et si on le regarde,
si on l'encourage du geste et de la voix,
il devient superbe.
— Oh ! que je voudrais voir nager un
60
MADEMOISELLE POURQUOL
terre-neuve ! s'écria Alice, au comble de
l'admiration.
— Mais cette qualité, ce talent spécial
du terre-neuve, conclut M""^ Monval, a son
mauvais côté; si vous vous baignez en
compagnie de l'un de ces chiens, c'est un
ami maladroit, qui vous ramènera forcé-
ment à la plage. 11 faut être très bon nageur
pour éviter son zèle malencontreux.
— Pourquoi cela ? demanda la fillette.
— C'est que l'instinct du sauvetage étant
chez lui une habitude presque machinale,
c'est plus fort que lui, il ne peut y résister.
La leçon s'étant prolongée au delà de
l'heure habituelle, M""^ Monval ferma son
livre et se leva, au grand regret d'Alice,
qui en avait oublié l'heure du repas.
CHAPITRE VIII
La neige. — La petite marchande
Un jour, — on était alors au mois de dé-
cembre, Noël approchait et depuis quel-
ques jours la neige couvrait nos parcs et
nos promenades de son blanc manteau,
— M™^ Monval proposa une promenade au
bois de Boulogne.
La maman et la fillette, bien emmi-
touflées de fourrures, les mains cachées
dans un manchon, partirent donc brave-
ment. La neige durcie criait sous leurs
pieds; le froid devenait piquant; malgré
cela, d'autres mères de famille avaient suivi
l'exemple de M"''' Monval ; chacun hâtait
le pas.
Tout en courant, Alice n'oubliait pas son
questionnaire habituel. Cette fois, la neige
lui servit de prétexte ; il fallut lui expli-
^^^JàMm"
ViL>j»^~^>.>ï.«
62
MADEMOISELLE POURQUOL
quer ce phénomène, lui en dire la for-
mation.
La neige est la cristallisation des
gouttes de pluie, répondit la maman; cela
se produit lorsque l'air est arrivé à une
température voisine de zéro. S'il fait du
vent, la neige tombe en flocons irréguliers ;
mais si le temps est parfaitement calme,
ils ont la forme d'étoiles à six rayons.
Tiens! je n'avais jamais remarqué
cela, dit l'enfant.
Eh bien, regarde avec attention, lors-
qu'il en tombera de nouveau, c'est très
curieux à observer.
— Oui, mais pour cela il faudrait peut-
être une grosse lunette ?
Il est certain qu'avec l'aide d'une lon-
gue-vue, tu le distinguerais mieux.
Alors je demanderai celle de bon-
papa.
Changeant ensuite brusquement d'idée,
la fillette reprit :
— Et les pauvres petits oiseaux ? que de-
viennent-ils, quand les arbres sont, comme
aujourd'hui, tout couverts de neige?
LA NEIGE. 63
m
m
— Ils se cachent pour la plupart dans
les trous des vieux murs, en attendant une
température plus douce.
— Pourtant, il faut bien qu'ils mangent.
— Sans doute; les plus hardis sortent
de leur cachette pour chercher leur nour-
riture> mais elle n'est pas facile à trouver
sous la neige, et souvent ces petits impru-
dents meurent de froid.
— Tous les arbres que nous voyons sont
morts aussi, n'est-ce pas, petite mère?
' — Qui te fait croire cela ? est-ce parce
le leurs rameaux sont noircis, desséchés?
Ils ne sont pas morts pour cela ; au con-
traire, l'influence de la neige sur la con-
servation des plantes est un fait reconnu.
Elle les garantit contre le froid, et donne
plus d'action à la végétation, que le prin-
temps développe ensuite.
— Alors, les marronniers, les lilas et
toutes ces jolies plantes refleuriront encore?
— Certainement, dès que le soleil vien-
dra réchauff'er la terre, elles pousseront
cavec une vigueur nouvelle.
Mais hàtons-nous, ajouta M'"*^ Monval,
64
MADEMOISELLE POURQUOI
si tu veux que nous arrivions à temps pour
voir les patineurs prendre leurs ébats sur
le lac.
Quoique M'^"" Pourquoi eut encore plus
d'une question à adresser à sa mère, elle
se mit à courir devant. Déjà une foule
nombreuse entourait la pièce d'eau, sur
laquelle des jeunes gens, des jeunes filles,
en élégants costumes garnis de fourrure,
glissaient dans tous les sens, les uns sur
leurs patins, les autres poussés dans de
jolis traîneaux.
Ce spectacle était très attrayant; malgré
cela, M"^® Monval, craignant que sa fille ne
prît froid, donna bientôt le signal du re-
tour. On gagna donc le chemin de fer, qui
ramena en quelques minutes les prome-
neuses au centre de la ville.
Le lendemain, quoique le temps fut aussi
rigoureux, la maman d'Alice, ayant quel-
ques visites à faire, emmena la fillette avec
elle. Cette fois, la promenade fut dirigée du
côté des Tuileries. En traversant les allées
principales, l'enfant s'arrêtait devant cha-
que statue, et paraissait réfléchir.
LA NEIGE.
— Voyons, dit à la fin M'"^^ Monval, il fau-
irait marcher plus vite ; si tu es déjà fati-
;uée, nous allons rentrer, car il ne fait pas
>on de rester immobile par ce froid glacial.
— Mère, observa notre questionneuse,
alors pourquoi laisse-t-on là toutes ces
belles dames? elles doivent être transies;
regarde, la neige est restée sur leurs man-
teaux et jusque dans leurs cheveux.
— Chère enfant, répondit la maman
d'Alice, ces belles dames, comme tu les
appelles, sont des reines, des princesses,
qu'un sculpteur a taillées dans du marbre ;
presque toutes sont des chefs-d'œuvre,
et c'est de là que vient ton illusion. Mais
les statues ne peuvent ressentir les atteintes
du froid. Ceux qu'il faut plaindre, par cette
température de glace, ce sont les malheu-
reux, les mendiants, qui n'ont pas de quoi
se chauffer, se vêtir.
Au même instant, comme on approchait
de l'une des sorties, une petite voix, que
le froid rendait tremblante, répéta à plu-
sieurs reprises derrière M"^^ Monval :
— Achetez-moi quelque chose, ma bonne
66
MADEMOISELLE POURQUOL
dame ! pour un sou seulement, ça vous por-
tera bonheur !
Lorsque la mère et la fille se retournè-
rent, elles virent ime petite fille de sept ans
à peine, grelottant sous une robe d'in-
dienne fanée, et tenant à la main quelques
cartes remplies de ces épingles à tête noire,
que l'on emploie pour la toilette. Trop pau-
vre, sans doute, pour en avoir un plus grand
assortiment, la pauvrette avait hâte de
placer sa marchandise, car elle poursuivait
tous les passants de son refrain monotone:
— Achetez-moi quelque chose ! . . .
Touchée de l'air souff*rant et vraiment
malheureux de lapetite mendiante, M"'^Mon-
val s'arrêta.
— Voyons, dit-elle, si je t'achetais toutes
tes épingles, que ferais-tu des sous que je
te donnerais?
— Je les porterais à ma pauvre maman,,
qui est bien malade, répondit la petite.
— Est-ce bien vrai, cela?
— Oui, maj^bonne dame, vous pouvez
venir avec moi, vous verrez que je n'ai
pas menti, affirma l'enfant.
LA NEIGE. 67
La mamaa d'Alice réfléchit un instant,
[puis elle reprit :
— ïu demeures loin, peut-être ?
— A Montmartre, tout en haut de la rue
Lepic, près des Buttes.
Comme il y en avait pour plus d'une
demi-heure de chemin, et que le moment
du dîner approchait, M'°^ Monval mit quel-
ques sous dans la main de la petite, en
promettant d'aller le lendemain visiter la
pauvre malade.
— Maman, observa Alice, tu ne lui de-
mandes pas son nom.
Puis, courant à la petite marchande :
— Comment te nommes-tu? fît-elle.
— Maria Lebon, répondit la pauvrette.
— C'est bien, va, mon enfant, conclut
jyjme jvioQval, qui avait écrit le nom et l'a-
dresse sur son calepin ; retourne vers ta
mère.
Aussitôt, la petite Maria se mit à courir,
comme si elle avait hâte d'annoncer cette
bonne nouvelle à la malade ; tandis que
Alice et sa mère prenaient une voiture
pour rentrer chez elles.
CHAPITRE IX
La petite Maria avait dit vrai. — Les
suites d'une bonne œuvre.
Celte rencontre préoccupa beaucoup
Alice ; pendant toute la soirée, elle parla de
la petite marchande d'épingles, et ne vou-
lut pas se coucher avant que sa mère lui
eût promis de l'emmener avec elle le len-
demain pour faire sa visite de charité.
Avec cette promesse, l'enfant se coucha
plus tranquille ; puis, dès le matin, voyant
sa mère préparer un panier de provisions,
elle se mit à chercher aussi parmi ses
jouets ceux qui ne lui plaisaient plus ou se
trouvaient défraîchis, afin de les offrir à
la petite Maria.
M""^ Mon val, ayant fait grâce de la leçon
pour ce jour-là, vers dix heures ou se mit
eu route.
LES SUITES D'UNE BONNE OEUVRE,
69
Alice voulut se charger du panier, mais
il était trop lourd, il fut décidé que la
bonne le porterait.
Arrivées à l'adresse donnée par la petite
marchande d'épingles, les visiteuses se
firent indiquer la chambre de M"'^ Lebon.
— C'est au cinquième, répondit la con-
cierge, la porte à droite ; puis, sans qu'on
lui demandât d'autres renseignements, elle
ajouta :
— La pauvre femme est bien malade,
et personne, pas un homme, pour gagner
à la maison ; sans la petite Maria, elle serait
toute seule. J'y fais ce que je peux, les
voisines de même; mais, vous savez, ma
bonne dame, on n'est pas riche.
La brave femme parlait encore que
M"'^ Monval, suivie d'Ahce, montait l'es-
calier assez raide, sombre et mal tenu.
Arrivée devant la porte indiquée, elle frappa
doucement; aussitôt, la petite Maria vint
ouvrir ; en reconnaissant la belle dame des
Tuileries, sa figure s'épanouit et, courant
vers sa mère :
— Maman! maman, s'écria-t-elle, c'est
MADEMOISELLE POURQUOL
la dame qui m'a donné les sous. Tu vois
qu'elle est venue nous voir.
Demeurée près de la porte, M'"® Monval
regardait autour d'elle, et son cœur se
serrait en constatant le dénuement qui ré-
gnait dans la mansarde.
Un lit de bois blanc, garni d'une paillasse,
avec un vieux châle pour couverture, un
petit bufTet et deux tabourets de paille
grossière en composaient tout le mobilier.
Sur ce lit était couchée une jeune femme,
pâle, amaigrie, les joues creusées par la
souffrance.
— Je vous apporte quelques provisions,
dit la visiteuse.
— Et moi, je t'apporte des joujoux, fit
Alice, en présentant à la petite pauvre
une boîte de carton soigneusement enve-
loppée.
— Je vois, reprit M"^^ Monval en s'a-
vançant, qu'il vous faudrait aussi un mé-
decin. Il y a longtemps que vous êtes
malade ?
— Depuis le commencement de l'hiver,
ma bonne dame ; le médecin est venu deux
LES SUITES D'UNE BONNE CEUVRE. 71
fois ; mais, voyant que je ne pouvais pas
acheter les médicaments, il n'a pas con-
tinué ses visites.
— Et vous restez ainsi sans feu, sans
aucune ressource ?
— J'ai eu un peu d'aide dans les com-
mencements, chacun s'y prêtait; mais dame!
les voisins ne sont pas riches non plus.
— Cependant, il faut vous soigner, vous
rétablir promptement pour élever cette
chère petite, conclut M"'^ Mouval, en don-
nant une caresse à l'enfant. Allons, prenez
courage ! Je vous enverrai demain du
bouillon, un peu de vin vieux, et quand
vous serez plus forte, je vous donnerai du
travail.
Sans attendre les remerciements de sa
protégée, la maman d'Alice se dirigea en-
suite vers la porte.
— Nous reviendrons, n'est-ce pas, mère?
supplia cette dernière. Vois comme elle est
contente, ajouta la fillette, en montrant la
petite Maria, assise par terre, très occupée
à étaler autour d'elle les jouets qu'on ve-
nait de lui apporter.
72 MADEMOISELLE POURQUOL
— Oui, mon enfant, je reviendrai dans
quelques jours, dit M""^ Monval, en com-
mençant à descendre avec précaution l'é-
troit escalier, cette pauvre femme m'inté-
resse beaucoup.
— Si je suis sage, tu m'emmèneras avec
toi? supplia Alice.
— Si tu es sage, en effet, si, chaque
matin, je suis contente de tes leçons, ce
sera ta récompense.
— Oh ! quel bonheur ! dit la fillette en
sautant les dernières marches de l'escalier,
car on était arrivé en bas.
— Cette joie prouve ton bon cœur, mon
enfant, approuva la maman; faire le bien,
faire des heureux, lorsque notre situation
nous le permet, c'est la plus grande satis-
faction que l'on puisse éprouver ici-bas.
Cependant une chose préoccupait notre
fillette :
— Maman, demanda-t-elle après quelques
instants de réflexion, est-ce que la petite
Maria ira encore vendre des épingles à la
porte des Tuileries ?
— Sans doute, répondit M'"^ Monval,
LES SUITES D'UNE BONNE ŒUVRE. "73
tant que sa maman ne sera pas assez forte
pour recommencer à travailler, la pauvre
petite fera ce qu'elle pourra pour se rendre
utile. Les quelques sous que rapporte son
petit commerce sont toujours une res-
source, ils aident à payer le boulanger.
— Mais les voitures pourraient l'écraser,
et quand il pleut, ou qu'il tombe de la neige,
elle doit avoir si froid ! Pauvre petite Maria !
— Cette enfant n'en a que plus de mé-
rite, observa la maman. Si j'étais pauvre
et malade, incapable de travailler, ne ferais-
tu donc rien pour moi?
— Oh ! si, petite mère, dit la fillette avec
un élan spontané d'amour filial, j'irais,
comme Maria, vendre des épingles dans les
rues, ou bien des violettes à la saison. Je
serais si heureuse quand je pourrais te rap-
porter le soir l'argent que j'aurais gagné !
— Voilà de bonnes dispositions, chère
enfant ! il est à désirer que tu n'aies ja-
mais l'occasion de les mettre en pratique,
fît en souriant M'"'^ Monval.
Ce que je souhaite maintenant c'est que
cette bonne œuvre que nous avons entre-
10
74
MADEMOISELLE POURQUOI.
prise porte ses fruits, c'est-à-dire que le
tableau de cette misère te fasse mieux
sentir le prix du bien-être et des soins dont
tu es entourée. Qu'il te rende surtout plus
soigneuse à l'occasion pour tes jouets et
tous les objets à ton usage.
11 y a tant de pauvres petits enfants
comme Maria que l'on rendrait heureux
toute une année avec ce que tu casses ou
mets au rebut chaque mois.
Comme on arrivait à la maison, Alice
ne répondit rien à cette sage réflexion de
sa maman, mais par la suite, elle lui re-
vint à la mémoire ; plutôt que de perdre
ou de gâcher chaque chose, comme aupa-
ravant, la fillette devint très ordonnée. Tout
le monde s'étonna de ce changement, et sa
petite protégée y gagna de jolis cadeaux.
Il fallut même que M'"^ Monval mît bon
ordre dans les réserves faites par sa
fille à cette intention ; car l'excès en tout
est un défaut, et dans son zèle charitable
Alice eût donné à la petite Maria des
objets dont ni l'une ni l'autre ne connais-
saient la valeur.
CHAPITRE X
La première lettre. — Les amies de
pension. — Une grande entreprise.
Bientôt les leçons maternelles ne suffi-
rent plus à M''^ Pourquoi. M"""" Monval,
n'ayant pas toujours le temps de répondre
à ses continuelles questions, confia son ins-
truction à une excellente maîtresse de pen-
sion que l'on nommait M"^^ Delmas.
Les commencements furent difficiles, car
la fillette, un peu gâtée, habituée surtout à
avoir son franc-parler, se résigna avec
peine au silence exigé pendant les heures
de classe. Il arriva plus d'une fois qu'au
milieu du calme général, Alice posât des
questions dont la bizarrerie fit rire aux éclats
toutes les élèves. Dans un autre moment,
elle répondait tout haut à sa voisine, une
petite fille très bavarde et assez dissipée
76
MADEMOISELLE POURQUOL
qui se nommait Suzanne Méran. Cet oubli
du règlement entraînait alors les autres
voisines, et les punitions pleuvaient ; ce qui
n'empêchait pas nos évaporées de recom-
mencer le lendemain. L'amitié des deux
fillettes devenant chaque jour plus forte,
on les cita bientôt comme deux insépara-
bles. Dès que l'heure de la récréation son-
nait, on les voyait causer longuement en-
semble.
Un jour Alice entreprit de raconter à
son amie l'histoire de la petite marchande
d'épingles, car, malgré ses nouvelles occu-
pations, cette bonne œuvre n'était pas ou-
bliée. Suzanne avait bon cœur ; elle voulut
s'y associer, il fut donc convenu qu'un
jeudi, on passerait la prendre pour aller
visiter la pauvresse.
Dans l'intervalle, Alice, retenue à la mai-
son par une légère indisposition, ayant
manqué la classe pendant deux jours, reçut
un matin un petit mot par la poste. Une
lettre pour elle seule, à son adresse, c'était
la première ; aussi ce fut tout un évé-
nement.
LA PREMIÈRE LETTRE. 77
— Maman, s'écria-t-elle, en arrivant
dans la chambre de sa mère, j'ai aussi mon
courrier, vois, il y a bien : A M^^^ Alice
Monval.
Qui donc peut m'écrire?
— Décachette ta lettre, mon enfant, dit
]yjme ]\ionval, c'est le meilleur moyen de
satisfaire ta curiosité.
Prenant un canif sur le bureau de sa
mère, la fillette coupa l'enveloppe, et lut
ce qui suit :
(( Ma chère Alice, ne te voyant plus
venir au cours, j'ai pensé que tu étais ma-
lade. Tant mieux si tu as manqué la classe
pour une autre cause; mais je suis très
inquiète, sois donc assez gentille pour me
répondre de suite, afin de me rassurer.
c( Dis-moi, en même temps, si notre
rendez-vous pour aller chez la petite fille
pauvre est toujours fixé à jeudi, et si je
dois passer te prendre.
(( A bientôt, j'espère, ma chère Alice.
(( Ton amie qui t'embrasse bien fort,
(c Suzanne Méran.
MADEMOISELLE POURQUOL
((P. -S. Surtout pas de paresse. Réponds-
moi de suite. »
— Répondre, répondre, c'est bien facile
à dire, fît Alice, en se grattant la tête ;
mais moi, je ne sais pas faire une lettre.
— Je ne sais pas... est-ce bien sérieux,
ce que tu dis là? fît M""^ Monval. Crois-tu que
ton amie soit plus forte que toi sur le style
épistolaire ? Elle a montré de la bonne vo-
lonté, fais comme elle, c'est le meilleur
moyen pour apprendre.
— J'essayerai, fît Alice, qui semblait peu
convaincue de la réussite.
Après le déjeuner, la fillette s'installa
cependant sur le bureau de son père, mais
elle gâta plusieurs feuilles de papier avant
d'arriver à faire quelque chose de présen-
table. A la troisième ou quatrième feuille,
repoussant plume et papier, l'enfant, éner-
vée par ces essais infructueux, se mit à
pleurer.
— Comment, fît M'""^ Monval, qui entrait
ace moment, tu n'as encore rien fait? ton
courage est à bout ?
LA PREMIÈRE LETTRE. 79
Je ne peux pas,... je ne trouve rien;...
pourtant, j'ai bien cherché...
— Précisément, tu cherches beaucoup
trop tes mots, tes phrases, c'est un mau-
vais moyen ; avant tout, il faut être naturel.
Écris à ton amie absolument comme si tu
lui parlais. Remercie-la d'abord de s'être
inquiétée de ta santé ; dis-lui que tu as été
un peu malade, mais que tu vas mieux.
Pour votre rendez-vous de charité, ce sera
toujours pour jeudi ; mais, comme nous
ferons notre visite le matin, il sera préfé-
rable que nous allions prendre ton amie,
puisque cela sera sur notre chemin. Si tu
vas à la pension après-demain, tu lui diras
l'heure où elle devra se trouver prête.
Comme tu le vois, tout cela est très simple.
Alice suivit le conseil de sa maman ;
sur le canevas qu'on lui avait tracé, elle
écrivit une petite lettre très gentille, très
affectueuse, sans prétention. Il lui tarda
ensuite de revoir son amie afin de savoir
ce qu'elle en pensait ; aussi, le surlende-
main, lorsqu'il fallut se rendre au cours, fut-
elle prête bien avant l'heure habituelle. Sa
80 MADEMOISELLE POURQUOI.
précipitation fut même si grande que bien
des petits détails de toilette auraient été
oubliés, si la maman ne s'en était aperçue
au moment de partir.
— Surtout, dit-elle, en nouant au cou
de la fillette une jolie cravate de mousse-
line, ne va pas prendre chaud en jouant.
Pour ton amie Suzanne, dis-lui que demain
matin, à dix heures, nous serons chez
elle.
De toutes ces recommandations, Alice se
souvint particulièrement de la dernière ;
mais voilà qu'à la récréation toutes les
élèves de sa classe l'entourèrent et lui dé-
clarèrent qu'elles voulaient participer à sa
bonne œuvre. Alice comprit que Suzanne
avait parlé.
— Oui, nous avons comme toi notre
bourse, dirent les fillettes, et nous voulons
faire aussi notre cadeau.
— Je le veux bien, mais il faut nous
entendre.
— Certainement, fit Suzanne, chacune
va nommer un objet. Voyons, ne parlez
pas toutes à la fois.
''^W^:^^^^9r^/r/^y^^
I
M
LA PREMIÈRE LETTRE. 81
— Moi, j'achèterai un beau chapeau,
proposa une blondinette.
— Un joU manteau de velours, dit une
autre.
— Un manchon.
— Ce n'est plus la saison, observa Su-
zanne.
— Des bottines.
— Des gants.
— Une robe de soie.
— Un joli petit lit doré comme le mien,
dit enfin la dernière, une brunette de huit
ans.
— Tout cela est très bien, reprit Suzanne ;
seulement, nous allons faire une liste, et
c'est la maman d'Alice qui décidera ce que
l'on doit acheter.
Comme on le pense bien, cette dernière
eut beaucoup à biffer sur la fameuse liste ;
elle loua l'élan de charité qui faisait agir
les petites donatrices, mais leur observa en
même temps qu'il fallait donner à chacun
selon sa condition.
On acheta donc avec le montant de la
collecte une robe de laine, des souliers,
11
82
MADEMOISELLE POURQUOL
trois petites chemises et un chapeau de
paille brune pour la petite marchande. Le
reste servit à donner à la maman de Maria
quelques objets de première nécessité.
La pauvre femme fut si heureuse de ce
bien-être inattendu, que sa santé se rétablit
plus promptement qu'on ne l'aurait espéré.
Bientôt elle put quitter sa chambre et se
charger de différents travaux de couture.
Se trouvant ainsi à l'abri du besoin, sa
petite Maria put être envoyée chaque jour
à l'école. Ce fut peut être moins du goût
de l'enfant que d'aller vendre des épingles
et vagabonder dans les rues de Paris. Mais
la prévoyante mère remplissait son devoir
en donnant à sa fille une part de cette ins-
truction, si précieuse dans toutes les condi-
tions, et mise aujourd'hui à la portée de
tous.
CHAPITRE X[
Maria devient savante. — Tentation,
La probité du pauvre.
En peu de temps, la petite Maria fit des
progrès surprenants. Bientôt M"^'^ Monval
put la citer comme modèle à sa fille.
— Cela fait plaisir, disait-elle parfois, de
voir avec quelle ardeur cette petite s'est
mise à apprendre.
C'était, en effet, une chose surprenante ;
chaque fois que l'enfant venait avec sa
mère faire visite à ses bienfaitrices, la
mère d'Alice, pour constater ses progrès,
s'amusait à lui faire hre quelques pages. Un
jour, elle fut si satisfaite, que, ne sachant
quelle récompense lui donner, elle laissa sa
fille libre de choisir pour l'enfant le cadeau
qui lui serait le plus utile, et en même
temps le plus agréable.
8i
MADEMOISELLE POURQUOI.
M"^ Pourquoi fut d'abord assez embar-
rassée. Des jouets? elle en avait tant donné
que sa petite protégée commençait à en
être encombrée à son tour. Des livres? ceux
qu'onlui avait achetés jusque-là étaient trop
beaux, trop riches. Quoi donc alors? Alice
ne savait plus. Tout à coup il lui vint une
idée, et profitant de ce que sa mère avait
été demandée au salon pour une visite, la
fillette courut à sa chambre et, choisissant
parmi ses robes celle qui lui plaisait le
moins, en fit un paquet, puis revenant
près de Maria :
— Tiens, dit-elle, voici une belle robe,
je ne la mets plus ; si ta mère la trouve trop
longue, elle l'arrangera.
L'enfant, toute rouge de plaisir, regar-
dait le paquet, assez mal attaché du reste,
et n'osait le défaire pour admirer plus à
l'aise.
— Non, non, ce n'est pas la peine, fit
Ahce, devinant son intention. Va vite chez
toi, il est tard, ta mère te gronderait.
La petite obéit à regret ; mais en route
l'épingle se défit, la robe se déroula. S'ar-
MARIA DEVIENT SAVAxNTE.
85
rêtant sous une porte, Maria la retourna
de tous les côtés. Lorsqu'elle eut bien re-
gardé les volants, la garniture, les nœuds
de ruban, une pensée lui vint, et cherchant
la poche, elle y plongea la mahi.
— Oh ! oh ! fît l'enfant en retirant une
bourse en peluche rose, M"^ Alice a ou-
blié quelque chose.
Longtemps elle la retourna entre ses
doigts. La tentation était forte. Fallait- il
la reporter sans l'ouvrir? La bourse pa-
raissait si légère! Peut-être était-elle vide?
— Si je regardais ce qu'il y a dedans, fît
à la fîn la pauvrette, qui appuya sur le res-
sort d'acier. Aussitôt une belle petite pièce
de cinq francs en or tomba dans sa main.
— Cinq francs !... comme on pourrait
acheter tout plein de belles choses avec
cela!... pensa Maria.
C'est que jamais la petite marchande ne
s'était vue en possession de pareille somme,
même lorsqu'elle faisait son commerce d'é-
pingles noires. Quelle belle boutique on
eut monté avec cet argent! Il ne s'agissait
plus de cela maintenant, on allait à Técole.
86 MADEMOISELLE POURQUOL
Tout en réfléchissant, l'enfant avait roulé
son paquet sous son bras, mis la petite
bourse dans sa poche, et s'était remise
en marche. Au bout de quelques pas,
quelqu'un l'ayant poussée contre une de-
vanture de magasin, l'enfant leva les
yeux. Devant elle resplendissait l'étalage
d'un grand pâtissier. Tartes de toutes
sortes, gâteaux appétissants, petits-fours,
crèmes, biscuits, l'eau vous en venait à la
bouche.
A cette vue. Maria, qui n'avait pas
goûté, et peut-être assez mal déjeuné, se
sentit tentée de plus belle.
Les yeux pleins de convoitise, une main
dans sa poche, elle ne bougeait plus.
— Entre donc, qui le saura? disait son
estomac.
— Si tu entames les cinq francs, c
ment faire ensuite pour les rendre ? lui
murmurait son bon ange.
Pauvre Maria! à sept ans, on ne résiste
guère à dépareilles occasions. Quiallaitl'em-
porter? la gourmandise ou la conscience?
— Allons ! allons, petite, que fais-tu là?
MARIA DEVIENT SAVANTE. 87
va donc faire ta commission ; ta maman
te grondera, cria à son oreille la voix d'un
petit apprenti pâtissier qui rentrait de
course, avec sa bannette vide posée sur sa
tête.
L'enfant tressaillit ; sa mère ! elle l'avait
oubliée. Cet avertissement la sauva. Ser-
rant dans sa main la petite bourse rose :
— Je vais tout dire à maman, c'est elle
qui décidera, fit la petite, qui se mit à
courir vers sa demeure.
La décision fut que la maman de Maria,
sans même vouloir attendre au lendemain,
et sans s'arrêter aux protestations de sa
fille, reporta chez M"^^ Mon val non seule-
ent la bourse et son contenu, mais aussi
\a robe, se doutant que ce riche cadeau
vait été fait par Alice, sans l'approbation
de sa mère.
]yjme jvionval, très touchée de cet acte
de probité de la pauvre femme, voulut lui
faire accepter l'argent et la robe, mais elle
ne put y parvenir.
— Ce n'est pas une toilette de notre
rang, dit Touvrière, M"^ Alice est trop jeune
88
MADEMOISELLE POURQUOI.
pour y avoir pensé. Pour la bourse...
— C'est encore une preuve de son dé-
sordre, elle croyait l'avoir perdue, j'ensuis
sure, interrompit la maman, et pour l'en
punir, je tiens à ce que votre petite Maria
en profite. Vous lui achèterez une robe plus
simple avec cet argent : prenez-le.
— Mais, madame, voulut répliquer la
brave femme, cet argent, je ne l'ai pas ga-
gné.
— Qu'importe? Je vous le donne.
Il fallut accepter. Alice était sortie avec
sa bonne ; dès qu'elle rentra, la première
chose que vit la fillette ce fut cette robe,
dont elle se croyait débarrassée.
— Maria n'en a donc pas voulu, demanda
notre espiègle.
— C'est sa mère qui l'a rapportée, ré-
pondit M"'' Monval.
— Pourquoi? J'en avais fait cadeau à
Maria.
— Bien qu'elle soit un peu fanée, cette
robe^ par ses ornements, sa façon, n'était
pas de son rang ; cette femme avait du reste
une autre raison pour la rapporter.
MARIA DEVIENT SAVANTE.
89
— Ah!... la couleur ne lui plaisait pas?
— Ce n'est pas cela ; tu avais oublié quel-
que chose dans la poche. Cherche un peu à
te rappeler.
— Dame ! je ne sais. . . un sou, peut-être.
— Mieux que cela, ta bourse en peluche.
— Tiens! je la croyais perdue... Il y
avait quelque chose dedans?
— Une pièce de cinq francs en or.
— C'est vrai, je me rappelle ; c'est grand-
père qui me l'avait donnée. Eh bien, est-ce
que la mère de Maria l'a aussi rapportée?
— Oui, certainement, c'est même ce qui
l'a fait accourir aussitôt; c'est très beau de
sa part; cette femme, étant malheureuse,
pouvait tout garder, et bien d'autres l'eus-
sent fait à sa place. Autant pour te punir
de ton désordre que pour récompenser
cet acte de probité, j'ai exigé que cet argent
leur restât, et fût employé à acheter quel-
que chose d'utile à l'enfant.
j^jiie Pourquoi, ne trouvant rien à répli-
quer, baissa la tête, et se promit de mieux
visiter ses poches à l'avenir.
12
CHAPITRE XII
Une récompense méritée. — Les vacances
à la campagne.
A l'âge d'Alice, la plupart des enfants
ont l'esprit changeant; une préoccupation
fait vite place à une autre. Après s'être
beaucoup tracassée pour la petite Maria et
sa mère, il vint un moment où elles furent
presque oubliées. Par bonheur, M"'"" Monval
veillait, sans se lasser, à ce que rien ne
manquât à ses intéressantes protégées.
Il est vrai que, depuis quelque temps, no-
tre fillette avait assez à faire ; la fin de
Tannée scolaire approchait, il fallait redou-
bler de zèle, soigner les devoirs, les leçons,
les compositions, afin de ne pas revenir
bredouille le jour de la distribution des
prix.
Lorsque ce moment solennel arriva, Alice,
UNE RECOMPENSE MÉRITÉE.
91
qui avait travaillé consciencieusement, eut
la satisfaction de recevoir deux beaux prix,
qu'elle rapporta, toute fière, à la maison.
Parents, amis, tout le monde Fembrassa,
la complimenta; mais ce qui la charma le
plus ce fut la promesse que lui fît sa mère
d'une récompense extraordinaire, bien mé-
ritée, du reste.
Cette récompense consistait à aller pas-
ser les vacances à la campagne, chez une
amie de M""^ Monval Lorsque notre fillette
connut ce projet, elle sauta de bonheur.
— Je vais voir des forêts, des champs,
des rivières, s'écriait l'enfant; oh! que je
voudrais déjà courir dans l'herbe!
Ce plaisir tant souhaité ne se fît pas
longtemps attendre. Un matin, les malles
furent expédiées au chemin de fer, où l'on
prit le train pour Chantilly. La villa de
]yjme Le^jj^out sc trouvait aux environs de
cette petite ville.
Plus on approchait de cet endroit, plus
Alice s'extasiait sur les beautés de la cam-
pagne, la diversité des sites.
Aux plaines monotones des environs de
92
MADEMOISELLE POURQUOL
Paris, succédèrent de riants horizons, puis,
la forêt de Chantilly, et les étangs de
Commelle.
On arriva enfin; en attendant l'heure du
déjeuner, les enfants de M'"^ Lermont,
Jeanne, Charles et la petite Rose, un bébé
de deux ans, jouaient dans le vaste jardin
qui s'étendait derrière la maison. Alice les
rejoignit et eut promptement fait connais-
sance avec eux. Lorsqu'on les appela pour
se mettre à table, toute la bande faisait
déjà de beaux projets pour passer gaiement
le reste de la journée.
Cependant, la chaleur étant très forte,
il fallut attendre quelques heures pour
aller s'ébattre dans les champs, Jeanne
et Charles en profitèrent pour montrer à
leur petite amie leurs jouets, leurs livres
de prix, albums de gravures. Lorsque tout
fut épuisé, on descendit doucement du jar-
din au verger, et l'on gagna ainsi les bâti-
ments de la ferme, qui faisait aussi partie
de la propriété de M'"'' Lermont.
A cette heure du jour les grosses bêtes,
bœufs de labour, vaches et moutons étaient
UNE RECOMPENSE MÉRITÉE.
93
encore aux champs ; mais dans la cour se
trouvait tout un peuple de poules et de
poulets gloussant, voletant autour d'une
servante, occupée à leur jeter du grain. Ce
spectacle, nouveau pour notre petite Pari-
sienne, lui plut beaucoup ; mais elle mit
en fuite une bonne partie des volailles en
voulant prendre dans ses bras une jolie
poulette blanche. On entra ensuite au pou-
lailler, où quelques couveuses excitèrent la
curiosité d'Ahce.
— Pauvres cocotes ! s'écria-t-elle, en les
voyant immobiles, les ailes étendues sur
leur panier, pourquoi ne vont-elles pas man-
ger comme les autres?
— C'est afin de ne pas refroidir leurs
œufs, répondit Jeanne. On va leur apporter
du grain; il ne faut pas les déranger et,
dans quelques jours, nous aurons tout plein
de petits poulets.
Ce jour-là, le goûter se fît à la laiterie, où
la crème, le lait, le beurre furent trouvés
déhcieux.
— Allons jouer maintenant, dit Charles,
à qui les pieds brûlaient dès qu'on restait
94
MADEMOISELLE POURQUOI.
à la maison; moi, je propose une partie de
cache- cache.
— Eh bien, ta proposition ne sera pas
acceptée, répondit Jeanne, la plus raison-
nable de ]a bande. Pour bien se cacher, il
faudrait descendre jusqu'à ces bouquets
d'arbres, là-bas, et de cachette en cachette
tu nous ferais aller trop loin, maman nous
gronderait.
— Bah! elle n'en saura rien.
— C'est possible, mais je ne veux pas
désobéir; on ne nous a pas permis de fran-
chir la barrière.
— Pourtant, si vous voulez faire des
bouquets, je sais un endroit oii il y a beau-
coup de fleurs.
— Oh! oui, fit Alice, allons-y, je rem-
plirai mon panier de boutons d'or et de
marguerites. Nous ferons ensuite une belle
couronne pour la petite Rose.
L'endroit n'étant pas très éloigné, Jeanne
se rendit à cette prière. Bientôt, à moitié ca-
chés dans l'herbe haute de la prairie, les en-
fants cueillirent à pleines mains les fleurs des
champs qui se trouvaient sur leur passage.
UNE RÉCOMPENSE MERITEE.
95
Il est inutile de dire qu'à l'heure du dîner,
la bande joyeuse rentra avec un formidable
appétit et une abondante moisson de fleurs.
Alice surtout, moins habituée à cette vie en
plein air, se trouvait comme grisée à la fin
de cette première journée.
Le lendemain se passa à peu près de la
même façon, mais, le troisième jour,
M""*" Lermont fît atteler et tout le monde
partit pour Chantilly.
Une visite au château, un goûter sur
l'herbe, dans la forêt, tel était le programme
de cette journée.
Aussitôt le déjeuner, on se mit donc en
route; la distance n'étant pas très grande,
une demi-heure suffit pour faire le trajet.
En arrivant sur la lisière de la forêt, on
laissa la voiture et le cheval aux soins du
cocher et l'on pénétra sous bois, jusqu'à
l'enclos réservé qui avoisine le château.
A chaque pas alors, on rencontra des gar-
diens à la mine sévère, car presque tous
sont choisis parmi les anciens militaires.
Arrivés au bord du lac qui entoure cette
demeure princière, les promeneurs admi-
96 MADEMOISELLE POURQUOL
rèreiit d'abord les magnifiques carpes, q
prennent leurs ébats dans ces eaux tra
quilles, et dont quelques-unes sont cente-
naires. Entrant ensuite par la grande grille
dorée, ouverte seulement à certains jours,
on commença la visite des appartements.
Quelques pièces parurent assez ordinaires
aux visiteurs. Celle qui attira le plus l'at-
tention des enfants ce fut un boudoir peint
par Watteau. Parmi les panneaux qui ent
tapissent les murs, quelques-uns même \
excitèrent un fou rire.
Nous en donnons ici le détail :
Le premier représente une guenon assise
à sa toilette; deux dames guenons s'empres-
sent à la parer : l'une, tenant respectueuse-
ment une patte dans sa patte, lui fait les
ongles; l'autre lui noue une touffe de ru-
bans. Le museau noir de la guenon frémit
d'impatience ; son œil jaune brille de plaisir.
Au second panneau, sa toilette est ache
vée, elle roule dans un magnifique traîneau
à côté d'un singe richement habillé. La
guenon, toute frileuse, cache ses pattes
dans un manchon de fourrure.
ff
UNE RÉCOMPENSE MÉRITÉE. 97
Dans le troisième, singes et guenons
oherchent à se distraire en jouant aux cartes .
Dans le quatrième la guenon va se met-
tre au bain.
Le cinquième panneau, très divertissant,
nous montre la guenon attifée en bergère
des Alpes, et montant à une échelle pour
jllir des cerises.
Enfin, dans le sixième et dernier panneau,
on voit le singe et la guenon presque dos
à dos ; ils sont à cheval ; lui est grave,
cérémonieux; elle semble attristée sous son
habit d'amazone; c'est l'heure des adieux,
ils vont se séparer.
Dans cette allégorie, qui date de
Louis XV, les enfants ne virent que le
côté plaisant. Après avoir traversé deux
ou trois autres pièces, on arriva dans la
salle des Victoires, où sont représentées
utes les batailles du grand Gondé.
Nos visiteurs parcoururent ensuite d'au-
es salles et galeries, où ils admirèrent
des tableaux des plus illustres maîtres et
des œuvres d'art du plus grand prix.
Après une promenade dans le parc, on
13
98
MADEMOISELLE POURQUOL
termina par les célèbres écuries, situées
en face du château.
Lorsqu'on en sortit, M""^ Lermont ra-
conta à ce sujet, aux enfants réunis autour
d'elle, une anecdote connue dans tout le
pays.
Voici cette anecdote : Un prince étranger,
qui voyageait sous le nom de comte du
Nord, étant venu à la cour de France,
entendit parler du château de Chantilly et
voulut le voir. On lui fit une réception
magnifique, promenade, dîner, et enfin une
partie de chasse dans la forêt, toute illu-
minée à cette occasion.
Au château, le souper attendait les chas-
seurs ; on avait dressé la table sous une
tente parée des emblèmes de la chasse ;
des bois de cerfs soutenaient les draperies.
Au dessert, ces rideaux s'écartèrent, et
M. le comte du Nord, qui croyait être dans
le plus riche appartement du château, se
trouva, à son grand étonnement, au miUeu
des écuries, où trois cents chevaux hennis-
saient et piaff*aient sous la main des valets.
]yjme Lermont montra ensuite aux enfants
UNE RÉCOMPENSE MÉRITÉE.
99
le champ de courses et leur expliqua ce
que sont les chasses à courre dans la
forêt de Chantilly. Mais, l'heure s'avançant,
elle fit monter tout le monde en voiture,
car il fallait se hâter, pour être rentré
avant la nuit.
CHAPITRE XIII
Une promenade en bateau. — Dans les
foins. — La fin des vacances.
Cette excursion laissa une bonne impres-
sion dans l'esprit des enfants. Cette de-
meure princière, avec ses souvenirs histo-
riques, ses magnifiques pelouses, sa vaste
forêt, tout cela fut pour eux pendant quel-
ques jours un continuel sujet de conver-
sation.
Un matin, une nouvelle partie vint chan-
ger le cours de leurs idées ; il s'agissait
cette fois d'une promenade en bateau. Un
parent de M''"" Lermont, grand amateur de
canotage, qui avait une propriété située
à une lieue de là environ, sur les bords de
l'Oise, vint chercher la famille pour passer
la journée chez lui.
On descendit jusqu'à la rivière; là, deux
UNE PROMEiNADE EN BATEAU.
101
canots, l'un monté par le maître, l'autre
par le domestique, attendaient la société.
On se partagea, M"^^ Lermont monta dans
l'un avec Charles et la petite Rose, tandis
que M'""^ Mon val, Alice et Jeanne prenaient
place dans l'autre. Il y eut de part et d'autre
des hésitations, des frayeurs, de petits cris,
mais à la fin tout le monde se casa. Les
deux rameurs levèrent en mesure leurs
avirons, faisant retomber à la surface de
l'eau une pluie de gouttelettes étincelantes
comme des diamants et les barques glissè-
rent bientôt comme deux cygnes.
L'air était calme, dans les eaux tran-
quilles se reflétaient les cimes verdoyantes
des peupliers qui bordaient la rive. De
temps à autre, quelque vache curieuse mon-
trait sa grosse tète au bord d'une prairie,
faisant entendre un meuglement sonore,
ou quelques jolis poissons argentés sau-
taient à la surface de l'eau.
Les fillettes jetaient alors un cri joyeux,
Charles, plus hardi, se penchait comme pour
saisir la carpe ou le brochet.
— Tenons-nous bien !.. que personne ne
102
MADEMOISELLE POURQUOL
boue:e !
iait alors la
du
VOIX au rameur.
— Pourquoi ne faut-il pas remuer lors-
qu'on est en bateau ? demanda Alice.
— Mon enfant, répondit le parent de
]yjme Lermout, c'est que cela dérange l'équi-
libre de l'embarcation.
— Mais les avirons remuent bien, eux?
— Ceci c'est autre chose ; le mouvement
produit par l'aviron, se faisant en mesure,
et ne portant pas plus sur un bord que
sur l'autre, maintient l'aplomb du canot,
en même temps qu'il le fait avancer.
Ces premiers principes de la navigation,
expliqués d'une façon aussi simple, furent
compris par M'^^ Pourquoi; cependant, elle
ne s'arrêta pas davantage sur cette ques-
tion, car on arrivait à la propriété.
Le débarquement demanda les mêmes
précautions que l'embarquement ; les fil-
lettes furent assez dociles, mais Charles,
en voulant y mettre trop de précipitation,
manqua de faire chavirer le canot.
Dès que l'on fut sur la berge, les enfants
se mirent à courir dans la prairie. Tout à
coup, AUce revint toute effrayée vers sa
UNE PROMENADE EN BATEAU,
103
mère ; la fillette était poursuivie par deux
jeunes poulains, qui prenaient leurs ébats.
Une badine agitée en Fair suffît pour leur
faire rebrousser chemin aussitôt. Voyant
cela, l'enfant rit elle-même de sa grande
frayeur.
En arrivant à la maison, tout le monde
déjeuna de fort bon appétit, on se ré-
pandit ensuite dans le jardin ; mais bientôt
notre petit monde ne se contenta plus d'ad-
mirer les fleurs, dévaliser les arbres frui-
tiers du verger parut beaucoup plus inté-
ressant à nos lutins. Poiriers, pommiers,
pruniers furent visités tour à tour; il en
serait même résulté plus d'une indigestion,
si M°^^ Lermont n'était venue déranger les
gourmands. Pour son compte, la petite
Rose, assise au milieu d'un carré de fraises,
se contentait de grappiller autour d'elle.
Ce fut à regret que les petits gourmands
quittèrent la place.
La journée étant très chaude, il fut dé-
cidé que la promenade serait dirigée vers
les premiers ombrages de la forêt. Avant
d'y arriver, comme on traversait un champ
104
MADEMOlSEl
de luzerne, oii les faucheurs étaient en
train de couper ce que l'on nomme le re-
gain :
— 0 mère ! s'écria Charles, laisse-nous
jouer dans les foins, on va si bien s'a-
muser?
Et, sans attendre une réponse affirma-
tive, le jeune garçon prit sa course vers un
énorme tas d'herbe coupée, l'escalada d'un
bond et, lorsque Jeanne et la petite Rose
furent arrivées près de lui, il se mit à leur
en jeter de grosses poignées sur la tête.
Plus les fillettes criaient grâce, plus il
s'obstinait dans ce jeu ; la présence de
sa mère put seule ramener notre lutin à
l'ordre.
jyjme Lermont, s'étant assise à l'ombre,
trouva, du reste, un excellent moyen pour
réunir tout ce petit monde autour d'elle.
Ce fut de leur raconter des histoires. Le
temps passa ainsi et, lorsque la chaleur
fut moins forte, on se remit en route.
Cette fois le trajet se fît en voiture, au
grand désappointement des enfants et de
Charles en particulier, qui s'était réjoui
UNE PROMENADE EN BATEAU. lOÎ
d'avance à l'idée d'une seconde promenade
en bateau.
— Je suis fâchée de vous contrarier, dit
■^me Lerniont à son parent ; mais je serai
plus tranquille ainsi; les enfants sont trop
turbulents ; un malheur pourrait arriver, et,
le soir, ce serait plus épouvantable encore.
On fît atteler la voiture, qui prit le che-
min le plus long, ce dont personne ne
songea à se plaindre, car sur tout le par-
cours la campagne était magnifique.
Lorsqu'on arriva chez M^^ Lermont, la
soirée s'avançait ; la fatigue d'une journée
en plein air et le cahotement de la route
aidant, les enfants dormaient tout debout.
On s'empressa donc de les faire coucher.
Quelques petites excursions dans les en-
virons, à Viarmes, à Luzarches, deux en-
droits où l'on trouve les sites les plus
pittoresques, marquèrent encore le séjour
de M°^^ Lermont chez son amie ; il fallut
ensuite songer à revenir à Paris.
Ce qui coûta le plus à M"^ Pourquoi, ce
fut de quitter la ferme et toute sa ména-
gerie. Si les enfants de M""^ Lermont l'eus-
14
106
MADEMOISELLE POURQUOL
des
fût
sent écoutée, la moitié aes journées
passée parmi les moutons ou les poulets
ou bien encore à jouer aA^ec les petits chats
ou les jeunes chiens. Jeanne n'avait pas les
mêmes goûts, mais Charles s'entendait très
bien avec la fillette pour cela. Ce qu'il aimait
surtout, c'était les oiseaux; chaque jour, il
en apportait de nouveaux, achetés souvent
aux petits paysans. Pierrots, pinsons, mer-
les, bouvreuils, tout était bon ; il n'y regar-
dait pas de si près ; tout l'argent qu'on
lui donnait y passait.
— Bientôt, disait parfois M""^ Lermont
toutes nos cages n'y suffiront plus ; il faudra
faire construire une volière, et prendre une
domestique de plus pour soigner tous ces
oiseaux-là.
Cependant, le jeune garçon fut bon
prince ; dès que le départ d'Alice fut décidé,
il chercha une petite cage, mit dedans son
plus beau pinson et en fît cadeau -à la fîl
lette. La fermière, de son côté, lui arrangea
dans un panier une belle poulette blanche,
M""^ Lermont joignit à tout cela une bour-
riche de ses plus beaux fruits. Les voya-
UNE PROMENADE EN BATEAU,
107
geuses s'embarquèrent donc un matin avec
un chargement complet.
C'est ainsi que les mamans se donnent
parfois bien de l'embarras pour faire plaisir
aux enfants.
Toutes ces distractions aidèrent notre
fillette à finir plus gaiement le temps des
vacances ; puis le vilain mois d'octobre
arriva. Adieu les flâneries, les parties de
plaisir, les promenades, il fallut reprendre
le chemin du pensionnat, où nous espé-
rons qu'avec son vif désir de s'instruire,
M^^*^ Pourquoi aura fait, cette année-là,
de rapides progrès.
FIN.
TABLE
CHAPITRE ^^ — Le
— IL —
— III. —
— IV.—
— V. —
— VI. —
— VIL —
— VIIL -
— IX.-
— X.—
— XL —
— XII. -
— XIII. -
ptême d'Alice. — Projets d'a-
venir. — Pourquoi ? Toujours
pourquoi? l
La première poupée. — Une belle
journée H
Une belle résolution. — Mademoi-
selle Caprice 1&
Pauvre Trotty ! — Les protégés d'A-
lice 2r>
L'éducation en famille. — Une his-
toire de singes. — Pourquoi les
chiens ne parlent pas 33
La dent de lait. — Un enfant cou-
rageux 42
Histoire du petit Maurice et de son
chien. — D'où vient le nom de
terre-neuve 51
La neige. — La petite marchande. . 6i
La petite Maria avait dit vrai. —
Les suites d'une bonne œuvre. . . GH
La première lettre. — Les amies de
pension. — Une grande entre-
prise 75
Maria devient savante. — Tentation.
— La probité du pauvre 83
Une récompense méritée. — Les
vacances à la campagne 90
Promenade en bateau. — Dans les
foins. — La fin des vacances . . . 100
7466-90. — CoBfiEiL. Imprimerie Cuétk.
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