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Full text of "Mademoiselle Pourquoi, par Mme L. Hameau,.."

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THÉODORE   LEFÈVRE  rr  C- EMILE   GUERIN  ,   EDITEUR. 


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MADEMOISELLE 


POURQUOI 


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MADEMOISELLE 


POURQUOI 


PAR 


M^'^    L.    HAMEAU 


OUVRAGE    ILLUSTRE 


DE     DIX     PLANCHES     EN     COULEURS 


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PARIS 

LIBRAIRIE  DE  THÉODORE  LEFÈVRE  ET  G' 
EMILE    GUÉRIN,    ÉDITEUR 

'2,     RUE     DES     POITEVINS 


I 


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MADEMOISELLE  POURQUOI 


CHAPITRE    PREMIER 


Le  baptême  d'Alice.  —  Projets  d'avenir. 
—  Pourquoi?  Toujours  pourquoi? 


La  faniill#  Monval  était  en  fête  ;  quel- 
ques jy  luparavant,  naissait  une  jolie 
petite  fille,  et  les  cloches  de  l'église  son- 
naient à  toute  volée  pour  annoncer  son 
aptême.  A  la  porte  du  lieu  saint,  une 
oupe  de  petits  garçons  se  précipitait  en 
se  bousculant  sur  les  poignées  de  dragées 
que  leur  jetaient  le  parrain  et  la  marraine. 
Le  soir  de  ce  beau  jour,  un  excellent  dîner 
réunissait  les  parents,  les  amis  ;  chacun  fêtait, 
le  verre  en  main,  cet  heureux  événement. 


MADEMOISELLE   POURQUOL 


Les  grands-parents  surtout  étaient  dans 
l'enchantement,  car  le  bébé  avait  été  très 
sage,  et  la  cérémonie  s'était  bien  passée. 
Mais  voilà-t-il  pas  qu'au  dessert,  lorsque 
bonne-maman  veut  embrasser  sa  filleule, 
elle  se  met  à  éternuer;  atclii!...  atchi!... 
et  cela  avec  une  telle  persistance  qu'il  fallut 
y  renoncer.  Le  grand-papa  s'approche  à 
son  tour;  les  éternuements  redoublent. 
Atchi!...  atchi!...  C'était  désespérant;  cha- 
cun rit  d'abord  de  cet  incident  ;  puis  on 
s'inquiéta;  les  avis  se  partagèrent.  — C'est 
un  coup  d'air,  dirent  les  uns.  C'est  l'eau  du 
baptême,  qui  était  trop  froide,  dirent  les 
autres.  Enfin  on  envoya  chercher  le  mé- 
decin de  la  famille  qui,  après  examen,  ras- 
sura tout  le  monde.  Montrant  à  M"'^  Mon- 
val  la  tabatière  des  grands-parents  : 

—  Voilà,  dit-il,  la  seule  cause  de  ce 
qui  arrive. 

Tous  deux  venaient  en  effet  de  prendre 
une  prise  de  tabac,  lorsqu'ils  s'étaient  pen- 
chés vers  leur  petite-fille  pour  l'embrasser. 
A  partir  de  ce  jour,  ils  se  promirent  bien 
de  renoncer  à  leur  plaisir  favori,  plutôt  que 


LE  BAPTEME  D'ALICE. 


de  causer  une  souffrance  à  la  chère  petite 
créature. 

Les  bons  vieux  tinrent  parole,  aussi  le 
même  désagrément  ne  se  renouvela  plus 
à  l'avenir,  et  l'enfant,  toujours  très  calme, 
se  laissa  caresser  sans  sourciller. 

C'était  du  reste  la  plus  jolie  petite  fille 
que  l'on  put  voir;  sa  figure,  toujours 
fraîche  et  rose,  ses  yeux  bleus,  déjà  pleins 
de  vivacité  ;  ses  petites  mains,  toujours  en 
mouvement,  appelaient  les  baisers.  Chacun 
portait  envie  à  la  jeune  mère,  qui  ne  con- 
fiait à  personne  le  soin  de  veiller  sur  son 
cher  trésor. 

Assise  près  du  joli  berceau  garni  de  soie 
bleue  et  de  mousseline,  on  voyait  M""^  Mon- 
val  pendant  de  longues  heures  contempler 
le  sommeil  de  l'enfant;  faisant,  comme 
toutes  les  mères,  les  plus  beaux  projets 
d'avenir.  Voyant  la  précoce  sagesse  de  la 
petite,  elle  se  réjouissait  à  la  pensée  de 
faire  elle-même  son  éducation. 

—  Je  veux,  disaitla  maman,  lui  apprendre 
à  parler,  à  marcher,  et  quel  bonheur  ce 
sera  de  voir  un  jour  ma  petite  Alice  trotter 


•      V-,    ^   •' 


MADEMOISELLE  POURQUOI 


autour  de  moi! Je  surveillerai  ses  jeux, 

je  consolerai  ses  premiers  chagrins. 

Les  vraies  mères  sont  ainsi,  elles  veulent 
toutes  les  peines,  afin  de  récolter  un  jour 
toutes  les  joies.  Ces  désirs,  ces  espérances 
maternelles  devaient  se  réaliser  pour 
M"'''  Monval.  La  fillette  grandit,  prit  de  la 
force  et  courut  bientôt  dans  toute  la  maison 
comme  un  petit  poulet. 

Quelle  fête  surtout  lorsqu'on  partait  pour 
la  promenade!  Aux  Champs-Elysées,  aux 
Tuileries,  les  promeneurs  et  surtout  les 
promeneuses,  en  passant  près  de  la  petite 
voiture,  admiraient  le  joli  bébé  ;  mais  bien- 
tôt ces  compliments  qui  flattaient  l'orgueil 
maternel  ne  suffirent  plus  à  notre  fillette. 
A  trois  ans,  les  petites  jambes  ont  besoin 
de  se  remuer,  de  marcher,  de  courir. 
Alice  voulut  jouer  avec  les  autres  enfants 
de  son  âge;  tous  les  jouets  qu'elle  leur  vit 
alors  lui  firent  envie  ;  la  poupée  de  caout- 
chouc fut  délaissée  pour  la  pelle,  le  petit 
seau  et  le  ballon. 

Quoi  de  plus  gracieux   que   la  réunion 
de  toutes  ces  mignonnes  créatures  ?  Dans 


LE  BAPTEME  D'ALICE. 


nos  jardins,  dans  nos  promenades  publi- 
ques, ce  n'est  pas  le  coin  le  plus  bruyant, 
mais  c'est  peut-être  le  plus  intéressant  ;  déjà 
le  caractère,  l'intelligence  de  chacun  com- 
mencent à  se  montrer.  Tandis  que  les 
nourrices  causent  entre  elles,  que  les  ma- 
mans lisent  ou  font  du  crochet,  les  bébés, 
très  attentionnés,  luttent  à  qui  fera  les 
plus  beaux  pâtés  de  sable.  Les  uns  rient, 
les  autres  se  fâchent;  on  tombe,  on  se 
relève  ;  et  chaque  jour  le  temps  de  la  pro- 
menade se  passe  de  la  même  façon. 

Plus  tard,  cette  innocente  occupation  ne 
suffît  plus  ;  les  garçons  jouent  aux  chevaux  ; 
clic!  clac!  c'est  la  ceinture  garnie  de  gre- 
lots, le  fouet  bruyant  qu'il  leur  faut;  les 
fillettes  sautent  à  la  corde  ou  lancent  le 
ballon.  C'est  le  moment  où  la  sui^eillance 
devient  plus  difficile  ;  il  ne  s'agit  plus,  pour 
la  maman  ou  pour  la  bonne,  de  rester  assise. 
L'enfant  peut  tomber,  salir  sa  toilette, 
traverser  une  pelouse,  s'égarer  quelque- 
fois dans  l'immense  jardin.  Il  y  a  aussi  le 
danger  des  bassins,  des  cours  d'eau  ;  un 
malheur  est  si  vite  arrivé  ! 


6  MADEMOISELLE  POURQUOL 

Cependant,  avec  la  petite  Alice  il  n'y 
avait  pas  trop  à  craindre;  d'abord,  elle  ne 
se  mêlait  jamais  aux  jeux  sans  en  demander 
la  permission  à  sa  mère,  dont  le  regard  la 
suivait  alors.  Le  plus  souvent,  la  fillette  se 
contentait  d'observer  tout  ce  qui  l'entou- 
rait ;  c'était  ensuite  des  questions  sans  fin, 
auxquelles  M"^^  Monval  se  voyait  forcée  de 
répondre. 

Un  jour  que  l'on  se  trouvait  près  d'un 
bassin  et  qu'une  foule  de  petits  pierrots 
venaient  manger,  autour  de  la  fillette,  les 
miettes  de  pain  qu'elle  jetait,  tantôt  aux 
oiseaux,  tantôt  aux  poissons  : 

—  Maman,  demanda  tout  à  coup  Alice, 
pourquoi  les  poissons  rouges  ne  viennent- 
ils  pas  aussi  sauter  près  de  nous,  plutôt 
que  de  se  cacher  sous  l'eau  comme  des 
peureux,  lorsqu'on  leur  jette  quelque  chose? 

—  C'est  que  l'eau  est  leur  élément,  ré- 
pondit M''''^  Monval,  ils  y  trouvent  leur  nour- 
riture ;  sur  la  terre,  les  poissons  ne  pour- 
raient pas  vivre,  étant  organisés  pour  nager, 
et  non  pour  voler  ou  marcher,  comme  les 
oiseaux. 


LE  BAPTÊME  D'ALICE. 


Bientôt,  tout  devint  pour  Teufant  un  pré- 
texte à  ce  mot  :  Pourquoi?  Flattée  de  ce 
qu'elle  regardait  comme  une  preuve  d'in- 
telligence, M'"^  Monval  ne  se  lassait  jamais 
de  répondre  aux  nombreuses  questions  de 
sa  fille.  Mais  les  bonnes  ont  quelquefois 
moins  de  patience  ;  celle  d'Alice  se  fatigua 
bientôt  de  ces  interminables  questions  ;  un 
joui*,  ne  sachant  plus  quelle  réponse  faire 
à  l'enfant: 

—  Pourquoi  ceci  ?  pourquoi  cela  ?  dit 
cette  fille,  dame!  mamzelle,  à  propos  d'une 
mouche  qui  vole^  ou  d'un  chat  qui  trotte 
vous  avez  un  pourquoi.  Savez-vous  que 
c'est  gcnant,  à  la  fin,  d'être  curieuse  comme 
ça?  Pour  mon  compte,  je  ne  vous  appellerai 
plus  que  mademoiselle  Pourquoi, 

Cette  fois,  l'enfant  s'éloigna,  la  tète  basse, 
et  vint  conter  sa  mésaventure  à  sa  maman, 
qui  la  consola  de  son  mieux  ;  mais  ce  sur- 
nom devait  rester  à  la  petite  Alice. 


CHAPITRE  II 


La  première  poupée.  —  Une  belle 
journée. 


Alice  vient  d'atteindre  sa  sixième  année  ; 
c'est  une  belle  fillette,  vive,  intelHgente, 
un  peu  espiègle  ;  son  principal  défaut  est 
de  se  montrer  assez  changeante  dans  ses 
goûts.  Pour  cette  raison,  peut-être,  sa  ma- 
man ne  lui  a  donné  jusque  là  que  de 
jouets  sans  importance. 

Cependant,  l'année  précédente,  Alice  a  eu 
une  belle  poupée,  la  première,  donnée  par 
sa  marraine.  Quoique  ce  cadeau  l'eut  ravie 
tout  d'abord,  elle  s'en  est  lassée  comme 
de  toutes  choses. 

]yjme  ]\ionval,  s'étant  aperçue  de  cet  aban- 
don, se  promit  d'en  faire  le  prétexte  d'une 
leçon  comme  les  mères  savent  en  donne 
Ayant  ramassé,  un  jour,   dans  le  coin 


LA  PREMIERE  POUPEE. 


■ 


I 


elle  gisait,  la  pauvre  poupée  abandonuée, 
la  maman  d'Alice  la  fit  réparer,  habiller 
richement  ;  puis  elle  acheta  une  jolie  ber- 
celonnette,  garnie  de  dentelles  et  de  ru- 
bans, et  cachant  le  tout  dans  une  armoire, 
attendit  une  occasion,  qui  ne  tarda  pas  à 
se  présenter. 

—  Maman,  dit  un  matin  notre  fillette, 
si  tu  savais  comme  Yvonne  a  de  jolies  pou- 
pées ;  je  voudrais  bien  l'inviter  à  venir 
jouer  avec  moi,  mais  je  n'ose  pas. 

—  Cependant,  ce  serait  très  naturel, 
puisque  c'est  ta  petite  amie,  observa 
M'^^Monval. 

—  Oui,  mais  c'est  que  moi  je  n'ai  plus 
une  seule  poupée  à  lui  montrer. 

—  Comment,  plus  une  seule? et  celle 

que  votre  marraine  vous  avait  donnée? 

—  Je  ne  sais  pas  ce  qu'elle  est  de- 
venue. 

—  Petite  désordonnée! une  poupée 

ne  se  perd  pas  ainsi  ;  vous  devez  savoir 
oîi  vous  l'avez  laissée? 

—  Dans  un  coin  ;  elle  était  sale,  mal  ba- 
illée, je  ne  voulais  plus  la  voir...  j'ai  dit 


iO  MADEMOISELLE  POURQUOL 

à  ma  bonne   qu'elle  pouvait  la  jeter  au 
ordures. 

—  C'est  très  vilain  ce  que  vous  avez 
fait  là. 

—  Pourquoi? 

—  Parce  qu'une  poupée  n'est  pas  un 
joujou  ordinaire  ;  vous  étiez  la  petite  mère 
de  la  vôtre.  Si  les  mamans  jetaient  leurs 
enfants  à  la  rue,  chaque  fois  qu'ils  sont 
sales,  mal  peignés,  mal  habillés,  que  devien 
draient  les  pauvres  petits  ? 

Alice  comprit  sa  faute,  mais  il  était  trop 
tard.  Comment  la  réparer?  Elle  chercha  de 
tous  côtés  ;  la  vieille  poupée  demeurait  in- 
trouvable. Deux  jours  plus  tard,  l'enfant 
n'y  pensait  plus,  lorsqu'on  lui  amena  sa 
petite  amie  pour  passer  l'après-midi  avec 
elle. 

Yvonne  était  une  blondinette  à  peu  pr 
du  même  âge  que  M"^  Pourquoi,  mais  d'u 
caractère  plus  tranquille.  Elle  paraissait 
surtout  aimer  beaucoup  ses  poupées,  car 
même  pour  aller  en  visite  ou  à  la  prome- 
nade, l'enfant  consentait  avec  peine  à  s'en 
séparer.  Ce  jour-là,  le   sacrifice  lui  avait 


1 


I 


LA  PREMIERE  POUPÉE. 


11 


paru  encore  plus  difficile,  car  Yvoune  arri- 
vait chez  M""^  Monval  avec  une  jolie  poupée 
dont  la  robe  de  soie  bleue  était  encore 
très  fraîche.  Alice  ne  put  s'empêcher  d'en 
faire  la  remarque,  et  de  peur  que  son  amie 
ne  demandât  à  voiries  siennes,  elle  s'em- 
pressa de  l'entraîner  au  jardin. 

Le    temps   était   magnifique,   on  courut 

abord  à  travers  les  allées,  sans  but, 
mme  de  petits  oiseaux  échappés  ;  puis 
on  joua  au  ballon.  C'était  le  jeu  préféré 
d'Alice  ;  mais  Yvonne^,  moins  habile,  le 
lança  à  plusieurs  reprises  dans  les  carrés  de 
fleurs,  ce  qui  mécontenta  le  jardinier.  A  la 

n,  le  bonhomme  se  lassa  de  voir  massa- 
r  toutes  ses  plantes,  et  pria  ces  demoi- 
es  d'aller  jouer  plus  loin. 
Au  même  instant,  M°^^  Monval  appela  sa 
fille  ;  c'était  l'heure  du  goûter  ;  le  soleil 
devenait  très  chaud.  Les  deux  amies  se  di- 
rigèrent donc  vers  la  salle  à  manger  ;  mais, 
en  les  voyant  accourir  ainsi  toutes  rouges, 
essoufflées,   ayant  oublié   ou  perdu   leurs 

hapeaux  de  paille  en  route,  la  maman  se 

■âcha. 


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MADEMOISELLE  POURQUOI 


—  Je  ne  veux  plus  que  vous  retourniez 
jouer  au  jardin,  dit-elle. 

—  Pourquoi  ?  questionna  effrontément 
notre  lutin. 

—  Pourquoi?  vous  osez  le  demander, 
petite  vilaine  ? 

Voyez  dans  quel  état  vous  vous  êtes 
mise  ;  et  si  votre  petite  amie  attrapait  du 
mal  ici,  j'en  serais  responsable.  Aussitôt 
que  vous  aurez  goûté,  continua  M"^^  Mon  val, 
vous  viendrez  près  de  moi,  au  salon. 

—  Oui,  maman,  dit  faiblement  Alice,  qui 
devint  soucieuse. 

La  fillette  se  disait  avec  raison: 

—  Une  fois  au  salon,  la  question  des 
poupées  va  revenir,  c'est  certain  ;  com- 
ment vais-je  me  tirer  de  là  ? 

Une  grande  surprise  attendait  mademoi- 
selle Pourquoi. 

En  renti^ant  dans  cette  pièce,  la  première 
chose  qui  frappa  ses  regards  fut  la  jolie 
bercelonnette  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut.  Cependant,  elle  n'osait  en  approcher. 
Déjà  Yvonne  avait  repris  sa  jolie  pou- 
pée, posée    en    arrivant   sur  un  fauteuil, 


LA  PREMIERE  POUPEE. 


13 


et 


de 


la 


proposait     ae     jouer    a     la    maman. 

~  Eh  bien  ?  dit  M'^'Monval,  tu  ne  ré- 
ponds pas  à  ton  amie  ;  ce  jeu  n'est-il  pas 
de  ton  goût  ? 

Puis  voyant  que  le  silence  de  l'enfant  se 
prolongeait  : 

—  Voyons,  reprit-elle,  ce  n'est  pas  poli 
à  la  fin,  je  suis  sûre  qu'Yvonne  ne  deman- 
dera plus  à  venir  te  voir. 

Alice,  toujours  hésitante,  s'approchait 
lentement  du  petit  berceau  ;  tout  à  coup 
elle  en  souleva  le  rideau  et  poussa  un  cri 
de  joie.  Une  poupée  en  riche  toilette 
blanche  était  couchée  sur  les  coussins.  La 
prenant  dans  ses  bras,  la  fillette  courut  la 
montrer  à  Yvonne;  puis,  l'examinant  elle- 
même  avec  plus  d'attention  : 

—  Mère ,  demanda-t-elle ,  est-ce  qu'il 
y  a  aussi  des  médecins  pour  les  pou- 
pées ? 

—  A  quel  propos  me  fais-tu  cette  ques- 
tion? dit  M""^  Monval,  je  crois  que  celle-ci 
a  l'air  assez  bien  portante. 

—  Oui,  maintenant...  mais  je  me  sou- 
viens que  Nelly,  ma  vieille  poupée,  avait 


14  MADEMOISELLE  POURQUOL 


un  bras  arraché,  une  jambe  tordue  et  l'œil 
droit  presque  enfoncé. 

—  Il  eût  fallu,  en  effet,  un  bien  habile 
docteur  pour  remettre  tout  cela,  fît  la 
maman  en  souriant.  Cependant  si  tu  es 
sûre  de  reconnaître  cette  pauvre  Nelly? 

—  A  présent,  j'en  suis  sûre. 

—  Eh  bien,  je  n'ai  qu'une  chose  à  te  dire 
mon  enfant,  soigne -la  mieux  à  l'avenir, 
si  tu  veux  la  conserver  ;  car  pour  les  pou- 
pées, comme  pour  les  petites  filles,  le 
meilleur  médecin  ne  vaut  pas  les  soins,  la 
soUicitude  d'une  bonne  mère. 

Comprenant  tout  ce  qu'elle  devait  à  la 
sienne  dans  cette  circonstance,  Alice  lui 
sauta  au  cou  et  l'embrassa  bien  fort,  en 
promettant  d'être  plus  soigneuse.  Les  deux 
fillettes  jouèrent  ensuite  à  la  maman;  puis, 
lorsque  les  poupées  eurent  été  couchées  et 
promenées  tour  à  tour,  on  leur  fît  faire  la 
dînette  dans  un  joli  petit  service  de  por- 
celaine qui,  par  hasard,  se  trouvait  encore 
au  complet. 

Cette  belle  journée  se  termina  par  une 
promenade  aux  Tuileries,  où  l'on  entendit 


■ 


LA  PREMIERE  POUPÉE. 


15 


la  musique  militaire.  Il  fallut  ensuite  re- 
conduire Yvonne  chez  sa  maman,  où  Alice 
fut  invitée  à  son  tour  à  venir  passer  toute 
une  après-midi. 


I 


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CHAPITRE  m 


Une  bonne    résolution.   —   M"^  Caprice, 


Un  jour,  M""^  Monval  dit  à  sa  fille  : 

—  J'ai  accepté  pour  jeudi  l'invitation  de 
jyjme  Dei^ville  ;  je  te  conduirai  aussitôt  le 
déjeuner  près  de  ta  petite  amie,  et  j'irai 
te  reprendre  à  Fheure  du  dîner,  mais  c'est 
à  une  condition. 

—  Laquelle,  petite  mère  ? 

—  C'est  que  jusque  là  tu  seras  très  sage 
et  ne  retomberas  plus  dans  ce  vilain  dé- 
sordre, dont  je  veux  arriver  à  te  corriger. 

—  Oh  !  tu  verras,  petite  mère,  tu  ne 
trouveras  plus  un  seul  jouet  à  traîner. 

Pendant  deux  jours,  Alice  parut,  en  effet, 
bien  décidée  à  tenir  sa  bonne  résolution, 
aussi  sa  mère  n'eut  pas  une  réprimande  à 
lui  faire.  Le  troisième,  cette  grande  sagesse 
commença  à  lui  peser.  Se  tenir  correcte- 


UNE  BONNE  RÉSOLUTION.  17 

ent  à  table  ;  faire  attention  à  ne  pas 
tacher  sa  robe  ;  attendre  pour  parler  que 
l'on  vous  interroge  ;  enfin  ranger  ses  jouets 
chaque  fois  que  l'on  a  fini  de  s'en  servir  ; 
tout  cela  devint  trop  difficile  pour  notre 
espiègle,  dont  la  persévérance  n'était  pas  la 
qualité  dominante. 

La  fillette  était  même  si  capricieuse  de 
sa  nature,  qu'un  soir  son  père,  lassé  de  lui 
voir  chaque  jour  un  nouveau  caprice,  lui 
dit  en  sortant  de  table  : 

—  Sais-tu,  mon  enfant,  que  si  ta  bonne 
ne  t'avait  déjà  nommée  mademoiselle  Pour- 
quoi, je  connais  un  surnom  qui  te  convien- 
drait parfaitement. 

—  Lequel  ? 

—  Tu  ne  devines  pas  ? 

—  Non. 

—  C'est  mademoiselle  Caprice. 

—  Ton  père  a  raison,  ajouta  la  maman 
d'Alice,  et  je  t'apporterai  demain  un  petit 
livre  où  tu  pourras  lire  toi-même,  car  les 
caractères  en  sont  assez  gros,  l'histoire 
d'une  petite  fille  dont  certains  travers  ont 
beaucoup  de  ressemblance  avec  les  tiens. 

3 


18 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


lyjme  ]\fQ2^yal  tint  parole.  Ainsi  que  l'eus- 
sent fait  la  plupart  de  mes  petites  lectrices, 
Alite  regarda  d'abord  la  couverture  dorée 
de  son  livre,  puis  toutes  les  gravures,  l'une 
après  l'autre.  Avisant  ensuite  une  marque 
placée  par  sa  mère  vers  la  fin  du  volume, 
elle  l'ouvrit  à  cet  endroit.  Voici  ce  qu'elle 
lut  :  c(  Histoire  de  M^^^  Caprice. 

c(  Georgette  était  une  petite  fille  incor- 
rigible, qui,  n'écoutant  que  sa  fantaisie,  et 
ne  tenant  aucun  compte  des  remontrances 
maternelles,  retombait  toujours  dans  son 
défaut  principal.  Plutôt  que  de  donner  le 
bon  exemple,  elle  entraînait  même  son 
jeune  frère  Paul,  le  mettant  de  moitié  dans 
ses  espiègleries.  C'est  ainsi  qu'un  matin,  à 
l'heure  du  déjeuner,  on  les  vit  accourir 
de  l'autre  bout  du  jardin. 

((  —  Hue!  la  grise!  criait  Georgette,  en 
poussant  devant  elle  un  magnifique  chien 
de  montagne,  qu'elle  avait  coiff*é  d'une 
capote  rose. 

<c  La  pauvre  bète  eût  bien  voulu  se  dé- 
barrasser de  cet  ornement;  mais  c'est  en 
vain  qu'elle  secouait  la  tète,  Paul,  à  cheval 


UNE  BONNE  RÉSOLUTION.  19 

sur  son  dos,  la  retenait  par  son  collier. 

((  —  Hue  !..  en  avant  ! . . .  plus  vite  ! . . . 
plus  vite  !...  répétait  le  petit  garçon. 

((  Les  deux  enfants  firent  ainsi  leur 
entrée  triomphale  dans  la  salle  à  manger. 
Lorsqu'ils  en  eurent  fait  le  tour,  M.  Paul, 
voyant  l'effet  qu'il  produisait,  car  tout  le 
monde  riait,  ne  voulut  plus  descendre  de 
cheval.  Sa  mère  eut  de  la  peine  à  le  per- 
suader que  le  pauvre  chien  ne  pouvait 
pourtant  pas  lui  servir  de  siège  pendant 
tout  le  repas. 

((  A  quelques  jours  de  là,  la  petite  capri- 
cieuse, qui  ne  s'occupait  plus  que  de  la 
basse-cour,  était  parvenue  à  apprivoiser 
plusieurs  poules  ;  elles  mangeaient  dans  sa 
main  et  la  suivaient  partout,  comme  des 
petits  chiens. 

((  Tant  que  cette  nouvelle  fantaisie  so 
passa  dans  la  cour,  dans  la  cuisine,  ou  dans 
les  allées  du  jardin,  Georgette  ne  fut  pas 
réprimandée  ;  mais  bientôt  la  salle  à  man- 
ger fut  envahie.  Une  après-midi,  enfin,  que 
sa  mère  recevait  au  salon,  M"^  Caprice  ne 
trouva  rien  de  mieux  que  d'aller  au  pou- 


'  .^^  ^.W-Yiftfï  jfiL4Tt''tvir'^  ^.1  tJiiid^  ^  : 


20 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


lailler  ;  suivie  bientôt  de  tout  son  bataillon  : 

«  —  Entrez,  mesdames!...  cria-t-elle  en 
ouvrant  la  porte  toute  grande. 

«  Les  personnes  qui  étaient  en  visite  rirent 
d'abord  de  cette  nouvelle  espièglerie,  puis 
on  essaya  de  chasser  ces  visiteuses  inatten- 
dues. Ce  fut  difficile;  les  poules,  effrayées, 
sautaient  sur  les  fauteuils,  volaient  de  tous 
côtés,  en  faisant  un  ramage  assourdissant. 
11  fallut  leur  céder  la  place;  mais,  lorsque 
tout  le  monde  fut  parti.  M"""  Caprice  fut 
sérieusement  grondée  et  la  servante  reçut 
l'ordre  de  ne  plus  la  laisser  entrer  au 
poulailler. 

((  George tte  se  rejeta  alors  vers  le  jardi- 
nier. Un  matin,  comme  le  père  Jérôme 
plantait  les  premiers  géraniums  de  la 
saison,  elle  obtint  qu'il  lui  en  plantât  une 
belle  pousse  dans  un  pot  rempli  de  terre 
de  bruyère.  Le  petit  Paul  eût  bien  voulu 
avoir  aussi  une  fleur  à  lui. 

((  —  Tu  ne  saurais  pas  la  soigner,  lui  dit 
sa  sœur  ;  et  pour  le  consoler  tout  à  fait, 
elle  lui  promit  qu'ils  seraient  de  moitié 
lorsque  le  géranium  aurait  des  fleurs. 


UNE  BONNE  RÉSOLUTION. 


«  Mais  la  pauvre  plante  ne  devait  pas 
pousser  tranquille;  vingt  fois  par  jour,  les 
enfants  venaient  voir  si  les  feuilles  grandis- 
saient, ou  si  les  petits  boutons  roses  se 
montraient.  On  bêchait,  on  arrosait,  peine 
inutile;  rien  n'apparaissait. 

(c- —  Paul,  dit  un  jour  M'^^  Caprice,  je 
crois  que  cette  eau  est  trop  froide  ;  le  jar- 
dinier a  dit  que  pour  les  géraniums  il  fallait 
de  la  chaleur  ;  un  peu  d'eau  chaude  ne 
ferait  pas  mal. 

((  —  Tu  as  raison,  fît  le  petit  garçon,  je 
vais  aller  en  demander  à  Mariette. 

<(  Quelques  minutes  plus  tard,  il  appor- 
tait en  effet  un  plein  bol  d'eau  chaude,  qui 
fut  versée  jusqu'à  la  dernière  goutte  sur 
la  fleur.  Comme,  le  lendemain,  elle  baissait 
la  tête  : 

(c  —  Je  vois  ce  que  c'est,  fît  Georgette 
d'un  air  important,  la  chaleur  ne  suffît  pas, 
il  faut  aussi  lui  donner  des  forces.  Tu  vas 
voir,  j'ai  une  idée. 

((  Courant  vers  la  salle  à  manger,  la 
fîllette  revint  bientôt  avec  un  flacon  de  vin 
de  quinquina. 


22  MADEMOISELLE  POURQUOL 

u  —  Voici  ce  qu'il  y  a  de  plus  fortifiant, 
le  médecin  Fa  dit  l'autre  jour  à  maman, 
dit-elle  en  versant  le  précieux  liquide. 

(c  —  Oui,  mais  il  a  ajouté,  observa  Paul, 
qu'il  ne  fallait  pas  manquer  d'en  prendre 
un  petit  verre  tous  les  matins. 

a  —  Eh  bien,  nous  recommencerons 
demain,  conclut  Georgette. 

«  Tranquilles  désormais  sur  le  sort  de 
leur  plante,  les  deux  enfants  rentrèrent  à 
la  maison.  Le  lendemain,  hélas  !  le  pauvre 
géranium,  brûlé,  desséché,  penchait  tris- 
tement sa  tige  vers  la  terre.  Cet  essai 
malheureux  fît  oublier  à  M^^^  Caprice  son 
goût  pour  le  jardiuage,  mais  elle  n'était 
jamais  en  peine  d'espiègleries.  Un  jour, 
l'idée  lui  vint  d'un  nouveau  divertissement. 
Il  y  avait  encore  réception  chez  ses  pa- 
rents; assise  près  de  la  fenêtre  de  sa 
chambre,  Georgette,  plutôt  que  d'étudier 
sa  leçon,  regardait  arriver  les  belles  dames 
dans  leurs  élégantes  toilettes. 

((  —  Sais-tu,  dit-elle  tout  à  coup  à  son 
frère,  pourquoi  les  petites  filles  ne  met- 
tent pas  des  crinolines  pour  faire  bouffer 


UNE  BONNE  RESOLUTION. 


23 


leurs    robes  ?    ce    serait    bien    plus    joli. 

«  —  C'est  sans  doute  parce  qu'elles 
sont  trop  petites,  répondit  l'enfant. 

a  —  Eh  bien,  je  veux  aussi  en  avoir 
une,  fit  l'espiègle,  tu  vas  voir. 

((  Pliant  alors  une  serviette,  elle  l'atta- 
cha sous  sa  robe  ;  puis,  ne  trouvant  pas  ce 
bourrelet  suffisant,  Georgette  assujettit  son 
cerceau,  à  grand  renfort  d'épingles,  au 
bord  de  son  jupon.  Elle  ressemblait  ainsi 
à  l'une  de  ces  cloches  que  l'on  met  sur 
les  melons  pour  les  faire  mûrir.  Avisant 
ensuite  un  chapeau  garni  de  plumes  et 
un  mantelet,  oublié  par  sa  mère,  notre 
lutin  vint  devant  l'armoire  à  glace,  et  se 
trouva  tellement  satisfaite  de  sa  transfor- 
mation, que  l'idée  lui  vint  de  descendre  au 
salon  dans  cet  équipage. 

a  —  Et  moi?  demanda  Paul,  je  voudrais 
bien  avoir  l'air  d'un  beau  monsieur  ;  que 
faut-il  faire  pour  me  déguiser  ? 

((  —  Viens  dans  la  chambre  de  papa, 
nous  trouverons  tout  ce  qu'il  nous  faut, 
fit  la  sœur. 

((  Bientôt,    en  eff'et,   afi*ublé  d'un  habit 


24  MADEMOISELLE  POURQUOL 

dont  la  queue  balayait  le  tapis,  et  coiffé 
d'un  chapeau  à  haute  forme,  l'enfant  n'était 
plus  reconnaissable.  Cependant,  il  man- 
quait encore  quelque  chose  à  son  dégui- 
sement. 

(c  —  Viens,  dit  tout  à  coup  Georgette, 
et  surtout  ne  bouge  pas.  Armée  d'un  petit 
pinceau  trempé  dans  l'encrier.,  elle  fit  à 
Paul  une  superbe  paire  de  moustaches. 

«  —  Bravo  !  s'écria  le  petit  garçon,  je 
suis  un  homme  maintenant,  nous  pouvons 
descendre. 

((  Quelques  instants  après,  les  deux  lu- 
tins, ouvrant  la  porte  du  salon,  annonçaient 
eux-mêmes  : 

((  —  M.  et  M"^'  Caprice! 

((  Ce  fut  d'abord  un  éclat  de  rire  géné- 
ral; mais,  le  soir,  au  dîner,  le  frère  et  la 
sœur  ne  riaient  plus.  Privés  de  dessert, 
leur  papa  les  gronda  si  fort,  qu'ils  n'eu- 
rent pas  envie  de  jouer  une  autre  fois  au 
monsieur  et  à  la  dame. 

(c  Quelques  semaines  plus  tard,  les  pa- 
rents de  Georgette,  lassés  de  ses  espiègle- 
ries et  de   sa  paresse,  la  mirent  dans  un 


UNE  BONNE  RÉSOLUTION.  25 

pensionnat  où  elle  parvint,  non  sans  peine, 
à  se  corriger.  » 

—  Que  penses-tu  de  cette  histoire?  de- 
manda la  maman  d'Alice,  qui  rentrait 
comme  la  fillette  en  terminait  la  lecture. 

—  Je  l'ai  trouvée  très  amusante. 

—  Sans  doute,  M'^*"  Caprice  a  des  idées 
originales,  mais  as-tu  remarqué  la  conclu- 
sion de  tout  ceci  ?  C'est  la  seule  raison- 
nable à  mon  avis,  et  je  t'engage  à  la 
méditer. 

Alice  ne  répondit  rien. 

Ainsi  qu'on  va  le  voir,  tous  ces  avertis- 
sements passaient  le  plus  souvent  ina- 
perçus. 


CHAPITRE  IV 

Pauvre  Trotty.  -  Les  protégés  d'Alice. 


Un  matin,  M-Monval,  en  descendant  de 
sa  chambre,  trouva  Alice  en  grande  discus- 
sion avec  sa  bonne. 

—  Je  veux  mon  ballon,  criait-elle,  vous 
devez  l'avoir  vu. 

—  Je  vous  assure,  mademoiselle,  que 
je  ne  l'az  pas  trouvé. 

—  Et  moi  je  vous  dis  que  vous  l'avez 
cache  exprès  pour  me  faire  chercher. 

—  Alice,  dit  alors  M""^  Mouval,  en  se 
montrant,  c'est  très  mal  ce  que  vous  dites 
la.  Croyez-vous  donc  que  Julie  soit  heu- 
reuse de  vous  contrarier  ou  de  vous  faire 
gronder  ? 

—  Mais,  maman,  puisque,  hier  soir 
encore,  j'ai  joué  avec  ce  ballon,  il  ne 
peut  être  loin. 


CHAPITRE  V 

L'éducation  en  famille.  —  Une  histoire 
de  singes.  —  Pourquoi  les  chiens  ne 
parlent  pas. 


^  A  sept  ans,  on  ne  veut  plus  rester  igno- 
rante. Cependant,  M"^^  Monval,  trouvant  sa 
fille  trop  jeune  pour  lui  faire  suivre  des 
cours,  exigeait  qu'elle  eut  chaque  jour  deux 
heures  de  lecture  et  de  récitation. 

Cette  leçon  avait  lieu  le  matin  ;  c'est  le 
moment  de  la  journée  oii  Ton  risque  le 
moins  d'être  dérangé  par  les  visiteurs.  A 
moins  d'une  indisposition,  ou  de  quelque 
contretemps  imprévu,  Ahce  ne  manquait 
donc  jamais  de  se  rendre  à  l'heure  indiquée 
dans  la  chambre  de  sa  mère.  Il  est  vrai 
que  M"^^  Monval  savait  donner  chaque  jour 
USX  nouvel  attrait  au  programme.  Lorsque 
fa  fillette  avait  bien  lu    ou  bien  récité  sa 


34  MADEMOISELLE  POURQUOL 

leçon,  elle  lui  lisait  ou  lui  racontait  quel- 
que belle  histoire,  instructive  et  intéres- 
sante tout  à  la  fois. 

C'est  ainsi  qu'un  jour,  ayant  récité  d'une 
façon  satisfaisante  la  fable  le  Thésauri- 
seur et  le  Singe ^  sa  mère,  la  faisant  asseoir 
près  d'elle,  ouvrit  un  livre,  signé  de  l'un 
de  nos  bons  auteurs,  et  commença  ainsi  : 

((  De  tous  les  animaux,  le  singe  est  celui 
qui  possède  au  plus  haut  degré  le  talent 
d'imitation  ;  moins  capable  d'attachement 
que  le  chien,  il  étudie  mieux  tous  nos  mou- 
vements. Il  y  a  une  très  grande  variété  de 
singes  ;  parmi  les  plus  intelligents  on  cite 
le  sapajou  et  le  chimpanzé. 

((  Un  jeune  créole  en  avait  élevé  un  de 
cette  dernière  espèce;  sa  taille  était  celle 
d'ini  chien  barbet.  Son  poil  brun  et  soyeux 
devenait  plus  clair  autour  de  la  face,  qui 
se  trouvait  ainsi  encadrée  d'une  énorme 
paire  de  favoris.  » 

—  Mère,  je  me  rappelle  en  avoir  vu  un 
tout  semblable  au  jardin  d'acclimatation, 
interrompit  Alice. 

((  Chaque  jour,  reprit  M""^  Monval,  l'en- 


L'EDUCATION  EN  FAMILLE.  3o 


faut  lui  apprenait  de  nouveaux  tours  d'agi- 
lité ;  il  gambadait  par  toute  la  maison  avec 
une  telle  légèreté  que  son  jeune  maître 
lui  donna  le  nom  de  Bamboula.  L'animal 
obéissait  au  moindre  signe,  sa  soumission 
était  si  grande  qu'elle  eût  pu  servir  d'exem- 
ple à  beaucoup  d'enfants.  Au  premier  com- 
mandement il  partait,  sans  que  l'on  eut 
jamais  besoin  de  répéter  un  ordre. 

«  Avant  chaque  repas,  le  singe  venait  se 
placer  debout  devant  son  maître,  une  ser- 
viette sur  le  bras,  comme  un  petit  domes- 
tique, et  par  une  pantomime  expressive  il 
semblait  lui  dire  : 

(c  —  Parle,  que  veux-tu  que  je  te  serve 
aujourd'hui? 

(c  Si  c'était  le  mathi,  le  jeune  garçon  ré- 
pondait le  plus  souvent  : 

((  —  J'ai  envie  de  manger  un  œuf  à  la 
coque,  va  voir  si  cocote  a  pondu. 

(C  Bamboula  se  rendait  aussitôt  au  pou- 
lailler, et  faisant  au  besoin  déranger  la 
poule  de  son  nid,  il  revenait  joyeux,  rap- 
portant délicatement  un  bel  œuf  dans  ses 
doigts. 


36 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


((   —  Sans  le  casser?  interrogea  Alice. 

((  —  Certainement,  il  prenait  assez  de 
précautions  pour  cela. 

ce  Si  par  hasard  le  panier  de  cocote  se 
trouvait  vide,  le  singe  rentrait  la  tête  basse 
et  montrait  ses  deux  mains  avec  un  air 
piteux  qui  disait  clairement  :  Il  faut  nous 
en  passer. 

((  Après  le  déjeuner,  si  le  temps  était 
mauvais,  le  jeune  garçon  disait  : 

((  —  Bamboula,  nous  ne  descendrons  pas 
au  jardin  ce  matin,  va  me  chercher  le  livre 
que  je  suis  en  train  de  lire.  Le  chimpanzé 
courait  alors  du  salon  à  la  bibliothèque, 
cherchant,  remuant,  examinant  tous  les 
volumes,  puis  revenait  en  présenter  un, 
avec  un  mouvement  de  tête  qui  voulait 
dire  : 

((  —  Est-ce  bien  ça? 

((  Si  Bamboula  s'était  trompé,  il  repartait, 
mais  au  second  voyage  en  rapportait  deux, 
dont  Tun  était  pour   son  propre   compte. 

(c  —  Comment  cela?  demanda  AHce.  Il  y 
a  donc  des  singes  qui  savent  lire? 

«  —  Non  vraiment,  mais  tu  vas  voir,  ré- 


L'EDUCATION  EN  FAMILLE. 


37 


pondit  M'""^  Monval  ;  l'intelligent  animal  ne 
faisait  jamais  rien  à  demi.  S'installant  près 
de  son  maître,  il  tournait  les  pages  en 
même  temps  que  lui  ;  s'interrompant  aussi 
parfois  pour  marquer  un  endroit,  comme 
s'il  devait  le  retrouver  plus  tard.  Le  plus 
curieux,  c'est  que  notre  singe  tenait  pres- 
que toujours  son  livre  la  tête  en  bas, 

«  Si  au  contraire  le  temps  était  beau,  son 
jeune  maître  disait  : 

((  —  Bamboula,  nous  sortons,  il  faut 
faire  notre  toilette. 

((  A  ce  mot  de  toilette,  le  singe  ne  man- 
quait pas  d'aller  prendre  son  miroir;  mais, 
en  apercevant  son  image,  son  premier 
mouvement  était  de  regarder  derrière  lui, 
afin  de  s'assurer  qu'il  n'y  avait  personne. 
La  toilette  terminée,  on  partait.  Quelquefois 
Bamboula  montait  sur  le  dos  de  Bellone, 
magnifique  chienne'  terre-neuve,  et  faisait 
ainsi  le  tour  du  jardin. 

ce  Un  jour  qu'il  y  avait  du  monde  à  dé- 
jeuner, le  malin  animal,  privé  de  ce  plaisir, 
ayant  été  enfermé  dans  la  salle  à  manger, 
sauta  sur  la  table,  encore  servie,  et  se  mit 


'-.■  /.  -'.  .iftJriiiL:.Aif A*i  .v: .  i  ■ . . .. ^ 


38 


MADEMOISELLE   POURQUOL 


à  renverser  tout,  verres,  bouteilles,  plats. 
Comme  Bamboula  était  très  adroit  d'ordi- 
naire, on  vit  bien  qu'il  s'agissait  d'une  mé- 
chanceté ;  aussi  notre  singe  reçut  une  bonne 
correction,  dont  il  se  souvint  à  l'occa- 
sion. » 

Cette  histoire  amusa  beaucoup  Alice,  qui 
eût  volontiers  passé  toute  la  journée  à  en 
écouter  de  semblables.  Du  reste,  elle  n^était 
pas  seule  à  prendre  plaisir  à  ces  récits. 
Diane,  la  grosse  chienne,  dont  nous  avons 
parlé  déjà,  étant  admise  ainsi  que  le  petit 
Trotty  dans  les  appartements^  les  écoutait 
jusqu'au  bout,  gravement  assise  sur  son 
derrière,  et  avec  une  attention  qui  frappa 
un  jour  notre  fillette. 

—  Mère,  dit-elle  tout  à  coup,  je  voudrais 
bien  savoir  pourquoi  les  chiens  ne  parlent 
pas? 

jyjme  ]\iQnval  resta  un  instant  embarrassée 
par  la  brusquerie  de  cette  question. 

—  C'est  que,  malgré  toutes  les  preuves 
d'intelligence  qu'il  donne,  le  chien  n'est 
pas,  comme  l'homme,  une  créature  raison- 
nable et  pensante,  répondit-elle. 


L'ÉDUCATION  EN  FAMILLE. 


39 


_  Les  perroquets  parlent  bien,  reprit 

M'"  Pourquoi. 

_  Sans  doute,  les  perroquets  sont  des 
oiseaux  jaseurs,  qui  jacassent  plutôt  qu'ds 
ne  parlent,  et  le  plus  souvent  n'ont  pas 
conscie.ice  des  mots  qu'on  leur  fait  répéter. 
Mais  à  quel  propos  le  silence  des  chiens 
t'inquiète-t-il,  mon  enfant?  Serait-ce  à  cause 
de  notre  bonne  Diane?  ajouta  la  maman, 
en  caressant  la  grosse  tète  de  l'animal. 

_  Précisément,  ses  bons  yeux  sont  tou- 
jours fixés  sur  toi  quand  tu  parles  ;  par 
moments  ils  deviennent  si  vifs,  que  1  on 
croirait  qu'elle  comprend  ce  que  tu  dis  et 
va  te  remercier  aussi  des  jolies  histoires 
que  tu  nous  racontes. 

—  Ces  pauvres  animaux!  il  ne  leur  man- 
que en  effet  que  la  parole,  dit  M- Monval; 

on  cite  à  ce  sujet  une  foule  de  faits  et  d  a- 
■  necdotes  qui  sont  toutes  en  faveur  de  la 
fidélité  ou  de  l'intelUgence  des  chiens.  L  es- 
pèce des  caniches  surtout  a  donné  de  cu- 
rieux exemples  d'attachement  et  de  facihte 
de  compréhension. 

J'ai  connu  un  vieux  professeur  qm  se 


40  MADEMOISELLE  POURQUOI. 

rendait  chaque  jour  au  même  café  avec  son 
fidèle  caniche;  souvent  il  lui  arrivait  d'ou- 
blier son  mouchoir  ou  sa  tabatière.  Le 
maître  n'avait  alors  qu'un  signe  à  faire,  le 
chien  reprenait  aussitôt  le  chemin  de  la 
maison,  et  lui  rapportait  l'objet  demandé, 
sans  jamais  se  tromper. 

Un  autre  de  nos  amis  avait  un  épagneul 
qu'il  envoyait  chaque  soir  chercher  ses  pan- 
toufles et  celles  de  sa  femme.  Quoique 
l'ordre  fût  donné  en  même  temps,  la  bête, 
sans  commettre  d'erreur,  venait  placer  de- 
vant chacun  les  chaussures  respectives.  Ce 
qui  m'étonna  un  jour,  après  le  déjeuner,  ce 
fut  de  voir  le  même  chien  ouvrir  le  bufî'et, 
et  prendre  parmi  d'autres  sacs  celui  qui 
contenait  les  gâteaux,  dont  sa  maîtresse 
avait  coutume  de  le  régaler; 

—  Oh!  le  vilain  gourmand!  fît  AUce. 

—  Il  y  a  aussi  les  chiens  sauveteurs,  re- 
prit M™""  Monval;  l'un  d'eux,  un  magnifique 
terre-neuve,  après  de  nombreux  sauveta- 
ges, a  été  médaillé  l'an  passé  à  la  société 
des  Sauveteurs  Bretons.  Je  te  conterai  à  ce 
sujet  l'histoire  d'un  petit  garçon  et  de  son 


L'EDUCATION  EiN  FAMILLE. 


41 


chien,  qui  t'intéressera,  j'en  suis  certaine. 

—  Conte-la-moi  aujourd'hui,  mère!  dit 
la  fillette. 

—  Non,  ce  sera  pour  une  autre  fois,  car 
il  est  tard,  le  déjeuner  nous  attend  et  j'ai 
ensuite  des  visites  à  faire. 


CHAPITRE    VI 


La  dent  de  lait.  —  Un  enfant  courageux. 


Tous  les  jours  se  suivent  et  ne  se  ressem- 
blent pas;  le  lendemain,  M'^^  Pourquoi  se 
trouva  prise  d'une  indisposition  très  com- 
mune à  cet  âge,  c'est-à-dire  qu'elle  fut  très 
tracassée  au  sujet  d'une  dent,  assez  ébran- 
lée pour  que  son  extraction  devînt  néces- 
saire. 

La  veille,  en  croquant  un  petit  os  de 
poulet,  Alice  avait  senti  un  choc  un  peu 
douloureux,  mais  n'en  avait  rien  dit,  sa- 
chant bien  que  son  papa  ne  plaisantait  pas 
sur  ce  sujet.  Déjà,  une  autre  fois,  d'un  coup 
de  pouce  il  lui  en  avait  fait  sauter  une  ;  et 
l'enfant  avait  dû  convenir  qu'il  y  avait  eu 
plus  de  peur  que  de  mal.  Cette  fois,  soit  que 
la  dent  fut  un  peu  plus  grosse  ou  la  crainte 
plus    grande,   elle  ne  disait  rien,   pensant 


LA  DENT  DE  LAIT. 


43 


que  cela  pouvait  attendre.  Mais,  crac  !  voilà 
qu'au  déjeuner  une  croûte  malencontreuse 
fait  encore  un  second  choc.  Alice  jette  un 
cri,  porte  la  main  à  sa  bouche;  le  papa,  se 
doutant  de  la  nature  de  F  accident,  veut 
voir  de  quoi  il  s'agit. 

—  Non, non,  crie  la  fillette,  en  se  sauvant 
de  table,  tu  me  l'arracherais. 

—  Petite  folle!  si  elle  l'est  déjà  à  moitié, 
il  vaut  mieux  en  finir.  Viens  donc,  tu  sais 
bien  que  cela  ne  fait  pas  mal. 

Bah!  l'enfant  est  déjà  au  jardin,  le  père 
se  met  à  la  poursuivre,  la  maman  en  fait 
autant.  L'espiègle  court  toujours,  se  ca- 
chant derrière  chaque  massif;  au  moment 
oii  les  parents,  abandonnant  la  poursuite, 
regagnent  la  salle  à  manger,  on  leur  annonce 
la  visite  d'un  vieil  ami,  le  docteur  Mallet. 

—  Où  donc  est  Alice?  fut  la  première 
question  du  bon  homme,  qui  adorait  les 
enfants. 

On  le  mit  au  courant  de  ce  qui  arrivait. 

—  Bien,  dit-il,  je  viens  à  propos;  laissez 
revenir  la  déserteuse;  continuez  de  dé- 
jeuner, et  lorsqu'elle  reprendra  sa  place,  au 


44 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


moment  du  dessert,  je  lui  raconterai  quel- 
que chose  qui  la  décidera.  Laissez-moi 
faire,  je  la  connais. 

On  suivit  le  conseil  du  vieux  docteur. 
Tout  se  passa  du  reste  comme  il  l'avait 
prévu.  Voyant  qu'on  ne  la  poursuivait  plus, 
la  fillette,  tout  à  fait  calmée,  revint  à  petits 
pas  et,  se  faufilant  par  la  porte  restée  en- 
tr'ouverte,  se  trouva  juste  assise  devant  son 
assiette  au  moment  où  M""^  Monyal  venait 
d'y  poser  une  belle  grappe  de  raisin.  Tan- 
dis qu'elle  la  grapillait  sans  bruit,  mais  en 
se  tenant  sur  le  qui- vive,  ainsi  qu'un  oiseau 
gourmand  prêt  à  s'enfuir  au  moindre  bruit  : 

<c  Oui,  fit  le  docteur  Mallet,  comme  s'il 
continuait  une  conversation  commencée, 
c'était  le  fils  d'un  de  mes  bons  amis,  il  se 
nommait  Léon.  Grand,  fort,  bien  pris,  pour 
son  âge,  en  un  mot  le  plus  bel  enfant  que 
Ton  put  voir;  mais  ce  que  j'admirais  le 
plus  en  lui,  c'était  l'attachement  rare,  le 
culte  en  quelque  sorte,  qu'il  avait  voué  à 
sa  sœur  Valentine,  une  blondinette  d'une 
année  seulement  plus  jeune  que  lui. 

((  A  l'époque  dont  je  veux  parler,  continua 


LA  DENT  DE  LAIT.  45 

le  docteur,  ruii  comptait  sept  ans,  l'autre 
venait  d'en  avoir  six.  Valentine  avait  une 
superbe  poupée  à  laquelle  il  ne  manquait 
qu'une  seule  chose,  un  chapeau.  Un  matin, 
elle  dit  à  Léon  : 

((  —  J'ai  bien  du  chagrin,  va  !  Maman  ne 
veut  pas  acheter  un  chapeau  à  ma  fille  ; 
j'en  ai  vu  de  si  jolis!... 

((  Et  en  parlant  ainsi  deux  grosses  larmes 
perlaient  dans  les  yeux  bleus  de  la  petite. 

(c  —  Console-toi,  dit  tout  à  coup  le 
frère,  j'ai  une  idée. 

((  Aussitôt,  l'enfant  monte  à  sa  chambre, 
prend  sa  tirelire,  la  casse,  elle  contenait 
1  fr.  50.  Ce  n'était  guère  ;  cependant,  il 
descend  comme  un  tourbillon  et,  se  diri- 
geant vers  la  boutique  d'une  modiste  qui 
se  trouvait  dans  le  voisinage,  il  y  entre 
hardiment   : 

(c  — -  Madame,  je  voudrais  un  chapeau 
de  poupée. 

((  —  Mon  petit  ami,  nous  ne  les  faisons 
que  sur  commande. 

((  —  Ah  ! ...  et  combien  prenez-vous  ? 

((  —  Cela  dépend. 


46 


MADEMOISELLE   POURQUOL 


((  —  Je  veux  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
riche,  de  plus  joli. 

(c  —  Pour  tout  autre  ce  serait  5  francs, 
répondit  la  modiste,  qui  venait  de  recon- 
naître l'enfant  pour  l'avoir  vu  avec  sa  mère, 
mais  pour  vous  ce  sera  2  fr.  50. 

((  —  Alors,  dit  Léon,  tout  penaud,  vous 
ne  pouvez  pas  me  le  faire  pour  1  fr.  50. 

(c  —  Non,  c'est  comme  je  vous  ai  dit, 
pas  un  sou  de  moins. 

((  —  Ah  !  fit  l'enfant,  qui,  la  tête  basse, 
fait  trois  pas  vers  la  porte. 

c(  Tout  à  coup  une  nouvelle  inspiration 
lui  vient,  il  se  frappe  le  front,  et  se  retour- 
nant majestueusement  vers  le  comptoir  : 

((  —  Madame,  fit-il,  quel  jour  ce  cha- 
peau pourra- t-il  être  fait? 

((  —  Demain  soir. 

((  —  Ne  manquez  pas  de  le  tenir  prêt, 
je  viendrai  demain  soir. 

a  Or,  le  lendemain  matin,  à  l'heure  oii 
j'allais  partir  pour  faire  mes  visites,  je  vois 
accourir  mon  petit  Léon. 

<(  —  Comment?  seul  ?  qu'y  a-t-il  ?  qu'est- 
il  arrivé  ?  demandai-je  inquiet. 


LA  DENT  DE  LAIT. 


47 


((  —  Marianne  est  en  bas,  mais  je  suis 
pressé,  fît  l'enfant  ;  mon  oncle,  j'ai  une 
dent  qui  remue,  il  faut  me  l'arracher  de 
suite. 

<(  —  Rien  d'urgent,  dis-je  en  visitant  la 
dent,  attendons.  Je  dois  dire  ici  que,  chaque 
fois  qu'une  de  ses  dents  de  lait  se  mettait 
à  remuer,  je  lui  donnais  une  pièce  de 
vingt  sous  pour  qu'il  se  la  laissât  arracher. 

a  —  Non,  non,  s'écria  Léon,  d'un  air 
tout  à  fait  résolu,  je  me  sens  brave,  ce 
matin;  un  autre  jour,  j'aurai  peur.  Vois, 
petit  oncle,  elle  remue  beaucoup,  je  t'en 


prie 


! . . .  ôte-la-moi  ! . . . 


((  Grimpant  sur  mes  genoux,  l'héroïque 
gamin  me  supplia  si  bien  que  je  cédai.  La 
vérité  est  que  la  dent  ne  remuait  presque 
pas;  aussi  eut-il  un  cri  de  douleur  bientôt 
réprimé.  Tant  de  résolution  m'étonnait,  je 
devinai  presque  un  secret  sous  cet  hé- 
roïsme inaccoutumé  ;  mais  l'enfant  ne  m'en 
dit  rien. 

c(  Lorsque  le  premier  moment  fut  passé  : 
((  —  Mes  vingt  sous,  petit  oncle?  de- 
manda-t-il,  la  main  tendue. 


48 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


(c  — Tiens,  lui  dis-je,  en  l'embrassant  de 
bon  cœur;  cette  fois,  tu  les  as  bien  mérités. 

((  Le  soir,  à  la  veillée,  j'eus  le  mot  de 
cette  énigme  :  lorsque  j'arrivai  chez  mon 
ami,  on  passait  au  salon.  Valentine,  cou- 
rant alors  chercher  sa  poupée,  fit  admirer  à 
tout  le  monde  le  magnifique  chapeau  que 
son  frère  venait  de  lui  apporter.  Léon 
semblait  si  fier,  si  heureux  de  son  dévoue- 
ment fraternel,  que  je  ne  voulus  pas  gâter 
ce  bonheur,  en  donnant  des  regrets  à  sa 
sœur  ;  le  secret  de  la  dent  de  lait  resta  entre 
nous  deux.  » 

Le  vieux  docteur  avait  fini  son  histoire. 
AUce,  toute  songeuse,  semblait  encore  in- 
décise ;  puis,  prenant  tout  à  coup  une  ferme 
résolution  : 

—  Père,  dit-elle,  en  venant  s'asseoir  sur 
les  genoux  de  M.  Monval,  si  je  te  laisse 
ôter  ma  dent,  me  donneras-tu  aussi  une 
pièce  de  vingt  sous  ? 

—  Aussitôt,  je  te  le  promets. 

—  Tu  ne  me  feras  pas  trop  de  mal  ? 

—  Tu  ne  sentiras  rien. 

—  En  eff*et,  cette  dent  ne  tient  presque 


LA  DENT  DE  L" 


plus,    affirma   le    docteur,   qui   s'était  ap- 
proché. 

—  La  Yoici,  et  voilà  tes  vingt  sous,  dit 
le  papa,  qui  avait  prestement  terminé 
l'opération. 

—  Que  vas-tu  faire  de  cet  argent?  de- 
manda M^'  Monval. 

—  Ah!  c'est  mon  secret,  répondit  Alice. 

—  11  faut  le  lui  laisser,  conclut  le  mé- 
decin, en  se  levant  pour  se  retirer,  ce  sera 
le   bénéfice  du  courage  qu'elle  a  montré. 

Le  lendemain,  la  maman  d'Alice  eut  le 
mot  de  ce  grand  secret.  Lorsqu'on  sortit 
pour  aller  à  la  promenade,  l'enfant,  s'arrê- 
tant  devant  une  boutique  de  mercerie,,  de- 
manda le  prix  d'une  petite  capeline  en 
laine  bleue.  Ainsi  que  le  petit  Léon,  la 
fillette  joignit  aux  vingt  sous  le  contenu  de 
sa  bourse.  Lorsque  cet  achat  fut  terminé, 
M™"^  Monval,  fort  intriguée,  la  vit  courir  vers 
une  grande  porte  cocher e,  sous  laquelle  se 
tenait  depuis  quelque  temps  une  pauvre 
jeune  femme  allaitant  un  enfant  de  quel- 
ques mois.  Comme  le  froid  commençait  à 
se  faire  sentir,   la    fillette  avait  pensé  que 


50 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


cette  chaude  coiffure  serait  utile  au  petit 
être.  Quand  elle  vint  rejoindre  sa  mère  : 

—  Je  n'ai  pas  de  sœur,  dit  la  fillette,  pour 
lui  acheter  un  chapeau  de  poupée,  mais 
j'ai  fait  un  heureux  tout  de  même. 

Un  bon  baiser  fut  la  récompense  de 
cette  bonne  action,  puis,  M"'' Monval  ayant 
ajouté  quelque  monnaie  à  l'aumône  de  sa 
fille,  on  continua  la  promenade. 


CHAPITRE  VII 

Histoire  du  petit  Maurice  et  de  son 
chien.  —  D'où  vient  le  nom  de  Terre- 
Neuve. 


Quelques  jours  plus  tard,  Alice,  qui 
n'avait  pas  oublié,  malgré  sa  dent  arrachée, 
la  promesse  de  sa  mère,  la  supplia  de  lui 
raconter  l'histoire  annoncée.  Comme  la 
fillette  avait  bien  lu  et  récité  une  leçon  assez 
longue,  la  maman  ne  demanda  pas  mieux 
que  de  s'exécuter. 

—  Le  jeune  garçon  dont  je  veux  te 
parler,  commença  M™""  Monval,  se  nommait 
Maurice,  il  venait  d'avoir  huit  ans  à  l'époque 
où  se  passe  ce  récit. 

Après  une  année  bien  employée  au  col- 
lège, ses  parents  lui  proposèrent  de  l'em- 
mener avec  eux   à  la  campagne  ;  comme 

tu  le  t>yT*^^   '^ \     Mnmniiîn^ "À      r  «^rr*»' 


52 


MADEMOISELLE  POURQUOI. 


suite.  Maurice  était  même  si  heureux  de 
penser  qu'il  allait  voir  des  forêts,  courir 
dans  les  champs,  au  bord  de  la  rivière, 
qu'il  y  pensait  tout  le  jour  et  n'en  dormait 
plus  la  nuit.  Tout  cela  eût  été  charmant^ 
si  l'enfant  se  fut  contenté  des  jeux  de  son 
âge,  s'il  eût  écouté  surtout  les  recomman- 
dations de  ses  parents.  Mais  Maurice  était 
d'un  caractère  aventureux,  entreprenant, 
et  surtout  très  curieux. 

Aussitôt  que  l'on  fut  installé  à  la  cam- 
pagne, chaque  jour,  il  partit  à  l'aventure, 
marchant  pendant  de  longues  heures,  sans 
que  l'on  sût  ce  qu'il  était  devenu. 

Le  voisinage  d'une  rivière,  assez  large 
en  certains  endroits,  inquiétait  surtout  la 
maman  du  jeune  garçon;  car  c'était  préci- 
sément vers  ce  cours  d'eau  qu'il  dirigeait 
ses  promenades.  Ces  poissons  qui  venaient 
frétiller  près  du  bord,  les  jolies  fleurs  de 
nénuphar  qui  s'épanouissaient  à  sa  surface, 
tout  le  tentait.  Il  eût  voulu  s'en  emparer, 
mais  comment  y  parvenir  ?  Maurice  ne 
devait  pas  tarder  aie  savoir.  Un  jour,  il  vit 

''^UX 


ISTOIRE  DU  PETIT  MAURICE. 


53 


genoux  et  entrer  résolument  dans  l'eau. 
Ayant  trouvé  un  bon  endroit,  cet  homme 
resta  longtemps  à  la  même  place,  se  bais- 
sant et  se  relevant. 

—  Que  peut-il  bien  faire  ainsi  ?  se  de- 
mandait notre  petit  curieux  ;  sans  doute  il 
prépare  quelque  bonne  attrape  pour  mes- 
sieurs les  poissons.  Si  je  pouvais  arriver 
derrière  lui,  quelle  bonne  pêche  je  ferais  ! . . . 

Maurice  eut,  en  effet,  la  patience  d'atten- 
dre que  le  pêcheur  s'éloignât  ;  quittant 
alors  bas  et  souliers,  il  releva  le  bord  de 
son  pantalon  court,  puis  entra  bravement 
dans  la  rivière.  Tant  qu'il  eut  pied,  tout  alla 
bien  ;  mais  plus  il  avançait,  plus  l'eau 
semblait  monter  ;  notre  curieux  en  eut 
bientôt  jusqu'à  la  ceinture.  Retourner  eût 
été    plus  prudent  ;  Maurice  n'en   fît   rien. 

Tout  à  coup,  le  courant  le  prit,  et  le  fai- 
sant tourner  brusquement,  l'entraîna  à 
une  distance  assez  grande.  Cette  fois  l'en- 
fant perdit  la  tête,  et  se  croyant  perdu, 
poussa  un  cri  désespéré. 

—  Pauvre^  petit  !  exclama  Alke,  comme 
ild^irf 


^_:^     i\\ 


•vV- 


54  MADEMOISELLE  POURQUOL 

—  Par  bonheur,  son  appel  fut  entendu; 
une  voix  répondit  à  la  sienne.  C'était  Sultan, 
son  gardien  ordinaire,  un  magnifique  terre- 
neuve,  qui  rôdait  par  là,  à  la  recherche  de 
SOQ  petit  maître.  Se  mettant  bravement  à 
l'eau,  l'animal  nagea  vers  lui  et  le  saisit 
par  ses  vêtements,  juste  au  moment  où  il 
allait  disparaître.  L'enfant  était  lourd;  ce- 
pendant, le  brave  chien  eut  bien  soin  de 
lui  tenir  la  tête  hors  de  l'eau,  et  put  ar- 
river ainsi  jusqu'au  bord.  Le  déposant 
alors  sur  la  berge,  il  se  mit  à  lui  lécher 
les  mains  et  la  figure,  le  réchauffant  de 
son  haleine,  jusqu'à  ce  que  Maurice  ouvrît 
enfin  les  yeux. 

Quelques  minutes  plus  tard,  notre  petit 
imprudent  était  debout,  un  peu  étourdi 
seulement  à  la  suite  de  ce  bain  forcé. 
Voyant  près  de  lui  son  fidèle  Sultan,  il 
comprit  ce  qui  était  arrivé,  et  prenant  à 
deux  mains  la  tête  de  l'animal,  l'embrassa 
à  plusieurs  reprises.  Un  autre  embarras  se 
présenta  alors,  ses  habits  étaient  ruisse- 
lants d'eau,  tachés  de  boue,  un  de  ses  sou- 


HISTOIRE  DU  PETIT  MAURICE.  S5 


^A 


—  Comment  faire?  dit-il  en  pleurant;  si 
je  rentre  dans  cet  état,  je  vais  être  grondé, 
puni,  c'est  certain.  Sultan,  voyant  son  hé- 
sitation, le  tirait  par  sa  blouse  ;  le  brave 
chien  ne  comprenait  qu'une  chose,  c'était 
d'éloigner  au  plus  vite  son  petit  maître  de 
cette  vilaine  rivière  où  il  avait  manqué  de 
se  noyer.  Maurice  le  comprit  et  se  décida 
bientôt  à  se  mettre  en  marche  ;  bien  que 
le  soleil  fût  très  chaud  à  cette  heure  de  la 
journée,  il  ne  put  cacher  à  ses  parents  les 
traces  de  cette  escapade  malheureuse.  Non 
seulement  il  fut    sévèrement  réprimandé, 
mais  on  lui  défendit  expressément  de  sortir 
seul  à  l'avenir.  C'est  ainsi  qu'il  gâta  par  sa 
faute  une  partie  de  son  séjour  à  la  cam- 
pagne.   Pendant   quelques  jours,  un  gros 
rhume  le  retint  même  à  la  maison;  bien 
heureux  d'en  être  quitte  à  si  bon  marché. 

—  Et  Sultan?  demanda  Alice. 

—  Sultan  fut  fêté,  caressé,  choyé  par 
toute  la  famille,  notre  jeune  garçon  en 
particuher  n'oublia  jamais  qu'il  lui  devait 

la  vie. 

—  Mère,  si  je  tombais  à  l'eau,  ajouta 


il'^ilAI^^M^^'. 


36 


MADEiMOlSELLE  POURQUOI, 


notre     questionneuse,   crois-tu  que    Diane 
serait  capable  de  me  sauver  aussi  ? 

—  Certainement,  mon  enfant,  Diane  nous 
est  très  attachée,  elle  t'aime  beaucoup  ; 
pourtant  je  ne  vois  pas  d'utilité  à  tenter 
cette  épreuve,  conclut  en  souriant  la  maman 
d'Alice. 

,  L'enfant  prenait  de  plus  en  plus  goût  à 
ces  récits,  et  souvent,  si  on  l'eût  écoutée, 
tout  le  temps  de  la  leçon  eût  été  employé 
ainsi  ;  mais  avant  tout  il  fallait  lire  et  réciter 
convenablement.  Il  est  vrai  que  ces  his- 
toires avaient  presque  toujours  un  but  ins- 
tructif ou  moral,  et  donnaient  lieu  à  une 
foule  de  questions  dans  le  genre  de  celle-ci  : 

—  Mère,  je  voudrais  savoir  d'où  vient 
le  nom  de  terre-neuve^  que  l'on  donne  à 
l'espèce  de  chien  dont  tu  viens  de  parler  ? 

—  Ce  nom  leur  vient,  répondit  M'"^  Mon- 
val,  de  l'endroit  ou  ils  sont  nés  et  élevés 
en  grande  quantité,  pour  être  expédiés 
ensuite  dans  toutes  les  parties  de  l'Eu- 
rope. 

Prenant  ensuite  un  traité  géographique 
et  historique  de  nos  colonies,  M'"""  Monval 


HISTOIRE  DU  PETIT  MAURICE. 


57 


en  lut  à  la  fillette    quelques  pages,  dont 
nous  extrayons  ce  qui  suit: 

L'Ile  de  Terre-Neuve  dépend  de  TAmé- 
rique  septentrionale,  et  se  trouve  située 
vis-à-vis  de  l'embouchure  du  Saint-Laurent 
de  façon  à  fermer  presque  le  golfe  oii  se 
jette  ce  fleuve.  Elle  appartenait  autrefois 
à  la  France,  mais  elle  devint  possession  an- 
glaise en  1713. 

A  une  petite  distance  de  cette  île,  se 
trouve  une  grande  étendue  de  bas-fonds, 
appelée  le  banc  de  Terre-Neuve,  c'est  là 
que  les  pêcheurs  de  morue  se  rendent  cha- 
que année.  La  moindre  habitation  de  l'île 
possède  une  douzaine  de  ces  chiens;  car 
ils  sont  pendant  les  longs  hivers  d'une 
grande  ressource  pour  les  naturels  comme 
bêtes  de  trait. 

Attelés  par  deux,  par  quatre  ou  par  six, 
ils  transportent  ainsi  des  charges  de  bois 
ou  autres  objets,  voiturent  même  les  habi- 
tants sur  la  glace.  On  les  emploie  aussi 
pour  la  pêche  du  loup  marin.  Enfin  ils  sont 
l'objet  d'un  grand  commerce,  chaque  jeune 
chien  se  vendant  de  10  à  20  francs.  Il  y 


58  MADEMOISELLE  POURQUOI. 

a  deux  espèces  de  terre-neuve,  les  poils 
ras  et  les  poils  longs  ;  les  premiers  sont 
ceux  que  l'on  estime  le  plus  dans  le  pays, 
étant  plus  robustes,  nageant  mieux  et  plus 
longtemps.  La  fourrure  épaisse  des  seconds 
les  rend  plus  lourds  parce  que  les  glaçons 
s'attachent  à  leurs  poils;  mais  'pour  l'ex- 
portation, c'est  la  seule  espèce  qui  ait  de 
la  valeur. 

Dans  la  saison  de  la  pêche,  les  habitants 
nourrissent  leurs  chiens  avec  les  débris  des 
morues  ;  le  reste  de  l'année,  ils  ne  vivent 
que  de  maraude,  c'est-à-dire  des  animaux 
dérobés  par  eux  dans  les  pâturages.  Quoi- 
que très  forts  et  très  voraces,  ils  sont  peu 
redoutables  pour  l'homme. 

C'est  dans  une  espèce  de  cave,  ménagée 
sous  la  maison,  que  l'habitant  de  l'île  réunit 
sa  meute;  c'est  de  là  qu'elle  sort  en  gro- 
gnant et  en  montrant  les  crocs  aux  pas- 
sants. Mais  il  ne  s'agit  que  de  faire  bonne 
contenance,  lever  un  bâton,  ou  se  baisser 
pour  ramasser  luie  pierre  ;  tous  ces  chiens 
rentrent  alors  en  grondant  dans  leur  ta- 
nière. 


HISTOIRE  DU  PETIT  MAURICE. 


59 


Pris  tout  jeune,  et  élevé  dans  un  mi- 
lieu plus  civilisé,  le  terre-neuve  devient 
doux  comme  un  mouton,  aimant  tout  le 
monde,  et  se  laissant  caresser  par  le  pre- 
mier venu. 

— C'est  très  vrai,  cela,  approuva M^'*^  Pour- 
quoi; te  souviens-tu,  mère,  de  celui  que 
nous  avons  vu  chez  M'^^  Belmont?  Il 
jouait  tout  le  jour  avec  les  petits  garçons 
qui  en  faisaient  ce  qu'ils  voulaient. 

—  L'eau  est   le    véritable   élément    du 
terre-neuve,  reprit  M"^^  Mouval,  il  s'y  jette 
avec    bonheur,    avec    enthousiasme,     dé- 
ployant dans  cet  exercice  sa  grâce,  sa  vi- 
gueur, sasouplesse.  Alors,  ses  mouvements 
sont  pleins  d'aisance,  son  œil,  languissant 
d'habitude,    s'anime   et  lance  des  éclairs. 
Tout   ce    qu'on  jette  à   l'eau,   tout  corps 
flottant,  devient  l'objet  de  sa  sollicitude  ; 
il  le  saisit  dans  sa  gueule  et  le  ramène  au 
bord,  quelque  lourd  qu'il  soit.  C'est  là  son 
mérite,  sa  gloire  même,  et  si  on  le  regarde, 
si  on  l'encourage  du  geste  et  de  la  voix, 
il  devient  superbe. 

—  Oh  !  que  je  voudrais  voir  nager  un 


60 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


terre-neuve  !   s'écria  Alice,   au  comble   de 
l'admiration. 

—  Mais  cette  qualité,  ce  talent  spécial 
du  terre-neuve,  conclut  M""^  Monval,  a  son 
mauvais  côté;  si  vous  vous  baignez  en 
compagnie  de  l'un  de  ces  chiens,  c'est  un 
ami  maladroit,  qui  vous  ramènera  forcé- 
ment à  la  plage.  11  faut  être  très  bon  nageur 
pour  éviter  son  zèle  malencontreux. 

—  Pourquoi  cela  ?  demanda  la  fillette. 

—  C'est  que  l'instinct  du  sauvetage  étant 
chez  lui  une  habitude  presque  machinale, 
c'est  plus  fort  que  lui,  il  ne  peut  y  résister. 

La  leçon  s'étant  prolongée  au  delà  de 
l'heure  habituelle,  M""^  Monval  ferma  son 
livre  et  se  leva,  au  grand  regret  d'Alice, 
qui  en  avait  oublié  l'heure  du  repas. 


CHAPITRE   VIII 


La  neige.    —   La  petite  marchande 


Un  jour,  —  on  était  alors  au  mois  de  dé- 
cembre, Noël  approchait  et  depuis  quel- 
ques jours  la  neige  couvrait  nos  parcs  et 
nos  promenades  de  son  blanc  manteau, 
—  M™^  Monval  proposa  une  promenade  au 
bois  de  Boulogne. 

La  maman  et  la  fillette,  bien  emmi- 
touflées de  fourrures,  les  mains  cachées 
dans  un  manchon,  partirent  donc  brave- 
ment. La  neige  durcie  criait  sous  leurs 
pieds;  le  froid  devenait  piquant;  malgré 
cela,  d'autres  mères  de  famille  avaient  suivi 
l'exemple  de  M"'''  Monval  ;  chacun  hâtait 
le  pas. 

Tout  en  courant,  Alice  n'oubliait  pas  son 
questionnaire  habituel.  Cette  fois,  la  neige 
lui   servit  de  prétexte  ;  il  fallut  lui    expli- 


^^^JàMm" 


ViL>j»^~^>.>ï.« 


62 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


quer  ce  phénomène,  lui  en  dire  la  for- 
mation. 

La  neige    est   la   cristallisation   des 

gouttes  de  pluie,  répondit  la  maman;  cela 
se  produit  lorsque  l'air  est  arrivé  à  une 
température  voisine  de  zéro.  S'il  fait  du 
vent,  la  neige  tombe  en  flocons  irréguliers  ; 
mais  si  le  temps  est  parfaitement  calme, 
ils  ont  la  forme  d'étoiles  à  six  rayons. 

Tiens!  je   n'avais   jamais  remarqué 

cela,  dit  l'enfant. 

Eh  bien,  regarde  avec  attention,  lors- 
qu'il en  tombera  de  nouveau,  c'est  très 
curieux  à  observer. 

—  Oui,  mais  pour  cela  il  faudrait  peut- 
être  une  grosse  lunette  ? 

Il  est  certain  qu'avec  l'aide  d'une  lon- 
gue-vue, tu  le  distinguerais  mieux. 

Alors  je  demanderai  celle  de  bon- 
papa. 

Changeant  ensuite  brusquement  d'idée, 

la  fillette  reprit  : 

—  Et  les  pauvres  petits  oiseaux  ?  que  de- 
viennent-ils, quand  les  arbres  sont,  comme 
aujourd'hui,  tout  couverts  de  neige? 


LA  NEIGE.  63 


m 

m 


—  Ils  se  cachent  pour  la  plupart  dans 
les  trous  des  vieux  murs,  en  attendant  une 
température  plus  douce. 

—  Pourtant,  il  faut  bien  qu'ils  mangent. 

—  Sans  doute;  les  plus  hardis  sortent 
de  leur  cachette  pour  chercher  leur  nour- 
riture>  mais  elle  n'est  pas  facile  à  trouver 
sous  la  neige,  et  souvent  ces  petits  impru- 
dents meurent  de  froid. 

—  Tous  les  arbres  que  nous  voyons  sont 
morts  aussi,  n'est-ce  pas,  petite  mère? 

'  —  Qui  te  fait  croire  cela  ?  est-ce  parce 
le  leurs  rameaux  sont  noircis,  desséchés? 
Ils  ne  sont  pas  morts  pour  cela  ;  au  con- 
traire, l'influence  de  la  neige  sur  la  con- 
servation des  plantes  est  un  fait  reconnu. 
Elle  les  garantit  contre  le  froid,  et  donne 
plus  d'action  à  la  végétation,  que  le  prin- 
temps développe  ensuite. 

—  Alors,   les   marronniers,  les  lilas  et 


toutes  ces  jolies  plantes  refleuriront  encore? 

—  Certainement,  dès  que  le  soleil  vien- 
dra réchauff'er  la  terre,  elles  pousseront 
cavec  une  vigueur  nouvelle. 

Mais  hàtons-nous,   ajouta  M'"*^  Monval, 


64 


MADEMOISELLE  POURQUOI 


si  tu  veux  que  nous  arrivions  à  temps  pour 
voir  les  patineurs  prendre  leurs  ébats  sur 
le  lac. 

Quoique  M'^""  Pourquoi  eut  encore  plus 
d'une  question  à  adresser  à  sa  mère,  elle 
se  mit  à  courir  devant.  Déjà  une  foule 
nombreuse  entourait  la  pièce  d'eau,  sur 
laquelle  des  jeunes  gens,  des  jeunes  filles, 
en  élégants  costumes  garnis  de  fourrure, 
glissaient  dans  tous  les  sens,  les  uns  sur 
leurs  patins,  les  autres  poussés  dans  de 
jolis  traîneaux. 

Ce  spectacle  était  très  attrayant;  malgré 
cela,  M"^®  Monval,  craignant  que  sa  fille  ne 
prît  froid,  donna  bientôt  le  signal  du  re- 
tour. On  gagna  donc  le  chemin  de  fer,  qui 
ramena  en  quelques  minutes  les  prome- 
neuses au  centre  de  la  ville. 

Le  lendemain,  quoique  le  temps  fut  aussi 
rigoureux,  la  maman  d'Alice,  ayant  quel- 
ques visites  à  faire,  emmena  la  fillette  avec 
elle.  Cette  fois,  la  promenade  fut  dirigée  du 
côté  des  Tuileries.  En  traversant  les  allées 
principales,  l'enfant  s'arrêtait  devant  cha- 
que statue,  et  paraissait  réfléchir. 


LA  NEIGE. 


—  Voyons,  dit  à  la  fin  M'"^^  Monval,  il  fau- 
irait  marcher  plus  vite  ;  si  tu  es  déjà  fati- 
;uée,  nous  allons  rentrer,  car  il  ne  fait  pas 
>on  de  rester  immobile  par  ce  froid  glacial. 

—  Mère,  observa  notre  questionneuse, 
alors  pourquoi  laisse-t-on  là  toutes  ces 
belles  dames?  elles  doivent  être  transies; 
regarde,  la  neige  est  restée  sur  leurs  man- 
teaux et  jusque  dans  leurs  cheveux. 

—  Chère  enfant,  répondit  la  maman 
d'Alice,  ces  belles  dames,  comme  tu  les 
appelles,  sont  des  reines,  des  princesses, 
qu'un  sculpteur  a  taillées  dans  du  marbre  ; 
presque  toutes  sont  des  chefs-d'œuvre, 
et  c'est  de  là  que  vient  ton  illusion.  Mais 
les  statues  ne  peuvent  ressentir  les  atteintes 
du  froid.  Ceux  qu'il  faut  plaindre,  par  cette 
température  de  glace,  ce  sont  les  malheu- 
reux, les  mendiants,  qui  n'ont  pas  de  quoi 
se  chauffer,  se  vêtir. 

Au  même  instant,  comme  on  approchait 
de  l'une  des  sorties,  une  petite  voix,  que 
le  froid  rendait  tremblante,  répéta  à  plu- 
sieurs reprises  derrière  M"^^  Monval  : 

—  Achetez-moi  quelque  chose,  ma  bonne 


66 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


dame  !  pour  un  sou  seulement,  ça  vous  por- 
tera bonheur  ! 

Lorsque  la  mère  et  la  fille  se  retournè- 
rent, elles  virent  ime  petite  fille  de  sept  ans 
à  peine,  grelottant  sous  une  robe  d'in- 
dienne fanée,  et  tenant  à  la  main  quelques 
cartes  remplies  de  ces  épingles  à  tête  noire, 
que  l'on  emploie  pour  la  toilette.  Trop  pau- 
vre, sans  doute,  pour  en  avoir  un  plus  grand 
assortiment,  la  pauvrette  avait  hâte  de 
placer  sa  marchandise,  car  elle  poursuivait 
tous  les  passants  de  son  refrain  monotone: 

—  Achetez-moi  quelque  chose  ! . . . 
Touchée  de   l'air  souff*rant  et  vraiment 

malheureux  de  lapetite  mendiante,  M"'^Mon- 
val  s'arrêta. 

—  Voyons,  dit-elle,  si  je  t'achetais  toutes 
tes  épingles,  que  ferais-tu  des  sous  que  je 
te  donnerais? 

—  Je  les  porterais  à  ma  pauvre  maman,, 
qui  est  bien  malade,  répondit  la  petite. 

—  Est-ce  bien  vrai,  cela? 

—  Oui,  maj^bonne  dame,  vous  pouvez 
venir  avec  moi,  vous  verrez  que  je  n'ai 
pas  menti,  affirma  l'enfant. 


LA  NEIGE.  67 


La  mamaa  d'Alice  réfléchit  un  instant, 
[puis  elle  reprit  : 

—  ïu  demeures  loin,  peut-être  ? 

—  A  Montmartre,  tout  en  haut  de  la  rue 
Lepic,  près  des  Buttes. 

Comme  il  y  en  avait  pour  plus  d'une 
demi-heure  de  chemin,  et  que  le  moment 
du  dîner  approchait,  M'°^  Monval  mit  quel- 
ques sous  dans  la  main  de  la  petite,  en 
promettant  d'aller  le  lendemain  visiter  la 
pauvre  malade. 

—  Maman,  observa  Alice,  tu  ne  lui  de- 
mandes pas  son  nom. 

Puis,  courant  à  la  petite  marchande  : 

—  Comment  te  nommes-tu?  fît-elle. 

—  Maria  Lebon,  répondit  la  pauvrette. 

—  C'est  bien,  va,  mon  enfant,  conclut 
jyjme  jvioQval,  qui  avait  écrit  le  nom  et  l'a- 
dresse sur  son  calepin  ;  retourne  vers  ta 
mère. 

Aussitôt,  la  petite  Maria  se  mit  à  courir, 
comme  si  elle  avait  hâte  d'annoncer  cette 
bonne  nouvelle  à  la  malade  ;  tandis  que 
Alice  et  sa  mère  prenaient  une  voiture 
pour  rentrer  chez  elles. 


CHAPITRE  IX 

La  petite  Maria  avait  dit   vrai.    —  Les 
suites  d'une  bonne  œuvre. 


Celte  rencontre  préoccupa  beaucoup 
Alice  ;  pendant  toute  la  soirée,  elle  parla  de 
la  petite  marchande  d'épingles,  et  ne  vou- 
lut pas  se  coucher  avant  que  sa  mère  lui 
eût  promis  de  l'emmener  avec  elle  le  len- 
demain pour  faire  sa  visite  de  charité. 

Avec  cette  promesse,  l'enfant  se  coucha 
plus  tranquille  ;  puis,  dès  le  matin,  voyant 
sa  mère  préparer  un  panier  de  provisions, 
elle  se  mit  à  chercher  aussi  parmi  ses 
jouets  ceux  qui  ne  lui  plaisaient  plus  ou  se 
trouvaient  défraîchis,  afin  de  les  offrir  à 
la  petite  Maria. 

M""^  Mon  val,  ayant  fait  grâce  de  la  leçon 
pour  ce  jour-là,  vers  dix  heures  ou  se  mit 
eu  route. 


LES  SUITES  D'UNE  BONNE  OEUVRE, 


69 


Alice  voulut  se  charger  du  panier,  mais 
il  était  trop  lourd,  il  fut  décidé  que  la 
bonne  le  porterait. 

Arrivées  à  l'adresse  donnée  par  la  petite 
marchande  d'épingles,  les  visiteuses  se 
firent  indiquer  la  chambre  de  M"'^  Lebon. 

—  C'est  au  cinquième,  répondit  la  con- 
cierge, la  porte  à  droite  ;  puis,  sans  qu'on 
lui  demandât  d'autres  renseignements,  elle 
ajouta  : 

—  La  pauvre  femme  est  bien  malade, 
et  personne,  pas  un  homme,  pour  gagner 
à  la  maison  ;  sans  la  petite  Maria,  elle  serait 
toute  seule.  J'y  fais  ce  que  je  peux,  les 
voisines  de  même;  mais,  vous  savez,  ma 
bonne  dame,  on  n'est  pas  riche. 

La  brave  femme  parlait  encore  que 
M"'^  Monval,  suivie  d'Ahce,  montait  l'es- 
calier assez  raide,  sombre  et  mal  tenu. 
Arrivée  devant  la  porte  indiquée,  elle  frappa 
doucement;  aussitôt,  la  petite  Maria  vint 
ouvrir  ;  en  reconnaissant  la  belle  dame  des 
Tuileries,  sa  figure  s'épanouit  et,  courant 
vers  sa  mère  : 

—  Maman!  maman,  s'écria-t-elle,  c'est 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


la  dame  qui  m'a  donné  les  sous.  Tu  vois 
qu'elle  est  venue  nous  voir. 

Demeurée  près  de  la  porte,  M'"®  Monval 
regardait  autour  d'elle,  et  son  cœur  se 
serrait  en  constatant  le  dénuement  qui  ré- 
gnait dans  la  mansarde. 

Un  lit  de  bois  blanc,  garni  d'une  paillasse, 
avec  un  vieux  châle  pour  couverture,  un 
petit  bufTet  et  deux  tabourets  de  paille 
grossière  en  composaient  tout  le  mobilier. 
Sur  ce  lit  était  couchée  une  jeune  femme, 
pâle,  amaigrie,  les  joues  creusées  par  la 
souffrance. 

—  Je  vous  apporte  quelques  provisions, 
dit  la  visiteuse. 

—  Et  moi,  je  t'apporte  des  joujoux,  fit 
Alice,  en  présentant  à  la  petite  pauvre 
une  boîte  de  carton  soigneusement  enve- 
loppée. 

—  Je  vois,  reprit  M"^^  Monval  en  s'a- 
vançant,  qu'il  vous  faudrait  aussi  un  mé- 
decin. Il  y  a  longtemps  que  vous  êtes 
malade  ? 

—  Depuis  le  commencement  de  l'hiver, 
ma  bonne  dame  ;  le  médecin  est  venu  deux 


LES  SUITES  D'UNE  BONNE  CEUVRE.  71 

fois  ;  mais,  voyant  que  je  ne  pouvais  pas 
acheter  les  médicaments,  il  n'a  pas  con- 
tinué ses  visites. 

—  Et  vous  restez  ainsi  sans  feu,  sans 
aucune  ressource  ? 

—  J'ai  eu  un  peu  d'aide  dans  les  com- 
mencements, chacun  s'y  prêtait;  mais  dame! 
les  voisins  ne  sont  pas  riches  non  plus. 

—  Cependant,  il  faut  vous  soigner,  vous 
rétablir  promptement  pour  élever  cette 
chère  petite,  conclut  M"'^  Mouval,  en  don- 
nant une  caresse  à  l'enfant.  Allons,  prenez 
courage  !  Je  vous  enverrai  demain  du 
bouillon,  un  peu  de  vin  vieux,  et  quand 
vous  serez  plus  forte,  je  vous  donnerai  du 
travail. 

Sans  attendre  les  remerciements  de  sa 
protégée,  la  maman  d'Alice  se  dirigea  en- 
suite vers  la  porte. 

—  Nous  reviendrons,  n'est-ce  pas,  mère? 
supplia  cette  dernière.  Vois  comme  elle  est 
contente,  ajouta  la  fillette,  en  montrant  la 
petite  Maria,  assise  par  terre,  très  occupée 
à  étaler  autour  d'elle  les  jouets  qu'on  ve- 
nait de  lui  apporter. 


72  MADEMOISELLE  POURQUOL 

—  Oui,  mon  enfant,  je  reviendrai  dans 
quelques  jours,  dit  M""^  Monval,  en  com- 
mençant à  descendre  avec  précaution  l'é- 
troit escalier,  cette  pauvre  femme  m'inté- 
resse beaucoup. 

—  Si  je  suis  sage,  tu  m'emmèneras  avec 
toi?  supplia  Alice. 

—  Si  tu  es  sage,  en  effet,  si,  chaque 
matin,  je  suis  contente  de  tes  leçons,  ce 
sera  ta  récompense. 

—  Oh  !  quel  bonheur  !  dit  la  fillette  en 
sautant  les  dernières  marches  de  l'escalier, 
car  on  était  arrivé  en  bas. 

—  Cette  joie  prouve  ton  bon  cœur,  mon 
enfant,  approuva  la  maman;  faire  le  bien, 
faire  des  heureux,  lorsque  notre  situation 
nous  le  permet,  c'est  la  plus  grande  satis- 
faction que  l'on  puisse  éprouver  ici-bas. 

Cependant  une  chose  préoccupait  notre 
fillette  : 

—  Maman,  demanda-t-elle  après  quelques 
instants  de  réflexion,  est-ce  que  la  petite 
Maria  ira  encore  vendre  des  épingles  à  la 
porte  des  Tuileries  ? 

—  Sans    doute,   répondit    M'"^  Monval, 


LES  SUITES  D'UNE  BONNE  ŒUVRE.  "73 

tant  que  sa  maman  ne  sera  pas  assez  forte 
pour  recommencer  à  travailler,  la  pauvre 
petite  fera  ce  qu'elle  pourra  pour  se  rendre 
utile.  Les  quelques  sous  que  rapporte  son 
petit  commerce  sont  toujours  une  res- 
source, ils  aident  à  payer  le  boulanger. 

—  Mais  les  voitures  pourraient  l'écraser, 
et  quand  il  pleut,  ou  qu'il  tombe  de  la  neige, 
elle  doit  avoir  si  froid  !  Pauvre  petite  Maria  ! 

—  Cette  enfant  n'en  a  que  plus  de  mé- 
rite, observa  la  maman.  Si  j'étais  pauvre 
et  malade,  incapable  de  travailler,  ne  ferais- 
tu  donc  rien  pour  moi? 

—  Oh  !  si,  petite  mère,  dit  la  fillette  avec 
un  élan  spontané  d'amour  filial,  j'irais, 
comme  Maria,  vendre  des  épingles  dans  les 
rues,  ou  bien  des  violettes  à  la  saison.  Je 
serais  si  heureuse  quand  je  pourrais  te  rap- 
porter le  soir  l'argent  que  j'aurais  gagné  ! 

—  Voilà  de  bonnes  dispositions,  chère 
enfant  !  il  est  à  désirer  que  tu  n'aies  ja- 
mais l'occasion  de  les  mettre  en  pratique, 
fît  en  souriant  M'"'^  Monval. 

Ce  que  je  souhaite  maintenant  c'est  que 
cette  bonne  œuvre  que  nous  avons  entre- 

10 


74 


MADEMOISELLE  POURQUOI. 


prise  porte  ses  fruits,  c'est-à-dire  que  le 
tableau  de  cette  misère  te  fasse  mieux 
sentir  le  prix  du  bien-être  et  des  soins  dont 
tu  es  entourée.  Qu'il  te  rende  surtout  plus 
soigneuse  à  l'occasion  pour  tes  jouets  et 
tous  les  objets  à  ton  usage. 

11  y  a  tant  de  pauvres  petits  enfants 
comme  Maria  que  l'on  rendrait  heureux 
toute  une  année  avec  ce  que  tu  casses  ou 
mets  au  rebut  chaque  mois. 

Comme  on   arrivait  à  la  maison,  Alice 
ne  répondit  rien  à  cette  sage  réflexion  de 
sa  maman,  mais  par  la  suite,  elle  lui  re- 
vint à  la  mémoire  ;  plutôt  que  de  perdre 
ou  de  gâcher  chaque  chose,  comme  aupa- 
ravant, la  fillette  devint  très  ordonnée.  Tout 
le  monde  s'étonna  de  ce  changement,  et  sa 
petite  protégée  y  gagna  de  jolis  cadeaux. 
Il  fallut  même  que  M'"^  Monval  mît  bon 
ordre    dans    les    réserves    faites    par    sa 
fille  à  cette  intention  ;  car  l'excès  en  tout 
est  un  défaut,  et  dans  son  zèle  charitable 
Alice    eût    donné    à   la   petite   Maria    des 
objets  dont  ni  l'une  ni  l'autre  ne  connais- 
saient la  valeur. 


CHAPITRE   X 

La   première    lettre.    —    Les  amies    de 
pension.  —  Une  grande  entreprise. 


Bientôt  les  leçons  maternelles  ne  suffi- 
rent plus  à  M''^  Pourquoi.  M""""  Monval, 
n'ayant  pas  toujours  le  temps  de  répondre 
à  ses  continuelles  questions,  confia  son  ins- 
truction à  une  excellente  maîtresse  de  pen- 
sion que  l'on  nommait  M"^^  Delmas. 

Les  commencements  furent  difficiles,  car 
la  fillette,  un  peu  gâtée,  habituée  surtout  à 
avoir  son  franc-parler,  se  résigna  avec 
peine  au  silence  exigé  pendant  les  heures 
de  classe.  Il  arriva  plus  d'une  fois  qu'au 
milieu  du  calme  général,  Alice  posât  des 
questions  dont  la  bizarrerie  fit  rire  aux  éclats 
toutes  les  élèves.  Dans  un  autre  moment, 
elle  répondait  tout  haut  à  sa  voisine,  une 
petite  fille  très  bavarde  et  assez  dissipée 


76 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


qui  se  nommait  Suzanne  Méran.  Cet  oubli 
du  règlement  entraînait  alors  les  autres 
voisines,  et  les  punitions  pleuvaient  ;  ce  qui 
n'empêchait  pas  nos  évaporées  de  recom- 
mencer le  lendemain.  L'amitié  des  deux 
fillettes  devenant  chaque  jour  plus  forte, 
on  les  cita  bientôt  comme  deux  insépara- 
bles. Dès  que  l'heure  de  la  récréation  son- 
nait, on  les  voyait  causer  longuement  en- 
semble. 

Un  jour  Alice  entreprit  de  raconter  à 
son  amie  l'histoire  de  la  petite  marchande 
d'épingles,  car,  malgré  ses  nouvelles  occu- 
pations, cette  bonne  œuvre  n'était  pas  ou- 
bliée. Suzanne  avait  bon  cœur  ;  elle  voulut 
s'y  associer,  il  fut  donc  convenu  qu'un 
jeudi,  on  passerait  la  prendre  pour  aller 
visiter  la  pauvresse. 

Dans  l'intervalle,  Alice,  retenue  à  la  mai- 
son par  une  légère  indisposition,  ayant 
manqué  la  classe  pendant  deux  jours,  reçut 
un  matin  un  petit  mot  par  la  poste.  Une 
lettre  pour  elle  seule,  à  son  adresse,  c'était 
la  première  ;  aussi  ce  fut  tout  un  évé- 
nement. 


LA  PREMIÈRE  LETTRE.  77 

—  Maman,  s'écria-t-elle,  en  arrivant 
dans  la  chambre  de  sa  mère,  j'ai  aussi  mon 
courrier,  vois,  il  y  a  bien  :  A  M^^^  Alice 
Monval. 

Qui  donc  peut  m'écrire? 

—  Décachette  ta  lettre,  mon  enfant,  dit 
]yjme  ]\ionval,  c'est  le  meilleur  moyen  de 
satisfaire  ta  curiosité. 

Prenant  un  canif  sur  le  bureau  de  sa 
mère,  la  fillette  coupa  l'enveloppe,  et  lut 
ce  qui  suit  : 

((  Ma  chère  Alice,  ne  te  voyant  plus 
venir  au  cours,  j'ai  pensé  que  tu  étais  ma- 
lade. Tant  mieux  si  tu  as  manqué  la  classe 
pour  une  autre  cause;  mais  je  suis  très 
inquiète,  sois  donc  assez  gentille  pour  me 
répondre  de  suite,  afin  de  me  rassurer. 

c(  Dis-moi,  en  même  temps,  si  notre 
rendez-vous  pour  aller  chez  la  petite  fille 
pauvre  est  toujours  fixé  à  jeudi,  et  si  je 
dois  passer  te  prendre. 

((  A  bientôt,  j'espère,  ma  chère  Alice. 
((  Ton  amie  qui  t'embrasse  bien  fort, 
(c  Suzanne  Méran. 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


((P. -S.  Surtout  pas  de  paresse.  Réponds- 
moi  de  suite.   » 


—  Répondre,  répondre,  c'est  bien  facile 
à  dire,  fît  Alice,  en  se  grattant  la  tête  ; 
mais  moi,  je  ne  sais  pas  faire  une  lettre. 

—  Je  ne  sais  pas...  est-ce  bien  sérieux, 
ce  que  tu  dis  là?  fît  M""^  Monval.  Crois-tu  que 
ton  amie  soit  plus  forte  que  toi  sur  le  style 
épistolaire  ?  Elle  a  montré  de  la  bonne  vo- 
lonté, fais  comme  elle,  c'est  le  meilleur 
moyen  pour  apprendre. 

—  J'essayerai,  fît  Alice,  qui  semblait  peu 
convaincue  de  la  réussite. 

Après  le  déjeuner,  la  fillette  s'installa 
cependant  sur  le  bureau  de  son  père,  mais 
elle  gâta  plusieurs  feuilles  de  papier  avant 
d'arriver  à  faire  quelque  chose  de  présen- 
table. A  la  troisième  ou  quatrième  feuille, 
repoussant  plume  et  papier,  l'enfant,  éner- 
vée par  ces  essais  infructueux,  se  mit  à 
pleurer. 

—  Comment,  fît  M'""^  Monval,  qui  entrait 
ace  moment,  tu  n'as  encore  rien  fait?  ton 
courage  est  à  bout  ? 


LA  PREMIÈRE  LETTRE.  79 

Je  ne  peux  pas,...  je  ne  trouve  rien;... 
pourtant,  j'ai  bien  cherché... 

—  Précisément,  tu  cherches  beaucoup 
trop  tes  mots,  tes  phrases,  c'est  un  mau- 
vais moyen  ;  avant  tout,  il  faut  être  naturel. 
Écris  à  ton  amie  absolument  comme  si  tu 
lui  parlais.  Remercie-la  d'abord  de  s'être 
inquiétée  de  ta  santé  ;  dis-lui  que  tu  as  été 
un  peu  malade,  mais  que  tu  vas  mieux. 
Pour  votre  rendez-vous  de  charité,  ce  sera 
toujours  pour  jeudi  ;  mais,  comme  nous 
ferons  notre  visite  le  matin,  il  sera  préfé- 
rable que  nous  allions  prendre  ton  amie, 
puisque  cela  sera  sur  notre  chemin.  Si  tu 
vas  à  la  pension  après-demain,  tu  lui  diras 
l'heure  où  elle  devra  se  trouver  prête. 
Comme  tu  le  vois,  tout  cela  est  très  simple. 

Alice  suivit  le  conseil  de  sa  maman  ; 
sur  le  canevas  qu'on  lui  avait  tracé,  elle 
écrivit  une  petite  lettre  très  gentille,  très 
affectueuse,  sans  prétention.  Il  lui  tarda 
ensuite  de  revoir  son  amie  afin  de  savoir 
ce  qu'elle  en  pensait  ;  aussi,  le  surlende- 
main, lorsqu'il  fallut  se  rendre  au  cours,  fut- 
elle  prête  bien  avant  l'heure  habituelle.  Sa 


80  MADEMOISELLE  POURQUOI. 

précipitation  fut  même  si  grande  que  bien 
des  petits  détails  de  toilette  auraient  été 
oubliés,  si  la  maman  ne  s'en  était  aperçue 
au  moment  de  partir. 

—  Surtout,  dit-elle,  en  nouant  au  cou 
de  la  fillette  une  jolie  cravate  de  mousse- 
line, ne  va  pas  prendre  chaud  en  jouant. 
Pour  ton  amie  Suzanne,  dis-lui  que  demain 
matin,  à  dix  heures,  nous  serons  chez 
elle. 

De  toutes  ces  recommandations,  Alice  se 
souvint  particulièrement  de  la  dernière  ; 
mais  voilà  qu'à  la  récréation  toutes  les 
élèves  de  sa  classe  l'entourèrent  et  lui  dé- 
clarèrent qu'elles  voulaient  participer  à  sa 
bonne  œuvre.  Alice  comprit  que  Suzanne 
avait  parlé. 

—  Oui,  nous  avons  comme  toi  notre 
bourse,  dirent  les  fillettes,  et  nous  voulons 
faire  aussi  notre  cadeau. 

—  Je  le  veux  bien,  mais  il  faut  nous 
entendre. 

—  Certainement,  fit  Suzanne,  chacune 
va  nommer  un  objet.  Voyons,  ne  parlez 
pas  toutes  à  la  fois. 


''^W^:^^^^9r^/r/^y^^ 


I 


M 


LA  PREMIÈRE  LETTRE.  81 

—  Moi,  j'achèterai  un  beau  chapeau, 
proposa   une  blondinette. 

—  Un  joU  manteau  de  velours,  dit  une 
autre. 

—  Un  manchon. 

—  Ce  n'est  plus  la  saison,  observa  Su- 
zanne. 

—  Des  bottines. 

—  Des  gants. 

—  Une  robe  de  soie. 

—  Un  joli  petit  lit  doré  comme  le  mien, 
dit  enfin  la  dernière,  une  brunette  de  huit 
ans. 

—  Tout  cela  est  très  bien,  reprit  Suzanne  ; 
seulement,  nous  allons  faire  une  liste,  et 
c'est  la  maman  d'Alice  qui  décidera  ce  que 
l'on  doit  acheter. 

Comme  on  le  pense  bien,  cette  dernière 
eut  beaucoup  à  biffer  sur  la  fameuse  liste  ; 
elle  loua  l'élan  de  charité  qui  faisait  agir 
les  petites  donatrices,  mais  leur  observa  en 
même  temps  qu'il  fallait  donner  à  chacun 
selon  sa  condition. 

On   acheta  donc  avec  le  montant  de  la 

collecte  une   robe  de  laine,   des  souliers, 

11 


82 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


trois  petites  chemises  et  un  chapeau  de 
paille  brune  pour  la  petite  marchande.  Le 
reste  servit  à  donner  à  la  maman  de  Maria 
quelques  objets  de  première  nécessité. 

La  pauvre  femme  fut  si  heureuse  de  ce 
bien-être  inattendu,  que  sa  santé  se  rétablit 
plus  promptement  qu'on  ne  l'aurait  espéré. 
Bientôt  elle  put  quitter  sa  chambre  et  se 
charger  de  différents  travaux  de  couture. 
Se  trouvant  ainsi  à  l'abri  du  besoin,  sa 
petite  Maria  put  être  envoyée  chaque  jour 
à  l'école.  Ce  fut  peut  être  moins  du  goût 
de  l'enfant  que  d'aller  vendre  des  épingles 
et  vagabonder  dans  les  rues  de  Paris.  Mais 
la  prévoyante  mère  remplissait  son  devoir 
en  donnant  à  sa  fille  une  part  de  cette  ins- 
truction, si  précieuse  dans  toutes  les  condi- 
tions, et  mise  aujourd'hui  à  la  portée  de 
tous. 


CHAPITRE    X[ 

Maria  devient  savante.  —  Tentation, 
La  probité  du  pauvre. 


En  peu  de  temps,  la  petite  Maria  fit  des 
progrès  surprenants.  Bientôt  M"^'^  Monval 
put  la  citer  comme  modèle  à  sa  fille. 

—  Cela  fait  plaisir,  disait-elle  parfois,  de 
voir  avec  quelle  ardeur  cette  petite  s'est 
mise  à  apprendre. 

C'était,  en  effet,  une  chose  surprenante  ; 
chaque  fois  que  l'enfant  venait  avec  sa 
mère  faire  visite  à  ses  bienfaitrices,  la 
mère  d'Alice,  pour  constater  ses  progrès, 
s'amusait  à  lui  faire  hre  quelques  pages.  Un 
jour,  elle  fut  si  satisfaite,  que,  ne  sachant 
quelle  récompense  lui  donner,  elle  laissa  sa 
fille  libre  de  choisir  pour  l'enfant  le  cadeau 
qui  lui  serait  le  plus  utile,  et  en  même 
temps  le  plus  agréable. 


8i 


MADEMOISELLE  POURQUOI. 


M"^  Pourquoi  fut  d'abord  assez  embar- 
rassée. Des  jouets?  elle  en  avait  tant  donné 
que  sa  petite  protégée  commençait  à  en 
être  encombrée  à  son  tour.  Des  livres?  ceux 
qu'onlui  avait  achetés  jusque-là  étaient  trop 
beaux,  trop  riches.  Quoi  donc  alors?  Alice 
ne  savait  plus.  Tout  à  coup  il  lui  vint  une 
idée,  et  profitant  de  ce  que  sa  mère  avait 
été  demandée  au  salon  pour  une  visite,  la 
fillette  courut  à  sa  chambre  et,  choisissant 
parmi  ses  robes  celle  qui  lui  plaisait  le 
moins,  en  fit  un  paquet,  puis  revenant 
près  de  Maria  : 

—  Tiens,  dit-elle,  voici  une  belle  robe, 
je  ne  la  mets  plus  ;  si  ta  mère  la  trouve  trop 
longue,   elle  l'arrangera. 

L'enfant,  toute  rouge  de  plaisir,  regar- 
dait le  paquet,  assez  mal  attaché  du  reste, 
et  n'osait  le  défaire  pour  admirer  plus  à 
l'aise. 

—  Non,  non,  ce  n'est  pas  la  peine,  fit 
Ahce,  devinant  son  intention.  Va  vite  chez 
toi,  il  est  tard,  ta  mère  te  gronderait. 

La  petite  obéit  à  regret  ;  mais  en  route 
l'épingle  se  défit,  la  robe  se  déroula.  S'ar- 


MARIA  DEVIENT   SAVAxNTE. 


85 


rêtant  sous  une  porte,  Maria  la  retourna 
de  tous  les  côtés.  Lorsqu'elle  eut  bien  re- 
gardé les  volants,  la  garniture,  les  nœuds 
de  ruban,  une  pensée  lui  vint,  et  cherchant 
la  poche,  elle  y  plongea  la  mahi. 

—  Oh  !  oh  !  fît  l'enfant  en  retirant  une 
bourse  en  peluche  rose,  M"^  Alice  a  ou- 
blié quelque  chose. 

Longtemps  elle  la  retourna  entre  ses 
doigts.  La  tentation  était  forte.  Fallait- il 
la  reporter  sans  l'ouvrir?  La  bourse  pa- 
raissait si  légère!  Peut-être  était-elle  vide? 

—  Si  je  regardais  ce  qu'il  y  a  dedans,  fît 
à  la  fîn  la  pauvrette,  qui  appuya  sur  le  res- 
sort d'acier.  Aussitôt  une  belle  petite  pièce 
de  cinq  francs  en  or  tomba  dans  sa  main. 

—  Cinq  francs  !...  comme  on  pourrait 
acheter  tout  plein  de  belles  choses  avec 
cela!...  pensa  Maria. 

C'est  que  jamais  la  petite  marchande  ne 
s'était  vue  en  possession  de  pareille  somme, 
même  lorsqu'elle  faisait  son  commerce  d'é- 
pingles noires.  Quelle  belle  boutique  on 
eut  monté  avec  cet  argent!  Il  ne  s'agissait 
plus  de  cela  maintenant,  on  allait  à  Técole. 


86  MADEMOISELLE  POURQUOL 

Tout  en  réfléchissant,  l'enfant  avait  roulé 
son  paquet  sous  son  bras,  mis  la  petite 
bourse  dans  sa  poche,  et  s'était  remise 
en  marche.  Au  bout  de  quelques  pas, 
quelqu'un  l'ayant  poussée  contre  une  de- 
vanture de  magasin,  l'enfant  leva  les 
yeux.  Devant  elle  resplendissait  l'étalage 
d'un  grand  pâtissier.  Tartes  de  toutes 
sortes,  gâteaux  appétissants,  petits-fours, 
crèmes,  biscuits,  l'eau  vous  en  venait  à  la 
bouche. 

A  cette  vue.  Maria,  qui  n'avait  pas 
goûté,  et  peut-être  assez  mal  déjeuné,  se 
sentit  tentée  de  plus  belle. 

Les  yeux  pleins  de  convoitise,  une  main 
dans  sa  poche,  elle  ne  bougeait  plus. 

—  Entre  donc,  qui  le  saura?  disait  son 
estomac. 

—  Si  tu  entames  les  cinq  francs,  c 
ment    faire    ensuite  pour  les  rendre  ?    lui 
murmurait  son  bon  ange. 

Pauvre  Maria!  à  sept  ans,  on  ne  résiste 
guère  à  dépareilles  occasions.  Quiallaitl'em- 
porter?  la  gourmandise  ou  la  conscience? 

—  Allons  !  allons,  petite,  que  fais-tu  là? 


MARIA  DEVIENT   SAVANTE.  87 

va  donc  faire  ta  commission  ;  ta  maman 
te  grondera,  cria  à  son  oreille  la  voix  d'un 
petit  apprenti  pâtissier  qui  rentrait  de 
course,  avec  sa  bannette  vide  posée  sur  sa 
tête. 

L'enfant  tressaillit  ;  sa  mère  !  elle  l'avait 
oubliée.  Cet  avertissement  la  sauva.  Ser- 
rant dans  sa  main  la  petite  bourse  rose  : 

—  Je  vais  tout  dire  à  maman,  c'est  elle 
qui  décidera,  fit  la  petite,  qui  se  mit  à 
courir  vers  sa  demeure. 

La  décision  fut  que  la  maman  de  Maria, 
sans  même  vouloir  attendre  au  lendemain, 
et  sans  s'arrêter  aux  protestations  de  sa 
fille,  reporta  chez  M"^^  Mon  val  non  seule- 
ent  la  bourse  et  son  contenu,  mais  aussi 
\a  robe,  se  doutant  que  ce  riche  cadeau 
vait  été  fait  par  Alice,  sans  l'approbation 
de  sa  mère. 

]yjme  jvionval,  très  touchée  de  cet  acte 
de  probité  de  la  pauvre  femme,  voulut  lui 
faire  accepter  l'argent  et  la  robe,  mais  elle 
ne  put  y  parvenir. 

—  Ce  n'est  pas  une  toilette  de  notre 
rang,  dit  Touvrière,  M"^  Alice  est  trop  jeune 


88 


MADEMOISELLE  POURQUOI. 


pour  y    avoir    pensé.    Pour   la   bourse... 

—  C'est  encore  une  preuve  de  son  dé- 
sordre, elle  croyait  l'avoir  perdue,  j'ensuis 
sure,  interrompit  la  maman,  et  pour  l'en 
punir,  je  tiens  à  ce  que  votre  petite  Maria 
en  profite.  Vous  lui  achèterez  une  robe  plus 
simple  avec  cet  argent  :  prenez-le. 

—  Mais,  madame,  voulut  répliquer  la 
brave  femme,  cet  argent,  je  ne  l'ai  pas  ga- 
gné. 

—  Qu'importe?  Je  vous  le  donne. 

Il  fallut  accepter.  Alice  était  sortie  avec 
sa  bonne  ;  dès  qu'elle  rentra,  la  première 
chose  que  vit  la  fillette  ce  fut  cette  robe, 
dont  elle  se  croyait  débarrassée. 

—  Maria  n'en  a  donc  pas  voulu,  demanda 
notre  espiègle. 

—  C'est  sa  mère  qui  l'a  rapportée,  ré- 
pondit M"''  Monval. 

—  Pourquoi?  J'en  avais  fait  cadeau  à 
Maria. 

—  Bien  qu'elle  soit  un  peu  fanée,  cette 
robe^  par  ses  ornements,  sa  façon,  n'était 
pas  de  son  rang  ;  cette  femme  avait  du  reste 
une  autre  raison  pour  la  rapporter. 


MARIA  DEVIENT  SAVANTE. 


89 


—  Ah!...  la  couleur  ne  lui  plaisait  pas? 

—  Ce  n'est  pas  cela  ;  tu  avais  oublié  quel- 
que chose  dans  la  poche.  Cherche  un  peu  à 
te  rappeler. 

—  Dame  !  je  ne  sais. . .  un  sou,  peut-être. 

—  Mieux  que  cela,  ta  bourse  en  peluche. 

—  Tiens!  je  la  croyais  perdue...  Il  y 
avait  quelque  chose  dedans? 

—  Une  pièce  de  cinq  francs  en  or. 

—  C'est  vrai,  je  me  rappelle  ;  c'est  grand- 
père  qui  me  l'avait  donnée.  Eh  bien,  est-ce 
que  la  mère  de  Maria  l'a  aussi  rapportée? 

—  Oui,  certainement,  c'est  même  ce  qui 
l'a  fait  accourir  aussitôt;  c'est  très  beau  de 
sa  part;  cette  femme,  étant  malheureuse, 
pouvait  tout  garder,  et  bien  d'autres  l'eus- 
sent fait  à  sa  place.  Autant  pour  te  punir 
de  ton  désordre  que  pour  récompenser 
cet  acte  de  probité,  j'ai  exigé  que  cet  argent 
leur  restât,  et  fût  employé  à  acheter  quel- 
que chose  d'utile  à  l'enfant. 

j^jiie  Pourquoi,  ne  trouvant  rien  à  répli- 
quer, baissa  la  tête,  et  se  promit  de  mieux 
visiter  ses  poches  à  l'avenir. 


12 


CHAPITRE    XII 

Une  récompense  méritée.  —  Les  vacances 
à  la  campagne. 


A  l'âge  d'Alice,  la  plupart  des  enfants 
ont  l'esprit  changeant;  une  préoccupation 
fait  vite  place  à  une  autre.  Après  s'être 
beaucoup  tracassée  pour  la  petite  Maria  et 
sa  mère,  il  vint  un  moment  où  elles  furent 
presque  oubliées.  Par  bonheur,  M"'""  Monval 
veillait,  sans  se  lasser,  à  ce  que  rien  ne 
manquât  à  ses  intéressantes  protégées. 

Il  est  vrai  que,  depuis  quelque  temps,  no- 
tre fillette  avait  assez  à  faire  ;  la  fin  de 
Tannée  scolaire  approchait,  il  fallait  redou- 
bler de  zèle,  soigner  les  devoirs,  les  leçons, 
les  compositions,  afin  de  ne  pas  revenir 
bredouille  le  jour  de  la  distribution  des 
prix. 

Lorsque  ce  moment  solennel  arriva,  Alice, 


UNE  RECOMPENSE  MÉRITÉE. 


91 


qui  avait  travaillé  consciencieusement,  eut 
la  satisfaction  de  recevoir  deux  beaux  prix, 
qu'elle  rapporta,  toute  fière,  à  la  maison. 
Parents,  amis,  tout  le  monde  Fembrassa, 
la  complimenta;  mais  ce  qui  la  charma  le 
plus  ce  fut  la  promesse  que  lui  fît  sa  mère 
d'une  récompense  extraordinaire,  bien  mé- 
ritée, du  reste. 

Cette  récompense  consistait  à  aller  pas- 
ser les  vacances  à  la  campagne,  chez  une 
amie  de  M""^  Monval  Lorsque  notre  fillette 
connut  ce  projet,   elle  sauta  de  bonheur. 

—  Je  vais  voir  des  forêts,  des  champs, 
des  rivières,  s'écriait  l'enfant;  oh!  que  je 
voudrais  déjà  courir  dans  l'herbe! 

Ce  plaisir  tant  souhaité  ne  se  fît  pas 
longtemps  attendre.  Un  matin,  les  malles 
furent  expédiées  au  chemin  de  fer,  où  l'on 
prit  le  train  pour  Chantilly.  La  villa  de 
]yjme  Le^jj^out  sc  trouvait  aux  environs  de 
cette  petite  ville. 

Plus  on  approchait  de  cet  endroit,  plus 
Alice  s'extasiait  sur  les  beautés  de  la  cam- 
pagne, la  diversité  des  sites. 

Aux  plaines  monotones  des  environs  de 


92 


MADEMOISELLE    POURQUOL 


Paris,  succédèrent  de  riants  horizons,  puis, 
la  forêt  de  Chantilly,  et  les  étangs  de 
Commelle. 

On  arriva  enfin;  en  attendant  l'heure  du 
déjeuner,  les  enfants  de  M'"^  Lermont, 
Jeanne,  Charles  et  la  petite  Rose,  un  bébé 
de  deux  ans,  jouaient  dans  le  vaste  jardin 
qui  s'étendait  derrière  la  maison.  Alice  les 
rejoignit  et  eut  promptement  fait  connais- 
sance avec  eux.  Lorsqu'on  les  appela  pour 
se  mettre  à  table,  toute  la  bande  faisait 
déjà  de  beaux  projets  pour  passer  gaiement 
le  reste  de  la  journée. 

Cependant,  la  chaleur  étant  très  forte, 
il  fallut  attendre  quelques  heures  pour 
aller  s'ébattre  dans  les  champs,  Jeanne 
et  Charles  en  profitèrent  pour  montrer  à 
leur  petite  amie  leurs  jouets,  leurs  livres 
de  prix,  albums  de  gravures.  Lorsque  tout 
fut  épuisé,  on  descendit  doucement  du  jar- 
din au  verger,  et  l'on  gagna  ainsi  les  bâti- 
ments de  la  ferme,  qui  faisait  aussi  partie 
de  la  propriété  de  M'"''  Lermont. 

A  cette  heure  du  jour  les  grosses  bêtes, 
bœufs  de  labour,  vaches  et  moutons  étaient 


UNE  RECOMPENSE  MÉRITÉE. 


93 


encore  aux  champs  ;  mais  dans  la  cour  se 
trouvait  tout  un  peuple  de  poules  et  de 
poulets  gloussant,  voletant  autour  d'une 
servante,  occupée  à  leur  jeter  du  grain.  Ce 
spectacle,  nouveau  pour  notre  petite  Pari- 
sienne, lui  plut  beaucoup  ;  mais  elle  mit 
en  fuite  une  bonne  partie  des  volailles  en 
voulant  prendre  dans  ses  bras  une  jolie 
poulette  blanche.  On  entra  ensuite  au  pou- 
lailler, où  quelques  couveuses  excitèrent  la 
curiosité  d'Ahce. 

—  Pauvres  cocotes  !  s'écria-t-elle,  en  les 
voyant  immobiles,  les  ailes  étendues  sur 
leur  panier,  pourquoi  ne  vont-elles  pas  man- 
ger comme  les  autres? 

—  C'est  afin  de  ne  pas  refroidir  leurs 
œufs,  répondit  Jeanne.  On  va  leur  apporter 
du  grain;  il  ne  faut  pas  les  déranger  et, 
dans  quelques  jours,  nous  aurons  tout  plein 
de  petits  poulets. 

Ce  jour-là,  le  goûter  se  fît  à  la  laiterie,  où 
la  crème,  le  lait,  le  beurre  furent  trouvés 
déhcieux. 

—  Allons  jouer  maintenant,  dit  Charles, 
à  qui  les  pieds  brûlaient  dès  qu'on  restait 


94 


MADEMOISELLE  POURQUOI. 


à  la  maison;  moi,  je  propose  une  partie  de 
cache- cache. 

—  Eh  bien,  ta  proposition  ne  sera  pas 
acceptée,  répondit  Jeanne,  la  plus  raison- 
nable de  ]a  bande.  Pour  bien  se  cacher,  il 
faudrait  descendre  jusqu'à  ces  bouquets 
d'arbres,  là-bas,  et  de  cachette  en  cachette 
tu  nous  ferais  aller  trop  loin,  maman  nous 
gronderait. 

—  Bah!  elle  n'en  saura  rien. 

—  C'est  possible,  mais  je  ne  veux  pas 
désobéir;  on  ne  nous  a  pas  permis  de  fran- 
chir la  barrière. 

—  Pourtant,  si  vous  voulez  faire  des 
bouquets,  je  sais  un  endroit  oii  il  y  a  beau- 
coup de  fleurs. 

—  Oh!  oui,  fit  Alice,  allons-y,  je  rem- 
plirai mon  panier  de  boutons  d'or  et  de 
marguerites.  Nous  ferons  ensuite  une  belle 
couronne  pour  la  petite  Rose. 

L'endroit  n'étant  pas  très  éloigné,  Jeanne 
se  rendit  à  cette  prière.  Bientôt,  à  moitié  ca- 
chés dans  l'herbe  haute  de  la  prairie,  les  en- 
fants cueillirent  à  pleines  mains  les  fleurs  des 
champs  qui  se  trouvaient  sur  leur  passage. 


UNE  RÉCOMPENSE  MERITEE. 


95 


Il  est  inutile  de  dire  qu'à  l'heure  du  dîner, 
la  bande  joyeuse  rentra  avec  un  formidable 
appétit  et  une  abondante  moisson  de  fleurs. 
Alice  surtout,  moins  habituée  à  cette  vie  en 
plein  air,  se  trouvait  comme  grisée  à  la  fin 
de  cette  première  journée. 

Le  lendemain  se  passa  à  peu  près  de  la 
même  façon,  mais,  le  troisième  jour, 
M""*"  Lermont  fît  atteler  et  tout  le  monde 
partit  pour  Chantilly. 

Une  visite  au  château,  un  goûter  sur 
l'herbe,  dans  la  forêt,  tel  était  le  programme 
de  cette  journée. 

Aussitôt  le  déjeuner,  on  se  mit  donc  en 
route;  la  distance  n'étant  pas  très  grande, 
une  demi-heure  suffit  pour  faire  le  trajet. 
En  arrivant  sur  la  lisière  de  la  forêt,  on 
laissa  la  voiture  et  le  cheval  aux  soins  du 
cocher  et  l'on  pénétra  sous  bois,  jusqu'à 
l'enclos  réservé  qui  avoisine  le  château. 

A  chaque  pas  alors,  on  rencontra  des  gar- 
diens à  la  mine  sévère,  car  presque  tous 
sont  choisis  parmi  les  anciens  militaires. 
Arrivés  au  bord  du  lac  qui  entoure  cette 
demeure  princière,  les  promeneurs  admi- 


96  MADEMOISELLE  POURQUOL 


rèreiit  d'abord  les  magnifiques  carpes,  q 
prennent  leurs  ébats  dans  ces  eaux  tra 
quilles,  et  dont  quelques-unes  sont  cente- 
naires. Entrant  ensuite  par  la  grande  grille 
dorée,  ouverte  seulement  à  certains  jours, 
on  commença  la  visite  des  appartements. 
Quelques  pièces  parurent  assez  ordinaires 
aux  visiteurs.  Celle  qui  attira  le  plus  l'at- 
tention des  enfants  ce  fut  un  boudoir  peint 
par  Watteau.  Parmi  les  panneaux  qui  ent 
tapissent  les  murs,  quelques-uns  même  \ 
excitèrent  un  fou  rire. 

Nous  en  donnons  ici  le  détail  : 
Le  premier  représente  une  guenon  assise 
à  sa  toilette;  deux  dames  guenons  s'empres- 
sent à  la  parer  :  l'une,  tenant  respectueuse- 
ment une  patte  dans  sa  patte,  lui  fait  les 
ongles;  l'autre  lui  noue  une  touffe  de  ru- 
bans. Le  museau  noir  de  la  guenon  frémit 
d'impatience  ;  son  œil  jaune  brille  de  plaisir. 
Au  second  panneau,  sa  toilette  est  ache 
vée,  elle  roule  dans  un  magnifique  traîneau 
à  côté  d'un  singe  richement  habillé.  La 
guenon,  toute  frileuse,  cache  ses  pattes 
dans  un  manchon  de  fourrure. 


ff 


UNE  RÉCOMPENSE  MÉRITÉE.  97 


Dans  le  troisième,  singes  et  guenons 
oherchent  à  se  distraire  en  jouant  aux  cartes . 

Dans  le  quatrième  la  guenon  va  se  met- 
tre au  bain. 

Le  cinquième  panneau,  très  divertissant, 
nous  montre  la  guenon  attifée  en  bergère 
des  Alpes,  et  montant  à  une  échelle  pour 
jllir  des  cerises. 

Enfin,  dans  le  sixième  et  dernier  panneau, 
on  voit  le  singe  et  la  guenon  presque  dos 
à  dos  ;  ils  sont  à  cheval  ;  lui  est  grave, 
cérémonieux;  elle  semble  attristée  sous  son 
habit  d'amazone;  c'est  l'heure  des  adieux, 
ils  vont  se  séparer. 

Dans  cette  allégorie,  qui  date  de 
Louis  XV,  les  enfants  ne  virent  que  le 
côté  plaisant.  Après  avoir  traversé  deux 
ou  trois  autres  pièces,  on  arriva  dans  la 
salle   des   Victoires,  où  sont  représentées 

utes  les  batailles  du  grand  Gondé. 

Nos  visiteurs  parcoururent  ensuite  d'au- 

es  salles  et  galeries,  où  ils  admirèrent 
des  tableaux  des  plus  illustres  maîtres  et 
des  œuvres  d'art  du  plus  grand  prix. 

Après  une  promenade  dans  le  parc,  on 


13 


98 


MADEMOISELLE   POURQUOL 


termina  par  les  célèbres  écuries,  situées 
en  face  du  château. 

Lorsqu'on  en  sortit,  M""^  Lermont  ra- 
conta à  ce  sujet,  aux  enfants  réunis  autour 
d'elle,  une  anecdote  connue  dans  tout  le 
pays. 

Voici  cette  anecdote  :  Un  prince  étranger, 
qui  voyageait  sous  le  nom  de  comte  du 
Nord,  étant  venu  à  la  cour  de  France, 
entendit  parler  du  château  de  Chantilly  et 
voulut  le  voir.  On  lui  fit  une  réception 
magnifique,  promenade,  dîner,  et  enfin  une 
partie  de  chasse  dans  la  forêt,  toute  illu- 
minée à  cette  occasion. 

Au  château,  le  souper  attendait  les  chas- 
seurs ;  on  avait  dressé  la  table  sous  une 
tente  parée  des  emblèmes  de  la  chasse  ; 
des  bois  de  cerfs  soutenaient  les  draperies. 
Au  dessert,  ces  rideaux  s'écartèrent,  et 
M.  le  comte  du  Nord,  qui  croyait  être  dans 
le  plus  riche  appartement  du  château,  se 
trouva,  à  son  grand  étonnement,  au  miUeu 
des  écuries,  où  trois  cents  chevaux  hennis- 
saient et  piaff*aient  sous  la  main  des  valets. 

]yjme  Lermont  montra  ensuite  aux  enfants 


UNE  RÉCOMPENSE  MÉRITÉE. 


99 


le  champ  de  courses  et  leur  expliqua  ce 
que  sont  les  chasses  à  courre  dans  la 
forêt  de  Chantilly.  Mais,  l'heure  s'avançant, 
elle  fit  monter  tout  le  monde  en  voiture, 
car  il  fallait  se  hâter,  pour  être  rentré 
avant  la  nuit. 


CHAPITRE  XIII 

Une  promenade  en  bateau.  —  Dans  les 
foins.  —  La  fin  des  vacances. 


Cette  excursion  laissa  une  bonne  impres- 
sion dans  l'esprit  des  enfants.  Cette  de- 
meure princière,  avec  ses  souvenirs  histo- 
riques, ses  magnifiques  pelouses,  sa  vaste 
forêt,  tout  cela  fut  pour  eux  pendant  quel- 
ques jours  un  continuel  sujet  de  conver- 
sation. 

Un  matin,  une  nouvelle  partie  vint  chan- 
ger le  cours  de  leurs  idées  ;  il  s'agissait 
cette  fois  d'une  promenade  en  bateau.  Un 
parent  de  M''""  Lermont,  grand  amateur  de 
canotage,  qui  avait  une  propriété  située 
à  une  lieue  de  là  environ,  sur  les  bords  de 
l'Oise,  vint  chercher  la  famille  pour  passer 
la  journée  chez  lui. 

On  descendit  jusqu'à  la  rivière;  là,  deux 


UNE  PROMEiNADE  EN  BATEAU. 


101 


canots,  l'un  monté  par  le  maître,  l'autre 
par  le  domestique,  attendaient  la  société. 
On  se  partagea,  M"^^  Lermont  monta  dans 
l'un  avec  Charles  et  la  petite  Rose,  tandis 
que  M'""^  Mon  val,  Alice  et  Jeanne  prenaient 
place  dans  l'autre.  Il  y  eut  de  part  et  d'autre 
des  hésitations,  des  frayeurs,  de  petits  cris, 
mais  à  la  fin  tout  le  monde  se  casa.  Les 
deux  rameurs  levèrent  en  mesure  leurs 
avirons,  faisant  retomber  à  la  surface  de 
l'eau  une  pluie  de  gouttelettes  étincelantes 
comme  des  diamants  et  les  barques  glissè- 
rent bientôt  comme  deux  cygnes. 

L'air  était  calme,  dans  les  eaux  tran- 
quilles se  reflétaient  les  cimes  verdoyantes 
des  peupliers  qui  bordaient  la  rive.  De 
temps  à  autre,  quelque  vache  curieuse  mon- 
trait sa  grosse  tète  au  bord  d'une  prairie, 
faisant  entendre  un  meuglement  sonore, 
ou  quelques  jolis  poissons  argentés  sau- 
taient à  la  surface  de  l'eau. 

Les  fillettes  jetaient  alors  un  cri  joyeux, 
Charles,  plus  hardi,  se  penchait  comme  pour 
saisir  la  carpe  ou  le  brochet. 

—  Tenons-nous  bien  !..  que  personne  ne 


102 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


boue:e  ! 


iait  alors  la 


du 


VOIX  au  rameur. 

—  Pourquoi  ne  faut-il  pas  remuer  lors- 
qu'on est  en  bateau  ?  demanda  Alice. 

—  Mon  enfant,  répondit  le  parent  de 
]yjme  Lermout,  c'est  que  cela  dérange  l'équi- 
libre de  l'embarcation. 

—  Mais  les  avirons  remuent  bien,  eux? 

—  Ceci  c'est  autre  chose  ;  le  mouvement 
produit  par  l'aviron,  se  faisant  en  mesure, 
et  ne  portant  pas  plus  sur  un  bord  que 
sur  l'autre,  maintient  l'aplomb  du  canot, 
en  même  temps  qu'il  le  fait  avancer. 

Ces  premiers  principes  de  la  navigation, 
expliqués  d'une  façon  aussi  simple,  furent 
compris  par  M'^^  Pourquoi;  cependant,  elle 
ne  s'arrêta  pas  davantage  sur  cette  ques- 
tion, car  on  arrivait  à  la  propriété. 

Le  débarquement  demanda  les  mêmes 
précautions  que  l'embarquement  ;  les  fil- 
lettes furent  assez  dociles,  mais  Charles, 
en  voulant  y  mettre  trop  de  précipitation, 
manqua  de  faire  chavirer  le  canot. 

Dès  que  l'on  fut  sur  la  berge,  les  enfants 
se  mirent  à  courir  dans  la  prairie.  Tout  à 
coup,   AUce  revint  toute  effrayée  vers  sa 


UNE  PROMENADE   EN  BATEAU, 


103 


mère  ;  la  fillette  était  poursuivie  par  deux 
jeunes  poulains,  qui  prenaient  leurs  ébats. 
Une  badine  agitée  en  Fair  suffît  pour  leur 
faire  rebrousser  chemin  aussitôt.  Voyant 
cela,  l'enfant  rit  elle-même  de  sa  grande 
frayeur. 

En  arrivant  à  la  maison,  tout  le  monde 
déjeuna  de  fort  bon  appétit,  on  se  ré- 
pandit ensuite  dans  le  jardin  ;  mais  bientôt 
notre  petit  monde  ne  se  contenta  plus  d'ad- 
mirer les  fleurs,  dévaliser  les  arbres  frui- 
tiers du  verger  parut  beaucoup  plus  inté- 
ressant à  nos  lutins.  Poiriers,  pommiers, 
pruniers  furent  visités  tour  à  tour;  il  en 
serait  même  résulté  plus  d'une  indigestion, 
si  M°^^  Lermont  n'était  venue  déranger  les 
gourmands.  Pour  son  compte,  la  petite 
Rose,  assise  au  milieu  d'un  carré  de  fraises, 
se  contentait  de  grappiller  autour  d'elle. 
Ce  fut  à  regret  que  les  petits  gourmands 
quittèrent  la  place. 

La  journée  étant  très  chaude,  il  fut  dé- 
cidé que  la  promenade  serait  dirigée  vers 
les  premiers  ombrages  de  la  forêt.  Avant 
d'y  arriver,  comme  on  traversait  un  champ 


104 


MADEMOlSEl 


de  luzerne,  oii  les  faucheurs  étaient  en 
train  de  couper  ce  que  l'on  nomme  le  re- 
gain : 

—  0  mère  !  s'écria  Charles,  laisse-nous 
jouer  dans  les  foins,  on  va  si  bien  s'a- 
muser?  

Et,  sans  attendre  une  réponse  affirma- 
tive, le  jeune  garçon  prit  sa  course  vers  un 
énorme  tas  d'herbe  coupée,  l'escalada  d'un 
bond  et,  lorsque  Jeanne  et  la  petite  Rose 
furent  arrivées  près  de  lui,  il  se  mit  à  leur 
en  jeter  de  grosses  poignées  sur  la  tête. 
Plus  les  fillettes  criaient  grâce,  plus  il 
s'obstinait  dans  ce  jeu  ;  la  présence  de 
sa  mère  put  seule  ramener  notre  lutin  à 
l'ordre. 

jyjme  Lermont,  s'étant  assise  à  l'ombre, 
trouva,  du  reste,  un  excellent  moyen  pour 
réunir  tout  ce  petit  monde  autour  d'elle. 
Ce  fut  de  leur  raconter  des  histoires.  Le 
temps  passa  ainsi  et,  lorsque  la  chaleur 
fut  moins  forte,  on  se  remit  en  route. 
Cette  fois  le  trajet  se  fît  en  voiture,  au 
grand  désappointement  des  enfants  et  de 
Charles  en    particulier,    qui   s'était  réjoui 


UNE  PROMENADE  EN  BATEAU.  lOÎ 

d'avance  à  l'idée  d'une  seconde  promenade 
en  bateau. 

—  Je  suis  fâchée  de  vous  contrarier,  dit 
■^me  Lerniont  à  son  parent  ;  mais  je  serai 
plus  tranquille  ainsi;  les  enfants  sont  trop 
turbulents  ;  un  malheur  pourrait  arriver,  et, 
le  soir,  ce  serait  plus  épouvantable  encore. 

On  fît  atteler  la  voiture,  qui  prit  le  che- 
min le  plus  long,  ce  dont  personne  ne 
songea  à  se  plaindre,  car  sur  tout  le  par- 
cours la  campagne  était  magnifique. 

Lorsqu'on  arriva  chez  M^^  Lermont,  la 
soirée  s'avançait  ;  la  fatigue  d'une  journée 
en  plein  air  et  le  cahotement  de  la  route 
aidant,  les  enfants  dormaient  tout  debout. 
On  s'empressa  donc  de  les  faire  coucher. 

Quelques  petites  excursions  dans  les  en- 
virons, à  Viarmes,  à  Luzarches,  deux  en- 
droits où  l'on  trouve  les  sites  les  plus 
pittoresques,  marquèrent  encore  le  séjour 
de  M°^^  Lermont  chez  son  amie  ;  il  fallut 
ensuite  songer  à  revenir  à  Paris. 

Ce  qui  coûta  le  plus  à  M"^  Pourquoi,  ce 
fut  de  quitter  la  ferme  et  toute  sa  ména- 
gerie. Si  les  enfants  de  M""^  Lermont  l'eus- 

14 


106 


MADEMOISELLE  POURQUOL 


des 


fût 


sent  écoutée,  la  moitié  aes  journées 
passée  parmi  les  moutons  ou  les  poulets 
ou  bien  encore  à  jouer  aA^ec  les  petits  chats 
ou  les  jeunes  chiens.  Jeanne  n'avait  pas  les 
mêmes  goûts,  mais  Charles  s'entendait  très 
bien  avec  la  fillette  pour  cela.  Ce  qu'il  aimait 
surtout,  c'était  les  oiseaux;  chaque  jour,  il 
en  apportait  de  nouveaux,  achetés  souvent 
aux  petits  paysans.  Pierrots,  pinsons,  mer- 
les, bouvreuils,  tout  était  bon  ;  il  n'y  regar- 
dait pas  de  si  près  ;  tout  l'argent  qu'on 
lui  donnait  y  passait. 

—  Bientôt,  disait  parfois  M""^  Lermont 
toutes  nos  cages  n'y  suffiront  plus  ;  il  faudra 
faire  construire  une  volière,  et  prendre  une 
domestique  de  plus  pour  soigner  tous  ces 
oiseaux-là. 

Cependant,  le  jeune  garçon  fut  bon 
prince  ;  dès  que  le  départ  d'Alice  fut  décidé, 
il  chercha  une  petite  cage,  mit  dedans  son 
plus  beau  pinson  et  en  fît  cadeau  -à  la  fîl 
lette.  La  fermière,  de  son  côté,  lui  arrangea 
dans  un  panier  une  belle  poulette  blanche, 
M""^  Lermont  joignit  à  tout  cela  une  bour- 
riche  de  ses  plus  beaux  fruits.  Les  voya- 


UNE  PROMENADE  EN  BATEAU, 


107 


geuses  s'embarquèrent  donc  un  matin  avec 
un  chargement  complet. 

C'est  ainsi  que  les  mamans  se  donnent 
parfois  bien  de  l'embarras  pour  faire  plaisir 
aux  enfants. 

Toutes  ces  distractions  aidèrent  notre 
fillette  à  finir  plus  gaiement  le  temps  des 
vacances  ;  puis  le  vilain  mois  d'octobre 
arriva.  Adieu  les  flâneries,  les  parties  de 
plaisir,  les  promenades,  il  fallut  reprendre 
le  chemin  du  pensionnat,  où  nous  espé- 
rons qu'avec  son  vif  désir  de  s'instruire, 
M^^*^  Pourquoi  aura  fait,  cette  année-là, 
de  rapides  progrès. 


FIN. 


TABLE 


CHAPITRE  ^^  —  Le 


—  IL  — 

—  III.  — 

—  IV.— 

—  V.  — 

—  VI.  — 

—  VIL  — 

—  VIIL  - 

—  IX.- 

—  X.— 

—  XL  — 

—  XII.  - 

—  XIII.  - 


ptême  d'Alice.  —  Projets  d'a- 
venir. —  Pourquoi  ?  Toujours 
pourquoi? l 

La  première  poupée.  —  Une  belle 
journée H 

Une  belle  résolution.  —  Mademoi- 
selle Caprice 1& 

Pauvre  Trotty  !  —  Les  protégés  d'A- 
lice         2r> 

L'éducation  en  famille.  —  Une  his- 
toire de  singes.  —  Pourquoi  les 
chiens  ne  parlent  pas 33 

La  dent  de  lait.  —  Un  enfant  cou- 
rageux        42 

Histoire  du  petit  Maurice  et  de  son 
chien.  —  D'où  vient  le  nom  de 
terre-neuve 51 

La  neige.  —  La  petite  marchande.  .       6i 

La  petite  Maria  avait  dit  vrai.  — 
Les  suites  d'une  bonne  œuvre.  . .       GH 

La  première  lettre.  —  Les  amies  de 
pension.  —  Une  grande  entre- 
prise        75 

Maria  devient  savante.  —  Tentation. 
—  La  probité  du  pauvre 83 

Une  récompense  méritée.   —   Les 

vacances  à  la  campagne 90 

Promenade  en  bateau.  —  Dans  les 
foins.  —  La  fin  des  vacances  .  .  .     100 


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