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Full text of "Manifestations franco-anglo-italiennes. Pour l'Arménie et la Macédoine:"

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H rt la MacédoiiM 


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Pour r/\rméniç et la Macédoinç 
—: 1903 :— 









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V'iifestations Fraaco-inglo-Italiennes 



Pour l'Arménie 

et la Macédoine 



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MH. M. RKRTHELOT. CHAP^ETANTh G.^ CLEMENCEA L , D. COCHI>\ 
d'eSTOURNELLFS [JE CÛMSTA^IT, a'maTOLE FRANCE, J. JAURtS, 
P. LEROLLEi A. LER01-BEA ULÎEU , F, DE PRESSENSE , F. PA5SÏ, 
lA. SEMTtAT, E. ATKÏN , S. BRYCË, N. BUXTON, H. GAMFBELL, 
A. J. RVAWS, SIR E. FRT, G- LORAND, H» LA FONTAINE, MALCÛLH 
MAC COLLt F. MOSCHELESt W.-A . 5TEAD, F.-S. STEVENSON, 
DKI. J^ALZOï BOCCIARl>0. CASSOLA, lŒ GLREBNATIS, MICELLI, 
MONETA, PlKAROr, ?ROF> SERtil, TLIBATÏ, VEJICESI* ETC. 



Préface de VICTOR BÉR^^RD-. i'-- ' •,:** 

^ Introduction de PIERRE (5.l'>J*4L|^A^ï3-\.- \./pj 
Rapport de FRANCIS DE PRESS K^sr"/-;', !;;/''> 



r»Areiss 

SOCIÉTÉ NOUVELLE DE LIBRAIRIE & D'ÉDITION 

t7, RUE CUJA8. 17 

Ifi04 



V.-*. 



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■ THE NEW YORK 
PUBLIC LIBRARY 

A8T0R, LENOX AND 

TILOEN FOUNDATION8 

R 1915 L 



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INDEX ALPHABÉTIQUE 



Atkin 2^1 

Comte d'Aunay .,,..., ^138 

Bazzochi ..... i37 

Victor Bénird . . v, 224, aSg, 297 

G2or.t;es Usrry ........ 67 

.Marcel in Btrihelot. ... 58, 239 

Rocciardo 2^ 

Bor^hese vSj 

D,* Brancovan i^ig, 3o6 

Michel Bréal. ........ 239 

James Bryce aoo, 236 

Buxion . 221, a83 

Cassola 191 

Père i^iharmetant ...... 55 

Georges Clemenceau, . . 55, 23S 

Denys Cochln ........ 8 

D^Courmont 227, 275 

Dei BaljTO î3^, 187 

Delcassé J17 

Doffena i38 

F.mmanuel des Essarts ... 5; 
D'EstourreJles de Constant, 

^ I, 54, agi, 3<xi 

'Evans, .,,.., 216, 374, 298 

*lFormig>îini 19» 

^Anatole France , . , . 171, 184 

^.^rederrksen ..,....,. i36 

>JMrrcd Fricd ......... 139 

%ir Edward Fry et le K. J. 

>j de Campbell .....,, 2o3 

>OGiretti , . i35 

^ T>e Gubernatis .,...., iS3 

^ Louis Havet ► ...... 5'}, 238 

Évcque de Herelbrd. .... 235 

n Jaurès ....... 43» 285 

.dbriola. .......... lîfi 

l^fontaine i - . . 34f 




PùystM 

PauJ Lerolle. ........ 48 

A. l.eroT-Beaulieu . , , . Sg, 33H 
Loraad .... 157, 212, 278, 3o6 

D^Loris-MelikolT . i(î8, 17g, 3oï 
Malcolm Mac-C<jll ... 21 3, 276 

Massarani 134 

Mûzzini 2j8. 282, 3ci5 

Meillet , 224 

Micelî i5â 

Lucien Milkvoye ...... 63 

Minelli i3tj 

Moneta ........ 141, ^40 

Moscheles 212, 2q8 

Mussi. i33 

PandoJfi 191 

Frédéric Passy. ....... 210 

PJnardi ........... ^44 

F. de Pressensé. a(, 80h 124, 

2J4, 227, 34a. 29S, 3o7 
Pierre Quillard vij,i52,:an,25o, 3o4 

Slméon RadeiT .^,l5l^ 

Bibot ^*-^\,'jiV. 

Hichier *■"•!■'-/: '-^'3^ 

.-234 
. U5 

Professeuf Ser^/\ y**'-l* ^^^i^'. 
Séverine. . . .\ . ^-//.V :>.î3ft 

Sinigaglia , . . ,^. .\V*:\'? '. i34 

Sicad ..,..:,,/-:... 'a35 

Stevenson .......... 234 

SulJam ........... i3*ï 

Trarieu.Y 5/ 

Turaii. ........... 1^9 

L'abbé Ver.^esi tSH 

Uévi^que de Worcester ... 19H 

Ular. 3o5 




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PRÉFACE 



Le lecteur iroupera dans ce petit livre comme un 
manuel complet et précis de la Quesîiofi Arménienne. 

Il en aura, dans rintroduction de P. Quillard, Chisto- 
rique au cours des dix années dernières, — les terribles^ 
les sanglantes années de la Passion. Puis., dans les 
discours de toute l'Europe pensante, aux grands meetings 
internationaux ou la poix de f Occident se fit entendre, 
meetings du Château-d'Eau (i 5 février îgo3}, de Milan 
(26 avril igoSh de Gênes (lo mai et 21 77iai igo3}^ de 
Rome (21 mai igo3}, de Saint James s Hall (2g sep- 
tembre iQoSh du Théâtre Sarah-Bernhardt (25 octobre 
igo3)^ le lecteur verra annonce}\ enfin ! raube de la 
Résurrection. 

Elle viendra sûrement, elle vient^ cette Résurrecjiô^iir'de, 
r Arménie et de son peuple. Elle vie?it, mais-paJf'ia'hmi; 




toujours permis à l'Assassin! Que de ^A^ 'liri^n/ejî' 
pourrait être épargné si tous les citoyeni xtîl'lifïkrûpe, 
tous les hommes dignes de ce nom daigndii^^ 'seulement 
feuHleternotre livre et faire ensuite leur deimir d'hommes, 
leur devoir de'xitoyens contre les Cabinets, complices ou 
témoins indifférent^^! 

Prene^ et feuiliele^ ce lipre. Vous y trouverez unis 
dans une même protestation, non seulement tous les partis 
d'un peuple aussi divisé que le nôtre, non seulement tous 



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VI 

les peuples d'une Eu7^ope encore si divisée malgré les 
réconciliations bénies, mais toute V Humanité d'Occident 
et d'Amérique, tout ce qui dans l'univers comprend les 
tnois de justice, de droit et de liberté. 

Il y a deux ans, sous la présidence d'Anatole France^ 
les Arméniens de Paris donnaient^ au Vaudeinlle, une 
représentation de charité- Le grand tragédien Mounet- 
Sully leur avait offert son concours. Il parut dans 
les vêtejnenîs blancs de Polyeucte et récita les stances 
menaçantes: 

Tigre altéré de sang, Décie î m pitoyable 1 
Ce Dieu t'a irop longtemps abandonné les siens. 
De Ion heureux destïn, vois la suite elïroyabîe: 
Le Scythe va venger la Perse et les chrétiens. 
Encore un peu plus outre» et ton heure est vcnite* 

Rien ne t'en saurait garantir l 

El la foudrcj qui va parur, 

Toute prèle à crever la nue, 
, Ne peut plus être retenue 

**/:** Par Tattente du repentir, 

* * * ' ■ • 
* • ■ * * * 

,./Aii)ourd'kuij sur la scène du monde, pour mériter 

, i^ctpplaii4j^^l^)fh^^^'^ p^^tples indignés, tous les hommes 

:*' if}EYd^Jjp^?^e/ît**tôur à tour répéter les sai7-iies menaces du 

'*^mzl<;yy4^^^^^nien. Mais qui donc enfin se donnera la 

gloire ]^^le: de les accomplir? 

Victor BIRARD. 

33 avril IQ04. 



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INTRODUCTION 



L'/\rnnénie et l'Europç 

Quand, de 1894 à 1896^ ies atrocités arméniennes s'ac- 
complirent, la plupart des gouvernements européens firent 
le silence et laissèrent ainsi le Sultan parfaire son oeuvre 
jusqu'au jour où les massacres eurent lieu à Constantinople 
même et purent devenir dangereux pour les colonies euro- 
péennes et pour feurs ambassadeurs. Une tragédie semblable 
se joue en Macédoine : si trois cent mille hommes sans 
défense n*ont pas encore été égorgés, ce n'est pas que la 
bonne volonté ait manqué à Abdul Hamid ni que les puis- 
sances l'aient, en quoi que ce soit, invité à p!us de réserve; 
mais il se trouve que les Macédoniens sont mieux armés que 
ne Pétaient les malheureux raïas des provinces asiatiq^ui^S'/eî, 
qu'ils retardent, par une résistance désespérée,, HijpyrV'*(iê 
l'extermination totale* ,.**-/:*/: '* , -'- 

Les droits et les soulTrances des d'^ti*C-'paViQig^-sorff*lès* 
mêmes: avant de lire les paroles éloqutnte^*.^ glfc^^erjsu-Siîs'', 
qui lurent prononcées pour leur défense par des.J;fGmt]^s*'de 
tous pays, de toutes croyances religieuses du Jp+^llbsophi- 
ques, de tous partis politiques, i[ est bon de connaître, par 
un exposé de faits, sans aucune littérature, comment s'est 
produite et se poursuit la destruction des Arméniens de 
Turquie: les documents diplomatiques abondent et Tau- 
thenticité des rapports les plus récents, bien qu'ils n'aient 
pas encore été recueillis dans des Livres Bleus ou Jaunes, 



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VIII 



ne fait doute pour personoe dans les chancelleries. Il n'y a 
qu'à changer les noms, à écrire Macédoniens au lieu 
d'Arméniens et Albanais au lieu de Kurdes pour que les 
mêmes documents s'appliqbent à la Macédoine. 

Le Traité 4^ Berlin etlaConvetitiaq de Chypre^ 

La question arménienne aussi bien que la question 
macédonienne a été posée, le i3 juillet 1878, par les pléni- 
potentiaires d€S six grandes puissances qui signèrent le 
Traité de Berlin. L'article xxiii est ainsi conçu: 

La Sublime Porté s'engage à appliquer scrupuleusement, dans Pile 
de Crète, le règlement organique de 1868, en y apportant lés modifi- 
cations qui seraient jugées équitables. 

Des règlements analogues, adaptés aux besoins locaux, sont, en ce qui 
concerne les exemptions d'impôts, accordées à la Crète, seront également 
introduits dans les autres parties de la Turquie d'Europe, pour lesquelles 
une organisation particulière n'a pas été prévue par le présent traité. 

La Sublime Porte chargera des Commissions spéciales au sein 
desquelles l'élément indigène sera largement représenté, d'élaborer les 

• .iiié^ils de ces nouveaux règlements, dans chaque province. 

* ** vl/^jKiûle Lxi qui concerne TArménie est encore plus 
é^îiicl te ?.•:/•.... 

* ,*/,_''L^^*^ bJi'îfiie/P^tV s'engage à réaliser, sans plus de retard, les amé- 

■' ./t^l^tioîî^'lii.lÂ^** réformes qu'exigent les besoins locaux dans les pro- 

%i'iT(fef*bVbicge§ par les Arméniens et à garantir leur sécurité contre les 

Cirças£iin!^tt ]fs Kurdes. Elle donnera connaissance périodiquement des 

• mesures pristç à cet effet, aux puissances qui en surveillent l'application. 

Le texte est précis et le mandat formel : l'Europe s'en- 
gage à contrôler l'application des réformes qu'elle juge 
immédiatement nécessaires. 

Par la convention dite Convention de Chypre (Conven- 
tion d'alliance défensive entre la Grande Bretagne et la 



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[X — 

Turquie^ signée le 4 juifi iH-jS), TAngleterre assumait plus 
paniculièremeni ïa responsabilité de l'exécution des réformes 
en Asie; elle s*engaf^eait à défendre Tintégrité de Tempire 
ottoman : 

Kn revanche. Sa Majesté impériale le Sultan promet à r Angleterre 
dlniroduire les réformes nécessaires U être arrêtées plus lard par les 
deux puissances) ayant trait à la bu n ne administration et à la protection 
des sujets chrétiens et autres de la Sublime Porte qui se trouvent sur 
les territoires en question. 

Le peuple annénien. 

Les Arméniens de Turquie — il y a en outre environ 
un million d*Arméniens en Russie et cinq cent mille Armé- 
niens en Perse — étaient avant les grands massacres de 
1894 à 1896 au nombre de trois millions environ. 

Dans les pays correspondant à Tancien eyalet d'Erze- 
roum et aux anciens vilayets d'Erzeroum, Van, Hekkiari et 
iMoush qui représentent à peu près, sauf les parties occu- 
pées par la Russie et la Perse, le territoire ancien de la 
Grande Arménie, Télément arménienj même selon ï^tiîyV,^ 
sion présente, forme la minorité la plus forte, et/tla ^'rplUs 
homogène au milieu de races diverses cu.le^ KijrdiËs.yftfn- 
nent seulement en seconde ligne; et n'^étÂtè'^t 'cerr5itns'*i;tfc;-* 
tionnemenis arbitraires, il formerait la' m£f{OTiiï*^6£ïojïiiî/\ 

En dehors de la Grande Arménie, le group(em!?i^4e:pHfùs 
considérable réside en Cilicie, dans le vil*vet'iJ''Adana, 
autour de Sis et d'Hadjin; et dans le vilayêt d'Alep, au 
Zeïtoun, à Or fa et à Ma ras h, il atteint un total de aSo-Ooo 
âmes, et à H ad j in et au Zeïtoun les Arméniens sont en 
majorité absolue. Enfin dans le pays montagneax et fores- 
tier de Dersim^ ils sont en nombre à peu près égal à celui 
de leurs terribles voisins les Kurdes, et comme les Kurdes* 



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ils sont restés là à peu près indépendants du pouvoir 
Central. 

De ce qucj dans les villes, les Arméniens montrent de 
grandes aptitudes au commerce, à la banque, au change, 
des observateurs superficiels ont conclu qu'ils étaient tous 
des sarafs et des intermédiaires de bazar. Rien n'est plus 
inexact : même dans les villes les sarafs ne forment qu'une 
très faible minorité de la nation et les gens de métier sont 
de beaucoup les plus nombreux. Les harnais (portefaix) de 
Constantinople sont presque tous Arméniens ainsi que la 
plupart des boulangers, des tailleurs, menuisiers, orfèvres, 
cordonniers j forgerons, terrassiers, bouchers. Les Armé- 
niens sont armuriers, couteliers, orfèvres, surtout à Erzind- 
jaHj Baïbourd, Van, Diarbékir, Sivas, Angora et presque 
partout tisserands, forgerons et chaudronniers. Ils ont 
inauguré et sauvé à Brousse l'industrie séricicole par la 
première application en Turquie des méthodes pastoriennes 
et les teintureries et. tanneries d'Erzindjan ont été fondées 
* par eux. I\ïais dans l'intérieur où se rencontrent leurs 
,-y*^^lcirnérations les plus' fortes, les Arméniens sont surtout 
uTi-pciîplejagricole : vignerons à Van, à Ardjèche, à Angora, à 
BfîJjusse, ît"ë^'^bûrd; grands éleveurs d'abeilles à Van et à 
: ..Arfgfxf^i'^armûjE-Tiâboureurs et bergers. Dans le vilayet de 
"" ..'Çî^Ws^.jfi.^r^tiquent même l'agriculture selon la technique 
rnôa^çôéj-à hafik et à Kotchéri, et se servent de machines 
des me'rllèur^ modèles. En Egypte, Boghoss pacha, fils de 
Nubar pacha, dirige d'immenses exploitations rurales; il a 
inventé des machines fort ingénieusement disposées. 

Car, un autre trait du caractère arménien c'est le désir 
de connaître et aujourd'hui, comme à l'époque antique, les 
Arméniens sont, parmi les peuples installés en Asie, les 
meilleurs propagateurs de la culture occidentale. 



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XI 

Le peuple laborieux, intelligent et doux que les puis- 
sances européennes s'étaient engagées solennellement à 
protéger contre la barbarie asiatique a été abandonné par 
ceux qui s'étaient constitués ses tuteurs : de 1894 à 1896, en 
pleine paix, il a été soumis à regorgement systématique ei 
depuis lors son extermination continue par d'autres métho- 
des plus lentes, plus sournoises, mais aussi sûres. 

Les grands massacres. 

La période des grands massacres proprement dits dura 
d'août à septembre 1894 (massacres de Sassoun) à l'automne 
de 1896: massacres de Constantinople (août 1896), d'Eghin ♦»* 
(septembre 1896), et d'Everek (5 novembre 1896). 

Les massacres de Sassoun furent exécutés par les Kur- 
des, les troupes régulières et les hamidiehs, sous la 
direction de Zékhi Pacha, commandant du 4*^ corps 
d'armée, qui occupe toujours ce poste de confiance: mille 
quatre-vingt-huit maisons formant vingt-deux villages 
furent détruits, cinq à six mille hommes tués. '."'•'*-'- 

Puis, tandis que les représentants des puissances pego- *' 
ciaientavec la Porte et que de belles réformes,,. .sniè-r^ pârpi^pv 
étaient promises, comme toujours, à partir^; <J^*2^'l5ajyt^mb1:e*\ 1 
1895, après une première tuerie à Const^n'tirtçîf4e;1niïîên^'-'** *^^ 
les provinces arméniennes furent le théâtre' dct'^Jii'pii^s'' 
effroyable boucherie qui ait illustré l'histoire dàji.tèrbcjtc 
humaine. 

Le 3 octobre, à Ak-Hissar, sur la ligne d'Haïdar-Pacha, 
à Angora, à 170 kilomètres de Scutari, dans une partie de 
Tempire en relation directe avec la capitale, c'était jour de 
marché; les Arméniens y était venus en grand nombre; 
on leur persuada de laisser leurs armes « pour éviter les 



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— XIT — 

rixes 5^; aussitôt après, les Tcherkesses des environs les 
massacrèrent. Les cadavres jetés dans le fleuve Zakharia et 
dans les puits ne furent découverts que plus tard. 

Le 8j après plusieurs jours d'agitation, massacre et 

pillage à Trébizonde ; le signal, connu' presque partout, 

^ fut donné officiellement par une sonnerie de clairon du 

haut d'un minaret \ûoo morts). Le i6, attaque du village 

Chakr, près d'Hadjin, par les Kurdes. * 

A partir du 20, on applique à l'extermination, une 

méthode sévère et à des dates apparemment fixées ou tout 

au moins prévues à quelques jours près, on procède à des 

massacres régionaux. Du ai au 3o, le pays situé entre 

Trébizonde, Kara-Hissar, Erzeroum ainsi que la ville de 

Bit lis, isolée en cette circonstance, est mis à feu et à sang ; 

21 octobre, Erzinghian (plusieurs centaines de morts): 

25 octobre, BitHs (800 morts): Gumuche llané f loo morts): 

27 octobre, Baïbourd fjoo morts dans la ville, chiffre 

inconnu dans les villages voisins dont ioule la population 

: jji^/e a été massacrée): 27, 28, 2g, 3o octobre, région de 

' -V^^^Ellri .Kara-Hissar (plus de S.ooo morts j : 3o octobre. 
1^ ■**• >• * .. 




novembre les massacres s'étendent de 
traversant en diagonale l'Asie 
'Mtpq;Urf vdepuis les confins de la Mésopotamie presque 
jusqu'i tV^ .\fer Noire avec deux centres isolés : Van d'une 
part (chiffre des morts inconnu): et d'autre part Aintab, 
i5j 17 novembre ( i3oo morts): et Yénidjé Kalé, 17, 18 
novembre (plus de 600 iiiorts dont plusieurs Francis-- 
cains): i, 4 novembre, Diarbékir (i igi morts dont 1000 
Arméniens, les autres des dijferses églises chrétiennes): 
]^j 5 novembre, Arapghir (2800 mortS): 4, 9 novembre. 



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Malatiâ (3ooo morts); 8 novembre, Gamarach près d'Eghin 
et région d'Eghin (chiffre inconnu); lo, ii novembre, 
Kharpouth (5oo morts); et soixante villages avoisinants 
(chiffre inconnu considérable); 12 novembre, Sivas (i5oo 
rtiorts); Gurun (1000 morts). Puis il se fait une sorte 
d'accalmie jusqu'au 3o novembre : Kaisarich (1000 morts). 
Mais les pillages et les massacre3 continuent dans toute 
l'Anatolie et à la fin de décembre 1 19 villages du vilayet de 
Diarbékir sont détruits (3 0000 disparus^ d'après l'évalua- 
tion de M. Meyrier, consul de France) (i). Enfin, du 
27 décembre au i^'^ janvier : Biredjik (chiffre inconnu) et 
Orfa (plus de 2000 morts), sont le théâtre d'événements 
analogues. 

Le cas d'Orfa est de tous le plus significatif : cette ville, 
l'ancienne Edesse, sur 65. 000 habitants, comptait 20.000 
Arméniens et 7 à 8.000 chrétiens d'autres rites. Pendant 
deux mois du 26 octobre au 26 décembre, les troupes cotn- 
mandées par Nazif Pacha qui, en 1876 s'était distingué en 
Bulgarie et se vantait de savoir « comment il faut traiter les^ 
raïas » investirent le quartier chrétien : les conduitîjs'j 
d'eau furent coupées comme pour un siège. Le '•iïS^joii ' 
commença le massacre. .-^"'^^K: ' ^!'* 

Il faut ici laisser la parole à un docui^ent pmcidyAe - 



(i) Tous ces chiffres sont empruntés aux Livres Bleus gtj/hùnes, 
et surtout au tableau dressé en janvier 1896 par les soin^ dés ambas- 
sades, document fort au-dessous de la vérité, ainsi que le fait observer 
M. Paul Cambon : 

II ne contient que des informations soigneusement contrôlées et sur lesquelles les 
agents des six puissances se sont trouvés d'accord et n'a point la prétention d'être un 
travail complet... Il ne faut voir dans le travail ci-joint qu'une parcelle de la vérité. 
{Livre Jaune. AflBaires arméniennes 1897, Dép^ôche de M. P. Cambon, Constantinople, 
25 janvier 1896.) 



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— XIV — 



rapport du vice-consul anglais Fitz Maurice, rédigé après 
une longue et sérieuse enquête : 

Enfin, le samedi 28 décembre, un capitaine de gendarmerie vint 
înibrmer Miss Shattuck qu'elle pouvait partir pour Aïntab, puisque 
tout éuit tranquille. Il alla ensuite à la cathédrale où l'assemblée natit)- 
nale arménienne éiait réunie et venait d'envoyer un message au mu- 
lessarir pour appeler son attention sur les motifs de crainte, et implorer 
sa protection. Le capitaine donna, de la part du gouvernement, Tassu- 
rance qu'aucun désordre ne se produirait. A peine avait-il quitté la 
cathédrale que l'orage éclata. Le massacre général des 28 et 29 décembre 
avait commencé. Le samedi matin, le commandant de*? troupes avait 
fait dire aux chrétiens non Arméniens de se rassembler dans leurs 
églises, de ne pas les quitter et de ne donner asile à aucun Arménien, à 
quelque condition que ce fût. 

La troupe, avec un peu de police à cheval, s'était placée sur une 
colline au penchant de laquelle est bâti le quartier arménien, et se 
pressait vers les issues principales du quartier. Derrière se trouvait la 
populace armée ; sur les minarets se pressaient des musulmans, accourus 
sans doute pour assister à un événement annoncé; les femmes turques 
s'étaient aussi placées en foule sur les toits et sur les glacis de la forte- 
resse qui domine le quartier arménien. Entre onze heures et midi, des 
;lig;3_de musulmans armés se répandirent dans la même direction, exci- 
«'jéi^f^ifrj^ur femmes. Elles poussaient le ^ilghit, un cri guttural parti- 
cuti*?^ -•eji-'fii^ ^ connu, dont les femmes orientales se servent pour 

! du 




Que[qLK-^\^H.'H.ips de feu furent tirés. La trompette, retentissant au 
milieu des soldats, donna le signal de l'attaque. On vit la troupe ouvrir 
les rangs pour laisser passer la populace placée jusque-là derrière elle. 
AussiLùt populace et soldats se précipitèrent dans le quartier arménien 
et commencèrent une boucherie générale de tous les habitants mâles 
adultes. 

Au nnoment où furent tirés les coups de feu dont il a été question, 
le conimaudant Naïif-pacha se retira en faisant un geste qui encou- 



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XV 

ragea la foule. On apprit plus tard qu'il avait crié à ce moment-là : 
« Une balle de martini vient de m'effleurer la tète; les Arméniens tirent 
sur moi. Allez-le-leur faire payer chez eux. * Des témoins mahométans 
m*ont assuré que ces coups de feu n'avaient pas été tirés par des 
Arméniens, mais par des musulmans. 

Les troupes de réserve connaissaient bien le quartier; elles y avaient 
monté la garde pendant les deux mois précédents ; elles servirent de 
guides et d'avant-garde ; elles étaient accompagnées d'une troupe de 
bûcherons, venus des montagnes voisines, la hache à la main. Ces 
bûcherons brisaient les portes des maisons ; les soldats s'y précipitaient 
et déchargeaient leurs martinis sur les hommes, dont ils attendaient 
une certaine résistance. Mais les Arméniens avaient livré toutes leurs 
armes. Il ne leur restait, dans leur extrême angoisse, qu'à demander 
grâce au nom de leurs femmes et de leurs enfants, au nom du prophète 
Jésus. Ils furent, les uns après les autres, tires de leurs cachettes, inju- 
riés et cruellement égorgés. Sur plusieurs points quinze ou vingt 
hommes s'étaient réunis dans une maison plus grande, qui paraissait 
-fournir un meilleur abri. On les fit sortir l'un après l'autre et on les mit 
à mort. 

Dans une maison quarante hommes furent tués de cette manière. A 
côié se trouve la maison du pasteur protestant, où j'ai logé pendant 
mon séjour ici. Il fut massacré et laisse six orphelins. Un cheikh 
ordonna à sa suite de lui rassembler autant de jeunes et solides Armé- 
niens que possible. On lui en amena cent environ. On les jeta à terre 
sur le dos, on leur tint solidement les pieds et les mains, et le cheikh, 
dans un accès de fanatisme et de cruauté, tout en récitant des versets 
du Coran, leur coupa le cou selon le rite usité à la Mecque pour égor- 
ger les brebis. 

Plusieurs Arméniens se cachèrent au fond des citernes, dans 
Tespoir d'échapper à leurs assassins. On leur jeta des cruches et 
des pierres; on leur tira dessus avec des revolvers; on lança dans les 
citernes des nattes imbibées de pétrole, auxquelles on mit le feu. Dans 
.plusieurs cas, des femmes et des jeunes filles qui essayaient de protéger 
leurs proches furent massacrées sans pitié. 

Quand, dans une maison, tous les hommes étaient tués, la populace 
commençait le pillage avec le plus grand soin. L'opération term'née, 
ils versaient du pétrole, brûlaient le blé, l'orge, le bois et tout ce qu'ils 
ne pouvaient emporter ; ils ne laissaient que les murs nus. Pendant 



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XVI 

que celte tuerie se faisait de maison en maison, du haut de la colline 
dominant le quartier, un feu continu pleuvait sur les Arméniens qui 
(essayaient de s'enfuir par les toits. Vers le coucher du soleil, on enten- 
dit la trompette, comme à midi ; la populace cessa aussitôt sa besogne ; 
quelques bandits seuls continuèrent le pillage. 

Le lendemain, dimanche 29 décembre, la trompette sonna très tôt et 
le massacre recommença. De grandes foules, retenues la veille par la 
crainte de résistance, se joignirent à la populace. L'horrible boucherie 
du jour précédent continua jusqu'à midi. A midi eut lieu Tincendie de la 
cathédrale arménienne^ acte qui surpasse en barbarie diabolique toutes 
les horreurs des longs massacres arméniens et dont on ne trouverait 
pas le pendant dans Thistoire du monde. 

Dans la nuit du samedi, une foule d'Arméniens, hommes, femmes 
et enfants, s'étaient réfugiés dans ce magnifique édifice, qui pouvait 
contenir 8,000 personnes. Le prêtre distribua le saint sacrement pour 
la dernière fois dans cette église à 1.800 personnes, comme le dit une 
notice sur un pilier. Tout ce monde passa la nuit dans la cathédrale ; 
le dimanche, des centaines de personnes vinrent se joindre à eux; elles 
espéraient que la sainteté du lieu les préserverait des violences d'une 
populace fanatique, même musulmane. On admet que 3. 000 personnes 
étaient rassemblées dans la cathédrale lorsqu'elle fut attaquée. 

Les mahométans tirèrent d'abord par les fenêtres ; ils brisèrent 
ensuite les portes de fer et se mirent à égorger tous ceux qui se trou- 
vaient dans la nef, des hommes pour la plupart. Ils s'emparèrent de 
quelques jeunes femmes, pillèrent ensuite le trésor, les armoires et les 
vases sacrés, le tout pour une valeur d'environ 4.000 livres turques 
(ga.ooo francs) ; ils détruisirent les tableaux et les reliques et se moquè- 
rent du Christ en disant : « Prouve maintenant que tu es un prophète 
plus grand que Mahomet ». Une grande galerie en pierre et en bois, 
courant le long de la partie supérieure de la catédrale, était bondée de 
femmes et d'entants épouvantés, avec quelques hommes. Des musul- 
mans montèrent sur la plateforme de l'autel et ouvrirent le feu, avec 
leurs revolvers, sur les gens de la galerie. Mais ce procédé était trop 
lent à leur gré ; ils ^songèrent à la méthode plus pratique qui avait si 
bien réussi contre ceux qui s'étaient réfugiés dans les citernes. Ils firent, 
avec des lits et des nattes, un tas de combustible, versèrent dessus une 
trentaine de livres de pétrole, arrosèrent aussi les cadavres gisant dans 
la nef et allumèrËnt le tout. Les poutres et les boiseries de la galerie 



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^m 



— xvn — 

Sqftllumèreni bientôt ; on barra les escaliers qui y donnaitini accès 
avec des combustibles analogues ; et les masses humaines, se 
tordant dans les flammes, furent livrées aux fureurs de l'incendie. Pen- 
dant plusieurs heures, la ville fut remplie de rudeur de la chair 
humaine brûlée» et aujourd'hui encore, deux mois et demi après le 
massacre, r<jdeur des restes humains en décomposition ou carbonisés 
est insupportable dans la cathédrale, 

Uétat normal. 

Mais en dehors même des périodes de grands massacres, 
rétat normal des populations arméniennes, depuis répoqui; 
où leurs doléances ont été connues de TEurope, les voul: à 
la mort certaine ou à la complète démoralisation par la 
terreur. Violences des collecteurs d'impôts, éviction par I es- 
émigrés musulmans et par les beys kurdes et turcs, 
assassinats et brigandages, depuis la première enqiiL*tc 
instituée en iKyr par le patriarche Nersès jusqu'aux derniers 
rapports re<;us et publiés dans Pro Armeniay c'est toujours 
le même martyrologe. 11 faut rapprocher ici quelques 
documents de dates différentes et éloignées les unes dos 
autjes. 

Dans un takrir adressé à la Sublime Porte en 1876, le 
patriarche Nersès énumérait 258 villages, 32 couvents et 
3 villes dont les terres avaient été spoliées en tout ou en pariie 
par les beys voisins- Il citait entre autres le cas d'Abdi-Bey 
qui, avec quelques autres brigands, s'était approprié les 
champs des Arméniens dans le district de Shaberd, avait 
pris le bétail, détruit Téglise du cimetière arménien de 
Housb et, avec les matériaux, s'était élevé une mai son < 
Ailleurs, à Shadagh, 2(jo Arméniens avaient été dépouillés 
de leurs terres; une décision de justice les leur ayant res- 
tituées pour la forme, les beys kurdes firent une expédition 



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XVIII 

cintre lo villages, pillant et brûlant tout. (Enquête de 
1876:} 

Presque immédiatement après le traité de Berlin, un 
dilégué anglais, le capitaine Clayton, écrit de Moush, le 
2 août 1879 : 

Il y a trois semaines, un notable chef kurde, Mirza-Bey, battit presque 
jusqu'à le tuer le chef d'un village arménien qui avait été élu sans sa 
permission. Il cavalcade en liberté et est en honneur au sérail. Les 
Zaptiehs et les officiers des troupes régulières agissent de même à 
regard des paysans. 

Cne caravane d'Arméniens allant de Van à Constantinople a été 
attaquée l'an dernier près de Boulanik par les Kurdes qui lui ont volé 
(J.Ô0Q L. T, {[40.000 fr.). Les Arméniens ont porté plainte : les voleurs, 
bien connus, ont été arrêtés, mais ayant beaucoup d'argent à leur dis- 
position, mis en liberté presque aussitôt. 

Peu après, un Arménien allait d'Erzeroum à Moush, porteur d'une 
lettre pour Tévèque où étaient rapportées de nombreiax griefs. On a 
ïrouvé son cadivre près d'lschal\ur; quand son fils vint chercher le 
corps, le corps et les lettres avaient disparu. 

On parl.^ de crimes plus aflYeux encore comme n'étant point rares. 
(Bîue bojk Turkey n* 4. 1880, p. 28.). 

Qu^ Ton confronte des rapports plus récents, on verra 
qu'après un quart de siècle, la situation des Arméniens n'a 
changé qu'en pire : 

Les Turcs se sont établis dans les campagnes de Kurde-Meydan, 
Kizil-Aghaichj, Avazaghpure, Ardkonk, Antznond, Poghergov, Kartzor, 
Tzironk, IChûper, Tchirik, Dom, Komse, Houan, Arintchvank, Sogh- 
kom, Alighîrnan, Araz, Missghonk, Soulak, etc. Les Kurdes, imitant 
leur exemple, se sont emparés des campagnes arméniennes comme 
Hasskeny^ Kïrnakom, Erighdir, Avazaghpure, Tzighak et de beaucoup 
d'autres campagnes co.Time Sassoun, Boulanik et Manazgcrte; après 
avoir enlevé aux Arméniens leurs immeubles, ils s'y établirent. 

Les campsfsnes situées près du couvent de Sourpe Garabed, Mezdi, 
Baohlou, îCefban sont condamnées à faire vivre le chef des brigands 



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"^mmmfmÊm^^ 



— SIX — 

Mehmet-Aîi, son neveu, Arabe et son cousin, Davagh, avec leurs domes- 
tiques ; la campagne de keîban esi soumise à une rançon de joo livres, 
et les campagnes de Mezdi et de Baghlou, chacune environ 5o livres. 
Les Kurdes, outre leurs atrocités habituelles, formant des bandes à pied 
ou à cheval, dévastent les champs et les montagnes sans aucune crainte, 
pillent tes caravanes et les passants, enlèvent les moutons et le bétail ; 
ces bandes de brigands ont pillé les campagnes dt: Tzironk et de Ava- 
zaghpure, ainsi que les couvents de Sourpe Akhpérik, Sourpe Madna- 
vank et Sourpe M ad i ne. La campagne de Tchitenk à Sassoun fut incen- 
diée avec toutes ses maisons î les campagnes de Guéliégouzanj d'È^h- 
^arte, de Tzorerj de Spaghank furent complètement anéanties; les bes- 
tiaux des campagnes d'Aghpri, de Khilirdan, de Genkévédine sont 
enlevés. Les campagnes de la plaine de Aîoush, à savoir : Tzighavse, 
*]ouravse, Avran, Romse, Alidjan, Pertak , Ourakh, Arvarintch, 
Ardonk, Varténisse, Hartz. Bossrakende, Hasskeuy, Norchène, soni 
toutes pillées. {Rapport Papg^en, igoo). 

Qu'on lise encore cet autre passage d'un rapport, entre 
cent ; 

Le ii/^7 avril rgoi. ^ Magar, chef du village de Vartkhagh, est 
tué par une trentaine de coups de sabre en retournant du moulin. 

Mai J[)oi . — Margûs Hareyan de Heienk (Sassoun) est torturé et 
tué par tes kurdes de la famille de K.han-AbdaL 

Mai igot. — Sont morts dans les prisons, sans avoir subi interro- 
gatoire ni condamnation^ les nommés Hlghat de Derkevank* Havik de 
Pertak, Mourad de Pertak et Gegho de Komo. 

Le 251 7 juin njoi. — Boghos d^Arintch est tué par un Turc, de 
Moush, dans son moulin, 

Le 1 3 2€ if}oi. — Hampar d'Av^^agpour est tué pendant la nuit 
quand il Était à la garde de ses bœufs. 

Juin igoi. — ïiasrak de Mogounk, est mort à la suite de tortures 
à lui inliigces pendant les perquisitions à la suite de la disparition de 
Chérjf aga. 

Le 10/23 fttin tgoi.— Alexan Ouriiourchadian, d'Erichne, enfant 
de îS ans^ est mort de peur pendant les troubles des Kurdes. 

Le 23-6 juiliet igoi* — Les kurdes Rachtd kotanzadé Mahmoud 
et Dursoum, ont tué de plein jour à Aragh (prés Moush) les Arméniens 



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XX — 

Sarkts, Mpré et Mossé, les trois frères, et Mardiros Bedrossian quand 
ils ira vai fiaient sur leurs champs. 

Le 23! 6 Juillet igoi , — Un Kurde du village de Tzeghtzmer a tué 
dans le village Aliklpour, T Arménien Asdouadzadour. 

Le 24 y juillet. — Yegho, du village de Dapik, est blessé sur la 
route en venant à Moush. 

Le 26 /g juillet. — Havso Tchaltoyan, jeune garçon de Moush est 
blessé par un Turc dans les environs de la ville. 

Voici enfin les plus récents rapports reçus par Pro 

Une correspondance d'Erzeroum (25 décembre) nous apprend en 
effet qu'un nouveau fîéau s*est abattu sur la population arménienne. 
Dans chaque village arménien des districts de Passen, Alachgherd^ 
Diadin et Bayazid, c'est-à-dire les districts limitrophes de la frontière 
russe, on a installé des garnisons de cavalerie kurde hamidieh, soi-disant 
pour empêcher le passage des « agitateurs arméniens ». Pleine licence a 
élu accordée à ces serviteurs d'élite de Sa Majesté Impériale pour le choix 
des procédés et moyens d'action. Chaque Kurde hamidieh devient ainsi 
une image réduite de son maître; il résume en lui l'autorité judiciaire 
et le pouvoir exécutif et il en use à. son caprice. Aussi ne faut-il point 
s'étonner qu'il y ait en cette région recrudescence d'atrocités. 

A Griizou (district d'Alachgherd) sont campés des Kurdes appartenant 
à la colonne d'Eyoub Pacha; ils se comportent comme toute soldatesque 
victorieuse en une ville prise d'assaut, c'est-à-dire qu'ils pillent, rossent, 
violent, assassinent, si bon leur semble. Pour leur fournir encore des 
pré[exies à violence, le Sultan leur a commis le soin d'encaisser d'énor- 
mes arriéras d'impôts et ils perçoivent à leur manière les taxes portées 
sur leurs listes arbitraires. 

A Mezré (district de Karakilissé) sont également campés une quaran- 
taine de hamidiehs. En quelques jours, ils ont enlevé dix mille kilos de 
blé, vingt mille kilos d'avoine, cinq cents poules et vingt moutons, le 
tout a été payé par eux 206 piastres ou, en monnaie française, 43 francs. 
t,es Arméniens se sont enfermés dans leurs maisons ; ils n'osent point 
en sortir de crainte d'être frappés ou tués et les femmes et les filles 
violées » 

A Gahni Tépé, la colonne de Selim Pacha est représentée par vingt- 



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m^ 



XXI 



cinq hommes qui ont razzié toutes les provisions d*hlver. Les villageois 
risquent de mourir de faim. 

Entre temps, les assassinats sont plus nombreujt que jamais. Hn une 
seule semaine ont été constatés les meurtres suivants : 
Mgrditch, de Mous h, étranglé à R^raki lissé; 
Sepher Piroyan, lué à Achkale; 

Un autre Arménien égorgé à Amad ; ^ 

Végû, lué à coups de sabre devant son moulin de Kayabey, 
Une lettre de Bit] is (35 décembre) rapporte d'autres atrocités com- 
mises à Deh (district de Segherd), Chukri, fîls de Hafiz, capitaine de 
hamidiehs avait enlevé Benefché, femme de Selmo; il fut, par erreur, 
arrêté pour d'autres méfaits et, pendant ce temps, Tévêque de Segherd 
engagea des pourparlers pour revendiquer la liberté de Selmo, Mais, en 
Sâ. qualité de malfaiteur de renom, grâce aussi à la laveur du kaimakan 
de Deh et à Tintervention de son père, Hafiz Chukri ne tarda pas à être 
mis en liberté. Son premier soin fut de se rendre dans la maison de Be- 
nefché, de la tuer à coups de sabre et de faire subir le même sort à 
Ketcho, son iVére, et à Ghazen-Alo, son père; après quoi, pour se dis- 
traire, il alla, le lendemain matin, mettre le feu au moulin de Ghougas 
Avoyan, Il n'a pas été poursuivi et le^ autorités de Ueh ne le recherchent 
même pas. 

La relation du massacre de Hounan (5 février 19041 est 
encore plus significative : 

Moush, 28 février 1904» 

Le village de Hounan, situé à une heure et demie de Norshen, a été 
entièrement détruit dans les conditions suivantes: Le vendredi 5 février, 
des gendarmes, au nombre d'une quinzaine, rentraient à Xorshen^ après 
avoir fait dans les villages de la plaine une tournée de perception d'im- 
pôts. Ils s'arrêtèrent à Hounan, La on vint les prévenir que trois étran- 
gers d'allure suspecte étaient rentrés dans une maison du vilage. Aussitôt 
les gendarmes commencèrent une sérieuse fusillade contre la maison et 
envoyèrent demander du renfort à la garnison de Norshen et aux auto- 
rités de Mo us h. 

Les assiégés ripostèrent et d'autres assaillants du dehors ouvrirent le 
feu contre les gendarmes qui se trouvèrent ainsi pris entre deux feux; ils 
se sauvèrent alors et se cachèrent dans les maisons du village ou dans 



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— XXII 

des excavations tormées par la rivière qui passe près du viilage. Un déta- 
chemeni de la garnison de Norshen qui venait à leur secours, eut deux 
blessés et n'osa plus avancer. 

A la faveur de la nuit tombante, les étrangers suspects, dont le nom- 
bre, croit-on, n'excédait pas six, profitèrent de la panique pour s'enfuir 
dans U montagne sur les propres chevaux des gendarmes. Pris de peur, 
les habitants de Hounan commencèrent à s'enfuir, malgré la neige 
abondante et le froid rigoureux. 

Le bruit de Tévénement ne tarda pas à se répandre jusqu'à Moush. 
Les Arméniens fermèrent aussitôt leurs boutiques et rentrèrent daqs 
leurs maisons : mais la foule kurde et turque qui dès longtemps se pré- 
parait à agir contre les Arméniens se mit à courir en masse vers Hounan ; 
bientôt le viilage en fat rempli. Kurdes et Turcs rentrèrent dans les mai- 
sonsj pour piller, détruire, violer et tuer au hasard des rencontres: tous 
les objets de valeur furent pris, les meubles brisés, les provisions empor- 
tées. Le plus féroce des assassins et pillards est Arab Abdallah, à côté 
de qui il faut citer Sélim, Msto, Tchato, Hadji Valo et son fils, Saded- 
din^ Hkverdin, Chahir, Ali, Moussa, Kutchuk-agha, Miazi, Doursoun. 
Les meurtres furent accomplis avec des raffinements de cruauté; plusieurs 
Arméniens eurent la tête broyé comme dans un mortier. 

Quant aux femmes^ elles furest violées plus par vengeance brutale que 
par passion et sans considération d'âge, ainsi que le prouve une liste 
incompléie de quelques-unes des victimes: 

1. Loussîg, femme de Djindo; 

n. Tchino, femme de Djiago, 40 ans; 

3. Khoumar, fille de Khatchik, i5 ans; 

4. Dodé, femme de Mardo, 65 ans ; 

5. Loussig, fille de Dodé, 8 ans ; 

6. Sanam, femme de Kirkor; 

7. Gulèîa^e, bru de Kirkor, 20 ans ; 

8. hindo, femme de Kharty, 90 ans ; 

9. Mariam, bru de Findo, 20 ans ; 

10, Horoun, femme de Sako, 18 ans; 

1 1 , Saré, femme de Mgro, 5o ans ; 

12, Aavso, femme de Kharbar, 35 ans ; 
i3, Horoun, femme de Yego, 45 ans ; 

14. Bayaiî, femme de Ago, 5o ans; , 



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^w 



— XXIII — 

i5. Gulo, bru deOhan, 19 ans ; 
• 16. Yeghsig, femme d'Avdal, 55 ans; 

17. Mariam, bru d'Avdal, 20 ans ; 

18. Asbig, femme de Kirkor, 35 ans ; 

19. Mariam, femme de Khiatib; 

20. Loussim^ femme de Ouhir Melik, 30 ans. 

Dans leur fuite précipitée, des parents abandon né rem les cadavres de 
leurs enfants qui ont été retrouvés gelés, entre autres ceux de : 

Aghrout, fille de Katchig, 3 ans : 
Khouman, fille de Ugo, 3 ans : 
Korken, fils de Kerkor, etc., eic^, 

Les menaces de Télément kurde et turc redoublent, et comme d'ordi- 
naire les autorités laissent faire ou excitent, L'êvéque de Moush et les 
membres des Conseils religieux et laïque du même diocèse avaient 
envoyé un télégramme au sultan pour lui signaler le danger. Les auto- 
rités judiciaires de Bitlis ont reçu l'ordre de les poursuivre pour dénon- 
ciation calomnieuse et comme ayant Agi dans un bui malveillant. 

Le Sultan responsable. 

Si le régime normal des vilayets arméniens a été en 
empirant d'année en année, si les grands massacres ont été 
exécutés avec une parfaite méthode, aucun ministre des 
affaires étrangères en Europe n'ignore quelle est la personne 
immédiatement responsable de ces crimes contre l'humanié* 
Dans la Turquie actuelle, un seul homme prétend tout 
diriger; il n'y a plus, à proprement parler, ni grand vizir, 
ni ministres, ni administrations publiques; le Sultan agit 
partout et sur tout, directement ou par Tintermédiaire de 
ses innombrables mouchards et émissaires secrets répandus 
par tout l'empire. M. Paul Cambon le constatait au 
lendemain des massacres de Sassoun : 

On peut dire que depuis quatre ans le gouvernement a été transport*!; 
de la Porte au Palais. Les fonctionnaires de tout ordre ne retevaieni plus 



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XXIV — 

de leurs ministres respectifs; ils correspondaient directement avec les 
secrétaires du Sultan ; ils refusaient nettement l'obéissance aux ordres 
du grand vizir et j'ai eu plus d'une fois l'occasion de constater, dans les 
affaires qui nous intéressaient l'impuissance de la Porte à imposer ses 
vêlantes à ses agents les plus subalternes. Ce mode de gouvernement 
que chacun déplorait devait forcément mettre en cause la personne 
même du souverain et la charger de toutes les responsabilités: qu?un 
incident survint, Abdul-Hamid était obligé d'en répondre personnellement 
devant son peuple et devant l'Europe; cet incident s'est présenté en 
Arménie et le Sultan s'est trouvé tout à coup dans la posture d'un accusé 
sans moyens de défense (Livre Jaune, Affaires arméniennes, 1897. — 
n" 68, Pt-ra, 12 juin iSgS), 

Deux ans auparavant, le consul anglais d'Alep décrivait 
presque dans les mêmes termes Tétat de l'administration 
locale : 

Voire Excellence peut savoir que la province d'Alep, comme je 
présume Ses autres provinces de la Turquie, a passé récemment sous la 
domination directe du Palais. Les instructions des divers ministres de la 
Porte, sauf dans les matières de pure routine, sont tenues pour sans 
importance et quand il arrive, comme souvent, qu'elles soient en con- 
îradtcitûn avec les ordres du Palais, demeurent méprisées. Quant aux 
prisonniers, les autorités locales se déclarent incapables de les faire 
relaser, pour la raison qu'ayant été arrêtés et accusés par ordre impérial, 
un ordre impérial seul peut assurer son élargissement. En vérité, des 
actes sont faits au nom de Sa Majesté, qui peuvent faire supposer 
l'existence, au Palais, d'un pouvoir expressément créé pour rendre son 
nom détesté et son pouvoir abhorré par son peuple. (Biue Book, Turkey 
no 3, 1896. — Lettre du consul lago à l'ambassadeur Sir Clare Ford. — 
Alep, 3 janvier 1893.) 

Dès ce moment, les massacres étaient décidés par le 
Sultan : il ne restait qu'à choisir l'occasion la plus oppor- 
tune; une lettre de Césarée, datée d'août iSgS, est singu- 
lièrement révélatrice : 

Deux pachas ont été envoyés ici de Constantinople pour s'informer 
des affaires; dans une grande réunion officielle des aghas turcs, ils 



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XXV 

demandèreni ironiquement à ceux-ci : * Vous n*êies donc pas capables 
d'écraser ces chrétiens sans que nous venions à votre aide? * Ce qui en 
revenait à dire : « Pourquoi ne vous dtes-vous pas soulevés et ne les 
avez-vous pas tués tout de suite? * L'un des aghas répliqua : « M 
n'v avait que des enfants. Comment aurions-nous pu faire ce que 
vous dites? * Nous tenons ceci d'un des aghas qui assistait à la 
réunion. 

A deux ou trois heures d'ici, il y a un grand village turc de 5oo mai- 
sons, appelé Hadjilas. Les habitants en sont connus pour leur fana- 
tisme et leur férocité. Pendant les troubles, la populace d'Hadjilas sortit 
dans rintenlion d'attaquer Césarée* Avant d'y arriver, ils s'arrêtèrent 
pour brûler un certain nombre de maisons arméniennes dans les 
vignobles. Cela laissa aux autorités le temps d'agir et le mutessarif 
avec des troupes se porta au-devant d'eu;? et lit arrêter ceux qu'il avait 
pris sur le fait; cinquante d'entre eux furent mis en prison et y restèrent 
un certain temps. Cela, disait-on, prouvait que les autorités étaient 
impanialeset décidées à punir tous les délinquants : mais finalement 
ils furent appelés devant le mutessarif; celui-ci leur dit qu'on leur par- 
donnait (ils n'avaient jamais été mis en jugement) et on leur donna à 
chacun un présent de trois livres turques, en disant que c'était un 
cadeau du Suiian lui-méjne... C'était en- vérité leur dire : * Vous avez 
bien fait r saisissez la première occasion de recommencer. -^(Blue Book, 
Turkey n' 3, 1S9Ô, annexe au n' 227.} 

Aussi, lorsque se produisirent d'abord les massacres de 
Sassoun^ puis les massacres généraux de iByS-iSgô, 
Taction des émissaires hamidiens fut- elle signalée dans 
tous les vilayets arméniens et quand à deux reprises, à 
Constantînopte même, les bandes d'cgorgeurs et d'assom- 
meurs travaillèrent sous les yeux des ambassadeurs euro^ 
péens, ceux*ci ne se méprirent pas longtemps sur la per- 
sonnalité de l'organisateur responsable des tueries* Après la 
manifestation de Bab Ali et les premières violences graves 
contre les Arméniens, les représentants des grandes Puis- 
sances adressatcnt à la Sublime-Porte une note verbale où 



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— XXVI 

il est dit, après rappel des meurtres, pillages, assassinats 
de prisonniers sans défense : 

L'autorité loin de mctire un terme à ces excès a tout l'air de les 
avoir encouragés. (Noie colleclire du ô oi:tobre iSgS,} 

Un an plus tard, dans un télégramme collectif, les re- 
présentants des six puissances par une dérogation extraor- 
dinaire aux convenances du protocole s'adressèrent direc- 
tement pour faire cesser les massacres : .1 S. A/. L le 
Sultan, au Palais de Yldi^ et leur langage était singuliè- 
rement comminatoire : 

En présence de faits semblables, les représentants des grandes puis- 
sances s'adressent au nom de leurs gouvernements directement à 
La personne de Votre Majesté comme chef de TÉtat, pour lui 
demander instamment de donner sans délai des ordres précis et 
catégoriques propres à mettre fin immédiatemetit à cet état de 
choses inouï qui est de nature à amener pour son Empire les 
conséquences les plus désastreuses. { Tèiégraynme adressé le 
a8 août J896, à midi, par les raprésentants des grandes Puissances,) 

A propos des mêmes événements, notre chargé d'af- 
faires à Constantinople a formulé d'une façon encore plus 
catégorique le sentiment de tous sur le rôle du Sultan: 

Je ne pourrais citer à Votre Excellence la série interminable des faits 
qui prouvent jusqu'à Tévidcnce que c'est le Sultan lui-même qui 
arme les bras de ces assassins et leur enjoint de courir sus à tout 
ce qui est arménien, i Livre Jaune, Alîaires arméniennes, 1897, 
n" 354. — Thérapia, 3 septembre 1896.) 

M. Gabriel Hanotaux lui-mêmej dans un discours sur 
les affaires Cretoises, appela Abdut-Hamid <?s Thomme 
responsable de tant de crimes ». 

Depuis iSgfij le Sultan ne s'est pas amendé; il suffit de 
lire le dernier Lwre Jaune français pour se rendre compte 



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— XXVII — 

que lui seul gouverne toujours et que c'est d'Yldiz que 
partent encore aujourd'hui les ordres de. massacre. Appré- 
ciant les prétendues réformes promulguées à la fin de 1902, 
M. Bapst, chargé d'affaires à Constaniinople, annonce 
qu'elles seront illusoires; Hilmi pacha et Férid pacha, 
dit-il, pourront donner de sages conseils : 

Mais à quoi bon ? Les décisions continueront, comme par le passé, 
à être prises exclusivement à Yldiz. (Livre Jaune, Affaires de Macé- 
doine, 1903, no 68. — Péra, i" décembre 1902.) 

Les complicités de TEurope, 

Le Sultan Abdul-Hamid, est sans doute le principal 
auteur des massacres arméniens et il s'applique avec per- 
sévérance à poursuivre son œuvre ; mais il faut dire aussi 
qu'il a trouvé dans les gouvernements européens les plus 
précieuses complicités. Ceux-ci n'ont pas ignoré un instant 
les atrocités dont les vilayets arméniens sont le théâtre per- 
manent: au lendemain même du Traité de Berlin, ils 
avaient fort bien compris à quoi tendaient les manœuvres 
dilatoires de la diplomatie ottomane et ils connaissaient 
également, dès cette époque, le seul remède efficace, c'est-à- 
dire le contrôle européen sur l'administration turque. Dans 
une Note collective du 7 septembre 1880, adressée à la 
Sublime Porte, en réponse à l'un des innombrables projets 
et contre-projets de réformes, les six ambassadeurs s'expri- 
maient ainsi : 

Le principe de la décentralisation si nécessaire dans les provinces 
habitées par une population professant un culte différent de celui de 
l'autorité centrale est traité d'une manière peu satisfaisante dans la note 
de Votre Excellence. Il est impossible de compter sur des réformes 
efficaces aussi longtemps que la position des gouverneurs généraux ne 



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— r XXVIIÏ 

seta pas complètement modifiée. La note laisse bien entrevoir que leurs 
pouvoirs seront étendus et leurs fonctions garanties, mais des assurances 
aussi générales ne sont pas de nature à résoudre le problème* 

Tant que l'extension des pouvoirs d'un gouvernt;ment général et de 
la responsabilité qui semble absolument nécessaire à raccom plissement 
de ses devoirs n'aura pas éïé nettement stipulée, tant que ces garanties 
formelles n'auront pas été données à ce haut personnage, quant à la 
durée de sa mission, il sera impossible de formuler une opinion sur 
Tefficacitë des mesures proposées. Il est clair, en effets que les gouver- 
neurs généraux doivent avoir certaines données sur la durée de leurs 
fonctions et être affranchis de Tîntervention constante qui se produit 
sous le régime actuel dans les moindres détails de leur gestion adminis- 
trative et a paralysé jusqu'à présent leur action. Il est inutile d*ajouter 
que si cette plus grande indépendance des valis est partout désirable 
elle est absolument nécessaire dans les provinces habitées par les Ar- 
méniens. Les puissances, en un mot, convaincues de Tinsurfisance des 
proposI[ions du Gouvernement Ottoman, pensent qu'il y a lieu de tenir 
un compte plus sérieux des besoins locaux constatés dans ces mêmes 
provinces; de donner une plus grande extension aux deux grands prin- 
cipes d égalité lH de décentralisation, de prendre des mesures plus effi- 
caces pour l'organisation de la police et la protection des populations 
molestées par les Circassiens et les tCurdes, de définir, enfin, la durée 
et rétendue des pouvoirs des gouverneurs généraux. A ce prix, mais à 
ce prix seulement, satisfaction peut être donnée aux droits et aux espé- 
rances créés par Tariicle LXI du traité de Berlin* 

La note concluait ainsi : 

Il est de toute nécessité de réaliser sans perte de temps les réformes 
destinées à garantir la vie ej la propriété des Arméniens, de prendre 
immédiatement des mesures contre les incursions des kurdes î d'appli^ 
quer sans délai la nouvelle combinaison financière; de mettre provisoi- 
rement la gendarmerie sur un pied plus satisfaisant; de donner surtout 
aux gouverneurs généraux un pouvoir plus vaste et une responsabilité 
plus ciendue. 

I.es soussignés, à litre de conclusion, appellent une fois de plus l'at- 
tention de la Porte sur ce fait essentiel que les Arméniens doivent aux 
termes des enjçagements qu'elle a contractés par un acte international 



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w*" 



— XXiX 



être conformes aux b^oins locaux et £*accom(>tir sous la sun>€iiianee 
d€s p u issa nces. . 

Depuis cette date, la surveillance des puissances s*exerça 
si énergiquement que les massacres de Sassoun, puis !es 
massacres généraux de iBgS-iSgG purent éire préparés et 
exécutés sans que leur intervention y mit aucun obstacle. 
Ce n'est pas faute cependant de négociations, de notes, de 
projets et de contre-projets, admirables sur le papier, jus- 
qu'à ce Mémorandum de mai 1895 qui prévoyait la nomi- 
nation d'un gouverneur avec assentiment des puissances. 
Quelques jours avant les grandes tueries, un programme de 
réformes était encore soi-disant promulgué par le Sultan ; 
tandis que celui-ci l'appliquait à sa manière par l'extermi- 
nation de tout un peuple, les ambassadeurs s'occupaient à 
négocier le doublement des staiionnaires étrangers dans le 
Bosphore, afin qu'un peu de ridicule se mêlât au drame, 

Cest qu'en réalité si les ambassadeurs eux-mêmes, spec- 
tateurs immédiats de ces effroyables hécatombes eussent 
été disposés à prendre les mesures efficaces, leurs gouver- 
nements leur interdisaient d*agîr : et quand une puissance. 
TAngleterre, demandait remploi des seuls moyens raison- 
nables, les movens comminatoires et coercitîfs, elle se heur- 
tait à ^hostilité non dissimulée de TAllemagne et de TAu- 
triche et à la mauvaise volonté de ta Russie et de la 
France; les Minisires delà Double Alliance traitaient entre 
Paris et Pétersbourg, par dessus la tête de leurs représen- 
tants à Conslantinople, les afiaires arméniennes et peu de 
temps après Orfa, le prince LobanolT déclarait à l'ambassa- 
deur britannique « que rien ne permettait de douter des 
bonnes intentions du Sultan ni de son pouvoir de rétablir 
f ordre ^. 



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— XXX — 



On escomptait alors l'ignora nce profonde des massacres 

orîenfaux où les peuples d'Europe étaient tenus par leuis 
gouvernements : mais depuis bientôt huit ans, la vérité a 
fait, lentement et péniblement, son chemin; dans toute 
TEurope, des hommes de tous les partis politiques se sont 
trouvés d'accord pour demander que les Puissances exi- 
geassent enfin Texécuiion du traité de Berlin dans le sens 
indiqué par leurs représentants, voilà bientôt vingt-cinq 
ans : égalité, décentralisation, contrôle, 

1! convient maintenant de laisser la parole aux orateurs 
internationaux- 

r 

Pierre QUILLARD. 



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LA MANIFESTATION 

AIT 

THÉÂTRE DU CHATEAU -D'EAU DE PARIS 

(15 FÉVRIER 1903) 



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M. D'ESTOURN ELLES DE CONSTANT 

Député de la Sarthe 

Mesdames, Messieurs, 

Comment expliquer cette impunité dont use et abuse le sultan de 
Turquie, malgré ses engagements les plus solennels,et cela à nos poites, 
presque sous nos yeux ? Comment expliquer cette impunité scandaleuse, 
démoralisante? Sans doute, le Sultan a de puissants et de savants 
moyens d'action politique; il sait acheter les silences et tourner les 
indignations^ non contre le bourreau, mais contre les victimes et leurs 
défenseurs» Ce système connu ne suffit pas pourtant à expliquer son 
impunité. Si immenses et inépuisables que puissent être les trésors du 
Sultan, ils ne suffiraient pas à acheter une vraie conscience, à plus forte 
raison à étouffer la conscience universelle. {Applaudissements,) 

Il y a donc d'autres raisons, il faut avoir le courage de regarder la 
vérité en face et de la dire. Il y a d'abord la complexité inextricable du 
problème à résoudre,, complexité provenant d'une situation ethnique, 
géographique, dans laquelle toutes les religions, tous les schismes, 
les toutes sectes^ toutes les races^ toutes les nationalités, toutes les tribus, 
toutes les langues, tous les dialectes sont confondus : effroyable confu- 
sion d'éléments à la fois irréductibles et amalgamés. 

Ensuite passerons-nous sous silence les antagonismes des grandes 
puissances, leurs divisions, leurs défiances qui se sont accrues et com- 
pliquées aussi depuis quelques années, puisqu'elles sont devenues plus 
économiques peut-être que politiques. 

En face de cette complexité d'une part, de ces antagonismes d'autre 
part, il n'est pas surprenant que l'opinion publique se soit désintéressée 
du problème — on ne l'y encourage que trop — et se soit habituée à le 
considérer finalement comme insoluble. 

Eh bien, c'est contre ce découragement que nous protestons ; c'est 
cette indifférence dont nous ne voulons pas et que vous ne devez pas 
accepter. Non, le problème ne doit pas être considéré comme insoluble. 
Autant vaudrait admettre alors qu'il n'y a plus de progrès possible et 
qu'il va falloir arrêter la marche du monde chaque fois qu'une réforme 



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— 4 — 

ne paraîtra pas immédiatement, facilement réalisable. (Applaudisse- 
menis.) 

Autant laisser dire que tous les problèmes, le problème économique, 
le problème social, le problème moral et même le problème familial, à 
plus forte raison les problèmes scientifiques sont impossibles à résoudre. 

Non l Ce qui est impossible, c'est Tétat actuel des choses en Turquie 
d'Europe et d'Asie ; nos consciences, notre raison, notre prudence même 
ne peuvent s'y résigner. Il est impossible de voir l'Europe se développer 
à la clarté des progrès du xxe siècle, à côté de la Turquie restée plongée 
dans des ténèbres du moyen-âge ; il est impossible d'admettre la juxta- 
position paradoxale, monstrueuse de cette civilisation et de cette bar- 
barie. (Applaudissements,) 

C'est pourquoi nous nous révoltons contre TindifFérence qu'on pré- 
tend nous imposer. D'ailleurs, où nous conduirait-elle, cette indiffé- 
rence, sinon où elle nous a conduits déjà. Nous avons fait bien du 
chemin depuis quelques années, mais hélas ! du chemin en arrière. 
Aujourd'hui, nous n'imitons ni* le langage ni la conduite de ceux qui 
nous ont précédés. Quand on pense à ce qu'était l'Europe il y a trois 
quarts de siècle, à tout ce que nos aïeux ont si généreusement prodigué 
de leurs ressources, de leur force, de leur génie en faveur des oppri- 
més; quand on pense que l'Europe entière était d'accord pour leur 
envoyer, non seulement des secours matériels, mais ses officiers, ses 
généraux, quand la cause des opprimés avait pour soutiens les hommes 
d'État et les poètes qui s'appelaient Victor Hugo, Lamartine, lord Byron 
et Goethe, et quand on pense qu'aujourd'hui nous répudions ce passé l 
Non seulement nous ne sommes plus du côté des opprimés, mais .trop 
souvent nous ne nous contentons pas de les abandonner; nous les 
livrons à leurs oppresseurs. Pour notre excuse, les uns et les autres, 
nous invoquons nos intérêts économiques et financiers ? 

Qu'entend-on par ces intérêts économiques qui seraient en oppo- 
sition avec notre devoir? Qu'est-ce que ces prétendus intérêts écono- 
miques qui commandent à l'Europe de fournir des armes et des muni- 
tions au Sultan, de lui donner des instructeurs pour ses troupes, des 
officiers et des généraux ? 

Tombant ainsi de défaillance en défaillance, nous devenons insen- 
siblement les complices de l'oppresseur. Qu'y gagnerons-nous ? Quel 
sera le prix de cette abdication? Néant. Comprenez en effet toute la 
misère de cette conception économique. 



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i^^B^UPSiS^J^ffÇP^^îPr^^^T:^ • 



— 5 — 

Qu'a gagné l'Europe à faire de la Turquie une puissance militaire 
de premier ordre ? Elle Ta ruinée. Elle a pour ainsi dire stérilisé de ses 
propres mains son champ d'action économique. Son vrai client, c'est la 
Turquie et non le Sultan. Elle devait donc ménager des ressources 
qui étaient son gage, surveiller une administration qui était la garantie 
de ses créances, et qui pouvait, en s'améliorant, permettre à son com- 
merce, à ses entreprises de se développer. Développer les armements de 
la Turquie, quelle imprudence l tarir la source de sa prospérité : quelle 
folie l Ainsi, la politique actuelle de l'Europe, au point de vue écono- 
mique n'est pas défendable. Mais c'est bien pire encore au point de vue 
moral et politique. Les gouvernements ont établi comme une règle 
indéniable, devant l'opinion, qu'il existe deux morales : Tune pour les 
individus, celle-là très sévère, qui a pour sanction l'exil, la prison, la 
mort, une autre pour les gouvernements, celle-là très largeet qui permet 
tout. (Applaudissements.) 

Assisterons-nous impassibles à un tel aveu : ne comprend-on pas 
qu'il équivaut à la proclamation de l'anarchie européenne 1 (Applau- 
dissements.) 

Nous ne voulons pas assister indifférents à ces fautes, dont nous ne 
pressentons que trop les conséquences ; nous voulons soulever dans 
l'opinion une protestation, une révolte, révolte raisonnable et salutaire 
de la conscience et du bon sens. 

Certains diront : Que vient faire la France dans cette affaire? ne 
ferait-elle pas mieux de rester tranquille? Ne comprend-on pas, au 
contraire, que c'est le rôle de la France d'élever la voix et qu'elle aura 
d'autant plus d'autorité dans le concert européen qu'elle est plus désin- 
téressée et que personne ne peut la suspecter d'arrière-pensée. 

Autrefois, il est vrai, les rôles étaient partagés, et j'espère qu'il en 
sera de même encore dans l'avenir. Nous étions toujours plusieurs à 
protester. Nous avions avec nous, notamment, l'Angleterre. Je me rap- 
pelle que lorsque je quittai Londres, j'allai présenter mes devoirs à 
M. Gladstone, dont vous n'avez pas oublié l'admirable et généreuse 
campagne en faveur des opprimés. Son dernier mot, alors que je le 
croyais absorbé par la politique intérieure, fut de me dire, en me remet- 
tant un livre qu'il avait écrit en faveur des Arméniens : « Occupez-vous 
des Arméniens, défendez-les. Défendre l'Arménie, c'est servir l'Europe >. 
(Applaudissements). 

Il semble, hélas, que Gladstone soit mort depuis longtemps aujour 



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— 6 — 

d'hui, ei les années qui pèsent sur sa tombe comptent double, tant elles 
uni été tristement remplies. Mais, fussions-nous seuls à élever la voix, 
nous n'avons pas le droit de nous taire. 

Sous prétexte qu'il son aujourd'hui passé de mode de défendre les 
opprimes, la France va-t-el le se résigner à ce silence à la fois si humiliant 
et si dangereux ? Votre présence si nombreuse à cette manifestation est 
la plus signiiicattve des réponses. Mais, d'ailleurs, la France a déjà 
parlé. Elle a dénoncé, d*abord, les massacres d'Arménie par des publi- 
cations explicites. Publications d'agitateurs, d'utopistes? Non pasl 
publications des dépêches d'un ambassadeur de France, M. Paul Cambon. 
Vous connaisses ce livre jaune, aussi honorable pour notre diplomatie 
qu'accablant pour notre politique à cette époque. 

Tout récemment encore, le Gouverr^ement français a distribué au 
Parlement une autre publication que nous avons été heureux de lire, et 
dont nous félicitons M. Delcassé : elle contient les dépêches qu'il a 
reçues de nos représentants relativement aux événements de Macédoine. 

Mais si ces publications sont opportunes, nécessaires, encore faut-il 
qu'elles trouvent à qui s'adresser, une opinion préparée, un public qui 
ne les considère pas comme insignifiantes. 

Cest pourquoi nous avons voulu que cette réunion fut aussi belle, 
aussi imposante que possible; voilà pourquoi je suis fier d'avoir été 
appelé à la prj^-sider, car c'est une manifestation humaine et française. 
(Applaudissements.) 

Cette réunion est humaine, il faut qu'on le sache bien ; il faut que 
les pauvres esprits qui voudraient essayer de mal interpréter nos paroles 
le comprennent. Nous ne prétendons pas parler en faveur de telle ou 
telle nationalité, au détriment de telle ou telle autre, nous mêler à je ne 
sais laquelle de ces intrigues qui s'agitent toujours autour de la question 
d'Orient; non, nous voulons parler en faveur des opprimés quels qu'ils 
soient: chrétiens» musulmans, jniifs, bohémiens, tous les opprimés l 
( App l au dhs ements pro l o ngés . ) 

Oui, c*est là ce qui fait la grandeur de cette manifestation et ce qui 
lui donnera toute sa vraie signification devant l'Europe. Nous parlons 
en faveur de tous les opprimés d'Orient, et nous parlons au nom de 
tous les partis de France. { Applaudissements.) 

Les étrangers portent sur la France des jugements bien superficiels; 
ils comptent trop sur nos divisions. Eh bien, oui, nous sommes divisés, 
je n'en rougis pas : je fuis même fier de ces discussions enflammées que 



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Ton nous reproche^ et qui sont pourtant un signe de notre passion pour 
la vérité et pour le progrès ; je les préfère à certains silences qui res- 
semblent et qui conduisent à la servitude. (Applaudissements.) Oui, 
nous sommes divisés; nous Tétions hier, nous le serons demain sur la 
plupart des graves problèmes de la politique intérieure. Mais il faut 
qu'on sache en Europe que nous pouvons être unis et que si nous repré- 
sentons ici beaucoup de partis, nous ne représentons qu'une seule 
France. {Applaudissements.) 

Certes, vous allez entendre des orateurs éminents, applaudis, mais 
si grand que soit leur talent, rien ne sera plus éloquent que leur union 
pour la défense d'une même cause. (Applaudissements,) 

Je dois maintenant répondre par avance à quelques objections qui 
^ous seront faites. On vous dira demain : Vous vous êtes associés à une 
manifestation d'agitateurs, d'utopistes, de philanthropes, car il faut se 
défendre comme d'un crime de mériter la qualification de philanthropes. 
Eh bien, non 1 répondez que nous sommes des hommes très positifs. 
Certes, nous avons notre idéal, chacun le nôtre ; mais ce que nous vou- 
lons servir dans cette circonstance, c'est un intérêt : l'intérêt des Gouver- 
nements, l'intérêt de la France et de l'Europe. Oui, nous voulons obliger 
les Gouvernements à mieux comprendre leur intérêt; nous voulons voir 
cesser un désordre qui est non seulement un défi jeté à la conscience de 
l'Europe, mais aussi et surtout une menace pour la paix du monde. 
(Applatulissements.) 

Qu'on ne nous dise pas non plus — c'est là une des objections les 
plus perfides que l'on puisse nous faire — en s'adressant aux scrupules 
mêmes qui nous ont réunis ; prenez garde I vous allejz parler en faveur 
de la paix ; mais n'atteindrez-vous pas un but diamétralement opposé à 
celui que vous poursuivez; n'allez-vous pas aggraver le désordre au lieu 
de le faire cesser? N'allez-vous pas — voilà le grand mot — encourager 
ces oppriipés à la révolte et déchaîner, par conséquent, sur leur fai- 
blesse, les épouvantables représailles que vous connaissez trop bien ? 

Là, en effet, serait le péril d'une action inconsidérée; nous n'y 
avons que trop pensé ; chacun de nous a conscience de cette responsa- 
bilité à laquelle faisait si justement appel M. Balfour dans un discours 
récent, à Londres. 

Nous nous sommes consultés ; nous avons pesé le pour et le contre, 
les inconvénients illusoires de notre initiative et les dangers autrement 
graves de notre silence. Non, nous savons ce que nous faisons ; ne 



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— 8 — 

laissons pas méconnaître nos intentions et nos scrupules. Non, nous 
n'allons pas donner un nouveau motif de révolte aux opprimés ! Ce qui 
est pour eux le plus sûr motif de révolte, c'est l'indifférence, l'égoïsme, 
l'oubli de l'Europe, l'oubli de ses engagements les plus solennels. Voilà 
ce qui les pousse au découragement, et du découragement au désespoir. 
(Applaudissements.) 

Au contraire, notre pitié, nos sympathies peuvent leur rendre Con- 
fiance, les faire patienter encore. Ce que nous poursuivons, ce n'est pas 
la révolte des oppprimés, c'est la révolte des consciences européennes." 
(Applaudissements.) 

Et maintenant, mesdames et messieurs, vous allez entendre les 
orateurs qui ont consenti, dans un même élan, dans une même géné- 
rosité de cœur, à oublier leurs divisions et à venir ensemble devant vous 
plaider cette noble cause. Vous allez entendre tour à tour M. Denys 
Cochin, M. de Pressensé, M. Jaurès, M. LeroUe, M. Anatole Leroy- 
Beaulieu. Je vous demande, — ai-je besoin de le demander ? Je suis sûr 
de vous par avance, je sais que vos cœurs généreux répondront aux 
nôtres ; je vous demande de faire, vous aussi momentanément, le sacri- 
fice de vos passions, de vos querelles, de tout oublier un instant pour 
ne penser qu'à ceux qui nous appellent, qui ont besoin de nous, qui 
meurent là-bas faute de secours et parce que nous les avons oubliés 
dans nos discordes ; je vous demande, mes amis, de faire comme nous 
ce sacrifice, pour les opprimés, pour votre conscience, pour le bon 
renom de notre patrie, pour l'honneur de la ^civilisation que l'éternelle 
mission de la France a toujours été de défendre contre la barbarie. 
{Applaudissements pifs et prolongés.) 



M. DENYS COCHIN 

Député de la Seine. 

Messieurs, 

Je ne veux que développer un peu les pensées si françaises que mon 
collègue d'Estournelles a exprimées si bien et montrer que chez nous on 
oublie les querelles intestines pour aller au secours des opprimés. 

Il y a quelques années M. Paul Cambon disait à Izzit Bey alors 
favori du sultan : « Votre maître accompli un miracle; il a mis toutes 



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— 9 — 

les Puissances d'accord. )► M. Paul Cambon, diplomate ejtperi ei cœur 
généreux, savait ce que valait ce miracle et combien il était difficile de 
mettre les puissances d'accord, même pour une bonne cause. 

Le miracle continue et vous voyez se rapprocher ici des hommes 
•d'opinion et de parti nettement opposés. Miracle moins difficile, quand 
il s'agit — en France — de défendre la justice et rhumaniié, {Applau- 
dissements.) 

M. d'Estournelles vous dit qu'il n'y avait qu'une morale pour les 
gouvernements comme pour les individus. Je le crois volontiers. Mais il 
n'est pas toujours facile de la mettre en lumière. 

Beaucoup de gens (je ne cite plus maintenaht les vrais diplomates) 
parlent de la France, de l'Angleterre, de la Russie, de rAutnche comme 
d'illustres et puissantes personnes auxquelles on n'a qu'à adresser quel- 
ques mots de raison et de remontrance pour être aussitôt entendu d'elles. 
Songez à ce que ces grands noms représentent de forces^ de passions 
diverses ! Dana l'ensemble, cependant, un esprit, une volonié dominante 
de la nation se dégage. 

Il y a, je le crois, des âmes des nations, de grandes âmes collectives 
de la quantité innombrable de3 âmes individuelles. Ces âmes collectives 
ont leurs sentiments, et aussi leurs besoins. Le devoir de l'homme qui 
gouverne est d'être sensible aux uns, et d'être attentif aux autres. Diffi^ 
"Cile et redoutable devoir 1 Un particulier, pour ce qui le concerne, n'est 
jamais trop généreux. Un homme d'Etat n'a pas toujours le droit de 
l'être; et cependant sa prudence doit céder parfois à de nobles entraîne- 
ments. 11 est là comme le médecin qui écoute battre le ca?ur; sensible 
aux manifestations de l'âme nationale et prêt à les utiliser soit pour le 
bien du pays et son intérêt matériel, soit pour sa gloire. Dieu merci, les 
appels de la justice et de l'humanité sont quelquefois aussi entendus 
par Tâme collective des nations, et elles ne cèdent pas fatalement aux 
seuls arguments de l'intérêt matériel. Si ce que je dis là est faux, si c'est 
un paradoxe et une chimère, il faudra rayer de l'histoire du monde une 
bonne moitié de l'histoire de France. 

En pareil cas, et si l'on veut que la politique devienne généreuse, il 
faut que l'opinion publique se montre et pèse sur les hommes d'Etat. Il 
y a quelques années, un homme a ému l'opinion publique anglaise, 
c'était un grand, grand orateur et un noble patriote, Gladstone. H Ta fait 
dans un moment où il n'était pas du tout prouvé que l'intérêt matériel 
de l'Angleterre fût de mettre ordre aux infamies qui se commettaient en 



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— lO — 

Turquie. 11 commandait peut-être de fermer les yeux et d'attendre. 
Mais Gladstone dénonça les crimes et souleva Popinion. 11 prononça à 
Glasgo\s un mémorable discours, chef-d'œuvre de bon sens et de cœur, 
et k termina par ces mots que rappelait M. d'Estournelles : « Servez les 
Arméniens, parce que servir l'Arménie c'est servir l'Europe. )► Il avait 
raison ; c'était ou plutôt c'eut été sauver Thonnjeur de l'Europe et 
pr(.*ndre en main la cause de la civilisation. (Applaudissements.) 

Messieurs, il y a, en effet, un contraste épouvantable entre l'état du 
monde civilisé tel que nous le voyons et les crimes de la Turquie. Dans 
ce coin de l'Europe, les apparences de civilisation ont pénétré; et tout à 
coup, par le fait du gouvernement, les horreurs de la barbarie ont tout 
A coup reparu. 

Lorsqu'on fouille les vieilles annales de l'histoire et qu'on lit les rela- 
tions des exploits épouvantables d'un Gengis-Khan ou d'un Tamerlan, 
ou encore des sacrifices humains des anciens Mexicains, les temps sont 
si anciens, les mœurs si différentes, tout cela -est si loin de nous, qu'à 
moins d^être doué de l'imagination d'un Vigny ou d'un Leconte de Lisle 
nous n'apercevons plus le feu des incendies et nous n'entendons plus 
les cris des victimes. 

L'horreur augmente singulièrement lorsque des scènes semblables 
se passent dans une grande ville civilisée, peu différente des nôtres, 
dans une ville qui a ses maisons à quatre ou cinq étages, ses usines à 
gaz, ses tramways, ses places et ses théâtres. Rappelez-vous que le vali 
est tout simplement M. le Préfet, le caïmacan M. le général commandant 
la subdivision : et voyez les troupes et la police requises par le premier, 
dirigées par le second et occupées pendant de longs jours à assassiner 
la population sans armes. On gravit les escaliers, on pénètre dans les 
apparLements. On relève, avec ce tapage bien connu chez nous, les 
devantures de fer des boutiques. Et partout, et par centaines, à coups de 
bâtons, à coups de revolvers, à coups de sabres, on assomme, on égorge 
des hommes, des femmes, des enfants. Et dans des charrettes, on 
emporte leurs restes sanglants vers de grandes fosses que l'administration 
a fait préparer. (Applaudissements.) 

Tel est le spectacle que la Turquie nous a donné. En 1896, quelques 
troubles avaient eu lieu dans un district reculé de l'Arménie, le pays de 
Sassoun. A cette époque, ce nom d'Arménie, si connu aujourd'hui en 
France, grâce au sultan, ne l'était guère du public. Aujourd'hui même 
encore^ je rencontre des gens qui médisent: « D'où vous vient cet 



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— II — 

intérêt pour les Arméniens ? » C'<st que d'abord ce sont des hommes t 
puis c'est une race qui tient à la nôtre de près par son origine et par de 
nombreux souvenirs. 

Cette race arménienne, lettrée, polie, culti\^c, indépeedante, est, 
parmi les races blanches, une des plus anciennes. Ses montagnes, ses 
rivières portent des noms que nous lisons dans les livres qui racontent 
Torigine des hommes. C'est le mont Ararat, ce sont, vers leurs sources, 
VEuphrate et le Tigre. 

Franchissez de longs siècles et vous trouverez Thistoire de T Arménie 
rapprochée de la nôtre ; et ce p)euple, qu'on s'applique à nous montrer 
si éloigné de nos mœurs et de nos goûts, a eu, avec la France, les plus fré- 
quents et les plus intimes rapports. Après les croisades, il a été gouverné 
longtemps par des Français, les Lusignan. Les villages d'Arménie sont 
encore remplis d'anciens monuments où les voûtes, les créneaux et les 
ogives rappellent au voyageur français les cathédrales et les vieux ma- 
noirs de son pays. 

On dit que ce peuple n'est qu'un peuple de marchands — cela ne 

serait pas une excuse pour le mettre à mort, — on prétend qu'il n'a pas 

le goût des arts, ni celui de la charrue, eii celui des armes. Tout cela est 

-faux. Les Arméniens peuvent répéter les beaux vers que La Fontaine 

met dans ia bouche du Paysan du Danube : 

Nous cultivions en paix d'heureux champs, et nos mains 
Etaient propres aux arts ainsi qu'au labourage. 

Ils ont leurs poètes. Ils ont leurs laboureurs. Et ils ont eu aussi leurs 
héros. Bagration, le Michel Ney de l'armée russe, tombé à la Moskowa, 
était le rejeton d'une de leurs princières. 

A côté de ce peuple, en existe un autre, les Kurdes, tout à fait 
impropre, celui-là, à l'agriculture. Son rôle et ses mœurs invoquent en 
moi un souvenir d'anciennes études d'histoire naturelle. Sir John 
Lubbock, savant anglais, nous apprend qu'il existe une espèce de 
fourmis qui ont des esclaves; si on leur ôte leurs esclaves, elles ne 
peuvent plus vivre. Les fourmis paresseuses et impérieuses attendent 
des fourmis nourricières leur provende. Tels sont les Kurdes à côté des 
Arméniens. 

Les Kurdes descendent de temps en temps de leurs montagnes; ils 
-tombent chez les Arméniens et leur imposent iin grand nombre d'im- 
pôts de fantaisie qui s'appellent Hafir, sous prétexte de lagarde de leurs 



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— 12 — 

bœufs ou de la protection de leurs champs et qui ne sont que des assu- 
rances coûteuses et insuffisantes contre le pillage. 

De ces brigands^ le sultan a inventé de faire des gendarmes; il les a 
costumés et constitués en un corps de cavalerie sous le nom d'Hami- 
diés. Les rançon ne ments, les pillages sont passés à l'état de subven- 
tions à la gendarnierie. 

Quelle viel Quel gouvernement! Et comment cela n'expliquerait-il 
pas le soulèvement de ces populations intelligentes. En Arménie, 
comme aujourd'hui en Macédoine, celui qui travaille n'est pas sûr de 
jamais rt^coltcr le fruit de son labeur; il paie une fois, deux fois au vali 
ou à l'aga, ou aux Kurdes, ou aux Albanais, des impôts et ne sait 
jamais où le mèjiemnt le hasard et la fantaisie. 

Je sais qu'il est avec le gouvernement turc des moyens de s'arranger. 
Un homme qui connaît très bien la Turquie ne le disait-il il y a quelques 
jours. Je lui demandais comment il pouvait se faire qu'on puisse être 
commerçant, propriétaire dans un pays où on ne sait jamais combien 
de fois il faudra payer des impôts. « Il y a des accommodements, me 
répondit-il^ par exemple celui-ci : le sultan ne paie pas ses fonction- 
naires; il arrive qu'un percepteur ou un préfet vous déclare qu'il meurt 
de faim ; le sultan lui doit 10,000 francs, il offre alors la créance 
pour 3,000 francs. On emporte la créance de 10,000 francs achetée à bon 
compte, et avec un peu d'adresse on se la fait reprendre pour 10,000 fr. 
dans le compte de ses propres impôts ». 

Gela est très ingénieux. 

La même personne nie disait encore : « La justice est bien singulière 
dans notre pays- il es: un principe qu'il ne faut jamais oublier, c'est 
qu'un mauvais procès vaut mieux qu'un bon; car, ajoutait-il, cela ne 
coûte pas plus cher * {Applaudissements et rires.) 

Naturellement, ces moyens de s'en tirer ne sont pas à la portée de 
tout le monde, surtout à celle des paysans, des laboureurs, de la majeure 
partie de ces populations opprimées d'Arménie et de Macédoine. De là, 
des mécontentements et dçs soulèvements de gens exaspérés. Et le 
sultan ne connaît qu'un moyen de répression, le massacre. 

A Sassoun des querelles éclatent à propos de quelques bœufs ravis, 
entre Kurdes et Arméniens. Qui avait raison? Je n'en sais rien, et cela 
importe bien peu ; mais ce que je sais, c'est que deux mois après dans 
cette vallée où existaient autrefois trois petites villes prospères, riches et 
peuplées, il ne restait plus pierre sur pierre ni un habitant vivant. 



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r'^TçrjT 



— i3 — 

A la suite de ce crime, l'émotion se répand, les Arméniens vont en 
procession à Constantinople présenter au sultan une supplique. J*ai vu 
cette supplique et je vous assure que moi qui ne suis point un révolu» 
tionnaire je l'aurais signée avec eux (Applaudissements,) 

Car j'estime que les gouvernements qui veulent trouver chez leurs 
sujets Tesprit conservateur qui m'est cher, doivent commencer par se 
montrer dignes de respect ; quand les gouvernements foulent aux pieds 
toute justice et tout bon sens, eomment espéreront-ils conserver la 
paix? (Applaudissements.) 

A la suite de cette pétition quelques troubles éclatent dans les rues 
de Constantinople. De là, nouveaux massacres; plusieurs centaines de 
personnes sont mises à mort dans les rues de la capitale. Et ce n'est 
qu'un début — début de Tépouvantable série des années 1896 et 1897. 

Qui a décidé tout cela ? il n'y a plus rien sauf l'apparence, sauf la 
forme, qui ressemble à un gouvernement régulier; le gouvernement 
turc, la Porte n'existe plus que de nom ; tout est décidé au fond du 
Palais à Yldiz-Kiosk entre le sultan et quelques favoris. Là remonte 
toute responsabilité. Et devant ce pouvoir absolu et cruel personne ne 
peut répondre s'il sera le lendemain maître de ses biens et de sa vie. 

Ils le savent bien, les exilés ottomans ; car, ainsi que vous le disait 
M. d'Estournelles, c'est aussi bien pour les Ottomans opprimés que 
pour les chrétiens que nous parlons ici — ces exilés qui s'appellent 
Midhat Pacha, mort aujourd'hui, Mahmoud Pacha qui avait été 
ministre de la Justice et qui, pour avoir essayé de rendre quelque justice 
s'est vu bien vite exilé et condamné à mort. Il l'a bien vu aussi. Fuad 
Pacha, le vaillant soldat de la guerre contre la Russie, le glorieux défen- 
seur de son pays, maréchal turc qui lors des massacres de Constanti- 
nople ouvrit les portes de sa maison à des fugitifs. Dernièrement, il 
alla rendre visite au sultan sur son ordre; en sortant, il ne trouva plus 
sa voiture, et comme il était âgé et malade, il se plaignait de ce contre- 
temps. Il rencontra alors le préfet de police qui lui dit : « Monsieur le 
Maréchal, votre voiture n'est pas là; en grâce acceptez la mienne : elle 
va vous mener chez vous. » Fuad Pacha accepte en remerciant. Et il a 
disparu. Il végète on ne sait où en Arabie. (Applaudissements.) 

Si l'on pense que j'exagère, on a aujourd'hui le journal, le procès- 
verbal d'un témoin. C'est l'émouvant récit écrit jour par jour par 
M"' Carlier, veuve de notre consul à Sivas ; permettez-moi de rendre 
hommage à cette vaillante femme et à son mari. (Applaudissements.) 



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— H — 

M" Carlier était dans les monUgnes fuyant pour son jeune enfant 
la ctialeur et la poussière die la ville : « Il faut revenir lui dit son mari, 
il se prépare des événements- )► Au bout de quelques jours, sans 
émeute, sans soulèvement — sans autre chose que Técho des plaintes 
habituelles — on voit, non pas La populace, mais les troupes menées 
par le préfet, p^T le géoéral s'élancer dans les maisons et massacrer les 
liabiunis. M"" Cariier nocrs feût la descriptiotn touchante et admirable 
de la colère de son mari impuissant; elle rappelle la belle parole de 
Mcichior de Vogue sur ces consuls perdus si loin et qui essayaient de 
faire avec nen quelque chose qui ressemblât encore à la puissance de la 
France, 

En effets ce consul n'avait pour toute force que son cavas, un fidèle 
Epiroie qui veillait à sa porte. Il avait aussi le drapeau français qui fut 
respecté comme celui des autres puissances : je m'en félicite, mais je 
remarque en mém<! temps quel ordre a régné dans ces meurtres admi- 
nistratifs! 

M. et M" Cariier remplissent leur maison, leur jardin trop étroits, 
de la foule éperdue de ces malheureux menacés de mort, affolés, sans 
défense, presque sans raison, car ils ne savent pourquoi une menace 
épouvantable fond sur eux et sur leur famille; ils n'ont qu'un espoir et 
ils accourent vers le consulat de France et aussi vers deux maisons de 
religieux français pour se cacher sous les plis de notre drapeau. 
{Applaudissements,) 

Ces faits se répètent partout, à Diarbekir, à Trébizonde où. M. Meyrier 
notre consul donna aussi un grand exemple de vaillance et d'huma- 
nité. 

A Trébizonde» la maison des Frères des écoles chrétiennes servit 
d'asile à une foule d'Arméniens éperdus, La terreur règne partout. 

L*horreur fut peut-être plus grande que partout ailleurs, dans cette 
ancienne Kdesse, qui s'appelle aujourd'hui Orfa. Cette ville subit un 
siège de plusieurs jours. 

On s'est étonné que tant d'êtres humains soumis à de pareilles aba- 
minaiîonSj à de pareilles boucheries, n'aient pas essayé de défendre 
leur vie. Us Tont fait quand ils l'ont pu. Un district des montagnes, au 
centre duquel se trouve la ville de Zeitoun, a résisté et repoussé les 
Turcs; il demeure encore comme un petit ilôt à peu près indépendant, 
après une défense héroïque. 

A Orfa, on se défendit pendant deux jours, mais sur un signal, l'as- 



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— i5 -^ 

saut fut donné, la ville prise et tous les habitants passés au fil de Tépéc. 
C'est là une expression que l'on trouve dans les anciennes histoires rela- 
tant des sièges, des guerres. La guerre n'est point une excuse, les vain- 
cus devraient être sacrés. Mais enfin, il y a des passions déchaînées et 
des rancunes. Ici tout se passe en pleine paix, sur un ordre donné : les 
troupes entrent dans cette ville et tuent les habitants ! 

Une foule s'était réfugiée dans la cathédrale; elle s'entasse dans les 
tribunes. Des tribunes, comme seraient les balcons de celte salle. Les 
meurtriers envahissent le parterre, et, à coups de fusils, abattent les 
malheureux et les font tomber des galeries. Puis, la chose n'allant pas 
assez vite, on enduit de pétrole les pilliers de ces tribunes de bois, on 
met le feu et on brûle toute cette foule. Ce n'est pas la guerre. C'est une 
exécution administrative, une mesure prise en pleine paix par un sou- 
verain qui a éprouvé le besoin de se débarrasser d'une partie de ses 
sujets. (Vifs applaudissements.) 

Je ne continue pas le récit de toutes ces horreurs. 

Je ne vous décrirais, pas l'immense massacre de Constantinople, 
accompli en 1896, sous les yeux du sultan, et dont une dépêche de 
notre vaillant chargé d'affaires. M. de la Boulinière a donné TafFreux 
récit. Non, je m'arrête : rien n'est monotone comme le crime et comme 
le mal. Mais sachez que des scènes semblables se sont produites dans 
cent endroits que les historiens les plus modérés estiment à iSoou 
200.000 le nombre des victimes. Ce nombre fut probablement bien plus 
grand, car il ne faut pas compter seulement les victimes du fer et du 
feu, mais encore celles de la misère et de la faim qui succombèrent 
ensuite. 

Je détourne donc les yeux et je me demande ce que compte faire 
l'Europe. Demain peut-être, probablement, les mêmes crimes vont 
ensanglanter la Macédoine. 

Optimiste de ma nature, je crois que la tâche est plus facile aujour- 
d'hui qu'elle ne le fut en d'autres temps, et par suite, le devoir encore 
plus impérieux. 

Je rappelle d'abord que des engagements solennels ont été pris et 
fréquemment renouvelés. On me dira que les engagements s'oublient. 
Mais enfin, ils ont été pris trop souvent, trop solennellement, pour qu'il 
n'en reste pas quelque chose. Lorsque l'Angleterre et la France unies 
en 1 856, jugèrent de leur intérêt d'arrêter la Russie sur le chemin de 



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— 10 — 

Constantinople, après avoir consacré leur sang à cette œu\re, après 
avoir sauvé l'existence de la Turquie, elles lui dirent : 

* Nous vous avons sauvé la vie. Mais nous ne voulons pas avoir 
sauve la vie à un gouvernement barbare »; et le projet de réformes, est 
imposé et consigné dans le traité même de i858. C'est la condition de 
ralliance et la récompense promise à la victoire. 

Plus lard, dans des circonstances analogues, lorsque après les hor- 
reurs de la Bulgarie, la Russie s'était lancée dans la guerre et avait 
marché jusqu'à San Stefano. L'Europe émue, s'interposa; non plus par 
la voie militaire comme en i858. Mais par la voie diplomatique, on 
arriva aux mêmes résultats. Le Congrès de Berlin arrêta la Russie et 
sauva la Turquie une fois encore. Mais les puissances médiatrices re- 
nouvelèrent k^urs impérieuses remontrances. Elles firent plus, et par 
l'article 6i du traité de Berlin elles réservèrent le droit de veiller à l'exé- 
cution des promesses faites par la Turquie. 

Plus tard encore, après les horreurs dont je vous parlais, un mémo- 
randum réunit, en iSgS, l'adhésion de toutes les puissances euro- 
péennes. Je sais bien qu'en 1896, lord Salisbury proposa des moyens de 
coercition. Mais il semble qu'à ce moment le concert européen cessa. 

Que dis-je ? Il y eut des jours où ce Concert sembla se reformer au 
profit du Sultan, Abdul Hamid, qui ne prodigue pas à ses sujets les 
renseignements et les Lipres jaunes, osa, dit-on, s'en vanter devant eux. 

Qu'étaii-il arrivé? Comme il y a quatre-vingts ans, les Grecs avaient 
passé la frontière de Thessalie. 

Avec quel enthousiasme, autrefois, la France les acclama et les 
seconda; vous vous en souvenez. 

Ce fut une cause qui, alors aussi, associa les partis contraires. On 
vit alors, la main dans la main, en faveur des Grecs, Bonald et Béren- 
ger, Genoude et Benjamin Constant; enfin, dans l'admirable effer- 
vescence de sa jeunesse et de son génie, Victor Hugo chanta les exploits 
de Canaris et célébra la victoire de Navarin. Je rappelle en passant que 
nous avons soutenu aussi les dissidents ottomans, quand ils ont voulu 
se libérer du joug quelques années après la guerre d'émancipation de la 
Grèce ; la France a-t-elle marchandé son concours à Mehémet-Ali, à 
Ibrahim, et n*a-t-elle pas fait beaucoup pour séparer de l'Empire otto- 
man cette Egypte, aujourd'hui devenue pour nous la cause de si justes 
regrets ? (Applaudissements.) 

Mais, revenons aux événements contemporains. Après les horreurs 



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— 17 — 

d'Orfa, de Trébizonde, de Diarbékir, après les massacres dans les rues 
mêmes de Constantinople, les Cretois, ces Grecs détachés de la mère- 
patrie, oubliés par TEurope, se révoltèrent. On vit dans les montagnes 
de la Crète, bravant le Pacha établi à la Canée, une poignée de chevriers 
réclamer l'indépendance. Cette indépendance leur avait été jurée; par le 
pacte d'Halepa, vingt ans avant, le Sultan leur avait promis une consti- 
tution, une petite assemblée urbaine réunie tous les deux ans seulement, 
pour cette raison que les oliviers ne donnent des fruits que de deux ans 
l'un, et que Tannée où il n'y a pas d'olives le budget de la Crète ne vaut 
vraiment pas la peine d'être discuté. {Rires et applaudissements,) 

Ces libéraux réclamaient donc l'exécution d'un pacte qui ctaii allé 
rejoindre les autres promesses de réformes. Et la Grèce, tout à coup^ 
avait l'audace de leur tendre la main et d'envoyer le colonel Vassos avec 
un bataillon combattre dans leurs montagnes. 

Or, pendant tous les massacres d'Arménie, l'Europe était restée tran- 
quille. Il faut dire qu'elle avait été trompée par une étrange conspiration 
du sWencQ. (Applaudissements.) Ces Livres jaunes dont parlait tout à 
l'heure M. d'Estournelles, nous les avions attendus bien longtemps et 
j'ai pu dire à un ministre d'alors qu'il avait inventé une nouvelle manière 
d'être historien. J'en connaissais déjà deux : on peut être un historit^n 
philosophe étudiant des faits très anciens et cherchant à dégager les 
grandes lignes, par exemple, de l'œuvre de Richelieu; ou bien on peut 
être un chroniqueur, un journaliste, un informateur mettant le public 
au courant des faits du jour. Entre ces deux genres d'histoire, noire 
ministre en avait inventé un troisième; il ne faisait ni la grande histoire 
ni la chronique du jour, il faisait la chronique en retard (Rij^es) ; et, à 
propos de la Turquie, il nous apprenait les crimes d'il y a trois ans. 
Voilà ce que nous racontaient les Livres jaunes. 

Oui, un silence étrange avait pesé sur l'Europe, à tel point que cha- 
cun de nous, apprenant ces événements, par hasard, était au désespoir 
de n'avoir pu les dénoncer plus tôt. J'avais eu la notion des massacres 
de l'Arménie par les livres de M. Clemenceau et par les récits du Père 
Charmetant ; mais, j'avoue que je m'étais dit : « M. Clemenceau exa- 
gère, par passion politique; et le Père Charmetant, inquiet pour ses 
oeuvres, nous conte en vérité des attentats auxquels on ne peut croire. -^ 
J'ai dû bientôt m'inclincr et leur rendre justice. Un jour, aux eaux, j'ai 
rencontré un ingénieur revenant d'Arménie : il s'était trouvé, m'a-t-il 
dit, devant une ville livrée au pillage. Un caïmacan avec ses troupes, 

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— i8 — 

IVme au pied, était devant la ville. On entendait des appels, des cris 
atfreux, L'ingépieur demanda au caïmacan s'il n'allait pas intervenir et 
réiablir l'ordre ; cl celui-ci de répondre, en regardant sa montre : « J'ai 
Tordre de laisser le temps voulu. . . (Vipe émotion, cris : Assassin,) 

Le silence le plus complet avait pesé sur l'Europe. Aucune interven- 
tion n'avaii eu lieu ; les flottes avaient semblé éviter les mers de la 
(iréce et de la Turquie. Mais, tout à coup, lorsque la petite et vaillante 
population Cretoise eut Tidée de réclamer sa liberté; oh I alors, on vit le 
ciel obscurci par la fumée des grands navires, la mer bouillonner sous 
leurs étraves, et tous ces monstres énormes que produit la science 
moderne, ces grands cuirassés hérissés de tours et Je canons, accou- 
rus de Toulon, de Malle, de la Spezzia, se ranger autour des côtes de 
la Crète, Le canon reteniu, 1 1 est vrai que les obus éclataient sur des 
rochers, 

j'ai lu une note de TAgence Havas, à peu près ainsi conçue : « Le 
Camperdoufn^ navire anglais, avec ses gros canons, ouvrit le feu; toute 
la floue européenne se joignit à lui peu à peu, et le bombardement dura 
loui le lour^ contre le fortin d'izzaddin, à l'entrée de la Sude. On assure 
qu'un insurgé a été tué. » (Applaudissements et rires.) 

Quel imprudent! 

Pourquoi cet effroyable déploiement de forces ? 

Je disais en commençant qu'il y a des jours où la politique des na- 
tions cède le pas à leurs passions généreuses. On n'était point à Tun de 
ces jours-là. 

Athènes voulait étendre son pouvoir sur la Crète suppliante : Athènes 
était-elle coupable? Non, même d'après les traités. La conférence de 
Constaniinople tenue après le Congrès de Berlin lui avait fait espérer, 
an Epire, une reciif^aiion de la frontière, reportée au-delà du Pinde- 
L*Luropc n avait pas tenu cette promesse. Et si l'Europe voyait un dan- 
ger à étendre la Grèce du côté du Nord, vers la Macédoine, indécise et 
agitée; pourquoi ne pas l'indemniser en lui donnant la Crète, unanime 
à souhaiter d'être donnée à elle? L'occasion était bonne en vérité. — 
Malheureusement, la Crète ne possède pas seulement de grands souve- 
nirs historiques et de maigres oliviers : elle a une rade magnifique, la 
baie de Sude. — itt les convoitises des puissances, inquiètes de l'an- 
nexion à la Grèce, s'arrangeaient mieux du statu quo, ou même, comme 
il a été convenu depuis, d'une précaire et fragile autonomie. 

Voilà pourquoi, si je me rappelle bien leurs noms formidables : le 



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— 19 — 

Foudroy^ant, la Dévastation, V Andréa Doria, le Camperdown et bien 
d'autres avaient quitté leurs ports d'attache. Ils établirent autour de la 
Crète un blocus que les diplomates dénommèrent un blocus pacifique. 
Je voudrais bien savoir ce que peut être un blocus pacifique! Le Pirée 
fut aussi pacifiquement bloqué par les flottes des puissances, tandis que 
la Grèce, s'étant privée au profit des Cretois d'un de ses trop rares batail- 
lons, envoyait bravement les autres au-devant des troupes dix fois supé- 
rieures en nombre du Sultan. 

Le souvenir n'est pas glorieux pour l'Europe civilisée. 11 ne faut pas 
ajouter aux mots trop d'importance : pourtant, l'autre jour, à la Com- 
mission du budget, entendant discuter les dépenses des navires en cons- 
truction et récemment dénommés, je me disais : Imagine-t-on la 
Justice^ la Liberté, la Démocratie, lançant de gros obiTs sur la Crète 
insurgée; et enfin — paradoxe plus étrange — r£'?;ies/-/^^«an braquant 
ses canons sur l'Acropole ^{Vifs applaudissements et rires.) 

De tout cela cependant, car la justice finit par s'imposer, il est resté 
quelque chose, l'indépendance de la Crète et j'espère que ce sera bientôt 
le rattachement de |a Grèce. (Applaudissements.) 

Serai-je contredit, quand j'assurerai de nouveau que la tâche de 
résoudre les problèmes redoutables soulevés en Arménie et en Macé- 
doine est aujourd'hui plus facile qu'elle ne l'était autrefois? Il y a à cela 
une première raison : dans l'ancien état de la politique, l'Europe, la 
Russie et l'Angleterre regardaient jalousement Constantinople. Je ne 
prétends pas que la Corne d'Or et les Dardanelles soient devenues négli- 
geables et que le principe qui consiste à laisser si l'on veut la possession 
d'un point stratégique de premier ordre à un peuple faible, mais de ne 
point le laisser prendre par un peuple fort — doive être abandonné. 
Néanmoins, il est visible que les intérêts des nations chrétiennes sont 
bien moins qu'autrefois restreintes au vieux territoire de l'Europe; qu'elles 
se sont lancées à travers le monde, et l'ont couvert de leur influence, de 
leur commerce, de leurs colonies. 

Que la Russie, au lieu de retomber toujours du côté de Constanti- 
nople, comme entraînée par une pente naturelle, a porté, depuis que le 
Congrès de Berlin l'a arrêtée à San-Stefano, ses ambitions vers la Chine 
et la Corée, et qu'enfin la question d'Orient n'est plus ce qu'elle était au 
temps de GortchakofF, de Disraeli et de Bismark. (Vifs applaudisse- 
ments.) La tâche sera plus facile aussi parce que des expériences de ré- 
formes ont été faites; ce n'a pas été en vain, après tout, que la question 



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— 20 — 

d'Orient a été traitée lani de fois et qu'elle a coûté tant de peine et tant 
de sang. 

Le prince Gotchakof, risquant un assez médiocre calembour, à 
peine excusable pour un Russe, disait : « La question d*Orient, Tavenir 
de la Turquie, je les résume ainsi : autonomie ou anatomie. » (Rires.) 
Les deux procédés ont été essayés : Tanatomie a été pratiquée après le 
traité de Berlin. Les atrocités bulgares ont été payées parla création des 
principautés danubiennes indépendantes et la prise par TAutriche de la 
Bosnie et de THerzégovine. 

L'autonomie a été essayée aussi : c'est le régime qui a été concédé 
autrefois à Samos, on p^^ut le dire aussi à la Syrie; enfin, récemment, et 
d'une manière plus complète, à la Crète. 

Que Ton essaye en Arménie, en Macédoine, sous la surveillance 
indispensable de TEuropc, Tun ou l'autre système. Si la séparation com- 
plète est difficile que l'on donne à ce malheureux pays un gouverneur 
désigne, agréé du moins par les puissances, et une assemblée des nota- 
bles. La France a donné le régime au Liban, il y a quarante-trois ans. 

Alors aussi des massacres avaient eu lieu : les Druses s'étaient jetés 
sur les Maronites, comme les Kurdes sur les Arméniens. Nons tîmes 
l'expédition de Syrie, en un temps où la question d'Orient était plus 
brûlante qu'aujourd'hui. Grâce à nous ce pays a des gouverneurs chré- 
tiens et un Conseil élu. Nous y avons renoué la tradition séculaire. On 
y parle français. On y bénit le nom de la France. (Applaudissements.) 

11 n'v a donc qu'à profiter de l'expérience acquise. 

bille démontre d'abord que rien ne se fera que par l'action directe 
de r Europe- Hors de là, il ne faut attendre que des promesses, des 
mensonges et le retour des horreurs dont je vous ai fait le trop long 
récit. 

Voilà ce qu'on peut faire et ce que feront nos hommes d'État, mais 
à une condition : c'est que l'opinion publique les soutiendra. Et voilà 
pourquoi nous sommes devant vous. Vous devez faire sentir à nos 
hommes d'État que la hardiesse est nécessaire et que vous leur donnez 
toute latitude, parce que la justice, l'humanité et l'honneur sont en jeu. 

Il faut que To pin ion publique française fasse entendre à nos minis- 
tres que devant des infamies comme celles que j'ai décrites, elle leur 
demande d*agir et d*agir promptement. Nous oublions nos divisions, 
quelques profondes qu'elles soient, pour apporter ensemble aux pou- 
voirs publics cette sommation nécessaire. (Vifs applaudissements.) 



L 



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— 21 — 

Vous le pouviez, vous, nos adversaires d'hier et de demain; et 
Tâpreté des luttes ne nous portera jamais à croire, qu'à votre manière, 
avec d'autres principes, sous d'autres lois, par d'autres chemins, vous 
ne voulez pas comme nous les progrès de l'humanité civilisée 1 

Nous le devions, nous chrétiens, à qui notre croyance impose, 
comme un article de foi, sous toutes les latitudes, et sous tous les 
régimes, dans toutes les races et dans toutes les religions, le respect de 
la personne humaine, douée de raison, douée de conscience, libre et 
responsable de ses actes, et égale partout devant Dieu. (Applaudisse- 
ments infs et prolongés.) 



M. FRANCIS DE PRESSENSÉ 

Député du Rhône. 

Mesdames, Messieurs, 

/ Après l'éloquent et émouvant exposé que vient de vous faire mon 
collègue M. Cochin, une question me semble monter à toutes nos 
lèvres : comment se fait-il que cet état de choses puisse se prolonger, 
s'éterniser, s'aggraver, et par quels moyens réussirons-nous enfin à 
mettre un terme à ce qui est à la fois un scandale, un défi à la 
conscience humaine et une atteinte grave aux intérêts de l'Europe tout 
entière ? Cette question se pose d'autant plus naturellement que dans 
les faits qui viennent de vous être retracés par M. Cochin nous n'avons 
pas seulement assisté à une sorte de retour offensif de la barbarie, à un 
mouvement spontané de fanatisme populaire qui serait assurément 
profondément déplorable, mais qui ne serait, après tout qu'un incident, 
je dirai presque qu'un accident dans une longue évolution, qu'un épi- 
sode dans une longue histoire, mais que ce que nous avons vu pendant 
ces sombres années dont on vous a rappelé le souvenir, c'a été une 
anarchie organisée, un désordre par ordre, des massacres commandés. 
On peut dire que les vêpres d'Anatolie ont été le couronnement du 
système -hamidien qui continue encore à l'heure actuelle et qui sévit 
avec impunité sous les yeux de l'Europe. 

Puis, il y a une autre considération. Ce n'est pas la première fois 
que nous assistons à des faits de ce genre. L'histoire de la Turquie, 



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— 22 — 

presque à toutes ses pages, est souillée de sang. Bien des chapitres de 
C-tte histoire ont cônnmencé comme ce lugubre chapitre que traçait 
tout à l'heure M. Gochin, mais beaucoup se sont terminés différem- 
ment. On vous a rappelé le souvenir de la seconde décade de notre 
siècie, âc l'insurrection de la Grèce; on vous a montré cette nation se 
réveil tant tout à coup et, drapée en quelque sorte dans son glorieux 
passé» sortant du tombeau à la voix de tous ses chefs, à la voix de ses 
poètes, de ses savants, de ses marchands, de ses klephtes eux-mêmes et 
aussi sous l'impulsion de la politique russe d'Alexandre et de Cathe^ 
nne. A ce moment aussi, quand l'insurrection commença, les massa- 
cres commencèrent; il y eut les massacres de Patras, de Salonique, de 
SamoSi de Chio dont vous vous rappelez le profond retentissement dans 
toute TEurope. 

Dans quelle situation l'Europe se trouvait-eile à cette époque? Elle 
était au lendemain des 25 ans de guerre de la Révolution et de l'Empire. 
La Sainte Alliance venait de se former, essayant de constituer une sorte 
de fédération des souverains. Des congrès avaient donné le mandat de 
réprimer la révolution à la France, en Espagne; à l'Autriche, à Naples, 
dans le Piémont, dans toute l'Italie ; à la Russie, en Pologne. Le reten- 
tissement de ces massacres fut tel, le soulèvement fut tellement universel 
k la voix des grands poètes dont on vous parlait, Victor Hugo, Lamar- 
tine, Bérenger, Byron, que la diplomatie de la Sainte Alliance elle-même 
dut s'émouvoir, que les puissances durent marcher; les trois escadres 
brûlèrent la flotte du sultan à Navarin et il sortit de cette crise le 
royai:me de Grèce, c'est-à-dire le gage d'une ère nouvelle. (Applaudis- 
sements.) 

Nous assistons, à l'heure actuelle, à des phénomènes absolument 
analogues à ce qui s'est passé plus près de nous en 1876. Il y avait eu 
d'abord, à cette date, je dirai comme lever de rideau, correspondant 
â^n^ une certaine mesure à l'insurrection macédonienne d'aujourd'hui, 
les insurrections de la Bosnie et de l'Herzégovine; comme équivalent 
des massacres de l'Arménie, il y avait les atrocités bulgares; comme 
contre-partie des récents voyages du comte de Larmsdof, il y eut le 
célèbre voyage du général Ignatief. Des conférences successives se tinrent 
â Consiantinople et à Londres. On élabora des projets de réformes excel- 
lents. Malheureusement rEurop>e ne sut pas aller jusqu'au bout: elle 
négocia là où il fallait commander. On glissa d'abord dans la guerre 
&erbe, purs dans la guerre turco-russe. - 



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— 23 — 

L'Europe ne retrouva son énergie que quand les troupes d'Alexan- 
dre Il campèrent devant les murs de Constantinople et quand tes 
préliminaires de San Stefano furent signés, préliminaires qui appor- 
taient une solution à la question d'Orient en chassant la Turquie de 
l'Europe et en créant une grande Bulgarie. L'Europe déchira ces préli- 
minaires et grâce à l'initiative de l'Angleterre qui avait envoyé sa flotte 
dans la baie de Besika et grâce aussi à hsi façon particulière de témoi- 
gner sa reconnaissance du prince de Bismarck qui se plut à payer singu- 
lièrement à la Russie les services qu'elle lui avait rendus en 1870, le 
Congrès de Berlin déchira l'œuvre de San Stefano, il restaura la Turquie 
et sous prétexte qu'on redoutait sa destruction, il réédifia cet édifice 
caduc et branlant qui est plus dangereux que les ruines mêmes ne 
pourraient l'être. 

Je redoute que nous entrions dans une voie analogueet qu'à l'heure 
actuelle> en présence d'une situation presque identique à celle de 1876 
des fautes semblables ne soient commises et que cette récidive ne nous 
amène à des résultats du même genre. 

En quelques mots, je voudrais ajouter quelques touches au tableau 
tracé tout à l'heure de main de maître et vous parler de la situation de 
la situation de l'Arménie et surtout de la Macédoine, sur laquelle mon 
collègue, M. Denys-Cochin, n'a pas insisté. Je n'ai pas l'intention de 
revenir en ce moment sur les événements de 1894 à 1896. On a tout dit 
à ce sujet. Nous avons encore dans les oreilles le cri de détresse qui fut 
jeté par ce peuple malheureux, se réveillant entre les mains des assas- 
sins. Ce qui frappa surtout le monde civilisé, c'est qu'il ne s'agissait pas 
de l'explosion soudaine d'un fanatisme populaire. Non, c'était la bar- 
barie organisée, le massacre commençant à heure fixe, finissant à heure 
fixe, reprenant quand on en donnait l'ordre, ensanglantant tout un 
continent, depuis les rives du lac de Van jusqu'aux bords de la mer 
Egée, jusqu'à Constantinople même, sous les yeux du sultan, de celui 
qu'on a flétri du nom de Grand Assassin. (Applaudissements.) 

L'Europe intervient en ce moment dans une certaine mesure ; sous 
rimpulsion de la conscience du genre humain, la diplomatie s'était 
légèrement émue, on s'était mis en mouvement; on avait rédigé le 
mémorandum de mai 1895 et on avait même, à un moment donné, 
parlé de certaines mesures de coercition à exercer sur le suhan. 

Puis, tout s'est tu; on a renoncé à celte action. Le Concert Européen 
a fait faillite. Certaines personnes prétendent bien que la méthode lente, 



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— 24 — 

douce que l'on avaii prise^ avait été la bonne, et qu'à l'heure actuelle 
le calme se serait rétabli. En effet, nous n'entendons plus ces clameurs 
de détresse de tout un peuple. Mais d'aigu, le mal est devenu chronique 
et le désordre n'en persiste pas moins en Arménie. 

Quand les débris du peuple arménien sont rentrés dans leurs foyers, 
ils ont trouvé exactement le même régime dont ils avaient eu à souffrir 
de 1894 à [896. Ils sont encore «aux prises avec ces régiments hamidiés, 
avec Tarmée régulière elle-même, avec ces Kurdes excités par les auto- 
rités et lancés sur les populations arméniennes, avec les fonctionnaires 
eux-mêmes qui reçoivent le mot d'ordre d'Yldiz-Kiosk. Ils sont pillés, 
pressurés de toute façon ; ils doivent payer la dîme deux ou trois fois, 
leurs biens leur sont enlevés tous les jours, ta sécurité de leur vie même 
n^esiste pas; la liberté de circulation est totalement supprimée dans les 
vilayets qui forment T Arménie. Nous avons, à ce sujet, des récits cir- 
constanciés, authentiques qui démontrent cette malheureuse situation. 
Un continue à ravir et à violer leurs femmes et leurs filles, à convertir 
par force leurs enfants. La plupart de leurs notables sont jetés en prison. 
Quelques-uns de leurs évt'ques y sont encore depuis bien des mois. 

Ces choses, nous les avons publiées, répétées, jour après jour, et 
cela, non pas d'après dts informations de fantaisie, mais grâce à des 
renseignements circonstanciés et authentiques qui nous parvenaient à 
travers mille difficultés; elles ont été publiées dans ce courageux organe 
qui s'appelle Pro Armenia, (Applaudissements.) 

Mais j'ajoute que je mets les gouvernements au défi de publier un 
Livre Jaune ou un Livre Bleu, si soigneusement édité et expurgé qu'il 
puisse être, quand même îi ne serait qu'un recueil de morceaux choisis, 
sans nous apporter â chaque page la confirmation officielle des faits que 
je viens de citer brièvement. 

Je pourrais vous donner lecture de lettres que nous avons reçues, 
par exemple de la province de Moush, qui démontrent qu'en mars, en 
juin, en septembre de Tannée dernière, la situation était plus grave 
encore que je ne î'ai décrite; je pourrais lire des lettres de quatre ou 
cinq autres provinces dt; l'Anatolie, mais ce serait une litanie monotone. 
Je préfère vous dire que les fonctionnaires arméniens eux-mêmes, ceux 
qui représentent la partie officielle de la nation, qui sont chargés de la 
défense de ses intérêts, mais qui, étant en rapports constants avec le 
gouvernement ottoman, finissent par perdre leur énergie, n'ont cepen- 
dant pas pu supporter Tètat actuel. Au mois d'août dernier, le Patriarche 



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— 25 — 

lui-même a donné sa démission en la motivant sur des conversions 
forcées que Pon imposait à des Arméniens, sur ce qu'un trop grand 
nombre de notables arméniens avaient été jetés en prison et sur la con- 
duite intolérable des gendarmes du sultan supprimant toute liberté de 
circulation. On l*a forcé à reprendre sa démission. Le malheureux a du 
commencer à jouer ce rôle difficile d'être à la fois le représentant de 
l'autorité près de l'Arménie et le représentant de l'Arménie auprès de 
l'autorité. 

La situation n'a donc pas changé et nous voyons ce phénomène 
étrange d'une population qui est une population rurale, attachée par 
toutes les fibres de son être à son territoire, à son foyer domestique, telle- 
ment persécutée que, la situation lui devenant absolument intolérable, 
elle émigré en masse. Ces malheureux, au nombre de plusieurs milliers, 
comme des épaves flottantes, ont erré d'un bout de l'Anatolie à l'autre, 
ils ont cherché partout un asile et sont allés frapper — vainement — à 
la porte de l'Arménie russe. 

On a demandé au gouvernement français, par notre intermédiaire, 
d'intervenir en leur faveur ; nous avons essayé d'obtenir que la France 
étendît sur eux sa protection. II a fallu y renoncer parce que les circons- 
tances étaient trop défavorables; la diplomatie n'a pas tenu le langage 
qu'elle aurait dû tenir et ces malheureux ont dû réintégrer leurs foyers 
dépouillés et retomber sous le joug qu'ils avaient voulu fuir. 

On a osé dire que cette population n'était pas intéressante ; car il 
faut remarquer que, si à de certains moments on leur conseille d'être 
très prudents et de ne pas se livrer à des agitations révolutionnaires et 
subversives, à d'autres moments on leur reproche d'avoir été trop 
modérés, trop dociles, d'avoir tendu la gorge comme des agneaux, d'être 
allés à l'abattoir en bêlant. Ah ! certes, il est facile de faire de l'héroïsme 
pour autrui au coin de son feu, les pieds sur les chenets et en lisant 
son journal. (Applaudissements,) Mais je voudrais que ceux qui parlent 
ainsi tinssent compte du passé, de ces longs siècles d'oppression pen- 
dant lesquels ces populations ont été des parias héréditaires. Ces 
hommes n'avaient pas le droit de porter des armes ; un fusil dans un 
village était considéré comme un phénomène extraordinaire et ce fusil, 
cet unique fusil, a même joué quelquefois un rôle considérable dans les 
insurrections dernières. Puis, a-t-on donc oublié cette héroïque défense 
des montagnards de Zeïtoun dans leur nid d'aigles inviolable ? A-t-oh 
oublié ces héros qui ont sacrifié leur vie à Constantinople dans une 



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— 26 — 

entreprise désespérée ? ^î*ont-ils pas montré que si FArménie avait 
fourni beaucoup de victimes, elle pouvait aussi à Toccasion fournir 
beaucoup de héros! (Applaudissements,) 

La situation est donc aussi intolérable qu'elle a jamais pu l'être. Un 
Jong fïëmissement de désespoir ne cesse départir de ces provinces. Je ne 
prétends pas que la diplomatie occidentale, ni surtout que la diplomatie 
française ail été insensible à ces appels. Non ; chaque fois qu'un crime 
€St commis, mais longtemps après, elle va protester à la Sublime Porte 
■ou auprès du Sultan et, chaque fois, ce sont de bonnes paroles, des 
désaveux, des promesses. On s'en contente et c'est toujours à recom- 
mencer et rien n'est fait et c'est ainsi que la question arménienne s'est 
aggravée dans- ce dernier quart de siècle. 

A l'heure actuelle, elle n'est pas seule à l'ordre du jour: nous nous 
trouvons en face d'une question plus ancienne sous certains rapports, 
mais qui avait semblé sommeiller pendant un certain temps et qui s'est 
réveillée pendant ces derniers mois, je veux parler de la question macé- 
donienne. Je comprends parfaitement toutes les difficultés du problème 
qui se dresse devant nous et je n'ai nulle intention de les escamoter ou 
4e les atténuer. 

Tout d'abord, la situation géographique elle-même de la Macédoine 
-aggrave singulièrement ces difficutés. Encore qu'elle soit en Europe, ii 
y a bien des parties de l'Asie intérieure qui sont moins asiatiques. 
Encore qu'elle ne soit qu'à quelques heures de ces centres de civilisation 
qui s*appellent Vienne et Buda-Pest, on dirait qu'elle est un prolonge* 
ment de l'Orient en pleine Europe ; elle est aussi un prolongement et 
comme une enclave de la féodalité du moyen âge en plein xx© siècle. 
{Applaudissements.) 

On a spirituellement comparé la configuration physique de la Macé* 
doine à une sorte de damier dont les cases seraient représentées par une 
série de petiis vallons profonds ceinturés de hautes montagnes qui 
n'ont d'autres communications les uns avec les autres que par les 
brèches étroites pratiquées par les cours d'eau. 

Dans ces vallons sont enfermées des tribus, je dirai des races diverses 
€t hostiles, ce qui contribue à aggraver singulièrement le problème. II y 
a d'abord les Grecs, les Hellènes. Ceux-ci prétendent être, en quelque 
sorte tradition nellement et séculairement, les maîtres légitimes de la 
Macédoine en vertu de l'histoire. Ils se tromi>ent peut-être parce que, si 
on se rapporte à l'histoire ancienne, on s'aperçoit que le vieux et to«- 



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— 27 — 

jours jeune Hérodote avait dit que les Macédoniens étaient des demi- 
barbares et qu'il n'y avait que la famille royale de Philippe et d'Alexandre 
qui eût le droit de se revendiquer de la race argienne, comme Héra- 
clides. Les Grecs sont surtout répandus dans la Chalcidique, près de 
i*01ympe, sur les rives du Vardar. 

Il y a aussi les Kutzo-Valaques, c'est-à-dire un résidu du flot valaque 
qui fut amené en Macédoine à la suite des diverses conquêtes du 
moyen âge. 

Les Kutzo-Valaques présentent cette particularité qu'ils ont adopté, 
épousé les intérêts de la race grecque, et surtout de l'Eglise orthodoxe, 
€t qu'ils sont plus hellènes que les Grecs eux-mêmes. 

A côté d'eux il y a les Slaves; Serbes d'un côté et Bulgares de 
Tautre. Les Bulgares sont de beaucoup les plus nombreux et les plus 
actifs. Sur les trois millions d'habitants des trois vilayets de Kossovo, 
Monastir et Salonique qui forment totalement ou partiellement la Macé- 
doine, plus de la moitié certainement sont de race bulgare. Ce sont de 
plus des hommes extrêmement remuants et zélés pour leur cause, qui 
ont fondé partout des Comités et des écoles, qui s'appliquent à déve- 
lopper les aspirations de leurs congénères, qui font une progagande 
constante. Ils ont, en outre, un ^appui très précieux et comme un idéal 
réalisé à côté d'eux, dans la Bulgarie, qui est leur soeur aînée, qui est 
constituée à l'état autonome et indépendant sous la suzeraineté nomi- 
nale du Sultan et qui leur donne l'exemple de ce que l'on peut espérer 
quand on a secoué le joug de la Turquie. Un très grand nombre de 
Macédoniens de race bulgare sont allés s'établir en Bulgarie. Les uns s> 
sont fait naturaliser et y occupent des places importantes. On trouve 
des Macédoniens bulgares à la Skouptchina, parmi les fonctionnaires et 
surtout parmi les officiers, puisque sur les 2.5oo officiers que compte 
Tarmée bulgare, au moins i.ooo appartiennent à cette race macédonienne 
bulgare. 

D'autres ne se sont pas fait naturaliser et agissent avec la plus grande 
énergie en faveur de leurs frères de Macédoine. Ils ont formé les deux 
Comités dont s'occupe tant la presse, le Comité Zontchef-Michaïlowski 
et le Comité Sarafof. L'un a une tendance plus radicale que l'autre. Ils 
sont en rivalité ouverte. A la suite d'un schisme, le Comité Zontchef a 
pris les devants. Le Comité Sarafof s'est tenu à l'écart des événements 
de Tannée dernière, il a même lutté contre une insurrection prématurée, 
mais il se prépare à prendre part à l'insurrection prochaine. 



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— 28 — 

A côté de la race bulgare, il y a encore les Turcs, c'est-à-dire les 
Osmanlis importés d*Ânaiolie, puis lés Albanais qui se sont convertis à 
la religion musulmane pour conserver leurs biens et leurs arnnes, mais 
qui â rorigine ont été chrétiens et qui ont conservé une grande partie 
des superstitions du christianisme en les joignant à leur nouvelle religion 
et en mélangeant le Coran et le culte fétichiste de leurs saints. 

Il y a encore les juifs chassés d'Espagne qui ont fait de Salonique la 

plus grande ville juive du monde. Là, ils né se contentent pas de faire du 

commerce comme partout ailleurs; mais ils sont devenus dans une 

•certaine mesure des agriculteurs, ils possèdent les fermes des environs 

et ils les cultivent de la façon la plus remarquable. 

H faut encore faire la part de la diversité des religions. Il fut un temps 
où se trouvaient seuls en présence d'une part l'Islam, de Tautre le 
christianisme orthodoxe de l'Église grecque. Mais à l'heure actuelle la 
division, ou plutôt Téparpillement, est plus grand: il y ad'une part les 
orthodoxes grecs qui sont restés dans l'obédience du Patriarche; à côté 
d'eux les fcutzo-Valaques qui sont les plus fidèles des orthodoxes; les 
Serbes qui reconnaissent le Patriarche tout en demandant une lithurgie 
de leur langue; les Bulgares qui, il y « une vingtaine d'années, sous 
l'influence de la Russie, ont créé un schisme, et fondé l'Église bulgare 
auiocéphale qui a rompu avec le patriar^cat du Phanaret qui a comme 
chef riixarque qui ne réside pas en Bulgarie; puis, il y a des catholiques 
perdus dans les montagnes qui Suivent les. instructions de quelques 
missionnaires. En face d'eux, il y a l'Islam. Cette religion n'est pas pro- 
fessée seulement par les Osmanlis, mais encore par des renégats — 
Pomaks des Rhodope ou Albanais — qui sont d'anciens chrétiens 
convertis alin de conserver leurs biens, d'avoir le droit de porter un fusil 
et de ne pas être des parias dans leur propre pays. 

Par la configuration de son sol, la diversité de ses races, de ses reli- 
gions, celle province présente donc un caractère tout à fait particulier 
et une solution simpliste ne saurait lui convenir. Quoi qu'il en soit, la 
situation actuelle esi intolérable et ne peut durer longtemps. Nous avons 
à ce sujetj des aveux officiels publiés non seulement dans les Livres 
Bleus que nous avions entre les mains, mais encore dans le Livre-Jaune 
que M. Delcassé nous a fait distribuer il y a quelques jours. Nous y 
trouvons le tableau d'une situation qui dure depuis des années, mais 
qui, à mesure qu'elle se prolonge, devient plus insupportable. Ce sont 
les Albanais qui ne cessent d'exercer leurs exactions, non seulement 



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— 29 — 

dans la plaine de Kossovo, mais encore dans tout le nord et l'Ouest de 
la Macédoine, qui, à la Saint-Georges, à l'entrée de l'hiver, descendent 
-de leur montagne pour prélever certaines prestations en nature et indi- 
quer d'avance aux populations qu'elles auraient à payer certains impôts, 
impôts que ces malheureux paysans chrétiens devront leur régler à la 
Saint-Jean d'automne, sous peine de mort. Quand l'assiette de l'impôt a 
été ainsi faite, ils se permettent de prélever encore certaines prestations 
«n nature connues sous le nom de Zoulouns. Un chef albanais arrive 
avec sa suite de 3o ou 40 individus armés jusqu'aux dents, fusil sur 
répaule, pistolets et yatagan à la ceinture; ils entrent dans la ferme d'un 
. malheureux chrétien, s'assoient à son foyer, y restent 8, 10, i5 jours, se 
font nourrir et abreuver largement et lorsqu'ils partent, ils ont encore 
rironie de demander à leur hôte involontaire de vouloir bien leur payer 
ce qu'ils appellent Vusure de la mâchoire, c'est-à-dire la peine qu'ils ont 
prise de dévorer son bien. (Applaudissements et rires). 

Et s'ils se contentaient encore de se livrer à ce genre de mauvaises 
plaisanteries ! Mais ils font pis : ils enlèvent les femmes et les filles des 
malheureux chrétiens. Dès qu'une femme ou une fille leur plaît, elle 
peut estimer que son sort sera de terminer sa vie dans le sérail ou dans 
le harem d'un chef albanais: heureuse, si elle résiste, de ne pas entraîner 
son mari et sa famille dans la mort ! 

Les fonctionnaires ottomans qui devraient normalement protéger ces 
populations, qui sont là pour faire régner l'ordre au nom de leur maître, 
se livrent à des exactions pires encore. Depuis le vali jusqu'au dernier 
sergent ou chaouch de gendarmerie, il n'en est pas un qui ne se fasse 
payer en nature et qui ne se livre à des exactions semblables à ycelles des 
Albanais, pas un qui ne soit un tyran au grand ou au petit pied. 

Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'une population qui est très énergique 
dont le caractère, par l'effet du climat même des montagnes où elle vit, 
possède une virilité agressive et une vaillance offensive, ne veuille pas 
éternellement courber la tête sous ce joug. Ce qu'il y a de surprenant 
même c'est que l'insurrection ne soit pas venue plus tôt et qu'elle n'ait 
pas été plus forte. 

Elle est survenue néanmoins à l'automne dernier et dans les condi- 
tions les plus défavorables; à la veille de l'hiver, au moment où les 
neiges allaient tomber. Tout le monde sait que dans ce pays le climat 
est très rude et que ce n'est pas le moment de se mettre en campagne. 
En outre une division très grave venait de se produire entre les deux 



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— 3o — 

'Comités Zontchef, Mikhaïlowsky et Sarafof. Un congrès avait été tenu à 
Sophîa et comme on n'avait pas pu tomber d'accord sur la vérification 
des pouvoirs, les amis de Mikhaïlowsky avaient exclu ceux de Sarafof. 
Les premiers seuls se mirent en campagne. Les autres, non seulement 
se montrèrent hostiles à la préparation de l'insurreclion, mais on prétend 
même que sur certains points, ils allèrent jusqu'à s ellorcer de Tempê- 
chcr de se propager et jusqu'à lutter contre elle par les armesr: Elle ne 
réussit pas. Mats cette insurrection partie si tard, qui ne comprenait que 
la moitié du mouvement macédonien, n'en a pas moins été très dange- 
reuse pour la Turquie. Elle a fait verser des flots de sang en Macédoine. 
Le plus sl<>nificaîif, c'est que les insur'gés eux-mêmes, savaient très bien 
que ce n'était pas par cette insurrection qu'ils pourraient arriver à 
secouer le joug ottoman; ils avaient seulement pour but d'attirer l'at- 
tention sur leurs misères et sur leurs revendications. 

Lorsque tout fut terminé par les hécatombes, les autorités turques 
se sont livréeïi à des recherches d'armes, elles ont donné des mandats en 
blanc à tous les gendarmes de Macédoine qui se sont répandus dans 
toutes les fermes, dans les maisons les plus isolées et là, sous prétexte 
de perquisitionner, se sont livrés à des actes véritablement odieux, à tel 
point qa1I se produit un courant nouveau d'émigration qui entraîne en 
masse vers la Bulgarie les victimes de cette sauvage répression qui sévit 
depuis des semaines et qui ne fait pas mine de s'arrêter. 

Un journal quia rendu des services éminents à la cause de Thuma- 
nîié, celui qui, le premier, en 1876 a publié des renseignements sur les 
atrocités bulgares au moment où, au Parlement anglais, lord Beacons- 
tield les traitait dédaigneusement de simples bavardages de café et de 
racontars de restaurant, le Daily News a repris la noble tâche qu'il 
avait commencée à cette époque, il a rassemblé des documents sérieux, 
il a fait interroger par un correspondant spécial plusieurs de ces malheu- 
reux émigrés et réfugiés et il résulte des récits publiés dans quatre de 
SCS derniers numéros, que nous avons assisté, sans nous en rendre 
compte, sans le savoir, à une réédition des atrocités bulgares et des 
massacres dcTArménie; il en résulte également que la population fré- 
missante est décidée à ne pas subir plus longtemps le sort qui lui est 
fait. Nous pouvons nous attendre au printemps prochain à une insur- 
rection auprès de laquelle l'insurrection dernière n'aura été que feu de 
paille et jeu d*enfants. 

Ce sera une insurrection générale dans laquelle le Comité Zontchef- 



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— 3i — 

Mikhaïlowsky marchera la main dans la main avec le Comité Sarafof. 
L'Europe n'a pas de temps à perdre si elle ne veut pas qu'un grand 
incendie s'allume dont on sait bien comment il commence mais dont 
on ne sait pas comment ni où il s'arrêtera. (Applaudissements.) 

Ces choses, on ne les ignore pas ; la presse les a proclamées, la diplo- 
matie elle-même les a enregistrées dans les documents qui ont été 
publiés récemment par M. Delcassé. Mais que fait l'Europe? Que 
tente-t-elie de faire pour prévenir ce péril avoué, proclamé par tous ? 
Je ne veux pas être injuste; je sais que dès le 27 novembre dernier 
M. Delcassé qui, ainsi que le montre le Livre Jaune, se préoccupait 
depuis des mois, presque depuis des années de la situation de la Macé- 
doine, a eu le mérite d'attacher, en quelque sorte, le grelot. C'est lui 
qui a saisi de nouveau les puissances de cette question macédonienne; 
il ne s'est pas contenté d'attirer leur attention sur les périls, mais il a 
formulé le premier projet établi sur des bases données par un de nos 
meilleurs agents, M. Steeg, consul à Salonique. 

A peine ce projet était-il, je ne dirai pas promulgué, mais à peine en 
avait-on parlé dan-: les chancelleries qu'il a produit un premier effet. 
La Sublime Porte a l'oreille fine; elle a compris qu'on allait parler de 
ses méfaits; dès le commencement de décembre, on a vu paraître à 
Constantinople d'admirables plans de réformes nouvelles. Vous con- 
naissez cet iradé, ce recueil de lieux communs édifiants, ce code qui a 
promulgué les platitudes morales les plus admirables. On y dit tout au 
long ce que devrait être un bon gouvernement semblable, en quelque 
sorte, à l'idéal que Fénelon nous a montré dans la Salente du Télc- 
maque, ce que devrait être une Macédoine bien gouvernée. On a pour 
cela créé certains organes : un inspecteur général des réformes qui devra 
aller sur les lieux, qui sera armé de certains pouvoirs, une Commission 
qui doit rester à Constantinople et qui a à sa léte Ferid Pacha devenu 
grand vizir, lequel a pour mission de reviser et de sanctionner ce que 
fera sur les lieux l'inspecteur général. Ah! le bon billet qu'a la Châtre l 

Il ne paraît pas que la diplomatie européenne, encore qu'elle ait ou 
qu'elle fasse semblant d'avoir parfois d'étranges naïvetés, ait attaché 
grande importance à cet iradé. Le comte Lamsdorf s'est ému de la 
situation et lui, qui est plutôt un ministre casanier, sédentaire, au 
cœur même de l'hiver il a quitté Saint-Pétersbourg et il est parti pour 
Belgrade, Sofia et Vienne. Il s'est entretenu avec le comte Goluchowsky, 
et si nous en croyons les nouvelles officieuses, ils ont établi un accord 



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— 32 — 

«t renouvelé l'entente faite en 1897 à Saint-Pétersbourg entre l'Autriche et 
la Russie pour le maintien du statu quo de la paix dans la péninsule 
des Balkans. Ils se sont mis d'accord sur certains projets de réformes 
sur la Macédoine. 

Je n'ai pas beaucoup de susceptibilité, quant à moi, en ce qui con- 
cerne les questions de priorité; les préséances du décret de Messidor ne 
me louchant pas, même en matière internationale; je reconnais volon- 
tiers que ia Russie et l'Autriche qui ont dans ces pays des intérêts con- 
sidérables ont le droit de prendre l'initiative. Mais je voudrais que les 
autres puissances et en particulier la France fussent associées d'une 
façon un peu plus efficace aux négociations qui ont lieu, qu'elles soient 
appelées à dire leur mot et qu'on ne les réduise pas tout à fait au rôle 
-de la cinquième roue d'un char. 

Cependant je ne suis pas tout à fait convaincu que tel ne sera pas le 
son qui nous sera réservé. D'ailleurs, quand je jette les yeux sur le 
projet de réforme dont on nous dit qu'il est de nature à mettre un terme 
à rinsurrection et à supprimer toutes les causes de désordre et de 
malaise en Macédoine, j'ai le regret de devoir dire qu'à mon avis ce 
projet est tout à fait insuffisant et qu'il présente même certains carac- 
tères fâcheux. Il en est un tout d'abord que je dois relever. 

Comment, on disjoint — c'est le mot à la mode — la question 
de la Macédoine de la question de l'Arménie 1 Mais je croyais que 
les Arméniens avaient acquis un droit de priorité, je dirai même un 
droit d'urgence et qu'ils l'avaient payé assez cher. (Vifs applaudisse- 
menîs.) 

Je croyais que l'Europe était saisie de cette question, non seulement 
au point de vue de l'humanité, mais encore au point de vue de l'intérêt 
inti^rnatîonal, au point de vue diplomatique et qu'elle ne s'en laisserait 
pas deiisaisîr. Comment ne voit-on pas le danger suprême qu'il y a à 
abandonner la question de l'Arménie pour s'occuper isolément et exclu- 
sivement de la question de la Macédoine? Comment! voilà le sultan 
qui était en lutte avec nous, qui nous avait résisté pendant des années 
^n nous opposant des moyens dilatoires, son éternelle procrastination, 
et tout à coup, nous lui donnons raison; parce que nous avons un 
accès de fatigue et de découragement, parce que nous ne pouvons pas 
mener de front ces deux entreprises, nous lui disons : Vous avez rai- 
son; nous allons laisser l'Arménie de côté; c'était la toile qui était sur 
BQtTQ métier, nous allons l'en détacher pour y mettre la Macédoine. 



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^ 33 — 

Ahl la belle méthode à la Pénélope ! et comme cela va nous mener à de 
beaux résultais I 

Ce n'est pas, en outre, Ja première fois qu'on engage la conversation 
avec la Porte sur la question de la Macédoine. Il y a des années que 
nous nous en sommes occupes* Nous sommes, aujourd'hui^ dans cette 
étrange situation qu'en Tan de grâce içoS, nous formulons un nouveau 
projet en abandonnant tout à coup la question de TArménie, et que ce 
projet est inférieur, infiniment inférieur aux réformes qui, en iSgô, 
avaient été promises et même accomplies — sur le papier — par le 
sultan. Car, en 1896, sous Timpulsion dt ITurope, le Sultan avait eu 
un bon mouvement; il avait rendu un premier îradé qui réformait la 
Macédoine et qui contenait plus de réformes que nous n'en demandons 
à l'heure actuelle. Cet iradé avait été transmis officiellement à notre 
ministre des affaires étrangères, le 24 avril, par notre ambassadeur, 
M, Çambon, Aujourd'hui îl est lettre morte, on n'en parle plus et nous 
demandons infiniment moins que nous n'avions obtenu en [8g6, 

Il y a 23 ans également, on s'était occupé de la Macédoine, A la suite 
du traité de Berlin^ une conférence avait eu lieu à Constantinople dans 
le but d'organiser cette Turquie d'Europe reconstituée. On venait de 
détruire la grande Bulgarie, créée par le traité de San Stefano, et on 
sentait qu'il fallait s'efforcer d'exécuter le traité de Berlin; que l'Europe, 
ayant pris la responsabilité de recréer une nouvelle Turquie, devait 
régler les modalités de sa vie. De cette conférence entre les grandes 
puissances est sorti, au mois d'août 1882, le projet qu'on a appelé le 
projet organique, le statut de la Macédoine* 

Ce projet^ admirable de tout points a été soumis à la Porte; celle-ci 
a fait la promesse positive, non seulement de l'examiner, mais encore 
de le mettre en œuvre. Depuis lors, on n'y a pÈus son^ë. Le temps a 
passé; la diplomatie a autre chose à faire, et aujourd'hui, quand on 
reprend la question, ce n'est plus sur le terrain de î8g6 ou sur celui 
de 1882, c'est en abandonnant totalement ce qui nous avait été accordé 
à ce moment. (Applaudissemenis.) 

Ce n'est pas tout. Nous ne nous plaçons même pas sur les terrains 
sur lesquels nous sommes invincibles vis-à-vis de la Forte; il y en a 
deux. Il y a deux armes irrésistibles* L'une, c'est d'invoquer le verdict 
de la conscience universelle, le mandat du monde civilisé, du 
genre humain, contre le bourreau de l'Arménie, L'autre, c'est d'invo- 
quer le droit écrit, le droit conventionnel, tel qu'il résulte des traités 



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-34- 

qui ûnt été synalîagmaiiquement signés. Le traité de Berlin ne contient 
pas seulement deux articles, les articles 23 et 6i qu*il peut sembler 
urgent de rappeler au Sultan. Il y a plus : il y a le traité tout entier, Pacte 
solennel^ en vertu duquel et duquel seul il existe. 

Or, dans les négociations actuelles, on parle de tout, sauf des 
articles nS ei 6i, ces articles qui contiennent le germe de la solution 
nécessaire, mais au sujet desquels il ne faut pas croire qu'ils soient les 
seuls utiles. Car lorsqu^ll est question de traités, il faut envisager tout 
le traité de Berlin et aussi tous les traités, celui de Berlin tout entier 
en lÈ-jH, et celui de Paris en i856, tous les actes par lesquels TEuropé a 
reconstitué la Turquie, l'a prise sous sa protection, a fait de l'empire 
ottoman son pupille; elle en est le tuteur, elle en est responsable et elle 
n*a pas le droit de décliner cette responsabilité. (Applaudissefuents.) 

î^nfin, et c'est la dernière critique que je ferai à ce sujet, il ne me 
semble pas seulement singulièrement mal venu. Comment, on vient 
nous ofTrtr des réformes que j'estime insuffisantes, dans lesquelles on 
ne touche ni à la question des milices, ni à la question de justice, ni à 
la réforme profonde des impôts, puisqu'on ne touche qu'à la dîme; on 
nous offre un gouverneur qui sera sans doute meilleur que les valis 
actuels — il n'y aura pas fort à faire — mais qui sera dans la main de 
l'homme d'Yldiz-Kiosk; on nous offre une gendarmerie qui n'aura pas 
des cadres solides recrutés parmi les Européens. Ce n'est pas tout. Lors 
mdme qu'on nous offrirait tout ce que nous demandons, lors même 
qu'on nous apporterait une constitution admirable rédigée par un légis- 
lateur parfait pour des hommes parfaits, je dirais que cela ne servirait à 
rien tant qu'on n'y ajouterait pas la clause indispensable qui est la 
garantie de toutes les réformes en Turquie, c'est-à-dire la surveillance 
et le contrôle de l'Europe exercés par une Commission permanente. 
Voilà la condition du succès. {Applaudissements répétés,) 

Toutes les réformes qui ont réussi en Turquie — il y en a quelques- 
unes que mon collègue M. Cochin vous a rappelées — n'ont réussi que 
parce que l'on s'est inspiré de la nécessité absolue d'en contrôler avec 
vigilance resécution. Tant qu'on laissera entre les mains du Sultan le 
soin de tenir ses promesses, nous serons joués et dupés; ce n'est que 
quand nous serons sur son dos pour le surveiller dans ses actes, dans 
ses intentions et dans ses démarches, que nous obtiendrons le résultat 
nécessaire. (Appiaudissemeiiis.) 

Par conséquent, tout en reconnaissant la bonne volonté dont a fait 



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— 35 — 

preuve notre ministre des affaires étrangères, tout en reconnaissant 
qu'il a semblé, à un moment, avoir un juste souci de ce qui se prépare 
en Orient, je suis obligé de déclarer que nous allons assister de nouveau 
à ce que j'appellerai la faillite et la banqueroute du concert européen en 
Europe. 

Avant d'esquisser très rapidement la solution que je crois opportune 
et nécessaire, je voudrais rechercher quelles sont les causes de cette 
faillite qui se renouvelle si souvent dans les actes de la diplomatie euro- 
péenne en Orient. Ces causes ne me semblent pas difficiles à discerner. 
Il en est d'abord une très générale et que nous devrons souvent invo- 
quer, même 'orsque nous parlerons du malaise de nos sociétés occi- 
dentales : c'est l'état de paix armée de l'Europe. Cet étal de paix armée 
a une conséquence assez paradoxale : tout le monde est armé jusqu*âux 
dents et chacun craint qu'en faisant le moindre mouvement, en met- 
tant en œuvre la plus petite partie de ces forces accumulées, on ne 
détermine une avalanche. Personne n'ose bouger et le résultat étrangt! 
de cette accumulation de forces est une faiblesse générale et univer- 
selle. {Vifs applaudissements.) 

Une autre raison est que la diplomatie s'est accoutumée, en ce qui 
touche la question d'Orient, à formuler ce que j'appellerai des dogmes^ 
c'est-à-dire à prendre le résultat d'expériences s'appliquant très juste- 
ment à telle phase de la question d'Orient et non à telle autre, à le 
formuler en un axiome, à le proclamer comme un dogme et à l'appli- 
quer en tout temps et partout. Or, la question d'Orient a changé sans 
cesse d'aspect depuis qu'elle existe. Au début, elle a été simplement la 
crainte de l'Europe en face de l'invasion de la race turque qui avait 
conquis Constantinople et qui menaçait l'Occident. II y eut comme un 
renouveau de l'esprit de la chrétienté et des Croisades. Cela a très vite 
cessé. Sa Majesté très chrétienne François I" et même notre Saint-Pi-re 
le Pape Clément ont modifié très rapidement cette politique et on en 
est venu à voir dans les Turcs non plus l'ennemi commun du chrétien, 
mais une force nouvelle qu'il était bon de jeter dans le plateau de la 
balance pour modifier l'équilibre européen. Cette politique fut inaugurée 
par François I" qui négocia des traités, obtint des privilèges commer- 
ciaux et religieux et conclut des capitulations. 

Cependant, dans cette phase nouvelle, on conserva le langage de la 
phase antérieure et on continua à parler comme des croisés touien 
agissant comme des négociants. 



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— 36 ~ 

Puis survient une nouvelle phase : la Russie menace la Turquie; se 
sentant à l'étroit dans l*inâni de son domaine territorial, elle a besoin 
d'un débouché sur la Mer Noire et sur la Méditerranée; elle vise à s'em- 
parer de Consian[inople et elle guette de plus en plus la succession de 
Tempire Ottoman. La question d'Orient n'est plus dans la force redou- 
table de ja Turquie, elle est toute en sa faiblesse inquiétante; on s'efforce 
de préserver cet empire chancelant et on formule le dogme du maintien 
de rinlégrité et de l'indépendance de l'empire Ottoman et pendant un 
temps, il semble que toute la politique internationale tourne autour de 
ce dogme unique* 

Le couronncmeni de cette phase, ce fut la guerre de Crimée. A ce 
sujet, un homme d'Etat anglais, qui a souvent compensé par des mots 
très spirituels et très profonds des actes et une politique où n'a pas tou- 
jours éclaté une haute raison, lord Salisbury a dit que la France et 
TAngleterre avaient parié pour le mauvais cheval. Elles n'en gagnèrent 
pas moins la course : mais alors déjà, au Congrès de Paris, on ne com- 
prit pas que puisque l'Europe maintenait la Turquie, puisqu'elle faisait 
durer un empire menacé^ à la fois du dehors et au dedans, par l'effort 
des nationalités qu'il n'a pas su ou voulu fondre dans une unité supé- 
rieure, elle avait toute la responsabilité de son existence et elle devait 
intervenir largement par des réformes organiques. 

Quand la Russie prit sa revanche, quand la guerre de 1877 ^^^ 
déchaînée, quand Alexandre II se trouva aux portes de Constantinople, 
au moment où on put croire que Sainte-Sophie allait redevenir la basi- 
lique de l'Eglise orthodoxe et que la Turquie d'Europe allait disparaître, 
l'Europe de nouveau se jeta à la brèche pour maintenir l'indépendance 
et rinlégrité de l'empire Ottoman; il y eut le Congrès de Berlin où fut 
reconstituée la Turquie d'Europe. 

A ce moment se produisit une révolution nouvelle. La Russie s'était 
imaginée qu'en créant des Etats indépendants de fait, retenus dans les 
liens d'une vassalité nominale envers le sultan elle se faisait une clien- 
tèle. Elle lit l'expérience, qu'on a toujours faite au cours de l'histoire 
ancienne, moderne ou contemporaine : quand on donne à une nation 
l'indépendance, ce qu'on lui donne surtout c'est l'indépendance du 
cœur. (Rires,] Au lieu de s'être créé des étapes sur le chemin de Cons- 
tantinople, elle constata qu'elle avait entouré cette ville d'une triple 
enceinte, elle fut en présence de petits Etats voulant avant tout vivre 
autonomes et se souciant assez peu de soutenir sa politique. Le cabinet 



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ji^\ <p,^ui* ^i^^r^^^im^f^r 



-37- 

de Saint-Pétersbourg changea immédiatement son fusil d^^paule : il ne 
se préoccupa plus de pousser à la création de petites nationalités demi- 
indépendantes et tout en demeurant fidèle sur certains points à son 
protectorat traditionnel de la race slave et de la religion orthodoxe en 
Turquie, le Tsar se résolut à maintenir à son tour rintégrité de l'em- 
pire Ottoman pour devenir le meilleur ami du Sultan, s*emparer de sa 
confiance et régner sur ses Etats. 

Les autres puissances auraient dû comprendre que ce changement 
total impliquait, de leur part, un changement de politique analogue et 
que désormais elles devaient se faire les protecteurs des petites nationa- 
lités et le promoteur des Etats vassaux. Elles ne surent pas le faire avec 
assez de décision. Ce fut dans cette période d'hésitation, d'incertitude, 
de tâtonnements, que se produisirent les événements de J896. La diplo- 
matie occidentale prise en flagrant délit d'incertitude et d'hésitation 
laissa s'accomplir ces crimes et ne sut ni les arrêter, ni en prévenir le 
retour, ni les châtier. 

Je redoute que nous n'entrions à l'heure actuelle dans une phase 
semblable, que nous n'ayons pas encore su arrêter les principes nou- 
veaux de notre diplomatie et que nous ne soyons de nouveau pris par 
les événements en flagrant délit d'incertitude. 

Il est encore une autre cause de cette impuissance universelle : tous 
ces médecins qu'on convie au chevet de celui qu'on a appelé l'Homme 
Malade, médecins Tant mieux et médecins Tant pis, ne sont pas seule- 
ment des médecins, mais en même temps des héritiers présomptifs» et 
chaque fois qu'ils donnent une prescription on se demande si c'est un 
remède pour guérir le mal ou si c'est au contraire une drogue pour 
hâter la fin. (Applaudissements et rires.) 

Voyez, en effet, comme toutes ces questions sont compliquées et 
embarrassées par l'intervention de prétendus intérêts européens. Pour la 
question d'Arménie, par exemple, qui ne comprend qu'elle a été singu- 
lièrement compliquée et faussée par les aspirations, légitimes ou non, 
de la Russie sur l'Anatolie ? Pour la question de la Macédoine, qui ne 
comprend qu'elle est également compliquée et faussée parles aspirations 
de l'Autriche, qui n'a pas renoncé à s'étendre du côté de Salonique, qui 
jette un coup d'œil de convoitise du côté de la Vieille-Serbie et qui 
aspire à étendre son occupation soi-disant provisoire de la Bosnie et de 
l'Herzégovine ? Il n'est pas jusqu'à l'Italie qui ne semblait guère devoir 
se mêler à ces conflits balkaniques et qui cependant manifeste depuis 



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— 38 ^ 

<iuelque temps des convoitises surchauffées sur TEpire et sur l'Al- 
banie. 

Ajoutez à cela, que nous sommes entrés, depuis quelques années, 
dans une phase nouvelle dans laquelle on a préféré la politique réaliste 
des intérêts matériels à la politique idéaliste des intérêts moraux et des 
obligations morales. Et vous savez quel est l'initiateur de cette politique 
du pourboire, substituée à la politique de l'honneur et de l'intérêt 
générai bien compris; c'est le Lohengrin impérial, le chevalier du Cygne 
qui, le premier, a mis sa main gantée d'acier dans la main rougie de 
sang du reclus d*Vidiz-iviosk. (Applaudissements prolongés,) 

L'Europe entière, à sa suite, s'est engagée dans cette voie; elle a vu 
dans la Turquie un sol riche et vierge, une mine de concessions à 
exploiter, et elle s*est dit qu'il valait la peine, pour assurer des débouchés 
et des profits au surplus encombrant des capitaux européens, de par- 
donner cenains crimes et de taire certains scandales. (Applaudisse- 
ments.) 

Le danger est que cette politique, qui se croit réaliste, qui nous 
somme de ne pas faire didéatisme, qui nous dit que nous sommes des 
rêveurs et qu*il n'est rien de plus dangereux que le rêve, est exposée à 
des réveils icrriblesi et je crains fort qu'elle ne nous accule une fois de 
plus à une guerre qui ne sera pas une petite guerre, qui ressemblera au 
duel inégal que nous avons laissé se produire entre la Turquie et la 
Grèce et qui a été le singulier, mais logique couronnement de l'action 
et de rinactîon du concert européen dans les affaires d'Arménie. 

En présence de ce retour oiïensif de la barbarie, de ce crime d'un 
souverain, l'Europe a laissé vaincre la Grèce dans les plaines de la 
Thessalie. La question est de savoir si elle fera de même aujourd'hui 
pour la Bulgarie, Or, il ne faut pas se le dissimuler : si elle laisse 
s'exercer une répression sanglante qui dégénérera bien vite en massacre 
dans les champs de la Macédoine, il y aura fatalement une guerre bul* 
gare, et s'il y a une guerre bulgare^ on peut bien prévoir comment elle 
commencera, mais nul n'oserait dire jusqu'où elle s'étendra m com- 
ment elle finira, La Serbie, la Grèce se croiront forcées d'y prendre part, 
d'entrer dans le baL Une singulière politique prévaut, en effet, en 
Grèce, L'association qui s'appelle l Métairie écoute les harangues 
enflammées de certains professeurs comme M. Kassassis qui enseignent 
que pour réaliser la grande idée il faut que la Grèce se fasse l'instru- 
ment de la Turquie et prête la main à la tyrannie du Sultan en Macé- 



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-39- 

doine. N'y a-t-il pas lieu de craindre, dans ces conditions, que sî U 
Macédoine devient le champ clos de la lutte entre la Turquie et la Bul- 
garie, la Grèce ne s'y jette à son tour et qu'elle nVntraine TEurope 
entière dans ce tourbillon? Et voilà ce qu'aura *ait cette politique qui 
se proclame une politique de prudence, une politique réaliste ei qui est 
la plus téméraire des politiques. (Applaudissetnenis.) 

Nous n'avons, certes, pas la fatuité ridicule, n'ayant pas entre les 
mains les éléments nécessaires pour présenter des solutions détaillées à 
des questions aussi complexes, de tracer un pro^^ramme que devra 
suivre pas à pas le ministre des affaires étrangères; tout ce que nous 
pouvons faire, c'est d'indiquer les grandes lignes de ce programme, 
de formuler les conditions générales de tout règlement sérieux de la 
question. 

Ces conditions sont, en premier lieu, de ne jamais souffrir qu'on 
sépare la question de l'Arménie de la question de la Macédoine, en 
second lieu, de ne pas permettre qu'on oublie les pas qui ont été faits 
dans la voie des réformes : le mémorandum de iSigS, les réformes de 
1896, obtenues à si grand peine; le statut de ïK8a^ toutes ces mesures 
dont on ne parle plus, comme si elles n'avaient jamais existé. C'est de 
ne pas souffrir qu'on déchire, qu'on anéantisse par prétérition les 
traités de Berlin, et que les articles 23 et 61 disparaissent: de ne pas 
souffrir, enfin, que quelles que soient les réformes que Ton adopte, quel 
que soit le programme que l'on fasse signer au Sultan, on n'y ajoute 
pas une clause portant que l'exécution des réformes sera surveillée, 
contrôlée par une Commission permanente de consuls et d'agents 
européens. (Applaudissements.) 

En ce qui concerne les détails d'exécution des grandes réformes à 
appliquer à l'Arménie et à la Macédoine, il n'est pas difficile de trouver 
dans les précédents, dans les réformes déjà accomplies, les grandes 
lignes du projet qui doit être adopté. Il faudrait pour ces deux pro- 
vinces des gouverneurs qui ne seraient pas nommés exclusivemeni par 
le Sultan, mais dont la nomination devrait avoir la sanction des 
grandes puissances et qui ne pourraient être révoqués sans leur assen- 
timent. 11 faudrait que la justice fut modifiée du tout au tout en ouvrant 
l'accès des tribunaux aux chrétiens aussi bien qu'aux musulmans, en 
modifiant la procédure et en permettant à ceux qui n'appartiennent pas 
à l'Islam, d'ester en justice. 11 faudrait encore modifier non seulement 
le système des dîmes mais encore tout le système des impôts. Il fau- 



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— 40 — 

drail transformer non seulement la gendarmerie, mais la police et créer 
une milice mixte dont les cadres fussent européens. Il faudrait appli- 
quer à ces deux provinces le régime de la Roumélie orientale. Pour 
celle-ci également le problème semblait difficile; les diplomates disaient 
qu*on se heurterait à des difficultés insolubles; ils prétendaient que 
cette province ûli se trouvent des races si diverses, des Turcs, des Bul- 
gares, des Grecs qui se disputaient entre eux, ne pouvait vivre en paix 
que sous le joug tyran ni que du Sultan. On n'a pas écouté ces croas- 
seurs, ces donneurs de mauvais conseils. Une Commission s*est mise à 
Tœuvre et elle a si bien réussi que cette Roumélie orientale que l'Eu- 
rope avait eu Téirange fantaisie de rendre à la Turquie, de séparer de 
la Bulgarie, est revenue tout simplement, s'est annexée spontanément à 
la Bulgarie sans que cette opération fît plus qu'un pli à la surface de 
Teau* 

Nous osons espérer quil en sera de même pour l'Arménie et pour 
la Macédoine. Je m'adresse au représentant actuel de la politique fran- 
çaise; je lui déclare que nous ne sommes pas de ceux qui lui cherchent 
noise; nous sommes tout disposés à lui rendre justice. Quant à moi, si 
je ne l'appréciais pas comme il le mérite en le considérant en lui-même, 
je Tapprécierais beaucoup en le comparant à tel pu tel de ses prédéces- 
seurs* {Appiaudissements). Je reconnais que l'esprit de notre politique 
étrangère a changé depuis ce temps : nous n'avons plus à la tête de 
notre diplomatie d'homme qui consente à se faire l'avocat du diable, 
qui désavoue ses propres agents, qui altère la vérité, qui publie des 
Livres Jaunes dans lesquels on mutile les rapports les plus importants 
et on falsifie la venté historique ! (Applaudissements prolongés, cris : 
A bas Hanotaux !) 

Je me retourne alors vers le ministre actuel des affaires étrangères 
et je me permets de lui dire que je trouve que sa politique manque 
peut-être un peu de souffle et de vigueur, qu'il se contente après tout 
d'une philanthropie un peu banale qui souvent a l'air d'être en retard 
au moins d'une idée et d'une année; qu'il ne suffit pas de dénoncer le 
crime quand il a été commis, qu'il ne suffit pas, dans certains cas indi- 
viduels, de faire de belles oraisons funèbres et d'inscrire des épitaphes 
sur les tombeaux des victimes, mais qu'il faut, avant tout, prévenir les 
crimes et en châtier les auteurs. (Vifs applaudissements,) 

En le félicitant de ne plus tenter de faire ce qu'on appelle de la 
grande politique, c'est-à-dire l'art, sous de petits prétextes, de ne pas 



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— 41 — 

faire de grandes choses, et de soustraire à des obligations sacrées, je me 
demande s'il a bien compris toute la grandeur de roccasîon que lui 
offre cette situation grave, périlleuse, mais aussi favorabk â des solu- 
tions décisives, à des règlements définitifs en Orient. 

Et pourtant, nous aurions le droit de lui dire que s'il y a une puis- 
sance qui soit bien placée pour prendre ces initiatives, c'est la France. 
N'a-t-il pas fait lui même, à cet égard, des expériences récentes ? Encore 
que l'on ne puisse pas dire que notre politique étrangère soit rayon- 
nante de gloire, et que depuis un certain temps elle ait parfois semblé 
se mettre trop à la remorque d'une alliance qui, quelquefois, a l'air de 
nous payer en illusions de revanche en Occident les sacrifices trop réels 
que nous lui faisons en Orient. {Applaudissements répétés,) 

N'avons-nous pas le droit de lui dire que nous avons recueilli sur 
certains points les fruits d'une action énergique? Il est, par exemple, un 
fantôme qu'on agite sans cesse devant ceux qui veulent agir en Orient. 
J'en ai retrouvé la trace dans une dépêche significative de notre arnbas- 
sadeur actuel à Constantinople disant qu'on ne pourrait rien faire si on 
n'avait pas l'unanimité des puissances. 

L'unanimité des puissances! Elle est sans doute impossible à réa- 
liser. Nous avons vu ce qu'a été le Concert Européen en 1896; on a pu 
voir que chacune des puissances dépensait ses efforts à paralyser Tac- 
tion des autres. Eh bien ! il faut savoir s'en passer, et on Ta fait. Si on 
a, je ne dirai pas résolu, le mot serait trop ambitieux, mais faîi entrer 
dans la voie de la solution, la question de la Crète, c'est qu'on a exor- 
cisé alors ce fantôme de l'unanimité des puissances et qu*on s'est 
adressé simplement à celles qui voulaient bien agir de bonne volonté. 
(Applaudissements), 

Ces mêmes diplomates nous répètent que nous ne devons pas agir 
sous une forme comminatoire; qu'il serait trop dangereux de tenir un 
langage ferme à Yldiz-Kiosk. Eh bien I lorsqu'il s'agissait non pas de la 
conscience du genre humain, non pas de la répression de crimes accom- 
plis à la face de l'humanité, non pas de l'exécution d'obligations inter- 
nationales, mais simplement de créances plus ou moins authentiques^ 
la France a bien su envoyer ses cuirassés à Lesbos et ses canons qui 
n'ont pas toujours besoin de faire parler la poudre pour qu'on les 
entende jusqu'au fond de Yldiz-Kiosk, elle les a braqués sur Miiylène. 
C'est qu'alors il s'agissait de faire servir l'escadre de la Méditerranée, de 
recors à un Tubiniet à un Lorando. (Applaudissements,) Quant à moi, 



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— 42 — 

sanfs contester ici cet emploi, je voudrais que nous chargions ces 
monstres d* acier d'être porteurs de contraintes et de sommations, non 
seulement au nom de spéculateurs levantins, mais au nom de la cons- 
cience du genre humain et de la tradition française. {Noupeaux applau- 
dissements.) 

Cest là ce que nous attendons de vous et c'est là ce qu'attendent 
de nous ces peuples malheureux qui sont encore assis dans Tombre 
de la mort, dont nous entendons les gémissements, les cris de déses- 
poir et qui n*ont pourtant pasi cessé de tourner les yeux vers la France. 
Le jour où ils avaient appris que ces cuirassés voguaient sur la Médi- 
terranée et s*approchaient du littoral de T Asie-Mineure, ils se répétaient 
tout bas Tespoir auquel ils ne veulent pas renoncer; ils ne pouvaient 
pas croire que ce fût uniquement pour des créances plus ou moins 
véreuses qu^on avait mobilisé ces forces et ils s'imaginaient que c'était 
pour eux que nos navires étaient venus làl (Applaudissements.) 

Il ne faut pas que nous trompions éternellement cet espoir. Je suis 
convaincu qu*il suffira d'adopter une attitude ferme, résolue, commina- 
toire au besoin, pour obtenir, avec une facilité qui étonnera nos minis- 
tres, les résultats que nous poursuivons. Mais il faut bien se pénétrer de 
cette idée que c'est une erreur de s'imaginer que la médiocrité d'une 
politique fait la garantie de sa sécurité. (Applaudissements.) Nous 
sommes à une heure, au contrai re» où il faut déployer toute notre force 
pour recouvrer tout notre droit. 

C'est ce que nous sommes venus faire ici et nous qui sommes placés 
aux points les plus opposés de l*horizon, nous qui respectons trop nos 
propres idées ainsi d'ailleurs que celles de nos adversaires pour vouloir 
faire bon marché de ces divisions profondes, nous qui différons, non 
seulement sur Tapplication des principes, mais encore sur les principes 
eux-mêmes, nous nous rencontrons sur le terrain de l'action nécessaire 
en Ohent et c'est cette unanimité qui donne à cette démonstration la 
haute valeur internationale, T importance morale qu'elle doit avoir. A 
celte heure critique, nous avons pensé que le moment était venu où 
une manifestation unanime de Topinion française rappelant le gouver- 
nement de la Rc publique aux traditions de la France, à ses devoirs, à 
ses intérêts, était non seulement opportune, mais nécessaire. (Applau- 
âissements rijs et prolongés.) 



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-43- 
M. JEAN JAURÈS 

Député du Tarn 

Mesdames, Messieurs, 

Je n'ai rien à ajouter aux discours si émouvants, sî pleins et à la 
fois si mesurés que vous avez entendus et je viens seulement en quel- 
ques brèves paroles m'associer aux conclusions qui ont éié formulées 
devant vous. 

La réunion, ici, d'orateurs et de citoyens de tous les partis marque 
assez que la question d'Arménie et de Macédoine est une de ces ques- 
tions humaines élémentaires sur lesquelles l'accord de tous les hommes 
de tous les pays civilisés peut et doit se réaliser; elle marque aussi 
que l'heure est venue de faire appel à l'opinion de l'Europe, de la mettre 
en mouvement et elle signifie que dans votre pensée Toplnion de la 
France n'est pas une quantité négligeable. (Applaudissements). 

Nous payons en ce moment, toute l'Europe paie, par les difficukés 
et les périls que contient la question de la Macédoine, l'altitude des 
puissances, il y a sept ans, dans la question de l'Arménie. 

Certes, ce fut un grand crime que cette longue indifférence et cette 
longue ignorance couvrant un long égorgement, et c^est en vain qu'au- 
jourd'hui les peuples pourraient nous apporter les dépouilles, les profits 
qu'ils ont retirés de leur complicité passive avec le ijrand égorgeur, 
(Applaudissements). 

C'est en vain que Tun pourrait montrer ses concessions de chemins 
de fer en Asie Mineure, l'autre l'exploitation des quais de Constantino- 
pie. Quand on accumule devant nous ces avantages pour nous décider 
à oublier, je me rappelle invinciblement l'application admirable qu'il y 
a plus d'un siècle, dans un débat sur l'esclavage, le grand Wilberforce 
faisait d'un vers de Shakespeare : * Il y a ici une odeur de sang que 
tous les parfums de l'Arabie ne sauraient couvrir, s (Applaudissements 
répétés). 

Mais si cette complicité muette et passive de l'Europe fut un grand 
crime, elle fut aussi une grande faute; car si nous avons maintenant à 
nos portes une question Macédoine brûlante, redoutable et qui peut 
demain développer sur nous l'incendie de la guerre, c'est parce que 



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— 44 — 

notre conduite il y a sept ans, à l'égard de TArménie, a encouragé, a 
prolongé» de la pan du Sultan^ tous les crimes et toutes les iniquités 
qui soulèvent toutes les révoltes. (Applaudissements), 

On pouvait se désintéresser du péril arménien, péril lointain, péril 
asiatique. Mais le voilà qui, par des communications inévitables, s'est 
rapproché de noDs ei est devenu le pdril macédonien au cœur même de 
l'Europe. C'est pour nous un juste châtiment et une grande leçon et je 
fais le vceu passionné qu'elle n'arrive pas trop tard! {Applaudisse- 
tnenîs). 

Voyez avec quelle rigueur et avec quelle logique les massacreurs tout 
prêts de la Macédoine^ tirent les conséquences de l'impunité des massa- 
creurs arméniens. En Arménie^ ce ne fut pas seulement le massacre par 
des soldats organisés, ni par des brigands soudain transformés et habillés 
en gendarmes, ce fut pire encore, ce fut la passion bestiale d'une popu- 
lation. Lisez la lettre du 28 octobre 1902, que notre consul à Salonique, 
M. Steeg, a adressée. Vous y verrez qu'à l'heure présente, en Macédoine, 
on tient ces propos : ^ Nous aussi nous saurons bien débarrasser le 
Sultan de ceux qui le gênent en faisant comme en Arménie » et ce qui 
se prépare en Macédoine, par imitation de ce que l'Europe criminelle et 
imprudente a toléré en Arménie, c*est la levée en masse de l'assassinat. 
( .1 pp la u d isse ments proio) igè t) , 

11 n'y a qu'un moyen de couper court au péril, de prévenir de nou- 
veaux crimes, de prévenir peut-être la guerre prochaine; c'est que l'Eu- 
rope unie, je ne dis pas — Pressensé avait bien raison tout à l'heure — 
unanime — il ne faut pas mettre à certaines interventions nécessaires, 
des conditions inacceptables (Applaudissements) — il faut, dis-je, 
que l'Europe unie se hâte d'intervenir pour imposer les réformes néces- 
saires et les réformes profondes. Pour que cette intervention se produise 
avec toute son efficacité^ il faut qu'il n'y ait pas de malentendu. Non, 
nous ne voulons pas la guerre contre l'Islam (Applaudissements) et si 
nous allons protéger en Arménie, en Macédoine, des populations chré- 
tiennes, ce n'est pas parce qu'elles sont chrétiennes, c'est parce que ce 
sont des hommes auxquels, sous le régime turc, leur qualité de chré- 
tiens attire un surcroît de périls et d'épreuves. (Applaudissements). 
Mais aucune idée de croisade religieuse: nous savons très bien que les 
réformes, les garanties que nous demandons pour les populations chré- 
tiennes opprimées s'étendront peu à peu nécessairement à l'ensemble du 
peuple ottoman lui-même. Déjà it pâtit autant que les populations 



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qu'il opprime, de Toppression qu*il exerce sur elles. Vous avez vu ces 
lettres de nos consuls disant que les musulmans de Macédoine n'osent 
plus quitter leur maison sans une escorte d'hommes armés, parce qu'ils 
sentent à chaque pas la révolte, la représaille, la menace; ils sont blo- 
qués par le fait même des haines qu'ils ont déchaînées et nous irons 
là-bas libérer l'oppresseur en même temps que l'opprimé (Vifs appiait- 
dissements). 

Non, nous ne proposons pas la lutte contre ce peuple turc où il y a 
tant d'hommes admirables de labeur, de vaillance, de robustesse» tant 
d'hommes à qui il a fallu une singulière noblesse morale pour ne pas 
perdre tout vestige de dignité humaine sous l'abominable régime qu'ils 
subissent. {Applaudissements), Et je veux dire à quelques-uns des 
jeunes Turcs qui redoutent parfois l'intervention de l'Europe qu'ils 
auraient raison si cette intervention pouvait être un jour dirigée contre 
le peuple turc lui-même; mais elle n'est dirigée que contre un gouver- 
nement qui l'accable, dont il n'a pas la force de se délivrer lui-même et 
c'est aux jeunes Turcs à former la réserve des forces musulmanes qui 
feront fonctionner le progrès dans la Turquie libérée par la première 
intervention de l'Europe. (Applaudissements). 

Pas plus que nous ne voulons une politique de guerre religieuse 
contre l'Islam, pas plus que nous ne voulons une politique d*humilia- 
tion pour la nation turque, nous ne voulons une politique téméraire qui 
se dissimule à elle-même les difficultés. Demain un gouvernement turc 
différend de l'abominable gouvernement actuel aura à compter avec des 
difficultés que nous ne contestons pas. Pressensé vous a tracé de celle 
complexité, de cet enchevêtrement, des races, des religions, des sectes, 
un tableau si exact et si précis que je n'ai pas à y revenir. Nous ne con- 
testons pas la difficulté du problème. L'Autriche-Hongrie est mieux en" 
état que la Turquie de résoudre cette sorte de difficulté ; elle est formée 
de peuples de races différentes mais qui, sauf des différences de confes- 
sions appartiennent à la même religion essentielle ; de plus, elle a été 
visitée parles souffles de l'Europe occidentale; elle a entendu, en [848, 
dans les rues de sa capitale, le cri de la révolution européenne ; elle a 
un commencement de régime électif et de régime parlementaire. Ce 
régime, si oligarchique qu'il soit, a permis cependant les transactions, 
ces dosages d'influences qui permettront peu à peu aux races diverses 
de se juxtaposer et de ^'harmoniser. Et pourtant rAutriche4fongrie se 
débat à cause des complexités des peuples qui se heurtent en elle à de 



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-46- 

Terribles difficultés dont nous désirons tous qu'elle sorte par un fédéra- 
lisme organisé et libre sans dislocation et sans aucun de ces démembre- 
ments qui compromettraient la paix de TEurope. (Applaudissements). 

Mais si nous constatons les difficultés que cette complexité des reli- 
gions et des races crée à un État relativement moderne, comme TAu- 
triche-Hongrie, à plus forte raison devons-nous reconnaître les difficultés 
qu'elle crée à TÈtat turc. Ce que nous avons le droit d'exiger, ce que 
l'Europe a le droit et le devoir d'imposer, c'est que le gouvernement 
turc accorde, assure, maintienne à tous ses peuples, de toutes races, de 
toutes religions, ces garanties élémentaires de sécurité, de liberté et de 
dignité qui permettront ensuite aux diverses religions et aux diverses 
races d'évoluer parallèlement sans se heurter, sans s'opprimer, sans se 
dévorer. Mais il est impossible de permettre à la barbarie meurtrière et 
sanglante de résoudre le problème en supprimant une partie même des 
peu pi es . {Applaudisse me n ts) . 

C'est dans ces termes et dans ces termes seuls que le problème est 
posé, tlt maintenant je répète après Pressensé que nous n'avons pas à 
tracer dans le détail le programme des réformes. Nos représentants à 
l'étranger ont commencé à en tracer l'esquisse. Pressensé a complété le 
tableau, non pas pour imposer une règle d'action au Gouvernement 
responsable, mais pour montrer au monde civilisé que si l'Europe ne 
résolvait pas le problème, ce ne serait pas faute de solution, mais faute 
de vigueur morale pour en aborder l'examen. (Applaudissements 
répétés.) 

Comment serait-il possible de dire que le contrôle international de 
l'Europe ne pourra pas s'exercer en Turquie pour assurer la sécurité 
élémentaire des peuples, lorsqu'il commence à s'y exercer pour assurer 
la sécurité des créanciers européens ? Je ne leur en fait pas un reproche; 
c'est par cette garantie, étendue d'abord sur les intérêts, que la civilisa- 
tion supérieure de l'Europe pénètre peu à peu dans des pays moins 
avancés dans le mouvement politique, économique et social. 

Mais encore faut-Il qu'on ne s'en tienne pas là, encore faut-il quelque 
logique dans celte intervention et dans ce contrôle international, encore 
faut-il qu'on n'oublie pas qu'une des conditions profondes du paiement 
régulier des coupons au porteur de la dette, est qu'on assure la liberté, 
la sécurité, la vie de ceux qui, dans les montagnes de la Macédoine 
comme dans les plaines de la Thessalie, travaillent à constituer l'impôt 
sur lequel cette dette sera payée I (Applaudissements.) . 



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— 47 — 

Nous demandons Tapplication logique, au profil de tous les peuples 
de la Turquie, de rintervenlion européenne internationale quî n'a été 
consacrée jusqu'ici qu*au profit des créanciers. 

Et maintenant, je terminerai en priant — laissez-moi le dire en votre 
nom — notre ministre des Affaires étrangères de n'avoir pas irop peur 
de nous. On m'a dit que nous l'inquiétons un peu; c'est Ja fonction des 
diplomates de s'inquiéter, à la condition qu'ils se rassurent, (RiresJ 
J'imagine que, s'il avait entendu lui-même les discours si pénétrants, si 
décisifs, mais si sages que nos collègues Pressensé et Denys Cochin ont 
prononcé tout à l'heure, quelques-unes de ses défiances se seraient déjà 
dissipées; et elles se seraient dissipées davantage s'il avait vu de ses 
yeux ce spectacle admirable d'une démocratie, d'une réunion populaire, 
d'une réunion formée de ces citoyens de France qu'on a jusqu'ici sysié- 
matiquement tenus à l'écart de la connaissance et de la conduite des 
grandes affaires extérieures. (Applaudissements,) S'il avait vu de quelle 
attention consciencieuse, scrupuleuse, avec des éclairs de généreuse 
passion, mais sans aucune imprudence et sans aucune fanfaronnade, 
cette réunion cherchait le meilleur moyen d'aller pacifiquement vers la 
justice! (Applaudissements.) Qu'il se rassure car, si nous avons besoin 
de lui, j'entends si nous avons besoin de diplomates qui aient rompu 
avec cette tradition détestable dont Pressensé, sans prononcer un seul 
nom propre, vous a parlé, si nous avons besoin d'hommes qui aient 
rompu avec cette tradition funeste, si nous nous félicitons de trouver 
dans quelques-uns des rapports de nos conseils portés au Livre Jaune, 
la preuve d'un esprit large, prévoyant et humain, que les diplo- 
mates n'oublient pas qu'aujourd'hui surtout ils ont besoin du mou- 
vement et de la force de la démocratie. Pressensé a montré comment les 
projets de M. Delcassé risquaient peu à peu de s'enlizer dans Tiniriguc 
des autres diplomaties et des autres gouvernements. Si timide que 
puisse être à nos yeux le projet de réformes proposé par notre ministre 
des affaires étrangères, il va bien au-delà du projet illusoire ébauché 
par la combinaison austro-russe, et M. Delcassé, même avec ses pré- 
cautions et avec ses réserves, risquerait de demeurer seul si Topinion 
-européenne ne s'éveillait pas. Comment veut-il que l'opinion européenne 
s'éveille si ce n'est pas la France désintéressée de tout intérêt immédiat 
dans le conflit possible, qui frappe à la porte des autres peuples et lies 
autres consciences endormies. (Vifs applaudissements.) 

Voilà notre œuvre, voilà notre devoir, le vôtre et le nôtre, là, pour 



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-48- 

montrer au chef de noire politique extérieure qu'il aurait tort de se 
défier de nous, et de récuser le concours nécessaire que nous lui appor- 
tonsj je terminerai en citant une des paroles écrites par lui au sujet des 
affaires macédoniennes, au représentant de la Turquie : * L'essentiel, 
c'est de ne pas laisser passer Theure! » (Triple salve d'applaudisse- 
menîs* — Cris : Vi}^e Jaurès.) 



DISCOURS DE M. PAUL LEROLLE 

Député de la Seiîie 

V 

Et moi aussi, j'ai entendu la longue plainte de l'Arménie et de la 
Macédoine qui remplit toute TEurope, j'ai vu les lointains horizons 
s*empotirprer de lueurs d^ncendie^ se rougir de la tache sanglante des 
massacres^ ei, catholique, j'ai voulu venir ici apporter à tous les oppri- 
més les sympathies de ma conscience, crier à tous lés oppresseurs 
rénergie de mon indignation. (Applaudissements.) 

Cest une vieille tradition de la France de prendre en main la cause 
des opprimés; et, comme le disait très bien tout à l'heure, mon ami 
Cochin, quand elle court au secours de celui qui souffre, elle ne lui 
demande pas qui il est, à quelle race il appartient, elle demande seule- 
nient où e^i Toppresseur. (Applaudissements.) 

Mais puisqu"aujourd'hui les chrétiens d'Arménie et de la Macédoine 
sont les plus massacrés des sujets du Sultan, permettez-moi de voiis 
rappeler que la protection des chrétiens d'Orient est dans le patrimoine 
glorieux de notre France. 

Cette protection date du jour même des Croisades. En ces temps-là, 
dans la chrétienté, la force matérietle s'était mise au service d'une grande 
idée morale qui avait enveloppé toutes les nations européennes dans 
l'unité d'une seule croyance religieuse. Celte force s'était levée contre 
l'envahisseur qui venait de l'Asie. Nobles, vassaux, emportés d*un 
même mouvement^ abandonnant châteaux et chaumières, se précipi- 
taient là-bas, si loin qu'ils ne savaient où, et courant à la conquête du 
tombeau du Christ, ils portèrent par leurs victoires, par leur héroïsme, 
dans l'Asie, un peu de notre Europe chrétienne. (Applaudissements), 

C'était un mouvement magnifique, ensemble de foi leligieuse, et de 
piété humaine. Car on avait déjà entendu chez nous, suivant le mot de 



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— 49 — 

Saint-Louis « les cris des pauvres chrétiens ». Dès ce jour, rien de ce 
qui se passait en Orient ne nous fut étranger, il s'est établi entre les 
chrétiens soumis à l'Islam et nous un lien si solide qu'aucune force n'a 
pu le rompre. Notre patriotisme, dans ces peuples éloignés, a cru voir 
des peuples frères et dans les flots bleus qui baignent les côtes de l'Asie 
Mineure, comme un reflet de notre France. 

Bientôt, à la lutte contre l'Islam succède l'alliance. François 1er subs- 
titue à la politique des principes, la politique des intérêts; mais nos 
rois n'abandonnent pas pour cela cette noble mission de patronage. Au 
contraire elle s'affirme, et se précise. Même en Turquie, les Français 
sont sous l'autorité directe du roi de France représenté par ses consuls; 
ils y ont le droit de faire le commerce, ils y ont aussi la liberté de leur 
religion. Ce double privilège, religieux et commercial, est étendu aux 
étrangers amis ; on peut trafiquer librement en Turquie si on trafique 
« sous la bannière de la France » et on peut y prier librement si on se 
dit « ami de l'Empereur de France. » 

Ainsi se consolide notre clientèle chrétienne d'Orient. Elle s'accroît 
encore plus tard, quand les chrétiens de toute origine, de toute confes- 
sion, contre les exactions, contre les violences dont on les menace, sont 
certains de trouver un refuge, un appui assuré auprès de l'ambassadeur 
du roi de France. Et cette action bienfaisante de protection se perpétue 
à travers les siècles, malgré les bouleversements de la politique, sans 
qu'aucun de nos gouvernements ait jamais voulu répudier ce legs du 
passé. La Révolution, l'Empire y ont été fidèles. Lorsque, à peine remis 
de terribles secousses, notre pays a entendu la clameur de l'insurrection 
hellénique, un irrésistible enthousiasme s'empare de lui en faveur de 
l'indépendance des peuples et le roi Charles X envoie les vaisseaux de 
la France s'unir à ceux de l'Angleterre et de la Russie dans les flots de 
Navarin, d'où va jaillir la liberté de la Grèce. (Applaudissements.) 

Plus tard les événements donnent une nouvelle orientation à la poli- 
tique internationale. L'intégrité de l'empire Ottoman apparaît à tout le 
monde comme une nécessité de la paix européenne. La France unit 
nnême, pour la maintenir, un instant ses armes à celles de la Turquie. 
Mais elle ne déserte pas pour cela sa mission, elle reste l'espoir des 
peuples d'Orient et elle montre, comme aux jours des massacres de 
Syrie, qu'elle est toujours la grande nation secourable à tous les opprimés. 
Voici notre passé. (Applaudissements,) 

Comment donc, aujourd'hui, démentant cette longue histoire, la 



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— 5o — 

France pourrait-elle rester sourde aux cris de détresse qui lui viennent 
des peuples décimés, pourrait-elle rester impassible en voyant couler 
ces fleuves de sâng dont la source est au palais de celui qu'on a appelé 
si jusiement le Sultan Rouge? (Applaudissements,) Et elle continuerait 
à garder avec l'Europe ce silence décourageant^ elle n'élèverait pas la 
voix pour rappeler à l'Europe son devoir impérieux er les obligations 
contractées au traité de Berlin! Une telle attitude serait incompréhensible 
etj vous Tavez déjà dit par vos applaudissements, la France ne s'y 
résoudra pas; tout la convie à parler et à agir. (Applaudissements.) 

Certes, les intérêts matériels ont leur prix et ce serait folie de les 
méconnaître, mais ils ne doivent pas faire oublier les devoirs supérieurs 
d'humanité. La foi qui est la mienne m'enseigne que je ne puis être 
indifférent à une soutfrance humaine. C'est bien là le sentiment générât 
de ce grand peuple français, c'est son instinct d'atavisme. Toute plainte 
trouve dans son cœur un écho, toute injustice triomphante fait passer 
en lui les beaux frissons des indignations vengeresses. S'il a eu à souffrir 
parfois de générosités imprudentes, il n'a jamais consenti volontairement 
ïa honte des effacements systématiques. Ce n'est pas lui qui a fait sienne 
cette politique de la non intervention quand même qui n'est peut-être 
que de régoîsmc et de la peur combinés en principe. Toute douleur 
rémeui^ toute injustice Tindigne, toute cruauté le révolte. Pour être 
insensible^ le san^ qui fait battre son cœur est trop pur et il a trop 
profondément en lui le sentiment de la fraternité humaine. (Applaudis- 
sements.) 

Du reste, aujourd'hui, notre générosité ne risque pas d'être témé- 
raire, car elle s*allie très bien avec le sens exact de nos intérêts de 
Tordre le plus élevé et le plus pratique. Tous, nous voulons la paix,, 
mais la paix n'est enviable que si elle est fière, et elle n'est garantie que 
si elle est fondée sur le respect du droit. Or, les événements sinistres 
de là-bas, ne peuvent*ils pas demain amener une conflagration géné- 
rale. Ne savez-vous pas que les injustices répétées font les soulève- 
ments justifiés des peuples, et que du choc entre oppresseurs et oppri- 
més peut jaitlir rétîncelle qui mettra le feu à l'Europe entière.'^ Si on 
veut éviter l'effondrement de l'empire Ottoman, si on veut ne pas don- 
ner prise par son morcellement à toutes les ambitions européennes, il 
faut de toute force le rénover en facilitant l'ascension des nationalités 
diverses qui le composent. Il faut faciliter cette ascension par une inter- 
vention modérée mais énergique de TEurope. 



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— 5i — 

Je lisais dans une lettre d'un témoin oculaire des massacres, ces 
paroles : « II faut des réformes pour calmer le peuple qui n'en peut 
plus; il faut Tintervention de l'Europe ou nous sommes perdus». Et, 
dans un accent de douleur et presque de désespoir devant l'inertie de 
la diplomatie européenne, il ajoutait : « Que Dieu ait pitié de ceux qui 
souffrent! » (Applaudissements.) 

Mais, que nos esprits s'élèvent plus haut encore. La France est restée 
la nation chevaleresque à travers les âges. 

Notre pays a toujours eu l'honneur d'être le bon soldat de toutes les 
grandes causes; il est toujours l'initiateur de l'Idée dans le monde. A 
ce titre, pouvons-nous rester insensibles à cette diffusion de nos prin- 
cipes de liberté, de dignité humaine que nous voulons garder intacts 
parmi nous et que nous voulons voir pénétrer peu à peu chez tous les 
peuples. 

Nous ne prêchons pas les révolutions. Nous ne cédons pas à l'utopie 
de croire que d'un seul coup et d'une seule pièce, on peut transporter 
notre civilisation européenne dans des pays où elle ne saurait s'adapter 
exactement aujourd'hui. Mais est-il téméraire de vouloir dès maintenant 
assurer à ces peuples qui souffrent, chrétiens ou musulmans, la sécurité 
des personnes et des biens, au lieu d'une administration tracassière et 
tyrannique, une administration protectrice, la liberté des consciences 
et, par là, répandre parmi eux les hautes idées morales sans lesquelles 
il n'y a pas de relèvement possible et par lesquelles les peuples progres- 
sent et s'élèvent aux civilisations meilleures. (Applaudissements.) 

Et justement, dans ces peuples que Ton persécute, nous voyons des 
agents de ce progrès dans la civilisation. Je sais bien que des détrac- 
teurs — quel est le vaincu ou l'opprimé qui n'en a pas ? — ont cherché 
à détourner d'eux l'intérêt de l'Europe par des jugements précipités et 
par des accusations téméraires. Je ne les examine pas; je ne crois pas à 
l'infériorité nécessaire ctes races ; je ne crois pas aux irrémédiables déca- 
dences. Je crois qu'il y a dans tous les hommes une réserve d'énergie 
morale qui, mise en œuvre sous le coup des circonstances ou par un 
violent effort de volonté, suffit à porter en eux, à la plus haute puis- 
sance, leurs qualités de cœur et d'esprit et prépare ainsi le relèvement 
des individus et la résurrection des peuples. (Applaudissements.) Je 
crois que si une longue servitude a pu énerver certaines qualités natu- 
relles, elle ne les a pas détruites ! D'ailleurs n'avons-nous pas l'exemple 
de la Grèce, de la Roumanie, de la Serbie, de la Bulgarie ? On disait de 



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— 52 — 

ces peuples ce que certains disent aujourd'hui de l'Arménie et de la 
Macédoine. Ne nous ont-ils pas montré cependant par quels moyens se 
fait le Relèvement des nationalités et par quelles étapes elles arrivent à 
une civilisation plus parfaite. (Applaudissements.) 

Peut-on affirmer qu'en Macédoine la sève qui a fait fleurir jadis les 
beaux jours de son histoire est absolument tarie ? Il y a à côté des 
peuples dont on parle ceux dont on ne parle pas assez, ces peuples 
chrétiens, autochtones, soumis depuis longtemps à l'Islam, Nestoriens, 
les Chaldéens, Syriens unis, et surtout ces Jacobites dont les ancêtres 
ont aidé Baudoin à fonder le comté d'Edesse en Asie Mineure. Ce sont 
des races superbes. A-t-on jamais dit qu'elles avaiejit perdu leur antique 
fierté et qu'il ne restait rien de leur antique bravoure ? 

Que n'a-t-on dit des Arméniens ? Sous quel jour défavorable leurs 
ennemis n'ont-ils pas cherché à les représenter ? Je ne ferai pas leur 
portrait; il a été tracé tout à l'heure de main de maître; mais puis-je 
ne pas rappeler que leur intelligence vive, leur goût passionné pour 
l'étude, la souplesse de leur esprit, leur a permis de briller dans toutes 
les sphères de Taciiviié humaine ? Soldats, savants, littérateurs, admi- 
nistrateurs, dans toutes les branches ils ont des hommes d'un mérite 
incontestable et incontesté. (Applaudissements.) 

On vous a dit que les Arméniens n'étaient pas seulement des com- 
merçants; ce sont surtout des agriculteurs. Autour de leurs villages, au 
sommet de leurs montagnes, ils mènent la charrue dans le plein air de 
l'Orient et paissent leurs troupeaux. Ils ont toutes les qualités des 
peuples laboureurs et les vertus des peuples soldats; leurs enfants sont 
nombreux, leur race se renouvelle et s'augmente sans cesse. Fiers de 
leur origine qui se perd dans la nuit des temps, ayant la fidélité des tra- 
ditions, la jalousie de leur langue, ils conservent, malgré les asservisse- 
ments, malgré les persécutions, tous les caractères essentiels de leur 
race. (Applaudissements.) Et c'est le trait commun qu'ils ont avec tous 
les peuples chrétiens qui les entourent, d'être attachés profondément à 
leur nationalité. Ils en ont un autre. Toutes ces populations ont la 
vision d'un idéal supérieur; dans leurs rêves, elles entrevoient l'avenir 
meilleur auquel elles aspirent. Est- ce que vous ne voyez pas dans ces 
qualités de races, dans ces aspirations généreuses comme des signes de 
parenté avec nous ? Ce sont aussi des garanties de relèvement moral et 
social qui font que ces populations méritent notre intérêt, non seule- 
ment parce qu'elles souffrent, mais parce que demain elles peuvent 



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— 53 — 

être des instruments de régénération dans ces contrées. (Applaudisse- 
ments,) 

Eh bien I ce sont ces peuples-là qui sont" actuellement voués à des 
tueries épouvantables ; les terres ensemencées par eux ne poussent plus 
que des ruines baignées par des flots de sang. Ni l'âge, ni le sexe ne 
protège contre le couteau des assassins. Je n'incrimine nullement le 
peuple turc lui-même de ces horreurs; ce serait injuste, je le sais. Il y a 
aussi parmi les musulmans de Turquie des ferments de relèvement que 
je salue comme des espérances. Un Arménien a dit qu'en temps ordi- 
naire on vivait en paix avec les Turcs jusqu'au jour où un ordre d'en 
haut excite les fanatismes et provoque les violences. Le seul coupable 
de tant de meurtres c'est l'homme muré par la peur dans le palais où 
il mène une vie sans honneur et sans bonheur. Le Sultan commande la 
tuerie, les séïdes l'exécutent. On en tue tant qu'on peut, 10,000, 100,000. 
li en reste encore trop, qu'on frappe, qu'on frappe encore. La misère et 
la faim achèveront ceux que le fer de l'assassin aura épargnés 1 (Applau- 
dissements,) 

C'est la destruction décidée, méthodique, par l'assassinat, de toute 
une race, ce sont des peuples qui vont disparaître. Comprenez-vous bien 
l'horreur de ces mots : la disparition d'une race, une branche du grand 
arbre humain arrachée violemment sur l'ordre d'un despote cruel ! Si 
l'Europe n'intervient pas, bientôt peut-être il ne restera plus que quel- 
ques survivants figés, pour ainsi dire dans le sang, annihilés dans la 
stupeur de leur épouvante, sans, force de vie, perdus pour l'humanité. 
L'Europe peut-elle permettre cela ? 

Vous avez répondu : non. La France ne peut pas garder le silence ; 
elle doit être la grande provocatrice de l'action sage mais résolue qui 
peut sauver ces peuples opprimés. Il faut que sa voix se fasse entendre. 
Ceux qui souffrent là-bas, dans la fièvre de leur espérance et de leur 
douleur, attendent d'elle le mot sauveur, car la France est toujours 
pour eux, disons-le, la grande et bonne nation. Le prestige de nos 
gloires guerrières, dont nous conservons la fierté, ne s'est pas éteint; son 
rayonnement dure encore et on se souvient de ce protectorat tant de 
fois séculaire que nous devons conserver. 

Mais ce n'est pas seulement par les grandeurs de notre histoire que 
nous sommes connus; c'est aussi par les bienfaits que nous avons 
répandus. On sait là-bas que la France est la douce France. On nous y* 
connaît par les hôpitaux que nous avons créés, par nos écoles, par nos 



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-54- 

missionnaires, f Interruptions.) Et là où sa puissance ne se manifeste 
pas, la France est présente encore par cette force plus pénétrante que 
les autres et qu'on appel l<î la bonté. (Nouvelles interruptions.) 

Et n'est-il pas louchant, entre beaucoup d'autres, ce fait que nous 
raconte M. de Contenson dans son livre si intéressant. C'est à Qrf a. 
Vous vous souvenez des scènes terribles dont cette ville a été le théâtre. 
On ne se contente pas de massacrer, on brûle les malheureux réfugiés 
dans régUse. El c'est une chose à faire frémir la pensée, que cet im- 
monde incendie allumé par la haine, que ces chairs humaines enduites 
de pétrole tordues dans les spasmes d'une épouvantable agonie. 

Quand le voyageur arrive, tout à Orfa est encore ruine et deuil. La 
France n*a pas de représentant officiel. Pas un homme de notre race. 
Et cependant il est ému d'une émotion pleine de charme en entendant 
parler, si loin de la pairie, notre langue nationale. D'où cela vient-il ? 
C'est que des femmes, des enfants, réunis dans l'école ou dansl'ouvroir, 
ont appris les mots qui font aimer la France de la bouche de quatre 
sœurs Franciscaines, {Nouvelles interruptions et approbations.) 

El ce don qu'a notre pays de se faire aimer a créé là-bas ce sentiment 
qu'une sorte de pacte mystérieux existe entre tout ce qui souffre et la 
France. Pour cela, on espère en nous. Ne désespérons pas cette con- 
fiance. 

Que la France fasse entendre sa grande voix : qu'elle provoque eh 
Europe TenLente qui amènera la réforme de l'Orient, heureuse pour 
tous, par l'exécution des traités et que sa parole répétée par tous les 
échoSj au milieu des ruines ensanglantées, résonne aux oreilles des 
bourreaux comme un avertissement, porte aux opprimés les espérances 
de l'avenir. (Vif& applaudissements.) 



M. D'ESTOURNELLES DE CONSTANT 

Mesdames, Messieurs, 

Il faut que cette manifestation admirable et sans précédent ait une 
conclusion. Vous ne voudrez pas vous séparer sans voter à l'unanimité, 
j'en suis sûr. Tordre du jour que nous avons préparé et dont M. Ana- 
tole Leroy -Beau lieu, membre de l'Institut, va vous donner lecture. 



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— 55 — 

Mais auparavant je dois m'acquilter d'un devoir. Je ne puis malheu- 
reusement pas vous donner lecture des adhésions innombrables que 
nous avons reçues de toutes parts; je ne puis que vous donner connais- 
sance très sommairement de quelques-unes. 

Nous avons reçu les adhésions suivantes où nous constatons la 
présence de MM. Etienne, Lockroy, Guillain, vice-présidents de la 
Chambre; Lavisse, membre de Tlnstitut, professeur à la Sorbonne; 
Gaston Paris, membre de l'Institut, administrateur du Collège de 
France; Anatole France, Sully-Prudhomme, Vandal, de l'Académie 
Française; Michel Bréal, Sénart, Paul Violet-Georges Picot, Tarde, 
Frédéric Passy, membres de l'Institut; Croiset, membre de l'Institut, 
doyen de la Faculté des lettres; Duclaux, membre de l'Institut, direc- 
teur de l'Institut Pasteur; Perrot, membre de l'Institut, directeur de 
l'Ecole normale supérieure; Molinier, professeur à l'école des Chartes; 
Séailles, Seignobos, professeurs à la Sorbonne ; Lyon-Caen, membre de 
l'Institut, professeur à la Faculté de droit; A. Meillet et Paul Boyer, 
professeurs à l'Ecole des Langues Orientales; Charles Richet, membre 
de l'Académie de Médecine; Albert Métin, professeur à l'Ecole Colo- 
niale; Lapicque, professeur à la Sorbonne; Victor Bérard, rédacteur à 
la Revue de Paris; Etienne Lamy, rédacteur à la Repue des Deux- 
Mondes; M«e Séverine; Gaston Deschamps, rédacteur au Temps; 
Pierre Quillard, rédacteur en chef de Pro Armenia; Herold, rédacteur 
en chef de V Européen; Ludovic de Contenson; pasteur Monnier; Jean 
Longuet. 

MM. Piot, Clamagçran, Delpech, comte d'Aunay, sénateurs; Dela- 
fosse, baron Dutreil, docteur Delbet, E. Roche, abbé Lemire, Rouanet, 
Sembat, abbé Gayraud, Messimy,.Vazeille, Deloncle, Ferdinand Buis- 
son, Simyan, Guieysse, Chauviêre, P. Deschanel, Aynard, Flandin, 
Poincaré, Georges Leygues, Henri Michel, A. Briand, Bagnol, Mille- 
voye, Gauthier de Clagny, de La Batut, Grosjean, Menier, comte d'Al- 
sace-Hénin, Beauquier, députés. 

En outre, de nombreuses associations nous ont fait parvenir leurs 
adhésions, parmi lesquelles l'Association générale des Etudiants, 
l'Union des Etudiants Arméniens d'Europe, la Fédération arménienne 
le Droschak, les Comités macédoniens de Sofia, plusieurs Comités 
arméniens, bulgares, serbes et grecs, etc., etc. 



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— 56 — 

Voici le lélëgramme que je viens de recevoir du Père Charmetant, 
directeur de VŒurre d'Orient : 

« La maladie m'éloigne de Paris, mais je suis avec vous aujourd'hui 
ei toujours pour les opprimés contre les oppresseurs, pour protester 
contre l'inertie de T Europe en face des massacres d'Arménie et de Macé- 
doine, pour demander aux puissances signataires du -traité de Berlin de 
faire respecter leur décision et à la France de rester fidèle aux aspirations 
de son génie^ à son passé humanitaire et civilisateur et à son rôle sécu- 
laire qui lui ont valu son bon renom, son influence et sa vraie gran- 
deur dans le monde, 

« Libre aux autres nations de renier leurs engagements, mais la 
France ne peut laisser protester sa signature. 

« Charmetant. » 

Nous avons encore reçu la lettre suivante de M. Clemenceau, séna- 
teur du Var. 

« Paris, le 2 février igoS. 

-« Mon cher député^ 

* Je ne puis que vous remercier très cordialement de l'aimable invi- 
taiion que vous me faites l'honneur de m'adresser. Il va sans dire que 
ma plus vive sympathie est acquise à votre œuvre excellente et que vous 
pouvez enregistrer mon adhésion. Par malheur, il me sera impossible 
de me rendre à votre réunion et, par conséquent, d'y prendre la 
parole. 

4t Je vous en exprime mes sincères regrets et vous prie d'agréer mes 

sentiments les plus distingués. 

« G. Clemenceau. » 

M* Louis Hâvet, membre de l'Institut, vice-président de la Ligue 

des Droits de Thomme, nous écrit : 

« II février igoS. 
« 5, avenue de TOpéra (i"arr.) 
« Mon cher président y 
« A mon tr^s vîf regret, il ne m'est pas possible, demain, d'être à vos 
côtés. 

« J'envoie, du moins, un salut cordial à vous, à Pressensé, à Jaurès, 
à ceux qui ne sont pas des vôtres et qui luttent avec les vôtres pour 
une cause universelle. 



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-57- 

« La barbarie de l'Orient est la honte de l'Occident, et, pour ma 
part, je ressens cette, honte, non seulement comme citoyen français, 
mais comme citoyen de l'Europe. 

« Louis Havet. 
« Vice-président de la Ligue des Droits de l'homme. » 

M. Emmanuel des Essarts, doyen de la Faculté des Lettres de 
rUniversité de Clermont-Fefrand, nous adresse son adhésion en ces 
termes : 

« Ciermont-Ferrand, le 9 février igoS. 

« Monsieur le député, 

« J'ai l'honneur de vous apporter mon adhésion à la ligue en faveur 
de la cause arménienne. Je vous serai obligé de m'inscrire et de me 
compter au nombre de ceux qui prennent l'initiative de cette récla- 
mation. 

« Il est temps qu'on ne laisse plus peser sur les populations asser- 
vies la barbarie du Sultan, odieux anachronisme en Europe. 

« Hier c'était la Crète que ce despotisme sanglant accablait ; aujour- 
d'hui c'est la Macédoine, c'est toujours l'Arménie. 

« Il appartient à la France de protester avant toutes les autres 
nations, à la France de Navarin, libératrice de la Belgique et de l'Italie, 
qui doit conserver la mission que lui décerne l'histoire et qu'ont reven- 
diquée pour elle nos maîtres Hugo, Michelet, Quinet, c'est-à-dire la 
protection des faibles et la rédemption des opprimés. 

4c Je vous prie. Monsieur le Député, d'agréer l'expression de mes 
sentiments respectueux. 

« Emmanuel Des Essarts. 
« doyen de la Faculté des Lettres de Clermont. > 

M. Trarieux, sénateur de la Gironde et président de la Ligue des 

Droits de l'homme, a adressé à M. d'Estournelles de Constant la lettre 

suivante : 

« Cannes, villa Paul Ita. 

« Mon cher député, 

« J'ai vivement regretté que mon absence de Paris m'ait empêché 

d'assister à la réunion du Château-d'Eau, où MM. Denys Cochin, Jaurès, 

de Pressensé et Lerolle ont, avec tant d'éloquence, pris en mains la 

défense des pauvres Arméniens et Macédoniens que continue à persé- 



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— 58 — 

coter le fanatisme musulman sans qu'aucune nation d'Europe ait 
encore songé à rappeler ces bart)ares au respect des conventions du 
traité de Berlin. 

« Je veux, au moins, m'associer à Tordre du jour voté à l'unanimité 
par ïa grande assemblée que vous avez présidée, et je vous envoie ma 
pleine et entière adhésion. 

« Votre sincèremeni dévoué, 

« L. Trarieux. * 



Voîcl enfin une lettre adressée au bureau tout entier. Elle est signée 
d'un des plus grands noms de la Science, qui n'est pas un agitateur; 
j'ai nommé M. Marcel lin Befthelot, membre de l'Académie des Sciences, 
sénateur inamovible : 

« Je m'associe volontiers et de tout cœur à la manifestation que vous 
faites en faveur des populations opprimées et égorgées d'Arménie et de 
Macédoine. Il est temps que l'Europe intervienne au nom de la civili- 
sation et de l'humanité, pour mettre fin à ces scènes de sauvagerie et de 
massacre qui rappellent la barbarie du moyen âge et qui déshonorent 
notre époque. 

« U faut que le cri de l'opinion publique s'impose aux gouverne- 
ments, que les intérêts particuliers qui divisent ceux-ci s'effacent et 
qu'une action collective et irrésistible des peuples civilisés se produise, 
comme elle a eu lieu autrefois en faveur de la Grèce, et de notre temps 
mème^ en faveur de la Bulgarie. 

^ Le but que vous poursuivez est noble et nécessaire, il faut 'soule- 
ver Topinion publique, et je joins ma faible voix à la vôtre : nous en 
viendrons à bout, car nous avons pour nous la justice. El nous aurons 
ia force matérielle qui finit toujours par obéir à la force morale. 

^ Votre bien dévoué, 

« M. Berthelot. » 

( Vifs app laud issem ents.) 



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-59- 
M. ANATOLE LEROY-BEAULIEU 

Membre de l' Institut, 

Mesdames, Messieurs, 

Si Ton m'a fait l'honneur de me confier le soin de vous proposer 
Tordre du jour qui doit clore cette réuuion, c'est comme à un vieux 
défenseur des opprimés et du droit des peuples: c'est peut-être aussi 
qu'on s'est souvenu que j'ai été le premier, à Paris, à l'époque du silence 
organisé sur les massacres, à faire une conférence pour les Arméniens. 
(Applaudissements,) 

L'ordre du jour que je vais vous proposer doit être la conclusion 
naturelle, logique, des généreux discours que vous venez d'applaudir et 
de l'indignation légitime qu'ils ont excitée parmi vous. J'espère que tous 
les Français ici présents seront unanimes à le voter, soit qu'ils se rat- 
tachent à la France ancienne, protectrice traditionnelle des chrétiens 
d'Orient, soit qu'ils préfèrent se dire les fils de la France de la Révo- 
lution et des Droits de l'Homme, deux Frances qui, en Orient au moins, 
n'en font guère qu'une, car toutes deux y travaillent presque également 
pour la liberté et pour la civilisation. (Applaudissements.) 

Pour que cette grande manifestation soit efficace, nous avons dû 
nous placer sur le terrain des faits, nous cantonner sur le terrain pra- 
tique, tel qu'il a été circonscrit par les événements actuels et par les 
négociations en cours. La meilleure leçon, la seule peut-être de résoudre 
toutes les difficultés soulevées en Orient, serait la réunion d'une confé- 
rence européenne, chargée de veiller à l'exécution du traité de Berlin et 
de faire rendre justice, sans distinctions de nationalités ou de religions, 
à tous les opprimés auxquels l'Europe, à Berlin, avait fait espérer un 
sort meilleur. (Applaudissements,) 

Malheureusement, M. Delcassé Ta constaté dans une dépêche du 
Livre Jaune, une pareille conférence n'aurait pas à l'heure actuelle 
l'assentiment de toutes les puissances; il en est une au moins, je n'ai 
pas besoin de la nommer, qui y semble décidément opposée. Il faut 
donc, au moins pour le moment, renoncer à cette conférence et, du 
même coup, au règlement définitif de toutes les questions soulevées à 



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— 6o -- 

Berlin. Nous devons nous placer en face des négociations engagées 
actuellement avec la Sublime Porte. Cest sur ces négociations que nous 
désirons que le gouvernement français exerce son action. 

A cet égard, il est une chose que nous ne pouvons admettre : c'est 
que la cause des Arméniens soit séparée de celle de la Macédoine. 
(Appaudissements.) Toutes deux sont connexes, et c*est cette connexité 
que nous vous prions de bien vouloir affirmer avec nous. Arméniens et 
Macédoiiiens sont également les sujets du Sultan; Arméniens et Macé- 
doniens ont également les promesses de l'Europe. Pourquoi oublierait- 
elle les Arméniens ? Serait-ce parce qu'ils ne se révoltent pas ? ou serait- 
ce que pour pacifier TArménie et résoudre la question, l'Europe attend 
que le Sultan Âbdul-Hamid ait eu le loisir défaire l'extermination totale 
de la race arménienne? Oublier les Arméniens, ce serait, de la part de 
la France et de la part de son alliée la Russie qui, toutes deux, se sont 
fait gloire d'avoir une mission traditionnelle en Orient, ce serait de leur 
part abdiquer leur rèle de grandes puissances protectrices des chré- 
tiens 1 

Nous souvenir des Arméniens n'est pas seulement pour nous. 
Français et pour nos amis Russes, un devoir de conscience et d'huma- 
nité, c'est une question d'honneur et plus encore peut-être pour les 
Russes que pour nous; car l'article 6i du traité de Berlin qui promet 
justice aux Arméniens n'est guère qu'une répétition de l'article 16 du 
traité de San Stefano imposé par les Russes à la Sublime Porte. En rap- 
pelant à nos amis de Russie les engagements pris en commun à Berlin, 
nous ne faisons que soulager la conscience des deux peuples alliés et 
justifier l'alliance aux yeux du monde civilisé. (Applaudissements,) 

Voici l'ordre du jour que nous vous proposons : 

Les quatre mille citoyens français de toutes opinions, 
réunis le i5 février igoS au théâtre du Château-d'Eau, à 
Paris ; 

Considérant la situation atroce des populations d'Ar- 
ménie et de Macédoine et la gravité croissante des évé- 
nements; 

Considérant que cette situation est un défi à la conscience 
publique et un danger pour la paix générale; 



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Considérant que, seule, l'exécution du traité de Berlin, 
tant en Arménie qu'en Macédoine, peut mettre fin à cet 
état de choses intolérable ; 

Considérant l'impérieux devoir que le traité de Berlin 
impose à tous ses contractants ; 

Emettent le vœu que le gouvernement français agisse 
énergiquemerit pour obtenir enfin l'exécution des articles 
23 et 6i du traité de Berlin, conformément au Statut orga- 
nique du mois d'août 1882 et au mémorandum du 11 mai 
1895, et pour faire cesser la trop longue série d'attentats 
commis en Turquie contre l'humanité, sans distinction de 
race, de nationalité ni de religion. 

M. LE Président. — Je mets aux voix cet ordre du jour. 

L'ordre du jour est adopté par acclamation à l'unanimité. (Applau- 
dissements prolongés.) 



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LA SEANCE DU 10 MARS ip03 

A LA CHAMBRE FRANÇAISE 



Nous donnons ci-dessous les discours prononcés par 
MM. Millevoye, Georges Berry, Francis de Pressensé, 
Marcel Sembat, Delcassé et Ribot, concernant les affaires 
d^Orient, d'après le compte rendu sténographique : 

M. MILLEVOYE 

M. Millevoye. — Un Livre jaune nous a été distribué, que nous 
avons tous lu avec le plus vif intérêt. Le Gouvernement de la République 
a pris rinitiative d*un certain nombre de mesures qui, si elles étaient 
loyalement acceptées par le Sultan, contribueraient certainement à amé- 
liorer la situation des chrétiens d'Orient; la Chambre est toute prête, 
assurément, à sanctionner de son approbation et de ses votes, toute 
mesure qui pourra mettre un peu d'ordre, de jiisticeet d'humanité dans 
cette anarchie sanglante. Mais le grand débat qui va s'ouvrir tout à 
l'heure et auquel d'autres inierpellateurs vont donner une portée toute 
spéciale, n^devra pas rester purement académique ; il faudra conclure, 

La Chambre appréciera s'il lui convient de s'associer à des démons- 
trations plus ou moins platoniques qui, si elles étaient dépourvues 
d'une sanction sérieuse, n'aboutiraient qu'à de nouveaux outrages à la 
civilisation, et à de plus affreuses rechutes vers la barbarie. Toutes les 
réformés libérales qui ont été arrachées à la Porte dans le cours eu 
siècle dernier n'ont été que des promesses fallacieuses faites à l'Europe. 

L'acte du 3 novembre iSSg, qui garantissait à tous les sujets otto- 
mans, sans distinction de religion ni de race, leur liberté et leur vie, est 
resté lettre morte. L'acte de février i856 qui établissait l'égalité et la 



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-64- 

liberté politique n'a jamais reçu d'application sérieuse. La fameuse 
Constitution de 1876, qui créait une Chambre, un Sénat et un ministère 
responsable, n'est plus qu'un souvenir, n'a jamais été qu'une dérision. 

M. Maubïce Binder. — Heureusement pour eux l 

M. Llc[en Millevoye. — Non, pas heureusement pour eux, parce 
qu'enfin nous avons encore en France des garanties que ces malheureux 
n'ont pas. 

11 est certain que le traité de Paris et vingt ans plus tard le traité de 
Berlin, que Ton présente comme des garanties — ce sera, je crois, la 
thèse que nous développera tout à l'heure M. de [Pressensé, et sur ce 
point je ne me rencontre pas avec lui — il est certain, dis-je, que le 
traité de Berlin, à mon avis, a fait tout simplement ouvrir des abîmes 
de sang. 

Le traité de Paris comme le traité de Berlin plaçait la situation des 
chrétiens d'Orient sous la garantie collective des puissances. Mais c'est 
précisément en face des atrocités accomplies en Orient qu'on a pu véri- 
ikr la vérité profonde de cette observation d'un diplomate : il n'y a plus 
d'Europe. Il n'y a plus d'Europe, en effet, pour arrêter l'effusion du 
sang innocent, parce qu'il y avait trop d'Etats européens intéressés à la 
liquidation de la Turquie. Dans l'impossibilité où se sont trouvées les 
puissances européennes de s'entendre, soit pour la solidarité de la 
repression, soit pour le partage de la succession, elles en sont arrivées à 
proclamer ce principe funeste, parce qu'il est trop absolu, de l'intégrité 
complète de l'empire Ottoman. Dès lors, le Sultan crut comprendre 
qu*on lui garantissait, non seulement l'inviolabilité de ses Etats, mais 
rimpunité de tous les attentats qui pouvaient être commis. 

Vous savez quelle fut sa réponse aux observations de plus en plus 
timides, de plus en plus indécises de notre diplomatie : trois cent mille 
Arméniens sont morts sous le bâton, dans les fers ou dans l^es tortures. 
{Mouvements divers,) 

H h bien ! — ici nous allons nous trouver d'accord — la France a 
laisse faire. Pour ma part, j'ai combattu vivement cette politique ou 
plutôt cette désertion de la politique française en Orient, et je n'ai pas 
changé de sentiment. Nous porterons longtemps la responsabilité de 
cette politique ; elle sera une tache pour notre génération. Nous avons 
assisté, attristés et impuissants, à cette nouveauté scandaleuse : la 
France croisant ses bras, fermant ses oreilles, fermant son cœur pen- 
dant qu'on assassine, pendant qu'on incendie, qu'on viole, qu'on pille. 



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— 65 — 

et ne sortant de sa torpeur que pour obtenir le recouvrement de 
quelques créances ! (Applaudissements sur divers bancs,) 

Nous avions cependant entre les mains tous ces livres rouges, dont 
chaque page était éclaboussée de sang. L'imagination reculait devant ce 
spectacle d'horreur. Ce ne fut pas seulement l'extermination, ce fut, 
passez-moi l'expression, en quelque sorte la vivisection de toute une race 
humaine. Je n'exagère pas ; les détails qui ont été donnés officiellement 
font frémir. Des crânes ont été scalpés, on y a fait couler de la poix 
bouillante ; des visages ont été couverts de miel et dévorés vivants par 
les insectes; on a ouvert des poitrines pour en arracher les cœurs ; des 
ventres pour en extirper les entrailles ; les genoux des pères ont été les 
billots sur lesquels sont tombées les têtes des fils; des filles ont été 
violées, puis égorgées jusque dans les bras de leurs mères. Voilà la vérité 
officiellement décrite par nos consuls. Il n'y a pas un détail à retrancher 
de ces scènes d'horreur. [Applaudissements sur divers bancs.) 

Pendant que coulait ce fleuve de larmes; pendant que s'élevait ce 
charnier formé de trois cent mille victimes, que faisait notre diplomatie ? 
Elle posait un doigt sur nos lèvres, elle nous recommandait l'indigna- 
tion silencieuse; elle proclamait l'insensibilité un devoir patriotique, 
l'impassibilité une vertu civique, et, pour tout dire, l'abdication une 
abnégation nationale. 

Nous pouvons mesurer en Orient même les conséquences de cette 
politique d'effacement. De tous les respects, de toutes les sympathies 
qui nous entouraient dans cet Orient où nous avions laissé d'incompa- 
rables souvenirs, que reste-t-il aujourd'hui ? 

Nos pères l'avaient pour ainsi dire conquis deux fois par la gloire et 
par le bienfait. Le Français qui débarquait à Smyrne, à Alexandrie, au 
Pirée, pouvait presque se croire en terre française. 

Nous n'avions pas seulement un droit, mais un devoir de protection 
sur tous ces peuples dont l'amitié restait fidèle. Pour ma part, j'estime 
qu'il est temps de réagir. Il n'est pas question encore du démembrement 
de l'empire ottoman, soit 1 mais il s'agit de ne pas laisser se consommer 
ce qui reste en Orient de l'autorité et de l'influence de notre pays. 

Le Gouvernement aura tout à l'heure à demander à la Chambre, et 
la Chambre aura à marquer par ses ordres du jour s'il convient que 
d'autres nations, que .l'Allemagne, que l'Angleterre prennent notre place 
dans des régions où se parle notre langue, où se garde notre souvenir, 
où des Français ont lutté et souffert, où d'autres sont morts pour la 



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— 66 — 

cause sacrée des peuples, où nous avons encore à défendre, à côté de 
ces tombes, le magnifique idéal que nous avons si longtemps représenté 
sur la terre. (Très bien ! très bien ! sur dipers bancs.) 

Un dernier mot, messieurs. La question balkanique, comme ia 
question macédonienne, ne sera pas résolue par un plan de réformes 
même présenté collectivement, .c'est du moins mon sentiment. Ces 
réformes, à mon avis, sont bien légères, et, d'autre part, ce que ces 
populations réclament, c'est quelque chose de plus, c'est la liberté, 
puisqu'elles en sont encore à trembler pour la première des libertés, 
celle de l'existence. 

On dit que la Turquie s'est assurée l'appui d'un grand Etat militaire 
très puissant qui l'encouragerait dans ses résistances. S'il en est ainsi, 
sans être ^rand prophète, je crois pouvoir annoncer qu'un drame se 
prépare. 

l^^n effet, la frontière macédonienne est trop rapprochée du monde 
slave pour que 200 millions de Slaves puissent assister indifférents au 
supplice de plusieurs millions de leurs frères. 

Alors, vos précautions diplomatiques, dont je ne voudrais pas 
médire, pourraient bien être comme ces petits tas de sable que les 
enfants s'amusent à élever sur la grève pour arrêter la marche de 
l'Océan. Comme l'Océan, l'histoire reprend toujours son cours irrésisti- 
ble. Mais quelle sera la part de la France .^^ Quelles promesses ou quelles 
menaces notre pays peut-il attendre de ces événements ? Je l'ignore, 
nous rî;jnorons tous. 

Au moment de conclure, je serais presque tenté de m'adresser à 
l'honorable collègue qui m'interrompait il y a un instant pour lui dire : 

Oui, ayez une diplomatie forte et vigilante, groupez, autour de cette 
diplomatie, le concours des Français de tous les partis et, pour cela, 
donnez à la France l'unité, la paix intérieure. ^T'rès bienî très bien! sur 
divers bancs. f 

Ne créez pas deux Frances rivales, deux Frances ennemies. Il faut 
qu'il n'y t^n ail qu'une ^7>è5 bien! très bien! sur divers bancs à droite) 
bien unie, bien fraternelle vis-à-vis de l'Europe. Nous le répétons, mes- 
sieurs^ avec une conviction qu'aucune déception n'a encore affaiblie, il 
n'y aura de torce, de durée pour le gouvernement républicain que 
quand, s'a lira nchissani de la tutelle étroite des partis, il se proclamera 
du seul parti de la France. (Très bien! très bien! sur Us mêmes 
tajics.) 



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-67- 

La France, c'est 38 millions d'êtres ayant les mêmes lois, supportant 
les mêmes charges, ayant le même cœur et auxquels est due la même 
justice. Il ne lui est pas indifférent, croyez-le bien, d'appuyer une poli- 
tique extérieure sur une unité intérieure, fortement constituée. 

Ahl on prétend que nous poursuivons une chimère; je vous renvoie 
alors tous, républicains de tous les partis, à l'un des plus illustres 
d'entre vous, à celui qui a réalisé cette unité sous le canon prussien, en 
face de la mort, à Gambetta, Oui, ce rêve, grâce à lui, est devenu dans . 
une heure critique, une réalité, et Ton vit ce spectacle vraiment grand, 
le drapeau de Bouvines, celui de Valmy et celui d'iéna, autrefois 
séparés, malgré leur gloire, s'unir dans Tagonie de la patrie. (Applau- 
dissements à droite et sur divers bancs au centre,) 

Ne dites pas : alors on était en face de l'étranger, aujourd'hui nous 
n'y sommes plus. Vous êtes toujours en face de l'étranger, vous y êtes 
aujourd'hui par votre diplomatie, vous ne savez pas si vous n'y serez 
pas demain par vos armes. En terminant, je vous dis : Gardez à la 
France son âme tout entière, bien vivante, bien croyante, bien vaillante, 
n'affaiblissez pas la force et la signification de ce cri qui a traversé les 
siècles, qui reste encore aujourd'hui le lien de nos énergies, la consola- 
tion de nos revers et l'espoir de l'humanité tout entière : Vive la 
France I (Vifs applaudissements au centre et sur divers bancs,) 



M. GEORGES BERRY 

Messieurs, 

Mon honorable collègue, M. Millevoye, vient d'examiner et de passer 
en revue toutes les questions que peut avoir à régler le ministère des 
affaires étrangères. Je serai plus modeste, je ne vise pas aussi haut et je 
tiens à rester dans la péninsule des Balkans et à examiner de très près 
ce qui se passe en Macédoine. 

Et en effet, à l'heure actuelle, la question qui se pose et qui inté- 
resse tous les gouvernements et toutes les nations est la question macé- 
donienne. 11 n'est pas douteux, en effet, que nous avons tous, et à juste 
titre, de grandes appréhensions sur ce qui se passe en ce moment dans 
4â Turquie d'Europe. Permettez-moi de remonter à quelques années. 

Vous savez qu'aux termes du traité de i856 l'intégrité de l'empire 



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— 68 — 

ottoman et son indépendance ont été reconnues par l'Europe. Il semble 
que cette déclaration ait été attendue pour qu'aussitôt s'opère la désa- 
grégation complète de cet empire. 

En effet, en i856, est affirmée Tintégrité de Tempire Ottoman; aus- 
sitôt il perd son droit de suzeraineté sur la Moldo-Valachie et la Serbie, 
puis, en 1878, nous voyons l'Herzégovine et la Bulgarie conquérir leur 
indépendance. C'est ensuite l'Angleterre qui s'empare de l'île de Chypre* 
et de l'Egypte; c'est enfin la Perse qui en Asie, avec la Russie, prend 
une partie du territoire de la Turquie ; et en Europe, la Serbie, le Mon- 
ténégro et la Grèce qui se partagent ses dépouilles. A l'heure actuelle, 
nous nous trouvons en face d'une Turquie d'Europe dont vous avez 
proclamé l'intégrité, et qui n'existe presque plus : elle ne compte que 
six vilayets; ceux de Scutari et de Janani en Albanie; en Macédoine 
ceux de Salonique, de Monastir, de Kossovo et enfin celui d'Andri- 
nople. 

En somme, il ne reste plus rien de cette intégrité. Pourquoi ? Parce 
que l'Europe a voulu réaliser une œuvre qu'il n'était pas au pouvoir de 
la diplomatie européenne de réaliser. 

Elle a voulu constituer un empire réunissant toutes les races, toutes 
les nations, toutes les religions, des populations ayant toutes les ori- 
gines; elle a associé ces races et elle leur a donné pour chef suprême la 
Turquie! c'est-à-dire cette réunion de barbares qui n'ont aucune loi 
civile, qui ne sont guidés que par l'Islam, dont la loi religieuse a pour 
premier principe la spoliation et l'assassinat de tous les chrétiens, des 
giaours, des infidèles. 

M. François Deloncle. — On ne peut pas laisser dire à la tribune 
française que le massacre des chrétiens soit la loi de l'Islam. 

M. Georges Berry. — Mon cher collègue, je vous demande pardon. 
Vous savez bien qu'il n'y a pour le Turc qu'une loi, la loi religieuse, qui 
commande de piller, de voler et d'assassiner les chrétiens. 

M. François Deloncle. — C'est une erreur. Vous n'avez jamais lu 
le Coran. 

M. Georges Berry. — Je ne parle pas du Coran, mais de la tradi- 
tion musulmane. D'ailleurs, vous n'avez qu'à vous souvenir de ce qui 
s'est passé depuis i856, et vous verrez combien ce que je dis est vrai. 
Vous verrez si la Turquie n'a pas marqué toutes les pages de son his- 
toire par des traces de sang. 



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.VI lif ALQiiJiiU . 



-69-. . 

En 1860, le Liban et l'Antiliban nagent dans le sang; en 1862, vient 
4e tour de la Serbie; en 1876, la Bulgarie, l'Herzégovine deviennent le 
théâtre des massacres qui, en 1896, déciment TArménie, et, en 1897, 
l'île de Crète. 

Vous voyez bien que l'histoire de la Turquie est marquée à chaque 
page par le sang des chrétiens maintenus, malgré eux, sous sa domi- 
nation. 

Tous les peuples martyrisés ont obterfu tour à tour satisfaction et 
ont conquis leur autonomie, seule TArménie est restée sous la domina- 
tion du reclus d'Yldiz-Kiosk, sans avoir obtenu la moindre satisfaction 
et après avoir subi cependant plus de vexations que toutes les autres 
nations de la péninsule des Balkans. 

Est-ce que par hasard la CoiYimission envoyée par l'Europe en 
Arménie aurait reconnu que les massacres dont je parle sont de pure 
invention ? Cependant les rapports de" nos consuls sont à ce sujet en 
accord parfait; ils sont unanimes à déclarer que jamais pays n'a été 
plus ensanglanté que l'Arménie. 

Pourquoi alors n'avez-vous pas exigé l'exécution des réformes que 
vous aviez obtenues en faveur de ces victimes? (Très bien! très bienî 
^ttr divers bancs,) 

Je ne peux pas séparer l'Arménie de la Macédoine; ces deux pays se 
tiennent, car si les autres nations ont obtenu satisfaction, celles-là ont 
été négligées. 

Et, puisque la question arménienne n'est toujours pas liquidée, j'ai 
encore le droit de vous rappeler ce qui s'est passé en 1896. Je prends 
les rapports officiels de vos consuls : Monsieur le Ministre des affaires 
étrangères, M. Meyrier, consul à Diarbekir, écrit à M. Cambon, votre 
ambassadeur à Constantinople. « Après trois jours de massacres. . . » 

M. Delcassé, ministre des affaires étrangères, — Il y a six ans. 

M. Georges Berry. — C'est parce qu'il y a six ans et que vous 
n'avez rien fait depuis six ans, que je vous demande des explications à 
ce sujet. 

* Après trois jours de massacres, après avoir tué plus de 3.ooo chré- 
tiens, après leur avoir pris tout ce qu'ils possédaient, on pouvait 
«spérer que le Gouvernement leur accorderait un semblant de protec- 
tion. Il n'en a rien été. Ils ont été traqués après comme avant, pendant 
quarante-six jours la terreur régnait dans la ville. C'est grâce à vous que 
le désastre n'a pas été complet. » 



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;• ■• .-^ijj iipyupi^jJirr'y 



— 70 — 

Rappelant ensuite que des officiers, des soldats sont venus s'enn- 
parer du consulat, M. Meyrier ajoute : « A peine arrivés dans le con- 
sulat, Tofficier et ses hommes se mettent à couper les cheveux des 
réfugiés et à leur voler leurs coiffures de sequins. Chaque nuit îe 
tumulte s'apaise; chaque matin, le muezzin redonne le signal; on 
mène les femmes à l'abattoir, on les saigne comme des veaux; on fait 
asseoir les hommes ligottés, et sur leurs genoux on met leurs enfants 
en tranches. . . 5^ 

Je ne veux pas insister sur d'autres rapports qui sont aussi édifiants 
que ceux dont je viens de donner lecture. Je ne veux pas vous lire le 
récit concernant les massacres d'Orfa où on poursuivit jusque dans une 
église les femmes, les enfants et vieillards qui se sauvaient devant les 
troupes turques. On commença à faire usage des fusils : mais bientôt, 
trouvant que l'œuvre de mort n'allait pas assez vite, les assassins endui- 
sirent de pétrole les murs de l'église et brûlèrent ceux qui s'y étaient 
réfugiés. 

Ces atrocités nécessitaient des réformes sérieuses. L'Europe s'en 
occupa, mais de quelle façon ? Elle n'envoya ni le plus petit marin, ni 
le moindre plénipotentiaire. Une conférence fut organisée et un pro^ 
gramme de réformes fut rédigé, programme qui fut accepté, comme 
toujours, par la Turquie, car les promesses ne gênent jamais le grand 
Turc, il est bien résolu à n'en pas tenir compte. Mais l'Europe, facile à 
convaincre, s'est contentée de la promesse et elle attend toujours l'exé- 
cution des réformes. Vous me direz peut-être, monsieur le ministre, que 
l'action de l'Europe a suffi pour rétablir le calme en Arménie et qu'il 
n'y a rien à exiger de plus. 

Si, depuis, l'Arménie avait recouvré la paix, vous auriez peut-être 
raison. Mais j'ai là des lettres qui prouvent qu'à l'heure actuelle les 
Kurdes continuent leurs vexations, leurs poursuites, leurs pillages, 
leurs vols, leurs assassinats. L'Europe s'en inquiète d'ailleurs fort peu; 
il semble que ces crimes la laissent indifférente. La Macédoine ouvre un 
nouveau champ à son activité; quant à l'Arménie, on n'en parle plus, 
on la laisse de côté. 

Je vous demande — et c'est une des premières questions que j'ai 
l'honneur de vous poser, monsieur le ministre des affaires étrangères — 
pourquoi avez-vous oublié l'Arménie, pourquoi n'y pensez-vous plus? 
Vous devez connaître les faits dont je parle, car vous avez là-bas des 
consuls de haute valeur qui ont été les premiers à la peine et qui sont 



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— 71 — 

encore tout décidés à continuer l'œuvre qu'ils ont commencée il y a 
six ans. Comment se fait-il que, mieux renseigné que nous, vous 
paraissiez ignorer ce qui se passe en Arménie. Pourquoi n 'insistez- 
vous plus auprès du sultan pour l'exécution des réformes qu'il semble 
avoir oubliées, réformes promises en 1880, promises à nouveau en 
1882, repromises encore en 1896, et dont personne ne se soucie 
en 1903? 

Je me suis arrêté quelques instants à l'Arménie, parce que je ne 
peux pas la séparer de la Macédoine, parce que toutes les deux ont été 
visées dans le traité de Berlin, dont les articles 23 et 61 ont prévu les 
réformes qui devaient leur être appliquées mais qu'a conservé dans ses 
cartons le reclus de Yldiz-Kiosk. 

Il y a encore bien d'autres points de ressemblance entre la Macé- 
doine et l'Arménie. 

L'Arménie a comme voisins des brigands montagnards, les Kurdes. 
Ils venaient autrefois et viennent encore exiger les impôts auxquels ils 
astreignent les Arméniens; ils ne s'en vont que lorsqu'ils leur ont pris 
le plus clair de leurs réserves et de leurs produits. Le sultan, par une 
attention délicate, les a transformés en gendarmes. Il a créé ce qu'on 
appelle le régiment de Hamidjé de son nom de Abdul-Hamid. II a dit : 
Les Arméniens se plaignent des Kurdes.'^ Eh bien I des Kurdes nous 
allons faire des gendarmes. (Rires.) Et les Kurdes gendarmes ont 
touché comme subvention ce qu'ils touchaient autrefois comme 
rançon. 

Le même état de choses se présente en Macédoine. Près de la' Macé^ 
doine vivent les Albanais. Comme les Kurdes, les Albanais forment un 
peuple nomade qui cherche sa nourriture ailleurs que chez lui; il va 
surtout enlever chez les Macédoniens et dans la vieille Serbie ce dont il 
a besoin. 

Eh bien Me sultan a fait des Albanais comme des Kurdes, les gen- 
darmes de la Macédoine, chargés de toucher les impôts et de mettre 
Tordre dans ce pays. Cette attention du sultan est tout à fait délicate. 

Depuis plusieurs années,' les Macédoniens ont fait entendre des 
plaintes réservées; ils ont rappelé l'inexécution des réformes promisés 
en 1880. Ne recevant aucune réponse à leurs protestations, ils ont créé 
des Comités,, soiis l'impulsion de Zarafof et Michaïlowski, qui ont tenté 
de réunir les résistances autour d'eux. Dès que ces résistances se sont 
produites, la diplomatie européenne a pensé qu il était temps de rechèr-; 



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— 72 ~ 

cher s'il ne serait pas possible d'agir et d'arrêter ce mouvement. Peu 
importe ce que font les Turcs, peu importe s'ils volent et pillent les 
Macédoniens, mais du jour où ceux-ci essayent de résister, où les 
Comités entreprennent Ja lutte, il faut entraver leur action, empêcher 
tout conflit d'éclater. 

C'est alors que vous êtes intervenu. Je dis *vous», monsieur le 
Ministrc_, car je dois reconnaître que vous avez été un des promoteurs 
^ le Livre îaùrie nous Ta appris — de cette campagne qui a amené la 
Russie et l' Autriche à s'occuper de la question macédonienne. En effet, 
vous avez écrit à vos ambassadeurs et à vos consuls et vous avez essayé 
d'obtenir des satisfactions que nous attendons toujours ; mais enfin vous 
avez fait un essai, et je dois avouer qu'aucun essai de ce genre n'a été 
tenté par votre prédécesseur. 

Sur ce point, vous avez droit à nos éloges ; mais vous n'avez pas été 
assez loin, vous vous êtes arrêté en chemin. Les puissances que vous 
avez mises en mouvement, qui ont suivi votre impulsion ont été ingrates 
vis-à-vis de vous; vous avez été laissé dans l'ombre, et les ambassadeurs 
qui ont réclamé des réformes à la Turquie vous ont exclu d'une façon 
que vous aveï acceptée avec trop de résignation. 

Je n'insiste pas sur cette remarque à laquelle vous répondrez certai- 
nement avec le talent que vous apportez toujours à cette tribune. 

M. Delcasse, ministre des affaires étrangères. — Vous êtes trop 
flatteur. 

M. Gëoroes Berry. — Je reviens aux démarches austro-russes. Nous 
voyons d'abord entrer en lice le ministre russe, M. Lamsdorf, qui, 
d*accord avec l'ambassadeur d'Autriche, présente quelques timides 
observations au Sultan. 

Immédiatement celui-ci rédige un iradé dans lequel il préconise lui- 
même des réformes pour les vilayets de Macédoine et lorsque les ambas- 
sadeurs étrangers se présentent, il leur répond: c'est fini. Tout est bien, 
n'en parlons plus, mon iradé suffit, tout le monde est content. 

Comme vous prenez soin, monsieur le Ministre, de demander à vos 
consuls si véritablement tout le monde est content, on vous répond qu'il 
n'en est rien, ci, à la date du i5 décembre, M. Bapst, chargé d'affaires 
de France à Constantinople vous écrit que partout et d'une manière 
générale les fonctionnaires turcs affectent de croire que les instructions 
du sultan ont réglé les affaires de Macédoine, mais dit-il, d'après les ren- 
seignements que je reçois et qui concordent avec ceux des autres ambas- 



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-73- 

sadeurs, jamais les exactions et les brutalités n'ont été plus nombreuses 
de la part de la gendarmerie. Des colonnes volantes sillonnent le pays 
pour rechercher les armes et les saisir. Pendant les perquisitions, elles 
sont logées chez Thabitant et profitent de cette circonstance pour déva- 
liser celui-ci. 

« L'ambassadeur de Russie, ajoute M. Bapst, m'a entretenu de ce 
redoublement de persécutions contre les populations macédoniennes. 
Il constate que les violences des Turcs afifolent les populations macédo- 
niennes qui émigrent en foule dans la principauté de Bulgarie, Si d'ici 
peu le calme et la sécurité ne sont pas rétablis, on ne saurait prévoir ce 
qui peut advenir.» 

Et voilà comment Tirade du sultan a donné satisfaction k la Macé- 
doine. Devant le mécontentement grandissant des Macédoniens, TEu- 
r©pe représentée par la Russie et l'Autriche soumet au maître de la Tur- 
quie un projet de réformes copiées textuellement dans Tirade dont je 
parle. Et on s'imagine arrêter ainsi le mouvement macédonien. 

Quant à moi, je ne le crois pas. En effet, quels sont ks griefs, qui 
ont été invoqués, je ne dirai pas une fois, mais vingt fois par les protes- 
tataires de Macédoine auprès du reclus d'Yildiz-Kiosk ? J'en ai le texte 
et voici les quatre points sur lesquels la population appelait Tattention 
du sultan. 

Vous savez que les spéculateurs afferment les dîmes de Macédoine: 
cela se passe aussi en Arménie, d'ailleurs. Le dîmier ayant tout un 
vilayet comme ferme, passe quand il lui plaît devant les produits du 
cultivateur; peu lui importe si. la saison est pluvieuse, si la moisson 
doit être perdue, il est défendu au producteur d'enlever sa moisson 
avant que le dîmier ait pris sa part, et il la prend comme il loi convient, 
plus il a payé, plus il veut d'argent. Cela se passait ainsi chez nous il y 
a plus de cent ans et l'histoire nous a rapporté ce que faisaient chez 
nous les hommes qui achetaient la ferme des impôts. 

Donc, quand le dîmier passe, le malheureux cultivateur est obligé 
de lui payer sans contrôle, sans appel, deux, trois ou quatre fois la 
dîme. 

Un second point relevé dans les protestations concerne la gendar- 
merie. Celle-ci est chargée de lever les impôts; les gendarmes s'instal- 
lent à cet effet 8 ou i5 jours chez l'habitant et comme ils sont peu payés 
ou pas du tout, ils vivent sur Thabitant, et prennent souvent sans reçu 
deux ou trois fois l'impôt qu'ils devaient toucher et avec cela il leur faut 



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— 74 — . 

bon souper, bon gîte et le reste. Cela dure deux et trois semaines et ils 
s'en vont ailleurs. 

Enfin il y a les fonctionnaires. Ah 1 les fonctionnaires l ils ne sont 
pas plus payés que les gendarmes et il faut bien qu'ils vivent : ils cher- 
chent alors des procédés pour faire payer le plus possible les malheu- 
reux contribuables, ie ne veux pas passer en revue tous ces procédés 
mais je veux retenir le suivant qui est appelé classique. On fait afficher 
dans la nuit un placard révolutionnaire et le matin les notables du 
village sont arrêtés, et ils ne sont mis en liberté que moyennant une 
rançon qui est partagée entre les fonctionnaires. 

Enfin il y a les Albanais, la plaie de la Macédoine, comme les Kurdes 
sont la plaie de l'Arménie. Les chefs albanais lèvent eux aussi leurs 
impôts; ils taxent le paysan au commencement de l'hiver, et à la Saim- 
Jean d'automne ils descendent avec trente ou quarante hommes, s'ins- 
tallent chez le paysan et lui prennent le plus clair de son revenu, bien 
heureux encore quand ils ne lui enlèvent pas en s'en allant sa femme et 
sa fille pour les mettre dans le harem du chef albanais; s'il résiste, c'est 
l'incendie qui a raison de lui. 

J'ajoute que quand les Albanais se retirent, il exigent de celui dont 
ils ont pillé la maison, de payer encore * l'usure de la mâchoire », il 
faut que ce malheureux paye pour la peine qu'ont pris les Albanais à 
dévorer son bieni 

Telles sont les protestations adressées sans relâche au sultan. 

M. LE Ministre des affaires étrangères. — Eh bien ? 

M. Georges Berry. — Eh bien ! Quelles sont les réformes que vous 
nous apportez, ou plutôt qu'apportent l'Autriche et la Russie et 
auxquelles vous avez adhéré ? 

Les fonctionnaires ne sont pas payés, et c'est parce qu'ils ne sont pas 
payés quils volent les contribuables. Allez-vous lès payer, d'après votre 
projet de réformes ? Pas du tout; le projet parle du mode de payement, 
mais quant au payement, personne ne nous le garantit. Ah l vous 
pouvez changer le mode de payement autant que vous voudrez, du 
moment que vous ne payerez pas les fonctionnaires, ils agiront tou- 
jours comme par le passé. (Très bien! très bien! sur divers bancs.) 

Allez-vous changer la gendarmerie? Ah ouil il est question deaom- 
mer des officiers allemands; les officiers supérieurs sont déjà désignés, - 
on va essayer de réorganiser la gendarmerie; mais on ne changera pas 
le recrutement ; les gendarmes seront les mêmes; les Albanais, parmi 



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k. 



-75- 

desquels on les recrute, seront toujours des Albanais, et ce n'est pas 
parce que l'organisation sera changée que vous aurez une satisfaction 
quelconque. 

Quant à la question de la dîme, sur laquelle on a appelé toute l*at* 
tention des Gouvernements, la dîme est affermée, et c'est de la ferme 
d'où vient tout le mal, parce que ceujc qui ont affermé veulent .tirer le 
plus possible du malheureux contribuable. Vous proposez de supprimer 
le fermage en gros. Mais ceux qui veulent affermer les dimes les affer- 
meront en détail, et rien ne sera changé : que la dîme soit affermée en 
détail ou affermée en gros, ce sera toujours la même chose, et dans ces 
conditions vous n'aurez rien changé du tout. 

Reste enfin, messieurs, la question la plus importante. 

Vous laissez les Albanais armés en présence des Macédoniens désar- 
més, comme vous avez laissé les Kurdes armés devant les Arméniens 
désarmés; vous n'exigez pas le désarmement des Albanais qui alors 
continueront à rançonner, à piller, à voler, à incendier les Macédoniens 
comme par le passé. 

11 est donc impossible de soutenir que l'Europe apporte des réformes 
sérieuses à la situation dans laquelle se trouvent le:» Macédoniens. 

Mais, alors même que vos réformes auraient une valeur, vous savez 
bien qu'elles ne seront jamais appliquées. Le passé devrait à cet égard 
répondre de l'avenir. 

Vous n'êtes pas sans expérience à ce sujet. Vous savez comment en 
187^, en 1880, en 1896, en 1897, vous avez été leurrés par le sultan. Vous 
savez que vous n'avez jamais pu rien obtenir de lui, toutes ses pro- 
messes étant restées lettres mortes. Le sultan a promis; il a même 
promis plus qu'on ne lui demandait; mais il n'a jamais tenu ses pro- 
messes, et ce sera demain comme hier. Vous ne pouvez avoir aucun 
doute à ce sujet. Quand je vois l'Europe se contenter si facilement des 
promesses du sultan qui ne les a jamais exécutées, je me rappelle le mot 
de notre honorable collègue de Pressensé dans une réunion récente : les 
puissances de l'Europe sont autour de la Turquie comme autant de 
médecins tant pis et de médecins tant mieux, qui en même temps que 
médecins sont des héritiers présomptifs. 

Je ne peux pas oublier que la Russie a toujours eu — il paraît qu'au- 
jourd'hui elle est moins empressée — des visées sur Constantinople, 
que l'Angleterre, qui a pris l'Egypte d'une façon provisoire, ne demande 
qu'à la garder et qu'elle espère qu'un démembrement de la Turquie lui 



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. -; •^?r*ï^ç?5'vyi"--:; ■- -^ 



-76- 

assurera cette possession définitive; que TAutriche voudrait bien suivre 
son chemin de fer jusqu'à Saloniquc; enfin, il paraît que Tltalie elle- 
même, — vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre, —-fait les 
yeux doux à l'Albanie. 

Tous ces héritiers présomptifs sont de mauvais médecins, et quand 
je vois, leur attitude à l'égard de la Macédoine, comme à Tégard de 
TArménie, je me demande si leur facilité à accepter les promesses du 
sultan ne cache pas des arrière-pensées. {Très bien! très bien! sur 
diifers bancs.) 

Dans tous les cas, si, comme je le crains, tout en espérant que cela 
ne sera pas réalisé, la sécurité, la liberté et la vie des habitants de la 
Macédoine sont menacés, vous n'avez pas le droit, monsieur le Ministre, 
d'oublier que vous leur devez aide et protection. Vous ne leur devez non 
pas seulement parce que ce sont des peuples opprimés, non pas seulement 
parce qu'étant faibles, ils demandent aux forts de les soutenir, mais sur- 
tout parce que c'est la France avec les autres nations qui a créé cet 
empire turc. 

C'est vous qui l'avez fait tel qu'il est et vOus êtes par conséquent res- 
ponsable des crimes que les Turcs peuvent commettre puisque vous . 
leur av^ez confié, à eux les loups, la garde d'agneaux qui ne peuvent se 
défen dre. (Aiouvem en ts divers.) 

Je sais bien, monsieur le ministre, que vous vous retrancherez der- 
rière ïe concert européen : «Je fais ce que je puis, direz-vous, et j'attends 
d'être mis en demeure pour agir. » Mais, encore une fois, n'oubliez pas 
que, non seulement vous avez le droit de surveiller ce qui se passe en 
Turquie, mais qu'il vous appartient de prendre une initiative, parce que 
la France a été la première à s'associer à cette consolidation de l'empire 
turc. Et pourquoi ? Pour maintenir la paix en Europe; mais, hélas l c'est 
justement de celte constitution d'empire que nous est venue guerre et 
révolte. 

Il n'est en efîet aucune nation, aucun pays, qui n'ait provoqué plus 
de congrès, de conférences, de difficultés et même de guerres que la 
Turquie depuis que la France et les autres nations ont constitué l'em- 
pire ottoman. 

Dans ces conditions, prenez garde, monsieur le ministre, je sais bien, 
à vous entendre, que ce que vous voulez, c'est la paix; or, nous la vou- 
lons tous. 

Oui, nous voulons tous la paix; mais il ne faudrait pas, sous ce pré- 



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— 11 — 

texte, déchaîner la guerre, et c'est là ce que je crains. Plus en somme 
nous emploierons des moyens peu hardis vis-à-vis de la Turquie, plus 
nous risquons d'aller à rencontre du but poursuivi. 

Je n*ai pas besoin de vous rappeler les événements actuels qui se 
déroulent dans l'empire turc, vous les connaissez mieux que moi \ 

Déjà le ministre de la guerre de Bulgarie vient d^ donner sa démis- 
sion parce qu'on refusait de lui accorder les 8 millions qu'il demandait 
comme éventualité de guerre. 

Avant-hier, le prince Alexandre de Serbie nedisaii-il pas à ceux qui 
l'entouraient à l'occasion de l'anniversaire de l'indépendance serbe ; 
« N'oubliez pas qu'il faut vous préparer à verser votre sang pour la 
défense de la patrie.»? 

Ne sont-ce pas là des symptômes inquiétants et que nous ne pouvons 
négliger? Plus vous laisserez la Turquie libre d'agir, plus vous lui 
accorderez de facilités pour s'exécuter, plus vous lui laisserez espérer un 
désaccord entre les nations et moins vous obtiendrez quelque chose 
d'elle. (Très bienî très bien! sur divers bancs,) 

Vous savez bien cependant comment il faut lui parler, monsieur le 
ministre des affaires étrangères; ce n'est pas la première fois que vous 
avez affaire à elle. L'année dernière vous lui avez^ dans une question 
moins grave que celle-ci, dicté vos conditions. Il s'agissait de la créance 
Tubini et Lorando; et vous n'avez pas hésité ce jour-là, vous avez 
mobilisé une escadre qui est allée braquer ses canons sur Mityléne, 
Immédiatement le sultan a acquiescé à tout ce que vous exigiez de lui ; 
vous ne vous êtes pas contenté des réformes promises, vous ne vous 
êtes même pas contenté de bons qu'on vous offrait de signer, vous avez 
voulu de l'argent comptant et vous l'avez obtenu. 

M. LE Ministre des affaires étrangères. — Je voulais» mon cher 
collègue, l'exécution d'arrêts de justice, pas autre chose. 

M. Georges Berry. — Mais croyez- vous que le traité de Berlin n*ait 
pas autant d'importance que les arrêts de justice? Quelle différence 
faites-vous entre les deux, et trouvez-vous l'intérêt qu'offre le traité de 
Berlin inférieur à celui que représentent les arrêts de justict: relatifs k 
des questions pécuniaires? (Très bien! très bienî à droite.) 

M. LE Ministre des affaires étrangères. — Il y a cette simple diffé- 
rence : dans le premier cas, il s'agissait d'une cause purement française 
qui ne regardait que nous et la Turquie. Dans le deuxième cas, la cause 
est européenne. Quand on réclame l'exécution du traité de Berlin, on 



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• ^,\- ^i..ii,li W^^li^ I, .IJ14 



-78- 

soulève une cause européenne, et la France n'est pas obligée et eWe n'a 
pas iniéréi à se substituer seule à l'Europe tout entière. (Très bien! 
très bisnî) 

M. Gëougës BEtïRv. ^ Sans doute! Mais vous aviez le droit de 
prendre des initiatives. 

M. LE MjNisTiïE DES AFFAinES ETRANoèRES. — Tout à Theure vous 
reconnaissiez que je Icîi avais prises. 

M. Georges Berky. — Oui, monsieur le ministre, vous avez pris des 
initiatives, mais je trouve que, depuis, vous vous êtes effacé complète- 
ment et je vous demande aujourd'hui ce que sont devenues ces initiati- 
ves d'antan. Je trouve qu'elles ont été oubliées et qu'à l'heure actuelle 
vous n*éttîs plu!^ ce que vous étiez il y a quelques mois, permettez-moi 
de vouîi le dire, f Mouvements divers.) 

D'ailleurs, si j'ai parlé de la question Lorando, je sais que ce n'est 
pas seulement pc^ur Lorando que vous êtes allés faire une démonstration 
à Mîiylène; c'est pour des journalistes, pour des hommes politiques. Il 
paraît que tout le monde a touché dans cette affaire; on dit même que 
c'est jusqu'à 25 ou 3o 0/0 qui ont été donnés à ceux qui se sont occupés 
de négocier cette affaire, le sais bien q^u'on ne peut pas vous en deman- 
der compte, 

M- LE Ministre des affaires étrangères. — Et vous avez raison; il 
y a des choses que je n'aime pas, surtout celles qui sentent mauvais. 

M. Geoi+ges Berry, — Assurément cela ne vous concerne pas, mon- 
sieur le Ministre des affaires étrangères, mais permettez-moi de vous 
dire qu'il est regrettable que la flotte soit partie pour Mitylène après la 
publication de certains articles poussant à cette expédition. 

M. LE Ministre des affaires étrangères. — On ne devrait pas parler 
de cela à la tribune. 

M. (jeohges Berry. — Vous connaissez aussi bien que moi cette 
affaire, vous aves: lu les débats devant les tribunaux. Mais je ne vous 
mets pas en cause» croyez-le bien. 

Et puisque nous parlons de cette expédition, je rappelle que, quand 
Tescadre est arrivée devant les eaux de la Méditerranée il y a eu, dans 
les populations chrétiennes, un accès de joie. Tout le monde a cru que 
la France venait pour apporter secours aux chrétiens d'Orient. Quelle 
fut leur désillusion quand ils apprirent pourquoi cette escadre avait été 
mobilisée et de quelle façon elle s'en retournait. 

M. LE MïNJSTftE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. — Monsicur Berry, vous 



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~ 79 — 

qui avez suivi avec une si grande attention toute cette pdriode, t:om- 
xnent n*avez-vous pas constaté qu'avant que nos bateaux eussent quitté 
Mitylène, le sultan avait reconnu l'existence légale de 574 établissements 
français ? 

M. Georges Berry. — Ce n'était pas suffisant. 

M. LE Ministre des affaires étrangères. — On ne pouvait pourtant 
pas demander de reconnaître l'existence d'un plus grand nombre d'éta- 
blissements, puisqu'il n'y en avait pas davantage ! 
^ M.Georges Berry. — On avait promis, dès 1882, de réaliser des 
réformes touchant la Macédoine et T Arménie; pourquoi ne les avez-vous 
pas fait exécuter? Pourquoi n'avez-vous pas pris l'initiative de l'exécu- 
tion de ces réformes, puisque vous aviez fait à ce moment une démons- 
tration qui pouvait bien vous autoriser à prendre cette initiative? Vous 
ne l'avez pas fait, et c'est là ce que je regrette. 

Je termine. Je suis très embarrassé, messieurs, et vous comprendrez 
pourquoi. Je me trouvç en présence, non seulement de M. le Ministre 
des affaires étrangères, mais en présence de l'Europe que je ne peux pas 
interpeller. 

Je ne vous demande pas assurément de reprendre les tradiuons du 
passé; vous en parliez il y a un an, ici-même, avec beaucoup d'élu- 
<}uence, nous ne pouvons pas y revenir. 

La Belgique et l'Amérique qui nous doivent leur indépendance ne 
s'en souviennent même plus; et nous n'avons pas les moyens de faire 
aujourd'hui ce que nous avons accompli à cette époque. Mais croyez- 
^ous cependant qu'il ne nous soit pas possible de faire quelque chose, 
malgré notre situation actuelle, malgré nos divisions intestines, maître 
la guerre religieuse qui a éclaté dans notre propre pays, tout comme en 
Turquie, et qui nous empêche d'avoir à l'extérieur l'action que nous y 
devrions exercer. Ne protestez pas, quand je constate les efforts que 
nous faisons en vue de faire appeler les chrétiens de l'empire lurc à toutes 
les fonctions d'Etat, je ne m'étonne plus de la difficulté que Von éprouve 
à obtenir cette mesure de simple justice, alors que le gouvernement 
français est près d'excommunier, de jeter hors du fonctionnarisme tous 
ceux qui ne sont pas de la religion d'Etat. (Très bienl très, bien! à 
droite.) 

Je vous disais, messieurs, que je ne pouvais demander à la France 
de revenir à ses traditions anciennes; nous ne pouvons plus exiger d'elle 
qu'elle aille au secours des faibles et des opprimés comme autrefois. 



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— 8o — 

(Très bienî très bien l sur divers bancs.) Msiis nous avons laissé là-bas, 
dans rOrient des souvenirs illustres; nous avons conquis par nos ancê- 
tres un héritage d'affection que TOrient nous voue. Allez-vous laisser 
péricliter cet héritage? Allez-vous nous faire oublier? 

Enfin, reprenant la pensée que j'exprimais tout à l'heure, je dis que 
la France doit se souvenir qu'elle est responsable de ce qui se passe en 
Turquie, puisque c'est elle qui avec les autres nations, a constitué 
l'empire turc. Ce n'est pas vous, monsieur le ministre, vous n'étiez pas 
encore né, et quand je mets la France en demeure de se souvenir, c'est 
le Gouvernement que je vise, car je ne sépare pas l'un de l'autre. (Récla^ 
mations à droite.} Vous ne pouvez pas, messieurs, ne pas les confondre 
devant Téiranger l (Très bien ! très bien!) 

Monsieur le ministre, vous assumez là, je ne dirai pas une respon- 
sabilité, le mot n'est pas assez fort, mais une complicité j non, vous ne 
pouvez pas, par votre inaction, laisser croire que vous n'êtes pas du 
côté des victimes — je n'ose pas dire que vous êtes avec ies assassins l 
(Mouvements divers,) 

M. Félix Poull\n. — C'est dommage ! 

M. CÉSAR TftouiN. — Ne vous gênez pas. 

i\L Georges Bepry. — Vous ne pouvez pas, vous, Gouvernement 
français, continuer à laisser, sans agir, la tache de sang s'étendre des 
rivages de la mer Noire à ceux de la Méditerranée. Vous ne pouvez pas 
vous faire le complice du sultan rouge, comme on l'appelle si justement, 
vous ne pouvez pas surtout, quand on égorge et quand on pille en 
Europe, avoir Tair de ne pas oser élever la voix sans avoir obtenu la 
permission de Tïtalie, de l'Autriche ou de la Russie. (Applaudissements 
à droite.) 



M. FRANCIS DE PRESSENSÉ 

Messieurs, 

Comme Torateur qui le premier est monté à cette tribune, je trouve, 
moi aussi, que cette discussion vient à son heure; mais ce n'est peut-être 
pas pour des raisons analogues à celles qu'il nous a exposées. Sans 
vouloir entrer à sa suite dans un large examen de la politique générale. 
Cl je dirai plutôt de la philosophie de l'histoire contemporaine auquel il 



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— 8i - 

s'est livré, je me permettrai, avant d*aborder les considérations spéciales 
que je veux soumettre à la Chambre, de lui indiquer les deux raisons 
principales pour lesquelles je ne le suivrai pas. 

C'est que son histoire m*a semblé à la fois un peu laniaisiste et aussi 
un peu humiliante pour la France. Un peu fantaisiste parce que, quand 
il nous a parlé de la crise de 1876 et qu'il. a relevé Taciion de la Russie à 
ce moment-là, il a oublié l'action parallèle de TAngleierre, puis, parce 
que, quand il nous a parlé de 1870 et qu'il a relevé l'altitude de TAngle- 
terre laissant se produire la guerre et ses conséquences, il a oublié que 
la Russie avait eu aussi la principale responsabilité en 1H70. Knfin, 
quand il a parlé de 1878 et qu'il nous a signalé cette action de TAlle- 
magne, la façon dont l'Allemagne avait payé ses dettes au Congrès de 
Berlin, il nous a parlé d'un complot conclu dès ce moment-là entre 
M. de Bismarck et M. Crispi, et il a oublié que M. Crispi n*éiait arrivé 
aux affaires en Italie que sept ans plus tard (Rires à t'extrême-gauchc 
et à gauche) qu'à ce moment il était traité en suspect par la dynastie de 
Savoie qui ne voulait avoir aucune relation personnelle avec lui. 

Mais j'abandonne ce terrain ; car à mes yeux, si la discussion 
actuelle est utile, c'est avant, tout parce qu'il s'agit de l'exercice trop 
longtemps retardé d'une prérogative nécessaire du Parlement, c'est-à- 
dire du contrôle des relations extérieures de la République. Au momcni 
oij tous les Parlements d'Europe viennent de retentir de Técho de ces 
graves événements dont on vous parlait, qui se déroulent ou se prépa- 
rent dans la péninsule des Balkans, il aurait été un peu étrange que 
seule la tribune française demeurât muette en présence de cette redou- 
table crise. Quant à moi, qui ai l'intention de vous exposer aussi rapi- 
dement et aussi objectivement que possible ces événements ei les 
solutions qui me semblent devoir être poursuivies, je ne ferai pas diili- 
culté de reconnaître que j'obéis en partie au légitime désir de venir en 
aide à ces populations d'Orient dont les souffrances sont un scandale et 
auxquelles l'Europe, en dehors même des titres irrécusables que leur 
conféraient déjà et le droit des gens et l'humanité, a constitué un droit 
positif, écrit, garanti par les traités. (Applaudissements à gauche et à 
l'extrême gauche.) 

Mais je n'oublie pas non plus que je dois me placer essentiellement 
ici au point de vue de l'intérêt de la France qui est inséparable en ce 
cas de l'intérêt de notre clientèle d'Orient et de l'intérêt de la paix. Il ne 
s'agit pas ici d'un débat purement académique, d'un tournoi de diplo- 



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— 82 ~ 

maiie conjecturale ; il s'agit de l'examen d'une situation menaçante qui 
est avouée, proclamée par la diplomatie officielle et nous devons recher- 
cher les meilleurs moyens de prévenir une explosion qui semble 
probable et prochaine. 

Aussi bien, j'espère qu'on voudra bien m'épargner la fin de non- 
recevoir qu'on nous oppose sans cesse sous la forme de cet argument: 
Sans doute vos idées sont très nobles, très généreuses ; c'est un très bel 
idéal ; mais Tidéal n'est pas de ce monde. 

Eh bien 1 j'ai la prétention de me placer aujourd'hui sur le terrain 
des faits, des intérêts directs et imhiédiats de la France; si je suis tout 
disposé â reconnaître qu'il ne suffit pas d'enrôler le sentiment au service 
de sa thèse, je demande aussi qu'on veuille bien reconnaître avec moi 
qu'il ne suffit pas, pour que la raison ait tort, qu'elle soit d'accord avec 
le sentiment. (Applaudissements à Vextrême gauche et sur divers 
bancs à gauche.) Actuellement ce qui importe, c'est de rechercher, 
abstraction faite, non pas de la loi morale qui est une force de premier 
ordre et avec laquelle il faut toujours compter, mais abstraction faite de 
tout appel à la sensibilité, si les arguments que nous allons vous 
apporter sont justes, si l'expérience les appuie et s'ils sont conformes 
atix données du problème. 

Pour moi je ne rechercherai les éléments de l'exposé rapide que je 
veux faire, des solutions que je vous soumettrai, que dans les Livres 
jaunes ou bleus, et en général dans les publications officielles. 

La vérité officielle est très souvent au-dessous de la réalité. Mais dans 
\ii présent, elle me suffit pour démontrer à la fois la gravité incompara- 
blement menaçante des événements qui se préparent et, j'ai le regret de 
le dire, Tinsuffisance radicale non pas des solutions mais des expédients 
qu'on ofîYe une fois de plus à l'Orient, à l'Europe et au monde civilisé. 
{Appîaudissements à V extrême gauche et sur divers bancs à gauche.} 

Le malheur de la Macédoine, elle le doit en partie à sa constitution 
physiqiTe et â sa situation géographique. Bien qu'elle soit à très peu 
d'heures de grands centres de civilisation occidentale comme Vienne,, 
comme Buda-Pcsth, elle semble être plus loin de l'Europe que certains 
cantons de ]*Asie et par le fait qu'elle est constituée de cette sorte, elle 
semble un coin d'Asie, un coin de barbarie et de moyen âge enfoncé 
dans TEurope du vingtième siècle. 

Vous savez^ messieurs, que la Macédoine est constituée par les deux 
vallées de deux grands fleuves, le Vardar et le Strouma et leurs affluents ; 



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ppriç^^ 



— 83 — 

que de plus un réseau de montagnes y est répandu en quelque sorte 
d'un bout à l'autre du pays ; ces montagnes aux lianes très escarpés 
creusent entre elles de petites vallées, de petits vallons clos qui ne 
communiquent entre eux que par des passages extrêmement étroits, on 
pourrait dire par les poternes qui servent au cours des eaux. El alors il 
s'est produit que les diverses tribus, les diverses races qui habiicni îiur 
ce sol se sont trouvées isolées les unes des autres, qu'elles ont vécu à 
l'état séparé et qu'elles sont restées dans une certaine mesure dans un 
état d'hostilité réciproque. 

En effet, il n'y a pas moins de sept races qui habitent à Theure 
actuelle sur le sol macédonien. Il y a d'abord des Grecs, ensuite des 
Koutzo-Valaques qui sont les descendants d'envahisseurs roumains du 
moyen âge et les Serbes, les Bulgares, les Albanais, les Turcs osmanlis 
eux-mêmes et enfin les juifs espagnols qui se sont établis à Salon ique 
et en ont fait une grande ville juive. 

Toutes ces races sont hostiles les unes aux autres; elles se disputent 
non seulement la primauté, mais je dirai presque la possession exclusivt; 
du territoire. Nous avons par exemple cette race grecque qui, assuré- 
ment, comme j'espère vous le montrer tout à l'heure, doit jouer k rôle /// 
principal dans la solution de cette question d'Orient; la race grtîcque * *■ i 
qui revendique en quelque sorte la possession immémoriale de la Macé- 
doine, mais qui semble oublier deux faits : d'une part, qu'au temps de 
l'hellénisme, au temps de Périclès et de l'hégémonie d'Athènes, tous les 
historiens de l'antiquité, à commencer par Hérodote, ont déclaré que 
les Macédoniens n'étaient pas des Grecs, mais des barbares, qu*il n*y 
avait que leur dynastie qui, comme Héraclide, avait le droit de se dire 
Achéenne, et d'autre part qu'au moyen âge, la race qui s'appelle k 
l'heure actuelle la race grecque a subi de singuliers mélanges de san^ei 
de civilisations. Mais, à côté de ces divergences, de ces différences de 
races, il y a des divergences, des différences de religions. 

Pendant un certain temps il n'y avait face à face que deux religions 
en Macédoine : d'une part, l'Islam conquérant et, d'autre part, le chris- 
tianisme représenté purement et simplement par l'orthodoxie obéissant 
au patriarche de Constantinople. 

Les choses ont changé ; il y a toujours les fidèles du patriarche, c'est- 
à-dire les Grecs eux-mêmes, et, à côté d'eux, ces Valaques que, pendant 
un certain temps, on appelait les Grécomanes, plus Grecs que le5 Grecs 
eux-mêmes jusqu'au changement apporté par Apostol Margaribi. Il y a * 



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- 84 - 

les Serbes qui continuent à obéir au patriarche, mais qui réclament soit 
une liturgie dans leur langue, soit des évêques et des prêtres natio- 
naux. 

H y a, d'autre part, les Bulgares, bien qu'un certain nombre d'entre 
eux, qu*on appdle les Bulgarophones, appartiennent à l'Eglise grecque; 
mais la grande majorité s'est séparée du patriarche depuis que, sous 
l'impulsion de la Russie, elle a fondé une église indépendante autocé- 
phalc, fait schisme, sous la direction de l'exarque résidant à Constan- 
linople* . ^ 

Il y, a encore un petit nombre de catholiques disséminés dans les 
moniagnesj sous la protection des consuls de France et d'Autriche. Et 
enfin, il y a les musulmans, qui, ne sont pas eux-mêmes à l'état d'unité, 
puisqu'ils se partagent entre les musulmans turcs venus d'Asie Mineure 
s'établir en Macédoine et les anciens chrétiens convertis à l'Islamisme ; 
c'est-à-dire, d'une part, les Pomaks des montagnes du Rhodope et les 
Albanais du nord-ouest. 

Tout ce mélange inextricable de races et de religions fait une sorte 
de Babel. 

U est parfaitement vrai que les querelles de race et de religion ont 
pris, pendant un certain temps, une acuité extraordinaire dans cette 
région ei qu'elles ont singulièrement servi la cause de la domination 
ottomane. Toutefois, il ne faut pas exagérer; deux choses sont de nature 
à diminuer la gravité des faits que je viens d'exposer à la Chambre. 
D'une part, bien que ces races soient dans certaines parties un peu 
mélangées et qu'il y ait une certaine contamination, néanmoins elles 
sont plutôt réparties dans certains compartiments ; par exemple, les 
Grecs se trouvent sur le littoral de Serrés en passant par les bords du 
Vardar, Salonîque et le Chaldicique jusqu'à l'Olympe. D'autre part, les 
Valaques sont répartis depuis le nord de la Thessalie jusqu'au vilayet dç 
Monastir, de Larissa à Vodcna; les Serbes se trouvent surtout dans la 
plaine de Kossoro, les Bulgares sont logés en masse dans les montagnes 
entre le Vardar, leStrouma et la frontière de Bulgarie. En outre, il est 
nécessaire de constater que, malgré la violence et l'âpreté occasionnelle 
des divisions dont je parlais, ceux qui appartiennent à l'une ou l'autre 
de ces ra:es ou de ces religions ne se font pas scrupule, à certains 
moments, d'invoquer ou d'accepter une autre nationalité. On a vu, par 
exemple, des Serbes se transformer rapidement en Bulgares et des Bul- 
gares en Serbes. 



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— 85 — 

Tel est donc actuellement l'état de la Macédoine. Elle tst, on peut le 
dire, à Tordre du jour de l'Europe depuis vingt-cinq ans, c'est-à-dire 
depuis le traité de Berlin. Depuis cette époque, l'Europe a eu à s'occuper 
successivement d'une série de questions: d'abord de la reciifi cation de 
la frontière grecque, qui n'avait été tracée à Berlin que sous la forme 
d'un voeu à peu près platonique ; puis de la révolution de la Roumélie 
orientale et de ses conséquences immédiates, .c'est-à-dire de la guerre 
serbo-bulgare et de la mobilisation grecque contre laquelle a sévî le 
blocus pacifique; elle a eu encore à s'occuper de la Çréie, puis de 
l'effroyable tragédie des massacres d'Arménie ; enfin, de la guerre gréco- 
turque de 1897. Actuellement, sans qu'une seule de ces questions ait 
reçu son règlement définitif, l'Europe est forcée de s'occuper avant tout 
de la Macédoine. Pourquoi ? C'est que si l'on ne peut pas dire que le ^ 
malaise de cette région date de 1878 (il remonte plus haut), du moins le 
mélange de souffrance et d'espérance qui permet seul à une population 
écrasée depuis des siècles de sortir de sa torpeur, de faire connaître au 
monde ses revendications, date de 1878. A ce moment, que s'éiait-il 
produit ? La Russie, victorieuse, avait, devant Constantinople, profité 
dans toute leur étendue de ses efforts, de ses sacrifices et de sa fortune. 
Par les préliminaires de San Stefano, elle avait éliminé d'un seul coup la 
Turquie d'Europe et créé cette grande Bulgarie qui n'avait pas moins 
de 5 millions d'habitants, qui s'étendait de la mer Noire à FOlympe et 
au Danube et du Danube à la mer Egée. 

L'Europe mit son veto à cette opération chirurgicale. Sur riniiiaiîve 
de l'Angleterre, avec l'assistance de l'Allemagne, décidée à son tour à 
étonner le monde par son ingratitude, le Congrès de Berlin se réunît et 
il détruisit la grande Bulgarie. Il en détacha même la Roumélie orientale 
qui ne tarda pas, il est vrai, à accomplir sa destinée manifeste et à 
recouvrer, par une révolution, l'unité que lui avait enlevé la diplomatie. 
Quanta la Macédoine, on la restitua au grand Turc. Mais TEurope, 
devant cette opération, ne pouvait pas se dissimuler qu'elle assumait de 
graves responsabilités et qu'elle ne pouvait pas restituer au grand Turc 
des sujets qu'on lui avait enlevés sans prendre et surtout donner des 
garanties. Ces garanties elle les a déposées dans l'article 23 du traité de 
Berlin. Que disait, messieurs, cet article ? 

Il disait que la Turquie devrait préparer un statut organique pour les 
provinces de la Turquie d'Europe, en particulier pour la Macédoine, 
que ce statut devrait être rédigé sur le modèle du statut organique Cretois 



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— 86 — 

ei serait soumis ensuite à la ratification de la Commission de laRoumélie 
orientale; ce qui fut fait. 

En 1880, la Commission de la Roumélie orientale se rassembla à 
Constantin Dp le pour cette partie de sa tâche. Pendant des mois on se 
livra à des étuJes approfondi3S, on rédigea des protocoles nombreux, 
nn adopta d'innombrables amendements. On finit par se mettre d'ac- 
cord et, au mois d'août iS^O, le statut organique de la Macédoine était 
promui^Uiï avec la ratification de TEurope. 

C'était une couvre extrêmement complexe et gigantesque. Ce statut 
n'avait pas moins de 24 titres et 449 articles ; c'était en quelque sorte un 
code du gouvernement des hommes ; il était rédigé sur le modèle d'une 
loî^qui est très célèbre dans l'empire turc, qui s'appelle la loi desvilayets, 
qui a été faite par Midhat pacha, de 1867 à 1871, pour son vilayet du 
Danube, 

Par malheur, on se préoccupa, non pas de donner des garanties 
réelles à ces populations, mais d'imiter en quelque sorte l'organisme 
centralisateur de la France au second empire. 

Par exemple, on mit au sommet le vali ou gouverneur général de 
vilayei; il avait au-dessous de lui un préfet ou mutessarif, dans le 
sandjak; puis un sous-préfet ou kaïmakan dans son caza. On avait 
enfin voulu introduire des cantons, des nahiés, et on avait voulu leur 
donner des chefs sous le nom de mudirs ; enfin on avait mis ou laissé à 
la base les communautés de villages, avec leurs maires qui s'appellent 
moukhtars. 

C'était admirable sur le papier; on avait poussé jusqu'au dernier 
détail rorganisation ; on s'était même occupé de la comptabilité, de la 
compétence des gardes champêtres ; on s'était préoccupé également des 
commutations de la corvée, de la dîme et des autres impôts. 

Par malheur cette loi n'avait pas été faite pour être exécutée; elle 
alla tout simplement rejoindre dans la nécropole des réformes mort-nées 
tous ciîs monuments législatifs dans lesquels les sultans ont en quelque 
sorte formulé T idéal du gouvernement et des droits humains, mais au 
sein de Tanarchie et sous le pire des despotismes. (Très bien! très bien l 
à t extrême franche.) 

Ce fut ce qui arriva pour la Macédoine ;.ce statut de 1880 est resté à 
rétai de lettre morte et la Macédoine, comme le reste de l'empire ottoman, 
est restée soumise à ce régime qu'on a si bien défini en disant que c'était 
l'anarchie tempérée par le despotisme. 



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-87- 

Le despotisme, il n'y a pas lieu de s'étendre bien longuement sur ce 
point; la preuve en a été faite depuis longtemps. Chacun sait ce qu'est 
l'organisation d'une province turque ; chacun sait que le vali, ou gou- 
verneur général, qui arrive là comme un météore tombé du ciel, qui 
n'est jamais sûr du lendemain, qui a été forcé le plus souvent d'acheter 
à beaux deniers comptants sa place, qui ne reçoit même pas avec régu- 
iarité son traitement, essaye de se récupérer sur ses administrés, non 
seulement par le bakchich, mais par l'oppression sous toutes ses formes 
et par les exactions de toute espèce. Comment s'étonner qu*au-dessous 
de lui l'administration suive la même voie du haut en bas de Téchelle 
hiérarchique, que depurs le mutessarif jusqu'au dernier chaouch, ou 
sergent de gendarmerie, ce soit la même chose ? 

La gendarmerie, qui devrait représenter l'ordre, est en effet presque 
fatalement un élément de désordre. Savez-vous, messieurs, que les 
gendarmes, en Macédoine, devraient recevoir un traitement de 3o francs 
par mois, sans aucune espèce de sustentation de la part du gouvernement, 
et qu'ils ne touchent presque jamais ce modique traitement ? Par con- 
séquent ils doivent, eux aussi, pour vivre, se récupérer sur rhabitani, et 
ils ne s'en font pas faute. 

Puis il y a, à côté de l'administration proprement dite, les collecteurs 
de taxes et, en particulier, les collecteurs de dîmes. Ces collecteurs de 
dîmes ne sont pas nommés comme fonctionnaires du gouvernement; 
ils sont nommés à la suite de licitations et de folles enchères. Après 
avoir acheté à prix d'argent cette fonction, ils essayent naturellement de 
recouvrer leur débours sur le malheureux contribuable, pris entre les 
deux pierres d'une meule. 

S'ils se contentaient encore de ces exactions ; mais ce n'est pas toutl 
A chaque instant, des actes d'oppression scandaleux sont commis par 
ies représentants mêmes de l'aurorité. C'est amsi, pour ne citer qu'un 
seul exemple, mais significatif et éloquent, qu'au mois de juillet 1901, 
dans le vilayet d'Uskub et à Uskub même, le colonel de gendarmerie, le 
chef des gendarmes de ce vilayet, Mehmed Pacha, enleva en plein jour 
deux jeunes filles bulgares, tua leurs parents, avec l'assistance des 
soldats et, sans être le moins du monde inquiété ou puni depuis lors^ il 
a conservé en captivité ces malheureuses dont il avait d'abord maltraité, 
puis un peu assassiné les parents. 

Pendant que ce despotisme règne sur ces populations, l'anarchie y 
sévit; l'anarchie a pour agents en Arménie, vous le savez tous, mes- 



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— 88 — 

siïurs, les ïCurdes, avec le secours des hamidiés ; en Macédoine, ce sont 
les Albanais qui remplissent ces honorables fonctions. 

Les Albanais sont une race assurément fort intéressante, fort digne 
de rattention, voire des sympathies de l'Europe, une race saine, vigou- 
reuse^ capable de progrès ; malheureusement, elle s*est en quelque sorte 
arrêtée dans son développement à Tépoque féodale. Les Albanais se 
sont convertis à FIslam afin de pouvoir garder leurs armes, leurs do- 
mai ne;; et leur suprématie; ils sont encore des highianders, des caterans 
d' Ecosse j comme à Tépoque de Rob-Roy et des romans de Walter 
Scoa ; à certains moments, après avoir fait paître leurs troupeaux, en 
été, sur leurs montagnes, en hiver, dans les pâturages des malheureux 
fermiers bulgares, à la Saint-Georges au mois de janvier, les chefs alba- 
nais descendent dans la plaine, se rendent chez les fermiers bulgares et 
établisse ni la contribution qu'ils lèveront six mois plus tard : ils l'éta- 
blissent arbitrairement; un certain nombre de fermiers sont obligés de 
payer jusqu'à lo, i5, 20 et même quelquefois 100 livres turques. A la 
Saint-Jean, ces mêmes chefs viennent chercher ce qui leur est dû. 
Malhturau fermier qui ne payerait pas immédiatement! Les fusils alba- 
nais^auraient bien vite raison de lui. Comme les Albanais ont une espèce 
d'humour, d'ironie macabre qu'ils aiment à déployer, ils ne se conten- 
tent pas d'obtenir la perception ordinaire de la contribution. Un chef 
albanais arrive par exemple avec quinze ou vingt hommes de sa suite, 
s'installe chez un fermier, y séjourne quinze, vingt jours. Quand il s'est 
fait largement entretenir, quand il a épuisé toutes les provisions de la 
ferme, il s*en va, mais non sans s'être fait auparavant payer ce qu'il 
appelle le zouloun, c'est-à-dire la contribution pour usure de la mâchoire 
(Moui^ements divers) et les malheureux fermiers bulgares sont encore 
obligés de paytîr cet impôt et de dire merci. 

Si les Albanais se contentaient de ces plaisanteries un peu macabres, 
le sort des populations ne serait pas encore aussi à plaindre qu'il l'est ; 
mats ils commettent sans cesse des actes d'oppression infiniment plus 
gravés. Ouvrez les Livres Jaunes ou les Livres Bleus et vous y verrez 
très fréquemment racontées des scènes d'enlèvement de filles ou de 
femmes serbes, bulgares ou grecques. Malheur à la femme bulgare qui 
a plu à un chef albanais; son sort est d'aller vieillir, nouvelle Briséis, 
dans le harem de ce chef ou, si elle résiste, ce n'est pas seulement elle 
qui est tuée après des raffinements de torture, mais encore son mari, ses 
frères, toute sa famille. 



I 



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-89- 

Ce ne sont pas là des romans^ des histoires inventées à plaisir et 
puisées dans des récits plus ou moins authentiques de voyageurs plus 
ou moins impartiaux. Ouvrez un Livre Bleu ou un Livre Jaune et vous 
trouverez à chaque page, dans ces recueils pourtant édités avec un cer- 
tain soin, des anecdotes sanglantes de ce genre, comme rhistoire de ce 
fameux chef albanais qui a été tué il y a quelques mois à Lskub, Mollah 
Zekkali, dont toute l'existence, n'avait été qu'un long brigandage. 

Pendant des années il avait multiplié les meurtres, les assassinats et 
les rapts et il n'avait jamais été inquiété par la justice oitomane. L'auto- 
rité ne l'avait peut-être jamais recherché. Son séjour à Consianiinople 
d'où il revint comblé d'honneurs fut tout son châtiment, il finit par 
tomber victime, non d'une juste représaille bulgare, mais d'une vendetta 
albanaise. 

S'il y a lieu de s'étonner, c'est qu'un pareil état de choses ait pu 
subsister si longtemps. Toutes ces atrocités jettent un lamentable jour 
sur la malheureuse condition matérielle et morale de ces populations. 
Il fallait, pour que ces populations puissent lutter, qu*elles eussent au 
moins une lueur, un rayon d'espoir. Ce rayon d'espoir, messieurs, elles 
ne l'ont vu luire à l'horizon que depuis le commencement du siùcle 
dernier, depuis l'insurrection hellénique. Il n'y a pas lieu de s'tJtoniiLr 
qu'à ce moment, alors que le patriarchat avait représenté pendant les 
longs siècles de l'oppression ottomane le seul gage, le seul symbole, le 
seul vestige de la nationalité, il n'y a pas lieu, dis-je, de s'étonner que 
dans les bandes héroïques qui ont livré ces combats pour Tindépen- 
dance de la Grèce, on n'ait pas seulement trouvé des Grecs de M orée ou 
de la Grèce propre, mais qu'on y ait trouvé des Albanais d'Epire et d'Al- 
banie et un grand nombre de Macédoniens. Et pendant longtemps, 
c'est d'Athènes encore qu'est partie l'impulsion. Comme on irguvaii, à 
juste titre, que les évêques du Phanaret le patriarche lui-même n'accom- 
plissaient pas leur devoir, qu'ils s'étaient enfoncés dans une sorte de 
matérialisme pratique, qu'ils mettaient tout en vente^ jusqu'aux sacre- 
ments,, qu'ils entretenaient avec délices l'ignorance générale, même 
parmi leur clergé qui ne savait même plus lire sa propre liturgie, les 
syllogues grecs, ces admirables associations de particuliers, se fondèrent 
pour créer des écoles et répandre la lumière en Macédoine, comme dans 
le reste de la Turquie. 

Toutefois, à partir de 1878, les choses changèrent; la grande Bul- 
garie n'était plus, mais la principauté de Bulgarie venait d*étre fondée et 



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— QO — 

c'était là en quelque sorte la sœur aînée sinon de la Macédoine tout 
eniitre, dti moins d'un tiers delà population niacédonienne, je dis d'un 
liers, parce que s'il est difficile d'avoir des statistiques exactes sur ce 
point, si nous trouvons par exemple que l'évaluation de la population 
totale de la Macédoine, en y comprenant les trois vilayets de Kossoro, 
de Monasiîr et de Salonique, varie entre 3 millions d'habitants et i mil- 
lion ; si, d'autre part, les uns disent qu'il y a dans cette région 
39,000 Grecs, ce qui est un chiffre ridicule, les aiitres 5oo,ooo, ce qui 
est un chiffre exagéré; si on prétend tantôt qu'il y a i5o,ooo Bulgares, 
chiffre beaucoup trop faible, et tantôt qu'il y en a 1,200,000, chiffre 
beaucoup trop fon, nous n'en constatons pas moins que les Bulgares 
représentent la majorité, la grande majorité de la population chrétienne 
de la Macédoine. Et alors, à partir de la fondation de la principauté, les 
Bulgares tournèrent naturellement leurs yeux vers elle et il y eut d'em- 
blée une immii^raiion considérable en Bulgarie. 

Il y a depuis lors deux éléments macédoniens distincts en Bulgarie : 
d'abord ceux qui se sont faits Bulgares ; ils jouent un rôle considérable 
dans la politique; actuelle de la principauté, quelques-uns sont au pou- 
voir ; deux ou trois ministres actuels sont d'origine macédonienne, il 
y a des Macédoniens dans la Sobranié, dans l'Université, dans l'Admi- 
nistration, dans le commerce et surtout dans l'armée, puisque sur 
:2^5oo officiers que compte l'armée bulgare, il n'y a pas moins de 
1,000 officiers macédoniens. 

Vient ensuite, messieurs, l'autre élément : ce sont ceux qui sont 
restés les sujets du sultan. Ils n'ont pas voulu abandonner leurs frères 
de souffrance; ils se sont établis en Bulgarie et là, avec le concours des 
naturalisés, ils ont fondé ces fameux Comités qui entretiennent l'agi- 
tation en Macédoine* 

Mais ce serait, messieurs, être profondément injuste pour l'œuvre de 
ces hommes q ne de ne voir en eux que des organisateurs de conspira- 
tions d'ailleurs souvent nécessaires et de tentatives d'insurrection que je 
serais le dernier à condamner. Ce sont en même temps les agents de la 
culture et de la civilisation. 

Ce sont ces Comités qui ont fondé, non pas seulement des centaines, 
mais des milliers d'écoles en Macédoine. Ce sont ces Comités qui ont 
répandu T instruction, îcs livres, les journaux, et qui ont en quelque 
sorte réveillé de son sommeil séculaire l'énergie nationale de la Macé- 
doine. Il s*est bientôt produit ceci, que les Serbes et les Grecs, qui se 



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— 91 — 

sentaient en quelque sorte devancés dans cette voie, par les Comités 
bulgares, sont entrés, à leur tour et à leur suite, dans un admirable élan 
d'émulation. Je crois, messieurs, que tout le monde ici est prêt à louer 
une agitation qui, sous Tinfluence de ces Comités, a tout fait, non seu- 
lement pour préparer l'insurrection, seul moyen de libération, mais 
pour rendre la Macédoine digne et capable de sa liberté. 

Malheureusement, la division a fini par s'introduire jusque parmi 
ces patriotes, ces hommes qui s'étaient voués avec un si remarquable 
dévouement à la cause sacrée de leur nation. Vous savez tous, mes- 
sieurs, qu'à Sofia oh a assisté, au cours de Tété dernier, à la rupture, 
que des observateurs hâtifs proclamaient irrémédiable, entre les deux 
éléments qui formaient le Comité. Il* y avait d'un côté ce qu'on peut 
appeler l'élément plus ou moins modéré, accessible aux conseils du 
gouvernement et formé principalement par les hommes du général 
Zoutchef et du professeur Mikraïlowski ; puis il y avait les hommes 
qu'on appelle les hommes de l'organisation intérieure, c'est-à-dire les 
hommes des Comités proprement macédoniens et qui obéissent à l'im- 
pulsion de Boris Sarafof. 

Dans le dixième Congrès macédonien qui fut tenu du lo au i6 août 
1902, à Sofia, la discorde éclata entre ces hommes. Boris Sarafof avait 
déjà été déposé l*an précédent de son poste de président du Comité cen- 
tral à cause du procès fait à Bucharest à la suite de l'assassinat d'un 
professeur bulgare. En août 1902, on refusa l'accès du Congrès à Boris 
Sarafof et à ses amis. Saratof fit schisme; il ressortit avec ses amis et 
fonda avec eux un Comité nouveau. Ce fut à ce moment-là aussi que le 
Comité de Sofia, sentant qu'il était nécessaire pour lui de montrer aux 
populations que, malgré sa séparation d'avec Sarafof, il restait fidèle à 
la cause nationale, décida l'insurrection qui a éclaté en automne dernier 
en Macédoine. 

Déjà, il faut le dire, les puissances se préoccupent depuis longtemps 
de l'Etat de la Macédoine. Depuis le commencement de 1901, leur atten- 
tion avait été attirée, d'une part, sur les excès d'oppression, sur les 
exactions, sur les massacres commis par les Albanais et les Turcs et, 
d'autre part, le gouvernement grec qui n'obéissait peut-être pas dans ce 
cas à une politique bien conforme à ses intérêts durables, qui se laissait 
dominer par les dangereux conseils du professeur Kassassis et de 
VHétaireia, crut devoir à plusieurs reprises attirer l'attention des grandes 
puissances signataires du traité de Berlin sur l'attitude de la Bulgarie, 



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— 9^ — 

demandant qu'on lui fît des représentations énergiques et unilatérales. 
La Turquie» naturellement, s'empara de ce qui lui était offert par la 
Grèce et déclara que le gouvernement de Bulgarie manquait à tous ses 
devoirs. Elle fit elle-même par son commissaire des Vakoufs des repré- 
seniations à Sofia et déclara aux ministres bulgares qu'ils ne veillaient 
pas suîïisammeni sur les frontières, qu'ils laissaient passer, d'une part, 
des insurgés et^ d'autre part, des réfugiés, qu'on leur fournissait des 
armes et que ces armes sortaient, à ce qu'on croyait, du dépôt de Kus- 
lendje. D'une façon générale, que c'était la Bulgarie qui servait de base 
à toute l'insurrection qui s'était développée en Macédoine. 

Je dois rendre justice — et il ne m'en coûte rien de le faire — à M. le 
Ministre des affaires étrangères. Pendant cette longue phase de deux ans 
qui s'est écoulée jusqu'aux démarches actuelles, alors qu'on faisait des 
représentations et à Constantinople et à Sofia, représentations qui 
n'étaient pas sans présenter quelque danger, car lorsqu'on parle à 
Constantinople de la nécessité de mettre un terme à l'insurrection, nous 
savons comment la répression dégénère facilement en massacre entre 
les mains du sultan, et qu'il est en effet toujours dangereux de lui dire : 
rétablissez votre autorité, quand on n'est pas capable d'imposer une 
limite à Taction qui suivra ces paroles... (Applaudissements sur divers 
àancs.^ 

.., M. le Ministre des affaires étrangères, dis-je, à plusieurs reprises, 
a déclaré qu'il ne se sentait pas les mains libres pour faire une action 
isolée à Solia et pour peser uniquement sur ce gouvernement bulgare 
dont il comprenait et les difficultés et je dirai le désir patriotique de ne 
pas trahir la cause de ses frères macédoniens. D'autre part, il a toujours 
eu soin, par ses agents à Constantinople, tantôt — moins pourtant — 
par notre ambassadeur à Constantinople, M. Constans, tantôt, et le 
plus souvent, par notre chargé d'affaires, M. Bapst, de tenir la balance 
égale, quand il avait à faire des représentations à Constantinople, il 
insistait sur la nécessité des réformes, il la mettait au premier rang, il 
se gardait de paroles dangereuses sur le rétablissement de l'ordre... 
comme à Varsovie. Les événements ont continué à se dérouler pendant 
ce? longs mois, la diplomatie a continué son oeuvre stérile, sans pro- 
fits; elle a roulé son rocher de Sisyphe, des représentations, des récri- 
minations se sont échangées entre Sofia et Constantinople. 

Pendant ce temps, messieurs, que se passait-il en Macédoine ? L'in- 
surrection éclatait^ et elle éclatait dans des conditions singulièrement 



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-93- 

défavorables. C'était à la veille de l'hiver, au moment où la neige allait 
tomber sur les montagnes. La division venait de se produire dans le 
monde macédonien. Sarafof, non seulement ne marchait pas, mais il 
avait donné des instructions à ses hommes pour s'opposer» dans les 
villages où il était maître, à ce que l'insurrection éclatât et, chose remar- 
quable, ces circonstances n*ont pas empêché l'insurrection d^éclaier, de 
grandir, de devenir redoutable. Pendant les mois d'octobre, de novembre 
et de décembre, elle prend des proportions véritablement menaçantes 
pour la Turquie. A un moment donné, il y eut plus de deux cents 
villages en pleine insurrection; pendant ces trois mois, il y eut plus de 
soixante rencontres à main armée, il y eut des centaines et on peut 
dire des milliers d'hommes tombés dans la bataille. Vers le mois de 
décembre, quand la température est devenue véritablement trop rigou- 
reuse, l'insurrection proprement dite cessait. 

Ah oui! l'insurrection a cessé, mais c'est alors qu'a commencé la 
répression. Et vous savez ce qu'est la répression en Turquie, sous le 
sultan Abdul-Hamid. Elle consistait tout d'abord dans des perquisitions, 
dans des visites domiciliaires qu'on faisait dans les maisons et dans les 
villages où Ton cherchait des armes. Nous avons une liste de plus de 
cent villages; plus de trois mille maisons ont été saccagées, détruites et 
incendiées par ceux qui prétendaient perquisitionner. Nous possédons 
des témoignages nombreux de personnes qui ont vu subir ou ont subi 
des tortures de la part des agents du sultan Abdul-Hamid. On a vu se 
renouveler, devant l'Europe impassible, de ces massacres qui, malheu- 
reusement même, quand ils se firent sur une échelle gigantesque en 
Arménie, ne suffirent pas à éveiller l'attention de l'Europe et à provo- 
quer une intervention efficace. 

Et c'est alors que s'est déterminé ce courant d'émigration de centaines 
et de milliers de Macédoniens qui ont été chercher un refuge et un asile 
en Bulgarie. 

Quelle est la situation à l'heure actuelle? La Bulgarie est impuis!iance 
à emplcher que ce courant d'émigration continue; elle ne se sent pas le 
droit d'offrir des facilités de rapatriement à ces malheureux qui errent 
en foule dans les environs du monastère de Rylo et qui n'entreraient 
dans leurs foyers dévastés que pour y trouver la ruine et la mon. La 
femme de l'agent russe à Sofia, Mme Bakhurotief, est allée visiter ces 
infortunés et son rapport quasi-officiel atteste leur effroyable misère. 
C'est là un document officiel : il confirme les récits circonstanciés du 



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— 94 — 

Daity News. Il constate que rhumanilé est outragée une fois de plus 
devant ie monde civilisé; que le sultan, encouragé par Timpunité, traite 
les Macédoniens comme les Arméniens. (Apppiaudissements sur divers 
bancs.) 

Je ne prétends certes pas, messieurs, que la diplomatie soit restée 
absolument sourde et insensible à ces événements tragiques. Non, à un 
moment donné, quand l'insurrection battait son plein, M. le Ministre 
des Affaires étrangères de Russie, le comte Lamsdorf, a quitté Saint- 
Pêtersbourf^ ; il a poussé une pointe rapide à Belgrade et à Sofia; il s*est 
mis en communication, non seulement avec les gouvernements, mais 
aussi avec les représentants des Comités; puis il est allé à Vienne s'en- 
ireienir avec le comte Goluchowski et établir les bases d'une entente 
avec rAuiriche-Hongrie. Vous n'ignorez pas, messieurs, qu'en 1897 
rAiiiriche-Hongrie et la Russie avaient conclu un accord pour le main- 
tien du sîaiii quo dans la péninsule des Balkans. Il n'y a donc rien 
d'étonnant qu'à l'heure actuelle, en présence de l'insurrection, ces puis- 
sances rtclament en quelque sorte un droit de priorité et que l'Europe, 
dans une certaine mesure, le leur concède. 

Quant à moi, qui n'attache pas une grande importance à ces ques- 
tions de protocole, je suis tout disposé à reconnaître que M. le Ministre 
des Affaires étrangères et les représentants des autres puissances signa- 
taires du traité de Berlin avaient peut-être raison de laisser, dans les 
conditions actuelles, Tinitiative et la priorité à ces puissances plus direc- 
tement intcrtssées. Je ne peux toutefois, messieurs, m'empécher de faire 
remarquer en même temps qu'il serait bien nécessaire, et pour plusieurs 
raisons que je vais indiquer, de ne pas avoir l'air, je ne dirai pas d'ab- 
diquer, mais de jouer un rôle un peu secondaire et effacé, de ne pas se 
résoudre uniquement à la fonction de cinquième roue d'un char dans 
CCS négociations. 

H y a à cela, messieurs, je crois, deux raisons principales ; 

L'une^ c'est que les événements sont assez graves — je viens de le 
démontrer — et surtout le danger est assez menaçant et l'explosion qui 
va se produire au printemps prochain promet d'être assez redoutable 
pour qu'il soit nécessaire que l'effort fait à Constantinople soit aussi 
grand, aussi unanime, aussi puissant que possible; que toutes les puis- 
sances y prennent une part effective et ostensible et que personne n'ait 
l'air de montrer de l'indifférence à cet égard. 

M y a une seconde raison, peut-être plus délicate à indiquer, c'est 



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^95- 

qu'assurément les deux puissances qu'on appelle balkanesques ont des 
intérêts particuliers dans la question. Il ne faut pas oublier que dans 
une certaine mesure la diplomatie peut avoir ses raisons, je ne dirai pas 
précisément de nourrir des soupçons ou d'entretenir des inquiétudes, 
mais enfin d'apporter une certaine attention avertie de ce côté ; elle ne 
peut pas oublier que dans des circonstances analogues, en 187^"^, quand 
l'Europe se trouvait en présence de ces rébellions en Bosnie et en Her- 
zégovihe, qui dégénérèrent bien vite en la guerre de Serbie, puis en ta 
guerre russo-turque, les deux puissances l'Autriche-Hongrie et la Russie 
avaient également des intérêts particuliers et séparés; l'Autriche visait à 
accomplir ce qu'elle a fait depuis lors : s'étendre vers les marchés de 
l'Orient, prendre possession de la Bosnie et de l'Herzégovine. On peut 
compter que cet intérêt pesait dans les délibérations du comte Andrassy. 
S'imagine-t-on qu'à l'heure actuelle elle ait cessé, depuis qu'elles occupé 
la Bosnie et l'Herzégovine, de tourner son regard, soit vers Novi Bazar 
ou la vieille Serbie, soit surtout vers Salonique et la mer Egée, et que le 
compte Goluchowski ne fût pas le continuateur fidèle du comte 
Andrassy ? Ne sait-on pas que la politique suivie par la Russie depuis 
vingt-cinq ans à l'égard des nations slaves en Orient et en particulier à 
regard de la Bulgarie, a subi de singulières modifications ; que cette 
nation, qui avait été pendant longtemps, non seulement la protectrice 
et la tutrice de l'orthodoxie en Orient, mais encore la protectrice de 
toutes ces nationalités, a semblé modifier sa politique? 

Je ne discute pas ici, messieurs, les raisons de ce changement de 
politique, je ne prétends même pas qu'à aucun moment la politique du 
prince Alexandre de Battemberg ou de M. Stamboulofif n'a pas démontré 
d'une façon éclatante que la Russie, en donnant l'indépendance à ces 
nations, leur avait surtout donné l'indépendance du cœur. Je prétends 
simplement en ce moment que nous avons des motifs sérieux pour ne 
pas nous tenir ni trop à l'écart ni trop au second plan, qu'il est indis- 
pensable que nous gardions la main sur le pouls de <^ l'homme 
malade» et que nous ne nous éloignions pas à l'heure actuelle de son 
lit. (Très bien ! très bien !) 

Cela n'empêche pas que je suis tout disposé à accepter, à examiner, 
je dirai avec une certaine bienveillance ou indulgence, les réformes qui 
lui ont été réclamées, mais je ferai cependant là-dessus quelques réserves 
assez graves. 

Je suis un peu étonné et surpris de l'empressement remarquable avec 



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-96- 

lequel le sultan a accepté les réformes qui lui étaient proposées par 
rAuiriche et par la Russie et par le reste de TEurope jouant le rôle de 
chceur antique. Ce n'est pas tout à fait sa manière ordinaire; car c'est, 
messieurs, un grand maître dans Tart des négociations dilatoires et il a 
remporte assez de succès à Taide de cette progradination systématique 
pour que Ton puisse s'étonner à bon droit à l'heure actuelle de le voir 
accélérer à ce point son pas et se jeter sur ces réformes comme s'il 
n'avait attendu, demandé, souhaité que cela. (Très bien î très bien!) 

Il n'avait peut-être, en effet, attendu que cela. Que sont, en effet, ces 
réformes? Elles ne sont que la reproduction pure et simple de l'iradé 
qu'il a pris au commencement de décembre dernier et par lequel il avait 
espéré une fois de plus jeter la poudre aux yeux de l'Europe. 

C'est déjà quelque chose d'assez grave. Quand bien même les réfor- 
mes promises seraient essentielles et sérieuses, ce serait quelque chose 
d'assez grave que d'aller emprunter au Sultan le texte même de son 
iradé. 

N'est-ce pas tromper la confiance des populations que d'aller en 
quelque sorte ratifier les yeux fermés ce qu'il avait fait ou prétendu faire 
avec le choix des hommes qui ont reçu de lui le soin d'exécuter ou de 
feindre d'exécuter ces réformes ? Quant à moi, je 17e peux pas ne pas 
dire que cela ne m'inspire de très graves inquiétudes. J'aurais infiniment 
préféré que nous n'ayons pas été chercher le dernier modèle de nos 
réformes organiques auprès du Sultan. 

De plus, messieurs, nous ne sommes pas, à l'heure actuelle, pour la 
première fois en conversation sur ces questions avec Abdul-Hamid ; il 
y a longtemps, très longtemps que nous nous en entretenons. Si nous 
avions la curiosité de feuilleter les publications officielles depuis vingt- 
€inq ans, que trouveiions-nous ? Que depuis le Congrès de Berlin, à 
chaque fois que nous avons engagé la conversation avec le Sultan, nous 
lui avons demandé moins que la précédente, moins que ce qu'il nous 
avait accordé de gré ou de force; d'abord un cinquième, puis un dixième, 
puis un vingtième de ce que nous avions le droit d'exiger et de ce qu'il 
nous avait promis. Et je le prouve. 

En j88o, le statut organique était rendu. Pàrcourez-le. Vous y trou- 
verez cent fois plus que ce que nous demandons aujourd'hui. En 1895, 
quand la question d'Arménie se posait, quand la mission de Challif 
pachaj comme fera peut-être celle d'Hussein-Hilmy, préludait aux mas- 
sacres en masse, au moment où la grande banqueroute de la diploma- 



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Br^-*?T'* 



— 97 — 

tie européenne allait se produire, quand le Sultan à Constantinople a 
voulu donner certaines satisfactions apparentes à l'opinion européenne, 
qu'a-t-il fait ? Il a rendu un nouvel iradé dans lequel, une fois de plus, 
il avait tracé le tableau enchanteur des réformes à accomplir en Tur- 
quie. M. Cambon, dans une dépêche du i6 avril 1896, en a pris acte ; il 
a déclaré : cette fois c'est la bonne, nous acceptons, nous maintiendrons. 
A rheure actuelle, sans nous en référer à ce passé, sans demander 
compte au Sultan de tant de promesses vainement prodiguées, tou- 
jours violées, de tant de lettres de change protestées, nous allons, 
le chapeau à la main, à Yildiz-Kiosk pour lui demander de bien vou- 
loir, dans sa certaine science et pleine puissance, nous octroyer la 
dixième partie de ce que nous avions le droit d'exiger de lui et de ce 
que nous avions obtenu il y a vingt ans. (Applaudissements sur divers 
bancs.) 

Mais ce n'est pas tout. Je crois que si l'on entrait dans l'examen plus 
détaillé de ces réformes, on constaterait que lorsqu'on veut faire en 
Turquie des réformes partielles, on fait une œuvre nécessairement vaine 
et dangereuse ; dangereuse pour les populations que Ton trompe, dans 
lesquelles on suscité des illusions, qui sont entraînées ensuite, sous le 
coup du désespoir, dans la voie de la rébellion, de l'insurrection et trop 
souvent de la mort; dangereuse pour l'Europe qui ne doit pas se laisser 
tromper une fois de plus pour son plus grand discrédit. 

A quoi a-t-on borné cette fameuse intervention austro-russe soutenue 
par le concert européen tout entier ? On a voulu que l'inspecteur géné- 
ral des réformes, chargé de procéder dans les trois vilayets de Macé- 
doine, fut nommé pour trois ans. Je ne comprends pas bien, messieurs, 
pourquoi on a choisi cette brève période de temps, étant donné qu'il est 
reconnu que cinq ans en Orient c'est le minimum nécessaire; qu'avec 
trois ans, la première année il s'acclimatera à peine, la seconde, il se 
préparera à partir, et la troisième, il n'aura plus aucune autorité sur les 
fonctionnaires. (Oh rit.) 

Mais il y a plus, messieurs. Est-ce que vous vous imaginez que 
quand bien même vous auriez placé un inspecteur général sous la pro- 
tection de l'Europe, quand vous lui aurez garanti une existence officielle 
à l'abri de toute menace du côté de Yildiz-Kiosk cela suffirait ? Allons 
donc 1 Mais est-ce que vous ne savez pas, messieurs, qu'il ne peut agir 
que par la hiérarchie des fonctionnaires ? Et que sont ces fonctionnaires 
à l'heure actuelle? Les agents directs du Sultan et de Yildiz-Kiosk; 



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-98- 

l'inspecteur général aura au-dessous de lui des mutéssarifs et des kaïma- 
kans. Or, chacun de ces hommes est choisi par le Sultan lui-même, est 
en rapport direct avec le fil télégraphique du palais, chacun de ces 
hommes reçoit des ordres qui peuvent être en contradiction avec les 
ordres de son supérieur. Est-ce qu'il a la moindre liberté d'action ? 
Allons donc! J'ai trouvé dans le Livre bleu un fait bien intéressant à 
cet égard. A un moment donné, dans l'hiver de 1902, une révolte éclate 
dans le vilayet d'Uskub. Le vali veut aller la réprimer; il doit à cet effet 
mettre en mouvement un certain corps de troupes qu'il a à Uskub sous 
la main ; il ne peut pas agir, il est forcé de télégraphier à Yldiz-ICiosk 
pour demander au Sultan de vouloir bien l'autoriser à faire son devoir, 
et il doit attendre dans son konak que la réponse soit venue; en réalité, 
il est surchargé de liens, d'entraves de tous côtés comme Gulliver chez 
les Lilliputiens. Il ne peut pas agir, ni même bouger. Et c'est là ce qu'on 
•appelle une réforme qui donnera des garanties suffisantes aux popula- 
tions de Macédoine ! 

On s'est occupé aussi d'autres réformes pratiques : de la gendarme- 
rie, des dîmes. La réforme de la gendarmerie, assurément, c'est une 
réforme essentielle, primordiale. J'indiquais tout à l'heure la malheu- 
reuse situation — moins paradoxale peut-être à tout prendre qu elle n'en 
a l'air — de cette province dans laquelle les gendarmes sont, en somme, 
les voleurs. (On rit.) Il serait nécessaire de transformer cet état de 
choses. Comment y arriver? De deux façons : d'une part en leur assu- 
rant un traitement et en le leur payant. Car, chose admirable, en Tur- 
quie presque tout le monde possède sur le papier des traitements par- 
faitement suffisants, mais en réalité presque personne n'en touche un 
centime. D'autre part, il faudrait que ces gendarmes fussent placés sous 
la direction d'offi^ciers, de cadres choisis par l'Europe elle-même et qui 
appartinssent à des nations neutres. Car nous venons d'apprendre que 
le Sultan qui a accepté avec tant d'empressement de confier l'autorité à 
exercer sur ses gendarmes à des officiers occidentaux, les a pris où ? 
messieurs, parmi les officiers allemands au service de la Turquie; un 
certain nombre de ces serviteurs zélés du régime hamidien serviront de 
levain civilisateur à la gendarmerie macédonienne. Présentent-ils véri- 
tablement une garantie suffisante, ces officiers allemands au service du 
Sultan, qui font leur carrière en Turquie ? Deviendront-ils réellement 
les pivots des réformes que vot^s désirez ? Sauront-ils résister aux ordres 
venus d'Yldiz-Kiosk ? Je crains bten que ce ne soit une illusion; et nous 



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— 99 -- 

ne pouvons vraiment pas, messieurs, nous contenter ni surtput deman- 
der aux Macédoniens de s'en contenter. 

On a parlé de la réforme financière. La dîme est certes l'impôt qui 
pèse le plus lourdement sur ces malheureuses populations. C'est d'au- 
tant plus vrai qu'on ne paye pas la dîme une fois, mais deux, trois et 
quatre fois; la dîme est établie arbitrairemenL II reste forcément aux 
mains des collecteurs beaucoup d'argent prélevé sur les malheureux 
contribuables. Mais suffit-il, messieurs, de supprimer les enchères et de 
remettre la perception des dîmes à la Banque ottomane ou au service 
de la dette ? Non; tout nous indique qu'il y a quelque chose de plus 
important à changer : c'est k sy^me même de la dîme, ou plutôt, il 
faudrait supprimer la dîme elle-même. Elle est établie dans un pays où 
il n'y a pas de cadastre, et la perception en est faite avec une irrégularité 
extraordinaire en ce qui touche le taux et aussi l'époque où on doit 
payer les impôts. 

Si le collecteur vient en avril ou en mai, à un moment où le paysan 
n'a pas le moyen de payer la dîme, le malheureux contribuable est forcé 
de vendre son blé sur pied. La réforme urgente, réclamée par tous les 
hommes compétents, c'est la commutation de la dîme en un impôt fon- 
cier. Vous n'aurez rien fait tant que vous n'aurez pas fait cela. 

Je pourrais, messieurs, poursuivre à l'infini l'examen des détails et 
la critique du projet Mais je m'arrête, parce que j'ai des faits plus im- 
portants à signaler et des fautes plus graves commises à la face de 
l'Europe et qui sont autant d'outrages à la conscience du monde civi- 
lisé. Nous nous imaginions qu'il y avait une province de Turquie qui 
avait acquis assez chèrement le droit de priorité et la mise à l'ordre du 
jour de la diplomatie européenne — c'est l'Arménie — dont le martyre 
n'a pourtant pas cessé, qui, après les massacres et saignée à blanc, est 
encore en proie aux mêmes souffrances. Vous l'avez éliminée des négo- 
ciations actuelles. Et vous ne voyez pas, et l'Europe ne voit pas que 
c'est un outrage à sa propre conscience 1 (Applaudissements à Vextrême 
gauche et à gauche.) C'est un triomphe bien doux, assurément qu'on 
a assuré là au Sultan. Que recherche-t-il depuis sept ans I Qu'a-t-il obtenu 
depuis sept ansl II a lassé notre patience, il n'a pas opposé des refus 
aux demandes des puissances; il a multiplié les belles paroles, il nous 
a promené de promesses en promesses, de pseudo-iradés en pseudo- 
iradés. 

Actuellement, nous cessons de lui parler de cette affaire; nous lui 

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y^-^w;-^ 



— 100 — 

disons : * Il y a un moment où devant ce crime la conscience du 
mondé civilisé s'éiait réveillée. Ce moment est passé. Alors nous vous 
avions mis tn demeure — ce qui était notre droit depuis longtemps, ce 
qui était notre devoir depuis les vêpres arméniennes — d'appliquer 
immédiatemeni dans son esprit et dans sa lettre Tarticle 6i du traité 
de Berlin; ch bien! vous avez vaincu : nous n'en parlerons plus. 

Noua avions celle toile sur le métier, nous Tôtons. Et nous allons 
nous livrer à je ne sais quel travail de Pénélope en défaisant avec le 
Sulfan pendant le jour ce que nous aurons essayé de faire pendant la 
nuit. 

Voilà ce qUT se passe à l'heure actuelle. Voilà le fruit de tant de 
déclamations, de témoignages de sympathie, d'effusions larmoyantes l 
L'Arménie n'est plus à J'ordre du jour! 

Ce qui rend plus intolérable ce résultat, messieurs, c'est que c'est la 
première lois depuis un siècle, après des événements de ce genre, la 
Turquie n*a pas un châtiment à subir de l'hurnanité, à titre de compen- 
sation^ un proHt k recueillir. 

Oui, messieurs, après des événements assurément moins graves que 
ceux d'Arménie, après qu'il avait coulé infiniment moins de sang, 
l'Europe avait toujours obtenu quelque avantage, arraché quelque pro- 
jet pour les nationalités opprimées de l'empire ottoman. 

Quand l'insurrection de la Grèce s'est produite, il y eut aussi d'in- 
nombrables massacres, et vous savez comment la conscience publique 
s*esL révoltt^e et quelle expression incomparable elle a trouvée dans les 
voix des poètes Lamartine, Byron, Chateaubriand, Victor Hugo, 
Béranger et tant d'autres écrivains français et étrangers. Cela n'a pas 
suffi; il a fallu, messieurs, la diplomatie, oui, la diplomatie de la Sainte- 
Alliance 1 la diplo marie d'une Europe qui luttait partout contre la Révo- 
lution envisagée comme l'esprit du mal, qui donnait mandat à la 
France d'aller réc raser en Espagne; à l'Autriche d'aller l'écraser en 
Italie; à la Russie, d'aller l'écraser en Pologne, et partout. Eh bien! 
celte diplomatie de la légitimité et de la réaction, a été forcée par la 
conscience du monde civilisé à intervenir. 

Après Navarin, après qu'on eut brûlé — accident malheureux, disait 
Georges IV -- la flotte turque, on obtint la création d'un royaume grec. 
Ce fut un soulagement pour la conscience de l'Europe : ce fut le gage 
d'une ère nouvelle. En 1876, ce sont les atrocités bulgares qui servent 
de prélude à une émancipation. Elles étaient produites sur une échelle 



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— lOI — 

infiniment moins considérable que les massacres d'Arménie; 28 à 
3o,ooo personnes avaient été assassinées par les soldats d'Abdul-Hamid 
€t le cri d'indignation et d'horreur, Tappel éloquent de Gladstone retentit 
dans toute l'Europe. Quand la Russie eut terminée la guerre de 1877, 
encore qu'au Congrès de Berlin on l'eût fait reculer et qu'on eût détruit 
une partie de son œuvre, on n'en a pas moins achevé l'émancipation 
d'un grand nombre d'anciens Ottomans. La Roumanie est définitive- 
ment libre, la Bulgarie est créée, la Roumélie orientale a l'espoir, réalisé 
en six ans, de s'unir avec la Bulgarie. 

A l'heure actuelle, messieurs, alors que nous comptons non pas par 
milliers, ni par dizaines de milliers, mais par centaines de milliers les 
cadavres et que les victimes crient à nos oreilles leur inlassable protes- 
tation, est-ce qu'il sera écrit qu'après ces effroyables vêpres d'Arménie 
la seule chose que la diplomatie européenne ait su faire, après de vaines 
€t timides protestations, après des démarches ignominieuses parce 
qu'elles n'étaient pas suivies d'action, ça été de permettre au Sultan de 
rencontrer en champ clos le petit royaume de Grèce et de le vaincre, 
lui et l'espoir légitime de l'hellénisme, en face de l'Europe tout entière. 
(Applaudissements.) 

Eh bien ! à l'heure actuelle, encore que je reconnaisse volon- 
tiers que la question de Macédoine est hérissée de difficultés et 
de complications qu'on ne peut trancher en s'en référant pure- 
ment et simplement à des principes vagues et abstraits, je me per- 
mettrai tout de même, messieurs, de signaler à la Chambre à quel 
point il est lamentable que vingt-cinq ans après le Congrès de Berlin 
nous en soyons encore à discuter ici et autour du tapis vert des chancel- 
leries non pas même sur l'application des obligations solennellement 
contractées et qui ont reçu leur contre-partie à ce moment, mais sur 
de petits acomptes que nous disputons au mauvais vouloir du Sultan. 
Qu'est-ce donc que cela, sinon le commencement de la faillite et de la 
banqueroute de la diplomatie européenne ? Et d'où cela peut-il venir ? ■ 

Ah! je le sais bien, messieurs. C'est de la prédominance dans la 
diplomatie et les gouvernements actuels de ces dogmes diplomatiques 
qui sont très souvent des vérités d'hier figées en erreur d'aujourd'hui. 
(Très bien l très bien! sur divers bancs.) 

En effet, on a constamment appliqué aux phases successives de la 
question d'Orient des principes qui avaient pu convenir aux phases 
antérieures. 



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— 102 — 

Dans la première phase, l'Europe tome entière était en quelle sorte 
engagée dans une croisade — on disait dans ce temps-là la Chrétienté 
— contre l'invasion du Turc, alors que Ton craignait que k ftot de 
rislam, qui avait franchi le Danube et était arriyé jusqu'à BudahPesth, 
n^envahît l'Occident tout entier. Il y eut un mouvement unanime pour 
refouler I Islam ■ mais cela ne dura pas longtemps, et on en vint à la 
politique réaliste et pratique : ce fut Sa Majesté très chrétienne, le roi 
François l^^, qui, le premier, comprit qu'il y avait là une force considé- 
sable à exploiter, qu'il fallait en Europe jeter dans le plateau de la 
balance le contre-poids de la Turquie. 11 sollicita des privilèges et des 
capitulations. Mais ce qu'il y a de curieux, messieurs, c'est qu'au 
moment où l'on appliquait cette politique nouvelle on gardait la phra- 
séologie de répoque de la croisade et de la lutte sacrée contre l'islam. 
Du reste, cette tpoquc de la force de l'empire ottoman passe bien vite. 
Ce qui fait ensuite la question d'Orient, ce n'est plus alors la menace de 
Tempire ouoman suspendue sur l'Occident, c'est ta crainte que cet 
empire, si vite usé^ ne tombe trop vite en ruines. 

La Russie, emportée par sa vocation historique et ses appétits terri- 
toriaux, ne peut pas être arrêtée dans sa marche conquérante vers la 
Méditerranée et la mer Noire ; la Russie regarde constamment du côté 
de Constanlinople. Et alors, messieurs, on fabrique dans les chancel- 
leries et on promulgue comme un dogme le grand principe qui va 
dominer la diplomatie européenne pendant deux siècles : le maintien de 
rindépendance et de Tintégrité de l'empire ottoman. On en fait de mul- 
tiples applications; la guerre de Crimée en est la plus décisive. Quand, 
après celte guerre, les puissances, l'Angleterre et la France, constatent 
que si la Turquie existe encore c'est àelles seules qu'elle le doit, et que, 
par conséquent, elles ont assumé une responsabilité bien lourde en face 
du monde civilisé tout entier et des populations sujettes, comprirent- 
elles du moins, messieurs, que s'il s'agissait de maintenir l'intégrité de 
Tempire ottoman, on ne pouvait plus parier de son indépendance? Nofi, 
messieurs, on appliqua mécaniquement, superstitieusement l'ancienne 
phraséotogie qui s'expliquait, qui se justifiait peut-être durant la période 
de force de Tempire ottoman, et l'on rédigea ce prodigieux article du 
traité de paix, aux termes duquel les puissances s'interdisaient d'inter- 
yenir dans les affaires intérieures de la Turquie, article qui traduisait 
l*iUu5ion persistante, obstinée, mortelle, de la diplomatie; les événe- 
ments se chargèrent, messieurs, de la démentir bien vite. Il y eut 



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~ io3 - 

d'abord les afFaires de Moldo-Valachie, puis celle de Serbie et de Crète, 
dans lesquelles TEurope fut forcée, malgré les lettres du traité, d'inter- 
venir dans les affaires de Turquie. Ce fut alors qu'éclata la g.uerre 
de 1877. 

Au Congrès de Berlin, l'Europe, recréait, elle remettait sur pied, elle 
ressuscitait la Turquie : c'est évidemment à l'Europe seule que U Tur- 
quie doit ce nouveau bail de vie. A ce moment, messieurs, les puis- 
sances semblent, dans un éclair, comprendre qu'elles ont vcriublement 
contracté des devoirs nouveaux, et elles inscrivent dans le traité de 
Berlin une série d'obligations dont elles s'engagent à assurer le respect 
et l'exécution. 

Oui, cela est fort bien, mais un nouveau changement se produit 
alors. La Russie, après avoir été protectrice née de toutes ces nationa- 
lités, s'aperçoit qu'au lieu de constituer pour elle des étapes sur la route 
de Çonstantinople, ce sont des remparts qu'elle a élevés de ses propres 
mains, une triple enceinte qu'elle a érigée entre elle et Tobjei de son 
ambition. Elle modifie alors sa politique : au lieu de chercher à déve- 
lopper ces nationalités, elle vise à maintenir l'empire ottoman daps son 
intégrité. Et, par contre, messieurs, les autres puissances — qui auraient 
dû comprendre que l'avenir était dans le développement de ces nationa- 
lités, les puissances qui auraient dû servir comme les leurs mêmes, et 
comme le gage de la paix et l'instrument du progrès, les intérêts de la 
Bulgarie, de la Serbie, de la Roumélie, de la Grèce, les puissances n'ont 
pas l'air de comprendre. Elles persistent dans les anciens erremefits, 
dans leurs anciennes voies ; elles continuent à respecter superstitieuse- 
ment le dogme figé de l'indépendance et de l'intégrité de l'empire ottt:»- 
man, sans comprendre qu'actuellement il ne peut y être question d'in- 
tégrité qu'en proportion inverse de l'indépendance et que s'il y a Indé- 
pendance il ne peut y avoir d'intégrité. 

C'est au moment où elles étaient en quelque sorte en flagrant 
délit de contradiction, d'hésitation et d'incertitude, que sont surve- 
ntis ces terribl-es événements auxquels je faisais allusion tout à 
l'heure. L'Europe s'est laissé surprendre sans avoir une théorie formée 
ni un principe arrêté, sans savoir ce qu'elle devait faire ; eî alors, si elle 
ne s'est pas croisé les bras, elle a fait quelque chose de pire : elle a pié- 
tiné sur place dans le sang des victimes. {Applaudissemt^nts.} 

Quant à nous, messieurs, nous croyons qu'à cette heure k mom^ent 
est venu de secouer cette paralysie, de sortir de cette impuissance, d'an* 



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— 104 — 

tant plus que les événements s'annoncent menaçants et que ce qui a 
été Tait ou ce qui a été tenté à Constantinople était réellement toiite 
la limite de Teffûrt européen, il ne faudrait pas nous étonner si d'ici à 
quelques semaines^ si pendant le cours du mois d'avril nous voyions 
éclater une insurrection auprès de laquelle celle de l'automne dernier 
n'aurait rien été, 

Aurions-nouSj messieurs, la prétention ou la présomption, nous tour- 
nant vers M. le ministre des affaires étrangères ou vers les représen- 
tants des autres diplomaties, de leur tracer un programme détaillé, 
minutieux, ei leur dire pas à pas, article par article, comment nous 
comprenons quils agissent ? Non ; tel n'est pas notre désir, je dirai 
notre vocation de représentants du pays. Nous devons purement et 
simplement nous efforcer d'indiquer à M. le ministre des affaires étran- 
gères les principes généraux, de lui tracer les grandes lignes de la con- 
duite qui nous semble seule pouvoir donner une solution pacifique à la 
crise actuelle. 

Je n*hési:e pas à dire^ messieurs, et à proclamer tout d'abord que 
Von se trompe singulièrement sur nos intentions quand on nous attribue 
à Theurc actueUe le désir de voir porter une atteinte quelconque à l'inté- 
grité de l'empire ottoman en Macédoine. Tel n'est pas notre vœu. Nous 
croyons, au contraire^ je le répète, que l'intégrité de l'empire ottoman 
est devenue en quelque sorte une garantie de sécurité à la fois pour 
i'Europe et pour les populations sujettes; elle est devenue une espèce 
de doctrine de Monroë de l'Orient qui prononce un utile Noli me tan- 
gere, et qui interdit aux puissances qui ont des ambitions et des con- 
voitises de meure la main sur ces débris de l'empire ottoman. Elle 
interdit aussi aux nationalités sujettes et opprimées de songer à exercer 
les unes sur les autres une primauté qui dégénérerait bien vite en 
oppression. 

Ce que nous voulons, messieurs, au contraire, c'est, en maintenant 
les cadres actuels de Tempire ottoman, d'en transformer radicalemerK 
l'espritj l'administration et le gouvernement. Et il ne s'agit pas là d'une 
œuvre chimérique et impossible. 

On nous répète sans cesse que nous voulons en quelque sorte appli- 
quer les principes de 1789 ou appliquer la constitution de 1875 à la 
Turquie. Il n'en est pas question, messieurs. Nous croyons, au con- 
traire, qu'il existe actuellement encore dans l'organisme ottoman, dans 
l'organisme oriental certains éléments vivants et qu'il suffirait de les 



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— io5 — 

reprendre et de les développer pour donner les garanties nécessaires de 
bon gouvernement aux populations qui y ont droit. 

Il y a, d'une part, au sommet, Tautorité représentée par le vali, par 
le gouverneur général. Que ce vali soit nommé et choisi avec la sanc- 
tion de l'Europe, qu'il ne puisse être déplacé qu'avec son consentement, 
qu'il ne puisse agir que sous son contrôle, qu'il ne puisse pas recevoir 
ces ordres, constants, contradictoires, qui lui viennent du palais, qui le 
font danser comme une marionnette au bout d'un fil, pour troubler sa 
politique et pour le contraindre le plus souvent à commettre des actes 
néfastes; qu'il soit entouré d'un Conseil administratif élu, d'un Conseil 
consultatif qui lui apporte les éléments nécessaires de contrôle local et 
immédiat. 

Puis, messieurs, il y a là-bas, en Macédoine, comme dans le reste de 
l'empire ottorrian, une cellule qui est encore extrêmement vivante. On 
a essayé vainement de faire vivre le canton, on a essayé vainement de 
faire vivre la sous-préfecture et la préfecture; mais il reste la commune. 

Il reste la commune avec ses éléments organiques, avec, en parti- 
culier, le moukhtar ou le maire, avec son Conseil administratif élu. 
Donnez à la commune une pleine liberté d'administration; placez-là 
avec un Conseil électif en face d'un vali qui ne soit plus le représentant 
ou l'esclave de Yldiz-ICiosk, mais le représentant et l'organe de la 
mainmise et de la tutelle de l'Europe sur l'empire ottoman. 

Puis, messieurs, — car nous ne nous enveloppons pas dans un 
vague commode et nous ne reculons pas devant l'indication de réformes 
plus, précises et plus pratiques — vous imaginez-vous réellement qu'on 
pourra dire que la Macédoine a reçu des garanties sérieuses tant qu'on 
n'aura pas porté la main par exemple sur la justice? Mais la justice, elle 
touche par tous les points de la circonscription, à chaque instant, à la 
vie de ces malheureuses populations. 

Que sont ces tribunaux, dans lesquels il n'y a pas de chrétien, 
auxquels n'ont pas accès les nationalités sujettes, qui sont en quelque 
sorte chargés de l'administration partiale du Coran, du Chéri, et qui 
n'ont même pas l'indépendance d'une situation assurée et d'un salaire 
régulier? Il faudrait organiser des tribunaux mixtes dans lesquels les 
éléments des diverses nationalités seraient représentés, il faudrait 
remanier et simplifier les lois, la procédure; il faudrait que ses tribu- 
naux eux-mêmes fussent placés sous des inspecteurs européens chargés., 
comme en Roumélie orientale, de donner à un certain moment une 



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— io6 — 

rmpulsion nouvelle à tout ce vaste organisme et d'implanter enfin dans 
la magistrature de ce pays Tesprit de justice tel que nous le comprenons 
^ je ne d\s pas, hélas I tel que nous le pratiquons. (Applaudissements 
à gauche et sur divers bancs.) 

J'insiste encore, messieurs, sur la gendarmerie et la police; si vous 
Toulez qu'elles ne soient plus un fléau et un instrument de torture pour 
cette malheureuse province, recrutez-les avec soin; faites-les mixtes et 
surtout placez-les entre les mains d'officiers et sous le commandement 
d'officiers généraux qui n'appartiennent pas au Sultan, qui ne soient 
pas sous son autorité,, qui aient été pris dans des nations neutres — 
Belgique, Suisse, Danemark — par le choix des puissances. 

En ce qui concerne les impôts, messieurs, il en est actuellement 
quaire qu'ont à payer ces malheureuses populations. (Bruit à droite.) 

M. LE t^wÈsiDENT. — On a écouté les orateurs qui ont précédé M. de 
Pressensé; je vous prie de l'écouter également. Il n'en est certainement 
pas de plus compétent en matière d'affaires étrangères. (Applaudisse- 
ments à gauche.) 

M. FRANCIS DE Pressensé. — Je disais, messieurs, qu'il était indis- 
pensable de ne pas se contenter de l'espèce de squelette de réforme qui 
a été présenté par la note austro-russe et qui a été appuyé, à la canto- 
nade, par la démarche des autres puissances. Je vous ai indiqué rapide- 
ment les quelques points sur lesquels je croyais qu'il fallait faire porter 
principalement notre effort. Mais il est une réforme qui est la plus 
essentielle, celle sans laquelle, à mon avis, les autres seraient vaines. 
Vous auriez beau rédiger un code qui serait fait non pour la terre, mais 
pour le paradis,.. (Exclamations à droite.} Cela vous gêne ^ J'efface le 
mot paradis par égard pour la droite et je dis simplement que si ce code 
était conçu de façon à réaliser l'idéal des institutions humaines, il n'au- 
rait aucune valeur tant qu'on en laisserait l'exécution et l'application au 
^ulian lui-même et à son gouvernement. (Très bien! très bien! à 
gauche.) 

n n'y a qu'one façon d'obtenir des réformes en Turquie, l'expérience 
rindique. Chaque fois qu'au cours du siècle dernier urte amiéliorairon 
sérieuse a été apportée au sort des populations;,, on ne s'est pas contenté 
d'un iradé, d'un hattichérif de sultane, d'an tangimat, de toutes les 
constitutions et iradés qui ont été prodiguées par le Sultan; on a 
demandé qu'une Commission de contrôle permanent fût instituée pottr 
veiller à Inapplication des réformes promises, recevoir des rapports et 



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— loy — 

avoir le droit d'intervenir. On l*a fait au Liban, on l'a fait pour la Rou- 
méiie orientale; on le fera pour la Macédoine ou on n'obtiendra rien, 
{Très bien! très bieni) 

Je ne suis pas le seul à proclamer des vérités de ce genre. Je pourrais 
d'abord me réfugier derrière Tautorité d'un homme qui a été, lui aussi , 
un représentant du dogme de l'indépendance et de rintégrité de rcmpirer 
ottoman de la façon la plus éclatante. S'il est un homme qui ail joué un 
grand rôle dans l'histoire de la Turquie au cours du siècle dernier, c'est 
certainement ce fameux ambassadeur de la Grande-Bretagne^ que l'oii 
appelait le grand Eltcher, lord Stratford de RedcliJie, qui, depuis jSoâ 
jusqu'à 1870, pendant cette période singulièrement prolongée, a rempli 
à diverses reprises les fonctions d'ambassadeur sur le Bosphore. 

En 1875, au soir de sa longue vie, dans une lettre qu*il adressait aju 
Times, au moment où éclatait le cri d'angoisse et de douleur des Bul- 
gares massacrés, lord Stratford de Redcliffe a écrit : * Il ne faut pas 5> 
tromper, il n'y a que deux moyens d'agir d'une façon eflicace sur ['em- 
pire ottoman, c'est, d'une part, la pression exercée du dehors au moment 
opportun et, d'autre part, l'institution permanente d'un contrôle euro- 
péen. » 

Voilà la formule que je retiens : elle a été écrite par un homme 
qu'on n'accusera pa;5 d'être l'ennemi de l'indépendance et de l'intégrité 
de l'empire ottoman. 

Il y a plus. Quand on p>arcourt le Livre jaune, ne trouve-t-on pas à 
chaque page l'affirmation de ce principe? Je pourrai s vous lire des dépê- 
ches remarquables d'un de nos agents les plus dlsiinguéSi. M. Bapsî, 
qui a représenté la France à" plusieurs reprises comme charge d'atïaires 
à Constantinople. Il ne saurait tro-p insister sur ce point; à chaque ins- 
tant il le déclare pour qu'il n'y ait pas de dôme : * Ne permettez pas, 
dit-il, au Sultan de s'imaginer qu'il aura fait quelque chose quand il 
aura donné des promesses ; ce- qu'il nous faut, c'est le contrôle, le 
contrôle permanent. » 

Je le répète à mon tour, messieurs, je le répète avec un homme qui 
a, >e pense, quelque autorité en la matière, avec le président du Conseil 
bulgare, M. Dan€fï,.qui ne cherche certainement pas, soit à aggraver la 
situation difficile de son propre pays, soit à créer des complications à ta 
politique du comte Lamsdorff. Dans un entretren qu'il a eu» au cours 
des dernières semaines, avec le représentant de l'Angleterre à Soha, 
M. Elllot, M. E>aRefl' lui a déclaré que toutes les reformes qui éialeat 



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— io8 — 

promises ou même demandées, quand bien même on reviendrait à Texé- 
cution intégrale du traité de Berlin, ne seraient rien , qu'autant en 
emporterait le vent, si l'Europe ne se décidait pas à demander, à exiger, 
à instituer le contrôle^ le contrôle permanent. 

C'est ce qu'il faut répéter sans cesse à Constantinople. (Très bien! 
très bien l) 

Et je me permets de demander à M. le ministre des affaires étrangères 
de faire poner les efforts de la diplomatie française de ce côté. Je ne lui 
demande pas quelque chose qui soit incompatible à un degré quelcon- 
que avec l'état présent des négociations. 

N'avons-nous pas constaté l'autre jour que la Russie elle-même se 
préoccupait de celte question ? N'avons-nous pas pu lire dans un com- 
muniqué officiel, inséré dans la presse de Saint-Pétersbourg et qui a été 
reproduit dans ta presse du monde entier, que le ministre des affaires 
étrangères russe %t préoccupait lui aussi de cette question du contrôle, 
qu'il comprenait bien que c'était le fond de la question et que rien ne 
serait faii tant qu'on ne l'aurait pas obtenu? Seulement, messieurs, il 
disait que pour le moment, on pourrait se contenter de faire exercer ce 
contrôle par les diplomates et les agents consulaires. 

Je ne puis pas croire qu'un contrôle exercé par les diplomates et 
agents consulaires ordinaires et normaux puisse suffire; c'est le rôle et 
le devoir de la diplomatie et des consuls partout où ils existent, mais 
cela ne leur donne pas un droit positif et spécifique; cela ne distingue 
pas d'une façon suffisante soit au regard de la Porte, soit vis-à-vis de la 
population^ le mandai qui doit ici être conféré par l'Europe et par la 
Turquie. 

D'autre part, à l'heure actuelle personne, je crois, ne soutient que ce 
qui a été fait à Constantinople soit quelque chose de définidf, que dans 
les quelques démarches accomplies jusqu'à présent, on puisse dire 
maintenant : un point, c'est tout. 

Aussi, messieurs, lorsque le ministre des affaires étrangères anglais, 
lord Landsdownc a reçu communication des demandes austro-russes, 
leur a-i-îl conféré un brevet immédiat et définitif de satisfaction et a-t-il 
diiL^laré que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes, que 
nous n'avions plus qu'à nous croiser les bras et à attendre sous l'orme 
L:t que ces admirables réformes faites par l'iradé du 2 décembre 1902 et 
consacri^es par la Porte, aient porté leurs fruits? Non, messieurs, il a 
dit, au contraire, que l'Angleterre faisait expressément ses réserves, 



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— 109 — 

qu'elle se réservait le droit de voir si réellement on avait atteint le but 
qu'on poursuivait et de reprendre et de continuer la conversation au 
point où elle l'avait laissée. 

Voilà ce que je demanderai qu'on fit : je voudrais qu'on ne consi- 
dérât pas que parce qu'à Constantinople certaines paroles ont été échan- 
gées, parce qu'il a plu au Sultan de placer sa signature une fois de plus 
au bas d'une feuille de papier, nous avons écarté tous les dangers qui 
pèsent sur la situation présente. (Très bienl très bien !) 

Non, messieurs, je veux me placer en face de la réalité, en face de 
cette insurrection menaçante au printemps prochain. Ce n'est pas moi 
seul qui le proclame et qui dit que ce n'est pas là une probabilité, mais 
une certitude. A chaque page des publications officielles, nous le 
voyons : c'est M. Steeg, notre consul à Salonique, déclarant que ^ sî 
les réformes, même celles qui ont été promises, ne commencent pas à 
être mises à exécution, il est bien difficile de croire qu*au mois d'avril 
l'insurrection n'éclate pas, et avec une violence redoublée. ;* 

C'est le consul général d'Angleterre à Salonique qu'on n'accusera 
certainement pas de ne pas être turcophile, sir Alfred Biliotti, qui, après 
avoir décrit en termes saisissants l'insurrection d'octobre et de novembre 
dernier et l'effroyable répression à laquelle se sont livrés les Turcs, 
déclare que s'il y a une certitude en Macédoine, c'est que le mois d'avril 
ne se passera pas sans que l'insurrection recommence. 

Que sera cette insurrection ? Ce serait déjà quelque chose de redou- 
table et de. terrible que de voir la Macédoine en feu, ce serait quelque 
chose de terrible pour l'Europe civilisée que cette répression qui ne 
sera que la réédition des Vêpres d'Arménie et des massacres qui 
ont ensanglanté partout le règne d'Abdul-Hamid. fTrès bienl très 
bien !) 

Mais en nous plaçant même à ce point de vue plus limité de notre 
intérêt immédiat, vous imaginez-vous, messieurs, que lorsque Tétincelle 
aura été mise dans cet amas de matériaux inflammables, nous pourrons 
arrêter l'incendie au point juste où nous voudrons; que la Bulgarie, 
par exemple, quelles que soient ses intentions actuelles, quand bien 
même elle aufait plié devant les représentations de l'Europe, qu'elle ne 
se serait pas contentée de donner quelques bonnes paroles, d'enft;rmer 
quelques militaires trop ardents — vous imaginez-vous qu'elle pourra nt 
pas se jeter dans la mêlée quand la bataille sera engagée? Il se passera 
ce qui s'est passé en 1876 pour la Serbie. La Serbie avait longtemps 



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— ÏÏO — 

résisté, la Serbie a été entraînée et s'est jetée dans le combat commencé 
fxar la Bosnie et rHerzégovine. 

La Russie avait longtemps résisté en 1876, elie avait suivi la politique 
i^u'-eUe suit à l'heure actuelle; le prince Gprtchakoff n'avait pas pro- 
digué ses sympathies aux insurgés de Bosnie et d'Herzégovine, pas 
plus que le comte Lamsdorf ne les prodigue aux insurgés de Macé- 
doine; c'était malgré la Russie que les Comités slavophiles avaient 
envoyé tant de voloiiiaires en Serbie; le moment est venu pourtant, où 
le tsar auiôtraie n*a pas pu résister au grand courant populaire qui 
s'était déchaîné, qui se gonflait et montait chaque jour, et la guerre 
russo-turque a éclaté, 

Crovez-vous, messieurs, que nous ne reverrons pas absolument ces 
mêmes étapes, qoe nous ne verrons pas se dérouler sous nos yeux le 
même processus et que si nous n'avons pas l'énergie de faire ce que je 
vous demande — cl, en vérité, ce que je vous demande ne nécessite 
pas beaucoup d'énergie ^ nous ne serons pas placés en face d'un pro- 
blème Lcl que depuis vingt-cinq ans l'Europe n'en a pas connu de 
pareil ? 

Je dis cela, messieurs, non dans la pensée d'attaquer à quelque 
degré que ce soit le ministre des afl*aires étrangères qui détient le porte- 
feuille dans le ministère Combes; non! J'ai déjà constaté à plusieurs 
reprises et avec une sincère satisfaction au cours de cet exposé que, 
Jans toutes ces longues négociations qui durent depuis 1901, à certains 
moments la France avait fait les réserves qu'elle devait faire, un peu 
limidementj sur un ton qui n'était peut-être pas de nature à être 
entendu comme il aurait du l'être, mais qu'elle n'avait pas purement et 
simplement suivi la politique russe, qu'elle ne s'était pas mise à la 
remorque de la Russie et qu'elle avait marqué son indépendance et les 
points sur lesquels elle croyait devoir en faire usage. 

M. le ministre des affaires étrangères n'a qu'à se reporter à deux 
précédents assez récents pour comprendre ce que nous lui demandons à 
l'heure actuelle. 

Est-ce que quand on agite devant lui le spectre de la nécessité de 
runanimité des puissances ; quand certaines dépêches qui émanent de 
sé^ agents eux-mêmes disent que rien ne pourrait se faire si les puis- 
sances n'agissent pas unanimement, est-ce que M. le ministre des affaires 
étrangères ne se rappelle pas que, à un moment donné, il s'est agi d'une 
question presque aussi brûlante que celle-ci, de la question de la Crète? 



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— III — 

On lui disait aussi ; Faites attention, toutes les puissances ne veulent 
pas marcher, vous allez -déchirer le concert européen, — ce précieux 
concert européen ! — après ce qu'il avait fait ou ce qu'il n'avait pas fait, 
après le spectacle lamentable d'i'mpuissance et de division qu'il avait 
donné au monde! Mais M. le ministre des affaires étrangères ne s'est 
pas laissé hypnotiser, messieurs, il s'est contenté de faire appel aux 
bonnes volontés qui voulaient bien agir. Il y a eu un petit concert, un 
coocert à quatre, et il a fait quelque chose; ii n'a pas résolu — le mot 
serait trop ambitieux — la question de la Crète, non^ mais il Ta faii 
entrer dans la voie de la solution. 

Et d'autre part, messieurs, quand on vient nous dire : Nous n'avons 
pas le droit, à l'heure actuelle, de nous exposer à certaines graves éven- 
tualités qui pourraient résulter d'une pression comminatoire exercée, si 
c'est nécessaire, sur la Porte; nous n'avons qu'à nous reportera quelque 
temps en arrière ; car je fais à la politique française l'honneur de croire 
que quand elle a envoyé l'escadre de la Méditerranée à Mityicne, elle 
n'était pas absolument sûre du résultat. Si on croyait alors à TuiiUlô op 
â la nécessité de cette démarche, c'est qu'on croyait aussi à la possibilité 
de la résistance du Sultan, c'est donc qu'on croyait à l'éventualité de la 
mise en action de nos cuirassés. Je voudrais bien savoir, messieurs, s'il 
€st établi d'une façon définitive que ces canons français, qui n'ont pas 
toujours besoin de faire parler la poudre pour se faire entendre, ne peu- 
vent être mis uniquement qu'au service de certaines créances plus; ou 
moins liquides de paiticuliers plus ou moins levantins ? {Vifs applau- 
dissements à Vextrême gauche et à gauche.) 

Je voudrais bien savoir si jamais nos cuirassés ne pourront se faire 
les recors, non d'usuriers, mais de la conscience humaine el de ia foi 
des traités ? {Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.) 

Pour moi, je pense, au contraire, qu'en ce cas l'union de la force 
physique agirait très rapidement et très efficacement sur les résistances 
d'un souverain qui, à défaut d'autres vertus, a celle de la prudence et de 
i'instinct de conservation. 

Je crois donc que M. le ministre des affaires étrangères, en .se souve- 
nant de ce qu'il a fait lui-même, n'a qu'à continuer dans la voie qu'il a 
peut-être ouverte d'une façon un peu timide, mais du moins qu'il a eu 
ie mérite d'avoir ouverte. Et je rends ici,, messieurs, pleinement justice 
k la différence que nous avons constatée depuis quelques années dans 



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— 112 — 

]& direction de la politique étrangère de la France. {Très bien! très bien! 
à textrême gauche et à gauche.) 

Nuire collègue, M. Charles Benoist, interpellait tout à l'heure M. le 
Minisire des Affaires étrangères sur les principes qui ont présidé à la 
politique étrangère depuis 1898. Quant à moi, sans entrer dans le détail, 
je me contenterai de dire que j'ai senti avec une vive satisfaction que les 
principes qui ont présidé à notre politique étrangère depuis 1898 
n'étaient pas ceux qui avaient présidé à la politique jusqu'à cette 
époque, (Applaudissements à gauche.) 

Nous avons pu trouver, messieurs, qu'après avoir abandonné c 
qu'on appelait la grande politique — ce qui voulait dire l'art de ne pa^ 
faire de grandes choses et de se soustraire à de grands devoirs en invo- 
quant de petits ci de misérables prétextes — que la politique de la 
France manquait de souffle et d'envergure. Cela est possible, probable 
mtl^me^ d'imaginer qu'à l'heure actuelle, en présence des menace de la 
situation, M. le Ministre des Affaires étrangères saura hausser sa poli- 
tique et comprendra qu'il y a des cas dans lesquels c'est la difficulté 
même du problème qui fait la grandeur de l'occasion. Il comprendra 
aussi que ce n'est pas toujours la médiocrité d'une politique qui en fait 
la sécurité. 

Quant à nouSj Messieurs, qui venons apporter ces critiques, formuler 

'1 cette solution^ attirer de nouveau l'attention de la Chambre et du pays 

I sur cetie question d'Orient, nous n'ignorons pas qu'on ne manquera 

' pas de nous jeter à la face, comme on l'a déjà fait, la contradiction pré- 

tL'ndut qu'il y a entre nos principes et l'action que nous demandons à 

rheure actuelle. 

Véritablement on se fait la partie belle, messieurs 1 On s'imagine 
que parce qu'on s'est forgé je ne sais quelle fantasmagorie de socia- 
lisme, parce qu'on a dressé devant soi je ne sais quel fantoche qu'il est 
d'autant plus facile d'abattre qu'on l'a construit, comme en un jeu de 
massacre, de façon d'être sûr de le vaincre à l'avance; on s'imagine, 
dis-je, qu'on pourra réfuter au pied levé nos doctrines, et relever une 
contradiction entre les paroles apportées ici, si éloquemment, il y a 
quelques semaines par mon ami et collègue Jaurès et celles que je 
prononk;e en ce moment. 
I Messieurs, parce que nous sommes, je ne dirai pas pleins d'espé- * 

Irance, mais pleins de certitude au sujet de la grande, de la glorieuse, de > 
la bienfaisante évolution qui emporte à l'heure actuelle les sociétés i 



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delà 
poli- 
culte 
;ndra 
1 fai: 



uler 



— ii3 — 

modernes; parce que nous sommes convaincus que cette évolution, qui 
est tout ensemble une évolution morale, une évolution intellectuelle, 
une évolution juridique, une évolution économique, nous conduit iné- 
vitablement vers des formes nouvelles, je ne dis pas vers la paix éternelle 
ou même perpétuelle, mais vers la paix normale, coutumière et prédo- 
minante ; parce qu'elle nous conduit vers ce qui est pour nous Fidéal de 
l'avenir, la fédération européenne, est-ce que vous direz qu'il y a con- 
tradiction, alors qu'à Theure actuelle il existe un centre permanent de 
dépression d'où montent sans cesse à l'horizon des nuages noirs, à ce 

ue nous déployions tout notre effort pour empêcher ces accidents de |, 

jorter atteinte à ce processus pacifique et pour conjurer ces tempêtes ' 

futures ? (Vifs applaudissements à gauche, à l'extrême gauche et sur 
divers bancs.) 

Non, non, messieurs, nous agissons ici dans le s"fens de nos principes | 

et de nos intérêts. Nous sommes doublement heureux de le faire quand 
il s'agit d'une action commune internationale, quand il s'agit de faire 1 

appel non pas à l'égoïsme de telle ou telle puissance, mais à l'action ^ 

désintéressée de ce concert européen qui reste, et surtout qui deviendra ^ 

une grande chose malgré ses défaillances. 

Il s'agit d'une action commune ; cette action se poursuit sur le 
terrain du droit, sur le terrain des traités, sur le terrain aussi du droit 
idéal, sur le terrain du droit des gens. Nous nous plaçons, messieurs, 



P^-^' en face de ce problème urgent. Nous constatons que depuis un siècle, 



^^^^ ^ c'est presque toujours d'Orient que sont parties les perturbations qui 
P^\' ont troublé l'atmosphère de l'Europe — et dont nous savons bien 
"^^ ' comme elles commencent mais dont nous ne savons pas comment elles 

oine ' 
icia- I 
lest ' 
(de 
ne. 



finissent, — nous nous plaçons en face de ce problème pour constater 
que la conscience du genre humain se prononce énergiquement depuis 
longtemps ; que malheureusement elle s'est prononcée un peu vaine- 
ment en réclamant la juste répression des massacres d'Arménie, mais 
qu'il y a là un compte ouvert et qu'il sera toujours temps de le régler. 
Et d'autre part, messieurs, à côté de la conscience du genre hmain 
^"^ , n'avons-jious pas le droit écrit, la foi des traités, ces obligations qui ont 
) ^ ' été souscrites et renouvelées : le traité de Berlin, les promesseis qui ont 
été faites à nos ambassadeurs, année après année ? 

En présence de tous ces faits, je dis, messieurs, que ce serait vérita- 
blement la banqueroute, non seulement de la diplomatie, mais de 
l'Europe et de la France elle-même, si nous pouvions nous contenter 



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^^"^^^fTfirr 



— 114 — 

des mesquins et misénbles expédients qui semblent devoir prévaloir 
dans les chancelleries à l'heute actuelle. 

L'heure est solennelle, les dangers immédiats de cette insurrection 
dom je parlais loui à l'heure, de cette guerre qui peut éclater d'un jour 
à l'autre et qui contiaue de planer sur nous. Il est^ hélas l à craindre, 
messieurs, que cet état d'instabilité et d'insécurité ne persiste tant que 
durera ce régime néfaste de la paix armée, qu'on prétend être le maxi* 
mu m de la force orgaDJsée ; mais qui, en réalité, n'est que le maximum 
de la coûteuse et ruineuse faiblesse. En e:ffet, chaque puissance armée 
jusqu'aux dents, redoute,, si elle vient à agir, que toutes les puissances, 
armées comme elle^ ne se précipitent sur eUe. (Applaudissements à 
gauche.) 

Nous assistons k une espèce de course au clocher, de course folle 
aux dépenses miliiaîtes : c^est cet espèce de vertige qui fait que la plus 
pacifique des puissances de jadis, 1* Angle tterre, a depuis quinze ans 
ajouté un milliard à son budget ordinaire de la guerre et de la mrrine, 
porté aujourd'hui à 1.700 miUions 1 Nous ressemblons ainsi, en vérité, 
messieurs, à ces chevaliers du moyen âge qui, au mont Cassel, couverts 
d'armures pesantes, pourvus d'armes perfectionnées, lourdement montés 
sur leurs chevaux caparaçonnés, ctaient embarrassés au point de ne pas 
pouvoir bouger, pendant que les petits et agiles soldats des communes 
flamandes se précipitaient sur eux et, trouvant le défaut de leurs cui- 
rasses, leur enfonçaient le poignard de miséricorde. (Applaudissements 
à gauche.) 

En présence de ce danger menaçant, de la gravité de cette situation 
qui est si bien attestée par des publications officielles, qui est reconnue 
ou confciis'ie par le Sultan lui-même, nous devons déclarer à cette 
tribune, à la face de la France et à la face de l'Europe, que le moment 
est venu non pas seolemeut pourla France^ mais pour toutes les puis- 
sances signataires du traité de Berlin de déployer, dans toute son ampli- 
tude, toute leur force — toute leur force matérielle et toute leur force 
morale — pour recouvrer dans toute son étendue tout leur droit — tout 
Ifur droit écrit trt tout leur droit idéal. (Vifs applaudissements à 
rvxircme gauche et sur divers bancs à gauche,) 



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— ii5 — 



M. MARCEL SEMBAT 



J'ai dit, en ce qui concerne TArménic et la Macédoine, que je ne 
reviendrais pas sur les explications si complètes données par M. de Pres- 
sensé. Cependant, notre collègue me permettra de lui dire que je n'irai 
peut-être pas aussi loin que lui dans les procédés comminatoires à 
employer en la circonstance. 

Il m'a paru, en l'écoutant et en relisant son discours au Journal 
officiel, qu'il serait assez partisan d'une action armée venant de France, 
fût-ce même une action isolée, analogue par exemple à celle qui nous a 
menés à Mitylène. Pour ma part, je crois qu'il serait dangereux, fût-ce 
pour la cause la plus noble, fût-ce pour la défense et l'affranchissement 
des Arméniens et des Macédoniens, d'avoir une initiative isolée de ce 
genre. {Applaudissements sur divers bancs à Vextrême gauche.) 

M. Francis de Pressensé. — Je partage absolument votre manière de 
voir. Je n'ai nullement voulu parler d'une action isolée de la France. 
J'ai voulu parler — je croyais l'avoir indiqué — d'une action semblable 
a celle qui a été exercée en Crète. 

M. Marcel Sembat. — C'est que vous aviez parlé aussi de Mitylène. 

M. Francis de Pressensé. — J'avais limité l'un des exemples par 
Pautrè. Je so.uhaitais qu'on ne repoussât pas le principe de la pression 
à exercer à certains moments, non pas au nom de l'humanité des puis- 
sances, — ce qui est chimérique,— mais au nom de celles des puissances 
qui, dans ce cas, voudraient se joindre à la France. (Très bien l très 
bien ï sur divers bancs à Cextrême gauche.) 

M. Marcel Sembat. — Je suis tout à fait d'accord avec M. de Pres- 
sensé. Je crois qu'il ne faut pas rechercher l'accord unanime du concert 
européen, mais ce qui s'est passé pour la Crète pourrait avec fruit se 
répéter au besoin en ce moment. 

Ce que je tiens à signaler, c'est que, même pour la plus noble àes 
causes, nous ne pouvons pas autoriser une action isolée comme celle de 
Mitylène, attendu qu'à ce moment il aurait suffi de l'agression d'un 
soldat turc ou d'un de ces timariots, moins soldats que brigands, pour 
déchaîner une guerre avec la Turquie, avec peut-être un retentissement 
qu'il devenait impossible de limiter. (Très bien ! très bien l) 



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— ii6 — 

J'espère que M. le Ministre des Affaires étrangères poursuivra en 
Macédoine et en Arménie une politique d'ensemble, une politique liée, 
qu'il s'appliquera à ne pas laisser régler isolément la question de la 
Macédoine, mais qu'il tiendra à ce que la question d'Arménie reste éga- 
lement posée et imposée aux préoccupations du Sultan. {Très bien l 
très bien I) 

M. Marcel Sembat attire ensuite Tattention du Ministre . 
sur les influences d'argent dans l'affaire Tubini-Lorando, 
telles qu'elles ont été révélées par un procès pendant devant 
les tribunaux français. 

Ce n'est pas la première fois qu'un bruit pareil à une accusation de 
ce genre vienne à nos oreilles. Vous n'ignorez pas qu'au moment des 
massacres d'Arménie, à maintes et maintes reprises, le bruit a couru 
que si l'opinion publique française ne se soulevait pas, si on ne la tenait 
pas mieux au courant des atrocités qui se passaient là-bas, c'était parce 
que la Turquie faisait le nécessaire pour que la France et le public 
français ne fussent pas trop bien ni trop complètement informés. 
(Applaudissements à l'extrême gauche.) 

M. le Ministre, évidemment, va nous répondre : « Que voulez-vous 
que j'y fasse ? Je suis désarmé. » Je réponds : Monsieur le Ministre, 
vous vous trouvez heureusement dans un cas où vous pouvez, non 
seulement faire justice, mais encore empêcher absolument tout l'effet 
nuisible de ces manœuvres crimineHes sans avoir besoin de recourir à 
une poursuite judiciaire ou criminelle. C'est l'idéal, n'est-ce pas ? Nous 
n'avons pas besoin de recourir à la justice répressive, car il suffit, pour 
paralyser ces manœuvres, qu'on parle franchement, clairement et que 
le Gouvernement les dénonce clairement. 

A partir du moment où le public français saura qu'il y a des gens qui 
distribuent de l'argent pour créer une fausse opinion publique française, 
dès qu'ils sauront quels sont les corrupteurs et quels sont les corrompus, 
les distributions d'argent perdront tout effet utile. (Mouvements divers,) 

D'ailleurs, il n'est pas vrai que nous soyons tout à fait désarmés. Si 
nous sommes dépourvus de sanctions judiciaires et sans recours devant 
la justice criminelle, nous avons en revanche le droit de présenter des 
observations diplomatiques. S'il est exact qu'une puissance se livre chez 
nous à des manœuvres de ce genre, nous ne devons pas le tolérer. 



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»5^ï3ry ^»r^' ^.r'Tf 



— 117 — 

Vous avez bien su, lorsque s'est produit le dernier incident avec la 
Turquie, lui dire : « Vous entretenez chez nous une police occulte ; nous 
ne voulons plus qu'on surveille à Paris, à Taide d'une police dont nous 
ne sommes plus responsables, les Jeunes Turcs ou les sujets ottomans 
coupables de rêver pour leur pays un meilleur régime que la domination 
du sultan Abdul-Hamid. » Vous avez ainsi empêché les policiers turcs 
de continuer leur métier. Je ne sais pas s'ils l'ont repris depuis, mais 
vous pourriez présenter des observations de même genre si des 
manœuvres, avérées celles-là, et qui semblent prouvées, étaient ourdies 
chez nous par une puissance avec laquelle nous sommes en relations 
diplomatiques. 

M. DELCASSÉ 



L'honorable M. Charles Benoist n'a rien dit des affaires des Balkans ; 
mais vous avez entendu, messieurs, notre éminent collègue, M. de Pres- 
sensé. 

M. de Pressensé vous a dit, avec une émotion qu'il n'était pas seul 
à éprouver, les souffrances des populations de la Macédoine et de 
l'Arménie; il vous a dit, avec une sûreté et une compétence qu'il n'est 
pas possible de dépasser, les transformations profondes de la péninsule 
balkanique au cours du siècle dernier. Est-ce que, là encore, la France 
aurait manqué à ses traditions ? Est-ce que, en ce qui concerne l'Ar- 
ménie, elle n'a pas montré, depuis cinq ans, par des interventions 
répétées dont les Arm<*niens eux-mêmes nous ont plusieurs fois exprimé 
leur gratitude, qu'aucune souffrance humaine ne la laisse insensible ? 
Est-ce que, hier encore, par l'envoi d'une mission spéciale en Arménie, 
par l'augmentation en Arménie du nombre de nos agents, elle n'a pas 
marqué nettement sa volonté de ne pas se relâcher d'une surveillance 
qui paralyse les mauvaises volontés, suspend les méchants desseins ? 
(Rumeurs au centre,) 

Eh OUI l messieurs. Si je vous lisais les extraits des rapports de ceux 
de nos agents que j'ai envoyés en Arménie, vous verriez qu'ils constaieni 
que l'action que nous avons exercée là-bas a été efficace. 

Ce que nous avons fait en Arménie, ce que nous continuerons de 
faire, nous l'avons fait également pour la Macédoine; MM. Georges 
Berry et de Pressensé l'ont reconnu. Ce n'est pas d'hier que la Frant:e a 



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— ii8 — 

signalé la condition malheureuse des populations de la Macédoine et ce 
n'est pas d'hier non plus qu'elle s'est efforcée d'amener la Turquie à 
l'améliorer, en réformant les abus d'une administration qui, vraiment, 
donne trop de prise k la critique. 

Le mal réel est assez grand pour qu'on s'abstienne de le grossir ariifi- 
ctellement. La vérité, c'est qu'en Macédoine, les esprits sont dans un 
état d'irritation extrême- Je ne dis pas que c'est la faute du seul gouver- 
nement turc, je suis loin de méconnaître les graves difficultés d'une 
situation très complexe. Je sais — et M. de Pressensé le reconnaissait 
lui-même — qu'il faut compter avec les aspirations très vives et très 
opposées des populations qui habitent la Macédoine, avec les excita- 
tions de ceux qui exploitent ces aspirations; mais comment ne pas 
constater, d'autre part, que le gouvernement ottoman n'a rien fait 
jusqu'à ce jour, malgré le puissant appel que les puissances lui ont 
adressé, pour apporter quelque soulagement aux misères des habitants 
et pour rendre par là plus difficiles les efforts de ceux qui spéculent sur 
leur désespoir ? Car il n'y a pas d'autre mot pour dépeindre l'état moral 
des habitants de la Macédoine. (Très bien! très bien!) 

Je n'en veux pour preuve que les troubles qui ont persisté pendant 
l'hiver rigoureux en cette région, faisant craindre, à la fonte des neiges, 
un plus vaste soulèvement que le souci de l'humanité non moins que 
de la paix de l'Europe commandait de prévenir. {Très bien l très bien!) 

Ah I sans doute, en présence de ces troubles et de l'attention crois- 
sante que les puissances ne pouvaient pas ne pas leur donner, sans 
doute la Porte, il y a trois mois, a paru s'émouvoir. Elle a envoyé sur 
les lieux un haut commissaire pour s'y livrer aune enquête, et nommé 
à Constantinople une Commission pour en examiner les résultats et 
proposer les mesures qui lui paraissent appropriées. Mais déjà le temps 
était passé de ces études, et ce n'était pas une enquête de plus qui pou- 
vait apaiser les populations ni rendre confiance aux puissances. Elles 
savaient, au surplus, ce qu'il en fallait attendre ; elles n'ignoraient pas 
que certains actes énergiques demandés parle haut commissaire enquê- 
teur, et proposés par la Commission à la Porte, n'avaient pas été 
ordonnés par la Porte et que les agents dénoncés n'en continuaient pas 
moins leurs exactions et leurs abus de pouvoir. Non l l'enquête était 
faite, le mal connu ; c'était le remède qu'il importait d'appliquer. 

A l'heure actuelle, qu'est-ce qui exaspère surtout les populations ? 
Le paysan macédonien est très attaché au sol, dur au travail, tenant aux 



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— 119 — 

fruits de son travail. Il vient de couper sa récolte ; de chaque tas de 
cent gerbes, il en détache dix : la part du dîmicr. Le dîmier arrive, qui 
en prend vingt, souvent trente, quelquefois plus; ou bien le dîmier se 
lait attendre, La récolte ne peut être enlevée. Cependant, la pluie tombe, 
qui U détériore; û faut alors la vendre à vil prix, aux gens du dîmier, 
sinon au dîmier lui-même. Le malheureux paysan s'en retourne chez 
lui. Va-t-il pouvoir au moins disposer de ce qu'on lui a laissé pour ne 
pas mourir de faim avec sa famille ? Survient le gendarme, qui a faim, >V^ 
lui aussi. On a dit au gendarme, en le nommant, qu'il recevrait 
3o francs par mois ; mais les mois s'écoulent avant qu'il touche un sou» 
ak>rs il prend au paysan ce que l'administration ne lui donne pas ; au 
lieu de le protéger, il le pille; il le pille et il le bat si le malheureux veut 
résister. 

En faut-il dire plus long pour expliquer le désespoir de ces popula?» 
tions et pour en faire appréhendec^ les conséquences ? Faut-il parler des 
meurtres, des cruautés que se reprochent réciproquement les Turcs et 
bandes révolutionnaires et dont ni les uns ni les autres ne sont proba*- 
blement tout à fait innocents ? 

Si la Porte n'a pas tort de se plaindre de la propagande des Comités 
révolutionnaires, il faut constater cependant que son administration leur 
a trop bien préparé le terrain. ( Très bien i très bien I) 

A quoi servirait de fermer les yeux ? On aurait aimé continuer de 
s'endormir sur la pensée que, les grandes puissances étant résolument 
pacifiques, et l'Autriche et la Russie, les plus directement intéressées, 
voulant résolument le statu quo politique et territorial dans les Balkans, 
rien ne s'y peut produire qui soit de nature à troubler sérieusement la 
paix. C'eût été s'exposer à un réveil désagréable. 

il fallait tenir compte aussi des populations balkaniques, de ce 
qu'elles pensent, de ce qu'elles sentent, de ce qu'elles souffrent. Or, elles 
en étaient arrivées à trop souffrir pour écouter autre chose que les con- 
seils de la misère exaspérée. C'est ce dont les grandes puissances se sont 
convaincues, et le Livre jaune vous a montré que la France n'a pas été 
la dernière à signaler le mal et à demander qu'on appliquât le remède 
( Très bien l très bien /) ; ce remède, c'est l'acuité même du mal qui 
l'indiquait. 

Il fallait courir au plus pressé, c'est-à-dire aux réformes, non-seule- 
ment capables de réunir immédiatement l'adhésion des puissances, mais 
qui ne risquent pas de soulever les protestations ou les jalousies des 



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— 120 — 

dilTérentes populations de la Macédoine, qui profitent à toutes indistinc- 
tement et dont l'application serait immédiatement réalisable. 

El voilà pourquoi on est tombé d'accord qu'il fallait tout de suite 
établir en Macédoine une institution financière régulière qui perçoive 
leî? taxes dues et celles-là seulement, et qui, avec le produit des taxes, 
pourvoie aux besoins de la province et, en premier lieu, aux dépenses 
de sùretè. 

Il faut aussi réorganiser immédiatement la gendarmerie, la recruter 
à la fois parmi IfS chrétiens et parmi les musulmans, proportionnelle- 
ment à leur nombre, et la mieux payer, en tous cas la payer régulière- 
ment. El, comme garantie de Texécution loyale et persévérante de ces 
deux réformes très simples, mais aussi urgentes qu'indispensables, un 
inspecteur général, nommé pour un temps déterminé, ayant des pou- 
voirs étendus et la faculté d'en user,;^n'étant pas exposé à ce que, chaque 
matin, un ordre télégraphique de la Porte ou du Palais, passant par 
dessus sa té Le, annule ceux qu'il aura donné à ses fonctionnaires, et 
survelllani ces dt:rniers avec l'autorité d'un homme sûr de la durée et 
de Tappui des puissances, témoins attentifs de ses efforts. 

Messieurs, que ce paysan, dont je vous dépeignais tout à l'heure la 
situation intolérable, demain se sente protégé; qu'il sache qu'il peut 
désormais travailler son champ en toute sécurité et que le produit de 
son travail lui appartiendra bien certainement, oh 1 je ne prétends pas 
qu'il se tiendra pleinement satisfait; je ne prétends pas qu'il cessera de 
songer à ses frères de race qui, au nord-est, à l'est, au sud-est, forment 
des nations indépendantes; ce qui est sûr, c'est que, malgré toutes les 
excitations, il sera moins impatient de sa condition présente et que les 
puissances auront la liberté de rechercher dans quelle mesure la réali- 
sation de ses aspirations se peut concilier avec le maintien de l'équilibre 
de l'Europe et la conservation de la paix. (Très bien! très bien I) 

11 est nécessaire que ces réformes aboutissent. Il appartenait à la 
Russie, qui a tant fait pour les nations balkaniques (Très bien! très 
bien!) et à l'Autriche, voisine, d'en présenter le programme à la Porte. 
La France, dont l'adhésion était d'avance certaine, en a immédiatement 
demandé l'application. Toutes les autres puissances ont fait de même 
et aussitôt la Porte a fait savoir qu'elle acceptait ce programme intégra- 
lement, sans aucune modification. 

M. lb; ljelttenant-colonel Rousset. — Elle ne l'exécutera pas. 

M, Francis de Pressensé. — Je demande la parole. 



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ty}jr^^ 



— 121 — 

M. LE Ministre. — Nous voulons espérer que, se rappelant ce qui est 
résulté chaque fois pour elle des commotions violentes que les abus 
de son administration avaient provoquées, et stimulée d'autre part par 
l'active surveillance des puissances qui ne se relâchera pas, la Porte 
exécutera avec autant de sincérité qu'elle a mis d'empressement à les 
accueillir... 

M. Georges Berry. — Vous vous en portez garant? 

M. LE Ministre. — ...ces réformes au succès desquelles c'est la Tur- 
quie, au surplus, qui est la première intéressée. 

Dieu me garde de vouloir pousser les choses au noir; mais il ne faut 
pas se dissimuler qu'il y a là une situation sérieuse et qui mérite d'au- 
tant plus notre vigilance que c'est en un point de l'Europe particulière- 
ment délicat que s'est formé le nuage que les communs efforts des 
puissances tendent à dissiper. 



M. RIBOT 



Cette question de la Macédoine, nous ne pouvons pas, nous ne 
devons pas nous en désintéresser ; on nous en a donné les raisons 
décisives. 

Il n'y a pas seulement une raison d'humanité, une raison d'atta- 
chement à ces grands principes qui ont été de tout temps l'hon- 
neur de la France, ces principes de civilisation et de protection des 
opprimés. Tout cela est fort respectable; tout cela est à l'honneur 
de notre pays. Mais il y a une autre raison que M. de Pres- 
sensé a indiquée hier, qui est une raison politique : c'est que si nous 
laissons, si l'Europe laissait s'engager dans la péninsule des Balkans 
entre les divers petits Etats et principautés intéressés ces luttes d'in- 
fluence ou de races auxquelles on a fait allusion hier, personne ne serait 
maître de limiter le conflit, et que l'orage, qui pourrait se former sur les 
rives du Vardar, pourrait bien ^éclater autre part. {Très bien! très 
bien !) 

Nous avons donc le devoir d'être vigilants et, nous qui souhaitons 
la paix, nous avons le devoir de faire tout ce qu'il est honorable de faire 
pour empêcher ce conflit d'éclater. 



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— 122 -- 

Heureusement, — et c'est ce qui m'empêche d'être pessimiste; — la 
Russie et T Autriche se sont entendues, non pas hier, mais en 1898, pour 
empêcher précisémeiat cette conflagration, ce conflit d'intérêt si mena- 
çant pour la paix de r£uropc ; eiks entrait un arrangement qui dure 
encore à cette heure pour écarter tous ces conflits, pour maintenir le 
statu ^wo territorial dans la péninsule des Balkans. Elles se sont enten- 
dues en 1897 et Taccord tient encore aujourd'hui : témoin ce voyage du 
corn te. Lamsdorf, à Vienne et dans les principautés; témoin aussi les 
mesures très -énergiques que prend en ce moment le cabinet de Saint- 
Pétersbourg pour faire sentir que ce n'est pas une apparence, que c'est 
sa Tolonté, eu même temps que celle de l'Autriche, et celle de l'Europe, 
d'empêcher que, soit la Bulgarie, soit une autre puissance, ne prenne 
l'initiative d'allumer l'incendie. 

En même temps, ces deux puissances exercent une pression sur 
Constantinople. Elles ont raison, c'est leur devoir; elles ne peuvent 
retenir ces principautés, qu'à la condition d'améliorer la situation de 
toutes ces races opprimées répandues, comme l'a décrit hier M. de 
Pressensé, dans cette région de la Macédoine. Elles ont rempli leur 
devoir, et nous nous sommes joints à elles pour approuver leur initia- 
tive, pour la fortifier de notre adhésion ; c'est là notre politique et nous 
ne pouvons pas en avoir d'autre. 

Que ce soit un m'nimum, comme l'a dit M. de Pressensé, soit. Je 
désire avec lui que nous étendions le champ de ces réformes, que noue 
arrivions à les consolider par la constitution d'un contrôle permanent. 
Très bien I très bien J) 

Mais j'ajoute que nous ne pouvons pas faire cela seuls, que nous 

devons rester en constant accord avec les puissances auxquelles l'initia- 

ve appartient, c'est-à-dire la Russie et l'Autriche, que nous devons 

aire ce que fait l'Angleterre, ce que font toutes les nations qui veulent 

la paix. 

M- le ministre des affaires étrangères le fera certainement. Je n'ai 
aucun reproche à adresser à sa politique dans cette question. J'ai lu le 
Livre jaune, il tient à toutes les pages le langage qui convient à la 
France, le langage d'une nation qui n'a pas la prétention de conduire la 
politique en cette matière, mais qui est prête à apporter le concours de 
sa puissance morale à toutes tes négociations. (Applaudissements,) 

J'approuve cette politique ; mais je ne comprends pas tout à fait ce 
que disait hier l'honorable M. de Pressensé. 11 nous disait, dans un dis- 



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— 123 — 

cours fort remarquable : «Que fait la diplomatie en Orient? Elle 
s'attache à de vieux dogmes usés comme celui de l'intégrité de l'empire 
ottoman. Quelle vieillerie que ce dogme de l'intégrité dt Tu m pire 
ottoman ! » 

M. Fbancis de Pressensé. — Je la défends. 

M. RiBOT. — Eh ! oui, il y a, en diplomatie comme il y a bien un peu 
aussi en politique, vous en conviendrez, messieurs, de vieux dogmes 
auxquels on tient beaucoup, bien qu'ils soient quelquefois un peu 
démodés. (Rires approbatifs.) Mais le dogme de l'intégrité de Tempire 
ottoman est-il tout à fait tombé au rang de ces dogmes finis dont on 
peut annoncer la chute ? 

Quelques instants plus tard, l'honorable M. de Pressensé disait ; 
4c Nous sommes tous désireux de maintenir, en Macédoine, l'uiiégriié 
de l'empire ottoman; nous la considérons comme une sorte de doctrine 
de Monroë... » 

M. Franos de Pressensé. — Voulez-vous me permettre une observa* 
tion, monsieur Ribot. 

M. RiBOT. — Très volontiers ! 

M. Francis de Pressensé. — Je n'ai pas dit que le dogme vieilli qui 
pèse encore à l'heure actuelle sur la diplomatie est celui de rimégriié de 
de l'empire ottoman ; j'ai dit — ou en tout cas j'ai voulu dirt — que ce 
dogme vieilli, c'est la formule, d'après moi, complètement fausse aujour- 
d'hui, de l'intégrité et de l'indépendance de l'empire ottoman ; et je 
m'efforçais hier de démontrer que si nous croyons à préseni indispen- 
sable de maintenir cette intégrité, particulièrement dans celte région de 
Macédoine qui est l'objet de tant de convoitises diverses, nous ne pou- 
vions le faire qu'en limitant précisément l'indépendance de Tempire 
ottoman. J'ai essayé également d'établir que la diplomatie, qui se laisse 
encore guider en ce moment par la formule qui avait prévalu en i856, 
se laissait hypnotiser par un dogme vieilli, usé et qui n'a plus de raison 
d'être. (Très bien! très bien! à l'extrême gauche.) 

M. RiBOT. — Il n'y a rien de tel que de s'expliquer. M. de Pressensé 
veut vérifier l'intégrité de la Turquie en diminuant graduellement son 
indépendance. 

M. FRANas DE Pressensé. — C'est l'histoire même ! 

M. Jauréds. — C'est ce que vous faites vous-même, monsieur Ribot, 
en demandant le contrôle. 



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— 124 — 

M. Charles Dlmont. — La Turquie a toujours considéré les Com- 
missions permanentes comme un casus belli! 

M, RjflOT, -— C'est rhistoire même, dites-vous. En effet, il y a déjà 
longtemps que l'indépendance de la Turquie a reçu quelques légères 
aiieintesj et je ne m'etfarouche pas du tout du langage qu'a tenu M. de 
Pressensé ; l'essentiel, c'est qu'il est d'accord avec nous sur ce point que 
nous devons maintenir Tintégrité de l'empire ottoman, que c'est là notre 
sécurité, non seulement parce que l'intégrité de l'empire ottoman 
empêche les violences^ les représailles de race à race, mais parce qu'elle 
empêche aussi peut-être des conflits autrement inquiétants entre des 
grandes puissances qui n'ont pas absolument les mêmes intérêts ni les 
mêmes vues d'avenir, 

Nous sommes donc d'accord, et je ne crois pas qu'il soit utile de 
prolonger davantage cette discussion. Nous donnerons à M. le 'Ministre 
des Affaires étrangères l'approbation dont il a besoin pour continuer, 
dans les termes qu'il a indiqués par les livres jaunes, la politique qu'il a 
suivie dans les Balkans. 

Si, dans celte question d'Orient, où nous avons des intérêts communs 
avec l'Europe^ M. le Ministre des Affaires étrangères a suivi la ligne qui 
lui est indiquée, j'aurais peut-être pour ma part quelques réserves à 
faire sur d'autres points de la politique où nous avons des intérêts qui 
nous sont plus exclusivement propres, moins communs avec l'ensemble 
de l'Europe. 



M. FRANCIS DE PRESSENSE 

Avant le vote de Tordre du jour, M. Francis de Pres- 
sensé a insisté à nouveau sur la nécessité d'une action 
énergique sur le sultan. 

En second lieu, M, le Ministre des Affaires étrangères est venu tenir 
ici un langage tout à fait excellent — d'autant meilleur qu'il reflétait le 
nôtre — au sujet de la situation en Orient. Mais, de même que dans la 
plupart de ces dépêches et dans l'action qui s'exerce à Constantinople, 
je trouve que les considérants sont admirables, mais que le dispositif 



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•>^5^!F^T' 



— 12^ — 

n'existe pas, de même aujourd'hui dans cette espèce d'impuissance à 
conclure qui est le malheur de notre diplomatie, au lieu de se rallier à 
ridée du contrôle permanent, de l'intervention efficace à l'heure actuelle, 
sans perdre un moment à Constantinople, il nous a offert purement ei 
simplement la réitération des démarches dont il nous a dit lui-même, 
aussi sévère et aussi juste que le plus pessimiste d'entre nous, qu^aprés 
avoir obtenu des promesses positives et innombrables du Sultan^ elles 
n'avaient jamais été exécutées et que rien n'avait été fait. 



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LA MANIFESTATION DE HILAN 



Le Comité qui s'était constitué à Milan, sur l'initiative 
du docteur Loris-Mélikoff, pour organiser Tagitation en 
ftiveur des populations opprimées d'Arménie et de Macé- 
doine, avait décidé d'inaugurer son action par un grand 
meeting à la date du dimanche 26 avril. II avait^ dans le 
courant de la semaine précédente, fait afficher un appel aux 
citoyens de Milan. 

L'appel attx citoyens de Milan 

Citoyens, 

Un empire, qui resserre mal entre elles TAsie et l'Eurape, nous offre 
en ce moment le spectacle horrible de sa barbarie, aussi bien à sa fron- 
tière de l'Est, en Arménie, qu'à sa frontière de l'Ouest, en Macédoine. 

Les massacres et les martyrs, auxquels l'Arménie est vouée, sont 
l'œuvre. de hordes cruelles et rapaces, presque sanctionnée par un sinis^ 
tre privilège, tandis que sur la Macédoine pèsent les répressions féroces 
de rebellions déchaînées par le désordre vraiment inouï du gouverne- 
ment. 

Par suite d'engagements solennels et répétés, pris avec la diplomatie 
de TEurope, la Turquie aurait dû réprimer depuis longtemps ses hordes 
brutales et remédier aux conséquences de son mauvais gouvernement. 
Mais ces engagements se sont toujours tournés en une ironie terrible. 

La diplomatie de l'Europe, qui hésite toujours, par suite des intérêts 
disparates qui sont en jeu, n'exerce pas de son côté une pression suffi- 
sante sur le gouvernement ottoman et paraît presque résignée à en 
deve&ir le jouet. 

Mais désormais, le sentiment des nations civilisées s'élève toujours 



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— 128 — 

plus ënergiquement contre les abominations que la Turquie commet et 
consent. 

La civilisation moderne rend toujours plus étroite la fraternité entre 
les nations ei le sentiment d'horreur éveillé par certaines énormités ne 
demeure plus borné dans les limites d'un mouvement stérile de l'esprit. 
Nous sentons que nous nous ferions presque les complices des crimes 
d'auirui, tzi oubliant d'apprêter les remèdes. Nous sentons d'avoir le 
droit et le devoir d'insurger contre quiconque, au nom de l'humanité 
meurtrie. 

Citoyens, c'est à cause de cela que parmi les gens civilisées se lève, 
au nom de Thumanité meurtrie, une protestation toujours plus formi- 
dable, destinée à pousser les gouvernements de l'Europe à intervenir en 
faveur des Arméniens et des Macédoniens, qui succombent devant les 
cruautés et les horribles violences du Turc. 

La protestation doit être si unanime et si puissante, que tous les 
délais soient interrompus et toutes les discordes de la diplomatie se 
taisent. La volonté unanime des gouvernements civilisés deviendra 
ensuite une sommation si efficace à son tour que la Turquie sera domp- 
tée pour toujours, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à l'argument 
suprême. 

Citoyens, de cette façon une véritable croisade est prêchée par la 
civilisation contre la barbarie. L'humanité le veut. Il faut que l'Italie se 
rallie autour de ce saint étendard, que Milan brille de toute sa lumière 
au milieu des ran^s italiens. 

Vous entendrez développer par des orateurs éloquents, italiens et 
étrangers, les pensées que nous rappelions en vous invitant- à notre 
réunion. 

Aucune diver^ïence de parti ou d'opinion nous divise sur ce point. 
Venez tous! 

E. T. MoNETA, président, — Dott. Albertini Luigi, directeur du Car- 
rière délia Sera, — Prof. Angiolini Francesco. — Arduino Mar- 
cello, — Prof. AscoLi Graziado, sénateur. — Avv. Bistolfi Giovanni, 
directeur de la Lombardia. — Butti E. A. — Bolognesi Giuseppe. 

— Dott. GiusTû Calvi, rédacteur en chef de la Vita Internationale. 

— Avv. Cappa Innocenzo, rédacteur de Vltalia del Popolo, — Chiesi 
GusTAvo, député. — De-Cristoforis Malachia, député. — Ing. De- 
ÂNDREts LuiGi, député. — Prof. Ellero Lorenzo. — Dott. Filipetti 



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— 129 — 

Angelo. — Dott. Gnocchi-Viani Osvaldo. — Avv. Giuriati Dome- 
Nico. — Dott. Carlo Landriani, directeur de la Perse ver enj^^a. — 
Avv. Maino Luigi, député. — Prof. Mangiagalli Luigi, député. — 
Avv. MicELi Giovanni. — Dott. Pinardi Giuseppe. — Pini Tommaso. 
PiROLiNi G. B., directeur de la Vita Italiana, — Ravizza Alessan- 
drina. — Avv. Carlo Romussi, directeur du Secolo. — Avv. Serra- 
lunga. — Langhi g. m. directeur de la Lega Lom barda, — Prof. 
SiLVA Giui.io. — Avv. Suzzi PiETRO, directeur de la Sera. — Ing. 
Taroni Paolo, député. — Avv. Trêves Claudio, directeur du Tempo, 
— Avv. TuRATi FiLippo, député. — Don Vercesi Ernesto, directeur 
de VOsseruatore Cattolico. 



Les Assistants 

Dès une heure et demie, une foule de quatre mille per- 
sonnes au moins avait envahi la vaste salle du théâtre 
Fnssati. De nombreux assistants se tenaient debout, faute 
de place, et la scène même était comble quand les organi- 
sateurs et les orateurs y prirent place. Dans la salle et sur 
la scène, les sénateurs Ascoli, Facheris et De Angeli; les 
députés Marcora, vice-président de la Chambre, De Cristo- 
foris et Chiesi; les adjoints Sinigaglia, Baroni, Piazza et de 
nombreux conseillers municipaux; beaucoup de dames, 
parmi lesquelles M"^^ Ravizza, Tune des fondatrices de 
l'université populaire de Milan et la poétesse Ada Negri. 

L'assemblée acclame comme président M. Gnocchi 
Viani, conseiller municipal de Milan, qui a contribué pour 
une large part à l'organisation des chambres du travail en 
! Italie. 

Après une courte et chaleureuse allocution, il donne la 
parole au docteur A. Calvi, rédacteur en chef de la Vita 
Internationa le y secrétaire du Comités qui lit la liste des 
f adhésions. 



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— i3o — 

Sociétés mîlanaïses. 

1 . Socîetà générale dc^V impiegati chili. 

2. Comiiaio centrale dclla Kcderazione italiana fra lavoranli nell'indus- 

irÈa chîmico-pharmaceuiîca. 

3. Socieià di M, S, fra I fauorïnï telegrafici (Caméra del Lavoro). 

4. Sezionc délia Federazione fattorini tete^rafici (C. del Lavoro). 
5* Circolo elettorale C. Cattaneo. 

0. Sezione dt\ Partito giovanile libérale italîano. 

7. Fédération italiana lavoranti in vcLro (C. de! Lavoro). 

8. Sezione délia Federaziont; italiana dei lavoraiori del libro. 
Q. Circolo A* Mario IVà studenti republtcani, 

10. Federa^ione socialista milanese. 

fï. Unione impiegati c commessi di aziende private. 

fa. Sezione Federazione italiana gasisti, 

j3. Sezione insegnanti del (a Caméra del Lavoro. 

r4. Unione fcmmitiile, 

i5. Sezione del Partito repubblicano italiano. 

j6* Federazione italiana délie Coopérative. 

Sociétés politiques non milanaises. 

1. Circolo republicano M. R, Imbriani, Chiari (Brescia). 

2. Sezione di lesi P. R, 1. 

Z. Sezione di Spoteto P. ft, L 

4. Partiin i^iovanile libéra italiano, Sezione di Lecco. 

5. Socictà repubUcanà di VEcoli (Ravcnna), 

6. Assocîazîone A. Fratti, Rovigo. 

7. CtcoIo republicano G. Nathan, Pontasserchio. 

8. Sezione C. Cavotirdel Partito giovanik libérale monarchico, Parma. 

9. Circolo G. Mazzini, Ce^enatico, 

10. Sezione republicaiia Italia del Populo Chiaravalle (Marche). 

I j . Circolo elettorale If^tnio Casa no va^ Monza. 

la, Sezione P. R. L, Valenza. 

j3. Unione democratica Felice CavalioUi, Pavia. 

14. Circolo republicano G. Ferrari, Varese. 

i5. Gruppo republicano di Empoli. 

lô. Circolo G. Mazzini, Sestri Ponente. 

17. Circolo Danielii, Pontedera. 



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— i3i — 

i8. SezioneP. R. I. Velletri. 

19. Circolo G. Mameli, Ravenna. 

20. Sezione P. R. I., Alessandria. 

21. Circolo Mazzini, Pontedera. 

22. Sezione P. R. I., Foligno. 

23. Circolo Operaio republicano. Treviso. 

24. Sezione sociaiisia, Pontedera. 

25. Circolo A. Saffi, Vicenza. 

26. Circolo Valzania, Marlorano (Cesena). 

27. Circolo Mazzini, Treviso. 

28. Circolo Mazzini, Modigliana. 

29. Giovane Italia, Modigliana. 

30. Gruppo republicano, Belgioioso. 
3i. Associaziona republicana pavese. ' 

32. Sezione P. R. I., Castellanza. 

33. Unione libérale monarchica, Maccraïa. 

Sociétés ouvrières et Bourses du Travail. 

1. -Società operaia Panfilo Castaldi, Feltre. 

2. Società operaia, Grosseto. 

3. Società anonima cooperativa per la fabbricazione di maioliche e 

stoviglie, Forli. 

4. Associazione générale operaia patriottica di M. S. e istruzione; 

Novi Ligure. 

5. Società operaia maschile di M. S., Chiari. 

6. Caméra del Lavoro di Parma e provincia. 

7. Confederazione operaia genevese. 

8. Caméra del Lavoro délia Città e provincia di Vicenza. 

9. Società miglioramento fra macchinisti e conduttori di caldaie a 

vopore, Jesi. 

10. Società operaia di M. S. e istruzione, Pisa. 

1 1 . Associazone générale degli opérai, Torino. 

12. Società M. S. fra lavoranti in terraglie, Pisa. 
i3. Caméra del Lavoro, Sampierdarena. 

14. Caméra del Lavoro, Piacenza. 

i5. Caméra del Lavoro, Salerno. 

16. Lega operaia, Pontedera. 

17. Fratellanza operaia, Pontedera. 



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— i32 — 

i8. Socleià operaia, Ghiari. 

19. Lega braccianti, Malalbergo, 

ao. Società operaia di M, S* Pesaro. 

Anciens combattants de Tlndépendance. 

1. Società reduci patrie battaglie e garibaldini, Bologna. 

2. Società fra i superstiti Uni ta d'Italia, Bologna. 

3. Società Garibaldi, reduci patrie battaglie, Piacenza. 

Sociétés humanitatres et autres. 

1 . *: Corda Fratres n?-, 

2. Scuola fcitiva elemeniare di educazione fisica, Mortara. 

3. Società d(!lk Pace^ Torino. 

4. Società *t Amici^ia », Bre^cello. 

5. Comitato per la Pacç, Voghera- 

6. Loggia massonica, Sampierdarena. 

MunJcîpalîtéâ. 

[ . Cesenatico, p. Syndaco Baliila Feadi. 

2, Mas5a Marittima, Sîndaco Fiaschi» 

3, Narni, Sindaco Bariletti. 

4, Ravenna, p. Sindaco A. Miiiellî. 

5, UrbinOj p. Sindaco G. Canzini. 

6, Valenza, Sindaco cav* Abbiati, 

Sénateurs* 

Massarani — De Angeli — Mussi — Villari — Rossi — Ponti — 
Pisa — Carnazza A mari. 

Députés. 

Aibertori — Crcdaro — Barzilai — Mangiagalli — Guerci — Ram- 
poldi — Rondani — Barilan ^ Ciccotti — G. Del Balzo — Pavia — 
Gavazzî — Sacchi — Alessio — Gattorno — Rava. 

Professeurs, Conseillers communaux et généraux, etc. 

Prof. G. Mosca^ UnJversità, Torino — A. Ghisleri, Bergamo — Cav. 
G. Cafasso, préside del Liceo Manzoni^ Milano — Sinigaglia, assessore 
MiiMstruzione pubbllca^ Milano — Avv. E* Girett', Bricherasio — Prof. 



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i 



— i33 — 

P. E. Guarnerio, del Liceo Beccaria, Milano — Prof. E. Turchi, diret- 
tore scuola tecnica Cavalieri, Milano — Avv. A. Rossetii, cons. prov., 
Perugia — F. Mazzana, cons. com., Sarzana — G. Martelli, Pi sa — 
Avv. F. Franchini, cons. prov., Borgo a Buggiano — Dott. E. Cecchini, 
cons. com., Gittà di Gaslello — L. Rossi, cons. com., Orvieto — G. Pe- 
razzi, Macerata -^ E. Giorgelti, lesi — O Melani, cons. com., Pisa — 
G. Raddi, cons. com., Massa Marittima — E. Romoli, Aquila — C. Rec- 
chioni, O. Mondaini, R. Balicchia, consiglieri com., Falcûnara — 

D. Bovelacci, Forli — G. Montanari, Cesena — D. Rinaudi, Maklbergo 
— F. Angeloni, A. Alfonsi, consiglieri com., Velletri — Crcsii, cons. 
com., Grosseto — Avv. G. Maioni, Perugia — Prof, ssa K. Dal Co, 
direttrice délia Scuola normale C. Tenca, Milano — Prof. A. Martînaz- 
zoli, Prof. G. Colombi, préside del Liceo Beccaria, Milano — Prof, 
G. Formento — Prof. O. Brentari — Gt^rolamo, Calvi, Milano — Prof. 
B. Massari, Istituto lecnico, Perugia — Iiig. G. B. Pirelli, Milano — 
A. Foà, Torino — Colonnello Missori — A. Mangili, Milano — Conte 

E. di Paravicino — On. A. Maffi, Milano. 



TEXTE DES ADHESIONS 



Nous reproduisons ici intégralement ou dans leurs 
passages essentiels les adhésions les plus importantes, en 
commençant par la lettre du sénateur Joseph Mussij maire 
de Milan, au président du meeting, M. Moneta : 

. Mon cher et éminent ami, 

J'applaudis et j'adhère entièrement à votre généreuse proposition en 
faveur des populations chrétiennes opprimées par l'insupportable domi- 
nation turque. Nous autres Italiens, depuis peu ressuscites à la liberté 
et à l'indépendance, nous avons le devoir de défendre la cause des peu- 
ples opprimés. 



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- .34- 

Cesi ainsi qtie nous répondons aux plus nobles traditions de notre 
histoire et que nous n'oublions pas les gloires du lion de Saint-Marc, 
qui seul a dcfendu pendant des siècles les peuples chrétiens contre les 
barbares Invasions turques. 

Que l'Adriatique redevienne le lac de Saint-Marc, libre et prospère, et 
puisse la paix sourire sous un régime civil, qui renouvelle les anciens 
gestes et consolide rinfluence latine dans les pays de l'Orient. 

Le sénateur Tulio Massarani, en s'excusant de ne pas 
pouvoir, à cause du mauvais état de sa santé, assister au 
comice, écrit à M, Moneta : 

Les nationalités opprimées me sont sacrées. Je fais des vœux pour 
que votre infatigable activité obtienne de faire concentrer sur elles 
tous les esprits libéraux et' toute la force morale de Topinion, la seule 
force dont nous pouvons disposer. 

Le député républicain Carlo Del Balzo écrit : 

J'envoie de tout cœur mon adhésion, en souhaitant qu'une bonne 
fois la soi-disant ^ Europe civilisée » mette un terme à cet anachro-. 
nisme qui s'appelle Turquie. 

Le professeur Slnigaglia, assesseur pour l'instruction 
publique au Conseil municipal de Milan, écrit : 

Puisse la concorde des âmes et Témotion que nous ressentons obtenir 
une bonne fois que Ton songe sérieusement à mettre un terme aux 
cruautés turques qui se produisent contre des millions d'opprimés. 

Le docteur Capasso, président du Lycée Manzoni, et 
les professeurs A. Volta, E. Cantoni, T. Cicchitti-Su- 
R[ANJ, S. Ferrero, C. Riva, E. Longhi, F. Rigamonti, 
O. Pïerllca, C. Pozzoli, J.-V. Storchi, G. Bertacchi, 
F. Fabbrini, e, Crespi, A. De Stefani, E. Sannicolo, 



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. - i35 - 

U. LiMENTANI, F. VlTALI, F. FOFFANO, V. TOCCI, A. QuiN- 

TAVALLi écrivent : 

A l'appel généreux du Comité « Pro Armenia e Macedonia », les 
soussignés, convaincus de la justice de la cause et partageant les idées 
qu'il exprime, y applaudissent et envoient leur adhésion au Comice. 

l.'avocat E. Giretti, un vaillant économiste de l'école 
libérale, écrit : 

Depuis plus d'un siècle la conservation de l'empire turc consume un 
des points cardinaux de la politique de l'équilibre européen. 

Si Lord Shelburne avait été mieux compris et mieux secondé (la 
Révolution française n'avait pas encore eu lieu) quand il attaqua fière- 
ment le ministre Pitt pour sa tendance à se laisser prendre par la fatale 
politique de l'intervention européenne en faveur de l'intégrité de l'em- 
pire ottoman; si Cobden et Bright, avec leur propagande en faveur 
d'une politique de paix et de « non-interveniion * avaient réussi à em- 
pêcher la guerre de Crimée, la question d'Orient serait réglée depuis 
longtemps et le gouvernement temporel du calife de Constantinople 
aurait eu sa « Brèche de la Porte Pie » plusieurs années avant que le 
gouvernement temporel du Pape eut la sienne à Rome 

Protester, c'est peu de chose, mais cela vaut toujours mieux que 
subir en silence d'aussi inqualifiables infamies. Notre protestation 
servira du moins, comme il est dit dans le manifeste du Comité, « à 
repousser la complicité des horreurs d'Arménie et de Macédoine )>. 

L'islamisme, avec sort double caractère religieux et gouvernemental, 
est devenu un mauvais anachronisme en Europe au commencement 
du xxe siècle, un permanent et grave danger pour la paix du monde, 
linc véritable nuisance internationale. Pour cela, l'islamisme doit être 
balayé. En attendant que les peuples sujets du sultan — Grecs, Serbes, 
Bulgares, Albanais, Turcs et Monténégrins — apprennent à se tolérer 
réciproquement dans leurs diverses religions et à se gouverner fédéra- 
tivement sous le haut contrôle de l'Europe unie, celle-ci a le droit, le 
devoir même de prendre ces peuples sous sa tutelle au nom d'une 
suprême raison civile et humaine et cela comme garantie de la paix 



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— i36 — 

devenue plus que jamais un intérêt collectif, universel, le premier, le 
plus apprécié des biens qu'un gouvernement civilisé doit à ses propres 
conciioyens. 

M"''^ Nina Rignano Sullam, en sa qualité de déléguée de 
1* « Union des Femmes de Milan », écrit : 

L' * Union des Femmes de Milan )> applaudit vivement à l'œuvre de 
l'honorable Comité et envoie son adhésion à la véritable croisade com- 
mencée par la civiiisatton contre la barbarie, souhaitant que le meeting 
d'aujourd'hui, outre une protestation contre les cruautés turques, 
puisse trouver aussi le moyen de venir en aide à ceux qui souffrent si 
injustement. 

Le citoyen V^ Fhiederichsen, au nom de la « Commis- 
sion executive de la Fédération socialiste de Milan », écrit : 

La « Fédération socialiste milanaise )>, convaincue de l'importance 
d'une manifestation de solidarité contre les actes d'oppression et de 
barbarie avérés au dommage de n'importe quel peuple, a délibéré 
d*adhérer au meeting de dimanche et délègue le professeur Arthur La- 
briola pour 3' prendre la parole en son nom. 

M. LabriolAj indisposé, s'est excusé de ne pas avoir pu 
intervenir au meeting. 

Le <ï Parti de la Jeunesse libérale italienne » — section 
de Milan — écrit en faisant des vœux pour que « l'opinion 
publique sache manifester avec fierté en faveur d'une poli- 
tique plus humaine et plus juste, qui, surmontant les ter- 
giversations et les atonies diplomatiques, prouve la noble 
volonté des peuples civilisés ». 

Le Comité central de la « Fédération italienne des ou- 
vriers de rindufitrîe chimique-pharmaceutique » a transmis 
à la présidence un ordre du jour dans lequel, après avoir 



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- .37 - 

déploré la conduite du gouvernement turc, elle dit que 
« c'est un devoir de tous les travailleurs d'intervenir et de 
protester contre tous les gouvernements qui, abusant de 
leur force, enlèvent la liberté aux citoyens, et invite tous 
les députés italiens à pousser le gouvernement à faire œuvre 
de civilisation pour faire cesser les massacres qui ont 
lieuen Arménie et en Macédoine, et qui sont une véritable 
honte pour le xx^ siècle ». 

M"*^ Anne-Marie Borghese, présidente de V « Œuvre 
de l'activité féminine de Rome », écrit : 

J'envoie mon adhésion aux sentiments de pitié pour les opprimés, 
de désir et d'amour pour la liberté des peuples. 

Pour la « Corda Fratres », la belle Association interna- 
tionale des étudiants, ont télégraphié l'Av. Jean Persico, 
vice-président pour l'Italie, et M. Dedaninos, président de 
la section milanaise. 

Voici le texte des deux dépêches : 

Recevez pour votre œuvre humanitaire et de justice l'entière adhé- 
sion de la « Corda Fratres ». 

Av. Persico. 

La « Corda Fratres », qui a en partie ses idéalités communes aux 
vôtres, au nom de la fraternité des peuples, au nom de la civilisation et 
du progrès, joint sa voix aux cris solennels que vous élevez aujourd'hui 
pour TArménie et la Macédoine. 

Dedaninos. 

Le citoyen Bazzocchi a envoyé de Forli la dépêche sui- 
vante, vraiment typique : 

Le bataillon (de volontaires) prêt à partir adhère à l'initiative géné- 
reuse et humanitaire de Milan. 



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— i38 — 

La Société des « Survivants des batailles pour la patrie 
et les Garibaldiens de la ville et de la province de Bologne » : 

Parta^t^ant cnuerement les idées du Comité envoie son adhésion 
unanime à ce que le Comité affirmera et délibérera. Elle fait des vœux 
ardents pour que l'Europe civilisée se décide une bonne fois à faire dis- 
paraître rétat de choses actuel, qui crie vengeance devant la civilisation. 

La <K Bourse du Travail » de Sampierdarena a écrit : 

Applaudissant à Foeuvre de tous ceux qui s'intéressent à la cessation 
des guerres et â l'instauration de la paix permanente et par cela même 
à l'abolition des années, nous ne pouvons qu'adhérer à votre initiative 
en faveur des populations opprimées d'Arménie et de Macédoine. 

L'av. DoFFËNA, au nom de la section d'Alexandrie 
{Piémont), du « Parti républicain italien », écrit : 

Ce qui n'a pas été possible par traité, ce que n'ont pas voulu les 
gouvernements européens — rendus inertes par le soupçon que 
quelques-uns parmi eux put accroître sa propre suprématie — pourra 
être accompli par les peuples. 

La Confédération ouvrière génoise, adhérant avec 
enthousiasme au Meeting dans un manifeste communiqué 
aux journaux et signé par les consuls : J. Chiesa, C. Ros- 

TAGNOj G. SCÂRLATTI, dit : 

La Confédération, après avoir pris en considération la circulaire de 
TAssociation pour la Paix (Union Lombarde), se référant à l'agitation qui 
a pour but de faire pression sur les gouvernements civilisés pour qu'ils 
interviennent et empêchent les massacres continuels et les répressions 
violentes des populations aspirant à la liberté, après une longue dis- 
cussion, a décidé la constitution d'un Comité à large base qui devra par 
tous les moyens faciliter à la ville de Gênes — fière des souvenirs de 
saintes idéalités — les moyens de faire entendre sa voix puissante contre 
les assassins qui déshonorent l'humanité; 



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— iSg — 

Invite toutes les associations et les personnalités qui s'inspirent à 
de nobles sentiments, à envoyer leurs adhésions au Comité provisoire, 
place Embriaci, no 5. 

La « Bourse du Travail » de Parme écrit : 

La Bourse du Travail qui tend à soustraire le prolétariat à l'oppres- 
sion, sous n'importe quelle forme qu'elle se présente, ne peut tolérer 
sans protester que les frères d'Arménie et de Macédoine restent au 
pouvoir de la tyrannie féroce d'une nation dans laquelle les rayons 
féconds de la civilisation nouvelle pénètrent si difficilement. 

M. Victor Bidoja écrit au nom de la « Société de la 
Paix » de Voghera : 

Il est temps que les gouvernements civilisés se décident à intervenir 
pour sauver les populations de l'Arménie et de la Macédoine, suppli- 
ciées, égorgées. La commisération platonique doit faire place à une 
action virile, prompte, décisive. Le principe de la fraternité l'exige. 

M. MiNNELLi, maire adjoint de Ravenne, écrit : 

Cette administration communale, en adhérant entièrement au pro« 
gramme de ce Comité, fait des vœux très ardents pour que les nobles 
principes d'équité civile dans l:s rapports internationaux auxquels il 
s'inspire puissent avoir leur triomphe, effaçant de la Société moderne 
des faits et des systèmes dignes seulement de la plus féroce barbarie. 

Dans une réunion des partis populaires à Rimini, où 
les députés Gattorno, Guerci et Barzilai ont pris la parole^ 
a été voté par acclamation l'adhésion au Meeting de Milan^ 
comme protestation contre les massacres d'Arménie et 
Macédoine. 

M. Alfred H. Fried, le vaillant pacifiste allemand^ 
écrit à M. Moneta : 

Vous connaissez, cher maître, mes convictions au sujet de tout ce 
qui touche à la question du droit contre la force brutale et de tout ce 



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— 140 — 

qui peut consolider k base de l'Europe nouvelle et d'une nouvelle 
humanité moderne. La lutte en faveur de nos frères d*Orient opprimés, 
c'esi Ja lutte pour le triomphe du principe de la paix et de la justice 
internationale, c'est la lutte pour le triomphe des droits sacrés de 
rhumaniié. C'est aussi la preuve de la faillite du vieux système poli- 
tique, de la mitraille et de Tembûche. 

Dites à vos concitoyens que la majorité des Allemands, depuis la 
mer du Nord jusqu'aux rochers des Alpes, est d'accord avec eux pour 
condamner une politique qui fait mourir d'une manière cruelle les 
Arméniens* 

La rédaction du journal arménien Droschak avait 
envoyé la dépêche suivante : 

Nous saluons les généreux représentants du peuple italien, organisa- 
teur du meeting en faveur de la Macédoine et de l'Arménie. Le peuple 
arménien, décimé, ensanglanté par la plus exécrable tyrannie asiatique, 
compte sur Tappui moral des nations civilisées. Vous, Italiens, qui hier 
encore avez connu les jours de noire oppression, ne pouvez être insen- 
sibles aux cris de désespoir d*un ancien peuple luttant pour la liberté. 
Vous associant aux efforts des vaillants amis de France et d'autres pays, 
par une propagande systématique, vous aboutirez, nous l'espérons, à 
une intervention européenne qui inaugurera un régime de paix et de 
travail dans noire infortunée patrie. Eviva l'Italia! 

La Veicherna Posta, de Sofia, avait adressé la dépêche 
suivante : 

La Vetchema Posta vous envoie à vous et au Comité des remercî- 
ments émus pour la noble lutte en faveur du droit et de la Macédoine. 

L'adhésion des députés français d'EsTOURNELLEs de 
Constant et Francis de Pressensé souleva de longues 
acclamations. 



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— 141 — 
M. T. MONETA 

Président du Comité. 

Citoyens l Nous vous avons appelés à une œuvre de solidarité 
humaine. Nous vous avons appelés parce que tous les hommes de bonne 
volonté doivent faire entendre à leurs gouvernements une voix libre, de 
telle sorte que les puissances mettent un terme au terrible luartyr des 
populations d*Arménie et de Macédoine. 

La présence ici de deux forts défenseurs de ces victimes de la bar- 
barie, le député belge M. Lorand et le publiciste français Pierre Quillard, 
et celle d'un Macédonien et d'un Arménien qui — comme jaiio nos 
exilés — plaident auprès des nations civilisées la cause de leur patrie* 
opprimée, vous dit l'espoir que les Arméniens et les Macédoniens met- 
tent dans Faction concorde de l'Europe et vous dit aussi que les cris de 
douleur des victimes du Sultan ont trouvé un écho dans beaucoup de 
villes de notre continent. 

En vous invitant à cette coopération d'humanité et de civilisation 
nous sommes conséquents à l'esprit et aux traditions de notre renais- 
sance politique. 

L'Italie — nous ont appris les précurseurs de notre unité nationale — 
devait revendiquer son indépendance, non seulement parce que c était 
son droit, mais aussi parce que après avoir conquis sa liberté, elle aurait 
pu remplir son devoir envers les autres peuples opprimés et envers 
l'humanité. 

Telle fut la pensée de Joseph Mazzini : qui de la Jeune itaiU s'éle- 
vait à la conception de la Jeune Europe et celle de Carlo Câttaneo qui 
entrevoyait les États-Unis de VEurope. Telle fut l'action de Guiseppe 
Garibaldi, que Bovio grava dans l'histoire avec une phrase de plus lon- 
gue durée que le bronze, en l'appelant 4c Le Chevalier de rHumaniié». 
(Applaudissements.) 

D'autre part nous ne pouvons pas oublier les nombreuses preuves de 
sympathie et les encouragements que l'Italie — quand elle avait perdu 
tout espoir dans une résurrection prochaine — trouva dans les popula- 
tions de l'Angleterre, des États-Unis, et dans la presse libérale de la 
Belgique et de la France, qui dénonçait au monde les cruautés de TAu- 



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— 142 — 

triche, qui faisait bâtonner nos femmes, et le mauvais gouvernement 
des Bourbons de Naples, qui faisait renfermer dans des pestilentiels 
souterrains les prisonniers politiques. (Mouvement.) 

h]L le jour vint où la cause de Tindépendance et de Tunité ita- 
lienne: trouva l'appui moral et matériel des grandes puissances, si Tltalie 
put vaini^re prompiement les répugnances de la diplomatie — toujours 
misonéiste — ce fut parce que notre 'cause était déjà victorieuse 
devant l'opinion publique du monde civilisé. [Applaudissements.) 

Nous ne pouvons pas avoir oublié les acclamations et la joie qui 
saluèrent partout les étapes de notre résurrection politique. C'était la 
même joie qui en d'autres temps avait salué Témancipation des colonies 
américaines, la prise de la Bastille et les premières victoires de la Révo- 
lution française, la résurrection de la Grèce et l'indépendance de la Bel- 
gique. 

Les manifestations de joie qui accompagnent toujours le triomphe 
de chaque nationalité sont comme la voix de l'âme collective, la preuve 
d'un instinct profond et universel qui fait voir dans chaque peuple qui 
surgit à la vîe libre une nouvelle acquisition pour la cause du progrès, 
une force nouvelle qui vient s'ajouter à celles déjà existantes pour de 
nouvelles conquêtes de la liberté, de la justice, du bien-être de toute la 
famille humaine, c'est-à-dire une nouvelle force pour la défense des 
opprimés contre les injustices et les survivances de la barbarie. {Très 
bien,) 

Le spectacle d'un peuple qui, ayant la juste vision de son droit et de 
sa propre force, se révolte, brise les chaînes qui le tenaient captif 
et les lance à la lête de ses oppresseurs est certainement admirable. 
Mais il est encore moralement plus beau et plus encourageant, le spec- 
tacle de Taide que les peuples déjà libres donnent aux opprimés, 
impuissants à se délivrer par leurs seules forces. 

Partout où il y a des peuples qui gémissent et frémissent du désir 
de s^ajTranchir des mauvais gouvernements qui les déchirent et les déci- 
ment, mais sont impuissants à obtenir cet affranchissement, l'humanité 
doit accourir faisant entendre sa voix de protestation et de délivrance. 

Le peuple Arménien, qui en moins de trois ans a vu Soo.ooo de ses 
enfants égorgés et massacrés par ordre, ou avec la complicité du Sultan, 
demande cela aux nations civilisées de l'Europe, c'est cela que les 
Macédoniens — sur lesquels plane la même destinée — invoquent et 
attendent de nous et de tous ceux qui ne restent pas sourds aux senti- 



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- 143- 

ments humanitaires. Si l'Europe tarde à obtenir pour eux un régime 
supportable, la Révolution ne tardera pas à éclater en Macédoine, 
Révolution dont on a déjà aperçu les symptômes précurseurs et qui sera 
suivie de massacres tellement horribles qu'ils fourniront le prétexte à 
l'intervention armée d'une ou de plusieurs puissances, lesquelles une 
fois victorieuses, ne voudront pas renoncer à ce qui forme depuis long- 
temps leur rêve : l'agrandissement de leurs domaines. Aux anciennes 
et récentes, une guerre en ajouterait de nouvelles; elle rendrait plus 
féroce encore, la haine entre les musulmans et les chrétiens. La conclu- 
sion en serait un changement de maître. (Applaudissements,) Ce n'est 
pas cela qu'espèrent, que demandent les Macédoniens. 

D'autre part la pression d'une se aie ou même de deux puissances sur 
le sultan ne donnerait pas de résultats. Cela est prouvé par l'expérience* 
Une nation qui agit seule ou d'accord avec une autre nation seulement, 
n'écoute, ne voit que ses propres intérêts. Mettez cette même puissance 
d'accord avec plusieurs autres et il s'en suivra qu'elle devra nécessaire- 
ment s'occuper d'intérêts d'ordre général. Personne ne pouvant espérer 
avoir Je consentement des autres dans les choses qui l'intéressent seul, 
l'accord se réalise toujours dans les solutions qui intéressent la collec- 
tivité. (Très bien !) 

Cela s'est déjà vu à la conférence de La Haye, où les délégués de 
plusieurs puissances se rendirent avec méfiance et contraires, au fond, à 
l'arbitrage, mais, à la fin, en acceptèrent tous le principe en donnant 
leurs adhésions à certains accords qui, si les peuples savent s'en servir, 
rendront, sous peu de temps, impossibles les guerres d'ambition et de 
domination. 

Un autre exemple est fourni par la question crétoise; la Crète, tout 
dernièrement, a vu sa propre autonomie assurée par le concert des 
grandes puissances, malgré qu'à la fin il fut réduit à trois seulement. 
Il en sera ainsi pour l'avenir, maintenant que les sentiments de justice, 
de paix et de solidarité humaine grandissent et se fortifient de jour en 
jour dans l'âme des peuples civilisés. (Applaudissements.) 

C'est pour cela que nous demandons et souhaitons que la voix qui 
s'élèvera de ce meeting pousse notre Gouvernement à joindre son action 
civilisée à celle des grandes puissances européennes pour sauver les 
Arméniens et les Macédoniens du gouvernement féroce qui les tour- 
mente, les torture, les assassine. Nous disons Arméniens et Macédo- 
niens parce que nous voulons qu'une égale justice règne, sans aucune 



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— 144 — 

différence de religion et de race sur tous les hommes qui habitent ces 
malheureux pays. Nous demandons que leurs territoires soient ouverts 
à tous les courants de la civilisation et que ces populations, depuis trop 
longtemps déjà séparées du consortium européen, puissent vivre de la 
vie moderne sans être menacées dans leurs existences, dans leurs pro- 
priétés, assurées du lendemain, avec des administrations contrôlées par 
les représentants des grandes puissances, et cela jusqu'au jour — qui 
n'est pas bien éloigné — où elles pourront se gouverner par des assemr 
blées autonomes. 

C'est pour atteindre ce but de civilisation et d'humanité — de la 
même manière que pendant les grandes journées de notre renaissance 
politique, plusieurs citoyens d'opinions différentes s'unissaient pour 
réaliser le plus promptement possible l'affranchissement national — que 
vous avez pu lire, au bas du manifeste qui vous a convoqués ici, des noms 
d'hommes de tous les partis, de toutes les opinions politiques, reli- 
gieuses, philosophiques, que vous voyez ici autour de moi. 11 nous a 
semblé qu'une question toute humanitaire dépasse les limites de tous 
les partis, car il suffit de ne pas être des hommes méchants pour vouloir 
faire cesser les souffrances des autres hommes. Nous avons pensé 
enfin que la ferme, digne, solennelle protestation d'hommes de tous les 
partis politiques aura une plus grande portée là où se dira l'action de 
l'Italie dans les rapports avec les autres états. (Triple salve d'applau- 
dissements.) 



DOCTEUR GUISEPPE PINARDI 

(Du Comité de Milan.) 

Les nobles et généreuses parolas du président de notre Comité « Pro 
Armenia e Macedonia » ont mis en lumière les points saillants et la 
physionomie de ce meeting. Les buts que nous proposons d'atteindre 
sont plusieurs. Mais deux priment les autres. 

Nous nous sommes réunis iz\, hommes de tous les partis politiques, 
de touies les croyances religcuses et sociales, dans une protestation 
solennelle d'humanité otfensée par la barbarie turque, contre la barbarie 
d'un gouvernement qui perpétue en Europe le moyen âge et qui person- 
nifie une tradition de vols et de massacres trop longtemps tolérée d'un 



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-.45- 

gouvernement qui, dans ces dernières années, a fait, des massacres et 
des incendies, la seule base de sa conduite. 

Mais votre présence ici signifie aussi une autre chose. Elle signifie 
qu'à la protestation contre le sultan qui abuse d'^un pouvoir illimité, doit 
suivre un avertissement, courtois dans la forme autant qu'énergique 
dans le fond, contre ceux qui, le pouvant, n'ont pas empêché ces abus ; 
un avertissement à toutes les chancelleries qui après avoir maintes fois 
promis de veiller sur le sort des malheureuses provinces bouleversées 
par les Turcs, ont oublié trop souvent les graves engagements qu'elles 
avaient assumés. 

Nous payons -en ce moment, et l'Europe paie avec nous, les consé- 
quences de cet oubli des plus pressants devoirs des grandes puissances. 
L'indulgent silence que l'Europe a gardé envers la Turquie — qui a 
répondu aux demandes des réformes formulées par les Arméniens par 
des massacres en masse — a rendu plus aigiie, comme nous le voyons, 
la question de la Macédoine. Au lieu de mettre un frein aux abus les 
plus criants de son administration, le sultan, confiant dans la longani- 
mité de l'Europe, les a trop de fois et ouvertement encouragés. C'est 
ainsi qu'après l'Arménie, la Macédoine est en feu et que les émeutes 
recommencent, faisant prévoir de nouveaux massacres. 

Car, citoyens, c'est un grand cercle vicieux que celui dans lequel 
nous sommes renfermés chaque fois que nous voulons étudier de près 
les conditions de l'empire ottoman. Partout nous voyons le désordre, les 
abus, les prévarications envahir, troubler les plus délicates fonctions de 
l'État. Les abus engendrent le mécontentement qui conduit à l'émeute, 
promptement, férocement réprimée. La répression augmente énormé- 
ment le désordre précédent. Certains journaux et certains journalistes 
de Vienne, de Paris, de Berlin et de Londres essaient de donner le 
change en assurant que l'ajournement des réformes toujours promises 
par la Turquie dépend de la fréquence des émeutes. En écrivant ainsi, 
ces journaux et ces journalistes justifient probablement les larges 
subsides qu'ils reçoivent de la Porte. (Applaudissements.) Mais nous 
avons le droit de nous demander : quel est le plus coupable ? Le peuple 
qui se trouvant mal à l'aise se révolte, ou le souverain qui par sa ma- 
nière de gouverner pousse le peuple à la révolte ? (Applaudissements.) 

Un consul français voulant peindre à grands traits les conditions de 
l'empire turc en temps normal, écrivait ceci : « Les gendarmes turcs 
volent, incendient, assassinent ; les préfets volent, les ministres du culte 



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— 146 — 

volent, les juges voient, les officiers volent, les soldats volent, tous 
volent, à l'exception du pigeon, c'est-à-dire du pauvre peuple qui se 
trouve être taujours plumé. » (Applaudissements,) 

La politique turque a toujours été la même, depuis les hauts fonc- 
tionnaires jusqu'aux innombrables employés — autant inutiles que 
yaricateurs. — Elle n'a jamais eu — habile à sa manière — qu'un but, 
celui de dépouiller son prochain. L'empire est resté, pour lesTurcs^ une 
terre de conquête, une espèce de domaine féodal, duquel il faut tirer le 
plus possible. Le principe fondamental de la société turque, c'est que le 
conquérant seulement — le turc de race — doit jouir des richesses du 
pays. Le Turc, en ce qui concerne l'indigène converti à la religion des 
conquérants, admet — ou pour mieux dire tolère — une petite partici- 
pation au butin. Mais en dehors du Turc et du Musulman, il n'y a plus 
de lois, de droits, de justice. En dehors du Turc et du Musulman, le 
sujet d'Abdul-Hamid n'est plus qu'un individu corvéable et taillable, 
qu'une bête condamnée à tourner pour l'éternité la roue du puits sans 
fond de la cupidité de ceux qui sont en haut. (Applaudissements.) 

Mais cet état de choses résultant des conditions primitives de la poli- 
tique turque, avec tous ses abus déjà par eux-mêmes intolérables, s'est 
encore cmpirée, aggravée dans ces derniers temps. Depuis une vingtaine 
d'années, aux excès de cette politique de prévarication dont nous avons 
déjà parlé, d'autres excès se sont ajoutés aux anciens, les excès de la 
politique personnelle du sultan, politique formée de persécutions bar- 
bares et de massacres féroces. Du reste, les massacres n'ont jamais été 
une chose bien neuve en Turquie. Toute l'histoiie Turque est traversée 
par de sinistres éclairs de sang, par des excès périodiques de fanatisme 
qui ont teint en rouge des villages et des villes entières. Vêpres orientales, 
monstrueuses, devant lesquelles pâlissent nos Vêpres de date heureuse- 
ment ancienne. C'est ainsi qu'en 1822 on a eu les massacres des chré- 
tiens de Chio, en 1860 les massacres du Liban, en 1876 les terribles et 
sauvages massacres de Bulgarie. Mais dans tous ces événements qui 
ont eu la puissance d'émouvoir l'Europe et de la décider à Tintervention 
armée, on y voyait la main de tout le monde, hormis celle du chef de 
l'État. Mais les choses ont changé dans les derniers événements d'Ar- 
ménie. Ici c'est le pillage, l'incendie, le massacre qui commencent et 
finissent à heure ûxe. C'est l'armée régulière qui entre en ligne sous la 
conduite de ses chefs. Ce sont des officiers, des colonels, des généraux 
qui avouent avoir reçu des ordres. Dans tout on y voit la manifestation 



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— 147 — 

d'une pensée unique : celle du sultan rouge, comnf>e il a été qualifié par 
l'illustre M. Vandal, du sulian assassin comme il a été appelé par 
Gladstone. (Applaudissements.) 

Si je ne craignais pas de fatiguer Taliention de ceux qui m'écoutent, 
et aussi celle des orateurs qui parleront après moi, je trouvçrars intéres- 
sant de jeter un coup d'oeil rapide sur la « physionomie morale » du 
sultan. On trouverait dans cette étude des éléments précieux pour 
comprendre et expliquer au moins en partie les événements qui se sont 
déroulés ces dernières années et aussi ceux qui se préparent dans un 
avenir sombre. 

Quand, en 1874, Abdul-Hamid monta sur le trône, la Turquie était 
agitée par les passions les plus opposées. Les chrétiens, toujours dans 
l'attente des réformes promises, menaçaient la révolte. Aux portes de 
l'empire, Russes, Monténégrins, Roumains et Serbes étaient prêts à 
prendre les armes. A l'intérieur, à Constantinople même, le sultan se 
voyait poussé, pressé entre deux partis opposés : celui des jeunes Turcs 
et celui des vieux Tur4is. Les jeunes Turcs voulaient des réformes et 
aspiraient à une constitution de forme européenne. Les vieux Turcs 
s'opposaient à n'importe quelle innovation, prétextant que les malheurs 
de l'empire et la déchéance de la grande idée musulmane avaient com- 
mencé le jour où l'on avait pour la première fois ouvert un soupirail aux 
idées délétères de l'Occident. 

Il fallait donc que le sultan se décidât pour un des deux partis. 
Abdul-Hamid n'hésita point. Il s'enrôla dans les rangs des vieux Turcs, 
devenant ainsi le chef du parti des fanatiques. Son empire personnel en 
fut consolidé et il parut comme le restaurateur de l'Islam. A partir de ce 
jour-là, les ministres ne furent plus que de simples instruments dans ses 
mains. Leurs promesses, leurs discussions, leurs votes ne furent plus 
que des leurres, de la poudre aux yeux de la diplomatie. Il fallut un 
certain temps avant que l'Europe pût s'apercevoir que Taxe du gouver- 
nement venait d*ètre déplacé à Constantinople, de la Porte vers le palais 
d'Yldiz, résidence du Sultan. Les fréquents changements de ministres 
manifestèrent la présence d'une autorité soupçonneuse et capricieuse 
avec laquelle il fallait pourtant compter. Derrière ce voile, la figure du 
sultan apparaissait aux yeux de l'Europe comme une figure assez sympa- 
thique, trompée qu'elle était par les panégyriques des salariés qui se pres- 
sent toujours sur les talons de tout nouveau msLÎire. (Applaudissements.) 

En réalité, Abdul-Hamid ne possédait aucune des qualités qui lui 



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— 148 — 

étaient attribuées. 11 n'avait pas même hérité par atavisme cetfe fran- 
chise, ce courage qui sont une des qualités des gens de sa race. Craintif 
depuis son enfance, les tragédies de sa vie devaient accentuer encore ce 
côté défectueux de sa personnalité morale. Son oncle avait été détrôné 
pendant une nuit orageuse par une bande d'étudiants en théologie et de 
soldats. Son frère avait subi le même sort avec sa complicité, trois 
mois après. Ce sont là des exemples qui laissent des traces ineffaçables 
dans les natures timides. 

Bn effet, Abdul-Hamid de craintif devint peureux jusqu'au point 
d'autoriser un historien aussi profond qu'impartial à dire qu'il fallait 
chercher dans la peur l'explication de tous les actes les plus importants 
de la vie du Sultan, une peur pathologique d'être détrôné et tué. 
Quittant alors les vieux palais des sultans, Abdul-Hamid se réfugia dans 
un coin de Constantinople, sur une colline hérissée d'excellents canons 
qui dominent toute la ville, dans un parc immense, véritable dédale de 
rues irréguljères, de ruisseaux et de lacs qui au besoin pourraient se 
transformer en autant de lignes de défense.. Là, derrière une triple 
muraille, une espèce de kiosque fermé sert au sultan de palais officiel, et 
un grand nombre d'autres kiosques lui fournissent mi asile qui change 
chaque nuit» car le sultan ne dort jamais deux nuits de suite dans le 
môme lit, ni deux fois de suite dans le même kiosque, de la même 
manière qu'il vit environné d'un certain nombre de chats auxquels il 
fait goùier tous les jours ses mets de crainte d'être empoisonné ! Tout 
autour sont échelonnées des casernes bondées de Kurdes, d'Albanais et 
de Syriens. (Murmures.) 

Une moitié de l'armée turque reste ainsi à la disposition du sultan. 
Après, c'est la cohue des espions musulmans destinés à la surveillance 
des chrétiens. Des espions chrétiens surveillent à leur tour les espions 
musulmans. Et de la même manière qu'il y a autour du sultan une 
armée et une police spéciales, il y a aussi une bureaucratie spéciale, un 
ministère spécial, bien plus important que le ministère qui a sa rési- 
dence à la Porte pour tromper FEurope. 

Dans Tensemble, l'existence du sultan rappelle à la mémoire 
l'exemple classique du despote oriental qui, victime de sa propre 
tyrannie, s'environne de dix mille personnes qui doivent veiller à sa 
sûreté personnelle et au milieu desquelles il craint plus que s'il était 
seul, car il voit dans tous ceux qui s'approchent de lui des assassins 
possibles. 



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~ 149 — 

Cette organisation d'un Etat dans l'Etat doit nécessairement coûter 
de grosses sommes. C'est plus de i5o millions qu'il faut chaque 
année au sultan pour faire face aux dépenses de sa cour et ces millions 
sont soustraits au Trésor public. Pendant que les finances du sultan 
sont dans un état aussi anormal, celles de l'Etat languissent et s'appau- 
vrissent. Les travaux publics sont suspendus; on vend, pressé par la 
nécessité toujours croissante d'argent, jusqu'aux machines de certains 
navires de guerre ancrés dans la Corne d'Or; on invente de nouveaux 
impôts et l'on augmente ceux déjà existants. Peu importe si les terrains 
restent en friche et si la famine et la mort ravagent les populations de 
l'empire. 

On comprend par cela que le cercle vicieux dont on a parlé comme 
étant la conséquence nécessaire de la politique de fous qui prévaut en 
Turquie, qui est la politique des vieux Turcs, se soit toujours resserré 
et soit devenu encore plus dur à cause de la nouvelle politique du sul- 
tan qui accentue les anciens abus. (Approbations.) 

11 n'y a qu'à prendre tous ces éléments et mettre ensemble : le 
mécontentement du peuple chrétien, son désir de réformes, ses aspira- 
tions à une autonomie, à quelque chose enfin de différent de l'actuel 
régime qui lui permette de vivre, la peur pathologique du sultan d'être 
assassiné et enfin le fanatisme qui pousse autant le sultan que son 
entourage à de continuelles vexations contre les chrétiens et l'on aura 
les données nécessaires et suffisantes pour expliquer l'origine des vio- 
lences dont sont victimes autant les Arméniens que les Macédoniens. 

Mais expliquer certains phénomènes, ce n'est pas les justifier, car on 
ne justifie point les violences d'Abdul-Hamid ni la conduite des puis- 
sances qui ont assisté à ces horreurs sans lever un seul doigt ppur les 
empêcher. (Applaudissements.) 

Ce n'est pas ma tâche de vous tracer dans ce meeting un tableau 
bien détaillé des derniers événements de Macédoine et d'Arménie. Je 
laisse à d'autres de faire cela. Je me limiterai à poser la question. Les 
Arméniens, naturellement, vivaient déjà en désaccord avec les Turcs, 
qui à leur tour étaient très irrités contre les Arméniens, les supposant 
désireux de nouveautés. Mais le fait occasionnel ou, pour mieux dire, le 
plus grand aiguillon au massacre et au pillage — qui permit au sultan 
de concevoir l'idée monstrueuse de supprimer la question arménienne 
en supprimant les Arméniens — a été la tentative faite par le préfet de 
Musch à extorquer les impôts. 



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— i5o — 

Le Sassoun est un district voisin de Moush. C'est la région où les 
Arméniens sont le plus nombreux. Bergers et agriculteurs vivent épar- 
pillés dans les villages parmi les tribus des Kurdes, lesquels, par le seul 
fait qu'ils appartiennent à la religion des dominateurs, croient pouvoir 
dépouiller les Arm2ni2ns de la même manière que les Albanais des 
montagnes descendent dans les plaines de la Macédoine pour imposer 
des tribut-S à cc?tte partie de la population qui n'est pas musulmane. Les 
Arméniens, trop faibles pour tenir tète aux Kurdes, payaient et se tai- 
saient. Mais quand le préfet de Musch, poussé par le besoin de faire 
de Targenl à U)Ut prix, se présenta aux Arméniens pour exiger un impôt 
qui n'était pas dû, les Arméniens en refusèrent le paiement. C'était là 
le prétexte depuis longtemps attendu pour tomber sur les chrétrens. 
Sans crier gare, sans la moindre menace préventive, on lança les soldats 
réguliers et irréguliers contre les rebelles. Pendant deux jours ce fut un 
carnage épouvantable. Trente villages furent détruits et 5,ooo personnes 
massacrées. La mort régnait là où avait régn^ la vie. (Profonde 
émolian.) 

Ces violcnciis, ces entorses à la légalité, on les croirait des cauche- 
mars, s'il ne s'agissait malheureusement d'une triste réalité. On dirait le 
résumé d'un pamphlet quelconque dicté par la rancune politique d'un 
exilé en lutte contre l'autorité du sulian. 

Eh bienî non, citoyens! Il s'agit seulement de documents officiels 
de faits étudiés, examinés, passés au crible, pesés, avec mille précau- 
tions et pris dans les Livres bleus du gouvernement anglais etdans les 
Lii^res j.iunes de la République française. Et comme je pense avoir 
encore la parole pour quelques minutes, je vous donnerai lecture de 
quelques lignes traduites d'un Livre bleu et qui reproduisent la déposi- 
tion d'un soldat turc. Ecoutez combien de pitié sort de ces pages qui 
ont pourtant la sécheresse des pages bureaucratiques. 

(L'orateur lit,) ... Dans l'ensemble on a tué 5,ooo personnes en 
deux seules journées. (Emotion.) 

Et nous ne sommes qu'aux premières escarmouches, au commen- 
cement de celte campagne d'un souverain qui conspire contre la vie de 
deux millions de ses sujets. Le i8 septembre iSgS, des Arméniens font 
une imposanie manifestation à Constantinople pour appeler l'attention 
des puissances sur la condition de leurs frères d'Arménie. La police 
ne manqua pas l'occasion de s'élancer contre tous les quartiers habités 
par des Arméniens. En deux jours, on massacra plusieurs centaines 



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— i5i — 

d'innocents et de coupables supposés. Ce premier massacre est le com- 
mencement de la mise en œuvre de tout un plan de massacres, qui 
devait continuer en Europe et en Asie. 

Le 4 octobre commencent les massacres de Trébizonde. Le i8 octo- 
bre, c'est le tour d'Erzeroum et de Diarbekir. Partout se répand le cri : 
« Le sultan permet que Ton tue les Arméniens. > Le fanatisme de la 
foule musulmane se déchaîne. Les mue^^yins, du haut des minarets, 
appellent le peuple non pas à la prière, mais au massacre, et i5o,ooo Ar- 
méniens sont massacrés! {Emotion profonde.) Et de quelle affreuse 
manière 1 A l'un on coupe les mains et les pieds avant de le faire mourir. 
Ces pieds et ces mains sont exposés dans une boucherie, avec une pan- 
carte portant la légende : « Pieds de porcs à vendre, » On obligea les 
mères à se tenir debout avec leurs petits dans les bras tandis qu'on les 
tuait. A d'autres on arrachait les yeux et la langue. Une véritable orgie 
de sang qui suivait un long martyre l 

Et le sultan connaissait tout cela. On a des preuves, par milliers, 
qui démontrent la connivence d'Abdul-Hamid avec les massacreurs. 
A Hadjilar, petite ville des environs de Césarée, des hommes armés arri- 
vèrent, avant l'époque des grands massacres, demandant à tueries Armé- 
niens. Les autorités ignorant lessecrets de la politique du sultan, firent ar- 
rêter ces hommes. Deux jours après arrivait l'ordre de les mettre en liberté 
en faisant cadeau à chacun d'eux de 3 livres turques. Ça c'est une preuve. 

Une autre fols, tandis que dans une ville de l'Asie-Mineure on pillait 
et l'on massacrait, un ingénieur européen rencontra hors des portes un 
commandant des troupes régulières qui se tenait à la tête de ses 
hommes en fumant. L'ingénieur lui dit : 4c N'entendez-vous pas le tapage 
que font les massacreurs ? L'heure n'est-elle pas venue d'y mettre un 
terme ?» Et le commandant de répondre en consultant sa montre : 
4c J'ai ordre d'accorder le temps nécessaire. » (Sensation.) 

Comprenez-vous, citoyens ? Le temps nécessaire pour que le mas- 
sacre continuât jusqu'à la fin ! (Applaudissements^,) 

C'est à cause de ces faits que le Comité « Pro Armenia » a senti la 
nécessité de dénoncer à l'exécration de l'Europe l'œuvre du sultan. Mais 
nous ne dénoncerons pas seulement l'œuvre des barbares, agents d'une 
plus cruelle barbarie. Nous dénoncerons aussi la conduite des puis- 
sances qui, après avoir maintes fois promis de se charger de veiller à la 
réalisation des réformes en Arménie, réformes promises en 1878, n'en 
firent rien. Depuis la conclusion du traité de Berlin, vingt-cinq ans se 



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— l52 — 

sont écoulés, et TArménie n'a eu, au lieu des réformes promises, que de 
nouveaux et plus terribles massacres. 

Le président me prévient que j'ai dépassé déjà le temps concédé à 
chaque orateur. Je dois donc finir, citoyens, et je finirai par une 
demande. Le trône turc est occupé depuis plusieurs années par un 
despote féroce. L'Europe pourrait mettre un frein à ses rapines, à ses 
crimes, si elle le voulait. Mais elle n'a jamais bougé. C'est à nous d'agir, 
par des protestations continuelles, urgentes, de "manière que chaque 
gouvernement sente sa propre responsabilité. Si vous êtes de cet avis, 
vous n'avez qu'à exprimer votre pensée en votant par acclamation 
l'ordre du jour qui vous sera présenté à la fin du meeting. (Longs 
applaudissements,) 

Le Président donne ensuite la parole à M. Pierre Quil- 
lard, rédacteur en chef de Pro Armenia, dont l'apparition 
à l'avant-scène est saluée pendant plusieurs minutes par 
les cris de « vive la France ! » 

M. P. QUILLARD 

Les applaudissements redoublent quand celui-ci, en 
exprimant les regrets de Francis de Pressensé, retenu en 
France, déclare, au nom de l'éminent collaborateur de 
Pro Armenia « qu'il aurait été heureux, quand il inter- 
rogera le Gouvernement sur les affaires d'Orient à la rentrée 
prochaine, de faire savoir au Parlement français que les 
sentiments généreux de la nation française concordaient 
avec ceux de Tltalie du Risorgimento. » 

M. Pierre Qui) lard expose ensuite, avec référence aux 
documents diplomatiques et aux correspondances les plus 
récentes, la situation présente des provinces arméniennes. 
Il indique toutes les responsabilités, celles du sultan et celles 
des puissances européennes qui n'ont pas fait exécuter le 
traité de Berlin. Puis après avoir montré que les nouvelles 
reçues tout dernièrement d'Arménie peuvent faire appré- 



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■ -ï^r.'îs^-ji^^r 



~ i53 — 

hender de prochains désastres, il déclare que la seule 
politique raisonnable et juste consiste à appliquer au plus 
tôt les réformes nécessaires, jugées urgentes par les puis- 
sances elles-mêmes, et notamment la nécessité d'un 
contrôle européen. Il termine en affirmant avec énergie que 
dans trois pays au moins en Europe : France, Angleterre, 
Italie, l'opinion publique peut agir efficacement sur les 
gouvernements et qu'ainsi, par une entente analogue à celle 
qui exista pour la solution de l'affaire Cretoise, les questions 
d'Arménie et de Macédoine peuvent être réglées sans 
effusion de sang, car « nous abominons la guerre » et dans 
l'intérêt même de la Turquie. Il adresse enfin aux citoyens 
italiens le salut fraternel des citoyens français unis à eux 
pour une cause commune d'humanité et de justice. 

D'après le Secolo, « le discours de l'orateur français, 
souvent interrompu par des applaudissements, suscite à la 
fin une acclamation enthousiaste. 

Le journaliste républicain G. Miceli, rédacteur politique 
de Vltalia del PopolOy prend ensuite la parole. Bien qu'il 
ait prié les auditeurs de ne pas applaudir, pour ne point 
perdre de temps, il est fréquemment applaudi. 

M. G. MICELI 

Rédacteur à « Vlialia del Popolo ». 

La présence dans le Comité promoteur du Comice des 
représentants de tous les partis politiques vient de prouver 
qu'il y a dans le peuple italien un sentiment de justice en 
pleine harmonie avec les traditions de notre droit public. 
Il y a des monarchistes dans votre Comité qui s'exaltent à 
la prochaine arrivée à Rome de l'empereur féodal d'Alle- 
magne, mais qui, dans le secret de leur conscience, lui 



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- i54 - 

reprochent d avoir sacrifié aux intérêts de voyageurs de 
commerce allemands la cause des chrétiens de TOrient. 

Quand celte diplomatie, que Giovanni Bovio a défini 
insidieusement cruelle, vient de consacrer l'intégrité de 
TEmpire ottoman, elle est responsable d'une faute devant 
le droit international qui nie l'existence aux sociétés 
criminelles. 

Et c'est comme une société criminelle que doit être 
considéré cet empire où la vie humaine et l'honneur des 
sujets ne sont pas sacrés; où un sultan dégénéré — dont 
les nuits sont toujours troublées par le fantôme d'Abdul- 
Azziz — a pris cent mille brigands kurdes et en fait les 
soldats de la barbarie Hamidié; et comme ces brigands- 
soldats ne sont pas payés, ils sont encouragés aux pillages 
et aux carnages des Arméniens. 

A présent on semble avoir renoncé aux grands carnages 
pour ne pas surexciter l'opinion publique en Europe: on 
ne tue plus par milliers, on tue par dizaines chaque jour; 
ainsi les nou\elles des petites tueries ne parviennent pas en 
Europe. 

La Turquie a la spécialité des bachibouzouks non seule- 
ment â riniérieur, mais aussi dans une certaine presse 
européenne, qui inventa des illustrations représentant 
toutes des hommes farouches armés de bombes, qui étaient 
présentés comme les anarchistes arméniens. C'était une 
manière indigne d'exploiter le sentiment des conservateurs 
en Europe, dans un moment qu'ils craignaient beaucoup 
les attentats des anarchistes. 

n rappelle le massacre de 3oo.ooo Arméniens, victimes 
de leur foi chrétienne et de l'amour de la patrie. Il rappelle 
la défense héroïque de Zeitoun où les insurgés ont repoussé 



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■ - i55 — 

Ethem-pacha; la fierté et l'honnêteté des Arméniens qui 
pendant une journée furent les maîtres de la Banque 
ottomane et ne touchèrent pas à un sou; l épisode héroïque 
de Tassaut de la caserne et de la défense du monastère de 
Aja Soulouk où tomba, tuée par les Turcs, la jeune et belle 
abbesse, qui se voua à la foi et à la patrie. 

La situation est la même en Macédoine qu en Arménie; 
les éléments des diverses nationalités doivent s'y mettre 
d'accord pour conquérir leur liberté. 

Ce vœu est dans la tradition de la politique républicaine 
italienne. En 1854, Joseph Mazzini a écrit que l'avenir des 
nationalités opprimées de l'Orient ne doit pas être confié à 
l'empire autocratique de la Russie, ou à l'empire mosaïque 
d'Autriche, mais à la Fédération balkanique. 

Si le gouvernement italien veut intervenir dans les 
affaires d'Orient, il ne devra pas renouveler les erreurs 
criminelles commises dans les eaux de la Crète en 1897, 
quand l'amiral Canevaro tirait sur les insurgés chrétiens, 
mais il devra au contraire donner protection aux peuples 
qui se battent pour la liberté. 

Ceci est le vœu de la section milanaise du parti répu- 
blicain; des jeunes hommes de la Société Alberto Mario. 

Après G. Miceli, M. Siméon Radeff, rédacteur en chef 
du Mouvement Macédonien, paraît à l'avant-scène et est 
accueilli par une chaude ovation. Très ému, il prononce, 
en français, un discours souvent applaudi. 

M. SIMÉON RADEFF 

L'orateur regrette de ne pouvoir exprimer assez vive- 
ment sa reconnaissance et sa joie de constater que l'Europe 



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— i56 — • 

semble se réveiller. Hier c'était la France, aujourd'hui c'est 
ritalie qui s'intéresse aux opprimés d'Orient, « la nation 
qui^ a proclamé les droits de l'homme et celle qui a pro- 
clamé !e droit des nations ». 

Les Macédoniens revendiquent ces droits de l'homme 
quî leur sont niés. Ils se défendent, malgré les calomnies 
d'une presse salariée par le Sultan, en hommes et non en 
brigands. 

Après avoir montré l'insuffisance du projet austro-russe, 
il formule ainsi les revendications macédoniennes: 

Nous n'avons jamais revendiqué des droits spéciaux pour les chré- 
liens. Nous ne voulons pas faire des catégories parmi les habitants de 
la Macédoine. Nous exigeons au contraire que ces catégories dispa- 
raissent, et avec elles les privilèges de toutes sortes. Nous voulons un 
régime légal qui ne fera aucune distinction parmi les races et les reli- 
gions de Macédoine. Nous voulons des droits généraux et des garanties 
objectives* C'est tout notre programme. 

Ce programme ne peut être exécuté que sous le contrôle 
de l'Europe, 

Le contrôle collectif de l'Europe résume toutes nos revendications. 
Nous ne demandons pas de larges réformes organiques ; nous ne voulons 
pas porter atteinte à l'intégrité de l'empire ottaman. Nous désirons rester 
une province de la Turquie. Nous nous contenterons même des lois 
turques telles qu'elles sont actuellement; mais nous réclamons une 
garantie pour Tapplication des lois, et cette garantie, seul le contrôle 
européen peut nous la donner. 

Les Macédoniens ont foi en l'Europe, mais foi aussi en 
eux-mcmes. Ils sont décidés à conquérir leur liberté par la 
force, et ils feront la révolution, quelles que soient les 
catastrophes dont on les menace. 

Cette péroraison énergique est très applaudie. 



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- .57 - 

A Siméon Radeff succède le député belge Lorand, qui 
parle Titalien comme un Italien et dont la parole simple 
et forte suscite, à plusieurs reprises, de vives acclamations. 

LE DÉPUTÉ G. LORAND 

Il a peu à ajouter, dit-il, à ce qu'ont exposé les précé- 
dents orateurs qui ont amplement traité la question. Ceux 
qui ont assisté aux réunions de Paris et de Bruxelles disent 
que la réunion de Milan égale en importance celle de 
Paris. 

Quand nous pensons que les massacres d'Orient, que 
regorgement de Soo.ooo Arméniens se répéteront peut-être 
en Macédoine, nous devons nous étonner que ces choses 
se produisent au xx*^ siècle, à peu de distance des grands 
centres civilisés et il en résulte un sentiment de honte pour 
tout ce qui se tolère sous les yeux des peuples civilisés. 

Notre manifestation ne doit pas être seulement une 
manifestation de solidarité humaine ou de pitié chrétienne, 
mais une démonstration politique qui impose aux puis- 
sances européennes la conduite opportune. 

Cest l'exécution du traité de Berlin qu'il faut vouloir, et 
le contrôle efficace des puissances européennes qu'il faut 
mettre à exécution. 

Quand le député radical belge a terminé son discours, 
au milieu des applaudissements, l'abbé Don Vercesi, 
applaudi avant même d avoir parlé, fend la foule qui 
encombre la scène. 



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— i58 — 

L'ABBÉ DON ERNESTO VERGESI 

Après avoir rappelé qu'en France, en pleine bataille 
parlementaire, au plus fort d'une lutte ardente pour ou 
contre les congrégations, des députés d'opinions entière- 
ment divergentes, se sont entendus pour parler ensemble, 
le i5 février, en faveur de l'Arménie et de la Macédoine, 
don E. Vercesi, soutenu par les applaudissements chaleu- 
reux de l'auditoire, se félicite que la même cause réunisse, 
à Milan, « le socialiste Turati, un prêtre et les représentants 
de tous les partis libéraux et conservateurs ». 

Après avoir flétri les gouvernements d'Europe, l'orateur 
constate avec regret que la politique extérieure soit 
demeurée, même dans les pays démocratiques et de libre 
discussion, une sorte de territoire réservé. Il faut, au 
contraire, que le peuple, tout le peuple soit initié à la 
politique étrangère. Au reste, les demandes que nous 
formulons n'ont rien d'exagéré. 

Et que demandons-nous, citoyens ? 

Peut-être demandons-nous la déposition du Sultan, nous élevons- 
nous contre la Turquie et les Turcs ? Non, le Sultan peut dormir 
tranquille, protégé comme il est par les intérêts des puissances euro- 
péennes ; ce que nous demandons, c'est qu'il ne rougisse plus un trône 
de sang humain, baptisé ou non. 

Il n'est pas possible d'assister impassible aux crimes du 
Sultan sans devenir « moralement complice de l'assassin 
couronné ». Il faut que tous les hommes de bonne volonté 
agissent d'un commun accord sur les gouvernements. 
Quant à lui et à ses amis de VOsservatore Catiolico, au 
nom desquels il parle, il est heureux de s'associer à cette 
croisade humanitaire. 



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- i59- 

Le discours de Don E. Vercesi est plusieurs fois coupé 
par de vifs applaudissements. 

Le docteur Loris-MélikofF devait parler aussitôt après 
lui; mais pour rendre plus saisissant le contraste harmo- 
nieux de cette réunion, les assistants réclament d'abord le 
député socialiste Turati. 



M. PHILIPPE TURATI 

Député socialiste 

Je ne voulais pas, citoyens et mesdames, absolument pas, quoique 
tprcé par votre appel, prendre le tour d'un homme qui représente ici la 
race arménienne, du docteur Loris-Mélikofî, qui a été, on peut le dire, 
l'initiateur de cette agitation. De toute manière, puisqu'il m'assure qu'il 
parlera après moi, je profile de sa courtoisie et de la vôtre, restant 
établi que le droit de parler après moi est acquis à M. Loris-Mélikofî. 

Je n'ai pas beaucoup de choses à vous dire. Après tant d'orateurs 
qui, soit à cause de leur origine, soit par la compétence d'études spé- 
ciales, ont pu si bien élucider la question, il ne me reste pas même — 
pour employer la phrase d'usage à la fin des meetings — de quoi glaner 
dans le champ déjà moissonné. Vous avez entendu M. Quillard — un 
spécialiste dans la matière — vous avez entendu M. Lorand — qui se 
fait passer pour Belge, mais que je m'obsiine à retenir pour Italien depuis 
que je l'ai entendu parler et improviser même des mots d'esprit abso- 
lument italiens et qui n'ont pas de contrepartie dans la langue française. 

Que peut donc vouloir de moi le Comité promoteur, qui — pcr- 
meitez-moi de considérer cela comme une preuve de confiance — m'a 
placé le dernier dans la liste, à l'heure de la fatigue et du dîner qui 
approche, presque à la porte de sortie du meeting, où un orateur 
inhabile peut facilement nuire et un orateur habile n'a plus rien à 
ajouter ? 

Que pourra vous dire un orateur socialiste qui dans cette réunion 
de toutes les opinions et de tous les partis, veut chercher, sans infa- 
tuation, ou superfétation personnelle, quel est ou quel devrait être la 
pensée — dans une pareille question — du prolétariat italien. J'ai déjà 



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— i6o — 

été dans cela prévenu en partie par ce sympathique orateur qu'est 
Don Vercesi qui, en sa qualité de démocrate-chrétien, est une espèce 
de demi socialiste. (Hilarité.) 

Un orateur socialiste ne peut vous dire qu'une chose très simple et 
Lràs décourageante ; Le prolétariat italien ne sait pas. (Une poix : 
C'est mal.) 

Certainement que c'est mal ! Mais comme c'est la vérité on aurait 
tort de la cacher. Les orateurs qui m'ont précédé ont fait de magni- 
fiques discours en parlant, mettons si vous le voulez bien, au nom de 
deux millions d'Italiens. Mais les Italiens sont — suivant le dernier 
recensement — au nombre de. 32 millions, et moi, en ma qualité de 
socialiste (que mon orgueil satanique ne vous déplaise pas) je devrai 
parler au nom des autres 3o millions. Mais ces 3o millions, s'ils étaient 
interrogés sur la question avoueraient n'y rien comprendre. Vous 
me permettez, n'est-ce pas, après que les autres orateurs ont récité tant 
d'actes de foi, d'espérance et de chadté, de réciter à mon tour un acte 
de sincérité, un acte — c'est ainsi n'est-ce pas Don Vercesi — qui ne se 
trouve pas dans les livres de prières, mais qui, peut-être, vaut et résume 
tous les autres. 

Interrogez le prolétariat italien. Il vous répondra : Arménie, Macé- 
doine, Sublime-Porte, le Divan, Yldiz-Kiosk, les Turcs, les Kurdes, 
les Circassiens, les Albanais, les Koutzo-Valaques, le Calife, les Cheiks, 
les Baschl-Bouzouks, les Kaimakams, les Valis, le traité de Santo-Stefano, 
le traité de Berlin, les iradés du Sultan, la note austro-russe, le projet 
de M. Delcassé ?... Mais nous ne savons rien de tout cela, nous n'en 
avons jamais entendu parler. Nous ne pouvons donc donner à votre 
agitation ni un battement de notre cœur, ni une de nos idées. Quand 
nous parlons de Trébizonde, nous entendons parler d'un pays très éloi- 
gné où l'on perd la tête. (Hilarité.) 

De l'Arménie nous savons seulement ceci, que ses montagnes ont eu 
le tort de sauver l'Arche de Noé avec toutes ses bêtes et la semence 
humaine dont la terre pouvait se passer. Certainement ils ajoute- 
leraiont, ce sont des scènes déchirantes que celles que nous ont raconté 
MM. Pinardi, Radeff et Quillard. Mais nous aussi, si vous saviez com- 
bien nou^ sommes opprimés, non pas par un Sultan rouge ou par un 
Sultan jaune, mais par une fatalité qui pèse sur notre pays. Vous nous 
avsï parlé de peuples auxquels est défendue toute manifestation de 
pensée civilisée, de peuples — car la question est aussi, et surtout, une 



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— i6i — 

question pécuniaire — pressurés par les impôts et les dîmes — des 
dîmes aussi fortes qu'on devrait les appeler des quarts, des tiers, des 
moitiés I Des impôts arrachés avec les plus injustes procédures, vérita- 
ble brigandage disait M. Lorand : en Italie aussi, si vous saviez com- 
ment ce brigandage s'exerce ! {Vifs applaudissements,) 

Une voix. — Et les assassins marchent sur nous avec des baïonnettes ! 

TuRATi. — Ces KafirSy ces impôts fantastiques dirait notre prolétariat 
nous les connaissons aussi, en Sardaigne, dans les Fouilles, dans les 
Galères... Lisez seulement la statistique des expropriations! 

Je me rappelle d'avoir lu dans un discours de M. de Pressensé, dont 
Tabsence a tant été regrettée dans ce meeting, quelque chose des 
receveurs Albanais qui descendent en Macédoine, comme autant de 
brigands, environnés par des hommes armés, s'installent dans les 
maisons des habitants les plus en vue et après avoir tout emporté, se font 
payer ce qu'ils appellent « l'usure des mâchoires », c'est-à-dire une 
indemnité pour avoir mangé tout ce qui se trouvait dans le pays (Hila- 
rité.) 

Cela arrive aussi un peu dans notre pauvre pays. Les receveurs qui 
parcourent la Sardaigne quand ils ont fait « place nette » imposent aux 
victimes les frais de la procédure, comme qui dirait le prix de la corde 
qui les a étranglés ! 

On a parlé de massacres de 3,ooo Arméniens, brûlés vivants dans une 
église à laquelle on avait mis le feu après eo avoir induit de pétrole les 
pilliers de bois, on a parlé de 3oo,ooo massacrés. Eh bien, nous aussi 
nous avons nos petites Orfa, nos Sassoun, nos Diarbékir, qui s'appellent 
Galatina, Giarratina, Candela {Emotion,) 

On a beaucoup parlé d'une justice turque, c'est-à-dire d'une justice 
sans entrailles, favorable aux dominateurs. « Eh bien, vous diront ces 
pauvres gens, chez nous aussi la justice est terriblement turque, quand 
il s'agit d'employer ses balances entre des gens puissants et des pauvres 
diables, entre des riches et des misérables. » Peut-être bien que la justice 
turque est un peu partout {Applaudissements,) Il en est dans la matière 
comme dans le petit poème romanesque « Le Sérail » (Er Serrajo) où les 
animaux parlant, quand ils veulent s'insulter, s'appellent «des hommes». 
C'est donc possible qu'en Turquie, en parlant d'une certaine justice, on 
l'appelle «justice italienne l » {Applaudissements.) 

Et, après tout, nous n'avons pas même cette dernière consolation, de 
pouvoir, comme le font les opprimés de la Turquie, personnifier toute 



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— l62 — 

cette malédiction de Dieu dans un Sultan rouge, dans un « assassin cou- 
ronné » comme i'a appelé le seul orateur — et il devait être, voyez le 
paradoxe, un prêtre chrétien 1 — qui ait ici proféré un hymne à la ven- 
geance ( Commentaires, ) Et s'il en était ainsi ce serait une grande chance 
car le jour de la sainte vengeance, il suffirait d'une seule tète sur une 
seule pique pour délivrer la Macédoine, l'Arménie et la Turquie par 
dessus le marché. Mais nous n'avons pas même cette consolation. Nos 
Sultans, nos émirs, nos valis, nos effendis et nos cliques — ce mot-là 
aussi doit être un moi turc — sont trop nombreux pour que nous puis- 
sions nous en délivrer avec un procédé aussi rapide. 

Et c'est précisément ces jours-ci qu'en Italie, qui n'est pas la Turquie 
et rArménie, on parle de populations qui se nourrissent d'herbes (Ap- 
plaudissements) et on apprend qu'à Nardo des milliers de paysans, pour 
trouver de quoi manger, arrachent l'herbe des routes communales. 

Que signifie mon discours ? Il signifie qu'il est tout naturel que 
notre prolétariat ne peut donner que l'aide d'une faible voix dans un 
meeting de cette nature. Non pas — et nous devons dire ceci aux 
amis venus ici du dehors — que le prolétariat italien soit un prolé- 
tariat égoïste, sèchement enfermé dans sa douleur, oublieux de l'aide qui 
a été donnée à ses luttes pour l'indépendance, des sympathies que firent 
naître à l'étranger ses malheurs. Mais parce que c'est une loi fatale que, 
quand un peuple se recueille pour chercher et créer en lui-même — 
comme c'est actuellement le cas en Italie où l'on est en train de décou- 
vrir une Italie inconnue — et faire d'une terre de morts un peuple de 
vivants pour le donner à la liberté et à toutes les revendications 
humaines, il est naturel, dis-je, que pendant cette période de recueil- 
lementj il reste peu de temps pour se mettre à la fenêtre et répandre son 
affection et son indignation sur les malheurs lointains de pays éloignés. 
(Dru ils.) 

Messieurs^ dans une réunion préparatoire de ce meeting, parmi les 
choses que j'ai dites, et qui semblèrent aux amis idéalistes — à 
Madame Ravlziîa par exemple — absolument cyniques, j'ai avoué une 
profonde ignorance en fait de politique étrangère en ajoutant qu'en ceci 
je me sentais le véritable et digne représentant du peuple italien. L'Italie 
qui a donné à l'histoire et à la civilisation les Christophe-Colomb et les 
Marc-Polo, est devenue un peuple qui ne croit plus à la géographie. 
Cette ignorance est inconsciente, mais cette ignorance — qui n'est pas 
seulement italienne — je l'avoue et je la dénonce parce que au fond elle 



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— i63 — 

est la seule et véritable responsable de toutes les infamies qui se pro- 
duisent de loin ou de près. Oui de. près, car les autres fois c'était 
seulement l'Arménie qui était mise à feu, mais maintenant c'est aussi 
la Macédoine entière qui brûle et le danger est à nos portes. {Appro^ 
bâtions.) 

• Je me rappelle d'une phrase profonde qui a été dite au meeting du 
Château-d'Eau, par l'éloquent M. Jaurès, une seule phrase : « Cette 
longue ignorance couvre un long égorgement. * Oui, voilà la véritable 
cause des désastres que nous déplorons. Et M. Jaurès parlait des 
Français, qui sont bien plus avant que nous dans l'éducation politique et 
dans le cosmopolitisme moral. C'est ainsi que les événements éloignés 
de la Macédoine et de l'Arménie n'arrivent à nous que comme des 
légendes étranges, mystérieuses, dont nous ne connaissons pas les cau- 
ses et dont nous ne devinons pas les remèdes. 

Voilà pourquoi, moi qui crois peu à l'efficacité d'une action immé- 
diate, je suis toutefois de tout mon cœur avec ce meeting. J'en apprécie 
surtout le caractère pédagogique, comme un prélude du jour où le peu- 
ple, où tous les peuples, délivrés de leurs misères intérieures, commen- 
ceront à porter leurs regards au dehors et pourront faire eux-mêmes 
leur politique étrangère. Ils pourront la faire de la seule manière pos- 
sible, qui ne consiste pas seulement à modifier l'article de la constitution 
qui réserve aux princes le droit de faire la guerre et de conclure des 
traités, mais qui consiste ausi à élever l'éducation politique des peuples, 
assez haut pour que chaque homme se sente citoyen dans le monde, et 
sente aussi, dans tout ce qu'il y a de grand ou de criminel qui arrive 
sur la terre, sa propre complicité ou sa propre gloire. (Applaudisse- 
ments.) 

Dans l'absence et le silence des peuples, les gouvernements sont 
seuls à parler; la diplomatie conspire et, de celle-ci, nous pouvons dire 
tout le mal que nous en pensons, sans pouvoir encore nous en passer. 
C'est une espèce de belle-mère qu'il faut supporter en paix. Les gouver- 
nements environnent le Sultan et jouent le rôle de docteurs autour du 
lit de ce grand malade qu'est l'Empire Ottoman, mais ce qui est curieux 
c'est que chacun de ces docteurs espère en être l'héritier! 

Que pourra donc faire le prolétariat italien ? Organiser une légion 
italienne ? Mais le général Riccioti Garibaldi se met en colère, si on en 
parle. Une simple protestation ? En face d'un aussi grand désastre ce 
serait presque une ironie. M. Radeff nous a dit, il est vrai : « Votre voix 



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— 164 — 

réconfortera mes frères ». Mais il faut en convenir, c'est là un réconfort 
très platonique. (Commentaires). 

Nous déplorons les massacres. Mais les massacres sont comme une 
loi historique et fatale au moment où une civilisation surgit. Et du reste 
n'est-ce pas un massacre continuel que notre même société capitaliste? 
La statistique ne nous dit-elle pas que la vie moyenne dans les classes 
riches est presque le double de celle des classes pauvres .»* Quelle autre 
chose est celle-là sinon le système social qui massacre à mi-chemin, 
dans la vie, la grande majorité des citoyens? 

Nous formulerons alors un vœu de sympathie. Mais on vous a 
rappelé le vieux Krûger et les vœux de sympathie pour le peuple boër, 
soulevé par son passage. A quoi ont-ils abouti ? Serons-nous des 
misérables qui, restant ici les bras croisés, pousseront ces peuples aux 
révoltes, étouffées dans le sang ? 

Approchons un peu plus du problème. *0;i vous a dit que les Macé- 
doniens sont divisés en cinq races, ennemies entre elles : les Bulgares, 
les Albanais, les Serbes, les Turcs, les Koutzovalaques. Ajoutez les 
juifs qui, dans les civilisations primitives, forment une nation à part. 
Kl, dans chacune de ces races, les infidèles luttent avec les chrétiens, 
Iks orthodoxes avec les convertis. 

C'est une loi fatale de l'histoire, que ce passage des peuples à travers 
les luttes de race et de religion pour arriver enfin aux hauteurs de la 
morale irréligieuse. Mais les Italiens sont sceptiques en fait de religions 
plus ou moins révélées. Le seul orateur qui, à cause de sa religion et de 
son habit, pouvait avoir une dent contre le citoyen Mahomet, et peu de 
respect pour les houris, le prêtre Vercesi, n'a pas voulu lui-même poser la 
question sur ce terrain. Il a, au contraire, bien indiqué qu'il parlait en 
défense de tous les opprimés, baptisés ou non, affirmant qu'une nouvelle 
croisade contre le croissant était loin de son esprit. Ce scepticisme italien 
fait du reste notre supériorité et notre force. C'est par lui que des 
hommes qui, en politique, ont été entre eux jusqu'hier comme chiens et 
chats et reeommenceront à l'être demain, se trouvent aujourd'hui ici d'ac- 
cord pour une même affirmation humanitaire. 

Ferons-nous alors une question de races? Laissez que je vous le 
dise en confiance. J'ai une véritable adoration pour les Turcs. Mon ami 
Pinardi vous a dit beaucoup de mal des Turcs ou pour mieux dire du 
Turc^ on le met au singulier pour pouvoir le tuer plus pacifiquement — 
il vous a parlé de leur despotisme, de leurs privilèges. Mais, certainement 



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— i65 — 

il oubïiait qu'il y a un prolétariat turc, le plus malheureux, le plus 
opprimé, le plus pauvre de tous les prolétariats du monde car, en Tur- 
quie, il n'y a pas encore une bourgeoisie développée. On y est encore à 
cette époque de transition dans laquelle on soufifre avec tous les 
malheurs du moyen-âge, toutes les maladies qui découlent de la civilisa- 
tion capitaliste. Et puis, j'adore le Turc, aussi parce que la Turquie en 
est réduite aujourd'hui à louer, vis-à-vis de l'Italie, le rôle de la fameuse 
Espagne de Rossini, c'est-à-dire qu'elle est désormais la seule nation qui 
soit plus malheureuse que la nôtre. (Hilarité.) 

La Turquie, en effet est horriblement gouvernée, mais, à ce sujet, il 
faudrait nous demander : qui gouverne la Turquie ? Car j'ai lu plusieurs 
fois que ce qui gouverne vraiment la Turquie c'est la Russie d'accord 
avec l'Autriche et l'Allemagne et qu'entre les jalousies réciproques de 
ces puissances, le malheureux et nominal gouvernement turc, ne tient 
debout que par sa propre faiblesse. 

L'Orient c'est l'intrigue de l'Europe. Quand nous prenons la défense 
d'un peuple oriental, nous ne savons jamais si nous servons l'intérêt des 
Allemands, constructeurs de chemins de fer et de ponts métalliques, 
dont parlait M. Lorand, ou celui du Tsar, qui veut étendre le pan- 
slavisme en Europe et en Asie, ou celui de l'Autriche, qui espère pousser 
jusqu'à Salonique pour laisser l'Allemagne, après, libre d'aller jusqu'à 
Trieste ou à Pola. Nous ne savons jamais quelle sera la répercussion de 
notre action. Même le représentant authentique de la Macédoine, pres- 
que en réponse à un autre orateur du meeting, plus royaliste que le roi, 
nous a dit que là-bas on ne veut pas la Macédoine aux Macédoniens 
mais on veut la Macédoine sous la Turquie avec les réformes et le con- 
trôle des puissances. Un autre homme d'étude et de grand mérite, le 
socialiste Bernstein, disait, il n'y a pas longtemps, au Reichstag, que ce 
serait une folie que de songer à une Arménie indépendante, car cela 
dépasserait les forces du parti révolutionnaire arménien. 

Par malheur, la Turquie est un État essentiellement militaire et, par 
cela même, obligée de saigner à blanc ses provinces pour alimenter le 
monstre du militarisme. Ceux qui ont dit que l'Italie est le pays qui 
dépense le plus dans les armements, en proportion de ses richesses, ont 
oublié la Turquie. L'Italie dépense pour la guerre plus de 400 millions 
sur les 1,700 de son budget, c'est-à-dire le quart, mais la Turquie en 
dépense presque la moitié — 8 millions de livres turques sur 20 — pour 
un armement qui l'écrase. Sous ce rapport, en sortant du meeting, je 



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— i66 — 

scn lirai le besoin de passer chez ie consul de Turquie pour Tem- 
brasser. 

Nous devons aussi prendre garde de tomber, à propos de la Turquie, 
dans une autre erreur dont on est revenu en Italie. Celle de faire d'un 
goiivernement, d'un prince ou d'un ministre les boucs émissaires d'une 
situation historique. Que n'a-t-on pas dit du Sultan ? E>on Versesi l'a 
qualifié * d'assassin couronné, » M. Pinardi de * Sultan rouge, » le 
citoyen Quillard l'appelle « la Béte. » Mais pour si naturel que ce soit 
qu'une lêtc de Turc soit une tête de Turc, je ne crois pas qu'un proie-, 
tariat éduqué, à la compréhension positive des faits politiques, puisse 
s'associer à ces jugements sommaires qui me semblent des figures 
réihoriques. Admettons que Abdul-Hamid soit un fou, mais avant lui 
il y en a eu d'auires Sultans — de temps en temps on entend dire que 
Ton en a suicidé quelques-uns — et les choses n'en marchaient pas 
mieux- Cela prouve que cet état de choses dépasse la volonté des indi- 
vidus. De mule manière cette image légendaire d'un Sultan qui, renfermé 
dans son palais d'Yldiz-Kiosk, passe son temps à méditer regorgement 
en masse des Arméniens et des Macédoniens, me semble un de ces 
croquemiiaines épouvanteurs d'enfants qui ne répondent à aucune réa- 
lité historique {Commentaires.) 

Malgré toui cela je suis heureux, je le répète, de la valeur pédagogique 
de ce meetings Je me plais à constater que celte tentative d'initier les 
massfs aux préoccupations de la politique étrangère, commence par 
Milan, par celle ville où il existe une véritable élite d'ouvriers dont 
Tadhésion a rendu, tout à l'heure, si heureux notre président qui, cer- 
taineineni, y a senti comme le présage du. jour où le peuple italien sera 
assez citoyen, dans sa propre patrie, pour pouvoir être aussi le citoyen 
du monde entier. 

C'est là le vœu qui sortira, je pense, de ce meeting, lequel n'aura 
pas la vaniteuse prétention de bouleverser les traités pour s'y substituer à 
la diplomatie, ni de découper lEurope en tranches, par une politique de 
pharmacie de village, mais que s'inspirant de cette pitié, qui tout en ne 
soulevant pas celui qui est tombé, rehausse celui qui se penche, sur le 
lombé, pour le relever, on limitera à formuler un vœu sérieux, sincère 
pour le respect qui est dû à tous les peuples et à ceux que M. Radeff 
appelait les droits élémentaires de l'homme. 

Nous n'avons aucun intérêt dans les compétitions entre Bulgares, 
Serbes, Monténégrins, etc. — convertis ou non — mais nous éprouvon s 



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— 167 — 

UR déchirement quand on prétend résoudre un question de races par 
la suppression d'un des compétiteurs, quand on essaie d'arracher une 
branche entière du grand arbre humain. Car toutes les races ont le 
même droit à Pexistenc et toutes doivent mettre leur note caractéristique 
— que l'on ne peut pas remplacer — dans ce concert des peuples, tant 
différend du soi-disant concert des puissances, qui-^oue, lui aussi, mais 
joue les peuples. (Hilarité.) 

J'ai fini. J'ai déjà dit à quel point de vue un socialiste peut aujour- 
d'hui voir la question. Si \e prolétariat italien avait déjà eu cette con- f 
ception élevée de la politique étrangère — qu'il serait mensonge de lui / 
attribuer dès maintenant — certainement qu'il aurait d'autres choses à f 
dire ici. Plus encore que les raisons de la sentimentalité, le prolétariat ) 
italien pourrait faire vibrer ici la voix de ses propres intérêts. Les bour- 
geoisies nationalistes, habituellement si prêtes à la sainte indignation eii | 
face des iniquités qui se produisent au-delà des monts et des mers, res- 
tent terriblement muettes en face des massacres de classe qui ont lieu j 
dans leur propre pays. Elles ont, elles aussi, des motifs matériels pour 1 
soutenir leur enthousiasme humanitaire en faveur des opprimés de l'em- 
pire ottoman, car, au fond, il y a là-bas des chemins de fer et des ponts 
en fer à construire. Pour pouvoir en toucher le prix, pour conclure des 
emprunts et en toucher les coupons il faut qu'il y ait là un peuple vivant, 
qui respire, qui travaille, qui produise les fruitsdont les coupons ne sont 
que le symbole. (Approbation.) 

Le prolétariat a deux grands intérêts dans cette question. Le premier 
c'est la nécessité d'éviter la guerre, mais aussi ce qui est encore pire de 
la véritable guerre, son danger permanent, imminent, et cette paix armée 
soupçonneuse et affaiblissante qui ne présente pas même le seul avantage 
de la guerre, savoir la décharge de l'orage qui nettoie le ciel, la saignée 
qui par l'anémie redonne au moins la tranquillité ; ce danger permanent 
de la guerre qui signifie le commerce interrompu, l'industrie paralysée 
et des milliers et milliers d'ouvriers sur le pavé, sans travail. (Applau- 
dissements.) 

Le prolétariat a, dans cette affaire, un autre grand intérêt à défendre. 
Après la guerre qu'arrive-t-il ? M. Trêves écrivait hier, dans le Tempo \ ' 
qu'en fait de politique étrangère, nous sommes des ânes bâtés. / 
M. Trêves en affirmant cela était un savant. La guerre c'est l'inconnu, le 
hasard, l'imprévu ei il pourrait en sortir aussi ceci : que la Russie vic- 
torieuse avançât vers nous. Or, Russie veut dire réaction, barbarie asia- 



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— i68 — 

tique, Tsar, Sibérie, ça veut dire la fin, en Europe, des démocraties. 
(Applaudissements,) 

Que ceux qui peuvent, fassent de leur mieux pour que la civilisation 
et la liberté soient portées dans ces pays. C*est là, au fond, le mot qui 
sortira de ce meeting, le mot qui nous rend tous frères, tous que 
nous sommes ici, différends de conditions, d'habillement et de foi. 
Liberté aux peuples et aux races de vivre, de travailler, d'avoir entre 
elles de l'émulation sans qu'aucune botte de baschi-bouzouck leur 
enlève la respiration. Je ne sais pas si aujourd'hui une confédération 
balkanique est possible, s'il est facile de mettre la Porte à la porte, mais 
je sais que le grand remède, dans tous les conflits de le vie civilisée, est 
celui que nous avons conquis pour nos misères italiennes: la liberté, la 
véritable, la grande réforme qu'est la condition et la base de toutes les 
réformes. 

J'espère que le ministre Morin, homme de guerre et de marine, mais 
homme de cœur, entendra la voix qui monte à lui de ce meeting, je 
Tespère et je le souhaite. C'est le moment favorable pour l'intervention 
pendant que l'Arménie saignée se tait et la révolte menace — mais elle 
n'a pas encore éclaté — en Macédoine (i). C'est un triste système, 
que celui des gouvernements, de se réveiller seulement quand l'émeute 
est dans les rues pour donner quelques calmants aux peuples. Vou 
dront-ils en faire autant pour l'Arménie et la Macédoine ? Souhaitons 
que non, car attendre encore, ne pas profiter de ce moment de paix et 
d'attente signifierait vouloir de nouveau la révolte et des fleuves de sang 
dans ces régions désolées. {Applaudissements prolongés.) 



LE DOCTEUR LORIS-MÉLIKOFF 

Arménien, profondément ému par cette imposante manifestation où 
l'Italie en la personne de la ville de Milan affirme sa sympathie au 
peuple arménien martyrisé et exterminé, je ne saurais vous dire quel 
sentiment de profonde gratitude emplit mon cœur en ce moment; c'est 
que j'ai conscience de ne pas vous témoigner ici ma gratitude person- 
nelle, mais d'exprimer celle de tous mes amis les exilés. Arméniens 



Ml En ciïet. Le jour où fut tenu le meeting, Tinsurrection n'avait pas encore com- 
mencé. 



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— 169 — 

d'Europe et celle aussi de ce lointain peuple d'Arménie, qui ne con- 
naîtra que bien plus tard les paroles prononcées. Songez que la terre 
natale lui est une prison, que le cri de ses souffrances, le bruit de ses 
luttes pour la liberté ne parviennent à vous qu'à travers un mur infran- 
chissable et que de même les échos de la sympathie européenne ne lui 
parviennent qu'atténués et amoindris. 

Il est enfermé dans une bastille effroyable attendant que l'humanité 
lui en ouvre les portes, lui donne le droit de vivre, ce droit de vivre que 
les puissances lui ont tant de fois reconnu en apposant leur signature 
sur des traités solennels. Ces droits élémentaires même ne lui seraient 
pas permis de les demander à l'Europe s'il lui était possible de les 
conquérir par ses forces seules. Mais vous savez que le peuple armé- 
nien est dépourvu de tous moyens de défense et qu'il a été livré sans 
armes à ses bourreaux par ceux-là mêmes qui lui avaient assuré leur 
appui. 

. L'œuvre qu'a entreprise la ville de Milan lui vaudra l'admiration de 
l'humanité civilisée et j'ai le ferme espoir que les autres villes d'Italie 
s'associeront à vous et continueront, avec votre aide, la noble agitation 
que vous inaugurez aujourd'hui d'une façon si éclatante. 

Lorsque je suis venu en Italie, j'entendais dire autour de moi que 
j'étais bien heureux d'y aller admirer les chefs-d'œuvres de l'art et les 
beautés de la nature. Ce que j'ai admiré et aimé aussitôt, ce sont les 
hommes fidèles aux traditions généreuses de leur nation. 

Dès que je leur ai eu exposé en quelques mots l'objet de ma mis- 
sion, j'ai trouvé auprès d'eux une adhésion complète et non pas une 
adhésion passive mais un concours énergique, cordial et fraternel, qui 
doublait mes forces et mes espérances dans l'accomplissement d'une 
tâche difficile, alors que les intérêts matériels coalisés et le mauvais 
vouloir peut-être pouvaient m'opposer des obstacles presque insurmon- 
tables. 

Dès la première entrevue, j'ai rencontré auprès de tous l'accueil le 
plus empressé; des hommes qui ont donné leur vie à toutes les causes 
de civilisation et qui ont gardé pour elle toute l'ardeur de leur jeunesse. 
MM. Moneta, Ascoli, Giocasa, Gnocci, Viani, M" Ravizza, n'ont pas 
hésité à nous accorder leur appui. La jeunesse intellectuelle, MM. Va- 
lentini, Trêves, Micelli, Pinardi, Calvi, les délégués des étudiants, se 
sont montrés semblables à ceux qui les ont* précédé dans la vie. Même 
accueil dans toute la presse et chez les représentants des partis les plus 



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— lyo — 

divers, depuis le député socialiste Turati jusqu'à Tabbé Vercesi; à Ronie 
et à Xaples même accueil qu'à Milan. 

Nous avons donc la certitude que dans notre situation critique et 
désespérée, Topinion publique italienne nous est acquise: 

Au nom de la nation arménienne, je remercie du fond du cœur le 
généreux peuple d*Italie. 

Puis au nom de la Corda fratres^ l'étudiant Clerici 
vient assurer le dévouement des étudiants à la cause des 
opprimés d*Orient. Enfin, du haut des tribunes, un anar- 
chiste conseille aux Arméniens et aux Macédoniens de peu 
compter sur les gouvernements et les puissances et de 
trouver en eux-mêmes la force de lutter et de combattre. 

Enfin, le président lit Tordre du jour suivant et qui est 
vivement acclamé : 

^ Les citoyens milanais réunis en comice^ par volonté 
de tous les partis politiques, le 26 avril igo3 ; 

^ Touchés par les énormités qui viennent d'être com- 
misez en Arménie et en Macédoine, qui sont une offense 
atroce à tout sentiment d'humanité, au mépris des pactes 
sanctionnés en forme solennelle entre les États de l'Eu- 
rope : 

^ S*unisse?it avec toutes les forces de l'âme aux protes- 
tations qui éclatent de toutes les parties du monde civilisé 
contre l'outrage que l'on fait à ces pays ; 

^ Ils expriment le vœu très chaud que le gouvernement 
de Vltalie veuille participer^ avec énergie et promptitudCy 
à la réalisatiofi des remèdes dont l'efficacité éloigne toute 
déception- y> 



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LÀ MANIFESTATION DE ROME 



Réunion préparatoire 



A Rome, le 7 mai, eut lieu, à TAssociation de la Presse, 
une importante réunion préparatoire. Deux cents personnes, 
appartenant au monde politique et intellectuel, s'étaient 
assemblées dans les salons de l'Association de la Presse, 
sous la présidence du professeur Sergi, assisté des députés 
De Marinis, Barzilaï, Mazza et du professeur Ferrari. La 
convocation portait que Ton rechercherait les moyens les 
plus efficaces pour seconder les initiatives humanitaires 
prises dans les capitales des pays civilisés en faveur des 
Arméniens et des Macédoniens. Après un bref discours du 
président, Anatole France prononça l'allocution suivante : 

Mesdames et Messieurs, 

Si j'ai l'honneur de me trouver ici parmi vous, si j'ai été appelé à me 
joindre, dans cette salle de votre Association, aux journalistes de Rome, 
c'est comme rédacteur de Pro Armenia, pauvre défenseur d'une grande 
causé, très petit journal fondé à Paris par Pierre Quillard, avec le 
concours de Francis de Pressensé, de Jean Jaurès et de Clemenceau. Et 
mon premier devoir, qu'il m'est doux d'accomplir, est de saluer mes 
confrères de la Ville éternelle. 

Laissez-moi vous dire ensuite, messieurs, combien j'aime l'Italie- et 
de quel respect Rome me pénètre. Dans les heures trop brèves qu'il 
m'est. permis d'y passer, j'y goûte des joies incomparables. La vie y 
coule pleine, tranquille, profonde, et s'y plonge magnifiquement dans 
un passé très grand. Comment ne pas se rappeler, à l'ombrie de vos 



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— 172 — 

ruines de brique et de marbre, couronnées d'oliviers, les siècles où Tim- 
mense majesté de la paix romaine enveloppait la terre, et comment ne 
pas voir avec sympathie la renaissance de Rome et la prospérité crois- 
sante de ritalie délivrée ? De quelque contrée qu'on vienne et quelque 
langue qu'on parle, comment, parmi les vestiges du Forum romain, ne 
pas s'essayer à murmurer, d'un accent dont vous pardonnerez la 
rudesse, cette parole de votre antique historien : Roma pulcherrima 
rerum ? 

En contemplant les monuments de votre antiquité, un Français ne 
se sent pas étranger chez vous ; il retrouve les restes de la grande aïeule 
des nations latines; si l'on parcourt vos rues et vos places illustres, à 
tout moment on rencontre les vestiges de gloire et de puissance. Mais 
de tous les souvenirs, le plus admirable peut-être, et celui du moins 
qu'il convient le mieux de rappeler ici, c'est le geste pacifique par lequel 
votre Marc-Aurèle, du haut du Capitole, apaise les Barbares. 

C'est un peu le geste, messieurs, que vous êtes venus faire ici. Sans 
doute, vous ne pouvez pas, comme Tempereur philosophe, en étendant 
le bras, tranquilliser l'univers. Mais enfin vous êtes venus travailler dans 
cette salle selon vos forces, qui ne sont pas petites, puisque ce sont les 
forces de l'esprit, à l'affermissement de la paix européenne. Car il ne 
s'agit pas seulement ici de la Macédoine déchirée et de l'Arménie mar- 
tyre. Il s'agit de l'union morale et du concert intellectuel de l'Europe 
civilisée. Le directeur de votre école d'anthropologie, l'iilustre professeur 
Sergi, vient de nous dire, dans le plus noble langage, comment la cause 
des Arméniens a été portée devant toutes les capitales de l'Europe. Elle 
a été portée cet hiver à Paris. Dans mon pays, partagé à cette heure 
entre deux partis qui se livrent un combat sans merci, les adversaires 
les plus résolus se sont réunis pour prendre en mains la cause armé- 
nienne. 

Loris-Mélikoff, que vous voyez ici, les avait convoqués, l'Arménien 
Loris-Mélikoff qui soutient son grand nom de toute la force de son 
grand cœur. Dans une assemblée immense, MM. Lerolle et Cochin, les 
citoyens Jaurès et Pressensé côte à côte ont protesté contre les assassi- 
nats commis par le Sultan exterminateur à la face de l'Europe honteuse- 
ment silencieuse, et réclamé l'entière exécution du traité de Berlin. 

Cette union des gens de cœur pour l'accomplissement d'une œuvre 
nécessaire et généreuse se fera aussi facilement chez vous, messieurs, 
qu'elle s'est faite en France. Tout ce que Rome contient de noble se 



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■^Tl^ 



- >73 - 

réunira dans une même pensée humaine ei pacifique ; les hommes 
éminents dans la politique et dans la presse que je vois assemblés ici 
en sont le présage certain. 

Et ce ne sera pas pour former de vains souhaits, pour jeter d*înutiles 
plaintes. Ce que vous réclamerez^ comme nous l'avons réclamé^ esi pré- 
cis, légal, pratique. C'est la pleine exécution du traité de Berlin. Ce 
traité institue la tutelle de l'Europe sur Te m pire ottoman. Esi«il possible 
que l'Europe dise au Sultan Rouge : *. Tue, pourvu que tu paies, v Esi-il 
possible que l'Europe tutrice, et par conséquent responsable^ qui se juge 
suffisamment armée par les traités pour faire rentrer au coup de canon 
des créances en souffrance à Constantinople, s'csiime impuissante 
devant regorgement de trois cent mille sujets du Sultan ? La question 
financière intéresse seule les Européens, diront les monstrueux égoïstes 
qui se croient sages. 

Messieurs, c'est aussi une question économique et financière que 
regorgement de tout un peuple. 

En obtenant la pleine exécution du traité de Berlin, en même temps 
que vous rendrez la vie à l'Arménie assassinée, vous procurerez aux 
Etats européens, et particulièrcmeni à ritalie, des avantages écono- 
miques certains, puisque dans la Turquie soumise au contrôle européen 
le commerce pourra se développer librement. 

L'opinion est une grande force. C'est, en notre temps, dans une 
partie de l'Europe, la plus grande des forces. Par un effort de Topinion 
publique italienne unie à l'opinion publique des autres peuples civilisés, 
on peut espérer que se fondera le droit international, comme fut fondé, 
voilà un siècle, le droit civil. 

Je m'arrête. M. Barsilai saura définir devant vous avec une haute 
autorité l'œuvre à laquelle vous êtes conviés. Pour moi^ si votre bien- 
veillance permet à votre hôte d'un jour de vous ouvrir son cœur, rien 
ne me sera plus doux que de voir la pensée italienne unie à la pensée 
française dans une œuvre de sagesse et d*h amanite. 

Après Anatole France, parlèrent tes députés Barzilaï 
et Chiesi, le marquis Pandolfi, M"™" A* Manzoni, le prince 
Odescalchi, l'Arménien Loris-Mélikofi'j le Macédonien 
Radeff, Tabbé don R. Murrî, M. Bocciardo* 



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— 174 — 

L'Assemblée vota Tordre du jour suivant : 

« Exprimant le vœu que le gouvernement italien concoure avec les 
autres puissances européennes à l'application des articles du traité de 
Berlin, concernant ces nations infortunées et à l'application de réformes 
efficaces qui respectent les sentiments de nationalité et de civilisation, 
«t qui seront une garantie pour la paix. » 

L* Assemblée décida qu'un Comité, présidé par le pro- 
fesseur Sergi, convoquerait à Rome un grand meeting, 
analogue à ceux de Paris, de Genève et de Milan. 

Le même jour, à Turin, sur l'invitation de la Société 
de Culture et de la Société de la paix y représentées par 
leurs présidents, le professeur Mosca et A. Luzzati, 
MM. Lorand, député à la Chambre belge et Pierre Quillard, 
rédacteur en chef de Pro Armenia, ont exposé, devant une 
assistance nombreuse, les atrocités hamidiennes en Armé- 
nie et en Macédoine et montré que le devoir et l'intérêt des 
peuples civilisés, en particulier de la France, de l'Italie et 
de l'Angleterre commandaient de promptes réformes en 
Turquie et l'exécution du traité de Berlin. 

Le professeur C. Lombroso, le recteur de l'Université 
de Turin, professeur Filetta, le président de la Corda 
Fralres E. Giglio-Tos, le président de l'Association univer- 
sitaire T. Barberio-Doria^ M. Angelo Foa, secrétaire de la 
Société de la Paix, beaucoup de professeurs et d'étudiants, 
ainsi que de nombreuses dames, écoutèrent en témoignan-t 
leur horreur, le récit des événements d'Arménie et de 
Macédoine. 

Après la réunion, les promoteurs décidèrent que les 
Associations de Turin convoqueraient aussi un grand 
meeting en cette ville et que des orateurs étrangers seraient 
invités à y prendre la parole. - 



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- 175- 



Meeting de Rome 

Après Paris, Bruxelles, Genève, Milan, en même temps 
que Gênes, la ville de Rome a protesté dans un comice 
grandiose contre les crimes hamidiens en Arménie et en 
Macédoine et contre l'inertie des puissances. Le Comité, 
constitué sous la présidence du professeur Sergi avait 
adressé au peuple de Rome Tappel suivant : 

Citoyens, 

Uàme civilisée de toute l'Europe est émue et avec une vibrante, une 
intense .attention, elle suit les graves événements qui ont inondé et qui 
inondent de sang TArménie et la Macédoine. 

Le peuple de Rome ne peut pas demeurer silencieux devant les 
crimes commis pour le malheur de pays qui ont droit à défendre l'hon- 
neur et la liberté. Rome qui vit les héroïques miracles de Garibaldi, ce 
chevalier de l'humanité, fera entendre hautement sa voix en faveur 
d'une cause humaine. 

Les nations se constituent par l'humanité. Le citoyen se lève et parle 
pour la cause de l'homme. En Arménie, en Macédoine, les massacres 
doivent cesser. On ne doit pas tolérer le plus féroce moyen-âge à l'aube 
du vingtième sîècle, quand la pensée court d'un bout à l'autre du 
monde au moyen des ondes électriques. Nous ne voulons pas la guerre 
ni que d'autre sang soit versé. Mais tout Romain, tout Italien de sens et 
de cœur, doit vouloir que l'on supprime la barbarie ressuscitant. 

De loyales et profondes réformes assureront la paix et l'ordre fondés 
sur la justice. Que toujours Rome soit où il y a des peuples opprimés. 

Le Comité 

M. Alliata, comptable; P. Arquati, conseiller provincial; F. Arca, 
avocat; N. Badaloni, député au Parlement; P. Bardazzi, T. Bri- 
GNARDELLi, industriel; G.-B. Bosdari, étudiant; F. Bocciardo, pu- 
bliciste; C. Cassola, publiciste; P. Chimienti, député au Parlement; 
E. CiccoTTi, député au Parlement; A. Codacci Pisanellî, député au 



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— 176 — 

Parlement; C. Cortina, publiciste; G. Cena, publiciste; F. CoRsf, 
député au Parlement; R. De Cesare, député au Parlement; A. De 
GuBERNATis, professeup; G. Del Balzo, député au Parlement; 

E. Faellf, directeur du Capitan Francassa; F. Gattorno, député 
au Parlement; A.-F. Formiggini, étudiant; Maggiorfno Ferraris, 
député au Parlement, professeur: E. Ferrari, conseiller communal; 
B. GiovAGNOLi, professeur; M. Lizzani, comptable; P. Mazza, député 
au Parlement; U. Mazzolani, publiciste; S. Manca, publiciste; 
Merru, colonel; L. Mongini, éditeur; G. Martinotti, colonel; 
E- Moscfl., publiciste; R. Nesti, publiciste; G. Norsa, publiciste; 

F. Oddone, publiciste; B. Pandolfi, ex-député au Parlement; 
E. Pantano, député au Parlement; F. Pagliaro, avocat; J. Ran- 
iJACcio, étudiant; M. Ravisini, publiciste; P. Rivalta, publiciste, 
sénateur; 0. Roux, directeur de la Tribuna; E. Sacchi, député au 
Parlement; G. Sergi, professeur; E. Socci, député au Parlement; 
E. SciAMANNA, professeur; F. Tolomel, docteur; R. Tondi, publi- 
ciste; F. ZuccARi, avocat. 

Le peuple de Rome répondit magnifiquement à l'appel 
du Comité. A 10 heures du matin, le 21 mai, le vaste 
théâtre Adriano, comme le Château-d'Eau, à Paris, et le 
théâtre Fossati, à Milan était envahi par une foule immense : 
sur la scène se trouvaient les représentants du Comité orga- 
nisateur et les orateurs désignés; dans la salle, les députés 
Gattorno et Maggiorino Ferraris, Menotti Garibaldi et le 
prince Odescalschi. Le professeur Sergi prend la présidence 
et prononce une brève allocution. 

M. LE Professeur JOSEPH SERGI 

Président du Comité. 

Honneur à vous, citoyens, qui êtes venus ici manifester votre indi- 
gnation et votre horreur envers upe domination barbare et sauvage, 
envers cette domination turque qui flagelle les populations par un 
leurre de gouvernement, qui déshonore les femmes et les familles, quj 
vole, tue, détruit les choses et les gens. 



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'çriv- 



— 177 — 

Oui, vous êtes venus poussés par un noble sentiment de pitié géné- 
reuse pour les malheureuses populations de TArménie et de la Macé- 
doine, victimes de la barbarie turque. 

Il est temps désormais d'invoquer la libération d'un esclavage sécu- 
laire, d*une domination qui n'est que le résidu de ce fléau qui s'est 
abattu sur l'Europe et l'Asie depuis plusieurs siècles et qui enchaîne 
dans une même ignorance tous les peuples assujettis et veut les étouffFer 
dans leur sang sans aucun reepect pour la vie humaine. 

Le moment est venu de protester ou d'être honteux d'être des 
hommes 1 II est temps d'exciter les nations civilisées pour les pousser 
à la libération des populations martyrisées par les Turcs, pour en finir 
avec la plus grande des infamies. Les nations civilisées, non pas les 
barbares, c'est-à-dire celles qui font égorger les juifs, ou suppriment la 
nationalité de la douce et civilisée Finlande, les nations civilisées, dis-je, 
comme l'Italie, qui a eu le mérite de ne pas livrer à l'échafaud l'exilé 
Gotz, ont le devoir, le but très noble, très humanitaire de délivrer les 
opprimés et de porter la civilisation là où est la barbarie. 

On dirait qu'une onde nouvelle de barbarie nous arrive de l'Europe 
orientale et qu'elle tende à nous submerger; surgissez, Romains, pour 
proclamer votre horreur contre cette barbarie, pour l'endiguer; demander 
la libération de l'Arménie tant de fois ensanglantée, de la Macédoine 
laissée dans l'ignorance et martyrisée. 

C'est dans ce but que vous avez été convoqués ici. En venant, vous 
vous êtes démontrés nobles, généreux, humains comme les autres 
populations qui ont protesté et protestent contre les infamies turques. 
A Londres, à Paris, à Milan, tous sont accourus pour invoquer la fin de 
l'état sauvage. A Rome, vous joindrez votre voix à celle de tout le 
monde civilisé, vous prouverez la générosité de votre âme et vous prou- 
verez aussi que vous entendez la voix, la parole de douleur, d'où qu'elle 
vienne, car le langage, de la douleur est unique, universel. Vous écou- 
lerez ce langage comme s'il venait de vos maisons, de vos villes, de 
votre pays. L'humanité est unique. Le droit à la vie et à sa libre expli- 
cation appartient à tous les hommes. (Applaudissements.) 

Nous qui sommes le peuple, nous devons être le levier qui remue la 
lourde masse du gouvernement, nous peuple, nous devons réchauffer 
la lourde machine qui gouverne sans miséricorde, impassible aux dou- 
leurs des populations malheureuses, nous peuple nous devons démon- 
trer que le progrès et la civilisation viennent de nous, et que c'est de 

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— 178 — 

nous que doit venir Tinripulsion vers le bonlieur de Inhumanité. 
(Applaudissements.) 

Je vous remercie, au nom aussi de mes amis, d'être venus aussi 
nombreux. (Vifs applaudissements,) 

Le professeur Sergî présente ensuite le D^'Loris-Mélikoff 
qui parcourt l'Europe en cherchant des appuis pour la 
cause de son peuple (Applaudissements) et Anatole France. 
(Nouveaux applaudissements.) Cris de Vive la France! 



LES ADHESIONS 

Le secrétaire Ravisini lit alors les adhésions; dans le 
grand nombre, il communique les plus importantes : 

Association féminine nationale, présidée par la comtesse 
Spaletti Rasponi; 

Le Comité central du parti républicain italien avec 
120 sections; 

Conseil directeur de l'Association Patria pour Trieste 
et Trente. (Cris de : Vive Trente et Trieste!); 

Section du parti républicain de Trieste; 

Chambre du travail de Rome; 

Union socialiste Romaine; 

Association des Universités populaires; 

Comité central de la Fédération albanaise. 



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— '79 — 



LE D' LORIS-MÉLIKOFF. 

Mesdames et Messieurs, 

Je regrette de ne pouvoir m'adresser à vous en italien et il me faudra 
même solliciter votre indulgence pour mon français appris, je ne sais 
comment, au cours de mes études scientifiques. J*ai pour ces deux lan- 
gues, qui ont exprimé tour à tour dans sa noblesse et sa grâce la pensée 
des nations latines, une admiration sans égale. Mais cette admiration 
est faite de respect et de crainte, car je me sens inhabile à les manier et 
c'est par la sincérité de mon émotion et de ma reconnaissance que 
j'espère me faire comprendre de vous. 

Et comment ne serais-je pas ému en face de cette réunion imposante 
et magnifique, qui apporte à ma patrie lointaine le témoignage de sa 
sympathie et de son généreux appui. 

. L*Arménie, enfermée derrière ses hautes montagnes, enserrée comme 
dans une immense forteresse naturelle, qui la livre désarmée aux entre- 
prises sanglantes du plus féroce, du plus attardé des despotismes, 
entendra, cependant cette voix venue de loin, cette voix douce et forti- 
fiante de la courageuse nation, qui lui vient en aide. Et cette voix serait 
celle de la plus ancienne, de la plus puissante jadis des nations du 
monde, aujourd'hui la plus jeune et la plus active dans la floraison de 
sa renaissance. 

Quant aux conséquences de cette belle manifestation, elles sont 
incalculables. Tout d'abord j'en signale une qui a été prévue par 
Gladstone avec une clairvoyance digne du grand homme d'État de 
l'Angleterre : « Servir l'Arménie, c'est servir l'Europe », disait-il à 
d'Estournelles de Constant, éminent champion de la politique de la 
Paix en France, en lui recommandant de s'occuper de la question 
arménienne. 

Celui qui veut comprendre les événements politiques d'Europe, que 
le télégraphe et les journaux nous apportent tous les jours, doit arriver 
à cette conclusion évidente. En ce moment deux grands courants 
se disputent le monde : d'une part le progrès et la civilisation et 
d'autre part la réaction et la barbarie. Mais pour que le courant libéral 
et démocratique triomphe de la réaction et de tout ce qu'elle traîne à 



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— i8o — 

sa suite, pour que la lumière refoule les ténèbres, il faut Tunion, l'union 
complète, l'union européenne. 

Que TEurope se mette d'accord et se réunisse et que le mot d'ordre 
soit la délivrance de l'humanité ! 

L'Arménie est en ce moment le plus malheureux des peuples, c'est 
elle qu'il faut délivrer la première. D'ailleurs, l'Europe s'y est engagée 
formellement et aujourd'hui l'Europe est solidaire et ne peut pas se 
désintéresser d'une nation dont le sort lui incombe. Et voici aussi 
pourquoi au xxe siècle avec l'accroissement de la solidarité européenne 
ce fait concret doit intéresser non un seul pays, comme il en était 
autrefois, mais toute l'Europe, puisqu'il s'agit de l'affermissement par 
la démocratie du droit humain, du droit international. 

La solution de la question arménienne que l'Europe a le droit et le 
devoir d'imposer unira toutes les forces vivantes du progrès et de la 
civilisation contre les forces dominantes de la barbarie et de la réaction 
brutale. 

L'Arménie délivrée, l'union européenne créée, les premières bases 
de la paix générale seront posées. C'est a'ors qu'on peut rêver de la 
paix générale tant désirée, ébauchée par la création de la Cour d'arbi- 
trage international à La Haye. 

Mais il faut nous entendre sur le mot « la paix » dont le sens a fait 
une évolution en s'élargissant et en se précisant, comme tous les grands 
mots qui ont agité la pensée de l'humanité. 

Tant qu'on ne cessera pas de fouler aux pieds les droits sacrés de 
l'homme, tant qu'on continuera les massacres quotidiens qui sont 
devenus un état normal dans ce pays martyrisé, la paix générale est 
impossible. Vous pourrez vous convaincre, en lisant le dernier numéro 
de Pro Armenia, celui du i5 mai, qui donne des nouveaux faits sur 
les pillages, les viols, les conversions forcées à l'islamisme et les mas- 
sacres. Je vais vous citer les trois horribles faits suivants qui se sont 
passés tout dernièrement : 

Dans le district de Segherd à Deh, Chukri, fils de Kafir, comman- 
dant hamidié, entre de nuit avec quatre autres malandrins dans la 
maison de l'Arménien Selmo Gharib, lui enlève sa femme et l'oblige 
de passer à l'islamisme. 

A Boubien, un Arménien, Bedo Keyneyan, est attaqué par des 
Kurdes, battu sauvagement, garotté et laissé sur place demi-mort. Les 

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— i8i — 

K-urdes emportent bien entendu la charge de bois qu'il conduit et lui 
volent les chevaux. 

A Gharzan, les soldats attaquent la famille arménienne : ils tuent 
5 personnes, en arrêtent i6 autres et pillent i.ooo moutons et plus de 
loo mulets, en un mot tous leurs biens, n'oubliant pas sans doute de 
déshonorer les femmes jeunes et vieilles. 

Tout cela vous prouve que Textermination lente de toute une nation 
continue tous les jours avec une régularité et une sauvagerie qui ne se 
démentent pas. 

Dans ces conditions, la paix à tout prix est irréalisable. Le fameux 
statu qiio, mot d'ordre de tant de diplomates, est une illusion en ce 
moment. 

La marche des événements politiques se déroule avec une rapidité 
et même avec une précipitation qu'aucune puissance humaine ne 
pourrait arrêter. 

Le devoir qui incombe aux hommes d'Etat clairvoyants, c'est de 
savoir la diriger afin d'éviter les catastrophes imminentes. 

Lui aussi, ce despote qui a rougi les marches de son trône du sang 
de 300.000 Arméniens, assassinés au son du clairon, comme témoignent 
les publications officielles, lui aussi voudrait maintenir le statu quo. Et 
cependant les avertissements lui viennent de ceux mêmes qui partagent 
sa foi et ses croyances. 

L'impunité de ce fou criminel qui tient encore dans ses mains la 
destinée des peuples d'Orient sera toujours une menace à la paix géné- 
rale, et le moment est tellement critique que si l'Europe n'intervient à 
temps et au plus vite, on sera forcé de recourir aux mesures violentes, 
c'est-à-dire à la guerre. Et qui peut dire jusqu'où reculerait la civili- 
sation 1 

Voilà pourquoi il faut que les Etats de l'Europe civilisés, unis dans 
un but humanitaire et conscients de la mission qu'ils ont à remplir, 
imposent à la Turquie, qui est sous leur tutelle, la réalisation des 
réformes promises par le traité de Berlin, conformément au mémoran- 
dum du II mai iSgS, sous leur contrôle direct, même avec la menace 
de la force armée s'il est nécessaire. 

Oserai-je vous dire, mesdames et messieurs, que cet acte de justice 
et d'humanité sera peut être aussi un acte de haute politique et que 
l'apaisement de l'Arménie sera comme l'aurore de la paix universelle. 

Les intérêts économiques et sociaux de l'Europe trouveront dans 



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— l82 — 

une ère nouvelle de confiance et de sécurité les moyens de se fortifier 
et de se développer. 

Voilà pourquoi je me suis résolu à venir en Italie. J'avais la foi 
profonde qu'en faisant connaître les souffrances du f>euple arménien 
j'agirais dans l'intérêt certain, non seulement de l'intégrité de la Turquie, 
mais aussi de tous les pays civilisés, et notamment de cette admirable 
Italie, le pays classique du droit et de la liberté. 

Je suis persuadé que si l'Italie veut bien prendre l'initiative de ce 
mouvement que suivront toutes les grandes nations civilisées de 
l'Europe, elle en tirera une gloire qui ne sera pas stérile. Milan déjà a 
fait à nos espérances un accueil enthousiaste. 

Mon très vénéré ami et maître Moneta, que tous les partis honorent 
également, a bien voulu prendre sous son haut patronage notre 
première réunion, dont le retentissement a été si grand dans toute 
l'Italie. 

A Rome, j'ai trouvé le même enthousiasme, la même fraternité. Les 
plus prudents, les plus circonspects mêmes se sont laissés gagner par 
l'enthousiasme général. Les hommes les plus divisés, d'idées, tels que le 
professeur Soldi et l'abbé Murri, les députés Barzilai et Maggorino Fer- 
raris, lesénateur Roux, le Prince Odescalchi m'ont fait le même accueil 
encourageant. 

L'illustre professeur et mon vénéré maître et ami Sergi a été infati- 
gable au dépens même de ses propres travaux pour m'aider et 
m'encourager. 

J'en dirai autant des éloquents orateurs qui ont pris la parole 
aujourd'hui, du courageux citoyen Bocciardo et du secrétaire Ravasini. 

La Fédération des Femmes de Rome, cette réunion de l'élite qui 
revêt son dévouement d'une grâce incomparable, a bien voulu donner 
son adhésion. 

Je devrais citer toute la jeunesse intellectuelle de votre beau pays, 
mais je m'arrête en les remerciant tous. 

Je laisse à Rome de nombreux amis auxquels je garde un attache- 
ment fraternel et une reconnaissance profonde. 

L'Italie sera pour moi, après la France bien-aimée, ma seconde 
patrie. 

Enfin le hasard bienheureux m'a permis de rencontrer ici Anatole 
France : ce serait le diminuer que d'accompagner son nom d'une 



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— i83 — 

épithète quelconque. Mais je pense qu'une cause à laquelle il » 
apporté l'appui de sa noble parole est une cause gagnée. 

Je ne tenterai pas de vous exprimer l'émotion profonde que j^éprouvc 
en ce moment, mais parmi tant de pensées, d'inquiétudes et d^espé- 
rances, ce qui domine en moi c'est l'immense gratitude pour tout i:e 
que votre présence ici semble me promettre. Elle me présage une 
Arménie protégée et reconnaissante. Vive l'Italie 1 

De longs applaudissements éclatent et on crie : « Vive 
l'Arménie ! Vive la Macédoine ! » 



LE PROFESSEUR DE GUBERNATIS 

Expose les raisons historiques qui commandent à l'Ita- 
lie d'intervenir en Macédoine et en Arménie. Après avoir 
montré le rôle considérable joué par les Arméniens dans 
l'antiquité et au moyen âge, après avoir énuméré les plus 
illustres Arméniens de notre temps et lu des poèmes 
(chants d'émigrés, chants guerriers de Zeïtoun) il conclut 
en ces termes : 

Pour le moment, et peut-être pour longtemps encore, les Arméniens 
ne demandent pas et ne demanderont pas -k se reconsiimcr en un Étal 
indépendant. Pour le présent, ils se contenteraient de vivre en paix avec 
leurs biens, avec leurs femmes, avec leur âme. Vrais nobles d'une race 
antique, ils aiment leurs traditions et les défendent; ardents patriotes, 
ils adorent leurs montagnes. Ils se sentent forts et ne veulent plier leur 
cou à aucune servitude ; ils portent encore en eux la primitive flamme 
prométhéenne de leur lumineuse divinité arienne, rallumée au zèle de 
leur grand saint l'Uluminateur. Cette grande flamme bienfaisante 
besoin de se répandre et de se propager pour se confondre avec la 
lumière de notre civilisation. 

L'unité politique pourra peut-être un jour dans la dislocation fatale 
dés grands empires, lors de la résurrection des peuples librement confé- 



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— 184 — 

dérés, devenir une nouvelle nécessité historique et créer un centre 
vivant pour un nouveau et puissant organisme oriental. 

Mais aujourd'hui, les Arméniens n'ont pas de si grands rêves, et ce ^ 
peu qu'ils désirent, nous le demandons pour eux à haute voix. 

Il leur suffit de reconstituer dans des gouvernements humains leur 
unité spirituelle. Mais qu'un barbare bachi-bouzouk kurde, qu'un igno- 
rant zaptieh de Stamboul dpive être encore l'arbitre aveugle et brutal 
d'un peuple intelligent, non, non cela ne peut être plus longtemps 
toléré. 

ANATOLE FRANGE 

Pour obéira l'invitation de votre président, l'illustre professeur Sergi, 
je dois prendre la parole dans cette assemblée, et après votre vénéré 
concitoyen Angelo de Gubernatis, élever la voix d'un hôte et d'un ami. 
Vous entendrez avec bienveillance, j'en suis sûr, le son de la langue 
^œur. La langue italienne et la langue française sont deux sœurs 
jumelles. Nous aussi, nous avons sucé le lait de la louve et c'est avec 
un respect filial que je salue 'cette ville de Rome, aïeule auguste des 
nations. 

Messieurs, je me promenais hier sur le Forum, où fut longtemps 
médité le sort du monde. Là, maintenant, parmi les ruines des temples, 
des basiliques et des arcs de triomphe, croissent de jeunes myrthes, 
mêlés au laurier d'Apollon. Ces marbres et ces rameaux sont l'image de 
vos souvenirs et de vos espérances. En les contemplant, l'esprit tout 
plein de votre grandeur passée, je voyais l'Italie délivrée et Rome libre 
refleurir dans l'Europe pacifique. 

Messieurs, je viens sous les auspices, aux côtés du patriote arménien 
Loris-Mélikoflf, vous convier à une œuvre qui intéresse les droits de 
l'humanité et la paix du monde. Je viens apporter la cause de l'Arménie 
non à l'Italie morte, mais à l'Italie vivante. Pour savoir combien vous 
êtes jaloux de venger les attentats commis contre la pei sonne humaine 
et de quelle généreuse pitié vous honorez les victimes des crimes, je 
n'ai pas besoin de rechercher des souvenirs, ni même de rappeler le 
héros dont votre mémoire est pleine, le généreux défenseur de toutes les 
justes causes des peuples, de Garibaldi, qui combattit pour l'Italie 
opprimée et la France vaincue. 



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— i85 — 

J'ai vu passer au pied de la colonne Trajane un cortège innombrable 
de citoyens qui, dans un silence sacré, portaient à Giacomo d'Angelo 
des couronnes de roses et d*iris. J'ai vu passer, chargée de fleurs 
funèbres, Rome réparatrice. Le souvenir de ce spectacle, qui me remplit 
d'admiration, m'encourage à vous parler des Arméniens martyrs. 

Messieurs, étranger parmi vous, je suis votre hôte et je connais mes 
devoirs. Je ne prononcerai pas un mot qui me donne seulement l'appa* 
rence de toucher aux affaires de votre pays, ni de m'occuper d'intérêts 
dont vous êtes seuls juges. Mais, puisque Italiens et Français nous 
sommes des hommes, puisque notre dure condition est d'être des 
hommes, il y a une politique que nous pouvons, que nous devons fai^e 
ensemble ; c'est la politique de l'humanité. 

Un monstre, qui toujours tremblant dans sa misérable toute- puis- 
sance s'épouvante de ses crimes et se rassure par de nouveaux crimes, 
le sultan Abdul Hamid II, a, de 1893 à 1896, fait pendre, éearteler, brQIer 
vifs, trois cent mille Arméniens, et, depuis lors, il s'applique avec une 
exécrable prudence, à l'extermination méthodique de ce peuple d'or^ 
phelins. 

Vous savez que, par leur intelligence et leur activité, les Arméniens 
sont capables.de former les liens les plus souples qui puissent unir 
l'Asie à l'Europe, et que leur mission historique est d'échanger les pro- 
duits de ces deux parties du moHde. 

Le professeur Angelo de Gubernatis vient de vous le dire, ils ont fait 
pénétrer chez eux la civilisation européenne. Au temps des Césars, leurs 
rois sont venus à Rome et, sous l'Empire, ils envoyaient leur jeunesse 
étudier aux écoles de vos rhéteurs. Au moyen âge, ils conclurent des 
traités de commerce avec la Sicile, des conventions avec les F^publiques 
de Venise et de Gènes. Jusqu'au dix-huitième siècle, ils ont tait un grand 
négoce avec l'Occident. Depuis lors, ils ont langui, épuisés par 
d'extrêmes souffrances, et maintenant, ils agonisent sous le couteau des 
Kurdes. 

Qu'il leur soit permis seulement dî vivre et ils reviendront ce qu'ils 
étaient autrefois, les agents les plus actifs de la civilisation européenne 
en Orient. Un des leurs, le patriote Loris-MélikofF, vient ici vous 
apporter leur requête. 

Messieurs, les Arméniens ne vous demandent pas de réaliser en leur 
faveur, par des moyens hasardeux, un rêve chimérique. Ils ne vous 
demandent pas une patrie. Ils ne vous demandent pas de leur tailler 



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— i86 — 

leur part dans la chair vive du Turc. Ils demandent seulement que les 
engagements pris en leur faveur par les grandes puissances signataires 
du traité de Berlin, soient enfin tenus. Et c'est cette juste réclamation 
que, par la bouche de Tun des leurs, ils portent à vos oreilles. 

Il est vrai que leur sort dépend, sur le point capital, de ce qu'on 
appelle les cabinets européens et que la cause des peuples martyrs n'a 
en fait de juges que les diplomates. Mais une puissance est née dans le 
monde; l'opinion publique et son souffle ardent pénètre parfois à tra- 
vers les portes closes, jusque sur le tapis vert des congrès diplo- 
matiques. 

Messieurs, vous représentez ici l'opinion publique de votre pays. En 
cet âge de démocratie, vous êtes moralement pour un jour la « curia 
maxima ». 

L'article 6i du traité conclu à Berlin le i3 juillet 1878, entre les 
grandes puissances et la Turquie, dispose : « La Sublime Porte s'en- 
gage à mettre à exécution, sans autre délai, les améliorations et les 
réformes nécessitées par les besoins locaux dans les provinces habitées 
par les Arméniens, et à garantir leur sécurité contre les Circassiens et 
les Kurdes. Elle fera périodiquement connaître les mesures prises à cet 
effet aux puissances qui veilleront à leur application. » 

L'exécution de cet article peut seule, en assurant la tranquillité de 
l'Arménie et de la Macédoine, délivrer l'Europe de l'inquiétude inces- 
sante que lui cause ce qu'on nomme depuis si longtemps la question 
d'Orient. 

Messieurs, je ne veux pas en dire davantage, je n'ai pas le droit de 
vous tracer un ordre dû jour. Je ne puis que joindre mes prières aux 
conseils de vos orateurs autorisés et souhaiter qu'à Rome, de même 
qu'à Milan, à Gênes, à Bruxelles, à Paris, à Genève, l'opinion publique 
réclame hautement l'exécution intégrale du traité de Berlin comme le 
plus sûr moyen de sauver des millions d'hommes et d'assurer la paix 
européenne. Vous avez permis à un Français de joindre sa voix à la 
vôtre dans une même pensée de sympathie humaine. 

Messieurs, je vous en remercie du plus profond de mon cœur. 



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3**^' 



- i87- 

M. CARLO DEL BALZO 

Député républicain, 

Ai-je encore besoin de vous peindre les massacres d*homnies sans 
armes, d'enfants, de vieillards, de jeunes cpouises, de nourrissons arra- 
chés au sein de leurs mères, dans les rues, dans les maisons, dans les 
églises en Arménie et en Macédoine ? Non, n'est-ce pas ? Désormais, le 
souvenir de ces horreurs est une honte pour l'Europe, et les nouveaux 
massacres qui ont lieu maintenant nous font rougir et frémir, nous font 
verser des larmes sur l'aveuglement de ceux qui ne voient pas tout ce 
terrain arrosé de sang qui voile le ciel de l'Orient de vapeurs rouges. 
(Applaudissements.) 

Ah ! mais l'Europe officielle s'est émue et nous avons eu les traités 
de Santo Stefano et de Berlin ! Elle s'émeut maintenant, et nous avons 
les notes diplomatiques, qui valent ce que valent les billets de la Banque 
Romaine. {Hilarité.) Désormais, il n'est plus guère possible d'attendre 
le salut de ceux qui ont la poitrine chamarrée de décorations. Il faut 
chercher le salut dans les manifestations du peuple. Tous les peuples 
civilisés doivent faire entendre leurs cris de protestation contre des évé- 
nements qui déshonorent le genre humain. (Applaudissements.) Le 
peuple italien, plus que tous les autres, a le devoir de s'agiter et de 
concourir à former l'opinion publique qui doit faire respecter les droits 
naturels les plus élémentaires de l'homme. : le droit à la vie, le droit à la 
liberté. Le peuple italien ne peut pas rester indifférent en face de 
rOrient où se trouvent tant de survivances de sa pensée, de son activité 
et de sa gloire. 

Nos républiques maritimes, Gênes et Venise, ont contribué à façonner 
pour la moderne civilisation toutes les côtes de l'Asie Mineure. Lorsque 
la première croisade fut décidée, las navires génois transportèrent en 
Orient, avec les croisés, leur esprit commercial, leur esprit d'initiative. 
C'est ainsi que les Génois eurent la possession de Smyrne et qu'en 
remontant les côtes de l'Anatolie ils pénétrèrent jusqu'à la mer Noire, 
poussant jusqu'au marais de la Méotide en y fondant la ville de Gaffa, 
qui prit un grand essor commercial, qui arriva à un degré inespéré de 
splendeur grâce aux institutions de banque de la mère patrie. 



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•'?^T»i*7ÇS7' 



— 188 — 

Après ce fut Venise qui, avec Taveugle mais grorieux doge Enri 
Dandolo, s'emparait de Constantinople où, plus tard, par concession de 
Tempereur Paléologue, les Génois furent les maîtres de Pera et de Galata. 
Et quand, en 1453, Constantinople tomba aux mains des Turcs, qui 
resta dans TEurope abasourdie, affaiblie pour leur tenir tête ? Venise l 
Cette fenêtre de l'Europe sur l'Orient, Venise, qui, pendant trois siècles, 
a été le rempart chrétien contre la barbarie turque. Les jalousies des 
princes chrétiens empêchèrent seules Venise de chasser les Turcs de 
l'Europe. C'est ainsi que, contre la grande et généreuse Venise, dont les 
cris de « Vive San Marco » faisaient battre le cœur de tous les hommes 
libres, de Malamocco à Otrante, de Trieste à 2ara, on ourdit la ligue de 
Cambray. Le pape Jules II, l'empereur Maximilien, le roi de France, le 
roi de Naples, le duc de Savoie, le duc d'Esté, le marquis de Mantoue 
se liguèrent contre Venise qui ne céda pas, mais qui, épuisée par la 
lutte, fut obligée de conclure la paix avec les Turcs en lui cédant Mal- 
vasie et Napoli de Romanie. 

Mais les jalousies des princes chrétiens ne cessent pas pour cela. 
Enfin, après les glorieuses défaites de Nicosie et de Famogouste, le Pape 
et l'Espagne se décident à aider Venise, qui tient encore à Chypre. Marc- 
Antoine, Colonna et Don Juan d'Autriche, avec Sébastien Verrier, 
triomphent à Lepante, glorieuse mais stérile victoire. Le Pape et l'Es- 
pagne abandonnent Venise et, deux ans après, les Turcs s'emparent de 
Chypre ! C'est ainsi que Venise, abandonnée par les princes chrétiens, 
après une guerre de vingt-cinq ans, perd la Crète. 

Les jalousies européennes continuent et l'Orient est rougi d'autre 
sang. Venise défend la Morée et François Morosini, émule des Scipions, 
est surnommé « le Péloponèsiaque » et, jusqu'à la fin du xviie siècle, 
conserve à la civilisation la Morée et la Dalmatie. Malgré les victoires 
de Corfou et de Petcrwardein — cette dernière gagnée par le prince 
Eugène de Savoie — à cause de la trahison de l'empereur Charles IV, 
Venise perd aussi la Morée et puis Tunis. 

Le peuple italien ne peut rester indifférent devant les douleurs des 
peuples de l'Orient. Sans la moindre idée de conquête, il doit protester 
énergiquement contre les horreurs qui voilent l'aube du xx* siècle. 
Pourquoi ne fait-on pas respecter les traités internationaux ? Qu'attend- 
on pour mettre un terme à une situation qui est la négation de tout 
principe moral, civil et politique ? (Applaudissements.) 
En Macédoine, dit-on, l'on a des torts des deux côtés. Soit 1 Mais de 



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— iSg — 

toute manière l'explosion de la dynamite, c'est l'explosion fatale du 
désespoir d'un peuple opprimé. Que l'on condamne les dynamitards, 
mais que faudra-t-il penser de ces soldats turcs qui essuyent avec leurs 
lèvres les sabres d'où dégoutte le sang des femmes et des enfants inno- 
cents ? Que faut-il penser de ce disciple du Coran qui parcourait les rues 
de Salonique en criant : «Tuez tout le monde, c'est là la volonté du 
Sultan. » Le fanatisme aveugle a de tout temps produit les mêmes effets. 
Dominique de Gusman, pendant le massacre des Albigeois, criait aux 
bourreaux : « Tuez, tuez. Dieu reconnaîtra les siens 1 » {Emotion, cris 
de protestation,) 

Et en Arménie ? Que se passe-t-il en Arménie ? Pourquoi permet-on 
que, d'une manière scélérate, une entière nation soit peu à peu sup- 
primée ? Les Turcs emploient une méthode infernale : la faim à domi- 
cile, extorsion d'argent, vol, saignée. Les Arméniens ne peuvent pas 
circuler entre un pays et l'autre. Quand la faim est dans leur pays, ils 
doivent mourir sur place, dans leur domicile. Le receveur prend la plu- 
part du revenu ; puis les gendarmes — les j^apties — prennent le reste ; 
quand il n'y a plus rien, ils prennent ce qu'il y a de mieux dans la 
maison : la femme. Ils insultent les malheureux en leur disant : « Allez 
réclamer auprès des consuls. » 

Quand les extorsions intermittentes ne suffisent pas, les Arméniens 
sont chassés en masse de leurs terrains, concédés à des immigrants 
turcs ou circassiens. Après vient la saignée. (Emotion, protestations,) 

L'Arménien, sous les plus simples prétextes, est emprisonné, puis il 
reçoit, la nuit, un certain nombre de coups de bâton — nous, nous 
avons dans nos prisons la camisole de force ; cela veut dire qu'il y a 
aussi un peu de Turquie en Italie. (Vifs applaudissements,) 

Quand trois bâtons cassés sur le dos des malheureux Arméniens ne 
suffisent pas, on déchaîne contre eux sans armes> des prisonniers 
kurdes et circassiens auxquels on a laissé des armes pour qu'ils puissent 
s'en servir impunément contre les Arméniens. Et quand ces saignées 
ne suffisent pas, on a recours aux massacres, aux exécutions en masse, 
comme à Sassoun et à Zeitoun, qui, entre iSgS et 1896, ont coûté la vie 
à 300.000 Arméniens brûlés ou égorgés en face de l'Europe impassible ! 
(Cris de protestation,) 

Cette barbarie doit cesser 1 Nous n'avons pas pour «ous les équili- 
bristes, ceux qui ont un compteur à la place du cœur, mais nous avons 
pour nous tous ceux qui font de la politique un véritable apostolat. 



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à 



— igo — 

Nous avons l'appui de Texempf^ donné de nos très grands hommes : 
Mazzini et Garibaldi. {Vifs applawfissements.) Mazzini voulait la patrie 
unie, libre, indépentante et républicaine ; mais il aimait la patrie dans 
l'humanité. Et si, par la fondation glorieuse de la « Jeune Italie » 
(Giovane Italia), il forma le noyau de U cellule de notre vie nationale, 
il voulut après, par la « Jeune Europe » {Giovane Europà), délivrer tous 
les peuples de l'Europ?. Joseph Mazzini ^ défendu les droits du citoyen 
pour arriver à l'intégration complète des droits de l'homme. Il compléta 
l'œuvre de la Révolution française et la déclaration des droits de 
l'homme par la déclaration des « devoirs » de l'homme. (Applaudisse- 
ments.) 

Le premier devoir de l'homme est celui de défendre l'homme. La 
pensée de Mazzini devint l'action par le bras de Garibaldi, dont avec 
beaucoup d'à propos a parlé si bien M. Anatole France, notre cher 
hôte. (Applaudissement f, cris de : Vive Anatole France, Vive la 
France.) Garibaldi a combattu pour l'homme, de manière qu'il n'a pas 
été seulement le héros de l'Italie, mais bien celui de l'Europe, des deux 
mondes! C'est ainsi que la miision de la troisième Rome n'est pas seu- 
lement nationale, mais aussi humaine. (Applaudissements.) 

L'Italie a expié les glorieuses violences de la Rome impériale, d'abord 
avec les invasions des barbares, puis par plusieurs siècles de domination 
étrangère. Nous ne voulons pas de conquêtes, nous ne voulons pas d'une 
Rome impériale et encore moins d'une Rome papaAe (applaudissements) 
qui brûlait nos philosophes. Le siècle par lui prophétisé — pour em- 
ployer les mots de Bovio — a élevé à Giordano Bruno un monument 
sur l'emplacement précis où il y a été brûlé vivant. (Applaudissements.) 

Rome doit être humaine, Rome doit être où sont des peuples 
opprimés. (Oui! oui ! applaudissements.) Et maintenant, espérons que 
rOrient ait les réformes promises, mais souhaitons que, sous peu, 
Athènes, où Socrate a enseigné, où Phidias a sculpté, où Périclès dicta 
les lois de la politique et du goût, devienne le centre de l'Amphyctionat 
balkanique. Rome doit vouloir cela et nous devons souhaiter qu'elle ait 
dans un temps peu éloigné, sur le Capitole, le tabularium idéal de tous 
les droits humains. (Applaudissements, longue ovation.) 



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191 



M. B. PANDOLFI 

Le député Mazza qui devait parler également est retenu 
à Ravenne. L'ex-député Pandolfi démontre que parmi 
toutes les nations civilisées, l'Italie a le devoir et l'intérêt 
majeur d'intervenir pour la solution de la question armé- 
nienne. Les Arméniens veulent ce que voulurent les Bul- 
gares, les Roumains et les Serbes et ce que nous aussi nous 
voulons : la liberté. (Applaudissements.) 



LE CITOYEN GARZIA CASSOLA 

est accueilli par des applaudissements prolongés. L'orateur 
socialiste dit que vu l'heure avancée il fera « un massacre 
turc de ses arguments. » Mais il doit dire que le parli 
socialiste ne pouvait s'abstenir quand on proteste contre 
l'injustice et la cruauté du gouvernement turc. La grande 
utopie delà paix universelle sera en notre siècle une réalité. 
A la période des peuples de proie succède celle des peuples 
solidaires; l'industrie, la commune, la science et l'art font 
tomber les barrières anciennes et les préjugés et rappro- 
chent les nations. (Vifs applaudissements.) 

Mais dans la grande famille humaine il y a encore des violents et des 
impulsifs qui substituent le couteau à Talphabet. Contre ceux-là, il faut 
se défendre, et défendre les peuples assaillis par un gouvernement qui 
a gardé les instincts ataviques de la criminalité politique et qui menace 
l'oeuvre tranquille de la paix et de la civilisation. 

Dans un temps, les gouvernements faisaient des alliances pour les 
conquêtes militaires. Aujourd'hui les peuples se liguent pour la paix. 
Nous devons défendre l'œuvre de la civilisation contre la férocité musul- 
mane. On fait des ligues pour la défense douanière, c'est-à-dire pour b. 



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— 192 — 

protection de la richesse : Pourquoi ne pas s'unir pour la défense de la 
vie ? On institue des cordons sanitaires contre la peste ? Et nous ne 
pourrions nous défendre contre le Turc ? {Vifs applaudissements,) 

Nous le pouvons si nous le voulons. Mais il faut que tous les peuples 
qui vivent de travail s'unissent contre les alliances particulières des gou- 
vernements et des oligarchies. Les infamies de la soldatesque turque ne 
seraient pas possibles si nous étions plus actifs, plus civilisés et meil- 
leurs. 

Le citoyen G. Cassola termine en évoquant les jours 
pacifiques où personne ne pourra plus verser le sang et 
quand il retourne à sa place, au milieu de longs applau- 
dissements, il est vivement félicité par Anatole France. 



LE PROFESSEUR FORMIGGINI 

prononce un dernier discours au nom de l'Association uni- 
versitaire Corda fraires^ dont le but est d'établir des rela- 
tions fraternelles entre tous les peuples et qui doit donc 
réprouver toute atteinte au droit et à Thumanité. 

Qu'il me soit permis, au nom d'une association sans caractère politi- 
que, de flétrir cette vieille et impudique courtisane : la diplomatie. 

Le professeur Sergi donne alors lecture de Tordre du 
jour suivant qui est approuvé à l'unanimité : 

« Le peuple de Rome, réuni en comice solennel, pour 
les faits sanglants d'Arménie et de Macédoine qui ne ces- 
sent pas malgré les Etats civilisés d'Europe ; 

« Considérant que les décisions prises et consacrées, au 
nom de la justice et de l'humanité, dans les traités interna- 
tionaux sont négligées et méprisées ; 

« Estimant que c'est une honte pour la civilisation con- 



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-.93- 

temporaine, un état de choses qui renie le droit à la liberté 
et à la vie ; 

« Emet le vœu que Tltalie prenne énergiquement l'ini- 
tiative de mettre fin à une situation qui viole toutes les lois 
de l'humanité. » 

A GÊNES 

A Gênes, deux réunions eurent lieu, la première, le 
10 mai, sur convocation du groupe démocrate chrétien. 
y assistaient de nombreuses personnalités des associations 
catholiques et du parti monarchique. L'orateur désigné 
était le docteur Sturza de Caltagirone; prirent ensuite la 
parole, Tingénieur Denario pour les monarchistes, puis le 
député Pellegrini, l'étudiant Zerbi, au nom du Cercle uni- 
versitaire Catholique ; Tavocat Sertinide Prato, au nom des 
démocrates chrétiens Toscans et de Savone et enfin 
L. A. Vassallo, directeur du Secolo XIX. Tous les orateurs 
furent très applaudis et un ordre du jour analogue à celui 
de Milan fut voté à l'unanimité. 

Un second meeting eut lieu, le 21 mai, au Politeama 
Alfieri, sur la convocation de la Confédération ouvrière. Le 
Comité provisoire, sous la présidence de M. F. Chiesa, avait 
reçu aussitôt les adhésions du Cercle monarchique univer- 
sitaire; de la Fédération garibaldienne du parti démocrate 
chrétien; du Cercle Mazzini, des Chambres du Travail de 
Gênes et de Sampiedarena; de la Société Antonia Fratii ; de 
la loge Aurora rtsorta; de la Ligue des travailleurs mari- 
times et de nombreuses associations ouvrières. Avaient 
également adhères le sénateur E. Maragliano; les députés 
G. Fasce, G. Berio, A. Pellegrini, M. Giamberti; les con- 

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— 194 — 

seillers communaux M. Ceci, A. Ceresclo, marquis O. Saule, 
G. Muraldi; de nombreux avocats et professeurs. 

La vaste salle du Politeama Alfieri était absolument 
comble. Le président Chiesa donne aussitôt la parole au 
D^Pinardi qui expose longuement la situation de l'Arménie 
et de la Macédoine et explique que les puissances de Tltalie, 
en particulier, ont le devoir, conformément, d'ailleurs à 
leurs intérêts, de faire exécuter le traité de Berlin. L'exposé 
très clair et très objectif du D^ Pinardi est très applaudi. 

Parlent ensuite, S. Pellegrini; l'ingénieur monarchiste 
Denario, qui termine en faisant appel au parlement^ et 
évoque le jour où « le trône du grand assassin s'écroulera 
sous la malédiction du monde entier », l'avocat démocrate 
chrétien, Dellepiane; le socialiste Masso, au nom du Parti 
« qui ne connaît pas de frontières aux patries». L'ordre du 
jour suivant, est voté à l'unanimité après trois heures de 
discours : 

Les citoyens génois de tous les partis réunis en comice, considérant 
les horribles événements qui se sont produits en Arménie et se renou- 
vellent en Macédoine ; 

Protestant énergiquement contre la continuelle violation des prin- 
cipes les plus sacrés d'humanité et de justice tolérée par les Etats euro- 
péens et contre laquelle se révolte unanimement la conscience popu- 
laire. 

Expriment le vœu que les gouvernements en exigeant de la Turquie 
l'observation des traités solennellement signés, assurent le plein respect 
du droit des nationalités chez des peuples opprimés. 



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- 195 



A VALENZA 



Sur rinitiative du Cercle antimilitariste Garofano 
Rosso, s'est constitué un Comité auquel ont adhéré 25 asso- 
ciations de la ville. Un meeting a été tenu, le 24 mai. 



A LEGNANO 

Le Cercle républicain, Epaminonda Ferrari^ sur l'invi- 
tation du Comité de Milan a convoqué les Associations 
locales pour la formation d'un sous-Comité. Après lecture 
des adhésions, le député de la circonscription, Carlo del 
Aqua, a été acclamé président. 



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LE MEETING DU SAINT JAMES'S HALL 



En Angleterre^ le « Balkan Committee » (Président, 
Rt. Hon. James Bryce, M. P. ; Chairman, M. Noël Buxton; 
Trésorier, M** P. W. Wilson ; Secrétaire, R. A. Scott 
James) a organisé une agitation méthodique : il a tenu 
plus de cent cinquante meetings, à Londres et en province. 
La première de ces réunions eut lieu au Saint James's Hall, 
le 29 septembre igoS. 

Par Tautorité des orateurs qui y prirent la parole, 
par Taffluence énorme des assistants, cette manifestation 
a eu une importance équivalente au meeting du Château- 
d'Eau ; elle prouva qu'en Angleterre, comme en France, 
le gouvernement n'agit pas, dans la crise orientale, 
avec autant d'énergie que le désirerait l'opinion publi- 
que ; les orateurs du Saint James's Hall parlèrent 
avec une extrême véhémence, justifiée par les événe- 
ments les plus récents, et les noms de M. Balfour et de 
lord Lansdowne furent accueillis par un tumulte de sifflets 
et de clameurs ironiques. Quant aux conclusions prati- 
ques, tous les orateurs furent d'avis que la Russie et l'Au- 
triche-Hongrie, en partie responsables de la situation 
actuelle et intéressées toutes deux d'une façon immédiate 
dans la question balkanique, n'avaient ni le pouvoir, ni 
peut-être le désir de pacifier réellement la Macédoine; 
tous également ne voyaient de solution que dans une entente 
plus étroite pour une action commune entre les trois nations 
européennes de traditions libérales : l'Angleterre, la France 
et l'Italie. 



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— igS — 

L'ASSISTANCE 

Dès sept heures du soir, la salle était comble et un grand 
nombre de personnes n'y purent trouver place. La pre- 
mière partie de la séance fut présidée par Tévéque de Wor- 
cester, aux côtés de qui avaient pris place M*" Bryce, 
M, P., lord Stanmore, Tévêque de Hereford, Lord Farrer, 
Sir Edward Fry, Sir T. Fow^ell Buxton, Sir Lewis Morris, 
Sir Henry Cotton, le Rév. R.-J. Campbell, M'^EvelynAshley, 
M"^ Crooks M* P., le Rév. J. Scott Hidgett, le chanoine 
Inf^ram, M'' Russel Rea M. P., M^ Weir M. P. le Rév. 
J, Adderley, le Rév. J. H. Cardwell, M"^ H. N. Brailsford, 
M^ Noël E. Buxton, chairman^ et M^ R.-A. Jones, secré- 
taire du « Balkan Committee ». 

LES LETTRES 

M. Noël Buxton lit des lettres de Tarchevêque de Can- 
terbury, de Lord Spencer, de Tévêque de Londres, de 
Tévêque de Durham, du Rév. Stephen Cladstone, de sir 
John tennaway, M. P. de M. R. B. Haldane, K. C, M. P., 
de Tévêque de Rochesier et mentionne les lettres de sym- 
pathie envoyées par Lord Beauchamp, Lord Davey, Lord 
Ripon, Lord Halifax, Sir H. Campbell Bannerman^ M. As- 
quilh. Sir H. Drummond Wolff, etc. 

L'ÉVÊQUE DE WORCESTER 

indique le but de cette imposante réunion. Il constate avec 
plaisir que les non-conformistes sont restés fidèles aux 
traditions de Gladstone : mais il importe que Topinion 



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— 199 — 

publique tout entière fasse comprendre au gouvernement 
son devoir. L'orateur a lu la lettre de M. Balfour {sifflets) à 
l'archevêque de Cantorberg : il n'en a pas été satisfait. 
M. Balfour présente comme un irréductible minimum le 
projet austro-russe : or l'irréductible minimum des réformes 
efficaces est quelque chose de plus défini que le projet 
austro-russe. 

Si la Macédoine peut être divisée en religions et races diverses, l'en- 
semble du pays n*en doit pas moins être soumis à un gouverneur chré- 
tien responsable, non pas envers le Sultan, mais envers les puissances 
et qui ne puisse être révoqué qu'avec le consentement des puissances. 
Ce point, certainement, est considéré par le meeting comme Tirréduc- 
tible minimum des réformes. 

En 1878, selon un mot célèbre, l'Angleterre joua sur le 
mauvais cheval. Mais elle a pris alors avec toute l'Europe 
l'engagement solennel de venir en aide aux populations de 
Macédoine. Ce devoir sacré n'a pas été accompli. 

On a dit que les sympathies de l'Angleterre avaient été aliénées par 
les méfaits des révolutionnaires. Il serait surprenant qu'un sc*ul Anglais 
au courant de l'histoire de ce pays niât que dans les conditions de vie 
qui leur étaient faites, après avoir attendu longtemps ei en vain le 
secours des puissances chrétiennes d'Europe, les Macédoniens eussent 
le droit de se révolter. (Longs applaudissements.) 

Et d'ailleurs ce ne sont pas les membres de Comités 
révolutionnaires que défend ici l'orateur, mais les innom- 
brables paysans de Macédoine en proie aux violences tur- 
ques. On a dit que les atrocités étaient exagérées. 

Il faut se souvenir que le même cas se présenta lors des massacres 
arméniens et tout ce qu'on avait rapporté se trouva inférieur à Tabomi- 
nable vérité. 



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— 200 — 

Les diflFérences de nationalité ne sont pas telles en 
Macédoine qu'on n'y puisse établir un régime analogue à 
celui du Liban, avec un gouverneur chrétien. 

J'ignore quelles sont les contingences diplomatiques possibles ou 
non : je ne désire ni que l'Angleterre agisse seule ni qu'elle se confine 
dans le rôle de soutenir les projets de la Russie et de TAutriche. Si cela 
était possible, je désire que l'Angleterre formule la demande d'un mini- 
mum irréductible de réformes et qu'elle s'efforce d'obtenir la coopéra- 
tion de la France et de l'Italie. 

Quelques personnes évoquent le fantôme d'une guerre 
européenne; toutes les nations d'Europe ont trop intérêt à 
maintenir la paix : une politique claire et définie et la 
pression morale persistante d'une seule nation obligerait 
toutes les autres à ne pas bouger. 

L'orateur est obligé de quitter la présidence pour se 
rendre à Birmingham, métropole réelle de la politique en 
ce moment. On se méfie un peu aujourd'hui de l'enthou- 
siasme pour le droit, sous prétexte de politique réelle. 

Eh bien, toujours et toujours, je pense que cette pensée est dans 
toutes vos âmes : « Oh ! une demi-heure de Gladstone. » 

Sir Edw^ard Fry remplace à la présidence Tévéquede Wor- 
cester. 

M. BRYCE 

longuement acclamé vient soutenir. la première résolution 
« que la Macédoine soit soustraite au pouvoir direct du 
Sultan et administrée par des personnes indépendantes du 
Gouvernement turc. » Cest là une résolution prudente et 
sage qui n'est pas une résolution de parti : cette question 
est en dehors des partis. 



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— 201 — 

Cependant, il ne croit pas que le Gouvernement soit 
entièrement en sympathie avec le meeting, bien que la 
lettre de M. Balfour n'exprime certainement pas les inten- 
tions réelles du Ministère : ce serait mal juger le Gouverne- 
ment que le juger sur les termes mêmes de cette lettre qu'il 
faut attribuer aux habitudes d'esprit et de langage de 
M. Balfour. (Applaudissements.) 

Des réunions comme celle-ci ne peuvent qu'encourager 
le Gouvernement à agir d'une façon conforme à rhumanité. 

Vingt-sept ans auparavant, un grand meeting fut tenu dans cette 
salle. Beaucoup de nobles voix se firent entendre qui, depuis^ se soni 
tues et le meeting fut clos par une voix majestueuse dont les accents 
suprêmes se firent entendre pour la défense des Arméniens et qui n'avait 
été entendue que pour la liberté. 

Ce meeting était dirigé contre la politique orientale de 
lord Beaconsfîeld, et le résultat de l'agitation fut qu'au lieu 
de défendre les Turcs> lord Beaconsfîeld dut les abandonner 
à leur destin. Alors fut créé à San Stefano une Bulgarie 
libre enclavant la Macédoine; l'opposition de ia Grande- 
Bretagne remit sous le joug les provinces affranchies* Mais 
l'article 28 du Traité de Berlin. M. Bryce montre comment 
cet article a été appliqué : il fait un tableau pathétique des 
misères du paysan macédonien et du paysan arménien » qui 
n'ont aucune sécurité, ni pour leurs biens, ni pour leurs 
personnes, ni pour l'honneur de leurs femmes et de leurs 
enfants. 

Voilà ce que, de générations en générations, ont souffert les paysans 
d'Arménie et de Macédoine. Et quand, las de siècles de violences, ces 
peuples prennent les armes contre les oppresseurs, on dit que ce sont 
des rebelles et l'Europe regarde tranquillement et dit aux Turcs de 
supprimer la rébellion. 



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— 202 — 

M. Bryce, par des extraits du Standard et du Times, 
donne une idée des dernières atrocités hamidiennes. 

Et en présence de ces horreurs, quel remède apporte-t-on ? Est-ce ce 
projet de réformes donué comme un irréductible minimum ? Ce projet 
est mort avant d'être né. Il est mon parce que son exécution est remise 
aux Turcs et que les Turcs ne font jamais de réformes. Il en sera de 
celle-là comme des réformes promises après la guerre de Crimée : les 
promesses des Turcs soni aussi nombreuses que leurs victimes. 

Depuis cent ans la Grèce, la Serbie, la Bulgarie, la 
Crète ont été affranchies en fait de Tempire turc même 
quand il subsiste un lien officiel de suzeraineté. Le point 
essentiel fut de soustraire ces pays au pouvoir direct de la 
Turquie, à son pouvoir de nuire. Les Turcs eux-mêmes 
savent bien qu'ils devront quitter un jour TEurope : pour- 
quoi prolonger Tagonie de leur empire? et pourquoi ne 
pas faire une épargne de violences et de crimes? 

Cela ne regarde pas seulement TAutriche et la Russie : le cynisme 
d'une puissance quelconque ne nous relève, ni de notre droit ni de 
notre devoir. 

Quelle doit être l'action précise de l'Angleterre ; nous ne 
le pouvons dire aisément sans connaître l'attitude de diff'é- 
rentes puissances. 

Mais la première chose à faire, c'est de faire pression sur les autres 
puissances, en particulier sur la France et sur l'Italie dont les généreux 
sentiments, croyons-nous, sont les nôtres, dans le sens de la résolution 
proposée. Et s'il est énergique notre effort ne sera pas vain. Nous qui 
avons rejeté ce malheureux peuple dans la géhenne de la domination 
turque, après que la liberté commençait à luire pour lui au traité de 
San Stefano, nous devons, avant toute autre nation, lui apporter vingt- 
cinq ans plus tard le remède qui ne fut pas appliqué alors. (Applau- 
dissements.) Depuis le jubilé de 1897, nous avons fait grand état de 
notre grandeur nationale, de notre force, de nos immenses territoires, 



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jh-^j--^ - - 



— 2o3 - - 

-de la puissance de notre marine. Ce n*est pas cela seulement qui tait un 
grand peuple. 

Trois dangers nous menacent : extermination des 
Macédoniens ; guerre où serait acculée la Bulgarie pour 
défendre des hommes de son sang et de sa foi ; guerre 
européenne dont on a tant parlé. 

Le meilleur moyen d'écourter tous ces dangers c'est d'adopter La 
présente résolution qui mettrait fin aux horreurs de la guerre, sans pré- 
juger de la question territoriale en Macédoine. C'est le moyen de salut 
pour la Macédoine et l'Europe, le moyen que toutes les considéraiions 
d'humanité et de justice, ordonnent à l'Angleterre d'adopter. {Longs 
applaudissements.) 



SIR EDWARD FRY et le R.J. CAMPBELL 

Appuient la résolution, ce dernier avec une extrême 
véhémence; il reproche aux puissances, dites chrétiennes, 
leur honteux cynisme, alors qu'en cette assemblée il n'est 
pas un homme qui n'apprit avec satisfaction que c'en est 
fini du Sultan et de son empire. 

Les gouvernements d'Europe ne représentent pas les aspirations 
des peuples d'Eurcpe en cette matière et la lettre de M. Balfour ne 
représente pas les sentiments de ses propres partisans. 

Il est important pour le prestige moral de TAngleterre, 
atteint (à tort ou à raison) par la dernière guerre, qu'elle 
reprenne son rang de champion traditionnel des nations 
opprimées. 

Nous devons presser le gouvernement d'abord de commencer une 
intervention immédiate et en second lieu d'agir sur les gouvernements 
européens pour qu'ils adoptent la politique qui a été esquissée ici* S'il 
^st nécessaire, un déploiement de forces doit avoir lieu à Constantr 



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— 204 — 

nople et nous devons demander le retrait immédiat des troupes turques 
de la frontière bulgare. 

La résolution appuyée encore par M. Evelyn Ashley est 
adoptée à Tunanimité. 

La seconde résolution, touchant rétablissement d'un 
gouvernement responsable devant l'Europe et irresponsable 
devant le Sultan est développée par lord Stammore et 
appuyée par M. Crooks et sir T. Fowell Burton. Elle est 
adoptée à Tunanimité. 

La troisième résolution (organisation immédiate de 
secours) est adoptée à l'unanimité après des discours de 
révoque de Hereford, de M. H. N. Brailsford et de 
M, T. P. O^Connor, M. P. 

Il est décidé qu'une copie des résolutions sera trans- 
mise à M. Balfour et aux autres membres du gouver- 
nement. 



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LES /\UTKES MEETI^/GS /ANGLAIS 



Du 29 septembre au 16 novembre igoB, plus de cent 
cinquante meetings, provoqués par le « Balkan Committee », 
furent tenu en Angleterre. Voici la liste des plus impor- 
tantes de ces réunions : 



PRISCÎPAL'X OBATtlL'îïS 



^ , ^ ( Lord Stanmare. 

2 Octobre Cardiff j „ k, o -r * j 

( H. N. BraiEsford. 

2 — Society ofFriendsXONDRK; NoeL Bujtton. 

4 — Westminster P. W, Wîlson. 

Le Maïre^ 



5 — Glitherœ ^ ^ lï D . 

C. R. Buxton 

6 — BoLTON Mîss V. A. Buxton. 

i H. N, Braîisford, 

8 - Dalston } Dr. Tatartcheff, 

( P. W. Wîlsofi, 

9 — Blackburn L'Évêque Thortiton. 

9 — Haslemere Noël Buxton* 

9 — Farnworth Miss V* A.. Buxton. 

9 — AccRiNGTON Rev. J- Johnston. 

10 — MoRLEY Collège, LORDiaS. C. R. Buxton. 

10 — Darwen Miss V* A» Buxton« 

10 — Toynbee Hall, LONDRES. . G. P. ûooch, 

10 — Harrow Rev. R- Bruce* 

10 — Watford R. A* Scott James* 

11 — Mansfield House, LONDRES R. A. Scott James. 

II — Blackburn (2 meetings) . Mîss V. A* Buxton. 



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— 206 — 
DATE LIEU PRINCIPAUX ORATEURS 

^ u r \ Holford Knight, 

'^ <'"®'»^«* CAMBER^VELL j ^^^ 3^^^^^ 

12 — COCKERMOUTH MÎSS V. A. BuxtOII. 

i3 — PoPLAR C F. G. Mastertnan. 

i3 — xNew Reform Club.... O. W. E. RiMielL 

14 — Bermondsey P. W. Wilson. 

i5 — Tendal Rev. B. Hawker. 

1 5 — L1VERP00L A. W. Blundefk 

L'Évêque d'Oxford, 

^ , LeMasterdoBalliolColU 

16 — Oxford \ rx t ^ t. «« 

^ Dr. Tartarcheffy 

Le Prés. duTriniiy Coll. 

{ L'Évêque de Lincoln, 

16 — Lincoln ] Doyen de Lincoln, 

( C. H. Seely, M. P. 

16 — Cheswick Rev. B. Hawker. 

16 — Manchester Miss Victoria Buxion. 

18 — FiNSBURY Noël Buxton. 

19 — Westbourne Park, LONDRES R. A. Scott James. 

20 — Oxford Rev. A. E. T. Newman. 

21 — Whitfield Mens' P. W. Wilson. 

23 — Barrow Rev. Rosslyn Bruce. 

26 — Fensington, LOSDRES Percy W. Oray. 

26 — Sunderland Rev. B. Hawker. 

27 — Berkhampstead \ ^. \n' ^ 

^ / Noël Buxton. 

27 — Cambridge (Union) C. R. Buxton. 

27 — Ilford Arthur Evans, F. R. S. 

28 — Huncote Rei. Stephen Gladstone. 

29 — Toynlee Hall, LOSDRBS. . . C R. Buxton. 

3i — Tôttenham Percy Alden. 

I" Novembre... For est Gâte j Joseph Howard, M. P., 

( T. M. Hopkins. 

1" — . PoPLAR Bertram Christian. 

i" — Broskwell Park R. A. Scott James. 



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— 207 — 

DATE LIEU PRINCIPAUX ORATEURS . 

2 Novembre . . . Clifton Rev. A. E. T. Newman. 

2 — Marylebone Noël Buxton . 

« u (Le Vie. Rev. Dr. Bruce^ 

3 — Harrow _. _. ,„ ^ 

( Dr. Tatarcheff . 

3 — SuNDERLAND Rev. B. Hawker. 

3 — Bristol Rev. A. E. T. Newmafi. 

Le lord tnaîre Ai^ Dublin, 
\ Sir Frederick Fallcîner, 
Mansion House, Dublin/ V. Rev. Dr. Delany, S. J., 
T. W. Russell, M P., 
Hugh Law, M. P. 
Sir T. F. Buxtoit^ 
.; , Le Doyen de Norwich^ 

NORWICH S KT 1 o X 

Noël BuxtORt 

Dr. Tatarcheff. 

Sir. Wm. Stephenson, 

Dr. Hodgkîn, L. L. D , 

5 — Newcastle on Tyne . . { H.Crawford Smîth^.Rf 

Hugh Law, M. P., 
Rev. B. Hawker. 

5 — Warringten H. J. Torr. 

9 — Paddington (Londres). Miss M. E. Durham, 

^ ( Noël Buxton, 

10 — SaLISBURY \ n ^. I rn_Mii 

/ Rev. Chan. J. PhiUip|fs. 
E. Oardner, M. P;, 



11 — COOKHAM ^ ^ -^ o , 

C. R. Buxton 

12 — Abingdon c. R. Buxton. 

\ Dr. Oliffordf 

'' - ^^"^'^"^ i Dr. Rutherford. 

i3 — Willesden Dr. Dobrashaîn. 

l5 — TOTTENHAM Noel BuxtOH. 



En outre de nombreux meetings, non organisés par le 
« Balkan Committee », ont été tenus en Angleterre et des 



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— 208 — 

résolutions en faveur des opprimés d'Orient ont été votées 
dans un grand nombre d'églises non conformistes, notam- 
ment à : 

Birmingham, Ildham. 

Glasgow. Ampthill. 

ROCHDALE. ArADFORD. 

Dartford. Annerley^ 

Bemnay. Paddington. 

Halifax. Hertford. 

FOLKESTONE, BrISTOL-. 

Whitley. Cookham. 

Sheffeld. Southampton. 

POPLAR. 



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k. 



La Journée du 25 Octobre 1903 



Lorsque MM. Francis de Pressensé et P. Quillard 
adressèrent à un certain nombre d'hommes politiques, 
d'écrivains et de savants étrangers et français, amis des 
justes causes, une invitation à délibérer en commun sur la 
crise orientale, ils ne pouvaient espérer qu'une aussi par- 
faite entente s'établirait aussitôt, en quelques heures^ entre 
les représentants des divers pays et qu'après avoir entendu 
et acclamé, au Château-d'Eau, des orateurs uniquement 
français, appartenant à tous les partis, le peuple de Paris 
ferait à nos amis de l'étranger un accueil triomphal. Une 
grande part du succès doit être attribuée au D"" Loris 
Melikoff qui organisa, patiemment et modestement, cette 
magnifique manifestation. 

Il nous est impossible d'exprimer, comme il le faudrait, 
toute notre gratitude à nos amis étrangers, anglais, italiens, 
belges, allemands, danois, autrichiens qui, par leur pré- 
sence ou par leurs témoignages de sympathie, s'associèrent 
à la protestation unanime des trois mille citoyens assem- 
blés au théâtre Sarah-Bernhardt : mais ils ont conscience 
que notre effort commun ne sera pas inutile, que nous 
n'aurons pas crié dans le désert et que par eux et par nous 
les gouvernements d'Europe seront bien obligés de sortir 
de leur honteuse inertie et de mettre fin à des crimes qui 
ont trop duré. 

Nous donnons, ci-après, le compte rendu sténogra- 
phique de tous les discours prononcés dans la journée du 
25 octobre. 



i5 



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La Séance du matin 



A 9 heures et demie 60 délégués des diverses nations 
représentées se réunirent à THôtel Continental, parmi les- 
quels MM. Frédéric Passy et Paul Viollet, membres de 
rinstitut ; Malcolm Mac Coll et ses collègues de la délé- 
gation anglaise, Evans, Atkin, le R. Freeman, Noël Buxton, 
F. Moscheles, les délégués italiens Mazzini et Bocciardo, le 
Prince de Brancovan, député au Parlement roumain, 
Georges Lorand, membre de la Chambre des représentants 
de Belgique; Crâne, délégué américain; les députés fran- 
çais F. de Presserisé, Dumont^ Escanyé, le sénateur Delpech, 
M. Fournière, ancien député; Victor Bérard et le D^ Cour- 
mont, délégué de Lyon; les délégués bulgares Militich et 
Gregoroff ; Paul Boyer et Meillet, professeurs à l'École des 
Langues orientales; Tarbouriech et Métin, professeurs au 
Collège libre des Sciences sociales; Seménoff, délégué russe ; 
Jouet, de la Paix par le Droit; Louis Dumur, directeur 
de V Européen; le D'^ Loris Melikoff, P. Quillard, Isac^ 
Albert, etc., etc. 

Par acclamation, la présidence est donnée à M. Frédéric 
Passy. 

La séance est ouverte à 9 h. 46. 

M. LE Président. — Je remercie les membres de l'Assemblée de 
rhonneur qu'ils veulent bien me faire de. présider celte réunion. 
C'est une mission pour laquelle je ne suis peut-être pas très qualifié; 
je ne pourrai en quelque sorte que faire semblant de présider; ce qui 
me rassure, c'est que j'ai à mes côtés notre ami Quillard, si admirable- 
ment au courant de ces questions, et je n'aurai d'autres fonctions que 
celle, très agréable, de remercier nos amis pr«^sents. Je ne remercie pas 
les Français, avec lesquels nous sommes habitués à travailler depuis 
longtemps, mais je remercie nos amis étrangers, parmi lesquels il y en a 
qui sont venus de fort loin, même d'Angleterre, d'Amérique et d'ailleurs. 



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L 



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r 



•■pi^JiA'V'^^y:?^^ 



— 211 — 

Je leur souhaite la bienvenue et je constate une fois de plus â cette occa- 
sion le rapprochement qui se fait de plus en plus entre toutes les rations 
toutes les fois qu'il y a à protester contre une injustice qui ne nous 
touche pas directement, mais dont nous commençons à comprendre 
que les conséquences indirectes nous touchent à la tois matéritOiemcni 
et, ce qui est encore plus grave, moralement; car les grands crimes qui 
se commettent sur tel ou tel point de la surface du monde i*\ de 
l'Europe en particulier, sont un scandale qui rejaillit sur tous ceux qui 
ne protestent pas de toute leur énergie pour les faire cesser. 

Je vous salue de nouveau et je vous remercie de Tappui que vous 
nous prêtez en venant quelques-uns, encore une fois, de si loin vous 
joindre aux efforts que nous tentons pour mettre un terme aux Opou" 
vantables massacres dont nous gémissons tous depuis si longtemps, 
(Applaudissements,) 

Je vais donner la parole à M. Quillard, qui est l'homme peut-être le 
plus au courant de toutes ces questions et qui va nous dire de quoi vous 
aurez à vous occuper un peu ce matin et davantage tantôt. .\L Quîllard 
a la parole. 

M. Quillard. — Messieurs, je n'abuserai pas de la permission de 
parler que M. Frédéric Passy vient de me donner. Nous ne sommes 
pas ici, ce matin, pour faire des discours ; nous sommes ici pour 
prendre des résolutions pratiques. 

En Europe, en Allemagne, en Belgique, jusque dans les locaux offi* 
ciels du Parlement hongrois, cette année, particulièrement en Italie, en 
Angleterre, une campagne très importante de réunions publiques et 
privées a été organisée en faveur des opprimés d'Arménie et de jMacé- 
doine. Nous autres Français, nous avions, si j'ose dire, donné l'exemple 
au mois de février dernier dans ce grand meeting oh des députés 
de tous les partis, depuis l'extréme-droite jusqu'à l'extrême-gauche socia- 
liste, étaient venus protester au Château-d'Eau contre les atrociiés 
du Sultan Rouge. Nous voulons continuer ici, en France, la campagne 
déjà commencée, affirmée par deux cents meetings en Angleterre, 
affirmée à Rome et à Milan par des réunions publiques où assistèrent 
jusqu'à rinq mille personnes, et puisque, ce matin, nous avons le 
bonheur-de nous trouver avec un certain nombre de nos amis étrangers, 
c'est à eux que nous allons céder la parole. 

Nous allons demander à nos amis Italiens^ à nos amis Anglais, 



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— 212 — 

Américains, à nos amis de Belgique, comment chez eux la campagne 
est organisée, quelles chances ils croient avoir d'agir sur les peuples et 
par les peuples, sur les gouvernements. 

J'aurai également à vous donner lecture d*un ordre du jour qui a été 
voté hîer^ à Lyon, par une assemblée considérable, deux mille citoyens, 
et où sont notés les points essentiels de nos vœux. Cet ordre du jour, 
naturellement, est susceptible de modifications; le voici. (Lecture de 
Tordre du jour volé à Lyon et repris à Paris.) 

Telles peuvent êtrt% je crois, les bases de la discussion. Si vous le 
voulez bien, nous demanderons à ceux de nos amis étrangers qui ont 
des communications à nous faire, de vouloir bien nous les faire con- 
naître, ( .1 pp la u d isse m ents). 

M» LE Président. — Si ceux d'entre vous qui croient avoir quelque 
communkation à nous faire, quelque observation à nous présenter 
veulent bien demander la parole, nous les entendrons avec plaisir... 
Puisque personne ne la demande, je vais la donner d'office... {Rires)j 
par exemple, a M. Lorand, notre ami de Belgique. 

AL Lot»A^D. — Nous n'avons rien à vous dire. Nous n'avons 
pas d'action internationale; nous sommes dans un petit coin où c'est 
à peine si notre voix peut être entendue. Nous avons fait un meeting ou 
deux. En général, la presse est bien disposée, à l'exception d'un seul 
journal, malheureusement important. Elle rend compte de tout ce qui 
se passe et s'exprime dans le sens de la justice; mais, nous ne pouvons 
faire que peu de chose. Il vaudrait mieux que ce soient les nationalités 
qui ont fait quelque chose et qui peuvent avoir une action au premier 
rang, par exemple, les Anglais et les Français, qui nous disent ce 
qu'elles croient devoir faire. Quant à nous, nous suivrons. 

Le HEpBtsENTANT i>ES États-Unis. — Je n'ai pas l'habitude, même en 
anglais, de prendre la parole ; aussi, je suis ici pour me mettre au cou- 
rant, et vous me permettrez de me contenter d'écouter pour ce matin. 

M. MoscHELfes. — En Angleterre, nous avons de tous les côtés essayé 
de pousser les gouvernements, non seulement le gouvernement, mais 
les gouvernements, j'appuie sur ce fait, à faire quelque chose, à se 
décider à prendre des mesures quelconques. Nous avons dans r/nfe7-/.a 
tional ariyiira^e Association voté des résolutions qui s'adressaient aux 
divers gouvernements, pour leur rappeler l'entente, le concert d'Europe, 



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— 2l3 — 

qui s'est produit tant bien que mal lors du conflit concernant la Crète 
et nous les avons poussés dans la voie de venir, encore une fois, se 
déclarer en faveur d'une intervention quelconque. Nous avons prétendu 
que s'ils étaient unis eux-mêmes, cela suffirait et que cela rendrait inu- 
tile une intervention armée, tout comme elle a été inutile en Crète, quoi 
qu'il y ait eu à cette occasion quelques bagarres, qui ne comptent pas, 
heureusement, parmi les grands conflits. 

Nous avons donc insisté là-dessus, et malheureusement noos n^avons 
pas eu de grands résultats. Nous nous sommes adressés au gouverne- 
ment de la Russie, qui nous a répondu qu'il ne pouvait pas être mis en 
mouvement autrement que par son ambassadeur, et l'ambassadeur nous 
a renvoyés encore à d'autres, et il n'en est rien résulté. Cela a été la 
première démarche de ce genre qui ait été faite de la part de Vlnîerna 
tional Association, démarche tendant à intéresser, non plus seulement 
notre gouvernement, mais tous les gouvernements. 

Du reste, j'en reviens à ceci : c'est qu'en Angleterre, on s^occupe de 
cette question depuis des années, surtout sur l'initiative de Mal Collj 
qui est parmi nous. Il vous dira les efforts qui ont été tentés, en Angle- 
terre, par lui et son parti. 

M. Mac Coll, fait en anglais une communication dont M* A, Métïn 
donne la traduction suivante : 

M. Mac Coll rappelle d'abord qu'il connaît depuis longtemps la 
situation des populations chrétiennes soumises à la Turquie, qu'il Ta 
étudiée, et voici les conclusions auxquelles il est arrivé, qu'il a apportées 
au public anglais : il pense que le rôle principal dans la soiuiion à 
apporter à la question devrait appartenir à la France et à TAnglett-rre, 
parce que la France et l'Angleterre ont toujours joué un rôle prépon- 
dérant dans les questions d'Orient et ont le droit de parler à la Turquie, 
attendu que plusieurs fois elles ont sauvé la Turquie, qu'en ét:hange» la 
Turquie a pris l'obligation de faire un certain nombre de rétormes. 

Pour ce qui est de la Macédoine, après une longue étude, il pense 
que la seule solution serait de couper la Macédoine d'avec la suprématie 
du Sultan; il pense qu'il est impossible d'avoir des réformes tti des 
garanties sérieuses pour les populations chrétiennes tant que le Sultan 
pourra agir arbitrairement en Macédoine. 

Il faudrait donc arriver à une solution qui donnerait à la Macédoine 



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— 214 — 

une administration nouvelle sur laquelle il y aurait un contrôle sérieux, 
et non celui du Sultan. 

Au point de vue de la possibilité de réalisation, M. Mac Coll dit qu'il 
s^ii qu'en ce moment le gouvernement anglais est tout à fait disposé à 
intervenir, qu'il attend que le gouvernement français veuille agir avec 
\u\f que par conséquent le terrain est prêt pour une action gouverne- 
meniale, et il ne s'agit maintenant que d'agir suffisamment sur l'opinion 
des deux grands pays qui peuvent intervenir en Turquie et en Macédoine, 
de façon à les amener à parler haut et clair au Sultan. (Applaudisse- 
ments.) 

M. DE PftEssENSÉ. — Je voudrais dire quelques mots au sujet de 
l'entente franco-anglaise, qui nous semble indispensahje pour obtenir 
un résultat quelconque dans la question macédonienne, comme dans la 
question arménienne, mais je voudrais aussi expliquer les conditions 
dans lesquelles l'idée de cette conférence est née dans l'esprit d'un cer- 
tain nombre d'hommes qui s'occupent de ces questions en France. 

Nous avions constaté qu'en Angleterre, une grande campagne de 
réunions; publiques avait commencée il y a quelque temps, et qu'au 
moment où elle commençait, elle avait eu, je puis dire, son effet, c'est- 
à-dire que nous avons remarqué un certain rapport entre l'action de 
lord Landsdowne, la dernière dépêche par laquelle il a présenté la pro- 
positiun additionnelle à celle de l'Autriche et de la Russie, et l'annonce 
du grand meeting de Saint-James, au mois de septembre dernier. 

Nous nous sommes demandé s'il ne fallait pas profiter des circons- 
tances actuelles, en particulier, de la si heureuse détente qui s'est pro- 
duite dans les rapports, non seulement de la France et de l'Angleterre, 
mais de la France et de l'Italie, pour essayer de reconstituer ce petit syn- 
dical de puissances qui, déjà dans l'affaire de Crète a obtenu des résultats 
si excellents. 

Nous avons vu dans l'affaire de l'Arménie qu'il ne fallait pas faire 
marcher le concert européen tout entier, que lorsqu'il en était ainsi, les 
choses ne marchaient pas et que nous n'obtenions aucun résultat, mais, 
qu'au contraire, quand nous limitions nos ambitions, quand nous per- 
mettions — suivant le mot du comte Bullow — aux violons allemands 
de se retirer de l'orchestre, et que nous voulions jouer avec un orchestre 
plus réduit, nous obtenions des résultats comme ceux que nous avons 
obtenus en Crète. (Applaudissements.) 



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— 21D — 

Quant à moi, je suis convaincu que nous ne pouvons pas compter 
sur ce qui se prépare du côté russe et du côtéâuincfiien^ je suis convaincu 
que ce qui s'est passé à Murtzeg n*a pas d'importance pratique; 
nous avons vu que des délais nouveaux sont intervenus avant même 
que Ton ne soit allé parler au Sultan des très médio^ree modificat ons 
apportées au programme de février. 

Par conséquent, tant que nous laisserons l'Autriche et la Russie 
s'envisager comme le concert unique de TEurope dans ceuc qucstio-, 
nous n'obtiendrons rien. On a bien dit que nous sommes à la vcill: de 
l'hiver, que nous allons avoir une pacification momentanée en Max- 
doine. Pour ma part, je n'en suis pas aussi convamcu que cetàp iJéjâ, 
l'an dernier, nous avons vu que des bandes résolues pouvi ent 
tenir campagne, même en hiver. D'autre part, nous avons constaté que 
c'était précisément au moment où l'insurrection se relâchait dans s^s 
efforts, que les attentats les plus graves se prodtiisaient, c'esi*à-dirc c^lte 
prétendue recherche des armes, ces fouilles dans les maisons, lo^te 
cette inquisition qui a fait couler tant de sang pendant les mois de 
l'hiver dernier. 

L'Europe ne peut pas assister une fois de plus sans rien dire ei rien 
faire à ce spectacle, d'autant plus que nous ne pouvons pas nous dissi- 
muler que si la situation persiste, dure, elle s'aggrave et el te empire 
chaque jour. Il ne s'agit plus seulement de 11 nsurrection macédonienne, 
nous avons l'éventualité d'un conflit direct de la Turquie et de la liui- 
garie, et c'est au nom de l'intérêt de la paix du Continent ei de la paix 
du monde que nous avons le droit de demander au s: gouvernements 
d'intervenir. (Vive approbation.) 

A l'heure actuelle, nous assistons à deux phénomènes qull est bon 
de constater : l'un, c'est ce rapprochement, cette détente heureuse qui a 
commencé à se faire entre ce qu'on peut appeler les puissances libérales 
de l'Occident, et l'autre, l'influence directe que des manitestaiîons d'opi- 
nion, comme la campagne de meetings en Angleterre^ peuvent exercer 
et ont déjà exercée sur l'action gouvernementale. 

C'est à ces deux points que nous rattachons la conférence actuel îe. 
Nous voulons demander a nos amis étrangers, en les questionnant sur 
des points pratiques et spécifiques, s'ils pensent qu'il est utile de cons- 
tituer une action commune, un Comité central qui préparerait et organi- 
serait des manifestations dans les trois pays, s'ils estiment qu a "heure 
actuelle il y a lieu de s'occuper directement, etlicacementj non seule 



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— 2l6 — 

meni de la question politique, mais encore de la question purement 
humanitaire* Vous savez qu'il y a lieu de venir aux secours des victimes 
de ces événements de Macédoine; vous savez quelle est la misère qui 
existe dans les vilayets de Kossovo, d'Andrinople et même de Salonique, 
il y a lieu de s'occuper de cette question et de savoir si nous voulons 
d'ores et déjà, avec le caractère politique qu'elle comporte, un caractère 
pratique, efficace, de chanté et de soulagement et, enfin, il est bon que 
nous nous entendions pour proclamer devant le continent et devant le 
monde et la diplomatie que ce que nous demandons, c'est au fond très 
peu de chose* que nous nous contentons, je dirai, à très bon marché. 
Nous ne demandons pas un programme de réformes bien étendu ; nous 
nous bornons purement et simplement à deux points sur lesquels nous 
ne pouvons pas transiger : nomination d'un gouverneur autonome, 
garanti par l'Europ^^ avec contrôle efficace et spécial, non pas seulement 
des deux puissances mandataires, mais de toutes les puissances euro- 
péennes. C'est sur ce terrain que nous nous plaçons. Nous avons le droit 
de dire que nous sommes des conservateurs au premier chef, puisque 
nous nous plaçons sur le terrain de l'intégrité de l'Empire ottoman. On 
a prétendu que nous voulions favoriser je ne sais quelle politique bulga- 
rophile, que notre efTort tendrait à tirer la prépondérance d'une natio- 
niuié sur Tautre. Ce n'est pas exact. Nous pensons que l'élément 
bulgare est en majorité en Macédoine, mais en même temps nous 
sommes résolus, non pas à lui assurer la suprématie, mais à lui donner 
des garaniies élémentaires de vie, comme au reste de la population. 

C'est sur ce terrain, je le répète, que nous nous plaçons, que nous 
voulons poser des questions aux représentants de l'Angleterre et d'autres 
pays* Nous essaierons de nous mettre d'accord sur ces divers points 
avant de faire la manifestation de cet après-midi, qui aura une impor- 
tance morale considérable. Déjà, au mois de février dernier, nous avons 
commencé la campagne qui s'est poursuivie au Parlement, par cette 
réunion du Chàteau-d'Eau, à laquelle on faisait allusion ; elle a eu un 
effet considérable parce qu'elle avait réuni des représentants des divers 
partis, même les plus opposés, et aujourd'hui c'est quelque chose de 
plusencore^ puisque ce sera une réunion internationale. J'espère qu'enfin 
il en sortira des résultats pratiques. (Vifs applaudissements.) 

M. Evans. — Il y a en ce moment en Angleterre une agitation qui se 
produit avec un double but : il n'y a pas seulement la question politique 



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— 217 — 

en jeu, il y a aussi la question humanitaire, c'est-à-dire qu'on veut 
sauver la vie des Bulgares de Macédoine, assurer un bon gouvernement 
de la province pour l'avenir. 

Nous avons eu, comme le disait mon collègue loui à Thcure, un 
grand nombre de réunions sous les auspices du Comité ceniral balkani- 
que; on a organisé plus de 200 meetings, où il a été pris des résolutions 
en faveur de la question politique et aussi en ffivcur du Comité de 
secours. Car il y a aussi un Comité central de secours quï a recueilli des 
sommes assez considérables pour les réfugiés, les villageois qui se trou- 
vent dans les montagnes de la Macédoine. 

11 me semble que c'est peut-être la question principale que dû sauver 
la vie d'environ 60.000 personnes qui se sont réfugiées dans les monta- 
gnes, et qui habitaient des villages qui ont été incendiés par (es 7 urcs. 

Eh bien, nous demandons en premier lieu, pour le momen t du la part 
de notre gouvernement la protection efficace des missions de secours 
qu'on a déjà envoyées d'Angleterre. 

Vous savez qu'il y a deux calculs de la part du Sultan : le premier 
calcul est de massacrer dans une certaine mesure [es habitants de Macé* 
doine, le second calcul, c'est qu'en brûlant les villa^cs^ en ravageant les 
plaines et en obligeant les villageois à rester dans les montajtînes pen- 
dant l'hiver, on détruirait beaucoup plus de milliers de periionnes qu'en 
massacrant directement les hommes. Eh '.Men, nous n'avons pas seule- 
ment un but de haute politique, nous avons aussi un but iiitméd'ai de 
porter secours à ces personnes. 

Au sujet de l'autre but — le but politique — M. de Pressensé en a 
déjà parlé : nous prétendons que ce n'est pas peut-être une question de 
forme spéciale de gouvernement de Macédoine; on peut avoir un gou- 
verneur turc, avec des assesseurs, je ne sais pas au juste, mais ce qu'il 
faut assurer, c'est que les fils entre la Macédoine et le palais âv Constan- 
tinople soient coupés : c'est une politique de fils coupés qu'il faut 
organiser... (Rires.) 

C'est ce que nous désirons, et j'ai des raisons de croire que le gou- 
vernement anglais est parfaitement de cet avis; seulement, il cherche 
appui; je ne sais pas, peut-être a-t-il appui jusqu'à un certain point du 
côté de l'Italie, mais j'ai des raisons de croire que l'action du gouvî^rne- 
ment anglais, quoique efficace dans une certaine mesure^ n'a pas été 
appuyée d'une manière très prononcée du côté de la France. {Rires et 
applaudissements,) 



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— 2l8 — 

M. Mazzïni. — J'habite Paris depuis de longues années, je ne suis au 
courant de ce qui se passe en Italie que par les journaux. Cependant, 
j'essaierai de vous dire quelques mots sur les idées de la démocratie 
italienne, qui est celle qui s'occupe plus que tout autre parti de 
raffranchissemeni de TArménie et de la Macédoine. 

1! y a en Italie aussi deux courants : le courant que j'appellerai popu- 
laire el le courant que j'appellerai diplomatique. Le courant populaire 
a, si je puis dire, une origine de générosité atavique; l'Italie est issue 
d'une révolution, elle a du, elle aussi, abattre des tyrannies pour 
devenir une et libre, îe peuple italien se souvient de ce qu'il a subi et il 
sou tïrt des souffrances des peuples qui sont sous des tyrannies, ainsi 
que l'Arménie et la Macédoine. 

Noire ami Quillard a pu se rendre compte de cette vérité, lorsqu'il a 
été en Italie et qu'il a vu comment le peuple de Milan et le peuple de 
Rome se sont associés à la propagande et sont venus assister aux 
meetings organisés, notamment par Théodore Moneta, que nous 
regrettons de ne pas voir ici; il serait parmi nous si un deuil récent ne 
l'en avait pa^ empêché. 

Le deuxième courant est, comme je le disais tout à l'heure, le cou- 
rant diplomatique : il est évident qu'au fond, dans la diplomatie 
Italienne', il y a un désintéressement pour la question de Macédoine et 
d'Arménie» mais je crois que ce n'est pas un sentiment pareil à celui du 
courant populaire, c'est un sentiment tout autre : il suffit de dire que 
c'est un désintéressement diplomatique. Le gouvernement italien regarde 
la question macédonienne peut-être de la même façon que la Russie et 
l'Autriche; il est certain que la diplomatie italienne ne voudrait pas 
prendre une bouchée de la Macédoine, mais peut-être regarde-t-elle 
d'un œil très concupiscent l'Albanie. Voilà, je crois, la vérité. 

Je ne sais pas ce qu'il y a de vrai dans ce que disait l'orateur qui 
m'a précédé, à savoir que l'Angleterre pense obtenir l'adhésion de 
r Italie à roccasion d'un mouvement sur lequel notre ami de Pressenssé 
vient de parler, mais il est évident qu'il faut tenir compte de ce que la 
diplomatie, comme je le disais, a un but : c'est celui concernant 
l'Albanie. Il y a les gros propriétaires, les gros commerçants, les gros 
industriels qui verraient avec un grand plaisir dans l'Albanie un 
débouché très important, et je crois que c'est à cette occasion plutôt 
qu'à toute autre qu'ils s'intéressent à la question d'Orient. 

C'est pourquoi je pense qu'il faut avant tout se tenir du côté du 



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2 19 — 

courant populaire, c'est celui-là qu'il faut soutenir et dont il faut se 
servir, parce que nous avons vu ce qui s*est produit dans plusieurs 
circonstances, et encore tout récemment à propos du rapprochement 
franco- italien : il ne faut pas oublier que ce n'est pas à la diplomatie 
^ue nous le devons; la diplomatie a toujours été otsive, contraire à une 
politique francophile, c'est au contraire à la démocrade italienne que 
nous le devons. C'est pour cela, comme je le disais, qu'il l'aut ne pas 
perdre de vue et développer le mouvement populaire. 

A cette occasion, vous me permettrez d'indiquer ici Topinion d'un 
homme qui a une grande popularité en Italie, soii par sa personnalité à 
lui, soit par son origine, le fils de Garibaldi : Riccioiii Garibaldi. Il suit 
avec beaucoup d'intérêt toute cette lutte de l'Arménie et de la Macëdoine. 
Dernièrement- il avait l'occasion d'exprimer son avis sur la solution 
selon lui la plus pratique dans l'affaire de Macédoine et je suis ht lire us 
de voir qu'elle est absolument d'accord avec les idées que AL de Près- 
sensé vient d'exprimer ici... A cette occasion, j'avais précisément relevé 
pour la lire, l'opinion de M. Ricciotti Garibaldi... Je préviens que je n'ai 
aucun mandat à cette occasion. 

M. Garibaldi voudrait qu'on suivît le. programme suivant : \f* In 
programme idéal et plus lointain qui comprend toutes les revendi- 
cations de la constitution en unité nationale des fédérés des diverses 
races balkaniques; 2' Un programme pratique et du momcnu compor- 
tant l'intégrité territoriale de la Turquie, mais en même tempi, des 
réformes non suggérées, comme occasion de troubles, par rintervcniton 
des Russes et des Autrichiens, mais des réformes imposées par la coali- 
tion des nations civilisées. 

Garibaldi est même allé jusqu'à déclarer que si [a diplomatie italienne 
continuait à garder son attitude passive, il serait décidé à aller de ville 
en ville, de pays en pays, en Italie, et même le cas échéant, à réunir une 
vingtaine de mille hommes pour porter secours à la population de la 
Macédoine. (Applaudissements.) 

M. DE Brancovan, député roumain. — Je n'avais pas rhonneur de 
faire partie de votre intéressante association et je liens k remercier 
M. le Président d'avoir bien voulu me permettre de venir aujourd'hui 
assister à cette conférence et, si je le jugeais utile, de prendre la 
parole. 

J'en suis d'autant plus heureux que vous avez pu considérer jusqu'à 



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■ ^ 



— 220 



présent que le pays que je représente s'était très peu intéressé, et même 
avait eu une attitude hostile, au mouvement de libération qui était né 
en Macédoine. Je dois avouer qu'en effet, le gouvernement de notre 
pays, sans avoir véritablement été contraire à ce mouvement, n'a pas pu: 
s'associer aux manifestations qui ont pu avoir lieu dans d'autres pays. 
11 y a à cela des raisons politiques profondes : la Roumanie est un pays^ 
latin entouré de pays slaves. 

Ce pays, qui autrefois, et encore à l'heure actuelle, avait au fond de- 
très grandes sympathies pour toutes les puissances occidentales qui ont 
joué un rôle dans sa libération, s'est trouvé amené, par suite de la crainte 
qu'il avait de l'expansion de la Russie, à marcher de plus en plus dans 
l'orbite de l'Allemagne. Aujourd'hui, la Roumanie, et la Grèce égale- 
ment, peuvent avoir la crainte de voir l'intégrité de l'empire ottoman 
disparaître. 

On a pu croire également en Roumanie que le mouvement qui était 
né en Angleterre et en France en faveur de la Macédoine était surtout 
favorable aux Bulgares ; ce que la Roumanie craindrait avant tout, et ce 
qu'elle craindrait surtout, c'est que ce mouvement bulgare tendît à 
aboutir à une désagrégation de l'empire ottoman, la création d'une auto- 
nomie macédonienne en faveur de cet élément bulgare. Ceci, ni les 
Roumains, ni les Grecs ne peuvent le désirer et le permettre. C'est donc 
la crainte de voir l'Angleterre et la.France soutenir ce mouvement qui a 
écarté la Roumanie et la Grèce de plus en plus du mouvement d'huma- 
nité qui s'est créé à ce moment et les a forcées à marcher dans l'orbite 
de l'Allemagne et de l'Autriche, qui sont les deux puissances qui' 
peuvent le plus les protéger contre le péril slave. 

Je dois indiquer cependant, qu'à beaucoup de points de vue, cette 
politique allemande me paraît ne pas devoir suffire toujours et se conci- 
lier avec les intérêts de- la Roumanie et de la Grèce. Je suis né en France, 
j'y ai fait mon éducation et j'ai la plus grande sympathie pour ce pays,, 
et rien ne me serait plus agréable que de voir les puissances méditerra- 
néennes et libérales, la France et l'Italie, revenant à l'attitude tradition- 
nelle d'autrefois, s'intéresser de nouveau aux questions d'Orient, ce qui 
permettra aux puissances qui, comme la Roumanie et la Grèce, ont 
intérêt à maintenir l'intégrité de l'empire ottoman et à empêcher qu'un 
déséquilibre ne se crée, de songer à nouveau à la possibilité d'une poli- 
tique se conciliant plus qu'actuellement avec la politique française. 

Je considère, messieurs, qu'il est avant tout intéressant pour les. 



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— 22 I — 

grands pays libéraux, comme la France, l'Angleterre et riialic^ qui ont 
pris en main la cause des opprimés de Macédoine, de soutenir un pro- 
gramme de réformes, comme le demandait M. de Fressensé, en 
s'appuyant sur l'article 23 du traité de Berlin et de le soutenir sans 
manifester de sympathie plus grande pour telle ou telle population, dans 
Pintérét de tous les sujets opprimés du Sultan, car les populations 
chrétiennes ne sont pas seulement intéressées à ces réformes, les musul- 
mans eux-mêmes, encore aveuglés par le fanatisme, souiTrcni également 
de l'administration actuelle du Sultan. 

Je m'associe aux paroles exprimées par M. de Pressensé. Je consî^ 
dère que les puissances méditerranéennes, celles qui n'ont pas d'ambi- 
tion d'annexions, comme on peut en soupçonner la Russie et TAUe^ 
magne, doivent tâcher de jouer le premier rôle en Orient en obienani. 
au nom de tous les sujets opprimés du Sultan de la Turquie d'Europe, 
l'application de l'article 23 du traité de Berlin, dont on s'est inspiré pour 
formuler un programme de réformes à Constantinople en j88o, en 
conformité de cet article et qui représente des réformes très pratiques. 
Je crois qu'il serait actuellement très suffisant pour assurer une admi- 
nistration honnête et une police sûre, en même temps qu'une îusticc 
égale. De plus, ces réformes pourraient être également étendues à TAsie- 
Mineure. Dans ces conditions, je suis tout prêt à faire tous mes efforts 
pour créer dans ce sens un mouvement dans mon pays et je crois que 
j'y réussirai. {Applaudissements.) 

M. BuxTON. — M. Evans a parlé du Comité organisé pour les 
secours; j'ajouterai seulement que ce Comité a pu réunir, à l'heure 
actuelle, une somme de 100,000 francs. On a envoyé déjà quatre per- 
sonnes à Monastir pour organiser des secours. 

Je ne suis pas habitué à parler la langue française, ce qui fait que je 
me limiterai à quelques mots d'explications touchant le mouvement 
macédonien et les travaux du Comité qui s'est formé en Angleterre. Ce 
Comité s'est formé avant le commencement de l'insurrection ; il s'occupe 
seulement de la Turquie d'Europe. 

Dans le Comité se trouvent des personnalités appartenant à tous les 
partis politiques : il y a plusieurs évêques bien connus, et quelques-uns 
ont voyagé en Turquie. La plupart des organes de la presse anglaise, 
même les organes ministériels, le Times et le Spectator sont sympa- 
thiques à la cause des réformes macédoniennes. Les vœux que l'on 



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— 222 — 

forme à chaque meeting tendent à la cessation de l'administration 
ëirecte du Sultan et à l'établissement du contrôle officiel européen. Le 
Comité, pour l'organisation de conférences publiques, fait appel aux 
orateurs qui connaissent bien la question. 

Dans plusieurs grandes villes comme Birmingham, Manchester, 
Liverpool, il y a tant d'agitation que le maire est obligé de faire le meeting 
à l'hôtel de ville. Depuis le mois d'août dernier, on a organisé plus de 
deux ceni^i de ces conférences. 

Dans les noiiccs que nous distribuons, nous indiquons que 
rAngleîcrrej en proposant un programme de réformes, unirait à elle 
des naiions comme la France et l'Italie. Ainsi donc, l'Angleterre 
tente un effort, nous attendons la coopération de la France. (Applaudis- 
sements,) 

M. Semexofk, — Comme mon ami Mazzini, je n'ai pas de mandat 
au nom duquel je pourrais parler. Il y a même une différence entre nos 
«situations respectives en sa faveur, parce que je ne peux pas parler de 
l'opinion publique, en Russie, en faveur de la cause qui nous est chère, 
celle de l'Arménie et de la Macédoine. 

Vous savez qu*en Russie on ne peut pas organiser de réunions pu- 
bliques en faveur des Arméniens ou des Macédoniens. Il y a bien une 
presse, mais oo ne peut pas toujours y dire ce qu'on pense, et sous ce 
rapport, je dois dire que la presse russe se trouve peut-être la seule en 
Europe à parler par l'intermédiaire de ses organes les plus influents, 
plutôt contre que pour les Arméniens. 

Je ne voudrais pas prononcer des paroles imprudentes, qui ne pour- 
raient que nuire à notre cause, mais je dois indiquer des choses qui 
sont utiles a connaître : En Russie, il y a eu, et il y a encore, même 
actuellementj une assez forte campagne de presse contre les Arméniens, 
— quand jt^ dis campagne de presse, je parle d'une campagne qui n'a 
pas été censurée; on sait ce que cela veut dire, — et cette campagne a 
abouti à des évcnements que vous connaissez tous : la main mise sur 
des fortunes appartenant à la nation arménienne, sous forme d'admi- 
nfsiratlon par le gouvernement des biens aliénés. Vous connaissez les 
événements de Tiflis, de Choucha, de Nakitchevan ; je n'ai pas à 
insister. Je les rappelle pour que vous compreniez que la Russie, dans 
la question arménienne, ne peut pas se joindre à notre action. Vous 
pouvez sous ce rapport, compter seulement sur des concours moraux 



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TS^T^T'^ -■ 



— 223 — 

d'individualités, comme celles qui ont donné leur concours dès la 
première heure. 

Je crois que la principale action, du côié de la Russie, ne viendra 
pas par Popinion publique, ou par le peuple^ mais par la diplomaii;;. 
La diplomatie russe est très prudente; vous vous rappelez les hommes 
d'État russes, disant, lors des massacres en Arménie, qu'il n'y avait pas 
de question arménienne. (Rires.) 

En ce qui concerne la Macédoine, la diplomatie russe n'est pas ircs 
enthousiaste au point de vue des réformes, qui même hors dn territoire 
russe, sur la presqu'île balkanique, sont toujours un mauvais exemple. 
(Nouveaux rires.) Mais il y a une question d'intëréts internat [(maux et 
diplomatiques. Il est évident qu'on ne peut pas laisser rAutrichc pro- 
fiter des troubles en Turquie pour agir seule. II faut que la Russie inler- 
vienne, et voilà la raison pour laquelle la diplomatie russe peut être 
forcée d'agir dans le sens que nous désirons. 

Mais, l'Autriche et ta Russie pourraient agir seules, et c'est surtout 
sous l'influence de l'opinion publique en Europe occidentale que ces 
deux pays seront amenés à agir dans le sens que nous désirons. Il y a 
donc un intérêt capital à agiter le plus possible Topinion publique de 
l'Occident. 

On s'est suffisamment expliqué sur les moyens, mais il y en a un 
que je voudrais souligner : vous savez que Targeni est le nerf de la 
guerre, même des guerres humanitaires, et je ne vois pas pourquoi les 
arménophiles et les Comités européens pour les réformes en Turquie ne 
s'adresseraient pas d'une manière plus large à TKurope^ en faisant des 
quêtes au profit des victimes ; non seulement des massacres, mais de 
l'oppression turque en général. On l'a fait lors de la guerre au Trans- 
vaal. Je demande pardon aux délégués anglais de ciurcet exemple qui 
peut ne pas leur être agréable. (Rires et protestalîon des représentants 
anglais.) M.3i\s\\ me semble qu'on pourrait s\n jnspirt.rt bien qu'il y eut 
une arrière-pensée diplomatique que n'a pas le mouvement dont nous 
nous occupons. Il y aura, me semble-t-il, à cette occasion, un mouve- 
ment unanime de sympathie en faveur des opprimés; ce sera en même 
temps un excellent moyen de propagande et un aide eflkace. 

J'appuie donc de toutes mes forces le moyen déjà employé en Angle- 
terre, de faire des quêtes en Amérique et en Europe dans une largt me- 
sure, pour venir au secours de toutes les victimes de l'oppression en 
Turquie. (Applaudissements.) 



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— 224 — 

M. Meillet. — Je voulais précisément dire ce que vient d'indiquer si 
bien M. Semenoflf: c'est qu'au point de vue arménien, nous ne pouvons 
pas beaucoup compter sur la Russie. L'opinion publique dans ses 
éléments dirigeants, en Russie, est assurément très mal disposée pour 
les Arméniens à l'heure actuelle. Le Gouvernement fait une guerre abso- 
lument constante, suivie, à tout ce qui représente un élément national 
arménien. Dans la provice du Caucase, il existait une Société de publi- 
cations arméniennes parfaitement innocente, qui n'était animée d'aucune 
vue politique : elle a été dissoute. Il y a quelques années, il existait des 
bibliothèques qui n'achetaient pas exclusivement des livres arméniens ; 
elles ont été mises sous la main du Gouvernement et elles ont disparu. 
Et, tout récemment, le Gouvernement a mis la main sur les biens de 
l'église arménienne ; bien entendu, l'éducation qui était donnée n'avait 
qu'un caractère religieux et n'avait aucun caractère anti-national ; ces 
biens étaient consacrés pour une partie à suffire aux nécessités de l'église. 
— les églises ne reçoivent pas de subsides du Gouvernement, elles vivent 
•de leurs ressources — et ces biens suffisaient aux nécessités des couvents. 
D'autre part, ce qui n'était pas consacré au;^ couvents était consacré 
aux écoles religieuses. Oo le Gouvernement ne tolère plus en Russie 
d'autres écoles arméniennes que celles qui peuvent se réclamer du titre 
de séminaires ecclésiastiques ; les biens des religieux étaient consacrés, 
je le répète, à soutenir ces écoles. Le Gouvernement a mis la main sur 
ces biens et il l'a fait d'une manière extrêmement brutale. Je me suis 
trouvé à Ach au moment même où l'ukase a été publié ; c'est par les 
journaux que l'église arménienne a appris la mesure; c'a été une sur- 
prise pour tout le monde au couvent, c'est un télégramme de deux 
lignes dans les journaux du Caucase qui nous a appris un soir la 
nouvelle. 

Dans ces conditions, vous voyez qu'il n'y a guère à espérer, que les 
Russes soutiennent dans une mesure quelconque ce qui pourrait être 
fait en faveur des Arméniens. D'ailleurs, leur attitude vis-à-vis des Armé*- 
niens de Russie est un garant très certain de ce que pourrait être leur 
attitude vis-à-vis des Arméniens d'ailleurs. (Applaudissements,) 

M. Bérard. — Le Comité arménophile de Lyon, qui avait déjà fait 
des réunions contre la volonté des anciens ministres et de ministres 
présents, a tenu hier sous la présidence de ^L Augagneur, maire de 
Lyon, une grande réunion publique, où on peut évaluer de 2,5oo ou 



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— 225 — 

3,ooo ie nombre des personnes présentes. Dans cette réunion, M. Auga- 
gneur a présenté le docteur Lortet, professeur à l'Université et m'a pré- 
senté moi-même. 

M. Lortet nous a exposé des choses très neuves, étant donné que 
pour la première fois de sa vie il était libre de parler; il a pu rapporter 
ses souvenirs de témoin oculaire des massacres de Payas. Je connais- 
sais beaucoup de choses sur les massacres turcs, mais je vous avoue que 
jamais au monde je n'avais entendu atrocités pareilles. 

M. le docteur Lortet nous a fait le récit de ses relations avec des 
ministres passés, comme M. Rambaud, ministre de l'Instruction 
publique et Hanotaux, ministre des Affaires étrangères : on avait 
défendu à M. Lortet, fonctionnaire français, doyen de la Faculté de 
médecine, de prendre la parole devant une assemblée d'électeurs. Je n'ai 
pas besoin de vous dire que les temps sont changés aujourd'hui, et la 
présence même de M. Augagneur, maire de Lyon, nous assure que de 
ce côté-là, nous pouvons être tout à fait rassurés. 

11 y a à Lyon un Comité très bien organisé, qui a un but politique, 
en même temps que le but économique que MM. les délégués d'Angle- 
terre voulaient bien souligner tout à l'heure. On tâchera de fonder un 
Comité de dames qui réunira des fonds pour l'Arménie et la Macédoine, 
de façon à ce que ce Comité reste en dehors de toute politique possible 
et qu'on ne puisse pas l'accuser de fomenter la révolte ou l'anarchie. Il 
est entendu que les fonds réunis par ce Comité seront envoyés directe- 
ment aux consuls de France en Arménie et en Macédoine et que sans 
distinction de races, de nationalité ni de religion, le consul de France 
distribuera cet argent français à tous les malheureux possibles. 

Quant au but politique, j'avais été chargé d'exposer la situation en 
général, et j'ai fait hier ce que je compte faire cet après-midi : je tâcherai 
d'exposer au public parisien, comme je l'ai fait au public lyonnais, 
comment cette situation était en réalité commune à toute la Turquie, 
comment c'étaient des causes générales qui dans toute la Turquie 
créaient parmi toutes les populations un état d'esprit anarchiste ou révo- 
lutionnaire qui n'est que la résistance naturelle d'êtres humains défen- 
dant leurs biens et leur vie, défendant leurs biens contre le régime turc 
et leur vie contre le régime hamidien. (Vive approbation.) 

J'ai tâché d'exposer le régime turc, d'une part, et le régime hamidien, 
de l'autre. Puis, j'ai indiqué quel était le remède que l'action austro-russe 
pictendait offrir, comment les réformes — ou ce qu'elle appelle de ce 

i6 



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— 226 — 

nom — même si elles réussissaient, n'arriveraient qu'à faire disparaître 
les abus du régime turc, mais que le régime hamidien subsisterait 
toujours et que c'était une dérision d'assurer des biens à des popu- 
lations à qui on n'assurerait pas la vie quotidienne. (Noupelle appro- 
bation.) 

J'ai tâché de faire comprendre que les réformes n'étaient que la 
seconde étape du problème oriental qui comporte deux étapes succes- 
sives, qu'il faut prendre l'une après l'autre : il ne faut pas mettre la . 
charrue avant les boeufs : il faut supprimer le régime hamidien et réfor- 
mer et contrôler le régime turc. Supprimer le régime hamidien : nous en 
avons une expérience assez longue, puisque, après tout, ce régime n'est 
que le renouveau de ce qui s'est passé en 1826 à Samos, en 1860 en 
Syrie, en 1898 en Crète, et nous voyons par l'exemple de ces précédents 
que pour supprimer le régime hamidien, il faut évidemment installer 
dans la province turque un gouverneur qui restera turc, qui maintiendra 
l'intégrité de l'empire ottoman, qui dépendra de la Porte, mais sera 
complètement indépendant du Palais du Sultan; ce sera donc un gou- 
verneur responsable, dépendant de la Porte, mais responsable devant 
les puissances. 

Je crois qu'en cela, la diplomatie anglaise aura rendu à la cause 
levantine un service signalé, en montrant bien cette première nécessité 
d'installer un gouverneur, puis de faire les réformes. (Vifs applau' 
dissements.) 

Je vous avoue qu'au sujet du gouverneur, j'ai quelques idées très 
particulières. Je crois que l'exemple de la Crète nous montre encore que, 
chrâien ou musulman, tout gouverneur qui sera ottoman de nationa- 
lité ne pourra jamais résister longtemps aux intrigues, aux perfidies, aux 
séductions d'Abd-ul-Hamid, et que dans ces conditions-là, nommer un 
gouverneur de nationalité ottomane, c'est ne rien faire. Je crois donc 
qu'un gouverneur responsable veut dire avant tout un gouverneur euro- 
péen. Prenez ce gouverneur comme vous l'entendrez, installez-le, puis, 
quand vous aurez fait la nomination de ce gouverneur, commencez les 
réformes. Il est évident que la première de ces réformes doit être une 
réforme économique. Si vous ne donnez pas à ces populations le moyen 
de vivre, il est inutile de leur donner le droit de vivre. Commencez 
donc par réunir un certain nombre de fonds. Que les puissances euro- 
péennes prêtent à l'Arménie, comme elles l'ont fait pour la Crète. Ce 
jour-là, je suis persuadé que la paix renaîtra dans l'empire turc et que 



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— 227 — 

nous aurons le droit de penser avoir travaillé utilement au salut de la 
Turquie, à la paix de l'Europe et pour le bien de Thumantié, 

Voilà, messieurs, Tesprit et la teneur de la conférence de Lyon. On 
vous a lu tout à l'heure Tordre du jour; il résume exactement notre 
conférence. 

Je dois vous dire que le Comité de Lyon a désiré prendre la plus 
grande part possible à votre réunion. Il a donc délégué M. le professeur 
Courmont, de la Faculté de médecine. M. le professeur Courmoni vous 
dira que nous pouvons compter entièrement sur le public lyonnais. Au 
moment des affaires arméniennes, nous avons trouvé beaucoup de 
bonnes volontés et d'argent, c'est peut-être la première ville de France 
où nous ayons pu parler librement devant un public de fonctionnaires, 
dans une salle officielle, malgré le préfet. Vous pouvez être certains 
qu'étant donnée maintenant la situation nouvelle, ayant les fonciion- 
naires avec nous, nous parlerons davantage encore et nous arriverons à 
un résultat plus satisfaisant. (Vifs' applaudissements.) 

M. Courmont. — Deux mots seulement : j'arrive de Lyon avec notre 
ami Bérard. Je veux vous dire le très grand succès qu'il a eu hier soir â 
Lyon. Cette conférence a parfaitement réussi : non seulement par le 
nombre des assistants, mais par la façon dont elle avait été prépart-e et 
dont elle a été faite. La plupart, pour ne pas dire touteïi les organisations 
républicaines de Lyon, avaient envoyé à leurs adhérents des cartes ^pé- 
ciales, avaient fait mettre des notes dans les journaux» et l'opinion est 
véritablement remuée. M. Bérard, par le grand succès qu*il a obtenu, a 
fait grandement avancer la cause que nous défendons. 

En second lieu, je vous apporte les excuses de xM. Augagneur, maire 
de Lyon, dont tout le monde connaît la grande autorité, de M, le doyen 
Lortet, qui a passé seize hivers en Orient, qui aurait bien voulu venir. 
Ne l'ayant pas pu, il m'a chargé de vous dire que certainement tous les 
esprits libéraux du sud-est marcheraient avec nous pour nous seconder. 
(Applaudissements.) 

M. DE Pressensé. — Je voudrais simplement résumer rapidement, au 
point de vue pratique, ce que nous avons entendu, et en particulier ce 
qui a été dit par nos collègues anglais : nous avons été tous frappés de 
ce que, en- exposant ce qu'ils ont tenté et obtenu, ils ont insisté sur ce- 
point qu'à l'heure actuelle tout dépendait de l'entente de la France et de 



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— 228 — • 

TAngleierre. Par conséquent, c'est sur nous que repose, à l'heure 
actuelle la responsabilité du succès de nos efforts. 

Ce que notre ami Bérard vient de nous raconter au sujet de Lyon 
nous indique que ce que nous voulons organiser, une campagne de 
réunions, trouve un terrain tout préparé et nous pourrons remporter des 
succès considérables. 

Nous n'avons pas la prétention évidemment de faire des campagnes 
comme il en a été organisé en Angleterre ; nous ne ferons pas la cam- 
pagne du Midlothian pour beaucoup de raisons : d'abord, parce que 
nous n'avons pas de Gladstone; mais si nous en avions un, nous 
aurions encore la difficulté très particulière que présente la situation sur 
laquelle il ne faut pas se faire d'illusion, difriculté d'plomatique très spé- 
cialCj qui tient à l'entente, à l'alliance franco-russe. 

Nous savons tous que depuis le Congrès de Berlin, il s'est produit une 
révolution dans la diplomatie russe, que la Russie, qui à ce moment-!à 
avait visé à la constitution de la grande Bulgarie par le traité de San 
Stefano, qui avait été écartée par l'intervention de l'Angleterre, a changé 
son fusil d'épaule, en même temps que l'Angleterre changeait le sien. 
Par conséquent, ce qui inspire la diplomatie de Saint-Pétersbourg, ce 
n'est pas le désir de faire aboutir les réformes en Macédoine, mais tout 
au contraire le désir de laisser mijoter la chaudière jusqu'à ce que 
rheure prospice soit venue. (Rires.) 

Eh bien, pour la France, évidemment, cela crée des diîlicultés parti- 
culières; nous trouvons des résistances, nous l'avons constaté au Parle- 
ment quand nous avons eu devant nous un ministre qui n'est pas le 
ministre dont on parlait, qui n'a pas le passé du ministre qui avait 
l'honneur de diriger les affaires françaises pendant les massacres armé- 
niens, mais qui n'en est pas moins hypnotisé dans une certaine mesure 
par !*idée de l'alliance franco-russe et de ce qu'elle nous impose. 

Par conséquent, nous n'avons pas à nous faire d'illusions, nous 
aurons un morceau assez dur à enlever, mais je crois que l'opinion 
publique est mûre en France pour cela; elle est mûre, d'autre part, pour 
comprendre la gravité suprême de ce qui se passe en Orient, pour ne 
pas vouloir de nouveau supporter la responsabilité d'une banqueroute 
morale comme celle des affaires arméniennes, et enfin, ce qui s'est passé 
depuis quelques mois, la détente, les rapprochements qui ont en quelque 
sorte donné de l'air à l'alliance franco-russe ont disposé l'esprit public 



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IJ.> UiiipiillU^PUiftpiV''-''' 



— 229 — 

à accepter des interventions que peut-être it n'aurait pas acceptées il y û 
quelques mois. 

Donc, cela dépend, à l'heure actuelle, de nous. Je répète la question 
que je posais au commencement de cette stance ; croit-on qu*il soii 
possible à cet effet d'organiser un Comité d'action commune ? Pour 
moi, je ne le crois pas ; je crois que tout en marchant ensemble, en 
nous tendant la main, en tâchant de faire la même chose à la même 
heure, nous avons intérêt à conserver nos organisaiions spécifiquement 
nationales. Nous avons à obtenir un rapprochement ; c'est surtout dans 
nos Parlements, après avoir agi dans le public^ que nous devons nous 
proposer de faire œuvre utile, et nous ne gagnons pas que ce soit en 
prenant une forme internationale. 

D'un autre côté, il me semble résulter de ce qui a été dit que, soit 
dans l'intérêt de notre action politique, qui à mes yeux est l'action prin- 
cipale, soit dans l'intérêt de l'action philanihropiqiie et humaniiairt, 
mais aussi indispensable à l'heure actuelle, il faut une division, une 
séparation, un dualisme entre les deux organisations ; un Comité» comme 
on l'a fait à Lyon, de dames, avec peut-être mélange du sexe fort* du 
sexe laid, pour les choses humanitaires, et notre Comité à nous, spécifi- 
quement politique, s'efForçant de créer une agitation afin d'obtenir que, 
sur ces deux points essentiels: l'autonomie du gouverneur, son indé- 
pendance, et le contrôle européen, la France s'unis^se à l'Angleterre. 
J'ose croire que, dans ces conditions-là, pendant le cours de cet hiver, 
nous obtiendrons des résultats. 

S'il n'en était pas ainsi, si nous devions échouer une fois de plus, si 
on devait prétendre qu'il est du devoir de THurope de laisser, non pas" 
seulement la priorité de mandat à la Russie et à l'Autriche, mais le 
monopole de l'inertie en Orient, ce serait le moment de tenter une cam- 
pagne plus importante et de faire appel, non seulement aux forces 
nationales, mais aux forces des autres pays. 

Pour l'instant, nous continuerons purement h simplement la cam- 
pagne dont nos collègues anglais nous ont donné le modèle. Ils ont lait 
deux cents réunions, nous à peine quelques-unes; je ne sais pas si nous 
en ferons deux cents, mais le terrain est préparé pour que nous tn 
fassions beaucoup. C'est la méthode que nous devons adopter, et aprcs 
la grande manifestation de cet après-midi, dans laquelle le public pari- 
sien verra — il n'est pas accoutumé à voir souvent des manifestations de 
ce genre — sur la même estrade des représentants des diverses nations 



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— 23o — 

libérales de TEurope, il y aura un excellent point de départ et nous pou- 
vons nous proposer de faire en France ce que vous avez fait en Angle- 
terre. (Applaudissements,) 

M. LE Président. — Nous avons entendu les représentants de toutes 
les nations ici représentées. Nous devons nous ajourner à tantôt, en 
espérant avec confiance le grand succès de la réunion de cet après-midi 
qui réunira ensemble, pour Thumanité et la justice, les représentants 
internationaux de toutes les opinions ou de tous les partis politiques. 
^Applaudissements.) 

La séance est levée à onze heures un quart. 



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Le Meeting du Théâtre Sarah-Bernhardt 



Dès une heure et demiCj une foule énorme stationnait 
devant le théâtre Sarah-Bernhardt : aussitôt les portes 
ouvertes, de l'orchestre aux plus hautes galeries, ïa salle se 
remplit rapidement. Elle était comble lorsque, à deux 
heures et demie, M. Francis de Pressensé apparut sur la 
scène assisté de MM. Victor Bérard et Pierre Quillard et 
accompagné des orateurs français et étrangers : Jean 
Jaurès, d'Estournelles de Constant, Malcolm Mac Cotl, 
A.-J. Evans, Atkin,- Georges Lorand, D^ Courmont, Maz- 
zini, Bocciardo, Noël Buxton. 

Sur la scène ou dans les loges avaient pris place 
MM. Frédéric Passy et BréaL membres de Tlnstitut; le 
sénateur Delpçch ; les députés Baudot, Euzière, Charles 
Dumont; M. C. de Brancovan ; .M. Sémènoff; M. Louis 
Dumur, rédacteur en chef de VEuropéen: G, Etberj direc- 
teur des Anna/es de la Jeunesse laïque; les délégués bul- 
gares Miletich et GrégorolT et de nombreux représentants 
de la presse française et étrangère. Nous croyons savoir que 
les ministres de Bulgarie et de Serbie assistaient^ à titre 
privé, à la réunion. 



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232 -- 



LES LETTRES 

M. Francis de Pressensé donna d'abord lecture des 
lettres d'adhésion ou d'excuses reçues par les organisateurs 
de la réunion. 

FÉDÉRATION RÉVOLUTIONNAIRE ARMÉNIENNE 

Genève, 27 octobre. 

Avec un sentiment de profonde reconnaissance la rédaction 
de Droiichak, au nom de la Fédération révolutionnaire armé- 
nienne, salue la deuxième réunion internationale organisée pour 
la défense des droits les plus sacrés, les plus élémentaires des 
deux peuples ayant perdu confiance dans la bonne volonté de la 
diplomatie contemporaine, nous ne comptons que sur la force 
de noire résistance nationale et sur le concours des nobles repré- 
iscntants de la civilisation, ce concours nous est indispensable 
surtout aujourd'hui lorsqu'à Toeuvre d'extermination du grand 
assassin vient s'associer la politique farouche des bourreaux mos- 
covites et aux flots de sang arménien versé en Anatolie s'ajoute 
celui des Arméniens du Caucase. 

Nous espérons que la seconde conférence internationale des 
éminents arménophiles, en vue de la situation critique, se pro- 
noncera pour une action étendue et systématique qui puisse 
forcer la main à la diplomatie et arracher enfin les deux peuples 
af;onisants aux griffes du despotisme. 

ORGANISATION INTÉRIEURE MACÉDONIENNE 

Sofia, 25 octobre igoS. 

Les délégués de l'organisation intérieure pour l'étranger 
envoient à la généreuse assemblée l'expression émue de leur 
reconnaissance pour l'œuvre haute et noble pour laquelle elle s'est 
réunie dans leur lutte pour le triomphe du droit et de l'humanité 



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— 233 - 

/es opprimés de Macédoine et du Vilayet d'Andrinople ont été 
encouragés par l'espoir que leur effort sera soutenu par !a cons- 
cience du monde civilisé en révolte contre la barbarie hamîdten- e, 
nous louons votre réunion comme une manifestation solennelle 
de cette conscience et nous nous déclarons d'avance solidaires 
avec les décisions qu'elle prendra; car notre œuvre ne poursuit pas 
le but exclusif d'une nationalité ambitieuse, mais un idéal de 
justice auquel nous sommes tous également attachés. 

(Cette dépêche, par suite d'un retard dans la transmission, n'a 
été remise au président qu'après la réunion.) 

ALLEMAGT4E 

Outre les lettres d'adhésion de MM. Umfridj président 
de la Société de la Paix de Stuttgart, et du D*" Lehman^ 
voici celle du 

Dr A. RICHTER 

Président de la Ligue allemande pour la. Paix. 

Les invitations, dont le Comité arménophile m'a bien voulu 
favoriser, sont entre mes mains et je crois agir selon voire inten- 
tion en les envoyant à mes amis pacifistes, qui selon mon opinion 
ont des sympathies profondes pour les malheureux peuples 
d'Orient et qui pourraient peut-être suivre à votre appeL 

Je regrette beaucoup d'être hors d'état de venir à Paris pour 
réunir mes protestations énergiques avec les vôtres et pour cher- 
cher avec vous une solution pratique de cette question doulou- 
reuse* 

La Société de la Paix allemande tortibe d'accord avec vous que 
la tentative russo-autrichienne pour cette solution nécessaire a 
échouée, et qu'il faut y mettre beaucoup plus d'énergie et de 
fermeté pour arriver au but, soit pour délivrer enfin les peuples 
torturés et massacrés du joug hamidien, et pour leur garantir 
sûreté et bien-être pour Tavenir. Vous avez toutes nos sympathies 



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— 234 — 

et je vous prie, cher confrère, de vous faire Tinterprète de nos 
sentiments à cet égard, auprès de vos amis, réunis le 25 octobre à 
Paris, 

ANGLETERRE 

M.dePressensé annonce les adhésions de MM. H. Snape, 
alderman de Llverpool, Rendel Harris «qui vient de passer 
six nnois en Arménie et est de plein coeur avec l'assemblée »; 
Bunting, Wilson; S. A. Barrett du Tow^nbee Hall; Sin- 
clair, M. P, et communique les lettres de 

L'ÉVÈQUE DE ROCHESTER 

22 octobre igoS. 

Je regrette vivement que je ne pourrai venir à Paris le 25 oc- 
tobre pour assister à la Réunion. 

Nous faisons notre possible de ce côté de la mer, pour la cause. 

M, Francis SEYMOUR-STEVENSON M. P. 

Ce 22 octobre igoS. 

Je suis désolé qu'au dernier moment des affaires urgentes me 
retiennent en Angleterre, et m'obligent à renoncer à Tidée de par- 
ticiper à la députation qui doit assister à la Conférence de Paris. 

Comme Président de TAssociation anglo-américaine, ainsi que 
comme membre du Parlement britannique, je tiens à vous assurer 
que les sympathies et les efforts de ceux qui chez vous ont tra- 
vaillé, et espèrent encore travailler, pour l'Arménie, se rangeront 
de même du côté de la Macédoine souffrante et terrorisée, et 
s efforceront d'obtenir une intervention effective, sans distinction 
de race, dans l'intérêt de l'humanité. Les complications que pré- 
sente le problème ethnologique dans cette région opprimée, quelle 
qu'en soit la portée historique et quelle qu'en soit l'influence sur 
les évëaements tuturs, ne sauraient servir d'excuse aux gouvernc- 



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— 235 — 

tnenls européens qui paraissent hésiter à y faire cesser ropprcssion 
et le massacre. 

J'ose espérer que les nations qui aiment la justice el la liberté, 
et parmi elles, la France — par laquelle j'entends la France des 
Croisades, ainsi que la France des Droits de l'Homme, — insiste- 
ront que les obligations morales et internationales soient respec- 
tées, et qu'une ère nouvelle commence pour ce malheureux pays. 

M. W. A. STEAD 
Directeur de la Rewiew of Rewiews. 

Londrts, 32 octobre* 

Je regrette d'être obligé de vous annoncer que des engage- 
ments d'un caractère urgent ne me permettront paî> d'assister au 
meeting de dimanche. 

J'eus été particulièrement heureux de vous rencontrer et de 
discuter ensemble beaucoup de questions urgentes, mais je crains 
que même au cas où il m'eut été possible de venir vous n eussiez 
été tellement absorbé par les travaux de la Conférence que nous 
n'aurions pu en trouver le temps. 

Assurez la Conférence, je vous prie, de mon entière sympa- 
thie pour les efforts qui sont faits pour résoudre la question 
d'Orient de la seule façon possible, c'est-à-dire en délivrant lezr 
populations opprimées du pouvoir arbitraire du gouvernement 
turc. 

Il pourra être nécessaire de maintenir pour quelque temps 
encore l'autorité du Sultan, mais la condition même du maintien 
de son autorité nominale est la disparition de son autorité réelle. 
Autrement dit : si le Sultan doit être laissé comme le poiicemen 
de la région, il devra être soumis à l'autorité de ses supérieurs. 

L'ÉVÊQUE D'HÉREFORD 

Palais l'piscopal d'Hereford, 5 octobre jgoï. 
C'est à mon grand regret que je me vois contraint de vous 
.annoncer en réponse à votre aimable invitation d'assister à votre 



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v^Tl^l|Ç^^P^-* 



— 236 — 

conférence en faveur de la Macédoine et de TArménie, le 25 octo- 
bre prochain, qu'il ne me sera pas possible d'être des vôtres par 
suite d engagements antérieurs que je suis contraint de remplir. 
Nous vous devons, ainsi qu'à vos collègues, une vive gratitude 
pour la bonne cause et c'est de tout cœur que je vous souhaite un$ 
grand succès* 

M. JAMES BRYCE 

M. P. Ancien ministre du cabinet Gladstone. 

Trapani (Sicile). 

A mon grand regret, il m'est impossible d'assister au meeting 
du 2? octobre, auquel le Comité arménophile de France m'a fait 
Vhonneur de m'inviter. Je suis heureux d'apprendre la tenue de 
ce meetinfj et j'espère qu'il aura pour résultat de déterminer une 
puissante manifestation de sympathie pour les populations oppri- 
mées et souffrantes d'Arménie et de Macédoine, dans cette nation 
française qui toujours manifesta l'ardeur de son amour pour la 
liberté et l'humanité. 

Quant à nous autres, en Angleterre, nous avons travaillé de 
noire mieux ces dernières six semaines pour déterminer un mou- 
vement de lopinion publique et décider le gouvernement actuel 
à une action énergique afin de décider la Russie et l'Autriche à se- 
joindre à lui pour obliger le gouvernement turc à quitter la Macé- 
doine et à convaincre ces deux puissances que rien moins que le 
retrait de l'administration turque mettra seul un terme aux maux 
dont souffre la Macédoine. Depuis des années j'ai préconisé une 
solution semblable pour la Macédoine. 

De nombreux meetings publics ont eu lieu dans toute l'An- 
gleterre, dans lesquels la libération de la Macédoine a été réclamée 
et j'ai Tespoir que l'opinion publique de France et l'Italie encou- 
ragera les gouvernants de ces pays à adopter les mesures politiques 
que j'ai indiquées. 

Croyez à mes meilleurs sentiments pour tous ceux qui avec 
vous sont associés à cette bonne œuvre. 



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— 23/ — 

AUTRICHE 

Adhésion de la Société Mir : 

Les Musulmans, les Macédoniens, les Arméniens sont mas- 
sacrés ad majorem Borussiale gloriam. 

BELGIQUE 

Adhésions de M. Lejeune, ministre d'État ; M. Houzeau 
de Lehaie, sénateur; Emile Vandervelde^ Furnemont et 
Hector Denis, membres de la Chambre des représentants; 
Kennis, bourgmestre de Schaerbeek, etc. 

DANEMARK 

M. F. de Pressensé rappelle avant de tire les adhésions 
de M. Haage et A. Benedictsen et la dépêche des philar- 
mènes danois que ceux-ci furent les promoteurs du 
Congrès de Bruxelles, et qu'ils ont fait beaucoup pour 
soulager les misères locales par de très généreuses sous- 
criptions. 

Charlottenburg, 24 octobre. 

Nos désirs sincères pour le succès de votre Congrès. Plus la 
nuit est obscure, plus les étoiles brillent. 

FRANCE 

Le Comité a reçu les adhésions de MM, Alfred Croisetj 
Paul Viollet, Gabriel Monod, membres de l'Institut; de 
MM. les sénateurs et députés : Jean Bayolj M. Faure, 
Labiche, Magnien; Barthou, ancien ministre, Denys Cochin, 
Ermant, F. Escanyé, F. Rabier, D'' MesHer, Couybaj 
Ch. Beauquier, Marcel Sembat, M. Berteaux, Delbet, 
Guiyeisse, H. Maret, R. Leygue, Messimy, G. -A» Hub- 
bard, A. Massé, Rouanet, A. Briand, E. Reveillaud, 
Bagnol , Chauvière, P. Baudin, ancien ministre, 
L.-L. Klotz, C. Ragot, F. Euzière, J, Auge, E, Clè- 



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«.''ajù*.^.::;: 



— 238 — 

mentel, Pajot, Paul Doumer, ancien ministre, F. Sarrien, 
ancien ministre, Millerand, ancien ministre; de MM. J. Psi- 
chari, Gaston Deschamps^ H. Bérenger, directeur de 
V Action y etc. 

M. de Pressensé lit ensuite les dépêches ou lettres de 

M. G. CLEMENCEAU 

Sénateur. 
Je tiens à vous dire que j'ai vivement regretté de ne pouvoir 
assister aux différents meetings de protestation qui ont été tenus 
à Paris en faveur des populations opprimées des Balkans comme 
de TArménie. Je n'ai pas besoin de vous dire que ma sympathie, 
est toujours acquise à la grande cause de l'émancipation et de la 
liberté humaine. 

M«« SEVERINE 
Avec excuses et regret pour absence involontaire, vous prie 
joindre ma protestation aux vôtres contre lâcheté Europe civi- 
lisée. 

LE COMTE D'AUNAY 

Sénateur. 

J'aurais été heureUx d'assister demain aux manifestations qui 

auront lieu en faveur des populations opprimées d'Arménie et de 

Macédoine. Vous n'en doutez pas puisque j'ai déjà plaidé pour 

elles à la tribune du Sénat. 

Malheureusement je quitte Paris ce soir pour revenir lundi 
matin seulement. 

M. LEROY-BEAULIEU 

Membre de l'Institut. 

Vous pouvez me compter parmi les adhérents de votre Con- 
grès. Toutes mes sympathies, vous le savez sont avec vous et avec 
votre peuple. Mais, à mon regret, je suis retenu loin de Paris. 

Vous n'aurez pas de peine à me faire remplacer. Si je suis 
absent de corps, je serai du reste d'âme avec vous. 

M. Louis HAVET 

Membre de l'Institut. 

Paris, le 24 octobre igoS. 
Demain je ne pourrai assister à votre réunion macédonophile 
et arménophile. Vous savez que je m'associe d'avance à tout ce 



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— 23o — 

qui se fera contre la barbarie turque et contre les compliciics 
européennes, — y compris !a complicité que nos complaisances 
pour la Russie imposent à la France. 
A vous cordialement* 

M. BKRIHELOT 

Sénateur» 

Secrétaire perpétuel de rAcadémie des Sciences, 

Membre de J*Académie Française* 

Regrette qu'une réunion de famille le retienne le 25 courant 
et l'empêche de témoigner sa sympathie toujours vive, mais hélas! 
impuissante pour les opprimés. Le monde est livré à la force et 
à Tin justice. Les jours d'équité et de fraternité sont rares et 
fugitifs! 

MicHiiL BRÉAL 
Membre de t'insiitm, 

14 octobre igoS. 

Ne croyez-vous pas qu'il serait à propos d'envoyer un avertis- 
sement aux Hellènes, qui m ont l'air de vouloir jouer un jeu bien 
dangereux. 

Ils auraient Tidée, m'assure-t-on^ de se mettre avec les Turcs 
contre les Bulgares! Jaime à croire que c'est Tinvention d'un 
journaliste mal informé. iMais j'ai éprouvé un sentiment des plus 
pénibles en trou van t» quelque part, affirmée la possibilité d'une 
alliance greco-iurque. Singulière alliance pour les descendants de 
Canaris! 

Les Grecs seraient les premières victimes de ces finesses. La 
Grèce est née, elle a grandi, elle a encore récemment échappé à un 
désastre, grâce à la sympathie de l'Occident. Qu'elle prenne garde 
de s'aliéner cette sympathie 1 L'alliance de la Turquie ne pourrait 
iui porter que le déshonneur. 

Vous, qui êtes philhellène comme moî, dites cela demain- 
Vous rendrez service aux Grecs et vous empêcherez peut-être la 
diplomatie contemporaine d'enregistrer un scandale de plus. {Vi/s 
appiaiidissemenls^) 



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— 240 — 

LA RÉDACTION DE LA GÉORGIE 

La rédaction du journal La Géorgie envoie l'adresse 
suivante : 

Exprimant, aux Arméniens et aux Macédoniens, les senti- 
ments de sympathie et de solidarité des Géorgiens, la rédaction 
de La Géorgie croit de son devoir de rappeler aux vaillants 
défenseurs de la liberté et de la justice cette criminelle complicité 
de la Russie qui ne s'occupe des questions macédono-armé- 
niennes que pour réaliser ses visées séculaires, l'occupation de 
Stamboul. 

HOLLANDE 

Adhésions de MM. Van der Vlugt, député, professeur de 
droit international; Devriès, délégué de la Ligue Néerlan- 
daise pour la Paix. 

ITALIE 

Le président rappelle les magnifiques réunions de Milan, de 
Rome, de Gênes, etc., et lit les adhésions des députés Del Balzo, 
Pavia, Marquis Biscarelli di Ruffia, G. Baroncelli, ancien mi- 
nistre, du Pr Sergi, des avocats Mirabelli, Pansini, etc., et les 
lettres de 

M. BOSSI 
Député. 

Gênes, 22 octobre igoS. 

Je suis très mortifié de ne pas pouvoir être présent à la réunion 
du 25, à cause d'une très sérieuse circonstance personnelle im- 
prévue ; quelle que soit la décision que vous prendrez, je vous 
donne d'avance mon adhésion. 

M. h:. T. MONETA 
Président de l'Union Lombarde pour la Paix. 

19 octobre igoS. 
Il m'est impossible de venir à Paris en ce moment ; un très 
grand deuil de famille et Ténorme travail de la Vita Interna^ionaie 



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— MI — 

m'en empêchent; mais je crois que nous ne sommes pas loin 
d'aboutir à quelques bons résultats pour la cause que vous et 
Quillard servez avec tant de dévotion. Après Tunion cimeniée 
aujourd'hui si heureusement entre la France et Tltalie, et après le 
traité d'arbitrage franco-britannique, nous avons droit d'espérer 
que cette entente cordiale des trois nations les plus libérales d'Eu- 
rope pourra et devra exercer sa bonne influence dans la politique 
extérieure, principalement dans l'intérêt des populations armé- 
niennes et macédoniennes, envers lesquelles l'Europe a des 
obligations positives et anciennes. 

Si le groupe interparlementaire, duquel M, d'Estournelîesest 
l'âme, prend une initiative dans ce sens, je suis sur que Tlialie le 
suivra sans retard. 

Enfin, M. de Pressensé lit une lettre très énergique de : 

M. H. LA FONTAINE 

Sénateur de Belgique. 

Ce 23 octobre 190$, 

J'ai mille regrets de n'être pas parmi vous le jour où vous 
élèverez, une fois de plus, votre juste et énergique proiestaiion 
contre la lâcheté des gouvernements qui laissent en Arménie et en 
Macédoine se perpétuer les pires excès. Armés jusqu'aux dents, 
vingt fois plus torts dans leur ensemble que le Sultan Rouge, ies 
États civilisés se taisent ou s'abstiennent. Pourquoi avoir exigé des 
peuples des sacrifices qui se chiffrent par des milliards, et ne pas 
mettre les cuirassés et les canons au service, sinon du droit, du 
moins de la pitié ? 

Et nul n'en ignore, c'est parce que les ministres et les diplo- 
mates se défient les uns des autres, à l'insu et malgré la volonté 
des peuples, que tout cet outillage guerrier, demeure inutile et 
inerte. 

Il est bon qu'il soit dit aux diplomates et aux princes, que leur 
duplicité et leurs convoitises écœurent jusqu'au vomissement les 
gens honnêtes et francs. Il est bon surtout qu'on les cloue au 

ï7 



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— 242 — 

pilori et qu'on crie aux foules prévenues ou aveuglées : « Voilà 
les complices des assassins! » 

C'est ce que j'aurais voulu crier avec vous, de toute la force de 
mon mépris. (Vifs applaudissements,) 

Puis, commencent les discours : 

M. F. DE PRESSENSÉ 

Mesdames, Citoyens, 

Nous vous avons convoqués ici aujourd'hui pour continuer, ou 
plutôt pour reprendre la campagne que nous avons ouverte il y a huit 
mois au Château-d'Eau. C'était la France, alors, qui avait pris Tinitiative 
du mouvement; nous avions tenu à donner à celle-ci un caractère 
qui la mît en dehors et au-dessus des partis. Aujourd'hui nous avons 
tenu à donner à celle-ci un caractère international ; c'est pour cela que 
nous avons fait appel à quelques-uns des hommes généreux qui, dans 
les pays de l'Occident ont compris le devoir et l'intérêt des amis de la 
civilisation et de la paix. 

Il y a huit mois, quand nous vous rassemblions, la situation était de 
celles qui offensent l'humanité et qui préoccupent aussi les esprits poli- 
tiques. Il se trouvait toute une région de l'empire turc qui, après avoir 
souffert pendant des siècles sous le régime de l'oppression et de la con- 
quête ottomane se trouvait à la veille de succomber sous le régime hami- 
dien. Les Macédoniens avaient conçu de grandes espérances au moment 
du traité de San-Stefano, et on leur avait conféré au Congrès de Berlin 
des commencements ou des semblants de droits. Depuis lors ils avaient 
assisté, non pas seulement à la ruine de ces espérances, à la destruction 
de ces droits, mais encore, on peut le dire, à l'assassinat méthodique de 
toute la population ; et les progrès mêmes, les progrès matériels 
moraux qu'ils avaient accompli héroïquement en face de leurs oppres- 
seurs avaient en quelque sorte surexcité, exalté la haine de leur tyran. 
Abdul-Hamid avait lâché ses Arnautes en Macédoine comme jadis ses 
Kurdes en Arménie. 

A ce moment la diplomatie avait dû faire semblant de sortir de son 
inertie; nous avions vue la Russie et l'Autriche revendiquer une sorte 



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-243- 

de droit à agir — ou à ne rien faire — comme mandataires de l'Europe 
tout entière. Dès ce moment nous avions protesté contre ce qui nous 
semblait une abdication des puissances occidentales; nous avions 
déclaré qu'il ne nous semblait pas que les intérêts de la Russie et de 
l'Autriche fussent identiques avec l'intérêt des populations indigènes, 
avec l'intérêt de l'Europe; nous avions osé prédire que ce n'était pas 
tant la priorité de l'action que revendiquaient la Russie ei TAuiriche, 
que le privilège et le monopole de l'inaction; nous avions critiqué aussi 
le plan de réformes que Ton nous présentait, en déclarant que toui cela 
de même que tant de constitutions admirables mort-nées en Turquie, et 
dont les débris jonchent le sol, ne valait pas le papier sur lequel cela 
était écrit; qu'il n'y avait que deux points essentiels, deux points sans 
lesquels rien ne se ferait, avec lesquels, au contraire, tout serait gagné : 
la nomination d'un gouverneur soustrait à l'autorité de Yildiz Kiask et 
l'institution d'un contrôle européen effectif. 

Ce que nous avions dit à ce moment, les prophéties auxquelles nous 
avions cru pouvoir nous livrer, elles n'ont été que trop confirmées par 
ce qui s'est passé depuis lors. Je ne vous retracerai pas la terrible histoire 
de ces événements; l'insurrection, elle n'a pas seulement persisté, elle a 
redoublé; elle s'est étendue, elle a doublé de force après la moisson. La 
répression est devenue plus furieuse que jamais. Dans les vilayeis de 
Kossovo, de Monastir et d'Andrinople, dans toute la région montagneuse 
qui sert de frontière à la principauté de Bulgarie, ce sont des centaines 
de villages détruits, incendiés, des femmes, des vieillards, des enfants 
qui ont été massacrés en masse, torturés, violés, des réfugiés qui ont été 
pourchassés et traqués. 

La Porte a osé niera certains moments; à d'autres elle a prétendu 
-qu'il s'agissait simplement de quelques excès individuels de ceriains 
soudards indisciplinés; elle a même eu l'audace d'attirer Taiteniion sur 
la façon dont elle aurait tenté d'appliquer ses prétendues réformes, et 
de nous parler de la bonne volonté de son inspecteur Hussein Themy: 
elle a essayé de détourner le courant des sympathies européennes en 
accusant les insurgés de commettre tous les excès. En vérité, je dois le 
dire, la seule chose qui m'étonne, quant à moi, c'est que, après une 
oppression séculaire de ce genre, en présence des atrocités auxquelles 
nous assistons, les représailles ne soient pas plus générales ei plu^ 
fortes. 

Depuis ce moment, on peut le dire, le pandémonium a été déchaîné 



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— ^44 — 

en Macédomei U Russie et TAutriche qui, pendant des mois entiers, 
avaient feJnL de se contenter de leur prétendu programme de février, 
ont dû ^e^:onQaU^e que la situation était dangereuse, et qu'il fallait 
aviser. Nous avons vu alors les empereurs et les ministres se rencontrer 
à Murzieg, en Styrie. 11 y a eu de grandes chasses ; il y a de grands 
dîners, et on dit même qu'il y a eu dans l'intervalle de ces fonctions 
de cour^ quelquii'*^ entretiens portant sur la question mai:édonienne. 
Mais ces empereurs et ces ministres ont persisté à déclarer qu'ils étaient 
très satisfaits de ce qu'ils avaient fait ; qu'en somme ils avaient mis là 
question en bonne voie, et qu'il s'agissait purement et simplement de 
légères modifications, de quelques petites retouches de détail. 

Au moment même où ils tenaient ce langage, ils continuaient d'adresser 
des menaces consrantes à la Bulgarie et ils prétendaient aussi s'entre- 
tenir avec le Sultan et lui donner de sévères admonestations, des con- 
seils unies. On a annoncé, dans la presse officieuse, que des instruc- 
tions nouvelles avaient été données aux ambassadeurs d'Autriche et de 
Russie à Gonstantinople, qui allaient se présenter au Sultan et lui 
signifier une sorte d'ultimatum. 

Les jours se sont passés; les semaines se sont écoulées, et ce n'est 
qu'il y a deux jours que cette entrevue a eu lieu, et rien ne nous indique 
jusqu'ici que la conversation ait eu lieu ou, si elle l'a été, qu'elle doive 
porter des fruits dans les termes annoncés. 

Comme à ce moment même l'Angleterre avait manifesté le désir de 
voir corser et renforcer un peu le programme de l'action austro-russe, 
on a eu le front de lui répondre qu'on était parfaitement d'accord avec 
elle, quil ne s'agissait tout au plus que de nuances, et en avoir assez 
fait en balbutiant dans les coins ce mot de contrôle qu'il faudrait pro- 
noncer sur un ton impérieux et dont il faudrait obtenir la réalisation 
immédiate. Nous nous demandons à l'heure actuelle, en présence de 
cette longue comédie, si toutes ces tergiversations, ces atermoiements 
ne font pas partie d'un plan arrêté, si on n'attend pas une fois de plus 
l'hiver comme une délivrance. On se promet que Thiver verra les bandes 
se disperser et la paix, la paix du Sultan, reparaître en Macédoine. C'est 
un calcul misérable et c'est un calcul complètement faux. L'expérience 
nous montre qu'au cours de l'année 1902 les bandes ne se sont pas 
toutes dispersées en hiver; quelques-unes ont continué : plusieurs ne 
désarmeront pas en igoS. Et, d'autre part, c'est précisément pendant 
cette espèce de trêve du désespoir, quand la bataille avait cessé quc £.e 



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-245- 

sont produits les plus grands, les plus terribles aiicnlaîs contre l'hum;)^ 
nité. C'est à ce moment qu'ont commencé les visites domiciliaires, 
sous prétexte de recherches d'armes, c'est-à-dire le viol, l'assassinat 
systématique. 

La question pour l'Europe c'est de savoir si elle veut rester la com- 
plice tacite de ces grands crimes. J'essaierai de vous montrer tout h 
l'heure que la diplomatie elle-même, à l'heure actuelle^ reconnaît qu'il 
dépend d'un accord qui s'établirait sur des points spéciaux entre la 
France, l'Angleterre et l'Italie, de conjurer ces maux et de mettre un 
terme à ce scandale. Cet accord il est possible, il est donc nécessaire. 

Il s'est produit, en effet, depuis quelque temps un fait nouveau que 
nous n'avons pas seulement le droit d'enregistrer et de saluer avec joie, 
mais dont nous avons le droit de tirer parti. Nous avons vu la France 
et l'Angleterre reconnaître que, sans doute, sur tous les points du globe 
où elles se trouvent en contact, elles peuvent avoir des intérêts différents 
à certains moments, que, par conséquent, il peut surgir entre elles des 
litiges, voire des conflits, mais qu'il n'y a nulle part de raison pour se 
laisser entraîner jusqu'à la rupture ; l'expérience leur a appris que chaque 
fois qu'il existe entre la France et l'Angleterre unt; brouille durable, une 
éclipse prolongée de leur entente cordiale, ce n*est pas seulement au 
détriment de leurs intérêts, mais c'est pour le plus grand dommage de 
l'humanité et de la civilisation. (Approbation.) 

Nous avions assisté, je dirai avec scandale autant qu*avec mépris 
pendant un certain temps, au spectacle que nous donnait par exemple 
le parti nationaliste, quand il réprouvait, quand il attaquait avec une 
amertume singulière, chez les Anglais, ce qu'il approuvait chez nous, 
ce dont il demande l'accomplissement perpétuel chez nous. 

A l'heure actuelle, les peuples ont parlé; ils ont déclaré qu'ils enten- 
daient que ce rapprochement se produisît; nous avons vu se produire 
en conséquence un certain nombre de manifestations officielles qui 
n'ont fait qu'enregistrer et accentuer ce rapprochemeutn 

En même temps, l'Italie et la France découvraient qu'on avait ex- 
ploité contre elles-mêmes leurs passions, qu'on avait essayé de créer entre 
elles des animosités artificielles, et que c'était ds^m des vues égoïstes et 
contraires à leurs intérêts primordiaux. Elles sont faîtes pour s'entendre, 
pour marcher la main dans la main ; elles l'ont reconnu ; i l'heure 
actuelle, les deux peuples n'admettraient plus le retour offensif de la 
politique crispinienne. 



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— 2^() — 

Ces événements ont profondément modifié l'état diplomatique de 
l'Europe; sans détruire les combinaisons existantes, elles leur ont 
enlevé leur rigidité et leur étroitesse * elles nous ont donné de Pair au 
sein de la Triplice comme de la Duplice; il dépend de nous aujourd'hui 
que cet accord franco-anglo-italien produise ses premiers fruits que ce 
soit sur le terrain de la question de Macédoine et que cette nouvelle 
entente démocratique des peuples d'Occident s'affirme par des bienfaits 
comme une institution de progrès et l'esquisse de la grande fédération 
internationale de demain. 

Je dirai que l'Angleterre, à ce propos, nous a offert un exemple bien 
utile. Je sais bien que les Anglais ont fait depuis longtemps l'apprentis- 
sage de la liberté; je sais bien qu'un peuple qui a eu un Gladstone,, cet 
homme d'Etat qui, à lui tout seul s'est élevé contre la politique d'un 
ministère tout puissant, et, quand il était déjà septuagénaire, dans son 
admirable campagne du Midlothian, a arrêté son pays sur une pente 
dangereuse et l'a converti à une politique plus conforme à la raison et à 
la justice, qu'un tel pays jouit d'un privilège considérable. Mais, enfin, 
Gladstone n'est plus. Npus avons vu dans une de ces grandes réunions 
convoquées à Saint-James-Hall, où s'étaient rendus les représentants de 
tous les partis, de toutes les sectes, de toutes les classes, le président de 
ce meeting, l'évéque anglican de Worcester, s'écrier éloquemment : Ahl 
si pour une demi-heure Gladstone pouvait revivre! Et ce meeting même 
montrait après tout qu'on peut faire son devoir et obtenir de grands, de 
prompts résultats, même quand Gladstone n'est plus là. 

On a vu se tenir ainsi d'un bout à l'autre du Royaume-Uni, près de 
deux cents meetings en deux mois. On a agité l'opinion tout entière 
sans distinction de parti. De grands journaux, avec lesquels il faut bien 
le dire, nous ne sommes pas toujours, pas même fréquemment, en 
sympathie d'opinions, comme le Times par exemple, ont pris à cœur 
de faire leur devoir et d'insérer une série de correspondances tout à fait 
instructives, décisives même sur les événements de Macédoine et de 
Bulgarie. Le Daily News renouvelant ce qu'il avait déjà fait en 1876, 
envoyait un commissaire spécial en Bulgarie et en Macédoine et réveillait 
par ses correspondances les ardeurs assoupies de l'opinion anglaise. 
Enfin un homme, que nous avons l'honneur de posséder aujourd'hui 
au milieu de nous, M. Evans, qui n'est pas seulement un archéologue 
éminent, qui ne se contente pas d'arracher au sol le passé, et de mettre 
au jour, de faire revivre en Crète, à Knossos, dans le palais de Minos, 



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— 247 — 

une civilisation antérieure et supérieure à celle de Mjxènes et de Troie, 
mais qui est l'homme du droit et de la liberté, et qui s'est toujours 
occupé avec passion de ces causes pour lesquelles W a soutfen l'empri- 
sonnement en Turquie, M. Evans a publié dans le Times un réquisi- 
toire accablant contre la politique hamidienne. Lord Lansdowne est 
ministre d'un pays libre, et qui a les mœurs de la liberté. Encore qu'il 
ait à côté de lui en la personne du premier ministre un éternel amateur 
qui se livre à des sophismes élégants, qui sacrifierait à un paradoxe 
ingénieux la vie de malheureuses créatures humaines, encore que 
M. Balfour ait écrit à Tarchevêque de Cantorbéry une lettre suprême- 
ment dangereuse, espèce de semi-plaidoyer pour le Sultan. iV\. Lans- 
downe n*a pas hésité à rédiger sa dépêche du 25 septembre; il a repris ei 
a développé les réserves faites par lui en février dernier; il a déclaré que 
l'Angleterre ne pouvait considérer le programme de I Autriche et de !a 
Russie comme suffisant; il a prononcé, bien timidemeni encore, mais 
enfin il a prononcé le mot décisif de contrôle. 

Nous sommes rassemblés ici aujourd'hui pour apporter notre appui 
à l'œuvre entreprise en Angleterre pour commencer une campagne 
afin d'obtenir que l'opinion française se prononce irrévocablement 
son tour sur ces deux points : le contrôle et la nomination d'un gouver- 
neur soustrait à Abdul-Hamid. En vérité, nous demandons là peu de 
chose; je suis presque efifrayé de notre modération, nous ne demandons 
pas même l'application intégrale de ce traité de Berlin, dans ses anicies 
23 et 6i, qui est, après tout, la chartre de l'empire ottoman^ Tunique 
fondement juridique du statu quo en Orient; nous nous contentons 
modestement de ces deux points; et nous répondons par là même suffi- 
samment aux attaques de mauvaise foi que l'on dirige contre nous* 

Il y a des gens qui prétendent qu'en faisant ce que nous faisons, 
nous servons la politique proprement moscovite en Orient. Singulière 
erreur; et ce sont vraiment des gens endormis depuis aS ans, qui n'ont 
pas vu ce qui s'est passé depuis lors : que la Russie, au moment du 
traité de San Stefano, voulait créer une grande Bulgarie, mais que, 
depuis qu'elle a vu que la Bulgarie n'entendait pas être à sa disposition, 
entrer dans sa clientèle, servir ses fins, elle a changé son fusil d'épaule, 
et depuis lors la Bulgarie n'a pas eu de pire ennemi, ce qui vous explique 
qu'à l'heure actuelle la Macédoine n'ait pas d'ami plus tiède* 

D'autre part, est-ce que nous visons le démembrement de l'Empire 
ottoman ? L'intégrité de l'Empire ottoman, ce n'est pas pour nous un 



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— 248 — 

dogme, pas plus que rintégrilé d'aucun autre empire ici-bas... (appro- 
bation) mais précisément, partisans de Tintégrité de l'empire ottoman, 
nous le sommes en ce moment, parce que nous croyons bien qu'on 
n'obtiendra cette intégrité qu'en en faisant faire les frais par l'indépen- 
dance du Grand-Turc, sans rien livrer — sol ou peuple — à une puis- 
sance étrangère, sans permettre à des convoitises du dehors de s'empa- 
rer de îa Macédoine. Nous voulons simplement, qu'on assure à ces 
malheureuses populations les garanties élémentaires sans lesquelles il 
est impossible de vivre, et ce, en dehors desquelles la vieille société 
n*ést qu'un brigandage, et le gouvernement qu'un chef de voleurs. 

El nous trouvons qu'il est véritablement bien étrange que la diplo- 
matie occidentale, à l'heure actuelle, ait confié le mandat de la repré- 
senter à qui? Aux deux seules puissances qui peuvent être soupçonnées 
d*avoîr des convoitises particulières sur ces régions : la Russie et l'Au- 
triche, dont l'une n*a jamais cessé de songer à ce fameux chemin de 
Salonique, et dont l'autre a des aspirations séculaires vers la Méditer- 
ranée. 

Tout â rheure, je vous lisais la lettre de M. Bréal ; vous avez été 
frappés de ce qu'il y avait d'étrange et de scandaleux dans l'attitude 
actut^ile de la Grèce. En effet, on a essayé de faire croire que ceux qui 
luttent pour obtenir pour toutes les populations de la Macédoine, 
depuis les Osmanlis jusqu'aux Albanais, les garanties élémentaires de a 
vie étaient purement et simplement des bulgarophiles et que nous vou 
Ions établir la prépondérance de je ne sais quel élément sur les autres 
races qui se partagent le sol de la Macédoine. 

H n'en est rien, et si convaincu que je sois que l'élément bulgare est 
en majorité et grande majorité en Macédoine, ce que je veux, ce que 
nous voulons, c'est un état de choses également juste pour toutes es 
races qui se partagent ce pays. Et nous avons le droit de nous tourner 
vers la Grèce et de lui dire : Quelle étrange, quelle lamentable conduite l 
Vous, les héritiers d'un grand passé, comment oubliez-vous que ce 
n'est pas seulement aux sympathies européennes, mais à la révolte et à 
la révolution que vous devez votre indépendance que les plus sublimes 
héros des luttes de votre indépendance nationale n'étaient aux yeux des 
hommes d'ordre et de conservation, que des brigands comme ceux que 
vous gratifiez de ce nom en Macédoine. {Vive approbation,) 

Notre programme est donc singulièrement modeste; notre pro- 
gramme est donc singulièrement pratique. Ce que nous vous deman- 



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— 249 — 

dons aujourd'hui, ce que des hommes éminents venus des divers pays 
de l'Europe libérale sont venus demander avec nous, c'est purement et 
simplement d'obtenir des trois grandes puissances libérales de l'Occident, 
des trois grandes démocraties qui se gouvernent elles-mêmes, et qui 
peuvent, quand elles s'entendent servir efficacement la cause du pro- 
grès, qu'elles veuillent bien, par une action commune, demander la 
nomination d'un gouverneur autonome et l'établissement du contrôle 
Et si on vient nous dire : faites attention, vous êtes des hommes de 
paix, et pourtant vous prêchez la guerre; vous allez nous mettre en 
face d'un conflit dangereux... On sait bien qu'il n'en est rien. Je ne 
parlerai pas des précédents; je ne me demanderai pas comment il se fait 
que Ton éprouve des scrupules si grands quand il s'agit d'une manifes- 
tation de ce genre pour le droit et l'humanité, alors que l'on ne les 
ressentait pas quand il s'agissait de braquer des canons sur un port 
turc, afin d'obtenir le paiement de je ne sais quelles créances levantines 
plus ou moins véreuses. (Applaudissements.) 

Mais cette réponse ne me suffit pas. Quant à moi je suis intimement 
convaincu que nous ne bravons pas la guerre ; que, sans doute, 'e 
Sultan ne cédera qu'à la menace, mais qu'il cédera à la première menace. 
Des précédents sont là pour le montrer; ses intérêts sont là qui le lui 
commandent; sa loi religieuse aussi est là qui le lui commande. 

Si vous craignez maintenant la guerre, il n'y a qu'un moyen de 
l'éviter : c'est de ne pas se laisser se prolonger et se perpétuer ce que 
j'appellerai cet état d'encombrante inaction de l'Autriche et de la Russie; 
c'est au contraire de poser directement et efficacement à Constantinop'e 
les questions que je viens de poser devant vous. Si nous ne le fais(»iis 
pas, nous courons un risque plus grand encore que celui de déchaîner 
la guerre. Elle serait sans doute inévitable parce que, ne l'oublions pas, 
la Bulgarie ne peut éternellement supporter les frais de l'enlretiei^. des 
réfugiés; la Bulgarie ne peut, sans trahir sa destinée et se suicider cnc- 
même, laisser noyer dans le sang les revendications de ses frères de race 
de l'autre côté de la frontière. Et d'ailleurs est-ce que la Turquie elle- 
même ne s'imagine pas qu'elle peut avoir un intérêt à engager cette 
lutte inégale avec la petite principauté ? Est-ce que nous n'avons p.is 
vu des empiétements, des usurpations, des violations de frontières répé- 
tées de ce côté ? Donc, si les choses demeurent en l'état, la guerre est 
probable, plus que cela : certaine. Mais il y a quelque chose de plus. 
Nous avons assisté dans ces dix dernières années à une effroyable 



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— 25o — 

ijanqueroute morale : la banqueroute de la diplomatie européenne au 
moment des massacres arméniens. Ce ne sont pas là des défaillances 
seulement politiques ; elles sont morales, et elles se paient tôt ou tard. 
Nous avons commencé à payer la faillite de la conscience européenne 
dans les affaires d'Arménie au moment de la guerre greco-turque. Si 
nous laissons se renouveler ce scandale en Macédoine, nous le paierons 
plus cher encore. Nous n'aurons pas même acheté, au prix de cet 
attentat contre l'humanité une paix précaire et misérable, nous aurons 
déplus démontré à tout jamais que la civilisation à l'heure actuelle, 
elle n'est, pour les gouvernements et pour les peuples qu'un manteau 
hypocrite pour les jeux de la force l (Approbation.) Nous aurons 
démontré que le droit des gens n'existe pas, et nous aurons démontré, 
jce qui devrait être un paradoxe pour l'humanité moderne, que celui 
qui a eu raison contre l'Europe, contre la conscience humaine, c'est 
Abdul-Hamid, le grand Assassin I (Vifs applaudissements.) 

M. PIERRE QUILLARD 

Mesdames, Citoyens, 

En lisant les affiches qui vous convoquaient à la réunion d'aujour- 
d'hui, en faveur de tous les opprimés de Turquie, vous avez peut-être 
éprouvé quelque étonnement. Les atrocités les plus récentes sont sur- 
tout présentes à vos imaginations, et vos journaux, — quand ils n'étaient 
pas payés par l'ambassade ottomane, — vous ont entretenus des 
atrocités de Macédoine. Vous avez dû penser que, préoccupée sur- 
tout d'exterminer par le fer et par le feu l'élément chrétien de Macédoine, 
Sa Majesté Impériale Abd-ul-Hamid, Ombre de Dieu, laissait quelque 
répit au reste de ses sujets. 

C'est une erreur, citoyens. Sa Majesté Impériale peut suffire à une 
•double et à une triple besogne. Dans ses nuits d'insomnie, dans ses 
nuits de terreur et de fièvre, Sa Majesté Impériale peut réfléchir et tra- 
vailler à l'œuvre universelle de meurtre; et la petite main blanche dont 
un ancien ministre français vantait la finesse aristocratique, peut faire le 
geste de mort à l'est et à l'ouest de son empire; elle est sûre qu'elle 
sera toujours obéie. Albanais, Arabes, Turcs, Serbes, Bulgares, Armé- 
niens, il n'y a pas un peuple en Turquie où cette petite main n'an 
désigné de nombreuses victimes. 



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^^'.Uf- 



— 25l — 

Il n'y a pas en Turquie une province, il n*y a pas une ville, H n'y a 
pas une misérable bourgade, où on ne puisse dire : Ici Ton tue par ordre 
impérial. Cependant, il y a des peuples que le Sultan poursuit d'une 
•haine plus implacable et plus tenace, et ce sont précistîment ces peuples 
auxquels PEurope, dans un traité solennel et dérisoire, avait assuré, il y 
a quelque vingt-cinq ans le droit à la sécurité et à la liberté. En ce mo* 
ment il y a deux peuples qui, en dépit des articles 23 et 6r du traité de 
Berlin qui leur assurait protection, sont en voie d'extermination totale : 
les Arméniens et les Macédoniens. D'autres orateurs vous diront ce qui 
se passe en Macédoine; j'essaierai très brièvement de vous exposer 
-quelle est la situation actuelle de l'Arménie. 

En l'absence de nos maigres livres jaunes, en l'absence des copieux 
livres bleus que le gouvernement anglais distribue au parlement, je ^erai 
obligé de m'appuyer uniquement sur des rapports officiels et sur des 
<:orrespondances privées adressées à Pro Armenia. Mais je vous terai 
Temarquer que le ministre français des affaires étrangères, lors de l'inter- 
pellation Rouanet, a reconnu l'exactitude et l'authenticité de ces docu- 
ments. Nous pouvons donc les considérer comme valables. 

Sans doute, depuis le moment où, après trois jours de tuerie dans 
les rues mêmes de Constantinople la sensibilité des ambassadeurs euro^ 
fpéens s'émut, et où ils interdirent au Sultan de tuer plus ouire^ deputf 
•ce moment, les grands massacres ont cessé. Mais 3oo,ooo Arméniens 
seulement avaient été égorgés. Il reste encore des Arméniens, et à i« 
période des grandes tueries on a fait succéder une autre période; on 
applique une méthode plus lente, plus sournoise, mais aussi sûre; Ie 
méthode que, par euphémisme diplomatique on appelle dans les parle 
ments : « le régime des assassinats isolés ». 

Je vais essayer de vous donner le plus brièvement possible et seule^ 
ment par têtes de chapitre,, un aperçu de ce qu'est ce régime des assas- 
sinats isolés. 

L'Arménien, en terre turque, n'a pas, bien entendu, le droit de porter 
des armes; et par armes on entend non-seulement un fusil ou un sabre, 
mais encore un couteau de cuisine trop long, ou un bâton assez fort 
pour écarter les chiens et les serviteurs du Sultan. L'Arménien, en pays 
turc, n'a pas non plus le droit de circuler; et vous entendez bien qu'il 
ne s'agit pas seulement du droit de circuler à l'étranger; d'aller de Tur- 
quie en Europe, non; interdiction de circuler de province â prov'ncL% de 
ville à ville, de village à village, et Vous allez voir à quoi cela aboutit. 



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— 252 — 

Une partie de la population arménienne, la plus grande partie, est 
une population agricole. Dans certains vilayets, à des dates déterminées, 
on organise la famine; on accapare les blés; l'hiver venu les routes scni 
impraticables, et le paysan arménien doit mourir là même où il a plu à 
son maître d'assigner une place à son cadavre. 

Ceux des Arméniens qui ne sont point des agriculteurs, sont, pour ia. 
pîupan, de petits artisans, des gens de petits métiers. Beaucoup d'entre 
eux ont la coutume d'émigrer vers les villes; ils sont un peu comme 
nos maçons Limousins qui viennent travailler à Paris pendant Tété et 
qui, Phiver, rentrent chez eux. Il en est de même pour les Arméniens soit 
que leur émigration soit temporaire, soit qu'elle dure quelques années. 
Vous comprenez que si on interdit à ces gens de circuler, on leur interdit 
de vivrcj on les condamne à mort d'une autre façon. 

Après l'interdiction de circuler, il y a, comme moyen d'extermi- 
nation, la perception des impôts, le fisc. Il est toujours très difficile au 
contribuable de résister si peu que ce soit au gouvernement. Mais en 
Turquie c'est infiniment plus difficile qu'ailleurs. Voici comment se 
praiîque la perception des impôts. 

Une quinzaine d'individus à cheval, bien armés, s'installent dans un 
village arménien, où personne n'a d'armes, où personne ne peut se 
défendre. Us s'installent chez l'habitant, et ils perçoivent l'impôt; il y a 
deï colonels de cavalerie hamidié, — c'est une cavalerie régulière qui 
porte le nom du Sultan et mérite de le porter, — qui sont fermiers des 
impôts; ils s'installent chez le paysan, et nous avons non pas une, mais 
cinquanie correspondances diplomatiques qui nous disent ce qui se 
passe. Les hommes sont battus, torturés, on leur barbouille la figure 
d'eAcrëments, les femmes, les enfants, on les viole. Les paysans alors 
paient ['impôt, une fois, deux fois, trois fois, parce que, après le fisc 
officiel viennent les brigands non patentés. L'Arménien, tant bien que 
mal paie deux fois, trois fois, quatre fois l'impôt. Mais il n'est pas 
quitte. 11 a encore affaire avec deux organisations qui, en tous pays sont 
des puissances redoutables : il a affaire avec la police et avec la justice. 
La police, vous pouvez imaginer par ce qu'elle est dans les pays civil 
îîsés, ce qu'elle peut être dans le pays d'Abdul-Hamid. (Approbation,) 
Cela consiste surtout à faire des perquisitions pour chercher des armes 
et des révolutionnaires chez des gens qui n'ont jamais eu d'armes et qui 
n*onî jamais caché de révolutionnaires. En réalité cela sert à se faire 
donner un pourboire, un bakchich, par l'habitant et si l'habitant est 



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un peu récalcitrant, s'il ne donne pas le bakchich assez vite, il y a des 
moyens, qui ne sont pas prévus par le Code... La Turquie a à pvu 
près le même Code pénal et le même Code civil que celui de la France 
et des pays dits civilisés; il y a donc des moyens qui ne sont pas 
prévus par le Code, comme la torture ; et quel genre de torture! 
Jaurès en a pu rappeler un cas à la Chambre, montrant comment 
on obtient des aveux. On prend Thomme, on lui fait un peiii 
trou dans le crâne, et on applique là-dessus une coquUle de noix pleine 
de poux vivants; puis, quand le malheureux se trouve mal OD le récon* 
forte avec un peu d'alcool, afin qu'il ait la force d'avouer. Cela a i'air 
d'une chose épouvantable mais imaginaire. Jaurès Ta cité à la Chambre 
d'après le Livre Bleu, et le ministre d'alors, qui s'appelait quelque 
chose comme Gabriel Hanotaux {rires et applaudissements)... n'a pas 
rétorqué l'argument; il l'a tenu pour authentique ti valable. 

En ce moment même un grand procès se préparc à JCharpout; on a 
inventé une conspiration; le chef comptable, le colonel ei un vague 
gouverneur se sont dit un jour qu'il fallait faire chanter les Arméniens» 
et leui extorquer un peu d'argent. On a arrêté deux pauvres diables ; 
on a trouvé, ou mis chez eux, quatre vieux fusils. En réalité, c'étaient 
des gens qui s'occupaient de faire émigrer les Arméniens. Immédiate^ 
ment grande conspiration. Après ces deux-là on en a arrêté cinquante- 
huit autres. Cela fait soixante. On met les soixante en prison, sur les- 
quels on en garde trente-six seulement, auxquels on fait avouer des 
crimes imaginaires par le moyen de la torture. 

Ces malheureux ont demandé à montrer les cicatrices de leurs bles- 
sures à des médecins. « Parfaitement, leur a-t-on répondu ; nous sommes 
un gouvernement civilisé et libéral; nous vous montrerons aux méde- 
cins î>. Mais on ne les a montré aux médecins que près de trois mois 
après, quand les cicatrices étaient effacées. Cela est enregistré dans des 
documents diplomatiques par les consuls d'Angleterre et d'Amérique, 
Après cela, on a pu continuer l'enquête loyale et libre et le substitut, 
après trois heures d'examen pour les trente-six dossiers, a jugé que c^s 
hommes étaient coupables du crime de lèse majesté ; on k^s a renvoyés 
devant les tribunaux ; ils seront très certainement condamnés à mon et 
très probablement pendus, si vous ne nous aidez pas à les sauver*. 
(Approbation et applaudissements). Je crois, citoyens, qu*il voudrait 
mieux s'abstenir d'applaudir au récit de telles horreurs ; nous aurions 
presque l'air d'admirer le génie du crime chez ce sultan et i:hez les gens 
à son service. 



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— 254 — 

Quand l'Arménien a échappé tant bien que mal à la police, que 
fait-on? Alors intervient un système d'éviction économique qui me 
semble admirable. 

Je vous ai dit que le paysan n'avait pas d'armes et qu'il était inca- 
piMe de se défendre. A côté de l'Arménien habitent, au contraire, des- 
populations extrèmemoit guerrières, des hommes armés jusqu'aux 
dents : quelques Kurdes, des Tcherkesses, tous individus qui manient 
également bien le fusil, le poignard on la matraque. Le Kurde est le 
seigneur de l'Arménien : il importe que l'homme l« plus fort soit le 
seigneur de l'homme le plus faible. 

Le seigneur kurde, comme on dit ailleurs le seigneur tigre. Tient 
s'installer dans un village arménien, à sa convenance. Il loge chez ses 
bons amis. Il s'empare de leurs terres ; il s'en empare simplement en 
faisant mettre le propriétaire en prison, et pendant ce temps « il achète » 
les terres; quand le malheureux sort, ses terres se trouvent achetées à bas 
prix ou pour rien du tout. Ou bien le seigneur pratique l'usure ; bref, il 
arrive à évincer entièrement les anciens propriétaires, et cela fait, le sei- 
gneur invite le paysan à travailler comme serf sur les terres qui lui 
appartenaient auparavant. Bien entendu, l'Arménien doit, en outre, 
construire gratuitement une maison, des routes pour le seigneur kurde 
et lui donner par dessus le marché, s'il plaît au seigneur, sa femme ou 
sa fille. 

Cela ne suffirait pas. L'Arménien survivrait ainsi, ne fût-ce qu'à 
l'état de serf. C'est alors qu'intervient l'ingénieux système, le régime 
connu et qui ne scandalise pas trop la diplomatie : le régime des assas- 
sinats isolés. On tue alors l'Arménien. 

Voici une correspondance du mois de juillet dernier; il s'agit de faits 
tous relatifs à la plaine de Moush : 

Artert [Plaine de Moush), — Hilo Minoyan, âgé de cinquante ans, 
a été tué pendant qu'il travaillait aux champs, par le Kurde Ahmed ben 
Guedjémi. 

Ard^ouik (District de Pernachen), — Kirké Bedrossian a été tué 
par les Kurdes de la tribu de Chégo. 

Sinamerk {Plaine de Moush). — Thomas Vartanian, âgé de vingt- 
quatre ans, a été tué par les Kurdes Ramo, Sils, Mahmed et Flit, du 
village Dampeli, qui ont en sus emporté vingt moutons. 

Ziaret {Plaine de Moush). — Les Kurdes Adamzadé, de Bigedif, 
ont tué Setrak Avoyan, âgé de trente ans. 



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— 255 — 

Pickoud (District de Pernachen). — Agop Houveyan a été tué par 
le Kurde Haidar ben Chipo, de la tribu Balali. 

Cela c'est pour un tout petit pays, et pour une semaine environ. On 
ne donne pas de grands détails sur ces assassinats ; il y en a cependant 
qui sont commis avec de tels raffinements de cruauté que je ne les rap- 
porterais pas si je n'étais sûr, comme je vous Tai dit, de mes sources. 
Voici un cas : le 12 septembre, Thomas Manoukian a été cerné dans 
sa maison par les Kurdes. Son domestique court en informer sa mère. 
Mais toutes les sollicitations furent inutiles; les Kurdes prétendent 
qu'ils agissent par ordre et qu'ils doivent tuer les Arméniens. Thomas 
Manoukian fut pris ; sa mère eut le ventre arraché, le domestique fut 
tué, la maison fut ensuite pillée. Les autorités ont laissé libres les Kurdes 
et arrêté les Arméniens comme auteurs du crime; parce que c'est 
encore une particularité à signaler : quand des Arméniens ont été assas- 
sinés par des Kurdes, on dit qu'ils l'ont été par des Arméniens déguisés 
en Kurdes, et c'est une raison de plus pour arrêter quelques malheureux 
et les tuer au besoin. Quant à l'Europe, elle n'a pas dépassé cet état 
d'esprit : nous n'avons pas à intervenir ; il ne s'agit que d'assassinats 
isolés. Mais cela va quelquefois plus loin. A d'autres moments, 
sa Majesté se dit : « L'Europe est occupée ailleurs... » C'est généralement 
au printemps que ces idées lui viennent : si on en finissait avec ces 
Arméniens du Sassoun, ces montagnards qui, quelquefois, se défendent 
encore. Et chaque année, au printemps. Sa Majesté prépare un petit 
massacre ou plutôt prépare, si possible, de grands massacres. 

Cette année encore, le même danger a pesé sur les populations 
arméniennes de la plaine de Moush. Au mois de février, un chef kurde 
très important, fut mandé au palais d'Yildiz-Yosk; il est connu depuis 
longtemps, c'est un nommé Hussein Pacha qui, dès l'année 1 89 1 , bien avant 
les grands massacres, était désigné comme un malfaiteur dangereux par 
le consul d'Angleterre, qui disait combien il était imprudent, à moins 
d'avoir des intentions mauvaises, de nommer chef d'un régiment hami- 
dié, un homme de cette espèce. On a vu vite le résultat obtenu en 
donnant des régiments aux pires malfaiteurs. Cet Hussein Pacha était 
digne de la faveur du Sultan ; je crois bien que, pendant les massacres, 
il eut, pour sa part, avec l'aide de ses hommes, quelque chose comme 
deux à trois mille victimes sur la conscience. 

Le personnage fut donc mandé à Yildiz-Yosk, par le Sultan ; je ne 
pense pas que c'était pour lui donner des conseils de modération, mais 



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— 256 — 

plutôt pour rinviter encore à quelques massacres. Heureusement, la 
chose fut connue en Europe, en France ; nos députés purent agir 
auprès du ministre, et celui-ci voulut bien envoyer sur place un consul. 
Un consul, c'est peu; mais c'est un témoin, et il y a certains crimes que 
Ton n'ose pas accomplir trop ostensiblement devant des témoins offi- 
ciels. C'est pourquoij^ cette année, citoyens, nous n'avons pas eu à enre- 
gistrer de grands massacres au Sassoun. 

Nous avons pourtant eu des massacres de quelque importance ; il y 
a eu tout de même, parce qu'il ne faut pas en perdre l'habitude, des 
villages incendiés, pillés, et tout dernièrement, je puise ici, dans un 
rapport qui est connu dans les ambassades, dans les ministères euro- 
péens, et c'est à la honte de ces ministères: à Nisib, les Kurdes du 
village voisin ont formé une bande et ont envahi le village armé- 
nien. Ils ont demandé de l'argent et comme on a dit qu'on ne pouvait 
leur en donner, ils ont dit qu'ils allaient détruire le village. En effet, ils 
ont détruit le village; ils ont tué quelque cinquante personnes; ils 
ont tout ravagé. C'était un endroit charmant que ce pays de Nisib, 
que les Grecs appelaient « Anthémousai », la ville des fleurs; le 
maréchal de Moltke, qui se trouvait au service de la Turquie, au mo- 
ment de la guerre de la Turquie et de l'Egypte, vantait la beauté des 
arbres et la pureté des sources. Les arbres sont coupés et les sources 
souillées de sang. 

Voilà, citoyens, à peu près l'état actuel de l'Arménie turque. Vous 
comprenez bien que, même ces envois de consuls, au moment le plus 
dangereux, ne sont que des palliatifs et des remèdes puérils, et qu'à un 
tel mal, il faudrait d'autres remèdes, il faudrait une solution définitive. 

Des solutions, quant à moi, j'en connais trois : 

Je connais la solution hamidienne, par Textermination totale. Cette 
solution, nous n'en voulons pas. Il y en a une seconde : c'est la solu- 
tion russe. Vous savez que la Russie possède la Transcaucasie, une 
partie du territoire arménien, et que le tzar règne «paternellement» sur 
un million environ d'Arméniens. La solution russe, nous n'en voulons 
pas non plus! (Applaudissements.) Et nous avons d'excellentes raisons 
pour cela. Non pas des raisons sentimentales, mais des raisons 
de fait. Nous ne voulons pas de la solution russe au lendemain 
du jour où, d'un trait de plume, au mépris des actes solennellement 
jurés et consentis, l'empereur de Russie vient de confisquer les biens 



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— 257 — 

de la nation arménienne, où il vient d'envoyer des cosaques à Tiflis, a 
Choucha à Nakhitchevan. 

Il y a une troisième solution; c'est celle du bon sens, de la sagesse 
et de la justice; c'est par conséquent celle à laquelle les gouvernements 
ne pensent point d'abord. Cette solution c'est l'application du traité de 
Berlin; c'est l'application de l'article 6i, en ce qui concerne les 
Arméniens, et surtout l'application des réformes que demandèrent les 
puissances européennes, en 1895, dans un mémorandum fameux. 

En 1895 on avait tué seulement 5 ou 6,000 Arméniens. Il n'y avait 
eu encore que les petits massacres du Sassoun; mais à ce moment, 
les ambassadeurs européens trouvaient que le minimum de réformes 
qu'on pût exiger du Sultan, c'était la nomination d'un gouverneur 
avec l'assentiment des puissances. Vous entendez bien; toujours cette 
question du contrôle. Et on sentait tellement l'importance de con- 
trôle, que la France et la Russie avaient d'abord hésité à l'imposer au 
Sultan. Il fallut que l'Angleterre le demandât. Mais du reste, cela n'eut 
pas d'autres suites. Ce fut une promesse sur le papier seulement; vous 
savez que les promesses du sultan sont à peu près aussi innombrables 
que ses victimes. C'est cependant à cette solution qu'il faudra bien 
aboutir un jour ou l'autre. 

Cette solution, il ne faut point la présenter humblement : il faut 
l'imposer. L'imposer à qui ? On connaît fort bien l'homme responsable, 
l'auteur des crimes. Je ne veux pas le désigner moi-même, je laisserai 
parler des personnes prudentes et modérées, des diplomates. C'est notre 
chargé d'affaires à ConstantinopLe qui l'a désigné, dans une dépêche qui 
se trouve au Livre Jaune : M. de La Boulinière : 

« Je ne saurais énumérer à Votre Excellence la suite innombrable de 
faits qui prouvent que c'est le Sultan lui-même qui arme le bras de ces 
assassins. » 

Et si M. de La Boulinière, diplomate, aux ordres du Ministre, ne 
suffit pas, je citerai les paroles du Ministre lui-même un jour où 
M. Gabriel Hanotaux avec la désinvolture des complices subalternes 
qui lâchent l'auteur principal du crime, appela le Sultan « l'homme 
responsable de tant de crimes ». 

C'est à cet homme qu'il faut parler. Et Pressensé le disait : ne croyez 
pas que cela doive amener une guerre ; il y a eu plusieurs précédents, 
en dehors même de l'intervention française lors des créances Tubini- 

18 



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— 258 — 

Lorando. Il y a eu un précédent autrichien. Un sujet autrichiea 
avait été malmené à Mersine; l'Autriche envoya des bateaux sur la côte 
deCilicie. Il y a eu un incident italien. Un employé des postes italien 
avait été malmené à Preveza. L'Italie mobilisa quelques cuirassés 
dans l'Adriatique et obtint les satisfactions nécessaires. 

Ce qu'on a pu obtenir sur des points particuliers et dans des ques- 
tions particulières, quelquefois même dans des questions où ce qu'oo 
appelle l'honneur des nations ne paraissait pas engagé, on pourra bien 
l'obtenir lorsque coule le sang humain. 

Au contraire, citoyens, cette guerre qu'on veut éviter, que quant à 
moi j'abomine et j'exècre, elle est toujours à craindre si on ne porte pas 
un prompt remède à une situation intolérable et qui déshonore l'humanité. 

Rappelez-vous l'affaire de Crète. Au lendemain des massacres d'Ar- 
ménie l'insurrection éclate en Crète. Le sultan envoie ses troupes 
régulières et ses auxiliaires bénévoles. Les puissances regardent tuer, 
avec leur superbe indifférence ordinaire. Cependant, de Constantinople 
notre ambassadeur envoie une dépêche prophétique — c'était M. Cambon,^ 
maintenant à Londres. Il écrit à son ministre : 

« Nous (les ambassadeurs en Turquie) continuerons à envoyer à nos 
gouvernements des dépêches alarmantes; nous dirons ce qui se passe 
en Crète; nous énumérerons les morts et nos gouvernements ne bou- 
geront pas. Ils ne bougeront pas jusqu'au jour où les petits porteurs de 
dette ottomane craindront pour leur gage. » 

Ce jour-là est venu très vite pour la Crète; ce jour-là approche pour 
l'Arménie et la Macédoine ; mais nous voulons le hâter ; il ne faut pas 
attendre que les intérêts menacés fassent sortir les gouvernements de 
leur inertie. 

Partout, citoyens, les peuples sont plus généreux, et souvent aussf 
pour ne pas dire toujours, beaucoup plus sages que les hommes qui les 
gouvernent. Les peuples ont fait partout connaître leur désir. Ils l'ont 
fait connaître en France, en Italie. Songez qu'à Rome et à Milan, au 
printemps dernier, nous avons eu des meetings de 4 à 5.ooo personnes ; 
ils l'ont fait connaître en Angleterre pendant cette campagne pro-macé- 
donnienne; ils l'ont fait connaître même en Allemagne, malgré les 
complicités officielles; vous en avez un témoignage dans la lettre du 
docteur Richter. 

Ce que les peuples veulent, c'est que les massacres cessent. Tôt ou 



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— 259 — 

tard, les puissances seront obligées d'înier venir. 11 fam que, dès aujour- 
d'hui, les gouvernements se décident à meure un terme au long mar- 
tyre de ces deux peuples, à meilre un terme aux caprices meurtriers d^lin 
exécrable assassin. [Vifs applantiissements.) 

M. VICTOR BÉRARD . 

"î Mesdames, Citoye?ïSj 

Pierre Quillard vient de vous exposer la situation arménienne. Je 
suis charge de vous parler de la Macédoine et des autres provinces 
turques. 

Les Macédoniens ont, parmi nous, une mauvaist^ presse. Toutes les 
victimes du sultan Abdul-Hamid ont eu leur mauvaise presse aussi, 
MaiSj contre les Macédoniens, on a exploité d'une façon admirable les 
événements de Salonique, et Ton vous a représenté ces malheureux 
comme des assassins^ des dynamiteurs, des anarchistes. 

Lorsque^ au début du sîccle dernier^ les brûlots de Canaris et de ses 
émules faisaient sauter tes flottes turques de guerre et de commerce et 
parfois même les vaisseaux européens, toute 1 Europe acijlamait ce 
réveil des nations levantines et M. le vicomte de Chateaubriand, qui 
n'était pas un anarchiste^ saluait de sa plus belle prose ces héros qtli 
savaient si bien donner leur vie. 

Au lendemain de Tattentat — comme on disait alors — de Canaris 
sur le port d'Alexandrie, M. de Chateaubriand imprimait : 

€ L'audacieuse entreprise de Canaris sur le port d\\lexandrie a été 
au moment de tarir cette source de peste et d'esclavage que l'Afrique 
tait couler vers la Grèce.,. 

^ Si les gouvernements étaient assez barbares pour souhaiter la des- 
truction des Grecs, il ne fallait pas laisser à ces derniers le temps de 
déployer un si illustre courage. Il y a trois ou quatre ans, une politique 
inhumaine aurait pu nous dire que le fer mu?sulman n'égorgeait qu'un 
troupeau diesel a ves réservés. Mais aujourd'hui, serait-elle reçue à parler 
ainsi d*un sang héroïque? L*univers entier se lèverait contre elle. On 
se légitime par l estime et l'admiration que l'on inspire : les peuples 
acquièreni des droits à la liberté par la gloire ^. 

Voilà ce qu'en j 826 imprimait M. le vicomte de Chateaubriand, ancien 
ministre des a 11 aires étrangères^ et le brulotier Canaris pouvait envoyer 



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v»:- 'TPi'tr^ 



— 260 — 

à Paris son fils, le duc d'Orléans, le futur Louis-Philippe, s'honorait de 
conduir«r aux Français, dans sa propre loge, ce fils de brigand, ce fils 
de brulotier, ce fils de jacobin, c'est ainsi que parlaient alors les gens 
en place et la presse vertueuse, car les gens en place estimaient, avec 
Metternich, que les insurgés s'étaient à jamais discrédités par leur con- 
duite insensée et atroce, et l'empereur Alexandre croyait remarquer dans 
les troubles de la Grèce le signe révolutionnaire. 
Mais M. de Chateaubriand reprenait : 

« Les Canaris et les Miaoulis auraient été reconnus pour véritables 
•Grecs à Mycale et à Salamine... Les Grecs sont-ils des rebelles et des 
révolutionnaires ? Non. 

* Forment-ils un peuple avec qui Ton puisse traiter ? 

4c Ont-ils les conditions sociales voulues par le droit politique pour 
être reconnus des autres nations ? Oui. 

« Est-il possible de les délivrer sans troubler le monde, sans diviser 
l'Europe, sans prendre les armes, sans même mettre en danger l'exis- 
tence de la Turquie ? Oui,- et cela dans trois mois, par une seule 
dépêche collective souscrite des grandes puissances de l'Europe ou par 
des dépêches simultanées exprimant le même vœu. Ce sont là de ces 
pièces diplomatiques qu'on aimerait à signer avec son sang. » 

Vous parlant aujourd'hui des Macédoniens, je me garderai bien de 
reprendre pour mon compte les paroles de M. de Chateaubriand; je sais 
trop ce qu'on risque à faire l'apologie du crime et de l'assassinat. 

Pendant que les brulotiers de Salonique se flattaient de montrer au 
monde comment un Macédonien sait mourir, nous avons entendu à 
nouveau le grand concert des gens en place, des ministres, de la presse 
vertueuse, nous répéter que les insurgés avaient discrédité leur crfuse 
par cette conduite atroce, et l'Europe conservatrice y retrouvait le signe 
révolutionnaire, ou, comme nous disons, anarchiste. 

C'est donc une affaire entendue : les Macédoniens sont des révolu- 
tionnaires. 

Mais les révolutionnaires ne poussent pas tout seuls. Comment se 
fait-il d'ailleurs que, dans l'empire turc, à l'heure actuelle, à côté des 
Macédoniens révolutionnaires, vous avez les Cretois révolutionnaires, 
les Arméniens révolutionnaires, les Arabes révolutionnaires, les Syriens, 
lès Jeunes-Turcs eux-mêmes, — bref toutes les populations de l'empire 
ottoman révolutionnaires, jacobines, anarchistes, ne cherchant toutes 



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— 26 1 — 

qu^ se libérer du joug actuel, ne rêvant toutes que rébellion contre le 
pouvoir établi : révolte, soulèvement et révolution définitive ? C'est îà, 
et peut-être, si nous connaissions ses causes, nous découvririons du 
même coup, le remède. 

Je sais bien que les causes, aux yeux de quelques-uns, sont très 
simples. Si nous voulons en croire les journaux du Sultan Abdul- 
Hamid, c'est toujours quelque propagande étrangère qui agit en Tur- 
quie; sans la propagande grecque en Crète, anglaise en Arménie, russe 
en Bulgarie, bulgare en Macédoine, il n'y aurait jamais eu, nous dit-on^ 
de révolte dans l'Empire. Parfois même on insinue qu'à l'heure actuelle 
c'est nous, Français, qui semons ou entretenons la révolution en 
Macédoine, et pour un peu on ferait imprimer que les bombes de Salo- 
nique sont venues tout droit de Paris. 

Je sais bien qu*on ne prête qu'aux riches; mais quand, devant rbis- 
toire et la reconnaissance du monde, on dressera le compte de ce que 
nous avons fait au xixe siècle pour la liberté de^s peuples, nous serons 
assez riches de gloire pour ne pas nous attribuer la pan qui revient à 
d'autres. La révolution en Macédoine ressemble à toutes les révolutions 
de l*empirc ottoman. Vous n*avez qu'à ouvrir les Livres Bleus anglais ou 
les Livres Jaunes, et, comme on vous ïe disait tout à Theure, vous en 
découvririez immédiatement la double cause. 

L'état actuel de Tempire ottoman a deux causes en effet ; le régime 
turc d'une part, le régime hamidien de Tautre. J'entends par régime 
turc ^ensemble de l'organisation ottomane qui fait que, depuis la con- 
quête turque, tout cet empire est exploité ou, comme disent les Turcs 
eux-mêmes, mangé, j^eniends par régime hamidien, Tensemble des 
mesures suUanesques, qui font que, depuis dix ans, Tempire est mas- 
sacré ou, comme dirait M. Gabriel Hanotaux^ régi par la « main 
blanche ^ d'Abd-ul-Hamid. 

Le régime turc a le mérite de l'ancienneté. Depuis le premier établis- 
sement des Turcs en pays conquis, il a toujours fonctionné dans 
TEmpire. Les fameuses réformes du sultan Mahmoud et de ses succes- 
seurs ne l*oni nullement modifié. Les voyageurs français des xvï" et 
xytT« siècles, Belon, Tournefort et Paul Lucas, s'ils revenaient aujour- 
d'hui, retrouveraient ces <i mangeries * turques dont ils se plaignaient 
SI vivement. Ce mot de * mangerie * est excellent, C*esi le seul qui 
puisse définir et, tout ensemble, dépeindre celte politique- Par ses fonc 
tionn aires et par ses officiers^ par son armée et par ses bureaux, par ses 



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— 202 — 

lois et par ses abus, la Porte ne fait que « manger» TEmpire, c'est-à-dire 
exploiter le peuple et piller les provinces. Pour le Turc, l'Empire n*est 
♦oujours qu'une terre conquise, un domaine féodal, dont ii s'agit 
d'extraire le maximum de revenus. Le principe fondamental de cette 
société est que seul le conquérant, le Turc de race, a droit aux biens de 
ce monde, à la vie matérielle, au pain quotidien : l'unique adoucissement 
à U rigueur de ce principe est que le Turc de religion, l'indigène con- 
verti à r Islam, obtient par tolérance sa part de butin. Mais, en dehors 
du Turc et du musulman, — les décrets, lois, règlements, traités inter- 
nationaux, etc., etc., ont bien pu proclamer l'égalité des sujets « otto- 
mans » : il faut la naïveté des diplomates pour' croire à ces papiers, — 
en dehors du Turc et du musulman, le sujet ottoman n'est qu'une bête 
laillable et corvéable, qui doit tourner la roue pour remplir le puits sans 
fond de la cupidité turque. 

Depuis le Grand Vizir jusqu'au dernier des gendarmes, le personnel 
de La Porte ne vil que pour « manger ». En quatre chapitres principaux 
on peut résumer VArt de manger, tel qu'il se pratique en Turquie, car, 
en négligeant les recettes accessoires (qui, depuis le simple faux en 
écriture publique, vont jusqu'au vol avec effraction), il est quatre 
grandes * mangeries » : l'armée, la justice, les routes et l'impôt. 

L'armée * mange » tout à la fois le musulman et le chrétien, le pre- 
mier par le recrutement, le second par la solde ou plutôt par l'absence 
de solde. 

Tout musulman xlans l'Empire doit sept années de service militaire. 
Mais les montagnards d'Europe et d'Asie ont toujours refusé cet impôt 
du sang. Les seuls paysans des plaines sont enrôlés. Les honnêtes et 
pacifiques paysans d'Analolie ou de Roumélie doivent fournir tout le 
contingent. L'état civil n'existant nulle part et le bon Turc sachant seu- 
lement qu'il est né « l'an de la famine » ou « l'an de la grande récolte », il 
est facile aux agents de la Porte de prendre ou d'exempter qui bon leur 
plaît, c'est-à-dire qui bien le paie. 

Le musulman pauvre est donc enrôlé, puis il est maintenu sous les 
drapeaux le double ou le triple de son temps réglementaire et, même, il 
est repris une seconde fois après libération, afin de combler les vides 
que causent les exemptions vendues à d'autres. Installé dans les garni- 
sons de Macédoine ou d'Albanie, il est laissé sans solde, sans habits, 
sans souliers, sans pain : le ministre, les préfets et les officiers pillent les 
caisses et les arsenaux, vendent les farines, les uniformes, les armes 



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— 263 — 

même. Déguenillé, affamé, rongé de fièvres et de syphilis, le malheureux 
est acculé au brigandage ou à la révolte. Dans la Repue de Paris, 
M. G. Gaulis racontait Phistoire d'Ipek et de sa garnison qui, manquant 
de tout, prit un beau matin le chemin d*Uskub où réside le gouverneur, 
tx là, mangea durant deux semaines avant de regagner son poste. Qui- 
conque a voyagé en Turquie connaît vingt histoires de cette sorte. 

En Albanie, pays musulman et peuple toujours armé, les garnisons 
turques crèvent longtemps de faim avant de piller l'habitant. Dans les 
grandes villes seulement, où le bazar est chrétien, les préfets s'arrangent 
pour que, de temps à autre, un incendie éclate au bazar, quand la gar- 
nison est trop affamée ou trop mécontente. Les troupes accourent. Elles 
sauvent les marchandises en les pillant. J'ai vu, de mes yeux vu, brûler 
ainsi le bazar d'Argyro-Castro en juillet 1890. De Janina à Priszrend, il 
n'est pas un bazar chrétien qui n'ait servi une ou deux fois à payer ainsi 
ou à vêtir et approvisionner l'armée turque d'Albanie. 

En Macédoine, pays chrétien et peuple pacifique, toute caserne 
devient le fléau du pays à trois lieues à la ronde. Encore ne peut-on 
parler ici que du vol et du brigandage proprement dit. Mais, chaque année, 
aux portes mêmes des grandes villes, quelque bande de soldats, affolés 
par une trop longue continence, se jette sur les femmes et les petits 
garçons. 

Après les soldats, les juges. Outre les moyens vulgaires et, pour ainsi 
dire, internationaux de la chicane en tous pays, les Turcs ont une habi- 
leté spéciale dans l'emploi des faux témoins. Deux raisons surtout ont 
développé cette institution. C'est d'abord l'intérêt des juges : sans faux 
témoins, comment juger à sa guise? Et c'est ensuite la solidarité reli- 
gieuse; les musulmans sont toujours crus sur parole; dans la concur- 
rence mortelle que leur font l'industrie européenne et le commerce 
des chrétiens indigènes, le faux témoignage leur est un peu réservé 
comme un dernier gagne-pain. 

A chaque tribunal est donc attachée une bande de faux témoins, qui 
se tiennent sous les platanes du café le plus voisin. Le faux témoin est 
payé par le plaideur. Il rend au juge une part de ses honoraires. Mais le 
faux témoignage est marchandise si courante que les prix en sont fort 
avilis : le serment d'un homme bien posé ne vaut guère plus de un à 
deux medjidiehs (4 à 8 francs). Le juge là-dessus ne touche que peu de 
chose. Il lui faut des revenus plus considérables, puisque la Porte ne lui 
paie jamais ses appointements. Les affaires de mœurs contre les chré- 



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— 264 — 

tiens, les affaires de propriétés contre les musulmans lui fournissent le 
plus clair de ses ressources. 

Survient l'ingénieur des routes et l'entrepreneur de corvées. L'Europe 
affirme que la Turquie ne saurait se passer de routes. Le Turc est donc 
obligé d'en faire, et il emploie le moyen le plus commode et le moins 
coûteux : la corvée. 

Quelques jours de corvée par an ne ruineraient pas un village, et 
quelques milliers de corvéables auraient vite établi une chaussée. Depuis 
cinquante ans donc, sans trop charger le pays, on aurait pu achever le 
réseau de l'Empire, si les préfets n'avaient inventé la mangerie des 
routes. Mais quand une route est projetée entre deux villes de l'Empire, 
entre Salonique et Monastir par exemple, les préfets ont une recette 
infaillible pour ne pas la construire tout en la faisant payer aux cor- 
véables. Ils distribuent la corvée assez ingénieusement pour que les 
paysans de Salonique aient leur chantier de travail aux portes de Mo- 
nastir, à cent ou cent vingt kilomètres de chez euix, et, réciproquement, 
les paysans de Monastir sont convoqués aux portes de Salonique. 

Les corvéables se plaignent. Aussitôt les préfets parlent de révolte et 
envoient les gendarmes ou la troupe en garnisaires dans les villages 
mécontents. Les corvéables sont battus, pillés, quelquefois brûlés ou 
pendus, à moins qu'ils ne se résignent à comprendre les désirs des 
préfets et qu'ils n'offrent de racheter en argent leurs semaines de corvée. 
Ils versent l'argent, que les préfets partagent avec les gens de la Porte 
ou avec les gens du Palais. Chaque année, la comédie recommence. Au 
bout de cinquante ans, la roule n'est pas faite; mais les préfets en ont 
touché dix ou vingt fois le prix. 

Je n'insisterai pas sur la « mangerie » des impôts. Il suffit d'ouvrir le 
dernier Ltpre Jaune sur les affaires de Macédoine (p. 55 et 56). 

* Il serait trop long d'énumérer ici les irrégularités auxquelles donne 
lieu la perception des diverses taxes. Nous nous bornerons à reproduire 
quelques passages d'un ouvrage récent, Morawitz, les Finances de la 
Turquie, qui fait justement autorité sur la matière. 

« Impôt du Verghi (impôt foncier). — Quiconque a des attaches 
influentes ou sait, en y mettant le prix, s'assurer la bienveillance des 
agents du fisc, voit sa maison de trois étages estimée poui* rien, alors 
qu'une baraque est taxée tout à fait hors de proportion. 

* Plus étrange encore est le système de recouvrements. Au lieu d'en- 
caisser le montant de l'impôt à son échéance, le fisc ne donne durant de 



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205 — 

longues années aucun signe de vie et attend îe momenl où le proprié^ 
taire se dispose à vendre, à louer ou à faire réparer i'immeubte, lin lace 
d*une longue liste d'impôts arriérés, le contribuable préfère transigt-r : 
un gros pourboire sert de préliminaire à Tentenie cordiale qui s'établît 
avec le percepteur et dont le fisc seul supportera la charge. 

« Impôt de temettu{l&xe sur les bénéfices présumés, su ries iraitemenis 
et salaires). — Le fisc laisse parfois passer des années sans réclamer le 
paiement de sa note, puis soudain il sort de son incurie. Les contribua- 
bles éprouvent de très grandes difficultés à acquiller des arriérés impor- 
tants ; telle fabrique se voit tout à coup privée d'une grande parité de 
ses ouvriers arrêtés pour cause de non-paiement des arriérés (pareille 
aventure est arrivée il y a quelques jours au tacteur dt la poste fran- 
çaise de Salonique). On pourrait en dire autant de la taxe d^ exonérai ion 
du service militaire. 

« Taxe sur les moutons, etc. — Chaque année, les maires dressent 
un relevé du bétail de leur circonscription. Les chiffres qu'ilii y inscrivent 
dépendent, bien entendu, des négociations préalables. Le contrtMe est 
d'ailleurs facilement évité; à l'arrivée des contrôleurs, les troupeaux sont 
envoyés dans les vastes domaines de la Liste civile (exempts, comme on 
sait, de toutes taxes). Aussi cultivateurs, -m ai res^ percepteurs et gardiens 
des domaines peuvent-ils, en toute quiétude, se réjouir des bénéfices de 
leur petite combinaison. 

« Dîmes, — On connaît assez les abus auxquels donne lieu la per* 
ception des dîmes affermées par voie de licitation. La loi sur les dîmes 
ordonne que les adjudications soient faites séparément pour chaque \\\^ 
lage au chef-lieu du Gaza. Mais les enchères sont souvent rendues illu- 
soires par l'influence de personnages qui savent écarter toute concurrence 
au détriment du Trésor. 

« Quant au cultivateur, s'il ne gagne rien à ces rabais, c'est toujours 
lui qui doit payer les erreurs commises par l'adjudicataire lorsque les 
enchères ont atteint un chiffre trop élevé. Je connais des cas dans les- 
quels il a fallu payer 3o p. loo de la récolte ; une personne digne de toi 
(la supérieure d'un couvent catholique) a constaté que le fermier de la 
dîme mesurait chez elle sa part de céréales avec une fausse mesure; il a 
dû, dans ce cas particulier, se résigner à faire usage d'une mesure o!li- 
cielle, mais les paysans du voisinage n'ont osé soulever aucune prou'S- 
tation. 

* Enfin, ce qui est peut-être le pis, c'est que le cultivateur n'a pas le- 



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— 266 — 

<lroit de rentrer sa récolte avant que le fermier soit venu compter les 
gerbes qui lui reviennent. Les moissons, ainsi laissées en plein cbunp, 
se détériorent, et le dîmier, qui est souvent doublé d'un commerçant, 
sait en profiter pour acheter le tout à vil prix. » 

Il faut ne pas oublier que, par dessus l'impôt, vient s'ajouter toujours 
quelque petite commission. Vous connaissez ce touchant usage qui fait 
qu'en Macédoine, quand une bande d'Albanais opérant pour le compte 
du gouvernement, s'est jetée sur un village de Macédoine, y est restée 
pendant des semaines et des semaines, a tout violé, tout mangé, ces 
braves, avant de partir, exigent ce qu'ils appellent le «denier de la dent», 
c'est-à-dire la commission que le contribuable leur doit encore pour 
l'usure de leurs mâchoires pendant le travail officiel qu'ils viennent 
d'accomplir (Rires,) 

Le résultat d'ensemble de ce régime turc, est de réduire tout le peuple 
il la miTsère et à la faim. Pendant des siècles, les races de Turquie ont 
supporté ce ^oug avec une patience admirable. A l'heure actuelle, encore 
presque toutes les fractions musulmanes de ce peuple, bercées par la 
-« vieille chanson religieuse )► qui les console de tout, tolèrent, demandent, 
préfèrent ce régime turc, toutes les fois du moins qu'elles ne peuvent 
choisir qu'entre ce régime et une sujétion chrétienne. Mais dans la 
fraction chrétienne, croyez-vous vraiment qu'il ait été besoin de propa- 
gandes étrangères pour susciter des demandes de justice, pour réveiller 
une notion de droit, pour amener la révolte ouverte contre ce régime de 
vol et de fraude ? Croyez- vous qu'il ait été nécessaire que des anarchistes 
vinssent de Paris, que des prédicateurs vinssent de Londres ou que des 
instituteurs vinssent de Bulgarie, pour qu'au bout de 5o ans de routes, 
de chemins de fer, de bateaux à vapeur, de correspondances avec l'Eu- 
rope, la Macédoine se soit levée un jour en réclamant un régime où elle 
puisse vivre, où elle soit assurée simplement du pain quotidien ? (Vive 
approbation.) 

C'est alors que le régime hamiden est entré en jeu. Quillard vient de 
vous le décrire mieux que je ne saurais faire. Si d'un mot on voulait le 
définir, on pourrait dire, je crois que le régime turc repose essentielle- 
ment sur le vol, mais que le régime hamidien repose plutôt sur l'assas- 
sinat et le massacre. Dès que, dans une partie de l'empire, quelle qu'elle 
soit, le mécontentement arrive à se produire, on voit accourir la police 
secrète d'Abdul-Hamid, qui fomente ou invente une conspiration. La 
police secrète est suivie de la gendarmerie qui prend d'assaut le bourg 



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— 267 — 

-ou le village, sous prétexte de perquisitions et de découvertes d'armes. 
On fusille les hommes sur place ou on les emmène prisonniers. Les 
hommes disparaissent, les femmes s'enfuient dans la campagne, bien 
heureuses si elles ne subissent pas d'autres traitements. 

Puis on commence, dans les mosquées musulmanes une campagne 
religieuse pour exciter le fanatisme des voisins musulmans, ce qui n'est 
malheureusement que trop facile, d'autant que, dans chaque province, 
il semble que le Sultan ait recruté depuis quelques années, une véritable 
gendarmerie mobile de populations rapaces et disposées à tout. Il a ses 
Kurdes en Asie Mineure, ses Druses en Syrie; il a ses nègres; il a, dans 
la Macédoine, ses Albanais; et si Kurdes, Nègres et Druzes, accomplis- 
sent la besogne hamidienne avec une bonne volonté tout à fait digne 
d'éloges, on peut dire que les Albanais y ajoutent je ne sais quelle allé- 
gresse et quelle ingénuosité qui fait de la situation de la Macédoine 
quelque chose comme un drame atroce dans lequel une comédie 
macabre serait perpétue llerrient intercalée. 

Ce drame macédonien nous a été longuement raconté par les rap- 
ports consulaires. Ici, nous n'avons pas, comme sur l'Arménie, des 
correspondances privées. Nous avons dans nos Livres Jaunes des docu- 
ments officiels. Nous savons, à n'en pas douter, que depuis l'année 1892 
il n'y a pas eu une région de Macédoine dans laquelle des bandes d'Al- 
banais n'aient pénétré, dans laquelle ces bandes, soutenues officielle- 
ment par l'autorité turque, n'aient. pris d'assaut des villages, tué des 
paysans, razzié des plaines toutes entières et fait disparaître des popula- 
tions qu'en 1890 encore on pouvait dénombrer. Tels, par exemple, les 
Serbes de la vieille Serbie qui, en 1890, formaient 60 ou 80 villages qui 
comptaient une population d'environ 20.000 hommes, et dont aujour- 
d'hui il ne reste que deux bourgs et 2.000 habitants. 

Mais Abd-ul-Hamid connaît ses bachi-bouzouks : s'ils sont très forts 
pour torturer des paysans, tuer des femmes et razzier une plaine, ils 
sont beaucoup moins braves quand ils rencontrent la moindre résis- 
tance, et comme les Macédoniens, las de réclamer la justice, en sont 
^enus à la révolte ouverte, il a fallu appuyer les massacreurs hamidiens 
de l'armée officielle turque. On passe au quatrième stade du régime 
hamidien. Après la police secrète, la gendarmerie et les bachi-bouzouks, 
viennent les soldats. 

Sous prétexte de rébellion, on amène d'Asie Mineure de malheureux 
paysans turcs, qui sont bien la plus brave population qu'on puisse ima- 



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— 268 — 

giner; on les transporte loin de chez eux. Enragés contre la résistance 
qu'ils rencontrent, affamés par le manque de solde, ils arrivent à n'être 
au bout de quelques semaines que des bandes de loups enragés. Il ne faut 
pas leur en vouloir; si TEurope n'avait pas toléré cette mobilisation 
turque, ils seraient restés ce qu'ils étaient : d'honnêtes gens. On voit 
donc dans la Macédoine 400.000 soldats, conduits tantôt par leurs offi- 
ciers, tantôt par la faim, massacrer les villages, faire place nette dans les 
plaines, et produire en trois mois ce résultat admirable dans ce vilayet 
de Monastir que j'ai connu si florissant, qui, vers 1890 était vraiment 
quelque chose comme un Dauphiné ou une Provence, et où 172 villages, 
durant les derniers mois, ont été supprimés : une population de 
180.000 âmes se trouve dispersée dans les forêts et les montagnes. La 
neige va venir;; je n'ai pas besoin de vous dire ce qui restera de ces 
180.ÛOÛ misérables. 

Le régime turc ayant commencé, le régime hamidien ayant continué, 
on arrive à l'état actuel, et l'on s'étonne que les Macédoniens recourent 
à la bombe, puisqu'ils n'ont d'autre moyen de se défendre. Mais, comme 
vous le disait Pressensé tout à l'heure, il faut s'étonner, au contraire, 
que celle population ait tardé si longtemps à en venir là. Voilà une prc- 
vince qu'en 1878, vous. Puissances de l'Europe, par le traité le plus 
solennel que vous ayez jamais signé depuis quatre-vingts ans, vous avez 
doté d'un régime autonome, d'une indépendance relative, d'une sécurité 
qui devait être absolue, et voilà un peuple qui, depuis huit ans, est en 
proie au pillage et au massacre. Et vous. Puissances européennes qui 
avez mis votre parole et votre signature au bas de cette convention, vous 
assistez sans rien dire, sans rien faire, en alléguant seulement cette admi-^ 
rable action austro-russe qui, commencée en 1896, arrive aujourd'hui 
aux résultats que vous savez. 

Cette admirable action austro-russe a été fondée, nous dit-on, pour 
le salut de la Turquie, pour la paix de l'Europe et pour le bonheur des 
chrétientés balkaniques. Ce sont là de vertueuses intentions, et j'en 
veux laisser tout le mérite à l'action austro-russe. Je ne doute pas que 
c'est dans la pensée la plus vertueuse que l'Autriche et la Russie ont 
laissé de côté leurs intérêts propres et n'ont recherché que l'intérêt des 
peuples balkaniques. C'est un bon mouvement dont la justice leur doit 
tenir cojnpte. J'en connais de pareils. En Asie-Mineure, l'un de mes 
gendarmes d'escorte, me vantait un jour son pacha ; c'était le meilleur, 
!e plus honnête, le plus vertueux, le plus courageux des pachas ; c'était 



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— 269 — 

le « bon pacha». Or ce bon pacha, disait le f^endarmej avait été ambas- 
sadeur de Turquie à Paris. Il s'était fait aimer che2 nous cie tout le 
monde, à tel point que, le jour où le Sultan Tavait rappelé, on voyaii 
dans les rues de Paris tous les petits enfants assis au bord des iro Hoirs, 
qui pleuraient, en disant : * Voilà le bon pacha qui part *, (Rires). Je 
ne doute pas que le jour où l'action austro-russe disparaîtra, nous 
verrons tous les petits peuples balkaniques s'asseoir au bord de leurs 
frontières et se mettre à pleurer en disant : ♦ Voilà la bonne action qui 
part )►. (applaudissements et rires.} 

La bonne action qui a établi et maintenu le régime milanisic en 
Serbie. La bonue action qui a laissé faire la guerre turco-grecque 1 La 
bonne action qui a débuté, en i8(jô, par les massacres arméniens, qui a 
continué par les massacres crétois, et qui finit, aujourd'hui, par les mas- 
sacres de Macédoine I Si c'est une bonne action, tant mieux; mais il 
nous en fautjine autre. (Approbation.) 

On nous promet pourtant que cette action austro-russe va passer à 
Tacte. On nous dit, d'après les dernières entrevues impériales, qu*on va 
nous donner, en Macédoine, ce que nous réclamons, et nous voyons 
aussitôt tous les Brid'oison de la diplomatie, reprendre le refrain d*au- 
irefois : les réfo-ormes^ monsieur, les réfo-o-ormes I 

Nous la connaissons la réforme. Depuis 1821, le sultan Mammoud 
Ta proclamée : En 1854, Abdul Aziz la mil en actes* En 1876, un autre 
-Sultan en fit un iradé. En 1876, Mourard en fit une constitution. En 
1878, TEurope en a faU un traité "Kn t8yô, le sultan Abd-ul-Hamîd Ta "^ / * I ^ 
promise. En 1896, les ambassadeurs en ont fait un mémorandum, t^t 
depuis 1896 jusqu'en 1908, pour la seule province de Macédoine, le 
sultan Abdul-Hamid a signé six ou sept projets de réformes. 

Et c'est là ce qu'on nous ofl're aujourd'hui 1 11 est vrai que, tout 
récemment, pour corser un peu la réforme, on nous promit autre chose 
encore, et on nous parla du contrôle. Le contrôle, à coup sur, est une 
excellente chose. Nous allons donc avoir la réforme et nous allons avoir 
le contrôle. Acceptons encore ce bon billet ; prenons-le au pied de la 
lettre et faisons toujours crédit à Taction austro-russe de toute la bonne 
foi possible. Mais, Messieurs, après l'exposé que je vous al fait, ne 
voyez-vous pas que réforme et contrôle sont de sinistres plaisanteries, 
mais de simples plaisanteries ? 

Car enfin, cette réforme et ce contrôle, sur quoi vont-ils porter ? lis 
vont porter sur le régime turc. On nous promet qu'au lendemain de la 



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— 270 — 

réforme, les fonctionnaires turcs respecteront les biens des habitants^ 
leurs propriétés ; on n'assistera plus au pillage des impôts, à la mangerie 
des routes; on verra les armées soldées, une gendarmerie organisée,- 
Bref, le régime turc disparaîtra. 

Et le régime hamidien ? Par la réforme et le contrôle, vous pro- 
mettez à la population de Macédoine le pain quotidien; vous devriez, 
commencer tout de même par leur donner la vie quotidienne. Vous 
voulez leur donner le moyen de vivre; donnez-leur d'abord le droit de 
vivre! (Approbation.) Vous parlez de contrôler le régime turc; c'est 
mettre la charrue devant les bœufs. Le problème ottoman, si je vous l'ai 
bien exposé, se compose de deux parties : il faut d'abord supprimer le 
régime hamidien, parce qu'il faut d'abord que la population puisse 
vivre; il faut ensuite contrôler le régime turc, parce qu'il faut ensuite 
que la population puisse manger. Mais il est inutile de faire manger la. 
population si vous devez la massacrer demain. 

11 est donc inutile de nous leurrer de mots. La réforme et le contrôle, 
tout seuls, ne sont rien. Il nous faut autre chose et cette autre chose nous 
pouvons la définir très exactement, parce que nous avons devant nous- 
des exemples historiques et que nous savons, par ces exemples très 
précis, comment on s'y prend quand, dans une province turque, on veut. 
assurer aux peuples, non pas seulement la nourriture, mais la vie quo- 
tidienne. 

Il y eut jadis des massacres dans les îles; il y eut jadis des massacres 
au Liban et en Crète. Le jour où l'on voulut assurer la vie de ces- 
peuples, on ne se contenta pas du contrôle et des réformes. On reconnut 
que le massacre va toujours avec le régime sultanesque : pour suppri- 
mer le massacre, il faut que l'autorité directe du sultan soit supprimée: 
qu'à la tête des provinces on installe des gouverneurs responsables; que 
ces gouverneurs, tout en restant dépendants de la Porte, tout en. conser- 
vant le drapeau turc, échappent aux perfidies, aux intrigues ou aux 
séductions du Sultan régnant. C'est par ce système très simple que, 
depuis soixante-dix ans, les massacres ont été supprimés à Samos, que, 
depuis 1860, on ne massacre plus en Syrie, et que, depuis 1898, la Crète 
est tranquille. 

Quand donc, aujourd'hui la diplomatie anglaise vient nous dire que 
îe minimum de nos revendications doit être l'installation de ces gouver- 
neurs respon-sables, j'estime que la diplomatie anglaise rend au monde 
occidental et à la Turquie tout ensemble le plus grand service que 



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i.ST-9ft^ 



— 271 — 

depuis trente ans on lui ait rendu. Pour la première fois depuis trente 
ans, on présente une solution logique et basée sur Texpérience, une 
solution qui respecte tous les droits — sauf le droit du sultan, je veux 
dire : le droit de meurtre — et Ton arrive à un système complet qui 
ferait qu'un gouverneur responsable, désigné par les puissances, installé 
en Macédoine, ayant autour de lui un contrôle consulaire, disposant de 
toutes les forces et disposant de tout le budget, rendrait à ce pays, avant 
quelques années, cette même prospérité, cette même sécurité que le 
même régime a données à Samos et au Liban. Car enfin, après le 
tableau que je vous ai fait tout à Pheure, de la Turquie tout entière 
tournée vers la révolution et la révolte, il faut bien que vous sachiez 
que, dans cette même Turquie il est deux ou trois points où la sécurité 
et le bonheur existent. Quand, en quittant la côte de Syrie, quand, en 
quittant la ville de Beyrouth, où la misère et la dépravation turques 
s'étalent à tous les coins de rue, vous avez franchi le petit ruisseau qui 
fait la frontière de la province du Liban, vous entrez dans un coin 
d'Europe pacifié, prospère, marchant vers la civilisation et la liberté. 

Il faut que ces exemples ne soient pas perdus. Il faut donc aujour- 
d'hui que vous vous demandiez bien ce que vous voulez faire en Tur- 
quie, ce que vous voulez, vous électeurs français, que l'on y fasse. 
Pressensé vous le disait tout à l'heure avec raison : c'est de vous, élec- 
teurs français, que dépend en ce moment la solution du problème 
levantin. Croyez-vous vraiment que le salut de la Turquie ne peut être 
obtenu que si, en même temps, vous assignez aux peuples chrétiens un 
régime coupable avec leurs intérêts, avec leurs premiers droits, avec le 
droit de vivre ? Croyez-vous qu'en maintenant l'état de choses actuel 
vous allez tout droit à la révolution,, puis à la guerre ? 

Si vous admettez ces trois points qui, pour moi sont indiscutables, 
vous n'avez pas le droit un seul instant de laisser l'action austro-russe 
poursuivre ses effets. On vous mène tout droit à la guerre. Nous voyons 
recommencer aujourd'hui ce qui se fit de 1821 à 1826. A ce moment 
déjà, on avait une action austro-russe. A ce moment déjà, jouant au 
plus fin, l'Autriche se vantait de rouler la Russie et la Russie se flattait 
de mener l'Autriche et, de 182 1 à 1826, on joua la même farce de l'heure 
actuelle. Puis, un jour, il suffit d'un boulet de canon, parti d'un navire 
d'une des Puissances, pour déchaîner cette bataille de Navarin, dans 
laquelle la puissance navale de la Turquie est restée à jamais. Voulez- 
vous qu'un autre Navarin fasse disparaître la puissance des Turcs? 



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— 272 — 

Voulez-vous que cette intégrité de l'empire ottoman ne soit dans quel- 
ques mois ou dans quelques années qu'une vaine formule ? Continuez 
La politique actuelle, mais dites-vous bien que le partage de la Turquie 
n*ira pas sans une guerre européenne. Si vous voulez au contraire que 
ïe salut de la Turquie, la paix de l'Europe et les droits de l'humanité 
soient sauvegardés, vous devez vous en tenir à cette demande minimum 
dj cabinet de Londres : demandez un gouverneur responsable devant 
l'Europe ei un contrôle effectif. (Applaudissements.) 

Vous me permettrez d'ajouter quelques mots au sujet d'un appel de 
Dames bulgares que je voudrais vous lire : 

APPEL 

des Dames présidentes de toutes les Œuvres de bienfaisance ou de 
charité, de Sofia, aux Représentants des peuples remis aux Agents diplo- 
matiques, en Bulgarie, par Mme Karavelof, présidente de la Société de 
Bienfaisance ; * La Mère », fondée avant 1876, veuve de l'ancien régent, 
président du Conseil, ministre de la Justice, de l'Instruction publique, 
des Finances, etc., etc. de Bulgarie. 

Monsieur, 

Touchées jusqu'au plus profond de notre être des souffrances inouïes 
des pauvres Macédoniens, nous venons implorer la pitié de l'Europe en 
faveur de ce malheureux peuple, voué à l'extermination. Vous connais- 
ses les atrocités qui se commettent journellement au-delà de Rilo. La 
fureur des Turcs s'est déchaînée sans pitié. Soldats et bachibouzouks y 
rivalisent, assouvissant leur rage en des raffinements de cruauté. 

De nombreux villages sont incendiés, des milliers d'êtres humains 
sont massacrés. Les forêts elles-mêmes, où l'instinct de conservation fait 
chercher un rciuge à ces désespérés, sont livrées aux flammes dévasta- 
trices. L*aeuvre de destruction s'accomplit donc systématique et atroce. 

Tel est réiat des choses dans un pays, situé aux portes de l'Europe 
et qui expire, faisant un suprême appel à la chrétienté. 

Nouî, femmes bulgares, uniquement inspirées par des sentiments 
d*humaniié, quelques-unes cruellement frappées dans nos plus chères 
allections, toute; unies par tant de liens aux victimes, prenons pour 
tài:he de faire passer dans l'âme de l'Europe le long frisson d'horreur et 
ie pitié dont nos propres âmes sont secouées, et d'une voix unanime. 



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.— ^-3 — 

l'une voix pleine de sanglots, nous crions à l'Europe : « Pîiié I Pitié pour 
îes opprimés 1 1 » Car l'Europe seule peut entraver l'œuvre de destruction 
qui s'accomplit sous nos yeux. Elle peut mettre un freîn à la fureur san- 
guinaire des Turcs, elle seule peut faire régner la justice et la paii, là où 
sévit la plus horrible anarchie. 

C'est à cette Europe, tutrice naturelle des opprimés de ta Turquie, à 
cette Europe forte, humaine, généreuse, compatissante que nous adres- 
sons cet appel avec nos plus ferventes prières pour qu*elle sauve de la 
mort un peuple dont le seul crime est d'être chrétien et d'aspirer à la 
civilisation, 

A cet appel des femmes bulgares, les femmes de Lyon ont décidé de 
répondre en créant un Comité des Femmes françaises, pour venir au 
secours de tous les peuples de Macédoine. 

La situation de cette province est intolérable. Il faudrait que, sans 
distinction de races, sans distinction de religions, aux Bulgares comme 
aux Grecs, aux musulmans comme aux chrétiens, aux Albanais eux- 
mêmes, la France envoyât de prompts secours. Vous devez prendre 
votre part dans ce concert de charité qui s'organise à Londres, à 
Bruxelles, en Italie, un peu partout. L'Angleterre vient d'envoyer une 
mission en Macédoine, pour porter les secours les plus urgents aus plus 
nécessiteux. Nous, Français, nous n'avons pas besoin d'une mission 
pareille; nous avons, en Macédoine, des distributeurs tout trouvés. 
Donnez-nous l'argent, je vous assure qu'il ira à desiination; nous avoh^ 
des consuls. Vous vous souvenez qu'au moment des affaires armé- 
niennes, nos consulats d'Asie-Mineure avaient été transformés en bureaux 
de bienfaisance. Il en sera de même en Macédoine, et vous aurez rempïi 
non-seulement votre devoir d'électeurs en venant à cette conférence, 
mais votre devoir d'hommes en donnant à tous ceux qui meurent de 
faim là-bas 1 (Applaudissements.) 



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— 274 



M. EVANS 

Monsieur le Président, 
Mesdames, Messieurs, 

Je vous prie de m'excuser, car je n'ai pas l'habitude de faire des 
discours en public, surtout en langue française. Si donc je me risque à 
dire quelques mots dans cette grande réunion, c'est que j'ai peut-être 
connu les pays balkaniques d'une manière plus particulière. Comme l'a 
dit M. de Pressensé, j'ai beaucoup voyagé en Macédoine, j'ai connu 
personnellement toutes les infamies de l'administration turque. Mais je 
ne veux pas parler longuement sur ce sujet qui a été traité par un des 
derniers orateurs. 

Je veux insister seulement sur ce point, c'est que si vous voulez agir 
d'une façon efficace en Macédoine ou en Arménie, il faut commencer 
par agir à Constantinople, et qu'on ne peut rien faire à Constantinople 
sans une vraie intimidation. (Approbation.) 

Ce que nous voulons inaugurer, ce que désire, comme l'a dit 
M. de Pressensé, le gouvernement anglais, c'est une vraie politique. Il y 
a à peu près trente années qu'une grande agitation a traversé l'Angle- 
terre, au moment des premiers massacres de Bulgares en Roumélie. 
Nous avions alors un grand homme d'Etat, M. Gladstone. L'action de 
M. Gladstone a tout à fait transformé la politique anglaise. Un des plus 
puissants hommes d'Etat que nous avons eu jusqu'alors, Beaconsfield, 
a été frappé quasi mortellement dans sa politique philoturque. L'al- 
liance avec le Sultan était rendue désormais impossible. Mais alors 
c'était une question de partis. A présent tout a changé; en Angleterre, 
nous n'avons plus la grande voix de Gladstone; le feu de ses plai- 
doyers immortels est éteint, mais nous avons ce que nous avions il y a 
trente ans : nous avons une nation tout à fait unie sur la question 
d'Orient. 

Nous avons eu beaucoup de réunions dans les grandes cités d'An 
gleterre — peut-être 200 — jusqu'à présent où ont été représentés tous 
les partis, toutes les croyances. Ce n'est pas seulement comme il y a 
trente ans, les libéraux et une petite fraction du parti conservateur qui 
ont contribué à ces réunions ; c'est, aujourd'hui, la nation tout entière, 
les conservateurs ^omme les libéraux; le gouvernement anglais 



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— 275 — 

actuel ne demande pas mieux que d'être appuyé par l'opinion publique 
dans ses démarches. 

Mais ce qui est important, et c'est ce que nous cherchons dans celte 
réunion, c'est d'avoir l'appui de l'opinion publique en France; nous 
vouions l'appui de l'opinion de la France humaniuire! (Apptaudtsst- 
ments,) 

M. LE D' COURMONT 

Mesdames, Citoyens, 

J'ai le très grand honneur d'être délégué à la réunion d*aujourd'hui 
par le Comité lyonnais et du Sud-Est de protesta lion, contre ks mas- 
sacres d*Orient. Cependant je ne savais pas que je prendrais la parole 
aujourd'hui devant vous. Je serai très bref; j ai cédé aux instances de 
notre président, qui veut qu'en quelques mou jtî vous indique quel est 
l'état d'âme de la province, et spécialement du Sud-Est. 

Je ne saurais mieux faire que de vous résumer la très importante 
réunion que nous avons eue hier soir à Lyon, aux Folies-Bcr^^ère, 
Plus de 3,000 citoyens se sont réunis, convoqués par toutes les asso* 
ciations démocratiques de Lyon et du Sud-Est. Et, signe des lemps, 
cette réunion était présidée par le maire de Lyon, M, Augagnenr, dont 
le monde connaît le courage et la bravoure. (Apptatidîssements.) 

A cette conférence, nous avons entendu deux orateurs; tout d'abord 
M. le docteur Lortet, doyen de la Faculté de Médecine de Lyon. C*esi 
là encore un <:igne des temps; en effet, M. le docteur Lonet a passé 
plus de 16 hivers en Orient; il connaît bien la région; il a vu les mas- 
sacres; il y a assisté. Or, il y a quelques années, lorsque, à son retour, 
à Lyon, il voulut faire une conférence sur les massacres d'Arménie, il en 
fut empêché par le ministre des affaires étrangères d*alors. M- Gabriel 
Hanotaux, qui, après en avoir référé au Conseil des ministres lui interdit 
de parler de ces massacres. (Huées et sijfîets.) Ce qu'il n'a pu faire jadis 
il l'a fait hier, aux applaudissements de tous; et il a révèle des faits telle- 
ment monstrueux que le P' Bérard lui-mcme ne fes connaissait pas. 

Il a vu dans des petits villages de Syrie, des assassinats et des mas- 
sacres, comme peut être jamais on n'en a vu à aucun marnent ailleurs. 
Ce récit a éveillé parmi les 3,ooo auditeurs un sentimeni de profonde 
pitié qui se répercutera au dehors. 



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— 276 — 

Après cette conférence, M. Victor Bérard a pris la parole, — n'ayant 
pas craint de passer toute une nuit en chemin de fer, entre ces deux 
conférences pour venir apporter à Lyon la bonne parole, — et à la suite 
de la réunioi-, â l'unanimité des 3,ooo électeurs présents, il a voté un 
ordre du jour demandant la création d'un contrôle en Macédoine. Cet 
ordre du jour a été dès hier soir télégraphié au ministre des affaires 
étrangères, et le Comité lyonnais m'a prié de vous en donner commu- 
nication. 

Je viens donc vous dire : à côté du peuple parisien il y a le peuple 
français de province, dont l'âme vibre avec vous. Tous les cœurs libé- 
raux et démocrates, je m'en porte garant, sauront imposer à leurs repré- 
sentants, aux pouvoirs publics, leur volonté et sauront leur rappeler 
qu'ils ont des devoirs envers l'humanité et envers la justice interna- 
tionale! (Applaudissements.) 



M. m; g goll 

(Traductio) de Af. Jean Longuet) 

Messieurs, 

M. Mac Coll s'est surtoi t fondé dans son argumentation sur cette 
idée que la Turquie est un régime théocratique, qu'il n'y avait pas en 
Turquie un régime politique analogue à celui des autres nations euro- 
péennes, mais un gouvernement dans lequel certaines lois religieuses 
sont plus fortes que la volonté des gouvernants eux-mêmes et prévalent 
contre tous les efforts des puissances qui, jusqu'ici n'ont pas voulu agir 
par le seul moyen effectif. 

Les chrétiens, notamment, sont absolument dépourvus de droits; 
ce sont des esclaves dont le ténwignage ne peut être reçu en justice 
contre celui des musulmans; ils n'ont pas le droit d'avoir des armes; 
ce ne sont pas par conséquent des citoyens, ce ne sont pas même des 
sujets comme on l'entenî dans les monarchies européennes. 

Mais cette loi de la constitution ottomane doit s'incliner devant une 
autre loi plus forte; car lorsque le Sultan est en présence d'une force 
contre laquelle il ne peut résister, il est dans l'obligation de s'incliner. 

Nous en avons ]in exemple tout à fait remarquable dans l'affaire 
Tubini-Lorando; à ce moment, le Sultan qui n'a pas de flotte, qui n'a 

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- 277 — 

pas un seul navire tenant la mer, a été obligé de s'incliner immédiate- 
ment. Soyons persuadés, quand il s'agit de l'existence de ces nationa- 
lités chrétiennes, quand il s'agit de la propriété et de la vie de milliers 
de malheureux, que nous pourrions obtenir ce qui a été obtenu déjà 
pour quelques financiers. 

On peut citer un autre exemple de la facilité avec laquelle le gouver- 
nement du Sultan cède, lorsqu'on sait employer des arguments réelle- 
ment décisifs. Le gouvernement de M. Gladstone, il y a quelque 20 ans, 
devait remettre la Thessalie à la Grèce; le Sultan s'y refusait; il a suffi 
de l'envoi d'une flotte anglaise qui menaça de saisir Smyrne, pour que 
le gouvernement du Sultan cédât. Ce qui a été fait à ce moment pour- 
rait être obtenu avec autant de succès et d'efficacité afin d'obtenir pour 
les chrétiens d'Orient les conditions de vie nécessaires. Pour cela nous 
devons compter surtout sur l'action des grandes puissances libérales. Et 
il est nécessaire que ces puissances, qui sont la France^ l'Angleterre et 
l'Italie marchent ensemble; c'est de ces pays où l'opinion publique peut 
s^ faire sentir qu'on peut attendre une solution à la question d'Orient, 
c'est dans ces pays seulement qu'on peut agir à rencontre de la poli- 
tique égoïste et purement réactionnaire de la Russie et de l'Allemagne . 
Nous devons nous élever avec une indignation particulière contre 
l'action tout à fait abominable de l'Empereur d'Allemagne, Guillaume II 
dans les affaires d'Orient. (Vipe approbation). L'EmptreurGuiii^ume^si 
d'autant moins excusable qu'il veille sur les jours d'Abd-ul-Hamid 
omme le cannibale qui garde son prisonnier pour mieux le manger 
quand il l'aura suffisamment engraissé. (Rires.) 

Le gouvernement de la République française est décidé à agir et à 
accomplir son devoir en Orient il ne sera pas seuL 11 y a, en Angleterre 
notamment, un formidable mouvement d'opinion. Plus de aoo meetings 
ont été organisés, et M. Mac Coll personnellement a pris part à 
plusieurs de ces meetings, aussi importants que celui-ci. M, Mac Coil 
est heureux de constater que cette pression de l'opinion anglaise n'a pas 
été vaine, et que le gouvernement anglais ^st disposé à marcher si le 
gouvernement français veut l'aider. 

Il y a tout lieu de croire que le gouvernement de M* Balfour est 
décidé à intervenir en Orient, s'il peut compter sur l'appui des gouver- 
nements de France et d'Italie. 

Pour ie moyen, M. Mac Coll est d'accord avec Al. Bérard; en dehors 
de la nomination d'un gouverneur responsable^ sous le contrôle de 



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— 278 — 

l'Europe, il n'y a rien. Dans le projet austro-russe ie gouverneur serait 
soumis à l'autorité directe du Sultan, et il ne pourrait rien faire comme 
cela s'est vu dans le passé. Mais il faut sortir des sentiers battus, et agir 
en faveui de la nomination d'un gouverneur responsable, sous le 
contrôle direct de l'Europe. 

11 faut remarquer que le fanatisme musulman ne peut être rendu 
responsable des massacres. Ils sont ordonnés à Constantinople. Le fana- 
tisme musulman se déchaînant et produisant de terribles massacres est 
une légende; ils se reproduisent périodiquement, Syrie, Bulgarie, 
Arménie, sur des excitations venues de Constantinople; ils ont une 
cause directe : le gouvernement d'Yildiz-Yosk. C'est là qu'il faut frapper 
si on veut les faire cesser. 

Les gouvernements n'agissent que dans la mesure où ils sont 
poussés par les gouvernés. Il est nécessaire, dans les pays libéraux, où 
le gouvernement dépend dans une certaine mesure de l'opinion publi- 
que, que cette opinion se fasse sentir avec une force irrésistible, et oblige 
les gouvernements à intervenir. (Applaudissements,) 



M. GEORGES LORAND 

Membre de la Chambre des représentants de Belgique. 

Citoyens, 

Vraiment, je me demande à quel titre je suis à cette tribune, et ce 
que je puis vous apporter comme concours venant d'un pays qui, 
comme le mien, n'a rien à dire dans les affaires internationales, est 
beaucoup trop petit pour exercer une action quelconque sur la poli- 
tique des grandes puissances, et peut tout au plus suivre avec sympathie 
et applaudir aux efforts qui se font chez des nations plus grandes dans 
le sens de la vérité et de la justice. 

Ce que je fais donc ici, c'est que je viens, très sincèrement, au nom 
de mes amis belges, de toutes les opinions politiques, je pense, car 
quand nous avons eu l'occasion de discuter la question arménienne, et 
la question macédonienne, nous avons eu le plaisir d'avoir, comme 
vous-mêmes au Château-d'Eau, des représentants de toutes les opinions 
et de toutes les nuances politiques, et nous y avons vu affirmer l'unani- 
mité du sentiment humanitaire de la nation. Je viens donc vous féliciter 



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— ^79 — 

très sincèrement d'avoir donné, par le meeting du Châieau-d'Eau, et 
par le meeting actuel, la preuve que ces mêmes sentiments d*humanitê 
désintéressée se manifesteront désormais d'une façoîi énergique en 
France, où ils peuvent avoir un effet pratique et exercer une action 
décisive sur les résolutions des gouvernements* 

Je crois, en effet, au point de vue pratique, qui est celui auquel on 
aime à se placer dans mon pays, que des réunions comme celle-cî, à la 
condition d'être suivies, d'être multipliées, d'être portées dans toutes les 
parties du pays, et devant les différentes fractions de l'opinion publique 
peuvent forcément exercer une action décisive sur les résolutions des 
cabinets. 

Nous avons l'habitude, chez nous, de discuter publiquement devant 
le peuple assemblé toutes les questions possibles; nous nous en sommes 
toujours bien trouvés, et je crois qu'il est temps que dans les grandes 
nations sur lesquelles on compte dans le monde civilisé tout entier, pour 
exercer enfin une action dans le sens de la justice, dans les pays qui ont 
le bonheur d'être à la fois de puissances et des puissances libérales, 
dans ces trois grandes nations occidentales dont nous voyons aujour* 
d'hui l'entente si heureusement rétablie, en Angleterre, en France, en 
Italie, l'opinion publique commence à s^occuper elle-même de ses 
propres affaires, et des affaires internationales. (Appîaudissements.) 

Les Anglais viennent de nous en donner l'exemple. C'est grâce à ce 
mouvement, provoqué dans l'opinion publique par les aoo meetings 
dont quelques-uns dus aux organisateurs qui se trouvent sur cette 
«strade, que le gouvernement conservateur anglais, qui ne s'émeut 
peut-être pas très vite pour de simples considérations d'humanité et de 
justice internationale, a marché et a pris l'initiative d'une action euro- 
péenne à laquelle nous espérons que les deux autres puissances occi- 
dentales s'associeront. 

Je ne viens pas vous promettre de faire des meetings en Belgique ; 
nous en ferons; mais cela ne compte pas. En Italie, avec Qutllard (nous 
avons eu l'occasion de le constater quand nous sommes allés prendre 
la parole dans cet admirable meeting de Milan, au mois de mai), je ne 
doute pas que les mêmes hommes qui ont dé\k remporté une xtàs grande 
victoire d'opinion publique, qu'il est bon de rappeler ici, des hommes 
qui, lorsque la réaction italienne, conduite par M. Crispi, voulait brouil lier 
l'Italie et la France, et y étaient presqu'arrivés, M. Moneia et ses amis 
milanais, et le groupe du Secolo, sont arrivtîs par la seule action de 



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— 280 — 

l'opinion publique, par les quelques journaux qui échappaient à la cor- 
niption gouvernementale, par des réunions comme celle-ci, et qui ont 
obtenu ce triomphe que, maintenant, la France et Tltalie sont de nou- 
veau sœurs et ont pu célébrer ces fêtes de réconciliation fraternelle de 
ces jours derniers, je ne doute pas que ces mêmes hommes, nous en 
avons le ga^e dans le mouvement commencé au mois de mai et cette 
réunion, dans laquelle nous avions, nous pouvons le constater avec une 
a mère satisfaction, annoncé et prédit point par point tout ce qui s'est 
passé : les atteoiats de Salonique, l'agrandissement de l'insurrection 
macédonienne, et l'effroyable répression dont elle a été le prétexte, je ne 
doute pas que ces hommes-là encouragés par votre exemple, car tout ce 
qui se fait ici a une répercussion immédiate dans l'Europe entière, ne 
reprennent cette propagande et n'obtiennent que le gouvernement italien^ 
fidèle à ses traditions, et à la raison d'être de l'Italie dans l'Europe 
moderne rie soit prêt à marcher avec vous, pour faire de l'intervention 
européenne en Orient, quelque chose de sérieux et non pas cette dérision 
qu'a été jusqu'à présent l'entente austro-russe. 

Mais c'est surtout sur la France qu'il faut compter. C'est elle qui peut 
dire le mot décisif; c'est ici qu'est actuellement le nœud de la situation 
et c'est par votre action, c'est par la propagande que vous ferez, par les^ 
manifestations d*opînion publique que vous pourrez provoquer dans 
l'ensemble du pays, et dont votre gouvernement, naturellement, dans 
une république de suffrage universel, ne pourra ne pas tenir Compte, que 
nouîi obtiendrons enfin le mouvement libérateur si impatiemment 
attendu dans les Balkans : arrêter les massacres, ensuite obtenir eu 
riim posant par une menace d'intervention européenne au besoin, des 
réformes su (fi santés pour assurer à ces populations non pas la liberté. 
Tin dépendance, mais les conditions les plus élémentaires, sans lesquelles 
la vie humaine est impossible. C'est ce qu'elles n'ont pas actuellement. 
C'est sur vous, c'est sur la France que nous comptons dans toute l'Eu- 
rope civilisée. Partout les peuples émancipés, les hommes libres ont 
toujours eu les regards tournés vers la France, et c'est toujours d'elle 
qu'ils ont attendu non pas seulement les paroles, mais les actes d'éman- 
cipation. 

Aujourd'hui^ nous avons le bonheur de constater que la politique 
française redevient ce qu'elle eut dû toujours être; nous avons eu la^ 
joie d'applaudir à ce rapprochement avec l'Angleterre et à ce rappro- 
chement avec r Italie, qui permettra à ces trois nations d'exercer l'ac- 



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— 28l — , 

tion libérale qui est, hélas I en Europe, une bien triste nécessité. Nous 
avons applaudi, et je ne puis pas ne pas dire cette fois-ci au nom de 
tous mes compatriotes, à ce traité d'arbitrage promu par M- d'Estour- 
nelles de Constant, qui sera, je l'espère, suivi d'un très grand nombre 
de traités semblables, et j'espère que nous pourrons aussi dater dt' ce 
meeting le commencement d'une action décisive et résolue, dont vous 
prendrez l'initiative, à la tête de laquelle votre pays se mettra, certain 
désormais du concours de l'Angleterre, et non moins certain, pourvu 
qu'on fasse le nécessaire, du concours de l'Italie, et alors Iês crimes 
d'Abdul-Hamid et les machinations des puissances réformatrices ne 
dureront pas plus longtemps, et nous aurons cette première satisfaciîon 
d'avoir arrêté Teffusion du sang, et de voir commencer roeuvre de 
réforme. (Applaudissements.) 



M. ATKIN 

Secrétaire de rAssociation anglo-arménienne. 
(Traduction de M. Jean Longuet), 

Mesdames, Messieurs, 

M. Atkin déclare tout d'abord qu'il est heureux de se trouver aujour- 
d'hui au milieu de tant de citoyens énergiques luttant pour la cause de 
l'humanité, et il rend hommage à la grande artiste qui a donné son 
théâtre pour cette réunion, Sarah Bernhardt. (Applaudissements.) 

Il rappelle que quelques mois avant sa mort il a vu Gladstone, et 
que celui-ci lui a déclaré qu'il espérait que la libération et rémandpaiion 
de tous les opprimés d'Orient viendrait de la force de l'opinion publique 
en France, en Angleterre, en Italie. 

M. Atkin déclare qu'il y a là-bas à Yildiz-Yosk une bête fauve, un 
tigre, et que, d'habitude, lorsque de pareils animaux se trouvent libres 
on ne les laisse pas continuer leur carrière de meurtre et de sang. U rap- 
pelle que quantité de promesses et de traités ont été faits jusqu'ici; qu'il 
faut aujourd'hui agir; les livres jaunes, les livres bleus, les livres verts 
publiés en France, en Italie, en Angleterre, nous donnent des Jaits. Il ne 
s'agit pas de sentimentalisme vague; il y a des faits et il est grand temps 
d'intervenir. (Approbation,) 



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282 



M. PIETRO MAZZINI 

Le député italien Bossi devait être ici pour vous apporter l'écho de 
la révolte de la conscience italienne contre les massacres d'Arménie et 
de Macédoine. En son absence, je suis chargé de prononcer ici quelques 
mots. Je n'ai pas l'habitude de la parole et je vous prie d'excuser mon 
insuffisance oratoire. 

Le peuple italien, issu d'une longue révolution, ne pouvait se désin- 
téresser de ce mouvement de protestation ; il s'y est joint dans des mee- 
tings très importants, à Milan et à Rome, conime le rappelaient 
M. Quillard et M. Lorand. Le peuple italien, qui a supporté de longues 
tyrannies et une longue oppression, ne peut oublier la vieille et glo- 
rieuse tradition garibaldienne... {Applaudissements.) Il est donc aujour- 
d'hui de tout cœur avec vous. 

En Italie il y a deux courants sur la question macédonienne et armé- 
nienne : le courant populaire et le courant diplomatique. Le peuple 
italien se rappelle son passé malheureux et héroïque, et joint sa protes- 
tation à celle de tous les peuples civilisés^ parce qu'il désire l'affranchis- 
sement complet de tous les peuples opprimés. La diplomatie italienne, 
comme celle des autres pays, Russie et Autriche, on vous le disait tout 
à l'heure, a un autre but : c'est plutôt celui de donner satisfaction à 
l'impérialisme envahissant. 

C'est contre cela que nous devons agiter la conscience populaire, 
parce que la conscience populaire peut tout malgré et contre la diplo- 
matie. 

J'ai été très touché des paroles prononcées par M. Georges Lorand ; 
il a rendu justice à des hommes absents et que nous voudrions bien 
voir au milieu de nous. Il a réparé un oub4i commis pendant toutes les 
fêtes dernières. On nous a parlé de la diplomatie italienne et de ce 
qu'elle a fait pour le rapprochement franco-italien ; mais on n'a pas 
parlé un moment des hommes comme E.-T. Moneta et d'autres, qui, 
au moment où être ami de la France voulait dire être pour les ennemis 
et payé par le gouvernement français, ont eu le courage de soutenir une 
glorieuse campagne pour le rapprochement des deux pays. Il ne faut 
p9> oublier que si, aujourd'hui la France et l'Italie se donnent la main, 
nous le devons avant tout à la démocratie française et à la démocratie 
italienne. 



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— 283 — 

C'est donc à la démocratie de tous les pays civilisés qu'il faut nous 
adresser, il faut agiter la conscience populaire pour obliger la diplomatie 
â faire ce que nous voulons. Nous l'avons vu dans le passé et nous le 
verrons encore : la diplomatie fera ce que les peuples lui imposeront. 

Mais je dois dire qu'il y a aussi en Italie un autre courant. C'est celui 
qui n'aime pas les atermoiements; à la tête de ce mouvement est le 
fils d'un homme qui nous est cher à tous, Français et Italiens^ le fils 
de Giuseppe Garibaldi... (Applaudissements) qui est d'accord avec les 
orateurs qui viennent de parler aujourd'hui, mais qui dit aussi : il faut 
en fînir avec cette impuissance. Si demain la diplomatie italienne ne fait 
pas ce que le pleuple veut, ce que nous voulons, nous rassembleroris 
des hommes et nous irons aider la Macédoine!... Ainsi, vous pourriez 
voir encore des gestes héroïques, vous pourriez voir encore* cette chemise 
rouge de Garibaldi, que vous n'avez pas oubliée. Français , qui passa, 
flamboyante et sublime à Dijon, passer sur la Macédoine. 

Nous ne souhaitons pas la guerre; nous sommes ici pour faire une 
œuvre de paix. Mais si on devait revoir les gestes héroïques, ce serait U 
diplomatie qui serait responsable,^ ce serait elle qui l'aurait voulu. Sou- 
haitons donc que ce soit par les moyens pacifiques que sera donné à 
l'Arménie un régime de paix et de prospérité. 

Au nom de mes amis d'Italie, du Comité Pro-Arménien, de plusieurs 
députés italiens, et des Arméniens résidant en Italie, je fais des voeux 
ardents pour l'Arménie libre et la Macédoine libre! (Applaudissements* 



M. NOËL BUXTON 

Président du Balkan-Committee. 

Mesdames, Messieurs, 

N'étant pas familiarisé avec la langue française, je me Itmite à 
quelques mots touchant le mouvement arménien en Angleterre et Inor- 
ganisation des Comités balkaniques. 

Ce qui est demandé dans chaque réunion, c'est que le système de 
l'administration directe du sultan prenne fin et que commence rentcnte 
des puissances européennes. 

On nous demande journellement notre assistance pour organiser des 
conférences puissantes. Nous fournissons les documents et les orateurs. 



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— 284 — 

Dans plusieurs villes, à Birmingham, à Manchester, à Liverpool, il y a 
Uni d agita don que le maire est obligé d'être présent aux réunions à 
l*hôtel de ville. Depuis le mois d'août, plus de 200 conférences ont été 
organisées, et nous espérons en faire 3 ou 400. 

Dans notre prospectus, nous disons que l'Angleterre devrait faire 
une proposition aux puissances pour l'intervention ; elle aurait proba- 
blement la coopération des gouvernements et des peuples, de la France 
ei de l'univers. Le gouvernement anglais a fait le premier pas : nou& 
attendons la coopération de la France. (Applaudissements,) 



M. BOCCIARDO 

Délégué du Comité de Rome, 

Citoyennes et Citoyens, 

Je ne crois pas devoir entrer dans le fond de la question après tout 
ce que les orateurs qui m'ont précédé en ont dit. Je crois ne devoir que 
TOUS dire quelques mots sur le développement qu'ont pris les Comités 
pro-armcniens et pro-macédoniens en Italie. 

La première réunion a eu lieu à Milan avec l'intervention de 
M. Loris-Mélikoff que vous connaissez bien. (Applaudissements.) Le 
splendjde succès de cette réunion a encouragé M. Loris-MélikoflF à venir 
à Rome où il a rencontré le meilleur accueil. Les difficultés qu'il a ren- 
contrées à Rome ne sont venues que du côté diplomatique, comme 
partout heureusement le parti démocratique, et tout spécialement je 
tiens à le déclarer, le parti républicain a donné à Rome à M. Loris- 
Mélikofïune aide fraternelle. 

Le meeting du 24 mai a réuni plus de 4.000 personnes, et on a pu 
constater par l'accueil fait, soit au discours de M. Loris-Mélikoff, soit 
au discours de ce grand maître de la langue française, Anatole France 
( Vifs applaudissements), l'immense désir de la démocratie italienne de 
frat'.Tniser avec la démocratie française. La réunion vota un ordre du 
jour qui a dû être envoyé au ministère des affaires étrangères, comme 
probablement lui ont été envoyés les ordres du jour semblables de 
Milan, Naples, Alexandrie. 

En ce moment, il y a des Comités permanents à Milan, Gènes et 
Romej il est probable que si la question macédonienne et la question 



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arménienne ne trouvent pas une solution satisfaisante par les moyens 
diplomatiques, ragîiaiîon continuera en Italie, et il est probable qu^elle 
aboutira à un mouvement populaire qui pourrait avoir de sérieuses 
conséquences. 

En kalie, comme vous le disait Mazzini il y a un instant^ la traditioa 
garibaldienne est encore vivante, elle n'a rien perdu de son énergie et 
de sa grandeur*.. 

J'ai fini j j'ai pu constater que le vœu général estplusqu*un«entente, 
une fusion des démocraties française, anglaise et italienne. Moi qui ai 
combattu en Italie la triple alliancej quand il y avait quelque dangef 
i le faire, je fais un vœu : c'est que cette nouvelle triplîce puisse 
s'aflirmer, avoir le triomphe que tous nous lui désirons. {Applaudîs- 
semenls.) 

M. JEAN JAURÈS 



CiTOYENPfES ET CîTOYENS, 

Je voudrais, autant qu'il me sera possible, ajouter quelques mois. 

Tout d'abord, c'est une grande joie pour nous de constater, en cette 
question de 1* Arménie et de la Macédoine Taccord complet de tous les 
délégués, anglais, français, italiens et belges, car nous ne sommes pas 
de ceuK qui disent que la Belgique ne compte pas (Rires et approba- 
tion): accord sur le but et sur les moyens. Le but, c'est d^arracher les 
populations arméniennes et macédoniennes à un régime abominable, 
en substituant à Tautonté directe du Sultan Taction eflficacc d'un gou- 
verneur responsable devant FEurope, investi par elle d*un mandat de 
civilisation et contrôlé par elle. Voilà bien le but vers lequel nous allons 
tous; but clair et précis, qui ne prête à aucune équivoque, et qui, je 
crois, ne peut souffrir aucune contestation. ^ 

Le moyen c'est la yî^jourêuse action collective, coercitive ^I le faut 
{îrèskien!}, de VE^u^p^e unie; et ce*<|^i nous permet d'espérer une 
^^ni^i^^ue interventloii cotliiçtive ^^itffc|!^enne, c'est ce groupement 
iem des irciis grands pays i^ Eiberté^ de démocratie, de régime repré- 
I^Wtif ; Italie, Angleérre, F^|nce {Applaûdissemems.) 

Je me félicite d'atflani pî^iÈ,i^et nous devooà nous féliciter d'autant 
^fus, dç raccord récent qui s^^anifeste entre ces trois grands pays iibé- 
fraux,. qu'il u'fitfft pas fondé suç^ communauté de races* La race est un 






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— 286 — 

admirable trésor d'énergie et de qualités héréditaires, lorsque ces 
facultés sont mises en œuvre par un grand idéal commun de civilisation , 
mais la race n'est qu'une survivance brutale de nature lorsqu'elle est le 
principe exclusif et aveugle des sympathies ou des antipathies. (Applau- 
dissements), C'est pourquoi ce qui me touche dans cette sorte de cor- 
dialité française, anglaise, c'est que c'est l'accord du magnifique génie 
anglo-saxon, c'est-à-dire au-delà des limites de races, l'espérance affir- 
mée de l'universelle réconciliation. Et plus cet accord des grands peuples 
de raison, de discussion et de liberté, est nécessaire au développement, 
à la reconstitution ou plutôt à la constitution d'une Europe ^ car il n'y 
a jamais eu, au plein sens du mot une Europe, il y a eu des lambeaux 
d'Europe, se déchirant les uns les autres (Applaudissements) — , plus cet 
accord est nécessaire, plus nous devons le sauvegarder de toute méprise 
et de tout malentendu, plus nous devons éviter les pièges sournois de 
ceux qui, n'osant pas attaquer en face cette œuvre admirable de récon- 
ciliation et de rapprochement entre l'Italie, la France et l'Angleterre, 
essaieraient de la compromettre par des manœuvres perfides. 

La première de ces manœuvres, c'est d'insinuer que l'accord qui est 
c )nclu, que l'entente qui s'affirme n'a qu'un caractère provisoire, qu'elle 
e >t à la merci des événements de demain, extérieurs et intérieurs. Je 
crois que nous avons le droit de dire, après avoir regardé les choses en 
toute sincérité et en toute clarté, que ce n'est pas une entente provisoire ; 
qu'il dépend de nous qu'aucun péril sérieux ne la menace, au dehors ou 
au dedans, et qu'il dépend de nous, qu'elle ne soit à la merci ni des 
hasards ni des inquiétudes. 

Il n'y a, dans la politique extérieure, rien qui puisse gravement mettre 
aux prises Angleterre, France, Italie, et quant aux vicissitudes de la 
politique intérieure, nous savons bien qu'il y aura, dans les trois pays, 
des alternances de démocratie exaltée et de démocratie déprimée, mais 
il nous suffit que la clarté de la liberté et de la raison, même si elles y 
subissent de passagères éclipses, ne puissent jamais y être éteintes, pour 
que nous ayons confiance dans la durée d'une entente fondée sur la 
force indissoluble de la raison libre qui ne peut plus périr. Il n'y a plus 
d'événements intérieurs et de surprises intérieures qui puissent réveiller 
les défiances entre l'Angleterre et la France. Et ici, je voudrais mettre 
nos amis en garde contre une manœuvre de l'adversaire. 

Les nationalistes vont, disant : oui, mais demain l'Angleterre va 
élever peut-être, autour de son empire, une barrière de tarifs. 



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-287- 

Je n'ai pas l'indiscrétion, je ne commettrai pas l'inconvenance d'in- 
tervenir de façon quelconque, même par des prévisions, dans les libres 
luttes des partis anglais. Je dis seulement que, quelle que soit la décision 
libre et souveraine du peuple anglais, quand bien même nous se ions 
amener à la regretter, quand bien même beaucoup de nos amis anglais 
ici présents, seraient réduits à la déplorer, nous n'aurions pas le droit 
de considérer comme un acte peu amical envers la France, un remanie- 
ment de tarifs douaniers, alors que ceux qui dénoncent ce péril anglais 
ont été les premiers à entourer la France d'une barrière de douanes. 
(Applaudissements), Ainsi, quoi qu'il advienne sur ce point, l'accord 
pourra se maintenir entre la démocratie française et la démocratie 
anglaise. Et entre la démocratie de France et la démocratie d'Italie, je 
crois pouvoir dire que le malentendu a définitivement disparu. 

Nous avions, nous, France, une large part de responsabilité dans ce 
malentendu. (Applaudissements). Nous avons trop vite oublié que si 
nous avons, un moment aidé l'Italie à préparer son émancipation par- 
tielle, nous l'avons déçue, nous l'avons abandonnée à mi-chemin ; nous 
nous sommes retournés contre elle et, pour préserver dans l'intérêt de 
notre dynastie, semi-césarienne et semi-cléricale, la puissance tempo- 
relle de la papauté, nous avons arrêté l'élan italien, nous avons contribué 
à briser l'élan italien. Nous avons appesanti sur l'Italie le poids de la 
domination papale, qui était en même temps pour elle une domination 
étrangère. Et nous avons longtemps permis que, chez nous, un parti 
puissant, qui semblait prêt chaque jour à mettre la main sur le gouver- 
nement de ce pays, parût pouvoir rouvrir la question romaine. Eh bien, 
elle est close par Rome, capitale intangible de l'Italie unifiée. Et le pro- 
grès de la démocratie laïque en France fait que le rêve de restauration 
du pouvoir temporel, qu'à un moment chez nous le parti clérical avait 
caressé, a définitivement disparu. (Applaudissements*) 

Tout prétexte manque donc à ceux qui, de l'autre côté des Alpes, 
sous la direction de Crispi, avaient grossi cette légende, exagéré ce 
malentendu et envenimé la plaie que notre égoïsme avait laissé se former. 
Ainsi les trois peuples pourront désormais, sans ombre d'inquiétude, 
sans ombre de malentendu, marcher d'accord, et leur accord aura cer- 
tainement pour çflFet, ou d'imposer, ou tout au moins de suggérer 
presque irrésistiblement à l'ensemble de l'Europe, une conduite vigou- 
reuse, sage et humaine dans la question d'Arménie et de Macédoine. 

Ah ! prenons garde : à peine cette sorte de triplice libérale et démo- 



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égl^^Ui 



i 



— 288 — 

craiique, dont parlait tout à l'heure éloquemment le délégué de Rome, 
a-t elle commencé à s'ébaucher, que ceux qui ont intérêt à propager les 
malentendus en Europe essaient d'en dénaturer la tendance et le carac- 
tère. 11 ne faut pas s'y méprendre. Les événements récents ont provoqué 
en Allemagne, et dans une partie même de la démocratie allemande, 
-quelques inquiétudes et quelque nervosité. A mesure que France, Italie, 
Angleterre se rapprochaient, l'Allemagne paraissait redouter une sorte 
d'isolement diplomatique. C'est le mot qui a été prononcé même par de 
grands organes libéraux. Il ne faut pas quMl y ait de méprise. 

Oui, nous voulons parler en toute liberté de la funeste politique 
orientale de l'empire allemand ; oui, nous savons gré à ceux qui, tout 
en dénonçant en cette question les terribles responsabilités du czarisme, 
mettent aussi en sa juste lumière la responsabilité de cet empereur alle- 
mand, allié moral du sultan, et sans l'appui duquel il n*aurait pas pu 
prolonger indéfiniment, depuis des années, le régime abominable que 
Quillard et Bérard ont indiqué. 

Donc, nous revendiquons le droit et nous accomplissons le devoir de 
signaler les terribles responsabilités de la politique allemande; mais il 
ne faut pas qu'il y ait de malentendu : il ne faut pas permettre un seul 
jour, une seule minute, à ceux qui s'effraient du rapprochement de 
liberté et de démocratie entre l'Italie, l'Angleterre et la France, il ne faut 
pas leur permettre d'insinuer qu'à l'abri de ce rapprochement la France 
nourrira des arrière-pensées de remaniement territorial qui déchaîneraient 
sur l'Europe les pires confusions. Et nous, socialistes français, qui avons 
protesté aux heures difficiles contre toute arrière-pensée de revanche par 
la force, nous qui avons élevé cette protestation, nous nous sentons 
d'autant plus autorisés, d'autant plus obligés à la renouveler, qu'au- 
jourd'hui la France, entourée de sympathies fraternelles est plus forte, 
et plus libre de son action, précisément parce que nul ne peut imputer 
à terreur ou à défaillance l'affirmation de paix que nous donnons. Nous 
voulons la donner tout entière. (Approbation,) 

Non, il n'y a aucune arrière-pensée; non, notre triplice de liberté, de 
démocratie et de paix, n'a pas une pointe cachée tournée contre d'autres 
peuples. Elle sera une triplice de paix agissant par persuasion sur l'en- 
semble de l'Europe. (Applaudissements.) 

Une voix. — Il faut dénoncer l'alliance russe ! 

M. Jean Jaurès. — J'ajoute qu'il ne dépendra que du gouvernement 



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— 2S9 — 

russe îuî-méme, s'il veut renoncer à la politique funeste où il me semble 
s'engager de plus en plus, s'il ne veut pas étonner le monde par ces 
massacres de juifs comme à Kichinefî, qui font un terrible diptyque 
avec les massacres d'Arménie et de Macédoine, et diminuent considéra- 
blement l'autorité de l'intervention russe, s'il ne veut pas à force de 
méfiance, de police, de répression, d'autocratie étouffante et san- 
glante, s'enfouir à jamais dans les ténèbres du despotisme à la Nico- 
las 1er, il ne dépendra que de lui de maintenir avec l'Europe occiden- 
tale et libérale, ces communications diplomatiques qui permettront à 
l'opinion du monde civilisé de se traduire selon les formules régu- 
lières... (Vive approbation,) 

C'est ainsi, en dégageant le groupement anglais-français-italien de 
tous les malentendus qui auraient pu l'obscurcir que nous servirons le 
plus efficacement la cause de la Macédoine et de l'Arménie. Non, pour 
aucun des trois peuples qui vont élever la voix en faveur de l'humanité 
outragée et ensanglantée, ni pour l'Angleterre, ni pour l'Italie, ni pour 
la France, l'Arménie et la Macédoine ne sont des prétextes derrière 
lesquels se dissimuleraient d'autres ambitions. C'est en toute loyauté, 
c'est parce que l'humanité a crié là-bas par d'innombrables blessures, 
et que l'écho de nos cœurs y a répondu par d'innombrables protesta- 
tions ; c'est pour cela que nous nous rapprochons, que nous nous unissons, 
que notre devoir à nous, démocratie française, sera de presser.le gouver- 
nement de la République d'adhérer à l'initiative si nette, si précise, si 
vigoureuse du gouvernement anglais; et si la démocratie italienne 
exerce en Italie la même action, lorsque, au nom de ces trois grands 
peuples, le Sultan sera sommé de respecter les droits élémentaires de 
l'humanité violés par lui, alors les autres peuples de l'Europe et les 
combinaisons austro-russes, et la réaction allemande seront bien obli- 
gés de faire à l'humanité quelques sacrifices, car cette fois c'est l'huma- 
nité n^ême qui sera devenue la Force (Applaudissements.) 

Et ce sera une grande chose, citoyens, que l'unité politique de 
l'Europe moderne commence à s'affirmer par une unité morale de pro- 
testation contre le crime et en faveur de l'humanité 1 C'est parce que 
nous considérons cette triple union anglaise, italienne, française, 
comme les trois premières pierres du foyer d'universelle démocratie et 
d'universelle paix que deviendra l'Europe, que nous nous félicitons par- 
ticulièrement de la réunion d'aujourd'hui. 

J'ajoute que l'objection dernière qu'on nous a adressée, lorsqu'on a 



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— -90 

prétendu que nous voulons servir les intérêts exclusifs du nationalisme 
bulgare au détriment des autres nationalités engagées là-bas, cette 
objection disparaît aussi. Pas plus qu'entre nous ici il n*y a de ques- 
tions de racés, ce n'est là-bas un problème de races que nous voulons 
trancher par des décisions exclusives... 

Le gouverneur de ces régions investi par l'Europe, sera précisément 
élevé au-dessus de ces préoccupations exclusives. Et il m'est bien permis, 
sans mêler nos spécialités de partis à cette grande manifestation, qui les 
dépasse, à moi, socialiste, de rappeler que ces jours-ci les socialistes 
bulgares se réunissaient, et qu'ils réclamaient du monde la libération 
des opprimés, non pas seulement de la Macédoine, mais de tous les 
opprimés; non pas dans une pensée nationaliste d'annexion à ki Bul- 
garie, ou de prépotence bulgare, mais dans une pensée socialiste, libé- 
rale, universelle et égale. 

Voilà, citoyens, l'œuvre que nous avons ébauchée, que nous conti- 
nuerons, et dans le Parlement et dans le pays, à la tribune belge, à la 
tribune italienne, à la tribune anglaise, à la tribune française, et dans 
des meetings qui rapprocheront l'âme encore éparse et incertaine des 
peuples, et qui seront comme les premiers fragments d'une humanité 
nouvelle, où bientôt viendront se fondre toutes les injustices et toutes 
les haines au feu d'une même solidarité humaine. (Longs applaudisse- 
ments et acclamations.) 

M. Jean Jaurès reprend la parole et ajoute : 

Nous avons oublié d'accomplir le premier de nos devoirs, qui était 
de vous dire qu'il y a ici, l'homme qui a été en France le premier l'ini- 
tiateur et le plus puissant propagandiste de Tidée de paix, et qui, 
aujourd'hui, ses yeux étant enveloppés de la nuit, ne peut assister que 
par la puissance et l'émotion de sa pensée et de son âme à cette mani- 
festation qui est en partie son œuvre; j'ai nommé Frédéric Pâssy. {Vifs 
applaudissements.) 



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291 



M. D'ESTOURNÉLLES DE CONSTANT 

Mesdames, Messieurs, 

J'en veux presque à mon éminent ami M. Jaurès qui m'a ravi fa joie 
profonde que je me promettais de réparer cet oubli qui a été commis. En 
effet, je voulais vous convier à acclamer notre maître, le précurseur 
Frédéric Passy. Je suis heureux, tout compte fait, qu'un autre que moi 
ait cru devoir me devancer et se charger de ce devoir^ et je vous 
remercie du fond du cœur d'avoir fait fête aux paroles de M, Jaurès. 

Mais si vous voulez que je vous avoue franchcmeni ce que j'éprouve, 
vous le comprendrez aisément. J'ai oublié totalement ce que j'avais 
mission de vous dire; après les discours que nous venons d'entendre, le 
véritable devoir d'un homme convaincu, maintenant, c'est de se taire et 
d'applaudir. 

Nous avons applaudi de tout cœur; nous avons eu le sentiment sur- 
tout de nous sentir, dans cette réunion vraiment exceptionnelle, vraiment 
admirable, unis par une seule et même pensée, k quelque nationalité 
que nous appartenions, ou à quelque parti. Tous nous ne formons qu'un 
seul et même vœu : nous voulons venir au secours des opprimés quels 
qu'ils soient. Voilà la formule qu'a si merveilleusement résumée Jaurès* 
Et quand on pense qu'un progrès semblable est en train de s'accomplir, 
on peut concevoir toutes les espérances. 

Déjà, il y a sept ou huit mois, une réunion presque paradoxale se 
tenait au Château-d'Lau, groupant l'unanimité des sentiments contre 
le Sultan, en faveur des opprimés. Et aujourd'hui voîci que nous voyons 
recommencer ce tour de force. Et combien plus difficile, car il se trouve 
qu'à des hommes de tous les partis se sont adjoints des hommes de 
tous les pays. Oui, l'idée, le progrès est en marche- Remercions les pré- 
curseurs, tous les précurseurs. Les étrangers d'abord ; nous les remer- 
cions tous d'être accourus à notre appel. Toute réunion, simplement 
nationale, en ces matières est forcément impuissante; mais que des 
étrangers soient venus aussi, qu'ils votent, qu'ils agissent avec nous, 
c'est un symptôme, une menace pour celui qui, je l'espère, sera rensei- 
gné dans son palais. J'espère bien que la diplomatie lui rendra compte 
de ce qui se passe ici, et des discours prononcés. (ApplaUiiissemenis.J 

Je serais également un ingrat si je n'exprimais pas le sentiment qui 

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à 



-- 292 — 

est le vôtre à tous, à MM. Jaurès et de Pressensé qui, tous les deux ont 
si admirablement rendu notre pensée. Quelques-uns diront : vous êtes 
venu applaudir des socialistes ?... Pourquoi donc laisse-i-on à ces 
socialistes le bénéfice, le privilège de plaider d'aussi justes et d'aussi 
grandes causes? Tant pis pour ceux qui ne sont pas avec eux, il faudra 
bien qu'ils finissent par y venir. (Applaudissements,) 

Et, puisque vous consentez à m'écouter, laissez-moi vous parler 
d'une émotion que je viens de ressentir, et dont je vous dois compte, 
car elle apporte un argument de plus à nos idées, au mouvement que 
nous poursuivons tous ensemble. 

Tout à l'heure vous avez applaudi un Anglais que je croyais ne pas 
connaître, M. Evans, l'archéologue. Et puis, en le voyant, j'ai eu tout à 
coup Tapparition d'un des souvenirs lointains de ma jeunessse. Je me 
suis rappelé qu'il y a plus de vingt ans, étant diplomate (car vous savez 
peut-être que j'ai été diplomate, mais j'ai bien mal tourné depuis lors) 
(rires), étant en Albanie, à la suite précisément des règlements quelque 
peu laborieux qu'entraînaient les décisions de conférences internatio- 
nales de 1878 et 1880, j'ai dû me fixer dans une petite ville qui s'appelait 
Gravosa. Je cherchais un logement; on m'indiqua celui d'un Anglais. 
Je m'y rendis, je vis un tout jeune homme. Après quelques instants de 
conversation, je ne manquai pas de lui demander ce qu'il faisait là. 
Quelle fut ma surprise l (Peut-être M. Évans se le rappellera-t-il ?) quand 
il me dit, — il avait l'air si jeune que cela paraissait incroyable, et il 
avait l'air tout aussi timide et tout aussi doux qu'aujourd'hui {rires et 
applaudissements) — mais je fus pénétré de l'énergie qui se montrait 
sous cette douceur, quand il me dit : « Je suis venu faire une enquête 
sur les atrocités du Sultan. » 

J'avais alors l'esprit bien obscurci par des préventions diplomatiques 
ou sociales. Je l'écoutais avec surprise et ne pouvait en croire mes 
oreilles. Cependant il me fit le récit de ce dont il avait été témoin, ce 
récit aujourd'hui monotone de toutes les horreurs, de tous les crimes 
auxquels les gouvernements assistent impassibles, et je me sentis telle- 
ment pénétré moi-même de commisération, de pitié et pour tout dire 
de honte, qu'à partir de ce moment une sorte d'éveil de la conscience se 
fit en mon âme de diplomate. 

Et je vous demande, messieurs, à ce propos, s'il est permis de 
mett.e en doute les bienfaits que la coopération des hommes de pays 
différents peut produire; s'il est possible de nier qu'il est bon qu'un 



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— 293 — 

Français rencontre un Anglais de cette sorte et lui parle, et que cet 
Anglais influe sur ce Français et que ce Français, peut-être, à son tour, 
influe sur cet Anglais. De mime, pour un Russe, ua Allemand; car, ne 
nous égarons pas; nous ne faisons ici de manifestation contre personne 
(applaudissements) si ce n'est contre le Sultan et contre les gouverne- 
ments qui s'obstineraient à rester indifférents devant ses crimes l 
(Applaudissements.) 

Je vais vous donner lecture, maintenant, d'un ordre du }our que je 
vous demande de voter par acclamations, et qui sera volé, je respère 
non seulement dans toutes les villes de France, mais d'Europe, d'Amé- 
rique et du monde civilisé : 

Au nom de la conscience universelle qui flétrit et ne 
cessera pas de fllétrir les crimes du Sultan Abdul-Hamidj 

Le meeting international réuni au Théâtre Sarah- 
Bernhardt, le 25 octobre igoS, 

Adjure les puissances de mettre enfin un terme aux mas- 
sacres d'Arménie et de Macédoine, par la nomination d*un 
gouverneur responsable et l'établissement d'un contrôle 
effectif. 

M. F. DE PRESSENSÉ 

Avant de lever la séance il nous reste un devoir à accomplir : nous 
tenons à envoyer l'expression de notre gratitude à la grande artiste qui a 
bien voulu nous prêter son théâtre. (Applaudissements.) 

L'ordre du jour est adopté à l'unanimité. 

La séance est levée. 



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■ iji. j.in 



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— 2g5 — 

Le Banquet 



Le soir, un dtner intime réunissait à l'Hôtel Continental 
les délégués français et étrangers et les représentants de la 
presse. Les assistants se félicitèrent^ comme il convient, de 
i'iieureux succès de la journée et, ie moment venu» por- 
tèrent en toute cordialité les toasts suivants. Nous ne 
pourrons donner les textes des toasts de MM. Buxton et 
Malcolm Mac Coll, qui n'ont point été traduits. 

M. DE PRESSENSÉ 

Me > DAME., Messieurs, 

Bien que n'ayant pas le talent des toasts nous n'en porterons pas 
moins quelques-uns ce soir. Nous en porterons d^abord à celles qui ont 
bien voulu assister à nos longues délibérations et ensuite prendre part à 
la fête de ce soir; nous en porterons un autre à ceux des repr<;sentants 
dont nous avons parlé si longuement cet après-midi^ qui nous ont 
apporté non pas seulement leurs encouragements^ leur joie de sentir 
comme de braves gens, et qui appartiennent à toutes les nations de 
TEurope, mais des enseignements précieux; ils nous ont appris 
comment dans ces pays qui ont depuis longtemps fait l'apprentissage 
de la liberté on l'exerçait, et sur ce point, en France, nous avons beau- 
coup à apprendre. 

Nous avons vécu longtemps ici sous l'empire de cette idée puérile et 
naïve que quand nous avions déposé un bulletin dans une urne il ne 
nous restait plus qu'à nous croiser les brasj à nous asseoir et à voir 
venir ce qui adviendrait. L'expérience, depuis un certain temps, et en 
particulier dans une crise assez ardue que nous avons traversée il y a 
quelques années, nous a monUé qu'il était nécessaire de serrer les rangs. 
Cette leçon, je puis dire que ce sont les événements eux-mêmes qui 



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— 296 — 

nous l'ont donnée. Mais vous, qui êtes accoutumés à toutes les pratiques 
de la lutte parlementaire, vous qui avez vu une seule grande voix 
retentir et suffire à opérer une grande transformation, vous nous avez 
appûrt<5 votre e;tpërîence et vous nous avez dit que si, à l'heure actuelle» 
vous ne voulez pas recommencer la même campagne vous avez su 
cependant bouleverser votre pays. Nous acceptons vos enseignements, 
nous vous sommes reconnaissants d'avoir bien voulu faire cet effort et 
participer à celte conférence internationale, et je ne peux pas terminer 
sans constaier, moi qui appartient à un parti avancé, le caractère inter- 
national de cette manifestation. Il y a quelques années, si on nous avait 
dit que des Italiens^ des Anglais, des Français, pourraient participer à 
une même œuvre et même être acclamés par la population parisienne, 
nouî aurions douté; on avait réussi à bannir des esprits nos traditions 
d'hospitaliiéj on nous avait représentés, comme on dit en français — je 
ne sais pas comment on dit en anglais — comme des nationalistes. 
Nous avons mis la main à l'œuvre, et je suis convaincu qu'en dehors du 
succès de la réunion d'aujourd'hui celle-ci aura un effet non pas seule- 
ment sur l'opinion française dans son ensemble mais sur les délibé- 
rations et, je Tespère, sur les actes de notre gouvernement, parce qu'à 
l'heure actuelle ii s'est engagé dans une voie dont il ne peut s'écarter. 
Il serait insensé d'avoir tenté cette réconciliation que nous saluons^ 
d'avoir salué l'idée de ce rapprochement, si c'était pour aboutir sim- 
plement à des féies officielles et si ce n'était pas pour aboutir à une 
action commune. C'est ainsi que nous soumettrons pour ainsi dire à 
J*épreuve du feu cette union, et que nous saluons cette entente cordiale 
qui avait pour ainsi dire disparu pendant un certain temps, à laquelle 
on avait substitué une sorte de défiance réciproque, si bien que nous ne 
pouvions pas avoir sur un point du globe un différend — et Dieu sait si 
nous en avons 1 — sans que les esprits soient aussitôt enflammés, alors, 
que la France et l'Angleterre ont des intérêts si rapprochés. Ce que nous 
savons, c'est qu'il n'y a pas un de ces différends qui ne puisse être solu-^ 
lionne par la voie pacifique; ce que nous voulons, c'est faire œuvre 
commune ensemble ; il faut que nous montrions que l'entente franco- 
anglaise-italienne est durable pour un objet pratique, et à l'heure 
actuelle quel objet plus immédiat que d'empêcher ces troubles qui sont 
si inquiétants pour la paix du monde ? Depuis vingt-cinq ans, il ne s'est 
pas (écoulé une année sans que nous ayons eu l'occasion de renouveler 
les engagements pris au Congrès de Berlin, et il ne s'est pas passé une 



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— 297 — 

année sans que des questions de ce genre se posassent, et que nous 
ayons l'occasion de demander au Grand Turc de renouveler les enj^a^^e- 
ments qui étaient la condition même de son ejEisience. Pendant trop 
longtemps nous nous sommes laissé berner ; à Theure actuelle, 
j'ose espérer que cette phase est finie et que nous n'ayons fait que lirer 
les conclusions normales, logiques, de l'entente établie auirctois. Nous 
avons cherché à établir que ce n'était pas une entente en quelque sorte 
de cour, une entente officielle, mais celle de deux grandes démocraties 
qui voulaient se comprendre, établir entre elles un accord mutuel aiin 
de travailler au maintien de la bonne harmonie et à Tavènement de la 
justice. 

La diplomatie européenne nous a souvent causé des ennuis; mais si 
elle nous cause des peines elle nous cause quelquefois aussi des plaisirs 
bien vifs, et c'est ce qui s'est produit aujourd'hui. Nous avons com- 
mencé ce matin, nous avons établi l'accord, puis nous avons devant 
une grande assemblée fait retentir des paroles de liberté et de justice. 

Je porte mon verre, avant de m'asseoir, aux hôtes que nous avons 
reçus avec tant de joie, et j'espère que la peine qu'ils ont bien voulu 
prendre de venir ne sera pas sans fruit, qu'ils ont jeté ici, dans le sol 
fécond de la France, un germe qui fructifiera pour le plus grand bien' 
de la justice et de l'humanité. (Applaudissements.) 



M. BÉRARD 

Mesdames, Messieurs, 

Nous avons beaucoup parlé politique aujourd'hui, un peu trop peut- 
être, aussi je trouve que nous avons eu tort de laisser un peu de côté 
M, Evans, l'archéologue remarquable que vous connaissez tous. Vous 
savez ce qu'il a fait depuis cinquante ans, il nous a ouvert par ses tra- 
vaux un jour tellement nouveau et tellement grand que Ton peut dire 
que l'histoire et la préhistoire ont trouvé un rénovateur dans M* Kvatis. 
Je vous prie de lever votre verre en l'honneur de M, Evans, le restaura- 
teur de Minos. (Applaudissements.) 



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298 



M. EVANS 

Mesdames, Messieurs^ 

Je n'ai pas la prétention de répondre ici aux paroles trop aimables 
-qui m'ont été adressées parce que je n'ai fait que mon devoir strict. Je 
suis content d'avoir assisté à une réunion aussi magnifique, et je suis 
heureux d'avoir vu cette fraternisation des différents peuples libéraux, et 
j'espère qu'il y aura entre eux une fraternisation et une justice morale 
plus réelles qu'officielles. {Applaudissements.) 



M. MOSGHELES 

Président de V International Arbitrage Association, 

Mesda lES, Messieurs, 

Permettez-moi de dire quelques mots en réponse à l'accueil gracieux 
qu'on nous a fait ici ; mais c'est difficile sous tous les rapports. Je suis 
sous l'empire de ce que j'ai entendu ; j'ai appris, j'ai écouté, mon cer- 
veau est rempli de toutes les belles idées qu'on y a mises, et puisque 
vous les avez entendues, je ne veux pas les répéter. Je ne puis que dire 
que je m'associe de tout cœur aux belles pensées que vous avez enten- 
-dues. Et ce n'est pas seulement cette chose que nous avons eu à vous 
•présenter, c'est une cause bien plus grande. Nous ne savons pas encore 
de quelle façon utiliser cette réunion, mais nous savons que si aujour- 
d'hui elle s'applique à une question, demain elle s'appliquera encore à 
une autre, et qu'il y aura des développements que nous ne pouvons pas 
encore nous imaginer. 

On m'a soufflé quelque chose à l'oreille; j'ai regardé ensuite au fond 
4e la foule, j'ai vu des gens qui avaient des cheveux blancs, d'autres 
des cheveux noirs, et j'ai compris pour qu'il en soit ainsi qu'il y avait 
longtemps que ces questions nous touchaient. 

Le mot € international )► est ajourd'hui usité, nous nous en servons 
à chaque instant; autrefois ce n'était pas comme cela. Je me rappelle un 
incident qui est naturellement resté gravé dans ma mémoire; j'avais 



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r 



— 299 — 

•quatorze ou quinze ans; j'allais en Allemagne pour apprendre Talle- 
mand^ et rAliemagne alors n'existait pas plus que l'Europe n'existe 
maintenant : chacun défendait son petit patrimoine ; dans une réunion, 
je me suis élevé sans autre but que de dire la vérité en proclamant « le 
patriotisme est un vice »...,on m'a fait asseoir rapidement. Il me semble 
que, dans une forme éloquente, nous disons tous à peu près la même 
chose, nous disons qu'il est impossible d'avoir du patriotisme sans s'ex- 
poser à tous les dangers que nous combattons. Nous avons bien certai- 
nement à préserver ce que nous appelons le patriotisme, mais nous ne 
le ferons qu'en faisant ce que font les Américains : ils sont fiers d'être 
citoyens des Etats-Unis d'Amérique comme nous sommes fiers d'être 
citoyens des Etats-Unis d'Europe. 

Nous avons des changements, des reconstitutions d'empires, de pays, 
des groupes diiférents de couleur différente, mais ce qu'il nous faut, 
c'est chercher l'harmonie eiltre les hommes de bon sens ; il suffit qu'on 
soit de bon sens pour s'entendre; alors nous marcherons vers un but 
démocratique et nous pourrons espérer des résultats plus heureux que 
ceux d'aujourd'hui. 

Nous avons entendu parler de tous les événements qui nous réunissent ; 
il y a parmi nous des socialistes, des diplomates — je ne connaissais pas 
encore l'expression, qui m'a beaucoup intéressé, de diplomate manqué, 
j'espère que tous nous arriverons à un résultat d'avoir beaucoup de 
diplomates manques, et je me félicite d'avoir trouvé à celte table un 
diplomate manqué. 

Mais, j'ai trop parlé déjà, pas assez cependant pour vous dire tout 
ce que j'ai dans le cœur, mais je sais qu'entre frère et sœur on est indul- 
gent et qu'on me tiendra compte des sentiments au lieu des paroles. 

J'ai une conférence demain et après-demain, nous avons un meeting 
mardi soir, ce qui est plutôt pour la paix ; je vous promets à chaque 
occasion de reproduire les idées dont nous avons parlé aujourd'hui. 
(Applaudissements.) 



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^«^5»^^^- 



3oo — 



AL D'ESTOURNELLES DE CONSTANT 

Mesdames, Messieurs, 

J'avais parlé d'un diplomate qui a très mal fini ; on a appelé cela un 
diplomate manqué, je ne sais pas si c'est exact. Est-ce un diplomate 
manqué, celui qui s'est aperçu qu'il tournait le dos à la vérité et qui, 
sans souci de ce qui pourrait en résulter pour sou avenir, s'est mis au 
service des causes justes ? Eh bien, mon cher ami, puisque vous avez 
mis la discussion sur ce sujet, ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est 
que je n'ai jamais regretté ce qu'on appelle ce faux pas et ce que j'appelle 
une heureuse détermination ; jamais je n'ai hésité à mettre au service de 
ma nouvelle carrière l'expérience que j'avais pu acquérir dans l'ancienne. 
J'ai appris — ei si les diplomates voulaient bien se rappeler de temps en 
temps qu'ils sont des hommes, chaque diplomate pourrait faire cette 
découverte — que derrière la société il y a le pays, le monde, les hommes 
et qucj si on arrive aux hommes, on voit qu'ils se ressemblent dans 
luus ks pays j il y en a de mauvais en France et ailleurs comme il y en 
a de bons ; eh bien, notre tâche à nous, qui sommes libres de préjugés^ 
c'est de faire que tous les hommes de bonne volonté de tous les pays se 
donnent la main. 

Il y a une chose à la fois pleine d'espérance et en même temps déso- 
lante, c*esl que nous sommes si nombreux qui pensons de même dans 
Je monde civilisé et que pourtant nous ne nous connaissons pas assez; 
une fois cependant que tous ces hommes seront groupés, ils seront invin- 
cibles et les causes qu'ils défendront seront des causes triomphantes. 
Cela se fait peu à peu. J'ai vu cela à Londres, en Italie, en Grèce, par- 
tout où il y a une pensée, une civilisation. Nous avons chacun notre 
patrie que nous aimons profondément, mais nous sommes patriotes en 
ce sens que plus nous nous développons, plus nous sommes attachés à 
nos traditions, plus nous voulons enrichir comme nous nos semblables, 
faire qu'il y ait un lien entre les uns et les autres, ainsi naissent des tra- 
ditions, des moeurs nouvelles. Les hommes qui auront amené ce progrès, 
que ce soient des Français, des Italiens, des Anglais, des Allemands^ 
des Russes, des Espagnols, des Américains, des Grecs, des Bulgares, 
nous leur devons une grande reconnaissance; mais ceux qui n'ont pas 
voulu être les premiers à porter la bonne [ arole, ceux qui prudemment 



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— 3oi — 

toujours se réservent, ceux-là n'ont plus le droit de se plaindre que cette 
parole ait été apportée par d'autres, c'est tant pis pour eux, c'est le juste 
châtiment de leur égoïsme. 

Mais, savez-vous pourquoi, messieurs, ces diverses manifestations 
réussissent? C'est parce qu'il y a des hommes de bonne volonté et sur- 
tout de volonté pour les faire réussir; bonne volonté d'autant plus effi* 
cace qu'elle est plus discrète, plus obscure, plus désintéressée; et j'arrive 
ainsi au toast que je voulais vous prier de porter, j'arrive à vous deman- 
der de boire à la santé de l'ouvrier modeste et vaillant, du vrai patriote, 
de celui qui s'est dévoué à la cause des opprimés, et qui, depuis des 
années, pour les défendre, est venu faire le siège de chacun de nous ; je 
bois à la santé du docteur Loris-MélikofF, de celui qui se préoccupe d'être 
à la tâche, sans chercher à être au succès; c'est lui qui a fait réussir nos 
réunions; tous les détails de cette besogne ingrate, fastidieuse, fatigante, 
dont on pourrait être si facilement découragé, Loris-Mélikofï s'en est 
chargé comme si c'était un service qu'on lui aurait rendu C'est lui qui 
donnait et qui remerciait. Mesdames et Messieurs, je vous propose de 
boire à la santé du docteur Loris-Mélikoff. (Applaudissements,) 



M. J. LORIS-MELIKOFF 



Mesdames, Messieurs, 

Si je n'étais intéressé trop directement aux souffrance du peuple 
arménien, je ne pourrai prendre la parole après les orateurs que vous 
avez acclamé et qui ne m'ont rien laissé à dire sur la question qui nous 
a tous passionné aujourd'hui. J'aurais pu vous exprimer ma profonde 
gratitude et en quelques phrases banales vous remercier de ce que vous 
avez fait. Mais ce serait abaisser notre rôle mutuel, car si vous avez fait 
une grande œuvre, c'est votre devoir qui l'avait corn mandé et Thumanlté 
qui vous avait donné la force de l'accomplir. Cette journée sera grande 
entre toutes, car les grandes journées de notre époque sont celles de 
la civilisation et dans cet acte de la solidarité internationale auquel vous 
avez tous coopéré, l'on voit poindre une ère nouvelle, dont la venue sera 
féconde pour l'humanité. 

Alors .'on respectera les droits d'un homme, à quelque race qu'iï 



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— 3o2 — 

puisse appartenir, et dans ce respect les êtres trouveront l'obligation de 
ne jouir que du produit de leur travail. 

Et c'est pourquoi je suis heureux de voir réunis ici, autour de cette 
table, les serviteurs du progrès, les pionniers de ta paix accomplissant 
leur devoir envers les autres hommes. 

Vous nous avez tracé un chemin, messieurs, et tous nos efforts ten» 
dront à n'en pas dévier. Nous, Arméniens, nous suivrons votre exemple 
et appliquerons chez nous les principes dont vous vous êtes tou|ours 
inspirés. 

Notre confiance réside en vous, car le sort des Arméniens et des 
autres races opprimées de Turquie, qui veulent enfin avoir place à la 
vie et fournir de même que les autres peuples leur apport à la civili- 
sation, dépend de vos actes et de votre puissante énergie, c'est-à-dire de 
l'Europe civilisée que vous représentez. 

Nous ne vous demandons pas l'aumône de votre pitié. Non plus 
de nous donner un peu de commisération comme on jette un sou 
dans la main d'un mendiant. Nous vous demandons une justice, qu'il 
est triste d'avoir à revendiquer à cette heure et en nous l'accordant, 
laissez-mpi croire que vous n'obéissez qu'à votre profond sentiment du 
(JL'voir. 

Et je me demande quelle valeur ont les paroles de ceux qui se 
défendent d'avoir quelque sympathie pour le caractère des Arméniens ou- 
des Macédoniens. Devant ce qui se passe là-bas, pouvons-nous discuter 
sur les qualités ou les défauts des races opprimées, s'ils existent réelle- 
ment, et ne devez-vous pas défendre des victimes quels que soient leur 
caractère et la sympathie que vous puissiez éprouver pour elles. 

Toutes les races ont leurs défauts et leurs qualités, qui ne pro- 
viennent que du régime dans lequel elles se développent. 

Et, en songeant à ce qu'ont supporté les Arméniens dans les trois 
empires qui se partagent notre race, en pensant à cette organisation poli- 
cière et tyrannique qui déprime et asservit depuis de longs siècles les 
volontés, je me demande à certain moment comment les Arméniens et 
Macédoniens ont pu conserver tant de hauteur et de grandeur d'âme, 
tant d'héroïsme devant de telles calamités. 

Cette manifestation unique d'aujourd'hui est la meilleure réfutation 
de ces arguments dont la férocité n'égale que l'absurdité. EHe est ka pre- 
mière manifestation internationale parce que vous n'êtes pas, messieurs, 
les représentents de la diplomatie. Votre mandat est plus haut. Vous êtes 



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— 3o3 — 

ici l'opinion publique qui s'est enfin soulevée dans les pays civilisés, et 
saura faire entendre sa voix aux gouvernements qui hésitent. Celte opi- 
nion publique, jusqu'ici, n'avait pu parvenir auprès de ceux qui gèrent 
les affaires internationales. Aujourd'hui, par le groupe parlementaire 
d'arbitrage elle se fera entendre dans les régions inaccessibles, dans le 
passé. J'espère que cette voix sera bien puissante, et c'est ce qui me 
donne l'espérance. 

En terminant, messieurs, renouvelons le vœu de nous retrouver, non 
plus dans des circonstances aussi cruelles pour défendre contre l'exter- 
mination les opprimés d'Arménie et de Macédoine, mais pour fêter les 
premiers résultats de l'effort que vous avez donné, et je le repète, si je 
n'ai pas à vous remercier de ce que vous avez fait, je voudrais vous 
exprimer tout ce que mon cœur ressent d'émotion, de sympathie et 
d'admiration pour votre dévouement à la cause de ces régions unies 
dans la douleur et l'oppression : l'Arménie et Macédoine. (Applaudis- 
sements.) 

M. SEMENOFF 

Mesdames, Messieurs, 

Lorsque tout à l'heure on a voulu me donner la parole, j'ai refusé 
parce que je n'ai pas voulu parler de choses tristes à ce banquet; je n'ai 
pas voulu parler de tous ceux qui sont l'objet de la sollicitude de mon 
gouvernement, de tous ceux qu'il opprime sans merci. 

Je vois à côté de moi le D' Loris-Mélikoff que je connais depuis 
vingt ans, et qui, dès ce temps, lutte pour les mêmes idées. 

Tous ici sont des ouvriers, dans la mesure de leurs forces et de 
leurs moyens, de cette cause qui a eu une si belle journée. Je commen- 
cerai par notre éminent ami, l'écrivain Pierre Quillard, qui certaine- 
ment par tout ce qu'il fait depuis plusieurs années m'apparaît comme 
un des ouvriers de la grande cause d'humanité, parce qu'en défendant 
les Arméniens il a attiré l'attention de tous ceux qui pensent, qui ont du 
cœur, sur des choses qui doivent intéresser l'humanité et provoquer la 
solidarité humaine. 11 reste pour nous un grand ouvrier de cette 
grande cause. 

Après Pierre Quillard, je dirai un mot de M. le baron d'Estoumelles 
de Constant qui sait tout ce qui se passe dans cet immense empire du 



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— 304 — 

Sulun Rouge; c*est à cause des grands travaux du baron d*Estournelles 
que je viens le remercier de ce que je sais, ce qui se passe en Orient. Je 
rt^inercie le baron d'Estournelles qui a montré un courage civique 
exiraordmaire, non seulement pour un ex-diplomate, mais pour un 
homme politique, un député, et malgré toutes les railleries et tous les 
articles souvent injustes de la presse, il a accompli une œuvre qui est 
bien son oeuvre. L'entente est un fait énorme qui restera, ce sera un fait 
de propagande, et lorsque dans l'avenir on parlera du rapprochement 
des peuples, on ne pourra pas passer sous silence son activité qu'il a 
développée avec un courage admirable dans ces dernières années. 

Qu*jI me soit permis de parler de mon voisin, Louis Dumur, qui 
dirige le journal V Européen, qui sert la cause de l'humanité parce 
qu'il sert la cause de toutes les nations qui souffrent. Je lève mon 
verre en Ihonneur de tous les ouvriers dont je viens de parler, et d^ 
vous tous, mesdames et messieurs. (Applaudissements.) 



M. PIERRE QUILLARD 

Mesdames, Messieurs 

Ce n'est point par un arufice de parole que je vous dirai que je ne 
pensais pas du tout parler ce soir ici ; mais mon ami Çéménof vient de 
m\v obliger et de me forcer aussi à quelques réflexions. Ce n'est pas par 
hasiird que Victor Bérard,qui vient de quitter cette salle, et mon humble 
personne nous sommes préoccupés les premiers en France des choses 
arméniennes et macédoniennes. C'est parce que nous avons connu sur 
place le long martyre de ces populations que nous nous sommes inté- 
ressés à elles et, en racontant ce que nous avons vu, nous n'avons fait 
que noire devoir^ nous avons dit la vérité. Nous étions ce qu'on appelle 
en France des intellectuels, et ce n'est pas par hasard non plus que nous 
nous sommes rencontrés avec un intellectuel encore, infiniment plus 
illustre, qui nous avait montré lé chemin ; on Ta nommé déjà tout à 
Theure : Ab Jove principium (on peut bien parler latin à la fin des ban- 
quets), Ab Jove principium, Jovis omnia plena: je veux dire M. Evans. 
Donc, si vous le permettez, je porterai un toast aux intellectuels comme 
lut, auxquels j'unirai les diplomates qui ont mal tourné, j'en connais 
deux ici. (Applaudissements,) 



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I |l 4PI1J» T 



3o5 — 



i\\. A. ULAR 

Il nje semble que, comme on l'a dit tout à l'heure, l'accueil enthou- 
siaste de la population de Paris, fait à ceux qui s'occupent d'alléger le 
fardeau qui pèse sur les malheureuses populations d'Arménie et de 
Macédoine soit réconfortant. M. Clemenceau vient de me dire que bien 
qu'empêché de venir Ici, il est très heureux de voir qu'enfin l'entente 
qui était souvent l'attente donne un espoir sérieux; mais il m'a dit en 
Hième temps, non sans ironie, qu'il croit plus utile de prononcer les 
bonnes paroles dans la presse que dans des banquets; il semble abso- 
lument convaincu que la bonne parole répandue à profusion par la 
presse aux quatre coms du monde porte plus encore que tous les conci- 
liabules. Représentant ici VAurore, c'est dans ce sens que je bois à la 
presse, non pas à la presse qui se fait l'agent servile des instincts plus 
ou moins désabusés, mais à celle qui fait germer les idées de fraternité 
€t de générosité interrationales. (Applaudissements.) 



M. MAZZINI 

Mesdames, Messieurs, 

L'éloge des ouvriers de la première et de la dernière heure a été fait; 
il ne reste qu'une chose à faire, à persévérer dans notre œuvre. Cepen- 
dant nous avons commis je crois un oubli et vous me permettrez de le 
réparer en deux mots. Dans la vie nous poursuivons un idéal et 
c'est un idéal qui nous a rassemblés ici ; c'est à cet idéal de liberté 
et de justice que je bois. Mais il y a quelque chose qui nous aide à 
poursuivre cet idéal, c'est quelqu'un que nous avons oublié aussi, c'est 
la femme, c'est la mère de nos enfants, c'est la mère de ceux qui seront 
demain les sacrifiés; permettez-moi de boire aux femmes arméniennes 
et macédoniennes, qui dans la lutte contre la tyrannie sont les victimes 
des massacres contre lesquels nous venons protester. Je bois à la santé, 
à l'avenir et la prospérité des femmes macédoniennes. 

J'ai un mot à ajouter. Vous avez vu quel entraînement, quel enthou- 
siasme vous a suivis en faveur de la Macédoine et de l'Arménie, aussi il 



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— 3o6 — 

me semble que deux absents d'aujourd'hui ne doivent pas être oubliés. 
Je bois à la santé d'Ernesi Moneta, à tous ces collaborateurs dévoués, à 
tous les intellectuels italiens, aux socialistes et républicains italiens qui 
ont travaille et travailleront avec vous; je bois à la libre Arménie et à la 
libre Macédoine. (Applaudissements.) 

LE PRINCE DE BRANCOVAN 

Mesdames, M. ssieurs, 

Je tiens à vous dire combien j'ai été heureux d assister à la conférence 
de ce matin; la léunion quia eu lieu cet après-midi a eu un succès sî 
considérable que je tiens à vous remercier de m'avoir permis de prendre 
parrt à cette conférence et à cette réunion. J*e.xprime Tespoir que le rap- 
prochement iranco-anglo-italien qui, par la réunion d'aujourd'hui, a 
pris une cohésion encore plus grande, arrivera d'ici peu, même en 
Orient, à donner des résultats sérieux. Ce jour-là, je crois pouvoir vous 
alfiinier que, dans mon pays et dans les pays valaques de Macédoine, 
un grand mouvement sera prêt à naître, et dès à présent, je vous assure 
que je ferai tous mes efforts pour mettre au courant toutes les personnes 
de bonne volonté qui sont dans mon pays, et alors une protestation 
auprès des puissances libérales d'Occident ne manquera certainement pas 
de se propager et d'obtenir de grandes sympathies. (Applaudissements.) 

M. LORAND 

Mesdames, Messieurs, 

Permettez-moi de porter le toast de l'honorable M. de Pressensé qui, 
depuis ce matin a été Sdns cesse sur la brèche, qui nous a fait un véri- 
table cours de politique orientale avec cette clarté d'érudition qui rend 
tous ses discours à la fois instructifs et réellement admirables, et qui, je 
suis heureux de le constater, joue un rôle de plus en plus considérable 
dans la politique de son pays. Je suis certain d'être votre interprète et 
d'exprimer votre sentiment unanime, à vous tous amis et admirateurs 
de la France, en adressant à M. de Pressensé les remerciements que 
nous lui devons pour les services qu'il a déjà rendus à cette grande 
cause pour ce que nous attendons de son activité inlassable dans ravenir. 
(Applaudissements.) 



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RAPPORT 

DU 

BUDGET DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE 1904 

Par F. DE PRESSEN8É 



AÏ^I^AIRES 13'OFeiEIXfTr 

L'explosion de l'insurrection macédonienne a remis de force les 
puissances en face de la banqueroute de la politique du concert euro- 
péen en Orient. On sait les phases diverses qu'a parcourues cette ques- 
tion depuis que la conquête turque l'a mise à l'ordre du jour. Ce fut 
d'abord le danger suspendu sur la tête de l'Occident civilisé et chrétien 
par la menace perpétuelle de hordes à peine campées entre le Bosphore 
et le Danube et débordant constamment sur les plaines de la Hongrie 
et jusqu'aux portes de Vienne. La force hostile de l'Islam encore agressif 
constituait alors le péril et unissait les Etats d'Europe dans une sorte de 
croisade, mi-religieuse, mi-raciale. Bien vite le faisceau se brisa : des 
monarchies, même très chrétiennes, se disputèrent l'avantage d'une 
alliance avec un empire musulman, mais conquérant.^ 

Quand le flux s'arrêta et que le flot commença à redescendre, le pro- 
blème changea de face avec une rapidité surprenante. Ce fut désormais 
la faiblesse de la Turquie qui parut le péril et l'on vit la diplomatie 
occidentale mettre au rang de ses dogmes la nécessité du maintien de 
l'intégrité et de l'indépendance de l'Empire ottoman. Il s'agissait de 
barrer le chemin à la Russie, entraînée par sa destinée manifeste vers les 
mers libres et Constantinople. La Turquie craquait de toutes parts, à la 
fois en butte aux convoitises agissantes des héritiers de Pierre le Grand 
et de Catherine et en proie aux irréconciliables antinomies de races non 
amalgamées. 

Peu à peu les puissances furent amenées à comprendre que les deux 
termes de la formule classique se détruisaient naturellement et que l'in- 



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-' T^'^n-y-jy^ 



— 3o8 — 

tégiité territoriale de l'Empire ottoman — c'est-à-dire l'exclusion de- la 
conquête étrangère — impliquait, exigeait le sacrifice de l'indépendance, 
c'est-à-dire i'ingérance réformatrice de l'Europe. 

Après la guerre de Crimée où la France et l'Angleterre versèrent leur 
sang et prodiguèrent leurs millions pour imposer à la Russie un arrêt 
dans sa marche vers le Bosphore, il apparut à tous les yeux que la 
refonte totale des institutions et la création d'Etats autonomes mais 
nominalement vassaux pouvaient seules retarder une décomposition 
interne plus mortelle que les attaques du dehors. Déjà le succès de l'in- 
surrection hellène et la constitiftion du royaume de Grèce avaient ouvert 
une voie où un pas nouveau se fît avec la formation de la Roumanie et 
l'émancipation de la Serbie. Les années qui suivirent le Traité de Paris 
virent les événements de Syrie et de Crète obliger les puissances alliées 
et protectrices elles-mêmes à intervenir coercitivement, à opérer des 
démembrements discrets et à enlever en fait à l'indépendance de la 
Turquie tout ce qu'elles crurent devoir continuer à accorder nominale- 
ment au maintien de son intégrité. 

C'était une période toute nouvelle où l'apparition sur la scène des 
nationalités sujettes contraignit la diplomatie occidentale à reviser ses 
maximes et à poursuivre simultanément deux fins passablement contra- 
dictoires : la préservation d'un tout dont elle affranchissait les parties et 
l'aflfranchissement de parties dont elle préservait le tout. La Russie 
n'avait pas encore renoncé à sa politique traditionnelle; elle visait à 
s'annexer de larges pans de territoire ottoman et à se créer dans les 
nationalités slaves et orthodoxes investies d'une certaine autonomie une 
clientèle obéissante, un instrument de pénétration, un chemin d'étapes 
jusqu'à Sainte-Sophie. 

La guerre de 1877 fut le couronnement de ce système — et aussi son 
terme. Par une ironie de l'histoire, les armées victorieuses d'Alexandre H 
créèrent dans la Bulgarie émancipée un obstacle sur la route du Bos- 
phore et ce fut l'Angleterre qui, en intervenant pour déchirer les préli- 
minaires de San-Stefano et leur substituer le traité de Berlin, limita le 
tort que la Russie s'était fait à elle-même et affaiblit l'élément dont la 
politique britannique devait assumer plus tard la protection en règle. 
Dans cette étrange partie de quatre-coins, chacun quitta sa place natu- 
relle et prit celle qui ne lui convenait point. Le prince de Bismarck, 
heureux de payer à la Russie, en la jouant, la dette d'une reconnais- 
sance trop lourde à porter pour ses inestimables services de 1870, se fit 



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— 3o9 — 

un malin plaisir de présider, au Congrès de Berlin, à une grande journée 
des dupes. 

II n'en demeura pas moins certains résultats inuesiructiblos de la 
guerre russo-turque : en particulier la création de la Bulgarie et la fatale, 
rinévitable gravitation de la Roumélie orientale diins son orbite. Par 
malheur le reste de l'œuvre du Congrès de Berlin était simplement une 
lettre de change sur la bonne foi et la bonne voloniè de la Turquie. Un 
tel titre n'avait de valeur qu'autant que l'énergie des puissances en con- 
traindrait l'acquittement à échéance. Les articles 23 et 6j consiiluérent, 
pour le Sultan, des obligations positives, pour les pMacédonitns et les 
Arméniens, des droits irrécusables. 

Tant qu'il ne s'agit que de répéter de belles [promesses, de payer de 
belles paroles, de multiplier sur le papier les incomparables consiitu- 
tions, les réformes modèles dont les Sultans ont toujours élé prodigues, 
tout alla pour le mieux dans le meilleur des mondes. Des Commissions 
siégeaient, des juristes rédigeaient, des diplomates népoeiaienl, des 
ministres mentaient, des populations attendaient : tout était dans Tordre. 
L'incorrigible exigence de nationalités opprimées, dépouill<îes , prises 
entre les deux meules de la tyrannie et de l'anarchie et qui avaient pris 
au sérieux, avec la foi des traités, la loyauté et le vouloir de TEurope, 
vint tout gâter. Fidèle à ses douces habitudes de quiétude et d'indolence^ 
incapable de voir par-delà et par-dessus ses protocoles les réalitéii, la 
diplomatie s'endormait complaisamment dans l'illusion que tout était 
parce que tout était promis, c'est-à-dire à faire. 

C'était le temps où achevait de s'accomplir l'évolution prodigieuse 
que j'indiquais tout à l'heure. La Russie, après avoir enfanté la Bulgarie, 
la prenait en grippe et la traitait en marâtre. Au lieu de travailler désor- 
mais à l'émietlement de l'Empire ottoman entre des liiais vassaux et 
autonomes, elle se donnait pour objet de s'emparer de la faveur du 
maître et de régner avec lui sur son domaine tout entier. Par eontrCj 
l'Angleterre et 4es puissances occidentales, un peu guéries de la supersti- 
tion de V intégrité et de l* indépendance , découvraient dans les princi- 
pautés vassales rie précieux auxiliaires et commençaient à envisager la 
possibilité de prévenir le seul danger qui les préoccupai vraiment ^ — 
l'installation sur le Bosphore d'un conquérant redoutable — non par le 
maintien immoral et impossible d'un Empire oppresseur et vermoulu, 
mais par l'émancipation graduelle et l'individualité garantie d'Etats 
indigènes. 



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— 3io — 

Plusieurs conflits, nés de Tobstination du Sultan à refuser Texécution 
de ses engagements, mirent aux prises des politiques si opposées et 
dessinèrent de plus en plus nettement l'attitude contradictoire des deux 
camps. Il fallut l'effroyable surprime des vêpres d'Arménie pour secouer 
l'apathie de l'opinion et révéler au monde civilisé la gravité de la crise. 
Tout a été dit sur des massacres qui m furent pas sporadiques,. mais 
universels; qui ne furent pas l'explosion accidentelle du fanatisme d'une 
populace barbare, mais l'exécution systématique et disciplinée des ordres 
d'un chef souverain. L'humanité subit un long frémissement. On peut 
croire que le concert européen, devant l'impératif catégorique de la 
conscience universelle, saurait obtenir tout à la fois le châtiment du 
crime, l'empêchement Je toute récidive et la réforme des causes pro- 
fondes du mal. On sait à quel avortement misérable aboutit une action 
ou plutôt une inaction commune, alors qu'il eût suffi d'une démonstra- 
tion co nminatoire, moins que cela, d'une démarche attestant l'identité 
loyale des vues et des desseins, pour punir le passé, assurer le présent 
et préserver l'avenir. De telles banqueroutes [à la fois morales et politi- 
ques se payent — et chèrement. 

La guerre greco-turque — pour taire l'éclipsé totale de l'autorité de 
l'Europe — fut le premier fruit de cette politique. Elle a mis autour du 
front du Sultan des vêpres d'Anatolie l'auréole de la victoire. C'est le 
sultan Abdul-Hamid qui a eu raison --• raison contre la conscience, 
raison contre le droit, raison contre son peuple, raison contre l'Europe. 

Les événements de Macédoine viennent offrir une occasion, peut-être 
suprêm2, ou de réparer cette série de fautes criminelles, ou d'achever de 
creuser l'abîme. 

Nul n'ignore à quels excès de souffrances est due la révolte d'une 
population patiente, laborieuse, calme. S'il était difficile aux Macédo- 
niens de vivre sous le régime ottoman, qui leur refusait toute garantie 
et leur enlevait tout droit, il leur est devenu impossible de ne pas suc- 
comber sous le régime hamidien qui est venu aggraver cent fois les vices 
de l'Administration et les abus du Gouvernement et greffer sur eux les 
désordres, les pilleries, les viols et Us meurtres des Arnautes. Ce qu'il 
y a d'étonnant, ce n'est pas que la rébellion ait éclaté, c'est qu'elle ait 
tant tardé à éclater, surtout depuis que le redoublement des souffrances 
a coïncidé avec la création sur là frontière d'un Etat libre, civilisé, peuplé 
et gouverné par leurs frères de race, à la fois l'idéal naturel de leurs 
secrètes espérances et l'appui nécessaire de leurs virils efforts. 



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— 3ii — 

Personne ne conteste les difficultés particuHères du problènne. Elles 
tiennent à la configuration du sol, à Tentremêlement, entre les parois 
escarpées de hautes montagnes, de vallons isolés ; à la diversité, à la 
rivalité, à la contiguïté aussi de races dont la religion et les qtjerelles 
ecclésiastiques ont enflammé les passions et nourri les haines. 

Bulgares, Serbes, Hellènes, Koutzo-Valaques, Albanais, Osmanlis, 
Juifs, se coudoyent dans les quatre vilayets. Il serait inique, il- serait 
souverainement impolitique de vouloir donner à l'une de ses nationa- 
lités la suprématie, d'organiser, au sortir de l'oppression de tous par le 
Sultan, l'oppression de tous moins un par les Bulgares. Par bonheur 
l'expérience est là pour nous démontrer que, sous une constitution 
libre, sous le regard de l'Europe, les races et les sectes les plus diverses 
peuvent coexister paisiblement, vivre sur le pied de l'égalité dans la 
péninsule des Balkans. 

C'est calomnier gratuitement les auteurs d'un mouvement de déses- 
poir et d'héroïsme que de répéter contre eux les inventions de la Porte, 
trop crédulement accueillies par la Grèce et par certains Occidentaux. 
L'objet de l'insurrection est éminemment simple : il ne s'agit même pas 
de secouer — comme tant d'autres — le joug du Sultan, et de réclamer 
une autonomie complète ou l'incorporation dans la principauté sœur et 
voisine. Il s'agit, non pas même d'exiger, conformément à la légalité 
internationale, l'application intégrale de cet article 23 qui fait partie d'un 
traité, seule base de l'existence juridique de la Turquie et qui donne aux 
Maeédoniens droit aux institutions de la Crète avec son gouverneur 
indépendant et son assemblée élective, mais d'obtenir les garanties 
élémentaires pour la sécurité de la vie, de l'honneur et de la propriété. 

La pleine réalisation de ces vœux si modestes est tout à fait compa- 
tible avec le respect scrupuleux, je ne dis pas seulement des droits, 
mais des préjugés et des susceptibilités des races non bulgares. Ce 
serait précisément une admirable expérience, une féconde préparation 
pour la création d'une fédération balkanesque, sous la suzeraineté 
nominale, si l'on veut, du Sultan, et avec l'équilibre stable de toutes 
les nationalités et de toutes les religions, que l'exécution en Macédoine 
du programme qui se contente du gouverneur autonome et du contrôle 
européen. 

Les puissances n'ont pu manquer de s'émouvoir de cette situation. 
Elles ont appris en même temps et l'entrée en campagne des insurgés 
en plein hiver et les effroyables cruautés des prétendues visites domi 



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— 3l2 — 

ciliaires et d'une répression de représailles. Par malheur elles ont d'em- 
blée abdiqué entre les mains de deux Étals que tout aurait dû écarter 
de ce monopole dangereux. 

L'Autriche et la Russie ont conclu, il y a six ans, un accord limité 
aux choses de la Péninsule des Balkans qui a eu pour fruit jusqu'ici 
Tabstention systématique. Le prétendu droit de priorité qu'elles reven- 
diquent tient uniquement à des visées et à des prétentions aussi 
contraires aux intérêts de l'Europe qu'à ceux de la Macédoine. Il ne 
suffit pas de rêver à Salonique comme à la tête du pont de Drang nack 
Osten ou à la Méditerranée comme au terme naturel de la marche d'un 
grand empire continental vers les mers libres, pour acquérir une sorte 
d'hypothèque sur cette région. Les souvenirs de la tortueuse politique 
qui a abouti à l'occupation de la Bosnie et de l'Herzégovine et à 
l'annexion de la province de Kars ne sont pas des précédents rassurants- 
D'ailleurs, il était à prévoir, il a été prédit à cette tribune même que les 
deux puissances dites coopérantes n'exerceraient pas la priorité de 
l'action, mais celle de Tinaction. Les événements n'ont que trop confirmé 
ces vues. 

Une fois munies d'un mandat qu'elles ont semblé transformer en 
pleins pouvoirs et blanc-seing, l'Autriche et la Russie ont présenté à 
Constantinople, en février, un programme dérisoire. Elles n'ont même 
pas insisté pour l'adoption de ce papier vide. Elles se sont ralliées à 
l'impudente, à la sanglante comédie que la Turquie avait résolu de 
jouer, avec ses réformes verbales, son inspecteur général des progrès 
devenu l'exécuteur des hautes et basses œuvres de la répression à 
outrance, sa mobilisation de forces immenses, son décfiaînement 
d'Haveh, de Bachi-Bouzouks et d'Arnautes sur cet infortuné pays. Il est 
arrivé ce qui devait arriver. Le sang a coulé à flots. Des centaines de 
villages ont été incendiés. Le meurtre, le viol, le pillage or.t régné sans 
partage. Les fugitifs, pourchassés, traqués, se sont estimés trop heureux 
d'atteindre, nus, dépouillés de tout, séparés des leurs, à travers les 
sentiers de chèvres des montagnes l'asile bulgare: Loin de s'affaiblir, 
l'insurrection, après la moisson, a doublé. 

Chaque jour qui s'écoulait n'a pas seulement ajouté au scandale 
d'un pareil attentat contre l'humanité; il a ajouté au péril d'un conflit 
entre la Turquie et la Bulgarie qui mettrait le feu aux poudres, soit que 
la Turquie croie de son intérêt de provoquer une lutte inégale avec la 
petite principauté, comme le donneraient à penser ses violations réitérées 



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— 3i3 — 

de frontières, et l'entassement de forces disproportionné!?^, soit que la 
Bulgarie ne puisse à la longue ni supporter le poids écrasant de 1 entre- 
tien des réfugiés et du maintien de l'armée sur le pied de guerre, ni se 
soustraire aux cris de détresse de ses frères de race décimés et lonurés. 
Voilà où la politique de so\enne\ farniente des deux puissances a amené 
la situation ! 

Dés le premier jour, pendant que des voix s'élevaient au Parlement 
français pour énoncer et dénoncer les conséquertces dt: cette capitula- 
tion, le cabinet de Saint-James, par l'organe de lord Lansdowne, avait 
signalé l'insuffisance du programme et s'était réservé, sans faire bande 
à part, de proposer éventuellement des mesures complémentaires. 

Après les événements du mois d'août — dont le moindre n*a pas été 
l'assassinat du consul russe de Monastir immolé après celui d^Uskub^ 
l'Autriche et la Russie n'ont cru pouvoir persister purement et simple- 
ment dans une politique qui consistait à affirmer contre toute vérité îe 
succès du programme de février et à distribuer inégalement des admo- 
nestations au Sultan et des menaces à la Bulgarie. Le changement de 
ministère qui avait amené au pouvoir dans la principauté — au îieu du 
cabinet Danef, russophile — les Stamboulovistes, c'est-à-dire un parti 
indépendant envers la Russie avec le général Perkof et M. Petrof, avait 
un peu irrité à Saint-Pétersbourg, on en voulait à ce gouvernement 
d'avoir tenté de négocier directement à Constantinople par l'iniermé- 
diaire de M. Natchewitch. Il était pourtant assez peu juste de rendre la 
Bulgarie responsable des troubles, de l'afflux des réfugiés sur son solj 
de la constante sortie des bandes, de lui intimera plusieurs reprises sur 
ton rogue le devoir de contribuer au dénouement de la crise et en même 
temps de lui refuser le moyen désespéré d'un essai d'accord avec 
Yildyz-Kiosk. 

Visiblement la situation qui en Macédoine s'aggravait par les terribles 
excès de la répression dans le vilayet de Monastir, par l'enirée en scène 
et le ravage immédiat du vilayet d'Andrinople, par l'explosion soigneu- 
sement préparée de l'insurrection entre le Vardar, le Rhodope cl les 
montagnes de la frontière bulgare, empirait en Bulgarie. Sous des 
inspirations suspectes une campagne violente s'organisait contre le 
Prince. Le Trésor fléchissait sous le double fardeau d'une mobilisation 
partielle et de l'entretien des réfugiés. 

Le peuple profondément ému des souffrances et des exploits de ses 
frères de race, se demandait si, même au point de vue des chargea 



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-3>4- 

fiscales, une guerre, qu'il souhaitait parfois dans un éclair d'en-thou- 
siasme, ne vaudrait pas mieux que la paix armée, inquiète et honteuse. 
On eût dit que la Turquie s'était décidée à brusquer les événements en 
engageant avec sa vassale une lutte forcément inégale. Les violations de 
frontière se succédèrent. 

En Macédoine, des centaines de milliers de soldats, brusquement 
transférés d'Anatolie, sans solde, sans vivres, sans discipline, se livraient 
tantôt à des actes de fanatisme et tantôt à des actes de pillage. La lutte 
avait pris un caractère de férocité inouïe. Les insurgés eux-mêmes 
commettaient parfois des excès, qui servaient de thème à leurs ennemis 
en Europe et dont on affectait de ne pas savoir s'ils étaient le contre- 
coup regrettable, mais naturel, d'une répression cruelle ou s'ils étaient 
les fruits d'un système prémédité. Malgré tout, l'opinion commençait à 
s'émouvoir. Les Grecs, férus de l'idée d'une Macédoine hellène qui n'a 
jamais existé — pas même sous les Philippe et les Alexandre, seuls 
descendants de la race hellénique dans un milieu tout barbare, — hyp- 
notisés aussi par l'espoir ignominieux et fallacieux d'une alliance avec 
le vainqueur de la guerre de Thessalie, s'efforçaient en vain de discré- 
diter comme brigands des hommes, dont. le seul crime était de s'in- 
surger comme les auteurs de l'indépendance de la Grèce et de commettre 
-des exploits du genre de ceux qui immortalisèrent Canaris et les 
Palikares. 

En Angleterre, un Comité était formé; une agitation menée avec 
vigueur avait débuté, deux cents meetings de protestation se tenaient 
-en moins de deux mois et, malgré une lettre de dilettante et de sophiste 
adressée par le premier ministre Balfour à l'archevêque de Cantorbéry, 
lord Landowne, d'ailleurs très humain, se sentait forcé d'accentuer son 
langage. 

Sur ces entrefaites eut lieu l'entrevue de Muerszteg. Des délibérations 
<les souverains et de leurs ministres, il est sorti, malgré les dénégations 
officielles, quelque chose d'un peu nouveau. Le comte Lamsdorf et le 
comte Kalnoky venaient de recevoir une dépêche de Londres où lord 
Lansdowne posait assez nettement la question du Gouverneur général 
autonome, du contrôle européen et de l'amnistie. On lui répondit qu'on 
était d'accord avec lui, qu'il n'avait fait que devancer les intentions 
austro-russes, qu'au surplus les ambassadeurs allaient recevoir des 
instructions communes et qu'on verrait sous peu.de grandes choses. 
Cependant, les jours succédaient aux jours, les semaines aux semaines 



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— 3i5 — 

sans que rien se fit à Constantinople, et l'on se demandait s'il ne s'agis- 
sait pas avant tout de gagner — c'est-à-dire de perdre — du temps, de 
faire traîner les choses, d'arriver à l'hiver, saison où l'on se flattait de 
voir l'insurrection forcée à une suspension d'armes. Double erreur : 
puisque l'an dernier nombre de bandes ont tenu la campagne malgré 
les rigueurs de la température et puisque, d'ailleurs, c'est le moment 
choisi par la Turquie pour les visites domiciliaires, perquisitions, 
recherches d'armes, c'est-à-dire par le déchaînement par ordre d'un 
pandœmoniuni officiel. 

Fmalement, les deux ambassadeurs ont été reçus le 23 octobre der- 
nier et ils ont notifié au Sultan les vues de leurs maîtres impériaux. 

Sans conteste, le nouveau projet constitue un progrès sur l'ancien. 
Quand il ne ferait qu'avouer la faillite du premier, et que prononcer 
deux ou trois mots décisifs, avec lesquels tout est possible, sans lesquels 
rien ne se peut, il faudrait s'en féliciter. La question, malheureusement, 
n'est pas là : il s'agit de savoir si le plan actuellement présenté, est de 
nature à dénouer la crise et s'il mérite l'appui et le concours de la France. 
Je regrette devoir y opposer une double et franche négative. Si le projet 
d'octobre n'incarne plus l'encombrante inaction, le monopole d'inertie 
des deux puissances mandataires, il offre des inconvénients non moins 
graves. 

La première, et non la moindre des critiques, c'est au rôle exclusif 
que prétendent les deux empereurs qu'il faut l'adresser. C'est là une 
singulière interprétation du mandat reçu des autres puissances. Ceux 
qui ojit dénoncé leur abdication en février ont le droit d'y montrer le 
fruit de ce néfaste effacement. En revendiquant le droit d'agir seules, 
l'Autriche et la Russie justifient tous les soupçons, non seulement de la 
Porte et des Macédoniens, mais de l'Europe. Il devient évident qu'elles 
servent leurs intérêts en première ligne et non ceux de l'humanité et de 
la paix. On peut compter que la Turquie saura exploiter une maladresse 
qui lui permet de repousser les réformes sous prétexte de combattre le 
dépècement. Les Macédoniens qui n'ont point de goût pour être mangés 
à la sauce bosniaque ou herzégovienoe ou à la façon de l'Arménie 
russe, se refusent à voir une solution dans l'établissement des avant- 
coureurs de l'annexion. Laissées dans un téte-à-téle irritant, les deux 
puissances ne tarderont pas à en venir à l'état d'esprit et à l'attitude de 
la Prusse et de l'Autriche en 1864 après l'occupation commune des 
duchés. 



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— 3i6 — 

Et ce n'est pas tout. Pour motiver Taction isolée à deux^^ les Cabinets 
de Vienne et de Saint-Pétersbourg ont été forcés de quitter le terrain 
solide et large du traité de Berlin et de son article 23. C'est qu'il est signé 
de toutes les puissances et qu'il implique l'égalité non seulement de 
leurs droits, mais de leurs devoirs à l'égard de clauses qui confèrent aux 
populations des titres juridiques exécutoires. Pas la moindre allusion 
n'est faite au traité de Berlin. dans la note du 23 octobre. Quel triomphe 
pour le Sultan que de voir ses créanciers de leurs propres mains déchirer 
ou jeter aux vieux papiers le contrat international sur lequel repose 
l'existence légale de son empire et dont il a violé toutes les obligations. 

Tel est le vice rédhibitoire du plan nouveau. Il en fourmille a'autres. 
Par quelle aberration élimine-t-il de la Macédoine à pacifier le vilayet 
d'Andrinople, peut-être le plus éprouvé après celui de Monasiir ? Quel 
est l'optimisme absurde qui a fait limiter à deux ans l'existence et le 
fonctionnement d'un régime qui, dans l'hypothèse même du succès, ne 
ferait alors que commencer à réussir ? C'est une faute impardonnable 
que de laisser le gouverneur général dans une dépendance quelconque- 
de Yildiz-Kiosk. Sujet ottoman, sa carrière est entre les mains du 
maître; jamais il n'osera résister aux ordres secrets ; le fil n'est pas 
coupé qui fera des valis des marionnettes, tant qu'il les unira au Sultan. 

On pourrait croire que les puissances ont voulu elles-mêmes se 
railler de leur œuvre quand on les voit proposer le maintien de Hussein- 
Hilmy pacha. Ce personnage avait été désigné pour être l'inspecteur 
général des réformes : il s'est fait l'exécuteur des hautes et des basses 
œuvres, le bourreau de la Macénoine ; son nom seul suffit à discréditer 
tout projet où il figure. 

Quant à ses deux conseillers autrichien et russe et à leur état-major 
respectif d'attachés, qui ne voit que le pacha, malin, annulera ses 
tuteurs e.i les équilibrant l'un par l'autre et qu'une surveillance efficace 
n'est possible que là où une rivalité ne met pas face à face et ne contre- 
balance pas l'un par l'autre deux agents.'^ L'article relatif au général 
européen au service du sultan, qui réorganisera la gendarmerie et la 
police, a mis sur le qui-vive toutes les inquiétudes. Il n'y a guère qu'un 
Allemand qui réponde à ce signalement, et appeler un sujet, un servi- 
teur de Guillaume II à ce poste, c'est peut-être donner à ce souverain 
une raison de ne pas combattre le plan, mais c'est assurément condam- 
ner celui-ci à l'avortement. 

Le contrôle général, le seul efficace, le seul praticable, n'apparaît 



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-3.7- • 

que sous la forme de la mission éventuelle des officiers des puissances. 
Ce sera, certes, chose utile que l'envoi de témoins spécialistes et il suf^t 
de se souvenir des excellents rapports de certains militaires de divers 
pays sur les massacres d'Arménie pour espérer des comptes rendus 
impartiaux et clairvoyants. Il n'en demeure pas moinis que pour Texer- 
cice quotidien du contrôle sur un gouverneur gênerai émancipé du 
Yildiz-Kiosk et sur. ses fonctionnaires de tout degré, il faut des agents 
civils préparés à cette tâche délicate. 

Il n'est pas besoin d'aller plus avant dans l'examen minutieux de ce 
projet. Forme et fond, principes et détails, il est mal conçu ui mal 
rédigé et ne peut servir de base à l'action finale, urgente des puissances. 

Sans doute, la France et les co-signataires du traité de Berlin cint pu 
et dû prendre acte de l'aveu implicite d'abandon du plan de lévrier. 
C'est là, par parenthèse, un précédent propre à rendre modestes les 
auteurs de ce projet mort-né, et prudents ceux qui sanLttonnùrent cette 
erreur. 

On aime à espérer que la France ne s'est pas hâtée de donner, sans 
réserve, son assentiment à une nouvelle édition mal revue et non corri- 
gée de cette œuvre bâtarde. La pratique loyale d'une alliance conclue 
sur le pied de l'égalité n'implique nullement la docilité subalterne de 
l'une des parties. D'ailleurs le non possumus obstine- du Sultan vient 
de replacer les puissances sur le terrain du traité de Bt.'rlin. 

Au fond il s'agit d'un programme essentiellement limité, sage^ 
modeste. Deux points seulement y sont nécessaires : c'est le gouverneur 
général, non sujet ottoman, nommé et garanti, sans Tinterveniion per- 
pétue'Ie du palais, pour une durée fixe; c'est l'institution du contrôle 
effectif des puissances signataires. De leur adoption découlera tout le 
reste. C'est là-dessus qu'il faut concentrer l'eflFort. L'Europe n'a pas le 
droit de renouveler la banqueroute d'Arménie: il est des récidives qui 
sont des suicides. 

Or le précédent de Crète — pour ne citer que celui-ci — a révélé le 
moyen d'amener à composition la Turquie récalcitrante. On aurait peine 
à comprendre que la République pût encourir le risque d'une démons- 
tration navale pouvant aboutir à un conflit, à la guerre pour ejciger à la 
pointe de l'épée, le pistolet sur la gorge, l'acquittement des créances 
plus ou moins grossies de spéculateurs levantins et n'osât braver un tel 
péril pour faire honneur à une créance sacrée souscrite par rKurope. 

D'ailleurs, on aurait tort d'agiter devant nous le spectre d'une 



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■ rT-^r*'.: 




- 3i8 - 

guerre pour nous détourner de cette démarche. S'il est quelque chos^ 
de certain, c'est que la guerre est inévitable, au printemps, d'abord 
entre la Bulgarie et la Turquie, puis entre d'autres belligérants, si d'ici- 
là la crise macédonnicnne n'a pas pris fin. D'autre part, on sait que si 
le Commandeur des Croyants est hors d'état de faire, sans l'apparence 
de la contrainte, aux puissances dites chrétiennes une concession qui 
soulèverait l'Islam tout entier, sa religion même et l'interprétation des 
docteurs ne l'autorisent pas seulement, elles lui ordonnent de céder — 
même un fragment de territoire musulman — au déploiement d'une 
force supérieure. Toute l'histoire des démonstrations navales grâce 
auxquelles l'Europe, après le traité de Berlin, arracha l'exécution de 
quelques-uns de ses articles à un débiteur essentiellement mauvais 
payeur, est là pour écarter des appréhensions artificielles. 

Une belle occasion s'offre pour la France de tirer parti de l'heureiix 
rapprochement qui s'est opéré entre elle et deux des puissances libérales 
et démocratiques de l'Occident, l'Angleterre et l'Italie. Ce n'est point trop 
s'aventurer que d'affirmer, d'une part, que l'action commune de ce trio 
en faveur des deux points du programme minimum entraînerait à la 
fois l'adhésion plus ou moins spontanée du Concert européen — ou de 
cette partie dont, comme en Crête, on ne peut se passer — et la sou- 
mission du Sultan et, d'autre part que le Cabinet de Londres n'attend 
qu'un signe du nôtre pour accepter cordialement cette coopération. S'il 
est une vérité expérimentale, c'est que le meilleur moyen de fortifier un 
accord, c'est d'en user, de le mettre à l'épreuve de l'action. La Répu- 
blique ne saurait, dans l'intérêt de la paix, de l'humanité, du maintien 
de l'intégrité de l'empire ottoman, du bien des populations sujettes, 
souhaiter meilleure occasion d'affermir l'heureuse et cordiale entente 
qui vient de se rétablir avec l'Angleterre et l'Italie et qui — comme le 
prouve la missive si nette du tsar au président — est bien loin de porter 
ombrage à la Russie et lui donne sans doute le même genre de satis- 
faction que celui que fait éprouver à la France son accord particulier 
avec l'Autriche-Hongrie sur le terrain balkanique. Le rejet pur et simple 
par le Sultan du projet austro-russe ouvre une voie nouvelle au bon 
vouloir des puissances uniquement préoccupées du bien des popula- 
tions opprimées et du maintien de la paix. En se retranchant sur une 
négative obstmée, la Turquie a, bien malgré elle, replacé le débat sur le 
terrain juridique et moral qu'il n'aurait jamais dû quitter, celui du traité 
de Berlin. On doit espérer qu'au lieu de s'engager plus avant dans une 



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- 3i9 - 

impasse sans issue, et d'épuiser leurs efforts ei leurs forces pour ui> 
ultimatum dont l'adoption même ne ferait qu'accrokre les chance*; de 
conflit dans la péninsule des Balkans, les puissances — la France en 
tète — profiteront de cet échec pour revenir à l'action commune, à 
l'exercice des droits et à l'accomplissement de^ devoirs égaux des signa* 
taires des traités de Paris et de Berlin ei pour exiger purement et sim- 
plement les deux remèdes nécessaires, mais suffisants ^ le gouverneur 
émancipé et garanti, le contrôle efficace et permanent. 



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