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Full text of "Mesdames nos aieules : dix siecles d'elegances"

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UCSB  LIBRARY 


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MESDAMES 

Nos  Aïeules 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/mesdamesnosaieulOOrobi 


TOILETTE  DE  BAL,  RESTAURATION. 


MESDAMES 

Nos  Aïeules 

DIX     SIÈCLES      D'ÉLÉGANCES 

TEXTE  ET  DESSINS 

Tar    ^.    %OBIDA 


PARIS 

A    LA    LIBRAIRIE    ILLUSTRÉE 

8.     RUE    SAINT-JOSEPH.     8 
Tous  droits  réservés. 


'^^^^^^^^ 


^ 


I 

BALLADE 

DES    3I0DES    DU    TE3IPS    JADIS 


Du  tout  premier'  Vertugadin, 
Celui  qu'inventa  Madayne  Eve 
A  celui  qu'admirons  soudain^ 
Que  d'autres  jmssant  comme  rével 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


Coinhien  leur  existence  est  brève  ! 
Tu  resplendis  toujours  pourtant, 
O  beauté  changeante  sans  trcve. 
Mais  oh  sont  les  modes  (Vanta n. 


Oh  donc  es-tu,  ric/te  hliaut 
Armorié  sur  chaque  maille, 
Et  le  peliçon  dlsabeau? 
Escoffwn  de  haute  taille 
Pour  qui  l'on  vit  mainte  chamaille, 
Hennin  qui  charma  Buridan  ? 
Hélas,  ce  n'est  plus  qiC antiquaille... 
Mais  oh  sont  les  modes  d'antan  ! 


Où  est  la  fraise  de  Margot, 
Et  le  surcot  doublé  d'hermine, 
Oh  sont  les  manches  à  gigot? 
Habit  cavalier  d'héroïne 
Que  portait  Reine  ou  baladine, 
Large  panier  pomjjadourant, 


BALLADE    DES    MODES    DU    TEMPS    JADIS        3 

Et  toi-7nême  aussi ^  crinoline.,. 
Mais  oit  sont  les  modes  d'autan  ! 

EN  vo 

Dame,  il  ne  fut  point  de  semaine 
Depuis  le  temps  d'Eve  pourtant 
Qui  n'eiU  caprices  par  trentaine. 
Mais  oii  sont  les  modes  d'antan! 


La  Couturière  de  l'impératrice  Joséphine. 


II 


LES   CARTONS  DU   PASSÉ 


Le  vieux  neuf.  —  L'horloge  de  la  mode.  —  Fouilles 
dans  les  carions  du  passé.  —  Quelle  est  la  plus  jolie 
mode  ?  —  Mode  et  architecture.  —  Vêtements  de 
pierres  et  vêtements  d'étoffes.  —  La  poupée  costu- 
mée, journal  des  modes  du  moyen  âge. 


Il  n'y  a  de  nouveau  dans  ce  monde  que  ce 
qui  a  suffisamment  vieilli,  a  dit,  non  pas  un 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


grand  philosophe  mais  une  femme,  la  cou- 
turière de  Joséphine  de  Beauharnais,  épouse 
de  Napoléon  Bonaparte,  consul  de  la  Répu- 
blique française,  lequel  pensait  de  même,  puis- 
qu'il ressuscita  l'Empire  de  Rome. 

Et  conformément  à  cet  axiome  profond,  la 
couturière  de  Joséphine  montait  ou  plutôt 
descendait  chercher  très  loin  dans  le  passé, 
chez  mesdames  les  Grecques  et  les  Romaines, 
les  nouveautés  élégantes  vieilles  de  deux  mille 
années,  destinées  à  tourner  la  tête  des  salons 
et  promenades  de  Paris,  à  charmer  les  Pari- 
siennes et  aussi  les  Parisiens,  et  à  faire  le  tour 
du  monde  enfin,  tout  comme  les  pompons,  les 
baïonnettes  et  les  drapeaux  des  voltigeurs 
français  de  la  même  époque,  qui  furent  des 
touristes  forcenés. 

—  Vous  demandez  où  sont  les  modes  d'an- 
tan?  m'a  dit,  répondant  à  ma  ballade  à  la  mode 
de  François  Villon,  un  autre  philosophe  para- 
doxal qui  doit  être  un  mari  rendu  légèrement 
grincheux  par  des  notes  de  couturière,  vous  le 
demandez!  mais  elles  sont  sur  les  épaules  des 
dames    d'aujourd'hui,    mon     cher    monsieur, 


Les  cartons  du  passe 


comme  elles  le  seront  encore  sur  celles  des 
dames  de  demain  et  d'après-demain  !  Vous 
ignorez  donc  que  rien  ne  change,  que  tout  le 
nouveau  a  été  inventé  il  y  a  bel  âge,  vers  les 
premiers  temps  où  les  dames  ont  commencé 
à  s'habiller,  c'est-à-dire  que  tout  a  été  trouvé 
dans  l'espace  de  quatre  saisons,  dans  les  pre- 
miers douze  mois  qui  ont  suivi  la  sortie  de 
l'Eden.  —  C'est  ce  que  je  faisais  observer  en- 
core hier  à  ma  femme  à  propos  de  trois  ou 
quatre  costumes  dont  la  soi-disant  nouveauté 
l'avait  frappée,  et  qu'elle  allait  se  commander 
bien  inutilement...  Tout  se  porte,  s'est  porté 
et  se  portera!  lui  disais-je,  alors  pourquoi 
essayer  de  changer,  pourquoi  mettre  de  côté 
par  pur  caprice  un  ornement  ou  une  toilette 
qu'on  doit  forcément  reprendre... 

—  Oui,  mais  dans  trois  cents  ans... 

—  Allez  aux  Champs-Elysées  par  un  beau 
jour  de  soleil  et  dites-moi  si  vous  n'avez  point 
par  moments  des  visions  de  la  cour  des  Valois, 
devant  certaines  toilettes  contemporaines, 
manches  bouffantes  Renaissance,  collerettes 
Renaissance,  étoffes  à  dessins  Renaissance... 


MESDAMES     NUS     AÏEULES 


—  Ou  des  illusions  de  Longchanips  1810 
devant  les  robes  Empire,  les  épaules  bouf- 
fantes, le  drapé  des  jupes,  et  les  dessins,  pal- 
mettes,  grecques  et  autres  ornements... 

—  Et  les  dames  Louis  XVI,  ou  moyen  âge, 
ou  Louis  XV...  Je  déclare  Monsieur,  qu'une 
femme  de  n'importe  quelle  époque,  des  âges 
révolus,  écoulés  et  enfoncés  aussi  loin  que 
vous  voudrez  dans  la  nuit  des  temps,  peut  re- 
venir et  se  montrer  parmi  nos  contemporaines, 
et  se  trouver  parfaitementàlamode.  moyennant 
seulement  quelques  petites  modifications  à  son 
costume  antique...  Oui,  tenez,  qu'Agnès  Sorel  ou 
Marguerite  de  Bourgogne  daignent  reparaître 
en  costumes  de  leur  temps  et  je  leur  change- 
rai seulement  leurs  chapeaux,  et  Ton  dira  devant 
elles  :  «  Jolie  toilette  de  vernissage!  Délicieux 
costume  pour  le  Grand-Prix!  » 

—  Arrêtez!  n'exagérez-vous  i)as  quelque 
peu,  mon  cher  monsieur? 

—  Aucunement.  Je  vous  dis  que  des  méro- 
vingiennes ou  même  des  dames  de  l'âge  de 
pierre,  avec  quelques  petits  arrangements  de 
toilette,   n'étonneraient  pas  trop   les  femmes 


LES    CARTONS    DU    PASSE 


actuelles  qui  les  prendraient  tout  simplement 
pour  des  mondaines  excentriques...  La  mode 
d'aujourd'hui,  Monsieur,  ce  sont  les  modes 
d'autrefois  reprises  et  refondues  par  le  goût  de 


XV1«  siècle. 

l'heure  présente.  L'aiguille  de  la  mode  tourne 
comme  Taiguille  d'une  pendule  toujours  dans 
le  même  cercle,  mais  plus  capricieusement, 
en  avant  ou  en  arrière,  en  sautant,  en  virant, 
en  faisant  des  bonds  soudains,  d'un  côté  ou  de 
l'autre...  Quelle  heure  est-il  à  l'horloge  de   la 


10  MESDAMES    NuS    AÏEULES 

mode?  Six  heures  du  matin  ou  huit  heures  du 
soir,  peut-être  toutes  les  heures  à  la  fois  comme 
en  ce  moment...  Mais  n'importe,  c'est  toujours 
une  heure  charmante. 

La  plus  jolie  mode,  il  n'y  a  pas  à  en  douter 
et  tout  le  monde  est  d'accord  là-dessus,  c'est 
toujours  celle  du  temps  présent,  et  il  y  a  pour 
cela  une  raison  bien  simple  :  les  modes  pas- 
sées ne  sont  que  des  souvenirs  décolorés,  dès 
qu'elles  ne  sont  plus  portées,  nous  aperce- 
vons facilement  leurs  défauts  et  leurs  ridicules, 
nos  yeux,  indulgentsquandelles  régnaient,  sont 
devenus  froids  et  sévères,  tandis  que,  sans 
peine,  la  mode  d'aujourd'hui  triomphe...  Ce  qui 
charme  et  séduit  tout  le  monde,  ce  que  nous 
apercevons  en  elle,  Monsieur,  ce  qui  nous  semble 
si  ravissant,  c'est  le  rayonnement  de  la  grâce 
féminine,  c'est  la  femme  elle-même.  —  Non, 
jamais  on  ne  s'est  mieux  habillé  qu'aujour- 
d'hui I  A  toutes  les  époques,  pour  toutes  les 
modes,  les  femmes  l'ont  déclaré  de  bonne  foi 
en  se  regardant  dans  leur  miroir,  et  les  hommes, 
juges  quelquefois  difficiles,  l'ont  pensé  aussi. 

Notre  aïeule  de  l'âge  de  pierre  vêtue  de  peaux 


LES    CARTONS    DU    PASSE 


de  bêtes  trouvait  son  costume  très  seyant  et 
souriait  un  peu  de  sa  grand'mère  habillée 
d'un  vertugadin  de  sauvage.  Ses  contempo- 
raines, les  farouches  habitantes  des  cavernes, 
pensaient  de  même. 

La  plus  jolie  mode,  c'est  celle  qui  s'épanouit 
aujourd'hui;  il  n'y  a  eu  pour  s'inscrire  en  faux 
contre  cette  formelle  allégation  de  tous  les 
temps,  il  n'y  a  eu,  à  toutes  les  époques  égale- 
ment, que  les  messieurs  d'un  certain  âge, 
tout  à  fait  d'un  certain  âge,  les  vétérans  ayant 
dépassé  la  soixantaine.  Ceux-ci  ont  toujours 
protesté  par  une  autre  allégation  : 

—  Les  modes  d'aujourd'hui  sont  ridicules, 
disent-ils  en  chœur,  on  ne  s'habille  plus  comme 
de  notre  temps!  C'est  alors,  —  en  1830,  —  ou 
en  1730,  en  1630,  en  1530,  etc.,  en  l'an  30  — 
que  les  modes  étaient  gracieuses,  seyantes, 
élégantes,  distinguées, charmantes...  ah,  1830  ! 
-  ou  1730,  1630,  lo30  ou  l'an  30!  —  Quelle 
belle  époque! 

—  Il  nous  la  baille  belle  le  chœur  des  sexa- 
génaires! oui,  quelle  belle  époque!  parce  que 
c'était  l'heureux  temps  où  ces  messieurs  étaient 


12  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

jeunes,  où  le  soleil  leur  semblait  plus  chaud, 
n'est-ce  pas?  le  printemps  plus  verdoyant  et 
les  modes  plus  belles  !  Mais  il  n'importe  , 
malgré  tout  ce  que  diront  les  vétérans  et  ce 
que  nous  dirons  nous-mêmes  plus  tard, 
l'axiome  suivant  sera  toujours  proclamé  : 

—  Jamais  on  ne  s'est  mieux  habillé  qu'au- 
jourd'hui! 

Mais  puisque  rien  ne  passe  tout  à  fait  et  que 
dans  le  cercle  que  parcourt  l'aiguille  au  cadran 
de  la  mode  les  heures  passées  peuvent  renaître, 
il  suffit  peut-être,  pour  connaître  les  modes  de 
demain,  d'étudier  tout  simplement  celles  d'hier. 

•Fouillons  donc  ce  passé  disparu  et  donnons- 
nous  ce  plaisir,  qui  ne  va  pas  sans  quelque 
Hiélancolie,  d'évoquer  les  élégances  et  les 
beautés  d'autrefois,  les  lointaines  élégances 
ensevelies  sous  des  siècles  d'inventions  et  de 
nouveautés  accumulées,  délaissées  et  oubliées, 
et  les  élégances  toutes  récentes  et  non  moins 
oubliées  des  bonnes  grand'mamans  actuelles, 
qui,  dans  leurs  songeries  au  fond  de  leurs  grands 
fauteuils,  sont  seules  à  se  revoir  en  fermant 
les  yeux,  brunes  ou  blondes,  pimpantes  et  lé- 


LES    CARTONS    DU    PASSE 


13 


gères,  dans  les  atours  de  leur  bel  âge...  Chères 
gTand'mamans  ! 

Mais  ce  passé  qui  nous  semble   si   lointain 


/V/i 


Grande  toilette.  XV*^  siècle. 


l'est-il  tant  que  cela?  Les  grand' mères  de  nos 
grand'mères  sont  nées  sous  Louis  XV  au  temps 
de  la  poudre  et  des  falbalas. 


MESDAMES     N  OS    AÏEULES 


Sept  ou  huit  grand'mères  additionnées,  si 
nous  osons  nous  permettre  cette  opération, 
nous  conduisent  au  temps  d'Agnès  Sorel  et 
des  dames  à  grands  hennins.  C'était  hier.  Vous 
le  voyez  bien  ! 

Un  point  qu'il  faut  établir  d'abord,  c'est  que 
l'art  de  la  toilette  et  l'art  de  construire  sont 
de  très  proche  parenté.  Mode  et  architecture 
sont  sœurs,  mais  la  mode  est  peut-être  bien 
l'aînée. 

La  maison  est  un  vêtement,  un  habillement 
de  pierre  ou  de  bois  que  nous  passons  par- 
dessus l'habillement  de  toile,  de  laine,  de  ve- 
lours ou  de  soie,  pour  nous  protéger  mieux 
contre  les  intempéries  des  saisons;  c'est  un 
second  vêtement  qui  doit  se  plier  à  la  forme 
du  premier,  à  moins  que  ce  ne  soit  le  premier 
qui  s'adapte  aux  nécessités  du  second. 

En  tout  cas,  sans  remonter  plus  haut  que  le 
déluge,  est-ce  que  les  robes  historiées  et  ar- 
moriées, les  costumes  tailladés  et  déchiquetés 
du  moyen  âge,  ne  sont  pas  de  l'architecture 
gothique  et  de  la  plus  flamboyante,  de  même 
que  les  modes  plus  simples  et  plus  rudes  de 


LES    CARTONS    DU    PASSE 


l'époque  précédente  tiennent  du  rude  et  sévère 
style  roman. 

Quand  la  pierre  se  découpe,  se  tord,  flam- 
boie presque  en  magnifiques  efflorescencés 
sculptées,  l'étoffe  plus  souple  se  découpe,  se 
tord  et  flamboie  aussi.  Les  hautes  coiffures 
que  nous  qualifions  d'extravagantes,  ce  sont 
les  toits  effilés  des  tourelles  qui  montent  par- 
tout vers  le  ciel.  Tout  est  multicolore,  les  gens 
d'alors  aiment  les  couleurs  gaies,  toute  la 
gamme  des  jaunes,  des  rouges,  des  verts  est 
employée. 

Plus  tard  le  costume  se  met  plus  au  large 
en  même  temps  que  l'architecture.  C'est  la  Re- 
naissance et  ses  modes  plus  amples  et  plus 
molles;  on  cherche  du  nouveau  dans  le  vieux, 
l'Italie  influe  sur  les  toilettes  comme  sur  les 
édifices,  il  n'est  pas  jusqu'aux  armures  de 
guerre  ou  de  parade  des  princes,  aux  vêtements 
de  fer  des  riches  seigneurs,  qui  ne  recherchent 
quelques  formes  antiques  et  ne  se  couvrent 
de  rinceaux,  ou  d'ornements  à  la  romaine. 

La  sévérité,  nous  pouvons  dire  la  maussa- 
derie  des  modes  de  la  fin  du  xvi'^  siècle,  ne  se 


16  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

retrouve-t-elle  pas  dans  les  édifices  d'une  épo- 
que assombrie  par  tant  de  troubles? 

L'énormément  ennuyeux  et  somptueux  pa- 
lais de  Versailles,  les  grands  hôtels  solennels 
d'une  arehiteeture  pleine  de  morg'ue.    ee  sont 


Renaissance, 

bien  vraiment  les  eouvereles  qui  eonvenaient 
aux  énormes  el  solennelles  perruques  du  grand 
Roi,  aux  corsages  guindés  et  empesés,  aux 
raides  cornettes  de  madame  de  Maintenon.  Et 
le  xvm^  siècle  après  l'ennuyeuse  fin  du  xvii''? 
L'architecture  et  la  toilette  mettent  de  côté, 
en  même  temps,  le  pompeux  et  le  solennel  ; 
toilette  rococo.  architecture  à  falbalas,  c'est 
tout  un. 


NOBLE  DAME  ,  FIN  DU  XIV«  SIÈCLE, 


LES    CARTONS    DU    PASSE 


Plus  tard,  les  gens  de  la  Révolution  et  de 
TEmpire  se  costumant  à  la  grecque  et  à  la  ro- 
niaiiic,  édillces  et  maisons  l'ont  de  même.  Puis 


Sous  le  Grand  Uoi. 


les  modes  et  les  édifices  sont  absolument  sans 
style  et  de  toute  banalité  de  1840  à  1860, 
époque  de  transition  et  d'attente. 

De  nos  jours  enfin,  époque  de  recherches  et 
de  fouilles  archéologiques,  d'essais  et  de  re- 
constitutions, temps  d'érudition  plus  que 
d'imagination  et  de  création,  nous  voyons  la 


18  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

mode  et  l'architecture,  marchant  toujours  de 
conserve,  fouiller  ensemble  dans  les  cartons 
du  passé,  essayer  également  l'un  après  l'autre 
tous  les  styles,  s'éprendre  successivement  de 
toutes  les  époques,  en  adopter  les  formes  pour 
les  rejeter  vite  l'une  après  l'autre...  Soyons 
donc  de  notre  temps  et  plongeons  nous  aussi 
dans  les  cartons  du  passé  à  la  recherche  des 
jolies  choses  et  des  originalités  de  jadis. 

Au  delà  d'une  certaine  époque,  les  documents 
certains  n'abondent  pas  et  nous  devons  nous 
contenter  de  suppositions.  Qui  nous  dira  vrai- 
ment ce  qu'étaient  le  costume  et  la  mode,  et  par 
cela  l'aspect  de  la  vie,  aux  temps  mérovingiens 
et  carlovingiens,  lorsque  : 

Quatre  bœufs  attelés,  d'un  pas  tranquille  et  lent^ 
Promenaient  dans  Paris  le  monarque  indolent. 

Qui  nous  dépeindra  les  élégances  de  ces  épo- 
ques nébuleuses  ?  car,  en  dépit  de  la  rudesse  et  de 
la  barbarie,  il  devait  s'en  trouver  tout  de  même, 
puisqu'on  maints  passages  de  leurs  écrits,  déjà 
les  vieux  chroniqueurs,  évéques  ou  moines, 
fulminent  contre  le  luxe  ellréné  deb  femmes. 


LES    CARTONS    DU   PASSÉ 


19 


Qui  nous  dépeindra  les  contemporaines  de 
Charlemagne  et  nous  renseignera  un  peu  sur 


Sous  Louis  XV. 

les  élégances  du  x«  siècle?  Quelques  statues 
peut-être,  parvenues  jusqu'à  nous  plus  ou 
moins  écornées,  seront  nos  seuls  documents  ; 
nous  devrons  nous  en  contenter  et  les  rappro- 


20  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

cher  des  vagues  renseignements  contenus  dans 
les  barbares  illustrations  des  manuscrits  d'alors, 
encore  si  éloignées  des  magnifiques  miniatures 
que  les  enlumineurs  du  moyen  âge  prodigue- 
ront plus  tard. 

Le  premier  journal  de  modes,  c'est  donc  pour 
nous  (juelque  portail  de  cathédrale  ou  quelque 
statue  tombale  échappée  par  miracle  aux  ra- 
vages du  temps  et  au  marteau  des  iconoclastes 
huguenots  ou  sans-culottes. 

Plus  tard,  les  miniatures,  les  vitraux,  les 
tapisseries  nous  apporteront  des  renseignements 
plus  complets  et  plus  certains,  des  figures  bien 
plus  précises;  le  document  abondera. 

D'ailleurs,  dès  le  xiv®  siècle,  le  vrai  journal 
de  modes  existe  ;  il  n'a  pas  encore  adopté  la 
forme  gazette  que  nous  lui  connaissons  depuis 
cent  ans  seulement,  mais  c'est  le  journal  de 
modes  tout  de  même,  le  renseignement  voya- 
geant sous  la  forme  de  poupées  qui  portent 
des  modèles  de  costumes  d'un  pays  à  un  autre, 
de  Paris  surtout. 

Car  Paris  tenait  déjà  le  sceptre  et  gouvernait 
la  mode,  non  pas,  il  est  vrai,  comme  aujour- 


LES    CARTONS   DU   PASSÉ  21 

d'hui,  d'un  pôle  à  l'autre,  des  confins  de  l'A- 
mérique glaciale  à  l'Australie,  vouée  encore 
aux  petits  os  passés  dans  les  narines  pour 
toute  coquetterie,  il  y  a  cinquante  ans  à  peine, 
de  la  cour  des  Radjahs  d'Asie  au  sérail  du 
Grand  Turc  et  au  palais  de  S.  M.  l'impératrice 
du  Nippon  fleuri. 

Au  moyen  âge,  des  grandes  dames,  en  notre 
cher  petit  coin  d'Europe,  s'envoyaient  de  pe- 
tites poupées  habillées  à  la  dernière  mode  du 
jour  par  des  coupeurs  de  robes,  des  couturières 
ou  des  couturiers  dont  le  nom  n'est  point  passé 
à  la  postérité. 

Dans  son  château  lointain,  perdu  dans  les 
landes  bretonnes  ou  perché  sur  quelque  roc  des 
bords  du  Rhin,  la  duchesse  ou  la  margrave 
avait  ainsi  dans  les  grandes  occasions,  com- 
munication plus  ou  moins  rapide  des  élégances 
à  la  mode  dans  les  grands  centres  de  luxe 
comme  la  cour  de  Paris  ou  la  cour  de  Rour- 
gogne,  rivales  en  faste  et  en  éblouissements, 
et  dont  les  comptes  remis  au  jour  nous  révèlent 
les  grandes  dépenses  avec  tous  les  détails  de 
ces  somptuosités  dont  les  contemporains  étaient 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


éblouis  ol  quo  tous  los  fhroniquours  ont  rap- 
portées. 

Certaines  villes  importantes  recevaient  aussi 
de  la  même  façon  les  décrets  de  la  mode, 
puisque  nous  voyons,  pendant  des  siècles,  Ve- 
nise, autre  centre  d'arts  somptuaires,  trait 
d'union  entre  le  négoce  de  l'Orient  et  le  luxe 
de  l'Occident,  recevoir  chaque  année  une  pou- 
pée parisienne.  Dans  la  ville  des  doges,  c'était 
un  usage  immémorial  d'exposer,  le  jour  de 
l'Ascension,  sous  les  arcades  de  la  Merceria, 
au  bout  de  la  place  Saint-Marc,  la  toilette  de 
l'année,  cette  image  d'une  parisienne  à  la  der- 
nière mode,  pour  l'édification  des  nobles  véni- 
tiennes qui  se  portaient  en  foule  à  l'exhibition. 


Sous  Louis  XII, 


L'Escoffion. 


II 


MOYEN   AGE 


Les  Gauloises  teintes  et  tatouées-  —  Premiers  corsets 
et  premières  fausses-nattes.  —  Premiers  édits  somp- 
tuaires.  —  Influence  byzantine.  —  Bliauds,  surcots, 
cottes  hardies.  —  Les  robes  historiées  et  armoriées, 
—  Les  ordonnances  de  Philippe  le  Bel.  —  Hennins  et 
Escoffions.  —  La  croisade  de  frère  Thomas  Connecte 
contre  les  Hennins.  —  La  dame  de  Beauté. 


Il  faut  avoir    le  courage    de    l'avouer,    ici 
iiirmo.  dans  ce  Parisis  qui  porte  et  fait  triom- 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


pher  partout  l'étendard  de  l'élégance ,  les 
aïeules  de  Mesdames  les  Parisiennes,  il  y  a 
quelque  deux  mille  ans,  se  promenaient  un 
peu  attifées  à  la  mode  des  élégantes  Néo-Zé- 
landaises  d'aujourd'hui,  dans  la  grande  et 
sombre  forêt  qui  des  bords  de  la  Seine  remon- 
tait aux  rives  de  l'Oise  et  s'en  allait  toucher 
aux  Ardennes  en  un  vaste  et  inexlrical)le  l)ois 
de  Boulogne. 

Ces  Gauloises,  belles  et  rudes,  allant  épaules 
découvertes  et  bras  nus,  étaient  peinlurlu- 
rées  et  probablement  tatouées;  dans  tous  les 
cas  il  est  certain  qu'elles  se  teignaient  les 
cheveux. 

Les  nombreux  bijoux  parvenus  jusqu'à  nous, 
fibules,  torques  ou  colliers,  bracelets,  agrafes 
en  bronze  et  quelquefois  en  argent  ou  en  or,  té- 
moignent que  ces  demi-sauvagesses  primitives 
connaissaient  un  certain  luxe.  Tous  ces  objets 
présentent  dans  leur  style  une  grande  analogie 
avec  le  style  d'ornementation  qui  s'est  perpétué 
jusqu'à  nos  jours  dans  la  Bretagne  acluolle. 

La  vieille  Gaule  barbare  devenue  la  (Jaule 
romaine,  les  Gauloises  se   montrèrent   vite,   à 


MOYEN    AGE  25 


l'imitation  des  Romaines,  très  raffinées  en 
civilisation  et  en  luxe.  Le  corset,  mesdames, 
date  de  cette  époque,  corselet  d'étoffe  moulant 
le  corps  plutôt  qu'instrument  de  torture  vio- 
lentant les  lignes. 

Le  goût  primitif  pour  la  peinture  éclatante 
ne  se  perdit  pas  tout  à  fait,  la  teinture  devint 
du  simple  fard;  déjà  les  essences  pour  entre- 
tenir la  fraîcheur  du  visage  étaient  inventées 
et  aussi  les  fausses  nattes.  Ces  tresses  d'un 
blond  ardent,  —  couleur  dès  longtemps  à  la 
mode,  on  le  voit,  —  étaient  achetées  aux 
paysannes  de  la  Germanie,  aux  Gretchens  du 
temps  d'Arminius. 

Un  retour  à  la  barbarie  et  à  la  simplicité 
suivit  les  invasions  de  ces  Francs,  dont  les 
femmes,  rudes  gaillardes,  étaient  vêtues  pour 
tout  luxe  d'une  simple  chemise  à  bandes  de 
pourpre. 

Les  modes  romaines,  mélangées  aux  modes 
gauloises  et  franques,  les  modes  mérovin- 
giennes, dont  quelques  statues  raides  et  hiéra- 
tiques peuvent  nous  donner  l'idée,  se  trans- 
formèrent peu  à  peu. 


26  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Au  milieu  de  sa  cour,  parmi  les  femmes  de 
ses  ducs  et  de  ses  comtes,  qui  montraient  le 
goût  le  plus  effréné  pour  la  parure,  les  étoffes 
somptueuses  et  les  bijoux,  le  grand  Empereur 
à  la  barbe  fleurie,  Charlemagne,  affectait  pour 
lui-même  au  contraire,  une  grande  simplicité 
de  vêtements,  comme  d'autres  grands  empe- 
reurs ou  rois,  Frédéric  II  et  Napoléon.  Choqué 
par  le  déploiement  de  faste  des  femmes  de  sa 
famille,  Charlemagne  dut  édicter  les  premières 
lois  somptuaires,  lesquelles  ne  furent  suivies 
naturellement  que  par  les  simples  bourgeoises, 
par  les  bonnes  dames  qui  n'avaient  que  faire 
de  défenses  et  de  prohibitions  pour  se  priver 
de  somptuosités  qu'elles  ne  pouvaient  songera 
s'acheter,  faute  d'argent. 

La  société  de  ce  temps-Ki,  nous  la  voyons 
figée  en  grandes  ligures  hiératiques,  sculptées 
sous  les  porches  romans  de  nos  plus  vieilles 
églises.  Rangées  de  rois  et  de  reines,  raides  et 
sévères,  encadrés  sous  les  vieilles  arcatures, 
princes  et  princesses  couchés  sur  les  dalles 
funéraires,  vieux  spectres  de  pierre,  taillés 
d'un  rude  el  barbare  ciseau,  qui  nous  dira  ce 


MOYEN    AGE 


que  VOUS  étiez  vraiment,  ce  qu'était,  dans  le 
mouvement  et  la  vie,  ce  monde  que  vous  diri- 
giez? 

Vous  vous  taisez,  vous  gardez  votre  secret, 
fronts  mystérieux  de  fantômes  sculptés,  de- 
bout aux  façades  que  vous  avez  fondées,  ou 
couchés  dans  les  musées  qui  vous  ont  re- 
cueillis. 

Nos  villes  où  les  gracieuses  Françaises,  filles 
de  ces  aïeules  de  pierre,  se  promènent  dans  le 
tourbillon  pressé  des  foules,  devant  les  bril- 
lants magasins  de  notre  siècle  vivant  d'une 
vie  si  intense ,  nos  vieilles  cités  existaient 
déjà  toutes,  mais  combien  de  fois  ont-elles 
fait  peau  neuve  !  Des  vestiges  de  ces  temps 
tout  a  disparu,  les  dernières  pierres  sont  en- 
sevelies sous  les  fondations  des  plus  anciens 
monuments. 

Nous  en  savons  presque  aussi  peu,  des  façons 
de  vivre  d'alors,  que  de  la  civilisation  des  vil- 
lages de  l'ère  des  dolmens,  et  c'est  dans  les 
premiers  et  plus  anciens  poèmes  ou  romans 
chevaleresques  qu'il  nous  faut  chercher  çà  et 
là  à  travers  coups  de  lance  ou  de  hache,  quel- 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


ques  détails  intimes  sur  la  vie  sociale  d'alors. 

Voici  le  moyen  âge.  L'influence  byzantine  de 

la  Rome  transplantée  sur  le  Bosphore,  règne 


Le  Surcot  à  garde-corps. 


(l'abord  dans   le  vêtement   des  femmes  comme 
dans  celui  des  hommes  et  domine  vers  l'époque 
des  premières  croisades. 
C'est  alors  le  temps  des  longues  robes  à  plis 


MOYEN    AGE 


29 


très  fias,  des  dou?jles  ceintures,  une  à  la  vraie 
taille  et  une  sur  les  hanches,  des  voiles  trans- 
parents. 

C'est  bien  une  époque  de  transition,  on  voit 
la  mode  tâtonner,  retourner  en  arrière  et  re- 
prendre,   avec    quelques    modifications,    des 


Coift'ure  de  cérémonie.  XIV»  siècle. 


formes  oubliées;  le  costume  romain,  mudilié 
d'abord  par  Byzance,  arrangé,  rendu  semi- 
oriental,  revient  presque  au  jour. 

Puis  soudain,  à  l'aurore  du  xiii^  siècle,  quand 
les  temps  nouveaux  commencent  à  sortir  du 
crépuscule  de  la  vieille  barbarie,  les  modes  nou- 
velles  se  dessinent,  nettement,  franchement. 


30  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

C'est  la  vraie  naissance  de  la  mode  fran^^aise, 
du  costume  purement  français,  français  comme 
l'architecture  dégagée  aussi  des  imitations, 
des  emprunts  et  des  souvenirs  de  Rome  et  de 
Byzance 5  français  comme  l'art  ogival  jaillissant 
de  notre  sol. 

La  statuaire,  les  vitraux  et  les  tapisseries  du 
moyen  âge  vont  nous  fournir  les  meilleurs 
documents.  Ces  figures  sculptées  en  grand  cos- 
tume sur  leurs  tombeaux,  sont  de  véritables 
évocations  de  nobles  châtelaines,  des  portraits 
extrêmement  remarquables  avec  tous  les  dé- 
tails des  ajustements,  des  robes  et  de  la  coif- 
fure nettement  indiqués,  et  quelquefois  por- 
tant encore  des  traces  de  peinture  qui  nous 
donnent  les  couleurs  du  costume. 

Les  vitraux  sont  encore  plus  intéressants, 
on  trouve  là  des  représentations  de  toutes  les 
classes  de  la  société,  depuis  la  grande  dame 
noble  jusqu'à  la  femme  du  peuple  :  dans  les 
vitraux  commémoratifs,  dans  les  vitraux  des 
chapelles  seigneuriales  ou  des  chapelles  de 
corporations  des  villes,  dans  les  grandes  com- 
positions qui  nous  présentent  si    souvent,   au 


MOYEN    AGE  31 


bas  des  feiiestrages,  les  portraits  des  dona- 
taires, —  les  daines  nobles  à  opulents  costumes, 
agenouillées  en  face  de  bons  chevaliers  en  ar- 
mures, les  riches  bourgeoises  en  face  de  leurs 
maris  échevins  ou  notables. 

Les  tapisseries  sont  quelquefois  plus  sujettes 
à  caution  comme  vérité,  l'artiste  introduisant 
parfois  des  fantaisies  décoratives  dans  ses 
compositions;  néanmoins,  que  de  figures  don- 
nant des  indications  précises  et  venant  corro- 
borer les  autres  renseignements  et  s'ajouter 
aux  innombrables  et  merveilleuses  illustrations 
des  manuscrits. 

Sur  la  robe  de  dessous,  sur  la  jupe  ou  la 
cotte,  la  femme  du  xi''  siècle  portait  le  hliaud 
ou  bliaut,  espèce  de  robe  parée,  de  fine  étoffe, 
serrée  par  une  ceinture.  Confectionné  tout 
d'abord  d'étoffe  simplement  gaufrée,  le  bliaut 
s'enrichit  bientôt  de  dessins  et  d'ornements 
d'un  joli  style. 

On  se  perd  dans  les  transformations  du 
bliaut  et  de  la  cotte.  La  robe  de  dessous  de- 
vient la  cotte  hardie  et  le  surcot  remplace  le 
biiaud.   Cette   robe   de    dessous,    tre»  ajustécj 


32  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

est  lacée  par  derrière  ou  par  devant,  et  dessine 
bien  les  formes  et  contours  du  corps. 

Dans  le  costume  paré,  un  garde-corps,  ou 
devant  de  corsage  de  fourrure  s'ajoute  au  sur- 
cot  et  lui  donne  un  supplément  de  somptuo- 
sité. Mais  la  forme  générale  se  mudilic  par 
mille  dispositions  parliculièrcs.  cottes  et  sur- 
cots  varient  de  toutes  les  façons,  suivant  les 
fantaisies  du  jour,  le  goût  particulier,  suivant 
la  mode  des  provinces  ou  des  petites  cours 
princières  ou  ducales,  isolées  par  circonstances 
uu  situation. 

Elles  sont  superbes,  les  élégantes  du  moyen 
âge,  avec  leurs  longues  robes  collantes,  dont 
les  dessins  se  répètent  régulièrement,  rosaces 
semées  sur  toute  l'étoffe,  carreaux  alternés  de 
couleurs  différentes,  faisant  comme  un  damier 
de  tout  le  corps,  ileurs  et  ramages  en  larges 
dispositions,  souvent  tissées  d'or  ou  d'argent. 
Ces  étofTes  font  des  plis  superbes  et  drapent 
naturellement  d'une  façon  sculpturale,  des 
échantillons  nous  en  restent  dans  les  musées, 
nous  pouvons  juger  de  l'effet  qu'elles  devaient 
faire,  coupées  en  belles  robes  traînantes. 


ROBE  ET  HOUPPELANDE  HISTORIÉES  XV^  SIÈCLE. 


MOYEN     AGE 


33 


Les  armoiries,  nées  avec  les  premières  orga- 
nisations sociales,  avec   les  premiers  chefs  de 


Noble  Cliàtelaiiie. 


clan  ou  chefs  de  guerre,  mais  régularisées  plus 
tard,  paraissent  sur  les  robes  des  dames,  tim- 
Jîrées  comme  les  pavois  des  maris,  d'écussons 
symétriquement  di>po&é^.  Cet  usage   se  déve- 

3 


34  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

loppe,  cette  mode  prend,  comme  nous  dirions 
maintenant,  et  bientôt  les  armoiries  s'étalent 
plus  largement  sur  les  robes  dites  cottes  his- 
toriées. 

Voyons  aux  l'êtes  de  la  cour  ou  des  châteaux, 
dans  ces  vastes  salles  ouvertes  aujourd'hui  aux 
vents  des  quatre  points  cardinaux,  et  hantées 
par  les  seuls  corbeaux,  derniers  habitants  des 
nobles  ruines;  voyons  aux  tables  des  festins 
d'apparat,  entre  les  hautes  cheminées  et  les 
tribunes  des  musiciens,  ou  bien  encore  sur  les 
estrades  ou  eschaffaux,  autour  des  lices  où 
les  chevaliers  tournoient,  ces  nobles  dames, 
aux  robes  du  haut  en  bas  armoriées  et  timbrées 
aux  armes  de  leurs  maris  ou  de  leurs  familles, 
arborant,  ainsi  que  de  superbes  panonceaux 
vivants,  toutes  les  belles  inventions  du  blason, 
toutes  les  bêtes  de  la  ménagerie  héraldique, 
les  lions  et  les  léopards,  les  chimères  et  les 
griffons,  les  loups  et  les  cerfs,  les  cygnes  et 
les  corbeaux,  les  sirènes  et  les  dragons,  les 
poissons  et  les  licorneSj  tous  d'allure  fantas- 
tique, tous  ailés,  ongles^  griffus,  dentus  et 
cornus,  issant,   passant   ou   rampant  sur  les 


MOYEN    AGE  35 


champs  les  plus  étincelants,  gueules,  azur,  or 
ou  sinople. 

Et  les  robes  non  armoriées  ne  sont  pas  moins 
riches  ni  moins  brillantes,  semées  de  grandes 
fleurs  contournées  ou  d'ornements  d'un  très 
large  sentiment  décoratif. 

Les  formes,  en  apparence  très  variées,  dé- 
rivent cependant  toutes  du  même  principe. 
Le  surcot  n'a  pas  de  manches,  il  est  ouvert 
plus  ou  moins  largement  sur  le  côté  depuis 
l'épaule  jusqu'à  la  hanche  pour  laisser  paraître 
la  robe  de  dessous,  d'une  autre  couleur  s'har- 
monisant  bien  avec  celle  du  dessus  et  semée 
de  dessins,  ou  plus,  ou  moins  que  le  surcot, 
de  telle  façon  qu'il  n'y  ait  pas  égalité  d'orne- 
mentation. 

Un  garde-corps  ou  devant  de  corsage  d'her- 
mine garnit  le  haut  du  surcot;  laïourrure  est 
échancrée  sur  les  épaules  pour  laisser  voir,  bien 
et  chaudement  encadré,  le  haut  de  la  poitrine 
garni  de  joyaux  et,  surtout  dans  les  robes 
d'apparat,  très  libéralement  décolleté.  Une 
bande  d'hermine  borde  ainsi  toute  l'échancrure 
du  surcot  sur  les  épaules  et  les  hanches. 


'^  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

Grande  variété  dans  les  formes  des  corsages, 
des  cottes  ou  des  surcots,  grande  variété  dans 
l'ornementation  des  épaules,  dans  l'encadre- 
ment du  cou.  Certains  décolletages  manquent 
de  modestie,  les  prédicateurs  tonnent  en  chaire 
contre  l'immoralité  de  la  mode  et  les  conteurs 
des  vieux  fabliaux,  qui  ne  sont  pas  prudes,  s'en 
égayent  largement. 

Lors  de  l'invention  de  la  toile  de  lin,  les 
femmes  non  contentes  de  se  décolleter  pour 
montrer  leurs  gorgerettcs  de  lin  ou  le  haut  des 
diemises,  inventèrent,  pour  montrer  un  peu 
mieux  ces  chemises  de  lin,  de  fendre  leurs 
robes  sur  le  côté,  faisant  ainsi  de  l'épaule  à 
la  hanchCj  de  longues  ouvertures  lacées. 

Il  y  avait  déjàj  —  il  y  a  eu  toujours,  — des 
élégantes  exagérées  qui  outraient  les  fantai- 
sies de  la  mode.  Ainsi  certaines  se  montraient 
en  robes  si  étroites  et  si  collantes  qu'elles 
semblaient  cousues  dedans;  ou  bien  les  sur- 
cots étaient  beaucoup  plus  longs  que  ces  dames, 
v^t  il  fallait  porter  ce  qui  dépassait  au  moyen 
de  poches  placées  sur  le  devant  des  robes, 
dans  lesquelles  on  passait  les  mains,  ou   bien 


MOYEN    AGE 


37 


relever  la  jupe  et  la  rattacher  à  la  ceinture, 
ce  qui  après  tout  était  fort  gracieux  et  faisait 
ces  admirables  plis  cassés  que  nous    voyons 
aux  robes  des  statues. 
Les  manches  de  ces  longs   surcots,   à  traîne 


Le  petit  hennin. 


en  queue  de  serpent^  que  les  grandes  dames 
pouvaient  faire  porter  par  un  page,  s'allon^ 
gèrent  aussi.  Les  manches  de  la  robe  de  des- 
sous descendent  jusqu'au  poignet,  avec  un 
évasement  qui  recouvre  souvent  une  partie  de 
la  main.   Par-dessus,  les  manches  du  surcot, 


.38  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

plus  larges,  sont  ouvertes  quelquefois  depuis 
l'épaule  et  tombent  presque  jusqu'à  terre, 
parfois  fendues  du  coude  au  poignet  ou  pour- 
vues seulement  d'une  ouverture  par  laquelle 
passe  l'avant-bras. 

Il  y  a  cent  [modilîcations  différentes  aux 
manches  :  les  manches  longues,  amples  ou 
serrées,  les  manches  coupées  et  boutonnées  en 
dessous  du  haut  en  bas,  les  manches  échan 
crées  ou  renflées  au  coude,  on  voit  même  les 
manches  dites  à  mitons,  dont  l'extrémité  peut 
se  relever  en  formant  mitaines  fermées,  et  les 
manches-poches  fermées  au  bout,  toutes  inven- 
tions gracieuses  ou  commodes  après  tout. 

Il  y  a  enfin  les  grandes  manches  en  ailes 
tailladées  et  découpées  en  dents  de  scie,  en 
feuilles  de  chêne,  ou  bordées  d'une  mince  ligne 
de  fourrure. 

La  joaillerie  prend  une  grande  importance. 
Grandes  dames  ou  bourgeoises,  toutes  les 
femmes  enrichissent  leurs  costumes  de  joyaux 
et  de  bijoux  plus  ou  moins  coûteux  :  colliers, 
cercles  de  tête  ornés  de  pierres  précieuses 
joyaux  sur    le    couvre-chef,    gros    bijoux    en 


MOYEN    AGE 


agrafes,  ceintures  de  passementerie  et  d'orfè- 
vrerie. 

A  la  ceinture  est  attachée  l'aumùnière  ou 
escarcelle,  de  riche  étoffe  bordée  d'or,  à  fer- 
moir et  ornements  dorés,  lycs  grandes  dames 
éblouissent,  elles  étincellent...  Les  lois  somp- 
tuaires  n'y  peuvent  rien.  Philippe  le  Bel  en 
1194  a  eu  beau  décréter  et  réglementer,  inter- 
dire aux  bourgeoises  le  vair  et  l'hermine,  les 
ceintures  d'or  ornées  de  perles  et  de  pierre- 
ries, il  a  ou  beau  arrêter  que  : 

a  Nulle  damoiselle,  si  elle  n'est  chastelaine 
c(  ou  dame  de  deux  mille  livres  de  rente, 
«  n'aura  qu'une  paire  de  robbes  par  an,  et  si 
ce  elle  l'est,  en  aura  deux  paires  et  non  plus  » 

«  De  même  que  les  ducs,  comtes  et  barons 
«  de  six  mille  livres  de  rente  pourront  faire 
((  faire  quatre  paires  de  robbes  par  an  et  non 
e  plus,  et  à  leurs  femmes  autant » 

Philippe  le  Bel  a  eu  beau  fixer  un  maxi- 
mum du  prix  de  l'aune  d'étoffe  pour  les  robes, 
en  échelle  descendante  pour  toutes  les  con- 
ditions, depuis  vingt-cinq  sols  tournois  l'aune 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


pour  les  grands  barons  et  leurs  femmes,  jus- 
qu'à sept  sols  pour  les  écuyers,et — ce  qui  est 
assez  remarquable  et  montre  bien,  même  en 
ces  temps  lointains,  la  richesse  des  bourgeois 
et  gros  commerçants  des  Villes,  —  permettant 
aux  femmes  des  bourgeois  d'aller  jusqu'à  seize 
sols  l'aune,  Philippe  le  Bêla  eu  beau  tout  prévoir 
et  tout  réglementer,  rien  n'y  a  fait,  pas  même 
la  menace  des  amendes.  Grandes  dames  et 
riches  bourgeoises  ont  bravé  les  défenses  du 
roi  tout  aussi  bien  que  les  remontrances  de 
messieurs  les  maris  et  les  admonestations  que 
le  clergé  se  fatiguait  de  leur  adresser  à  l'église. 

C'est  vainement  que  les  prédicateurs  s'at- 
taquent à  toutes  les  parties  du  costume,  qua- 
liliant  de  portas  d'enfer,  les  crevés,  parfois 
bien  inconvenants  du  surcot,  traitant  les  sou- 
liers à  la  poulaine  iVotitrages  cm  créateur,  et 
faisant  surtout  aux  coiffures,  hennins,  cornes 
ou  escoffions,  une  guerre  acharnée  ;  les  femmes 
laissent  dire  et  gardent  imperlurbablement 
les  modes  attaquées. 

En  fail  de  mode,  elles  ne  relèvent  que  d'elles- 
mêmes  et  nient  toute  autorité,  royale  ou  ecclé- 


CHATELAINE,  MIEIEU  DU  XV^  SIECLE. 


MOYEN     AGE 


41 


siastique,  et  même  la  suzeraineté    maritale. 

Les    dames    de    ce    temps-là  portent  aussi 

quelque  peu  les  souliers  à  poulaines.  les  fameux 


Le  Hennin  à  grand  voile. 


souliers  à  bec  relevés,  dont  les  élégants  de 
Taulre  sexe  s'étaient  épris  et  qu'ils  aiiTémen- 
taienf  souveni  d'un  grelot  tintinnabulant  au 
bout. 

Elles  ne  connaissaient  pas  encore  les  hauts 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


talons,  mais  elles  se  grandissaient  par  des  es- 
pèces de  mules,  ou  par  des  quantités  de 
semelles  mises  l'une  sur  l'autre. 

Les  coiffures  des  dames  sont  de  proportions 
extravagantes.  Le  hennin  triomphe  entre  toutes. 
Il  y  a  Vescoffion  qui  affecte  différentes  formes, 
en  tur])an,  en  croissant;  il  y  a  le  bonnet  en 
cœiu\  énorme  coiffure  d'étoffe  brodée,  treil- 
lissée  de  ganses,  ornée  de  perles,  avec  un  gros 
bourrelet  relevé  de  joaillerie  retombant  en 
cœur  sur  le  front.  Mais  c'est  le  grand  escoffion 
à  cornes  qui,  sur  tous  les  autres,  scandalise  les 
prédicateurs,  l'escoffion  qui  est  une  large  car- 
casse ornée  de  pierreries  emboîtant  les  oreilles 
et  laissant  tomber  de  chaque  corne  sur  les 
épaules  une  fine  mousseline  flottante. 

Ces  escoffîons  venaient,  dit-on,  d'Angleterre, 
ainsi  qu'à  toutes  les  époques  maintes  excen- 
tricités de  costumes;  l'Anglomanie  qui  sévit 
de  temps  en  temps,  date  de  loin,  on  le  voit. 
Viollet-le-Diic,  dans  son  Dictionnaire  du  Mo- 
bilier, donne  un  exemple  de  grand  escoffion 
pris  sur  une  statue  tombale  d'une  comtesse 
d'Arundel    du    commencement  du  xv*'  siècle. 


MOYEN    AGE 


Comparant  les  femmes  ainsi  coiffées  à  des 
figures  sataniques,  à  des  bêtes  cornues,  prédi- 
cateurs et  moralistes  déclarent  que  la  femme 
douze  fois  infidèle  va  au  Purgatoire,  mais  ils 
jettent  directement  et  sans  rémission  à  l'Enfer 
celles  qui  portent  ces  escoffions  à  cornes  ! 

Le  grand  hennin  est  un  immense  cornet 
plaqué  sur  le  front,  emprisonnant  complète- 
ment les  cheveux,  un  tube  conique  en  étoffe 
ramagée  ornée  de  perles,  avec  une  voilette  plus 
ou  moins  longue  sur  le  front,  et  tout  en  haut, 
à  la  pointe  de  l'édifice,  un  flot  de  légère  mous- 
seline retombante.  Edifice  extravagant,  soit, 
incommode,  mais  non  ridicule,  monumental 
mais  charmant,  et  que  les  femmes  s'obstinèrent 
à  porter  pendant  près  d'un  siècle,  parce  qu'il 
était  en  réalité  très  seyant  et  donnait  à  la 
physionomie,  à  l'ensemble  d'une  figure,  de  pied 
en  cape  un  caractère  très  imposant.  Et  enfin, 
raison  principale  dont  on  ne  se  rendait  pas 
compte  peut-être,  mais  qu'on  reconnaissait 
inconsciemment  :  parce  que  ces  grands  hennins 
cadraient  avec  les  architectures  d'alors. 

Magnifique  époque  d'expansion  et  de  mon- 


44  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

tée!  Fines  et  dardées  haut,  les  flèches  des 
églises  escaladent  le  ciel,  entraînant  les  âmes 
avec  elles,  toutes  les  lignes  des  architectures 
montent,  s'épanouissent  et  fleurissent.  Quand 
on  songe  que  c'est  le  temps  des  merveilleuses 
façades  de  maisons  ou  de  palais,  des  orfèvre- 
ries de  pierre  sculptée,  des  fines  tourelles,  des 
crêtes  festonnées,  le  temps  des  villes  hérissant 
mille  clochers  et  mille  pointes,  l'ascension  des 
hennins  se  comprend  très  bien.  Comme  toutes 
les  ascensions,  c'est  encore  une  montée  vers 
l'idéal,  puisque  ces  grands  hennins  aux  longs 
voiles  flottants  donnent  forcément  une  réelle 
noblesse  à  l'attitude  et  à  la  démarche. 

Guerre  aux  hennins!  Tel  fut  cependant  par- 
tout le  cri  des  moines  et  des  prédicateurs.  Le 
plus  violent  de  tous  et  celui  qui  fut  le  plus  en- 
tendu, sinon  écouté,  c'était  un  carme  de  Rennes, 
nommé  frère  Thomas  Connecte. 

Il  entreprit  dans  sa  ville  une  véritable  cam- 
pagne contre  le  débordement  du  luxe,  en  par- 
ticulier contre  les  pauvres  hennins.  De  la  Bre- 
tagne, il  passa  dans  l'Anjou,  en  Normandie, 
en  Ile-de-France,  en  Flandre,  en  Champagne, 


MOYEN    AGE 


prêchant  partout  soleiiiiellemeiit  et  dans  chaque 
ville  du  haut  d'une  estrade  dressée  en  plein  air 


sur  une  place  publique,  accablant  d'invectives 
celles  qui  se  complaisaient  aux  raffinements  de 
la  toilette  et  les  menaçant  de  la  colère  du  ciel. 


46  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Tous  les  malheurs  qui  fondaient  sur  le 
monde,  tous  les  vices  du  temps,  toutes  les 
hontes,  tous  les  péchés,  toutes  les  turpitudes 
de  l'humanité,  provenaient  suivant  lui  de  l'ex- 
travagance coupable  des  hennins  et  des  escof- 
lions  démonia({ues. 

Et  dans  la  chaleur  de  sa  conviction,  frère 
Thomas  ne  s'en  tenait  pas  à  la  parole;  à  la  lin 
de  son  sermon,  le  digne  homme,  enflammé 
d'une  sainte  ardeur,  saisissait  un  bâton  et 
passant  à  travers  les  rangs  effarés  des  dames, 
nobles  ou  bourgeoises,  venues  pour  l'entendre, 
il  faisait  sans  pitié,  malgré  les  cris  et  la  bous- 
culade, un  grand  massacre  de  hennins. 

—  Au  hennin!  au  hennin!  A  ce  cri,  les  po- 
lissons ameutés  par  le  frère  poursuivaient  par 
les  rues  toute  femme  dont  le  couvre-chef  dépas- 
sait les  modestes  proportions  d'une  coiffe  ordi- 
naire. 

Néanmoins,  malgré  sermons  et  voies  de  fait, 
les  hennins  ne  s'en  portaient  pas  plus  mal  et 
se  relevaient  après  le  passage  du  moine.  De 
ville  en  ville,  celui-ci  continuant  sa  croisade 
contre  le  luxe,  s'en  fut  à  Rome,  et  là,  le  spec- 


MOYEN    AGE 


tacle  moins  qu'édifiant  offert  alors  par  la  capi- 
tale de  la  chrétienté,  le  surexcita  tellement 
qu'il  oublia  toute  mesure,  et  que,  laissant  les 
hennins  tranquilles,  il  s'attaqua  aux  cardinaux 
et  princes  de  l'Eglise.  Ceci  était  jeu  plus  dan- 
gereux. Le  pauvre  homme,  accusé  d'hérésie,  fut 
appréhendé  et  tout  simplement  brûlé  en  place 
publique. 

Dans  l'histoire  de  la  mode,  il  y  a  le  roman 
de  la  mode  !  Dans  les  annales  de  la  coquetterie 
féminine,  que  d'épisodes  curieux  et  aussi  que 
de  figures  romanesques  qui  traversent  la 
grande  histoire,  charmantes,  attirantes,  parfois 
étrangement  poétiques,  fleurs  délicates  parmi 
toute  la  ferraille  remuée  parle  siècle — et  par- 
fois aussi,  dangereuses  sirènes  qui  donnent 
bien  raison  au  frère  Thomas  Connecte  ! 

L'histoire  de  la  mode  pourrait  s'écrire  avec 
une  douzaine  de  portraits  de  femmes  espacés 
de  siècle  en  siècle,  portraits  de  reines  de  la 
main  droite  et  de  reines  de  la  main  gauche. 
— ^  plus  souvent  de  la  main  gauche,  —  de 
grandes    dames    et    de    grandes    courtisanes. 

Il   suffit  d'écrire  leurs  noms,  chacun  d'eux 


48 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


c'est  une  page  qui  se  tourne,  un  chapitre  nou- 
veau qui  commence  :  Agnès  Sorel,  Diane  de 
Poitiers,  la  reine  Margot  etGabrielled'Estrées, 


'il 

Les  Manches  tailladées  et  déchiquetées. 


la  })reniière  femme  et  la  dernière  mie  du  rui 
Henri,  Marion  Delorme,  la  Grande  Mademoi- 
selle, Montespan,  première  partie  du  règne  du 
roi  Soleil,  Maintenon,  seconde  partie  du  règne 
du  monarque  renfrogné,   Madame  de  Pompa- 


^ 


DAME  SOUS  CHARLES  VIII. 


M  0  Y  E  N     A  G  E 


49 


dour,  triomphe  du  pimpant  xvm'^  siècle,  Marie- 
Antoinette,  dernier  et  mélancolique  éclat  d'un 


La  Houppehiiule. 

monde  qui  finit.  Madame  Tallien,  Joséphine..., 
etc. 

Après  Isabeau  de  Bavière,  reine  de  France 


50  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

et  reine  de  la  mode,  la  gracieuse  et  magnifique 
épouse  de  Charles  VI,  d'abord  reine  des  bals 
et  des  fêtes,  mais  qui  devint  bientôt  la  reine 
des  guerres  civiles,  sans  cesser,  dans  un  temps 
de  sombres  horreurs,  de  rêver  somptueux  cos- 
tumes et  recherches  d'élégance,  —  après  les 
modes  d'Isabeau,  c'est  le  temps  et  ce  sont  les 
modes  d'Agnès  Sorel.  la  dame  de  Beauté  de 
Charles  VIL 

Charles  VII  s'endorl  à  Bourges  et  ne  songe 
guère  à  reconquérir  son  royaume  :  ses  maî- 
tresses et  ses  plaisirs  sont  tout  l'univers  pour 
lui.  La  grande  et  sainte  Jehanne  a  endossé  le 
harnais  des  hommes  de  guerre  pour  combattre 
l'Anglais,  elle  a  déjà  reconquis  au  roi  une  forte 
partie  de  son  royaume;  une  autre  femme,  ni 
grande  ni  sainte,  va  continuer  son  œuvre, 
Agnès  Soreau  de  Saint-Géraud,  la  belle  Agnès 
Sorel,  blonde  aux  yeux  bleus,  par  la  puissance 
et  l'ascendant  de  la  beauté,  enflamme  le  roi 
Charles,  elle  le  lance  contre  l'Anglais,  lui  fait 
reprendre,  ville  à  ville,  le  reste  du  domaine 
des  fleurs  de  lys  et  mériter  dans  Thishiire  le 
surnom  de  Victorieux. 


MOYEN     AGE 


C'est  elle  la  victorieuse  !  Les  pécunes  qui 
sont  les  nerfs  des  guerres  sont  consacrées  à 
payer  les  rudes  gens  d'armes,  les  lances  et  les 
bombardes  du  roi,  ainsi  qu'à  entretenir  le  luxe 
coûteux  de  la  belle,  à  payer  les  mille  inventions 
de  sa  coquetterie.  Ce  sont  dépenses  de  guerre 
aussi,  puisque  le  roi  bataille  mieux  quand 
Agnès  V ordonne,  comme  dit  la  vieille  romance. 

La  vierge  héroïque,  la  vaillante  Jehanne,  se 
couvrait  de  la  cuirasse  pour  mener  au  combat 
ducs,  seigneurs  et  gens  d'armes  ;  la  belle  Agnès, 
adoréepar  le  roi,  poursuivait  d'une  tout  autre 
manière  l'œuvre  nationale,  elle  se  découvrait  les 
épaules,  inventait  des  corsages  indécemment 
décolletés  jusqu'à  la  taille,  outrait  les  propor- 
tions des  grands  hennins  à  barbes  flottantes... 
Et  les  armées  de  Charles  marchaient,  empor- 
tant châteaux,  villes  et  provinces,  pourchassant 
les  Anglais.  Agnès,  en  somme,  mourut  à  la 
bataille,  puisqu'elle  trépassa  près  de  Jumièges 
pendant  la  reconquête  de  la  Normandie  où 
elle  avait  suivi  le  roi. 

La  cour  de  Bourgogne,  rivale  de  celle  de 
Paris  en  faste  comme  en  tout  le  reste,  introduit 


52  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

dans  la  mode  française  des  éléments  étrangers, 
de  Flandre  surtout.  C'est  la  dernière  époque 
pour  le  costume  du  moyen  âge,  l'éblouissement 
dernier,  l'épanouissement  et  rétincellement 
des  plus  étranges  somptuosités. 

Les  gigantesques  houppelandes  des  hommes 
et  des  femmes  ressemblent  à  de  grandes  pièces 
de  tapisserie,  —  les  grandes  lignes  disparais- 
sent sous  la  complication.  La  Renaissance  va 
venir  après  une  période  de  transition  et  de 
tâtonnements. 

Que  de  jolies  choses  et  de  particularités  in- 
téressantes il  y  aurait  encore  à  citer  dans  les 
atours,  garnements  ai  parements  des  femmes 
du  moyen  âge,  dans  les  vêtements  de  cérémo- 
nie, de  splendide  étoffe  et  d'étincelante  garni- 
ture, dans  les  vêtements  d'intérieur  ou  de 
sortie  de  toutes  les  classes,  aussi  bien  que 
dans  les  vêtements  de  voyage  et  de  chasse 
portés  par  les  nobles  dames  chevauchant  sur 
des  mules  richement  harnachées,  ou  enfour- 
chant les  grands  palefrois  pour  courre  le  gibier 
le  faucon  sur  le  poing. 


Sous  François  1' 


IV 


LA   RENAISSANCE 


Modes  en  largeur.  —  Ilocheplis,  vertiigalles,  vertuga- 
jins.  —  La  belle  Ferronnière.  —  Eventails  et  man- 
chons. —  Les  modes  tristes  de  la  Réforme.  —  L'es- 
cadron volant  de  Catherine.  —  Dentelles  et  guipures. 
—  Etats  de  services  du  vertugadin.  —  Le  masque  et 
le  touret  de  nez.  —  Fards  et  cosmétiques. 


A  la  suite  des  expéditions  de  Cliarles  VIII, 
un  coup  de  vent  souffle  sur  les  modes  du  moyeu 
âge.  Les  temps  gothiques  sont  finis,  le  cos- 
tume masculin  se  transforme  tout  à  coup  et  le 


MESDA.ME.S     N  U  .S     AÏEULES 


costume  féminin  va  changer  aussi.  Ce  coup  de 
vent  emporte,  avec  bien  d'autres  choses,  avec 
notre  architecture  nationale,  avec  notre  goût 
national,  ces  hennins  qui,  malgré  l'apparence, 
tenaient  si  bien  sur  les  tètes  qu'ils  avaient 
duré  près  d'un  siècle. 

Le  costume  s'amollit  et  se  complique.  Le 
corset  ou  corsage  remplace  le  surcot,  il  est 
d'une  autre  couleur  que  la  robe  et  tout  chargé 
d'ornements  et  ramages  dorés,  sous  plusieurs 
rangs  de  colliers  couvrant  le  haut  de  la  poi- 
trine décolletée.  Les  manches  aussi  sont  d'une 
autre  couleur  que  le  corsage,  ce  sont  de 
grandes  ailes  tailladées  et  flottantes  ou  bien 
des  manches  de  plusieurs  pièces  rattachées  par 
des  aiguillettes  ou  des  rubans,  laissant  voir  la 
chemise  de  fine  toile  de  Frise  bouff'ante  aux 
épaules  et  aux  coudes. 

C'est  le  commencement  des  manches  à  bour- 
relets successifs  et  à  crevés  qui  vont  durer  si 
longtemps. 

Les  souliers  pattes  ou  à  bouts  carrés  rem- 
placent les  souliers  pointus  ;  on  va  comme 
toujours  d'une  extrémité  à  l'autre. 


LA    RENAISSANCE 


Grande  variété  dans  les  coiffures  très  basses 
maintenant.  Ce  sont  larges  bourrelets  ou  tur- 
bans emboitant  l'occiput  avec  coiffes  à  dessins 
dorés  encadrant  le  front  et  le  visage  ;  ces  bour- 
relets et  coiffes,  ornés  de  réseaux  perlés,  se 
modifient  dans  les  pays  où  l'influence  flamande 
ou  rhénane  lutte  contre  l'influence  italienne, 
par  l'adjonction  sur  la  coiffe  d'une  sorte  de 
chapeau  tailladé  qui  deviendra  le  grand  béret 
découpé  et  largement  déchiqueté  des  lansque- 
nets suisses  ou  allemands. 

Ce  sont  ces  modes  qui  vont  régner  pendant 
tout  le  temps  de  François  P'',  à  la  cour  éblouis- 
sante du  Roi  Chevalier,  et  à  la  ville  chez  les 
nobles  dames  et  les  bourgeoises  aisées. 

L'innovation  principale,  celle  qui  doit  in- 
fluer sur  le  reste  du  vêtement,  en  déterminer 
en  partie  la  coupe  et  les  proportions,  la  domi- 
nante du  costume  d'alors,  c'est  le  vertugadin. 
dit  aussi  vertugalle,  vertugardien...  Chose  non 
vue  encore,  grande  nouveauté  qui  va  boule- 
verser le  costume  et  changer  toutes  les  lignes. 

Le  vertugardin,  c'est-à-dire  la  jupe  large 
soutenue    par    une  armature   quelconque,  en 


o(i 


MESDAMES     NUS    AÏEULES 


voilàpour  trois  siècles,  pendant  trois  cents  ans, 
avec  des  interrègnes  plus  ou  moins  longs,  il 
durera  sous  des  noms  dilTérents,  panier,  crino- 


(^omriiencement  do  i;i  Ileiiaissaiice. 


line,   pouf,   tournure,    etc.   Il    dure   encore  et 
nous  le  re verrons. 

Depuis  trois  cents  ans  la  largeur  des  jupes 
suit  un  mouvement  régulier,  d'abord  modeste, 
elle  augmente  peu  à  peu,  lentement,  en  habi- 


A  LA  COUR  DU  ROT-CHEVALIER, 


LA    RENAISSANCE 


tuant  progessivement  l'œil  à  ses  proportions, 
elle  arrive  à  une  envergure  formidable,  exa- 
gérée, impossible,  puis  elle  diminue  lentement 
reprenant  l'une  après  l'autre  ses  étapes  suc- 
cessives. 

Les  femmes,  qu'elle  a  transformées  pour  un 
temps  plus  ou  moins  long  en  énormes  cloches, 
redeviennent  clochettes,  elles  diminuent  et 
s'amincissent  jusqu'à  disparition  complète  de 
toute  apparence  de  vertugadin.  Les  modes  sont 
ultra  collantes  pour  quelques  années,  puis  un 
soupçon  de  tournure  reparaît,  une  illusion  de 
vertugadin  se  remontre  et  la  progression 
recommence. 

Villipendé,  chansonné,  ridiculisé  sans  trêve 
ni  merci  à  toutes  les  époques  et  quelque  fut 
son  nom,  il  a  triomphé  toujours,  même  des 
édits  qui  prétendaient  diminuer  son  envergure. 
Et  pourtant  nulle  puissance  au  monde  n'a  vu 
se  liguer  autant  d'ennemis  enflammés  contre 
elle,  aucune  institution  n'a  été  attaquée  avec 
autant  de  vigueur  et  d'acharnement. 

La  Monarchie  ou  la  République  ont  des 
ad\ersaires,  mais  aussi  des  défenseurs.  Vertu- 


J8  MESDAMES    NUS    AÏEULES 

gadiiis,  paniers  ou  crinolines  avaient  contre 
eux  tous  les  maris,  tous  les  hommes  !  Le  corset 
seul  a  eu  presque  autant  d'ennemis  —  dont  il 
a  toujours  également  triomphé. 

Le  Vertugadin,  né  sous  François  P'',  vers 
1530,  marque  la  lin  du  moyen  âge,  mieux  et 
plus  complètement  que  n'importe  quel  chan- 
gement politique.  C'est  la  disparition  des 
robes  collantes  ou  flottantes  à  plis  droits,  si 
sculpturales.  Un  monde  est  Uni. 

Le  vertugadin  s'appelle  premièrement  hoche- 
plis.  Ce  nom  s'applique  d'abord  seulement  au 
bourrelet  godronné  soutenu  par  une  carcasse 
de  fils  de  fer  qui  s'attache  à  la  taille  pour 
donner  de  l'ampleur  aux  jupes.  Puis  le  nom 
s'étend  à  tout  un  système  de  cerceaux  de  bois 
ou  de  baleine  formant  cage  sous  la  jupe  jus- 
(ju'en  bas. 

Le  costume  féminin  sous  François  P''  est 
ample  et  majestueux  plutôt  que  gracieux,  les 
robes  sont  de  velours,  de  satin,  de  brocatelle 
à  fleurs  de  couleurs  variées,  avec  de  larges 
manches  tombantes,  doublées  de  zibeline  ou 
des  manches  énormes  engoneant  les   épaules 


LA    RENAISSANCE  -VJ 

et  formant  comme  une  succession  de  bourre- 
lets jusqu'aux  poignets,  avec  des  crevés  ou- 
verts sur  des  bouillons  de  soie  claire. 

Le  corset  à  buse  appelé  alors  basquine 
apparaît.  Très  probablement  ce  n'était  pas 
encore  une  armature  dissimulée  sous  le  cor- 
sage, mais  bien  le  corsage  lui-même  raidi  par 
des  baleines,  du  moins  les  descriptions  assez 
confuses  donnent  lieu  de  le  penser. 

Pour  la  coiffure,  atUfet,  chaperon^  toque  ou 
loquet,  ainsi  que  pour  l'ornement  du  cou  et 
des  épaules  qui  sortent  considérablement  des 
corsages,  —  on  a  rapporté  de  la  molle  et 
licencieuse  Italie  de  jolies  ouvertures  de  cor- 
sages, que  les  maris  pourtant  auraient  pu 
trouver  offusquantes,  mais  les  hommes  se 
décolletent  bien  aussi  —  les  élégantes  dépen- 
sent en  joaillerie  et  orfèvrerie  plus  que  mes- 
sieurs les  maris  ne  voudraient.  Reines,  gran- 
des dames,  bourgeoises  se  ruinent  en  chaînes 
d'or,  joyaux  émaillés,  perles,  pierreries, 
escarboucles. 

La  belle  Ferronnière,  une  des  maîtresses  du 
roi  après  le  règne  de  la  duchesse  d'Etampes, 


60  Ml^SbAMIiS     NUS    AÏEULES 

invente  de  porter  une  escarboucle  retenue  par 
un  fil  au  milieu  du  front.  Un  bijou  de  plus  a 
porter  quand  on  a  déjà  garni  autant  que  Ton 
pouvait  la  coiffure,  le  corsage  et  la  ceinture 
d'une  étincelante  joaillerie,  quelle  belle  idée  î 
La  coiffure  à  la  Ferronnière  a  vite  un  très 
grand  succès. 

Voici  maintenant  des  accessoires  de  toilette 
inconnus.  Pour  Tété,  c'est  l'éventail  de  plu- 
mes, joli  prétexte  à  garniture  d'orfèvrerie,  et 
le  manchon  pour  l'hiver.  Manchons  noirs 
pour  les  bourgeoises  et  manchons  de  couleurs 
variées  pour  les  dames  nobles  seulement,  sui- 
vant les  ordonnances  royales.  Les  ombrelles 
aussi  sont  venues  d'Italie,  seulement  elles  sont 
trop  lourdes  et  ne  réussissent  guère. 

Mais  voici  sur  l'éblouissante  époque,  Tétei- 
gnoir  de  la  Réforme,  les  jours  troublés  et 
tristes. 

Etincelante,  chatoyante,  superbe  dampleur 
somptueuse  et  de  richesse  pendant  tout  le 
règne  de  François  F'',  roi  chevalier,  prince  bril- 
lant, prodigue  et  ostentatif  en  un  temps  de 
bravoure  et  de  «  braver îe  »  et  aussi  de  licence, 


LA    RENAISSANCE 


Gl 


—  la  mode  va  changer  soudain  de  caractère  et 
devenir  aussi  austère   qu'elle  a  été  fastueuse 


Les  Manches  à  cpe\< 


aussi  som])re  et  lugubre  qu'elle  a  été  éblouis- 
sante et  multicolore. 

C'est  pendant  le  commencement  du  règne 
d'Henri  II  une  véritable  lutte  entre  les  modes 
tristes  et  les  modes  gaies,  mais  bientôt  les 
modes  tristes  triomphent  et  peu  à  peu  l'éclat 
de  réléa:ance  s'éteint,  la  mode   tourne  et  va 


02  MESDAMES     NOS    AÏEULES 


Jiien  vite  des  couleurs  ternes  et  maussades  au 
noir  pur. 

Les  temps  deviennent  difficiles  et  tournent 
au  noir  aussi.  C'est  la  Réforme,  les  dissen- 
sions religieuses,  guerres  de  sermons  et  de 
prêches  d'abord,  puis  guerre  effective  à  coups 
de  canon  et  d'arquebuses,  à  coups  de  bûchers, 
ou  de  potences. 

Le  roi  Henri  II  dès  1549  commença  les  hos- 
tilités contre  le  luxe;  un  édit  interdisant  un 
grand  nombre  d'ornements  ou  d'étoffes,  passe- 
ments, bordures,  orfèvreries,  cordons,  cane- 
tilles,  draps  d'or  ou  d'argent,  satins,  etc.,  ré- 
glementa sévèrement  la  mode  et  détermina 
pour  les  différentes  classes  de  la  société  les 
qualités   des  étoffes  et  jusqu'aux  couleurs. 

Le  droit  de  porter  habillement  complet  de 
dessous  et  de  dessus  en  rouge  cramoisi  fut 
réservé  aux  princes  et  princesses  ;  les  dames 
nobles  et  leurs  maris  ne  pouvaient  prendre 
cette  éclatante  couleur  que  pour  une  seule 
pièce  de  leur  costume. 

Pour  les  dames  de  rang  inférieur,  elles 
avaient    droit,    d'abord    les    plus   élevées   en 


I-A    RENAISSANCE  Oli 

rang,  aux  robes  de  toutes  couleurs  sauf  le  cra- 
moisi, et  les  autres  au  rouge  éteint  ou  au 
noir.  Même  échelle  descendante  pour  les  étof- 
fes, des  satins  et  des  velours  au  simple  drap. 

De  longs  cris  de  lamentation  retentirent  par 
toute  la  France,  quand  on  voulut  passer  à 
Texécution  de  l'édit. 

Les  dames  de  France,  au  nord  comme  au 
midi,  à  l'ouest  comme  à  l'est,  en  bataille  ser- 
rée, défendirent  courageusement,  pied  à  pied, 
leurs  joyaux  et  leurs  belles  parures,  leurs 
étoffes  et  leurs  couleurs,  discutant  avec  les 
agents  de  l'autorité  et  trouvant  mille  raisons 
ingénieuses  pour  tout  sauver,  pour  tout  garder. 

Il  fallut  que  le  roi  reprît  la  plume,  qu'il 
complétât  son  édit  par  une  série  d'articles 
explicatifs  et  détaillât  point  à  point  ce  qui  était 
permis  et  ce  qui  était  prohibé.  Il  faisait  quel- 
ques concessions  aux  dames  et  permettait  en- 
core quelques  petites  coquetteries,  mais  pour 
le  reste,  ce  qui  fut  défendu  resta  défendu  et  la 
loi   somptuaire  fut    exécutée   rigoureusement. 

Le  velours,  trop  commun  en  Franc, 
Sous  toy  reprend  son  vieil  honneur... 


64  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

dit  Ronsard  dans  une  épître  au  Roi  où  il  loue 

le  monarque  de  ses  ordonnances  réformatrices. 
La    sombre   Catherine,   Tltalienne    dont    le 

sana'  a  empoisonné  celui  de  la  race  des  Valois, 
l'empoisonneuse  qui  finira 
toute  houftie  de  crimes,  do- 
mine la  Cour  de  France  en- 
core brillante.  (îomme  un 
iirand  fantôme  noir,  emblème 
de  l'ère  de  crimes  et  de  mas- 

i.a  Coiffure  de  Caihciitic   sacrcs  qui  va  s'ouvrir. 

de  Médicis. 

Elle  laisse  les  recherches 
de  la  coquetterie  aux  dames  de  la  Cour  et  à 
la  maîtresse  de  son  mari,  à  Diane  de  Poitiers, 
la  suprême  beauté,  la  déesse  quasi  mytholo- 
gique de  la  Renaissance,  que  Jean  Goujon 
sculpta  comme  plus  tard  Canova  sculptera  une 
autre  beauté  princière,  Pauline  Borghèse.  Les 
plus  jolies  créations  de  l'époque,  ce  sont  des 
toilettes  à  tons  sobres,  d'une  élégance  sévère 
composant  des  harmonies  grises  ou  des  har- 
monies en  blanc  et  non*,  les  couleurs  de  Diane 
de  Poitiers. 

A  la  mort  d'Henri.  Catherine  adopte,  pour 


sous  HENRI  II. 


LA    RENAISSANCE 


65 


ne  plus  le  quitter,  le  costume  de  veuve,  et 
entourée  pourtant  d'un  essaim  de  jeunes  et 
brillantes  beautés,  de  ses  filles  d'honneur 
qu'on  appelle  Vescadron  volant  de  la  Reine, 


Sous  Ilciui  U. 


—  escadron  qui,  dans  les  mille  intrigues 
qu'elle  noue  et  dénoue,  la  sert  plus  avanta- 
geusement que  des  escadrons  de  reîtres,  — 
elle  traverse  les  trois  règnes  tourmentés  des 
rois  ses  fils,  noire  des  pieds  à  la  tête,  noire 
comme  la  nuit,  noire  comme  son  àme. 
Large  jupe  noire,  corsage  noir  en  pointe, 


66  MESDAMES     NUS     AÏEULES 

grandes  ailes  noires  aux  épaules,  collet  noir 
relevé  en  forme  de  fraise  ;  et  pourjcoiffure  une 
sorte  de  chaperon  ou  de  toquet  à  visière 
noire  qui  descend  en  pointe  sur  ce  front  aux 
pensées  dures  et  sinistres. 

Ce  fut  Catherine,  paraît-il,  qui  importa  en 
France,  en  arrivant  de  Florence  pour  son  ma- 
riage, les  fraises  qu'adoptèrent  rapidement 
les  hommes  et  les  femmes. 

Il  y  en  avait  de  toutes  sortes,  de  modestes 
et  d'inouïes,  de  très  simples  en  linge  godronné 
et  d'autres  en  merveilleuses  dentelles.  Inven- 
tion charmante  et  superbe,  incommode  sans 
doute  comme  bien  d'autres  inventions  de  la 
mode,  mais  qui  encadrait  si  bien  dans  les 
rosaces  et  les  rinceaux  de  la  plus  fine  den- 
telle, qui  sertissait  comme  un  bijou  précieux 
la  figure  de  la  femme. 

C'étaient  des  chefs-d'onivre  de  cet  art  si 
féminin  de  la  dentelle  où  brillait  toute  l'élé- 
gance décorative  de  la  Renaissance  ;  les 
mêmes  artistes  qui  ciselaient  le  bronze,  l'ar- 
gent et  l'or,  qui  sculptaient  ces  Unes  décora- 
tions  de   pierre   sur  les   façades    des  palais, 


LA    RENAISSANCE  67 

fournissaient  les  dessins  de  ces  fraises  ;  la 
dentelle  avait  ses  Benvenuto  Cellini,  à 
Bruxelles,  à  Gènes  et  surtout  à  Venise,  pre- 
miers centres  de  fabrication. 

Mais  les  fraises  ne  prirent  pas  tout  de  suite 
ces  belles  proportions,  qu'elles  n'atteignirent 
que  sous  Henri  III.  Elles  furent  d'abord  de 
simples  collerettes  à  plis  ronds  ou  godrons 
qui  enserraient  le  cou  jusqu'aux  oreilles, 
fraises  austères  et  fermées  d'un  temps  qui 
s'assombrissait  de  plus  en  plus  ;  l'austérité 
protestante  gagnait  rapidement  et  si  les  ca- 
tholiques conservaient  leurs  habitudes  et  leurs 
mœurs  plus  faciles,  les  querelles  de  religion 
avaient  pris  toute  leur  àpreté  et  la  guerre 
civile  planait  sur  la  France. 

Sous  le  règne  éphémère  de  François  II,  qui 
vit  passer  à  la  cour  de  France  la  figure  auréo- 
lée par  le  malheur  de  la  pauvre  Marie  Stuart, 
sous  celui  de  Charles  IX,  les  costumes  ont 
une  élégance  sobre  et  discrète.  Comme  les 
pourpoints  des  hommes,  les  corsages  sont 
tailladés,  ainsi  que  les  manches  raides  et 
bouffantes  en  haut. 


t)8  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Les  seuls  bijoux  sont  quelques  boucles  et 
pendants  de  ces  grandes  ceintures  dites  cor- 
delières, des  garnitures  d'aumùnières,  un  col- 
lier sous  la  collerette,  petite  fraise  à  godrons 
qui  se  trouve  aussi  aux  poignets. 

Le  chancelier  de  l'Hôpital,  ennemi  de  la 
trop  grande  ampleur  des  vertugadins,  les 
avait  un  peu  dégonflés  et  diminués  par  une 
sévère  ordonnance  en  lo63,  par  laquelle  il 
interdisait  également  aux  hommes  les  hauts 
de  chausses  rembourrés.  Mais  à  un  passage  du 
roi  Charles  IX  à  Toulouse,  les  belles  Toulou- 
saines étant  venues  implorer  un  adoucisse- 
ment aux  rigueurs  de  l'austère  chancelier,  le 
roi,  plus  clément  qu'il  ne  se  montrera  plus 
tard  aux  Huguenots,  fit  grâce  au  vertugadin 
et  lui  permit  de  reprendre  ses  monumentales 
proportions. 

Ne  nous  moquons  pas  de  cette  ampleur  des 
vertugadins,  un  jour  elle  sauva  la  France  s'il 
est  vrai,  comme  la  chronique  le  dit,  que  Mar- 
guerite de  Valois  put  préserver  les  jours 
d'Henri  de  Navarre  son  mari,  en  le  cachant 
sous  un  immense  vcrtugadiai  quand  les  mas^ 


LA    RENAISSANCE 


69 


sacreurs   de  la  Saint-Barthélomy  se  mirent  à 
dépêcher  à  coups  de  hallebarde  les  huguenots 
qu'on  avait  logés  au  Louvre  à  l'occasion  des 
noces    d'Henri    et    de 
Margot. 

Les  modes  s'assom- 
brissent comme  le 
temps,  comme  Tarchi- 
tecture,  comme  le  mo- 
bilier, comme  tout. 
C'est  une  loi  générale, 
l'architecture  est  sévè- 
re, ce  n'est  plus  l'exu- 
bérance débordante,  la 
gaieté  païenne  de  la 
Renaissance,  les  for- 
mes sont  plus  conte- 
nues. Après  une  débauche  d'inventions  sourian- 
tes, l'architecture  fait  pénitence.  Le  mobilier  qui 
garnit  ces  hôtels  renfrognés  est  raide  et  gourmé. 

Voyez  ces  tables  et  ces  sièges  carrés,  sans 
ornements  ni  sculptures,  de  bois  brut  recou- 
vert d'étoffe  sombre  semée  de  gros  clous.  C'est 
le  stvle  catafalaue. 


Sous  Charles  IX. 


70  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Dans  ces  architectures  sévères,  dans  ces  ap- 
partements qui  semblent  revêtus  de  tentures 
d'enterrement,  s'agitent  des  gens  à  costumes 
tristes.  Longues  robes  tombant  sur  de  larges 
vertugadins  et  collets  montants;  le  buste  est 
emprisonné  et  comprimé  durement  dans  un 
raide  corset  à  buse  fermant  par  derrière,  dans 
une  armature  solide  appelée  un  corps  piquée 
que  recouvre  un  corsage  d'étofTe  raidie  et  ba- 
leinée aussi. 

Pour  sortir  dans  la  rue,  les  femmes  ajus- 
tent sous  leurs  chaussures  des  patins  légers 
à  semelles  de  liège,  ce  qui  s'est  déjà  fait 
aux  siècles  précédents,  mais  on  raille  beaucoup 
les  femmes  de  petite  taille  qui  ont  pris  pour  ha- 
bitude de  se  jucher  sur  des  patins  formidables, 
ou  de  se  hausser  par  des  souliers  à  nombreu- 
ses semelles  superposées. 

Pour  la  coiffure,  c'est  la  coiffe  de  réseau,  la 
pointe  sur  le  front  faisant  de  la  figure  une 
sorte  de  cœur,  ce  que  nous  connaissons  sur- 
tout sous  le  nom  de  coiffe  à  la  Marie  Stuart, 
ou  bien  c'est  le  chaperon  de  velours  noir,  une 
sorte  de  chapeau  assez  peu  seyant. 


LA    RENAISSANCE  71 

Il  est  de  mauvais  ton  pour  les  dames  nobles 
et  même  pour  les  bourgeoises  de  sortir  sans 
masque.  Étrange  mode,  ce  masque  noir  est 
encore  une  note  triste  ajoutée  à  un  ensemble 
déjà  bien  sombre. 

Les  masques,  de  velours  noir,  sont  courts, 
laissant  voir  le  bas  du  visage,  ou  à  menton- 
nière; ils  s'attachent  derrière  les  oreilles  ou 
bien,  ce  qui  est  plus  raffiné,  se  maintiennent 
au  moyen  d'un  bouton  de  verre  tenu  avec  les 
dents.  Cette  mode  passant  des  femmes  de  qua- 
lité aux  toutes  petites  bourgeoises  durera 
longtemps,  jusque  sous  Louis  XIH. 

Le  masque  cependant  est  coquet,  il  y  avait 
moins  joli,  il  y  avait  le  touret  de  nez,  pièce 
d'étoffe  noire  attachée  par  les  côtés  au  chape- 
ron, qui  s'ajustait  sous  les  yeux  et  cachait  tout 
le  bas  du  visage,  invention  bizarre  et  peu  sé- 
duisante qui  ressemblait,  en  laid,  au  voile  de 
figure  des  femmes  du  Caire. 

Ces  tourets  de  nez,  paraît-il,  ont  leur  raison 
d'être  et  leur  utilité.  Ne  les  soulevons  pas.  Les 
dames  se  fardent  outrageusement  suivant  une 
mode  venue  d'Italie  avec  Catherine  de  Médicis, 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


elles  se  peignent  comme  de  simples  Caraïbes  et 
s'appliquent  sur  les  joues,  sous  le  touret  de  nez, 
les  couleurs  les  plus  vives  et  les  plus  dange- 
reuses pour  l'épiderme.  Les  visages  féminins 
sont  enduits  de  plaques  de  vermillon,  ou  bien, 
sous  prétexte  d'entretenir  la  fraîcheur  du  teint, 
de  pommades  et  de  drogues  vraiment  peu  ra- 
goûtantes. 

Horrible  I 

Une  Instruction  pour  les  jeunes  dames  donne 
des  indications  sur  la  composition  de  ces 
«  oints  »  ou  plutôt  de  ces  fricassées  déplorables 
où  il  entre  delà  térébenthine,  des  fleurs  de  lis, 
du  miel,  des  œufs,  des  coquilles,  du  camphre, 
etc.,  le  tout  cuit  dans  l'intérieur  d'un  pigeon, 
trituré  et  distillé  ensuite. 

Pouah!  le  touret  de  nez  paraît  assez  indis- 
pensable après  cela. 

Le  florentin  René,  amené  par  Catherine,  four- 
nissait aux  belles  dames  de  la  cour  fards,  par- 
fums et  cosmétiques;  on  sait  qu'il  cuisina 
souvent  pour  la  reine  mère  d'autres  fournitures 
plus  nuisibles  destinées  à  supprimer  avec  élé- 
gance et  discrétion  les  gens  embarrassants. 


JA 


fc-r /^> 


DAME  DU  TEMPS  DE  CHARLES  IX. 


LA    RENAISSANCE 


n 


Quelle  époque!  d'un  bout  du  royaume  à 
l'autre,  dans  le  mélange  des  partis  en  lutte, 
on  se  dispute,  on  se  hait,  on  se  bat.    Pendant 


Etoffjs  ramn^î'Cs. 


trente  ans  tout  est  bouleversé,  les  armées  ca- 
tholiques et  huguenotes  se  poursuivent  par 
les  provinces,  mettant  tour  à  tour  les  villes  à 
sac,  brûlant  les  châteaux  les  uns  des  autres, 
guerre  sans  merci  où   les  femmes    et  les   en- 


74  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

fants  sont  enveloppés,  guerre  de  surprises  et 
de  massacres. 

Les  villes  sont  assiégées,  les  campagnes 
sont  ravagées  par  les  argoulets  et  arquebu- 
siers catholiques,  par  les  reîtres  protestants, 
les  châteaux  et  manoirs  enlevés  par  de  rapi- 
des coups  de  main...  Il  faut  fuir  quand  on  ne 
se  sent  pas  le  plus  fort,  ou  périr... 

On  comprendrait,  qu'en  ces  lugubres  temps, 
les  costumes  des  femmes  se  soient  un  peu  mas- 
culinisés. Les  pauvres  femmes  ont  si  souvent 
besoin,  pour  se  tirer  d'affaire  dans  les  moments 
difficiles,  d'enfourcher  chevaux  ou  mules,  de 
chevaucher  comme  les  hommes! 

Ainsi,  en  I068,  Condé  surpris  en  pleine 
paix,  dut,  pour  échapper  aux  troupes  de  Cathe- 
rine, s'enfuir  de  son  château  de  Noyers  près 
d'Auxerre  et  courir  jusqu'à  la  Rochelle,  échap- 
per aux  partis  de  cavalerie,  traverser  la  Loire 
à  gué,  avec  sa  femme  enceinte  portée  dans  une 
litière,  avec  trois  enfants  au  berceau,  la  famille 
de  l'amiral  Coligny,  celle  d'Andelot,  nombre 
d'enfants  et  de  nourrices... 

Les  femmes  empruntèrent  au  costume  mas- 


LA    RENAISSANCE 


culin  une  espèce  de  pourpoint  à  hauts  de 
chausses  qui  se  mettait  sous  la  robe.  Ces  cale- 
çons ^  ainsi  s'appelaient-ils,  permettaient, 
malgré  les  larges  jupes,  d'enfourcher  plus  com- 
modément les  arçons. 

Les  vertugadins  continuaient  à  se  porter  et 
à  grandir  malgré  tout 

Et  les  dames  ne  sont  pas  bien  accommodées 
Si  leur  vcrtugadin  n'est  large  dix  coudées, 

dira  bientôt  un  satirique  Discours  sur  la  mode. 


Au  temps  de  la  Réforme. 


Coiffure  et  Colloretle  Valoi*. 


HENRI    III 


La  cour  du  Roi-Femme—  Les  grandes  fraises  plissées, 
Rodronnées  ou  en  cornets.  —  Les  femmes-clochos. — 
Les  grandes  manches.  —  Horribles  méfaits  du  corset. 
—  La  reine  Margot  et  ses  pages  blonds. 


Le  règne  de  Henri  III  n'apporte  aucun  chan- 
gement dans  la  situation.  Les  temps  furent 
plus  sombres  peut-être  et  le  pays  plus  boule- 
versé. Cependant  malgré  la  sainte  Ligue,  mal- 


HENRI   m  77 


gré  le  redoublement  des  guerres  civiles,  mal- 
gré l'incendie  de  ses  provinces  et  le  sang  qui 
coulait  de  partout,  Henri  III,  roi  de  la  France 
tiraillée  à  quatre  chevaux,  prit  en  main  le 
sceptre  de  la  mode. 

Après  le  sombre  Charles  IX,  dédaigneux  du 
luxe  et  des  affîquets  de  la  toilette,  venait  un 
roi  mignard,  frisé,  fraisé,  musqué,  fardé,  qui, 
tout  en  renouvelant  les  édits  de  Charles  IX 
contre  le  luxe,  lançait  la  cour,  et  après  la  cour 
tout  ce  qui  peut  suivre  la  mode,  dans  un  dé- 
bordement de  folies  luxueuses,  de  somptuosi- 
tés excentriques  et  extravagantes. 

Sous  ce  roi  de  Vile  des  Hermaphrodites^ 
comme  des  pamphlets  l'appelèrent,  le  roi- 
femme,  et  l'homme-Reine  de  d'Aubigné  : 

Son  visage  de  blanc  et  de  rouge  empâté, 

Son  chef  tout  empoudré  nous  montrèrent  l'idée 

En  la  place  d'un  roi  d'une  fille  fardée. 

tout  est  désordonné  et  déréglé  à  la  cour.  «  Le 
luxe  et  les  débordements  sont  tels  que  la  plus 
chaste  Lucrèce  y  deviendrait  une  Faustine,  » 
dit  la  chronique  de  l'Étoile. 


MESDAMES    NUS    AÏEULES 


Le  royaume  de  la  mode  lui-même  est  boule- 
versé, il  n'y  a  plus  de  frontières  naturelles  et 
les  modes  se  confondent  pour  les  deux  sexes. 
Le  roi,  par  un  goût  singulier,  féminisa  le  plus 
possible  ses  costumes,  cherchant  ce  qui  pou- 
vait se  prendre  aux  modes  féminines,  depuis 
la  coiffure  jusqu'à  l'éventail. 

Comme  les  dames  de  la  cour,  le  roi  et  ses 
mignons  adoptèrent  les  colliers  de  perles,  les 
boucles  d'oreilles,  les  dentelles  de  Venise  et 
les  grandes  fraises.  Comme  les  dames,  pour 
entretenir  la  fraîcheur  de  leur  teint,  ils  se  far- 
dèrent et  se  cosmétiquèrent  d'une  façon  ridi- 
cule, allant  jusqu'à  mettre  la  nuit  des  mas- 
ques et  des  gants  enduits  de  pommade;  étran- 
ges modes  efféminées  pour  un  temps  de  poi- 
gnards levés  et  de  périls  constants. 

Ces  mignons  et  popelirots  ne  portaient-ils 
pas  comme  les  dames  une  sorte  de  corset  pour 
faire  taille  fine,  le  pourpoint  à  buse  descendant 
très  bas  en  pointe,  devenu  bientôt  le  ridicule 
pourpoint  à  panse  rembourrée  formant  une 
espèce  de  ventre  pointu  à  la  façon  de  Poli- 
chinelle. Ne  se  coifTaient-ils  pas  de  la  loque 


EMU    III  79 


féminine  ornée   de  plumes  et  de  pierreries... 

Les  femmes  ne  prirent  rien  aux  modes  mas- 
culines, mais  elles  se  rattrapèrent  en  exagé- 
rant considérablement  les  dimensions  et  l'or- 
nementation de  tous  les  éléments  du  costume, 
en  recherchant  la  somptuosité  des  étoffes,  en 
se  surchargeant  encore  d'accessoires  et  de  joail- 
lerie. C'est  Marguerite  de  Valois,  sœur  du  Roi, 
la  reine  Margot  d'Henri  IV  qui  mène  la  mode, 
et  moins  le  ridicule  que  la  grâce  féminine 
esquive,  elle  fait  bien  le  pendant  de  l'étonnant 
Henri  III,  le  satrape  musqué  et  fardé  qui  em- 
pèse et  godronne  lui-même  ses  fraises  et  celles 
de  la  reine,  et  se  promène  avec  des  petits 
chiens  sur  les  bras  ou  le  bilboquet  à  la  main. 

Les  fraises  ont  pris  des  proportions  fantas- 
tiques, ce  sont  d'immenses  cornets  évasés, 
soutenus  par  des  fils  de  laiton,  de  magnifiques 
dentelles  ou  broderies  de  point  de  Venise,  qui 
partant  du  corsage,  laissent  voir  les  épaules 
et  montent  derrière  la  tête  jusque  par-des- 
sus la  coiffure.  La  figure  fardée  ainsi  encadrée 
dans  cette  dentelle  à  pointes,  c'est  une  fleur 
éclatante  ou  un  fruit,  ou  plutôt  c'est  une  tête 


80 


MESDAMES    NUS    AIEULES 


d'idole,  trop  apprêtée,  peinte  et  repeinte,  ruis- 
selante de  bijouterie  et  de  clinquant. 


Toilette  de  Cour. 


Encadrement  de  corsage   en  joaillerie,   or, 
pierreries,  perles,  colliers,   boucles   d'oreilles, 


TOILETTE  DE  COUR  HENRI  III. 


HENRI    II 


81 


perles  et  diamants  à  la  coiffure,  les  princesses 
et  les  grandes  dames  étincellent.  Les  coiffures 
sont  très  basses,  les  cheveux  arrangés  en 
pointe  sur  le  front  et  relevés  en  rouleau  sur  les 
tempes,  dessinent  un  cœur  que  couronne  un 


simple  cercle  orné  de  pierres  et  de  perles  fines. 
Sur  les  corsages  et  sur  les  jupes,  des  lignes 
de  perles  forment  des  quadrillés  ou  des  lo- 
sanges. La  ceinture  à  pendants  très  longs, 
est  en  joaillerie  également  ;  à  l'extrémité 
pend  un  petit  miroir,  précieusement  encadré, 
que  les  dames  ont  à  tout   instant  à  la  main, 

6 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


pour  vérifier  l'état  de  cette  précieuse  toilette 
si  difficile  à  porter,  de  ces  fraises  immenses, 
d'une  si  haute  et  si  majestueuse  élégance,  pour 
lesquelles  les  dames  sont  à  la  gène  dans  les 
réunions  et  dans  la  presse  des  fêtes  de  la  cour. 

Il  suffit  pour  en  juger  de  voir  au  Louvre  un 
tableau  du  temps,  représentant  un  bal  à  la 
cour,  aux  fêtes  données  pour  le  mariage  du  due 
de  Joyeuse  avec  la  belle-sœur  du  roi,  noces 
fameuses,  célébrées  avec  un  faste  inouï  par 
vingt-cinq  outrente  journées  de  festins,  de  jou- 
tes ou  de  mascarades,  pendant  lesquelles  toute 
la  cour,  les  princes  et  princesses,  seigneurs 
et  nobles  dames  rivalisèrent  de  richesses  et  de 
somptuosités  folles,  dans  leurs  toilettes  renou- 
velées de  fête  en  fête. 

D'après  ce  tableau  des  noces  de  Joyeuse, 
attribué  à  Clouet,  les  seigneurs  et  les  nobles 
dames  rivalisèrent  surtout  de  ridicule  dans 
leurs  ajustements.  Ce  ne  sont  que  corsages  à 
pointes,  fantastiquement  serrés  ou  pourpoints 
à  abdomens  pointus,  qui  donnent  aux  uns  et 
aux  autres,  des  apparences  d'insectes,  fines 
guêpes  ou  gros  bourdons. 


HENRI    ni 


Ces  corsages,  dont  les  buses  n'en  finissent 
pas,  ont  des  manches  énormes  et  rembourrées, 
aussi  grosses   aux   épaules  que  le  corps  tout 


Les  Manches  bouffantes. 

entier,  formées  d'une  succession  de  gros  bour- 
relets à  crevés,  bordés  de  perles  ou  de  clin- 
quant, avec  des  poignets  de  fine  dentelle  as- 
sortis à  la  fraise. 

Quant  aux  vertugadins,    ils  ballonnent   et 
s'élargissent  considérablement,  ce  sont  main- 


84  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

tenant  plus  que  des  cloches,  ce  sont  de  vastes 
soupières  renversées,  sur  lesquelles  on  porte 
deux  robes  superposées,  la  robe  de  dessous, 
de  riche  brocart  ou  d'étoffes  chargées  de  mille 
broderies,  s'ouvrant  pour  laisser  voir  l'autre, 
laquelle  est  de  couleur  différente  et  non  moins 
ornementée. 

Au  plus  épais  des  troubles  et  confusions, 
quand  ligueurs,  royaux  et  huguenots  se  heur- 
taient, s'arquebusaient  et  se  pendaient  d'un 
bout  du  royaume  à  l'autre,  Damville,  l'aîné 
des  trois  fils  du  connétable  de  Montmorency, 
qui  avait  levé  la  lance  pour  un  quatrième  parti, 
celui  des  politiques,  allié  dans  le  Midi  aux 
huguenots,  dut  une  belle  chandelle  à  l'inven- 
tion de  ces  encombrants  vertugadins.  Cerné 
dans  Béziers,  il  allait  être  pris  et  courait  grands 
risques,  mais  une  de  ses  parentes,  Louise  de 
Montagnard,  femme  de  François  de  Tressan, 
l'enleva  dans  son  carrosse,  caché  sous  l'étale- 
ment de  son  immense  vertugadin,  et  le  fit  pas- 
ser à  la  barbe  de  ses  ennemis. 

C'est  le  second  sauvetage  opéré  par  le  ver- 
tugadin :  peut-être  aurait-il  a  faire  valoir  bien 


HENRI    III 


85 


d'autres  actes  de  service,  si  l'histoire  avait 
daigné  les  enregistrer.  La  crinoline,  que  nous 
avons  connue,  n'a  pas  de  haut  fait  pareil  à  son 


Le  petit  manteau  Henri  III. 

actif.  Sa  vaste  envergure  fut  aussi  utilisée, 
non  pour  de  si  dramatiques  évasions,  mais 
seulement  par  d'ingénieuses  fraudeuses,  qui 
se  contentaient  d'accrocher  sous  leurs  jupes, 


8(3 


MÏSDVMES    NUS    AÏEULES 


à  ses  cerceaux,  des  objets  soumis  aux  droits. 

Le   corset  n'est  plus    la   simple    basqiiine, 

assez  inofTensive  des  commencements,  le  corps 


Sous  Henri  lU. 

piqué  qu'endurent,  sous  prétexte  de  s'avanta- 
ger la  poitrine,  les  belles  dames  de  ce  temps, 
c'est  un  véritable  instrument  de  torture,  un 
moule  dur  et  solide  dans  lequel  il  fallait  en- 
trer, souffrir  et  rester,  malgré  les  éclisses  de 
bois  qui  «  entraient  dans  la  chair,  mettaient 
la  taille   à  vif  et  faisaient  chevaucher  les  côtes 


ENRI    III  87 


les  unes  par-dessus  les  autres,  »  ce  sont  Mon- 
taigne et  Ambroise  Paré  qui  le  disent,  et  ce 
dernier  pouvait  en  savoir  quelque  chose. 

Comme  le  vertugadin  et  plus  que  le  vertu- 
gadin,  le  corset  passera  les  siècles,  durera  à 
travers  toutes  les  modes,  malgré  toutes  les  at- 
taques, malgré  les  médecins  qui  l'excommu- 
nient avec  unanimité,  victorieux  de  tous  et  de 
toutes,  victorieux  contre  l'évidence.  Les  ab- 
surdes mignons  d'Henri  III  l'ont  bien  un  mo- 
ment fait  adopter  par  les  hommes  ! 

Les  beautés  célèbres  du  temps,  M'"^  de 
Sauves,  la  reine  Margot,  dans  leurs  atours  de 
cérémonie,  avec  tous  leurs  joyaux  et  pierre- 
ries, dans  leurs  corsages  raidis  et  luisants, 
couverts  de  rinceaux  d'or,  ont  l'air  de  déesses 
revêtues  de  cuirasses  damasquinées.  Ne  m'ap- 
prochez pas,  disent  les  grandes  fraises  à  pointes 
de  ces  beautés,  qui  pourtant  ne  sont  guère 
inaccessibles. 

Cette  folie  de  luxe,  à  une  époque  si  sombre 
pourtant,  a  gagné  toutes  les  femmes.  Il  n'est 
pas  de  femme  de  petite  noblesse,  de  femme  de 
robin,  de  bourgeoise  qui  n'essaie  d'approcher 


88 


MESDAMES     .NOS     AÏEULES 


des  grands  modèles,   au   grand  déplaisir  des 
maris,  au  grand  péril   des  fortunes  déjà  bien 
atteintes  par  les  malheurs  des  temps. 
Le  brillant  xvf  siècle,  le  siècle  de  la  Renais- 


La  Reine  Margrot. 


sance,  illustré  par  tant  d'artistes  et  de  lettrés, 
tant  d'étincelants  chevaliers  et  de  dames 
éblouissantes,  le  xvi^  siècle  finit  mal  cepen- 
dant. Il  plane  sur  cette  fin,  sur  cette  époque 
d'Henri  III,  aux  raffinements  corrompus,  sur 
la  cour  et  la  ville,  sur  ces  belles  et  nobles 
dames,  sur  ces  reines  vénéneuses,  sur  ces  rai- 


GRANDE  TOILETTE  MÉDICIS. 


HENRI    III 


89 


gnons  et  ces  raffinés,  une  telle  odeur  de  sang, 
que  dans  ce  bouleversement  et  dans  cette  cor- 
ruption sociale,  ce  n'est  pas   de  trop  de   tous 


Grande  Fraise  Henri  III. 

les  parfums  violents  dont  on  use,  de  ce  musc 
et  de  cette  ambre  pour  la  masquer. 

Marguerite  de  Valois,  fleur  au  parfum  dan- 
gereux, survivra  à  ce  temps  et  finira  en  I6I0, 
quelques  années  après  Henri  IV,  son  ex-mari; 
elle  finira  vieille  coquette,  fardée  et  musquée, 
essayant,  malgré  l'âge,  malgré  l'embonpoint  qui 
détériore  sa  prestance  d'ex-déesse,   de  garder 


90  MESDAMES    NOS    AÏEULES 


les  grâces  solennelles  et  apprêtées  de  son  beau 
temps  et  ses  grands  costumes  d'apparat,  traî- 
nant une  petite  cour  de  ses  châteaux  du  Lan- 
guedoc à  son  logis  parisien  de  l'hôtel  de  Sens 
qui  existe  encore,  distinguant  de  temps  à 
autre  quelque  trop  joli  cavalier,  ou  quelque 
gentil  jeune  page,  de  ces  pages  qui  occupaient 
déjà  la  chronique  en  ses  belles  années,  quand 
on  l'accusait  de  les  faire  tondre  pour  se 
fabriquer  des  perruques  blondes  avec  leur 
toison. 

Tout  à  la  lin  de  cette  reine,  devenue  la  gro- 
tesque Margot,  l'un  de  ces  pages  préférés  ayant 
été  dagué  dans  l'hôtel  même  par  un  jeune 
écuyer,  jaloux  de  posséder  les  bonnes  grâces 
de  la  vieille  reine,  Marguerite  entra  en  fureur 
comme  une  lionne  blessée,  et  pour  venger 
l'objet  de  ses  dernières  amours,  elle  prétendit 
exercer  leodalement  le  droit  de  haute  justice 
dans  sa  maison;  elle  condamna  le  coupable  à 
mort  et  le  lit  décapiter  sans  désemparer,  sous 
ses  yeux  affamés  de  sang,  devant  le  populaire 
assemblé  dans  le  carrefour,  sur  la  porte  même 
de  l'hôtel  de  Sens. 


La  fraiic  collerette. 


VI 


HENRI   IV   ET   LOUIS   XIII 


lletour  à  une  simplicité  relative.— Les  femmes-tours.— 
Hautes  coiffures.  — Excommunication  du  décolletage. 
—  Les  robes  à  grands  ramages  de  fleurs.  —  Collets 
montés  et  collets  rabattus.  -  Tailles  longues.—  Les 
édits  de  Richelieu.  —  La  dame  suivant  l'édit.  — 
Tailles  courtes. 


Il  y  a  des  siècles  qui  ont  la  vie  dure,  et 
d'autres  qui  meurent  avant  l'âge,  le  xvi*'  siècle, 
de  complexion  sans  doute  particulièrement  ro- 
buste, se  prolongea  jusqu'à  la  fin  du  règne 
du    Béarnais,   avec  ses   idées   et   ses    mœurs, 


92  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

ses  façons  et  ses  modes.  On  verra  plus  tard  le 
xvu^  durer  de  même  avec  Louis  XIV  au  détri- 
ment du  xvm^,  et  ce  pauvre  et  charmant  xviii^ 
finir  tristement  avant  l'âge,  de  mort  subite  en 
l'année  89. 

Ces  années  de  grâce  du  x\f  siècle  sous  le 
sceptre  du  roi  Henri,  sont  une  convalescence 
après  les  longues  années  de  lièvre  chaude;  la 
France,  que  la  maladie  a  mise  si  bas,  renait.  le 
poison  qu'elle  avait  dans  les  veines  est  expulsé, 
tout  se  répare,  se  nettoie  et  s'assainit. 

Après  les  raffinements  ridicules  et  maladifs 
du  règne  de  Henri  HI,  le  costume  prend  un 
caractère  sans  façon,  un  aspect  de  bonne  et 
simple  franchise,  s'il  peut  y  avoir  de  la  fran- 
chise dans  le  costume.  C'est  cependant  presque 
le  même  costume,  mais  simplifié  dans  les 
lignes  et  débarrassé  de  ce  qu'il  avait  de  sura- 
bondant et  de  trop  cherché  dans  les  détails. 

Les  modes  sont  moins  élégantes,  certaine- 
ment, celles  des  femmes  comme  celles  des 
hommes;  elles  ont  bien  des  ridicules  aussi, 
mais  ce  sont  des  ridicules  naïfs.  On  est  sorti  de 
la  prétention  excessive,  de  la  grâce  raffinée  et 


HENRI 


IV    ET    I.Oi;iS    XIII  «3 


corrompue;  en  allant- dans  la  simplicité,  on 
est  tombé  dans  la  lourdeur  et  la  gaucherie, 
pourtant  de  cette  lourdeur  inélégante  mais 
saine,  se  dégagera  bientôt  la  grâce  cavalière 
du  costume  Louis  XIII.  H  ne  faut  cependant 
pas  prendre  ce  mot  simplicité  au  pied  de  la 
lettre  :  hâtons-nous  de  dire  que  cette  simplicité 
n'est  que  très  relative. 

Les  jours  d'apparat,  les  dames  arboraient 
encore  la  même  quantité  de  joailleries  et  de 
pierreries  que  par  le  passé.   La  reine  qui   a 
remplacé  Marguerite  de  Valois  après  le  divorce, 
-une  deuxième  alliance  Médicis  qui  ne  parait 
pas  avoir  trop  réussi  au  Béarnais,  bien  payé 
déjà  pour  se  souvenir  de  Catherine  -  la  reine 
de   la   main   droite   Marie  de   Médicis   et   la 
reine  du   côté   cœur   Gabrielle    d'Estrées,  du- 
chesse de  Verneuil,  et  les  autres  belles  dames, 
se  montraient  «  aux  fêtes,  ballets,  mascarades 
et  collations,  richement  parées  et  magnifique- 
ment atourées  et  si  fort  chargées  de  pierres  et 
pierreries  qu'elles  ne  pouvaient  se  remuer  .. 
La  reine  montra  lors  d'une  grande  occasion, 
une  robe.  «  étoffée  de  trente-deux  mille  perlcg 


9i  MESDAMES    NOS    AÏET'I.ES 

et  trois  mille  diamants,  »  et  à  son  exemple  les 
grandes  dames  et  les  dames  de  moyenne 
élofTe  dépensaient  volontiers  plus  que  leurs 
revenus,  en  somptuosités,  en  habillements  de 
brocart,  satins,  damas  admira])los,  ramages  et 
passementés  d'or,  chargés  et  surchargés  de 
clinquant  et  de  joailleries  diverses. 

Voilà  une  bien  étrange  simplicité,  et  pour- 
tant quand  on  examine  tableaux  et  estampes 
du  temps,  ces  documents  n'en  montrent  pas 
moins  une  grande  différence  entre  les  su- 
prêmes raffinements  des  modes  de  Henri  III 
et  Télégance  un  peu  mastoque  du  temps  de 
Henri  IV. 

Les  coiffures  sont  plus  hautes,  les  têtes  se 
surchargent  de  cheveux  achetés  chez  le  coif- 
feur, à  la  couleur  à  la  mode. 

Pour  un  temps  les  perruques  des  règnes  de 
Louis  XIV  et  Louis  XV  apparaissent,  mais  sur  la 
tête  des  dames  :  perruques  lirunes  ou  blondes, 
perru<|ues  de  simple  filasse  même,  pour  celles 
qui  ne  pouvaient  s'offrir  mieux.  Et  avec  les 
perruques  la  poudre  aussi  se  montre.  C'est 
]>lutùl    un    empois    mélangeant    la    pommade 


HENRI     IV    ET    LOUIS    XIII 


aux  poudres  les  plus  diverses,  depuis  les  fines 
poudres  parfumées  à  la  violette  et  à  l'iris,  jus- 
qu'à la  poudre  de  chêne  pourri,  et  à  la  simple 
farine  pour  les  naïves  campagnardes. 

Ce  temps  voit  aussi  éclore  les  mouches  qui 
reparaîtront  également  au  xvm®  siècle,  mais 
ce  sont  d'abord  des  mouches  larges  comme 
des  emplâtres  et  d'un  aspect  moins  séduisant 
que  les  coquettes   «  assassines  »  de  plus  tard. 

Les  femmes  du  peuple  et  de  la  petite  bour- 
geoisie ont  gardé  l'ancien  chaperon,  coiffure 
modeste,  pendant  que  les  femmes  de  la  haulc 
classe,  coiffées  en  cheveux  avec  perles  et  bijoux, 
adoptent  pour  sortir  le  chapeau  ou  la  toque  à 
petit  bouquet  de  plumes. 

Voici  le  portrait  d'une  dame  à  la  mode  : 

En  ces  temps  heureux  de  vivre  et  de  res- 
pirer, après  tant  de  sombres  années,  une  élé- 
gante est  sanglée  et  comprimée  dans  un  cor- 
sage dur  et  rigide,  fortement  armé  de  baleines, 
une  véritable  gaine  descendant  tout  d'une 
pièce,  sans  indication  de  modelé,  en  longue 
pointe  sur  la  jupe. 
.11  faut  dire  4u'on  se  rallrape  de  cette  mise  à 


96 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


la  géhenne  par  le  décolletage  du  corsage,  très 
libéralement  échancré  en  pointe  aussi,  trop 
libéralement  même,  puisque  Sa  Sainteté  le 
Pape  se  croit  obligé   d'intervenir    et  menace 


Toilette  de  Cour  Henri  IV. 

d'excommunication  les  belles  qui  continueront 
à  se  décolleter  dans  des  proportions  exagé- 
rées. 

Cette  menace  d'excommunication  —  amende 
à  payer  seulement  là-haut  —  n'a  pas  beaucoup 
d'efYet,  et  les  grandes  fraises,  les  collets  mon- 
tés de  magnifiques  dentelles  soutenues  de  fils 


DAME  LOUIS  XIII. 


H  EMU     IV    ET    LOUIS    XIII 


07 


cFarchal,  conliuueiit  à  encadrer  les  opulences 
du  corsage.  La  line  dentelle  va  si  bien  autour 
de  la  chair,  elle  fait  si  bien  i^essortir  les 
épaules  et  les  épaules  font  si  bien  valoir  les 


La  belle  Gabrielle. 


merveilles  des  points  de  Venise  ou  de  Flandre, 
cette  délicate  et  si  artistique  orfèvrerie  à  l'ai- 
guille ! 

D'énormes  manches  qui  ne  sont  pas  des 
manches  tiennent  au  corsage.  Ce  sont  des  ailes 
ouvertes  fendues  dès  l'épaule,  descendant  très 
bas,  garnies  de  boutons  serrés  qui  ne  se  bou- 

7 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


tonnent  pas.  La  vraie  manche  paraît  en  des- 
sous, toujours  rembourrée  et  remontante  aux 
épaules,  terminée  par  des  poignets  en  dentelles 
appelés  rebras. 

Les  jupes  sont  moins  ballonnées  que  jadis, 
le  vertugadin  est  plus  modeste,  c'est  une  simple 
cloche  lourde  et  tombant  droit,  ou  plutôt  cela 
ressemble  à  la  grosse  caisse  bariolée  d'un  ba- 
taillon de  Suisses,  mais  les  hanches  sont  ren- 
flées en  coupole  et  accusées  de  façon  grotesque 
par  un  rang  de  tuyaux  godronnés  de  la  même 
étoffe  que  la  robe. 

Il  est  assez  difficile  aux  femmes  d'avoir  avec 
cela  une  démarche  élégante  et  légère;  cepen- 
dant les  beautés  de  l'époque  tiennent  à  ces 
jupes  et  l'idéal  de  la  grâce  est  d'affecter  en 
marchant  un  dandinement  de  canard  pour  leur 
donner  un  balancement  rythmique. 

Une  dame  élégante  a  sous  la  robe  trois  au- 
tres jupes  qu'elle  doit  montrer  en  se  retrous- 
sant élégamment,  trois  autres  jupes  dornc- 
mentation  et  de  couleurs  différentes. 

Dans  la  liste  des  étoffes  et  des  couleurs  à  la 
mode,  elle  a  de  quoi  choisir,  nous  avons  alors 


HENRI    IV    ET    LOUIS    XIII  99 

une  série  de  noms  aussi  drolatiques  que  ceux 
inventés  plus  tard  par  le  capricieux  xviii^  siècle. 

Couleur  triste  amie,  ventre  de  biche,  face 
grattée,  couleur  de  rat,  fleur  mourante,  singe 
înourant,  couleur  de  veuve  réjouie,  de  temps 
perdu,  de  trépassé  revenu,  Espagnol  malade, 
péché  mortel,  jambon  commun,  racleur  de 
cheminée,  etc. 

Le  temps  de  la  régence  de  Marie  de  Médicid 
est  une  époque  de  transition  entre  les  modes 
du  XVI''  et  celles  du  xvii'^  siècles  ;  le  vrai  costume 
Louis  XIII  ne  se  dégagera  complètement  des 
derniers  vestiges  des  modes  de  la  Renaissance 
que  vers  1630,  à  l'époque  des  édits  réforma- 
teurs de  Richelieu  qui,  prohibant  draps  et  bro- 
cards d'or  et  d'argent,  broderies  et  passemen- 
teries de  fils  d'or,  dentelles,  points  coupés, 
forcèrent  les  élégants  à  se  contenter  d'étoffes 
et  de  lingeries  plus  simples  et  induisirent  les 
tailleurs  de  robes  et  d'habits  à  chercher  des 
formes  nouvelles. 

Pendant  la  première  partie  du  règne,  la 
mode  se  dégage  lentement  de   sa  lourdeur,  le 


lUO  MESDAMES     NOS     AÏEULES 


vertugadiii  diminue  peu  à  peu  et  le  si  disgra- 
cieux renflement  godronné  au-dessus  des  han- 
ches disparaît,  remplacé  par  un  retroussis  à 
grands  plis  de  la  jupe  de  dessus. 

Le  vertugadin  humilié  a  passé  la  frontière, 
il  règne  en  Espagne  où  sous  le  nom  de  giiarde 
infante,  il  prend  de  si  colossales  proportions 
(jue  lautorité  veut  par  des  édits,  comme  en 
France,  arrêter  leur  développement.  A  l'amende 
s'ajoute  la  saisie  et  l'exposition  publique  des 
objets  prohibés.  L'édit,  sévèrement  appliqué, 
suscita  des  résistances  violentes  et  des  émeutes 
oîi  le  sang  coula. 

Le  vertugadin  eut  la  vie  si  longue  de  l'autre 
côté  des  Pyrénées  que  les  galants  de  la  cour 
de  Louis  XIV  le  revirent  avec  surprise  porté 
par  les  dames  de  la  cour  espagnole  lors  de 
l'entrevue  dans  l'iîe  de  hi  Conférence  pour  le 
mariage  de  Louis  avec  Marie-Thérèse. 

En  France,  la  recherche,  la  richesse  et  le 
faste,  la  multiplicité  des  ornements,  la  sur- 
charge de  joaillerie  se  remettent  à  dominer 
dans  la  mode  et  toutes  les  dames,  même  celles 
de  la  plus  simple   bourgeoisie   donnent  dans 


ENRI    IV    ET    LOUIS    XIII 


101 


l'abus  des  superfluités  coûteuses  et  du  clinquant. 
Comment  «  une  p^alante  femme  en  habits  se 


D'il  près  Callot. 


comporte,  »   -un    poète    satiri([ue    va   nous    le 
dire  : 

Il  lui  faut  des  carcans,  chaînes  et  bracelets, 
Diamants,  affiquets  et  montants  de  collets, 
Pour  charger  un  mulet,  et  voire  davantaKO... 


102  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

Jl  lui  faut  des  rabats  de  la  sorte  que  celles 
Qui  sont  de  cinq  ou  six  villages  damoiselles; 
Cinq  collets  de  dentelle  haute  de  demi-pié 
L'un  sur  l'autre  montés... 

Si  les  vertugadins  ont  diminué,  les  fraises 
ont  plutôt  gagné  en  hauteur  et  développement  ; 
les  grands  portraits  de  Rubens  et  ensuite  ceux 
de  Van  Dick  nous  montrent  ces  fraises  de  la 
dernière  période,  en  demi-circonférences  s'é- 
vasant  derrière  la  tête. 

Mais  les  estampes  de  Callot  et  d'Abraham 
Bosse  vont  nous  renseigner  sur  les  modes  pari- 
siennes d'avant  et  d'après  les  édits  de  Richelieu. 

Callot  qui  avant  1630  a  dessiné  de  sa  mer- 
veilleuse pointe  tant  d'élégants  et  pittoresques 
cavaliers  en  pourpoint  de  soie  ou  de  buffle, 
tant  d'officiers  en  hongreline,  à  petites  bottes 
et  grandes  flamberges,  de  seigneurs  bien  x\if 
siècle,  dans  ces  costumes  si  charmants  et  d'une 
si  jolie  crànerie,  portés  avec  tant  de  prestance 
et  de  laisser-aller,  a  gravé  aussi  quelques  cos- 
tumes de  femmes,  qui,  bien  que  de  la  même 
époque  sont  encore  un  peu  dans  le  style  des 
modes  du  siècle  précédent. 


HENRI    IV    ET    LOUIS    XIII 


103 


e 


Ces  dames  portent  encore  les  robes  à  taill 
longue  serrée  dans  le  corps  piqué  rigide,  les 
manches  à  bourrelets  avec  crevés  tailladés  en 
grande  ou  petite  déchiquetade,  de  couleurs 
vives,  les  jupes  relevées  sur  le  vertugadin  ré- 
tréci. 

Elles  sont  chaussées  de  souliers  à  pont-levis. 
avec  attaches  sur  le  coup  de  pied,  une  mode 
nouvelle. 


Les  bourgeoises  non  plus  que  les  dames  ne  vont 
>'ulle  part  maintenant,  qu'avec  soulier  à  pont, 
Qui  aye  aux  deux  côtés  une  large  ouverture 
Pour  faire  voir  leurs  bas,  et  dessus  pour  parure 
Un  beau  cordon  de  soie  en  nœud  d'amour  lié... 

Ceci  décrit  suffisamment  le  soulier  Louis  XIII 
d'une  si  cavalière  élégance.  Le  Musée  de  Cluny 
dans  sa  riche  collection  de  chaussures  en  pos- 
sède d'admirables,  très  découpés  et  décorés 
d'ornements  noirs  sur  le  cuir  fauve  et  d'autres 
plus  simples  avec  le  nœud  de  rubans  dit  nœud 
d'amour. 

Les  découpures  laissaient  voir  les  bas  de 
soie  incarnat,  couleur  à  la  mode;  pour  sortir 


104 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


on  ajoutait  à  ces  souliers  des  patins  de  velours 
cramoisi  à  très  hautes  semelles. 

Les  gants  des  ('dégantes  étaient  non  moins 


l'raisi'  Mûiiici 


jolis,  ornés  de  dessins  sur  le  dos  et  d'aral)esques 
brodés  surlegrandcrispin  emboîtant  le  poignet. 
De  vives  chamarrures,  de  grands  ramages  de 
fleurs  courent  sur  toutes  les  robes  comme  ils 
couvrent  toutes  les  étoffes  du  temps.  Le  jardin 
des  plantes,  autrefois  jardin  du  Roi.  doit  sa 
création  à  cetto  mod^:  le  noyau  jirimil il' fut 
sous  Henri  IV  lo  jardin  d'un  horticulteur  avisé 


FIN  DU  RÈGNE  DE  LOUIS  XIII. 


HENRI    IV    ET    LOUIS    XIII 


105 


OÙ  toutes  les  sortes   de  plantes  françaises  ou 
étrangères  étaient  cultivées  en  vue  de  fournir 


Co.sagc  Louis  Mil. 

des  modèles   aux  dessinateurs  d'étoffes  ou  de 
broderies. 

Les  coiffures  varient.  Longtemps  à  cause  des 
grands  collets  des  fraises,  elles  sont  restées 
très  hautes,  ondées  ou  frisées  en  bonnet  d'as- 
trakan et  ornées  seulement  de  bijoux.  Plus 
tard  les  fraises  s'abaissent  tout  à  coup  et  se 
séparent  en  rabats  de  dentelle  de  point  coiq^é. 


106  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

rabattus  sur  l'échancrure  carrée  du  corsage,  et 
en  collets  abaissés,  sinon  rabattus  aussi. 

La  coiffure  peut  s'abaisser  aussi  avec  ces 
fraises  basses  ;  on  forme  un  petit  chignon  dit 
culebutte  derrière  la  tête  et  on  encadre  la 
figure  de  jolies  boucles  tombantes  ou  frisées. 
Cette  mode  s'exagère  un  peu,  les  femmes  se 
font  avec  leur  coiffure  frisottée  et  les  petites 
mèches  plaquées  sur  le  front,  une  tête  ronde 
comme  une  boule. 

Viennent  les  édits  de  Richelieu  qui  veut  em- 
pêcher l'or  de  France  de  s'en  aller,  au  détri- 
ment du  commerce  français,  enrichir  les  ma- 
nufactures étrangères  en  achats  de  passemen- 
teries de  soie  de  Milan  et  de  dentelles  ou 
broderies,  les  édits  qui  prohibent  ensuite  les 
galons  et  franges,  parfdures  et  canetilles  enri- 
chies d'or  et  d'argent,  en  ne  permettant  (|ue 
les  galons  étroits  de  simple  étoffe;  le  costume 
va  changer  tout  à  coup 

Il  faut  serrer  ces  belles  jupes 
Qui  brillent  de  clinquants  divers. 
On  a  pris  les  dames  pour  dupes, 
Leurs  habits  n'en  seront  point  couverts, 


HENRI    IV    ET    LOUIS    XIII 


107 


dit  une  dame  dessinée  par  Abraham  Bosse  en 
1634  après  les  édits  et  la  réformation  du  cos- 
tume. 

Changement  radical,  plus  de  surcharge  d'or- 


Boirgeoisc  Louis  XllI. 


nements,  plus  d'étofîes  à  ramages,  plus  de 
fines  dentelles  de  Venise  ou  de  Bruxelles.  La 
dame  suivant  Védit  d'Abraham  Bosse  porte  sur 
une  jupe  plate,  à  plis  tombant  droit,  sans  le 
moindre  soupçon  de  vertugade,  un  corsage  à 
basques,  à  taille  très  haute  serrée  par  un 
simple   ruban,  des  manches  larges,  ouvertes 


108  MESDAMES     NOS    AÏEULES 


sur  une  manche  de  dessous  très  simple  sans 
la  moindre  broderie  ni  garniture. 

La  grande  fraise,  le  grand  collet  monté  ou 
rabattu  est  remplacé  par  un  grand  rabat  de 
lingerie  qui  monte  jusqu'au  menton.  Il  n'y  a 
plus  dans  ce  costume  aucun  reste  des  modes 
(lu  xvi^  siècle  définitivement  trépassées. 

Mais  ce  costume  extrêmement  simple,  dune 
sobriété  qui  touche  à  l'austérité,  restera  celui 
des  toutes  petites  bourgeoises,  des  bonnes 
ménagères  à  qui  les  édits  somptuaires  ne  cau- 
sent pas  grand  souci  ni  douleur;  c'est  en 
somme  dans  les  grandes  lignes,  le  coslume 
actuel  des  sœurs  de  Saint-Vincent  rie  Paul, 
aux  couleurs  près. 

Les  belles  dames  vont  prendre  ce  modeste 
costume  d'après  les  édits  et  le  transformer  bien 
vite  et  en  faire  un  des  ensembles  les  plus  élé- 
gants et  les  plus  charmants  que  la  mode  ait 
inventés,  un  type  vraiment  remarquable  de 
haute  distinction,  juste  au  moment  où  le  cos- 
tume masculin  si  dégagé,  si  cavalier  des  pre- 
miers temps  de  Callot.  va  se  modifier  en  mal. 
devenir  lourd  et  guindé  avec  les  justaucorps 


HENRI    IV    ET    LOUIS    XIII 


109 


à  taille  sous  les  bras  et  les  hauts  de  chausses 
tombant  au  mollet. 


Fin  du  règne  de  Louis  XIII. 

La  robe  s'ouvre  du  haut  en  bas,  laissant 
voir  un  devant  de  corsage  de  satin  clair  orné 
d'aiguillettes  et  terminé  en  pointe  arrondie  sur 
une  jupe  de  dessous  de  soie  ou  satin  mordoré. 


110  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

La  robe  de  dessus  ainsi  largement  ouverte  et 
assez  longue,  a  tous  ses  plis  sur  les  côtés  ou 
par  derrière. 

Les  manches  bouirantes  sont  coupées  en 
minces  bandes  du  haut  en  bas,  rattachées  sur 
la  saignée  par  un  ruban  ou  simplement  ou- 
vertes sur  une  riche  manche  de  dessous  et 
garnies  sur  l'ouverture  d'aiguillettes  ou  de 
nœuds  de  rubans. 

Plus  de  collets  montés,  rien  (|ue  des  collets 
rabattus.  Ces  grands  collets  et  rabats  de  lin- 
gerie ont  bien  vite  repris  quelques  riches  bro- 
deries, dont  les  pointes  tombent  maintenant 
très  bas  sur  les  épaules  et  sur  les  bras,  en 
même  temps  que  de  hautes  manchettes  dente- 
lées et  découpées  de  la  même  broderie  mon- 
tent des  poignets  jusqu'au  coude. 

Et  touifes  et  boulTettes  de  rubans  partout, 
rosettes  au  corsage;  guirlandes  de  rosettes  à 
la  ceinture,  et  colliers  de  perles  tombant  dans 
le  corsage,  carcans  de  bijouterie  serrés  au  cou, 
diamants  et  pierres  sur  les  aiguillettes  et  les 
ferrets.  Voici  la  dame  à  la  mode  de  163o  qui 
s'en  va  promener  ses  riches  atours  à  la  Place 


HENRI    IV    ET    LOUIS    XIII 


m 


Royale  parmi  les  galants  à  moustaches  retrous- 
sées, qui  papillonnent  sous  les  arcades. 

Ce  sera  tout  à  l'heure  le  costume  des 
héroïnes  de  la  Fronde,  des  duchesses  liguées 
contre  Mazarin,  et  cela  deviendra  en  se  modi- 
fiant peu  à  peu  le  grand  costume  des  fêtes 
éblouissantes  de  la  cour  de  Louis  XIV. 


Elégante  Louis  XHI. 


».  >^;' 


VII 


SOUS    LE   ROI-SOLEIL 


Les  héroïnes  de  la  rronde.  — De  la  Vallière  à  la  MaiiiLe- 
non.— Les  robes  dites  transparentes. —  Triomphe  de 
la  dentelle.— Le  roman  de  la  mode.  —  Les  Steinquer- 
ques.  —  La  coilTure  à  la  Fontanges.  —  Le  règne  de 
M""'  de  Maintenon  ou  trente-cinq    ans  de  morosité. 


LerèiiiiL'  du  grand  rui.  Le  règne  des  architec- 
tures étalant  une  somptuosité  d'apparat,   une 


A  LA  COUR  DU  ROI-SOLHIL. 


sous    LE    ROI- SOLEIL  113 

solennité  majestueuse  et  le  règne  des  perru- 
ques également  solennelles  et  majestueuses, 
des  modes  dun  luxe  écrasant,  où  la  superbe 
écrase  un  peu  l'élégance  ! 

Le  grand  siècle!  la  grandeur  poussée  jus- 
qu'au gonflement  et  la  splendeur  jusqu'à  la 
surcharge,  la  même  lourde  magnificence  dans 
le  style  des  hôtels  ou  des  palais,  demeures  des 
nobles  seigneurs  emperruqués,  dans  le  mobilier 
noble  et  pompeux  que  dans  l'habillement 
masculin  et  féminin  et  dans  les  fantaisies  raf- 
finées du  costume. 

Le  grand  règne  a  un  prologue  légèrement 
agité,  la  Fronde,  qui  donne  occasion  aux 
belles  dames  de  faire  un  peu  de  galante  poli- 
tique et  de  se  donner  une  petite  idée  des 
émotions  de  leurs  grand'mères  du  temps  de 
la  Ligue.  La  mort  a  desserré  la  forte  main  qui 
tenait  les  brides  du  royaume,  Richelieu  dis- 
paru, on  peut  caracoler. 

Et  à  l'exemple  de  messieurs  les  ducs,  les 
héro'ines  de  la  Fronde  ont  caracolé!  Ce  com- 
mencement, quand  le  grand  roi  n'est  encore 
que  le  petit  roi,  a  une  jolie  allure  romanesque. 

8 


114  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

M"'^Mes  Duchesses,  M'"°  de  Ghevreuse.  M'"^  de 
Moiitbazoïi,  M'"''  de  Bouillon,  M"^^  de  Lon- 
g'ueville  et  la  duchesse  de  Montpensier,  Made- 
moiselle, la  Grande  Mademoiselle,  petite-fille 
d'Henri  IV,  qui  aide  à  battre  les  soldats  du  roi 
à  coups  de  canon,  en  attendant  (ju'elle  soit. 
à  coups  de  canne,  battue  par  son  mari,  le 
beau  Lauzun  pris  à  défaut  de  Louis,  —  les 
belles  et  séduisantes  rebelles  aux  libres  al- 
lures, aux  beaux  yeux  et  aux  belles  tailles 
sans  aller  jusqu'à  la  casaque  des  gardes  et  la 
hongreline  soldatesque,  arborent  avec  crnnerie 
des  costumes  semi-militaires. 

Pendant  les  annéesde  trouldes  et  d'émeutes, 
de  guerre  civile  à  Paris  et  de  cavalcades  armées 
dans  les  provinces,  n'assistent-elles  pas  aux 
parades  des  troupes  levées  par  les  princes 
contre  les  troupes  du  Roi,  avec  Gondé  ou  contre 
Gondé:  —  ces  amazones,  du  haut  du  perron  de 
rHôteldc  Ville,  ne  haranguent-elles  pas  les  Pa- 
risiens toujours  en  goût  d'émeute,  le  populaire 
hérissé  de  vieilles  hallebardes  et  d'arquebuses 
ligueuses,  ne  passent-elles  pas  en  revue  dans 
Paris  un  ]teu  assit''gé  1rs  forres  de  îa  Fronde,  les 


sors     LE    ROI-SOLEIL  Hî 


milices  parisiennes  qui  traînent  bruyamment 
ce  qui  reste  du  pittoresque  bric-à-brac  guerrier 
(lu  temps  de  M.  de  Guise,  la  Cavalerie  des 
portes  cochères  et  le  régiment  de  Corinthe  de 
M.  le  Coadjuteur, —  et  ne  tirent-elles  pas  vail- 
lamment, quand  les  affaires  se  gâtent,  le 
canon  de  la  Bastille  sur  l'armée  royale?  Quel 
joli  prétexte  à  modes  cavalières. 

Tout  est  à  la  Fronde,  les  modes  comme  le 
reste.  La  mode  pouvait  avoir  quelque  motif 
d'en  vouloir  au  Mazarin  qui  renouvelail  les 
édits  prohibitifs,  ces  éternels  édits  sans  doute 
oubliés  ou  bravés  aussitôt  que  publiés  et  qu'il 
fallait  renouveler  toujours,  frappant  alterna- 
tivement les  passementeries  au  profit  des  gui- 
pures, et  les  guipures  au  bénéfice  des  passe- 
menteries. 

Louis  a  grandi,  il  règne. 

Mais  le  roi  est  jeune,  le  grand  siècle  songe 
à  se  divertir,  il  aime  la  gloire,  mais  il  aime 
aussi  le  plaisir.  C'est  sa  première  manière, 
plus  tard  le  siècle  et  le  roi,  vieillis  tous  deux, 
tout  en  gardant  le  eulte  de  la  gloire,  songe- 
ront à  se  repentir  du  plaisir. 


116 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


La  der/iière  reine  de  la  mode,  reine  austère 
et  pincée  qui  mettra  le  siècle  en  pénitence 
pour  le  punir  de  toutes  les  frivoles  inventions 


Une  Duchesse  de  la  Fronde. 

de  son  bel  âge,  ce  sera  la  réfrigérante  M"^*^  de 
Maintenon. 

En  attendant,  c'est  Ninon  de  TEnclos  la  sé- 
ductrice qui  traverse   tout  ce  siècle,   ou    c'est 


su  us     LE    KUl-SULEiL 


la  Vallière,  c'est  Montespan,  c'est  Fontaiiges, 
avec  une  foule  de  reines  d'un  jour  ou  de  demi- 
reines. 

Gomme  Louis  dit  :  «  l'Etat  c'est  moi»,  la  mar- 
quise de  Montespan  peut  dire  :  «  la  Mode  c'est 
moi!  »  Cela  n'empêche  pas  une  foule  de  génies 
féminins  de  trouver  chaque  jour  quelque  idéal 
colifichet,  quelque  coquetterie  jolie  à  faire 
tourner  toutes  les  têtes,  quelque  arrangement 
nouveau  que  les  marquis  de  Molière  trouve- 
ront délicieux. 

Pour  les  hommes  c'est  le  temps  des  canons, 
des  rhingraves,  ces  bizarres  hauts  de  chausses 
en  forme  de  jupons  enrubannés,  des  petites  oies 
en  bouquets  de  rubans.  Pour  les  femmes,  nulle 
époque  ne  vit  ajustements  plus  riches.  Hommes 
et  femmes  se  ruinent  en  déploiement  de  faste. 

Pas  trop  de  changements  dans  les  grandes 
lignes,  mais  d'incessantes  petites  modifications 
de  détails  et  d'ornementation.  Ce  fut  un  défilé 
de  modes  rapides,  se  succédant  plus  somp- 
tueuses ou  élégantes  les  unes  que  les  autres,  et 
l'on  trouva  pour  les  désigner  une  foule  d'appel- 
lations pittoresques  :  les  galants,  les  échelles, 


1!8  MESDAMES     NUS     AÏEULES 


les  laiirreluchcs  ou  menues  bouffettes  de  soie, 
les  transparents,  les  falbalas,  les  prétintailles, 
les  steinquerkes  et  les  coiffures  à  la  Fontanges. 
riiurluberlu,  etc. 

Voyons  les  portraits  des  belles  du  siècle,  des 
belles  des  commencements,  du  temi)s  des 
l'ur'lies  et  des  jjrécieuses  de  riiùtel  de  Ram- 
bouillet, et  des  belles  des  Tuileries  uu  de 
Versailles,  étoiles  des  tètes  du  roi  du  Soleil. 
C'est  la  coillure  en  largeur  qui  domine  d'abord, 
ce  sont  pendant  longtemps  les  cheveux  frisés 
sur  le  Iront  et  tombant  en  frisures,  en  boucles 
très  larges  sur  le  coté  ou  en  cadeneltes  sui- 
vant la  mode  inventée  sous  Louis  XIII  par 
M.  de  Cadenet.  frère  du  connétable  de  Luynes. 
longues  tresses  nouées  par  des  n(euds  de  ru- 
jjans  dénommés  «  galants  ».  Avec  cela  des 
robes  fort  décolletées,  laissant  largement  voir 
les  épaules,  des  colliers  de  grosses  perles,  les 
derniers  rabats  de  dentelles  (jui  diminuent  et 
disparaissent  complètement,  des  corsages  en 
pointe  à  belles  et  fines  broderies,  des  manches 
courtes  ouvrant  sur  des  tlots  de  linon  ou  des 
manchettes  de  dentelles. 


su  us     LE    ROI-SULEIL 


110 


La  première  jupe  se  relève  comme  des  cour- 
tines de  rideaux  et  se  rattache  sur  le  côté  par 
des  agrafes  enrichies  de  brillants  ou  par  des 


Commencement  du  grand  règne. 

nœuds   de  rubans,   découvrant   ainsi  de  mer- 
veilleuses, d'étincelantes  robes  de  dessous. 

Louis  XIV  a  mis  à  la  mode  la  bride  sur  le 
cou  en  laissant  tomber  les  édits  somptuaires 
de  Mazarin.  Les  dentelles  prohibées  reparais- 


120  MESDAMES    NOS    AÏEtJLËS 


sent,  les  somptueuses  étoffes  interdites  re- 
viennent au  jour.  Les  tissus  d"or  est  d'argent 
seuls  sont  interdits,  le  roi  se  les  et  réservés 
pour  lui  et  pour  la  cour 

Le  roi  fait  des  cadeaux  de  pièces  de  ces  pré- 
cieuses étoffes  d'une  ornementation  noble  et 
touffue  aux  personnages  en  grande  faveur, 
comme  il  accorde  aux  courtisans  favorisés  des 
justaucorps  «  à  brei^et  ». 

M™^  de  Montespan  règne  après  La  Val- 
lière.  A  certaine  fête  de  la  Cour,  elle  étincelle 
dans  une  robe  «  d'or  sur  or,  rebrodé  d'or,  re- 
bordé d'or,  et  par-dessus  un  or  frisé,  rebroché 
dun  or  mêlé  avec  un  certain  or  qui  fait  la  plus 
divine  étoffe  qui  ait  jamais  été  imaginée  », 
ainsi  que  le  dit  M"'^  de  Sévigné. 

Les  robes  «  transparentes  »  ont  un  succès 
fou.  Ce  sont  des  robes  d'étoffe  transparente, 
mousseline  ou  linon,  sur  lesquelles  de  larges 
bouquets  de  fleurs  multicolores  ont  été  peints 
ou  imprimés,  portées  sur  un  dessous  de  satin 
moiré  et  brillant,  —  ou  bien  c'est  tout  le  con- 
traire, des  robes  de  brocart  à  grands  ramages 
courant  sur  fond  or  ou   azur,  par-dessus  les- 


sous  LE  GRAND  ROI.  -  FIN  DU  XVII^  SIÈCLE. 


sous    LE    ROI-SOLEIL 


121 


quelles  passe  une  robe  d'un  tissu  léger  trans- 
parent comme  de  la  dentelle. 

La  dentelle  s'accommode  de  toutes  façons,  du 
haut  en  bas   du  costume  féminin,  du  corsage 


Une  favorite  du  Roi-SoleiL 

aux  souliers,  et  s'allie  avec  les  floches  de  rubans 
qui  nouent  les  cheveux,  forment  des  échelles  de 
grands  nœuds  sur  les  corsages,  chamarrent  les 
jupes  et  flottent  un  peu  partout. 

Des  manufactures  de  dentelles  ont  été  créées 
de  tous  côtés,  inventant  les  «  points  d'Alençon, 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


Valciicieuiies,  le  Puy,  Dieppe,  Sedan,  etc.  »  ; 
les  dentellières  françaises  produisent  p(  nu- 
toutes  les  bourses,  bourses  de  duchesses  ou  de 
procureuses,  bourses  de  marquise  ou  de  simple 
commentante,  depuis  la  riche  guipure  coûtant 
des  centaines  de  ])istoles.  que  portera  la  favo- 
rite aux  fêtes  de  la  cour,  jusqu'aux  dentelles 
dites  gueuses  ou  neigeuses,  qu'arboreront  la 
toute  petite  bourgeoise  ou  même  la  dame  de 
la  halle  aux  jours  de  cérémonie. 

En  1680,  révolution  dans  la  coiffure.  Le  vent 
décoiffe  pendant  une  chasse  royale  la  duchesse 
de  Fontanges  qui  a  pris  le  cœur  de  Louis  après 
la  Montespan.  Pour  rétablir  l'harmonie  de  sa 
coiffure,  la  belle  ébouriffée  prend  le  ruban  de 
sa  jarretière  et  rattache  ses  cheveux  avec  une 
jolie  rosette  par  devant.  Tout  ce  que  font  les 
favorites  n'est-il  pas  toujours  exquis  et  déli- 
cieux? Les  nobles  seigneurs  se  pâment  devant 
la  gracieuse  insj)iralion,  les  dames  s'extasient, 
et  dès  hi  lendemain  se  décoiffent  à  la  Fontanges. 

Les  coiffures  à  la  Fontanges  font  fureur  et 
régnent  pendant  des  années,  revues,  modifiées 
et    considérablement    augmentées.    Elles    de- 


sous    LE    nui- SOLEIL  123 

vienucnl  un  édifice  de  dentelles,  de  rubans  et 
de  cheveux,  avec  la  haute  pointe  de  dentelles 
caractéristique  qui,  d'après  Saint-Simon,  monte 
à  deux  pieds  de  haut,  soutenue  par  du  til  d'ar- 
clial.  —  ensemble  composé  de  pièces  diverses 
(jui,  toutes,  avaient  leurs  noms. 

La  Fontanges,  d'origine  folâtre,  dura  long- 
temps, plus  tard  elle  cessa  de  plaire  au  roi,(iui 
naimait  sans  doute  plus  que  les  coilYures  aus- 
tères de  la  veuve  de  Scarron. 

La  princesse  Palatine,  la  princesse  Charlotte 
de  Bavière,  tille  de  l'Electeur  palatin,  qui  vint 
en  France  en  l()7i  pour  épouser  Monsieur,  frère 
du  roi,  ayant  adopté  une  sorte  de  petit  mantelet 
court  pour  couvrir  un  peu  ses  épaules  trop 
découvertes  par  la  mode  des  corsages  très  dé- 
(îolletés.  ces  petites  mantes  adoptées  bien  vite 
par  toutes  les  dames,  furent  ai)pelées  palatines 
comme  la  princesse. 

Le  roman  de  la  mode,  toujours  galant  et 
héroïque,  nous  fournit  encore  pour  ce  temps 
les  Steinkerques. 

Epoque  de  chevalerie  enrubannée  et  de  bra- 
voure empanachée  à  la  mousquetaire.  —  La 


12i  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

position  sera  dure  à  enlever,  dit  un  colonel  à 
sa  troupe  avant  de  charger,  tant  mieux,  Mes- 
sieurs, nous  n'en  aurons  que  plus  de  plaisir  à 
raconter  l'affaire  à  nos  maîtresses! 

A  la  bataille  de  Stcinkerque  gagnée  sur 
Guillaume  d'Orange  par  le  maréchal  de  Luxem- 
bourg, les  princes,  Philippe  d'Orléans  alors  âgé 
de  quinze  ans,  le  prince  de  Conti  et  le  duc  de 
Vendôme,  avaient  chargé  avec  la  cavalerie,  avec 
une  foule  de  gentilshommes,  tous  un  peu  dé- 
braillés, leurs  cravates  de  dentelles  dénouées 
et  flottantes.  Dans  la  joie  de  la  victoire,  la 
mode  adopta  ces  cravates  négligemment  passées 
et  toutes  les  femmes  portèrent  des  dentelles  à 
la  Stcinkerque. 

La  riche  provinciale  et  la  dame  de  petite 
noblesse  imitent  les  modes  et  les  façons  de  la 
cour,  et  la  bourgeoise  les  suit  également  d'un 
peu  moins  près  seulement.  Furetière  dans  son 
roman  bourgeois  et  Sébastien  Leclère  dans  ses 
eaux-fortes  nous  les  dessinent  avec  leurs  allures 
bourgeoises,  mais  coquettes,  dédaignant  le 
chaperon  de  leurs  mères,  portant  grands  rabats 
et    colliers    de   perles,  corsages  chamarrés   et 


sous     LE     ROI- S  OLE  IL 


125 


presque  autant  de  dentelles  et  de  rubans  qu'on 
en  porte  à  Versailles.  L'indiscret  Furetière  nous 
les  montre   même    empruntant  des   diamants 


Premières  coiffures  à  la  Fontan^es. 


pour  les  cérémonies  et  entrant  à  l'église  avec 
un  laquais  d'emprunt  pour  tenir  la  queue  de 
la  robe. 

Pour  la  femme  du  peuple,  faisons  passer  la 


120  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

servante  de  Molière,  c'est  une  bonne  lille.  Sé- 
bastien Leclère  Ta  dessinée  aussi  avec  sa  coiffe 
assez  simple,  sa  jupe  relevée  et  sa  camisole  à 
larges  basques  qui  est  la  hongreline  des  offi- 
ciers de  Louis  Xlll.  adnptée  plus  tard  par  les 
dames. 

Ht  les  marchandes  et  les  dames  de  la  halle, 
qu'il  a  dessinées  également,  portent  grands 
rabats  et  dentelles  avec  un  air  de  dignité  et  de 
majesté  (|ui  montre  (pi"ell(^s  sont,  elles  aussi, 
du  grand  siècle. 

La  période  épanouie  et  brillante  du  règne  du 
grand  roi  fut  en  réalité  la  plus  courte,  le  pivot 
tourna  vers  1080  avec  le  conini<Mi<*enienl  d(^ 
l'inlluence  de  M'"°  de  Maintenon.  que  le  mi 
épousa  secrètement  en  1085. 

jNous  n'irons  plus  au  bois,  les  roses  sont  cou- 
pées, ainsi  que  presque  tous  les  lauriers. 

Le  règne  de  M""'  de  Maint eii(»n  dui'a  b^ 
laps  respectable  de  trente-cinq  ans.  Ainsi,  le 
roi-soleil  qu'on  voit  toujours  dans  le  cadre 
jiompeux  de  sa  jeunesse,  auréolé  de  gloire  et 
de  galanterie,  au  milieu  de  ses  courtisans  enru- 
bannés, planant  parmi  les  fêles,  les  bals  et  les 


sous     LL     ROI- SOLE  FI.  127 


carrousels,  sur  des  constellations  d'étincelantes 
beautés,  le  grand  roi  fut  de  bonne  heure  un 
vieux  roi  morose  et  ennuyé,  aimant  toujours  la 
pompe,  mais  avec  une  affectation  de  solennité 
compassée,  quelque  chose  comme  une  somp- 
tueuse' austérité. 

Le  grand  siècle  fui  aussi  le  siècle  ennuyeux, 
l'ennui  doré  en  habit  d'apparat  et  solennelle 
perruque.  Le  roi  se  repentant  des  galantises 
de  sa  jeunesse,  tourné  maintenant  vers  la  dévo- 
tion et  Taustérité.  entendait  quo  lout  le  inonde 
fît  comme  lui. 

La  mode  immédiatement  changea.  Le  costume 
des  hommes  et  des  femmes  se  modifia  dans  le 
sens  de  la  sévérité:  les  ornements  trop  éclatants 
ou  trop  pimpants,  les  vives  couleurs,  les  grands 
ramages  d'or  qui  jadis  avaient  ébloui  la  cour 
et  la  ville  disparurent  pour  faire  place  à  des 
ajustements  plus  sobres  et  plus  discrets. 

Cela  dura  jusqu'au  temps  où  Louis  XIV  lui- 
même,  ayant  eu  près  des  coiffes  austères  de 
M""^  de  Maintenon  son  compte  de  morosité, 
jugea  qu'il  ne  serait  pas  mauvais  de  prier  grands 
seigneurs  et  granfles  dames  de  rendre  à  sa  cour 


128 


M  E  S  1)  A  M  E  S     N  ()  S    AÏEULES 


l'éclat  et  la  splendeur  des  jours  d'autrefois, 
avant  que  la  dévotion  ne  fût  à  la  modo.  Il  est 
inutile  de  dire  si  l'invitation  fut  entendue  et  si 
les  hnbillemeuts  luxueux  tardèrent  à  reparaître. 


Fin  ciu  grand  siècle. 


Les  dames  de  cette  dernière  période  du  grand 
siècle  sont  vêtues  d'étoffes  splendides  chamar- 
rées et  ramagées  de  la  plus  étincelante  façon, 
de  robes  ouvertes  sur  des  devants  de  corsage 
des  plus  fines  dentelles,  de  brocart  ou  de  damas 
tissé  d'or,  avec  les  jupes  relevées  et  drapées 


Jy?. 


V  r" 


sous    LA   RÉGENCE. 


sous    LE    ROI- s  OLE  IL  129 

SOUS  un  petit  tablier  de  dentelle  qui  n'est  pas 
la  pièce  la  plus  heureuse  de  leur  ajustement  et 
qui  ne  va  guère  avec  les  toilettes  de  sortie. 

Sur  la  tête,  ce  sont  toujours  les  hautes  pointes 
des  coiffures  à  la  Fontanges,  édifice  compliqué 
devenu  tout  à  fait  extravagant,  avec  brides  de 
dentelle  voltigeant  par  derrière. 

Pour  orner  les  jupes,  la  mode  a  les  falbalas 
et  les  prétintailles ;  les  falbalas,  ce  sont  les 
rangs  de  volants  bouillonnes  étages  sur  la 
jupe,  sur  la  jupe  tombante  et  non  sur  la  grande 
jupe  volante  à  queue,  relevée  sur  le  côté;  ils 
ont  été  inventés  par  un  -personnage  nommé 
Langlée,  fils  d'une  femme  de  chambre  de  la 
reine,  devenu  à  la  cour  l'arbitre  du  goût  et 
l'oracle  de  la  mode. 

Quant  aux  prétintailles^  c'était  le  nom  donné 
à  une  nouvelle  façon  de  chamarrer  les  robes 
au  moyen  de  grandes  découpures  de  fleurs  de 
toutes  les  tailles  et  de  toutes  les  couleurs, 
appliquées  sur  l'étoffe,  décoration  éclatante 
qui  faisait  que  les  dames  semblaient  s'être  con- 
fectionné des  robes  avec  des  tapisseries  ou  des 
étoffes  à  fauteuils. 


Coill'ure  d'intérieur. 


VII 


XVIir    SIÈCLE 


La  lîcgenoe. —  Folies  el  frivolités.  —  Cyllicrc  àl'aris. 
—  Les  modes  >VaU.eau.  —  Les  robes  volantes.  — 
Naissance  des  paniers. —  Criardes.  Considérations  et 
Maîtres  des  requêtes.  —  M"'*  de  Pompadour.  — 
L'éventail. — Promenade  de  Longchamps.— Carrosses 
et  chaises  à  porteurs.  —  Modes  d'hiver. 


La  France,  ayant  connu  —  après  toutes  les 
gloires  et  toutes  les  magnificences  —  toutes 
les  amertumes  et  tous  les  désenchantements, 
contemplait  tristement  le  long  et  mélancolique 
crépuscule  du  roi-soleil. 


XV m''    SIECLE  131 


Tenue  depuis  des  années  dans  une  atmos- 
phère d'ennui  pesant  par  le  vieux  monarque 
et  la  vieille  dame  au  visage  pincé,  elle  eut 
comme  un  poids  de  moins  sur  la  poitrine 
lorsqu'elle  vit  Louis  dans  son  caveau  de  Saint- 
Denis  et  M"'°  de  Maintenon  réfugiée  à  Saint- 
Cyr,  et  du  jour  au  lendemain,  il  y  eut  une  ex- 
plosion :  toute  la  jeunesse  comprimée,  toute  la 
frivolité  rentrée,  toutes  les  aspirations  au 
plaisir  sortirent  et  le  grand  coup  de  folie  de  la 
Régence  commença. 

Le  fringant  xviii*'  siècle,  tenu  sous  la  férule 
de  ce  vieux  xvii'^  grondeur  et  impotent  qui  ne 
voulait  pas  finir,  allait  soudain  comme  un 
jeune  page  émancipé  s'en  donner  jusque-là  et 
jeter  sa  perruque  bien  haut  par-dessus  tous  les 
moulins. 

La  mode  que  les  moralistes  disent  fille  de 
la  frivolité,  inventa  pour  faire  honneur  à  sa 
mère  mille  folies  nouvelles  et  comme  ce  n'é- 
tait pas  assez,  on  reprit  parmi  les  anciennes 
ce  qu'il  y  avait  d'assez  oublié  pour  paraître 
délicieux. 

La  earactéristi(iue  de  la  mode  au  xvm°  siècle, 


132  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

dès  la  Régence,  c'est  l'ampleur,  le  retour 
aux  considérables  envergures  des  jupes  du 
temps  de  Henri  III,  c'est-à-dire  au  vertugadin, 
avec  toutes  ses  conséquences,  l'ampleur  des 
manches  et  l'ascension  des  coiffures  qu'on  sera 
bientôt  amené  à  exagérer  en  vertu  d'une  loi 
d'équilibre  et  d'harmonie! 

Sous  Henri  III,  ce  sont  les  fraises  qui  mon- 
tent et  mettent  la  tête  dans  un  grandissime 
cornet;  sous  Louis  XV  et  Louis  XVI,  c'est  la 
coiffure  qui  se  fait  monumentale. 

Les  vertugadins  reparaissent  sous  le  nom  de 
paniers.  Ilsviennentde  l'autre  côté  de  la  Manche. 
Ce  sont  deux  dames  anglaises  qui  les  apportent 
à  Paris  et  les  exhibent  au  jardin  des  Tuileries. 

L'ampleur  extravagante  des  robes  de  ces 
dames  excita  une  telle  surprise  parmi  les  pro- 
meneurs et  promeneuses  que  la  foule  s'amassa 
autour  d'elles  et  les  pressa  tellement  qu'elles 
coururent  grand  risque  d'être  étouffées  ou  tout 
au  moins  très  aplaties.  Il  fallut  l'intervention 
dun  officier  de  mousquetaires  pour  tirer  ces 
dames  et  leurs  paniers  de  ce  mauvais  pas. 

Les  modes  alors  ne  faisaient  pas  comme  au- 


XVIir    SIECLE 


133 


jourd'hui  le  tour  du  monde  civilisé  en  six  mois 
pour  disparaître  pas  usées  complètement  en 
moins  de   deux  saisons.    Elles  mettaient    du 


Chasseresse  Régence. 

temps  à  naître  et  à  se  développer  et  avec  les 
modifications,  adjonctions  ou  améliorations  que 
la  fantaisie  pouvait  chaque  matin  leur  appor- 
ter, elles  duraient  dans  leurs  lignes  principales 
pendant  de  longues  années. 


134  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Le  panier  vivra  tout  le  long  du  siècle  et  il 
ne  faudra  rien  moins  que  la  Révolution  pour 
le  tuer. 

Il  fallut  quelques  années  au  vertugadinpour 
reconquérir  Paris;  sa  restauration  se  fit  lente- 
ment, timidement,  par  petits  essais  modestes; 
puis  un  beau  jour,  vers  1730,  il  domine,  il  rè- 
gne sans  conteste.  Toutes  les  dames,  laissant 
les  demi-mesures  et  les  demi-paniers,  adoptent 
le  grand  panier  de  six  pieds  de  diamètre  dont 
le  développement  exige  pour  le  moins  dix  au- 
nes d'étoffe. 

Panier  était  le  nom  tout  indiqué  puisque  les 
premiers  bouffants  de  jupes  furent  des  ouvrages 
de  vannerie  composés  de  cerceaux  d'osier  ou 
de  jonc,  de  véritables  cages  à  poules  qu'on 
arrangea  plus  tard  avec  une  armature  de 
baleines. 

Un  maître  des  requêtes  du  nom  de  Pannier 
ayant  péri  dans  un  naufrage  en  revenant  des 
Antilles,  son  infortune  servit  de  prétexte  à 
la  mode  cruelle  pour  donner  un  surnom  au 
panier  alors  dans  le  commencement  de  sa 
gloire.   Il   y  avait   eu  les  petits  paniers  jan- 


XVIIl''    SIÈCLE 


135 


sénistes  descendant  seulement  au  genou;  les 
criardes^  tournures  de  toile  gommée  et  plissée, 


^y   Â0: 


Robe  volante. 


qui  criaient  au  moindre  mouvement;  les 
houte-en-train,  les  tcUez-y,  les  gourgandines^ 
les  culbutes^  des  noms  bien  osés,  trouvés  par 


-136  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

un  temps  peu  bégueule,  et  les  petits  paniers, 
plus  respectables  sans  doute,  dits  «  Considéra- 
tions ».  Les  grands  paniers  furent  quelque 
temps  des  «  maîtres  des  requêtes  ». 

La  vogue  des  paniers  amena  naturellement 
un  changement  dans  la  façon  des  robes.  Alors 
commencent  ces  modes  très  gracieuses,  mais 
quelque  peu  cythéréennes,  légèrement  désha- 
billées, que  nous  avons  baptisées  du  nom  de 
modes  Watteau,  en  l'honneur  du  grand  peintre 
des  fêtes  galantes  qui  a  jeté  sur  la  toile  tant  de 
belles  dames  de  ce  temps  folâtre,  en  paniers 
plus  ou  moins  larges,  rouge  et  mouches  au 
visage,  l'éventail  ou  la  grande  canne  à  la 
main,  toujours  prêtes  à  s'embarquer  pour 
Cythère  avec  quelque  galant  seigneur  à  talon 
rouge. 

Allez,  belles  dames,  marquises  ou  filles  d'o- 
péra, figures  gracieuses  et  folles,  la  vraie  Cy- 
thère est  à  Paris,  gouvernée  par  Monsieur  le 
Régent  ou  par  le  roi  Louis  XV  le  Bien-Aimé. 
Le  siècle  à  cinquante  années  devant  lui  pour 
s'amuser  et  folâtrer,  cinquante  années  pour  les 
jeux  et  les  ris,  mais  le  temps   viendra  où  les 


TOILETTE  DE  COUR  LOUIS  XV, 


XVIII^    SIÈCLE  137 


larmes  enlèveront  le  rouge  et  les  mouches  de 
vos  joues. 

La  mode  invente  donc  les  robes  volantes 
sans  corsage  ni  ceinture  du  tout,  tombant  tout 
droit  des  épaules  sur  l'ampleur  du  panier,  ou 
bien  ajustées  seulement  par  devant  à  la  taille 
et  laissées  flottantes  avec  de  larges  plis  par  der- 
rière, façon  originale  qui  donne  à  la  démarche 
un  air  de  douce  nonchalance  et  une  grâce 
amollie,  la  marque  du  siècle. 

Pour  ces  robes  flottantes,  pour  draper  l'im- 
mensité des  paniers,  on  abandonne  les  lourdes 
étoff'es  de  l'époque  précédente  et  l'on  adopte 
les  tissus  plus  légers,  linon,  basin,  mousseline, 
les  fines  étoff'es  piquées  de  petits  bouquets, 
semées  de  fleurettes  ou  même  de  petits  attri- 
buts champêtres. 

Sur  les  promenades,  par  les  beaux  jours,  on 
dirait  une  foule  en  déshabillé  du  matin,  ce  ne 
sont  que  manteaux  volants,  robes  flottantes 
qui  semblent  des  robes  de  chambre  ;  les  bras 
sortent  des  flots  de  dentelles,  les  visages  sont 
encadrés  de  molles  collerettes  ;  les  élégantes  en 
corsage  lâche  qui  se  promènent  ainsi  jouant  de 


138  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

l'éventail  et  faisant  claquer  languissamment 
leurs  mules  à  hauts  talons  ont  toutes,  suivant 
un  contemporain,  un  air  de  bonne  fortune  pro- 
chaine. 

C'est  la  régence.  Que  de  soupers,  que  d'or- 
gies galantes  au  Palais-Royal  et  ailleurs  et  que 
de  folles  Parabère  un  peu  partout  dans  la 
fièvre  de  plaisirs  qui  sévit,  dans  Paris  surex- 
cité encore  par  une  fièvre  nouvelle,  la  spécula- 
lion,  qui  du  jour  au  lendemain  avec  Law,  en- 
richit ou  ruine,  fait  monter  les  uns  jusqu'aux 
fabuleuses  fortunes  permettant  toutes  les 
jouissances,  ou  précipite  les  autres  dans  des 
détresses  telles  qu'il  faut  bien  s'étourdir  à  tout 
prix. 

Robes  flottantes,  paniers,  coiffures,  colifi- 
chets que  la  mode  chaque  jour  invente,  les 
satiristes  de  la  plume  et  du  crayon  ont  beau 
jeu.  Les  comédies  et  les  chansons,  le  théâtre 
italien  et  le  théâtre  delà  foire,  les  caricatures, 
les  pamphlets,  raillent  de  toutes  les  façons 
les  extravagants  paniers  et  les  paniers  triom- 
phants se  moquent  des  moqueurs,  s'enflent  de 
plus  en  plus  démesurément. 


XVIir    SIECLE 


130 


Tout  le  monde  en  rit  ou   s'en  plaint.    Com- 
ment faire  tenir   plusieurs  dames  dans  un  ca- 


Grands  paniers 


rosse  qu'une  seule  suffit  à  remplir  de  ses  jupes 
outrageusement  ballonnées  ?  Tout  est  trop 
petit,  les  maisons  sont  trop    étroites,    il    faut 


140  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

élargir  les  portes  des  salons  pour  livrer  pas- 
sage aux  belles  dames  trop  larges,  comme 
plus  tard  il  faudra  les  agrandir  par  en  haut 
pour  permettre  aux  gigantesques  coiffures  de 
passer  sans  anicroche. 

Les  fauteuils  aussi  manquent  de  largeur, 
comment  s'asseoir  avec  ces  immenses  cerceaux 
qui  refusent  d'entrer  entre  les  bras  des  sièges 
ou  se  relèvent  indiscrètement? 

Il  n'importe,  les  paniers  s'élargiront  tou- 
jours jusqu'aux  premiers  temps  de  Marie-An- 
toinette et  les  jupes  là-dessus  se  compliqueront 
de  grands  et  petits  volants,  de  treillis,  déplis- 
sés, de  lambrequins,  de  rubans  arrangés  dans 
tous  les  styles,  de  cent  façons  des  plus  gra- 
cieuses et  des  plus  compliquées  et  des  plus 
baroques  aussi. 

Sous  la  robe  qui  reste  longtemps  volante 
dans  le  dos,  à  la  Watteau,  le  corps  ou  le  cor- 
set emprisonne  solidement  le  buste,  le  corsage 
de  satin  est  en  pointe  descendant  très  bas  ; 
comme  il  est  décolleté,  un  devant  de  gorge  de 
dentelles  et  de  rubans,  protège  la  poitrine 
contre  le  froid. 


XVIir    SIECLE 


141 


Suivant  la  saison  ou  la  température,  on  porte 
desmantelets,  des  coqueluchons,  c'est-à-dire  de 
coquets  petits  mantelets  recouvrant  les  épaules, 
avec  capuchon  léger  de  soie  ou  de  satin,  or- 
nés de  festons  et  de  plissés,  coiffures  et  man- 
telets tout  à  la  fois,  ou  bien  des  manteaux  re- 
couvrant toute  la  personne  jusqu'aux  talons, 
espèces  de  dominos  avec  le  coqueluchon  ar- 
rondi par  un  cerceau  de  fil  de  laiton  autour  de 
la  tète. 

En  somme,  la  mode  pour  les  robes  conserve 
longtemps  les  mêmes  formes,  modifiées  seule- 
ment par  les  accessoires.  De  172o  à  1770  ou  75, 
ce  sont,  à  peu  de  différences  près,  les  mêmes 
dispositions  et  les  mêmes  lignes  ,  le  même 
ballonnement  des  jupes,  toujours  les  flots  de 
dentelles  tombant  des  manches,  toujours  les 
floches  de  rubans. 

La  belle  époque  pour  la  mode  xvm«  siècle, 
celle  qui  fournit  le  plus  joli  type  de  costume 
Louis  XV,  c'est  l'espace  compris  entre  1750  et 
1770,  époque  de  juste  milieu  entre  les  ampleurs 
exagérées  de  la  Régence  et  celles  non  moins 
exagérées  du  temps  de  Louis  XVL 


142  MESDAMES    NUS    AÏEULES 


C'est  le  règne  de  Sa  très  belle,  très  liiie, 
très  artiste  et  très  envahissante  Majesté  ma- 
dame de  Pompadour. 

Pour  évoquer  cette  épo({ue  heureuse  de  vivre, 
pour  en  deviner  tout  le  charme,  il  suffit  de 
citer  les  noms  de  Boucher,  Baudoin,  La  Tour, 


Petite  Modiste. 

Lancret,  Pater,  Eisen,  Gravelot,  Saint-Aubin  et 
de  toute  la  pléiade  des  petits-maîtres  si  légers, 
si  musqués,  mais  d'une  grâce  si  délicieuse. 

Certes  il  y  a  sous  le  parfum  des  roses  une 
odeur  de  corruption,  et  il  ne  faut  pas  trop 
gratter  le  brillant  de  cette  société  au  vernis 
Martin.  Il  y  a  partout  un  tel  laisser-aller,  un 
tel  laisser-faire,  une  si  remarquable  difficulté 
Il  se  scandaliser  de  quoi  que  ce  soit. 


XVIII^    SIECLE  443 


Louis  XV,  après  Pompadour  tombe  à  Du- 
barry  et  il  a  sou  sérail,  comme  le  grand  Turc, 
au  Parc-aux-Cerfs,  mesdames  ses  filles  Loque, 
Chiffe  et  Graille,  fontmonter  du  corps  de  garde 
des  pipes  et  de  l'eau-de-vie.  Grands  seigneurs 
et  financiers  ont  leurs  «  folies  »,  où  défilent 
grandes  dames  ou  filles  d'opéra,  les  marquises 
s'attablent  à  côté  des  gardes-franeaises  chez 
Ramponneau... 

Mais  que  ce  xviif  siècle  a  soigné  son  décor 
et  qu'il  s'est  arrangé  pour  se  faire  une  vie 
douce  et  charmante,  sans  se  soucier  et  sans 
se  douter  de  ce  qui  l'attendait  au  cinquième 
acte  de  sa  féerie  !  Sa  personnification  la  plus 
exquise  est  dans  le  grand  pastel  de  Latour, 
dans  le  portrait  de  M'"^  de  Pompadour,  en  né- 
gligé d'intérieur,  un  petit  poème  de  satin,  de 
rubans  et  de  dentelles. 

La  femme  règne  et  domine,  le  sceptre  de 
cette  souveraine,  c'est  l'éventail.  Depuis  long- 
temps l'éventail  était  en  usage,  le  moyen  âge 
l'appelait  Esmouchoir;  il  y  avait  eu  l'éventail 
carré  en  drapeau  ou  en  girouette,  l'éventail  de 
plumes  qu'une  chaîne  de  bijouterie  attachait  a 


144 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


la  ceinture  des   dames   nobles  du  x\f  siècle, 


Toikttc  de  sortie. 


Téventail  plissé  apporté  d'Italie  par  Catherine 
de  Médicis  et  adopté  par  Henri  III. 

Dès  le  temps  de  Louis  XIV,  l'éventail  est  le 
complément  indispensable  de  la  toilette  des 


¥ 


PARISIENNE  SOUS    LOUIS    XV 


XVIir    SIECLE 


145 


dames,  mais  sa  grande  époque,   celle  qui  créa 
les  plus  jolis  modèles,  c'est  le  xviii^  siècle. 


D'après  G.  de  Saint-Aubin. 

• 

Montures  de  nacre  et  d'ivoire  miraculeuse- 
ment découpées  et  ciselées,  peintures  exquises 
de  Watteau,  Lancret  et  des  autres,  les  éven- 
tails Louis  XV,  sceptres  galants  d'une  société 
musquée,  poudrée  et  féminisée,  sont  dignes  de 

10 


U6  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

mener,  par  les  mains  des  favorites,  monarque 
ministres  et  généraux,  les  arts,  les  lettres,  la 
politique  et  le  monde. 

L'estampe  de  Gabriel  de  Saint-Aubin,  inti- 
tulée le  Bal  Paré,  nous  montre  les  élégantes 
de  ce  temps  en  grandes  toilettes;  encore  les 
plis  Watteau,  les  robes  volantes  ouvertes  sur 
le  corsage  et  sur  la  robe  de  dessous,  ratta- 
chées à  la  ceinture  par  des  rubans  et  relevées 
bien  de  côté  sur  le  ballonnement  des  paniers; 
puis  des  garnitures  voltigeantes,  bordures  de 
fourrures  ou  bandes  plissées,  des  volants  de 
satin  ou  de  dentelle. 

Les  coiffures  commencent  bien  à  monter, 
mais  elles  sont  toujours  élégantes  et  seyantes, 
la  chevelure  poudrée  est  relevée  sur  le  front 
bien  dégagé,  arrangée  en  coques  et  en  rouleaux, 
mêlée  avec  des  touffes  de  rubans,  des  plumes 
et  des  perles. 

Voyons  ces  mêmes  dames  à  la  promenade 
de  Longchamps,  au  grand  défilé  traditionnel 
de  Pâques,  dans  les  superbes  carrosses  pein- 
turlurés et  dorés,  —  véritable  carrosserie  de 
conte  de  fées,  auprès  de  laquelle  les  plus  somp- 


XVIII*^    SIECLE  147 


tueux  équipages  cirés,  brossés  et  vernis  de 
notre  prosaïque  époque,  sembleraient  de  vi- 
laines et  funèbres  boîtes,  étalant  un  luxe 
croque-mort. 

Dans  ces  imposants  carrosses,  menés  par 
d'imposants  cochers  en  perruques,  soutachés 
et  galonnés,  avec  de  grands  diables  de  laquais 
aux  éclatantes  livrées  accrochés  à  l'arrière- 
train,  dans  toutes  ces  éblouissantes  voitures, 
quel  déploiement  de  toilettes  luxueuses,  de 
dentelles,  de  plumes  et  de  rubans,  de  diamants 
et  de  perles  ! 

Des  heiduques  galopent  aux  portières,  des 
coureurs  en  bizarres  costumes ,  jouent  des 
jambes  à  travers  le  flot  des  équipages,  des  ca- 
valiers et  des  belles  amazones,  tandis  que  sur 
les  bas  côtés  de  la  route,  dans  la  foule  accou- 
rue pour  admirer  les  beautés  à  la  mode  et  la 
mode  elle-même,  dans  le  brouhaha  des  ren- 
contres, des  conversations  avec  les  jeunes  sei- 
gneurs, les  petits-maîtres  et  les  grands  roués, 
la  marquise  et  la  présidente,  la  dame  de  qua- 
lité et  la  financière  coudoient  la  demoiselle 
d'     éra,  la  folle  actrice,  coqueluche  des  jeunes 


148 


MESDAMES     NOS    MEULES 


D'après  Moreaii  le  Jeune. 


XVIII"    SIECLE  149 


galants  de  la  comédie,  qui  se  la  disputent,  ou 
l'impure  échappée  de  quelque  folie  de  grand 
seigneur  ou  de  gros  traitant,  la  courtisane  qui 
sera  peut-être  la  semaine  prochaine  Reine  de 
la  main  gauche. 

Vienne  l'hiver,  et  ces  élégantes  laisseront 
leurs  carrosses  et  leurs  chaises  à  porteurs;  — 
encore  une  des  plus  délicieuses  créations  de  ce 
siècle  charmant ,  —  elles  quitteront  leurs 
chaises,  peintes  au  vernis  Martin  de  sujets 
galants  et  de  bergeries  à  la  Boucher  oii  à  la 
Watteau;  elles  quitteront  dentelles  et  rubans, 
s'habilleront,  s'envelopperont  et  se  coifferont 
de  fourrures,  et  s'en  iront,  leur  joli  nez  rose 
enfoui  dans  la  zibeline  ou  le  renard  bleu,  les 
mains  enfoncées  dans  l'immense  manchon 
gros  comme  un  tambour,  courir  sur  la  neige 
dans  les  superbes  traîneaux  contournés,  tara- 
biscotés et  peinturlurés,  ornés  de  figures  sculp- 
tées et  dorées,  de  la  plus  étonnante  fantaisie. 


Gi'und  Chapeau  Louis  XVI. 


IX 


XVIIP  SIÈCLE  -  LOUIS  XVI 

Les  coiffures  colossales.  —  Le  pouf  au  sentiment.  — 
Parcs,  jardins  potagers  et  paysages  animés  de  figures 
sur  les  têtes.  —  La  coilTure  à  la  Belle-Poule.  —  Les 
mouches.  —  Modes  champêtres.  —  Les  robes  négli- 
gentes. —  Couleurs  à  la  mode.  —  Le  Monument  du 
costume.  —  Les  amazones.  —  Modes  anglaises.  — 
Les  bourgeoises. 


Il  vieillit,  le   siècle  des  grandes  élégances 
poudrées  et  musquées,  le  siècle  aux  exquises 


XVIll'^    SIÈCLE   —   LOUIS    XVI  151 

coquetteries,  il  prend  de  l'âge  et  s'ennuie  dans 
son  papillotant  décor  rocaille. 

Son  goût  s'est  un  peu  fatigué,  il  ne  se  re- 
nouvelle plus  que  difficilement,  depuis  long- 
temps la  mode  est  stationnaire  et  tourne  tou- 
jours dans  le  même  cercle. 

Le  style  Louis  XV  est  devenu  aussi  ennuyeux 
que  jadis  le  style  Louis  XIV,  le  rococo  paraît 
à  son  tour  perruque  et  vieux  jeu;  mais  atten- 
dez, la  mode  va  essayer  de  donner  un  brusque 
coup  d'aile  et  tout  risquer,  même  de  tomber 
dans  le  baroque,  —  ce  qu'elle  peut  bien  se  per- 
mettre trois  ou  quatre  fois  par  siècle,  après  tout. 

Le  grain  de  folie  qui  couve  toujours  au  fond 
de  la  petite  cervelle  frivole  et  hurluberlue  de 
la  déesse  de  lamode,  va  donc  faire  des  siennes. 
Conservant  encore  pour  un  temps  les  gracieuses 
façons  Pompadour  et  Watteau,  la  mode  va  se 
rattraper  sur  les  coiffures  et  prendre  pour 
champ  d'exercice  de  ses  caprices  les  plus  fous, 
pour  théâtre  de  ses  plus  incroyables  fantaisies 
la  tête  de  la  femme,  qu'elle  va  charger,  arran- 
ger, surcharger  des  plus  folles  inventions, 
sous  prétexte  de  l'embellir,  qu'elle  —  transfor- 


1Ô2  MESDAMES     NUS    AÏEULES 

mera  en  paysage  champêtre  ou  même  mari- 
time, qu'elle  empanachera  et  rehaussera  fabu- 
leusement, sur  laquelle  elle  bâtira  des  édifices 
et  ira  même  jusqu'à  faire  promener  de  petits 
bonshommes  ou  de  petites  bonnes  femmes, 
des  poupées  de  carton. 

Paris  alors  pullulera  de  coilleurs  de  génie, 
les  Legros  et  les  Léonard,  Raphaëls  et  Ru- 
bens,  ou  plutôt  Soufflots  de  la  coiffure,  qui 
tiendront  des  académies  pour  enseigner  les 
principes  de  leur  architecture  capillaire;  qui 
lutteront  à  qui  trouvera,  pour  orner  les  têtes 
aristocratiques,  le  comble  du  ridicule  et  qui  le 
trouveront  plusieurs  fois. 

Les  perruquiers  avaient  eu  déjà  leurs  jours 
de  gloire  au  grand  siècle,  avec  les  majestueuses 
perruques  des  hommes;  devenus  maintenant 
les  Académiciens  de  la  coiffureÀU  vont  triom- 
pher de  nouveau,  mais  aux  dépens  de  la  grâce 
féminine. 

Voyons  la  femme  à  sa  toilette,  se  préparant 
pour  les  visites  ou  pour  la  sortie  aux  Tuileries, 
à  riieure  du  beau  monde.  C'est  rallaire  im- 
portante de  la  journée,  ce  petit  travail  de  labo- 


GRANDS  PANIERS  LOUIS  XVI. 


XVIIl'^    SIECLE    —    LUUIs    XVI  153 

ratoire  où  l'art  et  la  fantaisie  accommodent 
la  beauté  toute  simple  au  goût  du  jour.  Cette 
heure  de  la  toilette  après  le  petit  lever,  Lan- 
crct,  Baudoin  et  tous  les  peintres  galants  ou 
élégants  du  siècle,  l'ont  célébrée  avec  toutes  les 
coquetteries  de  leur  pinceau  charmeur,  et  les 
caricaturistes  ne  se  sont  pas  privés  d'en  sourire. 

Dans  le  cabinet  de  toilette  aux  boiseries 
blanches,  moulurées  et  sculptées  dans  le  style 
rocaille,  devant  sonmiroir  au  cadre  contourné, 
Madame  a  été  habillée  par  ses  suivantes,  femmes 
de  chambre  ou  soubrettes  ;  elle  a  pu  à  son  petit 
lever  donner  audience  à  ses  galants  et  à  ses 
modistes,  au  marquis  et  au  linancier,  au  poète 
qui  célèbre  ses  charmes  dans  V Almanach  des 
Miises^  au  déluré  chevalier  et  au  galant  abbé 
de  Cour  à  petit  collet. 

—  «  Qu'en  dit  l'abbé?  »  L'abbé  a  du  goût  et 
ses  avis  sur  tout  ce  qui  touche  aux  fantaisies 
de  la  mode  sont  précieux. 

Mais  tout  ce  monde  frivole  a  été  renvoyé, 
c'est  maintenant  l'heure  du  coiffeur,  le  moment 
sérieux  de  la  journée,  le  seul  moment  vraiment 
important. 


154  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

L'artiste  a  besoin  d'être  seul  pour  ne  pas 
effaroucher  l'inspiration,  et  d'ailleurs  l'œuvre 
est  longue,  difficile  et  demande  tant  de  prépa- 
ratifs et  de  soins  pour  être  menée  à  bien!  Une 
ou  deux  femmes  de  chambre  qui  le  compren- 
nent à  demi-mot  et  lui  passent  tout  ce  qui  lui 
est  nécessaire  lorsqu'il  est  dans  le  feu  de  la 
composition,  c'est  tout  ce  qu'il  peut  tolérer 
autour  de  lui. 

Suivant  le  rang  de  la  dame,  c'est  le  grand 
artiste  à  la  mode,  venu  en  carrosse,  courant 
d'hôtel  en  hôtel  dans  le  noble  faubourg,  at- 
tendu aux  Tuileries  ou  chez  quelque  prin- 
cesse, ou  bien  c'est  l'un  de  ses  élèves  qui 
opère,  en  frac  et  manchettes  de  dentelles  et 
l'épée  au  côte. 

L'inspiration  vient,  et  sous  les  doigts,  sous  le 
peigne,  sous  le  fer  à  friser  de  l'artiste,  les  plus 
étranges  monuments  de  boucles  naturelles, 
adroitement  mélangées  à  d'énormes  quantités 
de  tresses  rapportées,  s'élèvent,  se  roulent  en 
volutes,  s'étagent,  se  superposent  en  coques^ 
tapés,  marrons,  frisures^  barrières,  dra- 
gonnes, béquilles,  etc. 


XVIII^    SIECLE    —    LOUIS    XVI  155 

Pendant  vingt  ans,  c'est  un  défilé  d'archi- 
tectures étranges  sous  prétexte  de  coiffures.  La 
folie  a  élu  domicile  sur  la  tète  des  dames.  On 
peut  citer,  parmi  les  plus  extravagantes  inven- 
tions, les  coiffures  à  la  Quèsaco,  les  coiffures 
à  la  Mo7ite-au-ciel  dont  le  nom  indique  assez 
les  proportions,  la  coiffure  à  la  Comète,  le 
hérisson  à  quatre  boucles  inventé  par  Marie- 
Antoinette  qui  porta  jusqu'à  l'exagération  de 
l'exagération  l'empanachement  des  coiffures, 
le  parterre  galant,  le  chapeau  en  berceau 
d'amour,  à  la  novice  deCythère... 

Il  y  avait  aussi  \e'è2Joufs,  coiffures  abraca- 
dabrantes, le  pouf  au  sentiment,  assemblage 
absurde  de  fleurs  et  de  verdures  poussées  sur 
une  haute  colline  chevelue,  avec  des  oiseaux 
sur  les  branches,  des  papillons  et  des  amours 
de  carton  voltigeant  dans  ce  bocage  ridicule  ; 
\e  x)ouf  à  la  chancelier e,  \e  pouf  à  droite,  le 
pouf  à  gauche. 

Le  pouf  au  sentiment  donne  toute  latitude 
possible  aux  combinaisons  et  à  l'étalage  des 
affections  et  des  goûts,  ne  voit-on  pas  la  du- 
chesse de  Chartres,  mère  du  roi  Louis-Philippe, 


1Ô6 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


Luc  impure,  d'après  WiUc, 


XVIir    SIECLE   —   LOUIS    XVI 


157 


porter  sur  son  pouf  un  petit  musée  de  figurines  : 
son  fils  aîné  dans  les  bras  de  sa  nourrice,  un 
petit   nègre,    un    perroquet    becquetant    une 


Toilette  de  Cour. 


cerise  et  des  dessins  exécutés  avec  les  cheveux 
de  ses  parents  les  plus  chers. 

Après  la  coiffure  jardin,  on  trouve  la  coiffure 
dite  cascade  de  Saint-Cloud,  avec  une  cascade 


158  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

de  boucles  poudrées  tombant  du  sommet  de  la 
tête,  la  coiffure  potager  montrant  quelques 
bottes  de  légumes  accrochées  aux  frisons,  la 
coiffure  agreste,  les  paysages  montrant  une 
colline  avec  des  moulins  qui  tournent,  une 
prairie  traversée  par  un  ruisseau  argenté  avec 
une  bergère  gardant  ses  moutons,  des  monta- 
gnes, une  forêt  avec  un  chasseur  et  un  chien 
faisant  lever  du  gibier. 

Puis  viennent  la  coiffure  au  Colysée,  à  la 
candeur,  aux  clochettes,  au  mirliton,  —  la  lai- 
tière, la  baigneuse,  la  marmotte,  la  paysanne, 
le  fichu,  l'orientale,  la  circassienne,  —  le  casque 
à  la  Minerve,  le  croissant,  le  bandeau  d'amour, 
■ —  le  chapeau  à  l'énigme,  au  désir  de  plaire,  la 
calèche  retroussée,  l'économe  du  siècle,  la 
Vénus  pèlerine,  la  baigneuse  à  la  frivolité,  etc., 
les  frisures  en  sentiments  soutenus  et  en  sen- 
timents repliés... 

Les  grandes  coiffures  d'apparat,  fleuries,  en- 
guirlandées, empanachées,  immenses  et  très 
lourds  échafaudages,  tenaient  une  telle  place 
que  les  dames  étaient  forcées,  dans  les  ca- 
rosses  où   déjà  elles  avaient  tant  de  peine  à 


XVIII''    SIECLE    —    LOUIS    XVI  lo9 

caser  leurs  paniers,  de  tenir  la  tête  penchée 
de  côté  ou  même  de  rester  agenouillées. 

Des  caricatures  représentent  les  dames  ainsi 
coiffées,  dans  des  chaises  à  porteurs  dont  le 
couvercle  a  été  enlevé  pour  laisser  passer  le 
sommet,  blanc  comme  une  Alpe,  de  la  gigan- 
tesque coiffure. 

La  plus  étonnante  de  toutes  ces  grandes 
coiffures  fut  celle  dite  à  la  Belle-Poule^  en 
l'honneur  de  la  victoire  remportée  en  1778,  par 
la  frégate  la  Belle-Poule  sur  le  navire  anglais 
VAréthuse.  Sous  la  masse  des  cheveux  ar- 
rangés en  grandes  vagues,  une  frégate  de  belle 
taille,  avec  tous  ses  mâts,  ses  vergues,  ses 
canons  et  ses  petits  matelots,  naviguait  toutes 
voiles  dehors.  Après  avoir  composé  ce  chef- 
d'œuvre,  Léonard  ou  Dagé  pouvaient  se  pendre, 
ils  ne  trouveraient  jamais  mieux. 

Ce  fut  donc  vraiment  jusqu'en  89,  un  défilé 
d'inventions  ridicules  sur  les  têtes  féminines. 
La  plus  haute  donnait  l'exemple.  Hélas  !  elles 
devaient  expier  !  La  tête  avait  péché,  la  tête 
paya.  Et  si  la  plus  haute  tomba,  ce  fut  juste- 
ment par  la  faute  de  celui  qui   pendant  les 


160 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


heureuses  années  avait  prodigué  pour  elle  les 
inventions  excentriques. 

Léonard,  l'illustrissime  coifTeur  de  la  reine, 


Coiffure  à  la  Belle-Poule. 


était  du  voyage  de  Varennes.  En  ces  jours  ter- 
ribles, dans  le  grand  naufrage  de  la  monar- 
chie, que  songe-t-on  à  sauver  ?  L'indispensable 
Léonard  !  Et  cette  faiblesse  dernière  tourna  mal 
pour  la  pauvre  reine,  car  ce  serait,  dit-on,  sur  un 


PARISIENNES  1789. 


XVIII''    SIECLE    —    LOUIS    XYI 


161 


renseignement  erroné  donné  très  innocemment 
par  Léonard  parti  en  avant,  à  un  détachement 
des  troupes    du   marquis    de  Bouille,    que   le 


secours  manqua  à  la  famille  royale  arrêtée  à 
Varennes. 

...Quand  l'élégante  était  coiffée,  quand  elle 
avait,  en  s'abritant  la  figure  dans  un  grand 
cornet  de  papier,    été    convenablement   sau- 

11 


162  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

poudrée  d'une  couche  épaisse  de  poudre  — 
mode  étrange  qui  depuis  le  commencement  du 
siècle  mettait  la  neige  des  ans  sur  tous  les 
fronts,  qui  recouvrait  des  mêmes  frimas  toutes 
les  tètes  masculines  et  féminines —  quand  elle 
avait  sur  les  joues  une  forte  teinte  de  rouge, 
contrastant  durement  avec  le  blanc  de  la  che- 
velure, —  le  rouge  c'est  la  loi  et  les  prophètes, 
avait  dit  M"'''  de  Sévigné,  —il  n'y  avait  plus,  pour 
que  l'élégante  fut  irrésistible,  qu'à  placer  les 
mouches  destinées  à  relever  certains  détails 
de  physionomie,  à  donner  du  piquant  à  l'ex- 
pression. 

Ces  mouches  que  les  femmes  s'étudiaient  à 
placer  de  la  façon  la  plus  avantageuse  pour 
leur  genre  de  beauté  particulier,  portaient  sui- 
vant leur  place  les  noms  amusants  que  voici  : 

La  majestueuse  se  pose  sur  le  front  et  V en- 
jouée dans  le  coin  de  la  bouche  ;  sur  les  lèvres 
des  brunes,  c'est  la  friponne;  sur  le  nez  V ef- 
frontée, légèrement  comique  ;  au  milieu  de  la 
joue  la  galante,  près  de  l'œil  cette  mouche  qui 
fait  le  regard  à  volonté  languissant  ou  pas- 
sionné, c'est  r assassine,  sans  compter  les  fan- 


XVI 11^    SIÈCLE    —    LOUIS    XVI  163 

taisies.  les  mouches  en  croissant,  en  étoile, 
en  comète,  en  cœur... 

Mais  voici  les  derniers  jours  d'un  monde  qui 
va  s'effondrer,  d'une  société  qui  va  disparaître 
dans  une  soudaine  catastrophe. 

Dès  1785,  l'ancien  régime  est  atteint,  la 
révolution  est  faite...  dans  les  toilettes  ! 

C'est  une  révolution  complète,  venue  presque 
sans  transition,  le  galant  costume  xvni'^  siècle 
est  ahandonné  pour  une  série  d'inventions  nou- 
velles donnant  des  lignes  tout  à  fait  diffé- 
rentes. 

Adieu  paniers,  vendanges  sont  faites.  Les 
immenses  paniers  sont  décédés,  on  a  com- 
mencé par  les  remplacer  par  les  paniers  dits  à 
coude^  consistant  en  un  simple  renflement  sur 
lequel  on  pouvait  appuyer  les  coudes  et  par 
deux  petits  jupons  rembourrés  appelés  bêtises 
portés  sur  les  cotés  et  par  un  troisième  placé 
tout  à  fait  derrière  et  très  crûment  dénommé. 
Puis  on  les  a  rejetés  complètement,  et  les 
femmes  en  jupes  presque  plates  se  sont  ache- 
minées peu  à  peu  vers  la  robe  fourreau  et  le 
trop  simple  appareil  de  la  Révolution. 


16  i 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


Marie-Antoinette  fermière  de  Trianon,  amène 
un  peu  de  paysannerie  dans  les  modes,  de  la 
paysannerie  d'opéra-comique,  de  la  bergerie  à 
la  Florinn  ou  au  Devin  du  Village.  On  voit  ap- 


r.oifTure  d'intérieur. 


paraître  les    chapeaux   de  paille,  les  tabliers, 
les  caracos,  les  casaquins. 


Lronard  régnant  sur  les  télés  et  les  gouver- 
nant à  sa  fantaisie,  pour  le  reste,  l'arbitre  du 
goût  à  la  cour  de  Marie- Antoinette,  c'est 
M"''    Rose    Berlin,    la     arande   mnndiande    de 


XVlir     SIECLE    —    LOUIS    XVI 


165 


modes   de  la  reine,    celle  qu"oii  apjDelle   son 
)ninistre  des  modes. 

Rose  Berlin  ordonne  et  décrète,  elle  invente 


Grand  Chapeau. 


et  elle  compose,  les  l'emmes  crient  merveille  ii 
tout  ce  qui  sort  de  ses  mains,  et  les  maris  se 
plaignent  de  l'immensité  de  ses  mémoires... 
comme  toujours. 

Vers  1780,  la  mode  tourne  et   cherche  des 


166  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

façons  de  robes  nouvelles.  On  invente  les 
robes  polonaises  et  les  robes  circassiennes  qui 
n'ont  rien  de  polonais  ni  de  cireassien,  des  robes 
courtes  d'abord,  avec  des  relevés  sur  des  paniers, 
puis  de  longues  robes  de  dessus  flottantes. 

La  tendance  aux  modes  négligées  va  bientôt 
«accentuant,  on  voit  paraître  les  robes  lévites 
qui  sont  l'occasion  d'un  scandale  au  jardin  du 
Luxembourg;  une  comtesse  se  promène  avec 
une  lévite  à  queue  de  singe,  c'est-à-dire  à 
queue  bizarrement  coupée  et  tortillée,  elle  est 
suivie  par  une  foule  moqueuse,  et  il  faut  pour 
la  dégager  faire  avancer  la  garde. 

Après  les  lévites  viennent  les  robes  négli- 
gentes et  demi-négligentes,  les  robes  en  che- 
mise, les  baigneuses  et  les  déshabillés. 

Pour  ces  toilettes  déjà  si  singulièrement 
baptisées,  les  couleurs  à  la  mode  sont  : 

Couleurs  queue  de  serin,  cuisse  de  nymphe 
émue,  carmélite. 

Couleurs  auDaupliin. 

Couleurs  de  gens  nouvellement  arrivés. 

Couleurs  vive  Bergère  et  Vert  pomme. 

Couleur  soupir  étouffé. 


XVIII"     SIECLE    —    LOUIS    XVI 


167 


Une  puce  s'étant  égarée  à  la  cour,  —  la  garde 
qui  veille  à  la  porte  du  Louvre  n'en  préserve 


Robe  lévite. 


pas  l'épiderme  des  reines,—  on  a  la  série  des 
couleurs  puce  :  Ventre  de  puce,  dos  de  puce, 


168  MESDAMES     NUS     AÏEULES 

cuisse  de  puce,  vieille  j)uce,  jeune  puce.  etc. 

Ces  couleurs  puce  font  soudainement  place  à 
une  autre  couleur  également  née  à  la  cour  et 
plus  gracieusement  dénommée;  c'est  la  couleur 
cheveu  de  la  Reine,  appellation  trouvée  par 
le  comte  d'Artois.  Immédiatement  toutes  les 
élolTos  doivent  être  couleur  cheveu  de  la  Reine. 

L'amazone,  le  costume  féminin  })our  la  pro- 
menade à  cheval  n'était  pas  au  xviii''  siècle 
l'uniforme  noir  et  lugubre  infligé  par  le  goût 
moderne  avec  l'aifreux  chapeau  de  haute  forme 
pour  complément  et  aggravation,  aux  élé- 
gantes de  nos  jours. 

Moreau  le  jeune  qui.  dans  la  suite  d'es- 
tampes du  Monument  du  costume,  a  fait 
passer  toute  la  belle  société  de  son  temps,  vue 
au  milieu  de  ses  fêtes,  de  ses  cérémonies  et  de 
ses  plaisirs,  au  salon  et  au  boudoir,  au  châ- 
teau, à  la  Cour,  à  l'Opéra  et  au  bois  de  Bou- 
logne, a  dessiné  les  élégantes  de  1780,  en 
tenue  de  cheval,  avec  les  longues  jupes  et  les 
ceintures,  les  redingotes  anglaises  ou  les  petites 
vestes,  les  grands  chapeaux  à  plumes  ombra- 
geant les  catogans  poudrés. 


PROMENADE  PARISIENNE  1790. 


XVII I*-'    SIECLE 


LOUIS     XVI 


169 


Elles  étaient  charmantes,  et  multicolores  et 
variées,  ces  amazones  xviii°  siècle,  et  certes, 
la  ibule  dans  l'avenue  des  Champs-Elysées  ne 
présentait  pas  alors  le  sombre  aspect  qu'elle 


AiiMZonc  (J'iiprcs  Moicau  le  Jeune. 


garde  aujourd'hui,  même  aux  plus  beaux  jours 
de  printemps. 

Les  dernières  anr_ies  de  la  monarchie  voient, 
comme  une  revanche  de  la  guerre  d'Amérique, 
l'invasion  des  modes  britanniques.  Les  formes 


l'iO  MESDAMES    ^■  0  S    AÏEULES 

sont  bien  nouvelles  et  tranchent  complète- 
ment clans  l'ensemble  comme  dans  tous  les 
détails  des  modes  précédentes. 

La  toilette  a  des  airs  sans  l'aron  ou  un 
cachet  anglais  tout  à  fait  nouveau  régime.  On 
porte  des  vestes,  des  corsages  à  basques  ou- 
vrant sur  des  gilets,  des  fracs  à  gros  boutons 
ou  à  lacets,  et  des  redingotes  à  grands  revers 
et  triples  collets,  serrées  à  la  taille  et  tom- 
bant très  bas  par  derrière.  Les  boutons  énormes 
et  voyants  de  ces  vestes  et  de  ces  redingotes 
sont  en  métal  de  toutes  les  formes  possibles  et 
(luel<iuefois  illustrés  de  peintures;  il  en  existe 
de  curieux  échantillons  dans  les  collections. 

Les  élégantes,  comme  les  hommes  à  la 
mode,  portent  deux  montres  avec  deux  lon- 
gues breloques  tombant  du  gilet,  elles  ont  des 
gilets,  des  cravates,  des  catogans  et  des  cade- 
nettes  comme  les  hommes,  elles  portent  de 
grandes  cannes  comme  les  hommes.  Il  est 
vrai  que  les  hommes  prennent  bien  le  gros 
manchon  à  l'occasion. 

Et  des  fichus!...  Toutes  les  femmes  en  por- 
tent  avec    toutes    les    toilettes,     d'immenses 


XVIir    SIECLE    —    LUUIS    XVI 


171 


fichus  faisant  au-dessus  de   la  taille   très  Ion- 


Modes  anglaises. 


gue  et  horriblement  serrée,  un  gonflement  de 
poitrine  invraisemblable. 

Ces  toilettes  arborent  toutes  les  couleurs  de 


172  MESDAMES     NOS     AÏEULES 

l'arc-cii-cicl  les  plus  fraîches  et  les  plus  vives 
ou  les  plus  bizarres;  ce  sont  des  satins,  des 
taffetas,  des  draps  citron,  rose,  vert  pomme, 
jaune  serin,  des  gourgourans  changeants,  des 
mousselines  de  tous  les  tons,  unies  ou  rayées. 
Les  rayures  ont  un  immense  succès  en  1787  sur 
le  dos  des  élégantes  et  sur  celui  des  élégants. 
Pendant  Tété  de  cette  année-là.  hommes,  femmes 
et  enfants,  tout  le  monde  est  en  toilettes  rayées. 

La  coiffure  aussi  est  révolutionnée,  c'est  déjà 
la  coiffure  comme  le  xix^  siècle  va  la  compren- 
dre, c'est  la  naissance  du  chapeau  moderne. 

Les  femmes  sont  toujours  poudrées,  elles 
ont  toujours  sur  la  tète  une  innnense  quanti  lé 
de  cheveux  arrangés  en  énornu^s  i)erruques 
lloconnantes  autour  de  la  ligure,  dans  le  genre 
de  la  perruque  masculine,  avec  de  grandes 
boucles  tombant  de  chaque  côté  du  corsage  et 
dans  le  dos,  ou,  comme  les  hommes,  un  gros 
catogan  par  derrière. 

Les  chapeaux  sont  de  formes  cl  de  dimen- 
sions extraordinaires;  bords  immenses,  fonds 
énormes  avec  d'extravagantes  accumulations 
de  garnitures.  On  ne  se  met  plus  une  frégate, 


XVIir     SIECLE    —    LOUIS    XVI 


173 


toutes  voiles  dehors,  sur  la  tête,  mais  on  se 
coiffe  d'une  espèce  de  galiote  renversée,  mise 
de  travers  et  assez  large  pour  servir  de  para- 


chapeau  bonnette. 

pluie  à  roccasion.  On  porte  le  chapeau  bonnette 
et  le  demi-bonnette,  un  peu  moins  large  mais 
aussi  haut,  garni  de  nœuds  de  rubans,  de  ru- 
ches et  de  bouquets  de  plumes  de  coq,  le  cha- 
peau turban,  haut  bonnet  de   jnnissaire  rayé, 


174  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

avec  écharpe  de  gaze  et  panache  de  plumes,  le 
chapeau  à  la  Caisse  cVescompte,  c'est-à-dire 
sans  fonds,  enpanier  percé  comme  cette  caisse, 
le  chapeau  Cardinal  sur  la  paille  après  l'af- 
faire du  Collier,  chapeau  en  paille  bordé  d'un 
ruban  rouge  cardinal,  le  grandissime  chapeau 
à  la  Tarare,  le  chapeau  à  la  Basile  inventé 
après  le  grand  succès  dr;  Beaumarchais  avec 
bien  d'autres  modes  <à  la  Figaro,  le  chapeau  à 
la  veuve  du  Malabar,  les  bonnets  à  la  Mont- 
golfier,  au  Globe  lixé,  au  ballon,  au  moment 
des  premières  expériences  aérostatiques,  puis 
le  bonnet  aux  trois  ordres  qui  commence  à  la 
réunion  des  États  généraux  le  grand  déiilé  des 
modes  révolutionnaires... 

Mais  dans  ce  dix-huitième  siècle  qui  valhiir 
si  lugubrement,  à  côté  des  belles  de  la  cour  et 
de  la  ville,  des  dames  plus  ou  moins  grandes, 
car  il  y  a  déjà  le  demi-monde,  les  danseuses 
illustres  et  les  courtisanes  célèbres,  à  côté  des 
reines  de  la  mode  qui  vont  à  Longchamps  ac- 
compagnées d'un  heiduque  à  turban  pour 
porter  leur  parasol,  précédées  d'un  coureur  en 
maillot  ot  bonnet  à  plume,  la  grande  canne  à 


XVIII'     SIÈCLE   —   LOUIS    XVI 


17i 


la  main,  à  côté  des  élégantes  empanachées  qui 
suivent  toutes  les  fantaisies  de  la  capricieuse 
fée  aux  chiffons,  il  y  a  les  adorables  petites  bour- 


Le  cliapeau  turban. 

geoises  que  l'on  retrouve  dans  les  vieux  por- 
traits et  dans  les  petits  mémoires,  charmantes 
et  tendres  figures  qui  ne  s'entourent  pas, 
comme  les  autres,  du  même  nuage  de  plumes 
et  de  dentelles,  qui  restent  dans  une  note  plus 


176  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

discrète,  suivant  la  mode  un  peu  de  côté  et 
conservant  mieux  les  vieilles  traditions  et  les 
vieux  atours. 

A  elles  les  jolies  petites  coiffes  si  différentes 
des  pyramides  de  cheveux  et  de  colifichets  à 
la  Léonard,  ces  coiffes  bien  plus  seyantes  que 
l'on  recouvre,  pour  sortir,  d'un  capuchon  retenu 
par  un  fil  de  laiton,  à  elles  les  robes  de  coupe 
plus  modeste  et  les  petits  paniers  moins  sur- 
chargés que  les  paniers  à  falbalas  de  vingt 
pieds  de  circonférence. 

Jolies  petites  bourgeoises  qui  ont  conservé 
dans  un  siècle  licencieux  l'honnêteté  des  bonnes 
vieilles  mœurs,  existences  plus  calmes  se  dé- 
roulant dans  un  cercle  étroit  d'occupations  fa- 
miliales et  de  plaisirs  simples,  allant  tout 
doucement  du  sermon  du  dimanche  à  la  pa- 
roisse, —  aux  réunions  sans  façon  et  aux  bonnes 
parties  champêtres. 

C'est  un  monde  qui  s'en  va  finir  aussi,  dans 
la  grande  fusion  et  confusion  des  classes,  au 
fond  de  la  chaudière  révolutionnaire,  dans  la 
révolution  politique  et  ensuite  dans  la  révolu- 
tion   industrielle    et   scientifique,    bouleverse- 


^„...-^ 


MERVEILLEUSE  EX  TUXiaUE  A  LA  GRECQUE. 


XVIII^    SIÈCLE    —    LOUIS     XVI 


ment  énorme  qui  aboutira  pour  tous  à  la  vie 
fiévreuse  et  haletante  de  notre  siècle. 

En  attendant,  sans  se  douter  des  temps  dif- 
ficiles qu'il  va  falloir  passer,  sans  voir  l'ef- 
frayant nuage  de  sang  qui  monte  à  l'horizon, 
la  petite  bourgeoise  gaie  et  insouciante  dans 
son  petit  salon  blanc,  fredonne  à  son  clavecin 
quelque  joli  petit  air  bien  tendre,  et  bien  diffé- 
rent de  nos  compliqués  logarithmes  musicaux. 

Plaisir  d'amour  ne  dure  qu'un  moment, 
Cliagrin  d'amour  dure  toute  la  vie. 


1789. 


12 


Le  lionnot  Cii;tilotte  (;iird;iv, 


LA   RÉVOLUTION   ET   L'EMPIRE 


Modes  dlles  à  la  Bastille.  —  Modes  révolulioiinaires.  — 
Noire-Dame  de  Thermidor.  —  Incroyables  et  mer- 
veilleuses. —  1,'antiquité  à  Paris.  —  Athéniennes  et 
Romaines.  —  Une  livre  de  vêtements.  —  Tuniques 
diaphanes.  —  Maillots,  bracelets  et  cothurnes.  —  Le 
réticule  ou  ridicule.  —  Le  bal  des  Victimes.  —  Per- 
ruques blondes  et  oreilles  de  chien.  —  A  la  Titus.  — 
Les  robes-fourreau.  —  Petits  bonnets  et  Chapeaux- 
Shakos.  —  Les  turbans. 


L'ouragan  ({ui  devait  ptMidaiit  vingt-cinq  ans 
rouler  comme  un  cyclone  sur  notre  vieille 
Europe,  souffle  déjà  sur  Paris  où  il  s'est  l'ormé; 


LA    DEVOLUTION     ET    L  EMPIRE  179 


II  bouscule,  il  abat,  il  broie.  Comme  un  châ- 
teau de  cartes  ou  une  Bastille,  la  monarchie 
séculaire  va  s'écrouler  sur  les  décombres  de  la 
vieille  société. 

Et  pendant  ce  temps,  pendant  que  l'émeute 
ensanglante  la  rue  fiévreuse,  que  les  tueurs 
I)roinènent  de  pâles  tètes  coupées  fichées  au 
bout  'des  pi(|ues,  pendant  qu'à  l'Assemblée  ou 
à  la  Commune,  les  nouveaux  maîtres  de  la 
l'rance  décident  tumultueusement  du  sort  des 
millions  dhoinmes  que  la  guerre  va  jeter  les 
uns  sur  les  autres,  pendant  que  déjà,  dans 
l'aube  sinistre,  se  dresse  sur  son  peuple,  toute 
rouge,  ses  deux  bras  levés  tenant  le  glaive j  la 
nouvelle  reine,  la  Guillotine,  — •  la  mode 
imperturbable  songe  à  des  combinaisons  nou- 
velles, elle  modifie  des  jupes,  elle  arrange  des 
corsages,  elle  chiffonne  des  rubans  d'une  façon 
inédite,  elle  a  les  inventions  les  plus  fraîches 
et  les  plus  charmantes,  elle  lance  des  toilettes 
idylliques  d'une  exquise  nouveauté  ;  à  une 
nation  nouvelle  ne  faut-il  pas  des  costumes 
nouveaux? 

Le  mouvement  commencé  dès  les  dernières 


180  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

années  tranquilles  de  Louis  XVI,  s'accélère  et 
s'accentue.  La  mode  est  sur  une  voie  nouvelle, 
et  peu  à  peu  disparaissent  tous  les  caractères 
du  costume  d'antan,  de  l'ancien  régime, 
comme  on  dit. 

Dans  la  fameuse  estampe  de  Debucourt,  la 
Promenade  publique^  donnant  la  vision  mul- 
ticolore d'une  foule  élégante  des  premières 
années  de  la  Révolution,  dans  cette  charmante 
réunion  de  petites  maîtresses  et  de  muscadins 
qui  ne  semblent  guère  songer  au  grand 
drame,  que  reste-t-il  des  costumes  et  des 
modes  du  siècle?  De  la  poudre,  quelques  tri- 
cornes sur  des  tètes  de  vieux  bourgeois  retar- 
dataires et  c'est  tout. 

Les  femmes  ont  un  aspect  tout  à  fait  nou- 
veau. Les  modes  anglaises  ont  prédominé 
d'abord,  c'est-à-dire  les  vestes  et  les  redin- 
gotes d'amazones,  puis  les  robes  se  sont  sim- 
plifiées comme  façon  et  comme  étoffes. 

Les  temps  deviennent  durs,  adieu  les  riches 
tissus,  les  soies  et  les  satins,  adieu  les  falba- 
las coûteux  de  jadis  !  La  toile  de  Jouy,  l'in- 
dienne  et  le  linon   remplacent   la  soie  et  les 


LA    REVOLUTION    ET    L EMPIRE 


181 


couturières  s'en  tiennent  aux  formes  droites 
avec  très  peu  d'ornements  et  d'accessoires. 
On  voit  des  corsages  de  linon  forme  chemise 
laissant  les  bras  nus  à  partir  du  coude,  des 
jupes    toutes    simples,  presque  plates,  qui    se 


portent  avec  des  ceintures  à  longs  rubans  flot- 
tants. Pour  relever  cette  extrême  simplicité  on 
a  les  rubans  aux  couleurs  nationales,  les  tro- 
phées et  les  attributs  révolutionnaires  impri- 
més sur  l'étoffe  ou  quelque  maigre  ruche 
ajouté  au  bas  des  jupes. 

On  continue  à  porter  beaucoup  de  fichus  de 


182  MESDAMES     NOS     AIETLES 


mousseline,  et.  pour  les  grandes  occasions,  la 
toilette  se  complète  avec  des  bouquets  de 
fleurs  tricolores  portés  à  gauche  sur  le  cœur, 
des  bijoux  patriotiques,  médaillons  de  cou. 
boucles  de  ceintures,  d'acier  ou  de  cuivre, 
cocardes,  boucles  d'oreilles,  boutons  à  la  Bas- 
tille, au  Tiers-Etat,  à  la  constitution,  etc. 
Pendant  un  temps  tout  esl  //  Ui  Bastille,  jus- 
qu'aux chapeaux. 

Les  grands  chapeaux,  en  cône  démesuré,  à 
très  larges  bords  et  surchargés  de  rubans, 
après  avoir  essayé  de  tenir  quelque  temps,  ont 
disparu  ;  il  n'y  a  bientôt  plus  que  des  bonnets,, 
des  bonnets  à  grande  coiffe  bouillonnée  enru- 
bannés aussi,  des  bonnets  ressemblant  quel- 
que peu  à  des  coiffures  du  pays  de  Caux,  et  sur- 
tout des  bonnets  dits  à  la  paysanne  ou  à  la 
laitière,  la  jolie  coiffe  à  grandes  barbes  de  den- 
telle que  nous  appelons  aujourd'hui  bonnet 
Charlotte  Corday,  piquée  d'une  large  cocarde 
tricolore. 

Presque  plus  de  poudre  Idanehe.  —  on  va 
en  consommer  tant  de  noire  —  on  porte  tous 
ses  cheveux  au  naturel,  avec  un  peu  do  su|»- 


LA    IIKVOLUTION     ET     LKMPIRi: 


isa 


plémoiU    aussi    car    la    vogue    des   perruques 
Itlondes  commence. 

Mais  bientôt  la  tempête  se  déchaîne  tout  à 
fait,  c'esl  la  Terreur.  ]*('ul-il  rire  encore  ques- 


Le  chapeau  Hussaicl. 


lion  de  frivolités  luxueuses  et  de  modes?  Les 
rangs  des  élégantes  s'éclaircissent,  elles  sont 
à  l'Abbaye,  à  la  Force,  dans  cent  prisons,  ou 
à  Goblentz,  —  elles  se  cachent  ou  elles  sont 
morles. 


184  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

L'extrême  simplicité  que  chacun  affecte  dans 
sa  mise  par  prudence  ou  garde  par  décourage- 
ment, ne  suffit  pas  toujours  à  préserver  de  ce 
titre  de  suspect  ou  de  suspecte  qui  donne  des 
droits  immédiats  à  l'échafaud. 

Talleyrand  a  dit  qu'ils  ne  connaissaient  pas 
la  douceur  de  vivre,  ceux-là  qui  n'avaient  pas 
vécu  dans  la  vieille  société  d'autrefois.  En  93, 
le  problème  est  de  vivre,  n'importe  comment, 
caché  dans  un  trou  de  souris,  s'il  le  faut.  La  Loi 
sous  ce  doux  règne  de  Liberté,  ordonne  que  dans 
chaque  maison  une  pancarte  placardée  porte 
les  noms  et  prénoms  de  tous  les  habitants  et 
même  l'âge,  dure  contrainte.  Que  de  braves 
gens  qui  ont  connu  des  jours  heureux  et  bril- 
lants essayent  dans  quelque  rue  tranquille,  au 
fond  d'un  appartement  silencieux,  d'oublier 
l'orage  qui  gronde  et  le  tumulte  des  rues  et  les 
horribles  clameurs  des  clubs  et  des  journaux. 

Cependant  un  petit  groupe  s'obstine  à  tenir 
haut  et  ferme  devant  les  sans-culottes  le  dra- 
peau de  l'élégance  ;  des  vaillants  et  des  vail- 
lantes montrent  encore  au  Palais-Royal,  sur 
les    boulevards,   aux    promenades,    dans    les 


MERVEILLEUSE  DU  DIRECTOIRE. 


LA    REVOLUTION    ET    L  EMPIRE  185 

théâtres  qui  persistent  à  jouer,  des  toilettes 
élégantes  et  bravent  les  citoyens  en  carma- 
gnole et  bonnet  rouge,  et  les  mégères  trico- 
teuses de  la  guillotine,  mais  à  quels  risques! 

La  mode  n'ose  plus  lutter,  la  pauvrette  a 
caché  sa  tête  sous  son  aile  et  regarde  éperdu- 
ment  le  ciel,  espérant  toujours  quelque  éclaircie. 

La  guillotine  fonctionne  toujours,  s'inter- 
rompant  seulement  de  temps  à  autre  pour 
quelque  fête  idyllique,  fête  de  l'Être  suprême, 
fête  de  l'agriculture  ou  de  la  vieillesse,  avec 
théories  de  jeunes  filles  en  blanc,  déesses  de 
la  Liberté,  chœur  d'adolescents  et  de  vieillards  ; 
pastorales  charmantes,  spectacles  qui  émeu- 
vent doucement  le  cœur  du  bon  Marat  et  du 
sensible  Robespierre.  On  a  jeté  du  sable  sur  le 
sang,  le  lendemain  le  ruisseau  rouge  recom- 
mence à  couler. 

9  thermidor!  Pour  les  beaux  yeux  de  la 
citoyenne  Thérèse  Cabarrus,  astre  qui  va  se 
lever,  Tallien  a  bravé  la  mort  suspendue  sur 
toutes  les  têtes.  Il  a  jeté  bas  Robespierre  et  la 
poussé  à  son  tour  dans  les  bras  impassibles  de 
la  déesse  Guillotine  ! 


18(3  MESDAMES    NOS    AÏEULES 


M"^*^Tallien  devient  Notre-Dame  de  Thermi- 
dor, celle  qui  saovr  p.ir  In  souveraine  puis- 
sance de  la  l)«>aut<''  ! 

Tn  imnieiise  soupir  (1(^  soulnficmenl  passa 
sur  la  France  et  immédiatement  les  élégances 
comprimées  et  terrorisées  sortirent  de  terre, 
avec  le  luxe,  avec  la  frivolité,  la  folie  même, 
avec  la  joie,  le  rire,  dont  on  semblait  avoir  un 
besoin  furieux  api-ès  tant  fie  sanû'  et  tant 
de  larmes. 

Les  incroyables  et  les  merveilleuses  qui 
s'étaient  déjà  montrés  avant  la  Terreur  rem- 
plissent soudain  les  promenades  et  les  boule- 
vards, et  la  mode,  à  qui  le  régime  de  Robes- 
pierre n  sans  doute  tourné  la  tète,  toute  paie 
encore  de  son  émrdion,  se  livre  loul  de  suite  à 
mille  extravagances. 

Tandis  que  les  incroyables  si  bien  nommés, 
les  muscadins  de  la  jeunesse  dorée,  avec  leurs 
habits  à  grands  collets,  leurs  immenses  cra- 
vates et  leurs  gourdins  si  nécessaires  contre 
les  Jacobins  et  les  sectionnaires  terroristes, 
cherchaient  leurs  inspirations  dans  l'imitation 
des    mojjes    anglaises,    les    merveilleuses    se 


LA     REVOLUTION     ET    L  EMPIRE  187 

vouaient  toutes  à  l'antiquité.  Pendant  quelques 
années,  plus  de  Parisiennes,  rien  que  des 
Grecques  et  des  Romaines. 

Robes  étroites  sans  taille,  simples  fourreaux 
serrés  sur  le  sein  même  par  une  ceinture, 
courts  par  devant  pour  laisser  voir  le  pied,  un 
peu  traînants  par  derrière,  tel  est  le  vêtement 
des  merveilleuses.  On  ne  connaît  plus  que 
lantiquité.  G"est  un  recommencement. 

Dans  ce  passage  sombre  de  la  Terreur  on  a 
oublié  la  pudeur.  Ces  robes  à  Tathénienne  ne 
sont  que  de  simples  deuxièmes  cbemises,  —  ce 
qui  pourrait  passer,  n'étaient  les  bijoux,  pour 
un  symbole  de  la  pauvreté  de  ces  temps  de  ruine 
oîi  le  louis  d"or  valait  buit  cents  livres  en  assi- 
gnats, —  ce  sont  des  tuniques  d'un  linon  trans- 
parent, qui  plaquent  sur  le  corps  de  In  femme 
au  moindre  mouvement. 

De  plus  les  tuniques  diapbanes  des  grandes 
élégantes  ne  sont-elles  pas  fendues  sur  les 
cotés  à  partir  des  bancbes. 

Notre  Dame  de  Thermidor,  Thérèse  Cabarras 
devenue  la  citoyenne  Tallien,  est  la  Reine  de 
la  Mode,  elle  se  montre  à  Frascati.  ainsi  velue 


188  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

OU  plutôt  dévêtue,  sa  robe  à  l'athénienne 
fendue  latéralement  laissant  voir  ses  jambes 
dans  un  maillot  couleur  chair,  avec  des  cercles 
d'or  à  la  place  des  jarretières  et  des  cothurnes 
à  l'antique  et  des  bagues  à  chaque  doigt  de  ses 
pieds  de  statue. 

Dans  les  salons,  dans  les  jardins  d'été,  aux 
promenades,  cène  sont  plus  que  robes  à  l'an- 
tique ouvertes  en  haut  comme  en  bas,  portées 
avec  chemises  à  la  carthaginoise  ou  même 
sans  chemise  du  tout,  sandales  et  cothurnes 
attachés  par  des  bandelettes  rouges,  cercles 
d'or  enrichis  de  pierres  précieuses,  arrange- 
ments de  tuniques  et  péplums,  corsets-ceintures 
hauts  de  deux  doigts  seulement  sous  le  sein  et 
ornés  de  brillants. 

Les  robes  en  voltigeant  laissent  voir  les 
jambes  ou  même,  quand  elles  ne  sont  pas  ou- 
vertes sur  le  côté,  se  relèvent  au-dessus  du 
genou  au  moyen  d'un  camée  en  agrafe  et  mon- 
trent franchement  la  jambe  gauche. 

Très  peu  de  manches,  un  simple  bourrelet 
à  l'épaule,  ou  même  pas  de  manches  du  tout; 
des    camées   rattachent    les   épaulettes  de  la 


LA    REVOLUTION    ET    L EMPIRE 


189 


robe,  des  bracelets  nombreux  habillent  le  bras. 
Comme    il    était   impossible    d'adapter  des 


Merveilleuse. 

poches  à  ces  tuniques  si  légères,  à  ces  voiles 
si  minces,  les  dames  avaient  adopté  l'usage 
de  la  balanline  ou  du  réticule^  nom  ancien 
que  l'on  prononça  tout  de  ?>miQ  ridicule  —  d'un 
petit  sac  orné  de  paillettes  ou  de  broderie, 


VJO  M  LSI)  ami:  s     NUS     AÏEULES 


;iyniit  surtout  la  forme  d'uae  petite  sabrctache 
(le  hussard,  qu'elles  portaient  à  la  main  pour 
luellre  leur  bourse  ou  leur  mouehoir. 

Le  hihiiophilc  Jacob  raconte  (jue  dans  un 
sainn  dt'  la  Mode  sous  le  Directoire,  cnniuie  on 
se  pâmait  dadmiration  devant  un  de  ces  cos- 
tumes d'un  goût  si  réellement  antique  qu'il  n'y 
avait  plus  rien  au  delii.  sinon  les  modes  du 
Paradis  lei'reslre,  la  merveilleuse  (|ui  le  {»orlail 
paria  (piil  ne  })esait  pas  deux  livres.  La  j)reuve 
lut  faite,  la  dame  passa  dans  un  petit  boudoir 
rt  son  costume  tout  entier,  pesé  avec  les  bijoux, 
ne  dépassa  pas  de  bcaucouii  le  jxiids  d'une 
livre. 

Cette  dame  vêtue  à  l'athénienne  pouvait  se 
croire  même  très  habillée,  car  d'autres  tinu- 
vèrent  le  mnyen  de  l'être  encore  moins  et  pous- 
sèrent l'audace  jusqu'à  oser  s'exhiber,  ce  qui 
est  le  mot.  dans  le  costume  dit  à  la  Sauvagesse. 
(le  costume  à  la  sauvagesse  était  enc(jre  j)lus 
simple  }»uis(pril  ne  se  composait  que  d'une 
chemise  de  gaze  et  d'un  pantalon-maillot  rose 
orné  de  cercles  d'or. 

Des   femmes   se  pi'omenèi'cnt  aux  (iliam]js- 


A    IliVULUTIUN     ET    L  EMPIKE  JDl 


Elys(!^cs  (laii<  des  Iburrcaux  d'une  tmiispareiiee 
})res({iie  absolue,  ou  même  avec  les  seins  eum- 
plèlement  nus,  et  ces  femmes  n'étaient  nulle- 
ment d<'s  hétaïres  quelconques,  mais  des 
l'emmes  du  monde  officiel  d'alors,  des  amies 
de  Joséjdiine  de  Beauharnais  î 

Inconscience  i)lutôt  qu'impudeur,  accès  d*,' 
fulic.  |('(l(''lire  des  plaisirs  après  la  folie  furieuse 
<'t  le  délire  du  sang  ! 

(les  merveilleuses  qui  avaient  bravé  la  liuil- 
lotine  Ijravaient  la  maladie.  Pleurésies  et 
tluxions  de  poitrine  frappaient  pourtant  ces 
folles  élégantes  au  sortir  des  bals  et  des  salons, 
quand  après  la  danse  elles  partaient  à  peiiu' 
couvertes  dans  le  froid  de  la  nuit,  par-dessus 
leur  quasi-nudité,  d'un  mince  tichu  ou  d'un 
scliall  large  comme  une  écharpe. 

Ces  merveilleuses  demi-nues  qui  prcnaieid 
leurs  modes  à  Athènes  copiaient  aussi  leurs 
coiffures  sur  celles  des  statues  grec(iues  et 
portaient  les  cheveux  frisottés  dans  un  réseau, 
les  tresses  et  les  nattes  piquées  de  bijoux. 
Mais  la  vogue  fut  surtout  pour  les  perru<iues 
blondcsi   M"""  Tallicn  en  avait  jusqu'il  trente. 


192  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

de  toutes  les  nuances  du  blond.  Ces  perruques 
blondes,  légèrement  poudrées,  les  Jacobins  les 
avaient  abhorrées  et  proscrites  ;  après  thermidor 
elles  triomphaient  et  devenaient  le  symbole  de 
sentiments  contre-révolutionnaires. 

Les  coiffures  à  la  victime  ou  à  la  sacrifiée 
eurent  aussi  leur  temps  de  succès,  on  relevait 
les  cheveux  par  derrière  et  on  les  ramenait  en 
mèches  folles  sur  le  front  ;  cette  coiffure  de 
guillotine,  complétée  par  un  terrifiant  ruban 
rouge  autour  du  cou,  par  un  chàle  également 
rouge  jeté  sur  les  épaules,  était  indispensable 
pour  se  rendre  au  fameux  et  macabre  Bal  des 
Victimes,  dont  l'entrée  n'était  permise  qu'aux 
danseurs  ou  aux  danseuses  pouvant  justifier 
d'un  ascendant  ou  de  quelques  proches  parents 
morts  sur  les  échafauds  de  la  Terreur. 

Paole  d'honneu  victimée,  ces  dames  sont 
déliantes!  disent  les  incroyables  à  chaque  nou- 
velle invention  plus  délicieuse  et  plus  antique 
des  couturières  à  la  mode,  M"^*^  Nancy  et 
M""*^  Raimbaut,  qui  sont  des  modistes  très  éru- 
dites  et  très  artistes,  qui  se  font  aider  par  les 
sculpteurs  pour   trouver  des   manières  de   se 


PREMIER  EMPIRE. 


LA    RÉVOLUTION    ET    l'eMPIRE  193 

draper  toujours  plus  grecques  et  des  plis  encore 
plus  romains. 

Les  modes  romaines   un  peu  moins  légères 
ont  été  adoptées  par  les  dames   que  la  trop 


Coiffure  à  la  Titus. 


grande  transparence  des  tuniques  à  la   Flore 
ou  à  la  Diane  effraie  un  peu. 

Les  robes  à  la  romaine  sont  portées  par  les 
dames  du  monde  officiel  qui  se  croient  tenues 
à  un  peu  de  réserve,  mais  les  deux  mondes 
fusionnent.  Athéniennes  légères  et  frivoles, 
débris  de  l'ancienne  société  et  parvenus  de  la 
nouvelle,  fournisseurs  des  armées  ou  spécula- 
is. 


194  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

leurs  subitement  enrichis,  muscadins  et  mus- 
cadines,  victimes  et  bourreaux,  jeunesse  dorée, 
armée,  politique,  finances,  tout  cela  forme, 
après  la  grande  secousse,  le  plus  incroyable 
des  mélanges,  et  tout  cela,] malgré  les  misères 
présentes,  l'avenir  incertain,  s'agite  dans  l'épa- 
nouissement du  bonheur  de  vivre  après  la 
grande  tuerie. 

Soudain  la  mode  a  décrété  la  fin  des  per- 
ruques blondes  et  la  coiffure  à  la  Titus  obliga- 
toire pour  toutes  les  élégantes  ;  les  belles  du 
Directoire  rejettent  ces  épaisses  perruques  et 
sacrifient  aussi  leur  chevelure  personnelle. 
Presque  plus  de  cheveux  ou  le  moins  possible! 

«  La  coiffure  à  la  Titus,  dit  la  Mésangère  dans 
«  le  Bon  Genre^  moniteur  officiel  de  la  mode, 
«  consiste  à  se  faire  couper  les  cheveux  près 
tt  de  la  racine  pour  rendre  à  la  tige  sa  raideur 
a  naturelle  qui  la  fait  croître  dans  une  direc- 
«  tion  perpendiculaire.  »  Merveilleuses  et  mus- 
cadins sont  tous  coiffés  à  la  Titus,  tous  tondus 
avec  quelques  mèches  très  longues  en  désordre 
sur  le  front. 

Il  y  a  encore  un  autre  type  de  Merveilleuse 


LA    REVOLUTION    ET    L  EMPIRE  195 

du  Directoire,  c'est  la  Merveilleuse  à  la  Carie 
Vernet,  légèrement  vêtue  encore,  se  serrant 
dans  un  mince  jupon  plaquant  de  couleur  fifi 
pâle  effarouché^  mais  portant  au-dessus  d'un 
corsage  si  petit  qu'il  est  invisible,  au-dessus 
des  seins  nus,  le  cou  engoncé  dans  les  plis  et 
replis  d'une  formidable  cravate,  tout  comme 
son  pendant  l'élégant  Muscadin,  et  sous  son 
grand  chapeau  à  plumes,  la  figure  encadrée 
comme  la  sienne  de  longues  mèches  pendantes 
en  oreilles  de  chien. 

C'est  ainsi  qu'à  l'aurore  de  notre  siècle  sont 
habillées  et  coiffées  les  élégantes.  Pendant  le 
Consulat  et  les  premières  années  de  l'Empire, 
elles  vont  rester  les  Merveilleuses,  un  peu,  — 
oh,  pas  beaucoup,  —  plus  vêtues  que  sous  le 
Directoire. 

Ce  sont  toujours  les  mêmes  robes,  souvent 
transparentes,  le  décolletage  règne  souverai- 
nement malgré  les  saisons.  Les  femmes  d'alors 
vont  poitrine  décolletée  et  bras  nus  dans  la  rue 
comme  celles  d'aujourd'hui  au  bal.  C'est  leur 
champ  de  bataille.  Pour  lutter  contre  le  froid 
elles  ont  les  écharpes,  les  châles,  —  le  commen- 


196 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


cernent  des  fameux  cachemires  qui  jouent  un  si 
grand  rôle  dans  la  première  moitié  de  notre 
siècle.  On  a  inventé   des  vêtements  particu- 


.-Oy: 


;^^ 


Sous  le  Consulat. 


liers,  comme  la  petite  veste  de  hussard  qui 
vers  Tan  YIII  se  passe  par-dessus  le  corsage 
décolleté  et  encadre  les  épaules  de  sa  fourrure, 
ou  le  spencer,  autre  veste  bien  moins  gracieuse. 


LA    RÉVOLUTION    ET    l'eMPIRE  197 

Les  célèbres  portraits  de  Josépliiiie  de  Beau- 
harnais  par  David,  et  de  M'^^^  Récamier  par 
Gérard,  allongées  sur  des  lits  de  repos  à  l'an- 
tique, nous  montrent  deux  belles  Romaines 
du  temps  des  empereurs,  plutôt  que  des  Fran- 
çaises d'il  n'y  a  pas  cent  ans.  Elles  étaient 
pourtant  habillées  ainsi,  les  élégantes  des  salons 
du  Directoire,  les  belles  Parisiennes  qui  fai- 
saient cercle  autour  de  Garât  chantant  ses 
romances,  ou  qui  dansaient  avec  le  beauTrénitz 
la  gavotte  ou  la  «  loalse  »  alors  dans  toute  sa 
nouveauté. 

Yoilà  que  les  coiffures  à  la  Titus  ne  sunt 
plus  de  mode  en  1803  ou  1804,  c'est  vieux, 
c'est  province.  Et  les  cheveux  qui  ne  se  sont  pas 
empressés  de  repousser  immédiatement  après  le 
changement  de  goût  !  Les  dames  regrettent 
leurs  belles  tresses  blondes,  brunes  ou  rousses 
et  sont  bien  forcées  de  recourir  aux  tours  de 
tête  et  aux  postiches  pour  montrer  de  nouveau 
de  grandes  boucles  ou  pour  s'arranger  des 
grands  chignons  étrusques  avec  nattes  enrou- 
lées. 

C'est  un  vilain  moment  qui  commence  pour 


198  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

le  costume  féminin,  il  semble  que  la  mode, 
conquise  elle  aussi,  ait  gardé  toute  son  ima- 
gination gracieuse  pour  habiller  magnifique- 
ment, arranger,  soutacher,  broder,  passemen- 
ter,  empanacher,  dorer  les  innombrables  es- 
cadrons que  S.  M,  l'Empereur  et  Roi  allait  faire 
galoper  et  tournoyer  d'un  bout  de  l'Europe  à 
l'autre,  les  superbes  sabreurs  lancés  sur  les 
canons  et  les  baïonnettes  de  tous  les  peuples 
réunis. 

Salons  de  Frascati,  jardins  de  Tivoli  qui 
avez  vu  défiler  les  belles  du  Directoire  si  har- 
diment déshabillées  dans  leurs  tuniques  flot- 
tantes et  transparentes,  dans  leurs  fantaisies 
athéniennes  si  osées,  que  dites-vous  des  toi- 
lettes que  vous  voyez  porter  aujourd'hui  à  ces 
mêmes  femmes  ou  à  leurs  sœurs  cadettes,  que 
pensez-vous  de  ces  sacs  disgracieux  qu'elles 
appellent  des  robes,  de  ces  fourreaux  ridicules, 
de  ces  chapeaux  en  abat-jour,  de  ces  visières 
en  capote  de  cabriolet? 

Les  modes  masculines  ne  sont  pas  plus 
jolies.  Que  ceux  qui  ne  veulent  pas  consentir 
à  les  porter  s'engagent  dans  les  hussards!  Les 


LA    REVOLUTION    ET    L  EMPIRE 


199 


costumes  des  hommes  sont  laids  déjà,  comme 
ils  vont  l'être  de  plus  en  plus  dans  le  courant 
du  siècle. 

Mais  les  femmes!  voici  une  élégante  de  1810: 


Commencement    du  xix^  siècle. 


La  jupe  d'abord,  —  il  y  a  si  peu  de  corsage 
que  la  jupe  est  à  peu  près  tout  le  costume,  — 
la  jupe  de  percale  ou  d'étoffe  assez  commune 
commence  sous  les  bras  et  tombe  d'une  façon 


20)  MESDAMES     NOS     AÏEULES 

inélégante  jusqu'au  bout  des  pieds,  ou  bien  s'ar- 
rête assez  haut  au-dessus  des  bottines.  Quelques 
plissés, quatre  ou  cinq  rangs  de  garnitures  dé- 
coupées en  dents  de  scie,  quelques  volants  éta- 
ges ornent  assez  gauchement  le  bas  de  ces  jupes. 

Presque  pas  de  corsage,  la  ceinture  bride 
le  sein;  la  robe  n'a  pas  de  manches,  les  bras 
sont  nus  sauf  deux  gros  bourrelets  aux  épaules, 
les  épaules  sont  décolletées.  On  porte  des  ca- 
nezous  brodés  ou  bien  de  grandes  collerettes 
à  plusieurs  rangées  de  plis  tuyautés.  C'est  la 
seule  chose  assez  gracieuse  de  la  toilette,  encore 
arrange-l-on  souvent  ces  collerettes  d'une  assez 
lourde  façon,  pour  engoncer  plutùt  que  i^our 
orner. 

Quant  aux  chapeaux,  ils  sont  bien  souvent 
ridicules.  Comme  toutes  les  idées  sont  tournées 
vers  l'armée  et  la  guerre,  les  dames,  sur  ces 
toilettes  assez  baroques,  arborent  quelquefois 
des  espèces  de  casques  empanachés  et  enguir- 
landés, de  grands  chapeaux  en  forme  de 
shakos;  on  voit  même  de  vrais  casques,  dits  à 
la  Clorinde  qui  ont  l'intention  de  rappeler  les 
casques  des  chevaliers  des  Croisades. 


"^-■'^■I 


PARISIENNE  DE  1810. 


LA    RÉVOLUTION    ET    l'eMPIRE  201 

Un  moment  la  mode  est  aux  petits  bonnets, 
des  petits  serre-têtes  d'enfants  ornés  de  den- 
telles qui  donnent  aux  dames  des  airs  naïve- 
ment enfantins,  mais  le  triomphe  de   l'époque 


i 

Altendaat  les  Vainqueurs. 

ce  sont  les  grands  chapeaux  cabriolets,  les 
capotes  énormes  qui  s'allongent  démesuré- 
ment en  avant  de  la  figure  enfoncée  et  dissi- 
mulée au  plus  profond  de  l'armature.  Quelque- 
fois ces  capotes  en  cabriolet  se  compliquent 
d'un  grand  tube  de  haute  forme,  plus  haut 
que  le  plus  haut  de  tous  les  shakos  des  armées 
de  sa  Majesté. 


202 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


Et  pour   qu'elles   trouvent  le    moyen  d'être 
gracieuses   quand  même    là-dessous  et  d'être 


Grand  chapeau  Empire. 

adorées  par  tous  les  étincelants  officiers  qui 
s'en  viennent,  entre  deux  victorieuses  cam- 
pagnes, brûler  rapidement  leurs  cœurs  à  la 
flamme  de  leurs  yeux,  il  faut  que  les  femmes 
soient  vraiment  jolies. 


LA    REVOLUTION    ET    L  EMPIRE  203 

Pour  les  bals  et  soirées,  dans  les  salons  où 
papillonnent  les  beaux  officiers  à  côté  des  ci- 
vils rejetés  dans  l'ombre,  les  femmes  qui 
n'ont  pas  les  allures  triomphantes  des  Mer- 
veilleuses de  la  période  précédente,  mais  qui 
au  contraire,  sous  le  regard  des  guerriers  em- 
panachés, prennent  des  allures  de  colombes 
timides,  les  belles  ont  des  jupes  extrêmement 
courtes  ornées  de  bouquets  de  fleurs  et  laissant 
voir  le  bas  de  la  jambe  et  le  cothurne,  non 
plus  le  cothurne  antique  de  la  belle  Tallien, 
mais  un  cothurne  soulier,  attaché  aussi  par 
des  cordons  sur  la  cheville. 

Ces  belles  de  l'Empire,  ces  rêveuses  Malvinas 
en  robes  sacs,  qui  songent  aux  beaux  guerriers 
chargeant  là-bas  de  l'autre  côté  du  Rhin,  se 
coiffent  avec  leurs  tresses  massées  en  casques, 
ou  bien  à  la  Chinoise,  tous  les  cheveux  tirés 
en  l'air. 

Les  beautés  sérieuses  prennent  le  turban 
des  Turcs.  On  connaît  le  célèbre  portrait  de 
M™^  de  Staël  enturbannée,  les  salons  se  remplis- 
sent ainsi  d'odalisques  parisiennes  et  Ton  trouve 
leur  coiffure  charmante.  Après  cela,  qu'est-ce 


20^ 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


qu'une  jolie  figure  et  des  yeux  vifs  ou  langou- 
reux ne  sauraient  faire  passer? 

Ces  turbans  prennent  vite   des  proportions 
énormes  et  se  surchargent  de  gazes,  d'écharpes 


Robe  orientale  et  Turban. 


de  couleurs  variées  et  de  plumes,  ils  devien- 
nent sous  la  Restauration  Tapanagc  des  dames 
mûres  des  mamans  et  belles  mamans,  et  leur 
font  ces  figures  d'un  comique  extravagant 
que  nous  ne  pouvons  regarder  sans  rire  dans 
les  gravures  du  temps. 

Que  aire  aussi  des  spencers  qui  donnent   un 


LA    REVOLUTION    ET    L  EMPIRE 


205 


aspect  si  étriqué  à  ces  toilettes  déjà  peu  jolies 
de  ligues,  des  lourds  carricks,  des  redingotes 
fourrées  et  des  Yitchouras?  Les  fourrures 
sont  très  h  la  mode,  on  porte   astrakan,  mar- 


Chapcau  Empire. 


tre  OU  zibeline  en  vêtements   de  toutes   sortes 
et  en  pelisses  de  toutes  tailles. 

Tout  ce  monde  si  bizarrement  habillé,  toutes 
ces  femmes  dont  les  costumes  semblent  sépa- 
rés par  des  siècles  des  toilettes  du  xviii*^  siècle, 
des  falbalas  qu'ont  portés  leurs  mères,  s'agi- 
tent dans  un  décor  également  bien  différent 


206  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

de  celui  qu'inventèrent  les  artistes  et  les 
peintres  rococo. 

Sommes-nous  en  France  ou  en  Grèce,  ou  en 
Egypte,  en  Etrurie  ou  à  Palmyre?  Dans  quel 
siècle  vivons-nous,  le  xix^  après  l'ère  chré- 
tienne ou  avant?  Ce  décor  antique  donné  tout 
à  coup  à  la  vie,  date  du  Directoire,  ce  sont  les 
architectes  retour  de  Rome,  Percier  et  Fon- 
taine, qui  l'ont  implanté  dans  Paris  et  des  hô- 
tels des  personnalités  à  la  mode,  il  a  passé 
bien  vite  dans  les  maisons  de  la  classe  bour- 
geoise. 

On  s'habillait  à  la  grecque  et  à  la  romaine, 
avant  Percier  et  Fontaine,  le  costume  avait 
donc  précédé  l'architecture  et  influé  sur  la 
création  d'un  style. 

Est-il  rien  de  plus  élégant  qu'un  salon  qui 
ressemble  à  un  temple  grec  ou  qui  figure  un 
intérieur  de  tombeau  étrusque  ?  Garnitures  de 
cheminée  de  style  funéraire,  trépieds  imités 
de  Pompéï,  chaises  curules,  fauteuils  incom- 
modes mais  ornés  de  lions,  de  cygnes,  de 
cornes  d'abondance,  lits  gardés  par  des  sphinx, 
commodes  chargées  de  glaives, somnos  en  forme 


LA    REVOLUTION    ET    L  EMPIRE 


207 


de  cippe  funéraire  ou  d'autel,  tables  de  nuit  pom- 
péiennes, etc.  Partout  des  lignes  rigides,  des 
ornements  froids,  partout  des  palmettes,  des 
entrelacs  étrusques  ou  grecs,  voire  même  des 
motifs  égyptiens,  quand  l'expédition  d'Egypte 
mit  la  terre  des  Pharaons  à  la  mode. 

Il  fallait  avoir  dans  l'esprit  de  considérables 
ressources  de  gaîté  intérieure  pour  trouver  la 
vie  agréable  parmi  ces  formes  raides  et  dures, 
dans  ce  cadre  sévère,  solennel  et  antique,  dis- 
tillant une  maussaderie  et  un  ennui  très  mo- 
dernes. 


CoifiFure  Empire. 


Chapeau  1814. 


XI 


LA    RESTAURATION 
ET    LA   MONARCHIE    DE   JUILLET 


Manches  boufTantes,  manches  à  S'pOL  —  Les  colle- 
rettes. —  Modes  à  la  girafe.  —  Les  coilTures  et  les 
grands  chapeaux.  —  1830.  —  Epanouissement  des 
modes  romantiques.—  Les  derniers  bonnets.  — 1840. 
Chastes  bandeaux.  —  Modes  Juste-milieu. 


Sous  la  Restauration,  crannée  en  année,  les 
très  laides  et  inélégantes  modes  de  l'Empire 
s'améliorent  et  prennent  tin  peu  de  grâce. 
Probablement  la  mode  a   cessé  de  consacrer 


PARISIENNE  1814. 


LA    RESTAURATION  209 

a ■ 

toutes  ses  pensées  et  toutes  les  ressources  de 
son  génie  aux  beaux  houzards  et  aux  brillants 
aides  de  camp  des  armées  françaises.  Le  goût 
féminin  renaît. 

Les  costumes  vont  gagner  tous  les  jours, 
perdre  de  leur  raideur  et  leur  indécision, 
prendre  de  l'ampleur  ici,  s'alléger  là,  et  dès 
182o,  devenir  pour  une  dizaine  d'années,  tout 
à  fait  charmants. 

Une  grâce  aimable  et  distinguée,  une  ex- 
quise originalité,  une  élégance  souple  et  natu- 
relle, de  belles  ondulations  de  jupes,  des  coif- 
fures extrêmement  seyantes,  très  trouvées,  les 
modes  de  ce  temps-là  sont  vraiment  délicieuses, 
et  la  femme  de  1830  a  droit  à  une  belle  place 
de  choix  dans  les  évocations  des  élégances 
d'antan,  parmi  les  plus  charmantes  figures  du 
passé. 

Plus  tard,  quand  notre  pauvre  xix'^  siècle 
aura  glissé  avec  les  autres  dans  le  gouffre  qu'il 
peut,  hélas,  entrevoir  déjà,  quand  les  belles 
d'aujourd'hui  seront  à  leur  tour  devenues  des 
aïeules,  lorsqu'on  songera  à  se  figurer  les 
femmes  de  notre  siècle,  c'est  avec  les  toilettes 

14 


210  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

de  1830,  pour  la  première  moitié,  et  de... 
mettons  90...  pom^  la  seconde  moitié,  qu'on  se 
les  représentera. 

C'est  la  bonne  époque,  les  dessins  et  pein- 
tures d'alors,  des  Devéria,  Gavarni  et  autres, 
sont  là  pour  témoigner  de  la  grâce  des  toilettes 
portées  par  les  femmes  de  182o  à  183o,  de  la 
seconde  période  de  la  Restauration  aux  pre- 
miers temps  de  la  monarchie  de  Juillet,  i^endant 
le  grand  renouveau  des  idées  et  des  arts. 

Ah!  celles-ci,  nous  les  avons  connues,  elles 
nous  intéressent  plus  que  toutes,  ce  ne  sont 
pas  des  figures  vagues,  estompées  dans  le  re- 
cul des  siècles!  Nous  les  avons  connues...,  de- 
Venues  de  bonnes  et  charmantes  vieilles,  au 
visage  encore  encadré  de  boucles  comme  aux 
jours  d'autrefois,  mais  de  boucles  blanches, 
avec  des  lunettes  sur  ces  yeux  jadis,  paraît-il, 
vifs  et  rieurs ;.. 

Après  la  chute    de    l'Empire,    l'anglomanie* 
domine  pendant  quelques  années  dans  les  toi- 
lettes, et  aussi  un  peu  de  cosaquomanie;   les 
modes    parisiennes   sont    des    imitations    des 
modes  de  Londres;  mais  peu  à  peu  se  dégagent. 


LA    RESTAURATION 


211 


et  de  tâtonnements  en  tâtonnements,  arrivent 
à  réaliser  de  fort  jolis  types  de  toilettes. 


/^^)\^Î: 


C'est  encore  pendant  quelques  années  la  robe 
sac  ou  fourreau  de  parapluie  de  l'Empire,  avec 


212  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

des  essais  de  corsages,  des  tailles  placées  moins 
haut,  des  essais  de  manches  à  gros  bouillons, 
et  des  chapeaux  plus  ou  moins  gracieux  de 
formes  tout  à  fait  bizarres  et  toujours  vastes 
de  proportions,  des  chapeaux  au  fond  desquels 
assez  souvent  la  figure  se  dissimule  presque 
complètement. 

Le  grand  luxe  revient  pourtant  avec  la  tran- 
quillité, avec  le  repos  qu'on  n'a  pas  connu  de- 
puis vingt-cinq  ans,  avec  la  cour,  dans  les 
salons  qui  ont  retrouvé  l'éclat  de  jadis,  et 
qui  ne  sont  plus  seulement  des  petites  réunions 
de  mécontents  ou  de  simples  parlottes,  comme 
autrefois,  discutant  la  dernière  victoire  ou  le 
dernier  revers  de  l'Empereur,  unique  sujet 
de  conversation  entre  deux  parties  de  whist. 

Reprenons  quelques-uns  des  vieux  verres  de 
la  grande  lanterne  magique  que  le  temps  fait 
passer  si  rapidement  et  voici  les  élégantes  de 
la  Restauration,  les  belles  romantiques  et  les 
lionnes  de  la  monarchie  de  Juillet. 

La  robe  de  gros  de  Naples  blanc,  avec  des 
Volants  jaunes  au  bas  de  la  jupe  élargie,  la 
même  garniture  en  pèlerine  sur  les  épaules, 


LA    RESTAURATION 


213 


des  manches   à  gigot,    —   elles   viennent   de 
naître  et  triomphent  concurremment  avec  les 


Toilette  de  soirée  Restauration, 


manches  à  l'éléphant  et  les  manches  à  l'imbé- 
cile, —  collerette  tuyautée,  grand  chapeau  de 


214  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

paille  de  riz  avec  rubans  de  satin  et  panaches  de 
grandes  plumes. 

Jupes  élargies  garnies  de  bouillonnes  de  gaze 
et  de  coques  de  satin,  de  volants  et  d'entre- 
deux  de  dentelles,  canezous,  jupes  écossaises, 
grands  chapeaux  décoratifs  ornés  de  gros  bou- 
quets de  fleurs,  —  ces  chapeaux  de  M™''  Her- 
bault  dont  les  chroniques  et  les  romans  d'alors 
coifl*ent  toutes  les  belles,  —  immenses  gants 
habillant  tout  le  bras... 

Cette  dame  qui  joue  rêveusement  de  la  harpe 
dans  une  soirée  élégante,  les  épaules  drapées 
dans  une  écharpe  de  gaze  rayée,  est  coifl'ée 
d'un  grand  béret  ({ui  va  bien  à  son  profd  poé- 
tique; en  sortant  du  salon,  elle  s'enveloppera 
dans  une  rotonde  ou  dans  un  de  ces  vastes 
manteaux  de  drap  à  palatine  découpée,  à 
grand  collet  et  doublure  de  fourrures,  pen- 
dant que  Monsieur,  le  monsieur  à  toupet  frisé, 
habit  bleu  à  boutons  d'or  et  pantalon  collant, 
endossera  son  carrick. 

Pour  Tété,  pour  la  campagne,  pour  la  pro- 
menade, pour  aller  consulter  le  sorcier  de  Ti- 
voli, canezous  d'organdi  ruches  de  tulle,  grands 


LA    RESTAURATION  215 

chapeaux  de  paille  avec  d'immenses  rubans 
dressés. 

Pour  le  théâtre,  pour  les  sorties,  pour  tous 
les  temps  frais,  on  aies  boas,  ces. boas  que 
nous  venons  tout  récemment  de  voir  revenir  et 
qui  sont  l'occasion  de  si  jolis  mouvements. 
Les  serpents  de  fourrure  s'enroulent  sur  les 
épaules  nues  et  sertissent  chaudement  et  vo- 
luptueusement les  fraîches  carnations. 

En  1827,  pour  célébrer  l'arrivée  de  la  pre- 
mière girafe  au  jardin  des  Plantes,  toute  la 
mode  est  à  la  Girafe, 

Ce  qui  reste  de  ces  modes  à  la  Girafe,  c'est 
le  grand  peigne  d'écaillé  qui  se  place  tout  en 
haut  de  la  tête  au  sommet  de  l'édifice.  Les 
coiffures  sont  très  hautes,  les  cheveux  se  re- 
lèvent en  plusieurs  coques  serrées  avec  un  en- 
cadrement de  boucles  tombantes  autour  du 
visage,  partagées  irrégulièrement,  trois  d'un 
côté,  quatre  de  l'autre... 

Elle  est  charmante,  l'élégante  de  1830  en 
costume  de  soirée,  avec  le  complet  épanouis- 
sement des  manches  à  gigot,  ses  épaules  émer- 
geant d'une  ligne  de  fine   dentelle,   sa  nuque 


216 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


bien  découverte  sous  le  grand  peigne  d'écaillé 
planté  triomphalement  dans  les  masses  blon- 
des ou  brunes,  tordues  et  réunies  au  sommet 
de  la  tête. 

Dans  la  rue  ou  sur  les  boulevards,  aux  prome- 


0%) 


^^ 


Chapeau  ISilO, 


nades,  aux  Champs-Elysées,  elle  est  décolletée 
encore  et  se  drape  sans  se  cacher  dans  un  petit 
châle  porté  coquettement. 

Revenons  un  peu  sur  le  chapitre  des  coif- 
fures ;  ce  n'est  pas  le  moins  important,  il 
peut  se  subdiviser  en  sous-chapitres  :  les  toques 


i 


^ 


UNE  ÉLÉGANTE  AUX  CHAMPS-ELYSÉES.  RESTAURATION. 


LA    RESTAURATION 


217 


et  bérets   chevaleresques  et  Ossianiques,   les 
bonnets  et  turbans,  et  enfin  les  chapeaux, 
C'est  un  poète  qu'il  faudrait  pour  célébrer 


Béret  de  ^dZ:. 


dignement  la  grandeur  et  pleurer  la  décadence 
du  chapeau  féminin.  Sous  la  Restauration,  jus- 
qu'en 1835,  c'est  la  gloire  et  le  triomphe  du 
chapeau  ;  il  plane  superbement  sur  la  tête  des 
dames,  il  fait  voltiger  ses  plumes,  il  balance 


218  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

gracieusement  ses  rubans,  ses  coques  et  ses 
immenses  nœuds  de  satin. 

Parti  des  tromblons  ou  des  shakos  sans 
grâce  de  l'Empire,  des  tubes  enfermant  la  figure 
au  fond  d'un  corridor  obscur,  il  s'est  modifié 
peu  à  peu,  il  s'est  élargi,  il  s'est  ouvert.  On  le 
campait  tout  droit  sur  la  tête;  maintenant,  il 
se  pose  gentiment  de  côté  sur  les  cheveux 
roulés  en  grosses  boucles  irrégulières.  La 
nuque  bien  dégagée  apparaît  dans  toute  sa 
coquetterie,  les  épaules  se  montrent  aussi  à 
l'ombre  d'un  grand  chapeau  car  les  robes  sont 
largement  décolletées  et  les  jolies  collerettes 
tuyautées  ne  les  surmontent  pas  toujours. 

C'est  le  moment  du  triomphe  pour  le  cha- 
peau, mais  la  décadence  viendra  vite,  les  bords 
roulés  en  cornet  ou  en  corridor  reprendront, 
on  supprimera  rubans  et  panaches,  on  enfer- 
mera la  figure  tout  ou  fond  du  corridor  et  le 
cou  sous  d'immenses  et  disgracieux  bavolets. 
Nous  irons  ainsi  de  lamentables  inventions  en 
créations  baroques  et  inélégantes  jusqu'au 
petit  chapeau  bibi  fermé,  du  second  Empire, 
jusqu'au  ridicule  chapeau  assiette  de.  1867. 


LA    RESTAURATION 


219 


Mais  la    réaction  en  sens  inverse  est  com- 


Lcs  grands  Chapeaux  Restauration. 


mencée,  nous  avons  pu  revoir  en  ces  dernières 
années  de  vraiment  gracieuses  coiffures. 
La  femme  d'alors   dans  Tintimité  ne   craint 


220  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

pas  les  grands  bonnets  coquettement  chiffon- 
nés, vastes  comme  les  chapeaux,  avec  un  fond 
relevé  très  haut  pour  contenir  le  grand  peigne 
avec  des  ébouriffements  de  dentelles  et  de 
rubans  autour  de  ses  boucles  ou  de  ses  an- 
glaises. C'est  le  dernier  temps  d'élégance  des 
bonnets,  ensuite,  hélas!  il  n'y  aura  plus  de 
beaux  bonnets  qu'aux  champs,  tant  que  dure- 
ront les  majestueux  hennins  des  Normandes 
ou  les  coiffes  voltigeantes  si  variées  des  femmes 
de  Bretagne. 

Après  ces  jolis  bonnets  de  boudoir  des  lion- 
nes de  1830,  la  décadence  du  bonnet  commence. 
Il  est  encore  joli,  le  bonnet  capricieusement 
tuyauté  sur  la  tète  des  petites  modistes  ou 
grisettes  au  nez  fùté  de  Parisienne,  aux  yeux 
éveillés  et  railleurs;  c'est  d'ailleurs  la  coiffure 
légère  qu'elles  font  si  légèrement  voltiger 
métaphoriquement  par-dessus  les  plus  hauts 
moulins,  mais  ensuite  le  bonnet  des  grisettes 
devient  la  coiffure  sans  grâce  de  grosses 
boutiquières,  enfin,  chute  complète,  le  bonnet 
devient  portière... 

Vive,  légère,  enjouée,  dans  l'ondulation  de 


LA    MONARCHIE    DE    JUILLET 


ses  larges  jupes  et  le  flou  de  ses  monumen- 
tales manches  à  gigot,  l'élégante  de  1830  s'en 
va  éblouir  les  boudoirs  de  la  chaussée  d'Antin 


;t 


Bonnet  d'intérieur. 


et  les  promenades  fashionables,  les  Champs- 
Elysées  ou  Longchamps  et  faire  palpiter  le  cœur 
des  dandys  engoncés  dans  leurs  hauts  collets 
d'habits.  Sous  son  grand  chapeau  hérissé   de 


MESDAMES     NOS    AÏEULES 


touffes  de  plumes  et  de  rubans,  elle  disparaît 
quand  elle  veut,  un  simple  mouvement  du  cou 
et  la  voilà  dissimulée  au  fond  de  cette  coiffure 
de  strict  incognito. 

Elle  galope  aussi  au  bois  de  Boulogne  dans 
son  amazone  de  couleur  à  manches  à  gigot, 
ornée  de  torsades  ou  de  brandebourgs,  ou  bien 
égayée  par  un  blanc  canezou... 

Plus  tard  par  malheur,  elle  osera  porter,  à 
la  campagne  pour  ses  promenades  équestres,  à 
la  place  de  son  large  chapeau  à  grand  voile 
voltigeant,  la  casquette,  la  hideuse  casquette, 
honte  du  xix*^  siècle. 

Il  faut  voir,  aux  loges  des  théâtres  à  la 
mode,  les  rangées  de  jolies  femmes  décolle- 
tées, dans  les  corsages  ouverts  en  pointe  jusqu'à 
la  taille  sur  une  large  chemisette  brodée,  les 
parements  du  corsage  revenant  sur  les  épaules 
et  les  manches,  —  les  boas  enroulés,  les  ac- 
croche-cœurs et  les  boucles,  les  cheveux  tor- 
dus et  dressés  de  cent  façons  différentes  et 
compliquées,  avec  des  fleurs,  des  peignes,  des 
pointes  de  satin... 

Les  belles  romantiques,  dit-on,  arborent  à 


LA    MONARCHIE    DE    JUILLET 


223 


l'eiivi  des  toilettes  plus  moyen  âge  les  unes 
que  les  autres.  Elles  avaient  pour  nourriture 
d'esprit   après    les    troubadours    du    vicomte 


Amazone    1830. 


d'Arlincourt,  après  Ossian,  Byron  et  Walter 
Scott,  les  tirades  passionnées  et  farouches  des 
grands  drames  d'alors,  Hernani^  la  Tour  de 
Nesle,  Lucrèce  Borgia,  les  vers,  les  romans, 
les  chroniques  de  tous  les  romantiques,  de  tous 
les  jeune  France.  Et,  sous  l'ceil  fulgurant  des 
barons  et  des  bandits  gothiques,  elles  s'effor- 


22^ 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


çaient  d'être  le  plus  moyen  âge  possible  dans 
leurs  ajustements. 

Mais,  au  théâtre  même,   le  moyen  âge  était 


Coiffure  à  la  Chinoise.  1830. 


très  1830,  les  héroïnes  de  ces  drames  flam- 
boyants, Isabeau,  Marguerite  de  Bourgogne 
ou  Belle  Ferronnière,  malgré  les  recherches 
de  couleur  locale,  montrent,  tout  comme  les 
spectatrices,  les  inévitables  manches  à  gigot, 
et    au   fond   en  voulant    se   montrer  moven- 


TOILETTES  D'INTÉRIEUR  1830. 


LA    MONARCHIE    DE    JUILLET 


225 


âgeuses,  les  belles  de  1830  restent  surtout  1830. 
Hélas,  hélas,  ces  modes  d'une  si  jolie  désin- 
volture, ces  modes  à  panaches,  d'une  élégance 


Grand  Chapeau  et  Coller  ette. 

truculente,  pour  employer  l'idiome  d'alors,  ces 
modes  passent.  La  réaction  bourgeoise  anti- 
pittoresque, qui  commence  dans  les  arts, 
triomphe  bien  plus  rapidement  dans  les  toi- 
lettes. Au  bout  de  quelques  années,  les  modes 
se  sont  assagies,  faut-il  dire  le  gros  mot?  Dès 

15 


226  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

1835  OU  36,  la  mode,  Tex-mode  poétique^ 
romantique,  cavalière,  se  fait  juste  milieu  et 
épicière,  épouse  de  garde  national,  pour  tout 
dire  ! 

La  mode  en  1835  a  déjà  perdu  ses  grâces  et 
tourné  à  la  gaucherie  en  exagérant  disgracieu- 
sement  les  caractéristiques  de  1830.  Ce  ne  sont 
plus  les  femmes  de  Dévéria  et  de  Gavarni,  ce 
sont  celles  de  Grandville. 

Les  jupes  sont  larges  comme  des  cloches  et 
sans  ornements,  en  simple  mousseline  blanche 
ou  imprimée  de  petits  dessins  bébêtes  comme 
ceux  des  papiers  de  tenture  de  l'époque.  Les 
manches  sont  d'énormes  gigots  boursouflés 
mais  flasques  qui  pendent  très  bas,  très  bas, 
sur  de  tout  petits  poignets;  les  corsages  sont 
recouverts  d'immenses  pèlerines  ornées  de 
broderies  et  dentelles,  tombant  plus  bas  que 
la  taille.  Mettez  sur  la  tête  un  grand  chapeau 
de  paille  d'Italie  ou  de  paille  de  riz,  fermé  et 
bridé  sous  le  menton,  et  vraiment  l'ensemble 
n'est  pas  très  séduisant. 

Voyez  les  héroïnes  de  1830,  dix  ans  après, 
en  1840;  considérez  tristement  ces  jupes  sans 


LA    MONARCHIE    DE    JUILLET 


227 


lignes  et  sans  ornements,  ces  manches  hési- 
tantes, gardant  un  peu  de  l'ampleur  des  gigots, 
juste   assez  pour  être  disgracieuses,  ces  cor- 


Toilelte  d'intérieur. 


sages  quelconques,  ces  chapeaux  dépourvus 
d'allure,  simples  capotes  attachées  sous  le 
menton  par  des  brides  sans  grâce. 

Les  coiffures  n'ont  plus  les  belles  audaces 
d'autrefois,  ce  sont  des  coiffures  en  bandeaux 


228 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


plats,  qui  encadrent  froidement  et  durement  le 
visage,  ces  chastes  bandeaux,  comme  on  disait 
alors,  qui  tuent  presque  toute  grâce  et  toute 


Toilette  romantique. 


beauté  —  ce  sont  les  anglaises,  les  longues 
boucles  tombant  comme  un  feuillage  de  saule, 
qui  donnent  une  mine  pleurnicharde  aux 
figures  féminines  les  plus  enjouées.  La  mode 


LA    MONARCHIE    DE    JUILLET 


229 


devient  de  plus  en  plus  triste  et  de  plus  en 
plus  laide  à  la  fin  de  la  monarchie  de  juillet. 
Plus  de  goût  du  tout,  c'est  le  comble  de  la 
banalité  et  de  la  platitude. 

Il  y  a  un  mouvement  qui  porte  les  modes  à 


1830. 


toujours  aller  du  plus  large  au  plus  étroit  et 
toujours  à  revenir  du  plus  étroit  au  plus  large. 
C'est  une  loi.  De  même  pour  les  coiffures,  on 
va  et  on  ira  toujours  du  plus  petit  au  plus 
vaste  et  du  plus  vaste  au  plus  petit,  avec  une 
régularité  parfaite. 


230 


MESDAMES    NOS    AÏEULES 


Après  les  paniers  Louis  XV  et  Louis  XVI,  on 
est  allé  aux  jupes  collantes  du  Directoire,  la 
plus  simple  expression  des  jupes,  après  laquelle 
il  n'y  a  plus  que  la  suppression.  Des  robes 
fourreaux  de  l'Empire,  on  est  venu  par  degrés 
à  l'ampleur  et  l'on  va  regagner  sous  le  second 
Empire  le  grand  maximum  de  largeur  avec  la 
troisième  restauration  du  vertugadin  sous  le 
nom  de  crinoline. 


1835. 


^  u-«s^"^ 


l84o. 


XII 

ÉPOQUE   MODERNE 

1848.  —  Desrévokilions  partout,  excepté  dans  le  royaume 
de  la  mode.  —  Règne  universel  de  la  crinoline.  — 
—  Les  châles  cachemire.  —  Talmas,  burnous,  pince- 
tailles. —  Modes  de  plages.  —  Robes  courtes.  — Saute- 
en-barque.  —  Jupes  larges  et  jupes  étroites.  —  Les 
modes  collantes.  —  Poufs  et  tournures.  —  Modes 
Valois.  —  Erudition  plus  qu'imagination.  —  On  de- 
mande une  mode  fin  de  siècle. 


La  Révolution  de  48  n*a  aucune  action  sur 
les  modes,  elle  ne  lance  pas,  comme  la  pre* 
mièrCj  la  toilette  dans  des  voies  nouvelles.  En 


232  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

ce  temps  de  bouleversement,  quand  toute  l'Eu- 
rope semble  gagnée  par  l'esprit  de  révolution, 
lorsque  tant  de  rêves  plus  ou  moins  beaux, 
plus  ou  moins  fous,  brûlent  le  cerveau  conges- 
tionné des  peuples,  la  mode  à  qui  pourtant  un 
petit  grain  de  folie  serait  certainement  permis, 
se  conduit  en  personne  sage  et  prudente. 

Les  toilettes  continuent  à  se  montrer  émi- 
nemment bourgeoises;  on  croirait  que  c'est 
jyjme  Prudhomme  qui  donne  le  ton. 

Les  tristes  et  mesquins  chapeaux  en  petit 
cabriolet,  fermés  sous  le  menton  avec  de  petites 
brides,  régnent  sans  conteste,  il  n'y  a  pour 
ainsi  dire  qu'une  forme  unique,  à  bavolet,  sans 
autres  ornements  que  des  rubans  sans  grâce. 
La  robe  n'a  pas  la  moindre  ornementation 
non  plus,  le  corsage  est  très  long,  la  jupe 
droite.  Sur  ces  toilettes  plates  on  porte  au 
dehors  des  mantelets  et  des  châles. 

Ce  sont  ces  toilettes,  très  sobres  et  très 
effacées,  que  le  second  Empire  va  trouver  à 
ses  débuts  et  qu'il  transformera  peu  à  peu  en 
un  costume  à  grand  fla-fla  trè&  compliqué,  très 
chargé  et  surchargé,  mais  plus  que  discutable 


PARISIENNE  1835. 


ÉPOQUE    MODERNE  233 

comme  goût  et  même  tout  à  fait  dépourvu  de 
style,  sauf  dans  quelques  trouvailles  heu- 
reuses qui  ne  durèrent  pas,  vers  1864. 

La  grande  pensée  du  règne,  —  côté  modes, 
—  la  grande  innovation  qui  va  donner  le  la 


Chapeau  1848. 

aux  toilettes,  c'est  la  crinoline,  —  honnie, 
attaquée,  vilipendée  par  vaudevillistes,  jour- 
nalistes, caricaturistes,  par  les  maris,  par 
tout  le  monde,  c'est  la  crinoline  triomphante 
de  toutes  les  clameurs,  de  toutes  les  moqueries, 
comme  de  tous  les  justes  reproches: 

On  peut  bien  dire  que  sous  l'Empire  la 
femme  a  tenu  trois  ou  quatre  fois  plus  de  place 
dans  le  monde  —  au  moins  en  circonférence 


234  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

—  qu'aux  époques  précédentes,  plus  même  que 
sous  Louis  XV  de  peu  vertueuse  mémoire,  la 
crinoline  ayant  régné  bien  plus  despotiquement 
que  les  paniers,  puisque  les  femmes  de  toutes 
classes  durent  l'adopter  et  que  les  filles  des 
champs  ne  se  crurent  pas  habillées  le  dimanche 
à  moins  de  ballonner  comme  les  dames  de  la 
ville  avec  la  cage  en  cercles  d'acier. 

Les  tournures  et  les  jupons  bouillonnes  en 
étoffe  de  crin  ont  habitué  peu  à  peu  les  yeux 
à  l'élargissement  des  jupes,  et  lorsque  la  cri- 
noline sans  armature  est  délaissée  pour  les 
cerceaux  en  ressorts  d'acier  et  pour  la  crinoline 
cage,  à  cercles  et  à  montants  d'acier,  les  dames 
trouvent  ce  ballonnement  charmant  et  la  cri- 
noline fait  le  tour  du  monde. 

Il  est  bien  inutile  d'insister  sur  ses  nom- 
breux inconvénients  qu'on  a  encore  dans  la 
mémoire,  sur  la  gêne  qu'elle  imposait,  mais 
au  point  de  vue  esthétique,  la  crinoline  doit 
être  solennellement  anathématisée,  excommu- 
niée, ridiculisée  à  jamais...  c'est-à-dire  jus- 
qu'au jour  où  elle  reviendra  sous  un  autre 
nom. 


EPOQUE    MODERNE 


235 


Il  est  vrai  que  les  jupes  s'arrondissant  en 
coupoles  flottantes  sur  ces  crinolines'si  décriées, 
et   que   tout  l'ensemble  de  la  toilette  étaient 


La  Crinoline. 


ornés  d'une  façon  lourde  et  gauche  de  petits 
détails  mesquins  appliqués  sur  de  tristes  étof- 
fes, tandis  que  les  paniers  du  xviii°  siècle  ont 
eu  pour  eux  une  ornementation   plus  artiste 


236  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

des  jupes  et  des  toilettes  taillées  dans  les  belles 
étoffes  à  ramages.  Leurs  exagérations  et  leurs 
ridicules  avaient  de  la  grâce,  tandis  que  les 
jupes,  à  crinoline  ne  rachetaient  par  rien  leur 
gauche  balonnement.  Un  peu  surfaites,  les 
suprêmes  élégances  de  l'Empire! 

Avec  ces  crinolines  boursouflées  et  envahis- 
santes, que  portent  toutes  les  femmes  du  second 
Empire,  on  peut  rappeler  le  talma,  le  burnous, 
manteau  algérien  assez  coquet,  \q?>  pince -taille 
en  soie  gros  grain  à  manches  pagodes,  —  oh  ! 
les  manches  pagodes  !  entonnoir  disgracieux 
et  incommode  compliqué  de  dentelles  ou 
d'effilés  ! 

Il  faut  noter  surtout  les  châles,  le  fameux 
cachemire  de  l'Inde  et  le  grand  châle  tapis. 

Le  châle,  dont  on  a  si  longtemps  célébré 
l'élégance  (?),  n'a  vraiment  quelque  grâce  que 
lorsqu'il  est  petit,  étroit  presque  comme  une 
écharpe,  et  lorsqu'il  est  porté  avec  irrégu- 
larité et  désinvolture.  Que  dire  du  grand  châle 
posé  sur  les  épaules  comme  sur  un  porte- 
manteau et  tombant  droit  en  dissimulant  la 
taille  et  la  toilette  de  la  femme,  sinon  qu'en 


ÉPOQUE    MODERNE  237 

réalité  ce  châle-manteau  est  un  vilain  vêtement 
et  qu'il  ne  va  tout  au  plus  qu'aux  fruitières 
endimanchées. 

On  peut  encore  signaler  les  capelines  parmi 
les  inventions  commodes,  et  les  vestes  zouaves, 


Chapeau  second  Empire. 

les  rouges  garibaldis  et  les  figaros,  parmi  les 
nouveautés  gracieuses  de  l'époque. 

Le  chapitre  des  chapeaux  n'est  pas  bien  bril- 
lant. Jusque  vers  1863,  ce  sont  toujours  les 
grandes  capotes  de  cabriolets,  avec  bavolets, 
avec  fleurs  dans  l'intérieur  de  la  passe  et  au- 
dessus;  cette  coifl'ure,  c'est  en  somme  le  grand 
chapeau  de  la  Restauration,  abîmé,  ridicule- 
ment arrangé,  finissant  tristement  ses  derniers 
jours. 


238  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Voilà  donc  le  luxe  elTréné  tant  reproché  aux 
femmes  par  le  président  Dupin,  dans  la  fa- 
meuse brochure  qui  fît  sensation  en  1865,  — 
le  luxe  débordant  les  jours  de  Grand  Prix  dans 
la  grande  Ville,  roulant  de  l'hippodrome  de 
Longchamps  tout  le  long  des  boulevards,  le 
luxe  qui,  paraît-il,  faisait  de  Paris  une  Byzance 
décadente,  scandalisait  Thonnète  bourgeoise 
en  petit  châle,  et  faisait  monter  le  rouge  aux 
joues  du  reste  de  la  vertueuse  Europe,  vouée 
encore  à  la  simplicité  naïve  et  pratiquant  le 
culte  de  sainte  mousseline  à  dix  sous  le  mètre. 

Effréné  peut-être,  ce  luxe  corrupteur  et 
effrayant,  mais  peu  artistique,  d'un  goût  mé- 
diocre et  donnant  à  très  grands  frais  l'im- 
pression du  clinquant. 

Bien  que  le  recul  ne  soit  pas  encore  suffi- 
sant pour  le  juger,  pour  apprécier  les  modes 
de  ce  temps  dans  leur  ensemble,  sans  se  lais- 
ser influencer  par  la  pointe  de  ridicule  qui 
s'attache  au  démodé,  il  semble  cependant 
qu'au  siècle  prochain  les  femmes  et  les  artistes 
le  jugeront  à  peu  près  ainsi.  Nous  ne  voyons 
pas  les  peintres  élégants  d'alors  ressuscitant 


EPOQUE     MODERNE  239 

dans  leurs  tableaux  les  modes  de  1860,  pour 
la  joie  des  mondaines  et  des  américains  ving- 
tième siècle. 

Cependant  la  vogue  des  bains  de  mer  qui  se 


Pince-taille. 

dessine  de  plus  en  plus  et  qui  deviendra  bien- 
tôt une  migration  annuelle  et  régulière  de  toute 
la  bourgeoisie  vers  les  plages  normandes  ou 
bretonnes,  cette  habitude  des  excursions  esti- 
vales amène  quelques  gracieux  changements 
dans  la  mode. 

Un  instant  vers  1864,  triomphe  la  mode  des 
robes  courtes  née  sur  les  plages  élégantes. 
Plus  de  jupes  traînantes,  ou  de  robes  longues  à 
larges  volants.  On  conserve  la  crinoline,  \m 


240  MESDAMES     NOS    AÏEULES 

peu  modérée  dans  son  envergure,  mais  on 
drape  et  on  arrange  les  jupes,  avec  des  relevés, 
des  plissés,  avec  une  grande  variété  d'orne- 
ments appliqués,  ornements  très  larges  d'un 
bon  effet. 

La  fantaisie,  étouffée  depuis  1830,  reparaît. 
Ces  très  cavalières  jupes  courtes  laissent  voir 
les  bottines  très  luxueuses  et  très  ornées,  les 
fines  petites  bottes  très  montantes  dont  on  fait 
sonner  les  hauts  talons.  —  Un  instant  même 
quelques  élégantes  des  plages  à  la  mode  pren- 
nent la  grande  canne  Louis  XIIL 

On  voit  aussi  de  jolis  vêtements  très  amples, 
à  larges  manches,  et  des  pardessus  dits  SaïUe- 
en-barqiœ.  Les  chapeaux  bien  différents  du 
cérémonieux  chapeau  fermé  et  très  crânement 
portés  un  peu  sur  le  côté,  sont  des  espèces  de 
coiffures  de  Toreros,  ornés,  de  gros  pompons 
ou  de  plumes.  La  coiffure  de  l'époque  est  basse, 
avec  un  crêpé  sur  le  front,  les  cheveux' tom- 
bant dans  le  dos  massés  dans  un  filet. 

Les  jupes  courtes,  si  gracieuses  avec  la  cri- 
noline, avec  les  hautes  ceintures  à  boucles,  et 
tous  les  ornements,  ganses  et  soutaches  dont 


MODES  DE  PLAGE  1864. 


KPOQUE    MODERNE 


241 


on  couvre  alors  le  costume,  sont  bientôt  vain- 
cues par  un  retour  offensif  des  robes  longues. 


rm:^^ 


ijranil  manteau  Empire. 

et  la  mode  perd  tout  de  suite  ses  allures  cava- 
lières. 

La  crinoline  elle-même  tombe  un  instant  en 
1867,  au  moment  des  jupes  plates  et  traînantes, 
des  corsages  péplums,  nés  dun  retour  de 
goijt  pour  la  tragédie,   dont  on  déclame  de^ 

16 


242  MESDAMES    NOS    AÏEULES 


fragments  au  Café-Concert,  au  moment  des 
petits  chapeaux  assiettes,  posés  sur  le  front 
devant  le  gros  chignon  relevé  en  boule,  coiffures 
que  viennent  compléter  les  rubans  flottant 
dans  le  dos  et  appelés  du  nom  expressif  de  : 
tt  Suivez-moi  jeune  homme.  » 

...  Et  la  bataille  continue  entre  les  jupes 
larges  et  les  jupes  étroites,  la  crinoline  a  battu 
de  l'aile  pendant  quelques  années  et  finalement 
elle  est  morte.  La  crinoline  à  grands  cerceaux 
est  maintenant  du  domaine  de  l'archéologie 
c'est  une  antiquité,  comme  le  panier,  comme  le 
vertugadin. 

Comme  on  voulait  encore  de  l'ampleur,  on 
l'a  remplacée  par  des  poufs,  de  très  volumi- 
neux paquets  d'étoffes,  relevés  par  derrière 
sur  les  jupes, 

Puis  sur  le  chemin  de  la  réaction  anti- 
crinolinienne,  on  a  été  en  diminuant  peu  à 
peu  la  largeur  des  jupes  jusqu'aux  robes  mou- 
lées sur  le  corps,  au  collant  qui  a  duré  deux 
ou  trois  ans,  vers  1880.  Les  modes  étaient 
alors  fort  jolies,  très  esthétiques.  Puis  un  petit 
soupçon  de  gonflement  s'est  produit,  on  s'est 


ÉPOQUE    MODERNE  243 

élargi  un  peu,  on  a  bien  vite  adopté  les  tour- 
nures.... 

Mais  cette  mode  des  robes  collantes  nous  a 
laissé  les  corsages  en  jersey  qui  moulent  très 
gracieusement  le  corsage  et  les  hanches.  Le 
jersey  vite  adopté  convient  admirablement  aux 
toilettes  de  promenade  et  de  campagne. 

Pendant  quelques  étés  d'un  bout  de  l'Europe 
à  l'autre,  sur  toutes  les  plages  d'Angleterre, 
de  France  et  d'ailleurs,  le  Jersey  fut  l'uniforme 
obligatoire;  femmes,  jeunes  filles,  enfants, 
garçons  ou  fillettes,  tous  furent  en  jerseys 
bleu  foncé,  agrémentés  d'ancres  d'or,  tous  en 
matelots.  Les  enfants  gardent  encore  ce  vête- 
ment gracieux  et  commode  et  voici  que  les 
hommes,  —  touristes  et  vélocipédistes  —  l'a- 
doptent. 

Le  temps  est  passé  des  édits  somptuaires  et 
des  gouvernants  légiférant  sur  le  luxe  pour 
enrayer  ses  débordements.  On  a  vu,  de  Phi- 
lippe le  Bel  à  Richelieu,  la  longue  série 
de  ces  édits;  avant  de  tomber  à  l'oubli,  ils 
furent  pourtant  presque  toujours  appliqués  ri- 


MESDAMES     NOS     AÏEULES 


goureusement  d'abord,  même  par  des  rois  qui 
mettaient  le  Trésor  à  sec  pour  les  somptuo- 
sités de  leur  cour,  comme  Henri  III  par  exem- 
ple, le  mignon  fanfreluche,  qui  lors  d'un  de 
ses  accès  de  répression  du  luxe  des  autres,  lit 
jeter  en  prison  au  fort  l'Évèque  en  un  seul 
jour  une  trentaine  de  femmes  et  non  des  moin- 
dres de  Paris,  coupables  d'avoir  bravé  les  pro- 
hibitions du  brocart  et  de  la  soie. 

Ce  temps  des  prohibitions  somptuaires.  des 
ordonnances  royales  sur  les  modes  n'est  plus. 
Dans  l'intérêt  général  de  l'industrie  et  du  com- 
merce, tout  ce  qui  peut  développer  le  grand 
luxe  doit  être  aujourdliui  recherché  et  favo- 
risé. 

C'est  le  petit  luxe  qui  devrait  être  au  con- 
traire réprimé  s'il  était  possible,  ou  plutôl  <iui 
aurait  dû  être  réprimé,  car  aujourd'hui  le  mal 
est  fait  et  parfait. 

Ah  !  si  la  mode  plus  puissante  que  les  rois 
et  les  ministres,  que  les  arrêts,  les  lois  et  les 
édits,  si  la  mode  dont  les  ordonnances  sont 
sans  appel,  avait  pu  décréterla  conservation  des 
anciens  costumes  féminins  de  nos  provinces. des 


EPOQUE    MODERNE 


245 


modes  locales  souvent  si  gracieuses,   des  élé- 
gances campagnardes,  auxquelles  la  ville  a  si 


Robe  collante   1880. 


souvent  fait  des  emprunts,  des  façons  dérobes, 
des  mantes,  et  aussi  des  coiffures  si  variées, 
coiffes  bressannes,  casques  de  dentelles  du  pays 
de  Caux,  grandes  coiffes  bretonnes,  bonnets 
•  l'arlésiennes.  etc..  Quel  sauvetage! 


246  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Mais  non,  tout  cela  est  parti,  toutes  ces  jolies 
choses  ont  disparu  devant  l'envahissement  d'un 
faux  luxe  mesquin,  caricature  sans  goût  des 
élégances  parisiennes,  devant  les  confections 
uniformes  et  informes,  fabriquées  à  la  centaine 
et  portées  jusque  dans  les  plus  lointains  can- 
tons î... 

Partout,  hélas,  les  jolies  modes  locales,  les 
élégances  particulières  et  régionales,  ont  cédé 
pour  jamais  la  place  à  des  attifements  souvent 
prétentieux  et  ridicules... 

Le  «  costume  »  des  campagnes  en  toute 
province  est  évanoui,  envolé,  perdu,  c'est  à  la 
«  7node  »  des  villes,  de  nous  indemniser  en 
élégance  vraie  et  en  grâce. 

La  mode  est  aujourd'hui  dans  une  période 
de  transition  et  de  tâtonnements,  elle  cherche, 
elle  essaie,  à  défaut  de  nouveautés  nouvelles, 
des  imitations  des  nouveautés  d'autrefois,  — 
ayant  suffisamment  vieilli,  comme  disait  la 
couturière  de  l'impératrice  Joséphine. 

On  va  des  imitations  des  coupes  Louis  XVI 
ou  Empire  à  des  ajustements  Valois,  aux  cor- 


EPOQUE    MODERNE 


247 


sages  Louis  XIII,  aux  manches  moyen  âge  ou 
bien  aux  manches  à  gigot  1830...  Nous  verrons 
ce  qui  sortira  de  ces  tentatives  et  de  ces  essais 
et  si  comme  il  arrive  dans  tous  les  arts,  il  en 
sera  de  l'art  de  la  toilette  comme  des  autres, 
si  le  neuf  naîtra  de  l'étude  de  l'ancien. 

Souhaitons  qu'une  mode  originale,  fin  de 
siècle  suivant  l'expression  à  la  mode,  se  dé- 
gage enfin,  pour  qu'un  jour  les  petites  filles 
des  élégantes  de  ces  dernières  années  du  xix'' 
siècle,  puissent  se  figurer  leurs  aïeules  sous 
des  ajustements  bien  à  elles,  bien  personnels, 
autrement  enfin  qu'en  toilettes  empruntées  à 
tous  les  âges. 


TABLE  DES  CHAPITRES 


I.-  BALLADE    DES  MODES   DU  TEMPS   JADIS 


il 

Le  vieux  neuf.  —  L'horloge  de  la  mode.  —  Feuilles  dans 
les  cartons  du  passé. — Quelle  est  la  plus  jolie  mode?  — 
Mode  et  architecture.  —  Vêtements  de  pierres  et  vête- 
ments d'étoffes.  —  La  poupée  costumée,  journal  des 
modes  du  moven  àofe '•) 


III.  -  MOYEN    AGE 


Les  Gauloises  teintes  et  tatouées.  —  Premiers  corsets  et 
premières  fausses  nattes.  —  Premiers  édits  somptuaires. 
—  Influence  byzantine.  —  Bliauds,  surcots,  cottes  har- 


250  MESDAMES    NOS    AÏEULES 


dies.  —  Les  robes  historiées  et  armoriées.  —  Les 
ordonnances  de  Philippe  le  Bel.  —  Hennins  et  Escof- 
fions.  — ■  La  croisade  contre  les  Hennins  de  frère  Tho- 
mas Connecte.  —  La  dame  de  Beauté 23 


IV.  —  LA   RENAISSANCE 

Modes  en  largeur. — Hocheplis,  _vertugalles,  vertugadins. 
—  La  belle  Ferronnière.  —  Éventails  et  manchons.  — 
Les  modes  tristes  de  la  Réforme.  —  L'escadron  volant 
de  Catherine.  —  Dentelles  et  guipures. —  Les  services 
du  vertugadin.  —  Le  masque  et  le  touret  de  nez.  — 
Fards  et  cosmétiques 53 


V.   -  HENRI    III 

La  cour  du  Roi-Femme,  —  Les  grandes  fraises  plissées, 
godronnées  ou  en  cornets.  —  Les  femmes-cloches.  — 
Les  grandes  manches.  —  Horribles  méfaits  du  corset. 
—  La  reine  Margot  et  ses  pages  blonds 76 


VI.   —  HENRI     IV    ET    LOUIS    XIII 

Retour  à  une  simplicité  relative.  —  Les  femmes  tours. 

—  Hautes  coiffures.  —  Excommunication  du  décolletage. 

—  Les  robes  à  grands  ramages  de  fleurs.  —  Collets 
montés  et  collets  rabattus.  —  Tailles  longues.  —  Les 
édits  de  Richelieu.  —  La  dame  suivant  Tédit.  — Tailles 
courtes 91 


VII.:-  SOUS  LE  ROI-SOLEIL 

Les  héroïnes  de  la  Fronde.  —  De  la  Vallière  à  la  Mainte- 
non.  —  Les  robes  dites  transparentes.  —  Triomphe  de 
la  dentelle.  —  Le  roman  de  la  mode.  —  Les  Stein- 


TABLE    DES    CHAPITRES  251 


querques.  —  La  coiffure  à  la  Fontanges.  —  Le  règne 
de  M"'  de  Maintenon  ou  trente-cinq  ans  de  moro- 
sité  112 


VIII.  — XVIir  SIECLE 

La  Régence.  —  Folies  et  frivolités.  —  Cythère  à  Paris. 
—  Les  modes  Watteau.  —  Les  robes  volantes.  — ■ 
Naissance  des  paniers.  —  Criardes,  Considérations  et 
Maîtres  des  requêtes.  —  M"""  de  Pompadour.  —  L'éven- 
tail. —  Promenade  de  Longchamps.  —  Carrosses  et 
chaises  à  porteurs.  —  Modes  d'hiver 130 


IX.   -XVIir    SIÈCLE.  -  LOUIS    XVI 

Les  coiffures  colossales.  ' —  Le  pouf  au  sentiment.  — 
Parcs,  jardins  potagers  et  paysages  animés  de  figures 
sur  les  tètes.  —  La  coiffure  à  la  Belle-Poule.  —  Les 
mouches.  —  Modes  champêtres.  —  Les  robes  négli- 
gentes. —  Couleurs  à  la  mode.  —  Le  monument  du 
costume.  —  Les  amazones.  —  Modes  anglaises.  — 
Les  bourgeoises 150 


X.  —  LA  RÉVOLUTION   ET   L'EMPIRE 

Modes  dites  à  la  Bastille.  —  Modes  révolutionnaires.  — 
Notre-Dame  de  Thermidor.  —  Incroyables  et  merveil- 
leuses. —  L'antiquité  à  Paris.  —  Athéniennes  et 
Romaines.  —  Une  livre  de  vêtements.  —  Tuniques 
diaphanes.  —  Maillots,  bracelets  et  cothurnes.  —  Le 
réticule  ou  ridicule.  —  Le  bal  des  Victimes.  —  Per- 
ruques blondes  et  oreilles  de  chien.  — •  A  la  Titus.  — 
Les  robes-fourreau.  —  Petits  bonnets  et  Chapeaux- 
Shakos.  —  Les  turbans 178 


MESDAMES     NOS     AÏEULES 


XI. -LA  RESTAU  RAT  ION   ET  LA  MONARCHIE 
DE  JUILLET 

Manches  bouffantes,  manches  à  gigot.  —  Les  collerettes. 
—  Modes  à  la  girafe.  —  ^  Les  coiffures  et  les  grands 
chapeaux.  —  1830.  —  Epanouissement  des  modes 
romantiques.  —  Les  derniers  bonnets.  —  18  iO.  — 
Chastes  bandeaux.  —  Modes  Juste-milieu.    .    .    .     20S 


XII.  -  EPOQU  E  MODERNE 

I8i8. — Des  révolutions  partout,  excepté  dans  le  royaume 
de  la  mode.  —  Règne  imiversel  de  la  crinoline.  —  Les 
châles  cachemire.  —  Tdlmas,  burnous,  pince-tailles. 
—  Modes  de  plages.  —  Robes  courtes.  —  Saute-en- 
barque. —  Jupes  larges  et  jupes  étroites. —  Les  modes 
collantes.  —  Poufs  et  tournures.  —  Modes  Valois.  — 
Erudition  plus  qu'imagination.  —  On  demande  une 
mode  fin  de  siècle 231 


TABLE  DES  DESSINS  HORS  TEXTE 


Toilette  de  bal  Restauration Frontispice 

Noble  dame  fin  du  xn'*"  siècle 17 

Robe  et  houppelande  historiées  xv^  siècle 33 

Châtelaine  milieu  du  xv^  siècle 41 

Dame  sous  Charles  YIII 49 

A  la  cour  du  Roi-Chevaliei' 57 

Sous  Henri  II 65 

Dame  du  temps  de  Charles  IX 73 

Toilette  de  cour  Henri  III 81 

Grande  toilette  Médicis 89 

Dame  Louis  XIII 97 

Fin  du  règne  de  Louis  XIII 105 

A  la  cour  du  Roi-Soleil 113 

Sous  le  Grand  Roi.  —  Fin  du  xvir  siècle.    .    •    •    .  121 

Sous  la  Régence 129 

Toilette  de  cour  Louis  XV 137 

Parisienne  sous  Louis  X^' 145 


254  MESDAMES    NOS    AÏEULES 

Grands  paniers  Louis  XVI 153 

Parisiennes  1789 161 

Promenade  parisienne  1790 169 

Merveilleuse  en  tunique  à  la  grecque 177 

Merveilleuse  du  Directoire 185 

Premier  Empire 193 

Parisienne  de  1810 201 

Parisienne  1814 209 

Une  élégante  aux  Champs-Elysées.  —  Restauration  217 

Toilettes  d'intérieur  1830 225 

Parisienne  1835 233 

Modes  de  plage  1864 241 


EVItKLX.     IMPRlMtltlE     DE     CHARLES     HEKISSEY 


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