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UCSB LIBRARY
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MESDAMES
Nos Aïeules
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in 2009 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/mesdamesnosaieulOOrobi
TOILETTE DE BAL, RESTAURATION.
MESDAMES
Nos Aïeules
DIX SIÈCLES D'ÉLÉGANCES
TEXTE ET DESSINS
Tar ^. %OBIDA
PARIS
A LA LIBRAIRIE ILLUSTRÉE
8. RUE SAINT-JOSEPH. 8
Tous droits réservés.
'^^^^^^^^
^
I
BALLADE
DES 3I0DES DU TE3IPS JADIS
Du tout premier' Vertugadin,
Celui qu'inventa Madayne Eve
A celui qu'admirons soudain^
Que d'autres jmssant comme rével
MESDAMES NOS AÏEULES
Coinhien leur existence est brève !
Tu resplendis toujours pourtant,
O beauté changeante sans trcve.
Mais oh sont les modes (Vanta n.
Oh donc es-tu, ric/te hliaut
Armorié sur chaque maille,
Et le peliçon dlsabeau?
Escoffwn de haute taille
Pour qui l'on vit mainte chamaille,
Hennin qui charma Buridan ?
Hélas, ce n'est plus qiC antiquaille...
Mais oh sont les modes d'antan !
Où est la fraise de Margot,
Et le surcot doublé d'hermine,
Oh sont les manches à gigot?
Habit cavalier d'héroïne
Que portait Reine ou baladine,
Large panier pomjjadourant,
BALLADE DES MODES DU TEMPS JADIS 3
Et toi-7nême aussi ^ crinoline.,.
Mais oit sont les modes d'autan !
EN vo
Dame, il ne fut point de semaine
Depuis le temps d'Eve pourtant
Qui n'eiU caprices par trentaine.
Mais oii sont les modes d'antan!
La Couturière de l'impératrice Joséphine.
II
LES CARTONS DU PASSÉ
Le vieux neuf. — L'horloge de la mode. — Fouilles
dans les carions du passé. — Quelle est la plus jolie
mode ? — Mode et architecture. — Vêtements de
pierres et vêtements d'étoffes. — La poupée costu-
mée, journal des modes du moyen âge.
Il n'y a de nouveau dans ce monde que ce
qui a suffisamment vieilli, a dit, non pas un
MESDAMES NOS AÏEULES
grand philosophe mais une femme, la cou-
turière de Joséphine de Beauharnais, épouse
de Napoléon Bonaparte, consul de la Répu-
blique française, lequel pensait de même, puis-
qu'il ressuscita l'Empire de Rome.
Et conformément à cet axiome profond, la
couturière de Joséphine montait ou plutôt
descendait chercher très loin dans le passé,
chez mesdames les Grecques et les Romaines,
les nouveautés élégantes vieilles de deux mille
années, destinées à tourner la tête des salons
et promenades de Paris, à charmer les Pari-
siennes et aussi les Parisiens, et à faire le tour
du monde enfin, tout comme les pompons, les
baïonnettes et les drapeaux des voltigeurs
français de la même époque, qui furent des
touristes forcenés.
— Vous demandez où sont les modes d'an-
tan? m'a dit, répondant à ma ballade à la mode
de François Villon, un autre philosophe para-
doxal qui doit être un mari rendu légèrement
grincheux par des notes de couturière, vous le
demandez! mais elles sont sur les épaules des
dames d'aujourd'hui, mon cher monsieur,
Les cartons du passe
comme elles le seront encore sur celles des
dames de demain et d'après-demain ! Vous
ignorez donc que rien ne change, que tout le
nouveau a été inventé il y a bel âge, vers les
premiers temps où les dames ont commencé
à s'habiller, c'est-à-dire que tout a été trouvé
dans l'espace de quatre saisons, dans les pre-
miers douze mois qui ont suivi la sortie de
l'Eden. — C'est ce que je faisais observer en-
core hier à ma femme à propos de trois ou
quatre costumes dont la soi-disant nouveauté
l'avait frappée, et qu'elle allait se commander
bien inutilement... Tout se porte, s'est porté
et se portera! lui disais-je, alors pourquoi
essayer de changer, pourquoi mettre de côté
par pur caprice un ornement ou une toilette
qu'on doit forcément reprendre...
— Oui, mais dans trois cents ans...
— Allez aux Champs-Elysées par un beau
jour de soleil et dites-moi si vous n'avez point
par moments des visions de la cour des Valois,
devant certaines toilettes contemporaines,
manches bouffantes Renaissance, collerettes
Renaissance, étoffes à dessins Renaissance...
MESDAMES NUS AÏEULES
— Ou des illusions de Longchanips 1810
devant les robes Empire, les épaules bouf-
fantes, le drapé des jupes, et les dessins, pal-
mettes, grecques et autres ornements...
— Et les dames Louis XVI, ou moyen âge,
ou Louis XV... Je déclare Monsieur, qu'une
femme de n'importe quelle époque, des âges
révolus, écoulés et enfoncés aussi loin que
vous voudrez dans la nuit des temps, peut re-
venir et se montrer parmi nos contemporaines,
et se trouver parfaitementàlamode. moyennant
seulement quelques petites modifications à son
costume antique... Oui, tenez, qu'Agnès Sorel ou
Marguerite de Bourgogne daignent reparaître
en costumes de leur temps et je leur change-
rai seulement leurs chapeaux, et Ton dira devant
elles : « Jolie toilette de vernissage! Délicieux
costume pour le Grand-Prix! »
— Arrêtez! n'exagérez-vous i)as quelque
peu, mon cher monsieur?
— Aucunement. Je vous dis que des méro-
vingiennes ou même des dames de l'âge de
pierre, avec quelques petits arrangements de
toilette, n'étonneraient pas trop les femmes
LES CARTONS DU PASSE
actuelles qui les prendraient tout simplement
pour des mondaines excentriques... La mode
d'aujourd'hui, Monsieur, ce sont les modes
d'autrefois reprises et refondues par le goût de
XV1« siècle.
l'heure présente. L'aiguille de la mode tourne
comme Taiguille d'une pendule toujours dans
le même cercle, mais plus capricieusement,
en avant ou en arrière, en sautant, en virant,
en faisant des bonds soudains, d'un côté ou de
l'autre... Quelle heure est-il à l'horloge de la
10 MESDAMES NuS AÏEULES
mode? Six heures du matin ou huit heures du
soir, peut-être toutes les heures à la fois comme
en ce moment... Mais n'importe, c'est toujours
une heure charmante.
La plus jolie mode, il n'y a pas à en douter
et tout le monde est d'accord là-dessus, c'est
toujours celle du temps présent, et il y a pour
cela une raison bien simple : les modes pas-
sées ne sont que des souvenirs décolorés, dès
qu'elles ne sont plus portées, nous aperce-
vons facilement leurs défauts et leurs ridicules,
nos yeux, indulgentsquandelles régnaient, sont
devenus froids et sévères, tandis que, sans
peine, la mode d'aujourd'hui triomphe... Ce qui
charme et séduit tout le monde, ce que nous
apercevons en elle, Monsieur, ce qui nous semble
si ravissant, c'est le rayonnement de la grâce
féminine, c'est la femme elle-même. — Non,
jamais on ne s'est mieux habillé qu'aujour-
d'hui I A toutes les époques, pour toutes les
modes, les femmes l'ont déclaré de bonne foi
en se regardant dans leur miroir, et les hommes,
juges quelquefois difficiles, l'ont pensé aussi.
Notre aïeule de l'âge de pierre vêtue de peaux
LES CARTONS DU PASSE
de bêtes trouvait son costume très seyant et
souriait un peu de sa grand'mère habillée
d'un vertugadin de sauvage. Ses contempo-
raines, les farouches habitantes des cavernes,
pensaient de même.
La plus jolie mode, c'est celle qui s'épanouit
aujourd'hui; il n'y a eu pour s'inscrire en faux
contre cette formelle allégation de tous les
temps, il n'y a eu, à toutes les époques égale-
ment, que les messieurs d'un certain âge,
tout à fait d'un certain âge, les vétérans ayant
dépassé la soixantaine. Ceux-ci ont toujours
protesté par une autre allégation :
— Les modes d'aujourd'hui sont ridicules,
disent-ils en chœur, on ne s'habille plus comme
de notre temps! C'est alors, — en 1830, — ou
en 1730, en 1630, en 1530, etc., en l'an 30 —
que les modes étaient gracieuses, seyantes,
élégantes, distinguées, charmantes... ah, 1830 !
- ou 1730, 1630, lo30 ou l'an 30! — Quelle
belle époque!
— Il nous la baille belle le chœur des sexa-
génaires! oui, quelle belle époque! parce que
c'était l'heureux temps où ces messieurs étaient
12 MESDAMES NOS AÏEULES
jeunes, où le soleil leur semblait plus chaud,
n'est-ce pas? le printemps plus verdoyant et
les modes plus belles ! Mais il n'importe ,
malgré tout ce que diront les vétérans et ce
que nous dirons nous-mêmes plus tard,
l'axiome suivant sera toujours proclamé :
— Jamais on ne s'est mieux habillé qu'au-
jourd'hui!
Mais puisque rien ne passe tout à fait et que
dans le cercle que parcourt l'aiguille au cadran
de la mode les heures passées peuvent renaître,
il suffit peut-être, pour connaître les modes de
demain, d'étudier tout simplement celles d'hier.
•Fouillons donc ce passé disparu et donnons-
nous ce plaisir, qui ne va pas sans quelque
Hiélancolie, d'évoquer les élégances et les
beautés d'autrefois, les lointaines élégances
ensevelies sous des siècles d'inventions et de
nouveautés accumulées, délaissées et oubliées,
et les élégances toutes récentes et non moins
oubliées des bonnes grand'mamans actuelles,
qui, dans leurs songeries au fond de leurs grands
fauteuils, sont seules à se revoir en fermant
les yeux, brunes ou blondes, pimpantes et lé-
LES CARTONS DU PASSE
13
gères, dans les atours de leur bel âge... Chères
gTand'mamans !
Mais ce passé qui nous semble si lointain
/V/i
Grande toilette. XV*^ siècle.
l'est-il tant que cela? Les grand' mères de nos
grand'mères sont nées sous Louis XV au temps
de la poudre et des falbalas.
MESDAMES N OS AÏEULES
Sept ou huit grand'mères additionnées, si
nous osons nous permettre cette opération,
nous conduisent au temps d'Agnès Sorel et
des dames à grands hennins. C'était hier. Vous
le voyez bien !
Un point qu'il faut établir d'abord, c'est que
l'art de la toilette et l'art de construire sont
de très proche parenté. Mode et architecture
sont sœurs, mais la mode est peut-être bien
l'aînée.
La maison est un vêtement, un habillement
de pierre ou de bois que nous passons par-
dessus l'habillement de toile, de laine, de ve-
lours ou de soie, pour nous protéger mieux
contre les intempéries des saisons; c'est un
second vêtement qui doit se plier à la forme
du premier, à moins que ce ne soit le premier
qui s'adapte aux nécessités du second.
En tout cas, sans remonter plus haut que le
déluge, est-ce que les robes historiées et ar-
moriées, les costumes tailladés et déchiquetés
du moyen âge, ne sont pas de l'architecture
gothique et de la plus flamboyante, de même
que les modes plus simples et plus rudes de
LES CARTONS DU PASSE
l'époque précédente tiennent du rude et sévère
style roman.
Quand la pierre se découpe, se tord, flam-
boie presque en magnifiques efflorescencés
sculptées, l'étoffe plus souple se découpe, se
tord et flamboie aussi. Les hautes coiffures
que nous qualifions d'extravagantes, ce sont
les toits effilés des tourelles qui montent par-
tout vers le ciel. Tout est multicolore, les gens
d'alors aiment les couleurs gaies, toute la
gamme des jaunes, des rouges, des verts est
employée.
Plus tard le costume se met plus au large
en même temps que l'architecture. C'est la Re-
naissance et ses modes plus amples et plus
molles; on cherche du nouveau dans le vieux,
l'Italie influe sur les toilettes comme sur les
édifices, il n'est pas jusqu'aux armures de
guerre ou de parade des princes, aux vêtements
de fer des riches seigneurs, qui ne recherchent
quelques formes antiques et ne se couvrent
de rinceaux, ou d'ornements à la romaine.
La sévérité, nous pouvons dire la maussa-
derie des modes de la fin du xvi'^ siècle, ne se
16 MESDAMES NOS AÏEULES
retrouve-t-elle pas dans les édifices d'une épo-
que assombrie par tant de troubles?
L'énormément ennuyeux et somptueux pa-
lais de Versailles, les grands hôtels solennels
d'une arehiteeture pleine de morg'ue. ee sont
Renaissance,
bien vraiment les eouvereles qui eonvenaient
aux énormes el solennelles perruques du grand
Roi, aux corsages guindés et empesés, aux
raides cornettes de madame de Maintenon. Et
le xvm^ siècle après l'ennuyeuse fin du xvii''?
L'architecture et la toilette mettent de côté,
en même temps, le pompeux et le solennel ;
toilette rococo. architecture à falbalas, c'est
tout un.
NOBLE DAME , FIN DU XIV« SIÈCLE,
LES CARTONS DU PASSE
Plus tard, les gens de la Révolution et de
TEmpire se costumant à la grecque et à la ro-
niaiiic, édillces et maisons l'ont de même. Puis
Sous le Grand Uoi.
les modes et les édifices sont absolument sans
style et de toute banalité de 1840 à 1860,
époque de transition et d'attente.
De nos jours enfin, époque de recherches et
de fouilles archéologiques, d'essais et de re-
constitutions, temps d'érudition plus que
d'imagination et de création, nous voyons la
18 MESDAMES NOS AÏEULES
mode et l'architecture, marchant toujours de
conserve, fouiller ensemble dans les cartons
du passé, essayer également l'un après l'autre
tous les styles, s'éprendre successivement de
toutes les époques, en adopter les formes pour
les rejeter vite l'une après l'autre... Soyons
donc de notre temps et plongeons nous aussi
dans les cartons du passé à la recherche des
jolies choses et des originalités de jadis.
Au delà d'une certaine époque, les documents
certains n'abondent pas et nous devons nous
contenter de suppositions. Qui nous dira vrai-
ment ce qu'étaient le costume et la mode, et par
cela l'aspect de la vie, aux temps mérovingiens
et carlovingiens, lorsque :
Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent^
Promenaient dans Paris le monarque indolent.
Qui nous dépeindra les élégances de ces épo-
ques nébuleuses ? car, en dépit de la rudesse et de
la barbarie, il devait s'en trouver tout de même,
puisqu'on maints passages de leurs écrits, déjà
les vieux chroniqueurs, évéques ou moines,
fulminent contre le luxe ellréné deb femmes.
LES CARTONS DU PASSÉ
19
Qui nous dépeindra les contemporaines de
Charlemagne et nous renseignera un peu sur
Sous Louis XV.
les élégances du x« siècle? Quelques statues
peut-être, parvenues jusqu'à nous plus ou
moins écornées, seront nos seuls documents ;
nous devrons nous en contenter et les rappro-
20 MESDAMES NOS AÏEULES
cher des vagues renseignements contenus dans
les barbares illustrations des manuscrits d'alors,
encore si éloignées des magnifiques miniatures
que les enlumineurs du moyen âge prodigue-
ront plus tard.
Le premier journal de modes, c'est donc pour
nous (juelque portail de cathédrale ou quelque
statue tombale échappée par miracle aux ra-
vages du temps et au marteau des iconoclastes
huguenots ou sans-culottes.
Plus tard, les miniatures, les vitraux, les
tapisseries nous apporteront des renseignements
plus complets et plus certains, des figures bien
plus précises; le document abondera.
D'ailleurs, dès le xiv® siècle, le vrai journal
de modes existe ; il n'a pas encore adopté la
forme gazette que nous lui connaissons depuis
cent ans seulement, mais c'est le journal de
modes tout de même, le renseignement voya-
geant sous la forme de poupées qui portent
des modèles de costumes d'un pays à un autre,
de Paris surtout.
Car Paris tenait déjà le sceptre et gouvernait
la mode, non pas, il est vrai, comme aujour-
LES CARTONS DU PASSÉ 21
d'hui, d'un pôle à l'autre, des confins de l'A-
mérique glaciale à l'Australie, vouée encore
aux petits os passés dans les narines pour
toute coquetterie, il y a cinquante ans à peine,
de la cour des Radjahs d'Asie au sérail du
Grand Turc et au palais de S. M. l'impératrice
du Nippon fleuri.
Au moyen âge, des grandes dames, en notre
cher petit coin d'Europe, s'envoyaient de pe-
tites poupées habillées à la dernière mode du
jour par des coupeurs de robes, des couturières
ou des couturiers dont le nom n'est point passé
à la postérité.
Dans son château lointain, perdu dans les
landes bretonnes ou perché sur quelque roc des
bords du Rhin, la duchesse ou la margrave
avait ainsi dans les grandes occasions, com-
munication plus ou moins rapide des élégances
à la mode dans les grands centres de luxe
comme la cour de Paris ou la cour de Rour-
gogne, rivales en faste et en éblouissements,
et dont les comptes remis au jour nous révèlent
les grandes dépenses avec tous les détails de
ces somptuosités dont les contemporains étaient
MESDAMES NOS AÏEULES
éblouis ol quo tous los fhroniquours ont rap-
portées.
Certaines villes importantes recevaient aussi
de la même façon les décrets de la mode,
puisque nous voyons, pendant des siècles, Ve-
nise, autre centre d'arts somptuaires, trait
d'union entre le négoce de l'Orient et le luxe
de l'Occident, recevoir chaque année une pou-
pée parisienne. Dans la ville des doges, c'était
un usage immémorial d'exposer, le jour de
l'Ascension, sous les arcades de la Merceria,
au bout de la place Saint-Marc, la toilette de
l'année, cette image d'une parisienne à la der-
nière mode, pour l'édification des nobles véni-
tiennes qui se portaient en foule à l'exhibition.
Sous Louis XII,
L'Escoffion.
II
MOYEN AGE
Les Gauloises teintes et tatouées- — Premiers corsets
et premières fausses-nattes. — Premiers édits somp-
tuaires. — Influence byzantine. — Bliauds, surcots,
cottes hardies. — Les robes historiées et armoriées,
— Les ordonnances de Philippe le Bel. — Hennins et
Escoffions. — La croisade de frère Thomas Connecte
contre les Hennins. — La dame de Beauté.
Il faut avoir le courage de l'avouer, ici
iiirmo. dans ce Parisis qui porte et fait triom-
MESDAMES NOS AÏEULES
pher partout l'étendard de l'élégance , les
aïeules de Mesdames les Parisiennes, il y a
quelque deux mille ans, se promenaient un
peu attifées à la mode des élégantes Néo-Zé-
landaises d'aujourd'hui, dans la grande et
sombre forêt qui des bords de la Seine remon-
tait aux rives de l'Oise et s'en allait toucher
aux Ardennes en un vaste et inexlrical)le l)ois
de Boulogne.
Ces Gauloises, belles et rudes, allant épaules
découvertes et bras nus, étaient peinlurlu-
rées et probablement tatouées; dans tous les
cas il est certain qu'elles se teignaient les
cheveux.
Les nombreux bijoux parvenus jusqu'à nous,
fibules, torques ou colliers, bracelets, agrafes
en bronze et quelquefois en argent ou en or, té-
moignent que ces demi-sauvagesses primitives
connaissaient un certain luxe. Tous ces objets
présentent dans leur style une grande analogie
avec le style d'ornementation qui s'est perpétué
jusqu'à nos jours dans la Bretagne acluolle.
La vieille Gaule barbare devenue la (Jaule
romaine, les Gauloises se montrèrent vite, à
MOYEN AGE 25
l'imitation des Romaines, très raffinées en
civilisation et en luxe. Le corset, mesdames,
date de cette époque, corselet d'étoffe moulant
le corps plutôt qu'instrument de torture vio-
lentant les lignes.
Le goût primitif pour la peinture éclatante
ne se perdit pas tout à fait, la teinture devint
du simple fard; déjà les essences pour entre-
tenir la fraîcheur du visage étaient inventées
et aussi les fausses nattes. Ces tresses d'un
blond ardent, — couleur dès longtemps à la
mode, on le voit, — étaient achetées aux
paysannes de la Germanie, aux Gretchens du
temps d'Arminius.
Un retour à la barbarie et à la simplicité
suivit les invasions de ces Francs, dont les
femmes, rudes gaillardes, étaient vêtues pour
tout luxe d'une simple chemise à bandes de
pourpre.
Les modes romaines, mélangées aux modes
gauloises et franques, les modes mérovin-
giennes, dont quelques statues raides et hiéra-
tiques peuvent nous donner l'idée, se trans-
formèrent peu à peu.
26 MESDAMES NOS AÏEULES
Au milieu de sa cour, parmi les femmes de
ses ducs et de ses comtes, qui montraient le
goût le plus effréné pour la parure, les étoffes
somptueuses et les bijoux, le grand Empereur
à la barbe fleurie, Charlemagne, affectait pour
lui-même au contraire, une grande simplicité
de vêtements, comme d'autres grands empe-
reurs ou rois, Frédéric II et Napoléon. Choqué
par le déploiement de faste des femmes de sa
famille, Charlemagne dut édicter les premières
lois somptuaires, lesquelles ne furent suivies
naturellement que par les simples bourgeoises,
par les bonnes dames qui n'avaient que faire
de défenses et de prohibitions pour se priver
de somptuosités qu'elles ne pouvaient songera
s'acheter, faute d'argent.
La société de ce temps-Ki, nous la voyons
figée en grandes ligures hiératiques, sculptées
sous les porches romans de nos plus vieilles
églises. Rangées de rois et de reines, raides et
sévères, encadrés sous les vieilles arcatures,
princes et princesses couchés sur les dalles
funéraires, vieux spectres de pierre, taillés
d'un rude el barbare ciseau, qui nous dira ce
MOYEN AGE
que VOUS étiez vraiment, ce qu'était, dans le
mouvement et la vie, ce monde que vous diri-
giez?
Vous vous taisez, vous gardez votre secret,
fronts mystérieux de fantômes sculptés, de-
bout aux façades que vous avez fondées, ou
couchés dans les musées qui vous ont re-
cueillis.
Nos villes où les gracieuses Françaises, filles
de ces aïeules de pierre, se promènent dans le
tourbillon pressé des foules, devant les bril-
lants magasins de notre siècle vivant d'une
vie si intense , nos vieilles cités existaient
déjà toutes, mais combien de fois ont-elles
fait peau neuve ! Des vestiges de ces temps
tout a disparu, les dernières pierres sont en-
sevelies sous les fondations des plus anciens
monuments.
Nous en savons presque aussi peu, des façons
de vivre d'alors, que de la civilisation des vil-
lages de l'ère des dolmens, et c'est dans les
premiers et plus anciens poèmes ou romans
chevaleresques qu'il nous faut chercher çà et
là à travers coups de lance ou de hache, quel-
MESDAMES NOS AÏEULES
ques détails intimes sur la vie sociale d'alors.
Voici le moyen âge. L'influence byzantine de
la Rome transplantée sur le Bosphore, règne
Le Surcot à garde-corps.
(l'abord dans le vêtement des femmes comme
dans celui des hommes et domine vers l'époque
des premières croisades.
C'est alors le temps des longues robes à plis
MOYEN AGE
29
très fias, des dou?jles ceintures, une à la vraie
taille et une sur les hanches, des voiles trans-
parents.
C'est bien une époque de transition, on voit
la mode tâtonner, retourner en arrière et re-
prendre, avec quelques modifications, des
Coift'ure de cérémonie. XIV» siècle.
formes oubliées; le costume romain, mudilié
d'abord par Byzance, arrangé, rendu semi-
oriental, revient presque au jour.
Puis soudain, à l'aurore du xiii^ siècle, quand
les temps nouveaux commencent à sortir du
crépuscule de la vieille barbarie, les modes nou-
velles se dessinent, nettement, franchement.
30 MESDAMES NOS AÏEULES
C'est la vraie naissance de la mode fran^^aise,
du costume purement français, français comme
l'architecture dégagée aussi des imitations,
des emprunts et des souvenirs de Rome et de
Byzance 5 français comme l'art ogival jaillissant
de notre sol.
La statuaire, les vitraux et les tapisseries du
moyen âge vont nous fournir les meilleurs
documents. Ces figures sculptées en grand cos-
tume sur leurs tombeaux, sont de véritables
évocations de nobles châtelaines, des portraits
extrêmement remarquables avec tous les dé-
tails des ajustements, des robes et de la coif-
fure nettement indiqués, et quelquefois por-
tant encore des traces de peinture qui nous
donnent les couleurs du costume.
Les vitraux sont encore plus intéressants,
on trouve là des représentations de toutes les
classes de la société, depuis la grande dame
noble jusqu'à la femme du peuple : dans les
vitraux commémoratifs, dans les vitraux des
chapelles seigneuriales ou des chapelles de
corporations des villes, dans les grandes com-
positions qui nous présentent si souvent, au
MOYEN AGE 31
bas des feiiestrages, les portraits des dona-
taires, — les daines nobles à opulents costumes,
agenouillées en face de bons chevaliers en ar-
mures, les riches bourgeoises en face de leurs
maris échevins ou notables.
Les tapisseries sont quelquefois plus sujettes
à caution comme vérité, l'artiste introduisant
parfois des fantaisies décoratives dans ses
compositions; néanmoins, que de figures don-
nant des indications précises et venant corro-
borer les autres renseignements et s'ajouter
aux innombrables et merveilleuses illustrations
des manuscrits.
Sur la robe de dessous, sur la jupe ou la
cotte, la femme du xi'' siècle portait le hliaud
ou bliaut, espèce de robe parée, de fine étoffe,
serrée par une ceinture. Confectionné tout
d'abord d'étoffe simplement gaufrée, le bliaut
s'enrichit bientôt de dessins et d'ornements
d'un joli style.
On se perd dans les transformations du
bliaut et de la cotte. La robe de dessous de-
vient la cotte hardie et le surcot remplace le
biiaud. Cette robe de dessous, tre» ajustécj
32 MESDAMES NOS AÏEULES
est lacée par derrière ou par devant, et dessine
bien les formes et contours du corps.
Dans le costume paré, un garde-corps, ou
devant de corsage de fourrure s'ajoute au sur-
cot et lui donne un supplément de somptuo-
sité. Mais la forme générale se mudilic par
mille dispositions parliculièrcs. cottes et sur-
cots varient de toutes les façons, suivant les
fantaisies du jour, le goût particulier, suivant
la mode des provinces ou des petites cours
princières ou ducales, isolées par circonstances
uu situation.
Elles sont superbes, les élégantes du moyen
âge, avec leurs longues robes collantes, dont
les dessins se répètent régulièrement, rosaces
semées sur toute l'étoffe, carreaux alternés de
couleurs différentes, faisant comme un damier
de tout le corps, ileurs et ramages en larges
dispositions, souvent tissées d'or ou d'argent.
Ces étofTes font des plis superbes et drapent
naturellement d'une façon sculpturale, des
échantillons nous en restent dans les musées,
nous pouvons juger de l'effet qu'elles devaient
faire, coupées en belles robes traînantes.
ROBE ET HOUPPELANDE HISTORIÉES XV^ SIÈCLE.
MOYEN AGE
33
Les armoiries, nées avec les premières orga-
nisations sociales, avec les premiers chefs de
Noble Cliàtelaiiie.
clan ou chefs de guerre, mais régularisées plus
tard, paraissent sur les robes des dames, tim-
Jîrées comme les pavois des maris, d'écussons
symétriquement di>po&é^. Cet usage se déve-
3
34 MESDAMES NOS AÏEULES
loppe, cette mode prend, comme nous dirions
maintenant, et bientôt les armoiries s'étalent
plus largement sur les robes dites cottes his-
toriées.
Voyons aux l'êtes de la cour ou des châteaux,
dans ces vastes salles ouvertes aujourd'hui aux
vents des quatre points cardinaux, et hantées
par les seuls corbeaux, derniers habitants des
nobles ruines; voyons aux tables des festins
d'apparat, entre les hautes cheminées et les
tribunes des musiciens, ou bien encore sur les
estrades ou eschaffaux, autour des lices où
les chevaliers tournoient, ces nobles dames,
aux robes du haut en bas armoriées et timbrées
aux armes de leurs maris ou de leurs familles,
arborant, ainsi que de superbes panonceaux
vivants, toutes les belles inventions du blason,
toutes les bêtes de la ménagerie héraldique,
les lions et les léopards, les chimères et les
griffons, les loups et les cerfs, les cygnes et
les corbeaux, les sirènes et les dragons, les
poissons et les licorneSj tous d'allure fantas-
tique, tous ailés, ongles^ griffus, dentus et
cornus, issant, passant ou rampant sur les
MOYEN AGE 35
champs les plus étincelants, gueules, azur, or
ou sinople.
Et les robes non armoriées ne sont pas moins
riches ni moins brillantes, semées de grandes
fleurs contournées ou d'ornements d'un très
large sentiment décoratif.
Les formes, en apparence très variées, dé-
rivent cependant toutes du même principe.
Le surcot n'a pas de manches, il est ouvert
plus ou moins largement sur le côté depuis
l'épaule jusqu'à la hanche pour laisser paraître
la robe de dessous, d'une autre couleur s'har-
monisant bien avec celle du dessus et semée
de dessins, ou plus, ou moins que le surcot,
de telle façon qu'il n'y ait pas égalité d'orne-
mentation.
Un garde-corps ou devant de corsage d'her-
mine garnit le haut du surcot; laïourrure est
échancrée sur les épaules pour laisser voir, bien
et chaudement encadré, le haut de la poitrine
garni de joyaux et, surtout dans les robes
d'apparat, très libéralement décolleté. Une
bande d'hermine borde ainsi toute l'échancrure
du surcot sur les épaules et les hanches.
'^ MESDAMES NOS AÏEULES
Grande variété dans les formes des corsages,
des cottes ou des surcots, grande variété dans
l'ornementation des épaules, dans l'encadre-
ment du cou. Certains décolletages manquent
de modestie, les prédicateurs tonnent en chaire
contre l'immoralité de la mode et les conteurs
des vieux fabliaux, qui ne sont pas prudes, s'en
égayent largement.
Lors de l'invention de la toile de lin, les
femmes non contentes de se décolleter pour
montrer leurs gorgerettcs de lin ou le haut des
diemises, inventèrent, pour montrer un peu
mieux ces chemises de lin, de fendre leurs
robes sur le côté, faisant ainsi de l'épaule à
la hanchCj de longues ouvertures lacées.
Il y avait déjàj — il y a eu toujours, — des
élégantes exagérées qui outraient les fantai-
sies de la mode. Ainsi certaines se montraient
en robes si étroites et si collantes qu'elles
semblaient cousues dedans; ou bien les sur-
cots étaient beaucoup plus longs que ces dames,
v^t il fallait porter ce qui dépassait au moyen
de poches placées sur le devant des robes,
dans lesquelles on passait les mains, ou bien
MOYEN AGE
37
relever la jupe et la rattacher à la ceinture,
ce qui après tout était fort gracieux et faisait
ces admirables plis cassés que nous voyons
aux robes des statues.
Les manches de ces longs surcots, à traîne
Le petit hennin.
en queue de serpent^ que les grandes dames
pouvaient faire porter par un page, s'allon^
gèrent aussi. Les manches de la robe de des-
sous descendent jusqu'au poignet, avec un
évasement qui recouvre souvent une partie de
la main. Par-dessus, les manches du surcot,
.38 MESDAMES NOS AÏEULES
plus larges, sont ouvertes quelquefois depuis
l'épaule et tombent presque jusqu'à terre,
parfois fendues du coude au poignet ou pour-
vues seulement d'une ouverture par laquelle
passe l'avant-bras.
Il y a cent [modilîcations différentes aux
manches : les manches longues, amples ou
serrées, les manches coupées et boutonnées en
dessous du haut en bas, les manches échan
crées ou renflées au coude, on voit même les
manches dites à mitons, dont l'extrémité peut
se relever en formant mitaines fermées, et les
manches-poches fermées au bout, toutes inven-
tions gracieuses ou commodes après tout.
Il y a enfin les grandes manches en ailes
tailladées et découpées en dents de scie, en
feuilles de chêne, ou bordées d'une mince ligne
de fourrure.
La joaillerie prend une grande importance.
Grandes dames ou bourgeoises, toutes les
femmes enrichissent leurs costumes de joyaux
et de bijoux plus ou moins coûteux : colliers,
cercles de tête ornés de pierres précieuses
joyaux sur le couvre-chef, gros bijoux en
MOYEN AGE
agrafes, ceintures de passementerie et d'orfè-
vrerie.
A la ceinture est attachée l'aumùnière ou
escarcelle, de riche étoffe bordée d'or, à fer-
moir et ornements dorés, lycs grandes dames
éblouissent, elles étincellent... Les lois somp-
tuaires n'y peuvent rien. Philippe le Bel en
1194 a eu beau décréter et réglementer, inter-
dire aux bourgeoises le vair et l'hermine, les
ceintures d'or ornées de perles et de pierre-
ries, il a ou beau arrêter que :
a Nulle damoiselle, si elle n'est chastelaine
c( ou dame de deux mille livres de rente,
« n'aura qu'une paire de robbes par an, et si
ce elle l'est, en aura deux paires et non plus »
« De même que les ducs, comtes et barons
« de six mille livres de rente pourront faire
(( faire quatre paires de robbes par an et non
e plus, et à leurs femmes autant »
Philippe le Bel a eu beau fixer un maxi-
mum du prix de l'aune d'étoffe pour les robes,
en échelle descendante pour toutes les con-
ditions, depuis vingt-cinq sols tournois l'aune
MESDAMES NOS AÏEULES
pour les grands barons et leurs femmes, jus-
qu'à sept sols pour les écuyers,et — ce qui est
assez remarquable et montre bien, même en
ces temps lointains, la richesse des bourgeois
et gros commerçants des Villes, — permettant
aux femmes des bourgeois d'aller jusqu'à seize
sols l'aune, Philippe le Bêla eu beau tout prévoir
et tout réglementer, rien n'y a fait, pas même
la menace des amendes. Grandes dames et
riches bourgeoises ont bravé les défenses du
roi tout aussi bien que les remontrances de
messieurs les maris et les admonestations que
le clergé se fatiguait de leur adresser à l'église.
C'est vainement que les prédicateurs s'at-
taquent à toutes les parties du costume, qua-
liliant de portas d'enfer, les crevés, parfois
bien inconvenants du surcot, traitant les sou-
liers à la poulaine iVotitrages cm créateur, et
faisant surtout aux coiffures, hennins, cornes
ou escoffions, une guerre acharnée ; les femmes
laissent dire et gardent imperlurbablement
les modes attaquées.
En fail de mode, elles ne relèvent que d'elles-
mêmes et nient toute autorité, royale ou ecclé-
CHATELAINE, MIEIEU DU XV^ SIECLE.
MOYEN AGE
41
siastique, et même la suzeraineté maritale.
Les dames de ce temps-là portent aussi
quelque peu les souliers à poulaines. les fameux
Le Hennin à grand voile.
souliers à bec relevés, dont les élégants de
Taulre sexe s'étaient épris et qu'ils aiiTémen-
taienf souveni d'un grelot tintinnabulant au
bout.
Elles ne connaissaient pas encore les hauts
MESDAMES NOS AÏEULES
talons, mais elles se grandissaient par des es-
pèces de mules, ou par des quantités de
semelles mises l'une sur l'autre.
Les coiffures des dames sont de proportions
extravagantes. Le hennin triomphe entre toutes.
Il y a Vescoffion qui affecte différentes formes,
en tur])an, en croissant; il y a le bonnet en
cœiu\ énorme coiffure d'étoffe brodée, treil-
lissée de ganses, ornée de perles, avec un gros
bourrelet relevé de joaillerie retombant en
cœur sur le front. Mais c'est le grand escoffion
à cornes qui, sur tous les autres, scandalise les
prédicateurs, l'escoffion qui est une large car-
casse ornée de pierreries emboîtant les oreilles
et laissant tomber de chaque corne sur les
épaules une fine mousseline flottante.
Ces escoffîons venaient, dit-on, d'Angleterre,
ainsi qu'à toutes les époques maintes excen-
tricités de costumes; l'Anglomanie qui sévit
de temps en temps, date de loin, on le voit.
Viollet-le-Diic, dans son Dictionnaire du Mo-
bilier, donne un exemple de grand escoffion
pris sur une statue tombale d'une comtesse
d'Arundel du commencement du xv*' siècle.
MOYEN AGE
Comparant les femmes ainsi coiffées à des
figures sataniques, à des bêtes cornues, prédi-
cateurs et moralistes déclarent que la femme
douze fois infidèle va au Purgatoire, mais ils
jettent directement et sans rémission à l'Enfer
celles qui portent ces escoffions à cornes !
Le grand hennin est un immense cornet
plaqué sur le front, emprisonnant complète-
ment les cheveux, un tube conique en étoffe
ramagée ornée de perles, avec une voilette plus
ou moins longue sur le front, et tout en haut,
à la pointe de l'édifice, un flot de légère mous-
seline retombante. Edifice extravagant, soit,
incommode, mais non ridicule, monumental
mais charmant, et que les femmes s'obstinèrent
à porter pendant près d'un siècle, parce qu'il
était en réalité très seyant et donnait à la
physionomie, à l'ensemble d'une figure, de pied
en cape un caractère très imposant. Et enfin,
raison principale dont on ne se rendait pas
compte peut-être, mais qu'on reconnaissait
inconsciemment : parce que ces grands hennins
cadraient avec les architectures d'alors.
Magnifique époque d'expansion et de mon-
44 MESDAMES NOS AÏEULES
tée! Fines et dardées haut, les flèches des
églises escaladent le ciel, entraînant les âmes
avec elles, toutes les lignes des architectures
montent, s'épanouissent et fleurissent. Quand
on songe que c'est le temps des merveilleuses
façades de maisons ou de palais, des orfèvre-
ries de pierre sculptée, des fines tourelles, des
crêtes festonnées, le temps des villes hérissant
mille clochers et mille pointes, l'ascension des
hennins se comprend très bien. Comme toutes
les ascensions, c'est encore une montée vers
l'idéal, puisque ces grands hennins aux longs
voiles flottants donnent forcément une réelle
noblesse à l'attitude et à la démarche.
Guerre aux hennins! Tel fut cependant par-
tout le cri des moines et des prédicateurs. Le
plus violent de tous et celui qui fut le plus en-
tendu, sinon écouté, c'était un carme de Rennes,
nommé frère Thomas Connecte.
Il entreprit dans sa ville une véritable cam-
pagne contre le débordement du luxe, en par-
ticulier contre les pauvres hennins. De la Bre-
tagne, il passa dans l'Anjou, en Normandie,
en Ile-de-France, en Flandre, en Champagne,
MOYEN AGE
prêchant partout soleiiiiellemeiit et dans chaque
ville du haut d'une estrade dressée en plein air
sur une place publique, accablant d'invectives
celles qui se complaisaient aux raffinements de
la toilette et les menaçant de la colère du ciel.
46 MESDAMES NOS AÏEULES
Tous les malheurs qui fondaient sur le
monde, tous les vices du temps, toutes les
hontes, tous les péchés, toutes les turpitudes
de l'humanité, provenaient suivant lui de l'ex-
travagance coupable des hennins et des escof-
lions démonia({ues.
Et dans la chaleur de sa conviction, frère
Thomas ne s'en tenait pas à la parole; à la lin
de son sermon, le digne homme, enflammé
d'une sainte ardeur, saisissait un bâton et
passant à travers les rangs effarés des dames,
nobles ou bourgeoises, venues pour l'entendre,
il faisait sans pitié, malgré les cris et la bous-
culade, un grand massacre de hennins.
— Au hennin! au hennin! A ce cri, les po-
lissons ameutés par le frère poursuivaient par
les rues toute femme dont le couvre-chef dépas-
sait les modestes proportions d'une coiffe ordi-
naire.
Néanmoins, malgré sermons et voies de fait,
les hennins ne s'en portaient pas plus mal et
se relevaient après le passage du moine. De
ville en ville, celui-ci continuant sa croisade
contre le luxe, s'en fut à Rome, et là, le spec-
MOYEN AGE
tacle moins qu'édifiant offert alors par la capi-
tale de la chrétienté, le surexcita tellement
qu'il oublia toute mesure, et que, laissant les
hennins tranquilles, il s'attaqua aux cardinaux
et princes de l'Eglise. Ceci était jeu plus dan-
gereux. Le pauvre homme, accusé d'hérésie, fut
appréhendé et tout simplement brûlé en place
publique.
Dans l'histoire de la mode, il y a le roman
de la mode ! Dans les annales de la coquetterie
féminine, que d'épisodes curieux et aussi que
de figures romanesques qui traversent la
grande histoire, charmantes, attirantes, parfois
étrangement poétiques, fleurs délicates parmi
toute la ferraille remuée parle siècle — et par-
fois aussi, dangereuses sirènes qui donnent
bien raison au frère Thomas Connecte !
L'histoire de la mode pourrait s'écrire avec
une douzaine de portraits de femmes espacés
de siècle en siècle, portraits de reines de la
main droite et de reines de la main gauche.
— ^ plus souvent de la main gauche, — de
grandes dames et de grandes courtisanes.
Il suffit d'écrire leurs noms, chacun d'eux
48
MESDAMES NOS AÏEULES
c'est une page qui se tourne, un chapitre nou-
veau qui commence : Agnès Sorel, Diane de
Poitiers, la reine Margot etGabrielled'Estrées,
'il
Les Manches tailladées et déchiquetées.
la })reniière femme et la dernière mie du rui
Henri, Marion Delorme, la Grande Mademoi-
selle, Montespan, première partie du règne du
roi Soleil, Maintenon, seconde partie du règne
du monarque renfrogné, Madame de Pompa-
^
DAME SOUS CHARLES VIII.
M 0 Y E N A G E
49
dour, triomphe du pimpant xvm'^ siècle, Marie-
Antoinette, dernier et mélancolique éclat d'un
La Houppehiiule.
monde qui finit. Madame Tallien, Joséphine...,
etc.
Après Isabeau de Bavière, reine de France
50 MESDAMES NOS AÏEULES
et reine de la mode, la gracieuse et magnifique
épouse de Charles VI, d'abord reine des bals
et des fêtes, mais qui devint bientôt la reine
des guerres civiles, sans cesser, dans un temps
de sombres horreurs, de rêver somptueux cos-
tumes et recherches d'élégance, — après les
modes d'Isabeau, c'est le temps et ce sont les
modes d'Agnès Sorel. la dame de Beauté de
Charles VIL
Charles VII s'endorl à Bourges et ne songe
guère à reconquérir son royaume : ses maî-
tresses et ses plaisirs sont tout l'univers pour
lui. La grande et sainte Jehanne a endossé le
harnais des hommes de guerre pour combattre
l'Anglais, elle a déjà reconquis au roi une forte
partie de son royaume; une autre femme, ni
grande ni sainte, va continuer son œuvre,
Agnès Soreau de Saint-Géraud, la belle Agnès
Sorel, blonde aux yeux bleus, par la puissance
et l'ascendant de la beauté, enflamme le roi
Charles, elle le lance contre l'Anglais, lui fait
reprendre, ville à ville, le reste du domaine
des fleurs de lys et mériter dans Thishiire le
surnom de Victorieux.
MOYEN AGE
C'est elle la victorieuse ! Les pécunes qui
sont les nerfs des guerres sont consacrées à
payer les rudes gens d'armes, les lances et les
bombardes du roi, ainsi qu'à entretenir le luxe
coûteux de la belle, à payer les mille inventions
de sa coquetterie. Ce sont dépenses de guerre
aussi, puisque le roi bataille mieux quand
Agnès V ordonne, comme dit la vieille romance.
La vierge héroïque, la vaillante Jehanne, se
couvrait de la cuirasse pour mener au combat
ducs, seigneurs et gens d'armes ; la belle Agnès,
adoréepar le roi, poursuivait d'une tout autre
manière l'œuvre nationale, elle se découvrait les
épaules, inventait des corsages indécemment
décolletés jusqu'à la taille, outrait les propor-
tions des grands hennins à barbes flottantes...
Et les armées de Charles marchaient, empor-
tant châteaux, villes et provinces, pourchassant
les Anglais. Agnès, en somme, mourut à la
bataille, puisqu'elle trépassa près de Jumièges
pendant la reconquête de la Normandie où
elle avait suivi le roi.
La cour de Bourgogne, rivale de celle de
Paris en faste comme en tout le reste, introduit
52 MESDAMES NOS AÏEULES
dans la mode française des éléments étrangers,
de Flandre surtout. C'est la dernière époque
pour le costume du moyen âge, l'éblouissement
dernier, l'épanouissement et rétincellement
des plus étranges somptuosités.
Les gigantesques houppelandes des hommes
et des femmes ressemblent à de grandes pièces
de tapisserie, — les grandes lignes disparais-
sent sous la complication. La Renaissance va
venir après une période de transition et de
tâtonnements.
Que de jolies choses et de particularités in-
téressantes il y aurait encore à citer dans les
atours, garnements ai parements des femmes
du moyen âge, dans les vêtements de cérémo-
nie, de splendide étoffe et d'étincelante garni-
ture, dans les vêtements d'intérieur ou de
sortie de toutes les classes, aussi bien que
dans les vêtements de voyage et de chasse
portés par les nobles dames chevauchant sur
des mules richement harnachées, ou enfour-
chant les grands palefrois pour courre le gibier
le faucon sur le poing.
Sous François 1'
IV
LA RENAISSANCE
Modes en largeur. — Ilocheplis, vertiigalles, vertuga-
jins. — La belle Ferronnière. — Eventails et man-
chons. — Les modes tristes de la Réforme. — L'es-
cadron volant de Catherine. — Dentelles et guipures.
— Etats de services du vertugadin. — Le masque et
le touret de nez. — Fards et cosmétiques.
A la suite des expéditions de Cliarles VIII,
un coup de vent souffle sur les modes du moyeu
âge. Les temps gothiques sont finis, le cos-
tume masculin se transforme tout à coup et le
MESDA.ME.S N U .S AÏEULES
costume féminin va changer aussi. Ce coup de
vent emporte, avec bien d'autres choses, avec
notre architecture nationale, avec notre goût
national, ces hennins qui, malgré l'apparence,
tenaient si bien sur les tètes qu'ils avaient
duré près d'un siècle.
Le costume s'amollit et se complique. Le
corset ou corsage remplace le surcot, il est
d'une autre couleur que la robe et tout chargé
d'ornements et ramages dorés, sous plusieurs
rangs de colliers couvrant le haut de la poi-
trine décolletée. Les manches aussi sont d'une
autre couleur que le corsage, ce sont de
grandes ailes tailladées et flottantes ou bien
des manches de plusieurs pièces rattachées par
des aiguillettes ou des rubans, laissant voir la
chemise de fine toile de Frise bouff'ante aux
épaules et aux coudes.
C'est le commencement des manches à bour-
relets successifs et à crevés qui vont durer si
longtemps.
Les souliers pattes ou à bouts carrés rem-
placent les souliers pointus ; on va comme
toujours d'une extrémité à l'autre.
LA RENAISSANCE
Grande variété dans les coiffures très basses
maintenant. Ce sont larges bourrelets ou tur-
bans emboitant l'occiput avec coiffes à dessins
dorés encadrant le front et le visage ; ces bour-
relets et coiffes, ornés de réseaux perlés, se
modifient dans les pays où l'influence flamande
ou rhénane lutte contre l'influence italienne,
par l'adjonction sur la coiffe d'une sorte de
chapeau tailladé qui deviendra le grand béret
découpé et largement déchiqueté des lansque-
nets suisses ou allemands.
Ce sont ces modes qui vont régner pendant
tout le temps de François P'', à la cour éblouis-
sante du Roi Chevalier, et à la ville chez les
nobles dames et les bourgeoises aisées.
L'innovation principale, celle qui doit in-
fluer sur le reste du vêtement, en déterminer
en partie la coupe et les proportions, la domi-
nante du costume d'alors, c'est le vertugadin.
dit aussi vertugalle, vertugardien... Chose non
vue encore, grande nouveauté qui va boule-
verser le costume et changer toutes les lignes.
Le vertugardin, c'est-à-dire la jupe large
soutenue par une armature quelconque, en
o(i
MESDAMES NUS AÏEULES
voilàpour trois siècles, pendant trois cents ans,
avec des interrègnes plus ou moins longs, il
durera sous des noms dilTérents, panier, crino-
(^omriiencement do i;i Ileiiaissaiice.
line, pouf, tournure, etc. Il dure encore et
nous le re verrons.
Depuis trois cents ans la largeur des jupes
suit un mouvement régulier, d'abord modeste,
elle augmente peu à peu, lentement, en habi-
A LA COUR DU ROT-CHEVALIER,
LA RENAISSANCE
tuant progessivement l'œil à ses proportions,
elle arrive à une envergure formidable, exa-
gérée, impossible, puis elle diminue lentement
reprenant l'une après l'autre ses étapes suc-
cessives.
Les femmes, qu'elle a transformées pour un
temps plus ou moins long en énormes cloches,
redeviennent clochettes, elles diminuent et
s'amincissent jusqu'à disparition complète de
toute apparence de vertugadin. Les modes sont
ultra collantes pour quelques années, puis un
soupçon de tournure reparaît, une illusion de
vertugadin se remontre et la progression
recommence.
Villipendé, chansonné, ridiculisé sans trêve
ni merci à toutes les époques et quelque fut
son nom, il a triomphé toujours, même des
édits qui prétendaient diminuer son envergure.
Et pourtant nulle puissance au monde n'a vu
se liguer autant d'ennemis enflammés contre
elle, aucune institution n'a été attaquée avec
autant de vigueur et d'acharnement.
La Monarchie ou la République ont des
ad\ersaires, mais aussi des défenseurs. Vertu-
J8 MESDAMES NUS AÏEULES
gadiiis, paniers ou crinolines avaient contre
eux tous les maris, tous les hommes ! Le corset
seul a eu presque autant d'ennemis — dont il
a toujours également triomphé.
Le Vertugadin, né sous François P'', vers
1530, marque la lin du moyen âge, mieux et
plus complètement que n'importe quel chan-
gement politique. C'est la disparition des
robes collantes ou flottantes à plis droits, si
sculpturales. Un monde est Uni.
Le vertugadin s'appelle premièrement hoche-
plis. Ce nom s'applique d'abord seulement au
bourrelet godronné soutenu par une carcasse
de fils de fer qui s'attache à la taille pour
donner de l'ampleur aux jupes. Puis le nom
s'étend à tout un système de cerceaux de bois
ou de baleine formant cage sous la jupe jus-
(ju'en bas.
Le costume féminin sous François P'' est
ample et majestueux plutôt que gracieux, les
robes sont de velours, de satin, de brocatelle
à fleurs de couleurs variées, avec de larges
manches tombantes, doublées de zibeline ou
des manches énormes engoneant les épaules
LA RENAISSANCE -VJ
et formant comme une succession de bourre-
lets jusqu'aux poignets, avec des crevés ou-
verts sur des bouillons de soie claire.
Le corset à buse appelé alors basquine
apparaît. Très probablement ce n'était pas
encore une armature dissimulée sous le cor-
sage, mais bien le corsage lui-même raidi par
des baleines, du moins les descriptions assez
confuses donnent lieu de le penser.
Pour la coiffure, atUfet, chaperon^ toque ou
loquet, ainsi que pour l'ornement du cou et
des épaules qui sortent considérablement des
corsages, — on a rapporté de la molle et
licencieuse Italie de jolies ouvertures de cor-
sages, que les maris pourtant auraient pu
trouver offusquantes, mais les hommes se
décolletent bien aussi — les élégantes dépen-
sent en joaillerie et orfèvrerie plus que mes-
sieurs les maris ne voudraient. Reines, gran-
des dames, bourgeoises se ruinent en chaînes
d'or, joyaux émaillés, perles, pierreries,
escarboucles.
La belle Ferronnière, une des maîtresses du
roi après le règne de la duchesse d'Etampes,
60 Ml^SbAMIiS NUS AÏEULES
invente de porter une escarboucle retenue par
un fil au milieu du front. Un bijou de plus a
porter quand on a déjà garni autant que Ton
pouvait la coiffure, le corsage et la ceinture
d'une étincelante joaillerie, quelle belle idée î
La coiffure à la Ferronnière a vite un très
grand succès.
Voici maintenant des accessoires de toilette
inconnus. Pour Tété, c'est l'éventail de plu-
mes, joli prétexte à garniture d'orfèvrerie, et
le manchon pour l'hiver. Manchons noirs
pour les bourgeoises et manchons de couleurs
variées pour les dames nobles seulement, sui-
vant les ordonnances royales. Les ombrelles
aussi sont venues d'Italie, seulement elles sont
trop lourdes et ne réussissent guère.
Mais voici sur l'éblouissante époque, Tétei-
gnoir de la Réforme, les jours troublés et
tristes.
Etincelante, chatoyante, superbe dampleur
somptueuse et de richesse pendant tout le
règne de François F'', roi chevalier, prince bril-
lant, prodigue et ostentatif en un temps de
bravoure et de « braver îe » et aussi de licence,
LA RENAISSANCE
Gl
— la mode va changer soudain de caractère et
devenir aussi austère qu'elle a été fastueuse
Les Manches à cpe\<
aussi som])re et lugubre qu'elle a été éblouis-
sante et multicolore.
C'est pendant le commencement du règne
d'Henri II une véritable lutte entre les modes
tristes et les modes gaies, mais bientôt les
modes tristes triomphent et peu à peu l'éclat
de réléa:ance s'éteint, la mode tourne et va
02 MESDAMES NOS AÏEULES
Jiien vite des couleurs ternes et maussades au
noir pur.
Les temps deviennent difficiles et tournent
au noir aussi. C'est la Réforme, les dissen-
sions religieuses, guerres de sermons et de
prêches d'abord, puis guerre effective à coups
de canon et d'arquebuses, à coups de bûchers,
ou de potences.
Le roi Henri II dès 1549 commença les hos-
tilités contre le luxe; un édit interdisant un
grand nombre d'ornements ou d'étoffes, passe-
ments, bordures, orfèvreries, cordons, cane-
tilles, draps d'or ou d'argent, satins, etc., ré-
glementa sévèrement la mode et détermina
pour les différentes classes de la société les
qualités des étoffes et jusqu'aux couleurs.
Le droit de porter habillement complet de
dessous et de dessus en rouge cramoisi fut
réservé aux princes et princesses ; les dames
nobles et leurs maris ne pouvaient prendre
cette éclatante couleur que pour une seule
pièce de leur costume.
Pour les dames de rang inférieur, elles
avaient droit, d'abord les plus élevées en
I-A RENAISSANCE Oli
rang, aux robes de toutes couleurs sauf le cra-
moisi, et les autres au rouge éteint ou au
noir. Même échelle descendante pour les étof-
fes, des satins et des velours au simple drap.
De longs cris de lamentation retentirent par
toute la France, quand on voulut passer à
Texécution de l'édit.
Les dames de France, au nord comme au
midi, à l'ouest comme à l'est, en bataille ser-
rée, défendirent courageusement, pied à pied,
leurs joyaux et leurs belles parures, leurs
étoffes et leurs couleurs, discutant avec les
agents de l'autorité et trouvant mille raisons
ingénieuses pour tout sauver, pour tout garder.
Il fallut que le roi reprît la plume, qu'il
complétât son édit par une série d'articles
explicatifs et détaillât point à point ce qui était
permis et ce qui était prohibé. Il faisait quel-
ques concessions aux dames et permettait en-
core quelques petites coquetteries, mais pour
le reste, ce qui fut défendu resta défendu et la
loi somptuaire fut exécutée rigoureusement.
Le velours, trop commun en Franc,
Sous toy reprend son vieil honneur...
64 MESDAMES NOS AÏEULES
dit Ronsard dans une épître au Roi où il loue
le monarque de ses ordonnances réformatrices.
La sombre Catherine, Tltalienne dont le
sana' a empoisonné celui de la race des Valois,
l'empoisonneuse qui finira
toute houftie de crimes, do-
mine la Cour de France en-
core brillante. (îomme un
iirand fantôme noir, emblème
de l'ère de crimes et de mas-
i.a Coiffure de Caihciitic sacrcs qui va s'ouvrir.
de Médicis.
Elle laisse les recherches
de la coquetterie aux dames de la Cour et à
la maîtresse de son mari, à Diane de Poitiers,
la suprême beauté, la déesse quasi mytholo-
gique de la Renaissance, que Jean Goujon
sculpta comme plus tard Canova sculptera une
autre beauté princière, Pauline Borghèse. Les
plus jolies créations de l'époque, ce sont des
toilettes à tons sobres, d'une élégance sévère
composant des harmonies grises ou des har-
monies en blanc et non*, les couleurs de Diane
de Poitiers.
A la mort d'Henri. Catherine adopte, pour
sous HENRI II.
LA RENAISSANCE
65
ne plus le quitter, le costume de veuve, et
entourée pourtant d'un essaim de jeunes et
brillantes beautés, de ses filles d'honneur
qu'on appelle Vescadron volant de la Reine,
Sous Ilciui U.
— escadron qui, dans les mille intrigues
qu'elle noue et dénoue, la sert plus avanta-
geusement que des escadrons de reîtres, —
elle traverse les trois règnes tourmentés des
rois ses fils, noire des pieds à la tête, noire
comme la nuit, noire comme son àme.
Large jupe noire, corsage noir en pointe,
66 MESDAMES NUS AÏEULES
grandes ailes noires aux épaules, collet noir
relevé en forme de fraise ; et pourjcoiffure une
sorte de chaperon ou de toquet à visière
noire qui descend en pointe sur ce front aux
pensées dures et sinistres.
Ce fut Catherine, paraît-il, qui importa en
France, en arrivant de Florence pour son ma-
riage, les fraises qu'adoptèrent rapidement
les hommes et les femmes.
Il y en avait de toutes sortes, de modestes
et d'inouïes, de très simples en linge godronné
et d'autres en merveilleuses dentelles. Inven-
tion charmante et superbe, incommode sans
doute comme bien d'autres inventions de la
mode, mais qui encadrait si bien dans les
rosaces et les rinceaux de la plus fine den-
telle, qui sertissait comme un bijou précieux
la figure de la femme.
C'étaient des chefs-d'onivre de cet art si
féminin de la dentelle où brillait toute l'élé-
gance décorative de la Renaissance ; les
mêmes artistes qui ciselaient le bronze, l'ar-
gent et l'or, qui sculptaient ces Unes décora-
tions de pierre sur les façades des palais,
LA RENAISSANCE 67
fournissaient les dessins de ces fraises ; la
dentelle avait ses Benvenuto Cellini, à
Bruxelles, à Gènes et surtout à Venise, pre-
miers centres de fabrication.
Mais les fraises ne prirent pas tout de suite
ces belles proportions, qu'elles n'atteignirent
que sous Henri III. Elles furent d'abord de
simples collerettes à plis ronds ou godrons
qui enserraient le cou jusqu'aux oreilles,
fraises austères et fermées d'un temps qui
s'assombrissait de plus en plus ; l'austérité
protestante gagnait rapidement et si les ca-
tholiques conservaient leurs habitudes et leurs
mœurs plus faciles, les querelles de religion
avaient pris toute leur àpreté et la guerre
civile planait sur la France.
Sous le règne éphémère de François II, qui
vit passer à la cour de France la figure auréo-
lée par le malheur de la pauvre Marie Stuart,
sous celui de Charles IX, les costumes ont
une élégance sobre et discrète. Comme les
pourpoints des hommes, les corsages sont
tailladés, ainsi que les manches raides et
bouffantes en haut.
t)8 MESDAMES NOS AÏEULES
Les seuls bijoux sont quelques boucles et
pendants de ces grandes ceintures dites cor-
delières, des garnitures d'aumùnières, un col-
lier sous la collerette, petite fraise à godrons
qui se trouve aussi aux poignets.
Le chancelier de l'Hôpital, ennemi de la
trop grande ampleur des vertugadins, les
avait un peu dégonflés et diminués par une
sévère ordonnance en lo63, par laquelle il
interdisait également aux hommes les hauts
de chausses rembourrés. Mais à un passage du
roi Charles IX à Toulouse, les belles Toulou-
saines étant venues implorer un adoucisse-
ment aux rigueurs de l'austère chancelier, le
roi, plus clément qu'il ne se montrera plus
tard aux Huguenots, fit grâce au vertugadin
et lui permit de reprendre ses monumentales
proportions.
Ne nous moquons pas de cette ampleur des
vertugadins, un jour elle sauva la France s'il
est vrai, comme la chronique le dit, que Mar-
guerite de Valois put préserver les jours
d'Henri de Navarre son mari, en le cachant
sous un immense vcrtugadiai quand les mas^
LA RENAISSANCE
69
sacreurs de la Saint-Barthélomy se mirent à
dépêcher à coups de hallebarde les huguenots
qu'on avait logés au Louvre à l'occasion des
noces d'Henri et de
Margot.
Les modes s'assom-
brissent comme le
temps, comme Tarchi-
tecture, comme le mo-
bilier, comme tout.
C'est une loi générale,
l'architecture est sévè-
re, ce n'est plus l'exu-
bérance débordante, la
gaieté païenne de la
Renaissance, les for-
mes sont plus conte-
nues. Après une débauche d'inventions sourian-
tes, l'architecture fait pénitence. Le mobilier qui
garnit ces hôtels renfrognés est raide et gourmé.
Voyez ces tables et ces sièges carrés, sans
ornements ni sculptures, de bois brut recou-
vert d'étoffe sombre semée de gros clous. C'est
le stvle catafalaue.
Sous Charles IX.
70 MESDAMES NOS AÏEULES
Dans ces architectures sévères, dans ces ap-
partements qui semblent revêtus de tentures
d'enterrement, s'agitent des gens à costumes
tristes. Longues robes tombant sur de larges
vertugadins et collets montants; le buste est
emprisonné et comprimé durement dans un
raide corset à buse fermant par derrière, dans
une armature solide appelée un corps piquée
que recouvre un corsage d'étofTe raidie et ba-
leinée aussi.
Pour sortir dans la rue, les femmes ajus-
tent sous leurs chaussures des patins légers
à semelles de liège, ce qui s'est déjà fait
aux siècles précédents, mais on raille beaucoup
les femmes de petite taille qui ont pris pour ha-
bitude de se jucher sur des patins formidables,
ou de se hausser par des souliers à nombreu-
ses semelles superposées.
Pour la coiffure, c'est la coiffe de réseau, la
pointe sur le front faisant de la figure une
sorte de cœur, ce que nous connaissons sur-
tout sous le nom de coiffe à la Marie Stuart,
ou bien c'est le chaperon de velours noir, une
sorte de chapeau assez peu seyant.
LA RENAISSANCE 71
Il est de mauvais ton pour les dames nobles
et même pour les bourgeoises de sortir sans
masque. Étrange mode, ce masque noir est
encore une note triste ajoutée à un ensemble
déjà bien sombre.
Les masques, de velours noir, sont courts,
laissant voir le bas du visage, ou à menton-
nière; ils s'attachent derrière les oreilles ou
bien, ce qui est plus raffiné, se maintiennent
au moyen d'un bouton de verre tenu avec les
dents. Cette mode passant des femmes de qua-
lité aux toutes petites bourgeoises durera
longtemps, jusque sous Louis XIH.
Le masque cependant est coquet, il y avait
moins joli, il y avait le touret de nez, pièce
d'étoffe noire attachée par les côtés au chape-
ron, qui s'ajustait sous les yeux et cachait tout
le bas du visage, invention bizarre et peu sé-
duisante qui ressemblait, en laid, au voile de
figure des femmes du Caire.
Ces tourets de nez, paraît-il, ont leur raison
d'être et leur utilité. Ne les soulevons pas. Les
dames se fardent outrageusement suivant une
mode venue d'Italie avec Catherine de Médicis,
MESDAMES NOS AÏEULES
elles se peignent comme de simples Caraïbes et
s'appliquent sur les joues, sous le touret de nez,
les couleurs les plus vives et les plus dange-
reuses pour l'épiderme. Les visages féminins
sont enduits de plaques de vermillon, ou bien,
sous prétexte d'entretenir la fraîcheur du teint,
de pommades et de drogues vraiment peu ra-
goûtantes.
Horrible I
Une Instruction pour les jeunes dames donne
des indications sur la composition de ces
« oints » ou plutôt de ces fricassées déplorables
où il entre delà térébenthine, des fleurs de lis,
du miel, des œufs, des coquilles, du camphre,
etc., le tout cuit dans l'intérieur d'un pigeon,
trituré et distillé ensuite.
Pouah! le touret de nez paraît assez indis-
pensable après cela.
Le florentin René, amené par Catherine, four-
nissait aux belles dames de la cour fards, par-
fums et cosmétiques; on sait qu'il cuisina
souvent pour la reine mère d'autres fournitures
plus nuisibles destinées à supprimer avec élé-
gance et discrétion les gens embarrassants.
JA
fc-r /^>
DAME DU TEMPS DE CHARLES IX.
LA RENAISSANCE
n
Quelle époque! d'un bout du royaume à
l'autre, dans le mélange des partis en lutte,
on se dispute, on se hait, on se bat. Pendant
Etoffjs ramn^î'Cs.
trente ans tout est bouleversé, les armées ca-
tholiques et huguenotes se poursuivent par
les provinces, mettant tour à tour les villes à
sac, brûlant les châteaux les uns des autres,
guerre sans merci où les femmes et les en-
74 MESDAMES NOS AÏEULES
fants sont enveloppés, guerre de surprises et
de massacres.
Les villes sont assiégées, les campagnes
sont ravagées par les argoulets et arquebu-
siers catholiques, par les reîtres protestants,
les châteaux et manoirs enlevés par de rapi-
des coups de main... Il faut fuir quand on ne
se sent pas le plus fort, ou périr...
On comprendrait, qu'en ces lugubres temps,
les costumes des femmes se soient un peu mas-
culinisés. Les pauvres femmes ont si souvent
besoin, pour se tirer d'affaire dans les moments
difficiles, d'enfourcher chevaux ou mules, de
chevaucher comme les hommes!
Ainsi, en I068, Condé surpris en pleine
paix, dut, pour échapper aux troupes de Cathe-
rine, s'enfuir de son château de Noyers près
d'Auxerre et courir jusqu'à la Rochelle, échap-
per aux partis de cavalerie, traverser la Loire
à gué, avec sa femme enceinte portée dans une
litière, avec trois enfants au berceau, la famille
de l'amiral Coligny, celle d'Andelot, nombre
d'enfants et de nourrices...
Les femmes empruntèrent au costume mas-
LA RENAISSANCE
culin une espèce de pourpoint à hauts de
chausses qui se mettait sous la robe. Ces cale-
çons ^ ainsi s'appelaient-ils, permettaient,
malgré les larges jupes, d'enfourcher plus com-
modément les arçons.
Les vertugadins continuaient à se porter et
à grandir malgré tout
Et les dames ne sont pas bien accommodées
Si leur vcrtugadin n'est large dix coudées,
dira bientôt un satirique Discours sur la mode.
Au temps de la Réforme.
Coiffure et Colloretle Valoi*.
HENRI III
La cour du Roi-Femme— Les grandes fraises plissées,
Rodronnées ou en cornets. — Les femmes-clochos. —
Les grandes manches. — Horribles méfaits du corset.
— La reine Margot et ses pages blonds.
Le règne de Henri III n'apporte aucun chan-
gement dans la situation. Les temps furent
plus sombres peut-être et le pays plus boule-
versé. Cependant malgré la sainte Ligue, mal-
HENRI m 77
gré le redoublement des guerres civiles, mal-
gré l'incendie de ses provinces et le sang qui
coulait de partout, Henri III, roi de la France
tiraillée à quatre chevaux, prit en main le
sceptre de la mode.
Après le sombre Charles IX, dédaigneux du
luxe et des affîquets de la toilette, venait un
roi mignard, frisé, fraisé, musqué, fardé, qui,
tout en renouvelant les édits de Charles IX
contre le luxe, lançait la cour, et après la cour
tout ce qui peut suivre la mode, dans un dé-
bordement de folies luxueuses, de somptuosi-
tés excentriques et extravagantes.
Sous ce roi de Vile des Hermaphrodites^
comme des pamphlets l'appelèrent, le roi-
femme, et l'homme-Reine de d'Aubigné :
Son visage de blanc et de rouge empâté,
Son chef tout empoudré nous montrèrent l'idée
En la place d'un roi d'une fille fardée.
tout est désordonné et déréglé à la cour. « Le
luxe et les débordements sont tels que la plus
chaste Lucrèce y deviendrait une Faustine, »
dit la chronique de l'Étoile.
MESDAMES NUS AÏEULES
Le royaume de la mode lui-même est boule-
versé, il n'y a plus de frontières naturelles et
les modes se confondent pour les deux sexes.
Le roi, par un goût singulier, féminisa le plus
possible ses costumes, cherchant ce qui pou-
vait se prendre aux modes féminines, depuis
la coiffure jusqu'à l'éventail.
Comme les dames de la cour, le roi et ses
mignons adoptèrent les colliers de perles, les
boucles d'oreilles, les dentelles de Venise et
les grandes fraises. Comme les dames, pour
entretenir la fraîcheur de leur teint, ils se far-
dèrent et se cosmétiquèrent d'une façon ridi-
cule, allant jusqu'à mettre la nuit des mas-
ques et des gants enduits de pommade; étran-
ges modes efféminées pour un temps de poi-
gnards levés et de périls constants.
Ces mignons et popelirots ne portaient-ils
pas comme les dames une sorte de corset pour
faire taille fine, le pourpoint à buse descendant
très bas en pointe, devenu bientôt le ridicule
pourpoint à panse rembourrée formant une
espèce de ventre pointu à la façon de Poli-
chinelle. Ne se coifTaient-ils pas de la loque
EMU III 79
féminine ornée de plumes et de pierreries...
Les femmes ne prirent rien aux modes mas-
culines, mais elles se rattrapèrent en exagé-
rant considérablement les dimensions et l'or-
nementation de tous les éléments du costume,
en recherchant la somptuosité des étoffes, en
se surchargeant encore d'accessoires et de joail-
lerie. C'est Marguerite de Valois, sœur du Roi,
la reine Margot d'Henri IV qui mène la mode,
et moins le ridicule que la grâce féminine
esquive, elle fait bien le pendant de l'étonnant
Henri III, le satrape musqué et fardé qui em-
pèse et godronne lui-même ses fraises et celles
de la reine, et se promène avec des petits
chiens sur les bras ou le bilboquet à la main.
Les fraises ont pris des proportions fantas-
tiques, ce sont d'immenses cornets évasés,
soutenus par des fils de laiton, de magnifiques
dentelles ou broderies de point de Venise, qui
partant du corsage, laissent voir les épaules
et montent derrière la tête jusque par-des-
sus la coiffure. La figure fardée ainsi encadrée
dans cette dentelle à pointes, c'est une fleur
éclatante ou un fruit, ou plutôt c'est une tête
80
MESDAMES NUS AIEULES
d'idole, trop apprêtée, peinte et repeinte, ruis-
selante de bijouterie et de clinquant.
Toilette de Cour.
Encadrement de corsage en joaillerie, or,
pierreries, perles, colliers, boucles d'oreilles,
TOILETTE DE COUR HENRI III.
HENRI II
81
perles et diamants à la coiffure, les princesses
et les grandes dames étincellent. Les coiffures
sont très basses, les cheveux arrangés en
pointe sur le front et relevés en rouleau sur les
tempes, dessinent un cœur que couronne un
simple cercle orné de pierres et de perles fines.
Sur les corsages et sur les jupes, des lignes
de perles forment des quadrillés ou des lo-
sanges. La ceinture à pendants très longs,
est en joaillerie également ; à l'extrémité
pend un petit miroir, précieusement encadré,
que les dames ont à tout instant à la main,
6
MESDAMES NOS AÏEULES
pour vérifier l'état de cette précieuse toilette
si difficile à porter, de ces fraises immenses,
d'une si haute et si majestueuse élégance, pour
lesquelles les dames sont à la gène dans les
réunions et dans la presse des fêtes de la cour.
Il suffit pour en juger de voir au Louvre un
tableau du temps, représentant un bal à la
cour, aux fêtes données pour le mariage du due
de Joyeuse avec la belle-sœur du roi, noces
fameuses, célébrées avec un faste inouï par
vingt-cinq outrente journées de festins, de jou-
tes ou de mascarades, pendant lesquelles toute
la cour, les princes et princesses, seigneurs
et nobles dames rivalisèrent de richesses et de
somptuosités folles, dans leurs toilettes renou-
velées de fête en fête.
D'après ce tableau des noces de Joyeuse,
attribué à Clouet, les seigneurs et les nobles
dames rivalisèrent surtout de ridicule dans
leurs ajustements. Ce ne sont que corsages à
pointes, fantastiquement serrés ou pourpoints
à abdomens pointus, qui donnent aux uns et
aux autres, des apparences d'insectes, fines
guêpes ou gros bourdons.
HENRI ni
Ces corsages, dont les buses n'en finissent
pas, ont des manches énormes et rembourrées,
aussi grosses aux épaules que le corps tout
Les Manches bouffantes.
entier, formées d'une succession de gros bour-
relets à crevés, bordés de perles ou de clin-
quant, avec des poignets de fine dentelle as-
sortis à la fraise.
Quant aux vertugadins, ils ballonnent et
s'élargissent considérablement, ce sont main-
84 MESDAMES NOS AÏEULES
tenant plus que des cloches, ce sont de vastes
soupières renversées, sur lesquelles on porte
deux robes superposées, la robe de dessous,
de riche brocart ou d'étoffes chargées de mille
broderies, s'ouvrant pour laisser voir l'autre,
laquelle est de couleur différente et non moins
ornementée.
Au plus épais des troubles et confusions,
quand ligueurs, royaux et huguenots se heur-
taient, s'arquebusaient et se pendaient d'un
bout du royaume à l'autre, Damville, l'aîné
des trois fils du connétable de Montmorency,
qui avait levé la lance pour un quatrième parti,
celui des politiques, allié dans le Midi aux
huguenots, dut une belle chandelle à l'inven-
tion de ces encombrants vertugadins. Cerné
dans Béziers, il allait être pris et courait grands
risques, mais une de ses parentes, Louise de
Montagnard, femme de François de Tressan,
l'enleva dans son carrosse, caché sous l'étale-
ment de son immense vertugadin, et le fit pas-
ser à la barbe de ses ennemis.
C'est le second sauvetage opéré par le ver-
tugadin : peut-être aurait-il a faire valoir bien
HENRI III
85
d'autres actes de service, si l'histoire avait
daigné les enregistrer. La crinoline, que nous
avons connue, n'a pas de haut fait pareil à son
Le petit manteau Henri III.
actif. Sa vaste envergure fut aussi utilisée,
non pour de si dramatiques évasions, mais
seulement par d'ingénieuses fraudeuses, qui
se contentaient d'accrocher sous leurs jupes,
8(3
MÏSDVMES NUS AÏEULES
à ses cerceaux, des objets soumis aux droits.
Le corset n'est plus la simple basqiiine,
assez inofTensive des commencements, le corps
Sous Henri lU.
piqué qu'endurent, sous prétexte de s'avanta-
ger la poitrine, les belles dames de ce temps,
c'est un véritable instrument de torture, un
moule dur et solide dans lequel il fallait en-
trer, souffrir et rester, malgré les éclisses de
bois qui « entraient dans la chair, mettaient
la taille à vif et faisaient chevaucher les côtes
ENRI III 87
les unes par-dessus les autres, » ce sont Mon-
taigne et Ambroise Paré qui le disent, et ce
dernier pouvait en savoir quelque chose.
Comme le vertugadin et plus que le vertu-
gadin, le corset passera les siècles, durera à
travers toutes les modes, malgré toutes les at-
taques, malgré les médecins qui l'excommu-
nient avec unanimité, victorieux de tous et de
toutes, victorieux contre l'évidence. Les ab-
surdes mignons d'Henri III l'ont bien un mo-
ment fait adopter par les hommes !
Les beautés célèbres du temps, M'"^ de
Sauves, la reine Margot, dans leurs atours de
cérémonie, avec tous leurs joyaux et pierre-
ries, dans leurs corsages raidis et luisants,
couverts de rinceaux d'or, ont l'air de déesses
revêtues de cuirasses damasquinées. Ne m'ap-
prochez pas, disent les grandes fraises à pointes
de ces beautés, qui pourtant ne sont guère
inaccessibles.
Cette folie de luxe, à une époque si sombre
pourtant, a gagné toutes les femmes. Il n'est
pas de femme de petite noblesse, de femme de
robin, de bourgeoise qui n'essaie d'approcher
88
MESDAMES .NOS AÏEULES
des grands modèles, au grand déplaisir des
maris, au grand péril des fortunes déjà bien
atteintes par les malheurs des temps.
Le brillant xvf siècle, le siècle de la Renais-
La Reine Margrot.
sance, illustré par tant d'artistes et de lettrés,
tant d'étincelants chevaliers et de dames
éblouissantes, le xvi^ siècle finit mal cepen-
dant. Il plane sur cette fin, sur cette époque
d'Henri III, aux raffinements corrompus, sur
la cour et la ville, sur ces belles et nobles
dames, sur ces reines vénéneuses, sur ces rai-
GRANDE TOILETTE MÉDICIS.
HENRI III
89
gnons et ces raffinés, une telle odeur de sang,
que dans ce bouleversement et dans cette cor-
ruption sociale, ce n'est pas de trop de tous
Grande Fraise Henri III.
les parfums violents dont on use, de ce musc
et de cette ambre pour la masquer.
Marguerite de Valois, fleur au parfum dan-
gereux, survivra à ce temps et finira en I6I0,
quelques années après Henri IV, son ex-mari;
elle finira vieille coquette, fardée et musquée,
essayant, malgré l'âge, malgré l'embonpoint qui
détériore sa prestance d'ex-déesse, de garder
90 MESDAMES NOS AÏEULES
les grâces solennelles et apprêtées de son beau
temps et ses grands costumes d'apparat, traî-
nant une petite cour de ses châteaux du Lan-
guedoc à son logis parisien de l'hôtel de Sens
qui existe encore, distinguant de temps à
autre quelque trop joli cavalier, ou quelque
gentil jeune page, de ces pages qui occupaient
déjà la chronique en ses belles années, quand
on l'accusait de les faire tondre pour se
fabriquer des perruques blondes avec leur
toison.
Tout à la lin de cette reine, devenue la gro-
tesque Margot, l'un de ces pages préférés ayant
été dagué dans l'hôtel même par un jeune
écuyer, jaloux de posséder les bonnes grâces
de la vieille reine, Marguerite entra en fureur
comme une lionne blessée, et pour venger
l'objet de ses dernières amours, elle prétendit
exercer leodalement le droit de haute justice
dans sa maison; elle condamna le coupable à
mort et le lit décapiter sans désemparer, sous
ses yeux affamés de sang, devant le populaire
assemblé dans le carrefour, sur la porte même
de l'hôtel de Sens.
La fraiic collerette.
VI
HENRI IV ET LOUIS XIII
lletour à une simplicité relative.— Les femmes-tours.—
Hautes coiffures. — Excommunication du décolletage.
— Les robes à grands ramages de fleurs. — Collets
montés et collets rabattus. - Tailles longues.— Les
édits de Richelieu. — La dame suivant l'édit. —
Tailles courtes.
Il y a des siècles qui ont la vie dure, et
d'autres qui meurent avant l'âge, le xvi*' siècle,
de complexion sans doute particulièrement ro-
buste, se prolongea jusqu'à la fin du règne
du Béarnais, avec ses idées et ses mœurs,
92 MESDAMES NOS AÏEULES
ses façons et ses modes. On verra plus tard le
xvu^ durer de même avec Louis XIV au détri-
ment du xvm^, et ce pauvre et charmant xviii^
finir tristement avant l'âge, de mort subite en
l'année 89.
Ces années de grâce du x\f siècle sous le
sceptre du roi Henri, sont une convalescence
après les longues années de lièvre chaude; la
France, que la maladie a mise si bas, renait. le
poison qu'elle avait dans les veines est expulsé,
tout se répare, se nettoie et s'assainit.
Après les raffinements ridicules et maladifs
du règne de Henri HI, le costume prend un
caractère sans façon, un aspect de bonne et
simple franchise, s'il peut y avoir de la fran-
chise dans le costume. C'est cependant presque
le même costume, mais simplifié dans les
lignes et débarrassé de ce qu'il avait de sura-
bondant et de trop cherché dans les détails.
Les modes sont moins élégantes, certaine-
ment, celles des femmes comme celles des
hommes; elles ont bien des ridicules aussi,
mais ce sont des ridicules naïfs. On est sorti de
la prétention excessive, de la grâce raffinée et
HENRI
IV ET I.Oi;iS XIII «3
corrompue; en allant- dans la simplicité, on
est tombé dans la lourdeur et la gaucherie,
pourtant de cette lourdeur inélégante mais
saine, se dégagera bientôt la grâce cavalière
du costume Louis XIII. H ne faut cependant
pas prendre ce mot simplicité au pied de la
lettre : hâtons-nous de dire que cette simplicité
n'est que très relative.
Les jours d'apparat, les dames arboraient
encore la même quantité de joailleries et de
pierreries que par le passé. La reine qui a
remplacé Marguerite de Valois après le divorce,
-une deuxième alliance Médicis qui ne parait
pas avoir trop réussi au Béarnais, bien payé
déjà pour se souvenir de Catherine - la reine
de la main droite Marie de Médicis et la
reine du côté cœur Gabrielle d'Estrées, du-
chesse de Verneuil, et les autres belles dames,
se montraient « aux fêtes, ballets, mascarades
et collations, richement parées et magnifique-
ment atourées et si fort chargées de pierres et
pierreries qu'elles ne pouvaient se remuer ..
La reine montra lors d'une grande occasion,
une robe. « étoffée de trente-deux mille perlcg
9i MESDAMES NOS AÏET'I.ES
et trois mille diamants, » et à son exemple les
grandes dames et les dames de moyenne
élofTe dépensaient volontiers plus que leurs
revenus, en somptuosités, en habillements de
brocart, satins, damas admira])los, ramages et
passementés d'or, chargés et surchargés de
clinquant et de joailleries diverses.
Voilà une bien étrange simplicité, et pour-
tant quand on examine tableaux et estampes
du temps, ces documents n'en montrent pas
moins une grande différence entre les su-
prêmes raffinements des modes de Henri III
et Télégance un peu mastoque du temps de
Henri IV.
Les coiffures sont plus hautes, les têtes se
surchargent de cheveux achetés chez le coif-
feur, à la couleur à la mode.
Pour un temps les perruques des règnes de
Louis XIV et Louis XV apparaissent, mais sur la
tête des dames : perruques lirunes ou blondes,
perru<|ues de simple filasse même, pour celles
qui ne pouvaient s'offrir mieux. Et avec les
perruques la poudre aussi se montre. C'est
]>lutùl un empois mélangeant la pommade
HENRI IV ET LOUIS XIII
aux poudres les plus diverses, depuis les fines
poudres parfumées à la violette et à l'iris, jus-
qu'à la poudre de chêne pourri, et à la simple
farine pour les naïves campagnardes.
Ce temps voit aussi éclore les mouches qui
reparaîtront également au xvm® siècle, mais
ce sont d'abord des mouches larges comme
des emplâtres et d'un aspect moins séduisant
que les coquettes « assassines » de plus tard.
Les femmes du peuple et de la petite bour-
geoisie ont gardé l'ancien chaperon, coiffure
modeste, pendant que les femmes de la haulc
classe, coiffées en cheveux avec perles et bijoux,
adoptent pour sortir le chapeau ou la toque à
petit bouquet de plumes.
Voici le portrait d'une dame à la mode :
En ces temps heureux de vivre et de res-
pirer, après tant de sombres années, une élé-
gante est sanglée et comprimée dans un cor-
sage dur et rigide, fortement armé de baleines,
une véritable gaine descendant tout d'une
pièce, sans indication de modelé, en longue
pointe sur la jupe.
.11 faut dire 4u'on se rallrape de cette mise à
96
MESDAMES NOS AÏEULES
la géhenne par le décolletage du corsage, très
libéralement échancré en pointe aussi, trop
libéralement même, puisque Sa Sainteté le
Pape se croit obligé d'intervenir et menace
Toilette de Cour Henri IV.
d'excommunication les belles qui continueront
à se décolleter dans des proportions exagé-
rées.
Cette menace d'excommunication — amende
à payer seulement là-haut — n'a pas beaucoup
d'efYet, et les grandes fraises, les collets mon-
tés de magnifiques dentelles soutenues de fils
DAME LOUIS XIII.
H EMU IV ET LOUIS XIII
07
cFarchal, conliuueiit à encadrer les opulences
du corsage. La line dentelle va si bien autour
de la chair, elle fait si bien i^essortir les
épaules et les épaules font si bien valoir les
La belle Gabrielle.
merveilles des points de Venise ou de Flandre,
cette délicate et si artistique orfèvrerie à l'ai-
guille !
D'énormes manches qui ne sont pas des
manches tiennent au corsage. Ce sont des ailes
ouvertes fendues dès l'épaule, descendant très
bas, garnies de boutons serrés qui ne se bou-
7
MESDAMES NOS AÏEULES
tonnent pas. La vraie manche paraît en des-
sous, toujours rembourrée et remontante aux
épaules, terminée par des poignets en dentelles
appelés rebras.
Les jupes sont moins ballonnées que jadis,
le vertugadin est plus modeste, c'est une simple
cloche lourde et tombant droit, ou plutôt cela
ressemble à la grosse caisse bariolée d'un ba-
taillon de Suisses, mais les hanches sont ren-
flées en coupole et accusées de façon grotesque
par un rang de tuyaux godronnés de la même
étoffe que la robe.
Il est assez difficile aux femmes d'avoir avec
cela une démarche élégante et légère; cepen-
dant les beautés de l'époque tiennent à ces
jupes et l'idéal de la grâce est d'affecter en
marchant un dandinement de canard pour leur
donner un balancement rythmique.
Une dame élégante a sous la robe trois au-
tres jupes qu'elle doit montrer en se retrous-
sant élégamment, trois autres jupes dornc-
mentation et de couleurs différentes.
Dans la liste des étoffes et des couleurs à la
mode, elle a de quoi choisir, nous avons alors
HENRI IV ET LOUIS XIII 99
une série de noms aussi drolatiques que ceux
inventés plus tard par le capricieux xviii^ siècle.
Couleur triste amie, ventre de biche, face
grattée, couleur de rat, fleur mourante, singe
înourant, couleur de veuve réjouie, de temps
perdu, de trépassé revenu, Espagnol malade,
péché mortel, jambon commun, racleur de
cheminée, etc.
Le temps de la régence de Marie de Médicid
est une époque de transition entre les modes
du XVI'' et celles du xvii'^ siècles ; le vrai costume
Louis XIII ne se dégagera complètement des
derniers vestiges des modes de la Renaissance
que vers 1630, à l'époque des édits réforma-
teurs de Richelieu qui, prohibant draps et bro-
cards d'or et d'argent, broderies et passemen-
teries de fils d'or, dentelles, points coupés,
forcèrent les élégants à se contenter d'étoffes
et de lingeries plus simples et induisirent les
tailleurs de robes et d'habits à chercher des
formes nouvelles.
Pendant la première partie du règne, la
mode se dégage lentement de sa lourdeur, le
lUO MESDAMES NOS AÏEULES
vertugadiii diminue peu à peu et le si disgra-
cieux renflement godronné au-dessus des han-
ches disparaît, remplacé par un retroussis à
grands plis de la jupe de dessus.
Le vertugadin humilié a passé la frontière,
il règne en Espagne où sous le nom de giiarde
infante, il prend de si colossales proportions
(jue lautorité veut par des édits, comme en
France, arrêter leur développement. A l'amende
s'ajoute la saisie et l'exposition publique des
objets prohibés. L'édit, sévèrement appliqué,
suscita des résistances violentes et des émeutes
oîi le sang coula.
Le vertugadin eut la vie si longue de l'autre
côté des Pyrénées que les galants de la cour
de Louis XIV le revirent avec surprise porté
par les dames de la cour espagnole lors de
l'entrevue dans l'iîe de hi Conférence pour le
mariage de Louis avec Marie-Thérèse.
En France, la recherche, la richesse et le
faste, la multiplicité des ornements, la sur-
charge de joaillerie se remettent à dominer
dans la mode et toutes les dames, même celles
de la plus simple bourgeoisie donnent dans
ENRI IV ET LOUIS XIII
101
l'abus des superfluités coûteuses et du clinquant.
Comment « une p^alante femme en habits se
D'il près Callot.
comporte, » -un poète satiri([ue va nous le
dire :
Il lui faut des carcans, chaînes et bracelets,
Diamants, affiquets et montants de collets,
Pour charger un mulet, et voire davantaKO...
102 MESDAMES NOS AÏEULES
Jl lui faut des rabats de la sorte que celles
Qui sont de cinq ou six villages damoiselles;
Cinq collets de dentelle haute de demi-pié
L'un sur l'autre montés...
Si les vertugadins ont diminué, les fraises
ont plutôt gagné en hauteur et développement ;
les grands portraits de Rubens et ensuite ceux
de Van Dick nous montrent ces fraises de la
dernière période, en demi-circonférences s'é-
vasant derrière la tête.
Mais les estampes de Callot et d'Abraham
Bosse vont nous renseigner sur les modes pari-
siennes d'avant et d'après les édits de Richelieu.
Callot qui avant 1630 a dessiné de sa mer-
veilleuse pointe tant d'élégants et pittoresques
cavaliers en pourpoint de soie ou de buffle,
tant d'officiers en hongreline, à petites bottes
et grandes flamberges, de seigneurs bien x\if
siècle, dans ces costumes si charmants et d'une
si jolie crànerie, portés avec tant de prestance
et de laisser-aller, a gravé aussi quelques cos-
tumes de femmes, qui, bien que de la même
époque sont encore un peu dans le style des
modes du siècle précédent.
HENRI IV ET LOUIS XIII
103
e
Ces dames portent encore les robes à taill
longue serrée dans le corps piqué rigide, les
manches à bourrelets avec crevés tailladés en
grande ou petite déchiquetade, de couleurs
vives, les jupes relevées sur le vertugadin ré-
tréci.
Elles sont chaussées de souliers à pont-levis.
avec attaches sur le coup de pied, une mode
nouvelle.
Les bourgeoises non plus que les dames ne vont
>'ulle part maintenant, qu'avec soulier à pont,
Qui aye aux deux côtés une large ouverture
Pour faire voir leurs bas, et dessus pour parure
Un beau cordon de soie en nœud d'amour lié...
Ceci décrit suffisamment le soulier Louis XIII
d'une si cavalière élégance. Le Musée de Cluny
dans sa riche collection de chaussures en pos-
sède d'admirables, très découpés et décorés
d'ornements noirs sur le cuir fauve et d'autres
plus simples avec le nœud de rubans dit nœud
d'amour.
Les découpures laissaient voir les bas de
soie incarnat, couleur à la mode; pour sortir
104
MESDAMES NOS AÏEULES
on ajoutait à ces souliers des patins de velours
cramoisi à très hautes semelles.
Les gants des ('dégantes étaient non moins
l'raisi' Mûiiici
jolis, ornés de dessins sur le dos et d'aral)esques
brodés surlegrandcrispin emboîtant le poignet.
De vives chamarrures, de grands ramages de
fleurs courent sur toutes les robes comme ils
couvrent toutes les étoffes du temps. Le jardin
des plantes, autrefois jardin du Roi. doit sa
création à cetto mod^: le noyau jirimil il' fut
sous Henri IV lo jardin d'un horticulteur avisé
FIN DU RÈGNE DE LOUIS XIII.
HENRI IV ET LOUIS XIII
105
OÙ toutes les sortes de plantes françaises ou
étrangères étaient cultivées en vue de fournir
Co.sagc Louis Mil.
des modèles aux dessinateurs d'étoffes ou de
broderies.
Les coiffures varient. Longtemps à cause des
grands collets des fraises, elles sont restées
très hautes, ondées ou frisées en bonnet d'as-
trakan et ornées seulement de bijoux. Plus
tard les fraises s'abaissent tout à coup et se
séparent en rabats de dentelle de point coiq^é.
106 MESDAMES NOS AÏEULES
rabattus sur l'échancrure carrée du corsage, et
en collets abaissés, sinon rabattus aussi.
La coiffure peut s'abaisser aussi avec ces
fraises basses ; on forme un petit chignon dit
culebutte derrière la tête et on encadre la
figure de jolies boucles tombantes ou frisées.
Cette mode s'exagère un peu, les femmes se
font avec leur coiffure frisottée et les petites
mèches plaquées sur le front, une tête ronde
comme une boule.
Viennent les édits de Richelieu qui veut em-
pêcher l'or de France de s'en aller, au détri-
ment du commerce français, enrichir les ma-
nufactures étrangères en achats de passemen-
teries de soie de Milan et de dentelles ou
broderies, les édits qui prohibent ensuite les
galons et franges, parfdures et canetilles enri-
chies d'or et d'argent, en ne permettant (|ue
les galons étroits de simple étoffe; le costume
va changer tout à coup
Il faut serrer ces belles jupes
Qui brillent de clinquants divers.
On a pris les dames pour dupes,
Leurs habits n'en seront point couverts,
HENRI IV ET LOUIS XIII
107
dit une dame dessinée par Abraham Bosse en
1634 après les édits et la réformation du cos-
tume.
Changement radical, plus de surcharge d'or-
Boirgeoisc Louis XllI.
nements, plus d'étofîes à ramages, plus de
fines dentelles de Venise ou de Bruxelles. La
dame suivant Védit d'Abraham Bosse porte sur
une jupe plate, à plis tombant droit, sans le
moindre soupçon de vertugade, un corsage à
basques, à taille très haute serrée par un
simple ruban, des manches larges, ouvertes
108 MESDAMES NOS AÏEULES
sur une manche de dessous très simple sans
la moindre broderie ni garniture.
La grande fraise, le grand collet monté ou
rabattu est remplacé par un grand rabat de
lingerie qui monte jusqu'au menton. Il n'y a
plus dans ce costume aucun reste des modes
(lu xvi^ siècle définitivement trépassées.
Mais ce costume extrêmement simple, dune
sobriété qui touche à l'austérité, restera celui
des toutes petites bourgeoises, des bonnes
ménagères à qui les édits somptuaires ne cau-
sent pas grand souci ni douleur; c'est en
somme dans les grandes lignes, le coslume
actuel des sœurs de Saint-Vincent rie Paul,
aux couleurs près.
Les belles dames vont prendre ce modeste
costume d'après les édits et le transformer bien
vite et en faire un des ensembles les plus élé-
gants et les plus charmants que la mode ait
inventés, un type vraiment remarquable de
haute distinction, juste au moment où le cos-
tume masculin si dégagé, si cavalier des pre-
miers temps de Callot. va se modifier en mal.
devenir lourd et guindé avec les justaucorps
HENRI IV ET LOUIS XIII
109
à taille sous les bras et les hauts de chausses
tombant au mollet.
Fin du règne de Louis XIII.
La robe s'ouvre du haut en bas, laissant
voir un devant de corsage de satin clair orné
d'aiguillettes et terminé en pointe arrondie sur
une jupe de dessous de soie ou satin mordoré.
110 MESDAMES NOS AÏEULES
La robe de dessus ainsi largement ouverte et
assez longue, a tous ses plis sur les côtés ou
par derrière.
Les manches bouirantes sont coupées en
minces bandes du haut en bas, rattachées sur
la saignée par un ruban ou simplement ou-
vertes sur une riche manche de dessous et
garnies sur l'ouverture d'aiguillettes ou de
nœuds de rubans.
Plus de collets montés, rien (|ue des collets
rabattus. Ces grands collets et rabats de lin-
gerie ont bien vite repris quelques riches bro-
deries, dont les pointes tombent maintenant
très bas sur les épaules et sur les bras, en
même temps que de hautes manchettes dente-
lées et découpées de la même broderie mon-
tent des poignets jusqu'au coude.
Et touifes et boulTettes de rubans partout,
rosettes au corsage; guirlandes de rosettes à
la ceinture, et colliers de perles tombant dans
le corsage, carcans de bijouterie serrés au cou,
diamants et pierres sur les aiguillettes et les
ferrets. Voici la dame à la mode de 163o qui
s'en va promener ses riches atours à la Place
HENRI IV ET LOUIS XIII
m
Royale parmi les galants à moustaches retrous-
sées, qui papillonnent sous les arcades.
Ce sera tout à l'heure le costume des
héroïnes de la Fronde, des duchesses liguées
contre Mazarin, et cela deviendra en se modi-
fiant peu à peu le grand costume des fêtes
éblouissantes de la cour de Louis XIV.
Elégante Louis XHI.
». >^;'
VII
SOUS LE ROI-SOLEIL
Les héroïnes de la rronde. — De la Vallière à la MaiiiLe-
non.— Les robes dites transparentes. — Triomphe de
la dentelle.— Le roman de la mode. — Les Steinquer-
ques. — La coilTure à la Fontanges. — Le règne de
M""' de Maintenon ou trente-cinq ans de morosité.
LerèiiiiL' du grand rui. Le règne des architec-
tures étalant une somptuosité d'apparat, une
A LA COUR DU ROI-SOLHIL.
sous LE ROI- SOLEIL 113
solennité majestueuse et le règne des perru-
ques également solennelles et majestueuses,
des modes dun luxe écrasant, où la superbe
écrase un peu l'élégance !
Le grand siècle! la grandeur poussée jus-
qu'au gonflement et la splendeur jusqu'à la
surcharge, la même lourde magnificence dans
le style des hôtels ou des palais, demeures des
nobles seigneurs emperruqués, dans le mobilier
noble et pompeux que dans l'habillement
masculin et féminin et dans les fantaisies raf-
finées du costume.
Le grand règne a un prologue légèrement
agité, la Fronde, qui donne occasion aux
belles dames de faire un peu de galante poli-
tique et de se donner une petite idée des
émotions de leurs grand'mères du temps de
la Ligue. La mort a desserré la forte main qui
tenait les brides du royaume, Richelieu dis-
paru, on peut caracoler.
Et à l'exemple de messieurs les ducs, les
héro'ines de la Fronde ont caracolé! Ce com-
mencement, quand le grand roi n'est encore
que le petit roi, a une jolie allure romanesque.
8
114 MESDAMES NOS AÏEULES
M"'^Mes Duchesses, M'"° de Ghevreuse. M'"^ de
Moiitbazoïi, M'"'' de Bouillon, M"^^ de Lon-
g'ueville et la duchesse de Montpensier, Made-
moiselle, la Grande Mademoiselle, petite-fille
d'Henri IV, qui aide à battre les soldats du roi
à coups de canon, en attendant (ju'elle soit.
à coups de canne, battue par son mari, le
beau Lauzun pris à défaut de Louis, — les
belles et séduisantes rebelles aux libres al-
lures, aux beaux yeux et aux belles tailles
sans aller jusqu'à la casaque des gardes et la
hongreline soldatesque, arborent avec crnnerie
des costumes semi-militaires.
Pendant les annéesde trouldes et d'émeutes,
de guerre civile à Paris et de cavalcades armées
dans les provinces, n'assistent-elles pas aux
parades des troupes levées par les princes
contre les troupes du Roi, avec Gondé ou contre
Gondé: — ces amazones, du haut du perron de
rHôteldc Ville, ne haranguent-elles pas les Pa-
risiens toujours en goût d'émeute, le populaire
hérissé de vieilles hallebardes et d'arquebuses
ligueuses, ne passent-elles pas en revue dans
Paris un ]teu assit''gé 1rs forres de îa Fronde, les
sors LE ROI-SOLEIL Hî
milices parisiennes qui traînent bruyamment
ce qui reste du pittoresque bric-à-brac guerrier
(lu temps de M. de Guise, la Cavalerie des
portes cochères et le régiment de Corinthe de
M. le Coadjuteur, — et ne tirent-elles pas vail-
lamment, quand les affaires se gâtent, le
canon de la Bastille sur l'armée royale? Quel
joli prétexte à modes cavalières.
Tout est à la Fronde, les modes comme le
reste. La mode pouvait avoir quelque motif
d'en vouloir au Mazarin qui renouvelail les
édits prohibitifs, ces éternels édits sans doute
oubliés ou bravés aussitôt que publiés et qu'il
fallait renouveler toujours, frappant alterna-
tivement les passementeries au profit des gui-
pures, et les guipures au bénéfice des passe-
menteries.
Louis a grandi, il règne.
Mais le roi est jeune, le grand siècle songe
à se divertir, il aime la gloire, mais il aime
aussi le plaisir. C'est sa première manière,
plus tard le siècle et le roi, vieillis tous deux,
tout en gardant le eulte de la gloire, songe-
ront à se repentir du plaisir.
116
MESDAMES NOS AÏEULES
La der/iière reine de la mode, reine austère
et pincée qui mettra le siècle en pénitence
pour le punir de toutes les frivoles inventions
Une Duchesse de la Fronde.
de son bel âge, ce sera la réfrigérante M"^*^ de
Maintenon.
En attendant, c'est Ninon de TEnclos la sé-
ductrice qui traverse tout ce siècle, ou c'est
su us LE KUl-SULEiL
la Vallière, c'est Montespan, c'est Fontaiiges,
avec une foule de reines d'un jour ou de demi-
reines.
Gomme Louis dit : « l'Etat c'est moi», la mar-
quise de Montespan peut dire : « la Mode c'est
moi! » Cela n'empêche pas une foule de génies
féminins de trouver chaque jour quelque idéal
colifichet, quelque coquetterie jolie à faire
tourner toutes les têtes, quelque arrangement
nouveau que les marquis de Molière trouve-
ront délicieux.
Pour les hommes c'est le temps des canons,
des rhingraves, ces bizarres hauts de chausses
en forme de jupons enrubannés, des petites oies
en bouquets de rubans. Pour les femmes, nulle
époque ne vit ajustements plus riches. Hommes
et femmes se ruinent en déploiement de faste.
Pas trop de changements dans les grandes
lignes, mais d'incessantes petites modifications
de détails et d'ornementation. Ce fut un défilé
de modes rapides, se succédant plus somp-
tueuses ou élégantes les unes que les autres, et
l'on trouva pour les désigner une foule d'appel-
lations pittoresques : les galants, les échelles,
1!8 MESDAMES NUS AÏEULES
les laiirreluchcs ou menues bouffettes de soie,
les transparents, les falbalas, les prétintailles,
les steinquerkes et les coiffures à la Fontanges.
riiurluberlu, etc.
Voyons les portraits des belles du siècle, des
belles des commencements, du temi)s des
l'ur'lies et des jjrécieuses de riiùtel de Ram-
bouillet, et des belles des Tuileries uu de
Versailles, étoiles des tètes du roi du Soleil.
C'est la coillure en largeur qui domine d'abord,
ce sont pendant longtemps les cheveux frisés
sur le Iront et tombant en frisures, en boucles
très larges sur le coté ou en cadeneltes sui-
vant la mode inventée sous Louis XIII par
M. de Cadenet. frère du connétable de Luynes.
longues tresses nouées par des n(euds de ru-
jjans dénommés « galants ». Avec cela des
robes fort décolletées, laissant largement voir
les épaules, des colliers de grosses perles, les
derniers rabats de dentelles (jui diminuent et
disparaissent complètement, des corsages en
pointe à belles et fines broderies, des manches
courtes ouvrant sur des tlots de linon ou des
manchettes de dentelles.
su us LE ROI-SULEIL
110
La première jupe se relève comme des cour-
tines de rideaux et se rattache sur le côté par
des agrafes enrichies de brillants ou par des
Commencement du grand règne.
nœuds de rubans, découvrant ainsi de mer-
veilleuses, d'étincelantes robes de dessous.
Louis XIV a mis à la mode la bride sur le
cou en laissant tomber les édits somptuaires
de Mazarin. Les dentelles prohibées reparais-
120 MESDAMES NOS AÏEtJLËS
sent, les somptueuses étoffes interdites re-
viennent au jour. Les tissus d"or est d'argent
seuls sont interdits, le roi se les et réservés
pour lui et pour la cour
Le roi fait des cadeaux de pièces de ces pré-
cieuses étoffes d'une ornementation noble et
touffue aux personnages en grande faveur,
comme il accorde aux courtisans favorisés des
justaucorps « à brei^et ».
M™^ de Montespan règne après La Val-
lière. A certaine fête de la Cour, elle étincelle
dans une robe « d'or sur or, rebrodé d'or, re-
bordé d'or, et par-dessus un or frisé, rebroché
dun or mêlé avec un certain or qui fait la plus
divine étoffe qui ait jamais été imaginée »,
ainsi que le dit M"'^ de Sévigné.
Les robes « transparentes » ont un succès
fou. Ce sont des robes d'étoffe transparente,
mousseline ou linon, sur lesquelles de larges
bouquets de fleurs multicolores ont été peints
ou imprimés, portées sur un dessous de satin
moiré et brillant, — ou bien c'est tout le con-
traire, des robes de brocart à grands ramages
courant sur fond or ou azur, par-dessus les-
sous LE GRAND ROI. - FIN DU XVII^ SIÈCLE.
sous LE ROI-SOLEIL
121
quelles passe une robe d'un tissu léger trans-
parent comme de la dentelle.
La dentelle s'accommode de toutes façons, du
haut en bas du costume féminin, du corsage
Une favorite du Roi-SoleiL
aux souliers, et s'allie avec les floches de rubans
qui nouent les cheveux, forment des échelles de
grands nœuds sur les corsages, chamarrent les
jupes et flottent un peu partout.
Des manufactures de dentelles ont été créées
de tous côtés, inventant les « points d'Alençon,
MESDAMES NOS AÏEULES
Valciicieuiies, le Puy, Dieppe, Sedan, etc. » ;
les dentellières françaises produisent p( nu-
toutes les bourses, bourses de duchesses ou de
procureuses, bourses de marquise ou de simple
commentante, depuis la riche guipure coûtant
des centaines de ])istoles. que portera la favo-
rite aux fêtes de la cour, jusqu'aux dentelles
dites gueuses ou neigeuses, qu'arboreront la
toute petite bourgeoise ou même la dame de
la halle aux jours de cérémonie.
En 1680, révolution dans la coiffure. Le vent
décoiffe pendant une chasse royale la duchesse
de Fontanges qui a pris le cœur de Louis après
la Montespan. Pour rétablir l'harmonie de sa
coiffure, la belle ébouriffée prend le ruban de
sa jarretière et rattache ses cheveux avec une
jolie rosette par devant. Tout ce que font les
favorites n'est-il pas toujours exquis et déli-
cieux? Les nobles seigneurs se pâment devant
la gracieuse insj)iralion, les dames s'extasient,
et dès hi lendemain se décoiffent à la Fontanges.
Les coiffures à la Fontanges font fureur et
régnent pendant des années, revues, modifiées
et considérablement augmentées. Elles de-
sous LE nui- SOLEIL 123
vienucnl un édifice de dentelles, de rubans et
de cheveux, avec la haute pointe de dentelles
caractéristique qui, d'après Saint-Simon, monte
à deux pieds de haut, soutenue par du til d'ar-
clial. — ensemble composé de pièces diverses
(jui, toutes, avaient leurs noms.
La Fontanges, d'origine folâtre, dura long-
temps, plus tard elle cessa de plaire au roi,(iui
naimait sans doute plus que les coilYures aus-
tères de la veuve de Scarron.
La princesse Palatine, la princesse Charlotte
de Bavière, tille de l'Electeur palatin, qui vint
en France en l()7i pour épouser Monsieur, frère
du roi, ayant adopté une sorte de petit mantelet
court pour couvrir un peu ses épaules trop
découvertes par la mode des corsages très dé-
(îolletés. ces petites mantes adoptées bien vite
par toutes les dames, furent ai)pelées palatines
comme la princesse.
Le roman de la mode, toujours galant et
héroïque, nous fournit encore pour ce temps
les Steinkerques.
Epoque de chevalerie enrubannée et de bra-
voure empanachée à la mousquetaire. — La
12i MESDAMES NOS AÏEULES
position sera dure à enlever, dit un colonel à
sa troupe avant de charger, tant mieux, Mes-
sieurs, nous n'en aurons que plus de plaisir à
raconter l'affaire à nos maîtresses!
A la bataille de Stcinkerque gagnée sur
Guillaume d'Orange par le maréchal de Luxem-
bourg, les princes, Philippe d'Orléans alors âgé
de quinze ans, le prince de Conti et le duc de
Vendôme, avaient chargé avec la cavalerie, avec
une foule de gentilshommes, tous un peu dé-
braillés, leurs cravates de dentelles dénouées
et flottantes. Dans la joie de la victoire, la
mode adopta ces cravates négligemment passées
et toutes les femmes portèrent des dentelles à
la Stcinkerque.
La riche provinciale et la dame de petite
noblesse imitent les modes et les façons de la
cour, et la bourgeoise les suit également d'un
peu moins près seulement. Furetière dans son
roman bourgeois et Sébastien Leclère dans ses
eaux-fortes nous les dessinent avec leurs allures
bourgeoises, mais coquettes, dédaignant le
chaperon de leurs mères, portant grands rabats
et colliers de perles, corsages chamarrés et
sous LE ROI- S OLE IL
125
presque autant de dentelles et de rubans qu'on
en porte à Versailles. L'indiscret Furetière nous
les montre même empruntant des diamants
Premières coiffures à la Fontan^es.
pour les cérémonies et entrant à l'église avec
un laquais d'emprunt pour tenir la queue de
la robe.
Pour la femme du peuple, faisons passer la
120 MESDAMES NOS AÏEULES
servante de Molière, c'est une bonne lille. Sé-
bastien Leclère Ta dessinée aussi avec sa coiffe
assez simple, sa jupe relevée et sa camisole à
larges basques qui est la hongreline des offi-
ciers de Louis Xlll. adnptée plus tard par les
dames.
Ht les marchandes et les dames de la halle,
qu'il a dessinées également, portent grands
rabats et dentelles avec un air de dignité et de
majesté (|ui montre (pi"ell(^s sont, elles aussi,
du grand siècle.
La période épanouie et brillante du règne du
grand roi fut en réalité la plus courte, le pivot
tourna vers 1080 avec le conini<Mi<*enienl d(^
l'inlluence de M'"° de Maintenon. que le mi
épousa secrètement en 1085.
jNous n'irons plus au bois, les roses sont cou-
pées, ainsi que presque tous les lauriers.
Le règne de M""' de Maint eii(»n dui'a b^
laps respectable de trente-cinq ans. Ainsi, le
roi-soleil qu'on voit toujours dans le cadre
jiompeux de sa jeunesse, auréolé de gloire et
de galanterie, au milieu de ses courtisans enru-
bannés, planant parmi les fêles, les bals et les
sous LL ROI- SOLE FI. 127
carrousels, sur des constellations d'étincelantes
beautés, le grand roi fut de bonne heure un
vieux roi morose et ennuyé, aimant toujours la
pompe, mais avec une affectation de solennité
compassée, quelque chose comme une somp-
tueuse' austérité.
Le grand siècle fui aussi le siècle ennuyeux,
l'ennui doré en habit d'apparat et solennelle
perruque. Le roi se repentant des galantises
de sa jeunesse, tourné maintenant vers la dévo-
tion et Taustérité. entendait quo lout le inonde
fît comme lui.
La mode immédiatement changea. Le costume
des hommes et des femmes se modifia dans le
sens de la sévérité: les ornements trop éclatants
ou trop pimpants, les vives couleurs, les grands
ramages d'or qui jadis avaient ébloui la cour
et la ville disparurent pour faire place à des
ajustements plus sobres et plus discrets.
Cela dura jusqu'au temps où Louis XIV lui-
même, ayant eu près des coiffes austères de
M""^ de Maintenon son compte de morosité,
jugea qu'il ne serait pas mauvais de prier grands
seigneurs et granfles dames de rendre à sa cour
128
M E S 1) A M E S N () S AÏEULES
l'éclat et la splendeur des jours d'autrefois,
avant que la dévotion ne fût à la modo. Il est
inutile de dire si l'invitation fut entendue et si
les hnbillemeuts luxueux tardèrent à reparaître.
Fin ciu grand siècle.
Les dames de cette dernière période du grand
siècle sont vêtues d'étoffes splendides chamar-
rées et ramagées de la plus étincelante façon,
de robes ouvertes sur des devants de corsage
des plus fines dentelles, de brocart ou de damas
tissé d'or, avec les jupes relevées et drapées
Jy?.
V r"
sous LA RÉGENCE.
sous LE ROI- s OLE IL 129
SOUS un petit tablier de dentelle qui n'est pas
la pièce la plus heureuse de leur ajustement et
qui ne va guère avec les toilettes de sortie.
Sur la tête, ce sont toujours les hautes pointes
des coiffures à la Fontanges, édifice compliqué
devenu tout à fait extravagant, avec brides de
dentelle voltigeant par derrière.
Pour orner les jupes, la mode a les falbalas
et les prétintailles ; les falbalas, ce sont les
rangs de volants bouillonnes étages sur la
jupe, sur la jupe tombante et non sur la grande
jupe volante à queue, relevée sur le côté; ils
ont été inventés par un -personnage nommé
Langlée, fils d'une femme de chambre de la
reine, devenu à la cour l'arbitre du goût et
l'oracle de la mode.
Quant aux prétintailles^ c'était le nom donné
à une nouvelle façon de chamarrer les robes
au moyen de grandes découpures de fleurs de
toutes les tailles et de toutes les couleurs,
appliquées sur l'étoffe, décoration éclatante
qui faisait que les dames semblaient s'être con-
fectionné des robes avec des tapisseries ou des
étoffes à fauteuils.
Coill'ure d'intérieur.
VII
XVIir SIÈCLE
La lîcgenoe. — Folies el frivolités. — Cyllicrc àl'aris.
— Les modes >VaU.eau. — Les robes volantes. —
Naissance des paniers. — Criardes. Considérations et
Maîtres des requêtes. — M"'* de Pompadour. —
L'éventail. — Promenade de Longchamps.— Carrosses
et chaises à porteurs. — Modes d'hiver.
La France, ayant connu — après toutes les
gloires et toutes les magnificences — toutes
les amertumes et tous les désenchantements,
contemplait tristement le long et mélancolique
crépuscule du roi-soleil.
XV m'' SIECLE 131
Tenue depuis des années dans une atmos-
phère d'ennui pesant par le vieux monarque
et la vieille dame au visage pincé, elle eut
comme un poids de moins sur la poitrine
lorsqu'elle vit Louis dans son caveau de Saint-
Denis et M"'° de Maintenon réfugiée à Saint-
Cyr, et du jour au lendemain, il y eut une ex-
plosion : toute la jeunesse comprimée, toute la
frivolité rentrée, toutes les aspirations au
plaisir sortirent et le grand coup de folie de la
Régence commença.
Le fringant xviii*' siècle, tenu sous la férule
de ce vieux xvii'^ grondeur et impotent qui ne
voulait pas finir, allait soudain comme un
jeune page émancipé s'en donner jusque-là et
jeter sa perruque bien haut par-dessus tous les
moulins.
La mode que les moralistes disent fille de
la frivolité, inventa pour faire honneur à sa
mère mille folies nouvelles et comme ce n'é-
tait pas assez, on reprit parmi les anciennes
ce qu'il y avait d'assez oublié pour paraître
délicieux.
La earactéristi(iue de la mode au xvm° siècle,
132 MESDAMES NOS AÏEULES
dès la Régence, c'est l'ampleur, le retour
aux considérables envergures des jupes du
temps de Henri III, c'est-à-dire au vertugadin,
avec toutes ses conséquences, l'ampleur des
manches et l'ascension des coiffures qu'on sera
bientôt amené à exagérer en vertu d'une loi
d'équilibre et d'harmonie!
Sous Henri III, ce sont les fraises qui mon-
tent et mettent la tête dans un grandissime
cornet; sous Louis XV et Louis XVI, c'est la
coiffure qui se fait monumentale.
Les vertugadins reparaissent sous le nom de
paniers. Ilsviennentde l'autre côté de la Manche.
Ce sont deux dames anglaises qui les apportent
à Paris et les exhibent au jardin des Tuileries.
L'ampleur extravagante des robes de ces
dames excita une telle surprise parmi les pro-
meneurs et promeneuses que la foule s'amassa
autour d'elles et les pressa tellement qu'elles
coururent grand risque d'être étouffées ou tout
au moins très aplaties. Il fallut l'intervention
dun officier de mousquetaires pour tirer ces
dames et leurs paniers de ce mauvais pas.
Les modes alors ne faisaient pas comme au-
XVIir SIECLE
133
jourd'hui le tour du monde civilisé en six mois
pour disparaître pas usées complètement en
moins de deux saisons. Elles mettaient du
Chasseresse Régence.
temps à naître et à se développer et avec les
modifications, adjonctions ou améliorations que
la fantaisie pouvait chaque matin leur appor-
ter, elles duraient dans leurs lignes principales
pendant de longues années.
134 MESDAMES NOS AÏEULES
Le panier vivra tout le long du siècle et il
ne faudra rien moins que la Révolution pour
le tuer.
Il fallut quelques années au vertugadinpour
reconquérir Paris; sa restauration se fit lente-
ment, timidement, par petits essais modestes;
puis un beau jour, vers 1730, il domine, il rè-
gne sans conteste. Toutes les dames, laissant
les demi-mesures et les demi-paniers, adoptent
le grand panier de six pieds de diamètre dont
le développement exige pour le moins dix au-
nes d'étoffe.
Panier était le nom tout indiqué puisque les
premiers bouffants de jupes furent des ouvrages
de vannerie composés de cerceaux d'osier ou
de jonc, de véritables cages à poules qu'on
arrangea plus tard avec une armature de
baleines.
Un maître des requêtes du nom de Pannier
ayant péri dans un naufrage en revenant des
Antilles, son infortune servit de prétexte à
la mode cruelle pour donner un surnom au
panier alors dans le commencement de sa
gloire. Il y avait eu les petits paniers jan-
XVIIl'' SIÈCLE
135
sénistes descendant seulement au genou; les
criardes^ tournures de toile gommée et plissée,
^y Â0:
Robe volante.
qui criaient au moindre mouvement; les
houte-en-train, les tcUez-y, les gourgandines^
les culbutes^ des noms bien osés, trouvés par
-136 MESDAMES NOS AÏEULES
un temps peu bégueule, et les petits paniers,
plus respectables sans doute, dits « Considéra-
tions ». Les grands paniers furent quelque
temps des « maîtres des requêtes ».
La vogue des paniers amena naturellement
un changement dans la façon des robes. Alors
commencent ces modes très gracieuses, mais
quelque peu cythéréennes, légèrement désha-
billées, que nous avons baptisées du nom de
modes Watteau, en l'honneur du grand peintre
des fêtes galantes qui a jeté sur la toile tant de
belles dames de ce temps folâtre, en paniers
plus ou moins larges, rouge et mouches au
visage, l'éventail ou la grande canne à la
main, toujours prêtes à s'embarquer pour
Cythère avec quelque galant seigneur à talon
rouge.
Allez, belles dames, marquises ou filles d'o-
péra, figures gracieuses et folles, la vraie Cy-
thère est à Paris, gouvernée par Monsieur le
Régent ou par le roi Louis XV le Bien-Aimé.
Le siècle à cinquante années devant lui pour
s'amuser et folâtrer, cinquante années pour les
jeux et les ris, mais le temps viendra où les
TOILETTE DE COUR LOUIS XV,
XVIII^ SIÈCLE 137
larmes enlèveront le rouge et les mouches de
vos joues.
La mode invente donc les robes volantes
sans corsage ni ceinture du tout, tombant tout
droit des épaules sur l'ampleur du panier, ou
bien ajustées seulement par devant à la taille
et laissées flottantes avec de larges plis par der-
rière, façon originale qui donne à la démarche
un air de douce nonchalance et une grâce
amollie, la marque du siècle.
Pour ces robes flottantes, pour draper l'im-
mensité des paniers, on abandonne les lourdes
étoff'es de l'époque précédente et l'on adopte
les tissus plus légers, linon, basin, mousseline,
les fines étoff'es piquées de petits bouquets,
semées de fleurettes ou même de petits attri-
buts champêtres.
Sur les promenades, par les beaux jours, on
dirait une foule en déshabillé du matin, ce ne
sont que manteaux volants, robes flottantes
qui semblent des robes de chambre ; les bras
sortent des flots de dentelles, les visages sont
encadrés de molles collerettes ; les élégantes en
corsage lâche qui se promènent ainsi jouant de
138 MESDAMES NOS AÏEULES
l'éventail et faisant claquer languissamment
leurs mules à hauts talons ont toutes, suivant
un contemporain, un air de bonne fortune pro-
chaine.
C'est la régence. Que de soupers, que d'or-
gies galantes au Palais-Royal et ailleurs et que
de folles Parabère un peu partout dans la
fièvre de plaisirs qui sévit, dans Paris surex-
cité encore par une fièvre nouvelle, la spécula-
lion, qui du jour au lendemain avec Law, en-
richit ou ruine, fait monter les uns jusqu'aux
fabuleuses fortunes permettant toutes les
jouissances, ou précipite les autres dans des
détresses telles qu'il faut bien s'étourdir à tout
prix.
Robes flottantes, paniers, coiffures, colifi-
chets que la mode chaque jour invente, les
satiristes de la plume et du crayon ont beau
jeu. Les comédies et les chansons, le théâtre
italien et le théâtre delà foire, les caricatures,
les pamphlets, raillent de toutes les façons
les extravagants paniers et les paniers triom-
phants se moquent des moqueurs, s'enflent de
plus en plus démesurément.
XVIir SIECLE
130
Tout le monde en rit ou s'en plaint. Com-
ment faire tenir plusieurs dames dans un ca-
Grands paniers
rosse qu'une seule suffit à remplir de ses jupes
outrageusement ballonnées ? Tout est trop
petit, les maisons sont trop étroites, il faut
140 MESDAMES NOS AÏEULES
élargir les portes des salons pour livrer pas-
sage aux belles dames trop larges, comme
plus tard il faudra les agrandir par en haut
pour permettre aux gigantesques coiffures de
passer sans anicroche.
Les fauteuils aussi manquent de largeur,
comment s'asseoir avec ces immenses cerceaux
qui refusent d'entrer entre les bras des sièges
ou se relèvent indiscrètement?
Il n'importe, les paniers s'élargiront tou-
jours jusqu'aux premiers temps de Marie-An-
toinette et les jupes là-dessus se compliqueront
de grands et petits volants, de treillis, déplis-
sés, de lambrequins, de rubans arrangés dans
tous les styles, de cent façons des plus gra-
cieuses et des plus compliquées et des plus
baroques aussi.
Sous la robe qui reste longtemps volante
dans le dos, à la Watteau, le corps ou le cor-
set emprisonne solidement le buste, le corsage
de satin est en pointe descendant très bas ;
comme il est décolleté, un devant de gorge de
dentelles et de rubans, protège la poitrine
contre le froid.
XVIir SIECLE
141
Suivant la saison ou la température, on porte
desmantelets, des coqueluchons, c'est-à-dire de
coquets petits mantelets recouvrant les épaules,
avec capuchon léger de soie ou de satin, or-
nés de festons et de plissés, coiffures et man-
telets tout à la fois, ou bien des manteaux re-
couvrant toute la personne jusqu'aux talons,
espèces de dominos avec le coqueluchon ar-
rondi par un cerceau de fil de laiton autour de
la tète.
En somme, la mode pour les robes conserve
longtemps les mêmes formes, modifiées seule-
ment par les accessoires. De 172o à 1770 ou 75,
ce sont, à peu de différences près, les mêmes
dispositions et les mêmes lignes , le même
ballonnement des jupes, toujours les flots de
dentelles tombant des manches, toujours les
floches de rubans.
La belle époque pour la mode xvm« siècle,
celle qui fournit le plus joli type de costume
Louis XV, c'est l'espace compris entre 1750 et
1770, époque de juste milieu entre les ampleurs
exagérées de la Régence et celles non moins
exagérées du temps de Louis XVL
142 MESDAMES NUS AÏEULES
C'est le règne de Sa très belle, très liiie,
très artiste et très envahissante Majesté ma-
dame de Pompadour.
Pour évoquer cette épo({ue heureuse de vivre,
pour en deviner tout le charme, il suffit de
citer les noms de Boucher, Baudoin, La Tour,
Petite Modiste.
Lancret, Pater, Eisen, Gravelot, Saint-Aubin et
de toute la pléiade des petits-maîtres si légers,
si musqués, mais d'une grâce si délicieuse.
Certes il y a sous le parfum des roses une
odeur de corruption, et il ne faut pas trop
gratter le brillant de cette société au vernis
Martin. Il y a partout un tel laisser-aller, un
tel laisser-faire, une si remarquable difficulté
Il se scandaliser de quoi que ce soit.
XVIII^ SIECLE 443
Louis XV, après Pompadour tombe à Du-
barry et il a sou sérail, comme le grand Turc,
au Parc-aux-Cerfs, mesdames ses filles Loque,
Chiffe et Graille, fontmonter du corps de garde
des pipes et de l'eau-de-vie. Grands seigneurs
et financiers ont leurs « folies », où défilent
grandes dames ou filles d'opéra, les marquises
s'attablent à côté des gardes-franeaises chez
Ramponneau...
Mais que ce xviif siècle a soigné son décor
et qu'il s'est arrangé pour se faire une vie
douce et charmante, sans se soucier et sans
se douter de ce qui l'attendait au cinquième
acte de sa féerie ! Sa personnification la plus
exquise est dans le grand pastel de Latour,
dans le portrait de M'"^ de Pompadour, en né-
gligé d'intérieur, un petit poème de satin, de
rubans et de dentelles.
La femme règne et domine, le sceptre de
cette souveraine, c'est l'éventail. Depuis long-
temps l'éventail était en usage, le moyen âge
l'appelait Esmouchoir; il y avait eu l'éventail
carré en drapeau ou en girouette, l'éventail de
plumes qu'une chaîne de bijouterie attachait a
144
MESDAMES NOS AÏEULES
la ceinture des dames nobles du x\f siècle,
Toikttc de sortie.
Téventail plissé apporté d'Italie par Catherine
de Médicis et adopté par Henri III.
Dès le temps de Louis XIV, l'éventail est le
complément indispensable de la toilette des
¥
PARISIENNE SOUS LOUIS XV
XVIir SIECLE
145
dames, mais sa grande époque, celle qui créa
les plus jolis modèles, c'est le xviii^ siècle.
D'après G. de Saint-Aubin.
•
Montures de nacre et d'ivoire miraculeuse-
ment découpées et ciselées, peintures exquises
de Watteau, Lancret et des autres, les éven-
tails Louis XV, sceptres galants d'une société
musquée, poudrée et féminisée, sont dignes de
10
U6 MESDAMES NOS AÏEULES
mener, par les mains des favorites, monarque
ministres et généraux, les arts, les lettres, la
politique et le monde.
L'estampe de Gabriel de Saint-Aubin, inti-
tulée le Bal Paré, nous montre les élégantes
de ce temps en grandes toilettes; encore les
plis Watteau, les robes volantes ouvertes sur
le corsage et sur la robe de dessous, ratta-
chées à la ceinture par des rubans et relevées
bien de côté sur le ballonnement des paniers;
puis des garnitures voltigeantes, bordures de
fourrures ou bandes plissées, des volants de
satin ou de dentelle.
Les coiffures commencent bien à monter,
mais elles sont toujours élégantes et seyantes,
la chevelure poudrée est relevée sur le front
bien dégagé, arrangée en coques et en rouleaux,
mêlée avec des touffes de rubans, des plumes
et des perles.
Voyons ces mêmes dames à la promenade
de Longchamps, au grand défilé traditionnel
de Pâques, dans les superbes carrosses pein-
turlurés et dorés, — véritable carrosserie de
conte de fées, auprès de laquelle les plus somp-
XVIII*^ SIECLE 147
tueux équipages cirés, brossés et vernis de
notre prosaïque époque, sembleraient de vi-
laines et funèbres boîtes, étalant un luxe
croque-mort.
Dans ces imposants carrosses, menés par
d'imposants cochers en perruques, soutachés
et galonnés, avec de grands diables de laquais
aux éclatantes livrées accrochés à l'arrière-
train, dans toutes ces éblouissantes voitures,
quel déploiement de toilettes luxueuses, de
dentelles, de plumes et de rubans, de diamants
et de perles !
Des heiduques galopent aux portières, des
coureurs en bizarres costumes , jouent des
jambes à travers le flot des équipages, des ca-
valiers et des belles amazones, tandis que sur
les bas côtés de la route, dans la foule accou-
rue pour admirer les beautés à la mode et la
mode elle-même, dans le brouhaha des ren-
contres, des conversations avec les jeunes sei-
gneurs, les petits-maîtres et les grands roués,
la marquise et la présidente, la dame de qua-
lité et la financière coudoient la demoiselle
d' éra, la folle actrice, coqueluche des jeunes
148
MESDAMES NOS MEULES
D'après Moreaii le Jeune.
XVIII" SIECLE 149
galants de la comédie, qui se la disputent, ou
l'impure échappée de quelque folie de grand
seigneur ou de gros traitant, la courtisane qui
sera peut-être la semaine prochaine Reine de
la main gauche.
Vienne l'hiver, et ces élégantes laisseront
leurs carrosses et leurs chaises à porteurs; —
encore une des plus délicieuses créations de ce
siècle charmant , — elles quitteront leurs
chaises, peintes au vernis Martin de sujets
galants et de bergeries à la Boucher oii à la
Watteau; elles quitteront dentelles et rubans,
s'habilleront, s'envelopperont et se coifferont
de fourrures, et s'en iront, leur joli nez rose
enfoui dans la zibeline ou le renard bleu, les
mains enfoncées dans l'immense manchon
gros comme un tambour, courir sur la neige
dans les superbes traîneaux contournés, tara-
biscotés et peinturlurés, ornés de figures sculp-
tées et dorées, de la plus étonnante fantaisie.
Gi'und Chapeau Louis XVI.
IX
XVIIP SIÈCLE - LOUIS XVI
Les coiffures colossales. — Le pouf au sentiment. —
Parcs, jardins potagers et paysages animés de figures
sur les têtes. — La coilTure à la Belle-Poule. — Les
mouches. — Modes champêtres. — Les robes négli-
gentes. — Couleurs à la mode. — Le Monument du
costume. — Les amazones. — Modes anglaises. —
Les bourgeoises.
Il vieillit, le siècle des grandes élégances
poudrées et musquées, le siècle aux exquises
XVIll'^ SIÈCLE — LOUIS XVI 151
coquetteries, il prend de l'âge et s'ennuie dans
son papillotant décor rocaille.
Son goût s'est un peu fatigué, il ne se re-
nouvelle plus que difficilement, depuis long-
temps la mode est stationnaire et tourne tou-
jours dans le même cercle.
Le style Louis XV est devenu aussi ennuyeux
que jadis le style Louis XIV, le rococo paraît
à son tour perruque et vieux jeu; mais atten-
dez, la mode va essayer de donner un brusque
coup d'aile et tout risquer, même de tomber
dans le baroque, — ce qu'elle peut bien se per-
mettre trois ou quatre fois par siècle, après tout.
Le grain de folie qui couve toujours au fond
de la petite cervelle frivole et hurluberlue de
la déesse de lamode, va donc faire des siennes.
Conservant encore pour un temps les gracieuses
façons Pompadour et Watteau, la mode va se
rattraper sur les coiffures et prendre pour
champ d'exercice de ses caprices les plus fous,
pour théâtre de ses plus incroyables fantaisies
la tête de la femme, qu'elle va charger, arran-
ger, surcharger des plus folles inventions,
sous prétexte de l'embellir, qu'elle — transfor-
1Ô2 MESDAMES NUS AÏEULES
mera en paysage champêtre ou même mari-
time, qu'elle empanachera et rehaussera fabu-
leusement, sur laquelle elle bâtira des édifices
et ira même jusqu'à faire promener de petits
bonshommes ou de petites bonnes femmes,
des poupées de carton.
Paris alors pullulera de coilleurs de génie,
les Legros et les Léonard, Raphaëls et Ru-
bens, ou plutôt Soufflots de la coiffure, qui
tiendront des académies pour enseigner les
principes de leur architecture capillaire; qui
lutteront à qui trouvera, pour orner les têtes
aristocratiques, le comble du ridicule et qui le
trouveront plusieurs fois.
Les perruquiers avaient eu déjà leurs jours
de gloire au grand siècle, avec les majestueuses
perruques des hommes; devenus maintenant
les Académiciens de la coiffureÀU vont triom-
pher de nouveau, mais aux dépens de la grâce
féminine.
Voyons la femme à sa toilette, se préparant
pour les visites ou pour la sortie aux Tuileries,
à riieure du beau monde. C'est rallaire im-
portante de la journée, ce petit travail de labo-
GRANDS PANIERS LOUIS XVI.
XVIIl'^ SIECLE — LUUIs XVI 153
ratoire où l'art et la fantaisie accommodent
la beauté toute simple au goût du jour. Cette
heure de la toilette après le petit lever, Lan-
crct, Baudoin et tous les peintres galants ou
élégants du siècle, l'ont célébrée avec toutes les
coquetteries de leur pinceau charmeur, et les
caricaturistes ne se sont pas privés d'en sourire.
Dans le cabinet de toilette aux boiseries
blanches, moulurées et sculptées dans le style
rocaille, devant sonmiroir au cadre contourné,
Madame a été habillée par ses suivantes, femmes
de chambre ou soubrettes ; elle a pu à son petit
lever donner audience à ses galants et à ses
modistes, au marquis et au linancier, au poète
qui célèbre ses charmes dans V Almanach des
Miises^ au déluré chevalier et au galant abbé
de Cour à petit collet.
— « Qu'en dit l'abbé? » L'abbé a du goût et
ses avis sur tout ce qui touche aux fantaisies
de la mode sont précieux.
Mais tout ce monde frivole a été renvoyé,
c'est maintenant l'heure du coiffeur, le moment
sérieux de la journée, le seul moment vraiment
important.
154 MESDAMES NOS AÏEULES
L'artiste a besoin d'être seul pour ne pas
effaroucher l'inspiration, et d'ailleurs l'œuvre
est longue, difficile et demande tant de prépa-
ratifs et de soins pour être menée à bien! Une
ou deux femmes de chambre qui le compren-
nent à demi-mot et lui passent tout ce qui lui
est nécessaire lorsqu'il est dans le feu de la
composition, c'est tout ce qu'il peut tolérer
autour de lui.
Suivant le rang de la dame, c'est le grand
artiste à la mode, venu en carrosse, courant
d'hôtel en hôtel dans le noble faubourg, at-
tendu aux Tuileries ou chez quelque prin-
cesse, ou bien c'est l'un de ses élèves qui
opère, en frac et manchettes de dentelles et
l'épée au côte.
L'inspiration vient, et sous les doigts, sous le
peigne, sous le fer à friser de l'artiste, les plus
étranges monuments de boucles naturelles,
adroitement mélangées à d'énormes quantités
de tresses rapportées, s'élèvent, se roulent en
volutes, s'étagent, se superposent en coques^
tapés, marrons, frisures^ barrières, dra-
gonnes, béquilles, etc.
XVIII^ SIECLE — LOUIS XVI 155
Pendant vingt ans, c'est un défilé d'archi-
tectures étranges sous prétexte de coiffures. La
folie a élu domicile sur la tète des dames. On
peut citer, parmi les plus extravagantes inven-
tions, les coiffures à la Quèsaco, les coiffures
à la Mo7ite-au-ciel dont le nom indique assez
les proportions, la coiffure à la Comète, le
hérisson à quatre boucles inventé par Marie-
Antoinette qui porta jusqu'à l'exagération de
l'exagération l'empanachement des coiffures,
le parterre galant, le chapeau en berceau
d'amour, à la novice deCythère...
Il y avait aussi \e'è2Joufs, coiffures abraca-
dabrantes, le pouf au sentiment, assemblage
absurde de fleurs et de verdures poussées sur
une haute colline chevelue, avec des oiseaux
sur les branches, des papillons et des amours
de carton voltigeant dans ce bocage ridicule ;
\e x)ouf à la chancelier e, \e pouf à droite, le
pouf à gauche.
Le pouf au sentiment donne toute latitude
possible aux combinaisons et à l'étalage des
affections et des goûts, ne voit-on pas la du-
chesse de Chartres, mère du roi Louis-Philippe,
1Ô6
MESDAMES NOS AÏEULES
Luc impure, d'après WiUc,
XVIir SIECLE — LOUIS XVI
157
porter sur son pouf un petit musée de figurines :
son fils aîné dans les bras de sa nourrice, un
petit nègre, un perroquet becquetant une
Toilette de Cour.
cerise et des dessins exécutés avec les cheveux
de ses parents les plus chers.
Après la coiffure jardin, on trouve la coiffure
dite cascade de Saint-Cloud, avec une cascade
158 MESDAMES NOS AÏEULES
de boucles poudrées tombant du sommet de la
tête, la coiffure potager montrant quelques
bottes de légumes accrochées aux frisons, la
coiffure agreste, les paysages montrant une
colline avec des moulins qui tournent, une
prairie traversée par un ruisseau argenté avec
une bergère gardant ses moutons, des monta-
gnes, une forêt avec un chasseur et un chien
faisant lever du gibier.
Puis viennent la coiffure au Colysée, à la
candeur, aux clochettes, au mirliton, — la lai-
tière, la baigneuse, la marmotte, la paysanne,
le fichu, l'orientale, la circassienne, — le casque
à la Minerve, le croissant, le bandeau d'amour,
■ — le chapeau à l'énigme, au désir de plaire, la
calèche retroussée, l'économe du siècle, la
Vénus pèlerine, la baigneuse à la frivolité, etc.,
les frisures en sentiments soutenus et en sen-
timents repliés...
Les grandes coiffures d'apparat, fleuries, en-
guirlandées, empanachées, immenses et très
lourds échafaudages, tenaient une telle place
que les dames étaient forcées, dans les ca-
rosses où déjà elles avaient tant de peine à
XVIII'' SIECLE — LOUIS XVI lo9
caser leurs paniers, de tenir la tête penchée
de côté ou même de rester agenouillées.
Des caricatures représentent les dames ainsi
coiffées, dans des chaises à porteurs dont le
couvercle a été enlevé pour laisser passer le
sommet, blanc comme une Alpe, de la gigan-
tesque coiffure.
La plus étonnante de toutes ces grandes
coiffures fut celle dite à la Belle-Poule^ en
l'honneur de la victoire remportée en 1778, par
la frégate la Belle-Poule sur le navire anglais
VAréthuse. Sous la masse des cheveux ar-
rangés en grandes vagues, une frégate de belle
taille, avec tous ses mâts, ses vergues, ses
canons et ses petits matelots, naviguait toutes
voiles dehors. Après avoir composé ce chef-
d'œuvre, Léonard ou Dagé pouvaient se pendre,
ils ne trouveraient jamais mieux.
Ce fut donc vraiment jusqu'en 89, un défilé
d'inventions ridicules sur les têtes féminines.
La plus haute donnait l'exemple. Hélas ! elles
devaient expier ! La tête avait péché, la tête
paya. Et si la plus haute tomba, ce fut juste-
ment par la faute de celui qui pendant les
160
MESDAMES NOS AÏEULES
heureuses années avait prodigué pour elle les
inventions excentriques.
Léonard, l'illustrissime coifTeur de la reine,
Coiffure à la Belle-Poule.
était du voyage de Varennes. En ces jours ter-
ribles, dans le grand naufrage de la monar-
chie, que songe-t-on à sauver ? L'indispensable
Léonard ! Et cette faiblesse dernière tourna mal
pour la pauvre reine, car ce serait, dit-on, sur un
PARISIENNES 1789.
XVIII'' SIECLE — LOUIS XYI
161
renseignement erroné donné très innocemment
par Léonard parti en avant, à un détachement
des troupes du marquis de Bouille, que le
secours manqua à la famille royale arrêtée à
Varennes.
...Quand l'élégante était coiffée, quand elle
avait, en s'abritant la figure dans un grand
cornet de papier, été convenablement sau-
11
162 MESDAMES NOS AÏEULES
poudrée d'une couche épaisse de poudre —
mode étrange qui depuis le commencement du
siècle mettait la neige des ans sur tous les
fronts, qui recouvrait des mêmes frimas toutes
les tètes masculines et féminines — quand elle
avait sur les joues une forte teinte de rouge,
contrastant durement avec le blanc de la che-
velure, — le rouge c'est la loi et les prophètes,
avait dit M"''' de Sévigné, —il n'y avait plus, pour
que l'élégante fut irrésistible, qu'à placer les
mouches destinées à relever certains détails
de physionomie, à donner du piquant à l'ex-
pression.
Ces mouches que les femmes s'étudiaient à
placer de la façon la plus avantageuse pour
leur genre de beauté particulier, portaient sui-
vant leur place les noms amusants que voici :
La majestueuse se pose sur le front et V en-
jouée dans le coin de la bouche ; sur les lèvres
des brunes, c'est la friponne; sur le nez V ef-
frontée, légèrement comique ; au milieu de la
joue la galante, près de l'œil cette mouche qui
fait le regard à volonté languissant ou pas-
sionné, c'est r assassine, sans compter les fan-
XVI 11^ SIÈCLE — LOUIS XVI 163
taisies. les mouches en croissant, en étoile,
en comète, en cœur...
Mais voici les derniers jours d'un monde qui
va s'effondrer, d'une société qui va disparaître
dans une soudaine catastrophe.
Dès 1785, l'ancien régime est atteint, la
révolution est faite... dans les toilettes !
C'est une révolution complète, venue presque
sans transition, le galant costume xvni'^ siècle
est ahandonné pour une série d'inventions nou-
velles donnant des lignes tout à fait diffé-
rentes.
Adieu paniers, vendanges sont faites. Les
immenses paniers sont décédés, on a com-
mencé par les remplacer par les paniers dits à
coude^ consistant en un simple renflement sur
lequel on pouvait appuyer les coudes et par
deux petits jupons rembourrés appelés bêtises
portés sur les cotés et par un troisième placé
tout à fait derrière et très crûment dénommé.
Puis on les a rejetés complètement, et les
femmes en jupes presque plates se sont ache-
minées peu à peu vers la robe fourreau et le
trop simple appareil de la Révolution.
16 i
MESDAMES NOS AÏEULES
Marie-Antoinette fermière de Trianon, amène
un peu de paysannerie dans les modes, de la
paysannerie d'opéra-comique, de la bergerie à
la Florinn ou au Devin du Village. On voit ap-
r.oifTure d'intérieur.
paraître les chapeaux de paille, les tabliers,
les caracos, les casaquins.
Lronard régnant sur les télés et les gouver-
nant à sa fantaisie, pour le reste, l'arbitre du
goût à la cour de Marie- Antoinette, c'est
M"'' Rose Berlin, la arande mnndiande de
XVlir SIECLE — LOUIS XVI
165
modes de la reine, celle qu"oii apjDelle son
)ninistre des modes.
Rose Berlin ordonne et décrète, elle invente
Grand Chapeau.
et elle compose, les l'emmes crient merveille ii
tout ce qui sort de ses mains, et les maris se
plaignent de l'immensité de ses mémoires...
comme toujours.
Vers 1780, la mode tourne et cherche des
166 MESDAMES NOS AÏEULES
façons de robes nouvelles. On invente les
robes polonaises et les robes circassiennes qui
n'ont rien de polonais ni de cireassien, des robes
courtes d'abord, avec des relevés sur des paniers,
puis de longues robes de dessus flottantes.
La tendance aux modes négligées va bientôt
«accentuant, on voit paraître les robes lévites
qui sont l'occasion d'un scandale au jardin du
Luxembourg; une comtesse se promène avec
une lévite à queue de singe, c'est-à-dire à
queue bizarrement coupée et tortillée, elle est
suivie par une foule moqueuse, et il faut pour
la dégager faire avancer la garde.
Après les lévites viennent les robes négli-
gentes et demi-négligentes, les robes en che-
mise, les baigneuses et les déshabillés.
Pour ces toilettes déjà si singulièrement
baptisées, les couleurs à la mode sont :
Couleurs queue de serin, cuisse de nymphe
émue, carmélite.
Couleurs auDaupliin.
Couleurs de gens nouvellement arrivés.
Couleurs vive Bergère et Vert pomme.
Couleur soupir étouffé.
XVIII" SIECLE — LOUIS XVI
167
Une puce s'étant égarée à la cour, — la garde
qui veille à la porte du Louvre n'en préserve
Robe lévite.
pas l'épiderme des reines,— on a la série des
couleurs puce : Ventre de puce, dos de puce,
168 MESDAMES NUS AÏEULES
cuisse de puce, vieille j)uce, jeune puce. etc.
Ces couleurs puce font soudainement place à
une autre couleur également née à la cour et
plus gracieusement dénommée; c'est la couleur
cheveu de la Reine, appellation trouvée par
le comte d'Artois. Immédiatement toutes les
élolTos doivent être couleur cheveu de la Reine.
L'amazone, le costume féminin })our la pro-
menade à cheval n'était pas au xviii'' siècle
l'uniforme noir et lugubre infligé par le goût
moderne avec l'aifreux chapeau de haute forme
pour complément et aggravation, aux élé-
gantes de nos jours.
Moreau le jeune qui. dans la suite d'es-
tampes du Monument du costume, a fait
passer toute la belle société de son temps, vue
au milieu de ses fêtes, de ses cérémonies et de
ses plaisirs, au salon et au boudoir, au châ-
teau, à la Cour, à l'Opéra et au bois de Bou-
logne, a dessiné les élégantes de 1780, en
tenue de cheval, avec les longues jupes et les
ceintures, les redingotes anglaises ou les petites
vestes, les grands chapeaux à plumes ombra-
geant les catogans poudrés.
PROMENADE PARISIENNE 1790.
XVII I*-' SIECLE
LOUIS XVI
169
Elles étaient charmantes, et multicolores et
variées, ces amazones xviii° siècle, et certes,
la ibule dans l'avenue des Champs-Elysées ne
présentait pas alors le sombre aspect qu'elle
AiiMZonc (J'iiprcs Moicau le Jeune.
garde aujourd'hui, même aux plus beaux jours
de printemps.
Les dernières anr_ies de la monarchie voient,
comme une revanche de la guerre d'Amérique,
l'invasion des modes britanniques. Les formes
l'iO MESDAMES ^■ 0 S AÏEULES
sont bien nouvelles et tranchent complète-
ment clans l'ensemble comme dans tous les
détails des modes précédentes.
La toilette a des airs sans l'aron ou un
cachet anglais tout à fait nouveau régime. On
porte des vestes, des corsages à basques ou-
vrant sur des gilets, des fracs à gros boutons
ou à lacets, et des redingotes à grands revers
et triples collets, serrées à la taille et tom-
bant très bas par derrière. Les boutons énormes
et voyants de ces vestes et de ces redingotes
sont en métal de toutes les formes possibles et
(luel<iuefois illustrés de peintures; il en existe
de curieux échantillons dans les collections.
Les élégantes, comme les hommes à la
mode, portent deux montres avec deux lon-
gues breloques tombant du gilet, elles ont des
gilets, des cravates, des catogans et des cade-
nettes comme les hommes, elles portent de
grandes cannes comme les hommes. Il est
vrai que les hommes prennent bien le gros
manchon à l'occasion.
Et des fichus!... Toutes les femmes en por-
tent avec toutes les toilettes, d'immenses
XVIir SIECLE — LUUIS XVI
171
fichus faisant au-dessus de la taille très Ion-
Modes anglaises.
gue et horriblement serrée, un gonflement de
poitrine invraisemblable.
Ces toilettes arborent toutes les couleurs de
172 MESDAMES NOS AÏEULES
l'arc-cii-cicl les plus fraîches et les plus vives
ou les plus bizarres; ce sont des satins, des
taffetas, des draps citron, rose, vert pomme,
jaune serin, des gourgourans changeants, des
mousselines de tous les tons, unies ou rayées.
Les rayures ont un immense succès en 1787 sur
le dos des élégantes et sur celui des élégants.
Pendant Tété de cette année-là. hommes, femmes
et enfants, tout le monde est en toilettes rayées.
La coiffure aussi est révolutionnée, c'est déjà
la coiffure comme le xix^ siècle va la compren-
dre, c'est la naissance du chapeau moderne.
Les femmes sont toujours poudrées, elles
ont toujours sur la tète une innnense quanti lé
de cheveux arrangés en énornu^s i)erruques
lloconnantes autour de la ligure, dans le genre
de la perruque masculine, avec de grandes
boucles tombant de chaque côté du corsage et
dans le dos, ou, comme les hommes, un gros
catogan par derrière.
Les chapeaux sont de formes cl de dimen-
sions extraordinaires; bords immenses, fonds
énormes avec d'extravagantes accumulations
de garnitures. On ne se met plus une frégate,
XVIir SIECLE — LOUIS XVI
173
toutes voiles dehors, sur la tête, mais on se
coiffe d'une espèce de galiote renversée, mise
de travers et assez large pour servir de para-
chapeau bonnette.
pluie à roccasion. On porte le chapeau bonnette
et le demi-bonnette, un peu moins large mais
aussi haut, garni de nœuds de rubans, de ru-
ches et de bouquets de plumes de coq, le cha-
peau turban, haut bonnet de jnnissaire rayé,
174 MESDAMES NOS AÏEULES
avec écharpe de gaze et panache de plumes, le
chapeau à la Caisse cVescompte, c'est-à-dire
sans fonds, enpanier percé comme cette caisse,
le chapeau Cardinal sur la paille après l'af-
faire du Collier, chapeau en paille bordé d'un
ruban rouge cardinal, le grandissime chapeau
à la Tarare, le chapeau à la Basile inventé
après le grand succès dr; Beaumarchais avec
bien d'autres modes <à la Figaro, le chapeau à
la veuve du Malabar, les bonnets à la Mont-
golfier, au Globe lixé, au ballon, au moment
des premières expériences aérostatiques, puis
le bonnet aux trois ordres qui commence à la
réunion des États généraux le grand déiilé des
modes révolutionnaires...
Mais dans ce dix-huitième siècle qui valhiir
si lugubrement, à côté des belles de la cour et
de la ville, des dames plus ou moins grandes,
car il y a déjà le demi-monde, les danseuses
illustres et les courtisanes célèbres, à côté des
reines de la mode qui vont à Longchamps ac-
compagnées d'un heiduque à turban pour
porter leur parasol, précédées d'un coureur en
maillot ot bonnet à plume, la grande canne à
XVIII' SIÈCLE — LOUIS XVI
17i
la main, à côté des élégantes empanachées qui
suivent toutes les fantaisies de la capricieuse
fée aux chiffons, il y a les adorables petites bour-
Le cliapeau turban.
geoises que l'on retrouve dans les vieux por-
traits et dans les petits mémoires, charmantes
et tendres figures qui ne s'entourent pas,
comme les autres, du même nuage de plumes
et de dentelles, qui restent dans une note plus
176 MESDAMES NOS AÏEULES
discrète, suivant la mode un peu de côté et
conservant mieux les vieilles traditions et les
vieux atours.
A elles les jolies petites coiffes si différentes
des pyramides de cheveux et de colifichets à
la Léonard, ces coiffes bien plus seyantes que
l'on recouvre, pour sortir, d'un capuchon retenu
par un fil de laiton, à elles les robes de coupe
plus modeste et les petits paniers moins sur-
chargés que les paniers à falbalas de vingt
pieds de circonférence.
Jolies petites bourgeoises qui ont conservé
dans un siècle licencieux l'honnêteté des bonnes
vieilles mœurs, existences plus calmes se dé-
roulant dans un cercle étroit d'occupations fa-
miliales et de plaisirs simples, allant tout
doucement du sermon du dimanche à la pa-
roisse, — aux réunions sans façon et aux bonnes
parties champêtres.
C'est un monde qui s'en va finir aussi, dans
la grande fusion et confusion des classes, au
fond de la chaudière révolutionnaire, dans la
révolution politique et ensuite dans la révolu-
tion industrielle et scientifique, bouleverse-
^„...-^
MERVEILLEUSE EX TUXiaUE A LA GRECQUE.
XVIII^ SIÈCLE — LOUIS XVI
ment énorme qui aboutira pour tous à la vie
fiévreuse et haletante de notre siècle.
En attendant, sans se douter des temps dif-
ficiles qu'il va falloir passer, sans voir l'ef-
frayant nuage de sang qui monte à l'horizon,
la petite bourgeoise gaie et insouciante dans
son petit salon blanc, fredonne à son clavecin
quelque joli petit air bien tendre, et bien diffé-
rent de nos compliqués logarithmes musicaux.
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Cliagrin d'amour dure toute la vie.
1789.
12
Le lionnot Cii;tilotte (;iird;iv,
LA RÉVOLUTION ET L'EMPIRE
Modes dlles à la Bastille. — Modes révolulioiinaires. —
Noire-Dame de Thermidor. — Incroyables et mer-
veilleuses. — 1,'antiquité à Paris. — Athéniennes et
Romaines. — Une livre de vêtements. — Tuniques
diaphanes. — Maillots, bracelets et cothurnes. — Le
réticule ou ridicule. — Le bal des Victimes. — Per-
ruques blondes et oreilles de chien. — A la Titus. —
Les robes-fourreau. — Petits bonnets et Chapeaux-
Shakos. — Les turbans.
L'ouragan ({ui devait ptMidaiit vingt-cinq ans
rouler comme un cyclone sur notre vieille
Europe, souffle déjà sur Paris où il s'est l'ormé;
LA DEVOLUTION ET L EMPIRE 179
II bouscule, il abat, il broie. Comme un châ-
teau de cartes ou une Bastille, la monarchie
séculaire va s'écrouler sur les décombres de la
vieille société.
Et pendant ce temps, pendant que l'émeute
ensanglante la rue fiévreuse, que les tueurs
I)roinènent de pâles tètes coupées fichées au
bout 'des pi(|ues, pendant qu'à l'Assemblée ou
à la Commune, les nouveaux maîtres de la
l'rance décident tumultueusement du sort des
millions dhoinmes que la guerre va jeter les
uns sur les autres, pendant que déjà, dans
l'aube sinistre, se dresse sur son peuple, toute
rouge, ses deux bras levés tenant le glaive j la
nouvelle reine, la Guillotine, — • la mode
imperturbable songe à des combinaisons nou-
velles, elle modifie des jupes, elle arrange des
corsages, elle chiffonne des rubans d'une façon
inédite, elle a les inventions les plus fraîches
et les plus charmantes, elle lance des toilettes
idylliques d'une exquise nouveauté ; à une
nation nouvelle ne faut-il pas des costumes
nouveaux?
Le mouvement commencé dès les dernières
180 MESDAMES NOS AÏEULES
années tranquilles de Louis XVI, s'accélère et
s'accentue. La mode est sur une voie nouvelle,
et peu à peu disparaissent tous les caractères
du costume d'antan, de l'ancien régime,
comme on dit.
Dans la fameuse estampe de Debucourt, la
Promenade publique^ donnant la vision mul-
ticolore d'une foule élégante des premières
années de la Révolution, dans cette charmante
réunion de petites maîtresses et de muscadins
qui ne semblent guère songer au grand
drame, que reste-t-il des costumes et des
modes du siècle? De la poudre, quelques tri-
cornes sur des tètes de vieux bourgeois retar-
dataires et c'est tout.
Les femmes ont un aspect tout à fait nou-
veau. Les modes anglaises ont prédominé
d'abord, c'est-à-dire les vestes et les redin-
gotes d'amazones, puis les robes se sont sim-
plifiées comme façon et comme étoffes.
Les temps deviennent durs, adieu les riches
tissus, les soies et les satins, adieu les falba-
las coûteux de jadis ! La toile de Jouy, l'in-
dienne et le linon remplacent la soie et les
LA REVOLUTION ET L EMPIRE
181
couturières s'en tiennent aux formes droites
avec très peu d'ornements et d'accessoires.
On voit des corsages de linon forme chemise
laissant les bras nus à partir du coude, des
jupes toutes simples, presque plates, qui se
portent avec des ceintures à longs rubans flot-
tants. Pour relever cette extrême simplicité on
a les rubans aux couleurs nationales, les tro-
phées et les attributs révolutionnaires impri-
més sur l'étoffe ou quelque maigre ruche
ajouté au bas des jupes.
On continue à porter beaucoup de fichus de
182 MESDAMES NOS AIETLES
mousseline, et. pour les grandes occasions, la
toilette se complète avec des bouquets de
fleurs tricolores portés à gauche sur le cœur,
des bijoux patriotiques, médaillons de cou.
boucles de ceintures, d'acier ou de cuivre,
cocardes, boucles d'oreilles, boutons à la Bas-
tille, au Tiers-Etat, à la constitution, etc.
Pendant un temps tout esl // Ui Bastille, jus-
qu'aux chapeaux.
Les grands chapeaux, en cône démesuré, à
très larges bords et surchargés de rubans,
après avoir essayé de tenir quelque temps, ont
disparu ; il n'y a bientôt plus que des bonnets,,
des bonnets à grande coiffe bouillonnée enru-
bannés aussi, des bonnets ressemblant quel-
que peu à des coiffures du pays de Caux, et sur-
tout des bonnets dits à la paysanne ou à la
laitière, la jolie coiffe à grandes barbes de den-
telle que nous appelons aujourd'hui bonnet
Charlotte Corday, piquée d'une large cocarde
tricolore.
Presque plus de poudre Idanehe. — on va
en consommer tant de noire — on porte tous
ses cheveux au naturel, avec un peu do su|»-
LA IIKVOLUTION ET LKMPIRi:
isa
plémoiU aussi car la vogue des perruques
Itlondes commence.
Mais bientôt la tempête se déchaîne tout à
fait, c'esl la Terreur. ]*('ul-il rire encore ques-
Le chapeau Hussaicl.
lion de frivolités luxueuses et de modes? Les
rangs des élégantes s'éclaircissent, elles sont
à l'Abbaye, à la Force, dans cent prisons, ou
à Goblentz, — elles se cachent ou elles sont
morles.
184 MESDAMES NOS AÏEULES
L'extrême simplicité que chacun affecte dans
sa mise par prudence ou garde par décourage-
ment, ne suffit pas toujours à préserver de ce
titre de suspect ou de suspecte qui donne des
droits immédiats à l'échafaud.
Talleyrand a dit qu'ils ne connaissaient pas
la douceur de vivre, ceux-là qui n'avaient pas
vécu dans la vieille société d'autrefois. En 93,
le problème est de vivre, n'importe comment,
caché dans un trou de souris, s'il le faut. La Loi
sous ce doux règne de Liberté, ordonne que dans
chaque maison une pancarte placardée porte
les noms et prénoms de tous les habitants et
même l'âge, dure contrainte. Que de braves
gens qui ont connu des jours heureux et bril-
lants essayent dans quelque rue tranquille, au
fond d'un appartement silencieux, d'oublier
l'orage qui gronde et le tumulte des rues et les
horribles clameurs des clubs et des journaux.
Cependant un petit groupe s'obstine à tenir
haut et ferme devant les sans-culottes le dra-
peau de l'élégance ; des vaillants et des vail-
lantes montrent encore au Palais-Royal, sur
les boulevards, aux promenades, dans les
MERVEILLEUSE DU DIRECTOIRE.
LA REVOLUTION ET L EMPIRE 185
théâtres qui persistent à jouer, des toilettes
élégantes et bravent les citoyens en carma-
gnole et bonnet rouge, et les mégères trico-
teuses de la guillotine, mais à quels risques!
La mode n'ose plus lutter, la pauvrette a
caché sa tête sous son aile et regarde éperdu-
ment le ciel, espérant toujours quelque éclaircie.
La guillotine fonctionne toujours, s'inter-
rompant seulement de temps à autre pour
quelque fête idyllique, fête de l'Être suprême,
fête de l'agriculture ou de la vieillesse, avec
théories de jeunes filles en blanc, déesses de
la Liberté, chœur d'adolescents et de vieillards ;
pastorales charmantes, spectacles qui émeu-
vent doucement le cœur du bon Marat et du
sensible Robespierre. On a jeté du sable sur le
sang, le lendemain le ruisseau rouge recom-
mence à couler.
9 thermidor! Pour les beaux yeux de la
citoyenne Thérèse Cabarrus, astre qui va se
lever, Tallien a bravé la mort suspendue sur
toutes les têtes. Il a jeté bas Robespierre et la
poussé à son tour dans les bras impassibles de
la déesse Guillotine !
18(3 MESDAMES NOS AÏEULES
M"^*^Tallien devient Notre-Dame de Thermi-
dor, celle qui saovr p.ir In souveraine puis-
sance de la l)«>aut<'' !
Tn imnieiise soupir (1(^ soulnficmenl passa
sur la France et immédiatement les élégances
comprimées et terrorisées sortirent de terre,
avec le luxe, avec la frivolité, la folie même,
avec la joie, le rire, dont on semblait avoir un
besoin furieux api-ès tant fie sanû' et tant
de larmes.
Les incroyables et les merveilleuses qui
s'étaient déjà montrés avant la Terreur rem-
plissent soudain les promenades et les boule-
vards, et la mode, à qui le régime de Robes-
pierre n sans doute tourné la tète, toute paie
encore de son émrdion, se livre loul de suite à
mille extravagances.
Tandis que les incroyables si bien nommés,
les muscadins de la jeunesse dorée, avec leurs
habits à grands collets, leurs immenses cra-
vates et leurs gourdins si nécessaires contre
les Jacobins et les sectionnaires terroristes,
cherchaient leurs inspirations dans l'imitation
des mojjes anglaises, les merveilleuses se
LA REVOLUTION ET L EMPIRE 187
vouaient toutes à l'antiquité. Pendant quelques
années, plus de Parisiennes, rien que des
Grecques et des Romaines.
Robes étroites sans taille, simples fourreaux
serrés sur le sein même par une ceinture,
courts par devant pour laisser voir le pied, un
peu traînants par derrière, tel est le vêtement
des merveilleuses. On ne connaît plus que
lantiquité. G"est un recommencement.
Dans ce passage sombre de la Terreur on a
oublié la pudeur. Ces robes à Tathénienne ne
sont que de simples deuxièmes cbemises, — ce
qui pourrait passer, n'étaient les bijoux, pour
un symbole de la pauvreté de ces temps de ruine
oîi le louis d"or valait buit cents livres en assi-
gnats, — ce sont des tuniques d'un linon trans-
parent, qui plaquent sur le corps de In femme
au moindre mouvement.
De plus les tuniques diapbanes des grandes
élégantes ne sont-elles pas fendues sur les
cotés à partir des bancbes.
Notre Dame de Thermidor, Thérèse Cabarras
devenue la citoyenne Tallien, est la Reine de
la Mode, elle se montre à Frascati. ainsi velue
188 MESDAMES NOS AÏEULES
OU plutôt dévêtue, sa robe à l'athénienne
fendue latéralement laissant voir ses jambes
dans un maillot couleur chair, avec des cercles
d'or à la place des jarretières et des cothurnes
à l'antique et des bagues à chaque doigt de ses
pieds de statue.
Dans les salons, dans les jardins d'été, aux
promenades, cène sont plus que robes à l'an-
tique ouvertes en haut comme en bas, portées
avec chemises à la carthaginoise ou même
sans chemise du tout, sandales et cothurnes
attachés par des bandelettes rouges, cercles
d'or enrichis de pierres précieuses, arrange-
ments de tuniques et péplums, corsets-ceintures
hauts de deux doigts seulement sous le sein et
ornés de brillants.
Les robes en voltigeant laissent voir les
jambes ou même, quand elles ne sont pas ou-
vertes sur le côté, se relèvent au-dessus du
genou au moyen d'un camée en agrafe et mon-
trent franchement la jambe gauche.
Très peu de manches, un simple bourrelet
à l'épaule, ou même pas de manches du tout;
des camées rattachent les épaulettes de la
LA REVOLUTION ET L EMPIRE
189
robe, des bracelets nombreux habillent le bras.
Comme il était impossible d'adapter des
Merveilleuse.
poches à ces tuniques si légères, à ces voiles
si minces, les dames avaient adopté l'usage
de la balanline ou du réticule^ nom ancien
que l'on prononça tout de ?>miQ ridicule — d'un
petit sac orné de paillettes ou de broderie,
VJO M LSI) ami: s NUS AÏEULES
;iyniit surtout la forme d'uae petite sabrctache
(le hussard, qu'elles portaient à la main pour
luellre leur bourse ou leur mouehoir.
Le hihiiophilc Jacob raconte (jue dans un
sainn dt' la Mode sous le Directoire, cnniuie on
se pâmait dadmiration devant un de ces cos-
tumes d'un goût si réellement antique qu'il n'y
avait plus rien au delii. sinon les modes du
Paradis lei'reslre, la merveilleuse (|ui le {»orlail
paria (piil ne })esait pas deux livres. La j)reuve
lut faite, la dame passa dans un petit boudoir
rt son costume tout entier, pesé avec les bijoux,
ne dépassa pas de bcaucouii le jxiids d'une
livre.
Cette dame vêtue à l'athénienne pouvait se
croire même très habillée, car d'autres tinu-
vèrent le mnyen de l'être encore moins et pous-
sèrent l'audace jusqu'à oser s'exhiber, ce qui
est le mot. dans le costume dit à la Sauvagesse.
(le costume à la sauvagesse était enc(jre j)lus
simple }»uis(pril ne se composait que d'une
chemise de gaze et d'un pantalon-maillot rose
orné de cercles d'or.
Des femmes se pi'omenèi'cnt aux (iliam]js-
A IliVULUTIUN ET L EMPIKE JDl
Elys(!^cs (laii< des Iburrcaux d'une tmiispareiiee
})res({iie absolue, ou même avec les seins eum-
plèlement nus, et ces femmes n'étaient nulle-
ment d<'s hétaïres quelconques, mais des
l'emmes du monde officiel d'alors, des amies
de Joséjdiine de Beauharnais î
Inconscience i)lutôt qu'impudeur, accès d*,'
fulic. |('(l(''lire des plaisirs après la folie furieuse
<'t le délire du sang !
(les merveilleuses qui avaient bravé la liuil-
lotine Ijravaient la maladie. Pleurésies et
tluxions de poitrine frappaient pourtant ces
folles élégantes au sortir des bals et des salons,
quand après la danse elles partaient à peiiu'
couvertes dans le froid de la nuit, par-dessus
leur quasi-nudité, d'un mince tichu ou d'un
scliall large comme une écharpe.
Ces merveilleuses demi-nues qui prcnaieid
leurs modes à Athènes copiaient aussi leurs
coiffures sur celles des statues grec(iues et
portaient les cheveux frisottés dans un réseau,
les tresses et les nattes piquées de bijoux.
Mais la vogue fut surtout pour les perru<iues
blondcsi M""" Tallicn en avait jusqu'il trente.
192 MESDAMES NOS AÏEULES
de toutes les nuances du blond. Ces perruques
blondes, légèrement poudrées, les Jacobins les
avaient abhorrées et proscrites ; après thermidor
elles triomphaient et devenaient le symbole de
sentiments contre-révolutionnaires.
Les coiffures à la victime ou à la sacrifiée
eurent aussi leur temps de succès, on relevait
les cheveux par derrière et on les ramenait en
mèches folles sur le front ; cette coiffure de
guillotine, complétée par un terrifiant ruban
rouge autour du cou, par un chàle également
rouge jeté sur les épaules, était indispensable
pour se rendre au fameux et macabre Bal des
Victimes, dont l'entrée n'était permise qu'aux
danseurs ou aux danseuses pouvant justifier
d'un ascendant ou de quelques proches parents
morts sur les échafauds de la Terreur.
Paole d'honneu victimée, ces dames sont
déliantes! disent les incroyables à chaque nou-
velle invention plus délicieuse et plus antique
des couturières à la mode, M"^*^ Nancy et
M""*^ Raimbaut, qui sont des modistes très éru-
dites et très artistes, qui se font aider par les
sculpteurs pour trouver des manières de se
PREMIER EMPIRE.
LA RÉVOLUTION ET l'eMPIRE 193
draper toujours plus grecques et des plis encore
plus romains.
Les modes romaines un peu moins légères
ont été adoptées par les dames que la trop
Coiffure à la Titus.
grande transparence des tuniques à la Flore
ou à la Diane effraie un peu.
Les robes à la romaine sont portées par les
dames du monde officiel qui se croient tenues
à un peu de réserve, mais les deux mondes
fusionnent. Athéniennes légères et frivoles,
débris de l'ancienne société et parvenus de la
nouvelle, fournisseurs des armées ou spécula-
is.
194 MESDAMES NOS AÏEULES
leurs subitement enrichis, muscadins et mus-
cadines, victimes et bourreaux, jeunesse dorée,
armée, politique, finances, tout cela forme,
après la grande secousse, le plus incroyable
des mélanges, et tout cela,] malgré les misères
présentes, l'avenir incertain, s'agite dans l'épa-
nouissement du bonheur de vivre après la
grande tuerie.
Soudain la mode a décrété la fin des per-
ruques blondes et la coiffure à la Titus obliga-
toire pour toutes les élégantes ; les belles du
Directoire rejettent ces épaisses perruques et
sacrifient aussi leur chevelure personnelle.
Presque plus de cheveux ou le moins possible!
« La coiffure à la Titus, dit la Mésangère dans
« le Bon Genre^ moniteur officiel de la mode,
« consiste à se faire couper les cheveux près
tt de la racine pour rendre à la tige sa raideur
a naturelle qui la fait croître dans une direc-
« tion perpendiculaire. » Merveilleuses et mus-
cadins sont tous coiffés à la Titus, tous tondus
avec quelques mèches très longues en désordre
sur le front.
Il y a encore un autre type de Merveilleuse
LA REVOLUTION ET L EMPIRE 195
du Directoire, c'est la Merveilleuse à la Carie
Vernet, légèrement vêtue encore, se serrant
dans un mince jupon plaquant de couleur fifi
pâle effarouché^ mais portant au-dessus d'un
corsage si petit qu'il est invisible, au-dessus
des seins nus, le cou engoncé dans les plis et
replis d'une formidable cravate, tout comme
son pendant l'élégant Muscadin, et sous son
grand chapeau à plumes, la figure encadrée
comme la sienne de longues mèches pendantes
en oreilles de chien.
C'est ainsi qu'à l'aurore de notre siècle sont
habillées et coiffées les élégantes. Pendant le
Consulat et les premières années de l'Empire,
elles vont rester les Merveilleuses, un peu, —
oh, pas beaucoup, — plus vêtues que sous le
Directoire.
Ce sont toujours les mêmes robes, souvent
transparentes, le décolletage règne souverai-
nement malgré les saisons. Les femmes d'alors
vont poitrine décolletée et bras nus dans la rue
comme celles d'aujourd'hui au bal. C'est leur
champ de bataille. Pour lutter contre le froid
elles ont les écharpes, les châles, — le commen-
196
MESDAMES NOS AÏEULES
cernent des fameux cachemires qui jouent un si
grand rôle dans la première moitié de notre
siècle. On a inventé des vêtements particu-
.-Oy:
;^^
Sous le Consulat.
liers, comme la petite veste de hussard qui
vers Tan YIII se passe par-dessus le corsage
décolleté et encadre les épaules de sa fourrure,
ou le spencer, autre veste bien moins gracieuse.
LA RÉVOLUTION ET l'eMPIRE 197
Les célèbres portraits de Josépliiiie de Beau-
harnais par David, et de M'^^^ Récamier par
Gérard, allongées sur des lits de repos à l'an-
tique, nous montrent deux belles Romaines
du temps des empereurs, plutôt que des Fran-
çaises d'il n'y a pas cent ans. Elles étaient
pourtant habillées ainsi, les élégantes des salons
du Directoire, les belles Parisiennes qui fai-
saient cercle autour de Garât chantant ses
romances, ou qui dansaient avec le beauTrénitz
la gavotte ou la « loalse » alors dans toute sa
nouveauté.
Yoilà que les coiffures à la Titus ne sunt
plus de mode en 1803 ou 1804, c'est vieux,
c'est province. Et les cheveux qui ne se sont pas
empressés de repousser immédiatement après le
changement de goût ! Les dames regrettent
leurs belles tresses blondes, brunes ou rousses
et sont bien forcées de recourir aux tours de
tête et aux postiches pour montrer de nouveau
de grandes boucles ou pour s'arranger des
grands chignons étrusques avec nattes enrou-
lées.
C'est un vilain moment qui commence pour
198 MESDAMES NOS AÏEULES
le costume féminin, il semble que la mode,
conquise elle aussi, ait gardé toute son ima-
gination gracieuse pour habiller magnifique-
ment, arranger, soutacher, broder, passemen-
ter, empanacher, dorer les innombrables es-
cadrons que S. M, l'Empereur et Roi allait faire
galoper et tournoyer d'un bout de l'Europe à
l'autre, les superbes sabreurs lancés sur les
canons et les baïonnettes de tous les peuples
réunis.
Salons de Frascati, jardins de Tivoli qui
avez vu défiler les belles du Directoire si har-
diment déshabillées dans leurs tuniques flot-
tantes et transparentes, dans leurs fantaisies
athéniennes si osées, que dites-vous des toi-
lettes que vous voyez porter aujourd'hui à ces
mêmes femmes ou à leurs sœurs cadettes, que
pensez-vous de ces sacs disgracieux qu'elles
appellent des robes, de ces fourreaux ridicules,
de ces chapeaux en abat-jour, de ces visières
en capote de cabriolet?
Les modes masculines ne sont pas plus
jolies. Que ceux qui ne veulent pas consentir
à les porter s'engagent dans les hussards! Les
LA REVOLUTION ET L EMPIRE
199
costumes des hommes sont laids déjà, comme
ils vont l'être de plus en plus dans le courant
du siècle.
Mais les femmes! voici une élégante de 1810:
Commencement du xix^ siècle.
La jupe d'abord, — il y a si peu de corsage
que la jupe est à peu près tout le costume, —
la jupe de percale ou d'étoffe assez commune
commence sous les bras et tombe d'une façon
20) MESDAMES NOS AÏEULES
inélégante jusqu'au bout des pieds, ou bien s'ar-
rête assez haut au-dessus des bottines. Quelques
plissés, quatre ou cinq rangs de garnitures dé-
coupées en dents de scie, quelques volants éta-
ges ornent assez gauchement le bas de ces jupes.
Presque pas de corsage, la ceinture bride
le sein; la robe n'a pas de manches, les bras
sont nus sauf deux gros bourrelets aux épaules,
les épaules sont décolletées. On porte des ca-
nezous brodés ou bien de grandes collerettes
à plusieurs rangées de plis tuyautés. C'est la
seule chose assez gracieuse de la toilette, encore
arrange-l-on souvent ces collerettes d'une assez
lourde façon, pour engoncer plutùt que i^our
orner.
Quant aux chapeaux, ils sont bien souvent
ridicules. Comme toutes les idées sont tournées
vers l'armée et la guerre, les dames, sur ces
toilettes assez baroques, arborent quelquefois
des espèces de casques empanachés et enguir-
landés, de grands chapeaux en forme de
shakos; on voit même de vrais casques, dits à
la Clorinde qui ont l'intention de rappeler les
casques des chevaliers des Croisades.
"^-■'^■I
PARISIENNE DE 1810.
LA RÉVOLUTION ET l'eMPIRE 201
Un moment la mode est aux petits bonnets,
des petits serre-têtes d'enfants ornés de den-
telles qui donnent aux dames des airs naïve-
ment enfantins, mais le triomphe de l'époque
i
Altendaat les Vainqueurs.
ce sont les grands chapeaux cabriolets, les
capotes énormes qui s'allongent démesuré-
ment en avant de la figure enfoncée et dissi-
mulée au plus profond de l'armature. Quelque-
fois ces capotes en cabriolet se compliquent
d'un grand tube de haute forme, plus haut
que le plus haut de tous les shakos des armées
de sa Majesté.
202
MESDAMES NOS AÏEULES
Et pour qu'elles trouvent le moyen d'être
gracieuses quand même là-dessous et d'être
Grand chapeau Empire.
adorées par tous les étincelants officiers qui
s'en viennent, entre deux victorieuses cam-
pagnes, brûler rapidement leurs cœurs à la
flamme de leurs yeux, il faut que les femmes
soient vraiment jolies.
LA REVOLUTION ET L EMPIRE 203
Pour les bals et soirées, dans les salons où
papillonnent les beaux officiers à côté des ci-
vils rejetés dans l'ombre, les femmes qui
n'ont pas les allures triomphantes des Mer-
veilleuses de la période précédente, mais qui
au contraire, sous le regard des guerriers em-
panachés, prennent des allures de colombes
timides, les belles ont des jupes extrêmement
courtes ornées de bouquets de fleurs et laissant
voir le bas de la jambe et le cothurne, non
plus le cothurne antique de la belle Tallien,
mais un cothurne soulier, attaché aussi par
des cordons sur la cheville.
Ces belles de l'Empire, ces rêveuses Malvinas
en robes sacs, qui songent aux beaux guerriers
chargeant là-bas de l'autre côté du Rhin, se
coiffent avec leurs tresses massées en casques,
ou bien à la Chinoise, tous les cheveux tirés
en l'air.
Les beautés sérieuses prennent le turban
des Turcs. On connaît le célèbre portrait de
M™^ de Staël enturbannée, les salons se remplis-
sent ainsi d'odalisques parisiennes et Ton trouve
leur coiffure charmante. Après cela, qu'est-ce
20^
MESDAMES NOS AÏEULES
qu'une jolie figure et des yeux vifs ou langou-
reux ne sauraient faire passer?
Ces turbans prennent vite des proportions
énormes et se surchargent de gazes, d'écharpes
Robe orientale et Turban.
de couleurs variées et de plumes, ils devien-
nent sous la Restauration Tapanagc des dames
mûres des mamans et belles mamans, et leur
font ces figures d'un comique extravagant
que nous ne pouvons regarder sans rire dans
les gravures du temps.
Que aire aussi des spencers qui donnent un
LA REVOLUTION ET L EMPIRE
205
aspect si étriqué à ces toilettes déjà peu jolies
de ligues, des lourds carricks, des redingotes
fourrées et des Yitchouras? Les fourrures
sont très h la mode, on porte astrakan, mar-
Chapcau Empire.
tre OU zibeline en vêtements de toutes sortes
et en pelisses de toutes tailles.
Tout ce monde si bizarrement habillé, toutes
ces femmes dont les costumes semblent sépa-
rés par des siècles des toilettes du xviii*^ siècle,
des falbalas qu'ont portés leurs mères, s'agi-
tent dans un décor également bien différent
206 MESDAMES NOS AÏEULES
de celui qu'inventèrent les artistes et les
peintres rococo.
Sommes-nous en France ou en Grèce, ou en
Egypte, en Etrurie ou à Palmyre? Dans quel
siècle vivons-nous, le xix^ après l'ère chré-
tienne ou avant? Ce décor antique donné tout
à coup à la vie, date du Directoire, ce sont les
architectes retour de Rome, Percier et Fon-
taine, qui l'ont implanté dans Paris et des hô-
tels des personnalités à la mode, il a passé
bien vite dans les maisons de la classe bour-
geoise.
On s'habillait à la grecque et à la romaine,
avant Percier et Fontaine, le costume avait
donc précédé l'architecture et influé sur la
création d'un style.
Est-il rien de plus élégant qu'un salon qui
ressemble à un temple grec ou qui figure un
intérieur de tombeau étrusque ? Garnitures de
cheminée de style funéraire, trépieds imités
de Pompéï, chaises curules, fauteuils incom-
modes mais ornés de lions, de cygnes, de
cornes d'abondance, lits gardés par des sphinx,
commodes chargées de glaives, somnos en forme
LA REVOLUTION ET L EMPIRE
207
de cippe funéraire ou d'autel, tables de nuit pom-
péiennes, etc. Partout des lignes rigides, des
ornements froids, partout des palmettes, des
entrelacs étrusques ou grecs, voire même des
motifs égyptiens, quand l'expédition d'Egypte
mit la terre des Pharaons à la mode.
Il fallait avoir dans l'esprit de considérables
ressources de gaîté intérieure pour trouver la
vie agréable parmi ces formes raides et dures,
dans ce cadre sévère, solennel et antique, dis-
tillant une maussaderie et un ennui très mo-
dernes.
CoifiFure Empire.
Chapeau 1814.
XI
LA RESTAURATION
ET LA MONARCHIE DE JUILLET
Manches boufTantes, manches à S'pOL — Les colle-
rettes. — Modes à la girafe. — Les coilTures et les
grands chapeaux. — 1830. — Epanouissement des
modes romantiques.— Les derniers bonnets. — 1840.
Chastes bandeaux. — Modes Juste-milieu.
Sous la Restauration, crannée en année, les
très laides et inélégantes modes de l'Empire
s'améliorent et prennent tin peu de grâce.
Probablement la mode a cessé de consacrer
PARISIENNE 1814.
LA RESTAURATION 209
a ■
toutes ses pensées et toutes les ressources de
son génie aux beaux houzards et aux brillants
aides de camp des armées françaises. Le goût
féminin renaît.
Les costumes vont gagner tous les jours,
perdre de leur raideur et leur indécision,
prendre de l'ampleur ici, s'alléger là, et dès
182o, devenir pour une dizaine d'années, tout
à fait charmants.
Une grâce aimable et distinguée, une ex-
quise originalité, une élégance souple et natu-
relle, de belles ondulations de jupes, des coif-
fures extrêmement seyantes, très trouvées, les
modes de ce temps-là sont vraiment délicieuses,
et la femme de 1830 a droit à une belle place
de choix dans les évocations des élégances
d'antan, parmi les plus charmantes figures du
passé.
Plus tard, quand notre pauvre xix'^ siècle
aura glissé avec les autres dans le gouffre qu'il
peut, hélas, entrevoir déjà, quand les belles
d'aujourd'hui seront à leur tour devenues des
aïeules, lorsqu'on songera à se figurer les
femmes de notre siècle, c'est avec les toilettes
14
210 MESDAMES NOS AÏEULES
de 1830, pour la première moitié, et de...
mettons 90... pom^ la seconde moitié, qu'on se
les représentera.
C'est la bonne époque, les dessins et pein-
tures d'alors, des Devéria, Gavarni et autres,
sont là pour témoigner de la grâce des toilettes
portées par les femmes de 182o à 183o, de la
seconde période de la Restauration aux pre-
miers temps de la monarchie de Juillet, i^endant
le grand renouveau des idées et des arts.
Ah! celles-ci, nous les avons connues, elles
nous intéressent plus que toutes, ce ne sont
pas des figures vagues, estompées dans le re-
cul des siècles! Nous les avons connues..., de-
Venues de bonnes et charmantes vieilles, au
visage encore encadré de boucles comme aux
jours d'autrefois, mais de boucles blanches,
avec des lunettes sur ces yeux jadis, paraît-il,
vifs et rieurs ;..
Après la chute de l'Empire, l'anglomanie*
domine pendant quelques années dans les toi-
lettes, et aussi un peu de cosaquomanie; les
modes parisiennes sont des imitations des
modes de Londres; mais peu à peu se dégagent.
LA RESTAURATION
211
et de tâtonnements en tâtonnements, arrivent
à réaliser de fort jolis types de toilettes.
/^^)\^Î:
C'est encore pendant quelques années la robe
sac ou fourreau de parapluie de l'Empire, avec
212 MESDAMES NOS AÏEULES
des essais de corsages, des tailles placées moins
haut, des essais de manches à gros bouillons,
et des chapeaux plus ou moins gracieux de
formes tout à fait bizarres et toujours vastes
de proportions, des chapeaux au fond desquels
assez souvent la figure se dissimule presque
complètement.
Le grand luxe revient pourtant avec la tran-
quillité, avec le repos qu'on n'a pas connu de-
puis vingt-cinq ans, avec la cour, dans les
salons qui ont retrouvé l'éclat de jadis, et
qui ne sont plus seulement des petites réunions
de mécontents ou de simples parlottes, comme
autrefois, discutant la dernière victoire ou le
dernier revers de l'Empereur, unique sujet
de conversation entre deux parties de whist.
Reprenons quelques-uns des vieux verres de
la grande lanterne magique que le temps fait
passer si rapidement et voici les élégantes de
la Restauration, les belles romantiques et les
lionnes de la monarchie de Juillet.
La robe de gros de Naples blanc, avec des
Volants jaunes au bas de la jupe élargie, la
même garniture en pèlerine sur les épaules,
LA RESTAURATION
213
des manches à gigot, — elles viennent de
naître et triomphent concurremment avec les
Toilette de soirée Restauration,
manches à l'éléphant et les manches à l'imbé-
cile, — collerette tuyautée, grand chapeau de
214 MESDAMES NOS AÏEULES
paille de riz avec rubans de satin et panaches de
grandes plumes.
Jupes élargies garnies de bouillonnes de gaze
et de coques de satin, de volants et d'entre-
deux de dentelles, canezous, jupes écossaises,
grands chapeaux décoratifs ornés de gros bou-
quets de fleurs, — ces chapeaux de M™'' Her-
bault dont les chroniques et les romans d'alors
coifl*ent toutes les belles, — immenses gants
habillant tout le bras...
Cette dame qui joue rêveusement de la harpe
dans une soirée élégante, les épaules drapées
dans une écharpe de gaze rayée, est coifl'ée
d'un grand béret ({ui va bien à son profd poé-
tique; en sortant du salon, elle s'enveloppera
dans une rotonde ou dans un de ces vastes
manteaux de drap à palatine découpée, à
grand collet et doublure de fourrures, pen-
dant que Monsieur, le monsieur à toupet frisé,
habit bleu à boutons d'or et pantalon collant,
endossera son carrick.
Pour Tété, pour la campagne, pour la pro-
menade, pour aller consulter le sorcier de Ti-
voli, canezous d'organdi ruches de tulle, grands
LA RESTAURATION 215
chapeaux de paille avec d'immenses rubans
dressés.
Pour le théâtre, pour les sorties, pour tous
les temps frais, on aies boas, ces. boas que
nous venons tout récemment de voir revenir et
qui sont l'occasion de si jolis mouvements.
Les serpents de fourrure s'enroulent sur les
épaules nues et sertissent chaudement et vo-
luptueusement les fraîches carnations.
En 1827, pour célébrer l'arrivée de la pre-
mière girafe au jardin des Plantes, toute la
mode est à la Girafe,
Ce qui reste de ces modes à la Girafe, c'est
le grand peigne d'écaillé qui se place tout en
haut de la tête au sommet de l'édifice. Les
coiffures sont très hautes, les cheveux se re-
lèvent en plusieurs coques serrées avec un en-
cadrement de boucles tombantes autour du
visage, partagées irrégulièrement, trois d'un
côté, quatre de l'autre...
Elle est charmante, l'élégante de 1830 en
costume de soirée, avec le complet épanouis-
sement des manches à gigot, ses épaules émer-
geant d'une ligne de fine dentelle, sa nuque
216
MESDAMES NOS AÏEULES
bien découverte sous le grand peigne d'écaillé
planté triomphalement dans les masses blon-
des ou brunes, tordues et réunies au sommet
de la tête.
Dans la rue ou sur les boulevards, aux prome-
0%)
^^
Chapeau ISilO,
nades, aux Champs-Elysées, elle est décolletée
encore et se drape sans se cacher dans un petit
châle porté coquettement.
Revenons un peu sur le chapitre des coif-
fures ; ce n'est pas le moins important, il
peut se subdiviser en sous-chapitres : les toques
i
^
UNE ÉLÉGANTE AUX CHAMPS-ELYSÉES. RESTAURATION.
LA RESTAURATION
217
et bérets chevaleresques et Ossianiques, les
bonnets et turbans, et enfin les chapeaux,
C'est un poète qu'il faudrait pour célébrer
Béret de ^dZ:.
dignement la grandeur et pleurer la décadence
du chapeau féminin. Sous la Restauration, jus-
qu'en 1835, c'est la gloire et le triomphe du
chapeau ; il plane superbement sur la tête des
dames, il fait voltiger ses plumes, il balance
218 MESDAMES NOS AÏEULES
gracieusement ses rubans, ses coques et ses
immenses nœuds de satin.
Parti des tromblons ou des shakos sans
grâce de l'Empire, des tubes enfermant la figure
au fond d'un corridor obscur, il s'est modifié
peu à peu, il s'est élargi, il s'est ouvert. On le
campait tout droit sur la tête; maintenant, il
se pose gentiment de côté sur les cheveux
roulés en grosses boucles irrégulières. La
nuque bien dégagée apparaît dans toute sa
coquetterie, les épaules se montrent aussi à
l'ombre d'un grand chapeau car les robes sont
largement décolletées et les jolies collerettes
tuyautées ne les surmontent pas toujours.
C'est le moment du triomphe pour le cha-
peau, mais la décadence viendra vite, les bords
roulés en cornet ou en corridor reprendront,
on supprimera rubans et panaches, on enfer-
mera la figure tout ou fond du corridor et le
cou sous d'immenses et disgracieux bavolets.
Nous irons ainsi de lamentables inventions en
créations baroques et inélégantes jusqu'au
petit chapeau bibi fermé, du second Empire,
jusqu'au ridicule chapeau assiette de. 1867.
LA RESTAURATION
219
Mais la réaction en sens inverse est com-
Lcs grands Chapeaux Restauration.
mencée, nous avons pu revoir en ces dernières
années de vraiment gracieuses coiffures.
La femme d'alors dans Tintimité ne craint
220 MESDAMES NOS AÏEULES
pas les grands bonnets coquettement chiffon-
nés, vastes comme les chapeaux, avec un fond
relevé très haut pour contenir le grand peigne
avec des ébouriffements de dentelles et de
rubans autour de ses boucles ou de ses an-
glaises. C'est le dernier temps d'élégance des
bonnets, ensuite, hélas! il n'y aura plus de
beaux bonnets qu'aux champs, tant que dure-
ront les majestueux hennins des Normandes
ou les coiffes voltigeantes si variées des femmes
de Bretagne.
Après ces jolis bonnets de boudoir des lion-
nes de 1830, la décadence du bonnet commence.
Il est encore joli, le bonnet capricieusement
tuyauté sur la tète des petites modistes ou
grisettes au nez fùté de Parisienne, aux yeux
éveillés et railleurs; c'est d'ailleurs la coiffure
légère qu'elles font si légèrement voltiger
métaphoriquement par-dessus les plus hauts
moulins, mais ensuite le bonnet des grisettes
devient la coiffure sans grâce de grosses
boutiquières, enfin, chute complète, le bonnet
devient portière...
Vive, légère, enjouée, dans l'ondulation de
LA MONARCHIE DE JUILLET
ses larges jupes et le flou de ses monumen-
tales manches à gigot, l'élégante de 1830 s'en
va éblouir les boudoirs de la chaussée d'Antin
;t
Bonnet d'intérieur.
et les promenades fashionables, les Champs-
Elysées ou Longchamps et faire palpiter le cœur
des dandys engoncés dans leurs hauts collets
d'habits. Sous son grand chapeau hérissé de
MESDAMES NOS AÏEULES
touffes de plumes et de rubans, elle disparaît
quand elle veut, un simple mouvement du cou
et la voilà dissimulée au fond de cette coiffure
de strict incognito.
Elle galope aussi au bois de Boulogne dans
son amazone de couleur à manches à gigot,
ornée de torsades ou de brandebourgs, ou bien
égayée par un blanc canezou...
Plus tard par malheur, elle osera porter, à
la campagne pour ses promenades équestres, à
la place de son large chapeau à grand voile
voltigeant, la casquette, la hideuse casquette,
honte du xix*^ siècle.
Il faut voir, aux loges des théâtres à la
mode, les rangées de jolies femmes décolle-
tées, dans les corsages ouverts en pointe jusqu'à
la taille sur une large chemisette brodée, les
parements du corsage revenant sur les épaules
et les manches, — les boas enroulés, les ac-
croche-cœurs et les boucles, les cheveux tor-
dus et dressés de cent façons différentes et
compliquées, avec des fleurs, des peignes, des
pointes de satin...
Les belles romantiques, dit-on, arborent à
LA MONARCHIE DE JUILLET
223
l'eiivi des toilettes plus moyen âge les unes
que les autres. Elles avaient pour nourriture
d'esprit après les troubadours du vicomte
Amazone 1830.
d'Arlincourt, après Ossian, Byron et Walter
Scott, les tirades passionnées et farouches des
grands drames d'alors, Hernani^ la Tour de
Nesle, Lucrèce Borgia, les vers, les romans,
les chroniques de tous les romantiques, de tous
les jeune France. Et, sous l'ceil fulgurant des
barons et des bandits gothiques, elles s'effor-
22^
MESDAMES NOS AÏEULES
çaient d'être le plus moyen âge possible dans
leurs ajustements.
Mais, au théâtre même, le moyen âge était
Coiffure à la Chinoise. 1830.
très 1830, les héroïnes de ces drames flam-
boyants, Isabeau, Marguerite de Bourgogne
ou Belle Ferronnière, malgré les recherches
de couleur locale, montrent, tout comme les
spectatrices, les inévitables manches à gigot,
et au fond en voulant se montrer moven-
TOILETTES D'INTÉRIEUR 1830.
LA MONARCHIE DE JUILLET
225
âgeuses, les belles de 1830 restent surtout 1830.
Hélas, hélas, ces modes d'une si jolie désin-
volture, ces modes à panaches, d'une élégance
Grand Chapeau et Coller ette.
truculente, pour employer l'idiome d'alors, ces
modes passent. La réaction bourgeoise anti-
pittoresque, qui commence dans les arts,
triomphe bien plus rapidement dans les toi-
lettes. Au bout de quelques années, les modes
se sont assagies, faut-il dire le gros mot? Dès
15
226 MESDAMES NOS AÏEULES
1835 OU 36, la mode, Tex-mode poétique^
romantique, cavalière, se fait juste milieu et
épicière, épouse de garde national, pour tout
dire !
La mode en 1835 a déjà perdu ses grâces et
tourné à la gaucherie en exagérant disgracieu-
sement les caractéristiques de 1830. Ce ne sont
plus les femmes de Dévéria et de Gavarni, ce
sont celles de Grandville.
Les jupes sont larges comme des cloches et
sans ornements, en simple mousseline blanche
ou imprimée de petits dessins bébêtes comme
ceux des papiers de tenture de l'époque. Les
manches sont d'énormes gigots boursouflés
mais flasques qui pendent très bas, très bas,
sur de tout petits poignets; les corsages sont
recouverts d'immenses pèlerines ornées de
broderies et dentelles, tombant plus bas que
la taille. Mettez sur la tête un grand chapeau
de paille d'Italie ou de paille de riz, fermé et
bridé sous le menton, et vraiment l'ensemble
n'est pas très séduisant.
Voyez les héroïnes de 1830, dix ans après,
en 1840; considérez tristement ces jupes sans
LA MONARCHIE DE JUILLET
227
lignes et sans ornements, ces manches hési-
tantes, gardant un peu de l'ampleur des gigots,
juste assez pour être disgracieuses, ces cor-
Toilelte d'intérieur.
sages quelconques, ces chapeaux dépourvus
d'allure, simples capotes attachées sous le
menton par des brides sans grâce.
Les coiffures n'ont plus les belles audaces
d'autrefois, ce sont des coiffures en bandeaux
228
MESDAMES NOS AÏEULES
plats, qui encadrent froidement et durement le
visage, ces chastes bandeaux, comme on disait
alors, qui tuent presque toute grâce et toute
Toilette romantique.
beauté — ce sont les anglaises, les longues
boucles tombant comme un feuillage de saule,
qui donnent une mine pleurnicharde aux
figures féminines les plus enjouées. La mode
LA MONARCHIE DE JUILLET
229
devient de plus en plus triste et de plus en
plus laide à la fin de la monarchie de juillet.
Plus de goût du tout, c'est le comble de la
banalité et de la platitude.
Il y a un mouvement qui porte les modes à
1830.
toujours aller du plus large au plus étroit et
toujours à revenir du plus étroit au plus large.
C'est une loi. De même pour les coiffures, on
va et on ira toujours du plus petit au plus
vaste et du plus vaste au plus petit, avec une
régularité parfaite.
230
MESDAMES NOS AÏEULES
Après les paniers Louis XV et Louis XVI, on
est allé aux jupes collantes du Directoire, la
plus simple expression des jupes, après laquelle
il n'y a plus que la suppression. Des robes
fourreaux de l'Empire, on est venu par degrés
à l'ampleur et l'on va regagner sous le second
Empire le grand maximum de largeur avec la
troisième restauration du vertugadin sous le
nom de crinoline.
1835.
^ u-«s^"^
l84o.
XII
ÉPOQUE MODERNE
1848. — Desrévokilions partout, excepté dans le royaume
de la mode. — Règne universel de la crinoline. —
— Les châles cachemire. — Talmas, burnous, pince-
tailles. — Modes de plages. — Robes courtes. — Saute-
en-barque. — Jupes larges et jupes étroites. — Les
modes collantes. — Poufs et tournures. — Modes
Valois. — Erudition plus qu'imagination. — On de-
mande une mode fin de siècle.
La Révolution de 48 n*a aucune action sur
les modes, elle ne lance pas, comme la pre*
mièrCj la toilette dans des voies nouvelles. En
232 MESDAMES NOS AÏEULES
ce temps de bouleversement, quand toute l'Eu-
rope semble gagnée par l'esprit de révolution,
lorsque tant de rêves plus ou moins beaux,
plus ou moins fous, brûlent le cerveau conges-
tionné des peuples, la mode à qui pourtant un
petit grain de folie serait certainement permis,
se conduit en personne sage et prudente.
Les toilettes continuent à se montrer émi-
nemment bourgeoises; on croirait que c'est
jyjme Prudhomme qui donne le ton.
Les tristes et mesquins chapeaux en petit
cabriolet, fermés sous le menton avec de petites
brides, régnent sans conteste, il n'y a pour
ainsi dire qu'une forme unique, à bavolet, sans
autres ornements que des rubans sans grâce.
La robe n'a pas la moindre ornementation
non plus, le corsage est très long, la jupe
droite. Sur ces toilettes plates on porte au
dehors des mantelets et des châles.
Ce sont ces toilettes, très sobres et très
effacées, que le second Empire va trouver à
ses débuts et qu'il transformera peu à peu en
un costume à grand fla-fla trè& compliqué, très
chargé et surchargé, mais plus que discutable
PARISIENNE 1835.
ÉPOQUE MODERNE 233
comme goût et même tout à fait dépourvu de
style, sauf dans quelques trouvailles heu-
reuses qui ne durèrent pas, vers 1864.
La grande pensée du règne, — côté modes,
— la grande innovation qui va donner le la
Chapeau 1848.
aux toilettes, c'est la crinoline, — honnie,
attaquée, vilipendée par vaudevillistes, jour-
nalistes, caricaturistes, par les maris, par
tout le monde, c'est la crinoline triomphante
de toutes les clameurs, de toutes les moqueries,
comme de tous les justes reproches:
On peut bien dire que sous l'Empire la
femme a tenu trois ou quatre fois plus de place
dans le monde — au moins en circonférence
234 MESDAMES NOS AÏEULES
— qu'aux époques précédentes, plus même que
sous Louis XV de peu vertueuse mémoire, la
crinoline ayant régné bien plus despotiquement
que les paniers, puisque les femmes de toutes
classes durent l'adopter et que les filles des
champs ne se crurent pas habillées le dimanche
à moins de ballonner comme les dames de la
ville avec la cage en cercles d'acier.
Les tournures et les jupons bouillonnes en
étoffe de crin ont habitué peu à peu les yeux
à l'élargissement des jupes, et lorsque la cri-
noline sans armature est délaissée pour les
cerceaux en ressorts d'acier et pour la crinoline
cage, à cercles et à montants d'acier, les dames
trouvent ce ballonnement charmant et la cri-
noline fait le tour du monde.
Il est bien inutile d'insister sur ses nom-
breux inconvénients qu'on a encore dans la
mémoire, sur la gêne qu'elle imposait, mais
au point de vue esthétique, la crinoline doit
être solennellement anathématisée, excommu-
niée, ridiculisée à jamais... c'est-à-dire jus-
qu'au jour où elle reviendra sous un autre
nom.
EPOQUE MODERNE
235
Il est vrai que les jupes s'arrondissant en
coupoles flottantes sur ces crinolines'si décriées,
et que tout l'ensemble de la toilette étaient
La Crinoline.
ornés d'une façon lourde et gauche de petits
détails mesquins appliqués sur de tristes étof-
fes, tandis que les paniers du xviii° siècle ont
eu pour eux une ornementation plus artiste
236 MESDAMES NOS AÏEULES
des jupes et des toilettes taillées dans les belles
étoffes à ramages. Leurs exagérations et leurs
ridicules avaient de la grâce, tandis que les
jupes, à crinoline ne rachetaient par rien leur
gauche balonnement. Un peu surfaites, les
suprêmes élégances de l'Empire!
Avec ces crinolines boursouflées et envahis-
santes, que portent toutes les femmes du second
Empire, on peut rappeler le talma, le burnous,
manteau algérien assez coquet, \q?> pince -taille
en soie gros grain à manches pagodes, — oh !
les manches pagodes ! entonnoir disgracieux
et incommode compliqué de dentelles ou
d'effilés !
Il faut noter surtout les châles, le fameux
cachemire de l'Inde et le grand châle tapis.
Le châle, dont on a si longtemps célébré
l'élégance (?), n'a vraiment quelque grâce que
lorsqu'il est petit, étroit presque comme une
écharpe, et lorsqu'il est porté avec irrégu-
larité et désinvolture. Que dire du grand châle
posé sur les épaules comme sur un porte-
manteau et tombant droit en dissimulant la
taille et la toilette de la femme, sinon qu'en
ÉPOQUE MODERNE 237
réalité ce châle-manteau est un vilain vêtement
et qu'il ne va tout au plus qu'aux fruitières
endimanchées.
On peut encore signaler les capelines parmi
les inventions commodes, et les vestes zouaves,
Chapeau second Empire.
les rouges garibaldis et les figaros, parmi les
nouveautés gracieuses de l'époque.
Le chapitre des chapeaux n'est pas bien bril-
lant. Jusque vers 1863, ce sont toujours les
grandes capotes de cabriolets, avec bavolets,
avec fleurs dans l'intérieur de la passe et au-
dessus; cette coifl'ure, c'est en somme le grand
chapeau de la Restauration, abîmé, ridicule-
ment arrangé, finissant tristement ses derniers
jours.
238 MESDAMES NOS AÏEULES
Voilà donc le luxe elTréné tant reproché aux
femmes par le président Dupin, dans la fa-
meuse brochure qui fît sensation en 1865, —
le luxe débordant les jours de Grand Prix dans
la grande Ville, roulant de l'hippodrome de
Longchamps tout le long des boulevards, le
luxe qui, paraît-il, faisait de Paris une Byzance
décadente, scandalisait Thonnète bourgeoise
en petit châle, et faisait monter le rouge aux
joues du reste de la vertueuse Europe, vouée
encore à la simplicité naïve et pratiquant le
culte de sainte mousseline à dix sous le mètre.
Effréné peut-être, ce luxe corrupteur et
effrayant, mais peu artistique, d'un goût mé-
diocre et donnant à très grands frais l'im-
pression du clinquant.
Bien que le recul ne soit pas encore suffi-
sant pour le juger, pour apprécier les modes
de ce temps dans leur ensemble, sans se lais-
ser influencer par la pointe de ridicule qui
s'attache au démodé, il semble cependant
qu'au siècle prochain les femmes et les artistes
le jugeront à peu près ainsi. Nous ne voyons
pas les peintres élégants d'alors ressuscitant
EPOQUE MODERNE 239
dans leurs tableaux les modes de 1860, pour
la joie des mondaines et des américains ving-
tième siècle.
Cependant la vogue des bains de mer qui se
Pince-taille.
dessine de plus en plus et qui deviendra bien-
tôt une migration annuelle et régulière de toute
la bourgeoisie vers les plages normandes ou
bretonnes, cette habitude des excursions esti-
vales amène quelques gracieux changements
dans la mode.
Un instant vers 1864, triomphe la mode des
robes courtes née sur les plages élégantes.
Plus de jupes traînantes, ou de robes longues à
larges volants. On conserve la crinoline, \m
240 MESDAMES NOS AÏEULES
peu modérée dans son envergure, mais on
drape et on arrange les jupes, avec des relevés,
des plissés, avec une grande variété d'orne-
ments appliqués, ornements très larges d'un
bon effet.
La fantaisie, étouffée depuis 1830, reparaît.
Ces très cavalières jupes courtes laissent voir
les bottines très luxueuses et très ornées, les
fines petites bottes très montantes dont on fait
sonner les hauts talons. — Un instant même
quelques élégantes des plages à la mode pren-
nent la grande canne Louis XIIL
On voit aussi de jolis vêtements très amples,
à larges manches, et des pardessus dits SaïUe-
en-barqiœ. Les chapeaux bien différents du
cérémonieux chapeau fermé et très crânement
portés un peu sur le côté, sont des espèces de
coiffures de Toreros, ornés, de gros pompons
ou de plumes. La coiffure de l'époque est basse,
avec un crêpé sur le front, les cheveux' tom-
bant dans le dos massés dans un filet.
Les jupes courtes, si gracieuses avec la cri-
noline, avec les hautes ceintures à boucles, et
tous les ornements, ganses et soutaches dont
MODES DE PLAGE 1864.
KPOQUE MODERNE
241
on couvre alors le costume, sont bientôt vain-
cues par un retour offensif des robes longues.
rm:^^
ijranil manteau Empire.
et la mode perd tout de suite ses allures cava-
lières.
La crinoline elle-même tombe un instant en
1867, au moment des jupes plates et traînantes,
des corsages péplums, nés dun retour de
goijt pour la tragédie, dont on déclame de^
16
242 MESDAMES NOS AÏEULES
fragments au Café-Concert, au moment des
petits chapeaux assiettes, posés sur le front
devant le gros chignon relevé en boule, coiffures
que viennent compléter les rubans flottant
dans le dos et appelés du nom expressif de :
tt Suivez-moi jeune homme. »
... Et la bataille continue entre les jupes
larges et les jupes étroites, la crinoline a battu
de l'aile pendant quelques années et finalement
elle est morte. La crinoline à grands cerceaux
est maintenant du domaine de l'archéologie
c'est une antiquité, comme le panier, comme le
vertugadin.
Comme on voulait encore de l'ampleur, on
l'a remplacée par des poufs, de très volumi-
neux paquets d'étoffes, relevés par derrière
sur les jupes,
Puis sur le chemin de la réaction anti-
crinolinienne, on a été en diminuant peu à
peu la largeur des jupes jusqu'aux robes mou-
lées sur le corps, au collant qui a duré deux
ou trois ans, vers 1880. Les modes étaient
alors fort jolies, très esthétiques. Puis un petit
soupçon de gonflement s'est produit, on s'est
ÉPOQUE MODERNE 243
élargi un peu, on a bien vite adopté les tour-
nures....
Mais cette mode des robes collantes nous a
laissé les corsages en jersey qui moulent très
gracieusement le corsage et les hanches. Le
jersey vite adopté convient admirablement aux
toilettes de promenade et de campagne.
Pendant quelques étés d'un bout de l'Europe
à l'autre, sur toutes les plages d'Angleterre,
de France et d'ailleurs, le Jersey fut l'uniforme
obligatoire; femmes, jeunes filles, enfants,
garçons ou fillettes, tous furent en jerseys
bleu foncé, agrémentés d'ancres d'or, tous en
matelots. Les enfants gardent encore ce vête-
ment gracieux et commode et voici que les
hommes, — touristes et vélocipédistes — l'a-
doptent.
Le temps est passé des édits somptuaires et
des gouvernants légiférant sur le luxe pour
enrayer ses débordements. On a vu, de Phi-
lippe le Bel à Richelieu, la longue série
de ces édits; avant de tomber à l'oubli, ils
furent pourtant presque toujours appliqués ri-
MESDAMES NOS AÏEULES
goureusement d'abord, même par des rois qui
mettaient le Trésor à sec pour les somptuo-
sités de leur cour, comme Henri III par exem-
ple, le mignon fanfreluche, qui lors d'un de
ses accès de répression du luxe des autres, lit
jeter en prison au fort l'Évèque en un seul
jour une trentaine de femmes et non des moin-
dres de Paris, coupables d'avoir bravé les pro-
hibitions du brocart et de la soie.
Ce temps des prohibitions somptuaires. des
ordonnances royales sur les modes n'est plus.
Dans l'intérêt général de l'industrie et du com-
merce, tout ce qui peut développer le grand
luxe doit être aujourdliui recherché et favo-
risé.
C'est le petit luxe qui devrait être au con-
traire réprimé s'il était possible, ou plutôl <iui
aurait dû être réprimé, car aujourd'hui le mal
est fait et parfait.
Ah ! si la mode plus puissante que les rois
et les ministres, que les arrêts, les lois et les
édits, si la mode dont les ordonnances sont
sans appel, avait pu décréterla conservation des
anciens costumes féminins de nos provinces. des
EPOQUE MODERNE
245
modes locales souvent si gracieuses, des élé-
gances campagnardes, auxquelles la ville a si
Robe collante 1880.
souvent fait des emprunts, des façons dérobes,
des mantes, et aussi des coiffures si variées,
coiffes bressannes, casques de dentelles du pays
de Caux, grandes coiffes bretonnes, bonnets
• l'arlésiennes. etc.. Quel sauvetage!
246 MESDAMES NOS AÏEULES
Mais non, tout cela est parti, toutes ces jolies
choses ont disparu devant l'envahissement d'un
faux luxe mesquin, caricature sans goût des
élégances parisiennes, devant les confections
uniformes et informes, fabriquées à la centaine
et portées jusque dans les plus lointains can-
tons î...
Partout, hélas, les jolies modes locales, les
élégances particulières et régionales, ont cédé
pour jamais la place à des attifements souvent
prétentieux et ridicules...
Le « costume » des campagnes en toute
province est évanoui, envolé, perdu, c'est à la
« 7node » des villes, de nous indemniser en
élégance vraie et en grâce.
La mode est aujourd'hui dans une période
de transition et de tâtonnements, elle cherche,
elle essaie, à défaut de nouveautés nouvelles,
des imitations des nouveautés d'autrefois, —
ayant suffisamment vieilli, comme disait la
couturière de l'impératrice Joséphine.
On va des imitations des coupes Louis XVI
ou Empire à des ajustements Valois, aux cor-
EPOQUE MODERNE
247
sages Louis XIII, aux manches moyen âge ou
bien aux manches à gigot 1830... Nous verrons
ce qui sortira de ces tentatives et de ces essais
et si comme il arrive dans tous les arts, il en
sera de l'art de la toilette comme des autres,
si le neuf naîtra de l'étude de l'ancien.
Souhaitons qu'une mode originale, fin de
siècle suivant l'expression à la mode, se dé-
gage enfin, pour qu'un jour les petites filles
des élégantes de ces dernières années du xix''
siècle, puissent se figurer leurs aïeules sous
des ajustements bien à elles, bien personnels,
autrement enfin qu'en toilettes empruntées à
tous les âges.
TABLE DES CHAPITRES
I.- BALLADE DES MODES DU TEMPS JADIS
il
Le vieux neuf. — L'horloge de la mode. — Feuilles dans
les cartons du passé. — Quelle est la plus jolie mode? —
Mode et architecture. — Vêtements de pierres et vête-
ments d'étoffes. — La poupée costumée, journal des
modes du moven àofe '•)
III. - MOYEN AGE
Les Gauloises teintes et tatouées. — Premiers corsets et
premières fausses nattes. — Premiers édits somptuaires.
— Influence byzantine. — Bliauds, surcots, cottes har-
250 MESDAMES NOS AÏEULES
dies. — Les robes historiées et armoriées. — Les
ordonnances de Philippe le Bel. — Hennins et Escof-
fions. — ■ La croisade contre les Hennins de frère Tho-
mas Connecte. — La dame de Beauté 23
IV. — LA RENAISSANCE
Modes en largeur. — Hocheplis, _vertugalles, vertugadins.
— La belle Ferronnière. — Éventails et manchons. —
Les modes tristes de la Réforme. — L'escadron volant
de Catherine. — Dentelles et guipures. — Les services
du vertugadin. — Le masque et le touret de nez. —
Fards et cosmétiques 53
V. - HENRI III
La cour du Roi-Femme, — Les grandes fraises plissées,
godronnées ou en cornets. — Les femmes-cloches. —
Les grandes manches. — Horribles méfaits du corset.
— La reine Margot et ses pages blonds 76
VI. — HENRI IV ET LOUIS XIII
Retour à une simplicité relative. — Les femmes tours.
— Hautes coiffures. — Excommunication du décolletage.
— Les robes à grands ramages de fleurs. — Collets
montés et collets rabattus. — Tailles longues. — Les
édits de Richelieu. — La dame suivant Tédit. — Tailles
courtes 91
VII.:- SOUS LE ROI-SOLEIL
Les héroïnes de la Fronde. — De la Vallière à la Mainte-
non. — Les robes dites transparentes. — Triomphe de
la dentelle. — Le roman de la mode. — Les Stein-
TABLE DES CHAPITRES 251
querques. — La coiffure à la Fontanges. — Le règne
de M"' de Maintenon ou trente-cinq ans de moro-
sité 112
VIII. — XVIir SIECLE
La Régence. — Folies et frivolités. — Cythère à Paris.
— Les modes Watteau. — Les robes volantes. — ■
Naissance des paniers. — Criardes, Considérations et
Maîtres des requêtes. — M""" de Pompadour. — L'éven-
tail. — Promenade de Longchamps. — Carrosses et
chaises à porteurs. — Modes d'hiver 130
IX. -XVIir SIÈCLE. - LOUIS XVI
Les coiffures colossales. ' — Le pouf au sentiment. —
Parcs, jardins potagers et paysages animés de figures
sur les tètes. — La coiffure à la Belle-Poule. — Les
mouches. — Modes champêtres. — Les robes négli-
gentes. — Couleurs à la mode. — Le monument du
costume. — Les amazones. — Modes anglaises. —
Les bourgeoises 150
X. — LA RÉVOLUTION ET L'EMPIRE
Modes dites à la Bastille. — Modes révolutionnaires. —
Notre-Dame de Thermidor. — Incroyables et merveil-
leuses. — L'antiquité à Paris. — Athéniennes et
Romaines. — Une livre de vêtements. — Tuniques
diaphanes. — Maillots, bracelets et cothurnes. — Le
réticule ou ridicule. — Le bal des Victimes. — Per-
ruques blondes et oreilles de chien. — • A la Titus. —
Les robes-fourreau. — Petits bonnets et Chapeaux-
Shakos. — Les turbans 178
MESDAMES NOS AÏEULES
XI. -LA RESTAU RAT ION ET LA MONARCHIE
DE JUILLET
Manches bouffantes, manches à gigot. — Les collerettes.
— Modes à la girafe. — ^ Les coiffures et les grands
chapeaux. — 1830. — Epanouissement des modes
romantiques. — Les derniers bonnets. — 18 iO. —
Chastes bandeaux. — Modes Juste-milieu. . . . 20S
XII. - EPOQU E MODERNE
I8i8. — Des révolutions partout, excepté dans le royaume
de la mode. — Règne imiversel de la crinoline. — Les
châles cachemire. — Tdlmas, burnous, pince-tailles.
— Modes de plages. — Robes courtes. — Saute-en-
barque. — Jupes larges et jupes étroites. — Les modes
collantes. — Poufs et tournures. — Modes Valois. —
Erudition plus qu'imagination. — On demande une
mode fin de siècle 231
TABLE DES DESSINS HORS TEXTE
Toilette de bal Restauration Frontispice
Noble dame fin du xn'*" siècle 17
Robe et houppelande historiées xv^ siècle 33
Châtelaine milieu du xv^ siècle 41
Dame sous Charles YIII 49
A la cour du Roi-Chevaliei' 57
Sous Henri II 65
Dame du temps de Charles IX 73
Toilette de cour Henri III 81
Grande toilette Médicis 89
Dame Louis XIII 97
Fin du règne de Louis XIII 105
A la cour du Roi-Soleil 113
Sous le Grand Roi. — Fin du xvir siècle. . • • . 121
Sous la Régence 129
Toilette de cour Louis XV 137
Parisienne sous Louis X^' 145
254 MESDAMES NOS AÏEULES
Grands paniers Louis XVI 153
Parisiennes 1789 161
Promenade parisienne 1790 169
Merveilleuse en tunique à la grecque 177
Merveilleuse du Directoire 185
Premier Empire 193
Parisienne de 1810 201
Parisienne 1814 209
Une élégante aux Champs-Elysées. — Restauration 217
Toilettes d'intérieur 1830 225
Parisienne 1835 233
Modes de plage 1864 241
EVItKLX. IMPRlMtltlE DE CHARLES HEKISSEY
unm
/-SSIoCS
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