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Full text of "Mémoires de Hector Berlioz, comprenant ses voyages en Italie, en Allemagne ..."

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MÉMOIRES 



DE 



HECTOR BERLIOZ 



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CALMANII LÉVY, ÉDITEUR 



OUYRA&ES 

DB 



HECTOR BERLIOZ 



FORMAT GRAND IH-18 



tm 



k TRAYERS CBANTS cJ6«« I toL 

LES GROTESQUES DE LA MUSIQUE i — 

LES SOIRÉES DE L'ORCHEgTRE i — 



imprimerie de Poissy — S. Lejay et G<*. 



F'V^iiM»!»! 1 w ■ ■ • i,( I- 1 




MÉMOIRES 



DE 



HECTOR BERLIOZ 

COHPIBHAJCT ' 

SBS VOYAGES EN ITALIE 
EN ALLEMAGNE, EN RUSSIE ET EN ANGLETERRE 

— 1803-i865 — 



DBUXIEMB BDITION 







C-L|g 



^^1^=^ 



PARIS 

GALMANN LÉYY, ÉDITEUR 

ANCIENNE MAISON MICHEL LÉV^fftkHES 

8, RUE AUBER) ^ 

1881 
Droits de reprodoeiion et de tradaction résenrét 



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Liri'l lOT A WAIXIMO IIABOW, Eté* 



La Tie n'est qu'une ombre qui passe ; un pauvre 
comédien qui, pendant son heure, se pavane et s'a- 
gite sur le théâtre, et qu'après on n'entend plus ; 
c'est un conte récité par un idiot, plein de fracas et 
de furie, et qui n'a aucun sens. 

Shaeespeaii (MoiMh») 



PRÉFACE 



Londres, 21 mars 1848* 

On a imprimé, et on imprime encore de temps 
en temps à mon sujet des notices biographiques si 
pleines d'inexactitudes et d'erreurs, que l'idée 
m*est enfin venue d'écrire moi-même ce qui, dans 
ma vie laborieuse et agitée , me paraît susceptible 
de quelque intérêt pour les amis de l'art. Cette 
étude rétrospective me fournira en outre l'occasion 
de donner des notions exactes sur les difficultés 
quel présente, à notre époque, la carrière des com- 
positeurs , et d'offrir à ceux-ci quelques enseigne- 
ments utiles. 

Déjà un livre que j'ai publié il y a plusieurs an- 
nées, et dont l'édition est épuisée , contenait avec 



% 



II PRBFAGK 

des nouvelles et des fragments de critique musicale, 
le récit d*une partie de mes voyages. De bienveil- 
lants esprits ont souhaité quelquefois me voir re- 
manier et compléter ces notes sans ordre. 

Si j'ai tort de céder aujourd'hui à ce désir ami- 
cal y ce n'est pas, au moins , que je m'abuse sur 
l'importance d'un pareil travail. Le public s'in- 
quiète peu, je n'en saurais douter, de ce que je 
puis avoir fait, senti ou pensé. Mais un petit nom- 
bre d'artistes et d'amateurs de musique Vêtant mon- 
trés pourtant curieux de le savoir, encore vaut-il 
mieux leur dire le vrai que de leur laisser croire le 
faux. Je n'ai pas la moindre velléité non plus de 
me présenter devant Dieu mon livre à la main en me 
déclarant le meilleur des hommes, ni d'écrire des 
confessions. Je ne dirai que ce qu'il me plaira de 
dire ; et si le lecteur me refuse son absolution, il 
faudra qu'il soit d'une sévérité peu or^odoxe, car 
je n'avouerai que les péchés véniek. 

Mais, finissons ce préambule. Le temps me 
presse. La République passe en ce moment son 
rouleau de bronze sur toute l'Europe ; l'art musi- 
qui depuis si longtemps partout se traînait 
mourant, est bien mort à cette heure; on va l'en- 
sevelir, ou plutôt le jeter à la voirie. Il n'y a plus 
de France, plus d'Allemagne pour moi. La Russie 
est trop loin, je ne puis y retourner, L'Angleterre^ 



PRÉFAGB 111 

depuis que je Thabite, a exercé à mon (^gard iin.^ 
noble et cordiale hospitalité. Mais voici, aux pre- 
mières secousses du tremblement de trônes qui bou- 
leverse le continent, des essaims d'artistes effarés 
accourant de tous les points de Thorizon chercher 
un asile chez elle, comme les oiseaux marins se 
réfugient à terre aux approches des grandes tem- 
pêtes de rOcéan. La métropole britannique pourra- 
t-elle suffire à la subsistance de tant d'exilés? 
Voudra-^elle prêter Toreille à leurs chants attristés 
au milieu des clameurs orgueilleuses des peuples 
voisins qui se couronnent rois? l'exemple ne la 
tentera-t-il pas? Jam proximus ardet Ucalegont... 
Qui sait ce que je serai devenu dans quelques 
mois?... je n'ai point de ressources assurées pour 
moi et les miens... Employons donc les minutes; 
dussé-je imiter bientôt la stoïque résignation de ces 
Indiens du Niagara, qui, après d'intrépides efforts 
pour lutter contre le fleuve, en reconnaissent l'inu- 
tilité, s'abandonnent enfin au courant, regardent 
d'un œil ferme le court espace qui les sépare de 
l'abîme, et chantent, jusqu'au moment où saisis 
par la cataracte, ils tourbillonnent avec le fleuve 
dans l'infini. 



MÉMOIRES 

DE 



HECTOR BERLIOZ 



I 



La Côte Saint-André. — Ma première communion. — 
Première impression musicale. 



Je suis né le 11 décembre 1803, à la Côte-Saint-André, 
très-petite ville de France, située dans le département de 
l'Isère, entre Vienne, Grenoble et Lyon. Pendant les mois 
qui précédèrent ma naissance, ma mère ne rêva point, 
comme celle de Virgile, qu'elle allait mettre au monde un 
rameau de laurier. Quelque douloureux que soit cet aveu 
pour mon amour-propre, je dois ajouter qu'elle ne crut pas 
non plus, comme Olympias, mère d'Alexandre, porter dans 
son sein [un tison ardent. Gela est fort extraordinaire, j'en 
coni^ens, mais cela est vrai. Je vis le jour tout simple- 
ment^ saife aucun des signes précurseurs en usage dans 
les temps poétiques, pour annoncer la venue des prédes- 
tinés de la gloire. Serait-ce que notre époque manque 
de poésie?... 

La Côte Saint- André, son noin l'indique, est bâtie sur 
le versant d'une colline, et domine «ne assez ^ste 
plaine, riche, dorée, veridoyante, dont h silei^ce a je ne 
L i 



2 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

sais quelle majesté rôveosfty encore augmentée par la 
ceinture de montagnes qui la borne au sud et à Test, 
et derrière laquelle se dressent au loin, chargés de gla- 
ciers, les pics gigantesques des Alpes. 

Je n'ai pas besoin de ùte que je fus élevé dans la t)i 
catholique, apostolique et romaine. Cette religion char- 
mante, depuis qu'elle ne brûle plus personne, a fait mon 
bonhBur pendant sept années e nt iè r es ; et, bien que noas 
soyons brouillés ensemble depuis longtemps, j'en ai tou- 
jours conservé un souvenir fort tendre. Elle m'est si sym- 
pathique, d'ailleurs, que si j'avais eu le malhear de naî- 
tre au sein d'un de ces schismes éclos sous la lourde in- 
cubation de Luther ou de Calvin, àcoup sûr, au premier 
Jnstant de sens poétique et de loisir, jeTïie rasse hâté d'en 
faire abjuration solennelle pour embrasser la belle ro- 
maine de tout mon cœur. Je fis ma première communion 
le môme jour que m a sœuy aînée ^^ e t dans le couvent 
d'Ursulines où elle était pensionnaire. Cette circonstance 
râgiOlière dooiia à ce premier acte religieux un carac- 
lèfle de douceur que je me rappelle avec attendrissement. 
L'auffiômer du couvent me vint cherchera six heures du 
matin. C'était au printemps» le soleil souriait, la brise se 
jouait dans les peupliers munixurants ; je ne sais quel 
arftme délideux remplissait ratmosphère. Je fran chis 
ttmt ému le seuil de la sainte maison. Admis darisTa 
chapelle, au milieu des jeunes amies 4e ma soeur^ vêtues 
4a blanc, j'attendis'en prianit avec elles l'instant de Tau- 
j^BSte cérémonie. Le prêtre s'avan^, et, la messe comr 
mmcé^i!Mai&jQ^^k^^. Mais je fus désagréablement 
affecté quandt avec cette partialité discourtoise que 
certains hommes conservent pour leur sexe jusqu'au pied 
des autels, le prêtre m'invita à me présenter à la sainte 
tableavaaS ces charmantes jeunes filles qui» je le sentais, 
taraient dû m'y précéder. Je m'approchai cependant, 
fDUf issam de cet hoBneor immérité. Alors, au moment 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 3 

OÙ je recevais l'hostie consacrée, un chçgur de voix vir- 
ginales, entonnant un hymne à l'Eucharistie, me remplit 
d'un trouble à la fois mystique et passionné^ que je ne 
savais comment dérober à l'attention des assistants. Je 
crus voir le ciel s'ouvrir, le ciel de l'amour et des chastes 
délices, un ciel plus pur et plus beau mille fois que ce- 
lui dont on m'avait tant parlé. merveilleuse puissance 
de l'expression vraie, incomparable beauté de la mélodie 
du cœur ! Cet air, si naïvement adapté à de saintes pa- 
roles <ît chanté dans une cérémonie religieuse, était celui 
de la romance de Nina : « Quand le bien-aimé reviendra.* 
Je l'ai Tecoanu dix ans après. Quelle extase de ma jeune 
àme ! cher d'Aleyrac ! Et le peuple oublieux des musi- 
ciens se souvient à peine de ton nom, à cette heure! 

Ce fut ma première impression musicale. 

Je devins aissi »aiat lout d'un coup, mais jsaint au 
poiai d'enlendi>e la messe tous ies jours, de coBunamer 
cha£[iaô dimanche» et d'aUar au tribunal de la pénitence 
po^r diiB a» directeur de ma conscienee : < Mon père, 
je n*ai rien fait. > . . . . — c Eh bien, mon en&tnt, ré- 
pondait le digne hoBune, il fsmt conùbmer, j Je n'ai qofi 
trop bien suivi m^ùms^û peadaolpkfiieurjs années 



II 



Mqq père. — Mon éducation littéraire. — Ma passion pour 
les voyages. — Virgile. — Première secousse poétique. 



Mon père (Louis Berlioz) était médecin. II ne m'appar- 
tient pas d*appiécier son mérite. Je me bornerai à dire 
de lui : Il inspirait une très-grande confiance, non-seu- 
lement dans notre petite ville, mais encore dans les vil- 
les voisines. Il travaillait constamment, croyant la 
conscience d'un honnête homme engagée quand il s'agit 
^ la pratique d'un art difficile et dangeièux comme la 
médecine, et que, dans la limite de ses forces, il doit 
consacrer à l'étude tous ses instants, puisque de la perte 
d'un seul peut dépendre la vie de ses semblables. Il a 
toujours honoré ses fonctions en les remplissant de la fa- 
çon la plus désintéressée, en bienfaiteur des pauvres et 
des paysans, plutôt qu'en homme obligé de vivre de son 
état. Un concours ayant été ouvert en 1810 par la société de 
médecine de Montpellier sur une question neuve et impor- 
tante de l'art de guérir, mon père écrivit à ce sujet un mé- 
moire qui obtint le prix. J'ajouterai que son livre fut im- 
primé à Paris* et que plusieurs médecins célèbres lui ont 

A. Mémoire sur les maladies chroniques, les éyacuatiois 
SMiguines et Tacupuncture. Paris, chez Crouillebois. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 5 

emprunté des idées sans le citer jamais. Ce dont mon père, 
dans sa candeur, s'étonnait, en ajoutant seulement : 
c Qu'importe, si la vérité triomphe !» Il a cessé d'exer- 
cer depuis longtemps, ses forces ne le lui permettent 
plus. La lecture et la méditation occupent sa vie main- 
tenant. 

Il est doué d'un esprit libre. C'est dire qu'il n'a aucun 
préjugé social, politique ni religieux. Il avait néan- 
moins si formellement promis à ma mère de ne rien ten- 
ter pour me détourner des croyances regardées par elle 
comme indispensables à mon salut, qu'il lui est arrivé 
plusieurs fois, je m'en souviens, de me faire réciter mon 
catéchisme. Effort de probité, de sérieux, ou d'indiffé- 
rence philosophique, dont, il faut l'avouer, je serais in- 
capable à l'égard de mon fils. Mon père, depuis longtemps, 
souffre d'une incurable maladie de l'estomac, qui l'a cent 
fois mis aux portes du tombeau. Il ne mange presque pas. 
L'usage constant et de jour en jour plus considérable de 
l'opium, ranime seul aujourd'hui ses forces épuisées. Il 
y a quelques années, découragé par les douleurs atroces 
qu'il ressentait, il prit à. la fois trente-deux grains d'o- 
pium, c Hais je t'avoue, me dit-il plus tard, en me racon- 
tant le fait, que ce n'était pas pour me guérir. » Cette 
effroyable dose de poison, au lieu de le tuer comme il 
l'espérait, dissipa presque immédiatement ses souffrances 
et le rendit momentanément à la santé. 

J'avais dix ans quand il me mit au petit séminaire de 
la Côte pour y commencer l'étude du latin. Il m'en 
retira bientôt après, résolu à entreprendre lui-même 
mon éducation. 

Pauvre père, avec quelle patience infatigable, avec 
quel soin minutieux et intelligent il a été ainsi mon 
maître de langues, de littérature, d'histoire, de géogra- 
phie et même de musique 1 ainsi ''u'on le verra tout â 
l'heure. 



« lltlOlRSS Dff ffffCTOR BBBUaZ. 

Caokfnm une paroiie tàelie» aecoinplie de la saoett, 
pioirre dans tia taomiiie de tendresse poor aon filsi al 
qu'il y a pea de pères qoi en soient eapablesl ie m'ose 
croire pourtant cette édnuttiim de ûmille aiasi airaa- 
tageose que l*édiieaiiOB potdkfve» soas^evtaina rappodB. 
Les enfants restent ainsi en relations exclusives xrm 
leurs parons leur» servitenn, et de jevKS awia ciœiais, 
ne s'aceoutument point; de lionne teare au rude oo»- 
taet et» aspMiés sociales; Is monde et la. rie réelle 
demeareni pour eux des Hnrea fermés; et je saisy à n*en 
poui^Dir douter, que je suis lestè à est égaid enfant 
ignorant et gssûcbe jusqu'à l'âge de lingtHBÎBq ans. 

Mon père, tout en n'exigeant de moi qnîma tawaû 
trèsHBodéré^ ne put jouais n^inspirar un- Téritalile 
goût pour les étndes elaesiques. L'obligaHou d' apprendfe 
^aque jour par cœur quelques Tsrs d'Horaee et de Vis- 
gîle m'était sifftout odieuse* Je fetenais cette belle poésie 
avec beaucoup de peine fet une yérilable torture db 
cerveau. Mes pensées s'édiappaîent d'siUenrsde èmile et 
de gaucbe, impatientes de quittear la nivie» qui leur était 
tracée. Ainsi je passais de longues beuius devant des 
mappemondes, étudiant avec acbamement le tissa mok- 
plete que forment les îIbs, eaps et détroits de la mer du 
Sud et de l'archipel Indien; réfléchissant sur k^ création 
de ces terres lointaines, sur leur végétation, leur» ha»- 
bitants, leur climat, et pris d'un désir ard^t de In 
visiter. Ce fut Féveil de ma passion pour les voyages et 
les aventures. 

Mon père, à ce sujet, cKsail de moi avec raison : « Il 
sait le nom de chacune des îles Sandwich, éès Moluques, 
des Philippines ; il connaît le détroit de Torrès, Timor, 
Java et Bornéo, et ne pourrait dire seulement le non^ 
bre de départements de la France. » Cette curiosité de 
connaître les contrées éloignées, celles de l'autre b^ni- 
sphère surtout, fut encore irritée par l'avide lecture de 



ITÉirOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 7 

detont ce que la bîbliotbèqae de mon père contenait de 
voyages anciens et modernes ; et nul doute que, si le lieu 
de ma naissance eût été un port de mer, Xe me fusse en- 
fui quelque jour sur un navire, avec ou sans le consen- 
tement de mes parents, pour devenir marin. Mon fîls a 
de très-bonne beure manilèsté les mâmes instincts. Il 
est aujourd'hui sur un vaisseau de l'État, et j*espère 
(|a'il parcourra, aivec honnear la carrière de U marine» 
(pi'A a embrassée et qu'il avait eboiaie avas^ d*avoir sei]^ 
lement vu la mer. 

Le sentiment des beautés élevées de 1» poésie vimiûre 
diversiMàà eee rêve» œéasi^u/eft, quand J'eus quelque 
temps rufluné la. Fontaine et Virgile. Le peëCe latÉB, 
bien avant )e fabuliste ânuatçais^ dent lea enCants soAliir 
capable» en général,^ da seniir la profondrar «ackée boom 
la n^eté, et la scienee du style voilée par un naturel si 
rare et si exquis, le poète latin, dts-je» ^ime parUnt de 
passions épiques que je pressentais, sut le premier troth 
ver le chemin de mon cœur et enflammer mon imagina- 
tion naissante. Combien de fois, expliquant devant mon 
père le quatrième livre de VÉnéidey n'ai-je pas senti ma 
poitrine se gonfler, ma voix s'altérer et se briser!... Un 
jour, déjà troublé dès le début de ma traduction orale 
par le vers ; 

€ Atregina gravi jamdudam saucia cura, » 

j'arrivais tant bien que mal à la péripétie du drame ; 
mais lorsque j'en fus à la scène où Didon expire sur son 
bûcher, entourée des présents que lui fit Énée, des ar- 
mes du perfide, et versant sur ce lit, hélas ! bien connuy 
les flots de son sang courroucé ; obligé que j'étais de ré- 
péter les expressions désespérées de la mourante, trois 
fois se levant appuyée sur son coude et trois fois retombant^ 
de décrire sa blessure et son mortel amour frémissant au 



8 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

fond de sa poitrine, et les cris de sa sœur, de sa nourrice» 
de ses femmes éperdues, et cette agonie pénible dont les 
dieux mêmes émus envoient Iris abréger la durée, les 
lèvres me tremblèrent, les paroles en sortaient à peine et 
inintelligibles ; enfin au vers : 

a QuœsiTit coelo lucem ingemuitque reperta. » 

à cette image sublime de Didon qui cherche aux deux 
la lumière et gémit en la retrouvant^ je fus pris d'un fris- 
sonnement nerveux, et, dans Timpossibilitéde continuer, 
je m'arrêtai court. 

Ce fut une des occasions où j'appréciai le mieux Tinef- 
fable bonté de mon père. Voyant combien j'étais em- 
barrassé et confus d'une telle émotion, il feignit de ne 
la point apercevoir, et, se levant tout à coup, il ferma le 
livre en disant : c Assez, mon enfant, je suis fatigué! > Et 
je courus, loin de tous les yeux, me livrer à mon cha- 
grin virgilien. 



III 



MeylaD. — Mon oncle. — Les brodequins roses. — L*hama- 
dryade da Saiat-Eynard. — L'amoar dans un cœur de 
douze ans. 



C'est que je connaissais déjà cette cruelle passion, si 
bien décrite par Fauteur de YÉnéidef passion rare, quoi 
qu'on en dise, si mal définie et si puissante sur certaines 
âmes. Elle m'avait été révélée avant la musique, à Tâge 
de douze ans. Voici comment : 

Mon grand-père maternel, dont le nom est celui du fa- 
buleux guerrier de Walter Scott, (Marmion) vivait à 
Meylan, campagne située à deux lieues de Grenoble, du 
côté de la frontière de Savoie. Ce village, et les hameaux 
qui l'entourent, la vallée de llsère qui se déroule à leurs 
pieds et les montagnes du Dauphiné qui viennent là se 
joindre aux Basses-Alpes, forment un des plus roman- 
tiques séjours que j'aie jamais admirés. Ma mère, mes 
sœurs et moi, nous allions ordinairement chaque année 
y passer trois semaines vers la fin de l'été. Mon oncle 
(Félix Marmion), qui suivait alors la trace lumineuse du 
grand Empereur, venait quelquefois nous y joindre, tout 
chaud encore de l'haleine du canon, orné tantôt d'un 
simple coup de lance, tantôt d'un coup de mitraille dans 
I 1. 



10 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

le pied ou d'un magnifique coup de sabre ^u travers de 
la figure. Il n'était encore qu'adjudant-major de lanciers; 
jeune, épris de la gloire, prêt à donner sa vie pour un 
de ses regards, croyant le trône de Napoléon inébranla- 
ble comme le mont Blanc; et joyeux et galant, grand 
amateur de violon et chantant fort bien l'opéra-comique. 

Dans la partie haute de Meylan, tout contre l'escarpe- 
ment de la montagne, est une maisonnette blanche, en- 
tourée de vignes et de jardins, d'où la vue plonge sur la 
vallée de l'Isère; derrière sont quelques collines rocail- 
leuses, une vieille tour en ruines, des bois, et l'imposante 
masse d'un rocher immense, le Saint-Eynard; une re- 
traite enfin évidemment prédestinée à être le théâtre d'un 
roman. C'était la villa de Madame Gautier, qvà Flmbilait 
pendaDt la belle saison avec ses deux nièces, dont la plus 
jeune s'appelait Estelle. Ce nom seul eût suffi pour attirer 
mon attention; il m'était cher déjà à cause de la pastorale 
de Florian (Estelle et Némarin) dérobée par moi dans la bi- 
bliothèque de mon père, et lue en cachette» cent et cent 
fois. Mais celle qui le portait avail dix-huit ans, une taille 
élégante et élevée, de grands yeux armés en guerre, bien 
que toujours souriants, une chevelure digne d'orner le 
casque d'Achille, des pieds, je ne dirai pas d'Andalouse, 
mais de Parisienne pur sang, et des... brodequins ro- 
ses!... Je n'en avai& jamais vu,.. Vous riez!!... Eh bien, 
j'ai oublié la couleur de ses cheveux (que je crois noirs 
pourtant) et je ne puis penser à elle sans voir scintiller, 
en même temps que les grands yeux, les petits brod&- 
quins roses. 

En l'apercevant, je sentis une secousse électrique; je 
l'aimai, c'est tout dire. Le vertige me prit et ne me quitta 
plus. Je n'espérais rien... je ne savais rien... mais j'é- 
prouvais au cœur une douleur profonde. Je passais des 
nuits entières à me désoler. Je me cachais le jour dans 
les champs de m^ dans les réduits secrets du verger 



MÉMOniES DE HECTOR BERLIOZ. il 

de mon grand-père, comme un oiseau blessé, muet et 
souffrant. La jalousie, cette pâle compagne des plus pures 
amours, me torturait au moindre mot adressé par ua 
homme à mon idole. J'entends encore en frémrssant le 
bruit des éperons de mon oncle quand il dansait ayec 
elle t Tout le monde, à la maison et dans le voisiBage, 
s'amusait de ce pauvre enfant de douze ans brisé par un 
amour au-dessus de ses forces. Elle-même qui, la pre* 
mière, avait tout deviné, s'en est fort divertie, j'en sois 
sûr. ÎJn soir il y avait une réunion nombreuse chez sa 
tante; il fut question de jouer aux barres; il fallait, pour 
former les deux camps ennemis, se diviser en deux 
groupes égaux; les cavaliers choisissaient leurs dames; tm 
fit exprès de me laisser avant tous désigner la mienne. 
Mais je n'osai, le cœur me battait trop fort; je baissai les 
yeux en silence. Chacun de me railler; quand mademoi- 
selle Estelle, saisissant ma main : c Eh bien, non, c'est 
moi qui choisirai I Je prends M. Hector 1 » douleur ! elle 
riait aussi, la cruelle, en me regardant du haut de sa 
beauté... 

Non, le temps n'y peut rien... d'autres amours n'effa- 
cent point la trace du premier... J'avais treize ans, quandk 
je cessai de la voir... J'en avais trente quand, revenant 
d'Italie par les Alpes, mes yeux se voilèrent en aperce- 
vant de loin le Saint-Eynard, et la petite maison blan- 
che, et la vieille tour... Je l'aimais encore... J'appris en 
arrivant qu'elle était devenue... mariée et... tout ce qui 
s'ensuit. Cela ne me guérit point. Ma mère, qui me ta- 
quinait quelquefois au sujet de ma première passion, eut 
peut-être tort de me jouer le tour qu'on va lire. « Tiens, 
me dit-elle, peu de jours après moi? retour de Rome, 
voilà une lettre qu'on m'a chargée de faire tenir à 
une dame qui doit passer ici tout à l'heure dans la di- 
ligence de Vienne. Va au bureau du courrier, pendant 
au'on changera de chevaux, tu demanderas madame F 



c**- 



12 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

et ta loi remettras la lettre. Regarde bien cette dame, je 
parie que tu la reconnaîtras, bien que tu ne Taies pas 
me depuis dix-sept ans. » Je vais, sans me douter de ce 
que cela voulait dire, à la station de la diligence. A son 
arrivée, je m'approche la lettre à la main^ demandant 
madame P** « C'est moi, monsieur I » me dit une voix. 
C'est elle! me dit un coup sourd qui retentit dans ma 
poitrine. Estelle!... encore belle !... Estelle !... la nymphe, 
rhamadryade du Saint-Eynard, des vertes collines de 
Meylan! C'est son port de tête, sa splendide chevelure, 
et son sourire éblouissant I... mais les petits brodequins 
roses, hélas 1 où étaient-ils?... On prit la lettre. Me recon- 
nuVon? je ne sais. La voiture repartit; je rentrai tout 
vibrant de la conunotion. c Allons, me dit ma mère en 
m'etaminant, je vois que Némorin n'a point oublié son 
Estelle. » Son Estelle! méchante mère!... 



IV 



Premières leçons de musique, données par mon père. — Mes 
essais en composition. — Études ostéologiques. — Mon 
aversion pour la médecine. — Départ pour Paris. 



Quand j'ai dit plus haut que la musique m'avait été 
révélée en même temps que Famour, à Tâge de douze 
ans, c'est la composition que j'aurais dû dire; car je sa- 
vais déjà, avant ce temps, chanter à première vue, et 
jouer de deux instruments. Mon père encore m'avait 
donné ce commencement d'instruction musicale. 

Le hasard m'ayant fait trouver un flageolet au fond 
d'un tiroir où je furetais, je voulus aussitôt m'en servir 
cherchant inutilement à reproduire l'air populaire de 
Marlborough. 

Mon père, que ces sifflements incommodaient fort, vint 
me prier de le laisser en repos, jusqu'à l'heure où il au- 
rait le loisir de m'enseigner le doigté du mélodieux ins- 
trument, et l'exécution du chant héroïque dont j'avais fait 
choix. Il parvint en effet à me les apprendre sans trop 
de peine; et, au bout de deux jours, je fus maître de ré- 
galer de mon air de Marlborough toute la famille. 

On voit déjà, n'est-ce pas, mon aptitude pour les grands 
effets d'Instruments à vent?... (Un biographe pur sang 



i4 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

ne manquerait pas de tirer cette ingénieuse induction...) 
Ceci inspira à mon père l'envie de m*apprendre à lire la 
musique; il m'expliqua les premiers principes de cet 
art, en me donnant une idée nette de la raison des signes 
musicaux et de l'office qu'ils remplissent. Bientôt après, 
il me mit entre les mains une flûte, arec la méthode de 
Devienne, et prit, comme pour le flageolet, la peine de 
m'en montrer le mécanisme. Je travaillai avec tant d'ar- 
deur, qu'au bout de sept à huit mois j'avais acquis sur 
la flûte un talent plus que passable. Alors, désireux de 
développer les dispositions que je montrais, il persuada 
à quelques familles aisées de la Côte de se rénxiir k hii 
pour faire venir de Lyon un maître de mosNiue. Ce i^an 
réussit. Un second violon du Théâtre des Céffstiits, qui 
jouait en outre de la clarinette, consentit à venir se fixer 
dans notre petite ville barbare, et à tenter d'en musica- 
User les habitants moyennant un certain nombre d'élèves 
assuré et des appointements fixes pour diriger la bande 
militaire de la garde nationale. Il se nommait Imibert. Il 
me donna deux leçons par jour; j'avais une jolie voix 
de soprano; bientôt je fus an lecteur intrépide, un assez 
agréable chanteur, et je jouai sur la flûte les concertos 
de Drouet les plus compliqués. Le fils de mon maître, un 
peu plus âgé que moi, et déjà habile corniste, m'avait 
pris en amitié. Un matin il vint me voir, j'allais partir 
pour Meylan : < Gomment, me dit-il, vous partez san» 
me dire adieu! Embrassons-nous, peut-être ne vous re- 
verrai-je plus... » Je restai surpris de l'air étrange de 
mon jeune camarade et de la façon solennelle avec la- 
quelle il m'avait quitté. Hais l'incommensurable jo^ de 
revoir Meylan et la radieuse Stella montis me Teurent 
bientôt fait oublier. Quelle triste nouvelle au retour! Le 
jour même de mon départ, le jeune Imbert, profitant de 
l'absence momentanée de ses parents, s'était pendu dans 
sa maison. On n'a jamais pénétré le motif de ce suicide. 



itirOTRES DE HECTOR BERLIOZ. fS 

ravads déconvert, parmi de vieux livres, le traité dliar- 
moniede Rameau, commenté et simplifié par d'Âlembert. 
J'eus beau passer des nuits à lire ces théories obscures, 
je ne pus parvenir à leur trouver un sens. Tl faut ea effet 
être déjà maître de la science des accords, et avoir Veau- 
coup étudié les questions de physique expérimentale sur 
lesquelles repose le système tout entier, pour comprendre 
ce que Fauteur a voulu dire. C'est donc un traité d'har- 
monie à Fusage seulement de ceux qui la savent. Et 
pourtant je voulais composer. Je faisais des arrangements 
de duos en trios et en quatuors, sans pouvoir parvenir à 
trouver des accords ni une basse qui eussent le sens 
commun. Mais à force d'écouter des quatuors de PleyeL 
exécutés le dimanche par nos amateurs, et grâce au __»"*'^ 
traité d'harmonie de Gatel, que j'étais parvenu à me^^ 
procurer, je pénétrai enfin, et en quelque sorte subite- 
ment, le mystère de la formation et de Fenchaînement 
des accords. J'écrivis aussitôt une espèce de pot-pourri à 
six parties, sur de? thèmes italiens dont je possédais un 
recueîi. L'harmonie en parut supportable. Enhardi par 
ce premier pas, j'osai entreprendre de composer un quin- 
tette pour flûte, deux violons, alto et basse, que nons 
exécutâmes, trois amateurs, mon maître et moi. ) ^^ 

Ce fut un triomphe. Mon père seul ne parut pas de 
Favis des applaudisseurs. Deux mois après nouveau 
quintette. Mon père voulut en entendre la partie de flûte, 
avant de me laisser tenter la grande exéc tion; selon 
Fusage des amateurs de province, qui s'imaginent pou- 
voir jugar un quatuor d'après le premier violon. Je la lui 
jouai, et à une certaine phrase : « A la bonne heure, me 
dit-il, ceci est de la musique. » Mais ce quintette, beau- 
coup plus ambitieux que le premier, était aussi bien plus 
difficile; nos amateurs ne purent parvenir à l'exécuter 
passablement. L'alto et le violoncelle surtout pateau- 
geaient à qui mieux mieux. 



16 MÉMOIRES D3 HECTOR BERLIOZ. 

J'avais a cette époque douze ans et demi. Les biogra- 
phes qui ont écrit dernièrement encore, qu'à vingt cm$y 
je ne connaissais pas les notes^ se sont, on le voit, étran- 
gement trompés. 

J'ai brûlé les deux quintettes, quelques années après 
les avoir faits, mais il est singulier qu'en écrivant beau- 
coup plus tard, à Paris, ma première composition d'or- 
chestre, la phrase approuvée par mon père dans le se- 
cond de ces essais, me soit revenue en tête, et se soit fait 
adopter. C'est le chant en la bémol expesé par les pre- 
miers violons, un peu après le début de l'allégro de l'ou- 
verture des Francs-Juges. 

Après la triste et inexplicable fin de son fils, le pauvre 
Imbert était retourné à Lyon, où je crois qu'il est mort. 
Il eut presque immédiatement à la Côte un successeur, 
beaucoup plus habile que lui, nommé Dorant. Celui-ci, 
Alsacien de Colmar, Jouait à peu près de tous les Instru- 
ments, et excellait sur la clarinette, la basse, le violon 
et la guitare. Il donna des leçons de guitare à ma sœur 
ainée qui avait de la voix, mais que la nature a entiè- 
rement privée de tout instmct musical. Elle aime la mu- 
sique pourtant, sans avoir jamais pu parvenir à la lire 
et à déchiffrer seulement une romance. J'assistais à ses 
leçons; je voulus en prendre aussi moi-même; jusqu'à 
ce que Dorant en artiste honnête et original, vint dire 
brusquement à mon père : < Monsieur, il m'est impos- 
sible de continuer mes leçons de guitare à votre fils! 
— Pourquoi donc? vous aurait-il manqué de quelque 
manière, ou se montre-t-il paresseux au point de vous 
faire désespérer de lui? — Rien de tout cela, mais ce se- 
rait ridicule, il est aussi fort que moi. » 

Me voilà donc passé maître sur ces trois majestueux 
et incomparables instruments, le flageolet, la flûte et la 
guitare ! Qui oserait méconnaître, dans ce choix judi- 
cieux, l'impulsion de la nature me poussant vers les 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 17 

plas immenses effets d'orchestre et la musique à la Mi- 
Ael-Ange! t... La flûte, la guitare et le flageolet lit... Je 
n'ai jamais possédé d'autres talents d'exécution; mais 
ceux-ci me paraissent déjà fort respectables. Encore, 
non, je me fais tort, je jouais aussi du tambour. 

. Mon père n'avait pas voulu me laisser entreprendre 
l'étude du piano. Sans cela il est probable que je fusse 
devenu un pianiste re(iouto6fe, comme quarante mille 
autres. Fort^éloigné de vouloir faire de moi un artiste, il 
craignait sans doute que le piano ne vînt à me passionner 
trop violemment et à m'entraîner dans la musique plus 
loin qu'il ne le voulait. La pratique de cet instrument 
m'a manqué souvent ; elle me serait utile en maintes cir- 
constances; mais, si je considère l'effrayante quantité de 
platitudes dont il facilite journellement l'émission, pla- 
titudes honteuses et que la plupart de leurs auteurs ne 
pourraient pourtant pas écrire si, privés de leur kaléidos- 
cope musical, ils n'avaient pour cela que leur plume et 
leur papier, je ne puis m'empôcher de rendre grâces au 
hasard qui m'a mis dans la nécessité de parvenir à com- 
poser silencieusement et librement, en me garantissant 
ainsi de 1^ tyrannie des habitudes des doigts, si dange- 
reuses pour la pensée, et de la séduction qu'exerce tou- 
jours plus ou moins sur le compositeur la sonorité des 
choses vulgaires. Il est vrai que les innombrables ama- 
teurs de ces choses-là expriment à mon sujet le regret 
contraire ; mais j'en suis peu touché. 

Les essais de composition de mon adolescence portaient 
l'empreinte d'une mélancolie profonde. Presque toutes 
mes mélodies étaient dans le mode mineur. Je sentais le 
défaut sans pouvoir l'éviter. Un crêpe noir couvrait mes 
pensées ; .mon romanesque amour de Meylan les y avait 
enfermées. Dans cet état de mon âme, lisant sans cesse 
l'Estelle de Florian, il était probable que je finirais par 
mettre en musique quelques-unes des nombreuses ro- 



18 IftlOIRBS DS HKCTOR BERLIOZ. 

mancas oonteiuies dsis cMe yntorale^ dett la tnàmt 
alors me pdunânaiit douée. Je n'y maaqoai pas. ♦ 

J'en éerirâ mie» eRtve aam»» exirànnnmt triste tar 
des pamles <|iii ex|irimaieiit maa déeasyoîr de quitter les 
bois et leslieia Jmmri$ par tejpo^ édntéêpat Jet yne^ 
et ks petits brodequin rosée de ma beauté cnuile. 
Cette pâle poéae ne revient aujoord'kui, arec un myen. 
cto soleil primanier, àLondres, où )e suis en proie à de 
grares préoœupatiOBS, à tme inquiétude mortelle^ à un» 
colère eonœeatrée de trourer encore là eiHnme aiUeœn 
tant d*d»taeies ridicules... En Toîei la première strq[)be : 

a Je leaift donc quitter pour jamai» 
D Moa doux paj8, ma douce amie, 
» Loin d*eux je vais traîner mar ^ie 
» Dans les pleurs et dans les regrets ! 
» Fleuve dont j*jai vu Teau limpide, 
» Pour réfiécfairets doux attraits, 
» Suspendre sa course rapide, 
» Je vais tous quitter pour jamais *. » 

Quant à la mélodie de cette romance, brûlée comme le 
sex.tuor, comme les quinteUes, avant mon départ pour 
Paris, elio se représenta bumblement à ma .pensée, lor»^ 
que j'entre{»*is en 1829 d'émre ma sympbonie fantasti- 
que. £Ue me sembla eonvenir àTexpiession de cette tris- 
tesse accablante d'un ieune cœur qu'on amour sans es^- 
poir commence à torturer, et je Facueillis. C'est la mélo- 
die que chantent les premiers viûkms au début du laigo 
de la premi^e partie de cet ouvrage^ intitulé : nàvEBUSS» 
PASSIONS ; je n'y ai rien changé. 

Mais pendant ces diverses tentatives» au milieu de mes 
lectures, de mes ^udes géographiques, de mes aspira- 
tions religieuses et des alternatives de calme et de tem- 
pête dans mon premier amour, le moment approchait où 

1. La FontaioA, JUf dmuf pi$mmê* 



MftHdfRffS DS ESCTDIl BKBLIOZ. 19 

je #Enral9i!ie' préparer à stdYire xHaie eaerièm. Kon: pèi^ 
me a^ssûnBÀt à la sienne, Wm coneevunt pasdêplnsMle, 
et m'arait dès longtemps l^^é eno^9¥eîr son é&smn. 

Mes sentiments à cet égard n'étaient rien m(^n»qaè fth 
voral^ies à ses yues, et je IM araie^ aassi dans Veeemma 
manifestés arec énergie. Sans Bse rendre compte pnM- 
sèment de ce qfne j'épmirais, je pi^essentaî&aneexjisieiiee 
passée Inen Mn dn ebevet des ms^ades, des hospices et 
des amphithéâtres. ITesant m^avoa^cdle que je iêyais« 
ma résolntîon me paraissait pourfant liien prise âeffé8ie-> 
ter à tont ce qtfon pourrait faire ponr m^amener à Ibi 
médecine. La Tîe de Ghiek et celle de Haydn qete je la»à 
cette époqne, dans la Biographie tméverseîle, me jetèrent 
dans fa ptos grande agitation. Qnetie befie gloire! me 
disâfs-je, en pensant à cdie de ces decn hommes Mus* 
très; qnel bel art? quel honbear de le cBUiver en 
grand! fin outre, nn incident fort instgnffîàiri em ap- 
parence TÉnt nf impressionner encore dansie mSme sens 
et ffiominer mon e^t d'nne ckurté simdaiiie qui me fil 
entreYoîr an loin mille horizons mnsieaax éMnges cl 
grandioses. 

Je n'avais jamais tu -de grande parution. Les ssids 
morceaux de masrqtœ à moi connas consistaient en sol- 
fèges accompagnés d'nne basse cftifb^e, en solos deiltlte, 
ou en fragments d'opéras avec aceompagnemeiit de piano. 
Or, xm joTir une iieuifle de papwr réglé à Tingt-cpiatre 
portées me tomba scms la main. Eài aperceraiit cette 
grande quancîté de Irgnes, je compris anssitdt à. qa^àk 
muhrtcrde de combinaisons instrumentales et votBisa iemr 
^nploi ingénieux pouvait donner lieu, je et m'écriai : 
r Quel orchestre on doit pouvoir écrire lànlessas! > A 
partir de ce moment la fermentation musicale de matèle 
ne fit que croître, et mon aversion pour la médecine re- 
doubla. J'avais de mes parents une trop grande eraiftte, 
toutefois, pour rien oser avouer de mes audacieuses peu- 



lO MEMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

séeSy quand mon père, à la favenr même de la musique, 
âU Tint à un coup d'État pour détruire ce qu'il appelait 
mes puériles antipathies^ et me faire commencer les étu- 
des médicales. 

Afin de me familiariser instantanément avec les objets 
que Je devais bientôt avoir constamment sous les yeux, 
U avait étalé dans son cabinet l'énorme Traité d'ostéolo- 
gie de Munro, ouvert, et contenant des gravures de gran- 
deur naturelle, où les diverses parties de la charpente 
humaine sont reproduites très-fidèlement. < Voilà un ou- 
vrage, me dit-il, que tu vas avoir à étudier. Je ne pense 
pas que tu persistes dans tes idées hostiles à la méde- 
cine; elles ne sont ni raisonnables ni fondées sur quoi 
que ce soit. Et si, au contraire, tu veux me promettre 
d'entreprendre sérieusement ton cours d'ostéologie, je 
ferai venir de Lyon, pour toi, une flûte magnifique gar- 
nie de toutes les nouvelles clefs. » Cet instrument était 
depuis longtemps l'objet de mon ambition. Que répon- 
dre?... La solennité de la proposition, le respect mêlé de 
crainte que m'inspirait mon père, malgré toute sa bonté, 
et la force de la tentation, me troublèfent au dernier point. 
Je laissai échapper un oui bien faible et rentrai dans ma 
chambre, où je me jetai sur mon lit accablé de chagrin. 

Être médecin! étudier Tanatomie! disséquer! assister 
à d'horribles opérations! au lieu de me livrer corps et 
âme à la musique, cet art sublime dont je concevais déjà 
la grandeur! Quitter l'empirée pour les plus tristes séjours 
de la terre ! les anges immortels de la poésie et de l'amour 
et leurs chants inspirés, pour de sales infirmiers, d'af- 
freux garçons d'amphithéâtre, des cadavres hideux, les 
cris des patients, les plaintes et le râle précurseurs de la 
mort!... 

Oh! non, tout cela me semblait le renversement ab- 
solu de l'ordre naturel de ma vie, et monstrueux et im- 
possible. Gela fat pourtant. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 21 

Les études d'ostéologîe furent commencées en compa- 
gnie d'un de mes cousins (A. Robert, aujourd'hui Tun 
des médecins distingués de Paris), que mon père avait 
pris pour élève en même temps que moi. Malheureuse- 
ment Robert jouait fort bien du violon (il était de mes 
exécutants'^pour les quintettes) et nous nous occupions 
ensemble un peu plus de musique que d'anatomie pen- 
dant les heures de nos études. Ce qui ne l'empêchait pas, 
grâce au travail obstiné auquel il se livrait chez lui en 
particulier, de savoir toujours beaucoup mieux que moi 
ses démonstrations. De là, bien de sévères remontrances 
et même de terribles colères paternelles. 

Néanmoins, moitié de gré, moitié de force, je finis par 
apprendre tant bien que mal de l'anatomie tout ce que 
mon père pouvait m'en enseigner, avec le secours des 
préparations sèches (des squelettes) seulement; et j'avais 
dix-neuf ans quand, encouragé par mon condisciple, je 
dus me décider à aborder les grandes études médicales 
et à partir avec lui, dans cette intention, pour Paris. 

Ici, je m'arrête un instant avant d'entreprendre le ré- 
et de ma vie parisienne et des luttes acharnées que j'y 
engageai presque en arrivant et que je n'ai jamais cessé 
d'y soutenir contre les idées, les hommes et les choses. 
Le lecteur me permettra de prendre haleine. 

D'ailleurs, c'est aujourd'hui (10 avril) que la mani- 
festation des deux cent mille chartistes anglais doit avoir 
lieu. Dans quelques heures peut-être, l'Angleterre sera 
bouleversée comme le reste de l'Europe, et cet asile même 
Q^ me restera plus. Je vais voir se décider la question. 

(8 heures du soir). Allons, les chartistes sont de bonnes 
pâtes de révolutionnaires. Tout s'est bien passé. Les ca- 
nons, ces puissants orateurs, ces grands logiciens dont 
les arguments irrésistibles pénètrent si profondément 
dans les masses, étaient à Ht tribune. Ils n'ont pas même 



22 MÉMOianS D£ UECTOR BERLIOZ. 

été obligés de prendre la parole, leur aspect a suffi pour 
porter dans toutes les àmcs la conviction de Tinopportu- 
nité d'une révolution, et les chartistes se sont dispersés 
dans le plus grand ordre. 

Braves gens! vous vous entendez à faire des émeutes 
comme les Italiens à écrire des symphonies. Il en est de 
même des Irlandais très-probablement, et 0*Connel avait 
bien raison de leur dire toujours : Agitez! agitez 1 mais 
lie bougez pas! 

(12 juillet), n m'a été impossible pendant les fh)is mois 
qui viennent de s'écouler de poursuivre le travail de ces 
mémoires. Je repars maintenant pour le malheureux 
pays qu'on appelle encore la France, et qui est le mien 
après tout. Je vais voir de quelle façon un artiste peut 
y vivre, ou combien de temps il lui faut pour y mourir^ 
au milieu des ruines sous lesquelles la fleur de Tart est 
écrasée et ensevelie. Farewel England /... 

(France, 16 juillet 1848). Me voilà de retour! Paris 
achève d'enterrer ses morts. Les pavés des barricades 
ont repris leur place, d'où ils ressortiront peut-être de- 
main. A peine arrivé, je cours au faubourg Saint-An- 
toine : quel spectacle! qu^s hideux débris! Le C||pie de 
la Liberté qui plane au sommet de la colonne de la Bas- 
tille, a lui*même le corps traversé d'une balle. Les arbres 
abattus, mutilés, les maisons prêtes à crouler, les places, 
les rues, les quais semblenX encore vibrants du fracas 
homicide!... Pensons donc à Fart par ce temps de fo- 
lies furieuses et de sanglantes orgies!... Tous nos théâtres 
sont fermés, tous les artistes ruinés, tous les professeurs 
oisifs, tous les élèves en fuite; de pauvres pianistes jouent 
des sonates sur les places publiques, des peintres d'his- 
toire balayent les rues, des architectes gâchent du mor- 
tier dans les ateliers nationaux... L'Assemblée vient de 
voter d'assez fortes sonmaes pour rendre possible la ré- 
ouverture des théâtres et accorder en outre de légeEs 



■»" ■ ^ I 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 23 

secours aux artistes les plus malheureux. Secours insuf- 
fisants pour les musiciens surtout 1 II y a des premiers 
violons à TOpéra dont les appointements n'allaient pas à 
neuf cents francs par an. Ils avaient vécu à grand'peine 
jusqu'à ce jour, en donnant des leçons. On ne doit pas 
supposer qu'ils aient pu faire de brillantes économies. 
Leurs élèves partis, que vont-ils devenir, ces malheureux? 
On ne les déportera pas, quoique beaucoup d'entre eux 
n'aient plus de chances de gagner leur vie qu'en Amé- 
rique, aux Indes ou à Sydney; la déportation coûte trop 
cher au gouvernement; pour l'obtenir, il faut l'avoir 
méritée, et tous nos artistes ont combattu les insurgés et 
sont montés à l'assaut des barricades... 

Au milieu de cette effroyable confusion du juste et de 
n^juste, du bien et du mal, du vrai et du faux, en«an- 
tœdant parler cette langue dont la plupart dessttots «ont 
détournés de leur acception, n'y a-^il pas de quoi devenir 
complètement fou ! ! !.. . 

Continuons mon auto-biographie. Je n'ai rien de mieux 
à faire. L'examen du passé servira, dt'ainenrs^ à détour- 
mrmon attention du présent. 



Une nzmée d*étadef médicales. — Le professeur Amassât, — 
Une représentation à l'Opéra. — La bibliothèque du Con- 
serratoire. — Entrainement irrésistible vers la musique. — 
Mon père se refuse à me laisser suiTre cette carrière. — 
Discussions de famille. 



En arrivant à Paris, en 1822, avec mon eondisciple 
A. Robert, je me livrai tout entier aux études relatives 
à la carrière qui m'était imposée; je tins loyalement la 
promesse que j'avais faite à mon père en partant. J'eus 
pourtant à subir une épreuve assez difficile, quand Ro- 
bert, m'ayant appris un matin qu'il avait acheté un st/^et 
(un cadavre), me condi^isit pour la première fols à l'am- 
phithéâtre de dissection de l'hospice de la Pitié. L'aspect 
ù^ cet horrible charnier humain, ces membres épars, ces 
têtes grimaçantes, ces crânes entr'ouverts, le sanglant 
cloaque daœ lequel nous marchions, l'odeur révoltante 
qui s'en exhalait, les essaims de moineaux se disputant 
des lambçaux de poumons, les rats grignotant dans leur 
coin des vertèbres saignantes, me remplirent d'un tel 
effroi que, sautant par la fenêtre de l'amphithéâtre, je 
pris la fuite à toutes jambes et courus haletant jusque 
chez moi comme si la mort et son affreux cortège eussont 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 25 

été à mes trousses. Je passai vingt-quatre heures sous 
le coup de cette première impression, sans vouloir plus 
entendre parler d'anatomie, ni de dissection, ni de mé- 
decina^ et méditant mille folies pour me soustraire à Fa- 
venir dont j'étais menacé. 

Robert perdait son éloquence à combattre mes répu- 
gnances et à me démontrer l'absurdité de mes projets. 
Il parvint pourtant à me faire tenter une seconde expé- 
lience. Je consentis à le suivre de nouveau à l'hospice, 
et nous entrâmes ensemble dans la funèbre salle. Chose 
étrange! en revoyant ces objets qui dès l'abord m'avaient 
inspiré une si profonde horreur, je demeurai parfaite- 
ment calme, je n'éprouvai absolument rien qu'un froid 
dégoût; j'étais déjà familiarisé avec ce spectacle comme 
un vieux carabin; c'était fini. Je m'amusai même, en 
arrivant, à fouiller la poitrine entr'ouverte d'un pauvre 
mort, pour donner leur pitance de poumons aux hôtes 
ailés de ce charmant s^our. A la bonne heure! me dit 
Robert en riant, tu t'humanises ! 

Aux petits des oiseaux tu donnes la pàtif^e. 
-9- Et ma bonté s*ételid sur toute la nature. 

répliquai-je en jetant une omoplate à un gros rat qui me 
regardait d'un air affamé. 

Je suivis donc, sinon avec intérêt, au moins avec une 
st^ïque résignation le cours d'anatomîe. De secrètes sym- 
pathies m'attachaient même à mon professeur Amussat, 
qui montrait pour cette science une passion égale à celle 
que je ressentais pour la musique. C'était un artiste en 
anatomie. Hardi novateur en chirurgie, son nom est au- 
jourd'hui européen; ses découvertes excitent dans lé 
monde savant l'admiration et la haine. Le jour et la nuit 
s^ûsent à peine à ses travaux. Bien qu'exténué des fa- 
tigudB d'une telle existence, il continue, rêveur, mélan- 

I. 2 



26 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

coliqae, ses audacieuses recherches et persiste dans sa 
périlleuse voie. Ses allures sont celles d'un homme de 
génie. Je le vois souvent; je l'aime. 

Bientôt les leçons de Théoard et de 6ay-LiU5^ qui 
professaient» l'un la chimie, l'autre la physique au Jar- 
din des Plantes, le cours de littérature, dans lequel An- 
drieux savait captiva son auditoire avec tant de mali- 
cÂense bonhomie, m'offrirent de puissantes compensa- 
tions; je trouvai à les suivre un charme trè^-vif et toujours 
«Foissant. J'aUais devenir un étudiant comme tant d'au- 
tres, destiné à ajouter une ohseure unité au noniipe 
désastreux des mauvais médecins, qoaaid, un soir, j'allai 
à rOpéra. On y jouait les DoMoideSy de Salieri. La pompe, 
l'éclat du spectacle, la ma^se harmonieuse de rorehtt- 
tre et des chœurs, le talent pathétique de madame Bran- 
chu, sa voix extraordinaire, la nadease grandiose de 
Dérivis; l'air d'Hypermnestre où je retrouvais, imités 
par Salieri, tous les tcails de l'idéal que je m'étais fait 
du style de Gluck, d'après des fragments de son Orphée 
découverts dans la bibliothèque de mon père; enfin la 
foudroyante bacchanale et les ^hrs de danse si mélanco- 
liquement voluptueux, ajoutés, par Spontini à la parti- 
tion de son vieux compatriote, me mirent dans un état 
de trouble et d'exjaHation que je n'essayerai pafi de dé- 
crire. J'étais comme un jeune homme aux instîiicistta- 
viseurs, qui, n'ayant jaznais vu que les naeedèas des 
lacs de ses montagnes, se trouverait brusqurneot inn»- 
porté sur un vaisseau à trois ponts en pleioe mer. Je ne 
dormis guère, on peut le croire, la nuit qui suivit cette 
représentation, et la logoa d^anAtomie du liNutemainie 
reventit de mon insûmme. Je chantais l'air de Danaâi : 
M Jouissez du destin propiéÊ, > on £ciai^ le crâne de biûd 
êi^et, et quand Bobert, impatienté de m'ientendre mup- 
murv laméJodie < Dieseends dans le sein d'ijiq^hilsîla * 
aa Uen de lire le cli^itfia de Bîehat mut te a§«îévi«Nii^ 



«ÉlUaiflS? BB IBGTOR B1&HLI0Z. 

décriait : < Soyons dose à votre affaire! nous ne 
Taillans pas! dans trois jours notre m/^sera gàtél... il 
coûte dix-hnit francs!... fl faut pourtant ôtre rarsonna^ 
ble ! > je répliquais par Thymne à Némésis « Divinité de 
samg ayide! » et le scalpel lui toml>ait des mains. 

La semaine suivante, je retournai à rOpéra où j'asm-> 
tai, cette fois, à une représentatioiif 4e la Sémtoniùê d« 
Méhul et du ballet de Nina dont la musique avait élé 
composée et arrangée par Persuis. l'admirai beaucoui» 
dans Stratonice Fouverture d'abord, Tair de Séteoeus 
c Versez tous vos chagrins » et le quaiaor de la eonsultau- 
tîon; mais Fensemble de la «partitîen me parut un peu 
froid. Le baRet, au contraire, me plat beaucoup, et je f«» 
profondément ému en entendant jouer sur le cor anglais 
par Vogt, pendant une navrante pantomime de maée- 
mofselle Bîgottini, Tair du cantique cbanté par les cam- 
pagnes de ma sœur au couvent des Ursulives, le jour et 
ma première communion. C'était la romance « Quand \% 
bîen-aimé reviendra. » Un de mes voisins qui en fredon- 
nait les paroles, me dit le nom de l'opéra et celui de 
l'auteur auquel Persuis l'avait empruntée, et j'appris 
ainsi qu'elle appartenaft k !a Tlina de d' Aleyrac. J'ai bicTB 
de la peine à croire, quel qu'ait pu être le talent de la 
cantatrice * qui créa le rôïe de Nina, que cette métodie 
ait jamais eu dans sa bouche un accent aussi vrai, xme 
expression aussi touchante qu'en sortant de llnslrufliewt 
de Togt, et dramatisée par la mime célèbre. 

Malgré de pareilles distractions, et tout en passant 
bien des heures, le soir, à réfléchir sur la triste contrat- 
diction établie entre mes études et mes penchants, je 
continuai quelque temps encore cette vie de tiraillements, 
sans grand profit pour mon instruction médicale, et sans 
pouvoir étendre le champ si borne de mes connaissances 

1. Madame Dugazon. 



28 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

en musique. J'avais promis, je tenais ma parole. Hais, 
ayant appris que la bibliothèque du Conservatoire, avec 
ses innombrables partitions, était ouverte au public, je 
ne pus résister au désir d'y aller étudier les œuvres de 
Gluck, pour lesquelles j'ai/^is déjà une passion instinc- 
tive , et qu'on ne représentait pas en ce moment à 
rOpéra. Une fois admis dans ce sanctuaire, je n'en sortis 
plus. Ce fut le coup de gpràce donné à la médecine. L'am- 
phithéâtre fut décidément abandonné. 

L'absorption de ma pensée par la musique fut telle 
que je négligeai même, malgré toute mon admiration 
pour Gay-Lussac et l'intérêt puissant d'une pareille étude, 
le cours d'électricité expérimentale, que j'avais coni- 
mencé avec lui. Je lus et relus les partitions de Gluck, je 
les copiai, je les appris par cœur; elles me ârent perdre 
le sommeil, oublier le boire et le manger; j'en délirai. Et 
le jour où, après une anxieuse attente, il me fut enfin 
permis d'entendre Iphigénie en Tauride, je jurai, en sor- 
tant de rOpéra, que, malgré père, mère, oncles, tantes, 
grands parents et amis, je serais musicien. J'osai même, 
sans plus tarder, écrire à mon père pour lui faire con- 
naître tout ce que ma vocation avait d'impérieux et 
d'irrésistible, en le conjurant de ne pas la contrarier 
inutilement. Il répondit par des raisonnements affectueux, 
dont la conclusion était que je ne pouvais pas tarder à 
sentir la folie de ma détermination et à quitter la pour- 
suite d'une chimère pour reveiyr à une carrière honora- 
ble et toute tracée. Mais mon père s'abusait. Bien loin de 
me rallier à sa manière de voir, je m'obstinai dans la 
mienne, et dès ce moment une correspondance régulière 
s'établit entre nous, de plus en plus sévère et menaçante 
du côté de mon père, toujours plus passionnée du mien 
et animée enfin d'un emportement qui allait jusques à 
la fureur. 



VI 



Mon admission parmi les élèves de Lesueur. — Sa bonté. 

La chapelle royale. 



Je m'étais mis à composer pendant ces cruelles dis- 
cussions. J'avais écrit, entre autres choses, une cantate 
à grand orchestre, sur un poème de Milievoye {Le Cheval 
arabe.) Un élève de Lesueur, nommé Gerono, que je ren- 
contrais souvent à la bibliothèque du Conservatoire, me 
fit entrevoir la possibilité d'être admis dans la classe 
de composition de ca maître, et m'offrit de me présenter 
à lui. J'acceptai sa proposition avec joie, et je vins un 
matin soumettre à Lesueur la partition de ma can- 
tate, avec un canon à trois voix que j'avais cru devoir lui 
donner pour auxiliaire dans cette circonstance solennelle. 
Lesueur eut la bonté de lire attentivement la première 
de ces deux œuvres informes, et dit en me la rendant : 
c II y a beaucoup de chaleur et de mouvement drama- 
tique là-dedans, mais vous ne savez pas encore écrire, 
et votre harmonie est entachée de [fautes si nombreuses 
qu'il serait inutile de vous les signaler. Gerono aura la 
complaisance devons mettre au courant de nos principes 
d'harmonie, et, dès que vous serez parvenu à les con- 
naître assez pour pouvoir me comprendre, je vous rece- 
I. S. 



30 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Trai volontiers parmi mes élèves. > Gerono accepta res-^ 
pectueusement la tâche que lui confiait Lesueur ; il m'ex- 
pliqua clairement, en quelques semaines, tout le système 
sur lequel ce maître a basé sa théorie de la production 
et de la succession des accords; système emprunté à 
Râcoeau et à ses rêveries sur la résonnance de la corde 
sonore*. Je vis tout de suite, à la manière dont Gerono 
m'exposait ces principes, qu'il ne fallait point en discuter 
la valeur, et que, dans l'école de Lesueur, ils constituaient 
une sorte de religion à laquelle chacun devait se soumet- 
tre aveuglément. Je finis môme, telle est la force de l'ex- 
emple» par avoir en cette doctriae une foi sincère» et 
Lesueur, en m'admettant au nombre de ses disciples fa- 
voris, put me compter aussi parmi ses adeptes les plus 
fervents. 

Je suis loin de manquer de reconnaissance pour cet 
excellent et digne homme, qui entoura mes premiers pas 
dans la carrière de tant de bienveillance, et m'a, jusqu'à 
la fm de sa vie, témoigné une véritable affection. Mais 
combien de temps j*ai perdu à étudier ses théories anté- 
diluviennes, à les mettre en pratique et à les désappren- 
dre ensuite, en recommençant de fond en comble mon 
éducation l Aussi m'arrîve-t-il maintenant de détourner 
involontairement les yeux, quand j'aperçois une de ses 
partitions. J'obéis alors à un sentiment comparable à ce- 
lui que nous éprouvons en voyant le portrait d'un ami 
qui n'est plus. J'ai tant admiré ces petits oratorios qui 
formaient le répertoire de Lesueur à la chapelle royale, 
et cette admiration, j'ai eu tant de regrets de Ja voir s'af- 
faiblir ! En coiîiparant d'ailleurs à l'époque actuelle le temps 
où j'allais les entendre régulièrement tous les dimanches 

1. Qa'U appelle le corps sonore, comme si les cordes sono- 
yes étaient les seuls corps vibrants dans Tonivers ; ou mieiiz 
encore, comme si la théorie de leurs vibrations était appUcar 
ble à la résonnance de tous les autres corps sonores. 



■tMOIRES DR RECTO R BRRUOZ 31 

sa palais des Toileries, ^me troure si tîbiix» si latîgiié^ 
et pauvre d'illiisîoBs ! GoâikHeii d'artistes eél^^ces que je 
renoontrais à ees solomités de Fart religieiEx n'existcat 
plas! Combien d'aolres sont tondit dans Toubli {Hieqne 
la mort t Que d'agitaticms t <|ne d'efforts t que d'i&<}Qiétnr 
des depuis lors ) C'était le temps du grand «itbonsi^vne^ 
des grandes passions masieaîesy te longnes rêveries» 
des joies infinies^ inexprimables !... Quand j'arriTais à 
Forchestre de la chapelle royale, Lesneur profitait ordinai> 
ronoit de quelques minutes ayant le serviee, pour m'in- 
îornm du sujet de l'œuvre qu'on allait exécuter, pour 
m'en exposer le plan et m'expliquer ses intentions prin- 
cipales. La ocnmaissainoe du sujet traité par le composi- 
tenr n'était pas inutile, en efitet, car il était rare que ee 
tùx le texte de la messe. Lesœur, qui a éerit un grand 
nombre de messes^ affectionnait partieulièrementet pro- 
duisait plttSToiontiers ces d^ideox épisodes de rAncien 
Testament, tels^que Noémi^ Raehel, Bnth et Booz, Débora» 
etc., qu'il avait revêtus d'un coloris antique, parfois si 
vnU» qu'on oublie» en les écoutant, la pauvreté de sa 
trame musicale, soa obstination à imiter dans les airs, 
dues et trios, l'ancien style dramatique italien, et la fa^ 
blesse enfantine de son instrumenution. De tous les pod- 
mes (à l'exception peut-être de celui de Mac-Pbersoa, 
qu'il persistait à attribua à Ossian), la Bible était sans 
contredit celui qui prêtait le plus au développemmu des 
facultés spéciales de Lesueur. Je partageais alors sa pré- 
dilection, et rOrienty avec le calme de ses ardentes soàitii- 
des, la majesté de ses ruines immenses» ses souvenirs bis- 
toriques» ses fables, était le point de Fhorizon poétique 
vers lequel mon imagination aimait le mieux à prendre 
son vol. 

Après la cérémonie» dès qu'à l'Ii^. missa est le roi Char- 
les X, s'était retiré, au bruit grotesque d'un énorme 
tambour et d'un fifre» sonnant traditionnellement une fan 



32 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

fare àcinqtempsy digne de la barbarie da muy en âge qai 
la vit naître, mon maître m'emmenait quelquefois dans 
ses longues promenades. C'étaient ces jours-là de précieux 
conseils, suivis de curieuses confidences.' Lesueur, pour me 
donner courage, me racontait une foule d'anecdotes sur 
sa jeunesse; ses premiers travaux à la maîtrise de D^on, 
son admission à la sainte chapelle de Paris, son concours 
pour la direction de la maîtrise de Notre-Dame ; la haine 
que lui porta Méhul; les avanies que lui firent subir les 
rapins du Conservatoire; les cabales ourdies contre son 
opéra de la Caverne^ et la noble conduite de Cherubini à 
cette occasion; l'amitié de Paîsiello qui le précéda à la 
chapelle impériale ; les distinctions enivrantes prodiguées 
par Napoléon à l'auteur des Bardes^; les mots historiques 
du grand homme sur cette partition. Mon maître me di- 
sait encore ses peines infinies pour faire jouer son premier 
opéra ; ses craintes, son anxiété avant la première repré- 
sentation ; sa tristesse étrange, son désœuvrement après 
le succès ; son besoin de tenter de nouveau les hasards 
du théâtre ; son opéra de TéUmaque écrit en trois mois ; 
la fière beauté de madame Scio vôtue en Diane chasse- 
resse, et son superbe emportement dans le rôle de Ca- 
lypso. Puis venaient les discussions ; car il me permettait 
de discuter avec lui quand nous étions seuls, et j'usais 
quelquefois de la permission un peu plus largement qu'il 
n'eût été convenable. Sa théorie de la basse fondamentale 
et ses idées sur les modulations en fournissaient aisément 
la matière. A défaut de questions musicales, il mettait 
volontiers en avant quelques thèses philosophiques et re- 
ligieuses, sur lesquelles nous n'étions pas non plus très- 
souvent d'accord. Hais nous avions la certitude de nous 

1. L*iascription gravée dans Tintérieur de la boite d*or 
que reçut Lesuear après la première représentation de cet 
opéra est ainsi conçue : L*Empereur Napoléon à I*auteur des 
Bardes. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 33 

rencontrer à divers points de ralliement, tels que Gluck, 
Virgile» Napoléon, vers lesquels nos sympathies conver- 
geaient avec une ardeur égale. Après ces longues cause- 
ries sur les bords de la Seine, ou sous les ombrages des 
Tuileries, il me renvoyait ordinairement, pour se livrer 
pendant plusieurs heures à des méditations solitaires, qui 
étaient devenues pour lui un véritable besoin. 



vil 



Un premier opéra. — M. Andrieux. — Une première messe. 

M. de Chateaubriand. 



Quelques mois après mon admission parmi les élève? 
particuliers de Lesueur, (je ne faisais point encore partie 
de ceux du Conservatoire) je me mis en tète d'écrire un 
opéra. Le cours de littérature de M. Andrieux, que je 
suivais assidûment, me fit penser à ce spirituel vieillard, 
et j'eus la singulière idée de m'adresser à lui pour le li 
vret. Je ne sais ce que je lui écrivis à ce sujet, mais voici 
sa réponse. 

« Monsicar, 

» Votre lettre m'a vivement intéressé ; l'ardeur que 
vous montrez pour le bel art que vous cultivez, vous y 
garantit des succès; je vous les souhaite de tout mon 
cœur, et je voudrais pouvoir contribuer à vous les faire 
obtenir. Mais l'occupation que vous me proposez n'est 
plus de mon âge ; mes idées et mes études sont tournées 
ailleurs ; je vous paraîtrais un barbare, si je vous disais 
combien il y a d'années que je n'ai mis le pied ni à l'O- 
péra, ni à Feydeau. J'ai soixante-quatre ans, il me con- 
viendrait mal de vouloir faire des vers d'amour, et en 



MÉMOIRKS DE HFCTOR BERLIOZ. 38 

fait de musique, je ne dois plus guère songer qu'à la 
messe de Requiem, Je regrette que tous ne soyez pas venu 
trente ou quarante ans plus tôt, ou moi plus tard. Nous 
aurions pu traraiiler ensemble. Agréez mes excuses qui 
ne sont que trop bonnes et mes sincères ^ affectueuses 
salmalio&s. 

» AIiJ)&IE.CX. > 
17 jum I«2d. 

Ce fut JL. Andrieux lui-inôme, qui eut kt bonté 
de m'-àpporter sa tenre. Il causa longtemps a^rec moi, et 
me dit en me qa^tant : <Âb, moi aussi ]'ai été dans ma 
jeunesse un fougueux amateur de mumque. l'étais en* 
ragé ^ksciniste... et (%Gfci8te donc. > 

Découragé par ce premier échec auprès d'une oiHâiHté 
lilstéraire, j'eus reoonrB modestement à <veroiio qui se 
piquait un peu de poésie. Je Iat4emflndai (admipez ma 
G»id«etxO de ne dcanatlser rfUtelle de Floriaa. M s'y 
décida et je mis scm «etonvieii musique. Personne be««- 
r^isement n'emendit jamais nen de eette companâon 
saggérée ^r mes socLvenirs deMe^^lan. Souvenirs im^^ 
puissaiâsl «ar ma partition fut aussi ridiccâe, pour ne 
pas dire plus, cpie la pièee et tes vors éb Gerano. Â cet 
cBfBFrB d*un rose tendre succéda une scène fort isomtoe, 
au emUraire, empruntée au tatme de SaaFm, Mmieif 
ouie Jauem. JemepassiCHKnittsérmssenKmtpottrce Inig» 
mam de tuotiffae ifioleiite éerft fov Toîi de b«ne avec 
ordmliB, «t que j'emse VoiAb estendre chanter par 
DÉrirâ, au tatent-^qucA il me paraissait coBTenâr- Le 
dMd&e était de découvrir urne occasion iwyi^TMe peur 
ie faire «acécoter. ie enu i'aivieir tBomFée en To^ast an* 
neoettraiL fh^tt e granga âs mne rep'ésentalîon au Mné^ 
fiée §e Tatoa, eiitfipuakit ÉHiaëe eivec iee idurars 4» 
GoBsec. ^— > PfiâsçB'ii «y a des «tem» mBidisie» il 7 mca^ 



36 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

aussi un orchestre pour les accompagner; ma scène est 
d'une exécation facile, et si Talma veut l'introduire dans 
son programme, certes Dérivis ne lui refusera pas de la 
chanter. Allons chez Talma I Hais l'idée seule de parler 
au grand tragédien, de voir Néron face à face, me trou- 
blait au dernier point. En approchant de sa maison, je 
sentaiA un battement de cœur de mauvais augure, l'ar- 
rivé; à l'aspect de sa porte, je commence à trembler; je 
m'arrête sur le seuil dans une incroyable perplexité. 
Oserai-je aller plus avant?... Renonoerai-je à mon pro- 
jet? Deux fois je lève le bras pour saisir le cordon de la 
sonnette, deux fois mon bras retombe... le rouge me 
monte au visage, les oreUles me tintent, j'ai de vérita- 
bles éblouissements. Enfin la timidité l'emporte, et, sa- 
crifiant toutes mes espérances, je m'éloigne, ou plutôt je 
m'enfuis à grands pas. 

Qui comprendra cela?... un jeune enthousiaste à peine 
civilisé, tel que j'étais alors. 

Un peu plus tard, M. Masson, maître de chapelle de 
l'église Sain^Roch , me proposa d'écrire une messe 
solennelle qu'il ferait exécuter, disait-il, dans cette église, 
le jour des Saints Innocents, fête patronale des enfants 
de chœur. Nous devions avoir cent musiciens de choix 
à l'orchestre, un chœur plus nombreux encore; on étu- 
dierait les parties de chant pendant un mois; la copie 
ne me coûterait rien, ce travail serait fait gratuitement 
et avec soin par les enfants de chœur de Saint-Roch, etc., 
etc. Je me mis donc plein^d'ardeur à écrire cette messe, 
dont le style, avec sa coloration inégale et en quelque 
sorte accidentelle, ne fut qu'une imitation maladroite 
du stylA de Lesueur. Ainsi que la plupart des maîtres, 
celui-ci, dans l'examen qu'Haï de ma partition, approuva 
surtout les passages où sa manière était le plus fidèle- 
ment reproduite. A peiBe terminé, je mis le manuacrit 
entre Içs mains de M. Masson, qui en confia la copie et 



MEMOIRES DÉ HECTOR BERLIOZ. 37 

l'étude à ses jeunes élèves. Il me jurait toujours ses 
grands dieux que Texécution serait pompeuse et excel- 
lente. Il nous manquait seulement un habile chef d'or- 
chestre, ni lui» ni moi n'ayant l'habitude de diriger 
d'aussi grandes masses de voix et d'instruments. Yalen- 
lino était alors à la tôte de l'orchestre de l'Opéra, il as- 
pirait à- l'honneur d'avoir aussi sous ses ordres celui de 
la diapelie royale. Il n'aurait garde, sans doute, de ne 
rien refuser à mon maître qui était surintendant* de 
cette chapelle. £n effet, une lettre de Lesueur que je lui 
portai le décida, malgré sa défiance des moyens d'exé- 
cution dont je pourrais disposer, à me promettre son 
concours. Le jour de la répétition générale arriva, et nos 
grandes masses vocales et instrumentales réunies, il se 
trouva que nous avions, pour tout bien vingt choristes, 
dont quinze ténors et cinq basses, douze enfants, neuf 
violons, un alto, un hautbois, un cor et un basson. On 
juge de mon désespoir et de ma honte, en offrant à Ya- 
lentino, à ce chef renommé d'un des premiers orchestres 
du monde, une telle phalange musicale!... c Soyez tran- 
quille, disait toujours maître Masson, il ne manquera 
personne demain à l'exécution. Répétons! répétons! Va- 
lentîno résigné, donne le signal, on commence; mais 
après quelques instants, il faut s'arrêter à cause des in- 
nombrables fautes de copie que chacun signale dans les 
parties. Ici on a oublié d'écrire les bémols et les dièses à 
la clef; là il manque dix pauses; plus loin on a omis 
trente mesures. C'est un gâchis à ne pas se reconnaître, 
je souffre tous les tourments de l'enfer; et nous devons 
enfin renoncer absolument, pour cette fois, à mon rêve 
si longtemps caressé d'une exécution à grand orchestre. 
Cette leçon au moins ne fut pas perdue. Le peu de ma 

1. Vies surintendants présidaient seulement à Pezécution de 
leurs œuvres; malt ne dirigeaient point personaellemest. 



38 MSMOm» DB HECTOR BERLIOZ. 

composition maiheurease que j'avais entendu, m'ayant 
fait découvrir ses défauts les plus saillants, je pris aossi** 
tôt une résolution radicale dans laquelle Valentino me 
raffermit, en me promettant de ne pas m'abandonner, 
lorsqu'il s'agirait plus tard de prendre ma revanche. Je 
refis cette messe presque entièrement. Mais pendant que 
j'y travaillais, mes parents avertis de ce fiasco, ne'man* 
quèrent pas d'en tirer un vigoureux parti pour battre^ 
en brèche ma prétendue vocation et tourner en ridicule 
mes espérances. Ce fut la lie de mon calice d'amertume. 
Je l'avalai en silence et n'en persistai pas moins. 

La pétition terminée, convaincu par une triste expé- 
rience que je ne devais me fier à personne pour le travail 
de la copie, et ne pouvant, faute d'argent, ^nployerde» 
copistes de profession, je me mis à extraire moi-même 
les parties, à les doubler, tripler, quadrupler, ete. Au 
bout de trois mois elles furent prêtes. Je demeurai alors 
auœi empêché avec ma messe que Robinson aveesen 
grand canot qu'il ne pouvait lancer; les moyens- de la 
faire exécuter me manquaient absolument. Compter de 
nouveau sur les masses musicales de M. Masson eût été 
par trop naïf; inviter moi-même les artistes dont j'avais 
besoin, je n'en connaissais personnellement aucun; re- 
courir à l'assistance de la chapelle royale, sous l'égidd 
de mon maître, il avait formdlement déclaré la' chose- 
impossible ^ Ce fut alors que mon ami Humbert Fert^nd^ 
dont je parierai bientôt plus au long, oonçtrt la pensée^ 
paesabl^nrat hardie de me faire écrire à^ M. de Ghateao:^* 
briand) comme au senlhemfiiecapablê'de^oomprenâlcr 

1« Je ne compris* point- alors pom^uei. A coup sûr, Le- 
sueur, demandant àlfrohapelle royale tout entière de venii^ à 
l'église de Saint-Roch ou ailleurs, exécuter TouTrage d*un de 
ses élèves, eût été parfaitement accueilli. — Mais il craignit 
sans doute que' neffcondlMiploB ne réclamaient à leur tour 
une faveur semblable^ et' dèe 1ers lofons devenait évident. 



MÉMOIRES DF HECTOR BERLIOZ. 39 

et d'accaeillir une teUe demande, pour le prier de me 
mettre à même d'organiser Texécution de ma messe en 
me prêtant 1,300 francs. M. de Chateaubriand me répon- 
dit la lettre suivante : 

Paris, le 31 décembre 1824. 

c Vous me demandez douze cents francs, Monsieur; 
je ne les ai pas; je vous les enverrais, si je les avais. Je 
n'ai aucun moyen de vous servir auprès des ministres *. 
Je prends. Monsieur, une vive part à vos peines. J'aime 
les arts et honore les artistes; mais les épreuves où le 
talent est mis quelquefois le font triompher, et le jour 
du succès dédommage de tout ce qu'on a souffert. 

» Recevez» Monsieur, tous mes regrets; ils sont bien 
sincères f 

> GHATEAUBBIAND. » 

1. Il parait que j*aYais en outre prié M. de Chateaubriand 
de me recommander aux puissances du jour. Quand on pi«nd 
du galon, dit le proverbe, on n*en saurait tvop prends» 



VIII 



A. de Pons. — Il me prête 1,200 francs. — On exécute ma 
messe une première fois dans Téglise de Saint-Roch. — 
Une seconde fois dans Téglise de Saint-Eustache. — Je la 
brûle. 



Mon découragement devint donc extrême; je n'avais 
rien de spécieux à répliquer aux lettres dont mes pa- 
rents m'accablaient; déjà ils^menaçaient de me retirer la 
modique pension qui me faisait vivre à Paris, quand le 
hasard me fit rencontrer à une représentation de la Bi- 
don de Piccini à l'Opéra, un jeune et savant amateur de 
musique, d'un caractère généreux et bouillant, qui avait 
assisté en trépignant de colère à ma débâcle de Saint- 
Roch. Il appartenait à une famille noble du faubourg 
Saint-Germain, et jouissait d'une certaine aisance. Il s'est 
ruiné depuis lors; il a épousé, malgré sa mère, une mé- 
diocre cantatrice, élève du Conservatoire; il s'est fait 
acteur quand elle a débuté; il l'a suivie en chantant 
l'opéra dans les provinces de France et en Italie. Aban- 
donné au bout de quelques années par sa prima-donna, 
il est revenu végéter à Paris en donnant des leçons de 
chant. J'ai eu quelquefois l'occasion de lui être utile, 
dans mes feuilletons du Journal des Débats; mais c'est 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 41 

an poignant regret pour moi de n'avoir pa faire davan- 
tage; car le service qu'il m'a rendu spontanément a 
exercé une grande influence sur toute ma carrière, je 
ne l'oublierai jamais; il se nommait Augustin de Pons. 
Il vivait avec bien de la peine, l'an dernier, du produit 
de ses leçons! Qu'est-il devenu après la révolution de 
Février qui a dû lui enlever tous ses élèves?... Je trem- 
ble d'y songer... 

En m'apertevant au foyer de l'Opéra : « Eh bien, 
s'écria-t-il, de toute la force de ses robustes poumons, et 
cette messe! est-elle refaite? quand l'exécutons-nous 
tout de bon? — Mon Dieu, oui, elle est refaite et de plus 
recopiée. Mais comment voulez-vous que je la fasse exé- 
cuter? — Gomment! parbleu, en payant les artistes. Que 
vous faut-il? voyons l douze cents francs? quinze cents 
francs? deux mille francs? je vous les prêterai, moi. — 
De grâce, ne criez pas si fort. Si vous parlez sérieuse- 
ment, je serai trop heureux d'accepter votre offre et 
douze cents francs me suffiront. — C'est dit. Venez chez 
moi demain matin, j'aurai votre affaire. Nous engagerons 
lous les choristes de l'Opéra et un vigoureux orchestre. 
Il faut que Valentino soit content, il faut que nous soyons 
^ntents; il faut que cela marche, sacrebleul » 

Et de fait cela marcha. Ma messe fut splendidement 
exécutée dans l'église de Saint-Roch, sous la direction de 
Valentino, devant un nombreux auditoire; les journaux 
en parlèrent favorablement, et je parvins ainsi, grâce à 
ce brave de Pons, à m'entendre et à me faire entendre 
pour la première fois. Tous les compositeurs savent quelle 
est l'importance et la difficulté, à Paris, de mettre ainsi 
le pied à l'étrier. 

Cette partition fut encore exécutée longtemps après 
(en 1827) dans l'église de Saint-Eustache, le jour môme 
de la grande émeute de la rue Saint-Denis. 

L'orchestre et les chœurs de l'Odéon m'étaient venus 



42 H&MaiRES DE HECTOR BERLIOZ. 

en aide cette fois grxtaitement et j'avais osé eatrepren- 
dre de les diriger inoi-même. A part quelques inadver- 
tances causées par Témolion, je m'en tirai assez bien. 
Que j'étais loin pourtant de posséder les mille qualités 
de précision, de souplesse, de chaleur, de sensibilité et 
de sang^>froid, unies à un instinct indéûnissable» qui cons- 
tituent le talent ouvrai chef d'orchestre I et qu'il m'a 
fallu de temps, d'exercices et de réflexions pour en ac- 
quérir quelquestunes! Nous 'nous plaignons souvent de 
la.nff&té.de nos bons chanteurs, les bons directeurs d'or- 
chestre sont bien plus rares encore, et leur importance, 
dans une foule de cas, est bien autrement grande et re- 
doutable pour les compositeurs. 

Après cette nouvelle épreuve, ne pouvant conserver 
aucun doute sur le peu de valeur de ma messe, j'en déta- 
chai le Resurrexii * dont j'étais assez content, et je brûlai 
le reste en compagnie de la scène ùeBéverley pour la- 
quelle ma passion s'était fort apaisée, de l'op^ d! Estelle 
et d'un oratorio latin (le Passage de la mer Rouge) que je 
venais d'achever. Un froid coup d'œil d'inquisiteur m- a- 
vait fiait reconnaître ses droits incontestables à figurer 
daiK cet auto-da-fé. 

Lugubre coïncidence! hier, après avoir écrit les lignes 
qu'on vient de lire, j'allai passer la soirée à l'Opéra- 
Comique. Un musicien dema connaissance m'y rencontre 
dans un entr'acte et m'aborde avec ces mots : « Depuis 
quand ôtes'vous de retour de Londres? — Depuis quelques 

semaines. — Ëhbien! de Pons... vous avez su? Non, 

quoi donc? — Il s'est empoisonné volontairement le mois 
dernier. — Ahî mon Dieu! — Oui, il a écrit qu'il était 
las de la vie; mais je crains que la vie ne lui ait plus été 
possible; il n'avait plus d'élèves, la révolution les avait 
tous dispersés, et la vente de ses meubles n'a pas même 

1 . Je Tai détruit aussi plus tard. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 43 

suffi à payer ce qu'il devait pour son appartement. Oh ! 
malheureux! pauvres abandonnés artistes! République 
de crocheteurs et de chiffonniers 1 . . . 

Horrible! horrible! mosl^omôte/ Voici maintenant que 
le Moming-Post vient me donner les détails de la mort du 
malheureux prince Lichnowsky, atrocement assassiné 
aux portes de Francfort par des brutes de paysans alle- 
mands, dignes émules de nos héros de Juin ! Ils Font 
lardé de coups de couteau, haché de coups de faux; ils 
lui ont mis les bras et les jambes en lambeaux! Ils lui 
ont tiré plus de vingt coups de fusil dirigés de manière 
à ne pas le tuer! Ils Tout dépouillé ensuite et laissé mou- 
rant et nu au pied d'un mur!... Il n'a expiré que cinq 
heures après, sans proférer une plainte, sans laisser 
échapper un soupir!... Noble, spirituel, enthousiaste et 
brave LichnowskilJeL'ai beaucoup odBnu.à Pans; je l'ai 
retrouvé l'an dernier à Berlin en revenant de Russie. Ses 
succès de tribune commençaient alors. Infâme racaille 
humaine! plus stupide et plus férooe cent fois, dans tes 
soubresauts et tes grimaces révolutionnaires, que lesl)a- 
bouins et les orangs-outangs de Bornéo!... 

Oh! il faut que je sorte, que je nuurolie, que je coure, 
que je erie m grand air!... 



IX 



Ma première entrevue avec Cherubini, — Il me chasse 
de la bibliothèque du Conservatoire. 



Lesueur, voyant mes étades harmoniques assez avan- 
cées, voulut régulariser ma position, en me* faisant en- 
trer dans sa classe du Conservatoire. Il en parla à Che- 
rubini, alors directeur de cet établissement, et je fus 
admis. Fort heureusement, on ne me proposa point, à 
cette occasion, de me présenter au terrible auteur de 
Médée^ car. Tannée précédente, je l'avais mis dans une de 
ses rages blêmes en lui tenant tête dans la circonstance 
que je vais raconter et qull ne pouvait avoir oubliée. 

A peine parvenu à la direction du Conservatoire, en 
remplacement de Peme qui venait de mourir, Cherubini 
voulut signaler son avènement par des rigueurs incon- 
nues dans Torganisation intérieure de l'école, où le pu- 
ritanisme n'était pas précisément à Tordre du jour. Il 
ordonna, pour rendre la rencontre des élèves des deux 
sexes impossible hors de la surveillance des professeurs, 
que les hommes entrassent par la porte du Faubourg- 
Poissonnière, et les femmes par celle de la rue Bergère; 
ces différentes entrées étant placées aux deux extrémités 
opposées du bâtiment. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 45 

En me rendant un matin à la bibliothèque, ignorant 
le décret moral qui venait d'être promulgué, j'entrai, 
suivant ma coutume, par la porte de la rue Bergère, la 
porte féminine, et j'allais arriver à la bibliothèque quand 
un domestique, m'arrêtant au milieu de la cour, voulut 
me faire ressortir pour revenir ensuite au même point 
en rentrant par la porte masculine. Je trouvai si ridicule 
cette prétention que j'envoyai paître l'argus en livrée, et 
je poursuivis mon chemin. Le drôle voulait faire sa cour 
au nouveau maître en se montrant aussi rigide que lui. 
Il ne se tint donc pas pour battu, et courut rapporter le 
fait au directeur. J'étais depuis un quart d'heure absorbé 
par la lecture à'Akestey ne songeant plus à cet incident, 
quand Gherubini, suivi de mon dénonciateur, entra dans 
la salle de lecture, la figure plus cadavéreuse, les che- 
veux plus hérissés, les yeux plus méchants et d'un pas 
plus saccadé que de coutume. Ils firent le tour de la ta- 
ble où étaient accoudés plusieurs lecteurs; après les avoir 
tous examinés sucessivement, le domestique s'arrôtant 
devant moi, s'écria : < Le voilà! » Gherubini était dans 
une telle colère qu'il demeura un instant sans pouvoir 
articuler une parole : « Ah, ah, ah, ah I c'est vous, dit-il 
enfin, avec son accent italien que sa fureur rendait plus 
comique, c'est vous qui entrez par la porte que, que, 
que zé ne veux pas qu'on passe! — Monsieur, je ne con- 
naissais pas votre défense, une autre fois je m'y confor- 
merai. — Une autre fois! une autre fois! Qué-qué-qué 
venez-vous faire ici? — Vous le voyez, monsieur, j'y viens 
étudier les partitions de Gluck. — Et qu'est-ce que, 
qu'est-ce qué-qué-qué vous regardent les partitions dé 
Gluck? et qui vous a permis dé venir à-à-à la bibliothè- 
que? — Monsieur! (je commençais à perdre mon sang- 
froid) les partitions de Gluck sont ce que je connais de 
plus beau en musique dramatique et je n'ai besoin de la 
permission de personne pour venir les étudier ici. Depuis 

3.1 



46 MÉirOIBBS DE HECTOR BERLIOZ. 

dix heures jiuqa'à trois la bibliothèque da C > isenra- 
toire est oaTerte au pablic, j'ai le droit d'en priâter. — 
Lé4é4é-lé droit? — Oui, moDSienr. — Zé to s défends 
d'y revenir» moîl — Ty reTiendmi, néanmias. — Go- 
eomme-eQmmentHSoninient Tons appeles-vons f > crie4*il, 
tremblant de farenr. Et moi pâlissant à mon tour : 
< Monsieur ! mon nom Toussera peavétre connu quelque 
iour, mais pour aujourd'hui... Vous ne le saurez pas! 
— Arrête, a-ararrète4e9 Hottin (le domestique s'aillait 
ainsi), qué^iué^iué^ lé fasse zeter en prison ! > Ils se met- 
tent alors tous les deux, le maître et le valet, à la grande 
stupéfaction des assistants, à me poursuivre autour de;la 
table, renversant tabourets et pupitres, sans pouvoir 
m'atteindre, et je finis par m'enfair à la course en jetant, 
avec un éclat de rire, ces mots à mon persécuteur : « Vous 
n'aurez ni moi ni mon nom, et je reviendrai bientôt ici 
étudier encore les partitions de Gluck ! > 

Voilà ^mment se passa ma première entrevue avec 
Gherubini. Je ne sais s'il s'en souvenait quand je lui fus 
ensuite présenté d'une façon plus officielle. Il est assez 
plaisant en tous cas, que douze ans après, et malgré lui, 
je sois devenu conservateur et enfin bibliothécaire de 
cette même bibliothèque d'où il avait voulu me chasser. 
Quant à Hottin, c'est aujourd'hui mon garçon d'orches- 
tre le plus dévoué, le plus furibond partisan de ma mu- 
sique; il prétendait même, pendant les dernières années 
delà vie de Gherubini, qu'il n'y avait que moi poiir 
remplacer l'illustre maître à la direction du Gonserva - 
toire. Ce en quoi M. Auber ne fut pas de son avis. 

J'aurai d'autres anecdotes semblables à raconter sai 
Gherubini, où l'on verra que s'il m'a fait avaler bien des 
couleuvres, je lui ai lancé en retour quelques serpents à 
sonnettes dont les morsures lui ont cuit. 



Mou père me retire ma peiisix>a. — Je retourne à la Côte. 
— Les idées de province sur l'art et sur les artistes. — 
Désespoir. — Effroi de mon père. — 11 consent à me laisser 
revenir à Paris. — Fanatisme de ma mère. — Sa malé- 
diction. 



L'espèee de succès obtenu paria première exécation 
de ma messe avait un instant ralenti les hostilités de far- 
mille dont je souffrais tant, quand un nouvel incident 
Tint les ranimer, en redoublant le mécontentement de 
mes parents. 

Je me présentai au concours de composition musicale 
qui a lieu tous les ans à l'Institut. Les candidats, avant 
d'être admis à concourir, doivent subir une épreuve 
préliminaire d'après laquelle les plus faibles sont exclus. 
J'eus le malheur d'être de ceux-là. Mon père le sut et 
cette fois, sans hésiter, m'avertit de ne plus compter sur 
lui, si je m'obstinais à rester à Paris, et qu'il me retirait 
ma pension. Mon bon maître lui écrivit aussitôt une lettre 
pressante, pour l'engager à revenir sur cette décision, 
l'assurant qu'il ne pouvait point y avoir de doutes sur 
l'avenir musical qui m'était réservé, et que la musique 
me sortait par tous les pores. Il mêlait à ses arguments 



48 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

pour démontrer Tobligation où Ton était de céder à ma 
Yocatioiiy certaines idées religieuses dont le poids lai pa- 
raissait considérable, et qui, certes, étaient bien les plus 
malencontreuses qu'il pût choisir dans cette occasion. 
Aussi la réponse brusque, roide et presque impolie de 
mon père ne manqua pas de froisser violenmiient la sus- 
ceptibilité et les croyances intimes de Lesueur. Elle com- 
mençait ainsi : < Je suis un incrédule, monsieur! > On 
juge du reste. 

Un vague espoir de gagner ma cause en la plaidant 
moi-même me donna assez de résignation pour me sou- 
mettre momentanément. Je revins donc à la Côte. 

Après un accueil glacial, mes parents m'abandonnèrent 
pendant quelques jours à mes réflexions, et me sommè- 
rent enfin de choisir un état quelconque, puisque je ne 
voulais pas de la médecine. Je répondis que mon pen- 
chant pour la musique était unique et absolu et qu'il 
m'était impossible de croire que je ne retournasse pas à 
Paris pour m'y livrer, c II faut pourtant bien te faire à 
cette idée, me dit mon père, car tu n'y retourneras ja- 
mais I » 

A partir de ce moment je tombai dans une tacitumité 
presque complète, répondant à peine aux questions qui 
m'étaient adressées, ne mangeant plus, passant une par- 
tie de mes journées à errer dans les champs et les bois, 
et le reste enfermé dans ma chambre. A vrai dire, 
je n'avais point de projets; la fermentation sourde de ma 
pensée et la contrainte que je subissais semblaient avoir 
entièrement obscurci mon intelligence. Mes fureurs môme 
s'éteignaient, je périssais par défaut d'air. 

Un matin de bonne heure, mon père vint me réveiller i 
« Lève-toi, me dit-il, et quand tu seras habillé, viens dans 
mon cabinet, j'ai à te parler! » J'obéis sans pressentir de 
quoi il s'agissait. L'air de mon père était grave et triste 
plutôt que sévère. En entrant chez lui, je me préparais 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 49 

néanmoins à soutenir un nouvel assaut, quand ces mots^ 
inattendus me bouleversèrent : c Après plusieurs nuits 
passées sans dormir, j'ai pris mon parti... Je consens à te 
laisser étudier la musique à Paris... mais pour quelque 
temps seulement; et si, après de nouvelles épreuves, elles 
ne te sont pas favorables, tu me rendras bien la justice de 
déclarer que j'ai fait tout ce qu'il y avait de raisonnable 
à faire, et te décideras, je suppose, à prendre une autre 
voie. Tu sais ce que je pense des poètes médiocres; les 
artistes médiocres dans tous les genres ne valent pas 
mieux; et ce serait pour moi un chagrin mortel, une 
humiliation profonde de te voir confondu dans la foule 
de ces hommes inutiles ! » 

Mon père, sans s'en rendre compte, avait montré plus 
d'indulgence pour les médecins médiocres, qui, tout aussi 
nombreux que les méchants artistes, sont non-seulement 
inutiles, mais fort dangereux! Il en est toujours ainsi, 
même pour les esprits d'élite; ils combattent les opi- 
nions d'autrui par des raisonnements d'une justesse 
parfaite, sans s'apercevoir que ces armes à deux tran- 
chants peuvent être également fatales à leurs plus chères 
idées. 

Je n'eu attendis pas davantage pour m'élancer au cou 
de mon père et promettre tout ce qu'il voulait. « En ou- 
tre, reprit-il, comme la manière de voir de ta mère dif- 
fère essentiellement de la mienne à ce sujet, je n'ai pas 
jugé à propos de lui apprendre ma nouvelle détermina- 
tion, et pour nous éviter à tous des scènes pénibles, j'exige 
que tu gardes le silence et partes pour Paris secrètement. » 
J'eus donc soin, le premier jour, de ne laisser échapper 
aucune parole imprudente; mais ce passage d'une tris- 
tesse silencieuse et farouche à une joie délirante que je ne 
prenais pas la peine de déguiser, était trop extraordinaire 
pour ne pas exciter la curiosité de mes sœurs ; et Nanci, 
l'aînée, fit tant, me supplia avec de si vives instances de 



80 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

lai en apprendra le motif, qae je finis par lai tout 
avouer... en lai recommandant le secret. Elle le garda 
aussi bien que moi, cela se deyine, et bientôt tonte la mai- 
son, les amis de la maison, et enfin ma mère en furent 
instraits. 

Pour comprendre ce qui va snivre, il faut savoir que 
ma mère dont les opinions religieuses étaient fort exal- 
tées, y joignait celles dont beaucoup de gens ont encore 
de nos jours le malheur d'être imbus, en France, sur les 
arts qui, de près ou de loin, se rattachent au théâtre. 
Pour elle, acteurs, actrices, chanteurs, musiciens, poètes, 
compositeurs, étaient des créatures abominables, frap- 
pées par rÉglise d'excommunication, et comme telles 
prédestinées à l'enfer. A ce sujet, une de mes tantes (qui 
m'aime pourtant aujourd'hui bien sincèrement et m'es- 
time encore^ je Tespère), la tète pleine des idées libérales 
de ma mère, me fit un jour une stupéfiante réponse. Dis- 
cutant avec elle, j'en étais venu à lui dire : « A vous en- 
tendre, chère tante, vous seriez fâchée, je crois, que 
Racine fût de votre famille? » — « Eh! mon ami... la 
considération avant toutl > Lesueur faillit étouffer de rire, 
lorsque plus tard, à Paris, je lui citai ce mot caractéris- 
tique. Aussi ne pouvant attribuer une semblable manière 
de voir qu'à une vieillesse voisine de la décrépitude, il ne 
manquait jamais, quand il était d'humeur gaie, de me de- 
mander des nouvelles de l'ennemie de Racine, ma vieille 
tante; bien qu'elle fût jeune alors et jolie comme un ange. 

Ma mère donc, persuadée qu'en me livrant à la com- 
position musicale (qui, d'après les idées françaises, n'existe 
pas hors du théâtre) je mettais le pied sur une route con- 
duisant à la déconsidération en ce monde et à la dam- 
nation dans l'autre, n'eut pas plus tôt vent de ce qui se 
passait que son âme se souleva d'indignation. Son regard 
courroucé m'avertit qu'elle savait tout. Je crus prudent 
de m'esquiver et de me tenir coi jusqu'au moment du 



IFKHOIRES ]>E HECTOR FERLIOZ. SI 

départ. Mais je m'étais à peine réfugié dans mon réduit 
depuis quelques minutes, qu'elle m'y suivit, l'œil éttnoe- 
lant, et tous ses gestes indiquant une émotion extraor- 
dinaire : « Votre père, me dit-elle, en quittant le tutoie- 
ment habituel, a eu la faiblesse de consentir à Yotre 
retour à Paris, il favorise vos extravagants et coupa- 
bles projets I... Je n'aurai pas, moi, un pareil reproche à 
me flaire, et je m'oppose formellement à ce départ ! — Ma 
mèrel... — Oui, je m'y oppose, et je vous conjure, Hec- 
tor, de ne pas persister dans votre folie. Tenez, je me 
mets à vos genoux, moi, votre mère, je vous supplie 
humblement d'y renoncer... — Mon Dieu, ma mère per- 
mettez que je vous relève, je ne puis... supporter cette 
vue... — Non, je reste!... » Et, après un instant de si- 
lence : € Tu me refuses, malheureux ! tu as pu, sans le 
laisser fléchir, voir ta mère à tes pieds! Ëh bien! pars! 
Va te traîner dans les fanges de Paris, déshonorer ton 
nom, nous faire mourir, ton père et. moi, de honte et de 
chagrin! Je quitte la maison jusqu'à ce que tu en sois 
sorti. Tu n'es plus mon fils! je te maudis! » 

Est-il croyable que les opinions religieuses aidées de 
tout ce que les préjugés provinciaux ont de plus insolem- 
ment méprisant pour le culte des arts, aient pu amener 
entre une mère aussi tendre que l'était la mienne et un 
fils aussi reconnaissant et respectueux que je l'avais tou- 
jours été, une scène pareille?... Scène d'une violence 
exagérée, invraisemblable, horrible, que je n'oublierai 
jamais, et qui n'a pas peu contribué à produire la haine 
dont je suis plein pour ces stupides doctrines, reliques du 
moyen âge, et, dans la plupart des provinces de France, 
conservées encore aujourd'hui. 

Cette rude épreuve ne finit pas là. Ma mère avait dis- 
paru; elle était allée se réfugier à une maison de cam- 
pagne nommée le Ghuzeau, que nous avions près de la 
Côte. L'heure du départ venue, mon père voulut tenter 



82 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

avec moi an dernier effort pour obtenir d'elle un adiea, 
et la révocation de ses cruelles paroles. Nous arrivâmes 
au Ghnzeaa avec mes denx sœurs. Ma mère lisait dans 
le verger au pied d'un arbre. En nous apercevant, elle se 
leva et s'enfuit. Nous attendîmes longtemps, nous la sui- 
vîmes, mon père l'appela, mes sœurs et moi nous pleu- 
rions; tout fut vain; et je dus m'éloigner sans em- 
brasser ma mère, sans en obtenir un mot, un regard, et 
chargé de sa malédiction !••• 



Xî 



Retour à Paris. — Je donne des leçons. — J^entre dans la 
classe de Reichà au Conservatoire. — Mes diners sur le 
Pont-Neuf. — Mon père me retire de nouveau ma pension. 
Opposition inexorable. — Humbert Ferrand. — R. Kreutzer. 



A peine de retour a Paris et dès que j'eus repris auprès 
de Lesueur le cours de mes études musicales, je m'occu- 
pai de rendre à de Pons la somme qu'il m'avait prêtée. 
Cette dette me tourmentait. Ce n'était pas avec les cent 
vingt francs de ma pension mensuelle que je pouvais y 
parvenir. J'eus le bonheur de trouver plusieurs élèves 
de solfège, de flûte et de guitare, et en joignant au pro- 
duit de ces leçons des économies faites sur ma dépense 
personnelle, je parvins au bout de quelques mois à met- 
tre de côté six cents francs, que je m'empressai de por- 
ter à mon obligeant créancier. On se demandera sans 
doute quelles économies je pouvais faire sur mon modi- 
que revenu?... Les voici : 

: J'avais loué à bas prix une très-petite chambre, au 
cinquième, dans la Cité, au coin de la rue de Harley et 
du quai des Orfèvres, et, au lieu d'aller dîner chez le 
restaurateur, comme auparavant, je m'étais mis à un 
régime cénobitique qui réduisait le prix de mes repas à 
sept ou huit sous, tout au plus. Us se composaient géné^ 



54 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

ralement de pain, de raisins secs, de pruneaux ou de 
dattes. 

Gomme on était alors dans la belle saison, en sortant 
de faire mes emplettes gastronomiques chez Tépicier voi- 
sin, j'allais ordinairement m'asseoir sur la petite terrasse 
du Pont-Neuf, aux pieds de la statue d'Henri IV : là, 
sans penser à la pouUe au pot que le bon roi avait rêvée 
pour le dîner du dimanche de ses paysans, je faisais mon 
frugal repas, en regardant au loin le soleil descendre 
derrière le mont Valérien, suivant d'un œil charmé les 
reflets radieux des flots de la Seine, qui fuyaient en mur- 
murant devant moi, et l'imagination ravie des splendides 
images des poésies de Thomas Moore, dont je venais de 
découvrir une traduction française que je lisais avec 
amour pour la première fois. Mais de Pons, peiné sans 
> doute des privations que je m'imposais pour lui rendre 
son argent, privations que la fréquence de nos relations 
ne m'avait pas permis de lui cacher, peu^ôtre embarrassé 
lui-même, et désireux d'être remboursé complètement, 
écrivit à mon père, l'instruisit de tout et réclama les six 
cents francs qui lui restaient encore dus. Cette franchise 
iut désastreuse. Mon père déjà se repentait amèrement 
de sa condescendance ; j'étais depuis cinq mois à Paris, 
sans que ma position eût changé, et sans que mes pro- 
grès dans la carrière musicale fussent devenus sensibles. 

1 avait imaginé, sans doute, qu'en si peu de temps je 
me ferais admettre au concours de l'Institut, j'obtiendrais 
le grand prix, j'écrirais un opéra en trois actes qui serait 
représenté avec un succès extraordinaire, je serais dé- 
coré de la Légion d'honneur, pensionné du. gouv^ne- 
ment, etc., etc. Au lieu de cela, il recevait l'avis d'une 
.dette que j'avais contractée, et dont la moitié restait à 
acquitter. La chute était lourde, et j'en ressentis rude- 
ment le contre-coup. Il rendit à de Pons ses six cents 
, franco, m'annonça aue .décidément* si ie n'abandonnais 



ITEM OIRE^ DE ^lECTOK BEULiaZ. «5 

ma eiiimère musicale, il ne Youlait plas m-aîâef à pro- 
longer mon séjour à Paris, et que j'eusse en ce eas à me 
suffire à moi-même, l'avais quelques élères, j'étais ac- 
coutumé à vivre de peu, jene devais plus rien à de Pons, 
je n'tiésttai point. Je restai. 'Mes travaux en musique 
étaient alors nombreux et actifs ppécisén^nt. Gherubini, 
dont l'esprit d'ordre se^nanifestait en tout, sachant que*je 
n'avais pas suivi la route ordinaire au Conservatoire 
pour entrer dans la classe de composition de Lesueur, 
me fit admettre dans celle de contre-point et «dé fugue 
de Reiéha, qui, dans la hiérarchie des études, précé- 
dait la classe de composition. Je suivis ainsi simul- 
tanément les cours de ces deux maîtres. En outre, 
je venais de me lier avec un jeune homme de cœur et 
d'esprit, que je suis heureux de compter parmi mes amis 
les plus chers, Humbert Ferrand; il avait écrit pour 
moi un poème de grand opéra, les Francs-Juges, et j'en 
composais la musique avec un entraînement sans égal. 
Ce poème fut plus tard refusé par le comité de l'Acadé- 
mie Royale de musique, et ma partition fut du même 
coup condamnée à l'obscurité, d'où elle n'est jamais sor- 
tie. L'ouverture seule a pu [se faire jour. J'ai employé çà 
et là les meilleures idées de cet opéra, en les développant, 
dans mes compositions postérieures, le reste subira pro- 
bablement le même sort, ou sera brûlé. Ferrand avait 
écrit aussi une scène héroïque avec chœurs, dont le sujet, 
la dévolution grecque, occupait alors tous les esprits. 
"Sans interrompre bien longtemps le travail des Francs- 
Juges, je l'avais mise en musique. Cette œuvre, où l'on 
sentaità chaque page l'énergique influence du style de 
Spontini, fut l'occasion de mon premier choc :K)ntre un 
dur égoïsme dont je ne soupçonnais pas l'existence, celui 
de la plupart des maîtres célèbres, et me fit sentir com- 
bien les jeunes compositeurs, même les plus obscurs, 
sont en général mal venus auprès d'eux. 



50 MÉMOIRES DE HECTOR RERLIOZ. 

Rodolphe Kreutzer était directeur général de la mu- 
sique à rOpéra; les concerts spirituels de la semaine 
sainte devaient bientôt avoir lieu dans ce théâtre; il 
dépendait de lui d'y faire exécuter ma scène; j'allai le 
lui demander. Ma visite toutefois était préparée par une 
lettre que M. de Larochefoucauld, surintendant des 
beaux-arts, lui avait écrite à mon sujet, d'après la re- 
commandation pressante d'un de ses secrétaires, ami de 
Ferrand. De plus, Lesueur m'avait chaudement appuyé 
verbalement auprès de son confrère. On pouvait raison- 
nablement espérer. Mon illusion fut courte. Kreutzer, 
ce grand artiste, auteur de la Mort d'Abel (belle œuvre 
sur laquelle, plein d'enthousiasme, je lui avais adressé 
quelques mois auparavant un véritable dithyrambe), 
Kreutzer que je supposais bon et accueillant comme mon 
maître, parce que je l'admirais, me reçut de la façon la 
plus dédaigneuse et la plus impolie. lime rendit à peine 
mon salut, et, sans me regarder, me jeta ces mots par- 
dessus son épaule : c Mon bon ami (il ne me connaissait 
pasi ), nous ne pouvons exécuter aux concerts spirituels 
de nouvelles compositions. Nous n'avons pas le temps 
de les étudier; Lesueur le sait bien. » Je me retirai le 
cœur gonflé. Le dimanche suivant, une explication eu* 
lieu entre Lesueur et Kreutzer à la chapelle royale, 
où ce dernier était simple violoniste. Poussé à bout par 
mon maître, il finit par lui répondre sans déguiser sa 
mauvaise humeur: < Eh! pardieu! que deviendrions 
nous si nous aidions ainsi les jeunes gens?... > Il eut 
au moins de la franchise. 



XII 



Je concours pour une place de choriste. — Je Tobtiens. — 
A. Charbonnel. — Notre ménage de garçons. 



Cependant l'hiver aprochait; l'ardeur avec laquelle je 
m'étais livré au travril de mon opéra m'avait fait un peu 
négliger mes élèves; mes festins de LucuUus ne pouvaient 
plus avoir lieu dans ma salle ordinaire du Pont-Neuf, 
abandonnée du soleil et qu'environnait une froide et 
humide atmosphère. Il me fallait du bois, des habits 
plus chauds. Où prendre l'argent nécessaire à cette in- 
dispensable dépense?... Le produit de mes leçons à un 
franc le cachet, bien loin d'y suffire, menaçait de se ré- 
duire bientôt à rien. Retourner chez mon père, tn'avouer 
coupable et vaincu, ou mourir de faim! telle était l'al- 
ternative qui s'offrait à moi. Mais la fureur indomptable 
dont elle me remplît me donna de nouvelles forces pour 
la lutte, et je me déterminai à tout entreprendre, à tout 
souffrir, à quitter même Paris, s'il le fallait, pour ne pas 
revenir platement végéter à la Côte. Mon ancienne pas- 
sion pour les voyages s'associant alors à celle de la mu- 
sique« je résolus de recourir aux correspondants des 
théâtres étrangers et de m'engager comme première ou 
seconde fiAte dans un orchestre de New-York, de Mexico, 



58 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

de Sydney oa de Calcutta. Je serais allé en Chine, je me 
serais fait matelot, flibustier, boucanier, sauvage, 
plutôt que de me rendre. Tel est mon caractère. Il est 
aussi inutile et aussi dangereux pour une volonté étran- 
gère de contrecarrer la mienne, si la passion l'anime, 
que de croire empêcher l'explosion de la poudre à canon 
en la comprimant. 

Heureusement, mes recherches et mes sollicitations 
auprès des correspondants de théâtres furent vaines, et 
je "ne sais à quoi j'allais me résoudre, quand j'appris la 
prochaine ouverture du Théâtre des Nouveautés où l'on 
devait jouer, avec le vaudeville, des opéras-comiques 
d'une certaine dimension. Je cours chez le régisseur lui de- 
mander une place de flûte dans son orchestre. Les places 
de flûte étaient déjà données. J'en demande une de cho- 
riste, n n'y en avait plus. Mort et funesll... Le ré^ 
seur pourtant prend mon adrosse, en promettant de m'a^ 
vertir si l'on se décidait à augm«ntar le personnel des 
chœurs. Cet espoir était bien faible; il me soutint néani- 
moins pendant quelques jours, après lesquels une letSiB 
de l'administration du Tbôâtre des Nouveautés mf annonça 
que le concours était onven pour la place objet de moa^ 
ambition. L'examen des prétendants devait avoir liam 
dans la salle des Franc9*Maçons de la rue de Grenelii»^ 
SainMondré. Je m'y rendis. Cinq ou six pauvres diableir 
conune moi attradaient déjâu leurs juges dans un silence' 
plein d'anxiété. Je trouvai' parmi eux un tisseraffd, un 
forgeron, un acteur congédié d'un petit théâtre du 
boulevard, et un chantre de l'église de Saint-BusMhe. 
Il s'agissait d'un concours de basses; mia voix ne pouvait 
compter que pour un n^dioere baryton; mais notre 
examinateur, pensai»^, n'y regiaorderair' peut^è^ipai de 
si près. 

C'était le régisseur en perscHme. Il parut, suivi d^m 
mn^den nommé Ifichel, qui filt encore à cette heur» 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. W 

partie de l'orchestre du Vaudeville. On ne s'était procuré 
ni piano ni pianiste. Le violon de Michel devait sùffir 
pour nous accompagner. 

La séance est ouverte. Mes rivaux chantent successive- 
menty à leur manière, différents airs qu'ils avaient soi- 
gneusement étudiés. Mon tour venu, notre énorme Tér^ 
gisseur, assez plaisamment nommé Sain^Léger, me^ 
demande ce que j'ai apporté. 

— Moi? rien. 

— Comment rien? Et que chanterezpvous alors? 

— Ma foi, ce que vous voudrez. N'y a-t-il pas ici qu^*^ 
que partition, un solfège, un cahier de vocalises?... 

— Nous n'avons rien de tout cela. D'ailleurs, continoB- 
le régisseur d'un ton assez méprisant, vous ne chantac 
pas à première vue, je suppose?... 

— Je vous demande pardon, je chanterai à première, 
vue ce qu'on me présentera. 

— Ah! c'est diffèrent. Mais puisque nous manquons» 
entièrement de musique, ne sauriez-vous point par* coMln 
quelque morceau connu ? 

— Oui, je sais par cœur les IkoMideSy Stratonitâ^ la* 
Yesiale^ Cortet, CEdcp^, les deux Iphigétàs^ Orphée^ Ar^ 
mide.,. 

— Assez! assez 1 Diable! quelle mémoire! Voyona^ 
puisque vous êtes si savant,. diteshnousUair d'QEd^dd: 
Sacchini : ÉU^ nCa prodigué» 

— Volontiers. 

— Tu peux raeoompagner, MichelP 

— Parbleu! seulement je nasais plus 4a&» quel ton il* 
est écrit. 

— En mi bémoL Chanterai-ie^ le récitatif ?. 

— Oui, voyons le récitatif. 
L'accompagnateur ma donn0^l'acGord.^de mi^bémolai 

je commence ; 



60 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

« Antigone me reste, Antigone est ma fille, 

» Elle est tout pour mon cœur, seule elle est ma famille. 

» Elle m*a prodigué sa tendresse et ses soins, 

» Son zèle dans mes maux m'a fait trouver des charmes, etc.» 



Les autres candidats se regardaient d*un air piteux» 
pendant que se déroulait la noble mélodie, ne se dissi- 
mulant pas qu'en comparaison de moi, qui n'étais pour- 
tant point un Piscbek ni un Lablache, ils avaient chanté, 
non comme des vachers, mais comme des veaux. Et dans 
le fait Je vis à un petit signe du gros régisseur Saint-Lé- 
ger, qu'ils étaient, pour employer l'argot des coulisses, 
enfoncés jusqu'au troisième dessous. Le lendemain, je 
reçus ma nomination officielle; je l'avais emporté sur te 
tisserand, le forgeron, l'acteur, et même sur le chantre 
de Sain^£ustache. Mon service commençait immédiate- 
ment et j'avais cinquante francs par mois. 

Me voilà donc, en attendant que je puisse devenir un 
damné compositeur dramatique, choriste dans un théâtre 
de second ordre, déconsidéré et excommunié jusqu'à la 
moelle des os! J'admire comme les efforts de mes parents 
pour m'arracher à l'abîme avaient bien réussi! 

Un bonheur n'arrive jamais seul. Je venais à peine de 
remporter -^tte grande victoire, qu'il mô tomba du ciel 
deux nouveaux élèves et que je fis la rencontre d'un 
étudiant en pharmacie, mon compatriote, Antoine Char- 
bonnel. Il allait s'installer dans le quartier Latin pour y 
suivre les cours de chimie et voulait, comme moi, se li- 
vrer à d'héroïques économies. Nous n'eûmes pas plutô» 
fait l'un et l'autre le compte de notre fortune que, paro- 
diant le mot de de Walter dans la Vie d*un joueur^ nous 
nous écriâmes presque simultanément : < Ah ! tu n'as 
pas d'argent! £h bien, mon cher, il faut nous associer! > 
Nous louâmes deux petites chambres dans la rue de la 
Harpe. AntoinOi qui avait l'habitude de manipuler four* 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 6f 

neâux et cornues, s'établit notre cuisinier en chef, et Ot 
de moi un simple marmiton. Tous les matins nous allions 
au marché acheter nos provisions, qu'à la grande con- 
fusion de mon camarade, j'apportais bravement au logis 
sous mon bras, .sans prendre la peine d'en dérober 'la 
vue aux passants. Il y eut même un jour entre nous, 
à ce sujet, une véritable querelle. pharmaceutique 
amour-propre! 

Nous vécûmes ainsi comme des princes... émigrés, 
pour trente francs chacun par mois. Depuis mon arrivée 
à Paris, je n'avais pas encore joui d'une pareille aisance. 
Je me passai plusieurs coûteuses fantaisies; j'achetai un 
piano V.. et quel piano! je décorai ma chambre des por- 
traits proprement encadrés des dieux' de la musique, je 
me donnai le poème des Amours des Anges, de Moore. 
De son côté, Antoine, qui était adroit comme un singe 
(comparaison très-mal choisie, car les singes ne savent 
que détruire), fabriquait dans ses moments perdus une 
foule de petits ustensiles agréables et utiles. Avec des 
bûches de notre bois, il nous fit deux paires de galoches 
très-bien conditionnées ; il en vint même, pour varier la 
monotonie un peu Spartiate de notre ordinaire, à faire 
un filet et des appeaux, avec lesquels, quand le prin- 
temps fut venu, il alla prendre des cailles dans la plaine 
de Montrouge. Ce qu'il y eut de plaisant, c'est que, 
malgré mes absences périodiques du soir (le Théâtre des 
Nouveautés jouant chaque jour), Antoine ignora pendant 
toute la durée de notre vie en commun, que j'avais eu 

1. Il me coûta cent dix francs. J*ai déjà dit que je ne jouais 
pat du piano; pourtant j*aime à en avoir un pour y plaquer 
des accords de temps en temps. D*ailleurs, je me plais dans la 
société des instruments de musique, et, si j^étais assez riche, 
j*anrais toujours autour de moi, en traTaillant, un grand piano 
ft queue, deux ou trois harpes d'Ërard, des trompettes de 
8az, et une collection de basses et de violons de Stradivarius. 
X. 4 



62 MÉMOIRES DE UEGTOR BERLIOZ. 

le malheur de monter sur les pUmehes, Peu flatté de n'être 
que simple choriste, il ne me souriait guère de Tinstruire 
de mon humble condition. J'étais censé, en me rendant 
au théâtre, aller donner des leçons dans un des quar- 
tier» lointains de Paris. Fierté bien digne de la sienne! 
J'aurais souffert en laissant voir à mon camarade com- 
ment je gagnais honnêtement mon pain, et il s'indignait, 
lui, au point de s'éloigner de moi le rouge au front, si, 
marchant à ses côtés dans les rues, je portais ostensible- 
ment le pain que j'avais honnêtement gagné. A vrai 
dire, et je me dois cette justice, le motif de mon silence 
ne venait point d'une aussi sotte vanité. Malgré les ri- 
gueurs de mes parents et l'abandon con^let dans lequi^ 
ils m'avaient laissé, je n'eusse voulu pour rien an monde 
leur causer la douleur (incalculable avec leurs idées) 
d'apprendre la détermination que j'avais prisa, et qu'il 
était en tout cas fort inutile de leur laisser savoir; je 
craignais donc que la moindre indiscrétion de ma part 
ne vînt à tout leur révéler et je me taisais. Ainsi 
qu'Antoine Gharbonnel, ils n'ont connu ma carrière <2ra- 
matique que sept ou huit ans après qu'elle fut terminée» 
en lisant des notices biographiques publiées sur moi 
dans divers journaux. 



XIII 



Premî^'-es compositions pour l'orchestre. — Mes études à 
l'Opéra. — Mes deux maîtres, Lesueur et Reicha. 



Ce fut à cette époque que je composai mon premier 
grand morceau instrumental : l'ouverture des Francs- 
Juges, Celle de Waverley lui succéda bientôt après. 
J*étais si ignorant alors du mécanisme de certains ins- 
truments, qu'après avoir écrit le solo en ré. bémol des trom- 
bones, dans rintroduction des Francs-^fuges, je craignis 
qu'il ne présentât d'énormes difficultés d'exécution, et 
j'allai, fort inquiet, le montrer à un des trombonistes de 
l'Opéra. Celui-ci, en examinant la phrase, me rassura 
complètement : « Le ton de ré bémol est, au contraire, 
un des plus favorables à cet instrument, me dit-il, et 
vous pouvez compter sur un grand effet pour votre pas- 
sage. » 

Cette assurance me donna une telle joie, qu'en reve- 
nant chez moi, tout préoccupé, et sans regarder où je 
marchais, je me donnai une entorse. J'ai mal au pied 
maintenant, quandj'entends ce morceau. D'autres, peut- 
être, ont mal à la tète. 

Mes deux maîtres ne m'ont rien appris en instrumen- 
tation. Lesueur n'avait de cet art que des notions fort 



64 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

bornées. Reicha connaissait bien les ressources partica- 
lieras de la plupart des instruments à vent, mais je doute 
qu'il ait eu des idées très-avancées au sujet de leur grou- 
pement par grandes et petites masses. D'ailleurs, cette 
partie de l'enseignement, qui n'est point encore main- 
tenant représentée au Gonsenratoire, était étrangère à 
son cours, où il avait à s'occuper seulement du contrd- 
point et de la fugue. Avant de m'engager au Théâtre des 
Nouveautés, j'avais fait connaissance avec un ami du 
célèbre maître des ballets Gardel. Grâce aux billets de 
parterre qu'il me donnait, j'assistais régulièrement à 
toutes les représentations de l'Opéra. J'y apportais la 
partition de l'ouvrage annoncé, et je la lisais pendant 
l'exécution. Ce fut ainsi que je commençai à me familia-^ 
riser avec l'emploi de l'orchestre, et à connaître l'accent 
et le timbre, sinon l'étendue et le mécanisme de la plu- 
part des instruments. Cette comparaison attentive de 
l'effet produit et du moyen employé à le produire, me * 
fit même apercevoir le lien caché qui unit l'expression 
musicale à l'art spécial de l'instrumentation; mais per- 
sonne ne m'avait mis sur la voie. L'étude des procédés 
des trois maîtres modernes, Beethoven, Weber et Spon- 
tini, l'examen impartial des coutumes de Tinstrumen- 
tation, celui des formes et des combinaisons non usitéeSy 
la fréquentation des virtuoses, les essais que je les ai 
amenés à faire sur leurs divers instruments, et un peu 
d'instinct ont fait pour moi le reste. 

Reicha professait le contre-point avec une clarté remar- 
quable; il m'a beaucoup appris en peu de temps et en 
peu de mots. En général, il ne négligeait point, comme la 
plupart des maîtres, de donner à ses élèves, autant que 
possible, la raison des règles dont il leur recommandait 
l'observance. 

Ce n'était ni un empirique, ni un esprit stationnaire; 
il croyait au progrès dans certaines parties de l'art, et son 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 65 

respect pour les pères de rharmonie n'allait pas jusqu'au 
fétichisme. De là les dissensions qui ont toujours existé 
entre lui et Cherubini; ce dernier ayant poussé l'idolâtrie 
de l'autorité en musique au point de faire abstraction de 
son propre jugement, et de dire, par exemple, dans son 
Traité de contre-point: < Cette disposition harmonique me 
paraît préférable à l'autre, mais les anciens maîtres 
ayant été de l'ayis contraire, il faut s'y soumettre, i 

Reicha, dans ses compositions, obéissait encore à la 
routine, tout en la méprisant. Je le priai une fois de me 
dire franchement ce qu'il pensait des fugues vocalîsées 
sur le mot amen ou sur kyrie eleison, dont les messes so- 
lennelles ou funèbres des plus grands compositeurs de 
toutes les écoles sont infestées. « Oh! s'écria-t-il vive- 
ment, c'est de la barbarie! — En ce cas, monsieur, pour 
quoi donc en écrivez-vous? — Mon Dieu, tout le monde 
en fait! > Hiseriaf... 

Lesueur, à cet égard, était plus logique. Ces fugues 
monstrueuses, qui par leur ressemblance avec les voci- 
férations d'une troupe d'ivrognes, paraissent n'être qu'une 
parodie impie du texte et du style sacrés, il les trouvait, 
lui aussi, dignes des temps et des peuples barbares 
mais il se gardait d'en écrire, et les fugues assez rares 
qu'il a disséminées dans ses œuvres religieuses n'ont rien 
de commun avec ces grotesques abominations. L'une d<> 
ses fugues, au contraire, commençant par ces mots : Quis 
enarrabit cœlorum gloriam! est un chef-d'œuvre de di- 
gnité de style, de science harmonique, et bien plus, un 
chef-d'œuvre aussi d'expression que la forme fugué^ 
sert ici elle-même. Quand, après l'exposition du sujet 
(large et beau) commençant par la dominante, la ré- 
ponse vient à entrer avec éclat sur la tonique, en ré- 
pétant ces mots : Quis enarrabit! (qui racontera la gloire 
des deux ? ), il semble que cette partie du chœur> échauffée 
par l'enthousiasme de l'autre, s'élance à son tour pour 
I. 4. 



6G MÉMOIRES DE IIKCTOR BERLIOZ. 

chanter avec un redouljleiuent d'oxaltatiun les merveilles 
du linnàmout. Et puis, coiuiuo le ravonnemeiU ins- 
trumental colore avec bonheur toute cette harmonie 
vocale ! Avec quelle puissance ces basses se meuvent 
sous ces dessins de violons qui scintillent dans les parties 
élevées de l'orclu'sire, comme des étoiles. Quelle stretta 
éblouissante, sur l'i pédale! Certes! voilà une fugue jus- 
tifiée par le sens des paroles, digne de son objet et ma- 
gnifiquement belle ! C'est l'œuvre d'un musicien dont l'in- 
spiration a été là d'une élévation rare, et d'un artiste 
qui raisonnait son art ! Quant à ces fugues dont je par- 
lais à Reicha, fugues de tavernes et de mauvais lieux, j'en 
pourrais citer un grand nombre, signées de maîtres bien 
supérieurs à Lesueur; mais, en les écrivant pour obéir 
à l'usage, ces maîtres, quels qu'ils soient, n'en ont pas 
moins fait une abnégation honteuse de leur intelligence 
et commis un outrage impardonnable à l'expression 
musicale. 

Reicha, avant de venir en France, avait été à Bonn le- 
condisciple de Beethoven. Je ne crois pas qu'ils aient 
jamais eu l'un pour l'autre une bien vive sympathie, 
Reicha attachait un grand prix à ses connaissances en 
mathématiques. « C'est à leur étude, nous disait-il pen- 
dant une de ses leçons, que je dois d'être parvenu à me 
rendre complètement maître de mes idées: elle a dom- 
pté et refroidi mon imagination, qui auparavant m'en- 
traînait follement, et, en la soumettant au raisonnement 
et à la rcllexion, elle a doublé ses forces. » Je ne sais si 
cette idée de Reicha est aussi juste qu'il le croyait et si 
ses facultés musicales ont beaucoup gagné à l'étude des 
sciences exactes. Peut-être le goût des combinaisons abs- 
traites et des jeux d'esprit en musique, le charme réel 
qu'il trouvait à résoudre certaines propositions épineuses 
qui ne servent guère qu'à détourner l'art de son chemin 
en lui faisant perdre de vue le but auquel il doit tendre 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 67 

incessamment, en furent-ils le résultat; peut-être cet 
amour du calcul nuisit-il beaucoup, au contraire, au 
succès et à la valeur de ses œuvres, en leur faisant perdre 
en expression mélodique ou harmonique, en effet pu- 
rement musical, ce qu'elles gagnaient en combinaisons 
ardues, en difficultés vaincues, en travaux curieux, faits 
pour Tœil plutôt que pour Toreille. Au reste, Reicha pa- 
raissait aussi peu sensible à l'éloge qu'à la critique; il 
ne semblait attacher de prix qu'aux succès des jeunes 
artistes dont l'éducation harmonique lui était confiée au 
Conservatoire, et il leur donnait ses leçons avec tout le 
soin et toute l'attention imaginables. Il avait fini par me 
témoigner de l'affection ; mais, dans le commencement 
de mes études, je m'aperçus que je l'incommodais à force 
de lui demander la raison de toutes les règles; raison 
qu'en certains cas il ne pouvait me donner, puisque... 
elle n'existe pas. Ses quintettes d'instruments à vent ont 
joui d'une certaine vogue à Paris pendant plusieurs an- 
nées. Ce sont des compositions intéressantes, mais un 
peu froides. Je me rappelle, en revanche, avoir entendu 
un duo magnifique, plein d'élan et de passion, dans son 
opéra de Saptio, qui eut quelques représentations. 



XI 7 



Concours à Tlnstitat. — On déclare ma cantate inexécatable. 
— Mon adoration pour Gluck et Spontini. — Arrivée de 
Rossini. — Les dilettanti. — Ma fureur. — M. Ingres. 



L'époque du concoars de l'Institat étant revenae, je 
m'y présentai de nouveau. Cette fois je fus admis. On 
nous donna à mettre en musique une scène lyrique à 
grand orchestre, dont le sujet était Orphée déchiré par 
les Bacchantes, Je crois que mon dernier morceau n'était 
pas sans valeur ; mais le médiocre pianiste (on verra 
bientôt quelle est l'incroyable organisation de ces con- 
cours) chargé d'accompagner ma partition, ou plutôt d'en 
représenter l'orchestre sur le piano, n'ayant pu se tirer 
de la Bacchanale, la section de musique de l'Institut, com- 
posée de Gherubini, Paêr, Lesueur, Berton, Boïeldieu et 
Catel, me mit hors de concours, en déclarant mon ou- 
vrage inexécutable. 

Après l'égoïsme plat et lâche des maîtres qui ont peur 
des commençants et les repoussent, il me restait à con- 
naître l'absurdité tyrannique des institutions qui les 
étranglent. Kreutzer m'empêcha d'obtenir peut-être un 
succès dont les avantages pour moi eussent alors été 
considérables; les académiciens, en m'appliquant la 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 69 

lettre d'an règlement ridicule, m'enlevèrent la chance 
d'une distinction, sinon brillante, au moins encoura- 
géante, et m'exposèrent aux plus funestes conséquences 
du désespoir et d'une indignation concentrée. 

Un congé de quinze jours m'avait été accordé par le 
Théâtre des Nouveautés pour le travail de ce concours ; 
dès qu'il fut expiré, je dus reprendre ma chaîne. Mais 
presque aussitôt je tombai gravement malade; une esquî- 
nancie faillit m'emporter. Antoine courait les grisettes; 
il me laissait seul des journées entières et une partie de 
la nuit ; je n'avais ni domestique, ni garde pour me ser- 
vir. Je crois que je serais mort un soir sans secours, si, 
dans un paroxysme de douleur, je n'eusse, d'un hardi 
coup de canif, percé au fond de ma gorge l'abcès qui 
m'étouffait. Cette opération peu scientifique fut le signal 
de ma convalescence. J'étais presque rétabli quand mon 
père, vaincu par tant de constance et inquiet sans doute 
sur mes moyens d'existence qu'il ne connaissait pas, me 
rendit ma pension. Grâce à ce retour inespéré de la ten- 
dresse paternelle, je pus renoncer à ma place de cho- 
riste. Ce ne fut pas un médiocre bonheur, car, indépen- 
damment de la fatigue physique dont ce service quoti- 
dien m'accablait, la stupidité de la musique que j'avais 
à subir dans ces petits opéras semblables à des vaude- 
villes, et dans ces grands vaudevilles singeant des opé- 
ras, eût fini par me donner le choléra ou me frapper 
d'idiotisme. Les musiciens dignes de ce nom, et qui sa- 
vent quels sont en France nos théâtres semi-lyriques, 
peuvent seuls comprendre ce que j'ai souffert. 

Je pus reprendre ainsi avec un redoublement d'ardeur 
mes soirées de l'Opéra, dont les exigences du triste mé- 
tier que je faisais au Théâtre des Nouveautés m'avaient 
imposé le sacrifice. J'étais alors adonné tout entier à l'é- 
tude et au culte de la grande musique dramatique. 
N'ayant jamais entendu, en fait de concerts sérieux, que 



70 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

m 

ceux de l'Opéra, dont la froideur et la mesquine exécu- 
tion n'étaient pas propres à me passionner bien vivement, 
mes idées ne s'étaient point tournées du côté de la musi- 
que instrumentale. Les symphonies de Haydn et de Mo- 
zart, compositions du genre intime en général, exécutées 
par lin trop faible orchestre, sur une scène trop vaste et 
mal disposée pour la sonorité, n'y produisaient pas plus 
d'effet que si on les eût jouées dans la plaine de Grenelle; 
cela paraissait confus, petit et glacial. Beethoven, dont 
j'avais lu deux symphonies et entendu un andante seule- 
ment, m'apparaissait bien au loin comme un soleil, mais 
comme un soleil obscurci par d'épais nuages. Weber 
•n'avait pas encore produit ses chefs-d'œuvre ; son nom 
môme nous était inconnu. Quant à Rossini et au fana- 
tisme qu'il excitait depuis peu dans le monde fashionahle 
de Paris, c'était pour moi le sujet d'une colère d'autant 
plus violente, que cette nouvelle école se présentait natu- 
rellement comme l'antithèse de celles de Gluck et de 
Spontini. Ne concevant rien de plus magnifiquement 
beau et vrai que les œuvres de ces grands maîtres, le 
cynisme mélodique, le mépris de l'expression et des 
convenances dramatiques, la reproduction continuelle 
d'une formule de cadence, l'éternel et puéril crescendo, 
et la brutale grosse caisse de Rossini, m'exaspéraient au 
point de m'empêcher de reconnaître jusque dans son 
chef-d'œuvre {le Barbier), si finement instrumenté d'ail- 
leurs *, les étincclantes qualités de son génie. Je me suis 
alors demandé plus d'une fois comment je pourrais m'y 
prendre pour miner le Théâtre-Italien et le faire sauter 
un soir de représentation, avec toute sa population ros- 
sinienue. Et quand je rencontrais un de ces dilettanti 
objets de mon aversion : « Gredin ! grommelais-je, en 
lui jetant un regard de Shylock, je voudrais pouvoir 

1. El buns ffîOose caisse. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 71 

l'empaler avec un fer rouge ! » Je dois avouer franche- 
ment qu'au fond j'ai encore aujourd'hui, au meurtre 
près, ces mauvais sentiments et cette étrange manière de 
voir. Je n'empalerais, certainement personne avec un 
fer rouge, je ne ferais pas sauter le Théâtre-Italien, môme 
si la mine était prête et qu'il n'y et| qu'à y mettre le feu, 
mais j'applaudis de cœur et d'âme notre grand peintre 
Ingres, quand je l'entends dire en parlant de certaines 
oeuvres de Rossini : « C'est la musique d'un malhonnête 
homme * 1 » 

1. Cette ressemblance entre mes opinions et celles de 
M. Ingres, au sujet de plusieurs opéras sérieux italiens de 
Rossini f n^est pas la seule dont je puisse m'honorer. Elle 
n'empêche pas néanmoins l'illustre auteur du martyre de 
Saint>Symphorien de me regarder comme un musicien abo- 
minable, un monstre, un brigand, un antechrist. Mais je lui 
pardonne sincëremeat à cause de son admiration pour Gluck. 
L'enthousiasme serait donc le contraire de l'amouf ; il nous 
fait aimer les gens qui aiment ce que nous aimons, môm» 
quand ils nous haïssent. 



XV 



M«8 loirées à l'Opéra. — Mon prosélytisme. — Scaudalei. 
Scène d'enthousiasme. Sensibilité d'un mathématicien. 



La plupart des représentations de TOpéra étaient des 
solennités auxquelles je me préparais par la lecture et la 
méditation des ouvrages qu'on y devait exécuter. Le 
fanatisme d'admiration que nous professions, quelques 
kabitués du parterre et moi, pour nos auteurs favoris, 
n'était comparable qu'à notre haine profonde pour les 
autres. Le Jupiter de notre Olympe était Gluck, et le culte 
que nous lui rendions ne se peut comparer à rien de ce 
que le dilettantisme le plus effréné pourrait imaginer au- 
jourd'hui. Mais si quelques-uns de mes amis étaient de 
fidèles sectateurs de cette religion musicale, je puis dire 
sans vanité que j'en étais le pontife. Quand je voyais fai- 
blir leur ferveur, je la ranimais par des prédications di- 
gnes des Saint-Simoniens ; je les amenais à l'Opéra bon 
gré, mal gré, souvent en leur donnant des billets achetés 
de mon argent, au bureau, et que je prétendais avoir re- 
çus d'un employé de l'administration. Dès que, grâce à 
cette ruse j'avais entraîné mes hommes à la représentation 
du chef-d'œuvre de Gluck, je les plaçais sur une banquette- 
du partie, en leur recommandant bien de n'en pas chan 



/ 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 73 

ger, vji que toutes les places n'étaient pas également bon- 
nes pour l'audition, et qu'il n'y en avait pas une dont je 
n'eusse étudié les défauts ou les avantages. Ici on était 
trop près des cors, là on ne les entendait pas ; à droite 
le son des trombones dominait trop; à gauche, répercuté 
par les loges du-rez-de-chaussée, il produisait un effet 
désagréable; en bas, on était trop près de l'orchestre, il 
écrasait les voix ; en haut, l'éloignement de la scène em- 
pêchait de distinguer les paroles, ou l'expression de la 
physionomie des acteurs ; l'instrumentation de cet ou- 
vrage devait être entendue de lel endroit^ les chœurs de 
celui-ci de tel autre ; à tel acte^ la décoration représen- 
tant un bois sacré, la scène était très- vaste et le son se 
perdait dans le théâtre de toutes parts, il fallait donc se 
rapprocher; un autre^ au contraire, se passait dans l'in- 
térieur d'un palais, le décor était ce que les machinistes 
appellent un salon fermée la puissance des voix étant 
doublée par cette circonstance si indifférente en appa^ 
rence, on devait remonter un peu dans le parterre, afin 
que les sons de l'orchestre et ceux des voix, entendus de 
moins près, paraissent plus intimement unis et fondus 
dans un ensemble plus harmonieux. ^ 

Une fois ces instructions données, je demandais à mes 
néophytes s'ils connaissaient bien la pièce qu'ils allaient 
entendre. S'ils n'en avaient pas lu les paroles, je tirais 
un livret de ma poche, et, profitant du temps qui nous 
restait avant le lever de la toile, je le leur faisais lire, en 
ajoutant aux principaux passages toutes les observations 
que je croyais propres à leur faciliter l'intelligence de la 
pensée du compositeur ; car nous venions toujours de fort 
bonne heure pour avoir le choix des places, ne pas nous 
exposer à manquer les premières notes de l'ouverture, et 
goûter Ct3 charme singulier de l'attente avant une grande 
jouissance qu'on est assuré d'obtenir. En outre, nous trou- 
vions beaucoup de plaisir à voir l'orchestre, vide d'abord 
X. 5 



i 



74 IfcâMaiBftS. OA HKTaR ftBRLlOZ. 

et nereprésentam <|a'iui piano sàna cordes, se gMrmr p^^. 
à peudemasûiue at^emusicieiift. Le garç0B dforûfaasÎEa 
y entra le premier pour placer les parties sar le& papkreâ. 
Cemoment-làa'était p^paur nooa^ans méian^ dacrai»* 
tes; depuis notre arrivée, qoeL^OA aecidant peavail toe^ 
survenu; on avait peut-être changé le spectacle elisaksti^ 
tué k l'œuvre moruimentale de Gluck quelque B^wjggwrf». 
quelques Prétendus, uneCoravofie duCoir^^nJPamirir^^ua 
Ddvin du viUoQe, une XostAëiu^, tontes prodoetiene |Has. 
ou moins pâles et maigres» plus ou moins, plalea et. fa$ur 
ses, pour lesquelles nous» professions un égal et soaver- 
rain mépris. Le nom de la pièce inscrit en grosses leir- 
très sur les parties de contre-basse qui, par leurpositioni, 
se trouvent les. plus rapprochées du parterre, nous, tirait 
d'inquiétude ou justifiait nos appréhensions. Danac^derr 
nier casi nous nousprécipitions.bors.d&laisalleyeniviraat 
comme des soldats en.miapaude qui ne trouveraieat^ qua 
de l'eau dans ce qu'ils- ont pris peur desbarriqoe&i^au* 
de^vic, eu ou confondant dans nos. malédletions Tautâur. 
do la pièce substituée^ le dkeeteur qui rinOigaait au pu* 
bile, et le gouvernement qui la laissait représenter. Pau- 
vre Ilousseau, qui attachait autant d'importance à sa 
lurlilion du Devin du viUagey qu.'aux. chefs<-d'œuvre d'é- 
lk>qvionce qui ont immortalisé son nom, lui qui croyait 
fcriueiDoiit avoir écrasé Rameau.tOttt entier, veire le trio 
ilos Varqms \ avecJes petites chansons, les petits floos^ 
lions, les petits rondeauiK, les petUftsolos^ les petiteQi>er« 
p>ries, les petites drôlerle&de toute espèce dent se compose 
son i>elU intermède; lui qu'on â. tant tourmenté, lui- que 
la sei^ti* dos Holbachiens a tant envié pourson^Burvre mu- 
sicale : lai qu'on a accusé de n'en être pas l'auteur; lui 
qui a ('-ié chanté par toute la France, depiuis Jéliotte et 

1 . Morceau célèbre autrefois et fort curieux d*un opéra de- 
lluniciau, îllppolyte et Aride* 



M É MOI RfiS D E aRCTQR B.E RLI OZ. 75 

maéefiftoiselte Fel * jusqu'au roi Louis XV, qui ne pouvait 
se lasser de répéter : « J'ai perdu mon serviteur, t» avec la 
voix la plus fausse dâ son royaume, lui enfin dont Tœu- 
vre favorite obtint à son apparition tous les genres de 
succès; pauvre Rousseau! qu'eût-il dit de aos blasphè- 
mes, s'il eût pu les entendre ? Et pouvait-il prévoir que 
sou cber opéra, qui excita tant d'applaudissements, tom- 
beraii un jour pour ne plus se relever, sou3 le coup d'une 
énorme perruque poudrée à blanc, jetée aux pieds de 
Colette par un insolent railleur ? J'assistais, par extraor- 
dinaire, à cette dernière * représentation, du Devin ; beau- 
coap^de gens» en conséquence, m'ont attribué la mise en 
scèn$ de laperraque ; maisje proteste démon innocence. 
Ja crois mâiae a*voir été autant indigné que diverti par 
cette grotfiaquie irrévérence, de sorte que je ne puis sa- 
voir 'au<j#âteiStj'^. eusse été capable* Mais s'imagine- 
rait-on que Gluck, oui^.GlucK lui-même, à propos de ce 
triâte JdâvÂn^ il y a^quelgue cinquante ans, a poussé l'iro- 
nie plu». loitt.miGope», et. qa'il a. osé écrire et imprimer 
dansr.une épi^rerl& plus sérieuse du. monde, adressée.à la 
reÎBe Maiier-Anââinette» que la France) pisu favorisée sous 
le rapport, rnusicalf tomptait pourtant qîuelqiies ouvrages 
remarquableSj parmi lesquels U fallait citer le Devin du 
viUmiisda M. RoussawufQjû jamais se fût avisé de penser 
que^ €toek pût être aussi plaisant î Ce trait seul d'un Al- 
lemand mt&t pour enlever aux Italiens la palme de la 
pcrôéie faeétieuse. 

Sh reprends le fil de jmoA histoire. Quand le titre inscrit 
sur les parties d'orchestre nous annonç^ait que rien n'a- 
vatt.^été ohan^ dajas le spectacle, je continuais ma prédi- 
caiiocB» , efaâAtant les passages saillants, expliquant les 

1. Acteur et aeteice de rOj^éea qui créèrent les rôleg de. 
Obtm et de Colette dans HJtÎMfini 

1S, Lérl^êvimiâm vUlofe^ depuis cette soirée de joyeuse mé- 
moire, n'a plus rep aru à l'Opéra. 



76 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

procédés d'instrumentation d'où résultaient les princi- 
paux effets, et obtenant d'avance, sur ma parole, Ten- 
thousiasme des membres de notre petit club. Cette agita- 
tion étonnait beaucoup nos voisins du parterre, bons pro- 
vinciaux pour la plupart, qui, en m'entendant pérorer 
sur les merveilles de la partition qu'on allait exécuter, 
s'attendaient à perdre la tête d'émotion, et y éprouvaient 
en somme plus d'ennui que de plaisir. Je ne manquais 
pas ensuite de désigner par son nom chaque musicien à 
son entrée dans l'orchestre ; en y ajoutant quelques com- 
mentaires sur ses habitudes et son talent. * 
c Voilà Baillot ! il ne fait pas comme d'autres violons 
solos, celui-là, il ne se réserve pas exclusivement pour 
les ballets; il ne se trouve point déshonoré d'accompa- 
gner un opéra de Gluck. Vous entendrez tout à l'heure un 
chant qu'il exécute sur la quatrième corde ; on le dis- 
tingue au-dessus de tout l'orchestre. » 
— € Oh ! ce gros rouge, là-bas ! c'est la première 
contre-basse, c'est le père Chénié ; un vigoureux gail- 
lard malgré son âge ; il vaut à lui tout seul quatre 
contre-basses ordinaires ; on peut être sûr que sa partie 
sera exécutée telle que l'auteur Ta écrite : il n'est pas 
de l'école des simplificateurs. 
> Le chef d'orchestre devrait faire un peu attention à 
M. Guillou,^ia première flûte qui entre en ce moment ; 
il prend avec Gluck de singulières libertés. Dans la 
marche religieuse d'A/ces^e, par exemple, l'auteur a écrit 
des flûtes dans le bas, uniquement pour obtenir l'effet 
particulier aux sons graves de cet instrument; M. Guii- 
lou ne s'accommode pas d'une disposition pareille de sa 
partie; il faut qu'il domine ; il faut qu'on l'entende, et 
pour cela il transpose ce chant de la flûte ai l'octave su- 
périeure, détruisant ainsi le^résultat que l'auteur s'était 
promis, et irisant d'une idée ingénieuse, une chose pué- 
rile et vulgaire. » 



MEMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 77 

Les trois coups annonçant qu'on allait commencer, ve- 
naient nous surprendre au milieu de cet examen sévère 
des notabilités de l'orchestre. Nous nous taisions aussitôt 
en attendant avec un sourd battement de cœur le signal 
du bâton de mesure de Kreutzer ou de Valentino.. L'ou- 
verture commencée, il ne fallait pas qu'un de nos voisins 
s'avisât de parler, de fredonner ou de battre la ^mesure ; 
nous avions adopté pour notre usage, en pareil cas, ce 
mot si connu d'un amateur : < Le ciel confonde ces mu- 
siciens, qui me privent du plaisir d'entendre monsieur l » 

Connaissant à fond la partition qu'on exécutait, il n'é- 
tait pas prudent non plus d'y rien changer ; je me serais 
fait tuer plutôt que de laisser passer sans réclamation la 
moindre familiarité de cette nature prise avec les grands 
maîtres. Je n'allais pas attendre pour protester froide- 
ment par écrit contre ce crime de lèse-génie ; oh ! non, 
c'est en face du public, à haute et intelligible voix, que 
j'apostrophais les délinquants. Et je puis assurer qu'il 
n'y a pas de critique qui porte coup comme celle-là. 
Ainsi, un jour, il s'agissait ôUphigénie en Tauride, j'avais 
remarqué à la représentation précédente qu'on avait 
ajouté des cymbales au premier air de danse des Scythes 
en si mineur^ où Gluck n'a employé que les instruments 
à cordes, et que dans le grand récitatif d'Oreste, au troi- 
sième acte, les parties de trombones, si admirablement 
motivées par la scène et écrites dans la partition, n'a- 
vaient pas été exécutées. J'avais résolu, si les mômes fau- 
tes se reproduisaient, de les signaler. Lors donc que le 
ballet des Scythes fut commencé, j'attendis mes cymbales 
au passage , elles se firent entendre comme la première 
fois dans l'air que j'ai indiqué. Bouillant de colère, je me 
eontins.cependant jusqu'à la fin da morceau, et profitant 
aussitôt du court moment de silence qui le sépare du 
morceau suivant, je m'écriai de toute la force de ma 
voix : 



78 MÉHOIRES DE HECTaR BERLIOZ. 

. c n n'y a pas de cymbales là-dedans; qni doncs^'per- 
» met de corriger Glack > ? » 

On juge de la rameur! Le public qui ne voit pas très- 
clair dans toutes ces questions d'art, et à qui il était fort 
Indifférent qu'on changeât ou non îinsmimentatfon de 
l'auteur, ne concevait rien à la fureur de ce jeune fou du 
parterre. Mai» ce fut bien pis quand, au troisième acte, 
la suppression des trombones du monologue d*OTeste, 
ayant eu lieu comme ]e le craignais, la môme Totx^t 
entendre ces mots: c Le^ trombones ne «ont pas partis! 
G*^t insupportable I » 

L'étmnemem de l'orchestre et de la salle ne peut se 
comparer qu'à la colère {him naturelle. Je favoue) de 
Yalentino qui dirigeait ce soir-là. l'ai su ensuite que ces 
malheureux trombones n'avaient foit que se soumettre à 
jtn ordre tormeV^ de ne pas jouer dans cet endroit; car 
les parties copiées étaient parfaitemenit conformes à la 
partition. 

Pour les cymbales que fîtiïck a placées avec tant de 
boûbeuT 'dans le premier cAMKwr^esScythes,Jenegai8 qni 
s'était avisé de les introduire égalemefit dans l'air de 
danse, 'dénatcrram ainsi la cotHeur et trouMam le silence 
sinistre de cet étrange ballet. Mais je sais bien qu'aux 
représentations suivantes, tOftittrentRi dans l'ordre, les 
cymbales se turent, les tramboiïes jouèrent, et je me 
contentai de gronmider entre mes dems: « Ah! c'est 
bien henreuxl » 

1*eu de temps après, de "Pons, qui était au moins aussi 
enragé que moi, ayaat trouvé inconvenant qu'on nous 
donnât, au premier aete d'fSdIprd Voîonne; d'^autres airs 

1. Il n*y a des cjonbales que xiacs le chœur .dea Scjithes: 
<r Les dieux apaisent leur courroux. » Le ballet en question 
étant d^un tout autre caractère, est en conséquence, instru- 
menté différemment. 

2. Tant pis pour celui qui avait donné TorJre. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 79 

de danse que ceux de Sacchiui, vint me proposer de faire 
justice des interminables solos de cor et de violoncelle 
qu'on Jeur avait substitués. Pouvais-je ne pas seconder 
une aussi louable intention? Le moyen employé pour 
Iphigénie nous réussit également bien pour Œdipe; 
et, après quelques mots lancés un soir du parterre par 
nous deux seuls, les nouveaux airs de danse disparurent 
pour jamais. 

Une seule fois nous parvînmes à entraîner le public. 
On avait annoncé sur Taffiche que le solo de violon du 
ballet de Nina serait exécuté par Baillot; une indisposi- 
tion du virtuose, ou quelque autre raison, s'étant opposée 
à ce qu'il pût se faire entendre, Tadministration crut suf 
fisant d'en instruire le public par une imperceptible 
bande de papier collée sur raffîcbe de la porte de TOpéra, 
que personne ne regar4e. Llmmense majorité des spec- 
tateurs s'attendait donc à entendre le célèbre violon. 

Pourtant au moment où Nina, dans les.bras de son père 
et de son amant, revient à la raison, la pantomime si 
toucbante de mademoiselle Bigotttni ne put jious émouvoir 
au point de nous faire oublier Baillot. La pièce touchait 
à sa fin. « Eh bien! eh bien! et le solo de violo©, di^je 
assez haut pour être entendu ? — C'est vrai, reprit un 
homme du public, il semble qu'on veuille le passer. — 
Baillot! Baillot ! le solo de violon! d En ce moment le par- 
terre prend feu, et, ce qui ne s'était jamais vu à l'Opéra, 
la salle entière réclame à grands cris l'accomplissement 
des promesses de l'affiche. La toile tombe au milieu de ce 
brouhaha. Le bruit redouble. Les musiciens voyant la 
tureuT du parterre, s'empressent de quitter la place. De 
rage alors chacun saute dans l'orchestre, on lance à 
'droite et à gauche les chaises des concertants; on renverse 
le^'pnpitres; on crèvcf la i>eau des timbales; j*av«isbeau 
crier: «Messieurs, messieurs, que faites-vous donct 
briser les instruments!... Quelle barbarie ! Vous ne voyez 



80 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

donc pas que c'est la contre-basse du père Chénié, un 
instrument admirable, qui a un son d*enfer! • On ne 
m'écoutait plus [et les mutins ne se retirèrent qu'après 
avoir culbuté tout l'orchestre et cassé je ne sais combien 
de banquettes et d'instruments. 

C'était là le mauvais côté de la critique en action que 
nous exercions si despoliquement à TOpéra: le beau, 
c'était notre enthousiasme quand tout allait bien. 

Il fallait voir alors, avec quelle frénésie nous applau- 
dissions des passages auxquels personne dans la salle ne 
faisait attention, tels qu'une belle basse, une heureuse 
modulation, un accent vrai dans un récitatif, une note 
expressive de hautbois, etc., etc. Le public nous prenait 
pour des claqueurs aspirant au surnumérariat; tandis 
que le chef de claque qui savait bien le contraire, et dont 
nos applaudissements intempestifs dérangeaient les sa- 
vantes combinaisons, nous lançait de temps en temps un 
coup d'oeil digne de Neptune prononçant le quos ego* 
Puis dans les beaux moments de madame Branchu, c'ér- 
taient des exclamations, des trépignements qu'on ne con- 
naît plus aujourd'hui, même au Conservatoire, le seul 
lieu de France où le véritable enthousiasme musical se 
manifeste encore quelquefois. 

La plus curieuse scène de ce genre, dont j'aie con- 
servé le souvenir, est la suivante. On donnait CEdipe. 
Quoique placé fort loin de Gluck dans notre estime, Sac- 
chini ne laissait pas que d'avoir en nous de sincères 
admirateurs. J'avais entraîné ce soir-là à l'Opéra un de 
mes amis *, étudiant parfaitement étranger à tout autre 
art que celui du carauibolage, et dont cependant je vou- 
lais à toute force faire un prosélyte musical. Les douleurs 
d'Antigone et de son père ne pouvaient l'émouvoir que 

1. Léon de Boissieux, mon condisciple au petit séminaire 
de la Côte. Il a compté un instant parmi les illustrations do 
billard de Paris. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 81 

fort médiocrement. Aussi après le premier acte, déses- 
pérant d'en rien faire, Tavais-je laissé derrière moi, en 
m'avançant d'une banquette pour n'être pas troublé par 
son sang-froid. Comme pour faire ressortir encore son 
impassibilité, le hasard avait placé à sa droite un spec- 
tateur aussi impressionnable qu'il l'était peu. Je m'en aper- 
çus bientôt. Dérivis venait d'avoir un fort beau mouve- 
ment dans son fameux récitatif : 

Mon fils! tu ne Tes plus! 
Va! ma haine est trop forte! 

Tout absorbé que je fusse par cette scène si belle de 
naturel et de sentiment de l'antique, il me fut impossible 
de ne pas entendre le dialogue établi derrière moi, entre 
mon jeune homme épluchant une orange et l'inconnu, 
son voisin, en proie à la plus vive émotion : 

— Mon Dieu! monsieur, calmez-vous. 

— NonI c'est irrésistible! c'est accablant! cela tue! 

— Mais, monsieur, vous avez* tort de vous affecter de 
la sorte. Vous vous rendrez malade. 

— Non, laissez-moi... Oh! 

— Monsieur, allons, du courage ! enfin, après tout, ce 
n'est qu*un spectacle.., vous offrirai-je un morceau de 
cette orange? 

— Ah! c'est sublime! 

— Elle est de Malte ! 

— Quel art céleste! 

— Ne me refusez pas. 

— Ah ! monsieur, quelle musique î 

— Oui, c'est très-joli. 

Pendant cette discordante conversation, l'opéra était 

parvenu, après la scène de réconciliation, au beau trio : 

«0 doux moments! n; la douceur pénétrante de cette 

simple mélodie me saisit à mon tour; je commençai à 

I. 5. 



82 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

pleurer, la tôte cachée dans mes deux mains, coî^rme trn i 

homme abîmé d'affliction. A peine le trio était- 1 achevé, \ 

que deux bras robustes m'enlèvent de dessus i:ion banc, 
en me serrant la poitrine à me la briser; c'r ùent ceux \ 

de linconnu qui, ne pouvant plus maîfrisi^r s j:i émotion, ^ 

et ayant remarqué que de tous ceux ini l'tmtouraient i 

j'étais le seul qui parût la pirtager, nrciubî-assarit avec j 

fureur, en criant d'une voix convnlsive : — « Sacrrrrre- ( 

dieu! monsieur, que c'est beau!!! » Sans ni'éîonner le j 

moins du monde, et la figfure toute décomposée par les ^ 

larmes, je lui réponds par cette interrogation : 

— Êtes-vous musicien?... 

— '^Non, mafs je sens la musique aussi vivement *que j 

qui que*ce soit. 

— Ma foi, c'est égal, donnez-moi 'votre main; pardien» \ 
monsieur, vous êtes un brave homme! 

Là-dessus, parfaitement insensibles aux ricanements 
des spectateurs qui faisaient cercle autour de nous, 
comme à l'air ébahi de mon néophyte manigetrr d'oran- 
ges, nous échangeons quelques mots à voir basse, je lui 
donne mon nom, il me confie' le sien* et sa profession. 
C'était un ingénieur! un mathématicien! ! ! Où diable la 
sensibilité Ya-t-elle se nicher ! 

1. Il s'appelait Le Tessier. Je ne l'ai jamais'<te«ii. 



XVI 



Apparition de Weber à l'Odéon. — Castîlblaze. — Itîozftrt. 
Lâchait. — Les afirangeurs. — 'Despair and çlie! 



Avb milieu de oâUe période èrûlaote de j»es études jnu*- 
sicales, au plus iort 4e la J^èvre caeséa par ma passma 
^(mr ôluek et SpûtUÂui, et.par raversion q4ie m'iai^ 
raicHit les .âoctriaes et les fosmes rossiiN'eAttas, Wei^r 
appacoit. Le Freysôhùtz, -nen ; point dans sa èea«ité oii^ 
aale, mais mutilé, V'Ulgarisé, torturé et insuité deii^le 
façcms ,;par un arFaugeur, le FreyschùU tmo^orné' cm 
Mobin des Bois, fut représenté à l'Odéon. Il eut. pour Ia<- 
terppètes uiL jeiHie orehesitre adittirable, un.cJlEM£dar<mé^ 
diocre,' et des «chaateurs affreux. Une feiiime seulefiaeAit, 
madame Pouilley, ebargéedut pers0unage4!«Âg4Die <ip- 
ipeléa AAueite par la traduetôur), possédait un assezç^oli 
ii^e&twâe vecalisatioUv mais rien de .plu&. Dtoù il ^vÎMa 
fU6^fiafi tôle^entiery chanté ^ans âalellj^noe, faaas. pas- 
sion, sans le moindre élan dlâme, lut à <pea près ^uuûliiié. 
Le graad air du-sdeoud ^acte surtout, chanté. g;>ar^Ue'Qj^ec 
IU3> ia^er^urbable sang-froid, avait le chacme ,d'aide ,¥0- 
<2ali6&defBoEdQgni et. passait .presque ioaper^.. J'ai rôle 
lepgteop^ps à découvrir les trésors d'inspiration ^guUl 
renferme. 



) 



S4 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

La première représentation fat accueillie parles sifflets 
et les rires de toute la salle. La valse et le chœur des 
chasseurs, qu'on avait remarqués dès l'abord, excitèrent 
le lendemain un tel enthousiasme, qu'ils suffirent bientôt 
à faire tolérer le reste de la partition et à attirer la foule 
à rOdéon. Plus tard, la chansonnette des jeunes filles, 
au troisième acte, et la prière d'Agathe (raccourcie de 
moitié) firent plaùir. Après quoi, on s'aperçut que l'on- < 

verture avait une certaine verve bizarre^ et que Fair de | 

Max ne manquait pas (^intentions dramatiques. Puis, on 
s'habitua à trouver comiques les diableries de la scène - 

infernale, et tout Paris voulut voir cet ouvrage biscornu^ 
et rOdéon s'enrichit, et M. Castilblaze, qui avait saccagé 
le chef-d'œuvre, gagna plus de cent mille francs. 

Ce nouveau style, contre lequel mon culte intolérant 
et exclusif pour les grands classiques m'avait d'abord 
prévenu, me causa des surprises et des ravissements ex- 
trêmes, malgré l'exécution incomplète ou grossière quien 
altérait les contours. Toute bouleversée qu'elle fût, il s'ex- 
halait de cette partition un arôme sauvage dont la déli- 
cieuse fraîcheur m'enivrait. Un peu fatigué, je l'avoue, 
des allures solennelles de la muse tragique, les mouve- 
ments rapides, parfois d'une gracieuse brusquerie, de la 
nymphe des bois, ses attitudes rêveuses, sa naïve et virgi- 
nale passion, son chaste sourire, sa mélancolie, m'inon- 
dèrent d'un torrent de sensations jusqu'alors inconnues. 

Les représentations de l'Opéra furent un peu négligées, 
cela se conçoit, et je ne manquai pas une de celles de 
i'Odéon. Mes entrées m'avaient été accordées à l'orchestre 
de ce théâtre ; bientôt je sus par cœur tout ce qu'on y 
exécutait de la partition du Freyschùtz, 

L'auteur lui-môme, alors, vint en France. Vingt et un 
ans se sont écoulés depuis ce jour où, pour la première et 
dernière fois, Weber traversa Paris. Il se rendait à Lon 
dres, pour y voir à peu près tomber un de ses chefis* 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 85 

d'oeuvre {Obéron) et mourir. Combien je désirai le voir I 
avec quelles palpitations je le suivis, le soir où, souffrant 
déjà, et peu de temps avant son départ pour TAngleterre, 
il voulut assister à la reprise ô!Olympie. Ma poursuite fut 
vaine. Le matin de ce même jour Lesueur m'avait dit : 
e Je viens de recevoir la visite de Weber ! Cinq minutes 
plus tôt vous l'eussiez entendu me jouer sur le piano des 
scènes entières de nos partitions françaises ; il les connaît 
toutes. » En entrant quelques heures après '^ans un ma- 
gasin de musique : < Si vous saviez qui s'est assis là tout 
à l'heure ! — Qui donc? — Weber ! » En arrivant à l'O- 
péra et en écoutant la foule répéter : t Weber vient de 
traverser le foyer, — il est entré dans la salle, — il est 
aux premières loges. » Je me désespérais de ne pouvoir 
enfin l'atteindre. Mais tout fut inutile ; personne ne put 
me le montrer. A l'inverse des poétiques apparitions de 
Shakespeare, visible pour tous, il demeura invisible pour 
un seul. Trop inconnu pour oser lui écrire, et sans amis 
en position de me présenter à Jlui, je ne parvins pas à 
l'apercevoir. 

Oh ! si les hommes inspirés pouvaient deviner les gran- 
des passions que leurs œuvres font naître ! S'il leur était 
donné de découvrir ces admirations de cent mille âmes 
concentrées et enfouies dans une seule, qu'il leur serait 
doux de s'en entourer, de les accueillir, et de se consoler 
ainsi de l'envieuse haine des uns, de l'inintelligente fri- 
volité des autres, de la tiédeur de tous t 

Malgré sa popularité, malgré le foudroyant éclat et la 
vogue du Freysckûtz, malgré la conscience qu'il avait 
sans doute de son génie, Weber, plus qu'un autre peut- 
être, eût été heureux de ces obscures, mais sincères ado- 
rations. Il avait écrit des pages admirables, traitées par 
les virtuoses et les critiques avec la plus dédaigneuse 
froideur. Son dernier opéra, Euryanthey n'avait obtenu 
qu'un demi-succès ; il lui était permis d'avoir des inqui^ 



86 MÉMOIRES D£ HECTOR BERLIOZ. 

tades sur le sort d'O^éron, on soogdftat qulà une cMivro 
pareille il faut an public de poètes, un parterre 4le rois 
de la pensée. Enfin, le roi des rois, BeoUkoven, pendsuit 
iongtemp» Tavait méconna. On conçoit donc qu'il ait pu 
quel(}aiefûis, comme il récrivit lui-môme, douter de sa 

mission musicale, et qu'il sait mort du comp qui frappa 
06^0». 

Si la dififôrence fut grande ^itre la4e84iBée de eette 
partition merveilleuse et le sort de son aiaé, le FrtjfsokMtz, 
ce n'est pas qu'il y ait rien de vulgaiveidans la physioBiO' 
mie de l'heuranx élu âe.la.pofMXlar'ité, rien ide mesQttin 
dans ses focmes, rien de Caû dans son éclat, rien dUuii- 
poule Jdi d'emphatique dans son langage; l'iaoteur n'a 
jamais fait, ni dans l'un ni dans l'aïUve, la. mododre eon- 
œssion.aux puériles exigences de laimode, à celles plus 
impérieuses encore des grands orgueils chantants. Il lut 
aussi simplement Tvai, .aussi fièrement original, aussi en- 
nemi des formules, aussi «digne en face du puMic, dont 
il ne voulait acheter les applaudissements par^ucuneiâ- 
che condescendance, itussi grand .dans le Fr^ohùtz^que 
4znsObiron, iliais la poésie du premier est, pleine de 
mouvement, de passion et de contrastas. Le surnaturel y 
amène des effets étFanges et violents..La mélodie^l'harmo- 
joie et le rhythme combinés tonnent, brûlent et éclairent; 
tont concourt à éveiller llattention.. Les .personnages,, en 
outre, pris dans la vie commune, trouvent de. plus .nom- 
hreuses sympathies ;.la.pôintiLre de leurs sentiments,.le ta- 
èieauide leurs mœurs, moUveataussi l'emploi d'un moins 
haut style, qui, ravivé par^uatravail exquis, aoqttiert,an 
iCharme irrésistible, .même pour les esprits dédaigneux. de 
jouets, sonores, et ainsi, .paré» sembleàrla foole.l'idéal de 
Uiurt, le prodige de l'ânvantion. 
. Jtens Obérotty au .coatcaire,..bien que .4es <passionst.ha^ 
maines y jouent^un grand rôle, le .fantastique domine 
encore ; mais le fantastique gracieux, calme, frais. Au 



MfiMOIBES DE HECTOR BERLIOZ. 87 

iiea de moB&tres, d'apparitions horribles, ee sont des 
ohœius 'd'esprits aériens^/des sy^ibes^des fées, 4es ondi- 
nes.£t lalang^ de ce petiple au doux sourire, langue 
à pact, qui empconte à l'Jtiacmonie son charme princi- 
pal^. dont ia mélodie «st caprioiettsamant ^ague, dont le 
rhylhme 4mpréTU,w=âilé^ doTient souvent 4iffîci]e à^aisir, 
est d'^aotant mains hrtemgiblepomrJa foule que ses fi- 
nasses ne peuv^t âtre senties, môme des musiciens, sans 
une attention extiRèmâmnie à une-gcande vivacité d'ima- 
gination. La rôveneaUemamdesympaihiseplus aisément, 
sans doute, avec cette divine poésie; pour nous. Fran- 
çais, aile ne serait, je le crains, qu'un s«4et d'études cu- 
neux un instant, d'où naîtraient bientôt après la fatigue 
et l'ennui ^ On en a pu juger ^juand la troupe lyrique 
de Garlsruhe vint, an 1828, .donner des r^réseniations 
au théâtre Pavart. Le chceur des ondines, ce chant si 
mollement cadencé, .qui expdme un bonheur si pur, si 
oemplet, ne se oomposeque de deux strophes assez cour- 
tes ; mais comme sur un mouvement lent se balancent 
des inflexions continuellement douces, l'attention du 
public s'éteignit. au bout de quelques mesures ; à la fin 
âu»{»Bmier couplet^ le malaise de l'auditoire était évident, 
on nuinnurait dans la salle, et la seconde strophe fut à 
peine entendue. On se hâta, en conséquence, de la sup- 
primer pour la seconde représentation. 

Weber, en voyant ce que Castilblaze, ce musicien vé- 
térinaire, avait fait de son VreysahûiZy ne put queressen* 
tir profondément un si indigne outrage, et ses justes 
pfakinteft s'exhalèrent dans une lettre qpi'il publia à ce 
g^let^avant de>quitter Paris. Castilblaze eut l'audace de 

1; Depuis que ceci a été écrit, la mise en scène ûiOhéfOtli 
aa<mkérfttr»<'L7nqQe, est- Tenue me donner nu démenti IreiefWe 
opinion. Ce chef-d^œavre a produit une très-grande sensation; 
le saccës en a été imflMMe. -^ Le pulÉic^paiégle» amifct dine 
fût en musique de notables progrès. 



> 



88 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

répondre : que les modifications dont l'auteur allemand 
se plaignait avaient seules pu assurer le succès de Robin 
des Bois, ei que M. Weber était bien ingrat d'adresser des 
reproches à l'homme qui l'avait popularisé en France. 

misérable !... Et Ton donne cinquante coups de fouet 
à un pauvre matelot pour la moindre insubordination !.. 

C'était pour assurer aussi le succès de la Flûte enchan- j 

tée, de Mozart, que le directeur de l'Opéra, plusieurs an- / 

nées auparavant, avait fait faire le beau pasliccio que i 

nous possédons, sous le titre de : les Mystères d'Isis. Le ' 

livret est un mystère lui-môme que personne n'a pu dé- 
voiler. Mais, quand ce chef-d'œuvre fut bien et dûment 
charpenté, l'intelligent directeur appela à son aide un 
musicien allemand pour charpenter aussi la musique de ) 

Mozart. Le musicien allemand n'eut garde de refuser cette 
tâche impie. Il ajouta quelqi^s mesures à la fin de l'ou- 
verture (l'ouverture de la Flûte ejickantéeWl) il fit un air 
de basse avec la partie de soprano d'un chœur ^ en y 
ajoutant encore quelques mesures de sa façon ; il ôta les . 
instruments à vent dans une scène, il les introduisit dans 
une autre ; il altéra la mélodie et les desseins d'accom- 
pagnement de l'air sublime de Zarastro, fabriqua une 
chanson avec le chœur des esclaves t cara armonia, • 
convertit un duo en trio, et comme si la partition de 
la Flûte enchantée ne suffisait pas à sa faim de harpie, il 
l'assouvit aux dépens de celles de Titus et de Don Juan. 
L'air ^Quel charme à mes esprits rappelle » est tiré de Ti- 
tus, mais pour l'andante seulement; l'allegro qui le com- 
plète ne plaisant pas apparemment à notre uomo capace, 
il l'en arracha pour en cheviller à la place un autre de 
sa composition, dans lequel il fit entrer seulement des 
lambeaux de celui de Mozart. Et devinerait-on ee que ce 
monsieur fit encore du fameux « Fin cKhon dal vino, » 

1. Le chœur : Per voi risyhnde il giorno* 



MÉTtfOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 89 

de cet éclat de verve libertine où se résume tout le ca- 
ractère de Don Juan ?... Un trio pour une basse et deux 
soprani, chantant entre autres gentillesses sentimentales, 
les vers suivants : 

Heureux délire 1 

Mon cœur soupire I 
Que mon sort diffère du sien 1 
Quel plaisir est égal au mien 1 

Crois ton amie, 

C'est pour la me 
Que mon sort va s*unir au tien. 

douce ivresse 

De la tendressel 

Ma main te presse, 
L ' Dieul quel grand bien I (sic) 

Puis, quand cet affreux mélange fut confectionné, on 
lui donna le nom de les Mystères dlsiSf opéra ; lequel 
opéra fut représenté, gravé et publié * en cet état, en 
grande partition ; et l'arrangeur mit, à côté du nom de 
Mozart, son nom de crétin, son nom de profanateur, son 
nom deLachnitb* que je donne ici pour digne pendant 
à celui de Castiiblaze. 

^ Ce fut ainsi qu'à vingt ans d'intervalle, chacun de ces 

mendiants vint se vautrer avec ses guenilles sur le ri- 

^ che manteau d'un roi de l'harmonie ; c'est ainsi qu'ha- 
biles en singes, affublés de ridicules oripeaux, un œil 
crevé, un bras tordu, rune jambe cassée, deux hommes 
de génie furent présentés au public français! Et leurs 
bourreaux dirent au public: Voilà Mozart, voilà Weberl 

1. La partition des Mystères (Tlsis et celle de Robin des Bois 
sont imprimées, elles se trouvent toutes les deux à la biblio- 
thèque du Conservatoire de Paris. 

2. Et non pas LachDilz;iI est important de ne pas mal or- 
tho^apbier le nom d'un si grand homme. 



90 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

et .le public les crut. Et il ne se trouva personne pour 
traiter ces scélérats selon leur mérite et leur envoyer au 
moins un furieux démenti ! 

Hélas! les connût-il, le public s'inquiète peu de pareils 
actes. Aussi bien en AUemagae, an Ajaigleterre et ailleurs 
qu'en France, on tolèireque les.pitts a«bles œuvres dans 
tous les genres soient arra&gées, c'esl-à-diro ir^cs, c'est- 
à-dire insultées de lAille manières, t>ar des gem de rien. 
De telles libertés, on le reconnaît Toiomf ers, ne devraient 
être prises à Tégard des grands artistes (si tant est qu'elles 
dussent l'être) que par des artistes immenses efbien plus 
grands encore. Les corrections faites aune œuvre, an- 
cienne ou moderne, ne devraient jamais lui arriver de 
bas en haut, mais de haut en l)as,. personne ne le con- 
teste; on ne s'indigne point pourtant d'être témoin du 
contraire chàx^àe joar. 

Mozart a été assassiné p^r LaclmUli ; 

Weber, . par Cast ilblaze ; 

Gluck, Grétry, Mozart, Eossini, Seethov^, -Vofel ^n* 
été mulilés par ce mtoie CastilhUxe *; ^Beethaven a -m 
.ses symphonies corrigées ,par .FéUs \ par Kr&anaat «t 
par Habeneck; 

Molière et Corneille luroat taillés par des^ ins(»Bi«as, 
familiers du Théâtre-Français; 

Shakespeare enfin est encore i%prése»té ^i .àngleterse, 
avec les arrangements de Gibber et de .quelques axy- 
très. 

Les corrections ici ne viennent pas de haut ren «bas, ce 
me semble; maisbiesi de bas en haut, el^rpendi<»^i- 
rement encore! 

Qu'on ne viennepas dire que tes ai^angevrs, ^aiis4eurs 
travaux sur les maîtres, ont fait quelquefois d'heureuses 

.1. li.n'y a^pEdsqae .pas nue partitioa.de ods maitim qn'ii 
D*ait retravaillée à sa façoa f la^ccois quHl wt fou. 
2. Je dirai comment. 



«16111011158 DE HECTOR BERLIO-Z. «l 

trouvailles; car ces conséquences exceçtîonnèftes ne 
sauraient justifier Vintrodttction Vians ?art tfime israssi 
monstrueuse Inimorâîîté. 

Non, non, non, dix mïïfioiîs de fôisjioD, mttsrciens, 
poêles, prosateurs, acteurs, piatrlstes, lîhèfs d'orchestre, 
du troisième ou 'du second ordre, et iftême to premier, 
vous n'arez pas le droit iàe tmiébefr ^ux Beethoven et 
aux Shakespeare, pour leuffaîré Vsw^bneéerùtreséience 
et de votre goût. 

Non, non, non, rafîlle mîïïionsde'fois non, un homme, 
quel^u'il soit, n'a pas le droit de forcer un autre honmie, 
quel qttll soit, d'abandonner sa propre -physionomie 
pour en prendre une autre, tle s'exprimer d'une façon 
qui n'est pas la sienne, de revôtir^une' forme qu'iln^apas 
choisie, de Vlevenîr de son vivaiît anmanâeqûin qu'une 
volonté étrangère faârmouvoir, ou d'être galvanisé après 
sa mort. Si cet homme est médiocre, qu'on le laisse ensfr 
veli dans sa médiocrité! S'il est d*ctne niiture d'6!îte au 
contraire, que ses égaux, que ses sttpéil€furs mômes, le 
respectent, et que ses inférieurs s'incKnfetft humblement 
devant lui. 

Ssms doute Garrick a tro»r^ le dénoûment de Bxméo 
et Jtdiétte, le plus pathétique qui soit au théâtre, et' il l'a 
mis à la place de celui de Sftiakespeare domVeflfet est 
moins saisissant; mais en TBVam^, quel'^t IHnsoletit 
drôle qui a inventé le dénoûmentdu'JRw* lecrr tpi'on suh- 
stîtue quelquefois, très-souvent aiêrae, à la derrière 
scèane que Shakespeare a tracée pour ce chef-d'œuvrel 
Quel est le grossier rimeur qui a mis dans ta bouche de 
Cordelia * ces tirades br4Uales, e94)rinant 4es passions si 
éUMMifèves à son iisndce et ttofelo^acaiiir? Où}est-ii? poui 
4fS6Mt9nt eequ'fby^a snr la tisrvo de poètes, d^artisies, de 
pères et ^'amants, viorne leftageHer, et, le i*WBit«o 

- 1. La plus jeuoe des fiUes darblLear 



92 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

pilori de Tindignatton publique, lui dise : < Affreux idiot! ^ 

tu as commis un crime infâme, le plus odieux, le plus ^ 

énorme des crimes, puisqu'il attente à cette réunion des 

plus hautes facultés de Thomme qu'on nomme le Génie ! 

Sois maudit ! Désespère et meurs I Despair and die II ' 

Et ce Richard IIÏ, auquel j'emprunte ici une impréca- 
tion, ne l'a-t-on pas bouleversé?... n'a-t-on pas ajouté j 
des personnages à la Tempête , n'a-t-on pas mutilé f 
Eandet, Roméo, etc?... Voilà où l'exemple de Garrick \ 
a entraîné. Tout le monde a donné des leçons à Shakcs- [ 
peare !!!... 

Et, pour en revenir à la musique, après que Kreutzer, 
lors des derniers concerts sipirituels de l'Opéra, eut fait ; 

pratiquer maintes coupures dans une symphonie de Beet- 
hoven *, n'avons-nous pas vu Habeneck supprimer cer- 
tains instruments * dans une autre du même maître? 
N'entend-on pas à Londres des parties de grosse caisse, 
de trombones et d'ophicléide ajoutées par M. Costa aux 
partitions de Don Giovanni, de Figaro et du Barbier de 
Séville?... et si les chefs d'orchestre osent, selon leur ca- 
price, faire disparaître ou introduire certaines parties 
dans des œuvres de cette nature, qui empêche les violons 
ou les cors, ou le dernier des musiciens, d'en faire au- 
tant?... Les traducteurs ensuite, les éditeurs et même les ^ 
popistes, les graveurs et les imprimeurs, n'auront-ils pas 
un bon prétexte pour suivre cet exemple •?.., 

N'est-ce pas la ruine, l'entière destruction, la fin to- 
tale de l'art?... Et ne devons-nous pas, nous tous épris 
de sa gloire et jaloux des droits imprescriptibles de l'es- 

1 . La 2n»« symphonie, en ré majeur. * 

2. Depuis vingt ans on exécute au Conservatoire la sym- 
phonie en ut mineur, et jamais Habeneck n'a voulu, au début 
du scherzOï laisser jouer les contre-basses. Il trouve qu^elles 
n'y produisent pas un bon effet... Leçon à Beethoven... 

3. Et ils n'y manquent pas. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 93 

prit humain, quand nous voyons leur porter atteinte, 
dénoncer le coupable, le poursuivre et lui crier de toute 
la force de notre courroux : « Ton ;crime est ridicule ; 
Despair!! Ta stupidité est criminelle; JDie?// Sois bafoué, 
sois conspué, sois maudit! Despair and iieH Désespère 
et meurs! » 



XVII 



Préjugé contre les opéras écrits sur un texte italien. — Son 
nâuence sur Timpression que je reçois de certaines œuvres 
de Mozart. 



J'ai dit qu'à l'époque de mon premier concours à l'Ins- 
titut j'étais exclusivement adonné à l'étude de la grande 
musique dramatique; c'est delà tragédie lyrique que 
j'aurais dû dire, et ce fut la raison du calme avec lequel 
j'admirais Mozart. 

Gluck et Spontini avaient seuls le pouvoir de pas- 
sionner. Or, voici la cause de ma tiédeur pour l'auteur de 
Don Juan. Ses deux opéras le plus souvent représentés à 
Paris étaient Don Juan et Figaro ; mais ils y étaient chantés 
en langue italienne, par des Italiens et au Théâtre-Italien ; 
et cela suffisait pour que je ne pusse me défendre d'un 
certain éloignement pour ces chefs-d'œuvre. Ils avaient 
à mes yeux le tort de paraître appartenir à l'école ul- 
iramonlaine. En outre, et ceci est plus raisonnable, j'a- 
vais été choqué d'un passage du rôle de dona Anna, 
dans lequel Mozart a eu le malheur d'écrire une déplora- 
ble vocalise qui fait tache dans sa lumineuse partition. 
Je veux parler de J'allegro de l'air de soprano (n<» 22), 
au second acte, air d'une tristesse profonde, où toute la 



M MUm MM D£ H E CT.OA fi^aU OZ. 9S . 

poési^âft^raiBour se monlfe éRl«fé&et on dauily et où Toa 
troave fiésyuaaûins; vers la tm. du. morceau des notes ri- 
dicates et'd'aDe.inconveQaiice.telleineut choquante, qu'on . 
a peine à oroke qu'elles aient pu> échapper à la plume 
d'un pareil homme. Doua. Anna semhLe là essuyer ses lar- 
mes et se livrer tout d!un coupi à d'indécentes bouffon- 
neries. Les paroles de ce passage sont : Forse un giorno il ' 
cielo ancora sentira a-a-a (ici un trait incroyable et du 
plus mauvais style) piela di me. Il faut avouer que c'est 
une singulière façon, pour la noble fille outragée, d'ex- 
primer Vespoir que le ciel aura un jour pitié d'elle /... Il 
m'était difficile de pardonner à Mozart une telle énormité. 
Aujourd'hui, je sens que je donnerais une partie de mon 
sang pour effacer cette honteuse page et quelques autres 
du même genre, dont on est bien fwcé de reconnaître 
l'existence dans ses œuvrçs *. 

Je ne pouvais donc que me méfier de ses doctrines dra- 
matiques, et cela suffisait pour faire descendre à un de- 
gré voisin de zéro le thermomètre de l'enthousiasme. 

Les magnificences religieuses de la Flûte enchantée m'a 
valent, ilest vrai, rempli d'admiration; mais ce fut dans b 
pasticcio des My stères d'Isis que ie les contemplai pour la 
première fois, et je ne pus que plus tard, à la bibliothèqùf 
du Conservatoire, connaître la partition originale et la 
comparer au misérable pot-pourri français qu'on exécu- 
tait à l'Opéra. 

L'œuvre dramatique de ce grand compositeur m'a- 
vait, on le voit, été mal présentée dans son ensemble, e' 
c'est plusieurs années après seulement que, grâce à de« 
circonstances moins défavorables, je pus en goûter k 

1. Je trouve même répithëte de ?iohteuse insufâsante poui 
flétrir ce passage. Mozart a commis là contre la passion, con 
trc le sentiment, contre le bon goût et le bon sens, un des cri 
mes ]es plus odieux et les plus insensés que Ton puisse ci 
ter dans Thistoire de Tart, 



96 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

charme et la suave perfection. Les beautés merveilleuses 
de ses quatuors, de ses quintettes et de quelques-unes 
de ses sonates furent les premières à me ramener au 
culte de Tangélique génie dont la fréquentation, trop 
bien constatée, des Italiens et des pédagogues contre- 
pointistes, a pu seule en quelques endroits altérer la 
pureté. 



XVIII 



Apparition de Shakespeare. — Mias Smithson. — Mortel 
amour. — Léthargie morale. — Mon premier concert. — 
Opposition comique de Cherubini. — Sa défaite. — Pre- 
mier serpent à sonnettes. 



Je touche ici au plus grand drame de ma vie. Je n'en 
raconterai point toutes les douloureuses péripéties. Je me 
bornerai à dire ceci : Un théâtre anglais vint donner à 
Paris des représentations des drames de Shakespeare 
alors complètement inconnus au public français. J'assistai 
à la première représentation d^Uamlet à TOdéon. Je vis 
dans le rôle d!Ophélia Henriette Smithson qui, cinq ans 
après, est devenue ma femme. L'effet de son prodigieux 
talent ou plutôt de son génie dramatique, sur mon ima- 
gination et sur mon cœur, n'est comparable qu'au boule- 
yersement que me fit subir le poète dont elle était la 
digne intreprète. Je ne puis rien dire de plus. 

Shakespeare, en tombant ainsi sur moi à l'improviste, 
me foudroya. Spn éclair, en m'ouvrant le ciel de l'art 
avec un fracas sublime, m'en illumina les plus lointaines 
profondeurs. Je reconnus la vraie grandeur, la vraie 
beauté, la vraie vérité dramatiques. Je mesurai en même 

I. 6 



98 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

temps rimmense ridicule des idées répandues en France 
sur Slialcespeare par Voltaire... 

« Ce singe de génie, 

» Chez rhomme, en mission, par le diable enToyé >. n 

et la pitoyable mesquinerie de notre vieille Poétique de 
pédagogues et de frères ignorantins. Je vis... je com- 
pris.. .je sentis... quej'étaisytyaHtet qu'il fallait me lever 
et marcher. 

Mais la secousse avait été trop forte, et je fus long- 
temps à m'en remettre. A. un chagrin intense» profond, 
insurmontable, vint se joindre un état nerveux, pour 
ainsi dire maladif, dont un grand écrivain physiologiste 
pourrait seul donner une idée approximative. 

Je perdis avec le sommeil la vivacité d'esprit de la 
veille, et le goût de mes études favorites, et la possibilité 
de travailler. J'errais sans but dans les rues de Paris et 
dans les plaines des environs. A force do fttîgpoBr mo» 
corps, je me souviens d'avoir dilenu pendam oette toa^ 
gue période de sooflbunoes, sealeaent quatre sommoiiS' 
profonds serablaUes à la moEt; utte luÉt sur des garbes, 
dans un ehaiz^ près de ViU»Jaif; un jour dUv lu» 
prairie aux environs de Sceaux; une autre fois dans la. 
neige, sur le bi»rd de la Seine gelée, près de Neuilly; el 
enfin sur une table du café du GanUttal, au coia du 
boulevard de.^ Iwiitens et de la rue Riohelieii, où jd« dor- 
mis cinq heures», au grand effroi des garçons qui n'o* 
saient m'approcher, dans la crainte de me trouver mon. 

Ce fat en rentrant diez moi, à la suite d'une de mb 
excursions où j'avais l'air d'être à la rechwche de moR 
âme, que, trouvant ouvert sur ma table le voèmiB des 
Mélodies irlandaises de Th. Moore, mes yeux tombtent 
sur celle qui commence par ces mots: c Quand cekd çui 

1. Victor Hugo, Chants du crépuscule. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 99 

f adore » ÇWhen he who adores thee). Je pris la plume, et 
tout d'an trait j'écrivis la musique de ce déchirant adieu, 
qulon troa\Ee sous le titre d'Élégieyk la fin de mon Tecueil 
intitulé irlancid. C'est la seule fois qu'il me soit arrivé de 
pouvoir peindre un sentiment pareil, en étant encore 
sous SOB influence active et immédiate. Mais je crois que 
j'ai rarement pu atteindre^ une aussi poignante vérité 
d'accents mélodiQues» plongés dans un tel orage de s&nis- 
ice&MEmonies. 

. Ce morceau est. immensément dif&cile à chanter et à 
accompagner; il faut, pour le rendre dans son vrai sens, 
(^es^Ȉ-dire^ ..pour faire renaitce, plus ou moinfi affai- 
bli^^la désespoir sombre,. fier et tendre, «que Moore dut 
fessentir on écrivant ses vers, et que j'épsouvais ea les 
inondant de ma musique, il laut deux habiles ar- 
tistes S on, chanteur surtout, doué d'une voix syo^a- 
tbiiiae ^ d'une excessive sensibilité. L'entendre rmé- 
dioccement «interpréter serait pour moi une douleur 
inexprimable. 

.Boar Ber|iAâin'yexposer,de{>uisvii^gt4nft qa'il.easte, 
ie i^ai proposé à personne deme- le ebanter. Une seule 
XoiSytAUsard, l'ayant -aperça ehezjnai, l'essaya sans ac- 
eompagnement en le- transposant (en «) pour sa voix 
de basse, et me bouleversa teUemei^t, ^u'^au milieu je 
i'interro^ipi» en le^priant de cesser.. Il le comprenait; je 
vis qu'il le chanterait tout àiait bien;, cela me donna 
l'idée d'instfttmenter pour l'orchestre l'accompagnement 
de piano. Puis réfléchissant que de semblables composi- 
tiâBS^ne sont, pas iaitespour le gros public des concerts, 
et ^e ce .serait lune profanation de tes exposer à son la 
difiéreace^ je sit^peadismea tiutvatl et rbcûlai ce ^ue j'a- 
vài& déi>â mie ea partitâon. 

rexécution de cette élégie. 



100 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Le bonheur veut que cette traduction en prose fran- 
çaise soit si fidèle que j'aie pu adapter plus tard sous ma 
musique les vers anglais de Moore. 

Si jamais cette élégie est connue en Angleterre et en 
Allemagne, elle y trouvera peut-être quelques rares sym- 
pathies; les cœurs déchirés s'y reconnaîtront. Un tel mor- 
ceau est incompréhensible pour la plupart des Français, 
et absurde et insensé pour des Italiens. 

En sortant de la représentation à*Hamlet, épouvanté 
de ce que j'avais ressenti, je m'étais promis formellement 
de ne pas m'exposer de nouveau à la flamme shakespea- 
rienne. 

Le lendemain on afficha Romeo and Jtdiet,.. J'avais 
mes entrées à l'orchestre de l'Odéon ; eh bien, dans la 
crainte que de nouveaux ordres donnés au concierge du 
théâtre ne vinssent m'empôcher de m'y introduire comme 
à l'ordinaire, aussitôt après avoir vu l'annonce du redou- 
table drame, je courus au bureau de location acheter 
une stalle, pour m'assurer ainsi doublement de mon en- 
trée. Il n'en fallait pas tant pour m' achever. 

Après la mélancolie, les navrantes douleurs, l'amour 
éploré, les ironies cruelles, les noires méditations, les 
brisements de cœur, la folie^ les larmes, les deuils, les 
catastrophes, les sinistres hasards d'Hamlet, après les 
sombres nuages, les vents glacés du Danemarck, m'ex- 
poser à Tardent soleil, aux nuits embaumées de l'Italie, 
assister au spectacle de cet amour prompt comme la pen- 
sée, brûlant comme la lave, impérieux, irrésistible, im- 
mense, et pur et beau comme le sourire des^ anges, à ces 
scènes furieuses de vengeance, à ces étreintes éperdues, 
à ces îuttes désespérées de l'amour et de la mort, c'était 
trop. Aussi, dès le troisième acte, respirant à peine, et 
souffrant comme si une main de fer m'eût étreint le cœur, 
je me dis avec une entière conviction : Ah ! je suis perdu. 
<- Il faut ajouter que je ne savais pas alors un seul moi 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 101 

d'anglais, que je n'entrevoyais Shakespeare q,u!k travers 
les brouillards de la traduction de Letourneur, et que je 
n'apercevais point, en conséquence, la trame poétique 
qui enveloppe comme un réseau d'or ses merveilleuses, 
créations. J'ai le malheur qu'il en soit encore à peu près 
de même aujourd'hui. Il est bien plus difficile à un Fran- 
çais de sonder les profondeurs du style de Shakespeare, 
qu'à un Anglais de sentir les finesses et l'originalité de 
celui de La Fontaine et de Molière. Nos deux poètes sont 
de riches continents, Shakespeare est un monde. Mais le 
jeu des acteurs, celui de l'actrice surtout, la succession 
des scènes, la pantomime et l'accent des voix, signifiaient 
pour moi davantage et m'imprégnaient des idées et des 
passions shakespeariennes mille fois plus que les mots 
de ma pâle et infidèle traduction. Un critique anglais 
disait l'hiver dernier dans les Ilîustrated London News^ 
qu'après avoir vu jouer Miette par miss Smithson, je 
m'étais écrié : « Cette femme je l'épouserai ! et sur ce 
drame j'écrirai ma plus vaste symphonie! > Je l'ai fait, 
mais n'ai rien dit de pareil. Mon biographe m'a attribué 
une ambition plus grande que nature. On verra dans 
la suite de ce récit comment, et dans quelles cir- 
constances exceptionnelles, ce que mon âme boulever- 
sée n'avai^ pas même admis en rêve, est devenu une 
réalité. 

Le succès de Shakespeare à Paris, aidé des efforts en- 
thousiastes de toute la nouvelle école littéraire, que di- 
rigaient Victor Hugo, Alexandre Dumas, Alfred de Vi- 
gny, fut encore surpassé par celui de miss Smithson. Ja- 
mais, en France, aucun artiste dramatique n'émut, ne 
ravit, n'exalta le public autant qu'elle : jamais dithy* 
rambes de la presse n'égalèrent ceux que les journaux 
français publièrent en son honneur. 

Après ces deux représentations d'Hamlet et de Roméo, 
je n'eus pas de peine à m'abstenir d'aller au théâtre an- 
I. 6. 



4i02 IIÉIl«]flE6 DE fiCCTOn BKRLI02. 

^lais; denosvettes ôpreaTes m'enfisent terrassé; Je les 
enôgnais oomme on craiftt Im grandes doBleorg pii^fBi- 
4f«e6 ; ridéeiflaale den'y exposerwe fiiiffint frémir. 

IwnàR paasé plmiears nwisâaBB l'eepèoe â*abriitisBe- 
nienl désespéré dont fm seuleiiieiit indiqiiéUmailiire'et 
les (Bannes, sofifsamtoiiHmPs àftbsliLesi^ettre et à rartnte 
«ispipée, à la foir <0|iMiaie«t twit Fwîs ééfirai«, oon- 
liarant aineeiiccableiBeMt Téclst de aa gloiFs à ma triste 
otMoarité ; tpaanâ me rslevant eoôii, je voaltts «par "Hn 
efibrt sa|»tee Mpb rayomwr }«8qii^À«lle fiKm nom (foi 
lui était Ineeomi. Alors Je «entai «eqi^ mil oomposiletEr 
00 Franoe jaTavait eneoreienté. 

J'osai ttitvoprondre 4e dottnor, 4ao CkmsenraMre, tin 

/^rand «011091 leomposé eseliisfiwBe&t de mes œnvms. 

c Je veux lui moalver, dis^Je, qite mai omsH je tmis petn- 

âte ! » i^esr y p&nnmCy 4I «e fallait trois ehoses : la oopic 

de jna iBUBique, la salle et les exéeutaots. 

Ks q«e mon parti fut pris, Je bm tais au uravail etje 
oof iai, en employant seize heares snr vingHIttatre, les 
parties séparées d^orobeslre «t de dKBMr, des moreeaiiK 
^ne j-arais oboisis. 

tIon^pvo|:raBafflse sontenait :1es osiwtttKs^ Wèoe^ 
-m «des Vrcme^J^H ;iml ok* et vn 4irio ««oe «ftiMar «des 
Jbranesnlagœs ; la stftoe «Bëro^nie dN^iogm «et ima eanlMe 
la Mort (TOrpkée, déclarée inexécutable par le jwry de 
llnstHiit. Tom ^^ oaiJiant ;Bansineâiebe JH»î^ fsr on 
f odonblement d'écoiUNBie, ajMié çaelqtieB eOÉMâttes 4te 
^tines à.des épargnes amériociMS, «1 moyen âdSfeKttes 
je 4MH0|AaH8 payer ) Mes leborMes. ^mcnt à t^mehesire; f Je- 
tais ttèrtd'olsieDtr le iconeours grannitide estai fle rOiétm, 
^atte paaiicie des mnsidioAsiide fQ|iéra et ide eeisi 4u 
ibéàtneides 9ï(nt^aaiés. 

La salle était donc, «I il en «K tBufottrS'^taoi àtMni, 
le ^prina^al o4MtiMle. Ponr jtvoîr i ma idispHitiOft : oelle 
4b âoinmrateiiie, la tswievmUment ironie ^m^wm k» 



ITÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. ^03 

«apports, il fallait l'autorisation du sarintenâant des 
Beaux-Arts, If. Sosthènes de Laroehefoucsnlt, et de plos 
t'asseatûnent de Gherabini. 

M. de Larochefoucault accorda sans diffleuHté la de- 
maDde que je loi avais adressée à ce Bo^et; Oierubini, 
aa contraire, au simple énoncé de ^moii projet, entra en 
lia«Br. 

— * ¥oiis vouies donner lun «ocoflert? «m éîMl, avec 
sa gràoe ordmaire. 

« Oui, montieinr. 

— Il faut la permission du 8iirtnteiida»t des Beanx- 
Arts pour cela. 

— Niîe l'raiflbtenue. 

— M. de Larossefoucault y consent? 
-* Oui, monsieur. 

-«•f Ifeiie, fluiis» ^mMs (9é ^n'y ^coftsens ^pas, moi ; ^^é-zé 
m.'t|{)pofie àoéi^u'on vous prdte ^a salle. 

' — ^us ai'avei; pourtant, iOioBsreiir, aucun motïl pour 
;iae la faire refuser, pvisiiue le Gonsenratoire n'en dis- 
pose pas en ce moment, et que pendant qili»Ee jours €^le 
va être entièrement libre. 

— Mais que aé vous dis que zé né veux pas que tous 
âODfRies ce «oncert. Tout \e monde ei^ à la campagne, et 
vous né ferez pas dé réceOe. 

«^ Je ne oempte pas y g;agner. Ce tsoBcert n'a pour 
tat ^que de me faire t^mtàStre . 

-^ iïm*j a pas denécesdtté qu'on vous connsdsse ? D'ail- 
ieorsipovr les frais^il faut .dé rarsent rVous en avez donc ?.. . 

-— * Oui, mimsieur . 

— À... a... ahl... lEt que, que, que voulez-vous foire 
«Dtendie lians ce œneert ? 

— Deux ouvertures, des fragments d'us! opéra, ma 
ettitate^deito ISiorrd'OrpAée... 

*- Celte«aaa$ate du ooneours que lé në'veox pas! elle 
«91 OMaïaÉ», «Hé... elle... e^'Bé pewt pas «'eséetner. 



104 MÉMOIRES DE iIeGTOR BERLIOZ. 

— Vous Tarez jugée telle, monsieur, mais je suis bien 
aise de la juger à mon tour... Si un mauvais pianiste n'a 
pas pu l'accompagner, cela ne prouve point qu'elle soit 
inexécutable pour un bon orchestre. 

— C'est une insulte alors, que... que... que vous vou- 
iez faire à l'Académie? 

— C'est une simple expérience, monsieur. Si, comme 
il est probable, l'Académie a eu raison de déclarer ma 
partition inexécutable, il est clair qu'on ne l'exécutera 
pas. Si, au contraire, elle s'est trompée, on dira que j'ai 
profité de ses avis et que depuis le concours j'ai corrigé 
l'ouvrage. 

-— Vous né pouvez donner votre concert qu'un di- 
mansse. 

— Je le donnerai un dimanche. 

— Mais les employés de la salle, les contrôleurs, les 
ouvreuses qui sont tous attassés au Conservatoire, n'ont 
que ce zour-là pour se réposer, vous voulez donc les 
faire mourir dé fatigue, ces pauvre zens, les... les... les 
faire mourir?... 

— Vous plaisantez sans doute, monsieur; ces pauvres 
gens qui vous inspirent tant de pitié, sont enchantés, au 
contraire, de trouver une occasion de gagner de l'argent, 
et vous leur feriez tort en la leur enlevant. 

— Zé né veux pas, zé né veux pas! et zé vais écrire 
au surintendant pour qu'il vous retire son autorisation. 

— Vous êtes bien bon, monsieur; mais M. de Laroche- 
foucault ne manquera pas à sa parole. Je vais, d'ailleurs, 
lui écrire aussi de mon côté, en lui envoyant la repro- 
duction exacte de la conversation que j'ai l'honneur 
d'avoir en ce moment avec vous. Il pourra ainsi appré- 
cier vos raisons et les miennes. 

Je l'envoyai en effet telle qu'on vient de la lire. J'ai su, 
plusieurs années après, par un des secrétaires du bureau 
des Beaux-Arts, que ma lettre dialoguée avait fait rire 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 105 

aux larmes le surintendant. La tendresse de Cherubini 
pour ces pauvres employés du Conservatoire que je vou 
lais faire mourir de fatigue par mon concert, lui avait 
paru surtout on ne peut plus touchante. Aussi me ré- 
pondit-il immédiatement comme tout homme de bon sens 
devait le faire, et, en me donnant de nouveau son auto- 
risation, ajouta-t-il ces mots dont je lui saurai toujours 
un gré infini : « Je vous engage à montrer cette lettre à 
M. Cherubini qui a reçu à votre égard les ordres néces- 
saires. > Sans perdre une minute, après la réception d^ 
la pièce officielle, je cours au Conservatoire, et, la présen 
tant au directeur : « Monsieur^ veuillez lire ceci. » Che- 
rubini prend le papier, le lit attentivement, le relit, de 
pâle qu'il était, devient verdâtre, et me le rend sans dire 
un seul mot. 

Ce fut le premier serpent à sonnettes qui lui arriva de 
ma main pour répondre à la couleuvre qu'il m'avait fait 
avaler, en me chassant de la Bibliothèque lors de notre 
première entrevue. 

Je le quittai avec une certaine satisfaction, en murmu- 
rant à part moi, et assez irrévérencieux pour contrefaire 
son doux langage : Allons, monsieur lé directeur, ce 
n'est qu'un petit serpent bien zentil, avalez-lé agréable- 
ment ; é dé la douceur, dé la douceur I Nous en verrons 
bien d'autres, peut-être, si vous né mé laissez pas tran-r 
quille 1 






XIX 



CoBMtt iftwttle. «- Lt chêS d'orchestre qui ne sait ^m 
«oodoife. — Lm olM>iiitM qui ae chroutentpas. 



Les artistes sur îesqaéls ]e (xfmptaAs poHr Toithe^tre 
nfayant formeHementprDfnis tenr conccAirSy les ctroristes 
étant eirgagés, ta copie tennldée et la salle arrachée 
ailo burbero Direttorey il ne me manquait donc plus cfoe 
des diantenrs soîistes, ettra ishef d'orchestre. Bloc, 'qui 
était à ta tête de cehii iSe TOdféon, Tonlot bien «accepter 
la direction dn concert dont je n'osais pas me charger 
mfoi-n^me ; Bnprez, à peine connu, et récemment sorti 
des classes de Choron, consentit à chanter nn ah* des 
'9r<tn€s^nges^ et Alexis Dupont, quoique iiidisposé, 
reprit sous son patronage la Mort d^Orphée qu'il avait 
essayé déjà de faire entendre au jury de l'Institut. Je fus 
obligé, pour le soprano et la basse du trio des Francs- 
JugeSy de me contenter de deux coryphées de TOpéra 
qui n'avaient ni voix, ni talent. 

La répétition générale fut ce que sont toutes les études 
ainsi faites par complaisance ; il manqua beaucoup de 
musiciens au commencement de la séance et un plus 
grand nombre disparurent avant la fin. On répéta pour- 
tant à peu près bien les deux ouvertures, Tair et la can- 



M'ÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 107 

tate. L'introduction des Francs^Juges exéita dans i'oF- 
chestre de chaleorenx applandissements, et un effet pins 
grand encore résulta du finale de la cantate. Dans ce 
morceau, non exigé, mais indiqué par les paroles, j'a- 
vais, après la Bacchanale, fait r^roduire par les instru- 
ments à vent le thème de l'hymne d'Orpt^ à l'amour, 
et le reste de l'orchestre raccompagnait d*un bruisse- 
ment vague, comme celui des eaux de VEébre roukent la 
tète pâle du poète ; pendant qu'une mourante voix éle- 
vait à longs intervalles ce cri douloureux répété par les 
rives du fleuve : Eurydice ! Eurydice ! malhrâreusi^ 
Eurydicel I... 
Je m'étais souvenu de ces beaux vers des Géorgiqu€$^ 

Tain qnoqne* marmorea capot & cervice re^uisiua 
GurgitQ.' qpum medio portans œa^us Hebrus, 
Volveret, Eurydixsen, vox ipaa. et frigida Jingua 
Ak I nÛMcam Earydicen,. aoima fugieote vocabat 
Eurydicsn I toto referebant flumine ripœ. 

Ce tableau musical plein d'une tristesse étrange, mais^ 
dont rintentton^ poétique échappait néanmoins néeessaî^ 
rement aux trois^ quarts et demi des auditeurs, peu lei^^ 
très en général, fit naître le frisson dans tout l'orchestpe 
et souleva une tempête de bravos. J'ai regret maintmant 
d'avoir détruit là partition de cette cantate, les dernières 
pages auraient dû m'engager à la consn^ver. A l'excep- 
tion de la Bacchanale * que l'orchestre rendit avec une 
fureur admirable, le reste n'alla pas aussi bien. A. Du- 
pont était enroué et ne pouvait qu'à grand'peine se s^rv^r 
des notes hautes de sa voix ; il le fat même tellement 
que, dans la soirée, il me prévint de ne pas compter sur 
lui pour le lendemain. 

Je fus ainsi, à mon violent dépit, privé de la satisfac- 

1. C'est préciaément dans ce morceau que le pianiste de 
llcstitut était demeuré accroché. 



108 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

tion de mettre sur le programme du concert : La Mort 
S Orphée, scène lyrique déclarée inexécutable par r Académie 
des Beaux-Arts de VInstituty et exécutée le **" mai 1828. 
Gherubini ne manqua pas, sans doute, de dire que l'or- 
chestre n'avait pas pu s'en tirer, n'admettant point pour 
vraie la raison qui m'avait fait la retirer du programme. 

Je remarquai, à l'occasion de cette malheureuse can- 
tate, combien les chefs d'orchestre qui ne conduisent pas 
ordinairement le grand opéra, sont inhabiles à se prêter 
aux allures capricieuses du récitatif. Bloc était dans ce 
cas ; on ne jouait à l'Odéon que des opéras mêlés de dia- 
logue. Or, quand vint, après le premier air d'Orphée, un 
récitatif entremêlé de dessins d'orchestre concertants, il 
ne put jamais venir à bout d'assurer certaines entrées 
instrumentales. Ce qui fit dire à un amateur en perru- 
que, présent à la répétition : « Ah I parlez-moi des an- 
ciennes cantates italiennes ! C'est de la musique qui n'em- 
barrasse pas les chefs d'orchestre, elle va toute seule. — 
Oui, répliquai-je, comme les vieux ânes qui trouvent 
tout seuls le chemin de leur moulin I » 

C'est ainsi que je commençais à me faire des amis. 

Quoi qu'il en sort, la cantate ayant été remplacée par 
le Resurrexit de ma messe que les choristes et Torcheslre 
connaissaient, le concert eut lieu. Les deux ouvertures 
et le Reswrexit furent généralement approuvés et applau- 
dis ; l'air, que Duprez, avec sa voix alors faible et douce, 
fit valoir, eut le môme bonheur. C'était une invocation 
au sommeil. Mais le trio avec chœur, pitoyablement 
chanté, le fut en outre sans chœur; les choristes ayant 
manqué leur entrée, se turent prudemment jusqu'à la 
fin. La scène grecque, dont le style exigeait de grandes 
masses vocales, laissa le public assez froid. 

Elle n'a jamais été exécutée depuis lors et j'ai fini par 
la détruire. 

Eu somme pourtant, ce concert me fut d'une utilité 



l 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 109 

réelle ; d'abord en me faisant connaître des artistes et du 
public ; ce qui, malgré Favis de Cherubini, conmiençait 
à devenir nécessaire ; puis en me mettant aux prises avec 
les nombreuses difficultés que présente la carrière du 
compositeur, quand il veut organiser lui-môme Texécu- 
tion de ses œuvres. Je vis par cette épreuve combien il 
me restait à faire pour les surmonter entièrement. Inu- 
tile d'ajouter que la recette fut à peine suffisante pour 
payer l'éclairage, les affiches, le droit des pauvres, et mes 
impayables choristes qui avaient su se taire si bien. 

Plusieurs journaux louèrent chaudement ce concert. 
Fétis (qui depuis...) Fétis lui-même, dans un salon, s'ex- 
prima à mon sujet en termes extrêmement flatteurs et 
annonça mon entrée dans la carrière comme un véritable 
événement. 

Mais cette rumeur fut-elle suffi.sante pour attirer l'at- 
tention de miss Smithson, au milieu de l'enivrement que 
devaient lui causer ses triomphes?... Hélas! j'ai su en- 
suite que tout entière à sa brillante tâche, de mon con- 
cert, de mon succès, de mes efforts, et de moi-même, elle 
n'avait pas seulement entendu parler 



XX 



Apparition de Beethoven au Conservatoire. — Réserve liai- ( 

neuse des maîtres français. — Impression produite par la 
symphonie en ut mineur sur Lesuenr. — Persistance de 
celui-ci dans son opinion systématique. 



Les coups de tonneire se succèdent quelquefois dans 
la vie de Tartiste, aussi rajûdeoient que dans ces grandes 
tempêtes, où les nues gorgées de fluide électrique sem- 
Ment se renvoyer la foudre et souffler l'ouragan. 

Je venais d'apercevoir en deux aïkparltions Shakespeare 
et Weber ; aussitôt, à un autre point de l'horizon, je vis 
se lever l'immense Beethoven. La secousse que j'en reçus 
fut presque comparable à celle que m'avait donnée Sha- 
kespeare. Il m'ouvrait un monde nouveau en musique, 
comme le poète m'avait dévoilé un nouvel univers en 
poésie. 

La société des concerts du Conservatoire venait de se 
former, sous la direction active et passionnée d'Habeneck. 
Malgré les graves erreurs de cet artiste et ses négligences 
à l'égard du grand maître qu'il adorait, il faut recon- 
naître ses bonnes intentions, son habileté même, et lur. 
rendre la justice de dire qu'à lui seul est due la gloriej^re 
popularisation des œuvres de Beethoven à Paris. I^ur 
parvenir à fonder la belle institution célèbre aujourd'hui 



- ' owiu^^— ^^^i^HP^IIHPilPSIPi^^^HH^HHHi^HPPI^HlippgPIPmg 



XÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. i\\ 

âans le monde civilisé tout entier, il eut bien des efforts 
à laîre ; il eut à échauffer de son ardeur un^and nom- 
bre de musiciens dont l'inèifférence devenait hostile, 
guand on leur lâisait envisager dans Tavenir de nom- 
breuses répétiticms et des travaux aussi fatigants que 
peu iuei^fe, ponr parvenir k.une bonne exécution de 
ees œuvres alors connues .seulement p£ur leurs excentri- 
ques difficultés. 

Il eut à lutter aussi, et ce ne fut pas la moindre de ses 
peines, contre l'opposition sourde, le blâme plus ou moins 
déguisé, rironie et les réticences des compositeurs fran- 
çais et itâlieus, fort i^eu ravis de voir ériger un temple à 
an Allemand dont ils considéraient les compositions 
coDEiine 4es ^monstruosités, redoutables néanmoins pour 
eux «t leur école. Que d'abominables sottises j'ai en- 
tendu dire aux uns et aux autres sur ces merveilles de 
savoir et d'inspiration I 

Mon maître, Lesueur, homme honnête pourtant, 
exempt de fiel et de jalousie, aimant son art, mais dé- 
voué à ces dogmes musicaux que j'ose appeler des pré- 
^gés.et des foiies, laissa édiapper à ce sujet un mot ca- 
ractéristique. Bien qu'il vécût assez retiré et absorbé dans 
ses travaux, la rumeur produite dans le monde musical 
de Paris par les premiers concerts du Conservatoire et 
les symphonies de Beethoven était rapidement parvenue 
jusqu'à lui. Il s'en étonna d'autant plus, qu'avec la plu- 
{Mirt de ses confrères de l'Institut, il regardait la musi- 
que instrumentale comme un genre inférieur, une partie 
de l'art estimable mais d'une valeur médiocre, et qu'à 
son avis Haydn et Mozart en avaient posé les bornes qui 
ne pouvaient être dépassées. 

A l'exemple donc de Berton, qui regardait en pitié 
toute la moderne école allemande, — de Boïeldieu, qui 
ne savait trop «e qu'il en fallait penser etmanifestait une 
surprise enfaïUine aux moindres combinaisons hannoni- 



112 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

qaes s*éloignant tant soit peu des trois accords qu'il avait 
plaqués toute sa vie, — à l'exemple de Cherubini, qui 
concentrait sa bile et n'osait la répandre sur un maître 
dont les succès l'irritaient profondément et sapaient 
l'édifice de ses théories les plus chères, — de Paèr qui, avec 
son astuce italienne, racontait sur Beethoven qu'il avait 
connu, disait-il, des anecdotes plus ou moins défavorables 
à ce grand homme et flatteuses pour le narrateur, — de 
Gatel, qui boudait la musique et s'intéressait uniquement 
à son jardin et à son bois de rosiers, — de Kreutzer 
enfin, qui partageait l'insolent dédain de Berton pour 
tout ce qui nous venait d'oùtre-Rhin; comme tous ces 
maîtres, Lesueur, malgré la fièvre d'admiration dont il 
voyait possédés les artistes en général, et moi en particu- 
lier, Lesueur se taisait, faisait le sourd et s'abstenait soi- 
gneusement d'assister aux concerts du Conservatoire. Il 
^ût fallu, en y allant, s'y former une opinion sur Beet- 
noven, l'exprimer, être témoin du furieux enthou- 
siasme qu'il excitait et c'est ce que Lesueur, sans se 
l'avouer, ne voulait point. Je fis tant, néanmoins, je 
lui parlai de telle sorte de l'obligation où il était de con- 
naître et d'apprécier personnellement un fait aussi consi- 
dérable que l'avènement dans notre art de ce nouveau 
style, de ces formes colossales, qu'il consentit à se laisser 
entraîner au Conservatoire un jour où l'on y exécutait 
la symphonie en ut mineur de Beethoven. II voulut l'en- 
tendre consciencieusement et sans distractions d'aucune 
espèce. Il alla se placer seul au fond d'une loge de rez- 
de-chaussée occupée par des inconnus et me renvoya. 
Quand la,symphonie fut terminée, je descendis de l'étage 
supérieur où je me trouvais pour aller savoir de Le- 
sueur ce qu'il avait éprouvé et ce qu'il pensait de cette 
production extraordinaire. 

Je le rencontrai dans un couloir; il était très-rouge et 
marchait à grands pas : « Eh bien, cher maître, lui dis- 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. m 

je?... — Ouf! jje sors, j'ai besoin d'air. C'est inouï! c'est 
merveilleux! cela m'a tellement ému, troublé, bouleversé, 
qu'en sortant de ma loge et voulant remettre mon cha- 
peau, j'ai cru que je ne pourrais plus retrouver ma têteï 
Laissez-moi seul. A demain... > 

Je triomphais. Le lendemain je m'empressai de l'aller 
voir. La conversation s'établit de prime abord sur le chef- 
d'œuvre qui nous avait si violemment agités. Lesueur me 
laissa parier pendant quelque temps, approuvant d'un 
air contraint mes exclamations admiratives. Mais il était 
aisé de voir que je n'avais plus pour interlocuteur l'homme 
de la veille et que ce sujet d'entretien lui était pénible. Je 
continuai pourtant, jusqu'à ce que Lesueur, à qui je ve- 
nais d'arracher un nouvel aveu de sa profonde émotion 
en écoutant la symphonie de Beethoven, dit en secouant 
la tête et avec un singulier sourire : < C'est égal, il ne 
faut pas faire de la musique comme celle-là. » — Ce à 
quoi je répondis: < Soyez tranquille, cher maître, on n'en 
fera pas beaucoup. » 

Pauvre nature humaine!... pauvre maître!... Ily a 
dans ce mot paraphrasé par tant d'autres hommes en 
mainte circonstance semblable, de l'entêtement, du regret, 
la terreur de Tinconnu, de l'envie, et un aveu implicite 
d'impuissance. Car dire: Il ne faut pas faire de la musique 
comme celle-là, quand on a été forcé d'en subir le pou- 
voir et d'en reconnaître la beauté, c'est bien déclarer 
qu'on se gardera soi-même d'en écrire de pareille, mais 
parce qu'on sent qu'on ne le pourrait pas si on le voulait. 

Haydn en avait déjà dit autant de ce même Beethoven, 
qu'il s'obstinait à appeler seulement un grand pianiste. 

Grétry a écrit d'iaeples aphorismes de la même nature 
sur Mozart qui, disait-il, avait placé la statue dans Vor- 
chestre et le piédestal sur la scène, 

Handei prétendait que son cuisinier était plus musicien 
que Gluck. 



i^ MtHOIRBS Dl HECTOR BBELI08.. 

RoBsinr dit, en parteat ée la miuiqneder yMmr ^'eO» 

QuanlàHaiMlBliiitii lotsiiii, lear^oigaonBaoUpoiacértek 
et poar W^wp &ed«ît pas être attribué aoaonliieiBiDtlft^ 
lacaoseen est, je crois, daas rinfK»aihttitè(8è'C«a .dflm< 
hwDHieséB ¥Batt9 wfia&ttroavésdeifXHi^nffisiBalea'âeic 
hsmmmàewmt. MiisteiaioBipi'^iBciÉtt ^^ontinkpeiidatt 
si longlsayi dms: toateyéooblriiiowA adiacaâB eaMRB 
luiv et chei la plKpact^avmfisîimis itaiiMv fatlNM ear^ 
taiaeraiBi dae* à ce m x\»mm\ .çmÊKiàÊSiS:émà je pairlaû» 
toQt à meiiffe, 8(mliBflDi'inMvi*lB etTiÉiBali^ siiadaini?- 
MNoeitt glic»neisé ipacLa Foiilani»daaa}8» fiaUi;: £« 1«^ 
fMTri «f (es rsictei 

Getie obsÉsatîM d» LiSMar à luHer tnnlnr ^MAao» 
et 668 propms imivesaûns^cliipvm àiàmsLieàm xmmaaAxm 
le*AéaQt des éMtrHie8»4ii'il«*élBiiei9r(Meoi^ifiGnl^wr$ 
et je qmttai feragqa oM B l la» yieillBgEaodai coatafcm 
prendi^iii» cmsm^mwDBBÊA'^l^w yaoairài tea^rens libe» 
bois et les champs. Je dissimalai pouitaMite nm adena^ 
el Lesneur !iiat4!^[)an9ailr>de nmin^WI<£#iqD8> beMusrap 
ptais taffd, en VÊÊmimïivm&itsviJSiiàm.i^^ ii^a»^ 

jemfé^ttjf ardèiàttilaè OMolees*. 

Je tmdWÈmûwc laaûQiété^ées-0QnBBCts el sur. Bbtr^ 
boQBiÉ:, qnaè j'aneai à paiÉNî da4oes^i!dal»MUteaveerfiet 
balMle, ma» mconiiiet et capiia6iix.ebtf d'msiMtrei 



X2LI 



FlEitatlUft; — Je dMeu trïtàBfi». 



J« dâB ïTMiwtwM jtf sigaator la citcottstaace mai me ftt 
fxwlin^lft màa àla j?oii« d'engr^iage de la. criJtiqQe. Humr 
bflfft F«rcaiiâf MM. Gasalèa eï de Camé^ dont les noms 
softt^aâneoiifta&daii&Bfltxe. monde politiciue, venaient de 
fonder à Tappiii de leurs opinions religpieases et monar- 
chi^iiâi^ onjreoiieiLliltéraice intitulé: Berne européerme. 
Afin d'en compléter lajrédadion, ilsyoulurent s'adjoindre 
qwlques coUaborateius. 

HiuiAen Ferrand proposa de me ebar ger de la criiiquiB 
miiflifiale.; < Mais je ne suis pas un écnyain, lui dis-je» 
quand U. m'^dn parla; ma prose sera détestable, et je 
nfoae vraûnent...... — Vous youa trompez,, répoiiu^t Fèr- 

raad^ j'ai va de: vos lettres, voua acquérez bientôt l'ha- 
bitude qui voua manque; d'ailleurs, noua reverrons vos 
articl^avaiitdeleaimprimei*>et nous vous indiqueronsles 
oûccafstia&s q^ui pourront y être nécessaires. Tenez avec 
m» cbei de Gansée vous y cosmâtrcz les conditions aux- 
^oelies cette câdlaboratioii voua est offerte. » 

Kidéa d'une arme paretUe pisé entre m6s mains pour 
Albadiele beau, eipour attaquer ce que jjC trouvais le 
eoMSiire iu be^ commença au^itàt à me sourire, et la 



116 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

considération d'un léger accroissement de mes ressources 
pécuniaires toujours si bornées, acheva de me décider. Je 
suivis Ferrand chez de Camé, et tout fut conclu. 

Je n'ai jamais eu beaucoup de confiance en moi, avant 
d*avoir éprouvé mes forces; mais cette disposition natu- 
relle se trouvait augmentée ici par une excursion mal- 
heureuse que j'avais déjà faite dans le champ de la polé- 
mique musicale. Voici à quelle occasion. Les blasphèmes, 
des journaux rossinistes de cette époque contre Gluck, 
Spontini, et toute l'école de l'expression et du bon sens, 
leurs extravagances pour soutenir et prôner Rossini et 
son système de musique sensualiste, l'incroyable absur- 
dité de leurs raisonnements pour démontrer que la musi- 
que, dramatique ou non, n'a point d'autre but que de 
charmer l'oreille et ne peut prétendre exprimer des sen- 
timents et des passions; tout cet amas de stupidités ar- 
rogantes émises par des gens qui ne connaissaient pas les 
notes de la gamme, me donnaient des crispations de 
fureur. 

En lisant les divagations d'un de ces fous je fus pris 
un jour de la tentation d'y répondre. 

lime fallait une tribune décente; j'écrivis à M. Mi- 
chaud, rédacteur en chef et propriétaire de la Quotidienne^ 
journal assez en vogue alors. Je lui exposai mon désir, 
mon but, mes opinions, en lui promettant de frapper dans 
ce combat aussi juste que fort. Ma lettre à la fois sérieuse 
et plaisante lui plut. Il me fit sur-le-champ une réponse 
favorable. Ma proposition était acceptée et mon premier 
article attendu avec impatience. « Ah ! misérables ! criai-je 
en bondissant de joie, je vous tiens !» Je mt trompais, 
je ne tenais rien, ni personne. Mon inexpérience dans l'art 
d'écrire était trop grande, mon ignorance du monde et des 
convenances de la presse trop complète, et mes passions 
musicales avaient trop de violence pour que je ne fisse pas 
au début un véritable pas de clerc. L'article que je portai 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 117 

a M. Michaud, article en soi très-désordonné et fort mal 
conçu, passait en outre toutes les bornes de la polémique, 
si ardente qu'oii la suppose. M. Michaud en écouta la 
lecture, et, effrayé de mon audace, me dit : « Tout cela 
est vrai, mais vous cassez les vitres; il m'est absolument 
impossible d'admettre dans la Quotidienne un article pa- 
reil. » Je me retirai en promettant de le refaire. La paresse 
et le dégoût que m'inspiraient tant de ménagements à 
garder survinrent bientôt, et je ne m'en occupai plus. 

Si je parle de ma paresse, c'est qu'elle a toujours été 
grande pour écrire de la prose. J'ai passé bien des nuits 
à composer mes partitions, le travail même assez fati- 
gant de l'instrumentation me tient quelquefois huit 
heures consécutives immobile à ma table sans que l'en- 
vie me prenne seulement de changer de posture; et ce 
n'est pas sans effort que je me décide à commencer une 
page de prose, et dès la dixième ligne (à de très-rares ex- 
ceptions près) je me lève, je marche dans ma chambre, 
je regarde dans la rue, j'ouvre le premier livre qui me 
tombe sous la main, je cherche enfin tous les moyens de 
combattre l'ennui et la fatigue qui me gagnent rapi- 
dement. Il faut que je me reprenne à huit ou dix fois 
pour mener à fin un feuilleton du Journal des Débats. Je 
mets ordinairement deux jours à l'écrire, lors même 
que le sujet à traiter me plaît, me divertit ou m'exalte 
vivement. Et que de ratures! quel barbouillage! il faut 
voir ma première copie... 

La composition musicale est pour moi une fonction 
naturelle, un bonheur; écrire de la prose est un tra- 
vail. 

. Excité et pressé par H. Ferrand, je fis néanmoins pour 
la Bévue européenne quelques articles de critique admira- 
tive sur Gluck, Spontini et Beethoven ; je les retouchai 
d'après les observations de M. de Carné; ils furent im- 
primés, accueillis avec indulgence, et je commençai ainsi 
I. ' 7. 



MA ll*M«lilS J)a HlCXOa.BJUILUtt. 

» fflni a îlii L IM difljf i nt t rfw éê eau» tàd»4aB pwwi fpi ,/ 

a pris Aiac !« tm^B ne iaportascBAl gcandaeli si dé^ 
ploraUe 4aa& ma via.. On Ten» itomiiiait iln'ealéaraiis 
iinpofiaîlde de m'y flouirum,. efc ks inflnnees dif«iraM . 

qa'eUe a exepcéefl wr ma eaiwièMt d'artiat» an Framsê ei ^ 

aiUeun. 



1 



i 



xxu 



Lé concours d« compositilmi musicale. — » Is Tellement d« 



AîBsldbâeliiné luait ^ jour par mon amour shaker 
pearien, dont la révélation des œuvres de Beethoven, loin 
de opse âisjbraire^ seyosililait augmenter la douloureuse in* 
teofti&ép à peine occupé de rares et in&ames travaux de 
littévatura juaateate* toujours rêvant» silencieux jusqu'au 
mutisme» sauvai, néigUgé dajis mon extérieur», insup- 
poctabte à mes<.aœis.autant qu'à moi-noême, j'atteignis le 
mm^ juin doi'anBéfi.1828, ^oque à laquelle je me pré- 
senl»! pour la troiftLàiniî.fûl&au concouis de* L'Institut. J'y 
fu& iHiCiffe admi&et j'olrtiyn&lasecond prix. 

Cette distinctiim .emsisS& en couronnes puDiiquement 
décmiée& au lauiéat» en una médaille d'or d'assez peu de 
vateiir; elte donsufton outre à l'élève couroim^ un droit 
d'^strée gratuile à. ton» tes théâtres lyriques» et des 
chances nombreuses pour obtenir le premier prix au con- 
cours suivant. 

Le premier prix a des privilèges beaucoup pïus im- 
portants. Il assure à l'artiste qui l'obtient une pension 
annuelle de trois mille francs pendant cinq ans» à la 
condition oour lui d'aller passer les deux premières an- 



120 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

nées à l'académie de France à Rome, et d'employer la 
troisième à des voyages en Allemagne. Il toache le reste 
de sa pension à Paris, où il fait ensuite ce qu'il peut pour 
se produire et ne pas mourir de faim. Au reste je vais 
donner ici un résumé de ce que j'écrivis, il y a quinze 
ou seize ans, dans divers journaux, sur l'organisation sin- 
gulière de ce concours. 

Faire connaître chaque année quels sont ceux des 
jeunes compositeurs français qui offrent le plus de garan- 
ties de talent, et les encourager en les mettant, au moyen 
d'une pension, dans le cas de pouvoir s'occuper exclusi- 
vement pendant cinq ans de leurs études, tel est le dou- 
ble but de l'institution du prix de Rome; telle a été l'in- 
tention du gouvernement qui l'a fondée. Toutefois, voici 
les moyens qu'on employait encore il y a quelques an- 
nées pour remplir l'une et parvenir à l'autre. 

Les choses ont un peu changé depuis lors, maïs bien 
peu *. 

Les faits que je vais citer paraîtront sans doute fort 
extraordinaires et improbables à la plupart des lecteurs, 
mais ayant obtenu successivement le second et le premier 
grand prix au concours de l'Institut, je ne dirai rien 
que je n'aie vu moi-même, et dont je ne sois parfaitement 
sûr. Cette circonstance d'ailleurs me permet d'exprimer 
toute ma pensée, sans crainte devoir attribuer à l'aigreur 
d'une vanité blessée ce qui n'est que l'expression démon 
amour de l'art et de ma conviction intime. 

La liberté dont j'ai déjà usé à cet égard a fait dire à 
Gherubini, le plus académique des académiciens passés, 
présents et futurs, et le plus violemment froissé en con- 

1. Elles sont aujourd'hui changées tout à fait. L'Empereur 
Tient de supprimer cet article du règlement de Tlnstitut, et ce 
n*est plus maintenant l'Académie des Beaux-Arts qui donne le 
prix de composition musicale. 1865. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 421 

séquence par mes observations, qu'en attaquant l'Aca- 
démie je battais ma nourrice. Si je n'avais pas obtenu le 
prix, il n'aurait pu me taxer de cette ingratitude, mais 
l'aurais passé dans son esprit et dans celui de beaucoup 
d'autres pour un vaincu qui venge sa défaite. D'où il 
faut conclure que d'aucune façon je ne pouvais aborder 
ce sujet sacré. Je l'aborde cependant et je le traiterai sans 
ménagement, comme un sujet profane. 

Tous les Français ou naturalisés Français, âgés de 
moins de trente ans, pouvaient et peuvent encore, 
aux termes du règlement, être admis au concours. 

Quand l'époque en avait été fixée, les candidats ve- 
naient s'inscrire au secrétariat de l'Institut. Ils subissaient 
an examen préparatoire, nommé concours préliminaire, 
qui avait pour but de désigner parmi les aspirants les 
cinq ou six élèves les plus avancés. 

Le sujet du grand concours devait être une scène ly- 
rique sérieuse pour une ou deux voix et orchestre; et 
les candidats, afin de prouver qu'ils possédaient le sen- 
timent de la mélodie et de l'expression dramatique, l'art 
de l'instrumentation et les autres connaissances indis- 
pensables pour écrire passablement un tel ouvrage, 
étaieftt tenus de composer une fugue vocale. On leur accor- 
dait une journée pour ce travail. Chaque fugue devait 
être signée. 

Le lendemain, les membres de la section de musique 
de rinstitut se rassemblaient, lisaient les fugues et fai- 
saient un choix trop souvent entaché de partialité, car 
on certain nombre de manuscrits signés appartenaient 
toujours à des élèves de MM. les Académiciens. 

Les votes recueillis et les concurrents désignés, ceux- 
ci devaient se représenter bientôt après pour recevoir 
les. paroles de la scène qu'ils allaient avoir à mettre 
en musique, et entrer en loge. M. le secrétaire perpétuel 
de l'Académie des beaux-arts leur dictait collectivement 



122 1KV0IRS9 DB HECTOR RTmiOC: 

le classique poème, qui conmeiiçail presfae t 



ainsi : 

« Déjà raaf«p»nx4mgt» dera». 

Ou: 

» Déjà l^joarmaMMBt mÛDM la ntttvrcfc. 

n Déjà d*iin doux Mftt YhonEOtt se eolor». 
Oa: 

9 D^ du blosd! PBœba»le elmt briHent s'svaaotf. 

Ou: 

» Déjà^ de pourpre et d*or les monts lointains se parenà 

etc*, etc. 

Les candfiSats; mimis dcr Imnmesx* poême^ éUisBi 
alors enfermés isolément aifiec tm pîa&Oy^^ns^ui^eliaaF 
bre appelée loge, jusqu'à ce qu'ils evssenr temnié lenr 
partition. Le matin à onxe henres et le setr à srs, l9oon» 
cierge, dépositaire desdefrdé'chaqiie^ofe, yeBaiit«»frir 
aux détemis', qni se réunissaient penr preQtfreeneaHMi 
leur repas^; mm défense^ en de sortir du pdiMr d» Yfa^ 
stimt. ê 

Tont ce qoi lenr arriraît dtrdeltor^ papiers^ lettres^ 
livres, linge, était soigneusement visité, afin que \m toor 
currents ne pussent obtenir ni aide, ni conseil depersmiei 
Ce qni n'empêchail pas qifon netes autorisât à reeevw 
des visites dans la cour de Tlnstitut, tous lesjour^desix 
à huit heures du soir, à inviter même leurs amis à de 
joyeux dîner», où Dieu sait tout ce qui pouvait se com^ 
muniquer, de vive voix ou par écrit, entre le vin de Bir- 
deaux et le vin de Champagne. Le délai fixé pour- la 
composition était de vingt-deux jours; ceux des com- 
positeurs qui avaient fîkii avant ce temps étaient libres 
de sortir après avoir déposé leur manuscrit, toujours ntt^ 
méroté et signé. 



Toutes les partitions étant livrées, Ie*fyrn|iteinnéepage 
s'assemblait de nûnyean et s'adjojgiEiait à catte occasion 
deux membres pris daiis.]eaaatrâ&.sefitiaas.de Ilnstitut; 
un sculpteur et un peintre, par exemple, ou un graveur 
et ua ardiitaete, eu un tHsvlpteiir et" un gnmasr on un 
areMteetee^cn'peiiitvey oumâme deux grarfeurs^ ou 
deux peintres^ ocr deoir aFchîlaelei^ on denx seutfFtesrsr. 
L'iosportont' état qvHI» ne taasenï pas^ nrasîeiens; Ils 
avaient vtnx dâibéraitôve, et se tnmvaieaMà pour juger 
d'un art qviiletir esl étraagier^ 

Onei]ÉiBdait8ttccafl«v0K0Rl'toalss>.leB scèBes^ éeriles 
pour r«Fc)MBlre, cMmB je* If^i dît pfe» lM«it^eti«B> les en- 
tenéait rédiliiflB' pir ua seul accMipagnslevr sor k 
ptoMoi... {EMT^^meefi'eanmmÊBkk eediei berne). 

VlKHwmeiitpréleiidraiitHMi^n>^ ea&f«ssilrilB^érapi^réGièr 
à sa- jmt» valiwaei eonipositiMi d*brchntw ainsi joh- 
tiléey rte n'est pb» éloigné delà vérâé. Le piaso peot 
doHter m» iàé» (tau FordBMtre pooar «DF'ewrFage' qu'on 
aurait déjà enleadkt comptttrasent exéouté, la mémoire 
alwvse réveille, suppléera ce qurnMDqoe, «t on^est^énw 
pars^wanir: Bëéîs. pour mite) 4»avEe nmivc^ev dans rétstt 
actiaeiâ» la bmlshiw, c'est in^ssifale. Une panilîoa telle 
que l'âCc^^ede Saecbiiii, ou toute autre d» cette' écde, 
dans laqneliBj rinstruneotation n'existe pas, ne perdrait 
pnesquarieB; àone^paveiile'épffeuniEe. Aacuftye oape s i l i o» 
moderne, em sopposant qwrFanleiK^aft profillé des res^' 
sources que l'art actaeLÈaidiHKie, n'est dans femémecasi 
ËxèeateE dcœc sxst le piano la marelfee de 1^ oomimumen de 
la messe du sacre, de CherubiiBî! que deviendront ces 
délicieuses^ teaiies d'instrumeals à vest^ui vous ptongent 
dans une extase mystique? ces ravissants enljacements 
de flûtes et de darinettes d'où résuhe presque tout l'ef- 
fet ? Ils disparaitroat entièreffloit, pakque le piano ne 
peut tffliir ni enfler un son« Aeeompagnez au piano l'air 
d'Agamemnon^ dans VIphigénie en Au^tfe de Gluck 1 



s 



124 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

U y asous ces vers: 

a Penteads retentir dans mon sein 
» Le cri plaintif de la nature ! » 

an solo de hautbois d'an effet poignant et vraiment admira- 
ble. Au pianoy au lieu d'une plainte touchante chacune 
des notes de ce solo vous donnera un son de clochette et rien 
de plus. A^'oilà Vidée, la pensée, Vinspiration anéanties ou 
déformées. Je ne parle pas des grands effets d'orchestre, 
des oppositions si piquantes établies entre les instruments 
à cordes et le groupe des instruments à vent, des cou- 
leurs tranchées qui séparent les instruments de cuivre 
des instruments de bois, des effets mystérieux ou gran- 
dioses des instruments à percussion dans la nuance douce, 
de leur puissance énorme dans la force, des effets saisis- 
sants qui résultent de Véloignement des masses harmoni- 
ques placées à distance les unes des autres, ni de cent 
autres détails dans lesquels il serait superflu d'entrer. Je 
dirai seulement qu'ici l'injustice et l'absurdité du rè- 
glement se montrent dans toute leur laideur. N'est-il pas 
évident que le piano, anéantissant tous les effets d'ins- 
trumentation, nivelle, par cela seul, tous les composi- 
teurs. Celui qui sera habile, profond, ingénieux instru- 
mentaliste, est rabaissé à la taille de l'ignorant qui n'd 
pas les premières notions de cette branche de l'art. Ce 
dernier peut avoir écrit des trombones au lieu de clarinet- 
tes, des ophicléides au lieu de bassons, avoir commis les 
plus énormes bévues, ne pas connaître seulement l'éten- 
due de la gamme des divers instruments, pendant que 
Vautre aura composé un magnifique orchestre, sans 
qu'il soit possible, avec une pareille exécution, d'aper- 
cevoir la différence qu'il y a entre eux. Le piano, pour 
les instrumentalistes, est donc une vraie guillotine des- 
tinée à abattre toutes les nobles têtes et dont la plèbe 
seule n'a rien à redouter. 



î 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 125 

Qaoi qu'il en soit, les scènes ainsi exécutées, on va au 
scrutin (je parle au présent, puisque rien n*est changé à 
cet égard). Le prix est donné. Vous croyez que c'est fini? 
Erreur. Huit jours après, toutes les sections de l'Acadé- 
mie des beaux-arts se réunissent pour le jugement défi- 
nitif. Les peintres, statuaires, architectes, graveurs en 
médailles et graveurs en taille-douce, forment cette fois 
un imposant jury de trente à trente-cinq membres dont 
les six musiciens cependant ne sont pas exclus. Ces six 
membres de la section de musique peuvent, jusqu'à un 
certain point, venir en aide à Texécution incomplète et 
perfide du piano, en lisant les partitions ; mais cette res- 
source ne saurait exister pour les autres académiciens, 
puisqu'ils ne savent pas la musique. 

Quand les exécuteurs, chanteur et pianiste, ont fait en- 
tendre une seconde fois, de la même façon que la pre- 
mière, chaque partition, l'urne fatale circule, on compte 
les bulletins, et le jugement que la section de musique 
avait porté huit jours auparavant se trouve, en dernière 
analyse, confirmé, modifié ou cassé par la majorité. 

Ainsi le prix de musique est donné par des gens qui 
ne sont pas musiciens, et qui n'ont pas même été mis 
dans le cas d'entendre, telles qu'elles ont été conçues, 
les partitions entre lesquelles un absurde règlement les 
oblige de faire un choix. 

Il faut ajouter, pour être juste, que si les peintres, gra- 
veurs, etc., jugent les musiciens, ceux-ci leur rendent la 
pareille au concours de peinture, de gravure, etc., où les 
prix sont donnés également à la pluralité des voix, jpar 
toutes les sections réunies de l'Académie des beaux-arts. 
Je sens pourtant en mon àme et conscience que, si j'avais 
l'honneur d'appartenir à ce docte corps, il me serait bien 
difficile de motiver mon vote en donnant le prix à un gra- 
veufou à un architecte, et que je ne pourrais guère faire 



; 
u 



m BItMOXBSS DK HBCTOR BIUI02. 

preom dlmfMnttiilé (iute tumat te iteméntMità. la 
courte ittille. 

An jour loteottei de lâ.distribiilio& des prix» la eautaNte 
préférée par lesscalptams^ peinlres et e^ayeun eal^eA- 
suite exédHée compléteiiieBt G'«8t un. pea u&d ; il eAi ^ 

nûeux yaUt, sans doute, eonrvoiiaer Torcbeslve asantde 
ae proBoacer ; et les dépenses ocGaaioanées par cette: esér 
GiilifiQ tardive sont assea ianlileB^ paiaqa'ii n!y a plns.à s 

reveoÉ: sociadécisioii pdse ; maiftFAiâdéiiûee8l.ciirifiiiae; 
eite Y«iit ^a/maÂ^ rooivca^ qa'eU» a ooucoiuié... Cestaw 
désûr bieftnaUireU 



!««• 






XXI H 



L!hui8siec de llnstitat. — Sat révélations. 



HjiETaltâe' mimlraq^à Fhistilotun viBQ&eMcî^vfe 
nounôPii^id» à qin tom ee»r cainait un» xiâlg»alMa 
cteK plus pla^mtes.. Là» iè»heè de ce bs&ye àdasey à Té* 
]^0f m dtttfixuioiirs^ éiaàt de nous enibrawr dass^iies lo 
gofi^dBiatiweaoïvmr laa.^fte9 sdurel matûav e( de^sni^ 
'vaiiteF ras eapfortg ayisaies yidteBisaiixlieQresidatoicir. 
IkitHupliaiBait^ es omtrei; leB^fEOKsbtosid'lmiMMr jeii|Hsè»4a 
MM. les académiciens, et assistai^ es eoDséi|aciMie, à 
tcntf» i99 séMices^seerètes et pal]itq.ufis^ oà il avait foit 

Ewàsmiw à .saoe im coaneemaiisiii^à bovd &wmêDé^ 
ga^ il-: ami f stemm pces<p»laiiÉ»ata[a»:â0 laiSosie, 
€^ oUifft de séjfiaineB à Javi^ il icdi^pysi» Mt tooide 
8ft isooiiitnliDn, ei liB neiniènB^ disKil^il» aas^âèms 
pestilentielles qai avaient enlevé tout l'équipage. 

J'ai toujouraàasiiiirapaâaiéàfisiinixyQgraé^Kv 
^ilaieoBam^ (pelfoe hialfriiB lomàâimàtm raBfiHer. 
^.pftreii cas» je^ les éeDitta jsireffeiinftaitenlioffi eakHtet 
use iaexpliefUde patieni». Ja les râi? âanâ toBlBs leurs 
dJgUMfliiftnft, dans lesdcasûèsesjraiBifieaiioifô des épiisode» 
de leurs épisodes ; et quand; le nasnitear^ vouiant^ tx^ 



128 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

tard revenir au sujet principal et ne sachant qael chemin 
prendre, se frappe le front pour ressaisir le fil rompu de 
son histoire en disant: < Mon Dieu ! oùenétais-jedonc?... > 
je suis heureux de le remettre sur la piste de son idée, de 
lui jeter le nom qu'il cherchait, la date qu'il avait oubliée, 
et c'est avec une véritable satisfaction que je l'entends 
s'écrier tout joyeux : t Ah ! oui, oui, j'y suis, m'y voilà. » 
Aussi étions-nous fort bons amis, le pèrePingard et moi. 
Il m'avait estimé tout d'abord à cause du plaisir que j'avais 
à lui parler de Batavia, de Célèbes, d'Amboyne, de Coro- 
mandel, de Bornéo, de Sumatra; parce que je l'avais 
questionné plusieurs fois avec curiosité sur les femmes 
javanaises, dont l'amour est fatal aux Européens, et avec 
lesquelles le gaillard avait fait de si terribles fredaines, 
que la consomption avait un instant paru vouloir réparer 
à son égard la négligence du choléra-morbus. Lui ayant 
un jour, à propos de la Syrie, parlé de Volney, de ce bon 
M. le comte de Volney si simple qui avait toujours des bas 
de laine bleue^ son estime pour moi s'accrut d'une manière 
remarquable ; mais son enthousiasme n'eut plus de bornes 
quand j'en vins à lui demander s'il avait connu le célè- 
bre voyageur Levaillant. 

— M. Levaillant!... M. Levaillant, s'écria-t-il vivement, 
pardieu si je le connais!... Tenez! Un jour que je me 
promenais au Cap de Bonne-Espérance, en sifQant... 
j'attendais une petite négresse qui m'avait donné rendez- 
vous sur la grève, parce que, entre nous, il y avait des 
raisons pour qu'elle ne vînt pas chez moi. Je vais vous 
dire... 

— Bon, bon, nous parlions de Levaillant. 

— Ah! oui. Eh bien! un jour que je sifflais en me 
promenant au Gap de Bonne-Espérance, un grand 
homme basané, qui avait une barbe de sapeur, se re- 
tourne vers moi: il m'avait entendu siffler en français, 
c'est apparemment à ça qu'il me reconnut : 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 129 

— Dis donc, gamin, qu'il médit, tu es Français? 

— Pardi, si je suis Français! que je lui dis, je suis de 
Givet, département des Ardennes, pays de M. Méhul *. 

— Ah ! tu es Français? 

— Oui. 

-- Ahl... — Et il me tourna le dos. C'était M. Levail- 
lant. Vous voyez si je l'ai connu. 

Le père Pingard était donc mon ami; aussi me trai- 
tait-il comme tel en me confiant des choses qu'il eût 
tremblé de dévoiler à tout autre. Je me rappelle une 
conversation très-animée que nous eûmes ensemble le jour 
où le second prix me fut accordé. On nous avait donné 
cette année-là pour sujet de concours un épisode du Tasse: 
Herminie se couvrant des armes de Glorinde et, à la fa- 
veur de ce déguisement, sortant des murs de Jérusalem 
pour aller porter à Tancrède blessé les soins de son fidèle 
et malheureux amour. 

Au milieu du troisième air (car il y avait toujours trois 
airs dans ces cantates de l'Institut; d'abord le lever de 
l'aurore obligé, puis le premier récitatif suivi d'un pre- 
mier air, suivi d'un deuxième récitatif suivi d'un deu- 
xième air, suivi d'un troisième récitatif suivi d'un troi- 
sième air, le tout pour le même personnage) ; dans le 
milieu du troisième air donc, se trouvaient ces quatre 
vers. 

Dieu des chrétiens, toi que j*ignore, 
Toi que j'outrageais autrefois, 
Aujourd'hui mon respect t'implore; 
Daigne écouter ma faible voix. 

Teus l'insolence de penser que, malgré le titre d'au 

1. Méhul est en effet de Givet, mais je doute qu-il fût n^ 
à Tépoque où Pingard prétend avoir parlé de lui à Levail- 
lant. 



130 MÉMOiaBS BE HECTOR BE&LIOZ. 

agité que portait le dernier morceau, ce qoatrain devait 
être le sajet d'une prière, et il me parât impossible de 
faire implorer le Dieu ù&& chrôtieas par la trem)»laBle 
reine d'Antioche avec des cris de mélodcame et un or- 
chestre désespéré. J'en fis donc une prière, et à coup sûr 
s'il y eut qaeUiae Qk«se de. .passable ddms ma partition, 
ce ne fut que cet andante. 

Gomme j'arrivais à rinstilut lessoir du jjdgmneul dernier 
pour comiùtre mon sort, et «avoir si les peintres, sculp- 
teurs, graveurs en médailles et graveurs en taille-^ouce 
m'avaient déclaré bon ou mauvaismusicien, je rencontre 
Pingard dans l'escalier: 

< ^- Ëh bien! lui dis-j^» qu'ont-ils décidé? 

> ^ Ab!... c'est vous, Berlioz... pardieu, je sois bien 
aise I je vous dierchais. 

> •— Qu'ai-je obtenu, voyons, dites vite; un premier 
prix, un second, une mention honorable, ou rien? 

> — Oh I ienezy je suis encore tout remué. Quand je 
vous dis qu'il ne vous a manqué que deux voix 
pour le premier. 

> — Parbleu, je n'en savais rien; vous m'en donnez la 
première nouvelie. 

> •— Mais quand je vous le disi... Vous avez le second 
prix, c'est bon; mais il n'a manqué que deux voix 
pour que vous eussiez le premier. Oh ! tenez^ ça m'a 
vexé; parce que, voyez-vous, je ne suis ni peintre, ni 
architecte, ni graveur en médmlles, «et par conséquent 
je ne connais rien du tout en mtisiqfae; inais ça n'em- 
pêche pas que votre Dieu des chrétiens nf a fait un cer- 
tain gargouillement dans le cœur qui m'a bouleversé. 
Et, sacredieu, tenez, si je vous avais rencontré sur le 
moment, je vous aurais... je vous aurais paryë une 
demi-tasse. 

> Merci,, merci, mon cher Pingard, vous êtes' bien bon 
Vous vous y connaissez; vous avez du goût.D*afl- 



MiSMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 



131 



« leors n'avez-YOus pas visilé la côte de Goromandel? 
<— Pardiy certaineioenl; mais pourquoi? 

— Les îles de Java. 

— Oui^msâs... 

— De Sumatra? 

— Oui. 

— DeBoruéo? 

— Oui. 

— Vous avez été lié avec LevaiUaal ? 

— Pardi, comme deux doigts de la main. 

— Vous avez parlé souvent à Volney ? 

— A M. le comte de Volney qui avait des bas 
bleus? 
» — Oui. 

— Gartainemeut. 

— JËh bie& ! vous êtes bon juge en musique. 

— Gomment ça? 
-— Il n'y a «pas l)esQin ù& savoir comment; seulement 

si Ton voas dit par hasard: quel titre avez-vous pour 
juger du mérite des compositeurs ? Êtes- vous peintre, 
gra^eor entaille-douce, architeote, sculpteur? Vous 
rép&ndcez: Non, je suis.,, voyageur, marin, ami de 
Levaillant ^t de Volney. G'est plus qu'jl n'en laut. Ah 
çà, voy<»ns, commuât s'est passée la séance? 
» — Oui, ieneZf ae m'en parlez pas; c'est toujours la 
miêine chose. J'aurais trente enfants, que le diable m'em- 
porte si j'en mettais un seul dans les arts. Parce que je 
voifi^bNit ça^moi. Votts nesavexpas quelle sacrée bouti- 
que... Par ex^empte, ils se donnent, ils se vendent même 
des voix entre eux, Tenez, une fois au xîoncourjs de 
peinture, J'^MUlendis M. Lotbéère, qui demandait sa voix 
à: MjûherubiBèfKour un^da sesâèves.Kous sOHunes d'an- 
ciens amis, qu'il lui dit, tu ne me refuseras pas ça. D'ail- 
leurs,mon élève a du talent,son tableau est très-bien.— 
Non,non,non, je ne veux pas, je neveuxpas^que Vautre 



«32 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 



lui répond. Ton élève m'avait promis un album que 
désirait ma femme, et il n'a pas seulement desâiné un 
arbre pour elle. Je ne lui donne pas ma voix. 
, _ Ah! tu as bien tort, que lui dit M. Lethière : je 
vote pour les liens, tu le sais, et tu ne veux pas voter 
pour les miens! — Non, je ne veux pas. ~ Alors, je 
ferai moi-même ton album, là, je ne peux pas mieux 
dire. — Ah! c'est différent. Comment l'appelles-tu ton 
élève? j'oublie toujours son nom: donne-moi aussi son 
prénom et le, numéro du tableau, pour que je ne con- 
fonde pas. Je vais écrire tout cela. — Pingard! — 
Monsieur I —Un papier et un crayon. — Voilà, mon- 
sieur. — Ils vont dans l'embrasure de la fenêtre, ils 
écrivent trois mots, et puis j'entends le musicien qui 
dit à l'autre en repassant : C'est bon! il a ma voix. 
> Eh bien! n'est-ce pas abominable? et si j'avais un de 
mes fils au concours et qu'on lui fit des tours pareils, 
n'y aurait-il pas de quoi me jeter par la fenêtre?... 
» — Allons, calmez-vous, Pingard, et dites-moi corn» 
ment tout s'est terminé aujourd'hui. 
» — Je vous l'ai déjà dit, vous avez le second prix, et ii 
ne vous a manqué que deux voix pour le premier. 
Quand M. Dupont a eu chanté votre cantate, ils ont 
commencéàécrire leurs buUetinset j'ai apportera ^«nw*. 
Il y avait un musicien de mon côté, qui parlait bas à 
un arcchitecte et qui lui disait: Voyez-vous, celui-là 
ne fera jamais rien ; ne lui donnez pas votre voix, c'est 
un jeune homme perdu. Il n'admire que le dévergon- 
dage de Beethoven; on ne le fera jamais rentrer dans 
la bonne route. 

» — Vous croyez, dit l'architecte? cependant... 
» — Ohl c'est très-sûr ; d'ailleurs demandez à notre il- 



1. L'urne. Le brave Pingard s*est toujours obstiné à appelei 
ainsi ce vase d'élections. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 



133 



lastre Cherabini. Vous ne doutez pas de son expérience, 

j'espère ; il vous dira comme moi, que ce jeune homme 

est fou, que Beethoven lui a troublé la cervelle. 

» — Pardon, me dit Pingard en s'interrompant,- mais 

qu'est-ce que ce monsieur Beethoven? il n'est pas de 

rinstitut, et tout le monde en parle. 

» — Non, il n'est pas de l'Institut. C'est un Allemand : 

continuez. 

> — Ah! mon Dieu, ça n'a pas été long. Quand j'ai 
présenté la hume à l'architecte, j'ai vu qu'il donnait 
sa voix au n« 4 au lieu' de vous la donner, et voilà. 
Tout d'un coup il y a un des musiciens qui se lève et 
dit: Messieurs, avant d'aller plus loin, je dois vous 
prévenir que dans le second morceau de la partition 
que nous venons d'entendre, il y a un travail d'or- 
chestre très-ingénieux, que je piano ne peut pas 
rendre et qui doit produire un grand effet. Il est bon 
d'en être instruit. 

» — Que diable viens-tu nous chanter, lui répond un 
autre musicien, ton élève ne s'est pas conformé au 
programme; au lieu d'un air agité, il en a écrit deux^ 
et dans le milieu il a ajouté une prière qu'il ne devait 
pas faire. Le règlement ne peut être ainsi méprisé. Il 
faut faire un exemple. 

> — Ohl c'est trop fort! Qu'en dit M. le secrétaire 
perpétuel? 

» — Je crois que c'est un peu sévère, et qu'on peut 
pardonner la licence que s'est permise votre élève. Mais 
il est important que le jury soit éclairé sur le genre de 
mérite que vous avez signalé, et que l'exécution au 
piano ne nous a pas laissé apercevoir. 
» «- Non non, ce n'est pas vrai, dit M. Gherubini, ce 
prétendu effet d'instrumentation n'existe pas, ce n'est 
qu'un fouillis auquel on ne comprend rien et qui serait 
détestable à l'orchestre 



134 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

» — Ma foi, messienrsy entendeE^yoïis, disent de tous 
» côtés les peintres, senli^tears, arcMtectes et grayears, 
» noas ne pouvons apprécier que ce que nous entendons, 

> et pourle reste, si tous ifétes pas d'aecc^... 

— Ahl oui! 

— Ah! non! 

— Mais, mon Dieaf 

— Eh! que diable! 

— Je vous dis ane... 

— Allons donc! 

— Enfin, ils criaient tous à la fois, et comme ça les 

> ennuyait, voilà M. Regnanlt et dera autres peintres 

> qui ste von^ en disant qu'ils se récusaient et qu'ils 

> ne voteraient pas. Puis od a compté les bulletins qui 

> étaient dans la hvmey et 11 vous a manqué deux voix. 
» Voilà pourquoi vous n'avez que le second prix. 

» — Se vous remercie, mon bon Pîngard; mais, dites- 
» moi, cela se passait-il de la même manière à Tacadémie 

> du Gap de Bonne-Espérance? 

> — Oh! par exemple! quelti^ farce! Une ucadteie au 
» Gap 1 un Institut hottentot ! Vous savBZ bien' qi/f! n'y 
» en a pas. 

> — Vraiment 1 et chez les Indiens de Goreann- 

> del? 

» — Point. 

» — Et chez les Malais? 

» — Pas davantage. 

> — Ah çàf mais il n^ a donc point d'a«aéénik dan^ 
1 l'Orient? 

» — Gertainementnon. 
» — Les Orientaux sont bien à plaindre. 
» — Ah ! oui, ils s'en moquent pas mal f 
» ^- Les barbares ! » 

Làrdessus je quittai le vieux conei^ge, gsurèioBMbfuis- 
sier de l'Institut, en songeant à rimmense avaiMgf 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 435 

qu'il y aurait à envoyer rAcadémie civiliser Tîle de 
Bornéo. Je ruminais déjà le plan d'un projet que je 
voulais adresser aux académiciens eux-mêmes, pour les 
engager à s'aller promener un peu au Gap de Bonne-Es- 
pérance, comme Pingard. Mais nous sommes si égoïstes 
nous autres Occidentaux, notre amour de l'humanité 
est si faible, que ces pauvres Hottentots, ces malheureux 
Malais qui n'ont pas d'académie, ne m'ont pas occupé 
sérieusement plus de deux ou trois heures; le lendemain 
je n'y songeai» plus. Deux ans après, ainsi qu'on le 
veii:^j'ol>UnsBnfin.le premier grand prix. Dans l'inter- 
valle, l'honnête Pingard était mort, et ce fat granîd dom- 
mage ; car s'il eût entendu mon Incendie du palais de 
Sardanapale, il eût été capable cette fois de me payer une 
tasse entière. 



XXIV 



f oujours miss Smithson. — Une représentatioD à bénéfiee. — 

Hasards cruels. 



Après ce concours et la distribution des prix qui le 
suivit, je retombai dans la sombre inaction qui était de- 
venue mon état habituel. Toujours à peu près aussi 
obscur, planète ignorée, je tournais autour de mon soleil. . . 
soleil radieux... mais qui devait, hélas! s'éteindre si tris- 
tement... Ah! la belle Estelle, la Stella montis, ma SteUa 
matuUna, avait bien complètement disparu alors! perdue 
qu'elle était dans les profondeurs du ciel, et éclipsée par 
le grand astre de mon midi, je ne songeais guère à la 
voir jamais reparaître sur l'horizon... Évitant de passer 
devant le théâtre anglais, détournant les yeux pour ne 
point voir les portraits de miss Smithson exposés chez 
tous les libraires, je lui écrivais cependant, sans jamais 
recevoir d'elle une ligne de réponse. Après quelques let- 
tres qui l'avaient plus effrayée que touchée, elle défen- 
dit à sa femme de chambre d'en recevoir d'autres de 
moi, et rien ne put changer sa détermination. Le théâtre 
anglais, en outre, allait être fermé; on parlait d'une 
excursion de toute sa troupe en Hollande, et déjà les der- 
nières réprésentations de miss Smithson étaient annon- 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 137 

cées. Je n'avais garde d*y paraître. Je Tai déjà dit, re- 
voir en scène Juliette ou Ophélia eût été pour moi une 
douleur au-dessus de mes forces. Mais une représentation 
au bénéfice^ de Facteur français Huet ayant été organisée 
à rOpéra-Comique, représentation dans laquelle figuraient 
deux actes du Bornéo de Shakespeare, joués par miss Smith- 
son el Abolt, je me mis en tête de voir mon nom sur 
Taffiche, à côté de celui de la grande tragédienne. J*es- 
pérai obtenir un succès sous ses yeux, et, plein de cette 
idée puérile, j'allai demander au directeur de TOpéra- 
Qomique d'ajouter au programme de la soirée de Huet 
une ouverture de ma composition. Le directeur, d'accord 
avec le chef d'orchestre, y consentit. Quand je vins au 
théâtre pour la faire répéter, les artistes anglais ache- 
vaient la répétition de Romeo and Juliet; ils en étaient à 
la scène du tombeau. Au moment où j'entrai, Roméo 
éperdu emportait Juliette dans ses bras. Mon regard 
tomba involontairement sur le groupe shakespearien. Je 
poussai un cri et m'enfuis en me tordant les mains. Ju- 
liette m'avait aperçu et entendu... je lui fis peur. En 
me désignant, elle pria les acteurs qui étaient en scène 
avec elle de faire attention à ce gentleman dont les yeux 
n^annonçaient rien de bon. 

Une heure après je revins, le théâtre était vide. L'or- 
chestre s'étant assemblé, on répéta mon ouverture ; je 
l'écoutai comme un somnambule, sans faire la moindre 
observation. Les exécutants m'applaudirent, je conçus 
quelque espoir pour l'effet du morceau sur le public et 
pour celui de mon succès sur miss Smithson. Pauvre 
foui!! 

On aura peine à croire a cette ignorance profonde du 
monde au milieu duquel je vivais. 

En France, dans une représentation à bénéfice, une 
ouverture, fût-ce l'ouverture du Vreyschûtz ou celle delà 
Flûte enchantéefesi considérée seulement comme un lever 
I. S. 



m MJtMOIEES DK HECTOR BBELIOZ. 

de rideMiAt n'olttient pas la moindre attenikm deraadî- 
toire. En outre, ainsi isolée et exécatée par un petit or- 
ebestre de tbéàtre» tel que celui de VOpéra-Gomique» 
cette ouverture fût-elle écoutée avec recueillement, n'a- 
mène jamais qu'un assez médiocre résultat musical. D'an 
autre côté» les grands acteurs invités en pareil cas par 
le bénéficiaire à prendre part à sa représentation, ne 
vimnent au théâtre qu'au moment où leur présence y 
est nécessaire ; ils ignorent en partie la composition du 
programme, et ne s'y intéressent nullement. lis ont hite 
d^ se rendre dans leur loge pour s'habiller, etne restait 
]point dans les coulisses à écouter ce qui. ne les regarde 
pas. Je ne m'étais donc pas dit que si, par une exception 
iniprohable, mon ouverture, ainsi placée, obtenait un 
succès d'enthousiasme, était redemandée à grands cris 
par le public, missSmithson pnéocci^pée de son rôle, y 
réfléchissant dans sa loge, pendant que l'habilleuse la 
costumail» ne. serait, pas môme informée du fait. £t, s'en 
ttHUe aperçue, la Mite aSàise I < Qu'est-ce que ce 
bmit, ^-eUeidit en entendant les applaudissan^its? » 
^-«c Ce n'est rien, mademoiselle, c'est une ouverture 
qu'on lait recommencer, t De plus, que Tanteur de cette 
ouverture lui eût été ou non connu, uu succès d'aussi 
minoe iit^portance. bb. pouv<ait suffire à changer &x amour 
son indifférence^pour. lui.. Rien u'était plus évident. 

Jlan ouverture ûit bien exécutée, assez applaudie, 
mais non redemandée» et miss Smithson ignora tout 
jconiplétement. Après un nouveau triomphe dans son 
lôle. favori», elk^partit le lendemain pour la Hollande. Un 
hasard (auquel elle n'a jamais cru) m'avait fait venir me 
loger. ruaiîicbelieu, n« 9Q,. presque en face de l'appar- 
tement qu'elle occupait au coia de la rue. Neuve-Saint- 
Marc. 

Aprèsêtre demeuré étendu sur mon lit, brisé, mourant, 
û&psiis la veille jusqu'à trois heures de Taprès-midi, je 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 139 

me levai et m'approchai machinalement de la fenêtre 
comme à l'ordinaire. Une de ces cruautés gratuites et 
lâches du sort voulut qu'à ce moment même je visse 
miss Smithson monter en voiture devant sa porte et partir 
pour Amsterdam. 

Il est bien difficile de décrire une souffrance pareille à 
celle que je ressentis ; cet arrachement de cœur, cet iso- 
lement affreux, ce monde viâe, ces mille tortures qui 
circulent dans les veines avec un sang glacé, ce dégoût 
de vivre et cette impossibilité de mourir ; Shakespeare 
lui-même n'a januis essayé d'6n.daiuier.nii&idée..ILs'eit 
home, dans. EamUt^ à coii)i|^.- cette dealûor 9$swl les 
maux les plus cruels de la vie. 

Je ne composais plus; mon intelligence semblait dimi- 
nuer autant que ma sensibilité s'accroître. Je ne faisais 
absolument rien... que souffrir» 



XXV 



Troisième ooncoart à l*Inttitat. — On ne donne pas de pre- 
mier prix. » Conversation curieuse avec Boleldieu. — La 
musique qui berce. 



Le mois de juin revenu m'ouvrit de nouveau la lice de 
l'Institut. J'avais bon espoir d'en finir cette fois; de 
tous côtés m'arrivaient les prédictions les plus favorables. 
Les membres de U section de musique laissaient eux- 
mêmes entendre que j'obtiendrais à coup sûr le premier 
prix. D'ailleurs je concourais, moi lauréat du second 
priXy avec des élèves qui n'avaient encore obtenu aucune 
distinction, avec de simples bourgeois ; et ma qualité 
de tète couronnée me donnait sur eux un grand avan- 
tage. A force de m'entendre dire que j'étais sûr de mon 
fait, je fis ce raisonnement malencontreux dont l'expé- 
rience ne tarda pas à me prouver la fausseté : c Puisque 
ces messieurs sont décidés d'avance à me donner le pre- 
mier prix, je ne vois pas pourquoi je m'astreindrais, 
comme l'année dernière, à écrire dans leur style et dans 
leur sens, au lieu de me laisser aller à mon sentiment 
propre et au style qui m'est naturel. Soyons sérieusement 
artiste et faisons une cantate distinguée. » 

Le sujet qu'on nous donna à traiter, était celui de 
Gléopâtre anrès la bataille d'Actium. La' reine d'Éj?vt>te 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 141 

se faisait mordre par Taspic, et mourait dans les convul- 
sions. Avant de consommer son suicide, elle adressait 
aux ombres des Pharaons une invocation pleine d'une 
religieuse terreur ; leur demandant sî, elle, reine disso- 
lue et criminelle, pourrait être admise dans un des tom- 
beaux géants élevés aux mânes des souverains illustres 
par la gloire et par la vertu. 

Il y avait là une idée grandiose k exprimer. J'avais 
mainte fois paraphrasé musicalement dans ma pensée le 
monologue immortel de la Juliette de Shakespeare 

« But if when I am laid into the tomb,..y> 

dont le sentiment se rapproche, par la terreur au moins, 
de celui de l'apostrophe mise par notre rimeur français 
dans la bouche de Cléopâtre. J'eus même la maladresse 
d'écrire en forme d'épigraphe sur ma partition le vers 
anglais que je viens de citer ; et, pour des académiciens 
voltairiens tels que mes juges, c'était déjà un crime ir- 
rémissible. 

Je composai donc sans peine sur ce thème un morceau 
qui me paraît d'un grand caractère, d'un rhythme saisis- 
sant par sonétrangeté même, dont les enchaînements en- 
harmoniques me semblent avQir une sonorité solennelle et 
funèbre, et dont la mélodie se déroule d'une façon dra- 
matique dans son lent et continuel crescendo. J'en ai 
fait, plus tard, sans y rien changer, le chœur (en unis- 
sons et octaves) intitulé : Chœur d'ombres^ de'mon drame 
lyrique de Lélio. 

Je l'ai entendu en Allemagne dans mes concerts, j'en 
connais bien l'effet. Le souvenir du reste de cette can- 
tate s'est effacé de ma mémoire, mais ce morceau seul. 
Je le crois, méritait le premier prix. En conséquence il 
ne l'obtint pas. Aucune cantate d'ailleurs ne l'obtint. 

Le jury aima mieux ne point décerner de premier prix 



X 



ùmèêMià^% HiB id'Mewiragpr ptr sml safingoiiui 
jBBBe eompositeiEr obiK 401 m ildeflteîmt <iM lendonâM 
fMvefUef • Le iMMlamain àà eeœ âédinoii je renDontrai 
B<»rîdifla sur le boalavanl. ie^ai» r^^pport^ taxtiulle- 
msax la CMiTersalion §iie sous eûmest ensenUe ; elk est 
Irop eorieiue peur que j'aie pu r^mblîer. 

En m'apercevant : c Mon Dâeu, mon eafam, <{«i'a¥e»- 
imi» fait ? me dit-il. Voua a¥ies le prix dans la main, 
WB& Valiez jeté à terre. 

•* J'ai'IKwrlattt fait de non mînx» monsieur, je "««s 
l'atteste. 

— C'est joslement oe que nous tous ceprodions. Il ne 
fallait pas faire de votre mienx ; votre mieux est ennemi 
da bîi» ^ GoBHiefi t ponrrais^je approuver d0 teUea ctoses, 
moi qoàaimft par-dessaà tout la musique qui me beree ?. . . 

— U.ost assez difficile^ monsieur, de faire de la muai- 
que qai voais l)eroe, quand une retne d'Egypte, dévorée 
darononds.et «npoisonnée par la.jnoiP8arei['unse|*pfloty 
meurtiâanft.des^aagoisses moE^s.et physiques. 

— Oh ! vous saurez vous défendre, je n'en doute pas ; 
mai&t(»t.oela.aiie pcouva rien^ûu peut toi^oors Mre 
(^cacieux. 

-<-Qui,.les i^adiaieur&anjti^pesiaavaieutimQurir avec 
grâce; mais Cléopàlce n'était pas si aavanle, œ. n'était 
paason état. D'ailleurs oUe no. mourut pas en publie. 

-- Vous exagérez ,Miou& ne vous demandicms «pas de 
iBilaisefibai^cr une c(mtiadanae. (^leUe nécessité en- 
jBile d'aller, dans votre invocation aux PJtiara(ms, em- 
ployer des harmonies aussi extraordinaires )... 'le ne sui.« 
$«8 ua harmonisiez moi, et j'avoue qu'à vos accords de 
llafllreimcmâe, jeA'aiabsdumeat rien compris. » 

»2e baissalla^iète ici, n'eaant lui faire larépcrnse que k 
igiillleiMiksen&dîétait : Eatrce. malfamé, si vosis. n'êtes 
pas lunBMsisle?... 

•--^<<)£t|mi5i.ooiBliiaad-t41, pourquoi, dans^ votre accom- 



MÉMOIREB ITE ffËGTOR BBRLIl>Z. m 

— Je ne croyais pas, monsieur, qu'il fallût ériter, en 
coittiiosiliûiii^ rempM des formes^ noa^relle«, <}aaad oa a 
le boabcitr d'en troxnrear, et qu'elles soat à tourpbee. 

— Mais, wêbol eher, madaeie Dabadte* qm a chanté 
voire eantal» e^ ui» excellente nmsicianiie, «tpouitant 
oa Toya^qiie, pour m»* pas se trompa, elle af^avt besel» 
de tout souftalevâ'etde toute sen attention. 

— Ma foi, j'igsoFais aussi, je ravooe^ 4|ue îa BiH8i<fiie 
fût destinée à êtreesLéeutée- sans- talent et sans attenAîM». 

-^ Bleu, bien, vous z» reeterez jamais court, je \êf 
saû; Adieu, proâtee de oettS' leçon poiir remuée pro^ 
cbame. Eu attettiant,- yenez^^mie ymr; nous eaoAero«s'> 
je vous combaltraiy mais en chivaUer flrançaiB, > ESt iï 
s'éloigna, touA^rde finir sor une 'pointe-f comme disent? 
les vaudevillistes. Pour a|)pi?écier le mérite de cet^épointe 
digne d'Ëlleviou S il f^Rt savoir qu'en me la décochant, 
Boïeldieu faisait, en quelque sorte, une citation d'un de 
ses ouvrages, où il a mis en musique les deux mots em- 
panachés '. 

Boïeldieu, dans cette conversation naïve, ne fit pour- 
tant que résumer les idées françaises de cette époque 
sur l'art musical. Oui, c'est bien cela, le gros public, à 
Paris, voulait de la musique qui berçât, môme dans les 
situations les plus terribles, de la musique un peu dra- 
matique, mais, pas trop claire, incolore, pure d'harmo- 
nies extraordinaires de rhythmes insolites, de formes' 
nouvelles, d'effets inattendus ; de la musique n'exigeant 
de ses interprètes et de ses auditeurs ni grand talent ni 
grande attention. C'était un art aimable et galant, en 

1. Célèbre acteur de TOpéra-Comique qui fut le type des 
galants chevaliers français de TEmpire. 

2. Jean de Paris. 



144 MÉMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 

panulon collant, en bottes à revers, jamais emporté ni 
rêveur, mais joyeux et troubadour ei chevalier français,,. 
de Paris. 

On voulait autre chose il y a quelques années: quel* 
que ebose qui ne valait guère mieux. Maintenant on ne 
sait ce qu'on veut, ou plutôt on ne veut rien du tout. 

Où diable le bon Dieu avait-il la tète quand il m'a fait 
naître en ce plaisant pays de^ France?,,, Et pourtant je 
l*aime ce drôle de pays, dès que je parviens à oublier 
Fart et à ne plus songera nos sottes agitations politiques. 
Gomme on s'y amuse parfois! Gomme on y rit 1 Quelle 
dépense d'idées on y fait! (en paroles du moins.) Gomme 
on y déchire l'univers et son maître avec de jolies dent? 
bien blanches, avec de beaux ongles d'acier poli! Gomme 
l'esprit y pétille! Gomme on y danse sur la phrase! 
Gomme on y blague royalement et républicainement!.. 
Gette dernière manière est la moins divertissante. . 



XXVI 



Première lecture du Faust de Gœthe. — J'écris ma symphonie 
fantastique — Inutile tentative d'exécution. 



Je dois encore signaler comme an des incidents remar- 
quables de ma yie, l'impression étrange et profonde que 
je reçus en lisant pour la première fois le Faust de Gœthe 
traduit en français par Gérard de Nerval. Le merveil- 
leux livre me fascina de prime-abord ; je ne le quittai 
plus; je le lisais sans cesse, à table, au théâtre, dans les 
rues, partout. 

f Cette traduction en prose contenait quelques fragments 

versifiés, chansons, hymnes, etc. Je cédai à la tentation de 
les mettre en musique; et à peine au bout de cette tâche 
difficile, sans avoir entendu une note de ma partition, 
j'eus la sottise de la faire graver... à mes frais. Quelques 
exemplaires de cet ouvrage publié à Paris sous le titre de : 
Huit scènes de Faust, se répandirent ainsi. Il en parvint 

^ un entre les mains de M. Marx, le célèbre critique et 

! théoricien de Berlin, qui eut la bonté de m'écrire à ce 

sujet une lettre bienveillante. Cet encouragement ines- 

*^ péré et venu d'Allemagne me fit grand plaisir, on peut le 

penser; il ne m'abusa pas longtemps, toutefois, sur les 
nombreux et énormes défauts de cette œuvre, dont les 
I. 9 



446 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

idées me paraissent encore avoir de la valeur, puisque je 
les ai conservées en les développant tout autrement dans 
ma \éi/^endc la Damnation de Faust, mais qui, en somme 
était incomplète et fort mal écrite. Dos que ma convic- 
tion fut fixée sur ce point, je me hâtai de réunir tous les 
exemplaires des Huit scènes de Faust que je pus trouver 
e*t je les détruisis. 

Je me souviens maintenant que j'avais, à mon pre- 
mier concert, fait entendre celle à six voix, intitulée : Con- 
cert des Sylphes. Six élèves du Conservatoire la chan- 
tèrent. Elle ne produisit aucun effet. On trouva que cela 
ne signifiait rien ; Tensembie en parut vague, froid et abso- 
lument dépourvu de ckant. Ce môme morceau, dix-huit 
ans plus tard, un peu modifié dans F instrumentation et 
les modulations, est devenu la pièce favorite des divers 
publics de 1 Europe. Il ne m*est jamais arrivé de le faire 
entendre à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Berlin, à.Lon- 
dres, à Paris, sans que l'auditoire criât bis. On en trouve 
maintenant le dessin parfaitement clair et la mélodie déli- 
cieuse. C'est à un chœur, il est vrai, que je l'ai confié. Ne 
pouvant trouver six bons chanteurs solistes, j'ai pris 
quatre-vingts choristes, et Tidée ressort; on en voit la 
forme, la couleur, et l'effet en est triplé. En général, il y 
a bien des compositions vocales de cette espèce qui, para- 
lysées par la faiblesse des chanteurs, reprendraient leur 
éclat retrouveraient leur charme et leur force, si on 
les faisait exrécuter tout simplement, par des choristes 
exercés et réunis en nombre suffisant. Là où une voix 
ordinaire sera détestable, cinquante voix ordinaires 
raviront. Un chanteur sans âme fait paraître glacial et 
môme absurde Télan le plus brûlant du compositeur; 
souvent la chaleur .mayenne qui réside toujours dans les 
masses vraiment musicales, suffit à faire briller lo 
flamme intérieure d'une œuv£e, et lui laisse la vie, quand 
un froid virtuose l'eût tuée. 



^ 

^We 



HÉliOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 147 

Immédiatement après cette composition sur Faust, et 
toujours sous Tinfluence du poème de Gœthe, j'écrivis 
ma symphonie fantastique avec beaucoup de peinç pour 
ertaines parties, avec une facilité incroyable pour d'au- 
tres. Ainsi Y adagio (scène aux champs), qui impressionne 
toujours si vivement le public et moi-même, me fatigua 
pendant plus de trois semaines; je l'abandonnai et le re- 
priç deux ou trois fois. La Marche au supplice, au con- 
traire, fut écrite en une nuit. J'ai néanmoins beaucoup 
retouché ces deux morceaux et tous les autres du même 
ouvrage pendant plusieurs années. 

Le Théâtre des Nouveautés s'étant mis, depuis quelque 
temps, à jouer des opéras-comiques, avait un assez bon 
orchestre dirigé par Bloc. Gelui-ci m'engagea à proposer 
ma nouvelle œuvre aux directeurs^de ce théâtre et à or- 
ganiser avec eux un concert pour la faire entendre. Ils y 
consentirent, séduits seulement par Tétrangeté du pro- 
granmie de la symphonie, qui leurparut devoir exciter la 
curiosité de la foule. Mais, voulant obtenir une exécu- 
tion grandiose, j'invitai au dehors plus de quatre-vingts 
artistes, qui, réunis à ceux de Torchestre de Bloc, for- 
maient un total de cent trente musieiens. Il n'y avait rien 
de préparé pour disposer convenablement une pareille 
masse instrumentale; ni ia décoration nécessaire, ni les 
gradins, ni même les pupitres. Avec ce sang-froid des 
gens qui ne salant pas en quoi consistent les difffiGuUés, 
les directeurs répondaient à toutes mes demandes à ce 
sujet : < Soyez tranquille, on arrangera cela, nous avons 
un machiniste intelligent. » Mais quand le jour de la ré- 
pétition arriva, quand mes cent trente musiciens vou- 
lurent se ranger sur la scène, on ne sut où les mettre. 
J'eus recours à l'emplacement du petit orchestre d'en bas. 
Ce fut à peine si les violons seulement purent s'y caser. 
Un tumulte, à rendre fou un auteur môme plus calme 
que moi, éclata sur le théâtre. On demandait des pupi- 



•^ 



MEMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

très» les charpentiers cherchaient à confectionner préci- 
pitamment quelque chose qui pût en tenir lien; le ma- 
chiniste jurait en cherchant ses ferme$ et ses porianU; 
on criait ici pour des chaises, là pour des instruments, 
là pour des bougies; il manquait des cordes aux contre- 
basses; il n'y avait point de place pour les timbales, etc., 
etc. Le garçon d'orchestre ne savait auquel entendre; J 

Bloc et moi nous nous mettions en quatre, en seixe, en 
trente-deux; vains efforts I Tordre ne put naître, et ce 
fut une véritable déroute, un passage de la Bérésina de 
muâciens. 

Bloc voulut néanmoins, au milieu de ce chaos, essayer 
deux morceaux, c pour donner aux directeurs, disait-il, 
une idée de la symphonie. > Nous répétâmes comme nous 
pûmes, avec cet orchestre en désarroi, le Bal et la Jforcfte 
au supfpUce. Ce dernier morceau excita parmi les exécu- 
tants des clameurs et des applaudissements frénétiques. 
Néanmoins, le concert n'eut pas lieu. Les directeurs, 
épouvantés par un tel remue-ménage, reculèrent devant 
l'entreprise. Il y avait à faire des préparatifs trop consi- 
dérables et trop longs; Us ne savaient pas qu*il faUùt tant 
de choses pour une symphonie. 

Et tout mon plan fut renversé faute de pupitres et de 
quelques planches... C'est depuis lors que je me préoc- 
cupe si fort du matériel de mes concerts. Je sais trop ce 
que la moindre négligence a cet égard peut amener de 
désastres. 



XXVII 



J*écri8 une fantaisie sur la Tempête de Shakespeare. — Son 

exécution à TOpéra. 



fjirard était dans le même temps chef d'orchestre da 
Théâtre-Italien. Poar me consoler de ma mésaventurOi 
il eut l'idée de me faire écrire une autre composition 
moins longue que ma symphonie fantastique, s'engageant 
à la faire exécuter avec soin au Théâtre-Italien et sans 
embarras. Je me mis au travail pour une fantaisie dra- 
matique avec chœurs sur la Tempête de Shakespeare. 
Mais, quand elle fut terminée, Girard n'eut pas plus tôt 
jeté un coup d'œil sur la- partition, qu'il s'écria: c C'est 
trop grand de formes, il y a trop de moyens employés, 
nous ne pouvons pas organiser au Théâtre-Italien l'exécu- 
tion d'une composition semblable. Il n'y a pour cela que 
l'Opéra. > Sans perdre un instant, je vais chez M. Lub- 
bert, directeur de l'Académie royale de musique, luipro 
poser mon morceau. A mon grand étonnement, il consent à 
l'admettre dans une représentation qu'il devait donner 
prochainement au bénéfice de la caisse des pensions des 
artistes. Mon nom ne lui était pas inconnu, mon premier 
concert du Conservatoire avait fait quelque bruit, M. Lub- 
bert avait lu les journaux qui en avaient parlé. Bref, 



150 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

il eul confiance, ne me fit subir aucun humiliant examen 
de la partition, me donna sa parole et la tint religieu- 
sement. C'était, on en conviendra, un directeur comme 
on n'en voit guère. Dos que les parties furent copiées, on 
mit à l'étude, à l'Opéra, les chœurs de ma fantaisie. Tout 
marcha régulièrement et très-bien. La répétition générale 
fut brillante; Fétis, qui m'encourageait de toutes ses for- 
ces, y assista en manifestant pour l'œuvre et pour l'auteur 
beaucoup d'intérêt. Mais, admirez mon bonheur\ k len- 
demain, jour de l'exécution, une heure avant l'ouverture 
de rOpéra, un orage éclate, comme on n'en avait peut- 
être jamais vu à Paris depuis cinquante ans. Une véri- 
table trombe d'eau transforme chaque rue en torrent on 
en lac, le moindre trajet, à pied comme en voiture, de- 
vient à peu près impossible, et la salle de l'Opéra reste 
déserte pendant toute la première moitié de la soirée, pré- 
cisément à l'heure où ma fantaisie sur la Tempête... 
(damnée tempête I) devait être exécutée. Elle fut donc 
entendue de deux ou trois cents personnes à peine, y 
compris les exécutants, et je donnai ainsi un véritable 
coujg^ d*épée dans Veau. 



xxYin 



DiatcactionnoltoBte. ^«FiB^-^MadoKanBaUt^Mr*. 



Ces entreprises musicales n'étaient pas pour moi les 
seules causes de fébriles agitations. Une jeune personne, 
celle aujourd'hui de nos virtuoses la plus célèbre par 
son talent et ses aventures, avait inspiré une véritable 
passion au pianiste-compositeur allemand H*** avec qui 
je m'étais lié dès son arrivée à Paris. H*** connaissait 
mon grand amour shakespearien, et s'affligeait des tourr 
ments qu'il me faisait endurer. Il eut la naïveté impru- 
dente d'en parler souvent à mademoiselle M*** et de lui 
dire qu'il n'avait jamais été témoin d'une exaltation pa- 
reille à la mienne. — « Ah! je ne serai pas jaloux de 
celui-là, ajouta-t-il un jour, je suis bien sûr qu'il ne vous 
aimera jamais ! » On devine l'effet de ce maladroit aveu 
sur une telle Parisienne. Elle ne rêva plus qu'à donner 
un démenti à son trop confiant et platonique adorateur. 

Dans le cours de ce même été, la directrice d'une 
pension de demoiselles, madame d'Aubré, m'avait pro- 
posé de professer... la guitare dans son institution; et 
J'avais accepté. Chose assez bouffonne, aujourd'hui en- 
core, je figure sur les prospectus et parmi les maîtres de 
la pension d'Aubré comme professeur de ce noble ins- 



152 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

trument. Mademoiselle W*% elle aussi, y donnait des le- 
çons de piano. Elle me plaisanta sar mon air triste, m'as- 
sura qu'il y avait par le monde quelqu'un qui s^intéres- 
sait bien vivement à moi.,., me parla de H*** qui l'aimait 
bien, disait-elle, mais qui n'en finissait pas,.. 

Un matin je reçus môme de mademoiselle M^* une 
lettre, dans laquelle, sous prétexte de me parler encore 
de W*\ elle m'indiquait un rende^vous secret pour le 
lendemain. J'oubliai de m'y rendre. Chef-d'œuvre de 
rouerie digne des plus grands hommes du genre, si je 
l'eusse fait exprès ; mais j'oubliai réellement le rendez- 
vous et ne m'en souvins que quelques heures trop tard. 
Cette sublime indifférence acheva ce qui était si bien 
commencé, et après avoir fait pendant quelques jours 
assez brutalement le Joseph, je finis par me laisser Puti- 
pharder et consoler de mes chagrins intimes, avec une 
ardeur fort concevable pour qui voudra songer à mon 
âge, et aux dix-huit ans et à la beauté irritante de ma- 
demoiselle M"**. 

Si je racontais ce petit roman et les incroyables scènes 
de toute nature dont il se compose, je serais à peu près sûr 
de divertir le lecteur d'unfaçon neuve et inattendue. Mais, 
je l'ai déjà dit, je n'écris pas des confessions. Il me suffit 
d'avouer que mademoiselle M*** me mit au corps toutes 
les flammes et tous les diables de l'enfer. Ce pauvre H**% 
à qui je crus devoir avouer la vérité, versa d'abord quel- 
ques larmes bien amères ; puis reconnaissant que, dans 
le fond, je n'avais été coupable à son égard d'aucune 
perfidie, il prit dignement et bravement son parti, me 
serra la main d'une étreinte convulsive et partit pour 
Francfort en me souhaitant bien du plaisir. J'ai toujours 
admiré sa conduite à cette occasion. 

Voilà tout ce que j'ai à dire de cette distraction vio- 
lente apportée un moment, par le trouble des sens, à la 
passion grande et profondé qui remplissait mon cœur et 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 153 

occupait toates les puissances de mon âme. On yerra seu- 
lement dans le récit de mon voyage en Italie, de quelle 
manière dramatique cet épisode se dénoua et comment 
mademoiselle M*** faillit avoir une terrible preuve de 
la vérité du proverbe : Une faut pa$ jouer avec le feu. 



XXIX 



Quatrième concours à Tlnstitut. — J'obtieos le prix. — La 
révolution de Juillet. — La prise de Babylone. — La Mar- 
seillaise. — Rouget da Lisle. 



Le concours de rinstitut eut lieu cette année-là un 
peu plus tard que de coutume; il fut fixé au 15 juillet. Je 
m'y présentai pour la cinquième fois, bien résolu, quoi 
qu'il arrivât, de n'y plus reparaître. C'était en 1830. Je 
terminais ma cantate quand la révolution éclata. 

ce Et lorsqu*un lourd soleil chauffait les grandes dalles 

» Des ponts et de nos quais déserts, 
» Que les cloches hurlaient, que la grêle des balles 

» Sifflait et pleuvait par les airs ; 
» Que dans Paris entier, comme la mer qui monte, 

)> Le peuple soulevé grondait 
» Et qu'au lugubre accent des vieux canons de fonte 

» La Marseillaise répondsiit... ^ » 

L'aspect du palais de l'Institut, habité par de nom- 
breuses familles, était alors curieux ; les biscaïens tra- 
versaient les portes barricadées, les boulets ébranlaient 

1. ïambes d'Auguste Barbier. 



iiSS 



MÉMOIRES DE nECTOR BERLIOZ. . \o^ 

la façade, les femmes poussaient des cris, et dans les mo- 
ments de silence entre les décharges, les hirondelles re- 
prenaient en chœur leur chant joyeux cent fois inter- 
rompu. Et j'écrivais précipitamment les dernières page^ 
de mon orchestre, au bruit sec et mat des balles per- 
dues, qui, décrivant une parabole au-dessus des toits, 
venaient s'aplatir près de mes fenêtres contre la murailla 
de ma chambre. Enfin, le 29, je fus libre, et je pus sortir 
et polissonner dans Paris, le pistolet au poing, avec la 
sainte canaille * jusqu'au lendemain. 

Je n'oublierai jamais la physionomie de Paris, pendant 
ces journées célèbres ; la bravoure forcenéfe des gamins^ 
l'enthousiasme des hommes, la frénésie des filles publi- 
ques, la triste résignation des Suisses et de la garde 
royale, la fierté singulière qu'éprouvaient les ouvriers, 
d'être, disaient-ils, maîtres de la ville et de ne rien voler;, 
et les ébouriffantes gascoBuades de quelques jeunes: 
gens, qui, après avoir fait preuve d'un« intrépidité 
réelle, trouvaient le moyen de la rendre ridiculo 
par la manière dont ils racontaient leurs exploits et 
par les ornements grotesques qu'ils ajooUient à li 
vérité. Ainsi, pour avoir, non sans de grandes 
pertes, pris la caserne de cavalerie de la rue de 
Babylone, ils se croyaient obligés de dire avec un sérieux 
digne des soldats d'Alexandre : Nous étions à la prise de 
Babylone, La phrase convenable eût été trop longue ; 
d'ailleurs on la répétait si souvent que l'abréviation de- 
venait indispensable. Et avec quelle sonorité pompeujse 
et quel accent circonflexe sur l'o on articulait ce nom du 
Babylone! Parisiens I... farceurs... gigantesques, si l'o» 
veut, mais aussi gigantesques farceurs!... 

Et la musique, et les chapts, et les voix rauques don^ 

l. Exoression d'Aui^uste Barbier. 



156 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

retentissaient les rues, il faat les avoirentendas pour s*en 
faire une idée! 

Ce fat pourtant quelques jours après cette révolution 
harmonieuse que je reçus une impression ou, pour mieux 
dire, une secousse musicale d'une violence extraordi- 
naire. Je traversais la cour du Palais-Royal, quand je 
crus entendre sortir d'un groupe une mélodie à moi 
bien connue. Je m'approche et je reconnais que dix à 
douze jeunes gens chantaient en effet un hymne guer- 
rier de ma composition, dont les paroles, traduites des 
Irish mélodies de Moore, se trouvaient par hasard tout à 
fait de circonstance *. Ravi de la découverte comme un 
auteur fort peu accoutumé à ce genre de succès, j'entre 
dans le cercle des chanteurs et leur demande la permis- 
sion de me joindre à eux. On me l'accorde en y ajoutant 
une partie de basse qui, pour ce chœur du moins, était 
parfaitement inutile. Mais je m'étais gardé de trahir mon 
incognito, et je me souviens même d'avoir soutenu une 
assez vive discussion avec celui de ces messieurs qui 
battait la mesure, à propos du mouvement qu'il donnait 
à mon morceau. Heureusement, je regagnai ses bonnes 
grâces en chantant correctement ma partie, dans le Vieux 
drapeau de Béranger, dont il avait fait la musique et que 
nous exécutâmes l'instant d'après. Dans les entr'actes de 
ce concert improvisé, trois gardes nationaux, nos pro- 
tecteurs contre la foule, parcouraient les rangs de 
l'auditoire, leurs schakos à la main, et faisaient la quête 
pour les blessés des trois journées. Le fait parut bizarre 
aux Parisiens, et cela suffit pour assurer le succès de la 
recette. Bientôt nous vîmes tomber en abondance les 
pièces de cent sous qui, sans doute, fussent restées fort 
tranquillement dans la bourse de leurs propriétaires, s'il 

• 

1. a N*oublioDS pas ces champs dont la poussière 
Est teinte encor du sang de nos guerriers. » 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 157 

D'y avait eu pour les en faire sortir que le charme de 
nos accords. Mais l'assistance devenait de plus en plus 
nombreuse, le petit cercle réservé aux Orphées patriotes 
se rétrécissait à chaque instant, et la force armée qui 
nous protégeait allait se voir impuissante contre cette marée 
montante de curieux. Nous nous échappons à grand' 
peine. Le flot nous poursuit. Parvenus à la galerie Col- 
bert qui conduit à la rue Vivienne, cernés, traqués 
comme des ours en foire, on nous somme de recommen- 
cer nos chants. Une mercière dont le magasin s'ouvrait 
sous la rotonde vitrée de la galerie, nous offre alors de 
monter au premier étage de sa maison, d'où nous pou- 
vions, sans courir le risque d'être étouffés, verser des 
torrents d^ harmonie sur nos ardents admirateurs, La propo- 
sition est acceptée, et nous commençons la Marseillaise. 
Aux premières mesures, la bruyante cohue qui s'agitait 
sous nos pieds s'arrête et se tait. Le silence n'est pas plus 
profond ni plus solennel sur la place Saint-Pierre, quand, 
duhaut du balcon pontifical, le Pape donne sa bénédiction 
urbi etorbi. Après le second couplet, on se tait encore ; 
aprèsle troisième,mème silence. Ce n'étaitpasmon compte. 
A la vue de cet immense concours de peuple, je m'étais 
rappelé que je venais d'arranger le chant de Rouget de 
Lisle à grand orchestre et à double chœur, et qu'au lieu 
de ces mots : ténors, basses, j'avais écrit à la tablature de 
la partition : tfout ce qui a une voix, un casur et du sang 
dans les veirœs.t Ah t ah ! me dis-je, voilà mon affaire. J'é- 
tais donc extrêmement désappointé du silence obstiné de 
nos auditeurs. Mais à la 4^ strophe, n'y tenant plus, je 
leur crie: < Eh! sacredieu! chantez donc! » Le peuple, 
alors, de lancer son: Aux armes, citoyens ! avec l'en- 
semble et l'énergie d'un chœur exercé. Il faut se figurer 
que la galerie qui aboutissait à la rue Vivienne était 
pleine, que celle qui donne dans la rue Neuve<les-Petits- 
Ghamps était pleine, que la rotonde du milieu était plei- 



158 IÉMt)îinSS DE HECTOR BERLIOZ. 

ne, qae ces qaatt^ ou cinq mille voix étaient entassées 
dans an lieu sonore fermé adroite et à gauche par les cloi- 
sons en planches des boutiques, en haut par des vitraux» 
et en bas par des dalles retentissantes, il faut penser, en 
outre, que la plupart des chanteurs, hommes, femmes et 
enfants palpitaient encore de .rémotion du combaf de la 
veille, et Ton imaginera peut-être quel fut l'effet de ce fou- ^ 

droyant refrain... Pour moi, sans métaphore, je tombai h 
terre, et notre petite troupe, épouvantée de Texplosion, 
fut frappée d'un mutisme absolu, comme les oiseaux 
après un éclat de tonnerre. 

Je viens de dire que j'avais arrangé la Marseillaise 
pour deux chœurs et une masse instrumentale. Je dédiai 
mon travail à Tauteur de cet hymne immortel et ce 
fut à ce sujet que Rouget de Lisle m'écrivit la lettre sui- 
vante que j'ai précieusement conservée : 

« Choisy-le-Roi, 20 décembre 1830. 

> Nous ne nous connaissons pas, monsieur Berlioz; 
voulez- vous que nous fassions connaissance? Votre tête 
paraîf être un volcan toujours en éruption; dans la 
mienne, il n'y eut jamais qu'un feu de paille qui s'étein* 
en fumant encore un peu. Mais enfin, de la richesse de 
votre volcan et des débris de mon feu de paille combiiiés» 
il peut résulter quelque chose. J'aurais à cet égard une 
et peut-être deux propositions à vous faire. Pour cela, 
il s'agirait de nous voir et de nous entendre. Si le cœur 
vous en dit, indiquez-moi un jour uù je pourrai vous 
rencontrer, ou venez à Choisy me dimiander un déjeuner, 
un dîner, fort mauvais sans doute, mais qu'un poète 
comme vous ne saurait trouver tel, assaisonné de l'air 
des cliamps. Je n'aurais pas attendu jusqu'à présent pour 
tâcher de me rapprocher de vous et vous remercier de 
l'honneur que vous avez fait à certaine pauvre créature 



MÉTffOTRffS* DE HECTOTT FERLIOT. 1»^ 

dé riiabiUer tout à neuf et de couvrir, dit-on, sa nudité 
de tout le brillant de votre imagination. Mais je ne suis 
qu'un misérable ermite écloppé, qui ne fait que des ap- 
paritions très-courtes et très-rares dans votre grande 
ville, et qui, les trois quarts et demi du temps, n'y fait 
rien de ce qu'il voudrait faire. Puis-je me flatter qu« 
vous ne vous refuserez point à cet appel, un peu chan^ 
ceux pour vous à la vérité, et que, de manière ou d'au- 
tre, vous me mettrez à même de vous témoigner de vive 
voix et ma reconnaissance personnelle et le plaisir aveo 
lequel je m'associe aux espérances que fondent sur vo- 
tre audacieux talent les vrais amis du bel art que vous 
cultivez? 

» ROUGET DE LISLS. > 



J'ai su plus tard que Rouget de Lisle, qui, pour le dire 
en passant, a fait bien d'autres beaux chants que la 
Marseillaise,'^ 2i,Y3i.it en portefeuille un livret d'opéra sur 
Othello, qu'il voulait me proposer. Mais devant partir de 
Paris le lendemain du jour où je reçus sa lettre, je m'ex- 
cusai auprès de lui en remettant à. mon retour d'Italie la 
visite que je lui devais. Le pauvre homme mourut dans 
rintervalle. Je ne l'ai jamais vu. 

Quand le calme eut été rétabli tant bien que mal dans 
Paris, quand Lafayette eut présenté Louis-Philippe au 
peuple en le proclamant la meilleure des républiques, 
quand le tour fut fait enfin, la machine sociale recom- 
mençant à fonctionner, l'Académie des Beaux-Arts re- 
prit ses travaux. L'exécution de nos cantates du con- 
cours eut lieu (au piano toujours) devant les deux aréo- 
pages dont j'ai déjà fait connaître la composition. Et tous 
les deux, grâce à un morceau que j'ai brûlé depuis lors, 
ayant reconnu ma conversion aux saines doctrines m'ac- 



460 MtMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

cordèrent enfin, enfin, enfin... le premier prix. J'avais 
éprouvé de très-vifs désappointements aux concours pré- 
cédents où je n'avais rien obtenu, je ressentis peu de 
joie quand Pradier le statuaire, sortant de la salle des 
conférences de TAcadémie vint me trouver dans la bi- 
bliothèque où j'attendais mon sort, et me dit vivement 
en me serrant la main: « Vous avez le prix ! « A le voir 
si joyeux et à me voir si froid, on eût dit que j'étais l'a- 
cadémicien et qu'il était le lauréat. Je ne tardai pourtant 
pas à apprécier les avantages de cette distinction. Avec 
mes idées sur l'organisation du concours, elle devait 
flatter médiocrement mon amourpropre, mais elle repré- 
sentait un succès officiel dont l'orgueil de mes parents 
setait certainement satisfait, elle me donnait une pension 
de mille écus, mes entrées à tous les théâtres lyriques * 
c'était un diplôme, un titre, et l'indépendance et presque 
i'aisance pendant cinq ans. 



XXX 



Distribution des prix à Tlnstitut. — Les académiciens. — 
Ma cantate de Sardanapale. Son exécution — L*incendie 
qui ne s*aliume pas. — Ma fureur. -^ Efiroi de madame Mali- 
bran. 



Deux mois après eurent lieu, comme à Tordinaire, à 
rinstitut, la distribution des prix et lexécution à grand 
orchestre de la cantate couronnée. Cette cérémonie se 
passe encore de la même façon. Tous les ans les mêmes 
musiciens exécutent des partitions qui sont à peu près 
aussi toujours les mêmes, et les prix, donnés avec le 
même discernement, sont distribués avec la même solen- 
nité. Tous les ans, le même jour, à la même heure, de- 
bout sur la même marche du même escalier de l'Insti- 
tut, le même académicien répète la même phrase au lau- 
réat qui vient d'être couronné. Le jour est le premier 
samedi d'octobre ; l'heure, la quatrième de l'après-midi; 
la marche d'escalier, la troisième; l'académicien, tout le 
monde le connaît; la phrase, la voici : 

c Allons, jeune homme, macte animo ; vous allez faire 
un beau voyage... la terre classique des beaux-arts... la 
patrie des Pergolèse, des Piccini... un ciel inspirateur... 
vous nous reviendrez avec quelque magnifique par- 
tition... vous êtes en beau chemin. > 



i62 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Pour cette glorieuse journée, les académiciens endos- 
sent leur bel habit brodé de vert; ils rayonnent, ils 
éblouissent. Ils vont couronner en pompe, un peintre, 
un sculpteur, un architecte, un graveur et un musicien. 
Grande est la joie au gynécée des muses. 

Que viens-je d'écrire là?... cela ressemble ïi un vers. 
C'est que j'étais déjà loin de l'Académie, et que je son- 
geais (je ne sais trop à quel propos en vérité) à celte 
strophe de Victor Hugo : 

« Aiglû qu*il8 deyaient suivre, aigle de. notre année^ 
» Dont la plume sanglante en cent lieux est, semée, 
» Dont le tonnerre, un soir, s'éteignit dans les flots ; 
» Toi qui les as couvés dans Taire maternelle 
» Regarde et sois contente, et crie et bats de l'aile , 
•a Mère, tes aiglons sont éclosl » 

Revenons à nos lauréats, dont quelques-uns ressena?r 
bleui bien un peu à des hiboux, à ces petits monstres re- 
chignes dont parle La Fontaine, plutôt qu'à des aigles,, 
mais qui se partagent tous également, néanmoins, les affec- 
tions de l'Académie. 

C'est donc le premier samedi d'octobre que leur mère 
radieuse bat de VaUe^ et que la cantate couronnée est 
enfin exécutée sérieusement. On rassemble alors un or- 
chestre tout entier; il n'y manque rien. Les instruments 
à cordes y sont ; on y voit les deux flûtes, les deux haut- 
bois, les deux clarinettes (je dois cependant à la vérité de 
dire que cette précieuse partie de l'orchestre est com- 
plète depuis peu seulement. Quand Vaurore du grand 
prix se leva pour moi, il n'y avait qu'une clarinette et 
demie^ le vieillard chargé depuis un temps immémorial 
de la partie de première clarinette, n'ayant plus qu'une 
deux, na pouvait faire sortir de sou instrument asthma- 
tique que la moitié des notes tout au plus). Oa y trouve 



ITÉHOIRES ITE HECTOR BERLIOZ. 163 

les quatre cors, le& trois trombones, et jusqu'à des cor- 
nets à pistons, instruments moderne&l Voilà qui est fort. 
Eh bien 1 rien n'est plus vrai. L'Académie, ce jour-là ne 
aeconaaît plus, elle fait des folies, de véritables extrava- 
gaaces ; ellefist conknté^ et crie et bat de Vaile, ses hiboux 
(ses aiglons, vouiais-je dire ) sontéclos. Chacun est à son 
poste. Le chef d'orchestre, armé de rarcfael conducteiir, 
donne le signal. 

Le soleil se lève; solo devioloneeUe... léger cre»- 
cando'i. 

Les petits oiseaux se réveiH^nt; solo de flûte, trilles dé 
violons. 

Les petits ruisseaux murmurent ; solo d'altos. 

Les petits agneaux bêlent; solo de hautbois. 

Et le crescendo continuant, il se trouve, quand les 
petits oiseaux, les petits ruisseaux et les petits agneaux 
ont été 3ntendus successivement, que le soleil est au 
zénith, et qu'il est midi tout au moins. Le récitatif com- 
mence: 

« Dé|à le jour naifiaant... etc. » 



Suivent le premier air, le deuxième récitatif» le deuxième 
air, le troisième récitatif et le troisième air, où le person- 
nage expire ordinairement, mais où le chanteur et les au- 
diteurs respirent. Monsieur le secrétaire perpétuel pro- 
nonce à haute et intelligible voix les nom et prénoms de 
Fauteur, tenant d'une main la couronne de laurier ar- 
tificiel qui doit ceindre les tempes du triomphateur, et de 
l'autre une médaille d'or véritable, qui lui servira à 
payer son terme avant le départ pour Rome. Elle vaut 
cent soixante francs, j'en suis certain. Le lauréat se 
lave: 



164 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Son front nouveau tondu, symbole de candeur 
Rougit, en approchant d*une honnête pudeur. 

n embrasse M. le secrétaire perpétuel. On applaadit on 
peu. A quelques pas de la tribune de M le secrétaire 
perpétuel se trouve le maître illustre de Télève couronné; 
l'élève embrasse son illustre maître: c'est juste. On ap- 
plaudit encore un peu. Sur une banquette du fond, der- 
rière les académiciens, les parents du lauréat versent si- 
lencieusement des larmes de joie; celui-ci, enjambant les 
bancs de l'amphithéâtre, écrasant le pied de l'un, mar- 
chant sur l'habit de l'autre, se précipite dans les bras de 
son père et de sa mère, qui, cette fois, sanglotent tout 
haut : rien de plus naturel Mais on n'applaudit plus, le 
public commence à rire. A droite du lieu de la scène lar- 
moyante, une jeune personne fait des signes au héros de 
la fête: celui-ci ne se fait pas prier, et déchirant au pas- 
sage la robe de gaze d'une dame, déformant le chapeau 
d'un dandy, il finit par arriver jusqu'à sa cousine. Il 
embrasse sa cousine. Il embrasse quelquefois même le 
voisin de sa cousine. On rit beaucoup. Une autre femme, 
placée dans un coin obscur et d'un difficile accès, doane 
quelques marques de sympathie que l'heureux vain- 
queur se garde bien de ne pas apercevoir. Il vole em- 
brasser aussi sa maîtresse, sa future, sa fiancée, celle 
qui doit partager sa gloire. Mais dans sa précipitation et 
son indifférence pour les autres femmes, il en renverse 
une d'un coup de pied, s'accroche lui-môme à une ban- 
quette, tombe lourdement, et, sans aller plus loin, renon- 
çant à donner la moindre accolade à la pauvre jeune 
lille, regagne sa place, suant et confus. Cette fois, on 
applaudit à outrance, on rit aux éclats; c'est un bonheur, 
un délire; c'est le beau moment de la séance académi- 
que, et je sais bon nombre d'amis de la joie qui n'y vont 
que pour celui^à. Je ne parle pas ainsi par l'aucune 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 165 

contre les rieurs, car je n'eus pour ma part, quand mon 
tour arriva, ni père, ni mère, ni cousine, ni maître, ni 
maîtresse à embrasser. Mon maître était malade, mes 
parents absents et mécontents; pour ma maîtresse... Je 
n'embrassai donc que M. le secrétaire perpétuel et je 
doute, qu'en l'approchant, on ait pu remarquer la rou- 
geur^de mon front, car, au heu d'être nouveau tondu, il 
était enfoui sous une forêt de longs cheveux roux, qui, 
avec d'autres traits caractéristiques, ne devaient pas peu 
contribuer à me faire ranger dans la classe des hiboux. 
J'étais d'ailleurs, ce jour-là, d'humeur très-peu em- 
brassante; je crois même ne pas avoir éprouvé de plus 
horrible colère dans ma vie. Voici pourquoi : la cantate 
du concours avait pour sujet la Dernière ntdt de Sardanor- 
paie. Le poème finissait au moment où Sardanapale vaincu 
appelle ses plus belles esclaves et monte avec elles sur le 
bûcher. L'idée m'était venue tout d'abord d'écrire une 
sorte de symphonie descriptive de l'incendie, des cris de 
ces femmes mal résignées, des fiers accents de ce brave 
voluptueux défiant la mort au milieu des progrès de la 
flamme, et du fracas de l'écroulement du palais. Mais 
en songeant aux moyens que j'allais avoir à employer 
pour rendre sensibles, par l'orchestre seul les principaux 
traits d'un tableau de cette nature, je m'arrêtai. La sec- 
tion de musique de l'Académie eût condamné, sans 
aucun doute, toute ma partition, à la seule inspection de 
ce finale instrumental: d'ailleurs, rien ne pouvant être 
plus inintelligible, réduit à l'exécution du piano, il de- 
venait au moins inutile de l'écrire. J'attendis donc. Quand 
ensuite le prix m'eût été accordé, sûr alors de ne pou- 
voir plus le perdre, et d'être en outre exécuté à grand 
orchestre, j'écrivis mon incendie. Ce morceau, à la répé- 
tition générale, produisit un tel effet que plusieurs de 
messieurs les académiciens, pris au dépourvu, vinrent 
eux-mêmes m'en faire compliment, sans arrière-pensée 



i66 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

et sans rancune pour le piège où je venais de prendre 
leur religion musicale. 

La salle des séances publiques de l'Institut était pleine 
d'artistes et d'amateurs, curieux d'entendre cette cantate 
dont l'auteur avait alors déjà une fière réputation d'ex- 
travagance. La plupart, en sortant, exprimaient l'éton- 
nement que leur avait causé Vincendie, et par le récit 
qu'ils firent de cette élrangeté symphonique, la curiosité 
et l'attention des auditeurs du lendemain, qui n'avaient 
point assisté à la répétition, furent naturellement exci- 
tées à un degré peu ordinaire. 

A l'ouverture de la séance, me méfiant un peu de 
l'habileté de Grasset, l'ex-chef d'orchestre du Théâtre- 
Italien, qui dirigeait alors, j'allai me placer à côté de 
lui, mon manuscrit à la main. Madame Malibran, at- 
tirée elle aussi par la rumeur de la veille, et qui n'avait 
pas pu trouver place dans la salle, était assise sur un 
tabouret, auprès de moi, entre deux contre-basses. Je la 
vis ce jour-là pour la dernière fois. 

Mon decrescendo commence. 

(La cantate débutant par ce vers : Déjà la nuit a voilé 
la nature, j'avais dû faire un coucher du soleil au lieu du 
lever de V aurore consacré. Il semble que je sois condamné 
à ne jamais agir comme tout le monde, à prendre la vie 
et TAcadémie à contre-poil !) 

La cantate se déroule sans accident. Sardanapale ap- 
prend sa défaite, se résout à mourir, appelle ses femmes; 
l'incendie s'allume, on écoute; les initiés de la répétition 
disent à leurs voisins ; 

— « Vous allez entendre cet écroulement, c'est étrange, 
c'est prodigieux I » 

Cinq cent mille malédictions sur les musiciens qui ne 
comptent pas leurs pauses!!! une partie de cor donnait 
dans ma partition la réplique aux timbales, les timbales 
la donnaient aux cymbiles, celles-ci à la grosse caisse, et 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 167 

le premier coup de la grosse caisse amenait Texplosion 
flnalel Mon damné cor ne fait pas sa note, les timbales 
ne rentendant pas n'ont garde de partir, par suite, les 
cymbales et la grosse caisse se taisent aussi ; rien ne part! 
rienîîî... les violons et les basses continuent seuls leur 
impuissant trémolo; point d'explosion ! un incendie ,qui 
s'éteint sans avoir éclaté, un effet ridicule au lieu de 
l'écroulement tant B,nnoncé ; ridiculus mus!,.. Il n'y a 
qu'un compositeur déjà soumis à une pareille épreuve 
qui puisse concevoir la fureur dont je fas alors trans- 
porté. Un cri d'horreur s'échappa de ma poitrine hale- 
tante, je lançai ma partition à travers l'orchestre, je 
renversai deux pupitres ; madame Malibran fit un bond 
en arrière, comme si une mine venait soudain d'éclater 
à ses pieds; tout fut en rumeur, et l'orchestre, et les aca- 
démiciens scandalisés, et les auditeurs mystifiés, et les 
amis de l'auteur indignés. Ce fut encore une catastro- 
phe musicale et plus cruelle qu'aucune de celles que j'a- 
vais éprouvées précédemment .. Si elle eût au moins été 
pour moi la dernière 1 



XXX. 



Je donne mon second concert. — La symphonie fantastique. — 
Liszt vient me voir. — Commencement de notre liaison. -^ 
Les critiques parisiens. — Mot de Cherubini. — Je pars 
pour ritalie. 



Malgré les pressantes sollicitations que j'adressai au 
ministre de l'intérieur pour qu'il me dispensât du voyage 
d'Italie, auquel ma qualité de lauréat de l'Institut m'o- 
bligeait, je dus me préparer à partir pour Rome. 

Je ne voulus pourtant pas quitter Paris sans repro- 
duire en public ma cantate de Sardanapale, dont le anale 
avait été abîmé à la distribution des prix de l'Institut. J'or- 
ganisai, en conséquence, un concert au Conservatoire, où 
cette œuvre académique figura à C/ôté de la symphonie 
fantastique qu'on n'avait pas encore entendue. Habeneek 
se chargea de diriger ce concert dont tous les exécutants, 
avec une bonne grâce dont je ne saurais trop les re- 
mercier, me prêtèrent une troisième fois leur concours 
gratuitement. 

Ce fut la veille de ce jour que Liszt vint me voir. Nous 
ne nous connaissions pas encore. Je lui parlai du Faust 
de Gœthe, qu'il m'avoua n'avoir pas lu, et pour lequel 
il se passionna autant que moi bientôt après. Nous 
éprouvions une vive sympathie l'un pour l'autre, et 



MÉMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 169 

depuis lors notre liaison n'a fait que se resserrer et se 
consolider. 

Il assista à ce concert où il se fit remarquer de tout 
l'auditoire par ses applaudissements et ses enthousiastes 
démonstrations. 

L'exécution ne fut pas irréprochable sans doute, ce 
n'était pas avec deux répétitions seulement qu'on pou- 
vait en obtenir une parfaite pour des œuvres aussi com- 
pliquées. L'ensemble toutefois fut suffisant pour en laisser 
apercevoir les traits principaux. Trois morceaux de la 
symphonie, le Bal, la Marche au supplice et le Sabbat^ 
firent une grande sensation. La Marche au supplice surtout 
bouleversa la salle. La Scène aux champs ne produisit 
aucun effet. Elle ressemblait peu, il est vrai, à ce qu'elle 
est aujourd'hui. Je pris aussitôt la résolution de la ré- 
crire, et F. Hiller, qui était alors à Paris, me donna 
à cet égard d'excellents conseils dont j'ai tâché de pro- 
fiter. 

La cantate fut bien rendue; l'incendie s'alluma, Té- 
croulement eut lieu; le succès fut très-grand. Quelques 
jours après, les aristarques de la presse se prononcèrent, 
les uns pour^ les autres contre moi, avec passion. Mais 
les reproches que me faisait la critique hostile, au lieu de 
porter sur les défauts évidents des deux ouvrages en- 
tendus dans ce concert, défauts très-graves et que j'ai 
eorrigés dans la symphonie, avec tout le soin dont je suis 
capable en retravaillant ma partition pendant plusieurs 
années, ces reproches, dis-je, tombaient presque tous à 
faux. Us s'adressaient tantôt à des idées absurdes qu'on 
me supposait et que je n'eus jamais^ tantôt à la rudesse 
de certaines modulations qui n'existaient pas, à l'inobser- 
vance systématique de certaines règles fondamentales de 
l'art que i'avats religieusement observées et à l'absence de 
certaines formes musicales qui étaient seules enployées dans 
les passages où on en niait la présence. Au reste, je 
I. 10 



170 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

lois ravouer, mes partisans m'ont aussi bien souvent at- 

cribué des intentions que je n'ai jamais euos, et parfoi- 
tement ridicules. Ce que la critique française a dépensé, 
depuis cette époque, à exalter oa à déchirer mes œuvres, 
rie non sens, de foli(3S, de systèmes extra va j^ants, de sot- 
tise et d'aveuglement, passe toute croyance. Deux ou trois 
hommes seulement ont tout d'ab(M*d parlé de moi avec 
une sa^ et intelligente réserve. Mais les critiques clair- 
voyants, doués de savoir, de sensibilité, d'imaginaSion 
et d'impartialité, capables de me juger sainement, de 
bien apprécier la portée de mes tentatives et la direction 
de mon esprit, ne sont pas aujourd'hui faciles à trou- 
ver. En tous cas ils n'existaient pas dans les premières 
années de ma carrière ; les exécutions rares et fort in»- 
parfaites de mes essais leur eussent d'ailleurslaissé beau- 
coup à deirina*. 

Tout ce qu'il y avait alors à Paris de jeunes g€ns 
doués d'un peu de culture musicale et de ce sixième sens 
qu'on nomme le sons artiste, nmsiciens ou non, me com- 
prenait mieux et plus vite que ces froids prc^ateorspiaios 
de va&ité; et d'une ignorance prétentieuso. Les profes^ 
seurs demusique dont les œuvres-bornes étaient mào^ 
ment h^irtées et écornées par quelques-unes des fop- 
mes de mon style, coraoïencèreat à me prendre en iior- 
reur. Mon impiété à l'égard de certaines croyances soo- 
lastiques surtout les exaspérait. Et Dieu sait s'il yia 
quelque chose déplus violent et de plus acharné qu'un 
pareil fanatisme. On juge de la colère que devaient cau- 
ser à Gherubini ces questions hétérodoxes, soulevées à. 
mon sujets et tout ce bruit dont j'étais la cause. Ses afô- 
dés lui avaient rendu compte do la dernière répétition 
de Vabominable symphonie ; le lendemain, il passait d^ 
vant la porte de la salle des concerts au moment où le 
public y entrait, quand quelqu'un l'arrotant, lui dit : 
« Eh bien,.raoii'sleîirCherdijh3i, voùis ne A^nea paseï**' 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 171 

tendre la nouvelle composition de Berlioz ? — Zén'ai pas 
besoin d'aller savoir comment il né faut pas faire! » ré- 
pondit-il, avec l'air d'un chat auquel on veut faire ava- 
ler de la moutarde. (]e fut bien pis, après le succès du 
concert : il semblait qu'il eût avalé la moutarde ; il ne 
parlait plus, il éternuait. Au bout de quelques jours, il 
me fit appeler : « Vous allez partir pour lltalie, me dit- 
il? — Oui, monsieur. — On va vous effacer des rézistres 
du Conservatoire, vos études sont terminées. Iffais il mé 
semble que, que, que, vous deviez venirméfiaire ime 
visite. On-on-on-on né sort pas d'ici comme d'une écu- 
rie I... » — Je fus sur. le point de répondre : « Pourquoi 
noii ? puisqu'on nous y traite comme des chevaul I » 
naais j'eus le bon sens de me contenir et d'assurer même 
à notre ainjable directeur que je n'avais point eu la pen- 
sée de quitter Paris sans venir prendre congé de lui et le 
remercier de ses bontés. 

Il fallut donc, bon gré mal gré, me diriger vers l'aca- 
démie de Rome, où je devais avoir le loisir d'oublier les 
gracieusetés du bon Cherubini, les coups de lance à fer 
émoulu du chevalier français Boïeldieu, les grotesques 
dissertations des feuilletonistes, les chaleureuses dé- 
monstrations de mes amis, les invectives de mes ennemis, 
et le monde musical et même la musique. 

Cette institution eut sans doute, dans le principe, un 
but d'utilité pour l'art et les artistes. Il ne m'appartient 
pas déjuger jusqu'à quel point les intentioùs du fonda- 
teur ont été remplies à l'égard des peintres, sculpteurs, 
graveurs et architectes; quant aux musiciens, le voyage 
d'Italie, favorable au développement de leur imagina- 
tion par le trésor de poésie que la nature, l'art et les 
souvenirs étalent à l'envi sous leurs pas, est au moins 
inutile sous le rapport des éludes spéciales qu'ils y peu- 
vent faire. Mais le fait ressortira plus évident du tableau 
fidèle de la vie que mènent à Rome les artistes français. 



172 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Avant de s'y rendre, les cinq on six nouveaux lauréats 
se réunissent pour combiner ensemble les arrangements 
du grand voyage qui se fait d'ordinaire en commun. Un 
voiturin se charge, moyennant une somme assez modi- 
que, de faire parvenir en Italie sa cargaison de grands 
hommes, en les entassant dans une lourde carriole, ni 
plus, ni moins que des bourgeois du marais. Gomme il 
ne change jamais de chevaux, il lui faut beaucoup de 
temps pour traverser la France, passer les Alpes, et par- 
venir dans les États-Romains ; mais ce voyage à petites 
journées doit être fécond en incidents pour une demi- 
douzaine de jeunes voyageurs, dont Tesprit, à cette épo- 
que, est loin d'être tourné à la mélancolie. Si j'en p^urle 
sous la forme dubitative, c'est que je ne l'ai pas fait ainsi 
moi-même ; diverses circonstances me retinrent à Paris, 
après la cérémonie auguste de mon couronnement, jus- 
qu'au milieu de janvier ; et après être allé passer quelques 
semaines à la Côte-Saint-André, où mes parents, tout 
fiers de la palme académique que je venais d'obtenir, me 
firent le meilleur accueil, je m'acheminai vers l'Italie, 
seul et assez triste. 



VOYAGE EN ITALIE 



XXXII 



De Marseille à livourne. — Tempête. — De Llvoarne à Rome. 
L*Académie de France à Rome. 



La saison était trop mauvaise pour que le passage des 
Alpes pût m'offrir quelque agrément ; je me déterminai 
donc à les tourner et me rendis à Marseille. G^était ma 
première entrevue avec la mer. Je cherchai assez long- 
temps un vaisseau un peu propre qui fit voile pour Li- 
vourne ; mais je ne trouvais toujours que d'ignobles pe- 
tits navires, chargés de laine, ou de barriques d'huile, 
ou de monceaux d'ossements à faire du noir, qui exha- 
laient une odeur insupportable. Du reste, pas un endroit 
où un honnête homme pût se nicher ; on ne m'offrait 
ni le vivre ni le couvert ; je devais apporter des provi- 
sions et me faire un chenil pour la nuit dans le coin du 
vaisseau qu'on voulait bien m'octroyer. Pour toute com- 
pagnie, quatre matelots à face de bouledogue, dont la 
probité ne m'était rien moins que garantie. Je reculai. 
Pendant plusieurs jours il me fallut tuer le temps à par- 
courir les rochers voisins de Notre-Dame de la Garde, 
u 10. 



m MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

genre d'occupation pour lequel j*ai toujours eu un goût 
particulier. 

Enfin, j'entendis annoncer le prochain départ d'un 
brick sarde qui se rendait à Livourne. Quelques jeunes 
gens de bonne mine que je rencontrai à la Cannebière, 
m'apprirent qu'ils étaient passagers sur ce bâtiment, cl 
que nous y serions assez bien en nous concertant ensem- 
ble pourl'approvisionnemettt. Le capitaine ne voulait eu 
aucune façon se charger du soin de notre table. En con- 
séquence, il fallut y pourvoir. Nous prîmes des vivres 
pour une semaine, comptant en avoir de reste, la traver- 
sée de Marseille à Livourne, par un temps favorable ne 
prenant guère plus de trois ou quatre jours. C'est une 
délicieuse chose qu'un premier voyage sur la Méditerra- 
née, quand on est favorisé d'un beau temps, d'un navire 
passable et qu'on n'a pas le mal de mer. Les deux pre- 
miers jours, je ne pouvais assez admirer la bonne étoile 
qui m'avait fait si bien tomber et m'exemptait complète- 
ment du malaise dont les autres voyageurs étaient cruel- 
lement tourmentés. Nos dîners sur le pont, par un soleil 
superbe, en vue des côtes de Sardaigne, étaient de fort 
agréables réunions. Tous ces messieurs étaient Italiens, 
et avaient la mémoire garnie d'anecdotes plus ou moins 
vraisemblables, mais très-intéressantes. L'un avait 8€tt»vi 
la cause de la liberté, en Grèce, où il s'était lié avec Ca- 
naris ; et nous ne nous lassions pas de lui demander des 
détails sur l'héroïque incendiaire, dont la gloire somblait 
prête à s'éteindre, après avoir brillé d'un éclat su- 
bit et terrible comme l'explosion de ses brûlots. Un Vé- 
nitien, homme d'assez mauvais ton, et parlant fort mal 
fe français, prétendait avoir commandé la corvette de 
Byron pendant les excursions aventureuses du poète dans 
l'Adriatique et l'Archipel grec. Il nous décrivait minutieu- 
sement le brillant uniforme dont Byron avait exigé qu'il 
fût revêtu, les orgies qu'ils faisaient ensemble ; il n'ou- 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 175 

bliait pas non plus les éloges que l'illustre voyageur avait 
accordés à son courage. Au milieu d'une tempête, Byron 
ayant engagé le capitaine à venir dans sa chambre faire 
avec lui une partie d'écarté, celui-ci accepta l'invita- 
tion au lieu de rester sur le pont à surveiller la ma- 
nœuvre; la partie commencée, les mouvements du 
vaisseau devinrent si violents, que la table et les 
joueurs furent rudement renversés. 
« — Ramassez les cartes, et continuons, s'écria Byron. 

— Volontiers, milord ! 

— Commandant, vous êtes un brave I » 

Il se peut qu'il n'y ait pas un mot de vrai dans tout 
cela, mais il faut convenir que l'uniforme galonné et la 
partie d'écarté sont bien dans le caractère de l'auteur de 
Lara ; en outre, le narrateur n'avait pas assez d'esprit 
pour donner à des contes ce parfum de couleur locale, et 
le plaisir que j'éprouvais à me trouver ainsi côte à côte 
avec un compagnon du pèlerinage de Child-Harold, ache- 
vait de me persuader. Mais notre traversée ne paraissait 
pas approch^^r sensiblement de son terme ; un calme plat 
nous avait arrêtés en vue de Nice; il nous y retint 
trois jours entiers. La brise légère qui s'élevait chaque 
soir nous faisait avancer de quelques lieues, mais elle 
tombait au bout de deux heures, et la direction contraire 
d'un courant qui règne le long de ces côtes, nous rame- 
nait tout doucement pendant la nuit au point d'oii nous 
étions partis. Tous les matins, en montant sur le pont, 
ma première question aux matelots était pour connaître 
le nom de la ville qu'on découvrait sur le rivage, et tous 
les matins je recevais pour réponse : « Ê A'izza, signore. 
Ancora Nizza, È sempre Nizza ! » Je commençais à croire 
la gracieuse ville de Nice douce d'une puissance magné- 
tique, qui, si elle n'arrachait pas pièce à pièce tous les 
ferrements de notre brick, ainsi qu'il arrive, au dire des 
matelots, quand on approche des pôles, exerçait au moins 



176 MÉMOIRES D& HECTOR BERLIOZ. 

sur le bâtiment ane irrésistible attraction. Un vent fu- 
rieux du nordy qui nous tomba des Alpes comme une 
ayalanche, vint me tirer d'erreur. Le capitaine n'eut garde 
de manquer une si belle occasion pour réparer le temps 
perdu et se couvrit de toile. Le vaisseau, pris en flanc, 
inclinait horriblement. Toutefois je fus bien vite accou- 
tumé à cet aspect qui m'avait alarmé dans les premiers 
moments; mais, vers minuit, comme nous entrions dans 
le golfe de la Spezzia, la frénésie de cette tramontana de- 
vint telle, que les matelots eux-mêmes commencèrent à 
trembler en voyant l'obstination du capitaine à laisser 
toutes les voiles dehors. C'était une tempête véritable, 
dont je ferai la description en beau style académique, 
une autre fois. Cramponné à une barre de fer du pont, 
j'admirais avec un sourd battement de cœur cet étrange 
spectacle, pendant que le conunandant vénitien, dont 
j'ai parlé plus haut, examinait d'un œil sévère le capi- 
taine occupé à tenir la barre, et laissait échapper de 
temps en temps de sinistres exclamations : < C'est de la 
folie I disait-il... quel entêtement ! cet imbécile va nous 
faire sombrer!... un temps pareil et quinze voiles éten- 
dues ! » L'autre ne disait mot, et se contentait de rester 
au gouvernail, quand un effroyable coup de vent vint le 
renverser et coucher presque entièrement le navire sur 
le flanc. Ce fut un instant terrible. Pendant que notre 
malencontreux capitaine roulait au milieu des tonneaux 
que la secousse avait jetés sur le pont dans toutes les di- 
rections, le Vénitien s'élançant à la barre, prit le com- 
mandement de la manœuvre avec une autorité illégale, 
il est vrai, mais bien justifiée par l'événement et que 
rinstinct des matelots, joint à l'imminence du danger, 
les empêcha de méconnaître. Plusieurs d'entre eux, se 
croyant perdus, appelaient déjà la madone à leur aide, 
c II ne s'agit pas de la madone, sacredieu ! s'écrie le 
commandant, au perroquet ! au perroquet ! tous au per- 



j 



\ 



HÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 177 

roquet t > En un instant, à la voix de ce chef improvisé, 
les mâts furent couverts de monde» les principales voiles 
carguées ; le vaisseau se relevant à demi, permit alors 
d'exécuter les manoeuvres de détail et nous fûmes 

sauvés. 

Le lendemain, nous arrivâmes à Livourne à Taide 
d'une seule voile ; telle était la violence du vent. Quel- 
ques heures après notre installation à Thôtel de VAquila 
nera, nos matelots vinrent en corps nous faire une visite, 
intéressée en apparence, mais qui n'avait pour but ce- 
pendant que de se réjouir avec nous du danger auquel 
nous venions d'échapper. Ces pauvres diables qui ga- 
gnent à peine le morceau de morue sèche et le biscuit 
dont se compose leur nourriture habituelle, ne voulurent 
jamais accepter notre argent, et ce fut à grand'peine que 
nous parvînmes à les faire rester pour prendre leur part 
d'un déjeuner improvisé. Une pareille délicatesse est 
chose rare, surtout en Italie; elle mérite d'être consignée. 

Mes compagnons de voyage m'avaient confié, pendant 
la traversée, qu'ils accouraient pour prendre part au 
mouvement qui venait d'éclater contre le duc de Mo- 
d.ène. Ils étaient animés du plus vif enthousiasme ; ils 
croyaient toucher déjà au jour de l'affranchissement de 
leur patrie. Modène prise, la Toscane entière se soulève- 
rait : sans perdre de temps on marcherait sur Rome ; la 
France d'ailleurs ne manquerait pas de les aider dans 
leur noble entreprfse, etc., etc. Hélas ! avant d'arriver à 
Florence, deux d'entre eux furent arrêtés par la police 
du grand duc et jetés dans un cachot, où ils croupissent 
peut-être encore ; pour les autres, j'ai appris plus tard 
qu'ils s'étaient distingués dans les rangs des patriotes de 
Modène et de Bologne, mais qu'attachés au brave et 
malheureux Menotti, ils avaient suivi toutes ses vicissi- 
tudes et partagé son sort. Telle fut la fin tragique de 
ces beaux rêves de liberté. 



178 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Resté seul à Florence, après des adieux que je ne 
croyais pas devoir être éternels, je m'occupai de mor. 
départ pour Rome. Le moment était fort inopportun, e: 
ma qualité de Français, arrivant de Paris, me rendai- 
encore plus difficile l'entrée des États pontificaux. On re- 
fusa de viser mon passe-port pour cette destination ; les ^ 
pensionnaires de l'Académie étaient véhémentement 
soupçonnés d'avoir fomenté le mouvement insurrectionnel 
de la place Colonne, et Ton conçoit que le pape ne vît 
pas avec empressement s'accroître cette petite colonie de 
révolutionnaires. J'écrivis à notre directeur, M. Horace 
Vernel, qui, après d'énergiques réclamations, obtint du 
cardinal Bernetti l'autorisation dont j'avais besoin. 

Par une singularité remarquable, j'étais parti seul de 
Paris ; je m'étais trouvé seul Français dans la traversée 
de Marseille à Livourne ; je fus l'unique voyageur que 
le voiturin de Florence trouva disposé à s'acheminer 
vers Rome, et c'est dans cet isolement complet que j'y 
arrivai. Deux volumes de Mémoires sur l'impératrice 
Joséphine, que le hasard m'avait fait rencontrer chez un 
bouquiniste de Sienne, m'aidèrent à tuer le temps peu-, 
dant que ma vieille berline cheminait paisiblement. Mon 
Phaéton ne savait pas un mot de français ; pour moi, 
je ne possédais de la langue italienne que des phrases 
comme celles-ci : « Fa molto caldo. Piove. Quando lo 
pranzo ?» Il était difficile que notye conversation fût 
d'un grand intérêt. L'aspect du pays était assez peu pit- 
toresque et le manque absolu de confortable dans les 
bourgs ou villages où nous nous arrêtions, achevait de 
me faire pester contre l'Italie et la nécessité absurde qui 
m'y amenait. Mais un jour, sur les dix heures du matin, 
comme nous venions d'atteindre un petit groupe de 
maisons appelé la Stortat, le vetturino me dit tout à 
coup d'un air nonchalant, en se versant un verre de 
vm : « Ecco Roma, signore I » Et, sans se retourner, ilme 



) 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 179 

montrait du doigt la croix de Saint-Pierre. Ce peu de 
mots opéra en moi une révolution complète ; je ne sau- 
rais exprimer le trouble, le saisissement, que me causa 
l'aspect lointain de la ville éternelle, au milieu de cette 
immense plaine nue et désolée... Tout à mes yeux devint 
grand, poétique, sublime; l'imposante majesté de la 
Piazza del popoîo, par laquelle on entre dans Rome, en 
venant de France, vint encore, quelque temps après, 
augmenter ma religieuse émotion; et j'étais tout rêveur 
quand les chevaux, dont j'avais cessé de maudire la 
lenteur, s'arrêtèrent devant un palais de noble et sévère 
apparence. C'était l'Académie. 

• La villa Medici^ qu'habitent les pensionnaires et le di- 
recteur de l'Académie île France, fut bâtie en 1557 par 
Annibal Lippi ; Michel- Ange ensuite y ajouta une aile 
et quelques embellissements; elle est située sur cette 
portion du Monte Pincio qui domine la ville, et de la- 
quelle on jouit d'une des plus belles vues qu'il y ait au 
monde. A droite, s'étend la promenade du Pincio ; c'est 
l'avenue des Champs-^Élysées de Rome. Chaque soir, au 
moment où la^ chaleur commence à baiser, elle est inon^ 
dée de promeneurs à pied, a cheval, et surtout en calè- 
che découverte, qui, après avoir animé pendant quel- 
que temps la solitude de ce magnifique plateau, en des- 
cendent précipitamment au coup de sept heures, et se 
dispersent comme un essahn de moucherons emportés 
par le vent. Telle est ia crainte presque superstitieuse 
qu'inspire aux Romains le mauvais' mr, que si un petit 
nombre de promeneurs attardés, narguant l'influence 
pernicieuse de Varia cattiva, s'arrête encore après la dis- 
parition delà foule, pouradmirer la pompe du nmjestueux 
paysage déployé par le soleil eouelmt derrière le Monte 
MariOy qui borne l'horizon de ce côté, vous pouvez en 
être sûr, ces imprutlents rêveurs* sont étrangers. 
A gau^e de \s; vilia« Tavemie du Pincio aboutit snor 



IgO MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

la petite place de la Trinita del Monte, ornée d'an obéi s- 
que, et d'où un large escalier de marbre descend dans 
Rome et sert de communication directe entre le haut de 
la colline et la place d'Espagne. 

Du côté opposé, le palais s'ouvre sur de beaux jardins, 
dessinés dans le goût de Lenôtre, comme doivent l'être 
les jardins de toute honnête académie. Un bois de lau- 
riers et de chênes verts élevé sur une terrasse en fait 
partie, borné d'un côté parles remparts de Rome, et, de 
l'autre, par le couvent des Ursulines françaises attenant 
aux terrains de la villa Medici. 

En face, on aperçoit au milieu des champs incultes de 
la villa Borghèse, la triste et désolée maison de cam- 
pagne qu'habita Raphaël; et, comme pour assombrir en- 
core ce mélancolique tableau, une ceinture de pins-pa- 
rasols, en tous temps couverte d'une noire armée de 
corbeaux, l'encadre à l'horizon. 

Telle est, à peu près, la topographie vraiment royale 
dont la munificence du gouvernement français a doté 
ses artistes pendant le temps de leur séjour à Rome. Les 
appartements du directeur y sont d'une somptuosité re- 
marquable; bien des ambassadeurs seraient heureux d'en 
posséder de pareils. Les chambres des pensionnaires, à 
l'exception de deux ou trois, sont, au contraire, petites, 
incommodes, et surtout excessivement mal meublées. Je 
parie qu'un maréchal des logis de la caserne Popincourt, 
à Paris, est mieux partagé, sous ce rapport, que je ne 
l'étais au palais de l'Accademia di Prancia. Dans le jar- 
din sont la plupart des ateliers des peintres et sculpteurs; 
les autres sont disséminés dans l'intérieur de la maison 
et sur un petit balcon élevé, donnant sur le jardin des 
Ursulines, d'où l'on aperçoit la chaîne de la Sabine, le 
Monte Gavo et le camp d'Annibal. De plus une biblio- 
thèque, totalement dépourvue d'ouvrages nouveaux, mais 
assez bien fournie en livres classiques, est ouverte jus- 



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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 481 

q à trois heures aux élèves laborieux, et présente au 
désœuvrement de ceux qui ne le sont pas une ressource 
contre Tennui. Car il faut dire que la liberté dont ils 
jouissent est à peu près illimitée. Les pensionnaires sont 
bien tenus d'envoyer tous les ans à l'Académie de Paris 
un tableau, un dessin, une médaille ou une partition, 
mais, ce travail une fois fait, ils peuvent employer leur 
temps comme bon leur semble, ou même ne pas rem- 
ployer du tout, sans que personne ait rien à y voir. La 
tâche du directeur se borne à administrer l'établissement 
et à surveiller l'exécution du règlement qui le régit. 
Quant à la direction des études, il n'exerce à cet égard 
aucune influence. Cela se conçoit : les vingt-deux élèves 
pensionnés, s'occupant de cinq arts, frères, si l'on veut, 
mais différents, il n'est pas possible à un seul homme de 
les^posséder tous, et il serait mal venu de donner son avis 
»ur ceux qui lui sont étrangers. 



xxxm 



Les pensionnaires de rAcadémie. — ^élix Mendelssohn. 



UAve Maria venait de sonner quimd je descMiâis de yoi 
tare à la porte de rAcadémie; cette heure étant ceUe du 
diner, je m'empressai de me faire conduire au réfectoire^aù 
Ton venait de m'apprendre quetqu&.nies nouveaux ca- 
marades étaient réunis. Mon arrivée à Rome ayant été 
retardée par diverses circonstances, comme je l'ai dit 
plus haut, on n'attendait plus que moi; et à peine eus-je 
mis le pied dans la vaste salle où siégeaient bruyamment 
autour d'une table bien garnie une vingtaine de con- 
vives, qu'un hourra à faire tomber les vitres, s'il y en 
avait eu, s'éleva à mon aspect. 

— Oh! Berlioz! Berlioz! oh! cette tête! oh! ces 
cheveux! oh! ce nez! Dis donc, Jalay, il t'enfonce jo- 
liment pour le nez ! 

— Et toi, il te recale fièrement pour les cheveux I 

— Mille dieux ! quel toupet I 

— Hé ! Berlioz! tu ne me reconnais pas? Te rappelles 
tu la séance de l'Institut, tes sacrées timbales qui ne sont 
pas parties pour V incendie de Sardanapale? Était-il fu- 
rieux ! Mais, ma foi, il y avait de quoi I Voyons donc, tu 
en me reconnais pas? 



t 






i 



MÉMOIRES DE HBGTOBT BIRLIOZ. 18t 

— Je vous reconnais bien; mais votre nom.... 

— Ah, tiens ! il médit vous.. Tu te manières^ mon viesT.; 
on se tutoie tout de suite ici. 

— Eh bien! comment t'appelles-tu? 

— Il s'appelle Signol. 

— Mieux que ça, Rossignol. 

— Mauvais, mauvais le calembour! 

— Absurde. 

— Laissez-le donc s'asseoir ! 

— Qui? le calembour? 

— Non, Berlioz. 

— Ohé! Fleury, apportez-nous du punch... et dft 
fameux ; ça vaudra mieux que les bêtise» de cet antre 
qui veut faire le malin. 

— Enfin, voilà notre section de musique au; ce»- 
plet ! 

— Hél Monfort *, voila ton colîègnel 

— Hé, Berlioz ! voilà tm fortî 

— C'est mon fort, 

— C'est S(m fort, 

— Cest notre fort. 

— Embrassez-vous. 

— Embrassons-nous. 

— Ils ne s'embrasseront pasi 
-«• Ils s'embrasseront! 

— Ils ne s'embrasseront pasi 

— Sit 

— Non! 

— Ah çà I mais pendant qu'ils crient, tu manges toat 

1. Compositeur lauréat de llnstitut qui mlavait précédé à 
Rome. L'Académie, n'ayant point décerné de premier prix en 
1829, en donna deux en 1830. Monfort obtint ainsi le prix 
arriéré qui lui donnait droit à la pension p«a<âani qvmttt 
ans. 



184 MÉMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 

le macaroni» toi 1 aarai»-ta la bonté de m*en laisser an 

peu? 4 

— Eh bien I embrassons-le tous et que ça finisse ! 

— Non» que ça commence 1 voilà le punch 1 ne bois 
pas ton vin. 

— Non, plus de vin. 

— A bas le vin ! 
— • Cassons les bouteilles ! gare, Fleury ! 

— Pinck, panck! 

— Messieurs, ne cassez pas les verres au moins, il en 
faut pour le punch : je ne pense pas que vous vouliez le 
boire dans de petits verres. 

— Ahy les petits verres 1 fi donci 

— Pas mal, Fleury 1 ce n*est pas maladroit; sans ça 
tout y passait. 

Fleury est le nom du factotum de la maison; ce brave 
homme, si digne à tous égards de la confiance que lui 
accordent les directeurs de l'Académie, est en possession 
depuis longues années de servir à table les pensionnaires ; 
il a vu tant de scènes semblables à celle que je viens de 
décrire, qu'il n'y fait plus attention et garde en pareil 
eas un sérieux de glace, dont le contraste est vraiment 
plaisant. Quand je fus un peu revenu de Tétourdis- 
sement que devait me causer un tel accueil, je m'aperçus 
que le salon où je me trouvais offrait l'aspect le plus 
bizarre. Sur Tun des murs sont encadrés les portraits 
des anciens pensionnaires, au nombre de cinquante en- 
viron; sur l'autre, qu'on ne peut regarder sans rire, 
d'effroyables fresques de grandeur naturelle étalent une 
suite de caricatures dont la monstruosité grotesque ne 
peut se décrire, et dont les originaux ont tous habité 
TAcadémie. Malheureusement l'espace manque aujour- 
d'hui pour continuer cette curieuse galerie, et les nou- 
-veaux Vénus dont l'extérieur prête à la charge ne peu- 
ViAt plus être admis aux honneurs du grand salon. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 185 

Le soir môme, après avoir salué M. Vernet, je suivis 
mes camarades au lieu habituel de leurs réunions, le fa- 
meux café Greco. C'est bien la plus détestable taverne 
qu'on puisse trouver: sale, obscure et humide, rien ne 
peut justifier la préférence que lui accordent les artistes 
de toutes les nations fixés à Rome. Mais son voisinage 
de la place d'Espagne et du restaurant Lepri qui est en 
face, lui amène un nombre considérable de chalands. On 
y tue le temps à fumer d'exécrables cigares, en buvant 
du café qui n'est guère meilleur, qu'on vous sert, non 
point sur des tables de marbre comme partout ailleurs, 
mais sur de petits guéridons debois,larges Qomme la calotte 
d'un chapeau, et noirs et gluants comme les murs de 
cet aimable lieu. Le Café Greco cependant, est tellement 
fréquenté par les artistes étrangers, que la plupart s'y 
font adresser leurs lettres, et que les nouveaux débar- 
qués n'ont rien de mieux à faire que de s'y rendre pour 
trouver des compatriotes. 

Le lendemain, je fis la connaissance de Félix Men- 
delssohn qui était à Rome depuis quelques semaines. Je 
raconterai, dans mon premier voyage en Allemagne, cette 
ntrevue et les incidents qui en furent la suite. 



XXXI7 



Dfune. — ie quitte Rame. — Be. Florence à Nice. — Je re- 
nene à Komo. — II n*7 a personne de mort. 



Ob« vn des -fosilff partir qui n'étaient 
pas chargés, dit-on. On a m sonrent 
«ncnre, je cerois,-«les ^ittolata «hoigéf 
qoi ne lont pas partis. 



Je passai qnelqne temps à me façonner tant bien qne 
mal à cette existence si nouvelle pour moi. Mais une vive 
inquiétude, qui, dès le lendemain demonarvi^e, s'était 
emparée de mon esprit, ne me laissait d'attention ni pour 
les objets environnants ni pour le cercle social où je ve- 
nais d'être si brusquement introduit. Je n'avais pas trouvé 
à Rome des lettres de Paris qui auraient dû m'y précé- 
der de plusieurs jours. Je les attendis pendant trois se- 
maines avec une anxiété croissante ; après ce temps, in- 
capable de résister davantage au désir de connaître la 
cause de ce silence mystérieux, et malgré les remontran- 
ces amicales de M. Horace Vernet, qui essaya d'empê- 
cher un coup de tête, en m'assurant qu'il serait obligé 
de me rayer de la liste des pensionnaires de l'Académie 
si je quittais l'Italie, je m'obstinai à rentrer en France. 

En repassant à Florence, une esquinancie assez vio- 



irÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 187 

lente vint me clouer au lit pendant huit jours. Ce fut 
alors que je fis la connaissance de Tarchitecte danois 
Schlick, aimable garçon et artiste d'un talent classé très- 
haut par les connaisseurs. Pendant cette semaine de 
souffrances, je m'occupai à réinstrumenter la scène du 
Bal de ma symphonie fantastique, et j'ajoutai à ce mor- 
ceau la Coda qui existe maintenant. Je n'avais pas fini 
ce travail quand, le jour de ma première sortie, j'allai 
à la poste demander mes lettres. Le paquet qu'on me 
présenta contenait une épître d'une impudence si extra- 
ordinaire et si blessante pour un homme de l'âge et du 
caractère que j'avais alors, qu'il se passa soudain en mol 
quelque chose d'affreux. Deux larmes de rage jaillirent 
de mes yeux, et mon parti fut pris instantanément. Il 
s'agissait de voler à Paris, où j'avais à tuer sans rémis- 
sion deux femmes coupables et un innocent ^ Quant à 
me tuer, moi, après ce beau coup, c'était de rigueur, on 
le pense bien. Le plan de l'expédition fut conçu en quel- 
cfùes minutes. On devait à Paris redouter mon retour, 
oh tne connaissait... Je résolus de ne m'y présenter qu'a- 
vec de grandes précautions et sous un déguisement. Je 
coiâ*us chez Schlick, qui n'ignorait pas le sujet du drame 
dont j'étais le principal acteur. En me voyant si pâle : 

— Ah ! mon Dieu I qu'y a-t-il ? 

— Voyez, lui dis-je, en lui tendant la lettre; lisez. 

— Oh ! c'est monstrueux, répondit-il après avoir la. 
Qu'allez-vous faire ? 

L'idée me vint aussitôt de le tromper, pour pouvoir 
agir librement. 

— Ce que je vais faire? Je persiste â rentrer en France, 

1. Ceci se rapporte, on le devine, à mon fumable consola- 
matrice. Sa digne mère, qui savait parfaitement à quoi s*en 
tenir là-dessus, m^àccusait d*étre venu porter le trouble dan 
M famille et m'annonçait le mariage de sa fille avec M. 



188 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

mais je vais chez mon père au lieu de retoaraer à Paris. 

— Oui, mon ami, vous avez raison, allez dans votre 
famille ; c'est là seulement que vous pourrez avec le 
temps, oublier vos chagrins et calmer l'effrayante agi- 
tation où je vous vois. Allons, du courage I 

— J'en ai ; mais il faut que je parte tout de suite ; je 
ne répondrais pas de moi demain. 

— Rien n'est plus aisé que de vous faire partir ce 
soir ; je connais beaucoup de monde ici, à la police, à la 
poste; dans deux heures j'aurai votre passe-port, et 
dans cinq votre place dans la voiture du courrier. Je 
vais m'occuper de tout cela ; rentrez dans votre hôtel 
faire vos préparatifs, je vous y rejoindrai. 

Au lieu de rentrer, je m'achemine vers le quai de 
VArno, où demeurait une marchande de modes française. 
J'entre dans son magasin, et tirant ma montre : 

— Madame, lui dis-je, il est midi ; je pars ce soir 
par le courrier, pouvez-vous, avant cinq heures, préparer 
pour moi une toilette complète de femme de chambre, 
robe, chapeau, voile vert, etc. ? Je vous donnerai ce que 
vous voudrez, je ne regarde pas à l'argent. 

La marchande se consulte un instant et m'assure que 
tout sera prêt avant l'heure indiquée.' Je donne des arrhes 
et rentre, sur l'autre rive de l'Arno, à l'hôtel des Quatre 
nations, où je logeais. J'appelle le premier sommelier : 

— Antoine, je pars a six heures pour la France ; il 
m'est impossible d'emporter ma malle, le courrier ne 
peut la prendre ; je vous la confie. Envoyez-la par la 
première occasion sûre à mon père dont voici l'adresse. 

Et prenant la partition de la scène du Bal * dont la 
coda n'était pas entièrement instrumentée, j'écris en tête: 
Je n'ai pas U temps de finir; s'il prend fantaisie à la sa- 

1. Ce manuscrit est entre les mains de mon ami J. d*Orti- 
gue, avec Tinscription raturée. 



V 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 189 

ciété des concerts de Paris d'exécuter ce morceau en Tab- 
SENCE de Fauteur^ je prie Habeneck de doubler à Voctave 
basse, avec les clarinettes et les cors, le passage des flûtes 
placé sur la dernière rentrée du thème, et d'écrire à pUin 
orchestre les accords qui suivent; cela suffira pour la conc^M- 
sion, -« ^ 

Puis, je mets la partition de ma symphonie fantastique, 
adressée sous enveloppe à Habeneck, dans une valise, 
avec quelques hardes; j'avais une paire de pistolets à deux 
coups, je les charge convenablement; j'examine et je place 
dans mes poches deux petites bouteilles de rafraîchis- 
sements, tels que laudanum, strychnine ; et la conscience 
en repos au sujet de mon arsenal, je m'en vais attendre 
l'heure du départ, en parcourant sans but les rues de 
Florence, avec cet air malade, inquiet et inquiétant des 
chiens enragés. 

A cinq heures, je retourne chez ma modiste ; on m'es- 
saye ma parure qui va fort bien. En payant le prix con- 
venu, je donne vingt francs de trop : une jeune ouvrière, 
assise devant le comptoir s'en aperçoit et veut me le 
faire observer ; mais la maîtresse du magasin, jetant d'un 
geste rapide mes pièces d'or dans son tiroir, la repousse 
et rinterrompt par un : 

c Allons, petite bête, laissez monsieur tranquille ! croyez- 
vous qu'il ait le temps d'écouter vos sottises ! * et répon- 
dant à mon sourire ironique par un salut curieux mais 
plein de grâce : « Mille remerclments, monsieur, j'augure 
bien du succès ; vous serez charmante, sans aucun doute, 
dans votre petite comédie. » 

Six heures sonnent enfin ; mes adieux faits à ce ver- 
tueux Schlîck qui voyait en moi une brebis égarée et 
blessée rentrant au bercail, ma parure féminine soigneu- 
sement serrée dans une des poches de la voiture, je sa- 
lue du regard le Persée de Benvenuto, et sa fameuse in- 

I. il. 



190 MfiHOIRBS DB HECTOR BERLIOZ. 

scriptîon : c Si qui$ fe lœserit^ ego tuus tdtor ero < > el 
nous partons. 

Les lieues se saccèdent, et toujours entre le courrier et 
moi règne un profond silence. J*ayais la gorge et les dents 
serrées; je ne mangeais pas, je ne parlais pas. Quelques 
mots furent échangés seulement vers minuit, au sujet 
des pistolets dont le prudent conducteur ôta les capsules 
et qu'il cacha ensuite sous les coussins de la voiture. Il 
craignait que nous ne vinssions à être attaqués, et en 
pareil cas, disait-îl, on ne doit jamais montrer la moin- 
dre intention de se défendre quand on ne veut pas dtre 
assassiné. 

« — A votre aise, lui répon(Hs-je, je serais bien fâché 
de nous compromettre, et je n'en veux pas -aux bri- 
gands! > 

Arrivé à Gênes, sans avoir avalé autre chose que le 
jQg d'une (»7mge, au grand étonnement de mon compa- 
gnon de vo3rage qui ne savait trop si j'étais de ce monde 
ou de l'autre, jem'ap^çois d'un nouveau malheur: mon 
costune de femme était perdu. Nous avions diangé de 
voilure à un village nommé Fieira santa et, en quittant 
ceHe qui nons amenait de Florrace, j^ avais oublié tous 
mes atours. « Feux et tonnerres ! m'écriai-je, ne semUe- 
t-M pas qu'un hon ange mauditveuille m'empêeher d'exé- 
culnr mon projet ! C'est ee que noius verrons 1 i 

Aussitôt, je fais ^nir un domestique de place parlant 
le français et le génois. Il me conduit chez une modiste. 
Il était près de midi ; le courrier repartait à six heures. 
Je demande un nouveau costume ; on rofnse de Fentre- 
prandre ne pouvant l'achever en si peu de temps. 'Som 
aUoBS tàua une antre, chez deux autres, chez trois zxOiw 

1. «Si qaelquNin t*offeMe, je te vengerais i» — Cette statue 
célèbre «et sur la place da Grand-Doc où se trouve «aiei la 
poste. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. iOi 

modistes, même refas. Une enfin annonce qu'elfe va ras- 
sembler plusieurs ouvrières et qu'elle essayera de me 
parer avant l'heure du départ. 

Elle tient parole, je suis reparé. Mais pendant que je 
courais ainsi les grisettes, ne voilà-t-il pas la police sarde 
qui s'avise, sur Tinspection de mon passe^port, de me 
prendre pour un émissaire de la révolution de Juillet, 
pour un co-carbonaro, pour un conspirateur, pour un 
libérateur, de refuser de viser ledit passe-port pour Turin, 
et de m'en] oindre de passer par Nice 1 

« — Eh ! mon Dieu, visez pour Nice, qu'est-ce que 
cela me fait t je passerai par l'enfer si vous voulez, 
pourvu que je passe !... » 

Lequel des deux était le plus splendidement niais, de 
la^ police, qui ne voyait dans tous les t^rançais que des 
missionnaires de la révolution^ ou de hioi, qui me croyais 
obligé de ne pas mettre le pied dans î'aris sans être dé- 
guisé en femme, comme si tout le monde, en me recon- 
naissant, eût dû lire sur mon front le projet qui m'y 
ramenait; ou, comme si, en me cachant vingt-quatre 
heures dans un hôtel, je n'eusse pas dû trouver cin- 
quante marchandes de modes pour une^ capables de me 
façoter à merveille ? 

Les gens passionnés sont charmants, ils s'imaginent que 
le monde entier est préoccupé de leur passion quelle 
qu'elle soit, et ils mettent une bonne foi vraiment édi- 
fiante à se conformer à cette Opinion. 

le pris donc la route de Nice, sans décc^rër. Je re- 
passais mênle avec beaucoup de soin dans ma tête, la 
petite comédie que j'allais jouer en arrivant à Paris. Je me 
présentais chez mes amiSy sur les neuf heures du soir, au 
moment où la famille était réunie et prête à prendre te 
thé ; je me faisais annoncer comme la femme de chambre 
de madame la comtesse M. . . chargée d'un message impor- 
tant et pressé; dii m'introduisait au salon, jeremettais une 



192 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

lettre, et pendant qu*on s'occupait à la lire, tirant de mon 
sein mes deax pistolets doubles, je cassais la tête aanaméro 
un, au numéro deux, je saisissais par les cheveux le nu- 
méro trois, je me faisais reconnaître, malgré ses cris, je 
lui adressais mon troisième compliment; après quoi, 
avant que ce concert de voix et d'instruments eût attiré 
des curieux, je me lâchais sur la tempe droite le qua- 
trième argument irrésistible, et si le pistolet venait à 
rater (cela c'est vu) je me hâtais d'avoir recours à mes 
petits flacons. Oh ! la jolie scène ! C'est vraiment dom- 
mage qu'elle ait été supprimée t 

Cependant, malgré ma rage condensée, je me disais 
parfois en cheminant : c Oui, cela sera un moment bien 
agréable I Mais la nécessité de me tuer ensuite, est assez... 
fâcheuse. Dire adieu ainsi au monde, à l'art; ne laisser 
d'autre réputation que celle d'un brutal qui ne savait 
pas vivre ; n'avoir pas terminé ma première sympho- 
nie; avoir en tête d'autres partitions... plus grandes... 
Ah'... c'est... » Et revenant à mon idée sanglante: 
c Non, non, non, non, non, il faut qu'ils meurent tous, 
il le faut et cela sera! cela sera !... > Et les chevaux trot- 
taient, m'emportant vers la France. La nuit vint, nous 
suivions la route de la Corniche, taillée dans le rocher à 
plus de cent toises au-dessus de la mer, qui baigne en cet 
endroit le pied des Alpes. — L'amour de la vie et l'amour 
de l'art, depuis une heure, me répétaient secrètement 
mille douces promesses, et je les laissais dire; je trouvais 
même un certain charme à les écouter, quand, tout d'un 
coup, le postillon ayant arrêté ses chevaux pour mettre 
\e sabot aux roues de la voiture, cet Instant de silence 
me permit d'entendre les sourds râlements de la mer, qa 
brisait furieuse au fond du précipice. Ce bruit éveilla un 
écho terrible et fit éclater dans ma poitrine une nouvelle 
tempête, plus effrayante que toutes celles qui l'avaient 
précédée. Je râlai comme la mer, et, m'appuyant de mes 



MEMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 193 

deux mains sur la banquette où j'étais assis, je fis un 
mouvement convulsif comme pour m'élancer en avant, 
en poussant un Ha! si rauque, si sauvage, que le mal- 
heureux conducteur, bondissant de côté, crut décidément 
avoir pour compagnon de voyage quelque diable contraint 
de porter un morceau de la vraie croix. 

Cependant, l'intermittence existait, il fallait le recon- 
naître; il y avait lutte entre la vie et la mort. Dès que je 
m'en fus aperçu, je fis ce raisonnement qui ne me sem- 
ble point trop saugrenu, vu le temps et le lieu : « Si je 
profitais du bon moment ( le bon moment était celui où 
la vie venait coqueter avec moi ; j'allais me rendre, on 
le voit,) si je profitais, dis-je, du bon moment pour me 
cramponner de quelque façon et m'appuyer sur quel- 
que chose, afin de mieux résister au retour du mau- 
vais /peut-être viendrais je à bout de prendre une ré- 
solution... vitale; voyons donc. » Nous traversions a 
cette heure un petit village sarde *, sur une plage au 
niveau de la mer qui ne rugissait pas trop. On s'ar- 
rête pour changer de chevaux, je demande au conduc- 
teur le temps d'écrire une lettre ; j'entre dans un petit 
café, je prends un chiffon de papier, et j'écris au direc- 
teur de l'Académie de Rome, M. Horace Vernet, de vou- 
loir bien me conserver sur la liste des pensionnaires^ s'il m 
m'en avait pas rayé ; que je n'avais pas encoi^e enfreint U 
règlement, et que je m'engageais sur l'honneur à ne pas 
passer la frontière d'Italie, jusqu'à ce que sa réponse mf 
fût parvenue à Nice, oii j'allais l'attendre. 

Ainsi lié par ma parole et sûr de pouvoir toujours en 
revenir à mon projet de Huron, si, exclu de l'Académie, 
privé de ma pension, je me trouvais sans feu, ni lieu, m 
sou ni maille, je remontai plus tranquillement en voi 
ture; je m'aperçus même tout à coup que... j'avais faim, 

1. Vintimille, je crois» 



194 HlMtOrRES DE HBGTOH BKRLIOZ. 

n*'ayai)(t rten mangé depuis Florence. bonne grosse lïà- 
tftre! Aéctdément j*étais repris. 

ï'atrîVaî à celte bienheareuse vflle de Nice, grondant 
encore un pea. J'attendis quelques jonrs; vint la réponse 
de M. Yernet; réponse amicale, bienveillante, patem^e, 
dont je fus profondément touché. Ce grand artiste, sans 
connaître le sujet de mon trouble, me donnait des con- 
seils qui s'y appliquaient on ne peut mieux ; il m'indi- 
quait le travail et l'amour de l'art comitte lefs deux remè- 
des souverains contre les tourmentes moirales; il m'an- 
nonçait que mon nom était resté sur la liste des pen- 
sionnaires, que le ministre ne serait pas instruit de mon 
équipée et que je pouvais revenir à Rome ou l'on me te~ 
cevrait à bras ouverts. 

< — Allons, ils sont sauvés, dis-je en soupirant profon- 
dément. Et si je vivais, maintenant I Si je vivais tranquil- 
lement, heureusement, musicalement ? Oh ! la plaisante 
affaire t... Essayons. > 

Voilà que j'aspire l'air tiède et embaumé de Nice à 
pleins poumons : voilà la vie et la joie qni accourent à 
tire d'aile, et la musique qui m'embrasse, et l'avenir qui 
me sourit; et je reste à Nice un mois entier à erfer dans 
les bois d'orangers, à me plonger dans la mer, à dormir 
sur les bruyères des montagnes de Villefranche, à voir, 
du haut de ce radieux observatoire les navires venir, 
passer et disparaître silencieusement. Je vis entièrement 
seul, j'écris l'ouverture du Boi Lear^ je chante, je croîs 
en Dieu. Convalescence. 

C'est ainsi que j'ai passé à Nice les vingt plus beaux 
jours de ma vie. Nizza ! 

Mais la police du roi de Sardaigne vint encore troubler 
mon paisible bonheur et m'obliger à y mettre terme. 

J'avais fini par échanger quelques paroles au café avec 
deux officiers de la garnison piémontaise; il m'arriva 
même un jour de faire avec eux uife partie de billard; 



MÉMOIRES DE HECtOR BERLIOZ. i9S 

cela sufQt pour inspirer aa chef de la police des sorapçon^ 
graves sur mon compte. 

t — Évidemment, ce jeune musicien français n'est pas 
venu à Nice pour assister aux représentations de Matûde 
di Sahran (le seul ouvrage qu'on y entendît alors), il ne 
va jamais au théâtre. Il passe des journées entières dans 
les rochers de Villefranche... il attend un signal de quel- 
que vaisseau révolutionnaire... il ne dîne pas à table 
d*h5te... pour éviter les insidieuses conversations des 
agents secrets. Le voilà qui se lie tout doucement avec 
les chefs de nos régiments... il va entamer avec eux les 
négociations dont il est chargé au nom de la jettne Italie; 
cela est clair, la conspiration est flagratiYe 1 » 

grand homme I politique profond, tu es délirant, 
vai 

Je suis mandé au bureau de police et interrogé enfoN 
mes. 

— Que faites-vous ici, monsieur? 

— Je me rétablis d'une maladie cruelle ; je compose, je 
rôve, je remercie Dieu d'avoir fait un si beau soleil, une 
mer si belle, des montagnes si verdoyantes. 

— Vous n'êtes pas peintre? 

— Non, monsieur. 

— Cependant, on vous voit partout, un album à la 
main et dessinant beaucoup; seriez- vous occupé à lever 
des plans ? 

— Oui je lève le plan d'une ouverture du Roi Lear, c'est- 
à-dire, j'ai levé ce plan, car le dessin et l'instrumentation 
en sont terminés; je crois même que l'entrée en sera for- 
midable I 

— Comment l'entrée ? qu'est-ce que ce roi Lear? 

— Hélas ! monsieur, c'est un vieux bonhomme de roi 
d'Angleterre. 

— D'Angleterre! 

— Oui, qui vécut, au dire de Shakespeare, il y a quel- 



106 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

que dix-hait cents ans, et qui eut la faiblesse de partager 
son royaame à deux filles scélérates qu'il avait, et qui le 
mirent à la porte quand il n'eut plus rien à leur donner. 
Vous voyez qu'il y a peu de rois... 

— - Ne parlons pas du roi !... Vous entendez par ce mot 
instrumentation ?. . . 

— C'est un terme de musique. 

— Toujours ce prétexte I Je sais très-bien, monsieur, 
qu'on ne compose pas ainsi de la musique sans piano, 
seulement avec un album et un crayon, en marchant si- 
lencieusement sur les graves ! Ainsi donc, veuillez me 
dire où vous comptez aller, on va vous rendre votre pas- 
se-port; vous ne pouvez rester a Nice plus longtemps. 

— Alors, je retournerai à Rome, en composant encore 
sans piano, avec votre permission. 

Ainsi fut fait. Je quittai Nice le lendemain, fort contre 
mon gré, il est vrai, mais le cœur léger eH)lein 6*allegriay 
et bien vivant et bien guéri. Et c'est ainsi qu'une fois 
encore on a vu des pistolets chargés qui ne sont pas par- 
tis. 

C'est égal, je crois que ma petite comédie avait un cer- 
tain intérêt, et c'est vraiment dommage qu'elle n'ait pas 
été représentée. 



XXXV 



Les théâtres de GMnes et de Florence. — / MonteccM ed I 
Capuletii de Bellini. — Roméo joué pai une femme.— La 
Vestale de Paccini. — Licinius joué par une iemme. L*or- 
goniste de Florence. — La fête del Corpus Domini — Je 
rentre à l'Académie. 



£)n repassant à Gênes, j'allai entendre YAgnese de Paè'r. 
Cet opéra fut célèbre à ^époque de transition crépuscu- 
laire qui précéda le lever de Rossini. 

L'impression de froid ennui dont il m'accabla tenait 
sans doute à la détestable exécution qui en paralysait 
les beautés. Je remarquai d'abord que, suivant la louable 
habitude de certaines gens qui, bien qu'incapables de 
rien /aire, se croient appelées a tout re/lstre ou retoucher, 
et qui de leur coup d'œil d*aigle aperçoivent tout dé 
suite ce qui manque dans un ouvrage, on avait renforcé 
d'une grosse caisse Tinstrumentation sage et modérée de 
Paêr; de sorte qu'écrasé sous le tampon du maudit ins- 
trument, cet orchestre, qui n'avait pas été écrl de ma- 
nière à lui résister, disparaissait entièrement. Madame 
Ferlotti chantait (elle se gardait bien de le jouer) le rôle 
d'Agnèse. En cantatrice qui sait, à un franc près, ce que 
son gosier lui rapporte par an, elle répondait à la dou- 
loureuse folie de son père par le plus imperturbable s^g- 



198 MÉMOIRES DE BBGTOR BERLIOZ. 

froid, la plus complète insensibilité ; on eût dit qu'elle 
ne faisait qu'une répétition de son rôle, indiquant à peine 
les gestes, et chantant sans expression pour ne pas se fa- 
tiguer. 

L'orchestre m'a paru passable. C'est une petite troupe 
fort inoffensiYê ; mais les violons jouent juste et les ins- 
truments à vent suivent assez bien la mesure. A propos 
de violons... pendant que je m'ennuyais dans sa ville 
natale, Paganini enthousiasmait tout Paris. Maudissant le 
mauvais destin qui me privait de l'entendre, je cherchai 
au'moinft à obtenir de ses compatriotes qiœlques renser- 
gnements sur lui ; maifi les 6énois sont, cotnifie les hftK- 
tants de toutes les vIMe 'de commerce, fort *inâffférâfts 
pour teft beaux-arts. Ils me parlèrent très-trôidënieiit ie 
l'homme extraordinaire que l'Allemagne, la France et 
l'Angleterre ont accueilli avec acclamations. Je deman- 
dai la maison de son père, on ne put me l'indiquer. A la 
vérité, je chtrchai aussi dans GêneB le VèMpi»^ la pyrtii- 
mide, enfin le monument que je posais avoir été èl«véi 
la mémoire de Colomb, et le^buste dÉ grand hotnme qtli 
découvrit le Nouveau Monde n'apastndmefrsppé UÉe 
fois 'mes rtgards, pendunt que j'onti» dâife les ttuês 
de l'ingrate eilé q9i lui donna nsissanoe^t éofft il fithk 
gloire. 

'De toutes les capitides d'halle, auottnefiem'a laissé 
d'Kussi gracieux souvenirs que Floreneel Loin de m'y 
sentir dérvoré de spleen, comme je le fus tflUB tiurd à 
Rdme et à Naples, complètement tncontau, necoimiaissftBt 
perscmnë, avec quelques poignées de pia^res â ma dis- 
position, malgré la te-ècheénoriiie que la course de Niée 
avait faite à ma fortune, jouissant en conséqùenoedela 
plus ienliè^e liberté, j'y aii passé de bien douces journées» 
soit à ipai^osfrfr wm n&aibvènK 'moffuments, en tèvant de 
Dattrt^ et d^ H IbheNÂtige, soit-à li<re 6hake^()eai'e da^S-les 



IfffrMOrftffS DE HEtlTaR B'BALÏOZ. 199 

d(mt1a solitude profonde me permettait de crier à mon 
aise d'admiration. Sachant bien que je ne trouverais pas 
dans la capitale de la Toscane ce que Naples et Milan me 
faisaient tout au plus espérer, je ne songeais guère à la 
musique, quand les conversations de table d*hÔte m'ap- 
prirent que le nouvel opéra de Bellini (/ Mont&cchi ed i 
Capulêni) allait être représenté. On disait beaucoup de 
bien de la musique, mais aussi beaucoup du libretto, ce 
qui, eu égard au peu de cas que les Italiens font pour 
l'ordinaire des paroles d'un opéra, me surprenait étran- 
gement. Ah*I aîi ! c'est une innovation!!! je vais donc, 
après tant de *miafera(blfes essais lyriques sur ce beau 
drame, entendre un véritable opéra de MméOy digne du 
gélHede Shatkespeartsltiuél stijët! œmme tout y est des- 
siné potïr la musiqce i... *D^adcft*d1e bal éblouissant dans 
la maison de Capulét, t)à, au tnilieu d'un essaim tourbil- 
lonnant de beatltés, le jeufle Moiitaigu aperçoit pour la 
première fbis 4a »toart ^uUet, dont la fidélité doit lui coû- 
ter la vie; puis cèscoïrfbats ftfrteui, dans lesrues de Vé- 
rone, auxquels le honiïï^m Tt/balt semble présider comme 
le génie delà colère et de la vefngeance; cette inexprima- 
ble scène de nuit au batlcou de Juliette, où les deux 
amants murmurent un concert d'amour tendre, doux et 
pHrcomme les rayons de Tastre des nuits qui les regarde 
en souriant amicalemem; les 'piquantes bouffonneries 
deISnsouciantîlerctttio, le nàîf caquet de la vieille nour- 
rice, le grave caractère de Termite, cherchant inutile- 
mëïit à ramener un peu de calme sur ces flots d'amour 
et de haine dont le choc tumultueux retentit jusque dans 
saTnc^este ceïhïle. .. puis l'affreuse catastrophe, l'ivresse 
dU*bontfhettr aux prises avec celle du désespoir, de volup- 
tueux sotipirs changés euTâle de mort, et enfin le ser- 
nifim'%ofemit?l des deifX femilles ennemies jurant, trop 
t^, sur te cadavre fle leurs tnalheureux enfants, d'é- 
t^udi^ la haine qui fît verser tant de szttg et de Isnai^. 



200 MÉMOIRES DE HBGTOR BERLIOZ. 

le cooros au théâtre de la Pergola. Les choristes nom- 
breux qui couvraient la scène me parurent assez bons; 
leurs voix sonores et mordante?; il y avait surtout une 
douzaine de petits garçons de quatorze à quinze ans, 
dont les contralti étaient d'un excellent effet. Les person- 
nages se présentèrent successivement et chantèrent tous 
faux, à l'exception de deux femmes, dont Tune, grande 
et forte^ remplissait le rôle de Juliette, et Tautre, *petite et 
grêlej celui de Roméo. — Pour la troisième ou qua- 
trième fois après Zingarelli et Vaccaï, écrire encore Ro- 
méo pour une femme!... Mais, au nom de Dieu, est-ii 
donc décidé que Tamant deJuliette doit paraître dépour- 
vu des attributs de la virilité? Est-il un enfant, celui 
qui, en trois passes, perce le cœur du furieux Tybaltt ^ 
héros de Vescrime, et qui, plus tard, après avoir brisé les 
portes du tombeau de sa maîtresse, d'un bras dédaigneux, 
étend mort sur les degrés du monument le comte Paris 
qui Ta provoqué ? Et son désespoir au moment de l'exil, 
sa sombre et terrible résignation en apprenant la mort 
de Juliette, son délire convulsif après avoir bu le poison, 
toutes ces passions volcaniques germent-elles d'ordi- 
naire dans l'âme d'un eunuque ? 

Trouverait-on que l'effet musical de deux voix fémi- 
nines est le meilleur?... Alors, à quoi bon des ténors, 
des basses, des bar ylons? Faites donc jouer tous les rôles 
par des soprani ou des contralti, Moïse et Othello ne se- 
ront pas beaucoup plus étranges avec une voix flûtée 
que ne l'est Roméo. Mais il faut en prendre son parti ; 
la composition de l'ouvrage va me dédommager... 

Quel désappointement !!! dans le libretto il n'y a point 
de bal chez Gapulet, point de Mercutio, point de nour- 
rice babillarde, point d'ermite grave et calme, point de 
scène au balcon, point de sublime monologue pour 
Juliette recevant la fiole de l'ermite, point de duo dans 
la cellule enire Roméo banni et l'ermite désolé ; point 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 201 

de Shakespeare, rien ; un ouvrage manqué. Et c'est un 
grand poète, pourtant, c'est Félix Romani, que les habi- 
tudes mesquines des théâtres lyriques^ d'Italie ont con- 
traint à découper un si pauvre libretto dans le chef- 
d'œuvre shakespearien 1 

Le musicien, toutefois^ a su rendre fort belle une 
des principales situations ; à la fin d'un acte, les deux 
amants, séparés de force par leurs parents furieux, 
s'échappent un instant des bras qui les retenaient et s'é- 
crient en s'embrassant : « Nous nous reverrons aux 
cieux. » Bellini a mis, sur les paroles qui expriment 
cette idée, une phrase d'un mouvement vif, passionné, 
pleine d'élan et chantée à Vunisson par les deux person- 
nages. Ces deux voix, vibrant ensemble comme une 
seule, symbole d'une union parfaite, donnent à la mé- 
lodie une force d'impulsion extraordinaire ; et, soit par 
l'encadrement de la phrase mélodique et la manière dont 
elle est ramenée, soit par l'étrangeté bien motivée de cet 
unisson auquel on est loin de s'attendre, soit enfin par 
la mélodie elle-même, j'avoue que j'ai été remué à l'im- 
proviste et que j'ai applaudi avec transport. On a singu- 
lièrement abusé, depuis lors, des duos à l'unisson. — 
Décidé à boire le calice jusqu'à la lie, je voulus, quelques 
jours après, entendre la Vestale de Paccini. Quoique ce 
que j'en connaissais déjà m'eût bien prouvé qu'elle n'a- 
vait de commun avec l'œuvre de Spontini que le titre, je 
ne m'attendais à rien de pareil... Licinius était encore 
joué par une femme... Après quelques instants d'une 
pénible attention, j'ai dû m'écrier, comme Hamlet: 
« Ceci est de l'absinthe ! > et ne me sentant pas capable 
d'en avaler davantage, je suis parti au milieu du second 
acte, donnant un terrible coup de pied dans le parquet, 
qui m'a si fort endommagé le gros orteil que je m'en 
suis ressenti pendant trois jours. -* Pauvre Italie!... Au 
moins, va-t-on me dire, dans les églises, la pompe mu- 



iOS MâMOlHBS DB HfiGTiOR BKRLIOZ. 

sicale doit-ôtre digne des cérémonies aux^a^les* eUe^fe 
rattache. Pauvre Italie!... On verra plus tard quelte 
musique on fait à Rome, dans la capitale du inonda 
chrétien: en attendant, voilà ce que j'ai entendu da laes 
propres oreilles pendant mon séjour à Florence. 

Cétait peu après l'explosion de Modène et de Bologne ; 
les deux fils de Louis Bonaparte y avaient pris^ part,; 
leur mère, la reine Horlense, fuyait avec Tun d'eux; 
l'autre venait d'expirer dans les bra» de son père; On 
célébrait le service funèbre ; toute Téglise tendue de noir, 
un immense appareil funéraire de prêtres, de catafal- 
ques, de flambeaux, invitaient moins aux tristes et 
grandes pensées que les souvenirs éveillés dans l'àja^e 
par le nom de celui pour qui l'on priait Bona- 
parte I... il s'appelait ainsi 1... C'était sch neveu !... pres- 
que son petitrfilsl... mort à vingt ans... et sa mère, 
arrachant le dernier de ses ûls à la hache des réactions, 
fuit en Angleterre... La France lui est int^ite... la 
France où luirent pour elle tant de glorieux jours*.. 
Mon esprit, remontant le cours du temps, me la r^oé- 
sentait, joyeuse enfant créole, dansant sur le pont du 
vaisseau qui l'amenait sur le vieux continent, simple 
fille de madame Beauhamais, plus tard, fiUe adoptiire 
du maître de l'Europe, reine de Hollande, et enfin exilée, 
oubliée, orpheline, mère éperdue, reine fugitive et sans 
États... Oh ! Beethoven I... où était la grande âme, l'es- 
prit profond et hom^ique qui conçut la Symphonie M- 
rùtque, la Marche funèbre peur la mort d'un hérosy et tant 
d'autres grandes et tristes poésies musicales qui élèvent 
l'âme en oppressant le cœur ? L'organiste avait tiré le 
registre des petites flûtes et folâtrait dans le haut du ck- 
vieren sifOottant de petits airs gais, comme font les roi- 
telets quand, perchés sur le mur d'un jardin, ils s'ébat 
tent aux pâles rayons d'un soleil d'hiver... 

La fôte del Corpus Domini ( la Fête-Dieu ) devait être 



MËMOmES DE HECTOR BJ^RLIOZ. %f^i 

célébrée prochainement à Rome; j'en entendais conçtanv 
ment parler autour de moi, depuis quelques joiTs^ 
comme d'une chose extraordinaire. Je m'empressai donc 
de m'acheminer vers la capitale des États poutificau:!^ 
avec plusieurs Florentins que le môme motif y attirait, 
Il ne fut question, pendant tout le voyage, que des mer- 
veilles qui allaient être offertes à notre admiration. Ces 
messieurs me déroulaient un tableau tout resplendissant 
de tiares, mitres, chasubles, croix brillantes,, vêtements 
d'or, nuages d'encens, etc. 

— Ma la musica ? 

— Oh ! signore, lei sentira un coro in^nkenso ! Puis ; s 
retombaient sur les nuages d'encens, les vêtements do- 
rés, les brillantes croix, le tumulte des cloches et des ca- 
nons. Mais Robin en revient toujours à ses flûtes. 

— La musica ? demandais-je encore, la musica di 
questa ceremonia ? 

— Oh ! signore, lei sentira un coro immenso! 

— Allons, il paraît que ce sera... un chœur immense, 
après tout. Je pensais déjà à la pompe musicale des cé- 
rémonies religieuses dans le temple de. Salomon ; mon 
imagination s'enflammant de. plu^- en, pUift,. i'a,Uai^Ju&T 
qu'à espérer quelque chose de comparable au luxe gi- 
gantesque de l'ancienne Egypte... Faculté maudite, qui 
ne fait de notre vie qu'un miracle continuel!... Sans 
elle, j'eusse peut-être été ravi de l'aigre et discordant 
fausset des castrati qui me firent entendre un insipide 
contre-point ; sans elle, je n'eusse point été surpris, sans 
doute, de ne pas trouver à la procession dei Corpus Do- 
mini, un essaim de jeunes vierges aux vêtements blancs, 
à la voix pure et fraîche, aux traits empreints de senti- 
ments religieux, exhalant vers le ciel de pieux cantiques, 
harmonieux parfums de ces roses vivantes; sans cette 
fatale imagination, ces. deux groupes de clarinettes ca- 
nardes, de trombones rugissants, de grosses caisses furi- 



204 MEMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 

bondes, de trompettes saltimbanques, ne m'eussent pas 
révolté par leur impie et brutale cacophonie. Il est vrai 
que, dans ce cas, il eût fallu aussi supprimer Torgane de 
l'ouïe. On appelle cela à Rome musiqite militaire. Que le 
vieux Silène, monté sur un âne, suivi d'une troupe de 
grossiers satyres et d'impures bacchantes soit escorté d'un 
pareil concert, rien de mieux ; mais le saint Sacrement, 
le Pape, les images de la Vierge ^ I Ce n'était pourtant 
que le prélude des mystifications qui m'attendaient. Mais 
n'anticipons pas I 

Me voilà réinstallé à la villa Medici, bien accueilli du 
directeur, fêté de mes camarades, dont la curiosité était 
excitée, sans doute, sur le but du pèlerinage que je ve- 
nais d'accomplir, mais qui, pourtant, furent tous, à mon 
égard, d'une réserve exemplaire. 

J'étais parti, j'avais eu mes raisons pour partir ; je re- 
venais, c'était à merveille; pas de commentaires, pas de 
questions. 

1. Barbare I barbare I Le Pape est un barbare comme pres- 
que tous les autres souverains. Le peuple romain est barbare 
comme toui les autres peuples. 



XXXVI 



La vie de l'Académie. — Mes courses dans les Abruzzes. 
— Saint-Pierre. — Le spleen. — ExcuVsions duns la cam- 
pagne de Rome. — Le carnaval. — La place Navone. 



J'étais déjà au fait des habitudes du dedans et du de- 
hors de l'Académie. Une cloche, parcourant les divers 
corridors elles allées du jardin, annonce l'heure des re- 
pas. Chacun d'accourir alors dans le costume où il se 
trouve ; en chapeau de paille, en blouse déchirée ou cou- 
verte de terre glaise, les pieds en pantoufles, sans cra- 
vate, enfin dans le délabrement complet d'une parure 
d'atelier. Après, le déjeuner, nous perdions ordinaire- 
ment une heure ou deux dans le jardin, à jouer au dis- 
que, a la paume, à tirer le pistolet, à fusiller les malheu- 
reux merles qui habitent le bois de lauriers ou à dresser 
de jeunes cb'ens. Tous exercices auxquels M. Horace 
Vernet, dont les rapports avec nous étaient plutôt d'un 
excellent camarade que d'un sévère directeur, .prenait 
part fort souvent. Le soir, c'était la visite obligée au café 
Greco, où les artistes français non attachés à l'Académie, 
que nous appelions les hommes d*en ôrj, fumaient avec 
nous le cigare de Vamitié, en buvant le ptmh du patrio- 
tisme. Après quoi, tous se dispersaient... Ceux qui ren- 
I, i2 



.. > -: 



j ■* 
j 



206 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

traient vertaeusement à la caserne académique, se réu- 
nissaient quelquefois sous le grand vestibule qui donne 
sur le jardin. Quand je m'y trouvais, ma mauvaise voix 
et ma misérable guitare étaient mises à contribution, et 
assistons ensemble autour d'un petit jet d'eau qui, en 
retombant dans une coupe de marbre, rafraîchit ce por- 
tique retentissant, nous chantions au clair de lune les rê- 
veuses mélodies ânFreyschùtz, ù*Obéiron, les chœurs éner- 
giques d*Euryanthej ou des actes entiers à^Iphigénie en 
Tauridt!, de la Vestale ou de Don Juan; car je dois dire, à 
la louange de mes commensaux de l'Académie, que leur 
goût musical était des moins vulgaires. 

Nous avions, en revanche, un genre de concerts que 
nous appelions concei'ts anglais^ et qui ne manquait pas 
d'agrément, après les dîners un peu échevelés. Les bu- 
veurs, plus ou moins chanteurs, mais possédant tant bien 
que mal quelque air favori, s'arrangeaient de manière à 
en avoir tous un différent ; pour obtenir la pins grande 
variété possible, chacun d'ailleurs chantait dans un au- 
tre ton que son voisin. Duc, le spirituel et savant archi- 
tecte, chantait sa chanson de la Colonne^ Dantan celle du 
Sultan Saladin^ Montfort triomphait dans la marche de 
la Vestale, Signol était plein de charmes dans la romance 
Fleuve du Tage, et j'avais quelque succès dans l'air si 
tendre et si nanf 1/ pleut bergère. A un signal donné, les 
concertants partaient les uns après les autres, »et ce vaste 
morceau d'ensemble à vingt-quatre parties s'exécutait en 
crescendo, accompagné, sur la promenade du Pincio, 
par les hurlements douloureux des chiens épouvantés, 
pendant que les barbiers de la place d'Espagne, souriant 
d'un air narquois sur le seuil de leur boutique, se ren- 
voyaient l'un à l'autre cette naïve exclamation : Musica 
francese ! 

Le jeudi était le jour de grande réception chez le direc- 
teur. La plus brillante société de Rome se réunissait alors 



MEMOIRES DE HECTOR BBRLrOZu 201? 

aux soirée» fashïonables que madame et mademoiselle 
Vèmet présidaient avec tant de goût. On pense bien que 
les^ pensionnaires n'avaient garde d'y manquer. La jour^- 
née du dimanche^ au contraire, était presque toujours 
consacrée à des courses plus ou moins longues dans les 
environs de Rome. C'étaient Ponte-Mollè, où l'on va boi- 
re une sorte de drogue douceâtre et huileuse, liqueur 
favorite des Romains, qu'on appelle vin d'Orvieto ; la^ 
viHaPàmphiii ; Saint-Laurent hors les murs ; et surtout' 
le magnifique tombeau de Gccilia Metella, dont il est de' 
rigueur d'interroger longuement le curieux écho, pour 
s'enrouer et avoir le prétexte d'aller se rafraîchir dans 
un© osterîa- qu'on trouve à quelques pas delà^ avecuff 
gros vin noirrempli de moujcherons. 

Avec la' permission du directeur,- les penskmnair^ 
peuvent entreprendre de plus longs voyages^ d'une du- 
rée-indéterminé., k la* condition' seulement* de ne pas' 
sortir des États romains^ jusqu'au moment' otr le règl&r 
mentales antonse à visiter toutes les parties»dè ritaJie; 
Torlà' pourquoi le nombre des pensionnaires' détrAcadé-- 
nrte^tfèst que* fort rarement complet. Il yew a presque^ 
toujpurs au moins deux en tournée à Nàplos, à Venise, à 
Florence, à FalermeouaMilan; Les peintres- et les sculp^ 
leurs- trouvant Raphaël et Michel-Ange à Rome, s9®t 
ordihairement-lès^moins pressés d-en sortir ; les temple* 
de Pestum, Pompéi^ la Sicile,- exoitenrviv^aront/ au con-r- 
traire, la curiosité'des architeotes ; les- paysagistes ' pas- 
sent la plus grande partie de leur temps* dânsiles' nron*» 
tagnes: Four lès musiciens, comme lès 'diflôrenteftcapi** 
taies-de rifaiieleur' offfenttoutes à peu près» le même: d« 
gré d'intérêt, ils n'ont pour quitter Rome d'autres motifs 
qeB*\^'dé8ir'de>mir'ei F humeur iHquièie^,.eiritn'qm leurs 
sympathies personnelles ne peut influer sur la«diBeetioa 
ou^lâdttrée- de leurs voyages. Usant de \t, liberté qui 
nous était accordée, je cédais à mon penchant pour les 



208 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

explorations aventureuses, et me sauvais aux Abmzzes 
quand l'ennui de Rome me desséchait le sang. Sans cela, 
je ne sais trop comment j'aurais pu résister à la monoto- 
nie d'une pareille existence. On conçoit, en effet, que la 
gaieté de nos réunions d'artistes, les bals élégants de 
l'Académie et de l'Ambassade, le laisser-aller de l'esta- 
minet, n'aient guère pu me faire oublier que j'arrivais 
de Paris, du centre de la civilisalion, et que je me trou- 
vais tous d'un coup sevré de musique, de théâtre ^, de 
littérature ', d'agitations, de tout enfin ce qui composait 
ma vie. 

Il ne faut pas s'étonner que la grande omore de la 
Rome antique, qui, seule, poétise la^nouvelle, n'ait pas 
suffi pour me dédommager de ce qui me manquait. On 
se familiarise bien vite avec les objets qu'on a sans cesse 
sous les yeux, et ils finissent par ne plus éveiller dans 
l'âme que des impressions et des idées ordinaires. Je dois 
pourtant en excepter le Colysée ; le jour ou la nuit, je ne 
le voyais jamais de sang-froid. Saint-Pierre me faisait 
aussi toujours éprouver un frisson d'admiration. C'est si 
grandi si noble! si beau! si majestueusement calme!!! 
J'aimais à y passer la journée pendant les intolérables 
chaleurs de l'été. Je portais avec moi un volume de By- 
ron, et m'établissant commodément dans un confession- 
nal, jouissant d'une fraîche atmosphère, d'un silence reli- 
gieux, interrompu seulement à longs intervalles par l'har- 
monieux murmure des deux fontaines de la grande place 
de Saint-Pierre, que des bouffées de vent apportaient jus 
qu'à mon oreille, je dévorais à loisir cette ardente poé- 
sie; je suivais sur les ondes les courses audacieuses du 

1. Les théâtres ne sont ouverts à Rome que pendant qua- 
tre mois de Tannée. 

2, La plupart des ouvrages que j'admirais étaient alors mis 
à l'index par la censure papale. 



1 
^ 



MÉMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 209 

Corsaire ; j'adorais profondément ce caractère à la fois 
inexorable et tendre, impitoyable et généreux, composé 
bizarre de deux sentiments opposés en apparence la 
haine de Tespèce et Tamour d'une femme. 

Parfois, quittant mon livre pour réfléchir, je prome- 
nais mes regards autour de moi ; mes yeux, attirés par 
la lumière, se levaient vers la sublime coupole de Michel- 
Ange. Quelle brusque transition d'idées ! I ! Des cris de 
rage des pirates, de leurs orgies sanglantes, je passais 
tout à coup aux concerts des Séraphins, à la paix de la 
vertu, à la quiétude infinie du ciel... Puis, ma pensée, 
abaissant son vol, se plaisait à chercher, sur le parvis du 
temple, la trace des pas du noble poète... 

— Il a dû venir contempler ce groupe de Ganova, me 
disais-je ; ses pieds ont foulé ce marbre, ses mains se sont 
promenées sur les contours de ce bronze ; il a respiré cet 
air, ces échos ont répété ses paroles... paroles de ten- 
dresse et d'amour peut-être... Eh I oui! ne peut-il pas 
être venu visiter le monument avec son amie, madame 
Guiccioli * ? femme admirable et rare, de qui il a été si 
complètement compris, si profondément aimé!!!... - 
aimé!!!., poète!, libre!... riche!... Il a été tout cela, 
lui !.. Et le confessionnal retentissait d'un grincement de 
dents à faire frémir les damnés. 

Un jour, en de telles dispositions, je me levai sponta- 
nément, comme pour prendre ma course, et, après quel- 
ques pas précipités, m'arrôlant tout à coup, au milieu de 
l'église, je demeurai silencieux et immobile. Un paysan 
entra et vint tranquillement baiser l'orteil de saint 
Pierre. 

1. Je l'ai vue un soir, chez M. Vernet, avec ses longs che- 
veux blancs tombant autour de sa figure mélancolique, comm« 
les branches d'un saule pleureur : trois jours après je vis 89 
charge en terre, dans Tatelier de Dantan. 



^10, li&MOIB^,DK HECTOR BXaUOZ.. 

—• Hoateui. bipède I murmorâi-je avec amertume que* 
te manque-t-il ? tu crois et espères ; ce bronze que tu, 
adores et dont la main droite tient aujourd'hui, au lieu . 
de foudres, les clefs du Paradis, était jadis un. Jupiter 
tonnant; tu l'ignores, point de. désenchantement. En 
sortant, que vas-tu chercher ? de l'ombre et du sommeil; 
les madones des champs te sont ouvertes, tu y trouveras 
Tune et l'autre. Quelles richesses rêves-tu?... la poignée 
de piastres nécessaire pour acheter un âne ou te marier, 
tes, économies de trois ans y suffiront. Qu'est une femme 
pour toi?., un autre sexe.. Que cherches-tu dans l'art?... 
un moyen de matérialiser les objets de ton culte et d& 
t'exciter au rire ou à la danse. A toi, la Vierge enlumi- 
née de rouge et de vert, c'est la peinture ; à toi, les ma- 
rionnettes et Polichinelle, c'est le drame ; à toi, la musette 
et le tambour de basque, c'est la musique; à moi, le dé- 
sespoir et la xiaine, car je manque de tout ce que je 
cherche, et n'espère plus l'obtenir. 

Après avoir quelque temps écouté rugir ma tempête 
intérieure, je m'aperçus que le jour baissait. Le paysan 
était parti; j'étais seul dans Saint-Pierre... je sortis. Je 
rencontrai des peintres allemands qui m'entraînèrent 
dans une osteria, hors des portes de la ville, où nous 
bûtnes je ne sais combien de bouteilles d'orvieto, en di- 
sant des absurdités, fumant, et mangeant crus de petits ^ 
oiseaux que nous avions achetés d'un chasseur. 

Ces messieurs trouvaient ce mets sauvage très-bon, et 
je fus bientôt de leur avis, malgré le dégoût que j'en 
avais ressenti d'abord. 

Nous rentrâmes à Rome, en chantant des chœurs de 
Weber qui nous rappelèrent des jouissances musicales 
auxquelles il ne fallait plus songer de longtemps... A K 

minuit, j'allai au bal de l'Ambassadeur ; j'y vis un« An*- I 

glaise, bfeUe comme Diane, qu'on me dit avoir cinquante 
^illeiivres sterling de, Teftteai, .une voix superbe et un^ 



BL&IDIICES Dr HECTOR ESKLIBZ:: 211. 

a^aiiai^ takelrsnrlft'pianOy ceqni jue fit. gi^di plait*^- 
sm:Lâi'ProyidN!ie8'6stjaste,' elle a soin: de répartir égar* 
leiMikt ses Caveïirs ! Je^r^icoatrai d'hoarribles- visages de 
vieilles, les yeux fixés sur une table d'écarté, ûam- 
boyao^de captdité^ Somèfes^de:Maebeili ! ! ! Je vis .mi- 
nauda des coquel^es.; on me momlrEii deux: gracieuses: 
jeunes fit)es> .faiàaiiti cd i|ue . les inères^^ ap^teèlent - leim en- 
trée dans le moticiftv déli<»t6s-et>pTéeieii8es>ôeiir8 que'soii: 
souffle desséchant aura bientôt flétries ! J*«b fus rarvi^ 
Trms amataurs disGOururent déTauiit moi sur renthou— 
slasme^ la poésie, la musique; ils^oomparèrent^eœ^mble 
Beetbin/s^iet.M. Vaccaï, Sliakespeare et M. Duois; me* 
damaniièBent si j'avais luGœthB^si F^v^Ta'-^mÀt' ammé^ 
que sais-je encore? mille autres belles chosesv Tdnt celai 
m'^nc^aiitaiteUèment que je^qnsttaiilesaloB-^' souhait 
taatqu'Qftaérolithe grand comme' une montagne pût 
tofi^ktëc^sur le. palais deTAmbafisad»^ réentseraTeetout 
cet quUiiConteDatt: . 

En remontant rescalter de la:Trinita-del-nH>nle, pour 
rentrer à. r Académie, il fallut dégainer nos grands cou* 
teaux. romains. Des malheureux .étaient en embuscade 
sistlaplate-farme pour demander aux passants la bourse 
ou la vie. Mais nous étions deux, et ils n'étaient que 
trois; le .craquement de. nos couteaux^ que nous ouvrî- 
mes avec bruit, suffit pour les rendre, momentanément, 
à la vertu* 

Sonvont au reumr de ces insifHdes réusâons^ où de 
plates cavEUineSj ptatementcliaflitW au piano; n'avaient 
fait qu'exciter ma soif de musique «t aigrirma mauvaise 
humeur; le sommeil m*était impossible. Alors, je descen- 
dais au jardin, et, couvert d'un grand manteau à capu- 
chon, assis . sur un bloc de marbre, écoutant dans de 
noires et misanthropiques rêveries les cris des hiboux 
deJaTlUarBorghèse» j'attendais, le. retour du soleil. Si 
mes camarades avaiaaiiConfiiices^veiUes oiweSiàia belle: 



tu MSMOIRBS DE nEGTOR BERLIOZ. 

étoile, ils n'auraient pas manqué de m'accuser de ma- 
«Itère (c'est le terme consacré ), et les charges de toute 
3spèce ne se seraient pas fait attendre ; mais je ne m'en 
nantais pas. 

Voilà avec la chasse et les promenades à cheval *■ le 
gracieux cercle d'action et d'idées dans lequel je tour- 
nais incessamment pendant mon séjour à Rome. Qu'on y 
joigne l'influence accablante du siroco, le besoin impé- 
rieux et toujours renaissant des jouissances de mon art, 
de pénibles souvenirs, le chagrin de me voir, pendant 
deux ans, exilé du monde musical, une impossibilité 
inexplicable, mais réelle de travailler à l'Académie, et 
l'on comprendra ce que devait avoir d'intensité le spleen 
qui me dévorait. 

J'étais méchant comme un dogue à la chaîne. Les ef- 
forts de mes camarades pour me faire partager leurs 
amusements ne servaient même qu'à m'irriter davan- 
tage. Le charme qu'ils trouvaient anix joies du carnaval 
surtout m'exaspérait. Je ne pouvais concevoir (je ne le 
puis encore) quel plaisir oh .peut prendre aux divertis- 
sements de ce qu'on appelle à Rome comme à Paris les 
jours gras!.., fort gras, en effet ; gras de boue, gras de 

1. Ce fut dans une de ces excursions équestres faites dans \ 

la plaine de Rome avec Félix Mendelssohn, que je lui expri- 
mai mon étonnement de ce que personne encore n^avait songé 
à écrire un scherzo sur Tétincelant petit poème de Shakes- 
peare : La Fée Mab, Il s'en montra également surpris, et je 
me repentis aussitôt de lui en avoir donné Tidée. Je craignis 
ensuite pendant plusieurs années d'apprendre qu'il avait trai- 
té ce sujet. Il eût sans doute ainsi rendu impossible ou au 
moins fort imprudente la double tentative* que j*ai faite dans V 

ma symphonie de Roméo et Juliette, Heureusement pour moi I 

il n*y songea pas. 

* Il y a en effet un scher&etto vocal et un scherio instrumen- 
tal sur la fée Mab, dans cette symphonie. 



J 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 213 

fard, de blanc, de lie de vin, de sales quolibets, de gros- 
sières injures, de filles de joie, de mouchards ivres, de 
masques ignobles, de chevaux éreintés, d*imbéciles qui 
rient, de niais qui admirent, et d'oisifs qui s'ennuient. A 
Rome, où les bonnes traditions de l'antiquité se sont con- 
servées, on immolait naguère aux jours gras une vic- 
time humaine. Je ne sais si cet admirable usage, où l'on 
retrouve un vague parfum de la poésie du cirque, existe 
toujours ; c'est probable : les grandes idées ne s'éva- 
nouissent pas si promptement. On conservait alors pour 
\qs jours gras (quelle ignoble épithète !) un pauvre diable 
condamné à la peine capitale ; on l'engraissait, lui aussi, 
pour le rendre digne du dieu auquel il allait être offert, 
le peuple romain ; et quand l'heure était venue, quand 
cette tourbe d'imbéciles de toutes nations (car, pour être 
juste, il faut dire que les étrangers ne se montrent pas 
moins que les indigènes' avides de si nobles plaisirs), 
quand cette cohue de sauvages en frac et en veste était 
bien lasse de voir courir des chevaux et de se jeter à la 
figure de petites boules de plâtre, en riant aux éclats 
d'une malice si spirituelle, on allait voir mourir l'homme; 
oui, Yhomme ! C'est souvent avec raison que de tels 
insectes l'appellent ainsi. Pour l'ordinaire, c'est quelque 
malheureux brigand, qui, affaibli par ses blessures, aura 
été pris à demi-mort par les braves soldats du pape, et 
qu'on aura pansé, qu'on aura soigné, qu'on aura guéri, 
engraissé et confessé pour les jours gras. El, certes, il y 
a, à mon avis, dans ce vaincu, mille fois plus de l'homme 
que dans ^'oute cette racaille de vainqueurs, à laquelle 
le chef temporel et spirituel de l'église [abhorrens a san- 
guine), le représentant de Dieu sur la terre, est obligé de 
donner de temps en temps le spectacle d'une tête eoupée*. 

1. Les Parisiens, sous ce rapport, sont encore bien dignes 
des Romains de 1831. M. Léon Halevy, frère du célèbre corn* 



21* MtllX)IJi&S DZ.HBCTOa BERLIOZ. 

U eac vrai, que» bientôt après, ce peuple sensible et in- 
telligent va, pour ainsi dire, faire ses aî^lutions à la place 
Navone et y laver les taobes que le sang a pu laisser sur 
ses habits. Cette place est alors inondée complètement; 
au lieu d'un marché am( légumes, c'est un véritable 
étang d'eau sale et puante^ à. la surface duquel surna- 
gent, au lieu de fleurs, des tronçons de cboux, des.feuil- 
les de laitue, des éoorees de pastèques, des brins de paille 
et des coquilles d'amandes. Sur une estrade élev^, au 
bord de ce lac enebanté,. quinze musiciens, dont deux 
grosses caisses, une* caisse roulante, un tambour, un 
triangle, un paFiUon chinois^ et deux paires de cym- 
balles, flanquéspour la forme de quelques cors ou clari- 
nettesy exécutent des métadies. d'un style aussi pur que 

ppûteor, vient. 4* Adresser au journal des Débats une lettre 
pl^ioede bon sens et de bons sentiments, dans laquelle il' dè« 
mande la suppression de Tignoble fête célébrée au carnaTai 
autour du Bœuf gras t que Ton promèoe par- les rues pendant 
trois jours, pour ramener enfin exténué à rafeattoir^ oùon- 
régorge en grande pompe» . 

Cette éloquente protestation m'a vivement ému, et je n'ai pu 
m'^Dpéeher d'écrire à TaïUeur le billet suivant : 

Monsieur, 

Permettez-moi de voua serrer la main pour votre admirable 
lettjoe sur le Bœuf gras, publiée ce matin par le journal des 
D^ats, Non, vous n'êtes pas. ridicule, gardez-vous de le croi- 
re ; et^n tout cas, mieux vaut mille fois paraître ainsi ridicule 
au;; yeux des esprits superficiels, que grossier et barbare au^ 
3 eux des gens de cœur, en restant indifférent devant des speo^ 
taeies tels que celui si justentent stigmatisé par vous, et qui 
font de l'homme soi-disant civilisé le plus lâche et le plus 
atMiee# des animiwizimalfaisaiits. 

Recevez l'assurance de mes sentiments distingués et de ma 
■^'pi^p.9Ah;e.. 
7 naarsigeS, 



MÉMaiRËS DE HECTOR B&RUOZ. âl$ 

le flot qui baigne les pieds de leurs tréteaux; {««nâant 
que les plus brillants équipages circulent lentement dans, 
cette mare, aux acclamations ironiques du peuple roiV 
dont la grandir n*estpas la cause qui rtUtoâheoM riw^e. 

— Mirate ! Mirate ! voilà l'ambassadeur d'Autriche ! 

— Non, c'est l'envoyé d'Angleterre I 

— Voyez ses armes, une espèce d'ai^ ! 

— Du tout, je distingue un autre animal, et d'sûUeurs, 
la fameuse inscription : Dieu et mm Droit. 

— Ah ! ah t c'est le consul d'Espagne avec son fidèle 
Sancho. Rossinante n'a pas l'air fort enchanté de cette 
promenade aquatique. 

— Quoi ! lui aussi ? le représentant de la France ? 

— Pourquoi pas ? ce vieillard qui le «uit, couvert de 
la pourpre cardinale est bien l'oncle maternel de Napo- 
léon. 

— Et ce petit homme, au ventre arnmdi, au sourire 
malicieux, qui veut avoir l'air grave ? 

C'est un homme d'esprit ^ quiécrit sur tes arts d'ima- 
gination, c'est le consul de Givita-Vecchia, qui s'est cru 
obligé par la fashion de quitter -son poste sur la Méditer- 
ranée, pour venir se balancer en calèche autour de Té- 
goût de. la place de Navone; il médite en ce moment 
quelque nouveau chapitre pour son roman AeRouge etneir. 

-^Mirate! Mirate! voilà notre fMneuse Vittoria, cette 
Fornarina au petit-pied (pas tant petit) qui vient poser 
aujourd'hui en costume d'Ëminente, pour se délasser de 
ses travaux de la semaine dans les ateliers de l'Acadé- 
mie. La voilà sur son char, comme Vénus sortant de 
l'onde. Gare ! les tritons de la place Navone, qui la con- 
naissent tous, vont emboucher leurs conques et souffler 

1 . M. Beyle, qui a écrit une Vie de Rossini sous le pseu- 
donyme de Stendahl et les plus irritantes stupidités sur la 
musique, dont il croyait avoir le sentiment. 



216 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

à son passage une marche triomphale. Sauve qui peut! 
— Quelles clameurs ! qu'arrive-t-il donc ? une voiture 
bourgeoise a été renversée I oui, je reconnais notre 
grosse marchande de tabac de la rue Gondotti. Bravo ! 
elle aborde à la nage, comme Agrippine dans la baie 
de Pouzzoles, et, pendant qu'elle donn^ le fouet à son 
petit garçon pour le consoler du bain qu'il vient de pren- 
dre, les chevaux, qui ne sont pas des chevaux marins, 
se débattent contre l'eau bourbeuse. Eh I vive la joie I en 
voilà un de noyé ! Agrippine s'arrache les cheveux ! 
rhilarité de l'assistance redouble I les polissons lui jet- 
tent des écorces d'orange, etc., etc. Bon peuple, que tes 
ébats sont touchants ! que tes délassements sont aima- 
bles ! que de poésie dans tes jeux ! que de dignité, que 
de grâce dans ta joie ! oh I oui, les grands critiques ont 
raison, l'art est fait pour tout le monde. Si Raphaël a 
peint ses divines madones, c'est qu'il connaissait bien 
l'amour exalté de la masse pour le beau, chaste et pur 
idéal ; si Michel- Ange a tiré des entrailles du marbre son 
immortel Moïse, si ses puissantes mains ont élevé un tem- 
ple sublime, c'était pour répondre sans doute à ce besoin 
de grandes émotions qui tourmente les âmes de la multi- 
tude ; c'était pour donner un aliment à la flamme poéti- 
que qui les dévore que Tasso et Dante ont chanté. Oui, 
anathème sur toutes les œuvres que la foule n'admire 
pas ! car si elle les dédaigne, c'est qu'elles n'ont aucune 
valeur ; si elle les méprise, c'est qu'elles sont méprisa- 
bles, si elle les condamne formellement par ses sifflets, 
condamnez aussi l'auteur, car il a manqué de respect au 
public, il a outragé sa grande intelligence, froissé sa 
profonde sensibilité ; qu'on le mène aux carrières ! 



XXXVII 



Chasses dans les montagnes. — Encore la plaine de Rome 

— Souvenirs virgiliens. — L'Italie sauvage. — Regrets. 

— Les bals d*osteria. — Ma guitare. 



Le séjour de la ville m'était devenu vraiment insup* 
portable. Aussi ne manquais-je aucune occasion de 
la quitter et de fuir aux montagnes, en attendant le 
moment où il me serait permis de revenir en France. 

Gomme pour préluder à de plus longues courses dans 
cette partie de Fltalie, visitée seulement par les paysagis- 
tes, je faisais fréquemment alors le voyage de Subiaco^ 
grand village des États du Pape, à quelques lieues de 

Tivoli. 

Cette excursion était mon remède habituel contre le 
spleen, remède souverain qui semblait me rendre à la 
vie. Une mauvaise veste de toile grise et un chapeau de 
paille formaient tout mon équipement, six piastres toute 
ma bourse. Puis, prenant un fusil ou» une guitare, je 
m'acheminais ainsi, chassant ou chantant, insoucieux 
de mon gîte du soir, certain d'en trouver un, si besoin 
était, dans les grottes innombrables ou les madones qui 
bordent toutes les routes, tantôt marchant au pas de 
course, tantôt m'arrôtant pour examiner quelque vieux 
U 1^ 



lî% MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

tombeaa, oa, da haut d'un de ces tristes monticules 
lont l'aride plaine de Rome est couverte, écouter avec 
recueillement le grave chant des cloches de Saint-Pierre, 
lont la croix d'or étincelait à l'horizon; tantôt interrom* 
(Munt la poursuite d'un vol de vanneaux pour écrire dans 
mon album une idée symphoniquequi venait de poindre 
dans ma tôte, et toujours savourant à longs traits le bon- 
heur suprême de la vraie liberté. 

Quelquefois, quand,, au lien du fusil, j'avais apporté 
ma guitare, me postant au centre d'un paysage en har- 
monie avec mes pensées, un chant de YÉtiéide, enfoui 
daaa.mjt mémoire depuis mon enfance, se réveillait à 
TaspeU des lieux où je^m^étaîs égacé; improvisant alors 
un étrange récitatif sun une harmonie. plus. étrange en- 
core, je me chantais la mort de Pallas, le désespoir du 
bon Évandre, le convoi du jeune guerrier qu'accompa- 
gnait son cheval Éthon, sans harnais, la crinière pen- 
dEtntQ^ et VOTsant'drg^ses larmes ;'rëffM dte«b(»<' roi 
LattBus, îe siège du: Latiïmii, dont je foutssis' la- terres la 
tristejtr d^Ainataet^ra mort'cnielie'dd"noftle' â^tfteé 'de 



Ainsi, sons le&infRienGeB comhihées'des' svuTBiiirsi, de 
irpoéUfeet de 4a musique, j'âtosignais le^iiilâ» increffs- 
bre degffê d'in^attation. Cette* triple ivresse se^résoltvit 
toujours en torrents de larmes versés avec«d)ês sanig^s 
oonvuldifa» Etcequ'ily a déplus singulier, c'est' que je 
coaunentais mes. larmes; Je pteurais ce panvr» Tur- 
nus, à.qQi le cagot Ëùée était venu enlever ser ËtiMs, 
sa maftcesse et la. vie; ]e pTeurais sur la belle et ton- 
chantâ^iiàviïiiej obligea^ d'épouser le brigand étrsiger 
couvert du sang de son amant ;, je reg^tais ces temps 
poétiques où les héros. f[tè des diëax, portaient dé* si 
belles armures; et lanoiarent de gracieux xatetots-^ à la 
pointe étînoelaate ornée d^ûn; cercle' dfdn Qiaittaitt' en- 
suite le passé ppurle présent,: le pièunûr. sur mes^cha- 



qws eumrgemiÉik., MitiwUsneUa.»,^ sua. umbtm.^. j| 
jDÊdmàommS' 

heturJ Les geotiVoiflNoïKiUtt neisavoit pa»» à^qoeU dg|g|fé 

iiaiB0iiaa^oi;^¥îliaveofa?eur; le corBaaaème^lArtmJpMt 



R^eagé^BiaîiitQQaïKfdaM la^Josinnes^.pftiriûMiQe) 
avee 4ii^](6fo«c«r«t^<ifl»ite< fidélité )ie.iiietriaf^ £e.sai»t 

g0ii^,»al pap^éa d'JiaUtaiitMnAl yéloa^ Att/reg^â^scmp- 
qsnamsmi ^nsûta âa{.> y^imOf. tauto <4élabiiéa.: qwi podeol 
loift el^iallQîfPieQl)t«eipi!smiTt8yi^. lev bn^lSUe&^bizan^ 

ceii^oii^^iitfrniria^sâaM^^ ^ouJoiUéast.^ Ce 

8imi-SRlitatt|iAtatrt^Gtvitelia»tCteDieaa% 
SaM>M»HHiH-Asi»,i l«ftf>«iivieap^vm . «Myonremat détecta 
é&i^ ï^limm tmm i^wg^m^wm^^M.. lea- jEDoiwoa'Soia 
ateiBÉ»»é*. IteattB WPTSwlyliaiiteM^ 



StO MÉMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 

lants» qui accneillent cordialement les voyageurs et les 
étonnent par lear spiritaelle et savante conversation ; le 
palais bénédictin du Honte-CassinOy avec son luxe 
éblouissant de mosaïques, de boiseries sculptées, de reli- 
quaires, etc. ; l'autre couvent de San-Benedetto, à Su- 
biaco, oh se trouve la grotte qui reçut saint Benoit, où 
les rosiers qu'il planta fleurissent encore. Plus haut, 
dans la même montagne, au bord d'un précipice au fond 
duquel murmure le vieil Anio, ce ruisseau chéri d'Ho- 
race et de Virgile, la cellule del Beato Lorenzo, adoss<3e 
à un mur de rochers que dore le soleil, et où j'ai vu s'a- 
briter des hirondelles au mois de janvier. Grands bois de 
châtaigniers au noir feuillage, où surgissent des ruines 
surmontées par intervalles, au soir, de formes humaines 
qui se montrent un inçtant et disparaissent sans bruit.... 
pâtres ou brigands.... En face, sur l'autre rive de l'Anio, 
grande montagne à dos de baleine, où l'on voit encore à 
cette heure une petite pyramide de pierres que j'eus la 
constance de bâtir, un jour de spleen, et que les peintres 
français, amants fidèles de ces solitudes, ont eu la cour- 
toisie de baptiser de mon nom. Au-dessous, une caverne 
où l'on entre en rampant et dont on ne peut atteindre 
l'entrée qu'en se laissant tomber du rocher supérieur, au 
risque d'arriver brisé à cinq cents pieds plus bas. 

A droite, un champ où je fus arrêté par des moisson- 
neurs étonnés de ma présence en pareil lieu, qui m'acca- 
blèrent de questions, et ne me laissèrent continuer mon 
ascension que sur l'assurance plusieurs fois donnée 
qu'elle avait pour but l'accomplissement d'un vœu fait à 
la madone. Loin de là, dans une étroite plaine, la maison 
isolée de la Plagia, bâtie sur le bord de l'inévitable Anio, 
où j'allais demander l'hospitalité et faire sécher mes ha- 
bits, après les longues chasses, aux jours pluvieux d'au- 
tomne. La maîtresse du logis, excellente femme, avait 
une fille admirableïnent belle, qui depxns a épousé le 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. S21 

peintre lyonnais, notre ami Flacheron. Je vois encore 
ce jeune drôle, demi-bandit» demi-conscrit, Grispino, 
qui nous apportait de la poudre et des cigares. Lignes de 
madones couronnant les hautes collines, et que suivent, 
le soir, en chantant des litanies, les moissonneurs attar- 
dés qui reviennent des plaines, au tintement mélancoli- 
que de la campanella d'un couvent caché ; forêts de 
sapins que les pifferari font retentir de leurs refrains 
agrestes; grandes filles aux noirs cheveux, à la peau 
brune, au rire éclatant, qui, tant de fois, pour danser, 
ont abusé de la patience et des doigts endoloris di ques- 
to signore qui suona la chitarra francese ; et le dassique 
tambour de basque accompagnant mes saîtarelU impro- 
visés ; les carabiniers, voulant à toute force s'introduire 
dans nos bals d'Osteria ; Tindignation des danseurs fran- 
çais et abruzzais; les prodigieux coups de poing de Fla- 
cheron; Texpulsion honteuse de ces soldats du pape; 
menaces d'embuscades, de grands couteaux 1... Flache- 
ron, sans nous rien dire, à minuit, au rendez-vous, sur- 
mé d'un simple bâton ; absence des carabiniers ; Cris- 
pino enthousiasmé ! 

Enfin, Albano, Gastelgandolpho, Tusculum, le petit 
théâtre de Cicéron, les fresques de sa villa ruinée; le 
lac de Gabia, le marais o\x j'ai dormi à midi, sans songer 
à la fièvre; vestiges des jardins qu'habita Zénobie, la 
noble et belle reine détrônée de Palmyre. Longues lignes 
d'aqueducs antiques fuyant au loin à perte de vue. 

Cruelle mémoire des jours de liberté qui ne sont plusl 
Liberté de cœur, d'esprit, d'àme, de tout; liberté de ne 
pas agir, de ne pas penser même; liberté d'oublier le 
temps, de mépriser l'ambition, de rire de la gloire, de ne 
plus croire à l'amour; liberté d'aller au nord, au sud, à 
l'est ou à l'ouest, de coucher en plein champ, de vivre 
de peu, de vaguer sans but, de rêver, de rester gisant, 



tiède *mooù) làkMûifvwme, i^toiie,* 
•( fiMiK -ltalie»4ttiliMaMi8eliâ 
l'ilalteiarliBte, 



4a 



«L««MA*4llli«tt4i» 



xxî{?vrrî 



SnUtftoe. — Xe oanieBt4l«^âMntiB0adit' — ^ Une •érénade. — 
C3iBt8lia. -» Mon fasU. — Moa ami Ci^tpino. 



ihilMno«ftma>if«tllibasEg)Miea|iifttce»0H^ iMÉàMntis^ 
hinnieaieiitiiifrtiiacttairiifl'afte BfBEtHogMian^ain'éœiscFe. 
Uêam^tqm, \9à\i9SbÊLS^<wu,^(gBÊÊ(BVLêm cMCâàMMée JElvoli, 

^£alterrif9toe«QUle*9^a»aBBtaÉlBS«^^ 
léB'retsdrrée ; (APéfOtt^laiiftjfamer] ffirnvetaéiisraie «a- 

hwPditdtouiittnmiBfi i prtoipiiie^ ^4Brt* eu peaiflés: le •eml 
dttvtjtiS'ftQioi éfeièajûhapsll» eftlâiiMé éraiiald'tiBtBéiiâ'.«ie 

rAa40MMB Mtérie]iMfde4ié|}isfte0l:fliiniQ)Ubavi«^ 

éntpeatchml aUft«0l ^nafâiée. 
Après TOUS avoir fait admirer la santa spelvnca de 



224 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

saint Benoît et les tableaux grotesques dont les murailles 
sont couvertes, les moines vous conduisent à l'étage in- 
férieur. Des monceaux de feuilles de roses, provenant 
d'un bosquet de rosiers planté dans le jardin du couvent, 
y sont entassés. Ces fleurs ont la propriété miraculeuse 
de guérir des convulsions^ et les moines en font un débit 
considérable. Trois vieilles carabines brisées, tordues et 
rongées de rouille, sont appendues auprès de Todorant 
spéclûque, comme preuves irréfragables de miracles non 
moins éclatants. Des chasseurs, ayant imprudemment 
chargé leur arme, s^aperçurent en faisant feu du danger 
qu'ils couraient; saint Benoît invoqué (fort laconiquement 
sans doute) pendant que le fusil éclatait^ les préserva 
non-seulement de la^mort, mais môme de la plus légère 
égratignure. En gravissant la montagne l'espace de deux 
milles au-dessus de San-Benedetto, on arrive à l'ermitage 
del Beato Lorenzo, aujourd'hui inhabité. C'est une so- 
litude horrible, environnée de roches rouges et nues, 
que Tabandon à peu près complet où elle est restée de- 
puis la mort de l'ermite rend plus effrayante encore. Un 
énorme chien en était le gardien unique, lorsque je le visi- 
tai ; couché au soleil dans une attitude d'observation soup- 
çonneuse et sans faire le moindre mouvement, ft suivit 
tous mes pas d'un œil sévère. Sans armes, au bord d'un 
précipice, la présence de cet Argus silencieux, qui pouvait 
au moindre geste douteux étrangler ou précipiter l'in- 
connu qui excitait sa méfiance, contribua un peu, je 
l'avoue, à abréger le cours de mes méditations. Subiaco 
n'est pas tellement reculé dans les montagnes que la ci- 
vilisation n'y ait déjà pénétré. Il y a un café pour les po- 
litiques du paySj voire une société philharmonique. Le 
maître de musique qui la dirige remplit en môme temps 
les fonctions d'organiste de la paroisse. A la messe du 
dimanche des Rameaux, l'ouverture de la Cenerentola 
dont il nous régala, me découragea tellement, que je n'o- 



MÉMOIRES DE HEGTOl BERLIOZ. 225 

sai pas me faire présenter à TAcadémie chantante, dans 
la crainte de laisser trop voir mes antipathies et de bles- 
ser par là ces bons dilettanti. Je m'en tins à la musique 
des paysans ; au moins a-t-elle, celle-là, de la naïveté 
et du caractère. Une nuit, la plus singulière sérénade 
que j'eusse encore entendue vint me réveiller. Un ra- 
gazzo aux vigoureux poumons criait de toute sa force 
une chanson d'amour sous les fenêtres de sa ragazza^ 
avec accompagnement d'une énorme mandoline, d'une 
musette et d'un petit instrument de fer de la nature du 
triangle, qu'ils appellent dans le pays stimbalo. Son 
chant, ou plutôt son cri, consjistait en quatre ou cinq 
notes d'une progression descendante, et se terminait, en 
remontant, par un long gémissement de la note sensible 
à la tonique, sans prendre haleine. La musette, la man- 
doline et le stimbalo, frappaient deux accords en succes- 
sion régulière et presque uniforme, dont l'harmonie rem- 
plissait les instants de silence placés par le chanteur en- 
tre chacun de ses couplets; suivant son caprice, celui- 
ci repartait ensuite à plein gosier, sans s'inquiéter si le 
son qu'il attaquait si bravement discordait ou non avec 
l'harmonie des accompagnateurs, et sans que ceux-ci 
s'en occupassent davantage. On eût dit qu'il chantait au 
bruit de la mer ou d'une cascade. Malgré la rusticité de 
ce concert, je ne puis dire combien j'en fus agréable- 
ment affecté. L'éloignement et les cloisons que le son de- 
vait traverser pour venir jusqu'à moi, en affaiblissant 
les discordances, adoucissaient les rudes éclats de cette 
voix montagnarde. Peu à peu la monotone succession 
de ces petits couplets, terminés si douloureusement et 
suivis de silences, me plongea dans une espèce de demi- 
sommeilj>lein d'agréables rêveries : et quand le galant 
ragazzo n'ayant plus rien à dire à sa belle, eut mis fin 
brusquement à ba chanson, il me sembla qu'il me man- 
quait tout à coup quelque chose d'essentiel... J'écoutais 
l«] 13. 



%imo^as£ê m RSCTeB «embi^x. 



iMtetpbfaie jaélodiqae eH jrtpftniaeidaaft .4Mtas les 
Abiruoes; je l^aiieiHim<lHa<d6piiitiiiUaMoi«m^'ÀuAT^ 
âaii84e Toymome'^e Ilaple^iptaft4»n voHtt'.iilodiiâe<^|ir 
l^«Baliinenl das ahtitmirs let^eiiimivmasQt ^aHIs tei 
iMprimalmt. Je?tMii»nwiirar «^g'tiUgfae ^picaix^déiiatetige 
une «ût, À ilateiyiohtutéftoiaBlflHWil, «yac lâiovoawr «at 
aHM aoiDiafSfp60M«t;ieUeipreBttl«aloi!s «meoubnwf»- 
ligte&se1bPtiâAfférealeite«Mto.<i|ar^ tei(W— tiHMs> 

4ianoi0lM«4eft ]MWKft4»iHflei«qpèoe^<tc^^ 
<fsêii*«fi 1^ j|o«ji»tir»«aiilBneiil le cmène à'i*iiipo 
cfl«ptet;< U!«wietm«aBlile6'fafite «fffoini^ 
(ji«tttgttr^^etlaiJM«ompBgtt»l«H»flaisii»m«itd^ «eliH^i 
(Moim lit gwve&u£eU0ii]iip»iisatm AlasifûifMdes 
6*phiee4iio«$a9iMi4s'id6<giMië8ntei8^^'^^^ i^tet 
tcM«iinplBiii0Dtiieiilaf|iHiiû$ daMiip<piett»ilft'}foiitMti«f 
MKit«cef aiU9 diiaiBiu<ddBf«avie ismuremalkm nntoûre. 

Le jeime4pire<di»t j!iûfM]ié^''BtMnmé(£ri^^ cjui 
airatt rkisolQne^de frôtBBére av^ir-ét^ Mgand, 'fMunee 
qniriliavsit lait d»axiang<dftgaièws,qiainaii^H|i4M>MMg» 

bkmvvinie qaUUerâU'jeoinaie «m vdeiir : 

AUeffrêitû. 




BpQgiomo, bffogiorao, bongtorn^, bi 



- çno 







■ ■ ^ >* 



-* «• - re, -"•«« - » •"•«me ■ «fijftte * « 



i9f 



à la iBesttre*in8rqiiée'^a'8i«Tie>^ esl'tle'cigfoeur. il^ré- 
sutte'd»ntt^«jiiïrHie'^gfosieri*«iBw semWîiWe' àmn «aûflot, 
dont refltefCsïTort singulier. 

I>ans les OTtres 'VrHaç©B*«imrofii!Hiïts,»'doirt <8tilH«ca 
semble être la capitale, je^ n'ai "pas ^rdiméiHi JatHoiitcko 
brîbeiimstcale. Civittffla, ie*pltt$>i»térts8fiiit ^e^tims;!! est 
un TérïtaMe nid fl-aîgle, 'pcfclrè snr la pointe d*Hii délier 
d'nnaceès fort' SK(lKiile;«fiif érable^ puant. On y -jotiit 
d'une vne magnifique/ seul dédonmagfmtint à lafa%ue 
d'une telle estôlade/tâties rdctters y onMine physionnmio 
étrange dans leurs *tantastiqnes antm^Nemems, qui 
charme assez les yemdes-aftBtes pour «qu%R peintre tle 
mes amis yatt ^^nnirné six mois entiers. 

li*nn ^^aites^du'Yillage repose stfT'âe^^alies mper- 
posées,' tifflementiémnines, qti'ri^est'fl^MoAoment impeesi- 
ble^deceiwevfytr somnient -des^ bonnses dnt pu jamais 
exercer la moindre action locomottve snr^de pasrtiiHes 
masses. €emtir*deTîtsas, -parsa •grossièreté et «es* di- 
mensions, '«st 'aux 'constructions "cyctopéenBes comme 
ce)teS'*ci son t^acrx'*mnrai91es ordinaires vdes monaments 
conteniparbins. fine jouit c^pendmit d'amsnne prénom- 
mée, etquoiqne Tmmt'habituettement ayec 'des tarohi- 
tectes, jeii'en «[rais"jama»S'Bnlendu parier. 

t}ivH«iHa'dffire/en outre, anx vagabonds, «un ^Iréoifflix 
avantage dont 4es* antres vîHaiges^OBiblaliies^sont totale- 
ment dépouryns; «^t «une auberge -ou fo^que cbose 
d'spprocbant. On* peut y loger 'et y wvre passablement. 
Lliomme ricbetin pays, U'9êgndr ^msiitza,' reçoit et hé- 
bergede sonmieux les étrangers, les français - surtout, 
pour lesquels il 'profBsse la plus honorable sympathie, 
mais qû'ibassassine de^questionssur la politique Assez 
modéré dans ses autres prétentions, ce brave homme est 
assez insatiable sur ce point. Enveloppé dans une redin- 
gote qu'il n'a pas quittée depuis-dix ans, accroupi sous 



22B MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. . 

ga cheminée enfamée, il commence, en vous voyant en- 
trer, son interrogatoire, et, fussiez- vous exténué, mou- 
rant de soif, de faim et de fatigue, vous n'obtiendrez pas 
un verre de vin avant de lui avoir répondu sur 
Lafayetle , Louis-Philippe et la garde nationale. Vico- 
Var, Olevano, Arsoli, Genesano et vingt autres villages 
dont le nom m'échappe, se présentent presque uniformé- 
ment sous le môme aspect. Ce sont toujours des agglomé- 
rations de maisons grisâtres appliquées, conune des nids 
d'hirondelles, contre des pics stériles presque inaborda- 
bles: toujours de pauvres enfants demi-nus poursuivent 
les étrangers en criant: Pittore! pittore! Inglese! mezzo 
baioeco * 1 (Pour eux, tout étranger qui vient les visiter 
est peintre ou Anglais), Les chemins, quand il y en a, ne 
sont que des gradins informes, à peine indiqués dans 
le rocher. On rencontre des hommes oisifs qui vous re- 
gardent d'un air singulier; des femmes, conduisant des 
cochons qui, avec le maïs, forment toute la richesse du 
pays ; déjeunes filles, la tête chargée d'une lourde cru- 
che de cuivre ou d'un fagot de bois mort ; et tous si mi- 
sérables, si tristes, si délabrés, si dégoûtants de saleté, 
que, malgré la beauté naturelle de la race et la coupe 
pittoresque des vêtements, il est difficile d'éprouver à 
leur aspect autre chose qu'un sentiment de pitié. Et pour- 
tant, je trouvais un plaisir extrême à parcourir ces re- 
paires, à pied, le fusil à la main, ou même sans fusil. 
Lorsqu'il s'agissait, en effet, de gravir quelque pic in- 
connu, j'avais soin de laisser en bas ce bel Instrument, 
dont les qualités excitaient assez la convoitise des Abruz- 
zais pour leur donner l'idée d'en détacher le propriétaire, 
au moyen de quelques balles envoyées à sa rencontre par 
d'affreuses carabines embusquées traîtreusement derrière 
un vieux mur. 

1.' Petite monnaie romaine. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 22C 

A force de fréquenter les villages de ces braves gens, 
l'avais fini par être très-bien avec eux. Crispino surtout 
m'avait pris en affection : il me rendait toutes sortes de 
services ; il me procurait non-seulement des tuyaux de 
pipe parfumés, d'un goût exquis ^ non-seulement du 
plomb et de la poudre, mais des capsules fulminantes, 
môme des capsules ! dans ce pays perdu, dépourvu de 
toute idée d'art et d'industrie. De plus, Crispino con- 
naissait toutes les ragazze bien peignées à dix lieues à 
la ronde, leurs Inclinations, leurs relations, leurs ambi- 
tions, leurs passions, celles de leurs parents et de leurs 
amants; il avait une note exacte des degrés de vertu et 
de température de chacune, et ce thermomètre était quel- 
quefois fort amusant à consulter. 

Cette affection, du reste, était motivée ; j'avais, une 
nuit, dirigé une sérénade qu'il donnait à sa maîtresse ; 
j'avais chanté avec lui pour la jeune louve, en nous ac- 
compagnant de la chitarra francese^ une chanson alors 
en vogue, parmi les élégants de Tivoli ; je lui avais fait 
présent de deux chemises, d'un pantalon et de trois su- 
perbes coups de pied au derrière un jour qu'il me man- 
quait de respect'. 

Crispino n'avait pas eu le temps d'apprendre à lire, et 
il ne m'écrivait jamais. Quand il avait quelque nouvelle 
intéressante à me donner hors des montagnes, il venait 
à Rome. Qu'était-ce, en effet qu'une trentaine de lieues 
per un bravo comme lui. Nous avions l'habitude, à l'Aca- 

1. Je fumais alors, je n'ayais pas encore découvert que 
Texcitation causée par le tabac est une chose pour moi prodi- 
gieusement désagréable. 

2, Ceci est un mensonge et résulte de la tendance qu^ont 
toujours les artistes à écrire des phrases qu'ils croient à ef- 
fet. Je n*ai jamais donné de coups de pied à Crispino ; Flache* 
ron est même le seul d'entre nous qui se soit permis avec 
faii une telle liberté. 



230 HtWOlRES Ali nrTM «nGKOlX. 

demie» dtteHier ooTMes ics partat de bm tMudirai. 
Un-flnei&^jaiNrter ( j'airuBii|iiilté*leB>«ieiitagM8 enoc- 
\dbr% jem'eniuifais «kwr depuis trois 'meis ), «ciBiiief«- 
toomiii'daBsafnM Ut, jfaperçvs. éscaotumei lia fgfftQd 
soéléins JitMméj-^Myesm foitu^^WP^ gofiéeajtyit pa- 
rataftîc^attuiire^aèfféioBaitMMnUnoD' févoil. 

~fieBS>!.€rispioo<] ^(/«-totmff foire à;Aoflif? 
— ^1S<me «fiufo^ . ')«r vêdeirto ! 
-^^iirpoar m0Toir,et puis? 

— Vreierei mancare al pià predso mto dëbUo, m in 
qmtta œeatitme:. 

^«— Quelle ooeasion ? 

— Ver dire la vmtô... m« numca^^^ilMmutro, 

— . A Ja^boene^nre 1 veilà ce qai sfappelle 4flne inr«i- 
jûaaJA^wKitcL.,Ah l ta A'ts .pas dI»rg»Dt ! eique wnxftu 
que j'y Cassa, birbomuucio? 

^ Pcr.JUuK^y non soao.i»iri»fie/ 

ieiôai&ttvdpeiiseiafilhuiiçsis : 

-*^ tïfihroiis .fli'8pp(âes'4giieiii: #»6e fiie'ieii'ai' pasie 
soo, inm-mi^eniion; maism état fwmiqiié j'ai^élé Abus 
ans à Givita-Vecchia, vous avez bien tort.' teoM^sfa ^8 
enro^anxqgiiièMBipsnnairaSr^^yGlé/iaaiîts^bKn cponr»*^ 
boBseoaps'ileaftrsbiDej foarâe fammX' eqi^Mdseoaleau 
donnés dans ianmoiiÉigpa à< tdeB'élranger6"(^S QwtgifcW ). * 

rMoatami «e r'fliittail^'anaféaBat ; \ iJrii'iHrtiiO pecit^i^^ne 
pas taé seuiement' aurjounne ^ums >eiifin>< ^oa -vvit qti*f I 
avait le sentiment de Tbonneur. Aussi, dans son indigna- 
tionpi'aecepta-t-il quetrof9piastrei^iiBe chemise et on foa~ 
lard, sans vouloir attendre quej*eussemismes bottes pour 
lui donner.. .le reste. Le pauvre garçon est mort, 11 y ^a deux 
ans, d^uneoup de pierre j^eçuà la.tâte, da]is,.una rixe. 

|^us«evecran8»-HQaji*daiiSiQB.iix)AâeAmeiUair ?... 



XXXTX 



SaiDt-^lerr£. —- La dl^aiwUe S^ixtioe. — J^i;éi«i^s$ur 41?aU««- 
^ioa. — La musique reliji^iettse juoderae dai»« rjégliBe de 
'Saint-Louis. — Les (Màtres lyriques. — Mozart et" Vacca'i. 
—'Les p^tférari. — «Me* cvmpositians à'^Rome. 



D^Xaliait bien toujours re3«amr.âaiUfieU6vét^oaiie'VJUe 
de Bûiae, et s'y CQQyaiii£re»de^pkuie9 pla&qae^.de.tûultts 
les exkjteace&d'arttsle, il n'm .esjUf^ 4e filas. flci^a qsae 
celle d'un .mojsiciân éttanger, coiulâmné ii ilbadÉiter^ «i 
ramour deKart est dans soa cœur.. Il y. éprouve, un «up- 
plicede tous les instaïUs, dausiea praœiers* temps,, eu 
voyant ses Ulusiona poétigudsiomluBF «u« à-uAfs leiilaliel 
édifice lOttsicaL élevé par son Jj^agiuatiQu^' ^écioaieF^e- 
Yasii 1^ plus désej^pécante das céalilég ; cft^ft»ni^ch|i^Qe 
jour,, de AOuveUes expérieueesqui^amènesifioiistamiBiat 
deiUOUVBlles éée^ptioDs. ^u milieu de tous ias auntues 
ans ^pleins de vie» d^ graudaur, de joajâsl^^ ildniûvaiiis 
de l'éclat du. :génie, étalant âèremfint laws siervo^es 
diverses» il voit la^mualQue rMuUe.au >ràl&d'aiBe:eselav€ 
dégradée, hébéiée #arla misère.et.fibantaii%. d'une. voix 
usée, de stupides poèmes pour lesquels 1^ poupk lui jette 
à jkeine xin morceau de .pain. £'.e6t ^e^;4]juhe.jo Beeonnits 
fa£ilenientau.]Kmtde.iiueLqaes semaines. A r^ine aa*ivé. 



232 MÉMOIRES DB HECTOR RBRLIOZ. 

je coursa Saint-Pierre... immense! soblime! écrasant!... 
voilà Michel- Ange, voilà Raphaël, voilà Canova ; je mar- 
che sur les marbres les plus précieux, les mosaïques les 
plus rares... Ce silence solennel... cette fraîche atmo- 
sphère... ces tons lumineux si riches et si harmonieuse- 
ment fondus... Ce vieux pèlerin, agenouillé seul, dans 
la vaste enceinte... Un léger bruit, parti du coin le plus 
obscur du temple, et roulant sous ces voûtes colossales 
comme un tonnerre lointain... J'eus peur... il me sembla 
que c'était là réellement la maison de Dieu et que je n'a- 
vais pas le droit d'y entrer. Réfléchissant que de faibles 
créatures comme moi étaient parvenues cependant à éle- 
ver un pareil monument de grandeur et d'audace, je 
sentis un mouvement de fierté, puis, songeant au rôle 
magnifique que devait y jouer l'art que je chéris, mon 
cœur commença à battre à coups redoublés. Oh ! ouit 
sans doute, me dis-je aussitôt, ces tableaux, ces statues, 
ces colonnes, cette architecture de géants, tout cela n'est 
que le corps du monument ; la musique en est l'âme ; 
c'est par elle qu'il manifeste son existence, c'est elle qui 
résume l'hymne incessant des autres arts, et de sa voix 
puissante le porte brûlant aux pieds de l'Éternel. Où 
donc est l'orgue?... L'orgue, un peu plus grand que 
celui de l'Opéra de Paris, était sur des roulettes ; un pilas- 
tre le dérobait à ma vue. N'importe, ce chétif instrument 
ne sert peut-être qu'à donner le ton aux voix, et tout 
effet instrumental étant proscrit, il doit suffire. Quel est le 
nombre des chanteurs ?... Me rappelant alors la petite 
salle du Conservatoire, que l'église de Saint-Pierre con- 
tiendrait cinquante ou soixante fois au moins, je pensai 
que si un chœur de quatrervingt-dix voix y était employé 
journellement, les choristes de Saint-Pierre ne devaient 
se compter que par milliers. 

Ils sont au nombre de dix-huit pour les jours ordinai- 
res, et de trente-deux pour les fêtes solennelles Tai 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 233 

môme entendu un Miserere à la chapelle Sixtine, chanté 
par Ginq voix. Un critique allemand de beaucoup de 
mérite s'est constitué tout récemment le défenseur de la 
chapelle Slxtine. 

c La plupart des voyageurs, dit-il, en y entrant, s'at- 
» tendent à une musique bien plus entraînante, je dirai 
» môme bien plus amusante que celle des opéras qui les 
> avaient charmés dans leur patrie ; au lieu de cela, les 
9 chanteurs du Pape leur font entendre un plain-chant 
» séculaire, simple, pieux, et sans le moindre accompa- 
» gnement. Ces dilettanti désappointés, ne manquent pas 
» alors de jurer à leur retour que la chapelle Sixtine n'of- 
» fre aucun intérêt musical, et que tous les beaux récits 
» qu'on en fait sont autant de contes. > 

Nous ne dirons pas à ce sujet absolument comme les 
observateurs superficiels dont parle cet écrivain. Bien 
au contraire, cette harmonie des siècles passés, venue 
jusqu'à nous sans la moindre altération de style ni de 
forme, offre aux musiciens le même intérêt que présen- 
tent aux peintres les fresques de Pompéi. Loin de regret- 
ter, sous ces accords, raccompagnement de trompettes et 
de grosse caisse, aujourd'hui tellement mis à la mode par 
les compositeurs italiens, que chanteurs et danseurs ne 
croiraient pas, sans lui, pouvoir obtenir les applaudis- 
sements qu'ils méritent, nous avouerons que la chapelle 
Sixtine étant le seul lieu musical de l'Italie où cet abus 
déplorable n'ait point pénétré, on est heureux de pouvoir 
y trouver un refuge contre l'artillerie des fabricants de 
cavatines. Nous accorderons au critique allemand que les 
trente^ieux chanteurs du Pape, incapables de produire le 
moindre effet et même de se faire entendre dans la plus 
vaste église du monde, suffisent à l'exécution des œuvres 
de Palestrina dans l'enceinte bornée de la chapelle ponti- 
ficale; nous dirons avec lui que cette .harmonie pure et 
calme jette dans une rêverie qui n'est pas sans charme. 
Hais ce charme est le propre de l'harmonie elle-même, et 



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successions d'accords comme celle^^ qiii«iûiii 



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ïs&tne à l'emploi 'ùss*nixorStpaiffiksHm!fed^ès^ f nël- 
qnes «asp6ii$^ms; on penit Men stanl€fllTe''Cfu«i*'kr«^ifti(»et 
cme certaine wiemje -aietat ' |;rffâé''<ieri!in»HHen ^àî«ites 
écrivit; mais reg:éiBe!'ilhniisNSDnc,^<m'«iie<t)latoM^ 
^Sn otttre, 'ies gens j|mi t!vde&re«e0r»'i9ii«cèri»nBçst ^e 
PâleBtrinn composa adnÀià'desMéin snr^e^s^inciestssevÉg, 
et.mû seulement par l'intention d'approcher4e''{^ct94p»s- 
sifelle d'one^teqse-^fa^aatéi^^toMBnlt él iBr u^ ^ ne 

coimaissent^pas, sans'^âoote, 'iws^miMr^gfaiix, 1 irud'^te 
psih^les/riyoleB'et i^anier sdnt'aeoèlées^af ^^i3é, mpm 
îistBX, k nm' sorté'ie ' tnn^(|ne'^afeÉ(ftminm '«eÉII»llkBl0^^ 
éêLie 'lonti ît rerl»ities'*part)tes*'silims;'n' >^ mmsber 
Iiar «fxempte : AirberéW^Mirei je mmmimtmpêmnu', 
êikil'itt pfainte'mmfa>eme,^^tc,y'pst*m -^«ntr Umi tofett 
l'effet^général et le style harmoniqpEte^littfèrflirfiBiNiaa 
de s^s eoinpiQHâtions^âlfes'^TC^glèâaes. lll^«e^«9vnliti'.'pks 
Mré'trvStrtre^mâBiqne, toifa'la "^él^tér; et"^ ^lAiàMMiaia 
d^l^mitsÊtlvreim ^^e»te1déaH'ii«i^H*t«f«^w 
écHtsr nue ^àtAe ^e "«es- sortes^ Ae l98f0S^i(tear«pMtiflg 
emtire^poistl^s - ga?'ie''prét#i!èrd&t Mn^iÉiB&t''^ir^iia 
miidt$'et'4k»m il 'pssse'paar'svèâr ^été^ IHMlag«ttlfli9i^ 

'*X>r;'wqnQi ees dilfieiâlés decdstr^^hlt, '«i^^ifl^B- 
aimir^ainccfôs qûH)n''!e5 dffpime, ûOMrAraiil^è^s^^^^ 
nexprcis^n da^mhimnt'TiélfgietBL T^es'^pBOtt^^motimme 
de l2tilictlBBce iâaHss0Cir''9'aeeorlfl8 «imoiR«'4^Mffl0(eA«4ai 
mie ^mptei)réoc(m¥kftHonMtr^élfHaa$leiob}e«€e<«inrt^ 
vail? en rien, à coup sûr. L'accent «XMesM #«m6««Biii- 
pél^loirnM^sleâCten'«stDi ^jilns «imlBstfBt; m ^us'ViAi, 
pSErcei'^ïtfeneest'éerHe/eni^smMi perpét^V'pansKam- 
pte-nBtfîl MmpKMrle à la^lieiittlé 'tti'à^l&'^rtlë iée 
ï^xpffeàjsl otr ^que te compe^tenr ait nralnca tmaitinMiiié 
étranigèrer iif learTech«rclie;^a8' plns*^eîjr^«e»tlBrtwiit, 



236 MEMOIRES DE UECTOR BERLIOZ. , 

il eût été gêné d'une façon quelconque par une douleur 
physique ou un obstacle matériel. 

Si Palestrina, ayant perdu les deux mains» s'était vu 
forcé d'écrire avec le pied et y était parvenu, ses ou- 
vrages n'en eussent pas acquis plus de valeur pour cela 
et n'en seraient ni plus ni moins religieux. 

Le critique allemand, dont je parlais tout à l'heure, 
n'hésite pas cependant à appeler subUtnes les improperia 
de Palestrina. 

c Toute cette cérémonie, dit-il encore, le sujet en lui- 
môme, la présence du Pape au milieu du corps des car> 
dinaux, le mérite d'exécution des chanteurs qui décla- 
ment avec une préoision et une intelligence admirables, 
tout cela forme de ce spectacle un des plus imposants et 
des plus touchants de la semaine sainte. > — Oc^i, certes, 
mais tout cela ne fait pas de cette musique une œuvre 
de génie et d'inspiration. 

Par une de ces journées sombres qui attristent la fin 
de l'année, et que rend encore plus mélancoliques le 
souffle glacé du vent du nord, écoutez, en lisant OsHanj 
la fantastique harmonie d'une harpe éolienne balancée 
au sommet d'un arbre dépouillé de verdure, et vous 
pourrez éprouver un sentiment profond ^de tristesse, un 
désir vague et infini ^d'une autre existence, un dégoût 
immense de celle-ci, en un mot une forte atteinte de 
spleen jointe à une tentation de suicide. Cet effet est 
encore plus prononcé que celui des harmonies vocales 
de la chapelle Sixtine; on n'a jamais songé cependant à 
mettre les facteurs de harpes éoliennes au nombre des 
grands compositeurs. 

Mais, au moins, le service musical de la chapelle Six- 
tine a4-il conservé sa dignité et le caractère religieux 
qui lui convient, tandis que, infidèles aux anciennes 
traditions, les autres églises de Rome sont tombées, sous 
ce rapport, dans un état de dégradation, je dirai même 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 237 

de démoralisation, qui passe toute croyance. Plusieurs 
prêtres français, témoins de ce scandaleux abaissement 
de Tart religieux, en ont été indignés. 

J'assistai, le jour de la fête du roi, à une messe solen- 
nelle à grands chœurs et à grand orchestre, pour laquelle 
notre ambassadeur, M. de Saint-Aulaire, avait demandé 
les meilleurs artistes de Rome. Un amphithéâtre assez 
vaste, élevé devant l'orgue, était occupé par une soixan- 
taine d'exécutants. Ils commencèrent par s'accorder à 
grand bruit, comme ils l'eussent fait dans un foyer de 
théâtre; le diapason de l'orgue, beaucoup trop bas, 
rendait, à cause des instruments à vent, son adjonction 
à l'orchestre impossible. Un seul parti restait à prendre, 
se passer de l'orgue. L'organiste ne l'entendait pas 
ainsi; il voulait faire sa partie, dussent les oreilles des 
auditeurs être torturées jusqu'au sang; il voulait gagner 
son argent, le brave homme, et il le gagna bien, je le 
jure, car de ma vie je n'ai ri d'aussi bon cœur. Suivant 
la louable coutume des organistes italiens, il n'employa, 
pendant toute la durée de la cérémonie, que les jeux ai- 
gus. L'orchestre, plus fort que cette harmonie de petites 
flûtes, la couvrait assez bien dans les tutti, mais quand 
la masse instrumentale venait à frapper un accord sec, 
suivi d'un silence, l'orgue, dont le son traîne un peu, on 
le sait, et ne peut se couper aussi bref que celui des 
autres instruments, demeurait alors à découvert et lais- 
sait entendre un accord plus bas d'un quart de ton que 
celui de l'orchestre, produisant ainsi le gémissement le 
plus atrocement comique qu'on puisse imaginer. 

Pendant les intervalles remplis par le plain-chant des 
prêtres, les concertants, incapables de contenir leur 
démon musical, préludaient hautement, tous à la fois, 
avec un incroyable sang-froid; la flûte lançait des gam- 
mes en ré; le cor sonnait une fanfare en mi bémol; les 
violons faisaient d'aimables cadences, des gruppctti char- 



sa» MâMaïus. db HscTeik bsali<i& 

maite^ie tMMsol^UMttteuC&d'impo^UlBe».8«lCBai& 
luXasiB p aws •nl»iSMii ciaqae? se» grand» «ief% oandBat 
que les gazoailleineittftd8.roitgne acbavaiettideibiUUalftr 
ca ecofieri iiuMii» digne detGaitouEU icHUxela i^npitiit en 
puAMiiM d'un^MaamUée .d'bo]Bnai'eurili8éi»,da4'aiaJto^ 
aadMUT' de France;, du dinacteui. de rAcadémie,. d'un 
oQCp&Mmtoeax de.piètDee^ebdetcardaaaXy.deiiaiifcuae 
rénjwon .d'artigte8ide.toa<e>Je> natiane* PouriaiMuaiqiie» 
eUer'éteil»4ig^deg tekr.e»A)iiteatn Gairatiaee^awK .cmÊt- 
eead0»<qalMlette% poiiitg.4'ûr^ne et loolades^iBaAneeeBs 
immnXaanti»à^ Tordre •compeeite.doat unet ^]\vwm ^de 
Yificaî fùrmaU la»tôte»4eftl»»beii de Pacciatt If ff amwatera», 
eitta. baMel.de»fiaUeiDJ[)ergJe*eorps»et>ld.iq«eiie*' Qi»!ûii ee 
figuif^ paniTieDucenBer rmiiiTe, laa « elridaiicetteuàtiaDtBB 
nwaiqii*vaaecée»< chAHté&^cMd^oûr.dt 'Mproea^fienuajgifos 
gatUard dont la' face rubioeede ^éiail» oraéekdi'aBe énome 
paire iLeïavoris noies. < Meis»..inQa Dieu^ dierjÇ'à biqh 
veiaLBsqiû4tûuffiaJi, lom est dûae misacle,daiiSiCe hien- 
beiMBOX pfty^ Avesn^ecui janaiai vu. ua>^aclMit. barba 
cemai&ealuiroi? >' 

—^cCoilKiitei... répUqitat vivement^ eftise^relournem, 
M» dai»efttaiioiine»i iidigjiéerda aoe rifes.ekdtt noe^ob- 
sefintioiia» (fatocre mm • ooaireta/ 

— > VéiiftJe connaifiser., .medaBieg 

— P0^ Baeeoi non 6t«rkite*.Im{»ara<^, peu». d*4»sm0yçke 
^mhvkttMM»nuit(wigUoio. é U «mwMo mie. > 

J'ai.eaisQdii frtqwieiœal^.daiia^d'^uiiMsr ég^jûm^Jes 
OQflRMiuei^da Bankém di* am(^, de lai fî0nmBi0te..et 
é'Otello*, Cok^jauieumsk parftisaaiea^ifâreias<ie«r^ctoîre 
fàvari deai^eggftMstee; iUiea asiainewiaieiA Jof tagfiéeble- 



Lat; am^pie. dee^ tbtttreB^ eaasi dsnnelîfH^^qffat'eiile 
âe»i.éiEyi9«fl»ie8fr!rel4pAMM,:e^ da&ftd^ flaèeie^iei de»8|deii- 
dent. Mène ^iavenânii rafime poftiétde fonees^. mtae 
dvamie éant/ ie^ style» .nÉfiw«pniiiiidBWrdei>|» Les 



^ 
< 



chanteurs qaeuj/ai eateodus pendant la saison théàtsale 
avaifint-en général dâ bonnes voix et cette facilité da. vo- 
calisation qui caractérise ' spécialement les Italiens; mais 
à rëxceptiûa.de madame Ungber, ^.rima-donna alle- 
mande» que noas.avons applaudie souvent k Pdris,^t de 
Salvator; assez bon baryton, ils ne. sortaient pas„de là 
ligjie,des médiocrités. Les chœurs sont d'un degcé au- 
deMOus de ceux da notre Opéra-Comique. pour l'ensem- 
bie^ là jiistessft et^ la chaleur. Llorchestre» imposant et 
formidable» à peu près comme Tarmée du prince de Mo- 
naea, possè^» sans exception, toutes les qualités» qu'on 
appelle ordTnairemént des défauts. Au théâtre YaUe^ les 
violoncelles sont au nombre de... un, lequel tm exerce 
rétàt.d'()rfévre».plus heuceux qu'un de ses~ confrères, 
oblîgj^^ ppor.viyxe, de rempaiUer des chaises. A Rome, le 
mot symphonieji comme 4:elui d'ouverture, n'est employé 
que pour désigner un certain bruit que font les orchestres 
dethélUre, avant le lever de. la toile, .et auquel personne 
ne fait attenjtion« Wébér et Beethoven sont là desnoma à 
peu p^ôs inconnus. Un sajrantabbé d&la chapelle Sixtine 
disait un. jour à.MendelssoJm gu'on lui avait parlé j£un 
jeûna, homme de grande espérance nommé Mozart II. est 
vrai que ce dlgjote ecclésiastique communiqua fort rare- 
ment avec les gçns du monde et ne s'est occupé toute sa 
vie. que. dés œuvres de Palestrina. C!est doncuun être qjae 
sa conduite privée et^ ses4opjiniûns.mettant à part. Quoi- 
qu'on n'y.exécute jamais la musique de Mozart, ,11 ast 
pourtant juste d& dira que» 4ana Rome, bon nombre de 
personnes^oAt.enlendU'. parler, de lui. autrement qoe 
cQmmBià*un.j^imà.hûmvui d^ grande espérwMe, Les dilel*- 
taoïrl écudlts savent marne qu'il est mort»» et que, sans 
approcher toiUefois.de Donizetti, il a écrit qucKi^es-par- 
titinnâre0iar4TvJ)les. J'en ai connu.uA qui.s'étaitiMrocnré 
\e^.Dùn Juan ;.^prës ravoir longuement. étudié au pij»no. 



)40 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ* 

il fat assez franc poar m'avouer en confldence qae cette 
ttet7/e musique lai paraissait sapérieare au Zadig et 
Astartea de M. Yaccaï, récemment mis en scène au 
théâtre d'ApoUo. L'art instramental est lettre close pour 
les Romains. Ils n'ont pas m&me l'idée de ce qae noQ« 
appelons ane symphonie. 

J'ai remarqué seulement à Rome une musique instru- 
mentale populaire que je penche fort à regarder comme 
un reste de l'antiquité : je veux parler des pifferari. On 
appelle ainsi des musiciens ambulants, qui, aux appro- 
ches de Noël, descendent des montagnes par groupes de 
quatre ou cinq, et viennent, armés de musettes et de 
Yûfferi (espèce de hautbois), donner de pieux concerts 
devant les images de la madone. Ils sont, pour Tordi- 
naire, couverts d'amples manteaux de drap brun, portent 
le chapeau pointu dont se coiffent les brigands, et tout 
leur extérieur est empreint d'une certaine sauvagerie 
mystique pleine d'originalité. J'ai passé des heures en- 
tières à les contempler dans les rues de Rome, la tête 
légèrement penchée sur l'épaule, les yeux brillants de la 
foi la plus vive, fixant un regard de pieux amour sur la 
sainte madone, presque aussi immobiles que l'image 
qu'ils adoraient. La musette, secondée d'un grand piffcro 
soufflant la basse, fait entendre une harmonie de deux 
ou trois notes, sur laquelle un piffero de moyenne lon- 
gueur exécute la mélodie; puis, au-dessus de tout cela 
deux petits pifferi très-courts, joués par des enfants de 
douze à quinze ans, tremblotent trilles et cadences, et 
inondent la rustique chanson d'une pluie de bizarres or- 
nements. Après de gais et réjouissants refrains, fort 
longtemps répétés, une prière lente, grave, d'une onction 
toute patriarcale, vient dignement terminer la naïve 
symphonie. Cet air a été gravé dans plusieurs recueils 
napolitains, je m'abstiens en conséquence de le repro- 
duire ici. De près, le son est si fort qu'on peut à peine 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 241 

le supporter; mais à un certain éloignement, ce singalier 
orchestre produit un effet auquel peu de personnes res- 
tent insensibles. J'ai entendu ensuite les pifferari chez 
eux, et si je les avais trouvés si remarquables à Rome, 
combien Témotion que j'en reçus fut plus vive dans les 
montag^nes sauvages des Abruzzes, où mon humeur va- 
gabonde m'avait conduit! Des roches volcaniques, de 
noires forêts de |sapîns formaient la décoration naturelle 
et le complément de cette musique primitive. Quand à 
cela venait encore se joindre l'aspect d'un de ces monu- 
ments mystérieux d'un autre âge connus sous le nom 
de murs cyclopéens, et quelques bergers revêtus d'une 
peau de mouton brute, avec la toison entière en dehors 
(costume des pâtres de la Sabine), je pouvais me croire 
eontemporain des anciens peuples au milieu desquels \int 
s'installer jadisÉvandrei'Arcadien,rhôtegénéreuxd'Ënée. 



Il faut, on le voit, renoncer à peu près à entendre de 
la musique, quandonhabiteRome;j'en étais venu même, 
au milieu de cette atmosphère antiharmonique à n'en 
plus pouvoir composer. Tout ce que j'ai produit à l'Aca- 
démie se borne à trois ou quatre morceaux : !<> Une oti- 
verture de Rob-Roy, longue et diffuse, exécutée à Paris un 
an après, fort mal reçue du public, et que je brûlai le 
même jour en sortant du concert; 2o La scène ainx champs 
de ma symphonie fantastique, que je reffs presque entiè 
rement en vaguant dans la villa Borghèse ; 3» Le chant 
de bonheur de mon monodrame Lelio ' que je rêvai, perfi- 
dement bercé par mon ennemi intime, le vent du sud, sur 

1. J^aTais écrit les paroles parlées et chantées ae cet ou- 
vrage qui sert de cooclusiou à la Symphonie fantastique, en. 
revenant de Nice, et pendant le trajet que je fis à pied, de Sienne 
à Montefiascone. 

I, 14 



242 MÉMOIRES DE HECTOR BBRLIOï. 

les bnts tonfiTos et taillés en nraraitle de notre- claa^iie 
jardin; 4» cette mélodie qai a nom la Capiiû9y et dont 
j'étais fort loin, en récrivant, de prévoir la fortune. En- 
core, me trompé-je, en disant qu'elle fut composée à 
Rome, car c'est de Subiaco qn'elle est datée. Il me sou- 
vient, en effet, qu'un jour, en regardant mon ami Le- 
febvre, Tarchitecte, dans Tanberge de Snfoiaeo où nous 
logions, un mouvement de son coude ayant fait tomber 
un livre placé sur la table où il dessinait, je le relevai; 
c'était le volume des Orientales de V. Hugo; il se trouva 
ouvert à la page de la Captive. Je Itts cette délicieuse poé- 
sie, et me retournant vers Lefebvre : c Si j'avais là du 
papier réglé, lui dis-je, j'écrirais la musique de ce mor- 
ceau, car je Ventends, 
— Qu'à cela ne tienne, je vais vous en donner. • 
Et Lefebvre, prenant une règle etuntire-ltgne, eut bien^ 
tôt tracé quelques portées, sur lesquelles je jetai léchant 
et la basse de ce petit afr; puis, je mis le manuscrit dans 
mon portefeuille et n'y songeai plus. Quinze jours après, 
de retour à Rome, on chantait chez notre directeur, quand 
la Captive me revint en tète. < Il faut, dis-je à mademoi- 
selle Vemet, que je vous montre un air improvisé à Su- 
biaco, pour savoir un peu ce qu'il signifie ; je n'en ai plus 
la moindre idée. » — L'accompagnement de piano, grif- 
fonné à la hâte, nous permit de l'exécuter convenable- 
ment ; et cela prit si bien, qu'au bout d'un mois, M. Ver- 
net, poursuivi, obsédépar cette mélodie, 'm'interpella ainsi: 
« Ah çà! quand vous retournerez dans les montagnes, j'es- 
père bien que vous n'en rapporterez pas d'autres chan- 
sons, car votre Captive commence à me rendre le séjour- 
de la villa fort désagréable ; on ne peut faire un pas dans 
le palais, dans le jardin, dans le bois, sur la terrasse, 
dans les corridors, san« entendre chanter, ou ronfler, ou 
grogner : « Le long du mur sombre... le sabre du Spahis.,, 
je ne suis pas Ti. tare... l'eunuque noir, etc, > C'est à en 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 243 

devenir fou. Je renvoie demain un de mes domestiques; 
je n'en prendrai un nouveau qu'à la condition expresse 
pour lui de ne pas chanter la Captive. > 

J'ai plus lard développé et instrumenté pour l'orches- 
tre cette mélodie qui est, je crois, l'une des plus colorées 
que j'aie produites. 

Il reste enfin, à citer, pour clore cette liste fort courte 
de mes productions romaines, une méditation religieuse 
à six voix avec accompagnement d'orchestre, sur la tra- 
duction en prose d'une poésie de Moore (Ce monde entier 
n'est qu'une ombre fugitive). Elle forme le numéro 1 de 
mon œuvre 18, intitulée Tristia, 

Quant au Hesurrexit à grand orchestre, avec chœurs, 
que j'envoyai aux académiciens de Paris, pour obéir au 
HiÀgteMWt, 61 dAnS'iequel ees meettours . ti^uvèreat un 
<yirp9ràs>tBès-^l«n«r(|ttâl^, jmeyreuoe seB&iUe ée i'in- 
"iÂtteoee. du séjour de Rome «urmesi idées, «t l'abandon 
i7€0iBf let ide mes lâcheuses 4endances mueieales^ cfesi on 
^'tlrsgnant de ma messe soiMiaeUe exécutée à Saint^Roeh 
'et à fiaifit-tËBStache, on le sait, plmsteurs années avant 
»jq»6 j'obtinsse le prix de l'instilat. Fiez^vous donc aux 
'{ageÔMDls des tmnwptds 1 



XL 



Variétés de spleen.— LMsolemeat. 



Ce fut vers ce temps de ma vie académique qae je res- 
sentis de nouveaa les atteintes d'une cruelle maladie (mo^ 
raie, nerveuse, imaginaire, tout ce qu'on voudra), que 
j'appellerai le mal de Visolement. J'en avais éprouvé un 
premier accès à l'âge de seize ans, et voici dans quelles 
circonstances. Par une belle matinée de mai, à la Qôte- 
Saint-André, j'étais assis dans une prairie, à l'ombre 
d*un groupe de grands chênes, lisant un roman de Mont- 
joie, intitulé : Mami9crit trouvé au mont Pausilippe. Tout 
entier à ma lecture, j'en fus distrait cependant par des 
chanls doux et tristes, s'épandant par la plaine à interval- 
les réguliers. La procession des Rogations passait dans le 
voisinage, et j'entendais la voix des paysans qui psalmo- 
diaient les Litanies des saints. Cet usage de parcourir, au 
printemps^ les coteaux et les plaines, pour appeler sur 
les fruits de la terre la bénédiction du ciel, a quelque 
chose de poétique et de touchant qui m'émeut d'une ma- 
nière indicible. Le cortège s'arrêta au pied d'une croix 
de bois ornée de feuillage; je le vis s'agenouiller pendant 
que le prêtre bénissait la campagne, et il reprit sa mar- 
che lente en continuant sa mélancolique psalmodie. La 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

voix affaiblie de notre vieux curé se distinguait seule 
fois, avec des fragments de phrases ; 



Conservare digneris 

(Les paysans.) 
Te rogamus audi nas! 



Et la foule pieuse s'éloignait, s'éloignait loujour 



(Decrescendo'. 
Sancte Darnaba 
Ora pro nobis ! 
(Perdendo). 
Saneta Magdalena 

Ora pro 

Sancta Maria, 

Ora 

Sancta 

nobis. 



• 



Silence... léger frémissement des blés en fleur, ondoyant 
sous la molle pression de l'air du matin... Cri des cailles 
amoureuses appelant leur compagne... l'ortolan, plein de 
joie, chantant sur la pointe d'un peuplier... calme pro- 
fond... une feuille morte tombant lentement d'un chêne... 
coups sourds de mon cœur... évidemment la vie était hors 
de moi, loin, très-loin...'A l'horizon les glaciers des Alpes, 
frappés par le soleil levant, réfléchissaient d'immenses 
faisceaux de lumière... C'est de ce côté qu'est Meylan... 
derrière ces Alpes, l'Italie, Naples, le Pausilippe... les 
personnages de mon roman... des passions ardentes... 
quelque insondable bonheur... secret... allons, allons, des 
ailes !... dévorons l'espace ! il faut voir, il faut admirer !... 
il faut de l'amour, de l'enthousiasme, des étreintes en- 
I. 14. 



146 «iHOIRBS DE HBCTOR BBaLEOZ. 

flanuneesy U foui lagrandeme!,.. mais je ne«iiis;qtt'tin "^ 

corps lourd cloué à terre 1 ces personnages sont knagi- 
naûres on n'existent plus... qael amour?... quellegloire?... 
quel cœur?... où est mon étoile?... la Sfè^/amonfû?... dis- 
parue sans ddoCepourjamais... quand verrai-jerîtalie?... 

Et Taccès se déclara dans toute sa force, et je souffris 
affreusement, et je me couchai à terre, gémissant, éten- 
dant mes bras douloureux, arrachant convulsivement 
des poignées d'herbe et d'innocentes pâquerettes qui ou- 
vraient en vafn leurs grands yeux étonnés, luttant con- 
tre Yabsence, contre l'horrible isolement. 

Et pourtant, qu'était-ce qu'un pareil accès comparé 
aux tortures que j'ai éprouvées depuis lors, et dont Tin- 
tensité augmente chaque jour?... 

Je ne sais comment donner une idée de ce mal inex- 
primablov Une expérience de physique pourrait seule, 
je crois, en offrir la ressemblance. C'est celle-ci : quand 
on place sous une cloche de verre adaptée à une machine 
pneumatique une coupe remplie d'eau à côté d'une 
coupe contenant de l'acide sulfurique, au moment où 
la pompe aspirante fait le vide sous la cloche, on voit 
l'eau s'agiter, entrer en ébullition, s'évaporer. L'acide 
sulfurique absorbe cette vapeur d'eau au fur et à me- 
sure qu'elle se dégage, et, par suite de la ^x>priéié 
qu'ont les molécules de vapeur d'emporter en s'exha- 
lant \me grande quantité de caloriq^ie, la portion d'eau 
qui reste au fond du vase ne tarde pas à se refroidir au 
point de produire un petit bloc de glace. 

Eh bien ! il en est à peu près ainsi quand cette idée 
d'isolement et oe sentiment de l'absence viennent me 
saisir. Le vide se fait autour de ma poitrine palpitante, 
et il semble alors que mon oeeur, sous l'aspiration d'une 
fcNTce irrésistiMe, s'évap<H*e et tend à se dissoudre par 
expansion. Puis, la peau de tout mon corps devient 
.doulanrBuse et brûlante ;^ je r^giside-la lôte aax^ pieds. 



AMÉirOIRBS DB HECTOR B'ERLIOZ. Si7 

ift sois leaté de crier, d'appeter à mon aide mes imiis, 
les ktdifiFérefits mtoes, peur lae consoler, pour me 
gaa%ler, me défendre, m'empèeher d^être détruit, ponr 
f»tenir ma vie qu^s'en Ta aux qnaiM points cardinaux. 

On n'a pas d'idées de mort pendant ces crises ; non, la 
.^^e&aée4u suicide n'est pas .^mème supportable ; on ne 
•reat pas moorir, lenn^e là, on vaut rirre, on ie Teat 
aèadumeftt, on youdrait mtême ^temier à sa vie mSle 
lusplos d'énergie ; c'est une aptitude prodigieuse au bon- 
èear, qais'exaspère de rester sans application, et guitie 
peut se satisfaire qu'au moyen de jouissamces immenftes, 
dévorantes, f ari«iBes, en rapport avec rinoalculable sur* 
abondance de sensibilité dont on est pourvu. 

£et état n'est pas le s^een, mais il ramène t^lus tard : 
i'ébullition, l'évaporation du cœur, des sens, ducerveau, 
du fluide aerveux.iiie spleen,: o'ASt'Ia oo&fi^tioni«letout 
.)eela, c'est le bloo^e glaee. 

Même à l'état calme, je sens touiours un peu ^isek^ 
jmeni les dimanches d'été, parce que nos Tilles sont inae- 
lîTCs «es^ jdUES-là, parce que diacun eort, ya à la cam- 
pagne; parce qu'an est j&yvux aulein, parce qu'on est 
absent. Les adagio des sympho^^es de Beethoven, cer- 
nâmes scènes ô!Aloe8te etélArmide de Gluck, un «air de 
son opéra ilaiien de Teiemacoy les t^hamps Ëlysées de 
..son Orphée^ font nahre aussi d'assez vi^ents accès de la 
même ^Kwfffiance ; maés ces chefs-^'oeuyre portent avec 
eux leur contre-poison ; ils font déborder les lar- 
mes, et on est soulagé. Les adagio de quelques-unes des 
sonates de Beethoven, et Vlphigénie en Tauride de Gluck, 
au contraire, appartiennent entièrement au spleen et le 
provoquent ; il fait froid là-dedans, l'air y est sombre, le 
ciel gris de nuages, le vent du nord y gémit sourdement. 

Il y a d'ailleurs deux espèces de spleen, l'un est iro- 
nique, railleur, emporté, violent, haineux; l'aufcre, 
taciturne et sombre, ne demande que l'inaction, le si- 



248 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

lence, la solitade et le sommeil. A Tètre qui en est pos- 
sédé tout devient indifférent ; la ruine d'un monde sau- 
rait à peine Témouvoir. Je voudrais alors que la terre 
fût une bombe remplie de poudre, et j'y metti'^is le feu 
pour m'amuser. 

En proie à ce genre de spleen, je dormais un jour dans 
le bois de lauriers de l'Académie, roulé dans un tas de 
feuilles mortes, comme un hérisson, quand je me sentis 
poussé du pied par deux de nos camarades : c'étaient 
Constant Dufeu, l'architecte, et Dantan aîné, le statuaire, 
qui venaient me réveiller. 

— c Ohé ! père la joie ! veux-tu venir à Naples? nous 
y allons. 

— Allez au diable I vous savez bien que je n'ai plus 
d'argent. 

— Mais, jobard que tu es, nous en avons et nous t'en 
prêterons ! Allons,, aide-moi donc, Dantan, et levons-le 
de là, sans quoi nous n*en tirerons rien. Bon ! te yoilà 
sur pieds t.. . Secoue-toi un peu maintenant; va deman- 
der à M. Ver net un congé d'un mois, et dès que ta valise 
sera faite, nous partirons ; c'est convenu. » 

Nous partîmes en effeL 

A part un scandale assez joli, mais difficile à racon- 
ter, par nous causé dans la petite ville de Giprano... 
après dîner, je ne me rappelle aucun incident remar- 
quable de ce trajet bourgeoisement fait en voiturin. 

Mais Naples!... 



LI 



Voyage à Naples. — Le soldat entiiousiaste. — Excursion à 
Mîsita. Les lazzaronî. — Ils m^ivrvitent à dîner. — Un eonp 
de fouet. — Le théâtre San-Carlo. — Retour pédestre à 
Rome, à travers les Abrnzzes. — - Tivoli. — Encore Virgile. 



Naplesll! ciel limpide et pari soleil de fêtes! richt 
terre ! 

Tout le monde a décrit, et beaucoup mieux que je ne 
pourrais le faire, ce merveilleux jardin. Quel voyageur, 
en effet, n'a été frappé de la splendeur de son aspect 1 
Qui n'a admiré, à midi, la mer faisant la sieste et les 
plis moelleux de sa robe azurée et le bruit flatteur avec 
lequel elle l'agite doucement ! Perdu, à minuit, dans le 
cratère du Vésuve, qui n'a senti un vague sentiment 
d'effroi aux sourds roulements de son tonnerre intérieur, 
aux cris de fureur qui s'échappent de sa bouche, à ces 
explosions, à ces myriades de roches fondantes, dirigées 
contre le ciel comme de brûlants blasphèmes, qui retom- 
bent ensuite, roulent sur le col de la montagne et s'ar- 
rêtent pour former un ardent collier sur la vaste poitrine 
du volcan ! Qui n'a parcouru tristement le squelette de 
cette désolée Pompéia, et, spectateur unique, n'a attendu, 
sur les gradins de l'amphithéâtre, la tragédie d'Euripidt 



150 MÉMOIRES DE nECTOR BERLIOZ. 

ju de Sophocle pour laquelle la scène semble encore pré- 
parée ! Qui n'a accordé un peu d'indulgence aux mœurs 
des lazzaroni, ce charmant peuple d'enfants, si gai, si vo- 
leur, si spirituellement facétieux, et si naïvement bon 
quelquefois ? 

Je me garderai donc d'aller sur les brisées de tant de 
descripteurs ; mais je ne puis résister au plaisir de ra- 
conter ici une anecdote qui peint on ne peut mieux le 
caractère des pêcheurs napolitains. Il s'agit d'un festin 
que des lazzaroni me donnèrent, trois jours après mon 
«arriver et d'un présent qu'ils me firent au Ressert. Ce- 
.4ait par -an bMMi jour d'automne, a^econefiBaiche brise, 
(ume atnoaphère claire, tcansparente, à fûre croire qu'on 
poorrafit de Naples, sans tropétendr&le brasy ooeiiiir des 
oranges à Gaprée. Je me promenais à -la villa Reale ; j'a- 
vais prié mes camarades de l'Académie romaine de me 
laisser errer seul ce jour-là. En passant près d'un petit 
pavillon que je ne remarquais point, un soldat, en fac- 
tion devant l'entrée me dit brusquement en français : 

— - Monsieur, levez votre chapeau ! 

—Pourquoi donc? 

— Voyez ! 

Et, me désignant du doigt une statue de marbre pla- 
cée au centre du pavillon, je lus sur le socle ces deux 
mots qui me firent à l'instant faire le signe de respect que 
l'enthousiaste militaire me demandait : Torquato'Tasso. 
Gela est bien! cela est touchant !... mais j'en suis encore 
à me demander comment la sentinelle du poète avait de- 
viné que j*étais Français et artiste, et que j'obéirais avec 
empressement à son injonction. Savant physionomiste t 
Je reviens à mes lazzaroni. 

Je marchais donc nonchalamment au bord de la mer, 
en songeant, tout ému, au pauvre Tasso, dont j'avais, 
avec Mendelssohn, visité là modeste tombe à Rome, au 
couvent de Sant-Onofrio, quelques mois auparavant. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 251 

philosophant, à part moi, sur le malheur des poètes qui 
sont poètes par le cœur, etc., etc. Tout d'un coup, Tasso 
me fit penser à Cervantes, Cervantes à sa channante 
pastorale Galathée, Galathée à une délicieuse figure qui 
brille à côté d'elle dans le roman et qui se nomme Nisida» 
Nîsida à nié de la baie de Pouzzoles qui porte ce joli 
nom, et je fus pris à Timproviste d'un désir irrésistible 
delà visiter*. 

J'y cours; me voilà dans la grotte du Pausilippe; j'en 
sors, toujours courant ; j'arrive au rivage ; je vois une 
barque, je veux la louer; je demande quatre rameurs, il 
en vient six ; je leur offre un prix raisonnable, en leur 
faisant observer que je n'avais pas besoin de six hommes 
pour nager dans une coquille de noix jusqu'à Nisida. Ils 
insistent en souriant et demandent à peu près trente 
francs pour une course qui en valait cinq tout au plus ; 
j'étais de bonne humeur, deux jeunes garçons se tenaient 
à l'écart sans rien dire, avec un air d'envie; je trouvai 
bouffonne l'insolente prétention de mes rameurs, et dési- 
gnant les deux lazzaronetti : 

< — Eh bien ! oui, allons, trente francs, mais venez 
tous les huit et ramons vigoureusement. » 

Cris de joie, gambades des petits et des grands ! nous 
sautons dans la barque, et en quelques minutes nous 
arrivons à Nisida. Laissant mon na'oire à la garde de 
Véquipage^ je monte dans llle,, je la parcours dans tous 
les sens, je regarde le soleil descendre derrière le cap 
Misène poétisé par l'auteur de VÉnéide^ pendant que la 
mer qui ne se souvient ni de Virgile, ni d'Énée, ni d'As- 
cagne, ni de Misène, ni de Palinure, chante gaii^ment 
dans le mode majeur mille accords scintillants... 

Comme je vaguais ainsi sans but, un militaire parlant 

1. Le vr»! nom de Vile est Nisita, mais je Tignorais alors. 



252 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

fort bien le français s'avance vers moi et m*offre de me 
montrer les diverses curiosités de Tile, les plus beaax 
points de vue, etc. J'accepte son offre avec empresse- 
ment. Au bout d'une heure, en le quittant, je faisais le 
geste de prendre ma bourse pour lui donner la buo7ia 
mano d'usage, quand lui, se reculant d'un pas et prenant 
on air presque offensé, repousse ma main en disant : 

c ^ Que faites-vous donc, monsieur? je ne vous de- 
mande rien,... que de... prier le bon Dieu pour moi. » 

-— Parbleu, je le ferai, me dis-je en remettant ma 
bourse dans ma poche, Tidée est trop drôle, et que le 
diable m'emporte si j'y manque. 

Le soir, en effet, au moment de me mettre au lit, je 
récitai très-sérieusement un premier Pater pour mon 
brave sergent, mais au second j'éclatai de rire. Aussi je 
crains bien que le pauvre homme n'ait pas fait fortune 
et qu'il soit resté sergent comme devant. 

Je serais demeuré à Nisida jusqu'au lendemain, je 
crois, si un de mes matelots, délégué par le capitaine, ne 
fût venu me héler et m'avertir que le vent fraîchissait, et 
que nous aurions de la peine à regagnerla terreferme, si 
nous tardions encore à lever Vancre, k déraper. Je me rends 
à ce prudent avis. Je descends ; chacun reprend sa place 
sur le navire; le capitaine, digne émule du héros Iroyen: 

Eripit ensem 

Fulmineum 

(ouvre son grand couteau) 

strictoque ferit retinacula ferro. 

(et coupe vivement la ficelle ;) 

Idem omnes simul ardor habet ; rapiuntque, ruuntque ; 
Littora deseruere ; latet sub classibus scquor ; 
Adnixi lorqueat spumas, et caerula verrunt. 
(ttjva, pleins ^'ardeur et d'un peu de crainte, nous nous 



p.' 

IDtiEi 

(}IÎ?r 



Clé! 



ISSijf 

m 



MÉMOIRES OB HECTOR BERLIOZ. 253 

Iç^l^^ précipitons^ nous fuyons le rivage; nos rames font voler 

^^ des fiols d'écume, la mer disparaît sous notre canot.) 

jjp^ Traduction libre. 

aiÉi Cependant il y avait du danger, la coquille de noix 
lj j^ frétillait d*une singulière façon à travers les crêtes blan- 
pj^ ches de vagues disproportionnées; mes gaillards ne 
^gl riaient plus et commençaient à chercher leurs chapelets. 
.^^^ Tout cela me paraissait d'un ridicule atroce et je me di- 
sais : à propos de quoi vais-je me noyer? A propos d'un 
soldat lettré qui admire Tasso ; pour moins encore, pour 
un chapeau ; car, si j'eusse marché tête nue, le soldat ne 
m'eût pas interpellé ; je n'aurais pas songé au chantre 
d'Armide, ni à l'auteur de Galathée, ni à Nisida: je 
n'aurais pas fait cette sotte excursion insulaire, et je se- 
rais tranquillement assis à Saint-Charles en ce moment, 
à écouter la Brambilla et Tamburini ! Ces réflexions et 
les mouvements de la nef en perdition me faisaient grand 
mal au cœur, je l'avoue. Pourtant, le dieu des mers, 
trouvant la plaisanterie suffisante comme cela, nous 
permit de gagner la terre, et les matelots^ jusque-là 
muets comme des poissons, recommencèrent à crier 
comme des geais. Leur joie fut même si grande, qu'en 
recevant les trente francs que j'avais consenti à me lais- 
ser escroquer, ils eurent un remords, et me prièrent 
avec une véritable bonhomie, de venir dîner avec eux. 
J'acceptai. Ils me conduisirent assez loin de là, au mi- 
lieu d'un bois de peupliers, sur la route de Pouzzoles, en 
un lieu fort solitaire, et je commençais à calomnier leur 
candide intention ( pauvres lazzaroni ! ), quand nous ar. 
rivâmes vers une chaumière à eux bien connue, où me? 
amphytrions se hâtèrent de donner des ordres pour le festin. 
Bientôt "vpparut un petit monticule de fumants maca- 
roni ; ils m'invitèrent à y plonger la main droite à l 
exemple ; un grand pot de vin du Pausilippe fut placé 
sur la table, et chacun de nous y buvait à son tour, 
I. i5 



à 
âfl! 
en; 




V 



114 HMPOIAK B« Al«f<mit«UMZ. 

ttfirèB^ IOIM0M8, un tMNaM MnMé, le'^otl ée^ «MMe 
<l«i devait boîre ava&t moi, 4e respeet ponr Fà^^Ms- 
portant ches ces braves enfants» même sur la-^oMtoisie, 
qif ils feodn naimai ent devoir à'iearliôte. Levleax^après 
4ivoii«iHi ^déraisomaUemeiit, oûmmenQa à fMér pèiHi- 
qaeet-à^atleiidrir beaBeoaprasoavenlp^teToMoamBi, 
qu'il portait dans son eœnr. Leajeitflês ktfÉ2m>&i^^pe«r4e 
disnntlre et me prooorer an divBrtîKêraeBt, kii «demMdè- 
renr iveo'iBBtaneele récit d'nn longefpôalMe^^yage de 
mer qnHIVTait Mtaaiffefois^ el^oiftt r-inslolrêgtidt oéWbfc . 

IiàMâettfttts, leTieiix làtt«roiie^raGonlay>Mi<s>^aiid- ëfea- i 
•bissMnént de «on auditoire, comment, embarqdé àr^viUlgt 
vans Mi^4iii sptrmarey il 'aYiiSt Himanré «nr4nef^frti<S'5hotr5 
et 'dms^ntâU^ et ' comme- 'qnoi, • tot^tirs • ]soiKléM^6rs Mde 
noiM^aauar rivons, il* avait enfin* été jeté^dans linerVe''Mn- ^ 
-«fâiRtf où' i'tin'préteiid q«e 'Napoléon, 'depuis- l«irs, <a été 1 
etilé, et'qnfi les indlgiènes appeltefit isola d^Btl)a.>Je^iBa- 
^iâiéslarua& irranAde^émotion à*ce^ iocniyabievéeit, mMé^ \ 
Mdtant'de tont^moncœnp lé bravemarlnid'avofif écbftfpé 
) à'der dangers a^^j^orasidtiiles. Oe ^ià, '^profondessjPto- 
-^athie de^ laiiMOni poar^men^eâeeejleiice ; la 'reoeimals- 
saAceles exaile, en se patte-à roreflle^-on va,^ on ^^t^êai 
•dàn94a cManmfèretdMomf airide-^ystère ;^e vwstgtt'îb^- 
git des préptratlfs^e (fuelquesiirprise qui n^Mt vdeeti- 
^née. fin^ effet, au moment eu je'me levais'i^ttr'îpMiêre 
congé de la tooetété/ier plus gradd des jettnes ilaisalréni 
m'aborde d'nn air ^nnbarras0é,'et>iReprie,^au aoin deHes 
eémaiadesijet pour Famourd'isctx d^aecepter-un soutenir, 
un pfé^em, le .^lusmagnffîqoeiquf ils pouvaient m^ofliair, 
et dapaMe^de f»e> ptenver Pbonmie 4e iBOins ^imtsilie. 
G''éfait'un4oîgiilm>mdn0tpaeftXy une^orme i»boale^s9ne 
^>)0'jttças^aveGiutte«iodeBtie* %X^ma. «sérieux^ dignes He la 
^<â'coiis{taiiiBe/l3t:qtte j%mpGfrtai juaqt^u^aunet diriau 
s^pe,) aps^s^ milfe adieax, sérrem^tmde main^'etspeo- 
iestaitons d^nne^emitié inaltérable. 



1 



^ie^ymasis de^^ttieitiœ&istoiiiies ^ rgens^ et r-ftlarrmiaw" 
:péDiMeoi6fttà%ai»eid^ii&'4Sû»prj^ae je m'étata dDBBé au 
pidd droit BnadeseendaBt' de xi^da; xii laisait^inxBftte 
-nuit. Une b^e calèidie passa isur la route dei^Ni^tes. 
Uiâée'feu ltehioiiaUéiiiie^¥liit>âe «aâteriSurtlaiàaa- 
qBette derd^rrièfe^iJibre .par l^afeieBee du valet ode^^^f^ 
* et 'de>parf0nir àiasi sans âitrgae jasqu'à ia s Tille. «Mais 
î'aT»tâC^mpté$aAsia'a}oii6r)peiite^fomi6ime«ï«mi^^ 
linée (fui liftait à liiiit^iMir etï^qai, deisa ^YOâsLm^re- 
doœe «ppelaur^viTOBiciit le oeeher : c Louis, il y^aepu^- 
qu'uD dai^e I > me fit administrer kteaivm^: la: ^gme 
un ample coup de fouet. Ce fat le présentcdeema^gia- 
ciefuse^ottj^trtote. O^ponpée française ! iSi Griâptnatôeu- 
4eiiieAt^était'trQiiTé là, âiMs t*auciOBS fait «passer ^n 
mauTats^aartrdtbèirre ! 

le t^vtms doBCy'Jèloptn-ckipaiitf eoMou^tôntsdux ^ehar- 

-mes delà vie'de^brigandy^qai, malgré «es làtigws, ^se- 

' rait^Tf ainen t * aojo&rd'liui .' la' seoie . digiie^dkin vdiemiôte 

honnBe» sr'da(is'jlar>iBi9iiadreliaiiée iiese.i;nauiiaifiiitM«H- 

joars'caàt^eniifséraMesrettipiàes'etîpiùifitsI 

J'aHai oublier "mon chagrin «t rœe repeoer^à iâaifit- 
Chftfiesl Ël4à, pour ia'PFesn1^e^fmaidepuis^iiM»iaLnsiyée 
'«n itaKe; j^eiEteAdis de la masique. L'(»%heslre,. eoipparé 
' à eettrqae j^'arais^obseFTés^ josqufalorii, me pasat .ex- 
cellent. Les instrumenta à yen tpettYenté&re<.éûQïLïés§cn 
sécurité ; on n*a rien à craindre deJeur part jttesr violons 
' soi) t»a»er habiles, ^t les yioi(»celies ehafi$aiti»air.mais 
- ils sonMn tsop^petit nombre. Le système: géi^l adapté 
en' Itsdie de mettre toujours moins de Tioioacellesr qiie<;de 
contre-basses, «e peut *pâs:mème: être juMiftépairâe genre 
'^emnist^ue queies orobtttres italiens exécufeMit ^iiâbi- 
ttteltoment. Je reprocherais teen^ aussi au maestiK) di ea- 
pelia^eoibruitsoiuverainenieAl désagréaMe de Mmnarchet 
; dont il Iwppe an peu rudement son pupUre ; .mais ^n 
m'a assuré; que sans eela, les ^nmieiens quUl dirige, .se- 



256 MÉMOiaES DE HECTOR BERLIOZ. 

raient quelquefois embarrassés pour suivre la mesure.,. 
A cela il n*y a rien à répondre ; car enfin, dans un pays 
où la musique instrumentale est à peu près inconnue, 
on ne doit pas exiger des orchestres comme ceux de 
Berlin, de Dresde ou de Paris. Les choristes sont d*une 
faiblesse extrême ; je tiens d'un compositeur qui a écrit 
pour le théâtre Saint- Charles, qu'il est fort difficile, pour 
ne pas dire impossible, d'obtenir une bonne exécution 
des chœurs écrits à quatre parties. Les soprani ont beau- 
coup de peine à marcher isolés des ténors, et on est 
pour ainsi dire obligé de les leur faire continuellement 
doubler à l'octave. 

Au Pondo on joue Topera buffa, avec une verve, un 
feu, un briOj qui lui assurent une supériorité incontesta- 
ble sur la plupart des théâtres d'opéra comique.On y repré- 
sentait, pendant mon séjour, une farce très-amusante 
de Donizetti, Les convenances et les inconvenances du théâtre. 

On pense bien, néanmoins, que l'attrait musical des 
théâtres de Naples ne pouvait lutter avec avantage contre 
c>elui que m'offrait l'exploration des environs de la ville, 
et que je me trouvais plus souvent dehors que dedans. 

Déjeunant, un matin, à Gastellamare, avec Munier, le 
peintre de marine, que nous avions surnommé Neptune : 
— Que faisons nous? me dit-il, en jetant sa serviette, 
Naples m'ennuie, n'y retournons pas... 

— Allons en Sicile. 

— C'est cela, allons en Sicile ; laissez-moi seulement 
finir une étude que j'ai commencée, et, à einq heures, 
nous irons retenir notre place sur le bateau à vapeur. 

— Volontiers, quelle est notre fortune? 

Notre bourse visitée, il se trouva que nous avions bien 
assez pour aller jusqu'à Païenne, mais que, pour en reve- 
nir, il eût fallu, comme disent les moines, compter sur 
la Providence; et, en Français totalement dépourvus de la 
vertu qui transporte les montagnes^ jugeant qu'il ne fallait 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 257 

pas tenter Dieu, nous nous séparâmes, lui, pour aller 
portrairela mer, moi pour retourner pédestremcnt à Rome. 

Ce projet était arrêté dans ma tête depuis quelques 
jours. Rentré à Naples le môme soir, après avoir dit adieu 
à Dufeu et à Dantan, le hasard me fit rencontrer deux 
ofilciers suédois de ma connaissance, qui me firent part 
de leur intention de se rendre à Rome à pied. 

— Parbleu ! leur dis-je, je pars demain pour Subia- 
co; je veux y aller en droite ligne à travers les monta- 
gnes, franchissant rocs et torrents, comme le chasseur de 
chamois; nous devrions faire le trajet ensemble. 

Malgré l'extravagance d'une pareille idée, ces mes- 
sieurs l'adoptèrent. Nos effets furent aussitôt expédiés 
par un vetturino\; nous convînmes de nous diriger sur 
Subiaco à vol d'oiseau, et, après nous y être reposés un 
jour, de retourner à Rome par la grande route. Ainsi fut 
fait. Nous avions endossé tous les trois le costume obligé 
de toile grise; M. B... portait son album et ses crayons; 
deux cannes étaient toutes nos armes. 

On vendangeait alors. D'excellents raisins (qui n'appro- 
chenf pourtant pas de ceux du Vésuve) firent à peu près 
toute notre nourriture pendant la première j ournée: les pay 
sans n'acceptaient pas toujours notre argent, et nous nous 
abstenions quelquefois de nous enquérir des proprié- 
taires. 

Le soir, à Capoue, nous trouvâmes bon souper , bon gîte, 

et... un improvisateur. 

Ce brave homme, après quelques préludes brillants sui 
sa grande mandoline, s'informa de quelle nation nous 
étions. 

« — Français, répondit M. Kl... m. » 

J'avais entendu, un mois auparavant, les improvisa- 
tions .du Tyrtée campanien ; il avait fait la même ques- 
tion à mes compagnons de voyage, qui répondirent: 

• — Polonais. » 



t:8 



MfeUOIRBS DB HBGTORi B««LIOfi 



A*q«>i, plein d'entiioiuiaHBe»' ïY a?tH ré|^lli|«é ! 

c — J^sti pareoara le monde entier; miie, l'BSpagne» 
la France» l' Allemagne» TAngleterre» la Pologne» \k Hxa- 
sie; mais les pins brares sont les POUtnais; sont-lerPc^ 
nalsr >* 

Voie! la cantate qa'fl adressa, en musîqne également 
«mprovtMtf» et sans là momdre hétiiatUmy aai;;troi& iMcéleii» 
das Fhmçaia: 



Aiiê^retto.' 




p«* 



il 




h» gi. rtl» pfrABttt»» il* iBoatdo pfK^lft' 




Fntaem, per l'Is - p«iiûi, |kv VI • talja, p«r Ift Gir^ 




muia, p«r Tlughil - tam ma li pift bravi ma ft piib 




b«IU iADo I Fraii - ce «i, lono a FiaMMMP «m 



H£aiiOIReS D£ HECTOR BERMM» 2»^' 

tnoriifioatioiiiâe» dottXfSuédois. 

A^rwtdd^noiiift eiif ag^ t<»u Skhînit'Asmtie^^Mfnmm, 
noa$ noa^^ri^tàitteft iiAe^jouiOiée^àjSbiB^GeRqMo^ parafa 
yml^^ lefan^ua/rCoar^tiidCb JÉsnÉB^OgmiM.. 

Gq nM)QaiK^erd» bénédtetine^.simé» comme- cehlifide^ 
Siibiaco, sur ane montagne, est loia»d8i^ lui «rMuniUdr* 
sQtts.aijiMinirappprt AiiuIj«Bidii$o«iHe«9iiii9liei(éii«reel 
origj^l^«i^£2l?ui]|p4à>SMt% YonaitMiqwiiGi' 

le.lq^«f^.lQ%pip9P9r|i0Bs44iaTip«lai6i. I/imaginailleiii Tfh 
cule ùemnk ïéûsmiAée, d%»j sùvmnm .qii'oHl»: coûtée»' tout 
leauûtii9te.pié6|W!ari«si(HnUé» da»a la sotte^égilBei^ Il^«u 
uofiQmDiMrKc dep(ÉU%afliiesel<ii!trîâîoi4Qaf.jimn 
mmpette et des cy9iMQ»^qiiftiidbl'iBS(ruBBB6eal^4iiiis«K' 
action. Le parvis est dos» im^XBmolmifiwi^^ riVM^ eMoi 
siïïifKtfmm Pitt?foiNad|iiiiir diBBdeèCliDraE dttM4st4M0ft «ea 

tes scènes de la vie monacaioig 

UiNKqpviîherf^re^e «miAfii<paiv»nk«iiMii|j9U4?(dMâ^ 
6e]HWko#<îikfla»Iafdi,4S#i}ak r^^w\imé*en»A9àtiièti$jtt^éfL 
ro|»«^QOiMc Napitf» eMre«idirq«aM^a»ineipet«lNMrii«4dra' 
qili /eai)^u#â aiaazr helto» caamla^ aytè»' aveit^ nrisr eot- 
jemplog^iaai étaWiaiaaieBâ»- indii^iei»P Un». «yeiifida^' 
tiqp4d*cift^i«99ttor g^aee noae yjanaaiaiej. lili > KS;. . rm 
etjeûinoiiâ^ayions.- le» >piai9.<ea« SUBIS, eltCpiHklee^tnnsr 
faiioac de^soil, hara9aé8,f covienlaid^iiae »p(MiBsîèii^brû<^ 
la«|e«-,not<e ppewor met^.e&^eMiaiir daiiMa vÉUpir. ftut 
po^.d#HWi4eis la,'locaiMâaH(Fflj|alwf^c 

le4rt^sapavia¥eii.cei aiiidei^[)iinlnalNtei9« •Mêt^ptÊfé^p^^ 
Nous demandons à passer la nuit dans une vtmmtêm^ 



200 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

patience, augmentée encore par le sang-froid et les rica- 
nements de ces manants. Se trouver dans un petit 
bourg commerçant comme celui-là, obligés de coucher 
dans la rue, faute d'une auberge ou d'une maison hospi 
talière... c'eût été fort, mais c'est pourtant ce qui nous 
serait arrivé indubitablement, sans un souvenir qui me 
frappa fort à propos. 

J'avais déjà passé de jour, une fois, à Isola di Sora; je 
me rappelai heureusement le nom de M. Courrier, Fran- 
çais, propriétaire d'une papeterie. On nous montre son 
frère dans un groupe ; je lui expose notre embarras, et 
après un instant de réflexion, il me répond tranquille- 
ment en français, je pourrais même dire en dauphinois, 
car l'accent en fait presque un idiome : 

€ — Pardi ! on vous couchera ben. 

— Ah ! nous sommes sauvés ! M. Courrier est Dauphi- 
nois, je suis Dauphinois, et entre Dauphinois, comme dit 
Charlet, V affaire peut s'arranger, » 

En effet, le papetier qui me reconnut exerça à notre 
égard la plus franche hospitalité. Après un souper très- 
confortable, un lit monstre^ comme je n'en ai vu qu'en 
Italie, nous reçut tous les trois; nous y reposâmes fort à 
l'aise, en réfléchissant qu'il serait bon, pour le reste de 
notre voyage, de connaître les villages qui ne sont pas 
sans locanda^ pour ne pas courir une seconde fois le dan- 
ger auquel nous venions d'échapper. Notre hôte nous 
tranquillisa un peu le lendemain, par Tassurance qu'en 
deux jours de marche nous pourrions arrivera Subiaco; 
il n'y avait donc plus qu'une nuit chanceuse à passer. Un 
petit garçon nous guida à travers les vignes et les bois 
pendant une heure, après quoi, sur quelques indications 
assez vagues qu'il nous donna, nous poursuivîmes seuls 
notre route. 

VeroK est un grand village qui, de loin, a l'aîr d'une 
ville et couvre le sommet d'une montagne. Nous y trou- 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 261 

vaines un mauvais dîner de pain et de jambon cru, à 
Faide duquel nous parvînmes, avant la nuit, à un autre 
rocher habité, plus âpre et plus sauvage ; c'était Alatri. 
A- peine parvenus à Feutrée de la rue principale un 
groupe de femmes et d'enfants se forma derrière nous et 
nous suivit jusqu'à la place avec toutes les marques de la 
plus vive curiosité. On nous indiqua une maison, ou 
plutôt un chenil, qu'un vieil écriteau désignait comme 
la locanda ; malgré tout notre dégoût, ce fut là qu'il fal- 
lut passer la nuit. Dieu 1 quelle nuit î elle ne fut pas em- 
ployée à dormir, je puis l'assurer ; les insectes de toute 
espèce qui foisonnaient dans nos draps rendirent tout 
repos impossible. Pour mon compte, ces myriades me 
tourmentèrent si cruellement que je fus pris au matin 
d'un violent accès de fièvre. 

Que faire?... ces messieurs ne voulaient pas me laisser 
à Alatri... il fallait arriver à Subîaco... séjourner dans 
cette bicoque était une triste perspective... Cependant, j€ 
tremblais tellement qu'on ne savait comment me réchauf- 
fer et que je ne me croyais guère capable de faire un 
pas. Mes compagnons d'infortune, pendant que je gre- 
lottais, se consultaient eii langue suédoise, mais leur 
physionomie exprimait trop bien l'embarras extrême que 
je leur causais pour qu'il fût possible de s'y méprendre. 
Un effort de ma part était indispensable; je le fis, et après 
deux heures de marche au pas de course, la fièvre avait 
disparu. 

Avant de quitter Alatri, un conseil des géographes du 
pays fut tenu sur la placîe pour nous indiquer notre 
route. Bien des opinions émises et débattues, celle qui 
nous dirigeait sur Subiaco, par Arcîno et Anticoli ayant 
prévalu, nous l'adoptâmes. Cette journée fut la plus pé- 
nible que nous eussions encore faite depuis le commence 
ment du voyage. Il n'y avait plus de chemins frayés, 
nous suivions des lits de torrents, enjambant à grand'- 



t$t UtUmVtm DE HBCTOB Bmiot. 

palnrUB qnirtiers &ML ilB 90&t à clnqaB iBsttnt-eneoap 
brâ*. 

IftaS'arrirànMB ainsi à unaflVBavTilIftgrdoiille nmir 
m^tet ineonnu. LeB tiongfB hidèor qui le oraip»seiic at' 
qoB je n'ose appeler maisonsy éCâient^oaTerts niais''eii^ 
tièdement yîdes. Ifons ne ttouTâmer'â^iiire» bab^nts 
dtf» le-TfUage qne deaxjeanes porcs se vantrant dans 
la^bbner noire -des reclus déelriréer qui serrent && mes 
àce repaire . Où éiail la popniatlon'T CTèsr le cas de 
dire : cftfle tar 

nùsiefirs fois noos nous somniesié8:arés dans les- rat* 
tonde ce i aby riuliie de rodiers; \\ fallait alors g^mw 
de' nonTean là odUne- qne nous venions dé descen-*- 
dre; on, du fond d'un raviny crier ù qnelqpe paysan.* 

c Oh€ ! ! ! la strada dAnUeoli r.., 

A*qaol il répendait par uir édat de rire» on par c viùi 
oiai > Ce qoi nons' rassurait médloereniraty on peut le 
peos^. I^us yparvlnnies cependant; je me rappdlo' 
ittêB» aroir trouTé à Anticoli graiide-alA>nâânee d*œn:fe, 
de jamlKm et d*épis de mas que nous- fl&ies" rôtir, à 
rexespfe» de» pauvres habitants de ces terres stériles, et 
dont la saTBur^uyage n'est pas désagréiAde. Lie cbsTur-^ 
gim d'Aiiticoli, gros homme rouge qui aTSôt Tair dlur 
boucher, vint nous honorer de ses questions surla g^arde 
naUùMHê de" F^ris- et nous proposer un^ IHsre imprimé 
qu'il avait à vendis. 

DUmmenses pâturages restaient à traverser avant là 
nuit; un: guide fut indispensable* Celui queinous pif^ 
mes ne paraissait pas très^ùir de la route, il hésitait 
souvent. Unvieur hërger, assis au hbrd d^n étang, et 
quhn^àvait'pent-être pas'emendtt de mi himiaine de- 
pui^'unmoisv rfétant'potat' prétenu de- notre approche 
parie ttrutt dé nos^pas, que Icgazoar tttuffu rendait imp- 
pereeptiblè, fâilHl tomb^-à l%an quand nousltu demain 
damer ltoiquenientià(H!wtioffd^nOT»BS!SJîrti VTRà^e^ 



MÉMOIRES DE HECTOR EEqiLjaZ. 263 

sa vévpfm^n^ime^^i^^&^^siei^ i^:.si^9ùifiii]l^ K m 

gloussement qu'à un langage humain, rendait ii^^teWi^ 
h\^l^jgli^ilii»gfi,d*4xf;in(i^^ ostecia.. (eabar 

ret), au miliéundices. vA^ti^^t sitenyMeuses. stepf^^ Une 
viQîlte.femjaeyv^nd^itdft viael, da Keaft fraîçlwii^ L'at 
l)iiiadeM^9...t ay94i|it^s;j^t4sQ|iiatteo;M<>i^Ji^(>£L&lui darnes 
qu.Qrc'é]t.aiU.uoe bi^a; JMeâfli]JS»^se lQya9it,,j[)lejjie ù^îqie^ 
e\\efii^Ljmimfimm d^iOrl'cw«aj>pë^ l'autte,,, e^a]^, 

FQI^h; i^ pei]t.t dAfînçr une i(]K^ dd^si^nn^ q^, rè^a, 
dai!« ce^ in;terj»ijaaibles. pi^aûNagM Noiis. qly, trcwràipea. 
d*aittresih9bUaiit%qua 1« viao^ besg;^.fi»yec!S(N9^tFOUj^9JM]r 
et w^ cprb.eau,q^i se promepailipleia d'uoegffa^Yité 
tri9|,e.<. A noUçe approche, jl{Nrit<saa. vol vers la nord... 
Je Ifr suivi^^ loagj^p^ dçs yeu:?;*... Puji^ iM* BC»^ vola 
daniilajB^iue dicecUoA..- vers VAtigleU^rr^.,. et ja m'a- 
blraai dans uiub rêve^cie sliakesp^açieniiev* 

l^$Jl s'^ssait.bieB dç rêver e^fdA bâMfmcam cop^ 
beatix, il fallait absolujP(Uîûl. arriver cette nuU loême à. 
SuJ)ia.co. L*. guida d'Aïxt^coU ét^it Je|>^îti,.y0l^çurité aih 
prop^ait rAPidem^t; Apujs.jaaqj^cbWiQâ. dçi^ji^trois h#a- 
re^fSUançiaia.cpinni^^ des^spi^c^e^, qiiaivi. imt iMiissao» 
sur lequel j'avais tué une grive sept mois auparavant^ 
me fit reconnaître notre position. 

« — Allons, messieurs, dis-je aux Soéâtis^^ enoefft'^ ua 
eirMth}#i»e«^relr(Hi>¥e a»* pays de co^naissanee, dttn» 
deux heures nous serons arrivés. ' 

Effectivement, quarante minutes s'étaient à peine, 
écoulées quand nous aperçûmes à una grande profon- 



264 MÉMOIRES DE HECTOR RERLIOZ. 

ddar sous nos pieds briller des lumières : c'était Soblaco. 
J*y trouvai GIbert. Il me prôta du linge, dont j'avais 
grand besoin. Je comptais aller me reposer, mais bien- 
tôt les cris : Oh ! Hgnor Sidoro ^ ! Eceo questo ^ignore 
firaneete ehi suona la chitarra * / > Et Flacheron d'accourir 
avec la belle Mariucia ', le tambour de basque à la main, 
et, bon gré, mal gré, il fallut danser la saltarello jus- 
qu'à minuit. 

C'est en quittant Sabiaco, deux jours après, que j'eus 
la spirituelle idée de l'expérience qu'on ra lire. 

MM. Bennet et Klinskpom, mes deux compagnons 
suédois, marcbaient très-vite, et leur allure me fatiguait 
beaucoup. Ne pouvant obtenir d'eux de s'arrêter de 
temps en temps, ni de ralentir le pas, je les laissai pren- 
dre le devant et m'étendis tranquillement à l'ombre, 
quitte à faire ensuite comme le lièvre de la fable pour 
les rattraper. Ils étaient déjà fort loin, quand je me de- 
mandai en me relevant : Serais-je capable de courir sans 
m'arrôter, d'ici à Tivoli (c'était bien un trajet de six 
lieues) ? Essayons I... Et me voilà courant comme s'il se 
fût agi d'atteindre une maîtresse enlevée. Je revois les 
Suédois, je les dépasse ; je traverse un village, deux vil- 
lages, poursuivi par les aboiements de tou.s les cbiens, 
faisant fuir en grognant les porcs pleins d'épouvante, 
mais suivi du regard bienveillant des habitants persua- 
dés que je venais de faire un malheur *. 

Bientôt, une douleur vive dans Tarticulation du genou 
vint me rendre impossible la flexion de la jambe droite. 
Il fallut la laisser pendre et la traîner en sautant sur la 

1. Isidore Flacheron. 

2. Faute de pouvoir prononcer mon nom, les Subiaeoit bm 
désignaient toujours de la sorte. 

d« Aujourd'hui madame Flacheron. 
4. Assassiner quelqu'ur. 






MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 265 

gauche. C'était diabolique, mais je tins bon et je parvins 
à Tivoli sans avoir interrompu un instant celte course 
absurde. J'aurais mérité de mourir en arrivant d'une 
rupture du cœur. Il n'en résulta rien. Il faut croire que 
j'ai le cœur dur. 

Quand les deux officiers suédois parvinrent à Tivoli, une 
heure après moi, ils me trouvèrent endormi ; me voyant 
ensuite, au réveil, parfaitement sain de corps et d'esprit 
(et je leur .pardonne bien sincèrement d'avoir eu des dou- 
tes à cet égard), ils me prièrent d'être leur cicérone dans 
l'examen qu'ils avaient à faire des curiosités locales. En 
conséquence, nous allâmes visiter le joli petit temple de 
Yesta, qui a plutôt l'air d'un temple de l'Amour; la 
grande cascade, les cascatelles, la grotte de Neptune; il 
fallut admirer l'immense stalactite de cent pieds de haut, 
sous laquelle gît enfouie la maison d'Horace, sa célèbre 
villa de Tibur. Je laissai ces messieurs se reposer une 
heure sous les oliviers qui croissent au-dessus de la de- 
meure du poète, pour gravir seul la montagne voisine et 
couper à son sommet un jeune myrte. A cet égard je suis 
comme les chèvres, impossible de résister à mon humeur 
grimpante auprès d'un monticule verdoyant. Puis, 
comme nous descendions dans la plaine, on voulut bien 
nous ouvrir la villa Mecena ; nous parcourûmes son grand 
salon voûté, que traverse maintenant un bras de l'Anlo, 
donnant la vie à un atelier de forgerons, où retentit, sur 
d'énormes enclumes, le bruit cadencé de marteaux mons- 
trueux. Cette même salle résonna jadis des strophes épi- 
curiennes d'Horace, entendit s'élever, dans sa douce gra- 
»vité, la voix mélancolique de Virgile, récitant, après les 
festins présidés par le ministre d'Auguste, quelque frag- 
ment magnifique de ses poèmes des champs : 

Hactenus arvorum caltus et sidéra cœli : 

Nunc te, Bacche, canam, nec non sUvestria tecnm 

Virgulift, et prolem tarde cresceutis olivae. 



lae IffillOIRBS DB HBCTOR BERLIOZ. 

Hai^biA^.iioitt exaninàiiies.ea spisian^ U viD» dXBIt^ 
dqBiteiMNBi r44(peUe oabû (te U p^incess^ Eiagoora, .cé- 
lèkre nar Ta«aa.eiL TaiBiHUC d<Mrioaceax.4i;i.'eU0 loi ia^ 
pira. 

Aa-teioaft^ i l'entrée jda la^ilauie). je coiMdii cei lae^ 
siews (UumJe laJhyriiUba deU vilU Adriana^ qm» mi- 
tâiMiixeiq\ii reala d/» sM..ya9|» i.9rdiii9^ 1^ ^l(^ dMt 
vm Duuateie.t^mi^pjftyïsaiile voulatr cic^«uae cosHkea 
miniatore dela^rallée de.T^m^; la sallia dâifiQVJCdts^ 
où veillent ik cette lieore de^jQMaims d'oi9eaii3LdewPj:oie;^ 
ejgofltt i'fljDptacpmen t dOù^'éteyaJft,tti^àtPP prîT^d^.rem 
peieur, et qu'une i^aat^liou.da cijmu, l^JpUiSf igiiQUe , 
d«i légooies^ ocieape oaaiAtemML. 

tmwtirmaiiopei.. 



Ml Lit 



h 



cence d'ennai. Une sorte d'ioftlteiixa'pttis ou moln con- 
tagieuse désole la vUle; oir'meQrtliè&-'M6]i; par ceatat- 
nes, pannifiiears; Gdayerç an g^sd' divertissement' des 
polismisrafnains^ ^liaesorteâèmanteaa à capacbt>iidans 
le genre dte celui qne- les «peintres donnent à Pétrarque, 
j'accompagne les. charretées de morts à l'église Transté- 
Térine dont ie large caveaa lès reçoit Iiéant. On lère une 
pierre de la cour intérieure, et les cadavres, suspendus 
à un crocbet de fér sont mollement déposée sur les dalles 
de œ palais de la putréfaction. Quelques crânes seule- 
ment ayao^ été ouTwrts par les médeeins, curieux de sar 
voirrppurquoi les malades n'avai^t pas voulu guérir, et 
les cerveaux s'étant réftandas dans le cbar funèbre, 
rhomme qui remplace à R6me le f()ssoyenr des autres 
na^n»^ pmid'alors (xwe tme, irueHà ce& débris de Tôr^ 
gaos pensant' er lès lance fOrr dextrement au fend' du 
gouffre. Le Gh^eéXggi^v de Shakespeare, ce raa^'dii^ 
rétemité»' n'avait pourtant pa& songé à se servir de 14 
trurîlè ni'à' mettre euosuvre ce mortier lïumain. 



268 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Un architecte de T Académie, Carrez, fait un dessin re- 
présentant cette gracieuse scène où je figure encapuchonné. 
Le spleen redouble. 

Bézard le peintre, Gibert le paysagiste, Delanoie l'ar- 
chitecte, et moi, nous formons une société appelée les 
quatre^ qui se propose d'élaborer et de compléter le grand 
système philosophique dont j'avais, six mois auparavant, 
Jeté les premières bases, et qui avait pour titre: Système 
de rindiiïérence absolue en matière universelle. Doctrine 
transcendante qui tend à donner à Thorome la perfection 
et la sensibilité d'un bloc de pierre. Notre système ne 
prend pas. On nous objecte : la douleur et le plaisir^ les 
sentiments et les sensations ! on nous traite de fous. Nous 
avons beau répondre avec une admirable indifférence : 

« — Ces messieurs disent que nous sommes foust 
qu'est-ce que cela te fait, Bézard ?... qu'en penses-tu, Gi- 
bert?... qu'en dis-tu, Delanoie?... 

— Cela ne fait rien à personne. 

— Je dis que ces messieurs nous traitent de fous. 

— Il paraît que ces messieurs nous traitent de fous. » 
On nous rit au nez. Les grands philosophes ont toujours 

ainsi été méconnus. 

Une nuit, je pars pour la chasse avec Debay, le sta- 
tuaire. Nous appelons le gardien de la porte du Peuple, 
qui, grâce aux ordonnances du pape en faveur des chas- 
seurs, est contraint de se lever et de nous ouvrir, après 
l'exhibition de notre port d'armes. Nous marchons jus- f 

qu'à deux heures du matin. Un certain mouvement j 

dans les herbes voisines de la roule nous fait croire à la 
présence d'un lièvre ; deux coups de fusil partent à la 
fois... Il est mortv. c'est un confrère, un émule, un 
chasseur qui rend à Dieu son âme et son sang à la terre... 
c'est un malheureux chat qui guettait une couvée de 
cailles. Le sommeil vient, irrésistible. Nous dormonô 
quelques heures dans un champ. Nous nous séparons. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 209 

Arrive une pluie battante ; je trouve dans une gorge de 
la plaine un petit bois de chêne, où je vais inutilement 
chercher un abri. J'y tue un porc-épic dont j'emporte en 
trophée quelques beaux piquants. Mais voici un village 
solitaire ; à l'exception d'une vieille femme lavant son 
linge dans un mince ruisseau, je n'aperçois pas un être 
humain. Elle m'apprend que ce silencieux réduit s'appelle 
Isola Farnèse. C'est, dit-on, le nom moderne de l'an- 
cienne Veïes. C'est donc là que fut la capitale des Vols- 
ques, ces fiers ennemis de Rome! C'est là que commanda 
Aufidius et que le fougueux Marcius Coriolanus vint lui 
offrir l'appui de son bras sacrilège pour détruire sa pro- 
pre patrie ! Cette vieille femme, accroupie au bord du 
ruisseau, occupe peut-être la place où la sublime Vetu- 
riaS à la tête des matrones romaines, s'agenouilla devant 
son fils ! J'ai marché tout le matin sur cette terre où fu- 
rent livrés tant de beaux combats, illustrés par Plutar- 
que, immortalisés par Shakespeare, mais assez sembla- 
bles en réalité, par leur dimension et leur importance, à 
ceux qui résulteraient d'une guerre entre Versailles e» 
Saint-Cloud ! La rêverie m'immobilise. La pluie continue 
plus intense. Mes chiens, aveuglés par l'eau du ciel, se 
cachent le museau dans les broussailles. Je tue un grand 
imbécile de serpent qui aurait dû rester dans son trou 
par un pareil temps. Debay m'appelle, en tirant coup 
sur coup. Nous nous rejoignons pour déjeuner. Je 
prends dans ma gibecière un crâne que j'avais cueilli 
sur le haut du cimetière de Radîcoffani, en revenant de 
Nice Tannée précédente, celui-là même qui me sert de 
sablier aujourd'hui; nous le remplissons de tranches de 
jambon et nous le plaçons ensuite au milieu d'un ruis- 
selet, pour dessaler un peu cette atroce victuaille. Repas 
fragal assaisonné d'une froide pluie ; point de vin, point 

i. Que Shakespeare appelle Yolumnia. 



d0ncig»mf'Oelmy*ii'ârien't«^. Qaantà moi, je n'ai pu 
enrôler clnc les raorlf qit'tifi^ iBneeeaC reoge-^f^ 
peor tenir cooipagnîefta ch&t, au poiso^éf^' et-aa* so^ 
peBl.Nba8^<m»dLrigem»T«nrtiiiberge dé-la Storls; le 
Miihboiigeiles'einlroMi Je m^y coodië^ et je dors^reis 
henfes»' pendant qtxVmfai^séelieF» mes htilHts. JJbsoMk 
ae'flmaire enfin, Ift pluie a^cesaé ; jeraeoteMneè gnaiêf 
peitte«et}e reppm; Ddrtiy^ ptenid'âTdear/ n'a* pnn'veiiln^ 
ntiMaàn. Je idml)e'«iirtQB6rtfnape'^e*feil'<béanx' oh 
aoMiT^ qn^on piétend'^eniPdeei^èlee^^llIrt^ae-etiAon^e 
ii%i jamais pu saToir^ le nonr. Ite planent* osntinaellf^ 
nrenti ceonne-dés hfrondëltes^ aree un petit^tHrf'scnilAft- 
Me'àtselfti ddspetdrir ; ila'8«nt4)i||ftfrés de janin-eiâe 
yert J'enridiAlraiie*denti-d(ii]iataie;I/tttmnwr^dQ^dtta^ 
sear est sanf .^ J&ms dé^ Idin^ DëM^ manquer' imHiidlricpr 
Nova rentrons à B^mep- awnè'enMnirMs -i^^e ' dto W 
Mimm quand «il^sanll 



BÊ^tofi l'AiMdéntfe s'«nbH»iHi* pf»,- gftoet à la- tene»^ 
comîqne de notfe^eamnfadé Dl.., qm^ »ian«»aiiiiéldèltf^ 
féun^HirlIaiJta, valet tlei^iedde^lL* Vtaie^' e^s»- 
p^ arec ^ë par le-nart; ôe- ynil"^ tec^einv^ an^nraéienf - 
liâMreséffensement'aassssinét II i#ose pin» sM't^'d^^sa'^ 
cHunbre; qtmid vient Itieofe* du 'repas, mm'^smam»* 
oli^ d'aller 46 peendjte diea* Ini^ evtie r^seoptoi^ en le^ 
soutenant^ jnsqu'aa vé^eîcn»: Il ereil Toir d^ oeoieaw 
binâH^r^dins^tour' lés ceins &x psiécs. Ilrraaign^ il^est 
pMfe, jaonev bien : il'viMiit à'rîen. Qe q«t Iih a^c^u&> 
j^, k'taMe, csiteetesnoante^aposlii^p^ dé^Die^aeîe: 

« — GH^bldn?! mefir pai^yre ïl*. trasd^ton^enîMipHâé»^ 
ctÉtffins^ €2éme9fe'7«»g*f >»". 

tt If **1éâiir^ii graaéliéifâiBtéiir de f^ounea dé chiu&bn re^ 
il prétendait qu*un moyen sûr de se faire aimer d'elles, c'é- 
tait d'avoir toujours V ait nim i ft pmtfti m i ^ mtmi> $f ^ mii i K\ i^bmnê. 



MÉMOIRES 9B HECTOR BERLIOZ. 27i 

Le mot circule avec grand sncoës. 

Mais Tenaai est le plus fort ; je ne rêve plus qae 
Paris. J'ai fini mon monodrame et retouché ma sympho- 
nie fantastique : il faut les £aire exécuter. J'obtiens de 
V. V^rnet la permission de quitter l'Italie avant l'expira- 
tion êft mon temps d'exil. Je pose pour mon portrait, qui, 
selon roângs» est fait par le plus ancien de nos peintres 
et prend plaoe tes la galerie du réfectoire, dont j'ai déjà 
parlé; je faisniA^iwniiàre tournée de quelques jours 
a Tivoli, à Albano, à MlMtrina ; je vends mon fusil, je 
brise ma guitare ; j'écris sur qntiqnes albums; je donne 
un<frinÂ9»uDL<^»uiiiSK»oas)aKad^ jffOiaetM.Jongtemi)s 
les éMopUen» ô»M>i Veaiat, oûaii6t0ncmvnsâiQiîr«BiGLe 
mesHt»Mat j1ir'av:instftntdeiprifoBd*ittfnleMB«i mi^ 
geatfipHrje^tritteMCQilepdéâi}i»cfloité^ vmtMIn^fomt 
ne piùs là revoit; Ids aBiiS''m'«teeonpsi|^fl»Bf'jnBfn% 
Ponte-Molle ; je monte dans une affreuse carriole ; me 
voilà parti. 



XLIII 



Florence. ~ Schne funèbre. — La bella spoiina, — Le Flo- 
reotio gai. — Lodi. — Milan. — Le théâtre de la CannO' 
biuna, — Le public. — Préjugés sur Torganisatioa musi- 
cale des Italiens. — Leur amour invincible pour les plati- 
tudes brillantes et les yocalisations. ~ Rentrée en France. 



J'étais fort morose, bien que mon ardent désir de re- 
voir la France fût sur le point d'être satisfait. Un tel adiea 
à l'Italie avait quelque chose de solennel, et sans pou- 
voir me rendre bien compte de mes sentitnents, j'en 
avais l'âme oppressée. L'aspect de Florence, où je rentrais 
pour la quatrième fois, me causa surtout une impression 
accablante. Pendant les deux jours que je passai dans la 
cité reine des arts, quelqu'un m'avertit que le peintre 
Chenavard, cette grosse tète crevant d'intelligence, me 
cherchait avec empressement et ne pouvait parvenir à 
me rencontrer. Il m'avait manqué deux fois dans les gale- 
ries du palais Pitti, il était venu me demander à l'hôtel, il 
voulait me voii absolument. Je fus très-sensible à cette 
preuve de sympathie d'un artiste aussi distingué ; je le 
cherchai sans succès à mon tour, et je partis sans faire sa 
connaissance. Ce fut cinq ans plus tard seulement, que 
nous nous vîmes enfin à Paris et que je pus admirer la 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 273 

pénétration, la sagacité cl la lucidité merveilleuses de son 
esprit, dès qu'il veut l'appliquer à l'étude des questions 
vitales des arts mêmes, tels que la musique et la poésie» 
les plus différents de l'art qu'il cultive. 

Je venais de parcourir le dôme, un soir en le poursui- 
vant, et je m'étais assis près d'une colonne pour voir s'a- 
gilcr les atomes dans un splendide rayon du soleil cou- 
chant qui traversait la naissante obscurité de l'église, 
quand une troupe de prêtres et de porte-flambeaux entra 
dans la nef pour une cérémonie funèbre. Je m'appro- 
chai ; je demandai à un Florentin quel était le person- 
nage qui en était l'objet : È una sposina, mûrta al mezza 
jyiomo/ me répondit-il d'un air gai. Les prières furent 
d'un laconisme extraordinaire, les prêtres semblaient, en 
commençant," avoir hâte de finir. Puis, le corps fut mis 
sur une sorte de brancard couvert, et le cortège s'achemina 
vers le lieu où la morte devait reposer jusqu'au lende- 
main, avant d'être définitivement inhumée. Je le suivis. 
Pendant le trajet les chantres porte-flambeaux gromme- 
laient bien, pour la forme, quelques vagues oraisons entre 
leurs dents ; mais leur occupation principale était de faire 
fondre et couler autant de cire que possible, des cierges 
dont la famille de la défunte les avait armés. Et voici 
pourquoi : le restant des cierges devait, après la cérémo- 
nie, revenir à l'église, et comme on n'osait pas en voler 
des morceaux entiers, ces braves lucioli, d'accord avec 
une troupe de petits drôles qui ne les quittaient pas de 
l'oeil, écarquillaient à chaque instant la mèche du cierge 
qu'ils inclinaient ensuite pour répandre la cire fondante 
sur le pavé. Aussitôt les polissons se précipitant avec une 
avidité furieuse, détachaient la goutte de cire de la pierre 
avec un couteau et la roulaient en boule qui allait tou- 
jours grossissant De sorte qu'à la fin du trajet, assez 
long (la morgue étant située à l'une des plus lointaines 
extrémités de Florence), ils se trouvaient avoir fait, indi- 



•174 HlâlIOUiaS -M MUAtOaLJIMMMùZ. 

gnts iJMiMii, oae mêêbl home^ftoiUkok de ciiiaaMr- 
laiiie. Tdlld était la. fiMose préocw^atioii ^ea^miséraUes 
ptPiquiUpMiTro^posiiia étaitpoctéeàsaccuidiederiiière. 
Parvenu à la pcMlede .la. jaofgutf, Je-iaèiBe Florootin 
* &if 401 m'avait répondvLâaas lerdàmeiêlfqai laiaaLtepar- 
yeda cortège» voyaat.^ejlobaenraisftvec anxiété* le 
monvemeai de cette «cène/ ^Lai^rooba de.jnei et laeKdit 
en K^ptee de-framiais : 
< c — Veilé^on» intner ? 
«- Oni» cûBUBBnl faire? 
--.Deni8Mnoi.tré paoii.* > 

.le lui 94iaae dans la maîD4es4nirf»itea8 d^argent qu'il 
me demandait; il v^k s'entretenir onânatant avec la oon- 
cieKgedelaaallelanèbreK^U^ABûsiatoadiiit. .JLajB«a:te 
étailï d^â déposée, snr une table. ^Uneioiigne robe4Q^r- 
cal6rèlMobey4ioaée .aatour>de«N]i cou et 4iu-des80us^e 
■ se& pieds, .la couvrait preeque entièvemenU Se&;noâ*s.cbe- 
Tenxàdemi trasa6s coulaient .à^flQts..eur<,ees.épaal^s^ 
grands yeux bleus-demiHsloa, «petite^ boucbe, td8te.,seu~ 
hreyooad'albàtre, air noblaet -candide... Jeune !..., jeu- 
ne i... .morte!.*» L'Italien topjour&sondaiu, s^xdama: f\Ë 
-àéUal »£t» ponr^me i^tre'niieu£admirer'«estcaits,jne.sou- 
levant la^lètede la pauvre jeimebell&imeneyJl éeastaide 
.sa aaie main les eiMmuXtqui semblaient s'tob&tiner,(Par 
-pudettry'ikcoufidrce frontet eis,'%jottisioù»^f|ipiaitiiui- 
HooreNonervgVàce ineffable^ etda-laimarfudem«ntc^ûmJter 
^eurde Inhs. lia saUe reteoUit'.du choc^.i jajccns «quevma 
poHriiie i^hruiait à celte iiopie^et' bcutaie sésonnaneew.. 
-r^'y itenant plss» je me^iette«£^:genottX| je»sai8ia4atmaiQJie 
<eetlaiieauté,'pntfafsée, je^ia convie de baieers^e^piatoitts, 
^«n)4>n}iaà Utmeldeseai^Qtesesdeiflamr iesi^us intenaes 
;qaeyaie nssemiestl&jna V4e4 Le Flerwtiii mit^toujours. . . 
dilate Je» vins temt il eoop k^^eamr ceci: .»que diraiule 
mariai alilapouiait mr;ia; <^asteinuiin qnkikiilut'si isbè- 
've; fMdatoutà Ubeni^yfntliétitiermamtenant par4es ba^ 



HHk 



8ers«ifiiii jeune homme inconnu? dAn&aon^paa«aditeiin- 
àignéBr rC^WÊait'â\j^ lieib de cnûre ;4ae^ je ftuis l^^finibnt 
clandestin de sa femme, qui vieBJt,^plU3> aimant et iply^s 
àdèle qn& lui, exhaler sur ce coFps^vadoré 4:Ui -déseispoir 
shakespearien ^.Désabusez donc^ceimalheoreux !...fMais 
n^a-tril « pas n^rilé de subir l'incommensurable toiiure 
d'une erreuripajpeille?... Lymphatique époux liaisse^trftn 
arYacher^daBesbras vivants la^aorterqu'on^aime !... % 

' Addio l aâdiê ! beUd ^pasa abbandonmta îvmbvadolemte ! 
adessQ, for$e^ GonBokâa l^ pef^dùwk adrunst&snietotd^.pie^a' 
grime 4vUapaUidammiû,-Atlmn4iûiuimn'.^»<»a Vtomofe 
0stii»ato .ne la feligion$hdeUa beUà» 

•.£t je^«»rtis^ tout bouleversé. 

jy^^àl mais, voici bien des histoires cadavéreuses ll£$ 
beUeidames.qulme iiFont^s'il en est qui médisent, (m t4e 
.drait^e Jemander si ^c'est. po^r les, toucmemer qn^je 
Bi'entôte à leurmettre ainsi .4e<hideases-images .sous les 
yeux. Mon JMnu non! je n'ai pas la moind^ envie -de 
les 4roubierr de cette £^Qon, ni 4e reproduire Tironique 
^p«stC0phe d^Eamlet. Je n'ai pas môme de. goût très-pro- 
noncé pouria mort ; j'aime mille im mieux la vie^'Je 
raconte une rpartiO'^des choses ,^ui m'ont frappé ; il «e 
trouva dans le ncunbre quelques épisodes de couleur «om- 
bre, voilà tout, ^l^pendant, je. préviens les 4eetf ices qui 
ne Tient pas ,q«iaad on laur. rappelle .qu'elles .«iinirott 
âttSfiipar faire cette figure^là, que je n'ai plus râfin 40" vi- 
lain, à laurj^arrer^'et^^u'^les ^peuvent ccMitiauerlranquil- 
lement >à parcourir' oe&p£^^,.£u moins, ce quhest très- 
^robal}^, qu'îles n'aiment- mieux aller laireiieur toi- 
ietle, entendre de mauvaise-^musique, danser la, polka, 
dire iBieioul&ide sottise^et tourmenter^ leur amant. 

.£n passantià Lodi, 'jan^eu^garde ^o^mtnqtier^av^i- 
terie fameux ^pont. lime «emlda enlen^e*^enoore le 
forait foudroyant de la.mitraiUe de Bonaparte êt4l«s>cfis 
dadéroute des- Autrichiens. 



276 MBMOIRBS DE HECTOR BERLIOZ. 

Il faisait an temps saperbe^ le pont était désert, un 
vieillard seulement, assis sur le bord du tablier, y pôchail 
à la ligne. -- Sainte-Hélène !... 

En arrivant à Milan, il fallut, pour l'acquit de ma 
conscience, aller voir le nouvel Opéra. On jouait alors à 
la Cannobiana YEHsir tTamore de Donizetti. Je trouvai la 
salle pleine de gens qui parlaient tout haut et tournaient 
-'le dos au théâtre ; les chanteurs gesticulaient toutefois et 
s'époumonnaient à qui mieux mieux ; du moins je dus 
le croire en les voyant ouvrir une bouche immense, car 
il était impossible, à cause du bruit des spectateurs, d'en- 
tendre un autre son que celui de la grosse caisse. On 
jouait, on soupait dans les loges, etc., etc. En consé- 
quence, voyant qu*il était inutile d'espérer entendre la 
moindre chose de cette partition, alors nouvelle pour 
moi, je me retirai. Il paraît cependant, plusieurs person- 
nes me Tout assuré, que les Italiens écoutent quelque- l 
fois. En tout cas, la musique pour les Milanais, comme 
pour les Napolitains, les Romains, les Florentins et les 
Génois, c'est un air, un duo, un trio, tels quels^ bien 
chantés; hors de là ils n'ont plus que de l'aversion ou 
de l'indifTérence. Peut-être ces antipathies ne sont-elles 
que des préjugés et tiennent-elles surtout à ce que la fai- 
blesse des masses d'exécution, chœurs ou orchestres, ne 
leur permet pas de connaître les chefs^l'œuvre placés en i 
dehors de Tomière circulaire qu'ils creusent depuis si J 
longtemps. Peut-être aussi peuvent-ils suivre encore jus- 
qu'à une certaine hauteur l'essor des hommes de génie, 
si ces derniers ont soin de ne pas choquer trop brusque- 
ment leurs habitudes enracinées. Le grand succès de 
Guillaume Tell à Florence * viendrait à l'appui de cette 
opinion. La Vestale, môme, la sublime création de Spon- 
tini, obtint il y a vingt-cinq ans, à Naples, une suite de 
représentations brillantes. En outre, si l'on observe le 
peuple dans les villes soumises à la domination autri- 



> 



MEMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 277 

chienne» on le verra se ruer sur les pas des musiques 
militaires pour écouter avidement ces belles harmonies 
allemandes» si différentes des fades cavatines dont on le 
gorge habituellement. Mais, en général, cependant, il 
est impossible de se dissimuler que le peuple italien n*ap- 
précie de la musique que son effet matériel, ne distingue 
que ses formes extérieures. 

De tous les peuples de l'Europe, je penche fort 
à le regarder comme le plus inaccessible à la partie poé- 
tique de l'art ainsi qu'à toute conception excentrique 
an peu élevée. La musique n'est pour les Italiens qu'un 
plaisir des sens, rien autre. Ils n'ont guère pour cette 
belle manifestation de la pensée plus de respect que 
pour Fart culinaire. Ils veulent des partitions dont ils 
puissent du premier coup, sans réflexion, sans attention 
môme, s assimiler la substance, comme ils feraient d'un 
plat d^ macaroni. 

Nous autres Français, si petits, si mesquins en musi- 
que, nous pourrons bien, comme les Italiens, faire reten- 
tir le théâtre d'applaudissements furieux, pour un trille, 
une gamme chromatique de la cantatrice à la mode, pen- 
dant qu'un chœur d'action, un récitatif obligé du plus 
grand style passeront inaperçus ; mais au moins nous 
écoutons, et, si nous ne comprenons pas les idées du 
compositeur, ce n'est jamais notre faute. Au delà des 
Alpes, au contraire, on se comporte, pendant les repré- 
sentations, dune manière si humiliante pour l'art e^ 
pour les artistes, que j'aimerais autant, je l'avoue *, être 
obligé de vendre du poivre et de la cannelle chez un 
épicier de la rue Saint-Denis que d'écrire un opéra pour 
des Italiens. Ajoutez à cela qu'ils sont routiniers et fana- 
tiques comme on ne l'est plus, même à l'Académie ; que 
la moindre innovation imprévue dans le style mélodique, 

1. J'aimerais mieux, 

1. 16 



278 HÉMOIRSB DE RBCTOR BIflLIOl. 

dansrtitrmoiiKl^fhytlime ou rinstrimeotalioii, 
«m forear ; an point qae les dllettantî de Rome, à Yi 
ritkm da Barbiere di SMgha de Rosshii, si comp lét e m eBt 
italien cependant, vonlarent assommer le jeani maestvo, 
pour atoir en Ttnsolenoe de faire aatrement qoe Paisiello. 

Mats ce qui rend toat espoir d'amélioration chiméri- 
qiie, ce qui peat faire considérer le sentiment misieal 
particulier aux Italiens comme un résultat nécessaire de 
leur organisation, ainsi que Font pensé Gall et Spur- 
zeim, c'est leur amour exclusif, pour tout œ qui «at 
dansant, chatoyant, hriUanté, gai, en d^[Mt des passions 
direrses qni animent les personnages, en dépit des 
temps et des lieux, en un mot, «n dépit da tea seiB. 
Leur musique rit toujours S et quand par hasard, do- 
miné par le drame, le compositeur se pennet nn n 
tant de n'être pas absurde, vite il s'empresse de revenir 
style obligé, aux roulades, aux grupetti, aux trilles, 
mesquines triTolités, mélodiques, soit dans 4es«¥eix, sait 
dans Torohestre, qui,succédant immédialemenCÀ qœlqvies 
accents vra», ont Tair d'une raillerie et donnoRt à l'^jKirci 
serta tontes les allures de la parodie et dela'oharge. 

Si je voulais citer, les exemptes fameux ne mêmanqm^ 
raieni p«s;ntais, pour ne raisonner qn'Mi thèse géiérale et 



1. U faut «n «zospter «ne partie de «elle de BeUini et 49 
ses imitateon dont le caractère est an contraire eaaeatielW- 
ment déeolé et Taocent gémlMani ou hurlant. Ces maîtres ne 
reviennent au style absurde que de temps en temps et pour 
n'en pas laisser perdre entièrement la tradition. Je n*aurai 
pas non plus l'injustice de comprendre dans la catégorie des 
œuvres dont Texpression est fausse, plusieurs parties de la 
iAicia di Lammermoor de Donizetti. Le grand morceau d'en- 
semble du finale du deuxième acte et la scène de la inert 
d'Ëdgard sont d*un pathétique admirable. Je ne connais pab 
encore les œuvres de Verdi, 



1 



*&JfOlliBS Dfi flE€TOa BBftLiaz. 279 

«Mrwlioa faite te hSQtesqaesili^ns d'art; n'MH)6 pas 
d/kalie quel sont venues les fonnes wnvenUonneUm^tviwa- 
nèMet^. adoptées^depaispap quelques compositeurs que 
Gfaerubiiii et^ntini^ seulsentre^ms leurs compatriotes, 
ont repoofliéBs^ et^cmtréGOle allemande est restée pure? 
P6uyaitwl entrer dans lea b^itudes d'ôtres bien organi- 
sés^ et^sensiileeib ¥eoDpifes9tmi mnsânde d'entendre,- dans 
tin n]D0cèfta'd*Mi8eml)le^ quatre personnages^ animés de 
psssiMii enUètenMt eyiposées, cbanter successivement 
tonaltt.qnotfela viémêphraêe^ méfodiçtit, a^reo de» psh- 
rate àiaéDtrmsi>0ti0aji^oiyBË leiméme ofaant pourdhre : 
«0 mitque jladorej.. -^Quelieterfour msglseei.. — «Mbn 
oamr bit de pfaiîlîr... «^ La iUneiir me tnsnsperte. > 
Suppisir, eoœnie le fonttcemaines gens, que* kMmttSiqnie 
eetiUiDB U^gne^ asassyague pour que le» inflexi«nsi de 
fti Avant puéaseit ooavenh- éq^^^iement ài IwcnaùUèi à» la 
itneet kramMtr^ cfest prouver seulamint^ qnkm est dé- 
fMwuidasensiqiii Mtd^ ptroept^Uès: à^ d/mitres^ dttTée 
rants oftraetèreside^i&iisiqQe edsprasaive, dont 1» rtaUté 
est SMT ces derniera* aasti ineontestable que Texiatenee 
du soleil. Mais cette discussion, déjà mille fois soulevée, 
aa'emraînerait tnop loitt. Pour enifinkr, jedlmt seulement 
V'aiirès ajwtr étuidÉt longuement,, sans lamcmidre pré> 
iRentûm» le^sentiaent^mnaical. de la» nationiitsttkniw, je 
legitfde la route suiWer par ses compositeurs, comme ud^ 
ei»BéqHen€e<foroée4s& instinttr du' puUic, inetioctequi 
exieteAt aussi» dlane fàli^n pins on moins évidente^ dier 
lesiGoiQipsitettrs; qoi.se^manifBstitient déjà à- Tépoqne 
âs»Berg9l6ser etqui^. dïaa son trop fameux. SfoM^ M 
ÛDSOt éefiBauaeseite d'air de bravomne sur lé verset: : 

BiinuÊnttiai 
OumtUÈèKUî 

fMNiMltr'doarseiflâîgnaiem le savam ffartini, Bëeearta; 



280 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

CaUablgi et beaucoup d'autres esprits élevés ; instincts, 
dont Gluck» avec son génie herculéen et malgré le suc- 
cès colossal d'Or/'èo, n'a pu triompher ; instincts qa'enlr»- 
tiennent le" chanteurs, et que certains compositeurs onc 
développés à leur tour dans le public ; instincts, enfin, 
qu'on ne détruira pas plus, chez les Italiens, que, chei 
les Français, la passion innée du vaudeville. Quant au 
sentiment harmonique des ultramontains, dont on parle 
beaucoup, je puis assurer que les récits qu'on en a faits 
sont au moins exagérés. J'ai entendu, il est vrai, à Tivoli 
et à Subiaco, des gens du peuple chantant assez pure- 
ment à deux voix ; dans le midi de la France, qui n'a 
aucune réputation en ce genre, la chose est fort com- 
mune. A Rome, au contraire, il ne m'est pas arrivé de 
surprendre une intonation harmonieuse dans la bouche 
du peuple; les pecorari (gardiens de troupeaux) de la 
plaine^ ont une espèce de grognement étrange qui n'ap- 
partient à aucune échelle musicale et dont la notation, 
est absolument impossible. On prétend que ce chant 
barbare offre beaucoup d'analogie avec celui des 
Turcs. 

C'est à Turin que, pour la première fois, j'ai entendu 
chanter en chœur dans les rues. Mais ces choristes en 
plein vent sont, pour l'ordinaire, des amateurs pourvus 
d'une certaine éducation développée par la fréquenta- 
tion des théâtres. Sous ce rapport, Paris est aussi riche 
que la capitale du Piémont, car il m'est arrivé maintes 
fois d'entendre, au milieu de la nuit, la rue Richelieu 
retentir d'accords» assez supportables. Je dois dire, d'ail- 
leurs, que les choristes piémontais entremêlaient leurs 
harmonies de quintes successives qui, 'présentées de la 
sorte, sont odieuses à toute oreille exercée. 

Pour les villages dltalie dont l'église est dépourvue 
d'orgue, et dant les habitants n'ont pas de relations avec 
les grandes villes, c'est folie d'y chercher ces harmonies 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 



281 



tant vantées, il n'y en a pas la moindre trace. A Tivoli 
môme, si deux jeunes gens me parurent avoir le senti- 
ment des tierces et des sixtes en chantant de jolis cou- 
plets, le peuple réuni, quelques mois après, m'étonna 
par la manière burlesque dont il criait à Vunisson les li- 
tanies de la Vierge. 

En outre, et sans vouloir faire en ce genre une réputar 
tion aux Dauphinois, que je tiens, au contraire, pour les 
plus innocents hommes du monde en tout ce qui se rat- 
tache k l'art musical, cependant je dois dire que chez eux 
la mélodie de ces mêmes litanies est douce, suppliante et 
triste, comme il convient à une prière adressée à la mère 
de Dieu, tandis qu'à Tivoli elle a l'air d'une chanson de 
corps de garde. 

Voici Tune et Tautre; on en jugera. 



Allegro. 



CHANT DE TIVOLI 




j=feMJ;zfe| 



Stella ma - tu - ti - na, o 



ra pro do 




CHANT DE LA COTE-SAINT-ANDRÉ 

(Dauphiné) avec la niatiraise 
prosodie latine adoptée en France. 

Poco adagio 




s 



^^ y=r?#^ ^ 



«a. 



ra- pro 



DO 



bift. 



Ce qui est inconlcsiablement plus commun en Italie 
I. 16. 



'»%' MËIfOlASS DB H8CT0R BttLIOL 

4|ii» pucoul ailleun^ . ee sont le» liitlk» voix; Im ^oia 
-iiM*«ealeaieBl sMMes et mûrémim, mèi&'Bûimfi» eUqp* 
1^ qui» en faciliUat la foeilisaiieiH ont dû> aidées de 
^tàimrmr natarel du poUie pour le dinqiunt dont> j*jm 
<lfja fiailÂ, fiire naître el eeMe naaie de Jloridires qaî 
dénature les plus belles mélodies, et> les . formules de 
oliant.^9emnodee qui fantqoe tooiae les. phrases Ualm- 
^MB'jeressemtileftty.et oeseadesees inake sar lesquelles 
le chantenrpeai brodera son- aise», mais qui tertar^M 
bien^des geBS par lear insipide et o(émàt» uniformité^ 
et cette tendance incessante aMi genre bouffe, qui se fait 
eentir dans les stèm^ mèmesles plnaimbétiques ; et4eai 
ees abas enfin,. qui «nt leodalà nléleâie, rbannonie, le 
mouvement, le rhythme, rin$trumentation,.les modul»^ 
tions, le drame, la.mlse ebsseène, la poésie, le poête^' le 
compositeur, esclaves humiliés des chanteurs. 

£t ce fut le 12 mai 1832 qu'en descendant le ment Ge- 
iiis, je revis, parée de ses plus beaux atours de prin- 
temps, cette délieleuse vallée de Grésivaudan où serpente 
l'Isère, oh j*ai passé les plus belles heures de mon en- 
fance, ou les premiers rêves passionnés sont venus m'a- 
gitcr. Voilà le vieux rocher de Saint-Ëynard... Voilà le 
graeieux réduit où brilla la Stelia montis,., là-bas, dans 
cette vapeur tâeae,.me sourit la maison de mon grand- 
père. Toutes ces villas, cette riche verdure,... c'est ra- 
vissant, c'est beau, il n'y a rien de pareil en Italie !... 
Sf^ mon élan de joie naive fut brisé sondalfl par une 
iottlienr aigné que je ressentis au coefar... Il m'avait 
semblé entendre gronder Paris dans le lointain. 






XLIV 



Ia c«Mur« p«|>al«.. — Pré|Kuratifft«de concert»* — Je reviens 
àParis< — Le neaTeau théâtre anglais^ — Fétis. ~ Ses 
eorrectioos des symphoniee de BeethoTen. — > Où me pré- 
sente à miss'Smîfhson. — STIe est rainée. -^ BOe se casse 
%jambe. — Je ré|)imM; 



Uhb atttoriftttloii spéciale da 11. Hontee Yernet 
m'ayant permis, râsiqpA je l!ai dity de quitter Borne 
sue mois: avant Tesiûration de mes deux ans d'exil J'ai- 
lai passer ia< première. moitié de ce semestre chez mon 
père, avec l'intention d'employer la seconde àorganiser 
à%Paris an oa deux concerts» avant de partir pour l'Aile- 
mMgùB où iaièglemeai de l'InstitiU m'obligeait de voya- 
ger pendant ud> an. Bfe» loisirs de la Côte-Saint-André 
fnrent employés à lacâ^ie des parties d'orchestre du 
«oneteMBe éévil'PeodaiU mes. vagabondages en Italie, et 
^u'il Vagissait mjûaleaaiit de. produira à Paris. X'avaîs 
lût autographier les parties de chœur ae cet. oavra^ à 
fteone «ù le moroaaa desOm^^^s fui l'occasioa d'un, dé- 
aièlé airaclatcensiue papale. Le texteda ce chœur, dont 
j'ai déjà parlé était écrit en langue iacomiw^ ' , .langue des 

1. J*y iti depuis lors adapté des paroles françiûses, réser- 
vait remploi de la langue ioeonnue ponrlè|>aadèBiiioiihim de 
la damntftfon de PauU seulement: 



284 MÉMOIRES DE UECTOR BERLIOZ. 

morts, incompréhensible pour les vivants. Quand il fttt 
question d'obtenir de la censure romaine la permission 
de rimprimer, le sens des paroles chantées par les om- 
bres embarrassa beaucoup les philologues. Quelle était 
cette langue et que signifiaient ces mots étranges ? On 
fit venir un Allemand qui déclara n'y rien comprendre, 
un Anglais qui ne fut pas plus heureux ; les interprètes 
danois, suédois, russes, espagnols, irlandais, bohèmes, 
y perdirent leur latin I Grand embarras du bureau de 
censure ; l'imprimeur ne pouvait passer outre et la pu- 
blication restait suspendue indéfiniment. Enfin un des 
censeurs, après des réflexions profondes, fit la décou- 
verte d'un argument dont la justesse frappa tous ses col- 
lègues. « Puisque les interprètes anglais, russes, espa- 
gnols, danois, suédois, irlandais et bohèmes ne compren- 
nent pas ce langage mystérieux, dit-il, il est assez proba- 
ble que le peuple romain ne le comprendra pas davan- 
tage. Nous pouvons donc, ce me semble, en autoriser 
l'impression, sans qu'il en résulte de grands dangers 
pour les moeurs ou pour la religion. » Et le chœur des 
ombres fut imprimé. Censeurs ;imprudents! Si c'eût été 
du. sanscrit!... 

En arrivant à Paris, l'une de mes premières visites fut 
pour Gherubini. Je le trouvai excessivement affaibli et 
vieilli. Il me reçut avec une affectuosité que je n'avais 
jamais remarquée dans son caractère. Ce contraste avec 
ses anciens sentiments à mon égard m'émut tristement ; 
je me sentis désarmé. « Ah mon Dieu I me dis-je, en 
retrouvant un Gherubini si différent de celuique je con- 
naissais, le pauvre homme va mourir ! > Je ne tardai 
pas, on le verra plus tard, à recevoir de lui des signes 
de vie qui me rassurèrent complètement. 

N'avant pas trouvé libre l'appartement que j'occupais 
rue Richelieu avant mon départ pour Rome, une impul- 
sion secrète me poussa à en aller chercher un en face, 



I 



«. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 285 

dans la maison qu'avait aatrefois occupée miss Smithson 
(rue neuve Saint-Marc, n® 1) ; et je m'y installai. Le len- 
demain, en rencontrant la vieille domestique qui remplis- 
sait depuis longtemps dans l'hôtel les fonctions de femme 
de charge : c Eh bien, lui dis-je, qu'est devenue miss 
Smithson? Avez-vous de ses nouvelles? — Gomment, 
monsieur, mais... elle est à Paris, elle logeait même ici 
il y a peu de jours ; elle n'est sortie qu'avant-hier de l'ap- 
partement que vous occupez maintenant, pour aller 
s'installer rue de Rivoli. Elle est directrice d'un théâtre 
anglais qui commence ses représentations la semaine 
prochaine. > Je demeurai muet et palpitant à la nouvelle 
de cet incroyable hasard et de ce concours de circonstan- 
ces fatales. Je vis bien alors qu'il n'y avait plus pour 
moi de lutte possible. Depuis plus de deux ans, j'étais 
sans nouvelles de la fair OpheUa^ je ne savais si elle était 
en Angleterre, ou en Ecosse, ou en Amérique ; et j'arri- 
vais d'Italie au moment même où, de retour de ses voya- 
ges dans le nord de l'Europe, elle reparaissait à Paris. Et 
nous avions failli nous rencontrer dans la même mai- 
son, et j'occupais un appartement qu'elle avait quitté la 
veille. 

Un partisan de la doctrine des influences magnéti- 
ques, des affinités secrètes, des entraînements mysté- 
rieux du cœur, établirait là-dessus bien des raisonne- 
ments en faveur de son système. Je me bornai à celui-ci: 
Je suis venu à Paris pour faire entendre mon nouvel ou 
vragc (le Monodrame) ; si, avant de donner mon concert 
je vais au théâtre anglais, si je la revois, je retombe in- 
failliblement dans le delirium tremens, toute liberté d'es^ 
prit m'est de nouveau enlevée, et je deviens incapable 
des soins et des efforts nécessaires à mon entreprise mu- 
sicale. Donnons donc le concert d'abord, après quoi 
qu'Hamlet ou Roméo me ramènent Ophélie ou Juliette, 
je la reverrai, dussé-je en mourir. Je m'abandonne à la 



MtMOIRSS DB HICTOR iBBLlOZ^. 

lUalM qui aemble me pMinaiyro; J» na ]Mtt% j/àos 

£a eonféqnaoce, le» dihd& tbakeHMMrien eumnt. beao 

4late chaqae Jour sur las mur» d» Bam Wh» cbamef 

iarriUes^ Je résiatai à la séductlan et le oaoceri a^orga» 



Le^rogramme la composait de maSyiqfi totfc /iiaittitf 
^^ soiTîe de Ldfo ou Le miaurdtovi^y nKNMdnoait^ 
^st le cQiiiiiléaieiit de cette œuvre» et forme la seeend^' 
9lltie de VÉpiiod^ de la vk 4*im mtkiêi Le- 8q|Hlâ» 
drame musical n'issl autse» on le saît^. que Fiiiaiom ûf 
wum amour pour miss Smitbsooy de mes aug^sses^ de 

nés rêves deutoureux Admira mainlaïaaila aérv» 

de hasards inoroyableaqai'TaisedéMUleff^ 

Deux j^Mim avant eeloi'Oii devait^ snroir lieu aui Ck»* 
servatoire ce concert qui^ daaama ptmiée^4tait nu.adwsi 
à l'art et à la vie, me trouvaul dans le ma9iam.detmuai- 
que de Sohlesiiiger, un Anglais y «itm et ra leasartii 
presque aussitôft. • Quel est cet hOBmie»:dis-# àtScble- 
4singer f («ngolièro oariesité que rim ne molivaili ) ^ 
€:est IL Setuitter, Fun des lédaeteur» du* âai4m«i'e 
JMèêêin^»: Okî une idée) dit ScUesiiiger en se ftappani 
le front. Donoez-moi une loge, Sehntter connaît, miss 
Smitkson, Je le prierai de lui perter vos bittels et^dellen- 
^pger à assister à votre eoncaru » Cetle proposition me 
lit frômir. delà tète aux piedii mjûS'jfr n'eus paale oou*^ 
nigede la repoussaret jedomMû lalag^ Sclilesingenoo» 
«utapràs Mi SelHitler» le. Mrouva^ lut expliqua sans 
dauierintérèt excepllonnaè que la'présMcede raetriee 
céléiM^ pauvait donner à cette séanoarnmsleide^ et SékxA- 
aer promit- de faiie son possible, pmir- F^y amener. 

lUaut savoir que,||endantle4erapaq9e9ienployai&ames 
nâgflitiOBS^ à mes^préparattfscda tenl»eâpèôs,.lapa»un» 
directriee du théâtre anglais. s'acmipaît,,elli^.à< se ruiner 
^emilétement; Bik>avAU'eempté^la%n«svesdrliste^iS«rla 
sDoaiaiiee deillenthansîasae.pansîeit». sat IfaNiui da la 



MiifJOIRES M HKCTOft BfiitUOZ. 2IRr 

nouvelle éeoie Uttérati^ qui aidait rporté bian aaiâmois- 
des nues, trois ans auRafavâiit, et Shakiespeaie et ast 
ûi^a» iaterpiôte. MaisSiiAkespeace^n'étatt friusui^ aou- 
veauté pour ce public frivole et mobile comme Tonde; la 
révotation littéraire appelée par Los romaatiques était ae^ 
compUe; et noa-seuteioeiit les chefs de cette école ae dé- 
siraieat plus les apparltiû&s du géaat de la poésie dra- 
matique, mais, sans se l'avouer, ils les redaïUaieat, à 
cause ûes aomt)reux eaipruats que les uns et les autres^ 
f aisaleat à ses cbeb-d'iBovre, a^Fec lesquels il était, ea 
conséquence, de leur intérêt de ne pas laisser le pablic se 
trop familiariser. 

De là indifiérenee . générale poiii';les ffogrésentatkmsdii 
théâtre anglais, neeetles médieepes, qui, mises en regard 
des frais considérables de Tentreprise, laentiraient \m 
gouffre béant où tout ce que possédait l'imprudenle di^ 
rectrifie allait néeessairament s'engloutir. Ce fut ^ de 
telles circonstaaoes que Schutter vint proposa à miss 
Smitbson une loge pour mon concert, et voici ce qui ^*qu 
suivit. C'est eUe-m^me qui m'a donné ces détails'longtianps 
après. 

Schutter la trouva dans te plus peofoad abatt^nent, 6t 
sa proposition fut d'abord assez malaocueilUe. Elle avale 
bien affaire, cela se conçoit, de musique en un pami 
moment 1 Mais la sœur de miss Smithson s'tâtant jointe à 
Schutter pour r^okgager à accepter cette di$iraeti(mf wat 
acteur anglais qui se trouvait là ayant paru de son eôté^ 
désireux de profiter de la loge, on ût avance une voi- 
ture; moitié de gré, moitié de force, miss ftniâffîeB s'y 
laissa conduire, et Schi^t«* trioe»pbaii^ dit au cocher: 
Au Conservatoire I Chemin laisant les yeux delà pauvm 
désolée tombèrent sur teprogranunedu concert qu'elle 
n'avait pas encore regardé. Mon nom, qu*on n'avali 
pas pron(meé devant elle, lui /apprit ^m j-'étais l'or- 
donaateur de la fête. Le titre de la symphonie et celuÈ. 



288 MÉMOIRES 08 HECTOR BERLIOZ. 

des divers morceaux qui la composent l'étonnèrent un 
poa : mais elle était fort loin néanmoins de se doater 
qu'elle fût l*héroine de ce drame étrange autant que dou- 
loureux. 

En entrant dans sa loge d'ayant-scène, au milieu de 
oc peuple de musiciens, (j'avais un orchestre immense) 
en but aux regards empressés de toute la salle, surprise 
du murmure insolite des conversations dont elle semblait 
être l'objet» elle fut saisie d'une émotion ardente et d'une 
sorte de crainte instinctive dont le motif ne lui apparais- 
sait pas clairement. Habeneck dirigeait l'exécution. Quand" 
je vins m'asseoir pantelant derrière lui, miss Smithson 
qui, jusque-là, s'était demandé si le nom inscrit en tête 
du programme ne la trompait pas, m'aperçut et me re- 
connut. < C'est bien lui, se dit-elle ; pauvre jeune homme ! . . . 
il m'a oubliée sans doute,... je... l'espère > La sym- 
phonie commence et produit un effet foudroyant. C'était 
alors le temps des grandes ardeurs du public, dans cette 
salle du Conservatoire d'où je'suis exclus aujourd'hui. 
Ce succès, l'accent passionné de l'œuvre, ses brûlantes 
mélodies, ses cris d'amour, ses accès de fureur, et les 
vibrations violentes d'un pareil orchestre entendu df^ prés, 
devaient produire et produisirent en effet une impression 
aussi profonde qu'inattendue sur son organisation ner- 
veuse et sa poétique imagination. Alors, dans le secret 
de son cœur, elle se dit: < S'il m'aimait encore!... » 
Dans l'entr'acte qui suivit l'exécution de la symphonie, 
les paroles ambiguës de Schutter, celles de Schlesinger 
qui n'avait pu résister au désir de s'introduire dans la 
loge de miss Smithson, les allusions transparentes 
qu'ils faisaient l'un et l'autre à la cause des chagrins 
bien connus du jeune compositeur dont on s'occupait en 
ce moment, firent naître en elle un doute qui l'agitait de 
plus en plus. Mais, quand, dans le Mraodrame, rnctcnr 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 289 

Bocage, qui récitait le rôle de Lélio * (c'est-à-dire ie mien), 

prononça ces paroles : 

l « Oh ! que ne puis-je la trouvery cette Juliette^ cette 

^ Ophélie que mon camr appelle! Que ne puis- je m'enivrer 

de cette joie mêlée de tristesse que donne le véritable amour 

et un soir d'automne^ bercé avec elle par le vent du nord 

' sur quelque bruyère sauvage^ m'endormir enfin dans ses 

"^ bras, d*un mélancolique et dernier sommeil. » 

'^ € Mon Dieu!... Juliette... Ophélie... Je n*en puis plus 

^ douter, pensa miss Smithson, c'est de moi qu'il s'agit... 

^ Il m'aime toujours!... » A partir de ce moment, il lui 

sembla, m'a-t-elle dit bien des fois, que la salle tournait^ 

elle n'entendit plus rien et rentra chez elle comme une 

somnambule, sans avoir la conscience nette des réalités. 

C'était le 9 décembre 1832. 

Pendant que ce drame intime se déroulait dans une 
partie de la salle, un autre se préparait dans la partie 
opposée ; drame où la yanité blessée d'un critique mu- 
sical devait jouer le principal rôle et faire naître en lui 
une haine violente, dont il m'a donné des preuves, jus- 
qu'au moment où le sentiment de son injustice envers 
un artiste devenu critique et assez redoutable à son tour 
lui conseilla une réserve prudente. Il s'agit de M. Fétis 
et d'une apostrophe sanglante qui lui était clairement 
adressée dans un des passages du Monodrame, et qu'une 
indignation bien concevable m'avait dictée. 

Avant mon départ pour l'Italie, au nombre des res- 
sources que j'avais pour vivre, il faut compter la correc- 
tion des épreuves de musique. L'éditeur Troupenas 
m'ayant, entre autres ouvrages, donné à corriger les 

1. On n^exécutait pas Lélio dramatiquement, ainsi qu*on l'a 
fait plus tard en Allemagne, il faut un théâtre pour cela, mais 
seulement comme une composition de concerts mêlée de mo- 
nologues. 

1. i^ 



1 



tgO HBIfOlMS l>B HECTOR MELIM. 

pMliliaas des^ syaifthoiiies de DeetboTea, qae ILiiéUs 
avait été chargé de revoir avant moi, je trouvai ces 
«iwfs-d*<B«w*e thargés d«8 modifioations les j>Iqs îbso- 
lentes portant sur la pensée même de l'auteur, et d'anno- 
tations plus ouirecaîdantes eneore. Tout ce qui, dans 
rharmonie de Beethofen, ne eadrait pas- avec la théorie 
ivofessée par M. Féits, -était changé avec un aplomb in- 
croyable. A propos de la tenue de clarinette sur le mi 6, 

^la-deMi9de<rafecoPdde-Mte(vL dans Vandann^de la 

sytitpliofiie en nt tninetir, H. Fécis avait même éerft en 
«arge de ta partition cette observation naïve : « Ce mi 6 
>tôt évidênrniedt un fa : il m impossible que hmthoren 
ait commlsrutt^ erreur aussi grossière. »'Ën d*aatr^ ter- 
tues: Il eàt Impossible ({u'iin'hdmme tel cfue Beethoven 
ne soit pas dans ses doctrines sur l'Harmonie entière- 
ment Uhtccitiiâ avi^V. f^tis. Ëh eonséQuenee X . f%tis 
citait mis un fa à la place de ht ncne si caractériâcique 
% Beetboven, détruisant ainsi Itntentlun évidente tte 
dMIe tenue à Taigu, qui li'arrive ftur le'fa\[iue pitis tard 
m àfrès avoir'passépar te mi dattirel, iirodufsam ainsi 
une petite proigression ôbromatique ascendante et un 
iMicenâo du pîUB remarquable étteu héjk irrité par 
é'amres corrections de ta même nature qu'il est tnutiie 
^ citer, Je-me semis ^aspéré par cetle^i. «Comment! ] 
fne diH^> ^^ ^^^ ^^ édition fhiivçâiâe ^s pius merveil- 
leuses compositions iustrcmiBntales que le génie tiumain 
ait jamais ôtifàtitém, ^t» pscrce que rêveur *a eu lldée ^ 
de s^âdJoliTdre prwr âbxiRalre un. professeur enivré de 
wsï mérife et qui ne progi^se pas plus daus le^cerde 
étrdtAle*8é3 Ibéorîes^que'tie fait tm écureuiren courant 
dans sa cage tournante, il faudra que ces œuvres monu- 
(ttéiuales Mleitt WikwàÊê, et ^«e Bee AKyv«n^iUblf6e- des 
"MtecH<!fks oûMiiife' te iB<tedfe^Nl^ '^'ttne classe dliar— 
itfônîe! IfTen ceTtesl^cèîrne 'sera pas.» J'alîai dmic bn- 

médtatement trouver Troupenas et je lui di» : «il.^i^étis 



4 



MÉMOiaES DE HECTOR EEBLIOZ. 2ftl: 

icwU^ B^lhoveQ et le hm sens. Ses correcti$)u&âo«yt4ev^ 
criittes^ I^e.nai b q:u!il veut ôiter daas r^^ndante /de la.sygi 
phonie en ut mineur est d'un effet magique, il eat célèbre 
d»ii3 tpus. tes orchestres de l'Ejirope, le fa de M. Fétis^i 
m% platitude. Je vous.préviens (jue je vais. dMan^er I'îjjl^ 
fiaélité de votre édition et tes AC^^.de.M. Fétis |i louâtes 
m»si<îteois de la Société des.concerts et de rOpéa» ^t.fim 
TcAre professeur ^ra,. bientôt .traité conaneilte mérite 
par ceux qui ra3peçteiit..te,gé»ie et^joaépjfisenl U^médio- 
crité pcéteatteu^, » Je n',y maiviw pas» La nouvelte.de 
ces spjttes. profanaUo&a co)>?rou,Qa tes.arti^s.p^ri^e^ 
eite.inaûtô.furiôux;ne. fut i^^.HaJtoAeofe, bien.'.É|tCiil cor 
rtgaàt,rlui aussi, Be^tb^ow» dîupje. autre -.nva»ièjpe,.tn,«*p- 
prim^ut, à Ve^éQU^iou deja^ i»ô«iejsyi»|)hpiwç^ruftftr<- 
prisfteo^i^ri?;dtt ûnate^eties |)ar(i5es.^e .ççiUre-bo^^^ att dér 
butjittsçliiewo. :JU-ruw«ur tutîteJLte.que ,'BrQj|peuast fut 
contraint de faire disparaître les corrections, de rél^UiT 
Jeie35^.0Eigifl2Jn:«t que M. FéUs cifut.prwtemde^pjjbli«r 
aA;tg;ca3^ loeu^nge dans aa Vi^w 'mf.ùoqlç,,en ?uan^.,que 
te 4w3ii^ public qui. l'acausait d'avoir çprHigé,te3«iyRi{Âo- 
nm isi Beetiioven ^eût teiupludra foadenieut. 

Çert>remiw ^cta d'iu^ubordiualio» d'un élàve qui, tos 
d^^gf^ débutsi.awt pourtant été ei^cpur^gé^par M. Eéù^, 
piucut. d'MtaBt plus iTO^rrlQnmibte |^ oj&iuM ,qu'il y 
vojs^it, avîpciinejteutoBfi^ évidemà,VJbiéré3»e.iw^c^e, m 

Hoaucotap de gie^a sont ainsi (ailç. JPe qe4]u'il^«m.bi^ 
vwlu .oonvonir un jour que YQu§.n:êie&,i«s. .^j^^. ,quôl- 
qj«& vateur,. vwsvôte^ par cela squI t€inu de. tes admirer 
ài Jamais» sans restriction,, d^ns t«>ujt,fte ftw'il tej*r 
piiiAiïi de (aire... ou.de défaire; so48 peine .d'Atre. 
toai^, i'two/. QoBabten de petits grimauds se m^x 
ainsi imaginé, parce qu'ils avaient montré un enthou- 

m^m^ pUi&oM moins nôeLpour nw Quyrf^s, ,q»e4'^ais 

nécessairement un méchant homme quand, plu^.t^Qdi, 



292 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Je n'ai parié qu'avec tiédeur des plates vilenies qu'ils 
ont produites sous divers noms, messes ou opéras égale- 
ment comiques. 

En partant pour Tltalie, je laissai donc derrière moi, à 
Paris, le premier ennemi intime acharné et actif dont je 
me fusse pourvu moi-même. Quant aux autres plus ou 
moins nombreux que je possédais déjà, je suis obligé de 
reconnaître que je n*avais aucun mérite à les avoir. Ils 
étaient nés spontanément comme naissent les animal- 
cules infusoires dans l'eau croupie. Je m'inquiétais aussi 
peu de l'un que des autres. J'étais même bien plus l'en- 
nemi de Fétis qu'il n'était le mien, et je ne pouvais, sans 
frémir de colère, songer à son attentat (non suivi d'effet) 
sur Beethoven. Je ne l'oubliai pas en composant la par- 
tie littéraire du Monodrame, et voici ce que je mis dans 
la bouche de Lélio, dans l'un des monologues de cet ou- 
vrage : 

« Mais les plus cruels ennemis du génie sont ces tns- ■ 
tes hoMtants du temple de la Routine, prêtres fanati- 
ques, qui sacrifieraient à leur slupide déesse les plus 
sublimes idées neuves, sHl leur était donné den avoir 
jamais; ces jeunes théoriciens de quatre-vingts ansj 
vivant au milieu d'un océan de préjugés et persuadés 
que le monde finit avec les rivages de leur ils ; ces 
vieux libertins de tout âge, qui ordonnent à la musi- 
que de les caresser, de les divertir, n'admettant point 
que la chaste muse puisse avoir une plus noble mis- ^ 

sion; et surtout ces profanateurs qui osent porter la 4 

main sur les ouvrages originaux, leur font subir 
d'horribles mutilations quHls appellent corrections et 
perfectionnements, pour lesquels, disent-ils il faut 
beaucoup de goût *. Malédiction sur eux ! Ils font à 

♦ 

1. C'était un mot que j'avais recueilli de la boache même 
de Fétis. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 293 

Vart un ridicule outrage! Tels sont ces vulgaires 
oiseaux qui peuplent nos jardins publics, se perchent 
avec arrogance sur les plus belles statues, et, quand 
ils ont sali le front de Jupiter, le bras d'Hercule ou le 
sein de Vénus» se patanent fiers et satisfaits, comme 
s'ils venaient de pondre un œuf d'or. » 

Aux derniers mots de cette tirade, l'explosion d'éclats 
de rire et d'applaudissements fat d'autant plus violente, 
que la plupart des artistes de l'orchestre ef une partie 
des auditeurs comprirent l'allusion, et que Bocage, en 
prononçant il faut beaucoup de goût, contrefit le douce- 
reux langage de Fétis fort agréablement. Or, Fétis, très 
en évidence au balcon, assistait à ce concert. Il reçut 
ainsi toute ma bordée à bout portant. 11 est inutile de 
dire maintenant sa fureur et de quelle haine enragée il 
m'honora à partir de ce jour; le lecteur le concevra 
facilement. 

Néanmoins l'acre douceur que j'éprouvais d'avoir 
ainsi vengé Beethoven fut complètement oubliée le len- 
demain. J'avais obtenu de miss Smithson la permission 
de lui être présenté. A partir de ce jour, je n'eus plus 
un instant de repos ; à des craintes affreuses succédaient 
des espoirs délirants. Ce que j'ai souffert d'anxiétés et 
d'agitations de toute espèce pendant cette période, qui 
dura plus d'un an, peut se deviner, mais non se décrire. 
Sa mère et sa sœur s'opposaient formellement à notre 
union, mes parents de leur côté n'en voulaient pas en- 
tendre parler. Mécontentement et colère des deux famil- 
les, «t toutes les scènes qui naissent en pareil cas d'une 
semblable opposition. Sur ces entrefaites, le théâtre an- 
glais de Paris fut obligé déformer; miss Smithson res- 
tait sans ressources, tout ce qu'elle possédait ne suffisant 
point au payement des dettes que cette désastreuse entre- 
prise lui avait fait contracter. 

Un cruel accident vint bientôt après mettre le comble 



^994 IMA^IRE» 0B BECllOlt BIRLIOI. 

H ïiowiHIbrniifie. BIr clè«MnâàWtle*calM«Ml'À m iftmé, 

qn'^IftGrgdnisiril'àsim^bénéAM, ^m]ileâ'9BpQ0ftà faux 
9ur un {yarvé et Mlê 9è oas^ lia jâHiÉift. Miut patsaniB 
«mrênt à-*petiiie 1^ teHnpB dft IWnpèeher de vmb&t ^> Rem- 
portèrent à demi'éVMDUle daao» sdii*«f|)arttenMitv 

Ce malhetfriaraqaeltoii.ne erat ptlQt>«fr An^letm* et 
qui fut piris pMh' uue tidnédie JmiAb p«r 1» 4irMrM 
du théfttre aQ^alff alâtt d'aXHeirdPtr ses-ot^énutenH tl*éttit 
<fao trop réel. H iospii^ au moins te plas v^ sytHpuMfe 
mix artistes et m pifMlc ée Psrig. La vMvdHiite de maDi»- 
moiselle Mars à eet«s oiMâc^kyn, fut admitfaMer;- 4itte> »lt 
^& bourse^ Finfl&eff^ de ses asnis» to«c<todoiitifille ilM^ 
Vtiir dt«pôs6r âiu 90rv4ci9 de la'pdorOpfteMmqoi: nS'fMi- 
sédait'pltys vien^ m q«l' néairinei»», lappitnsat «tP joifr 
p^nrsft steûr 406 j«» loi avals apporté quoiqaiB «nnsM» 
de francs, versa d'abondantes larmes et me Ml^ *<A 
i«p]^iidi% eet> ai^tt en:>me mmoK^soit dk i»!i pl(ft»'me 
i^Yotr s( jetmV ndftfêHiB. No» ^bg'n'agiafltlett ^(|ae 
lentëmM^; iës 4ëiait or-d^ la jftmbe «tniinc étt 
unpea Htt-Aissas^ae fodheYîlle du plod; }9?taBip9 èoêL 
pba^f^rH ttmeiertAie gùMtsaa pm^taif^; M «tttlruttdmtfâ 
ii^rakiât^'qtieifvrsBdmittt^Oii ms «estât beit^ose: PftitiMi 
que la ti'is^ itfvallde' étaif jaitt^i l^t^ue Mr au Ik^db 
donletir, j^ tMs à boiK^dë^nieiiepk'^bictt^ltt 'flRaler^repé^ 
sen>t!atien»4tii>aN<Mt tîàr»é* Pa«sttiâ^nt. GeftâP stMn^àlac- 
qoene'Lfâitt' el> GhopHi *ppimni p^im dAss «n^ «itir^am»; 
proéNiisTt' nue' sonntie* ^mtt ftAt^, qnvtm aiBdttm «ppMf^ 
qttéeaa'pa)»enf^tit^es^ d^%^« les plus ori^âss. Stiâki^^danfe 
vm ^ I8d3, lleenpieite ^ttvitftson 4t»»t pntnée^ m^ ik pete 
^rie, JerTôpbirttt^i nftâlgté' l» violente oppesilton» de» 
fâmille et dpvèâ a^oir éré aUli^é,. i»ei, d'en v^eirtr «aopiift 
de mes pftretn^, Mf&mrfMm$tam imjmkwmM.^i^^lMi 
ae notre mariage, elle n'av^ plus au BK^fflâe cpl&^^âit 
d'etnss, eria ârï^nre-di^ m pnttvntr mpfeusûtnr ^OfMt^ 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 295 

geusement sar la scène à cause des suites de son acci- 
dent; de mon côté j'avais pour tout bien trois cents francs 
que mon ami Gounet m'avait prêtés, et j'étais de nouveau 
brouillé avec mes parents... 
Mais elle était à moi, je déliais tout. 



XLV 



Représentation à bénéfice et concert an ThéAtre-ltalien. — 
Le quatrième acte (THamlet. — Ànton^. - Défection de 
l'orchestre. — Je prends ma revanche. — Visite de Pag^a- 
nini. — Son alto. — Composition ^Harold en Italie, — 
Fautes du chef d*orchestre Girard. ^ Je prends le parti 
de toujours conduire Texécution de mes ouvrages. — Une 
lettre anonyme. 



Il me restait d'ailleurs une faible ressource dans ma 
pension de lauréat de rinstîtut, qui devait durer encore 
an an et demi. Le ministre de Tintérieur m'avait dispen- 
sé du voyage en Allemagne imposé par le règlement de 
l'Académie des beaux-arts ; je commençais à avoir des 
partisans à Paris, et j'avais foi dans l'avenir. Pour ache- 
ver de payer les dettes de ma femme, je recommençai le péni- 
ble métier de bénéficiaire, et je vins à bout, après des fati- 
gues inouïes, d'organiser au Théâtre-Italien une repré- 
sentation suivie d'un concert. Mes amis me vinrent en- 
core en aide à cette occasion, entre autres Alexandre 
Dumas, q^\ toute sa vie a été pour moi d'une cordialité 
parfaite. 

Le programme de la soirée se composait de la pièce 
êiÀntony de Dumas, jouée par Firmin et madame Dor- 
val, du 4« acte de ÏHamlet de Shakespeare, joué par 



\ 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 297 

Henriette et quelques amateurs anglais que nous avions 
Qui par trouver, et d'un concert dirigé par moi, où de- 
vaient figurer la Symphonie fantastique , l'ouverture 
des Francs-JtigeSf ma cantate de Sardanapaley le Con- 
cert-Stuck de Weber, exécuté par cet excellent et admi- 
rable Liszt, et un chœur de Weber. On voit qu'il y avait 
beaucoup trop de drame et de musique, et que le con- 
cert, s'il eût fini, n'eût pu être terminé qu'à une heure 
du matin. 

Mais je dois pour l'enseignement des jeunes artistes, et 
quoi qu'il m'en coûte, faire le récit exact de cette mai- 
heureuse représentation. 

Peu au courant des moeurs des musiciens de théâtre, 
j'avais fait avec le directeur de l'Opéra-Italien un mar- 
ché, par lequel il s'engageait à me donner sa salle et 
son ùrekestre^ auquel j'adjoignis un petit nombre d'artis- 
tes de l'Opéra. C'était la plus dangereuse des combinai- 
sons. Les musiciens, obligés par leur engagement de 
prendre part à l'exécution des concerts, lorsqu'on en 
donne dans leur théâtre, considèrent ces soirées excep- 
tionnelles comme des corvées et n'y apportent qu'ennui 
et mauvais vouloir. Si, en outre, on leur adjoint d'autres 
musiciens, alors payés quand eux ne le sont pas, leur 
mauvaise humeur s'en augmente, et l'artiste qui donne 
le concert ne tarde guère à s'en ressentir. 

Étrangers aux petits tripotages des coulisses françai- 
ses, comme nous l'étions, ma femme et moi, nous avions 
négligé toutes les précautions qui se prennent en pareil 
cas pour assurer le succès de l'héroïne de la fête ; nous 
n'avions pas donné un seul billet aux claqueurs. Ma- 
dame Dorval, au contraire, persuadée qu'il y aurait ce 
soir-là pour ma femme une cabale formidable, que tout 
serait arrangé selon l'usage pour lui assurer un triom- 
phe éclatant, ne manqua pas, cela se conçoit, de s'armer 
pour sa propre défense, en garnissant convenablement le 
I. 17. 



'198 VMllMflBt ITB m^tcm BKMMK. 

if«nên«r^0Dii •^9«ir 1M biltei» <|«»(nM3 Mii<ittifllfa«, wit 

€on (pf elle fH adiietflr. MMMnfe Boi^l, aâmirâilte'tfa 
nMe dam le rtte d^ Adile^ ftii en A>d«6ifGféiK# «nm^MUe 
d^âpplfluétoMBAitd et radmciMlée à la fin dé foifiiMb. 
Quand TlM éWBuil& le 4?» aieted'mmli^/ft*agiii«iit i0Mn- 
frMmiilMe» poard«8 Pra«|al« MVfMtrS'iiii'éstii^âfllMé 
ftiptéfflU^{Arl«Bâ«M*prëe!^''ê^^ Hète MAlliAed^O- 
phélia, qat, pea d'annôps auparavant, avait fMialt Wa 
•flteiti protendétiimlt éMMimn et f«étif«e, fdrdk les 
tMis ittntrt^dlS'Mii fresti^; le ebciM'«iPn«}ptn(tlMi. 

On remarqua même avec queHe ptiiM, l^ntrim, tM- 
tMrrs imâtriMe AéiaiMinv d» son nMrteilten tadëni, 
s'était relevëe, en «^^ptij^aoe^te m«i?»«iir ter pfeueiêr 
du théàine, à. te ftn ée la Mène daaslaqu^e^piiéii^tf^- 
gnwftin» avprès de smi Toiie Mîr ^n'ette ^tiid peur 4e 
linoMldetMi pèn». €e fût pmirelle ras» «m ttiMle 
déooa^ene. Gmétie, eHe ne boksit pn^ miB i'xisuMMe 
etkkliimié)de'4pi0lli|fiie9i«ms de an i(loiivciMmtr.6fealMit 
pecdaei. Paie^ <fuand^ âptè^la cbutetde la Miès, eMetit 
qrii»fô puMic, cepuMie dovretteétnl Fidote amlfvisis et 
ipii, de plus, Tenait ée déttemer utte ovatien 4 «■éaae 
>Mrvaly ne la rappelait pas... ^Quel aAreox erère-cœort ! 
Toalea tes fèmnies et tonales artbtes le cMïftBoôwm. 
Pauvre Ophéiia 1 toa soleil déclÉnaît .. j'étai» désolé. 

Le^Dneept fomnença. L'ouveitare des Frmmê-ihiges^ 
' firÔ9-médiwren8nt eiéoulée,. fot^ «éanmêias- aenssifelie^r 
dttca salres d'âfpteudissoMttts, qui m'éMmièMÉt. Le 
' Coficef l-S^Ai de Weber, joué par Liszt aveela fsupie 
eirtraînaiite qu'il y a louioar» miser obtint im roagpAifi' 
que succès. Iem*ettbiitti mètm dane mo» embdusiasBie 
pmir Lisst, jusqu'à l'enbrasser en pMn t^àtiedeVaifel4e 
public. Stupide ktconvenance qui pouvait nocis cooiriir 
Ions les^ deux de ridieule, et dont les ^^clalBiifs 
moffis éufent la bonté de ne se point moquer. 



-D3fiS{^intix)(ld»tidniiQSttnM«^ mpn 

inexpérience dans l'art de conduire Koi^teilire foi: G(m^ 
que les s^eenés. làaHim^ sff»ni msmqoé ^m ontr^, tout 
rordiestr» se per^tieicrneiie dm iwHtm&t mm. esàQH- 
tanis, cootffie poiot du iidll«imeii&^ k ctariiier aM«o6d> eA 
sautant tout le roste. Mok}^ Sirpunit ctoQibasa«sej)$biea.la 
cantate, mais le fameux incendie final, m^i ft^iiM 
mal reitda, psoduiifit; ptn d'^fftt:. Rl^a ]ia»n)p^#l)aktp(iis; 
je n'entendais qixe le bruit mmù d6& j^l^ti^Dfi ^:mm 
artères, il Bie^4ei&]iiai|rm'ealoi«ep«ni^H!re^p#li bf peu. De 
plus: il sefeMsait tai?d et»oiiS.ajd0«s^en«Qf^>à/exét^utar le 
chœur de Weber ftt ÏVkS^m^phsmi^ fmumtiqm tout enUèrjÇ* 
Le» TèglemenlB du 7béà&re^It(0tlif»»;dtih)e<»/n'.obti99illt -yas 
les mttdioisns^à jMier 3peè&i»ii»3ât,.£iA>A(m»4<$aeiifl^«.^^ 
disposa pourool, par to Q«aotts qsie r<m «(^wa^^iite 
attendaient a^c Hnpatidoce Id immont de s'écd^api^c, 
queMes que dxiss^t être les «otsâqaesces. ^iW ^aii^ 
plate défeeii<Hi. lès n'y masqu^eal;. pas ;. p^l^^ ^^mM 
ch<»ttr de Weber se>obaaiail, g«b. làehesâr&lâ», i»tjûga08 
de povter te nom d'arlîMs» d«spaYa]*<)Dt t<ma «laiidfi^iuA* 
mmi- ilétail mbiiiàt. Les m:uâi(Mee0 ét^Mié(^i^ (|uei.e 
payais, restèopeni seuls à l^in» posté et quaod je me re- 
tourmat pour coBiDieftiîer la syfiapfeoûie je me vis entoiusé 
tteGiwî violons, dedeax atoe,.de^ quatre basses et d;'uii 
tromboBe. Je le savais, quel paifti preadre dans ma eaasr 
ternation. Le public ne i^mi paa wm de vi»utoir s'en 
aller. Il en vi»t bie»tôl às'impiti«tei? et à réelamçr l'Qxé- 
ctttion delà symphonie, le n'â.mkg«.¥d(B de cm^m^mt. 
Enfin, au miiiea du tiuawlte, uae voix s'étaaî éeriée da 
balcon : « La Marche au suspplifie'! » Je rép(mdis: « Je ne 
puis faire exécuter la Ifetrehe au suppliée par cinq vio- 
lons !... Ge n'est pas ma faute, Torehestre a disparu, j'es- 
père que le public... » Wtais rouge de honte et d'indir- 
gnation. L'assemblée alors se leva désappointée. Le con- 
cert en resta là, et mes enaemis ne manqu^^t pas da 



300 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

le tourner en ridicule en ajoutant que ma musique /o»- 
sait fuir les mmideru. 

Je no crois pas qu'il y ait jamais eu auparavant 
d'exemple d'une telle action amenée par d'aussi ignobles 
motifs. Maudits racleurs I Méprisables polissons ! je re- 
grette de ne pas avoir recueilli vos noms que leur obscu- 
rité protège. 

Cette triste soirée . me rapporta à peu près sept mille 
francs; et cette somme disparut en quelques jours dans 
le gouffre de la dette de ma femme, sans le combler en- 
core; hélas! je n'y parvins que plusieurs années après et 
en nous imposant de cruelles privations. 

T'aurais voulu donner à Henriette Toccasion d'une 
éclatante revanche; mais Paris ne pouvait lui offrir le 
concours d'aucun acteur anglais, il n'y en avait plus un 
seul; elle eût dû s'adresser de nouveau à des amateurs 
tout à fait insuffisants et ne reparaître que dans des frag- 
ments mutilés de Shakespeare. C'eût été absurde, elle ve- 
nait d'en acquérir la preuve. Il fallut donc y renoncer. 
Je tentai, moi au moins, et sur-le-champ, de répondre 
aux rumeurs hostiles qui de toutes parts s'élevaient, par 
un succès incontestable. J'engageai, en le payant chère- 
ment, un orchestre de premier ordre, composé de l'élite 
des musiciens de Paris, parmi lesquels je pouvais comp- 
ter un bon nombre d'amis, ou tout au moins de juges 
impartiaux de mes ouvrages, et j'annonçai un concert 
dans la salle du Conservatoire. Je m'exposais beaucoup 
en faisant une pareille dépense que la recette du con- 
cert pouvait fort bien ne pas couvrir. Mais ma femme 
elle-même m*y ;oncouragea et se montra dès ce moment 
ce qu'elle a tu.ijours été, ennemie des demi-mesures et 
des petits moyens, et dès que la gloire de l'artiste ou l'in- 
térêt de l'art sont en question, brave devant la gêne et la 
misère jusqu'à la témérité. 

J'eus peur de compromettre l'exécution en conduisant 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 30! 

l'orchestre moi-même. Habeneck refasa obstinément de 
le diriger ; mais Girard, qui était alors fort de mes amis, 
consentit à accepter cette tâche et s'en acquitta bien. La 
Symphonie fantastique figurait encore dans le pro- 
gramme ; elle enleva d'assaut d'un bout à l'autre les 
applaudissements. Le succès fut complet, j'étais réhabi- 
lité. Mes musiciens (il n'y en avait pas un seul du Théâtre- 
Italien, cela se devine) rayonnaient de joie en quittant 
l'orchestre. Enfin, pour comble de bonheur, un homme 
quand le public fut sorti, un homme à la longue chevelu- 
re, à l'œil perçant, à la figure étrange et ravagée, un pos- 
sédé du génie, un colosse parmi les géants, que je n'avais 
jamais vu, et dont le premier aspect me troubla profondé- 
ment, m'attendit seul dans la salle, m'arrêta au passage 
pour me serrer la main, m'accabla d'éloges brûlants qui 
m'incendièrent le cœur et la tête ; c'était PaganinU! (22 
décembre 1833.) 

De ce jour-là datent mes relations avec le grand ar- 
tiste qui a çxercé une si heureuse influence sur ma des- 
tinée et dont la noble générosité à mon égard a donné 
lieu, on saura bientôt comment, à tant de méchants et 
absurdes commentaires. 

Quelques semaines après le concert de réhabilitation 
dont je viens de parler, Paganini vint me voir. « J'ai un 
alto merveilleux, me dit-Il, un instrument admirable de 
Stradivarius, et je voudrais en jouer en public. Mais je 
n'ai pas de musique ad hoc. Voulez-vous écrire un solo 
d'alto? je n'ai confiance qu'en vous pour ce travail. — 
Certes, lui répondis-je, elle me flatte plus que je ne sau- 
rais dire, mais pour répondre à votre attente pour 
faire dans une semblable composition briller comme 
il convient un virtuose tel que vous, il faut jouer de l'alto ; 
et je n'en joue pas. Vous seal, ce me semble, pourriez 
résoudre le problème.— Non, non, j'insiste, dit Paganini, 
vous réussirez; quant à moi, je suis trop souffrant 



SD2 VÉffCMRffS DE ffECTOtt BfffttrOZ. 

en 08 inoiuent pour composer, je n^ pois sunger: > 
ressayai doncr pour plaire à rHlastre virtaose d'écrire 
im solo d'alto» mais an soto combiné avec Torchestre de 
manière à ne rien enlever de son action à la masse 
instrumentale, bien certain que Paganini, par son in- 
comparable puissance d'exécution, saurait toujours con- 
server à l'alto le rôle principal. La proposition me parais- 
sait neuve, et bientôt un plan assez heureux se développa 
dans ma tôteet je me passionnai pour sa réalisation. Le 
premier morceau était à peine écrit que Paganini voulut 
le voir. A l'aspect des pauses que compte Tatto dans Fal- 
legro : « Ce n'est pas cela ! s^écria-t-il, je me tais trop 
longtemps là dedans; il feut que je joue toujours. — Je 
l'avais bien dit, répondis-je. C'est un concerto d*alto que 
vous voulez, et vous seul, en ce cas, pouvez bien écrive 
pour vous. » Paganini ne répliqua point, il parut désap- 
pointé et me quitta sans parler davantage de mon e^ 
quisse symphonicpie. Quelques jours après, déjà souf- 
frant de l^ffection du larynx dont il devait mourir, il 
partit pour Nice, d'où il revint seulement trois ans 
après. 

Reconnaissant alors que mon plan de composition ne 
pouvait lui convenir, je m'appliquai à l'exécuter dans 
une autre intention et sans plus m'inquiéter des moyens 
de faire briller Falto principal. J'imaginai d'écrire pour 
forchcstre une suite de scènes, auxquelles l'alto solo 5e 
trouverait mêlé comme un personnage plus ou moins 
actif conservant toujours son caractère propre ; je vou- 
lus faire de l'alto, en le plaçant au milieu des poétiques 
souvenirs que m'avaient laissés mes pérégrinations dans 
les Abruzzes, une sorte de rêveur mélancolique dans te 
genre du Child-Harold de Byron. De là le titre de la 
symphonie Harold en Italie. Ainsi que dans la Sympho- 
nie fantastique un thème principal (le premier chant de 
l'alto), se reproduit dans l'œuvre entière; mais avec cette 



d^ ficcy s'interpose oMinéfttent «omme \me «iée p»^ 
sidmiéeépisodique^ ara laUiett de» scène» qui l^i seat dltra» 
gèi^s et leur fait di'v^rsioii, Midis que le efaaiit A^We^ 
rold' se'snpeiiftose' adx aatres «hante #e Forehe^ne, s^nse 
lesquels il contraste par^sMfiiiooTemearet sea e»na»tèi«, 
savfôen interrompre le dévdtoppemeni. lial^ kcwiK 
plexité de son tisBuharrsioiHqne, je raisaoBSf^peirde teuifs 
à coimposer cette symphonie qme ^en a^ mis* en géiiéral sa 
éerire mes autres outvagies; j^mpioyai avssi mt tonps 
eon^déra^Me à la refeueher. Ikmi' la marehe desîPiltepte 
mèine, qne j'avais improTMéeen deifx heures en rêvait 
on soir an eoln de mo» feu, j'ai pendant plo» de six aias 
introduit! des modiâcations d&désaîlqpiti, je* le evois, Font 
beaucoup améliorée. Telle qu'*e)le était alors, elle QMm 
un su^ès complexe. lors^de sapremièpe exéeutt^n à 
eoscért da23 no^nriire 1834 auConserratoire. 

Le premier morceau seul fat pea applauc^^ par la 
de Girard qui eosduisairt Korckestre, elqui ne put jamais 
parvenir à l'entraîner assez dans la eoda, dont le nMWt- 
Temeutdolt s'animer diu double graduellement. Sns eeite 
aftimaiion progressive la fin de cet allegfro est lanpn»^ 
sante et glaciale. Je soufris le marier» en Fefttendattt »e 
trader amsi... La marche des PèleriBs fst redefflandée. 
A sa deuxième exéeu|ian et vers te milieu de laseeendb 
partie du morceau, au moment où, après une eourte i 
terruptioB, la sonnerie des cloches du courent se» fait; 
tendre de nouveau, repréeentée par deux notes de àaripe 
que redoublent les flûtes, les hautbois et les cors, le har- 
piste compta mal ses pauses et se perdit. Girard alors, au 
lieu de le remettre sur sa voie, comme cela m'est arrivé 
dix fois en pareil cas (les trois quarts des exécutants com- 
mettent k cet endroit la même faute), cria à l'orchestre: 
f le dernier accord I » et l'on prit l'accord final en sautant 
les cinauante et auelaues mesures oui le orécèdent. Ce 



304 MftMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

fut un égoTgemenX complet. Heureasement la marche 
avait été bien dite la première fois et le public ne se mé- 
prit point sur la cause du désastre à la seconde. Si l'ac- 
cident fûL arrivé tout d*abord, on n'eût pas manqué d'at- 
tribuer la cacophonio à l'auteur. Néanmoins, depuis ma 
défaite du Théâtre-Italien, je me méfiais tellement de mon 
habileté de conducteur, que je laissai longtemps encore 
Girard diriger mes concerts. Mais à la quatrième exécu- 
tion d'flaroid, l'ayant vu se tromper gravement à la fin 
de la sérénade où, si Ton n'élargit pas précisément du 
double le mouvement d'une partie de l'orchestre, l'autre 
partie ne peut pas marcher, puisque chaque mesure en- 
tière de celle-ci correspond à une demi-mesure de l'autre, 
reconnaissant enfin qu'il ne pouvait parvenir à entraîner 
l'orchestre à la fin du premier allegro, je résolus de con- 
duire moi-même désormais, et de ne plus m'en rapporter 
à personne pour communiquer mes intentions aux exé- 
'cutants. Je n'ai manqué qu'une seule fois jusqu'ici à la 
promesse que je m'étais faite à ce sujet, et l'on verra ce 
qui faillit en résulter. 

Après la première audition de cette symphonie, un 
journal de musique de Paris fit un article où l'on m'ac- 
cablait d'invectives et qui commençait de cette spirituelle 
façon : « Ha ! ha ! ha ! — haro 1 haro ! Harold ! > £n outre 
le lendemain de l'apparition de l'article, je reçus une 
lettre anonyme dans laquelle, après un déluge d'injures 
plus grossières encore, on me reprochait d'être assez 
dépoiarvu de courage pour ne pas me brûler la cervelle. 



XLVI 



M. de GaspariD me commande une messe de Requiem. — Les 
directeurs des beaux-arts. — Leurs opinions sur la musique. 

— Manque de foi. — La prise de Constantine. — Intrigues 
de Cherubini. — Boa constrictor. — On exécute mon Re- 
quiem. — La tabatière d'Habeneck. — On ne me paye pas. 

— On veut me vendre la croix. — . Toutes sortes d'infa- 
mies. — Ma fureur. — Mes menaces. — On me paye. 



En 1836, M. de Gasparin était ministre de rintériear. 
Il fut du petit nombre de nos hommes d'État qui s'inté- 
ressèrent à la musique, et du nombre plus restreint encore 
de ceux qui en eurent le sentiment. Désireux de remet- 
tre en honneur en France la musique religieuse dont on 
ne s'occupait plus depuis longtemps, il voulut que, sur 
les fonds du département des beaux-arts, une somme 
de trois mille francs fût allouée tous les ans à un com- 
positeur français désigné par le ministre, pour écrire, 
soit une messe, soit un oratoire de grande dimension. 
Le ministre se chargerait, en outre, dans la pensée de 
M. de Gasparin, de faire exécuter aux frais du gouverne- 
ment l'œuvre nouvelle. « Je vais commencer par Berlioz, 
dit-il, il faut qu'il écrive une messe de Requiem, je suis sûr 
qu'il réussira. > Ces détails m'ayant été donnés par un 
ami du fils de M. de Gasparin que je connaissais, ma sur 



306 MftMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

prise fat aussi grande que ma joie.Pour m'assurer de la 
vérité, je sollicitai ane audience du ministre, qui me con- 
firma Texactitude des détails qu'on m'avait donnés, c Je 
vais quitter le ministère, ajouta-t-il, ce sera mou testa- 
ment musical. Vous avez reçu Tordonnance qui vous 
concerne pour le Requiem? — Non, monsieur, et c'est le 
hasard seul qui m'a faittooncmître vos bonnes intentions 
àmonégard.-'Gommentcela se fait-il? j'avais ordonné il y 
a huit jours qu'elle vous fOt envoyée 1 C'est un retard 
occasionné par la négligence des bureaux. Je verrai cela. > 

'Néanmoins plusieurs Xoui:s se pn:ssèreiit et rordoonaiioe 
ii!â]u:ivait pas. Plein djiniiuiétude» je m'adressai alors au 
ffls da M» de Ga^arin qui- jue mit au fait d'une intrigue 
dont j* JÙtf7ù& paglûiiBMiidne ^upGon- M. XX..., k di- 
WÊtUBar^BBrBmmskAfto S. n'AppiiMivâMi pointle pnajetdu 
mini«M.ralatif à^ la'flmstqno'iiriigieiifie, etotoifis^oMore 
le choix qu'il avait fait de moi pour ouvrir la marche 
des compositeurs dans cette voie. Il savait, en outre, que 
U, de lJva•pacil^| 4aQ& iiuolquefi joups, ne .secait. plus au 
ministère. CUrVen cetacdant jusqu'à sa sortie la rédac^iiin 
de son^ ass^ qui foodMUr'inatitution et m'invitait ^com- 
poser mon.. Bequiem, rien nlétait plus facile ensuite qiie 
de Caiie «Rorterson prqj0L8n.diMaadftatson.sucGessear de 
le^réaiàsâi:. Glegtfce qu'ajout en tâte- AL le. directeur ..HÀis 
M. dé GfluipaBiaii'eataiidaitipas (^m. se jouât de bii^ei, 
eu apprienasi par soa Ois quexiâa n.'étaxt encore fait, la 
veilla du Jaur où, il devait quitter le^miaistère» ileœv:o)[a 
ânân.àJIL X3L.. Uordjoelcèfirsôvècemanx exprimé de rédiger 
Tacrâté aar4a«ham|Ket dfi.mâ.l!en}(^o^er; ce q^i fut fait. 

Ce pFfimifir ôchee de M. XX«...ne pauvait qu'accEoilfe 
ses-mauvaises disypaâlioiis iumon égard* et. il lefr accrut 
en edot. 

1. JAfe»t •BWPtdttfiùf dis ou-douseiam, mvÛB ilivant miani 
De pas le noiDmer. 



Obt arbim du sort de l'art et âes artistes ne tlliisnait 
reeonnaUre une valeur réelle en musiqne qu'à Roistm 
seul. Cependant tiirjonr, apits at^ir devunt moi passé 
au fil de son appréciation dédaigneuse tous les nmltres 
anciens et modernes dé l^Ëurope, à Tetception de Bèe~ 
thoven qu'il avait oti&lié, il se ravisa tout d'an eoutr en 
disant : « Pourtant il y en a encore un, oe me setn^e... 
c'est.. ..comment s'appelle-t-il donc ? un Allfemafnd^dmrt'on 
Joue des sympTionies au'Gûnïservatoîre... Vans deveswjsn- 
naîtreço, monsieur Berlioz...— Beethoven? — Om;^BeellKh 
ven. Eh bien, celui-là n'était psts San? talent. > rai en*- 
tendu moi-même le directenr des Bëaux-Aits*^'e«priin«r 
ainsi. II admettait que Beethoven n*lgtait pusr sttns MènH 

Et H. XX.,. n'était en cela que le représentatft lepltffi 
en évidence des opinions musicales de toute la ttaresm*- 
cratie française de Tépoque. Des centaines de commiiK 
seurs de cette espèce occupaient toutes les avenues |mr 
lesquelles les artistes avaient à. passer, et faisaient mtnt'^ 
voir les roua£;es de ta machine gonvernementàle avec 
laquelle devaient à toute fbree s'engrener nùs huftflQ«- 
tiens musicales. Aujourd'hui 

Une fois armé de mon arrêté; je me mis à l'fmvfô. Be 
texte du K^quiem était pour moi une proie dès lengtemtm 
convoitée, qu'on me livrait enfîii, et sur làqudlte le ifle 
jetai avec une sorte de flireur. 'Ma t6te sesifbtair prdte à 
crever sous l'effort de ma pensée bouilldnname. "ùer ^tsoi 
di^un morceau n'était pas esquissé que celai d'un autre 
se pnâsentait; danisTimpossibîlfté d^écrire assez vf(iB,^'a- 
i«tts -adopté dds*signes.sténo^4phîqu«s gui,, pour lè Jba- 
ixnyimêa. surtout,, me Jurtnt d.'un grand secamnii. Lis 
eempAsiteuss oônnaiesBoii le sappUoe >at. le- désespoir aaiii- 
«es pinr kl pevteda 8oiev«niir de- OBrlai&esâdées-qu-oiitn^ 
'pas eule oeaups^d'^rifeet qtn'irott» éeliappe»t. ainsi à 
tDtfr jmtafis. 

J'aî, en conséquence, écrit cet ouvrage avec vme 



308 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

grande rapidité» et je n'y ai apporté que longtemps après 
un petit nombre de modifications. On les trouve dans la 
seconde édition de la partition publiée par réditeur Ri- 
cordi, à Milan K 

L'arrêté ministériel stipulait que mon Requiem serait 
exécuté aux frais du gouvernement, le jour du service 
funèbre célébré tous les ans pour les victimes de la révo- 
lution de 1830. 

Quand le mois de juillet, époque de cette cérémonie, 
approcha, je fis copier les parties séparées de chœur et 
d'orchestre de mon ouvrage, et, d'après Tavis du direc> 
teur des Beaux- Arts, commencer les répétitions. MaL« 
presque aussitôt une lettre des bureaux du ministère 
vint m'apprendre que la cérémonie funèbre des morts de 
Juillet aurait lieu sans musique et m*enjoindre de sus- 
pendre tous mes préparatifs. Le nouveau ministre de 
Fintérieur n*en était pas moins redevable dès ce moment 
d'une somme considérable envers le copiste et les deux 
cents choristes qui, sur la foi des traités, avaient em- 
ployé leur temps à mes répétitions. Je sollicitai inutilcr 
ment pendant cinq mois le payement de ces dettes. Quan^ 
à ce qu'on me devait à moi, je n'osais même en parler 
tant on paraissait éloigné d'y songer. Je commençais à 
perdre patience quand un jour, au sortir du cabinet dp 
M. XX... et après une discussion très-vive que j'avais 
eue avec lui à ce sujet, le canon des Invalides annonça 

1. N*6st-il pas étrange qu*à cette époque, pendant que j*é- 
crivais ce g^and ouvrage et étant marié arec miss Smithson, 
j*aie par deux fois fait le môme rére? J'étais dans le peti^ 
jardin de madame Gautier, à Meylan, assis an pied d'un char 
mant acacia-parasol ; mais seul, mademoiselle Estelle n*y était 
pas; et je me disais : «Où est-elle? où est-elle? » Qui ex- 
pliquera cela ? Les marins peut-être, et les savants, qui ont 
étudié les mouvements de Taiguille aimantée, et qui savent 
que le cœur de certains hommes en a de semblables.... 



MEMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 309 

la prise de Constantine. Deux heures après, je fus prié 
en toute hâte de retourner au ministère. M. XX... ve- 
nait de trouver le moyen de se débarrasser de moi. Il le 
croyait du moins. Le général Damrémont, ayant péri 
sous les murs de Constantine, un service solennel pour 
lui et les soldats français morts pendant le siège allait 
avoir lieu dans l'église des Invalides. Cette cérémonie 
regardait le ministère de la guerre, et le général Ber- 
nard, qui occupait alors ce ministère, consentait a y 
faire exécuter mon Requiem, Telle fut la nouvelle ines- 
pérée que j'appris en arrivant chez M. XX... 

Mais c'est ici que le drame se complique et que les 
incidents les plus graves vont se succéder. Je recom- 
mande aux pauvres artistes qui me liront de profiter au 
moins de mon expérience et de méditer sur ce qui m'ar- 
riva. Ils acquerront le triste avantage de se méfier de tout 
et de tous, quand ils se trouveront dans une position 
analogue, de ne pas ajouter plus de foi aux écrits qu'aux 
paroles et de se précautionner contre l'enfer et le ciel. 

A peine la nouvelle de la prochaine exécution de mon 
Requiem dans une cérémonie grandiose et officielle 
comme celle dont il s'agissait, fut-elle apportée à Cheru- 
bini, qu'elle lui donna la fièvre. Il était depuis long- 
temps d'usage qu'on fît exécuter l'une de ses messes fu- 
nèbres ( car il en a fait deux ), en pareil cas. Une telle 
atteinte portée à ce qu'il regardait comme ses droits, à 
sa dignité, à sa juste illustration, à sa valeur incontesta- 
ble, en faveur d'un jeune homme à peine au début de sa 
carrière et qui passait pour avoir Introduit l'hérésie 
dans l'école, l'irrita profondément. Tous ses amis et élè- 
ves, Halévy en tête, partageant sou dépit, se mirent en 
course pour conjurer l'orage et le diriger sur moi; c'est- 
k-dire pour obtenir qu'on dépossédât le jeune homme au 
profit du vieillard. Je me trouvai même un soir au bu- 
reau du Journal des DébatSy à la rédaction duquel j'étais 



310 HÉMOIRBS DR H&GTÛR BfiRilQZ. 

attaché depuis peu et dont le directeur» M. Bertin» me 
témoignait la plus active bienveillance, lorsi^ue Halévy 
s'y présenta. Je devinai du t>remier couj) l'objet de sa 
visite. Il venait recourir à la puissante influence de 
M. Bertin pour aider à la réalisation des projets de Ghe- 
rubini. Cependant un peu déconcerté de me .trouver là, 
et plus cncoi'c par Tair froid avec le^el K. Beriin et 
wtfd.fils Armand laccueillirent» il changea instantané- 
laeat ia direction de ses batteries. Balévy ayant suiivi 
K» Bettin le pèrotdans La chambre voisine, dont la porte 
resta ouverte, je Tenteodis dire « que Cherj;ibini était 
exlraoïdinairemMit affecté au point d'en être malade au 
lil; qa'il venait, lui ilalévy,, prier M. Bertin d'user de 
Ml pouvoir pour faire obtenir à litre de consolation la 
C0Û1 de commandeur de. la^Légion d'honneur à Uillustre 
maUrjQk » La voix sévère de M. Bertin Tinterrompit alocs 
par ca3.parales : c Oui, mon cher Halévy, nous femns 
«e qQft vous voudrez pour qu'on accorde à Cherubini 
undiUstinction bien méritée. Mais s'il s'agit du Mquiem^ 
si l'on propose quelque transaotion à Berlioz. au sqjet.du 
siio, et s'il a la faiblesse de jcéder d'un cheveu* je ne hU 
rfftOMkraidB ma vie, • Halévy dut se retirer un peu plus 
que confus avec cette réponse. 

Ainsi le. bon Cherubini qui avait voulu déjà me faire 
avaler tant de couleuvres, dat se résignera recevoir de 
ma maîA un boa constrictor qu'il ne digéra jamais. 

iMaintenaniautre intrigue, plus habilement ourdie et 
donije n'ose sonder la noire profondeur.. Je n'incrimine* 
pttBBomie, je raconte les faits br ulalement» ^ans le.moin- 
û» oommentaire, mais avoo la plus serupuleuse exac- 
lUude» 

Ijs général Bernard m>yant annoncé lui-même que 
non B^qmem allait être exécuté* à des conditions jque j§ 
dijai tout à l'heure, j'alUis commencer .mes répétitions, 
jjpuM(id«l|. XX... me ftt iq^peler. « VousaaveK, jne^it-iU 



i^pgie ttaimikeek a été fifaâFgé de ômgut les grasde» .£fttos 
mualeates eCficklles. (AUoos ! bon ! .pensai- je^ -suAtie 
Sailequi me tombe sar la tête !) Vous êtes maiotenaat 
asm» rbabUode de eonduice Tous^miâne L'exéciOioB de 
^a>Siuaavragâs, il est vrai, mais Habeaeek esi lu ym^ 
^và.,{&mem xm), et je sais qu'il épnMiveva oiae ,[^eiQe 
icèsH^ikte-de ne pas.présider à celle âeYJ6Xt»0Raqui$m.fEn 
^pifik termes ôtes-^yaus avec lui ? — £a cpets tecme^? 
aetts^fiommas broaillés sans que* je sa£iiefPâiiri|BAi. .Be- 
pKiis trais aiis^ ^ ai eessé dedne fusoter,; j'igaone .le&iiBe- 
ttfs^:et:a'ai.fias^ il .est vmi, <daifnéx»^^iiii]ifofiiieor. Ha 
C9i0tteiiré>par reluiser dureafteet de diiiger itn de mes 
0«iQfKt&. Sacondaite à^inon^S^desl .aossi ânei^Uefr- 
Ue^tt'ineWile. Gctpendaiity.eeiiiiie jeToi&bi«Qt^'il'dé* 
MBCÉtte lQi&%ttfef à.lai8éféœ<mie<da Ofeanéeiial Daan 
néttoaliet.que eelravfmirait ¥(ius=étre<i99tféabile^îe^£on8Qiis 
à loi'«éder le bâto&y.ea^ioe céMsraiit ttoirtef«i6 de'4iri* 
.g|griiAoiHD[i^ne.ane TépélUtoa. *— iQuià'.c«ia iHeaifiDiie, 
Biftpoaâit M. £XI., Je rv^ais Va^rai tir. > 

î^3%répétitieiiB pariieltefttet.géBérate&fiet^ft^witttft effet 
awec -bdau£o»ip de aûn. HaiMoeek ma faffla*.eûœme.si 
DM» rotaldoi^ciii'eiMsemtjiaïaaâstété i&lerieilifafls,.^^^»^ 
vmge^parut4eimir.t)ienin[iai^er. 

.Leiiour de^sanrisxéeHtion, daasFégtise dea Jn«allitos, 
èe¥.aiBtlesprtficeft,.to6vttiiaîsires9 lee^paijrs, les dépolé^ 
toiile'la(piie»e'frai|^atse,iles;c«n»9peii(iai^ vén&iprdasas 
éftraivgàreset u&etfdok imm^iae, i'étaisiiiéeessaicwseiU 
iMm d^&ToîF un gtandtsucoèaitua eflôt-ittââMece an'eAi 
ôté.f^tal, kpkistfotrte naiflon .un vmao^s efitat ini'.âAtdll 
anéttati^ 

<ilr,réeâatezvb«eiL «eci. 

illiBatje«éei]<ta&ls ^étattol dtviaâ8.v^(Plaimarsuigi»u|^ 
iMW'dàstaftts tesoiius des^aatres^.^ il^faot. ^*il «o. ^oU 
ainsi fM«rlesfqaat4Beeeciiiestres<4'i]}Slrura^e»id(de ciiiyce 
iWHr^iv«i«f iayjésidans- le Tubu nuxmifMiq}à.éûmaBLiJi^ 



342 MÉMOIRBS DE HECTOR BERLIOZ. 

cuper chacun un angle de la grande masse vocale et ins- 
trumentale. Au moment, de leur entrée, au débat du 
Tuba mirwn qui s*enchaîne sans interruption avec le 
l>ie$ irse^ le mouvement s'élargît du double ; tous les 
instruments de cuivre éclatent d*abord à la fois dans le 
nouveau mouvement, puis s'interpellent et se répondent 
à distance, par des entrées successives, échafaudées à la 
tierce supérieure les unes des autres. Il est donc de la 
plus haute importance de clairement indiquer les quatre 
temps de la grande mesure à l'instant où elle intervient. 
Sans quoi ce terrible cataclysme musical, préparé de si 
longue main, où des moyens exceptionnnels et formida- 
bles sont employés dans des proportions et des combinai- 
sons que nul n'avait tentées alors et n*a essayées depuis, ce 
tableau musical du jugement dernier, qui restera, je Tes- 
père, comme quelque chose de grand dans notre art, peut 
ne produire qu'une immense et effroyable cacophonie. 

Par suite de ma méfiance habituelle, j'étais resté der-^ 
rière Habeneck et, lui tournant le dos, je surveillais le 
groupe des timbaliers, qu'il ne pouvait pas voir, le mo- 
ment approchant où ils allaient prendre part à la mêlée 
générale. Il y a peutrôtre mille mesures dans mon Re- 
quiem, Précisément sur celle dont je viens de parler 
celle où le mouvement s'élargit, celle où les instruments 
de cuivre lancent leur terrible fanfare^ sur la mesure 
unique enfin dans laquelle l'action du chef d'orchestre 
est absolument indispensable, Habeneck baisse son bâton, 
tire tranquillement sa tabatière et se met à prendre une 
prise de tabac. J'avais toujours l'œil de son côté ; à l'ins- 
tant je pivote rapidement sur un talon, et m'élançant 
devant lui, j'étends mon bras et je marque les quatre 
grands temps du nouveau mouvement. Les orchestres me 
suivent, tout part en ordre, je conduis le morceau jusqu'à 
la fin, et l'effet que j'avair rêvé est produit. Quand, aux 
derniers mots du chœur, Habeneck vit le Tuba mirum 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 3i3 

sauvé : « Quelle sueur froide j'ai eue, me dit-il, sans 
vous nous étions perdus I — Oui, je le sais bien, 
répondis~je en le regardant fixement. > Je n'ajoutai pas 
un mot... L'a-t-il fait exprès?... Serait-il possible que 
cet homme, d'accord avec M. XX..., qui me détestait, et 
les amis de Ghërubini, ait osé méditer et tenter de com- 
mettre une basse scélératesse?... Je n'y veux pas son- 
ger... Mais je n'en doute pas. Dieu me pardonne si je lui 
fais injure. 

Le succès du Bequiem fut complet, en dépit de toutes 
les conspirations, lâches ou atroces, officieuses et offi- 
cielles, qui avaient voulu s'y opposer. 

Je parlais tout à l'heure des conditions auxquelles 
M. le ministre de la guerre avait consenti à le faire exécu- 
ter. Les voici : « Je donnerai, m'avait dit l'honorable 
général Bernard, dix mille francs pour l'exécution de 
votre ouvrage, mais celte somme ne vous sera remise 
que sur la présentation d'une lettre de mon collègue le 
ministre de l'intérieur, par laquelle il s'engagera à vous 
payer d'abord ce qui vous est dû pour la composition du 
Requiem d'après l'arrêté de M. de Gasparin, et ensuite ce 
qui est dû aux choristes pour les répétitions qu'ils firent 
au mois de juillet dernier, et au copiste. » 

Le ministre de l'intérieur s'était engagé verbalement 
envers le général Bernard à acquitter cette triple dette. 
Sa lettre était déjà rédigée, il n'y manquait que sa signa- 
ture. Pour l'obtenir, je restai dans son antichambre, 
avec l'un de ses secrétaires armé de la lettre et d'une 
plume, depuis dix heures du matin jusqu'à quatre heu- 
res du soir. A quatre heures seulement, le ministre sortit 
et le secrétaire l'accrochant au passage, lui fit apposer 
sur la lettre sa tant précieuse signature. Sans perdre une 
minute, je courus chez le général Bernard qui, après 
avoir lu avec attention l'écrit de son collègue, me fit re- 
mettre les dix mille francs. 

1. 18 



314 IfÉMOIRBS DK HSGTOR BSULIO^I 

J^appliqaai cette ^imué tom entière à payer me» exé- 
cutants; je donnai trois cemsr francs à Dnpreï, qui 
avait chanté le soto du Sanetus, et trois cents autres 
fhuics à Ifabenedc, rincompamble priseur, (|ui avait usé 
si à' propos de sa tat)affère. Il ne me resta absolument 
rien-. Pima^nais que j'allais ôtfeenflii payé par le niînis- 
tFBile I*lntér!fnr; qui se tronvait*doubîeraem obligé d'ac- 
quitter cette dent» par l'ànn&té de soni)ng^décesseur^ et par 
l'engagement qu'il venait de contracter persotmeltèment 
envers le ministre* de la guerre. Santta sUnpHcitas! 
comme dirm^pbfstophélès; un mois, demc' mois, trois 
mois, quatre mois, huit moîis se passèrent sans qu'il me 
Wf possible d'bbtentrun sou. A' force de sollicitations, 
dèTeeommanâations des amis du ministre; de courses, 
dl»<rél;lamatim)^ éerlteâret verbales, les^rép/^ltîons de§ cho- 
ristes- et lerf^ais de i;opfe furent enfin -payés. J*êta1s ainsi 
ddlfarrassé-dérintolérafole persécution que me fliisaient 
suMr depuis si'Iongtemps tant de gens fatigués d'aiténdre 
leur dû; et peut-être préoccupés^ à monégfird de soup- 
çans dom lldée ^ulé me fait encore monter au firont \â 
rougeur d&rindlgnation. 

BUi^ nH)i, Tauteur du Requiem, supposer qtie f atta«- 
chasse du prix au vil métal f fl donc 1 c'eûi été me ca- 
Idfflnierî Conséquemmem on se* gsniàit bien de me 
payer. Jë^priff la liberté grande, néa(nmoh]s,d0> réclamer 
date'son emier l'accomplissement dës-pmmésses ministé^ 
rleHés'. favais'un impérieux ttesdinr d'argent. Je dus me 
résigner de^nouteau à fàiîm* le* siège du raWnet du direct 
teor dèfii Btouxf'Aft^; plusteurs'semahies^se passëj^nteni 
cMfetr sQl1lbitatidns'4n[ttti{ës. M colèîrraugmdntait, jTen^ 
maf^Hssafift, j'èncptfrt!l({s te^ sonmreii;' fînfln, utr matîh 
farrtve^au ministère; bleu; pâièdèfàreur; r^ollr à faUv 
un^esclandre-, rtsoltvà tout*, àh^eniranl chftrSf. !S3f .: c Ati* 
4JSP, lui dis-je; ikparaitqnedf^crttëment on^ neveut^pas me 
payer! — Mon cher lîerUoz, répond* te' dormeur, vomr 



^ 
^ 

I 



llMO^ilIBS >ra QBCTOR^BBliliKIZ. 315 

g fcf U i ffw «eitfosttpas ^a^fante. J'ai pets ^lonsios f^n- 
sèi^fiMDMBts, j'ai /ait d&^vères iavesUgati^s. Les fonds 
^i'voo^éuie&l.destiaés ont idisfaeu, on .leur a donné 
nne^aïKreâesltnatioB. Je^ne aais:tdMi^ quel bureau ciU 
a^«st>fait. Ahl si^de paralUeSiOhoaes .se passaientidiuifiile 
mien !... ^— Gomment ! l«s fondsidestin^aox beMiUttls 
fsuvent doneélre employée' bors de ivetne :départiBB»Bt 
«ansqne voastesaaàiez^...']ratie >bdâgetf«it;.diijiGà.ia 
disposition du ppsiaîar^eair?... mftis pen m'impmsteljîe 
«'•ai pohit'à'n^oGe«per>decpaii8ttleftqiKBSIion8. UnitoftiMm 
m'a été commandé par le ministre de l^iiHérieurjau prix 
«onvenu de ttois/ioitte franos, i^vne faut mes trois faille 
ftianos.^-^^^entfileayipiBntt •$ii€oiiei.an/peuJâ6'.pmBBEnœ 
On avisera. D'ailleurs il est question de^ivoiis poitrAa 
<«f<)iK. ««^le iae^f...>detiretroi croix iwdoQarsHBMii imeniar- 
^nt.«-^'*liais..^<»^1l^n^'aipa8ile*fMiiS) cnai^je, an;iron- 
^^ffipsanl imefottienil, je rToa&^eeorde jusqcfàdêmai&ii 
«îtai,*t*siià«Mi'p«ôets-je^'aii^s **eça kt somme/^ 
'VottS^fais à-YOtts et^au mimetPe un «eanddle comme ja- 
niAis en^n^ena vu !^Et vons^savez «foe-j'aidesmoyens-de 
'le^faire,ee scandale. » 'Là^dessus^. K^"botileveité,'oa^ 
<l)liafnt son ehapeav[,'se^pféeiprle 'fnr^'l-efleaiier tiuieen- 
«éuisaHc^iez le ministre, «tje le pouwuis en «opiant: 
«'Dites4iiH>ienq^ae'je' serais honteux de . traiter 'tnen» bol- 
•Hertsorame'il^^e ^raite,*^t'qne*sa'toi«iu4te»à^mon égafd 
^cquerra^bientsôt unerarecéMbri^é^*. » 

Cette^lois, J'ayais^décoairertte dôfaut^de'la «dirasse^du 
ministre. M. XX, dix minutes après, revint avec un bon de 
trbis mille francs sur la caisse des beaux-arts. On avait trou- 
vé de rargent . . . Voilà comment les artistes doivent quelque- 
fois se faire rendre justice à Paris. Il y a encore d'autres 
moyens plus violents que je les engagea ne pas nc^îliger... 

1. Et pourtant c^était un excellent homme plein de bonnes 
intentions. 



316 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

Plus tard rexcellenl M. de Gasparin, ayant ressaisi le 
portefeuille de rintérieur, sembla vouloir me dédomma- 
ger des insupportables dénis de justice que j'avais enda- 
rés à propos du Eequiemt en me faisant donner cette fa* 
meuse croix Je la Légion d'honneur que Ton m'avait en 
quelque sorte voulu vendre trois mille francs, et dont, 
alors qu'on me l'offrait ainsi, je n'aurais pas donné trente 
sous. Cette distinction banale me fut accordée en même 
temps qu'au grand Duponchel, alors directeur de l'Opéra, 
et à Bordogui le plus maître de chant des maîtres de 
chant de l'époque. 

Quand ensuite le Bequiem fut gravé, je le dédiai à 
M. de Gasparin, d'autant plus naturellement qu'il n'était 
plus au pouvoir. 

Ce qui rend piquante au plus haut degré la conduite 
du ministre de l'intérieur à mon égard dans cette affaire, 
c'est qu'après l'exécution du Aeguiem, quand, ayant payé 
les musiciens, les choristes, les charpentiers qui avaient 
construit l'estrade de l'orchestre, Habeneck et Duprez et 
tout le monde, j'en étais encore au début de mes sollici- 
tations pour obtenir mes trois mille francs, certains jour- 
naux de l'opposition me désignant comme un des favoris 
du pouvoir, comme un des vers à soie vivant sur les 
feuilles du budget, imprimaient sérieusement qu'on ve- 
nait de me donner pour le Requiem trente mille francs. 

Ils ajoutaient seulement un zéro à la somme que je 
n'avais pas reçue. C'est ainsi qu'on écrit l'histoire. 



XLVII 



Exécation du Lacrymosa de mon Requiem à Lille. — Petite 
couleuvre pour Cherubini. -^ Joli tour qu'il me joue. — Ve- 
nimeux aspic que je lui fais avaler. -^ Je suis attaché à la 
rédaction du Journal des Débats. -~ Tourments que me 
cause l'exercice de mes fonctions de critique. 



Quelques années après la cérémonie dont je viens de 
raconter les péripéties, la ville de Lille ayant organisé 
son premier festival, Habeneck fut engagé pour en diri- 
ger la partie musicale. Par un de ces caprices bienveil- 
lants qui étaient assez fréquents chez lui, malgré tout, et 
peut^tre pour me faire oublier, s'il était possible, sa fa- 
meuse prise de tabac, il eut l'idée de proposer au comité 
du festival, entre autres fragments pour le concert, le Lor 
erytnosa de mon Requiem. On avait placé également dans 
ce programme le Credo d'une messe solennelle de Cheru- 
bini. Habeneck fit répéter mon morceau avec un soin 
extraordinaire ^t l'exécution, à ce qu'il paraît, ne laissa 
rien à désirer. L'effet aussi en fut, dit-on, très-grand, 
et le Laerymo$ay malgré ses énormes dimensions, fut re- 
demandé à grands cris par le public, Il y eut des audi* 
teurs impressionnés jusqu'aut larmes. Le comité lillois 
ne m'ayant pas fait l'honneur de m'inviter, j'étais resté 
1. 18. 



9i8 MÉMOIRES DB HECTOR BERLIOZ. 

à Paris. Mais après le concert, Habeneck, plein de joie 
d'avoir oblenu un si beau résultat avec une œuvre si 
difflcile, m'écrivit une courte lettre ainsi conçue ou à peu 
près : 

c Mon cher Berlioz, 

» Je ne puis résister au plaisir de vous annoncer que 
TOtre Lacrymoia parfaitement exécuté a produit un eflet 
immense. 

» Tout à vous, 

» HABENECK. » 

La lettre fut puMM à Pâkris par ki ^ktzêhemtmiêeOe. A 
son retour Habeneck alla vofrCherubiniet l'assurer que 
son Credo avait été très-bien rendu, c Oui ! répliqua 
Cherubini d'un ton sec, mais vous né m'avez pas écrit à 

moi ^ 1 > 

Petite couleuvre innocente, qui lui venait encore à pro- 
pos de ce diftble de A0fi«i#in et dont -i^^iie tfn^iirftsifÂai- 
sammem avaler la BGèurjttttietledaBé'IaiCÉnoiKtMMetfai- 
vante. 

Une plaeé de'prdfesseiiP<d^lMirm«iiei4Mit fÊÉêimàm 3n^ 
«ante an Conservatoire, tm de «les amis m'engai^à 
rae-mel^ sui^ les mta^poar l'obiMir. Siams^me bèpoar 
^nn espoir de suoeès, j-éeiivfs néaiuHoiiis « ee Mjetià 
notre bondireeteur €henibî&i; an'^reiçtt .iewa leme. Il 
tne fit appeler : 

« ^ Vous vous présettieB'peiir la t^sse d^lMnoonHi?... 
isie dH41 de son air le pins aimable «et de ht r^ks. layltts 
€oiiee qu'il put trouver. -^ 9iii, monsieur. — Ab ! e'4tt 
^... vous raurez cette elasse... votre répmation fiiam^ 
ttâaût... 'T&s relations... —Tant mieux, «lOMter, je l'ai 
^attiandéepour l'avoir. --< Oui, «MVis... «Mia é^est ^ ^ 

1. ie lui AvaU bien dit qu^il murait mon. n<m gueiquû jour. 



niêtracftsaé... 6'tsst'9t^Eé>Tondrat9)»il0iHi6r>à oaBamre. 
—'fin ce cas, moBsietiry Je -vais retirer ma'âemantde.'-* 
Nw, non, "té nerveux pas, ^pateé filé, ^royez^veus, 1%n 
dirait qûé c'est moi qué'sé souk laeaose qae yens-voiis 
ène^retM. -- jAdons je reste'swr les rangfa. — Mais qtté^ 
yen» âis 4HéTaasrt»ai^,'la'pfcMe, ^si Towperslstczt^... 
ter né 'votis la âestmais pas. — fkyurfant eetm»efit< fiskive? 
-^ 'fens' savez ^u'il faut... il fout... Il fou: être piniisie 
pour enseigner rharraonie an Genservatoire, vaos' le^aa- 
vez'monser. — Il faut -être piianiste? Ah ! fêtais Iciiniie 
m'endoater. Ëii bien, voilà ane excellente raison. Je i^ 
voos écrire que^n'étant pas pianiste je -ne^p^is pas as- 
pirer à professer Tharmonie au GonserraHoire, et qoeje 
retire ma demande. <» Oui, mon ser. Mais, mais, maîa, 
Ééné'Seais pas la cause de'vetfe... «^ ^on,= monsieur, 
loin de là ; je dois tout aâtUFeHeBie&t merelirer, ayant^eu 
labètiad'dfooMier'qull faut être piamslerpoiir enseigner 
Fharmot iOt'-'Ouiy^mon ser. Allons, etttassea^aei. ¥oas 
•avez eomme «é «XRons aime.— < (Mil «0!fi,aa«n8iettr, jeie 
sais. <>^f}t<il m(eilibra88e'efiiefffit,4t96o use^andresse .vrai- 
ment paternelle. Je m^n vais, je» toi adrosie mto dé* 
i^temefit et, kuit joiifs>après, iiiait'donaer la pkiee à 
unnommé Bienaimé qui ne joae pas plus ^up ianoi que 
moi. 

Veilàca qaiis'^af^palle'vn.tour l>»n exéealé!fElt<>'6n aï 
ri'le fpemier de feon «oonr. 

^Le lecteur Jt^itiaâmirer ma réserve pounii'avair ipas 
lépottân à Glieriibtni : < Vous x^^pourriez donc vous 
nrême, monsieur, enseigner rhannome? » Car le grawi 
maître, lui non plus, n'^était pas du tout pianiste. 

il'aile regret d'avoir ibieolôt après, et très-involontai- 
•nment, blessé mon illustreoim de la façon la ploderuelle 
t|f assistais, au parteive de l'Oféra, à la première rej^ré- 
tentation de son ouvsage, àdi fiato. dette partition, tout 
le monde en convint alors, est Tune des plus pâles et des 



3tO MÉMOIRBS DK HBCTOR BERLIOZ. 

plus vides de Cbenibini. Vers la fin da premier acte, fa- 
Ugoé de ne rien entendre de saillant, je ne pas m'empè- 
cher de dire assex haut pour être entendu de mes voisins : 
c Je donne vingt francs pour one idée I • An milieu du 
second acte, toi]gours trompé par le môme mirage mu- 
sical, je continue mon enchère en disant : < Je donne qua- 
rante francs pour une idée! > Le finale oonmience : < Je 
donne quatre-vingts francs pour une idée I • Le finale 
achevé, je me lève en jetant ces derniers mots : c Ah t 
ma foi, je ne suis pas assez riche. Je renonce !» et je m'en 
vais. 

Deux ou trois jeunes gens, assis auprès de moi sur la 
même banquette, me regardaient d'un œil indigné. C'é- 
taient des élèves du Conservatoire qu'on avait placés là 
pour admirer utikmerU leur directeur. Ils ne manquèrent 
point, je rai su plus tard, d'aller le lendemain lui racon- 
ter mon insolente mise à prix et mon découragement 
plus insolent encore. Cherubini en fut d'autant plus ou- 
tragé qu'après m'avoir dit : c Vous savez comme zé vous 
aime, > il dut sans doute me trouver, selon l'usage, hor- 
riblement ingrat. Cette fois il ne s'agissait plus de cou- 
leuvres, j'en conviens, mais d'un de ces venimeux aspics 
dont les morsures ^sont si cruelles pour l'apiour-propre. 
Il m'était échappé. 

Je crois devoir dire maintenant de quelle façon je fus 
attaché à la rédaction du Jottmàl des Débats. J'avais de- 
puis mon retour d'Italie, publié d'assez nombreux arti- 
cles dans la Uevue européenne, dans V Europe littéraire^ 
dans le Monde dramatique (recueils dont l'existence a été 
de courte durée), dans la Gazette musicale^ dans le Cor- 
respondant et dans quelques autres feuilles aujourd'hui 
oubliées. Mais ces livers travaux de peu d'étendue, de 
peu d'importance, me rapportaient aussi fort peu, e* 
l'état de gêne dans lequel je vivais n'en était que bien 
faiblement amélioré. 



MÉMOIRES DE HECTOR BSRLIOZ. 32i 

Un jour^ ne sachant à quel saint me vouer, j'écmis 
paur gagner quelques francs un sorte de nouvelle intitu- 
lée Rubmi à Calais, qui parut dans la Gazette musicale. 
J'étais profondément triste en l'écrivant, mais la nouvelle 
n'en fut pas moins d'une gaieté folle; ce contraste, on le 
sait, se produit fréquemment. Quelques jours après sa 
publication, le Journal des Débats la reproduisit, en la 
faisant précéder de quelques lignes du rédacteur en 
ehef, pleines de bienveillance pour l'auteur. J'allai aussi- 
tôt rem^cier M. Bertin, qui me proposa de rédiger le 
feuilleton musical da Journal des Débats. Ce trône de cri- 
tique tant envié était devenu vacant par la retraite de 
Gastil-Blaze. Je ne l'occupai pas d'abord tout entier. J'eus 
seulement à faire pendant quelque temps la critique des 
concerts et des compositions nouvelles. Plus tard quand 
celle des théâtres lyriques me fut dévolue, le Théâtre-Ita- 
lien resta sous la protection de M. Delécluse où il est en- 
core aujourd'hui, et J. Janin conserva ses droits du sei 
gneur sur les ballets de l'Opéra. J'abandonnai alors mon 
feuilleton du Correspondant, et bornai mes travaux de 
critique à ceux que le Journal des Débats et la Gazette 
musicale voulaient bien accueillir. J'ai même à peu près 
renoncé aujourd'hui à ma part de rédaction dans ce re- 
cueil hebdomadaire, malgré les conditions avantageuses 
qui m'y ont été faites, et je n'écris dans le Journal des Dé- 
bats que si le mouveiP'^nt de notre monde musical m'y 
oblige absolument ^ 

Telle est mon aversion pour tout travail de cette na- 
ture. Je ne puis entendre annoncer une première repré- 
sentation à l'un de nos théâtres lyriques sans éprouver 
un malaise qui augmente jusqu'à ce que mon feuilleton 
soit terminé. 

1. On m*y donne cent francs par feuilleton, à peu près qua- 
tone cents francs par an. 



MB mtmoumB ja abctor Bauoag. 

GaUe tà6be toolovs feoMsanie ampoMeimei^lift^vie. 
SI eepttDdanly iBdéyendMniBnt ^dawasaources »|iécpiMsi- 
ne qa'iile me donae et éont je soe piii84Be pa986ry.fje me 
Tois.pnsqœ dans Timposaibilité de Ifabandonner, wub 
'peiae ^ rester désvrmé eatpcéMnee des haineflf f»rie«^ 
fli qpwesqiie iiiBemhvabies rqo'^le m'a soscitées. C9v4a 
grosse, sons an eerlain <ra|iperty est ^m psésiattse tqœ 
la lanee d'AchâHe; non^-sealement eHe guérit pai^foisles 
blassoMs qu'elle a laites, mais eneoie eUe «sert de kou- 
ifll«r.à eelai qui s'en sert. Pourtant à quels 'intséralilK 
iDénagenentsjie'SniSîe pas contraint 1... que detoifeoiÉo- 
t0ntie«s pour ériter l'expression de la véricé ! 'q«ie4de:ciaB- 
esessioBS faites aux relations sociales et H^me à rapinion 
'pnbléiqvo! «que 4e mge eontenne! que de honte bue! fît 
l'on mO'Mouvetnq^té, «ëehaat, méprisant! Bé! nalo- 
i/n» q«i me traitez ain^^ si je disais le^fend de «mi ^pn^ 
-9ée, <iBoas>ii^erriez que lolit d'orties «or lequel ^om p0é^ 
tendes ètve étendus i»ar •moi,-a'es^ qu'un 4lt âe teeesy^en 
«eemparalseii • du gti\ oà je tous râtiraiâ ! . . . 

Je^ddisau moins^me rmdfe la jtietioe^#e>dfi« «pBte ja- 
<«ais, pour quelque eonsldération quece^oit, ft ne m'est 
«ainfvé de refuser reiepreseion la plus lière>de'l%9llafô,'de 
l'admiration ou de ^'enthousiasme aux «œuvres et aux 
Sommes qui m'inspiraient l'un ou l'autre <de tsos' s^rti^ 
méats, l'ai loué a^ec chaleur des gens qui m'aipaient^ftiit 
i)eaueo»p ^ mal et «iree lesquels j^'avais cessé tante re- 
lation. La seule compensation même que mloffve^atpgnsae 
-fwiriaatée tourments, c-'est lapoftée qc^elle donne à 
-ttes^élans deoœur, vers^le^grand, le vrai et le beau, où 
i^uUls-^ tfoi;^ettt. il mo'^ralt doi!^ de louer>un «inemi 
iàB mérite ; C''est d'ailleui^-uu devoir d'honnête honne 
qu'on est fier de remplir; tandis que chaque-mot .mœ^. 
songer, écrit en faveur d'un ami sans talent, me cause 
édfi doiilaiurs. muifantes..Daafi les deux cas^ néanm^MBs, 
tous le.s critiques le savent, l'homme qui vous hait, lumca 



HÂM^tafigrim HECTOR BEmLI@2. 32$ 

du 0i6nt»7((tte v<Hlft^pMaiiite aocrnéifr-eif lifi^MïtlÂiït 

peu salisfàit ctesr ptoible» ék)|^ quniérai Ihi' auttoi^^ 

N'dublioiH^p{^4eBiftht|i]âVoi]i€Qmvao^eo0iÉr,' qMfid 
on a. comme moi le mattieun^éini attHOe* er c^i^ue'à 
ia »£ois9 l'oblf g^oB da â^'oèoiiper âtiim f â^n qttt^oiÂ^e 

rieiEi jl0s4àQbdlé»^«lel >BM(pemettts ctés-jge«s^ qui* <mr ott 
aurons. be^oiB'de'vettai. . Je iiiffltnuse*sDu;i«i$mi à^ivl^l^ 
tcaJifâii«soifttea^nt de>cept»iQôûnâi viât» ateUiMtn» un um 
nel de vingt lieues de long pour arriver à ce qu'ils^ap^ 
pellent un.&oH feuilleton,. sur un ouvrage qu'ils ent rin- 
t«[itioik4^£Mi«u «Bieiiïifeist'iiiaijlle DOBi8BG^leiii!s'3lîii)bi<i&tix 
coups da pioohe,.sii$e'7l'esii U^ pfllieiiic6i»wf iâ«f»é41^iti» 
dé)»&a^cnai to «^lAem «it'oomtimiMi^ lia^v«ûl8^ }««^1&« 
moment où le critique, impatienté de ce tfmai^dê*tfti!Ep<^ 
ocuFco^toiUÀé côttpiun» VQidâri8aii»fBi/noi«la n^iè èf^quêl- 
qiiefei^' le^D^MfoiiJ . 

Av^ iik'ausbetié^ igi9êi»G(ûsd psrrs^lisrB^uail^glt^ è^l'iip^ 
pséoiatioa^^^e me»«Biirm»f qa(^ébplDlOQ dei^ g0ki8*p]àeé»- 
eB^4eboF^ ' dâ l'inâi^onte^thi^ fentiiletoi^; Fliriinii"]è^> mm^ 
ci^w»)le&soula défit (le-. fRdnragè m&1]^t^MtftUbs'€fié'^ 
cata&ts d& l:OFeb0âire'«lt div ohceur, pur^q^e létitlefAt 
iiMS'^idael. de^ceasiià étantrraMmènt appela à mf^v \^^^ 

lui faire la conit; ; Am^nistsiiësïék^t qu^md sent ûtaé 
emmm^^t^iai^ tm tettp» doii^eap pem^fflunr^MqUi 
le&.i»çoivent. Latvioteiiiœf que je me*fe^8 pottr Aiuér isw^ 
Uifis omir'F4ges,» eil^tMil;* qne^ki i^é^é duinte^iu tMrvt»9^ 
mes^li^eBf eo^nine'* <]&wles efTotté ettttadi<ââiâ<re» ^ 
W^Qim .U^iirmHqom i'e^in suintera »mi«fm I0* fer de^^ 
riostraw»«i» 



324 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

humakèe^ a dit de bien excellentes choses sar la critique 
contemporaine; mais en relevant les erreurs et les torts 
de cenx qui l'exercent, il n'a pas assez fait ressortir, ce 
me semble, le mérite de cenx qui restent honorables, ni 
apprécier leurs secrètes douleurs. Dans son livre même 
intitulé: La Monographie de la Presse, malgré la collabo- 
ration de son ami Laurent-Jan (qui est aussi le mien et 
dont Tesprit est Tun des plus pénétrants que je connaisse) 
de Balzac n'a pas éclairé toutes les facettes de la question. 
Laurent-Jan a écrit dans plusieurs journaux, mais sans 
suite, en fantaisiste plutôt qu'en (Mritique, et pas 
plus que de Balzac, il n'a pu tout savoir, ni tout 
voir. 

Un jour M. Armand Bertin, qui se préoccupait de la 
gène dans laquelle je vivais, m'aborda avec ces mots qui 
me causèrent une joie d'autant plus grande qu'elle était 
plus inattendue: 

c Mon cher ami, votre position est faite maintenant. 
J'ai parlé de vous au ministre de l'intérieur et il a dé- 
cidé qu'on vous donnerait, en dépit de l'opposition de 
Cherubini, une place de professeur de composition au 
Conservatoire, avec quinze cents francs d'appointements 
et, de plus, une pension de quatre mille cinq cents francs 
sur les fonds de son ministère, destinés à l'encourage- 
ment des beaux-arts. Avec ces six mille francs par an, 
vous serez à Tabri de toute inquiétude et vous pourrez 
ainsi vous livrer librement à la composition. > 

Le lendemain soir, me trouvant dans les coulisses de 
rOpéra, M. XX. dont on connaît les dispositions pour 
moi et qui était encore alors chef de la division des 
beaux-arts au ministère, m'aperçut, vint à ma rencontre 
avec empressement et me répéta à peu près dans les mê- 
mes termes ce que m'avait dit M. Armand Bertin. Je le 
diar<;cMi de témoigner au ministre ma vive gratitude en 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 328 

lui offrant à lui-même mes remerclments. Cette pro- 
messe FAITE spontanément A UN HOMME QUI NE DEMAN- 
DAIT RIEN, NE FUT PAS MIEUX TENUE QUE TANT D'AUTRES 
ET A PARTIR DE CE MOMENT, IIi n'SN ▲ PLUS ÉTÉ QUES* 

nom 



XLVIll 



L'Esmeralda de mademoiselle Berlin. — Répétitions de mon 
opéra de Benvenuto CelUni. — Sa chine éclatante. — 
L*ouverture du Carnaval romain. — Habeneck. — Du- 
prez. — Ernest Legouvé. 



J'obtins ensuite pour tout bien, et malgré Cherubini 
toujours, la place de bibliothécaire du Conservatoire, que 
j'ai encore, et dont les appointements sont de cent dix-huit 
francs par mois. Mais, plus tard, pendant que j'étais en 
Angleterre, la répub'Iîque ayant été proclamée en France, 
plusieurs dignes patriotes à qui cette place convenait, 
•jugèrent à propos de la demander, en protestant qu'il ne 
fallait pas la laisser à un homme qui faisait comme moi 
de si longues absences. A mon retour de Londres, j'ap- 
pris donc que j'allais être destitué. Heureusement Victor 
Hugo, alors représentant du peuple, jouissait à la Cham- 
bre d'une certaine autorité, malgré son génie ; il inter- 
vint et me fit conserver ma modepte place. 

Ce fut à peu près vers le môme temps que celle de di 
recteur des Beaux-Arts fut occupée par M. Charles 
Blanc, honnête et savant ami des arts, frère du célèbre 
socialiste : en plusieurs occasions il me rendit service 
atec un chaleureux empressement. Je ne Toublierai 
pas. 



MMOIRES de HECTOR BERLIOZ. 327 

Voici lin eseoiple des hsûnes impitoyables tanjours 
éveillées autoar des hommes de lapresse politique ou lit- 
téraire ; h^ues dout ils sont sûrs éd ressentir 1^ atteiales 
dès qu'il leur arriva d'y donner prise môme indirdcte^ 
ment. 

Mademoiselle Louise Bertin, fille du directeur-fondateur 
du Journal des DébatSj et sœur do son rédacteur en chel 
cultiva à 4a fois les lettres et la musique avec un succès 
remarquable. Mademoiselle Bertin est l'une des têtes de 
femmes les plus fortes de notre temps. Son talent musi- 
cal, sel(m moi, est plutôt un talent de raisonnement qm^ 
de sentiment, mais il est réel cependant, et malg^rA une 
sorte d'indécision qn'on remarque en général dans le 
siryle de son opéra d'JEsmeralda et les formes de sa mélo- 
die quelquefois ua- peu enfantines, cet ouvrage, dont 
Victor Hugo a écrit le poëme, contient certes des par> 
ties fort belles et d'un grand intérêt. Mademoiselle Ber- 
tiii ne pouvant sui^vre ni diriger elle-même au théâtre les 
études de sa partition, son père me chargea de ce soin et 
m'indemnisa Urès-générensement du temps que je dus con- 
sacrer à cette tàohe. Les rôles principaux : Phœbus, 
FroUo^ Ësmeralda et Quasimodo, étaient remplis par 
Nourrit, Levasseur, mademoiselle Falcon et Massol, c'est- 
à-dire parce qu'il y avait de mieux alors en chanteurs- 
acteurs à rOpéra« 

Plusieurs morceaux, entre autres, le grand duo entre 
le Prêtre et la Bohémienne, au second acte, une romança, 
et l'air si caractéristique de Quasimodo, furent cou 
verts d'applaudissements à la répétition générale. JSféaUf- 
moins, cette œuvre d'une femme qui n'^ jamais écrit 
une ligne de critique sur qui que ce soit, qui n'a. Jamais 
attaqué ni mal loué personne, et dont le seul tort ^ait 
d'jH>partenir à la famille des directeurs d'un journal 
puissant, dont' un> certain public- détestait alors la ten^ 
daoce politiq^e» cette œuvce. politique, cette œuvre de 



328 M&MOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

beaucoup supérieure à tant de productions que nous 
voyons journellement réussir ou du moins être acceptées, 
tomba avec un fracas épouvantable. Des sifflets, des cris, 
des huées, dont on n'avait encore jamais vu d'exemple, 
l'accueillirent à l'Opéra. On fut même obligé à la seconde 
épreuve, de baisser la toile an milieu d'un acte et la re- 
présentation ne put en être terminée. 

L'air de Quasimodo, connu sous le nom d'air des elo^ 
che$9 fut néanmoins applaudi et redemandé par toute la 
salle, et comme on n'en pouvait ni anéantir ni contester 
l'effet, quelques auditeurs plus enragés que les autres 
contre la famille Bertin, s'écriaient sans vergogne : < Ce 
n'est pas de mademoiselle Bertin ! C'est de Berlioz !.. > et 
le bruit que j'avais écrit ce morceau de musique imita- 
tive de la partition à'Esmeralda fat activement propagé 
par ces gens-là. J'y suis pourtant complètement étran- 
ger, comme à tout le reste de la partition, et je jure sur 
l'honneur que je n'en ai pas écrit une note. Mais la fu- 
reur de la cabale était trop décidée à s'acharner contre 
l'auteur, pour ne pas tirer tout le parti possible du pré- 
texte offert par la part que j'avais prise aux études et 
à la mise en scène de l'ouvrage ; l'air des cloches me fat 
•décidément attribué. 

Je pus juger par là de ce que j'avais à attendre de mes 
ennemis personnels, de ceux que je m'étais faits directe- 
ment par mes critiques, réunis à ceux du Journal des 
Débats, quand je viendrais à mon tour, me présenter sur 
la scène de l'Opéra, dans cette salle où tant de lâches 
vengeances peuvent s'exercer impunément. 

Voici comment je fus amené à y faire à mon tour une 
chute éclatante. 

J'avais été vivement frappé de certains épisodes de la 
vie de Benvenuto Cellini; j'eus le malheur de croire 
qu'ils pouvaient offrir un sujet d'opéra dramatique et 
intéressant, et je priai Léon de Wailly et Auguste Bar- 






MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 32fi 

bier, le terrible poète des ïambes, de m*en faire un li- 
vret. 

Leur travail, à en croire même nos amis communs, ne 
contient pas les éléments nécessaires à ce qu'on nomme 
un drame bien fait. Il me plaisait néanmoins, et je ne 
vois pas encore aujourd'hui en quoi il est inférieur à 
tant d'autres qu'on représente journellement. Dupon- 
chel, dans ce temps-là, dirigeait l'Opéra ; il me regar- 
dait comme une espèce de fou dont la musique n'était 
et ne pouvait être qu'un tissu d'extravagances. Néan- 
moins pour être agréable au Journal des Débats, il consen- 
tit à entendre la lecture du livret de Benvenuto, et le re- 
çut en apparence avec plaisir. Il s'en allait ensuite par- 
tout disant, qu*il montait cet opéra, non à cause de la 
musique, qu'il savait bien devoir être absurde, mais à 
cause de la pièce, qu'il trouvait charmante. 

Il le fit mettre à l'étude en effet, et jamais je n'oublie- 
rai les tortures qu'on m'a fait endurer pendant les trois 
mois qu'on y a consacrés. La nonchalance, le dégoût 
évident que la plupart des acteurs, déjà persuadés d'une 
chute, apportaient aux répétitions ; la mauvaise humeur 
d'Habeneck, les sourdes rumeurs qui circulaient dans 
le théâtre ; les observations stupides de tout ce monde il- 
lettré, à propos de certaines expressions d'un livret si 
différent, par le style, de la plate et lâche prose rimée de 
l'école de Scribe ; tout me décelait une hostilité générale 
contre laquelle je ne pouvais rien, et que je dus feindre 
de ne pas apercevoir. 

Auguste Barbier avait bien, par ci par là, dans les 
récitatifs, laissé échapper des mots qui appartiennent 
évidemment au vocabulaire des injures et dont la cru- 
dité est inconciliable avec notre pruderie actuelle ; mais 
croirait-on que, dans un duo écrit par L. de Wailly, ces 
vers parurent grotesques à la plupart de nos chan- 
teurs : 



330 MÉMOIRES DB HECTOR BERLIOl. 

a Qutond je rcprh Vusage de mes sens 

» Les foUt hâtaient aux hianckeur» de Vmueotsêi 

o Lb8 00Q8 ckantaieni, «te., etc. » 

c Ob ! les coqs, disaient-ils, ah I ah ! les coqs ! poar- 
quoi pas les poules ! etc., etc. » 

Que répondre à de pareils idiots ? 

Uoand nous en vînmes aux répétitions d'orchestre, les 
musiciens, voyant Tair renfrog^né d'Habeneck, ^ tinrent 
à mon égard dans la plus froide réserve. Ils faisaient 
leur devoir cependant. Habeneck remplissait malle^ien. 
II ne put jamais parvenir à prendre la tIvb allure du 
saltarello dansé et chanté sur là place Colonne au milieu 
du second acte. Les danseurs ne pouvant s^aeconrmoder 
de son mouvement traînant, venaient se plamdjre à mot 
et je lui répétais : « Plus vite ! plus vite t animez donc !» 
Habeneck, irrité, frappait son pupitre et cassait cinquante 
archets. Enfin après l'avoir vu se livrer à quatre ou cinq 
accès de colère semblables, je finis par lui dire a;vee un 
sang-froid qui l'exaspéra : 

« — Mon Dieu, monsieur, vous casseriez cinqtiaHte ar- 
cfaets que cela n'empocherait pas votre mouvement d^ètre 
de moitié trop lent. Il s'agit d'un saUaréllo. » j 

Ce jour-là Habeneck s'arrêta, et se tournant "vers l'or- I 

cfaestre : 

« — Puisque je n'ai pas le bonheur de contenter ^ 

M. Berlioz, dit-il, nous en resterons Là pour aujourd'hui, 
1HM1S pouvez vous retirer. > ' 

Et la répétition finit ainsi *. 

Quelques années après, quand j'eus écrit l'ouverture 
du Carnaval romain, dont l'allégro a pour thème cenïôme 

l.Je ne pouvais conduire nu)i-méme les rëpéiitions de Cet- ! 

Uni. En France dans les théâtres, ïes atîteuré n'ont pa» àe droit | 

de diriger leurs propres ouvrages. 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 331 

sâltardlo qu'il n'a jamais pu faire marcher, Habeneck 
se trouvait dans le foyer de la salie de Horz le soir du 
roncert où d^'vait être entendue pour la première fois 
oelte ouveiUure. Il avait appris qu'à la répétition du ma- 
1», le service de la garde nationale m*ayant en\mé une 
pairfiede mes aiusiciens, nous avions répété sans instru- 
rïMffttsàvent. «Bo&! s'était-il dit, il va y avoir 0( soir 
i qttelquïe «catastrophe dans son concert, il fauft aller 
» vo^r ce^a ! » Sn «rrrvant à Torehestpe, en effet, taus les 
ftrtMstes chargés de la partie des instruments à vent 
M^ntourèrent effi>ayés à l'idée de jouer devant le pYy)l4e 
liée f^uverture- qui leur était entièrement inconnue. 

< ^ayez pas peur, leur âi&-je, les parties sont corree 
tés, vous êtes tous des gens de talent, regardez mon bâ 
tlin'le |Aus soirveat-i^^ble, comptes bien-vos pauses et 
eèla^marefaera. » 

H A-y oui pas une seule liMite. Je Tançai f allègre diins 
te mouv^Dient tourbillonnant des danseurs transté^- 
rkis ; le puMie eria bis ; nous pecemmençàmes Pouver-- 
t*re; elle fut eiioore«ieiiK rendue la seconde fois; etion 
rentrant aufoyer où se trouvart Habenedc un pei» dés- 
appointé^ f e hû jetai en passant ces quata^e-mots : « Voilà 
ee que-c'eel I «auxquels il n'eut gardte dé réponidoe. 

Je^n'ai jama^ senti plas vivement que dans 'celteooea* 
sion le bonheur de diriger moinanême Fesécutioa- de B)a 
musique; mon plaisir redoublait en songeant à ee que 
Habeâeek m'avait fait endurer. 

Pauvres cMôpositeurs ! Sachez vous eondmre, et vous 
bien conduire! (avec ou sans oalembour) carie plus dan 
gereux de vos interprètes, c'est le ebef d'orchestre, ne 
doubliez x>as. 

Je reviens à Benoenuto. 

«MIalgré la réserve' prudente que l'orchestre gardait à 
qnoB égard pour ne point contraster avec la sourd[e oppo-> 
siRen ifùeine ftiisaUson ehef, néanmotiis les musicient 



332 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

à 118806 des dernières répétitions ne se gênèrent pas poor 
looer plusieurs morceaux, et quelques-uns déclarèrent 
ma partition Tune des plus originales qu'il^eussent en- 
tendues. Cela revint aux oreilles de Duponchel, et je l'en- 
tendis dire un soir : « A-t-on jamais vu un pareil revi- 
rement d'opinion? Voilà qu'on trouve la musique de Ber- 
lioz charmante et que nos imbéciles de musiciens la po^ 
tent aux nuesl > Plusieurs d'entre eux néanmoins étaient 
fort loin de se montrer mes partisans. Ainsi on en surprit 
deux un soir qui, dans le finale du second acte, au lieu 
de jouer leur partie, jouaient l'air : J*ai du bon tabac. Ils 
espéraient par là faire la cour à leur chef. Je trouvais sur 
le théâtre le pendant à ces polissonneries. Dans ce même 
finale, où la scène doit être obscure et représente une 
cohue nocturne de masques sur la place Colonne, les dan- 
seurs s'amusaient à pincer les danseuses, joignant leurs 
cris à ceux qu'ils leuf arrachaient ainsi et aux voix des 
choristes dont ils troublaient l'exécution. Et quand dans 
mon indignation, pour mettre finà'un si insolent désordre, 
j'appelais le directeur, Duponchel était toujours introuva- 
ble; il ne daignait point assister aux répétitions. 

Bref, l'opéra fut joué. On fit à l'ouverture un succès 
exagéré, et l'on siffla tout le reste avec un ensemble et 
une énergie admirables. Il fut néanmoins joué trois fois, 
après quoi, Duprez ayant cru devoir abandonner le 
rôle de Benvenuto, l'ouvrage disparut de Tafiiche et n'y 
reparut que longtemps après; A. Dapond ayant employé 
cinq mois entiers à apprendre ce rôle qu'il était courroucé 
de n'avoir pas obtenu en premier lieu. 

Duprez était fort beau dans les scènes de violence, 
telles que le milieu du sextuor quand il menace de bri- 
ser sa statue; mais déjà sa voix ne se prêtait plus aux 
chants doux, aux sons filés, à la musique rêveuse ou 
calme. Ainsi dans son air, Sur les monts les plus sauvages, 
il ne pouvait soutenir le sol haut à la fin de la phrase: 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 333 

Je chanterais gaîment, et, âa liea de la longue tenue de 
trois mesures que j'ai écrite, il ne faisait qu'un sol bref 
et détruisait ainsi tout l'effet. Madame Gras-Dorus et ma- 
dame Stoltz furent Tune et l'autre charmantes dans les 
rôles de Térésa et d'Ascanio qu'elles apprirent avec beau- 
coup de bonne grâce et tous leurs soins. Madame StoUz 
fut môme si remarquée dans son rondo du second acte: 
Mais qu'ai' je donc? qu'on peut considérer ce rôle comme 
son point de départ vers la position exorbitante qu'elle 
acquit ensuite à l'Opéra et du haut de laquelle on l'a si 
brusquement précipitée. 

Il y a quatorze ans ^ que j'ai été ainsi traîné sur la 
claie à l'Opéra; je viens de relire avec soin et la plus 
froide impartialité ma pauvre partition, et je ne puis 
m'empècher d'y rencontrer une variété d'idées, une verye 
impétueuse, et un éclat de coloris musical que je ne retrou- 
verai peut-être jamais et qui méritaient un meilleur sort. 

J'avais mis assez longtemps à écrire la musique de Ben- 
venutOf et, sans un ami qui me vint en aide, n'eussé-je 
pas pu la terminer pour l'époque désignée. Il faut être 
libre de tout autre travail pour écrire un opéra, c'est-à- 
dire il faut avoir son existence assurée pendant plus ou 
moins longtemps. Or, j'étais fort loin d'être alors dans ce 
cas-là; je ne vivais qu'au jour le jour des articles que 
j'écrivais dans plusieurs journaux et dont la rédaction 
m'occupait exclusivement. J'essayai bien de consacrer 
deux mois à ma partition dans le premier accès de la fiè- 
vre qu'elle me donna; l'impitoyable nécessité vint bientôt 

1. Il ne faut pas oublier que ceci fut écrit en 1850. Depuis 
lors l'opéra de Benvenuto CelUni^ un peu modifié dans le 
poëme, a été mis en scène avec succès à Weimar, oii il est 
souvent représenté sous la direction de Liszt. La partition de 
piano et chant a en outre été publiée avec texte allemand et 
français chez Mayer, à Brunswick, en 1858. 

EUe a même été publiée à Paris, chdz Choudens, en 1866. 



22i MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

m*arracher de ht main la plmne du comfNisileiir pour y 
mettre de vive force ce!le du critique. Ce fat an erè?e- 
oomr indescriptible. Mais il n'y arait pas à hésiter, j'avais 
une femme et un fils, pouyais-ie4es laisser manquer du 
nécessaire? Dans le profond abattement eu jVtais ploD<rô, 
tiraillé d'un côté par le besoin et de l'autre par les idées 
musicales que j'étais obligé de repousser, je n'afvais même 
(rtns le courage de remplir comme à rordinaire ma tâche 
détestée d'écrivailleur. 

J'étais plongé dans les plus sombres préoccupations 
quand Ernest Legouvé vint me voir. « Où en est votre 
opéra, me demanda-t-il? — le n*ai pas encore fini le 
premier acte. Je ne puis trouver le temps d'y travailler. — 
Hais si vous aviez ce temps. . .— Parbleu, alors j'écriraisdu 
matin au soir— Que vous faudrait-il pour être libre? — Deux 
mille francs que je n'ai pas.— El si quelqu'un... Sion vous 
les... Voyons, aidez-moi donc. — Quoi ? Que voulez-vous 
dire?... — Eh bien, si un de vos amis vous les prêtait... 
— > A quel ami pourrais-je demander une pareille somme? 
— Vous ne la demanderez pas, c'est moi qui vous l'of- 
It'e!... » Je laisse à penser ma joie. Legouvé me prêta 
en effet, Te lendemain, les deux mille francs, gràoe aux- 
quels je pus terminer Benvenuio. Excellent cœur! Digne 
et charmant homme ! écrivain distingué, artiste loinnême, 
il avait deviné mon supplice, et dans son exquise délicar 
tesse, il craignait de me blesser en me proposant les 
moyens de le faire cesser I... Il n'y a guère que les artis- 
tes qui se comprennent ainsi... Et j'ai eu le bonheur d^en 
rencontrer plusieurs qui me sont venus en aide de la môme 
façon. 



XLIX 



Concert du 16 décembre 1938. — Paganini, sa lettre, «ron 
présent. — Élan religieux de ma'femme. — Fureurs, joier 
et caloHrnies. — Ma visite & Pa^aini. — Seniàépart.— J'é- 
cris Moméo et JuUeUe. — Oritiques ausqueiles eette osuvr*" 
dojuie iieu. 



Paganini était de retour de son voyage ea ^ardaigne; 
quand Benvenuto fut égorgé à l'Opéra. Il assista à 
cette horrible représentation d'où il sortit navré, et après 
laquelle il osa dire: « Si j'étais directeur de l'Opéra, j'en- 
gagerais aujourd'hui même ce jeune homme à m'écrire 
trois autres partitions, je lui en donnerais le prix d'à*- 
vance et je ferais un marché d'or. » 

La chute de celle-ci, et plus encore les fureurs que 
j'avais éprouvées et contenues pendant ses interminables 
répétitions, m'avaient donné une inflammation des bron- 
ches. Je fus réduit à garder le lit et à ne plus rien faire. 
Mais il fallait vivre pourtant moi et tes mie^is. Résolu à 
un effort indispensable, je donnai deux concerts dans la 
^aile du Conservatoire^ Le premier couvrit à peine ses 
frais. Pour forcer la recette du second, j'annonçai dans 
lé programme mes deux symphonies, la FantasHqm et 
ïïarold. Malgré le mauvais état dans lequel mon obstinée 



336 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

bronchite m'avait mis, je me sentis encore la force de dî- 
riger ce concert qui eut lieu le 16 décembre 1838. 

Paganlni y assista, et voici le récit de Taventure cé- 
lèbre sur laquelle tant d'opinions contradictoires ont été 
émises, tant de méchants contes faits et répandus. J'ai dit 
comment Paganini, avant de quitter Paris, fut l'instiga- 
teur de la composition ô*Harold, Cette symphonie, exé- 
cutée plusieurs fois en son absence, n'avait point figuré 
dans mes concerts depuis son retour, en conséquence, il 
ne la connaissait pas et il l'entendit ce jour-là p'Mir la 
première fois. 

Le concert venait de finir, j'étais exténué, couvert de 
sueur et tout tremblant, quand, à la porte de l'orchestre, 
Paganlni, suivi de son fils Achille, s'approcha de moi en 
gesticulant vivement. Par suite de la maladie du larynx 
dont il est mort, il avait alors déjà entièrement perdu la 
voix, et son fils seul, lorsqu'il ne se trouvait pas dans un 
lieu parfaitement silencieux, pouvait entendre ou plutôt 
deviner ses paroles. Il fit un signe à l'enfant qui, mon- 
tant sur une chaise, approcha son oreille de la bouche de 
son père et l'écouta attentivement. Puis Achille redes- 
cendant et se tournant vers moi : « Mon père, dit-il, m'or- 
donne de vous assurer, monsieur, que de sa vie il n'a 
éprouvé dans un concert une impression pareille; que 
votre musique l'a bouleversé et que s'il ne se retenait pas 
il se mettrait à vos genoux pour vous remercier. » A ces 
mots étranges, je fis un geste d'incrédulité et de confusion ; 
mais Paganini me saisissant le bras et râlant avecson reste 
de voix des oui ! oui! m'entraîna sur le théâtre où se trou- 
vaient encore beaucoup de mes musiciens, se mit à ge- 
noux et me baisa la main. Besoin n'est pas, je pense, de 
dire de quel étourdissement je fus pris ; je cite le fait, 
voilà tout. 

En sortant, dans cet état d'incandescence, par un 
froid très-vif, je rencontrai M. Armand Bertîn sur le 



. J 



MEMOIRES DE UEGTOR BERLIOZ. 337 

bonlevard; je restai quelque temps à lui raconter la 
çcène qui venait d'avoir lieu, le froid me saisit, je ren- 
trai et me remis au lit plus malade qu'auparavant. Le 
lendemain j'étais seul dans ma chambre, quand j'y vis 
entrer le petit Achille. « Mon père sera bien fâché, me 
dit-il, d'apprendre que vous êtes encore malade, et s'il 
n'était pas lui-môme si souffrant, il fût venu vous voir. 
Voilà une lettre qu'il m'a chargé de vous apporter. » 
Comme je faisais le geste de la décacheter, l'enfant m'ar- 
rètant : « Il n'y a pas de réponse, mon père m'a dit que 
vous liriez cela quand vous seriez seul. » Et il sortit brus- 
quement. 

Je supposai qu'il s'agissait d'une lettre de félicitations 
et de compliments, je l'ouvris et je lus : 

Mio caro amico, 

Beethoven spento non c^era che Berlioz che potesse 
farlo rivivere; edio che ho gustato le vostre divine corn- 
posizioni degne dungenio qualsiete, credo miodovere 
di pregarvi a voler acceltare^ in segno del mio omaggio^ 
ventimila franchi, i quali vi saranno rimessi dal si- 
gner baron de Rothschild dopo che gli avrete presentato 
Vaeclusa, Credete mi sempre, 

il vostro affezionatissimo amico, 

NlCOLO Paganimi. 

Parigi, 18 dicembre 1838. 

Je sais assez d'italien pour comprendre une pareille 
lettre, pourtant l'inattendu de son contenu me causa une 
telle surprise que mes idées se brouillèrent et que le sens 
m'en échappa complètement. Mais un billet adressé à 
M. de Rothschild y était enfermé, et sans penser commettre 
une indiscrétion, je l'ouvris précipitamment. Il y avait 
ce peu de mots français : 



398 MtmontEf; db hcctor berlioz. 

Mofuieur le baron. 

Je «Ott« prie de vouloir bien remettre à M. Berlioz 
tdê vingt mille fhmee que fat déposée ekez vous hier, 

HeceteXy etc. 

VkùASfVil. 

Alors seulemBUt la lumière s© Ht, et il partît que je de- 
vins fort pâle, car ma femme entrant en ce moment et me 
trouvant avec une lettre à la main et leTisage défail» s'é- 
cria : « Allons! qti*y a-Ml encore? qtiel(iue^ nouveau mal- 
heur ? Il faut du courage ! Nous en avons supporté d'autres î 

— Non, non, au contraire! — Quoi donc? — Paganini... 

— Eh bien? — H m'envoie... vingtmille francs!... — 
Louis ! Louis ! s'écrie Henriette éperdue courant chercher 
mon fils qui jouait dans le salon voisin, corne hère, came 
withyour niother, viens remercier ]a Iwm Diûu .dô.fe 
qu'il fait pour ton père ! > £t ma femme et mon fils accou- 
rant ensemble, tombent prosternés auprès de mon lit, la 
mère priant, l'enfant étonné joignant à côté d'elle ses pe- 
tites mains... Paganini! II quelle scène!... que n'art-il 
pu la voir! 

Mon premier mouvement, on le pense bien, fut de lui 
répondre, puisqu'il m'était impossible de sortir. Ma lettre 
m'a toujours paru si insufilsante, si au-dessous de ce 
que je ressentais, que je n'ose la reproduire ici. Il y a des 
situations et des sentiments qui écrasent... 

Bientôt le bruit de la noble action de Paganini s'étant 
répandu dans Paris, mon appartement devint le rendez- 
vous d'une foule d'artistes qui se succédèrent pendant 
deux jours, avides de voir la fameuse lettre et d'obtenir 
par moi des détails sur une circonstance aussi extraordi- 
naire. Tous me félicitaient; l'un d'eux manifesta un certain 
dépit jaloux, non contre moi, mais contre Paganini. « Je 
ne suis pas riche, dit-il, sans quoi j'en eusse bien fait 



M'ÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 339 

autant. * Celui-là, il est vrai, est un yiolontste. C'est le 
seul exemple que je connaisse d'un mouvement d'envie 
honorable. Puis vinrent au dehors les commentaires, les 
dénégations, les fureurs de mes ennemis, leurs men- 
songes, les transports de joie, le triomphe de mes amis, la 
lettre que m'écrivit Janin, son magnifique et éloquent 
article dans le Journal des Débats, les injures dont m'ho- 
norèrent quelques misérables, les insinuations calom- 
nieuses contre Paganini, le déchaînement et le choc de 
vingt passions bonnes et mauvaises. 

Au milieu de telles agitations et le cœur gonflé de 
tant d'impétueux sentiments, je frémissais d'impatience 
de ne pouvoir quitter mon lit. Enfhi, au bout du 3ilième 
jour, me . sentant lïn peu mieux, je n'y pus tenir, je 
m'habillai et courus aux Néothermes, rue de la Victoire, 
où demeurait alors Paganini. On me dit qu^ilse promenait 
seul dans la salle de billard. J'entre, nous nous embras- 
sons sans pouvoir dire un mot. Après quelques minutes, 
comme je balbutiais je ne sais quelles expressions de 
reconnaissance, Paganini, dont le silence de la salle où 
nous étions me permettait d'entendre les paroles, m'arrêta 
par celles-ci : 

« — Ne me parlez plus de cela! Non! N'ajoutez rien, 
c'est la plus profonde satisfaction que j'aie éprouvée 
dans ma vie ; jamais vous ne saurez de quelles émotions 
votre musique m'a agité ; depuis tant d'années je n'avais 
rien ressenti de pareil !... Ah! maintenant, ajoula-t-il, 
en, donnant un violent coup de poing sur le billard, tous 
les gens qui cabalent contre vous n'oseront plus rien 
dire ; car ils savent que je m'y connais et que je ne suis 
pas aisé ! » 

Qu'entendait-il par ces mots? a-t-il voulu dire :<l Jene 
mis pas aisé à émouvoir par la musique; » ou bien: 
« Je ne donne pas aisément mon argent ; » ou : « •/« ne 
suis pas riche f ^ 



340 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

L'accent sardonique ayec leqael il jeta sa phrase rend 
inacceptable, selon moi, cette dernière interprétation. 

Quoi qu'il en soit, le grand artiste se trompait ; son 
autorité, si immense qu'elle fût, ne pouvait suffire à 
imposer silence aux sots et aux méchants. 11 ne connais- 
sait pas bien la racaille parisienne, et elle n'en aboya 
que davantage sur ma trace bientôt après. Un naturaliste 
a dit que certains chiens étaient des aspirants à l'état 
d'homme, je crois qu'il y a un bien plus grand nombre 
d'hommes qui sont des aspirants à Fétat de chien. 

Mes dettes payées, me voyant encore possesseur d'une 
fort belle somme, je ne songeai qu'à l'employer musica- 
lement. Il faut, me dis-je, que tout autre travail cessant» 
j'écrive une maîtresse<BUvre, sur un plan neuf et vaste, 
une œuvre grandiose, passionnée, pleine aussi de fan- 
taisie, digne enfin d'être dédiée à l'artiste illustre à qui 
je dois tant. Pendant que je ruminais ce projet, Paganini, 
dont la santé empirait à Paris, se vit contraint de re- 
partir pour Marseille, et de là pour Nice, d'où, hélas, il 
n'est plus revenu. Je lui soumis par lettres divers sujets 
pour la grande composition que je méditais, et dont je 
lui avais parlé. 

< Je n*aif me répondit-il, aucun conseil à vous donner là- 
dessitSi vous savez mieux que personne ce qui peut vous 
convenir. > 

Enfin, après une assez longue indécision, je m'arrêtai 
à l'idée d'une symphonie avec chœurs, solos de chant et 
récitatif choral, dont le drame de Shakespeare, Roméo et 
JulieUe, serait le sujet sublime et toujours nouveau. J'é- 
crivis en prose tout le texte destiné au chant entre les 
morceaux de musique instrumentale ; Emile Deschamps, 
avec sa charmante obligeance ordinaire et sa facilité 
extraordinaire, le mit en vers, et je commençai. 

Ah ! cette fois, plus de feuilletons, ou, du moins pres- 
que plus ; j'avais de l'argent, Paganini me Tavait donné 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 341 

poar faire de la musique, et j'en fis. Je trayafllai pen- 
dant sept mois à ma symphonie, sans m'interrompre plus 
de irois ou quatre jours sur trente pour quoi que ce 
fût. 

De quelle ardente vie je vécus pendant tout ce temps ! 
Avec quelle vigueur je nageai sur cette grande mer de 
poésie, caressé par la folle brise de la fantaisie, sous les 
chaux rayons de ce soleil d'^our qu'alluma Shakes- 
peare, et me croyant la force d'arriver à l'île merveil- 
leuse où s'élève le temple de l'art pur I 

Il ne m'appartient pas de décider si j'y suis parvenu. 
Telle qu'elle était alors, cette partition fut exécutée trois 
fois de suite sous ma direction au Conservatoire et trois 
fois elle parut avoir un grand succès. Je sentis pourtant 
aussitôt que j'aurais beaucoup à y retoucher, et je me mis 
à l'étudier sérieusement sous toutes ses faces. A mon vif re- 
gret Paganini ne l'a jamais entendue ni lue. J'espérais tou- 
jours le voir revenir à Paris, j'attendais d'ailleurs que la 
symphonie fût entièrement parachevée et imprimée pour 
la lui envoyer ; et sur ces entrefaites, il mourut à Nice, 
en me laissant, avec tant d'autres poignants chagrins, 
celui d'ignorer s'il eût jugé digne de lai l'œuvre entre- 
prise avant tout pour lui plaire, et dans l'intention de 
justifier à ses propres yeux ce qu'il avait fait pour l'au- 
teur. Lui aussi parut regretter beaucoup de ne pas con- 
naître Eoméo et Juliette, et il me le dit dans sa lettre de 
Nice du 7 janvier 1840, où se trouvait cette phrase: 
c Maintenant tout est fait, Fenvie ne peut plus que se 
taire. > Pauvre cher grand ami ! il n'a jamais lu, heureu- 
sement, les horribles stupidités écrites à Paris dans plu- 
sieurs journaux sur le plan de l'ouvrage, sur l'introduc- 
tion, sur l'adagio, sur la fée Mab, sur le récit du père 
Laurence. L'un me reprochait comme une extravagance 
d'avoir tenté celte nouvelle forme de symphonie, l'autre 
ne trouvait dans le scherzo de la fée Mab qu'un petit bruit 



342 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

grotesque semblable à celui des seringues mal graissées. 
Un troisième en parlant de la scène d'amour, de l'ada- 
gio, du morceau que les trois quarts des musiciens de 
FEurope qui le connaissent mettent maintenant au-dœ- 
sus de tout ce que j'ai écrit, assurait que je n'avais pas 
c<mpris Shakespeare ! ! ! Crapaud gonflé de sottise ! quand 
tu me prouveras cela... 

Jamais critiques plus inattendues ne m'ont plus cruel- 
lement blessé 1 ety selon l'usage, aucun des aristarqnes 
qui ont écrit pour ou contre cet ouvrage, ne m'a indi- 
qué un seul de se» défauts, que j'ai corrigés plus tard 
successivement quand f ai pu les reconnaître. 

ir. Frankoski (le secrétaire d'Emst) m'ayant signalé à 
Tienne la mauvaise et trop brusquée terminaison du 
scherzo de la fée Mab, j'écrivis pour ce morceau la coda 
qui existe maintenant et détruisis la première. 

D'après l'avis de M. dDrtigue, je crois, une impor- 
tante coupure fut pratiquée dans le récit du père Lau- 
rence, refroidi par des longueurs où le trop grand nom- 
bre de vers fournis par le poète m'avaient entraîné. Tou- 
tes les autres modifications, additions, suppressions, je 
les ai faites de mon propre mouvement, à force d'étu- 
dier l'effet de l'ensemble et des détails de l'ouvrage, en 
Pentendant à Paris^, à Berlin, à Vienne, à Prague. Si je 
n!ai pas trouvé d'autres taches à y efFaeer, j'ai mis au 
moins toute la bonne foi possible à les chercher et ce que 
fe possède de sagacité à les découvrir. 

Après cela que peut un auteur, sinon s'avouer fran- 
cJhpment qu'il ne saurait faire mieux, et se résigner aux 
imperfections de son œuvre? Quand j'en arrivai là, mais 
seulement alors, la symphonie.de Romëo et Juliette fut 
publiée. 

pile présente des difficultés immenses d'exécution, dîf- 
RcuUés de toute espèce, inhérentes à la (orme et au 
style, et qu'on ne peut vaincre qu'au moyen de longUBS 



MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 343 

études faites patiemment etparfaitement dirigées. Il faut, 
pour la bien rendre, des artistes du premier ordre, *;hef 
d'orchestre, instrumentistes et chanteurs, et décidés à l'é- 
tudier comme on étudie dans les bons théâtres lyriques 
un opéra nouveau, c'est-à-dire à peu près comme si on 
devait Texécuter par cœur. 

On ne l'entendra en conséquence jamais à Londres, où 
Ton ne peut obtenir les répétitions nécessaires. Les mu- 
siciens, dans ce pays-là, n'ont pas le temps de faire de 
la musique '. 

1. Depuis que ceci a été écrit, les quatre premières parties 
de Roméo et Juliette ont pourtant été entendues à Londres 
sour ma direction ; et jamais plus brillant accueil ne leur fat 
fait nulle part par le public. 



H. de Rémusat me commande la Symphonie funèbre et 
triomphale. — Son exécution.— Sa popularité à Paris. — 
Mot d'Habeneck. — Adjectif inventé pour cet ouvrage par 
Spoutini. — Son erreur à propos du Requiem, 



En 1840, le mois de juillet approchant, le gouverne- 
ment français voulut célébrer par de pompeuses céré- 
monies le dixième anniversaire de la révolution de 1830, 
et la translation des victimes plus ou moins héroïques 
des trois journées, dans le monument qui venait de leur 
être élevé sur la place de la Bastille. M. de Rémusat, 
alors ministre de Tintérieur, est par le plus grand des 
hasards, ainsi que M. de Gasparin, un ami de la mu- 
sique. L'idée lui vint de me faire écrire, pour la céré- 
monie de la translation des morts, une symphonie dont 
la forme et les moyens d'exécution étaient entièrement 
laissés à mon shoix. On m'assurait pour ce travail la 
somme de dix mille francs, sur laquelle je devais payer 
les frais de copie et les exécutants. 

Je crus que le plan le plus simple, pour une œuvre 
pareille, serait le meilleur, et qu'une masse d'instru- 
ments à vent était seule convenable pour une symphonie 
destinée à être (la première fois au moins) entendue en 



HÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 345 

plein air. Je voulus rappeler d'abord les combats des 
trois journées fameuses, au milieu des accents de deuil 
d'une marche à la fois terrible et désolée, qu'on exécute- 
rait pendant le trajet du cortège ; faire entendre une 
sorte d*oraison funèbre ou d'adieu adressée aux morts 
illustres, au moment de la descente des corps dans le 
tombeau monumental, et enfm chanter un hymne de 
gloire, l'apothéose, quand, la pierre funèbre scellée, le 
peuple n'aurait plus devant ses yeux que la haute colonne 
surmontée de la liberté aux ailes étendues et s'élançant 
vers le ciel, comme l'âme de ceux qui moururent pour 
elle: 

J'avais à peu près terminé la marche funèbre, quand 
le bruit se répandit que les cérémonies du mois de juillet 
n'auraient pas lieu. < Bon! me dis-je, voici la contre- 
partie de l'histoire du Requiem! N'allons pas plus loin; 
je connais mon monde. > Et je m'arrêtai court. Mais peu 
de jours après, en flânant dans Paris, je me trouvai sur 
le passage du ministre de l'intérieur. M. de Rémusat 
m'apercevant fit arrêter sa voiture et, sur un signe qu'il 
m'adressa, je m'approchai. Il voulait savoir où j'en étais 
de la symphonie. Je lui dis tout crûment le motif qui 
m'avait fait suspendre mon travail, en ajoutant que je 
me souvenais des tourments que m'avait causés la céré- 
monie du maréchal Damrémont et le Requiem. 

€ — Mais le bruit qui vous a alarmé est complètement 
faux, me dit-il, rien n'est changé ; l'inauguration de la 
colonne de la Bastille, la translation des morts de juillet, 
tout aura lieu, et je compte sur vous. Achevez votre ou- 
vrage au plus vite. » I 

Malgré ma méfiance trop bien motivée, cette assertion 
de M. de Rémusat dissipa mes inquiétudes, et je me j 

remis à l'œuvre sur-le-champ. La marche et l'oraison I 

funèbre terminées, le thème de l'apothéose trouvé, je fus j 

arrêté assez longtemps par la fanfare que je voulais faire * 



346 Mti»OIftSS B« HCCTiOll WftLLM. 

B^élever pea à pea des ppolèttdeai» de TcMichattre' 
qa'à la nofe aignë par laquelle édale le cha&i de l^a- 
polhéose. J'en écrivis je ne sais cainlHen qui toutes me 
déplurent ; c'était ou YolgaÀre, ou trop étroit de fonms 
ou trop peu solennel, ou trop p«i soniMre» ou mal gnadué. 
Je rôyais une sonnerie archaagéUque, simple mais noilie, 
empanachée, armée, se levant radieuse, trion^hame, 
retentissante, immense^ annonçant à la terre et au- oiel 
l'ouverture des' portes de l'Empyrée. Je m'arrêtai ente, 
non sans craince, à celle que Ton connaît ; et le reste fat 
bientôt écrit. Plus tard, et après mies cociections et*, re- 
maniements ordinaires, j'ajoutai à cette symphonie un 
orchestre d'instruments k cordes et un cheaur qui,, sans 
être obligés, en augmentent néanmoins énenuéaieat 
l'effet. 

J'engageai* pour la cérémonie une bande militaire ée 
deux cents hommes, qu'Habeneck cette fois eneoise 
aurait bien voulu conduire, mais dont je me réservai 
prudemment la direction. Je n'avais pas oublié le toior 
de la tabatière. 

J'eus fort heuseutsement l'idée d'inviier an nombuew 
auditoire à la répétition générale de la euphonie, ou 
le jour de la cérémonie on n'eût pu la juger. Malgré l9 
puissance d'un pareil orchestre d'instruments à vem, 
pendant la marche du cortège on nous entendait peui0f 
mal. A l'exception de ce qui fut exécuté quand nous 
longeâmes le boulevard Poissonnière dont les graads 
arbres, encore existants alors, servaient de réflecteurs^ a» 
son, tout le reste fut perdu^ 

Sur la vaste place de la Bastille ce fut pis encore ; à^dii 
pas on ne distinguait presquie rien. 

Pour m'achever, les légions de la garde natitofrfô, 
impatientées de rester à la fin de la cérémonie l'armée 
au bra», sous un soleil brûlant, commeneèrent leur défilé 
au bruit d'une cinauantaine de tambours, oui continué- 



/ 



MiÉ^OlRKS DE H&GXaR RËBLIOZ. 347 

rent à battre brutalement pendant toute l'exécution de 
l'apotbéose, dont en conséquence il ne surnagea pas 
une note. La musique est toujours ainsi respectée en 
Fraiice, dans les fêtes ou réjouissances publiques, où 
l'on croit devoir la faire figurer... pour Toeil. 

Mais je le sauvais, et la répétition générale, dans la salîé 
Vivienne, fut ma véritable exécution. Elle produisit un 
effet tel, que l'entrepreneur des concerts institués dans 
cette salle m'engagea pour quatre soirées, où la nouvelle 
symphonie figura en première ligne, et qui rapportèrent 
beaucoup d'argent. 

En sortant dune de ces exécutions, Habenepk, avec qui 
j'étais robroaillé je ne sais plus pourquoi, dit; « Décidé- 
ment ce b..i'.. là a de grandes idées. » Huit jours après 
probablement il disait le contraire. Cette fols je n'eus 
point maille à partir avec le ministère. M. de lilémusal se 
conduisit en gentleman ; les dix mille francs me furent 
promplement remis. Le compte de l'orchestre et du co- 
piste soldé, il me resta deux mille huit cents francs. C'est 
peu, mais le ministre était content,et le public me prouvait 
à chacune des exécutions de ma nouvelle œuvre, qu'elle 
avait le don de lui plaire plus que toutes ses aînées et de 
l'exaltermôme jusqu'à l'extravagance. Un soir, dans la 
salle Vivienne, après l'apothéose, quelques jeunes gens 
s'avisèrent de prendre les chaises et de les briser contre terre 
en poussant des cris. Le propriétaire donna immédiate- 
ment ses ordres pour qu'aux soirées suivantes on eût à 
empêcher la propagation de cette nouvelle manière d'ap- 
plaudir. 

Au sujet de celte symphonie exécutée longtemps après 
dans la salle du Conservatoire avec les deux orchestres, 
mais sans le chœur, Spontini m'écrivit une longue et cu- 
rieuse lettre, que j'ai eu la sottise de donner à un collec- 
tionneur d'autographes, et dont je regrette de ne pouvoir 
ici produire une copie. Je sais seulement qu'elle com- 



3i8 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

mençait ainsi : c Encore ious TimpreseUm de votre ébran^ 
lanU mueiquey etc., etc. > 

C'est la seale fois, malgré son amitié pour moi, qu'il 
ait accordé des éloges à mes compositions. Il venait tou- 
jours les entendre sans m'en parler jamais. Mais non, 
cela lui arriva encore après une grande exécution de mon 
Bequiem dans l'église de Saint-Eustache. U me dit ce 
jour-là: 

c — Vous avez tort de blâmer l'envoi à Rome des lau- 
réats de llnstitut: vous n'eussiez pas conçu un tel 
Bequiem $Biis le /ugenMvi^ dentt^ de Michel-Ange. » 

Ce en quoi il se trompait étrangement, car cette fres- 
que célèbre de la chapelle Sixtine n'a produit sur moi 
qu'un désappointement complet. J'y vois une scène de 
tortures infernales, mais point du tout l'assemblée su- 
prême de l^umanité. Au reste, je ne me connais point 
en peinture et Je suis peu sensible aux beautés de con- 
ventioii. 



LI 



Voyage et concerts à Bruxelles. — Quelques mots sur les ora- 
ges de mon intérieur. — Les Belges. — Zaani de Ferranti. 
-- Fétis. — Erreur grave de ce dernier. — Festival orga- 
nisé et dirigé par moi à TOpéra de Paris. — Cabale des 
amis d'Habeneck déjouée. — Esclandre dans la loge de 
M. de Girardin. — Moyen de faire fortune. — Je pars pour 
TAllemagne. 



Ce fut vers la fin de cette année (1840) que je fis ma 
première excursion musicale hors de France, c'est-à-dire 
que je commençai à donner des concerts à Tétranger. 
M. Snel, de Bruxelles, m'ayant invité à venir faire en- 
tendre quelques-uns de mes ouvrages dans la salle de la 
Grande harmonie^ où se tiennent les séances de la société 
musicale de ce nom, dont il était le directeur, je me dé- 
cidât! à tenter l'aventure. 

Mais il fallait, pour y parvenir, faire dans mon inté- 
rieur un véritable coup d'État. Sous un prétexte ou sous 
un autre, ma femme s'était toujours montrée contraire à 
mes projets de voyages, et si je l'eusse crue, je n'aurais 
point encore, à l'heure qu'il est, quitté Paris. Une jalousie 
folle et à laquelle, pendant longtemps, je n'avais donné 
aucun sujet, était au fond le motif de son opposition. Je 
dus donc, pour réaliser mon projet, le tenir secret, faire 
I. 20 



350 HÉHOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

adroitement sortir de la maison mes paquets de masiqne, 
une malle, et partir brusquement en laissant une lettre 
qui expliquait ma disparition. Mais je ne partis passent, 
j'avais une compagne de voyage qui, depuis lors, m'a 
suivi dans mes diverses excursions. A force d'avoir été 
accusé, torturé de mille façons, et toujours injustement, 
ne trouvant plus de paix ni de repos chez moi, un ha- 
sard aidant, je finis par prendre les bénéfices d'une po- 
sition dont je n'avais que les charges, et ma vie fut com- 
plètement changée. 

Bnfin, pour eoapM'eoart aurécii de cette partie dft mon 
existence et ne pas entrer dsas de bien tristes âétoilft,>. 
dirai seulement qu'à partir de ce j«H- et a^rès des dé- 
chirements aussi longs que douloureux, une séparatiotià 
Tamiable eut lieu entre ma femme et moi. Je la vois sou- 
vent, mon affection pour elle n'a été en rien altérée et )» 
triste état de sa santé ne me la rend que plus chère. 

Ce que je 4is là doit suffi^e à expliquer ma conduite 
postérieure à cette époque, aux personnes qui ne m'ont 
connu que depaislors; je n'ajouterai rien, car, j€ ier^ 
pète, je n'écris pas des confessions. 

Je donnai deux concerts à Bruxelles ; l'un <ta» ta adl» 
de la Grande Harmonie, l'autre dans l'Oise des Augm- 
tins (église depuis longtemps enlevée au culte catholique). 
L'une et l'autre de ces salles sont d*u«e sonorité exces- 
sive et telle que tout morceau de musique un pen TnisBÊé 
et instrumenté énergiquement y devient nécessaireAent 
confus. Les morceaux doux et lents, dans la sallê^ Aela 
Grande Harmonie surtout, sont les seuls dont lescontoor» 
ne sont point altérés par la résonnance du local 0t'doDl< 
l'effet reste ee qu'il doit être. 

Les opinions sur ma musique furent au moms aus» 
divergentes à Bruxelles qu'à Paris. Une discussion asses 
curieuse s'éleva, m'a-t-on dit, entre M. Fétis qui m'était 
toujours hostile, et un autre critriuc, M. Zani deF^rranti 



«SMOIÎl'ES DE HECTOR BE^RLÏOZ. 351 

»«fllstet5t écrivain remarqtiable, qui s'était déclaré mon 
«lr«afpion. fie dernier citant, parmi les pièces que je ve- 
'«ais de faire exécuter, ia Marche des pèlerins à^Huroîdy 
«ofHme une des clioses les plus intéressantes qu'il eût 
jamais entendues, Fétis répliqua: « Comment voulez^vous 
que j'approuve tmmopceau dans lequel on entend pres- 
<(ae oonsiamineat tkux notes qui n'entrent pas dans Vhar- 
'mwnSê! » (A voulaifpariCT des deu^ssons uf et H qui re- 
^nlefflieitt à ta fm de cliaque stroplie et simulem une lente 
wauerie de cloches.) 

« — Ma foi ! répondit Zani de Fcrranti,je ne crois pas 
-è^etle anomalie. Mais si un musicien a été capable de 
•ftiire'ttu pareil mcrrceau et de me charmer à ce point 
'^^âant tome sa durée, a^^c deux notes qui n'entrent 
fag^^«Bs'î'trarmonie, je dis que ce n'est pas un homme 

>f[#as,'eîttfié-je répondu à feitthousiaste Italien, je ue 
^Mrïs'^'flifi 'Simple ^omme et M. Fétis tfest qu'un pauvre 
«tif^cleB, earles detrx fameuses Ti«es 'cntrem toujours, 
'au^oiitraire, éansl'îiarmonie. M. Fétis ne s'est pas aperçu 
^«e e'est grâce à leurî«ter\'ention dansTâccord que les 
te»«âicés diverses terminant les ^TOfrhes sont ramenées 
«Qtou prmctpal, et qu'au point de vue purement musi- 
«al'C'est précisément ce qully a de curieux et de nouveau 
^«S'cette marche, et ce sur quoi un musicien véritable 
we peut ni ne doit setromper un seul instant? Je fus tenté 
d'écrire dans quelque journal à Zani de Ferranti, quand 
<» m*€nt raconté ce singuHer malentendu, pour démon- 
trer l'erreur de Fétis : puis je me ravisai et me renfermai 
dati&mon système, que je crois bon, de ne jamais répon* 
âne aux critiques, sÀ al)surâes qu'«J^ sok&t. 

LaparUtkm d'ifar6k2(sf ayant été pd»liée-4ueli|aes a»*- 
liées âp[^, il. ¥ilà& a ^u se eosivaiacre^ar «es ye<is 
qvie tes ^ox notes «atreat toujtisrs 4306 fitarai^Qie. 

Ce voyage hors frontières u'étaal qu'un essai, î'^rvais 



35t MÉMOIRES DR HECTOR BERLIOZ. 

le projet de visiter l'Allemagne et de consacrer à cette 
excarsion cinq ou six mois. Je revins donc à Paris pour 
m'y préparer et faire mes adieux aux Parisiens par un 
concert colossal dont je ruminais le plan depuis long- 
temps. 

M. Pillet, alors directeur derOpéra, ayant bien accueilli 
la proposition que je lui fis d'organiser dans ce théâtre 
un festival * sous ma direction, je commençai à me mettre 
à l'œuvre, sans rien laisser transpirer de notre projet au 
dehors. La difficulté consistait à ne pas donner à Habe- 
neck le temps d'agir hostilement. 

Il ne pouvait manquer de me voir de mauvais œil diri- 
ger, dans le théâtre où il était chef d'orchestre, une pa* 
reille solennité musicale, la plus grande qu'on eût encore 
vue à Paris. Je préparai donc en secret toute la musique 
nécessaire au programme que j'avais arrêté, j'engageai 
des musiciens sans leur dire dans quel local le concert 
aurait lieu, et quand il n'y eut plus qu'à démarquer mes 
batteries, j'allai prier M. Pillet,d'apprendre à Habeneck 
que j'étais chargé de la direction de la fêt&. Mais il ne 
put s'y résoudre et me laissa l'ennui de cette démarche ; 
telle était la peur qu'Habeneck lui inspirait. En consé- 
quence j'écrivis au terrible chef d'orchestre, je l'informai 
des dispositions que j'avais prises, d'accord avec M. Pillet» 
et j'ajoutai qu'étant dans l'habitude de diriger moi-même 
mes concerts, j'espérais ne point le blesser en conduisant 
également celui-ci. 

Il reçut ma lettre à TOpéra, au milieu d'une répétition, 
la relut plusieurs fois, se promena longtemps sur la scène 
d'un air sombre, puis, prenant brusquement son parti, 

1. Ce mot, que j'employai sur les affiches pour la première 
fois à Paris, est devenu le titre banal des plus grotesques exhi- 
bitions: nous avons maintenant des festivals de danse ou de 
musique dans les moindres guinguettes, avec trois violons, une 
caisse et deux cornets à pistons. 



HÉMOIRES D£ HECTOR BERLIOZ. 353 

il descendit dans les bureaux de l'administration, où il 
déclara que cet arrangement lui convenait fort, puisqu'il 
avait le désir d'aller passer à la campagne le jour indiqué 
pour le concert. Mais son dépit était visible, et beaucoup 
de musiciens de son orchestre le partagèrent bientôt, 
avec d'autant plus d'énergie qu'ils savaient lui faire la 
cour en le manifestant. D'après mes conventions avec 
M. Pillet, tout cet orchestre devait fonctionner sous mes 
ordres avec les -musiciens du dehors que j'avais iiH 
vités. 

La soirée était au bénéfice du directeur de l'Opéra, qui 
m'assurait seulement la somme de cinq cents francs pour 
mes peines, et me laissait carte blanche pour l'organisa- 
tion. Les musiciens d'Habeneck étaient en conséquence 
tenus de prendre part à cette exécution sans être rétri- 
bués. Mais je me souvenais des drôles du Théâtre-Italien 
et du tour qu'ils m'avaient joué en pareille circonstance, 
ma position était même cette fois bien plus critique à 
l'égard des artistes de l'Opéra. Je voyais chaque soir les 
conciliabules tenus dans l'orchestre pendant les entractes, 
l'agitation de tous, la froide impassibilité d'Habeneck, en- 
touré de sa garde courroucée, les furieux coups d'œil qu'on 
me lançait et la distribution qui se faisait sur les pupi- 
tres des numéros du journal le Charivariy dans lequel on 
me déchirait à belles dents. Lors donc que les grandes 
répétitions durent commencer, voyant l'orage grossir, 
quelques-uns des séides d'Habeneck déclarant qu'ils ne 
marcheraient pas sans leur vieux général, je voulus obte- 
nir de M. Pillet que les musiciens de l'Opéra fussent payés 
comme les externes. M. Pillet s'y refusant: 

c — Je comprends et j'approuve les motifs de votre 
refus, lui dis-je, mais vous compromettez ainsi Texécu- 
tion du concert. En conséquence, j'appliquerai les cinq 
cents francs que vous m'accordez au payement de ceux 
des musiciens de l'Opéra qui ne refusent pas leur concours. 
1. 20. 



m JlÉilOIRES OE SECTOR B«?ILI01. 

^Ooflment, médit M. Fillet, t«bb B'jMn-iesrifli yov 
Tom, après «n Ub&xt ^ai rov» exlénoe !... 

— Peu importe, il f»it a\mm tom ^tm iniàk narefae; 
nwcÉMi eeHts francs «srWrMit à calmer tes noias »a- 
li»8 ; «qaiat au autres, veoilta se pm nser^e ¥otre 
autorité poorleseontraindmà faire lear dermr, et lais- 
(NQK-les a^m^nr vimus géiérol, » 

Ainsi fut fait. J'avais on p cragan ei âésix oenls exécn- 
lants, choristes et ittstramemisies. Le i) P >gffi ti tt g ie «3 
composait du P^ acte de Vlphigénie en Tauride de GloiâL, 
d'une scène de VAiha^ de Hasdel, du 2Ke< fnr et du 
Jdurfmoêa de mon liefKinii, de fapothéfMse 4ie a» 
Bymphmiéyunkbfe et triomphale, de l'adagio, du sehem) 
iet du filiale de Bxfméo et JtiUette, et d'un choar sans vae- 
compagueniMit de Palestrina. Je ne conçois pas mainte 
saat comittent je suis veùxk à bout de faire ^pgiieadgre en 
4ii peu de temps (en huit jcrars) un programme aussi &S- 
fidle ayee des musiciens réunis dans de semblables con- 
ditions. J'y parvins cependant. Je courais de l'Opéra au 
•Théâtre-Italien, dont î'ayais engagé les cfaoristes seul»- 
naent, du Théàtre^talien à TOpéra^omique et au Gon- 
aerratotre, dirigeant ici nue répétition de dMeurs, là tes 
iétodes d'une partie de l'oreliestre, voyant tout par mes 
yeux et nem'enrappcntaût à personne pour la surveilianoe 
jdeœs travaux. Je pris «ensuite suecessivemem daais le 
fo^r du publie, à l'Opéra, fnes deux masses instruinenta- 
les: celle des instrumentsà archet répéta de huit heures 
"dcF^natin à midi, et eelie des instruments à vent de midi à 
•qmare iieures. Je restai ainsi sur pieds, le bâton à ta 
main, pendant toute la journée ; j'avais la gorge en foa, 
la voix^teifite, le bras «droit rompu : j'allais me trouver 
fiial de swif et de fatigue, -(fuand un grand verre de wm 
<?haud, qu'*UTi choriste eut fhum^anitédem'apporter,iDe 
4onnala force de terminer cette rude répétithm. 

De ttouveïies exigences des musiciens de ropéra f^ 



M^KOIflBiS fi£ JIECTOR BSELIOZ. aSS 

icâinid'jiitteûrfir^diiepiaspéfliiUe. Ces messieurs, ap- 
prenant que je donnais vingt francs à quelques arUetes 
da dehors, se cnxrettt en dn»t de Tenir laits m'inter- 
rompre, les ans après les atUres, poar rédamer cm paye- 
ment semblable. 

c — Ce n'est pas poiir l'argeol, dtsaienê^s, mais tes 
arti^es de l'Opéra ne peuvent être mems rélrii>iiés que 
eeax des théâtres seoondaires. 

— Très-bien 1 vous aurez vos vingt (iraitcs, learvépea- 
difrje, je voqas les garantis ; mais, paur ]>iea, ùdtes votre 
alfaîre et }aisse&-moi tranqnille. » 

Le lendemain, la Tépétition générale eut tien sar la 
soèneet fut assez .satisfaisante. Tool marcha passaèie- 
miMLt èien, k ï&xespHon du sc^ecso de la iée Mab que 
j'avaisemrimpmdenoedeiaireâguferdaasle fxrogrjsnne. 
Ge moreesu d'nm HKHivement si rapide ^t dHxn tissu si 
déMeat, ne doit ni ne peut être exécuté, par u» orotiestre 
aussi nombreux. Il est presque impossible, avec ane 
mesniB aussi brève, de mainteoilr ensemble, en pareil 
eas, les eaLtrémités opposées de la masse instrumealaie; 
elle occupe un trop grand espace, et les parties les pilas 
éloignées du chef finissent bientôt par rester en arrière 
fKotede pouvoir«uivre ezaclementson rhythmepréoipilé. 
Troublé comme je Tétais, il ne me vint pas même à l'es- 
prit de former un petit orchestre de choix, qui, groupé 
autour de moi sur le milieu du théâtre, eût pu rendbre 
siiis peine toutes mes intentions; et après des peines in- 
esoyaèles il fallut renoncer au scherzo et Teffacer du pro- 
gramme. Je remarquai à cette occasion l'impossibilité 
fu'il y a d'empêcher les petites cymbales en si 6 et en fa 
de retarder, si les musiciens chargés de ces parties sont 
irep éloignés du chef d'orchestre. J'avais sottement laissé 
ee joar-ià les «ymbaliers au bout du théâtre, à côté des 
timbales, et malgré tous mes efforts ils restaient quel- " 
quefois en arrière d'une mesure entière. J'ai en sma de- 



356 MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 

puis lors de placer les cymbaiiers tout à côté' de moi, et la 
difficulté a disparu. 

Le lendemain, je comptais rester tranquille au moins 
jusqu'au soir ; un ami * me prévint de certains projets 
des partisans d'Habeneck, pour ruiner en tout ou en par- 
tie mou entreprise. On devait, m'écrivait-il, couper avec 
des canifs la peau des timbales, graisser de suif les ar- 
chets de contre-basse, et, au milieu du concert, faire de- 
mander la Marseillaise. 

Cet avis, on le conçoit, troubla le repos dont j'avais 
tant besoin. Au lieu d'employer la journée à dormir, je 
me mis à parcourir les abords de l'Opéra en proie à une 
agitation fébrile. Gomme je circulais ainsi tout pantelant 
sur le boulevard, mon bonheur m'amena Habeneck en 
personne. Je cours droit à lui et lui prenant le bras: 

« — On me prévient que vos musiciens méditent di- 
verses infamies pour me nuire ce soir, mais j'ai l'œil sur 
eux. 

— Oh ! répond le bon apôtre, vous n'avez rien à 
craindre, ils ne feront rien, je leur ai fait entendre 
raison. 

— Parbleu, je n'ai pas besoin d'être rassuré, c'est 
au contraire moi qui vous rassure. Car si quelque chose 
arrivait cela retomberait sur vous assez lourdement. Mais 
soyez tranquille ; comme vous le dites, ils ne feront 
rien. » 

Le soir, à l'heure du concert, je n'étais pourtant pas 
sans inquiétudes. J'avais placé mon copiste dans l'or- 
chestre pendant la journée pour garder les timbales 
et les contre-basses. Les instruments étaient intacts. Mais 
voilà ce que je craignais : dans les grands morceaux 
du Requiem, les quatre petits orchestres d'instruments 
de cuivre contiennent des trompettes et des cornets en 

1.' Léon Gatayes. 



MÉMOIRES DE fiEGTOR BERLIOZ. 357 

différents tons (en si 5, en fa^ et en mi b), or il faut 
savoir que le corps de rechange d'une trompette en fa 
par exemple, diffère très-peu de celui d'une trompette en 
mib, et qu'il est très-aisé de les confondre. Quelque 
faux frère pouvait donc me lancer dans le Tuba mirum 
une sonnerie en f^ au lieu d'une sonnerie en mi 5, 
comptant, après avoir ainsi produit unecacophC ^ie atroce, 
s'excuser en disant qu'il s'était trompé de ton. 

Au moment de commencer le Dies irse^ je quittai mon 
pupitre, et, faisant le tour de l'orchestre, je demandai 
à tous les joueurs de trompette et de cornet de me mon- 
trer leur instrument. Je les passais ainsi en revue, exa- 
minant de très-près l'inscription tracée sur les tons divers, 
in F, in E 5, in B ; lorsqu'on arrivant au groupe où se 
trouvaient les frères Dauv^rné, musiciens de l'Opéra, 
l'aîné me fit rougir en me disant : « Oh, Berlioz ! vous 
vous méfiez de nous, c'est mal! Nous sommes d'honnêtes 
gens et nous vous aimons. » Souffrant de ce reproche 
que j'étais pourtant trop excusable d'avoir encouru, je 
ne poussai pas plus loin mon inspection. 

£n effet, mes braves trompettes ne commirent pas de 
faute, rien ne manqua dans l'exécution, et les morceaux 
du Requiem produisirent tout leur effet. 

Immédiatement après cette partie du concert venait un 
entr'acte. Ce fut pendant ce moment de repos que les 
Habeneckistes crurent pouvoir tenter leur coup le plus 
facile et le moins dangereux pour eux. Plusieurs voix 
s'écrièrent du parterre : c La Marseillaise! la Marseillaise! » 
espérant entraîner ainsi le public et troubler toute l'or- 
donnance de la soirée. Déjà un certain nombre de spec- 
tateurs séduits par l'idée d'entendre ce chant célèbre 
exécuté par un tel chœur et un tel orchestre, joignaient 
leurs cris à ceux des cabaleurs, quand m'avançant sur 
le devant.de la scène je leur criai de toute la force delà 



)M M&MOUlfiS BB HECTÛR BEhLlùZ. 

ToiK: « Nous ne Jouerons pas la MarieiUaûeyiïaas ae 
ssnimes pas id poor cela I > £t le calme ae léiablit à 
rinstanl. 

Il ne devait pas être de longue darée. Un autre inoi- 
deatauqoelj'étais étranger vint presque aussitôt agiter 
plus vivement La salle. Des cris: < A Tassassinl c'est 
inttaie ! arrètea-le! > panisde la première galerie, firent 
toute l'assistance se laver en tomolte. Madame deGîrar- 
dinécbevelée s'agitait dans sa loge appelant au secours. 
Son mari venait d'ôtre souffleté à ses côtés par Berge- 
ron, Tun des rédacteurs du Charivari, qui passe pour 
le premier assassin de Louis-Philippe^ celui que Topi- 
nion publique accusait alors d'avoii;, quelques années 
auparavant, tiré sur le roi le coup 4e pistolet du pont 
Boyal. 

Cet esclandre ne pouvait que nuire Jbeaucoup au reste 
du concert, qui se termina sans encombre c^^ndant» 
mais au milieu d'une préoccupation générale. 

Quoi qu'il en soit j'avais résolu le problème, et t^iu en 
échec l'état-major de mes ennemis. La<receCte s'éleva à 
huit mille cinq cents francs. La somme aibandonnée par 
moi pour payer les musiciens deîOpéran'y sufflsant pas, 
Si cause de ma promesse de leur donner à tous vingt 
francs, je dus apporter au caissier da théâtre trois cent 
Boitante francs (fu'îl accepta, etdmittl iniéMqnala 'source 
sur scm livre, 'en écrivant à renm nMige ces nets: 
IBsceéâoÂt âmméyarM. BêHhx. 

Ainsi je parrifis à organiser le plus vasie co»;ert 
qu^rni «ût encore donné à Paris, seul, malgré Habeneck 
et ses gens, en renonçant à la m^ique somme qm m'a- 
vait été attouée. On fit huit mille dnq eenis francs de 
recette et ma peine coûta trois cent soixante francs. 

*Voîla comme on s'enrichit î Taî souvent dans ma vie 

mûviioyé ce procédé. Aussi, j'ai fsAitottmit Cemment 

lË.PÎÎÎet, qui e»t un gentleman, «ouffrft-fï eela? le n'ai 






MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ. 359 

jamais pu m'en rendre compte. Peut-être le caissier ne 
Fa-t-ii pas informé du fait. 

Peu de jours après, je partis pour FAllemagne. Par 
les lettres que j'adressai, à mon retour, à plusieurs de 
mes amis (et même à deux individus ^ qui ne méritent 
pas ce titre), on va connaître mes aventures dans ce 
premier voyage et les observations que j'y ai faites. Ce 
fut une exploration laborieuse, il est vrai, mais musicale 
au moins, assez avantageuse sous le rapport pécuniaire 
et j'y jouis du bonheur de vivre dans un milieu sympa- 
thique, à l'abri des intrigues, des lâchetés et des platitudes 
de Paris. 

Voici ces lettres à peu près telles qu'elles furent alors 
publiées sous le titre de Voyage musical en Allemagne, - 

1. Habeneck et Girard. 



riN DU PREMIER YOLUMS 



lîupiimerie de Poissy — S. Lejay et G^«. 



TABLE 



Pag«i. 

Préfacb «••••••. 

I. — La Côte Sai Qt- André. — Ma première commu- 
nion. ^- Première impression musicale ... 1 
II. — Mon père. — Mon éducation littéraire. — Ma 
. paçsioo pour les voyages. — Virgile. — Pre- 
. mière secousse poétique • * • 4 

III. — Meylan. -— Mon oncle. — Les brodequins roses. 

, — L'hamadryacjle du Saint-Eynard. — L'a- 
mour dans un cœur de douze ans ...... 9 

IV. — Premières leçons de musique, données par mon 

. père. — Mes essais en composition. -— Etudes 
ostéologiques. — Mon aversion pour la mé- 
decine. — Départ pour Paris • 13 

V. — Une anuée d'études médicales. — Le professeur 
Amussat. — Une représentation à l'Opéra. — 
La bibliothèque du Conservatoire. -— Entraî- 
nement irrésistible vers la musique. — Mon 
père se refuse à me laisser suivre cette car- 
rière, — Discussions de famille 24 

VI. — Mon admission parmi les élèves de Lesueur. — 

Sa bonté. — La chapelle royale. •*••••• 29 



3G2 TABLE. 

Vil. — Un premier opéra. — M. Andrieux. — Une 

première messe. — M. de Chateaubriand, 34 

VllI. — A. de Pons. — Il me prête 1,200 francs. — 
On exécute ma messe une première fois 
dans Téglise de Saint-Roch. — Une se- 
conde fois dans TégUse de Saint-Eusta- 

che. — Je la brûle 40 

IX. — Ma première entrevue avec Chèrubini. — U 
me chasse de la bibliothèque du Conser- 
vatoire •• 44 

X. — Mon père me retire ma pension. — Je re- 
tourne à la CAle. — Les idées de proyince 
sur Tart et sur les artistes. — Désespoir. 

— Effroi de mon père. — Il consent à me 
laisser revenir à Paris. — Fanatisme de 

ma mère. — Sa malédiction 47 

XI. — Retour à Paris. — Je donne des leçons. — 
J*etttre daas la classe de Reicha au Con- 
servatoire. -— Mes dîners sur le Pont- 
Neuf. — Mou père me retire de nouveau 
ma pension. — Opposition inexorable. — 
Humbert Ferrand. — R. Kreatier • • • • 53 
XII. — Je concours pour une place de choriste. — 
Je Tobtiens ^ A. Charbonuel. — Notre 

ménage de garçons. • • • 57 

XIII* — Premières compositions pour l'orchestre. 

— Mes études à TOpéra. — Mes deux maî- 
tres, Lesuenr et Reicha 63 

X(V. "* Concours à Tlnstitut. — On déclare ma can- 
tate inexécutable. — Mon adoration pour 
Gluck et Spontini. — Arrivée de Rossini. 

— Les dilettanti. ^> Ma fureur. — M. In- 
gres « • •••.••• 68 

XV* -^ Mes soirées à l'Opéra. — Mon prosélytisme* 
— - Scandales. — Scène d^enthousiasme. 
Sensibilité d*un mathématicien 72 

XVI. — Apparition de Weber à rOdéon. -- Caetil- 
blaze. — Mosart. ««- Lachnit. *- Let ar- 
rangeurs. — Despair and diel. . • • • • 83 



TADLE. 363 

XVII. «^ Préjugé contre les opéras écrits sur un texte 
italien. — Son influence sur l'impression 
que j6 reçois de certaines œuvres de Mo- 
zart 01 

XVIII. — Apparition de Shakespeare. — Miss Smith- 
son. — Morte! amottr. — Léthargie mo- 
rale. — Mon premier concert. — Oppo- 
sition comique de Cherubini. — Sa défaite. 

— Premier serpent à sonnettes 97 

XîX. — Concert inutile. — Le chef d*orchestre qui 

ne sait pas conduire. — Les choristes qui 

ne chantent pas 106 

XX. — • Apparition de Beethoven au Conservatoire. 

— Réserve haineuse des maîtres français. 

— Impression produite par la symphonie 
en ut mineur sur Lesueur. — Persistance 

de celui-ci dans son opinion systématique. 140 

XXI. — Fatalité. — Je deviens critique. 115 

XXII. — Le concours de composition musicale. ^ 

Le règlement de l'Académie des Beaux- 
Arts. — J'obtiens le second prix 119 

XXIIÎ. — L'huissier de l'Institut. — Ses révélations. . 127 
XXIV. — Toujours miss Smithson. — Une représenta- 
tion à bénéfice. — Hasards cruels .... 136 

XXV. — Troisième concours à Tlnstitut. — On ne 

donne pas de premier prix. — Conversa- 
tion curieuse avec Boleldieu. — La musi- 
que qui berce 140 

XXVI. — Première lecture du Faust de Gœthe. — J'é- 

cris ma symphonie fantastique — Inutile 
tentative d'exécution. 145 

XXVII. — J'écris une fantaisie sur la Tempête de Sha- 

kespeare. — Son exécution à l'Opéra ... \ 40 

XXVIII. — Distraction violente. ^ P. K***. - Made- 

moiselle M*** 151 

XXIX. — Quatrième concours à l'Institut. — J'obtiens 
le prix. — La révolution de Juillet. — La 
prise de Babylone. — La Marseillaise. — 
Rouget de Lisle • 154 



364 TABLE. ' 

XXX. ~ Distribution des prix à TiDStitat. — - Les 
«cadémicieDs. ~ Ma cantate de Sarda- 
nafolê, ^ Son exécution. — L*inccndie 
qui ne s*allume pas. — Ma fureur, — Ef- 
froi de madame Malibran . 161 

XXXI. -^ Je donne mon second concert. — La sym- 
phonie fantastique. — Liszt vient me 
▼oir. — Commencement de notre liaison. 
^ Les critiques parisiens. — Mot de 
Cherubini. — Je pars pour i*Italie. . . IGS 

XXXII. — De Marseille à Livourne. — Tempête. — 

De LÎTourne à Rome. — L* Académie de 
France à Rome 173 

XXXIII. «^ Les pensionnaires de TAcadémie. — Fé- 

lix Mendelssohn 1S2 

XXXI V. — Drame. — Je quitte Rome. — De Florence 

à Nice. ^ Je reviens à Rome. — Il n*y 

a personne de mort. i8C 

XXXV. -^ Les théâtres de Oénes et de Florence. — 
/ Mantecchi ed i CapuletU de Bellini. 
^ Roméo ]oué par une femme. — La 
Vestale de Paccini. — Licinius joué par 
une femme. — L*organiste de Florence. 

— La fête del Corpus Domini -- Je 
rentre à l'Académie 197 

XXXVI. — La vie de l'Académie. — Mes courses 
dans les Abruzzes. — Saint-Pierre. — 
Le spleen. — Excursions dans la cam- 
pagne de Rome. — Le carnaval. — La 
place Navone. ...••' 205 

XXXVII. «- Chasses dans les montagnes. ~ Encore la 
plaine de Rome. — Souvenirs virgi- 
ïiens. — LUtalie sauvage. — Regrets. — 
Les bals d'osteria. — Ma guitare . . . 217 

XXXVIII. — Subiaco. — Le couvent de Saint- Benoît. 

— Une sérénade. — Civiteila. — Mon 
fusil. — Mon ami Crispino 223 

XXXIX. — La vie du musicien à Rome. -— La mu- 
sique dans l'église de Saint-Pierre. — 



TABLE. 363 

— La chapelle Sixtine. — Préjugé sur 
Palestrîna. — La musique religieuse 
moderne dans l'église de Saint-Louis. — 
Les théâtres lyriques. — Mozart et Vacaï. 

— Les pifferari. — Mes compositions à 
Rome 231 

XL. — Variétés de spleen. — L'isolement 244 

XLI. — Voyage à Naples. — Le soldat enthousiaste. 

— Excursion à Nisita. — Les lazzaroni. — 
Us m'invitent à dîner. — Un coup de fouet. 
Le théâtre San-Carlo. — Retour pédestre 
à Romft, à travers les Abruzzes. — Tivoli. 

— Encore Virgile 249 

XLII. — L'influenza à Rome. — Système nouveau de 

philosophie. — Chasses. — Les chagrins de 
domestiques. — Je repars pour la France. 267 

XLIII. — Florence. — Scène funèbre. — la bella 
sposina, — Le Florentin gai. — Lodi. — 
Milan. ^ Le théâtre de la CannoMana. — 
Le public. — Préjugés sur Torganisation 
musicale des Italiens. — Leur amour 
invincible pour les platitudes brillan- 
tes et les vocalisations. •— Rentrée en 
France 272 

XLIV. — La censure papale. — Préparatifs de con- 
certs. — Je reviens à Paris. — Le nouveau 
théâtre anglais. — Fétis. — < Ses correc- 
tions des symphonies de_ Beethoven. — On 
me présente à miss Smithson. — Elle est 
ruinée. — Elle se casse la jambe. — Je 
l'épouse. 283 

XLVl — Représentation à bénéfice et concert au 
Théâtre-Italien. — Le quatrième acte 
d'Hamlet, — Antony, — Défection de Tor- 
chestre. — Je prends ma revanche. — Vi- 
site de Paganinî. -^ Son alto. — • Compo- 
sition d'HaroM'e» ittUie. — Fautes du 
chef d'orchestre Girard. — Je prends le 
parti de toujours conduire l'exécution 



366 TABLE. 

de mtê ouTTftget. ^ Une lettre ano- 
nyme 296 

XL VI. — M. de Oasparin me commande une messe 
de HeguUm, — Les directeurs des beaux- 
arts. — Lenrs opinions sur U musique. — 
Manque de foi. — La prise de Constan- 
tine. — Intrigues de Cherubini. — Boa 
eonstrictor. «^ On exécute mon BeqtUem. 
La tabatière d*Habeneck. — On ne me 
paye pas. — On veut me rendre la croix. 
•» Toutes sortes d'infamies. ~ Ma fureur. 

— Mes menaces. — On me paye 305 

XLVII. — Exécution du Laerymota de mon Requiem à 
Lille. — Petite couleuvre pour Cherubini. 

— Joli tour qu'il me joue. — Venimeux as- 
pic que je lui fais avaler. — Je suis attache 
à la rédaction du Journal dêi Débais. *- 
Tourmenta que me cause rezercice de mes 
fonctions de critique 317 

SLVIII. — VBsmePalda de mademoiselle Berlin. — 
Répétitions de mon opéra de Benvenulo 
Cellini, -^ Sa chute éclatante. — L'ouver- 
ture du Camavai romain, — Habeneck. 
Duprez. -— Ernest Legouvé 326 

XLIX. — Concert du 16 décembre 1838. — Paganini, 
sa lettre, son présent. — Élan religieux de 
ma femme. — Fureurs/ joies et calom- 
nies. — Ma visite à Paganini. — Son dé- 
part. — J'écris Roméo et JuUette, — Cri- 
tiques auxquelles cette œuvre donne lieu . 335 

L. — M. de Rémueat me commande la Symphonie 
funèbre et triomphale. — Son exécution. 

— Sa popularité à Paris. — Mot d'Habe- 
neckf -— Adjectif inventé pour cet ouvrage 
par Spontini. ~ Son erreur à propos du 
Requiem • • • ••..... 3i4 



TABLE. 3G7 

Lï. — Voyages et concerts à Braxelles. — Quel- 
ques mots sur les orages de mon intérieur. 
Les Belges. — Zanni de Ferranti. — Fétis. 
— Erreur grave de ce dernier. — Festival 
organisé et dirigé pu* moi à TOpéra de 
Paris. — Cabale des amis d'Habeneck dé- 
jouée. — Esclandre dans la loge de M. de 
Girardin. — Moyen de faire fortune. — Je 
pars pour T Allemagne 34^ 



Imprimerie de Poissy — S. Lejay et G*«. 



L