Il
/
3f
î*
r*
5 y
^
t M
i
m
>
m '
•«-
si
^i
I es. '
MÉMOIRES
ESSAI
SUR LA MUSIQUE.
.■ .-<■■-*
i *&5%HL
U O
ï a 2 a a
>i
MÉMOIRES
o u
ESSAI
SUR LA MUSIQUE
Par M. GRÉTRY ,
Cenfeur Royal > Conjeillet intime de S. A. C.
Mcnfeigneur tEvéque , Prince de Liège ; de
V Académie des Philharmoniques de Bologne,
de la Société d'Emulation de Liège , &c.
Prix 6 livres , broché.
*«&
s?
A PARIS,
'L'Auteur , rue PoîfTonniere , vis-à-vis fa rue
Beauregard.
Ch / *>RAULT » ImPrimeur du Roi , Quai des AuguiUns.
\ Les Marchands de Nouveautés.
Et à Liège,
LF. J. Desoek. , Imprimeur, Libraire.
'Avec Approbation & Privilège du Roi,
u
AVANT-PROPOS.
JE n'ai écrit ces Reflexions fur la
Mu fi que y que peur me délafier de
mon travail habituel. Il feroit injufte
de prétendre qu'un artifte ait dans
fon ftyle la correction & l'élégance
qu'on a droit d'exiger de l'homme
de lettres. J'ai mis par écrit ce que
m'a révélé le fentiment même de
Fart pendant mon travail ^ Se je ferai
content fi je me fuis fait entendre. Je
l'ai entrepris, parce que l'artifte feul
pouvoit le faire : fi j'y joints quelques
circonftances des différentes époques
de ma vie, ce n'eft que pour fervir
de liaifon à ce qui a rapport à la mu-
fique. Au :efte ce qui paroîtra puérile
à bien des gens ,, ne le fera pas pour
le jeune artifte qui ^ fouvent repouffé
de toutes parts , ne peut parvenir à
fe faire connoître : il verra que ceux
A
i AVANT-PROPOS.
même qui ont eu le bonheur de per-
cer dans la carrière des arts , ont eu,
comme lui, mille obftacles à vain-
cre , & cette leclure peut ranimer
fon courage abattu. Je voulois laifTer
ces papiers à mes enfans; je ne vou-
lois pas me faire imprimer; & ce que
je dis eft vrai ; mais on m'a fait enten-
dre que , n'y eût-il qu'une vérité bien
établie dans cet ouvrage , je devois
le rendre public, On m'a dit encore
que, parlant fans cefle de mon art,
& communiquant fans réferve dans
la converfation le peu d'idées qui
peuvent m'appartenir , je courois les
rifques "dans vingt ans de paroître
moi-même plagiaire , & de ne con-
ferver que le cadre qui les enchaîne.
Je me fuis rendu à ces deux raifons :
la première intéreffe l'art ; la fécon-
de intéreffe l'homme qui veut jouir
de ce qui lui appartient.
Cent fois j'ai été tenté de prendre
AVANT-PROPOS. 3
la plume , lorfque mille brochures
fur la muiîque ont bien plus fomenté
de diffentions encre les artiftes, qu'el-
les nJont fervi aux progrès de l'art.
Chacun prêchoit pour fon faint ; on
ignoroit qu'il efl: un faint pour tout
le monde. Il falloit dire , par exem-
ple , qu'il exifle une mufique vague ,
métaphifique pour bien des hommes,
mais qui l'efl moins pour la plupart
des femmes ; que fi Ton a une orga-
nifation dure, on n'y entend rien; G.
on l'a foible & trop fenfible , on
comprend trop ; cette mufique prête
au défceuvrement tout le charme de
la difpute, avec L'avantage de n'é-
claircir jamais la queftion. Il falloit
dire qu'il efl une mufique qui , ayant
pour bafe la déclamation des paro-
les , efl: vraie comme les parlions.
J'anticiperois fur mon fujet , fi j'en
difois davantage.
Des réflexions ifolées & des pré-
A 2
4 AVANT-PROPOS.
ceptes arides fur un art , ne peuvent
guère intéreiler que ceux qui en font
une étude particulière; & lamufique
eft peut-être celui de tous les beaux-
arts qui prouve le mieux cette vérité.
J'ai cru qu'en joignant à cet efTai
quelques anecdotes fur des pièces
dramatiques que la nation a daigné
accueillir , il feroit d'un intérêt plus
général, & pourroit être lu, même
des gens du monde.
ESSAI
SUR LA MUSIQUE.
PREMIERE PARTIE.
S i je dois mon exiflence morale à la
mufique, je lui dois auffi mon exiflence
phyfîque.
Jean-Noé de Gretry mon grand-
père , après avoir vendu ou fubititué les
biens qu'il poffédoit à Gretry ( i ) , époufa
fans confentement de parens, une jeune
Allemande, Dieu -Donnée Campinado.
Après quelques années, les parens de ma
grand'mère lui pardonnèrent ce mariage :
fon oncle, le prélat Delviîette (2), vint
(1) Hameau proche Boulan , terre de l'Empire , dio-
cèfe de Liège.
(2) Tréfoncier de Notre-Dame de Presbourg , après
avoir été inftituteur de l'enipereur Jofeph premier.
A3
6* Essai
la voira Blegné, en allant fiéger au Cha-
pitre de la cathédrale de Liège, en qualité
de ccmmiffaire de l'empereur : il la trouva
suffi heureufe au milieu de fon ménage
champêtre , que (i elle fût née payfaune.
C'étoit un dimanche après vêpres. Mon
grand-père jouoit du violon pour faire
danfer les payfans qui venoient boire fa
bierre & fon eau-de-vie, que des difgraces
multipliées l'avoient réduit a vendre. Mon
père, âgé de fept ans; racloît a fes côtés.
Le prélat, après avoir demeuré quelques
jours chez fa nièce , qu'il aimoit tendre-
ment, fit Ces efforts pour emmener mon
père à Presbourg, où il vouïoit lui donner
un bénéfice : mais l'amour de la muflque
avoit déjà féduitïe cœur du jeune homme;
fes pleurs , fes cris forcèrent fes parens à lui
làifïèr fuivre fon penchant. La place de
premier violon de Saint-Martin à Liège ,
étant devenue vacante , & propofée au
concours, il irhéfka pas, tout jeune qu'il
étoît^ d'entrer en lice, & remporta le prix
SUR LA MUSIQUE. 7
à l'âge de douze ans. A vingt-trois ans , ii
époufa Marie - Jeanne des Fofles : elle
avoit peu de fortune , ai-nfi que mon père ;
& fa famille , alliée a d'excellentes maifons
de Liège (a) , s'oppofa quelque tems à ce
mariage; mais, fenfible aux charmes de
la mufique qu'il lui enfeignoit , ma mère
voulut récompenfer fon maître en lui don-
nant fa main.
Je fus le fecond fruit de leur union. Je
fuis né à Liège . le i 1 Février i 741 .
Un accident qui m'arriva a l'âge de
quatre ans, Se dont j'ai confervé quelque
fouvenir , prouve que je puis dater de ce
tems pour y fixer l'époque de ma raifon
nailTante, & que déjà j'étois fenfible au
mouvement ou rythme mufical. La pre-
mière leçon de mufique que je reçus faillit
à me coûter la vie : j'étois feul ; le bouil-
lonnement qui fe faifoit dans' un pot de
fer , fixa mon attention : je me mis à dan-
fer au bruit de ce tambour ; je voulus voir
enfuite comment ce roulis périodique s'o-
A4
8 Essai
péroit dans le vafe ; je le renvetfai clans un
feu de charbon-de-terre très ardent , ex l'ex-
plofion fut fi forte, c,ue je refiai fuffoqué
& brûlé prcfque par tout le coips. Après
cet accident, qui me rendit pour tt ujours
la vue foible , je fus atteint d'une maladie
de langueur. Ma grand'mère voulut pren-
dre foin de moi; elle m'emmena chez elle,
à une demi-lieue de la ville, où fon mari
étoit contrôleur d'un bureau du prince
Jean Théodore , cardinal de Bavière. Je me
rétablis en peu de tems : on m'y laiffa en-
viron deux années ; elles ont été les plus
belles de ma vie. Tout étoit nouveau pour
moi; je m'éîançois vers chaque objet, je
mettais les chaifes fur les tables ; je grim-
pois dèfTus ; je touchois à tout, ck on me
laifToit faire ; car on avoit remarqué que
j'étois prudent , même dans mes étour-
deries.
Lorfque ces mouvcmens impétueux fe
développent , il n'efi pas , je crois , de
contrainte plus dure pour un enfant , que
SUR LA MUSIQUE. 9
d'être obligé d'étouffer les premiers élans
de /a nature. Surveiller trop un enfant ,
eiï , ce me femble , le meilleur moyen
d'en faire un imbécile; car s il eft impru-
dent, il trouve une punition dans fa propre
imprudence; & les leçons qu'on fe donne
valent mieux que celles qu'on reçoit. C'eft
une .victoire que de fe corriger foi-même ,
& Pon rougit à tout âge d'avoir été cor-
rigé.
Le tems que je paffai à la campagne
fut bien employé, comme on fe f imagi-
ne ; toujours courant par monts & par
vaux , me faifant chérir de tous les babirans,
& cela devoir être , car mes careffes, 1 ef-
fufion de mon âme fe portoient fur tous
les objets animés & inanimés de la nature.
Qui le croiroit ? rien cependant de plus
véritable : a l'âge de fix ans , le fentiment
de l'amour fe fit fentir en moi , & 1 empor-
ta bientôt fur toutes mes affections; fen-
timent vague, à ïa vérité , & qui s'étendok
en même tems à plufieurs perfonnes: mais
io Essai
déjà j'aimois trop pour ofer le dire à au-
cune d'elles. Je gardois le filence par timi-
dité. Ce ne fut que longtems après, à l'âge
de dix-huit ans, dans un pays éloigné,
que cette pafïion me fit fentir tout fon pou-
voir : j'ofai alors faire le premier aveu , &
j'eus le bonheur de voir couler des larmes
pour réponfe.
Que fon doit craindre à tout âge de
rifquer ce premier aveu ! rien n'eft perdu ,
& fon peut encore vous aimer, fi vous ne
l'avez pas dit formellement. Mais (i vous
dites je vous aime un jour trop tôt , on ne
vous aimera peut-être jamais. L'homme
qui par fon caractère ne reffent que les
fecoufTes légères des partions , a mille ma-
nières de s'exprimer fans courir aucun rif-
que ; mais il n'en eft qu'une pour celui
qui, profondément agité, concentre la
flâme dans fon cœur ; ck malheur à lui y
s'il eft rebuté après s'être fait connoître.
Qu'on me pardonne ces réflexions étran-
gères à mon fujet, & qui m'ont écarté,
S V K LA MUSIQUE. It
pour un moment, de cet afyïe champêtre
dont j'aime à me retracer le fouvenir : ma
grand'mère vouloit m'y retenir ; mais il
fallut quitter ce féjour heureux pour retour-
ner à la ville. Mon père, qui étoit venu
nous voir, avoit annoncé qu'il vouloit me
donner des maîtres de mufique, & fi j'avois
delà voix, me faire enfant-de-chœur à la
collégiale de Saint-Denis, où il étoit alors
premier violon. Je frémis en apprenant ce
qu'il vouloit faire de moi : les maîtres de
mufique ne m'épouvantoient pas, au con-
traire ; mais être enfant-de-chœur me pa-
roiiïbit l'état le plus cruel , & je ne me
trompois point.
Depuis qu'il exifte des enfens malheu-
reux fur la terre, aucun ne le fut autant
que moi, dès que je fus abandonné au
pouvoir du maître de mufique , le plus
barbare qui fut jamais.
. Il n'y eut donc plus de plaifir pour moi
dès que je fus les intentions de mon père ;
le deuil fe répandit fur chaque objet qui,
i 2, Essai
la veille encore, avoit charmé tous mes
feus. Mon âme prefTentoit tous les coups
don: elle alloit être atteinte, ck cette pré-
voyance malhëureufe porta le trouble &
l'inquiétude au fein même du bonheur.
Peut-on jouir du préfent en redoutant Pa-
venir ? CTeft pour bien des gens un mira-
cle de fa nature , auquel je ne participai
jamais.
Je partis après îa vifite de mon père; il
s'occupa quelque temps de ma voix, qui
étoit belle & très étendue ; il me conduifit
chez le maître de mufique cle fa collégiale.
Je ne pus former un Ton. Etes -vous sûr
qu'il ait de îa voix? lui dit le maître. Oui
fans doute , reprit mon père en me regar-
dant de travers ; venez chez moi , il fera
moins timide , & vous l'entendrez. Il y
vint quelques jours après; il m'entendit
& je fus reçu.
Je ne me rappelle qu'avec peine tout ce
que j'ai fouflèrt pendant le temps que j'ai
été attaché à l'égîife de Saint-Denis : mais
SUR LA MUSIQUE. 13
il eft poffible que quelques fragmens de
cet écrit pafTent un jour entre les mains
des chancines qui confient trop légère-
ment ia jeunefïè à. des mains dignes touc
au plus d'exploiter les mines du pays : le
cjêfir fcul d'adoucir les peines de ces in-
nocenres victimes me fait entrer dans le
détail fuivant :
Quoique né d'un tempérament fort dé-
licat ç, les peines phyfiques n'ont jamais
diminué mon courage : mes forces fem-
Lîent s'augmenter avec le befoin qui les
fait naître. Le moral , au contraire , eft
chez moi très fufceptible , & toutes les
puiiTances phyfiques font anéanties quand
mon cœur eft oppreffé.
Je faifois fix voyages par jour, environ
d'un mille , pour me rendre aux trois of-
fices: j'euiTe fait ce trajet avec joie ; mais
j'avois vu punir rigoureufement la moindre
négligence même involontaire -, & îa crain-
te de fubir un pareil traitement rne rendeit
mes devoirs infupportables. Ce que je crai-
14 Essai
gnois arriva. Un jour que la pendule de
mon père s'étoit arrêtée , j'arrivai trop
tard aux matines, qui fe chantent entre
cinq & llx heures du matin. Je fus puni
pour la première fois ; on me fît tenir deux
heures à genoux , au milieu de la clafTe.
Que de mauvaifes nuits je pafTai enfuite !
cent fois le fommeil fermoit mes yeux ,
& cent fois la frayeur m'éveilloit. Je pre-
nois enfin mon parti ; Ôc fans confulter
ni l'heure ni le tems, je me mettois en route
fouvent dès trois heures du matin , à tra-
vers les neiges & les frimats : j'allois m'a£-
feoir à la porte de Péglife , tenant fur mes
genoux ma petite lanterné , a laquelle je
réchauftois mes doigts. Je m'endormcis
alors plus tranquillement ; j'étois sûr qu'on
ne pourrok ouvrir la porte fans m'éveilïer.
L'heure de ïa leçon ofTroit un champ
vafte aux cruautés du maître de mufique :
il nous faifoit chanter chacun à notre tour ;
& k ïa moindre faute, il affommoit de
fang froid le plus jeune comme le plus âgé.
SUR LA MUSIQUE. i ^
II inventoit des tortures dont lui feul pou-
voit s'amufer : tantôt il nous mettoit à
genoux fur un gros bâton court & rond ,
& au plus léger mouvement , nous faifions
ia culbute. Je lui ai vu affubler la tête d'un
enfant de fix ans d'une vieille & énorme
perruque, l'accrocher en cet état contre ïa
muraille , à huit pieds de terre , & là il le
forçoit à coups de verges de chanter fa mu-
fique, qu'il tenoit d'une main , & de bat-
tre la mefure de l'autre. Ce pauvre enfant ,
quoique très joîi de figure , relTembloit à
une chauve-fouris clouée contre un mur
ôc perçant l'air de fes cris. C'étoit toujours
en notre préfence qu'il accabloit de coups
le premier qui avoit tranfgrefîe fes loix
barbares. Dépareilles fcènes., qui étoient
journalières, nous faifoient tous frémir;
mais ce que nous redoutions le plus, c'étoit
de voir terralTer le malheureux fous fes
coups redoublés; car alors nous étions sûrs
de le voir s'emparer d'une féconde , d'une
troifième, d'une quatrième viclime, cou-
i6 Essai
pabîe eu non , qui devenoient tour a tour
îa proie de fa férocité : c'étoit là fa ma-
nie. Il croyoit nous confaler l'un par
l'autre 3 en nous rendant tous malheureux;
& lorfqu'iï n'entendoit plus que foupirs
& fangïcts, il croyoit avoir bien rempli
fes devors.
Que Ton juge de ce que j'ai dû feuf-
frir, pendant quatre eu cinq années que.
j'ai parlé dans cette horrible inquiiition.
J'ai été longtcrns le plus jeune , le plus
foihle , îe plus fenfible, & cependant ïe
moins maltraité: mais malgré rous mes ef-
forts peur lui plaire, malgré les progrès
rapides que je faifois dans la mufique, il
fainiïbit la moindre circonftànce. pour me
ranger dans la ciaiTe commune. J'étois la
victime fans tache , réfervée pour hs gran-
des occasions, & mes larmes avoient le
droit de lécher celles du plus malheureux.
J'eus beau employer îa douceur , le travail,
la foumiffion , rien ne put me mériter un
traitement pîusdoux. La feule bienveillance
que
SUR LA MUSIQUE. I y
mie je méritai ( du moins la regardois- je
comme telle) ce fur d'être choifi par lui
tous les deux jours , pour aller chez le
marchand de tabac. J'avois foin d'ajou-
ter quelques pièces de monnoie de mes
petites- épargnes , pour que fa taba-
tière rut mieux remplie : j'obtenois pour
toute récompenfe un coup-d'œil d'appro-
bation , & je me croyois trop heureux.
Croira-t-on cependant, & c'eft. une bi-
zarrerie inconcevable, que jamais je n'ai
dit un mot à mes parens des peines que
j'ai foufFertes? Mon père, qui étoit confi-
déré du chapitre, & craint du maître de
mufique, l'auroit perdu fans relTource, s'il
avoit foupçonné ma fituation.
Si pendant ces miférables années, je
n'ai pas tout-à-fait perdu mon tems , fi j'ai
fait quelque progrès dans la mufique . (i
j'ai acquis quelques foibîes connohTances,
je n'obtins point cet avantage par les le-
çons de Pinftituteur, mais malgré ces le-
çons; car fi quelque chofe avoit été capable
B
1 8 Essai
de détruire en moi ce goût inné, cet inf-
tinét qui m'entraînoit vers la mufique , j'ofe
affirmer que c'étoit la manière même dont
on s'y prenoit pour me l'enfeigner.
Je dois ici parler d'un accident qui, je
crois , a influé fur mes organes , relative-
ment à la mufique. Je puis être dans l'er-
reur ; mais il eft sûr que nul homme n'ofe-
roit affirmer le contraire.
Dans mon pays , c'eft. un ufàge de dire
aux enfans que Dieu ne leur refufe jamais
ce qu'ils lui demandent le jour de leur pre-
mière communion. J'avois réfolu depuis
longtemps de lui demander qu'il me fît
mourir le jour de cette augufte cérémonie ,
fi je n'étois deftiné a être honnête homme
& un homme diftingué dans mon état: le
jour même je vis la mort de près.
Étant allé l'après-dîner fur les tours ,
pour voir frapper les cloches de bois(i)
( i) Efpèce de bruit que l'on fubfîitue à celui des cloches
ordinaires pendant la femaine-fainte , & qui n'a rien de
-<bomnîun avec les crécelles en ufage à Paris & ailleurs.
SUR LA MUSIQUE. I <?
dont je n'avois nulle idée, il me tomba fur
la tête une folive qui pejfoit trois ou quatre
cents livres. Je fus renverfé fans connoif-
fance.
Le marguillier courut a l'églife chercher
l'Extrême-Onclion : je revins à moi pen-
dant ce tems , ôc j'eus peine à reconnoî-
tre le lieu où j'étois : on me montra le
fardeau que j'avois reçu fur la tête : Allons ,
dis-je en y portant la main , puifque je
ne fuis pas mort, je ferai donc honnête
homme & bon muficien. On crut que mes
paroles étoient une fuite de mon étourdif-
fement. Je parus ne pas avoir de blelîure
dangereufe ; mais en revenant à moi, je
m'étois trouvé la bouche pleine de fan g.
Le lendemain je remarquai que le crâne
étoit enfonce', & cette cavité' fubfifte en-
core.
J'étois peut-être arrivé à l'époque où le
caractère change; mais il e(t certain que
je devins tout-à-coup rêveur d'habitude :
ma gaîté dégénéra en mélancolie. La mu-
B %
io Essai
fique devint un baume qui charmoit ma
tritteiTe ; mes idées furent plus nettes, &
ma vivacité ne me reprit plus que par
accès.
Lorfque je travaille longtems, il me
femble que ma tête a confervé quelque
choie de rétourdiiTement que je fentis
après le coup dont j'ai parlé.
Lorsqu'il fut queition de chanter au
chœur, je m'en acquittai très mal ; la ti-
midité m'en ôtoit ies moyens : on prit
patience quelque tems; mais comme per-
fonne ne fe chargecit de me raiTurer, ma
crainte ne diminua point; & après quel-
ques efTais également infructueux , il fut
refoîu qu'on prieroit mon père de me re-
prendre.
Je ceiTai d'aller k l'école de chant ôc
anx offices, mais ]e confervai ma place.
Mon père me donna un maître , nommé
M.Lederc; aujourd'hui maître de mufique
à Strasbourg. II étoit doux & bon : je pro-
fitai de fes leçons.
SUR LA MUSIQUE. 21
Il arriva dans ce tems une trouoe de
chanteurs italiens , qui s'établit à Liège :
elle repréfentoit les opéra de Pergoleze, de
Buraneïlo, &c. Mon père pria le directeur,
nommé Refta, de me donner mon entrée
à l'orcheftre; il y confentit. J'aiTiflai pen-
dant un an à toutes les repréfentations ,
fouvent même aux répétitions : c'cft là
où je pris un goût paiïionné pour la mu-
fique.
Mon père, qui avoît fuivi mes progrès,
fentit qu'il étoit tems de reparoître à Saint-
Denis. Il alla trouver le maître de mufique,
le pria de me laifTer chanter un motet le
dimanche fuivant. Le maître lui reprefenta
qu'il étoit dangereux de m'expofer une fé-
conde fois, d'autant plus que les chanoi-
nes prendroient sûrement le parti de me
renvoyer tout a fait, fi je- ne réuffilTcîs pas
mieux. J'y confens, dit mon père, s'il ne
chante pas mieux que tous les muficiens
de votre collégiale. Ce ton d'afïurance fit
accepter la propofition , fans toutefois inf-
B3
n Essai
pirer une grande confiance au maître de
muiique. Le grand joui arrive enfin : mon
père me conduit à l'églife. Je me rappelle
qu'en chemin il me dit : Vous voye^,
mon fils , cette tabatière ; c 'ejl la plus belle
que j'aie , & je vous la donne fi vous chante^
bien. Ma bonne mère fe rendit aufli a l'é-
glife en tremblant. L'amour - propre de
toute la famille avoit été humilié , & j'ai-
lois tout réparer en un moment, ou con-
firmer l'opinion établie dans le bas-chœur,
que je n'étois pas né pour être muficien.
J'arrive ; tout le monde me regarde avec
pitié; on fourit, on ricanne. Le maître de
muiique me dit: Te voilà donc; mais tu
n'es pas changé? Il n'en falloitpas davan-
tage pour me rendre toute ma timidité \
mais j'avois un foutien qui n'étoit connu
que de moi. J'avois , depuis un an , une
dévotion à la Vierge , qui aîloit jufqu'à
l'idolâtrie (i); je venois de faire une neu-
(i) Les hommes qui connoiflent le cœur humain ne
trouveront point étrange que dans un pays où les opinions
SUR LA MUSIQUE. îî
vaine pour implorer Ton fecours ; & la pro-
tection du ciel me fembloit plus sûre que
la prédiction du maître de mufique. Cette
perfuafion me fauva.
Le motet que je chantai étoit un air ita-
lien traduit en latin , fur ces paroles à la
Vierge," Non femper fuper prata cafta flo-*
refcit Rqfa. » J'eus à peine chanté quatre
rnefures, que l'orcheftre s'éteignit jufqu'au
pianiffimo , de peur de ne pas m'enten-
dre (i>). Je jettai dans ce moment un coup-
d'œil vers mon père , qui me répondit
par un fourire. Les enfans-de-chœur qui
m'entouroicnt fe reculèrent par refpe£tj les
chanoines fortirent prefque tous de leurs
formes , & ils n'entendirent pas la fon-
nette qui annonçoit le lever-Dieu.
Dès que le motet fut fini, chacun féli-
cita mon père : on parloit fi haut, que l'of-
fice auroit été interrompu , fi le maître de
religieufes ont confervé beaucoup d'empire , un enfant
timide & trèsfenfïble prenne ainfî le change dans le pre-
mier développement des fentimens de Ton cœur.
B 4
24 Essai
mufique n'eût impofé filence. J'appcrçus
dans ce moment ma bonne mère dans
î'églife ; elle efïuyoit Ces larmes , ck je ne
pus retenir les miennes.
■Après la mefTe, je fus entouré de toi
ïe chapitre. M. de Harlez fur-tout , qui
étoit grand muficien , me promit fes bon-
te's , qu'il m'a toujours confervées : j'en
parlerai dans la fuite. On faifoit mille
quefëions a mon père : Quel eft donc ce
miracle? où a-t-il pris ce goût de chant?
îï chante aufil purement dans le goût ita-
lien que nos meilleures chanteufes de l'O-
péra. Mon père dit alors qu'il me condui-
foît avec lui a tontes les repréfentations.
Mon petit triomphe fit du bruit ; les
chanoines en parlèrent à la repréfentation
du foir (i). Le dimanche fuivant je chan-
tai encore par ordre du chapitre. J'avois
un nombreux auditoire ; 6k ce qui me flat-
(t) Le prince-évêcjue aflîfte au îpeclacle , & par con-
féquent le clergé.
SUR'IA MUSIQUE. 1j
toit le plus 3 toute îa troupe italienne ,
femmes & hommes , chacun d'eux me
regardoit comme Ton élève.
Je chantai le même morceau , qu'on
avoit redemandé. J'eus l'adreiTe d'y ajou-
ter quelques tournures plus italiennes ;
mon fuccès fut complet. II fignor Refta
déclara qu'il donnoiî: les entrées de fon
fpeclacîe à tous les enfans-de-chœur de la
ville : aufïi vit-on chaque jour une troupe
de petits abbés qui venoient apprendre à
louer Dieu, a h faîle de îa comédie.
On eft curieux peut-être de favoir ce
•que me dit le maître de mufîque dans ces
circonfrances : pas grand'chofe. Il changea
de conduite à mon égard ; il me traita
comme un grand garçon. Le jour même
que je chantai mon premier motet , il me
préfenta fa main , que je ferrai , & il me
dit fans me tutoyer comme auparavant :
» Quoique vous n'ayez pas réufli comme
» enfant-de-chœur , je prédis que vous
» ferez bon muficien. » Je le remerciai ,
2.6 Essai
& lui pardonnai dans le fond de mon
cœur toutes les cruautés dont il avoit em-
poifonné mes premières années... Il mou-
rut pendant mon féjour à Rome. Sa femme
chercha à me voir au premier voyage que
je fis à Liège : je ne pus me réfoudre à al-
ler chez elle ; je n'aurois pu lui parler que
de fon mari , ck fon fouvenir auroit flétri
le bonheur dont je jouifïois au fein de ma
patrie , qui m'accabïoit de bienfaits.
Après deux ou trois ans , ma voix ne
tarda pas à fe reflentir du tumulte des
parlions qui s'élevoient en moi. Mon trou-
ble étoit d'autant plus violent, que je le
cachois à tout le monde , & fur-tout au
fexe qui en étoit l'objet. Toujours feul
confident de mes defirs , je m'enfermois
dans ma chambre pour me livrer à mon
délire , & fouvent au défefpoir de ne pou-
voir toucher le cœur de quelque Beauté,
qui n'exiftoit que dans mon imagination :
c'étoit cette timidité, avec laquelle je fuis
né, qui me faifoit préférer des êtres fanta£
SUR 1 A MUSIQUE. 7. n
tiques a des êtres réels. Cette timidité' eft
dangereufe , je l'avoue ; elle concentre le
foyer des panions ; elle excite un feu qui
ne pourroit que s'affoiblir en fe répandant
au-dehors \ mais elle fert peut-être à pré-
parer Pâme d'un jeune artifte qui doit
peindre les partions. Le génie fe relâche par
la jouilTance ; il s'échauffe par les defirs.
Il eût fallu dans cet inftant m'interdire
ïe chant. On n'eut pas cette prudence ;
chacun vouloit m'entendre & jouir le plus
îongtems qu'il fe pourroit des reftes de ma
voix , que l'âge devoit bientôt détruire ou
changer , & moi-même je me difïimulois
les efforts que j'étois obligé de faire. J'en
fus puni ; je vomis le fang en fortant d'un
concert, où j'avois chanté un air fort haut
de Galuppi. Quoiqu'il fe foit paffé envi-
ron vingt-cinq ans depuis cet accident ,
je n'en fuis pas guéri ; il s'efl renouvelle
à chaque ouvrage que j'ai fait. J'en ai une
.(i grande habitude ; j'ai été traité à Liège,
à Rome , à Genève , à Paris de tant de
2§ Essai
manières différentes , que les perfonnes
qui en font atteintes me fauront gré fans
doute fi je leur fais part du régime qui
m'a le mieux réufïï.
Si j'avois pu renoncer a toute efpèce de
compofition , j'aurois obtenu probable-
ment une guéiïfon complette; mais rien
n'a pu m'arrêter , pas même la crainte
de payer de ma vie le plaifir de me livrer
à mon goût pour l'étude.
Je me rappelle une converfation que
j'eus à Paris avec le docteur Tïonchin. Je
vois, me difoit-il, comment vous vivez;
vous êtes fobre ; vous fuivez le régime que
je vous ai prefcrit : pourquoi donc ces re-
chûtes continuelles? il faut que vous me
difiez comment vous faites votre mufi-
que. — Mais, comme on fait des vers...
un tableau ; ... je lis , je relis vingt fois les
paroles que je veux peindre avec des sons ;
il me faut plufieurs jours pour échauffer
ma tête : enfin je perds l'appétit ; mes
yeux s'enflâment; l'imagination fe monte;
SUR LA MUSIQUE. 1J
alors je fais un opéra , en trois femaines
ou un mois. — Oh l ciel l dit Tronchin ,
lailTcz là votre mufique , ou vous ne guéri-
rez jamais. Je le fens , lui dis-]e , mais ai-
mez-vous mieux que je meure d'ennui ou
de chagrin ?
Voici les confeils que je donnerois à
ceux qui , travaillant comme moi , font
fujets à cette maladie.
Ne vous faites point faigner pendant
Thémorragie, fans la plus grande nécefïité :
j'ai vomi jufqu'à fix ou huit palettes de
(ang en différens accès , qui revenoient pé-
riodiquement deux fois par jour Se deux
fois par nuit : tout fe calme a la fin , en
buvant un peu d'orgeat dans de l'eau de
graine de lin : la faignée habituelle , en
aflbibliflànt les vailTeaux, prépare de nou-
velles hémorragies.
Après le dernier accès , je refte deux
fois vingt-quatre heures couché fur le dos ,
fans parler & fans remuer : un affez gros
volume de fang grumelé, que fon expeo
30 Essai
tore d'ordinaire pendant cet intervalle , an-
nonce que la cicatrice eft formée ; il faut
alors une huitaine de jours pour reprendre
des forces.
Quant au régime habituel, purgez-vous
au printems ck à l'automne, avec une mé-
decine douce. On a voulu m'interdire
î'ufage des purgatifs ; mais j'ai remarqué
que la fermentation des humeurs me don-
noit le crachement de fan g ; ou au bout
de deux ans , j'avois pis encore , une fièvre
tierce, ou putride; alors au lieu de quatre
médecines que j'avois évitées , il en falloit
prendre autant que ïa maladie l'exigeoit.
La Vie fédentaire d'un homme de ca-
binet échauffe & tient en ftagnation l'hu-
meur, qu'il faut néceiTairement expuïfer
avec précaution.
Prenez le matin une tafTe d'înfufion de
fleurs d'ortie rouge: faites-y fondre un pe-
tit morceau de colle de peau d'âne.
Si votre poitrine eft échauffée , ce que
l'on apperçoit par un petite toux feche )
SUR LA MUSIQUE. *li
prenez du ilrop de vinaigre dans beaucoup
d'eau. Si votre ellomac eft trop rafraîchi ,
prenez un verre de vin de Bordeaux après
le repas. L'excès des rafraîchifTemens m'a
donné une fois mon crachement de fang.
Mon médecin ( i ) ne put l'arrêter au bout
de cinq jours qu'avec des toniques. Je pris
fix fois de la confection de jacinthe , après
quoi l'hémorragie cefla.
GarantifTez-vous contre l'humidité des
pieds pendant l'hiver; couchez- vous de
bonne heure ; mettez vos jambes dans
l'eau tiède , (i votre tête s'échauffe trop
pendant le travail ; choififTez des aîimens
fains & de facile digeftion , & laiiTèz les
mets trop échauffons. Prenez un remède
d'eau-froide tous les matins ; faites-îà dé-
gourdir pendant l'hiver. Ne buvez pas de
vin fans eau habituellement ; ne travaillez
jamais après le repas: l'imagination eft fa-
cile après la digeftion du dîner ; mais tra-
' ' *' ' ' "' ■— — ^—»— «P-llll. I III I »■»! »l I I I
(i) M. Philip.
3^ Essai
vaillez rarement le foir , (i vous voulez une
bonne nuit ôc un bon lendemain.
Voilà ce que l'expérience m'a appris ;
voilà le régime que j'ai tenu, & probable-
ment je lui dois une exiftenee fur laquelle
on n'auroit pas dû compter beaucoup il y
a vingt ans. II eft aifé à obferver ; mais il y
faut ajouter une règle , fans laquelle tout
régime en: inutile. Je dirai au jeune homme
fougueux & plein d'imagination, qui s'a-
bandonneroit à - la - fois a l'impulfion de
Ion génie & a celle des pallions de fon
âge : ce Si tu veux te livrer aux charmes de
» l'étude, renonce aux plaifirs des fens;
» finon la mort eii ton partage. »
Mon crachement de fang fut l'époque
où j'abandonnai le chant. Pavois déjà com-
mencé a m'eccuper de la compofilion,
fans règles, ni principe; J'avois même
compofe un motet en chœur à quatre par-
ties, Se une fugue inftrumentaïe, aufli à
quatre parties : je m'y étois pris d'une ma-
nière (i nouvelle, pour faire ces deux mor-
ceaux,
SUR LA MUSIQUE. 33
ceaux, qu'un habile maître n'auroit pas dé-
favoués, que je dois les rapporter, ne fût-
ce que pour prouver combien l'émulation
donne de courage & rend ingénieux. J'a~
vois commence' par la fugue , parce qu'on
m'avoit dit que cette compofition étoit la
plus difficile : cr fi je débute par une fugue ,
me difois-je en moi-même, j'étonnerai
bien du monde, & cela fut vrai, J'avois une
fugue en partition & à quatre parties ;
elle étoit très bien faite, fort claire quoi-
que très rigoureufe. Je fétudiai au point
que j'en favois toutes les parties par cœur.
Mille fois, dans mon lit, je me fignrois
entendre exécuter ce morceau , & je l'en-
tendois réellement.
Tel étoit le fujet.
Voici celui que je pris, mais un ton
plus haut, pour mieux tromper l'auditoire.
— — ■ •» m i m*mn*m r*—r- • * 1— »— i— • — ^-— ■ — ■ -^—y
c
34 Essai
J'eus la patience de travailler la fugue
entière de cette manière, c'elt-à-uire,
qu'en raifant" toujours le contraire de mon
modèle , je le fuivois en tout point. On
me crut un prodige , & je n'ëtois qu un
adroit plagiaire. Le motet que je fis en-
fuite ne m'appartenoit pas plus que la fu-
gue. Je fuivis un autre procédé.
J'avois environ cent motets. en chœur,
imprimés avec les parties féparées. Je
m'emparai d'abord de la balTe chantante
des cent motets, Se en les parcourant, je
pris tantôt une phrafe , tantôt une demi-
phrafe , félon que mes paroles l'exigeoient.
Tranfpofer les tons , ajouter ou diminuer
un tems dans une mefure, n'étoit rien
pour ma patience : j'avois foin d'écrire fur
un papier à part la page & la ligne où j'a-
vois pris cette baffe, après quoi je feuille-
tai chaque cahier pour y prendre les par-
ties ; fi la haute-contre fortoit de fon dia-
pafon , je favois bien l'échanger avec la
taille: enfin ie motet -fut fait, fut trouvé
SUR LA MUSIQUE. 35
harmonieux , Se ne fut pas reconnu. Je
conviens qu'il n'étoit guère poMiblc qu'il
le fur.
Ma confeience me reprochoïr cepen-
dant cette manière de compofer en mo-
îaïque : j'étois moins content que ceux qui
m'entendoient; mais enfin j'avois pris un
envasement avec les muficiens, il falloir
continuer & faire mieux.
Je demandai un maître de clavecin à
mon père. Il me donna M. Renekin , cé-
lèbre organifte de Saint-Pierre à Liège. Je
pris de lui, pendant deux ans, des leçons
d'harmonie dont je profitai bien : cet hom-
me étoit en tout l'oppofé de mon premier
maître ; il avoit autant de douceur, de pa-
tience Sz d'aménité avec fes élèves , que
l'autre àffé&oil de morgue & d'inflexibi-
lité. On deliroit fes leçons autant que l'on
redoutoit celles du pédant orgueilleux Se
barbare. Je me rappellerai toujours avec
tendre (Te & reconnoiiTance ce que je lut
dois, Se combien je jouiiïois en m'inllrui-
C 2.
3^ Essai
fànt avec lui dans une fcience que chacun
trouve abftraite & ennuyeufe»
Il m'apprit la règle ordinaire de l'o&a-
ve par le renverfement des trois accords
primitifs , l'accord parfait > la feptième de
dominante & la feptième de féconde : ce
qui fut fait & mis en pratique en deux
mois de leçons. Il me donna un livre de
baltes chiffrées , qu'il avoit fait & écrit
lui-même : tous les écarts , les furprifes ,
toutes les refîburces de l'harmonie étoient
f afTembïées & mifes en ordre dans ce ma-
nuferit dont je regrette beaucoup la perte.
Sa manière d'enfeigner mérite peut-être
queïqu'attention : il mettoit autant d'ar-
deur, il prenoit autant de part à la leçon >
que s'il avoit fait pour lui-même autant
de découvertes que j'en faifois pour mon
compte. Il m'arrêtoit tout-à-coup fur un
accord difîbnnant de feptième diminuée ;
Par exemple : Ne bougez pas , mon ami ,
ne bougez pas , me difoit-îl ; vous allez
de cette note fenfible, portant accord de
SUR LA MUSIQUE. 37
Septième diminuée, à Paccord parfait mi-
neur, un demi-ton plus haut? — Oui:
< — Monfieur , ne pourriez-vous pas me ren-
voyer bien loin ? — - Oui , MonGeur ,. je
puis prendre une des quatre notes de l'ac*-
cord pour fenftbïe , Se en prenant la tierce ,
j'îrois dans ce ton — -. II fe ïevoit alors
tranfporté de joie ; il marchoit à grands
pas par toute ïa chambre, en riant de
toutes fes forces ; je le fuivois en riant
comme lui , & nous étions fouvent pendant
cinq minutes dans cette efpèce d'enthou-
fiafme, fans pouvoir nous retenir. C'étoit
par inclination qu'il enfeignoit , & le paie-
ment n'étoit qu'accefîoire.
Cet homme aimable y. avee lequel j'au-
rois voulu paner ma vie, & que ïa mort
a trop tôt enlevé , cet homme , dis - je ,
rempli d'efprit , de connoiflances & de
candeur , avoit l'art d'entraîner fon élève
par fintérêt qu'il prenoit lui-même à ïa
choie ; & je puis dire avec vérité que cha-
que leçon qu'il me donna pendant ces
38 E S S A I
deux an lices, fut pour moi un véritable
divertiffement.
Ce que je viens de dire mérite d'èrre
confédéré par les maîtres en tout genre, &
je leur promets qu'ils feront très recherchés,
qu'ils fe feront honneur de leurs élèves ,
& qu'enfin ils mériteront les éloges dus
aux habiles maîtres , fi , pofTédant bien
clairement les principes de leur art, ils
fuivent les traces du célèbre Renckin.
C'eft à cette époque que je dois rappor-
ter la véritable origine de tous les progrès
que j'ai pu faire dans la mufique. C'eft
alors que des foins convenables dévelop-
pèrent très fenfiblement un germe qu'une
mauvaife culture avoit failli d'étouffer ;
mon exemple prouvera avec cent autres ,
que îa première qualité d'un maître , en
quelque genre que ce foit, eft de s'attirer
d'abord îa bienveillance de fon élève , &
que fans le talent de s'en faire aimer , tons
îes autres deviennent inutiles. Il eft indu-
bitable que l'afpecl: toujours févère de la
SUR LA MUSIQUE. 3 Q
plupart des inflituteurs, le ton defpotique ,
ïes mauvais traitemens font diamétrale-
ment contraires au but de l'inftiturion ;
car feffét le plus commun de tels moyens
eft d'infpirer pour la vie à prefque tous les
enfans un dégoût invincible pour l'étude.
L'image de l'étude & celle du maître si-
>
dentifient dans leur efprit , & ils en con-
çoivent pour tous deux une forte d'hor-
reur (c).
Il en étoit tout autrement deM. Rene-
kin : il redoubloit mon ardeur ; j'étois tout
occupé de mon harmonie , elle me ren-
doit heureux, grâce à fes foins.
Cependant mon père, qui avoxt été
émerveillé de mes deux premiers morceaux
de compofition , vint me trouver un jour
dans ma chambre : Mon fils,, me dit-il ,
je ne fais comment vous vous y êtes pris
pour faire votre fugue & votre motet? —
Je le fais bien, moi, lui dis-je en riant.
I — Eh bien! ajouta- 1- il, a préfent que
vous connoiiTez l'harmonie , je doute en-
4© Essai
core que vous puiffiez , fans vous épuifer
de fatigue , écrire correctement les chofes
dont vous connohTez la marche harmo-
nique ? Je vois , continua * t - il , tous les
jours dans le'monde des hommes inftruits
dont l'éloquence entraîne & perfuade ;
s'ils s'avifoient Récrire ce qu'ils difent fi
bien , peut-être ne les entendroit-on plus.
Or donc (c'était fon expreflion favorite) i{
en efl de même d'improvifer fur un clavier
ou d'écrire correctement en mufique ;
croyez - moi , mon fils , il vous faut un
maître de compofition , & j'ai fait choix
çle notre ancien ami M. Moreau , maître
de mufique de Saint-Paul; je lui ai parlé
de vous , il vous recevra avec plaifir.
Dès le lendemain, je courus chez M.
Moreau. Je lui portai une méfie, que je
commençois. Oh ! doucement, me dit-il ;
vous allez trop vite. II me rendit ma parti-
tion fans la regarder , & il m'écrivit cinq
pu fix rondes fur un papier : Ajoutez unç
partie de chant à cette balTe, & vous me
SUR LA MUSIQUE. 4.1
l'apporterez ; fur-tout ne compofez plus de
mette. Je partis un peu humilié. Je me
difois en chemin : Mon père avoit bien
raifon.
Je ïui portai fa baffe ornée de trois ou
quatre chants difFe'rens. Vous allez encore
trop vite, me dit-il ; je vous avois demandé
note pour note fur cette baffe , & par mou-
vement contraire } Dominus vobis cùm.
Séparez ôc rapprochez les mains ; voilà
ce que les parties doivent faire. Je fortis
en me difant, voilà deux leçons dont je
n'ai guères profité. Mais allons doucement,
je vois bien que mon défaut eft d'aller trop
vite.
Je n'eus pas affez de patience pour m'en
tenir à mes leçons de compofition; j'avois
mille idées de mufique dans la tête , & le
befoin d'en faire ufage étoit trop vif pour
que je pufle y réfifter. Je fis fix fympho-
nies ; elles furent exécutées dans notre ville
avec fuccès. M. le chanoine de Harlez me
pria de les lui porter à fon concert ; il
4^ Essai
m'encouragea beaucoup ; me confeiïïa
d'aller e'tudier à Rome, & m'offrit fa
bourfe. Mon maître de compofition re-
garda ce petit fuccès comme pouvant
nuire à l'étude du contrepoint, qui m'étoit
fi ne'ceiTaire : il ne me parla point de mes
fymphonies (i). II n'en fut pas de même
de M. Renekin. J'arrive un jour pour pren-
dre ma leçon de clavecin ; il m'embra.Te,
me fait afTeoir dans un fauteuil ; fe met a
fon clavecin ; exécute un morceau dz mes
fymphonies qu'il favoit par cœur ; revient
à moi , en me criant , bravo ! bravo ! mon
ami ; ah ! je fuis d'une joie. ... Je veux
les jouer toutes fur mon orgue. Trop digne
& trop aimable homme ! tu fentois les
défauts de mon foibïe ouvrage ; mais au
moins , encouragé par ton fuffrage , tu
préparois les femences qui dévoient un
(i) Je n'étendrai point ici mes idées fur l'art d'enfei-
gner , ni fur les différentes manières que l'infHtuteur doit
adopter, félon le génie plus ou moins aâif de fon élève»
Cet objet intéreïïant mérite d'être traité féparément.
y
SUR LA M 17 S I QU E. 43
jour germer & faire naître des productions
plus dignes de l'émulation que tu m'inf-
pirois !
Le projet d'aller étudier à Rome ne me
quitta plus , & pour décider le chapitre à
me laiîTer partir, je finis la méfie dont j'ai
parlé. Je ïa fis voir a ,M. Moreau , en lui
difant : Je conviens , Monfieur , qu'un
écolier de ma forte ne doit pas entrepren-
dre un ouvrage fi confidérable ; mais je
fuis décidé à aller étudier à Rome : mes
parens s'y oppofent , vu ma foible fanté ;
mais duiïai-je y aller à pied & demander
la charité fur les chemins, mon parti eft
pris ; je le fuivrai. Voyez donc cette mefle,
je vous en prie ; je veux, s'il eft poflibîe,
engager le chapitre a rcconnoître mes fer-
vices, & ne pas priver mon père d'une
fomrre dont fa nombreufe famille a be-
foin. Il vit ma mefle en quatre ou cinq
féances ; il corrigea beaucoup de fautes de
compofition , & il n'en trouva aucune
contre l'expreflion.
44 Essai
Je me rappelle qu'il étoit revenu plufieurs
fois au verfet qui tollis peccata mundiy S'a.
Comment le trouvez-vous, lui dis-je? Je
vous confeille de ne pas le laiffer, me
dit-il. — Pourquoi donc? — On ne croira
pas qu'il foit de vous. ■ — Cela m'eft égal;
j'efpère que vous êtes perfuadé qu'il eft de
moi 9 Se cela me fuffit.
Ce que je, dis prouve affez que c'en1 à la
nature à faire les premiers dons a l'homme
qui Ce deftine aux arts d'imagination.
Quelle eft, me dira-t-on, la nature que
doit Cuivre le muficien? La déclamation
juile des paroles. Je ne parle pas des efc
fets phyfiques ,, tels que la pluie , les vents ,
ïa grêle, le chant des. oifeaux, les trem-
bîemens de terre, &c: quoiqu'il y ait du
mérite à bien rendre ces difFërens effets x
le plus Couvent ils me font une forte dé
pitié. C'eil comme quand on voit un bufte,
colorié ou habillé, on recule d'effroi \ c'en;
la nature trop fèrviïement rendue ; elle
li plus de charme.
SUR LA MUSIQUE. 47
Je n'aime pas davantage les récits de
combats , de tempêtes mis en mufique :
c'eft, je crois, ïa faute de nos poètes, qui
ralTemblent tant d'images dans un même
morceau, que le muficien devient confus
pour vouloir tout rendre : le récit dans le
Huron , celui de la tempête dans le Ta~
ht 'eau parlant , ne me fatisfont point; fa
chafTe de Tom- Jones a les mêmes défauts,
quoiqu'en dile fauteur du mélodrame : il
ne trouve rien de comparable à l'endroit
qui dit en parlant du cerf, enfin tombe. . . .
Cette expreffion muficale me paroît exa-
ge're'e, lorfqu'il efl queftion de peindre un
cerf prefque mort de fatigue avant de fuc-
comber ( i ). Le récit que j'ai fait dans
l'Amant - Jaloux , Viclimt infortunée . . .
(i) On peut objeder qu'en pareil cas , c'eft le ch?.fTcuc
qui exagère ; voilà peut-ctre l'excufe du mufiden. Au
refte , foit que j'approuve ou que je critique , l'on me per-
mettra de prendre mes exemples chez les autres, lor(q:e
je ne les trouve pas dans mes. ouvrages. La franchife avec
laquelle je me critique moi même, prouve q<.ie je n'ai tn
vue que l'avantage de l'art.
46 Essai
n'a pas ïe défaut de la furabondance , & je
crois que les réflexions des deux femmes
qui écoutent Léonore , ne contribuent pas
peu a l'effet de ce morceau, qui auroit
peut-être pris une tournure gigantefque,
fi ces réflexions n'en euffent feparé les
images, L'inexpérience s'ap perçoit da-
vantage dans les comportions trop fur-
chargées & produifant peu d'effet, que
dans celles où règne trop de (implicite ôc
même un certain vuide. Voyez la mufique
de PergoU^e. Le chant efl un defTein pur
qui fuit la déclamation ; quelques notes
d'accompagnemens lui ont fuffi pour com-
pléter ion tableau. On pourroit fans doute
multiplier les accompagnemens, fans nuire
a fenfembîe ; c'en: ce que fait le muficien
qui écoute. Je n'ai jamais entendu la Ser-
vante-'Maître (fc , fans Elire dans ma tête
quelques parties fatisfaifahtes., 6c j'étois en-
chanté que fauteur m'eût laide ce plaifir.
J'entends fouvent les muficiens de ïa
Comédie Italienne ajouter quelques notes
SUR LA MUSIQUE. 47
par-ci, par-là, à mes accompagnemens ;
ce qu'ils ajoutent eft bien ; mais j'aimerois
mieux qu'ils le laifTafTent faire aux fpe&a-
teurs , qu'il faut aufli amufer. Si chaque
exécutant avoit la même envie, que feroit-
ce qu'un tel enfemble? Le muficien exé-
cutant qui paife les bornes de fon devoir,
non feulement fait la leçon au compofi-
tcur, mais il fe donne, à l'égard de fes
confrères, un ton de docteur, qui, à la
longue, nuit fmguliérement à fa réputation.
Si les comédiens donnent un jour un pou-
voir moins limité à l'habile artiile , M. de
la HoufTaye, qui conduit l'orcheftre , je ne
doute pas qu'il ne réprime cet abus.
M. le chanoine de Harîez fit part au
chapitre de l'envie que j'avois d'aller étu-
dier à Rome, & il prit fes ordres pour
faire exécuter ma melTe à la prochaine fête
folemnelle , qui n'étoit pas éloignée. *
Allons, dit un chanoine , faifons ce que
defîre ce jeune homme; mais je vous aver-
tis, Meilleurs , que s'il nous quitte une fois,
48 Essai
nous le perdons pour toujours. On m'ac-
corda une gratification.
Je portai ma méfie a l'abbé J***,
alors maître de mufique , qui crut , ainfi
que mon maître de compofition , qu'elle
n'étoit pas de moi (1). Cependant il fallut
obe'ir & battre la mefure : ce qu'il fit d'af-
fez mauvaife grâce; mais mon père, pre-
mier violon, étoit aimé de (es confrères :
ils remarquèrent que le maître de mufique
mettoit peu de foin à l'exécution > & cela
ïeur fuffit pour redoubler leur zèle. Aufïi
jamais ouvrage ne fut exécuté avec plus de
chaleur.
La méfie fit plaifir; & l'on fe difoit dans
îa ville : Nous avons entendu les adieux du
jeune Gretry.
Il n'eft pas indifférent qu^un maître de
mufique , c^eft-à-dire , celui qui bat la me-
fure, foit aimé des muficiens qui exécu-
tent fous lui. Le moindre gefte, le plus
(1) J'attefte cependant qu'elle ctoit mon ouvrage, &
que je n'ayois pour cette fois ufé d'aucun ffratagême.
petit
SUR LA MUSIQUE, 49
petit coup de Ton bâton ou de fon pied , eir.
faifi par tout le monde : c'eft un fluide qui
fe communique dans tous les coins d'un
orcheftre , quelque grand qu'il (bit ; mais
je ne connois rien de plus fct qu'un batteur
de mefure qui n'infpire pas de con-
fiance: il frappe, il s'agite & ne produit
rien : une autre fois, il fait le fîgne pour
commencer ; il frappe majeflueufement ;
mais les muficiens rebelles fe font donné
ïe mot, Se perfonne ne commence... Il
refte tout étonné , Se il voit que fon bâton
de mefure, fans le fecours des exécutans,
efr un infiniment de fort peu d'efTer. Ex-
cepté dans les grands chœurs , cù je ie
crois néceflaire ; au théâtre , il nuit
à la bonne exécution , Se voici pour-
quoi : Chaque muficien eft obligé d'avoir
l'œil fur Ta&eur chantant, c'eft la feule
manière de bien accompagner ; il en eft
difpenfé quand on lui frappe chaque me-
fure : car il ne peut & ne doit pas fuivre
deux perfonnes à-Ia-fois. D'ailleurs , l'ex-
D
fo Essai
prefïion entraîne hors de mefure tout réci-
tant, foit vocal ou inftrumental : malheur
à celui que ce défaut ne furprend jamais.
Il eft donc clair que les fymphoniftes
deviennent froids & indifTérens, quand ils
ne fuivent pas directement l'a£teur ; le
L-âton qui les dirige les humilie, leur ôte
l'émulation naturelle a tout homme qui ,
pouvant obéir à fon principal 3 fe voit
contraint de fuivre la loi d'un tiers.
Le bâton de mefure eft cependant né-
ceiïaire au théâtre de l'Opéra, où fouvent
dans la coulirle, on exécute de grands
chœurs , quand la fituation dramatique
l'exige. Il ne faut pas croire qu'un group-
pe de chanteurs ainfi éloigné puiife en-
tendre f orcheftre , quelque nombreux qu'il
foit : chacun chante à f oreille de fon voi-
fîn, &" je me fuis quelque fois furpris
chantant contre mefure & conduifant à
faux le chœur qui mJenvironnoit. Le maî-
tre des chœurs peut s'avancer & jetter un
coup d'œil fur le bâton , direz-vous ; c'eit
SUR LA MUSIQUE. < i
ce qu'il fait : mais fi c'efl un chœur danfé
& chanté ; fi une foule de danfeurs occu-
pent l'avant - fcène , le bâton n'en1 plus
vifible. Le barteur de mefure frappe alors
fur fon pupitre ; ce qui eft très défagréa-
ble à entendre , car il vous rappelle fur-îe-
champ que vous êtes à la comédie (dy J'ai
fouvent fongé aux moyens de remédier à
cet inconvénient; je crois qu'on le pour-
roit , en plaçant quelques gros tuyaux d'or-
gues derrière la fcène, ou fous le théâtre
même , en ouvrant le plancher par des
trous aux endroits des tuyaux : le clavier
feroit dans l'orcheftre, un organifte y tou-
cheroit pour accompagner , guider les
chœurs & les empêcher de fortirdu ton.
D'ailleurs ces excellentes baffes de 24,
pieds, en renforçant l'harmonie, ajoute-
roient finguliérement à l'effet.
L'on cherche les moyens de diriger les
aéroitats, cherchons donc aufîi à perfec-
tionner le plus beau , le plus noble infini-
ment de mulique que nous ayons. L'orgue
D 2
Ji Essai
en effet feroit à lui feul un orcheftre fu-
perbe, fi l'on pouvoit donner au Ton la
gradation du doux au fort, à volonté de
Torganifte. J'en ai parlé à M. Charles , Se
il n'a pas cru cette découverte impoflible :
c'eft , lui ai - je dit , \ 'étude de l'organe
humain qui peut vous y conduire. La
manière dont nous formons les fons, le
développement ou ïe retrécillement que
nous obfervons naturellement pour nuan-
cer le chant, la manière dont un joueur
d'inftrument à vent modifie les fons par
les mouvemens des lèvres & le ménage-
ment du fouffle , &c. font ce qu'il faut ap-
profondir & imiter pour y parvenir.
Je ne puis fupporter longtemps le
meilleur "orgue, touché par le plus habile
organise : j'ai cherché la caufe de cet en-
nui, Se i] provient fans doute de l'unifor-
mité des fons ; l'artifte a beau changer de
jeu , il retrouve par-tout des fons pleins Se
fans nuances.
Un parleur monotone peut avoir un
SUR LA MUSIQUE. 53
Bel organe ôc dire de bonnes chofes ; il
vous fait éprouver a la longue un maî-
aife infupportable. J'ai remarqué , comme
tout le monde , pîufieurs fortes de mono-
tonies; celle qui eft produite par un fon
filé fans nuances ; celle qu'occafionne la
le&ure des grands vers , où le fens fufpen-
du à f émiftiche , finit trop fouvent à la fin
du vers ; il vous refle dans ïa tête , après
une longue lecture de vers égaux , un mou-
vement involontaire de la quantité de fyl-
labes, qui eft prefqu'aufïi défagréable que
îe cochemar. Je crois même qu'un mouve-
ment longtemps répété, agit fur la cir-
culation du fane.
Peut-être tous les hommes îrobtien-
droient point le réfultat d'une expérience
que j'ai faite fouvent fur moi-même.
Je mets trois doigts de la main droite
fur l'artère du bras gauche , ou fur toute
autre artère de mon corps; je chante in-
térieurement un air dont le mouvement de
mon fan g eft la mefure : après quelque
D3
£4 Essai
temps , je chante avec chaleur un aîr d'un
mouvement différent ; alors ]e fens diftînc-
tement mon pouls qui accélère ou retarde
fon mouvement, pour fe mettre peu-à-
peu a celui du nouvel air.
Après cela , dira-t-on que les anciens
avoient tort de dire que la murique ren-
doit furieux, ou calmoit les individus bien
organifes & pafîionnés pour cet art (i)?
Le printems approchoit , mais fes dou-
ces influences n'infpiroient à ma famille
qu'une fombre triflelTe. On ne croyoit pas
que j'eufTe aifez de forces pour fupporter la
fatigue d'un voyage de quatre à, cinq cents
lieues que j'allois faire a pied. Ma bonne
mère eut le courage , en répandant des
larmes , de travailler elle-même aux petites
nippes qui m'étoient nécefTaires. J'étois ïe
feul de la famille qui parût avoir confervé
(i) Le mouvement, ou le rythme, agit plus puifTam-
ment fur l'âme que la mélodie ou l'harmonie. On pourroit
dire qu'il eiî pour l'oreille ce que la fïmétrie eft pour les
yeux.
SUR LA MUSIQUE. JJ
de la gaîté : j'étois réfoïu & j'avois raifon
de paroître tel ; c'étoit le feul moyen d'ob-
tenir le confentement de mes parens. Je
fus paffer une journée a Coronmeufe , chez
ma grand'mère. Ses adieux étoient pour
moi les plus cruels de tous ; car (on grand
âge ne me lai (Toit pas l'efpe'rance de la
revoir jamais : fa contenance à mon égard
n'eft jamais fortie de ma mémoire. Elle me
parla longtemps de mes devoirs envers
Dieu , me recommanda beaucoup le foin
de ma fanté. Elle remarqua fans doute
avec plaifir le courage que j'affe&ois ; 6c
dans la crainte de f affoiblir , elle s'effor-
çoit de me montrer une phifionomie riante ,
dansîe temps que fes pleurs la trahifToient.
L'exhortation que me fit fon fécond
mari fut d'un genre tout différent : après
dîner il me conduifit dans fon jardin ; il
commença par m enfoncer fon chapeau
fur ma tête, en me difant: Eh bien , Ro-
drigue , as-tu du cœur ? — Oui , vraiment ,
mon grand - papa. Tiens, me dit- il en
D4
5 6 Essai
fouillant dans Tes poches , voiîà le preTent
que je te fais. Il fort en même temps deux
pifloîets, qu'il me préfente: Prends, garde,
dit-il, ils font charges; n'en abufe pas,
mon fils, je t'en conjure, mais fi quel-
qu'un t'attaque — Oui , oui , mon
grand-papa, je faurai bien me défendre.
- — Allons, voyons, je fuppofe que cet ar-
bre eft un voleur qui te demande la bourfe
ou îa vie, que feras-tu! — Je lui dirai:
Monfieur, fi vous êtes dans le befoin, je
peux bien vous offrir quelque fecours ;
mais ma bourfe toute entière , dans la fi-
tuation où je me trouve, c'eft ma vie elle-
même. < — Non, me répond mon grand-
père en me montrant î'arbre , c'eft tout
ce que tu poffedes que je veux avoir. —
Pan. . . Je tire un coup de piftolet contre
l'arbre. — II met le fabre à la main , s'écrie
mon grand-père ... & je lâche mon fé-
cond coup. Ma grand'mère enrayée, ac-
court à la fenêtre en criant : Au nom de
Dieu, que fa i te s- vous là ? Je tue les vo~
SUR LA MUSIQUE. ^ 7
leurs, ma grancFmaman , lui répondis-je.
Sou mari mit les deux piftolets dans ma
poche c* nous rentrâmes. J'appris, en ar-
rivant chez mcn père , que le mefTager
qui devoit me conduire étoit venu a la
maifon , & avoit fixé fon départ pour Rome
à huitaine. CTétoit à la fin de Mars 1759,
& j'avois par conféquent 1 8 ans. Je ne
doutois pas que mon guide n'eût été bien
careMë & qu'on ne lui eût promis une récom-
penfe s'il prenoit foin de moi fur la route.
Cet homme s'appelioit Remacle 3 &
quoiqu'âgé de foixante ans , il faifoit par
anne'e deux voyages de Liège à Rome &
de Rome à Liège : il en faifoit quelque-
fois trois. II étoit très honnête homme avec
les jeunes gens qu'il conduifoit ou rame-
noit, mais il étoit bien le plus fin des con-
trebandiers : iî portoit en Italie les plus belles
dentelles de Flandre, & les jeunes étudians
qu'il conduifoit n'étoient qu'un prétexte
pour cacher fon commerce. Il rapportoit
de Rome des reliques Se de yieillfs p?n-
5 8 Essai
toufles du Pape ; il en fournifîbit tous les
couve ns de Religieufes de la Flandre ôc
des Pays-Bas. lien tiroit de l'argent, des
dentelles , des préfens de toute efpèce. Cet
homme e'toit riche ôc avare; nous lui di-
rions fouvent : Veux-tu donc mourir fur les
grands chemins, Remacle ? Il nous répon-
doit avec fon air juif: Hélas ! je ne fuis pas
auffi riche que Ton croit; d'ailleurs quand
je ne fais qu'un voyage par année , je
fais une maladie en automne, ôc j'aime
mieux voyager.
Son trafic l'oblige oit de faire d'immen-
Ces détours pour éviter les endroits où il
étoit foupçonné ; de manière que pour
conferver fa fan té , félon lui , il faifoit envi-
ron deux mille lieues par année , portant
deux cents livres fur fon dos.
Le jour de mon départ arrive enfin ; je
îe defiroïs impatiemment. Je ne voyois
que larmes ; je n'entendois que foupirs
depuis huit jours. Le terrible Remacfe ar-
riva au jour fixé : il entra chez mon père
SUR LA MUSIQUE. 59
fans fe faire annoncer; il étoit une heure
après dîner. Son apparition fut un coup de
foudre pour ma famille. Je ne lui donnai
pas îe temps de parler : je faute fur ma
valife , que je mets fur mon dos ; je me
jette à genoux , les mains jointes , pour
demander la bénédiction de mon père &
de ma mère. Que Dieu te bénljfe , mon
cher enfant , me dirent-ils : ck j'aveis dif-
paru.
Le voifinage étoit aux portes pour me
voîf partir ; je fis (igné à tout le monde de
ne point m'arrêter, & mon vieux Mentor
leur difoit en courant après moi : Soyez
tranquilles, j'en aurai foin.
Que les larmes de ma mère & fur-tout
de mon père me firent une vive imprefMonî
leurs phifionomies refpeclabïes , où étoit
répandue la pâleur de îa mort ; leurs bras
élevés vers îe ciel, pour f implorer en ma
faveur , ce tableau pieux me fit une fbnfa-
tion que je ne puis rendre.
Lorfque je fus en état de me reconnoî-
60 Essai
tre , je fentis mes iarmes couler, & je dis :
O mon Dieu, permets que ta pauvre créa-
ture (bit un jour îe foutien & la confola-
tion de fes infortunés parens.
L'amour paternel & l'amour filial réfi-
dent fans doute dans tous les cœurs ,
même les plus endurcis ; mais que les gens
de haut parage font loin de favoir com-
bien ce fentinient refpeclable efl plus vif
chez les honnêtes bourgeois, fur- tout dans
ies pays où le luxe ôc la débauche n'ont pas
mis de barrières entre les pères 8c leurs en-
fans! L'habitude de vivre enfcmble , de fe
chauffer au même feu, de boire au même
vaie, de manger au même plat, répugne-
roït fans doute à la nature factice du beau
monde ; mais cependant avec quelles dé-
lices je me rappelle ce cher & bon vieux
temps ! J'ai puifé dans cette intimité l'a-
mour éternel que je porte aux auteurs de
mes jours. Eh ! quel eft le père qui ne fe
contraigne quand il vit & agit toujours
fous les yeux de Ces enfans ? Quel eft l'en-
SUR LA MUSIQUE. 6 I
fant qui puûTe compter fur l'amour pater-
nel, au point de s'oublier (cuvent en fa
préfence ? Un gouverneur , direz - vous ,
jouit de l'autorité d'un père : oui , mais
l'enfant accorde- 1- il cette, autorité au
maître que îa nature ne lui a pas don-
née ? La nature ne perd pas fes droits , &
à fept ans, un enfant fe dit : a II faut que
» j'obeirTe à un maître que l'on paie peur
» avoir foin de moi ; c'ed pour lui-même ,
» c'en1 pour fa fortune Se fa réputation
» qu'il lui importe que je rempliffe mes
» devoirs ; il n'a pas d'autre intérêt : mais
» mon père eft mon Dieu fur la terre; je
» fuis ce qu'il aime le plus dans ce monde ;
» fes volontés font pures, & je fens que
v fa raifon doit être ma loi. »
L'obéiïïance naturelle fait des hommes ;
l'obéiffance forcée fait des efclaves , & je
n'eflime guère plus fefclave des loix que
le coupable qui les enfreint.
Mon vieux Mentor me conduifit dans
fon village , à trois lieues de Liège , où
6z Essai
je trouvai deux étudians qui nous attenr
tloient pour faire route enfembfe : l'un
étoît abbé ; il me parut foible Se languit-
fant , Se je fentis un retour de courage fur
moi-même à l'alpeâ de ce frêle voyageur j
l'autre étoit un jeune chirurgien ; il étoit
gai, vif, fans fouci: je le jugeai un com-
pagnon de voyage fort amufant, Se je ne
me trompai pas.
Je témoignai à ces jeunes gens com-
bien j'avois été fâché de ne m'être point
trouvé chez mon père lorfqu'iîs y étoient
venus pour faire ccnnoifTance avec moi.
.Nous fûmes bientôt amis , fur-tout le jeune
chirurgien Se moi. II me dit à l'oreille:
« Que ce pauvre abbé , à fa mine alongée,
» ne feroit que vingt-cinq lieues de fon
n pied mignon ». J'avois remarqué, ainfî
que lui , que notre abbé avoit le pied d'une
longueur démefurée. Quanta vous, ajouta-
t-il en fouriant, vous n'en ferez que cin-
quante , Se j'en fuis fâché, car je vous aime
déjà. Nous verrons cela , lui dis-je.
SUR LA MUSIQUE. 63
Nous partîmes donc le lendemain , à
cinq heures du matin. Le ve'nérable Re-
macle, l'abbé, le chirurgien & moi, &
un gros garçon champenois nommé Bap-
tifte, aiïbcié honoraire de Remacle, voilà
ce qui compofoit notre caravanne. On
nous fit faire dix lieues ce jour-là , à Tra-
vers les bruyères Se les forêts des Arden-
nés. Notre abbé ne mangea pas le foir; le
petit chirurgien & moi nous dévorâmes.
Tout en foupant , il me difoit : Je ferois
fâché que notre abbé ne fît pas fes vingt-
cinq lieues, car j'ai prédit qu'il les feroit.
Le lendemain , même promenade que
la veille. Notre arrière-garde, c'eft-à-dire,
notre pauvre abbé 3 arriva au gîte long-
tems après nous. J'en étois inquiet : je vou-
lus fortir pour aller à fa rencontre ; mais le
petit efpiégle, fuppet d'Kyppocrate , me
retint, en m'afîurant que l'abbé aîmeit à
marcher lentement, & qu'il n'y avoit pas
d'humanité à moi de vouloir prener (a
marche.
64 Essai
lî arrive enfin , fe traînant à peine. Après
qu'il fe fut repofé, il nous dit en verfant
un torrent de larmes , qu'il n'avoit pas la
force de nous fuivre ; qu'il reftercit quel-
ques jours dans l'auberge pour guérir les
plaies qu'il avoit aux pieds , & qu'il re-
tourneroitenfuite chez fon père. Nous ap-
prouvâmes tous fon projet , excepté le chi-
rurgien qui ne dit mot. Les larmes de ce
pauvre abbé redoublèrent, lorfqu'il parla
de la furprife que fon apparition cauferoit
à fon père ôz à fes parens, qui Pavoient
tous comblé cïe préfens ôz de bénédictions
au moment de fon départ , Se devant lef-
quels il n'oferoit fe montrer fans honte.
Remacîe le confoîa en lui apprenant qu'il
n'étoit pas le premier jeune homme Lié-
geois qui l'abandonnoit fur la route , & il
lui en nomma plufieurs. Notre petit ef-
piégfe , qui ne parioit pas depuis long-
temps , demande enfin au mefTager, com-
bien nous avions fait de lieues? « Hier
» dix, aujourd'hui autant, & fi vous comp-
» tes
SUR LA MUSIQUE- 6$
■f> tez les trois îieues de votre ville à mon
» village, cela fait vingt-trois lieues.»
II s'approche de mon oreille en me difànt :
Il en manque deux ; je fuis furieux. Tais-
toi , barbare , lui dis-je. On fut fe coucher.
Croïra-t-on que notre chirurgien fuivit
f abbé dans fa chambre , & parvint à lui
perfuader qu'il devoit fe remettre en mar-
che le lendemain? Il vifita fes pieds , lui
panfa (es plaies , & ïon'que nous fûmes îe
lendemain matin dans la chambre de l'ab-
hé , croyant le trouver au lit , nous le vîmes
tout habillé , le paquet fur fon dos & le
petit drôle qui lui donnait le bras pour
defcendre l'efcalicr. Malheureux , lui dis-
je , tu veux donc voir périr ce pauvre abbé ?
Oh que non, que non , me dit-il; il a
prié Dieu cette nuit, M. l'abbé: tu es un
impie , toi , tu ne crois pas aux miracles.
Le pauvre garçon fit encore trois lieues,
aidé par le petit camarade qui le foutenoit ;
mais une fois arrivé à f endroit où nous
devions déjeûner, il perdit le refie de fes
E
66 Essai
forces avec l'efpoir de nous fuivre. Je me
mis en colère contre le chirurgien. Ne
te fâche pas, me dit-il, il a fait vingt -cinq
lieues, & je ne veux pas qu'il aille plus
loin. L'abbé fe mit au lit , ôc nous le quit-
tâmes en lui confeiïlant, après qu'il fe feroit
bien repofé, de louer un cheval pour fe
rendre chez lui.
Nous continuâmes notre route. Je m'ap-
perçus vers le foir de ïa même journée,
que notre brave lui-même refcoit en arriè-
re, & qu'il faifoit d'inutiles efforts pour ne
pas boiter : je le guétois fouvent ; je lui vis
porter fon mouchoir a (es jeux en regar-
dant le ciel avec fureur. Je m'afïïs un inf-
tant pour l'attendre. Dès qu'il fut près de
moi , je lui criai : Allons , courage , M. l'ab-
bé ! — Qu'appeles-tu , M. l'abbé?... Iî
voulut me fauter aux yeux ; je levai mon
gros bâton: ohî hé ! jeune homme, lui dis-je,
fais-tu que tu n'es peut-être pas ici le plus
fort , fi ce n'eft en méchanceté ? Il me.
regarda fixement ; & puis , prenant fon
SUR LA MUSIQUE. 67
parti : Allons, me dit-il, je fuis un chien,
j'en conviens; mais, dis-moi, comment
te trouves-tu? — Pas trop bien , je l'avoue.
« — Pour moi , je foufTre horriblement,
continua-t-il , &: je peux a peine me traîner.
— J'ai fouffert autant que toi ce matin , lui
dis-je ; je me fuis efforcé d'aller, & main-
tenant je me trouve mieux ; fuis mon
exemple; efforce-toi, la même chofe ne
tardera pas à t'arriver : allons , marchons.
Je voulus lui donner le bras : Jamais _, ja-
mais , me dit-il en s'éîoignant.
Le lendemain fut encore pénible pour
nous ; mais dès que nous fûmes arrivés à
Trêves , nous nous trouvâmes aguéris ,
faits à la fatigue .& aux injures du tems.
Un jour en entrant dans une auberge
pour la dînée, une grolTe Allemande , maî-
trefle du logis, me témoigna une tendrelTe
toute particulière. Mon camarade me dit :
Vois-tu y mon beau garçon , comme tu vas
faire des conauêtes en chemin? Dès que
nous fûmes à table, cette Femme vint m'ô-
E x
68 Essai
ter mon couvert pour en fubftituer un au-
tre d'argent ; elle m'apporta enfuite un
morceau de pâcilTerie très deîicate : j'en
offris à mes compagnons , & ïe fuppôt
d'Efculaps continuoit à me faire mille plai-
santeries. Au deffert, elle revient avec un
verre de liqueur, qu'elfe me porte elle-
même a la bouche. Que fignifie cela, dis-je
au mefTager ? Je n'en fais rien , me dit-il.
Nous nous levons enfin pour partir. La
maîtrefTe du logis vient à moi les bras ou-
verts , me preiTe contre Ton fein en fon-
dant en larmes & me difant mille chofes
en allemand, que je n'entendois point.
Je fors avec mon efpiégle , qui rioit
comme un feu : je ne riois point ; cette
femme m'avoit attendri. Bientôt nous fû-
mes fuivis du mefTager que nous attendions
avec impatience; il nous apprit que cette
bonne femme étoit mère d'un jeune hom-
me auquel je refTemblois y & qui étoit parti
depuis quelques jours pour aller faire Tes
études à Trêves : il nous dit auffi qu'elle
SUR I A MUSIQUE. 6$
avoit abfoiument refufé le paiement de
notre dîner ; qu'elle rnavoit beaucoup re-
commandé à lui , Se s'étoit informée fi j'a-
vois de l'argent pour aller jufqu'à Rome.
Quant à notre pauvre abbé, il avoit
fuivi le confeil que nous lui avions donné.
Après quelques jours de repos 3 il avoit
acheté un cheval pour fe rendre chez lui.
Ma mère , ( qui m'a conté ce détail ,
depuis) étant à la grand'mefTe de notre
paroiiTe, aux fêtes de Pâques, dans l'inf-
tant où elle n'oftroit des vœux au Ciel que
pour un fils qu'elle aimoit & qu'elle croyoit
trop foibïe pour foutenir la fatigue d'un
auffi pénible voyage ; l'imagination frap-
pée des rêves de toute une famille alarmée
qui me voyoit fars cefïe abîmé de fati-
gue , pâle , déchiré 6k refpirant à peine
dans le coin d'un cabaret; c'eft dans ce
moment qu'elle apperçoit Pabbé. Ses yeux
cherchent par-tout fon fils, qui doit être
avec lui: la foule l'empêche d'approcher;
mais elle ne le quitte pas de vue un indant;
7ô Essai
>
elle parvient enfin à lui faire dire qu'eTîe
délire lui parler. — Quoi , Monfieur , c'eft
vous! où ed mon fils ? comment fe porte-
t-il ? if lui apprit que je continuois coura-
geufe.ment ma route , & il lui raconta fa
déplorable hi Moire.
Ma mère l'entraîna a dîner chez elle,
où il fut bien carefîe ; mais la condition
étoit rude , il fallut entrer dans les plus
petits détails d'un voyage qui blefîbit fon
amour-propre.
Cependant nous cheminions vers notre
but allez péniblement : mais le chirurgien
faïfoit fouvent diveriion à nos fatigues par
fes efpiégîeries : en voici une qui me parut
un peu forte.
Nous étions dans les environs de Trente.
Pendant que nous nous reposons en atten-
dant le fouper, il étoit allé, comme à fon
ordinaire, fureter dans toutes les chambres
êz embrafTer toutes les filles de l'auberge.
S'il n'eût fait que cela , il eût été pardon-
nable : cependant nous foupons & l'on
SUR LA MUSIQUE, 71
nous fert des mers que le meffager n'avoit
pas demandés; enfuite plufieurs bouteilles
de très bons vins étrangers : le petit chi-
rurgien avoit l'air d'être du fecret, & il
plaifantoit beaucoup , en difant qu'il ref-
fembfoit trait pour trait à un jeune mari
que notre hôteffe venoit de perdre.
Nous étions curieux , le meffager &
moi , de favoir ce que cela fîgnifioit ; & ,
après le fouper, nous allâmes nous en in-
former. Nous trouvâmes l'hôcefîè avec fon
mari , âgé de quatre-vingt ans , & auquel
le chirurgien avoit arrache' deux dents ; il
avoit faigné la femme , qui n'étoit guère
plus jeune ; il avoit faigné une jeune fille
qui avoit la jauniffe. Abominable homme,
lui dis-je , fais-tu alfez ton métier pour
ofer porter la main fur un vieillard , une
vieille femme prêts à defcendre au tom-
beau? Sa réponfe me fit frémir. C'eft
pour cela qu'il n'y a rien a craindre , me
dit-il , ne faut-il pas que je m'exerce. —
Tais-toi , bourreau , lui dis-je, & feuviens-
E4
/
7^ Essai
toi bien que fi tu commets encore de pa-
reils attentats , je te ferai arrêter à ïa pro-
chaine ville.
Nous avions déjà parcouru une partie
des états que pofsède la maifon d'Autriche
dans le vcifinage des Alpes, Iorfqu'un jour
notre mefTager nous perfuada dt faire un
détour de deux lieues , pour nous procurer,
difoit-il , la vue d'un fuperbe monaflère
dont je ne me rappelle point ïe nom. Son
emprelTement a nous donner ce plaiîir me
parut fufpecî:, Se je crus , non fans raifon,
que fon intérêt marchoit à côté de fa com-
plaifance.
Arrivés dans le couvent, Remacle nous
dit de voir ï'églife , les édifices Se les jar-
dins, Se qu'il nous rejoindroit dans une
grande falle qu'if nous montra , & où j'ap-
perçus beaucoup de perfonnes des deux
fexes. On exerce ici fhofpitalité, me dit le
chirurgien, Se c'eft probablement ce qui y
attire Remacîe. Oui, répondis-je, Se fans
doute auiîi quelques com millions pour ces
SUR LA MUSIQUE. 73
moines , qui me fembtent fort riches ;
mais nous pouvons nous difpenfer de
manger le pain des pauvres. Je fuis de
votre avis, dit mon compagnon , mais
nous irons voir comme on les traite.
Nous revînmes en effet dans cette falfe
où la charité chrétienne s'exerçoit d'une
manière fi étrange, que je n'aurois pu y
ajouter foi , fans en avoir été témoin ocu-
laire. On faifoit une diflribution d'alimens:
un gros moine très brutal , qui y préfidoit ,
frappoit les hommes , poufibit rudement
les femmes &c les enfans , & avoit l'air de
vouloir exterminer fon monde plutôt que
de l'aider à vivre. Il venoit de mal mener
un malheureux Français qui imploroit fon
fecours, lorfqu'il nous apperçut & nous
aborda , en difant en français : Vous avez
bien Fa'r de n'être attirés ici que par la
curïcfité. II eft vrai, lui dis-je, mon révé-
rend père , que ce n'eft pas la nécefïité
qui nousy amène; mais la beauté de votre
monaftère & fur-tout le defir de contem-
74 Essai
pler Pafyle où le malheureux voyageur
eft reçu avec tant d'humanité , nous ont
fait détourner de notre route. Faites-vous
chaque jour, lui dis-je, autant d'heureux
que j'en apperçois dans ce moment ? votre
emploi eft celui de l'ange confoîateur, &
toutes ces victimes de ïa misère doivent
bénir ïe fondateur qui vous a fi richement
doté, &t vous fur-tout, mon père, qui rem-
plirez fes vues avec une douceur fi édi-
fiante.
Le moine en courroux interrompit ce
perfirlhge, en nous priant de fcrtir de la
ialie. Echauffé à mon tour par fes mena-
ces, je lui dis en élevant ïa voix : II eft évi-
dent, mon père, que la mince portion de
vos richefTes, que vous donnez aux pau-
vres avec tant de regrets, eft une charité
forcée , Se que vous êtes perfuadé que
fecourir d'une main en feufrietant de l'au-
tre, eft le plus sûr moyen d'éluder l'ordre
du fondateur Se d'écarter ces malheureux;
mais craignez que cette conduite n'attire à
SUR LA MUSIQUE. 75
la fin far vous quelques malédictions dont
le pauvre fe réjouira.
Ces paroles véhémentes avoient excité
l'attention des pauvres voyageurs , qui ,
fans doute applaudirent à ma colère. Je
m'en apperçus au filence qui fe fit tout-a-
coup dans ïa falle & à la confufion du
moine.
Je forris alors avec mon compagnon,
qui me dit : Bravo ! Ï3ravo , mon ami ! je
voudrois que le maître de ces moines l'eût
entendu : ta prédiction ne feroit peut-
être pas vaine ( i ). Je gagerois bien , ajou-
ta-t-il, que tu me permettrcis d'arracher a
ce drôïe-là cinq ou fix dents. Oh ! tant que
tu voudrois , lui dis-je.
Remacle, très mécontent de notre vifite
chez les moines, fe hâta de regagner la
grande route.
Nous traversâmes le Tiroï. Les avalan-
( 1 ) J'ignore fi ce monaflcre fe trouve au nombre des
couvens fupprimés longtems après , dans les états de l'Em-
pereur.
76 Essai
ges (on nomme ainfi la chute des neiges
amoncelées, qui s'écroulent du haut des
montagnes) formoient un bruit femblable k
celui du tonnerre que vingt échos rendoient
prefque continuel. Tout me parut origi-
nal & romanefque dans ce pays montueux.
Les femmes me parurent charmantes ;
elles ont les traits fins & délicats , h ne eC-
pèce de turban fort gros couvre leurs têtes,
Se diminue encore les plus jolies perites
mines que l'on puiffe voir. J'avois peine
à leur pardonner leurs énormes baj> de laine
qui avoient l'apparence de bottes fortes;
mais lorfqu'on fait que cette chaulTure fert à
garantir du froid une jambe de cerf & blan-
che comme l'hermine , on envieroit le fort
desTirolois quifeuls ont l'honneur d'affilier
au débotté; leur taille eil élégante , d'ail-
ïeurs, les deux extrémités du corps , le gros
turban, Se les groifes bottes contribuent à
les faire paroître fi fveltes que ce qui paroîc
d'abord les défigurer devient un rafine-
ment de coquetterie. . . Tel efl l'empire de
SUR LA MUSIQUE. 77
h beauté, nul coftume n'en obfcurcit le
charme.
Un petit événement accrut beaucoup
alors dans l'efprit de notre guide la confé-
dération qu'il me temoignoit. A l'appro-
che d'un petit bourg, je m'apperçus par
Ces geftes & l'altération de Ton vifage qu'il
étoit troublé de quelques craintes. Je lui en
demandai le fujef. Ah! me dit-if, que je
voudrois être à demain ! je pénétrai îa caufe
de fes inquiétudes & je vis qu'il avoir
befoin en ce moment de toute fa prudence
& de la nôtre. Il m'exhorta a répondre
laconiquement aux queiuons qu'on pour-
roit me faire fur fon compte dans le bouras
& à ne point parler des détours de notre
route. Soyez tranquile, lui dis-je, fi nous
babillons ce ne fera pas pour vous nuire.
Nous arrivons cependant dans le lieu
tant redouté ; on nous fait entrer dans une
grande fille - baffe , autour de laquelle
beaucoup de voyageurs croient a (lis
fur des bancs. Leur fiience , leur ennui,
78 E s s a r
l'afpecl du lieu rendoient la fcène très lugu-
bre. Remacle prit fa place dans un coin,
pofantà Tes pieds fon énorme biffac. Bien-
tôt après je vois entrer quatre efpèces d'aï-
guafifs de finance que la mine de Remacle
mauroit fait juger tels, fi je ne les eufTe ap-
préciés d'avance. L'un d'eux va droit au
paquet de notre guide & le fculève en
marquant qu'il le trouve bien lourd. Re-
macle fe lève le chapeau à la main & lui
dit en allemand, qu'il étoit le conducteur
de ces deux jeunes gens qui alloient étudier
à Rome. L'archer vient aum-tôt à moi, Se
médit: Vous êtes bien jeune & bien mai-
gre , Mailicr , pour faire un fi grand
voyage Ah! le courage, lui répondis-
se, fupplée a la force, & j'ai bonne envie
de m'iniîruire. Dans-ouelie feience? ... Je
fuis compofireur de mufique, Aîcnker, &
afTez connu déjà dans le pays de Liège...
Diable, dit-il en fouriant Sz en s'afTeyanc
près de moi. Ses confrères s'approchèrent
en même tems , &: me firent d'autres quef-
SUR LA MUSIQUE. 7 Q
tions auxquelles je fis des réponfes rifibles
qui les occupèrent affez pour donner îe tems
à Remacîe de Te rafîhrer. II fe fentit même
la force de payer d'audace ôc de faire un
coup de maître. Il ouvre fon fac aux yeux
de tous, en tire des hardes, du linge; puis
une moitié de bas de laine garnie d'ai^uif-
les à tricoter &: d'une très grofTe pelote de
laine qu'il pofe fur les genoux, & voilà
mon homme qui tricote d'un air tranquille.
Ses genoux apparamment ne l'étoient
point, car la pelote tombe & s'en va
roulant dans les jambes des commis.
Remacle fit une grimace effroyable. Je
me lève très ïeftement , Se d'un coup
de pied lui renvoyé fa pelote , en leur
préfentant une bouteille de vin dont je
propofai à ces Meilleurs de goûter ; ce
qu'ils acceptèrent fans façon. Pour ache-
ver la diverfion j'appelïai le petit chirugïen
que je leur préfentai comme un garçon
déjà très habile dans fon art. Cherchant
toujours à exercer fes taïens; il leur offrît en
So Essai
effet Ton petit miniftère pour eux, leurs
femmes & leurs en fans; mais ils n'en usè-
rent pas comme de mon vin. La bouteille
vuidée, ces IVleffieurs forcirent fans avoir
chagrine' perfonne ck répétant dans leur
baragoîn, moitié allemand, moitié fran-
çais, que nous étions des jeunes gens
beaucoup aimables.
Remacle vint aufïïtot à moi, me ferra
îa main Se me témoigna par fes regards
combien il étoit rcconnoiMant. II com-
manda un excellent fouper Se du meilleur
vin, Se ne cefla tout en mangeant de
vanter ma prudence. A la fin du repas je
îui dis: Eh bien! Remacle, vous voyez
que nous fommes vos amis. Vous ne re-
fuferez pas à préfent de nous dire ce que
c'en1 que cette myfterieufe pelote de laine.
Vous allez le favoir, dit-il, je n'aurai plus
rien de caché pour vous ; il déroule en-
viron un demi-pouce de laine qui étoit à
la fuperficie, Se nous fait voir cinq cens
aunes de dentelles de Flandres deflinées
à
SUR LA MUSIQUE. Si
à orner les rochets de nos feigneurs les
cardinaux. Ah! mon ami, me dit-il, fi
j'avais vu ma pelote entre les mains des
archers , je croîs que je ferois tombé roide
mort. Cela étant, dis-je, je me tiens fore
heureux de vous avoir fauve la vie d'un
coup de pied.
Nous nous levâmes îe lendemain avec
alle'^rerTe aorès une bonne nuit, Se nous
or *
avions déjà fait trois lieues au lever du
foleil.
Peu de jours après nous arrivâmes
dans l'Italie : plus de rochers , plus de fri-
mats ; la nature avoir changé de face en
un moment : avec quel pïaiiir je me trou-
vai tout à coup dans une prairie émaillée
de fleurs! on eût dit qu'un génie bien-
faifant nous avoit tranfporté de îa terre
aux cieux. Je priai le mefTager de me
îaiffer jouir un moment de ce délicieux
afpecl ; mais quel fut mon raviffement
îorfque j'entendis & pour la première fois
les chants italiens ! c'étoit une voix de
8^ Essai
femme, une voix charmante, qui me
tranfporta par fes accens mélodieux; ce
fut la première leçon de mufique que je
reçus dans un pays où je courois m'inf-
truire.
Cette voix douce & fenfible, ces accens
prefque toujours douloureux, qu'infpire
l'ardeur d'un foïeil brûlant , ce charme de
i'ame enfin que j'allois chercher fi loin,
Jk pour lequel j'avois tout quitté, je les
trouvai dans une (impie villageoife.
Ii ne nous arriva rien de remarquable
en traverfant l'Italie* Les campagnes du
Milanais me ravirent par leur richefTe Se
leur variété. La ville de Florence me parut
un féjour délicieux. La nature eft animée
différemment dans les pays chauds, &
ï'homme du Nord qui s'y tranfporte
pour la première fois ne peut fe refufer à
ï'admîration.
Les contrées Septentrionales de PEurope
n'ont guère produit d'artifte distingué
qui n'ait fait un féjour plus ou moins long
SUR LA MUSIQUE. 83
en Italie. II femble que c'éft un tribut
qu'il doit payer à ce climat privilégié qui
en récompenfe allure fa réputation. Ceux
qui ne peuvent acquérir que de î'efprit
n'ont rien à faire en Italie. La logique
des pays chauds eft Pa&ion même du
génie qui dédaigne la forme ôc lafubtilité.
Que l'homme du nord , qui s'eft vu au
milieu de ces têtes bouillantes., dife s'iï
ne s'eft pas fenti entraîné par elles, &
s'il ne îeur doit pas le foyer qu'il rapporte
en fa patrie ôc auquel il devra fes fuccès ?
A trente ou quarante milles de Rome
le meflager nous dit qu'il falloït nous
quitter, qu'il avoit beaucoup d'affaires
dans les environs de cette capitale où il
n'arriveroit que huit jours après nous. Pré-
fentez-vous le plutôt que vous pourrez au
collège, nous dit-il, car je ne vous ai
pas informé que deux de vos compatriotes
font partis de Liège avant nous; on die
qu'il n'y a que deux places vacantes, &
vous {avez qu'elles appartiennent à ceux
Fa
84 Essai
qui arrivent les premiers... Nous prîmes
une voiture & nous partîmes.
Je fus ravi du fpeébcle qui s'offrit à
nos yeux en entrant dans Rome; c'étoit
un dimanche, vers quatre heures après
midi, & le printems répandoit dans
fair une chaleur douce qui invitoit à
îa mélancolie. Ajoutez à cela l'appareil
d'un nombre infini de voitures remplies
de belles dames qui chantoient fans doute
l'italien bien mieux que ma petite villa-
geoife. Mon imagination étoit dans un
délire charmant, ck fouvent pendant mon
féjour a Rome, je fuis retourné à la porte
du peuple pour me rappeller le plaifir
que j'avois eu en voyant cet endroit pour
îa première fois.
Nous fûmes admis au collège le chirur-
gien, moi, & les deux jeunes gens dont
îe meffager nous avoit parlé , qui arrivèrent
deux jours après nous: Remacle avoit
raifon, il n'y avoit que deux places
vacantes, mais nous avions de fi bonnes
SUR IA MUSIQUE. 8^
recommandations, qu'on nous reçut tous
ïes quatre , en nous mettant deux dans
une chambre, (e). Je parcourus tous les
palais 6x les églifes de Rome avec fardeur
d'un jeune homme qui voit des chef-d'œu-
vres dont la renommée avoit frapé depuis
longtems fon imagination. J'allois chaque
jour entendre les offices en mufique dans
les églifes. Cafali, Eurisechio, Fabbé Luf-
trini, Joanini ■ del violoncello , étoient les
maîtres de chapelle les plus en vogue.
Je trouvai à Cafali beaucoup de grâces
& de facilité & fur-tout une figure aimable ;
je conçus de Peftime pour lui ôc -je me
promis de le prendre pour maître.
Eurifechio étoit plus foigné dans fes
comportions, plus vrai dans Fexpreffion;
mais l'air grave & important qu?if afTec-
toit en faifant exécuter fès ouvrages, me
fit préférer Cafali.
L'abbé Luftrini avoit du mérite auflî;
élève de Eurifechio, il en avoit pris le ftiïe
& avoit confervé à la mufique d'égïife,
*3
y
86 Essai
f auftérité & la nobleffe que l'on ne devroit
jamais abandonner ; mais il faut plaire,
même à feglife: on entend une rumeur
fourde îoriqu'un morceau plaît ou déplaît.
La féduction gagne les maîtres de chapelle,
& ils finifTent par confondre le genre de
mufique d'églife Se celui du théâtre.
A la fin du règne de Benoît XIV. les
abus furent portés fi loin que le Pape
qui n'étoit rien moins que cagot , fut
obligé de faire transférer le Saint Sacre-
ment dans une chapelle latérale pour
empêcher l'irrévérence des Romains qui,
tons attentifs & les yeux fixés fur les
muficiens , tournoient le dos au maître-
autel. II défendit aufîi les tymballes Se
toutes fortes d'infîrumens à ventç, ordonna
aux maîtres de chapelle fous peine d'a-
mende de finir les offices de Paprès dîner
avant la fin du jour. Les ordres du pontife
fubfiftoient encore pendant mon féjour à
Rome, & c'étoit, je crois, la féconde année
du règne de Clément XIII, Rezzonico.
SUR LA MUSIQUE. 87
D E
LA MUSIQUE D'ÉGLISE.
U n compofiteur qui travaille pour l'églife
devroit être très févère ôc ne rien mêler
dans fés comportions de tout ce qui ap-
partient au théâtre.
Quelle différence en effet entre le fenti-
ment qui règne dans les pfeaumes, les
antiennes, les hymnes ckc. & la véhé-
mence des paiïions de l'amonr 6c de la
jaloufie! L'amour proprement dit, ne doit
avoir aucun rapport avec l'amour de Dieu ,
îors même qu'il en tient îa place dans
îe cœur d une jeune femme. Tous hs fen-
timens qui s'élèvent vers la divinité doi-
vent avoir un caractère vague 8c pieux.
Tout ce qui n'eft pas à la portée de nos
connoifTances nous force au refpecl:; les
extafes mêmes qu'éprouvèrent certains
F4
88 Essai
perfonnages pieux dont parlent ïes légen-
daires , feroient indignes de la Divinité,
fi elles n'avoient que les caractères de l'a-
mour profane.
Le Stabat de Pergolèze me paroît
réunir tout ce qui doit caractérifer la mufi-
que d'églife dans îe genre pathétique; la
fcène eft trop longue cependant, & l'on
fent que Pergolèze, malgré fes efforts, n'a
pu trouver encore afiez de couleurs pour
varier fon tableau fans fôrtir de ia vérité.
Si l'auteur ce cet œuvre facré avoit fait
parler les larrons préfens à la fcène du
calvaire ; fi TVÎagdelaine avoit dit à la
Mère de Dieu : « Vous pleurez votre
3i Fils, ô Marie; mais ce Fils eft un Dieu
33 qui confent à fouffrir; fa gloire eft
y? immortelle comme la vôtre; mais, moi
33 malheureufe pécherefTe, je gémis fur
y> mes fautes pafTées; îe remords, & la
33 crainte habitent dans mon cœur, tan-
3-» dis qu'une douleur plus tendre fait cou-
7) 1er vos larmes... Alors ïe mufkien au-
SUR LA MUSIQUE. 8^
roit fait un ouvrage parfait, qu'il n'a pu
foire en voulant exprimer toujours au
naturel plufieurs ftrophes qui ont entre
elles trop de rapports. On fent ,bien que
cette obfervation eit pour l'auteur des pa-
roles plus que pour celui de la mufique. II
étoit pofiibïe fans doute de jetter plus de
variété dans la mufique du Stabat, tel
qu'il eft; mais je crois que c'eût été aux
dépens de la vérité.
Un muficien qui fe voue a îa mufique
d'églifeeft heureux cependant de pouvoir a
fon gré fe fervir de toutes les richëfTes du
contrepoint, que le théâtre permet rare-
ment. La mufique d'une expreffion vague
a un charme plus magique peut-être que
la mufique déclamée , & c'efî. pour les paro-
les faintes qu'on doit l'adopter.
La mufique profane peut employer
quelques fermes confacrées à l'égiife ;
on ne rifque jamais rien en ennobliffant
les pallions qui tiennent a l'ordre & au
bonheur des hommes.
9® Essai
La première fe dégrade fi elle fort de
fes limites; la féconde s'enrichit en s'enno-
bliffant des traits de fa rivale.
L'étude de l'harmonie; le beau idéal
harmonique, eft fpécialement ce que
doit chercher le compofiteur dans le genre
facré. Le Stabat du divin Pergolèze a plus
encore, il réunit fouvent le beau idéal de
ï'harmonie & de la mélodie. Je dis donc
encore que tout ce qui n'eft point a portée
de notre compréhenhon, foit myftère ou
révélation , nous force au refpecl, & exclut
par cette raifon toute exprefïion directe.
Vouloir faire fortir la mufique d'églife
du vague myftérieux qui lui eft propre eft,
je crois, une erreur.
Laifîbns à la mufique du théâtre les
avantages qui lui font propres, & croyons
que le muficien qui fe deftine à féglife eft
heureux de fefervir dans ce cas &à propos,
de la métaphyfique du langage mufical.
Au théâtre il faut Fexpreffion exacte de
îa fîtuation & des paroles , parce qu'elles
SU^R LA MUSIQUE. K) t
ont un fens déterminé, & que l'expre/Tion
vraie de la mufique fortifie la fituation &
fait entendre les paroles même à travers les
accompagnemens. Voici ce que fobfèrve ,
autant qu'il m'efl: pofTible, dans mes com-
portions théâtrales ; je commence prefque
toujours chaque morceau par un chant dé-
clamé, afin qu'ayant un rapport plus intime
avec le drame, le début s'imprime dans la
tête des auditeurs. Je déclame de même
tout ce qui conftitue le caractère dn'per-
fonnage; j'abandonne au chant tout ce
qui n'eft qu'agrément ou arrondiiïèment
de la phrafe poétique; la mélodie nuiroit
aux mots techniques, elle embellit tout le
îe refte. Si un mot a befoin d'être bien
entendu pour l'intelligence de la phrafe,
que ce foit une bonne note qui le porte.
Si vous établirez un forte d'une ou pïu-
fieurs mefures dans votre orcheftre, que
ce foit fur des paroles déjà entendues;
car un mot néceffaire, perdu dans l'or-
cheftre, peut dérober entièrement le fens
92/ Essai
d'un morceau. Si l'auteur du drame, en-
traîné par le befoin de rimer, vous a donné
quelques vers inutiles ou nuifibles à l'ex-
preffion; fi vous craignez un vers de mau-
vais goût qui peut révolter le parterre,
dans ce cas rendez fervice au poëte , en
couvrant les paroles d'un forte. Il eft
difficile, je l'avoue, d'appliquer ces pré-
ceptes par la feule réflexion, il faut que ïa
nature nous ferve pour être fimple, riche
&vrai en les pratiquant. Mais fi après avoir
médité une poétique on étoit poëte, qui
ne voudroit être un Boileau? il ne fuffic
pas au théâtre de faire de la mufique fur
les paroles, il faut faire de la mufique avec
les paroles.
Il refle encore au muficitn harmonifle
un champ vafte pour la mufique d'églife ,
s'il n'a pas un génie aclif ; il refle encore
à celui qui eft doué d'une tournure d'efprit
originale, mais qui n'a pas le goût, le tacl:
néceffaire pour bien daller des penfées
neuves & piquantes, en s'aftraignantpar-
SUR I A MUSIQUE. Q3
tout a fexpreffion & a la profodie de
la langue; il lui refte, dis-je, îe talent de
faire une bonne fymphonie, & quoi qu'aie
dit Fontenelle, nous favons ce que vaut
une fymphonie de Haydn , ou de GofTec.
J'ai commencé un De profanais félon
les idées que j'ai de la mufique d'églife ;
j'y travaille rarement, & Iorfque je ne
fuis pas preffé par mes ouvrages drama-
tiques. J'ai d'ailleurs, je l'espère du moins,
îe tems de le finir, car je ne veux pas qu'il
foit exécuté de mon vivant. Quand il fera
tel que je le defire, je le mettrai fous
envelope., avec cette infeription : Pour
être exécuté à mes funérailles. Cette idée
n eft pas trifte pour l'homme qui defire
d'être regretté. Que celui qui a le moins
d'amour propre dife, s'il ne voudroit pas
l'être, & fi de toute manière cette idée
eft fombre, j'en ai befoin pour traiter
mon fujet.
Ma façon de vivre en Italie ne fut
94 Essai
pas celle que devroit avoir tout homme du
Nord qui fe tranfporte dans les pays
chauds, fur-tout ceux qui comme moi
font d'une complexion foible. Mon délire
étoit fi violent que je me rappelle d'avoir
écrit a ma mère dans le mois de décembre
fuivant, que je couchois couvert d'un
feul drap de lit. J'attribuois ce phénomène
à la chaleur du climat , & toute cette cha-
leur étoit dans mon fang & dans ma tête.
La fatigue de mon voyage, les courfcs
que je faifois dans les environs de Rome
pour connoître les reftes précieux de
l'antiquité, m'échaufferent au point que
la fièvre me prit. A la féconde vifite du
Médecin du Collège , un vieux hibou ,
nommé Pizelli , me dit d'un ton grave t
bîfogna confcjfarfij il faut vous confefTer. Je
me mis en colère en lui foutenant que je
n'étois pas malade an point de craindre la
mort. Il fortit furieux en difant que les
Liégeois avoient tous des têtes de fer. Le
re&eur vint me voir enfuite, pour me
5UR LA MUSIQUE. Q <
Sire que ïes médecins de Rome étoient
obligés, fous peine d'excommunication,
de faire confefler îeurs malades lorfqu'ils
ïeur trouvoient de la fièvre deux jours de
fuite: cet ufage eft louable en ce que fe
malade n'eft point arTeéti a l'approche du
confeffeur dont fafpect. produit très fou-
vent des fuites fâcheufes quand la maladie
eft devenue plus grave. J'eus la fièvre tierce
pendant deux mois. Je brûlois de com-
mencer mes études. Je n'avoïs d'après
finftitution du collège que cinq ans à y
demeurer, & deux mois de perdus me
fèmbfoient une perte irréparable.
Le jeune chirurgien qu'on "m'avoit
donné pour camarade, étoît infoutenable;
notre chambre étoâ un cimetière, & iî me
difoit d'un air tendre: Ah! mon ami, j'ai
perdu mon tibia; & fi tu meurs tu voudras
bien permettre.... Je m'arrangeai pour
ne pas lui rendre ce fervice.
Je fis la connoilTance d'un organise ,
qui me dit avoir fait de bons élèves pour
9 6 Essai
le clavecin & pour la compofition. Je le
pris pour maître fans trop de réflexion ;
il m'enfeigna pendant fix ou huit mois , &
je n'etois guère content de lui; fon doigter
n'étoit pas naturel; fa manière de corriger
mes leçons de compofition me fembloic
pédante Cv sèche ; il acheva de me déplaire
un jour en me parlant avec dureté : je lui
répondis vivement; il fe leva pour aller
tout conter à fa femme qui, je ne fais pour-
quoi, me combla de carefles depuis ce jour.
Je mis bien dans ma tête que je quitterais
cet homme; mais , me difois-je, il confer-
vera de moi un tyifte fouvenir, &z il va
croire dans l'état où je fuis, que je ne puis
ceiTer d'être un ignorant ; il faut lui donner
des regrets. Je m'avifai de lui écrire que
je m'etois foulé un pied. Je refiai enfermé
dans ma chambre pendant fix femaines,
jouant du clavecin ou écrivant des fugues
depuis le matin jufqu'au foir. J'avois un
recueil de fugues du célèbre Durante, que
je jouais fans ceife & que je cherchois a
imiter
SUR LA MUSIQUE. C)y
imiter dans celle que je faifois. Je me
rendis chez lui enfin .... Oh ! mon pauvre
ami, me dit-il en me voyant , vous avc^
perdu bien du tems,& il nous faudra re-
commencer fur nouveaux frais. Je ne le crois
pas , lui dis-je ij'td eu mal au pied , mais
ma tête étoit faine. Voilà un cahier de fanâ-
tes <& Durante, que f ai bien étudiées , &
voilà trois fugues fort longues quej 'ai écrites
avec foin. II fit un éclat de rire. — Voyons
d'abord notre clavecin. Je jouai toutes
les fonates de fuite fans m'arrêter , 6c il
s'écrioità chaque înftant ; bravo ! bravo ,
monfiou ! bravo -,fignor Andréa ! II fe levé
fans me rien dire , il va chercher fa fem-
me , fa fille Se fon fils. Venez , leur dit-il,
être témoins d\m prodige ; il joue du cla-
vecin à merveille, & il ne favoit rien. Il
n'y a que la madonna fantlffima qui aie
pu faire ce miracle. Jouez, fignor Andréa;
écoutez , ma femme , mes enfans , &: je
recommence le morceau que j'aîmois le
mieux. La fignora me fit des révérences,
G
98 E S S A I
fon fils m'embraila. Voyons , voyons, dit
mon maître , voyons les fugues , c'eft là
le difficile ; oui , monfieur , lui dis-je , mais
j'ai tant étudié Durante que j'ofe efpérer
qu'il m'en eft refté quelque chofe. Il prend
mon cahier ; croira t-on que mes fugues
ëtoient fans fautes. Et ce pauvre homme,
les yeux pleins de larmes , difoit : o
Dio ! . . . 0 Dio fantijjimo ! . . . quefto c
un prodiggio davero.
Je fortis bien content de chez lui , ôc
bien refolu de n'y plus rentrer. On croira
peut être que mes progrès étoient une fuite
naturelle des leçons qu'il m'avoit données ;
non : fécondé par la nature, j'avois au con-
traire été obligé de faire des efforts terri-
bles pour oublier ce qu'il m'avoit appris.
Je me fuis reffenti toute ma vie de fes
mauvais principes fur le doigter , chofe
bien importante pour les élevés de clave-
cin. J'ai d'ailleurs contracté, depuis, l'habi-
tude d'efTayer fouvent mes idées fur le
clavier en tenant une prife de tabac dans
SUR H MUSIQUE. 99
mes doigts ; je n'ai donc que trois doigts
de la main droite , & lorfque je m'en
donne deux de plus , je ne fais qu'en faire.
On dit cependant que j'exécute ma mufique
mieux que perfonne ; c'eft fans doute la
vérité de l'expreffion qui couvre les défauts
d'exécution.
On accorde a bien des gens le talent
d'exécuter parfaitement à livre ouvert: je n'ai
jamais rencontré ce phénomène , à moins
que îa mufique nefoit aifée ou ressemblante
a d'autre mufique. Je fais que l'homme qui
veut foutenir la gloire d'exécuter a la premiè-
re vue, montre toute la haidiefTe de l'hom-
me qui eft fur de fon fait : mais c'eft l'au-
teur lui-même qu'il faudroit fatisfaire dans
ce cas > & non des auditeurs qui ignorent
l'expreffion jufte d'un ouvrage qu'ils ne
connoîftent pas , & qu'ils croient bien
rendu parce qu'on le leur exécute har-
diment. Je rencontrai jadis à Genève , un
enfant qui exécutoit tout à la première
vue- fon père me dit en pleine anemblée :
G %
ioo Essai
pour qu'il ne refle aucun doute fur le ta*
lent de mon fils , faites lui pour demain ,
un morceau de fonate très -difficile. Je lui
fis un allegro en mi bémol > difficile fans
affectation ; il l'exécuta , & chacun , ex-
cepté moi , cria au miracle. L'enfant ne
s'étoit point arrêté : mais en fuivant les
modulations , il avoit fubflitué une quan-
tité de pafîages à ceux que j'avois écrits.
Je ne tardai guère à me faire préfenter au
fignor Cafali. Le titre d'élève del fignor***
ne fut pas bien pompeux à fes yeux. II me fit
& pour la troifième fois , recommencer les
premiers élemens de la composition.
Lorfqu'Un élevé change de maître ,
il fait bien de recommencer fes pre-
miers principes > pour fe mettre au fait de
la nouvelle manière qu'il va fuivre ; il
marche très-vite lorfqu'on lui fait faire les
chofes qu'il connok; mais fur la route il
rencontre des procédés qui lui font né-
ceiiaires pour bien comprendre fon nou-
veau maître.
SUR LA MUSIQUE. 101
J'ai fouvent penfé, qu'on ne doit pas
garder îe même maître pendant le cours
d'une éducation quelconque ; nous ne
favons que fort tard à quoi la nature nous
a deflinés ; & c'eft en fe meublant la tête
de plufieurs manières &: de diffère:: s prin-
cipes que le germe du talent peut fe dé-
velopper. Notre génie , ( car chacun a le
lien ) n'indique pas toujours ce qu'il
aime ; mais offrez lui des objets, fût-ce par
hafard , il faifit avidement ceux qui ont
le rapport le plus intime avec fon orga-
nifation Se fa manière d'être.
L'éîeve tire donc avantage de tout ,
même des erreurs qu'un maître ignorant
veut lui infpirer. Il efl plus sûr d'ailleurs
qu'il deviendra original , que s'il avoit
fuivi le faire d'un feu! homme ; en effec
qu'a t-on gagné , lorfqu'on eil devenu
prefqu'aufli habile que fon maître , & que
de loin ou de près on lui reffemble en
tout ? Quelque chofe fans doute pour l'in-
dividu mais rien pour le progrès de l'art.
iox Essai
J'ajouterai que l'élevé déjà avance ne
doit pas être étonné lorfqu'en changeant
de maître , celui-ci fembîe faire peu de
cas du favoir qu'il n'a pas communiqué;
fbn mécontentement vient fur-tout de ce
que l'élevé n'a point fa manière • mais il
a vifé au même but , quoiqu'il ait pris
une route différente pour y parvenir , &
le maître , & P élevé ne tarderont point à
s'entendre & à être contens l'un de l'autre.
Ce fut pour moi une vraie jouif-
fance que le cours de compofition que
je fis fous Cafali , le feul maître que j'a-
voue , & fous lequel mes idées ont com-
mencé à fe développer.
Sa manière de compofer étoit la même
que celle dont il fe fervoit pour m'expli-
quer & corriger mes leçons. Toujours
des effets (impies découîans naturellement
du fujet de fugue qu'il m'avoit donné , &
me permettant avec celui-ci , ce qu'il au-
roit condamné dans un autre ; il m'en-
feignoit en homme qui raifonne & qui
SUR XA MUSIQUE. 103
fàifit toujours l'efprit de îa chofe.
Il me conduifit de fugues en fugues à
deux , à trois & à quatre parties , en me
défendant bien de me livrer à d autre corn-
pofition moins févère : je vois bien , me
difoit-il , que vous avt\ des idées qui vous
tourmentent , & que vous brûle^ d'en faire
ufage ; mais fi malheur eu fement vous fai-
tes une bonne /cène , on vous applaudira
& vous ne pourre^ plus revenir à d'en-
nuyeufis fugues ; je lui promis de ne faire
autre chofe, & lui tins parole , à un elTai
près qui ne me réuflit pas : le fait eft affez
fingulier pour que je le rappelle.
Je mourois d'envie de voir M. Piccini
dont la réputation étoit bien méritée. Il
avoit donné depuis deux ans au théâtre
d'Aliberti , la bonne fille , Se chofe rare
dans ce pays , depuis deux ans Pon chan-
toit fans cefTe cette belle produ&ion. Un
abbé de mes amis m'offrit de me con-
duire chez fui \ il me préfenta comme
un jeune homme qui donnoit des efpé-
G 4
io4 Essai
rances: M. Piccini fit peu d'attention à
moi , & c'efl: , à dire vrai , ce oue je me-
ntais. Je n'avois heureufement ras bi.foin
d'émulation; mais que le moindre encoura-
gement de fa part m'eût faâ de plai^r! Je
contemplois fes traits ;^7( c un fen liment de
refpecl qui auroit dû îe flatter , fi ma timi-
dité naturelle avoit pu lui lahTer voir ce
qui fè paiïoit au fond de mon cœur.
Qu'une ame feniibïe eft à plaindre !
Elle fait faire toujours gauchement ce
qu'on délire le plus ; li vous ne lui don-
nez un lendemain , vous ne la connoîtrez
jamais. O ! grands hommes ! O ! hommes
en réputation , accueillez , encouragez
îes jeunes gens qui cherchent à s'appro-
cher de vous ; un mot de votre bouche
peut faire écïore dix ans plutôt un grand
talent. Dites-leur que vous n'êtes que des
hommes, à peine le croient -ils; dites-
leur que vous avez erré long-tems avant
de découvrir les fecrets de votre art , 6c
Part de vous fervir de vos idées ; mais
SUR LA MUSIQUE. Io}
qu'enfin il vient un inftant où le chaos fe
débrouille, & où l'on eft tout étonné de
fe trouver homme.
M. Piccinife remit au travail, qu'il avoit
quitté un in (tant pour nous recevoir. J'ofai
lui demander ce qu'il compofoit; il me
répondit: Un oratorio. Nous demeurâmes
une heure auprès de lui. Mon ami me fit
figne, & nous partîmes fans êtreapperçus.
Je rentrai fur le champ dans mon col-
lège; Se après avoir fermé ma porte , je
voulus faire tout ce que j'avois vu chez M.
Piccini. La petite table à côté du clavecin ,
un cahier de papier rayé, un oratorio
imprimé, lire les paroles , porter les mains
fur le clavier, tirer de grandes barres de
partition, écrire de fuite fans rature, paf-
fer leftement d'une partie a Pautre ; tout
cela me paroiffoit charmant, & mon délire
dura deux ou trois heures; jamais je n'avois
été plus heureux: je me croyois Piccini.
Cependant mon air étoit fait ; je le mis
fur le clavecin & l'exécutai Oh , dou-
i o£ Essai
leur ! il étoit de'teftable; je me mis a pleurer
à chaudes larmes, & le lendemain je
repris en foupirant mon cahier de fugues.
Je continuai de prendre mes leçons
pendant deux ans; je vis enfin que mon
maître ne trouvoit plus tant a corriger : il
me djt que d'autres, à ma place, fe con-
tenteroient de favoir faire une bonne
fugue à quatre parties ; mais qu'il me
confeilloit de faire quelques motets à fix ou
huit parties; que c'étoit le nec plus ultra
de la composition: il auroit dû ajouter
que quatre parties font fuffifantes, lors-
qu'on veut les faire chanter, & même je
dirai qu'il y en aura une des quatre qui
ne fera que le complément de l'harmonie.
Je fis cependant un Magnificat à huit
parties: mon maître eut autant de peine
à le revoir que j'en avois eu pour arranger
les huit parties fans unifTon.
Bientôt après cet eMai, Cafali jugea
que je pouvois me paffer de fes leçons,
&: m'exhorta a travailler de moi-même. Je
SUR LA MUSIQUE. I O 7
cefTai malgré moi d'être Ton élève, mais
fans cefîèr de conferver pour lui la plus
tendre amitié & la plus vive reconnoiffance.
J'étois heureux quand jetrouvois occafion
de lui rendre quelque petit fervice ; comme
de le remplacer de temps à autre dans les
églifes de Rome où l'on exécutoit fa mufi-
que. Cela fit croire aux muficiens que
j'avois defTein de devenir maître de chapelle
de cette ville: mais je n'eus jamais cette
idée. Il faîïoit, pour parvenir à ces places,
fubir l'examen des maîtres de chapelle ,
ou être reçu compofiteur à l'académie des
Philarmoniques de Bologne, Quelques-
uns de mes camarades m'ayant fait fentir
qu'il y auroit de la témérité a moi d'y
prétendre, j'eus honte d'être foupçonné
incapable de remplir une place dont mon
maître paroifTr.it me croire digne, & c'eft
ce qui me détermina, quelques années
après, à me préfenter a l'académie des
Philarmoniques, qui me reçut au nombre
de &s membres, à un âge où il efl rare
i o 8 Essai
même d'ofer y afpirer. Le fameux père
Martini me donna en cette occafion des
marques particulières de bonté ck d'atta-
chement. Suivant les ftatuts de l'Acadé-
mie, le genre de compofition , pour être
reçu maître de chapelle & admis dans le
corps, étoit de fuguer un verfet de plain
chant pris au hafard , en quoi j'étais afluré-
ment très peu verfé. Mais les bons avis
du père Martini fur ce genre de compo-
fition m'en donnèrent bientôt une con-
noifTance fufhTante & furent îa caufe pre-
mière de mon fuccès.
Me voilà donc livré à moi-même, la
tête remplie de toutes les formes harmo-
niques ; fâchant renverfer fens deffus def-
fous toutes les parties; trouvant toujours le
moyen de leur donner un efpèce de chant,
&: ne les faifant jamais rentrer après la
moindre paufe, que par une imitation déjà
établie, oc qui fera fui vie des autres parties,
fi l'une d'elle préfente quelque trait nou-
veau; d'ailleurs tropplein de îa mécanique
SUR LA MUSIQUE. IoQ
de l'art, & du fond de la fcience harmo-
nique pour trouver âes chants aimables;
mais je fuis perfuadé qu'on ne peut être
fimple , exprefïif , 6c fur-tout correct, fans
avoir épuifé les difficultés du contrepoint.
C'efi au milieu d'un magafin qu'on peut
fe choifir un cabinet. L'homme qui fait,
fe reconnoît aifémenr ; on entend dans fes
compofitions les plus légères, quelques
nottes de bafTe que l'on fent ne pouvoir
appartenir à l'harmonifte fuperficïeJ.
C'eft la bafTe fur-tout qui diftingue
l'homme qui a renverfé longtems l'harmo-
nie. Que cette partie eft belle & noble ! elle
donne Famé à tout ce qui repofe fur elle.
Marchant gravement 6c par intervales de
quintes ou de quartes lorfqu'elle doit
infpirer le refpect, 6c devenant plus chan-
tante 6c moins fière lorfqu'elle accompa-
gne un chant vif 6c léger.
Il n'appartient pas à tout le monde de
bien apprécier fe charme d'une belle
baffe; il faut avoir entendu longtems la
iro Essai
bonne mufîque pour fçavoir defcendrc
dans Ton empire. Le commun des hommes
n'entend d'abord que le chant ; avec plus
d'habitude, il entend le fecond-deflus) en-
fin s'il eft bien organifé , il trouve dans la
baffe tout ce qu'il avoit entendu dans les
parties fiipe'rieures.
Il efl effentiel de faire îongtems la fugue
à deux parties pour fe familiarifer avec les
règles de la fugue en général , & fur-tout
pour apprendre a lier les phrafes. L'on peut
par initind lier entre elles les phrafes de
chant eu de mélodie : mais l'étude feule de
la fugue apprend à lier les phrafes harmoni-
ques. C'en1 la fyntaxe du muficien.
En réfléchiflant fur les peines que donne
à l'élève cette première étude, j'ai cherché
un moyen de lui apprendre plus aifément
la marche ou le deffein de la fugue. J'ai vu
qu'en ne faifant qu'une feule partie, en
paffant tour à tour de la baffe au deffus,
fauf après cela de changer quelques notes
■en rempliffant les vuides, c'étoit le vrai
SUR LA MUSIQUE. IIi
moyen d'arriver plutôt au même but avec
infiniment moins de peine.
Exemple du dejfein de la fugue.
Y 1
fë-
I@ê1
ÊÈEE^iEÊEi
-i — i —
i _i
i i=illlÊÉllÈiiÈë= :
ffi T~~ë
lllËÊI
'i=il=Ë-=l^ɧliil
iEggjBE
ff-az^z-
33s
IIX
E s s
A I
t. _^
fc==:EEzEEdzrrzEzÊz6-E?z?E=3iE
£
l|il
En ajoutant enfuite une tailïe , & puis
une haute-contre, on devient harmonifte.
Cependant ce n'eft pas là le difficile ; le
voici: Il faut faire une fuguea deux parties;
enfuite y ajouter une féconde balTe , puis
une troilième. Cette combinaifon eft très
épineufe ; mais après une étude de fix mois,
la tête s'habitue au renverfement de l'har-
monie, fi bien qu'en écoutant un chant,
ou une balTe, votre imagination y ajoute
tout ce qui lui manque avec une facilité
qui étonne.
On croira peut-être que Porganîfte
parvient au même point que le compos-
teur ; point du tout : il a fugué fur un
orgue; il connoît fans doute la règle des
imitations & celle des modulations: mais
il
SUR LA MUSIQUE. r I J
il ne chante que fur fon clavier & ne pour-'
roit bien écrire ce qu'il joue qu'après une
alTez longue habitude
J'étois donc, comme je l'ai dit, fans
guide ; il falloit débrouiller le chaos
énorme que mon maître avoit mis dans
ma tête. Ce n'étoit plus des fugues, des
imitations, dont il étoit queflion ; il falloit
oublier le contre-point & attendre que ces
formes, ces règles, vïnfTent me trouver
dans Poccafion pour fortifier Pexpreffion,
de la parole. J'aimois la mufique des Bura*
nelloj Piccini , Sacchini, Maïo, Terradel-
las, mais j^aimois davantage celle de
Pergolèfe; c'étoit vers fon genre que la
nature m'appelloit : j'étois perfuadé que
je ne parviendrais jamais a faire de bonne
mufique de théâtre fur-tout, fi je ne pre-
nois la déclamation pour guide.
La mufique proprement dite, fera
tous les dix ou quinze ans le jouet de la
mode ; une chanteufe douée d'une fenfibilité
particulière, un compofiteur dont le génie
H
ît4 Essai
s'écartera de la route commune, une efpece
de fou, dont îes écarts ri veilleront la mul-
titude toujours avide de nouveautés; les
roulades fi favorables pour certains chan-
teurs, & prefque toujours nuifbles à l'ex-
preffion ; les cadences, les points d'orgues,
tout ce luxe muiical périra & renaîtra
peut-être dans un même fiècle ; mais ces
changemens ne font pas une révolution
importante peur le fond de l'art.
La vérité eft le fublime de tout ou-
vrage; la mode ne peut rien contre elle :
un brillant étourdi peut éclipfer un infiant
îe mérite dts habiles gens; mais bientôt
en filence, on rougit d'avoir été trompé &
l'on rend un nouvel hommage à la
vérité.
On objectera, fans doute, que l'accent
de la langue françaïié a changé fous les
deux derniers règnes; que la cour de
Louis XIV étoit galante & avoit un ton
chevakrcfquc ; que fous Louis XV on imi-
toît foiblement les manières nobles ôc îes
SUR LA MUSIQUE. I I £
grâces de l'ancienne cour, & qu'enfin le
langage des courtifans de nos jours n'eft
preique point accentué & que le bon ton
confifte à n'en avoir aucun. Doit-on inférer
de là que la mufique a dû changer avec l'ac-
cent? Non j le cri de la nature ne change
point, & c'eit lui qui conftîtue la bonne
mufique.
Le roi Henry juroit d'aimer toujours la
belle Gabrielle avec l'accent de l'homme
paflioné de nos jours; on dit que la chan-
fon Charmante Gabridk fut cornpoiee
paroles & mufique par le bon roi Henry
IV ; je ne fais fi c'eft une illufion , mais j'y
crois retrouver l'âme de ce bon prince.
Je dirai donc que l'accent du langage
fuit les mœurs: Il doit être faux, factice ,
grimacier parmi les peuples corromnus ;
mais que la nature fe foit refervé le cœur
d'un feul homme, celui-Ia fcul trouvera les
vrais accents. D'ailleurs quels que foient
fes mœurs, l'homme eft rarement factice ,
lorfqu'il efl fubjugué par les paffions
violentes. K 2
1 1 6~ Essai
Je fis un travail fi prodigieux & fî
obftiné, pour me fervir à propos & avec
fbbriété des éléments dont ma tête étoit
pleine, que je faillis fuccomber. JL 'expé-
rience ne m'avoit pas encore appris que Part
desfacrificesdiiiingue le bon artifte. J'avois
beau chercher à être (impie & vrai, une
foule d'idées venoient obfcurcir mon ta-
bleau. Quand j'adoptois le tout, j'étois
mécontent , & lorfque je retranchois ,
c'était au hazard & j'étois plus mécontent
encore. Ge combat entre le jugement &
îa feiencè, c'eft-a-dire entre le goût qui
veut choifir & l'inexpérience qui ne fait
rien rejetter;- ce combat, dis-je, fut li vif,
que je perdis îe reue de ma fan té.
Je me mis au lit avec la fièvre; mon
crachement de fan g me reprit, je fus alité
pendant fix mois & je ne fongeois à la
mufique que comme l'on penfe à une
maîtreiie ingrate qu'on n'a pu fléchir.
Plufieurs- morceaux des grands maîtres me
rouloient dans l'imagination. Va fur-tout
SUR LA MUSIQUE. Iiy
(était l'objet auquel je comparons mes idées
informes: Tremate, tremate, mojlri di
cruddtà ! ma il jiglio lofpofo , &c. ce beau
morceau de Terradellas me fembloit ren-
fermer tout ce qui constitue le vrai beau.
Dès que je pus marcher, j'allai me
.promener dans les environs de Rome.
Me trouvant un jour fur la montagne de
Milïini, j'entrai chez un hermîte que je
trouvai bon homme, quoi qu'italien ; je lui
parlai de la maladie que je vcncis d'efîuyer,
il me confeilla de m'établir dans fon
hermitage pour y refpirer un air pur qui
feul me rendroit des forces. J'acceptai ks
offres & je devins fon compagnon de re-
traite pendant trois mois.
Ce petit pèlerinage ne paroitra fans
doute aux yeux des lecteurs qu'une cïr-
conftance indifférente, qui ne méritoit pas
d'être rapportée* cependant je dois dire
que ce fut chez cet hermire que j'éprou-
vai la plus douce fatisfaétion de ma vie.
La révolution s'étoit opérée feule dans mes
H3
1 1 8 Essai
organes, & je Tignorois, îorfqu'un jour Je
m avifai de compoler un air fur des paroles
de Mctajlafio. Quel fut mon raviflement,
ïorfque je vis mes idées nettes & pures le
clafTer félon mesdefirs! fâchant aj( uter ou
retrancher fans nuire à l'objet principal,
que je voyois s'embellir à chaque procédé :
non, je le répète, je n'eus jamais de mo-
ment plus délicieux. [
Ahl framauro, difois-je a mon her-
mite, je me fouviendrai de vous tant que
je vivrai.
Ne vous décourage? donc pas, jeunes
artifles; car en fuppofant même que la
nature vous ait faits pour produire des
chefs-d'œuvres, ce n'eft qu'en cherchant
îongtems des effets fugitifs dans le vague
de votre imagination , que vous parvien-
drez à les fixer au gré de vos delirs. Mais
il faut auparavant que vous ayez parcouru
un cercle immenfe d'idées bizarres & inco-
hérentes qui , toujours renaiffantes &
fans celle rejettées, vous laifTeront ap-
SUR LA MUSIQUE. IjQ
percevoir enfin la vérité que vous cher-
chez.
II eft cependant un point de perfeaion
au delà duquel il ne vous eft pas permis
d'atteindre. Qu'un fentiment fecret vous
marque la mefure de vos facultés; fâchez
alors vous arrêter, car c'eft à d'autres que
veus qu'il eft permis de faire mieux. Si
cette idée eft trifte, il eft bien confclant
de fentir qu'on a fçu fe fervir de tous les
relfcrts de fon intelligence.
Deux procédés me fembîent nécefTaî-
res pour faire bien ; l'un eft: phyfique ,
l'autre eft moral. C'eft l'imagination qui
crée , c'eft le goût qui rejette , adopte ou
re&irie ; gardez - vous , en travaillant , de
refroid r votre imagination par des réfle-
xions précoces; on ne dirige point un
tortent rapide ; laiffez-Ie couler avec les
matières brutes qu'il entraîne, il ne vous
en marque pas moins îa rcute fimple ck
vraie que vous devez fuivre. Revenez en-
fuiie fur vos pas, & que le goût ck le dif-
H4
iio Essai
cernement réparent froidement les écarts
de votre imagination trop exaltée.
Il n'appartient qu'à l'artifte expéri-
menté de faïfir, quelquefois, la vérité du
premier coup. En doit-il être vain? Non ,
il jouit du fruit de fes premières erreurs ,
qu'il a longtems combarues.
Je n'ai rien à dire à l'artifte qui, travail-
lant fans ceffe, eft toujours content de
ïui; il eft né pour l'erreur & l'ignorant
l'applaudira.
Dès que j'eus fait entendre à Rome
quelques fcènes Italiennes & quelques
fimphonies, je vis avec plaifir que l'on
fe promettoit quelque chofe de moi. Je fus,
îe carnaval fuivant, ehoifiparles entrepre-
neurs du théâtre d'Aliberti , pour mettre
en muftque deux intermèdes , intitulés
les vendangeufts. Les jeunes maîtres de
mufique du pays crièrent au fcandale en
ïeur voyant préférer un jeune abbé du
collège de Liège. Mille bruits fe répandi-
rent dans les cafés; mais ils m'étoient
SUR SA MUSIQUE. m
favorables; à Rome, comme ailleurs , on
élève l'étranger pour humilier les nation-
naux.
Je commençois à m'occuper de mes
intermèdes, torique les entrepreneurs vin-
rent chez moi pour me dire que l'ouvrage
qu'on répétoit depuis quinze jours , ne
répondant point à leur attente, ils avoient
envasé le muficien à retirer Ôc corriger
famufique, & qu'il me falloit abfoïument
prendre fa place. Ypenfe^-vous , Mcjjieurs ,
leur dis-je ; c'efl dans huit jours l'ouver-
ture. — Oui , dans huit jours. Ils me firent
beaucoup de compliments, vrais ou faux,
fur l'impatience que le public témoigncit
de m'entendre; je travaillai pendant les
huit jours c>. les huit nuits, entouré de
copiftes & de mes acteurs; on re'petoit le
lendemain ce que j'avois compofela veille ;
on fit deux répétitions générales; le bruit
de ma témérité s'étoit répandu , & l'af-
fîuence fut fi grande , qu'on força la garde
a la féconde répétition.
H%% Essai
Ce qui me coûta le plus fut de tenir
le clavecin aux trois premières repréfen-
tations, mais je ne pus m'en difpenfer. Les
entrepreneurs me dirent que mon jeune
âge intérefTercit le public & contribueroit
à mon fuccès.
Je merapelle qu'étant au premier clave-
cin, prêt a faire commencer l'ouverture,
j'entendis un hautbois qui métoir p^s jufte.
Je le lui fis dire; il s'approcha de moi
pour s'accorder, & il me dit a l'oreille:
J'ai vu à la place où vous êtes, les Bura-
ncllij les Jomdliy mais je vous afîure
qu'au moment d'une première reprefen-
tation, ils ne s'appercevoient pas fi un
infiniment n'étoit pas parfaitement d'ac-
cord. Allons, courage, Signer maejiro >
me dit-il, notre opéra rêujjira : ck en
effet la prédiction fut vraie.
Le public fît, malgré moi, répéter un
air.
La vérité bien faifie plaît dans tous les
pays, & le peuple italien que l'on croit
SUR LA MU S IQU E. I 13
n'aimer qu'une ariette, feroït aiuTï fenfibie
que les Français a la mufîque dramatique,
s'il la connoifToit. Voici la firuation dont
il s'agit.
Un feigneur aimoît une vendangeufe;
fon amant en e'toir jaloux. Il vient trouver
le feigneur & lui dit: Ce n'efr. pas vous
qui êtes aimé de Lifette? Eh! c[ui donc
lui dit le feigneur? c'cjl un jeune homme
fait pour plaire, &c. &■ il lui fait fénumé-
ration des qualités du jeune homme. II
quitte la fcène brufquemenr après Ton
ariette & fe cache pour ohferver. Il re-
vient à pas de loup après un filence & lui
dit : " -ZVie m'entendc-^-vous pas? celui dont
je parle , c'eft moi. Lifette efl V objet que
'f adore, & Lifate ejl toute à moi. Il fort
brufnnement une féconde fois. Cette fi-
tuation parut plaçante: le public fentit que
les deux forties de l'acteur, tk la féconde
partie de 1 air déclamée (ans chant, étoient
des idées du jeune muficien. J'eus beau
faire., il fallut recommencer ce morceau;
1X4 Essai
Porcheftre partit fans mon ordre & facteUf
fuivit.
II faut convenir que dans les pays
chauds où les palTions font impérieufes,
on aime la mufique avec bien plus d'a-
bandon que fous un ciel tempéré où l'on
raifonne trop fes plaifirs. Un compofiteur
en Italie eft d'abord un homme aimé, par
îa raifon feule qu'il fe dévoue à l'art enchan-
teur qui nourrit les cœurs mélancoliques,
ck ils ne font pas rares à Rome. Pendant
les jeux du carnaval, le compofiteur dont
on exécute les ouvrages aux théâtres, eft
remarqué des Romains autant que celui
dont auroit dépendu le bonheur public.
S'il n'a pas eu de fuccès, on le montre
comme une malheureufe victime. S'il a
réuffi, c'eft un dieu.
II y eut gala le lendemain dans notre
collège, à foccafion de mon fuccès. Les
tambours de la ville vinrent m'éveilier, en
m'annonçant que ce jour étoit un grand jour
pour moi. Pendant que nous étions rafTem-
SUR LA MUSIQUE. I1J
Lies dans ïe réfe&oire pour déjeuner, je
reçus ordre de me tranfporter fur ïe
champ au palais du gouvernement. Mon-
feigneur le gouverneur me reprocha de
n'avoir pas obfervc la loi qui défend de
recommencer aucun morceau de mufique
au the'atre , fous peine d'amende (i), à
moins que le gouverneur ou Ton repréfen-
tant ne i'autorife en laiflant defcendre un
mouchoir blanc fur le bord de fa loge.
Hélas ! Moafeigneur, lui dis- je , j'étais
Ji loin de croire mériter les honneurs du
mouchoir , que je n'y ai pas regardé. Il ie
mit à rire , 6V j'entendis dire aux Liégeois
qui avoient voulu m'accompagner : Bon
nous ne payerons point l'amende. II me fit
plufieurs queftions que je reconnus appar-
tenir aux bruits qui s'e't oient répandus
fur mon compte dans les cafés. J'y répon-
dis fimplement en retranchant les exagé-
( i ) L'amende ctoit , je crois, de cent fequins, ou cin-
quante louis.
jz6 Essai
rations dn public: Obfirveçvous , me dit-il 9
depuis plusieurs années un régime aujji auf-
ùre qu'on le dit? — Non, Monfeigneur.
Mais Von m'ajfure que vous ave^ une
manière de vivre toute particulière. Je l'af-
furai que je dinois comme les autres au
réfectoire, mais que depuis longtems je
foupoisavec une livre de figues sèches &
un verre d'eau. Ce régime me pfaît, ajou-
tai-je, la nature me l'a indiqué, & j'ima-
gine que c'eft un baume excellent pour
une poitrine fatiguée. Allons , me dit-il,
en fecouant fa fouette, je ne veux point
qu'une amende vienne troubler vos plaijlrs ;
f°Jc\. P^us exac~l Par k faite.
J'aurois dû payer cher les fatigues que
j'avois efîuyées en compofant mon opéra:
mais la joye d'un premier fuccès eft un fi
puiflânt remède , que je ne fus nullement
incommodé.
Je me rapelle une aventure qui m'ar-
riva quelques jours après -, ôc qui auroit
pu devenir tragique. En falfant le foir une
SUR LA MUSIQUE. H7
vifite à des Dames voifines du collège ;
je fus aflàiiîî dans l'efcaîier de plufleurs
coups d'épées, dont un perça mon habit
d'abbé de part en part fur la poitrine.
J'oubliai dans cet infiant que j'étois à
Rome; je parlai 6c jurai à la françaife en
courant après mon aiîaffin qui difparut.
Je retournai au collège pour conter mon
aventure; mes amis étoient persuadés que
le fuccès de ma pièce avoit porté quelques
ennemis à cette atrocité, & ils réfolurent
de ne pas me quitter. Ils me faif oient
aiïurément trop d'honneur, & j'étois loin
de me croire capable d'exciter la jaloufie.
Cependant comme les Liégeois font
reconnus braves & peu endurants, le père
de l'imprudent qui m'avoit attaqué, arbora
dès le lendemain les armes du cardinal
Albani fur la porte de fa maifon, qui étoit
celle où j'avois été attaqué. Il vint trouver
notre recteur à qui il détailla l'affaire de
fon fils, qui m'avoit pris, à ce qu'il dit,
pour un abbé avec lequel il avoit eu que-
ii3 Essai
relie. Ce petit événement n'eut pas d'autre1
fuite.
L'Abbate Ntcolo qui m'avoit conduit
quelque tems auparavant chez M.Piccini y
vint me dire qu'ils avoïent aiTifté enfemble
à une de mes repréfentations, & que ce cé-
lèbre compofiteur avoit dit publiquement
qu'il étoit coûtent de mon ouvrage parce-
que je ne fuivois pas la route commune.
Quelques jours enfuïte, j'eus une petite
jouifTance qui ne me flatta pas moins.
Je fus fuivi à la promenade par une troupe
de perruquiers qui chantoient en chœur
& avec beaucoup de goûr, plulîeurs mor-
ceaux de mon opéra, (i)
J'étois rapellé depuis iongtems par mes
parents • pour réponfe je leur avois envoyé
le pfeaume Conjitebor t'ib'i Domine , &c.
( i ) Le bas peuple de Rome a une manière toute parti-
culière de pfaimodier Ces chantons en s'acempagnant
d'une grande guitarre, nommée calachone. Mais les arti-
fans plus rapprochés de la bonne fociété chantent avec le
gcutt , lexprellion & la précifion que les autres peuples ad-
mirent dans les Italiens.
que
SUR LA MUSIQUE. 12 J
( que je n'ai jamais entendu ), & que j'a^
vois compofé pour concourir a une place
de maître de chapelle qui vaquoit dans le
pays de Liège. J'obtins la place, à ce qu'ils
me mandèrent, mais je ne partis pas. Ce
fut pour une autre circonflance que je quit-
tai Tltalie où je pouvois demeurer avec
agrément , car l'on m'avoit propofe de faire
pour le carnaval fuivant des intermèdes
pour les théâtres di Tordinona ôc dalla Face.
Je fus indruit par le public que milord À...
amateur de mufique & jouant fort bien
de la flûte traverfière, avoit demandé pîu-
fieurs fois des concerto de Bute aux compo-
fiteurs les plus diftingués; mais que ne les
trouvant jamais à ion gré , il leur ren-
voyoit la partition avec un préfent magni-
fique pour le pays. J'eus mon tour & je
fus prié de faire un concerto de flûte. Je
répondis que ne corinoiffarrt point les ta-
lents de mylord, je ne oouvois rien faire
qu'au hafard.Je fus invité a déjeuner; my-
lord joua longtems de la flûte. Quelques
I
130 Essai
jours après je lui envoyai un concerto qui
étoit bien plus de fa compofition que de la
mienne , car j'avois mis en ordre prefque
tous les pafTages que je lui avois entendu
faire en préludant: il m'envoya un Beau
préient ôc m'offrit une penfion annuelle
(1 je voulois lui envoyer d'autres concerto
par-tout où il feroit. J'acceptai fa propor-
tion.
Le maître de flûte de myïord Ni.Wcifl]
auffi excellent dans fon art, qu'aimable &
honnête homme, me prit en amitié &
m'engagea à venir à Genève , où il étoit
établi. M. Melon , attaché à l'ambalfade de
France à Rome, m'avoit montré une parti-
tion de Rcfe & Colas, qui m'avoit fait
naître le defir de travailler à Paris. Je partis
donc de Rome & laifTai tous mespfaumes,
mes melTes Se mes leçons de compofition
dans les mains des Liégeois. Mon inten-
tion en allant à Genève étoit de faire quel-
ques épargnes pour me mettre en état d'al-
ler a Paris chercher a me iÉàire connoître.
SUR LA MUSIQUE. 131
Je ne dois point quitter le beau pays
qui a fervi de berceau à mes faibles talens,
fans jetter un ccup d'œiï fur la mufique
théâtrale & actuelle des Italiens : s'il en
coûce à ma reconnoiiïànce de réprcuver
quelquefois la mzre-mufique , mon enthou-
fiafme pour Tes beautés devient un plus
pur hommage.
L'école italienne eft la meilleure qui
exifte, tant pour la compofition crue pour
îe chant; la mélodie des italiens eft (impie
& belle; jamais il n'eft permis de la ren-
dre dure & baroque; un trait de chant
n'eft beau que lorfqu'il s'eft placé de lui-
même & fans aucun effort. Dans le genre
férieux comme dans le comique leurs
récitatifs obiige's, les airs d'exprefïion ou
cantabile, les duo, ks cavatines, qui cou-
pent fi heureufement le récitatif, les airs
de bravoure, les finales, ont fervi de mo-
dèle a toute l'Europe.
II eft inutile de leur faire un mérite de
îa juftefie de la profodie, car il eft pref-
Ii
i^i Essai
qiumpofïible d'y manquer , tant leur
langue eft accentuée & libre par ïes élirions
fréquentes des voyelles. Le public d'ailleurs
ne critique jamais le muficien fur ce point.
J'ai entendu un air d'un grand maître, qui
commençoit par le mot amory Se quoique
Va foit bref, il étoii foutenu pendant plu-
sieurs mefures a quatre tems, fans que
perfonne y fit attention. L'Italien aime
trop la mufique pour lui donner d'autres
entraves que celles de fes règles. II facrifie
volontiers fa langue aux beautés du chant.
La langue italienne eft elle-même fi
amoureufe delà mélodie, qu'elle fe prête à
tout, même aux extravagances du muficien ,
fans que jamais fes grammairiens lui faf-
fent le moindre reproche.
Qu'importe, femble dire ïa nation, que
pour produire un trait de chant neuf,
il faille eftropier la profodie & même le
feus des paroles, le chant n'en eft pas
moins trouve' , Se d'autres paroles fe
prêteront à & contexture originale. La
sur la musique, 133
France un jour pourra penfer de même:
mais alors elle aimera paffionnément îa
mufique, ck le fentiment aura remplacé
îa manie d'épiloguer & d'analyfer fes
plaifirs.
Que manque-t-il donc aux Italiens pour
avoir un bon opéra férïeux? car pendant
les neuf à dix années que j'ai habité Rome,
je n'en ai vu réuffir aucun. Si quelquefois
l'on s'y portoit en foule , c'étoit pour en-
tendre tel ou tel chanteur; mais îorfqu'iï
n^étoit plus fur îa fcène, chacun fe re droit
dans ra loge peur jouer aux cartes Se pren-
dre des glaces , tandis que le parterre
bâilïoit.
[D'anciens profeffeurs m'ont afTuré
cependant, que jadis les poëmes ô^Apop-
tolo Zcno & ceux de Mctafiafio, avoient
obtenu des fuccès réels; & après les avoir
interrogés fur la manière dont ils étoient
traités par les muficiens de ce tems, j'aifu
qu;ils faifoient les airs moins longs qu'au-
jourd'hui, moins de ritournelles, prefqua
1 x
134 Essai
point. Je roulades, ni de répétitions. N'al-
lons pas chercher ailleurs d'où peut naître
ïa langueur & le peu d'intérêt des opéra ita-
liens; car fi en effet on s'amufoit à retran-
cher d'une partition les répétitions, les
roulades &rles ritournelles inutiles, je pofe
en fait, qu'on en retrancheroit les deux
tiers ék que par conféquent l'action étant
ainfï rapprochée , intércfieroit davantage.
Les cpera- comiques font moins fujets à
ces défauts; la langueur vient prefqu'en-
tiérement de la mauvaife conflru&ion du
poème. Les mufteiens Italiens finiront
cepenJant par êïre dramatiques: ]e fais
que nos parthiens françaift-s circulent dans
les Conservatoires de Napïes , ck qu'on les
étu^ï^ ions ce point de vue.
J'ai remarqué un autre inconvénient,
quVn p'.ur appeiler eontre-fens' dramati-
que. Le meilleur chanteur n'eft pas tou-
jours chargé du rôle le plus important dans
î'aclion du drame , pareeque fouvent, les
airs de demi caractère , par exemple, lui
SUR EA MUSIQUE. 135
conviennent, Sz qu'ils fe trouvent dans les
rôles fecondaires: cependant (bit par fon
talent, fcit parceque le compofiteur s'efl:
plu à foigner fon rôle, il re'pand un charme
û puifTant fur tout ce qu'il chante, qu'il
devient rôle principal, malgré l'intention
du poème. L'on comprend aifément que
l'intérêt du drame ainfi renverfé, jette le
fpectateur dans une incertitude accablante,
& que le meilleur chanteur cefTe d'être
adeur, du moment qu'il intérefîe aux dé-
pens du rôle vraiment intérelTant par fes
fituations.
La tragédie offre fans doute moins de
variétés aux muficiens que le comique ,
parce que tous les perfonages font nobles;
mais il n'eft pas néceffaire que le muficien
n'aye que trois formules d'air dans la tête
pour peindre toutes les pallions d'un
drame tragique; il exiile tant de nuances
pour différencier chaque caractère, fans
s'afïujettir a ne favoîr produire qu'un air
de bravoure , pathétique ou de demi-carac-
i4
136 E s s a r
tere! Voyez d'ailleurs tous les airs Je bra-
voure que renferme un opéra italien, 8c
vous trouverez par-tout un même caractère ,
ïa même manière, ck prefque les mêmes
roulades, quoiqu'ils foient tous dans des
fituations différentes. Comment ne pas
s 'ennuyer de cette uniformité, & comment
empêcher le public de fe rejetter fur un
excellent chanteur qui a le talent de lui faire
oublier l'opéra ?
L'on convient généralement que ïa
mufique instrumentale à^s Italiens efl
foible; comment pourroit-elîe prétendre à
tenir un rang parmi les bonnes com por-
tions? il n'y a prefque jamais de mélodie,
parce qu'ils veulent dans ce cas courir après
des effets d'harmonie; & l'on y trouve peu
d'harmonie , parce qu'ils ignorent Part
de moduler. L'on comprend cependant,
qu'abftradion faite de ces deux agens , il ne
relie que du bruit. Les chœurs font nuls du
côté des effets, & en cela on doit peut-
être moins les aceufer , parce qu'il exiffe
SUR LA MUSIQUE. I37
chez eux un préjugé qui bannit ïes fugues
du théâtre & tout ce qui y auroit trop de
rapport. Un éft pourtant pas d'autre moyen
que celui de ïa fugue plus ou moins févëre
pour rendre avec vérité les chœurs des
prêtres, les confpirations Se tout ce qui a
trait à ïa magie : ce préjugé mal entendu
ïes a jettes dans un relâchement & une
pauvreté d'harmonie impardonnable. Leurs
airs de danfes font pitojables en général,
car ils ne font ni danfànts, ni chantants,
ni harmonieux; le récitatif (impie efr pris
de l'accent de la langue, mais la longueur
des fcenes Se le peu d'énergie des hommes
énervés qui le chantent, le rend ibporiri-
que au plus haut degré.
Convenons enfuite qu'il y a de la féehe-
refTe & peu de variété dans ks cempofi-
tions italiennes; ce défaut provient, en-
core de l'oubli de l'harmonie. -Cette reine
de la mufique eft trop négligée par ïes
élèves même de Durante, qui la poiTédoit
à un fi haut degré.
138 Essai
Une modulation nouvelle fe trouve
par un procédé de l'art, & le génie peut
trouver un trait de criant neuf que cette
harmonie renfermoit; fans cela nous ne
connoiiTons point de proce'dé pour créer
un trait de chant,
Que faudroit-il pour perfection lier l'opéra
Italien? diminuer les fcènes trop longues,
refTerrer l'action en élaguant les ritournelles
oifeufes, les roulades, les répétitions qui
deviennent fi ennuyeufes, fur-tout lorfque
l'action eft prcfîee; rendre les chœurs plus
dramatiques, plus harmonieux, plus modu-
lés -, fuivre les Français Se les Allemands
pour la partie infirumentale, c'eft-à-dire ,
les ouvertures, les marches & les danfes ;
alors l'intérêt naîtra du fond du poëme, ck
le chanteur malgré lui deviendra acteur.
Il ne lui fera plus permis comme nous l'a-
vons vu, de quitter la fcène pour fucer une
orange pendant que fon interlocuteur lui
parle comme s'il étoit préfent.
Un opéra fait comme je viens de le
SUR LA MUSIQUE. I 3 O
dire, exécuté même par des chanteurs
médiocres, peut réuffir. Si les chanteurs
font d'habiles gens , le fuccès fera com-
plet; mais j'ofe affurer fans craindre d'a-
vancer un paradoxe, qu'un fameux chan-
teur au talent duquel on a tout facrifié ,
devient le deftruéteur de l'intérêt général,
fur-tout , s'il n'eft entouré que de gens
médiocres qu'il anéantit.
Les Romains font la dépenfe nécef-
faire pour avoir un grand chanteur , ck
ils négligent tout le relie.
Mais tous les chanteurs fuiTent - ils
exceîlens, sis anéantiroient l'effet de l'en-
femble, fi le muficien s'amajettit à fer-
vir chacun d'eux a fa manière. Ç'efi à
la manière du poème qu'il faut faire la
mufique , en s'affujetifTant , autant que
faire fe peut , aux moyens du chanteur.
Les amaxeurs exclu fifs de la mufique
italienne , ont dit cent fois qu'il feroit
affreux de renoncer a tout ce qui peut
faire briller un bon chanteur : je veux
140 Essai
qu'on chante, à l'Opéra, d'ifcnt - ils , '&
qu'on me donne la tragédie , fans mufique,.
fur un autre théâtre. Si la mufique pou-
vait fe fourenir d'elle-même fans l'inté-
rêt du drame , d'accord : mais l'Opéra
italien, votre idole enfin , vous ennuie,
ôz vous n'ofez en convenir. Cent fois 3
en ouvrant une bouche énorme , je vous
ai entendu dire : ah 3 que c'ejl beau l
Capitulons donc.
Je ne voudrois pas que les Italiens
adoptaffent la tragédie de Gluk , dans
dans toute fa rigueur , parce que leurs
chanteurs font d'habiles gens & que fans
nuire à l'intérêt l'on peut , ce me femble,
être moins preffé , moins déclamé , moins
dramatique.
La mélodie' rendue avec art & fenfi-
bilité , non-feulement , permettrait ce lé-
ger retard dans ï'aâion ; mais elle ajou-
terait un charme de plus en féparant un
peu les cruautés tragiques fur lefquelles
elle répandrait un baume falutaire. :
SUR LA MUSIQUE. I^t
Pourquoi donc Gluck , en arrivant à
Paris , ne Pa-t-il pas fait ? Parce qu'il a
compofé pour ia France , Se non pour
l'Italie. Si ïa nature ne nous avoit privés
trop tôt du génie de ce grand homme (i),
auroit-il vu les talens de hais & de Rouf-
/eau, fe perfectionner chaque jour, fans
vouloir en profiter ? Lorfque j'entendis
le premier ouvrage de Gluck , je crus
n'être intérefTé que par l'action du drame ,
& je difois comme vous : il r?y a point
de chant; mais que je fus heureufement
détrompé ? en fentant que c'étoit la rnu-
fïque , elle-même , qui étoit devenue Pac*
tion qui m'avoit ébranîé !
Qu'importe que ce foit l'harmonie ou
la mélodie qui prédomine , pourvu que
ïa mufique produife fur nous tout fou
effet. Vous avez le courage d'oublier que
vous êtes muficien pour être poëte , me
difoit le Prince Henri de Prujfe , en for-
(i) Gluck venoit d'eiïiiyer une maladie, dont il est mort
£Utlcjues années après.
ï^z Essai
tant d'une représentation de Richard cœur
de Lyon. C'eft: fur-tout à Gluck qu'un
tel compliment auroit pu s'adrefTer. Qui
mieux que lui a fenti , qu'il n'eft point
d'intérêt fans vérité , ck point de vérité
fans facrifice !
Fin de la première Partie»
SUR LA MUSIQUE. 143
SECONDE PARTIE.
J e an -Jacques Rousseau dit qu'il
faut voyager à pied pour s'inllruire , en
jouiflant tout-à-ïa-fois d'une bonne fanté
ôz des fenfations délicïeufes qu'oure à
chaque inftant ïe fpe&acle varié de ïa
nature. Je partis de Rome le premier
Janvier 1 7 6 7 , je ne vis rien fur ma
route , je n'eus ni plaîfir ni peine , j'é-
tois dans une bonne voiture.
Arrivé à Turin , j'y retrouvai un Ba-
ron Allemand que j'avois connu à Rome ;
il me propofa de faire route enfèmble
pour Genève ; il étoit prelTé & nous par-
tîmes le lendemain. Dès que nous fûmes
fortis de la ville , je voulus lui dire : et Ah
» M. h Baron que je fuis enchanté de.*..»
II m'interrompit & me dit brufquement :
a Monfieur, je ne parle point en voiture ».
fort bien , lui dis-je. Etant defeendu le
144 Essai
foir dans l'auberge , H fît faire grand feu,;
pafTa fa robe-de-chambre & vint à moi
les bras ouverts en me difant, ah, mon
cher ami , que je fuis aï/è de.... Je l'in-
terrompis a mon tour pour lui dire d'un
ton fec : Monfieùr ,je ne parla point dans
les auberges. Il fe mit à rire comme un
fou , & me fit le de'tail d'une cruelle ma-
ladie dont-il e'toit atteint , ôc fe plaignit
amèrement du beau fexe romain , qui
l'avoit , difoit-il, traite' fans indulgence.
Le jour fuivant nous paflames le mont
Cénis. Des porteurs fe chargèrent de nous
en montant ; je leur demandai ce que
fignifîoit une croix rouge que jap-
perçus dans un précipice ; paix , me dit-
on , ne parlez pas. Comment donc, me
difois-je en moi-même , rencontrerai-je
par tout des Barons Allemands ? Etant
arrivé fur la montagne , mes porteurs
m'apprirent que le fon ou î'écho feul du
fon de la voix pouvoit déterminer la
i te des neiges amoncelées ck fuf-
pendues
SUR LA MUSIQUE. ne
pendues fur la tête des voyageurs. La
defcente de la montagne m'amufa infini-
ment. Je propofai à mon Baron de la
remonter pour avoir /e plaifir de la re-
defcendre. Il me refufa Se me fit de
nouveaux éloges du beau fêxe romain.
La manière dont nous defeendîmes la
montagne s'appelle la ramafTe. II faudroit
trois heures pour faire cette defcente à
pied ou fur un mulet , Se peu de minutes
fuffifent quand on fe fait ramaflèr. On
remet fa vie entre les mains d'un petit
favoyard; le mien n'avoît pas plus de dix
à onze ans ; on eft affis fur une efpèce de
traîneau ; le petit conducteur eft fur le
devant , il vous fait griffer de roc en roc
candis que de fes petites jambes il dirige
■ îa voiture : on eft prefque fuffoqué par
les premières chutes , mais en fe cou-
vrant la bouche, cette manière d'aller
eft très-fupportable.
Je quittai mon Baron à Genève &
je m'en confolai fâchant que j'y verrois
K
I4& Essai
Voltaire. Après que j'eus été préfenté dans
les meilleures maifons par mon ami JVàJf^
je me trouvai avoir accepté vingt femmes
pour écolieres. J'avois été précédé d'un
peu de réputation , & les magiftrats me
permirent d'outre-parTer le prix des le-
çons ordonné par les loix de la repu-
Blique.
Le métier de maître a chanter ne
me plaifoit point , outre qu'il fatiguoit
ma poitrine ; mais il falloit me préparer
aux dépenfes qu'entraîne le féjour de
Paris.
La querelle entre les repréfentans &
les négatifs étant alors dans toute fa force ,
MM. les ambaflàdeurs de France , de
Zurich & de Berne , arrivèrent en qua-
lité de médiateurs : la république fit bâ-
tir une faile de fpeclacle pour amufer
leurs excellences & le peuple révolté.
J'entendis des opéras comiques françois
pour la première fois. Tom - Jones , le
Maréchal, Rofe Se Colas , me firent grand
SUR LA MUSIQUE. 147
jpïaifir, lorfque j'eus pris l'habitude d'en-
tendre chanter le françoîs , ce qui m'avoic
d'abord paru défagréable.
Il me fallut encore quelque tems pour
m'habituer à entendre parler Se chanter
dans une même pièce ; cependant je fen-
tois déjà qu'il eft impofîible de faire un
récitatif intéreffant lorfque le dialogue
ne l'eft point. Le poëte a une expofition
à faire , des fcènes à filer , s'il veut éta-
blir ou déveloper un caractère. Que peut
alors le récitatif? fatiguer par fa mono-
tonie , & nuire a la rapidité du dialogue.
II n'y a que les jeunes poètes qui pref-
fent trop leurs fcènes de peur d'être longs ;
l'homme qui connoît mieux la nature fait
qu'on ne produit des effets qu'en les pré-
parant & les amenant doucement jus-
qu'à leurs plus hauts degrés. Lai (Ton s donc
parler la fcène. Formons à la fois des co-
médiens déclamateurs Se des muficiens
chanteurs , fans quoi nos ouvrages dra-
matiques perdront le mérite qu'ils ont &
1148 E s s a r
celui qu'ils peuvent encore acquérir. Je
défirerois mettre en mufique une vraie
tragédie où le dialogue feroit parlé : j'ima-
gine qu'elle produiroit un plus grand
effet que nos opéras chantés d'un bout
a l'autre.
J'eus bientôt envie d'effayer mes ta-
ïens fur la langue françoife , & cet effai
n'étoit pas inutile , avant de fonger à la
capitale de la France. Je demandois par
tout un poëme ; mais , quoiqu'il y ait
beaucoup de gens d'efprit à Genève , on
étoit trop occupé des affaires publiques
pour donner audience aux mufes. Je pris
ïe parti d'écrire à M. de Voltaire , a peu
près dans ces termes :
Monsi EUR
w Un jeune mufkien arrivant d'Italie,
» & établi depuis quelque temps à Ge-
« nève,voudroit effayer fes foibles taîens
J? fur une langue que vous enrichiffex
SUR IA MUSIQUE. I^t),
i> chaque jour de vos productions im-
v mortelles ; je demande en vain aux:
p gens d'efprit de votre voifinage de
p venir au fecours d'un jeune homme
» plein d'e'mulation , les Mufes ont fui
» devant Belione, elles font fans doute
>> réfugiées chez vous , monfîeur , & j'im-
» plore votre protection auprès d'elles ,'
» perfuadé que fi j'obtiens de vous cette
D grâce 3 elles me feront favorables dans
» cet inftant , ôc ne m'abandonneront
v jamais ».
Je fuis avec refpec~t, &c.
Monfieur de Voltaire, me fit dire par
la perfonne qui s'étoit chargée de ma
lettre , qu'il ne me répondoit pas par
écrit , parce qu'il étoit malade & qu'il
vouîoit me voir chez lui le plutôt qu'il
me feroit pofTibîe.
Je lui fus préfenté le dimanche fuivanc
par madame Cramer fon amie. Que je
fus flatté de l'accueil gracieux qu'il m§
*3
I j o Essai
fit ! Je voulus m'excufer fur la liberté que
j'avois prife de lui écrire. Comment donc,
monfieur , me dit-il , en me ferrant la
main ( & c'était mon cœur qa'il ferroit ),
j'ai été enchanté de votre lettre , l'on
m'avoit parlé de vous plufieurs fois; je
défirois vous voir ; vous êtes muiicien &
vous avez de f efprit ! Cela efl trop rare ,
monfieur , pour que je ne prenne pas à
vous îe plus vif intérêt. Je fouris à ï e'-.
pigramme , & je remerciai M. de Vol-
taire. Mais , me dit-il , je fuis vieux ôc
je ne connois guère l'opéra comique ,
qui aujourd'hui efl à la mode a Paris*,
& pour lequel on abandonne Zaïre Se
Mahomet. Pourquoi ? dit-il en s'adreffant
a madame Cramer , ne lui feriez vous pas
un joli opéra , en attendant que l'envie
m'en prenne ? Car je ne vous refufe pas,
monfieur. Il a commencé quelque chofe
de moi, lui dit cette dame, mais je crains
que cela ne foir. mauvais. — Qu'eft-ce
que c'eft ? — • Le Savetier Philofophe. — ~
sur la musique. 15 %
Ah ! C'eft comme fi l'on difoit Frcron
le philofophe. Eh bien , monfieur , com-
ment trouvez vous notre langue? — Je
vous avoue , monfieur , ïui dis-je , que
je fuis embarrafie dès le premier morceau j
ce vers :
Un philofophe eft heureux.
Que je voudrois rendre dans ce fens .
ck je lui chantai :
Un philofophe ï
Un philofophe !
Un philofophe efi heureux.
12e muet fans élifion de la voyelîe
fuivante , me paroît infupportable. Et
vous avez raifon , me dit-il , retranchez
tous ces i% tous ces phe & chantez har-
diment un philofof.
Le grand poète avoit raifon dans un
fens , mais il fe feroit expliqué différem-
ment s'il eût été muficien. Ve muet de
philofophe eft un des plus durs de ïa
ïangue ; mais il faut une notte pour Vc
K4
1 5 1 Essai
muet fans élifion dans tous les cas; e'eft,
au mufîcien à îe faire tomber fur un fon
inutile dans la phrafe muficale \ voyez,
par exemple , dans quel canton eft VHu-
roni*e ? ejl-ce en Turqui-e ? en Ar&hi-t ?
Dans quel can- ton eft l'Huro- ni- c ? eft-
JËg˱^bS=Ë^gg=pggËÈfel
ce en Tur- qui- e ? en A- ra- bi-e ? hé \
Mmmm
h<<-
non , non, non»
Toutes les nottes qui portent Ye muet
font fans conféquence, & Ton pourroic
les retrancher fans nuire au chant.
Voici comment Ye muet eft mal place',
Dans îe duo de la Rofiere de Salenci
après l'orage, &c , Vamoureu-fc Ccah
r U- — pin [ fc .îJU>> — r-
L'a-moureu-fe Ce- ci- le.
SUR LA MUSIQUE. I53
\jc fe eft placé fur une bonne notte &
fait un mauvais effet.
J'aurois pu chanter de cette manière \
L'a mou-reu- fe Ce- ci- le,
Mais je me fuis laifTé entraîner par
chant , en cette occafion comme en plu-
fieurs autres ; je ne manque pas de m'en
repentir lorfque j'entens chanter mes
opéras.
Monfieur de Voltaire me dit enfuïte
qu'il falloit me hâter d'aller à Paris ; c'eft
là , dit-il , que l'on vole à l'immortalité.
Ah ! Monfieur , lui dis-je , que vous en
parlez à votre aife ! Ce mot charmant
vous eft: familier comme la chofe même.
Moi , me dît-il , je donnerois cent ans
d'immortalité pour une bonne digeftion.
Difoit-il vrai?
Ayant été fi bien accueilli de M» de
ï ? 4 Essai
Voltaire, j'y retournai fouvent ; j'alloîs
faire chez lui mon apprentifTage de cette
atfànce, de cette amabilité françoife, que
Ton trouvoit chez lui plus qu'à Genève.
Voltaire, quoi qu'éloigné de Paris de-^
puis long-temps , n'étoit rien moins que
rouillé par la folitude; il fembloit, au
contraire , avoir transféré a Fernay le
centre de la France. La çorrefpondance
continuelle qu'il entretenoit avec les gens
de lettres étoit le journal qui Pinf-
truifoit chaque jour des mouvemens de
la capitale, & l'opinion fufpendue fem-
bloit attendre pour fe fixer , que le lé-
gîflateur du bon goût eût prononcé fur
elle. *
Genève & fur-tout les leçons que j'y
.donnois , m'ennuyoient davantage quand
je fortois de Fernay ; tout m'enchantoit
dans ce lieu charmant. Les parterres ,
îes bofquets, les animaux les plus rufti-
ques me fembloient différens fous un tel
maître.
SUR SA MUSIQUE. j^.
L'opulence d'un grand feigneur peut
nous humilier , exciter notre envie ; mais
ceiïe d'un grand homme contente notre
ame. Chacun doit fe dire : c'eft par des
travaux immenfes, c'eft en m'édairant ,
c'eft en charmant mes ennuis , en me
fauvant du deTefpoir peut-être, qu'il eft
parvenu à la fortune ; il m'a donc payé
ion bien par un bien plus précieux en-
core , pourquoi le lui envirais-je ?
Ses valTaux obtenoient de lui tous les
encouragemens pofhbïes ; chaque jour on
MtifToit de nouvelles maifons ôc Fernay
feroit devenu le bourg ïe plus confidé-
rabïe , le plus confidéré de la France ,
fi Voltaire, s'y fût retiré vingt ans plutôt.
J'ai entendu dire cent fois depuis ,
qu'il étoit fatirique , méchant , envieux
de toute réputation. J'ofe croire que fi on
ne l'eût combattu qu'avec des armes dignes
de lui ; Voltaire , la politeiïe , la galan-
terie même, fâchant refpeéter le mérite ,
pour être lui-même refpeclé \ bon, humain y
i$6 Essai
infatigable à protéger l'innocence; non
Voltaire n'eût jamais paru dans l'arène
fàngeufe , où l'envie & la fatyre l'ont fait
defeendre.
Il avoit {es défauts fans doute ; mais
fongeons que les défauts de l'homme cé-
lèbre fuivent par tout fa réputation \ tan-
dis que ceux de l'homme obfcur ne for-
tent pas du cercle étroit qui l'environne.
Songeons que l'on ne pardonne rien aux
grands hommes qui nous humilient plus
ou moins , en nous forçant k l'admiration,
ï/amour-propre bïefTé eft (i adroit a nuire !
Il eft ïe mobile du monde moral , comme
je crois le folcil celui du monde phy-
sique. Quand tous les moraliftes réunis
ne feroient occupés pendant un fiècle qu'a
développer les replis de l'amour-propre,
je doute qu'ils parvinrent à pénétrer le
fond de fon labyrinthe ténébreux.
Rien de plus noble fans doute , que de
méprifer la critique injufte. Mais la nature
en créant l'homme de génie, commença
SUR LA MUSIQUE. I 5 J
par le rendre vif, fenfible , pafftonné, &
rarement affez pacifique pour réfifter au
plaifir d'une jufte vengeance. L'on n'ou-
trage ni Dieu ni la nature impunément-
comment ofer efpérer davantage de
l'homme le plus parfait ? Qui fait d'ail-
leurs fi, pour être ce qu'il étoit , Vol-
taire n'avôit pas befoin d'être quelouc
fois contrarié ? Son génie s'allumoit à
l'afpect d'une feuille de Fréron ; fi cet
aiguillon lui eût manqué , fa tête qui cher-
choit fans ceffe à s'enflammer, eût trouvé
d'autres canfes pour produire les mêmes
effets.
Au Cid perfécuté Cinna doit fa naiiïance ,
Et peut-être ta plume au cenfeur de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Barras.
B O I L E A U.
Un habile peintre de mes amis, M.
Menageot , étoit fouffrant \ il s'adreffe à
un médecin , heureufement homme d'ef-
prit , qui après l'avoir interrogé , nous
158 Essai
dit en for tant de l'attelier : je me garderai
bien de le guérir avant qu'il ait fini fou
tableau. Sa maladie étoit effectivement
produite par la grande fermentation du
fang & des humeurs , & Ménageât n'eût
pas achevé avec la même force fon fu-
perbe tableau de la mort de Léonard de
Vinci , fi un médecin ignorant eût calmé
à la fois fon imagination & PefFervef-
cence de fon fang.
Mon opéra avec madame Cramer ,
n'avançoit qu'à pas lents , & c'eft pref-
que toujours un mauvais figne , quant
aux ouvrages d'efprit & d'imagination*
Les Comédiens de Genève donnèrent
alors Popéra à'Ifabclle & Gertrude , qu'on
avoir repréfenté depuis peu au théâtre
Italien' de Paris. Le poëme fit plaifir ,
mais la mufique parut foible. Je réfolus
de faire mon premier efTai fur ce poëme
de Favart. Je n'éprouvai pas trop de dif-
ficulté; il eft vrai que je ne connoiiTois
pas la rigidité de la langue , & que j'em-
S tf R LÀ MUSIQUE* I^a
ployois toutes les voyelles pour faire des
roulades. Tignorois qu'il faut attendre ,
une chaîne , un vol , un ramage f un
triomphe &c. , pour s'y livrer. Je fentis
cependant en travaillant que la langue
françoife étoit aufïi fafceptible d'accent
qu'aucune autre.
Je n'entends pas par accent une cer-
taine manière de chanter les vers en dé-
clamant; cet accent n'engendreroit qu'une
mufique monotone ; il faut au muficien
une déclamation plus forte ; fi les inter-
vales du poëte qui récite font de i à i,
il faut que ceux du muficien foyent de
i à 5 il y a au moins cette différence
entre îa parole Se le criant.
Si l'on difoit que le chant ne peut imi-
ter la parole , parce que la parole n'eft pas
un criant : je dirois que la parole eft un
bruit où le chant eft renfermé , c'eff-à-
dire , qu'au lieu de frapper un fon , h
parole en frappe plufieurs à la fois. Dé-
clamez, où vais-je? en élevant l'organe
16e Essai
ce qui eft naturel pour marquer PexckU
mation ou l'interrogation ; vous trouverez
ut rc mi frapés enfembles pour ou ; & 3
mi fa fol pour vais-je ; voilà du bruit ,
puifque chaque fyllabe porte trois fons.
Que fait alors le muficien ? If prend un
des trois fons pour chaque fyllabe, & il
dit :
Ut Sol
— ' — 1 ■ p — g'
Où. vais - je !
Je me rappelle le premier trait où je
crus faifir la nature & îa vraie déclama-
tion. Cette découverte ( que d'autres
avoient faite avant moi , ) me fit conce-
voir des efpérances flatteufes pour l'ave-
nir , c'eft pourquoi je la rapporte. Dorlis
parlant à fon oncle , dit de madame
Gertrude qu'il veut couvrir d'un léger ri-
dicule :
il
S U R l a MUSIQUE. 1 6 1:
Il faut la voir cette dame Gertrude
Avec Ton grand mouchoir
noir !
. . ^ I - -H
Il faut la voir cette dame Ger- tru- de
*hnn /";r~rr.r .^ i .■•»Hate
a-vec fon grand mouchoir noir !
On voit que l'exprefïion eft naturelle
& vraie ; & que j'avois fingulièrement
mis en ufage le précepte des e muets que
m'avoit donné Voltaire; l'on voit auflî
que je ne les retranchois pas tous , mais
feulement lorfqu'ils m'embarrafîbient.
Ce premier opéra françois , eut un
fuccès encourageant pour moi : le pu-
blic s'y porta avec affluence pendant
fîx représentations , & c'eft beaucoup
pour une petite ville telle que Genève.
Un muficien de l'orcheftre , maître
a danfer , vint chez moi pour me dire
L
•$6*V E s s a r
que les jeunes gens de la ville , pour
fuivre l'ufage de Paris m'appelleroient
après la pièce; je n'ai, lui dis-je , jamais
vu cela en Italie ; vous le verrez , me
dit-il , & vous ferez le premier auteur
qui ait reçu cet honneur dans notre ré-
publique. J'eus beau nie défendre , il
voulut abfolument m'enfeigner à faire
une révérence avec grâce. Dès que l'opéra
fut fini , je fus efFeétivement demandé à
pïufieurs reprifes 9 & fus obligé de pa-
raître pour remercier le public ; mon
homme dans fon orcheftre me crioit : ce
nVft pas cela.... peint du tout.... mais
allez donc... — Qu'as tu donc lui dirent
{es confrères ? Je fuis furieux , j'ai été
exprès chez lui ce matin pour lui ap-
prendre à fe préfenter noblement , voyez
fi l'on peut être plus gauche & plus
bête.
Je fenris qu'il étoit temps d'aller à
Paris. Je fus prendre congé de M. de
Voltaire ; je le vis s'attendrir fur mon
SUR t A MUSIQUE. 163
fort & iï paroiffoit l'envier tout k la fois.
Je renouvelais fans doute dans fon ame
le temps de fa. jeuneiïe , loriqnil fe jetta
dans la carrière des arts , où fon trouve
quelque fois la gloire avec la fortune;
mais bien plus fouvent le découragement
fuivi du defefpom
II me dit: vous ne reviendrez plus k
Genève , Monfîeur $ mais j'efpère encore
vous voir à Paris.
Je n'entrai pas dans cette ville fans
une émotion dont je ne me rendis pas
compte ; elle étoit une fuite naturelle du
plan que j'avois formé , de n'en pas fortir
fans avoir vaincu tous les obftacles qui
s'oppoferoient au defir que pavois d'y
établir ma réputation. Ce ne fut pas
l'ouvrage d'un moment ; car pendant près
de deux ans, j'eus à combattre comme
tant d'autres , l'hydre à cent têtes qui
s'oppofoit par tout à mes efforts.
On écrivit à Uége , que j'étois venu
k Paris pour lutter contre les PhUrfor p
ï64 E s s aï
les Duni & les Monfigni ; les muficiens
de Liège reprochèrent à mes parens
l'excès de ma témérité ; cette menace
ne me découragea pas ; au contraire ,
elle enflamma mon émulation , &ie me
difois : fi je peux approcher de ces trois
habiles muficiens , j'aurai le plaifir de
furpaflèr les compofiteurs liégeois qui s'en
reconnoiflent très éloignés.
Je fus deux fois a l'opéra, craignant
de m'être trompé ïa première ; mais je
n'en compris pas davantage la mufique
françoife. On donnoit Dardanus de Ra-
meau; j'étois à côté d'un homme qui fe
mouroit de plaifir , & je fus obligé de
fortir parce que je me mourois d'ennui.
J'ai découvert depuis des beautés dans
Rameau , mais j'avois alors la tête trop
pleine des formes & de la mélodie Ita-
lienne , pour pouvoir me reculer tout à
coup à la mufique du fiècle précédent ;
je croyois entendre certains airs italiens
qui avoient vieilli } & dont Cafali mon
SUR LA MUSIQVE. l6$
maître me rapelloit ïes tournures triviales
pour me montrer les progrès de fon art;
je m'en rappelle deux motifs , les voici ;
La zi- tel- la gra- zio- fet- ta gra-
210- fet -ta 1
Il faut avouer que cette chute efî bien
niaife. Voici le motif de f autre :
0ËE
Se ne- ro- ne mi vuol morto... .
Ce morto ho", ho, efl: bien mauvais.
Je fus tout au plus quatre fois, aux ita-
liens; j'en connoifTois les meilleures pièces
& c'était uniquement pour connoître les
taïens & les voix des acteurs. L'étendue
de la voix Je M. Caillcau me furprit. Je
îe vis dans îa nouvelle troupe ; Pacte ur
L3
166 Essai
fe préfente comme chantant la naute-*
contre , la taiïle & la baiTe , & effective-»
ment , il auroit pu remplir les t;oh em*
plois également bien. C'eft cette première
împrefïion de l'organe de Cailhau, qui
me fit compofer le rôle du Huion dans
un diapafon trop élevé. On trouvera peut-*
être extraordinaire que ïe théâtre françois
fur celui que je fréquentai afïïduement.
Je ne vouîois faire îa mufîque de per-<
fonne ; auffi me gardai-je bien d'étudier
aucun des composteurs que j'ai cités. La
déclamation des grands acleurs, me fem-
bïa ïe feul guide qui me convînt , & je
crois qu'un jeune muficien peut être fier
d'avoir eu cette idée ; la* feule qui pût
me conduire au but que je m'étois pro-
pofé ; c'efl-à-dire ? d'être moi, en fuivant
la belle déclamation.
Cependant pour travailler , iî me fal-
loit un poëme, & pour îe trouver j'allois
frapper à toutes les portes ; je ne man«»
quois aucune occafion de me lier avec
ST7R LA' MUSIQUE. l6j
hs auteurs dramatiques. Si l'un d'eux me
faifoit la le&ure d'un opéra , j'ofois avouer
franchement que j'étois en état de l'en-
treprendre , de les étonner peut être ;
mais on difïimuloit avec moi , & j'ap-
prenois fans étonnement qu'on m'avoit
préféré quelque muficien connu. Philidor
ScJDuni, s'occupoient cependant de bonne
foi à me faire avoir un poëme ; les ha-
biles gens font naturellement bons &
honnêtes ; l'homme inflruit voit avec
tant d'intérêt ce qu'il en coûte au vrai
talent pour fe faire connoître , que la
crainte même de protéger fon rival ne
peut l'empêcher d'agir en fa faveur.
M. Philidor m'annonce enfin qu'il a
répondu de moi & qu'un poëte veut bien
me confier l'ouvrage qu'on lui deftinoit.
Je me rends chez lui au jour indiqué ;
l'auteur lit , a chaque fcène ma tête s'exal-
toit au point que je trouvois à Pinftant
le motif & le cara&ère qui convenoit à
chaque morceau ; je réponds que cet
L 4
i68 Essai
ouvrage n'eût pas été le plus mauvais des
miens. Lorfqu'après de longues études,
Pâme commande avec cette impetuofité,
elle ne laifTe pas à Pelprit le temps de
s'égarer. Je ne trouvai le poëmc eue
médiocre & froid ; mais la flamme qui
me brûloit eût pu le réchauffer. J'em-
bralTai l'auteur ; comment ne vit-il pas
dans mes yeux qu'une fi belle ardeur ne
feroit pas inutile à fon fuccès ? Non ,
il ne le vit pas : car trois jours après
au lieu de recevoir le manufçtit, M. Phi-
lidor m'apprit que l'auteur avoit changé
d'avis. Il me permettoit cependant de
travailler à fon poëme , pourvu que ce
fût avec Philidor , fî cela nous convenoit
à tous deux. Allons , courage , mon ami ,
me dit cet honnête homme , je ne crains
pas de joindre ma mufique à la votre....
Je dois le craindre moi , lui dis-je , car
fi la pièce réuffit elle fera de vous ; fi
elle tombe le public ne verra que moi.
M, Philidor donna un an après fon
SUR LA MUSIQUE, 1 6 <)
Jardinier de Sidon , & l'on fait qu'il eut
peu de fuccès.
Je fus quelques jours après me pré-
fenter de moi-même à un acteur de la
comédie italienne ; il ne difllmula pas
combien il me feroit difficile de réufïir
à côté des trois mufteiens qui travailloient
pour ïeur théâtre. Il me chanta ( toute
entière ) la romance de Moniigni ; jufaue
dans la moindre chofe, &c. Voilà du chant,
monfieur, me dit-il ; voilà ce qu'il faudroît
faire ; mais cela efl: bien difficile ! Je
fortis de chez lui en compofant des criants
de romance que je comparois aux chants
de M, Monfigni.
Je fis Ta connoifiTance d'un jeune poète
homme du beau monde , pafîànt les nuits
à jouer & les jours à faire des vers. Je
lui demandai en grâce de me faire un
poëme , il me le promit fans héfiter. J'al-
ïat lui faire trente vifites pour l'encourager
à cette bonne œuvre , ck comme les
aimables libertins ont fouvent un bon
37° Essai
cœur, il fe laifTa toucher & travailla.
Les Mariages Samnites (i) fut le fujet
qu'il choifit. Jallois chaque matin m'in-
former de la fanté de mon auteur , il
me ïifoit ce qu'il avoit fait , je lui arra-
chois fcène par fcène, & j'en faifois aum-
tôt la mufique. II me fallut attendre long-
temps r mais n'importe ; l'envie que j'a-
vois de travailler me donnoit une pa-
tience a toute e'preuve.
Je connoifTbis MM. Suard & l'abbé
Arnaud, Je leur fis entendre ce que j'a-
vois fait des Mariages Samnites. Ces
MM. me jugèrent avantageufement -y
fabbé Arnaud, fur-tout m'applaudit avec
î'enthoufiafme de l'homme inftruit qui
n'a nul befoin du jugement des autres
pour ofer approuver.
Si je fus flatté de ce fuccès, mon
(i) Cette pièce n'étoit pas ceîie qui fut donnée fous
lemtsie titre en 1J76 y dont il fera parlé ci-apies..
SUR LA MUSIQUE. 171
poète n'en fut pas moins encouragé a finir
fa pièce. Ces MM, m'annoncèrent chez
les gens de lettres, & je fus peu de jours
après invité à un dîner chez M, le comte
de Cnut\ alors envoyé de Suède. J'y
exécutai les principales fcènes de mon
opéra ; j'entendis pour la première fois
parler de mon art avec infiniment d'ef-
prit ; j'en fus frappé , car j'avois remar-
qué pendant mon féjonr à Rome, que
Jes Italiens fentent trop vivement pour
raifonner long-temps. Un oh dio ! en
pofant la main fur leur cœur , eit ordinal"
rement le figne flatteur de leur appro-
bation. C'elt dire beaucoup fans doute \
mais fi un foupir dans ce cas , renferme
une réthorique ; il faut convenir qu'elle
eft peu inftructive.
Parmi les gens de lettres qui étoient
de ce dîner ^ je remarquai que MM. Suarâ
& l'abbé Arnaud y parloient fur la mn-
(ique avec ce fentiment vrai , que l'ar-
tiftç qui a tout femi pendant fon travail }
i 7 2- Essai
fait fi bien apprécier. M. Vemet,me parla
comme s'il eût compofé de îa mufiquc
toute fa vie. Je vis qu'il eût été le mu-
sicien de ïa nature , s'il n'en eût été ïe
peintre.
Qu'importe d'ailleurs la route que l'on
prenne ? Soit les jeux ou les oreilles ,
pourvu qu'on arrive au cœur.
Qu'il me Toit permis d'examiner pour-
quoi les gens qui ont le plus d'efprit ,
ne font pas ceux qui favent le mieux
apprécier un trait de chant 3 une note
de baffe &c. Lorfque j'exécute ma mu-
fique auprès d'eux , je remarque qu'ils
éprouvent l'inquiétude qu'avoit fans doute
l'ontenelle ïorfqu'il difoit fonatc , que me
veux tu ? Tandis qu'une femme , un en-
fant font doucement agités de fenfations
agréables.
Je ne donnerai ici mes idées , que
comme un foible apperçu, qui ne peut
réfoudre un problème aufîi métaphifique,
ck trop au defïus de mes forces.
SUR LA MUSIQUE. 173
Voyons d'abord queî eil le travail ha-
bituel de Fhomme de lettres en général.
Soit qu'il écrive ou qu'il parle , c'ell le
plus fouvent d'orner des grâces de l'ef-
prit , la fhnple vérité , qui n'a befoin
d'aucune parure étrangère. Pourquoi donc
ne pas îa préfenter à nos yeux fimpîe
& naturelle ? Parce que les hommes de
génie font rares , & qu'elle ne fe montre
qu'à eux feuls. L'homme de génie lailTe
après lui une foule d'imitateurs , qui ,
n'ofant plus dire de la même manière ce
qui a déjà été dit, font obligés de dé-
guifer la vérité fous ïe charme des grâces.
J'avoue même que fouvent fiilufion eit
fi parfaite, fi féduifante qu'on eft tenté
de prendre l'apparence pour la vérité elle-
même.
Plus on a écrit fur un même fujet;
plus il devient difficile à traiter ; Se comme
il eft impoflible de rien ajouter à la vé-
rité , il faut que chaque jour l'elprït fa fie
de nouveaux efforts , pour lier entre
1 74 Essai
elles , des idées incohérentes dont les
rapports deviennent enfin fi déliés, fi
fubtils, fi délicats, que l'efpri.t même s'é-
garant dans fon vafte empire , perd la
dernière étincelle du flambeau de la vé-
rité
La mufique n'ayant befoin pour être
bien fentie , que de cet heureux inftincT:
que donne la nature , il fembleroit que
fefprit nuit à I'inflinâ ; que l'on n'ap-
proche de l'un qu'en s'éloignant de l'autre ;
Se qu'enfin plus vous aurez de facilité à
combiner ck à rapprocher des idées >
plus vous affaiblirez le taS naturel qui ne
fent qu'une chofe à la fois , & c'eft afTez
pour bien fentir. L'homme livré a la
fimple nature , reçoit fans réfiftance la
douce émotion qu'on lui donne. L'homme
d'efprit , au contraire , veut favoir d'où
lui vient le plaifir ; ôc avant qu'il par-
vienne à fon coeur , il eft évanoui. Le
fentiment eft volatil comme î'efTence ren-
fermée dans un vafe , que ïe contai de
SÛR LA MUSIQUE, 1 7 j
fair fait évaporer : de même une fenfa-
tion eft perdue fi elle frappe des organes
habitués à analifer pour fentir.
Tout le monde cependant veut avoir
l'air d'aimer la mufique ; chacun fait qu'elle
eft un élan de i'ame , le langage du cœur;
convenir que cette langue nous eft étran-
gère , feroit faire un aveu d'infenfibiiité ;
Ton fe donne donc pour connoïffeur ,
on dit ah ! que c\fl délicieux ! avec une
mine à la glace, Si l'on eft homme de
lettres on fe dépêche d'écrire une bro-
chure fur la mufïque ; on y dit que les
muficiens font des bêtes qui ne favent
que fentir , & à force de raifonnemens ,
l'on s'établit mulicien à leur place.
Voudra-t-on inférer de ce que je viens
de dire , qu'il faudra pour avoir le fen-
timent de fa mufique, n'être ni poëte,
ni hiftorien , ni orateur , ni homme d'ef-
prit enfin ? Non fans doute , mais il
faut je crois tenir de fa nature , elle-
même, une de ces qualités, ou toutes
iy6 Essai
( s'il ctoit pofTible , ) & il ne fufïît pas
de les avoir acquifes par un travail forcé
d'érudition , de compilation , qui peut
fans doute ouvrir un chemin neuf à
l'homme bien né , mais qui ne donne a
l'homme ordinaire que le défefpoir de ne
jamais approcher de fes modèles.
Voulez-vous favoir fi un individu quel-
conque eft né fenfiole à la mufique ? Voyez
feulement s'il a l'efprit fïmple & jufle ;
fi dans fes difcours , fes manières , fes
vêtemens il n'a rien d'afTe&é ; s'il aime
ïes fleurs, les enfans ; fi ïe tendre fenti-
ment de l'amour le domine.
Un tel être aime paffionnément l'har-
monie & la mélodie qu'elle renferme ,
& n'a nul befoin de compofer une bro-
chure d'après ïes idées des autres , pour
nous le prouver.
Tout fe difpofoit au gré de mes de-
firs ; il ne me refïoit plus qu'à trouver
dans mes acteurs , des juges aufîi indul-
gents que les hommes célèbres dont je
venois
SUR LA MUSIQUE. ÏJJ
veïioïs d'obtenir l'approbation ; je cher-
chois les moyens de leur faire entendre
ma mufique , quand mon poëte m'apprit
que notre pfïèçe avoir été refufée. Il fut
réfolu que l'ouvrage feroit refondu & ar-
rangé pour l'opéra , car les comédiens ,
Se fur- tout Cailleau , f avoient jugé trop
noble pour leur théâtre , & ils avoient
raifon: Un mois fufrlt au poëte & à moi,
pour cette métamorphofe. Les protecteurs
de mon talent , ( & iï en faut a Paris
quand on n'eft pas connu ) avoient parlé
de mon ouvrage au feu Prince de Conti ,
qui ordonna a Trial directeur de fa mu-
fique & de l'opéra , de faire exécuter chez
lui les Mariages Samnites. Fen fis moi-
même prefque toute la copie ; ma fortune
ne me permettant pas d'en faire la dé-
penfe. Lorfque le jour qui alloit décider
de mon fort fut arrivé; Trial me fit
dire de me trouver le matin au magafin
de l'opéra pour la répétition des chœurs.
C'eft ici qu'il faudrait une plume exer-
M
178 E S S A î
cée pour décrire tout ce que j'entrevis
de fâcheux , fur la mine des muficiens
raflemblés ; un froid glacial règnoit par
tout : fi je voulois pendant l'exécution
ranimer de ma voix ou de mes geftes,
cette maffe indolente, j'entendoisrire âmes
côtés , & l'on ne m'écoutoit pas. Je fré-
mis davantage ie foir en voyant chez
Monfeigneur le Prince de Conti, toute la
cour de France raflemblée pour me juger ;
depuis l'ouverture, ( qui, aujourd'hui, efl
en partie celle de Silvain) jufqu'à la fin de
l'opéra, rien ne produifit le moindre effet :
l'ennui fut fi univerfel que je voulus fuir
après le premier a£te ; un ami me re-
tint ; l'abbé Arnaud me ferra la main ,
il avoit faîr furieux j il me dit : vous n'êtes
pas jugé ce foir , il femble que tous les
muficiens s'entendent pour vous écorcher,
mais vous vous relevere^ de là , je vous h
'jure fur mon honneur. Le Prince eut l'ex-
trême bonté de me dire : je n'ai pas
trouvé exaçlement ce que vos amis m'avoient
SUR LA MUSIQUE. zj<£
■annoncé , mais je fuis fâché que perfonne
n'ait applaudi une marche que j'ai trouvée
charmante, C'étoit celle que j'ai placée
eufuite dans le Huron. Je dois ici rendre
juftice à un de mes chanteurs , qui , au
milieu de l'exécution la plus foporifîque,
déploya toute l'énergie du grand talent
ôc de la probité. Si fon rôle eût été plus
considérable , ou pour mieux dire s'il
eût à lui feul chanté tout f opéra, j'eufTe
obtenu un fuccès ; mais l'ennui s'étant
déjà emparé de l'auditoire , quand il
commença , il ne put parvenir à le tirer
de fa léthargie. Cet honnête artifle, cet
homme déjà retiré de l'opéra, qui n'avoit
jamais eu fans doute l'ame alTez baffe
pour s'oppofer au fuccès des talehs naif-
fants , c'eft. M. Géliote. On fe figure ai-
fément dans quel état je rentrai chez moi
après cette répétition : mais ce que l'on
ne fe figurera pas , c'eft l'effet que pro-
duifit fur mon efprit déjà abattu , la lec-
ture de deux lettres que je trouvai en ren-
M a
180 Essai
trant chez moi ; îa première étoit ano
nime; elle contenoit ces mots confoïants :
vous croye^ donc , honnête liégeois , venir
figurer parmi les grands talciis de cette ca-
pitale? Défabufe^-vous , mon cher , plie^
bagage; retourne^ che\ vos compatriotes
& leur faites entendre votre mujîquc ba-
roque qui n'a ni fens , ni raifon. L'autre
datée de Londres , étoit de Mylord A... dont
j'ai parlé ci-devant. II m'écrivoit, qu'il ne
jouoit plus de lajlutte , & qu'il fupprimoit
ma penfion, t
Je n'ofai pas , comme on peut le pen-
fer , demander au directeur Trial , fi l'on
donneroit mon opéra ; cette demande
auroit été ridicule. Les gens de lettres
qui s'intéreflbient k moi , voyant que je
projettois de partir, engagèrent M. Mar-
montel k me faire un poëme. II vint me
trouver ; il m'avoua franchement qu'il
avoit donné une pièce aux Italiens ( la
Bergère des Alpes ) & que malgré fou
peu de fuccès , il alloit travailler fur un
SUR IA MUSIQUE, l8l
conte de Voltaire , qu'on venoit de pu-
blier. ( VIngénu ou le Huron ) Vous me
rendez la vie , lui dis-je ! car faime ce
charmant pays ou Ton me traite fi mal.
Cet ouvrage fut fait, paroles & mufique ,
en moins de fîx femaines. M. l'Envoyé
de Suède qui s'étoit déclaré mon plus
zélé partifan, même après mon défaftre,
pria M. Caillcau de venir dîner chez lui
pour entendre un ouvrage dans lequel
on lui deftinoit un grand rôle ; il m'a dit
depuis, qu'il fut fur le point de refufer
l'invitation , s'étant déjà fi fouvent com-
promis pour de mauvais ouvrages. Il
n'accepta que par égard pour M. l'En-
voyé de Suède & pour 1VL Marmontel.
II écouta avec défiance les premiers mor-
ceaux ; mais dès que je lui chantai , dans
quel canton ejl VHuronie ? il marqua le
plus grand contentement ; il nous dit
qu'il fe chargeoit de tout, & que nous
ferions joués incefTamrnent. C'ejl donc là y
M 3
i 8 1 Essai
dit-il , cet homme dont j'entends fi horri-
blement déchirer les talens !
D'après ce que je viens de dire , le
jeune compofiteur fentira combien iï eft
important de foigner en tout point ïe
premier efTai qui va le faire connoître ,
ou reculer fes progrès pour plusieurs an-
nées. Un jeune peintre eft cent fois plus
heureux que lui ; un tableau eft aifément
place' dans fa véritable perfpeétive ; mais
l'exécution de la mufique exige des at"
tentions préliminaires qu'on n'accorde
guère a un arrifte peu connu.
SUR LA MUSIQUE. 183
LE H U R O N.
Comédie en deux Actes , en vers , paroles de
M. Marmontel; repréfenté pour la premère fois
parles Comédiens Italiens, le zo Août ij68.
M. Caïlhau me conduifit chez ma-
dame La Ructte , où je trouvai les prin-
cipaux comédiens rafTemblés , j'exécutai
feul au clavecin , toute la mufique de
cet ouvrage : nous fîmes une répétition
au théâtre quelque jours après ; lorfque
Cailleau chanta l'air , dans quel canton
eft l'Huronie , & qu'il dit , mejjieurs mef-
fieurs , en Huronie... Les muiiciens ces-
sèrent de jouer pour lui demander ce
qu'il vouloit ; mais je chante mon rôle,
leur dit-il ; on rit de la méprife , èk l'on
reprit le morceau. Les répétitions fe firent
avec zèle , Se je fentis renaître l'efpoïr
de réufîlr à Paris. Le jour de la première
représentation , j'étois dans une telle
M 4
184 Essai
perplexité, que trois heures à peine étoient
formées, que je fus me pofter au coin
de la rue Mauconfeil ; là , mes regards
fe fixoient furies voitures. cV fembloient
attirer les fpecrateurs , Se falliciter d'avance
ïeur indulgence. Je n'entrai dans la falîe
que lorfque la première pièce fut jouée ;
ck lorfque je vis qu'on âlîoit commencer
l'ouvert ure du Huro.i , je defeendis à
Porche ftre. Mon intention étoit de me
recommander au premier violon ( M.
Lchcl ) Je le trouvai prêt à frapper le
premier coup d'archet ; fes yeux étoient
enflammés, ïes.trairs de fon vîfage étoient
changés au point qu'on r.uroit pu le mé-
connaître ; je me retirai fans mot dire y
& je fus faifis d'un mouvement de reçon-
noiflance dont je n'ai jamais perdu le
fouvenir. J'ai depuis obtenà qu'il fût
nommé mufidéii du Roi , avec âouze
cents francs de penfion. Le public fit
comme Cailleau , il écouta le premier
morceau avec défiance ; il me croyoit Ita-
SUR LA MUSIQUE. 185
lien parce que mon nom fe termine en
i : j'ai fa depuis que le parterre difoit,
nous allons donc entendre, des roulades &
des points d'orgue à ne jamais finir. Il
fut trompé & me dédommagea de la pré-
vention : le duo , ne vous rebute-^ pas &c ,
détruifït le préjugé ; Cailleau parut , fit
aimer le charmant Huron , qu'on a long-
tems regreté à la Comédie Italienne.
Madame Laruette chanta Je rôle de ma-
demoifelïe "de Saint-Yves , avec fa fenfi-
bilîté toujours fi décente ; M. Laruette
déploya dans celui de Gilotin fa panto-
mime comique fans charge. L'excellent
A£teur , M. Clairval , toujours animé du
defir d'être utile à fes camarades & aux
arts , ne dédaigna pas de fe charger du
petit rôle de l'Officier François : ïe fuc-
cès fut décidé après le premier a&e, &
confirmé à îa fin du fécond ; on demanda
les Auteurs , Clairval me nomma ; Se dit
que l'Auteur des paroles étoit anonime.
Si j'ai jamais pafle une nuit agréable.
i 86 Essai
ce fut celle qui fuivit cet heureux jour!
Mon père m'apparut en fonge ; il me
tendoit les bras, je m'éîançois vers lui,
en faifant un cri qui diflipa un fi doux
preftrge. Cher auteur de mes jours, qu'il
fut douloureux pour moi de penfer que
tu ne jouirois pas de mon premier fuc-
ces ! Dieu qui lit au fond des cœurs
fait que le defir de te procurer l'aifance
qui te manquoit , fut le premier mobile
de mon émulation ! Mais dans Pinftant
même où je luttois contre l'orage avec
quelque efpoir de fuccès ; quand des amis
cruels faifoient entendre à ce malheureux
père, combien mes efforts étoient témé-
raires; lorfque enfin, j'étois Punique objet
de fes inquiétudes , & que d'une voix
prefque éteinte , il difoit : je ne verrai
plus mon fils ! RèuJJira-t-il ? La mort
vint terminer des jours menacés depuis
long-tems , & que j'allois rendre plus
heureux !
Un Peintre de mes amis , vint me
SUR LA MUSIQUE. 187
trouver le lendemain ; je veux , me dit-
il , te montrer quelque chofe qui te fera
plaifir : allons ; lui dis-je , car je fuis fa-
tigué d'entendre des lectures de pièces — .
Comment ? Déjà ? — - Bon ! Tu vois un
homme auquel depuis ce matin on a
offert cinq pièces reçues aux Italiens. Tout
ou rien eft un adage qui fe réalife fur
tout à Paris, Les poëtes qui m'ont ho-
noré de leurs vifites , font ceux que j'avois
folliciris vainement pour avoir un ouvrage.
ah ! Me dit mon ami , j'ai bien ri hier
a Famphitéâtre : j'étois entouré de ces
mefikurs , & à la fin de chaque morceau ;
ils s'ecrioient , ah ! il fera ma pièce ! Vous
verre^y mejjieurs , V ouvrage que je lui
dejîine ! Si l'on finifloit un air comique :
ah ! J'ai aujji de la gaieté dans mon ou-
vrage ; bravo ! Bravo ! C'eft mon homme*
Enfin , pourfuivit le Peintre , as tu accueilli
quelques uns de ces meilleurs ? — Non :
je leur ai dit que M. Marmontel méri-
i 8 S Essai
toit la préférence , puifqu'il avoit bien
voulu fe hafarder avec moi.
Je fortis avec mon ami ; il me con-
duifit dans une petite rue derrière la
Comédie Italienne ; puis m'arrêtent vis-
à-vis une boutique ; je vis au grand Hu-
ron. 2V. marchand de Tabac. J'entrai , j'en
pris une livre : parce que je le trouvai ?
comme de raifon , meilleur que par-tout
ailleurs.
Si je fus enchanté de la réuflite du
Huron , je ne le fus pas moins d'un autre
événement auquel j'étois bien foin de
m'attendre. Eût-on pu croire , en effet ,
que dans le tems de mon arrivée à Pa-
ris , lorfque je quètois infruétueufement
dans cette grande ville , des poëmes k
mettre en mufique , & que je n'avois
effectivement aucun titre pour infpirer
beaucoup de confiance aux Parifiens , le
premier Poëte de la France & de fon
fiècle , M. de Voltaire. me tenoit la pa-
SUR LA MUSIQUE. i 8 Q
rôle qu'il m'avoit donnée, fur laquelle je
n'ofois compter, ôc faifoit pour moi des
opéras comiques ? A la vérité , il avoit
marqué, ainiï que madame Denis, fa nièce,
beaucoup d'indulgence pour les morceaux
que j'avois exécutés devant lui à Ferney,
mais quelques airs détachés, ôc la mu-
fique que j'avais refaite for l'Opéra d'Ifa-
beiïe & Gertrude de M. Favart , me pa-
roiflbîent des titres infuffifans pour exciter
l'attention d'un homme tel que M. de
Voltaire., & pour mériter fes encourage-
mens. Quand , pour me déterminer à ve-
nir à Paris il m'aiTuroit qu'il travailleroit
pour moi , je crus qu'il plaifantoir , ôc
je fus loin d'imaginer que M. de Voltaire
pût quitter quelques momens le feeptre
de Meïpomène pour les grelots de Momus.
Il le fit pourtant, & compofa en fe jouant
le Baron d'Otrante , & les deux Tonneaux.
Je reçus le premier pendant qu'on jouoit
encore le Huron dans fa nouveauté. Le
Conte de M. de Voltaire intitulé ï>Edu-
tyo Essai
cation d'un Prince , lui fournit le fujet dti
Baron d'Otrante. Je fus chargé de pré^-
fenter la pièce aux Comédiens Italiens,
comme Pouvragc d'un jeune Poëte de
Province. Le fujet parut comique & mo*
rai , ôc les détails agréables : mais ils ne
voulurent point recevoir cet ouvrage fans
que fAuteur y fit des change mens. Ce
qui les choqua peut-être , c'eiî; que Y un
des principaux rôles , celui du corfaire ,
eft écrit en italien , &: tous les autres en
françois. Ce mélange des deux idiomes
n'étoit point rare fur leur théâtre dans
les Comédies dites italiennes; mais c'étoit
une nouveauté dans l'Opéra comique ,
ck ils ne voulurent point, la hafarder >
fur tout n'ayant pas de chanteur Italien»
Cependant ils voyoient très-bien dans
le Baron d'Otrante , un talent qui pou-
voir leur être utile , & ils m'engagèrent
à. faire venir le jeune Auteur anonime à
Paris. Je leur promis d'y faire mes efforts.
On peut croire que la proportion fit rire
SUR LA MUSIQUE. 191
M. de Voltaire , & qu'il fe confola faci-
lement du refus des Comédiens. Pour
moi , je fus très-fâché de ce contre tems
qui me fit renoncer à mettre fa pièce
en mufique , comme il renonça de fon
côté à l'Opéra comique.
Le public ne tarda pas à me mettre
au rang des compofiteurs dignes de fes
encouragemens ; mais on m'accordoit
trop , ou pas allez : on commença par
me refufer le genre comique , quoiqu'il y
eût du comique dans ïe Huron. D'autres
cherchèrent à arranger mes chants fur le
fyftême de la baffe fondamentale , & elle
ou moi nous nous trouvâmes quelque
fois en défaut.
J'ai , me dit un homme , cherché vai-
nement la baffe fondamentale de fa notte
du cor , dans le récitatif obligé de ma»
demoifelle de Saint-Yves , au fécond a&e.
Quelle raifon me donneriez-vous de cette
fortie d'un ton à l'autre, fans rapport
entre les harmonies ?
i 9^ Essai
La voici , ïui dis-je. C'eft parce que
le Huron dont mademoifelle de Saint-
Yves s'imagine entendre les accens, eft
trop éloigné du lieu de ia fcène, pour
favoïr dans quel ton Ton y chante : —
Et fi îa hafîe iondamentaie ne peut juf*
tiner cet écart? — Tant pis pour elle : mais
ii n'en eft pas moins vrai que l'on ne peur
chanter un duo en tierces , lorfqu'on eft
à une demi-lieue l'un de l'autre, — La
raifon eft bien pour vous , me dit -il,
mais la règle?... Je rencontrai mon homme
quelque tems après '.foye^ tranquille , me
dit-il , j'ai trouvé la baffe fondamentale
de votre notte»
Malheur à Partifte qui , trop captivé
par la règle , n'ofe fe livrer à l'eflbr de
fon génie ; il faut des écarts pour pou-
voir tout exprimer ; il doit favoir peindre
l'homme fenfé qui palTe parla porte, ôc
Je fou qui faute par la fenêtre.
Si vous ne pouvez être vrai , qu'en
créant une cembinaifon inufirée ; ne
craignez
SUR I- A MUSIQUE. 1^3
craignez point d'enrichir la théorie d'une
règle de plus : d'autres artiftes placeront
peut être encore plus a propos la licence
que vous vous êtes permife , & forceront
les plus févères a l'adopter. Le précepte
a prefque toujours fuivi l'exemple. Ce
n'en: cependant qu'à l'homme familiarifé
avec la règle , qu'il efl quelquefois per-
mis de la violer , parce que lui feul peut
fentir, qu'en pareil cas, la règle n'a pu
fuffire.
Tachons de voir maintenant pourquoi
ma mufique s'ert établie doucement en
France , fans me faire des partifans en-
thoufiaftes , & fans exciter de ces difputes
puériles , telles que nous en avons vues.
C'efl , je crois , à mes études & à la
manière que j'ai adoptée , que je dois
cet avantage.
J'entendois beaucoup raifonner fur la
mufique , & comme , le plus fouvent ,
je n'étois de l'avis de perfonne , je pre-
nois le parti de me taire. Cependant je
N
ij4 Essai
me demandoïs à moi-même , n'eft - iï
point de moyen pour contenter à peu
près tout le monde ? II faut être vrai dans
îa déclamation, me difois-je, a laquelle le
François eft très-fenfible. J'avois remar-
qué qu'une détonnation affreufe , n'aïte-
roit pas le plaHir du commun des audi-
teurs au fpe&acle Iirique : mais que la
moindre inflexion faufTe au théâtre Fran-
çois , caufoit une rumeur générale. Je
cherchai donc la vérité dans la décla-
mation , après quoi , je crus que le mu-
ficien qui fauroit le mieux la métamor-
phofer en chant , feroit le plus habile.
Oui c'eft au théâtre François , c'eft dans
îa bouche des grands a&eurs , c'euVlà que
ia déclamation accompagnée des illufions
théâtrales , fait fur nous des imprefïions
inefaçabïes, auxquelles les préceptes les
mieux décrits , les mieux analifés ne fup-
pléront jamaîs.
C'eft-là que le muficien apprend à in-
terroger les pafîions, a fcruter Je cœur
SUR LA MUSIQUE. I <J f
Jiumain 9 à fe rendre compte de tous les
mouvemens de l'âme. C'eft a cette école
qu'il apprend à connoître ôc à rendre
leurs véritables accens ; à marquer leurs
nuances ck leurs limites. Il eft donc inu-
tile , je le répète, de décrire ici les fen-
timens dont l'action nous a frapés ; fi îa
fenfibilité ne les conferve au fond de notre
ame, fi elle n'y excite les orages Ôc ne ra-
mené le calme , toute defcription eit vaine.
Le compofiteur froide l'homme fans paf-
fïons ne fera jamais que l'écho fervile qui
répète des fons , ôc îa vraie fenfibilité
qui l'écoutera n'en fera point émue.
Perfuadé que chaque interlocuteur avoit
fon ton , fa manière ; je m'étudiai à con-
ferver à chacun fon eara£tère.
Bientôt je m'apperçus que ïa mufique
avoit des reflources que la déclamation
feule n'a point. Une fille , par exemple ,
aflure a fa mère qu'elle ne connoît point
l'amour : mais pendant qu'elle arTecle
î indifférence par ug chant fimple ôc
N 2
i$6 Essai
monotone , l'orcheftre exprime le tour-
ment de fon cœur amoureux. Un nigaud
veut-il exprimer fon amour , ou fon cou-
rage ? S'il eft vraiment animé , il doit avoir
les accens de fa paflion ; mais l'orcheftre
par fa monotonie , nous montrera le pe-
tit bout d'oreille. En général , le fentiment
doit être dans le chant ; l'efprit , les geftes ,
îes mines doivent être répandus dans les
accompagnemens.
Telles furent mes réflexions Se mes
études. Je ne dirai pas que les acteurs
que je trouvai a Paris , étoient plus ac-
teurs que chanteurs , & que je devois ,
par cette raifon adopter le fyftême de
ïa déclamation muficaîe , non : je ferai
plus vrai. Je dirai que la mufique de Per~
golefc m'ayant toujours plus vivement af-
fecté que toute autre mufique , je fui vis
mon inftincl:; il fe trouva conforme à ce-
lui d'un public qui aime à faire paffer les
plaifo par l'alambic de la raifon. Le
fexe qui reçut la fenfibilité en partage ,
sur éa musique. i <ff
fut mon premier partifan ; le jeune étourdi
me trouva de l'enjouement Ôc de la fineiTe*
l'homme févère dit que ma mufîqne étoit
partante : îes vieux partions de Lulli 6c
de Rameau y trouvèrent dans mon chant
certains rapports avec celui de leur héros.
Mais lorfqu'on veut bien applaudir aux
efforts d'un artifte , qu'il eft loin d'être
fatisfait de Ton travail ! Tantôt il fent que
la déclamation fe perd dans les chants
vagues & fuaves , ou qu'une belle mé-
lodie exclut une harmonie complette ;
que c'eft toujours en facrifiant une partie
qu'il en fait refîbrrir une autre. Il voit,
en travaillant , la fource des difTérens fyC-
têmQs , & des querelles qu'ils font naître,!
mais oubliant l'opinion , il ne doit être
guidé que par îe fentiment qui le maî-
çrife.
N3
ïjS E s s a r
L U C I L E,
Comédie en un a&e, en vers, paroles de M.
Marmontel y repre'fente'e pour la première fois par
les Come'diens Italiens , le S Janvier 1"jSq.
Cette pièce fut attendue avec impa-
tience : mon premier ouvrage avoit été
jugé avec indulgence , mais le public ne
vouloit m'accorder un fécond fuccès
qu'avec plus de retenue : cette comédie
où je trouvai de quoi déployer ïa fenfibi-
ïité domeftique , fi naturelle à l'homme
né dans ïe pays des bonnes gens {g) ,
réveilla , j'ofe le dire , ce fentiment pré-*
deux.
Où peut-on être mieux qu'au fem de fa famille
Fit couler les larmes des fpectateurs, fur-
pris d'être émus par de nouveaux reiTorts
dans le pays de la galanterie.
Ce morceau de mufique a fervi depuis
qu'il çft connu , pour confacrer les fêtes.
SUR LA MUSIQUE. 199
de famille. Un jeune homme , dont je
devrois favoir le nom , étoit a la première
repréfentation de cette pièce : il apperçut
feu Monfeigneur îe Duc d'Orléans, cf-
fuyant fes yeux pendant le quatuor : il
fe préfente le lendemain avec confiance
au Prince qui ne le connoiffoit pas ; Mon-
feigneur , dit-il en fe jettant à fes genoux ,
j'ai vu pleurer votre Altejfe hier au qua-
tuor de Lucile. Paime êperdument une de-
moifelle qui appartient à un Gentilhomme
de votre maifon ; il refufe de nous unir
parce que ma fortune ne répond pas à la
fienne r & j'implore votre protection. Ce
bon Prince lui promit de s'inftruire de
l'état des chofes , ck le mariage fut fait
peu de tems après* Je demande fi à cette
noce on chanta le quatuor ? Je me trou-
vai moi-même quelque tems après chez
un Seigneur , dont le frère venoit d'épou-
fer , contre fon gré , une demoifelle de
qualité ; la jeune dame , belle comme
Venus j fe préfente chez îe frère de fon
N4
aoo' Essai
mari; elle y eft reçue très-poliment, c'eft-
à-dire froidement : cependant comme
j'apperçus que les carefTes de la dame
jettoient du trouble dans le cœur de fon
beau-frère , je les engageai à s'approcher
du piano, je chantai le quatuor avec ef-
fufîon de cœur , ôc j'eus le plaiflr de voir ,
après quelques mefures , h frère & la
fœur s^entrelafTer de leurs bras en répan-
dant les larmes fi douces de la réconci-
liation. S'il eft permis de joindre l'épi-
grame à ce que le fentiment a de plus
précieux, je rapporterai l'anecdote fui-
Vânfe. Dès Officiers de judicature , créés
feus les aufpices d'un ancien minirtre ,
dont les opérations n'avorent pas eu l'ap-
probation publique, affiftoîent dans leur
lo^c à un fpeciacle de province ; on re-
preiëntoit la tragi-comédie de Samfon.
Arlequin luttoit fur la fcène avec un din-
don qui s'étant échappé , fe réfugia dans
la loge de ces officiers : auflï-tôt le par-
terre fe mit à chanter en chœur : où peut*
SUR LA" MUSIQUE. 201
on être mieux qu'au fein de fa famille ?
La Comédie Italienne n'avoit jufqu'à
cette époque donné aucune pièce dans
Faquelle le fentiment prédominât : auffi dès
que le quatuor fut fini , les fpe&ateurs
reçurent Caineau avec des éclats qui fem-
bloient dire nous allons rire avec le bon
nourricier de Luciîe. Cailleau fixa le par-
terre avec un regard douloureux 3 & dit:
Je viens dans la douleur-,
Et j'apporte ici le malheur.
Le monologue de Blaife ah ! ma femmô
qu'avec vous fait ? fut chanté Se jcué par
cet Aâeur inimitable , d'une manière fu-
blime : & je dirai, pour faire fon éloge,
qu'il parut court. Il a fouvent paru
long depuis. Le poëte & le muficien ,
avoient preflenti les talens de M. Cailleau
en faifant ce monologue.
Son organe commençoit à s'afToiblir,
mais chaque jour il fe montroit plus grand
comédien. Pour fe çofrumer avec plus de
aox Essai
naturel , il avoit arrêté un payfan dan$
les rues de Paris , en le priant de lui prêter
fon habit; il parut fur la fcène les pieds
poudreux , &: pour la première fois avec
ïa tête chauve. Chacun ïe félicitoit fur
fon courage à s'être fait rafer la tête , pour
être mieux dans fon rôle : lorfqu'il nous
apprit qu'il n'avoit fait que îa moitié du
facrifice , c'eft-à-dire qu'il portoit depuis,
long-tems un faux toupet, que perfonne
n'avoit reconnu.
Les paroles & îa mufique eurent un
iuccès égal. I) on demanda les Auteurs j
M. Çlairval vînt comme au Huron me
nommer ? en ajoutant , que l'auteur des
paroles étoit anonime. lia ton, dit une
voix forte & toute la falle applaudît.
Qu'il me foit permis de m'arrêter un
infiant pour examiner le monologue de
Blaife , que bien des gens ont nommé
mal-à-propos récitatif.
Ah! ma femme quavez-vous fait !
SUR. LA-MUSIQUE. 205
Ce début eft de pure déclamation.
Méchante mère,
Les notes pointées indiquent l'indi-
gnation.
De la misère
Voilà l'effet.
Il ne faut pas tout déclamer ; la mé-
lodie prend ici la place de la déclama-
tion. Des flûtes accompagnent ce trait,
pourquoi ? Blaife femble dire : hélas! ayez
pitié de ma misère, c'eft elle qui fuggéra
le crime dont ma femme s'eft rendue
coupable.
Elle aime un amant qui l'adore.
Pourquoi n'ai-je pas élevé la voix fur
amant, mais fur ces mots, qui l'adore}
Parce que le pronom qui défigne Luci/ey
y eft compris, & qu'elle eft la victime
intérefTante pour les fpe£tateurs.
Une heure de plus.
Ces quatre notes dont le fens refte
2.04 Essai
fuf pendu , font, je crois, d'une grande
vérité.
Une heure encore,
Ils alloient être unis."
Hélas ! Fille trop chère ,'
Du crime de ta mère ,
C'eft toi que je punis.
Il falloit appuyer fur toi, cela eft in-
conteftable , & aucun muflcien , aucun
déclamateur n'y auroit manqué.
Quitter fes beaux habits ;
Retourner au village,
Y prefler mon laitage ,
Y garder mes brebis.
Ces quatre vers portent un chant de
mufette. L'oppoficion du crime avec les
chants de l'innocence du premier âge,
forment un contraire qu'on n'a pas dû
négliger.
La pauvre enfant , quelle pitié !
Elle a pour moi tant d'amitié !
Et moi je viens lui percer l'ame.
Ce dernier vers doit être appuyé par
sur u Musique, ioj
f orcfceftre , c'eft lui qui marque la cruauté
de Blaife : il faîloit auffi employer des
fons graves, pour rendre l'exclamation
fuivante plus fenfible.
Ah ! ma femme ! Sic.
On ne fait rien fi je me tais !
Ma fille efl à fon aife.
Et fon cccur efl en paix.
La modulation eft heureufe ; c'eft îa
première fois que Blaife fonge à cacher
le crime commis : aufîl le ton de ré bé-
mol , ne s'eft-il pas fait entendre dans
tout ce qui a préce'dé.
Que dis-tu Blaife ?
Que je me taife !
II y auroit eu de l'ignorance à mettre
en chant ces deux vers qui font indiqués
pour être en récitatif.
Non non jamais.
Non non jamais.
Le repos après cet éclat eft d'un bel
effet.
io£ Essai
On ne fait rien fi je me tais !
Ma femme eft morte.
Eh b^n qu'importe ?
Je le fais moi .
La bonne foi,
Voilà ma loié
Tous ceux qui avoient intérêt a Pou-
vrage , vouloient abfolument me faire
changer la mufique du vers.
Je le fais moi.
II falloit , difoit-on , des fons élevés
Se forts pour rendre ce vers. Je foutiens
que c'étoit le contraire , ôz que Blaife
fembloit dire , je le fais moi ( dans le
fond de mon cœur ) & éclater en fuite
fur,
La bonne foi
Voilà ma loi.
C'eft dire , ma bonne foi va faire écla-
ter le fecret que mon cœur renferme.
Le public fentit comme moi fans doute,
puifqu'il interrompit par des applaudifle-
SUR LA MUSIQUE. Î.OJ
mens l'a&eur qui le fixoiten difant d'une
voix grave , je le fais moi !
Ce monologue le feul peut-être , que
je ferai dans ce genre , où la déclamation ,
l'harmonie & la mélodie concourent a fex-
prefïîon , m'a paru mériter d'être analifé.
On m'a demandé cent fois ^ fi je pré-
férois ce morceau au quatuor ? je dirai
qu'il faut un fentiment plus profond, une
plus -grande connoifTance du cœur hu-
main , pour faire ce monologue ; & qu'un
înftant d'infpiration , à fuffi pour pro-
duire le quatuor.
Le public en accordant un plein
fuccès à cet ouvrage , fe confirma cepen-
dant dans l'idée que le genre gai m'étoit
refufé : les journaux répétèrent ce que
le public avoit dit, & l'on me reprocha
de faire pleurer à l'opéra comique. Je ré-
pondis a ce reproche par....
io2 Ë S S A ï
LE TABLEAU PARLANT.
Paroles de M. Anfeaume , repre'fenté à Paris
par les Comédiens Italiens , le zo Septembre iy6$.
Cette pièce me parut la meilleure ré-
ponfe que je pufie faire au public. Deux
fuccès de fuite m'a voie;, t rendu ma gaieté
naturelle , que j'aurois eu bien de la peine
à exciter dans le tems que je fis, le Huron.
C'eft dans les beaux jours du printems,
que je compofai le Tableau Parlant : tk
je puis dire , que pendant deux mois
chanter & rire , fut toute mon occupa-
tion , (A) j'étais fi plein de mon fujet ,
qu'un jour après le dîner je fis ? chez
M. l'Ambafîadeur de Suède , quatre mor-
ceaux de mufique fans interruption.
i*r.
SUR LA MUSIQUE. loQ
f Pour tromper nu pauvre vieillard , &ç,
i Vous étiez ce que vous n'êtes plus.
3 La tempête de Pierrot.
4 Le duo : Je brûlerai d'une ardeur éternelle.
Cette fertilité m'étonna moi-même:
elle itfroit dangereufe peur l'ignorant ,
ou pour l'homme qui fe livre rarement
au travail ; mais l'artifte qui pafîe les
nuits à réfléchir , doit profiter des prodi-
galités de la nature.
Je finis cet opéra à Croix Fontaine,
chez M. le Marquis de Brancas , aujour-
d'hui Duc de Serres. On y fit la lecture
du Tableau Parlant , & l'on plaignit ïe
malheuieux Muficien. M. le Duc de
N***., y fit de légers changemens que
je communiquai enfuite a Anfeaume , Se
qu'il adopta. Voila pourquoi le public
après le fuccès attribua ce poëme a M.
le Duc de N***.
Je m'appliquai furtout , dans cet ou-
vrage , à annoblir autant que faire fe pou-
O
xro Essai
voit , fans bîefler la vérité , îe genre de
la parade , & c'eft une attention très-
néceflaire a tout compofiteur qui traite un
fujet trivial.
Une des premières règles dans les beaux
arts , eft d'annoblir tout ce qui en eft
fufceptible en imitant la nature, fouvent
même en peignant lés mœurs ; & Par-
tifte feroit fagement de dédaigner tout
fujet qui n'eft pas fufceptible d'être an-
nobli. Cependant fi ce procédé eft né-
cefTaire , il eft des fujets nobles par eux
même , qui exigent une attention oppo-
fée. Je n'entens pas que l'artifte dégrade
ceux qui font nobles ou fublimes ; mais
il doit craindre que l'exagération ne prenne
la place du naturel , lorfqu'il met fur la
fcène , ou les Dieux de la fable ou les
Héros. Les artiftes Grecs Se Romains
n'avoient pas autant que nous cet écueil
à redouter. Alors tout étoit grand & noble ;
ils peignoient d'après leurs modèles , &
ne redoutoient point de n'être pas enten-
SUR LA MUSIQUE. xn
dus , ni de parcrtre gigantefques.
Quand j'entens dire que les arts ont dé-
généré , j'entens que les hommes ne font
plus les mêmes. Si l'on ofoit jeter un coup
d'œil fur les mœurs actuelles , en les com-
parant à celles que l'artifte ne peut plus
peindre qu'à travers une perfpective d'envi-
ron deux mille ans , que verrions nous ? Au-
jourd'hui la femme plus coquette à mefure
qu'elle avance en âge, (i ) faire paiTer fa fille
de fcn fein chez une nourrice , & delà dans
un couvent dont elle ne fortira que pour
recevoir l'époux qu on îui donne fans la
confuîter. Jadis on voyoit ïa femme belle
de fa vertu , fière de la deftru&ion de [es
charmes, ïorfqu'elle pouvoit montrer la
nombreufe famille qui lui devoit le jour ,
(i) Quel âge a Madame la Marquife? demandoit un
de nos Rois — . Sire , j'ai 40 ans. Et vous , dit-il enfuite au
fils de la dame *-. J'ai le métae âge que ma mère, Sire,
rcpond-il.
O 2
%n Essai
ou le Héros dont-elle était mère.
Aujourd'hui pour faire toujours îe con-
traire des anciens v l'homme de génie
n'obtient des éloges qu'après décès. On
encourage les morrs , on décourage les
vivans ; les gens à talcns pour forcer la
multitude à les admirer feuls , fe déchi-
rent tous mutuellement; tandis que jadis
l'homme plus .fier de la puifTance de Ton
être que de fon mérite perfonnel, refpec-
toit le talent par tout où il étoit , & jouifc
foit des chef-d'œuvres des hommes, en
fongeant qu'il étoit homme lui-même.
Celui qu'on vouioit reconnoître pour le
premier de fon état , aveuoit qu'il n'étoit
que le fécond , quand fon rival lui avoit
fourni les idées qu'il avoit mifes dans
un plus grand ordre.
Les hommes de génie fe refpeclantainfï,
forcolent la multitude a les admirer. Si
les Mufïciens de nos jours étoient jugés
par l'efprit qui caractérifoit les anciens,
l'on nommerok Ghck & Philïdor , pour
SUR IA MUSIQUE. 113
îa force de fexpreiïion harmonique. Sac-*
chini & Pïccini , pour la tendre &■ belle
expreffion idéale. PaèJIello , Cïmarofa,
pour la fraîcheur des idées. Monf.gni
pour les chants heureux. Décide pour
les airs champêtres. Haidn , peur la ri-
chelTe des comportions inftrumentales.
&c. &c. Mais aujourd'hui pour tout em-
brouiller, l'on compare entre-eux des ta-
lens qui n'ont que de légers rapports,
& qui ne peuvent en avoir de plus in-
times fans s'anéantir en rentrant dans le
tronc dont ils ne font que les branches.
Les Romains gens de lettres 3 eufTent die
d'une voix forte, à ces corrupteurs de la
vérité , bétes brutes ! ne voyez-vous pas
qu'il faut la fraîcheur de Peau vive pour
peindre ce feuillage , & que le feu du
Tartare n'eft pas trop ardent pour expri-
mer la fureur du Héros ? Laiffez donc ces
rapprochemens ineptes; ceffez de tout dé-
truire en confondant ce qui doit être fé~
paré.
03
U4 Essai
Que manque-t-il cependant a ce dix*
Huitième fiècle pour être peut-être le plus
beau de tous? Ce fiècle de lumière, où
des hommes rares en tous genres, favent
mieux que jamais rapprocher & analifer
toutes les productions humaines , dont ils
profitent & dont ils écartent les défauts
& les préjugés ? Que lui manque-t-il, dis?
je ? Une feule chofe. Que chaque homme
qui penfe , àhe:je ne difimuler ai jamais
la vérité que f aurai fende au fond de
mon cœur. Si le François ne fe preffe d'être
jufte autant qu'il eil inftruit , l'Anglois
fon rival , lui donnera peut-être les re-
grets de n'être qu'imitateur dans la plus
fublime des vertus.
Laifîons donc à chacun îe genre qui
lui eft propre & n'écoutons plus l'ama-
teur exciufif qui vcudroit que chacun fa-
crifiât à fon idole. Qui oferoit décider fi
en mufique, l'harmonie doit l'emporter fur
!a mélodie? Tout dépend, je crois, de
ïa manière de les employer. Du refte s'il
SUR LA MUSIQUE. 0, 1 «
faut chercher à plaire au plus grand nom-
bre des fpe&ateurs , remarquons qu'un
air de chant qui fe rencontre dans un
ouvrage févère , peu chantant, mais très-
harmonieux , caufe un délire univerfel ;
& qu'au contraire , un morceau aufïi
harmonieux que févère, placé dans un ou-
vrage dont la fraîcheur & le chant font
le caractère , ne produit pas le même effet.
Je reviens au tableau parlant. La dé-
claration de CafFandre ; cet aveu charmant
étoit , difoit-on , d'un ftyle trop aimable ;
mais je connoilTois fadeur, & je favois
que fa voix offriroit le contrarie plai-
fant que je décrois. Cette pièce n'eut
pas d'abord un fuccès aufli décidé que les
deux précédentes. Je vis Duni après îa
première repréfentation *, je lui demandai
s'il étoit toujours content de moi ? Il me
répondit qu'il avoit entendu un bon duo.
Une prude dit le foir au fouper de M. le
Duc de Choifeul, que l'on ne pouvoit
pas entendre deux fois cet opéra , parce
O4
no Essai
que les accompagnemens étoient d'une
indécence outrée : M. de Choifeul invita
fa focieté à y retourner , pour s'en con-
vaincre. Je fus remercier ce grand mî^
niftre de la protection qu'il accordoit à
mon ouvrage , & je lui en oifris la dé^
dicace.
Le fuccès augmenta avec les repréfen*
tations. Les acVurs qui d'abord n'avoient
pas ôfé ie livrer à la gaieté de ce genre,
finirent par y être charmans. M. Clairval
dans le rôle de Pierrot > Se madame La^
mette dans celui de Colombine , furent
inimitables , parce qu'ils furent unir la
décence & la grâce à la gaieté la plus
folle.
On a vu quelque fois des écrivains &
des artiftes médiocres qui n'ayant pu faire
tomber un ouvrage accueilli du public ,
ont voulu en dépouiller le véritable auteur
pour l'attribuer à d'autres ; c'efî. ce qui
cft arrivé au Tableau Parlant.
Un Muficien Italien , auflï ignorant que
SUR LA MUSIQUE. 11J
malhonnête , voulut me contefter la mu-
fîque de cet ouvrage ; il en parla d'abord
d'une manière équivoque devant une nom-
breufe compagnie, dans un château des
environs de Paris, (i) On le força de s'ex-
pliquer ; c'étoît ce qu'il vouloit. II avoua
donc , avec l'air de la répugnance , qu'il
avoit dans fon porte-feuille , prefque tous
les airs italiens que j'avois, difoit-il , fait pa-
rodier. On conclut delà que mes ouvrages
précédens , n'étoient pas plus de moi que
le Tableau Parlant : cependant la maîtrefïe
du logis & madame fafœur, qui daignoient
prendre intérêt à mes fuccès, en étoient
affligées; & le furent bien davantage lcrf-
que fhonnête Signor defeendit fon porte-
feuille y où l'on trouva en Italien, les airs ;
Pour tromper un pauvre vieillard &c. dd Signor Galluppi.
Il efl certains barbons &c.
Vous étiez ce que vous n'êtes plus &c. dd SignorV ergole\e
Le duo : Je brûlerai d'une ardeur éternelle &c. dd Signor
Trajeua.»
(i) A Montigni chez madajne de Trudaine.
îi 8 Essai
Ces dames chantèrent mes airs en
italien, non fans quelque chagrin, mais
il fallut fe rendre à l'évidence : j'étois un
fripon en mufique & rien de plus. Le
lendemain en fe promenant dans le parc ,
la converfation retomba fur moi : ces dames
fe rappelloient tout ce que leur avoit dit
M. l'Ambaiïadeur de Suède , du pîaifîr qu'il
avoit à me voir compofer. Avec quelle
facilité, difoit la dame du château, il fit
ces jours derniers, en notre préfence, la
mufique fur les couplets de Métajlafio \
Ecco quel fî-ero infiante
Addlo mià nice Addio (i).
Je crois que cet italien nous en im-
pofe ; pendant que tout ïç monde fe pro-
mène , allons vifiter fa chambre : peut être
(i) L'on a depuis parodié cet air en François. Dan*
l'Amitié à l'épreuve.
A quels maux îl me livre ï
Nelfon , Nelfon ,
SUR LA MUSIQUE, 1 T <)
découvrirons nous quelques indices. Elles
y furent effectivement ; ces dames trou-
vèrent des lambeaux de papier de mu-
fique en quantité , elles ramafsèrent tout ,
& l'emportèrent dans leur appartement
avec plufieurs volumes de Mitaflafio ,
dont le Signor s'étoit muni pour s'amufer
a la campagne en me rendant ce petit
fervice! Ces dames eurent le courage de
rafTembler tous ces lambeaux ; elles n'y
trouvèrent absolument que des brouillons
des airs du Tableau Parlant fur des paroles
de Mttajlafio y le même air fe trouvoit
avoir été' eflàyé fur deux ou trois fortes
devers difïerens. La compagnie rentra,
l'on fe mit à table \ ces dames affectèrent
de parler de moi , avec peu d'eftime pour
mes tafens : mais au milieu de îa jouif-
fance du Signor, elles firent apporter les
fragmens rapprochés les uns des autres ;
quelqu'un fit attention que Pcrgole^e étoit
mort avant que Mitaflafe eût fait certains
opéras , dont le Signor lui attribuoit la
110 Essai.
mufique. À cette jufîe obfervatîon , notre
Italien fut couvert de honte , & ne trou-
vant nul fubterfuge pour juftifier fa four-
berie, il avoua que le befoin l'avoit dé-
terminé à parodier mes airs qu'il comptok
faire graver, en leur prêtant des noms
célèbres ; cette excellente exeufe n'em-
pêcha pas qu'il ne fût chafTé.
J'ai dit ci-devant, que je fis* quatre
morceaux de mufique du Tableau Par-
lant , en une féance ; l'on ne peut croire
combien M. le Comte de Crcut^ par fon
amour pour Fart , ek fes bontés encou-
rageantes pour PartiMe , excita mon zèle
& multiplia mes foibîes productions , pen-
dant environ huit années qu'il voulut bien
m'honorer de l'attachement le plus pur
ôc le plus vrai.
Né d'un caractère tendre , diftrait &
mélancolique , inftruit dans toutes les
feiences ; auteur d'excellentes poëfies très-
eflimées à Stockoîm , la mufique qu'il ai-
SUR IA MUSIQUE. 2 2i
moit de parfon , fans être muficien , fai-
fbit le bonheur de fa vie.
II aimcit fur tout à me voir compo-
fer ; cinq ou fix heures de travail s'écou-
taient en un iriftant pour lui comme pour
moi. Si je trouvois un motif convenable',
il le fentoit aufîi-tôt ? & marquoit , par
fes exclamations , combien il étoit fatis-
fait. Lorfqu'il s'appercevoit que je tenois
la bonne veine, il s'eïcignoit de moi,
de peur de me troubler , & ii m'appîau-
diffoit de loin à voix baffe. J'étois fou-
vent étonné d'avoir paiTé une matinée
chez moi , fans avoir été dérangé par per-
sonne; mes domediques m'apprenoient
que M. l'Ambaiïad:ur , leur avoir donné
des ordres ék de l'argent. Si j'étois peu
difpofé au travail , il ufoit de mille pe-
tites rufes pour m'y engager ; tantôt il
piquoit mon amour-propre , en difanc
que le morceau qui m'eccupoit étoit d'une
difficulté horrible à mettre en mufique ;
tantôt il fuppofoit que je n'avoïs pas pris
axi Essai.
garde a une réminifcence que j'avois laîfTé
échaper la veille \ je pafïbis vite à mon
pîano pour m'en affurer , & dès qu'il
m'y tenoit c'étoit pour long-tems, & il
falloit travailler. Il n'eu forte de moyen
qu'il n'employât pour faire fourire mon
imagination.
Si dans quelques fociétés je rencontrois
en préludant quelque trait de chant qui
lui plût, il difparoiflbit un inftant , &
m'apportoit du papier où il avoit tracé
lui-même des lignes parallèles. Ecrivez vite
ce trait, me difoit-il, il peut vcus fervir.
II afîilloit à toutes mes répétitions; fi l'im-
patience me faifoit parler à quelque ac-
teur avec trop de chaleur ; mon aimable
Comte racommodoit tout.
L'on connoiffoit fi bien l'intérêt qu'il
prenoït à ma mufique , que fréquemment
fur le théâtre , après queîqu'ouvrage nou-
veau, ce n'étoit pas moi qu^on félicitoit:
M. de Cuut\ étoit entouré , & c'eil lui
qui recevoir les complimens.
SUR LA MUSIQUE. 111
Parferai - je de Tes diftra&ions ? Mes
m'étoîent fi précieufes , que je ne nuis
guère réfifler au pfaîfir de m'en entretenir
un iniîant.Undiîtraitnepeutêtre, je crois,
ni méchant , ni difïimuié ; la crainte de
fe faire trop connoître, le corrigeroit bien-
tôt. Les femmes qui par leur conflitution
phyfique , & leur éducation , ont plus be-
foin que nous de diffimulation , me fem-
blent en effet moins fujettes à ces fortes
d'abfences. D'ailleurs , les diffractions de
M. le Comte de Crcut^, ne compromi-
rent jamais le fecret de l'état; je crois
même qu'il a pu s'en fervir quelques fois
pour lui être fidèle.
On lui parloit un jour en ma préfence
de la révolution de Suède , en le preffanc
de communiquer fon avis, fur les dé-
marches ultérieures que devoit faire la
cour de Stockolm auprès de celle de Ver-
failles. Il écouta patiemment, & profita
peut être , des avis de l'homme d'tfpric
qui lui parloit ; puis tout -a -coup, me
ii4 Essai.
prenant par la main : vous ne connoîjfe^
pas fa mufiquc , dit-il , fi vous n 'ave^ pas
entendu le morceau qu'il fit hier.
Il gronde un de fes amis parce qu'il
porte un habit de drap en automne , il le
renvoyé chez lui pour en prendre un de
foie, en lui affignant le rendez-veus de
chaïfe , où il va fe rendre lui - mêm<e ; il
y va effectivement , mais en habit de drap
& une peïiiTe.
11 accroche & emporte , fans ïe favoir,
avec la garde de fon épée , la perruque
d'un vieux Seigneur , qui e'toit afTis plus
bas que lui au fpectade ; on a beau crier ,
il n'entend rien , & va gravement fe pro-
mener dans les foyers , jnfqu'au moment
où on lui fait remarquer fon nœud d'épée.
Il tire toutes fes fonnettes à trois heures
du matin , fon valet-de-chambre accourt
tout effrayé ; allez vite chercher le Baron;
îe Secrétaire d'ambaffade arrive : ah ! mon
ami , vous ètu\ hier che1^ Grétry ,* ne
pourrie^
SUR IÀ MUSIQUE. %1j
pourric^vous pas vous rcpdlcr un trait
que je ne puis retrouver ?
II a l'honneur d'annoncer an Roi le
mariage d'un Prince de Suède. Après
avoir fouillé dans fa poche , il préfente
fa main au Roi } mais les lettres de fa cour
font refiées chez lui.
Il entre dans la loge de madame La-
ruette. Dépêche^ vous 9 madame , on va
commencer V ouverture , il ibrt , ferme fa
porte à double tour, emporte la clef Se
rentre dans la faite.
Tel e'toit cet homme rempli de can-
deur &: d'efprit : fon rang étoit le fcul
obftacïe qui m'empêchât de me livrer à
mon penchant pour lui. Vous me félici-
te^ bien froidement , mon ami , me difoit-
il un jour , des bontés dont mon Roi
vient de my honorer : ah ! lui dis-je , vos
cordons & vos titres vous éloignent de
moi, comment voulez - vous que je les
aime ? Son Roi le fit premier Miniftre ;
P
%%6 E S S A T.
il partit : mais bientôt un violent accès
de goûte le fit périr à l'âge d'environ cin-
quante ans. II conferva jufqu'à fon der-
nier foupir la tranquillité d'une ame aufïi
forte que pure.
SUR !• A. MUSiqxje. IX J
SYLVAIN.
Comédie en un aéte en vers , mêle'e d'ariettes,
paroles de M. Marmontel ; repréfentée par les Co-
médiens Italiens , en lyyo.
Malgré îe cri public qui femble ne
defirer au théâtre Italien , que des
opéras comiques ; l'on voit que ce même
public accorde toujours ïe fuccès le plus
confiant , aux pièces d'intérêt : il préfère
cependant ies drames tcuchans idans lef-
quels le comique e(l naturellement lié a
l'action principale,
Au théâtre plus que par-tout ailleurs ,
la variété eft l'antidote de l'ennui: il ne
faut cependant exclure aucun genre : quel-
que fois l'ouvrage le plus bizarre ren-
ferme le germe d'un ouvrage excellent,
& par des changemens heureux il devien-
dra peut-être un modèle.
Ce n'erfc pas au théâtre fans doute ,
P a
%zB Essai
qu'il faut d'abord montrer ces efTais ; il
faut obtenir la fan£tion des gens de goût ;
ou faire mieux encore ; travailler foi-même
jufqu'à ce que l'on parvienne à n'avoir
plus aucun doute , aucune incertitude fur
toutes les parties & fur les détails qui par
leur réunion forment un tout.
Par exemple , je promène mes idées
fur huit vers, que je veux mettre en mu-
(ique ; il ont une fuite & des rapports
entre eux, puifqu'ils forment une même
ftrophe.
Après en avoir fait ïa mufique , l'on
fe voit loin du but où l'on croyoit parve-
nir. Faut-il pour cela rejetter ce qu'on a
fait , & tracer un nouveau plan ? Pas tou-
jours ; mais bouleverfez en tous fens ,
ces premiers matériaux , jettez le com-
mencement à la fin , la fin au milieu ,
le milieu au commencement , foit hafard ,
ou plutôt un fentiment fecret qui opère en
nous , ainfi que la nature lorfqu'elle raf-
femble des matières homogènes ; vous vous
SUR IA MUSIQUE. 2 2Û
trouverez peut être satisfait. Tout exif-
toit dans le premier jet fans doute , mais
îa combinaifon nouvelle , vous a donné
des formes, des nuances, des oppofitions,
une gradation telle enfin qu'il ne vous
refte fouvent rien à defirer.
L'artifte le plus habile eft donc celui
qui fait le mieux reétirier les écarts de fon
imagination , en donnant à fon ouvrage
un tour naturel , qui fouvent n'eft que le
fruit d'un travail pénible.
Après cela foyons fiers de nos taïens,
foibles créateurs , qui ne formons prefque
jamais que des êtres contrefaits pour les
re&ifier enfuite î La création eft fille de
la liberté , la perfection eft le produit
des difficultés vaincues.
Avant les répétitions de Sylvain , je
fus prié de me rendre à l'afïemblée des
Comédiens ; j'appris que les a&rices char-
gées de l'emploi des mères , mettoient
oppofition à la repréfentation de la pièce y
parce que le rôle d'Hélène leur appar-
P 3
2,30 Essai
tenoit ; & non à madame Laructte a qui
nous l'avions confié. Ce délai auroit été
lonff s'il avoit fallu faire intervenir des
ordres fupérieurs. Je pris ïe parti d'ap-
prouver leur réclamation , ôc donnai fur
le champ ce rôle a îa plus sncienne des
mères ; elle fentit par la manière dont le
rôle étoit fait , que c'étoit une épigramme.
On nous laiflà faire.
Si Silvain eût été mon premier ouvrage,
il eft probable que j'eurTe efîuyé bien
d'autres difficultés , & peut être le ren-
voi de la pièce.
Molière, étoit maître de fa troupe ,
combien de facrifices n'eût il pas été obligé
de faire au préjudice de fon art , s'il eût
comme nous travaillé pour des acteurs
maîtres de leur théâtre , ôc des pièces
qu'on y repréfente (1).
La première répétition de la mufique
(1) Voyez la préface du théâtre de M. Cailhava.
SUR IA MUSIQUE. IJf
de Silvain ne fit point d'effet : j'en fortis
chagrin. Le monologue , Je puis braver
les coups du fort , ne m'avoit fait nulle
ïmprefïion ; dès ie foir même j'en fis un
autre. Ce travail fut pénible , car je
croyois avoir faifi ïe fens jufte de ïa fitua-
tion & des paroles. II falloit changer de
fyftême ; je retournois envain mes idées
de mille manières , rien ne pouvoit me
contenter. M. Cailleau vint fort heureu-
fement chez moi , il jetta mon nouvel
air au feu , & jamais facrifice ne me pa-
rut pïus doux.
Les répétitions fuivantes firent plus
d'effet à mefure que chaque a&eur fe pé-
nétra de fon rôle ; ce qui prouve que plus
une compofition eft févère , plus il faut
de tems pour bien l'apprécier. Pendant
ïes répétitions d'Alcefte de Gluck , je fais
qu'il fut queftion à l'opéra d'affembler
un comité pour y délibérer, fi fon don-
neroit au public cette belle production.
M* Marmontel me conduifit chez ma-
p4
i3 1 Essai
demoifelle Clairon ; j'exécutai le duo : Dans
le fdn d'un pire 3 dont elle parut con-
tente à quelques vers près qu'elle ne trou-
voit pas allez déclamés. Je la priai de
me les indiquer ; elle déclama , ôc voyant
que |e copiois , en chantant , Tes intori-
nations , Tes intervaîes & fes accens,
comment , difoit-elle , le chant a ce pou-
voir? J'avoue que jufqu'à ce jour je Va-
vois ignoré. Ce furent ces vers :
Sa voix gcmifTante
Dira j'ai promis....
Te foit toujours chère,
dont je corrigeai la mufique d'après
la déclamation de mademoifeîie Clairon.
La repréfentation de Siivain eut le
même fuccès que Lucile ; le dénouement
fit un grand effet : un accident qui arriva
a M. CciUeau y contribua. En fe jetant
aux genoux de fon père, il voulut les
embraiTer , celui-ci recula mal - adroite-
ment & fit perdre l'équilibre à Cailleau , qui
SUR LA MUSIQUE. X 3 3
fe Tentant chanceler , fut tirer parti de l'ac-
cident y en fc jetant la face contre terre.
L'attitude parut naturelle & la fituation
déchirante. Ce dénouement eut un fuccès
complet ; mais I'efFec n'en eût pas été
fentr, Se des éclats de rire eufTent rem-
placé peut être les appIaudifTemens fans
la préfence- d'efprit de l'acteur.
Le même homme qui avoit joué le
rôle de père de Silvain à Paris , fut en-
fuite en province jouer celui de Silvain ;
pour imiter Caillcau il fe jeta par terre,
mais fi mal-adroitement qu'if fit tomber
fon père , qui dans fa chute entraîna Ba-
zile. Ils s'en relevèrent tous cependant ,
& le père de Silvain , continuant fon
rôle dit : De quinze ans de chagrin voilà
donc la vengeance !
Les gens inftruits remarquèrent que
les chants des deux époux, Silvain &
Hélène , portoient un caractère de ten-
drefle moins pafîionnée que celle des amans
que l'hymen n'a point encore unis.
a34 Essai
Ces nuances font délicates ; elles exif-
tent cependant ? c'eft fur-tout dans le duo ;
Dans le fein d'un père , où j'ai cherché
a nuancer ïe fentiment de l'amour avec ,
fi j'ofe le dire , la fainteté du nœud qui
unit les époux.
Ce font les plaintes de la raifon ofFen-
fée , Se non les cris des pafîions contra-
riées. La prière '7
O ciel de nos vœux tu vois l'innocence , &c.
a mouillé mes yeux a l'infrantoù j'en trou-
vai la mélodie. Pourquoi rougirai-je de ïe
dire ; ïorfque la mufîque de cet ouvrage
fut gravée , l'on me fit remarquer une
faute dans îe récitatif d'Hélène , après ce
vers;
Mes enfans font les tiens , ne punis que leur mère»
II falîoït quelques notes d'orcheftre
pour mieux amener le vers fuivant :
En les voyant il les plaindra.
SUR LA MUSIQUE. 23?
Je prie ïes aclrices de faire un repcs
à cet endroit , pour fupléer à ce cjue j'ai
omis.
Voici encore une faute , fans compter
celle que j'ignore, que je defirerois cor-
riger. Dans le duo :
J'ai fait une grande folie ! de VAml de la Maifon.
Cliton dit :
Ës^mig^SÉ
Sou-vent le plus fa- ge s'ou-bli- e.
Célicour répond :
Sou-vent le plus ru- fé s'ou- bli-e.
Pour mieux déclamer j'aurois voulu
Sou-vent le plus ru-fé s'ou -bli-e.
2-3 6 Essai
Quoi ! diront mes Critiques -, toujours
parler des fautes de déclamation , & pas
un mot de celles contre l'harmonie ? Je
ûis que j'en fais quelque fois , mais je
veux les faire.
Qu'on dife qu'un Ecrivain ne parle pas
fa langue , lorfque fes phrafes font en-
tortillées , Se qu'il fe fert d'exprefïions
impropres ; mais celui qui crée un mot
pour rendre fon idée a raifon , nulle ex-
prefîion à fon gré ne peut remplacer
celle qu'il s'en1 permife.
Il en eft de même quand on fe per-
met un accord ou une combinaifon de
fons ., peu ou point ufitée : c'eft à la fen-
fibilité à juger fon effet refpe&ivement à
îa iituation où elle eft employée. C'eft
à la théorie à la confacrer enfuite comme
règle. Le fentiment rejette mille fois ce
que la do6te combinaifon des fons veut
lui donner comme une découverte } mais
jamais la règle ne s'eft trouvée en défaut
lorfque la vérité d'exprefîions a forcé le
SUR$A MUSIQUE. <^^j
compofiteur a étendre les limites des corrr
binaifons.
Une licence n'eft donc pas une faute :
mais tel maître doit fagement défendre
à fon élève ce qu'il fera lui - même
Pinftant après : j'en ai dit les raifons
ailleurs.
Il y aura dans tous les tems une me-
{intelligence phifique entre l'homme
ardent qui fe permet une licence & ,
l'homme froid qui la critique. Ce font
les deux extrêmes de la nature qui cher-
chent envain à Te rapprocher.
Dans les chœurs où domine ïa mélo-
die, je confeille de faire chanter les tailles,
ou plutôt les hautes - contres avec les
deffus , en rejetant dans l'orcheftre le
complément de l'harmonie, car il n'eh:
point d'oreille délicate qui ne foit défa-
gréablement affectée lorfque ces parties
de haute-contres , fur-tout , pfaïmodient
fur deux ou trois notes aiguës, où elW
femblent clouées.
2-38 Essai
Les chœurs plus févères doivent être
complets ; il feroit impardonnable de
manquer d'harmonie , lorfque îa mélo-
die n'alTervit le compofîteur que jufqu'à
un certain point.
Croire cependant que PonpuirTe joindre
aux grâces de f expreffion , la corre&ion
fevère de l'harmonie, eft une erreur. Soyons
perfuadés qu'une féve'riîé trop rigoureufe
dans les beaux arts , effraye les grâces ;
que les muficiens difent combien de com-
binaifons harmoniques on emploie aujour-
d'hui , qui auraient révolté les purifies il y
a trente ans. Les ouvrages d'Haydn en
offrent mille exemples , elles ne font pas
épuifées ces combinaifons ; la gamme
cromatique renferme douze fons qui don-
nent douze gammes à combiner , & que
le fentiment combine plus fouvent que
ï'art (1).
(1) Je ne parle que du mode majeur; car en chan-
geant les modes on auroit 14 gammes.
SUR th MUSIQUE. 13 a
Je dis donc encore que tout eu per-
mis à l'Artifte qui faifit la nature fur le
fait : les vingt-quatre gammes ne font que
îa palette du peintre ; vouloir lui prcfcrire
le rapprochement de fes couleurs eft une
fottife , c'eft lui défendre d'être original.
Pourquoi recherche-t-on davantage le
plus petit deffin de Raphaël, qu'un mor-
ceau de fugue d'un grand maître ? Parce
que l'harmonie ne repreTente rien ou peu
de chofe. Un deffin quel qu'il foit , repré-
fente toujours un objet de'terminé , ne
fût-ce qu'un œil , une oreille , îa feuille
d'un arbre, &c. Voilà pourquoi chacun
s'amufe en deffinant , tandis que les élèves
en mufîque s'ennuyent en faifant des
fugues. Mais que l'harmonie chante ou
peigne à fon tour , auffi-tôt elle devient
a&ive & acquiert une valeur réelle.
Si l'harmonie pour être appre'cie'e exige
une connoilîànce approfondie des règles,
la mélodie ne demande qu'une oreille dé-
2-4° Essai
licate, & fur-tout une ame tendre & fenfibïe.
Un beau chant quoique vague , pour
bien des gens , ne le fera pas pour tout
Je monde : fi le compofiteur a été affecté,
tôt ou tard il trouvera une ame qui
éprouvera la même fenfation : ça été quel-
que fois après dix années , qu'on m'a parlé
d'un trait que je croyois n'avoir été fenti
crue de moi.
Il doit y avoir un tourment fecret pour
l'homme médiocre , car l'homme qui eft
perfuadé d'avoir bien fait, éprouve une
fatisfa&ion qu'on ne peut lui ravir. Je
penfe même que la mufique donne des
jouiffances fupérieures a celles des autres
arts, parce que les Ions toujours mélodieux
ou harmonieux dont fe repaît le Muficien,
agirTent plus directement fur les nerfs.
L'on a demandé dans un Journal de Pa-
ris, s'il étoit vrai que les Muficiens vé-
cullènt plus long - tems que les autres
hommes ? & quelle en étoit la caufe. Peut
être
SUR LA MUSIQUE. 241
être viens -je de répondre à ces queftions.
Par une erreur involontaire, un homme
de lettres très-eftimable , a imprimé dans
ïe mercure de France , que M. Marmontd
avoit parodié les paroles du duo
Dans le fein d'un père , &c.
Sur ma mufique déjà faite : les Mu-
(iciens ne voulurent pas îe croire ; mais
comme tout îe monde n'en1 pas muficien ,
je me crus obligé de relever publiquement
cette fauilé aiTertion.
Très-peu de gens de lettres , ont alTez
de connoiflance du langage & de la ponc-
tuation muficale , pour réuiîlr dans ce genre
de travail , qui favoriferoit la mufique en
donnant des entraves à la poefie. Jufqu'à
ce jour , l'on a fait des vers fur un air
de danfe , fur un vaudeville , fur un chanc
dont les phrafes fymétriques , font fentir
fortement le rithme & la cadence; mais
une fcène pathétique où chaque note
d'expreffion doit rencontrer la fvllabe qui
Q
t^% Essai
doit être exprimée , eft d'une tien plus
grande difficulté. Cependant la mufique
fait chaque jour des progrès parmi les
gens de lettres ; qui mieux qu'un p^ète
doit fcnrir les rapports intimes , d'un chant
exprelïif avec la parole à laquelle il doit
fa naiflance?
J ai eu lieu alTez fouvent d'admirer avec
combien de facilité M. Martnonttl a mis
en paroles plufieurs morceaux de mufique
qui fe trouvent dans nos opéras , pour
croire que cet art peut fe perfectionner
au point de parodier les morceaux de
mufique les plus difficiles.
Ah ! que tu m'attendris , &c. Dans le Huron ,
étoit un criant que j'avois dans la tête,
ôc dont M. Marmontd fit un duo. Le
premier air de Lucile :
i
' Qu'il eft doux de dire en aimant , &c.
a été en partie fait fur la mufique , ôc
je dirai pourquoi.
SUR If MUSIQUE. 14,3
Les paioles de cet air qui commen-
coit de même par
Qu'il eft doux de dire en aimant,
étoient par hafard , abfolument les
mêmes pour îe nombre des iyllabes &
des vers , que l'air du Huron
Si jamais je prends un éptîux.
Cette refTemblance que j'apperçus mal^
heureufement , me fit compofer un air
qui refTembïoit à celui du Huron. Je vou-
lus lutter contre les obftacles ; mais fa-
tigué de mon travail , je donnai l'efïbr à
mon imagination en abandonnant fouvent
les paroles, efpérant que M. Martnontel
me tireroit de l'embarras dans lequel il
nvavoit mis , ce qu'il fit en changeant la
mefure des vers, & les adaptant à la
mufique faite. Le petit duo
Avec ton cœur s'il eft fidèle , &c.
Dans le Silvain.
Toi, Zémire que j'adore, &c
'3,44 Essai
furent auffi parodias : mais ces deux mor-
ceaux nvoient été ccmpofés fur des pa-
roles , ce qui diminue confidérabïement
le travail du parodifte ; ils étoient dans
ïes Mariages Samnitcs , exécutés chez
Monfeigneur le Prince de Conû,
Silvain eft un des poëmes que j'ai le
plus travaillé : pourquoi ne pas faire tou-
jours de même dira-t-on ? Parce qu'un
travail obïliné nuiroit à telle production ,
autant qu'il convient à telle autre.
Croit-on que les combinaifons mul-
tipliées des accompagnemens , fcient ce
qu'il y a de plus difficile à faire ? On fe
trompe. C'eft la jufte mefure de ce qu'il
faut, qui efi difficile à faifir. Pour bien
écrire en vers, ou en profe, il ne faut
pas tout dire : c'eft la même chofe en
mufique ; il eit des pédants de tout
genre.
Quand votre chant eft fîgnificatif, je
veux dire d'une mélodie bien déclamée,
gardez-vous de furchargêr vos accompagne-
SUR "LA MUSIQUE. ia^'
mens. Si le chant n'eft pas lame de votre
compofition , faites un bon quatuor înftru-
mental deffus , bien compliqué , bien
lincopé ; au défaut des âmes fèhfibles
ïes favans vous applaudiront. La pre-
mière manière eft celle qui me plaît ;
je garde la féconde pour occuper ma
vieillefTe.
Q3
£46 Essai
LES DEUX AVARES,
Comédie , en deux a£tes, paroles de M. Fal-
lert de Quingy; repréfentée à Fontainebleau le
17 Oétobre 1770; & à Paris le 6 Décembre de
la même année.
Quoique cet ouvrage n'ait pas eu un,
Brillant lucces , dans l'origine ; on l'a
depuis représenté pins fou vent que mes
précédentes pièces : l'originalité du fujet
& la facilité de l'exécution en général y
y ont fans doute contribué.
J'eftime Pair
Sans ceiïe auprès de mon trc'fbr, Sic.
Et le duo
Prendre ainiî cet or , ces bijoux, &c.
Cependant je dois dire que ïe bas
comique , n'eft pas le genre qui flatte
mon imagination. J'avois pris plaifir à
SUR £A MUSIQUE^ 447
ennoblir Colombîne & Pierrot dans le
Tableau Parlant , mais pouvois-je fan*» in-
vraifemblance faire de même pour Martin
6c Gripon ? Les amoureux de la parade
nous préfentent la charge de la vraie
galanterie ; elle peut même fe parer d'une
teinte de noblefle ; mais on ne peut fans
blefTer la vérité, ennoblir des caractères
vils. L'avarice eft cependant une paffion.
dont les nuances peuvent être faifies :
l'inquiétude, la joie, ïe chagrin de l'avare
ont un caractère qui leur eft propre : il
eft ridicule en tout , puifque fa paffion,
eft hors de nature.
La défiance , le foupçon donnent une
couleur fombre a toutes fes actions ,. que
îe mufîcien peut faifîr. Pourquoi cette
pafïion exifte-t-elle ? pourquoi l'homme
devient-il économe Ôc avare , lorfquil va
quitter la vie? croit-il que la nature fera
un miracle en fa faveur ? une pierre peut-
elle s'arrêter au milieu de fa chute?
La philofophie la plus éclairée don-*
Q4
148 Essai
neroit a peine les raifons de îa démence
puérile de celui qui veut tout conferver
à l'inftant de Ton anéantiffement.
La mauvaife exécution en mufique ,
peut défigurer les meilleures cbofes : îa
marche des JanifTaires en efl un exemple
frapant. Je Pavois faite depuis U ng-tems
à la foîlicitation d'un colonel qui m'en
demandoit une pour Ton régiment , je la
lui envoyai : on l'exécuta ; elle parut dé-
teftable. Cette même marche employée
dans le< deux avares , eut un plein fuccès.
Prefque tous les régimens fe l'appropriè-
rent 3 & le colonel qui f avoit rejettée
ne fut pas le dernier à l'adopter.
Il efl: pernicieux pour Fartifle qui
cherche des fuccès , de fe livrer aux com-
plaifances de fociété : le cercle des idées
preferir par la nature s'épuife rapidement,
&: il femble que l'homme qui s'occupe
fouvent des objets détaches ; perd les.
facultés nécelTaires pour produire un en-^
SUR I A. MUSIQUE. 2,4,9
femble tel que l'exige un ouvrage impor-
tant.
Je n'ai jamais entendu le chœur des
JanilTaires
Ah 1 qu'il efl bon, qu'il efl divin 1
fans une peine extrême ; les tourmens
que ce morceau m'a fait foufTrir en le
compofant, en font ïa caufe.
J étois conduit aux portes du tombeau
par de violens accès de fièvre que j'é-
prouvois depuis un mois , îorfque l'auteur
des deux Avares Te préfenta chez mci :
on lui dit que j'étois très-mal : cependant
comme je fus le premier à lui parler de
l'ouvrage que nous venions de terminer,
il glilTa fous mon chevet une lettre ca-
chetée , en me recommandant de ne
point l'ouvrir que ma fan té ne fût réta-
blie. Tout le monde ccnnok l'inquié-
tude que donne un paquet cacheté ; je
l'ouvris derrière mes rideaux , & je trou-
vai le chœur des JaniÛaires , que l'Au-
ajo Essai
teur difbit néceiïàire a fa pièce , & qu'il
me prioic de mettre en mufique le plutôt
pofïîbfe. H fut obéi ; dans l'inftant j'y
travaillai malgré moi. Je crus, après m'être
débarraiïe de ce fardeau , retrouver ïc
repos qui m 'étoit fi nécçffaire ; mais non ,
la crainte d'oublier ce que je venois de
faire, me pourfuivit pendant quatre jours
& quatre nuits. J'entendois exécuter ca
chœur avec toutes fes parties ; j'avois beau
me dire , qu'il étoit impoiïible que je
l'oublia Me ; j'avois beau m'occuper forte"
ment de quefqu'autre objet pour me dif-
traire ; j'eotrois inutilement dans tous les
détails d'une partition , en me difant x
les violons feront ce trait , les ballons
foutiendront cette note , les cors donne-
ront ou ne donneront pas ; &c. Après
quelques minutes, un orcheflre infernal
lecommençoit encore
Ah ! qu'il eft bon , qu'il eft divin 1 &c.
Mon cerveau étoit comme le poiitf
SUR 1 A MUSiquE. Xji
central , autour duquel tournoit fans cefle
ce morceau de mufîque fans que je puffe
l'arrêter. Si F enfer ne connoît pas ce genre
de fupplice , il pourroit l'adopter pour pu-
nir les mauvais Mufîciens. Pour me pré-?
ferver d'un délire mortel , je crus qu'il
ne me refloit d'autre remède que d'écrire
ce que j'avois dans la tête; j'engageai mon
domeftique à m'apporter quelques feuilles
de papier ; ma femme qui étoit fur un
lit de repos à mes côtés s'éveilla & me
crut agité d'un délire fembîabie à celui
que j'avois eu quelques jours aupa-
ravant ; j'eus peine à lui perfuader l'hor-
reur de ma lituation , Se les fruits que
j'attendois de mon travail: j'achevai la par-
tition au milieu de ma famille muette,
après quoi je rentrai dans mon lit où je
trouvai le repos.
Après un affoupiflementaufïi long que
falutaire, ïe plus beau réveil contribua
fans doute à hâter ma convalefcence. Une
%f% .Essai
mère adorée que j'avois quittée avec tant
de regrets, fut l'objet qui frappa ma vue.
Inquiette de ce qu'on lui avoit écrit de
ma famé , û tendrelTe favoit fait voler
auprès d'un fils qui la preflbit de venir
s'établir à Paris. Efîe fut témoin des
foins touchans que prenoit de moi ma
jeune époufe ; étonnée de voir une jeune
femme françoife fe livrer avec pîaifir aux
travaux les plus durs , elle l'aima au-
rant que fon fifs, Se nous promit de ne
jamais nous quitter.
Puifque j'ai intitulé ceci, Mémoires 9
il convient encore que je àiCe, qu'excepté
une fœur , chanoinefTe régulière à Sainte-
Aîdegonde a Huy , j'ai eu le bonheur de
fixer toute ma famille à Paris. Ma fœur ca-
dette y époufa M. de la Combe. Mon frère
aîné établi en Flandre , m'écrivit que les
pertes confidir.ibles qu'il venoit d'efTuyer
dans fon commerce, l'obligeoient a me
venir trouver avec fa femme & cinq en*
SUR LA MUSIQUE. 1)
fans. Je lui répondis que je Pattendois.
Effrayé cependant du nombre de per-
fonnes dont j'allois être chargé & qui
devoit monter à quinze ou dix-huit , avec
mes trois filles , les parens de ma femme
& mes domefh'ques , je fis part de ma
fituation à un Minière dont tout le monde
connoît le génie &: l'efprit , & dont j'aime
à faire connoître le cœur. M. de Galonné
alors Contrôleur général , me répondit :
Soye^fans inquiétude; vous ave^confacré
vos îalcns à la nation. Je fais combien
vous contribue-^ chaque jour àfes plaifirs ;
dans peu de tenu , .je ferai donner une
place à M. votre frère ; & f je ne puis
hâter ce moment , foye\ fur que , de quel-
que manière que ce foit, je viendrai à
votre fecours.
Cette lettre ne fut pas une vaine con-
foïation, (i ordinaire de la part des hommes
en place , & mon frère fut placé dans
les fermes du Roi dès fon arrivée.
2-54 Essai
Qu'il eft doux pour ma reconnoif-
fance de publier , après ïa retraite de M.
de Calonne , un des moindres bienfaits
dontfon ame noble ôc généreufe eft ca-
pable i
S*7R LA MUSIQUF, 1 f J
L'AMITIÉ A L'EPREUVE.
Comédie en deux acles , en vers , remife en-
fuite en trois a#es, par M Favart; repréfente'e
à Fontainebleau , le zj Novembre ijjo 3 & à
Paris le 1 7 Janvier zyyi .
Quelques femaines après avoir fait la
muiique des deux Avares , & avant d'avoir
efîuyé la maladie dont je viens de parler ;
je compofat celle de V Amitié à VEprcuve:
aucun de mes ouvrages ne m'a coûté
tant de peine, & jamais il ne me fut
plus difficile d'exaker mon imagination
au point convenable (z) ; mes forces di^»
minuoient de telle manière en compo-
fant cet ouvrage , que je fus au moins
huit jours à chercher & à trouver enfin
le coloris que je voulois donner au trio
Remplis nos cœurs , douce amitié.
Ce fut , pour ainfi dire 9 la crife &
i<$6 Essai
les derniers efforts de mon ame languif-
fante.
Lorfque ce morceau fut entendu à
Fontainebleau , il me réconcilia avec les
furîntendarits de la mulique du Roi , qui
fans ofer le dire, me regardoient comme
un innovateur facrilège envers fancienne
mufique françoife. Rcbel ôc Francœur me
dirent que c'étoit là le véritable genre que
je devois adopter.
Je voulus faire entendre a ces mef-
fieurs, qu'autant les couleurs dont je m'é-
tois fervi convenoient su fentiment pieux
de l'amitié , autant elles néroient mal aux
paffions profanes que l'on met plus fou-
vent en jeu fur la fcène. Mais à foi.xante
ans les anciennes impreffions font les
feules que l'on refTente encore foible-
ment ; & la dureté des organes fe refufe
a toute impreffion nouvelle.
Cette pièce parut froide à Fontaine-
bleau ; & elle n'eut que douze repréfen-
tations à Paris. Je fuggerai à l'auteur du
poème
SUR. LA M U S I q u E. I^J
poëme d'ajouter un rôïe comique , qui
jeteroit de la gaieté & de la variété dans
fon fujet.
Cette pièce reparut en 1786; avec
des changemens confiderables. Une jeune
actrice douée d'une voix flexible , & chan-
tant d'uue manière exquife, ( mademoi-
felle Renaud ) reprit le rôle de Ccrali ,
que j'arrangeai fcion fes moyens : M.
Trial , 1 acteur le plus zélé & le plus in-
fatigable qu'on vit jamais , fut chargé
d'un rôle de nègre qu'il rendit avec vérité ;
enfin , cette reprife eut plus de fuccès ,
ck le public fatisfait des longs efforts des
auteurs , les appella pour leur témoigner
fon contentement.
Quoique le public appelle trop fré-
quemment les auteurs de productions éphé-
mères , quoiqu'il foit peu glorieux de par-
tager des couronnes fi fouvent prodiguées,
quoiqu'on n'ignore plus le manège dont
on fe fert pour les obtenir, je crus de-
voir préfenter au public l'auteur octogé-
n?8 Essai
naire de tant d'ouvrages eftimables , qui
hors d'état par fa ce'cité de fe préfenter
lui-même, avoit befoin d'un guide pour
aller recevoir du public attendri un des der-
niers fleurons de fa couronne.
Tel eft. l'empire des circonfiances ;
après avoir critiqué l'abus des roulades où
les Italiens fe font laiiTés entraîner , je fuis
moi-même repréhenfîble pour ce même
défaut. L'air que Coran" chante pour pren-
dre fa leçon peut être auffi difficile qu'on
voudra , puifqu'il eft proportionné au ta-
lent de l'élève : mais celui qui commence
ïe troifième acte nuit à l'action & m'a
paru de plus en plus de'placé : c'eft pour-
quoi je l'ai retranché. Dès que Corali a
eu le cœur déchiré par la fuite de Neï-
fon , elle ne doit plus fe livrer à ce luxe
muiical ; il revient il eft vrai , mais ac-
compagné de Bïanfort, futur époux de
Corali dont Pâme alors doit être troublée.
SUR LA MUSIQUE, 2.^9
ZEMIRE ET AZOR.
Pièce en quatre acles , en vers libres , par
M. Marmontel; repréfentëe à Fontainebleau le
9 de Novembre 177 1 , & à Paris le 10 Dé-
cembre de la même année.
J'e'tois rendu a la vie, la nature étoit
neuve pour mes organes debarrarTés lorf-
que je commençai cet ouvrage. Une férié
étoit ce qui convenoit le mieux à ma
fkuation. Qui n'a pas éprouvé combien
l'équilibre dans ce qui conftitue notre
exiftence nous raproche du merveilleux !
L'ame pure & libre , pour ainfi dire de
toute entrave , femble avoir , s'il eft
permis de le dire , des rapports avec des
êtres furnaturels , que le noir chagrin ne
connut jamais.
Cet ouvrage m'occup» pendant l'hiver
de 1770 ; j'eus une jouiiTance prefque
continuelle en y travaillant , parce que
je fentois que cette production étoit à la.
2.6o Essai
fois d'une expreffion vraie & forte : il
me paroît même difficile de réunir plus
de vente d'expreffion , de mélodie &
d'harmonie (i).
Je ne dis pas que ces trois agens ,
qui constituent tous les genres de mu-
fîque , foient portés au même degré dans
cet ouvrage ; cette réunion eft peut être
ce qu'on ne verra jamais , car ce fera
toujours aux dépens des deux autres ,
qu'on en fera valoir un. Si vous faifilTez
ïa vérité de l'exprefïion , îa mélodie &
l'harmonie leur feront fubordonnées ; voilà
(i) Il eft néceiïàire de m'expliquer : lorfque je parle
ainfi de mes propres ouvrages , je n'entends pas que
d'autres muficiens ne puifîent faire , n'ayent déjà fait ,
ou ne fanent mieux que moi ; mais je l'ai dit ailleurs ,
l'artifle le plus confommé eft celui qui fent qu'il a tiré tout
le parti poffible de fes facultés : chaque maitre a fa ma-
nière qu'il n'adopte qu'après avoir effayé toutes fes forces ;
dès qu'il eft arrivé à ce point , il ne dépend plus de lui de
changer de ftyle ; s'il quittoit fa manière pour adopter
celle de fes rivaux , même fupérieurs , il auroit tort , car
ll cefTerok d'être original.
>
/
SUR'IA MUSIQUE. Z6l
je crcis la mufique dramatique. Si cette
ve'rité d'expreflion vous eft refufée par la
nature , fi les chants heureux fe préfen-
tent rarement à votre imagination , c'efr.
fans doute dans les modulations des ac-
cords , que vous trouverez encore de quoi
faire une compofition eftimabîe. Voila la
mufique d'égîife , celle des chœurs qui
conviennent au théâtre tragique lorfque
î'a&ion n'eft pas précipitée y & la clef
pour faire la fimphonie.
Si l'on vouîoit mettre en mufique ïa
haute poëfie , qui porte avec elle toute
fon harmonie , & nous préfente des ta-
bleaux achevés , ce feroit encore l'harmo-
nie muficale feule qu'il faudroit adopter;
car lorfque îe poëte a tout dit & tout fait
fentir, tout fe de'truiroit en y ajoutant
encore.
Si vous donnez trop à îa mélodie > la
yérité d'expreffion fe perdra dans le vague
charmant de fon empire idéal , ck l'har-
monie ne fera plus que fon pied d'eftaL
«3
161L Ë s s a i
Voilà la mufique de concert, celle qui
plaît a l'imagination exaltée qui veut
créer elle-même fes fantômes ; voilà ïa
mufique des anges , & peut-être celle de
la nature.
Je dis donc que ïa nature feule donne
le fentiment & îe goût qui nous rend
maître de l'expreffion jointe à plus ou
moins de mélodie ou d'harmonie ; c'eft
elle encore qui favorife certains individus
en leur prodiguant les chants les plus
îimpîes ck les plus fuaves.
Une étude profonde des modulations,
fait le bon harmonifte : il n'eft cependant
point comme les autres , enfant de la na-
ture ; mais enfant d'adoption.
I/ide'e de faire bailler Ali , dans le
duo :
Le tems eft beau , &c.
mMtoit venue en faifant la première ritour-
nelle , où le bâillement eft indiqué par
les notes tenues du ballon. Le bâillement
SUR LA MUSIQUE. % ^
d'un efclave qui s'endort dans les fumées
du vin , a Ton caractère , comme un oui
ou un non articulé dans différentes fitua-
tions & par différens perfonnages , a le
fien.
En cherchant le bâillement convena-
ble , je m'apperçus que je faifois bailler
réellement toute ma famille qui m'en-
vironnoit. Je lui fis entendre mon duo
pour la raffurer fur l'ennui qu'elfe me
fuppofoit. J'ai fouvent vu bailler au théâtre
pendant l'exécution de ce morceau , &
j'ai oféefpérer que ce n'étoit pas d'ennui.
Je fis de trois manières le trio :
Ah '. Iaiiïêz moi la pleurer.
J'avois fait ce morceau deux fois , lorf-
que M. Diderot vint chez moi ; il ne fut
pas content , fans doute , car fans ap-
prouver ni blâmer , il fe mit à déclamer
ainfi.
R 4
64
E s s
A r
A 1
r »
r 1
1 r r
^ » &
r 1 1 •
| r p
Ah !
laif fez
moi3lai(-fez-
moi la pleu-
rer.
Je fubMituai des fons au bruit déclamé
de ce début , & le refte du morceau alla
de fuite.
Il ne fsîJoit pas toujours écouter ni
Diderot , ni l'abbé Arnaud > lorfqu'ils
ana'ifoicnt leurs idées : mais le premier
élan de ces deux hommes brûlans, étoit
d'infpiràtion divine.
Je n'analiferai aucun morceau de cet
ouvrage ; c'eft à l'inflant même du tra-
vail , qu'il faudrait tracer mille idées éma-
nées du foyer de l'imagination ; dans cet
inlïant un feul morceau produiroit un
volume , fi l'on vouîoit rendre compte
des fenfations que le fentiment produit;
mais ce travail inutile pour celui qui fent,
leil encore davantage pour celui qui ne
fent point. Il me fuffira donc dans cet
SUR LA MUSIQUE, 3.6?
examen de mes pièces , d'analifer un feul
morceau de chaque caractère.
Zémire ck Azor , fut donné à Fon-
tainebleau , pendant l'automne de 1770.
Le fuccès fut extraordinaire. M. Clairval
fut chargé du rôle d'Azor. Depuis pïu-
fîeurs années Caillcau avoit été en pof-
fefTion des grands rôles ; Clairval, par une
complaifance rare , avoit confacre fes ta-
lens à faire briller ceux de Cailkau en
jouant à [es côtés des rôles prefque ac-
cefToires. S'il me fut doux de lui confier,
avec l'aveu de M. Marmontd , le prin-
cipal rôle dans une pièce en quatre ades,
que le ruccès couronna , le charme qu'il
répandit dans ce rôle , & le fuccès qu'il
y obtint nous récompenfa largement. Il
fut attirer tous îes cœurs à lui , en chan-
tant :
Ali ! queï tourment d'être fenfîble.
Il fut montrer la plus noble énergie
dans la féconde partie de cet air :
%66 E
S S A I
La beauté timide & tremblante
S'allarme & s'enfuit devant moi.
Il fut enfin nous montrer toute la
fenfibiiité d'un arnant craintif dans fair :
Du moment qu'on aime &c.
On pouvoir justement lui appliquer ces
deux vers de la pièce :
Vit-on jamais fous des traits plus hideux
Un naturel plus tendre ?
J'ai toujours cru que le phifîque char-
mant de cet acteur, aprécié d'avance des
fpe&ateurs , a voit beaucoup contribué à
î'illufion qu'il produifit dans ce rôle.
Clairval étoit en effet, le jeune Prince
dont ïa monftruofité cachoit des traits
charmans , qu'on devinoit à travers Ton
mafque.
Cette pièce eut autant de fuccès dans
ïes provinces de la France, qu'à la Cour
SUR LA MÛSIQUJ?# ±Ç7
& à Paris. Elle rétablit les finances de
plufieurs directions prêtes à échouer. Elle
fut traduite dans prefque toutes les langues *
un François nous dit avoir aŒfté a trois
fpe&acïes, où l'on jouoit le même jour,
Zcmire & A^or , en Flamand , en Alle-
mand & en François (i) ■ ç'etpît à une
foire d'Allemagne. A Londres on la tra-
duifit en Italien ; on y ajouta un feuî
rondeau qui n'étoit pas, des Auteurs: le
public après l'avoir entendu cria, plus
de rondeau, il n'eft pas de la pièce.
Lorfque les Auteurs d'un ouvrage ont
fu faire naître l'unité' delà variété même,
on a tort de croire que l'on peut encore
enrichir l'enfemble par de nouvelles beau-
tés. En rafTemblant les traits de trois jo-
lies femmes , croiroit-on faire une beauté
parfaite ? Non ; l'arti/te , il eft vrai, réu-
nit fouvent de beaux traits épars pour
(0 M. de Laborde a «porté cette anecdote dans Ton
EJJai fur la Jllufique,
2,68 Essai
faire une beîîe tête ; mais il diminue oa
augmente chaque chofe en détail pour
ïes approprier à (on fujet ôc pour faire un
tour.
Une beauté inutile eft donc une beauté
nuifibîe. La place que doit occuper cha-
que chofe, elt le grand procédé des arts;
la nature feule en fe jouant , opère par-
tout ce prodige.
SUR LA MUSIQUE. %6$
L'AMI DE LA MAISON.
Comédie en trois acles , & en vers , par M.
"Marmontel , repréfente'e à Fontainebleau le 26
Oclcbre 1 771 &. à Paris le 14 Mars 1772.
On pourroit croire avec quelque raifon,
qu'une comédie proprement dite , d'un
genre où le comique ne domine point,
qui n'eit pas ce qu'on appelle une cc-
me'die d'intrigue , étoit peu faite pour la
mufique. C'étoit l'opinion de plufjeurs
Gens de lettres que je pourrois citer : ïe
fuccès qu'eut cette pièce à Fontainebleau
fut au moins équivoque. De retour à Paris
nous débarralTâmes l'action de plufieurs
morceaux de mufique.
J'eus cette fois, comme en beaucoup
d'autres occafions , le courage de retran-
cher les morceaux de mufique , qui en
fociété & aux répétitions particulières ,
avoient produit le plus d'effet.
Telle mufique enchante lorfqu'elle efl
ijo Essai
exécutée au piano, par le compofiteur ;
eïïe fubit une première métamorphofe ,
lorfqu'on entend Porche ftre & les chan-
teurs, qui ne peuvent être tous pénétrés de
l'efprit de l'ouvrage , ck qui ne le feront
jamais. Lorfque l'on joint Faclion du drame
à la mufîque , c'eft-là qif on eft étonné de
voir fe dégrader les morceaux qu'on avoic
le plus admirés. Chaque morceau dèvoit
trouver une place favorable , ck embellir
îa fituation qui l'amène ; mais fi le drame
eft mal conçu, fi l'acteur dévoie fe taire
îorfqu'il chante ? Ah ! pauvre mufique ,
ïe charme de ton éloquence doublera les
fautes du poète , en prolongeant ou en
exagérant ce qui auroit dû être fuprimé !
L'artifte le plus confommé ne peut pas,
dans le fond de fon cabinet, fe faire une
parfaite illufton de la fcène ; en voici ,
je crois 3 les raifons. D'abord , il peut
exifter dans le poëme , des invraifem^
blances qui ne paroifTent qu'à la fcène ;
%°* l'auteur lifant fa pièce, le muficien
SUR LA MUSIQUE. 171
chantant fa mufique , exécutent également
bien tous les rôles ; cependant les rôles
moins rranfcendans font toujours confiés
aux a&eurs qui ont îe moins de talent.
De là naifTent les longueurs infupporta-
bïes ; on les retranche ; alors les fituations
capitales ne font pas allez préparées ; voilà ,
je crois 9 une partie des difficultés qui
rendent l'art dramatique fi arbitraire ; iï
faut réunir tous les arts dans un feui
cadre ; ils doivent fe faire des iacrifices
mutuels , & concourir à un enfemble que
l'expérience la plus confommée ne faille
encore que foiblement.
Malgré le fuccès de Zémire & A^or
qui fe foutenoit toujours , celui de VAmi
de la Maïfon augmenta avec les repré-
fentations.
Cette gradation de fuccès étoit natu-
relle dans une comédie de cette nature.
La fineiTe & î'efprit ne font pas toujours
faifis par les acteurs ni par le public.
Cette mufique fouvent parlante, quoique
^jz Essai
d'un genre affez élevé , n'avoit été traitée
je crois, par aucun muficien. La mufique
noble de la tragédie en impofe a Paudi-
teur , tandis qu'une mufique (impie , le
laiffe juger de fang-froid : ii ert donc plus
difficile a féduire ck il n'en fent pas tout
de fuite la difficulté , ni le mérite, par
îa raifon qu'elle eft fimpïe & naturelle.
Je vais analifer Pair fuivant pour prou-
ver } (i je le puis , que la déclamation ca-
ra&érife fou vent la mufique dans cette pièce.
Je fuis de vous très-méconf.ente ,
Très-mécontente, entendez vous? &c.
Si j'avois appuyé fur un autre mot
que fur très , j'aurois manqué le carac-
tère de l'air.
Eh quoi ? fans cefTe fuivre mes pas ! ■
Ritournelle. ^â=5=li?3=Ea^|g^:^^^^^
L'aclrice qui ne fera pas quelques figues
de pitié ironique, fur ces quatre notes de
ritournelle , n'entend pas ma mufique.
chercher
SUR IA MUSIQUE. %n 9
Chercher mes yeux, me parler bas
Et me fourire avec finette;
Belle finette!
Sur ces deux derniers mots , j'ai in-
diqué , je crois, l'ironie, & ils ont rap-
port à la petite ritournelle que je viens
de citer :
Vous croyez qu'on ne vous voit pas, 8cc.
L'ironie fe trouve encore dans ïe chant
rendu doucereux , par les notes lie'es deux
à deux pour une fylïabe , & cela pré-
pare la vivacité des vers fuivants :
Das vivacités
Sans fin , fans nombre !
Vous vous dépitez,
Vous devenez fombre.
le chant efl grave & fombre effectivement.
II efr permis de jouer fur le mot quand
on n'a qu'un infiant pour être vrai, &
fur tout quand le fentiment eft faétice*
S
2<74 Essai
Perfonne ne doute qu'Agathe ne gronde
fon petit coufin , parce qu'elle l'aime ,
& qu'elle veut le rendre prudent & fage.
Vous ne me quittez
Non plus que mon ombre;
Le mufîcien qui auroit voulu peindre le
petit coufin fuivant par tout l'ombre de
fa coufine auroit été forcier , ou pour
mieux dire un ignorant ;
Toujours affis à mes côtés ,
j'ai répété ce vers pîufieurs fois ; c'était
peut-être la feule manière d'indiquer qu'il
eft toujours , toujours affis à côté de fa
coufine.
Avant de pafler à la ponctuation mu-
ficaîe , je voudrois parler un inflant de la
règle la plus importante pour le compo*
fiteur de mufique vocale , je veux dire
de îa néceffité , non feulement de décla-
mer les vers avant de les mettre en mu-
sur la musique. % n ±
fîque , pour qu'il foie conduit au véritable
chant que doit recevoir la parole *, mais
fur tout pour qu'il remarque les fyllabes
elTentieiles qui doivent être appuyées par
ïe chant qui alors s'indentifie avec la pa«
rôle.
Pour parler diftin&ement en profe ou
en vers , on appuyé naturellement fur les
fyllabes les plus ne'ceiïaires , en aftoiblif-
fant l'inflexion fur celles qui le font moins.
La mufique étant un fécond langage que
1 on joint au premier , le componteur doit
donc donner la bonne note de la phrafe
mufîcaïe,à la fyllabe qui doit être appuyée;
fans cette attention , il réfulte un contre**
fens affreux entre ces deux langages.
Exemple*
Rien ne plaît tant aux yeux des belles ,'
En récitant ce vers , Ton doit fentir
que la bonne note doit porter fur tant,
S %
ij6 Essai
SI
g=ag-A'.vf"i? :»^-]-^|i|jÊ
Rien ne plaît tant ....
Que le courage des guerriers.
La bonne note doit être fur va.
-P-
i^lSHS
r*>>-0->~
Qu'ils foient va il- lants.
La bonne note far /<z/zr.y.
Si j'avois fait
g£^-3>~ '£ m \ ^ ..lit..-
i9 •i*i"rc*'^*:
Qu'ils foient vail- lants.
J'aurois fait une faute contre le bon
fens; defcendre d'une o&aven indique pas
ïe guerrier qui s'élève à la gloire. J'ai vu
quelque fois le muficien faire le contraire
de ce qu'indique îa parole , de peur d'être
foupçonné d'avoir joué fur le mot ; c'efl:
SUR LA MUSIQUE. î-77
commettre une ineptie, pour éviter une
faute qui n'en eft pas toujours une (t).
Qu'ils foicnt fidèles , la bonne note fur
dèles.
A leur retour je réponds d'elles ,
L'Amour fous les lauriers , n'a point vu de cruelles.
Ce dernier vers eft abandonné au chant ;
il devoit l'être , je crois , parce qu'il fait
image. Les accompagnemens liés & fou-
tenus forment , pour ainfi dire , la chaîne
de l'amour.
Sous les drapeaux quand la trompette fonne.
Il n'eft pas nécefîaire de faire remar-
quer le rhithme que prennent ici les cor3
de chafTe. Avant de recommencer l'air,
Dolmon dit :
(i) J'ai remarqué que les compofîteurs à la fleur de
l'âge , fe fervent fouvent de phrafes afcendentes , tan-
dis que. ceux qui font fatigués font le contraire.
±7% Essai
Il a raifbn, l'amour l'attend.
Il falloit mettre ce vers en récitatif;
Ce n'eft plus l'ancien guerrier qui parle,
c'eft le père de Célicour. Si dans la fé-
conde partie de cet air j'ai remplacé la
trompette par le cor, c'eft parce que l'or-
çheflre du théâtre Italien en étoit alors
dépourvu.
È'émpïoi des inftrumens a vent fi bien
fenti par les Allemands , par rap-
port à l'harmonie , mérite d'être confi-
déré par les composteurs dramatiques.
Lorfque la mufique ne déclamoit point,
une flûte traverfière , une trompette ,
un cor, vouloient dire amour, gloire ,
ou la chajfe. II faut a préfent que ces
divers inftrumens concourent à l'expref-
fion.
On peut regarder ces inftrumens ac-
compagnateurs du chant fous deux râ-
pons. Celui de la voix qu'ilsaccompagnent
SUR ÎA MUSIQUE. 1 7 <?
& le fentiment des paroles que la mu-
fique exprime. Le bafïbn eft. lugubre , &
doit être employé dans le pathétique,
lors même qu'on veut n'en faire fentir
qu'une nuance délicate ; ii me paroît un
contre-fens dans tout ce qui eft. de pure
gaîté. La clarinette convient à la dou-
leur, moins pathétique cependant que le
baiïbn. Lorfqu'elle exécute des airs gais ,
elle y mêle encore une teinte de trifïeïTe.
Si l'on danfoit dans une prifon , je vou-
drais que ce fût au fon de la clarinette.
Le hautbois , champêtre Se gai, fert auiïi
à indiquer un rayon d^efpoir au milieu
des tour-mens» La flûte traverfière eft
tendre Se amoureufe • la douceur de fes
fons aigrit la plus belle voix de femme,
qui ne peut guère fe fbutenir à coté de
la flûte ; elle accompagne plus avantageu-
fement la voix des hommes Se les inf»
trumens dont le fon n'eft pas foutenu.
Les deux airs de l'Ami de la Mai*
S4
z8o Essai
fin , Je fils de vous très-mécontente — &
Rien ne plaît tant aux yeux des belles ,
que j'ai analifés précédemment, devroient
fuffire pour prouver que les £accens
de la parole peuvent être copiés par
ïes fons de la gamme, je fais néanmoins
que ce que j'ai cru prouver fera dédaigné
par bien des gens ; mais je ne m'en
afflige pas , ou fi je m'en affligeois ce
feroit pour les plaindre.
Un homme de lettres qui m'avoit en-
tendu parler fur la pofïibilité de noter
toutes ïes inflexions de la parole , & qui
nioit cette poiïibilité , me pria , en fou-
riant , de le recevoir chez moi pour par-
ler plus à fond fur cette matière.
En entrant dans mon cabinet, îî me
dit en me faluant , avec un petit ton
de prot.e&ion : Bon jour monjieur.
Je note ici fes inflexions.
Allegretto..
SUR LA MUSIQUE, lSl
j^ "ifr. p _r | ,i ' K|gRg===
Bon jour , Mon- fieur.
Je lui chantai à Pin fiant , fur le même
ton , ut fol fol ut , & il fut a moitié
converti.
II feroit affez plaifant de faire une
nomenclature de tous les bonjour, monficur,
ou bonjour , mo/2 c/tèr, mis en mufique
avec l'intonation jufte ; fon verroit com-
bien ï'amour-propre efl un puiffant maître
de mufique , & comme la gamme change
îorfque l'homme en place ceffe d'y être.
Un bonjour , monfieur ; me fuffit pref-
que toujours , pour aprécier en gros les
prétentions ou la fimplicité d'un homme ;
la politefTe ou îa faufTeté , nous cache
l'homme dans Ces difcours ; mais il n'a
pas encore appris à fe cacher tout-à-fait
dans fes intonations. Je crois faire ici
l'éloge de Phiimanité,
2.8x Essai
La même phrafe prononcée par dîfTé-
rens perfonnages & dans des circonf-
tances différentes, reçoit donc toujours
de nouvelles inflexions , & la ve'rité de
déclamation , peut feule faire de la mu-
fique , un art qui a fes principes dans la
nature,
II faut fur-tout foigner la ponctuation
muficale , de laquelle refïbrtira cette vé-
rité de déclamation. Les rapports mathé-
matiques qui exiftent entre les fons , font
bien aufïi dans la nature , comme les pro-*
portions phyfiques du corps humain ; mais
c'efi l'attitude , l'expreffion , la paffion ,
qui animent une ftatue ; de même que
îa déclamation anime les fons. Quel champ
vafte pour le muficien !
J'ai dit que îa mufique eft un difeours ;
elle a donc , comme les vers ck la profe ,
les repos ck les inflexions de îa virgule ,_
des deux points, du point d'exclama-
tion , d'interrogation ck du point final.
SUR LÀ MUSIQUE. 2.83
Le mufkien qui y manque , ou n'en-
tend pas fa mufique , ou ne comprend
pas les paroles. Comment dans les in-
tervalles de douze demi tons , que ren-
ferme la gamme cromatique , tous les
repos & les accens de la ponctuation
n'exifteroient-ils pas ? L'exemple fuivant
prouvera d'ailleurs combien il eft aifé de
prolonger , par des repos, le fensdu point
final.
fë
Si ces vers de fix fillabes .étoîent en
interrogations , ne peut-on pas tourner
la même phrafe de cette manière?
^3 4 Essai
rtert £fe i-U. — ^ — f-M*J w* — m+*r C-ES» —
? ?
, iiÉËpïlliyiIi=l=
Des mufîciens français ont employé
Couvent cette phrafe interrogatoire
ggzzrgg^gS^^gf^
^<—
Lorfque le fens des paroles exigeoit
te point final;
^ë=i=g=É=^=p=g=fi-MEi
cette faute impardonnable , fur-tout dans
le récitatif où le muficien n'éprouve point
de gêne provient, je crois , de ce que
les mufîciens français entendirent jadis
sur la musique. a8j
ïa mufique des Boufons Italiens, fans
comprendre leur îangue.
On aura beau dire & beau faire, la
mufique vocale ne fera jamais bonne ,
fi elle ne copie les vrais accens de la
parole ; fans cette qualité , elle n'eft qu'une
pure fimphonie.
Lorfque j'entens un opéra qui ne me
fatisfait pas entièrement , je me dis que
le compofiteur ne comprend point fa
langue , je veux dire le langage mufical.
L'harmonie , ou le trait de chant dont
il s'eft fervi pour rendre un fentiment ,
me femble propre à une autre expreffion.
Si l'on ne me chantoit point de pa-
rolles , j'en fubfiituerois qui rendroient
le morceau de mufique excellent à mon
agré. II faut donc que le compofiteur
fâche bien fa langue mufical , pour qu'if
puifTe y adapter des paroles , qu'il doit
aufîi entendre parfaitement : c'eft de
i86 Essai
l'union de ces deux idiomes , que reTulte
la bonne mufique vocale.
L^on peut exprimer jufle, avec beau-
coup d'harmonie , un grand travail d'or-
cheftre, & un chant fouvent accefibire ^
ou une déclamation peu chantante , c'efl
ce qu'en général a fait Gluck.
L'on peut exprimer jufte , en faifant
fortir de la déclamation un chant pur Se
aifé dont l'orcheflre ne fera qu'un ac-
compagnement acccfibire ; c'efl généra-
lement , ce que j'ai cherché a faire.
L'on peut faire un chant plus pur Se
plus fuave encore , qui en ne peignant
point n'a cependant pas d'intention con-
traire a fexprefri on des paroles. C'efl ce qu'a
fait Sacchini. Tant qu'on fera de la mu-
fique , il faudra rentrer dans les trois
manières que je viens d'indiquer.
La mufique de Haydn , peut être re-
gardée comme un modèle dans le genre
inflrumental , foit pour la fécondité des
SUR LA MUSIQUE. 287
motifs de chants ou celle des modula-
tions. L'abondance des moyens le ren-
droit peut-êire abilrait, s'il ne me fem-
bïoit obferver une efpèce de régime i
qui confifte à conferver long - tems le
même trait de chant , s'il module beau-
coup ; mais il eft riche en mélodie lors-
qu'il module moins.
Il me fembïe que le compofiteur
dramatique peut regarder les œuvres in-
nombrables de M* Haydn , comme un
vafte dictionnaire où il peut fans fcru-
pule puifer des matériaux , qu'il ne doit
reproduire cependant, qu'accompagnés
de l'expreffion intime des paroles. Le com^
pofiteur de la îimphonie elî:, dans ce cas,
comme îe botanïfte qui fait la découverte
d'une plante en attendant que le méde-
cin en découvre ïa propriété.
S'il efl vrai, comme je l'ai dit, que
îe compofiteur vocale doive fenthr les
différentes nuances qui conftitue un dis-
cours dans toutes fcs parties , pour pou-
*88 Essai
voir enfuite faire un raprochement tel
qu'il unifie fon idiome muficale au lan-
gage ordinaire ; combien eft-il abfurde
d'ajouter foi a un vain préjugé qui vou-
drait nous faire accroire que fon peut
joindre l'ineptie à un grand talent.
Qu'on ne dife donc pas que mille fois
les bons mufîciens ont commis des fautes
d'ignorance ; l'homme ignorant ne peut
être qu'un déteftable muficien , & c'étoit
l'avis de Voltaire lorfqu'on lui parloit
des prétendues inepties des hommes dis-
tingués par un talent quelconque.
On raporte que Carie Vanloo ne vou-
îoit pas recevoir douze cent francs pour un
tableau qu'il venoit d'achever , parce qu'il
étoit convenu qu'on le lui payeroit cin-
quante îouis. Cette ignorance me paroît
fublime dans un grand artifte. Elle prouve
que plus l'homme porte toutes fès fa-
cultés vers une feule chofe , moins il
doit être inftruit de toutes les autres. On
ignore
SUR LA MUSIQUE. 1 3 Q
ignore combien de grandes chofes pour
le commun des hommes , paroiffent mi-
nutieufes pour l'artiftç qui , tout entier à
fon objet, vit pour ainfi dire avec la na-
ture.
Mille, petites faculté* nécefTaires pour
avoir feulement le fens commun , fe dé-
truifent pour fortifier une faculté majeure.
Aufii l'homme occupé d'un grand objet
avec tous fes rapports , devient indifférent
fur mille autres pour fe. livrer à celui qui
l'occupe fortement.
La nature ne nous ayant donné qu'une
certaine portion de force répandue dans
l'individu , nous laifTe les maîtres , par
un exercice habituel , de fortifier un de
nos organes aux dépens des autres; telles
font les jambes d'un danfeur & d'un maître
en fait d'armes ; la main gauche du joueur
de violon ; la poitrine d'un chanteur ; la
tête du favant -, les organes du fentiment
pour le Poète , le Peintre, le Muficien,
T
ijo Essai
& tout homme de génie. Ne jugeons
donc point lége'rement l'homme qui fait une
chofe mieux que tout autre; &: fouvenons
nous qu'un jeune étourdi avôit répondu
dix fois à une queftion , pendant que
J. J. RoufTeau relloit taciturne en y cher-
chant une répor.fe.
.-•'
•
SUR LA MUSIQUE. 2Ql
LE MAGNIFIQUE,
Drame en trois ades, par M. Sedaine ; repré-
fenté à Paris par les Comédiens Italiens , le q
Mars IJJ3*
A mefure que j'acquérois la connoif-
noiffance propre au théâtre , je défirofs
de mettre en mufique un poëme de M.
Sedaine , qui me fembloit l'homme par
excellence , foit pour l'invention des ca^
ra&ères , foit pour le mérite fi rafe d'a-
mener les fituations d'une manière à pro-
duire des effets neufs , & cependant tou-
jours dans la nature.
Le Magnifique me fut offert par ma-
dame de Lalive dïEpinay , l'amie intime
de /, /. Roujfeau ; ç'eft affez faire fon
éloge. La fcène de la rofe me féduifit ,
quoique je fpntiffe la difficulté de faire
un morceau de mufique , le p*us long
qui ait jamais été tenté au théâtre. Quant
au reffe de la pièce , je m'en rapportai
T %
i$i Essai.
plus à la réputation de f Auteur , qu'à
mon propre jugement.
II étoit écrit à la tête du poëme , pen-
dant V ouverture, , on verra pajfer derrière
la feint , une procejfwn de captifs ; on
entendra le chant des Prêtres,
G'eft d'après cet avis de l'Auteur, que
je commençai l'ouverture par une eA
pèce de fugue , ou mufique de motet
un peu mitigée. Faire entendre enfuite
un contrepoint défignant abfolument
les chants d'églife , me fembloit péril-
leux à i'opéra comique ; que faudroit-il
faire pafTer dans l'ame des fpeclateurs ,
me difois-je , pour que fans étonnement
ils puffent entendre des cantiques? L'air
de Henri IJ^me vint a Pefprit : tout bon
François n'entend cet air qu'avec un fen-
timent pieux mêlé de joie & de ten-
drefTe ; je faifis cette idée (i ) fur Pair ,
Vive Henri IV
Vive ce Roi -vaillant , &c.
y
SUR LA MUSIQUE, 293
j'ajoutai un fécond air chantant , pour
qu'il y eût quelque chofe du compofiteur;
les Prêtres fe préfentèrent à la fuite du
Roi Henri , & furent très-bien reçus du
public. J'ai toujours été curieux des cé-
rémonies d'églife r lorfqu'elles font obfer-
vées avec toute la xiécence & la dignité
qu'elles exigent. L'artille feul a intérêt
de confidérer de près la nature. Pendant
qu'une procelTion paiïbit , j'avois obfervé
une efpèce de cacophonie , naturelle ïcrf-
qu'on entend plufieurs chants à la fois ;
des prêtres font à votre droite , un or-
cheftre d'inftrumens à vent eft à. votre
gauche ; quelques trompettes & timbales
plus éloignées fe joignent encore aux deux
premiers chœurs de chant ; ce qui forme
dans l'éloignement un enfemble cara&érif-
tique quoique défagréable à l'oreille. Peu de
perfonnes ont remarqué, j'imagine, que
ce mélange fe trouve dans l'ouverture du
Magnifique. Les trompettes font quelques
éclats ; on entend une phrafe de la marche
T3
1^4 Essai
qui va fuivfe ; le chant des Prêtres s'y
joint ; ils jouent tous enfemble ; iîs fmif-
fent Pun après Pautre ; un filence géné-
ral fuccède ; enfin la mufique militaire ,
qui efï cenfée être arrivée à l'endroit des
fpe&ateurs , commence avec force la
marche fuivante.
-» —
Alors on n'entend plus que cette marche
qui abforbe tout le refte.
Si je di-fois qu'en raifant la mufique
de ce drame , j'aie éprouvé les mêmes
Pgrémens ck la même facilité qu'en com-
ofant fur les poëmes de M. de Mar-
fnontd , ce feroit une faulTeté palpable,
que les connoiffeurs reconnoîtroient ai-
fément. Mais qu'importe la peine ou
ïe plaifir de PartHte , fi fon ouvrage peut
erre utile à Part? Le ton qui règne dans
le poëme du Magnifique , n'a nui rap-
SUR IA, MUSIQUE, i 0 5
port avec ceux que j'ai compofés précé-
demment ; il ne faut donc pas, me fuis-je
dit , qu'on y retrouve la mufique de
Zcmirc & A^or , ni celle de Silvain,
C'eft en étudiant. le poème , & non les
paroles de chaque ariette , que le mufi-
cien parvient à varier Tes t^ns ; c'eft fur-
tout en faifufant le caractère des premiers
morceaux que chante chaque acteur, que
Ton s'impofe la loi de les fuivre en leur
donnant à chacun une phifionomie par-
ticulière. Sans cette étude on ne recon-
noîc par tout que le muficien , ce font
toujours les mêmes traits de chant qui
fe repréfentent pour tout exprimer; avec
ïa différence puérile d'une trompette dé-
fignant la fierté du guerrier, ou d'une
flûte exprimant la tendrelTe de famour.
Je voudrois cependant, pour que le mu-
ficien obtînt une pleine fatisfaction de
fes travaux , que le* paroles defhnées à la
mufique euflènc été foignées.
Dans les tems les plus reculés , la
T4
i$6 E s s a'i.
mufique ne fut employée qu'à confacrer
des paroles dignes de parler à la pofté-
rite ; c'étoit par des chants que les peu-
ples anciens honoraient leurs Dieux,
leurs parents , leur patrie. Aujourd'hui
Ton dit : fi les paroles font mauvaifes ,'
faites les mettre en mufique , on les trou-
vera bonnes. Je dis le contraire ; on les
trouvera déteftables. J'entcns chaque jour
des vers que le public permet dans ïe
dialogue parlé , & qu'il rejetteroit s'ils
étoient mis en mufique , de manière à
être entendus. Le langage muficaï n'exiûe
que dans l'accent plus fort que la dé-
clamation ordinaire. Il eft donc clair
que plus vous déclamerez, plus vous ac-
centuerez, plus vous* ferez ïèhtif ïa pla-
titude des vers ; plus vous dégraderez les
paroles & la mufique.
Voyez avec combien de retenue un
a&eur adroit débite des vers qu'il croit
mauvais : il éteint toute déclamation ; il
paîTe rapidement Se prefque fans accent
SUR £. À MUSIQUE. 2.0 7
îes endroits îufpecls. Le Muficien éprouve
la même gêne en compofant ; il ren-
contre mille difficultés prefqu'mfurmon-
tables ; ce vers eft de huit filïabes , le
fuivant n'en a que trois , l'autre en a dix ,
&c. II faut trouver un defîin régulier,
dans l'irrégularité même. C'eft bien pis
fi les idées qui forment la ftrophe font
incohérentes; pour furcroît de malheur,
il y- aura des mots profaïques ou triviaux ,
qu'il faut palTer rapidement , pour qu'ils
foient peu entendus, & que les fpe£ta-
teurs croyent s'être trompés.
Voila l'abrégé des peines que Pon im-
pofe au mufieien , îorfqu'on lui donne
des paroles peu foignées. Mais il faut une
coupe de vers propre à la mufique. Mais
il faut des petits vers; hé non , meflieurs !
il ne faut rien de tout cela ; il faut des
vers relatifs au fenti ment que vous peignez;
des vers alexandrins eu des vers de fix
filïabes, font îes mêmes pour la mufique.
fojez corrects , fimétriques; ne faites pas
198 Essai
des phrafes trop longues avec de grands
vers de dix ou de douze fîllabes , dont
ïes hémiftiches foient liés par des voyelles;
parce que phyfiquement , le chant ne
marche pas fi vite que la parole , & qu'il
faut refpirer enfin. Souvenez -vous qu'il
faut preflentir le mouvement de Faîr que
l'on fera fur vos paroles ; huit vers fur un
mouvement lent, prendront plus de tems
que trente fur un mouvement rapide.
Ne répétez pas les mêmes mots dans
un môme vers , ou que ce foit pour em-
belfir votre idée; c'en1 une refTource pour
Muficien, lorfqu'il veut arrondir fon
-mt, mais dont il n'a pas toujours be-
.om; fi vous le faites d'avance, vous le
gênez, parce que vous ne pouvez pas de-
viner quand il en aura befoin. Il fera
peut-être forcé par la tournure du chant,
de répéter les mots que vous n'avez pas
répétés ; de forte que vos répétitions &
les fiennes feront faftidieufes.
J'ai toujours cru que le prétexte fpé-
SUR -LA' MUSIQUE. ^QO
cfeux de fervir le Muficien , en pareil ca$,
n'étoit autre chofe que le befoin de com-
pletter le nombre des fylïabes, pour faire
des vers de même mefure.
Evitez la morale , parce que fes images
font froides , excepté peut-être en amour.
Sentiment, ironie , pafîion , monotonie
même ïorfqu'elfe eft caractère, tout eft du
refîbrt de la mufique , excepté les mauvais
vers. '
Chaque auteur dramatique fe plaint des
facrifices qu'il eft obligé de faire à fon Mu-
ficien. M. Scdainc en parle dans fon dif-
cours de réception à l'Académie Fran-
çoife. Cependant je défie les poètes avec
lefquels j'ai travaillé, de citer un bon vers
facrifié à ma mufique.
Quoique la digreflïon précédente fe
trouve à l'article du Magnifique, je fuis
loin d'avoir voulu faire une critique par-
ticulière des paroles de ce drame. Si M.
Scdainc n'eil pas le Poëteqoi foigne le plus
les vers devinés au chant; les fituations
$ôô .7 E s s a r;
qu'il amène, & non pas qu'il trouve}
comme difent Tes envieux ; font fi împé*
rieufes , qu'elles forcent le Muficien à s'y
attacher pour les rendre. II dit prefque
toujours le mot propre , 6c il fe croit
difpenfé de l'embellir par des tours poé-
tiques. Il force donc ïe Muiicien à prendre
des formes neuves pour rendre fes carac-
tères originaux. La facilité dans le travail,
n'efl: guères pofïible en pareil cas; mais
fouvenons-nous que l'habitude d'un tra-
vail facile eft dangereufe, fi elle n'efl le
fruit d'une longue étude. Après avoir fait
la mufiqne d'un poëme avec facilité; j'aime
à en rencontrer un qui me force à un
travail plus obftiné; celui-ci me donne
à fon tour des idées pour en faire un troi-
fième, aufïi facilement que le premier.
Le Magnifique n'eut pa,s un fuccès
éclatant; mais ce qu'on appelle un fuccès
d'eftime ; il eft refté au théâtre. L'on me
difoit : je viens pour la feint de la rofe ;
je répoRdois : c'efl pour cette Jcènc que
SUR LA MUSIQUE. 30I
V auteur a fait la Pièce, Elle produifir un
effet non équivoque aux premières repré-
fentations. Pour faire l'éloge de la fcène
Ôc de I'a&eur, M. Clairval; je rapporte-
rai qu'une dame impatience de voir tom-
ber la rofe des mains de la pudeur, ou-
vrit fes doigts charmans, & kijfa tomber
fon éventail fur le théâtre , & fut auflï
déconcertée de fa défaite, que le fut
Clémentine Vinjlant d'après.
■ .
■
* -
r - n -
3ox E s s a t
LA ROSIERE DE SALENCI,
Comédie paftorale , en xefs ; paroles de M. de
Pe^ai ; repréfentée à Fontainebleau , en quatre
acles , le 6c à Paris ,. en trois aétes , le 28
Février 1774.
Lorsqu'on ne confond pas tous les
genres dans un même ouvrage, il refte
une couleur pour chacun d'eux. La pas-
torale, qui tient de fi près à ïa fimple
nature, offre cependant des difficultés;
parce que la candeur, la douceur de Tes
accens ne préfèrent pas des contraries
affez frappans , ni des couleurs affez vives
pour l'optique du théâtre. Je vouîois faire
une paftorale en ma vie; on m'offrit ïa
Rofière de Salenci, dont tout le monde
aimoit le fujet. Ce ne fut qu'après mille
changemens que cette pièce fut fixée au
répertoire, (h) Pour monter ma tête au
ton de la paftorale , les poëfies de Geffner
m'occupèrent pendant tout le tems que
ÎUR LA MUSIQUE. îq^
j'employai a compofer la mufique de la
Rofière. Je crôjs 'même que Ton doit re-
marquer le fruit de cette lecture, par la
douceur , & j'oie dire la piété des chants
qui cara&érifent cet ouvrage.
. Le duo : Colin ,_ quel eil mon crime l
A toujours été eftimé , fans produire d'ef-
fet âii théâtre. Je ne puis en deviner la caufe,
à moins que ce ne foit les raifons que je
viens de dire.
L'air : Ma barque .. légère
■ >z .. .. d pH
mérite peut-être quelque attention, par
là .gaieté &:, le ..peu .d'importance . que
femble meure Jean GaU à la belle action
qu'il a faite. Le pîaifir d'avoir, (àuvé Colin
efl la feule idëeî qui l'occupe, pendant fon
récit* iliparcourt-irous les -détails d'un nau^
frage,'fàns fonger à en faire uue image
éfrrayan't:é--'îl devient par l^.plus^énéreuï
& plus aimable. Les Muficiens . prennent
304 Essai
trop fouvent au férieux , les récits qui
ne font que fatisfaifans , puifque le dan-
ger n'exifte. plus, & que le plaifir du
fuccès doit l'avoir en partie fait oublier;
c'eft. encore dans ces fortes de cas que la
mufique a un pouvoir dont la parole &
le gefte ne peuvent qu'approcher; car
dans le tems que forcheftre peint les flots
en courroux, facteur enivré du plaifir
d'avoir fauyé un jeune garçon , chante
gaiement :
Ma barque s'engage ,
S'échape en débris ,
L'écho -du rivage
Repouffe mes cris , &c
"•':. le— J]
aurefte, cette règle n'efl: .pas générale. Il
faut toujours confidérer le. perfonnage qui
parle; ce quLfied à Jean- Xjou1, ?payïàn
jeune & gaillard ,\ ne p ûéroir "pas à tïn
payfan d'un autre caractère. Un tiers qui
parle eft toujours moins arreété que fi c'étoic
fe.perfonne :mêrne qui û% Je téçit de -fes
malheurs.,. j &
Sans
SUR LA MUSIQUE. 2 O t
Sans s'y porter en foule , ie public a
toujours vu avec fatisfa&ion les repréfen-
tations de la Rofière; ii a repoufTé les ac-
trices dont les mœurs étoient peu régu-
lières, îorfqu'elles Te font préientées pour
remplir ïe rcîe de Cécile : celles au con-
traire dont la fageiTe embellifToit le talent,
ont reçu des applatidiiTemens flatteurs , fur-
tout à fimtant du couronnement, ce qui
prouve que les hommes raiîemhlés aiment
la vertu , quoiqu'ils ne vouImTent pas tou-
jours iè charger de rendre l'aclrice ver-
tueufe.
306 Essai
LA FAUSSE MAGIE,
Comédie en deux acles , en vers , mêlées d'a-
riettes , par M. Marmotuel ; repréftntée par les
Comédiens Italiens , îe premier Février 1775".
L'on m'a fouvent demandé auquel de
mes ouvrages je donnois la préférence ;
J'ai toujours été embarrafTé dans ma ré-
ponfe. Je n'en qui te aucun fans en être
content ; (ans y avoir mis tout ce qui dé-
pend de moi ; (entant bien en même tems
ce qu'il faudroit pour faire mieux ; mais
ce que j'ajouterois de plus, ne s'accor-
deroit pas avec ce qui efr. , & cette rai-
fon fufïit pour avertir î'artifte qu'il doit
s'arrêter. L'ouvrage qui coûte peu d'étude
& de peine , eii un enfant gâté qui fembîe
plus appartenir à l'heureux élan qui l'a pro-
duit , qu'à l'homme même. Il chérit fon
enfant, H lui fourit 6c n'efe prefque s'en
croire le père. L'ouvrage au contraire qui
a follicité vivement tous les re (Torts d«
S tj R IA MUSIQUE. 307
l'imagination , eÙ le véritable fruit du tra*
vail ; jamais on ne le revoit qu'en longeant
aux peines qu'il a coûtées; c'elt celui qu'on
défend avec plus de chaleur, parce qu'il
nous appartient de plus près ; fi le pre-
mier nous flatte, le fécond nous attendrit»
La mère de pîufieurs enfans pourroit mieux
que nous expliquer les divers fentimens
que nous font éprouver nos productions,
félon qu'elles font plus ou moins heu-
reu fes.
Le premier acte de la FaufTe Magie,
eft peut - être ce qu^iï y a de plus efti-
mabîe dans mes ouvrages ; en n'écoutant
que le chant de cet acte , on eft tenté de
le mettre au rang des comportions fa-
ciles ; mais le travail des accompagne*
mens, les routes harmoniques qu'ils par-
courent , arrêtent le jugement trop pré-
cipité, & l'on fent enfin que le caractère
diitinctif de cette production vient d'un
certain équilibre entre la mélodie & l'har-
monie. L'équilibre dont je parle , ne con*
V %
308 Essai.
fifte pas a appliquer beaucoup d'harmo-
nie fur un chant heureux ; il faut que les
accompagnements eux-mêmes ayent le
Caractère de la vérité. Il y a des trouvailles
d'harmonie comme de mélodie, &z ce
n'ett pas la difficulté vaincue, ni le rapro-
chement fubit de deux gammes éloignées
qui en conltitue le mérite; c'eft parce que
cette harmonie elle-même elt vraie ôc ex-
prcfïive , que je la nomme heureufe. Un
compofiteur favant fait toujours faire une
cempofition favante ; mais il n'eil pas
toujours heureux dans fa feience. L'équi-
libre dans les organes du fen trment eft
je crois defirable , pour produire une fem-
bïable compofition. J'ai fouvent commencé
un morceau de mufique , fous les aufpices
les plus favorables ; un chagrin , une in-
quétude furverioit , je fentois alors mes
difpofitions s'altérer , & le morceau heu-
reufement commencé, prenoit une forme
différente dont je n'étais pas auffi con-
tent.
SUR LA MUSIQUE. ^O^
Le feconcLafte ne préfentoit plus qu'une
action invraifemblable , à laquelle les fpec-
lateurs ne fe prêtent point ; fur-tout après
un premier acte qui annonce une comé-
die. Si dès le commencement de la pièce
fauteur eût montréle vieux crédule entouré
de prétendus forciers , îa pièce auroit eu de
l'unité en fininant comme elleavoit com-
mencé. Les premiers objets qui frapent
les fpe£tateurs , font ceux qui reilentdans
Ton imagination ; ôc tout ce qui en en: la
fuite efr. bien reçu. M. Sedaine étoit fâché
de commencer le pcëme de Richard Cœur
de L?o/z,parIes payfans qui chantent le
bon ménage ; il auroit d'abord voulu fixer
l'attention fur Blondel , mais la nécefïité
de préparer le divertifTement du troifième
acte l'y a forcé ; aufli Blondel en arri-
vant dit à fon petit conducteur 3 j'entends ,
je crois, chanter? Ce n'eft rien, répond
l'enfant } ce font les payfans qui rentrent
après V ouvrage des champs. Ce nyeft rien ?
n'a pas été mis fans intention.
v3
310 E S S A
Après quelques repréfentations Je îa
Faujfe Magie y cet ouvrage ne fe fou tint
pas long-tems ; je follicitai le début d'une
jeune actrice, mademoifelle Dèrouvillc ,
qui chanta fupérieurement dans cette pièce,
& ne fut pas reçue parce qu'elle chan-
toit trop bien ; mais la Faujfe Magie
refta au théâtre avec fuccès.
Vous auriez, à faire à moi, &c.
étoit un air & non un trio ; les accents
de la ba/Te me parurent fi vrais , que je
ne pus réfiiter au defir de demander à
M. Marmontcl , ïes paroles qu'elle fem-
bïoit appeller. Les notes foutenues du
jeune homme furent une fuite naturelle
de cette baffe. Ce morceau heureux , où
ïes trois acteurs en formant des chants
difierens foutiennent leurs caractères ,
n'efi: point apprécié au théâtre de Paris(i)
(i) Il m'a paru l'être beaucoup mieux depuis crue l'on
çft fvlfis au parterre de la Comédie Italienne.
SUR LA MUSIQUE. 31I
je crois qu'il eft de trop à ia (cène , j'ai
moi-même toujours fenti une fatiété de
mufique à cet endroit. Les vrais con-
noilTeurs en mufique , compofent le petit
nombre de fpeclateurs ; eux feuïs applau-
diffent ce morceau de mufique à trois
fujets; fi le poëte l'eut fait avant moi,
il efl probable qu'il eût été au deiTous
de ce qu'il efl, mais un hafard heureux
l'a produit , ck les morceaux de ce genre
ne devroient être faits que de cette ma-
nière.
J'en connois peu de bons ; excepté le
duo de Tarn Jones ,
Que les devoirs que tu m'impofes , &c.
Faire deux ou trois chants Pun fur f autre ,
eft. un tour de force qui prouve prefque
toujours quon a voulu trop entreprendre.
Les facrifices y font plus remarquables
que le produit. Si les trois parties font
chantantes, chacune en particulier, l'en-
V4
3ii Essai
fembîe eft embrouillé; fi elles ne chan-
tent point , pourquoi fe donner tant de
peines ?
La mufique parlante du duo des vieil-
lards ,
Quoi ! c'eft vous qu'elle préfère, &c.
fit un effet extraordinaire à îa première
repréfentation ; le chant en efl fi près de
la déclamation qu'on le confond avec la
parole. D'ailleurs ce morc.au eft filiabi-
que , & d'un mouvement continu , cette
forte de mufique à un empire prodigieux
fur tous les fpeclateurs.
Les anciens ont beaucoup parlé de
l'empire du rhîtme eu du mouvement ; il
opère plus puïfïàment que la mélodie &
l'harmonie ; mais lorsqu'il y eft réuni ,
fon empire eft irréfëftîble. Lorfqu'un air
marqué Se fimétrique s'empare d'un au-
ditoire , on entend les pieds , les cannes
frapper îa mefure ; tout eft fubjugué &
SUR LA MUSiQUE. 3 r 3
contraint de fuivre le mouvement donné.
J'ai ufé fouvent d'un ftrataaême fin aulier
pour ralentir ou accélérer la marche de
la perfonne que j'accompagnois a la pro-
menade ; dire à quelqu'un vous marchez
trop vite, ou trop lentement, eft une
efpèce de defpotifme peu décent , excepté
avec fon ami : mais chanter lourdement
un air en forme de marche , d'abord à
la mefure de la marche du compagnon ,
enfuite la lui ralentir ou l'accélérer , en
changeant infenfiblernent le mouvement
de l'air , eft un ftratagême aufïi innocent
que commode.
Quoique muiicien j'ai toujours cru que
les trop vives fenfations produites par
un morceau de mufique , nuifent à l'effet
général d'un ouvrage , a moins que ce
morceau ne foit la cataftrophe du poème.
Les gens véritablement fenribles à la vé-
rité dramatique, "ont dû fentir qu'après
un air de bravoure vivement applaudi ,
il en réfulte une lacune qui fufpend l'at-
3*4 Essai
îcntion &Iaifîè à peine l'envie d'entendre
ce qui fuit : au refte , un auteur teî qu'il
foit , ibufTre ayec plailir des invraifem-
Jblances fi flatteufes. L'acteur qui a le
plus de tact, fe gardera bien dans toute
compoiition fembîabîe au duo dont je
viens de parler, de {urchargerfexpreffion;
cène mufique eft elle-même fi près de
la parole y que pour peu qu'on néglige
l'intonation , il ne refte que la parole
même avec accompagnement. II n'ap-
panient qu'aux exécutants qui ont le plus
de goût de fentir combien il faut être
modéré dans les ouvrages où règne la ,
vérité d'expreiîion ôc de déclamation.
Cette mufique qui eft d'un grand fecours
pour les taïens médiocres , eft peut-être
ennemie des talens fupérîeurs ; elle leur
prefcrit trop jufte ce qu'ils doivent faire ;
ilsfe trouvent mieux, lorfque le muficien
n'yant pu qu'efîeurer la vérité , leur laiflê
un champ libre pour déveloper leur jeu
brillant. Au refte c'eft à l'acteur intel-
SUR LA MUSIQUE. 3 I ^
îigent à fentir jufqu'à quel point il peut
fe livrer à i'exprefïion : il vaut mieux refter
un peu au defïbus que d'y atteindre :
rien n'ett fi près de la dégradation que
ce qui ne peut plus acquérir ; & pour
ce qui regarde le fentiment fur-tout, il
vaut mieux Iaifîer quelque chofe a defirer
que de fatisfaire pleinement un auditeur
qui ne tarderoit guère à fentir que l'état
le plus accablant efl celui qui ne laifle
plus de chemin au defir.
Ce que je vais dire prouve phifîque-
ment ce que je viens d'avancer.
La plupart des hommes en ont éprouvé
les effets , fans en connoître la caufe.
Rameau & J. /. Roujfcau n'en ont dé-
velopé que ce qui regarde le phyfique
des fons.
II eft deux manières d'accorder les
inflrumens à cordes; le piano par exem-
ple : en faifant une fuite de quintes juftes,
tout le monde fait que les octaves de-
viennent trop fortes , & que tout -a-coup
en efl forcé de diminuer les fons pour
3 i ^ Essai
rejoindre îe point d'où Ton eft parti. Rien
de plus funefte à l'effet de la mufique
que cette manière d'accorder ; je ne dis
pas feulement à l'endroit où l'on eft obligé
de tempérer les fons , mais même fur la
partie du clavier où les quintes fon juftes;
car on éprouve une fatiété défefpérante ;
chaque accord portant avec foi un âpre té
qui repouffe îe fentiment, Se efïarouche
les grâces. Altérez , au contraire , foibîe-
ment toutes vos quintes ; alors un defir
Involontaire d'arriver au point imper-
ceptible de la perfection , à ce point
mathématique qu'on ne fe foucie guère
de calculer quand on fa fenti , foutient
votre attention. Chaque accord prend une
teinte mcelleufe , ôc vous fait éprouver
un charme féduifant. Quel chanteur n'a
pas fènti fon ame fe déveloper ou fe ré-
trécir en s'accompagnant ? Un fameux
chanteur que j'ai vu à JRome , Git^clla ,
envoyoit fon accordeur dans les maifons
où il vouloit montrer fes tabns ., non-
SUR LA MUSIQUE. 317
feulement de crainte que îe clavecin ne
fût trop haut , mais auffî pour la perfec-
tion de l'accord. N'avons-nous pas en-
tendu des femmes dont l'organe foibîe
cap ti voit nos fens dans la converfation ?
Quelle voix fonore , mais ferme & plus
fûre de fes accents vous a jamais fait
Je même pîaifir? Souvent j'ai quitté mon
piano parce qu'il me déplaifoit Se ne me
renvoyoit pas mes idées telles que je les
concevois : c'eft après bien des années
que je me fuis apperçu que l'accord des
quintes trop juftes en étoit la caufe. On
voit qu'une belle production dépend plus
qu'on ne penfe de l'accordeur.
II n'eft guère moins efTentiel d'obfer-
ver une efpèce de régime en mufique
pour en jouir long-tems. Peu de mufi-
ciens entendent moins de mufique que
moi ; fi j'allois aux fpectacles lyriques tous
les jours , fi j'afiftois à tous les concerts
où je ferois admis , fi enfin je ne fuycis
la plupart des occafions d'entendre de
3 1 8 Essai
la mufique , la fatiété m'auroit fouvent
donné un dégoût que je n ?ai jamais éprouvé.
Tout eft limité dans la nature ; îe matin
je ne touche mon piano avec plaîfir que
parce que la veille je n'ai pas entendu
de la mufique pendant quatre heures; dès
que le plaîfir fe tourne en habitude ou en
manie , il cefTe d'être piquant. Un ama-
teur peut ainfj occuper Ton rems ; mais
l'homme qui veut produire doit l'éviter.
Le compofiteur qui Te repaît trop de
fcs ouvrages doit fe répéter aifément ;
il doit craindre auffi PimpreiTion que lut
laifTera un de fes morceaux qui aura réuffi
généralement : il peut , s'il n'eft pas fur
fes gardes , le répéter toute fa vie par
des réminifcences imperceptibles pour
lui feul.
Je vais peu aux premières repréfenta-
tions qui ne m'intéreflent pas perfon-
neïlement ; je préfère de lairîer fixer l'o-
pinion publique que je compare alors
avec plaîfir à la mienne.
SUR LA MUSIQUE- 3 S ^
Je Cens un mouvement de recon-
noifîance envers les muficiens qui exécu-
tent au théâtre celle de mes pièces qui
ont été ïe plus fouvent repréfentées \ Pat-
tendon , îa chaleur qu'ils mettent à exé-
cuter ce qu'ils favent par cœur depuis
fong-tems , me fembîe une grâce d'état.
Je ne penfe pas de même de Pa&eur parce
qu'il efl immédiatement fous les regards
du public qui ïui ïmpofe la loi dette
toujours attentif , & lui donne chaque
jour une émulation nouvelle.
Lorfque j'entends mes ouvrages bien
rendus, ils me rapeîlent les fenfations
agréables que j'ai éprouvées en ïes corn-
pofant
J'aime aufïî à me rappeîîer que ce fut
a une repréfentation de îa faufle Magie ,
que fon me préfenta à L J. Roujfeau.
J'entendis quelqu'un qui difoit : M. Rouf
feau y voilà Grctry que vous nous de-
mandiez tout à P heure. Je volai auprès de
fui , le confidérai avec attendrifTemenî.
îio Essai
Que je fuis aife de vous voir , me dit-il,
vais long-tans je croy ois que mon cœur
tP était fermé aux douces fnfations que
votre mujique me fut encore éprouver.
Je veux vous connoître , monfieur , ou
pour mieux dure je vous connais déjà par
'vos ouvrages ; mais je veux être votre ami.
Ah ! mdnjïeùr ! lui dis-je , ma plus douce
recompenf > efi de vous plaire par mes
talens. — Eies-vous marié ? Oui. — >
u4ve^-vous époufé ce qu'on appelle une
femme dSefprit ? — Non. Je m'en
doutois ! — Elle ne dit jamais que ce
qu'elle fent , Se la fimple nature efl: Ton.
guide. - — Je m'en doutois : oh ! j'aime les
artifles , ils font enfants de la nature. Je
veux connoître votre femme & je veux
vous voir fouvent. Je ne quittai pas Kouf-
Jeau pendant le fpeclacle : il me ferra deux
ou trois fois la main , pendant la Faujfe
Magie ?- nous fortîmes enfemble : j'étois
loin de penfer que c'étoit la première &
la dernière fois que je lui parlois ! En
pafiant
SUR I. A\ MUSIQUE. 3 1 t
par ïa rue Françaife , il voulut franchir
des pierres que les paveurs avoient laiiTées
danj> la rue ; je pris Ton bras, & lui
dis , prene^ garde M. Roujfeau ; il le re-
tira brufquement en difant : laijfe^ moi
me fervir de mes propres forces. Je fus
anéanti par ces.paroles \ les voitures nous
féparèrent , il prit fon chemin , moi le
mien , & jamais depuis je ne lui ai parlé*
Si j'avois moins aimé Ro'jjfeau , dès
ïe lendemain je l'aurois vifité ; mais la
timidité compagne fidèle de mes defirs
les plus vifs , m'en empêcha» Toujours
ïa crainte d'être trompé dans mes efpé-
rances , m'a fait renoncer à ce que je
fouhaite le plus \ fi cette manière d'être ,
expofe à moins de regrets, elle contrarie
fans ceffe l'efpérance , cette douce iliu^
fion des mortels.
J'étois un jour dans la voiture de PAm- *
baffadeur de Suède , avec un homme de
lettres ; je vis Roujfeau , qui cheminoic
avec fa groiïe canne , fur les trottoirs du
X
jx$ Essai
pont royal, réfiflant avec peine aux fe-
coufles du vent & de la pluie ; je fis
un mouvement involontaire , en m'en-
foncant dans la voiture comme pour me
cacher, qu'ave?^ vous ? me dit mon com»
pagnon. Voilà Jean Jacques , lui dis-jc.
Bon , me dit le Phiîofophe , il ejl plus
fier que nous. Il difoït vrai , mais il avoit
ïa fierté' que donne îe talent naturel , &
non cette morgue infolenîe , que l'on re-
marque dans ceux qui par un travail pé-
nible ou un hafàrd heureux , ont fu prendre
une place que la nature ne leur deftinoic
pas. Un enfant , le pfus petit infecte ,
ia feuille d'un arbre auroient fuffi pour
amufer & arrêter les idées de Roujfeau ,
parce que toutes ces chofes font vraies;
mais tout ce qui tenoit aux conventions
morales, ce qui avoir l'empreinte de fa
main des hommes , lui étoit fufpecl.
Il fe chagrinoit du bien qu'on lui vou-
loit faire ; parce que né libre ôc fenfible,
îî devoit s'élever en lui un combat entre
S <J R LA MUSIQUE. 323
l'homme naturel & l'homme fcciaï , donc
îe premier fortoit toujours vainqueur. Ua
tel être fans doute devoit exciter l'envie
des hommes riches ôi piaffants ; l'on cou-
roit après îa reconnoiiîance de Roufftau
avec la même ardeur que l'on veut moif-
fonn'er la fleur qui fe cache fous le voile
de la pudeur : mais Ton unique bien étoit
l'indépendance ; (i elle eût été l'effet de
îa vanité 3 en îa lui eût ravie , & nous
PeuffioPiS vu efclave ; mais c'étoit par fèn-
timent qu'il étoit libre ; toutes les rufes
des hommes ont échoué.
D'ailleurs P-.ouJfcau repouiîoit peut être
le bien qu'on vouloit lui faire dans la
crainte d'être ingrat; ck il auroit du l'être
par la faute même de ceux qui cher-
choient à l'obliger avec trop de chaleur.
Pour ne pas courir les rifques de l'ingra-
titude , il faudroit apprendre à obliger
noblement , mais froidement , & ne ja-
mais trop fe lier avec ceux qu'on oblige.
J'ai toujours remarqué que j'avois obtenu
X x
32-4 Essai
la reconnoifTance de ceux que je n'avois
oblige' qu'indirectement, & que tous ceux
qui ont e'té à portée de voir combien
j'avois de joye à leur rendre quelques
fervices , fe font prefque toujours difpen-
fes d'être reconnoiiTants ; fans doute parce
qu'ils jugeoient trop clairement que j'étois
alTés recompenfé par la jouhTance même
du bien que je leur avois fait.
J'entends fouvent dire que le cœur de
l'homme, eft un labirinthe impe'nétrable.
C'efT peut être a la faveur de mon igno-
rance, que je ne fuis pas de cet avis.
Je n'ai jamais vu que deux hommes ;
celui qui fe conduit d'après fes fenfa-
tions , ôc celui qui n'agit que d'après les
autres ; le premier elï toujours vrai , même
dans (es erreurs ; l'autre n'efî. que le mi-
roir où fe réPiéchifTent les objets de la
fcène du monde. Voilà l'homme de la
nature, l'homme eftimable, & l'homme
de la fociété.
Lorfque Roujfcau eut écarte la foule
SUR LA MUSIQUE. *1 2 jf
qui cherchoic à l'obliger , & qui, félon
lui , cherchoit a lui nuire , parce qu'on
vouloit le forcer à renoncer à fon indé-
> pendarïce ; ( car un bienfait oblige celui
qui le reçoit , quoique le donateur ne
l'exige pas) lorfque Roujfeau , dis-je, eut
lui-même élevé la barrière qui le féparoit
du refte des hommes , il dut fe trouver
encore plus malheureux que lorfqu'il com-
battoit ; car alors il vivoit de fes triomphes ;
mais livré à. lui-même, accablé d'infir-
mités & de vieilIefTe , ayant ufe les ren-
forts puiûants de fon ame altière , il re-
devint homme ordinaire : il reçut enfin
Paille que lui offrit M. de Girardin , &
mourut peut-être de regret de l'avoir ac-
cepté. Un tel homme eft rare, mais il
eft dans la nature. On dit qu'il fe con-
tredit fans cefTe dans fes écrits: je croirai
à cette accufation , lorfqu on m'aura prouvé
qu'une même ca ufe, fur tout au moral,
peut fe montrer deux fois , fans être ac-
X 3
32.6 Essai
compagnée de circonfïances & d'efTeti
difFerens.
On n'a pu ravir à Roujfeau , ni fa li-
berté , ni fcs ouvngcs littéraires , la pre-
mière étoit fon appanage : vitam impen-
dere vero. Ses ouvrages etoient a lui ,
parce que nuj homme n'a pu être mis
à fa place ; mais on voulut lui conteiler
fon Devin du l'illage ; s'il tût menti une
feule fois en face du public , l'apôtre
de îa vérité , n'étok en tout qu'un im-
pudeur, ■& il perdoit Ton premier droit
a l'immortalité. Comment un tel homme
eût-il pu forger & foutenir un tel men-
fbngc ? J'ai examiné le Devin du Village
avec la plus fcrupuleufe attention ; par-
tout j'ai vu l'artifte peu expérimenté , au-
quel le fentiment révèle les règles de l'art.
Si Roujfeau eût choifi un fujet plus
compliqué , avec des caractères paflion-
nés ck moraux , ce qu'il n'a voit garde
de faire , il n'auroit pu le mettre en mu-
sique j car en ce cas toutes les refïburces
\
SUR LA MUSlQUK. 317
de l'art fufnfent à peine pour rendre ce
qu'on fent. Mais en homme d'efprit , ii
a voulu afîimiler à fa mufe novice , de
jeunes amants qui cherchent a développer
le fentiment de l'amour. Souvent gêne'
par la profodie, il Ta facrifîée au chant,
comme,
J*ai per- du mon Serr vi- teur.
l'avant dernière fîllabe du vers efi brève ,
& il eft impofîibîe de la faire telle fans
nuire au chant.
J'y fon- ge fans cef- fe.
L'e muet du mot fonge, tombe d'a-
plomb fur la meilleure note de la phrafe
muficale ; il auroit pu dire
J'y fon-ge fans cef- fe.
X 4
S
->i8 E
31o ±L S S A I
Mais il aimoit mieux le premier chant-,
C'eft fans doute après avoir e'prouvé les
difficultés infinies que préférée la langue
JFrançaife , & avoir bien fenti qu'il
ne les a voit pas toutes vaincues qu'il a
dit , les Français n'auront jamais de
mufique. Si j'eufTe pu devenir Pami de
Ronflai* , (ï nous n'unifions pus trouvé
des pierres dans notre chemin ; fi Rouf
feau , en me Voyant su travail , voyant
avec queiîe promptitude j'eiTaie tour à tour
la mélodie, l'harmonie & la déclama-
non , pour rendre ce eue je fens : ( je
dis avec promptitude , car il ne faut qu'un
infiant, pour perdre l'unité en s'appé-'
fàntifTant fur un détail) , peut être il eût
dit alors , je vois qu'il faut être nourri
^harmonie &' de ch&nts muficaux , autant
que je le fuis des écrits des anciens 3 pour
peindre en grand & avec facilité.
Homme fublime ne dédaigne pas l'hom-
mage d'un artifte qui , comme toi, occupe
fesîoifirs, en s'efTayant, par cet ouvrage,
SUR LA MUSIQUE. 319
dans une carrière étrangère à Tes vrais ta-
lens. Tu fus bien malheureux , mais ton
ame fenfible ne devoir elle pas prefTentir a
finftant même de tes malheurs , que des
larmes éternelles couleroient de tous les
yeux pout te plaindre ! Que ne m'eft-il
permis de te dire ; 6 mon iiluflre con-
frère j tu reçus jadis un outrage des mu-
ficiens que tu honorois, outrage que leurs
fuccelîèurs défavouent avec indignation ;
puifFent mon refpect , & mon admira-
tion pour tes vertus Se tes taîens expier
un crime qui n'e'toit que celui du tems (i).
(i) Lofque Roujfeau fit répéter Ton Devin du Village^
il témoigna fon mécontentement aux exécutans; ceuxet
pourfe venger le pendirent en effigie. Roujfeau en fut ins-
truit, & dit à ce fujet , je ne fuis pas furpris qu'on me
pende, après m' avoir mis Jî long- tems- à la quejlion.
L'on ne peut imaginer quel efprit de travers regnoit
alors parmi les fujets de l'Opéra ; il fubfîftoit encore, lorf-
que je donnai Céphale & Procris. Fiers d'être applaudis
par les partifans de l'ancienne mufique ; humiliés par la cri-
tique continuelle des gens de goût , ne fâchant plus s'il fal*
loit révérer ou abandonner leur antique idole , la fierté de
l'ignorance & la diffimulation occupoient la place des ta-
îens & du zèle.
33° Essai
CEPHALE ET PRQCRIS,
Tragédie en trois adcs , en vers , par M. M#r-
momel; repréfente'e à Verfailles en 1773 , & à
Paris le 2 mai 1775.
Cet opéra fut donné Tannée du ma-
riage de monfeîgneur Comte d'Artois;
iï neut qu'un médiocre fuccès , tant à
Verfailîes qu'à Paris. Dans ce tems , il
étoît reçu qu'excepté les chœurs & les
danfes , il ne devoit point y avoir de
mefure à l'opéra. Si quelques vers de
récitatif étoient expreffifs , facteur y met-
toit la prétention dont un air pathétique
eft fufceptible. Si les accompagnement
le forçoient à fuivre urr mouvement mar-
qué , ce n'étoit qu'en courant après Por-
cheftre qu'il l'attaignoit ; iï réfultoit de la ,
un choc , un contre -point , une fyncope
perpétuelle dont je laille à deviner l'effet.
On interrompit une àes répétitions
SUR LA MUSIQUE. 331
par ïe dialogue fuivant, qui peut faire
juger de Pétat des chofes.
l'A ctrice, fur le théâtre.
Que veut donc dire ceci, monfieur?
II y a je crois de la rébellion dans votre
orcheftre !
le Batteur de mesure, dans Vorchcflrc
Comment, mademoifelïe , de la ré-
bellion ? Nous fommes tous ici pour le
fervice du Roi & nous le fervons avec
zèle. .
l'Actrice.
Je voudrois le fervir de même , mais
votre orcheftre m'interloque & m'empêche
de chanter.
le Batteur de mesure.
Cependant , mademoifelle , nous allons
de mefure.
l' Actrice. -
De mefure ! Quelle bête eft-ce là ?
33^ Essai
Suivez - moi , monfieur , & Tachez que
votre fimphonie eft la très-humble fer-
vante de faétrice qui récite.
le Batteur de mesure.
Quand vous récitez , je vous fuis , ma-
demoifeïle ; mais vous chantez un air
mefuré , très-mefure'.
l'Actrice.
Allons, îaifïbns toutes ces folies &
fuivez moi.
Les airs de danfe obtinrent l'eftime
des danfeurs. Le duo,
Donne la moi dans nos adieux , &c.
ne fut connu qu^après avoir courru les
focie'tés.
Après les repréfentations de Paris,
je propofai les changemens fuivants*
LA VENGEANCE DE DIANE,
en trois Actes,
Diane commençoit la pièce par la
SUR LA MUSIQUE- 333
réception d'une Nimphe nouvelle ; elle
appelïoit enfuire la jaloufie , lui faifoit
part de la défertion de Procris , féduite
par le chaffeur Céphaîe , Se la chargeoit
de fa vengeance. C'étoit une leçon ter-
rible pour la Nimphe novice. Cette ac-
tion mêlée de danfe & de pantomime,
les chœurs des Nimphes implorant Diane
en faveur de Procris , auroit fourni un
acl;e aflez long en préparant l'intérêt.
DEUXIEME ACTE.
Céfhaie, fiuL
De mes beaux jours que le partage eft doux! &c. "
Je retranchois abfolument le rôîe de
l'Aurore qui produit une double acHon
peu intérefîante. Les hommes raiTemblés
n'aiment pas à voir une femme dédai-
gnée, & cette femme eft l'Aurore plus
belle que le jour. La Jalousie déguifée en
nimphe auroit pris fa place ; enfuite Pro-
cris avec Céphaîe , auroient terminé le
334- Essai
fécond a&e comme iï eft dans ïe poëme.
Le troifième a&e refleroit tel qu'il eft.
C ctoït ïa jaloufie qui s'emparoit tour-
a-tour de Céphale & de Procrîs dans le
fécond & le troifième a&e.
De cette manière , faction étoit une ,
cV devenoit plus forte & plus rapide.
L'auteur ne voulut pas adopter ces chan-
gemens & l'opéra n'a pas été joué depuis.
M. Gluck affifta à deux de mes ré-
pétitions à Verfàilles. La mufique du
troifième acte dut lui paroître aufïi dra4-
matique qu'elle Peft èh eflrct. Si Gluck
n'eût été qu'amateur defintéreffé , il m'eût
dit fans doute ce qu'un artifle confomme'
a le droit de dire a un jeune homme
de trente ans.
« Le chant mefuré , tel que vous Pavez
» fait, ne convient pas a vos acteurs,
v il faut que votre poète vous mette à
» même de jetter plus de chaleur & d'in-
5> térêt dans vos deux premiers actes , il
« faut qu'il retranche les airs auxquels il
StîR LA MUSIQUE. 335
» vous a trop afTujetti , & qu'il vous îahTe
» le maître de faire du chant mefuré
» quand il vous plaira ■ alors vous choi-
» firez les endroits qui font fufceptibks
» d'une mufique , telle qu'elle puiflè
» convenir à vos chanteurs ».
Mais Gluck pre'pa rok ïphigénie en Au-
Vide , & il étoit plus naturel qu'il pro-
fitât de mes erreurs que de m'en tirer.
Je fuis loin de croire que j'eufTe fait
un tragédie comme Gluck ; je fuis en-
traîné vers ïe criant auquel l'harmonie fert
de bafe , autant qu'if eft lui-même com-
mandé par l'harmonie exprefïïve de fon
orcheftre à laquelle iï joint un chant
fouvent accenoire , ou ne faifant que la*
féconde moitié du tout.
Tel eft F empire de la nature ; l'Italie
fournit cent mélodiflcs & un harmonrfte :
l'Allemagne tout le contraire.
Tous les génies Italiens n'ont pu pro-
duire une ouverture telle que celle d'I-
phigénie en Aulide. Toute la force du génie
33^ Essai
allemand ne nous pre'fente pas un airpathe-*
tique, auiïi déîe&able que ceux de Saçchinu
La France offrant une température mixte ,
entre l'Italie <k l'Allemagne, femble devoir
un jour produire les meilleurs muficiens ,
c'eft-à- dire ceux qui fauront fe fervir le plus
à propos de la mélodie unie à l'harmo-
nie s pour faire un tout parfait. Ils au^
ront , il ett. vrai , tout emprunté de leurs
voifins , ils ne pourront prétendre au titre
de créateurs ; mais le pays auquel la
nature accorde le droit de tout perfec-
tionner , peut être fier de fon partage*
Le François n'en eft pas moins celui
de tous les peuples qui a reçu de la na-
ture le moins de difpoîitions pour la mu-
fique. Né dans un climat tempéré , il
doit avoir les pafTions douces ; né vif,
{pirituel & galant , la danfe & les dif-
putes d'efprit doivent lui plaire ; tout
ce qui l'occupe profondément le rebute..
Lorfque les Gens de lettres , fur-tout
les demi-favants fe difputent fur quel-
qu'objet ,
s u & la musique. 337
«jd'objet, ne croyons pas que la cour,
]ps jolies femmes , les petits maîtres ,
foient férieufement de la partie. Ce qu'en
peut appeller la nation , s'amufe de tout.
Le fujet le plus grave , eft un motif de
plaifanterie , ou le fujet d'une chanfon ( t ).
Dès que Paris eft refté trois mois fans
révolution, n'importe alors ou Lekain, ou
Jannotjil court où ïa nouveauté l'appelle;
& l'on ne fait distinguer s'il s'amufe
davantage d'une chofe ridicule , ou d'une
choïe digne d'admiration. Cependant au
milieu de mille frivolités , le tems mec
tout à fa place ; & fi le François a&ueï,
croit à peine qu'on ait eu la fureur des
pantins , il aime à jamais les chefs-
d'œuvres de Racine.
L'italie depuis Iong-tems veut envain
le féduire par fes chants toujours tendres
(i) Madame, difoit un jour d'Alembert, nous avons
abbatu une forêt de préjugés. Je ne fuis plus étonnée,
reprend la dame , Ci vous nous débitez tant de fagots.
'-
338 Essai
& mélodieux; l'Allemagne veut envain
îe fubj uguer par Tes accords nerveux; trop
énergique encore , pour crandre la réduc-
tion de l'Italie, trop foible pour adopter
des accords qui le blefTent, îe François
danfe, en attendant qu'il ait adopté de
l'un & de l'autre de fes voîfins, la por-
tion qui lui eft propre , & qu'il ne veut
recevoir que de la main des grâces, du
plaifîr & du bon goût.
SUR LA MUSIQUE. g 2 Û
1ES MARIAGES SAMNITES,
i
Drame en trois a&es , en vers (i) , par M.
Durofoy ; donné aux Italiens le 12 Juin 1776,
L'auteur de ce poëme reçu avec ac-
clamarion par ïes Comédiens , vint
m 'offrir fon ouvrage (2) ; je n'eus pas
befoin de lui dire que j'avois travaillé
jadis fur ïe même fujet , il ïe favoit :
il me pria feulement de lui laifTer lire
l'ancien poème des Manges Samnites ;
après quoi , il remarqua que îe fond des
deux ouvrages étoit abfoîument le Conte
de M. Marmontel, mis en action ; que
îes fituations étant par tout les mêmes,
(1) Il étoit d'akord en profe , & c'eft ain/ï qu'il a été
gravé.
(î) Le premier poème des Mariages Samnites avoit été
refufé unanimement , & il étoit bien écrit. Pourquoi le fé-
cond fût-il accepté ? L'auteur venoit de donner Henri IV
ou la bataille d'ivri , qui avoit du fuccès. Les comédiens
ont ordinairement trop de confiance dans l'auteur qui
vient de réuflir , & trop 4e défiance s'il n'a pa réufiï.
Y 2,
34° Essai
ma mufique pouvoit fervir, & que je
n7avois que peu de morceaux a faire
pour le rôle d'EIiane qui e'toit de fou
invention. Je fui biffai donc parodier
ma mufique , après quoi je fis une
revue générale de l'ouvrage , pour ren-
dre la profodie plus exacte { i ). Cet
ouvrage ne réuflit point ; peut-être que
îe préjugé y contribua : les fpectateurs
ne voulurent pas s'habituer à voir fous
îe cafque , les acteurs qu'il voyoit chaque
jour dans des rôles comiques.
Les comédiens durent-ils être offen-
fés de ce jugement ? Non , car je fuis
fur que Préville lui-même parohTant fur
la fcène en guerrier héroïque , cauferoit
des envies de rire, que fon grand talent
(1) Lorfque les Poètes parodient , ils croyent qu'un vers
de huit fyllabes , doit remplacer un vers de huit , & ainfî
fies autres; cependant, comme les notes expreflives doi-
vent rencontrer les bonnes tyllabes , rien n'eft moins (ut
4gue leur calcul.
SUR IA MUSIQUE. 341
ne pourroit réprimer. Dans les provinces
cet inconvénient ne fubfifte point , parce
que l'on y eft accoutumé de voir parokrc
fuccefîivement le même homme , dans
la tragédie , la comédie & l'opéra co-
mique. AufTî cette pièce , dont je ne fais
cependant pas l'apologie , y a été fouvent
repréfentée. J'ai toujours cru qu'elle au-
roit eu du fuccès à Paris , fi l'auteur avoit
mis en oppofition au rôle de la fière
Elrane, un rôle de petite fille efpiègle,
qui autoit eu bien des naïvetés à dire
fur la manière dont les Samnites traitoiene
l'amour. Sans cela il n'y a point de con-
trarie dans cet ouvrage.
Les arts n'exiftent que par les con-
traries ; mais il ne faut par que l'artifle
montre l'intention de les faire; car s lors
il devient maniéré ; par exemple , plu-
fieurs phrafes alternatives , douces ôc
fortes , deviennent monotonie ck ne
forment point oppofition réelle , parce-
Y 3
34V Essai
que leur retour fimétrique Ta détruite. La
nature eft une & nous offre cependant
nulle contraries dans toutes fes parties;
c'eft elle qu'iî faut imiter.
sur la musique; 343
M A T R O C O ,
Drame burlefque en quatre a&es , en vers '
par M. Laujeon ; repréfenté à Fontainebleau
1 année 1777 , & à Paris le 23 Février 1778.
J'avois peu d'envie de mettre en mu-
fïque ce poëme bien écrit , mais raiîem-
bîant , fans intérêt , toutes les métamor-
phofes, les combats de Nains, de Géants,
enfin les forfanteries de tous les romans
de la chevalerie. La mufique y faifoit k
chaque inftant épigramme, & l'épigramme
fortoit d'un air de vaudeville , telle qu'on
peut en voir l'imitation dans Renaud
d'Aft. L'ouverture étoit rompofée d'airs
connus & parlans , qui expliquaient le
fujet de la pièce.
Les muficiens ont fouvent remarqué,
combien les bons airs de vaudeville fonc
fufceptibles d'une belle baffe & d'une
bonne harmonie. L'on pourroit inférer
de la , que la mélodie donne plus fou-
Y4
344 Essai
vent l'harmonie que celle-ci ne donne
h chant. Voici un vaudeville remarquable
^iii etoit dans cette ouverture.
F^Pfijaa^
Bajfons»
k-P—
tlËlÉSilllilIlilÉ
î ÉPis^ililiPiiÉ
SUR IA Musique 347
Il USi^fSilliSi
l^É^S-SiiSi
|Ëg§g3g|^
^^fe§^^=M=?ËÊu=IËEËg:^g^
(I plili ^PÉËP-^É^i
l
liiSi^ËiP
>> *>>--
J'ai entendu faire cette baffe aroma-
tique , fur la féconde partie de Pair ;
346 Essai
Charmante Gabriel, 8ce.
6
6 4
6 z
*4 4
6 6 i 4 6 6
g^É^^gggëgËiËFiÊig
riEÈ^Eife^
I ,
4 J
i3±!>2
Le premier air de Matroco , difoit :
Ah fonge affreux '. Mais quand j'y fonge !
Pourquoi m'alarmer d'un fonge f
L'orcheflxe jouoit l'air connu, fous
ces parolles,
Ah ce font vos rats ,
Qui font que vous ne dormez pas,
SUR LA MUSIQUE. 347
toute la pièce étoit compofée dans ce
genre. Les muficiens fentirent combien
de difficultés j'avois eu à vaincre pour
former un enfemble de ces anciens airs
& d'une mullque nouvelle ; mais qu'ef-
pe'rer d'un pareil travail ? Qu'efpérer de
cette manière de compofer en logogriphe?
Les airs connus de nos vaudevilles font
prefque tous triviaux , & il auroit fallu
faire un raprochement tel qu'ils ne nfîent
qu'un feul corps avec de airs noblement
exagérés. Le fuccès d'une production de
ce genre , fera toujours , félon moi , pre£-
qu'impoflibîe. Lorfque Pair d'un vaude-
ville fe préfente naturellement pour faire
épigramme dans quelques fituations co-
miques j je confens que le compofiteur
l'adopte : mais je fuis afluré .qu'une pièce
entière ôz en quatre actes compofée dans
ce genre , eft un délire d'imagination ,
capable d'ufer les facultés intellectuelles
d'un artifte. Dans une telle pièce , tout
doit être bourfouflé & gigantefque , puif-
348 Essai
que les perfonnages font teïs ; des mœurs
à rebours du bon fens doivent être peintes
de même par le muficien. Cet ouvrage
étoit original & malgré fon peu de fuccès,
il ne peut diminuer en rien ïa réputation
de Pélégant auteur tfEglé & de YAmou-
mourcux de qu\n%t ans» Peut être que
ïa finguïar-ité du fujet auroit infpiré à
dfeûtres compofiteurs , des refïburces plus
heureufes que je n'en trouvai dans mon
talent : mais j'aime mieux apprendre aux
jeunes artiites à fe défier de tout fujet
hors de nature. Je fis cet opéra pour ïa
cour , Se par compïaifance : il fut joué
à Paris malgré moi , & la flâme a dévoré
cette production motrftrueufe en expiation
de l'atteinte que j'avois donnée au bon
goût.
Le fpeclacle fe terminoit par cette
marche conforme à la pièce , & dont je
retranche une partie des accompagne-
mens~
ST7R. tA MUSIQUI. 34Q
!«-'' fc f ~ *" l—i n bu"
1 je Marche JînaU,
jK*-i=srr):
ÏËÊ3ËEEgïEE3
II
fr-f-fl-fV&Q
^f-»^ ^T-^
eL-i-
J4— r r 1 I' U-j^M=
I!
^rr'r^^i"rtTf""ri-1'
^^fe"f.i T^=
V» ^Cwg
3*°
Essai
i£^§Elf|fêi^
|teiS|pteÈÊl=t=y
— Kï — , — J râtafe 3*J_tJ^ _ _
tfl^ËÈg?:
Sur sa Mvsiquï. 3 f xl
Fluus%
— ^z^Siess^^
335
Violons*
fi»>i:f rfife^.
:z*n
ISI
Un mufîcien homme rPeiprit trouva
plaifant qu'une autre marche du même
opéra fut exécutée dans le mode majeur,
3***
Essai
îorfque les guerriers croioyent voler a îa
vi&oire \ & qu'enfuite étant vaincus ,
ils s'en retournaient triftement fur ïa
même marche exécutée dans ie mode
mineur.
SUR LA MUSIQUE. 353
LE JUGEMENT DE MIDAS,
Comédie en trois acles, mêle'e d'ariettes, par
M. d'Hele ; repréfentëe fur le the'âtre de la Co-
médie Italienne^ le 27 Juin 1778.
Des poëmes écrits par ïe même au-
teur , fulTent-iïs toujours bien faits , bien
écrits & de genres difTérens > ne me fem-
blent pas moins préfenter un écueil au
muficien. Chaque écrivain a fa manière
d'écrire qu'il lui feroit difficile de deguifer,
s'il vouloit le faire ; & qui eft bien aifée
k reconnoître , lorfqu'il ïaifîè couler fa
plume au gré de fes penfées. Le mufi-
cien qui fubit la même loi , doit fe varier
plus aifément en compofant fur les pa-
roles de différens auteurs. J'admirerois
davantage la fécondité d'un fimphonifte
que celle d'un compofiteur' dramatique ;
le premier tire Ces; idées du. néant , ou
d'un fentiment vague , le. fécond les
■ Z
354 Essai
trouve dans les paroles qu'il exprime.
Le premier , il eft vrai , a la liberté de
créer au gré de fou imagination : tout
eft bon s'il forme un bel enfemble y mais
îe compofiteur dramatique eft alTujetti
au genre , à Pa&ion , à la profodie qui
lui défend fouvent une note d'eipreffion
qui donneroit la vie à un trait de chant.
Toutes ces difficultés rendent fon travail
plus important. En s'unilTant avec la pa-
role , il peint dnaprès nature > fa produc-
tion eft immuable comme elle; tandis
que le langage de la fimphonie eft vague
comme le fentiment qui fa produit. Je
parlerai dans un autre article du mérite
réel des bonnes compofitions inftrumen-
tales, & de la manière dont on pour-
roit les faire tourner au profit de Part
dramatique.
M. d?Hdc me fut adrefîe par M.
Suard : il me le recommanda comme
un homme de beaucoup d'efprit , qui
joignoit à uu goût très-fain, de l'origina-
lité dans les idées. Get anglois que la
SUR lA' MUSIQUE? 5 J J
perte de fa fortune , avoit engagé à venir
cacher fon indigence à Paris , 6c quifavoit
parfaitement notre langue , s'appeïïoit
Haies 9 que les anglois prononcent comme
helas ; nos journaux on transformé ce
nom , en celui de d'Hélé , fous lequel cet
écrivain efl connu. Il me lut les poëmes
du Jugement de Midas & de V Amant
Jaloux; il manquoit il e{t vrai quelque
chofè à la charpente du dernier. Il avoit
conduit fur la fcène un vieillard afthma-
tique tuteur d'ifabelle , lequel ne pou-
voit dire un mot fans toufTer, ce qui ne
l'empêchoit pas cependant d'être très-
amoureux de fa pupille. II prit enfin îe
parti de retrancher cet épifode. Les mor-
ceaux deftinés a être mis en mufique ,
de l'une & de l'autre de ces pièces , étoient
écrits en profe , mais d'un ftyle fi clair ,
qu^il n'y manquoit que la rime. Il me
difoit qu'un vers lui coutoit plus qu'une
fcène. Nous choîfimes Anfcaume , fecré*
taire de la Comédie Italienne , pour ver-
Z ^
3f 6 I M A I
fifier îa partie îirique du Jugement de Midas.
Cet ouvrage étant achevé, relia deux ans
dans mon porte-fèuiile. Même en lifant
le po'éme on ne vouloit pas croire qu'un
anglais fut en état de faire une bonne
pièce françaife ; celle-ci me fut renvoyée
de la cour , où elle fût condamnée , ôc
les comédiens qui Favcient reçue , atten-
doient , fans fe preller , que fon tour ar-
rivât (i).
J'en parlai chez madame de M***:
feu monfeigneur le duc d'Orléans voulut
f entendre , & M. le chevalier de B***
en fit la ledure avec autant de chaleui
que fi l'ouvrage eut été le fien.
Il fut repréfenté chez cette dame ;
' (OLorfcju'une pièce eft agrée par Mefïieurs les premiers
Gentilshommes de la chambre , & qu'elle a été jouée à la
cour, elle a le droit de paiïer incontinent à Paris, &
prefque toutes les miennes ont été dans ce cas. Sans
cet avantage les pièces font données par ancienneté,
fuivant la datte de kur réception.
SUR LA MUSIQUE. 357
les afteurs de la Comédie Italienne
y vinrent , & ne furent pas plus pré-
venus en faveur de l'ouvrage. Madame
deiW*** avoit rempli le rôle de Chloe'
avec autant de grâce que de naturel ;
mais pîuiieurs rôles avoient-éfé joue's ôz
chantés comme ils le font ordinairement
en foclété.
On parla , dit-on , avec peu d'efîime
de cette repréfentation à une féance de
l'académie françoife ; ïe jugement de
f orateur fe répandit dans le public , d'Hdt
le fut & lui dédia le Jugement de Midas ,
dans une épitre très-plaifante , que j'eus
bien de la peine à lui faire fu primer.
On donna enfin cette pièce à Paris ,
Faflembïée étoit peu nombreufe , mais
chacun fortit content du fpeclacîe, ex-
cepté les clercs de procureurs , fans doute ,
car le lendemain je reçus ce billet im-
primé :
MeJJleurs les clercs de procureurs vous
invitent à venir JiJIer demain la féconde
Z3
358 Essai
repréfentation du Jugement de Midas , dans
laquelle pièce ils Je trouvent infultès.
La féconde représentation fut en effet
un peu orageufe ; mais les clercs perdi-
rent leur procès.
Cet opéra fut la fatire la plus mor-
dante contre l'ancienne mufique , ou pour
mieux dire contre la manière traînante
dont on la chantoit. Si cette trille pfaî-
modie, aujourd'hui reléguée dans quel-
ques coins du marais , n'étoit néceffaire
pour l'exécution des rôles de Midas Ôc
de Marfias , il- feroît inutile de dire qu'il
faut,
i°. Chanter les airs très - lentement
& fans mefure ;
20. Qu'il faut faire de longues cadences
tant qu'on en trouve l'occafîon ( i ).
(i) Je crois que l'origine de la cadence ou trille, nous
vient par ancienne tradition des organiftes, qui de tous
les tems pour avertir les chantres du choeur, font un ba-
tement de pîufleurs ions fur l'avant dernière note du
verfet,
SUR LA MUSIQUE, 3$£
t,0. des ports- de- voix bien appuyés
comme
4°. Des martellemens bien longs
comme. ...
Qui vous plai- gnez.
5°. Chevroter les roulades.
6°. Prenez avec cela une phifionomie
prefque riante , même dans hs airs^riites ;
tirez toute l'expreflion de la mâchoire
inférieure que vous avancerez un peu oour
vous donner un certain arr bancal & vous
chanterez le vieux françois comme du
tems des Rebcl ôc Françœuf.
L'abbé Arnaud difoit aux peintres , ne
Z 4,
360 Essai
peigne^ pas le foleil. Je voudrois dire , à
mon tour aux muficiens , ne faites pas
chanter Apollon ni Orphée. Les auditeurs
font trop prévenus en faveur de ces il-
luftres perfonnages de la fable. Les pro-
diges que décrivent les poètes font un
écueil infaillible pour celui qui croira
exécuter en chant > ce que leur imagi-
nation brillante a décrit. Il eft en effet
bien plus aifé de raconter des miracles ,
que de les mettre en action.
La colère d'Achille , décrite par Ho-
mère , nous transporte dans le camp
des Grecs. On frifonne aux cris de ce
héros formidable. En eft - il ainfî , par
exemple», de la colère d'Achille , exprimée
en mufiq'ue dans Vlphigénie en Aulide
de Gluck ? L'air que chante le héros efl
une efpèce de marche afféz commune ,
dont le chant- pourrait s'adapter égale-
ment à toutes fortes de -fêtés. Le bruit gé-
néral de Porche fixé femble faire feul tout
le mérite du tableau. Sarrs doute l'habile
SUR LA MUSIQUÎ. 361
artifte avoit fenrî Fimpoffibilité d'atteindre
îa vérité ; & fagement il s'éft abftenu de
vains efforts quin'eufîent montré quel'in-
fufîfance de fart , en l'écartant davantage
de Ton but.
Lorfque j'entendis à la première répé-
tition Pair d'Apollon ;
. Doux charme de la vie,
Divine mélodie , &c.
je me confirmai de plus en plus dans cette
opinion; & je ne pus m'empêcher de
dire , que -cet air me paraît trijie & in-
fujHfant pour le Dieu de V harmonie. ! A
la féconde répétition, dyHe!e avoit ajouté
quelques mots a la profe qui précède cet
air, & faifoit dire a Apollon ; je fuis
d'une lajjitude & d'une trifiejfe ! ... Fort
bien M. d'Hele , lui dis-je , je vous re-
mercie. L'auteur des paroles fentant que
je n'avais pu atteindre à la fubîimité d'A-
pollon , s'cffbrçoit en nomme d'efprit de
le rabaificr jufqu'k moi. Lorfque Orphée
l
$6% Essai
veut forcer le ténare , fair de Gluck ne
fatisfait pas davantage les fpeclateurs, qui
attendent un prodige inoui en mufique ;
cet air parok froid, & le feroit effecti-
vement, fi ies de'monsne le réchauffaient
par leurs cris. Ce font donc les diables
qui opèrent fortement fur les fpeétateurs
& non Orphée ; il fair naître , ileft vrai,
les oppofitions qui frapent ; mari ne de-
vroit-il pas fraper lui-même pour être
a&eur principal ?
Dans les finales du Jugement de Midas ,
il étoit difficile de créer un enfemble , en
confervant tout-à-la-fois l*ancbnne mu-
fique françaife faifant épigramme , le
vaudeville, & la mufique de la pièce.
Qu'on ne croye pas que ce que je dis
actuellement, foit contradictoire avec ce
que j'ai dit ci-devant en parlant de la
mufique de Matroco. Ici tout eft de nou-
velle création , ce qui donne a l'artifie
îa facilité de former un enfemble. Dans
Matroco , les airs de vaudevilles font don-
JUS. I. A MUSIQUE. 363
nés, & doivent être confervés fans alté-
ration. C'eft comme Une tête antique
trouvée fous des raines , pour laquelle iî
faut reproduire un corps,
Les amateurs de l'ancienne mufique ,
me furent gré de n'avoir pas cherché à
la dénigrer en la faifant mauvaife. On
peut fentir en effet que l'air de Marfyas,
Amants qui vous plaignez , &c.
exécuté par un bon chanteur & fans
charge , eft naturel & très-expreffif. Le
ridicule en appartient tout entier à l'exé-
cution forcée. Je fuis perfuadé même
qu'un air pathétique de Burancllo ou de
Jomelli, chanté fans mefuve , & revêtu
d'açcompagnemens de l'ancienne facture ,
feroit de la vraie muiïque françaife ; &
que par îa même raifon des chants choifis
de Lully & de Rameau , ornés d'accom-
pagnemens de la bonne école , & fur-
tout chantés par d'habiles artifies, feroient
de la bonne mufique de tout pays , à l'ex-
3^4 Essai
ception de quelques finales & Je I'aBus
de ces tournures qu'on nomme rofùlies(i).
Exemple de la finale.
^jt i r acr't^f-jiBg
Vous au- riez dû la con- fui-
••>»-
ter.
Exemple de la rofaïie.
M (g>r
t^PfPRP^Ï
(i) J'ignore l'étïmologîe de ce mot. Eft-ce Te nom de
l'auteur qui les a le premier employées ? Eft-ce celui de
l'adrice qui les a mifes jadis à la mode?
83?:
SUR LA MUSIQUE. l6j
L'AMANT JALOUX,
Comédie en trois acles , paroles de M. cTHele(\yt
repre'fente'e à Verfailles le 20 novembre 1778, &
à Paris le 2$ De'cembre de la même anne'e.
Plus on travaille & plus on tourmente
fon imagination, plus il eft difficile de
pourfuivre fa carrière. Il eft douloureux de
n'acquérir l'expérience qui mûrit le ju-
gement , qui établit l'ordre dans les idées,
qui fait faire beaucoup avec peu de chofe ,
qu'en perdant cette fraîcheur , cette fa-
cilité que donne l'abondance même des
idées. On dira peut-être qu'il faut con-
ferver par écrit celles qui, rejetées à pré-
fent, peuvent devenir précieufes pour l'a-
venir. Je ne confeille à perfonne de faire
ce magafin , je crois que l'imagination
(1) La partie lyrique a été verfifice par M. Lcvapur,
ancien capitaine de dragons.
•$66 Essai
fe nourrit des idées qu'on écarte , en at-
tendant qu'elles conviennent à un autre
fujet ; mais les écrire feroit en débander
la mémoire, & par conféquent l'apauvrir.
Les fibres du cerveau confervent long
tems les imprefîions que le fentiment a
produites , Sz quoiqu'elles femblent étein-
tes , foyons fans inquiétude : dès qu'un
fujet analogue les rapellera , vous ferez
fur alors , qu'elles ne fe repréfenteront que
pour fe placer mieux que ïa première
fois , puifque c'eft au fentiment qui vous
domine qu'elles devront une féconde
exigence , que l'on pourroit regarder
comme une réfurection. Qui ne fe rappelle
d'avoir fenti Tin quiétude que donne un
fentiment prefque évanoui, mais dont-
il relie cependant affez pour exciter le
regret de l'avoir perdu ? Voici l'expédient
dont je me fuis fervi pour me rappelfer
avec pleine intelligence un trait de chant
prefque oublié. Si je puis me fouvenir
dans quelle firuation phyfique ou morale
$UH I<A MUSIQUE. 367
j'étois alors ; fi , par exemple , j'étois à
la campagne travaillant un beau jour d'été
feul dans ma chambre , jouiiïant d'une
perfpe&ive agréable ; fi je puis , dis-je,
me rapeller qu'en une femblable fitua-
tion , j'ai créé- un trait de chant que j'ai
perdu enfuite ; c'efl: en me tranfportant en
réalité ou en idée , dans un lieu de même
aipeét, que je fuis certain de retrouver le
trait que je chercherais peut être envain
dans tout autre lieu. D'autres que moi ont
éprouvé fans doute que F on retrouve même
involontairement les idées qui fembîent
perdues , lorfque l'ame eft affe&ée ainfi
qu'elle l'étoit a la première création.
Quand l'efprit, cherche a produire , il
m'a femblé n'avoir que deux manières
d'opérer.
Si vous ne trouvez que des idées an-
ciennement conçues pour rendre ce que
vous fentez actuellement ; s'il vous femble
que ce ce n'efl qu'au défaut d'idées plus
intimes à votre fujet , que vous vous
368 Essai
fervez des anciennes , vous ne ferez
qu'une production médiocre. Mais fi tel
que la fable nous dit que Minerve for-
tit du cerveau de Jupiter , votre fujet pré-
fent réveille tout-à-coup une idée dans
votre imagination , & que fans retran-
chement, fans amplification , ni modi-
fication quelconque , vous fentiez ce fu-
jet clairement explique' ; c'eft alors qu'un
mouvement de faiisfaction vous dit .que
vous ne pouvez mieux faire. Ce fentiment
intérieur eft une infpiration qu'il ne faut
pas combattre ; car après avoir refifté , il
fe laifle vaincre, & c'eft toujours au pré-
judice de nos productions. Quoique je
n'aye pas dit la centième partie de tout
ce qu'on pourroit dire fur îe chapitre des
idées , parce que je crois qu'il eft bon
d'être fobre , îoriqu'on traite de pareilles
matières , & qu'il eft prudent de ne pas
trop tendre lé fil qui nous guide dans ce
labirinthe tnétaphifique , l'on doit penfer
que c'eft de la fituation où j'étois en fai-
fariL
SUR IA MUSIQUE. a^Q
V Amant Jaloux , dont j'ai voulu parler.
L'abondance des idées ne me gênoit plus ,
& j'adoptois fans indécihon celles qui
fe pre'fentoient à mon imagination , (bit
qu'elles fuiïent d'ancienne datte , ou que
les paroles les nlTent naître.
La feule inquiétude qui relie ïorfqu'on
a beaucoup travaille' , eit de fe rappeller
(i les traits qui s'offrent à ï'efprit, ont
déjà été employés dans quelques ouvrages ;
une perfonne tierce le fait fouvent mieux
que nous , & peut être d'un grand fe-
cours.
On a obfervé farvs doute que ïe petit
air pizzicato qui eft au milieu de l'ou-
verture , indique d'avance la férénade que
Florival donne , au fécond aère , à la pré-
tendue Léonore; mais on n'a peut-être
pas remarqué que les couplets,
Tandis que tout fommeUle &c.
peuvent être chante's fur ce même air.
La première ariette ,
\ a
37 o Essai -
Qu'une filie de quinze ans ,
étoit difficile a pon£tuer en mufique ;
voyez combien de vers il faut chanter
en ne faifant que le repos de virgule:
fr^tlEr |-g' r, :ff >3f ' ri'F
Qu'u-ne Fil- le de quinze ans, virgule.
quoique îa dernière notte de la phrafe
foit tonique , ce repos n'eft que d'une
virgule , parceque cette notte n'a pas été
précédée de la dominante qui marqueroit
erTentielîement le repos final.
à l'om- bre du myf- tè- re , virgule.
*p
' i^ir i .mit ■ ' ■ _. *~"I-im
Sans con- fui- ter fon Pè- re, virgule ,
SUR î. A KusïquE, 371
; — & —
ite=*=fc=
— 1 — ~- — ^. — «^ — f--— dzz — 3
é- cou- te tes ten-dres-fer msnts de
Z=^=fcl=ZM=t
jfejgP^EbgEggfog^
lob- jet qui fait lui plai-
re;
Le chant repofe fur la quinte de ïa
dominante- ce qui indique point &
virgule.
à quinze ans je paf. fe
^*« <^^ *^» a^fj<
rr^z-J
cet- te foi- bief- fe , virgule, c'eft le
prin- tems , c'eft la fai- fon de la
Aa 2,
37*
Essai
\>_ _.
z=±zz- fc=^=^ pppffzzzj!
ten- dref- fe , virgule. c'eft le prin-
ft— — —
tems , virgule, c'eft la fai- fon , c'eft
l> -*- b,
iiiliiiliiiiiiisii
la fai- fon
de la ten-
HllillSl
k=
H*>>-3F
dref- fe :
C'efl la faifon de la tendrefTe ,
e(r un repos fur la dominante elle-même,
ce qui fait en mufique exactement les
deux points.
Lorfqu'on répète un vers ; il n'y a
pas de mal, je crois, fur tout dans un
cas îembldble à celui-ci, de faire le repos
S*7R LA MUSIQUE. %J%
de virgule d'abord , & puis le repos
final la dernière fois. C'eft comme fi
l'on difoit avec indécifîon ,
Oui j'irai vous voir...,
& puis affirmativement ,
Oui, j'irai vous voir.
De même ,
Ceft le printems de la jeunefle. ô • «
Oui , c'eft le printems de la jeunefle.
L'endroit qui me paroît ïe mieux faifï
dans l'air fuivant ,
Plus de fœur , plus de frère.
efl: la fufpenfion menaçante après ces
vers :
Mais fi quelque confidente
Malicieufe , impertinente ,
Cherchoit à tromper mon attente...»
Les deux notes fuivantes que fait l'or-
eheftre en montant par femi-tons , ex-
Aa 3
374 Essai
priment la mine que doit faire Lopez ;
j'aurois pu lui faire chanter ces deux notes
fur une exclamation oh ! mais le filence
eft plus éloquent.
A propos de filence , je me rappelle
qu'étant un jour au fpectacle de Bruxelles
où j'écoutois la FauJJl Magie, j'entendis
un trait de flûte femblabïe au ramage, du
roffignol , qui avoit été mis par I'illuftre
docteur qui battoit ïa mefure. C'eft à i'en^
droit du duo des vieillards,
Vous ? — Tvïoi / *- Vous qu'elle aime ? — * Oui moi.
le repos total après ces mots, qui veut
dire je refit : ftupéfait , eft, je crois, bien
fenti. La flûte faifoit donc un fort beau
ramage pour occuper le repos que j'avois
indiqué ; après quoi , le chanteur difoit 9
C'efi à quoi l'on ne s'attend guère.
îî lembloit parler du trait de flûte.
J'ai remarqué aîTez généralement que
les mouvemens indiqués pour chaque
SUR LA MUSIQUE. 3 7 £
morceau de mufique , s'exécutent plus len-
tement vers îe nord de la France , & plus
vivement dans les provinces méridionales.
II ne faut pas croire cependant que plus
on avancera dans les pays chauds , plus
les mouvemens feront accellérés.
On exécute plus lentement à Rome qu'à
Paris ; & fans doute plus lentement encore
dans les régions brûlantes; mais on ralen-
tira toujours , je crois , en approchant vers
îe nord. Dans ce cas comme dans beau-
coup d'autres les extrêmes produifent les
mêmes effets ; l'extrême chaleur du cli-
mat donne la foiblefTe , comme la congé-
lation produit la ftupidité.
Un homme refpectabîe de mes amis,
M. Godefroi de Viltaneufe , amateur zélé
des beaux arts , me parloit depuis dix
ans d'établir un ri th m omette propre à
fixer d'une manière invariable les mou-
vemens en mufique , îorfqu'un profpe6tU3
nous annonça l'exécution de cette roé-
çhanique»
Aa 4
376 Essai
Mais eft-il néceffaire ce rithmometre ?
Ne convient-il pas plutôt de laiflfer prendre
à chaque peuple , a chaque province ,
ïe mouvement vif, tempéré ou lent, que
lui infpire fon naturel ? Je fuis fur que
même en fixant les mouvemens de cha-
que morceau de mufique fur les vihra-
rions déterminées du pendule , chaque
pays d'une température différente iren
tiendrait compte , & iroit toujours félon
fon alure.
On n'exécute plus ni Lulli ni Rameau
dans les vrais mouvemens , difent nos
vieillards ; cette altération a pîufieurs
caufes. Si l'on précipite la mefure de cer-»
tains morceaux , c'efl pareequ'aujourd'hui
l'on a plus de connoiffance & plus d'exé-
cution en mufique ; c'eit parce que l'on
comprend rapidement , ce que jadis on
ne concevoit que lentement. L'imagina-
tion fe précipite lorfqu'elïe agit fans ohf~
tacles. On nous dit encore que Lulli faifoit
débiter fon récitatif j & qu'après lui , c'eft-
SUR LA MUSIQUE. 377
k-dire il y a vingt ou trente ans , on le
prolongeok infiniment. Ce n'eft plus par
la raifon que je viens d'indiquer, que
ce changement a eu lieu ; c'efc parceque
les chants Italiens font alors parvenus
en France , ôc que les chanteurs François
cherchant la mélodie où il n'y en avoit
que très-peu , fe font avifés de chanter &
d'orner leur récitatif de tous les agrémens
qui ne convenoient qu'au chant mefforé.
» Dans les pays froids , on aura peu
» de fenfibiïité pour les plaifirs , dit
» Montefquicu (1). Dans les pays tern-
ît pérés elle fera plus grande ; dans
» les pays chauds , elle fera extrême.
» Comme on diftingue les climats par
n les dégrés de latitude , on pourroit
» les diftinguer , pour ainfi dire , par
» les dégrés de fenfibiïité. J'ai vu les
» opéras d'Angleterre & d'Italie ; ce font
(t) Voyejf, l'Efprit des Lois , tome fécond , livre XIV,
ebap. II.
37$ Essai
» les mêmes pièces & les mêmes Ao
v teurs ; mais la même mufiquc produit
» des effets fi différens fur les deux na-
» tions, l'une eft fi calme & l'autre (î
» tranfporte'e , que cela paroît inconce-
v vable.
Si des Muficiens Anglois , avec leur
caîme , euîTent exécute' les ope'ras de
l'Italie , on ne doit pas douter que
pour afîlmiler cette mufique à leur ca-
ractère , ils n'en eufTent , avec raifon ,
ralenti les mouvemens,
Le trio :
Vktime infortunée ,
dont j'ai déjà parlé, eft un morceau heu-
reux ," en ce que l'abondance des objets
qu'il faîloit peindre , n'a pas obfcurci îe
deffin général (î}. En voulant tout expri-
(i) J'avertis une fois pour toutes, qu'en parlant d'un
morceau de mufique heureufement trouyé , ceft autant
SUR LA MUSIQUE. 579
mer, fouvent l'on exprime trop; & rien
de plus humiliant pour Panifie , que de
produire un morceau très-froid , précifé-
ment pour y avoir voulu mettre beaucoup
de chaleur ; refier au defîbus de fon fujet,
feroic préférable. En n'exprimant point
afTez , la mufique refte au defîbus des pa-
roles qui femblent exiger davantage ; & en
exprimant moins encore pour conferver
un plan unique , ce n'efl plus alors
qu'une fimphonie vague où le chant n'efl
qu'accefîbire.
Les poëtes Italiens n'ont jamais donné
de longs récits a mettre en mufique : fix
ou huit vers que le muficien chante d'a-
bord d'une manière fimple , & qu'il re'-
au hafârd , à la fortune du moment , que je l'attribue qu'à
la réflexion qui n'appartient qu'à l'homme. Dire donc ,
je fus heureux cette fois , c'eft faire l'aveu qu'on ne l'a
pas toujours été ; il feroit par conféquent injufîe d'accu-
fer d'amcur-propre l'Artifte de bonne foi qui pour l'uti-
lité de l'art, entre dans l'analyfe de divers morceaux d»
fes ouyrages , qui lui paroiffem mériter quelque acten-
«ion,
380 Essai
pète enfuite avec plus d'énergie , me
fembîent îa bonne manière de faire ces
fortes de récits.
Viftime infortunée ,
Vers l'autel entraînée ,
Je cedois à ma deftinée,
Et je ne demandois helas!
Que le trépas.
Ce chant n'eft qu'une plainte ; les trois
notes en forte de l'accompagnement, ex-
priment , fi Ton veut , les cloches qui
annoncent le funefte himene'e d'Ifabelle,
ou la force qui commande à la foibleiTe.
Le contrarie de îa iltuation eft rendu par
ïa douceur du chant & les forte de for-
chefîre.
Quand tout-à- coup une voix inconnue, &c.
La voix qui crie eft dans les bafïbns
& le cor. N7eft-ce pas jouer fur le mot ?
N'eft-ce pas une intention de mauvais
goût ? Non : & voici , à ce que je crois ,
SUR U MUSIQUE, 381
îa règle pour juger ce point délicat qui
fe préfente il fouvent dans la mufique
de'damée. II faut d'abord que la clarté fe
trouve dans ïe chant & dans le defîin des
accompagnemens ; il n'y a jamais de rai-
fon d'exclure cette règïe à moins qu'on
ne peigne le cahos.
Voyez enfuite fi fe trait ou la note
qui rend l'exprefïion eft nécelTaire à l'har-
monie , à la mélodie & à l'effet géné-
ral : il vous pouvez l'oter, fans y perdre ,
c'eft une preuve de furabondance, & it
faut dans ce cas , retrancher queîqu'autre
chofe , pour rendre nécefTaires les notes
qui concourent à fexpreflion. Le vers,
Je fuis François , &c„
cft exprimé, je crois, comme il devoit
l'être. II faut toujours fuppofer de Pefprit
aux perfonnages qu'on fait chanter, à
moins qu'on ne peigne des imbéciles.
Ifabclle parle d'un françois, elle devoit
employer un grand intervalle. Si elle-
83 x Essai
avoit dit, je fuis Anglois , je ne faurois
pas dit de même. Je fuis Italien , vou-
îoit encore une exprefïion différente. Le
françois eft impétueux, Panglois eft mo-
déré , mais avec autant d'énergie.
Ah! que j'aime ce François, &c.
Ce petit trio fait voir que ïe danger
n'exifte plus : il fépare heureufement ,
comme je l'ai dit , ïes images effrayantes
qui auroient été trop raprochées.
Mais quoi vous agravez l'outrage ! &c."
Ces deux vers mis en récit, indiquent
une fuipenfion dans l'action.
Alors avec fureur
Il court brifer ma chaîne ,&c.
Je vole vers ces lieux.
Je ne me ferois pas permis la petite
roulade fur vole , fi Ifabelle n'eût été hors
de danger t c'eft pour l'indiquer encore
que je l'ai mife.
S U R IA MUSIQUE. 38J
Quelle reconnoiffance, &c,
Ce n'eft point de la reconnoiûance •
Un fentîment plus doux
Sera fa récompense.
Le tems de menuet eft bien employé
ici, ïe menuet eft une danfe d'origine
françoife ; c'eft la première danfe qui
ouvre les feftins de noces , c'eft l'epitha»
lame tacite d'Ifabelle & de fon amant.
Je regarde la finale qui termine cet
acte comme une des meilleures que j'aie
faites ; elle eft varie'e fans profufion & d'un
caractère vrai.
Vous qui rebutez les galans &«.
eft le motif de l'air ,
Qu'une fille de quinze ans &c.
c'eft une manière fine de reprocher a
la foubrette fa mauvaife foi en fe fervanc
de fes accens.
L'air de bravoure qui commence le fé-
cond acte, n'eft pas celui qu^d^Hclcni moi
384 Essai
avions deftiné à cet endroit : l'ancien air
îi'étoit qu'en demi caractère comme ,
Si quelque fois tu fais rufer ,
de XAmi de la Maïfon ôc c'était celui
qui convenoit a la fîtuation ; mais l'envie
de faire briller le plus bel organe que la
nature forma jamais , l'envie de contenter
la plus douce , la plus honnête , la
moins capricieufe des actrices madame
Trial, nous fit eonfentir à ce contre-fens
dramatique , que les journaux nous re-
prochèrent avec raifon.
On n'imaginera pas que l'efpèce de
di&on que chante Lopez ,
Le mariage eft une envie &c.
m'a plus tourmenté qu'aucun morceau
de cette pièce. Je ne favois qu'en faire,
vingt fois je projettai d'en demander la
fupreffion à l'auteur. Ces paroles ne pou-
voient comporter qu'un air trivial , une
efpèce de vaudeville qui n'auroît eu au-
cun
Sur. la Munqui, 385
cun rapport avec le refte de îa partition.
Mais la fin du couplet,
Mais ce feroit une folie , &c
ôc la fcène placée en Efpagne me fuggé-
rèrent l'idée de faire un air chantant ,
qui eut pour accompagnement l'air des
folies d'Efpagne , de Cordli (1). L'inten-
tion fut fentie dès la première fois par
le public»
Il efl inutile de faire l'éloge de la
comédie de V Amant Jaloux ; le public
n'a celTé depuis que cette pièce eft au
théâtre de la regarder comme le modèle
des pièces de ce genre. Tout y eft en
oppofttion & bien ordonné. Un jaloux
fougueux avec Léonore , douce , tendre
ôc indécife ; un Lopez homme d'ordre ,
comme font les bons négociants , avec
une foubrette dégourdie ; un jeune fran-
(1) A-t-on remarqué que le début du Stabat du divin
Pergolefe fuit les modulations des folies d'Efpagne $
Bb
386 Essai
cois bien vif, avec Donna Ifabelle qui a
toute la gravité efpagnole. Chaque a&e
amène d'ailleurs une fituation remarquable.
Au premier , la fuite d'ifabelle , après
s'être cachée dans le cabinet ; au fécond ,
ïa férénade de Florivai ; au troifième , la
fcène du jaloux , qui trouve Florivai dans
le jardin , ck le père arrivant en bonnet
de nuit pour les féparer : les équivoques
font d'ailleurs fi adroitement place'es dans
îe courant du dialogue , que fefprit efl
toujours occupé agréablement.
L'Amant Jaloux tomba à la répétition
générale que Ton en fit à Verfailles , le
jour même de la première repréfentatîon.
L'on étoit fi fur de fa chute , qu'on ne
fut occupé qu'à m'en confoîer, pendant
le dîné du premier Gentilhomme de îa
chambre , où j'étois : je ïe priai d'aller
demander au Roi la permiMion de com-
mencer le fpeftacîe par cette pièce au lieu
de Roje & Colas, où Caillcau venoit en-
core quelquefois recueillir de nombreux
SUR ÎA MUSIQUE. 387
applaudi (Terriens après fa retraite.
Le Rot y conièntit; Ôc je fis changer
les décorations , a cinq heures palTées.
Le fort de V Amant Jaloux changea à la
repréfentation : j'avoue que cette tranft-
tion dune chute parfaite à un plein fuc-
cès, pendant un fi court intervalle , fut
pour d*Helc & pour moi , uja moment
délicieux. Que de réflexions ne peut-on
pas faire fur les révolutions qu'éprouve
un ouvrage avant qu'il ait été reprefenté
ck jugé ! Sur f incertitude où font les au-
teurs qui peuvent le plus compter fur
leur expérience!
Racine eit mort fans avoir joui du
fucecs iïAthalie : qui fait s'il ne s'en1 pas
repenti d'avoir tait ion chef-d'œuvre ?
<c»
Bb %
388 £ s s a î
LES EVENEMENS IMPI^VUS,
Comédie en trois aéles , paroles de M. d'Hélé;
repréfentée à Verfailles le n Novembre 1779 ,
& à Paris le 13 du même mois.
Cette comédie d'intrigue , eft la der-
nière qui foit fortie de la pïume de fau-
teur du Jugement de Midas, & de VA-
mant Jaloux. J'ai dû regretter plus que
perfonne un talent auffi précieux. Si la
mort n'eût enlevé à la fleur de l'âge un
des hommes de ce monde qui avoit îe
plus de jufterTe dans fes idées, & qui
éclairciflbit ïe mieux celle des autres *
plufieurs ouvrages fans doute , auraient
fuivi de près ceux que j'ai cités.
D'Hele avoit pafle fa jeuneffe au fer-
vice de la marine angîoife , où vraifem-
bïablement les excès des liqueurs fortes ,
& fur-tout un accident dont-il m'a rendu
compte , avoient affaibli fa poitrine. Etant
à bord , s'érant enivré de punch avec
SUR LA MUSIQUE. 389
quelques officiers , fon altération fut (î
grande pendant la nuit, qu'il porta à fa
bouche une bouteille d'eau forte , que le
roulis du vaifTeau avoit amenée auprès de
lui. H vivoit très-fobrement à Paris ; tous
les goûts, toutes les paillons fembloient
s'être anéanties chez lui pour ranimer celle
de l'amour. Une femme de Paris lui diiïipa
le refte de fa fortune , c'eft alors qu'il
s'occupa du théâtre , ck qu'il fréquenta
aiïidument le café du Caveau au Palais
Royal. D'Hde parloit peu , mais toujours
bien ; il ne fe donnoit pas la peine de
dire ce que l'on doit fa voir , & il in-
terrompoit ks bavards , en difant d'un
tonfec, c'efl imprimé. Lorfqu'il approu-
voit , c'étoit d'un léger coup de têce ;
fi on l'impatientoit par des bêtifes, il
croifoit fes jambes en les ferrant de toutes
fes forces , il humoit du tabac qu'il avoit
toujours dans Ces doigts , & regardoit
ailleurs. Le jugement qu'il portoit des
Bb 3
39° Essai
pièces nouvelles étoit irrévocable , &
c'étoit d'après les conjectures qu'il for-
moit fur les affaires politiques , que les
nouvelliiles ouvroient fouvent des paiis.
Je n'examinerai pas fi après avoir par-
couru le cercle immenfe des connoîffanccs
humaines , l'homme qui a l'habitude de
réfléchir Se de penfer jufte , peut être
heureux. Je croirois allez que les préjugés,
les folies humaines, les prétentions des
fots , affecterai plus défagréabîement
l'homme d'efprit , qu'il ne tire de con-
lolation de fes propres lumières , car , 11
parmi des hommes infatiables, ambitieux,
& afpîrant au même but, la poiTeriion
des uns, doit être la privation des autres,
ïa fomme des maux furpaffe celle du bien ,
& malheur a celui dont ï'efprit fin & fub-
til fait le mieux lire au fond des cœurs.
Il eh1 aifé de croire que d'Hele exigeoit
des hommes , la précîfîon d'efprit qu'il
avoit lui-même , & qu'on remarque dans
SUR U MUSIQUE. 3Q1
Tes pièces. Il n'inventoit point (1); mais
il étoit peu de chofe qu'il ne pût per-
fectionner , ou du moins en donner l'idée.
Il étoit lent dans Tes productions, je ne
dirai pas qu'il fût parefîèux , on ne peut
Y être en réfle'c raflant toujours ; mais il
avoit au fond du cœur , cette voix ter-
rible & confolante cependant , qui crie
mille fois , non , avant de dire c'efl bien»
Beaucoup de gens l'ont cité, & le citent
encore , comme un modèle d'ingratitude j
mais je crois qu'abforbé dans fes idées s
il n'oublioit fes bienfaiteurs, que parce
qu'il auroit lui-même oublié fes bienfaits.
Forcé de fe battre avec l'homme qui
î'infulte, après lui avoir prêté de l'argent
qu'il ne peut rendre, d'Hele lui fait fauter
fon épée , & lui dit avec tout le flegme
(î) Le Jugement de Midas eft une pièce Angloife»
que M. d'Hele , a fingulierement perfectionnée. Je crois
que le fond de fes deux autres pièces , a été également
puifé dans une fource étrangère,
Bb 4,
39 Ç Essai
angîois :y? y'é n'étois votre débiteur je vous
tuerais ; fi nous avions des témoins je vous
blejfcroïs ,• nous femmes feuls , je vous
pardonne.
Peu de tems après , je lui envoyai
une fomme d'argent de la part de feu Mon-
feigneur îe duc d'Orléans , chez qui j'a-
vois donné le Jugement de Midas : il ne
répondit pas à mon billet , il dit à mon
domeftique , c'eft bon. Après l'avoir ren-
contré vingt fois, je lui dis enfin, vous
avez fans doute reçu. . . . — Oui , me
dit-il , & je ne fus pas étonné qu'il n'y
ajoutât pas un mot de remerciement.
II m'écrivit ce billet à fix heures du
matin , le jour de la première repréfen-
tation de V Amant Jaloux , a Paris : //
ne niefl pas permis d'aller che^ vous;
vene^ donc che^ moi tout de fuite , & ap-
porte^environ dix louis , fins quoi je vais
-au Fort PEvêque, au lieu d'aller ce foir
aux Italiens.
Son lit étoit entouré d'huifîiers. WHele
s'étoit laine condamner par défaut, à
SUR LA. MUSIQUE. 393
Finftançe de la femme qui lui avoit dé-
penle le refte de fa fortune , & qui exigeoit
encore le loyer de la chambre qu'elle lui
avoit donnée chez elle. C'étoit avec ïa
même confiance & la même tranquillité
qu'un jour étant chez un de fes amis , il fe
revêtit d'une nippe dont il avoit befoin
& fortit. Son ami rentre, & en s'habil-
ïant ne trouve pas tout ce qu'il lui fal-
loit ; M. d'ïich feul étoit entré dans
l'appartement , mais on n'ofoit le foup-
çonner ; cependant le loir au Caveau ,
ïe monfieur , en pofant la main fur ïa
cuirTe de d'Hélé, lui dit : ne font-ce pas
là mes culottes ? Ouï, dit-il , je n'en avois
point.
Je fuis loin de vouloir jetter un ridi-
cule fur le caractère d'un tel homme. II
ne pouvoit rougir de {es actions , qui dé-
rivoient des principes qu'il s'étoit formés
& dans îefquels il e'toit inébranlable.
Je l'ai vu Iong-tems prefque nud ; il
n'infpiroit pas la pitié , fa noble conte-
nance , fa tranquillité' fcmbîoit dire , y#
394 Essai
Jîi's homme , que peut-il me manquer ?
Si la dernière période d'une maladie
îente , peu douïouréufe , mais qui ne par-
donnepoint à fes victimes, eut été reculée
de quinze jours feulement, d'Hele nous
eût laifle un ouvrage de plus , & cet ou-
vrage lui eût procuré Paifance due au vrai
talent (£).I1 étoit deftiné pour le théâtre
de Trianon , peut être avec le tems nous
auroit-il été permis de le donner au pu-
blic : mais nous ne deviens d'abord con-
sulter que les talens de cette ïHuftre fociété,
qui avoit fenti le défavantage de jouer
& de chanter des rôles non proportion-
nés aux organesdes acteurs, (i) D'Hele fe
traîna chez moi quelques jours avant fa
(i) Lorfqu'on fait un rôle pour un a&eur , on doit
îe proportionner à Tes facultés ; le double a donc le dt-
fagrément de s'aproprier ce qui eft fait pour un autre ;
il ne joue d'ailleurs qu'un rôle créé , & à moins que
i'aâeur en premier ne fe foit trompe , il lui eft impofj
fible d'être original.
SUR LA MUSIQUE. 39$
mort • j'étois au lit a caufe de mon cra-
chement de fan g ; il me confola , & me
dit qu'il fe fentoit mieux de jour en jour ,
qu'il ne tarderoit pas à écrire la pièce
deftinée pour Trianon , qu'il étoit prefle
de la finit parce qu^il vouloit aller a Ve-
nife. D'Helc n'écrivoit rien , qu'il n'eût
dans fa tête l'enfanble de fon ouvrage.
J'avois remarque' a Tes pièces précédentes
que lorfqu'iï me àïïok j'ai fini ; il ne lui
reftoit aucun doute fur les (ituations , ni
fur la manière de les amener. Je puis donc
être fur que l'ouvrage que je regrette ,
étoit absolument terminé ; ôz comme âi-
foit le grand Racine , il ne fallait plus
que V écrire. Quel eft le genre de votre
pièce, lui dis-je ? — C'efî un fujet por-
tugais & en quatre actes , me dit-il , vous
ferez content. Cependant il expira peu
de jours après , en fon géant aux (ituations
de fa pièce , bien plus qu'à fa propre
fituation. II avoit dans fes mains le livre
des portes ; il alloit rejoindre l'objet d'j
3<)6 Essai
{es amours , & cherchant à éviter ïes
montagnes trop élevées , il iè choifirTok
une route , lorfquiï prit tranquillement
celle où aboutit l'humanité.
Si la mufique des Evénemens Imprévus,
ne reffemble point à celle de Y Amant
Jaloux, il eft bon que je dife quelles fu-
rent mes réflexions afin d'éviter les ref-
fembîances qu'auroient pu faire naître
deux comédies d'intrigues écrites par le
même auteur-, & données de fuite. "L'A-
mant Jaloux eft un caractère fombre &
fougueux ; il n'y a rien de femblable
dans la féconde pièce. La fcène de VA-*
mant Jaloux , eft en Efpagne , les carac-
tères avoient dû prendre une teinte ro-
manefque qu'infpirent les mœurs , les
amours no&urnes & les romans de cette
nation. Dans les Evénemens Imprévus. ,
Philinte eft françois , & d'après les mœurs
douces & honnêtes de feu le préfidentfon
père , les mœurs fi l'on veut des honnêtes
magiftrats du marais, où l'on conferve
SUR IA MT7SIQUH." 39 J
plus que dans tout autre quartier de Paris
les anciens ufages ; j'ai cru bien faire en
donnant au premier air de Philinte,
Qu'il efl cruel d'aimer &c.
une nuance de l'ancien chant françois.
J'ai remarqué ailleurs combien il eu effen-
tîeî qu'un premier morceau que chante
l'a&eur , nous peigne fon caractère , parce
que les premières imprefïions font celles
qui reflent pendant toute la pièce dans
l'efprit des fpe&ateurs ; & que fartifte
lui-même ayant une fois atteint la ref-
femblance d'un perfonnage , efl: forcé de
la conferver. Les compoliteurs italiens ne
font guère attention à ce que je dis : l'on
voit communément des finales très-lon-
gues, où, fur un accompagnement con-
traint , la jeune fille de quinze ans , & Je
vieillard de quatre - vingt chantent de
même ; l'unité d'un morceau quelque long
qu'il foit , efl: bien aifée à conferver quand
on n'obferve ni le* mœurs, ni la vérité.
35>8 Essai
Les chants du marquis de Verfac ,
quoiqu'un peu François , font plus ma-
niérés; parce que tel elt le caractère du
petit maître & de l'homme a bonnes
fortunes.
L'air : Dans le fîecle où nous fommes &c.
ne me coûta que le tems de le chanter,
en lifant les paroles ; mais je ne l'en ef-
time pas moins,
C'eft dommage en vérité.
effc pafle en proverbe. Pcurquoi la nature
eft-elle fi avare de ces traits heureux , qui
portent l'empreinte de fa faveur ? pour-
quoi trouve-t-on dans un inftant ce qu'un
jour de réflexions ne donne pas ? Pour-
quoi fommes nous de frêles machines f
qui ne marchons qu'aux ordres de la na-
ture , dont les premiers principes font fi
loin de nos foibles conceptions ?
SUR LA MUSIQUE. 3^9
LES MŒURS ANTIQUES, OU
LES AMOURS D'AUCASSIN ET
NICOLETTE.
Drame en trois acles , par M. Sedaine ; reprë-
fentë à Verfailles le 30 Décembre 1779, & à
Paris le 3 Janvier 1780.
Le titre de cette pièce indiquoit au
muficien le genre qu'il devoir prendre;
mais en adoptant une mufique antique ii
falloit plaire aux modernes ; car Ton ne
fait gré à l'artifte d'avoir été vrai , qu'au-
tant qu'il amufe.
Bien des gens trouvent dans les mœurs
de nos ayeux je ne fais quoi de religieux ,
qui les tranfporte dans ces fiècïes où re-
gnoient franchement les préjugés, les vices
&les vertus. Ceux-là aiment fin sulière ment
la pièce & la mufique iïAucaJjin Se Ni-
Colette} d'autres s'y ennuyent , parce qu'ils
aont pas ces fentimens ; ils font tout k
4oo Essai
eux Se à leur fiècle : ils ignorent que
les tendres regrets du pafTé, conflituent
le bonheur préient, prefqu'autant que
l'efpoird'un doux avenir. L'ouverture RAu-
cajjïn , doit reculer d'un fiècle fes audi-
teurs. Dans le courant de l'ouvrage , je
n'ai pas cherché à mettre par-tout les
chants antiques, ou les vieilles modula-
tions que nous ont tranfmis l'ancien opéra
françois Se la mufique d'^eglife ; mais j'ai
mis en oppofition , l'antique avec Je mo-
derne , ce qui donne plus de faillant à
la compoiition générale de l'ouvrage;
d'ailleurs les chants anciens dévoient être
pour les paroles gothiques qui fe trouvent
répandues dans le poëme , comme ;
Nicolette, ma douce amie &c.
La répétition générale que l'on fit à
Verfailles , & a laquelle affifta la famille
Royale , fit l'effet d'une parodie. On rioit
aux éclats , dans les endroits que M.
Scdaine & moi avions cru les plus tou-
chants.
SUR LA MUSIQUE. 401
chants. La repréfentation du foir pro-
duifit à-peu-près le même effet. Après
quelques retranchemens le public de Pa-
ris Te fit plus aifément illufion. Ou die
communément que les pièces que tombent
à la cour réunifient à Paris, Je ne par-
tage point ce préjugé; je crois au con-
traire que la cour doit être exempte de ca?
baie, dans des objets fi peu importans pour
elle ; mais que les pièces éprouvent une
métamorphofe après leur chute ; {bit par
les changemens qu'on y fait ; (bit par la
perfection du jeu des acteurs , que le moin-
dre revers intimide devant la cour,. &
dans une falle qui , par .fon, peu d'étendue
nuit à l'illufion.
Quelque fois l'impatience de jouir lui
fait piéconifer l'homme à talens dont-
elle attend de nouveaux plaifirs ; mais
malheur à lui s'il n'entretient pas Je dé-
lire qu'il a trop tôt excité. Sa chute aufïï
fubite que fon iuccès , l'éveillera comme
au milieu d'un rêve délicieux , pour lui
Ce
40 x Essai
montrer le néant où H va fe replonger.
C'eft la nation entière qui donne la ré-
putation ; des ennemis puilTants peuvent
enlever à l'artifte les re'compenfes qu'il
mérite ; mais la plus douce confolation
de l'homme qui a reçu fon talent de la
nature , efi de fentir qu'elle feule en eft
difpenlatrice.
Ce fut après qu'on eut entendu fou-
vent la mufîque tf~AucaJJin , que les mu-
ficiens qui travaillent pour Je théâtre des
Italiens adoptèrent des chants anciens
dans les pièces villageoifes modernes. Ce
îi'eft point un contre Cens; mais pourquoi
fie pas laifTer à chaque chofe fa couleur ?
Pourquoi épuifer Ces moyens fans nécef-
fité ?*Que feroient-ils s'ils travailloient fur
un poëme dont les mœurs fuffent vrai-
ment furannées?
II feroît encore a délirer que fon ne
raffemblât pas comme on le fait, tous les
genres de mufîque dans un même ou-
vrage. Les effets prodigieux que faifoir
SUR I. A MUSIQUE. 403
ïa mufîque fur les anciens, provenoient
Tans doute de la différence marquée des
modes, des tons, des modulations, & fur-
tout du rithme qu'on employoic fcrupu-
ïeufement pour chaque genre ( /) :mais
aujourd'hui , le luxe règne partout. De
même que l'on rafTemble les productions
des quatres parties du monde pour orner
un falon ou pour donner un repas , la
poèfie a forcé la mufîque d'accumuler tous
les genres dans une même composition.
Et foyons juftes ; cette variété fuffit a peine
pour fixer l'attention d'un auditoire qui
a joui de tout, jufqu'à la fatiété. C'eit ce-
pendant lorfque le luxe s'eft introduit outre
mefure dans les arts, qu'ils ont befoin
de modération. J'ai parlé ci-devant d'une
forte de régime , auquel le muficien com-
posteur doit s'aftreindre pour ne pas fe
dégoûter de fon art , qu'il doit aimer
& qu'il doit pratiquer toujours avec un
nouveau pîaifir. Ce n'eft pas de ce ré-
gime dont il eft à préfent queftion, c'eft
Ce 2,
404 Essai
d'ufer avec fobriété des richelfes des inf-
trumens cV des efFers d'harmonie dont nous
abufons : c'eft. peut-être de là qu'eft né
cette fatiété, cette difficulté de plaire aux
auditeurs : en effet , dès l'ouverture d'un
opéra , ôc dans prefque tous le morceaux
de force, on emploie timballes, trompettes,
cors , hautbois , clarinettes , flûtes , pe-
tites flûtes , baffons , violes , baffes Se
violons ; tout enfin a été employé , &
dès qu'une occalion favorable demande
elTentielîement un de ces infirumens,
l'effet qu'il devroit produire, jiJeft plus
suffi fenfibïe , à beaucoup près , que s'il
n'avoit pas été entendu • mais tel eft le
préjugé. L'on diroit qu'une ouverture eft
maigre, fî on n'y employoit la plus forte
partie des inftrumens qui compofe i'or-
cheftre. Cependant j'aurai le courage,
quelque jour , d'ufer du régime qui me
femble rréceffaire cY qu'on adoptera fans
doute , ïorfqu'on en aura reconnu les bons
effets. Je veux dire que, i°. les timbales
SUR LA MUJÏQDI, 405
& trompettes ne doivent être employées
que dans les fujets he'roïques ; & quel-
ques fons fuffiroient dans l'ouverture , afin
de ne point raffafier tout d'un coup les
oreilles des fpeétateurs.
2°. Les violons', les violes Se les baiîès r
doivent être regardés comme l'accompa-
gnement général de tout ouvrage en mu-
(ique ; & fallût-il laifler en repos tous
les inftrumens a vent pendant une aéte
entier , je n'en ferois entendre aucun.
Mais dès que l'occafion arrivera où ils
feront d'abfolue néceflité , on fentira le
fruit de ce régime r ck l'applaudifTemenr.
de la faîle confoïera le compofiteur de
{es épargnes. Alors étant arrivé vers la fin
du drame ; fi quelque mouvement violent
dans fon action , indique au compofiteur
qu'il faut tout employer pour produire
un effet terrible ; c'eft alors que déployant
toutes les facultés de fon orcheftre , il
fera trembler fes auditeurs étonnés d'urv
effet qu'ils ne connoiffoientpas & qu'ils ne
Ce 3
40 6 Essai
foupçonnoient pas être dans forchèftre,'
Soyons de bonne foi, nos tragédies en
mufîque n'ont-elles pas produit prefque
tout leur effet mufical après Je premier
a&e? Et fi Pa£tion du drame ne nous
attachoit aux a&es fuivants, peut-être
le dégoût s'empareroit-il des auditeurs ,
au point qu'ils ne défireroient plus rien
entendre.
S V R 1A MUSiqui, 407
ANDROMAQUE,
Tragédie en trois a&es , en vers ; repre'fentée
par l'Académie Royale de Mufique , le fîx Juin.
1780.
L'harmonie peut étendre Ton empire
dans le tragique , autant que la mélodie
trouvera toujours de nouvelles, reflburces
dans tous les autres genres*
Le plus habile muflcien après avoir
compofé deux ou trois tragédies , fer*
forcé , s'il veut varier fes chants , d'aban-
donner les formes larges & nobles qui
s'épuifent rapidement , pour avoir recours
à la nature non exagérée, qui eft iné-
p^ble , parce qu'elle peut s'emparer
{ans rifque de l'accent vrai des pallions.
L'on voit qu'il ceflèra d'être tragique , s'il
devient naturel ; ou qu'il fe re'pétera fans
cefTe , s'il veut fournir une longue carrière*
Comment éviteroit-il long tems l'un ou
l'autre de ces écueils? Dans la tragédie
Cc4
40 8 E s s À ï
tous les perfonnages doivent être nobles,"
jufqu'au traître qui trahit Ton Roi. La
faufTeté d'un traître pourroit fournir à
l'artifte des réticences variées; mais à la
longue , elles deviendroient ignobles , &
il eft forcé de leur prêter la fermeté tra-
gique. La fureur n'a qu'un accent; le
défefpoir qu'un caractère ; l'amour y eft
prefque toujours malheureux; la jaloufie,
fi elle ne devient fureur, dégénère en
foibleiïe ; le dépit , l'ironie font prefque
jàes taches dans un fujet noble , à moins
que ces mouvemens de famé ne pafTent
rapidement. La tragédie n'ayant donc que
peu d'accents pour chaque pafîlon, étant
obligée de donner encore de la noblelTe
aux accents acceiToires qui conduifent à
Ja fureur ck ramènent au calme ; l'on fent
que fa déclamation a perdu fes droits à
îa variété, Se que le muficien eft forcé
de reproduire fouvent les mêmes chants
avec une harmonie différente.
Autant la vraie nature eft vafte , au-
sur là. musique." 409
tant la nature faétice embraiTe un cercle
étroit. II n'exifte point de Rois qui ref-
femblent a ceux de la tragédie ; fi quel-
ques uns en approchent , ils font plus
faftueux que nobles , plus factices que
naturels.
On dit , je le fais , qu'un poète de
vingt ans peut faire une bonne tragédie :
mais qu'il faut connoître le monde, qu'il
faut avoir quarante ans pour produire une
bonne comédie. C'eft donc le contraire
en mufique -, car je crois que fàge mur
du muficien , eft celui qui convient à la
tragédie. Si la fraîcheur, les chants nom-
breux , les nuances fines font épuifées
à cet âge , peu importe , il en a peu de
befoin. S'il a dans fa jeunefTe fait de bonnes
études , les refTources de l'harmonie lui
reftent , & il peut encore exceller dans
le genre tragique. L'artifte refTemble alors
à la fleur de l'automne , qui plus noble
que celle du printems n'exhale aucun par-
fum.
4io Essai
Les Allemands dès leur tendre jeu-
nefïè étudient favament l'harmonie. Les
douze gammes que renferme l'octave aro-
matique , leur font préfente'es fous toutes
îes faces ; c'eft-à-dire , qu'en tenant un
accord fous {es doigts , l'Allemand voit
d'un coup d'œiï à combien d'accords il
conduit. Leurs marches en font fouvent
dures; mais ils s'y accoutument, & cef-
fent Jw les trouver telles. L'italien au con-
traire femble craindre de s'initier dans
ïe fecret des accords ; la fenfibilité lui
donne fes chants, ck il craint de les
perdre dans le Iabirinthe harmonique.
II veut que fexpreflion aille chercher
l'accord difïbnant , & l'Allemand la trouva
au contraire dans l'accord même.
Il eft aifé de voir pourquoi le Cheva-
lier Gluck fera long tems le modèle de
la tragédie lyrique. Pour bien faire , il fau-
dra l'imiter , & jamais imitateur ne fut
cité pour lui-même.
Lorfque les auteurs des paroles d'Or-
SUR IA MUSIQUE. 41 T
phée & d'AIcefte , conçurent en Alle-
magne ïe projet de donner un grand mou-
vement à îa tragédie lyrique ; Iorfqu'après
eux îe bailli du Raulet renferma dans trois
petits actes une action dont les dévelope-
mens en avoient exigé cinq au divin
Racine ; ces auteurs anéantirent d'avance
les longueurs dont la tragédie lyrique
étoit furchargée. Les fcènes en récitatifs
(impies , devenoîentdes récitatifs obligés;
Les chœurs toujours en action au lieu
d'être immobiles, devenoient partie conf-
titutive du drame : les divertifTemens eux-
mêmes , tenoient à la chofe , & ne pou-
voient plus fe prolonger a volonté.
II eft jufte de croire que ces poètes,
font véritablement les reftaurateurs du
drame lyrico - tragique. Mais après avoir
vu de quelle manière Gluck s'eft emparé
de leurs poëmes , en voyant avec quel
courage , il franchit rapidement les ac-
ceflbires de faction , pour fe dêveloper
tout entier , lorfqu'elle eft parvenue a fon
4 r ^ Essai
dernier période ; on eft tenté de croire
qu'il a lui-même fuggéré le plan dont il
s'eft rendu maître. Oui, l'on eft poëte
ôc muficien en opérant comme Gluck ;
de même qu'on s'aproprie une idée lors-
qu'on l'embellit.
II eft évident que îa mufique a fait
un bel emploi de fes forces en s'aftujet-
tiftànt à l'action d'un drame vigoureux
& prefle ; n'a-t-elle pas aufïî fait des
facrifices que les amateurs de la mélodie
ont droit de regretter? Sans doute. Com-
ment déveloper un motif heureux , fi
toujours le muficien eft commandé Se
prefte par l'action? Comment déveloper
un bel organe par des traits mélodieux
ou brillants , fi la vérité crie de ne point
s'arrêter ? Voilà pourquoi des hommes
injuftes en apparence , on dit que Gluck
avoit reculé les progrès de l'art. Soyons
plus juftes ; il a créé un nouveau genre 'r
fon harmonie a ofé tout peindre , & les
accents de fa déclamation ont exprimé
les parlions.
SUli 14 MUSIQUK. 4I3
Cette déclamation muficale n'eft pas
toujours , il eft vrai , le chant par excel-
lence ; elle n'eft que le premier coup de
crayon de Raphaël , fur lequel il nuan-
cera mille couleurs diverfes , qui fubju-
gueront alors Pâme & la raifon.
La mufique peut parler en profe comme
en vers. Si le chant pris féparément avec
fa note de bafTe , ne vous fait pas- le plaifir
délectable qu'on éprouve en chantant un
bel air de Sacchini , ou en lifant les vers
de Racine , de M. l'abbé de Lille , de M.
Lebrun , croyez alors que le chant n'eft
qu'un produit harmonique • c'eft de la
profe , & non pas un élan de famé ,
toujours accompagné des charmes delà
poëfie.
Je hafarderai ici quelques idées fur
un nouveau moyen de compofer la mu-
fique dramatique.
Ne pourroit-on pas donner à la mu-
fique îa liberté de marcher d'un plein
414 Essai.
eiïbr ; de faire des tableaux achevés ou,
jouifiant de tous Ces avantages , elle ne
fèroit plus contrainte de fuivre la poëfie
dans Tes nuances diverfes ôc jufques dans
les moindres détails des fyllahes longues
ou brèves? Quel amateur de mufique n'a
été faifi d'admiration , en écoutant les
belles fymphonies ftHaidn? cent fois
je leur ai prêté les paroles qu'elles fenv
blent demander. Eh ] pourquoi ne pas les
leur donner ? pourquoi faut - il que le
muficien toujours captif, ne fe voye pas
une fois libre dans fa création , & ne
recevroit-il pas enfuite les paroles qui
exprimeront fes accens? peut-on décider
lequel des deux arts , de la poëfie ou de
îa mufique , peut fe prêter plus aifément
à cette fervitude ? enfin pourquoi ne
mettroit-on pas la mufique en paroles ,
comme l'on met depuis long tems les
paroles en mufique ? la prodigieufe fa-
cilité de M. Marmontd dans ce travail ,
rn'afîure du fuccès. Pénétré de mes ac-
SUR £A MUSIQUE. 415
cents , que je lui répétois , il ne fe con-
tenrok pas de rendre ma mufique , il
PembciiiiToît ,
L'air y toi Zémire $ue j'adore, &o
en eft la preuve : cet air eft de la par-
tition ancienne des Mariages Samnitcs ,
& les paroles de M. Marmontcl , ren-
dent mieux la mufique qne les vers ori-
ginaux fur lefquels la mufique avoit
d'abord été faite.
La mufique dramatique tronquée , ha-
chée, fans retour de phrafes, fans pé-
riodes arrondies , fans da capo , fans ri-
tournelles , abandonnant prefque toutes
les formes qui constituent la mélodie,
ne réclame-t-elle pas contre la fervitude
qu'elle voue à la poëfie ? Les fociétés
d'amateurs , les concertans privés des
cinq fixième d'un opéra, n'ont-ils pas quel-
ques droits de fe plaindre ? Ce que je vais
piopofer , promet encore une révolution
dramatique, dont toute la gloire rejaillira
416 Essai
fur la poëfie. Elle peut enrichir ïa icène
en lui donnant tous les habiles compo-
fîteurs fimphoniftes , Allemands Fran-
çois , qui égalent en mérite , & qui fur-
pafTent peut-être aujourd'hui les com-
pofiteurs dramatiques , & qui fans fon
fecours n'obtiendront jamais qu'une gloire
peu foïide. Ne croyons pas que le mu-
ficîen qui a palTé la moitié de fa vie
à faire des fimphonies , puifle changer
de fyftême , & s'afîujettir aux paroles;
l'on ne peut devenir efclave après avoir
été libre ; le contraire eft plus facile. Ils
feront des tableaux magnifiques lorfqu'ils
ne compoferont pas fur des paroles ; fi
vous leur en donnez, ils feront ce que
les peintres appellent des croûtes.
PROCÉDÉS DU POETE.
Le Poète après avoir conçu fon plan >
ne doit verfifier que les endroits qui lui
paroîtront de pure déclamation, & de-
vant
sue la MusiquE. 41/
vant fervir au récitatif, dès qu'il fenrira
ïà verve s'animer & demander du chant
mefuré , il faut qu'il écrive en profe.
Si c'eft un père , par exemple , qui exige
de fa fille le facrifice de fon amour , il
écrira : « Fille cruelle ! tu veux donc ma
» mort? Quoi ! l'ami le plus tendre,
» qui fauva les jours de ton père ; a>
i? qui je promis ton cœur, comme la
x> feule récompenfe qui puifîe égaler le
» bienfait ; tu le refufes , tu refufes de
» m'obéir ! Fille cruelle , tu veux donc
» ma mort?
Les duos, les trios, les quatuors, les
chœurs doivent être écrits de même. En-
voyez ce canevas à Haidn ; fa verve s'é-
chauffera fur chaque morceau ; il n'ea
fuivra que le fentiment général , & fera
libre dans fa cornpofition , pourvu qu'il
ne forte pas du genre, & prévoye à quel-
ques égards , le diapafon de la voix à
laquelle le morceau eft deftiné. Qu'il fe
garde bien de croire que les paroles fe-
Dd
4iS Essai
ront parler un morceau , que fans elles ,
il rejetteroit comme médiocre ; non : il
faut que chaque morceau de fimphonie
foit tel , qu'il n'y defire plus rien pour
l'effet, Y uni té , la fraîcheur & la nou-
veauté des idées. Le frein dont on le
dégage , lui impofe la loi de bien faire :
on ne le rend libre, on ne brife fes fers,
que pour avoir un réfultat fupérieur à
celui du compofîteur qui travaille fur les
paroles, & qui a mille difficultés à vaincre.
PROCÉDÉS DU MUSICIEN.
Le Muficien ayant fait fà partition ,
& ayant laiflé les lignes en blanc pour
recevoir la partie ou les parties du chant,
fera exécuter fon ouvrage a grand or-
cheftre ; les morceaux qui n'obtiendront
pas PapplaudifTement , feront refaits. En-
core une fois il ne lui doit pas être per-
mis de faire rien de médiocre. L'on fera
alors une féconde répétition de fon ou-
SUR IA 'M "U S I q u E,' '419
vrage ; le Poëte lira le fens des paroleis
après chaque morceau , & fouvent les
fpe&ateurs doivent fe dire je Pavois de-
viné \ ou je Pavois fenti.
Procédés du Poëte avec le Muficien.
J'aimerois qu'une ou deux perfonnes
choifies , fulTent auprès du Poëte & du
Muficien Iorfqu'ils travailleront à faire les
vers que doit recevoir ïa mufique. Sou-
vent l'on s'obftine a vouloir trouver mieux
que ce qui eft bien ; un homme de goût
décide en ce cas, & empêche ïa chaleur
de fe ralentir. D'ailleurs le Muficien pré-
venu fur fes tableaux , leur ayant déjà
fuppofe' des paroles ; indécis fur celles que
lui préfente le Poète, fe rend à l'avis d'un
tiers qui applanit tout, & rait avancer le
travail. Le Muficien fe gardera bien d'exi-
ger que chaque note porte une fyllabe ;
il ne doit conferver en entier , que les*
traits de chant heureux : du refte , tou-
Ddx
4*-© Ë s s A r
tes les parties qui compofent fa partitiorf
instrumentale, ferviront tour à tour, pour
former fon chant. Si le Poëte trouve un
vers heureux, c'eft au Muficien de l'em-
ployer avec quelques facrifices pour ïa
mélodie De telle manière qu'il travaille, &
qu'il fafTe au Poëte plus ou moins de fa-
crifices , je le défie de rendre fa mu-
fique mauvaife, puifque d'avance elle eft
excellente & qu'il ne doit point déran-
ger l'cnfemble de la partition : il peut
même defïiner fon chant avant de tra-
vailler avec le Poëte , pourvu qu'il foit
fimple ck d'une belle mélodie, la poë-
lie trouvera mille refîburces pour expri-
mer fes accens.
Alors chaque morceau de mufique aura
une couleur différente ; ils auront une
unité parfaite, & ferviront tous dans les
concerts.
Les morceaux mutilés de notre mufi-
que dramatique font tels, parce que le Poëte
n'ayant rien deftiné particulièrement au
SUR tA MUSIQUE. 41Ï
chant niefuré, le Mufîcien faifit deux ou
trois vers qui lui conviennent : mais bien-
tôt il eft arrêté & forcé de recourir au
récit , parceque îe fens des paroles l'exige.
Que l'on ne croye pas que cette manière
foit l'unique ; ni même la meilleure : elle
eft , il eft vrai , exempte de lenteur; mais
combien de fois ne voudroit-on pas en-
tendre la fuite d'un air interrompu , û îe
chant en eft heureux ?
Je ne parle pas de la peine qu^àura
le Poëte en faifant les paroles fur fa mu-
iique; il en aura fans doute: mais à ne
confiderer que l'art poétique en lui même,,
que perdront nous dans le ftile? quelques,
airs ou duos , qui feront peut-être écrits
avec moins d'élégance: mais quant aux
trios, quatuors, chœurs &c. Que font le
plus fôuvent les paroles de tels morceaux?
des mots enfilés , qui ne valent pas la
peine qu'ils donnent au muficien. Laiftez
lui donc former fon tableau, d'après fe
fituation ; des paroles fi communes vien-
Dd 3
4^^ Essai
dront aifément fe ranger fous fa mufique.
Un tel travail , ne dût-il pas réufîir ,
doit être enayé, mais il réufïira , & au
delà de ce qu'on imagine. Je n'en ferai
pas l'efFaî , & je ne ]e confeille a aucun
compoliteur de mufique vocale : s'ils font
d'auffi bonne foi que moi, ils diront qu'une
fimphonie leur coûte fouvent plus de peine
que la fcène la plus difficile : j'indique aux
compofiteurs de mufique infiniment ait
le moyen de nous égaler Se de nous
furpaffer peut-être dans l'art dramatique.
Aucun ouvrage ne m'a coûté moins
de peine que la mufique d'Andromaque:
trente jours ont fuffi pour faire & écrire
îa partition. Il eft vrai que, contre mon
habitude, je compofois le foir, Ôc j'écri-
vois le lendemain matin. L'auteur àes pa-
roles 2 M. Para , ne me quitta pas un ïnf-
tant (i). Toujours entraîné par la beauté
(ï) Qu'on ne croye pas que M. Pitra ait eu la moindre
prétention en faifant ce poème, il nç touchoit aux vers
SUR 1 A MUSIQUE. 413
6c ïa rapidité de Pa&ion , cet ouvrage
fut fait d'un feul jet ; il pèche peut-être
par trop de chaleur, même en mufique,
& je confeille à ceux qui la feront exé-
cuter de n'en pas^prefler les mouve-
ments.
G'eft, je crois , ïa première fois qu'on
a eu Vidée d'adopter les mêmes inftru-
ments pour accompagner par-tout le ré-
citatif d'un rôle qu'on veut diftinguer.
Lorfque Andromaque récite , elle eft
prefque toujours accompagnée de trois
flûtes traverfières qui forment harmonie.
Plus j'eus de facilité à traiter ce genre ,
plus je me perfuadai , qu'il n'y avoit
qu'une manière de le faire. J'en fus con*
du divin Racine, qu'avec refpect & parce que la mufîquc
cxigeoit des coupures. L'envie qu'il avoit de me voir
clfayer mes forces fur un fujet tragique lui fit entre-
prendre cet ouvrage qu'il m'apporta comme un canevas
à être exécuté par un Poète Mais n'en connoiflant au-
cun qui dut Ce charger d'une C\ terrible tache, il fut
forcé par moi d'en courrir les rifm.es.
4^4 Essai
vaincu , ïorfqu'après avoir travaillé fur un
très-bon poëme intitulé Éle3rc, que je n'ai
pas encore offert a l'Opéra , quoique l'ou-
vrage (bit achevé , je fentis que l'harmo*
nie feule pouvoit donner des couleurs
différentes , aux mêmes accents tra-
giques.
Ce travail ne peut contenter .que îe
Muficien qui n'a pas reçu de la natare
dts chants aiTez variés pour fe prêter à
tous ïes tons de la déclamation.
La tragédie cfAndromaque eut, à deux
reprifes , environ vingt-cinq repréfenta*
tions qui furent interrompues par l'incen-
die de la falle du palais Royal. Mlle Le-
yancur joua ls rôîe d'Àndromaque avec dif-
tinâion: Mlle La guerre dont l'organe ra-
vivant retentit encore dans nos cœurs le
chanta en double & fembloit avoir em-
prunté les accents même de la veuve
d'Hector. Mo Lainez y joua le rôle de
Pirrhus en double 3 en montrant aux fpec-
tateurs qu'il devoit un jour crier les plus
SUR LA MUSIQUE. AZÎ
grands rôles. M. Larivéc a&eur inimi*
table pour la netteté de fa prononcia-
tion , & qui , pendant fa longue carrière
au théâtre, n'a peut-être pas dérobé une
fyllabe aux fpe&ateurs, fe montra auffi no-
ble que dans (es plus beaux rôles, en
rempliflant celui d'Orefie.
42.6 Essai
COLINETTE A LA COUR.
Comédie en trois acles en vers , par M. de
S¥¥¥ , repréfentée par l'Académie Royale de mu-
sique , le premier Janvier 1781.
L'EMBARRAS DES RICHESSES.
Comédie en trois acles en vers , par M. de
S¥¥* , le a 6 Novembre 1782.
LA CARAVANE.
Comédie en trois a&es en vers , par M. Morel
de Chedeville , le 30 Odobre 1783.
L'Opéra de Paris eft en tout fens, le
pays des illufions; la moindre innovation
y eft un crime pour fes habicue's. Il
fallut combattre longtemps pour que Ra-
meau remplaçât Lulli , & de nos jours , il
a fallu dans cent écrits, avertir les Fran-
çais que l'on chantoit en mefure dans
toutes les cours de l'Europe, & que îa
fcUR LÀ MUSIQUI,1 4I7
pfalmodie dont ils étoient idolâtres , étoic
reléguée dans les couvents.
Quel courage ne faut-il pas pour com-
battre des iïïufions qui conftituent ïe
bonheur d'un grand nombre de fpe&a-
teurs ? Ecoutez le bon vieillard qui après
vous avoir chante péfament quelqu'air a
peu près dans ce genre.
lentement
^■irgf'Mj^^
HSHiSlii
sïiïîiiiyii?
m
Vous dit : avouez , M. que cet air efl:
plein de grâce. Ah ! Si vous aviez vu
Mlle*** danfant cet air charmant!...
Quel charme dans tous fes pas ! Non :
vous ne re verrez plus ce tems la ! Ceû
en efluyant fes yeux , qu'il fe rappelle
42-8 Essai
celui de fà jeunefTe & de fes amours.
Dans ce cas ïa fenfation qui nous rap-
pelle un objet aimé devient en quelque
forte le pïaifir même , quoiqu'il n'en foit
que la réminifcence : les pîus douces
fenfations ne font jamais que des fou-
venirs. La première fois que l'on fent,
c'eft peu de chofe ; mais dans les beaux
arts fur-tout, le pïaifir fe multiplie autant
que la même fenfation fe renouvelle,
parcequ'elle entraîne avec elle les accef
foires agréables , qui chaque fois font
accompagnée. Pour prouver la nullité de
l'expreffion en mufique , n'a - 1 - on pas
ofé dire que l'air avec lequel nous avons
été bercé , tel qu'il puirTe être , nous fait
éprouver des fenfations délicieufes? Mais
l'air en pareil cas n'eft point un agent
exclufif; car un meuble, un objet quel-
conque femblable a celui de notre nour-
rice , doivent aufli nous rappeller ïe tems
précieux de notre innocence.
Lorfque je portai la comédie lyrique
SUR LA MUSIQUE. ifclj
fur la fcène de ï'Opéra , je fus aufîi regar-
dé comme un novateur répréhenfible (i).
Cependant je voyois le public fatigué
de la tragédie qui ne quittoit pas la
fcène. J'entendois îes nombreux partifans
de la danfe murmurer en la voyant ré-
duite à jouer un rôle accefToir & fou-
vent inutile dans la tragédie (2). Je voyois
Padminiftration , cherchant ïa variété ,
reprendre fans fuccès , des fragmens , ou
des paftoraïes anciennes ; je difois par-
tout que deux genres toujours en oppo-
fition , fe prêtoient des charmes mutuels ;
que les comédiens Français don noient
alternativement la tragédie & la comédie,
Se que fi on les obligeoit à renoncer à un
(1) Le Seigneur Bienfaifant avoit paru avec fuccès
avant les ouvrages dont je parle; mais je demande fi la
partie vocale y étoit traitée par le Mufîcien d'une ma^
nière à faire époque ?
(i) La danfe de l'Opéra mérite à tous égards (es nom-
breux partifans par la perfe&ion où elle eft portée.
430 Essai
des deux genres , ils ne fauroient fe dé*
cider. Enfin ces trois ouvrages , & fur-
tout la Caravane, donne's en très-peu de
tems , fixèrent l'opinion publique fur îa
nécefTité d'établir la. comédie lyrique à
ce fpe&acle.
SUR £<*- MUSIQUE. 431
L'ÉPREUVE VILLAGEOISE.
Comédie en deux a&es en vers, par M Des-
forges , repréTente'e aus Italiens le 24 Juin 1784,
Ce petit ouvrage doit fon exiftence k
la chute complette d'un plus grand ou-
vrage intitulé, Théodore & Paulin en trois
a£tes , & à double intrigue : favois remar-
qué à la première & dernière repréfenta-
tion de cette pièce que l'ennui & le
plaifîr fe peignoient alternativement fur
îa phifionomie des fpe&ateurs : l'ennui
étoit toujours caufé par ïes acteurs nobles ,
& les payfans ramenoient chaque fois
îa gaieté. Je partageai tellement les fen-
timens du public , que , malgré ïes
follicitations des comédiens , je refufai
une féconde repréfentation qui auroit pro-
duit le même effet. Je propofai à l'au-
teur des paroles un plan qui excïuoit les
perfonnages nobles: il l'adopta, & fit
43 a' £ s s à î
de Théodore & Paulin une pièce en
deux a&es , fous le titre de l'Épreuve Viï-
lageoifè. La fugue qui termine le premier
acte ,
Il a déchiré mon billet , &c.
fera fans doute un obftacle à ce que ce petit
ouvrage foit joué dans les fociéte's , où il
devroit être fingulièrement adopté î J'ai
placé une fugue dans cette pièce pour
encourager un élevé qui ennuyé de faire
des fugues , me difoit qu'il ne regretteroit
pas fa peine, fi elle pouvoit fervir à quelque
chofes ; la fugue, luidis-je , vous apprendra
à écrire correctement. La nature donne
ïa mélodie , il eit vrai ,, mais la fugue eft
îa réthorique qui apprend au Muficicn
à faire & à lier les phrafes harmoniques,
j'employai donc alors pour îa finale qui
m'occupoit une fugue que j'avois faite an-
ciennement. Cependant je confeille rare-
ment l'emploi de cette compofition , dont
le parterre ne fait aucun gré au Muficien
&
SUR t A MUSIQUE.' 433
Se qui pour les a&eurs eft trop diffi-
cile a retenir.
Voici les retranchemens que j'ai faits
à ce morceau pour en faciliter l'exécu-
tion dans un fpectacle de fociété.
Lorfqu'on arrive à l'endroit;
Hé bien , Denife , & mon billet ?
Denis e.
Votre billet?
Dites ce qui fuit en dialogue parlé.
Denise.
s» II a déchire vot' billet.
ia France,
a? II a déchire' mon billet.
André.
» Oui j'ai déchiré vot' bîïlet , .
m Et par la morgue j'ai bien fait !
n Reprenez enfuite ces trois accords.
Se
43 4 E S S A ï
B ■* 79"
Premier Violon,
La France chante ,
Mais dumoins vous Vaure\$u lire, &c.
Après le récit :
Pavois écrit oui -, hc bien ! hê bien !
Dites encore en dialogue parlé.
la France.
v II a déchiré mon billet.
André.
» Oui j'ai déchiré le billet.
Madame Hubert.
9) M. André , c'eft fort maï fait ,
» J'devrois punir cette infolence ;
» Mais j'prétends vous accorder tous.
« Quelle prenne pour fa vengeance
v M. d'Ia France pour époux.
SUlt !A MUSIQUE. 43 £
André.
« Oh ! jarnigoi quelle indulgence !
Denise, à part,
» Qu'eu défefpoir pour mon jaloux.
» J'adopte la vengeance.
» Allez enfuite à cet endroit :
fcH ^ ^ ) il =* ri— ] «<»kdM— -Ki-l J
Premier Violon , pag. 61 de la Partition.
Va , tu me Ppayras , en chœur jufqu'a
la fin de l'a&e. Si l'on n'a point de chœur,
l'on peut encore retrancher une partie du
morceau d 'en femble de la fin du deuxième
acte , fans nuire à l'action du poëme.
Lorfque la France, en entrant fur ïa
fçène a chanté ;
w Allons rendons hommage
» A l'objet qui m'engage ;
to C'eft l'honneur du village
» C'eft un objet charmant.
Ee 2
43 6 Essai
Pendant ce tems André baife la main
de Denife ; ïa France Je voit & faute à
la fin du morceau en chantant,
» Que fais tu la.?
» Que fais tu là ?
André répond :
» Moi , je rends hommage
» A l'objet qui m'engage , &c ôcc.
Ce retranchement devroit même être
adopté dans les fpe&acïes publics , parce-
qu'il termine rapidement l'aéHon.
J'ai foigné d'autant plus ce petit ou-
vrage , que l'exiguïté du fujet m'en im-
pofoit la néceffité. Un poëme qui com-
porte un puiflant intérêt, en a moins
befoin & l'on fent pourquoi ; j'ofe dire
même qu'il faut s'abflenir de trop recher-
cher la compofition muficale d'un Drame
compliqué } de crainte que cette double
complication ne fatigue les fpeclateurs.
Les couplets,
SUR LA MUSTQUE. 437
Bon Dieu , bon Dieu , comme à c'te fête ,
furent incontinent chantés dans les rues
& danfés par tout , même fur le théâtre
de l'Opéra. J'avoue que ce genre de
fuccès , que bien des compofiteurs fem-
blent dédaigner, me fit un fenfible pïai-
fir. C'étoit les premiers jolis couplets dont
je faifois la mufique , & je n'avois. pas
grande opinion de moi pour ce genre
de composition. Cette pièce n'a pas quitté
la fcène , depuis le jour où elle y a re-
parue. Elle acheva la réputation d'une
actrice (1) , qui par les grâces d'une heu-
reufe tournure, fait réveiller l'indifférence,
& fe faire fouvent préférer à la beauté.
(1) Mile. Adeline.
Ee3
438 Essai
RICHARD CŒUR DE LION,
Comédie en trois acles , par M. Sedaine ; re-
préfentée par les Comédiens Italiens , le 2j Oc-
tobre 17 8jr.
Jamais fujet ne fut plus propre à h
mufique, a-t-on dit, que celui de Ri-
chard Cœur de Lion. Je fuis de cet avis
quant à la fituation principale de la pièce,
je veux dire celle où Blondel chante la
romance.
Une fièvre brûlante, &c.
Mais il faut convenir que ïe fujet en
général n'appelle pas davantage la mu-
fique qu'aucun autre , je dis plus : la pièce
devoit n'être que déclamée f car alors la
romance devant être efTentieliement chan-
tée , rien ne devoit l'être que ce feul
morceau, qui eut produit encore plus
d^eiTet; je me rappelle avoir été tenté de
SUR. LÀ MUSIQUE. 439
ne aire précéder au fécond a&e, aucun
morceau de mufique à la romance , uni-
quement pour cette raifon ; mais faifant
réflexion qu'on avoit chanté dans cha-
que fituation du premier a&e , j'aban-
donnai cette première idée ; ne doutant
point d'ailleurs, que les fpectateurs fe fai-
fant illufion , n'écoutalTent cette romance
comme fi en mufique , elle eût été uni-
que dans l'ouvrage, (m) Ces mêmes ré-
flexions , m'engagèrent à la faire dans
le vieux ftyle , pour qu'elle tranchât fur
tout le refte. Y ai-je réufli ? Il faut le
croire ; puifque cent fois l'on m'a demandé.
fi j'avois trouvé cet air dans le fabliau qui
a procuré le fujet.
M. Sedaine en me communiquant fon
manufcrit me difoit : « J'ai déjà confié
y> ce poëme à un Muficîen ; il ne l'a
» point accepté , parcequ'il croit ne pou-
» voir pas faire aflez bien une romance
» qui s'y trouve. Lifez, décidez-vous ,
Ee4
44° Essai
» & point de complaifarice de votre
v part. »
Si j'acceptai fans héfîter ce bel œu-
vre dramatique , j'avoue que la romance
m'inquiétoit de même que mon confrère:
je la fis de plufieurs manières , fans trou-
ver ce que je cherchois , ç'eft à dire le
vieux ftyle eapable de plaire aux modernes.
La recherche que je fis pour choifir parmi
toutes mes idées ,1e chant qui exifte , fe pro-
longea depuis onze heures du foir, jufqu'au
lendemain à quatre heures du matin, (i)
Nous confiâmes le rôle de Richard , à
M. Philipe qui n'en avoit pas encore créé.
& qui depuis ce fuccès , a me'rité. de plus
en plus les appIaudifTemens du public.
A plufieurs répétitions , la beauté de la
fituation^ la fenfibilité de l'acleur, joia~
tes au défir de bien remplir fon rôle , exal-
(i) Je me rapelle qu'ayant formé pendant la nuit , pour
demander du feu; vous devez avoir froid, me dit mon
domeflique , vous êtes toujours là à ne rien faire.
SUR LA MUSIQUE. 44 1
coit fon knagination au point que fes
larmes l'étouffoient lorfqu'il vouloit ré-
pondre à Blondel.
Un regard de ma belle , &c.
Le jour de la première repréfentation >
cet a&eur plein d'ardeur & de zèle >
fut attaqué fubitement d'une extinction
de voix ; il uétoit plus tems de changer
îe fpe&ade y la falle étoit pleine ; il
me fit appeller dans fa loge , voyons ,
chantez - moi votre romance , il arti-
cula quelques fons arec peine ; c'eft bien
là , lui dis~je , la voix d'un prifonnier ;
vous produirez l'effet que je délire ; chan-
tez & foyez fans inquiétude.
M. Clairval remplit le rôle de Bfon-
del , d une manière inimitable ; la no-
blelîe d'un Chevalier, la fmelTe d'un aveu-
gle clair-voyant qui conduit une grande
intrigue: il fut employer tour-à-tour, tou-
tes ces nuances délicates avec un goût
exquis. Jamais un rôle ne périclite dans
44i Essai
*es mains de ceta&eur ; il fait fe retenir
dans les endroits douteux , ou trop neufs
pour le public ; mais à mefure qu'on s'y
accoutume, l'Acleur déployé toute l'éner-
gie dont Ton rôle efl fufceptible. Le comé-
dien - machine efl le même chaque
jour, if ne redoute que l'enrouement;
mais M. Clairval n'a pas ïe malheur d'ê-
tre îe même à chaque représentation ;
ïa perfection de fon jeu dépend de la
fituation de fon âme, & il fait encore nous
plaire lorfqu'il n'erl pas content de lui.
La mufique de Richard , fans avoir à
la rigueur le coloris ancien d'Aucaflin &
Nicolette , en conferve des réminifeen-
ces. L'ouverture indique , je crois , affez
bien , que faction n'efl pas moderne.
Les perfon nages nobles prennent à leur
tour un 4:on moins furanné ; pareeque
les mœurs des villes , n'arrivent que plus
tard dans les campagnes. Le Muficien par
ce moyen' peut employer divers tons 9
qui concourent à la variété générale;
SUR LA MUSIQUE, 443
lSalr , O Richard ! 6 mon Roi !
eft dans le ftyle moderne , parce qu'il eft
aifé de croire que le poète Blondel an-
ticipoit fur fon fiècle par le goût & les
connoifTances.
Le trio , Quoi ! de la part du Gouverneur ?
reprend une forme de contre-point con-
venable à Sir Villiams. Blonde! toujours
attentif à faifir le ton de chacun , fe
vieillit dans les traits de mufique, où ii
dit:
La paix , la paix , mes bons amis.
ces traits qui ne font rien en eux mêmes, &
que Duni avoit employés fi fouvent, attirent
l'applaudiffement parcequ'ils font vrais ;
je répéterai donc que rien ne doit être
exclu de la mufique , & que tout de'pend
de mettre un trait de chant dans fa vé-
ritable place.
L'on n'a peut-être pas remarqué ,
combien de fois Pair de la romance eft
444 Essai
entendu dans îe courant de la pièce foit
en entier ou en partie.
PREMIER ACTE.
i°. Lorfque Blondel veut fixer fur lui
Pattention de Marguerite.
2°. Lorfqu'elle le prie de jouer fou-
vent cet air ; il le recommence.
DEUXIEME ACTE.
3°. La ritournelle delà fcène avec Ri-
chard.
4°. Un couplet.
5*. Un autre couplet avec refrein.
6°. Il joue Pair avec fracas pour fe
faire arrêter.
TROISIEME ACTE.
7° Lcrfqu'il criante dans la couliffe ,
pour être introduit devant Marguerite.
8°. Dans le morceau d'enfemble ;
Oui , Chevaliers , &c.
9 . Dans le dernier chœur.
SUR LA MUSIQUE 44.7
II étoitaifé de fatiguer les fpedateurs
en répétant G. fouvent le même air : mais
il faut remarquer que la première fois,
il eft joué fans accompagnement ; fa fé-
conde avec variation ; la troifième avec
accompagnemens ; la quatrième & cin-
quième, avec les paroles; la fixième joué
feulement avec variation à doubles cor-
des pour indiquer qu'il veut faire beau-
coup de bruit.
La feptième il chante fans accom-
pagnement , la moitié du refrein feule-
ment.
La huitième , dans le morceau d'en-,
femble
Oui Chevaliers, &c.
il c hante fon air fur une mefure différente.
Sa voix a pé- né. tré mon a. m"^
je la çon.nois,oui,ouiMa-"daMnïr
44 ^ E s s a ï
N'efl-ce pas comme s'il difoit, fà voix
a pénétré mon ame , en chantant l'air
qu'il fît pour vous ? La neuvième fois
enfin , dans le dernier chœur, où cet air
eft chanté en trio.
Sans doute il falloit préfenter cet air
fous autant de formes différentes pour ofer
ïe répéter fi fouvent: cependant, je n'ai
pas entendu dire qu'il fût trop répété ;
parce que le public a feutî que cet air etoit
ïe pivot fur lequel tournoi t toute la
pièce.
Uair , Si l'univers entier m'oublie , &c.
qui précède la romance, a montré une chofe
neuve. Les trompettes & timbales voilées
ont femblé rappelier avec douleur la gloire
du Héros ; cet effet a paru bien fenti :
Se chœur qui termine le fécond a&e;
Sais tu f connois tu !
eft dans le ton du vieux contre -point,
hs Soldats de ce tems, revenant, de la
SUR EA MUIiqUE. 447
terre fainte , les idées qu'on fe fait de ce
tems religieux , m'ont fuggéré ce genre
de mufîque.
Richard parut d'abord en trois a&es,
mais non pas avec le troifième a&e que
l'on joue actuellement; Ton engageoit le
Gouverneur à rendre Richard; iî cédoit
par raifon , & quoiqu'il dit à Laurette que
fon amour pour elle n y avoit point de
part , les fpe&ateurs le croyoient , &
biàmoient le Gouverneur qui manquoit
à fon devoir. M. Sedaine en abrégeant îe
troifième aéte, en fit un quatrième. Le
Gouverneur ayant refufé de rendre Richard
ëtoit retenu prifonnier chez Villiams ;
Blondel fe trouvoit dans le même fou-
terrain, fous prétexe que le père de Lau-
rette avoit découvert qu il fervoit le Gou-
verneur & fa fille dans leurs amours.
Blondel fe faifoit donner un écrit du
Gouverneur , afTez équivoque pour qu'on
lui remît Richard , quoique le Gouverneur
n'eût penfé qu'à fa propre délivrance ,
44$ Essai
Richard paroiflbit dans la prifon au grand
étonnement du Gouverneur.
Cette manière de'plut encore plus que
ïa première : cependant , les repréfen ta-
rions fe continuoient toujours avec ia
même afïïuence , grâce au fécond a&e.
Les habitants de Paris âvoient une telle
envie de voir terminer cet ouvrage d'une
^manière agréable, que chaque fociété m'en-
voyoit un dénouement pour Richard. En-
fin M. Sedaine adopta le fiége qui con-
cilie tout , qui lailTe intacte la conduite
du Gouverneur , & qui préfente un beau
fpeéèade , feule relTource qui reftoit après
avoir intérélTé auffi vivement dans le fé-
cond a&e. II efl: inutile de parler du fuc-
cès de cette pièce ; il paroi t que cent
repréfentations , toujours avec la même
affluence , fuffiront à peine à PemprelTe-
nient du public.
PANURGE
S U R t A MUSIQUE.' 449'
PANURGE DANS L'ILE DES
LANTERNES.
Poëme en trois ades , en vers , par M. Mord
de Chedeville ; repréfemé à l'Ope'ra , le 2 5 Jan-
vier 1785.
Panurge eft. le premier ouvrage entiè-
rement comique, qui ait paru avec fuc-
cès fur le théâtre de l'Opéra , & j'ofè
croire qu'il y fer vira de modèle. Le fu-
jet en eft fimple, la pompe y eft inhé-
rente , & les divertilTements font nécef*
faires. La tempête du premier a&e , qui
amène îe Héros de la pièce furie théâtre,
eft une idée neuve.
Oui , vous ferez heureux ,
Si par un orage
Un étranger jeté fur ce rivage , &c.
Après l'accompliiTement de cette pré-
diction du grand Prêtre , la joye du
peuple , les fanfares en contracte avec 1©
Ff
4?o Essai
bruit du tonnerre font d'un bon effet.
Ce comique tiré de la chofe même , me
femble digne de Molière.
Panurge ck Arlequin font des ca-
ractères dont l'effet eft certain fur Pef.
prit du peuple , & de tous ceux qui fc
permettent de rire. En effet, le moral d'un
être qui ne réfléchit ni fur le paiTé ni
fur l'avenir ;
Ne vous fouvierit-il plus que vous fûtes marié?
O ciel ! En voyageant je l'avois oublié.
Un être que le préfent feuï occupe ;
qui toujours prévenu de fon petit mérite,
jouit même des plaifanteries qu'on lui
adreffe, ce caractère eft immanquable au
théâtre ; & peut-être chaque homme dans
îa fociété devroit délirer le moral de Pa-
nurge , fi famour-propre n'étoit révolté
par l'idée d'être dupe pour être heureux.
Si le difcipïe de Socrate eût compofé
fa république de fujets du caractère de
SUR LA MUSIQUE. 4, 5 t
Panurge , ïe bonheur général n'eût pas été
douteux avec un chef tel que Platon.
L'ouverture de cette pièce indique les
caractères nobles & comiques qui vont
paroître fur la fcène ; Ja phrafe fui vante
! £Jr -J «sMp: 1 { ta**.— J .
— |ra| ,àm 1 — \ -Un» 1 ' pW
pLfcd
!=fe|lif^
Ff
45^ Essai
eil une des plus longues qu'on ait faîte
nemufique ; j'aurois également adopté cette
phrafe , fans doute , fi ïa fcène n'eût pas
été dans Je pays des Lanternes ou des
Lanternois: Dans ce pays Von n'cjl jamais
prejfe, dit le poëme; mais j'aime mieux
qu'elle foit a l'opéra de Panurge. Cette ou-
verture fervit à développer les talens ra-
res des danfeurs & danfeufes de l'Opéra.
XjyidcQ de la propofer comme muflque de
danfe ne m'eft venue que deux jours avant
la première repréfentation ; j'étois affligé
de voir que la danfe finale des opéras
n'étoit prefque jamais que le fignal du
départ , & que les loges étoient vuides
îorfque îa toile tomboit. Je jouai cette
ouverture à M. Gardcl l'aîné en lui faifant
remarquer les contractes qui s'y trouvent ;
il l'adopta d'autant plus volontiers qu'il
ëtoit l'inventeur de ce qu'on appelle fi-
nale de danfe ; le fuccès a fi bien répondu
à notre attente que les ennemis des au-
teurs n'ont pas fait difficulté d'attribuer
SUR X A MUSIQUE 453
îe fuccès confiant de cet ouvrage a l'ou-
verture reprife avec danfe à la fin de
l'opéra , mais qu'on me montre un ou-
vrage qui réuffifTe par le charme des dix
dernières minutes de fa durée & je les
en croira;.
Le récitatif de Panurge efî je crois ,
vrai , fans être trivial ; il doit moins en-
nuyer que le récitatif noble , parceque
les inflexions y font plus multipliées. Sans
l'intérêt de la fcène, je doute qu'un ré-
citatif noble pût fe foutenir par fa dé-
clamation. Les morceaux de chant de cet
opéra peuvent prefque tous fe détacher
pour être exécutés dans les concerts ; cet
avantage n'efc pas à négliger y quand on
le peut fans nuire a l'intérêt dramatique»
( voyez l'article Andromaque. ) M. Lais
qui nous parut doué de toutes les qua-
lités ncceffaires au rôle de Panurge , y
a établi fa réputation. S'il a perdu par
ce fuccès l'efpoir d'être cité comme îe
premier a£teur tragique de l'opéra , i$
Ff3
454 Essai
ne doit point en être fâché ; c'eft ïe
public qui lui a afligné fa véritable place;
trop heureux l'a&eur qu'il prend fous fon
aile. Quand ce même public fe rappelle
les taîens de Lekain & de Préville, on
ne voit guère de quel côté fes regrets
font pencher la balance.
SUR LA MUSIQUE. 45$
LE MARIAGE D'ANTONIO,
Comédie en un a<fte , repréfente'e aux Italiens
le 29 Juillet 1786.
Je commencerai cet article en rappor-
tant la lettre que j'écrivis aux auteurs du
journal de Paris , le famedi zj Juil-
let 1786.
MESSIEURS,
Prétendre garder l'anonyme en don-
nant au public une pièce de théâtre , m'a
toujours paru une inconféquence , d'autant
qu'on doit être fur que le fecret ne fera point
gardé. Peut-être même feroit-il difficile de
prouver que c'eft par une véritable mo-
deftie qu'en pareil cas on cherche à fe
cacher.
J'ai donc fhonneur de vous annon~
cer , que la petite pièce en un a&e ,
intitulée le Mariage cd Antonio , qu'on
Ff 4
45 ^ Essai
donne aujourd'hui aux Italiens , a été
mife en mufique par une de mes filles
âgée de treize ans (t). Mais comme je
ne veux point alte'rer la candeur de Ton
âge en excitant en elle une préfomption
menfongère ; je dois dire qu'ayant elle-
même compofé tous îes chants avec leur
baffe Se un léger accompagnement de
harpe,, j'ai écrit la partition qu'elle n'é-
toit pas en état de faire. Les morceaux
d'enfèmble ont été rectifiés par moi ;
cette compoiition exigeant une connoif-
fance du théâtre que je ferois bien fâché
qu'elle eût acquife.
Si les chants font quelquefois décla-
més avec vérité, cela provient fans doute
de la manière dont je l'inftruis, Se qu'il
n'eft pas inutile peut-être de faire con-
nokre.
Lorfqu'elle m'apporte un morceau que
je juge n'être pas faifi muficalement
(0 Aujourd'hui Madame de Marin,
SUR LA MUSIQUE. 4J7
dans îe fens des paroles ; je ne lui dis
pas, votre chant efî. mauvais: mais voici,
lui dis-je , ce que vous avez exprimé.
Alors je chante fon air fur des paroles
que j'y crois analogue , & je donne une
vérité d'expreflion à ce qui n'étoit que
vague ou à contrefens.
Cette méthode d'éducation m'a paru
la meilleure ; car pourquoi rejetter comme
mauvais ce qui en certains cas , auroit
pu être bon ? En fe perfectionnant dans
Part des modulations avec un excellent
maître ( M. Tapray ) ; en apprenant
avec moi l'art d'écrire le contrepoint,
je ne juge pas inutile de l'accoutumer
à fe fervir de l'expreffion jufie. Cette
habitude doit être prife de bonne heure;
car le langage mufîcal, énigmatique pour
bien des gens, eft en effet auffi vrai,
aum* varié que la déclamation : je lui
enfeigne des vérités dont je fuis perfuadé.
L'étude d'un compofiteur eft celle de
la déclamation, comme le deflin d'après
458 Essai
nature eft celle d'un peintre. Il faut con-
fulter l'âge, l'état, les mœurs, la fitua-
tion du perfonnage qu'on veut faire chan-
ter. Quand on a faifî ces rapports & cet
enfemble, c'eft à la nature à faire le refte;
c'eft-à-dire que c'eft à elfe a former un.
criant agréable , né de la déclamation.
Si au contraire vous ne faites qu'un criant
vague , vous ne contentez que F oreille ;
fi vous déclamez feulement, vous ne con-
tentez que le bon fens ; mais chanter ôc
déclamer font les fecrets du génie & de
la raifon.
Je dis a ma fille ce que je voudrois
qu'elle fit un jour, & ce que je voudrois
faire moi-même.
C'eft à titre d'encouragement que je
lui ai permis cet efTai ; mais le public
feul peut lui permettre de continuer. C'eft
à lui d'encourager un fexe qui , **e*- pour
démêler peut être mieux que nous les
nuances du fentiment & les finelîes de
la comédie , pourroit trouver k la,
SUR JLA MUSIQUE. 459
fois la gloire & l'aifancc honnête dont
les chemins lui font par tout fermés. La
peinture fe glorifie des talens fupérieurs
de madame Lebrun & de madame Guiard ;
pourquoi la mufique n'auroit-elïe pas un
jour des maîtres du même fexe , dans l'art
de nous charmer par des comportions
muficales ?
J'ajouterai à cette lettre que pour for-
mer un élève , il eft elTentiet de lui faire
comprendre avec précifion l'exacte ponc-
tuation de la mufique.
L'on pourroit fans doute affigner quelle
doit être a la rigueur la note de la gamme
qui doit fe rapporter a tel figne de la
ponctuation du difcours; marquer une
différence entre le point d'exclamation &z
d'interrogation ; une entre les deux points
ou le point & virgule ; maisceferoit mettre
des entraves au fentiment dont il s'écarteroit
fans ceffe. Le meilleur lecteur ou décla-
mateur , eft celui qui fait le mieux fentir
ce qu'il dit ; il en eft de même du Mu-
4^0 Essai
ficîën ; une forte de liberté doit de toute
néceffité exiflcr dans les arts ; l'ignorant
en abufè mais l'homme de génie en
profite.
Voici encore un moyen peu ufîté qui
m'a réuffî. Nous prenons de îa bonne mu-
lique inftrumentale , & en jouant ou en
folfiant la partie chantante, nous cher-
chons tous les fignes connus de la ponc-
tuation ; cependant comme je l'ai dit, l'ex-
clamation & l'interrogation fe prennent
aifément l'un pour l'autre , de même que
ïe point ôc virgule & les deux points ; la
différence n'exifte guère que dans le
ligne , & peu dans l'accent de la voix.
Cet exercice accoutume l'élève à être
précis , & a rejetter les parafes équivo-
ques/relativement aux paroles. La mufi-
que vocale qui ennuyé eft prefque tou-
jours phrafée & ponctuée à contre-fens ,
& c'eft le plus grand tourment que puifFe
éprouver une oreille fenfibie.
J'ai donné pluiieurs maîtres de mu-
SUR LA M US I QUI. 461
fîque à ma fille & j'en changerai en-
core. Je fais qu'elle n'en tirera aucun
parti fi elle n'fl deitine'e qu'a être un
compofiteur du commun. Je fais qu'elle
s'embrouillera dans les différens fyf.
ternes que fes maîtres lui préfenteront;
que m'importe ! J'aime mieux qu'elle
s'égare & refre enfevelie dans cette fur-
abondance, que fi elle devenoit la copie
d'un feul homme. Mais fi la nature l'a
deilinée à être quelque chofe par elle-
même , elle aura dequoî choifir, & ïaura
mettre a profit jufqu'aux contradictions
qui exiftent entre tel & tel fyftême.
L'élève doit tout voir , tout connoître ;
tout comparer ; c'efl de ce cahos qu'il
fe forme un genre & un flyïe. C'eft ainîi
que tenant tout de fes maîtres, îa nature
doit tout rectifier en lui, pour le rendre
original.
Les maîtres d'harmonie nenfeignent
à ma fille que des phrafes harmoniques,
$6% E s s a j
moi fcuî , je lui dis , où & comment
elles doivent être employées.
Je lui répète fouvent les principes ré-
pandus dans cet eiïai j je l'encourage en
lui difant qu il eft une mélodie vers la-
quelle elle eft appelée ; que îa jeunette
a mille fenfations à nous révéler par fa
mélodie , tandis que l'artifte, quoiqu'ex-
périmenté , mais fatigué ou glacé par
Page , n'a prefque plus rien à nous dire
dans ce charmant langage.
Il eft, lui dîs-je , deux fortes de mélodie.
La première eft celle que donne la fen-
fibilité , qui ne fubfifte qu'avec elle te
comme elle ; je veux dire que la fenfi-
bilité puérile du vieillard , n'aura plus
aucun des charmes de celle du bel âge.
Cependant cette fleur fi belle a befoin
d'une tige pour la foutenir ; cette tige eft
l'harmonie qu'on n'acquiert que par l'étude
de la combinaifon des fons.
La féconde eft une forte de mélodie
fchoîaftrque , que l'on apprend à faire
SUR LA MUSIQUE. 463
par l'étude du contre-point & de l'har-
monie. Celle-ci toujours corre&e , eft ce
qu'on appelle ïa mufique bien faite , qui
n'a qu'un certain nombre de partifans,
mais ïa première plaît à. tout ïe monde
quoiquelle rejette fouvent les entraves
d'une règle trop févère.
On pourroit auffi regarder l'harmonie
fous deux rapports. Il eft , en effet une
harmonie qui charme notre ame; mais
n'eft - ce pas parcequ'elle eft produite
par îa mélodie qu'elle renferme ? L'autre
n'eft qu'une fuite de fons placés métho-
diquement , dont l'artifte fe fert cepen-
dant quelquefois pour ombrer fon ta-
bleau, en ménageant des repos à la fen-
fibilité des auditeurs , qu'il faut fe garder
d'épuifer
J'ai dit quelque part , qu'un accord fe
trouve , par un procédé de l'art , mais que
nous ne connoifïions pas de procédé pour
créer un trait de chant. L'homme qui
pofsède le talent de faire des chants
4^4 E s s A i
heureux , pourrok cependant former, dans
cet art enchanteur, un élevé déjà favorifé
de la nature.
Examinons un inftant cette partie , ïa
plus délicate de l'art mufical , & qu'on
n'a jufqu'à préfent enfeigné que refpec-
tivement à l'harmonie ; car , on apprend
bien à l'élève à faire chanter entre elfes
ïes parties qui constituent le contrepoint
ou la fugue : mais ici il n'eft point ques-
tion d'harmonie , il s'agit d'accoutumer
l'élève a choifir dans quelques notes de
la gamme , celles qui auront le plus de
charme dans leurs combinaifons, pour
former un chant à voix feule. Ce chant
heureux fera fans doute fufceptible d'une
baffe 3 ou de plus ou moins d'harmonie
de rempliffage ; mais c'eft d'abord à ce
chant feul qu'il faut tout facrifier.
N'vons nous pas remarqué, que les
airs les plus courrus font ceux qui em-
braffent ïe moins d'efpace , le moins de
Botes , le plus court diapafon. Voyez
prefque
Sur la musique; 46 ç
prefque tous les airs que le tems a ref-
pectés ; ils font dans ce cas. Il faudroit
doncprefcrire k i'éleve , en le laifîant maître
du mouvement , de faire des criants avec
quatre , cinq , ou fîx notes. La feptième
note de la gamme eu dure à moins qu'on
ne farTe fuccéder les fons comme nous
Pont indiqué les anciens.
îin^M-0
eÊe^^sÊÊIMÊÊ
Avec un maître fenfible à ïa mélodie ,
je ne doute pas qu'un élève bien choifï
ne s'accoutume à faire de ces chants
heureux , dont on ne peut fe rendre
raifon , mais qui cependant nous ravif-
ient. Qu'on ne croie pas cette occupation
feche Se munitieufe ; il efl fi flatteur de
faire beaucoup avec peu de chofe ! Ra-
cine en rarîemblant quelques mots com-
muns pour tout le monde , joui/Toit fans
doute , en faifant un vers immortel. Au
relte un trait de chant heureux eft prefque
466 Essai
toujours un élan de l'ame qu'il faut (avoir
faifir en fe donnant néanmoins la peine
de le chercher. Le compofiteur qui fait
fon métier peut faire, dans une matinée,
douze ou quinze mefures d'harmonie a
l'abri de toute critique ; mais je ne con-
feille à perfonne de promettre en huit
jours un air afTez heureux pour qu'il foit
faifi par tout le monde, & chanté dans
les rues.
Un habile inftituteur , je veux dire
celui qui fuit la nature , ck n'a point de
routine , doit étudier chaque élève qu'il
veut former. S'il eft vif , s'il a la mé-
moire aifée , il retiendra mieux les chofes
que les mots qui les repréfentent. Gardez
vous dans ce cas de faire de vains efforts
pour claiTer méthodiquement dans fon
cerveau les règles que vous prefcrivez.
Gardez-vous de le comprimer dans une
fphere trop bornée, en voulant lui incul-
quer une feule chofe. Les impulllons doi-
vent être légères, toujours différentes &
SUR LA. MUSIQUE. 4,67
proportionnées à la foïblelTe de l'organe
qui les reçoit. Présentez lui des ide'es
toujours à fa portée ; faites difparoître les
mots techniques. Quand vous îui aurez
montré fouvent les élémens de la partie
de fart que vous traitez ; c'efr lui-même
qui leur donnera Pordre qu'ils doivent
avoir ; il y parviendra tôt ou tard t &: ne
l'oubliera jamais. La première idée ap-
pellera la féconde, celle-ci la troiilème, &c.
Un jour je vis une jeune demoifelle
qui pkuroit ; fa mère me dit avec cha-
grin , que le maître de mufique de fa
fille , ne pouvoit depuis trois mois lut
apprendre la valeur des notes. Cela eft
cependant bien aifé } dis-je , a la demoi-
felle. Avez-vous de l'argent dans votre
bourfe ? — Oui , Monfieur , ■ — donnez
la moi. Comment appeliez-vous cela ? —
Oeil un fou. — Bon. Je le mis fur la
table , donnez-moi à préfent un fou en
deux pièces de mon noie.... Elle me re-
garde & dit 9 ce font deux demi fous
G" 1
o
468 Essai
que vous demandez ? — Oui : — les
voilà. Je les mis fous la pièce d'un fou.
Qui a le plus de valeur , lui di-je , de
ce fou , ou de ces deux demi-fous ? Ah
quelle pïaifanterie , me dit -elle; mais
c'eft la même chofe. Il eh: vrai , lui dis-]e.
Donnez - moi à préfent un fou que
je veux donner a quatre petits enfants
bien pauvres ; — Un fou pour quatre
petits enfants ? Quatre liards vaudroient
mieux , ils en auroient chacun un. —
Vous avez raifon. Je les pofe fous les autres
pièces de monnoies. II y a bien encore
huit petits enfants dans une autre maifon,
, mais je ne veux leur donner quun fou
à partager entre eux, & cela me paroît
difficile , — oui très-difficile me dit-elle ,
car cela ne fe peut pas.... Et voilà fa tête
qui travaille ; Eh bien donnons un liard
pour deux enfants : oui , îui dis-je , mais
chacun voudra le garder dans fa poche ,
ils fe querelleront. — Cela eft vrai : pour-
quoi n'a-t-on pas fait des demis liards
SUR LA MUSIQUE. 469
auffi ? — II y en a dans mon pays, lui
dis-je. — Eh bien , faîtes- en venir , —
oui, & en attendant mettons fur la table
de petits morceaux de papiers pour les
remplacer.
La bonne mère fourioit pendant la
leçon. Allons , mademoifelîe dis-je à fà
fille , vous (avez la valeur des notes auiïï
bien que votre maître , j'ai change' leurs
noms , parcequ'iïs étoïenr trop difficiles
à retenir , prenez du papiet & écrivez
ce que je vais vous dicter.
La ronde s^pelle un fou , la blanche
un demi-fou , & il faut deux demi-fous
pour faire un fou. La noire s'apelle un
îiard , il en faut deux pour un demi-fou,
& quatre pour faire un fou. La croche
s'apelle un demî-Iiard , il faut deux demi-
îîards pour en faire un , il faut quatre
demi-liards pour [faire deux liards y Se
huit demi-liards pour quatre liards. Ce
détail eft puérile , mais il faut qu'il le
foit pour Penfant de quatre a cinq ans»
Gg3
47° Essai
Avant d'afîujectir les Ton s a des valeurs
quelconques , on exerce les élèves fur
l'intonation feulement , c'eft-a-dire qu'on
leur fait chanter des notes avant de battre
îa mefure. Je demande s'il ne feroît pas
très-utile de leur apprendre ce qu'ils ne
favent pas , par une chofe quils favent
déjà ; c'efl-à-dire , de leur faire folfier les
petits airs qu'ils favent par cœur? Je
connois une jeune demoifelle (i) qui,
étant obligée de partir pour la campagne,
après avoir pris quelques mois de leçons,
& ne lâchant guère plus que fa gamme,
s'avifa fans que p rfbnne le lui eut
infpiré , de folrlcr les contre-danfes qu'elle
danfoit les dimanches & fêtes. De retour
à Paris fon maître, très-étonné , fut loin
de croire qu'elle eut perdu fon tems. Re-
marquons que les premiers folfeges qu'on
donne aux enfants , ne font que des notes
prifes prefqu'au hafard : on leur donne %
(i) Mademoifelie de Corancé\
S V R Ï.A MUSIQUE. 47 x,
même exprès, des chants infignifiants,
de peur que leur oreille ne les guident
plutôt que leur intelligence. Mais ce
moyen les ennuie , 8c au contraire ea
leur faifant noter & foïfier d'eux-mêmes
l'air qu'ils fa vent par cœur , Ôc qui leur
rapelle îe plainr de la danfe, c'eft un
moyen bien plus fur de les infhruire en
les amufant.
La connohTance de toutes les clefs eft
encore d'une très-grande difficulté pour
les enfants & pour tous les élèves en
mufique. Après s'être accoutumé a une
clef , il en coûte prefque autant de peine
pour s'accoutumer a une autre.
Clef d'ut fur la première ligne , fur
la troifième y fur la quatrième ; clef de
fa fur la quatrième ligne , clef de fol fur
la féconde , &c. &c. II faut quinze ans
pour qu'un Muficien les connoiffe toutes ,
& jamais également bien.
On auroit dû goûter îe projet d'un
Muficien quipropofa l'unité de clefs. Mais
G§4
'47 2- ' E s s a î
îe diapafon réel de chaque voix , dira-ton r
celui de chaque infiniment feront con-
fondus. Quel renverfement pour l'harmo-
nie i Je n'en vois aucun. Suppofons qu'on
adopte la clef àtfol fur ia deuxième ligne
pour toutes les voix & ïes inftrumens ,
excepté la baffe , à laquelle je voudrois
conferver fa clef de fa fur la quatrième
ïïgne , ainfi que la viole qui joue fouvent
avec elle. Voici alors ce qu'il faudroit faire.
Clef de fol pour les deflus , les violons,
hautbois ; flûtes , &c.
Clef de fol pour ïes haute-contres Se
les tailles, Sa forme eut indiqué qu'elle
étoit a l'octave baffe de celle du deflus,
du violon &c
La clef de fa fur îa quatrième ligne,
fervant à la vicie , auroit eu cette forme
ou toute autre*
SUR LA MUSIQUE. 473
Cela auroît dit que ïa viole joue na-
turellement l'o&ave haute de la baffe.
En foïfiant par tranfpofition , c'eft-k-
dire en appelant ut , la tonique de chaque
ton , je fais que l'unité de clefs , devient
inutile , mais ne chantons plus par tranf-
pofition ; car dans tous les cas , il vaut
mieux laiïTer appercevoir à l'élève que dans
tel ton il faut tant de diefes ou de bé-
mols pour retrouver îa gamme naturelle.
On dira que les différentes clefs marquent
au jufte l'étendue ou le diapafon de cha-
que voix en commençant fous la pre-
mière ligne , & en finifTant au defTus de
la cinquième , mais cela n'eft bon que
dans les chœurs. Encore îa clef dW fur
la troifième ligne ne convient guère s aux
hautes-contres de l'Italie a caufe de leur
étendue (i).
Quant aux récitans , îa nature
ne îeur donne prefque jamais deux
474 Essai
voix femblables par leur étendue. D'ail-
leurs chaque Muficien fe pique de prendre
un ton au defïus de fon confrère ; les chan-
teufes Italiennes & mademoifelîe Renaud
brochant fur ïe tout , entonnent déjà la
moitié de la triple o&ave ; il faudra 'ce-
pendant bien que cela fmuTe & qu'on
retourne a la nature.
Si votre élève eft d'une complexion
forte , taciturne , s'il n'eft point enjoué ;
il eft probable qu'il a de l'embarras, de
l'engorgement au cerveau. Vous. le per-
drez fi vous voulez le forcer à comprendre ;
c'efi vouloir remplir le trop plein. Que
faut - il dans ce cas ? ne lui rien ap-
prendre ; mais enfeigner les autres en-
fants devant lui , & les récompenfer à
fes yeux. ïl voudra s'en mêler quelques
jours ; il vous interrogera , reprendra &
quittera cent fois fes occupations , & les
petites impulfîons volontaires qu'il don-
nera aux fibres de fon cerveau , ïe gué-
riront probablement de fa maladie , &
SUR IA MUSIQUE. 475
en feront peut être un homme d'efprit,
au lieu qu'une e'ducation forcée en eut
fait certainement un imbécile.
47 ^ Essai
LE COMTE D'ALBERT.
Drame en deux actes , &. la fuite en un acle :
par M. Semaine , de l'Académie Françaife ; re-
préfenté à Fontainebleau, le 1 3 Novembre 178 6 ,
à Paris le 8 Février 1787.
Le fujet du Comte d'Albert m'a paru
original. M. Sedaine, efl: un de ces hommes
heure ufement ne's , pour qui la nature
n'auroit point de charme , s'il ne la fai-
fiflbit dans tous fes rapports les plus vrais;
il n'adopte une fituation , que parcequ'iï
efl fur qu'elle produira tel effet. Pendant
les répétitions , je refpe&e Tes moindres
volontés ; s'il tourne une chaife , c'eft
parcequ'iï prévoit que l'actrice vue de
profil , fera l'effet qu'il defîre. Mais il a
peut être encore plus fenti que raifonné
fes fituations.
Auffi Fa-t-on vu fondre en larmes à
îa repréfentation de la fcène de Blonde!
avec Richard; preuve inconteftable que
sur ia musique. 477
le fentiment le guide dans fes compofi-
tions , & que la fcène mife en action le
faifit lui-même autant que nous. De com-
bien de fentimens, de combien de con-
trafles , n'eft on pis affecte' à la fcène
du deuxième acle d'Albert? C'en: par re-
connoiflànce qu'un malheureux porte-
clef, devient le dieu tutélaire d'une fa-
mille illuftre. Un grand Seigneur fe revêt
des guenilles de cet homme. Prene^mon
habit , prene^ ces plats , ces ajjiettes ,*
prene^ce panier, mette^ma perruque. . . .
Tous ces mots les plus communs , font
ennoblis par îa fituation ; avec quel art
il rend fiffue de la prifon difficile ! Vous
monterez trois marches, vous en défendre^
fix , au fond d'une allée obfcure ; vous
trouvere^un efcalier gui tourne. Ne fembïe-
t-il pas avoir mis l'efcaïier qui tourne ,
pour nous faire craindre qu'un vertige
ne trouble le Comte d'Albert ? Prene^
tel fin de voix, baijfe^ votre tête ; creye^
être moi , vous êtes fauve. Ces mots dignes
47^ E s s a ï
de Sake/pêar, ne font jamais entendus;
parceque les fpe&ateurs ne fe contien-
nent point. Remarquez encore dans cette
fcène, la Comteflè affilie par terre , fou-
lant aux pieds un riche habit , maniant
de Tes doigts délicats , les guêtres du porte-
faix pour revêtir l'époux qu'elle adore.
Antoine fe déshabille prefque nud devant
cette dame vertueufe ; mais qu'on eft. loin
de fonger à l'indécence.
Cependant à travers mille fentimens
d'intérêt dont îe fpechteur eft agité ;
qui le croiroit ? L'on voit dans les mêmes
perfonnes , des bouches convulfivement
ouvertes par le rire , pendant qu'un tor-
rent de larmes femble expier ce crime in-
volontaire. Remarquons d'ailleurs comme
toujours fes effets les plus puiffants , font
produits par de petites caufes ; il n'en:
point étonnant qu'une grande caufe pro-
duife un grand effet , mais le contraire
étonne. Dans Richard, Blondel délivre
fon Roi ; Blondel fe préfente comme un
SUR LA MUSIQUE. 47 0.
pauvre aveugle jouant du violon.
Son déferteur eft arrêté, c'eft une noce
de village qui produit la catailrophe la
pfus tragique , on lui fait croire a la vé-
rité que c'efï la noce de Louïfe fa maî-
trelTe : mais il ne l'auroit pas cru s'il
n'avoit vu cette noce , & entendu les
violons. C'eft un pont-neuf que Ton joue.
EÊEEB
H^>?
Depuis que je connois le Déferteur,
cet air de guinguete me fait frémir , &
malgré moi je verrois à regret une noce
de village fe fervir de cet air pour aller
à l'édife.
Je connois une femme qui n'a plus
480 E S S A ï
voulu qu'on frapât a fa porte , depuis
l'imprefTion que lui ont fait les coups
de marteau , dans le Philofophc fans le
/avoir , & qui pour cet effet à fait mettre
une fonnette.
Antoine , du Comte d'Albert, efl ren-
verfé Se fait tomber un jeune Oikcier
dans la boue, la fuite de cet accident,
fi commun à Paris , & qui fait fou vent
rire les témoins , eft l'origine de la ter-
rible fituation du fécond acte. Il y avoit,
je le fais , mille autres manières de rendre
Antoine reconnoiflant envers le Comte ,
mais celle que M. Sedaine a choiîîe , étoit
celle qu'il falloit pour produire ce qu'il
a produit.
Je crois cependant que cet ouvrage
ne reftera pas tel qu'il eft ; on a vu avec
quelle confiance M. Sedaine & moi , nous
avons cherché a perfectionner le dénoue-
ment de Richard : c'eft après avoir mis
l'un & l'autre , plus de trente ouvrages au
théâtre , que nous nous fommes cbftine's
a
SUR II MUSIQUE. 481
3 nous fervir de notre expérience, pour
mettre la dernière main à cette produc-
tion. Le Corme d'Albert me tourmente
quoiqu'il Toit bien vu du public; la iitua-
tion du fécond acte, mérite un cadre qui
l'envelope d'une manière plus complette.
La mufique du Comte d'Albert a été
compofée très-rapidement. Dès que le
poëme fut entendu , Ton me preiïa de le
mettre en mufique pour pouvoir le don-
ner à Fontainebleau, & il ne reftoit qu'un
mois. L'ouverture eft eitimée des Mufi-
ciens. Elle fait peu d'effet fur le parterre
accoutumé depuis quelques tems a n'en-
tendre que des contre-danfes en forme
d'ouverture , toujours accompagnées de la
petite flûte. Le morceau d'enfemble,
Arrêtez , eiel ! Qu'allez-vous faire l
Pourquoi tuer ce malheureux ?
a perdu l'intention que je lui avois don-
née. Je dois dire que la Comtefïè paroif-
foit au premier a&e , fui vie d'un de fes
Hh
4§i Essai
gens qui portoit un fac de velours ; elle
alloit par conféquent à l'églife ; & pour
indiquer d'avance que la ComtefTe verroit
arrêter (on mari , la baffe contrainte qui
accompagne tout le morceau , annonçoit
la fin des offices divins par le fon des
cloches.
gIgEggSi;Egi=g§=i=ljgH
Cette idée , ]e le fais , auroit échapé
à prefque tous les fpe&ateurs : mais dans
les arts d'imagination , Fon peut parler à
l'imagination feule. Lorfqu'on fe dit en
écoutant de ïa bonne mufique ; je ne fais
pourquoi ce morceau me fait un effet ex-
traordinaire ; c'eiï effeclivement qu'il y
a quelques rapports cachés qu'on ne dé-
mêle pas tout de fuite.
Cependant le fac de velours fit rire a
la première repréfentation , on ne le porta
plus, & le morceau de mufique eft refté.
La finale qui fuit auroit pu être traite'ô
SUR IA MUSIQUE. 483
iîe ma part avec un pîus grand emploi
d'harmonie & de modulations, fi le tems
m'eût permis d'attendre & de chercher :
mais les traits répétés alternativement par
le hautbois ck par le ballon :
»
Hgj||˧Ê!|gf!e=lH
Huubois, BaJJon.
ces plaintes réciproques font , je crois 7
heureufes & d'une grande fenfibilité. Le
hautbois parle pour les enfants , le bafïbn
pour la mère évanouie.
Je ne me fuis jamais diffimulé que
chanter en déclamant , & ne point quitter
la même gamme , foit affez pour faire
bien. Les modulations tiennent à ïa dé-
clamation autant que le chant ; ne pas
changer de mode ou de ton à propos ,
eft une faute comme d'en changer fans
nécelfité. Les Mufkiens , en général , ai-
Hient trop les modulations , ils les aprou-
Hh x
4S4. É S S A t
vent fouvent fans examiner fi le fens des
paroles y a conduit le compofiteur. Lorf-
que j'entends an contre-fens de modu-
lation, je ne puis m'empêcher de cher-
cher a l'inftant de quelle manière ce
contre-fens pourroit cefTer de l'être.
C'eft ainfi que Vtrnct voit un nuage
ou un caillou , ces objets font les mêmes
pour tout ïe monde, & peu d'hommes
favent leur afïigner leur place ; c'eft pour-
quoi le même fait, raconté par différentes
perfonnes , devient charmant ou en-
nuyeux.
Tant que le monde durera , le travail
obftiné fera des favants , & l'crganîfation
feule fait les artiftes de la nature.
Le duo des enfants au fécond acle ,
Quoi! mon papa f Quoi ! déjà vous quitter?
eft en contrarie avec la couleur générale
de cet ade. Un ton clair , un mouvement
de fîx huit, conviennent à l'enfance qui
ne fe pénètre jamais vivement de la fitua-
SUR T. A MUSIQUE» 48$
tion la plus tragique , qu'en proportion
de fes forces & de fbn peu de prévoyance
fur l'avenir.
Le petit trio de Si! vain ,.
Venez vivre avec nous , &c.
eiî dans le genre de ce duo, quoiqu'ils
ne fe refîemblent point par là mélodie.
Le choix du ton & du mouvement font
prefque toujours indiqués par le carac-
tère de la fcène ôc des paroles : mais
prétendre donner là defîus une théorie ,
ce feroit mettre de cruelles entraves au
génie.
Le rithme de nos vers Français eft
peu fenfible ; c'eft du fentiment des pa-
roles , que le Muficien doit tirer fon mou-
vement , car a moins que le Poète n'y
ait fait la plus grande attention , les lon~
gués & les brèves d'un veis ne corres-
pondent point à celles des vers fuivantsç
& quand même la poëïïe établirait un
rithme permanent, ce feroit un inconvé~
Hh 3.
486 Essai
nient d'être forcé de le fuivre : car à ïa lon-
gue, je crois que le même mouvement con-
tinu doit engendrer une monotonie mfou-
tenabîe. J'ai dit ailleurs que le chant fy lia-
Bique , continue' iur un même mouve-
ment , avoit un empire puilTant fur
l'ame des fpeclateurs ; mais il n'en eft pas
moins vrai que fi un opéra entier étoic
fait dans ce fyftême , il feroit aufïi en-
nuyeux que monotone , quoique les rithmes
fuiïent auiïi variés qu'ils peuvent l'être.
Je plains les Muficiens de Mtalie qui
font obligés de remettre jufqu'a quatre
ou cinq fois en m-ufique , îe même poëme
d'Apoftolo-Zaio , ou de Métaflafio. Dès
que ïe fentiment a indiqué jufte le ton,
le mouvement, ek le caractère d'un air,
comment fe varier ? Si l'on peut trouver
deux fois la vérité pour dire une même
chofe , Pune doit être préférable à l'autre.
Le duo fui van t :
Oui mon devoir eâ de mourir.
S U R LA MUSIQUE. 487
Reprend le ftyle de i'aéce donc on étoit
forti imi moment. Lts traits de chant les
plus fenfibles de ce morceau , font fur
les vers ;
Cher objet de ma téndrc-ffe ,
Quoi ! tu voudrois mourir i
De ma famille fi chère
Quoi ! n'es tu donc plus la mère J
Qui fans toi 1* élèvera ?
C'eft par toi qu'elle vivra,
îe fens eft toujours fufpendu , & marque
bien l'interrogation. Dans l'allégro qui
termine le même duo , Ton peut , je crois,
remarquer le chant que porte le vers
Eh fque m'importe la vie?
le de'dain , la fenfibilité , le défefpoir , îà
déclamation ck le ehant y font réunis.
îe dernier vers
Tu vivras pour nos enfants.
êft eftropié par la valeur des notes y
488 Essai
à moins qu'on ne dife que le déchirement
de l'ame , autorité quelquefois a déchi-
rer les paroles, il n'y a point d'excufe.
Les Italiens qui cornpofent fur les
paroles françaifes, fans connoitre la langue,
commettent cette faute à chaque inftant.
J'ai dit que ks Italiens aiment trop
la mufique , pour lui donner d'autres en-
traves que celles de fes propres règles ;
c'eft-a-dire , qu'ils font de la charmante
mufique, fouvent au dépens de Iaprofodie.
I/expéfience m'a convaincu que le chant
détériore la langue à mefure qu'il de-
vient italien. Les tournures du plus beau
chant le présentent d'abord à l'imagina-
tion en compofànt fur des paroles fran-
çaifes ; on apperçcit enfuite des incorrec-
tions dans le langage , néceffitées par la
tournure de ce chant ; on les re&rfie , alors
le chant n'efl plus le même , il eft , fi l'on
veut, plus raproché du chant françois. Je
dirai donc , que le point , où l'on doit
s'arrêter , ne peut être fixé que par la
SUR tï MUSIQUE. 489
pr^cifion de la profodie. Nous n'aurons
donc jamais de mufique , dirons nous
avec /. /. Roujfcau ? Nous en avons une ,
mais elle ne peut être abiolument celle
d'un peuple qui ne parle pas notre langue.
Au refte ne foyons pas plus févères que
les Muficiens Italiens , même lorfqu'iîs
chantent leur langue 3 Ôc notre mufique
emploiera tout le luxe de la mélodie Ita-
lienne & de l'harmonie des Allemands.
Voyez Pair charmant de Sacchini.
Bar- ba- re a-mour ,
Il eût fallut chanter enfuite
_ a — - _ -sP t
T a,_^ _>p 1, ,-PÏ tg t_
ty- ran des coeurs,
car ty eft bref par l'ufage ; mais
.»•
^49° Essai
a plus de grâce & voilà la règle géné-
rale des compofiteurs Italiens.
Dans un morceau de Chimène vous
trouverez
— i — i — ^ 1_ — i — — » -
Et que le poignard de la hai- ne.
Gluck eût -fait ( car il fa voit le français )
feF
Et que le poi- gnard de la hai- ne.
& iï n'eût pas appuyé fur que.
Les partitions des Italiens fourmillent
de fautes de cette efpèce , ils fe corrigent
cependant par un long féjour dans la ca-
pitale ; alors leurs enthoufiaftes infenfés
difent qu'ils fe font francifés 3 & ont gâté
leur ftyle.
C'eft dès le commencement d'une car-
rière brillante qu'il faudroit engager les
IUR LA MUSIQUE." 49^
compofiteurs Italiens à féjourneren France.'
En nous apportant une mélodie fuave,
ils auroient le tems d'apprendre à s'en
fervir d'après les règles de l'art dramati-
que qui s de leur aven , n'eft connu qu'à
Paris. Sacchini m'a dit n'avoir fait qu'à
Londres des recherches fur l'harmonie.
Les derniers ouvrages de Jomelli , attef-
tent qu'il ne fit un véritable emploi de
fes forces harmoniques que pour plaire
aux Allemands. Il ne faut pas croire
cependant que l'on foit toujours à tems
d'étudier & d'employer une harmonie
nombreufe ; il eft un âge où notre cer-
veau ne nous rend plus que îe refte des
idées anciennement conçues. On apper-
coit bien la bonne intention de certains
Muficiens , qui pour imiter les Allemands
veulent donner a leurs comportions le
nerf qu'ils n'ont pas. Croient-ils nous
en impofer par quelques unifions chroma-
tiques , ou par quelques tranfitions fubites
qu'As ont faifies comme a la volée ? Non ,
49 l Essai
ils relTemblent à ce joli enfant qui croît
nous faire peur parcequ'il fe groflit la voix
en nous faifant la grimace. Si j'étois afTez
Iieureux pour concourir félon mes de-
firs aux progrès de mon art , fi je pour-
vois difpofer de dix mille livres par année,
pour cet objet ; j'enverois, dès-a-préfent,
dix jeunes gens bien choifls dans les con-
fervatoires de Naples, cinq chanteurs &
cinq compofiteurs ; les premiers n'y res-
teraient que deux ans , les féconds quatre.
Ils apporteraient & entretiendroient à
Paris cette {implicite, cette fraîcheur de
chant qu'un fentiment mélancolique
n'infpire que dans les pays chauds ; mais
bientôt ayant refpiré l'air natal ils don-
neraient des bornes à leurs imaginations
exaltées.
Je reviens au Comte d'Albert.
La prière ,
O mon Dieu je vous implore ,
offre une hardiefTe que j'ai héfité dTern-
SUR LA MUSIQUE. 493
ployer ; mais mon cœur fapprouvoit , ck
le pubîic l'a confirmée. C'eit lorfque la
ComtefTe tombe à genoux après avoir
répété ,
O mon Dieu je vous implore;
l'orcheftre joup feuï une prière fburde
en contre-point d'égïife. Qu'on ne due
point que c'efl mêler le facré avec le pro-
fane. Eft-il rien de plus facré dans ce
inonde que le véritable amour conjugal ?
Avec combien plus d'avantage encore
ne fe ferviroit-on pas des chants d'égïife ,
s'ils étoient tels qu'ils devroient être.
C'eft. par les fens que nous aimons
toute chofe ; la mufîque doit contribuer
à faire aimer la religion & les cérémo-
nies religieufes. Mais exceptez quelques
hymnes , les chants pieux ont befoin d'une
réforme prefque générale. La mélodie en
eft fi peu fenfible , que les organises qui
les accompagnent, font prefque toujours
obligés de tranfporter le chant à la bafîe ,
494 Essai
parce qu'ils ne pourroient faire qu'une
mauvaife baffe fur certains chants. On
n'a pas même obfervé de fe fervir des tons
majeurs pour les chants d'allé greffe. Le
te deum eft compofé en naineur prefqu'en-
tierement ; le requiem, an contraire, eft
dans un ton majeur. Il femble que Saint-
Grégoire & d'autres compofiteur* du chant
de l'e'glife ignoraffent l'empire du mode.
Que veulent dire encore ces traîne'es
de notes fur une fyllabe ? Elles ne fervent
qu'à impatienter ceux qui e'coutent , ck
les chantres qui les exécutent. Si l'office
eft double ou triple , duplex vel triplex ;
c'eft alors qu'on entend alternativement,
fur les cinq voyelles , des fufées qui n'ont
point de fin. Cependant fi les chants
doivent être fy liabiques , comme je
le penfe , c'eft fur tout dans les iêtes
folemnelles qu'ils doivent être nobles ,
fimples, & non ornés de ces colifichets.
Ce n'eft pas l'harmonifte favant qu'il
faudroit charger de remplir cette tâche y
SUR LA MUSIQUE. 49 ^
plus importante qu'on ne croît pour faire
révérer la religion ; c'eft aux Mufîciens
qui auroient le plus de chant dans la
tête , qu'il faudroit la confier. Peu de
notes , un chant fimple & analogue à la
chofe , fufceptibïe d'une belle bafTe ôc
d'une bonne harmonie, eft ce qu'il fau*
droit. Alors chacun félon fon organe,
pourroit ajouter une partie de remplif-
fage. L'impreffion de ces chants toujours
fimples , variés & mefurés pour que l'en-
femble fût plus aifé à faifir , refleroit dans
î'ame des fidèles , & ils courroient dans
les temples louer Dieu fans rifques d'être
fatigués par une ennuieufe pfalmodie. •
Nous avons des airs anciens qui pour-
roient fervir de modèles aux chants reli-
gieux , tel par exemple celui-ci qui , je
crois , a fait impreffion fur tous ceux qui
l'ont entendu.
49 6 Essai
m~^BmWïËM^m
Re- qui-em e- ter- nam do- na e-
is Do- mi- ne.
Quel homme après avoir afïîfté aux
funérailles de fa femme, de fa fille, de fon
ami , ne garderoit de tels chants dans
fbn ame ! Cherchons , cherchons les fen-
fations délicieufes , nous ne fommes heu-
reux que par elles ; & jamais l'homme
fènfible qui aime l'attendriffement , ne
fut redoutable pour Ces femblables.
Dans le Comte d'x^lbert comme dans
beaucoup d'autres pièces , efTayer de faire
l'éloge de madame Duga^on , c'eft vou-
loir expliquer la nature ; elle entraîne par
ùs beautés Se nous force au filence. Cette
femme admirable , ne fait point la mu-
fique } fon chant n'eit ni Italien ni Fran-
çais ,
S % K t A M U 3 I Q XJEi 497
«aïs , mais celui de la chofe. Elle m'oblige
à lui enfeigner les rôles que je lui deftine ,
Se j'avoue que c'eft en tremblant que je
lui indique mes inflexions, de peur qu'elle
ne les fubfïitue à celles que lui infpire un.
plus grand maître que moi. Lorsqu'un
neureux inftinft favorife un individu, on
doit le ïaiiïer agir. L'on ma dit cent fois
que M. Garât feroit le meilleur chanteur
de l'Europe , s'il favoit la mufique , Se
s'il confukoit les maîtres a chanter. J'ai
toujours cru qu'on fe îrompeit : 11 eft
■élève de la nature > & s'il connoifibit le
danger de manquer aux règles de l'art,
nous perdrions ce qu'on trouve rarement,
les élans d'un heureux infimer. , pour
gagner ce que l'on entend partout , les
accens de convention.
En terminant ici le catalogue de mes
pièces y je pafTe feus fîience les Méprifes
par Rejfmb lance , le Prifonnier Anglais,
îe Rival Confident , Amphitrion , la Barbe
Bkue Se Afpafie ; pareequ'aucune de ces
li
"S 9? *È S S A f
pièces n'a été gravée & que plufieurs
n'ont pas encore été rcpréfentées.
Je m'apperçoîs (faiileurs , que les ré-
flexions fur ïa mufîque , qui fe préfentoient
aifément à ma penfée au commencement
de cet écrit, deviennent plus rares.
C'en: donc ici que je dois finir ; car
comme je l'ai dit dans favant-propos ,
je n'ai rapporté les époques de ma vie,
je n'ai donné la lifte de mes ouvrages ,
que pour être conduit naturellement à
ces réflexions. Je fais quelles font loin
d'être épuifées ; au refte c'eft dans ce
cadre que je pourrai les continuer, fi les
ouvrages que je viens de citer } ôc ceux
dont je m'occuperai probablement à
l'avenir, m'en fourniffent les moyens.
lettons à préfent un coup d'œil fur les
fûccès qu'obtient le Muficien dans la
carrière du théâtre • ils font tous difTérens
quoique nombreux. Chaque fuccès tient
à quelques circonftances qui lui font par-
ticulières, & tel ouvrage qui réuffit plut
SUS. LA MUSIQUK. 499
que tel autre, ne doit pas pour cela fatif-
faire autant îe compoliteur. D'où peuvent
venir ces différences que le public en
général n^aperçoit guère? Parce que tel
fait un excellente mufique fur un mau-
vais drame , ck paroît refter enfeveli fous
{es ruines : cependant quoique l'ouvrage
foit retiré du théâtre , la partition eft
gravée , les connoifleurs apprécient l'œuvre
du Muficien , & répandent fourdement
fa réputation. Tel fait au contraire une
mufique médiocre , où tout eft imité ,
contourné & pofé fur une harmonie fu-
perficielle. Peu de vérité dramatique , point
de connoifîance du cœur humain- la
gaîté y fera triflemcnt rendue , Pefprit y
fera grimacier ; cependant fi cette mu-
fique eft foutenue par un bon poëme,
îe fuccès couronnera l'œuvre. Mais enfuite
on exécute cette mufique dans les con-
certs , là elle paroît feule , le Poëte , l'ac^
tricc en réputation , la décoration , tout
a difparu , alors îe géant devient nain k
Ii a.
r5cô E s s jl r.
Se il gémit après fes fuccès , en fe voyant
méconnu des gens de l'art qui d'avance
ont rayé fon nom du catalogue des bons
compofkeurs où ils fe croyoit inferit.
RÉCAPITULATION.
ÏI n'exifte point de livre de mufique,
qui parle moins que celui-ci des règles
de l'art. Un EfTai fur l'efprit de la mu-
fique , ne devoit pas être un livre tech-
nique ; mais cherchant à développer le
fentimentmême d'un art, tel qu'il frappe
fans celte les organes de l'artifte pendant
fon travail , c'eft révéler le fecret qui a
précédé la règle , ÔZ qui prefque toujours
l'a fait naître.
C'eft après avoir ïu les Traités d'Har-
monie de Tartinï , de Zarlirt , de Ra-
meau , de d'Alembert , que je me fuis dit,
voilà bien aiTez parler théorie ! Avant que
!a pratique n'ait fait ufuge de ces règles
«Se de ers immenfes calculs , il y a dequoî
SUR X A MUSIQUE. f OX
occuper les arriftes pendant pïufieurs
fiècles. Puifle feulement cet amas d'éru-
dition nous donner un trait de chant
qui réveille une fenfation douce & con^
folante pour les âmes fenfibles.
II eft démontré cependant que les
fciences mathématiques font la fource des
combinaifons harmoniques & quelles
donnent une valeur certaine aux fons de
îa gamme en les affujettifTant à des cal-
culs furs pour îa règle, s'ils lé font peu
pour le plaifir. J'ai lu aufli 7. /. Rouf-
fcau y il a dit beaucoup fans doute , &
s'il eut fait autant d'opéras que d'œuvres
de littératures : fes réflexions plus géné-
rales, plus multipliées & appuyées de.
nombreux exemples» m'eufTent difpenfd
d'écrire fur mon art.
Combien de tems les hommes n'ont
ils pas erré en mufique , comme dans
toutes les fciences , avant d'arriver au vrai
beau ; tantôt en fe livrant à une (impli-
cite puérile ; tantôt à une complication
Ït 3
'yol E s • a i
falîueufe & défordonnée? D'abord les
chants les plus fimples , formés de quatre
ou cinq notes ; ont fuffi pour exprimer
la joie ou la douleur des hommes fimples
& abandonnés à îa nature (i). L'art naif-
fant de la mélodie s'eft enrichi ; les chants
fe font multipliés à mefure que les idées
phyfiques ou morales fe font dévelopées.
Ecoutez chanter Phomme de la nature,
fon criant fera le miroir de fon ame.
Si plufieurs hommes chantent tour a tour
îe même air , ils vous révèlent leur ca-
ractère ; il y a des exceptions, mais elles,
ae font pas pour l'homme dont je parle.
Quand les hiftoires anciennes nous
parlent des prodiges opérés par la mu-
fique , je ne les révoque pas même en
(1) L'enfant de la nature chante fes maux Se Ces plai'
iîrs ; les complaintes , les' romances nous viennent des
Amants & en général des cœurs paffionnés ; il n'y a que
*es âmes fîugides , qui trouvent ridicule qu'on chante
tes malheurs.
SUR LA MU8ÏQUE. 503
tn doute ! Elle devoir avoir un empire
abfolu fur des cœurs non corrrompus.
L'homme de la nature eft. un ; îe ca-
ractère de l'homme de nos jours , eft un
peu de tout. La mufique des anciens ,
appliquoit & confervoit fcrupuleufement
une mélodie & fur tout un rithme pour
chaque chofe. Le peuple e'toit fur que l'on
célébroit la fête de Vénus ou de Junon
ïorfqu'îl entendoit les chants qui les *dé-
fignoient. Chaque air faifoit une impref-
fion diftin&e : chaque famille chantoic
fes loix dans le fein de la retraite , &
certes on ne chantoit pas de même ho-*
nores les auteurs de tes jours ,• ou verfes
ton fing pour la patrie.
La mélodie dut donner naiiîance à
Pharmonie. On s^apperçut qu'après avoir
monté fept notes, la première renaiiïbit
dans îa huitième. Les favants virent des
rapports entre tel ck tel fon ; l'harmonie
une fois foumife au calcul , dut augmenter
les progrès de la mélodie > qui ne rmr-
li 4
7-04 E S S A 1
choie qu'à Paide des nouvelles fenfatïonfc
qui l'infp ir oient.
Si nous pafîbns au fiècïe dernier, c'eft
chez les Romains modernes qu'il faut
voir combien la mélodie avoit encore
peu de rapport avec la déclamation.
Voyez cet air de Vinci.
Artafercc de Métajlajio* Sccaa XIII *
atto primo.,
Tor- na in-no- cen-te è poi tas-*
col- te- ro poi, poi , poi s' tut- to per-
te- fa- ro, Voici la fin de l'air * tor- na.»
r=^-_
1er- na tas-coî* te- ic.
SUR- IA MUSIQUE. 5 O £
Que veuillent dire ces torna toma ré-^
pétés fans dire innocente ?
Dans la bouche de la Princeffe fœur-
d'Arface , cet air de gigue devoit être ce
que nous appelions air de fureur. Un
noble courroux peut intéiefler lors même
qu'il eft injufte : mais la colère non
ennoblie eft toujours dégoûtante. L'op-*
pofition la plus triviale étoit donc de.
faire un air de danfe gaie , pour exprimer
la fureur; c'eft, fi Ton veut, la colère de
Polichinelle^
Les accompagnernens de ce morceau
font d'ailleurs d'un fautillant & d'une
gaîté incroyable. Combien cet air eft loin
de vo folcando du même auteur î Dans
ce dernier , le chant , & fur tout les.
accompagnernens appartiennent abfolu-
ment aux paroles ; c'eft le premier ta-,
bleau qu'on ait fait en mufique ; c'eft le
premier rayon de lumière vers la ve'rké..
Les Romains entrèrent dans un délire
inexprimable, ïorfcjrn'ils entendirent pous-
5 06 Essai
la première fois cette réunion fublime
des fons avec î'exprefïion jufle des pa-
roles,
Vinci fut donc le premier infpiré , a
ce que difent les anciens profeffeurs de
Kome, & comme créateur il mérita la
ftatue qu'on lui érigea dans le panthéon.
Si le génie de Vinci fentit le premier
que les fons pouvoient peindre les agi-
tations d'un cœur qui compare (es mou-
vemens divers à ceux d'un vaiffeau. tour-
menté par la tempête ,
ISair torna innocente ,
que je viens de citer , prouve qu'il n'a-
voit pas fenti que la mélodie a autant
de pouvoir ,. & plus encore que l'har-
monie ; c'eft-à-dire , qu'elle peut des-
cendre dans le fond du cœur pour y
puifer ck exprimer tous les fentimens
moraux, en fuivant les nuances infinies
de la déclamation. Oui ; même après le
chef d'œuvre dont je viens de parler ,
IUR LA MUSIQUE. 5 O 7
on ignoroic encore en Italie que la dé-
clamation fut la fource de la bonne mu-
fique.
Pergole^e naquit , & ïa vérité fut con-
nue. L'harmonie a depuis fait des pro-
grès étonnans dans fes labirinthes in-
finis ; les exécutans en fe perfectionnant
ont permis aux compofiteurs de déployer
îa richeïïes des accompagnemens ; mais
Pergolc^e n'a rien perdu ; la vérité d»
déclamation qui conftitue fes chants eft
indeftructibïe comme la nature. C^eft fans
doute un malheur irréparable pour l'art
que ce divin artifte ait fini fa carrière à
la fleur de l'âge. Ce ne fut pas fans un
plaifir extrême , que pendant mon féjour
a Rome , j'appris de plufieurs Muficiens
âgés , que ma taille , ma phyfionomie
leur rappeloient Pergole^e, il m'apprirent
que la même maladie menaçoit auffi Ces
jours chaque fois qu'il fe livroit au tra-
vail. M. V crnct , qui avoit connu & aimé
Pcrgok^e, me confirma la même chofe
a Paris,
5>o8 E S S A ï
Duni dont j'ai toujours aimé la mu*
fîque , parce qu'elle me paroît fimple ,.
naïve & vraie , m'a dit qu'il fortit jeune
encore d'un Confervatoire de Naples ,.
pour aller à Rome compofer un opéra
au théâtre de Tordinona.
Pergole^e étoit cette année chargé du
premier opéra , & Duni du fécond. Per-
gote^e avoir, obtenu des fuccès , par con*
féquent iï avoit des ennemis , Ton opéra
ne réufïit point ; on où lui jetter une
orange fur la tête pendant qu'il étoit au
clavecin pour couduire fon ouvrage ; ïe
chagrin renouveïla fon crachement de.
iàng ; il fe retira du côté de Naples chez
îe Duc de Mondragona àont-i\ étoit aimé;
il languit & s'éteignit doucement en
compofant le Jlabat , d'autres difent un
miferere.
En arrivant à Rome Duni s'étoit pré-
fente à lui, en lui difant , mon maître %
je ne fils quel fort m'attend , mais je fuis
fur que mon ouvrage entier, ne vaut pas
SUR I A MUSIQUE. 509
fyfifeul air de voire, opéra fi. mal accueilli,
Celui de Duni eut du fuccès ; celui de
Pergole^e fut repris & chanté avec délices
l'année fuivante fur tons les théâtres d'I-*
iaïie ; mais l'ange cre'ateur étoit defeendu
au tombeau.
Avant ïe régne de Pergoh\e , Lulli
déjà établi à Paris , avoit quelques pref-
fentimens de îa mufique déclamée \ (on.
récitatif le prouve ; mais il ne fut que
noter la déclamation , & non chanter en
-déclamant.
Rameau lui fucceda ; il étoit moins
feniible , mais plus favant & plus riche
d'harmonie ] il cGnnoiiTbit la mufique des
Vinci , Pcrgoleçe , Léo , Terradellas , Bu-
ranello ,* mais il avoit commencé fort
tard à travailler pour le théâtre ; il fut
contraint de fuivre fa manière qu'il ne
regardoit pas comme la meilleure.
a Si j'avois trente ans de moins , di-
>j foit-il , à l'abbé Arnaud , j'irois en Italie,
?j Pergole^e feroit mon modèle ; j'aiïujer-
^ I O E « S A S
;> tirois mon harmonie à cette vérité dtf
55 déclamation qui doit être le feule guide
» des Muficïens ; mais a foixante ans ,
p Ton fent qu'il faut relier ce que Fon
*> eft. L'expérience dit afles ce qu'il fau-
W droit faire , mais le génie refufe d'o-,
w béir 5^.
Cet aveu ne peut être que celui d'un
grand homme : en effet , Rameau fut un
des plus grands harmoniftes de notre
fiècle. Il fit des chœurs magnifiques, où
l'harmonie non-feulement *eft favante ,"
mais tiès - expreffive. Son monologue ,
triflcs apprêts , pâles flambeaux Sfc. Dans
Cajlor & Pollux , eft vrai , fur-tout à l'en-
droit, non non je ne verrai plus..,. Cet
endroit eft digne de Pergole^e. Ses airs
de danfe font variés , fort adaptés à îa
chofe & fur-tout fort dânfans. Les tour-
nures de fon chant on vieilli ; mais teî
fera le fort de toute mélodie vague. Son
harmonie fervira de modèle , parce que
îe cachet du maître y eft empreint, &
SUR t A MUSIQUE.' ? I *'
que toute cxprefficn à part la bonne
harmonie a un mérite réel.
L'Italie ne conférva pas long-rems îa
mélodie (impie & vraie de Pergolc^e j
de jour en jour elle abandonna les vrat-
(èniblances dramatiques , pour faire briller
fes chanteurs. Pendanr ce tems, îa France
étaloit la pompe la plus brillante, dans
fes opéras de Quinaut , & s'amufoit à
chanter délicieufement les récitatifs de
Lulli 6c de Rameau , avec toute îa pré-
tention ( à la mefure près ) des airs
pathétiques.
L'Allemagne de fon côté, fe fortifîoic
de plus en plus des reflburces de l'har-
monie. C'cft alors que les bouffons Ita-
liens arrivèrent en France. Les gens de
goût n'eurent qu'un cri pour approuver
cette mufique expreflive & pittoresque (y).
Le refte de îa nation réfifta; mais eilc
fut obligée de céder à Pempire de la
raifon ôc de Pennui. La France toujours
accoutumée à perfectionner ce qui iu*
5* i 2, Essai
Tient de fes voïfins ; tenant îe milieu
entre l'Italie & l'Allemagne i adopta la
mélodie italienne qu'elle unit à l'harmo-
nie allemande ; c'eft ce que Philidor
exécuta dans plufieurs chefs-d'œuvres.
En arrivant à Paris je donnai (uccef-
îivement le Huron , Lueile , le Tableau
Parlant , Silvain ; l'Amitié à l'Épreuve y
les Deux Avares, Zémire & Azor, l'Ami
de la Maifon , Céphale & Procris } ïa
Rofière de Saienci. Gelt a cette époque
de ma carrière -, que îe Chevalier Gluck
nous apporta la mafiue d Hercule dônt-
il terraiîa fans retour la vieille idole fran-
çaife déjà foible des coups que lui avoienf.
portés les Bouffons Italiens ) enfuite Dura
Philidor & Monfignu
Nous devons beaucoup , fans doute *
au Chevalier Gluck pour les chefs-dœuvres
dont-il a enrichi notre théâtre ; c'étoit à
fon génie vraiment dramatique, qu'il fal-
loit confier l'adminiitration d'un fpectacle
qu'il a^oit fait renaître par fes immor^
telles
SÛR t À M'bSÏ'Q'UR 513
telles productions , & dont - il auroit
maintenu fordre &c la vigueur par Tes
lumières & par cette tranfcendance que
donne la fupériorité des talens. C'en1 fur
tout en encourageant les gens de lettres ,
en fe faifant remettre les difrérens poëmes
qu'ils compofent, qu'il fèroit aifé à un
directeur, tel que Gluck, d'occuper cha-
que Muficien dans le genre qui lui eft
propre. Un jeune compofiteur , un exé*
cutant perdent fouvent plufieurs années ,
& quelque fois leur vie entière a chercher
ce qui leur convient ; tandis qu'en un.
ïnftant ils pourroient être fixés (1).
Je fais que la fubordination eft diffi-
cile à établir parmi des fujets qui nous
fubjuguent par le charme des pîaifirs ,
mais le peu de mérite de ceux qui les
(1) Il faudroit traiter féparément la réforme des abus
de nos fpe&acles lyriques ; c'eli dequoi je m'occuperai
peut-être quelque jour.
Kk
514, Essai
commandent , eft fouvent la véritable
fource de leur découragement.
Si la nature eût doué Lulli du génie
créateur de Gluck , de quel éclat n'eût-il
pas fait briller l'opéra de Paris dès fa naif-
fance , étant comblé des faveurs dire&es
de Louis XIV? Mais ce Roi , ami des
arts utiles ôc confolateurs , ne pouvoit
mieux choiiir , puifque Lulli étoit le pre-
mier Muficien de fon tems. C'eft à lui
qu'il fut permis de créer une Académie
royale de mufïque, dont il fut l'unique
directeur.
Sans doute que dès ïors les courtifans
voulurent s'emparer de l'autorité fur les
fpeâacïes ; autorité funefte , qui féduit
bien plus fouvent l'amateur du fexe , que
celui des arts : mais que pouvoient - ils
contre un artifte qui avoit l'honneur ainfi
que Molière , d'approcher de fon maître
pour le confuîter fur [es pîaifirs. L'on
dit , je le fais , qu'il règne parmi les
artiiles,trop dejaloufie, pour qu'on âoivç
SUR LA MUSIQUE. $ I $
confier à l'un d'eux un pouvoir trop étendu.
Vains préjugés , vains menfonges , dont
on fe fert pour éloigner l'homme de ta-
lent de fa véritable place. Le Muficien
médiocre une fois parvenu par ies im-
portunes follicitations & fes bafTeiTes ,
tremblera , fans doute , a l'afpecl: des vrais
talens qu'il éloignera par les dégoûts ; maïs
faites choix d'un artifte dont la juile ré-
putation vous réponde d'un noble défin-
térerTement , dont la célébrité, ce phan-
tome charmant , repouiTeroit l'envie & la
cupidité fi elles ofoient le tenter; faites
choix de Partifte qui , après de nombreux
fuccès , aime encore à prolonger fa gloire ,
en éclairant les jeunes talens de fbn
expérience ; faites choix de l'homme en-
fin x qui a le droit de dire à f homme
célèbre fon égal : votre génie a fu vous
ouvrir en Italie une route nouvelle, pour
arriver au vrai ; pourquoi vous perdre **
dans le chemin brillant que vous avez
tracé a vos émules ; en courant après le
Kka,
5 16 Essai
genre auquel vous ne pouvez atteindre ?
LaifTez là ces chœurs terribles, ces airs
de dan Tes dont la nature vous a caché les
refîbrts ; ne privez pas l'Europe des fcènes
touchantes que vous produifez fans effort.
Il dira a cet autre , votre mélodie eft
noble & pure ; vous ne produirez plus
ces chants fuaves & pathétiques , fi vous
cherchez à peindre avec trop de vérité
& d'énergie. Vous , toujours correct &
fier , mais n'ayant qu'un flyle infle-
xible y qui ne peut fe prêter aux nuances
infinies des partions , vous ne devez
peindre qu'en grand , & fur des paroles
d'un fens vague ; enfin Gluck m'eût dit
à moi-même , la nature vous donna le
chant propre à la fituation , mais c'eft
aux dépens d'un harmonie plus févère &
plus compliquée que ce talent vous fut
donné. Ce n'efr. qu'avec des efforts qu'on
parvient quelques fois avec fuccès , à
fortir du genre auquel nous fommes ap -
pelles ; mais le plus fouvent alors on pafîe
SUR IA MUSIQUE. $1J
îe but , ou Ton refte au-defïbus , & c'erfc
commettre la même faute.
L'ignorance révolteroit i'amour-propre
fi elle cherchoit à prendre ce langage ;
mais îa vérité préfentée avec intérêt par
l'homme inftruit, fut toujours bien reçue
des vrais talens , fur - tout ïorfque pour
bien remplir fa place , le.s fuccès d'autruà
intérefïènt le directeur,
FIN.
Kfc 3
NOTES.
Page J. (a) Les Comtes dlJdiken , les Bla-
vier , les Comtes de Bliftin , les Delchef, les
Eorlez, les Orval,Ies Xhenemont, toutes famil-
les nobles ou anoblies par des places honora-
bles ; c'eft un des Foffés , Tréfoncier de Liège ,
qui fonda les Capucins de Spa , & qui leur fit
don du terrein immenfe qu'ils occupent. Ils
ont par reconnoifïance placé fon portrait & (es
armoiries au frontifpice de leur Egîife ; & dans
la place la plus évidente de leur Refe&oire où
{es parens ont encore le plaifîr de le voir avec
l'habit de St. François ; avantage qu'on ne pou-
voit trop payer.
Page 23. (b) L'on pourroit dire aux chan-
teurs qui fe plaignent qu'on les accompagne
trop fort : chantez bien & vous ferez bien ac-
compagné. . . . Nous n'entendons point par-là
juitifier les abus auxquels des orchefrres mal
dirigés ne fe livrent que trop fouvent , ni infir-
mer cette régie indifpenfablc, que les inftrumens
en général ne doivent accompagner les voix
qu'avec le demi jeu ; lequel a tous [es degrés &
fç$ nuances comme le jeu plein* On doit hs
NOTES. 5-19
féntîr dans un grand chœur même, aînfi que dans
une ariette^
Page 3,9. (c) Dans un moment où TAdml-
niftration mettant à profit les progrès des lu-
mières , s'occupe des moyens de perfectionnée
la Société par des changemens qui tendent au
bonheur des hommes ; peut-être s'occup'era-t-on
aulTi de l'éducation de la jeunefle : peut-être fen-
tira-t-on qu'il eft tems d'interdire abfolument
dans les Collèges & pendons toutes les puni-
tions corporelles ? punitions que la Juftice civile
doit feule infliger , & dont elle n'ufe même que
pour des crimes d'un certain degré. Si dans
pîufieurs états de l'Europe, on a tenté, & peut-
être avec fuccès , d'atténuer le mal fait à la So-
ciété par les grands criminels, en les livrant à
des fuplices utiles à cette même Société qu'ils
avoient blelTée ; ne pourroit-on pas, à plus
forte raifon , rendre utile aux enfans la punition
même de leurs fautes , qui d'ordinaire , ne font
tort qu'à eux-mêmes? Il en eft cent moyens dans
lefquels il eft inutile d'entrer ici, Obfervons
feulement que ce nouveau régime des Collèges
influerait auflî fur les pères & mères , qui , fur-
tout chez le petit peuple , prodiguent très-in-
juftement les coups à leurs enfants , & en font
Kk 4
5*20 NOTES.
fou vent de mauvais fujets ; nous avons vu &
nous ne pouvons retracer cette image fans gé-
mir y nous avons vu des mères fatiguées des
pleurs de leurs «nfans encore à la mamelle , les
frapper au point de fradurer leurs petits mem-
bres , & ks rendre impotens pour le refte de
leur vie.
Page 5z. (d) Le Public ne fait pas qu'if
doit fouvent tous {qs plaifirs , & la parfaite
exécution de nos grands Opéras les plus diffi-
ciles , aux talens de deux Artiftes cachés à
fes , yeux. J'ofe dire que M. Rey & M. de la
Suze méritent la reconnoifîànce du public au-
tant que l'Acleur le plus en évidence. Le pre-
mier, impétueux & fage fuit l'acteur ou le dan-
feur , en conduifant un nombreux orcheftre dont
il a mérité la confiance. Il fait que tel chan-
teur ou danfeur ralentira le mouvement dans tel
endroit & que l'inftant après il faudra le prêt-
fer pour fuivre tel autre. Les premières repé-
titions d'un opéra feroient fouvent un cahosfj
(es talens ou fon activité n'en éclairciffoient
l'exécution. L'Auteur muficien n'a que deux
mots à lui dire , & foudain (es volontés font
exécutées. Cet Artifte eftimable m'a fauve mil-
le fatigues que j'euffe fupporté difficilement ; &
il l'cxiftencô d^s compofiteurs eft chère au pu-
NOTES. j2X
blic, c'eft à M. Rey plus qu'à leurs Médecins
qu'il la doit..... Le fécond a rinfpeâion des
chœurs & des acteurs lorfqu'ils font dans la cou-
lifTe. L'inftant où ils doivent paroître fur la
fcène, le peu de minutes qu'ils ont quelquefois
pour changer d'habits , il a tout calculé : l'ac-
teur peut fans crainte rêver à fon rôle. M. de la
Suze veille pour tout le monde. L'homme qui
obtient un fuccès eft toujours l'homme qu'il ai-
me : fon enthoufiafme pour le bien de la chofe
eft porté au point que par les traits de fon vi-
fage, on devine après la repréfentation fi tout à
été au gré de (es defîrs.
Page 85. (e) Le Collège de Liège à Rome,
a été fondé par un Liégois nommé Darcis , &
c'eft à ce bon Fondateur que la ville de Liège
doit prefque tous les bons Artiftes qu'elle a pot
fédés & qu'elle poflede encore.
Tout Liégeois a le droit d'y demeurer cinq
années, pourvu qu*il fe préfente avant l'âge de
30 ans ; il faut être né à Liège ou dans l'en-
ceinte de trois lieues aux environs de la ville:
cependant le Quartier d'outre Meufe eft exclus,
parce qu'il régnoit,dans le tems de la fondation*
une guerre civile entre les deux Quartiers de
k ville.... Ne pourroit-on. pas abolir cette
ps NOTES.
exclufïon , puifque la concorde eft rétablie? . .^
Si j'étois né deux ans plus tard , j'avois part à
l'exclufion.. .. Les parens du Teftateur, s'il s'en
préfente , ont des prérogatives. v
Le Collège eft fitué in Piazza Monte d'Oro,
viecino à fan Carlo, al Corfo....Il y a 18 cham-
bres pour les étudians en droit , en Médecine
Chirurgie , Mufique, Peinture, Architecture &
Sculpture. *. ► On y eft entretenu de tout, excepté
qu'il faut fe procurer (es maîtres en ville , &
s'habiller en abbé JLes Liégois les plus nota-
bles domiciliés à Rome, font les Provifeurs du
Collège; un Prêtre Liégois en eft le Recteur &
demeure dans le Collège.
Page ip8. (g) En appellant ainfî le pays de
Liège, j'éprouverai fans doute des contradic-
tions : l'on pourroit à plus jufte titre appelier
ce pays , plus qu'aucun autre , celui des vertus
& des vices. En effet dans le tems de ma jeu-
neffe , la vertu syy montroit fans oftentation , &
le vice fans hypocrifie. Qu'il me feroit doux de
voir dans ma patrie fleurir le commerce & les
arts , autant qu'il m'en paroît fufceptible par fa
pofition & le génie de (es habitans ! partout
environné de Nations auflî commerçantes que
formidable», dont il fépare les limites , il devroit
NOTES. y2f
jouir de tous les avantages de la liberté & de
la neutralité. Si FArtifte y trouvoit de l'encou-
ragement , combien de têtes vigoureufes forti-,
roient du petit pays de Liège !
On en peut juger par Gafpart Laireffe , fur-
nommé le Raphaël Hollandois : Renekïn , inven-
teur de la machine hydraulique de Marly , dans
un tems où cette partie de la phyfique étoit
au berceau ; Démarteau , inventeur de la gra-
vure à la manière du crayon ; Grand-Jean. ,
Oculifte & Chevalier de l'Ordre du Roi , aufll
célèbre par le fuccès de Tes opérations , que
par fa piété infatigable envers les pauvres ;
Pafchal Taskin, Luthier du Roi,feul héritier
du génie des Ruchers ; MM. de Fajjln & Des-
france , dont les Tableaux acquièrent , chaque
jour, un plus grand prix.
Feu le Chanoine Hamal , dont les ouvrages-
en mufique ne font pas affez connus ; & fi je
ne craignois de bleffer la modeftie du plus ref-
pectable Magiflrat, de l'homme conftamment
adoré du peuple & dont Anacharfis nous eût
tranfmis les vertus s'il fût né parmi les Grecs ,
ne citerois-je pas M. Fabry ?
Ls caractère du Liégois eft un ; il aime la
vérité, & il eft inébranlable lorfqu'il croit fui-
vre (es traces : mais il devient docile lorfqu'a-
vec douceur on lui montre (es égaremens. Se-
3r*4 NOTES.
condé par une imagination vive & forte , îe
travail le plus obftiné ne le décourage pas. Bon
père , bon mari , bon fils , bon foldat ; il a reçu
tous ces dons de la nature : on trouve 'le Lié-
geois dans les armées de toutes les Puiflànces s
mais il fera bientôt déferteur s'il n'eft pas re-
connu pour le meilleur foldat de fon Régiment»
Sa tête s exalte aifément pour le bien , quelque-
fois pour le mal , quelquefois aufïi imbéciîle à
l'excès, il fèmble qu'il n'y a que la médiocrité
qui lui foit refùfée. Faut- il être furpris que par-
mi ce peuple il nailTe quelquefois un monftre
qui, étonnant l'Europe de (es forfaits, deshon-
nore une Nation qui joint la franchife helve-
tienne à Ténergie du peuple Anglois , qui at-
tend avec impatience rinltrudion que les chefs
de la république devroient lui faciliter. Ce
monftre qui la deshonnore eft-il fi dangereux *
non : il ne connoît pas l'hypocrifie ; il marche
en plein jour la tête levée , & le glaive de la
Juftice faura l'abattre.
Que les États de Liège ayent îa force d'être
unis , non pas lorfqu'il eft queftion de leurs:
droits honorifiques ou lucratifs , mais feule-
ment lorfqu'il s'agit du bien public ; qu'ils fâ-
chent d'une voix unanime protéger le com-
merce a récompenfer publiquement le citoyen,
NOTES, ss$
homme de génie ou induftrieux ; qu'ils fâchent
établir des manufactures , foit pour la tannerie*
foit pour le fer , foit polir l'exploitation du
charbon de terre ; dès qu'elles feront en acti-
vité & en raport , qu'on en faffe la conceflion
à des particuliers dignes de récompenfe , qui
s'enrichiront encore en payant aux Etats I»
rente des premiers capitaux ; que le Prince , fi
connu par fa bonté & par l'amour qu'il porte à
fon peuple , daigne par quelques diftindions
flatteufes , engager tour-à-tour les riches mo-
nafteres à fuivre cet exemple ; il ne faudra pas-
cinquante ans pour voir difparoître les mafures
& les haillons des hàbitans d'Outre-Meufe. Ce
n'eft pas dans une note fans doute , ni par un
Mufïcien que doit être traité un fujet aufli im-
portant : mais il m'eft bien doux , quoiqu'éloi-
gné de ma patrie depuis mon bas âge , de lui
prouver que je n'ai pas cefle d'être citoyen.
Page zoS. (h) J'ai remarqué en général que
les ouvrages que j'ai compofés dans la belle
faifon , fe refTentent de fon influence: le Uuron9
le Tableau parlant , V Ami de la ma'ifon , la
Faujfe- Magie , la Rojïe/e , Colinette à la Cour ,
la Caravanne & Panurge , font ceux qui me
femblent avoir une certaine fraîcheur qui les dis-
tingue. Si les circonstances s'y prétoient , je-
526* NOTES.
travaillerois pendant l'Eté fur un poëme aima-
ble , & l'Hiver fur une pièce plus férieufe &
plus intriguée. Au refte en tout tems le bon-
heur dont l'Artifte joiiit , influe infiniment fur
£es productions.
Page z5j. (i) Lorfque les fens font trop cal-
mes , j'ai fouvent éprouvé que l'imagination fe
refufe à ce qu'on veut en arracher ; il eft dan«r
gereux alors d'en forcer les refïbrts : j'ai éprou-
vé dans ce cas qu'il eft utile de faire un peu
d'exercice , foit en fe promenant à grands pas
ou en s'agitant de quelqu'autre manière ; après
quoi l'on eft fouvent étonné de trouver le point
jufte qui fait naître & apprécier les idées. Le
contraire eft fouvent nécefîaire lorfque l'imagi-
nation trop exaltée fait perdre la mefure & le
jugement: alors une lecture étrangère d'un quart
d'heure, une vifite dans un appartement voifin,
enfin une diverfton quelconque , vous rend ce
que j'ai appelle le point jufte , exempt de lan-
gueur ou d'exagération.
Page zçz. ( i bis. ) On dira que Henri ne fut
point un Prince remarquable par (es fentimens
religieux. A quoi donc attribuer l'idée dont je
parle? elle eft jufte p* "fqu'elle a réufli. Ceft
NOTE S. 5-27
peut-être par les rapports intimes qu'ont entre
eux tous les fentimens honnêtes. Henri étoit
bon , donc il étoit aimé de Dieu & des hom-
mes.
Page 302. (h) Jamais je ne fus plus tour-
menté par les changemens continuels que fai-
foit l'Auteur. Dorât , fon ami, en lui critiquant
la tournure de {es vers , fubftituoit fans cefîe
le clinquant de l'efprit, à la fenfibilité qu'exige
îa paftorale. J'avois beau dire que, fur tout dans
ce genre , le mieux étoit V ennemi du bien ; cha-
que jour amenoit la réforme de ce qu'on avoit
fait la veille. Je me promis bien de ne jamais
plus m'affocier avec des têtes légères , qui fui-
vent tour-à-tour les impulfions qu'on leur doa-
ne,fans favoir où il faut s'arrêter.
Page 394. ( k ) La Cour ne récompenfè
fouvent les talens médiocres, que parce qu'ils fa-
vent mettre leur perfonne en évidence. Pendant
que l'homme de mérite fe confume dans fon
cabinet , l'ignorant emploie fon tems à captiver
le valet qui a l'oreille du Maître ; & ce n'eft
pas avec la fierté du vrai talent que l'on peut
intérefler l'homme qui n'eft riche fouvent que
du fruit de (çs baffetfès ; il crajnt & éloigne le
fzt NOTES»
mérite qui l'éclipferoit. O Grands de la terre \
iî vous n'appeliez directement à vous les hom-
jnes que la renommée vous montre, renoncez
a favoir la vérité , & craignez que de vils efcla-
Ves ne vous fafïent commettre des injuftices ,
que les fîécles à venir ne vous pardonneront
point. Sachez que l'ignorant porte en fon cœur
une fecrete envie de fe venger des talens. J'ai
vu de près le manège de l'envie. Sous le voile
de l'intérêt, je me fuis vu noircir en votre pré-
fence fans ofer me défendre, parce que devant
vous a le refpeâ: interdit l'explication.
Page 403. (I) Je répéterai encore que le
Rithmeaoù le mouvement eft fi impérieux qu'on
pourroit croire avec raifon qu'il décide fouvent
à lui feul de l'effet de la mufîque. Lorfqu'un
mouvement eft bien faifî , bien marqué , lorfque
les phrafes font bien fymmétriques ; effayons, par
exemple , d'en changer l'intonation , l'effet n'eu
fera pas détruit. Confervez au contraire l'in-
tonation, en lui fubftituant un autre mouve-
ment ; tout eft anéanti au point que l'on croira
entendre un autre morceau de mufîque. La fym-
métrie entre les phrafes eft néceffaire pour ren-
dre la mufique danfante. Dans la mufîque vo-
cale il n'eft pas açtoins utile au chant de rendre
les
NOTES. $29
les phrafes quarrées autant qu'on le peut. îî
Faudroit en quelque forte au comportent , urï
Prote muficien qui fe chargeât de cette eh-
huïeufe analife ; de même que le Prote d'Impri-
merie avertit fouvent l'homme de lettres qui ,
fans le favoir , a verfifié fa profe* En ajoutant ,
en retranchant une mefure de ritournelle , en
allongeant une note portant fur une fyllabe
longue , on établiroit toujours une fymmétrie
que j'ai moi même quelquefois négligée* Cette
attention minutieufe échape fouvent à l'Artifte
qui eft entraîné par le fentiment : elle ne coûte
pas moins à celui qui ne trouvant jamais le
chant propre, ne travaille qu'avec des accords,
Aurefte la fymmétrie entre les phrafes fera tou-
jours plus exacte fi l'on évite les mouvemens
vifs où plusieurs mefures peuvent fe mettre dans
une feule, en indiquant un mouvement plus lent.
Page 4:33. (m) Quoique l'on chante fouvent
dans l'Opéra comique * l'on ne chante par tou-
jours. Il y a chanter pour parler, & chanter
pour chanter* Dans Ij à belle & Genrude , par
exemple , lfabelle chante , quel air pur ! avec
tous les accompagnemens de l'orcheitre: fa mè-
re qui eft dans le pavillon , ne l'entend point*
Survient Dorlis qui la tire par fa juppe,elle fait
un petit cri , la mère fe levé effrayée. Il faut
LI
J5° NOTES.
que les hommes aiment Singulièrement le plai-
fn*,pour fe prêter ain(î aux illuiïons théâtrales:
^s font bien; car plus de févérité détiuiroit
l'art dramatique
Page 4.73. (i) En Frnnce & en Allemagne
les hommes chantent 1a haute-contre, & ce n'e#
pas fans peine; en Italie, ce ne font pas même
les femmes > auxquelles cependant la nature ac-
corde fouvent un fuperbe bas-deflus, qui fcft la
véritable haute-contre, mais les maJhcureufes
victimes que l'avarice & la barbarie des parens
ont fait mutiler , après avoir chanté le deiTus , de-
viennent bas-deffus ou haute- contre à Vàgc de
trente ou quarante ans. Si Pftalïë favoit de quel
ceil le relire de l'Europe voit cet attentat en-
vers l'humanité, elle auroit depuis long tems
reprimé cet abus horrible qui deshonore un
des arts le plus noble. Je fais que l'Italie ne
peut fe pafTer de mufique, ni la mufique des
voix de delTus & de haute-contres ; mais les en
fants de chœur font la vraie pépinière qui four-
nirait à tout. Et quel mal y auroit il, quand,
dans quelques états de l'Italie, on laifTeroit chan-
ter les femmes fur les théâtres ? aucun. Peut-être
au contraire on déracineroit deux crimes à la.
fois , & qui font également contre nature.
notes. sn
Page 511. (û) M. de Lacombe fit im-
primer en 175*8 , c'eft-à-dire , avant les dif-
putes fur la mufique & les ouvrages qu'elles
occasionnèrent, \q fpeâacle des beaux Arts i où il
donne les vrais principes de la bonne mufique,
& indique la fource du chant dont les motifs ,
dit-il , font dans la déclamation.
FIN des notes.
LIj
TABLE
GÉNÉRALE
DES MATIERES
Contenues dans ce volume.
A
«/*2 ccent de la langue; fon Influence fur la
mufique, page 1 14 & fuiv. Définition de l'ac-
cent relativement au chant , p. 159* Exem-
ple , ibid & p. 16a
Accompagnement de mufique , p. 244, 245-
&yi8
ACCORD des injlriunens à cordes ; obfervations ,
p. 316. Trop de jufteffe y devient un dé-
faut , 437
AdEliNE, ( Mademoifelîe ) A&rice de la Co-
médie Italienne , 437
Albert , C le Comte d' ) drame en deux aéles ,
donné au Théâtre Italien , par M. Sédaine ,
mufique de M. Grétry , p. 476 & fuiv. , p«
480. Analyfe de la mufique , 481
DÈS MATIERES. 5^3
Alembert, ( d' ) réponfe plaifante que lui fit
une dame , • 337
Aliberti, (Théâtre ci' ) fucces que le jeune
Grétry eut fur ce théâtre où Ton joua les
Vendangsufes , fou premier ouvrage dramat;-
tique , 120 & fuiv.
Alpes ; paflage dans la chaîne des montagnes
du Tiroî , p, 76 & fuiv. Comment on y fait
la ramaffe fur un traîneau qui -glifle du haut
de la montagne, 145*
Amant Jaloux, (Y) cité pour exemple , 45
& 4.6
Amant Jaloux , ( Y ) Comédie en trois actes
de M. d'He!e,p. 365* & fuiv. Anafyfe du
premier air cité en exemple, p. 370 & fuiv.
examen d'autres morceaux de mufïque de la
même pièce , p. 378 & fuiv. Succès de
cette Comédie regardée comme modèle des
pièces de ce genre, 385
Ami de la maison , ( Y ) Comédie en trois
ades en vers de M. Murmontel , mile en
mufique par M. Grétry , p, 269 & fuiv.
Analyfe , 271 & fuiv.
Amitié à I'Epreuve , (Y ) Comédie en trois
a&es, paroles de M* Favart, mufique de M.
Grétry , 25-5- & fuiv.
Andjromaqub, Tragédie lyrique en trois a&ef,
53* TABLE
par M. Pitra , p. 422 & fuiv. Obfervatîons
fur la mufique de cet Opéra, p. 422. Emploi
diftind des infrrumens de mufique fuivant le
caractère des perfonnages, 425
Anseaume , Auteur du Tableau Parlant , 2o3
& fuiv.
Arnaud , ( l'Abbé ) Ton fentiment vif & sûr en
mufique., p. 170. Il rafïure M. Grétry après
la mauvaife exécution de l'Opéra âes Maria-
ges Samnites chez le Prince de Conti, 178
& ÎÔ4.
Artiste; combien il a d'obftacîes à vaincre, 1 & 2
Avares , ( les deux ) Opéra comique , parodes
de M. Falbert, Mufique de M. Grétry, p.
2|6\ Analyfe, Ji47&fbiv.
Aucassin & Nîcolette, ou les Mœurs ami-
dues, Drame en trois actes, donné aux Ita-
liens par M. Sedaine,p. 395) & fuiv. Carac-
tère antique de la mufique, p. 400. Remar-
que fur l'emploi des genres de Mufique ,
& fur le choix des inflrumens que le Corn-
pofiteur dramatique doit obferver, 402 & fui.
At^ENTURBS de voyage du jeune Grétry , 66
6j & fuiv.
B
Baement en musique, 262 & 2%
DES M A T I E R E S. siï
Basst. Avantages de cette partie fondamentale
de -la mufique , 109 '& 110
Basse Fondamentale, igi, Obfervations à
ce fujet , i£2 ôc fuiv.
Bâton du bateur de mufique ; Tes divers effets
fur l'orcheftre, _ 4<? & fuiv*
Batteur de mefurê, ( Mufîcien ) quelles doi-
vent être Tes qualités , Ton intelligence & la
confiance qu'il doit infpirer, . 48 ~& fuiv.
Benoit XIV. Ce 'Pape fait un Règlement con-
■ tre l'irrévérence des Romains dans les Egli-
fes , 86"
C
Car-Leau, A&eur célèbre, de h Comédie Ita-
lienne à Paris , 18% £f fuiv. fp* ijj/ 'Il fait
puer Yz-iiunm , & accepte le principal rôle,
p. 181. Exprefiion admirable' cju'ii met dans
. le chant , & le jeu du rôle de Blaife dans
l'opéra de I.ikiU , 201 & -26$
Calonn£,( M. de j Contrôîeur-Généial, 2j$
ÇAMPrNADo , kyeule de M. Grétry , r
Caravane , ( la _) Comédie lyrique eu trois
actes , par M. More! de Chedeviîle , 4,26"
Carle: Vanloo , Peintre célèbre; anecdote de
fon ingénuité, 288
Casau, célèbre Maître de Chapelle àRome,8y,
Ll 4
Stf TABLE
Le jeune Grétry le choifit pour apprendre
, la composition \ ibii & ioo. Cefl: le feu!
maître qu'il avoue , 102, Confeils que ce com-
posteur donne à fon élevé , 103. Il lui fait
faire pour dernier efiai jde campontion , le
Magnificat en huit parties fans unifions, 106"
CèPHAXE & Progris , Tragédie en trois actes,
par M. Marmontel, 330. Dialogue d'une Chan-
te ufe, de l'Opéra avec l'crcheftre . au fujet
de la mefure , 331 & fuiv. Changemens
propofés dans la marche de cet Opéra, 332
& fuiv.
Chant, DiltinéHon du chant pour parler , &
du chant pour chanter , 529
Chirurgien, compagnon de voyage du jeu-
ne Grétry , à Rome , 62, Ses efpiégleries ,
63 & fuiv. , 9 s
ChoisEUL , C le Duc de ) Prote&eur des arts ,
215 & fuiv,
Cimarosà , Compofiteur Italien , 213
Clairon , célèbre A&rice de la Comédie Fran-
çoife , ' 232.
Claîrval , excellent Acleur de la Comédie
Italienne, 18c , 216 , 265 &, 44I.
Clefs de la Muiîque ; embarras qu'elles cau-
■ ient, ^71 & fuiv.
DES MATIERES. 537
Colinette A LA Cour , Comédie lyrique e»
trois a&es, par M. de Santerre , 426
Collège fondé à Rome, pour des Liégeois,
5"2i êc fuiv.
Comique ( genre ) favorable à la mufique , 13 J
Compositeur dramatique , comparé au fym-
phonifte , 35*3 & fuiv. Choix raifonné & ufa-
ge convenable que le compofiteur doit faira
des inftxumens de mufique , 404. & fuiv. Ex-
tension qu'on peut .donner aux procédés du
compofiteur dramatique , 413 & fuiv. réfle-
xions fur l'art & les fuccès du compofiteur
dramatique , 408 & fuiv.
Compositions de Mufique. Premiers efiTais
fans le fecours des régies , 32
Çonfitebor , Pfaume mis en mufique par M,
Grétry,qui des lors fut nommé Maître de
Chapeile , place qu'il n'accepta point, 129
Contrastes, Ils font néceffaires dans les arts,
Cour , ( la ) Réflexions fur les moyens d'en
obtenir les faveurs , J27 & 528
Creutz, (le Cornu;) Am.bafladeur de Suède
en France, 171. Son goût & fon enthoufiaf-
me pour la mufique , 220 & fuiv. Ses dif-
fractions , 223 & fuiv.
^8 TABLE
D
Dar d anus , Opéra , dont la mufique efl de
Rameau, i6a
Déclamation, (la) Vraie fource de la bon-
ne mufique?3, <?i & 113. M. Grétry va
étudier à la Comédie Françoife le chant
puifé dans la déclamation â 166. Nouvelles
Obfervations à ce fujet , 194 & fuiv. Exem-
ples cités de la mufïque de Y Ami de la Mai-
Jbrr,2.j2 & fuiv. Le vrai en mufique efr. imité
de la déclamation , 282 & fuiv. Remarques
fur la déclamation muficale, 413
Del Valette , Tréfoncier de Notre-Dame de.
Presbourg, 5*
De profondis ? Pfaume à mettre en mufique 3
<Ji
Dérouvillê , ( Mademoifelle ) excellente
Chanteufe ; fon début à la Comédie Ita-
lienne , dans la FaufTe Magie , 310
Desforges ; ( M.) Auteur de Théodore Se Pau-
lin en trois a<5tes , & de l'Épreuve Villageoife ,
comédie lyrique en deux acies , 43 1
DlTSFossés, ( Marie- Jeanne) mère de M. Gré-
try, 7. Sa feniibilhé, 24 & jo. Son arri-
vée à Paris , 2.52.
Devin du Village , paftorale de J> 1. P^uf-
DES MATIERES. 55*
feau, ^2(5. Fxamen de la mufique,«52'7 & fuiv.
Dezaide, Compofîteur d'Opéra François , 213
D'Hfle , Auteur du Jugement de Midas ,
Comédie en trois acles , jouée à la Comédie
Italienne, 35*3 & fuiv. De Y Amant jaloux ,
3 6^ gç fuiv. Des frvénefnens imprévus , 388
& fuiv. Anecdotes de cet Auteur , 388 &
fuiv.
Diderot. Son fentiment en mufique , 263 &
264
Dorât, ami de M. de Pezai. Sa légèreté, 527
Dogazon , ( Madame ; célèbre Actrice de la
Comédie Italienne , 496 & fuiv.
Duni , Compofîteur d'Opéras comiques Fran-
çois , 1 6" 4. , 215 & 50S
Durante , célèbre Compofîteur Italien , 96 , 97
S 137
E
E muet, difficile à meltre en mufîque , ijy.
Exemples, ijz&fuiv.
Education publique , (' réflexions fur F ) 710
Electre , Tragédie' lyrique , mîfe en mufîque
par M. Grétry, & qu'il n'a pas encoi;e offert
à l'Opéra , 424.
Elevé. Procédés qu'il doit fu ivre dans Qs étu~
540 TABLE
des , ioo & fuiv. Lettre de M. Gre'try far
fa manière d'enfeigner la mufique à fa &ié ,
478 & fuiv,
Embarras des Riche/ïes , Comédie lyrique en
trois aéfces par M. de Santerre , 4.26
Equilibre entre la mélodie & l'harmonie, Quel
en eft le jufte caradere , 307 de fuiv,
Evénemens Imprévus , Ç les ) Comédie en
trois aères de M. d'Hele , 588. Remarques
fur plufieurs morceaux de mufique de cette
Comédie, 396 & fuiv.
Epreuve Villageoise, ( Y ) Coménij en
deux ades,au Théâtre Italien, par M. Des-
forges , mufique de M. Grétrv, 45 1
Eurisechio , célèbre Maître dç Chapelle à
R.ome , 8 r
Exécution de la Mufique. Réflexions à cet
égard , 09 & 100. Ses mouvemens plus ou
moins ralentis fuivant les climats , 37/ &
fuiv. Citation d'un pafiage de l'efprit des
Joix de M. Montefquieu , qui attefte cette
opinion , 577 & 378
Expression en mufi que , 260 & fuiv.
Falbert de Quings*, Auteur du Poème des
DES MATIERES. 5-41
deux Avares , 246 & 249
Familles nobles alliées à M. Grétry, y 18
Favart j Auteur de l'Amitié à l'Epreuve ,
2J5 & 258
Fausse Magie, (la ) Comédie en deux actes
par M. Marmontel, 306 & fuiv. Obferva-
tions fur la mufique de cette pièce , 307
& fuiv*
François (le) Son peu de difpofîtion pour
la mufique, 336'. Son goût pour le change-
ment & la plaifanterie, 737
Fugue instrumentale. Premier effai fait fans
régies de composition, 32. Exemple, 33 &
fuiv. Fugues que le jeune Grétry fait à Ro-
me , 96 & fuiv. ,103. Marche & defTein de
la fugue, 110. Exemple, ni & 112. Fu-
gue employée avec fuccès dans l'Epreuve
Villageoife , 432
G
Garât ; ( M. ) excellent chanteur dans les
Sociétés , 407
G^liotte. Eloge de cet excellent Acteur &
Chanteur de l'Opéra , 17^
Genève. Séjour du jeune Grétry dan« cette
ville , 146
;42 TABLE
Gitziello , Chanteur Italien , %t6
Gluck, célèbre Composteur de mufîque théâ-
trale , 140. Son genre doit il être entière-
ment imi^é ? ibid & fuiv. , 212. Il tire prin-
cipalement (es effets de l'harmonie , 286. Il
affilie à deux répétitions de Céphale & Pro^
cris , fââf Se fuiv. Caractère de fa mufique ,
33 y. Obfervations far l'air que chante Achi-
le dans l'Iphigénie en Aulide, 360 & 361 ;
&; fur l'air d'Orphée, qui veut fléchir les dé-
mons, 3 <5 2. Il a donné le modèle du genre
propre à la Tragédie lyrique , 410 ,411
412 & 512
Godefroi de Viltaneuse , ( M. ) Amateur
des beaux arts , 375"
Grétry, nom d'un Hameau, 3
Grétry , ( M. ) Compofiteur de mufique. Ses
titres , p. du frontifpice. Son origine , y &
fuiv. Goût de Ton père & de fon ayeul , pour
le violon , 6. Sa nailFance en 1741 » 7. Ac-
cident de fon enfance , ibid. Sa première &
tri/te expérience de mufique, 8. Ses premiè-
res amours , 10. Enfant de choeur à la Col-
légiale de St. Denis, n. Ses tourmens a cette
école, 12 & fuiv. Il a le crâne enfoncé par
la chute d'une folive, 19. Son début pour le
ch:tnt à la Collégiale de St. Denis, 21 & fuiv.
DES MATIÈRES. y43
Ses fuccès , 23 & 24. Sa voix fe fatigue, &
lui occafïonne un flux de fang, 27. Kégime
à obferver, 29 & fuiv. Ses premiers eflais
de compofition, 32 & fuiv. Leçons qu'il re-
çoit de M. Rennekin, Organise , 36 & fuiv.
Il eft enfeigné par M. Moreau , Maître de
Mufique de St. Paul de Liège, 40. Le Cha
noine Harlez l'engage d'aller à Rome, 4r
& fuiv. Il compofe une méfie en mullque,
4.3. Ses re'flexions fur l'exprefîion muucale ,
4 i & fuiv. On exécute fa mefîe qui eut beau-
coup de fuccès & qu'on appella les Adieux
du jeune Grétry qui alloit quitter Liège, fa
patrie , 48. Ses obfervations fur l'exécution
de la muhque , fur la conduite d'un orchef-
tre , fur l'orgue , fur les effets des mouve-
mens de la mefare , 49 & fuiv. Son départ
de Liège , 74 & fuiv. Confeils & armes que
lui donne fon ayeul , c6 & fuiv. Son voya-
ge à Rome , 62 & fuiv. Un Abbé & un Chi-
rurgien font Ces compagnons de route, 63.
Petites aventures de voyage, 66 & fuiv. Ses
remontrances à un moine fur fa manière
d'exercer l'hofpitalité ,73. Sa converfation
avec des Commis de Finance , 78. Son adreffe
à fauver fon conducteur qui fiifoit la contre-
bande , 79. Senfarions qu'il éprouve à fon
/4* TABLE
arrivée en Italie , 8 1 &. fuiv. Réflexions fuf
la mufique d'Eglife , 87 & fuiv. ; & fur la mu-
fique du Théâtre , 90 & fuiv. Sa maladie à
Rome, p^. & fuiv. Leçon de clavecin & de
compofition qu'il reçoit d'un Orgctnifte, 96
& 97. La manière qu'il contracte pour tou-
cher le clavecin , 98 6k 95?. Comment il eft
enfeigné par Cafali , 102 , & fuiv. Il eft pré-
fenté à M. Piccini, 103. Quelle fut la récep-
tion de ce Maître , 103.. Réflexions à ce fu-
jet , ibid & ioy. Imitation infructueufe qu'il
fait de la manière de travailler de ce com-
posteur j ibid &. 106, Il reprend fon travail
ordinaire & fait un Magnificat à huit parties
fans unifions, ibid» Il eft reçu à l'Académie
des Philarmoniques de Bologne, 107 & fuiv.
Pergolefe eft le modèle auquel il s'attache ,
11 y. Il tombe malade par les efforts qu'il
fait dans fes premières comportions , 116.
Il fe retire chez un Hcrmïte près de Rome ,
&: y recouvre fa fanté , & la facilité du tra-
vail , 118. Réflexions adreflees aux jeunes
Artiftes , ibid & fuiv. Il eft chargé de
mettre en mufique deux intermèdes pour
le Théâtre d'Aliberti , 120. On ne lui
donne que huit jours , 121. Son fuccès ,
122. Il eft demandé chez le Gouverneur pour
avoir
DES MATIÈRES. 5*4;
avoir laifîe répéter un air , 123*. Un aîTaffin
attente à fa vie, izé. Cette aventure n'eut
pas de fuite quoique le coupable fut recon-
nu, 127. Il envoyé un pfaume en mufique à
Liège , & eft nommé à une place de Maître
de Chapelle qu'il n'accepta point * 128 8c
129, Un Milord pour qui il avoit fait
des concertos de flûte , Iuj fait une pen-
fïon, 130. Remarques fur l'état aduel de la
mufique Italienne , 1 3 1 & fuiv. Son retour
d'Italie , 147 & fuiv. Son fejour à Genève ,
14.6. Il eft préfenté à Voltaire, 14.9 & fuiv.
Il remet en mufique le petit opéra ftlfabellè
& Gertrude , de Favart , iy8. Leçon burles-
que d'un Muficien Maître à danfer , pour fa
préfenter fur le théâtre, 162. 11 vient s'établir
à Paris, 163» Difficultés qu'il éprouve d'avoir
un poème à mettre en mufique , 1 66. Il tra-
vaille infruétueufement l'opéra des Mariages
Sumnites, 177. Réuflite du Huron, 1 83 & fuiv*
Voltaire lui envoyé le Baron d'Ocrante 9
Opéra comique, que les Comédiens Italiens
refuferent, le croyant d'un jeune homme , 189»
Succès de Lucile, ip8 & fuiv. Contradictions
& fuccès de la mufique du Tableau Variant^ 208
& fuiv. Sylvain , 227. Intérêt, anecdotes, anâ-
lyfe de cette pièce, 228 & fuiv. Les Deux
M m
Sî6 TABLE
Avares , 246, & fuiv. Détails fuir fa famille^
2C2 & fuiv. U Amitié à T E preuve , 275* & fuiv.
Zémire& A^or, 25*0 & fuiv. h'' Ami de la mai-
Jon926$ & f. Caractère principal de fa mu-
iique , 28 6. Le Magnifique , Drame en
trois acles par M. Sedaine , 291. La Ro/iere
de Salenci , paftorale , 302 & fuiv. La Frfw^
il/a^,ComédJe en deux actes par M. Mar-
montel, 306 & fuiv. Observations fur le rhit-
me de la mufîque , 312 & fuiv. Régime à
ohferver par un Compofiteur de mufique ,
517 & fuiv. Son entretien avec J. J. Rouf-
£eau , 319 & fdiv. Jugement fur cet homme
célèbre, 321 & fuiv. Examen de la mufique
du Devin du Village , 326 & fuiv. Céphale
& Procris , Tragédie en trois a&es , par M.
MarmonteI,350 & fuiv. Çhangemens propo-
fés dans la coupe de ce poëme, 332 & fuiv.
Obfervations fur la mufique fuivant h$ diffé-
rents caractères d&s peuples qui la cultivent,
3 3 y & fuiv. Les Mariages Samnites , par M.
Durofoi, 339 & fuiv. Macroco , Drame burlef-
que 9 par M. Laujon , 33.3 & fuiv. Le /«^e-
77ze/i£ de Midas , Comédie en trois aétes, par
M. d'Hele , 353 & fuiv. JJ Amant Jaloux ,
par 3<5y & fuiv. Remarques fur le plus ou
moins, de facilité qu'on éprouve dans le tra-
DES MATIERES. SAl
vail, ibid & fuiv. Les Evénement imprévus 9
Comédie du même Auteur, 3 88 & fuiv, Au-
■cajfin & Nicolette , par M. Sedaine , 399 &
fuiv. Andromaque , Tragédie en trois actes ,
407 & fuiv. Plan propofé pour rendre la li-
berté au compofiteur dramatique, & de lui
affujettir le Poëte lyrique , en faifant la mu-
fîque avant les paroles , 414 , 41^ & fuiv.
Colinette à la Cour , Comédie lyrique à l'O-
péra ; Y Embarras des Richejfes , Comédie ly-
rique; ces deux drames de M. Santerre , 426".
La Caravanne, Comédie lyrique, par M. Mo«
rel de Chedeville,426' & fuivant. U Épreuve
Villageoife , Comédie lyrique en deux acles ,
donnée aux Italiens, par M. Desforges, 431»
"Richard cœur de Lio/z, Comédie en trois actes,
43 8 Pamir ^e dans tljle des Lanternes , Co-
médie lyrique en trois actes , par M. Morel ,
449 & fuiv. Le Comte d'Albert, par M. Se-
daine , 476. Les Méprijes par rejjemblance ,
le Prifonnier Anglois , le Rival Confident ,
Amphïtrion , la Barbebleue , Afpafie , 497.
Réflexions fur l'art & les fuccès du Muficiea
Compofiteur pour le Théâtre , 498 & fuiv.
Obfervations fur les qualités propres à
un Directeur de l'Opéra de Paris , y 13
& fuiv,
M m 2
54g TABLE
Grétry , frère amé de l'Auteur de ces Mémoi-
res* 5j2&fuiv.
^ H
Haidn , célèbre Compofiteur de mufîque inf-
trumentale, 213 , 238 , 286 & fuiv. Ses (Eu-
vres font un immenfe Dictionnaire de chants,
où le Compofiteur dramatique peut puifer
fans fcrupule , 287 & 4,14
HarLez , Chanoine, grand Muficien ,24. Con-
feils & encouragement qu'il donne , 41. II
fait exécuter la Méfie du jeune Grétry ,47;
& lui fait donner une gratification par le
Chapitre de la Collégiale de St. Denis, 48
Harmonie, ( de 1' ) 214* Obfervations , 236
& fuiv. , 260 & fuiv. , 286, 307 & fuiv. , 343
& fuiv. , 407 & fuiv. , 4 12 , 461 & fuiv. , 503
Henri IV , y±6
Henri de Prusse , ( le Prince ) mot flatteur
qu'il dit à l'Auteur de la mufique de Richard
cœur de Lion , 1^1
Hermite , fur la montagne de Millini près de
Rome , 117. Retraite de trois mois que le
jeune Grétry fait dans fon hermitage , ïbld*
L'air pur de cet afyle , ranime fa fanté & fon
imagination, 118
DES MATIERES. y4$
Homme de lettres. Pourquoi Tes connoiffaiv.
ces l'éloignent du fentiment de la mufique ,
172 & fuiv.
Hospitalité mal faite par des Moines, 73
Huron , ( le ) Opéra comique , cité pour exem-
ple,^. Récit & anecdotes de la repréfenta-
tk^n de cet opéra, 1S3 & fuiv.
I
Imagination, Son empire dans le travail ,
Instrumens de Mufique ; de leur emploi ;
exemples , 278 & fuiv. infiniment à cordes ;
m.inieve de les accorder , 315*. Ohfervations,
316.& fuiv. Choix & ufage que les Com-
posteurs doivent en faire, 404 & fuiv. Em-
ploi diftinfl des inftrumens dans la mufique
d' Andromcque , 423
Intonations. Remarques fur les divers fens
que préfentent les intonations, 280 & fuiv.
Iomelli ,Compofiteur Italien, 491
Isabelle & Gertrude , Opéra Comique, re-
mis en mufique par M. Grétry étant à Ge-
nève , 158
Italie. Senfations que fait éprouver la vue de
ce beau pays , 81 & fuiv»
"m 3
S$o TABLE
Italien , lmpofleur 3 2 1 6 & fuiv.
Italiens , Compofiteurs ; leur foiblefle dans
la fcience de Pharmomie , 489 & fuiv.
Jugement de Midas , ( le ) Comédie en trois
a&es, par M. d'Hele , 373 & fuiv. ; c'eft une
fctire de l'ancienne mufique Françoife , 3^8
& fuiv
Lacombe , ( M.) 2£2. Auteur du Spectacle des
beaux Arts , imprimé en 1738, yji
Laguerre, ( Mademoifelle ) Chanteufe célèbre
à l'Opéra , 424.
La Houssaye , premier violon de la Corné-
dîe Italienne, 47
Lainez , Acleur de l'Opéra , 424
Lais , célèbre Acteur & Chanteur de l'Opéra ,
45*3 & fuiv.
Larivée, célèbre Acteur de l'Opéra, 42$
La Ruette , ( Madame) excellente Aclrice &
Chanteufe de la Comédie Italienne , i8y &
216
La Ruette , ( M. ) bon Pantomine & Acleur
de la Comédie Italienne , 185
Laujeon , ^Uiteur de Matroco , Drame burie£-
DES MATIERES, 571
que en qur.'.re acles & en vers , donné à la
Comédie Italienne , 345 & fuiv.
Lebel , premier violon de la Comédie Italien-
ne , 184.
Le Clerc , bon Muficien de Liège , 20
Le Vasseur , ( M. ) Auteur de la partie lyri-
que ou de la vérification de V Amunt Jaloux
Le Vasseur, ( Mademoilie ) Actrice de l'O-
péra , 424
Liège, Caractère des Kabitans de ce pays ; fia-
biles hommes qu'il a produits dans les arts ,
722 & J23
Lucile , Opéra comique ; récit & anecdotes
concermnt cet ouvrage qui eut beaucoup de
fuccès , 108. Forttine du quatuor, oit peut on
être mieux , 199. Analyfe raiTonnée du mo-
nologue de Blaife, 202 & fuiv.
Lulli , ancien Composteur François , 376 &
Lustmni , Maître de Chapelle à Rome , 8y.
NobleflTe de Ton ftyie muficai , 86
M
Magnifique , ( le ) Drame en trois actes ,
donné au Théâtre Italien } pai Tsu Sedaine- ,
M m *
Jjtt TABLE
291 & fuiv. Réflexions, analyf:, anecdote de
la rofe , 292 & fuiv.
Magnificat. Pfaume mis en mufîque à huit
parties fans unifions , 106
Maître de Mufîque de la Collégiale de St.
Denis de Liège, 14. Ses cruautés envers fes
. jeunes élèves, ibid & fuiv.
Maîtres de Mufiqua & autres ; qu'elles doi-
vent être leurs principales qualités, 38 & 39
Mariage d'Antonio, ( le ) Comédie en un
aère, donnée aux Italiens , mife en mufîque
par Mademoifelle Grétry , époufe de M. Ma-
rin , 457 & fuiv. Lettre de M. Grétry au
Journal de Paris , ibid & fuiv,
Mariages Samnites j titre du premier Ou-
vrage que M. Grétry mit en mufîque, 170,
XjC même Sujet traité par M. du Rofoy , 339
&. fuiv. Son peu de fuccès , 340 & fuiv.
Marin, ( Madame) fille de" M. Grétry, Auteur
de la mufîque du Mariage d'Antonio, Co-
médie en un acle , 45"6
Marmontel , ( M. ) Il arrange le fujet du
Huron , tiré du Roman de l'Ingénu ,
Soi & fuiv. Auteur du Poëme de Lu-
file , 198 & fuiv. De Sylvain , 227. De
Zémire & Az^or , 2$$ & fuiv. De X /hnï d&
DES MATIERES. j|3
la Mai/on , 269 & fuiv. De la Fauffe Ma-<
gie , 306 & fuiv. De Cephale & Procris ,
Opéra en trois actes, 330 & fuiv. Change-
mens propofés dans cet Opéra, 332 & fuiv.
Facilité de ce Poëte pour adapter des paro-
les à une mufique donnée, 414 & 4.15*
Martini , ( le Père ) céiébre Compofiteur de
l'Académie des Philharmoniques de Bologne ,
108
JVÏatrûco j Drame burlefque en quatre ades &
en vers par M. Laujeon, 34,3 & fuiv. Exem-
ple d'un Vaudeville employé dans l'ouver-
ture , 344. & fuiv. Remarques fur les diffi-
cultés de mufique propre à ce genre, 347.
ci Lotion de la marche finale de cette pièce ,
349 & fuiv.
Mélodie , ( de la ) 21 4, Obfervations , 237
& fuiv. , 260 & fuiv, , 307 ôç fuiv.. , 343 &
fuiv., 461 & fuiv., 5*03 & fuiv.
Mémoires. Dans quelles vues ils ont été com-
pofés , 2 & fuiv. , 500 & fuiv.
Menageot, Peintre, Auteur du beau Tableau
de la mort de Léonard de Vinci , 15*8
Mi-.sse en Mufique. Un des premiers effais de
l'Auteur avant d'aller à Rome, 43 & 44
574 TABLE
Mesure. Obfervations fur l'effet de {es divers
mouvemens, y 3 & fuiv.
Modulation , 262
Mœurs. Obfervations fur les mœurs aclueiles ,
211
Monotonie ; combien elle eft infuportabîe fur
tout en mufîque, y 2 & fuiv.
Monsigni , Compofiteur d'Opéras François ,
16%, 169 & 213
Moreau , Maître de Mufîque de Su Paul de
Liège , 40. Il examine une Aîefle en mufîque
de fon élève, & ne peut fe détendre d'un fen-
tîment de jalouse , 45 & 4.4
Morel de Chedeville , ( M. ) Auteur des
poëmes de la Caravane , 426. De Panurge dans
rljîe des Lanternes , 4.49. T¥Afpajie , 497
Motet- en chœur à quatre parties. Premier effai
fait fans régies de composition , 32 & fuiv.
Musiciens exécutants. Torts qu'ils ont d'ajou-
ter des notes de caprice en accompagnant,
4.7
Musique, ( réflexions fur la ) I & fuiv. Prirv
cipal objet de la mufîque 44.. Idée qu'on doit
avoir de l'imitation des effets Pnyuquès , ibid
& fuiv. Exemples tirés du Huron , du TaV
bkau parlant ) dà Tom-Jenes , de Y Amant ja-
DES MATIERES. 55-5-
loux , 43* & fuiv. Cara^ere changeant de la
mufique 113. Mufique théâtrale des Italiens,
iji & fuiv. Exemples d'anciens chants Ita-
liens,!^. Quaftion fur la manière de fentir
en mufique, 172 & fuiv. La mufique fouvent
méconnoiffable en pafTant du piano , dans un
orcheftre & fur le théâtre , 270 & fuiv. La
mufique peut elle couvrir les défauts de la
poëiie? 296 & fuiv. Les vers confidérés dans
leurs raports avec la mufique , 297 & fuiv»
La mufique confidérée chez les difFérens peu-
ples qui l'a cultivent, 3 3 y & fuiv. Plan pro-
pofé de mettre la mufique en paroles, au lieu
de mettre des paroles en mufique, 414 & fuiv.
Obfervations fur l'ancienne mufique Fran-
çoife , 427 & fuiv.
Musique d'Eglife. Obfervations fur fon ftyle
& fon caractère, 87 & fuiv. Comparaifon de
cette mufique avec celle du Théâtre , 90 &
fuiv. Obfervations fur le genre propre à cette
mufique , ' 261 & fuiv.
Musique de Concert, 261 & 262. Les Œuvres
d'Haidn en fournirent abondamment , 2S6
&*87
S;6 TABLE.
o
Op&rà de Paris. Qualités nécefTaires a un
Directeur de ce Spectacle pour le foutenir &
l'enrichir , J13 & fuiv.
Opéras Italiens , repréfentés à Liège, où l'Au-
teur prit un goût paffionné pour la mufique ,
21
Orgue. Réflexions fur les moyens de perfec-
tionner ce grand instrument. fi & fuiv,
Oprante , ( le Baron d' ) Opéra comique de
Voltaire, 189
Ouvrages diftingués par la fraîcheur des idées»
P
Paesiello , Compofiteur Italien , 213
Panurge dans flfle des Lanternes , Comédie
lyrique en trois ac~r.es par M. Morel de Che-
deville, 440 .• Propofée pour modèle du gen-
re entièrement comique ., ibid & fuiv, Ana-
Jyfe , ibid
Parade. Obfervations fur la manière de ren-
dre ce genre en mufique fans trivialité, 210
Pergolese. Excellence de fa mufique, 46. Ob-^
fervations fur le Stabat de ce célèbre Corn-
DES MATIER ES. yjy
polïteur , SB & fuiv. L'Auteur le choifît
pour modèle ,113 &. 196. Le début du
jîabat fuit les modulations des folies d'Ef-
pagne , 383*. Obfervations fur le génie de
ce Compofîteur , joy
Pezai , ( M. de ) Auteur de la Rofiere de Sa-
Ienci , paftorale , 303 & fuiv. 5527.
Philarmoniques de Bologne,, (Académie des)
Réception de l'Auteur dans cette Société,
108
Philidor , Compofîteur François, 163. Son
zèle généreux à procurer un poème, 167.
Grand Harmonifte , ' 212
Philippe , Aéteur de la Comédie Italienne ; fon
zèle & (es fuccès, 340 & fuiv.
Picini, célèbre Compofîteur Italien, 103. Le
jeune Grétry lui eft préfenté , & affifte à fon
travail, 104. Réflexions fur l'encouragement
qu'un grand homme peut donner à un élève
timide, ibïd & ioj. Eloge que fait Aï. Pic-
cini du premier ouvrage dramatique donné
par M. Grétry fur le théâtre d'Alberti ; 128. îl
eft renommé pour la tendre & belle expreffion
idéale , 213
Pitra ,(M.) Auteur des paroles d'Androm;-:-
que , 4,22 & fuiv%
fS8 TABLE
Poésie confédérée dans (es raports avec la mu-
fique , 295" & fuiv.
Poète dramatique. Comment un Compofiteur
adroit peut mafquer les défauts de (es vers ,
$2. Procédés nouveaux propofés dans la
compofition du Drame lyrique, 416 & fuiv.
Ponctuation de la mufique. Remarques , 282.
Exemples, 283 & 284
Prosodie , ( la ) confédérée par raport à la
mufique, 131 & fuiv.
R
Ramasse, ( la ) Defcente rapide fur un traî-
neau lancé du haut d'une montagne des Al-
pes , 14$
Rameau, Compofiteur d'Opéras François, 164-,
31J , 505? & fuiv.
Raulet , ( le Bailli du ) Auteur de la réduc-
tion tflphigénie en Aulide pour l'Opéra ,4.11
Rebel & Francgeur , Surintendans de la mu-
fique du Roi , 27 <5
Récapitulation du plan & des vues de ces
Mémoires, yoo & fuiv.
Réflexions morales fur l'Amour paternel &
l'Amour filial ? 60 & fuiv.
DES MATIERES. yr*
Régime à obferver pour un flux de fang , 20
& fuiv.
Rem A cle, conducteur des jeunes Liégeois en
Italie, 57 & fuiv. Il fait la contrebande, 77.
AdrelTe pour lui fauver la vifite des Commis ,
19
Uenaud , ( Mademoifelle ) Adrïce de la Co-
médie Italienne , excellente Chanteufe , 257
Rennekin , célèbre Organise de St. Pierre à
Liège, 35* & fuiv. Encouragement qu'il don-
ne à fon élève, 42
Rsy , C M. ) profond Muficien à la tête de for-
cheftre de l'Opéra de Paris , 5*20
Rhitme ou mouvement muiîcal. Observations,
expériences, 312 & fuiv., 5-28 & fuiv.
Richard cœur de lion, Comédie en trois ac-
tes par M. Sedaine , 438 & fuiv. Anaîyfe de
la mufîque , 442 & fuiv. Heureux change-
ment du dénoument , 447. Succès foutenu
de cette pièce, 448
Rithjvîometre ; infiniment propre à déter-
miner les mouvemcns en mufîque , 377 &
fuiv.
Romance de Richard cceur de lion ,439 &
fuiv. Combien de fois repétée avec inten-
tion dans le cours de la pièce, 444 & fuiv.
f6ô TABLE
RoSALiES. Tournures muficales employées dans
l'ancien chant ,364. Exemple, ibid
Rosière de Salenci , Comédie paftorale de M.
de Pe2ai , 302 & fuiv. Analyfe de quelques
morceaux de la mufique , 303 &. fuiv.
Rousseau, C Jean-Jacques ) 315". Son entre-
tien avec l'Auteur de ces mémoires a 3 1 9 flc
fuiv. Idée de fon caractère & de (es qualités
morales, 320 & fuiv. Examen de fon Devin
du Village ,325 , & fuiv. Anecdote des mu-
siciens de l'Opéra qui voulurent fe venger de
RoufTeau, 32p. Jugement de (es écrits fur la
mufique , yoi
Sacchini, Compofïteur Italien, 213. Carafe
re de fa mufique, 286 & 336'. Examen de
fon air barbare amour , 4.89
Saison favorable aux productions du génie ,
y2y & fuiv.
Santerre , ( M. ) Auteur des opéras de Co^
linette à la Cour, de l'Embarras des richeffes ,
426
Savetier Philofophe, (le) titre d'un Opérai
• comique de madame Cramer > 1 jo
Sedaine , ( M. ) Auteur du Magnifique à la
Comédie
DES MATIERES. ;£i
Comédie Italienne , 25} i. Singularite's mufica-
les dans l'ouverture de cette pièce, 292. Re-
marques ilir l'emploi de l'air de Henri IV ,
ibid. Difficultés à furmonter en mettant (es
paroles en mufîque , 294 & fuiv. Aucafjin &
Nicolette , Drame en trois actes du même Au-
teur , 309 & fuiv. Richard cœur de lion y
Comédie en trois actes, 43 S. Le Comte d 'Al-
bert , 476. Amphitrion , la Barbe bleue , 497
Seigneur bienfaifant, ( le ) Comédie lyrique ,
les paroles de M. Rochon de Chabane , la
mufîque de M. Floquet , 4.29
Servante MaîtrefTe, f la J Opéra de Pergo-
\e(e cité en exemple, 46
Silvain , poëme de M. Marmontel , Mufîque
de M. Grétry , 227. Réflexions, anecdotes,
analyfe, 228 & fuiv*
Spectacle. Le Prince Evêque de Liège & le
Clergé îont dans l'ufage cTafîîûer au Spec*
tacle , 14
Suard. ( M. ) Jugement favorable qu'il porte.
des talens de l'Auteur de ces Mémoires ,
170. Il a un fentiment vrai de la mufique ,
Nn
c6a TABLE
171. Il procure la connoiffance de M. d'Hela ,
Auteur de plufieurs bonnes Comédies , 35*4
SUZe. ( M. de îa ) Son zèle & Tes connoiflan-
ces pour conduire les chœurs & les Acteurs
de l'Opéra de Paris , J20 & y 2 1
Symphonies. Premiers effais qui méritèrent à
l'Auteur les moyens d'aller faire des études
à Rome , 41 & fuiv.
Symphoniste , comparé au compofiteur dra-
matique , 3J"3 & fuiv.
T
Tableau parlant , ( le ) Opéra comique cité
pour exemple , 45*. Compofîtion mulicale de
cette parade charmante , 2 1 o & fuiv. Analyfe
& anecdotes de cet Ouvrage, 21 £
2[apr ay , ( M. ) excellent Maître de modulation ,
Terradellas , célèbre Compofiteur Efpagnol ,
I i 3. Son air tremate , moftri di crudelta , ren-
ferme tout ce qui constitue le vrai beau en
mufique, 117
Théodore & Paulin , Comédie lyrique en
trois actes par M. Desforges , ££ 1
DES MATIERES. j-6*}
Tirol , ( femmes du ) dans les Alpes. Leur
portrait, 76
ToM-Jones , Opéra comique , cité pour exem-
• pie, 47
Tragédie , moins favorable pour la mufique
que le comique* 135*. Remarques fur le genre
de mufîque propre à la Tragédie, 140 & fuiv.
Projet d'une Tragédie lyrique où le dialo-
gue feroit parlé, 148, Comment le genre
Tragique pourroit être traité en mufîque ,
407 & fuiv. Procédés nouveaux propofés au
Poëte & au Mufîcien , ^16 Se fuiv*
Trial , Directeur de l'Opéra , 177
ffilAË , Acteur de la Comédie Italienne ; fon
zèle infatigable , 2J7
Tronchik , Médecin, (qs confeils qui ne font
pas iuivis, 28 & 29
Tuyaux d'Orgue. ( gros ) Propofés pour gui-
der les choeurs des Opéras , yi
Vaudevilles. Ces airs font fufceptibles d'un*
belle baffe & d'une bonne harmonie , 3^.3 Se
Nu
$6$ TABLE
fuiv. Exemple d'un Vaudeville employé dans
j Couverture de Matroco , 344 & fuiv.
VernÈt , Peintre très-célébre , & grand con-
noiCTeur en mufique , 173,
Vinci , Compofîteur Italien. Examen d'un de
(es airs , 5-04 & fuiv.
Voix. Réfbxions fur les différences des voix,
Voltaire , 14^. Lettre que lui écrit M. Gré-
try étant à Genève , I48. Invitation & bon
accueil que ce grand homme fait au jeune
Muficien, 2 ^9 & fuiv. Délices de fa demeu-
re, & de fa préfence, 15*4 & fuiv. Sa grande
fenfîbilité jufKfiée , i$6. Ses adieux, 163.
Son avis fur les grands talents, 288
Wixssb, célèbre Maître de Flûte à Genève,
130 & 146
Voyage à Rome, 62 & fuiv. Retour d'Italie
par le Mont Cenis , 143. Singularité d'un
Baron Allemand , ïbid& 144.. Séjour à Genè-
ve, 146.
Zémire. & Azor, pièce en vers libres par
AL Marmontel , ££$ & fuiv. Analyfe , 263
DES MATIERES f6$
& fuiv. Succès de cette pièce , 266 & fuiv.
Cette Opéra joué en trois langues , le même
jour à une foire en Allemagne, a6j
FIN de la Tabk.
APPROBATION.
J ' A 1 lu par ordre de Monfeigneur le Garde-
dès-Sceaux , un Ouvrage intitulé , Mémoires ou
Effai Jur la Mujîque , par M. GrÉTRY , & je
n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en em-
pêcher l'impreffion. A Paris , le 8 Décembre
1788, Suard.
PRIVILEGE.
L-jOUÏS, TAR LA «TRACE Ot DlEW.Rot DE FKANC* K* DE NAY4-
F»f. : A nos aniés * féaux Confrllerj , les Gens tenans no* Cour» de Piile-
iveu, Maitrei dei Reovct«s "tdinaires de notre Hôtel , Grand Co.ifeil , Prevot 4e
Jaris, BjuCj, Scuichac» , ItUfl }Jt revint Ciùls il fc.tr «s ao< Jt ftic'ytrt «p'S
•ppat-tiendra ; SAMJT. Netrt amé le Sieur GBETRY , Nom a fiiit «pofer mH
déiîreroir faire imprimer Se donner au PuSIic , fts Mémoire ou Efeii fur la Ma-
nque i s'A nous plaifok lai accorder nos Lettres de Permiflion pour ce néced'aires.
A CEI CAUSES, voulant favorablement traiter iferpofant, nous lui avons permit
& permettons par ces Préfentes , de taire imprimer ledit Ouvrage autant de foi»
epie bon lui fcmblera , Se de le vendre , taire velulte & débiter par tout îotre Royau-
me , Voulou* cju'il joiiifle de l'effet du préfent Privilège , pour lui 5r fes hoirs à
perpétuité, pourvu qu'il ne rétrocède à perfonne; & fi cependatst il jugeoit à pro-
pos d'en faire une ceflion , l'afle qui la contiendra fera enrégiftré en la Chambre
Syndicale de Pari» , à peine de nullité , tînt du Privilège que de la Ceflion , *
alors , par le fait feul de la Ceflion enrégiftréc , la durcé du préleat Privilège fera.
réduite à celle de l'Expofant , ou à eelle de dix années, à compter de ce jour.
fi l'Enpolant décède avant l'expiration defdltcs dix années 5 le tout conformément
aux article» IV & V de l'Arrêt du Coufeil du jo Août 1777, portant Règlement
tur la dorée dr» Privilège en Librairie. Faifons défenfes à tous Imprimeurs ,
ZJbraires , Se autres perfemnes de quelque qualité & condition qu'elles foient .
J'en introduire d'impreûjon étrangère dan» aucun lieu de notre obéiflance; comme
•nffi d'imprimer ou faire imprimer; veudre ou de fzire vendre, débiter ni contre-
faire ledit Ouvrage fou» quelque prétexte que ce puiffe être , fans la permiflion
«SprelTe & par écrii dudit Eïpofant , ou de celui qui le repréfentera , a peine de
laific S: «onfifcatiem des exemplaires contrefaits.de fis milie livres d'amende qui ne
pourra être modérée pour la première foi» , de pareille amende Se de déchennee
d'état en cas de récidive, & de tous dépens , dommages & inttres .conformément,
a l'Arrêt du Confeil du jo Août 1777. concernant les contrefaçons : A la chari>«
«jt;e cts Préfrnie» feront enregiftrées tout au long fur le Regiftre de la Commu-
liauté de» Imprimeurs Se Libraires de Paris, dans (rois mois de la date d'icelles ;
<jue l'impreflion dudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume Se non ailleurs , en
bon papier & beaux caractères ; conformémenu aux Règlement de la Librairie,
à pe:ne de déchéance du préfent Privilège; qu'avant l'cxpofer en vent le Manuf-
cric qui aura fervi de copie à l'in-piefCon dudit Ouvrage , fera remis dan» le
«néme état où l'Approbation aura été donnée, es mains de notre très-cher & féal
Chevalier Garde. dès-Sceaux' de France, le fieur BaheNTIN ; qu'il en fera enfui te
»cmis deux Exemplaires dans noire Bibliothèque publique , un dans celle de notre
Château du Louvre , un dans celle de notre très- cher & féal Chevalier , Chance
lter de France, le fieur DE MAVPEOU.&un dans celle dudit fieur EAREN-
T]N ; le tout t peine de nullité des Prclente» ; du contenu defquelles vous
mandons & enjoignons de taire jouir ledit Expol'ant Se fe» hoir» pleinement Se
paisiblement , fans louffrir qu'il leur loit fait aucun trouble eu empêchement.
Voulou» qu'à la copie des Préfentes qui fera imprimée tout au long au commen-
cement ou à la fin dudit Ouvrage , loit tenue pour duement fig.uriée , & q.i'aux
copies collaiiennées par l'un de nos amés & feaux Conleillcrs-Seerétaiies , foi foit
ajoutée comme à l'original. Commandons au premier notre Huiffier ou Sergcn;
fur ce requis, de faire pour l'exécution d'Tccllcs , tou» actes requis & nécetfaire»,
fans demander autre permiflion , Se nonobftant clameur de haro, charte normande,
te lettres à ce contraires; CAR tel elt notre plaifir. DoKJJE' à Verfailles , le
31 on- du mois de Décembre, l'a» de grâce mil fept cent quatre-vingt-huit , U
it no.rt Règne le quinzième. Par le j Roi «n 10.1 Uu.iù.l. LE. BEGUE.
ERRA TA.
* A G E 8 , ligne 7, ma grand'mere , ajoute^ maternelle.
Page 15, /igfle i, après cz qui me flattoit le plus,
/i/èç c'étoit d'y voir toute la Troupe Italienne ,
femmes & hommes ; car chacun d'eux me tegardoit
comme (on. Élevé.
Page 3 o , ligne dernière , un , life^ , une.
Page 37, ligne 3, Oui, — Monfieur , ne pourriez,
Ufei Oui. — Ne pourriez.
Page 46 , ligne 4 , Léonore , life^ Ifabelle. '
Page 61 , ligne 7, donnée , lije^ donné.
Page y 3 , <%•.<: ■) , ce que vaut , life- ce que veut.
Page 97 , ligne 2, , dans celle , lïfe\ dans celles.
Page 117, ligne 4, ce beau morceau, lifeç ce morceau
Page 172 , ligne dernière de la Mujïque , <zv.z/2£ /<z féconde
note , mette^ un diefe au lieu d'un biquarre.
Page 170, ligne 3, fut le fujet , life^ furent le fujet.
Page 179 , ligne 1 5 , cet honnête Artifte, life^ cet Arrifte
diftingué.
Page 196, ligne anté-pênultieme , d'un Public, Sec. lifeç_
de cette partie du Public qui , dans la jouiiTance
même de ces plaifirs , aime à pouvoir s'éciairer du
flambeau de la raifon.
Page 23 j , ligne 6, celle life^ celles.
Page 144 , ligne 9 , travaillé , life^ travaillé*".'
Page 287 , ligne anté- pénultième , vocale , li/e^ vocal.
Page 288, ligne 3 , muficale , l\fe\ mufical.
Page 319, ligne 4, celle, Hfe[ celles.
Page 352, ligne 2 , croioyent , life^ croyoient.
t
Page 388, ligne n, après à la fleur de l'âge, &c;
ïifi% un des hommes qui avoient le plus du juftefle
dans leurs idées , & qui échircirToient le mieux celles
des autres.
Page 391, ligne '3 , il étoit peu de chofe, &c. lifeç
il y avoir peu de chofts qu'il ne pût porter à leur
perfection, ou du moins en fuggérer les moyens.
Page 394, ligne 3 , fi la dernière période. . . eût été
reculée , lifc^ fi le dernier pétiode. . . eût été reculé.
Page 406, ligne pénultième , qu'ils ne défireroient plus. ,
life^ qu'ils défireroient de ne plus.
Page 40S , ligne j , jufqu'au traître , lifeç jufqn'au
fcélérat.
Page 429, ligne 8, açcefïbir, life^ acceffoire.
Page 439, ligne 10, comme fi en Mnfique , &cc. life-±
comme fi elle eût été le feul morceau en Mufique
dans l'Ouvrage.
Page 457 , ligne 6 , analogue , life^ analogues.
Page 496, ligne 9, cherchons, &c. life^ ne cherchons
point à écarter de notre ame des fenfations dou-
loureufes , mais tendres. Eiles peuvent alléger le
poids des plus grands maux ; & d'ailleurs jamais
l'homme qui aime à s'attendrir, ne fut à craindre
pour fes femblables,
Page 519, ligne ?i, la Juftice civile doit feul infliger,
& dont, lifi{ la Loi doit feul infliger aux citoyens,
& dont, &c.
Page 530, ligne 19, un des Arts le plus noble, lifer
un deArts les plus nobles.
/