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Full text of "Mémoires, ou, Essai sur la musique"

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MÉMOIRES 

ESSAI 

SUR  LA  MUSIQUE. 


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MÉMOIRES 

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ESSAI 

SUR  LA  MUSIQUE 

Par   M.    GRÉTRY  , 

Cenfeur  Royal  >  Conjeillet  intime  de  S.  A.  C. 
Mcnfeigneur  tEvéque  ,  Prince  de  Liège  ;  de 
V Académie  des  Philharmoniques  de  Bologne, 
de  la  Société  d'Emulation  de  Liège  ,  &c. 


Prix   6  livres  ,  broché. 


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A    PARIS, 

'L'Auteur  ,  rue  PoîfTonniere  ,  vis-à-vis  fa    rue 
Beauregard. 

Ch      /  *>RAULT  »  ImPrimeur  du  Roi ,  Quai  des  AuguiUns. 
\  Les  Marchands  de  Nouveautés. 

Et    à    Liège, 

LF.  J.  Desoek.  ,  Imprimeur,  Libraire. 
'Avec  Approbation  &  Privilège  du  Roi, 


u 


AVANT-PROPOS. 


JE  n'ai  écrit  ces  Reflexions  fur  la 
Mu  fi  que  y  que  peur  me  délafier  de 
mon  travail  habituel.  Il  feroit  injufte 
de  prétendre  qu'un  artifte  ait  dans 
fon  ftyle  la  correction  &  l'élégance 
qu'on  a  droit  d'exiger  de  l'homme 
de  lettres.  J'ai  mis  par  écrit  ce  que 
m'a  révélé  le  fentiment  même  de 
Fart  pendant  mon  travail  ^  Se  je  ferai 
content  fi  je  me  fuis  fait  entendre.  Je 
l'ai  entrepris,  parce  que  l'artifte  feul 
pouvoit  le  faire  :  fi  j'y  joints  quelques 
circonftances  des  différentes  époques 
de  ma  vie,  ce  n'eft  que  pour  fervir 
de  liaifon  à  ce  qui  a  rapport  à  la  mu- 
fique.  Au  :efte  ce  qui  paroîtra  puérile 
à  bien  des  gens ,,  ne  le  fera  pas  pour 
le  jeune  artifte  qui  ^  fouvent  repouffé 
de  toutes  parts ,  ne  peut  parvenir  à 
fe  faire  connoître  :  il  verra  que  ceux 

A 


i         AVANT-PROPOS. 

même  qui  ont  eu  le  bonheur  de  per- 
cer dans  la  carrière  des  arts ,  ont  eu, 
comme  lui,  mille  obftacles  à  vain- 
cre ,  &  cette  leclure  peut  ranimer 
fon  courage  abattu.  Je  voulois  laifTer 
ces  papiers  à  mes  enfans;  je  ne  vou- 
lois pas  me  faire  imprimer;  &  ce  que 
je  dis  eft  vrai  ;  mais  on  m'a  fait  enten- 
dre que  ,  n'y  eût-il  qu'une  vérité  bien 
établie  dans  cet  ouvrage ,  je  devois 
le  rendre  public,  On  m'a  dit  encore 
que,  parlant  fans  cefle  de  mon  art, 
&  communiquant  fans  réferve  dans 
la  converfation  le  peu  d'idées  qui 
peuvent  m'appartenir ,  je  courois  les 
rifques  "dans  vingt  ans  de  paroître 
moi-même  plagiaire ,  &  de  ne  con- 
ferver  que  le  cadre  qui  les  enchaîne. 
Je  me  fuis  rendu  à  ces  deux  raifons  : 
la  première  intéreffe  l'art  ;  la  fécon- 
de intéreffe  l'homme  qui  veut  jouir 
de  ce  qui  lui  appartient. 

Cent  fois  j'ai  été  tenté  de  prendre 


AVANT-PROPOS.         3 

la  plume ,  lorfque  mille  brochures 
fur  la  muiîque  ont  bien  plus  fomenté 
de  diffentions  encre  les  artiftes,  qu'el- 
les nJont  fervi  aux  progrès  de  l'art. 
Chacun  prêchoit  pour  fon  faint  ;  on 
ignoroit  qu'il  efl:  un  faint  pour  tout 
le  monde.  Il  falloit  dire  ,  par  exem- 
ple ,  qu'il  exifle  une  mufique  vague , 
métaphifique  pour  bien  des  hommes, 
mais  qui  l'efl  moins  pour  la  plupart 
des  femmes  ;  que  fi  Ton  a  une  orga- 
nifation  dure,  on  n'y  entend  rien;  G. 
on  l'a  foible  &  trop  fenfible  ,  on 
comprend  trop  ;  cette  mufique  prête 
au  défceuvrement  tout  le  charme  de 
la  difpute,  avec  L'avantage  de  n'é- 
claircir  jamais  la  queftion.  Il  falloit 
dire  qu'il  efl  une  mufique  qui ,  ayant 
pour  bafe  la  déclamation  des  paro- 
les ,  efl:  vraie  comme  les  parlions. 
J'anticiperois  fur  mon  fujet ,  fi  j'en 
difois  davantage. 

Des  réflexions  ifolées  &  des  pré- 

A  2 


4         AVANT-PROPOS. 

ceptes  arides  fur  un  art ,  ne  peuvent 
guère  intéreiler  que  ceux  qui  en  font 
une  étude  particulière;  &  lamufique 
eft  peut-être  celui  de  tous  les  beaux- 
arts  qui  prouve  le  mieux  cette  vérité. 
J'ai  cru  qu'en  joignant  à  cet  efTai 
quelques  anecdotes  fur  des  pièces 
dramatiques  que  la  nation  a  daigné 
accueillir ,  il  feroit  d'un  intérêt  plus 
général,  &  pourroit  être  lu,  même 
des  gens  du  monde. 


ESSAI 

SUR    LA    MUSIQUE. 


PREMIERE    PARTIE. 


S  i  je  dois  mon  exiflence  morale  à  la 
mufique,  je  lui  dois  auffi  mon  exiflence 
phyfîque. 

Jean-Noé  de  Gretry  mon  grand- 
père  ,  après  avoir  vendu  ou  fubititué  les 
biens  qu'il  poffédoit  à  Gretry  (  i  ) ,  époufa 
fans  confentement  de  parens,  une  jeune 
Allemande,  Dieu -Donnée  Campinado. 
Après  quelques  années,  les  parens  de  ma 
grand'mère  lui  pardonnèrent  ce  mariage  : 
fon  oncle,  le  prélat  Delviîette  (2),  vint 

(1)  Hameau  proche  Boulan  ,  terre  de  l'Empire  ,  dio- 
cèfe  de  Liège. 

(2)  Tréfoncier  de  Notre-Dame  de  Presbourg  ,  après 
avoir  été  inftituteur  de  l'enipereur  Jofeph  premier. 

A3 


6*  Essai 

la  voira  Blegné,  en  allant  fiéger  au  Cha- 
pitre de  la  cathédrale  de  Liège,  en  qualité 
de  ccmmiffaire  de  l'empereur  :  il  la  trouva 
suffi  heureufe  au  milieu  de  fon  ménage 
champêtre ,  que  (i  elle  fût  née  payfaune. 
C'étoit  un  dimanche  après  vêpres.  Mon 
grand-père  jouoit  du  violon  pour  faire 
danfer  les  payfans  qui  venoient  boire  fa 
bierre  &  fon  eau-de-vie,  que  des  difgraces 
multipliées  l'avoient  réduit  a  vendre.  Mon 
père,  âgé  de  fept  ans;  racloît  a  fes  côtés. 
Le  prélat,  après  avoir  demeuré  quelques 
jours  chez  fa  nièce ,  qu'il  aimoit  tendre- 
ment, fit  Ces  efforts  pour  emmener  mon 
père  à  Presbourg,  où  il  vouïoit  lui  donner 
un  bénéfice  :  mais  l'amour  de  la  muflque 
avoit  déjà  féduitïe  cœur  du  jeune  homme; 
fes  pleurs ,  fes  cris  forcèrent  fes  parens  à  lui 
làifïèr  fuivre  fon  penchant.  La  place  de 
premier  violon  de  Saint-Martin  à  Liège , 
étant  devenue  vacante  ,  &  propofée  au 
concours,  il  irhéfka  pas,  tout  jeune  qu'il 
étoît^  d'entrer  en  lice,  &  remporta  le  prix 


SUR      LA      MUSIQUE.  7 

à  l'âge  de  douze  ans.  A  vingt-trois  ans ,  ii 
époufa  Marie  -  Jeanne  des  Fofles  :  elle 
avoit  peu  de  fortune  ,  ai-nfi  que  mon  père  ; 
&  fa  famille ,  alliée  a  d'excellentes  maifons 
de  Liège  (a) ,  s'oppofa  quelque  tems  à  ce 
mariage;  mais,  fenfible  aux  charmes  de 
la  mufique  qu'il  lui  enfeignoit ,  ma  mère 
voulut  récompenfer  fon  maître  en  lui  don- 
nant fa  main. 

Je  fus  le  fecond  fruit  de  leur  union.  Je 
fuis  né  à  Liège  .  le  i  1  Février  i  741 . 

Un  accident  qui  m'arriva  a  l'âge  de 
quatre  ans,  Se  dont  j'ai  confervé  quelque 
fouvenir ,  prouve  que  je  puis  dater  de  ce 
tems  pour  y  fixer  l'époque  de  ma  raifon 
nailTante,  &  que  déjà  j'étois  fenfible  au 
mouvement  ou  rythme  mufical.  La  pre- 
mière leçon  de  mufique  que  je  reçus  faillit 
à  me  coûter  la  vie  :  j'étois  feul  ;  le  bouil- 
lonnement qui  fe  faifoit  dans'  un  pot  de 
fer ,  fixa  mon  attention  :  je  me  mis  à  dan- 
fer  au  bruit  de  ce  tambour  ;  je  voulus  voir 
enfuite  comment  ce  roulis  périodique  s'o- 

A4 


8  Essai 

péroit  dans  le  vafe  ;  je  le  renvetfai  clans  un 
feu  de  charbon-de-terre  très  ardent ,  ex  l'ex- 
plofion  fut  fi  forte,  c,ue  je  refiai  fuffoqué 
&  brûlé  prcfque  par  tout  le  coips.  Après 
cet  accident,  qui  me  rendit  pour  tt  ujours 
la  vue  foible  ,  je  fus  atteint  d'une  maladie 
de  langueur.  Ma  grand'mère  voulut  pren- 
dre foin  de  moi;  elle  m'emmena  chez  elle, 
à  une  demi-lieue  de  la  ville,  où  fon  mari 
étoit  contrôleur  d'un  bureau  du  prince 
Jean  Théodore ,  cardinal  de  Bavière.  Je  me 
rétablis  en  peu  de  tems  :  on  m'y  laiffa  en- 
viron deux  années  ;  elles  ont  été  les  plus 
belles  de  ma  vie.  Tout  étoit  nouveau  pour 
moi;  je  m'éîançois  vers  chaque  objet,  je 
mettais  les  chaifes  fur  les  tables  ;  je  grim- 
pois  dèfTus  ;  je  touchois  à  tout,  ck  on  me 
laifToit  faire  ;  car  on  avoit  remarqué  que 
j'étois  prudent ,  même  dans  mes  étour- 
deries. 

Lorfque  ces  mouvcmens  impétueux  fe 
développent  ,  il  n'efi  pas  ,  je  crois ,  de 
contrainte  plus  dure  pour  un  enfant ,  que 


SUR      LA      MUSIQUE.  9 

d'être  obligé  d'étouffer  les  premiers  élans 
de  /a  nature.  Surveiller  trop  un  enfant , 
eiï ,  ce  me  femble ,  le  meilleur  moyen 
d'en  faire  un  imbécile;  car  s  il  eft  impru- 
dent, il  trouve  une  punition  dans  fa  propre 
imprudence;  &  les  leçons  qu'on  fe  donne 
valent  mieux  que  celles  qu'on  reçoit.  C'eft 
une  .victoire  que  de  fe  corriger  foi-même  , 
&  Pon  rougit  à  tout  âge  d'avoir  été  cor- 
rigé. 

Le  tems  que  je  paffai  à  la  campagne 
fut  bien  employé,  comme  on  fe  f imagi- 
ne ;  toujours  courant  par  monts  &  par 
vaux ,  me  faifant  chérir  de  tous  les  babirans, 
&  cela  devoir  être ,  car  mes  careffes,  1  ef- 
fufion  de  mon  âme  fe  portoient  fur  tous 
les  objets  animés  &  inanimés  de  la  nature. 
Qui  le  croiroit  ?  rien  cependant  de  plus 
véritable  :  a  l'âge  de  fix  ans ,  le  fentiment 
de  l'amour  fe  fit  fentir  en  moi ,  &  1  empor- 
ta bientôt  fur  toutes  mes  affections;  fen- 
timent vague,  à  ïa  vérité  ,  &  qui  s'étendok 
en  même  tems  à  plufieurs  perfonnes:  mais 


io  Essai 

déjà  j'aimois  trop  pour  ofer  le  dire  à  au- 
cune d'elles.  Je  gardois  le  filence  par  timi- 
dité. Ce  ne  fut  que  longtems  après,  à  l'âge 
de  dix-huit  ans,  dans  un  pays  éloigné, 
que  cette  pafïion  me  fit  fentir  tout  fon  pou- 
voir :  j'ofai  alors  faire  le  premier  aveu ,  & 
j'eus  le  bonheur  de  voir  couler  des  larmes 
pour  réponfe. 

Que  fon  doit  craindre  à  tout  âge  de 
rifquer  ce  premier  aveu  !  rien  n'eft  perdu , 
&  fon  peut  encore  vous  aimer,  fi  vous  ne 
l'avez  pas  dit  formellement.  Mais  (i  vous 
dites  je  vous  aime  un  jour  trop  tôt ,  on  ne 
vous  aimera  peut-être  jamais.  L'homme 
qui  par  fon  caractère  ne  reffent  que  les 
fecoufTes  légères  des  partions  ,  a  mille  ma- 
nières de  s'exprimer  fans  courir  aucun  rif- 
que  ;  mais  il  n'en  eft  qu'une  pour  celui 
qui,  profondément  agité,  concentre  la 
flâme  dans  fon  cœur  ;  ck  malheur  à  lui  y 
s'il  eft  rebuté  après  s'être  fait  connoître. 

Qu'on  me  pardonne  ces  réflexions  étran- 
gères à  mon  fujet,  &  qui  m'ont  écarté, 


S  V  K      LA      MUSIQUE.  It 

pour  un  moment,  de  cet  afyïe  champêtre 
dont  j'aime  à  me  retracer  le  fouvenir  :  ma 
grand'mère  vouloit  m'y  retenir  ;  mais  il 
fallut  quitter  ce  féjour  heureux  pour  retour- 
ner à  la  ville.  Mon  père,  qui  étoit  venu 
nous  voir,  avoit  annoncé  qu'il  vouloit  me 
donner  des  maîtres  de  mufique,  &  fi  j'avois 
delà  voix,  me  faire  enfant-de-chœur  à  la 
collégiale  de  Saint-Denis,  où  il  étoit  alors 
premier  violon.  Je  frémis  en  apprenant  ce 
qu'il  vouloit  faire  de  moi  :  les  maîtres  de 
mufique  ne  m'épouvantoient  pas,  au  con- 
traire ;  mais  être  enfant-de-chœur  me  pa- 
roiiïbit  l'état  le  plus  cruel ,  &  je  ne  me 
trompois  point. 

Depuis  qu'il  exifte  des  enfens  malheu- 
reux fur  la  terre,  aucun  ne  le  fut  autant 
que  moi,  dès  que  je  fus  abandonné  au 
pouvoir  du  maître  de  mufique  ,  le  plus 
barbare  qui  fut  jamais. 

.  Il  n'y  eut  donc  plus  de  plaifir  pour  moi 
dès  que  je  fus  les  intentions  de  mon  père  ; 
le  deuil  fe  répandit  fur  chaque  objet  qui, 


i  2,  Essai 

la  veille  encore,  avoit  charmé  tous  mes 
feus.  Mon  âme  prefTentoit  tous  les  coups 
don:  elle  alloit  être  atteinte,  ck  cette  pré- 
voyance malhëureufe  porta  le  trouble  & 
l'inquiétude  au  fein  même  du  bonheur. 
Peut-on  jouir  du  préfent  en  redoutant  Pa- 
venir  ?  CTeft  pour  bien  des  gens  un  mira- 
cle de  fa  nature ,  auquel  je  ne  participai 
jamais. 

Je  partis  après  îa  vifite  de  mon  père;  il 
s'occupa  quelque  temps  de  ma  voix,  qui 
étoit  belle  &  très  étendue  ;  il  me  conduifit 
chez  le  maître  de  mufique  cle  fa  collégiale. 
Je  ne  pus  former  un  Ton.  Etes -vous  sûr 
qu'il  ait  de  îa  voix?  lui  dit  le  maître.  Oui 
fans  doute  ,  reprit  mon  père  en  me  regar- 
dant de  travers  ;  venez  chez  moi ,  il  fera 
moins  timide  ,  &  vous  l'entendrez.  Il  y 
vint  quelques  jours  après;  il  m'entendit 
&  je  fus  reçu. 

Je  ne  me  rappelle  qu'avec  peine  tout  ce 
que  j'ai  fouflèrt  pendant  le  temps  que  j'ai 
été  attaché  à  l'égîife  de  Saint-Denis  :  mais 


SUR      LA      MUSIQUE.  13 

il  eft  poffible  que  quelques  fragmens  de 
cet  écrit  pafTent  un  jour  entre  les  mains 
des  chancines  qui  confient  trop  légère- 
ment ia  jeunefïè  à.  des  mains  dignes  touc 
au  plus  d'exploiter  les  mines  du  pays  :  le 
cjêfir  fcul  d'adoucir  les  peines  de  ces  in- 
nocenres  victimes  me  fait  entrer  dans  le 
détail  fuivant  : 

Quoique  né  d'un  tempérament  fort  dé- 
licat ç,  les  peines  phyfiques  n'ont  jamais 
diminué  mon  courage  :  mes  forces  fem- 
Lîent  s'augmenter  avec  le  befoin  qui  les 
fait  naître.  Le  moral ,  au  contraire  ,  eft 
chez  moi  très  fufceptible  ,  &  toutes  les 
puiiTances  phyfiques  font  anéanties  quand 
mon  cœur  eft  oppreffé. 

Je  faifois  fix  voyages  par  jour,  environ 
d'un  mille ,  pour  me  rendre  aux  trois  of- 
fices: j'euiTe  fait  ce  trajet  avec  joie  ;  mais 
j'avois  vu  punir  rigoureufement  la  moindre 
négligence  même  involontaire  -,  &  îa  crain- 
te de  fubir  un  pareil  traitement  rne  rendeit 
mes  devoirs  infupportables.  Ce  que  je  crai- 


14  Essai 

gnois  arriva.  Un  jour  que  la  pendule  de 
mon  père  s'étoit  arrêtée  ,  j'arrivai  trop 
tard  aux  matines,  qui  fe  chantent  entre 
cinq  &  llx  heures  du  matin.  Je  fus  puni 
pour  la  première  fois  ;  on  me  fît  tenir  deux 
heures  à  genoux ,  au  milieu  de  la  clafTe. 
Que  de  mauvaifes  nuits  je  pafTai  enfuite  ! 
cent  fois  le  fommeil  fermoit  mes  yeux , 
&  cent  fois  la  frayeur  m'éveilloit.  Je  pre- 
nois  enfin  mon  parti  ;  Ôc  fans  confulter 
ni  l'heure  ni  le  tems,  je  me  mettois  en  route 
fouvent  dès  trois  heures  du  matin  ,  à  tra- 
vers les  neiges  &  les  frimats  :  j'allois  m'a£- 
feoir  à  la  porte  de  Péglife  ,  tenant  fur  mes 
genoux  ma  petite  lanterné ,  a  laquelle  je 
réchauftois  mes  doigts.  Je  m'endormcis 
alors  plus  tranquillement  ;  j'étois  sûr  qu'on 
ne  pourrok  ouvrir  la  porte  fans  m'éveilïer. 
L'heure  de  ïa  leçon  ofTroit  un  champ 
vafte  aux  cruautés  du  maître  de  mufique  : 
il  nous  faifoit  chanter  chacun  à  notre  tour  ; 
&  k  ïa  moindre  faute,  il  affommoit  de 
fang  froid  le  plus  jeune  comme  le  plus  âgé. 


SUR      LA      MUSIQUE.  i  ^ 

II  inventoit  des  tortures  dont  lui  feul  pou- 
voit   s'amufer  :  tantôt  il  nous  mettoit  à 
genoux  fur  un  gros  bâton  court  &  rond , 
&  au  plus  léger  mouvement ,  nous  faifions 
ia  culbute.  Je  lui  ai  vu  affubler  la  tête  d'un 
enfant  de  fix  ans  d'une  vieille  &  énorme 
perruque,  l'accrocher  en  cet  état  contre  ïa 
muraille ,  à  huit  pieds  de  terre ,  &  là  il  le 
forçoit  à  coups  de  verges  de  chanter  fa  mu- 
fique,  qu'il  tenoit  d'une  main ,  &  de  bat- 
tre la  mefure  de  l'autre.  Ce  pauvre  enfant , 
quoique  très  joîi  de  figure ,  relTembloit  à 
une  chauve-fouris  clouée  contre  un  mur 
ôc  perçant  l'air  de  fes  cris.  C'étoit  toujours 
en  notre  préfence  qu'il  accabloit  de  coups 
le  premier  qui  avoit  tranfgrefîe  fes  loix 
barbares.  Dépareilles  fcènes.,  qui  étoient 
journalières,  nous  faifoient  tous  frémir; 
mais  ce  que  nous  redoutions  le  plus,  c'étoit 
de  voir  terralTer  le  malheureux  fous  fes 
coups  redoublés;  car  alors  nous  étions  sûrs 
de  le  voir  s'emparer  d'une  féconde ,  d'une 
troifième,  d'une  quatrième  viclime,  cou- 


i6  Essai 

pabîe  eu  non ,  qui  devenoient  tour  a  tour 
îa  proie  de  fa  férocité  :  c'étoit  là  fa  ma- 
nie. Il  croyoit  nous  confaler  l'un  par 
l'autre 3  en  nous  rendant  tous  malheureux; 
&  lorfqu'iï  n'entendoit  plus  que  foupirs 
&  fangïcts,  il  croyoit  avoir  bien  rempli 
fes  devors. 

Que  Ton  juge  de  ce  que  j'ai  dû  feuf- 
frir,  pendant  quatre  eu  cinq  années  que. 
j'ai  parlé  dans  cette  horrible  inquiiition. 
J'ai  été  longtcrns  le  plus  jeune ,  le  plus 
foihle ,  îe  plus  fenfible,  &  cependant  ïe 
moins  maltraité:  mais  malgré  rous  mes  ef- 
forts  peur  lui  plaire,  malgré  les  progrès 
rapides  que  je  faifois  dans  la  mufique,  il 
fainiïbit  la  moindre  circonftànce.  pour  me 
ranger  dans  la  ciaiTe  commune.  J'étois  la 
victime  fans  tache ,  réfervée  pour  hs  gran- 
des occasions,  &  mes  larmes  avoient  le 
droit  de  lécher  celles  du  plus  malheureux. 
J'eus  beau  employer  îa  douceur ,  le  travail, 
la  foumiffion ,  rien  ne  put  me  mériter  un 
traitement  pîusdoux.  La  feule  bienveillance 

que 


SUR      LA      MUSIQUE.  I  y 

mie  je  méritai  (  du  moins  la  regardois- je 
comme  telle)  ce  fur  d'être  choifi  par  lui 
tous  les  deux  jours ,  pour  aller  chez  le 
marchand  de  tabac.  J'avois  foin  d'ajou- 
ter quelques  pièces  de  monnoie  de  mes 
petites-  épargnes  ,  pour  que  fa  taba- 
tière rut  mieux  remplie  :  j'obtenois  pour 
toute  récompenfe  un  coup-d'œil  d'appro- 
bation ,  &  je  me  croyois  trop  heureux. 
Croira-t-on  cependant,  &  c'eft.  une  bi- 
zarrerie inconcevable,  que  jamais  je  n'ai 
dit  un  mot  à  mes  parens  des  peines  que 
j'ai  foufFertes?  Mon  père,  qui  étoit  confi- 
déré  du  chapitre,  &  craint  du  maître  de 
mufique,  l'auroit  perdu  fans  relTource,  s'il 
avoit  foupçonné  ma  fituation. 

Si  pendant  ces  miférables  années,  je 
n'ai  pas  tout-à-fait  perdu  mon  tems ,  fi  j'ai 
fait  quelque  progrès  dans  la  mufique  .  (i 
j'ai  acquis  quelques  foibîes  connohTances, 
je  n'obtins  point  cet  avantage  par  les  le- 
çons de  Pinftituteur,  mais  malgré  ces  le- 
çons;  car  fi  quelque  chofe  avoit  été  capable 

B 


1 8  Essai 

de  détruire  en  moi  ce  goût  inné,  cet  inf- 
tinét  qui  m'entraînoit  vers  la  mufique ,  j'ofe 
affirmer  que  c'étoit  la  manière  même  dont 
on  s'y  prenoit  pour  me  l'enfeigner. 

Je  dois  ici  parler  d'un  accident  qui,  je 
crois ,  a  influé  fur  mes  organes ,  relative- 
ment à  la  mufique.  Je  puis  être  dans  l'er- 
reur ;  mais  il  eft  sûr  que  nul  homme  n'ofe- 
roit  affirmer  le  contraire. 

Dans  mon  pays ,  c'eft.  un  ufàge  de  dire 
aux  enfans  que  Dieu  ne  leur  refufe  jamais 
ce  qu'ils  lui  demandent  le  jour  de  leur  pre- 
mière communion.  J'avois  réfolu  depuis 
longtemps  de  lui  demander  qu'il  me  fît 
mourir  le  jour  de  cette  augufte  cérémonie , 
fi  je  n'étois  deftiné  a  être  honnête  homme 
&  un  homme  diftingué  dans  mon  état:  le 
jour  même  je  vis  la  mort  de  près. 

Étant  allé  l'après-dîner  fur  les  tours , 
pour  voir  frapper  les  cloches  de  bois(i) 


(  i)  Efpèce  de  bruit  que  l'on  fubfîitue  à  celui  des  cloches 
ordinaires  pendant  la  femaine-fainte ,  &  qui  n'a  rien  de 
-<bomnîun  avec  les  crécelles  en  ufage  à  Paris  &  ailleurs. 


SUR      LA      MUSIQUE.  I  <? 

dont  je  n'avois  nulle  idée,  il  me  tomba  fur 
la  tête  une  folive  qui  pejfoit  trois  ou  quatre 
cents  livres.  Je  fus  renverfé  fans  connoif- 
fance. 

Le  marguillier  courut  a  l'églife  chercher 
l'Extrême-Onclion  :  je  revins  à  moi  pen- 
dant ce  tems ,  ôc  j'eus  peine  à  reconnoî- 
tre  le  lieu  où  j'étois  :  on  me  montra  le 
fardeau  que  j'avois  reçu  fur  la  tête  :  Allons , 
dis-je  en  y  portant  la  main  ,  puifque  je 
ne  fuis  pas  mort,  je  ferai  donc  honnête 
homme  &  bon  muficien.  On  crut  que  mes 
paroles  étoient  une  fuite  de  mon  étourdif- 
fement.  Je  parus  ne  pas  avoir  de  blelîure 
dangereufe  ;  mais  en  revenant  à  moi,  je 
m'étois  trouvé  la  bouche  pleine  de  fan  g. 
Le  lendemain  je  remarquai  que  le  crâne 
étoit  enfonce',  &  cette  cavité'  fubfifte  en- 
core. 

J'étois  peut-être  arrivé  à  l'époque  où  le 
caractère  change;  mais  il  e(t  certain  que 
je  devins  tout-à-coup  rêveur  d'habitude  : 
ma  gaîté  dégénéra  en  mélancolie.  La  mu- 

B  % 


io  Essai 

fique  devint  un  baume  qui  charmoit  ma 

tritteiTe  ;  mes  idées  furent  plus  nettes,  & 

ma  vivacité  ne  me  reprit  plus   que  par 

accès. 

Lorfque  je  travaille  longtems,  il  me 
femble  que  ma  tête  a  confervé  quelque 
choie  de  rétourdiiTement  que  je  fentis 
après  le  coup  dont  j'ai  parlé. 

Lorsqu'il  fut  queition  de  chanter  au 
chœur,  je  m'en  acquittai  très  mal  ;  la  ti- 
midité m'en  ôtoit  ies  moyens  :  on  prit 
patience  quelque  tems;  mais  comme  per- 
fonne  ne  fe  chargecit  de  me  raiTurer,  ma 
crainte  ne  diminua  point;  &  après  quel- 
ques efTais  également  infructueux ,  il  fut 
refoîu  qu'on  prieroit  mon  père  de  me  re- 
prendre. 

Je  ceiTai  d'aller  k  l'école  de  chant  ôc 
anx  offices,  mais  ]e  confervai  ma  place. 
Mon  père  me  donna  un  maître  ,  nommé 
M.Lederc;  aujourd'hui  maître  de  mufique 
à  Strasbourg.  II  étoit  doux  &  bon  :  je  pro- 
fitai de  fes  leçons. 


SUR      LA      MUSIQUE.  21 

Il  arriva  dans  ce  tems  une  trouoe  de 
chanteurs  italiens ,  qui  s'établit  à  Liège  : 
elle  repréfentoit  les  opéra  de  Pergoleze,  de 
Buraneïlo,  &c.  Mon  père  pria  le  directeur, 
nommé  Refta,  de  me  donner  mon  entrée 
à  l'orcheftre;  il  y  confentit.  J'aiTiflai  pen- 
dant un  an  à  toutes  les  repréfentations , 
fouvent  même  aux  répétitions  :  c'cft  là 
où  je  pris  un  goût  paiïionné  pour  la  mu- 
fique. 

Mon  père,  qui  avoît  fuivi  mes  progrès, 
fentit  qu'il  étoit  tems  de  reparoître  à  Saint- 
Denis.  Il  alla  trouver  le  maître  de  mufique, 
le  pria  de  me  laifTer  chanter  un  motet  le 
dimanche  fuivant.  Le  maître  lui  reprefenta 
qu'il  étoit  dangereux  de  m'expofer  une  fé- 
conde fois,  d'autant  plus  que  les  chanoi- 
nes prendroient  sûrement  le  parti  de  me 
renvoyer  tout  a  fait,  fi  je-  ne  réuffilTcîs  pas 
mieux.  J'y  confens,  dit  mon  père,  s'il  ne 
chante  pas  mieux  que  tous  les  muficiens 
de  votre  collégiale.  Ce  ton  d'afïurance  fit 
accepter  la  propofition ,  fans  toutefois  inf- 

B3 


n  Essai 

pirer  une  grande  confiance  au  maître  de 
muiique.  Le  grand  joui  arrive  enfin  :  mon 
père  me  conduit  à  l'églife.  Je  me  rappelle 
qu'en  chemin  il  me  dit  :  Vous  voye^, 
mon  fils  ,  cette  tabatière  ;  c  'ejl  la  plus  belle 
que  j'aie ,  &  je  vous  la  donne  fi  vous  chante^ 
bien.  Ma  bonne  mère  fe  rendit  aufli  a  l'é- 
glife en  tremblant.  L'amour  -  propre  de 
toute  la  famille  avoit  été  humilié ,  &  j'ai- 
lois  tout  réparer  en  un  moment,  ou  con- 
firmer l'opinion  établie  dans  le  bas-chœur, 
que  je  n'étois  pas  né  pour  être  muficien. 

J'arrive  ;  tout  le  monde  me  regarde  avec 
pitié;  on  fourit,  on  ricanne.  Le  maître  de 
muiique  me  dit:  Te  voilà  donc;  mais  tu 
n'es  pas  changé?  Il  n'en  falloitpas  davan- 
tage pour  me  rendre  toute  ma  timidité  \ 
mais  j'avois  un  foutien  qui  n'étoit  connu 
que  de  moi.  J'avois ,  depuis  un  an ,  une 
dévotion  à  la  Vierge  ,  qui  aîloit  jufqu'à 
l'idolâtrie  (i);  je  venois  de  faire  une  neu- 

(i)  Les  hommes  qui  connoiflent  le  cœur  humain  ne 
trouveront  point  étrange  que  dans  un  pays  où  les  opinions 


SUR      LA       MUSIQUE.  îî 

vaine  pour  implorer  Ton  fecours  ;  &  la  pro- 
tection du  ciel  me  fembloit  plus  sûre  que 
la  prédiction  du  maître  de  mufique.  Cette 
perfuafion  me  fauva. 

Le  motet  que  je  chantai  étoit  un  air  ita- 
lien traduit  en  latin ,  fur  ces  paroles  à  la 
Vierge,"  Non  femper  fuper  prata  cafta flo-* 
refcit  Rqfa.  »  J'eus  à  peine  chanté  quatre 
rnefures,  que  l'orcheftre  s'éteignit  jufqu'au 
pianiffimo ,  de  peur  de  ne  pas  m'enten- 
dre  (i>).  Je  jettai  dans  ce  moment  un  coup- 
d'œil  vers  mon  père  ,  qui  me  répondit 
par  un  fourire.  Les  enfans-de-chœur  qui 
m'entouroicnt  fe  reculèrent  par  refpe£tj  les 
chanoines  fortirent  prefque  tous  de  leurs 
formes ,  &  ils  n'entendirent  pas  la  fon- 
nette  qui  annonçoit  le  lever-Dieu. 

Dès  que  le  motet  fut  fini,  chacun  féli- 
cita mon  père  :  on  parloit  fi  haut,  que  l'of- 
fice auroit  été  interrompu ,  fi  le  maître  de 

religieufes  ont  confervé  beaucoup  d'empire ,  un  enfant 
timide  &  trèsfenfïble  prenne  ainfî  le  change  dans  le  pre- 
mier développement  des  fentimens  de  Ton  cœur. 

B  4 


24  Essai 

mufique  n'eût  impofé  filence.  J'appcrçus 
dans  ce  moment  ma  bonne  mère  dans 
î'églife  ;  elle  efïuyoit  Ces  larmes ,  ck  je  ne 
pus  retenir  les  miennes. 

■Après  la  mefTe,  je  fus  entouré  de  toi 
ïe  chapitre.  M.  de  Harlez  fur-tout ,  qui 
étoit  grand  muficien  ,  me  promit  fes  bon- 
te's ,  qu'il  m'a  toujours  confervées  :  j'en 
parlerai  dans  la  fuite.  On  faifoit  mille 
quefëions  a  mon  père  :  Quel  eft  donc  ce 
miracle?  où  a-t-il  pris  ce  goût  de  chant? 
îï  chante  aufil  purement  dans  le  goût  ita- 
lien que  nos  meilleures  chanteufes  de  l'O- 
péra. Mon  père  dit  alors  qu'il  me  condui- 
foît  avec  lui  a  tontes  les  repréfentations. 

Mon  petit  triomphe  fit  du  bruit  ;  les 
chanoines  en  parlèrent  à  la  repréfentation 
du  foir  (i).  Le  dimanche  fuivant  je  chan- 
tai encore  par  ordre  du  chapitre.  J'avois 
un  nombreux  auditoire  ;  6k  ce  qui  me  flat- 

(t)  Le  prince-évêcjue  aflîfte  au  îpeclacle  ,  &  par  con- 
féquent  le  clergé. 


SUR'IA      MUSIQUE.         1j 

toit  le  plus  3  toute  îa  troupe  italienne  , 
femmes  &  hommes ,  chacun  d'eux  me 
regardoit  comme  Ton  élève. 

Je  chantai  le  même  morceau ,  qu'on 
avoit  redemandé.  J'eus  l'adreiTe  d'y  ajou- 
ter quelques  tournures  plus  italiennes  ; 
mon  fuccès  fut  complet.  II  fignor  Refta 
déclara  qu'il  donnoiî:  les  entrées  de  fon 
fpeclacîe  à  tous  les  enfans-de-chœur  de  la 
ville  :  aufïi  vit-on  chaque  jour  une  troupe 
de  petits  abbés  qui  venoient  apprendre  à 
louer  Dieu,  a  h  faîle  de  îa  comédie. 

On  eft  curieux  peut-être  de  favoir  ce 
•que  me  dit  le  maître  de  mufîque  dans  ces 
circonfrances  :  pas  grand'chofe.  Il  changea 
de  conduite  à  mon  égard  ;  il  me  traita 
comme  un  grand  garçon.  Le  jour  même 
que  je  chantai  mon  premier  motet ,  il  me 
préfenta  fa  main ,  que  je  ferrai ,  &  il  me 
dit  fans  me  tutoyer  comme  auparavant  : 
»  Quoique  vous  n'ayez  pas  réufli  comme 
»  enfant-de-chœur  ,  je  prédis  que  vous 
»  ferez  bon  muficien.  »  Je  le  remerciai , 


2.6  Essai 

&  lui  pardonnai  dans  le  fond  de  mon 
cœur  toutes  les  cruautés  dont  il  avoit  em- 
poifonné  mes  premières  années...  Il  mou- 
rut pendant  mon  féjour  à  Rome.  Sa  femme 
chercha  à  me  voir  au  premier  voyage  que 
je  fis  à  Liège  :  je  ne  pus  me  réfoudre  à  al- 
ler chez  elle  ;  je  n'aurois  pu  lui  parler  que 
de  fon  mari ,  ck  fon  fouvenir  auroit  flétri 
le  bonheur  dont  je  jouifïois  au  fein  de  ma 
patrie  ,  qui  m'accabïoit  de  bienfaits. 

Après  deux  ou  trois  ans ,  ma  voix  ne 
tarda  pas  à  fe  reflentir  du  tumulte  des 
parlions  qui  s'élevoient  en  moi.  Mon  trou- 
ble étoit  d'autant  plus  violent,  que  je  le 
cachois  à  tout  le  monde ,  &  fur-tout  au 
fexe  qui  en  étoit  l'objet.  Toujours  feul 
confident  de  mes  defirs ,  je  m'enfermois 
dans  ma  chambre  pour  me  livrer  à  mon 
délire  ,  &  fouvent  au  défefpoir  de  ne  pou- 
voir toucher  le  cœur  de  quelque  Beauté, 
qui  n'exiftoit  que  dans  mon  imagination  : 
c'étoit  cette  timidité,  avec  laquelle  je  fuis 
né,  qui  me  faifoit  préférer  des  êtres  fanta£ 


SUR      1   A       MUSIQUE.         7.  n 

tiques  a  des  êtres  réels.  Cette  timidité'  eft 
dangereufe ,  je  l'avoue  ;  elle  concentre  le 
foyer  des  panions  ;  elle  excite  un  feu  qui 
ne  pourroit  que  s'affoiblir  en  fe  répandant 
au-dehors  \  mais  elle  fert  peut-être  à  pré- 
parer Pâme  d'un  jeune  artifte  qui  doit 
peindre  les  partions.  Le  génie  fe  relâche  par 
la  jouilTance  ;  il  s'échauffe  par  les  defirs. 

Il  eût  fallu  dans  cet  inftant  m'interdire 
ïe  chant.  On  n'eut  pas  cette  prudence  ; 
chacun  vouloit  m'entendre  &  jouir  le  plus 
îongtems  qu'il  fe  pourroit  des  reftes  de  ma 
voix ,  que  l'âge  devoit  bientôt  détruire  ou 
changer ,  &  moi-même  je  me  difïimulois 
les  efforts  que  j'étois  obligé  de  faire.  J'en 
fus  puni  ;  je  vomis  le  fang  en  fortant  d'un 
concert,  où  j'avois  chanté  un  air  fort  haut 
de  Galuppi.  Quoiqu'il  fe  foit  paffé  envi- 
ron vingt-cinq  ans  depuis  cet  accident , 
je  n'en  fuis  pas  guéri  ;  il  s'efl  renouvelle 
à  chaque  ouvrage  que  j'ai  fait.  J'en  ai  une 
.(i  grande  habitude  ;  j'ai  été  traité  à  Liège, 
à  Rome ,  à  Genève ,  à  Paris  de  tant  de 


2§  Essai 

manières  différentes  ,  que  les  perfonnes 
qui  en  font  atteintes  me  fauront  gré  fans 
doute  fi  je  leur  fais  part  du  régime  qui 
m'a  le  mieux  réufïï. 

Si  j'avois  pu  renoncer  a  toute  efpèce  de 
compofition  ,  j'aurois  obtenu  probable- 
ment une  guéiïfon  complette;  mais  rien 
n'a  pu  m'arrêter ,  pas  même  la  crainte 
de  payer  de  ma  vie  le  plaifir  de  me  livrer 
à  mon  goût  pour  l'étude. 

Je  me  rappelle  une  converfation  que 
j'eus  à  Paris  avec  le  docteur  Tïonchin.  Je 
vois,  me  difoit-il,  comment  vous  vivez; 
vous  êtes  fobre  ;  vous  fuivez  le  régime  que 
je  vous  ai  prefcrit  :  pourquoi  donc  ces  re- 
chûtes continuelles?  il  faut  que  vous  me 
difiez  comment  vous  faites  votre  mufi- 
que.  — Mais,  comme  on  fait  des  vers... 
un  tableau  ; ...  je  lis ,  je  relis  vingt  fois  les 
paroles  que  je  veux  peindre  avec  des  sons  ; 
il  me  faut  plufieurs  jours  pour  échauffer 
ma  tête  :  enfin  je  perds  l'appétit  ;  mes 
yeux  s'enflâment;  l'imagination  fe  monte; 


SUR      LA      MUSIQUE.  1J 

alors  je  fais  un  opéra ,  en  trois  femaines 
ou  un  mois.  —  Oh  l  ciel  l  dit  Tronchin , 
lailTcz  là  votre  mufique ,  ou  vous  ne  guéri- 
rez jamais.  Je  le  fens ,  lui  dis-]e ,  mais  ai- 
mez-vous mieux  que  je  meure  d'ennui  ou 
de  chagrin  ? 

Voici  les  confeils  que  je  donnerois  à 
ceux  qui  ,  travaillant  comme  moi ,  font 
fujets  à  cette  maladie. 

Ne  vous  faites  point  faigner  pendant 
Thémorragie,  fans  la  plus  grande  nécefïité  : 
j'ai  vomi  jufqu'à  fix  ou  huit  palettes  de 
(ang  en  différens  accès ,  qui  revenoient  pé- 
riodiquement deux  fois  par  jour  Se  deux 
fois  par  nuit  :  tout  fe  calme  a  la  fin ,  en 
buvant  un  peu  d'orgeat  dans  de  l'eau  de 
graine  de  lin  :  la  faignée  habituelle  ,  en 
aflbibliflànt  les  vailTeaux,  prépare  de  nou- 
velles hémorragies. 

Après  le  dernier  accès ,  je  refte  deux 
fois  vingt-quatre  heures  couché  fur  le  dos , 
fans  parler  &  fans  remuer  :  un  affez  gros 
volume  de  fang  grumelé,  que  fon  expeo 


30  Essai 

tore  d'ordinaire  pendant  cet  intervalle ,  an- 
nonce que  la  cicatrice  eft  formée  ;  il  faut 
alors  une  huitaine  de  jours  pour  reprendre 
des  forces. 

Quant  au  régime  habituel,  purgez-vous 
au  printems  ck  à  l'automne,  avec  une  mé- 
decine douce.  On  a  voulu  m'interdire 
î'ufage  des  purgatifs  ;  mais  j'ai  remarqué 
que  la  fermentation  des  humeurs  me  don- 
noit  le  crachement  de  fan  g  ;  ou  au  bout 
de  deux  ans  ,  j'avois  pis  encore ,  une  fièvre 
tierce,  ou  putride;  alors  au  lieu  de  quatre 
médecines  que  j'avois  évitées ,  il  en  falloit 
prendre  autant  que  ïa  maladie  l'exigeoit. 

La  Vie  fédentaire  d'un  homme  de  ca- 
binet échauffe  &  tient  en  ftagnation  l'hu- 
meur, qu'il  faut  néceiTairement  expuïfer 
avec  précaution. 

Prenez  le  matin  une  tafTe  d'înfufion  de 
fleurs  d'ortie  rouge:  faites-y  fondre  un  pe- 
tit morceau  de  colle  de  peau  d'âne. 

Si  votre  poitrine  eft  échauffée ,  ce  que 
l'on  apperçoit  par  un  petite  toux  feche  ) 


SUR      LA      MUSIQUE.  *li 

prenez  du  ilrop  de  vinaigre  dans  beaucoup 
d'eau.  Si  votre  ellomac  eft  trop  rafraîchi , 
prenez  un  verre  de  vin  de  Bordeaux  après 
le  repas.  L'excès  des  rafraîchifTemens  m'a 
donné  une  fois  mon  crachement  de  fang. 
Mon  médecin  (  i  )  ne  put  l'arrêter  au  bout 
de  cinq  jours  qu'avec  des  toniques.  Je  pris 
fix  fois  de  la  confection  de  jacinthe ,  après 
quoi  l'hémorragie  cefla. 

GarantifTez-vous  contre  l'humidité  des 
pieds  pendant  l'hiver;  couchez- vous  de 
bonne  heure  ;  mettez  vos  jambes  dans 
l'eau  tiède  ,  (i  votre  tête  s'échauffe  trop 
pendant  le  travail  ;  choififTez  des  aîimens 
fains  &  de  facile  digeftion ,  &  laiiTèz  les 
mets  trop  échauffons.  Prenez  un  remède 
d'eau-froide  tous  les  matins  ;  faites-îà  dé- 
gourdir pendant  l'hiver.  Ne  buvez  pas  de 
vin  fans  eau  habituellement  ;  ne  travaillez 
jamais  après  le  repas:  l'imagination  eft  fa- 
cile après  la  digeftion  du  dîner  ;  mais  tra- 

'  '  *'         '  '      "'   ■— — ^—»— «P-llll.     I    III    I  »■»!    »l     I  I  I 

(i)  M.  Philip. 


3^  Essai 

vaillez  rarement  le  foir ,  (i  vous  voulez  une 
bonne  nuit  ôc  un  bon  lendemain. 

Voilà  ce  que  l'expérience  m'a  appris  ; 
voilà  le  régime  que  j'ai  tenu,  &  probable- 
ment je  lui  dois  une  exiftenee  fur  laquelle 
on  n'auroit  pas  dû  compter  beaucoup  il  y 
a  vingt  ans.  II  eft  aifé  à  obferver  ;  mais  il  y 
faut  ajouter  une  règle ,  fans  laquelle  tout 
régime  en:  inutile.  Je  dirai  au  jeune  homme 
fougueux  &  plein  d'imagination,  qui  s'a- 
bandonneroit  à  -  la  -  fois  a  l'impulfion  de 
Ion  génie  &  a  celle  des  pallions  de  fon 
âge  :  ce  Si  tu  veux  te  livrer  aux  charmes  de 
»  l'étude,  renonce  aux  plaifirs  des  fens; 
»  finon  la  mort  eii  ton  partage.  » 

Mon  crachement  de  fang  fut  l'époque 
où  j'abandonnai  le  chant.  Pavois  déjà  com- 
mencé a  m'eccuper  de  la  compofilion, 
fans  règles,  ni  principe;  J'avois  même 
compofe  un  motet  en  chœur  à  quatre  par- 
ties, Se  une  fugue  inftrumentaïe,  aufli  à 
quatre  parties  :  je  m'y  étois  pris  d'une  ma- 
nière (i  nouvelle,  pour  faire  ces  deux  mor- 
ceaux, 


SUR     LA      MUSIQUE.  33 

ceaux,  qu'un  habile  maître  n'auroit  pas  dé- 
favoués,  que  je  dois  les  rapporter,  ne  fût- 
ce  que  pour  prouver  combien  l'émulation 
donne  de  courage  &  rend  ingénieux.  J'a~ 
vois  commence'  par  la  fugue ,  parce  qu'on 
m'avoit  dit  que  cette  compofition  étoit  la 
plus  difficile  :  cr  fi  je  débute  par  une  fugue , 
me  difois-je  en  moi-même,  j'étonnerai 
bien  du  monde,  &  cela  fut  vrai,  J'avois  une 
fugue  en  partition  &  à  quatre  parties  ; 
elle  étoit  très  bien  faite,  fort  claire  quoi- 
que très  rigoureufe.  Je  fétudiai  au  point 
que  j'en  favois  toutes  les  parties  par  cœur. 
Mille  fois,  dans  mon  lit,  je  me  fignrois 
entendre  exécuter  ce  morceau  ,  &  je  l'en- 
tendois  réellement. 


Tel  étoit  le  fujet. 

Voici  celui  que  je  pris,  mais  un  ton 
plus  haut,  pour  mieux  tromper  l'auditoire. 


— —  ■     •»    m  i     m*mn*m r*—r- •    *  1— »— i— • — ^-—    ■       —     ■        -^—y 


c 


34  Essai 

J'eus  la  patience  de  travailler  la  fugue 
entière  de  cette  manière,  c'elt-à-uire, 
qu'en  raifant"  toujours  le  contraire  de  mon 
modèle ,  je  le  fuivois  en  tout  point.  On 
me  crut  un  prodige ,  &  je  n'ëtois  qu  un 
adroit  plagiaire.  Le  motet  que  je  fis  en- 
fuite  ne  m'appartenoit  pas  plus  que  la  fu- 
gue. Je  fuivis  un  autre  procédé. 

J'avois  environ  cent  motets. en  chœur, 
imprimés  avec  les  parties  féparées.  Je 
m'emparai  d'abord  de  la  balTe  chantante 
des  cent  motets,  Se  en  les  parcourant,  je 
pris  tantôt  une  phrafe  ,  tantôt  une  demi- 
phrafe ,  félon  que  mes  paroles  l'exigeoient. 
Tranfpofer  les  tons ,  ajouter  ou  diminuer 
un  tems  dans  une  mefure,  n'étoit  rien 
pour  ma  patience  :  j'avois  foin  d'écrire  fur 
un  papier  à  part  la  page  &  la  ligne  où  j'a- 
vois pris  cette  baffe,  après  quoi  je  feuille- 
tai chaque  cahier  pour  y  prendre  les  par- 
ties ;  fi  la  haute-contre  fortoit  de  fon  dia- 
pafon ,  je  favois  bien  l'échanger  avec  la 
taille:  enfin  ie  motet -fut  fait,  fut  trouvé 


SUR        LA       MUSIQUE.  35 

harmonieux ,  Se  ne  fut  pas  reconnu.  Je 
conviens  qu'il  n'étoit  guère  poMiblc  qu'il 
le  fur. 

Ma  confeience  me  reprochoïr  cepen- 
dant cette  manière  de  compofer  en  mo- 
îaïque  :  j'étois  moins  content  que  ceux  qui 
m'entendoient;  mais  enfin  j'avois  pris  un 
envasement  avec  les  muficiens,  il  falloir 
continuer  &  faire  mieux. 

Je  demandai  un  maître  de  clavecin  à 
mon  père.  Il  me  donna  M.  Renekin  ,  cé- 
lèbre organifte  de  Saint-Pierre  à  Liège.  Je 
pris  de  lui,  pendant  deux  ans,  des  leçons 
d'harmonie  dont  je  profitai  bien  :  cet  hom- 
me étoit  en  tout  l'oppofé  de  mon  premier 
maître  ;  il  avoit  autant  de  douceur,  de  pa- 
tience Sz  d'aménité  avec  fes  élèves ,  que 
l'autre  àffé&oil  de  morgue  &  d'inflexibi- 
lité. On  deliroit  fes  leçons  autant  que  l'on 
redoutoit  celles  du  pédant  orgueilleux  Se 
barbare.  Je  me  rappellerai  toujours  avec 
tendre  (Te  &  reconnoiiTance  ce  que  je  lut 
dois,  Se  combien  je  jouiiïois  en  m'inllrui- 

C   2. 


3^  Essai 

fànt  avec  lui  dans  une  fcience  que  chacun 

trouve  abftraite  &  ennuyeufe» 

Il  m'apprit  la  règle  ordinaire  de  l'o&a- 
ve  par  le  renverfement  des  trois  accords 
primitifs ,  l'accord  parfait  >  la  feptième  de 
dominante  &  la  feptième  de  féconde  :  ce 
qui  fut  fait  &  mis  en  pratique  en  deux 
mois  de  leçons.  Il  me  donna  un  livre  de 
baltes  chiffrées  ,  qu'il  avoit  fait  &  écrit 
lui-même  :  tous  les  écarts ,  les  furprifes , 
toutes  les  refîburces  de  l'harmonie  étoient 
f  afTembïées  &  mifes  en  ordre  dans  ce  ma- 
nuferit  dont  je  regrette  beaucoup  la  perte. 
Sa  manière  d'enfeigner  mérite  peut-être 
queïqu'attention  :  il  mettoit  autant  d'ar- 
deur, il  prenoit  autant  de  part  à  la  leçon  > 
que  s'il  avoit  fait  pour  lui-même  autant 
de  découvertes  que  j'en  faifois  pour  mon 
compte.  Il  m'arrêtoit  tout-à-coup  fur  un 
accord  difîbnnant  de  feptième  diminuée  ; 
Par  exemple  :  Ne  bougez  pas ,  mon  ami , 
ne  bougez  pas ,  me  difoit-îl  ;  vous  allez 
de  cette  note  fenfible,  portant  accord  de 


SUR      LA     MUSIQUE.  37 

Septième  diminuée,  à  Paccord  parfait  mi- 
neur, un  demi-ton  plus  haut?  — Oui: 
< —  Monfieur ,  ne  pourriez-vous  pas  me  ren- 
voyer bien  loin  ?  — -  Oui ,  MonGeur ,.  je 
puis  prendre  une  des  quatre  notes  de  l'ac*- 
cord  pour  fenftbïe ,  Se  en  prenant  la  tierce , 
j'îrois  dans  ce  ton — -.  II  fe  ïevoit  alors 
tranfporté  de  joie  ;  il  marchoit  à  grands 
pas  par  toute  ïa  chambre,  en  riant  de 
toutes  fes  forces  ;  je  le  fuivois  en  riant 
comme  lui ,  &  nous  étions  fouvent  pendant 
cinq  minutes  dans  cette  efpèce  d'enthou- 
fiafme,  fans  pouvoir  nous  retenir.  C'étoit 
par  inclination  qu'il  enfeignoit ,  &  le  paie- 
ment n'étoit  qu'accefîoire. 

Cet  homme  aimable  y.  avee  lequel  j'au- 
rois  voulu  paner  ma  vie,  &  que  ïa  mort 
a  trop  tôt  enlevé  ,  cet  homme  ,  dis  -  je , 
rempli  d'efprit ,  de  connoiflances  &  de 
candeur ,  avoit  l'art  d'entraîner  fon  élève 
par  fintérêt  qu'il  prenoit  lui-même  à  ïa 
choie  ;  &  je  puis  dire  avec  vérité  que  cha- 
que leçon  qu'il  me  donna  pendant  ces 


38  E    S    S    A    I 

deux  an  lices,  fut  pour  moi  un  véritable 
divertiffement. 

Ce  que  je  viens  de  dire  mérite  d'èrre 
confédéré  par  les  maîtres  en  tout  genre,  & 
je  leur  promets  qu'ils  feront  très  recherchés, 
qu'ils  fe  feront  honneur  de  leurs  élèves , 
&  qu'enfin  ils  mériteront  les  éloges  dus 
aux  habiles  maîtres  ,  fi ,  pofTédant  bien 
clairement  les  principes  de  leur  art,  ils 
fuivent  les  traces  du  célèbre  Renckin. 

C'eft  à  cette  époque  que  je  dois  rappor- 
ter la  véritable  origine  de  tous  les  progrès 
que  j'ai  pu  faire  dans  la  mufique.  C'eft 
alors  que  des  foins  convenables  dévelop- 
pèrent très  fenfiblement  un  germe  qu'une 
mauvaife  culture  avoit  failli  d'étouffer  ; 
mon  exemple  prouvera  avec  cent  autres , 
que  îa  première  qualité  d'un  maître ,  en 
quelque  genre  que  ce  foit,  eft  de  s'attirer 
d'abord  îa  bienveillance  de  fon  élève ,  & 
que  fans  le  talent  de  s'en  faire  aimer  ,  tons 
îes  autres  deviennent  inutiles.  Il  eft  indu- 
bitable que  l'afpecl:  toujours  févère  de  la 


SUR      LA      MUSIQUE.  3  Q 

plupart  des  inflituteurs,  le  ton  defpotique  , 
ïes  mauvais  traitemens  font  diamétrale- 
ment contraires  au  but  de  l'inftiturion  ; 
car  feffét  le  plus  commun  de  tels  moyens 
eft  d'infpirer  pour  la  vie  à  prefque  tous  les 
enfans  un  dégoût  invincible  pour  l'étude. 

L'image  de  l'étude  &  celle  du  maître  si- 

> 

dentifient  dans  leur  efprit ,  &  ils  en  con- 
çoivent pour  tous  deux  une  forte  d'hor- 
reur (c). 

Il  en  étoit  tout  autrement  deM.  Rene- 
kin  :  il  redoubloit  mon  ardeur  ;  j'étois  tout 
occupé  de  mon  harmonie ,  elle  me  ren- 
doit  heureux,  grâce  à  fes  foins. 

Cependant  mon  père,  qui  avoxt  été 
émerveillé  de  mes  deux  premiers  morceaux 
de  compofition ,  vint  me  trouver  un  jour 
dans  ma  chambre  :  Mon  fils,,  me  dit-il , 
je  ne  fais  comment  vous  vous  y  êtes  pris 
pour  faire  votre  fugue  &  votre  motet?  — 
Je  le  fais  bien,  moi,  lui  dis-je  en  riant. 
I — Eh  bien!  ajouta- 1-  il,  a  préfent  que 
vous  connoiiTez  l'harmonie  ,  je  doute  en- 


4©  Essai 

core  que  vous  puiffiez ,  fans  vous  épuifer 
de  fatigue ,  écrire  correctement  les  chofes 
dont  vous  connohTez  la  marche  harmo- 
nique ?  Je  vois  ,  continua  *  t  -  il ,  tous  les 
jours  dans  le'monde  des  hommes  inftruits 
dont  l'éloquence  entraîne  &  perfuade  ; 
s'ils  s'avifoient  Récrire  ce  qu'ils  difent  fi 
bien ,  peut-être  ne  les  entendroit-on  plus. 
Or  donc  (c'était  fon  expreflion  favorite)  i{ 
en  efl  de  même  d'improvifer  fur  un  clavier 
ou  d'écrire  correctement  en  mufique  ; 
croyez  -  moi ,  mon  fils ,  il  vous  faut  un 
maître  de  compofition  ,  &  j'ai  fait  choix 
çle  notre  ancien  ami  M.  Moreau ,  maître 
de  mufique  de  Saint-Paul;  je  lui  ai  parlé 
de  vous ,  il  vous  recevra  avec  plaifir. 

Dès  le  lendemain,  je  courus  chez  M. 
Moreau.  Je  lui  portai  une  méfie,  que  je 
commençois.  Oh  !  doucement,  me  dit-il  ; 
vous  allez  trop  vite.  II  me  rendit  ma  parti- 
tion fans  la  regarder ,  &  il  m'écrivit  cinq 
pu  fix  rondes  fur  un  papier  :  Ajoutez  unç 
partie  de  chant  à  cette  balTe,  &  vous  me 


SUR     LA      MUSIQUE.  4.1 

l'apporterez  ;  fur-tout  ne  compofez  plus  de 
mette.  Je  partis  un  peu  humilié.  Je  me 
difois  en  chemin  :  Mon  père  avoit  bien 
raifon. 

Je  ïui  portai  fa  baffe  ornée  de  trois  ou 
quatre  chants  difFe'rens.  Vous  allez  encore 
trop  vite,  me  dit-il  ;  je  vous  avois  demandé 
note  pour  note  fur  cette  baffe ,  &  par  mou- 
vement contraire }  Dominus  vobis  cùm. 
Séparez  ôc  rapprochez  les  mains  ;  voilà 
ce  que  les  parties  doivent  faire.  Je  fortis 
en  me  difant,  voilà  deux  leçons  dont  je 
n'ai  guères  profité.  Mais  allons  doucement, 
je  vois  bien  que  mon  défaut  eft  d'aller  trop 
vite. 

Je  n'eus  pas  affez  de  patience  pour  m'en 
tenir  à  mes  leçons  de  compofition;  j'avois 
mille  idées  de  mufique  dans  la  tête ,  &  le 
befoin  d'en  faire  ufage  étoit  trop  vif  pour 
que  je  pufle  y  réfifter.  Je  fis  fix  fympho- 
nies  ;  elles  furent  exécutées  dans  notre  ville 
avec  fuccès.  M.  le  chanoine  de  Harlez  me 
pria  de  les  lui  porter  à  fon  concert  ;  il 


4^  Essai 

m'encouragea  beaucoup  ;  me  confeiïïa 
d'aller  e'tudier  à  Rome,  &  m'offrit  fa 
bourfe.  Mon  maître  de  compofition  re- 
garda ce  petit  fuccès  comme  pouvant 
nuire  à  l'étude  du  contrepoint,  qui  m'étoit 
fi  ne'ceiTaire  :  il  ne  me  parla  point  de  mes 
fymphonies  (i).  II  n'en  fut  pas  de  même 
de  M.  Renekin.  J'arrive  un  jour  pour  pren- 
dre ma  leçon  de  clavecin  ;  il  m'embra.Te, 
me  fait  afTeoir  dans  un  fauteuil  ;  fe  met  a 
fon  clavecin  ;  exécute  un  morceau  dz  mes 
fymphonies  qu'il  favoit  par  cœur  ;  revient 
à  moi ,  en  me  criant ,  bravo  !  bravo  !  mon 
ami  ;  ah  !  je  fuis  d'une  joie.  ...  Je  veux 
les  jouer  toutes  fur  mon  orgue.  Trop  digne 
&  trop  aimable  homme  !  tu  fentois  les 
défauts  de  mon  foibïe  ouvrage  ;  mais  au 
moins ,  encouragé  par  ton  fuffrage  ,  tu 
préparois  les  femences   qui  dévoient  un 

(i)  Je  n'étendrai  point  ici  mes  idées  fur  l'art  d'enfei- 
gner ,  ni  fur  les  différentes  manières  que  l'infHtuteur  doit 
adopter,  félon  le  génie  plus  ou  moins  aâif  de  fon  élève» 
Cet  objet  intéreïïant  mérite  d'être  traité  féparément. 


y 


SUR      LA       M  17  S  I  QU  E.  43 

jour  germer  &  faire  naître  des  productions 
plus  dignes  de  l'émulation  que  tu  m'inf- 
pirois  ! 

Le  projet  d'aller  étudier  à  Rome  ne  me 
quitta  plus ,  &  pour  décider  le  chapitre  à 
me  laiîTer  partir,  je  finis  la  méfie  dont  j'ai 
parlé.  Je  ïa  fis  voir  a  ,M.  Moreau  ,  en  lui 
difant  :  Je  conviens  ,  Monfieur  ,  qu'un 
écolier  de  ma  forte  ne  doit  pas  entrepren- 
dre un  ouvrage  fi  confidérable  ;  mais  je 
fuis  décidé  à  aller  étudier  à  Rome  :  mes 
parens  s'y  oppofent ,  vu  ma  foible  fanté  ; 
mais  duiïai-je  y  aller  à  pied  &  demander 
la  charité  fur  les  chemins,  mon  parti  eft 
pris  ;  je  le  fuivrai.  Voyez  donc  cette  mefle, 
je  vous  en  prie  ;  je  veux,  s'il  eft  poflibîe, 
engager  le  chapitre  a  rcconnoître  mes  fer- 
vices,  &  ne  pas  priver  mon  père  d'une 
fomrre  dont  fa  nombreufe  famille  a  be- 
foin.  Il  vit  ma  mefle  en  quatre  ou  cinq 
féances  ;  il  corrigea  beaucoup  de  fautes  de 
compofition  ,  &  il  n'en  trouva  aucune 
contre  l'expreflion. 


44  Essai 

Je  me  rappelle  qu'il  étoit  revenu  plufieurs 
fois  au  verfet  qui  tollis  peccata  mundiy  S'a. 
Comment  le  trouvez-vous,  lui  dis-je?  Je 
vous  confeille  de  ne  pas  le  laiffer,  me 
dit-il.  —  Pourquoi  donc?  —  On  ne  croira 
pas  qu'il  foit  de  vous.  ■ —  Cela  m'eft  égal; 
j'efpère  que  vous  êtes  perfuadé  qu'il  eft  de 
moi  9  Se  cela  me  fuffit. 

Ce  que  je,  dis  prouve  affez  que  c'en1  à  la 
nature  à  faire  les  premiers  dons  a  l'homme 
qui  Ce  deftine  aux  arts  d'imagination. 

Quelle  eft,  me  dira-t-on,  la  nature  que 
doit  Cuivre  le  muficien?  La  déclamation 
juile  des  paroles.  Je  ne  parle  pas  des  efc 
fets  phyfiques ,,  tels  que  la  pluie  ,  les  vents , 
ïa  grêle,  le  chant  des. oifeaux,  les  trem- 
bîemens  de  terre,  &c:  quoiqu'il  y  ait  du 
mérite  à  bien  rendre  ces  difFërens  effets  x 
le  plus  Couvent  ils  me  font  une  forte  dé 
pitié.  C'eil  comme  quand  on  voit  un  bufte, 
colorié  ou  habillé,  on  recule  d'effroi  \  c'en; 
la  nature  trop  fèrviïement  rendue  ;  elle 
li  plus  de  charme. 


SUR     LA      MUSIQUE.  47 

Je  n'aime  pas  davantage  les  récits  de 
combats ,  de  tempêtes  mis  en  mufique  : 
c'eft,  je  crois,  ïa  faute  de  nos  poètes,  qui 
ralTemblent  tant  d'images  dans  un  même 
morceau,  que  le  muficien  devient  confus 
pour  vouloir  tout  rendre  :  le  récit  dans  le 
Huron ,  celui  de  la  tempête  dans  le  Ta~ 
ht 'eau  parlant ,  ne  me  fatisfont  point;  fa 
chafTe  de  Tom- Jones  a  les  mêmes  défauts, 
quoiqu'en  dile  fauteur  du  mélodrame  :  il 
ne  trouve  rien  de  comparable  à  l'endroit 
qui  dit  en  parlant  du  cerf,  enfin  tombe. . . . 
Cette  expreffion  muficale  me  paroît  exa- 
ge're'e,  lorfqu'il  efl  queftion  de  peindre  un 
cerf  prefque  mort  de  fatigue  avant  de  fuc- 
comber  (  i  ).  Le  récit  que  j'ai  fait  dans 
l'Amant  -  Jaloux  ,   Viclimt   infortunée  . .  . 

(i)  On  peut  objeder  qu'en  pareil  cas ,  c'eft  le  ch?.fTcuc 
qui  exagère  ;  voilà  peut-ctre  l'excufe  du  mufiden.  Au 
refte  ,  foit  que  j'approuve  ou  que  je  critique  ,  l'on  me  per- 
mettra de  prendre  mes  exemples  chez  les  autres,  lor(q:e 
je  ne  les  trouve  pas  dans  mes.  ouvrages.  La  franchife  avec 
laquelle  je  me  critique  moi  même,  prouve  q<.ie  je  n'ai  tn 
vue  que  l'avantage  de  l'art. 


46  Essai 

n'a  pas  ïe  défaut  de  la  furabondance ,  &  je 
crois  que  les  réflexions  des  deux  femmes 
qui  écoutent  Léonore  ,  ne  contribuent  pas 
peu  a  l'effet  de  ce  morceau,  qui  auroit 
peut-être  pris  une  tournure  gigantefque, 
fi  ces  réflexions  n'en  euffent  feparé  les 
images,  L'inexpérience  s'ap  perçoit  da- 
vantage dans  les  comportions  trop  fur- 
chargées  &  produifant  peu  d'effet,  que 
dans  celles  où  règne  trop  de  (implicite  ôc 
même  un  certain  vuide.  Voyez  la  mufique 
de  PergoU^e.  Le  chant  efl  un  defTein  pur 
qui  fuit  la  déclamation  ;  quelques  notes 
d'accompagnemens  lui  ont  fuffi  pour  com- 
pléter ion  tableau.  On  pourroit  fans  doute 
multiplier  les  accompagnemens,  fans  nuire 
a  fenfembîe  ;  c'en:  ce  que  fait  le  muficien 
qui  écoute.  Je  n'ai  jamais  entendu  la  Ser- 
vante-'Maître  (fc  ,  fans  Elire  dans  ma  tête 
quelques  parties  fatisfaifahtes.,  6c  j'étois  en- 
chanté que  fauteur  m'eût  laide  ce  plaifir. 

J'entends  fouvent  les  muficiens  de  ïa 
Comédie  Italienne  ajouter  quelques  notes 


SUR      LA      MUSIQUE.  47 

par-ci,  par-là,  à  mes  accompagnemens  ; 
ce  qu'ils  ajoutent  eft  bien  ;  mais  j'aimerois 
mieux  qu'ils  le  laifTafTent  faire  aux  fpe&a- 
teurs ,  qu'il  faut  aufli  amufer.  Si  chaque 
exécutant  avoit  la  même  envie,  que  feroit- 
ce  qu'un  tel  enfemble?  Le  muficien  exé- 
cutant qui  paife  les  bornes  de  fon  devoir, 
non  feulement  fait  la  leçon  au  compofi- 
tcur,  mais  il  fe  donne,  à  l'égard  de  fes 
confrères,  un  ton  de  docteur,  qui,  à  la 
longue,  nuit  fmguliérement  à  fa  réputation. 
Si  les  comédiens  donnent  un  jour  un  pou- 
voir moins  limité  à  l'habile  artiile  ,  M.  de 
la  HoufTaye,  qui  conduit  l'orcheftre ,  je  ne 
doute  pas  qu'il  ne  réprime  cet  abus. 

M.  le  chanoine  de  Harîez  fit  part  au 
chapitre  de  l'envie  que  j'avois  d'aller  étu- 
dier à  Rome,  &  il  prit  fes  ordres  pour 
faire  exécuter  ma  melTe  à  la  prochaine  fête 
folemnelle ,  qui  n'étoit  pas  éloignée.     * 

Allons,  dit  un  chanoine ,  faifons  ce  que 
defîre  ce  jeune  homme;  mais  je  vous  aver- 
tis, Meilleurs ,  que  s'il  nous  quitte  une  fois, 


48  Essai 

nous  le  perdons  pour  toujours.  On  m'ac- 
corda une  gratification. 

Je  portai  ma  méfie  a  l'abbé  J***, 
alors  maître  de  mufique ,  qui  crut ,  ainfi 
que  mon  maître  de  compofition ,  qu'elle 
n'étoit  pas  de  moi  (1).  Cependant  il  fallut 
obe'ir  &  battre  la  mefure  :  ce  qu'il  fit  d'af- 
fez  mauvaife  grâce;  mais  mon  père,  pre- 
mier violon,  étoit  aimé  de  (es  confrères  : 
ils  remarquèrent  que  le  maître  de  mufique 
mettoit  peu  de  foin  à  l'exécution  >  &  cela 
ïeur  fuffit  pour  redoubler  leur  zèle.  Aufïi 
jamais  ouvrage  ne  fut  exécuté  avec  plus  de 
chaleur. 

La  méfie  fit  plaifir;  &  l'on  fe  difoit  dans 
îa  ville  :  Nous  avons  entendu  les  adieux  du 
jeune  Gretry. 

Il  n'eft  pas  indifférent  qu^un  maître  de 
mufique ,  c^eft-à-dire ,  celui  qui  bat  la  me- 
fure, foit  aimé  des  muficiens  qui  exécu- 
tent fous  lui.  Le  moindre  gefte,  le  plus 

(1)  J'attefte  cependant  qu'elle  ctoit  mon  ouvrage,  & 
que  je  n'ayois  pour  cette  fois  ufé  d'aucun  ffratagême. 

petit 


SUR     LA     MUSIQUE,  49 

petit  coup  de  Ton  bâton  ou  de  fon  pied  ,  eir. 
faifi  par  tout  le  monde  :  c'eft  un  fluide  qui 
fe  communique  dans  tous  les  coins  d'un 
orcheftre ,  quelque  grand  qu'il  (bit  ;  mais 
je  ne  connois  rien  de  plus  fct  qu'un  batteur 
de  mefure  qui  n'infpire  pas  de  con- 
fiance: il  frappe,  il  s'agite  &  ne  produit 
rien  :  une  autre  fois,  il  fait  le  fîgne  pour 
commencer  ;  il  frappe  majeflueufement  ; 
mais  les  muficiens  rebelles  fe  font  donné 
ïe  mot,  Se  perfonne  ne  commence...  Il 
refte  tout  étonné ,  Se  il  voit  que  fon  bâton 
de  mefure,  fans  le  fecours  des  exécutans, 
efr  un  infiniment  de  fort  peu  d'efTer.  Ex- 
cepté dans  les  grands  chœurs ,  cù  je  ie 
crois  néceflaire  ;  au  théâtre  ,  il  nuit 
à  la  bonne  exécution  ,  Se  voici  pour- 
quoi :  Chaque  muficien  eft  obligé  d'avoir 
l'œil  fur  Ta&eur  chantant,  c'eft  la  feule 
manière  de  bien  accompagner  ;  il  en  eft 
difpenfé  quand  on  lui  frappe  chaque  me- 
fure :  car  il  ne  peut  &  ne  doit  pas  fuivre 
deux  perfonnes  à-Ia-fois.  D'ailleurs ,  l'ex- 

D 


fo  Essai 

prefïion  entraîne  hors  de  mefure  tout  réci- 
tant, foit  vocal  ou  inftrumental  :  malheur 
à  celui  que  ce  défaut  ne  furprend  jamais. 

Il  eft  donc  clair  que  les  fymphoniftes 
deviennent  froids  &  indifTérens,  quand  ils 
ne  fuivent  pas  directement  l'a£teur  ;  le 
L-âton  qui  les  dirige  les  humilie,  leur  ôte 
l'émulation  naturelle  a  tout  homme  qui , 
pouvant  obéir  à  fon  principal  3  fe  voit 
contraint  de  fuivre  la  loi  d'un  tiers. 

Le  bâton  de  mefure  eft  cependant  né- 
ceiïaire  au  théâtre  de  l'Opéra,  où  fouvent 
dans  la  coulirle,  on  exécute  de  grands 
chœurs  ,  quand  la  fituation  dramatique 
l'exige.  Il  ne  faut  pas  croire  qu'un  group- 
pe  de  chanteurs  ainfi  éloigné  puiife  en- 
tendre f  orcheftre  ,  quelque  nombreux  qu'il 
foit  :  chacun  chante  à  f  oreille  de  fon  voi- 
fîn,  &"  je  me  fuis  quelque  fois  furpris 
chantant  contre  mefure  &  conduifant  à 
faux  le  chœur  qui  mJenvironnoit.  Le  maî- 
tre des  chœurs  peut  s'avancer  &  jetter  un 
coup  d'œil  fur  le  bâton ,  direz-vous  ;  c'eit 


SUR      LA      MUSIQUE.  <  i 

ce  qu'il  fait  :  mais  fi  c'efl  un  chœur  danfé 
&  chanté  ;  fi  une  foule  de  danfeurs  occu- 
pent l'avant  -  fcène  ,  le  bâton  n'en1  plus 
vifible.  Le  barteur  de  mefure  frappe  alors 
fur  fon  pupitre  ;  ce  qui  eft  très  défagréa- 
ble  à  entendre ,  car  il  vous  rappelle  fur-îe- 
champ  que  vous  êtes  à  la  comédie  (dy  J'ai 
fouvent  fongé  aux  moyens  de  remédier  à 
cet  inconvénient;  je  crois  qu'on  le  pour- 
roit ,  en  plaçant  quelques  gros  tuyaux  d'or- 
gues derrière  la  fcène,  ou  fous  le  théâtre 
même ,  en  ouvrant  le  plancher  par  des 
trous  aux  endroits  des  tuyaux  :  le  clavier 
feroit  dans  l'orcheftre,  un  organifte  y  tou- 
cheroit  pour  accompagner  ,  guider  les 
chœurs  &  les  empêcher  de  fortirdu  ton. 

D'ailleurs  ces  excellentes  baffes  de  24, 
pieds,  en  renforçant  l'harmonie,  ajoute- 
roient  finguliérement  à  l'effet. 

L'on  cherche  les  moyens  de  diriger  les 
aéroitats,  cherchons  donc  aufîi  à  perfec- 
tionner le  plus  beau ,  le  plus  noble  infini- 
ment de  mulique  que  nous  ayons.  L'orgue 

D  2 


Ji  Essai 

en  effet  feroit  à  lui  feul  un  orcheftre  fu- 
perbe,  fi  l'on  pouvoit  donner  au  Ton  la 
gradation  du  doux  au  fort,  à  volonté  de 
Torganifte.  J'en  ai  parlé  à  M.  Charles ,  Se 
il  n'a  pas  cru  cette  découverte  impoflible  : 
c'eft ,  lui  ai  -  je  dit ,  \  'étude  de  l'organe 
humain  qui  peut  vous  y  conduire.  La 
manière  dont  nous  formons  les  fons,  le 
développement  ou  ïe  retrécillement  que 
nous  obfervons  naturellement  pour  nuan- 
cer le  chant,  la  manière  dont  un  joueur 
d'inftrument  à  vent  modifie  les  fons  par 
les  mouvemens  des  lèvres  &  le  ménage- 
ment du  fouffle ,  &c.  font  ce  qu'il  faut  ap- 
profondir &  imiter  pour  y  parvenir. 

Je  ne  puis  fupporter  longtemps  le 
meilleur  "orgue,  touché  par  le  plus  habile 
organise  :  j'ai  cherché  la  caufe  de  cet  en- 
nui, Se  i]  provient  fans  doute  de  l'unifor- 
mité des  fons  ;  l'artifte  a  beau  changer  de 
jeu ,  il  retrouve  par-tout  des  fons  pleins  Se 
fans  nuances. 

Un  parleur  monotone  peut  avoir  un 


SUR      LA      MUSIQUE.  53 

Bel  organe  ôc  dire  de  bonnes  chofes  ;  il 
vous  fait  éprouver  a  la  longue  un  maî- 
aife  infupportable.  J'ai  remarqué  ,  comme 
tout  le  monde ,  pîufieurs  fortes  de  mono- 
tonies; celle  qui  eft  produite  par  un  fon 
filé  fans  nuances  ;  celle  qu'occafionne  la 
le&ure  des  grands  vers ,  où  le  fens  fufpen- 
du  à  f  émiftiche ,  finit  trop  fouvent  à  la  fin 
du  vers  ;  il  vous  refle  dans  ïa  tête ,  après 
une  longue  lecture  de  vers  égaux ,  un  mou- 
vement involontaire  de  la  quantité  de  fyl- 
labes,  qui  eft  prefqu'aufïi  défagréable  que 
îe  cochemar.  Je  crois  même  qu'un  mouve- 
ment longtemps  répété,  agit  fur  la  cir- 
culation du  fane. 

Peut-être  tous  les  hommes  îrobtien- 
droient  point  le  réfultat  d'une  expérience 
que  j'ai  faite  fouvent  fur  moi-même. 

Je  mets  trois  doigts  de  la  main  droite 
fur  l'artère  du  bras  gauche ,  ou  fur  toute 
autre  artère  de  mon  corps;  je  chante  in- 
térieurement un  air  dont  le  mouvement  de 
mon  fan  g  eft  la  mefure  :  après  quelque 

D3 


£4  Essai 

temps ,  je  chante  avec  chaleur  un  aîr  d'un 
mouvement  différent  ;  alors  ]e  fens  diftînc- 
tement  mon  pouls  qui  accélère  ou  retarde 
fon  mouvement,  pour  fe  mettre  peu-à- 
peu  a  celui  du  nouvel  air. 

Après  cela ,  dira-t-on  que  les  anciens 
avoient  tort  de  dire  que  la  murique  ren- 
doit  furieux,  ou  calmoit  les  individus  bien 
organifes  &  pafîionnés  pour  cet  art  (i)? 

Le  printems  approchoit ,  mais  fes  dou- 
ces influences  n'infpiroient  à  ma  famille 
qu'une  fombre  triflelTe.  On  ne  croyoit  pas 
que  j'eufTe  aifez  de  forces  pour  fupporter  la 
fatigue  d'un  voyage  de  quatre  à, cinq  cents 
lieues  que  j'allois  faire  a  pied.  Ma  bonne 
mère  eut  le  courage  ,  en  répandant  des 
larmes ,  de  travailler  elle-même  aux  petites 
nippes  qui  m'étoient  nécefTaires.  J'étois  ïe 
feul  de  la  famille  qui  parût  avoir  confervé 

(i)  Le  mouvement,  ou  le  rythme,  agit  plus  puifTam- 
ment  fur  l'âme  que  la  mélodie  ou  l'harmonie.  On  pourroit 
dire  qu'il  eiî  pour  l'oreille  ce  que  la  fïmétrie  eft  pour  les 
yeux. 


SUR      LA      MUSIQUE.  JJ 

de  la  gaîté  :  j'étois  réfoïu  &  j'avois  raifon 
de  paroître  tel  ;  c'étoit  le  feul  moyen  d'ob- 
tenir le  confentement  de  mes  parens.  Je 
fus  paffer  une  journée  a  Coronmeufe ,  chez 
ma  grand'mère.  Ses  adieux  étoient  pour 
moi  les  plus  cruels  de  tous  ;  car  (on  grand 
âge  ne  me  lai  (Toit  pas  l'efpe'rance  de  la 
revoir  jamais  :  fa  contenance  à  mon  égard 
n'eft  jamais  fortie  de  ma  mémoire.  Elle  me 
parla  longtemps  de  mes  devoirs  envers 
Dieu ,  me  recommanda  beaucoup  le  foin 
de   ma   fanté.    Elle  remarqua  fans  doute 
avec  plaifir  le  courage  que  j'affe&ois  ;  6c 
dans  la  crainte  de  f affoiblir ,  elle  s'effor- 
çoit  de  me  montrer  une  phifionomie  riante , 
dansîe  temps  que  fes  pleurs  la  trahifToient. 
L'exhortation  que  me  fit  fon  fécond 
mari  fut  d'un  genre  tout  différent  :  après 
dîner  il  me  conduifit  dans  fon  jardin  ;  il 
commença  par  m  enfoncer  fon  chapeau 
fur  ma  tête,  en  me  difant:  Eh  bien ,  Ro- 
drigue ,  as-tu  du  cœur  ?  —  Oui ,  vraiment , 
mon  grand  -  papa.   Tiens,  me  dit- il  en 

D4 


5  6  Essai 
fouillant  dans  Tes  poches ,  voiîà  le  preTent 
que  je  te  fais.  Il  fort  en  même  temps  deux 
pifloîets,  qu'il  me  préfente:  Prends, garde, 
dit-il,  ils  font  charges;  n'en  abufe  pas, 
mon  fils,  je  t'en  conjure,  mais  fi  quel- 
qu'un t'attaque —  Oui ,  oui  ,  mon 

grand-papa,  je  faurai  bien  me  défendre. 
- — Allons,  voyons,  je  fuppofe  que  cet  ar- 
bre eft  un  voleur  qui  te  demande  la  bourfe 
ou  îa  vie,  que  feras-tu!  — Je  lui  dirai: 
Monfieur,  fi  vous  êtes  dans  le  befoin,  je 
peux  bien  vous  offrir  quelque  fecours  ; 
mais  ma  bourfe  toute  entière ,  dans  la  fi- 
tuation  où  je  me  trouve,  c'eft  ma  vie  elle- 
même.  < — Non,  me  répond  mon  grand- 
père  en  me  montrant  î'arbre  ,  c'eft  tout 
ce  que  tu  poffedes  que  je  veux  avoir. — 
Pan. . .  Je  tire  un  coup  de  piftolet  contre 
l'arbre.  —  II  met  le  fabre  à  la  main ,  s'écrie 
mon  grand-père ...  &  je  lâche  mon  fé- 
cond coup.  Ma  grand'mère  enrayée,  ac- 
court à  la  fenêtre  en  criant  :  Au  nom  de 
Dieu,  que  fa  i  te  s-  vous  là  ?  Je  tue  les  vo~ 


SUR      LA      MUSIQUE.  ^  7 

leurs,  ma  grancFmaman ,  lui  répondis-je. 
Sou  mari  mit  les  deux  piftolets  dans  ma 
poche  c*  nous  rentrâmes.  J'appris,  en  ar- 
rivant chez  mcn  père  ,  que  le  mefTager 
qui  devoit  me  conduire  étoit  venu  a  la 
maifon ,  &  avoit  fixé  fon  départ  pour  Rome 
à  huitaine.  CTétoit  à  la  fin  de  Mars  1759, 
&  j'avois  par  conféquent   1  8  ans.   Je  ne 
doutois  pas  que  mon  guide  n'eût  été  bien 
careMë  &  qu'on  ne  lui  eût  promis  une  récom- 
penfe  s'il  prenoit  foin  de  moi  fur  la  route. 
Cet  homme  s'appelioit  Remacle  3   & 
quoiqu'âgé  de  foixante  ans ,  il  faifoit  par 
anne'e  deux  voyages  de  Liège  à  Rome  & 
de  Rome  à  Liège  :  il  en  faifoit  quelque- 
fois trois.  II  étoit  très  honnête  homme  avec 
les  jeunes  gens  qu'il  conduifoit  ou  rame- 
noit,  mais  il  étoit  bien  le  plus  fin  des  con- 
trebandiers :  iî  portoit  en  Italie  les  plus  belles 
dentelles  de  Flandre,  &  les  jeunes  étudians 
qu'il  conduifoit  n'étoient  qu'un  prétexte 
pour  cacher  fon  commerce.  Il  rapportoit 
de  Rome  des  reliques  Se  de  yieillfs  p?n- 


5  8  Essai 

toufles  du  Pape  ;  il  en  fournifîbit  tous  les 
couve ns  de  Religieufes  de  la  Flandre  ôc 
des  Pays-Bas.  lien  tiroit  de  l'argent,  des 
dentelles  ,  des  préfens  de  toute  efpèce.  Cet 
homme  e'toit  riche  ôc  avare;  nous  lui  di- 
rions fouvent  :  Veux-tu  donc  mourir  fur  les 
grands  chemins,  Remacle  ?  Il  nous  répon- 
doit  avec  fon  air  juif:  Hélas  !  je  ne  fuis  pas 
auffi  riche  que  Ton  croit;  d'ailleurs  quand 
je  ne  fais  qu'un  voyage  par  année ,  je 
fais  une  maladie  en  automne,  ôc  j'aime 
mieux  voyager. 

Son  trafic  l'oblige  oit  de  faire  d'immen- 
Ces  détours  pour  éviter  les  endroits  où  il 
étoit  foupçonné  ;  de  manière  que  pour 
conferver  fa  fan  té ,  félon  lui ,  il  faifoit  envi- 
ron deux  mille  lieues  par  année ,  portant 
deux  cents  livres  fur  fon  dos. 

Le  jour  de  mon  départ  arrive  enfin  ;  je 
îe  defiroïs  impatiemment.  Je  ne  voyois 
que  larmes  ;  je  n'entendois  que  foupirs 
depuis  huit  jours.  Le  terrible  Remacfe  ar- 
riva au  jour  fixé  :  il  entra  chez  mon  père 


SUR      LA      MUSIQUE.  59 

fans  fe  faire  annoncer;  il  étoit  une  heure 
après  dîner.  Son  apparition  fut  un  coup  de 
foudre  pour  ma  famille.  Je  ne  lui  donnai 
pas  îe  temps  de  parler  :  je  faute  fur  ma 
valife ,  que  je  mets  fur  mon  dos  ;  je  me 
jette  à  genoux ,  les  mains  jointes ,  pour 
demander  la  bénédiction  de  mon  père  & 
de  ma  mère.  Que  Dieu  te  bénljfe ,  mon 
cher  enfant ,  me  dirent-ils  :  ck  j'aveis  dif- 
paru. 

Le  voifinage  étoit  aux  portes  pour  me 
voîf  partir  ;  je  fis  (igné  à  tout  le  monde  de 
ne  point  m'arrêter,  &  mon  vieux  Mentor 
leur  difoit  en  courant  après  moi  :  Soyez 
tranquilles,  j'en  aurai  foin. 

Que  les  larmes  de  ma  mère  &  fur-tout 
de  mon  père  me  firent  une  vive  imprefMonî 
leurs  phifionomies  refpeclabïes ,  où  étoit 
répandue  la  pâleur  de  îa  mort  ;  leurs  bras 
élevés  vers  îe  ciel,  pour  f implorer  en  ma 
faveur ,  ce  tableau  pieux  me  fit  une  fbnfa- 
tion  que  je  ne  puis  rendre. 

Lorfque  je  fus  en  état  de  me  reconnoî- 


60  Essai 

tre  ,  je  fentis  mes  iarmes  couler,  &  je  dis  : 
O  mon  Dieu,  permets  que  ta  pauvre  créa- 
ture (bit  un  jour  îe  foutien  &  la  confola- 
tion  de  fes  infortunés  parens. 

L'amour  paternel  &  l'amour  filial  réfi- 
dent  fans  doute  dans  tous  les  cœurs  , 
même  les  plus  endurcis  ;  mais  que  les  gens 
de  haut  parage  font  loin  de  favoir  com- 
bien ce  fentinient  refpeclable  efl  plus  vif 
chez  les  honnêtes  bourgeois,  fur- tout  dans 
ies  pays  où  le  luxe  ôc  la  débauche  n'ont  pas 
mis  de  barrières  entre  les  pères  8c  leurs  en- 
fans!  L'habitude  de  vivre  enfcmble  ,  de  fe 
chauffer  au  même  feu,  de  boire  au  même 
vaie,  de  manger  au  même  plat,  répugne- 
roït  fans  doute  à  la  nature  factice  du  beau 
monde  ;  mais  cependant  avec  quelles  dé- 
lices je  me  rappelle  ce  cher  &  bon  vieux 
temps  !  J'ai  puifé  dans  cette  intimité  l'a- 
mour éternel  que  je  porte  aux  auteurs  de 
mes  jours.  Eh  !  quel  eft  le  père  qui  ne  fe 
contraigne  quand  il  vit  &  agit  toujours 
fous  les  yeux  de  Ces  enfans  ?  Quel  eft  l'en- 


SUR     LA     MUSIQUE.  6  I 

fant  qui  puûTe  compter  fur  l'amour  pater- 
nel, au  point  de  s'oublier  (cuvent  en  fa 
préfence  ?  Un  gouverneur  ,  direz  -  vous  , 
jouit  de  l'autorité  d'un  père  :  oui ,  mais 
l'enfant  accorde- 1- il  cette,  autorité  au 
maître  que  îa  nature  ne  lui  a  pas  don- 
née ?  La  nature  ne  perd  pas  fes  droits ,  & 
à  fept  ans,  un  enfant  fe  dit  :  a  II  faut  que 
»  j'obeirTe  à  un  maître  que  l'on  paie  peur 
»  avoir  foin  de  moi  ;  c'ed  pour  lui-même , 
»  c'en1  pour  fa  fortune  Se  fa  réputation 
»  qu'il  lui  importe  que  je  rempliffe  mes 
»  devoirs  ;  il  n'a  pas  d'autre  intérêt  :  mais 
»  mon  père  eft  mon  Dieu  fur  la  terre;  je 
»  fuis  ce  qu'il  aime  le  plus  dans  ce  monde  ; 
»  fes  volontés  font  pures,  &  je  fens  que 
v  fa  raifon  doit  être  ma  loi.  » 

L'obéiïïance  naturelle  fait  des  hommes  ; 
l'obéiffance  forcée  fait  des  efclaves ,  &  je 
n'eflime  guère  plus  fefclave  des  loix  que 
le  coupable  qui  les  enfreint. 

Mon  vieux  Mentor  me  conduifit  dans 
fon  village  ,  à  trois  lieues  de  Liège ,  où 


6z  Essai 

je  trouvai  deux  étudians  qui  nous  attenr 
tloient  pour  faire  route  enfembfe  :  l'un 
étoît  abbé  ;  il  me  parut  foible  Se  languit- 
fant ,  Se  je  fentis  un  retour  de  courage  fur 
moi-même  à  l'alpeâ  de  ce  frêle  voyageur j 
l'autre  étoit  un  jeune  chirurgien  ;  il  étoit 
gai,  vif,  fans  fouci:  je  le  jugeai  un  com- 
pagnon de  voyage  fort  amufant,  Se  je  ne 
me  trompai  pas. 

Je  témoignai  à  ces  jeunes  gens  com- 
bien j'avois  été  fâché  de  ne  m'être  point 
trouvé  chez  mon  père  lorfqu'iîs  y  étoient 
venus  pour  faire  ccnnoifTance  avec  moi. 
.Nous  fûmes  bientôt  amis  ,  fur-tout  le  jeune 
chirurgien  Se  moi.  II  me  dit  à  l'oreille: 
«  Que  ce  pauvre  abbé ,  à  fa  mine  alongée, 
»  ne  feroit  que  vingt-cinq  lieues  de  fon 
n  pied  mignon  ».  J'avois  remarqué,  ainfî 
que  lui ,  que  notre  abbé  avoit  le  pied  d'une 
longueur démefurée.  Quanta  vous,  ajouta- 
t-il  en  fouriant,  vous  n'en  ferez  que  cin- 
quante ,  Se  j'en  fuis  fâché,  car  je  vous  aime 
déjà.  Nous  verrons  cela ,  lui  dis-je. 


SUR      LA      MUSIQUE.  63 

Nous  partîmes  donc  le  lendemain ,  à 
cinq  heures  du  matin.  Le  ve'nérable  Re- 
macle,  l'abbé,  le  chirurgien  &  moi,  & 
un  gros  garçon  champenois  nommé  Bap- 
tifte,  aiïbcié  honoraire  de  Remacle,  voilà 
ce  qui  compofoit  notre  caravanne.  On 
nous  fit  faire  dix  lieues  ce  jour-là ,  à  Tra- 
vers les  bruyères  Se  les  forêts  des  Arden- 
nés.  Notre  abbé  ne  mangea  pas  le  foir;  le 
petit  chirurgien  &  moi  nous  dévorâmes. 
Tout  en  foupant ,  il  me  difoit  :  Je  ferois 
fâché  que  notre  abbé  ne  fît  pas  fes  vingt- 
cinq  lieues,  car  j'ai  prédit  qu'il  les  feroit. 

Le  lendemain  ,  même  promenade  que 
la  veille.  Notre  arrière-garde,  c'eft-à-dire, 
notre  pauvre  abbé  3  arriva  au  gîte  long- 
tems  après  nous.  J'en  étois  inquiet  :  je  vou- 
lus fortir  pour  aller  à  fa  rencontre  ;  mais  le 
petit  efpiégle,  fuppet  d'Kyppocrate ,  me 
retint,  en  m'afîurant  que  l'abbé  aîmeit  à 
marcher  lentement,  &  qu'il  n'y  avoit  pas 
d'humanité  à  moi  de  vouloir  prener  (a 
marche. 


64  Essai 

lî  arrive  enfin ,  fe  traînant  à  peine.  Après 
qu'il  fe  fut  repofé,  il  nous  dit  en  verfant 
un  torrent  de  larmes  ,  qu'il  n'avoit  pas  la 
force  de  nous  fuivre  ;  qu'il  reftercit  quel- 
ques jours  dans  l'auberge  pour  guérir  les 
plaies  qu'il  avoit  aux  pieds ,  &  qu'il  re- 
tourneroitenfuite  chez  fon  père.  Nous  ap- 
prouvâmes tous  fon  projet ,  excepté  le  chi- 
rurgien qui  ne  dit  mot.  Les  larmes  de  ce 
pauvre  abbé  redoublèrent,  lorfqu'il  parla 
de  la  furprife  que  fon  apparition  cauferoit 
à  fon  père  ôz  à  fes  parens,  qui  Pavoient 
tous  comblé  cïe  préfens  ôz  de  bénédictions 
au  moment  de  fon  départ ,  Se  devant  lef- 
quels  il  n'oferoit  fe  montrer  fans  honte. 
Remacîe  le  confoîa  en  lui  apprenant  qu'il 
n'étoit  pas  le  premier  jeune  homme  Lié- 
geois qui  l'abandonnoit  fur  la  route ,  &  il 
lui  en  nomma  plufieurs.  Notre  petit  ef- 
piégfe  ,  qui  ne  parioit  pas  depuis  long- 
temps ,  demande  enfin  au  mefTager,  com- 
bien nous  avions  fait  de  lieues?  «  Hier 
»  dix,  aujourd'hui  autant,  &  fi  vous  comp- 

»  tes 


SUR      LA      MUSIQUE-  6$ 

■f>  tez  les  trois  îieues  de  votre  ville  à  mon 
»  village,  cela  fait  vingt-trois  lieues.» 
II  s'approche  de  mon  oreille  en  me  difànt  : 
Il  en  manque  deux  ;  je  fuis  furieux.  Tais- 
toi  ,  barbare ,  lui  dis-je.  On  fut  fe  coucher. 

Croïra-t-on  que  notre  chirurgien  fuivit 
f  abbé  dans  fa  chambre ,  &  parvint  à  lui 
perfuader  qu'il  devoit  fe  remettre  en  mar- 
che le  lendemain?  Il  vifita  fes  pieds ,  lui 
panfa  (es  plaies ,  &  ïon'que  nous  fûmes  îe 
lendemain  matin  dans  la  chambre  de  l'ab- 
hé ,  croyant  le  trouver  au  lit ,  nous  le  vîmes 
tout  habillé ,  le  paquet  fur  fon  dos  &  le 
petit  drôle  qui  lui  donnait  le  bras  pour 
defcendre  l'efcalicr.  Malheureux ,  lui  dis- 
je  ,  tu  veux  donc  voir  périr  ce  pauvre  abbé  ? 

Oh  que  non,  que  non  ,  me  dit-il;  il  a 

prié  Dieu  cette  nuit,  M.  l'abbé:  tu  es  un 
impie ,  toi ,  tu  ne  crois  pas  aux  miracles. 

Le  pauvre  garçon  fit  encore  trois  lieues, 
aidé  par  le  petit  camarade  qui  le  foutenoit  ; 
mais  une  fois  arrivé  à  f endroit  où  nous 
devions  déjeûner,  il  perdit  le  refie  de  fes 

E 


66  Essai 

forces  avec  l'efpoir  de  nous  fuivre.  Je  me 
mis  en  colère  contre  le  chirurgien.  Ne 
te  fâche  pas,  me  dit-il,  il  a  fait  vingt -cinq 
lieues,  &  je  ne  veux  pas  qu'il  aille  plus 
loin.  L'abbé  fe  mit  au  lit ,  ôc  nous  le  quit- 
tâmes en  lui  confeiïlant,  après  qu'il  fe  feroit 
bien  repofé,  de  louer  un  cheval  pour  fe 
rendre  chez  lui. 

Nous  continuâmes  notre  route.  Je  m'ap- 
perçus  vers  le  foir  de  ïa  même  journée, 
que  notre  brave  lui-même  refcoit  en  arriè- 
re, &  qu'il  faifoit  d'inutiles  efforts  pour  ne 
pas  boiter  :  je  le  guétois  fouvent  ;  je  lui  vis 
porter  fon  mouchoir  a  (es  jeux  en  regar- 
dant le  ciel  avec  fureur.  Je  m'afïïs  un  inf- 
tant  pour  l'attendre.  Dès  qu'il  fut  près  de 
moi ,  je  lui  criai  :  Allons ,  courage ,  M.  l'ab- 
bé !  —  Qu'appeles-tu ,  M.  l'abbé?...  Iî 
voulut  me  fauter  aux  yeux  ;  je  levai  mon 
gros  bâton:  ohî  hé  !  jeune  homme,  lui  dis-je, 
fais-tu  que  tu  n'es  peut-être  pas  ici  le  plus 
fort ,  fi  ce  n'eft  en  méchanceté  ?  Il  me. 
regarda  fixement  ;  &  puis ,  prenant  fon 


SUR      LA      MUSIQUE.  67 

parti  :  Allons,  me  dit-il,  je  fuis  un  chien, 
j'en  conviens;  mais,  dis-moi,  comment 
te  trouves-tu?  — Pas  trop  bien  ,  je l'avoue. 
« —  Pour  moi  ,  je  foufTre  horriblement, 
continua-t-il ,  &:  je  peux  a  peine  me  traîner. 
—  J'ai  fouffert  autant  que  toi  ce  matin ,  lui 
dis-je  ;  je  me  fuis  efforcé  d'aller,  &  main- 
tenant je  me  trouve  mieux  ;  fuis  mon 
exemple;  efforce-toi,  la  même  chofe  ne 
tardera  pas  à  t'arriver  :  allons  ,  marchons. 
Je  voulus  lui  donner  le  bras  :  Jamais _,  ja- 
mais ,  me  dit-il  en  s'éîoignant. 

Le  lendemain  fut  encore  pénible  pour 
nous  ;  mais  dès  que  nous  fûmes  arrivés  à 
Trêves  ,  nous  nous  trouvâmes  aguéris , 
faits  à  la  fatigue  .&  aux  injures  du  tems. 

Un  jour  en  entrant  dans  une  auberge 
pour  la  dînée,  une  grolTe  Allemande ,  maî- 
trefle  du  logis,  me  témoigna  une  tendrelTe 
toute  particulière.  Mon  camarade  me  dit  : 
Vois-tu  y  mon  beau  garçon  ,  comme  tu  vas 
faire  des  conauêtes  en  chemin?  Dès  que 
nous  fûmes  à  table,  cette  Femme  vint  m'ô- 

E  x 


68  Essai 

ter  mon  couvert  pour  en  fubftituer  un  au- 
tre d'argent  ;  elle  m'apporta  enfuite  un 
morceau  de  pâcilTerie  très  deîicate  :  j'en 
offris  à  mes  compagnons  ,  &  ïe  fuppôt 
d'Efculaps  continuoit  à  me  faire  mille  plai- 
santeries. Au  deffert,  elle  revient  avec  un 
verre  de  liqueur,  qu'elfe  me  porte  elle- 
même  a  la  bouche.  Que  fignifie  cela,  dis-je 
au  mefTager  ?  Je  n'en  fais  rien ,  me  dit-il. 
Nous  nous  levons  enfin  pour  partir.  La 
maîtrefTe  du  logis  vient  à  moi  les  bras  ou- 
verts ,  me  preiTe  contre  Ton  fein  en  fon- 
dant en  larmes  &  me  difant  mille  chofes 
en  allemand,  que  je  n'entendois  point. 

Je  fors  avec  mon  efpiégle ,  qui  rioit 
comme  un  feu  :  je  ne  riois  point  ;  cette 
femme  m'avoit  attendri.  Bientôt  nous  fû- 
mes fuivis  du  mefTager  que  nous  attendions 
avec  impatience;  il  nous  apprit  que  cette 
bonne  femme  étoit  mère  d'un  jeune  hom- 
me auquel  je  refTemblois  y  &  qui  étoit  parti 
depuis  quelques  jours  pour  aller  faire  Tes 
études  à  Trêves  :  il  nous  dit  auffi  qu'elle 


SUR      I  A      MUSIQUE.  6$ 

avoit  abfoiument  refufé  le  paiement  de 
notre  dîner  ;  qu'elle  rnavoit  beaucoup  re- 
commandé à  lui ,  Se  s'étoit  informée  fi  j'a- 
vois  de  l'argent  pour  aller  jufqu'à  Rome. 

Quant  à  notre  pauvre  abbé,  il  avoit 
fuivi  le  confeil  que  nous  lui  avions  donné. 
Après   quelques  jours  de  repos  3  il  avoit 
acheté  un  cheval  pour  fe  rendre  chez  lui. 
Ma  mère  ,    (  qui  m'a  conté    ce   détail  , 
depuis)  étant  à  la  grand'mefTe  de  notre 
paroiiTe,  aux  fêtes  de  Pâques,  dans  l'inf- 
tant  où  elle  n'oftroit  des  vœux  au  Ciel  que 
pour  un  fils  qu'elle  aimoit  &  qu'elle  croyoit 
trop  foibïe  pour  foutenir  la  fatigue  d'un 
auffi  pénible  voyage  ;  l'imagination  frap- 
pée des  rêves  de  toute  une  famille  alarmée 
qui  me  voyoit  fars  cefïe  abîmé  de  fati- 
gue ,  pâle  ,  déchiré  6k  refpirant  à  peine 
dans  le  coin  d'un  cabaret;  c'eft  dans  ce 
moment  qu'elle  apperçoit  Pabbé.  Ses  yeux 
cherchent  par-tout  fon  fils,  qui  doit  être 
avec  lui:  la  foule  l'empêche  d'approcher; 
mais  elle  ne  le  quitte  pas  de  vue  un  indant; 


7ô  Essai 

> 

elle  parvient  enfin  à  lui  faire  dire  qu'eTîe 
délire  lui  parler.  —  Quoi ,  Monfieur  ,  c'eft 
vous!  où  ed  mon  fils  ?  comment  fe  porte- 
t-il  ?  if  lui  apprit  que  je  continuois  coura- 
geufe.ment  ma  route ,  &  il  lui  raconta  fa 
déplorable  hi  Moire. 

Ma  mère  l'entraîna  a  dîner  chez  elle, 
où  il  fut  bien  carefîe  ;  mais  la  condition 
étoit  rude  ,  il  fallut  entrer  dans  les  plus 
petits  détails  d'un  voyage  qui  blefîbit  fon 
amour-propre. 

Cependant  nous  cheminions  vers  notre 
but  allez  péniblement  :  mais  le  chirurgien 
faïfoit  fouvent  diveriion  à  nos  fatigues  par 
fes  efpiégîeries  :  en  voici  une  qui  me  parut 
un  peu  forte. 

Nous  étions  dans  les  environs  de  Trente. 
Pendant  que  nous  nous  reposons  en  atten- 
dant le  fouper,  il  étoit  allé,  comme  à  fon 
ordinaire,  fureter  dans  toutes  les  chambres 
êz  embrafTer  toutes  les  filles  de  l'auberge. 
S'il  n'eût  fait  que  cela ,  il  eût  été  pardon- 
nable :  cependant  nous  foupons  &  l'on 


SUR      LA       MUSIQUE,  71 

nous  fert  des  mers  que  le  meffager  n'avoit 
pas  demandés;  enfuite  plufieurs  bouteilles 
de  très  bons  vins  étrangers  :  le  petit  chi- 
rurgien avoit  l'air  d'être  du  fecret,  &  il 
plaifantoit  beaucoup  ,  en  difant  qu'il  ref- 
fembfoit  trait  pour  trait  à  un  jeune  mari 
que  notre  hôteffe  venoit  de  perdre. 

Nous  étions  curieux ,  le  meffager  & 
moi ,  de  favoir  ce  que  cela  fîgnifioit  ;  & , 
après  le  fouper,  nous  allâmes  nous  en  in- 
former. Nous  trouvâmes  l'hôcefîè  avec  fon 
mari ,  âgé  de  quatre-vingt  ans  ,  &  auquel 
le  chirurgien  avoit  arrache'  deux  dents  ;  il 
avoit  faigné  la  femme ,  qui  n'étoit  guère 
plus  jeune  ;  il  avoit  faigné  une  jeune  fille 
qui  avoit  la  jauniffe.  Abominable  homme, 
lui  dis-je  ,  fais-tu  alfez  ton  métier  pour 
ofer  porter  la  main  fur  un  vieillard ,  une 
vieille  femme  prêts  à  defcendre  au  tom- 
beau? Sa  réponfe  me  fit  frémir.  C'eft 
pour  cela  qu'il  n'y  a  rien  a  craindre ,  me 
dit-il ,  ne  faut-il  pas  que  je  m'exerce.  — 
Tais-toi ,  bourreau ,  lui  dis-je,  &  feuviens- 

E4 


/ 


7^  Essai 

toi  bien  que  fi  tu  commets  encore  de  pa- 
reils attentats ,  je  te  ferai  arrêter  à  ïa  pro- 
chaine ville. 

Nous  avions  déjà  parcouru  une  partie 
des  états  que  pofsède  la  maifon  d'Autriche 
dans  le  vcifinage  des  Alpes,  Iorfqu'un  jour 
notre  mefTager  nous  perfuada  dt  faire  un 
détour  de  deux  lieues ,  pour  nous  procurer, 
difoit-il ,  la  vue  d'un  fuperbe  monaflère 
dont  je  ne  me  rappelle  point  ïe  nom.  Son 
emprelTement  a  nous  donner  ce  plaiîir  me 
parut  fufpecî:,  Se  je  crus ,  non  fans  raifon, 
que  fon  intérêt  marchoit  à  côté  de  fa  com- 
plaifance. 

Arrivés  dans  le  couvent,  Remacle  nous 
dit  de  voir  ï'églife ,  les  édifices  Se  les  jar- 
dins, Se  qu'il  nous  rejoindroit  dans  une 
grande  falle  qu'if  nous  montra  ,  &  où  j'ap- 
perçus  beaucoup  de  perfonnes  des  deux 
fexes.  On  exerce  ici  fhofpitalité,  me  dit  le 
chirurgien,  Se  c'eft  probablement  ce  qui  y 
attire  Remacîe.  Oui,  répondis-je,  Se  fans 
doute  auiîi  quelques  com  millions  pour  ces 


SUR      LA      MUSIQUE.  73 

moines  ,  qui  me  fembtent  fort  riches  ; 
mais  nous  pouvons  nous  difpenfer  de 
manger  le  pain  des  pauvres.  Je  fuis  de 
votre  avis,  dit  mon  compagnon  ,  mais 
nous  irons  voir  comme  on  les  traite. 

Nous  revînmes  en  effet  dans  cette  falfe 
où  la  charité  chrétienne  s'exerçoit  d'une 
manière  fi  étrange,  que  je  n'aurois  pu  y 
ajouter  foi ,  fans  en  avoir  été  témoin  ocu- 
laire. On  faifoit  une  diflribution  d'alimens: 
un  gros  moine  très  brutal ,  qui  y  préfidoit , 
frappoit  les  hommes  ,  poufibit  rudement 
les  femmes  &c  les  enfans  ,  &  avoit  l'air  de 
vouloir  exterminer  fon  monde  plutôt  que 
de  l'aider  à  vivre.  Il  venoit  de  mal  mener 
un  malheureux  Français  qui  imploroit  fon 
fecours,  lorfqu'il  nous  apperçut  &  nous 
aborda  ,  en  difant  en  français  :  Vous  avez 
bien  Fa'r  de  n'être  attirés  ici  que  par  la 
curïcfité.  II  eft  vrai,  lui  dis-je,  mon  révé- 
rend père  ,  que  ce  n'eft  pas  la  nécefïité 
qui  nousy  amène; mais  la  beauté  de  votre 
monaftère  &  fur-tout  le  defir  de  contem- 


74  Essai 

pler  Pafyle  où  le  malheureux  voyageur 
eft  reçu  avec  tant  d'humanité ,  nous  ont 
fait  détourner  de  notre  route.  Faites-vous 
chaque  jour,  lui  dis-je,  autant  d'heureux 
que  j'en  apperçois  dans  ce  moment  ?  votre 
emploi  eft  celui  de  l'ange  confoîateur,  & 
toutes  ces  victimes  de  ïa  misère  doivent 
bénir  ïe  fondateur  qui  vous  a  fi  richement 
doté,  &t  vous  fur-tout,  mon  père,  qui  rem- 
plirez fes  vues  avec  une  douceur  fi  édi- 
fiante. 

Le  moine  en  courroux  interrompit  ce 
perfirlhge,  en  nous  priant  de  fcrtir  de  la 
ialie.  Echauffé  à  mon  tour  par  fes  mena- 
ces, je  lui  dis  en  élevant  ïa  voix  :  II  eft  évi- 
dent, mon  père,  que  la  mince  portion  de 
vos  richefTes,  que  vous  donnez  aux  pau- 
vres avec  tant  de  regrets,  eft  une  charité 
forcée ,  Se  que  vous  êtes  perfuadé  que 
fecourir  d'une  main  en  feufrietant  de  l'au- 
tre, eft  le  plus  sûr  moyen  d'éluder  l'ordre 
du  fondateur  Se  d'écarter  ces  malheureux; 
mais  craignez  que  cette  conduite  n'attire  à 


SUR      LA       MUSIQUE.  75 

la  fin  far  vous  quelques  malédictions  dont 
le  pauvre  fe  réjouira. 

Ces  paroles  véhémentes  avoient  excité 
l'attention  des  pauvres  voyageurs  ,  qui , 
fans  doute  applaudirent  à  ma  colère.  Je 
m'en  apperçus  au  filence  qui  fe  fit  tout-a- 
coup  dans  ïa  falle  &  à  la  confufion  du 
moine. 

Je  forris  alors  avec  mon  compagnon, 
qui  me  dit  :  Bravo  !  Ï3ravo ,  mon  ami  !  je 
voudrois  que  le  maître  de  ces  moines  l'eût 
entendu  :  ta  prédiction  ne  feroit  peut- 
être  pas  vaine  (  i  ).  Je  gagerois  bien ,  ajou- 
ta-t-il,  que  tu  me  permettrcis  d'arracher  a 
ce  drôïe-là  cinq  ou  fix  dents.  Oh  !  tant  que 
tu  voudrois ,  lui  dis-je. 

Remacle,  très  mécontent  de  notre  vifite 
chez  les  moines,  fe  hâta  de  regagner  la 
grande  route. 

Nous  traversâmes  le  Tiroï.  Les  avalan- 

(  1  )  J'ignore  fi  ce  monaflcre  fe  trouve  au  nombre  des 
couvens  fupprimés  longtems  après ,  dans  les  états  de  l'Em- 
pereur. 


76  Essai 

ges  (on  nomme  ainfi  la  chute  des  neiges 
amoncelées,  qui  s'écroulent  du  haut  des 
montagnes)  formoient  un  bruit  femblable  k 
celui  du  tonnerre  que  vingt  échos  rendoient 
prefque  continuel.  Tout  me  parut  origi- 
nal &  romanefque  dans  ce  pays  montueux. 
Les  femmes  me  parurent  charmantes  ; 
elles  ont  les  traits  fins  &  délicats  ,  h  ne  eC- 
pèce  de  turban  fort  gros  couvre  leurs  têtes, 
Se  diminue  encore  les  plus  jolies  perites 
mines  que  l'on  puiffe  voir.  J'avois  peine 
à  leur  pardonner  leurs  énormes  baj>  de  laine 
qui  avoient  l'apparence  de  bottes  fortes; 
mais  lorfqu'on  fait  que  cette  chaulTure  fert  à 
garantir  du  froid  une  jambe  de  cerf  &  blan- 
che comme  l'hermine ,  on  envieroit  le  fort 
desTirolois  quifeuls  ont  l'honneur  d'affilier 
au  débotté;  leur  taille  eil  élégante  ,  d'ail- 
ïeurs,  les  deux  extrémités  du  corps ,  le  gros 
turban,  Se  les  groifes  bottes  contribuent  à 
les  faire  paroître  fi  fveltes  que  ce  qui  paroîc 
d'abord  les  défigurer  devient  un  rafine- 
ment  de  coquetterie. . .  Tel  efl  l'empire  de 


SUR      LA      MUSIQUE.  77 

h  beauté,  nul  coftume  n'en  obfcurcit  le 
charme. 

Un  petit  événement  accrut  beaucoup 
alors  dans  l'efprit  de  notre  guide  la  confé- 
dération qu'il  me  temoignoit.  A  l'appro- 
che d'un  petit  bourg,  je  m'apperçus  par 
Ces  geftes  &  l'altération  de  Ton  vifage  qu'il 
étoit  troublé  de  quelques  craintes.  Je  lui  en 
demandai  le  fujef.  Ah!  me  dit-if,  que  je 
voudrois  être  à  demain  !  je  pénétrai  îa  caufe 
de   fes  inquiétudes   &  je   vis  qu'il  avoir 
befoin  en  ce  moment  de  toute  fa  prudence 
&  de  la  nôtre.  Il  m'exhorta  a  répondre 
laconiquement  aux  queiuons  qu'on  pour- 
roit  me  faire  fur  fon  compte  dans  le  bouras 
&  à  ne  point  parler  des  détours  de  notre 
route.  Soyez  tranquile,  lui  dis-je,  fi  nous 
babillons  ce  ne  fera  pas  pour  vous  nuire. 

Nous  arrivons  cependant  dans  le  lieu 
tant  redouté  ;  on  nous  fait  entrer  dans  une 
grande  fille  -  baffe  ,  autour  de  laquelle 
beaucoup  de  voyageurs  croient  a  (lis 
fur  des  bancs.  Leur  fiience  ,  leur  ennui, 


78  E   s   s   a   r 

l'afpecl  du  lieu  rendoient  la  fcène  très  lugu- 
bre. Remacle  prit  fa  place  dans  un  coin, 
pofantà  Tes  pieds  fon  énorme  biffac.  Bien- 
tôt après  je  vois  entrer  quatre  efpèces  d'aï- 
guafifs  de  finance  que  la  mine  de  Remacle 
mauroit  fait  juger  tels,  fi  je  ne  les  eufTe  ap- 
préciés d'avance.  L'un  d'eux  va  droit  au 
paquet  de  notre  guide  &  le  fculève  en 
marquant  qu'il  le  trouve  bien  lourd.  Re- 
macle fe  lève  le  chapeau  à  la  main  &  lui 
dit  en  allemand,  qu'il  étoit  le  conducteur 
de  ces  deux  jeunes  gens  qui  alloient  étudier 
à  Rome.  L'archer  vient  aum-tôt  à  moi,  Se 
médit:  Vous  êtes  bien  jeune  &  bien  mai- 
gre ,  Mailicr  ,  pour  faire  un  fi  grand 
voyage Ah!  le  courage,  lui  répondis- 
se, fupplée  a  la  force,  &  j'ai  bonne  envie 
de  m'iniîruire.  Dans-ouelie  feience? ...  Je 
fuis  compofireur  de  mufique,  Aîcnker,  & 
afTez  connu  déjà  dans  le  pays  de  Liège... 
Diable,  dit-il  en  fouriant  Sz  en  s'afTeyanc 
près  de  moi.  Ses  confrères  s'approchèrent 
en  même  tems ,  &:  me  firent  d'autres  quef- 


SUR     LA      MUSIQUE.  7  Q 

tions  auxquelles  je  fis  des  réponfes  rifibles 
qui  les  occupèrent  affez  pour  donner  îe  tems 
à  Remacîe  de  Te  rafîhrer.  II  fe  fentit  même 
la  force  de  payer  d'audace  ôc  de  faire  un 
coup  de  maître.  Il  ouvre  fon  fac  aux  yeux 
de  tous,  en  tire  des  hardes,  du  linge;  puis 
une  moitié  de  bas  de  laine  garnie  d'ai^uif- 
les  à  tricoter  &:  d'une  très  grofTe  pelote  de 
laine  qu'il  pofe  fur  les  genoux,  &  voilà 
mon  homme  qui  tricote  d'un  air  tranquille. 
Ses  genoux  apparamment  ne  l'étoient 
point,  car  la  pelote  tombe  &  s'en  va 
roulant  dans  les  jambes  des  commis. 
Remacle  fit  une  grimace  effroyable.  Je 
me  lève  très  ïeftement  ,  Se  d'un  coup 
de  pied  lui  renvoyé  fa  pelote ,  en  leur 
préfentant  une  bouteille  de  vin  dont  je 
propofai  à  ces  Meilleurs  de  goûter  ;  ce 
qu'ils  acceptèrent  fans  façon.  Pour  ache- 
ver la  diverfion  j'appelïai  le  petit  chirugïen 
que  je  leur  préfentai  comme  un  garçon 
déjà  très  habile  dans  fon  art.  Cherchant 
toujours  à  exercer  fes  taïens;  il  leur  offrît  en 


So  Essai 

effet  Ton  petit  miniftère  pour  eux,  leurs 
femmes  &  leurs  en  fans;  mais  ils  n'en  usè- 
rent pas  comme  de  mon  vin.  La  bouteille 
vuidée,  ces  IVleffieurs  forcirent  fans  avoir 
chagrine'  perfonne  ck  répétant  dans  leur 
baragoîn,  moitié  allemand,  moitié  fran- 
çais, que  nous  étions  des  jeunes  gens 
beaucoup  aimables. 

Remacle  vint  aufïïtot  à  moi,  me  ferra 
îa  main  Se  me  témoigna  par  fes  regards 
combien  il  étoit  rcconnoiMant.  II  com- 
manda un  excellent  fouper  Se  du  meilleur 
vin,  Se  ne  cefla  tout  en  mangeant  de 
vanter  ma  prudence.  A  la  fin  du  repas  je 
îui  dis:  Eh  bien!  Remacle,  vous  voyez 
que  nous  fommes  vos  amis.  Vous  ne  re- 
fuferez  pas  à  préfent  de  nous  dire  ce  que 
c'en1  que  cette  myfterieufe  pelote  de  laine. 
Vous  allez  le  favoir,  dit-il,  je  n'aurai  plus 
rien  de  caché  pour  vous  ;  il  déroule  en- 
viron un  demi-pouce  de  laine  qui  étoit  à 
la  fuperficie,  Se  nous  fait  voir  cinq  cens 
aunes  de  dentelles  de  Flandres   deflinées 

à 


SUR    LA     MUSIQUE.  Si 

à  orner  les  rochets  de  nos  feigneurs  les 
cardinaux.  Ah!  mon  ami,  me  dit-il,  fi 
j'avais  vu  ma  pelote  entre  les  mains  des 
archers ,  je  croîs  que  je  ferois  tombé  roide 
mort.  Cela  étant,  dis-je,  je  me  tiens  fore 
heureux  de  vous  avoir  fauve  la  vie  d'un 
coup  de  pied. 

Nous  nous  levâmes  îe  lendemain  avec 
alle'^rerTe  aorès  une  bonne  nuit,  Se  nous 

or  * 

avions  déjà  fait  trois  lieues  au  lever  du 
foleil. 

Peu  de  jours  après  nous  arrivâmes 
dans  l'Italie  :  plus  de  rochers ,  plus  de  fri- 
mats  ;  la  nature  avoir  changé  de  face  en 
un  moment  :  avec  quel  pïaiiir  je  me  trou- 
vai tout  à  coup  dans  une  prairie  émaillée 
de  fleurs!  on  eût  dit  qu'un  génie  bien- 
faifant  nous  avoit  tranfporté  de  îa  terre 
aux  cieux.  Je  priai  le  mefTager  de  me 
îaiffer  jouir  un  moment  de  ce  délicieux 
afpecl  ;  mais  quel  fut  mon  raviffement 
îorfque  j'entendis  &  pour  la  première  fois 
les  chants  italiens  !  c'étoit  une  voix  de 


8^  Essai 

femme,    une   voix  charmante,   qui    me 

tranfporta  par  fes  accens  mélodieux;  ce 

fut  la  première  leçon  de  mufique  que  je 

reçus  dans  un  pays  où  je  courois  m'inf- 

truire. 

Cette  voix  douce  &  fenfible,  ces  accens 
prefque  toujours  douloureux,  qu'infpire 
l'ardeur  d'un  foïeil  brûlant ,  ce  charme  de 
i'ame  enfin  que  j'allois  chercher  fi  loin, 
Jk  pour  lequel  j'avois  tout  quitté,  je  les 
trouvai  dans  une  (impie  villageoife. 

Ii  ne  nous  arriva  rien  de  remarquable 
en  traverfant  l'Italie*  Les  campagnes  du 
Milanais  me  ravirent  par  leur  richefTe  Se 
leur  variété.  La  ville  de  Florence  me  parut 
un  féjour  délicieux.  La  nature  eft  animée 
différemment  dans  les  pays  chauds,  & 
ï'homme  du  Nord  qui  s'y  tranfporte 
pour  la  première  fois  ne  peut  fe  refufer  à 
ï'admîration. 

Les  contrées  Septentrionales  de  PEurope 
n'ont  guère  produit  d'artifte  distingué 
qui  n'ait  fait  un  féjour  plus  ou  moins  long 


SUR    LA     MUSIQUE.  83 

en  Italie.  II  femble  que  c'éft  un  tribut 
qu'il  doit  payer  à  ce  climat  privilégié  qui 
en  récompenfe  allure  fa  réputation.  Ceux 
qui  ne  peuvent  acquérir  que  de  î'efprit 
n'ont  rien  à  faire  en  Italie.  La  logique 
des  pays  chauds  eft  Pa&ion  même  du 
génie  qui  dédaigne  la  forme  ôc  lafubtilité. 
Que  l'homme  du  nord ,  qui  s'eft  vu  au 
milieu  de  ces  têtes  bouillantes.,  dife  s'iï 
ne  s'eft  pas  fenti  entraîné  par  elles,  & 
s'il  ne  îeur  doit  pas  le  foyer  qu'il  rapporte 
en  fa  patrie  ôc  auquel  il  devra  fes  fuccès  ? 

A  trente  ou  quarante  milles  de  Rome 
le  meflager  nous  dit  qu'il  falloït  nous 
quitter,  qu'il  avoit  beaucoup  d'affaires 
dans  les  environs  de  cette  capitale  où  il 
n'arriveroit  que  huit  jours  après  nous.  Pré- 
fentez-vous  le  plutôt  que  vous  pourrez  au 
collège,  nous  dit-il,  car  je  ne  vous  ai 
pas  informé  que  deux  de  vos  compatriotes 
font  partis  de  Liège  avant  nous;  on  die 
qu'il  n'y  a  que  deux  places  vacantes,  & 
vous  {avez  qu'elles  appartiennent  à  ceux 

Fa 


84  Essai 

qui  arrivent  les  premiers...  Nous  prîmes 

une  voiture  &  nous  partîmes. 

Je  fus  ravi  du  fpeébcle  qui  s'offrit  à 
nos  yeux  en  entrant  dans  Rome;  c'étoit 
un  dimanche,  vers  quatre  heures  après 
midi,  &  le  printems  répandoit  dans 
fair  une  chaleur  douce  qui  invitoit  à 
îa  mélancolie.  Ajoutez  à  cela  l'appareil 
d'un  nombre  infini  de  voitures  remplies 
de  belles  dames  qui  chantoient  fans  doute 
l'italien  bien  mieux  que  ma  petite  villa- 
geoife.  Mon  imagination  étoit  dans  un 
délire  charmant,  ck  fouvent  pendant  mon 
féjour  a  Rome,  je  fuis  retourné  à  la  porte 
du  peuple  pour  me  rappeller  le  plaifir 
que  j'avois  eu  en  voyant  cet  endroit  pour 
îa  première  fois. 

Nous  fûmes  admis  au  collège  le  chirur- 
gien, moi,  &  les  deux  jeunes  gens  dont 
îe  meffager  nous  avoit  parlé ,  qui  arrivèrent 
deux  jours  après  nous:  Remacle  avoit 
raifon,  il  n'y  avoit  que  deux  places 
vacantes,  mais  nous  avions  de  fi  bonnes 


SUR    IA     MUSIQUE.  8^ 

recommandations,  qu'on  nous  reçut  tous 
ïes  quatre  ,  en  nous  mettant  deux  dans 
une  chambre,  (e).  Je  parcourus  tous  les 
palais  6x  les  églifes  de  Rome  avec  fardeur 
d'un  jeune  homme  qui  voit  des  chef-d'œu- 
vres  dont  la  renommée  avoit  frapé  depuis 
longtems  fon  imagination.  J'allois  chaque 
jour  entendre  les  offices  en  mufique  dans 
les  églifes.  Cafali,  Eurisechio,  Fabbé  Luf- 
trini,  Joanini ■  del  violoncello ,  étoient  les 
maîtres  de  chapelle  les  plus  en  vogue. 

Je  trouvai  à  Cafali  beaucoup  de  grâces 
&  de  facilité  &  fur-tout  une  figure  aimable  ; 
je  conçus  de  Peftime  pour  lui  ôc  -je  me 
promis  de  le  prendre  pour  maître. 

Eurifechio  étoit  plus  foigné  dans  fes 
comportions,  plus  vrai  dans  Fexpreffion; 
mais  l'air  grave  &  important  qu?if  afTec- 
toit  en  faifant  exécuter  fès  ouvrages,  me 
fit  préférer  Cafali. 

L'abbé  Luftrini  avoit  du  mérite  auflî; 
élève  de  Eurifechio,  il  en  avoit  pris  le  ftiïe 
&  avoit  confervé  à  la  mufique  d'égïife, 

*3 


y 


86  Essai 

f  auftérité  &  la  nobleffe  que  l'on  ne  devroit 
jamais  abandonner  ;  mais  il  faut  plaire, 
même  à  feglife:  on  entend  une  rumeur 
fourde  îoriqu'un  morceau  plaît  ou  déplaît. 
La  féduction  gagne  les  maîtres  de  chapelle, 
&  ils  finifTent  par  confondre  le  genre  de 
mufique  d'églife  Se  celui  du  théâtre. 

A  la  fin  du  règne  de  Benoît  XIV.  les 
abus  furent  portés  fi  loin  que  le  Pape 
qui  n'étoit  rien  moins  que  cagot ,  fut 
obligé  de  faire  transférer  le  Saint  Sacre- 
ment dans  une  chapelle  latérale  pour 
empêcher  l'irrévérence  des  Romains  qui, 
tons  attentifs  &  les  yeux  fixés  fur  les 
muficiens ,  tournoient  le  dos  au  maître- 
autel.  II  défendit  aufîi  les  tymballes  Se 
toutes  fortes  d'infîrumens  à  ventç,  ordonna 
aux  maîtres  de  chapelle  fous  peine  d'a- 
mende de  finir  les  offices  de  Paprès  dîner 
avant  la  fin  du  jour.  Les  ordres  du  pontife 
fubfiftoient  encore  pendant  mon  féjour  à 
Rome,  &  c'étoit,  je  crois,  la  féconde  année 
du  règne  de  Clément  XIII,  Rezzonico. 


SUR     LA     MUSIQUE.  87 

D   E 

LA    MUSIQUE    D'ÉGLISE. 


U  n  compofiteur  qui  travaille  pour  l'églife 
devroit  être  très  févère  ôc  ne  rien  mêler 
dans  fés  comportions  de  tout  ce  qui  ap- 
partient au  théâtre. 

Quelle  différence  en  effet  entre  le  fenti- 
ment  qui  règne  dans  les  pfeaumes,  les 
antiennes,  les  hymnes  ckc.  &  la  véhé- 
mence des  paiïions  de  l'amonr  6c  de  la 
jaloufie!  L'amour  proprement  dit,  ne  doit 
avoir  aucun  rapport  avec  l'amour  de  Dieu , 
îors  même  qu'il  en  tient  îa  place  dans 
îe  cœur  d  une  jeune  femme.  Tous  hs  fen- 
timens  qui  s'élèvent  vers  la  divinité  doi- 
vent avoir  un  caractère  vague  8c  pieux. 
Tout  ce  qui  n'eft  pas  à  la  portée  de  nos 
connoifTances  nous  force  au  refpecl:;  les 
extafes    mêmes    qu'éprouvèrent   certains 

F4 


88  Essai 

perfonnages  pieux  dont  parlent  ïes  légen- 
daires ,  feroient  indignes  de  la  Divinité, 
fi  elles  n'avoient  que  les  caractères  de  l'a- 
mour profane. 

Le  Stabat  de  Pergolèze  me  paroît 
réunir  tout  ce  qui  doit  caractérifer  la  mufi- 
que  d'églife  dans  îe  genre  pathétique;  la 
fcène  eft  trop  longue  cependant,  &  l'on 
fent  que  Pergolèze,  malgré  fes  efforts,  n'a 
pu  trouver  encore  afiez  de  couleurs  pour 
varier  fon  tableau  fans  fôrtir  de  ia  vérité. 
Si  l'auteur  ce  cet  œuvre  facré  avoit  fait 
parler  les  larrons  préfens  à  la  fcène  du 
calvaire  ;  fi  TVÎagdelaine  avoit  dit  à  la 
Mère  de  Dieu  :  «  Vous  pleurez  votre 
3i  Fils,  ô  Marie;  mais  ce  Fils  eft  un  Dieu 
33  qui  confent  à  fouffrir;  fa  gloire  eft 
y?  immortelle  comme  la  vôtre;  mais,  moi 
33  malheureufe  pécherefTe,  je  gémis  fur 
y>  mes  fautes  pafTées;  îe  remords,  &  la 
33  crainte  habitent  dans  mon  cœur,  tan- 
3-»  dis  qu'une  douleur  plus  tendre  fait  cou- 
7)  1er  vos  larmes...  Alors  ïe  mufkien  au- 


SUR     LA     MUSIQUE.  8^ 

roit  fait  un  ouvrage  parfait,  qu'il  n'a  pu 
foire  en  voulant  exprimer  toujours  au 
naturel  plufieurs  ftrophes  qui  ont  entre 
elles  trop  de  rapports.  On  fent  ,bien  que 
cette  obfervation  eit  pour  l'auteur  des  pa- 
roles plus  que  pour  celui  de  la  mufique.  II 
étoit  pofiibïe  fans  doute  de  jetter  plus  de 
variété  dans  la  mufique  du  Stabat,  tel 
qu'il  eft;  mais  je  crois  que  c'eût  été  aux 
dépens  de  la  vérité. 

Un  muficien  qui  fe  voue  a  îa  mufique 
d'églifeeft  heureux  cependant  de  pouvoir  a 
fon  gré  fe  fervir  de  toutes  les  richëfTes  du 
contrepoint,  que  le  théâtre  permet  rare- 
ment. La  mufique  d'une  expreffion  vague 
a  un  charme  plus  magique  peut-être  que 
la  mufique  déclamée ,  &  c'efî.  pour  les  paro- 
les faintes  qu'on  doit  l'adopter. 

La  mufique  profane  peut  employer 
quelques  fermes  confacrées  à  l'égiife  ; 
on  ne  rifque  jamais  rien  en  ennobliffant 
les  pallions  qui  tiennent  a  l'ordre  &  au 
bonheur  des  hommes. 


9®  Essai 

La  première  fe  dégrade  fi  elle  fort  de 
fes  limites;  la  féconde  s'enrichit  en  s'enno- 
bliffant  des  traits  de  fa  rivale. 

L'étude  de  l'harmonie;  le  beau  idéal 
harmonique,  eft  fpécialement  ce  que 
doit  chercher  le  compofiteur  dans  le  genre 
facré.  Le  Stabat  du  divin  Pergolèze  a  plus 
encore,  il  réunit  fouvent  le  beau  idéal  de 
ï'harmonie  &  de  la  mélodie.  Je  dis  donc 
encore  que  tout  ce  qui  n'eft  point  a  portée 
de  notre  compréhenhon,  foit  myftère  ou 
révélation ,  nous  force  au  refpecl,  &  exclut 
par  cette  raifon  toute  exprefïion  directe. 

Vouloir  faire  fortir  la  mufique  d'églife 
du  vague  myftérieux  qui  lui  eft  propre  eft, 
je  crois,  une  erreur. 

Laifîbns  à  la  mufique  du  théâtre  les 
avantages  qui  lui  font  propres,  &  croyons 
que  le  muficien  qui  fe  deftine  à  féglife  eft 
heureux  de fefervir  dans  ce  cas  &à  propos, 
de  la  métaphyfique  du  langage  mufical. 

Au  théâtre  il  faut  Fexpreffion  exacte  de 
îa  fîtuation  &  des  paroles ,  parce  qu'elles 


SU^R     LA     MUSIQUE.  K)  t 

ont  un  fens  déterminé,  &  que  l'expre/Tion 
vraie  de  la  mufique  fortifie  la  fituation  & 
fait  entendre  les  paroles  même  à  travers  les 
accompagnemens.  Voici  ce  que  fobfèrve , 
autant  qu'il  m'efl:  pofTible,  dans  mes  com- 
portions théâtrales  ;  je  commence  prefque 
toujours  chaque  morceau  par  un  chant  dé- 
clamé, afin  qu'ayant  un  rapport  plus  intime 
avec  le  drame,  le  début  s'imprime  dans  la 
tête  des  auditeurs.  Je  déclame  de  même 
tout  ce  qui  conftitue  le  caractère  dn'per- 
fonnage;  j'abandonne  au  chant  tout  ce 
qui  n'eft  qu'agrément  ou  arrondiiïèment 
de  la  phrafe  poétique;  la  mélodie  nuiroit 
aux  mots  techniques,  elle  embellit  tout  le 
îe  refte.  Si  un  mot  a  befoin  d'être  bien 
entendu  pour  l'intelligence  de  la  phrafe, 
que  ce  foit  une  bonne  note  qui  le  porte. 
Si  vous  établirez  un  forte  d'une  ou  pïu- 
fieurs  mefures  dans  votre  orcheftre,  que 
ce  foit  fur  des  paroles   déjà   entendues; 
car  un  mot  néceffaire,  perdu  dans  l'or- 
cheftre,  peut  dérober  entièrement  le  fens 


92/  Essai 

d'un  morceau.  Si  l'auteur  du  drame,  en- 
traîné par  le  befoin  de  rimer,  vous  a  donné 
quelques  vers  inutiles  ou  nuifibles  à  l'ex- 
preffion;  fi  vous  craignez  un  vers  de  mau- 
vais goût  qui  peut  révolter  le  parterre, 
dans  ce  cas  rendez  fervice  au  poëte ,  en 
couvrant  les  paroles  d'un  forte.  Il  eft 
difficile,  je  l'avoue,  d'appliquer  ces  pré- 
ceptes par  la  feule  réflexion,  il  faut  que  ïa 
nature  nous  ferve  pour  être  fimple,  riche 
&vrai  en  les  pratiquant.  Mais  fi  après  avoir 
médité  une  poétique  on  étoit  poëte,  qui 
ne  voudroit  être  un  Boileau?  il  ne  fuffic 
pas  au  théâtre  de  faire  de  la  mufique  fur 
les  paroles,  il  faut  faire  de  la  mufique  avec 
les  paroles. 

Il  refle  encore  au  muficitn  harmonifle 
un  champ  vafte  pour  la  mufique  d'églife  , 
s'il  n'a  pas  un  génie  aclif  ;  il  refle  encore 
à  celui  qui  eft  doué  d'une  tournure  d'efprit 
originale,  mais  qui  n'a  pas  le  goût,  le  tacl: 
néceffaire  pour  bien  daller  des  penfées 
neuves  &  piquantes,  en  s'aftraignantpar- 


SUR     I  A      MUSIQUE.  Q3 

tout  a  fexpreffion  &  a  la  profodie  de 
la  langue;  il  lui  refte,  dis-je,  îe  talent  de 
faire  une  bonne  fymphonie,  &  quoi  qu'aie 
dit  Fontenelle,  nous  favons  ce  que  vaut 
une  fymphonie  de  Haydn ,  ou  de  GofTec. 

J'ai  commencé  un  De  profanais  félon 
les  idées  que  j'ai  de  la  mufique  d'églife  ; 
j'y  travaille  rarement,  &  Iorfque  je  ne 
fuis  pas  preffé  par  mes  ouvrages  drama- 
tiques. J'ai  d'ailleurs,  je  l'espère  du  moins, 
îe  tems  de  le  finir,  car  je  ne  veux  pas  qu'il 
foit  exécuté  de  mon  vivant.  Quand  il  fera 
tel  que  je  le  defire,  je  le  mettrai  fous 
envelope.,  avec  cette  infeription  :  Pour 
être  exécuté  à  mes  funérailles.  Cette  idée 
n  eft  pas  trifte  pour  l'homme  qui  defire 
d'être  regretté.  Que  celui  qui  a  le  moins 
d'amour  propre  dife,  s'il  ne  voudroit  pas 
l'être,  &  fi  de  toute  manière  cette  idée 
eft  fombre,  j'en  ai  befoin  pour  traiter 
mon  fujet. 

Ma  façon  de  vivre  en  Italie  ne  fut 


94  Essai 

pas  celle  que  devroit  avoir  tout  homme  du 
Nord  qui  fe  tranfporte  dans  les  pays 
chauds,  fur-tout  ceux  qui  comme  moi 
font  d'une  complexion  foible.  Mon  délire 
étoit  fi  violent  que  je  me  rappelle  d'avoir 
écrit  a  ma  mère  dans  le  mois  de  décembre 
fuivant,  que  je  couchois  couvert  d'un 
feul  drap  de  lit.  J'attribuois  ce  phénomène 
à  la  chaleur  du  climat ,  &  toute  cette  cha- 
leur étoit  dans  mon  fang  &  dans  ma  tête. 

La  fatigue  de  mon  voyage,  les  courfcs 
que  je  faifois  dans  les  environs  de  Rome 
pour  connoître  les  reftes  précieux  de 
l'antiquité,  m'échaufferent  au  point  que 
la  fièvre  me  prit.  A  la  féconde  vifite  du 
Médecin  du  Collège  ,  un  vieux  hibou  , 
nommé  Pizelli ,  me  dit  d'un  ton  grave  t 
bîfogna  confcjfarfij  il  faut  vous  confefTer.  Je 
me  mis  en  colère  en  lui  foutenant  que  je 
n'étois  pas  malade  an  point  de  craindre  la 
mort.  Il  fortit  furieux  en  difant  que  les 
Liégeois  avoient  tous  des  têtes  de  fer.  Le 
re&eur  vint  me  voir  enfuite,  pour  me 


5UR      LA      MUSIQUE.  Q  < 

Sire  que  ïes  médecins  de  Rome  étoient 
obligés,  fous  peine  d'excommunication, 
de  faire  confefler  îeurs  malades  lorfqu'ils 
ïeur  trouvoient  de  la  fièvre  deux  jours  de 
fuite:  cet  ufage  eft  louable  en  ce  que  fe 
malade  n'eft  point  arTeéti  a  l'approche  du 
confeffeur  dont  fafpect.  produit  très  fou- 
vent  des  fuites  fâcheufes  quand  la  maladie 
eft  devenue  plus  grave.  J'eus  la  fièvre  tierce 
pendant  deux  mois.  Je  brûlois  de  com- 
mencer mes  études.  Je  n'avoïs  d'après 
finftitution  du  collège  que  cinq  ans  à  y 
demeurer,  &  deux  mois  de  perdus  me 
fèmbfoient  une  perte  irréparable. 

Le  jeune  chirurgien  qu'on  "m'avoit 
donné  pour  camarade,  étoît  infoutenable; 
notre  chambre  étoâ  un  cimetière,  &  iî  me 
difoit d'un  air  tendre:  Ah!  mon  ami,  j'ai 
perdu  mon  tibia;  &  fi  tu  meurs  tu  voudras 
bien  permettre....  Je  m'arrangeai  pour 
ne  pas  lui  rendre  ce  fervice. 

Je  fis  la  connoilTance  d'un  organise , 
qui  me  dit  avoir  fait  de  bons  élèves  pour 


9  6  Essai 

le  clavecin  &  pour  la  compofition.  Je  le 
pris  pour  maître  fans  trop  de  réflexion  ; 
il  m'enfeigna  pendant  fix  ou  huit  mois ,  & 
je  n'etois  guère  content  de  lui;  fon  doigter 
n'étoit  pas  naturel;  fa  manière  de  corriger 
mes  leçons  de  compofition  me  fembloic 
pédante  Cv  sèche  ;  il  acheva  de  me  déplaire 
un  jour  en  me  parlant  avec  dureté  :  je  lui 
répondis  vivement;  il  fe  leva  pour  aller 
tout  conter  à  fa  femme  qui,  je  ne  fais  pour- 
quoi, me  combla  de  carefles  depuis  ce  jour. 
Je  mis  bien  dans  ma  tête  que  je  quitterais 
cet  homme;  mais ,  me  difois-je,  il  confer- 
vera  de  moi  un  tyifte  fouvenir,  &z  il  va 
croire  dans  l'état  où  je  fuis,  que  je  ne  puis 
ceiTer  d'être  un  ignorant  ;  il  faut  lui  donner 
des  regrets.  Je  m'avifai  de  lui  écrire  que 
je  m'etois  foulé  un  pied.  Je  refiai  enfermé 
dans  ma  chambre  pendant  fix  femaines, 
jouant  du  clavecin  ou  écrivant  des  fugues 
depuis  le  matin   jufqu'au  foir.  J'avois  un 
recueil  de  fugues  du  célèbre  Durante,  que 
je  jouais  fans  ceife  &  que  je  cherchois  a 

imiter 


SUR      LA      MUSIQUE.  C)y 

imiter  dans   celle   que  je  faifois.   Je  me 
rendis  chez  lui  enfin ....  Oh  !  mon  pauvre 
ami,  me  dit-il  en  me  voyant ,  vous  avc^ 
perdu  bien  du  tems,&  il  nous  faudra  re- 
commencer fur  nouveaux  frais.  Je  ne  le  crois 
pas ,  lui  dis-je  ij'td  eu  mal  au  pied ,  mais 
ma  tête  étoit faine.  Voilà  un  cahier  de  fanâ- 
tes <&  Durante,  que  f  ai  bien  étudiées ,  & 
voilà  trois  fugues  fort  longues  quej  'ai  écrites 
avec  foin.  II  fit  un  éclat  de  rire.  —  Voyons 
d'abord    notre  clavecin.     Je   jouai   toutes 
les  fonates  de  fuite  fans  m'arrêter ,  6c  il 
s'écrioità  chaque  înftant  ;  bravo  !  bravo , 
monfiou  !  bravo  -,fignor  Andréa  !  II  fe  levé 
fans  me  rien  dire ,  il  va  chercher  fa  fem- 
me ,  fa  fille  Se  fon  fils.  Venez ,  leur  dit-il, 
être  témoins  d\m  prodige  ;  il  joue  du  cla- 
vecin à  merveille,  &  il  ne  favoit  rien.  Il 
n'y  a  que  la  madonna  fantlffima  qui  aie 
pu  faire  ce  miracle.  Jouez,  fignor  Andréa; 
écoutez  ,  ma  femme  ,  mes  enfans  ,  &:  je 
recommence  le  morceau  que  j'aîmois  le 
mieux.  La  fignora  me  fit  des  révérences, 

G 


98  E   S   S    A    I 

fon  fils  m'embraila.  Voyons ,  voyons,  dit 
mon  maître ,  voyons  les  fugues  ,  c'eft  là 
le  difficile  ;  oui ,  monfieur ,  lui  dis-je ,  mais 
j'ai  tant  étudié  Durante  que  j'ofe  efpérer 
qu'il  m'en  eft  refté  quelque  chofe.  Il  prend 
mon  cahier  ;  croira  t-on  que  mes  fugues 
ëtoient  fans  fautes.  Et  ce  pauvre  homme, 
les  yeux  pleins  de  larmes  ,  difoit  :  o 
Dio  !  . . .  0  Dio  fantijjimo  ! .  .  .  quefto  c 
un  prodiggio  davero. 

Je  fortis  bien  content  de  chez  lui ,  ôc 
bien  refolu  de  n'y  plus  rentrer.  On  croira 
peut  être  que  mes  progrès  étoient  une  fuite 
naturelle  des  leçons  qu'il  m'avoit  données  ; 
non  :  fécondé  par  la  nature,  j'avois  au  con- 
traire été  obligé  de  faire  des  efforts  terri- 
bles pour  oublier  ce  qu'il  m'avoit  appris. 

Je  me  fuis  reffenti  toute  ma  vie  de  fes 
mauvais  principes  fur  le  doigter  ,  chofe 
bien  importante  pour  les  élevés  de  clave- 
cin. J'ai  d'ailleurs  contracté,  depuis,  l'habi- 
tude d'efTayer  fouvent  mes  idées  fur  le 
clavier  en  tenant  une  prife  de  tabac  dans 


SUR      H      MUSIQUE.  99 

mes  doigts  ;  je  n'ai  donc  que  trois  doigts 
de  la  main  droite  ,  &  lorfque  je  m'en 
donne  deux  de  plus  ,  je  ne  fais  qu'en  faire. 
On  dit  cependant  que  j'exécute  ma  mufique 
mieux  que  perfonne  ;  c'eft  fans  doute  la 
vérité  de  l'expreffion  qui  couvre  les  défauts 
d'exécution. 

On  accorde  a  bien  des  gens  le  talent 
d'exécuter  parfaitement  à  livre  ouvert:  je  n'ai 
jamais  rencontré  ce  phénomène ,  à  moins 
que  îa  mufique  nefoit  aifée  ou  ressemblante 
a  d'autre  mufique.  Je  fais  que  l'homme  qui 
veut  foutenir  la  gloire  d'exécuter  a  la  premiè- 
re vue,  montre  toute  la  haidiefTe  de  l'hom- 
me qui  eft  fur  de  fon  fait  :  mais  c'eft  l'au- 
teur lui-même  qu'il  faudroit  fatisfaire  dans 
ce  cas  >  &  non  des  auditeurs  qui  ignorent 
l'expreffion    jufte  d'un   ouvrage  qu'ils   ne 
connoîftent   pas  ,  &  qu'ils  croient  bien 
rendu   parce  qu'on  le  leur  exécute  har- 
diment. Je  rencontrai  jadis  à  Genève  ,  un 
enfant  qui  exécutoit  tout  à  la  première 
vue-  fon  père  me  dit  en  pleine  anemblée  : 

G  % 


ioo  Essai 

pour  qu'il  ne  refle  aucun  doute  fur  le  ta* 
lent  de  mon  fils  ,  faites  lui  pour  demain , 
un  morceau  de  fonate  très -difficile.  Je  lui 
fis  un  allegro  en  mi  bémol  >  difficile  fans 
affectation  ;  il  l'exécuta  ,  &  chacun  ,  ex- 
cepté moi ,  cria  au  miracle.  L'enfant  ne 
s'étoit  point  arrêté  :  mais  en  fuivant  les 
modulations  ,  il  avoit  fubflitué  une  quan- 
tité de  pafîages  à  ceux  que  j'avois  écrits. 
Je  ne  tardai  guère  à  me  faire  préfenter  au 
fignor  Cafali.  Le  titre  d'élève  del  fignor*** 
ne  fut  pas  bien  pompeux  à  fes  yeux.  II  me  fit 
&  pour  la  troifième  fois ,  recommencer  les 
premiers  élemens  de  la  composition. 

Lorfqu'Un  élevé  change  de  maître  , 
il  fait  bien  de  recommencer  fes  pre- 
miers principes  >  pour  fe  mettre  au  fait  de 
la  nouvelle  manière  qu'il  va  fuivre  ;  il 
marche  très-vite  lorfqu'on  lui  fait  faire  les 
chofes  qu'il  connok;  mais  fur  la  route  il 
rencontre  des  procédés  qui  lui  font  né- 
ceiiaires  pour  bien  comprendre  fon  nou- 
veau maître. 


SUR      LA       MUSIQUE.     101 

J'ai  fouvent  penfé,  qu'on  ne  doit  pas 
garder  îe  même  maître  pendant  le  cours 
d'une  éducation  quelconque  ;  nous  ne 
favons  que  fort  tard  à  quoi  la  nature  nous 
a  deflinés  ;  &  c'eft  en  fe  meublant  la  tête 
de  plufieurs  manières  &:  de  diffère:: s  prin- 
cipes que  le  germe  du  talent  peut  fe  dé- 
velopper. Notre  génie ,  (  car  chacun  a  le 
lien  )  n'indique  pas  toujours  ce  qu'il 
aime  ;  mais  offrez  lui  des  objets,  fût-ce  par 
hafard  ,  il  faifit  avidement  ceux  qui  ont 
le  rapport  le  plus  intime  avec  fon  orga- 
nifation   Se  fa  manière  d'être. 

L'éîeve  tire  donc  avantage  de  tout  , 
même  des  erreurs  qu'un  maître  ignorant 
veut  lui  infpirer.  Il  efl  plus  sûr  d'ailleurs 
qu'il  deviendra  original  ,  que  s'il  avoit 
fuivi  le  faire  d'un  feu!  homme  ;  en  effec 
qu'a  t-on  gagné  ,  lorfqu'on  eil  devenu 
prefqu'aufli  habile  que  fon  maître ,  &  que 
de  loin  ou  de  près  on  lui  reffemble  en 
tout  ?  Quelque  chofe  fans  doute  pour  l'in- 
dividu   mais  rien  pour  le  progrès  de  l'art. 


iox  Essai 

J'ajouterai  que  l'élevé  déjà  avance  ne 
doit  pas  être  étonné  lorfqu'en  changeant 
de  maître  ,  celui-ci  fembîe  faire  peu  de 
cas  du  favoir  qu'il  n'a  pas  communiqué; 
fbn  mécontentement  vient  fur-tout  de  ce 
que  l'élevé  n'a  point  fa  manière  •  mais  il 
a  vifé  au  même  but ,  quoiqu'il  ait  pris 
une  route  différente  pour  y  parvenir  ,  & 
le  maître  ,  &  P élevé  ne  tarderont  point  à 
s'entendre  &  à  être  contens  l'un  de  l'autre. 
Ce  fut  pour  moi  une  vraie  jouif- 
fance  que  le  cours  de  compofition  que 
je  fis  fous  Cafali ,  le  feul  maître  que  j'a- 
voue ,  &  fous  lequel  mes  idées  ont  com- 
mencé à  fe  développer. 

Sa  manière  de  compofer  étoit  la  même 
que  celle  dont  il  fe  fervoit  pour  m'expli- 
quer  &  corriger  mes  leçons.  Toujours 
des  effets  (impies  découîans  naturellement 
du  fujet  de  fugue  qu'il  m'avoit  donné ,  & 
me  permettant  avec  celui-ci ,  ce  qu'il  au- 
roit  condamné  dans  un  autre  ;  il  m'en- 
feignoit  en  homme  qui  raifonne  &  qui 


SUR     XA      MUSIQUE.         103 

fàifit  toujours  l'efprit  de  îa  chofe. 

Il  me  conduifit  de  fugues  en  fugues  à 
deux  ,  à  trois  &  à  quatre  parties  ,  en  me 
défendant  bien  de  me  livrer  à  d  autre  corn- 
pofition  moins  févère  :  je  vois  bien  ,  me 
difoit-il ,  que  vous  avt\  des  idées  qui  vous 
tourmentent ,  &  que  vous  brûle^  d'en  faire 
ufage  ;  mais  fi  malheur  eu fement  vous  fai- 
tes une  bonne  /cène  ,  on  vous  applaudira 
&  vous  ne  pourre^  plus  revenir  à  d'en- 
nuyeufis  fugues  ;  je  lui  promis  de  ne  faire 
autre  chofe,  &  lui  tins  parole ,  à  un  elTai 
près  qui  ne  me  réuflit  pas  :  le  fait  eft  affez 
fingulier  pour  que  je  le  rappelle. 

Je  mourois  d'envie  de  voir  M.  Piccini 
dont  la  réputation  étoit  bien  méritée.  Il 
avoit  donné  depuis  deux  ans  au  théâtre 
d'Aliberti ,  la  bonne  fille  ,  Se  chofe  rare 
dans  ce  pays ,  depuis  deux  ans  Pon  chan- 
toit  fans  cefTe  cette  belle  produ&ion.  Un 
abbé  de  mes  amis  m'offrit  de  me  con- 
duire chez  fui  \  il  me  préfenta  comme 
un  jeune  homme  qui  donnoit  des  efpé- 

G  4 


io4  Essai 

rances:  M.  Piccini  fit  peu  d'attention  à 
moi ,  &  c'efl: ,  à  dire  vrai ,  ce  oue  je  me- 
ntais. Je  n'avois  heureufement  ras  bi.foin 
d'émulation;  mais  que  le  moindre  encoura- 
gement de  fa  part  m'eût  faâ  de  plai^r!  Je 
contemplois  fes  traits  ;^7(  c  un  fen liment  de 
refpecl  qui  auroit  dû  îe  flatter ,  fi  ma  timi- 
dité naturelle  avoit  pu  lui  lahTer  voir  ce 
qui  fè  paiïoit  au  fond  de  mon  cœur. 

Qu'une  ame  feniibïe  eft  à  plaindre  ! 
Elle  fait  faire  toujours  gauchement  ce 
qu'on  délire  le  plus  ;  li  vous  ne  lui  don- 
nez un  lendemain ,  vous  ne  la  connoîtrez 
jamais.  O  !  grands  hommes  !  O  !  hommes 
en  réputation  ,  accueillez  ,  encouragez 
îes  jeunes  gens  qui  cherchent  à  s'appro- 
cher de  vous  ;  un  mot  de  votre  bouche 
peut  faire  écïore  dix  ans  plutôt  un  grand 
talent.  Dites-leur  que  vous  n'êtes  que  des 
hommes,  à  peine  le  croient -ils;  dites- 
leur  que  vous  avez  erré  long-tems  avant 
de  découvrir  les  fecrets  de  votre  art ,  6c 
Part  de  vous  fervir  de   vos  idées  ;  mais 


SUR      LA      MUSIQUE.       Io} 

qu'enfin  il  vient  un  inftant  où  le  chaos  fe 
débrouille,  &  où  l'on  eft  tout  étonné  de 
fe  trouver  homme. 

M.  Piccinife  remit  au  travail,  qu'il  avoit 
quitté  un  in  (tant  pour  nous  recevoir.  J'ofai 
lui  demander  ce  qu'il  compofoit;  il  me 
répondit:  Un  oratorio.  Nous  demeurâmes 
une  heure  auprès  de  lui.  Mon  ami  me  fit 
figne,  &  nous  partîmes  fans  êtreapperçus. 
Je  rentrai  fur  le  champ  dans  mon  col- 
lège; Se  après  avoir  fermé  ma  porte  ,  je 
voulus  faire  tout  ce  que  j'avois  vu  chez  M. 
Piccini.  La  petite  table  à  côté  du  clavecin  , 
un  cahier  de  papier  rayé,   un  oratorio 
imprimé,  lire  les  paroles ,  porter  les  mains 
fur  le  clavier,  tirer  de  grandes  barres  de 
partition,  écrire  de  fuite  fans  rature,  paf- 
fer  leftement  d'une  partie  a  Pautre  ;  tout 
cela  me  paroiffoit  charmant,  &  mon  délire 
dura  deux  ou  trois  heures;  jamais  je  n'avois 
été  plus  heureux:  je  me  croyois  Piccini. 
Cependant  mon  air  étoit  fait  ;  je  le  mis 
fur  le  clavecin  &  l'exécutai Oh ,  dou- 


i  o£  Essai 

leur  !  il  étoit  de'teftable;  je  me  mis  a  pleurer 
à  chaudes  larmes,  &  le  lendemain  je 
repris  en  foupirant  mon  cahier  de  fugues. 

Je  continuai  de  prendre  mes  leçons 
pendant  deux  ans;  je  vis  enfin  que  mon 
maître  ne  trouvoit  plus  tant  a  corriger  :  il 
me  djt  que  d'autres,  à  ma  place,  fe  con- 
tenteroient  de  favoir  faire  une  bonne 
fugue  à  quatre  parties  ;  mais  qu'il  me 
confeilloit  de  faire  quelques  motets  à  fix  ou 
huit  parties;  que  c'étoit  le  nec  plus  ultra 
de  la  composition:  il  auroit  dû  ajouter 
que  quatre  parties  font  fuffifantes,  lors- 
qu'on veut  les  faire  chanter,  &  même  je 
dirai  qu'il  y  en  aura  une  des  quatre  qui 
ne  fera  que  le  complément  de  l'harmonie. 
Je  fis  cependant  un  Magnificat  à  huit 
parties:  mon  maître  eut  autant  de  peine 
à  le  revoir  que  j'en  avois  eu  pour  arranger 
les  huit  parties  fans  unifTon. 

Bientôt  après  cet  eMai,  Cafali  jugea 
que  je  pouvois  me  paffer  de  fes  leçons, 
&:  m'exhorta  a  travailler  de  moi-même.  Je 


SUR      LA     MUSIQUE.        I  O  7 

cefTai  malgré  moi  d'être  Ton  élève,  mais 
fans  cefîèr  de  conferver  pour  lui  la  plus 
tendre  amitié  &  la  plus  vive  reconnoiffance. 
J'étois  heureux  quand  jetrouvois  occafion 
de  lui  rendre  quelque  petit  fervice  ;  comme 
de  le  remplacer  de  temps  à  autre  dans  les 
églifes  de  Rome  où  l'on  exécutoit  fa  mufi- 
que.    Cela   fit   croire  aux  muficiens  que 
j'avois  defTein  de  devenir  maître  de  chapelle 
de  cette  ville:  mais  je  n'eus  jamais  cette 
idée.  Il  faîïoit,  pour  parvenir  à  ces  places, 
fubir  l'examen  des  maîtres  de  chapelle  , 
ou  être  reçu  compofiteur  à  l'académie  des 
Philarmoniques   de  Bologne,   Quelques- 
uns  de  mes  camarades  m'ayant  fait  fentir 
qu'il  y  auroit  de  la  témérité  a  moi  d'y 
prétendre,  j'eus  honte  d'être  foupçonné 
incapable  de  remplir  une  place  dont  mon 
maître  paroifTr.it  me  croire  digne,  &  c'eft 
ce   qui  me  détermina,    quelques  années 
après,  à  me  préfenter  a  l'académie  des 
Philarmoniques,  qui  me  reçut  au  nombre 
de  &s  membres,  à  un  âge  où  il  efl  rare 


i  o  8  Essai 

même  d'ofer  y  afpirer.  Le  fameux  père 
Martini  me  donna  en  cette  occafion  des 
marques  particulières  de  bonté  ck  d'atta- 
chement. Suivant  les  ftatuts  de  l'Acadé- 
mie, le  genre  de  compofition  ,  pour  être 
reçu  maître  de  chapelle  &  admis  dans  le 
corps,  étoit  de  fuguer  un  verfet  de  plain 
chant  pris  au  hafard ,  en  quoi  j'étais  afluré- 
ment  très  peu  verfé.  Mais  les  bons  avis 
du  père  Martini  fur  ce  genre  de  compo- 
fition m'en  donnèrent  bientôt  une  con- 
noifTance  fufhTante  &  furent  îa  caufe  pre- 
mière de  mon  fuccès. 

Me  voilà  donc  livré  à  moi-même,  la 
tête  remplie  de  toutes  les  formes  harmo- 
niques ;  fâchant  renverfer  fens  deffus  def- 
fous  toutes  les  parties;  trouvant  toujours  le 
moyen  de  leur  donner  un  efpèce  de  chant, 
&:  ne  les  faifant  jamais  rentrer  après  la 
moindre  paufe,  que  par  une  imitation  déjà 
établie,  oc  qui  fera  fui  vie  des  autres  parties, 
fi  l'une  d'elle  préfente  quelque  trait  nou- 
veau; d'ailleurs  tropplein  de  îa  mécanique 


SUR      LA      MUSIQUE.        IoQ 

de  l'art,  &  du  fond  de  la  fcience  harmo- 
nique pour  trouver  âes  chants  aimables; 
mais  je  fuis  perfuadé  qu'on  ne  peut  être 
fimple ,  exprefïif ,  6c  fur-tout  correct,  fans 
avoir  épuifé  les  difficultés  du  contrepoint. 
C'efi  au  milieu  d'un  magafin  qu'on  peut 
fe  choifir  un  cabinet.  L'homme  qui  fait, 
fe  reconnoît  aifémenr  ;  on  entend  dans  fes 
compofitions  les  plus  légères,  quelques 
nottes  de  bafTe  que  l'on  fent  ne  pouvoir 
appartenir  à  l'harmonifte  fuperficïeJ. 

C'eft  la  bafTe  fur-tout  qui  diftingue 
l'homme  qui  a  renverfé  longtems  l'harmo- 
nie. Que  cette  partie  eft  belle  &  noble  !  elle 
donne  Famé  à  tout  ce  qui  repofe  fur  elle. 
Marchant  gravement  6c  par  intervales  de 
quintes  ou  de  quartes  lorfqu'elle  doit 
infpirer  le  refpect,  6c  devenant  plus  chan- 
tante 6c  moins  fière  lorfqu'elle  accompa- 
gne un  chant  vif  6c  léger. 

Il  n'appartient  pas  à  tout  le  monde  de 
bien  apprécier  fe  charme  d'une  belle 
baffe;  il  faut  avoir  entendu  longtems  la 


iro  Essai 

bonne  mufîque  pour  fçavoir  defcendrc 
dans  Ton  empire.  Le  commun  des  hommes 
n'entend  d'abord  que  le  chant  ;  avec  plus 
d'habitude,  il  entend  le  fecond-deflus)  en- 
fin s'il  eft  bien  organifé ,  il  trouve  dans  la 
baffe  tout  ce  qu'il  avoit  entendu  dans  les 
parties  fiipe'rieures. 

Il  efl  effentiel  de  faire  îongtems  la  fugue 
à  deux  parties  pour  fe  familiarifer  avec  les 
règles  de  la  fugue  en  général ,  &  fur-tout 
pour  apprendre  a  lier  les  phrafes.  L'on  peut 
par  initind  lier  entre  elles  les  phrafes  de 
chant  eu  de  mélodie  :  mais  l'étude  feule  de 
la  fugue  apprend  à  lier  les  phrafes  harmoni- 
ques. C'en1  la  fyntaxe  du  muficien. 

En  réfléchiflant  fur  les  peines  que  donne 
à  l'élève  cette  première  étude,  j'ai  cherché 
un  moyen  de  lui  apprendre  plus  aifément 
la  marche  ou  le  deffein  de  la  fugue.  J'ai  vu 
qu'en  ne  faifant  qu'une  feule  partie,  en 
paffant  tour  à  tour  de  la  baffe  au  deffus, 
fauf  après  cela  de  changer  quelques  notes 
■en  rempliffant  les  vuides,  c'étoit  le  vrai 


SUR      LA      MUSIQUE.         IIi 

moyen  d'arriver  plutôt  au  même  but  avec 
infiniment  moins  de  peine. 

Exemple  du  dejfein  de  la  fugue. 


Y 1 


fë- 


I@ê1 


ÊÈEE^iEÊEi 


-i — i — 


i _i 


i  i=illlÊÉllÈiiÈë= : 


ffi     T~~ë 


lllËÊI 


'i=il=Ë-=l^ɧliil 


iEggjBE 


ff-az^z- 


33s 


IIX 


E  s   s 


A     I 


t.  _^ 

fc==:EEzEEdzrrzEzÊz6-E?z?E=3iE 


£ 
l|il 


En  ajoutant  enfuite  une  tailïe  ,  &  puis 
une  haute-contre,  on  devient  harmonifte. 
Cependant  ce  n'eft  pas  là  le  difficile  ;  le 
voici:  Il  faut  faire  une  fuguea  deux  parties; 
enfuite  y  ajouter  une  féconde  balTe  ,  puis 
une  troilième.  Cette  combinaifon  eft  très 
épineufe  ;  mais  après  une  étude  de  fix  mois, 
la  tête  s'habitue  au  renverfement  de  l'har- 
monie, fi  bien  qu'en  écoutant  un  chant, 
ou  une  balTe,  votre  imagination  y  ajoute 
tout  ce  qui  lui  manque  avec  une  facilité 
qui  étonne. 

On  croira  peut-être  que  Porganîfte 
parvient  au  même  point  que  le  compos- 
teur ;  point  du  tout  :  il  a  fugué  fur  un 
orgue;  il  connoît  fans  doute  la  règle  des 
imitations  &  celle  des  modulations:  mais 

il 


SUR      LA      MUSIQUE.      r  I  J 

il  ne  chante  que  fur  fon  clavier  &  ne  pour-' 
roit  bien  écrire  ce  qu'il  joue  qu'après  une 
alTez  longue  habitude 

J'étois  donc,  comme  je  l'ai  dit,  fans 
guide  ;  il  falloit  débrouiller  le  chaos 
énorme  que  mon  maître  avoit  mis  dans 
ma  tête.  Ce  n'étoit  plus  des  fugues,  des 
imitations,  dont  il  étoit  queflion  ;  il  falloit 
oublier  le  contre-point  &  attendre  que  ces 
formes,  ces  règles,  vïnfTent  me  trouver 
dans  Poccafion  pour  fortifier  Pexpreffion, 
de  la  parole.  J'aimois  la  mufique  des  Bura* 
nelloj  Piccini ,  Sacchini,  Maïo,  Terradel- 
las,  mais  j^aimois  davantage  celle  de 
Pergolèfe;  c'étoit  vers  fon  genre  que  la 
nature  m'appelloit  :  j'étois  perfuadé  que 
je  ne  parviendrais  jamais  a  faire  de  bonne 
mufique  de  théâtre  fur-tout,  fi  je  ne  pre- 
nois  la  déclamation  pour  guide. 

La  mufique  proprement  dite,  fera 
tous  les  dix  ou  quinze  ans  le  jouet  de  la 
mode  ;  une  chanteufe  douée  d'une  fenfibilité 
particulière,  un  compofiteur  dont  le  génie 

H 


ît4  Essai 

s'écartera  de  la  route  commune, une  efpece 
de  fou,  dont  îes  écarts  ri  veilleront  la  mul- 
titude toujours  avide  de  nouveautés;  les 
roulades  fi  favorables  pour  certains  chan- 
teurs,  &  prefque  toujours  nuifbles  à  l'ex- 
preffion  ;  les  cadences,  les  points  d'orgues, 
tout  ce  luxe  muiical  périra  &  renaîtra 
peut-être  dans  un  même  fiècle  ;  mais  ces 
changemens  ne  font  pas  une  révolution 
importante  peur  le  fond  de  l'art. 

La  vérité  eft  le  fublime  de  tout  ou- 
vrage; la  mode  ne  peut  rien  contre  elle  : 
un  brillant  étourdi  peut  éclipfer  un  infiant 
îe  mérite  dts  habiles  gens;  mais  bientôt 
en  filence,  on  rougit  d'avoir  été  trompé  & 
l'on  rend  un  nouvel  hommage  à  la 
vérité. 

On  objectera,  fans  doute,  que  l'accent 
de  la  langue  françaïié  a  changé  fous  les 
deux  derniers  règnes;  que  la  cour  de 
Louis  XIV  étoit  galante  &  avoit  un  ton 
chevakrcfquc ;  que  fous  Louis  XV  on  imi- 
toît  foiblement  les  manières  nobles  ôc  îes 


SUR      LA      MUSIQUE.        I  I  £ 

grâces  de  l'ancienne  cour,  &  qu'enfin  le 
langage  des  courtifans  de  nos  jours  n'eft 
preique  point  accentué  &  que  le  bon  ton 
confifte  à  n'en  avoir  aucun.  Doit-on  inférer 
de  là  que  la  mufique  a  dû  changer  avec  l'ac- 
cent? Non  j  le  cri  de  la  nature  ne  change 
point,  &  c'eit  lui  qui  conftîtue  la  bonne 
mufique. 

Le  roi  Henry  juroit  d'aimer  toujours  la 
belle  Gabrielle  avec  l'accent  de  l'homme 
paflioné  de  nos  jours;  on  dit  que  la  chan- 
fon  Charmante  Gabridk  fut  cornpoiee 
paroles  &  mufique  par  le  bon  roi  Henry 
IV  ;  je  ne  fais  fi  c'eft  une  illufion ,  mais  j'y 
crois  retrouver  l'âme  de  ce  bon  prince. 

Je  dirai  donc  que  l'accent  du  langage 
fuit  les  mœurs:  Il  doit  être  faux,  factice  , 
grimacier  parmi  les  peuples  corromnus  ; 
mais  que  la  nature  fe  foit  refervé  le  cœur 
d'un  feul  homme,  celui-Ia  fcul  trouvera  les 
vrais  accents.  D'ailleurs  quels  que  foient 
fes  mœurs,  l'homme  eft  rarement  factice  , 
lorfqu'il  efl  fubjugué  par  les  paffions 
violentes.  K  2 


1 1  6~  Essai 

Je  fis  un  travail  fi  prodigieux  &  fî 
obftiné,  pour  me  fervir  à  propos  &  avec 
fbbriété  des  éléments  dont  ma  tête  étoit 
pleine,  que  je  faillis  fuccomber.  JL 'expé- 
rience ne  m'avoit  pas  encore  appris  que  Part 
desfacrificesdiiiingue  le  bon  artifte.  J'avois 
beau  chercher  à  être  (impie  &  vrai,  une 
foule  d'idées  venoient  obfcurcir  mon  ta- 
bleau. Quand  j'adoptois  le  tout,  j'étois 
mécontent ,  &  lorfque  je  retranchois  , 
c'était  au  hazard  &  j'étois  plus  mécontent 
encore.  Ge  combat  entre  le  jugement  & 
îa  feiencè,  c'eft-a-dire  entre  le  goût  qui 
veut  choifir  &  l'inexpérience  qui  ne  fait 
rien  rejetter;- ce  combat,  dis-je,  fut  li  vif, 
que  je  perdis  îe  reue  de  ma  fan  té. 

Je  me  mis  au  lit  avec  la  fièvre;  mon 
crachement  de  fan  g  me  reprit,  je  fus  alité 
pendant  fix  mois  &  je  ne  fongeois  à  la 
mufique  que  comme  l'on  penfe  à  une 
maîtreiie  ingrate  qu'on  n'a  pu  fléchir. 
Plufieurs-  morceaux  des  grands  maîtres  me 
rouloient  dans  l'imagination.  Va  fur-tout 


SUR      LA      MUSIQUE.         Iiy 

(était  l'objet  auquel  je  comparons  mes  idées 
informes:  Tremate,  tremate,  mojlri  di 
cruddtà  !  ma  il  jiglio  lofpofo ,  &c.  ce  beau 
morceau  de  Terradellas  me  fembloit  ren- 
fermer tout  ce  qui  constitue  le  vrai  beau. 

Dès  que  je  pus  marcher,  j'allai  me 
.promener  dans  les  environs  de  Rome. 
Me  trouvant  un  jour  fur  la  montagne  de 
Milïini,  j'entrai  chez  un  hermîte  que  je 
trouvai  bon  homme,  quoi  qu'italien  ;  je  lui 
parlai  de  la  maladie  que  je  vcncis  d'efîuyer, 
il  me  confeilla  de  m'établir  dans  fon 
hermitage  pour  y  refpirer  un  air  pur  qui 
feul  me  rendroit  des  forces.  J'acceptai  ks 
offres  &  je  devins  fon  compagnon  de  re- 
traite pendant  trois  mois. 

Ce  petit  pèlerinage  ne  paroitra  fans 
doute  aux  yeux  des  lecteurs  qu'une  cïr- 
conftance  indifférente,  qui  ne  méritoit  pas 
d'être  rapportée*  cependant  je  dois  dire 
que  ce  fut  chez  cet  hermire  que  j'éprou- 
vai la  plus  douce  fatisfaétion  de  ma  vie. 
La  révolution  s'étoit  opérée  feule  dans  mes 

H3 


1 1  8  Essai 

organes,  &  je  Tignorois,  îorfqu'un  jour  Je 
m  avifai  de  compoler  un  air  fur  des  paroles 
de  Mctajlafio.  Quel  fut  mon  raviflement, 
ïorfque  je  vis  mes  idées  nettes  &  pures  le 
clafTer  félon  mesdefirs!  fâchant  aj(  uter  ou 
retrancher  fans  nuire  à  l'objet  principal, 
que  je  voyois  s'embellir  à  chaque  procédé  : 
non,  je  le  répète,  je  n'eus  jamais  de  mo- 
ment plus  délicieux.    [ 

Ahl  framauro,  difois-je  a  mon  her- 
mite,  je  me  fouviendrai  de  vous  tant  que 
je  vivrai. 

Ne  vous  décourage?  donc  pas,  jeunes 
artifles;  car  en  fuppofant  même  que  la 
nature  vous  ait  faits  pour  produire  des 
chefs-d'œuvres,  ce  n'eft  qu'en  cherchant 
îongtems  des  effets  fugitifs  dans  le  vague 
de  votre  imagination ,  que  vous  parvien- 
drez à  les  fixer  au  gré  de  vos  delirs.  Mais 
il  faut  auparavant  que  vous  ayez  parcouru 
un  cercle  immenfe  d'idées  bizarres  &  inco- 
hérentes qui  ,  toujours  renaiffantes  & 
fans  celle    rejettées,  vous  laifTeront    ap- 


SUR     LA     MUSIQUE.  IjQ 

percevoir  enfin  la  vérité  que  vous  cher- 


chez. 


II  eft  cependant  un  point  de  perfeaion 
au  delà  duquel  il  ne  vous  eft  pas  permis 
d'atteindre.  Qu'un  fentiment  fecret  vous 
marque  la  mefure  de  vos  facultés;  fâchez 
alors  vous  arrêter,  car  c'eft  à  d'autres  que 
veus  qu'il  eft  permis  de  faire  mieux.  Si 
cette  idée  eft  trifte,  il  eft  bien  confclant 
de  fentir  qu'on  a  fçu  fe  fervir  de  tous  les 
relfcrts   de  fon  intelligence. 

Deux  procédés  me  fembîent  nécefTaî- 
res  pour  faire  bien  ;  l'un  eft:  phyfique , 
l'autre  eft  moral.  C'eft  l'imagination  qui 
crée ,  c'eft  le  goût  qui  rejette ,  adopte  ou 
re&irie  ;  gardez  -  vous  ,  en  travaillant ,  de 
refroid  r  votre  imagination  par  des  réfle- 
xions précoces;  on  ne  dirige  point  un 
tortent  rapide  ;  laiffez-Ie  couler  avec  les 
matières  brutes  qu'il  entraîne,  il  ne  vous 
en  marque  pas  moins  îa  rcute  fimple  ck 
vraie  que  vous  devez  fuivre.  Revenez  en- 
fuiie  fur  vos  pas,  &  que  le  goût  ck  le  dif- 

H4 


iio  Essai 

cernement  réparent  froidement  les  écarts 

de  votre  imagination  trop  exaltée. 

Il  n'appartient  qu'à  l'artifte  expéri- 
menté de  faïfir,  quelquefois,  la  vérité  du 
premier  coup.  En  doit-il  être  vain?  Non , 
il  jouit  du  fruit  de  fes  premières  erreurs  , 
qu'il  a  longtems   combarues. 

Je  n'ai  rien  à  dire  à  l'artifte  qui,  travail- 
lant fans  ceffe,  eft  toujours  content  de 
ïui;  il  eft  né  pour  l'erreur  &  l'ignorant 
l'applaudira. 

Dès  que  j'eus  fait  entendre  à  Rome 
quelques  fcènes  Italiennes  &  quelques 
fimphonies,  je  vis  avec  plaifir  que  l'on 
fe  promettoit  quelque  chofe  de  moi.  Je  fus, 
îe  carnaval  fuivant,  ehoifiparles  entrepre- 
neurs du  théâtre  d'Aliberti ,  pour  mettre 
en  muftque  deux  intermèdes ,  intitulés 
les  vendangeufts.  Les  jeunes  maîtres  de 
mufique  du  pays  crièrent  au  fcandale  en 
ïeur  voyant  préférer  un  jeune  abbé  du 
collège  de  Liège.  Mille  bruits  fe  répandi- 
rent dans  les  cafés;  mais  ils  m'étoient 


SUR     SA     MUSIQUE.  m 

favorables;  à  Rome,  comme  ailleurs ,  on 
élève  l'étranger  pour  humilier  les  nation- 
naux. 

Je  commençois  à  m'occuper  de  mes 
intermèdes,  torique  les  entrepreneurs  vin- 
rent chez  moi  pour  me  dire  que  l'ouvrage 
qu'on  répétoit  depuis  quinze  jours  ,  ne 
répondant  point  à  leur  attente,  ils  avoient 
envasé  le  muficien  à  retirer  Ôc  corriger 
famufique,  &  qu'il  me  falloit  abfoïument 
prendre  fa  place.  Ypenfe^-vous ,  Mcjjieurs , 
leur  dis-je  ;  c'efl  dans  huit  jours  l'ouver- 
ture. — Oui ,  dans  huit  jours.  Ils  me  firent 
beaucoup  de  compliments,  vrais  ou  faux, 
fur  l'impatience  que  le  public  témoigncit 
de  m'entendre;  je  travaillai  pendant  les 
huit  jours  c>.  les  huit  nuits,  entouré  de 
copiftes  &  de  mes  acteurs;  on  re'petoit  le 
lendemain  ce  que  j'avois  compofela  veille  ; 
on  fit  deux  répétitions  générales;  le  bruit 
de  ma  témérité  s'étoit  répandu ,  &  l'af- 
fîuence  fut  fi  grande ,  qu'on  força  la  garde 
a  la  féconde  répétition. 


H%%  Essai 

Ce  qui  me  coûta  le  plus  fut  de  tenir 
le  clavecin  aux  trois  premières  repréfen- 
tations,  mais  je  ne  pus  m'en  difpenfer.  Les 
entrepreneurs  me  dirent  que  mon  jeune 
âge  intérefTercit  le  public  &  contribueroit 
à  mon  fuccès. 

Je  merapelle  qu'étant  au  premier  clave- 
cin, prêt  a  faire  commencer  l'ouverture, 
j'entendis  un  hautbois  qui  métoir  p^s  jufte. 
Je  le  lui  fis  dire;  il  s'approcha  de  moi 
pour  s'accorder,  &  il  me  dit  a  l'oreille: 
J'ai  vu  à  la  place  où  vous  êtes,  les  Bura- 
ncllij  les  Jomdliy  mais  je  vous  afîure 
qu'au  moment  d'une  première  reprefen- 
tation,  ils  ne  s'appercevoient  pas  fi  un 
infiniment  n'étoit  pas  parfaitement  d'ac- 
cord. Allons,  courage,  Signer  maejiro > 
me  dit-il,  notre  opéra  rêujjira  :  ck  en 
effet   la  prédiction  fut  vraie. 

Le  public  fît,  malgré  moi,  répéter  un 
air. 

La  vérité  bien  faifie  plaît  dans  tous  les 
pays,  &  le  peuple  italien  que  l'on  croit 


SUR     LA     MU  S  IQU  E.  I  13 

n'aimer  qu'une  ariette,  feroït  aiuTï  fenfibie 
que  les  Français  a  la  mufîque  dramatique, 
s'il  la  connoifToit.  Voici  la  firuation  dont 
il  s'agit. 

Un  feigneur  aimoît  une  vendangeufe; 
fon  amant  en  e'toir  jaloux.  Il  vient  trouver 
le  feigneur  &  lui  dit:  Ce  n'efr.  pas  vous 
qui  êtes  aimé  de  Lifette?  Eh!  c[ui  donc 
lui  dit  le  feigneur?  c'cjl  un  jeune  homme 
fait  pour  plaire,  &c.  &■  il  lui  fait  fénumé- 
ration  des  qualités  du  jeune  homme.  II 
quitte  la  fcène  brufquemenr  après  Ton 
ariette  &  fe  cache  pour  ohferver.  Il  re- 
vient à  pas  de  loup  après  un  filence  &  lui 
dit  :  " -ZVie  m'entendc-^-vous  pas?  celui  dont 
je  parle  ,  c'eft  moi.  Lifette  efl  V objet  que 
'f  adore,  &  Lifate  ejl  toute  à  moi.  Il  fort 
brufnnement  une  féconde  fois.  Cette  fi- 
tuation  parut  plaçante:  le  public  fentit  que 
les  deux  forties  de  l'acteur,  tk  la  féconde 
partie  de  1  air  déclamée  (ans  chant,  étoient 
des  idées  du  jeune  muficien.  J'eus  beau 
faire.,  il  fallut  recommencer  ce  morceau; 


1X4  Essai 

Porcheftre  partit  fans  mon  ordre  &  facteUf 

fuivit. 

II  faut  convenir  que  dans  les  pays 
chauds  où  les  palTions  font  impérieufes, 
on  aime  la  mufique  avec  bien  plus  d'a- 
bandon que  fous  un  ciel  tempéré  où  l'on 
raifonne  trop  fes  plaifirs.  Un  compofiteur 
en  Italie  eft  d'abord  un  homme  aimé,  par 
îa  raifon  feule  qu'il  fe  dévoue  à  l'art  enchan- 
teur qui  nourrit  les  cœurs  mélancoliques, 
ck  ils  ne  font  pas  rares  à  Rome.  Pendant 
les  jeux  du  carnaval,  le  compofiteur  dont 
on  exécute  les  ouvrages  aux  théâtres,  eft 
remarqué  des  Romains  autant  que  celui 
dont  auroit  dépendu  le  bonheur  public. 
S'il  n'a  pas  eu  de  fuccès,  on  le  montre 
comme  une  malheureufe  victime.  S'il  a 
réuffi,  c'eft  un  dieu. 

II  y  eut  gala  le  lendemain  dans  notre 
collège,  à  foccafion  de  mon  fuccès.  Les 
tambours  de  la  ville  vinrent  m'éveilier,  en 
m'annonçant  que  ce  jour  étoit  un  grand  jour 
pour  moi.  Pendant  que  nous  étions  rafTem- 


SUR    LA    MUSIQUE.  I1J 

Lies  dans  ïe  réfe&oire  pour  déjeuner,  je 
reçus  ordre  de  me  tranfporter  fur  ïe 
champ  au  palais  du  gouvernement.  Mon- 
feigneur  le  gouverneur  me  reprocha  de 
n'avoir  pas  obfervc  la  loi  qui  défend  de 
recommencer  aucun  morceau  de  mufique 
au  the'atre ,  fous  peine  d'amende  (i),  à 
moins  que  le  gouverneur  ou  Ton  repréfen- 
tant  ne  i'autorife  en  laiflant  defcendre  un 
mouchoir  blanc  fur  le  bord  de  fa  loge. 

Hélas  !  Moafeigneur,  lui  dis- je  ,  j'étais 
Ji  loin  de  croire  mériter  les  honneurs  du 
mouchoir ,  que  je  n'y  ai  pas  regardé.  Il  ie 
mit  à  rire  ,  6V  j'entendis  dire  aux  Liégeois 
qui  avoient  voulu  m'accompagner  :  Bon 
nous  ne  payerons  point  l'amende.  II  me  fit 
plufieurs  queftions  que  je  reconnus  appar- 
tenir aux  bruits  qui  s'e't  oient  répandus 
fur  mon  compte  dans  les  cafés.  J'y  répon- 
dis fimplement  en  retranchant  les  exagé- 


(  i  )  L'amende  ctoit ,  je  crois,  de  cent  fequins,  ou  cin- 
quante louis. 


jz6  Essai 

rations  dn  public:  Obfirveçvous ,  me  dit-il 9 
depuis  plusieurs  années  un  régime  aujji  auf- 
ùre  qu'on  le  dit?  — Non,  Monfeigneur. 

Mais  Von  m'ajfure  que  vous  ave^  une 

manière  de  vivre  toute  particulière.  Je  l'af- 
furai  que  je  dinois  comme  les  autres  au 
réfectoire,  mais  que  depuis  longtems  je 
foupoisavec  une  livre  de  figues  sèches  & 
un  verre  d'eau.  Ce  régime  me  pfaît,  ajou- 
tai-je,  la  nature  me  l'a  indiqué,  &  j'ima- 
gine que  c'eft  un  baume  excellent  pour 
une  poitrine  fatiguée.  Allons ,  me  dit-il, 
en  fecouant  fa  fouette,  je  ne  veux  point 
qu'une  amende  vienne  troubler  vos  plaijlrs  ; 

f°Jc\.  P^us  exac~l  Par  k  faite. 

J'aurois  dû  payer  cher  les  fatigues  que 
j'avois  efîuyées  en  compofant  mon  opéra: 
mais  la  joye  d'un  premier  fuccès  eft  un  fi 
puiflânt  remède ,  que  je  ne  fus  nullement 
incommodé. 

Je  me  rapelle  une  aventure  qui  m'ar- 
riva  quelques  jours  après  -,  ôc  qui  auroit 
pu  devenir  tragique.  En  falfant  le  foir  une 


SUR     LA     MUSIQUE.  H7 

vifite  à  des  Dames  voifines  du  collège  ; 
je  fus  aflàiiîî  dans  l'efcaîier  de  plufleurs 
coups  d'épées,  dont  un  perça  mon  habit 
d'abbé  de  part  en  part  fur  la  poitrine. 
J'oubliai  dans  cet  infiant  que  j'étois  à 
Rome;  je  parlai  6c  jurai  à  la  françaife  en 
courant  après  mon  aiîaffin  qui  difparut. 

Je  retournai  au  collège  pour  conter  mon 
aventure;  mes  amis  étoient  persuadés  que 
le  fuccès  de  ma  pièce  avoit  porté  quelques 
ennemis  à  cette  atrocité,  &  ils  réfolurent 
de  ne  pas  me  quitter.  Ils  me  faif oient 
aiïurément  trop  d'honneur,  &  j'étois  loin 
de  me  croire  capable  d'exciter  la  jaloufie. 
Cependant  comme  les  Liégeois  font 
reconnus  braves  &  peu  endurants,  le  père 
de  l'imprudent  qui  m'avoit  attaqué,  arbora 
dès  le  lendemain  les  armes  du  cardinal 
Albani  fur  la  porte  de  fa  maifon,  qui  étoit 
celle  où  j'avois  été  attaqué.  Il  vint  trouver 
notre  recteur  à  qui  il  détailla  l'affaire  de 
fon  fils,  qui  m'avoit  pris,  à  ce  qu'il  dit, 
pour  un  abbé  avec  lequel  il  avoit  eu  que- 


ii3  Essai 

relie.  Ce  petit  événement  n'eut  pas  d'autre1 
fuite. 

L'Abbate  Ntcolo  qui  m'avoit  conduit 
quelque  tems  auparavant  chez  M.Piccini  y 
vint  me  dire  qu'ils  avoïent  aiTifté  enfemble 
à  une  de  mes  repréfentations,  &  que  ce  cé- 
lèbre  compofiteur  avoit  dit  publiquement 
qu'il  étoit  coûtent  de  mon  ouvrage  parce- 
que  je  ne  fuivois  pas  la  route  commune. 

Quelques  jours  enfuïte,  j'eus  une  petite 
jouifTance  qui  ne  me  flatta  pas  moins. 
Je  fus  fuivi  à  la  promenade  par  une  troupe 
de  perruquiers  qui  chantoient  en  chœur 
&  avec  beaucoup  de  goûr,  plulîeurs  mor- 
ceaux de  mon  opéra,  (i) 

J'étois  rapellé  depuis  iongtems  par  mes 
parents  •  pour  réponfe  je  leur  avois  envoyé 
le  pfeaume  Conjitebor  t'ib'i  Domine ,  &c. 

(  i  )  Le  bas  peuple  de  Rome  a  une  manière  toute  parti- 
culière de  pfaimodier  Ces  chantons  en  s'acempagnant 
d'une  grande  guitarre,  nommée  calachone.  Mais  les  arti- 
fans  plus  rapprochés  de  la  bonne  fociété  chantent  avec  le 
gcutt ,  lexprellion  &  la  précifion  que  les  autres  peuples  ad- 
mirent dans  les  Italiens. 

que 


SUR       LA       MUSIQUE.        12 J 

(  que  je  n'ai  jamais  entendu  ),  &  que  j'a^ 
vois  compofé  pour  concourir  a  une  place 
de  maître  de  chapelle  qui  vaquoit  dans  le 
pays  de  Liège.  J'obtins  la  place,  à  ce  qu'ils 
me  mandèrent,  mais  je  ne  partis  pas.  Ce 
fut  pour  une  autre  circonflance  que  je  quit- 
tai Tltalie  où  je  pouvois  demeurer  avec 
agrément ,  car  l'on  m'avoit  propofe  de  faire 
pour  le  carnaval  fuivant  des  intermèdes 
pour  les  théâtres  di  Tordinona  ôc  dalla  Face. 
Je  fus  indruit  par  le  public  que  milord  À... 
amateur  de  mufique  &  jouant  fort  bien 
de  la  flûte  traverfière,  avoit  demandé  pîu- 
fieurs  fois  des  concerto  de  Bute  aux  compo- 
fiteurs  les  plus  diftingués;  mais  que  ne  les 
trouvant  jamais  à  ion  gré  ,  il  leur  ren- 
voyoit  la  partition  avec  un  préfent  magni- 
fique pour  le  pays.  J'eus  mon  tour  &  je 
fus  prié  de  faire  un  concerto  de  flûte.  Je 
répondis  que  ne  corinoiffarrt  point  les  ta- 
lents de  mylord,  je  ne  oouvois  rien  faire 
qu'au  hafard.Je  fus  invité  a  déjeuner;  my- 
lord joua  longtems  de  la  flûte.  Quelques 

I 


130  Essai 

jours  après  je  lui  envoyai  un  concerto  qui 
étoit  bien  plus  de  fa  compofition  que  de  la 
mienne ,  car  j'avois  mis  en  ordre  prefque 
tous  les  pafTages  que  je  lui  avois  entendu 
faire  en  préludant:  il  m'envoya  un  Beau 
préient  ôc  m'offrit  une  penfion  annuelle 
(1  je  voulois  lui  envoyer  d'autres  concerto 
par-tout  où  il  feroit.  J'acceptai  fa  propor- 
tion. 

Le  maître  de  flûte  de  myïord  Ni.Wcifl] 
auffi  excellent  dans  fon  art,  qu'aimable  & 
honnête  homme,  me  prit  en  amitié  & 
m'engagea  à  venir  à  Genève  ,  où  il  étoit 
établi.  M.  Melon ,  attaché  à  l'ambalfade  de 
France  à  Rome,  m'avoit  montré  une  parti- 
tion de  Rcfe  &  Colas,  qui  m'avoit  fait 
naître  le  defir  de  travailler  à  Paris.  Je  partis 
donc  de  Rome  &  laifTai  tous  mespfaumes, 
mes  melTes  Se  mes  leçons  de  compofition 
dans  les  mains  des  Liégeois.  Mon  inten- 
tion en  allant  à  Genève  étoit  de  faire  quel- 
ques épargnes  pour  me  mettre  en  état  d'al- 
ler a  Paris  chercher  a  me  iÉàire  connoître. 


SUR      LA      MUSIQUE.  131 

Je  ne  dois  point  quitter  le  beau  pays 
qui  a  fervi  de  berceau  à  mes  faibles  talens, 
fans  jetter  un  ccup  d'œiï  fur  la  mufique 
théâtrale  &  actuelle  des  Italiens  :  s'il  en 
coûce  à  ma  reconnoiiïànce  de  réprcuver 
quelquefois  la  mzre-mufique ,  mon  enthou- 
fiafme  pour  Tes  beautés  devient  un  plus 
pur  hommage. 

L'école  italienne  eft  la  meilleure  qui 
exifte,  tant  pour  la  compofition  crue  pour 
îe  chant;  la  mélodie  des  italiens  eft  (impie 
&  belle;  jamais  il  n'eft  permis  de  la  ren- 
dre dure  &  baroque;  un  trait  de  chant 
n'eft  beau  que  lorfqu'il  s'eft  placé  de  lui- 
même  &  fans  aucun  effort.  Dans  le  genre 
férieux  comme  dans  le  comique  leurs 
récitatifs  obiige's,  les  airs  d'exprefïion  ou 
cantabile,  les  duo,  ks  cavatines,  qui  cou- 
pent fi  heureufement  le  récitatif,  les  airs 
de  bravoure,  les  finales,  ont  fervi  de  mo- 
dèle a  toute  l'Europe. 

II  eft  inutile  de  leur  faire  un  mérite  de 
îa  juftefie  de  la  profodie,  car  il  eft  pref- 

Ii 


i^i  Essai 

qiumpofïible  d'y  manquer  ,  tant  leur 
langue  eft  accentuée  &  libre  par  ïes  élirions 
fréquentes  des  voyelles.  Le  public  d'ailleurs 
ne  critique  jamais  le  muficien  fur  ce  point. 
J'ai  entendu  un  air  d'un  grand  maître,  qui 
commençoit  par  le  mot  amory  Se  quoique 
Va  foit  bref,  il  étoii  foutenu  pendant  plu- 
sieurs mefures  a  quatre  tems,  fans  que 
perfonne  y  fit  attention.  L'Italien  aime 
trop  la  mufique  pour  lui  donner  d'autres 
entraves  que  celles  de  fes  règles.  II  facrifie 
volontiers  fa  langue  aux  beautés  du  chant. 

La  langue  italienne  eft  elle-même  fi 
amoureufe  delà  mélodie,  qu'elle  fe  prête  à 
tout,  même  aux  extravagances  du  muficien , 
fans  que  jamais  fes  grammairiens  lui  faf- 
fent  le  moindre  reproche. 

Qu'importe,  femble  dire  ïa  nation,  que 
pour  produire  un  trait  de  chant  neuf, 
il  faille  eftropier  la  profodie  &  même  le 
feus  des  paroles,  le  chant  n'en  eft  pas 
moins  trouve'  ,  Se  d'autres  paroles  fe 
prêteront   à   &  contexture  originale.  La 


sur  la  musique,  133 
France  un  jour  pourra  penfer  de  même: 
mais  alors  elle  aimera  paffionnément  îa 
mufique,  ck  le  fentiment  aura  remplacé 
îa  manie  d'épiloguer  &  d'analyfer  fes 
plaifirs. 

Que  manque-t-il  donc  aux  Italiens  pour 
avoir  un  bon  opéra  férïeux?  car  pendant 
les  neuf  à  dix  années  que  j'ai  habité  Rome, 
je  n'en  ai  vu  réuffir  aucun.  Si  quelquefois 
l'on  s'y  portoit  en  foule ,  c'étoit  pour  en- 
tendre tel  ou  tel  chanteur;  mais  îorfqu'iï 
n^étoit  plus  fur  îa  fcène,  chacun  fe  re droit 
dans  ra  loge  peur  jouer  aux  cartes  Se  pren- 
dre des  glaces  ,  tandis  que  le  parterre 
bâilïoit. 

[D'anciens  profeffeurs  m'ont  afTuré 
cependant,  que  jadis  les  poëmes  ô^Apop- 
tolo  Zcno  &  ceux  de  Mctafiafio,  avoient 
obtenu  des  fuccès  réels;  &  après  les  avoir 
interrogés  fur  la  manière  dont  ils  étoient 
traités  par  les  muficiens  de  ce  tems,  j'aifu 
qu;ils  faifoient  les  airs  moins  longs  qu'au- 
jourd'hui, moins  de  ritournelles,  prefqua 

1  x 


134  Essai 

point.  Je  roulades,  ni  de  répétitions.  N'al- 
lons pas  chercher  ailleurs  d'où  peut  naître 
ïa  langueur  &  le  peu  d'intérêt  des  opéra  ita- 
liens; car  fi  en  effet  on  s'amufoit  à  retran- 
cher d'une  partition  les  répétitions,  les 
roulades  &rles  ritournelles  inutiles,  je  pofe 
en  fait,  qu'on  en  retrancheroit  les  deux 
tiers  ék  que  par  conféquent  l'action  étant 
ainfï  rapprochée  ,  intércfieroit  davantage. 
Les  cpera-  comiques  font  moins  fujets  à 
ces  défauts;  la  langueur  vient  prefqu'en- 
tiérement  de  la  mauvaife  conflru&ion  du 
poème.  Les  mufteiens  Italiens  finiront 
cepenJant  par  êïre  dramatiques:  ]e  fais 
que  nos  parthiens  françaift-s  circulent  dans 
les  Conservatoires  de  Napïes ,  ck  qu'on  les 
étu^ï^  ions  ce  point  de  vue. 

J'ai  remarqué  un  autre  inconvénient, 
quVn  p'.ur  appeiler  eontre-fens'  dramati- 
que. Le  meilleur  chanteur  n'eft  pas  tou- 
jours chargé  du  rôle  le  plus  important  dans 
î'aclion  du  drame ,  pareeque  fouvent,  les 
airs  de  demi  caractère ,  par  exemple,  lui 


SUR      EA      MUSIQUE.         135 

conviennent,  Sz  qu'ils  fe  trouvent  dans  les 
rôles  fecondaires:  cependant  (bit  par  fon 
talent,  fcit  parceque  le  compofiteur  s'efl: 
plu  à  foigner  fon  rôle,  il  re'pand  un  charme 
û  puifTant  fur  tout  ce  qu'il  chante,  qu'il 
devient  rôle  principal,  malgré  l'intention 
du  poème.  L'on  comprend  aifément  que 
l'intérêt  du  drame  ainfi  renverfé,  jette  le 
fpectateur  dans  une  incertitude  accablante, 
&  que  le  meilleur  chanteur  cefTe  d'être 
adeur,  du  moment  qu'il  intérefîe  aux  dé- 
pens du  rôle  vraiment  intérelTant  par  fes 
fituations. 

La  tragédie  offre  fans  doute  moins  de 
variétés  aux  muficiens  que  le  comique , 
parce  que  tous  les  perfonages  font  nobles; 
mais  il  n'eft  pas  néceffaire  que  le  muficien 
n'aye  que  trois  formules  d'air  dans  la  tête 
pour  peindre  toutes  les  pallions  d'un 
drame  tragique;  il  exiile  tant  de  nuances 
pour  différencier  chaque  caractère,  fans 
s'afïujettir  a  ne  favoîr  produire  qu'un  air 
de  bravoure ,  pathétique  ou  de  demi-carac- 

i4 


136  E   s   s   a   r 

tere!  Voyez  d'ailleurs  tous  les  airs  Je  bra- 
voure que  renferme  un  opéra  italien,  8c 
vous  trouverez  par-tout  un  même  caractère , 
ïa  même  manière,  ck  prefque  les  mêmes 
roulades,  quoiqu'ils  foient  tous  dans  des 
fituations  différentes.  Comment  ne  pas 
s 'ennuyer  de  cette  uniformité,  &  comment 
empêcher  le  public  de  fe  rejetter  fur  un 
excellent  chanteur  qui  a  le  talent  de  lui  faire 
oublier  l'opéra  ? 

L'on  convient  généralement  que  ïa 
mufique  instrumentale  à^s  Italiens  efl 
foible;  comment  pourroit-elîe  prétendre  à 
tenir  un  rang  parmi  les  bonnes  com por- 
tions? il  n'y  a  prefque  jamais  de  mélodie, 
parce  qu'ils  veulent  dans  ce  cas  courir  après 
des  effets  d'harmonie;  &  l'on  y  trouve  peu 
d'harmonie  ,  parce  qu'ils  ignorent  Part 
de  moduler.  L'on  comprend  cependant, 
qu'abftradion  faite  de  ces  deux  agens ,  il  ne 
relie  que  du  bruit.  Les  chœurs  font  nuls  du 
côté  des  effets,  &  en  cela  on  doit  peut- 
être  moins  les  aceufer ,  parce  qu'il  exiffe 


SUR     LA     MUSIQUE.  I37 

chez  eux  un  préjugé  qui  bannit  ïes  fugues 
du  théâtre  &  tout  ce  qui  y  auroit  trop  de 
rapport.  Un  éft  pourtant  pas  d'autre  moyen 
que  celui  de  ïa  fugue  plus  ou  moins  févëre 
pour  rendre  avec  vérité  les  chœurs  des 
prêtres,  les  confpirations  Se  tout  ce  qui  a 
trait  à  ïa  magie  :  ce  préjugé  mal  entendu 
ïes  a  jettes  dans  un  relâchement  &  une 
pauvreté  d'harmonie  impardonnable.  Leurs 
airs  de  danfes  font  pitojables  en  général, 
car  ils  ne  font  ni  danfànts,  ni  chantants, 
ni  harmonieux;  le  récitatif  (impie  efr  pris 
de  l'accent  de  la  langue,  mais  la  longueur 
des  fcenes  Se  le  peu  d'énergie  des  hommes 
énervés  qui  le  chantent,  le  rend  ibporiri- 
que  au  plus  haut  degré. 

Convenons  enfuite  qu'il  y  a  de  la  féehe- 
refTe  &  peu  de  variété  dans  ks  cempofi- 
tions  italiennes;  ce  défaut  provient,  en- 
core de  l'oubli  de  l'harmonie. -Cette  reine 
de  la  mufique  eft  trop  négligée  par  ïes 
élèves  même  de  Durante,  qui  la  poiTédoit 
à  un  fi  haut  degré. 


138  Essai 

Une  modulation  nouvelle  fe  trouve 
par  un  procédé  de  l'art,  &  le  génie  peut 
trouver  un  trait  de  criant  neuf  que  cette 
harmonie  renfermoit;  fans  cela  nous  ne 
connoiiTons  point  de  proce'dé  pour  créer 
un  trait  de  chant, 

Que  faudroit-il  pour  perfection  lier  l'opéra 
Italien?  diminuer  les  fcènes  trop  longues, 
refTerrer  l'action  en  élaguant  les  ritournelles 
oifeufes,  les  roulades,  les  répétitions  qui 
deviennent  fi  ennuyeufes,  fur-tout  lorfque 
l'action  eft  prcfîee;  rendre  les  chœurs  plus 
dramatiques,  plus  harmonieux,  plus  modu- 
lés -,  fuivre  les  Français  Se  les  Allemands 
pour  la  partie  infirumentale,  c'eft-à-dire , 
les  ouvertures,  les  marches  &  les  danfes  ; 
alors  l'intérêt  naîtra  du  fond  du  poëme,  ck 
le  chanteur  malgré  lui  deviendra  acteur. 
Il  ne  lui  fera  plus  permis  comme  nous  l'a- 
vons vu,  de  quitter  la  fcène  pour  fucer  une 
orange  pendant  que  fon  interlocuteur  lui 
parle  comme  s'il  étoit  préfent. 

Un  opéra  fait  comme  je   viens  de  le 


SUR      LA      MUSIQUE.         I  3  O 

dire,  exécuté  même  par  des  chanteurs 
médiocres,  peut  réuffir.  Si  les  chanteurs 
font  d'habiles  gens ,  le  fuccès  fera  com- 
plet; mais  j'ofe  affurer  fans  craindre  d'a- 
vancer un  paradoxe,  qu'un  fameux  chan- 
teur au  talent  duquel  on  a  tout  facrifié , 
devient  le  deftruéteur  de  l'intérêt  général, 
fur-tout  ,  s'il  n'eft  entouré  que  de  gens 
médiocres  qu'il  anéantit. 

Les  Romains  font  la  dépenfe  nécef- 
faire  pour  avoir  un  grand  chanteur  ,  ck 
ils  négligent  tout  le  relie. 

Mais  tous  les  chanteurs  fuiTent  -  ils 
exceîlens,  sis  anéantiroient  l'effet  de  l'en- 
femble,  fi  le  muficien  s'amajettit  à  fer- 
vir  chacun  d'eux  a  fa  manière.  Ç'efi  à 
la  manière  du  poème  qu'il  faut  faire  la 
mufique ,  en  s'affujetifTant  ,  autant  que 
faire  fe  peut ,  aux  moyens  du    chanteur. 

Les  amaxeurs  exclu  fifs  de  la  mufique 
italienne  ,  ont  dit  cent  fois  qu'il  feroit 
affreux  de  renoncer  a  tout  ce  qui  peut 
faire  briller  un  bon   chanteur  :  je  veux 


140  Essai 

qu'on  chante,  à  l'Opéra,  d'ifcnt  -  ils ,  '& 
qu'on  me  donne  la  tragédie ,  fans  mufique,. 
fur  un  autre  théâtre.  Si  la  mufique  pou- 
vait fe  fourenir  d'elle-même  fans  l'inté- 
rêt du  drame ,  d'accord  :  mais  l'Opéra 
italien,  votre  idole  enfin ,  vous  ennuie, 
ôz  vous  n'ofez  en  convenir.  Cent  fois  3 
en  ouvrant  une  bouche  énorme  ,  je  vous 
ai  entendu  dire  :  ah  3  que  c'ejl  beau  l 
Capitulons  donc. 

Je  ne  voudrois  pas  que  les  Italiens 
adoptaffent  la  tragédie  de  Gluk ,  dans 
dans  toute  fa  rigueur  ,  parce  que  leurs 
chanteurs  font  d'habiles  gens  &  que  fans 
nuire  à  l'intérêt  l'on  peut ,  ce  me  femble, 
être  moins  preffé  ,  moins  déclamé ,  moins 
dramatique. 

La  mélodie'  rendue  avec  art  &  fenfi- 
bilité  ,  non-feulement ,  permettrait  ce  lé- 
ger retard  dans  ï'aâion  ;  mais  elle  ajou- 
terait un  charme  de  plus  en  féparant  un 
peu  les  cruautés  tragiques  fur  lefquelles 
elle  répandrait  un  baume  falutaire. : 


SUR      LA      MUSIQUE.        I^t 

Pourquoi  donc  Gluck  ,  en  arrivant  à 
Paris ,  ne  Pa-t-il  pas  fait  ?  Parce  qu'il  a 
compofé  pour  ia  France  ,  Se  non  pour 
l'Italie.  Si  ïa  nature  ne  nous  avoit  privés 
trop  tôt  du  génie  de  ce  grand  homme  (i), 
auroit-il  vu  les  talens  de  hais  &  de  Rouf- 
/eau,  fe  perfectionner  chaque  jour,  fans 
vouloir  en  profiter  ?  Lorfque  j'entendis 
le  premier  ouvrage  de  Gluck  ,  je  crus 
n'être  intérefTé  que  par  l'action  du  drame , 
&  je  difois  comme  vous  :  il  r?y  a  point 
de  chant;  mais  que  je  fus  heureufement 
détrompé  ?  en  fentant  que  c'étoit  la  rnu- 
fïque ,  elle-même  ,  qui  étoit  devenue  Pac* 
tion  qui  m'avoit  ébranîé  ! 

Qu'importe  que  ce  foit  l'harmonie  ou 
la  mélodie  qui  prédomine  ,  pourvu  que 
ïa  mufique  produife  fur  nous  tout  fou 
effet.  Vous  avez  le  courage  d'oublier  que 
vous  êtes  muficien  pour  être  poëte  ,  me 
difoit  le  Prince  Henri  de  Prujfe ,  en  for- 

(i)  Gluck  venoit  d'eiïiiyer  une  maladie,  dont  il  est  mort 
£Utlcjues  années  après. 


ï^z  Essai 

tant  d'une  représentation  de  Richard  cœur 
de  Lyon.  C'eft:  fur-tout  à  Gluck  qu'un 
tel  compliment  auroit  pu  s'adrefTer.  Qui 
mieux  que  lui  a  fenti  ,  qu'il  n'eft  point 
d'intérêt  fans  vérité ,  ck  point  de  vérité 
fans  facrifice  ! 


Fin  de  la  première  Partie» 


SUR      LA      MUSIQUE.  143 


SECONDE     PARTIE. 


J  e  an -Jacques  Rousseau  dit  qu'il 
faut  voyager  à  pied  pour  s'inllruire ,  en 
jouiflant  tout-à-ïa-fois  d'une  bonne  fanté 
ôz  des  fenfations  délicïeufes  qu'oure  à 
chaque  inftant  ïe  fpe&acle  varié  de  ïa 
nature.  Je  partis  de  Rome  le  premier 
Janvier  1 7  6  7  ,  je  ne  vis  rien  fur  ma 
route  ,  je  n'eus  ni  plaîfir  ni  peine  ,  j'é- 
tois  dans  une  bonne  voiture. 

Arrivé  à  Turin ,  j'y  retrouvai  un  Ba- 
ron Allemand  que  j'avois  connu  à  Rome  ; 
il  me  propofa  de  faire  route  enfèmble 
pour  Genève  ;  il  étoit  prelTé  &  nous  par- 
tîmes le  lendemain.  Dès  que  nous  fûmes 
fortis  de  la  ville ,  je  voulus  lui  dire  :  et  Ah 
»  M.  h  Baron  que  je  fuis  enchanté  de.*..» 
II  m'interrompit  &  me  dit  brufquement  : 
a  Monfieur,  je  ne  parle  point  en  voiture  ». 
fort  bien ,  lui  dis-je.  Etant   defeendu  le 


144  Essai 

foir  dans  l'auberge ,  H  fît  faire  grand  feu,; 
pafTa  fa  robe-de-chambre  &  vint  à  moi 
les  bras  ouverts  en  me  difant,  ah,  mon 
cher  ami ,  que  je  fuis  aï/è  de....  Je  l'in- 
terrompis a  mon  tour  pour  lui  dire  d'un 
ton  fec  :  Monfieùr  ,je  ne  parla  point  dans 
les  auberges.  Il  fe  mit  à  rire  comme  un 
fou  ,  &  me  fit  le  de'tail  d'une  cruelle  ma- 
ladie dont-il  e'toit  atteint ,  ôc  fe  plaignit 
amèrement  du  beau  fexe  romain  ,  qui 
l'avoit ,  difoit-il,  traite'  fans  indulgence. 
Le  jour  fuivant  nous  paflames  le  mont 
Cénis.  Des  porteurs  fe  chargèrent  de  nous 
en  montant  ;  je  leur  demandai  ce  que 
fignifîoit  une  croix  rouge  que  jap- 
perçus  dans  un  précipice  ;  paix  ,  me  dit- 
on  ,  ne  parlez  pas.  Comment  donc,  me 
difois-je  en  moi-même ,  rencontrerai-je 
par  tout  des  Barons  Allemands  ?  Etant 
arrivé  fur  la  montagne  ,  mes  porteurs 
m'apprirent  que  le  fon  ou  î'écho  feul  du 
fon  de  la  voix  pouvoit  déterminer  la 
i      te    des    neiges  amoncelées    ck    fuf- 

pendues 


SUR      LA      MUSIQUE.       ne 

pendues    fur   la  tête  des  voyageurs.  La 
defcente  de  la  montagne  m'amufa  infini- 
ment.   Je   propofai  à  mon    Baron  de  la 
remonter  pour  avoir  /e  plaifir  de  la  re- 
defcendre.    Il   me  refufa   Se   me    fit  de 
nouveaux  éloges  du    beau   fêxe   romain. 
La  manière  dont  nous  defeendîmes  la 
montagne  s'appelle  la  ramafTe.  II  faudroit 
trois  heures  pour  faire  cette  defcente  à 
pied  ou  fur  un  mulet ,  Se  peu  de  minutes 
fuffifent  quand  on  fe  fait  ramaflèr.  On 
remet  fa  vie  entre  les  mains  d'un    petit 
favoyard;  le  mien  n'avoît  pas  plus  de  dix 
à  onze  ans  ;  on  eft  affis  fur  une  efpèce  de 
traîneau  ;   le   petit  conducteur  eft  fur  le 
devant ,  il  vous  fait  griffer  de  roc  en  roc 
candis  que  de  fes  petites  jambes  il  dirige 
■  îa  voiture  :   on   eft  prefque  fuffoqué  par 
les  premières  chutes  ,   mais  en  fe  cou- 
vrant   la   bouche,   cette  manière  d'aller 
eft  très-fupportable. 

Je   quittai   mon  Baron  à   Genève  & 
je  m'en  confolai  fâchant  que  j'y  verrois 

K 


I4&  Essai 

Voltaire.  Après  que  j'eus  été  préfenté  dans 
les  meilleures  maifons  par  mon  ami  JVàJf^ 
je  me  trouvai  avoir  accepté  vingt  femmes 
pour  écolieres.  J'avois  été  précédé  d'un 
peu  de  réputation ,  &  les  magiftrats  me 
permirent  d'outre-parTer  le  prix  des  le- 
çons ordonné  par  les  loix  de  la  repu- 
Blique. 

Le  métier  de  maître  a  chanter  ne 
me  plaifoit  point ,  outre  qu'il  fatiguoit 
ma  poitrine  ;  mais  il  falloit  me  préparer 
aux  dépenfes  qu'entraîne  le  féjour  de 
Paris. 

La  querelle  entre  les  repréfentans  & 
les  négatifs  étant  alors  dans  toute  fa  force , 
MM.  les    ambaflàdeurs   de   France  ,    de 
Zurich  &  de   Berne  ,  arrivèrent  en  qua- 
lité de  médiateurs  :  la  république  fit  bâ- 
tir une   faile    de    fpeclacle  pour  amufer 
leurs    excellences    &    le   peuple  révolté. 
J'entendis  des   opéras  comiques  françois 
pour  la  première  fois.  Tom  -  Jones  ,  le 
Maréchal,  Rofe  Se  Colas  ,  me  firent  grand 


SUR      LA      MUSIQUE.        147 

jpïaifir,  lorfque  j'eus  pris  l'habitude  d'en- 
tendre chanter  le  françoîs ,  ce  qui  m'avoic 
d'abord  paru  défagréable. 

Il  me  fallut  encore  quelque  tems  pour 
m'habituer  à  entendre  parler  Se  chanter 
dans  une  même  pièce  ;  cependant  je  fen- 
tois  déjà  qu'il  eft  impofîible  de  faire  un 
récitatif  intéreffant  lorfque    le    dialogue 
ne  l'eft  point.  Le  poëte  a  une  expofition 
à  faire  ,  des  fcènes  à  filer ,  s'il  veut  éta- 
blir ou  déveloper  un  caractère.  Que  peut 
alors  le  récitatif?  fatiguer  par  fa  mono- 
tonie ,  &  nuire  a  la  rapidité  du  dialogue. 
II  n'y  a  que  les  jeunes  poètes  qui  pref- 
fent  trop  leurs  fcènes  de  peur  d'être  longs  ; 
l'homme  qui  connoît  mieux  la  nature  fait 
qu'on  ne  produit  des  effets  qu'en  les  pré- 
parant  &   les  amenant  doucement  jus- 
qu'à leurs  plus  hauts  degrés.  Lai  (Ton  s  donc 
parler  la  fcène.  Formons  à  la  fois  des  co- 
médiens déclamateurs  Se  des  muficiens 
chanteurs ,  fans  quoi  nos  ouvrages  dra- 
matiques perdront  le  mérite  qu'ils  ont  & 


1148  E    s   s    a   r 

celui  qu'ils  peuvent  encore  acquérir.  Je 
défirerois  mettre  en  mufique  une  vraie 
tragédie  où  le  dialogue  feroit  parlé  :  j'ima- 
gine qu'elle  produiroit  un  plus  grand 
effet  que  nos  opéras  chantés  d'un  bout 
a  l'autre. 

J'eus  bientôt  envie  d'effayer  mes  ta- 
ïens  fur  la  langue  françoife  ,  &  cet  effai 
n'étoit  pas  inutile ,  avant  de  fonger  à  la 
capitale  de  la  France.  Je  demandois  par 
tout  un  poëme  ;  mais ,  quoiqu'il  y  ait 
beaucoup  de  gens  d'efprit  à  Genève ,  on 
étoit  trop  occupé  des  affaires  publiques 
pour  donner  audience  aux  mufes.  Je  pris 
ïe  parti  d'écrire  à  M.  de  Voltaire  ,  a  peu 
près  dans  ces  termes  : 

Monsi  EUR 

w  Un  jeune  mufkien  arrivant  d'Italie, 
»  &  établi  depuis  quelque  temps  à  Ge- 
«  nève,voudroit  effayer  fes  foibles  taîens 
J?  fur  une  langue    que  vous  enrichiffex 


SUR      IA      MUSIQUE.        I^t), 

i>  chaque  jour  de  vos  productions  im- 
v  mortelles  ;  je  demande  en  vain  aux: 
p  gens  d'efprit  de  votre  voifinage  de 
p  venir  au  fecours  d'un  jeune  homme 
»  plein  d'e'mulation  ,  les  Mufes  ont  fui 
»  devant  Belione,  elles  font  fans  doute 
>>  réfugiées  chez  vous ,  monfîeur  ,  &  j'im- 
»  plore  votre  protection  auprès  d'elles ,' 
»  perfuadé  que  fi  j'obtiens  de  vous  cette 
D  grâce  3  elles  me  feront  favorables  dans 
»  cet  inftant  ,  ôc  ne  m'abandonneront 
v  jamais  ». 

Je  fuis  avec  refpec~t,  &c. 

Monfieur  de  Voltaire,  me  fit  dire  par 
la  perfonne  qui  s'étoit  chargée  de  ma 
lettre ,  qu'il  ne  me  répondoit  pas  par 
écrit ,  parce  qu'il  étoit  malade  &  qu'il 
vouîoit  me  voir  chez  lui  le  plutôt  qu'il 
me  feroit  pofTibîe. 

Je  lui  fus  préfenté  le  dimanche  fuivanc 
par  madame  Cramer  fon  amie.  Que  je 
fus  flatté  de  l'accueil  gracieux  qu'il  m§ 

*3 


I  j  o  Essai 

fit  !  Je  voulus  m'excufer  fur  la  liberté  que 
j'avois  prife  de  lui  écrire.  Comment  donc, 
monfieur ,  me  dit-il ,  en    me  ferrant  la 
main  (  &  c'était  mon  cœur  qa'il  ferroit  ), 
j'ai  été    enchanté   de   votre   lettre  ,   l'on 
m'avoit  parlé  de  vous   plufieurs  fois;  je 
défirois  vous  voir  ;  vous  êtes  muiicien  & 
vous  avez  de  f  efprit  !  Cela  efl  trop  rare , 
monfieur  ,  pour  que  je  ne  prenne  pas  à 
vous  îe  plus  vif  intérêt.  Je  fouris  à  ï  e'-. 
pigramme ,  &  je  remerciai  M.   de  Vol- 
taire.  Mais ,  me  dit-il ,  je  fuis  vieux  ôc 
je  ne  connois  guère   l'opéra    comique  , 
qui  aujourd'hui    efl  à  la  mode  a  Paris*, 
&  pour  lequel  on  abandonne  Zaïre   Se 
Mahomet.  Pourquoi  ?  dit-il  en  s'adreffant 
a  madame  Cramer ,  ne  lui  feriez  vous  pas 
un  joli  opéra  ,  en   attendant  que  l'envie 
m'en  prenne  ?  Car  je  ne  vous  refufe  pas, 
monfieur.  Il  a  commencé  quelque  chofe 
de  moi,  lui  dit  cette  dame,  mais  je  crains 
que  cela  ne  foir.  mauvais.  —  Qu'eft-ce 
que  c'eft  ?  — •  Le  Savetier  Philofophe.  — ~ 


sur  la  musique.  15  % 
Ah  !  C'eft  comme  fi  l'on  difoit  Frcron 
le  philofophe.  Eh  bien  ,  monfieur  ,  com- 
ment trouvez  vous  notre  langue?  —  Je 
vous  avoue  ,  monfieur ,  ïui  dis-je ,  que 
je  fuis  embarrafie  dès  le  premier  morceau  j 
ce  vers  : 

Un  philofophe  eft  heureux. 

Que  je  voudrois  rendre  dans  ce  fens . 
ck  je  lui  chantai  : 

Un  philofophe  ï 
Un  philofophe  ! 
Un  philofophe  efi  heureux. 

12e  muet  fans  élifion  de  la  voyelîe 
fuivante  ,  me  paroît  infupportable.  Et 
vous  avez  raifon  ,  me  dit-il  ,  retranchez 
tous  ces  i%  tous  ces  phe  &  chantez  har- 
diment un  philofof. 

Le  grand  poète  avoit  raifon  dans  un 
fens ,  mais  il  fe  feroit  expliqué  différem- 
ment s'il  eût  été  muficien.  Ve  muet  de 
philofophe  eft  un  des  plus  durs  de  ïa 
ïangue  ;  mais  il  faut  une  notte   pour  Vc 

K4 


1 5 1  Essai 

muet  fans  élifion  dans  tous  les  cas;  e'eft, 
au  mufîcien  à  îe  faire  tomber  fur  un  fon 
inutile  dans  la  phrafe  muficale  \  voyez, 
par  exemple ,  dans  quel  canton  eft  VHu- 
roni*e  ?   ejl-ce  en  Turqui-e  ?  en  Ar&hi-t  ? 


Dans  quel  can-  ton  eft  l'Huro-  ni-  c  ?        eft- 

JËg˱^bS=Ë^gg=pggËÈfel 
ce  en  Tur-  qui-  e  ?  en   A-  ra-  bi-e  ?  hé  \ 

Mmmm 


h<<- 


non ,  non,  non» 

Toutes  les  nottes  qui  portent  Ye  muet 
font  fans  conféquence,  &  Ton  pourroic 
les  retrancher  fans  nuire   au  chant. 

Voici  comment  Ye  muet  eft  mal  place', 
Dans  îe  duo  de  la  Rofiere  de  Salenci 
après  l'orage,    &c ,    Vamoureu-fc   Ccah 

r U- — pin [ fc  .îJU>> — r- 


L'a-moureu-fe  Ce-     ci-        le. 


SUR      LA      MUSIQUE.       I53 

\jc  fe  eft  placé  fur  une  bonne  notte  & 
fait  un  mauvais  effet. 

J'aurois  pu  chanter  de  cette  manière  \ 

L'a  mou-reu-  fe    Ce-  ci-         le, 

Mais  je  me  fuis  laifTé  entraîner  par 
chant ,  en  cette  occafion  comme  en  plu- 
fieurs  autres  ;  je  ne  manque  pas  de  m'en 
repentir    lorfque    j'entens    chanter    mes 
opéras. 

Monfieur  de  Voltaire  me  dit  enfuïte 
qu'il  falloit  me  hâter  d'aller  à  Paris  ;  c'eft 
là ,  dit-il ,  que  l'on  vole  à  l'immortalité. 
Ah  !  Monfieur  ,  lui  dis-je ,  que  vous  en 
parlez  à  votre  aife  !  Ce  mot  charmant 
vous  eft:  familier  comme  la  chofe  même. 
Moi ,  me  dît-il ,  je  donnerois  cent  ans 
d'immortalité  pour  une  bonne  digeftion. 
Difoit-il  vrai? 

Ayant  été  fi  bien  accueilli  de  M»  de 


ï  ?  4  Essai 

Voltaire,  j'y  retournai  fouvent  ;  j'alloîs 
faire  chez  lui  mon  apprentifTage  de  cette 
atfànce,  de  cette  amabilité  françoife,  que 
Ton  trouvoit  chez  lui  plus  qu'à  Genève. 
Voltaire,  quoi  qu'éloigné  de  Paris  de-^ 
puis  long-temps ,  n'étoit  rien  moins  que 
rouillé  par  la  folitude;  il  fembloit,  au 
contraire  ,  avoir  transféré  a  Fernay  le 
centre  de  la  France.  La  çorrefpondance 
continuelle  qu'il  entretenoit  avec  les  gens 
de  lettres  étoit  le  journal  qui  Pinf- 
truifoit  chaque  jour  des  mouvemens  de 
la  capitale,  &  l'opinion  fufpendue  fem- 
bloit attendre  pour  fe  fixer  ,  que  le  lé- 
gîflateur  du  bon  goût  eût  prononcé  fur 
elle.  * 

Genève  &  fur-tout  les  leçons  que  j'y 
.donnois  ,  m'ennuyoient  davantage  quand 
je  fortois  de  Fernay  ;  tout  m'enchantoit 
dans  ce  lieu  charmant.  Les  parterres  , 
îes  bofquets,  les  animaux  les  plus  rufti- 
ques  me  fembloient  différens  fous  un  tel 
maître. 


SUR     SA     MUSIQUE.  j^. 

L'opulence  d'un  grand  feigneur  peut 
nous  humilier  ,  exciter  notre  envie  ;  mais 
ceiïe  d'un  grand  homme  contente  notre 
ame.  Chacun  doit  fe  dire  :  c'eft  par  des 
travaux  immenfes,  c'eft  en  m'édairant , 
c'eft  en  charmant  mes  ennuis  ,  en  me 
fauvant  du  deTefpoir  peut-être,  qu'il  eft 
parvenu  à  la  fortune  ;  il  m'a  donc  payé 
ion  bien  par  un  bien  plus  précieux  en- 
core ,  pourquoi  le  lui  envirais-je  ? 

Ses  valTaux  obtenoient  de  lui  tous  les 
encouragemens  pofhbïes  ;  chaque  jour  on 
MtifToit  de  nouvelles  maifons  ôc  Fernay 
feroit  devenu  le  bourg  ïe  plus  confidé- 
rabïe  ,  le  plus  confidéré  de  la  France  , 
fi  Voltaire,  s'y  fût  retiré  vingt  ans  plutôt. 

J'ai  entendu  dire  cent  fois  depuis  , 
qu'il  étoit  fatirique  ,  méchant  ,  envieux 
de  toute  réputation.  J'ofe  croire  que  fi  on 
ne  l'eût  combattu  qu'avec  des  armes  dignes 
de  lui  ;  Voltaire ,  la  politeiïe  ,  la  galan- 
terie même,  fâchant  refpeéter  le  mérite  , 
pour  être  lui-même refpeclé  \  bon,  humain  y 


i$6  Essai 

infatigable  à  protéger  l'innocence;  non 
Voltaire  n'eût  jamais  paru  dans  l'arène 
fàngeufe  ,  où  l'envie  &  la  fatyre  l'ont  fait 
defeendre. 

Il  avoit  {es  défauts  fans  doute  ;  mais 
fongeons  que  les  défauts  de  l'homme  cé- 
lèbre fuivent  par  tout  fa  réputation  \  tan- 
dis que  ceux  de  l'homme  obfcur  ne  for- 
tent  pas  du  cercle  étroit  qui  l'environne. 
Songeons  que  l'on  ne  pardonne  rien  aux 
grands  hommes  qui  nous  humilient  plus 
ou  moins  ,  en  nous  forçant  k  l'admiration, 
ï/amour-propre  bïefTé  eft  (i  adroit  a  nuire  ! 
Il  eft  ïe  mobile  du  monde  moral ,  comme 
je  crois  le  folcil  celui  du  monde  phy- 
sique. Quand  tous  les  moraliftes  réunis 
ne  feroient  occupés  pendant  un  fiècle  qu'a 
développer  les  replis  de  l'amour-propre, 
je  doute  qu'ils  parvinrent  à  pénétrer  le 
fond  de  fon  labyrinthe  ténébreux. 

Rien  de  plus  noble  fans  doute ,  que  de 
méprifer  la  critique  injufte.  Mais  la  nature 
en  créant  l'homme  de  génie,  commença 


SUR     LA     MUSIQUE.  I  5  J 

par  le  rendre  vif,  fenfible  ,  pafftonné,  & 
rarement  affez  pacifique  pour  réfifter  au 
plaifir  d'une  jufte  vengeance.  L'on  n'ou- 
trage ni  Dieu  ni  la  nature  impunément- 
comment    ofer     efpérer     davantage     de 
l'homme  le  plus  parfait  ?  Qui  fait  d'ail- 
leurs fi,  pour   être  ce  qu'il  étoit  ,   Vol- 
taire   n'avôit  pas  befoin    d'être   quelouc 
fois    contrarié  ?  Son  génie    s'allumoit  à 
l'afpect  d'une  feuille    de  Fréron  ;  fi  cet 
aiguillon  lui  eût  manqué ,  fa  tête  qui  cher- 
choit  fans  ceffe  à  s'enflammer,  eût  trouvé 
d'autres  canfes  pour  produire  les  mêmes 
effets. 

Au  Cid  perfécuté  Cinna  doit  fa  naiiïance , 
Et  peut-être  ta  plume  au  cenfeur  de  Pyrrhus 
Doit  les  plus  nobles  traits  dont  tu  peignis  Barras. 

B    O    I    L    E    A    U. 

Un  habile  peintre  de  mes  amis,  M. 
Menageot ,  étoit  fouffrant  \  il  s'adreffe  à 
un  médecin  ,  heureufement  homme  d'ef- 
prit ,   qui  après  l'avoir  interrogé  ,    nous 


158  Essai 

dit  en  for  tant  de  l'attelier  :  je  me  garderai 
bien  de  le  guérir  avant  qu'il  ait  fini  fou 
tableau.  Sa  maladie  étoit  effectivement 
produite  par  la  grande  fermentation  du 
fang  &  des  humeurs ,  &  Ménageât  n'eût 
pas  achevé  avec  la  même  force  fon  fu- 
perbe  tableau  de  la  mort  de  Léonard  de 
Vinci ,  fi  un  médecin  ignorant  eût  calmé 
à  la  fois  fon  imagination  &  PefFervef- 
cence  de  fon  fang. 

Mon  opéra  avec  madame  Cramer  , 
n'avançoit  qu'à  pas  lents  ,  &  c'eft  pref- 
que  toujours  un  mauvais  figne ,  quant 
aux  ouvrages  d'efprit  &  d'imagination* 
Les  Comédiens  de  Genève  donnèrent 
alors  Popéra  à'Ifabclle  &  Gertrude ,  qu'on 
avoir  repréfenté  depuis  peu  au  théâtre 
Italien'  de  Paris.  Le  poëme  fit  plaifir , 
mais  la  mufique  parut  foible.  Je  réfolus 
de  faire  mon  premier  efTai  fur  ce  poëme 
de  Favart.  Je  n'éprouvai  pas  trop  de  dif- 
ficulté; il  eft  vrai  que  je  ne  connoiiTois 
pas  la  rigidité  de  la  langue ,  &  que  j'em- 


S  tf  R     LÀ     MUSIQUE*  I^a 

ployois  toutes  les  voyelles  pour  faire  des 
roulades.  Tignorois  qu'il  faut  attendre  , 
une  chaîne ,  un  vol ,  un  ramage  f  un 
triomphe  &c. ,  pour  s'y  livrer.  Je  fentis 
cependant  en  travaillant  que  la  langue 
françoife  étoit  aufïi  fafceptible  d'accent 
qu'aucune  autre. 

Je  n'entends  pas  par  accent  une  cer- 
taine manière  de  chanter  les  vers  en  dé- 
clamant; cet  accent  n'engendreroit  qu'une 
mufique  monotone  ;  il  faut  au  muficien 
une  déclamation  plus  forte  ;  fi  les  inter- 
vales  du  poëte  qui  récite  font  de  i  à  i, 
il  faut  que  ceux  du  muficien  foyent  de 
i  à  5  il  y  a  au  moins  cette  différence 
entre  îa  parole  Se  le  criant. 

Si  l'on  difoit  que  le  chant  ne  peut  imi- 
ter la  parole ,  parce  que  la  parole  n'eft  pas 
un  criant  :  je  dirois  que  la  parole  eft  un 
bruit  où  le  chant  eft  renfermé ,  c'eff-à- 
dire  ,  qu'au  lieu  de  frapper  un  fon ,  h 
parole  en  frappe  plufieurs  à  la  fois.  Dé- 
clamez,  où  vais-je?  en  élevant  l'organe 


16e  Essai 

ce  qui  eft  naturel  pour  marquer  PexckU 
mation  ou  l'interrogation  ;  vous  trouverez 
ut  rc  mi  frapés  enfembles  pour  ou  ;  &  3 
mi  fa  fol  pour  vais-je  ;  voilà  du  bruit  , 
puifque  chaque  fyllabe  porte  trois  fons. 
Que  fait  alors  le  muficien  ?  If  prend  un 
des  trois  fons  pour  chaque  fyllabe,  &  il 
dit  : 


Ut  Sol 

— ' — 1    ■   p — g' 


Où.      vais  -  je  ! 

Je  me  rappelle  le  premier  trait  où  je 
crus  faifir  la  nature  &  îa  vraie  déclama- 
tion. Cette  découverte  (  que  d'autres 
avoient  faite  avant  moi ,  )  me  fit  conce- 
voir des  efpérances  flatteufes  pour  l'ave- 
nir ,  c'eft  pourquoi  je  la  rapporte.  Dorlis 
parlant  à  fon  oncle  ,  dit  de  madame 
Gertrude  qu'il  veut  couvrir  d'un  léger  ri- 
dicule : 


il 


S  U  R     l  a     MUSIQUE.         1 6 1: 

Il  faut  la  voir  cette  dame  Gertrude 
Avec  Ton  grand  mouchoir 
noir  ! 

.     .  ^  I  -  -H 

Il  faut  la   voir  cette  dame  Ger-  tru-  de 

*hnn  /";r~rr.r  .^  i  .■•»Hate 


a-vec    fon  grand  mouchoir     noir  ! 

On  voit  que  l'exprefïion  eft  naturelle 
&  vraie  ;  &  que  j'avois  fingulièrement 
mis  en  ufage  le  précepte  des  e  muets  que 
m'avoit  donné  Voltaire;  l'on  voit  auflî 
que  je  ne  les  retranchois  pas  tous ,  mais 
feulement  lorfqu'ils  m'embarrafîbient. 

Ce  premier  opéra  françois  ,  eut  un 
fuccès  encourageant  pour  moi  :  le  pu- 
blic s'y  porta  avec  affluence  pendant 
fîx  représentations  ,  &  c'eft  beaucoup 
pour  une  petite  ville  telle  que  Genève. 

Un  muficien  de  l'orcheftre  ,  maître 
a  danfer ,  vint  chez  moi  pour  me  dire 

L 


•$6*V  E  s  s  a  r 

que  les  jeunes  gens  de  la  ville  ,  pour 
fuivre  l'ufage  de  Paris  m'appelleroient 
après  la  pièce;  je  n'ai,  lui  dis-je  ,  jamais 
vu  cela  en  Italie  ;  vous  le  verrez  ,  me 
dit-il ,  &  vous  ferez  le  premier  auteur 
qui  ait  reçu  cet  honneur  dans  notre  ré- 
publique. J'eus  beau  nie  défendre  ,  il 
voulut  abfolument  m'enfeigner  à  faire 
une  révérence  avec  grâce.  Dès  que  l'opéra 
fut  fini ,  je  fus  efFeétivement  demandé  à 
pïufieurs  reprifes  9  &  fus  obligé  de  pa- 
raître pour  remercier  le  public  ;  mon 
homme  dans  fon  orcheftre  me  crioit  :  ce 
nVft  pas  cela....  peint  du  tout....  mais 
allez  donc...  —  Qu'as  tu  donc  lui  dirent 
{es  confrères  ?  Je  fuis  furieux  ,  j'ai  été 
exprès  chez  lui  ce  matin  pour  lui  ap- 
prendre à  fe  préfenter  noblement ,  voyez 
fi  l'on  peut  être  plus  gauche  &  plus 
bête. 

Je  fenris  qu'il  étoit  temps  d'aller  à 
Paris.  Je  fus  prendre  congé  de  M.  de 
Voltaire  ;  je  le  vis  s'attendrir  fur  mon 


SUR     t  A      MUSIQUE.      163 

fort  &  iï  paroiffoit  l'envier  tout  k  la  fois. 
Je  renouvelais  fans  doute  dans  fon  ame 
le  temps  de  fa.  jeuneiïe ,  loriqnil  fe  jetta 
dans  la  carrière  des  arts  ,  où  fon  trouve 
quelque  fois  la  gloire  avec  la  fortune; 
mais  bien  plus  fouvent  le  découragement 
fuivi  du  defefpom 

II  me  dit:  vous  ne  reviendrez  plus  k 
Genève ,  Monfîeur  $  mais  j'efpère  encore 
vous  voir  à  Paris. 

Je  n'entrai  pas  dans  cette  ville  fans 
une  émotion  dont  je  ne  me  rendis  pas 
compte  ;  elle  étoit  une  fuite  naturelle  du 
plan  que  j'avois  formé ,  de  n'en  pas  fortir 
fans  avoir  vaincu  tous  les  obftacles  qui 
s'oppoferoient  au  defir  que  pavois  d'y 
établir  ma  réputation.  Ce  ne  fut  pas 
l'ouvrage  d'un  moment  ;  car  pendant  près 
de  deux  ans,  j'eus  à  combattre  comme 
tant  d'autres  ,  l'hydre  à  cent  têtes  qui 
s'oppofoit  par  tout  à  mes  efforts. 

On  écrivit  à  Uége  ,  que  j'étois  venu 
k  Paris  pour  lutter  contre  les  PhUrfor  p 


ï64  E  s  s   aï 

les  Duni  &  les  Monfigni  ;  les  muficiens 
de  Liège  reprochèrent  à  mes  parens 
l'excès  de  ma  témérité  ;  cette  menace 
ne  me  découragea  pas  ;  au  contraire , 
elle  enflamma  mon  émulation  ,  &ie  me 
difois  :  fi  je  peux  approcher  de  ces  trois 
habiles  muficiens  ,  j'aurai  le  plaifir  de 
furpaflèr  les  compofiteurs  liégeois  qui  s'en 
reconnoiflent  très  éloignés. 

Je  fus  deux  fois  a  l'opéra,  craignant 
de  m'être  trompé  ïa  première  ;  mais  je 
n'en  compris  pas  davantage  la  mufique 
françoife.  On  donnoit  Dardanus  de  Ra- 
meau; j'étois  à  côté  d'un  homme  qui  fe 
mouroit  de  plaifir ,  &  je  fus  obligé  de 
fortir  parce  que  je  me  mourois  d'ennui. 
J'ai  découvert  depuis  des  beautés  dans 
Rameau  ,  mais  j'avois  alors  la  tête  trop 
pleine  des  formes  &  de  la  mélodie  Ita- 
lienne ,  pour  pouvoir  me  reculer  tout  à 
coup  à  la  mufique  du  fiècle  précédent  ; 
je  croyois  entendre  certains  airs  italiens 
qui  avoient  vieilli }  &  dont    Cafali  mon 


SUR      LA       MUSIQVE.     l6$ 

maître  me  rapelloit  ïes  tournures  triviales 
pour  me  montrer  les  progrès  de  fon  art; 
je  m'en  rappelle  deux  motifs ,  les  voici  ; 

La    zi-  tel-  la  gra-  zio-  fet-    ta   gra- 
210-  fet -ta 1 


Il  faut  avouer  que  cette  chute  efî  bien 
niaife.  Voici  le  motif  de  f autre  : 


0ËE 


Se  ne-   ro-  ne  mi  vuol  morto... . 


Ce  morto  ho",  ho,  efl:  bien  mauvais. 

Je  fus  tout  au  plus  quatre  fois,  aux  ita- 
liens; j'en  connoifTois  les  meilleures  pièces 
&  c'était  uniquement  pour  connoître  les 
taïens  &  les  voix  des  acteurs.  L'étendue 
de  la  voix  Je  M.  Caillcau  me  furprit.  Je 
îe  vis   dans  îa  nouvelle  troupe  ;  Pacte ur 

L3 


166  Essai 

fe  préfente  comme  chantant  la  naute-* 
contre ,  la  taiïle  &  la  baiTe ,  &  effective-» 
ment ,  il  auroit  pu  remplir  les  t;oh  em* 
plois  également  bien.  C'eft  cette  première 
împrefïion  de  l'organe  de  Cailhau,  qui 
me  fit  compofer  le  rôle  du  Huion  dans 
un  diapafon  trop  élevé.  On  trouvera  peut-* 
être  extraordinaire  que  ïe  théâtre  françois 
fur  celui  que  je  fréquentai  afïïduement. 
Je  ne  vouîois  faire  îa  mufîque  de  per-< 
fonne  ;  auffi  me  gardai-je  bien  d'étudier 
aucun  des  composteurs  que  j'ai  cités.  La 
déclamation  des  grands  acleurs,  me  fem- 
bïa  ïe  feul  guide  qui  me  convînt ,  &  je 
crois  qu'un  jeune  muficien  peut  être  fier 
d'avoir  eu  cette  idée  ;  la*  feule  qui  pût 
me  conduire  au  but  que  je  m'étois  pro- 
pofé  ;  c'efl-à-dire  ?  d'être  moi,  en  fuivant 
la  belle  déclamation. 

Cependant  pour  travailler  ,  iî  me  fal- 
loit  un  poëme,  &  pour  îe  trouver  j'allois 
frapper  à  toutes  les  portes  ;  je  ne  man«» 
quois   aucune  occafion  de  me  lier  avec 


ST7R      LA'    MUSIQUE.       l6j 

hs  auteurs  dramatiques.  Si  l'un  d'eux  me 
faifoit  la  le&ure  d'un  opéra  ,  j'ofois  avouer 
franchement  que  j'étois  en  état  de  l'en- 
treprendre ,  de  les  étonner  peut  être  ; 
mais  on  difïimuloit  avec  moi  ,  &  j'ap- 
prenois  fans  étonnement  qu'on  m'avoit 
préféré  quelque  muficien  connu.  Philidor 
ScJDuni,  s'occupoient  cependant  de  bonne 
foi  à  me  faire  avoir  un  poëme  ;  les  ha- 
biles gens  font  naturellement  bons  & 
honnêtes  ;  l'homme  inflruit  voit  avec 
tant  d'intérêt  ce  qu'il  en  coûte  au  vrai 
talent  pour  fe  faire  connoître  ,  que  la 
crainte  même  de  protéger  fon  rival  ne 
peut  l'empêcher  d'agir  en  fa  faveur. 

M.  Philidor  m'annonce  enfin  qu'il  a 
répondu  de  moi  &  qu'un  poëte  veut  bien 
me  confier  l'ouvrage  qu'on  lui  deftinoit. 
Je  me  rends  chez  lui  au  jour  indiqué  ; 
l'auteur  lit ,  a  chaque  fcène  ma  tête  s'exal- 
toit  au  point  que  je  trouvois  à  Pinftant 
le  motif  &  le  cara&ère  qui  convenoit  à 
chaque    morceau  ;    je    réponds   que   cet 

L  4 


i68  Essai 

ouvrage  n'eût  pas  été  le  plus  mauvais  des 
miens.  Lorfqu'après   de  longues  études, 
Pâme  commande  avec  cette  impetuofité, 
elle  ne  laifTe  pas  à  Pelprit   le  temps  de 
s'égarer.    Je    ne    trouvai  le   poëmc    eue 
médiocre  &  froid  ;  mais  la   flamme  qui 
me  brûloit  eût  pu    le   réchauffer.   J'em- 
bralTai  l'auteur  ;    comment  ne  vit-il   pas 
dans  mes  yeux  qu'une  fi  belle  ardeur  ne 
feroit  pas  inutile   à  fon   fuccès  ?    Non  , 
il  ne  le  vit  pas  :  car  trois  jours  après 
au  lieu  de  recevoir  le  manufçtit,  M.  Phi- 
lidor m'apprit  que  l'auteur  avoit  changé 
d'avis.  Il    me    permettoit  cependant  de 
travailler  à   fon  poëme ,  pourvu  que  ce 
fût  avec  Philidor ,  fî  cela  nous  convenoit 
à  tous  deux.  Allons  ,  courage  ,  mon  ami , 
me  dit  cet  honnête  homme  ,  je  ne  crains 
pas  de  joindre  ma  mufique  à  la  votre.... 
Je  dois  le  craindre  moi ,  lui  dis-je ,  car 
fi  la  pièce  réuffit  elle  fera  de   vous  ;    fi 
elle  tombe  le    public  ne  verra  que  moi. 
M,  Philidor   donna  un  an  après  fon 


SUR     LA     MUSIQUE,  1  6  <) 

Jardinier  de  Sidon  ,  &  l'on  fait  qu'il  eut 
peu  de  fuccès. 

Je  fus  quelques  jours  après  me  pré- 
fenter  de  moi-même  à  un  acteur  de  la 
comédie  italienne  ;  il  ne  difllmula  pas 
combien  il  me  feroit  difficile  de  réufïir 
à  côté  des  trois  mufteiens  qui  travailloient 
pour  ïeur  théâtre.  Il  me  chanta  (  toute 
entière  )  la  romance  de  Moniigni  ;  jufaue 
dans  la  moindre  chofe,  &c.  Voilà  du  chant, 
monfieur,  me  dit-il  ;  voilà  ce  qu'il  faudroît 
faire  ;  mais  cela  efl:  bien  difficile  !  Je 
fortis  de  chez  lui  en  compofant  des  criants 
de  romance  que  je  comparois  aux  chants 
de  M,  Monfigni. 

Je  fis  Ta  connoifiTance  d'un  jeune  poète 
homme  du  beau  monde ,  pafîànt  les  nuits 
à  jouer  &  les  jours  à  faire  des  vers.  Je 
lui  demandai  en  grâce  de  me  faire  un 
poëme  ,  il  me  le  promit  fans  héfiter.  J'al- 
ïat  lui  faire  trente  vifites  pour  l'encourager 
à  cette  bonne  œuvre  ,  ck  comme  les 
aimables  libertins   ont  fouvent   un    bon 


37°  Essai 

cœur,  il  fe  laifTa  toucher  &  travailla. 
Les  Mariages  Samnites  (i)  fut  le  fujet 
qu'il  choifit.  Jallois  chaque  matin  m'in- 
former  de  la  fanté  de  mon  auteur  ,  il 
me  ïifoit  ce  qu'il  avoit  fait ,  je  lui  arra- 
chois  fcène  par  fcène,  &  j'en  faifois  aum- 
tôt  la  mufique.  II  me  fallut  attendre  long- 
temps r  mais  n'importe  ;  l'envie  que  j'a- 
vois  de  travailler  me  donnoit  une  pa- 
tience a  toute  e'preuve. 

Je  connoifTbis  MM.  Suard  &  l'abbé 
Arnaud,  Je  leur  fis  entendre  ce  que  j'a- 
vois  fait  des  Mariages  Samnites.  Ces 
MM.  me  jugèrent  avantageufement  -y 
fabbé  Arnaud,  fur-tout  m'applaudit  avec 
î'enthoufiafme  de  l'homme  inftruit  qui 
n'a  nul  befoin  du  jugement  des  autres 
pour  ofer  approuver. 

Si  je    fus    flatté    de    ce    fuccès,  mon 


(i)  Cette  pièce  n'étoit  pas  ceîie  qui  fut  donnée  fous 
lemtsie  titre  en  1J76  y  dont  il  fera  parlé  ci-apies.. 


SUR     LA     MUSIQUE.  171 

poète  n'en  fut  pas  moins  encouragé  a  finir 
fa  pièce.  Ces  MM,  m'annoncèrent  chez 
les  gens  de  lettres,  &  je  fus  peu  de  jours 
après  invité  à  un  dîner  chez  M,  le  comte 
de  Cnut\  alors  envoyé  de  Suède.  J'y 
exécutai  les  principales  fcènes  de  mon 
opéra  ;  j'entendis  pour  la  première  fois 
parler  de  mon  art  avec  infiniment  d'ef- 
prit  ;  j'en  fus  frappé ,  car  j'avois  remar- 
qué pendant  mon  féjonr  à  Rome,  que 
Jes  Italiens  fentent  trop  vivement  pour 
raifonner  long-temps.  Un  oh  dio  !  en 
pofant  la  main  fur  leur  cœur ,  eit  ordinal" 
rement  le  figne  flatteur  de  leur  appro- 
bation. C'elt  dire  beaucoup  fans  doute  \ 
mais  fi  un  foupir  dans  ce  cas  ,  renferme 
une  réthorique  ;  il  faut  convenir  qu'elle 
eft  peu  inftructive. 

Parmi  les  gens  de  lettres  qui  étoient 
de  ce  dîner  ^  je  remarquai  que  MM.  Suarâ 
&  l'abbé  Arnaud  y  parloient  fur  la  mn- 
(ique  avec  ce  fentiment  vrai  ,  que  l'ar- 
tiftç  qui  a  tout  femi  pendant  fon  travail } 


i  7  2-  Essai 

fait  fi  bien  apprécier.  M.  Vemet,me  parla 
comme  s'il  eût  compofé  de  îa  mufiquc 
toute  fa  vie.  Je  vis  qu'il  eût  été  le  mu- 
sicien de  ïa  nature  ,  s'il  n'en  eût  été  ïe 
peintre. 

Qu'importe  d'ailleurs  la  route  que  l'on 
prenne  ?  Soit  les  jeux  ou  les  oreilles  , 
pourvu   qu'on  arrive  au  cœur. 

Qu'il  me  Toit  permis  d'examiner  pour- 
quoi les  gens  qui  ont  le  plus  d'efprit  , 
ne  font  pas  ceux  qui  favent  le  mieux 
apprécier  un  trait  de  chant  3  une  note 
de  baffe  &c.  Lorfque  j'exécute  ma  mu- 
fique  auprès  d'eux  ,  je  remarque  qu'ils 
éprouvent  l'inquiétude  qu'avoit  fans  doute 
l'ontenelle  ïorfqu'il  difoit  fonatc ,  que  me 
veux  tu  ?  Tandis  qu'une  femme ,  un  en- 
fant font  doucement  agités  de  fenfations 
agréables. 

Je  ne  donnerai  ici  mes  idées  ,  que 
comme  un  foible  apperçu,  qui  ne  peut 
réfoudre  un  problème  aufîi  métaphifique, 
ck  trop  au  defïus  de  mes  forces. 


SUR     LA      MUSIQUE.         173 

Voyons  d'abord  queî  eil  le  travail  ha- 
bituel de  Fhomme  de  lettres  en  général. 
Soit  qu'il  écrive  ou   qu'il  parle  ,  c'ell  le 
plus  fouvent  d'orner  des   grâces  de  l'ef- 
prit ,    la   fhnple    vérité  ,  qui  n'a    befoin 
d'aucune  parure  étrangère.  Pourquoi  donc 
ne  pas  îa   préfenter  à   nos  yeux  fimpîe 
&  naturelle  ?  Parce  que  les  hommes  de 
génie  font  rares ,  &  qu'elle  ne  fe  montre 
qu'à  eux  feuls.  L'homme  de  génie  lailTe 
après    lui  une  foule  d'imitateurs  ,    qui  , 
n'ofant  plus  dire  de  la  même  manière  ce 
qui  a  déjà  été   dit,  font  obligés  de  dé- 
guifer  la  vérité  fous  ïe  charme  des  grâces. 
J'avoue   même  que   fouvent  fiilufion  eit 
fi  parfaite,  fi  féduifante  qu'on  eft  tenté 
de  prendre  l'apparence  pour  la  vérité  elle- 
même. 

Plus  on  a  écrit  fur  un  même  fujet; 
plus  il  devient  difficile  à  traiter  ;  Se  comme 
il  eft  impoflible  de  rien  ajouter  à  la  vé- 
rité ,  il  faut  que  chaque  jour  l'elprït  fa  fie 
de    nouveaux    efforts  ,   pour   lier    entre 


1 74  Essai 

elles  ,  des  idées  incohérentes  dont  les 
rapports  deviennent  enfin  fi  déliés,  fi 
fubtils,  fi  délicats,  que  l'efpri.t  même  s'é- 
garant  dans  fon  vafte  empire  ,  perd  la 
dernière  étincelle  du  flambeau  de  la  vé- 
rité 

La  mufique  n'ayant  befoin  pour  être 
bien  fentie  ,  que  de  cet  heureux  inftincT: 
que  donne  la  nature  ,  il  fembleroit  que 
fefprit  nuit  à  I'inflinâ  ;  que  l'on  n'ap- 
proche de  l'un  qu'en  s'éloignant  de  l'autre  ; 
Se  qu'enfin  plus  vous  aurez  de  facilité  à 
combiner  ck  à  rapprocher  des  idées  > 
plus  vous  affaiblirez  le  taS  naturel  qui  ne 
fent  qu'une  chofe  à  la  fois  ,  &  c'eft  afTez 
pour  bien  fentir.  L'homme  livré  a  la 
fimple  nature  ,  reçoit  fans  réfiftance  la 
douce  émotion  qu'on  lui  donne.  L'homme 
d'efprit ,  au  contraire  ,  veut  favoir  d'où 
lui  vient  le  plaifir  ;  ôc  avant  qu'il  par- 
vienne à  fon  coeur ,  il  eft  évanoui.  Le 
fentiment  eft  volatil  comme  î'efTence  ren- 
fermée dans  un  vafe ,  que  ïe  contai  de 


SÛR      LA      MUSIQUE,        1 7  j 

fair  fait  évaporer  :  de  même  une  fenfa- 
tion  eft  perdue  fi  elle  frappe  des  organes 
habitués  à  analifer  pour  fentir. 

Tout  le  monde  cependant  veut  avoir 
l'air  d'aimer  la  mufique  ;  chacun  fait  qu'elle 
eft  un  élan  de  i'ame ,  le  langage  du  cœur; 
convenir  que  cette  langue  nous  eft  étran- 
gère ,  feroit  faire  un  aveu  d'infenfibiiité  ; 
Ton  fe  donne  donc  pour  connoïffeur , 
on  dit  ah  !  que  c\fl  délicieux  !  avec  une 
mine  à  la  glace,  Si  l'on  eft  homme  de 
lettres  on  fe  dépêche  d'écrire  une  bro- 
chure fur  la  mufïque  ;  on  y  dit  que  les 
muficiens  font  des  bêtes  qui  ne  favent 
que  fentir  ,  &  à  force  de  raifonnemens , 
l'on  s'établit  mulicien  à  leur  place. 

Voudra-t-on  inférer  de  ce  que  je  viens 
de  dire ,  qu'il  faudra  pour  avoir  le  fen- 
timent  de  fa  mufique,  n'être  ni  poëte, 
ni  hiftorien ,  ni  orateur ,  ni  homme  d'ef- 
prit  enfin  ?  Non  fans  doute  ,  mais  il 
faut  je  crois  tenir  de  fa  nature  ,  elle- 
même,  une  de   ces  qualités,  ou   toutes 


iy6  Essai 

(  s'il  ctoit  pofTible ,  )  &  il  ne  fufïît  pas 
de  les  avoir  acquifes  par  un  travail  forcé 
d'érudition  ,  de  compilation  ,  qui  peut 
fans  doute  ouvrir  un  chemin  neuf  à 
l'homme  bien  né  ,  mais  qui  ne  donne  a 
l'homme  ordinaire  que  le  défefpoir  de  ne 
jamais  approcher  de  fes  modèles. 

Voulez-vous  favoir  fi  un  individu  quel- 
conque eft  né  fenfiole  à  la  mufique  ?  Voyez 
feulement  s'il  a  l'efprit  fïmple  &  jufle  ; 
fi  dans  fes  difcours  ,  fes  manières ,  fes 
vêtemens  il  n'a  rien  d'afTe&é  ;  s'il  aime 
ïes  fleurs,  les  enfans  ;  fi  ïe  tendre  fenti- 
ment  de  l'amour  le  domine. 

Un  tel  être  aime  paffionnément  l'har- 
monie &  la  mélodie  qu'elle  renferme , 
&  n'a  nul  befoin  de  compofer  une  bro- 
chure d'après  ïes  idées  des  autres ,  pour 
nous  le  prouver. 

Tout  fe  difpofoit  au  gré  de  mes  de- 
firs  ;  il  ne  me  refïoit  plus  qu'à  trouver 
dans  mes  acteurs ,  des  juges  aufîi  indul- 
gents que  les  hommes  célèbres   dont  je 

venois 


SUR      LA       MUSIQUE.  ÏJJ 

veïioïs  d'obtenir  l'approbation  ;  je  cher- 
chois  les  moyens  de  leur  faire  entendre 
ma  mufique ,  quand  mon  poëte  m'apprit 
que  notre  pfïèçe  avoir  été  refufée.  Il  fut 
réfolu  que  l'ouvrage  feroit  refondu  &  ar- 
rangé pour  l'opéra  ,  car  les  comédiens  , 
Se  fur- tout  Cailleau  ,  f  avoient  jugé  trop 
noble  pour  leur  théâtre ,  &  ils  avoient 
raifon:  Un  mois  fufrlt  au  poëte  &  à  moi, 
pour  cette  métamorphofe.  Les  protecteurs 
de  mon  talent  ,  (  &  iï  en  faut  a  Paris 
quand  on  n'eft  pas  connu  )  avoient  parlé 
de  mon  ouvrage  au  feu  Prince  de  Conti , 
qui  ordonna  a  Trial  directeur  de  fa  mu- 
fique &  de  l'opéra  ,  de  faire  exécuter  chez 
lui  les  Mariages  Samnites.  Fen  fis  moi- 
même  prefque  toute  la  copie  ;  ma  fortune 
ne  me  permettant  pas  d'en  faire  la  dé- 
penfe.  Lorfque  le  jour  qui  alloit  décider 
de  mon  fort  fut  arrivé;  Trial  me  fit 
dire  de  me  trouver  le  matin  au  magafin 
de  l'opéra  pour  la  répétition  des  chœurs. 
C'eft  ici  qu'il  faudrait  une  plume  exer- 

M 


178  E    S    S    A    î 

cée  pour  décrire  tout  ce  que  j'entrevis 
de  fâcheux ,  fur  la  mine  des  muficiens 
raflemblés  ;  un  froid  glacial  règnoit  par 
tout  :  fi  je  voulois  pendant  l'exécution 
ranimer  de  ma  voix  ou  de  mes  geftes, 
cette  maffe  indolente,  j'entendoisrire  âmes 
côtés ,  &  l'on  ne  m'écoutoit  pas.  Je  fré- 
mis davantage  ie  foir  en  voyant  chez 
Monfeigneur  le  Prince  de  Conti,  toute  la 
cour  de  France  raflemblée  pour  me  juger  ; 
depuis  l'ouverture,  (  qui,  aujourd'hui,  efl 
en  partie  celle  de  Silvain)  jufqu'à  la  fin  de 
l'opéra,  rien  ne  produifit  le  moindre  effet  : 
l'ennui  fut  fi  univerfel  que  je  voulus  fuir 
après  le  premier  a£te  ;  un  ami  me  re- 
tint ;  l'abbé  Arnaud  me  ferra  la  main  , 
il  avoit  faîr  furieux  j  il  me  dit  :  vous  n'êtes 
pas  jugé  ce  foir ,  il  femble  que  tous  les 
muficiens  s'entendent  pour  vous  écorcher, 
mais  vous  vous  relevere^  de  là ,  je  vous  h 
'jure  fur  mon  honneur.  Le  Prince  eut  l'ex- 
trême bonté  de  me  dire  :  je  n'ai  pas 
trouvé  exaçlement  ce  que  vos  amis  m'avoient 


SUR     LA     MUSIQUE.         zj<£ 

■annoncé ,  mais  je  fuis  fâché  que  perfonne 
n'ait  applaudi  une  marche  que  j'ai  trouvée 
charmante,    C'étoit   celle  que   j'ai  placée 
eufuite  dans  le  Huron.  Je  dois  ici  rendre 
juftice  à  un  de  mes  chanteurs ,  qui ,  au 
milieu  de  l'exécution  la  plus  foporifîque, 
déploya  toute  l'énergie  du  grand    talent 
ôc  de  la  probité.  Si  fon  rôle  eût  été  plus 
considérable  ,    ou    pour   mieux   dire   s'il 
eût  à  lui  feul  chanté  tout  f opéra,  j'eufTe 
obtenu  un  fuccès  ;    mais  l'ennui  s'étant 
déjà   emparé  de   l'auditoire  ,    quand    il 
commença ,  il  ne  put  parvenir  à  le  tirer 
de  fa  léthargie.  Cet  honnête  artifle,  cet 
homme  déjà  retiré  de  l'opéra,  qui  n'avoit 
jamais   eu  fans  doute    l'ame   alTez    baffe 
pour  s'oppofer  au  fuccès  des  talehs  naif- 
fants  ,  c'eft.  M.  Géliote.  On  fe  figure  ai- 
fément  dans  quel  état  je  rentrai  chez  moi 
après  cette  répétition  :  mais  ce   que  l'on 
ne  fe  figurera  pas ,  c'eft  l'effet  que  pro- 
duifit  fur  mon  efprit  déjà  abattu ,  la  lec- 
ture de  deux  lettres  que  je  trouvai  en  ren- 

M  a 


180  Essai 

trant  chez  moi  ;  îa  première  étoit  ano 
nime;  elle  contenoit  ces  mots  confoïants  : 
vous  croye^  donc ,  honnête  liégeois ,  venir 
figurer  parmi  les  grands  talciis  de  cette  ca- 
pitale? Défabufe^-vous ,  mon  cher ,  plie^ 
bagage;  retourne^  che\  vos  compatriotes 
&  leur  faites  entendre  votre  mujîquc  ba- 
roque qui  n'a  ni  fens ,  ni  raifon.  L'autre 
datée  de  Londres  ,  étoit  de  Mylord  A...  dont 
j'ai  parlé  ci-devant.  II  m'écrivoit,  qu'il  ne 
jouoit plus  de  lajlutte  ,  &  qu'il  fupprimoit 
ma  penfion,  t 

Je  n'ofai  pas ,  comme  on  peut  le  pen- 
fer  ,  demander  au  directeur  Trial ,  fi  l'on 
donneroit  mon  opéra  ;  cette  demande 
auroit  été  ridicule.  Les  gens  de  lettres 
qui  s'intéreflbient  k  moi ,  voyant  que  je 
projettois  de  partir,  engagèrent  M.  Mar- 
montel  k  me  faire  un  poëme.  II  vint  me 
trouver  ;  il  m'avoua  franchement  qu'il 
avoit  donné  une  pièce  aux  Italiens  (  la 
Bergère  des  Alpes  )  &  que  malgré  fou 
peu  de  fuccès  ,  il  alloit  travailler  fur  un 


SUR     IA      MUSIQUE,  l8l 

conte  de  Voltaire ,  qu'on  venoit  de  pu- 
blier. (  VIngénu  ou  le  Huron  )  Vous  me 
rendez  la  vie  ,  lui  dis-je  !  car  faime  ce 
charmant  pays  ou  Ton  me  traite  fi  mal. 
Cet  ouvrage  fut  fait,  paroles  &  mufique , 
en  moins  de  fîx  femaines.  M.  l'Envoyé 
de  Suède  qui  s'étoit  déclaré  mon  plus 
zélé  partifan,  même  après  mon  défaftre, 
pria  M.  Caillcau  de  venir  dîner  chez  lui 
pour  entendre  un  ouvrage  dans  lequel 
on  lui  deftinoit  un  grand  rôle  ;  il  m'a  dit 
depuis,  qu'il  fut  fur  le  point  de  refufer 
l'invitation  ,  s'étant  déjà  fi  fouvent  com- 
promis pour  de  mauvais  ouvrages.  Il 
n'accepta  que  par  égard  pour  M.  l'En- 
voyé de  Suède  &  pour  1VL  Marmontel. 
II  écouta  avec  défiance  les  premiers  mor- 
ceaux ;  mais  dès  que  je  lui  chantai ,  dans 
quel  canton  ejl  VHuronie  ?  il  marqua  le 
plus  grand  contentement  ;  il  nous  dit 
qu'il  fe  chargeoit  de  tout,  &  que  nous 
ferions  joués  incefTamrnent.  C'ejl  donc  là  y 

M  3 


i  8 1  Essai 

dit-il ,  cet  homme  dont  j'entends  fi  horri- 
blement déchirer  les  talens  ! 

D'après  ce  que  je  viens  de  dire  ,  le 
jeune  compofiteur  fentira  combien  iï  eft 
important  de  foigner  en  tout  point  ïe 
premier  efTai  qui  va  le  faire  connoître , 
ou  reculer  fes  progrès  pour  plusieurs  an- 
nées. Un  jeune  peintre  eft  cent  fois  plus 
heureux  que  lui  ;  un  tableau  eft  aifément 
place'  dans  fa  véritable  perfpeétive  ;  mais 
l'exécution  de  la  mufique  exige  des  at" 
tentions  préliminaires  qu'on  n'accorde 
guère  a   un  arrifte  peu  connu. 


SUR     LA      MUSIQUE.         183 

LE      H  U  R  O  N. 

Comédie  en  deux  Actes ,  en  vers  ,  paroles  de 
M.  Marmontel;  repréfenté  pour  la  premère  fois 
parles  Comédiens  Italiens,  le  zo   Août  ij68. 

M.  Caïlhau  me  conduifit  chez  ma- 
dame La  Ructte ,  où  je  trouvai  les  prin- 
cipaux comédiens  rafTemblés ,  j'exécutai 
feul  au  clavecin  ,  toute  la  mufique  de 
cet  ouvrage  :  nous  fîmes  une  répétition 
au  théâtre  quelque  jours  après  ;  lorfque 
Cailleau  chanta  l'air  ,  dans  quel  canton 
eft  l'Huronie ,  &  qu'il  dit ,  mejjieurs  mef- 
fieurs  ,  en  Huronie...  Les  muiiciens  ces- 
sèrent de  jouer  pour  lui  demander  ce 
qu'il  vouloit  ;  mais  je  chante  mon  rôle, 
leur  dit-il  ;  on  rit  de  la  méprife ,  èk  l'on 
reprit  le  morceau.  Les  répétitions  fe  firent 
avec  zèle  ,  Se  je  fentis  renaître  l'efpoïr 
de  réufîlr  à  Paris.  Le  jour  de  la  première 
représentation  ,   j'étois   dans   une    telle 

M  4 


184  Essai 

perplexité,  que  trois  heures  à  peine  étoient 
formées,  que  je  fus  me  pofter  au  coin 
de  la  rue  Mauconfeil  ;  là ,  mes  regards 
fe  fixoient  furies  voitures.  cV  fembloient 
attirer  les  fpecrateurs ,  Se  falliciter  d'avance 
ïeur  indulgence.  Je  n'entrai  dans  la  falîe 
que  lorfque  la  première  pièce  fut  jouée  ; 
ck  lorfque  je  vis  qu'on  âlîoit  commencer 
l'ouvert ure  du  Huro.i  ,  je  defeendis  à 
Porche  ftre.  Mon  intention  étoit  de  me 
recommander  au  premier  violon  (  M. 
Lchcl  )  Je  le  trouvai  prêt  à  frapper  le 
premier  coup  d'archet  ;  fes  yeux  étoient 
enflammés,  ïes.trairs  de  fon  vîfage  étoient 
changés  au  point  qu'on  r.uroit  pu  le  mé- 
connaître ;  je  me  retirai  fans  mot  dire  y 
&  je  fus  faifis  d'un  mouvement  de  reçon- 
noiflance  dont  je  n'ai  jamais  perdu  le 
fouvenir.  J'ai  depuis  obtenà  qu'il  fût 
nommé  mufidéii  du  Roi  ,  avec  âouze 
cents  francs  de  penfion.  Le  public  fit 
comme  Cailleau  ,  il  écouta  le  premier 
morceau  avec  défiance  ;  il  me  croyoit  Ita- 


SUR      LA       MUSIQUE.         185 

lien  parce  que  mon  nom  fe  termine  en 
i  :  j'ai  fa  depuis  que  le  parterre  difoit, 
nous  allons  donc  entendre,  des  roulades  & 
des  points  d'orgue  à  ne  jamais  finir.  Il 
fut  trompé  &  me  dédommagea  de  la  pré- 
vention :  le  duo ,  ne  vous  rebute-^  pas  &c , 
détruifït  le   préjugé  ;  Cailleau  parut ,   fit 
aimer  le  charmant  Huron  ,  qu'on  a  long- 
tems    regreté    à  la    Comédie    Italienne. 
Madame   Laruette  chanta  Je  rôle  de  ma- 
demoifelïe  "de  Saint-Yves ,  avec  fa  fenfi- 
bilîté  toujours  fi  décente  ;  M.   Laruette 
déploya  dans  celui  de  Gilotin  fa  panto- 
mime comique  fans  charge.  L'excellent 
A£teur  ,  M.  Clairval ,  toujours  animé  du 
defir   d'être  utile  à  fes  camarades  &  aux 
arts ,   ne  dédaigna  pas  de  fe  charger  du 
petit  rôle  de  l'Officier  François  :  ïe  fuc- 
cès  fut   décidé  après  le  premier  a&e,  & 
confirmé  à  îa  fin  du  fécond  ;  on  demanda 
les  Auteurs ,  Clairval  me  nomma  ;  Se  dit 
que  l'Auteur  des  paroles  étoit  anonime. 
Si  j'ai  jamais  pafle  une  nuit  agréable. 


i 86  Essai 

ce  fut  celle  qui  fuivit  cet  heureux  jour! 
Mon  père  m'apparut  en  fonge  ;  il  me 
tendoit  les  bras,  je  m'éîançois  vers  lui, 
en  faifant  un  cri  qui  diflipa  un  fi  doux 
preftrge.  Cher  auteur  de  mes  jours,  qu'il 
fut  douloureux  pour  moi  de  penfer  que 
tu  ne  jouirois  pas  de  mon  premier  fuc- 
ces  !  Dieu  qui  lit  au  fond  des  cœurs 
fait  que  le  defir  de  te  procurer  l'aifance 
qui  te  manquoit ,  fut  le  premier  mobile 
de  mon  émulation  !  Mais  dans  Pinftant 
même  où  je  luttois  contre  l'orage  avec 
quelque  efpoir  de  fuccès  ;  quand  des  amis 
cruels  faifoient  entendre  à  ce  malheureux 
père,  combien  mes  efforts  étoient  témé- 
raires; lorfque  enfin,  j'étois  Punique  objet 
de  fes  inquiétudes  ,  &  que  d'une  voix 
prefque  éteinte  ,  il  difoit  :  je  ne  verrai 
plus  mon  fils  !  RèuJJira-t-il  ?  La  mort 
vint  terminer  des  jours  menacés  depuis 
long-tems  ,  &  que  j'allois  rendre  plus 
heureux  ! 

Un  Peintre   de    mes  amis  ,  vint  me 


SUR     LA     MUSIQUE.  187 

trouver  le  lendemain  ;  je  veux  ,  me  dit- 
il  ,  te  montrer  quelque  chofe  qui   te  fera 
plaifir  :  allons  ;  lui  dis-je  ,  car  je  fuis  fa- 
tigué d'entendre  des  lectures  de  pièces — . 
Comment  ?  Déjà  ?  — -  Bon  !  Tu  vois  un 
homme  auquel   depuis  ce   matin   on   a 
offert  cinq  pièces  reçues  aux  Italiens.  Tout 
ou  rien   eft  un  adage   qui    fe  réalife  fur 
tout  à  Paris,  Les  poëtes  qui  m'ont  ho- 
noré de  leurs  vifites ,  font  ceux  que  j'avois 
folliciris  vainement  pour  avoir  un  ouvrage. 
ah  !  Me  dit  mon  ami ,  j'ai  bien  ri  hier 
a  Famphitéâtre  :  j'étois  entouré   de   ces 
mefikurs  ,  &  à  la  fin  de  chaque  morceau  ; 
ils  s'ecrioient ,  ah  !  il  fera  ma  pièce  !  Vous 
verre^y    mejjieurs  ,    V ouvrage  que  je    lui 
dejîine  !  Si  l'on  finifloit  un  air  comique  : 
ah  !  J'ai  aujji  de  la  gaieté  dans  mon  ou- 
vrage ;  bravo  !  Bravo  !  C'eft  mon  homme* 
Enfin  ,  pourfuivit  le  Peintre ,  as  tu  accueilli 
quelques  uns  de  ces  meilleurs  ?  —  Non  : 
je  leur  ai  dit  que  M.  Marmontel  méri- 


i  8  S  Essai 

toit   la   préférence  ,  puifqu'il   avoit  bien 
voulu  fe  hafarder  avec  moi. 

Je  fortis  avec  mon  ami  ;  il  me  con- 
duifit  dans  une  petite  rue  derrière  la 
Comédie  Italienne  ;  puis  m'arrêtent  vis- 
à-vis  une  boutique  ;  je  vis  au  grand  Hu- 
ron.  2V.  marchand  de  Tabac.  J'entrai ,  j'en 
pris  une  livre  :  parce  que  je  le  trouvai ? 
comme  de  raifon  ,  meilleur  que  par-tout 
ailleurs. 

Si  je  fus  enchanté  de  la  réuflite  du 
Huron  ,  je  ne  le  fus  pas  moins  d'un  autre 
événement  auquel  j'étois  bien  foin  de 
m'attendre.  Eût-on  pu  croire ,  en  effet , 
que  dans  le  tems  de  mon  arrivée  à  Pa- 
ris ,  lorfque  je  quètois  infruétueufement 
dans  cette  grande  ville  ,  des  poëmes  k 
mettre  en  mufique  ,  &  que  je  n'avois 
effectivement  aucun  titre  pour  infpirer 
beaucoup  de  confiance  aux  Parifiens  ,  le 
premier  Poëte  de  la  France  &  de  fon 
fiècle  ,  M.  de  Voltaire. me  tenoit  la  pa- 


SUR     LA     MUSIQUE.  i  8  Q 

rôle  qu'il  m'avoit  donnée,  fur  laquelle  je 
n'ofois  compter,  ôc  faifoit  pour  moi  des 
opéras  comiques  ?  A  la  vérité ,  il  avoit 
marqué,  ainiï  que  madame  Denis,  fa  nièce, 
beaucoup  d'indulgence  pour  les  morceaux 
que  j'avois  exécutés  devant  lui  à  Ferney, 
mais  quelques  airs  détachés,  ôc  la  mu- 
fique  que  j'avais  refaite  for  l'Opéra  d'Ifa- 
beiïe  &  Gertrude  de  M.  Favart ,  me  pa- 
roiflbîent  des  titres  infuffifans  pour  exciter 
l'attention  d'un  homme  tel  que  M.  de 
Voltaire.,  &  pour  mériter  fes  encourage- 
mens.  Quand  ,  pour  me  déterminer  à  ve- 
nir à  Paris  il  m'aiTuroit  qu'il  travailleroit 
pour  moi ,  je  crus  qu'il  plaifantoir ,  ôc 
je  fus  loin  d'imaginer  que  M.  de  Voltaire 
pût  quitter  quelques  momens  le  feeptre 
de  Meïpomène  pour  les  grelots  de  Momus. 
Il  le  fit  pourtant,  &  compofa  en  fe  jouant 
le  Baron  d'Otrante ,  &  les  deux  Tonneaux. 
Je  reçus  le  premier  pendant  qu'on  jouoit 
encore  le  Huron  dans  fa  nouveauté.  Le 
Conte  de  M.  de  Voltaire  intitulé  ï>Edu- 


tyo  Essai 

cation  d'un  Prince  ,  lui  fournit  le  fujet  dti 
Baron  d'Otrante.  Je  fus  chargé  de  pré^- 
fenter  la  pièce  aux  Comédiens  Italiens, 
comme  Pouvragc  d'un  jeune  Poëte  de 
Province.  Le  fujet  parut  comique  &  mo* 
rai ,  ôc  les  détails  agréables  :  mais  ils  ne 
voulurent  point  recevoir  cet  ouvrage  fans 
que  fAuteur  y  fit  des  change  mens.  Ce 
qui  les  choqua  peut-être  ,  c'eiî;  que  Y  un 
des  principaux  rôles  ,  celui  du  corfaire  , 
eft  écrit  en  italien ,  &:  tous  les  autres  en 
françois.  Ce  mélange  des  deux  idiomes 
n'étoit  point  rare  fur  leur  théâtre  dans 
les  Comédies  dites  italiennes;  mais  c'étoit 
une  nouveauté  dans  l'Opéra  comique , 
ck  ils  ne  voulurent  point,  la  hafarder  > 
fur  tout  n'ayant  pas  de  chanteur  Italien» 
Cependant  ils  voyoient  très-bien  dans 
le  Baron  d'Otrante ,  un  talent  qui  pou- 
voir leur  être  utile  ,  &  ils  m'engagèrent 
à.  faire  venir  le  jeune  Auteur  anonime  à 
Paris.  Je  leur  promis  d'y  faire  mes  efforts. 
On  peut  croire  que  la  proportion  fit  rire 


SUR      LA      MUSIQUE.        191 

M.  de  Voltaire  ,  &  qu'il  fe  confola  faci- 
lement du  refus  des  Comédiens.  Pour 
moi ,  je  fus  très-fâché  de  ce  contre  tems 
qui  me  fit  renoncer  à  mettre  fa  pièce 
en  mufique ,  comme  il  renonça  de  fon 
côté  à  l'Opéra  comique. 

Le  public  ne  tarda  pas  à  me  mettre 
au  rang  des  compofiteurs  dignes  de  fes 
encouragemens  ;  mais  on  m'accordoit 
trop  ,  ou  pas  allez  :  on  commença  par 
me  refufer  le  genre  comique ,  quoiqu'il  y 
eût  du  comique  dans  ïe  Huron.  D'autres 
cherchèrent  à  arranger  mes  chants  fur  le 
fyftême  de  la  baffe  fondamentale  ,  &  elle 
ou  moi  nous  nous  trouvâmes  quelque 
fois  en  défaut. 

J'ai ,  me  dit  un  homme  ,  cherché  vai- 
nement la  baffe  fondamentale  de  fa  notte 
du  cor ,  dans  le  récitatif  obligé  de  ma» 
demoifelle  de  Saint-Yves ,  au  fécond  a&e. 
Quelle  raifon  me  donneriez-vous  de  cette 
fortie  d'un  ton  à  l'autre,  fans  rapport 
entre  les  harmonies  ? 


i  9^  Essai 

La  voici ,  ïui  dis-je.  C'eft  parce  que 
le  Huron  dont  mademoifelle  de  Saint- 
Yves  s'imagine  entendre  les  accens,  eft 
trop  éloigné  du  lieu  de  ia  fcène,  pour 
favoïr  dans  quel  ton  Ton  y  chante  :  — 
Et  fi  îa  hafîe  iondamentaie  ne  peut  juf* 
tiner  cet  écart? —  Tant  pis  pour  elle  :  mais 
ii  n'en  eft  pas  moins  vrai  que  l'on  ne  peur 
chanter  un  duo  en  tierces ,  lorfqu'on  eft 
à  une  demi-lieue  l'un  de  l'autre,  —  La 
raifon  eft  bien  pour  vous  ,  me  dit -il, 
mais  la  règle?...  Je  rencontrai  mon  homme 
quelque  tems  après  '.foye^  tranquille ,  me 
dit-il  ,  j'ai  trouvé  la  baffe  fondamentale 
de  votre  notte» 

Malheur  à  Partifte  qui ,  trop  captivé 
par  la  règle ,  n'ofe  fe  livrer  à  l'eflbr  de 
fon  génie  ;  il  faut  des  écarts  pour  pou- 
voir tout  exprimer  ;  il  doit  favoir  peindre 
l'homme  fenfé  qui  palTe  parla  porte,  ôc 
Je  fou  qui  faute  par  la  fenêtre. 

Si  vous  ne  pouvez  être  vrai  ,  qu'en 
créant    une    cembinaifon    inufirée  ;    ne 


craignez 


SUR     I-  A     MUSIQUE.  1^3 

craignez  point  d'enrichir  la  théorie  d'une 
règle  de  plus  :  d'autres  artiftes  placeront 
peut  être  encore  plus  a  propos  la  licence 
que  vous  vous  êtes  permife ,  &  forceront 
les  plus  févères  a  l'adopter.  Le  précepte 
a  prefque  toujours  fuivi  l'exemple.  Ce 
n'en:  cependant  qu'à  l'homme  familiarifé 
avec  la  règle  ,  qu'il  efl  quelquefois  per- 
mis de  la  violer ,  parce  que  lui  feul  peut 
fentir,  qu'en  pareil  cas,  la  règle  n'a  pu 
fuffire. 

Tachons  de  voir  maintenant  pourquoi 
ma  mufique  s'ert  établie  doucement  en 
France ,  fans  me  faire  des  partifans  en- 
thoufiaftes ,  &  fans  exciter  de  ces  difputes 
puériles ,  telles  que  nous  en  avons  vues. 
C'efl  ,  je  crois  ,  à  mes  études  &  à  la 
manière  que  j'ai  adoptée  ,  que  je  dois 
cet  avantage. 

J'entendois  beaucoup  raifonner  fur  la 
mufique  ,  &  comme ,  le  plus  fouvent , 
je  n'étois  de  l'avis  de  perfonne ,  je  pre- 
nois  le  parti  de  me  taire.  Cependant  je 

N 


ij4  Essai 

me  demandoïs  à  moi-même  ,  n'eft  -  iï 
point  de  moyen  pour  contenter  à  peu 
près  tout  le  monde  ?  II  faut  être  vrai  dans 
îa  déclamation,  me  difois-je,  a  laquelle  le 
François  eft  très-fenfible.  J'avois  remar- 
qué qu'une  détonnation  affreufe ,  n'aïte- 
roit  pas  le  plaHir  du  commun  des  audi- 
teurs au  fpe&acle  Iirique  :  mais  que  la 
moindre  inflexion  faufTe  au  théâtre  Fran- 
çois ,  caufoit  une  rumeur  générale.  Je 
cherchai  donc  la  vérité  dans  la  décla- 
mation ,  après  quoi ,  je  crus  que  le  mu- 
ficien  qui  fauroit  le  mieux  la  métamor- 
phofer  en  chant ,  feroit  le  plus  habile. 
Oui  c'eft  au  théâtre  François  ,  c'eft  dans 
îa  bouche  des  grands  a&eurs ,  c'euVlà  que 
ia  déclamation  accompagnée  des  illufions 
théâtrales  ,  fait  fur  nous  des  imprefïions 
inefaçabïes,  auxquelles  les  préceptes  les 
mieux  décrits ,  les  mieux  analifés  ne  fup- 
pléront  jamaîs. 

C'eft-là  que  le  muficien  apprend  à  in- 
terroger les  pafîions,  a  fcruter  Je  cœur 


SUR     LA     MUSIQUE.  I  <J  f 

Jiumain  9  à  fe  rendre  compte  de  tous  les 
mouvemens  de  l'âme.  C'eft  a  cette  école 
qu'il  apprend   à   connoître   ôc  à   rendre 
leurs  véritables  accens  ;  à  marquer    leurs 
nuances  ck  leurs  limites.  Il  eft  donc  inu- 
tile ,  je  le  répète,  de  décrire  ici  les  fen- 
timens  dont  l'action  nous  a  frapés  ;  fi  îa 
fenfibilité  ne  les  conferve  au  fond  de  notre 
ame,  fi  elle  n'y  excite  les  orages  Ôc  ne  ra- 
mené le  calme ,  toute  defcription  eit  vaine. 
Le  compofiteur  froide  l'homme  fans  paf- 
fïons  ne  fera  jamais  que  l'écho  fervile  qui 
répète    des  fons ,  ôc  îa  vraie    fenfibilité 
qui  l'écoutera  n'en  fera  point  émue. 

Perfuadé  que  chaque  interlocuteur  avoit 
fon  ton ,  fa  manière  ;  je  m'étudiai  à  con- 
ferver  à  chacun  fon  eara£tère. 

Bientôt  je  m'apperçus  que  ïa  mufique 
avoit  des  reflources  que  la  déclamation 
feule  n'a  point.  Une  fille ,  par  exemple  , 
aflure  a  fa  mère  qu'elle  ne  connoît  point 
l'amour  :  mais  pendant  qu'elle  arTecle 
î  indifférence    par    ug   chant  fimple    ôc 

N    2 


i$6  Essai 

monotone ,  l'orcheftre  exprime  le  tour- 
ment de  fon  cœur  amoureux.  Un  nigaud 
veut-il  exprimer  fon  amour  ,  ou  fon  cou- 
rage ?  S'il  eft  vraiment  animé ,  il  doit  avoir 
les  accens  de  fa  paflion  ;  mais  l'orcheftre 
par  fa  monotonie ,  nous  montrera  le  pe- 
tit bout  d'oreille.  En  général ,  le  fentiment 
doit  être  dans  le  chant  ;  l'efprit ,  les  geftes , 
îes  mines  doivent  être  répandus  dans  les 
accompagnemens. 

Telles  furent  mes  réflexions  Se  mes 
études.  Je  ne  dirai  pas  que  les  acteurs 
que  je  trouvai  a  Paris ,  étoient  plus  ac- 
teurs que  chanteurs  ,  &  que  je  devois , 
par  cette  raifon  adopter  le  fyftême  de 
ïa  déclamation  muficaîe  ,  non  :  je  ferai 
plus  vrai.  Je  dirai  que  la  mufique  de  Per~ 
golefc  m'ayant  toujours  plus  vivement  af- 
fecté que  toute  autre  mufique  ,  je  fui  vis 
mon  inftincl:;  il  fe  trouva  conforme  à  ce- 
lui d'un  public  qui  aime  à  faire  paffer  les 
plaifo  par  l'alambic  de  la  raifon.  Le 
fexe   qui  reçut  la  fenfibilité  en  partage , 


sur  éa  musique.  i  <ff 
fut  mon  premier  partifan  ;  le  jeune  étourdi 
me  trouva  de  l'enjouement  Ôc  de  la  fineiTe* 
l'homme  févère  dit  que  ma  mufîqne  étoit 
partante  :  îes  vieux  partions  de  Lulli  6c 
de  Rameau  y  trouvèrent  dans  mon  chant 
certains  rapports  avec  celui  de  leur  héros. 
Mais  lorfqu'on  veut  bien  applaudir  aux 
efforts  d'un  artifte  ,  qu'il  eft  loin  d'être 
fatisfait  de  Ton  travail  !  Tantôt  il  fent  que 
la  déclamation  fe  perd  dans  les  chants 
vagues  &  fuaves ,  ou  qu'une  belle  mé- 
lodie exclut  une  harmonie  complette  ; 
que  c'eft  toujours  en  facrifiant  une  partie 
qu'il  en  fait  refîbrrir  une  autre.  Il  voit, 
en  travaillant ,  la  fource  des  difTérens  fyC- 
têmQs ,  &  des  querelles  qu'ils  font  naître,! 
mais  oubliant  l'opinion  ,  il  ne  doit  être 
guidé  que  par  îe  fentiment  qui  le  maî- 
çrife. 


N3 


ïjS  E  s  s  a  r 

L  U  C  I  L  E, 

Comédie  en  un  a&e,  en  vers,  paroles  de  M. 
Marmontel  y  repre'fente'e  pour  la  première  fois  par 
les  Come'diens  Italiens ,  le  S  Janvier  1"jSq. 

Cette  pièce  fut  attendue  avec  impa- 
tience :  mon  premier  ouvrage  avoit  été 
jugé  avec  indulgence ,  mais  le  public  ne 
vouloit  m'accorder  un  fécond  fuccès 
qu'avec  plus  de  retenue  :  cette  comédie 
où  je  trouvai  de  quoi  déployer  ïa  fenfibi- 
ïité  domeftique  ,  fi  naturelle  à  l'homme 
né  dans  ïe  pays  des  bonnes  gens  {g)  , 
réveilla ,  j'ofe  le  dire  ,  ce  fentiment  pré-* 
deux. 

Où  peut-on  être  mieux  qu'au  fem  de  fa  famille 

Fit  couler  les  larmes  des  fpectateurs,  fur- 
pris  d'être  émus  par  de  nouveaux  reiTorts 
dans    le  pays  de  la  galanterie. 

Ce  morceau  de  mufique  a  fervi  depuis 
qu'il  çft  connu ,  pour  confacrer  les  fêtes. 


SUR     LA     MUSIQUE.  199 

de  famille.  Un  jeune  homme ,  dont  je 
devrois  favoir  le  nom  ,  étoit  a  la  première 
repréfentation  de  cette  pièce  :  il  apperçut 
feu  Monfeigneur  îe  Duc  d'Orléans,  cf- 
fuyant  fes  yeux  pendant  le  quatuor  :  il 
fe  préfente  le  lendemain  avec  confiance 
au  Prince  qui  ne  le  connoiffoit  pas  ;  Mon- 
feigneur ,  dit-il  en  fe  jettant  à  fes  genoux , 
j'ai  vu  pleurer  votre  Altejfe  hier  au  qua- 
tuor de  Lucile.  Paime  êperdument  une  de- 
moifelle  qui  appartient  à  un  Gentilhomme 
de  votre  maifon  ;  il  refufe  de  nous  unir 
parce  que  ma  fortune  ne  répond  pas  à  la 
fienne  r  &  j'implore  votre  protection.  Ce 
bon  Prince  lui  promit  de  s'inftruire  de 
l'état  des  chofes  ,  ck  le  mariage  fut  fait 
peu  de  tems  après*  Je  demande  fi  à  cette 
noce  on  chanta  le  quatuor  ?  Je  me  trou- 
vai moi-même  quelque  tems  après  chez 
un  Seigneur  ,  dont  le  frère  venoit  d'épou- 
fer ,  contre  fon  gré ,  une  demoifelle  de 
qualité  ;  la  jeune  dame  ,  belle  comme 
Venus  j  fe  préfente  chez  îe  frère  de  fon 

N4 


aoo'  Essai 

mari;  elle  y  eft  reçue  très-poliment,  c'eft- 
à-dire  froidement  :  cependant  comme 
j'apperçus  que  les  carefTes  de  la  dame 
jettoient  du  trouble  dans  le  cœur  de  fon 
beau-frère ,  je  les  engageai  à  s'approcher 
du  piano,  je  chantai  le  quatuor  avec  ef- 
fufîon  de  cœur ,  ôc  j'eus  le  plaiflr  de  voir , 
après  quelques  mefures  ,  h  frère  &  la 
fœur  s^entrelafTer  de  leurs  bras  en  répan- 
dant les  larmes  fi  douces  de  la  réconci- 
liation. S'il  eft  permis  de  joindre  l'épi- 
grame  à  ce  que  le  fentiment  a  de  plus 
précieux,  je  rapporterai  l'anecdote  fui- 
Vânfe.  Dès  Officiers  de  judicature  ,  créés 
feus  les  aufpices  d'un  ancien  minirtre  , 
dont  les  opérations  n'avorent  pas  eu  l'ap- 
probation publique,  affiftoîent  dans  leur 
lo^c  à  un  fpeciacle  de  province  ;  on  re- 
preiëntoit  la  tragi-comédie  de  Samfon. 
Arlequin  luttoit  fur  la  fcène  avec  un  din- 
don qui  s'étant  échappé  ,  fe  réfugia  dans 
la  loge  de  ces  officiers  :  auflï-tôt  le  par- 
terre fe  mit  à  chanter  en  chœur  :  où  peut* 


SUR      LA"  MUSIQUE.        201 

on  être  mieux  qu'au  fein  de  fa  famille  ? 
La  Comédie  Italienne  n'avoit  jufqu'à 
cette  époque  donné  aucune  pièce  dans 
Faquelle  le  fentiment  prédominât  :  auffi  dès 
que  le  quatuor  fut  fini ,  les  fpe&ateurs 
reçurent  Caineau  avec  des  éclats  qui  fem- 
bloient  dire  nous  allons  rire  avec  le  bon 
nourricier  de  Luciîe.  Cailleau  fixa  le  par- 
terre avec  un  regard  douloureux 3  &  dit: 

Je  viens  dans  la  douleur-, 
Et  j'apporte  ici  le  malheur. 

Le  monologue  de  Blaife  ah  !  ma  femmô 
qu'avec  vous  fait  ?  fut  chanté  Se  jcué  par 
cet  Aâeur  inimitable ,  d'une  manière  fu- 
blime  :  &  je  dirai,  pour  faire  fon  éloge, 
qu'il  parut  court.  Il  a  fouvent  paru 
long  depuis.  Le  poëte  &  le  muficien  , 
avoient  preflenti  les  talens  de  M.  Cailleau 
en  faifant  ce  monologue. 

Son  organe  commençoit  à  s'afToiblir, 
mais  chaque  jour  il  fe  montroit  plus  grand 
comédien.  Pour  fe  çofrumer  avec  plus  de 


aox  Essai 

naturel ,  il  avoit  arrêté  un  payfan  dan$ 
les  rues  de  Paris  ,  en  le  priant  de  lui  prêter 
fon  habit;  il  parut  fur  la  fcène  les  pieds 
poudreux ,  &:  pour  la  première  fois  avec 
ïa  tête  chauve.  Chacun  ïe  félicitoit  fur 
fon  courage  à  s'être  fait  rafer  la  tête  ,  pour 
être  mieux  dans  fon  rôle  :  lorfqu'il  nous 
apprit  qu'il  n'avoit  fait  que  îa  moitié  du 
facrifice ,  c'eft-à-dire  qu'il  portoit  depuis, 
long-tems  un  faux  toupet,  que  perfonne 
n'avoit  reconnu. 

Les  paroles  &  îa  mufique  eurent  un 
iuccès  égal.  I)  on  demanda  les  Auteurs  j 
M.  Çlairval  vînt  comme  au  Huron  me 
nommer  ?  en  ajoutant ,  que  l'auteur  des 
paroles  étoit  anonime.  lia  ton,  dit  une 
voix  forte  &  toute  la  falle  applaudît. 

Qu'il  me  foit  permis  de  m'arrêter  un 
infiant  pour  examiner  le  monologue  de 
Blaife ,  que  bien  des  gens  ont  nommé 
mal-à-propos  récitatif. 

Ah!  ma  femme  quavez-vous  fait  ! 


SUR.      LA-MUSIQUE.  205 

Ce  début   eft  de  pure   déclamation. 

Méchante  mère, 

Les  notes   pointées  indiquent  l'indi- 


gnation. 


De  la  misère 
Voilà  l'effet. 

Il  ne  faut  pas  tout  déclamer  ;  la  mé- 
lodie prend  ici  la  place  de  la  déclama- 
tion. Des  flûtes  accompagnent  ce  trait, 
pourquoi  ?  Blaife  femble  dire  :  hélas!  ayez 
pitié  de  ma  misère,  c'eft  elle  qui  fuggéra 
le  crime  dont  ma  femme  s'eft  rendue 
coupable. 

Elle  aime  un  amant  qui  l'adore. 

Pourquoi  n'ai-je  pas  élevé  la  voix  fur 
amant,  mais  fur  ces  mots,  qui  l'adore} 
Parce  que  le  pronom  qui  défigne  Luci/ey 
y  eft  compris,  &  qu'elle  eft  la  victime 
intérefTante  pour  les  fpe£tateurs. 

Une  heure  de  plus. 

Ces  quatre  notes  dont  le  fens  refte 


2.04  Essai 

fuf  pendu  ,  font,  je  crois,  d'une  grande 
vérité. 

Une  heure  encore, 
Ils  alloient  être  unis." 
Hélas  !  Fille  trop  chère  ,' 
Du  crime  de  ta  mère  , 
C'eft  toi  que  je  punis. 

Il  falloit  appuyer  fur  toi,  cela  eft  in- 
conteftable  ,  &  aucun  muflcien ,  aucun 
déclamateur  n'y  auroit  manqué. 

Quitter  fes  beaux  habits  ; 
Retourner  au  village, 

Y  prefler  mon  laitage , 

Y  garder  mes  brebis. 

Ces  quatre  vers  portent  un  chant  de 
mufette.  L'oppoficion  du  crime  avec  les 
chants  de  l'innocence  du  premier  âge, 
forment  un  contraire  qu'on  n'a  pas  dû 
négliger. 

La  pauvre  enfant ,  quelle  pitié  ! 
Elle  a  pour  moi  tant  d'amitié  ! 
Et  moi  je  viens  lui  percer  l'ame. 

Ce  dernier  vers  doit  être  appuyé  par 


sur  u  Musique,  ioj 
f  orcfceftre ,  c'eft  lui  qui  marque  la  cruauté 
de  Blaife  :  il  faîloit  auffi  employer  des 
fons  graves,  pour  rendre  l'exclamation 
fuivante  plus  fenfible. 

Ah  !  ma  femme  !  Sic. 

On  ne  fait  rien  fi  je  me  tais  ! 

Ma  fille  efl  à  fon  aife. 

Et  fon  cccur  efl  en  paix. 

La  modulation  eft  heureufe  ;  c'eft  îa 
première  fois  que  Blaife  fonge  à  cacher 
le  crime  commis  :  aufîl  le  ton  de  ré  bé- 
mol ,  ne  s'eft-il  pas  fait  entendre  dans 
tout  ce  qui  a  préce'dé. 

Que  dis-tu  Blaife  ? 
Que  je  me  taife  ! 

II  y  auroit  eu  de  l'ignorance  à  mettre 
en  chant  ces  deux  vers  qui  font  indiqués 
pour  être  en  récitatif. 

Non  non  jamais. 
Non  non  jamais. 

Le  repos  après  cet  éclat  eft  d'un  bel 
effet. 


io£  Essai 

On  ne  fait  rien  fi  je  me  tais  ! 

Ma  femme  eft  morte. 

Eh  b^n  qu'importe  ? 

Je  le  fais  moi  . 

La  bonne  foi, 

Voilà  ma  loié 

Tous  ceux  qui  avoient  intérêt  a  Pou- 
vrage  ,  vouloient  abfolument  me  faire 
changer  la  mufique  du  vers. 

Je  le  fais  moi. 

II  falloit ,  difoit-on  ,  des  fons  élevés 
Se  forts  pour  rendre  ce  vers.  Je  foutiens 
que  c'étoit  le  contraire  ,  ôz  que  Blaife 
fembloit  dire  ,  je  le  fais  moi  (  dans  le 
fond  de  mon  cœur  )  &  éclater  en  fuite 
fur, 

La  bonne  foi 
Voilà  ma  loi. 

C'eft  dire ,  ma  bonne  foi  va  faire  écla- 
ter le  fecret  que  mon  cœur  renferme. 

Le  public  fentit  comme  moi  fans  doute, 
puifqu'il  interrompit  par  des  applaudifle- 


SUR    LA    MUSIQUE.        Î.OJ 

mens  l'a&eur  qui  le  fixoiten  difant  d'une 
voix  grave  ,  je  le  fais  moi  ! 

Ce  monologue  le  feul  peut-être ,  que 
je  ferai  dans  ce  genre ,  où  la  déclamation , 
l'harmonie  &  la  mélodie  concourent  a  fex- 
prefïîon  ,  m'a  paru  mériter  d'être  analifé. 
On  m'a  demandé  cent  fois  ^  fi  je  pré- 
férois  ce  morceau  au  quatuor  ?  je  dirai 
qu'il  faut  un  fentiment  plus  profond,  une 
plus  -grande  connoifTance  du  cœur  hu- 
main ,  pour  faire  ce  monologue  ;  &  qu'un 
înftant  d'infpiration ,  à  fuffi  pour  pro- 
duire le  quatuor. 

Le  public  en  accordant  un  plein 
fuccès  à  cet  ouvrage ,  fe  confirma  cepen- 
dant dans  l'idée  que  le  genre  gai  m'étoit 
refufé  :  les  journaux  répétèrent  ce  que 
le  public  avoit  dit,  &  l'on  me  reprocha 
de  faire  pleurer  à  l'opéra  comique.  Je  ré- 
pondis a  ce  reproche  par.... 


io2  Ë    S    S    A    ï 

LE   TABLEAU  PARLANT. 

Paroles  de  M.  Anfeaume ,  repre'fenté  à  Paris 
par  les  Comédiens  Italiens  ,  le  zo  Septembre  iy6$. 

Cette  pièce  me  parut  la  meilleure  ré- 
ponfe  que  je  pufie  faire  au  public.  Deux 
fuccès  de  fuite  m'a  voie;,  t  rendu  ma  gaieté 
naturelle  ,  que  j'aurois  eu  bien  de  la  peine 
à  exciter  dans  le  tems  que  je  fis,  le  Huron. 

C'eft  dans  les  beaux  jours  du  printems, 
que  je  compofai  le  Tableau  Parlant  :  tk 
je  puis  dire  ,  que  pendant  deux  mois 
chanter  &  rire  ,  fut  toute  mon  occupa- 
tion ,  (A)  j'étais  fi  plein  de  mon  fujet , 
qu'un  jour  après  le  dîner  je  fis  ?  chez 
M.  l'Ambafîadeur  de  Suède  ,  quatre  mor- 
ceaux de  mufique  fans  interruption. 


i*r. 


SUR    LA     MUSIQUE.  loQ 

f  Pour  tromper  nu  pauvre  vieillard ,  &ç, 
i  Vous   étiez  ce  que  vous  n'êtes  plus. 

3  La  tempête  de  Pierrot. 

4  Le  duo  :  Je  brûlerai  d'une  ardeur  éternelle. 

Cette  fertilité  m'étonna  moi-même: 
elle  itfroit  dangereufe  peur  l'ignorant  , 
ou  pour  l'homme  qui  fe  livre  rarement 
au  travail  ;  mais  l'artifte  qui  pafîe  les 
nuits  à  réfléchir ,  doit  profiter  des  prodi- 
galités de  la  nature. 

Je  finis  cet  opéra  à  Croix  Fontaine, 
chez  M.  le  Marquis  de  Brancas ,  aujour- 
d'hui Duc  de  Serres.  On  y  fit  la  lecture 
du  Tableau  Parlant  ,  &  l'on  plaignit  ïe 
malheuieux  Muficien.  M.  le  Duc  de 
N***.,  y  fit  de  légers  changemens  que 
je  communiquai  enfuite  a  Anfeaume  ,  Se 
qu'il  adopta.  Voila  pourquoi  le  public 
après  le  fuccès  attribua  ce  poëme  a  M. 
le  Duc  de  N***. 

Je    m'appliquai  furtout ,  dans  cet  ou- 
vrage ,  à  annoblir  autant  que  faire  fe  pou- 

O 


xro  Essai 

voit ,  fans  bîefler  la  vérité ,  îe  genre  de 
la  parade ,  &  c'eft  une  attention  très- 
néceflaire  a  tout  compofiteur  qui  traite  un 
fujet  trivial. 

Une  des  premières  règles  dans  les  beaux 
arts  ,  eft  d'annoblir  tout  ce  qui  en  eft 
fufceptible  en  imitant  la  nature,  fouvent 
même  en  peignant  lés  mœurs  ;  &  Par- 
tifte  feroit  fagement  de  dédaigner  tout 
fujet  qui  n'eft  pas  fufceptible  d'être  an- 
nobli.  Cependant  fi  ce  procédé  eft  né- 
cefTaire ,  il  eft  des  fujets  nobles  par  eux 
même ,  qui  exigent  une  attention  oppo- 
fée.  Je  n'entens  pas  que  l'artifte  dégrade 
ceux  qui  font  nobles  ou  fublimes  ;  mais 
il  doit  craindre  que  l'exagération  ne  prenne 
la  place  du  naturel ,  lorfqu'il  met  fur  la 
fcène  ,  ou  les  Dieux  de  la  fable  ou  les 
Héros.  Les  artiftes  Grecs  Se  Romains 
n'avoient  pas  autant  que  nous  cet  écueil 
à  redouter.  Alors  tout  étoit  grand  &  noble  ; 
ils  peignoient  d'après  leurs  modèles  ,  & 
ne  redoutoient  point  de  n'être  pas  enten- 


SUR      LA      MUSIQUE.         xn 

dus  ,  ni  de  parcrtre   gigantefques. 

Quand  j'entens  dire  que  les  arts  ont  dé- 
généré ,  j'entens  que  les  hommes  ne  font 
plus  les  mêmes.  Si  l'on  ofoit  jeter  un  coup 
d'œil  fur  les  mœurs  actuelles ,  en  les  com- 
parant à  celles  que  l'artifte  ne  peut  plus 
peindre  qu'à  travers  une  perfpective  d'envi- 
ron deux  mille  ans ,  que  verrions  nous  ?  Au- 
jourd'hui la  femme  plus  coquette  à  mefure 
qu'elle  avance  en  âge,  (i  )  faire  paiTer  fa  fille 
de  fcn  fein  chez  une  nourrice ,  &  delà  dans 
un  couvent  dont  elle  ne  fortira  que  pour 
recevoir  l'époux  qu  on  îui  donne  fans  la 
confuîter.  Jadis  on  voyoit  ïa  femme  belle 
de  fa  vertu ,  fière  de  la  deftru&ion  de  [es 
charmes,  ïorfqu'elle  pouvoit  montrer  la 
nombreufe  famille  qui  lui  devoit  le  jour , 


(i)  Quel  âge  a  Madame  la  Marquife?  demandoit  un 
de  nos  Rois  — .  Sire ,  j'ai  40  ans.  Et  vous ,  dit-il  enfuite  au 
fils  de  la  dame  *-.  J'ai  le  métae  âge  que  ma  mère,  Sire, 
rcpond-il. 

O    2 


%n  Essai 

ou  le  Héros  dont-elle  était  mère. 

Aujourd'hui  pour  faire  toujours  îe  con- 
traire des  anciens v  l'homme  de  génie 
n'obtient  des  éloges  qu'après  décès.  On 
encourage  les  morrs  ,  on  décourage  les 
vivans  ;  les  gens  à  talcns  pour  forcer  la 
multitude  à  les  admirer  feuls ,  fe  déchi- 
rent tous  mutuellement;  tandis  que  jadis 
l'homme  plus  .fier  de  la  puifTance  de  Ton 
être  que  de  fon  mérite  perfonnel,  refpec- 
toit  le  talent  par  tout  où  il  étoit ,  &  jouifc 
foit  des  chef-d'œuvres  des  hommes,  en 
fongeant  qu'il  étoit  homme  lui-même. 
Celui  qu'on  vouioit  reconnoître  pour  le 
premier  de  fon  état  ,  aveuoit  qu'il  n'étoit 
que  le  fécond  ,  quand  fon  rival  lui  avoit 
fourni  les  idées  qu'il  avoit  mifes  dans 
un  plus   grand  ordre. 

Les  hommes  de  génie  fe  refpeclantainfï, 
forcolent  la  multitude  a  les  admirer.  Si 
les  Mufïciens  de  nos  jours  étoient  jugés 
par  l'efprit  qui  caractérifoit  les  anciens, 
l'on   nommerok  Ghck  &  Philïdor ,  pour 


SUR     IA     MUSIQUE.  113 

îa  force  de  fexpreiïion  harmonique.  Sac-* 
chini  &  Pïccini ,  pour  la  tendre  &■  belle 
expreffion    idéale.     PaèJIello  ,    Cïmarofa, 
pour    la    fraîcheur   des    idées.    Monf.gni 
pour  les   chants  heureux.   Décide    pour 
les  airs  champêtres.   Haidn ,  peur  la  ri- 
chelTe   des   comportions  inftrumentales. 
&c.  &c.  Mais  aujourd'hui  pour  tout  em- 
brouiller, l'on  compare  entre-eux  des  ta- 
lens  qui  n'ont  que  de  légers  rapports, 
&  qui  ne  peuvent  en  avoir  de  plus  in- 
times fans  s'anéantir  en  rentrant  dans  le 
tronc  dont  ils  ne  font  que  les  branches. 
Les  Romains  gens  de  lettres  3  eufTent  die 
d'une  voix  forte,  à  ces  corrupteurs  de  la 
vérité  ,  bétes  brutes  !    ne  voyez-vous  pas 
qu'il  faut  la  fraîcheur  de  Peau  vive  pour 
peindre  ce  feuillage ,   &   que  le   feu  du 
Tartare  n'eft  pas  trop  ardent  pour  expri- 
mer la  fureur  du  Héros  ?  Laiffez  donc  ces 
rapprochemens  ineptes;  ceffez  de  tout  dé- 
truire en  confondant  ce  qui  doit  être  fé~ 
paré. 

03 


U4  Essai 

Que  manque-t-il  cependant  a  ce  dix* 
Huitième  fiècle  pour  être  peut-être  le  plus 
beau  de  tous?  Ce  fiècle  de  lumière,  où 
des  hommes  rares  en  tous  genres,  favent 
mieux  que  jamais  rapprocher  &  analifer 
toutes  les  productions  humaines ,  dont  ils 
profitent  &  dont  ils  écartent  les  défauts 
&  les  préjugés  ?  Que  lui  manque-t-il, dis? 
je  ?  Une  feule  chofe.  Que  chaque  homme 
qui  penfe ,  àhe:je  ne  difimuler ai  jamais 
la  vérité  que  f  aurai  fende  au  fond  de 
mon  cœur.  Si  le  François  ne  fe  preffe  d'être 
jufte  autant  qu'il  eil  inftruit ,  l'Anglois 
fon  rival ,  lui  donnera  peut-être  les  re- 
grets de  n'être  qu'imitateur  dans  la  plus 
fublime  des  vertus. 

Laifîons  donc  à  chacun  îe  genre  qui 
lui  eft  propre  &  n'écoutons  plus  l'ama- 
teur exciufif  qui  vcudroit  que  chacun  fa- 
crifiât  à  fon  idole.  Qui  oferoit  décider  fi 
en  mufique,  l'harmonie  doit  l'emporter  fur 
!a  mélodie?  Tout  dépend,  je  crois,  de 
ïa  manière  de  les  employer.  Du  refte  s'il 


SUR      LA      MUSIQUE.        0, 1  « 

faut  chercher  à  plaire  au  plus  grand  nom- 
bre des  fpe&ateurs ,  remarquons  qu'un 
air  de  chant  qui  fe  rencontre  dans  un 
ouvrage  févère ,  peu  chantant,  mais  très- 
harmonieux  ,  caufe  un  délire  univerfel  ; 
&  qu'au  contraire ,  un  morceau  aufïi 
harmonieux  que  févère,  placé  dans  un  ou- 
vrage dont  la  fraîcheur  &  le  chant  font 
le  caractère  ,  ne  produit  pas  le  même  effet. 
Je  reviens  au  tableau  parlant.  La  dé- 
claration de  CafFandre  ;  cet  aveu  charmant 
étoit ,  difoit-on ,  d'un  ftyle  trop  aimable  ; 
mais  je  connoilTois  fadeur,  &  je  favois 
que  fa  voix  offriroit  le  contrarie  plai- 
fant  que  je  décrois.  Cette  pièce  n'eut 
pas  d'abord  un  fuccès  aufli  décidé  que  les 
deux  précédentes.  Je  vis  Duni  après  îa 
première  repréfentation  *,  je  lui  demandai 
s'il  étoit  toujours  content  de  moi  ?  Il  me 
répondit  qu'il  avoit  entendu  un  bon  duo. 
Une  prude  dit  le  foir  au  fouper  de  M.  le 
Duc  de  Choifeul,  que  l'on  ne  pouvoit 
pas  entendre  deux  fois  cet  opéra  ,  parce 

O4 


no  Essai 

que  les  accompagnemens  étoient  d'une 
indécence  outrée  :  M.  de  Choifeul  invita 
fa  focieté  à  y  retourner ,  pour  s'en  con- 
vaincre. Je  fus  remercier  ce  grand  mî^ 
niftre  de  la  protection  qu'il  accordoit  à 
mon  ouvrage ,  &  je  lui  en  oifris  la  dé^ 
dicace. 

Le  fuccès  augmenta  avec  les  repréfen* 
tations.  Les  acVurs  qui  d'abord  n'avoient 
pas  ôfé  ie  livrer  à  la  gaieté  de  ce  genre, 
finirent  par  y  être  charmans.  M.  Clairval 
dans  le  rôle  de  Pierrot  >  Se  madame  La^ 
mette  dans  celui  de  Colombine  ,  furent 
inimitables  ,  parce  qu'ils  furent  unir  la 
décence  &  la  grâce  à  la  gaieté  la  plus 
folle. 

On  a  vu  quelque  fois  des  écrivains  & 
des  artiftes  médiocres  qui  n'ayant  pu  faire 
tomber  un  ouvrage  accueilli  du  public  , 
ont  voulu  en  dépouiller  le  véritable  auteur 
pour  l'attribuer  à  d'autres  ;  c'efî.  ce  qui 
cft  arrivé  au  Tableau  Parlant. 

Un  Muficien  Italien  ,  auflï  ignorant  que 


SUR      LA      MUSIQUE.         11J 

malhonnête  ,  voulut  me  contefter  la  mu- 
fîque  de  cet  ouvrage  ;  il  en  parla  d'abord 
d'une  manière  équivoque  devant  une  nom- 
breufe  compagnie,  dans  un  château  des 
environs  de  Paris,  (i)  On  le  força  de  s'ex- 
pliquer ;  c'étoît  ce  qu'il  vouloit.  II  avoua 
donc ,  avec  l'air  de  la  répugnance  ,  qu'il 
avoit  dans  fon  porte-feuille ,  prefque  tous 
les  airs  italiens  que  j'avois,  difoit-il ,  fait  pa- 
rodier. On  conclut  delà  que  mes  ouvrages 
précédens ,  n'étoient  pas  plus  de  moi  que 
le  Tableau  Parlant  :  cependant  la  maîtrefïe 
du  logis  &  madame  fafœur,  qui  daignoient 
prendre  intérêt  à  mes  fuccès,  en  étoient 
affligées;  &  le  furent  bien  davantage  lcrf- 
que  fhonnête  Signor  defeendit  fon  porte- 
feuille y  où  l'on  trouva  en  Italien,  les  airs  ; 

Pour  tromper  un  pauvre  vieillard  &c.  dd  Signor  Galluppi. 

Il  efl  certains  barbons  &c. 
Vous  étiez  ce  que  vous  n'êtes  plus  &c.  dd  SignorV  ergole\e 
Le  duo  :  Je  brûlerai  d'une  ardeur  éternelle  &c.  dd  Signor 

Trajeua.» 

(i)  A  Montigni  chez  madajne  de  Trudaine. 


îi  8  Essai 

Ces  dames  chantèrent  mes  airs  en 
italien,  non  fans  quelque  chagrin,  mais 
il  fallut  fe  rendre  à  l'évidence  :  j'étois  un 
fripon  en  mufique  &  rien  de  plus.  Le 
lendemain  en  fe  promenant  dans  le  parc  , 
la  converfation  retomba  fur  moi  :  ces  dames 
fe  rappelloient  tout  ce  que  leur  avoit  dit 
M.  l'Ambaiïadeur  de  Suède ,  du  pîaifîr  qu'il 
avoit  à  me  voir  compofer.  Avec  quelle 
facilité,  difoit  la  dame  du  château,  il  fit 
ces  jours  derniers,  en  notre  préfence,  la 
mufique  fur  les  couplets  de  Métajlafio  \ 

Ecco  quel  fî-ero  infiante 
Addlo  mià  nice  Addio  (i). 

Je  crois  que  cet  italien  nous  en  im- 
pofe  ;  pendant  que  tout  ïç  monde  fe  pro- 
mène ,  allons  vifiter  fa  chambre  :  peut  être 


(i)  L'on  a  depuis  parodié  cet  air  en  François.  Dan* 
l'Amitié  à  l'épreuve. 

A  quels  maux  îl  me  livre  ï 
Nelfon  ,  Nelfon , 


SUR      LA       MUSIQUE,        1  T  <) 

découvrirons  nous  quelques  indices.  Elles 
y  furent  effectivement  ;  ces  dames  trou- 
vèrent des  lambeaux  de  papier  de  mu- 
fique  en  quantité ,  elles  ramafsèrent  tout , 
&  l'emportèrent  dans  leur  appartement 
avec  plufieurs  volumes  de  Mitaflafio  , 
dont  le  Signor  s'étoit  muni  pour  s'amufer 
a  la  campagne  en  me  rendant  ce  petit 
fervice!  Ces  dames  eurent  le  courage  de 
rafTembler  tous  ces  lambeaux  ;  elles  n'y 
trouvèrent  absolument  que  des  brouillons 
des  airs  du  Tableau  Parlant  fur  des  paroles 
de  Mttajlafio  y  le  même  air  fe  trouvoit 
avoir  été'  eflàyé  fur  deux  ou  trois  fortes 
devers  difïerens.  La  compagnie  rentra, 
l'on  fe  mit  à  table  \  ces  dames  affectèrent 
de  parler  de  moi  ,  avec  peu  d'eftime  pour 
mes  tafens  :  mais  au  milieu  de  îa  jouif- 
fance  du  Signor,  elles  firent  apporter  les 
fragmens  rapprochés  les  uns  des  autres  ; 
quelqu'un  fit  attention  que  Pcrgole^e  étoit 
mort  avant  que  Mitaflafe  eût  fait  certains 
opéras  ,  dont  le  Signor  lui  attribuoit  la 


110  Essai. 

mufique.  À  cette  jufîe  obfervatîon  ,  notre 
Italien  fut  couvert  de  honte ,  &  ne  trou- 
vant nul  fubterfuge  pour  juftifier  fa  four- 
berie, il  avoua  que  le  befoin  l'avoit  dé- 
terminé à  parodier  mes  airs  qu'il  comptok 
faire  graver,  en  leur  prêtant  des  noms 
célèbres  ;  cette  excellente  exeufe  n'em- 
pêcha pas  qu'il  ne  fût  chafTé. 

J'ai  dit  ci-devant,  que  je  fis*  quatre 
morceaux  de  mufique  du  Tableau  Par- 
lant ,  en  une  féance  ;  l'on  ne  peut  croire 
combien  M.  le  Comte  de  Crcut^  par  fon 
amour  pour  Fart ,  ek  fes  bontés  encou- 
rageantes pour  PartiMe ,  excita  mon  zèle 
&  multiplia  mes  foibîes  productions ,  pen- 
dant environ  huit  années  qu'il  voulut  bien 
m'honorer  de  l'attachement  le  plus  pur 
ôc  le  plus  vrai. 

Né  d'un  caractère  tendre ,  diftrait  & 
mélancolique  ,  inftruit  dans  toutes  les 
feiences  ;  auteur  d'excellentes  poëfies  très- 
eflimées  à  Stockoîm  ,  la  mufique  qu'il  ai- 


SUR     IA      MUSIQUE.  2  2i 

moit  de  parfon  ,  fans  être  muficien ,  fai- 
fbit  le  bonheur  de  fa  vie. 

II  aimcit  fur  tout  à  me  voir  compo- 
fer  ;  cinq  ou  fix  heures  de  travail  s'écou- 
taient en  un  iriftant  pour  lui  comme  pour 
moi.  Si  je  trouvois  un  motif  convenable', 
il  le  fentoit  aufîi-tôt  ?  &  marquoit ,  par 
fes  exclamations  ,  combien  il  étoit  fatis- 
fait.  Lorfqu'il  s'appercevoit  que  je  tenois 
la  bonne  veine,  il  s'eïcignoit  de  moi, 
de  peur  de  me  troubler  ,  &  ii  m'appîau- 
diffoit  de  loin  à  voix  baffe.  J'étois  fou- 
vent   étonné  d'avoir  paiTé  une   matinée 
chez  moi ,  fans  avoir  été  dérangé  par  per- 
sonne; mes  domediques   m'apprenoient 
que  M.  l'Ambaiïad:ur ,  leur  avoir  donné 
des  ordres  ék  de  l'argent.  Si  j'étois  peu 
difpofé  au  travail ,  il  ufoit  de   mille  pe- 
tites rufes   pour  m'y  engager  ;  tantôt  il 
piquoit   mon    amour-propre  ,   en  difanc 
que  le  morceau  qui  m'eccupoit  étoit  d'une 
difficulté  horrible  à  mettre  en  mufique  ; 
tantôt  il  fuppofoit  que  je  n'avoïs  pas  pris 


axi  Essai. 

garde  a  une  réminifcence  que  j'avois  laîfTé 
échaper  la  veille  \  je  pafïbis  vite  à  mon 
pîano  pour  m'en  affurer  ,  &  dès  qu'il 
m'y  tenoit  c'étoit  pour  long-tems,  &  il 
falloit  travailler.  Il  n'eu  forte  de  moyen 
qu'il  n'employât  pour  faire  fourire  mon 


imagination. 


Si  dans  quelques  fociétés  je  rencontrois 
en  préludant  quelque  trait  de  chant  qui 
lui  plût,  il  difparoiflbit  un  inftant ,  & 
m'apportoit  du  papier  où  il  avoit  tracé 
lui-même  des  lignes  parallèles.  Ecrivez  vite 
ce  trait,  me  difoit-il,  il  peut  vcus  fervir. 
II  afîilloit  à  toutes  mes  répétitions;  fi  l'im- 
patience me  faifoit  parler  à  quelque  ac- 
teur avec  trop  de  chaleur  ;  mon  aimable 
Comte  racommodoit  tout. 

L'on  connoiffoit  fi  bien  l'intérêt  qu'il 
prenoït  à  ma  mufique ,  que  fréquemment 
fur  le  théâtre ,  après  queîqu'ouvrage  nou- 
veau, ce  n'étoit  pas  moi  qu^on  félicitoit: 
M.  de  Cuut\  étoit  entouré ,  &  c'eil  lui 
qui  recevoir  les  complimens. 


SUR     LA     MUSIQUE.         111 

Parferai  -  je  de  Tes  diftra&ions  ?  Mes 
m'étoîent  fi  précieufes  ,  que  je  ne  nuis 
guère  réfifler  au  pfaîfir  de  m'en  entretenir 
un  iniîant.Undiîtraitnepeutêtre,  je  crois, 
ni  méchant ,  ni  difïimuié  ;  la  crainte  de 
fe  faire  trop  connoître,  le  corrigeroit  bien- 
tôt. Les  femmes  qui  par  leur  conflitution 
phyfique ,  &  leur  éducation  ,  ont  plus  be- 
foin  que  nous  de  diffimulation ,  me  fem- 
blent  en  effet  moins  fujettes  à  ces  fortes 
d'abfences.  D'ailleurs  ,  les  diffractions  de 
M.  le  Comte  de  Crcut^,  ne  compromi- 
rent jamais  le  fecret  de  l'état;  je  crois 
même  qu'il  a  pu  s'en  fervir  quelques  fois 
pour  lui  être  fidèle. 

On  lui  parloit  un  jour  en  ma  préfence 
de  la  révolution  de  Suède ,  en  le  preffanc 
de  communiquer  fon  avis,  fur  les  dé- 
marches ultérieures  que  devoit  faire  la 
cour  de  Stockolm  auprès  de  celle  de  Ver- 
failles.  Il  écouta  patiemment,  &  profita 
peut  être  ,  des  avis  de  l'homme  d'tfpric 
qui  lui  parloit  ;  puis  tout -a -coup,  me 


ii4  Essai. 

prenant  par  la  main  :  vous  ne  connoîjfe^ 
pas  fa  mufiquc ,  dit-il ,  fi  vous  n  'ave^  pas 
entendu  le  morceau  qu'il  fit  hier. 

Il  gronde  un  de  fes  amis  parce  qu'il 
porte  un  habit  de  drap  en  automne ,  il  le 
renvoyé  chez  lui  pour  en  prendre  un  de 
foie,  en  lui  affignant  le  rendez-veus  de 
chaïfe ,  où  il  va  fe  rendre  lui  -  mêm<e  ;  il 
y  va  effectivement ,  mais  en  habit  de  drap 
&  une  peïiiTe. 

11  accroche  &  emporte  ,  fans  ïe  favoir, 
avec  la  garde  de  fon  épée ,  la  perruque 
d'un  vieux  Seigneur ,  qui  e'toit  afTis  plus 
bas  que  lui  au  fpectade  ;  on  a  beau  crier , 
il  n'entend  rien ,  &  va  gravement  fe  pro- 
mener dans  les  foyers ,  jnfqu'au  moment 
où  on  lui  fait  remarquer  fon  nœud  d'épée. 

Il  tire  toutes  fes  fonnettes  à  trois  heures 
du  matin ,  fon  valet-de-chambre  accourt 
tout  effrayé  ;  allez  vite  chercher  le  Baron; 
îe  Secrétaire  d'ambaffade  arrive  :  ah  !  mon 
ami  ,   vous    ètu\  hier  che1^  Grétry  ,*  ne 

pourrie^ 


SUR     IÀ     MUSIQUE.  %1j 

pourric^vous  pas  vous  rcpdlcr  un  trait 
que  je  ne  puis  retrouver  ? 

II  a  l'honneur  d'annoncer  an  Roi  le 
mariage  d'un  Prince  de  Suède.  Après 
avoir  fouillé  dans  fa  poche  ,  il  préfente 
fa  main  au  Roi }  mais  les  lettres  de  fa  cour 
font  refiées  chez  lui. 

Il  entre  dans  la  loge  de  madame  La- 

ruette.  Dépêche^  vous  9  madame  ,  on  va 
commencer  V ouverture  ,  il  ibrt ,  ferme  fa 
porte  à  double  tour,  emporte  la  clef  Se 
rentre  dans  la  faite. 

Tel  e'toit  cet  homme  rempli  de  can- 
deur &:  d'efprit  :  fon  rang  étoit  le  fcul 
obftacïe  qui  m'empêchât  de  me  livrer  à 
mon  penchant  pour  lui.  Vous  me  félici- 
te^ bien  froidement ,  mon  ami  ,  me  difoit- 
il  un  jour  ,  des  bontés  dont  mon  Roi 
vient  de  my honorer  :  ah  !  lui  dis-je  ,  vos 
cordons  &  vos  titres  vous  éloignent  de 
moi,  comment  voulez  -  vous  que  je  les 
aime  ?  Son  Roi  le  fit  premier  Miniftre  ; 

P 


%%6  E    S    S    A     T. 

il  partit  :  mais  bientôt  un  violent  accès 
de  goûte  le  fit  périr  à  l'âge  d'environ  cin- 
quante ans.  II  conferva  jufqu'à  fon  der- 
nier foupir  la  tranquillité  d'une  ame  aufïi 
forte  que  pure. 


SUR      !•  A.      MUSiqxje.      IX  J 

SYLVAIN. 

Comédie  en  un  aéte  en  vers ,  mêle'e  d'ariettes, 
paroles  de  M.  Marmontel  ;  repréfentée  par  les  Co- 
médiens Italiens  ,  en  lyyo. 

Malgré  îe  cri  public  qui  femble  ne 
defirer  au  théâtre  Italien  ,  que  des 
opéras  comiques  ;  l'on  voit  que  ce  même 
public  accorde  toujours  ïe  fuccès  le  plus 
confiant ,  aux  pièces  d'intérêt  :  il  préfère 
cependant  ies  drames  tcuchans  idans  lef- 
quels  le  comique  e(l  naturellement  lié  a 
l'action  principale, 

Au  théâtre  plus  que  par-tout  ailleurs , 
la  variété  eft  l'antidote  de  l'ennui:  il  ne 
faut  cependant  exclure  aucun  genre  :  quel- 
que fois  l'ouvrage  le  plus  bizarre  ren- 
ferme le  germe  d'un  ouvrage  excellent, 
&  par  des  changemens  heureux  il  devien- 
dra peut-être  un  modèle. 

Ce  n'erfc  pas  au  théâtre  fans  doute , 

P  a 


%zB  Essai 

qu'il  faut  d'abord  montrer  ces  efTais  ;  il 
faut  obtenir  la  fan£tion  des  gens  de  goût  ; 
ou  faire  mieux  encore  ;  travailler  foi-même 
jufqu'à  ce  que  l'on  parvienne  à  n'avoir 
plus  aucun  doute ,  aucune  incertitude  fur 
toutes  les  parties  &  fur  les  détails  qui  par 
leur  réunion  forment  un  tout. 

Par  exemple  ,  je  promène  mes  idées 
fur  huit  vers,  que  je  veux  mettre  en  mu- 
(ique  ;  il  ont  une  fuite  &  des  rapports 
entre  eux,  puifqu'ils  forment  une  même 
ftrophe. 

Après  en  avoir  fait  ïa  mufique  ,  l'on 
fe  voit  loin  du  but  où  l'on  croyoit  parve- 
nir. Faut-il  pour  cela  rejetter  ce  qu'on  a 
fait ,  &  tracer  un  nouveau  plan  ?  Pas  tou- 
jours ;  mais  bouleverfez  en  tous  fens  , 
ces  premiers  matériaux ,  jettez  le  com- 
mencement à  la  fin ,  la  fin  au  milieu  , 
le  milieu  au  commencement ,  foit  hafard  , 
ou  plutôt  un  fentiment  fecret  qui  opère  en 
nous ,  ainfi  que  la  nature  lorfqu'elle  raf- 
femble  des  matières  homogènes  ;  vous  vous 


SUR      IA      MUSIQUE.        2  2Û 

trouverez  peut  être  satisfait.  Tout  exif- 
toit  dans  le  premier  jet  fans  doute ,  mais 
îa  combinaifon  nouvelle ,  vous  a  donné 
des  formes,  des  nuances,  des  oppofitions, 
une  gradation  telle  enfin  qu'il  ne  vous 
refte  fouvent  rien  à  defirer. 

L'artifte  le  plus  habile  eft  donc  celui 
qui  fait  le  mieux  reétirier  les  écarts  de  fon 
imagination  ,  en  donnant  à  fon  ouvrage 
un  tour  naturel ,  qui  fouvent  n'eft  que  le 
fruit  d'un  travail  pénible. 

Après  cela  foyons  fiers  de  nos  taïens, 
foibles  créateurs  ,  qui  ne  formons  prefque 
jamais  que  des  êtres  contrefaits  pour  les 
re&ifier  enfuite  î  La  création  eft  fille  de 
la  liberté  ,  la  perfection  eft  le  produit 
des  difficultés  vaincues. 

Avant  les  répétitions  de  Sylvain ,  je 
fus  prié  de  me  rendre  à  l'afïemblée  des 
Comédiens  ;  j'appris  que  les  a&rices  char- 
gées de  l'emploi  des  mères ,  mettoient 
oppofition  à  la  repréfentation  de  la  pièce y 
parce  que  le  rôle  d'Hélène  leur  appar- 

P  3 


2,30  Essai 

tenoit  ;  &  non  à  madame  Laructte  a  qui 
nous  l'avions  confié.  Ce  délai  auroit  été 
lonff  s'il  avoit  fallu  faire  intervenir  des 
ordres  fupérieurs.  Je  pris  ïe  parti  d'ap- 
prouver leur  réclamation  ,  ôc  donnai  fur 
le  champ  ce  rôle  a  îa  plus  sncienne  des 
mères  ;  elle  fentit  par  la  manière  dont  le 
rôle  étoit  fait ,  que  c'étoit  une  épigramme. 
On  nous  laiflà  faire. 

Si  Silvain  eût  été  mon  premier  ouvrage, 
il  eft  probable  que  j'eurTe  efîuyé  bien 
d'autres  difficultés  ,  &  peut  être  le  ren- 
voi de  la  pièce. 

Molière,  étoit  maître  de  fa  troupe  , 
combien  de  facrifices  n'eût  il  pas  été  obligé 
de  faire  au  préjudice  de  fon  art ,  s'il  eût 
comme  nous  travaillé  pour  des  acteurs 
maîtres  de  leur  théâtre ,  ôc  des  pièces 
qu'on  y  repréfente  (1). 

La  première  répétition  de  la  mufique 


(1)  Voyez  la  préface  du  théâtre  de  M.  Cailhava. 


SUR    IA    MUSIQUE.  IJf 

de  Silvain  ne  fit  point  d'effet  :  j'en  fortis 
chagrin.  Le  monologue  ,  Je  puis  braver 
les  coups  du  fort ,  ne  m'avoit  fait  nulle 
ïmprefïion  ;  dès  ie  foir  même  j'en  fis  un 
autre.  Ce  travail  fut  pénible  ,  car  je 
croyois  avoir  faifi  ïe  fens  jufte  de  ïa  fitua- 
tion  &  des  paroles.  II  falloit  changer  de 
fyftême  ;  je  retournois  envain  mes  idées 
de  mille  manières ,  rien  ne  pouvoit  me 
contenter.  M.  Cailleau  vint  fort  heureu- 
fement  chez  moi ,  il  jetta  mon  nouvel 
air  au  feu ,  &  jamais  facrifice  ne  me  pa- 
rut pïus  doux. 

Les  répétitions  fuivantes  firent  plus 
d'effet  à  mefure  que  chaque  a&eur  fe  pé- 
nétra de  fon  rôle  ;  ce  qui  prouve  que  plus 
une  compofition  eft  févère ,  plus  il  faut 
de  tems  pour  bien  l'apprécier.  Pendant 
ïes  répétitions  d'Alcefte  de  Gluck ,  je  fais 
qu'il  fut  queftion  à  l'opéra  d'affembler 
un  comité  pour  y  délibérer,  fi  fon  don- 
neroit  au  public  cette   belle  production. 

M*  Marmontel  me  conduifit  chez  ma- 

p4 


i3 1  Essai 

demoifelle  Clairon  ;  j'exécutai  le  duo  :  Dans 
le  fdn  d'un  pire  3  dont  elle  parut  con- 
tente à  quelques  vers  près  qu'elle  ne  trou- 
voit  pas  allez  déclamés.  Je  la  priai  de 
me  les  indiquer  ;  elle  déclama ,  ôc  voyant 
que  |e  copiois  ,  en  chantant ,  Tes  intori- 
nations  ,  Tes  intervaîes  &  fes  accens, 
comment  ,  difoit-elle ,  le  chant  a  ce  pou- 
voir? J'avoue  que  jufqu'à  ce  jour  je  Va- 
vois  ignoré.  Ce  furent  ces  vers  : 

Sa  voix  gcmifTante 
Dira  j'ai  promis.... 
Te  foit  toujours  chère, 

dont  je  corrigeai  la  mufique  d'après 
la  déclamation  de  mademoifeîie  Clairon. 
La  repréfentation  de  Siivain  eut  le 
même  fuccès  que  Lucile  ;  le  dénouement 
fit  un  grand  effet  :  un  accident  qui  arriva 
a  M.  CciUeau  y  contribua.  En  fe  jetant 
aux  genoux  de  fon  père,  il  voulut  les 
embraiTer  ,  celui-ci  recula  mal  -  adroite- 
ment &  fit  perdre  l'équilibre  à  Cailleau ,  qui 


SUR      LA      MUSIQUE.       X  3  3 

fe  Tentant  chanceler ,  fut  tirer  parti  de  l'ac- 
cident y  en  fc  jetant  la  face  contre  terre. 
L'attitude  parut  naturelle  &  la  fituation 
déchirante.  Ce  dénouement  eut  un  fuccès 
complet  ;  mais  I'efFec  n'en  eût  pas  été 
fentr,  Se  des  éclats  de  rire  eufTent  rem- 
placé peut  être  les  appIaudifTemens  fans 
la  préfence-  d'efprit  de  l'acteur. 

Le  même  homme  qui  avoit  joué  le 
rôle  de  père  de  Silvain  à  Paris ,  fut  en- 
fuite  en  province  jouer  celui  de  Silvain  ; 
pour  imiter  Caillcau  il  fe  jeta  par  terre, 
mais  fi  mal-adroitement  qu'if  fit  tomber 
fon  père  ,  qui  dans  fa  chute  entraîna  Ba- 
zile.  Ils  s'en  relevèrent  tous  cependant , 
&  le  père  de  Silvain  ,  continuant  fon 
rôle  dit  :  De  quinze  ans  de  chagrin  voilà 
donc   la  vengeance  ! 

Les  gens  inftruits  remarquèrent  que 
les  chants  des  deux  époux,  Silvain  & 
Hélène  ,  portoient  un  caractère  de  ten- 
drefle  moins  pafîionnée  que  celle  des  amans 
que  l'hymen  n'a  point  encore  unis. 


a34  Essai 

Ces  nuances  font  délicates  ;  elles  exif- 
tent  cependant  ?  c'eft  fur-tout  dans  le  duo  ; 
Dans  le  fein  d'un  père  ,  où  j'ai  cherché 
a  nuancer  ïe  fentiment  de  l'amour  avec  , 
fi  j'ofe  le  dire  ,  la  fainteté  du  nœud  qui 
unit  les  époux. 

Ce  font  les  plaintes  de  la  raifon  ofFen- 
fée  ,  Se  non  les  cris  des  pafîions  contra- 
riées. La  prière  '7 

O  ciel  de  nos  vœux  tu  vois  l'innocence ,  &c. 

a  mouillé  mes  yeux  a  l'infrantoù  j'en  trou- 
vai la  mélodie.  Pourquoi  rougirai-je  de  ïe 
dire  ;  ïorfque  la  mufîque  de  cet  ouvrage 
fut  gravée  ,  l'on  me  fit  remarquer  une 
faute  dans  îe  récitatif  d'Hélène  ,  après  ce 
vers; 

Mes  enfans  font  les  tiens ,  ne  punis  que  leur  mère» 

II  falîoït  quelques  notes  d'orcheftre 
pour  mieux  amener  le  vers  fuivant  : 

En  les  voyant  il  les  plaindra. 


SUR      LA      MUSIQUE.        23? 

Je  prie  ïes  aclrices  de  faire  un  repcs 
à  cet  endroit ,  pour  fupléer  à  ce  cjue  j'ai 
omis. 

Voici  encore  une  faute ,  fans  compter 
celle  que  j'ignore,  que  je  defirerois  cor- 
riger. Dans  le  duo  : 

J'ai  fait  une  grande  folie  !  de  VAml  de  la  Maifon. 

Cliton  dit  : 


Ës^mig^SÉ 


Sou-vent  le  plus  fa-     ge  s'ou-bli-  e. 
Célicour  répond  : 

Sou-vent  le  plus  ru-     fé       s'ou-  bli-e. 
Pour  mieux  déclamer  j'aurois  voulu 

Sou-vent  le  plus    ru-fé         s'ou -bli-e. 


2-3  6  Essai 

Quoi  !  diront  mes  Critiques  -,  toujours 
parler  des  fautes  de  déclamation  ,  &  pas 
un  mot  de  celles  contre  l'harmonie  ?  Je 
ûis  que  j'en  fais  quelque  fois  ,  mais  je 
veux   les  faire. 

Qu'on  dife  qu'un  Ecrivain  ne  parle  pas 
fa  langue ,  lorfque  fes  phrafes  font  en- 
tortillées ,  Se  qu'il  fe  fert  d'exprefïions 
impropres  ;  mais  celui  qui  crée  un  mot 
pour  rendre  fon  idée  a  raifon ,  nulle  ex- 
prefîion  à  fon  gré  ne  peut  remplacer 
celle  qu'il  s'en1  permife. 

Il  en  eft  de  même  quand  on  fe  per- 
met un  accord  ou  une  combinaifon  de 
fons .,  peu  ou  point  ufitée  :  c'eft  à  la  fen- 
fibilité  à  juger  fon  effet  refpe&ivement  à 
îa  iituation  où  elle  eft  employée.  C'eft 
à  la  théorie  à  la  confacrer  enfuite  comme 
règle.  Le  fentiment  rejette  mille  fois  ce 
que  la  do6te  combinaifon  des  fons  veut 
lui  donner  comme  une  découverte  }  mais 
jamais  la  règle  ne  s'eft  trouvée  en  défaut 
lorfque  la  vérité  d'exprefîions  a  forcé  le 


SUR$A     MUSIQUE.  <^^j 

compofiteur  a  étendre  les  limites  des  corrr 
binaifons. 

Une  licence  n'eft  donc  pas  une  faute  : 
mais  tel  maître  doit  fagement  défendre 
à  fon  élève  ce  qu'il  fera  lui  -  même 
Pinftant  après  :  j'en  ai  dit  les  raifons 
ailleurs. 

Il  y  aura  dans  tous  les  tems  une  me- 
{intelligence  phifique  entre  l'homme 
ardent  qui  fe  permet  une  licence  &  , 
l'homme  froid  qui  la  critique.  Ce  font 
les  deux  extrêmes  de  la  nature  qui  cher- 
chent envain  à  Te  rapprocher. 

Dans  les  chœurs  où  domine  ïa  mélo- 
die, je  confeille  de  faire  chanter  les  tailles, 
ou  plutôt  les  hautes  -  contres  avec  les 
deffus  ,  en  rejetant  dans  l'orcheftre  le 
complément  de  l'harmonie,  car  il  n'eh: 
point  d'oreille  délicate  qui  ne  foit  défa- 
gréablement  affectée  lorfque  ces  parties 
de  haute-contres  ,  fur-tout ,  pfaïmodient 
fur  deux  ou  trois  notes  aiguës,  où  elW 
femblent  clouées. 


2-38  Essai 

Les  chœurs  plus  févères  doivent  être 
complets  ;  il  feroit  impardonnable  de 
manquer  d'harmonie ,  lorfque  îa  mélo- 
die n'alTervit  le  compofîteur  que  jufqu'à 
un   certain  point. 

Croire  cependant  que  PonpuirTe  joindre 
aux  grâces  de  f  expreffion  ,  la  corre&ion 
fevère  de  l'harmonie,  eft  une  erreur.  Soyons 
perfuadés  qu'une  féve'riîé  trop  rigoureufe 
dans  les  beaux  arts  ,  effraye  les  grâces  ; 
que  les  muficiens  difent  combien  de  com- 
binaifons  harmoniques  on  emploie  aujour- 
d'hui ,  qui  auraient  révolté  les  purifies  il  y 
a  trente  ans.  Les  ouvrages  d'Haydn  en 
offrent  mille  exemples ,  elles  ne  font  pas 
épuifées  ces  combinaifons  ;  la  gamme 
cromatique  renferme  douze  fons  qui  don- 
nent douze  gammes  à  combiner ,  &  que 
le  fentiment  combine  plus  fouvent  que 
ï'art  (1). 


(1)  Je  ne  parle  que  du  mode  majeur;  car  en  chan- 
geant les  modes  on  auroit  14  gammes. 


SUR      th      MUSIQUE.         13  a 

Je  dis  donc  encore  que  tout  eu  per- 
mis à  l'Artifte  qui  faifit  la  nature  fur  le 
fait  :  les  vingt-quatre  gammes  ne  font  que 
îa  palette  du  peintre  ;  vouloir  lui  prcfcrire 
le  rapprochement  de  fes  couleurs  eft  une 
fottife ,  c'eft  lui  défendre  d'être  original. 

Pourquoi  recherche-t-on  davantage  le 
plus  petit  deffin  de  Raphaël,  qu'un  mor- 
ceau de  fugue  d'un  grand  maître  ?  Parce 
que  l'harmonie  ne  repreTente  rien  ou  peu 
de  chofe.  Un  deffin  quel  qu'il  foit ,  repré- 
fente  toujours  un  objet  de'terminé ,  ne 
fût-ce  qu'un  œil ,  une  oreille  ,  îa  feuille 
d'un  arbre,  &c.  Voilà  pourquoi  chacun 
s'amufe  en  deffinant ,  tandis  que  les  élèves 
en  mufîque  s'ennuyent  en  faifant  des 
fugues.  Mais  que  l'harmonie  chante  ou 
peigne  à  fon  tour ,  auffi-tôt  elle  devient 
a&ive  &  acquiert  une  valeur  réelle. 

Si  l'harmonie  pour  être  appre'cie'e  exige 
une  connoilîànce  approfondie  des  règles, 
la  mélodie  ne  demande  qu'une  oreille  dé- 


2-4°  Essai 

licate,  &  fur-tout  une  ame  tendre  &  fenfibïe. 

Un  beau  chant  quoique  vague  ,  pour 
bien  des  gens ,  ne  le  fera  pas  pour  tout 
Je  monde  :  fi  le  compofiteur  a  été  affecté, 
tôt  ou  tard  il  trouvera  une  ame  qui 
éprouvera  la  même  fenfation  :  ça  été  quel- 
que fois  après  dix  années  ,  qu'on  m'a  parlé 
d'un  trait  que  je  croyois  n'avoir  été  fenti 
crue  de  moi. 

Il  doit  y  avoir  un  tourment  fecret  pour 
l'homme  médiocre  ,  car  l'homme  qui  eft 
perfuadé  d'avoir  bien  fait,  éprouve  une 
fatisfa&ion  qu'on  ne  peut  lui  ravir.  Je 
penfe  même  que  la  mufique  donne  des 
jouiffances  fupérieures  a  celles  des  autres 
arts,  parce  que  les  Ions  toujours  mélodieux 
ou  harmonieux  dont  fe  repaît  le  Muficien, 
agirTent  plus  directement  fur  les  nerfs. 
L'on  a  demandé  dans  un  Journal  de  Pa- 
ris, s'il  étoit  vrai  que  les  Muficiens  vé- 
cullènt  plus  long  -  tems  que  les  autres 
hommes  ?  &  quelle  en  étoit  la  caufe.  Peut 

être 


SUR      LA      MUSIQUE.       241 

être  viens -je  de  répondre  à  ces  queftions. 
Par  une  erreur  involontaire,  un  homme 
de  lettres  très-eftimable ,  a  imprimé  dans 
ïe  mercure  de  France ,  que  M.  Marmontd 
avoit  parodié  les  paroles  du  duo 

Dans  le  fein  d'un  père ,  &c. 

Sur  ma  mufique  déjà  faite  :  les  Mu- 
(iciens  ne  voulurent  pas  îe  croire  ;  mais 
comme  tout  îe  monde  n'en1  pas  muficien  , 
je  me  crus  obligé  de  relever  publiquement 
cette   fauilé  aiTertion. 

Très-peu  de  gens  de  lettres  ,  ont  alTez 
de  connoiflance  du  langage  &  de  la  ponc- 
tuation muficale ,  pour  réuiîlr  dans  ce  genre 
de  travail ,  qui  favoriferoit  la  mufique  en 
donnant  des  entraves  à  la  poefie.  Jufqu'à 
ce  jour  ,  l'on  a  fait  des  vers  fur  un  air 
de  danfe  ,  fur  un  vaudeville  ,  fur  un  chanc 
dont  les  phrafes  fymétriques ,  font  fentir 
fortement  le  rithme  &  la  cadence;  mais 
une  fcène  pathétique  où  chaque  note 
d'expreffion  doit  rencontrer  la  fvllabe  qui 

Q 


t^%  Essai 

doit  être  exprimée ,  eft  d'une  tien  plus 
grande  difficulté.  Cependant  la  mufique 
fait  chaque  jour  des  progrès  parmi  les 
gens  de  lettres  ;  qui  mieux  qu'un  p^ète 
doit  fcnrir  les  rapports  intimes  ,  d'un  chant 
exprelïif  avec  la  parole  à  laquelle  il  doit 
fa  naiflance? 

J  ai  eu  lieu  alTez  fouvent  d'admirer  avec 
combien  de  facilité  M.  Martnonttl  a  mis 
en  paroles  plufieurs  morceaux  de  mufique 
qui  fe  trouvent  dans  nos  opéras ,  pour 
croire  que  cet  art  peut  fe  perfectionner 
au  point  de  parodier  les  morceaux  de 
mufique  les  plus   difficiles. 

Ah  !  que  tu  m'attendris ,  &c.  Dans  le  Huron , 

étoit  un  criant  que  j'avois  dans  la  tête, 
ôc  dont  M.   Marmontd  fit   un  duo.   Le 

premier  air  de  Lucile  : 

i 

'  Qu'il  eft  doux  de  dire  en  aimant  ,  &c. 

a  été  en  partie  fait  fur  la  mufique  ,  ôc 
je  dirai  pourquoi. 


SUR     If     MUSIQUE.        14,3 

Les  paioles  de  cet  air  qui  commen- 
coit  de  même  par 

Qu'il  eft  doux  de  dire  en  aimant, 

étoient  par  hafard  ,  abfolument  les 
mêmes  pour  îe  nombre  des  iyllabes  & 
des  vers  ,  que  l'air  du  Huron 

Si  jamais  je  prends  un  éptîux. 

Cette  refTemblance  que  j'apperçus  mal^ 
heureufement ,  me  fit  compofer  un  air 
qui  refTembïoit  à  celui  du  Huron.  Je  vou- 
lus lutter  contre  les  obftacles  ;  mais  fa- 
tigué de  mon  travail ,  je  donnai  l'efïbr  à 
mon  imagination  en  abandonnant  fouvent 
les  paroles,  efpérant  que  M.  Martnontel 
me  tireroit  de  l'embarras  dans  lequel  il 
nvavoit  mis ,  ce  qu'il  fit  en  changeant  la 
mefure  des  vers,  &  les  adaptant  à  la 
mufique  faite.  Le  petit  duo 

Avec  ton  cœur  s'il  eft  fidèle ,  &c. 

Dans  le  Silvain. 

Toi,  Zémire  que  j'adore,  &c 


'3,44  Essai 

furent  auffi  parodias  :  mais  ces  deux  mor- 
ceaux nvoient  été  ccmpofés  fur  des  pa- 
roles ,  ce  qui  diminue  confidérabïement 
le  travail  du  parodifte  ;  ils  étoient  dans 
ïes  Mariages  Samnitcs  ,  exécutés  chez 
Monfeigneur  le  Prince  de   Conû, 

Silvain  eft  un  des  poëmes  que  j'ai  le 
plus  travaillé  :  pourquoi  ne  pas  faire  tou- 
jours de  même  dira-t-on  ?  Parce  qu'un 
travail  obïliné  nuiroit  à  telle  production  , 
autant  qu'il  convient  à  telle  autre. 

Croit-on  que  les  combinaifons  mul- 
tipliées des  accompagnemens ,  fcient  ce 
qu'il  y  a  de  plus  difficile  à  faire  ?  On  fe 
trompe.  C'eft  la  jufte  mefure  de  ce  qu'il 
faut,  qui  efi  difficile  à  faifir.  Pour  bien 
écrire  en  vers,  ou  en  profe,  il  ne  faut 
pas  tout  dire  :  c'eft  la  même  chofe  en 
mufique  ;  il  eit  des  pédants  de  tout 
genre. 

Quand  votre  chant  eft  fîgnificatif,  je 
veux  dire  d'une  mélodie  bien  déclamée, 
gardez-vous  de  furchargêr  vos  accompagne- 


SUR     "LA      MUSIQUE.         ia^' 

mens.  Si  le  chant  n'eft  pas  lame  de  votre 
compofition  ,  faites  un  bon  quatuor  înftru- 
mental  deffus ,  bien  compliqué  ,  bien 
lincopé  ;  au  défaut  des  âmes  fèhfibles 
ïes  favans  vous  applaudiront.  La  pre- 
mière manière  eft  celle  qui  me  plaît  ; 
je  garde  la  féconde  pour  occuper  ma 
vieillefTe. 


Q3 


£46  Essai 

LES    DEUX    AVARES, 

Comédie  ,  en  deux  a£tes,  paroles  de  M.  Fal- 
lert  de  Quingy;  repréfentée  à  Fontainebleau  le 
17  Oétobre  1770;  &  à  Paris  le  6  Décembre  de 
la  même  année. 

Quoique  cet  ouvrage  n'ait  pas  eu  un, 
Brillant  lucces ,  dans  l'origine  ;  on  l'a 
depuis  représenté  pins  fou  vent  que  mes 
précédentes  pièces  :  l'originalité  du  fujet 
&  la  facilité  de  l'exécution  en  général  y 
y  ont  fans  doute  contribué. 

J'eftime  Pair 

Sans  ceiïe  auprès  de  mon  trc'fbr,  Sic. 

Et  le  duo 

Prendre  ainiî  cet  or  ,  ces  bijoux,  &c. 

Cependant  je  dois  dire  que  ïe  bas 
comique  ,  n'eft  pas  le  genre  qui  flatte 
mon  imagination.  J'avois  pris  plaifir  à 


SUR    £A    MUSIQUE^  447 

ennoblir  Colombîne  &  Pierrot  dans  le 
Tableau  Parlant ,  mais  pouvois-je  fan*»  in- 
vraifemblance  faire  de  même  pour  Martin 
6c  Gripon  ?  Les  amoureux  de  la  parade 
nous  préfentent  la  charge  de  la  vraie 
galanterie  ;  elle  peut  même  fe  parer  d'une 
teinte  de  noblefle  ;  mais  on  ne  peut  fans 
blefTer  la  vérité,  ennoblir  des  caractères 
vils.  L'avarice  eft  cependant  une  paffion. 
dont  les  nuances  peuvent  être  faifies  : 
l'inquiétude,  la  joie,  ïe  chagrin  de  l'avare 
ont  un  caractère  qui  leur  eft  propre  :  il 
eft  ridicule  en  tout ,  puifque  fa  paffion, 
eft  hors  de  nature. 

La  défiance ,  le  foupçon  donnent  une 
couleur  fombre  a  toutes  fes  actions ,.  que 
îe  mufîcien  peut  faifîr.  Pourquoi  cette 
pafïion  exifte-t-elle  ?  pourquoi  l'homme 
devient-il  économe  Ôc  avare  ,  lorfquil  va 
quitter  la  vie?  croit-il  que  la  nature  fera 
un  miracle  en  fa  faveur  ?  une  pierre  peut- 
elle  s'arrêter  au  milieu  de  fa  chute? 

La  philofophie  la  plus  éclairée  don-* 

Q4 


148  Essai 

neroit  a  peine  les  raifons  de  îa  démence 
puérile  de  celui  qui  veut  tout  conferver 
à  l'inftant  de  Ton  anéantiffement. 

La  mauvaife  exécution  en  mufique  , 
peut  défigurer  les  meilleures  cbofes  :  îa 
marche  des  JanifTaires  en  efl  un  exemple 
frapant.  Je  Pavois  faite  depuis  U  ng-tems 
à  la  foîlicitation  d'un  colonel  qui  m'en 
demandoit  une  pour  Ton  régiment ,  je  la 
lui  envoyai  :  on  l'exécuta  ;  elle  parut  dé- 
teftable.  Cette  même  marche  employée 
dans  le<  deux  avares  ,  eut  un  plein  fuccès. 
Prefque  tous  les  régimens  fe  l'appropriè- 
rent 3  &  le  colonel  qui  f avoit  rejettée 
ne  fut   pas  le  dernier  à  l'adopter. 

Il  efl:  pernicieux  pour  Fartifle  qui 
cherche  des  fuccès ,  de  fe  livrer  aux  com- 
plaifances  de  fociété  :  le  cercle  des  idées 
preferir  par  la  nature  s'épuife  rapidement, 
&:  il  femble  que  l'homme  qui  s'occupe 
fouvent  des  objets  détaches  ;  perd  les. 
facultés  nécelTaires  pour  produire  un  en-^ 


SUR       I  A.       MUSIQUE.  2,4,9 

femble  tel  que  l'exige  un  ouvrage  impor- 
tant. 

Je  n'ai  jamais  entendu  le  chœur  des 
JanilTaires 

Ah  1  qu'il  efl  bon,  qu'il  efl  divin  1 

fans  une  peine  extrême  ;  les  tourmens 
que  ce  morceau  m'a  fait  foufTrir  en  le 
compofant,   en  font  ïa  caufe. 

J  étois  conduit  aux  portes  du  tombeau 
par  de  violens  accès  de  fièvre  que  j'é- 
prouvois  depuis  un  mois  ,  îorfque  l'auteur 
des  deux  Avares  Te  préfenta  chez  mci  : 
on  lui  dit  que  j'étois  très-mal  :  cependant 
comme  je  fus  le  premier  à  lui  parler  de 
l'ouvrage  que  nous  venions  de  terminer, 
il  glilTa  fous  mon  chevet  une  lettre  ca- 
chetée ,  en  me  recommandant  de  ne 
point  l'ouvrir  que  ma  fan  té  ne  fût  réta- 
blie. Tout  le  monde  ccnnok  l'inquié- 
tude que  donne  un  paquet  cacheté  ;  je 
l'ouvris  derrière  mes  rideaux ,  &  je  trou- 
vai le  chœur  des  JaniÛaires  ,  que  l'Au- 


ajo  Essai 

teur  difbit  néceiïàire  a  fa  pièce ,  &  qu'il 
me  prioic  de  mettre  en  mufique  le  plutôt 
pofïîbfe.  H  fut  obéi  ;  dans  l'inftant  j'y 
travaillai  malgré  moi.  Je  crus,  après  m'être 
débarraiïe  de  ce  fardeau ,  retrouver  ïc 
repos  qui  m 'étoit  fi  nécçffaire  ;  mais  non , 
la  crainte  d'oublier  ce  que  je  venois  de 
faire,  me  pourfuivit  pendant  quatre  jours 
&  quatre  nuits.  J'entendois  exécuter  ca 
chœur  avec  toutes  fes  parties  ;  j'avois  beau 
me  dire ,  qu'il  étoit  impoiïible  que  je 
l'oublia  Me  ;  j'avois  beau  m'occuper  forte" 
ment  de  quefqu'autre  objet  pour  me  dif- 
traire  ;  j'eotrois  inutilement  dans  tous  les 
détails  d'une  partition  ,  en  me  difant  x 
les  violons  feront  ce  trait ,  les  ballons 
foutiendront  cette  note  ,  les  cors  donne- 
ront ou  ne  donneront  pas  ;  &c.  Après 
quelques  minutes,  un  orcheflre  infernal 
lecommençoit  encore 

Ah  !  qu'il  eft  bon  ,  qu'il  eft  divin  1  &c. 

Mon  cerveau   étoit  comme  le   poiitf 


SUR     1  A     MUSiquE.  Xji 

central ,  autour  duquel  tournoit  fans  cefle 
ce  morceau  de  mufîque  fans  que  je  puffe 
l'arrêter.  Si  F enfer  ne  connoît  pas  ce  genre 
de  fupplice ,  il  pourroit  l'adopter  pour  pu- 
nir les  mauvais  Mufîciens.  Pour  me  pré-? 
ferver  d'un  délire  mortel ,  je  crus  qu'il 
ne  me  refloit  d'autre  remède  que  d'écrire 
ce  que  j'avois  dans  la  tête;  j'engageai  mon 
domeftique  à  m'apporter  quelques  feuilles 
de  papier  ;  ma  femme  qui  étoit  fur  un 
lit  de  repos  à  mes  côtés  s'éveilla  &  me 
crut  agité  d'un  délire  fembîabie  à  celui 
que  j'avois  eu  quelques  jours  aupa- 
ravant ;  j'eus  peine  à  lui  perfuader  l'hor- 
reur de  ma  lituation ,  Se  les  fruits  que 
j'attendois  de  mon  travail:  j'achevai  la  par- 
tition au  milieu  de  ma  famille  muette, 
après  quoi  je  rentrai  dans  mon  lit  où  je 
trouvai  le  repos. 

Après  un  affoupiflementaufïi  long  que 
falutaire,  ïe  plus  beau  réveil  contribua 
fans  doute  à  hâter  ma  convalefcence.  Une 


%f%  .Essai 

mère  adorée  que  j'avois  quittée  avec  tant 
de  regrets,  fut  l'objet  qui  frappa  ma  vue. 
Inquiette  de  ce  qu'on  lui  avoit  écrit  de 
ma  famé  ,  û  tendrelTe  favoit  fait  voler 
auprès  d'un  fils  qui  la  preflbit  de  venir 
s'établir  à  Paris.  Efîe  fut  témoin  des 
foins  touchans  que  prenoit  de  moi  ma 
jeune  époufe  ;  étonnée  de  voir  une  jeune 
femme  françoife  fe  livrer  avec  pîaifir  aux 
travaux  les  plus  durs  ,  elle  l'aima  au- 
rant  que  fon  fifs,  Se  nous  promit  de  ne 
jamais  nous   quitter. 

Puifque  j'ai  intitulé  ceci,  Mémoires 9 
il  convient  encore  que  je  àiCe,  qu'excepté 
une  fœur ,  chanoinefTe  régulière  à  Sainte- 
Aîdegonde  a  Huy ,  j'ai  eu  le  bonheur  de 
fixer  toute  ma  famille  à  Paris.  Ma  fœur  ca- 
dette y  époufa  M.  de  la  Combe.  Mon  frère 
aîné  établi  en  Flandre  ,  m'écrivit  que  les 
pertes  confidir.ibles  qu'il  venoit  d'efTuyer 
dans  fon  commerce,  l'obligeoient  a  me 
venir  trouver  avec  fa  femme  &  cinq  en* 


SUR      LA      MUSIQUE.        1) 

fans.  Je  lui  répondis  que  je  Pattendois. 
Effrayé  cependant  du  nombre  de  per- 
fonnes  dont  j'allois  être  chargé  &  qui 
devoit  monter  à  quinze  ou  dix-huit ,  avec 
mes  trois  filles  ,  les  parens  de  ma  femme 
&  mes  domefh'ques  ,  je  fis  part  de  ma 
fituation  à  un  Minière  dont  tout  le  monde 
connoît  le  génie  &:  l'efprit ,  &  dont  j'aime 
à  faire  connoître  le  cœur.  M.  de  Galonné 
alors  Contrôleur  général ,  me  répondit  : 
Soye^fans  inquiétude;  vous  ave^confacré 
vos  îalcns  à  la  nation.  Je  fais  combien 
vous  contribue-^  chaque  jour  àfes  plaifirs  ; 
dans  peu  de  tenu  ,  .je  ferai  donner  une 
place  à  M.  votre  frère  ;  &  f  je  ne  puis 
hâter  ce  moment ,  foye\  fur  que  ,  de  quel- 
que manière  que  ce  foit,  je  viendrai  à 
votre  fecours. 

Cette  lettre  ne  fut  pas  une  vaine  con- 
foïation,  (i  ordinaire  de  la  part  des  hommes 
en  place  ,  &  mon  frère  fut  placé  dans 
les  fermes  du  Roi  dès  fon  arrivée. 


2-54  Essai 

Qu'il  eft  doux  pour  ma  reconnoif- 
fance  de  publier  ,  après  ïa  retraite  de  M. 
de  Calonne  ,  un  des  moindres  bienfaits 
dontfon  ame  noble  ôc  généreufe  eft  ca- 
pable i 


S*7R    LA     MUSIQUF,  1  f  J 

L'AMITIÉ  A  L'EPREUVE. 

Comédie  en  deux  acles ,  en  vers  ,  remife  en- 
fuite  en  trois  a#es,  par  M  Favart;  repréfente'e 
à  Fontainebleau  ,  le  zj  Novembre  ijjo  3  &  à 
Paris  le  1 7  Janvier  zyyi . 

Quelques  femaines  après  avoir  fait  la 
muiique  des  deux  Avares  ,  &  avant  d'avoir 
efîuyé  la  maladie  dont  je  viens  de  parler  ; 
je  compofat  celle  de  V Amitié  à  VEprcuve: 
aucun  de  mes  ouvrages  ne  m'a  coûté 
tant  de  peine,  &  jamais  il  ne  me  fut 
plus  difficile  d'exaker  mon  imagination 
au  point  convenable  (z)  ;  mes  forces  di^» 
minuoient  de  telle  manière  en  compo- 
fant  cet  ouvrage ,  que  je  fus  au  moins 
huit  jours  à  chercher  &  à  trouver  enfin 
le  coloris   que  je  voulois  donner  au  trio 

Remplis  nos  cœurs ,  douce  amitié. 

Ce  fut ,  pour  ainfi  dire  9  la  crife  & 


i<$6  Essai 

les  derniers  efforts  de  mon  ame  languif- 

fante. 

Lorfque  ce  morceau  fut  entendu  à 
Fontainebleau  ,  il  me  réconcilia  avec  les 
furîntendarits  de  la  mulique  du  Roi ,  qui 
fans  ofer  le  dire,  me  regardoient  comme 
un  innovateur  facrilège  envers  fancienne 
mufique  françoife.  Rcbel  ôc  Francœur  me 
dirent  que  c'étoit  là  le  véritable  genre  que 
je  devois  adopter. 

Je  voulus  faire  entendre  a  ces  mef- 
fieurs,  qu'autant  les  couleurs  dont  je  m'é- 
tois  fervi  convenoient  su  fentiment  pieux 
de  l'amitié ,  autant  elles  néroient  mal  aux 
paffions  profanes  que  l'on  met  plus  fou- 
vent  en  jeu  fur  la  fcène.  Mais  à  foi.xante 
ans  les  anciennes  impreffions  font  les 
feules  que  l'on  refTente  encore  foible- 
ment  ;  &  la  dureté  des  organes  fe  refufe 
a  toute  impreffion  nouvelle. 

Cette  pièce  parut  froide  à  Fontaine- 
bleau ;  &  elle  n'eut  que  douze  repréfen- 
tations  à  Paris.  Je  fuggerai  à  l'auteur  du 

poème 


SUR.      LA      M  U  S  I  q  u  E.       I^J 

poëme  d'ajouter  un  rôïe  comique  ,  qui 
jeteroit  de  la  gaieté  &  de  la  variété  dans 
fon   fujet. 

Cette  pièce  reparut  en  1786;  avec 
des  changemens  confiderables.  Une  jeune 
actrice  douée  d'une  voix  flexible ,  &  chan- 
tant d'uue  manière  exquife,  (  mademoi- 
felle  Renaud  )  reprit  le  rôle  de  Ccrali , 
que  j'arrangeai  fcion  fes  moyens  :  M. 
Trial ,  1  acteur  le  plus  zélé  &  le  plus  in- 
fatigable qu'on  vit  jamais  ,  fut  chargé 
d'un  rôle  de  nègre  qu'il  rendit  avec  vérité  ; 
enfin ,  cette  reprife  eut  plus  de  fuccès  , 
ck  le  public  fatisfait  des  longs  efforts  des 
auteurs ,  les  appella  pour  leur  témoigner 
fon  contentement. 

Quoique  le  public  appelle  trop  fré- 
quemment les  auteurs  de  productions  éphé- 
mères ,  quoiqu'il  foit  peu  glorieux  de  par- 
tager des  couronnes  fi  fouvent  prodiguées, 
quoiqu'on  n'ignore  plus  le  manège  dont 
on  fe  fert  pour  les  obtenir,  je  crus  de- 
voir préfenter  au  public  l'auteur  octogé- 


n?8  Essai 

naire  de  tant  d'ouvrages  eftimables ,  qui 
hors  d'état  par  fa  ce'cité  de  fe  préfenter 
lui-même,  avoit  befoin  d'un  guide  pour 
aller  recevoir  du  public  attendri  un  des  der- 
niers fleurons  de  fa  couronne. 

Tel  eft.  l'empire  des  circonfiances  ; 
après  avoir  critiqué  l'abus  des  roulades  où 
les  Italiens  fe  font  laiiTés  entraîner ,  je  fuis 
moi-même  repréhenfîble  pour  ce  même 
défaut.  L'air  que  Coran"  chante  pour  pren- 
dre fa  leçon  peut  être  auffi  difficile  qu'on 
voudra ,  puifqu'il  eft  proportionné  au  ta- 
lent de  l'élève  :  mais  celui  qui  commence 
ïe  troifième  acte  nuit  à  l'action  &  m'a 
paru  de  plus  en  plus  de'placé  :  c'eft  pour- 
quoi je  l'ai  retranché.  Dès  que  Corali  a 
eu  le  cœur  déchiré  par  la  fuite  de  Neï- 
fon  ,  elle  ne  doit  plus  fe  livrer  à  ce  luxe 
muiical  ;  il  revient  il  eft  vrai  ,  mais  ac- 
compagné de  Bïanfort,  futur  époux  de 
Corali  dont  Pâme  alors  doit  être  troublée. 


SUR     LA     MUSIQUE,  2.^9 

ZEMIRE    ET    AZOR. 

Pièce  en  quatre  acles ,  en  vers  libres ,  par 
M.  Marmontel;  repréfentëe  à  Fontainebleau  le 
9  de  Novembre  177 1  ,  &  à  Paris  le  10  Dé- 
cembre de  la  même  année. 

J'e'tois  rendu  a  la  vie,  la  nature  étoit 
neuve  pour  mes  organes  debarrarTés  lorf- 
que  je  commençai  cet  ouvrage.  Une  férié 
étoit  ce  qui  convenoit  le  mieux  à  ma 
fkuation.  Qui  n'a  pas  éprouvé  combien 
l'équilibre  dans  ce  qui  conftitue  notre 
exiftence  nous  raproche  du  merveilleux  ! 
L'ame  pure  &  libre  ,  pour  ainfi  dire  de 
toute  entrave  ,  femble  avoir  ,  s'il  eft 
permis  de  le  dire ,  des  rapports  avec  des 
êtres  furnaturels ,  que  le  noir  chagrin  ne 
connut  jamais. 

Cet  ouvrage  m'occup»  pendant  l'hiver 
de  1770  ;  j'eus  une  jouiiTance  prefque 
continuelle  en  y  travaillant ,  parce  que 
je  fentois  que  cette  production  étoit  à  la. 


2.6o  Essai 

fois  d'une  expreffion  vraie  &  forte  :  il 
me  paroît  même  difficile  de  réunir  plus 
de  vente  d'expreffion  ,  de  mélodie  & 
d'harmonie  (i). 

Je  ne  dis  pas  que  ces  trois  agens , 
qui  constituent  tous  les  genres  de  mu- 
fîque ,  foient  portés  au  même  degré  dans 
cet  ouvrage  ;  cette  réunion  eft  peut  être 
ce  qu'on  ne  verra  jamais  ,  car  ce  fera 
toujours  aux  dépens  des  deux  autres  , 
qu'on  en  fera  valoir  un.  Si  vous  faifilTez 
ïa  vérité  de  l'exprefïion  ,  îa  mélodie  & 
l'harmonie  leur  feront  fubordonnées  ;  voilà 


(i)  Il  eft  néceiïàire  de  m'expliquer  :  lorfque  je  parle 
ainfi  de  mes  propres  ouvrages  ,  je  n'entends  pas  que 
d'autres  muficiens  ne  puifîent  faire  ,  n'ayent  déjà  fait  , 
ou  ne  fanent  mieux  que  moi  ;  mais  je  l'ai  dit  ailleurs , 
l'artifle  le  plus  confommé  eft  celui  qui  fent  qu'il  a  tiré  tout 
le  parti  poffible  de  fes  facultés  :  chaque  maitre  a  fa  ma- 
nière qu'il  n'adopte  qu'après  avoir  effayé  toutes  fes  forces  ; 
dès  qu'il  eft  arrivé  à  ce  point ,  il  ne  dépend  plus  de  lui  de 
changer  de  ftyle  ;  s'il  quittoit  fa  manière  pour  adopter 
celle  de  fes  rivaux ,  même  fupérieurs ,  il  auroit  tort ,  car 
ll  cefTerok  d'être  original. 


> 


/ 


SUR'IA      MUSIQUE.        Z6l 

je  crcis  la  mufique  dramatique.  Si  cette 
ve'rité  d'expreflion  vous  eft  refufée  par  la 
nature ,  fi  les  chants  heureux  fe  préfen- 
tent  rarement  à  votre  imagination  ,  c'efr. 
fans  doute  dans  les  modulations  des  ac- 
cords ,  que  vous  trouverez  encore  de  quoi 
faire  une  compofition  eftimabîe.  Voila  la 
mufique  d'égîife  ,  celle  des  chœurs  qui 
conviennent  au  théâtre  tragique  lorfque 
î'a&ion  n'eft  pas  précipitée  y  &  la  clef 
pour  faire  la  fimphonie. 

Si  l'on  vouîoit  mettre  en  mufique  ïa 
haute  poëfie  ,  qui  porte  avec  elle  toute 
fon  harmonie  ,  &  nous  préfente  des  ta- 
bleaux achevés  ,  ce  feroit  encore  l'harmo- 
nie muficale  feule  qu'il  faudroit  adopter; 
car  lorfque  îe  poëte  a  tout  dit  &  tout  fait 
fentir,  tout  fe  de'truiroit  en  y  ajoutant 
encore. 

Si  vous  donnez  trop  à  îa  mélodie  >  la 
yérité  d'expreffion  fe  perdra  dans  le  vague 
charmant  de  fon  empire  idéal  ,  ck  l'har- 
monie ne  fera  plus   que  fon  pied  d'eftaL 

«3 


161L  Ë  s   s   a   i 

Voilà  la  mufique  de  concert,  celle  qui 
plaît  a  l'imagination  exaltée  qui  veut 
créer  elle-même  fes  fantômes  ;  voilà  ïa 
mufique  des  anges  ,  &  peut-être  celle  de 
la  nature. 

Je  dis  donc  que  ïa  nature  feule  donne 
le  fentiment  &  îe  goût  qui  nous  rend 
maître  de  l'expreffion  jointe  à  plus  ou 
moins  de  mélodie  ou  d'harmonie  ;  c'eft 
elle  encore  qui  favorife  certains  individus 
en  leur  prodiguant  les  chants  les  plus 
îimpîes  ck  les  plus  fuaves. 

Une  étude  profonde  des  modulations, 
fait  le  bon  harmonifte  :  il  n'eft  cependant 
point  comme  les  autres  ,  enfant  de  la  na- 
ture ;  mais  enfant  d'adoption. 

I/ide'e  de  faire  bailler  Ali  ,  dans  le 
duo  : 

Le  tems  eft  beau ,  &c. 

mMtoit  venue  en  faifant  la  première  ritour- 
nelle ,  où  le  bâillement  eft  indiqué  par 
les  notes  tenues  du  ballon.  Le  bâillement 


SUR      LA      MUSIQUE.         %  ^ 

d'un  efclave  qui  s'endort  dans  les  fumées 
du  vin  ,  a  Ton  caractère  ,  comme  un  oui 
ou  un  non  articulé  dans  différentes  fitua- 
tions  &  par  différens  perfonnages ,  a  le 
fien. 

En  cherchant  le  bâillement  convena- 
ble ,  je  m'apperçus  que  je  faifois  bailler 
réellement  toute  ma  famille  qui  m'en- 
vironnoit.  Je  lui  fis  entendre  mon  duo 
pour  la  raffurer  fur  l'ennui  qu'elfe  me 
fuppofoit.  J'ai  fouvent  vu  bailler  au  théâtre 
pendant  l'exécution  de  ce  morceau  ,  & 
j'ai  oféefpérer  que  ce  n'étoit  pas  d'ennui. 
Je  fis   de  trois  manières  le  trio  : 

Ah  '.  Iaiiïêz  moi  la  pleurer. 

J'avois  fait  ce  morceau  deux  fois ,  lorf- 
que  M.  Diderot  vint  chez  moi  ;  il  ne  fut 
pas  content ,  fans  doute  ,  car  fans  ap- 
prouver ni  blâmer ,  il  fe  mit  à  déclamer 
ainfi. 

R  4 


64 

E  s   s 

A   r 

A    1 

r  » 

r  1 

1  r  r 

^    »    & 

r  1  1  • 

|  r  p 

Ah  ! 

laif  fez 

moi3lai(-fez- 

moi  la  pleu- 

rer. 

Je  fubMituai  des  fons  au  bruit  déclamé 
de  ce  début ,  &  le  refte  du  morceau  alla 
de  fuite. 

Il  ne  fsîJoit  pas  toujours  écouter  ni 
Diderot ,  ni  l'abbé  Arnaud  >  lorfqu'ils 
ana'ifoicnt  leurs  idées  :  mais  le  premier 
élan  de  ces  deux  hommes  brûlans,  étoit 
d'infpiràtion  divine. 

Je  n'analiferai  aucun  morceau  de  cet 
ouvrage  ;  c'eft  à  l'inflant  même  du  tra- 
vail ,  qu'il  faudrait  tracer  mille  idées  éma- 
nées du  foyer  de  l'imagination  ;  dans  cet 
inlïant  un  feul  morceau  produiroit  un 
volume ,  fi  l'on  vouîoit  rendre  compte 
des  fenfations  que  le  fentiment  produit; 
mais  ce  travail  inutile  pour  celui  qui  fent, 
leil  encore  davantage  pour  celui  qui  ne 
fent  point.  Il  me  fuffira  donc  dans   cet 


SUR      LA      MUSIQUE,  3.6? 

examen  de  mes  pièces  ,  d'analifer  un  feul 
morceau   de   chaque  caractère. 

Zémire  ck  Azor  ,  fut  donné  à  Fon- 
tainebleau ,  pendant  l'automne  de  1770. 
Le  fuccès  fut  extraordinaire.  M.  Clairval 
fut  chargé  du  rôle  d'Azor.  Depuis  pïu- 
fîeurs  années  Caillcau  avoit  été  en  pof- 
fefTion  des  grands  rôles  ;  Clairval,  par  une 
complaifance  rare  ,  avoit  confacre  fes  ta- 
lens  à  faire  briller  ceux  de  Cailkau  en 
jouant  à  [es  côtés  des  rôles  prefque  ac- 
cefToires.  S'il  me  fut  doux  de  lui  confier, 
avec  l'aveu  de  M.  Marmontd ,  le  prin- 
cipal rôle  dans  une  pièce  en  quatre  ades, 
que  le  ruccès  couronna  ,  le  charme  qu'il 
répandit  dans  ce  rôle ,  &  le  fuccès  qu'il 
y  obtint  nous  récompenfa  largement.  Il 
fut  attirer  tous  îes  cœurs  à  lui ,  en  chan- 
tant : 

Ali  !  queï  tourment  d'être  fenfîble. 

Il  fut  montrer  la  plus  noble  énergie 
dans  la  féconde  partie  de  cet  air  : 


%66  E 


S    S     A    I 


La  beauté  timide  &  tremblante 
S'allarme  &  s'enfuit  devant   moi. 

Il  fut  enfin  nous  montrer  toute  la 
fenfibiiité  d'un  arnant  craintif  dans  fair  : 

Du  moment  qu'on  aime  &c. 

On  pouvoir  justement  lui  appliquer  ces 
deux  vers  de  la  pièce  : 

Vit-on  jamais  fous  des  traits  plus  hideux 
Un  naturel  plus  tendre  ? 

J'ai  toujours  cru  que  le  phifîque  char- 
mant de  cet  acteur,  aprécié  d'avance  des 
fpe&ateurs  ,  a  voit  beaucoup  contribué  à 
î'illufion  qu'il  produifit  dans  ce  rôle. 

Clairval  étoit  en  effet,  le  jeune  Prince 
dont  ïa  monftruofité  cachoit  des  traits 
charmans  ,  qu'on  devinoit  à  travers  Ton 
mafque. 

Cette  pièce  eut  autant  de  fuccès  dans 
ïes  provinces  de  la  France,  qu'à  la  Cour 


SUR     LA      MÛSIQUJ?#        ±Ç7 

&  à  Paris.  Elle  rétablit  les  finances  de 
plufieurs  directions  prêtes  à  échouer.  Elle 
fut  traduite  dans  prefque  toutes  les  langues  * 
un  François  nous  dit  avoir  aŒfté  a  trois 
fpe&acïes,  où  l'on  jouoit  le  même  jour, 
Zcmire  &  A^or ,  en  Flamand  ,  en  Alle- 
mand &  en  François  (i)  ■  ç'etpît  à  une 
foire  d'Allemagne.  A  Londres  on  la  tra- 
duifit  en  Italien  ;  on  y  ajouta  un  feuî 
rondeau  qui  n'étoit  pas, des  Auteurs:  le 
public  après  l'avoir  entendu  cria,  plus 
de  rondeau,  il  n'eft  pas  de  la  pièce. 

Lorfque  les  Auteurs  d'un  ouvrage  ont 
fu  faire  naître  l'unité'  delà  variété  même, 
on  a  tort  de  croire  que  l'on  peut  encore 
enrichir  l'enfemble  par  de  nouvelles  beau- 
tés. En  rafTemblant  les  traits  de  trois  jo- 
lies femmes  ,  croiroit-on  faire  une  beauté 
parfaite  ?  Non  ;  l'arti/te  ,  il  eft  vrai,  réu- 
nit fouvent  de   beaux  traits    épars  pour 


(0  M.  de  Laborde  a  «porté  cette  anecdote  dans  Ton 
EJJai  fur  la  Jllufique, 


2,68  Essai 

faire  une  beîîe  tête  ;  mais  il  diminue  oa 

augmente    chaque   chofe  en    détail  pour 

ïes  approprier  à  (on  fujet  ôc  pour  faire  un 

tour. 

Une  beauté  inutile  eft  donc  une  beauté 
nuifibîe.  La  place  que  doit  occuper  cha- 
que chofe,  elt  le  grand  procédé  des  arts; 
la  nature  feule  en  fe  jouant ,  opère  par- 
tout ce  prodige. 


SUR     LA      MUSIQUE.         %6$ 

L'AMI  DE  LA  MAISON. 

Comédie  en  trois  acles ,  &  en  vers ,  par  M. 
"Marmontel  ,  repréfente'e  à  Fontainebleau  le  26 
Oclcbre  1 771  &.  à  Paris  le   14  Mars    1772. 

On  pourroit  croire  avec  quelque  raifon, 
qu'une  comédie  proprement  dite  ,  d'un 
genre  où  le  comique  ne  domine  point, 
qui  n'eit  pas  ce  qu'on  appelle  une  cc- 
me'die  d'intrigue  ,  étoit  peu  faite  pour  la 
mufique.  C'étoit  l'opinion  de  plufjeurs 
Gens  de  lettres  que  je  pourrois  citer  :  ïe 
fuccès  qu'eut  cette  pièce  à  Fontainebleau 
fut  au  moins  équivoque.  De  retour  à  Paris 
nous  débarralTâmes  l'action  de  plufieurs 
morceaux   de   mufique. 

J'eus  cette  fois,  comme  en  beaucoup 
d'autres  occafions  ,  le  courage  de  retran- 
cher les  morceaux  de  mufique  ,  qui  en 
fociété  &  aux  répétitions  particulières  , 
avoient  produit  le  plus  d'effet. 

Telle  mufique  enchante  lorfqu'elle  efl 


ijo  Essai 

exécutée  au  piano,  par  le  compofiteur  ; 
eïïe  fubit  une  première  métamorphofe  , 
lorfqu'on  entend  Porche  ftre  &  les  chan- 
teurs, qui  ne  peuvent  être  tous  pénétrés  de 
l'efprit  de  l'ouvrage ,  ck  qui  ne  le  feront 
jamais.  Lorfque  l'on  joint  Faclion  du  drame 
à  la  mufîque ,  c'eft-là  qif  on  eft  étonné  de 
voir  fe  dégrader  les  morceaux  qu'on  avoic 
le  plus  admirés.  Chaque  morceau  dèvoit 
trouver  une  place  favorable  ,  ck  embellir 
îa  fituation  qui  l'amène  ;  mais  fi  le  drame 
eft  mal  conçu,  fi  l'acteur  dévoie  fe  taire 
îorfqu'il  chante  ?  Ah  !  pauvre  mufique  , 
ïe  charme  de  ton  éloquence  doublera  les 
fautes  du  poète  ,  en  prolongeant  ou  en 
exagérant  ce  qui  auroit  dû  être  fuprimé  ! 
L'artifte  le  plus  confommé  ne  peut  pas, 
dans  le  fond  de  fon  cabinet,  fe  faire  une 
parfaite  illufton  de  la  fcène  ;  en  voici , 
je  crois  3  les  raifons.  D'abord  ,  il  peut 
exifter  dans  le  poëme  ,  des  invraifem^ 
blances  qui  ne  paroifTent  qu'à  la  fcène  ; 
%°*  l'auteur  lifant  fa  pièce,  le  muficien 


SUR     LA     MUSIQUE.  171 

chantant  fa  mufique ,  exécutent  également 
bien  tous  les  rôles  ;  cependant  les  rôles 
moins  rranfcendans  font  toujours  confiés 
aux  a&eurs  qui  ont  îe  moins  de  talent. 
De  là  naifTent  les  longueurs  infupporta- 
bïes  ;  on  les  retranche  ;  alors  les  fituations 
capitales  ne  font  pas  allez  préparées  ;  voilà , 
je  crois  9  une  partie  des  difficultés  qui 
rendent  l'art  dramatique  fi  arbitraire  ;  iï 
faut  réunir  tous  les  arts  dans  un  feui 
cadre  ;  ils  doivent  fe  faire  des  iacrifices 
mutuels  ,  &  concourir  à  un  enfemble  que 
l'expérience  la  plus  confommée  ne  faille 
encore  que  foiblement. 

Malgré  le  fuccès  de  Zémire  &  A^or 
qui  fe  foutenoit  toujours  ,  celui  de  VAmi 
de  la  Maïfon  augmenta  avec  les  repré- 
fentations. 

Cette  gradation  de  fuccès  étoit  natu- 
relle dans  une  comédie  de  cette  nature. 
La  fineiTe  &  î'efprit  ne  font  pas  toujours 
faifis  par  les  acteurs  ni  par  le  public. 
Cette  mufique  fouvent  parlante,  quoique 


^jz  Essai 

d'un  genre  affez  élevé ,  n'avoit  été  traitée 
je  crois,  par  aucun  muficien.  La  mufique 
noble  de  la  tragédie  en  impofe  a  Paudi- 
teur ,  tandis  qu'une  mufique  (impie  ,  le 
laiffe  juger  de  fang-froid  :  ii  ert  donc  plus 
difficile  a  féduire  ck  il  n'en  fent  pas  tout 
de  fuite  la  difficulté  ,  ni  le  mérite,  par 
îa  raifon  qu'elle  eft  fimpïe  &  naturelle. 
Je  vais  analifer  Pair  fuivant  pour  prou- 
ver }  (i  je  le  puis  ,  que  la  déclamation  ca- 
ra&érife  fou  vent  la  mufique  dans  cette  pièce. 

Je  fuis  de  vous  très-méconf.ente , 
Très-mécontente,  entendez  vous?  &c. 

Si  j'avois  appuyé  fur  un  autre  mot 
que  fur  très  ,  j'aurois  manqué  le  carac- 
tère de  l'air. 

Eh  quoi  ?   fans  cefTe   fuivre  mes  pas  !    ■ 

Ritournelle.  ^â=5=li?3=Ea^|g^:^^^^^ 


L'aclrice  qui  ne  fera  pas  quelques  figues 
de  pitié  ironique,  fur  ces  quatre  notes  de 
ritournelle ,  n'entend  pas  ma  mufique. 

chercher 


SUR     IA      MUSIQUE.        %n  9 

Chercher  mes  yeux,  me  parler  bas 
Et  me  fourire  avec  finette; 
Belle  finette! 

Sur  ces  deux  derniers  mots  ,  j'ai  in- 
diqué ,  je  crois,  l'ironie,  &  ils  ont  rap- 
port à  la  petite  ritournelle  que  je  viens 
de  citer  : 

Vous  croyez  qu'on  ne  vous  voit  pas,  8cc. 

L'ironie  fe  trouve  encore  dans  ïe  chant 
rendu  doucereux  ,  par  les  notes  lie'es  deux 
à  deux  pour  une  fylïabe  ,  &  cela  pré- 
pare la  vivacité  des  vers  fuivants  : 

Das  vivacités 
Sans  fin  ,  fans  nombre  ! 
Vous  vous  dépitez, 
Vous  devenez  fombre. 

le  chant  efl  grave  &  fombre  effectivement. 
II  efr  permis  de  jouer  fur  le  mot  quand 
on  n'a  qu'un  infiant  pour  être  vrai,  & 
fur  tout  quand  le  fentiment  eft  faétice* 

S 


2<74  Essai 

Perfonne  ne  doute  qu'Agathe  ne  gronde 
fon  petit  coufin ,  parce  qu'elle  l'aime , 
&  qu'elle  veut  le  rendre  prudent  &  fage. 


Vous  ne  me  quittez 

Non  plus  que  mon  ombre; 

Le  mufîcien  qui  auroit  voulu  peindre  le 
petit  coufin  fuivant  par  tout  l'ombre  de 
fa  coufine  auroit  été  forcier ,  ou  pour 
mieux  dire  un  ignorant  ; 

Toujours  affis  à  mes  côtés , 

j'ai  répété  ce  vers  pîufieurs  fois  ;  c'était 
peut-être  la  feule  manière  d'indiquer  qu'il 
eft  toujours  ,  toujours  affis  à  côté  de  fa 
coufine. 

Avant  de  pafler  à  la  ponctuation  mu- 
ficaîe  ,  je  voudrois  parler  un  inflant  de  la 
règle  la  plus  importante  pour  le  compo* 
fiteur  de  mufique  vocale  ,  je  veux  dire 
de  îa  néceffité ,  non  feulement  de  décla- 
mer les  vers  avant  de  les  mettre  en  mu- 


sur  la  musique.  %  n  ± 
fîque  ,  pour  qu'il  foie  conduit  au  véritable 
chant  que  doit  recevoir  la  parole  *,  mais 
fur  tout  pour  qu'il  remarque  les  fyllabes 
elTentieiles  qui  doivent  être  appuyées  par 
ïe  chant  qui  alors  s'indentifie  avec  la  pa« 
rôle. 

Pour  parler  diftin&ement  en  profe  ou 
en  vers ,  on  appuyé  naturellement  fur  les 
fyllabes  les  plus  ne'ceiïaires ,  en  aftoiblif- 
fant  l'inflexion  fur  celles  qui  le  font  moins. 
La  mufique  étant  un  fécond  langage  que 
1  on  joint  au  premier ,  le  componteur  doit 
donc  donner  la  bonne  note  de  la  phrafe 
mufîcaïe,à  la  fyllabe  qui  doit  être  appuyée; 
fans  cette  attention  ,  il  réfulte  un  contre** 
fens  affreux  entre  ces  deux  langages. 

Exemple* 

Rien  ne  plaît  tant  aux  yeux  des  belles ,' 

En  récitant  ce  vers  ,  Ton  doit  fentir 
que  la  bonne  note    doit  porter  fur  tant, 

S    % 


ij6  Essai 


SI 


g=ag-A'.vf"i?   :»^-]-^|i|jÊ 


Rien  ne  plaît  tant .... 
Que  le  courage  des  guerriers. 

La  bonne  note  doit  être  fur  va. 
-P- 


i^lSHS 


r*>>-0->~ 


Qu'ils  foient  va  il-  lants. 

La  bonne  note  far  /<z/zr.y. 
Si  j'avois  fait 

g£^-3>~    '£         m  \    ^   ..lit..- 


i9  •i*i"rc*'^*: 


Qu'ils  foient  vail-  lants. 

J'aurois  fait  une  faute  contre  le  bon 
fens;  defcendre  d'une  o&aven  indique  pas 
ïe  guerrier  qui  s'élève  à  la  gloire.  J'ai  vu 
quelque  fois  le  muficien  faire  le  contraire 
de  ce  qu'indique  îa  parole  ,  de  peur  d'être 
foupçonné  d'avoir  joué  fur  le  mot  ;  c'efl: 


SUR    LA    MUSIQUE.  î-77 

commettre  une  ineptie,  pour  éviter  une 
faute  qui  n'en  eft  pas  toujours  une  (t). 
Qu'ils  foicnt  fidèles ,  la  bonne  note  fur 
dèles. 

A  leur  retour  je  réponds  d'elles , 
L'Amour  fous  les  lauriers ,  n'a  point  vu  de  cruelles. 

Ce  dernier  vers  eft  abandonné  au  chant  ; 
il  devoit  l'être ,  je  crois  ,  parce  qu'il  fait 
image.  Les  accompagnemens  liés  &  fou- 
tenus  forment ,  pour  ainfi  dire  ,  la  chaîne 
de  l'amour. 

Sous  les  drapeaux  quand  la  trompette  fonne. 

Il  n'eft  pas  nécefîaire  de  faire  remar- 
quer le  rhithme  que  prennent  ici  les  cor3 
de  chafTe.  Avant  de  recommencer  l'air, 
Dolmon  dit  : 


(i)  J'ai  remarqué  que  les  compofîteurs  à  la  fleur  de 
l'âge ,  fe  fervent  fouvent  de  phrafes  afcendentes ,  tan- 
dis que.  ceux  qui  font  fatigués  font  le  contraire. 


±7%  Essai 

Il  a  raifbn,  l'amour  l'attend. 

Il  falloit  mettre  ce  vers  en  récitatif; 
Ce  n'eft  plus  l'ancien  guerrier  qui  parle, 
c'eft  le  père  de  Célicour.  Si  dans  la  fé- 
conde partie  de  cet  air  j'ai  remplacé  la 
trompette  par  le  cor,  c'eft  parce  que  l'or- 
çheflre  du  théâtre  Italien  en  étoit  alors 
dépourvu. 

È'émpïoi  des  inftrumens  a  vent  fi  bien 
fenti  par  les  Allemands  ,  par  rap- 
port à  l'harmonie  ,  mérite  d'être  confi- 
déré  par  les  composteurs  dramatiques. 
Lorfque  la  mufique  ne  déclamoit  point, 
une  flûte  traverfière  ,  une  trompette  , 
un  cor,  vouloient  dire  amour,  gloire  , 
ou  la  chajfe.  II  faut  a  préfent  que  ces 
divers  inftrumens  concourent  à  l'expref- 
fion. 

On  peut  regarder  ces  inftrumens  ac- 
compagnateurs du  chant  fous  deux  râ- 
pons. Celui  de  la  voix  qu'ilsaccompagnent 


SUR      ÎA      MUSIQUE.         1  7  <? 

&  le  fentiment  des  paroles  que  la  mu- 
fique  exprime.  Le  bafïbn  eft.  lugubre  ,  & 
doit  être  employé  dans  le  pathétique, 
lors  même  qu'on  veut  n'en  faire  fentir 
qu'une  nuance  délicate  ;  ii  me  paroît  un 
contre-fens  dans  tout  ce  qui  eft.  de  pure 
gaîté.  La  clarinette  convient  à  la  dou- 
leur, moins  pathétique  cependant  que  le 
baiïbn.  Lorfqu'elle  exécute  des  airs  gais , 
elle  y  mêle  encore  une  teinte  de  trifïeïTe. 
Si  l'on  danfoit  dans  une  prifon ,  je  vou- 
drais que  ce  fût  au  fon  de  la  clarinette. 
Le  hautbois ,  champêtre  Se  gai,  fert  auiïi 
à  indiquer  un  rayon  d^efpoir  au  milieu 
des  tour-mens»  La  flûte  traverfière  eft 
tendre  Se  amoureufe  •  la  douceur  de  fes 
fons  aigrit  la  plus  belle  voix  de  femme, 
qui  ne  peut  guère  fe  fbutenir  à  coté  de 
la  flûte  ;  elle  accompagne  plus  avantageu- 
fement  la  voix  des  hommes  Se  les  inf» 
trumens  dont  le  fon  n'eft  pas  foutenu. 
Les    deux   airs  de  l'Ami  de  la  Mai* 

S4 


z8o  Essai 

fin  ,  Je  fils  de  vous  très-mécontente  —  & 
Rien  ne  plaît  tant  aux  yeux  des  belles , 
que  j'ai  analifés  précédemment,  devroient 
fuffire  pour  prouver  que  les  £accens 
de  la  parole  peuvent  être  copiés  par 
ïes  fons  de  la  gamme,  je  fais  néanmoins 
que  ce  que  j'ai  cru  prouver  fera  dédaigné 
par  bien  des  gens  ;  mais  je  ne  m'en 
afflige  pas  ,  ou  fi  je  m'en  affligeois  ce 
feroit  pour  les  plaindre. 

Un  homme  de  lettres  qui  m'avoit  en- 
tendu parler  fur  la  pofïibilité  de  noter 
toutes  ïes  inflexions  de  la  parole  ,  &  qui 
nioit  cette  poiïibilité  ,  me  pria ,  en  fou- 
riant  ,  de  le  recevoir  chez  moi  pour  par- 
ler plus  à  fond  fur  cette  matière. 

En  entrant  dans  mon  cabinet,  îî  me 
dit  en  me  faluant  ,  avec  un  petit  ton 
de  prot.e&ion  :   Bon  jour  monjieur. 

Je  note  ici  fes  inflexions. 


Allegretto.. 


SUR      LA      MUSIQUE,        lSl 


j^   "ifr.  p    _r  |  ,i  '   K|gRg=== 


Bon  jour  ,  Mon-  fieur. 

Je  lui  chantai  à  Pin  fiant ,  fur  le  même 
ton  ,  ut  fol  fol  ut  ,  &  il  fut  a  moitié 
converti. 

II  feroit  affez  plaifant  de  faire  une 
nomenclature  de  tous  les  bonjour,  monficur, 
ou  bonjour ,  mo/2  c/tèr,  mis  en  mufique 
avec  l'intonation  jufte  ;  fon  verroit  com- 
bien ï'amour-propre  efl  un  puiffant  maître 
de  mufique  ,  &  comme  la  gamme  change 
îorfque  l'homme  en  place  ceffe  d'y  être. 

Un  bonjour ,  monfieur  ;  me  fuffit  pref- 
que  toujours  ,  pour  aprécier  en  gros  les 
prétentions  ou  la  fimplicité  d'un  homme  ; 
la  politefTe  ou  îa  faufTeté ,  nous  cache 
l'homme  dans  Ces  difcours  ;  mais  il  n'a 
pas  encore  appris  à  fe  cacher  tout-à-fait 
dans  fes  intonations.  Je  crois  faire  ici 
l'éloge  de  Phiimanité, 


2.8x  Essai 

La  même  phrafe  prononcée  par  dîfTé- 
rens  perfonnages  &   dans   des  circonf- 

tances  différentes,  reçoit  donc  toujours 
de  nouvelles  inflexions  ,  &  la  ve'rité  de 
déclamation  ,  peut  feule  faire  de  la  mu- 
fique ,  un  art  qui  a  fes  principes  dans  la 
nature, 

II  faut  fur-tout  foigner  la  ponctuation 
muficale  ,  de  laquelle  refïbrtira  cette  vé- 
rité de  déclamation.  Les  rapports  mathé- 
matiques qui  exiftent  entre  les  fons ,  font 
bien  aufïi  dans  la  nature  ,  comme  les  pro-* 
portions  phyfiques  du  corps  humain  ;  mais 
c'efi  l'attitude  ,  l'expreffion  ,  la  paffion , 
qui  animent  une  ftatue  ;  de  même  que 
îa  déclamation  anime  les  fons.  Quel  champ 
vafte  pour  le  muficien  ! 

J'ai  dit  que  îa  mufique  eft  un  difeours  ; 
elle  a  donc ,  comme  les  vers  ck  la  profe  , 
les  repos  ck  les  inflexions  de  îa  virgule  ,_ 
des  deux  points,  du  point  d'exclama- 
tion ,  d'interrogation   ck  du  point  final. 


SUR      LÀ      MUSIQUE.         2.83 

Le  mufkien  qui  y  manque  ,  ou  n'en- 
tend pas  fa  mufique  ,  ou  ne  comprend 
pas  les  paroles.  Comment  dans  les  in- 
tervalles de  douze  demi  tons ,  que  ren- 
ferme la  gamme  cromatique  ,  tous  les 
repos  &  les  accens  de  la  ponctuation 
n'exifteroient-ils  pas  ?  L'exemple  fuivant 
prouvera  d'ailleurs  combien  il  eft  aifé  de 
prolonger ,  par  des  repos,  le  fensdu  point 
final. 


fë 


Si  ces  vers  de  fix  fillabes  .étoîent  en 
interrogations  ,  ne  peut-on  pas  tourner 
la  même  phrafe  de  cette  manière? 


^3  4  Essai 


rtert £fe i-U. — ^ — f-M*J w* — m+*r  C-ES» — 

?  ? 

,    iiÉËpïlliyiIi=l= 

Des  mufîciens  français  ont  employé 
Couvent  cette  phrafe  interrogatoire 


ggzzrgg^gS^^gf^ 


^<— 


Lorfque    le  fens   des  paroles    exigeoit 
te  point  final; 


^ë=i=g=É=^=p=g=fi-MEi 


cette  faute  impardonnable  ,  fur-tout  dans 
le  récitatif  où  le  muficien  n'éprouve  point 
de  gêne  provient,  je  crois  ,  de  ce  que 
les  mufîciens  français  entendirent  jadis 


sur  la  musique.  a8j 
ïa  mufique  des  Boufons  Italiens,  fans 
comprendre  leur  îangue. 

On  aura  beau  dire  &  beau  faire,  la 
mufique  vocale  ne  fera  jamais  bonne  , 
fi  elle  ne  copie  les  vrais  accens  de  la 
parole  ;  fans  cette  qualité ,  elle  n'eft  qu'une 
pure  fimphonie. 

Lorfque  j'entens  un  opéra  qui  ne  me 
fatisfait  pas  entièrement ,  je  me  dis  que 
le  compofiteur  ne  comprend  point  fa 
langue ,  je  veux  dire  le  langage  mufical. 

L'harmonie  ,  ou  le  trait  de  chant  dont 
il  s'eft  fervi  pour  rendre  un  fentiment , 
me  femble  propre  à  une  autre  expreffion. 

Si  l'on  ne  me  chantoit  point  de  pa- 
rolles ,  j'en  fubfiituerois  qui  rendroient 
le  morceau  de  mufique  excellent  à  mon 
agré.  II  faut  donc  que  le  compofiteur 
fâche  bien  fa  langue  mufical ,  pour  qu'if 
puifTe  y  adapter  des  paroles  ,  qu'il  doit 
aufîi  entendre    parfaitement  :  c'eft    de 


i86  Essai 

l'union  de  ces  deux  idiomes ,  que  reTulte 
la  bonne  mufique  vocale. 

L^on  peut  exprimer  jufle,  avec  beau- 
coup d'harmonie ,  un  grand  travail  d'or- 
cheftre,  &  un  chant  fouvent  accefibire  ^ 
ou  une  déclamation  peu  chantante ,  c'efl 
ce  qu'en   général  a  fait  Gluck. 

L'on  peut  exprimer  jufte  ,  en  faifant 
fortir  de  la  déclamation  un  chant  pur  Se 
aifé  dont  l'orcheflre  ne  fera  qu'un  ac- 
compagnement acccfibire  ;  c'efl  généra- 
lement ,    ce  que    j'ai   cherché  a  faire. 

L'on  peut  faire  un  chant  plus  pur  Se 
plus  fuave  encore ,  qui  en  ne  peignant 
point  n'a  cependant  pas  d'intention  con- 
traire a  fexprefri  on  des  paroles.  C'efl  ce  qu'a 
fait  Sacchini.  Tant  qu'on  fera  de  la  mu- 
fique ,  il  faudra  rentrer  dans  les  trois 
manières  que  je  viens  d'indiquer. 

La  mufique  de  Haydn ,  peut  être  re- 
gardée comme  un  modèle  dans  le  genre 
inflrumental ,  foit  pour  la  fécondité  des 


SUR     LA     MUSIQUE.  287 

motifs  de  chants  ou  celle  des  modula- 
tions. L'abondance  des  moyens  le  ren- 
droit  peut-êire  abilrait,  s'il  ne  me  fem- 
bïoit  obferver  une  efpèce  de  régime  i 
qui  confifte  à  conferver  long  -  tems  le 
même  trait  de  chant ,  s'il  module  beau- 
coup ;  mais  il  eft  riche  en  mélodie  lors- 
qu'il module  moins. 

Il  me  fembïe  que  le  compofiteur 
dramatique  peut  regarder  les  œuvres  in- 
nombrables de  M*  Haydn ,  comme  un 
vafte  dictionnaire  où  il  peut  fans  fcru- 
pule  puifer  des  matériaux  ,  qu'il  ne  doit 
reproduire  cependant,  qu'accompagnés 
de  l'expreffion  intime  des  paroles.  Le  com^ 
pofiteur  de  la  îimphonie  elî:,  dans  ce  cas, 
comme  îe  botanïfte  qui  fait  la  découverte 
d'une  plante  en  attendant  que  le  méde- 
cin en  découvre  ïa  propriété. 

S'il  efl  vrai,  comme  je  l'ai  dit,  que 
îe  compofiteur  vocale  doive  fenthr  les 
différentes  nuances  qui  conftitue  un  dis- 
cours dans  toutes  fcs  parties ,  pour  pou- 


*88  Essai 

voir  enfuite  faire  un  raprochement  tel 
qu'il  unifie  fon  idiome  muficale  au  lan- 
gage ordinaire  ;  combien  eft-il  abfurde 
d'ajouter  foi  a  un  vain  préjugé  qui  vou- 
drait nous  faire  accroire  que  fon  peut 
joindre   l'ineptie  à  un  grand  talent. 

Qu'on  ne  dife  donc  pas  que  mille  fois 
les  bons  mufîciens  ont  commis  des  fautes 
d'ignorance  ;  l'homme  ignorant  ne  peut 
être  qu'un  déteftable  muficien ,  &  c'étoit 
l'avis  de  Voltaire  lorfqu'on  lui  parloit 
des  prétendues  inepties  des  hommes  dis- 
tingués par  un  talent  quelconque. 

On  raporte  que  Carie  Vanloo  ne  vou- 
îoit  pas  recevoir  douze  cent  francs  pour  un 
tableau  qu'il  venoit  d'achever ,  parce  qu'il 
étoit  convenu  qu'on  le  lui  payeroit  cin- 
quante îouis.  Cette  ignorance  me  paroît 
fublime  dans  un  grand  artifte.  Elle  prouve 
que  plus  l'homme  porte  toutes  fès  fa- 
cultés vers  une  feule  chofe ,  moins  il 
doit  être  inftruit  de  toutes  les  autres.  On 

ignore 


SUR     LA     MUSIQUE.  1  3  Q 

ignore  combien  de  grandes  chofes  pour 
le  commun  des  hommes  ,  paroiffent  mi- 
nutieufes  pour  l'artiftç  qui ,  tout  entier  à 
fon  objet,  vit  pour  ainfi  dire  avec  la  na- 


ture. 


Mille,  petites  faculté*  nécefTaires  pour 
avoir  feulement  le  fens  commun  ,  fe  dé- 
truifent  pour  fortifier  une  faculté  majeure. 
Aufii  l'homme  occupé  d'un  grand  objet 
avec  tous  fes  rapports  ,  devient  indifférent 
fur  mille  autres  pour  fe.  livrer  à  celui  qui 
l'occupe  fortement. 

La  nature  ne  nous  ayant  donné  qu'une 
certaine  portion  de  force  répandue  dans 
l'individu ,  nous  laifTe  les  maîtres  ,  par 
un  exercice  habituel ,  de  fortifier  un  de 
nos  organes  aux  dépens  des  autres;  telles 
font  les  jambes  d'un  danfeur  &  d'un  maître 
en  fait  d'armes  ;  la  main  gauche  du  joueur 
de  violon  ;  la  poitrine  d'un  chanteur  ;  la 
tête  du  favant  -,  les  organes  du  fentiment 
pour  le  Poète  ,  le  Peintre,  le  Muficien, 

T 


ijo  Essai 

&  tout  homme  de  génie.  Ne  jugeons 
donc  point  lége'rement  l'homme  qui  fait  une 
chofe  mieux  que  tout  autre;  &:  fouvenons 
nous  qu'un  jeune  étourdi  avôit  répondu 
dix  fois  à  une  queftion  ,  pendant  que 
J.  J.  RoufTeau  relloit  taciturne  en  y  cher- 
chant  une  répor.fe. 


.-•' 


• 


SUR      LA      MUSIQUE.  2Ql 

LE    MAGNIFIQUE, 

Drame  en  trois  ades,  par  M.  Sedaine  ;  repré- 
fenté  à  Paris  par  les  Comédiens  Italiens  ,  le  q 
Mars   IJJ3* 

A  mefure  que  j'acquérois  la  connoif- 
noiffance  propre  au  théâtre  ,  je  défirofs 
de  mettre  en  mufique  un  poëme  de  M. 
Sedaine  ,  qui  me  fembloit  l'homme  par 
excellence  ,  foit  pour  l'invention  des  ca^ 
ra&ères  ,  foit  pour  le  mérite  fi  rafe  d'a- 
mener les  fituations  d'une  manière  à  pro- 
duire des  effets  neufs  ,  &  cependant  tou- 
jours dans  la  nature. 

Le  Magnifique  me  fut  offert  par  ma- 
dame de  Lalive  dïEpinay ,  l'amie  intime 
de  /,  /.  Roujfeau  ;  ç'eft  affez  faire  fon 
éloge.  La  fcène  de  la  rofe  me  féduifit  , 
quoique  je  fpntiffe  la  difficulté  de  faire 
un  morceau  de  mufique  ,  le  p*us  long 
qui  ait  jamais  été  tenté  au  théâtre.  Quant 
au  reffe  de  la  pièce  ,   je  m'en  rapportai 

T  % 


i$i  Essai. 

plus  à  la  réputation   de  f  Auteur  ,   qu'à 
mon  propre  jugement. 

II  étoit  écrit  à  la  tête  du  poëme ,  pen- 
dant V ouverture, ,  on  verra  pajfer  derrière 
la  feint ,  une  procejfwn  de  captifs  ;  on 
entendra    le   chant  des  Prêtres, 

G'eft  d'après  cet  avis  de  l'Auteur,  que 
je  commençai    l'ouverture   par    une    eA 
pèce  de   fugue  ,   ou   mufique  de   motet 
un    peu    mitigée.  Faire  entendre  enfuite 
un    contrepoint     défignant    abfolument 
les   chants   d'églife  ,  me   fembloit  péril- 
leux à   i'opéra  comique  ;   que   faudroit-il 
faire  pafTer  dans  l'ame  des  fpeclateurs , 
me  difois-je ,  pour  que  fans  étonnement 
ils  puffent  entendre  des  cantiques?  L'air 
de  Henri  IJ^me  vint  a  Pefprit  :  tout  bon 
François  n'entend  cet  air  qu'avec  un  fen- 
timent  pieux  mêlé  de  joie    &  de    ten- 
drefTe  ;  je  faifis  cette  idée  (i  )  fur  Pair  , 

Vive  Henri  IV 

Vive  ce  Roi  -vaillant ,  &c. 


y 


SUR    LA    MUSIQUE,  293 

j'ajoutai  un  fécond  air  chantant ,  pour 
qu'il  y  eût  quelque  chofe  du  compofiteur; 
les  Prêtres  fe  préfentèrent  à  la  fuite  du 
Roi  Henri ,  &  furent  très-bien  reçus  du 
public.  J'ai  toujours  été  curieux  des  cé- 
rémonies d'églife  r  lorfqu'elles  font  obfer- 
vées  avec  toute  la  xiécence  &  la  dignité 
qu'elles  exigent.  L'artille  feul  a  intérêt 
de  confidérer  de  près  la  nature.  Pendant 
qu'une  procelTion  paiïbit  ,  j'avois  obfervé 
une  efpèce  de  cacophonie  ,  naturelle  ïcrf- 
qu'on  entend  plufieurs  chants  à  la  fois  ; 
des  prêtres  font  à  votre  droite  ,  un  or- 
cheftre  d'inftrumens  à  vent  eft  à.  votre 
gauche  ;  quelques  trompettes  &  timbales 
plus  éloignées  fe  joignent  encore  aux  deux 
premiers  chœurs  de  chant  ;  ce  qui  forme 
dans  l'éloignement  un  enfemble  cara&érif- 
tique  quoique  défagréable  à  l'oreille.  Peu  de 
perfonnes  ont  remarqué,  j'imagine,  que 
ce  mélange  fe  trouve  dans  l'ouverture  du 
Magnifique.  Les  trompettes  font  quelques 
éclats  ;  on  entend  une  phrafe  de  la  marche 

T3 


1^4  Essai 

qui  va  fuivfe  ;  le  chant  des  Prêtres  s'y 
joint  ;  ils  jouent  tous  enfemble  ;  iîs  fmif- 
fent  Pun  après  Pautre  ;  un  filence  géné- 
ral fuccède  ;  enfin  la  mufique  militaire  , 
qui  efï  cenfée  être  arrivée  à  l'endroit  des 
fpe&ateurs  ,  commence  avec  force  la 
marche  fuivante. 


-» — 


Alors  on  n'entend  plus  que  cette  marche 
qui  abforbe  tout  le  refte. 

Si  je  di-fois  qu'en  raifant  la  mufique 
de  ce  drame  ,  j'aie  éprouvé  les  mêmes 
Pgrémens  ck  la  même  facilité  qu'en  com- 
ofant  fur  les  poëmes  de  M.  de  Mar- 
fnontd ,  ce  feroit  une  faulTeté  palpable, 
que  les  connoiffeurs  reconnoîtroient  ai- 
fément.  Mais  qu'importe  la  peine  ou 
ïe  plaifir  de  PartHte ,  fi  fon  ouvrage  peut 
erre  utile  à  Part?  Le  ton  qui  règne  dans 
le  poëme  du  Magnifique  ,  n'a  nui  rap- 


SUR     IA,    MUSIQUE,  i  0  5 

port  avec  ceux  que  j'ai  compofés  précé- 
demment  ;  il  ne  faut  donc  pas,  me  fuis-je 
dit  ,  qu'on  y  retrouve  la  mufique  de 
Zcmirc  &  A^or  ,  ni  celle  de  Silvain, 
C'eft  en  étudiant.  le  poème ,  &  non  les 
paroles  de  chaque  ariette ,  que  le  mufi- 
cien  parvient  à  varier  Tes  t^ns  ;  c'eft  fur- 
tout  en  faifufant  le  caractère  des  premiers 
morceaux  que  chante  chaque  acteur,  que 
Ton  s'impofe  la  loi  de  les  fuivre  en  leur 
donnant  à  chacun  une  phifionomie  par- 
ticulière. Sans  cette  étude  on  ne  recon- 
noîc  par  tout  que  le  muficien  ,  ce  font 
toujours  les  mêmes  traits  de  chant  qui 
fe  repréfentent  pour  tout  exprimer;  avec 
ïa  différence  puérile  d'une  trompette  dé- 
fignant  la  fierté  du  guerrier,  ou  d'une 
flûte  exprimant  la  tendrelTe  de  famour. 
Je  voudrois  cependant,  pour  que  le  mu- 
ficien obtînt  une  pleine  fatisfaction  de 
fes  travaux ,  que  le*  paroles  defhnées  à  la 
mufique  euflènc   été  foignées. 

Dans    les  tems  les  plus   reculés  ,    la 

T4 


i$6  E  s  s   a'i. 

mufique  ne  fut  employée  qu'à  confacrer 
des  paroles  dignes  de  parler  à  la  pofté- 
rite  ;  c'étoit  par  des  chants  que  les  peu- 
ples anciens  honoraient  leurs  Dieux, 
leurs  parents  ,  leur  patrie.  Aujourd'hui 
Ton  dit  :  fi  les  paroles  font  mauvaifes  ,' 
faites  les  mettre  en  mufique ,  on  les  trou- 
vera bonnes.  Je  dis  le  contraire  ;  on  les 
trouvera  déteftables.  J'entcns  chaque  jour 
des  vers  que  le  public  permet  dans  ïe 
dialogue  parlé  ,  &  qu'il  rejetteroit  s'ils 
étoient  mis  en  mufique ,  de  manière  à 
être  entendus.  Le  langage  muficaï  n'exiûe 
que  dans  l'accent  plus  fort  que  la  dé- 
clamation ordinaire.  Il  eft  donc  clair 
que  plus  vous  déclamerez,  plus  vous  ac- 
centuerez, plus  vous*  ferez  ïèhtif  ïa  pla- 
titude des  vers  ;  plus  vous  dégraderez  les 
paroles  &  la  mufique. 

Voyez  avec  combien  de  retenue  un 
a&eur  adroit  débite  des  vers  qu'il  croit 
mauvais  :  il  éteint  toute  déclamation  ;  il 
paîTe  rapidement  Se  prefque  fans  accent 


SUR      £.  À     MUSIQUE.        2.0  7 

îes  endroits  îufpecls.  Le  Muficien  éprouve 
la  même  gêne  en  compofant  ;  il  ren- 
contre mille  difficultés  prefqu'mfurmon- 
tables  ;  ce  vers  eft  de  huit  filïabes  ,  le 
fuivant  n'en  a  que  trois ,  l'autre  en  a  dix , 
&c.  II  faut  trouver  un  defîin  régulier, 
dans  l'irrégularité  même.  C'eft  bien  pis 
fi  les  idées  qui  forment  la  ftrophe  font 
incohérentes;  pour  furcroît  de  malheur, 
il  y-  aura  des  mots  profaïques  ou  triviaux  , 
qu'il  faut  palTer  rapidement  ,  pour  qu'ils 
foient  peu  entendus,  &  que  les  fpe£ta- 
teurs  croyent  s'être  trompés. 

Voila  l'abrégé  des  peines  que  Pon  im- 
pofe  au  mufieien  ,  îorfqu'on  lui  donne 
des  paroles  peu  foignées.  Mais  il  faut  une 
coupe  de  vers  propre  à  la  mufique.  Mais 
il  faut  des  petits  vers;  hé  non  ,  meflieurs  ! 
il  ne  faut  rien  de  tout  cela  ;  il  faut  des 
vers  relatifs  au  fenti ment  que  vous  peignez; 
des  vers  alexandrins  eu  des  vers  de  fix 
filïabes,  font  îes  mêmes  pour  la  mufique. 
fojez  corrects ,  fimétriques;  ne  faites  pas 


198  Essai 

des  phrafes  trop  longues  avec  de  grands 
vers  de  dix  ou  de  douze  fîllabes  ,  dont 
ïes  hémiftiches foient  liés  par  des  voyelles; 
parce  que  phyfiquement ,  le  chant  ne 
marche  pas  fi  vite  que  la  parole ,  &  qu'il 
faut  refpirer  enfin.  Souvenez -vous  qu'il 
faut  preflentir  le  mouvement  de  Faîr  que 
l'on  fera  fur  vos  paroles  ;  huit  vers  fur  un 
mouvement  lent,  prendront  plus  de  tems 
que  trente  fur  un  mouvement  rapide. 

Ne  répétez  pas  les  mêmes  mots  dans 
un  môme  vers ,  ou  que  ce  foit  pour  em- 
belfir  votre  idée;  c'en1  une  refTource  pour 

Muficien,    lorfqu'il  veut   arrondir  fon 

-mt,  mais  dont  il  n'a  pas  toujours  be- 
.om;  fi  vous  le  faites  d'avance,  vous  le 
gênez,  parce  que  vous  ne  pouvez  pas  de- 
viner quand  il  en  aura  befoin.  Il  fera 
peut-être  forcé  par  la  tournure  du  chant, 
de  répéter  les  mots  que  vous  n'avez  pas 
répétés  ;  de  forte  que  vos  répétitions  & 
les  fiennes  feront  faftidieufes. 

J'ai  toujours  cru  que  le  prétexte  fpé- 


SUR    -LA'     MUSIQUE.        ^QO 

cfeux  de  fervir  le  Muficien  ,  en  pareil  ca$, 
n'étoit  autre  chofe  que  le  befoin  de  com- 
pletter  le  nombre  des  fylïabes,  pour  faire 
des  vers  de  même  mefure. 

Evitez  la  morale  ,  parce  que  fes  images 
font  froides ,  excepté  peut-être  en  amour. 
Sentiment,  ironie  ,  pafîion ,  monotonie 
même  ïorfqu'elfe  eft  caractère,  tout  eft  du 
refîbrt  de  la  mufique ,  excepté  les  mauvais 
vers.  ' 

Chaque  auteur  dramatique  fe  plaint  des 
facrifices  qu'il  eft  obligé  de  faire  à  fon  Mu- 
ficien. M.  Scdainc  en  parle  dans  fon  dif- 
cours  de  réception  à  l'Académie  Fran- 
çoife.  Cependant  je  défie  les  poètes  avec 
lefquels  j'ai  travaillé,  de  citer  un  bon  vers 
facrifié  à  ma  mufique. 

Quoique  la  digreflïon  précédente  fe 
trouve  à  l'article  du  Magnifique,  je  fuis 
loin  d'avoir  voulu  faire  une  critique  par- 
ticulière des  paroles  de  ce  drame.  Si  M. 
Scdainc  n'eil  pas  le  Poëteqoi  foigne  le  plus 
les  vers  devinés  au  chant;  les  fituations 


$ôô     .7       E  s  s  a  r; 

qu'il  amène,  &  non  pas  qu'il  trouve} 
comme  difent  Tes  envieux  ;  font  fi  împé* 
rieufes ,  qu'elles  forcent  le  Muficien  à  s'y 
attacher  pour  les  rendre.  II  dit  prefque 
toujours  le  mot  propre  ,  6c  il  fe  croit 
difpenfé  de  l'embellir  par  des  tours  poé- 
tiques. Il  force  donc  ïe  Muiicien  à  prendre 
des  formes  neuves  pour  rendre  fes  carac- 
tères originaux.  La  facilité  dans  le  travail, 
n'efl:  guères  pofïible  en  pareil  cas;  mais 
fouvenons-nous  que  l'habitude  d'un  tra- 
vail facile  eft  dangereufe,  fi  elle  n'efl  le 
fruit  d'une  longue  étude.  Après  avoir  fait 
la  mufiqne  d'un  poëme  avec  facilité;  j'aime 
à  en  rencontrer  un  qui  me  force  à  un 
travail  plus  obftiné;  celui-ci  me  donne 
à  fon  tour  des  idées  pour  en  faire  un  troi- 
fième,  aufïi  facilement  que  le  premier. 

Le  Magnifique  n'eut  pa,s  un  fuccès 
éclatant;  mais  ce  qu'on  appelle  un  fuccès 
d'eftime  ;  il  eft  refté  au  théâtre.  L'on  me 
difoit  :  je  viens  pour  la  feint  de  la  rofe  ; 
je  répoRdois  :  c'efl  pour  cette  Jcènc   que 


SUR      LA      MUSIQUE.         30I 

V auteur  a  fait  la  Pièce,  Elle  produifir  un 
effet  non  équivoque  aux  premières  repré- 
fentations.  Pour  faire  l'éloge  de  la  fcène 
Ôc  de  I'a&eur,  M.  Clairval;  je  rapporte- 
rai qu'une  dame  impatience  de  voir  tom- 
ber la  rofe  des  mains  de  la  pudeur,  ou- 
vrit fes  doigts  charmans,  &  kijfa  tomber 
fon  éventail  fur  le   théâtre ,  &  fut  auflï 
déconcertée  de  fa  défaite,   que   le  fut 
Clémentine  Vinjlant  d'après. 
■  . 
■ 


*  - 


r  -    n  - 


3ox  E  s  s  a  t 

LA   ROSIERE  DE   SALENCI, 

Comédie  paftorale  ,  en  xefs  ;  paroles  de  M.  de 
Pe^ai  ;  repréfentée  à  Fontainebleau  ,  en  quatre 

acles ,  le 6c  à  Paris ,.  en  trois  aétes ,  le  28 

Février  1774. 

Lorsqu'on  ne    confond   pas    tous    les 
genres  dans  un  même   ouvrage,  il  refte 
une  couleur  pour  chacun  d'eux.  La  pas- 
torale, qui  tient  de  fi  près  à  ïa    fimple 
nature,    offre  cependant  des  difficultés; 
parce  que  la  candeur,  la  douceur  de  Tes 
accens  ne  préfèrent   pas  des  contraries 
affez  frappans ,  ni  des  couleurs  affez  vives 
pour  l'optique  du  théâtre.  Je  vouîois  faire 
une  paftorale  en  ma  vie;  on  m'offrit    ïa 
Rofière  de  Salenci,  dont  tout  le  monde 
aimoit  le  fujet.  Ce  ne  fut  qu'après  mille 
changemens  que  cette  pièce  fut  fixée  au 
répertoire,  (h)   Pour  monter  ma  tête  au 
ton  de  la  paftorale ,  les  poëfies  de  Geffner 
m'occupèrent  pendant  tout  le  tems  que 


ÎUR      LA      MUSIQUE.        îq^ 

j'employai  a  compofer  la  mufique  de  la 
Rofière.  Je  crôjs  'même  que  Ton  doit  re- 
marquer le  fruit  de  cette  lecture,  par  la 
douceur ,  &  j'oie  dire  la  piété  des  chants 
qui  cara&érifent  cet  ouvrage. 

.   Le  duo  :  Colin  ,_  quel  eil  mon  crime  l 

A  toujours  été  eftimé  ,  fans  produire  d'ef- 
fet âii  théâtre.  Je  ne  puis  en  deviner  la  caufe, 
à  moins  que  ce  ne  foit  les  raifons  que  je 
viens  de  dire. 

L'air  :  Ma  barque ..  légère 

■  >z       ..  ..  d  pH 

mérite  peut-être  quelque  attention,  par 

là  .gaieté    &:,  le  ..peu  .d'importance  .  que 

femble  meure  Jean  GaU  à  la  belle  action 

qu'il  a  faite.  Le  pîaifir  d'avoir,  (àuvé  Colin 

efl  la  feule  idëeî  qui  l'occupe,  pendant  fon 

récit*  iliparcourt-irous  les -détails  d'un  nau^ 

frage,'fàns  fonger  à  en  faire  uue  image 

éfrrayan't:é--'îl  devient  par  l^.plus^énéreuï 

&  plus  aimable.  Les  Muficiens . prennent 


304  Essai 

trop  fouvent  au  férieux  ,  les  récits  qui 
ne  font  que  fatisfaifans ,  puifque  le  dan- 
ger n'exifte.  plus,  &  que  le  plaifir  du 
fuccès  doit  l'avoir  en  partie  fait  oublier; 
c'eft.  encore  dans  ces  fortes  de  cas  que  la 
mufique  a  un  pouvoir  dont  la  parole  & 
le  gefte  ne  peuvent  qu'approcher;  car 
dans  le  tems  que  forcheftre  peint  les  flots 
en  courroux,  facteur  enivré  du  plaifir 
d'avoir  fauyé  un  jeune  garçon ,  chante 
gaiement  : 

Ma  barque  s'engage  , 
S'échape  en  débris , 
L'écho  -du  rivage 
Repouffe  mes  cris ,  &c 

"•':.  le— J] 

aurefte,  cette  règle  n'efl:  .pas  générale.  Il 
faut  toujours  confidérer  le. perfonnage  qui 
parle;  ce  quLfied  à  Jean-  Xjou1, ?payïàn 
jeune  &  gaillard  ,\  ne p  ûéroir  "pas  à  tïn 
payfan  d'un  autre  caractère.  Un  tiers  qui 
parle  eft  toujours  moins  arreété  que  fi  c'étoic 
fe.perfonne  :mêrne  qui  û%  Je  téçit  de  -fes 
malheurs.,.  j  & 

Sans 


SUR      LA      MUSIQUE.         2  O  t 

Sans  s'y  porter  en  foule ,  ie  public  a 
toujours  vu  avec  fatisfa&ion  les  repréfen- 
tations  de  la  Rofière;  ii  a  repoufTé  les  ac- 
trices dont  les  mœurs  étoient  peu  régu- 
lières,  îorfqu'elles  Te  font  préientées  pour 
remplir  ïe  rcîe  de  Cécile  :  celles  au  con- 
traire dont  la  fageiTe  embellifToit  le  talent, 
ont  reçu  des  applatidiiTemens  flatteurs ,  fur- 
tout  à  fimtant  du  couronnement,  ce  qui 
prouve  que  les  hommes  raiîemhlés  aiment 
la  vertu  ,  quoiqu'ils  ne  vouImTent  pas  tou- 
jours iè  charger  de  rendre  l'aclrice  ver- 
tueufe. 


306  Essai 

LA    FAUSSE    MAGIE, 

Comédie  en  deux  acles  ,  en  vers ,  mêlées  d'a- 
riettes ,  par  M.  Marmotuel  ;  repréftntée  par  les 
Comédiens  Italiens ,  îe  premier  Février  1775". 

L'on  m'a  fouvent  demandé  auquel  de 
mes  ouvrages  je  donnois  la  préférence  ; 
J'ai  toujours  été  embarrafTé  dans  ma  ré- 
ponfe.  Je  n'en  qui  te  aucun  fans  en  être 
content  ;  (ans  y  avoir  mis  tout  ce  qui  dé- 
pend de  moi  ;  (entant  bien  en  même  tems 
ce  qu'il  faudroit  pour  faire  mieux  ;  mais 
ce  que  j'ajouterois  de  plus,  ne  s'accor- 
deroit  pas  avec  ce  qui  efr. ,  &  cette  rai- 
fon  fufïit  pour  avertir  î'artifte  qu'il  doit 
s'arrêter.  L'ouvrage  qui  coûte  peu  d'étude 
&  de  peine ,  eii  un  enfant  gâté  qui  fembîe 
plus  appartenir  à  l'heureux  élan  qui  l'a  pro- 
duit ,  qu'à  l'homme  même.  Il  chérit  fon 
enfant,  H  lui  fourit  6c  n'efe  prefque  s'en 
croire  le  père.  L'ouvrage  au  contraire  qui 
a  follicité  vivement  tous  les  re (Torts    d« 


S  tj  R      IA      MUSIQUE.         307 

l'imagination ,  eÙ  le  véritable  fruit  du  tra* 
vail  ;  jamais  on  ne  le  revoit  qu'en  longeant 
aux  peines  qu'il  a  coûtées;  c'elt  celui  qu'on 
défend  avec  plus  de  chaleur,  parce  qu'il 
nous  appartient  de  plus  près  ;  fi  le  pre- 
mier nous  flatte,  le  fécond  nous  attendrit» 
La  mère  de  pîufieurs  enfans  pourroit  mieux 
que  nous  expliquer  les  divers  fentimens 
que  nous  font  éprouver  nos  productions, 
félon  qu'elles  font  plus  ou  moins  heu- 
reu  fes. 

Le  premier  acte  de  la  FaufTe  Magie, 
eft  peut  -  être  ce  qu^iï  y  a  de  plus  efti- 
mabîe  dans  mes  ouvrages  ;  en  n'écoutant 
que  le  chant  de  cet  acte  ,  on  eft  tenté  de 
le  mettre  au  rang  des  comportions  fa- 
ciles ;  mais  le  travail  des  accompagne* 
mens,  les  routes  harmoniques  qu'ils  par- 
courent ,  arrêtent  le  jugement  trop  pré- 
cipité, &  l'on  fent  enfin  que  le  caractère 
diitinctif  de  cette  production  vient  d'un 
certain  équilibre  entre  la  mélodie  &  l'har- 
monie. L'équilibre  dont  je  parle  ,  ne  con* 

V  % 


308  Essai. 

fifte  pas  a  appliquer  beaucoup  d'harmo- 
nie fur  un  chant  heureux  ;  il  faut  que  les 
accompagnements  eux-mêmes  ayent  le 
Caractère  de  la  vérité.  Il  y  a  des  trouvailles 
d'harmonie  comme  de  mélodie,  &z  ce 
n'ett  pas  la  difficulté  vaincue,  ni  le  rapro- 
chement  fubit  de  deux  gammes  éloignées 
qui  en  conltitue  le  mérite;  c'eft  parce  que 
cette  harmonie  elle-même  elt  vraie  ôc  ex- 
prcfïive ,  que  je  la  nomme  heureufe.  Un 
compofiteur  favant  fait  toujours  faire  une 
cempofition  favante  ;  mais  il  n'eil  pas 
toujours  heureux  dans  fa  feience.  L'équi- 
libre dans  les  organes  du  fen trment  eft 
je  crois  defirable ,  pour  produire  une  fem- 
bïable  compofition.  J'ai  fouvent  commencé 
un  morceau  de  mufique  ,  fous  les  aufpices 
les  plus  favorables  ;  un  chagrin  ,  une  in- 
quétude  furverioit  ,  je  fentois  alors  mes 
difpofitions  s'altérer  ,  &  le  morceau  heu- 
reufement  commencé,  prenoit  une  forme 
différente  dont  je  n'étais  pas  auffi  con- 
tent. 


SUR      LA      MUSIQUE.        ^O^ 

Le  feconcLafte  ne  préfentoit  plus  qu'une 
action  invraifemblable ,  à  laquelle  les  fpec- 
lateurs  ne  fe  prêtent  point  ;  fur-tout  après 
un  premier  acte  qui  annonce  une  comé- 
die. Si  dès  le  commencement  de  la  pièce 
fauteur  eût  montréle  vieux  crédule  entouré 
de  prétendus  forciers  ,  îa  pièce  auroit  eu  de 
l'unité  en  fininant  comme  elleavoit  com- 
mencé. Les  premiers  objets  qui  frapent 
les  fpe£tateurs ,  font  ceux  qui  reilentdans 
Ton  imagination  ;  ôc  tout  ce  qui  en  en:  la 
fuite  efr.  bien  reçu.  M.  Sedaine  étoit  fâché 
de  commencer  le  pcëme  de  Richard  Cœur 
de  L?o/z,parIes  payfans  qui  chantent  le 
bon  ménage  ;  il  auroit  d'abord  voulu  fixer 
l'attention  fur  Blondel ,  mais  la  nécefïité 
de  préparer  le  divertifTement  du  troifième 
acte  l'y  a  forcé  ;  aufli  Blondel  en  arri- 
vant dit  à  fon  petit  conducteur  3  j'entends , 
je  crois,  chanter?  Ce  n'eft  rien,  répond 
l'enfant  }  ce  font  les  payfans  qui  rentrent 
après  V ouvrage  des  champs.  Ce  nyeft  rien  ? 
n'a  pas  été  mis  fans  intention. 

v3 


310  E    S    S    A 


Après  quelques  repréfentations  Je  îa 
Faujfe  Magie  y  cet  ouvrage  ne  fe  fou  tint 
pas  long-tems  ;  je  follicitai  le  début  d'une 
jeune  actrice,  mademoifelle  Dèrouvillc  , 
qui  chanta  fupérieurement  dans  cette  pièce, 
&  ne  fut  pas  reçue  parce  qu'elle  chan- 
toit  trop  bien  ;  mais  la  Faujfe  Magie 
refta  au  théâtre  avec  fuccès. 

Vous  auriez,  à  faire  à  moi,  &c. 

étoit  un  air  &  non  un  trio  ;  les  accents 
de  la  ba/Te  me  parurent  fi  vrais ,  que  je 
ne  pus  réfiiter  au  defir  de  demander  à 
M.  Marmontcl ,  ïes  paroles  qu'elle  fem- 
bïoit  appeller.  Les  notes  foutenues  du 
jeune  homme  furent  une  fuite  naturelle 
de  cette  baffe.  Ce  morceau  heureux ,  où 
ïes  trois  acteurs  en  formant  des  chants 
difierens  foutiennent  leurs  caractères  , 
n'efi:  point  apprécié  au  théâtre  de  Paris(i) 


(i)  Il  m'a  paru  l'être   beaucoup  mieux  depuis  crue  l'on 
çft  fvlfis  au  parterre  de  la  Comédie  Italienne. 


SUR     LA     MUSIQUE.  31I 

je  crois  qu'il  eft  de  trop  à  ia  (cène ,  j'ai 
moi-même  toujours  fenti  une  fatiété  de 
mufique  à  cet  endroit.  Les  vrais  con- 
noilTeurs  en  mufique  ,  compofent  le  petit 
nombre  de  fpeclateurs  ;  eux  feuïs  applau- 
diffent  ce  morceau  de  mufique  à  trois 
fujets;  fi  le  poëte  l'eut  fait  avant  moi, 
il  efl  probable  qu'il  eût  été  au  deiTous 
de  ce  qu'il  efl,  mais  un  hafard  heureux 
l'a  produit ,  ck  les  morceaux  de  ce  genre 
ne  devroient  être  faits  que  de  cette  ma- 
nière. 

J'en  connois  peu  de  bons  ;  excepté  le 
duo  de  Tarn  Jones , 

Que  les  devoirs  que  tu  m'impofes  ,  &c. 

Faire  deux  ou  trois  chants  Pun  fur  f autre , 
eft.  un  tour  de  force  qui  prouve  prefque 
toujours  quon  a  voulu  trop  entreprendre. 
Les  facrifices  y  font  plus  remarquables 
que  le  produit.  Si  les  trois  parties  font 
chantantes,  chacune  en  particulier,  l'en- 

V4 


3ii  Essai 

fembîe  eft  embrouillé;  fi  elles  ne  chan- 
tent point ,  pourquoi  fe  donner  tant  de 
peines  ? 

La  mufique  parlante  du  duo  des  vieil- 
lards , 

Quoi  !  c'eft  vous  qu'elle  préfère,  &c. 

fit  un  effet  extraordinaire  à  îa  première 
repréfentation  ;  le  chant  en  efl  fi  près  de 
la  déclamation  qu'on  le  confond  avec  la 
parole.  D'ailleurs  ce  morc.au  eft  filiabi- 
que  ,  &  d'un  mouvement  continu  ,  cette 
forte  de  mufique  à  un  empire  prodigieux 
fur  tous  les  fpeclateurs. 

Les  anciens  ont  beaucoup  parlé  de 
l'empire  du  rhîtme  eu  du  mouvement  ;  il 
opère  plus  puïfïàment  que  la  mélodie  & 
l'harmonie  ;  mais  lorsqu'il  y  eft  réuni , 
fon  empire  eft  irréfëftîble.  Lorfqu'un  air 
marqué  Se  fimétrique  s'empare  d'un  au- 
ditoire ,  on  entend  les  pieds  ,  les  cannes 
frapper  îa  mefure  ;  tout  eft   fubjugué  & 


SUR      LA      MUSiQUE.      3  r  3 

contraint  de  fuivre  le  mouvement  donné. 
J'ai  ufé  fouvent  d'un  ftrataaême  fin aulier 
pour  ralentir  ou  accélérer  la  marche  de 
la  perfonne  que  j'accompagnois  a  la  pro- 
menade ;  dire  à  quelqu'un  vous  marchez 
trop  vite,  ou  trop  lentement,  eft  une 
efpèce  de  defpotifme  peu  décent ,  excepté 
avec  fon  ami  :  mais  chanter  lourdement 
un  air  en  forme  de  marche ,  d'abord  à 
la  mefure  de  la  marche  du  compagnon , 
enfuite  la  lui  ralentir  ou  l'accélérer  ,  en 
changeant  infenfiblernent  le  mouvement 
de  l'air ,  eft  un  ftratagême  aufïi  innocent 
que  commode. 

Quoique  muiicien  j'ai  toujours  cru  que 
les  trop  vives  fenfations  produites  par 
un  morceau  de  mufique ,  nuifent  à  l'effet 
général  d'un  ouvrage  ,  a  moins  que  ce 
morceau  ne  foit  la  cataftrophe  du  poème. 
Les  gens  véritablement  fenribles  à  la  vé- 
rité dramatique, "ont  dû  fentir  qu'après 
un  air  de  bravoure  vivement  applaudi  , 
il  en  réfulte  une  lacune  qui  fufpend  l'at- 


3*4  Essai 

îcntion  &Iaifîè  à  peine  l'envie  d'entendre 
ce  qui  fuit  :  au  refte ,  un  auteur  teî  qu'il 
foit ,  ibufTre  ayec  plailir  des  invraifem- 
Jblances  fi  flatteufes.  L'acteur  qui  a  le 
plus  de  tact,  fe  gardera  bien  dans  toute 
compoiition  fembîabîe  au  duo  dont  je 
viens  de  parler,  de  {urchargerfexpreffion; 
cène  mufique  eft  elle-même  fi  près  de 
la  parole  y  que  pour  peu  qu'on  néglige 
l'intonation  ,  il  ne  refte  que  la  parole 
même  avec  accompagnement.  II  n'ap- 
panient  qu'aux  exécutants  qui  ont  le  plus 
de  goût  de  fentir  combien  il  faut  être 
modéré  dans  les  ouvrages  où  règne  la , 
vérité  d'expreiîion  ôc  de  déclamation. 
Cette  mufique  qui  eft  d'un  grand  fecours 
pour  les  taïens  médiocres  ,  eft  peut-être 
ennemie  des  talens  fupérîeurs  ;  elle  leur 
prefcrit  trop  jufte  ce  qu'ils  doivent  faire  ; 
ilsfe  trouvent  mieux,  lorfque  le  muficien 
n'yant  pu  qu'efîeurer  la  vérité  ,  leur  laiflê 
un  champ  libre  pour  déveloper  leur  jeu 
brillant.  Au  refte  c'eft  à  l'acteur  intel- 


SUR     LA     MUSIQUE.  3  I  ^ 

îigent  à  fentir  jufqu'à  quel  point  il  peut 
fe  livrer  à  i'exprefïion  :  il  vaut  mieux  refter 
un  peu  au  defïbus  que  d'y  atteindre  : 
rien  n'ett  fi  près  de  la  dégradation  que 
ce  qui  ne  peut  plus  acquérir  ;  &  pour 
ce  qui  regarde  le  fentiment  fur-tout,  il 
vaut  mieux  Iaifîer  quelque  chofe  a  defirer 
que  de  fatisfaire  pleinement  un  auditeur 
qui  ne  tarderoit  guère  à  fentir  que  l'état 
le  plus  accablant  efl  celui  qui  ne  laifle 
plus  de  chemin  au  defir. 

Ce  que  je  vais  dire  prouve  phifîque- 
ment  ce  que  je  viens  d'avancer. 

La  plupart  des  hommes  en  ont  éprouvé 
les  effets  ,  fans  en  connoître  la  caufe. 
Rameau  &  J.  /.  Roujfcau  n'en  ont  dé- 
velopé  que  ce  qui  regarde  le  phyfique 
des  fons. 

II  eft  deux  manières  d'accorder  les 
inflrumens  à  cordes;  le  piano  par  exem- 
ple :  en  faifant  une  fuite  de  quintes  juftes, 
tout  le  monde  fait  que  les  octaves  de- 
viennent trop  fortes  ,  &  que  tout -a-coup 
en  efl  forcé  de  diminuer  les  fons  pour 


3  i  ^  Essai 

rejoindre  îe  point  d'où  Ton  eft  parti.  Rien 
de  plus  funefte  à  l'effet  de  la  mufique 
que  cette  manière  d'accorder  ;  je  ne  dis 
pas  feulement  à  l'endroit  où  l'on  eft  obligé 
de  tempérer  les  fons ,  mais  même  fur  la 
partie  du  clavier  où  les  quintes  fon  juftes; 
car  on  éprouve  une  fatiété  défefpérante  ; 
chaque  accord  portant  avec  foi  un  âpre  té 
qui  repouffe  îe  fentiment,  Se  efïarouche 
les  grâces.  Altérez ,  au  contraire  ,  foibîe- 
ment  toutes  vos  quintes  ;  alors  un  defir 
Involontaire  d'arriver  au  point  imper- 
ceptible de  la  perfection  ,  à  ce  point 
mathématique  qu'on  ne  fe  foucie  guère 
de  calculer  quand  on  fa  fenti ,  foutient 
votre  attention.  Chaque  accord  prend  une 
teinte  mcelleufe  ,  ôc  vous  fait  éprouver 
un  charme  féduifant.  Quel  chanteur  n'a 
pas  fènti  fon  ame  fe  déveloper  ou  fe  ré- 
trécir en  s'accompagnant  ?  Un  fameux 
chanteur  que  j'ai  vu  à  JRome  ,  Git^clla , 
envoyoit  fon  accordeur  dans  les  maifons 
où  il  vouloit  montrer  fes  tabns  .,  non- 


SUR      LA     MUSIQUE.  317 

feulement  de  crainte  que  îe  clavecin  ne 
fût  trop  haut ,  mais  auffî  pour  la  perfec- 
tion de  l'accord.  N'avons-nous  pas  en- 
tendu des  femmes  dont  l'organe  foibîe 
cap ti voit  nos  fens  dans  la  converfation  ? 
Quelle  voix  fonore  ,  mais  ferme  &  plus 
fûre  de  fes  accents  vous  a  jamais  fait 
Je  même  pîaifir?  Souvent  j'ai  quitté  mon 
piano  parce  qu'il  me  déplaifoit  Se  ne  me 
renvoyoit  pas  mes  idées  telles  que  je  les 
concevois  :  c'eft  après  bien  des  années 
que  je  me  fuis  apperçu  que  l'accord  des 
quintes  trop  juftes  en  étoit  la  caufe.  On 
voit  qu'une  belle  production  dépend  plus 
qu'on  ne   penfe  de  l'accordeur. 

II  n'eft  guère  moins  efTentiel  d'obfer- 
ver  une  efpèce  de  régime  en  mufique 
pour  en  jouir  long-tems.  Peu  de  mufi- 
ciens  entendent  moins  de  mufique  que 
moi  ;  fi  j'allois  aux  fpectacles  lyriques  tous 
les  jours ,  fi  j'afiftois  à  tous  les  concerts 
où  je  ferois  admis  ,  fi  enfin  je  ne  fuycis 
la  plupart  des   occafions  d'entendre  de 


3  1 8  Essai 

la  mufique  ,  la  fatiété  m'auroit  fouvent 
donné  un  dégoût  que  je  n  ?ai  jamais  éprouvé. 
Tout  eft  limité  dans  la  nature  ;  îe  matin 
je  ne  touche  mon  piano  avec  plaîfir  que 
parce  que  la  veille  je  n'ai  pas  entendu 
de  la  mufique  pendant  quatre  heures;  dès 
que  le  plaîfir  fe  tourne  en  habitude  ou  en 
manie ,  il  cefTe  d'être  piquant.  Un  ama- 
teur peut  ainfj  occuper  Ton  rems  ;  mais 
l'homme  qui  veut  produire  doit  l'éviter. 

Le  compofiteur  qui  Te  repaît  trop  de 
fcs  ouvrages  doit  fe  répéter  aifément  ; 
il  doit  craindre  auffi  PimpreiTion  que  lut 
laifTera  un  de  fes  morceaux  qui  aura  réuffi 
généralement  :  il  peut ,  s'il  n'eft  pas  fur 
fes  gardes ,  le  répéter  toute  fa  vie  par 
des  réminifcences  imperceptibles  pour 
lui  feul. 

Je  vais  peu  aux  premières  repréfenta- 
tions  qui  ne  m'intéreflent  pas  perfon- 
neïlement  ;  je  préfère  de  lairîer  fixer  l'o- 
pinion publique  que  je  compare  alors 
avec  plaîfir  à  la  mienne. 


SUR      LA      MUSIQUE-       3  S  ^ 

Je  Cens  un  mouvement  de  recon- 
noifîance  envers  les  muficiens  qui  exécu- 
tent au  théâtre  celle  de  mes  pièces  qui 
ont  été  ïe  plus  fouvent  repréfentées  \  Pat- 
tendon  ,  îa  chaleur  qu'ils  mettent  à  exé- 
cuter ce  qu'ils  favent  par  cœur  depuis 
fong-tems  ,  me  fembîe  une  grâce  d'état. 
Je  ne  penfe  pas  de  même  de  Pa&eur  parce 
qu'il  efl  immédiatement  fous  les  regards 
du  public  qui  ïui  ïmpofe  la  loi  dette 
toujours  attentif ,  &  lui  donne  chaque 
jour  une  émulation  nouvelle. 

Lorfque  j'entends  mes  ouvrages  bien 
rendus,  ils  me  rapeîlent  les  fenfations 
agréables  que  j'ai  éprouvées  en  ïes  corn- 
pofant 

J'aime  aufïî  à  me  rappeîîer  que  ce  fut 
a  une  repréfentation  de  îa  faufle  Magie , 
que  fon  me  préfenta  à  L  J.  Roujfeau. 
J'entendis  quelqu'un  qui  difoit  :  M.  Rouf 
feau  y  voilà  Grctry  que  vous  nous  de- 
mandiez tout  à  P heure.  Je  volai  auprès  de 
fui ,  le   confidérai  avec   attendrifTemenî. 


îio  Essai 

Que  je  fuis  aife  de  vous  voir ,  me  dit-il, 
vais  long-tans  je  croy ois  que  mon  cœur 
tP  était  fermé  aux  douces  fnfations  que 
votre  mujique  me  fut  encore  éprouver. 
Je  veux  vous  connoître  ,  monfieur ,  ou 
pour  mieux  dure  je  vous  connais  déjà  par 
'vos  ouvrages  ;  mais  je  veux  être  votre  ami. 
Ah  !  mdnjïeùr  !  lui  dis-je ,  ma  plus  douce 
recompenf  >    efi   de    vous  plaire  par    mes 

talens.  —  Eies-vous  marié  ?  Oui.  — > 

u4ve^-vous   époufé  ce  qu'on  appelle  une 

femme    dSefprit  ?  —  Non.  Je    m'en 

doutois  !  —  Elle  ne  dit  jamais  que  ce 
qu'elle  fent  ,  Se  la  fimple  nature  efl:  Ton. 
guide.  - —  Je  m'en  doutois  :  oh  !  j'aime  les 
artifles  ,  ils  font  enfants  de  la  nature.  Je 
veux  connoître  votre  femme  &  je  veux 
vous  voir  fouvent.  Je  ne  quittai  pas  Kouf- 
Jeau  pendant  le  fpeclacle  :  il  me  ferra  deux 
ou  trois  fois  la  main  ,  pendant  la  Faujfe 
Magie  ?-  nous  fortîmes  enfemble  :  j'étois 
loin  de  penfer  que  c'étoit  la  première  & 
la  dernière   fois    que  je   lui  parlois  !   En 

pafiant 


SUR      I.  A\     MUSIQUE.       3  1  t 

par  ïa  rue  Françaife ,  il  voulut  franchir 
des  pierres  que  les  paveurs  avoient  laiiTées 
danj>  la  rue  ;  je  pris  Ton  bras,  &  lui 
dis  ,  prene^  garde  M.  Roujfeau  ;  il  le  re- 
tira brufquement  en  difant  :  laijfe^  moi 
me  fervir  de  mes  propres  forces.  Je  fus 
anéanti  par  ces.paroles  \  les  voitures  nous 
féparèrent ,  il  prit  fon  chemin ,  moi  le 
mien ,  &  jamais  depuis  je  ne  lui  ai  parlé* 

Si  j'avois  moins  aimé  Ro'jjfeau ,  dès 
ïe  lendemain  je  l'aurois  vifité  ;  mais  la 
timidité  compagne  fidèle  de  mes  defirs 
les  plus  vifs ,  m'en  empêcha»  Toujours 
ïa  crainte  d'être  trompé  dans  mes  efpé- 
rances  ,  m'a  fait  renoncer  à  ce  que  je 
fouhaite  le  plus  \  fi  cette  manière  d'être  , 
expofe  à  moins  de  regrets,  elle  contrarie 
fans  ceffe  l'efpérance  ,  cette  douce  iliu^ 
fion  des  mortels. 

J'étois  un  jour  dans  la  voiture  de  PAm-  * 
baffadeur  de  Suède ,  avec  un  homme  de 
lettres  ;  je  vis  Roujfeau  ,   qui  cheminoic 
avec  fa  groiïe  canne  ,  fur  les  trottoirs  du 

X 


jx$  Essai 

pont  royal,  réfiflant  avec  peine  aux  fe- 
coufles  du  vent  &  de  la  pluie  ;  je  fis 
un  mouvement  involontaire ,  en  m'en- 
foncant  dans  la  voiture  comme  pour  me 
cacher,  qu'ave?^  vous  ?  me  dit  mon  com» 
pagnon.  Voilà  Jean  Jacques ,  lui  dis-jc. 
Bon ,  me  dit  le  Phiîofophe ,  il  ejl  plus 
fier  que  nous.  Il  difoït  vrai ,  mais  il  avoit 
ïa  fierté'  que  donne  îe  talent  naturel ,  & 
non  cette  morgue  infolenîe  ,  que  l'on  re- 
marque dans  ceux  qui  par  un  travail  pé- 
nible ou  un  hafàrd  heureux ,  ont  fu  prendre 
une  place  que  la  nature  ne  leur  deftinoic 
pas.  Un  enfant ,  le  pfus  petit  infecte  , 
ia  feuille  d'un  arbre  auroient  fuffi  pour 
amufer  &  arrêter  les  idées  de  Roujfeau , 
parce  que  toutes  ces  chofes  font  vraies; 
mais  tout  ce  qui  tenoit  aux  conventions 
morales,  ce  qui  avoir  l'empreinte  de  fa 
main  des  hommes  ,  lui  étoit  fufpecl. 
Il  fe  chagrinoit  du  bien  qu'on  lui  vou- 
loit  faire  ;  parce  que  né  libre  ôc  fenfible, 
îî  devoit  s'élever  en  lui  un  combat  entre 


S  <J  R     LA     MUSIQUE.  323 

l'homme  naturel  &  l'homme  fcciaï ,  donc 
îe  premier  fortoit  toujours  vainqueur.  Ua 
tel  être  fans  doute  devoit  exciter  l'envie 
des  hommes  riches  ôi  piaffants  ;  l'on  cou- 
roit  après  îa  reconnoiiîance  de  Roufftau 
avec  la  même  ardeur  que  l'on  veut  moif- 
fonn'er  la  fleur  qui  fe  cache  fous  le  voile 
de  la  pudeur  :  mais  Ton  unique  bien  étoit 
l'indépendance  ;  (i  elle  eût  été  l'effet  de 
îa  vanité  3  en  îa  lui  eût  ravie ,  &  nous 
PeuffioPiS  vu  efclave  ;  mais  c'étoit  par  fèn- 
timent  qu'il  étoit  libre  ;  toutes  les  rufes 
des  hommes  ont  échoué. 

D'ailleurs  P-.ouJfcau  repouiîoit  peut  être 
le  bien  qu'on  vouloit  lui  faire  dans  la 
crainte  d'être  ingrat;  ck  il  auroit  du  l'être 
par  la  faute  même  de  ceux  qui  cher- 
choient  à  l'obliger  avec  trop  de  chaleur. 
Pour  ne  pas  courir  les  rifques  de  l'ingra- 
titude ,  il  faudroit  apprendre  à  obliger 
noblement ,  mais  froidement ,  &  ne  ja- 
mais trop  fe  lier  avec  ceux  qu'on  oblige. 
J'ai  toujours  remarqué  que  j'avois  obtenu 

X  x 


32-4  Essai 

la  reconnoifTance  de  ceux  que  je  n'avois 
oblige' qu'indirectement,  &  que  tous  ceux 
qui  ont  e'té  à  portée  de  voir  combien 
j'avois  de  joye  à  leur  rendre  quelques 
fervices  ,  fe  font  prefque  toujours  difpen- 
fes  d'être  reconnoiiTants  ;  fans  doute  parce 
qu'ils  jugeoient  trop  clairement  que  j'étois 
alTés  recompenfé  par  la  jouhTance  même 
du  bien  que  je  leur  avois  fait. 

J'entends  fouvent  dire  que  le  cœur  de 
l'homme,  eft  un  labirinthe  impe'nétrable. 
C'efT  peut  être  a  la  faveur  de  mon  igno- 
rance, que  je  ne  fuis  pas  de  cet  avis. 
Je  n'ai  jamais  vu  que  deux  hommes  ; 
celui  qui  fe  conduit  d'après  fes  fenfa- 
tions ,  ôc  celui  qui  n'agit  que  d'après  les 
autres  ;  le  premier  elï  toujours  vrai ,  même 
dans  (es  erreurs  ;  l'autre  n'efî.  que  le  mi- 
roir où  fe  réPiéchifTent  les  objets  de  la 
fcène  du  monde.  Voilà  l'homme  de  la 
nature,  l'homme  eftimable,  &  l'homme 
de  la  fociété. 

Lorfque  Roujfcau  eut  écarte   la  foule 


SUR    LA     MUSIQUE.  *1 2 jf 

qui  cherchoic  à  l'obliger  ,  &  qui,  félon 
lui ,  cherchoit  a  lui  nuire ,  parce  qu'on 
vouloit  le  forcer  à  renoncer  à  fon  indé- 
>  pendarïce  ;  (  car  un  bienfait  oblige  celui 
qui  le  reçoit ,  quoique  le  donateur  ne 
l'exige  pas)  lorfque  Roujfeau  ,  dis-je,  eut 
lui-même  élevé  la  barrière  qui  le  féparoit 
du  refte  des  hommes  ,  il  dut  fe  trouver 
encore  plus  malheureux  que  lorfqu'il  com- 
battoit  ;  car  alors  il  vivoit  de  fes  triomphes  ; 
mais  livré  à.  lui-même,  accablé  d'infir- 
mités &  de  vieilIefTe ,  ayant  ufe  les  ren- 
forts puiûants  de  fon  ame  altière  ,  il  re- 
devint homme  ordinaire  :  il  reçut  enfin 
Paille  que  lui  offrit  M.  de  Girardin  ,  & 
mourut  peut-être  de  regret  de  l'avoir  ac- 
cepté. Un  tel  homme  eft  rare,  mais  il 
eft  dans  la  nature.  On  dit  qu'il  fe  con- 
tredit fans  cefTe  dans  fes  écrits:  je  croirai 
à  cette  accufation ,  lorfqu  on  m'aura  prouvé 
qu'une  même  ca ufe,  fur  tout  au  moral, 
peut  fe  montrer  deux  fois ,  fans  être  ac- 

X  3 


32.6  Essai 

compagnée   de  circonfïances    &   d'efTeti 

difFerens. 

On  n'a  pu  ravir  à  Roujfeau ,  ni  fa  li- 
berté ,  ni  fcs  ouvngcs  littéraires  ,  la  pre- 
mière étoit  fon  appanage  :  vitam  impen- 
dere  vero.  Ses  ouvrages  etoient  a  lui , 
parce  que  nuj  homme  n'a  pu  être  mis 
à  fa  place  ;  mais  on  voulut  lui  conteiler 
fon  Devin  du  l'illage  ;  s'il  tût  menti  une 
feule  fois  en  face  du  public  ,  l'apôtre 
de  îa  vérité ,  n'étok  en  tout  qu'un  im- 
pudeur, ■&  il  perdoit  Ton  premier  droit 
a  l'immortalité.  Comment  un  tel  homme 
eût-il  pu  forger  &  foutenir  un  tel  men- 
fbngc  ?  J'ai  examiné  le  Devin  du  Village 
avec  la  plus  fcrupuleufe  attention  ;  par- 
tout j'ai  vu  l'artifte  peu  expérimenté ,  au- 
quel le  fentiment  révèle  les  règles  de  l'art. 

Si  Roujfeau  eût  choifi  un  fujet  plus 
compliqué ,  avec  des  caractères  paflion- 
nés  ck  moraux  ,  ce  qu'il  n'a  voit  garde 
de  faire  ,  il  n'auroit  pu  le  mettre  en  mu- 
sique j  car  en  ce  cas  toutes  les  refïburces 


\ 


SUR      LA       MUSlQUK.  317 

de  l'art  fufnfent  à  peine  pour  rendre  ce 
qu'on  fent.  Mais  en  homme  d'efprit ,  ii 
a  voulu  afîimiler  à  fa  mufe  novice ,  de 
jeunes  amants  qui  cherchent  a  développer 
le  fentiment  de  l'amour.  Souvent  gêne' 
par  la  profodie,  il  Ta  facrifîée  au  chant, 
comme, 

J*ai  per-  du  mon  Serr  vi-    teur. 

l'avant  dernière  fîllabe  du  vers  efi  brève , 
&  il  eft  impofîibîe  de  la  faire  telle  fans 
nuire  au  chant. 

J'y   fon-    ge   fans     cef-      fe. 

L'e  muet  du  mot  fonge,  tombe  d'a- 
plomb fur  la  meilleure  note  de  la  phrafe 
muficale  ;  il  auroit  pu  dire 

J'y     fon-ge  fans     cef-   fe. 

X  4 


S 


->i8  E 


31o  ±L    S     S     A     I 

Mais  il  aimoit  mieux  le  premier  chant-, 
C'eft  fans  doute  après  avoir  e'prouvé  les 
difficultés  infinies  que  préférée  la  langue 
JFrançaife  ,  &  avoir  bien  fenti  qu'il 
ne  les  a  voit  pas  toutes  vaincues  qu'il  a 
dit  ,  les  Français  n'auront  jamais  de 
mufique.  Si  j'eufTe  pu  devenir  Pami  de 
Ronflai* ,  (ï  nous  n'unifions  pus  trouvé 
des  pierres  dans  notre  chemin  ;  fi  Rouf 
feau ,  en  me  Voyant  su  travail ,  voyant 
avec  queiîe  promptitude  j'eiTaie  tour  à  tour 
la  mélodie,  l'harmonie  &  la  déclama- 
non  ,  pour  rendre  ce  eue  je  fens  :  (  je 
dis  avec  promptitude  ,  car  il  ne  faut  qu'un 
infiant,  pour  perdre  l'unité  en  s'appé-' 
fàntifTant  fur  un  détail)  ,  peut  être  il  eût 
dit  alors  ,  je  vois  qu'il  faut  être  nourri 
^harmonie  &'  de  ch&nts  muficaux ,  autant 
que  je  le  fuis  des  écrits  des  anciens  3  pour 
peindre  en  grand  &  avec  facilité. 

Homme  fublime  ne  dédaigne  pas  l'hom- 
mage d'un  artifte  qui ,  comme  toi,  occupe 
fesîoifirs,  en  s'efTayant,  par  cet  ouvrage, 


SUR     LA     MUSIQUE.  319 

dans  une  carrière  étrangère  à  Tes  vrais  ta- 
lens.  Tu  fus  bien  malheureux  ,  mais  ton 
ame  fenfible  ne  devoir  elle  pas  prefTentir  a 
finftant  même  de  tes  malheurs  ,  que  des 
larmes  éternelles  couleroient  de  tous  les 
yeux  pout  te  plaindre  !  Que  ne  m'eft-il 
permis  de  te  dire  ;  6  mon  iiluflre  con- 
frère j  tu  reçus  jadis  un  outrage  des  mu- 
ficiens  que  tu  honorois,  outrage  que  leurs 
fuccelîèurs  défavouent  avec  indignation  ; 
puifFent  mon  refpect ,  &  mon  admira- 
tion pour  tes  vertus  Se  tes  taîens  expier 
un  crime  qui  n'e'toit  que  celui  du  tems  (i). 

(i)  Lofque  Roujfeau  fit  répéter  Ton  Devin  du  Village^ 
il  témoigna  fon  mécontentement  aux  exécutans;  ceuxet 
pourfe  venger  le  pendirent  en  effigie.  Roujfeau  en  fut  ins- 
truit, &  dit  à  ce  fujet ,  je  ne  fuis  pas  furpris  qu'on  me 
pende,  après  m' avoir  mis  Jî  long- tems- à  la  quejlion. 

L'on  ne  peut  imaginer  quel  efprit  de  travers  regnoit 
alors  parmi  les  fujets  de  l'Opéra  ;  il  fubfîftoit  encore,  lorf- 
que  je  donnai  Céphale  &  Procris.  Fiers  d'être  applaudis 
par  les  partifans  de  l'ancienne  mufique  ;  humiliés  par  la  cri- 
tique continuelle  des  gens  de  goût ,  ne  fâchant  plus  s'il  fal* 
loit  révérer  ou  abandonner  leur  antique  idole  ,  la  fierté  de 
l'ignorance  &  la  diffimulation  occupoient  la  place  des  ta- 
îens &  du  zèle. 


33°  Essai 

CEPHALE    ET    PRQCRIS, 

Tragédie  en  trois  adcs ,  en  vers ,  par  M.  M#r- 
momel;  repréfente'e  à  Verfailles  en  1773  ,  &  à 
Paris  le  2  mai  1775. 

Cet  opéra  fut  donné  Tannée  du  ma- 
riage de  monfeîgneur  Comte  d'Artois; 
iï  neut  qu'un  médiocre  fuccès ,  tant  à 
Verfailîes  qu'à  Paris.  Dans  ce  tems ,  il 
étoît  reçu  qu'excepté  les  chœurs  &  les 
danfes ,  il  ne  devoit  point  y  avoir  de 
mefure  à  l'opéra.  Si  quelques  vers  de 
récitatif  étoient  expreffifs ,  facteur  y  met- 
toit  la  prétention  dont  un  air  pathétique 
eft  fufceptible.  Si  les  accompagnement 
le  forçoient  à  fuivre  urr  mouvement  mar- 
qué ,  ce  n'étoit  qu'en  courant  après  Por- 
cheftre  qu'il  l'attaignoit  ;  iï  réfultoit  de  la  , 
un  choc ,  un  contre -point ,  une  fyncope 
perpétuelle  dont  je  laille  à  deviner  l'effet. 

On   interrompit  une   àes   répétitions 


SUR     LA     MUSIQUE.  331 

par  ïe  dialogue   fuivant,  qui  peut  faire 
juger  de  Pétat  des  chofes. 

l'A  ctrice,  fur  le  théâtre. 

Que  veut  donc  dire  ceci,  monfieur? 
II  y  a  je  crois  de  la  rébellion  dans  votre 
orcheftre  ! 

le  Batteur  de  mesure,  dans  Vorchcflrc 

Comment,  mademoifelïe ,  de  la  ré- 
bellion ?  Nous  fommes  tous  ici  pour  le 
fervice  du  Roi  &  nous  le  fervons  avec 
zèle.    . 

l'Actrice. 

Je  voudrois  le  fervir  de  même  ,  mais 
votre  orcheftre  m'interloque  &  m'empêche 
de  chanter. 

le   Batteur   de   mesure. 

Cependant ,  mademoifelle  ,  nous  allons 
de  mefure. 

l'  Actrice.     - 
De  mefure  !  Quelle  bête    eft-ce  là  ? 


33^  Essai 

Suivez  -  moi  ,  monfieur ,  &  Tachez  que 
votre  fimphonie  eft  la  très-humble  fer- 
vante  de  faétrice  qui  récite. 

le   Batteur   de   mesure. 

Quand  vous  récitez ,  je  vous  fuis ,  ma- 
demoifeïle  ;  mais  vous  chantez  un  air 
mefuré ,  très-mefure'. 

l'Actrice. 

Allons,  îaifïbns  toutes  ces  folies  & 
fuivez  moi. 

Les  airs  de  danfe  obtinrent  l'eftime 
des  danfeurs.  Le  duo, 

Donne  la  moi  dans  nos  adieux  ,  &c. 

ne  fut  connu  qu^après  avoir  courru  les 
focie'tés. 

Après  les  repréfentations    de  Paris, 
je  propofai  les  changemens  fuivants* 

LA  VENGEANCE  DE  DIANE, 
en  trois  Actes, 

Diane    commençoit  la   pièce   par  la 


SUR      LA      MUSIQUE-       333 

réception  d'une  Nimphe  nouvelle  ;  elle 
appelïoit  enfuire  la  jaloufie  ,  lui  faifoit 
part  de  la  défertion  de  Procris  ,  féduite 
par  le  chaffeur  Céphaîe  ,  Se  la  chargeoit 
de  fa  vengeance.  C'étoit  une  leçon  ter- 
rible pour  la  Nimphe  novice.  Cette  ac- 
tion mêlée  de  danfe  &  de  pantomime, 
les  chœurs  des  Nimphes  implorant  Diane 
en  faveur  de  Procris ,  auroit  fourni  un 
acl;e  aflez  long  en  préparant  l'intérêt. 

DEUXIEME    ACTE. 

Céfhaie,  fiuL 

De  mes  beaux  jours  que  le  partage  eft  doux!  &c.     " 

Je  retranchois  abfolument  le  rôîe  de 
l'Aurore  qui  produit  une  double  acHon 
peu  intérefîante.  Les  hommes  raiTemblés 
n'aiment  pas  à  voir  une  femme  dédai- 
gnée, &  cette  femme  eft  l'Aurore  plus 
belle  que  le  jour.  La  Jalousie  déguifée  en 
nimphe  auroit  pris  fa  place  ;  enfuite  Pro- 
cris avec   Céphaîe  ,  auroient  terminé  le 


334-  Essai 

fécond  a&e  comme  iï  eft  dans  ïe  poëme. 

Le  troifième  a&e  refleroit  tel  qu'il  eft. 

C  ctoït  ïa  jaloufie  qui  s'emparoit  tour- 
a-tour  de  Céphale  &  de  Procrîs  dans  le 
fécond  &  le  troifième  a&e. 

De  cette  manière  ,  faction  étoit  une , 
cV  devenoit  plus  forte  &  plus  rapide. 
L'auteur  ne  voulut  pas  adopter  ces  chan- 
gemens  &  l'opéra  n'a  pas  été  joué  depuis. 

M.  Gluck  affifta  à  deux  de  mes  ré- 
pétitions à  Verfàilles.  La  mufique  du 
troifième  acte  dut  lui  paroître  aufïi  dra4- 
matique  qu'elle  Peft  èh  eflrct.  Si  Gluck 
n'eût  été  qu'amateur  defintéreffé ,  il  m'eût 
dit  fans  doute  ce  qu'un  artifle  confomme' 
a  le  droit  de  dire  a  un  jeune  homme 
de    trente  ans. 

«  Le  chant  mefuré ,  tel  que  vous  Pavez 
»  fait,  ne  convient  pas  a  vos  acteurs, 
v  il  faut  que  votre  poète  vous  mette  à 
»  même  de  jetter  plus  de  chaleur  &  d'in- 
5>  térêt  dans  vos  deux  premiers  actes ,  il 
«  faut  qu'il  retranche  les  airs  auxquels  il 


StîR     LA     MUSIQUE.         335 

»  vous  a  trop  afTujetti ,  &  qu'il  vous  îahTe 
»  le  maître  de  faire  du  chant  mefuré 
»  quand  il  vous  plaira  ■  alors  vous  choi- 
»  firez  les  endroits  qui  font  fufceptibks 
»  d'une  mufique  ,  telle  qu'elle  puiflè 
»  convenir  à  vos  chanteurs  ». 

Mais  Gluck  pre'pa  rok  ïphigénie  en  Au- 
Vide ,  &  il  étoit  plus  naturel  qu'il  pro- 
fitât de  mes  erreurs  que  de  m'en  tirer. 

Je  fuis  loin  de  croire  que  j'eufTe  fait 
un  tragédie  comme  Gluck  ;  je  fuis  en- 
traîné vers  ïe  criant  auquel  l'harmonie  fert 
de  bafe ,  autant  qu'if  eft  lui-même  com- 
mandé par  l'harmonie  exprefïïve  de  fon 
orcheftre  à  laquelle  iï  joint  un  chant 
fouvent  accenoire  ,  ou  ne  faifant  que  la* 
féconde  moitié  du  tout. 

Tel  eft  F  empire  de  la  nature  ;  l'Italie 
fournit  cent  mélodiflcs  &  un  harmonrfte  : 
l'Allemagne  tout  le  contraire. 

Tous  les  génies  Italiens  n'ont  pu  pro- 
duire une  ouverture  telle  que  celle  d'I- 
phigénie  en  Aulide.  Toute  la  force  du  génie 


33^  Essai 

allemand  ne  nous  pre'fente  pas  un  airpathe-* 
tique,  auiïi  déîe&able  que  ceux  de  Saçchinu 
La  France  offrant  une  température  mixte  , 
entre  l'Italie  <k  l'Allemagne,  femble  devoir 
un  jour  produire  les  meilleurs  muficiens  , 
c'eft-à- dire  ceux  qui  fauront  fe  fervir  le  plus 
à  propos  de  la  mélodie  unie  à  l'harmo- 
nie s   pour  faire  un  tout  parfait.  Ils  au^ 
ront ,  il  ett.  vrai ,  tout  emprunté  de  leurs 
voifins ,  ils  ne  pourront  prétendre  au  titre 
de   créateurs  ;    mais  le    pays   auquel    la 
nature  accorde  le   droit  de   tout  perfec- 
tionner ,  peut  être  fier  de  fon  partage* 
Le  François  n'en  eft  pas  moins  celui 
de  tous  les  peuples  qui  a  reçu  de  la  na- 
ture le  moins  de  difpoîitions  pour  la  mu- 
fique.  Né  dans    un  climat   tempéré  ,  il 
doit  avoir   les  pafTions  douces  ;  né  vif, 
{pirituel   &   galant ,  la  danfe  &  les  dif- 
putes    d'efprit  doivent   lui     plaire  ;   tout 
ce  qui  l'occupe  profondément  le  rebute.. 
Lorfque  les  Gens  de  lettres  ,  fur-tout 
les  demi-favants  fe  difputent   fur  quel- 
qu'objet  , 


s  u  &    la    musique.     337 
«jd'objet,   ne  croyons  pas  que  la  cour, 
]ps    jolies   femmes  ,   les   petits   maîtres , 
foient  férieufement  de  la  partie.  Ce  qu'en 
peut  appeller  la  nation  ,  s'amufe  de  tout. 
Le  fujet  le  plus  grave  ,  eft  un  motif  de 
plaifanterie ,  ou  le  fujet  d'une  chanfon  (  t  ). 
Dès  que  Paris  eft  refté  trois  mois  fans 
révolution,  n'importe  alors  ou  Lekain,  ou 
Jannotjil  court  où  ïa  nouveauté  l'appelle; 
&  l'on    ne   fait    distinguer   s'il   s'amufe 
davantage  d'une  chofe  ridicule  ,  ou  d'une 
choïe  digne  d'admiration.  Cependant  au 
milieu  de  mille  frivolités ,  le  tems    mec 
tout  à  fa  place  ;  &  fi  le  François  a&ueï, 
croit  à  peine  qu'on  ait  eu  la  fureur  des 
pantins  ,    il    aime   à  jamais  les    chefs- 
d'œuvres  de  Racine. 

L'italie  depuis  Iong-tems  veut  envain 
le  féduire  par  fes  chants  toujours  tendres 


(i)  Madame,  difoit  un  jour  d'Alembert,  nous  avons 
abbatu  une  forêt  de  préjugés.  Je  ne  fuis  plus  étonnée, 
reprend  la  dame  ,  Ci  vous  nous  débitez  tant  de  fagots. 


'- 


338  Essai 

&  mélodieux;  l'Allemagne  veut  envain 
îe  fubj uguer  par  Tes  accords  nerveux;  trop 
énergique  encore ,  pour  crandre  la  réduc- 
tion de  l'Italie,  trop  foible  pour  adopter 
des  accords  qui  le  blefTent,  îe  François 
danfe,  en  attendant  qu'il  ait  adopté  de 
l'un  &  de  l'autre  de  fes  voîfins,  la  por- 
tion qui  lui  eft  propre  ,  &  qu'il  ne  veut 
recevoir  que  de  la  main  des  grâces,  du 
plaifîr  &  du  bon  goût. 


SUR     LA     MUSIQUE.  g  2  Û 

1ES     MARIAGES    SAMNITES, 

i 

Drame  en  trois  a&es ,  en  vers  (i)  ,  par  M. 
Durofoy  ;  donné  aux  Italiens  le  12  Juin  1776, 

L'auteur  de  ce  poëme  reçu  avec  ac- 
clamarion  par  ïes  Comédiens  ,  vint 
m 'offrir  fon  ouvrage  (2)  ;  je  n'eus  pas 
befoin  de  lui  dire  que  j'avois  travaillé 
jadis  fur  ïe  même  fujet ,  il  ïe  favoit  : 
il  me  pria  feulement  de  lui  laifTer  lire 
l'ancien  poème  des  Manges  Samnites  ; 
après  quoi ,  il  remarqua  que  îe  fond  des 
deux  ouvrages  étoit  abfoîument  le  Conte 
de  M.  Marmontel,  mis  en  action  ;  que 
îes  fituations  étant  par  tout  les  mêmes, 

(1)  Il  étoit  d'akord  en  profe  ,  &  c'eft  ain/ï  qu'il  a  été 
gravé. 

(î)  Le  premier  poème  des  Mariages  Samnites  avoit  été 
refufé  unanimement ,  &  il  étoit  bien  écrit.  Pourquoi  le  fé- 
cond fût-il  accepté  ?  L'auteur  venoit  de  donner  Henri  IV 
ou  la  bataille  d'ivri ,  qui  avoit  du  fuccès.  Les  comédiens 
ont  ordinairement  trop  de  confiance  dans  l'auteur  qui 
vient  de  réuflir ,  &   trop  4e  défiance  s'il  n'a  pa    réufiï. 

Y  2, 


34°  Essai 

ma  mufique  pouvoit  fervir,  &  que  je 
n7avois  que  peu  de  morceaux  a  faire 
pour  le  rôle  d'EIiane  qui  e'toit  de  fou 
invention.  Je  fui  biffai  donc  parodier 
ma  mufique  ,  après  quoi  je  fis  une 
revue  générale  de  l'ouvrage ,  pour  ren- 
dre la  profodie  plus  exacte  {  i  ).  Cet 
ouvrage  ne  réuflit  point  ;  peut-être  que 
îe  préjugé  y  contribua  :  les  fpectateurs 
ne  voulurent  pas  s'habituer  à  voir  fous 
îe  cafque ,  les  acteurs  qu'il  voyoit  chaque 
jour  dans  des  rôles  comiques. 

Les  comédiens  durent-ils  être  offen- 
fés  de  ce  jugement  ?  Non  ,  car  je  fuis 
fur  que  Préville  lui-même  parohTant  fur 
la  fcène  en  guerrier  héroïque ,  cauferoit 
des  envies  de  rire,  que  fon  grand  talent 


(1)  Lorfque  les  Poètes  parodient ,  ils  croyent  qu'un  vers 
de  huit  fyllabes  ,  doit  remplacer  un  vers  de  huit  ,  &  ainfî 
fies  autres;  cependant,  comme  les  notes  expreflives  doi- 
vent rencontrer  les  bonnes  tyllabes ,  rien  n'eft  moins  (ut 
4gue  leur  calcul. 


SUR    IA    MUSIQUE.  341 

ne  pourroit  réprimer.  Dans  les  provinces 
cet  inconvénient  ne  fubfifte  point ,  parce 
que  l'on  y  eft  accoutumé  de  voir  parokrc 
fuccefîivement  le  même  homme  ,   dans 
la  tragédie ,   la  comédie  &  l'opéra   co- 
mique. AufTî  cette  pièce ,  dont  je  ne  fais 
cependant  pas  l'apologie ,  y  a  été  fouvent 
repréfentée.   J'ai  toujours  cru  qu'elle  au- 
roit  eu  du  fuccès  à  Paris ,  fi  l'auteur  avoit 
mis   en   oppofition  au  rôle  de   la    fière 
Elrane,   un  rôle  de  petite  fille  efpiègle, 
qui  autoit  eu   bien  des   naïvetés  à  dire 
fur  la  manière  dont  les  Samnites  traitoiene 
l'amour.  Sans  cela  il  n'y  a  point  de  con- 
trarie dans  cet  ouvrage. 

Les  arts  n'exiftent  que  par  les  con- 
traries ;  mais  il  ne  faut  par  que  l'artifle 
montre  l'intention  de  les  faire;  car  s  lors 
il  devient  maniéré  ;  par  exemple  ,  plu- 
fieurs  phrafes  alternatives  ,  douces  ôc 
fortes  ,  deviennent  monotonie  ck  ne 
forment  point  oppofition  réelle ,   parce- 

Y  3 


34V  Essai 

que  leur  retour  fimétrique  Ta  détruite.  La 
nature  eft  une  &  nous  offre  cependant 
nulle  contraries  dans  toutes  fes  parties; 
c'eft  elle  qu'iî  faut  imiter. 


sur    la    musique;     343 
M  A  T  R  O  C  O  , 

Drame  burlefque  en  quatre  a&es  ,  en  vers  ' 
par  M.  Laujeon  ;  repréfenté  à  Fontainebleau 
1  année  1777  ,  &  à  Paris  le  23  Février  1778. 

J'avois  peu  d'envie  de  mettre  en  mu- 
fïque  ce  poëme  bien  écrit ,  mais  raiîem- 
bîant ,  fans  intérêt ,  toutes  les  métamor- 
phofes,  les  combats  de  Nains,  de  Géants, 
enfin  les  forfanteries  de  tous  les  romans 
de  la  chevalerie.  La  mufique  y  faifoit  k 
chaque  inftant  épigramme,  &  l'épigramme 
fortoit  d'un  air  de  vaudeville ,  telle  qu'on 
peut  en  voir  l'imitation  dans  Renaud 
d'Aft.  L'ouverture  étoit  rompofée  d'airs 
connus  &  parlans ,  qui  expliquaient  le 
fujet  de  la  pièce. 

Les  muficiens  ont  fouvent  remarqué, 
combien  les  bons  airs  de  vaudeville  fonc 
fufceptibles  d'une  belle  baffe  &  d'une 
bonne  harmonie.  L'on  pourroit  inférer 
de  la ,  que  la  mélodie  donne  plus  fou- 

Y4 


344  Essai 

vent  l'harmonie  que  celle-ci  ne  donne 
h  chant.  Voici  un  vaudeville  remarquable 
^iii  etoit  dans  cette  ouverture. 


F^Pfijaa^ 


Bajfons» 


k-P— 


tlËlÉSilllilIlilÉ 


î  ÉPis^ililiPiiÉ 


SUR     IA      Musique       347 


Il  USi^fSilliSi 


l^É^S-SiiSi 


|Ëg§g3g|^ 


^^fe§^^=M=?ËÊu=IËEËg:^g^ 


(I  plili  ^PÉËP-^É^i 


l 


liiSi^ËiP 


>>  *>>-- 


J'ai  entendu  faire  cette  baffe  aroma- 
tique ,  fur  la  féconde  partie  de  Pair  ; 


346  Essai 

Charmante  Gabriel,  8ce. 


6 

6        4 


6  z 

*4  4 

6        6        i  4        6        6 


g^É^^gggëgËiËFiÊig 


riEÈ^Eife^ 


I  , 


4      J 


i3±!>2 


Le   premier  air  de   Matroco  ,  difoit  : 

Ah  fonge  affreux  '.  Mais  quand  j'y  fonge  ! 
Pourquoi  m'alarmer  d'un  fonge  f 

L'orcheflxe  jouoit    l'air  connu,    fous 
ces  parolles, 


Ah  ce  font  vos  rats , 

Qui  font  que  vous  ne  dormez  pas, 


SUR      LA      MUSIQUE.  347 

toute  la  pièce  étoit  compofée  dans  ce 
genre.  Les  muficiens  fentirent  combien 
de  difficultés  j'avois  eu  à  vaincre  pour 
former  un  enfemble  de  ces  anciens  airs 
&  d'une  mullque  nouvelle  ;  mais  qu'ef- 
pe'rer  d'un  pareil  travail  ?  Qu'efpérer  de 
cette  manière  de  compofer  en  logogriphe? 
Les  airs  connus  de  nos  vaudevilles  font 
prefque  tous  triviaux  ,  &  il  auroit  fallu 
faire  un  raprochement  tel  qu'ils  ne  nfîent 
qu'un  feul  corps  avec  de  airs  noblement 
exagérés.  Le  fuccès  d'une  production  de 
ce  genre ,  fera  toujours  ,  félon  moi ,  pre£- 
qu'impoflibîe.  Lorfque  Pair  d'un  vaude- 
ville fe  préfente  naturellement  pour  faire 
épigramme  dans  quelques  fituations  co- 
miques j  je  confens  que  le  compofiteur 
l'adopte  :  mais  je  fuis  afluré  .qu'une  pièce 
entière  ôz  en  quatre  actes  compofée  dans 
ce  genre  ,  eft  un  délire  d'imagination  , 
capable  d'ufer  les  facultés  intellectuelles 
d'un  artifte.  Dans  une  telle  pièce ,  tout 
doit  être  bourfouflé  &  gigantefque ,  puif- 


348  Essai 

que  les  perfonnages  font  teïs  ;  des  mœurs 
à  rebours  du  bon  fens  doivent  être  peintes 
de  même  par  le  muficien.  Cet  ouvrage 
étoit  original  &  malgré  fon  peu  de  fuccès, 
il  ne  peut  diminuer  en  rien  ïa  réputation 
de  Pélégant  auteur  tfEglé  &  de  YAmou- 
mourcux  de  qu\n%t  ans»  Peut  être  que 
ïa  finguïar-ité  du  fujet  auroit  infpiré  à 
dfeûtres  compofiteurs ,  des  refïburces  plus 
heureufes  que  je  n'en  trouvai  dans  mon 
talent  :  mais  j'aime  mieux  apprendre  aux 
jeunes  artiites  à  fe  défier  de  tout  fujet 
hors  de  nature.  Je  fis  cet  opéra  pour  ïa 
cour  ,  Se  par  compïaifance  :  il  fut  joué 
à  Paris  malgré  moi ,  &  la  flâme  a  dévoré 
cette  production  motrftrueufe  en  expiation 
de  l'atteinte  que  j'avois  donnée  au  bon 
goût. 

Le  fpeclacle  fe  terminoit  par  cette 
marche  conforme  à  la  pièce ,  &  dont  je 
retranche  une  partie  des  accompagne- 
mens~ 


ST7R.     tA      MUSIQUI.         34Q 


!«-''  fc  f  ~        *"        l—i  n  bu" 

1  je       Marche  JînaU, 


jK*-i=srr): 


ÏËÊ3ËEEgïEE3 


II 


fr-f-fl-fV&Q 


^f-»^ ^T-^ 


eL-i- 


J4— r  r  1  I'  U-j^M= 


I! 


^rr'r^^i"rtTf""ri-1' 


^^fe"f.i         T^= 


V» ^Cwg 


3*° 


Essai 


i£^§Elf|fêi^ 


|teiS|pteÈÊl=t=y 


— Kï — , — J râtafe 3*J_tJ^ _ _ 


tfl^ËÈg?: 


Sur    sa    Mvsiquï.    3  f  xl 


Fluus% 


— ^z^Siess^^ 


335 


Violons* 


fi»>i:f  rfife^. 


:z*n 


ISI 


Un  mufîcien  homme  rPeiprit  trouva 
plaifant  qu'une  autre  marche  du  même 
opéra  fut  exécutée  dans  le  mode  majeur, 


3*** 


Essai 


îorfque  les  guerriers  croioyent  voler  a  îa 
vi&oire  \  &  qu'enfuite  étant  vaincus  , 
ils  s'en  retournaient  triftement  fur  ïa 
même  marche  exécutée  dans  ie  mode 
mineur. 


SUR      LA      MUSIQUE.         353 

LE   JUGEMENT    DE    MIDAS, 

Comédie  en  trois  acles,  mêle'e  d'ariettes,  par 
M.  d'Hele  ;  repréfentëe  fur  le  the'âtre  de  la  Co- 
médie Italienne^  le  27  Juin   1778. 

Des  poëmes  écrits  par  ïe  même  au- 
teur ,  fulTent-iïs  toujours  bien  faits ,  bien 
écrits  &  de  genres  difTérens  >  ne  me  fem- 
blent  pas  moins  préfenter  un  écueil  au 
muficien.  Chaque  écrivain  a  fa  manière 
d'écrire  qu'il  lui  feroit  difficile  de  deguifer, 
s'il  vouloit  le  faire  ;  &  qui  eft  bien  aifée 
k  reconnoître  ,  lorfqu'il  ïaifîè  couler  fa 
plume  au  gré  de  fes  penfées.  Le  mufi- 
cien qui  fubit  la  même  loi ,  doit  fe  varier 
plus  aifément  en  compofant  fur  les  pa- 
roles de  différens  auteurs.  J'admirerois 
davantage  la  fécondité  d'un  fimphonifte 
que  celle  d'un  compofiteur'  dramatique  ; 
le  premier  tire  Ces;  idées  du.  néant ,  ou 
d'un    fentiment  vague  ,    le.  fécond   les 

■   Z 


354  Essai 

trouve  dans    les    paroles  qu'il    exprime. 
Le  premier ,  il  eft  vrai ,   a  la  liberté  de 
créer  au  gré  de  fou    imagination  :   tout 
eft  bon  s'il  forme  un  bel  enfemble  y  mais 
îe    compofiteur  dramatique    eft   alTujetti 
au  genre ,   à   Pa&ion ,  à   la   profodie  qui 
lui  défend  fouvent  une  note  d'eipreffion 
qui  donneroit  la  vie  à  un  trait  de  chant. 
Toutes  ces  difficultés  rendent  fon  travail 
plus  important.  En  s'unilTant  avec  la  pa- 
role ,  il  peint  dnaprès  nature  >  fa  produc- 
tion eft  immuable   comme   elle;   tandis 
que  le  langage  de  la  fimphonie  eft  vague 
comme  le  fentiment  qui  fa  produit.  Je 
parlerai  dans  un  autre  article   du    mérite 
réel  des  bonnes  compofitions  inftrumen- 
tales,  &   de  la  manière    dont  on  pour- 
roit    les  faire  tourner  au  profit   de  Part 
dramatique. 

M.  d?Hdc  me  fut  adrefîe  par  M. 
Suard  :  il  me  le  recommanda  comme 
un  homme  de  beaucoup  d'efprit ,  qui 
joignoit  à  uu  goût  très-fain,  de  l'origina- 
lité   dans  les  idées.  Get  anglois  que   la 


SUR     lA'     MUSIQUE?        5  J  J 

perte  de  fa  fortune ,  avoit  engagé  à  venir 
cacher  fon  indigence  à  Paris ,  6c  quifavoit 
parfaitement  notre  langue  ,  s'appeïïoit 
Haies  9  que  les  anglois  prononcent  comme 
helas  ;  nos  journaux  on  transformé  ce 
nom  ,  en  celui  de  d'Hélé ,  fous  lequel  cet 
écrivain  efl  connu.  Il  me  lut  les  poëmes 
du  Jugement  de  Midas  &  de  V Amant 
Jaloux;  il  manquoit  il  e{t  vrai  quelque 
chofè  à  la  charpente  du  dernier.  Il  avoit 
conduit  fur  la  fcène  un  vieillard  afthma- 
tique  tuteur  d'ifabelle  ,  lequel  ne  pou- 
voit  dire  un  mot  fans  toufTer,  ce  qui  ne 
l'empêchoit  pas  cependant  d'être  très- 
amoureux  de  fa  pupille.  II  prit  enfin  îe 
parti  de  retrancher  cet  épifode.  Les  mor- 
ceaux deftinés  a  être  mis  en  mufique  , 
de  l'une  &  de  l'autre  de  ces  pièces  ,  étoient 
écrits  en  profe  ,  mais  d'un  ftyle  fi  clair  , 
qu^il  n'y  manquoit  que  la  rime.  Il  me 
difoit  qu'un  vers  lui  coutoit  plus  qu'une 
fcène.  Nous  choîfimes  Anfcaume ,  fecré* 
taire  de  la  Comédie  Italienne  ,  pour  ver- 

Z  ^ 


3f  6  I    M    A    I 

fifier  îa  partie  îirique  du  Jugement  de  Midas. 
Cet  ouvrage  étant  achevé,  relia  deux  ans 
dans  mon  porte-fèuiile.  Même  en  lifant 
le  po'éme  on  ne  vouloit  pas  croire  qu'un 
anglais  fut  en  état  de  faire  une  bonne 
pièce  françaife  ;  celle-ci  me  fut  renvoyée 
de  la  cour  ,  où  elle  fût  condamnée  ,  ôc 
les  comédiens  qui  Favcient  reçue  ,  atten- 
doient ,  fans  fe  preller ,  que  fon  tour  ar- 
rivât (i). 

J'en  parlai  chez  madame  de  M***: 
feu  monfeigneur  le  duc  d'Orléans  voulut 
f  entendre ,  &  M.  le  chevalier  de  B*** 
en  fit  la  ledure  avec  autant  de  chaleui 
que  fi  l'ouvrage   eut  été  le  fien. 

Il    fut  repréfenté  chez   cette    dame  ; 


'  (OLorfcju'une  pièce  eft  agrée  par  Mefïieurs  les  premiers 
Gentilshommes  de  la  chambre  ,  &  qu'elle  a  été  jouée  à  la 
cour,  elle  a  le  droit  de  paiïer  incontinent  à  Paris,  & 
prefque  toutes  les  miennes  ont  été  dans  ce  cas.  Sans 
cet  avantage  les  pièces  font  données  par  ancienneté, 
fuivant  la  datte  de  kur  réception. 


SUR     LA     MUSIQUE.  357 

les  afteurs  de  la  Comédie  Italienne 
y  vinrent ,  &  ne  furent  pas  plus  pré- 
venus en  faveur  de  l'ouvrage.  Madame 
deiW***  avoit  rempli  le  rôle  de  Chloe' 
avec  autant  de  grâce  que  de  naturel  ; 
mais  pîuiieurs  rôles  avoient-éfé  joue's  ôz 
chantés  comme  ils  le  font  ordinairement 
en  foclété. 

On  parla  ,  dit-on  ,  avec  peu  d'efîime 
de  cette  repréfentation  à  une  féance  de 
l'académie  françoife  ;  ïe  jugement  de 
f  orateur  fe  répandit  dans  le  public  ,  d'Hdt 
le  fut  &  lui  dédia  le  Jugement  de  Midas  , 
dans  une  épitre  très-plaifante ,  que  j'eus 
bien  de  la  peine  à  lui  faire  fu primer. 

On  donna  enfin  cette  pièce  à  Paris  , 
Faflembïée  étoit  peu  nombreufe ,  mais 
chacun  fortit  content  du  fpeclacîe,  ex- 
cepté les  clercs  de  procureurs ,  fans  doute , 
car  le  lendemain  je  reçus  ce  billet  im- 
primé : 

MeJJleurs  les  clercs  de  procureurs  vous 
invitent  à  venir  JiJIer  demain  la  féconde 

Z3 


358  Essai 

repréfentation  du  Jugement  de  Midas ,  dans 
laquelle  pièce  ils  Je  trouvent  infultès. 

La  féconde  représentation  fut  en  effet 
un  peu  orageufe  ;  mais  les  clercs  perdi- 
rent leur  procès. 

Cet  opéra  fut  la  fatire  la  plus  mor- 
dante contre  l'ancienne  mufique ,  ou  pour 
mieux  dire  contre  la  manière  traînante 
dont  on  la  chantoit.  Si  cette  trille  pfaî- 
modie,  aujourd'hui  reléguée  dans  quel- 
ques coins  du  marais ,  n'étoit  néceffaire 
pour  l'exécution  des  rôles  de  Midas  Ôc 
de  Marfias ,  il-  feroît  inutile  de  dire  qu'il 
faut, 

i°.  Chanter  les  airs  très  -  lentement 
&   fans  mefure  ; 

20.  Qu'il  faut  faire  de  longues  cadences 
tant  qu'on  en  trouve  l'occafîon  (  i  ). 


(i)  Je  crois  que  l'origine  de  la  cadence  ou  trille,  nous 
vient  par  ancienne  tradition  des  organiftes,  qui  de  tous 
les  tems  pour  avertir  les  chantres  du  choeur,  font  un  ba- 
tement  de  pîufleurs  ions  fur  l'avant  dernière  note  du 
verfet, 


SUR    LA     MUSIQUE,  3$£ 

t,0.  des  ports- de- voix  bien  appuyés 
comme 


4°.    Des   martellemens    bien    longs 
comme. ... 


Qui  vous  plai-  gnez. 

5°.  Chevroter  les  roulades. 

6°.  Prenez  avec  cela  une  phifionomie 
prefque  riante ,  même  dans  hs  airs^riites  ; 
tirez  toute  l'expreflion  de  la  mâchoire 
inférieure  que  vous  avancerez  un  peu  oour 
vous  donner  un  certain  arr  bancal  &  vous 
chanterez  le  vieux  françois  comme  du 
tems  des  Rebcl  ôc  Françœuf. 

L'abbé  Arnaud  difoit  aux  peintres ,  ne 

Z  4, 


360  Essai 

peigne^  pas  le  foleil.  Je  voudrois  dire ,  à 
mon  tour  aux  muficiens  ,  ne  faites  pas 
chanter  Apollon  ni  Orphée.  Les  auditeurs 
font  trop  prévenus  en  faveur  de  ces  il- 
luftres  perfonnages  de  la  fable.  Les  pro- 
diges que  décrivent  les  poètes  font  un 
écueil  infaillible  pour  celui  qui  croira 
exécuter  en  chant  >  ce  que  leur  imagi- 
nation brillante  a  décrit.  Il  eft  en  effet 
bien  plus  aifé  de  raconter  des  miracles , 
que  de  les  mettre  en  action. 

La  colère  d'Achille  ,  décrite  par  Ho- 
mère ,  nous  transporte  dans  le  camp 
des  Grecs.  On  frifonne  aux  cris  de  ce 
héros  formidable.  En  eft  -  il  ainfî  ,  par 
exemple»,  de  la  colère  d'Achille  ,  exprimée 
en  mufiq'ue  dans  Vlphigénie  en  Aulide 
de  Gluck  ?  L'air  que  chante  le  héros  efl 
une  efpèce  de  marche  afféz  commune  , 
dont  le  chant- pourrait  s'adapter  égale- 
ment à  toutes  fortes  de  -fêtés.  Le  bruit  gé- 
néral de  Porche  fixé  femble  faire  feul  tout 
le  mérite  du  tableau.  Sarrs  doute  l'habile 


SUR      LA      MUSIQUÎ.         361 

artifte  avoit  fenrî  Fimpoffibilité  d'atteindre 
îa  vérité  ;  &  fagement  il  s'éft  abftenu  de 
vains  efforts  quin'eufîent  montré  quel'in- 
fufîfance  de  fart ,  en  l'écartant  davantage 
de  Ton  but. 

Lorfque  j'entendis  à  la  première  répé- 
tition Pair  d'Apollon  ; 

.        Doux  charme  de  la  vie, 
Divine  mélodie  ,  &c. 

je  me  confirmai  de  plus  en  plus  dans  cette 
opinion;  &  je  ne  pus  m'empêcher  de 
dire  ,  que  -cet  air  me  paraît  trijie  &  in- 
fujHfant  pour  le  Dieu  de  V harmonie.  !  A 
la  féconde  répétition,  dyHe!e  avoit  ajouté 
quelques  mots  a  la  profe  qui  précède  cet 
air,  &  faifoit  dire  a  Apollon  ;  je  fuis 
d'une  lajjitude  &  d'une  trifiejfe  ! ...  Fort 
bien  M.  d'Hele ,  lui  dis-je ,  je  vous  re- 
mercie. L'auteur  des  paroles  fentant  que 
je  n'avais  pu  atteindre  à  la  fubîimité  d'A- 
pollon ,  s'cffbrçoit  en  nomme  d'efprit  de 
le  rabaificr  jufqu'k  moi.  Lorfque  Orphée 


l 


$6%  Essai 

veut  forcer  le  ténare  ,  fair  de  Gluck  ne 
fatisfait  pas  davantage  les  fpeclateurs,  qui 
attendent  un  prodige  inoui  en  mufique  ; 
cet  air  parok  froid,  &  le  feroit  effecti- 
vement, fi  ies  de'monsne  le  réchauffaient 
par  leurs  cris.  Ce  font  donc  les  diables 
qui  opèrent  fortement  fur  les  fpeétateurs 
&  non  Orphée  ;  il  fair  naître ,  ileft  vrai, 
les  oppofitions  qui  frapent  ;  mari  ne  de- 
vroit-il  pas  fraper  lui-même  pour  être 
a&eur  principal  ? 

Dans  les  finales  du  Jugement  de  Midas , 
il  étoit  difficile  de  créer  un  enfemble  ,  en 
confervant  tout-à-la-fois  l*ancbnne  mu- 
fique françaife  faifant  épigramme  ,  le 
vaudeville,  &  la  mufique  de  la  pièce. 

Qu'on  ne  croye  pas  que  ce  que  je  dis 
actuellement,  foit  contradictoire  avec  ce 
que  j'ai  dit  ci-devant  en  parlant  de  la 
mufique  de  Matroco.  Ici  tout  eft  de  nou- 
velle création  ,  ce  qui  donne  a  l'artifie 
îa  facilité  de  former  un  enfemble.  Dans 
Matroco ,  les  airs  de  vaudevilles  font  don- 


JUS.      I.  A      MUSIQUE.        363 

nés,  &  doivent  être  confervés  fans  alté- 
ration. C'eft  comme  Une  tête  antique 
trouvée  fous  des  raines  ,  pour  laquelle  iî 
faut  reproduire  un  corps, 

Les  amateurs  de  l'ancienne  mufique , 
me  furent  gré  de  n'avoir  pas  cherché  à 
la  dénigrer  en  la  faifant  mauvaife.  On 
peut  fentir  en  effet  que  l'air  de  Marfyas, 

Amants  qui  vous  plaignez ,  &c. 

exécuté  par  un  bon  chanteur  &  fans 
charge  ,  eft  naturel  &  très-expreffif.  Le 
ridicule  en  appartient  tout  entier  à  l'exé- 
cution forcée.  Je  fuis  perfuadé  même 
qu'un  air  pathétique  de  Burancllo  ou  de 
Jomelli,  chanté  fans  mefuve  ,  &  revêtu 
d'açcompagnemens  de  l'ancienne  facture , 
feroit  de  la  vraie  muiïque  françaife  ;  & 
que  par  îa  même  raifon  des  chants  choifis 
de  Lully  &  de  Rameau ,  ornés  d'accom- 
pagnemens  de  la  bonne  école  ,  &  fur- 
tout  chantés  par  d'habiles  artifies,  feroient 
de  la  bonne  mufique  de  tout  pays  ,  à  l'ex- 


3^4  Essai 

ception  de  quelques  finales  &  Je  I'aBus 
de  ces  tournures  qu'on  nomme  rofùlies(i). 
Exemple  de  la  finale. 


^jt    i    r  acr't^f-jiBg 


Vous  au-     riez       dû     la  con-  fui- 


••>»- 


ter. 


Exemple  de  la  rofaïie. 


M (g>r 


t^PfPRP^Ï 


(i)  J'ignore  l'étïmologîe  de  ce  mot.  Eft-ce  Te  nom  de 
l'auteur  qui  les  a  le  premier  employées  ?  Eft-ce  celui  de 
l'adrice  qui  les  a  mifes  jadis  à  la  mode? 


83?: 


SUR     LA      MUSIQUE.  l6j 

L'AMANT     JALOUX, 

Comédie  en  trois  acles ,  paroles  de  M. cTHele(\yt 
repre'fente'e  à  Verfailles  le  20  novembre  1778,  & 
à  Paris  le  2$  De'cembre  de  la  même  anne'e. 

Plus  on  travaille  &  plus  on  tourmente 
fon  imagination,  plus  il  eft   difficile  de 
pourfuivre  fa  carrière.  Il  eft  douloureux  de 
n'acquérir  l'expérience  qui  mûrit  le  ju- 
gement ,  qui  établit  l'ordre  dans  les  idées, 
qui  fait  faire  beaucoup  avec  peu  de  chofe , 
qu'en  perdant  cette  fraîcheur  ,  cette  fa- 
cilité que  donne  l'abondance  même  des 
idées.  On  dira  peut-être  qu'il  faut  con- 
ferver  par  écrit  celles  qui,  rejetées  à  pré- 
fent,  peuvent  devenir  précieufes  pour  l'a- 
venir. Je  ne  confeille  à  perfonne  de  faire 
ce  magafin  ,  je    crois  que  l'imagination 


(1)  La  partie  lyrique  a  été  verfifice  par  M.  Lcvapur, 
ancien  capitaine  de  dragons. 


•$66  Essai 

fe  nourrit  des  idées  qu'on  écarte ,  en  at- 
tendant qu'elles  conviennent  à  un  autre 
fujet  ;  mais  les  écrire  feroit  en  débander 
la  mémoire,  &  par  conféquent  l'apauvrir. 
Les  fibres  du  cerveau  confervent  long 
tems  les  imprefîions  que  le  fentiment  a 
produites  ,  Sz  quoiqu'elles  femblent  étein- 
tes ,  foyons  fans  inquiétude  :  dès  qu'un 
fujet  analogue  les  rapellera ,  vous  ferez 
fur  alors  ,  qu'elles  ne  fe  repréfenteront  que 
pour  fe  placer  mieux  que  ïa  première 
fois  ,  puifque  c'eft  au  fentiment  qui  vous 
domine  qu'elles  devront  une  féconde 
exigence  ,  que  l'on  pourroit  regarder 
comme  une  réfurection.  Qui  ne  fe  rappelle 
d'avoir  fenti  Tin  quiétude  que  donne  un 
fentiment  prefque  évanoui,  mais  dont- 
il  relie  cependant  affez  pour  exciter  le 
regret  de  l'avoir  perdu  ?  Voici  l'expédient 
dont  je  me  fuis  fervi  pour  me  rappelfer 
avec  pleine  intelligence  un  trait  de  chant 
prefque  oublié.  Si  je  puis  me  fouvenir 
dans  quelle  firuation  phyfique  ou  morale 


$UH      I<A      MUSIQUE.  367 

j'étois  alors  ;  fi ,  par  exemple  ,  j'étois  à 
la  campagne  travaillant  un  beau  jour  d'été 
feul  dans  ma  chambre ,  jouiiïant  d'une 
perfpe&ive  agréable  ;  fi  je  puis  ,  dis-je, 
me  rapeller  qu'en  une  femblable  fitua- 
tion  ,  j'ai  créé-  un  trait  de  chant  que  j'ai 
perdu  enfuite  ;  c'efl:  en  me  tranfportant  en 
réalité  ou  en  idée ,  dans  un  lieu  de  même 
aipeét,  que  je  fuis  certain  de  retrouver  le 
trait  que  je  chercherais  peut  être  envain 
dans  tout  autre  lieu.  D'autres  que  moi  ont 
éprouvé  fans  doute  que  F  on  retrouve  même 
involontairement  les  idées  qui  fembîent 
perdues  ,  lorfque  l'ame  eft  affe&ée  ainfi 
qu'elle  l'étoit  a  la  première  création. 

Quand  l'efprit,  cherche  a  produire  ,  il 
m'a  femblé  n'avoir  que  deux  manières 
d'opérer. 

Si  vous  ne  trouvez  que  des  idées  an- 
ciennement conçues  pour  rendre  ce  que 
vous  fentez  actuellement  ;  s'il  vous  femble 
que  ce  ce  n'efl  qu'au  défaut  d'idées  plus 
intimes  à   votre   fujet ,  que  vous    vous 


368  Essai 

fervez  des  anciennes  ,  vous  ne  ferez 
qu'une  production  médiocre.  Mais  fi  tel 
que  la  fable  nous  dit  que  Minerve  for- 
tit  du  cerveau  de  Jupiter  ,  votre  fujet  pré- 
fent  réveille  tout-à-coup  une  idée  dans 
votre  imagination ,  &  que  fans  retran- 
chement, fans  amplification  ,  ni  modi- 
fication quelconque  ,  vous  fentiez  ce  fu- 
jet clairement  explique'  ;  c'eft  alors  qu'un 
mouvement  de  faiisfaction  vous  dit  .que 
vous  ne  pouvez  mieux  faire.  Ce  fentiment 
intérieur  eft  une  infpiration  qu'il  ne  faut 
pas  combattre  ;  car  après  avoir  refifté  ,  il 
fe  laifle  vaincre,  &  c'eft  toujours  au  pré- 
judice de  nos  productions.  Quoique  je 
n'aye  pas  dit  la  centième  partie  de  tout 
ce  qu'on  pourroit  dire  fur  îe  chapitre  des 
idées ,  parce  que  je  crois  qu'il  eft  bon 
d'être  fobre ,  îoriqu'on  traite  de  pareilles 
matières  ,  &  qu'il  eft  prudent  de  ne  pas 
trop  tendre  lé  fil  qui  nous  guide  dans  ce 
labirinthe  tnétaphifique  ,  l'on  doit  penfer 
que  c'eft  de  la  fituation  où  j'étois  en  fai- 

fariL 


SUR     IA      MUSIQUE.  a^Q 

V Amant  Jaloux  ,  dont  j'ai  voulu  parler. 
L'abondance  des  idées  ne  me  gênoit  plus , 
&  j'adoptois  fans  indécihon  celles  qui 
fe  pre'fentoient  à  mon  imagination ,  (bit 
qu'elles  fuiïent  d'ancienne  datte  ,  ou  que 
les  paroles  les  nlTent  naître. 

La  feule  inquiétude  qui  relie  ïorfqu'on 
a  beaucoup  travaille' ,  eit  de  fe  rappeller 
(i  les  traits  qui  s'offrent  à  ï'efprit,  ont 
déjà  été  employés  dans  quelques  ouvrages  ; 
une  perfonne  tierce  le  fait  fouvent  mieux 
que  nous ,  &  peut  être  d'un  grand  fe- 
cours. 

On  a  obfervé  farvs  doute  que  ïe  petit 
air  pizzicato  qui  eft  au  milieu  de  l'ou- 
verture ,  indique  d'avance  la  férénade  que 
Florival  donne ,  au  fécond  aère ,  à  la  pré- 
tendue Léonore;  mais  on  n'a  peut-être 
pas  remarqué  que  les  couplets, 

Tandis  que  tout  fommeUle  &c. 

peuvent  être  chante's  fur  ce  même  air. 
La  première  ariette  , 

\  a 


37  o  Essai  - 

Qu'une  filie   de  quinze  ans , 

étoit  difficile  a  pon£tuer  en  mufique  ; 
voyez  combien  de  vers  il  faut  chanter 
en  ne  faifant  que  le  repos  de  virgule: 


fr^tlEr  |-g'  r,  :ff  >3f  '  ri'F 


Qu'u-ne    Fil-  le  de  quinze  ans,  virgule. 


quoique  îa  dernière  notte  de  la  phrafe 
foit  tonique  ,  ce  repos  n'eft  que  d'une 
virgule  ,  parceque  cette  notte  n'a  pas  été 
précédée  de  la  dominante  qui  marqueroit 
erTentielîement  le  repos  final. 


à     l'om-  bre  du  myf-    tè-       re ,  virgule. 


*p 


'        i^ir        i  .mit ■  '   ■  _.    *~"I-im 


Sans   con-  fui-  ter  fon    Pè-       re,  virgule , 


SUR     î.  A     KusïquE,       371 


; — & — 


ite=*=fc= 


— 1 — ~- — ^. — «^ — f--— dzz — 3 


é-    cou-  te       tes  ten-dres-fer  msnts  de 


Z=^=fcl=ZM=t 


jfejgP^EbgEggfog^ 


lob-    jet  qui         fait         lui     plai- 


re; 


Le  chant  repofe  fur  la  quinte  de  ïa 
dominante-  ce  qui  indique  point  & 
virgule. 

à    quinze    ans  je       paf.     fe 


^*«         <^^         *^»  a^fj< 


rr^z-J 


cet-  te    foi-  bief-  fe ,  virgule,      c'eft    le 

prin-     tems ,  c'eft    la      fai-    fon    de   la 

Aa  2, 


37* 


Essai 


\>_ _. 

z=±zz-  fc=^=^  pppffzzzj! 


ten-     dref-     fe ,  virgule.  c'eft    le   prin- 

ft— — — 


tems ,  virgule,   c'eft      la      fai-    fon ,  c'eft 

l>   -*-  b, 


iiiliiiliiiiiiisii 


la    fai-     fon 


de         la        ten- 


HllillSl 


k= 


H*>>-3F 


dref-         fe  : 

C'efl  la  faifon  de  la  tendrefTe , 


e(r  un  repos  fur  la  dominante  elle-même, 
ce  qui  fait  en  mufique  exactement  les 
deux  points. 

Lorfqu'on  répète  un  vers  ;  il  n'y  a 
pas  de  mal,  je  crois,  fur  tout  dans  un 
cas  îembldble  à  celui-ci,  de  faire  le  repos 


S*7R     LA     MUSIQUE.  %J% 

de  virgule  d'abord  ,  &  puis  le  repos 
final  la  dernière  fois.  C'eft  comme  fi 
l'on  difoit  avec  indécifîon , 

Oui  j'irai  vous  voir..., 

&   puis  affirmativement , 

Oui,  j'irai  vous  voir. 

De   même  , 

Ceft  le  printems  de  la  jeunefle.  ô  •  « 
Oui ,  c'eft  le  printems  de  la  jeunefle. 

L'endroit  qui  me  paroît  ïe  mieux  faifï 
dans  l'air  fuivant , 

Plus  de  fœur ,  plus  de  frère. 

efl:   la   fufpenfion   menaçante  après   ces 

vers  : 

Mais  fi  quelque  confidente 
Malicieufe ,  impertinente , 
Cherchoit  à  tromper  mon  attente...» 

Les  deux  notes  fuivantes  que  fait  l'or- 
eheftre  en  montant  par  femi-tons  ,  ex- 

Aa  3 


374  Essai 

priment  la  mine  que  doit  faire  Lopez  ; 
j'aurois  pu  lui  faire  chanter  ces  deux  notes 
fur  une  exclamation  oh  !  mais  le  filence 
eft  plus   éloquent. 

A  propos  de  filence ,  je  me  rappelle 
qu'étant  un  jour  au  fpectacle  de  Bruxelles 
où  j'écoutois  la  FauJJl  Magie,  j'entendis 
un  trait  de  flûte  femblabïe  au  ramage,  du 
roffignol ,  qui  avoit  été  mis  par  I'illuftre 
docteur  qui  battoit  ïa  mefure.  C'eft  à  i'en^ 
droit  du  duo  des  vieillards, 

Vous  ?  —  Tvïoi  /  *-   Vous   qu'elle  aime  ?  — *    Oui  moi. 

le  repos  total  après  ces  mots,  qui  veut 
dire  je  refit :  ftupéfait ,  eft,  je  crois,  bien 
fenti.  La  flûte  faifoit  donc  un  fort  beau 
ramage  pour  occuper  le  repos  que  j'avois 
indiqué  ;  après  quoi ,  le  chanteur  difoit  9 

C'efi  à  quoi  l'on  ne  s'attend  guère. 

îî  lembloit  parler  du  trait  de  flûte. 

J'ai  remarqué  aîTez  généralement  que 
les    mouvemens    indiqués    pour   chaque 


SUR     LA     MUSIQUE.  3  7  £ 

morceau  de  mufique ,  s'exécutent  plus  len- 
tement vers  îe  nord  de  la  France ,  &  plus 
vivement  dans  les  provinces  méridionales. 
II  ne  faut  pas  croire  cependant  que  plus 
on  avancera  dans  les  pays  chauds ,  plus 
les  mouvemens  feront  accellérés. 

On  exécute  plus  lentement  à  Rome  qu'à 
Paris  ;  &  fans  doute  plus  lentement  encore 
dans  les  régions  brûlantes;  mais  on  ralen- 
tira toujours ,  je  crois ,  en  approchant  vers 
îe  nord.  Dans  ce  cas  comme  dans  beau- 
coup d'autres  les  extrêmes  produifent  les 
mêmes  effets  ;  l'extrême  chaleur  du  cli- 
mat donne  la  foiblefTe  ,  comme  la  congé- 
lation produit  la  ftupidité. 

Un  homme  refpectabîe  de  mes  amis, 
M.  Godefroi  de  Viltaneufe ,  amateur  zélé 
des  beaux  arts ,  me  parloit  depuis  dix 
ans  d'établir  un  ri  th  m  omette  propre  à 
fixer  d'une  manière  invariable  les  mou- 
vemens en  mufique  ,  îorfqu'un  profpe6tU3 
nous  annonça  l'exécution  de  cette  roé- 
çhanique» 

Aa  4 


376  Essai 

Mais  eft-il  néceffaire  ce  rithmometre  ? 
Ne  convient-il  pas  plutôt  de  laiflfer  prendre 
à  chaque  peuple  ,  a  chaque  province  , 
ïe  mouvement  vif,  tempéré  ou  lent,  que 
lui  infpire  fon  naturel  ?  Je  fuis  fur  que 
même  en  fixant  les  mouvemens  de  cha- 
que morceau  de  mufique  fur  les  vihra- 
rions  déterminées  du  pendule ,  chaque 
pays  d'une  température  différente  iren 
tiendrait  compte ,  &  iroit  toujours  félon 
fon  alure. 

On  n'exécute  plus  ni  Lulli  ni  Rameau 
dans  les  vrais  mouvemens  ,  difent  nos 
vieillards  ;  cette  altération  a  pîufieurs 
caufes.  Si  l'on  précipite  la  mefure  de  cer-» 
tains  morceaux  ,  c'efl  pareequ'aujourd'hui 
l'on  a  plus  de  connoiffance  &  plus  d'exé- 
cution en  mufique  ;  c'eit  parce  que  l'on 
comprend  rapidement ,  ce  que  jadis  on 
ne  concevoit  que  lentement.  L'imagina- 
tion fe  précipite  lorfqu'elïe  agit  fans  ohf~ 
tacles.  On  nous  dit  encore  que  Lulli  faifoit 
débiter  fon  récitatif  j  &  qu'après  lui ,  c'eft- 


SUR     LA      MUSIQUE.         377 

k-dire  il  y  a  vingt  ou  trente  ans ,  on  le 
prolongeok  infiniment.  Ce  n'eft  plus  par 
la  raifon  que  je  viens   d'indiquer,  que 
ce  changement  a  eu  lieu  ;  c'efc  parceque 
les   chants  Italiens  font    alors  parvenus 
en  France  ,  ôc  que  les  chanteurs  François 
cherchant  la  mélodie  où  il  n'y  en  avoit 
que  très-peu ,  fe  font  avifés  de  chanter  & 
d'orner  leur  récitatif  de  tous  les  agrémens 
qui  ne  convenoient  qu'au  chant  mefforé. 
»  Dans  les  pays  froids ,  on  aura  peu 
»  de    fenfibiïité    pour    les    plaifirs  ,    dit 
»  Montefquicu  (1).  Dans  les  pays  tern- 
ît pérés    elle     fera     plus    grande  ;    dans 
»  les  pays  chauds  ,   elle  fera   extrême. 
»  Comme  on  diftingue  les  climats  par 
n  les    dégrés   de  latitude ,   on    pourroit 
»  les  diftinguer  ,  pour  ainfi  dire  ,   par 
»  les    dégrés  de  fenfibiïité.    J'ai    vu  les 
»  opéras  d'Angleterre  &  d'Italie  ;  ce  font 


(t)  Voyejf,  l'Efprit  des  Lois  ,  tome  fécond ,  livre  XIV, 
ebap.  II. 


37$  Essai 

»  les  mêmes  pièces  &  les  mêmes  Ao 
v  teurs  ;  mais  la  même  mufiquc  produit 
»  des  effets  fi  différens  fur  les  deux  na- 
»  tions,  l'une  eft  fi  calme  &  l'autre  (î 
»  tranfporte'e ,  que  cela  paroît  inconce- 
v  vable. 

Si  des  Muficiens  Anglois  ,  avec  leur 
caîme  ,  euîTent  exécute'  les  ope'ras  de 
l'Italie  ,  on  ne  doit  pas  douter  que 
pour  afîlmiler  cette  mufique  à  leur  ca- 
ractère ,  ils  n'en  eufTent ,  avec  raifon , 
ralenti  les  mouvemens, 

Le  trio  : 

Vktime  infortunée , 

dont  j'ai  déjà  parlé,  eft  un  morceau  heu- 
reux ,"  en  ce  que  l'abondance  des  objets 
qu'il  faîloit  peindre ,  n'a  pas  obfcurci  îe 
deffin  général  (î}.  En  voulant  tout  expri- 


(i)  J'avertis  une  fois  pour  toutes,  qu'en  parlant  d'un 
morceau  de  mufique  heureufement  trouyé ,  ceft  autant 


SUR      LA      MUSIQUE.         579 

mer,  fouvent  l'on  exprime  trop;  &  rien 
de  plus  humiliant  pour  Panifie ,  que  de 
produire  un  morceau  très-froid ,  précifé- 
ment  pour  y  avoir  voulu  mettre  beaucoup 
de  chaleur  ;  refier  au  defîbus  de  fon  fujet, 
feroic  préférable.  En  n'exprimant  point 
afTez ,  la  mufique  refte  au  defîbus  des  pa- 
roles qui  femblent  exiger  davantage  ;  &  en 
exprimant  moins  encore  pour  conferver 
un  plan  unique  ,  ce  n'efl  plus  alors 
qu'une  fimphonie  vague  où  le  chant  n'efl 
qu'accefîbire. 

Les  poëtes  Italiens  n'ont  jamais  donné 
de  longs  récits  a  mettre  en  mufique  :  fix 
ou  huit  vers  que  le  muficien  chante  d'a- 
bord d'une  manière  fimple  ,  &  qu'il  re'- 


au  hafârd  ,  à  la  fortune  du  moment ,  que  je  l'attribue  qu'à 
la  réflexion  qui  n'appartient  qu'à  l'homme.  Dire  donc , 
je  fus  heureux  cette  fois  ,  c'eft  faire  l'aveu  qu'on  ne  l'a 
pas  toujours  été  ;  il  feroit  par  conféquent  injufîe  d'accu- 
fer  d'amcur-propre  l'Artifte  de  bonne  foi  qui  pour  l'uti- 
lité de  l'art,  entre  dans  l'analyfe  de  divers  morceaux  d» 
fes  ouyrages ,  qui  lui  paroiffem  mériter  quelque  acten- 
«ion, 


380  Essai 

pète  enfuite  avec  plus  d'énergie  ,  me 
fembîent  îa  bonne  manière  de  faire  ces 
fortes  de  récits. 

Viftime  infortunée , 
Vers  l'autel  entraînée  , 
Je  cedois  à  ma  deftinée, 
Et  je  ne  demandois  helas! 
Que  le  trépas. 

Ce  chant  n'eft  qu'une  plainte  ;  les  trois 
notes  en  forte  de  l'accompagnement,  ex- 
priment ,  fi  Ton  veut ,  les  cloches  qui 
annoncent  le  funefte  himene'e  d'Ifabelle, 
ou  la  force  qui  commande  à  la  foibleiTe. 
Le  contrarie  de  îa  iltuation  eft  rendu  par 
ïa  douceur  du  chant  &  les  forte  de  for- 
chefîre. 

Quand  tout-à- coup  une  voix  inconnue,  &c. 

La  voix  qui  crie  eft  dans  les  bafïbns 
&  le  cor.  N7eft-ce  pas  jouer  fur  le  mot  ? 
N'eft-ce  pas  une  intention  de  mauvais 
goût  ?  Non  :  &  voici ,  à  ce  que  je  crois , 


SUR      U       MUSIQUE,         381 

îa  règle  pour  juger  ce  point  délicat  qui 
fe  préfente  il  fouvent  dans  la  mufique 
de'damée.  II  faut  d'abord  que  la  clarté  fe 
trouve  dans  ïe  chant  &  dans  le  defîin  des 
accompagnemens  ;  il  n'y  a  jamais  de  rai- 
fon  d'exclure  cette  règïe  à  moins  qu'on 
ne  peigne  le  cahos. 

Voyez  enfuite  fi  fe  trait  ou  la  note 
qui  rend  l'exprefïion  eft  nécelTaire  à  l'har- 
monie ,  à  la  mélodie  &  à  l'effet  géné- 
ral :  il  vous  pouvez  l'oter,  fans  y  perdre  , 
c'eft  une  preuve  de  furabondance,  &  it 
faut  dans  ce  cas ,  retrancher  queîqu'autre 
chofe  ,  pour  rendre  nécefTaires  les  notes 
qui  concourent  à  fexpreflion.  Le  vers, 

Je  fuis  François ,   &c„ 

cft  exprimé,  je  crois,  comme  il  devoit 
l'être.  II  faut  toujours  fuppofer  de  Pefprit 
aux  perfonnages  qu'on  fait  chanter,  à 
moins  qu'on  ne  peigne  des  imbéciles. 
Ifabclle  parle  d'un  françois,  elle  devoit 
employer   un    grand   intervalle.    Si   elle- 


83 x  Essai 

avoit  dit,  je  fuis  Anglois ,  je  ne  faurois 
pas  dit  de  même.  Je  fuis  Italien ,  vou- 
îoit  encore  une  exprefïion  différente.  Le 
françois  eft  impétueux,  Panglois  eft  mo- 
déré ,  mais  avec  autant  d'énergie. 

Ah!  que  j'aime  ce  François, &c. 

Ce  petit  trio  fait  voir  que  ïe  danger 
n'exifte  plus  :  il  fépare  heureufement , 
comme  je  l'ai  dit ,  ïes  images  effrayantes 
qui  auroient  été  trop  raprochées. 

Mais  quoi  vous  agravez  l'outrage  !  &c." 

Ces  deux  vers  mis  en  récit,  indiquent 
une  fuipenfion  dans  l'action. 

Alors  avec  fureur 

Il  court  brifer  ma  chaîne  ,&c. 

Je  vole  vers  ces  lieux. 

Je  ne  me  ferois  pas  permis  la  petite 
roulade  fur  vole  ,  fi  Ifabelle  n'eût  été  hors 
de  danger  t  c'eft  pour  l'indiquer  encore 
que  je   l'ai  mife. 


S  U  R     IA    MUSIQUE.  38J 

Quelle  reconnoiffance,  &c, 

Ce  n'eft  point  de  la  reconnoiûance  • 

Un  fentîment  plus  doux 

Sera  fa  récompense. 

Le  tems  de  menuet  eft  bien  employé 
ici,  ïe  menuet  eft  une  danfe  d'origine 
françoife  ;  c'eft  la  première  danfe  qui 
ouvre  les  feftins  de  noces ,  c'eft  l'epitha» 
lame  tacite  d'Ifabelle  &  de  fon  amant. 

Je  regarde  la  finale  qui  termine  cet 
acte  comme  une  des  meilleures  que  j'aie 
faites  ;  elle  eft  varie'e  fans  profufion  &  d'un 
caractère  vrai. 

Vous  qui  rebutez  les  galans  &«. 

eft  le  motif  de  l'air  , 

Qu'une  fille  de  quinze  ans  &c. 

c'eft  une  manière  fine  de  reprocher  a 
la  foubrette  fa  mauvaife  foi  en  fe  fervanc 
de  fes  accens. 

L'air  de  bravoure  qui  commence  le  fé- 
cond acte,  n'eft  pas  celui  qu^d^Hclcni  moi 


384  Essai 

avions  deftiné  à  cet  endroit  :  l'ancien  air 

îi'étoit  qu'en  demi  caractère  comme  , 

Si  quelque  fois  tu  fais  rufer , 

de  XAmi  de  la  Maïfon  ôc  c'était  celui 
qui  convenoit  a  la  fîtuation  ;  mais  l'envie 
de  faire  briller  le  plus  bel  organe  que  la 
nature  forma  jamais ,  l'envie  de  contenter 
la  plus  douce  ,  la  plus  honnête  ,  la 
moins  capricieufe  des  actrices  madame 
Trial,  nous  fit  eonfentir  à  ce  contre-fens 
dramatique  ,  que  les  journaux  nous  re- 
prochèrent avec  raifon. 

On  n'imaginera  pas   que   l'efpèce  de 
di&on  que  chante  Lopez  , 

Le  mariage  eft  une  envie  &c. 

m'a  plus  tourmenté  qu'aucun  morceau 
de  cette  pièce.  Je  ne  favois  qu'en  faire, 
vingt  fois  je  projettai  d'en  demander  la 
fupreffion  à  l'auteur.  Ces  paroles  ne  pou- 
voient  comporter  qu'un  air  trivial ,  une 
efpèce  de  vaudeville  qui  n'auroît  eu  au- 
cun 


Sur.  la  Munqui,  385 
cun  rapport  avec  le  refte  de  îa  partition. 
Mais  la  fin  du  couplet, 

Mais  ce  feroit  une  folie  ,  &c 

ôc  la  fcène  placée  en  Efpagne  me  fuggé- 
rèrent  l'idée  de  faire  un  air  chantant , 
qui  eut  pour  accompagnement  l'air  des 
folies  d'Efpagne  ,  de  Cordli  (1).  L'inten- 
tion fut  fentie  dès  la  première  fois  par 
le  public» 

Il  efl  inutile  de  faire  l'éloge  de  la 
comédie  de  V Amant  Jaloux  ;  le  public 
n'a  celTé  depuis  que  cette  pièce  eft  au 
théâtre  de  la  regarder  comme  le  modèle 
des  pièces  de  ce  genre.  Tout  y  eft  en 
oppofttion  &  bien  ordonné.  Un  jaloux 
fougueux  avec  Léonore ,  douce  ,  tendre 
ôc  indécife  ;  un  Lopez  homme  d'ordre  , 
comme  font  les  bons  négociants  ,  avec 
une  foubrette  dégourdie  ;  un  jeune  fran- 

(1)  A-t-on  remarqué  que  le  début  du   Stabat  du  divin 
Pergolefe  fuit  les  modulations  des  folies  d'Efpagne  $ 

Bb 


386  Essai 

cois  bien  vif,  avec  Donna  Ifabelle  qui  a 
toute  la  gravité  efpagnole.  Chaque  a&e 
amène  d'ailleurs  une  fituation  remarquable. 
Au  premier ,  la  fuite  d'ifabelle ,  après 
s'être  cachée  dans  le  cabinet  ;  au  fécond , 
ïa  férénade  de  Florivai  ;  au  troifième ,  la 
fcène  du  jaloux ,  qui  trouve  Florivai  dans 
le  jardin ,  ck  le  père  arrivant  en  bonnet 
de  nuit  pour  les  féparer  :  les  équivoques 
font  d'ailleurs  fi  adroitement  place'es  dans 
îe  courant  du  dialogue ,  que  fefprit  efl 
toujours  occupé  agréablement. 

L'Amant  Jaloux  tomba  à  la  répétition 
générale  que  Ton  en  fit  à  Verfailles ,  le 
jour  même  de  la  première  repréfentatîon. 
L'on  étoit  fi  fur  de  fa  chute ,  qu'on  ne 
fut  occupé  qu'à  m'en  confoîer,  pendant 
le  dîné  du  premier  Gentilhomme  de  îa 
chambre ,  où  j'étois  :  je  ïe  priai  d'aller 
demander  au  Roi  la  permiMion  de  com- 
mencer le  fpeftacîe  par  cette  pièce  au  lieu 
de  Roje  &  Colas,  où  Caillcau  venoit  en- 
core quelquefois  recueillir  de  nombreux 


SUR    ÎA     MUSIQUE.  387 

applaudi  (Terriens   après  fa  retraite. 

Le  Rot  y  conièntit;  Ôc  je  fis  changer 
les  décorations  ,  a  cinq  heures  palTées. 
Le  fort  de  V Amant  Jaloux  changea  à  la 
repréfentation  :  j'avoue  que  cette  tranft- 
tion  dune  chute  parfaite  à  un  plein  fuc- 
cès,  pendant  un  fi  court  intervalle  ,  fut 
pour  d*Helc  &  pour  moi  ,  uja  moment 
délicieux.  Que  de  réflexions  ne  peut-on 
pas  faire  fur  les  révolutions  qu'éprouve 
un  ouvrage  avant  qu'il  ait  été  reprefenté 
ck  jugé  !  Sur  f  incertitude  où  font  les  au- 
teurs qui  peuvent  le  plus  compter  fur 
leur  expérience! 

Racine  eit  mort  fans  avoir  joui  du 
fucecs  iïAthalie  :  qui  fait  s'il  ne  s'en1  pas 
repenti  d'avoir  tait  ion  chef-d'œuvre  ? 


<c» 


Bb  % 


388  £  s  s  a  î 

LES  EVENEMENS  IMPI^VUS, 

Comédie  en  trois  aéles ,  paroles  de  M.  d'Hélé; 
repréfentée  à  Verfailles  le  n  Novembre  1779  , 
&  à  Paris  le  13  du  même  mois. 

Cette  comédie  d'intrigue ,  eft   la  der- 
nière qui  foit  fortie  de  la  pïume  de  fau- 
teur du  Jugement  de  Midas,  &  de  VA- 
mant  Jaloux.  J'ai  dû  regretter  plus  que 
perfonne  un  talent  auffi  précieux.  Si  la 
mort  n'eût  enlevé  à  la  fleur  de  l'âge  un 
des   hommes  de  ce  monde  qui  avoit  îe 
plus  de  jufterTe  dans  fes  idées,  &   qui 
éclairciflbit  ïe    mieux  celle  des    autres  * 
plufieurs  ouvrages  fans    doute ,    auraient 
fuivi  de  près  ceux  que  j'ai  cités. 

D'Hele  avoit  pafle  fa  jeuneffe  au  fer- 
vice  de  la  marine  angîoife ,  où  vraifem- 
bïablement  les  excès  des  liqueurs  fortes , 
&  fur-tout  un  accident  dont-il  m'a  rendu 
compte  ,  avoient  affaibli  fa  poitrine.  Etant 
à  bord  ,   s'érant   enivré   de   punch  avec 


SUR     LA     MUSIQUE.         389 

quelques  officiers  ,  fon  altération  fut  (î 
grande  pendant  la  nuit,  qu'il  porta  à  fa 
bouche  une  bouteille  d'eau  forte ,  que  le 
roulis  du  vaifTeau  avoit  amenée  auprès  de 
lui.  H  vivoit  très-fobrement  à  Paris  ;  tous 
les  goûts,  toutes  les  paillons  fembloient 
s'être  anéanties  chez  lui  pour  ranimer  celle 
de  l'amour.  Une  femme  de  Paris  lui  diiïipa 
le  refte  de  fa  fortune  ,  c'eft  alors  qu'il 
s'occupa  du  théâtre  ,  ck  qu'il  fréquenta 
aiïidument  le  café  du  Caveau  au  Palais 
Royal.  D'Hde  parloit  peu ,  mais  toujours 
bien  ;  il  ne  fe  donnoit  pas  la  peine  de 
dire  ce  que  l'on  doit  fa  voir  ,  &  il  in- 
terrompoit  ks  bavards  ,  en  difant  d'un 
tonfec,  c'efl  imprimé.  Lorfqu'il  approu- 
voit  ,  c'étoit  d'un  léger  coup  de  têce  ; 
fi  on  l'impatientoit  par  des  bêtifes,  il 
croifoit  fes  jambes  en  les  ferrant  de  toutes 
fes  forces ,  il  humoit  du  tabac  qu'il  avoit 
toujours  dans  Ces  doigts  ,  &  regardoit 
ailleurs.    Le    jugement  qu'il  portoit  des 

Bb  3 


39°  Essai 

pièces  nouvelles  étoit  irrévocable  ,  & 
c'étoit  d'après  les  conjectures  qu'il  for- 
moit  fur  les  affaires  politiques  ,  que  les 
nouvelliiles  ouvroient  fouvent  des  paiis. 
Je  n'examinerai  pas  fi  après  avoir  par- 
couru le  cercle  immenfe  des  connoîffanccs 
humaines  ,  l'homme  qui  a  l'habitude  de 
réfléchir  Se  de  penfer  jufte  ,  peut  être 
heureux.  Je  croirois  allez  que  les  préjugés, 
les  folies  humaines,  les  prétentions  des 
fots  ,  affecterai  plus  défagréabîement 
l'homme  d'efprit ,  qu'il  ne  tire  de  con- 
lolation  de  fes  propres  lumières ,  car ,  11 
parmi  des  hommes  infatiables,  ambitieux, 
&  afpîrant  au  même  but,  la  poiTeriion 
des  uns,  doit  être  la  privation  des  autres, 
ïa  fomme  des  maux  furpaffe  celle  du  bien  , 
&  malheur  a  celui  dont  ï'efprit  fin  &  fub- 
til  fait  le  mieux  lire  au  fond  des  cœurs. 
Il  eh1  aifé  de  croire  que  d'Hele  exigeoit 
des  hommes  ,  la  précîfîon  d'efprit  qu'il 
avoit  lui-même  ,  &  qu'on  remarque  dans 


SUR      U      MUSIQUE.         3Q1 

Tes  pièces.  Il  n'inventoit  point  (1);  mais 
il  étoit  peu  de  chofe  qu'il  ne  pût  per- 
fectionner ,  ou  du  moins  en  donner  l'idée. 
Il  étoit  lent  dans  Tes  productions,  je  ne 
dirai  pas  qu'il  fût  parefîèux ,  on  ne  peut 
Y  être  en  réfle'c  raflant  toujours  ;  mais  il 
avoit  au  fond  du  cœur  ,  cette  voix  ter- 
rible &  confolante  cependant ,  qui  crie 
mille  fois ,  non ,  avant  de  dire  c'efl  bien» 
Beaucoup  de  gens  l'ont  cité,  &  le  citent 
encore  ,  comme  un  modèle  d'ingratitude  j 
mais  je  crois  qu'abforbé  dans  fes  idées  s 
il  n'oublioit  fes  bienfaiteurs,  que  parce 
qu'il  auroit  lui-même  oublié  fes  bienfaits. 
Forcé  de  fe  battre  avec  l'homme  qui 
î'infulte,  après  lui  avoir  prêté  de  l'argent 
qu'il  ne  peut  rendre,  d'Hele  lui  fait  fauter 
fon  épée ,  &  lui  dit  avec  tout  le  flegme 


(î)  Le  Jugement  de  Midas  eft  une  pièce  Angloife» 
que  M.  d'Hele  ,  a  fingulierement  perfectionnée.  Je  crois 
que  le  fond  de  fes  deux  autres  pièces ,  a  été  également 
puifé  dans  une  fource  étrangère, 

Bb  4, 


39 Ç  Essai 

angîois  :y?  y'é  n'étois  votre  débiteur  je  vous 
tuerais  ;  fi  nous  avions  des  témoins  je  vous 
blejfcroïs  ,•  nous  femmes  feuls ,  je  vous 
pardonne. 

Peu  de  tems  après ,  je  lui  envoyai 
une  fomme  d'argent  de  la  part  de  feu  Mon- 
feigneur  îe  duc  d'Orléans ,  chez  qui  j'a- 
vois  donné  le  Jugement  de  Midas  :  il  ne 
répondit  pas  à  mon  billet ,  il  dit  à  mon 
domeftique ,  c'eft  bon.  Après  l'avoir  ren- 
contré vingt  fois,  je  lui  dis  enfin,  vous 
avez  fans  doute  reçu. . . .  —  Oui ,  me 
dit-il ,  &  je  ne  fus  pas  étonné  qu'il  n'y 
ajoutât  pas  un  mot  de  remerciement. 

II  m'écrivit  ce  billet  à  fix  heures  du 
matin  ,  le  jour  de  la  première  repréfen- 
tation  de  V Amant  Jaloux  ,  a  Paris  :  // 
ne  niefl  pas  permis  d'aller  che^  vous; 
vene^  donc  che^  moi  tout  de  fuite ,  &  ap- 
porte^environ  dix  louis  ,  fins  quoi  je  vais 
-au  Fort  PEvêque,  au  lieu  d'aller  ce  foir 
aux  Italiens. 

Son  lit  étoit  entouré  d'huifîiers.  WHele 
s'étoit    laine    condamner    par    défaut,  à 


SUR       LA.      MUSIQUE.       393 

Finftançe  de  la  femme  qui  lui  avoit  dé- 
penle  le  refte  de  fa  fortune ,  &  qui  exigeoit 
encore  le  loyer  de  la  chambre  qu'elle  lui 
avoit  donnée  chez  elle.  C'étoit  avec  ïa 
même  confiance  &  la  même  tranquillité 
qu'un  jour  étant  chez  un  de  fes  amis ,  il  fe 
revêtit  d'une  nippe  dont  il  avoit  befoin 
&  fortit.  Son  ami  rentre,  &  en  s'habil- 
ïant  ne  trouve  pas  tout  ce  qu'il  lui  fal- 
loit  ;  M.  d'ïich  feul  étoit  entré  dans 
l'appartement ,  mais  on  n'ofoit  le  foup- 
çonner  ;  cependant  le  loir  au  Caveau  , 
ïe  monfieur  ,  en  pofant  la  main  fur  ïa 
cuirTe  de  d'Hélé,  lui  dit  :  ne  font-ce  pas 
là  mes  culottes  ?  Ouï,  dit-il ,  je  n'en  avois 
point. 

Je  fuis  loin  de  vouloir  jetter  un  ridi- 
cule fur  le  caractère  d'un  tel  homme.  II 
ne  pouvoit  rougir  de  {es  actions  ,  qui  dé- 
rivoient  des  principes  qu'il  s'étoit  formés 
&  dans  îefquels  il  e'toit  inébranlable. 

Je  l'ai  vu  Iong-tems  prefque  nud  ;  il 
n'infpiroit  pas  la  pitié  ,  fa  noble  conte- 
nance ,  fa  tranquillité'  fcmbîoit  dire  ,  y# 


394  Essai 

Jîi's  homme  ,  que  peut-il  me  manquer  ? 

Si  la  dernière  période  d'une  maladie 
îente ,  peu  douïouréufe  ,  mais  qui  ne  par- 
donnepoint  à  fes  victimes,  eut  été  reculée 
de  quinze  jours  feulement,  d'Hele  nous 
eût  laifle  un  ouvrage  de  plus ,  &  cet  ou- 
vrage lui  eût  procuré  Paifance  due  au  vrai 
talent  (£).I1  étoit  deftiné  pour  le  théâtre 
de  Trianon  ,  peut  être  avec  le  tems  nous 
auroit-il  été  permis  de  le  donner  au  pu- 
blic :  mais  nous  ne  deviens  d'abord  con- 
sulter que  les  talens  de  cette  ïHuftre  fociété, 
qui  avoit  fenti  le  défavantage  de  jouer 
&  de  chanter  des  rôles  non  proportion- 
nés aux  organesdes  acteurs,  (i)  D'Hele  fe 
traîna  chez  moi   quelques  jours  avant  fa 


(i)  Lorfqu'on  fait  un  rôle  pour  un  a&eur  ,  on  doit 
îe  proportionner  à  Tes  facultés  ;  le  double  a  donc  le  dt- 
fagrément  de  s'aproprier  ce  qui  eft  fait  pour  un  autre  ; 
il  ne  joue  d'ailleurs  qu'un  rôle  créé  ,  &  à  moins  que 
i'aâeur  en  premier  ne  fe  foit  trompe  ,  il  lui  eft  impofj 
fible   d'être  original. 


SUR      LA      MUSIQUE.        39$ 

mort  •  j'étois  au  lit  a  caufe  de  mon  cra- 
chement de  fan  g  ;  il  me  confola  ,  &  me 
dit  qu'il  fe  fentoit  mieux  de  jour  en  jour , 
qu'il  ne   tarderoit    pas    à    écrire  la   pièce 
deftinée  pour  Trianon  ,  qu'il  étoit  prefle 
de  la  finit  parce  qu^il  vouloit  aller  a  Ve- 
nife.  D'Helc   n'écrivoit  rien  ,  qu'il  n'eût 
dans  fa  tête  l'enfanble  de   fon    ouvrage. 
J'avois  remarque'  a  Tes  pièces  précédentes 
que  lorfqu'iï  me  àïïok  j'ai  fini  ;  il  ne  lui 
reftoit  aucun  doute  fur  les  (ituations  ,  ni 
fur  la  manière  de  les  amener.  Je  puis  donc 
être  fur  que  l'ouvrage   que   je  regrette  , 
étoit  absolument  terminé  ;  ôz  comme  âi- 
foit  le  grand  Racine  ,    il  ne  fallait  plus 
que  V écrire.  Quel  eft   le  genre  de  votre 
pièce,  lui  dis-je  ?  —  C'efî  un  fujet  por- 
tugais &  en  quatre  actes ,  me  dit-il ,  vous 
ferez   content.   Cependant  il   expira  peu 
de  jours  après ,  en  fon  géant  aux  (ituations 
de   fa   pièce  ,   bien   plus   qu'à    fa   propre 
fituation.  II  avoit  dans  fes  mains  le  livre 
des  portes  ;  il  alloit  rejoindre  l'objet  d'j 


3<)6  Essai 

{es  amours  ,  &  cherchant  à  éviter  ïes 
montagnes  trop  élevées  ,  il  iè  choifirTok 
une  route  ,  lorfquiï  prit  tranquillement 
celle  où  aboutit  l'humanité. 

Si  la  mufique  des  Evénemens  Imprévus, 
ne  reffemble  point  à  celle  de  Y  Amant 
Jaloux,  il  eft  bon  que  je  dife  quelles  fu- 
rent mes  réflexions  afin  d'éviter  les  ref- 
fembîances  qu'auroient  pu  faire  naître 
deux  comédies  d'intrigues  écrites  par  le 
même  auteur-,  &  données  de  fuite.  "L'A- 
mant Jaloux  eft  un  caractère  fombre  & 
fougueux  ;  il  n'y  a  rien  de  femblable 
dans  la  féconde  pièce.  La  fcène  de  VA-* 
mant  Jaloux ,  eft  en  Efpagne ,  les  carac- 
tères avoient  dû  prendre  une  teinte  ro- 
manefque  qu'infpirent  les  mœurs  ,  les 
amours  no&urnes  &  les  romans  de  cette 
nation.  Dans  les  Evénemens  Imprévus. , 
Philinte  eft  françois  ,  &  d'après  les  mœurs 
douces  &  honnêtes  de  feu  le  préfidentfon 
père  ,  les  mœurs  fi  l'on  veut  des  honnêtes 
magiftrats  du  marais,   où  l'on   conferve 


SUR    IA     MT7SIQUH."  39  J 

plus  que  dans  tout  autre  quartier  de  Paris 
les  anciens  ufages  ;  j'ai  cru  bien  faire  en 
donnant  au  premier  air  de  Philinte, 

Qu'il  efl  cruel  d'aimer  &c. 

une  nuance  de  l'ancien  chant  françois. 
J'ai  remarqué  ailleurs  combien  il  eu  effen- 
tîeî  qu'un  premier  morceau  que  chante 
l'a&eur ,  nous  peigne  fon  caractère  ,  parce 
que  les  premières  imprefïions  font  celles 
qui  reflent  pendant  toute  la  pièce  dans 
l'efprit  des  fpe&ateurs  ;  &  que  fartifte 
lui-même  ayant  une  fois  atteint  la  ref- 
femblance  d'un  perfonnage  ,  efl:  forcé  de 
la  conferver.  Les  compoliteurs  italiens  ne 
font  guère  attention  à  ce  que  je  dis  :  l'on 
voit  communément  des  finales  très-lon- 
gues, où,  fur  un  accompagnement  con- 
traint ,  la  jeune  fille  de  quinze  ans  ,  &  Je 
vieillard  de  quatre  -  vingt  chantent  de 
même  ;  l'unité  d'un  morceau  quelque  long 
qu'il  foit ,  efl:  bien  aifée  à  conferver  quand 
on   n'obferve  ni  le*  mœurs,  ni  la  vérité. 


35>8  Essai 

Les  chants  du  marquis  de  Verfac  , 
quoiqu'un  peu  François ,  font  plus  ma- 
niérés; parce  que  tel  elt  le  caractère  du 
petit  maître  &  de  l'homme  a  bonnes 
fortunes. 

L'air  :  Dans  le  fîecle  où  nous  fommes  &c. 

ne  me  coûta  que  le  tems  de  le  chanter, 
en  lifant  les  paroles  ;  mais  je  ne  l'en  ef- 
time  pas  moins, 

C'eft  dommage  en  vérité. 

effc  pafle  en  proverbe.  Pcurquoi  la  nature 
eft-elle  fi  avare  de  ces  traits  heureux ,  qui 
portent  l'empreinte  de  fa  faveur  ?  pour- 
quoi trouve-t-on  dans  un  inftant  ce  qu'un 
jour  de  réflexions  ne  donne  pas  ?  Pour- 
quoi fommes  nous  de  frêles  machines  f 
qui  ne  marchons  qu'aux  ordres  de  la  na- 
ture ,  dont  les  premiers  principes  font  fi 
loin  de  nos  foibles  conceptions  ? 


SUR     LA     MUSIQUE.  3^9 

LES  MŒURS  ANTIQUES,  OU 

LES  AMOURS  D'AUCASSIN  ET 

NICOLETTE. 

Drame  en  trois  acles ,  par  M.  Sedaine  ;  reprë- 
fentë  à  Verfailles  le  30  Décembre  1779,  &  à 
Paris  le  3  Janvier  1780. 

Le  titre  de  cette  pièce  indiquoit  au 
muficien  le  genre  qu'il  devoir  prendre; 
mais  en  adoptant  une  mufique  antique  ii 
falloit  plaire  aux  modernes  ;  car  Ton  ne 
fait  gré  à  l'artifte  d'avoir  été  vrai ,  qu'au- 
tant qu'il  amufe. 

Bien  des  gens  trouvent  dans  les  mœurs 
de  nos  ayeux  je  ne  fais  quoi  de  religieux  , 
qui  les  tranfporte  dans  ces  fiècïes  où  re- 
gnoient  franchement  les  préjugés,  les  vices 
&les  vertus.  Ceux-là  aiment  fin  sulière ment 
la  pièce  &  la  mufique  iïAucaJjin  Se  Ni- 
Colette}  d'autres  s'y  ennuyent ,  parce  qu'ils 
aont  pas  ces  fentimens  ;  ils  font  tout  k 


4oo  Essai 

eux  Se  à  leur  fiècle  :  ils  ignorent  que 
les  tendres  regrets  du  pafTé,  conflituent 
le  bonheur  préient,  prefqu'autant  que 
l'efpoird'un  doux  avenir.  L'ouverture  RAu- 
cajjïn  ,  doit  reculer  d'un  fiècle  fes  audi- 
teurs. Dans  le  courant  de  l'ouvrage  ,  je 
n'ai  pas  cherché  à  mettre  par-tout  les 
chants  antiques,  ou  les  vieilles  modula- 
tions que  nous  ont  tranfmis  l'ancien  opéra 
françois  Se  la  mufique  d'^eglife  ;  mais  j'ai 
mis  en  oppofition  ,  l'antique  avec  Je  mo- 
derne ,  ce  qui  donne  plus  de  faillant  à 
la  compoiition  générale  de  l'ouvrage; 
d'ailleurs  les  chants  anciens  dévoient  être 
pour  les  paroles  gothiques  qui  fe  trouvent 
répandues  dans  le  poëme ,  comme  ; 

Nicolette,  ma  douce  amie  &c. 

La  répétition  générale  que  l'on  fit  à 
Verfailles ,  &  a  laquelle  affifta  la  famille 
Royale  ,  fit  l'effet  d'une  parodie.  On  rioit 
aux  éclats  ,  dans  les  endroits  que  M. 
Scdaine  &  moi  avions  cru  les  plus  tou- 
chants. 


SUR      LA      MUSIQUE.        401 

chants.  La  repréfentation  du  foir  pro- 
duifit  à-peu-près  le  même  effet.  Après 
quelques  retranchemens  le  public  de  Pa- 
ris Te  fit  plus  aifément  illufion.  Ou  die 
communément  que  les  pièces  que  tombent 
à  la  cour  réunifient  à  Paris,  Je  ne  par- 
tage point  ce  préjugé;  je  crois  au  con- 
traire que  la  cour  doit  être  exempte  de  ca? 
baie,  dans  des  objets  fi  peu  importans  pour 
elle  ;  mais  que  les  pièces  éprouvent  une 
métamorphofe  après  leur  chute  ;  {bit  par 
les  changemens  qu'on  y  fait  ;  (bit  par  la 
perfection  du  jeu  des  acteurs  ,  que  le  moin- 
dre revers  intimide  devant  la  cour,.  & 
dans  une  falle  qui ,  par  .fon,  peu  d'étendue 
nuit  à  l'illufion. 

Quelque  fois  l'impatience  de  jouir  lui 
fait  piéconifer  l'homme  à  talens  dont- 
elle  attend  de  nouveaux  plaifirs  ;  mais 
malheur  à  lui  s'il  n'entretient  pas  Je  dé- 
lire qu'il  a  trop  tôt  excité.  Sa  chute  aufïï 
fubite  que  fon  iuccès ,  l'éveillera  comme 
au  milieu  d'un  rêve  délicieux ,  pour  lui 

Ce 


40  x  Essai 

montrer  le  néant  où  H  va  fe  replonger. 
C'eft  la  nation  entière  qui  donne  la  ré- 
putation ;  des  ennemis  puilTants  peuvent 
enlever  à  l'artifte  les  re'compenfes  qu'il 
mérite  ;  mais  la  plus  douce  confolation 
de  l'homme  qui  a  reçu  fon  talent  de  la 
nature  ,  efi  de  fentir  qu'elle  feule  en  eft 
difpenlatrice. 

Ce  fut  après  qu'on  eut  entendu  fou- 
vent  la  mufîque  tf~AucaJJin ,  que  les  mu- 
ficiens  qui  travaillent  pour  Je  théâtre  des 
Italiens  adoptèrent  des  chants  anciens 
dans  les  pièces  villageoifes  modernes.  Ce 
îi'eft  point  un  contre  Cens;  mais  pourquoi 
fie  pas  laifTer  à  chaque  chofe  fa  couleur  ? 
Pourquoi  épuifer  Ces  moyens  fans  nécef- 
fité  ?*Que  feroient-ils  s'ils  travailloient  fur 
un  poëme  dont  les  mœurs  fuffent  vrai- 
ment furannées? 

II  feroît  encore  a  délirer  que  fon  ne 
raffemblât  pas  comme  on  le  fait,  tous  les 
genres  de  mufîque  dans  un  même  ou- 
vrage. Les  effets  prodigieux  que  faifoir 


SUR      I.  A      MUSIQUE.         403 

ïa  mufîque  fur  les  anciens,  provenoient 
Tans  doute  de  la  différence  marquée  des 
modes,  des  tons,  des  modulations,  &  fur- 
tout  du  rithme  qu'on  employoic  fcrupu- 
ïeufement  pour  chaque  genre  (  /)  :mais 
aujourd'hui ,  le  luxe  règne  partout.  De 
même  que  l'on  rafTemble  les  productions 
des  quatres  parties  du  monde  pour  orner 
un  falon  ou  pour  donner  un  repas ,  la 
poèfie  a  forcé  la  mufîque  d'accumuler  tous 
les  genres  dans  une  même  composition. 
Et  foyons  juftes  ;  cette  variété  fuffit  a  peine 
pour  fixer  l'attention  d'un  auditoire  qui 
a  joui  de  tout,  jufqu'à  la  fatiété.  C'eit  ce- 
pendant lorfque  le  luxe  s'eft  introduit  outre 
mefure  dans  les  arts,  qu'ils  ont  befoin 
de  modération.  J'ai  parlé  ci-devant  d'une 
forte  de  régime ,  auquel  le  muficien  com- 
posteur doit  s'aftreindre  pour  ne  pas  fe 
dégoûter  de  fon  art  ,  qu'il  doit  aimer 
&  qu'il  doit  pratiquer  toujours  avec  un 
nouveau  pîaifir.  Ce  n'eft  pas  de  ce  ré- 
gime dont  il  eft  à  préfent  queftion,  c'eft 

Ce  2, 


404  Essai 

d'ufer  avec  fobriété  des  richelfes  des  inf- 
trumens  cV  des  efFers  d'harmonie  dont  nous 
abufons  :  c'eft.  peut-être  de  là  qu'eft  né 
cette  fatiété,  cette  difficulté  de  plaire  aux 
auditeurs  :  en  effet ,  dès  l'ouverture  d'un 
opéra ,  ôc  dans  prefque  tous  le  morceaux 
de  force,  on  emploie  timballes,  trompettes, 
cors  ,  hautbois  ,  clarinettes ,  flûtes  ,  pe- 
tites flûtes  ,  baffons ,  violes  ,  baffes  Se 
violons  ;  tout  enfin  a  été  employé ,  & 
dès  qu'une  occalion  favorable  demande 
elTentielîement  un  de  ces  infirumens, 
l'effet  qu'il  devroit  produire,  jiJeft  plus 
suffi  fenfibïe ,  à  beaucoup  près ,  que  s'il 
n'avoit  pas  été  entendu  •  mais  tel  eft  le 
préjugé.  L'on  diroit  qu'une  ouverture  eft 
maigre,  fî  on  n'y  employoit  la  plus  forte 
partie  des  inftrumens  qui  compofe  i'or- 
cheftre.  Cependant  j'aurai  le  courage, 
quelque  jour ,  d'ufer  du  régime  qui  me 
femble  rréceffaire  cY  qu'on  adoptera  fans 
doute ,  ïorfqu'on  en  aura  reconnu  les  bons 
effets.  Je  veux  dire  que,  i°.  les  timbales 


SUR      LA      MUJÏQDI,        405 

&  trompettes  ne  doivent  être  employées 
que  dans  les  fujets  he'roïques  ;  &  quel- 
ques fons  fuffiroient  dans  l'ouverture ,  afin 
de  ne  point  raffafier  tout  d'un  coup  les 
oreilles  des  fpeétateurs. 

2°.  Les  violons',  les  violes  Se  les  baiîès  r 
doivent  être  regardés  comme  l'accompa- 
gnement général  de  tout  ouvrage  en  mu- 
(ique  ;  &  fallût-il  laifler  en  repos  tous 
les  inftrumens  a  vent  pendant  une  aéte 
entier ,  je  n'en  ferois  entendre  aucun. 
Mais  dès  que  l'occafion  arrivera  où  ils 
feront  d'abfolue  néceflité ,  on  fentira  le 
fruit  de  ce  régime  r  ck  l'applaudifTemenr. 
de  la  faîle  confoïera  le  compofiteur  de 
{es  épargnes.  Alors  étant  arrivé  vers  la  fin 
du  drame  ;  fi  quelque  mouvement  violent 
dans  fon  action ,  indique  au  compofiteur 
qu'il  faut  tout  employer  pour  produire 
un  effet  terrible  ;  c'eft  alors  que  déployant 
toutes  les  facultés  de  fon  orcheftre  ,  il 
fera  trembler  fes  auditeurs  étonnés  d'urv 
effet  qu'ils  ne  connoiffoientpas  &  qu'ils  ne 

Ce  3 


40  6  Essai 

foupçonnoient  pas  être  dans  forchèftre,' 
Soyons  de  bonne  foi,  nos  tragédies  en 
mufîque  n'ont-elles  pas  produit  prefque 
tout  leur  effet  mufical  après  Je  premier 
a&e?  Et  fi  Pa£tion  du  drame  ne  nous 
attachoit  aux  a&es  fuivants,  peut-être 
le  dégoût  s'empareroit-il  des  auditeurs , 
au  point  qu'ils  ne  défireroient  plus  rien 
entendre. 


S  V  R     1A      MUSiqui,      407 

ANDROMAQUE, 

Tragédie  en  trois  a&es ,  en  vers  ;  repre'fentée 
par  l'Académie  Royale  de  Mufique  ,  le  fîx  Juin. 
1780. 

L'harmonie  peut  étendre  Ton  empire 
dans  le  tragique  ,  autant  que  la  mélodie 
trouvera  toujours  de  nouvelles,  reflburces 
dans  tous  les  autres  genres* 

Le  plus  habile  muflcien  après  avoir 
compofé  deux  ou  trois  tragédies  ,  fer* 
forcé ,  s'il  veut  varier  fes  chants  ,  d'aban- 
donner les  formes  larges  &  nobles  qui 
s'épuifent  rapidement ,  pour  avoir  recours 
à  la  nature  non  exagérée,  qui  eft  iné- 
p^ble  ,  parce  qu'elle  peut  s'emparer 
{ans  rifque  de  l'accent  vrai  des  pallions. 
L'on  voit  qu'il  ceflèra  d'être  tragique ,  s'il 
devient  naturel  ;  ou  qu'il  fe  re'pétera  fans 
cefTe ,  s'il  veut  fournir  une  longue  carrière* 
Comment  éviteroit-il  long  tems  l'un  ou 
l'autre  de  ces  écueils?  Dans  la  tragédie 

Cc4 


40 8  E  s  s  À  ï 

tous  les  perfonnages  doivent  être  nobles," 
jufqu'au  traître  qui  trahit  Ton  Roi.  La 
faufTeté  d'un  traître  pourroit  fournir  à 
l'artifte  des  réticences  variées;  mais  à  la 
longue ,  elles  deviendroient  ignobles  ,  & 
il  eft  forcé  de  leur  prêter  la  fermeté  tra- 
gique. La  fureur  n'a  qu'un  accent;  le 
défefpoir  qu'un  caractère  ;  l'amour  y  eft 
prefque toujours  malheureux;  la  jaloufie, 
fi  elle  ne  devient  fureur,  dégénère  en 
foibleiïe  ;  le  dépit ,  l'ironie  font  prefque 
jàes  taches  dans  un  fujet  noble ,  à  moins 
que  ces  mouvemens  de  famé  ne  pafTent 
rapidement.  La  tragédie  n'ayant  donc  que 
peu  d'accents  pour  chaque  pafîlon,  étant 
obligée  de  donner  encore  de  la  noblelTe 
aux  accents  acceiToires  qui  conduifent  à 
Ja  fureur  ck  ramènent  au  calme  ;  l'on  fent 
que  fa  déclamation  a  perdu  fes  droits  à 
îa  variété,  Se  que  le  muficien  eft  forcé 
de  reproduire  fouvent  les  mêmes  chants 
avec  une  harmonie  différente. 

Autant  la  vraie  nature  eft  vafte  ,  au- 


sur  là.  musique."  409 
tant  la  nature  faétice  embraiTe  un  cercle 
étroit.  II  n'exifte  point  de  Rois  qui  ref- 
femblent  a  ceux  de  la  tragédie  ;  fi  quel- 
ques uns  en  approchent  ,  ils  font  plus 
faftueux  que  nobles  ,  plus  factices  que 
naturels. 

On  dit ,  je  le  fais ,  qu'un  poète  de 
vingt  ans  peut  faire  une  bonne  tragédie  : 
mais  qu'il  faut  connoître  le  monde,  qu'il 
faut  avoir  quarante  ans  pour  produire  une 
bonne  comédie.  C'eft  donc  le  contraire 
en  mufique  -,  car  je  crois  que  fàge  mur 
du  muficien  ,  eft  celui  qui  convient  à  la 
tragédie.  Si  la  fraîcheur,  les  chants  nom- 
breux ,  les  nuances  fines  font  épuifées 
à  cet  âge  ,  peu  importe  ,  il  en  a  peu  de 
befoin.  S'il  a  dans  fa  jeunefTe  fait  de  bonnes 
études  ,  les  refTources  de  l'harmonie  lui 
reftent ,  &  il  peut  encore  exceller  dans 
le  genre  tragique.  L'artifte  refTemble  alors 
à  la  fleur  de  l'automne ,  qui  plus  noble 
que  celle  du  printems  n'exhale  aucun  par- 
fum. 


4io  Essai 

Les  Allemands  dès  leur  tendre  jeu- 
nefïè  étudient  favament  l'harmonie.  Les 
douze  gammes  que  renferme  l'octave  aro- 
matique ,  leur  font  préfente'es  fous  toutes 
îes  faces  ;  c'eft-à-dire  ,  qu'en  tenant  un 
accord  fous  {es  doigts  ,  l'Allemand  voit 
d'un  coup  d'œiï  à  combien  d'accords  il 
conduit.  Leurs  marches  en  font  fouvent 
dures;  mais  ils  s'y  accoutument,  &  cef- 
fent  Jw  les  trouver  telles.  L'italien  au  con- 
traire femble  craindre  de  s'initier  dans 
ïe  fecret  des  accords  ;  la  fenfibilité  lui 
donne  fes  chants,  ck  il  craint  de  les 
perdre  dans  le  Iabirinthe  harmonique. 
II  veut  que  fexpreflion  aille  chercher 
l'accord  difïbnant ,  &  l'Allemand  la  trouva 
au  contraire  dans  l'accord  même. 

Il  eft  aifé  de  voir  pourquoi  le  Cheva- 
lier Gluck  fera  long  tems  le  modèle  de 
la  tragédie  lyrique.  Pour  bien  faire ,  il  fau- 
dra l'imiter ,  &  jamais  imitateur  ne  fut 
cité  pour  lui-même. 

Lorfque  les  auteurs  des  paroles  d'Or- 


SUR      IA      MUSIQUE.         41  T 

phée  &  d'AIcefte  ,  conçurent  en  Alle- 
magne ïe  projet  de  donner  un  grand  mou- 
vement à  îa  tragédie  lyrique  ;  Iorfqu'après 
eux  îe  bailli  du  Raulet  renferma  dans  trois 
petits  actes  une  action  dont  les  dévelope- 
mens  en  avoient  exigé  cinq  au  divin 
Racine  ;  ces  auteurs  anéantirent  d'avance 
les  longueurs  dont  la  tragédie  lyrique 
étoit  furchargée.  Les  fcènes  en  récitatifs 
(impies ,  devenoîentdes  récitatifs  obligés; 
Les  chœurs  toujours  en  action  au  lieu 
d'être  immobiles,  devenoient  partie  conf- 
titutive  du  drame  :  les  divertifTemens  eux- 
mêmes  ,  tenoient  à  la  chofe  ,  &  ne  pou- 
voient  plus  fe  prolonger  a  volonté. 

II  eft  jufte  de  croire  que  ces  poètes, 
font  véritablement  les  reftaurateurs  du 
drame  lyrico  -  tragique.  Mais  après  avoir 
vu  de  quelle  manière  Gluck  s'eft  emparé 
de  leurs  poëmes ,  en  voyant  avec  quel 
courage  ,  il  franchit  rapidement  les  ac- 
ceflbires  de  faction  ,  pour  fe  dêveloper 
tout  entier ,  lorfqu'elle  eft  parvenue  a  fon 


4 r  ^  Essai 

dernier  période  ;  on  eft  tenté  de  croire 
qu'il  a  lui-même  fuggéré  le  plan  dont  il 
s'eft  rendu  maître.  Oui,  l'on  eft  poëte 
ôc  muficien  en  opérant  comme  Gluck  ; 
de  même  qu'on  s'aproprie  une  idée  lors- 
qu'on l'embellit. 

II  eft  évident  que  îa  mufique  a  fait 
un  bel  emploi  de  fes  forces  en  s'aftujet- 
tiftànt  à  l'action  d'un  drame  vigoureux 
&  prefle  ;  n'a-t-elle  pas  aufïî  fait  des 
facrifices  que  les  amateurs  de  la  mélodie 
ont  droit  de  regretter?  Sans  doute.  Com- 
ment déveloper  un  motif  heureux ,  fi 
toujours  le  muficien  eft  commandé  Se 
prefte  par  l'action?  Comment  déveloper 
un  bel  organe  par  des  traits  mélodieux 
ou  brillants ,  fi  la  vérité  crie  de  ne  point 
s'arrêter  ?  Voilà  pourquoi  des  hommes 
injuftes  en  apparence  ,  on  dit  que  Gluck 
avoit  reculé  les  progrès  de  l'art.  Soyons 
plus  juftes  ;  il  a  créé  un  nouveau  genre  'r 
fon  harmonie  a  ofé  tout  peindre ,  &  les 
accents  de  fa  déclamation  ont  exprimé 
les  parlions. 


SUli     14    MUSIQUK.  4I3 

Cette  déclamation  muficale  n'eft  pas 
toujours ,  il  eft  vrai ,  le  chant  par  excel- 
lence ;  elle  n'eft  que  le  premier  coup  de 
crayon  de  Raphaël ,  fur  lequel  il  nuan- 
cera mille  couleurs  diverfes  ,  qui  fubju- 
gueront  alors  Pâme  &  la  raifon. 

La  mufique  peut  parler  en  profe  comme 
en  vers.  Si  le  chant  pris  féparément  avec 
fa  note  de  bafTe ,  ne  vous  fait  pas-  le  plaifir 
délectable  qu'on  éprouve  en  chantant  un 
bel  air  de  Sacchini ,  ou  en  lifant  les  vers 
de  Racine ,  de  M.  l'abbé  de  Lille ,  de  M. 
Lebrun  ,  croyez  alors  que  le  chant  n'eft 
qu'un  produit  harmonique  •  c'eft  de  la 
profe  ,  &  non  pas  un  élan  de  famé  , 
toujours  accompagné  des  charmes  delà 
poëfie. 

Je  hafarderai  ici  quelques  idées  fur 
un  nouveau  moyen  de  compofer  la  mu- 
fique dramatique. 

Ne  pourroit-on  pas  donner  à  la  mu- 
fique îa    liberté  de  marcher    d'un   plein 


414  Essai. 

eiïbr  ;  de  faire  des  tableaux  achevés  ou, 
jouifiant  de  tous  Ces  avantages ,  elle  ne 
fèroit  plus  contrainte  de  fuivre  la  poëfie 
dans  Tes  nuances  diverfes  ôc  jufques  dans 
les  moindres  détails  des  fyllahes  longues 
ou  brèves?  Quel  amateur  de  mufique  n'a 
été  faifi  d'admiration ,  en  écoutant  les 
belles  fymphonies  ftHaidn?  cent  fois 
je  leur  ai  prêté  les  paroles  qu'elles  fenv 
blent  demander.  Eh  ]  pourquoi  ne  pas  les 
leur  donner  ?  pourquoi  faut  -  il  que  le 
muficien  toujours  captif,  ne  fe  voye  pas 
une  fois  libre  dans  fa  création  ,  &  ne 
recevroit-il  pas  enfuite  les  paroles  qui 
exprimeront  fes  accens?  peut-on  décider 
lequel  des  deux  arts  ,  de  la  poëfie  ou  de 
îa  mufique  ,  peut  fe  prêter  plus  aifément 
à  cette  fervitude  ?  enfin  pourquoi  ne 
mettroit-on  pas  la  mufique  en  paroles , 
comme  l'on  met  depuis  long  tems  les 
paroles  en  mufique  ?  la  prodigieufe  fa- 
cilité de  M.  Marmontd  dans  ce  travail , 
rn'afîure  du  fuccès.  Pénétré  de  mes  ac- 


SUR    £A    MUSIQUE.          415 

cents  ,  que  je  lui  répétois  ,  il  ne  fe  con- 
tenrok    pas    de  rendre   ma  mufique ,   il 

PembciiiiToît , 

L'air y  toi  Zémire  $ue  j'adore,  &o 

en  eft  la  preuve  :  cet  air  eft  de  la  par- 
tition ancienne  des  Mariages  Samnitcs , 
&  les  paroles  de  M.  Marmontcl ,  ren- 
dent mieux  la  mufique  qne  les  vers  ori- 
ginaux fur  lefquels  la  mufique  avoit 
d'abord  été  faite. 

La  mufique  dramatique  tronquée  ,  ha- 
chée, fans  retour  de  phrafes,  fans  pé- 
riodes arrondies ,  fans  da  capo ,  fans  ri- 
tournelles ,  abandonnant  prefque  toutes 
les  formes  qui  constituent  la  mélodie, 
ne  réclame-t-elle  pas  contre  la  fervitude 
qu'elle  voue  à  la  poëfie  ?  Les  fociétés 
d'amateurs  ,  les  concertans  privés  des 
cinq  fixième  d'un  opéra,  n'ont-ils  pas  quel- 
ques droits  de  fe  plaindre  ?  Ce  que  je  vais 
piopofer ,  promet  encore  une  révolution 
dramatique,  dont  toute  la  gloire  rejaillira 


416  Essai 

fur  la  poëfie.  Elle  peut  enrichir  ïa  icène 
en  lui  donnant  tous  les  habiles  compo- 
fîteurs  fimphoniftes  ,  Allemands  Fran- 
çois ,  qui  égalent  en  mérite ,  &  qui  fur- 
pafTent  peut-être  aujourd'hui  les  com- 
pofiteurs  dramatiques  ,  &  qui  fans  fon 
fecours  n'obtiendront  jamais  qu'une  gloire 
peu  foïide.  Ne  croyons  pas  que  le  mu- 
ficîen  qui  a  palTé  la  moitié  de  fa  vie 
à  faire  des  fimphonies  ,  puifle  changer 
de  fyftême  ,  &  s'afîujettir  aux  paroles; 
l'on  ne  peut  devenir  efclave  après  avoir 
été  libre  ;  le  contraire  eft  plus  facile.  Ils 
feront  des  tableaux  magnifiques  lorfqu'ils 
ne  compoferont  pas  fur  des  paroles  ;  fi 
vous  leur  en  donnez,  ils  feront  ce  que 
les  peintres   appellent  des  croûtes. 

PROCÉDÉS  DU  POETE. 

Le  Poète  après  avoir  conçu  fon  plan  > 
ne  doit  verfifier  que  les  endroits  qui  lui 
paroîtront  de  pure  déclamation,  &  de- 
vant 


sue   la   MusiquE.        41/ 
vant  fervir  au  récitatif,  dès  qu'il  fenrira 
ïà  verve  s'animer  &  demander  du  chant 
mefuré  ,  il   faut    qu'il   écrive    en   profe. 
Si  c'eft  un  père  ,  par  exemple  ,  qui  exige 
de  fa  fille  le  facrifice  de  fon  amour  ,  il 
écrira  :  «  Fille  cruelle  !  tu  veux  donc  ma 
»  mort?   Quoi  !  l'ami   le  plus  tendre, 
»  qui   fauva   les  jours  de   ton  père  ;  a> 
i?  qui  je   promis  ton  cœur,  comme  la 
x>  feule  récompenfe  qui  puifîe  égaler  le 
»  bienfait  ;  tu  le  refufes  ,  tu  refufes  de 
»  m'obéir  !  Fille  cruelle ,  tu  veux  donc 
»   ma  mort? 

Les  duos,  les  trios,  les  quatuors,  les 
chœurs  doivent  être  écrits  de  même.  En- 
voyez ce  canevas  à  Haidn  ;  fa  verve  s'é- 
chauffera fur  chaque  morceau  ;  il  n'ea 
fuivra  que  le  fentiment  général ,  &  fera 
libre  dans  fa  cornpofition ,  pourvu  qu'il 
ne  forte  pas  du  genre,  &  prévoye  à  quel- 
ques égards ,  le  diapafon  de  la  voix  à 
laquelle  le  morceau  eft  deftiné.  Qu'il  fe 
garde  bien  de  croire  que  les  paroles  fe- 

Dd 


4iS  Essai 

ront  parler  un  morceau ,  que  fans  elles , 
il  rejetteroit  comme  médiocre  ;  non  :  il 
faut  que  chaque  morceau  de  fimphonie 
foit  tel  ,  qu'il  n'y  defire  plus  rien  pour 
l'effet,  Y  uni  té  ,  la  fraîcheur  &  la  nou- 
veauté des  idées.  Le  frein  dont  on  le 
dégage ,  lui  impofe  la  loi  de  bien  faire  : 
on  ne  le  rend  libre,  on  ne  brife  fes  fers, 
que  pour  avoir  un  réfultat  fupérieur  à 
celui  du  compofîteur  qui  travaille  fur  les 
paroles,  &  qui  a  mille  difficultés  à  vaincre. 

PROCÉDÉS  DU  MUSICIEN. 

Le  Muficien  ayant  fait  fà  partition , 
&  ayant  laiflé  les  lignes  en  blanc  pour 
recevoir  la  partie  ou  les  parties  du  chant, 
fera  exécuter  fon  ouvrage  a  grand  or- 
cheftre  ;  les  morceaux  qui  n'obtiendront 
pas  PapplaudifTement ,  feront  refaits.  En- 
core une  fois  il  ne  lui  doit  pas  être  per- 
mis de  faire  rien  de  médiocre.  L'on  fera 
alors  une  féconde  répétition  de  fon  ou- 


SUR      IA      'M  "U  S  I  q  u  E,'        '419 

vrage  ;  le  Poëte  lira  le  fens  des  paroleis 
après  chaque  morceau  ,  &  fouvent  les 
fpe&ateurs  doivent  fe  dire  je  Pavois  de- 
viné \  ou  je  Pavois  fenti. 

Procédés  du  Poëte  avec  le  Muficien. 

J'aimerois  qu'une  ou  deux  perfonnes 
choifies ,  fulTent  auprès  du  Poëte  &  du 
Muficien  Iorfqu'ils  travailleront  à  faire  les 
vers  que  doit  recevoir  ïa  mufique.  Sou- 
vent l'on  s'obftine  a  vouloir  trouver  mieux 
que  ce  qui  eft  bien  ;  un  homme  de  goût 
décide  en  ce  cas,  &  empêche  ïa  chaleur 
de  fe  ralentir.  D'ailleurs  le  Muficien  pré- 
venu fur  fes  tableaux  ,  leur  ayant  déjà 
fuppofe'  des  paroles  ;  indécis  fur  celles  que 
lui  préfente  le  Poète,  fe  rend  à  l'avis  d'un 
tiers  qui  applanit  tout,  &  rait  avancer  le 
travail.  Le  Muficien  fe  gardera  bien  d'exi- 
ger que  chaque  note  porte  une  fyllabe  ; 
il  ne  doit  conferver  en  entier ,  que  les* 
traits  de  chant  heureux  :  du  refte ,  tou- 

Ddx 


4*-©  Ë  s  s  A  r 

tes  les  parties  qui  compofent  fa  partitiorf 
instrumentale,  ferviront  tour  à  tour,  pour 
former  fon  chant.  Si  le  Poëte  trouve  un 
vers  heureux,  c'eft  au  Muficien  de  l'em- 
ployer avec  quelques  facrifices  pour  ïa 
mélodie  De  telle  manière  qu'il  travaille,  & 
qu'il  fafTe  au  Poëte  plus  ou  moins  de  fa- 
crifices ,  je  le  défie  de  rendre  fa  mu- 
fique  mauvaife,  puifque  d'avance  elle  eft 
excellente  &  qu'il  ne  doit  point  déran- 
ger l'cnfemble  de  la  partition  :  il  peut 
même  defïiner  fon  chant  avant  de  tra- 
vailler avec  le  Poëte ,  pourvu  qu'il  foit 
fimple  ck  d'une  belle  mélodie,  la  poë- 
lie  trouvera  mille  refîburces  pour  expri- 
mer fes  accens. 

Alors  chaque  morceau  de  mufique  aura 
une  couleur  différente  ;  ils  auront  une 
unité  parfaite,  &  ferviront  tous  dans  les 
concerts. 

Les  morceaux  mutilés  de  notre  mufi- 
que  dramatique  font  tels,  parce  que  le  Poëte 
n'ayant  rien  deftiné  particulièrement  au 


SUR      tA      MUSIQUE.       41Ï 

chant  niefuré,  le  Mufîcien  faifit  deux  ou 
trois  vers  qui  lui  conviennent  :  mais  bien- 
tôt il  eft  arrêté  &  forcé  de  recourir  au 
récit ,  parceque  îe  fens  des  paroles  l'exige. 
Que  l'on  ne  croye  pas  que  cette  manière 
foit  l'unique  ;  ni  même  la  meilleure  :  elle 
eft ,  il  eft  vrai ,  exempte  de  lenteur;  mais 
combien  de  fois  ne  voudroit-on  pas  en- 
tendre la  fuite  d'un  air  interrompu ,  û  îe 
chant  en  eft  heureux  ? 

Je  ne  parle  pas  de  la  peine  qu^àura 
le  Poëte  en  faifant  les  paroles  fur  fa  mu- 
iique;  il  en  aura  fans  doute:  mais  à  ne 
confiderer  que  l'art  poétique  en  lui  même,, 
que  perdront  nous  dans  le  ftile?  quelques, 
airs  ou  duos  ,  qui  feront  peut-être  écrits 
avec  moins  d'élégance:  mais  quant  aux 
trios,  quatuors,  chœurs  &c.  Que  font  le 
plus  fôuvent  les  paroles  de  tels  morceaux? 
des  mots  enfilés ,  qui  ne  valent  pas  la 
peine  qu'ils  donnent  au  muficien.  Laiftez 
lui  donc  former  fon  tableau,  d'après  fe 
fituation  ;  des  paroles  fi  communes  vien- 

Dd  3 


4^^  Essai 

dront  aifément  fe  ranger  fous  fa  mufique. 

Un  tel  travail ,  ne  dût-il  pas  réufîir  , 
doit  être  enayé,  mais  il  réufïira  ,  &  au 
delà  de  ce  qu'on  imagine.  Je  n'en  ferai 
pas  l'efFaî ,  &  je  ne  ]e  confeille  a  aucun 
compoliteur  de  mufique  vocale  :  s'ils  font 
d'auffi  bonne  foi  que  moi,  ils  diront  qu'une 
fimphonie  leur  coûte  fouvent  plus  de  peine 
que  la  fcène  la  plus  difficile  :  j'indique  aux 
compofiteurs  de  mufique  infiniment  ait 
le  moyen  de  nous  égaler  Se  de  nous 
furpaffer  peut-être  dans  l'art  dramatique. 

Aucun  ouvrage  ne  m'a  coûté  moins 
de  peine  que  la  mufique  d'Andromaque: 
trente  jours  ont  fuffi  pour  faire  &  écrire 
îa  partition.  Il  eft  vrai  que,  contre  mon 
habitude,  je  compofois  le  foir,  Ôc  j'écri- 
vois  le  lendemain  matin.  L'auteur  àes  pa- 
roles 2  M.  Para  ,  ne  me  quitta  pas  un  ïnf- 
tant  (i).  Toujours  entraîné  par  la  beauté 


(ï)  Qu'on  ne  croye  pas  que  M.  Pitra  ait  eu  la  moindre 
prétention  en  faifant  ce  poème, il  nç  touchoit  aux  vers 


SUR     1  A      MUSIQUE.        413 

6c  ïa  rapidité  de  Pa&ion  ,  cet  ouvrage 
fut  fait  d'un  feul  jet  ;  il  pèche  peut-être 
par  trop  de  chaleur,  même  en  mufique, 
&  je  confeille  à  ceux  qui  la  feront  exé- 
cuter de  n'en  pas^prefler  les  mouve- 
ments. 

G'eft,  je  crois ,  ïa  première  fois  qu'on 
a  eu  Vidée  d'adopter  les  mêmes  inftru- 
ments  pour  accompagner  par-tout  le  ré- 
citatif d'un  rôle  qu'on  veut  diftinguer. 
Lorfque  Andromaque  récite ,  elle  eft 
prefque  toujours  accompagnée  de  trois 
flûtes  traverfières  qui  forment  harmonie. 

Plus  j'eus  de  facilité  à  traiter  ce  genre , 
plus  je  me  perfuadai  ,  qu'il  n'y  avoit 
qu'une  manière  de  le  faire.  J'en  fus  con* 


du  divin  Racine,  qu'avec  refpect  &  parce  que  la  mufîquc 
cxigeoit  des  coupures.  L'envie  qu'il  avoit  de  me  voir 
clfayer  mes  forces  fur  un  fujet  tragique  lui  fit  entre- 
prendre cet  ouvrage  qu'il  m'apporta  comme  un  canevas 
à  être  exécuté  par  un  Poète  Mais  n'en  connoiflant  au- 
cun qui  dut  Ce  charger  d'une  C\  terrible  tache,  il  fut 
forcé  par  moi  d'en  courrir  les  rifm.es. 


4^4  Essai 

vaincu ,  ïorfqu'après  avoir  travaillé  fur  un 
très-bon  poëme  intitulé Éle3rc,  que  je  n'ai 
pas  encore  offert  a  l'Opéra ,  quoique  l'ou- 
vrage (bit  achevé ,  je  fentis  que  l'harmo* 
nie  feule  pouvoit  donner  des  couleurs 
différentes  ,  aux  mêmes  accents  tra- 
giques. 

Ce  travail  ne  peut  contenter  .que  îe 
Muficien  qui  n'a  pas  reçu  de  la  natare 
dts  chants  aiTez  variés  pour  fe  prêter  à 
tous  ïes  tons  de  la  déclamation. 

La  tragédie  cfAndromaque  eut,  à  deux 
reprifes  ,  environ  vingt-cinq  repréfenta* 
tions  qui  furent  interrompues  par  l'incen- 
die de  la  falle  du  palais  Royal.  Mlle  Le- 
yancur  joua  ls  rôîe  d'Àndromaque  avec  dif- 
tinâion:  Mlle  La  guerre  dont  l'organe  ra- 
vivant retentit  encore  dans  nos  cœurs  le 
chanta  en  double  &  fembloit  avoir  em- 
prunté les  accents  même  de  la  veuve 
d'Hector.  Mo  Lainez  y  joua  le  rôle  de 
Pirrhus  en  double  3  en  montrant  aux  fpec- 
tateurs  qu'il  devoit  un  jour  crier  les  plus 


SUR    LA    MUSIQUE.  AZÎ 

grands  rôles.  M.  Larivéc  a&eur  inimi* 
table  pour  la  netteté  de  fa  prononcia- 
tion ,  &  qui ,  pendant  fa  longue  carrière 
au  théâtre, n'a  peut-être  pas  dérobé  une 
fyllabe  aux  fpe&ateurs,  fe  montra  auffi  no- 
ble que  dans  (es  plus  beaux  rôles,  en 
rempliflant  celui  d'Orefie. 


42.6  Essai 

COLINETTE    A    LA    COUR. 

Comédie  en  trois  acles  en  vers  ,  par  M.  de 
S¥¥¥ ,  repréfentée  par  l'Académie  Royale  de  mu- 
sique ,  le  premier  Janvier  1781. 

L'EMBARRAS    DES    RICHESSES. 

Comédie  en  trois  acles  en  vers  ,  par  M.  de 
S¥¥* ,  le  a  6  Novembre  1782. 

LA    CARAVANE. 

Comédie  en  trois  a&es  en  vers ,  par  M.  Morel 
de  Chedeville ,  le  30  Odobre  1783. 

L'Opéra  de  Paris  eft  en  tout  fens,  le 
pays  des  illufions;  la  moindre  innovation 
y  eft  un  crime  pour  fes  habicue's.  Il 
fallut  combattre  longtemps  pour  que  Ra- 
meau remplaçât  Lulli ,  &  de  nos  jours ,  il 
a  fallu  dans  cent  écrits,  avertir  les  Fran- 
çais que  l'on  chantoit  en  mefure  dans 
toutes  les  cours  de  l'Europe,  &  que  îa 


fcUR      LÀ      MUSIQUI,1      4I7 

pfalmodie  dont  ils  étoient  idolâtres ,  étoic 
reléguée  dans  les  couvents. 

Quel  courage  ne  faut-il  pas  pour  com- 
battre des  iïïufions  qui  conftituent  ïe 
bonheur  d'un  grand  nombre  de  fpe&a- 
teurs  ?  Ecoutez  le  bon  vieillard  qui  après 
vous  avoir  chante  péfament  quelqu'air  a 
peu  près  dans  ce  genre. 

lentement 


^■irgf'Mj^^ 


HSHiSlii 


sïiïîiiiyii? 


m 


Vous  dit  :  avouez ,  M.  que  cet  air  efl: 
plein  de  grâce.  Ah  !  Si  vous  aviez  vu 
Mlle***  danfant  cet  air  charmant!... 
Quel  charme  dans  tous  fes  pas  !  Non  : 
vous  ne  re verrez  plus  ce  tems  la  !  Ceû 
en   efluyant  fes  yeux ,  qu'il  fe  rappelle 


42-8  Essai 

celui  de  fà  jeunefTe  &  de  fes  amours. 
Dans  ce  cas  ïa  fenfation  qui  nous  rap- 
pelle un  objet  aimé  devient  en  quelque 
forte  le  pïaifir  même ,  quoiqu'il  n'en  foit 
que  la  réminifcence  :  les  pîus  douces 
fenfations  ne  font  jamais  que  des  fou- 
venirs.  La  première  fois  que  l'on  fent, 
c'eft  peu  de  chofe  ;  mais  dans  les  beaux 
arts  fur-tout,  le  pïaifir  fe  multiplie  autant 
que  la  même  fenfation  fe  renouvelle, 
parcequ'elle  entraîne  avec  elle  les  accef 
foires  agréables ,  qui  chaque  fois  font 
accompagnée.  Pour  prouver  la  nullité  de 
l'expreffion  en  mufique  ,  n'a  - 1  -  on  pas 
ofé  dire  que  l'air  avec  lequel  nous  avons 
été  bercé ,  tel  qu'il  puirTe  être ,  nous  fait 
éprouver  des  fenfations  délicieufes?  Mais 
l'air  en  pareil  cas  n'eft  point  un  agent 
exclufif;  car  un  meuble,  un  objet  quel- 
conque femblable  a  celui  de  notre  nour- 
rice ,  doivent  aufli  nous  rappeller  ïe  tems 
précieux  de  notre  innocence. 

Lorfque  je  portai  la  comédie  lyrique 


SUR    LA    MUSIQUE.  ifclj 

fur  la  fcène  de  ï'Opéra ,  je  fus  aufîi  regar- 
dé comme  un  novateur  répréhenfible  (i). 
Cependant  je  voyois  le  public  fatigué 
de  la  tragédie  qui  ne  quittoit  pas  la 
fcène.  J'entendois  îes  nombreux  partifans 
de  la  danfe  murmurer  en  la  voyant  ré- 
duite à  jouer  un  rôle  accefToir  &  fou- 
vent  inutile  dans  la  tragédie  (2).  Je  voyois 
Padminiftration ,  cherchant  ïa  variété , 
reprendre  fans  fuccès  ,  des  fragmens  ,  ou 
des  paftoraïes  anciennes  ;  je  difois  par- 
tout que  deux  genres  toujours  en  oppo- 
fition  ,  fe  prêtoient  des  charmes  mutuels  ; 
que  les  comédiens  Français  don  noient 
alternativement  la  tragédie  &  la  comédie, 
Se  que  fi  on  les  obligeoit  à  renoncer  à  un 


(1)  Le  Seigneur  Bienfaifant  avoit  paru  avec  fuccès 
avant  les  ouvrages  dont  je  parle;  mais  je  demande  fi  la 
partie  vocale  y  étoit  traitée  par  le  Mufîcien  d'une  ma^ 
nière  à  faire  époque  ? 

(i)  La  danfe  de  l'Opéra  mérite  à  tous  égards  (es  nom- 
breux partifans  par  la  perfe&ion  où  elle  eft  portée. 


430  Essai 

des  deux  genres ,  ils  ne  fauroient  fe  dé* 
cider.  Enfin  ces  trois  ouvrages  ,  &  fur- 
tout  la  Caravane,  donne's  en  très-peu  de 
tems  ,  fixèrent  l'opinion  publique  fur  îa 
nécefTité  d'établir  la.  comédie  lyrique  à 
ce  fpe&acle. 


SUR     £<*-     MUSIQUE.         431 

L'ÉPREUVE    VILLAGEOISE. 

Comédie  en  deux  a&es  en  vers,  par  M  Des- 
forges ,  repréTente'e  aus  Italiens  le  24  Juin  1784, 

Ce  petit  ouvrage  doit  fon  exiftence  k 
la  chute  complette  d'un  plus  grand  ou- 
vrage intitulé,  Théodore  &  Paulin  en  trois 
a£tes ,  &  à  double  intrigue  :  favois  remar- 
qué à  la  première  &  dernière  repréfenta- 
tion  de  cette  pièce  que  l'ennui  &  le 
plaifîr  fe  peignoient  alternativement  fur 
îa  phifionomie  des  fpe&ateurs  :  l'ennui 
étoit  toujours  caufé  par  ïes  acteurs  nobles , 
&  les  payfans  ramenoient  chaque  fois 
îa  gaieté.  Je  partageai  tellement  les  fen- 
timens  du  public  ,  que  ,  malgré  ïes 
follicitations  des  comédiens ,  je  refufai 
une  féconde  repréfentation  qui  auroit  pro- 
duit le  même  effet.  Je  propofai  à  l'au- 
teur des  paroles  un  plan  qui  excïuoit  les 
perfonnages   nobles:  il  l'adopta,  &  fit 


43 a'  £  s  s  à  î 

de  Théodore  &  Paulin  une  pièce  en 
deux  a&es ,  fous  le  titre  de  l'Épreuve  Viï- 
lageoifè.  La  fugue  qui  termine  le  premier 
acte , 

Il  a  déchiré  mon  billet ,  &c. 

fera  fans  doute  un  obftacle  à  ce  que  ce  petit 
ouvrage  foit  joué  dans  les  fociéte's  ,  où  il 
devroit  être  fingulièrement  adopté  î  J'ai 
placé  une  fugue  dans  cette  pièce  pour 
encourager  un  élevé  qui  ennuyé  de  faire 
des  fugues  ,  me  difoit  qu'il  ne  regretteroit 
pas  fa  peine,  fi  elle  pouvoit  fervir  à  quelque 
chofes  ;  la  fugue,  luidis-je  ,  vous  apprendra 
à  écrire  correctement.  La  nature  donne 
ïa  mélodie ,  il  eit  vrai  ,,  mais  la  fugue  eft 
îa  réthorique  qui  apprend  au  Muficicn 
à  faire  &  à  lier  les  phrafes  harmoniques, 
j'employai  donc  alors  pour  îa  finale  qui 
m'occupoit  une  fugue  que  j'avois  faite  an- 
ciennement. Cependant  je  confeille  rare- 
ment l'emploi  de  cette  compofition  ,  dont 
le  parterre  ne  fait  aucun  gré  au  Muficien 

& 


SUR     t  A      MUSIQUE.'       433 

Se  qui  pour  les  a&eurs  eft  trop  diffi- 
cile a  retenir. 

Voici  les  retranchemens  que  j'ai  faits 
à  ce  morceau  pour  en  faciliter  l'exécu- 
tion dans  un  fpectacle  de  fociété. 

Lorfqu'on  arrive  à  l'endroit; 

Hé  bien ,  Denife ,  &  mon  billet  ? 

Denis  e. 

Votre  billet? 

Dites  ce  qui  fuit  en   dialogue  parlé. 

Denise. 

s»  II  a  déchire  vot'  billet. 

ia     France, 

a?  II  a  déchire'  mon  billet. 

André. 

»  Oui  j'ai  déchiré  vot'   bîïlet ,  . 
m  Et  par  la  morgue  j'ai  bien  fait  ! 
n  Reprenez  enfuite  ces  trois  accords. 

Se 


43  4  E    S  S    A   ï 


B ■*        79" 

Premier  Violon, 


La  France  chante  , 
Mais  dumoins  vous  Vaure\$u  lire,  &c. 
Après  le  récit  : 

Pavois  écrit  oui  -,  hc  bien  !  hê  bien  ! 
Dites  encore  en  dialogue  parlé. 
la    France. 
v  II  a  déchiré  mon  billet. 
André. 
»  Oui  j'ai  déchiré  le  billet. 
Madame     Hubert. 

9)   M.  André ,  c'eft  fort  maï  fait , 
»   J'devrois  punir  cette  infolence  ; 
»   Mais  j'prétends   vous   accorder  tous. 
«  Quelle  prenne  pour  fa  vengeance 
v  M.  d'Ia  France  pour  époux. 


SUlt      !A     MUSIQUE.  43  £ 

André. 
«  Oh  !  jarnigoi  quelle  indulgence  ! 
Denise,    à  part, 

»   Qu'eu  défefpoir  pour  mon  jaloux. 

»  J'adopte  la  vengeance. 

»   Allez  enfuite  à  cet  endroit  : 

fcH ^ ^ )  il =* ri— ] «<»kdM—  -Ki-l J 


Premier  Violon ,  pag.  61  de  la  Partition. 

Va ,  tu  me  Ppayras ,  en  chœur  jufqu'a 
la  fin  de  l'a&e.  Si  l'on  n'a  point  de  chœur, 
l'on  peut  encore  retrancher  une  partie  du 
morceau  d 'en  femble  de  la  fin  du  deuxième 
acte  ,  fans  nuire   à  l'action  du  poëme. 

Lorfque  la  France,  en  entrant  fur  ïa 
fçène  a  chanté  ; 

w    Allons  rendons  hommage 
»  A  l'objet  qui  m'engage  ; 
to  C'eft  l'honneur  du  village 
»  C'eft  un  objet  charmant. 

Ee  2 


43  6  Essai 

Pendant  ce  tems  André  baife  la  main 
de  Denife  ;  ïa  France  Je  voit  &  faute  à 
la  fin  du  morceau  en  chantant, 

»  Que  fais  tu  la.? 
»  Que  fais   tu  là  ? 

André  répond  : 

»  Moi ,  je  rends  hommage 

»  A  l'objet  qui  m'engage ,  &c  ôcc. 

Ce  retranchement  devroit  même  être 
adopté  dans  les  fpe&acïes  publics  ,  parce- 
qu'il  termine  rapidement  l'aéHon. 

J'ai  foigné  d'autant  plus  ce  petit  ou- 
vrage ,  que  l'exiguïté  du  fujet  m'en  im- 
pofoit  la  néceffité.  Un  poëme  qui  com- 
porte un  puiflant  intérêt,  en  a  moins 
befoin  &  l'on  fent  pourquoi  ;  j'ofe  dire 
même  qu'il  faut  s'abflenir  de  trop  recher- 
cher la  compofition  muficale  d'un  Drame 
compliqué  }  de  crainte  que  cette  double 
complication  ne  fatigue  les  fpeclateurs. 
Les  couplets, 


SUR    LA     MUSTQUE.  437 

Bon  Dieu  ,  bon  Dieu  ,  comme  à  c'te  fête  , 

furent  incontinent  chantés  dans  les  rues 
&  danfés  par  tout ,  même  fur  le  théâtre 
de  l'Opéra.  J'avoue  que  ce  genre  de 
fuccès ,  que  bien  des  compofiteurs  fem- 
blent  dédaigner,  me  fit  un  fenfible  pïai- 
fir.  C'étoit  les  premiers  jolis  couplets  dont 
je  faifois  la  mufique  ,  &  je  n'avois.  pas 
grande  opinion  de  moi  pour  ce  genre 
de  composition.  Cette  pièce  n'a  pas  quitté 
la  fcène  ,  depuis  le  jour  où  elle  y  a  re- 
parue. Elle  acheva  la  réputation  d'une 
actrice  (1)  ,  qui  par  les  grâces  d'une  heu- 
reufe  tournure, fait  réveiller  l'indifférence, 
&  fe  faire  fouvent  préférer  à  la  beauté. 


(1)  Mile.  Adeline. 


Ee3 


438  Essai 

RICHARD    CŒUR    DE    LION, 

Comédie  en  trois  acles ,  par  M.  Sedaine  ;  re- 
préfentée  par  les  Comédiens  Italiens  ,  le  2j  Oc- 
tobre 17  8jr. 

Jamais  fujet  ne  fut  plus  propre  à  h 
mufique,  a-t-on  dit,  que  celui  de  Ri- 
chard Cœur  de  Lion.  Je  fuis  de  cet  avis 
quant  à  la  fituation  principale  de  la  pièce, 
je  veux  dire  celle  où  Blondel  chante  la 
romance. 

Une  fièvre  brûlante,  &c. 

Mais  il  faut  convenir  que  ïe  fujet  en 
général  n'appelle  pas  davantage  la  mu- 
fique qu'aucun  autre  ,  je  dis  plus  :  la  pièce 
devoit  n'être  que  déclamée  f  car  alors  la 
romance  devant  être  efTentieliement  chan- 
tée ,  rien  ne  devoit  l'être  que  ce  feul 
morceau,  qui  eut  produit  encore  plus 
d^eiTet;  je  me  rappelle  avoir  été  tenté  de 


SUR.    LÀ     MUSIQUE.  439 

ne  aire  précéder  au  fécond  a&e,  aucun 
morceau  de  mufique  à  la  romance ,  uni- 
quement pour  cette  raifon  ;  mais  faifant 
réflexion    qu'on  avoit  chanté  dans  cha- 
que  fituation  du  premier   a&e  ,   j'aban- 
donnai cette  première  idée  ;  ne  doutant 
point  d'ailleurs,  que  les  fpectateurs  fe  fai- 
fant illufion ,  n'écoutalTent  cette  romance 
comme  fi  en  mufique ,  elle  eût  été  uni- 
que dans  l'ouvrage,    (m)  Ces  mêmes  ré- 
flexions ,   m'engagèrent  à  la   faire  dans 
le  vieux  ftyle ,  pour  qu'elle  tranchât  fur 
tout  le   refte.  Y   ai-je  réufli  ?  Il   faut   le 
croire  ;  puifque  cent  fois  l'on  m'a  demandé. 
fi  j'avois  trouvé  cet  air  dans  le  fabliau  qui 
a  procuré  le  fujet. 

M.  Sedaine  en  me  communiquant  fon 
manufcrit  me  difoit  :  «  J'ai  déjà  confié 
y>  ce  poëme  à  un  Muficîen  ;  il  ne  l'a 
»  point  accepté  ,  parcequ'il  croit  ne  pou- 
»  voir  pas  faire  aflez  bien  une  romance 
»   qui  s'y  trouve.   Lifez,  décidez-vous , 

Ee4 


44°  Essai 

»  &  point   de   complaifarice   de   votre 

v  part.  » 

Si  j'acceptai  fans  héfîter  ce  bel  œu- 
vre dramatique ,  j'avoue  que  la  romance 
m'inquiétoit  de  même  que  mon  confrère: 
je  la  fis  de  plufieurs  manières ,  fans  trou- 
ver ce  que  je  cherchois ,  ç'eft  à  dire  le 
vieux  ftyle  eapable  de  plaire  aux  modernes. 
La  recherche  que  je  fis  pour  choifir  parmi 
toutes  mes  idées  ,1e  chant  qui  exifte ,  fe  pro- 
longea depuis  onze  heures  du  foir,  jufqu'au 
lendemain  à  quatre  heures  du  matin,  (i) 
Nous  confiâmes  le  rôle  de  Richard ,  à 
M.  Philipe  qui  n'en  avoit  pas  encore  créé. 
&  qui  depuis  ce  fuccès ,  a  me'rité.  de  plus 
en  plus  les  appIaudifTemens  du  public. 
A  plufieurs  répétitions ,  la  beauté  de  la 
fituation^  la  fenfibilité  de  l'acleur,  joia~ 
tes  au  défir  de  bien  remplir  fon  rôle ,  exal- 


(i)  Je  me  rapelle  qu'ayant  formé  pendant  la  nuit ,  pour 
demander  du  feu;  vous  devez  avoir  froid,  me  dit  mon 
domeflique  ,  vous  êtes  toujours  là  à  ne  rien  faire. 


SUR      LA      MUSIQUE.       44 1 

coit  fon  knagination  au  point  que  fes 
larmes  l'étouffoient  lorfqu'il  vouloit  ré- 
pondre à   Blondel. 

Un  regard  de  ma  belle  ,  &c. 

Le  jour  de  la  première  repréfentation  > 
cet  a&eur  plein  d'ardeur  &  de  zèle  > 
fut  attaqué  fubitement  d'une  extinction 
de  voix  ;  il  uétoit  plus  tems  de  changer 
îe  fpe&ade  y  la  falle  étoit  pleine  ;  il 
me  fit  appeller  dans  fa  loge  ,  voyons  , 
chantez  -  moi  votre  romance  ,  il  arti- 
cula quelques  fons  arec  peine  ;  c'eft  bien 
là  ,  lui  dis~je  ,  la  voix  d'un  prifonnier  ; 
vous  produirez  l'effet  que  je  délire  ;  chan- 
tez &  foyez  fans  inquiétude. 

M.  Clairval  remplit  le  rôle  de  Bfon- 
del ,  d  une  manière  inimitable  ;  la  no- 
blelîe  d'un  Chevalier,  la  fmelTe  d'un  aveu- 
gle clair-voyant  qui  conduit  une  grande 
intrigue:  il  fut  employer  tour-à-tour,  tou- 
tes ces  nuances  délicates  avec  un  goût 
exquis.  Jamais  un  rôle  ne  périclite  dans 


44i  Essai 

*es  mains  de  ceta&eur  ;  il  fait  fe  retenir 
dans  les  endroits  douteux ,  ou  trop  neufs 
pour  le  public  ;  mais  à  mefure  qu'on  s'y 
accoutume,  l'Acleur  déployé  toute  l'éner- 
gie dont  Ton  rôle  efl  fufceptible.  Le  comé- 
dien -  machine  efl  le  même  chaque 
jour,  if  ne  redoute  que  l'enrouement; 
mais  M.  Clairval  n'a  pas  ïe  malheur  d'ê- 
tre îe  même  à  chaque  représentation  ; 
ïa  perfection  de  fon  jeu  dépend  de  la 
fituation  de  fon  âme,  &  il  fait  encore  nous 
plaire  lorfqu'il  n'erl  pas  content  de  lui. 

La  mufique  de  Richard  ,  fans  avoir  à 
la  rigueur  le  coloris  ancien  d'Aucaflin  & 
Nicolette  ,  en  conferve  des  réminifeen- 
ces.  L'ouverture  indique ,  je  crois  ,  affez 
bien  ,  que  faction  n'efl  pas  moderne. 
Les  perfon nages  nobles  prennent  à  leur 
tour  un  4:on  moins  furanné  ;  pareeque 
les  mœurs  des  villes ,  n'arrivent  que  plus 
tard  dans  les  campagnes.  Le  Muficien  par 
ce  moyen' peut  employer  divers  tons  9 
qui  concourent  à  la  variété  générale; 


SUR     LA     MUSIQUE,  443 

lSalr ,  O  Richard  !  6  mon  Roi  ! 

eft  dans  le  ftyle  moderne ,  parce  qu'il  eft 
aifé  de  croire  que  le  poète  Blondel  an- 
ticipoit  fur  fon  fiècle  par  le  goût  &  les 
connoifTances. 

Le  trio  ,  Quoi  !  de  la  part  du  Gouverneur  ? 

reprend  une  forme  de  contre-point  con- 
venable à  Sir  Villiams.  Blonde!  toujours 
attentif  à  faifir  le  ton  de  chacun  ,  fe 
vieillit  dans  les  traits  de  mufique,  où  ii 
dit: 

La  paix  ,  la  paix  ,  mes  bons  amis. 

ces  traits  qui  ne  font  rien  en  eux  mêmes,  & 
que  Duni  avoit  employés  fi  fouvent,  attirent 
l'applaudiffement  parcequ'ils  font  vrais  ; 
je  répéterai  donc  que  rien  ne  doit  être 
exclu  de  la  mufique  ,  &  que  tout  de'pend 
de  mettre  un  trait  de  chant  dans  fa  vé- 
ritable place. 

L'on    n'a    peut-être    pas    remarqué  , 
combien  de  fois  Pair  de  la  romance  eft 


444  Essai 

entendu  dans  îe  courant  de  la  pièce  foit 

en  entier  ou  en  partie. 

PREMIER     ACTE. 

i°.  Lorfque  Blondel  veut  fixer  fur  lui 
Pattention   de  Marguerite. 

2°.  Lorfqu'elle  le  prie  de  jouer  fou- 
vent  cet  air  ;  il  le  recommence. 

DEUXIEME    ACTE. 

3°.  La  ritournelle  delà  fcène  avec  Ri- 
chard. 

4°.  Un  couplet. 

5*.  Un  autre  couplet  avec  refrein. 

6°.  Il  joue  Pair  avec  fracas  pour  fe 
faire    arrêter. 

TROISIEME     ACTE. 

7°  Lcrfqu'il  criante  dans  la   couliffe , 
pour  être  introduit  devant  Marguerite. 
8°.  Dans  le  morceau  d'enfemble  ; 

Oui ,  Chevaliers ,  &c. 

9  .  Dans  le  dernier  chœur. 


SUR     LA     MUSIQUE         44.7 

II  étoitaifé  de  fatiguer  les  fpedateurs 
en  répétant  G.  fouvent  le  même  air  :  mais 
il  faut  remarquer  que  la  première  fois, 
il  eft  joué  fans  accompagnement  ;  fa  fé- 
conde avec  variation  ;  la  troifième  avec 
accompagnemens  ;  la  quatrième  &  cin- 
quième, avec  les  paroles;  la  fixième  joué 
feulement  avec  variation  à  doubles  cor- 
des pour  indiquer  qu'il  veut  faire  beau- 
coup de  bruit. 

La  feptième  il  chante  fans  accom- 
pagnement ,  la  moitié  du  refrein  feule- 
ment. 

La  huitième ,  dans  le  morceau  d'en-, 
femble 

Oui   Chevaliers,  &c. 

il  c  hante  fon  air  fur  une  mefure  différente. 
Sa    voix   a      pé-  né.  tré  mon  a.  m"^ 
je  la  çon.nois,oui,ouiMa-"daMnïr 


44  ^  E  s  s  a  ï 

N'efl-ce  pas  comme  s'il  difoit,  fà  voix 
a  pénétré  mon  ame  ,  en  chantant  l'air 
qu'il  fît  pour  vous  ?  La  neuvième  fois 
enfin  ,  dans  le  dernier  chœur,  où  cet  air 
eft  chanté  en  trio. 

Sans  doute  il  falloit  préfenter  cet  air 
fous  autant  de  formes  différentes  pour  ofer 
ïe  répéter  fi  fouvent:  cependant,  je  n'ai 
pas  entendu  dire  qu'il  fût  trop  répété  ; 
parce  que  le  public  a  feutî  que  cet  air  etoit 
ïe  pivot  fur  lequel  tournoi t  toute  la 
pièce. 

Uair ,  Si  l'univers  entier  m'oublie ,  &c. 

qui  précède  la  romance,  a  montré  une  chofe 
neuve.  Les  trompettes  &  timbales  voilées 
ont  femblé  rappelier  avec  douleur  la  gloire 
du  Héros  ;  cet  effet  a  paru  bien  fenti  : 
Se  chœur  qui  termine  le  fécond  a&e; 

Sais  tu  f  connois  tu  ! 

eft  dans  le  ton  du  vieux  contre -point, 
hs  Soldats  de  ce  tems,  revenant,  de  la 


SUR     EA     MUIiqUE.  447 

terre  fainte ,  les  idées  qu'on  fe  fait  de  ce 
tems  religieux ,  m'ont  fuggéré  ce  genre 
de  mufîque. 

Richard  parut  d'abord  en  trois  a&es, 
mais  non  pas  avec  le  troifième  a&e  que 
l'on  joue  actuellement;  Ton  engageoit   le 
Gouverneur  à  rendre  Richard;  iî  cédoit 
par  raifon  ,  &  quoiqu'il  dit  à  Laurette  que 
fon  amour  pour  elle  n  y  avoit  point  de 
part ,  les   fpe&ateurs    le   croyoient ,    & 
biàmoient  le   Gouverneur  qui  manquoit 
à  fon  devoir.  M.  Sedaine  en  abrégeant  îe 
troifième  aéte,  en  fit  un  quatrième.  Le 
Gouverneur  ayant  refufé  de  rendre  Richard 
ëtoit  retenu   prifonnier    chez  Villiams  ; 
Blondel  fe  trouvoit  dans   le   même   fou- 
terrain,  fous  prétexe  que  le  père  de  Lau- 
rette avoit  découvert  qu  il  fervoit  le  Gou- 
verneur &  fa  fille  dans  leurs  amours. 

Blondel  fe  faifoit  donner  un  écrit  du 
Gouverneur  ,  afTez  équivoque  pour  qu'on 
lui  remît  Richard  ,  quoique  le  Gouverneur 
n'eût  penfé   qu'à  fa  propre  délivrance , 


44$  Essai 

Richard  paroiflbit  dans  la  prifon  au  grand 

étonnement  du  Gouverneur. 

Cette  manière  de'plut  encore  plus  que 
ïa  première  :  cependant ,  les  repréfen ta- 
rions fe  continuoient  toujours  avec  ia 
même  afïïuence ,  grâce  au  fécond  a&e. 

Les  habitants  de  Paris  âvoient  une  telle 
envie  de  voir  terminer  cet  ouvrage  d'une 
^manière  agréable,  que  chaque  fociété  m'en- 
voyoit  un  dénouement  pour  Richard.  En- 
fin M.  Sedaine  adopta  le  fiége  qui  con- 
cilie tout ,  qui  lailTe  intacte  la  conduite 
du  Gouverneur  ,  &  qui  préfente  un  beau 
fpeéèade ,  feule  relTource  qui  reftoit  après 
avoir  intérélTé  auffi  vivement  dans  le  fé- 
cond a&e.  II  efl:  inutile  de  parler  du  fuc- 
cès  de  cette  pièce  ;  il  paroi t  que  cent 
repréfentations  ,  toujours  avec  la  même 
affluence ,  fuffiront  à  peine  à  PemprelTe- 
nient  du  public. 


PANURGE 


S  U  R      t  A      MUSIQUE.'        449' 

PANURGE    DANS   L'ILE    DES 

LANTERNES. 

Poëme  en  trois  ades ,  en  vers  ,  par  M.  Mord 
de  Chedeville  ;  repréfemé  à  l'Ope'ra ,  le  2 5  Jan- 
vier 1785. 

Panurge  eft.  le  premier  ouvrage  entiè- 
rement comique,  qui  ait  paru  avec  fuc- 
cès  fur  le  théâtre  de  l'Opéra  ,  &  j'ofè 
croire  qu'il  y  fer  vira  de  modèle.  Le  fu- 
jet  en  eft  fimple,  la  pompe  y  eft  inhé- 
rente ,  &  les  divertilTements  font  nécef* 
faires.  La  tempête  du  premier  a&e ,  qui 
amène  îe  Héros  de  la  pièce  furie  théâtre, 

eft  une  idée  neuve. 

Oui ,  vous  ferez  heureux , 

Si  par  un  orage 

Un  étranger  jeté  fur  ce  rivage  ,  &c. 

Après  l'accompliiTement  de  cette  pré- 
diction du  grand  Prêtre  ,  la  joye  du 
peuple  ,  les  fanfares  en  contracte  avec  1© 

Ff 


4?o  Essai 

bruit  du  tonnerre  font  d'un  bon  effet. 
Ce  comique  tiré  de  la  chofe  même ,  me 
femble   digne  de  Molière. 

Panurge  ck  Arlequin  font  des  ca- 
ractères dont  l'effet  eft  certain  fur  Pef. 
prit  du  peuple  ,  &  de  tous  ceux  qui  fc 
permettent  de  rire.  En  effet,  le  moral  d'un 
être  qui  ne  réfléchit  ni  fur  le  paiTé  ni 
fur  l'avenir  ; 

Ne  vous  fouvierit-il  plus  que  vous  fûtes  marié? 
O  ciel  !  En  voyageant  je  l'avois  oublié. 

Un  être  que  le  préfent  feuï  occupe  ; 
qui  toujours  prévenu  de  fon  petit  mérite, 
jouit  même  des  plaifanteries  qu'on  lui 
adreffe,  ce  caractère  eft  immanquable  au 
théâtre  ;  &  peut-être  chaque  homme  dans 
îa  fociété  devroit  délirer  le  moral  de  Pa- 
nurge ,  fi  famour-propre  n'étoit  révolté 
par  l'idée  d'être  dupe  pour  être  heureux. 

Si  le  difcipïe  de  Socrate  eût  compofé 
fa  république   de  fujets  du  caractère  de 


SUR      LA      MUSIQUE.       4, 5  t 

Panurge ,  ïe  bonheur  général  n'eût  pas  été 
douteux  avec  un  chef  tel  que  Platon. 
L'ouverture  de  cette  pièce  indique  les 
caractères  nobles  &  comiques  qui  vont 
paroître  fur  la  fcène  ;  Ja  phrafe  fui  vante 


! £Jr -J «sMp: 1 { ta**.— J . 


— |ra|  ,àm 1 —  \ -Un» 1 ' pW 


pLfcd 


!=fe|lif^ 


Ff 


45^  Essai 

eil  une  des  plus  longues  qu'on  ait  faîte 
nemufique  ;  j'aurois  également  adopté  cette 
phrafe ,  fans  doute ,  fi  ïa  fcène  n'eût  pas 
été  dans    Je   pays    des  Lanternes  ou  des 
Lanternois:  Dans  ce  pays  Von  n'cjl  jamais 
prejfe,  dit  le  poëme;  mais  j'aime  mieux 
qu'elle  foit  a  l'opéra  de  Panurge.  Cette  ou- 
verture fervit  à  développer  les  talens  ra- 
res des  danfeurs  &  danfeufes  de  l'Opéra. 
XjyidcQ  de  la  propofer  comme  muflque  de 
danfe  ne  m'eft  venue  que  deux  jours  avant 
la  première  repréfentation  ;  j'étois  affligé 
de    voir  que    la  danfe  finale  des  opéras 
n'étoit  prefque   jamais   que   le  fignal  du 
départ ,  &  que  les  loges  étoient  vuides 
îorfque  îa  toile   tomboit.  Je   jouai  cette 
ouverture  à  M.  Gardcl  l'aîné  en  lui  faifant 
remarquer  les  contractes  qui  s'y  trouvent  ; 
il  l'adopta  d'autant  plus  volontiers  qu'il 
ëtoit  l'inventeur  de  ce  qu'on  appelle  fi- 
nale de  danfe  ;  le  fuccès  a  fi  bien  répondu 
à  notre  attente  que  les  ennemis  des  au- 
teurs n'ont  pas  fait  difficulté   d'attribuer 


SUR     X  A     MUSIQUE  453 

îe  fuccès  confiant  de  cet  ouvrage  a  l'ou- 
verture reprife  avec  danfe  à  la  fin  de 
l'opéra  ,  mais  qu'on  me  montre  un  ou- 
vrage qui  réuffifTe  par  le  charme  des  dix 
dernières  minutes  de  fa  durée  &  je  les 
en  croira;. 

Le  récitatif  de  Panurge  efî  je  crois  , 
vrai ,  fans  être  trivial  ;  il  doit  moins  en- 
nuyer que  le  récitatif  noble  ,  parceque 
les  inflexions  y  font  plus  multipliées.  Sans 
l'intérêt  de  la  fcène,  je  doute  qu'un  ré- 
citatif noble  pût  fe  foutenir  par  fa  dé- 
clamation. Les  morceaux  de  chant  de  cet 
opéra  peuvent  prefque  tous  fe  détacher 
pour  être  exécutés  dans  les  concerts  ;  cet 
avantage  n'efc  pas  à  négliger  y  quand  on 
le  peut  fans  nuire  a  l'intérêt  dramatique» 
(  voyez  l'article  Andromaque.  )  M.  Lais 
qui  nous  parut  doué  de  toutes  les  qua- 
lités ncceffaires  au  rôle  de  Panurge ,  y 
a  établi  fa  réputation.  S'il  a  perdu  par 
ce  fuccès  l'efpoir  d'être  cité  comme  îe 
premier   a£teur    tragique    de    l'opéra ,    i$ 

Ff3 


454  Essai 

ne  doit  point  en  être  fâché  ;  c'eft  ïe 
public  qui  lui  a  afligné  fa  véritable  place; 
trop  heureux  l'a&eur  qu'il  prend  fous  fon 
aile.  Quand  ce  même  public  fe  rappelle 
les  taîens  de  Lekain  &  de  Préville,  on 
ne  voit  guère  de  quel  côté  fes  regrets 
font  pencher  la  balance. 


SUR      LA      MUSIQUE.  45$ 

LE  MARIAGE  D'ANTONIO, 

Comédie  en  un  a<fte  ,  repréfente'e  aux  Italiens 
le  29  Juillet  1786. 

Je  commencerai  cet  article  en  rappor- 
tant la  lettre  que  j'écrivis  aux  auteurs  du 
journal  de  Paris  ,  le  famedi  zj  Juil- 
let  1786. 

MESSIEURS, 

Prétendre  garder  l'anonyme  en  don- 
nant au  public  une  pièce  de  théâtre ,  m'a 
toujours  paru  une  inconféquence  ,  d'autant 
qu'on  doit  être  fur  que  le  fecret  ne  fera  point 
gardé.  Peut-être  même  feroit-il  difficile  de 
prouver  que  c'eft  par  une  véritable  mo- 
deftie  qu'en  pareil  cas  on  cherche  à  fe 
cacher. 

J'ai  donc  fhonneur  de  vous  annon~ 
cer ,  que  la  petite  pièce  en  un  a&e  , 
intitulée  le  Mariage   cd Antonio  ,    qu'on 

Ff  4 


45  ^  Essai 

donne  aujourd'hui  aux  Italiens ,  a  été 
mife  en  mufique  par  une  de  mes  filles 
âgée  de  treize  ans  (t).  Mais  comme  je 
ne  veux  point  alte'rer  la  candeur  de  Ton 
âge  en  excitant  en  elle  une  préfomption 
menfongère  ;  je  dois  dire  qu'ayant  elle- 
même  compofé  tous  îes  chants  avec  leur 
baffe  Se  un  léger  accompagnement  de 
harpe,,  j'ai  écrit  la  partition  qu'elle  n'é- 
toit  pas  en  état  de  faire.  Les  morceaux 
d'enfèmble  ont  été  rectifiés  par  moi  ; 
cette  compoiition  exigeant  une  connoif- 
fance  du  théâtre  que  je  ferois  bien  fâché 
qu'elle  eût  acquife. 

Si  les  chants  font  quelquefois  décla- 
més avec  vérité,  cela  provient  fans  doute 
de  la  manière  dont  je  l'inftruis,  Se  qu'il 
n'eft  pas  inutile  peut-être  de  faire  con- 
nokre. 

Lorfqu'elle  m'apporte  un  morceau  que 
je    juge    n'être    pas    faifi    muficalement 

(0  Aujourd'hui  Madame  de  Marin, 


SUR      LA      MUSIQUE.        4J7 

dans  îe  fens  des  paroles  ;  je  ne  lui  dis 
pas,  votre  chant  efî.  mauvais:  mais  voici, 
lui  dis-je ,  ce  que  vous  avez  exprimé. 
Alors  je  chante  fon  air  fur  des  paroles 
que  j'y  crois  analogue  ,  &  je  donne  une 
vérité  d'expreflion  à  ce  qui  n'étoit  que 
vague  ou  à  contrefens. 

Cette  méthode  d'éducation  m'a  paru 
la  meilleure  ;  car  pourquoi  rejetter  comme 
mauvais  ce  qui  en  certains  cas ,  auroit 
pu  être  bon  ?  En  fe  perfectionnant  dans 
Part  des  modulations  avec  un  excellent 
maître  (  M.  Tapray  )  ;  en  apprenant 
avec  moi  l'art  d'écrire  le  contrepoint, 
je  ne  juge  pas  inutile  de  l'accoutumer 
à  fe  fervir  de  l'expreffion  jufie.  Cette 
habitude  doit  être  prife  de  bonne  heure; 
car  le  langage  mufîcal,  énigmatique  pour 
bien  des  gens,  eft  en  effet  auffi  vrai, 
aum*  varié  que  la  déclamation  :  je  lui 
enfeigne  des  vérités  dont  je  fuis  perfuadé. 

L'étude  d'un  compofiteur  eft  celle  de 
la  déclamation,  comme  le  deflin  d'après 


458  Essai 

nature  eft  celle  d'un  peintre.  Il  faut  con- 
fulter  l'âge,  l'état,  les  mœurs,  la  fitua- 
tion  du  perfonnage  qu'on  veut  faire  chan- 
ter. Quand  on  a  faifî  ces  rapports  &  cet 
enfemble,  c'eft  à  la  nature  à  faire  le  refte; 
c'eft-à-dire  que  c'eft  à  elfe  a  former  un. 
criant  agréable  ,  né  de  la  déclamation. 
Si  au  contraire  vous  ne  faites  qu'un  criant 
vague  ,  vous  ne  contentez  que  F  oreille  ; 
fi  vous  déclamez  feulement,  vous  ne  con- 
tentez que  le  bon  fens  ;  mais  chanter  ôc 
déclamer  font  les  fecrets  du  génie  &  de 
la  raifon. 

Je  dis  a  ma  fille  ce  que  je  voudrois 
qu'elle  fit  un  jour,  &  ce  que  je  voudrois 
faire  moi-même. 

C'eft  à  titre  d'encouragement  que  je 
lui  ai  permis  cet  efTai  ;  mais  le  public 
feul  peut  lui  permettre  de  continuer.  C'eft 
à  lui  d'encourager  un  fexe  qui ,  **e*- pour 
démêler  peut  être  mieux  que  nous  les 
nuances  du  fentiment  &  les  finelîes  de 
la  comédie  ,    pourroit     trouver    k    la, 


SUR      JLA      MUSIQUE.  459 

fois  la  gloire  &  l'aifancc  honnête  dont 
les  chemins  lui  font  par  tout  fermés.  La 
peinture  fe  glorifie  des  talens  fupérieurs 
de  madame  Lebrun  &  de  madame  Guiard  ; 
pourquoi  la  mufique  n'auroit-elïe  pas  un 
jour  des  maîtres  du  même  fexe ,  dans  l'art 
de  nous  charmer  par  des  comportions 
muficales  ? 

J'ajouterai  à  cette  lettre  que  pour  for- 
mer un  élève ,  il  eft  elTentiet  de  lui  faire 
comprendre  avec  précifion  l'exacte  ponc- 
tuation de  la  mufique. 

L'on  pourroit  fans  doute  affigner  quelle 
doit  être  a  la  rigueur  la  note  de  la  gamme 
qui  doit  fe  rapporter  a  tel  figne  de  la 
ponctuation  du  difcours;  marquer  une 
différence  entre  le  point  d'exclamation  &z 
d'interrogation  ;  une  entre  les  deux  points 
ou  le  point  &  virgule  ;  maisceferoit  mettre 
des  entraves  au  fentiment  dont  il  s'écarteroit 
fans  ceffe.  Le  meilleur  lecteur  ou  décla- 
mateur ,  eft  celui  qui  fait  le  mieux  fentir 
ce  qu'il  dit  ;  il  en  eft  de  même  du  Mu- 


4^0  Essai 

ficîën  ;  une  forte  de  liberté  doit  de  toute 

néceffité  exiflcr  dans  les  arts  ;  l'ignorant 

en   abufè  mais    l'homme    de    génie    en 

profite. 

Voici  encore  un  moyen  peu  ufîté  qui 
m'a  réuffî.  Nous  prenons  de  îa  bonne  mu- 
lique  inftrumentale ,  &  en  jouant  ou  en 
folfiant  la  partie  chantante,  nous  cher- 
chons tous  les  fignes  connus  de  la  ponc- 
tuation ;  cependant  comme  je  l'ai  dit,  l'ex- 
clamation &  l'interrogation  fe  prennent 
aifément  l'un  pour  l'autre ,  de  même  que 
ïe  point  ôc  virgule  &  les  deux  points  ;  la 
différence  n'exifte  guère  que  dans  le 
ligne ,  &  peu  dans  l'accent  de  la  voix. 

Cet  exercice  accoutume  l'élève  à  être 
précis  ,  &  a  rejetter  les  parafes  équivo- 
ques/relativement aux  paroles.  La  mufi- 
que  vocale  qui  ennuyé  eft  prefque  tou- 
jours phrafée  &  ponctuée  à  contre-fens  , 
&  c'eft  le  plus  grand  tourment  que  puifFe 
éprouver  une  oreille  fenfibie. 

J'ai  donné  pluiieurs  maîtres  de  mu- 


SUR     LA      M  US  I  QUI.         461 

fîque  à  ma  fille  &  j'en  changerai  en- 
core. Je  fais  qu'elle  n'en  tirera  aucun 
parti  fi  elle  n'fl  deitine'e  qu'a  être  un 
compofiteur  du  commun.  Je  fais  qu'elle 
s'embrouillera  dans  les  différens  fyf. 
ternes  que  fes  maîtres  lui  préfenteront; 
que  m'importe  !  J'aime  mieux  qu'elle 
s'égare  &  refre  enfevelie  dans  cette  fur- 
abondance,  que  fi  elle  devenoit  la  copie 
d'un  feul  homme.  Mais  fi  la  nature  l'a 
deilinée  à  être  quelque  chofe  par  elle- 
même  ,  elle  aura  dequoî  choifir,  &  ïaura 
mettre  a  profit  jufqu'aux  contradictions 
qui  exiftent  entre  tel  &  tel  fyftême. 

L'élève  doit  tout  voir  ,  tout  connoître  ; 
tout  comparer  ;  c'efl  de  ce  cahos  qu'il 
fe  forme  un  genre  &  un  flyïe.  C'eft  ainîi 
que  tenant  tout  de  fes  maîtres,  îa  nature 
doit  tout  rectifier  en  lui,  pour  le  rendre 
original. 

Les  maîtres  d'harmonie  nenfeignent 
à  ma  fille  que  des  phrafes  harmoniques, 


$6%  E  s  s   a  j 

moi  fcuî ,  je  lui  dis ,  où  &  comment 
elles  doivent  être  employées. 

Je  lui  répète  fouvent  les  principes  ré- 
pandus dans  cet  eiïai  j  je  l'encourage  en 
lui  difant  qu  il  eft  une  mélodie  vers  la- 
quelle elle  eft  appelée  ;  que  îa  jeunette 
a  mille  fenfations  à  nous  révéler  par  fa 
mélodie  ,  tandis  que  l'artifte,  quoiqu'ex- 
périmenté  ,  mais  fatigué  ou  glacé  par 
Page ,  n'a  prefque  plus  rien  à  nous  dire 
dans  ce  charmant  langage. 

Il  eft,  lui  dîs-je ,  deux  fortes  de  mélodie. 
La  première  eft  celle  que  donne  la  fen- 
fibilité  ,  qui  ne  fubfifte  qu'avec  elle  te 
comme  elle  ;  je  veux  dire  que  la  fenfi- 
bilité  puérile  du  vieillard  ,  n'aura  plus 
aucun  des  charmes  de  celle  du   bel  âge. 

Cependant  cette  fleur  fi  belle  a  befoin 
d'une  tige  pour  la  foutenir  ;  cette  tige  eft 
l'harmonie  qu'on  n'acquiert  que  par  l'étude 
de  la  combinaifon  des  fons. 

La  féconde  eft  une  forte  de  mélodie 
fchoîaftrque  ,  que   l'on  apprend   à  faire 


SUR      LA     MUSIQUE.       463 

par  l'étude  du  contre-point  &  de  l'har- 
monie. Celle-ci  toujours  corre&e ,  eft  ce 
qu'on  appelle  ïa  mufique  bien  faite ,  qui 
n'a  qu'un  certain  nombre  de  partifans, 
mais  ïa  première  plaît  à.  tout  ïe  monde 
quoiquelle  rejette  fouvent  les  entraves 
d'une  règle  trop  févère. 

On  pourroit  auffi  regarder  l'harmonie 
fous  deux  rapports.  Il  eft ,  en  effet  une 
harmonie  qui  charme  notre  ame;  mais 
n'eft  -  ce  pas  parcequ'elle  eft  produite 
par  îa  mélodie  qu'elle  renferme  ?  L'autre 
n'eft  qu'une  fuite  de  fons  placés  métho- 
diquement ,  dont  l'artifte  fe  fert  cepen- 
dant quelquefois  pour  ombrer  fon  ta- 
bleau, en  ménageant  des  repos  à  la  fen- 
fibilité  des  auditeurs  ,  qu'il  faut  fe  garder 
d'épuifer 

J'ai  dit  quelque  part ,  qu'un  accord  fe 
trouve  ,  par  un  procédé  de  l'art ,  mais  que 
nous  ne  connoifïions  pas  de  procédé  pour 
créer  un  trait  de  chant.  L'homme  qui 
pofsède    le    talent    de   faire  des   chants 


4^4  E  s  s  A   i 

heureux ,  pourrok  cependant  former,  dans 
cet  art  enchanteur,  un  élevé  déjà  favorifé 
de  la  nature. 

Examinons  un  inftant  cette  partie ,  ïa 
plus  délicate  de  l'art  mufical ,  &  qu'on 
n'a  jufqu'à  préfent  enfeigné  que  refpec- 
tivement  à  l'harmonie  ;  car  ,  on  apprend 
bien  à  l'élève  à  faire  chanter  entre  elfes 
ïes  parties  qui  constituent  le  contrepoint 
ou  la  fugue  :  mais  ici  il  n'eft  point  ques- 
tion d'harmonie ,  il  s'agit  d'accoutumer 
l'élève  a  choifir  dans  quelques  notes  de 
la  gamme ,  celles  qui  auront  le  plus  de 
charme    dans  leurs   combinaifons,   pour 
former  un  chant  à  voix  feule.  Ce  chant 
heureux  fera  fans  doute  fufceptible  d'une 
baffe  3  ou  de  plus  ou  moins  d'harmonie 
de  rempliffage  ;  mais  c'eft  d'abord  à  ce 
chant  feul  qu'il  faut  tout  facrifier. 

N'vons  nous  pas  remarqué,  que  les 
airs  les  plus  courrus  font  ceux  qui  em- 
braffent  ïe  moins  d'efpace  ,  le  moins  de 
Botes  ,  le  plus   court   diapafon.   Voyez 

prefque 


Sur  la  musique;  46  ç 
prefque  tous  les  airs  que  le  tems  a  ref- 
pectés  ;  ils  font  dans  ce  cas.  Il  faudroit 
doncprefcrire  k  i'éleve ,  en  le  laifîant  maître 
du  mouvement ,  de  faire  des  criants  avec 
quatre ,  cinq  ,  ou  fîx  notes.  La  feptième 
note  de  la  gamme  eu  dure  à  moins  qu'on 
ne  farTe  fuccéder  les  fons  comme  nous 
Pont  indiqué  les  anciens. 


îin^M-0 


eÊe^^sÊÊIMÊÊ 


Avec  un  maître  fenfible  à  ïa  mélodie  , 
je  ne  doute  pas  qu'un  élève  bien  choifï 
ne  s'accoutume  à  faire  de  ces  chants 
heureux  ,  dont  on  ne  peut  fe  rendre 
raifon ,  mais  qui  cependant  nous  ravif- 
ient.  Qu'on  ne  croie  pas  cette  occupation 
feche  Se  munitieufe  ;  il  efl  fi  flatteur  de 
faire  beaucoup  avec  peu  de  chofe  !  Ra- 
cine en  rarîemblant  quelques  mots  com- 
muns pour  tout  le  monde  ,  joui/Toit  fans 
doute ,  en  faifant  un  vers  immortel.  Au 
relte  un  trait  de  chant  heureux  eft  prefque 


466  Essai 

toujours  un  élan  de  l'ame  qu'il  faut  (avoir 
faifir  en  fe  donnant  néanmoins  la  peine 
de  le  chercher.  Le  compofiteur  qui  fait 
fon  métier  peut  faire,  dans  une  matinée, 
douze  ou  quinze  mefures  d'harmonie  a 
l'abri  de  toute  critique  ;  mais  je  ne  con- 
feille  à  perfonne  de  promettre  en  huit 
jours  un  air  afTez  heureux  pour  qu'il  foit 
faifi  par  tout  le  monde,  &  chanté  dans 
les  rues. 

Un  habile  inftituteur  ,  je  veux  dire 
celui  qui  fuit  la  nature ,  ck  n'a  point  de 
routine  ,  doit  étudier  chaque  élève  qu'il 
veut  former.  S'il  eft  vif ,  s'il  a  la  mé- 
moire aifée ,  il  retiendra  mieux  les  chofes 
que  les  mots  qui  les  repréfentent.  Gardez 
vous  dans  ce  cas  de  faire  de  vains  efforts 
pour  claiTer  méthodiquement  dans  fon 
cerveau  les  règles  que  vous  prefcrivez. 
Gardez-vous  de  le  comprimer  dans  une 
fphere  trop  bornée,  en  voulant  lui  incul- 
quer une  feule  chofe.  Les  impulllons  doi- 
vent être  légères,  toujours  différentes  & 


SUR      LA.       MUSIQUE.         4,67 

proportionnées  à  la  foïblelTe  de  l'organe 
qui   les  reçoit.  Présentez    lui  des  ide'es 
toujours  à  fa  portée  ;  faites  difparoître  les 
mots  techniques.  Quand  vous  îui  aurez 
montré  fouvent  les  élémens  de  la  partie 
de  fart  que  vous  traitez  ;  c'efr  lui-même 
qui   leur   donnera    Pordre  qu'ils  doivent 
avoir  ;  il  y  parviendra  tôt  ou  tard  t  &:  ne 
l'oubliera   jamais.  La  première  idée  ap- 
pellera la  féconde,  celle-ci  la  troiilème,  &c. 
Un  jour  je  vis  une  jeune  demoifelle 
qui  pkuroit  ;  fa  mère  me  dit  avec  cha- 
grin ,   que    le  maître  de  mufique   de   fa 
fille  ,  ne  pouvoit  depuis   trois   mois   lut 
apprendre  la   valeur  des  notes.   Cela  eft 
cependant  bien  aifé }  dis-je  ,  a  la  demoi- 
felle. Avez-vous  de  l'argent  dans    votre 
bourfe  ?  —  Oui  ,  Monfieur  ,  ■ —  donnez 
la  moi.  Comment  appeliez-vous  cela  ?  — 
Oeil  un  fou.  —  Bon.  Je   le  mis  fur  la 
table  ,  donnez-moi    à  préfent  un  fou  en 
deux  pièces  de  mon  noie....  Elle  me  re- 
garde &   dit  9  ce    font   deux  demi  fous 


G"  1 

o 


468  Essai 

que  vous  demandez  ?  —  Oui  :  —  les 
voilà.  Je  les  mis  fous  la  pièce  d'un  fou. 
Qui  a  le  plus  de  valeur  ,  lui  di-je  ,  de 
ce  fou ,  ou  de  ces  deux  demi-fous  ?  Ah 
quelle  pïaifanterie  ,  me  dit -elle;  mais 
c'eft  la  même  chofe.  Il  eh:  vrai  ,  lui  dis-]e. 
Donnez  -  moi  à  préfent  un  fou  que 
je  veux  donner  a  quatre  petits  enfants 
bien  pauvres  ;  —  Un  fou  pour  quatre 
petits  enfants  ?  Quatre  liards  vaudroient 
mieux  ,  ils  en  auroient  chacun  un.  — 
Vous  avez  raifon.  Je  les  pofe  fous  les  autres 
pièces  de  monnoies.  II  y  a  bien  encore 
huit  petits  enfants  dans  une  autre  maifon, 
,  mais  je  ne  veux  leur  donner  quun  fou 
à  partager  entre  eux,  &  cela  me  paroît 
difficile  ,  —  oui  très-difficile  me  dit-elle , 
car  cela  ne  fe  peut  pas....  Et  voilà  fa  tête 
qui  travaille  ;  Eh  bien  donnons  un  liard 
pour  deux  enfants  :  oui ,  îui  dis-je  ,  mais 
chacun  voudra  le  garder  dans  fa  poche , 
ils  fe  querelleront.  —  Cela  eft  vrai  :  pour- 
quoi n'a-t-on   pas   fait   des  demis  liards 


SUR     LA      MUSIQUE.  469 

auffi  ?  —  II  y  en  a  dans  mon  pays,  lui 
dis-je.  —  Eh  bien  ,  faîtes-  en  venir ,  — 
oui,  &  en  attendant  mettons  fur  la  table 
de  petits  morceaux  de  papiers  pour  les 
remplacer. 

La  bonne  mère  fourioit  pendant  la 
leçon.  Allons  ,  mademoifelîe  dis-je  à  fà 
fille ,  vous  (avez  la  valeur  des  notes  auiïï 
bien  que  votre  maître ,  j'ai  change'  leurs 
noms ,  parcequ'iïs  étoïenr  trop  difficiles 
à  retenir ,  prenez  du  papiet  &  écrivez 
ce  que  je  vais  vous  dicter. 

La  ronde  s^pelle  un  fou ,  la  blanche 
un  demi-fou ,  &  il  faut  deux  demi-fous 
pour  faire  un  fou.  La  noire  s'apelle  un 
îiard  ,  il  en  faut  deux  pour  un  demi-fou, 
&  quatre  pour  faire  un  fou.  La  croche 
s'apelle  un  demî-Iiard ,  il  faut  deux  demi- 
îîards  pour  en  faire  un  ,  il  faut  quatre 
demi-liards  pour  [faire  deux  liards  y  Se 
huit  demi-liards  pour  quatre  liards.  Ce 
détail  eft  puérile ,  mais  il  faut  qu'il  le 
foit  pour  Penfant  de  quatre  a  cinq  ans» 

Gg3 


47°  Essai 

Avant  d'afîujectir  les  Ton  s  a  des  valeurs 
quelconques  ,  on  exerce  les  élèves  fur 
l'intonation  feulement ,  c'eft-a-dire  qu'on 
leur  fait  chanter  des  notes  avant  de  battre 
îa  mefure.  Je  demande  s'il  ne  feroît  pas 
très-utile  de  leur  apprendre  ce  qu'ils  ne 
favent  pas ,  par  une  chofe  quils  favent 
déjà  ;  c'efl-à-dire ,  de  leur  faire  folfier  les 
petits  airs  qu'ils  favent  par  cœur?  Je 
connois  une  jeune  demoifelle  (i)  qui, 
étant  obligée  de  partir  pour  la  campagne, 
après  avoir  pris  quelques  mois  de  leçons, 
&  ne  lâchant  guère  plus  que  fa  gamme, 
s'avifa  fans  que  p  rfbnne  le  lui  eut 
infpiré  ,  de  folrlcr  les  contre-danfes  qu'elle 
danfoit  les  dimanches  &  fêtes.  De  retour 
à  Paris  fon  maître,  très-étonné ,  fut  loin 
de  croire  qu'elle  eut  perdu  fon  tems.  Re- 
marquons que  les  premiers  folfeges  qu'on 
donne  aux  enfants  ,  ne  font  que  des  notes 
prifes  prefqu'au  hafard  :  on  leur  donne  % 


(i)  Mademoifelie  de  Corancé\ 


S  V  R     Ï.A     MUSIQUE.  47  x, 

même  exprès,  des  chants  infignifiants, 
de  peur  que  leur  oreille  ne  les  guident 
plutôt  que  leur  intelligence.  Mais  ce 
moyen  les  ennuie  ,  8c  au  contraire  ea 
leur  faifant  noter  &  foïfier  d'eux-mêmes 
l'air  qu'ils  fa  vent  par  cœur  ,  Ôc  qui  leur 
rapelle  îe  plainr  de  la  danfe,  c'eft  un 
moyen  bien  plus  fur  de  les  infhruire  en 
les  amufant. 

La  connohTance  de  toutes  les  clefs  eft 
encore  d'une  très-grande  difficulté  pour 
les  enfants  &  pour  tous  les  élèves  en 
mufique.  Après  s'être  accoutumé  a  une 
clef ,  il  en  coûte  prefque  autant  de  peine 
pour  s'accoutumer  a  une  autre. 

Clef  d'ut  fur  la  première  ligne  ,  fur 
la  troifième  y  fur  la  quatrième  ;  clef  de 
fa  fur  la  quatrième  ligne  ,  clef  de  fol  fur 
la  féconde  ,  &c.  &c.  II  faut  quinze  ans 
pour  qu'un  Muficien  les  connoiffe  toutes , 
&  jamais  également  bien. 

On  auroit  dû  goûter  îe  projet  d'un 
Muficien  quipropofa  l'unité  de  clefs.  Mais 

G§4 


'47 2-  '  E  s  s  a  î 

îe  diapafon  réel  de  chaque  voix ,  dira-ton  r 
celui  de  chaque  infiniment  feront  con- 
fondus. Quel  renverfement  pour  l'harmo- 
nie i  Je  n'en  vois  aucun.  Suppofons  qu'on 
adopte  la  clef  àtfol  fur  ia  deuxième  ligne 
pour  toutes  les  voix  &  ïes  inftrumens  , 
excepté  la  baffe  ,  à  laquelle  je  voudrois 
conferver  fa  clef  de  fa  fur  la  quatrième 
ïïgne ,  ainfi  que  la  viole  qui  joue  fouvent 
avec  elle.  Voici  alors  ce  qu'il  faudroit  faire. 
Clef  de  fol  pour  les  deflus ,  les  violons, 
hautbois  ;  flûtes ,  &c. 


Clef  de  fol  pour  ïes  haute-contres  Se 
les  tailles,  Sa  forme  eut  indiqué  qu'elle 
étoit  a  l'octave  baffe  de  celle  du  deflus, 
du  violon  &c 


La  clef  de  fa  fur  îa  quatrième  ligne, 
fervant  à  la  vicie  ,  auroit  eu  cette  forme 
ou  toute  autre* 


SUR     LA     MUSIQUE.         473 


Cela  auroît  dit  que  ïa  viole  joue  na- 
turellement l'o&ave  haute  de  la  baffe. 

En  foïfiant  par  tranfpofition  ,  c'eft-k- 
dire  en  appelant  ut ,  la  tonique  de  chaque 
ton  ,  je  fais  que  l'unité  de  clefs  ,  devient 
inutile ,  mais  ne  chantons  plus  par  tranf- 
pofition ;  car  dans  tous  les  cas ,  il  vaut 
mieux  laiïTer  appercevoir  à  l'élève  que  dans 
tel  ton  il  faut  tant  de  diefes  ou  de  bé- 
mols pour  retrouver  îa  gamme  naturelle. 
On  dira  que  les  différentes  clefs  marquent 
au  jufte  l'étendue  ou  le  diapafon  de  cha- 
que voix  en  commençant  fous  la  pre- 
mière ligne ,  &  en  finifTant  au  defTus  de 
la  cinquième  ,  mais  cela  n'eft  bon  que 
dans  les  chœurs.  Encore  îa  clef  dW  fur 
la  troifième  ligne  ne  convient  guère  s  aux 
hautes-contres  de  l'Italie  a  caufe  de  leur 
étendue  (i). 

Quant     aux     récitans    ,     îa     nature 
ne    îeur    donne    prefque    jamais    deux 


474  Essai 

voix  femblables  par  leur  étendue.  D'ail- 
leurs chaque  Muficien  fe  pique  de  prendre 
un  ton  au  defïus  de  fon  confrère  ;  les  chan- 
teufes  Italiennes  &  mademoifelîe  Renaud 
brochant  fur  ïe  tout ,  entonnent  déjà  la 
moitié  de  la  triple  o&ave  ;  il  faudra  'ce- 
pendant bien  que  cela  fmuTe  &  qu'on 
retourne  a  la  nature. 

Si  votre  élève  eft  d'une  complexion 
forte  ,  taciturne ,  s'il  n'eft  point  enjoué  ; 
il  eft  probable  qu'il  a  de  l'embarras,  de 
l'engorgement  au  cerveau.  Vous.  le  per- 
drez fi  vous  voulez  le  forcer  à  comprendre  ; 
c'efi  vouloir  remplir  le  trop  plein.  Que 
faut  -  il  dans  ce  cas  ?  ne  lui  rien  ap- 
prendre ;  mais  enfeigner  les  autres  en- 
fants devant  lui  ,  &  les  récompenfer  à 
fes  yeux.  ïl  voudra  s'en  mêler  quelques 
jours  ;  il  vous  interrogera ,  reprendra  & 
quittera  cent  fois  fes  occupations ,  &  les 
petites  impulfîons  volontaires  qu'il  don- 
nera aux  fibres  de  fon  cerveau ,  ïe  gué- 
riront  probablement   de  fa  maladie  ,  & 


SUR      IA      MUSIQUE.        475 

en  feront  peut  être  un  homme  d'efprit, 
au  lieu  qu'une  e'ducation  forcée  en  eut 
fait   certainement  un  imbécile. 


47  ^  Essai 

LE  COMTE   D'ALBERT. 

Drame  en  deux  actes ,  &.  la  fuite  en  un  acle  : 
par  M.  Semaine ,  de  l'Académie  Françaife  ;  re- 
préfenté  à  Fontainebleau,  le  1 3  Novembre  178 6  , 
à  Paris  le  8  Février  1787. 

Le  fujet  du  Comte  d'Albert  m'a  paru 
original.  M.  Sedaine,  efl:  un  de  ces  hommes 
heure ufement  ne's  ,  pour  qui  la  nature 
n'auroit  point  de  charme ,  s'il  ne  la  fai- 
fiflbit  dans  tous  fes  rapports  les  plus  vrais; 
il  n'adopte  une  fituation  ,  que  parcequ'iï 
efl  fur  qu'elle  produira  tel  effet.  Pendant 
les  répétitions ,  je  refpe&e  Tes  moindres 
volontés  ;  s'il  tourne  une  chaife ,  c'eft 
parcequ'iï  prévoit  que  l'actrice  vue  de 
profil ,  fera  l'effet  qu'il  defîre.  Mais  il  a 
peut  être  encore  plus  fenti  que  raifonné 
fes  fituations. 

Auffi  Fa-t-on  vu  fondre  en  larmes  à 
îa  repréfentation  de  la  fcène  de  Blonde! 
avec  Richard;  preuve  inconteftable  que 


sur  ia  musique.  477 
le  fentiment  le  guide  dans  fes  compofi- 
tions ,  &  que  la  fcène  mife  en  action  le 
faifit  lui-même  autant  que  nous.  De  com- 
bien de  fentimens,  de  combien  de  con- 
trafles  ,  n'eft  on  pis  affecte'  à  la  fcène 
du  deuxième  acle  d'Albert?  C'en:  par  re- 
connoiflànce  qu'un  malheureux  porte- 
clef,  devient  le  dieu  tutélaire  d'une  fa- 
mille illuftre.  Un  grand  Seigneur  fe  revêt 
des  guenilles  de  cet  homme.  Prene^mon 
habit  ,  prene^  ces  plats  ,  ces  ajjiettes  ,* 
prene^ce  panier,  mette^ma  perruque.  .  .  . 
Tous  ces  mots  les  plus  communs  ,  font 
ennoblis  par  îa  fituation  ;  avec  quel  art 
il  rend  fiffue  de  la  prifon  difficile  !  Vous 
monterez  trois  marches,  vous  en  défendre^ 
fix  ,  au  fond  d'une  allée  obfcure  ;  vous 
trouvere^un  efcalier  gui  tourne.  Ne  fembïe- 
t-il  pas  avoir  mis  l'efcaïier  qui  tourne  , 
pour  nous  faire  craindre  qu'un  vertige 
ne  trouble  le  Comte  d'Albert  ?  Prene^ 
tel  fin  de  voix,  baijfe^  votre  tête  ;  creye^ 
être  moi ,  vous  êtes  fauve.  Ces  mots  dignes 


47^  E  s  s  a  ï 

de  Sake/pêar,  ne  font  jamais  entendus; 
parceque  les  fpe&ateurs  ne  fe  contien- 
nent point.  Remarquez  encore  dans  cette 
fcène,  la  Comteflè  affilie  par  terre  ,  fou- 
lant aux  pieds  un  riche  habit ,  maniant 
de  Tes  doigts  délicats ,  les  guêtres  du  porte- 
faix pour  revêtir  l'époux  qu'elle  adore. 
Antoine  fe  déshabille  prefque  nud  devant 
cette  dame  vertueufe  ;  mais  qu'on  eft.  loin 
de  fonger  à  l'indécence. 

Cependant  à  travers  mille  fentimens 
d'intérêt  dont  îe  fpechteur  eft  agité  ; 
qui  le  croiroit  ?  L'on  voit  dans  les  mêmes 
perfonnes  ,  des  bouches  convulfivement 
ouvertes  par  le  rire  ,  pendant  qu'un  tor- 
rent de  larmes  femble  expier  ce  crime  in- 
volontaire. Remarquons  d'ailleurs  comme 
toujours  fes  effets  les  plus  puiffants  ,  font 
produits  par  de  petites  caufes  ;  il  n'en: 
point  étonnant  qu'une  grande  caufe  pro- 
duife  un  grand  effet ,  mais  le  contraire 
étonne.  Dans  Richard,  Blondel  délivre 
fon  Roi  ;  Blondel  fe  préfente  comme  un 


SUR     LA     MUSIQUE.  47  0. 

pauvre   aveugle  jouant  du  violon. 

Son  déferteur  eft  arrêté,  c'eft  une  noce 
de  village  qui  produit  la  catailrophe  la 
pfus  tragique ,  on  lui  fait  croire  a  la  vé- 
rité que  c'efï  la  noce  de  Louïfe  fa  maî- 
trelTe  :  mais  il  ne  l'auroit  pas  cru  s'il 
n'avoit  vu  cette  noce  ,  &  entendu  les 
violons.  C'eft  un  pont-neuf  que  Ton  joue. 


EÊEEB 


H^>? 


Depuis  que  je  connois  le  Déferteur, 
cet  air  de  guinguete  me  fait  frémir ,  & 
malgré  moi  je  verrois  à  regret  une  noce 
de  village  fe  fervir  de  cet  air  pour  aller 
à  l'édife. 

Je  connois  une  femme  qui  n'a  plus 


480  E    S    S    A    ï 

voulu  qu'on  frapât  a  fa  porte  ,  depuis 
l'imprefTion  que  lui  ont  fait  les  coups 
de  marteau  ,  dans  le  Philofophc  fans  le 
/avoir ,  &  qui  pour  cet  effet  à  fait  mettre 
une  fonnette. 

Antoine ,  du  Comte  d'Albert,  efl  ren- 
verfé  Se  fait  tomber  un  jeune  Oikcier 
dans  la  boue,  la  fuite  de  cet  accident, 
fi  commun  à  Paris ,  &  qui  fait  fou  vent 
rire  les  témoins  ,  eft  l'origine  de  la  ter- 
rible fituation  du  fécond  acte.  Il  y  avoit, 
je  le  fais ,  mille  autres  manières  de  rendre 
Antoine  reconnoiflant  envers  le  Comte , 
mais  celle  que  M.  Sedaine  a  choiîîe  ,  étoit 
celle  qu'il  falloit  pour  produire  ce  qu'il 
a  produit. 

Je  crois  cependant  que  cet  ouvrage 
ne  reftera  pas  tel  qu'il  eft  ;  on  a  vu  avec 
quelle  confiance M.  Sedaine  &  moi ,  nous 
avons  cherché  a  perfectionner  le  dénoue- 
ment de  Richard  :  c'eft  après  avoir  mis 
l'un  &  l'autre ,  plus  de  trente  ouvrages  au 
théâtre  ,  que  nous  nous  fommes  cbftine's 

a 


SUR    II     MUSIQUE.  481 

3  nous  fervir  de  notre  expérience,  pour 
mettre  la  dernière  main  à  cette  produc- 
tion. Le  Corme  d'Albert  me  tourmente 
quoiqu'il  Toit  bien  vu  du  public;  la  iitua- 
tion  du  fécond  acte,  mérite  un  cadre  qui 
l'envelope  d'une  manière  plus  complette. 
La  mufique  du  Comte  d'Albert  a  été 
compofée  très-rapidement.   Dès    que   le 
poëme  fut  entendu ,  Ton  me  preiïa  de  le 
mettre  en  mufique  pour  pouvoir  le  don- 
ner à  Fontainebleau,  &  il  ne  reftoit  qu'un 
mois.  L'ouverture  eft  eitimée  des  Mufi- 
ciens.  Elle  fait  peu  d'effet  fur  le  parterre 
accoutumé  depuis  quelques  tems  a  n'en- 
tendre que  des  contre-danfes  en  forme 
d'ouverture  ,  toujours  accompagnées  de  la 
petite  flûte.  Le  morceau  d'enfemble, 

Arrêtez  ,  eiel  !  Qu'allez-vous  faire  l 
Pourquoi  tuer  ce  malheureux  ? 

a  perdu  l'intention  que  je  lui  avois  don- 
née. Je  dois  dire  que  la  Comtefïè  paroif- 
foit  au  premier  a&e ,  fui  vie  d'un  de  fes 

Hh 


4§i  Essai 

gens  qui  portoit  un  fac  de  velours  ;  elle 
alloit  par  conféquent  à  l'églife  ;  &  pour 
indiquer  d'avance  que  la  ComtefTe  verroit 
arrêter  (on  mari ,  la  baffe  contrainte  qui 
accompagne  tout  le  morceau  ,  annonçoit 
la  fin  des  offices  divins  par  le  fon  des 
cloches. 


gIgEggSi;Egi=g§=i=ljgH 


Cette  idée  ,  ]e  le  fais  ,  auroit  échapé 
à  prefque  tous  les  fpe&ateurs  :  mais  dans 
les  arts  d'imagination  ,  Fon  peut  parler  à 
l'imagination  feule.  Lorfqu'on  fe  dit  en 
écoutant  de  ïa  bonne  mufique  ;  je  ne  fais 
pourquoi  ce  morceau  me  fait  un  effet  ex- 
traordinaire  ;  c'eiï  effeclivement  qu'il  y 
a  quelques  rapports  cachés  qu'on  ne  dé- 
mêle pas  tout  de  fuite. 

Cependant  le  fac  de  velours  fit  rire  a 
la  première  repréfentation  ,  on  ne  le  porta 
plus,  &  le  morceau  de  mufique  eft  refté. 
La  finale  qui  fuit  auroit  pu  être  traite'ô 


SUR      IA      MUSIQUE.        483 

iîe  ma  part  avec  un  pîus  grand  emploi 
d'harmonie  &  de  modulations,  fi  le  tems 
m'eût  permis  d'attendre  &  de  chercher  : 
mais  les  traits  répétés  alternativement  par 
le  hautbois  ck  par  le  ballon  : 
» 

Hgj||˧Ê!|gf!e=lH 

Huubois,  BaJJon. 

ces  plaintes  réciproques  font ,  je  crois  7 
heureufes  &  d'une  grande  fenfibilité.  Le 
hautbois  parle  pour  les  enfants  ,  le  bafïbn 
pour  la  mère  évanouie. 

Je  ne  me  fuis  jamais  diffimulé  que 
chanter  en  déclamant ,  &  ne  point  quitter 
la  même  gamme  ,  foit  affez  pour  faire 
bien.  Les  modulations  tiennent  à  ïa  dé- 
clamation  autant  que  le  chant  ;  ne  pas 
changer  de  mode  ou  de  ton  à  propos  , 
eft  une  faute  comme  d'en  changer  fans 
nécelfité.  Les  Mufkiens ,  en  général ,  ai- 
Hient  trop  les  modulations ,  ils  les  aprou- 

Hh  x 


4S4.  É    S    S    A    t 

vent  fouvent  fans  examiner  fi  le  fens  des 
paroles  y  a  conduit  le  compofiteur.  Lorf- 
que  j'entends  an  contre-fens  de  modu- 
lation, je  ne  puis  m'empêcher  de  cher- 
cher a  l'inftant  de  quelle  manière  ce 
contre-fens  pourroit  cefTer  de  l'être. 

C'eft  ainfi  que  Vtrnct  voit  un  nuage 
ou  un  caillou ,  ces  objets  font  les  mêmes 
pour  tout  ïe  monde,  &  peu  d'hommes 
favent  leur  afïigner  leur  place  ;  c'eft  pour- 
quoi le  même  fait,  raconté  par  différentes 
perfonnes  ,  devient  charmant  ou  en- 
nuyeux. 

Tant  que  le  monde  durera  ,  le  travail 
obftiné  fera  des  favants  ,  &  l'crganîfation 
feule  fait  les  artiftes  de  la  nature. 

Le  duo  des  enfants  au  fécond  acle  , 

Quoi!  mon  papa  f  Quoi  !  déjà  vous  quitter? 

eft  en  contrarie  avec  la  couleur  générale 
de  cet  ade.  Un  ton  clair ,  un  mouvement 
de  fîx  huit,  conviennent  à  l'enfance  qui 
ne  fe  pénètre  jamais  vivement  de  la  fitua- 


SUR      T.  A      MUSIQUE»       48$ 

tion  la  plus  tragique ,  qu'en  proportion 
de  fes  forces  &  de  fbn  peu  de  prévoyance 
fur  l'avenir. 

Le  petit  trio  de  Si!  vain  ,. 

Venez  vivre  avec  nous  ,  &c. 

eiî  dans  le  genre  de  ce  duo,  quoiqu'ils 
ne  fe  refîemblent  point  par  là  mélodie. 
Le  choix  du  ton  &  du  mouvement  font 
prefque  toujours  indiqués  par  le  carac- 
tère de  la  fcène  ôc  des  paroles  :  mais 
prétendre  donner  là  defîus  une  théorie  , 
ce  feroit  mettre  de  cruelles  entraves  au 
génie. 

Le  rithme  de  nos  vers  Français  eft 
peu  fenfible  ;  c'eft  du  fentiment  des  pa- 
roles ,  que  le  Muficien  doit  tirer  fon mou- 
vement ,  car  a  moins  que  le  Poète  n'y 
ait  fait  la  plus  grande  attention ,  les  lon~ 
gués  &  les  brèves  d'un  veis  ne  corres- 
pondent point  à  celles  des  vers  fuivantsç 
&  quand  même  la  poëïïe  établirait  un 
rithme  permanent,  ce  feroit  un  inconvé~ 

Hh  3. 


486  Essai 

nient  d'être  forcé  de  le  fuivre  :  car  à  ïa  lon- 
gue, je  crois  que  le  même  mouvement  con- 
tinu doit  engendrer  une  monotonie  mfou- 
tenabîe.  J'ai  dit  ailleurs  que  le  chant  fy  lia- 
Bique  ,  continue'  iur  un  même  mouve- 
ment ,  avoit  un  empire  puilTant  fur 
l'ame  des  fpeclateurs  ;  mais  il  n'en  eft  pas 
moins  vrai  que  fi  un  opéra  entier  étoic 
fait  dans  ce  fyftême  ,  il  feroit  aufïi  en- 
nuyeux que  monotone ,  quoique  les  rithmes 
fuiïent  auiïi  variés  qu'ils  peuvent  l'être. 

Je  plains  les  Muficiens  de  Mtalie  qui 
font  obligés  de  remettre  jufqu'a  quatre 
ou  cinq  fois  en  m-ufique ,  îe  même  poëme 
d'Apoftolo-Zaio  ,  ou  de  Métaflafio.  Dès 
que  ïe  fentiment  a  indiqué  jufte  le  ton, 
le  mouvement,  ek  le  caractère  d'un  air, 
comment  fe  varier  ?  Si  l'on  peut  trouver 
deux  fois  la  vérité  pour  dire  une  même 
chofe ,  Pune  doit  être  préférable  à  l'autre. 

Le  duo  fui  van  t  : 

Oui  mon  devoir  eâ  de  mourir. 


S  U  R       LA      MUSIQUE.       487 

Reprend  le  ftyle  de  i'aéce  donc  on  étoit 
forti  imi  moment.  Lts  traits  de  chant  les 
plus  fenfibles  de  ce  morceau ,  font  fur 
les  vers  ; 

Cher  objet  de  ma  téndrc-ffe  , 
Quoi  !  tu  voudrois  mourir  i 
De  ma  famille  fi  chère 
Quoi  !  n'es  tu  donc  plus  la  mère  J 
Qui  fans  toi  1* élèvera  ? 
C'eft  par  toi  qu'elle  vivra, 

îe  fens  eft  toujours  fufpendu  ,  &  marque 
bien  l'interrogation.  Dans  l'allégro  qui 
termine  le  même  duo  ,  Ton  peut ,  je  crois, 
remarquer  le  chant  que  porte  le  vers 

Eh  fque  m'importe  la  vie? 

le  de'dain  ,  la  fenfibilité  ,  le  défefpoir  ,  îà 
déclamation  ck  le  ehant  y  font  réunis. 
îe   dernier  vers 

Tu  vivras  pour  nos  enfants. 

êft  eftropié  par  la  valeur  des  notes  y 


488  Essai 

à  moins  qu'on  ne  dife  que  le  déchirement 
de  l'ame  ,  autorité  quelquefois  a  déchi- 
rer  les   paroles,  il  n'y  a  point  d'excufe. 

Les  Italiens  qui  cornpofent  fur  les 
paroles  françaifes,  fans  connoitre  la  langue, 
commettent  cette  faute  à  chaque  inftant. 

J'ai  dit  que  ks  Italiens  aiment  trop 
la  mufique  ,  pour  lui  donner  d'autres  en- 
traves que  celles  de  fes  propres  règles  ; 
c'eft-a-dire ,  qu'ils  font  de  la  charmante 
mufique,  fouvent  au  dépens  de  Iaprofodie. 
I/expéfience  m'a  convaincu  que  le  chant 
détériore  la  langue  à  mefure  qu'il  de- 
vient italien.  Les  tournures  du  plus  beau 
chant  le  présentent  d'abord  à  l'imagina- 
tion en  compofànt  fur  des  paroles  fran- 
çaifes  ;  on  apperçcit  enfuite  des  incorrec- 
tions dans  le  langage ,  néceffitées  par  la 
tournure  de  ce  chant  ;  on  les  re&rfie  ,  alors 
le  chant  n'efl  plus  le  même  ,  il  eft  ,  fi  l'on 
veut,  plus  raproché  du  chant  françois.  Je 
dirai  donc  ,  que  le  point ,  où  l'on  doit 
s'arrêter ,  ne  peut  être  fixé  que  par  la 


SUR    tï    MUSIQUE.        489 

pr^cifion  de  la  profodie.  Nous  n'aurons 
donc  jamais  de  mufique ,  dirons  nous 
avec  /.  /.  Roujfcau  ?  Nous  en  avons  une  , 
mais  elle  ne  peut  être  abiolument  celle 
d'un  peuple  qui  ne  parle  pas  notre  langue. 
Au  refte  ne  foyons  pas  plus  févères  que 
les  Muficiens  Italiens  ,  même  lorfqu'iîs 
chantent  leur  langue  3  Ôc  notre  mufique 
emploiera  tout  le  luxe  de  la  mélodie  Ita- 
lienne &  de  l'harmonie  des  Allemands. 
Voyez  Pair  charmant  de  Sacchini. 


Bar-  ba-  re  a-mour , 


Il  eût  fallut  chanter  enfuite 


_ a —  -  _  -sP t 


T a,_^  _>p 1, ,-PÏ tg t_ 


ty-  ran     des  coeurs, 
car  ty  eft  bref  par  l'ufage  ;  mais 


.»• 


^49°  Essai 

a  plus  de  grâce  &  voilà  la  règle  géné- 
rale  des  compofiteurs  Italiens. 

Dans  un  morceau  de  Chimène  vous 
trouverez 


— i — i — ^ 1_ — i — —   »  - 


Et      que  le  poignard  de    la     hai-  ne. 
Gluck  eût  -fait  (  car  il  fa  voit  le  français  ) 


feF 


Et  que  le  poi-  gnard   de     la     hai-  ne. 


&  iï  n'eût   pas  appuyé   fur  que. 

Les  partitions  des  Italiens  fourmillent 
de  fautes  de  cette  efpèce ,  ils  fe  corrigent 
cependant  par  un  long  féjour  dans  la  ca- 
pitale ;  alors  leurs  enthoufiaftes  infenfés 
difent  qu'ils  fe  font  francifés  3  &  ont  gâté 
leur  ftyle. 

C'eft  dès  le  commencement  d'une  car- 
rière brillante  qu'il  faudroit  engager  les 


IUR    LA    MUSIQUE."  49^ 

compofiteurs  Italiens  à  féjourneren  France.' 
En  nous  apportant  une  mélodie   fuave, 
ils  auroient   le  tems  d'apprendre  à  s'en 
fervir  d'après  les  règles  de  l'art  dramati- 
que qui  s  de  leur  aven ,  n'eft  connu  qu'à 
Paris.  Sacchini  m'a  dit  n'avoir  fait  qu'à 
Londres  des    recherches   fur  l'harmonie. 
Les  derniers  ouvrages  de  Jomelli ,  attef- 
tent  qu'il  ne  fit  un  véritable  emploi  de 
fes  forces   harmoniques  que  pour  plaire 
aux   Allemands.    Il    ne   faut  pas   croire 
cependant  que  l'on  foit  toujours  à  tems 
d'étudier    &   d'employer   une   harmonie 
nombreufe  ;  il  eft  un  âge  où  notre  cer- 
veau ne  nous  rend  plus  que  îe  refte  des 
idées  anciennement  conçues.  On  apper- 
coit  bien  la  bonne  intention  de  certains 
Muficiens ,  qui  pour  imiter  les  Allemands 
veulent  donner   a  leurs  comportions  le 
nerf  qu'ils  n'ont  pas.    Croient-ils    nous 
en  impofer  par  quelques  unifions  chroma- 
tiques ,  ou  par  quelques  tranfitions  fubites 
qu'As  ont  faifies  comme  a  la  volée  ?  Non , 


49 l  Essai 

ils  relTemblent  à  ce  joli  enfant  qui  croît 
nous  faire  peur  parcequ'il  fe  groflit  la  voix 
en  nous  faifant  la  grimace.  Si  j'étois  afTez 
Iieureux  pour  concourir  félon  mes  de- 
firs  aux  progrès  de  mon  art ,  fi  je  pour- 
vois difpofer  de  dix  mille  livres  par  année, 
pour  cet  objet  ;  j'enverois,  dès-a-préfent, 
dix  jeunes  gens  bien  choifls  dans  les  con- 
fervatoires  de  Naples,  cinq  chanteurs  & 
cinq  compofiteurs  ;  les  premiers  n'y  res- 
teraient que  deux  ans ,  les  féconds  quatre. 
Ils  apporteraient  &  entretiendroient  à 
Paris  cette  {implicite,  cette  fraîcheur  de 
chant  qu'un  fentiment  mélancolique 
n'infpire  que  dans  les  pays  chauds  ;  mais 
bientôt  ayant  refpiré  l'air  natal  ils  don- 
neraient des  bornes  à  leurs  imaginations 
exaltées. 

Je  reviens  au  Comte  d'Albert. 

La  prière , 

O  mon  Dieu  je  vous  implore , 

offre  une  hardiefTe  que  j'ai  héfité  dTern- 


SUR     LA    MUSIQUE.  493 

ployer  ;  mais  mon  cœur  fapprouvoit ,  ck 
le  pubîic  l'a  confirmée.  C'eit  lorfque  la 
ComtefTe  tombe  à  genoux  après  avoir 
répété  , 

O  mon  Dieu   je  vous  implore; 

l'orcheftre  joup  feuï  une  prière  fburde 
en  contre-point  d'égïife.  Qu'on  ne  due 
point  que  c'efl  mêler  le  facré  avec  le  pro- 
fane. Eft-il  rien  de  plus  facré  dans  ce 
inonde  que  le  véritable  amour  conjugal  ? 
Avec  combien  plus  d'avantage  encore 
ne  fe  ferviroit-on  pas  des  chants  d'égïife , 
s'ils   étoient  tels  qu'ils  devroient  être. 

C'eft.  par  les  fens  que  nous  aimons 
toute  chofe  ;  la  mufîque  doit  contribuer 
à  faire  aimer  la  religion  &  les  cérémo- 
nies religieufes.  Mais  exceptez  quelques 
hymnes ,  les  chants  pieux  ont  befoin  d'une 
réforme  prefque  générale.  La  mélodie  en 
eft  fi  peu  fenfible  ,  que  les  organises  qui 
les  accompagnent,  font  prefque  toujours 
obligés  de  tranfporter  le  chant  à  la  bafîe , 


494  Essai 

parce  qu'ils  ne  pourroient  faire  qu'une 
mauvaife  baffe  fur  certains  chants.  On 
n'a  pas  même  obfervé  de  fe  fervir  des  tons 
majeurs  pour  les  chants  d'allé  greffe.  Le 
te  deum  eft  compofé  en  naineur  prefqu'en- 
tierement  ;  le  requiem,  an  contraire,  eft 
dans  un  ton  majeur.  Il  femble  que  Saint- 
Grégoire  &  d'autres  compofiteur*  du  chant 
de  l'e'glife  ignoraffent  l'empire  du  mode. 
Que  veulent  dire  encore  ces  traîne'es 
de  notes  fur  une  fyllabe  ?  Elles  ne  fervent 
qu'à  impatienter  ceux  qui  e'coutent ,  ck 
les  chantres  qui  les  exécutent.  Si  l'office 
eft  double  ou  triple ,  duplex  vel  triplex  ; 
c'eft  alors  qu'on  entend  alternativement, 
fur  les  cinq  voyelles  ,  des  fufées  qui  n'ont 
point  de  fin.  Cependant  fi  les  chants 
doivent  être  fy liabiques  ,  comme  je 
le  penfe ,  c'eft  fur  tout  dans  les  iêtes 
folemnelles  qu'ils  doivent  être  nobles , 
fimples,  &  non  ornés  de  ces  colifichets. 
Ce  n'eft  pas  l'harmonifte  favant  qu'il 
faudroit  charger  de  remplir  cette  tâche  y 


SUR     LA      MUSIQUE.        49  ^ 

plus  importante  qu'on  ne  croît  pour  faire 
révérer  la  religion  ;  c'eft  aux  Mufîciens 
qui  auroient  le  plus  de  chant  dans  la 
tête  ,  qu'il  faudroit  la  confier.  Peu  de 
notes  ,  un  chant  fimple  &  analogue  à  la 
chofe ,  fufceptibïe  d'une  belle  bafTe  ôc 
d'une  bonne  harmonie,  eft  ce  qu'il  fau* 
droit.  Alors  chacun  félon  fon  organe, 
pourroit  ajouter  une  partie  de  remplif- 
fage.  L'impreffion  de  ces  chants  toujours 
fimples ,  variés  &  mefurés  pour  que  l'en- 
femble  fût  plus  aifé  à  faifir ,  refleroit  dans 
î'ame  des  fidèles ,  &  ils  courroient  dans 
les  temples  louer  Dieu  fans  rifques  d'être 
fatigués  par  une  ennuieufe  pfalmodie.  • 

Nous  avons  des  airs  anciens  qui  pour- 
roient  fervir  de  modèles  aux  chants  reli- 
gieux ,  tel  par  exemple  celui-ci  qui ,  je 
crois ,  a  fait  impreffion  fur  tous  ceux  qui 
l'ont  entendu. 


49  6  Essai 


m~^BmWïËM^m 


Re-  qui-em  e-     ter-  nam       do-  na      e- 


is    Do-  mi-    ne. 

Quel  homme  après  avoir  afïîfté  aux 
funérailles  de  fa  femme,  de  fa  fille,  de  fon 
ami ,  ne  garderoit  de  tels  chants  dans 
fbn  ame  !  Cherchons ,  cherchons  les  fen- 
fations  délicieufes ,  nous  ne  fommes  heu- 
reux que  par  elles  ;  &  jamais  l'homme 
fènfible  qui  aime  l'attendriffement  ,  ne 
fut  redoutable  pour  Ces  femblables. 

Dans  le  Comte  d'x^lbert  comme  dans 
beaucoup  d'autres  pièces ,  efTayer  de  faire 
l'éloge  de  madame  Duga^on ,  c'eft  vou- 
loir expliquer  la  nature  ;  elle  entraîne  par 
ùs  beautés  Se  nous  force  au  filence.  Cette 
femme  admirable  ,  ne  fait  point  la  mu- 
fique }  fon  chant  n'eit  ni  Italien  ni  Fran- 
çais , 


S  %  K     t  A     M  U  3  I  Q  XJEi       497 

«aïs  ,  mais  celui  de  la  chofe.  Elle  m'oblige 
à  lui  enfeigner  les  rôles  que  je  lui  deftine , 
Se  j'avoue  que  c'eft  en  tremblant  que  je 
lui  indique  mes  inflexions,  de  peur  qu'elle 
ne  les  fubfïitue  à  celles  que  lui  infpire  un. 
plus  grand  maître  que  moi.  Lorsqu'un 
neureux  inftinft  favorife  un  individu,  on 
doit  le  ïaiiïer  agir.  L'on  ma  dit  cent  fois 
que  M.  Garât  feroit  le  meilleur  chanteur 
de  l'Europe  ,  s'il  favoit  la  mufique ,  Se 
s'il  confukoit  les  maîtres  a  chanter.  J'ai 
toujours  cru  qu'on  fe  îrompeit  :  11  eft 
■élève  de  la  nature  >  &  s'il  connoifibit  le 
danger  de  manquer  aux  règles  de  l'art, 
nous  perdrions  ce  qu'on  trouve  rarement, 
les  élans  d'un  heureux  infimer.  ,  pour 
gagner  ce  que  l'on  entend  partout  ,  les 
accens  de  convention. 

En  terminant  ici  le  catalogue  de  mes 

pièces  y  je  pafTe  feus  fîience  les  Méprifes 

par  Rejfmb  lance  ,   le  Prifonnier  Anglais, 

îe  Rival  Confident ,  Amphitrion  ,  la  Barbe 

Bkue  Se  Afpafie  ;  pareequ'aucune  de  ces 

li 


"S 9?  *È    S    S    A    f 

pièces    n'a    été  gravée   &    que  plufieurs 

n'ont  pas  encore  été  rcpréfentées. 

Je  m'apperçoîs  (faiileurs  ,  que  les  ré- 
flexions fur  ïa  mufîque  ,  qui  fe  préfentoient 
aifément  à  ma  penfée  au  commencement 
de  cet  écrit,  deviennent  plus  rares. 

C'en:  donc  ici  que  je  dois  finir  ;  car 
comme  je  l'ai  dit  dans  favant-propos , 
je  n'ai  rapporté  les  époques  de  ma  vie, 
je  n'ai  donné  la  lifte  de  mes  ouvrages , 
que  pour  être  conduit  naturellement  à 
ces  réflexions.  Je  fais  quelles  font  loin 
d'être  épuifées  ;  au  refte  c'eft  dans  ce 
cadre  que  je  pourrai  les  continuer,  fi  les 
ouvrages  que  je  viens  de  citer  }  ôc  ceux 
dont  je  m'occuperai  probablement  à 
l'avenir,  m'en  fourniffent  les  moyens. 

lettons  à  préfent  un  coup  d'œil  fur  les 
fûccès  qu'obtient  le  Muficien  dans  la 
carrière  du  théâtre  •  ils  font  tous  difTérens 
quoique  nombreux.  Chaque  fuccès  tient 
à  quelques  circonftances  qui  lui  font  par- 
ticulières, &  tel  ouvrage  qui  réuffit  plut 


SUS.    LA     MUSIQUK.  499 

que  tel  autre,  ne  doit  pas  pour  cela  fatif- 
faire  autant  îe  compoliteur.  D'où  peuvent 
venir  ces  différences  que    le  public   en 
général  n^aperçoit  guère?  Parce  que  tel 
fait  un  excellente  mufique  fur  un  mau- 
vais drame  ,  ck  paroît  refter  enfeveli  fous 
{es  ruines  :  cependant  quoique  l'ouvrage 
foit    retiré    du  théâtre  ,   la  partition  eft 
gravée  ,  les  connoifleurs  apprécient  l'œuvre 
du  Muficien ,  &  répandent  fourdement 
fa  réputation.  Tel  fait  au   contraire  une 
mufique  médiocre  ,  où   tout   eft  imité , 
contourné  &  pofé  fur  une  harmonie  fu- 
perficielle.  Peu  de  vérité  dramatique ,  point 
de    connoifîance    du    cœur   humain-    la 
gaîté  y  fera  triflemcnt  rendue ,  Pefprit  y 
fera  grimacier  ;  cependant  fi   cette  mu- 
fique eft   foutenue  par  un  bon  poëme, 
îe  fuccès  couronnera  l'œuvre.  Mais  enfuite 
on  exécute  cette  mufique  dans  les  con- 
certs ,  là  elle  paroît  feule  ,  le  Poëte ,  l'ac^ 
tricc  en  réputation  ,  la  décoration  ,   tout 
a  difparu  ,  alors  îe  géant  devient  nain  k 

Ii  a. 


r5cô  E  s  s  jl  r. 

Se  il  gémit  après  fes  fuccès  ,  en  fe  voyant 
méconnu  des  gens  de  l'art  qui  d'avance 
ont  rayé  fon  nom  du  catalogue  des  bons 
compofkeurs  où  ils  fe  croyoit  inferit. 

RÉCAPITULATION. 

ÏI  n'exifte  point  de  livre  de  mufique, 
qui  parle  moins  que  celui-ci  des  règles 
de  l'art.  Un  EfTai  fur  l'efprit  de  la  mu- 
fique ,  ne  devoit  pas  être  un  livre  tech- 
nique ;  mais  cherchant  à  développer  le 
fentimentmême  d'un  art,  tel  qu'il  frappe 
fans  celte  les  organes  de  l'artifte  pendant 
fon  travail ,  c'eft  révéler  le  fecret  qui  a 
précédé  la  règle ,  ÔZ  qui  prefque  toujours 
l'a  fait  naître. 

C'eft  après  avoir  ïu  les  Traités  d'Har- 
monie de  Tartinï  ,  de  Zarlirt ,  de  Ra- 
meau ,  de  d'Alembert ,  que  je  me  fuis  dit, 
voilà  bien  aiTez  parler  théorie  !  Avant  que 
!a  pratique  n'ait  fait  ufuge  de  ces  règles 
«Se  de  ers  immenfes  calculs ,  il  y  a  dequoî 


SUR      X  A      MUSIQUE.         f  OX 

occuper  les  arriftes  pendant  pïufieurs 
fiècles.  Puifle  feulement  cet  amas  d'éru- 
dition nous  donner  un  trait  de  chant 
qui  réveille  une  fenfation  douce  &  con^ 
folante  pour  les  âmes  fenfibles. 

II  eft  démontré  cependant  que  les 
fciences  mathématiques  font  la  fource  des 
combinaifons  harmoniques  &  quelles 
donnent  une  valeur  certaine  aux  fons  de 
îa  gamme  en  les  affujettifTant  à  des  cal- 
culs furs  pour  îa  règle,  s'ils  lé  font  peu 
pour  le  plaifir.  J'ai  lu  aufli  7.  /.  Rouf- 
fcau  y  il  a  dit  beaucoup  fans  doute ,  & 
s'il  eut  fait  autant  d'opéras  que  d'œuvres 
de  littératures  :  fes  réflexions  plus  géné- 
rales, plus  multipliées  &  appuyées  de. 
nombreux  exemples»  m'eufTent  difpenfd 
d'écrire  fur  mon  art. 

Combien  de  tems  les  hommes  n'ont 
ils  pas  erré  en  mufique ,  comme  dans 
toutes  les  fciences  ,  avant  d'arriver  au  vrai 
beau  ;  tantôt  en  fe  livrant  à  une  (impli- 
cite puérile  ;  tantôt  à  une  complication 

Ït  3 


'yol  E   s   •  a   i 

falîueufe    &    défordonnée?  D'abord    les 
chants  les  plus  fimples  ,  formés  de  quatre 
ou  cinq  notes  ;  ont  fuffi  pour  exprimer 
la  joie  ou  la  douleur  des  hommes  fimples 
&  abandonnés  à  îa  nature  (i).  L'art  naif- 
fant  de  la  mélodie  s'eft  enrichi  ;  les  chants 
fe  font  multipliés  à  mefure  que  les  idées 
phyfiques  ou  morales  fe  font  dévelopées. 
Ecoutez  chanter  Phomme  de  la   nature, 
fon  criant    fera   le    miroir   de  fon  ame. 
Si  plufieurs  hommes  chantent  tour  a  tour 
îe  même   air ,  ils  vous  révèlent  leur  ca- 
ractère ;  il  y  a  des  exceptions,  mais  elles, 
ae  font  pas  pour  l'homme  dont  je  parle. 
Quand    les    hiftoires  anciennes  nous 
parlent  des  prodiges  opérés  par  la  mu- 
fique  ,  je  ne  les  révoque  pas  même   en 


(1)  L'enfant  de  la  nature  chante  fes  maux  Se  Ces  plai' 
iîrs  ;  les  complaintes  ,  les'  romances  nous  viennent  des 
Amants  &  en  général  des  cœurs  paffionnés  ;  il  n'y  a  que 
*es  âmes  fîugides  ,  qui  trouvent  ridicule  qu'on  chante 
tes  malheurs. 


SUR    LA     MU8ÏQUE.  503 

tn  doute  !  Elle  devoir  avoir  un  empire 
abfolu  fur  des  cœurs  non  corrrompus. 
L'homme  de  la  nature  eft.  un  ;  îe  ca- 
ractère de  l'homme  de  nos  jours ,  eft  un 
peu  de  tout.  La  mufique  des  anciens , 
appliquoit  &  confervoit  fcrupuleufement 
une  mélodie  &  fur  tout  un  rithme  pour 
chaque  chofe.  Le  peuple  e'toit  fur  que  l'on 
célébroit  la  fête  de  Vénus  ou  de  Junon 
ïorfqu'îl  entendoit  les  chants  qui  les  *dé- 
fignoient.  Chaque  air  faifoit  une  impref- 
fion  diftin&e  :  chaque  famille  chantoic 
fes  loix  dans  le  fein  de  la  retraite  ,  & 
certes  on  ne  chantoit  pas  de  même  ho-* 
nores  les  auteurs  de  tes  jours  ,•  ou  verfes 
ton  fing  pour  la  patrie. 

La  mélodie  dut  donner  naiiîance  à 
Pharmonie.  On  s^apperçut  qu'après  avoir 
monté  fept  notes,  la  première  renaiiïbit 
dans  îa  huitième.  Les  favants  virent  des 
rapports  entre  tel  ck  tel  fon  ;  l'harmonie 
une  fois  foumife  au  calcul ,  dut  augmenter 
les  progrès  de  la  mélodie  >  qui  ne  rmr- 

li  4 


7-04  E   S    S    A   1 

choie  qu'à  Paide  des  nouvelles  fenfatïonfc 

qui  l'infp ir oient. 

Si  nous  pafîbns  au  fiècïe  dernier,  c'eft 
chez  les  Romains  modernes  qu'il  faut 
voir  combien  la  mélodie  avoit  encore 
peu  de  rapport  avec  la  déclamation. 

Voyez  cet  air  de  Vinci. 

Artafercc  de  Métajlajio*  Sccaa  XIII  * 
atto  primo., 

Tor-  na  in-no-  cen-te  è      poi  tas-* 


col-   te-     ro    poi,  poi , poi s' tut- to  per- 
te-  fa-     ro,     Voici  la  fin  de  l'air  *  tor-  na.» 


r=^-_ 


1er-  na     tas-coî*  te-     ic. 


SUR-     IA     MUSIQUE.  5  O  £ 

Que  veuillent  dire  ces  torna  toma  ré-^ 
pétés  fans  dire  innocente  ? 

Dans  la  bouche  de  la  Princeffe  fœur- 
d'Arface  ,  cet  air  de  gigue  devoit  être  ce 
que  nous  appelions  air  de  fureur.  Un 
noble  courroux  peut  intéiefler  lors  même 
qu'il  eft  injufte  :  mais  la  colère  non 
ennoblie  eft  toujours  dégoûtante.  L'op-* 
pofition  la  plus  triviale  étoit  donc  de. 
faire  un  air  de  danfe  gaie  ,  pour  exprimer 
la  fureur;  c'eft,  fi  Ton  veut,  la  colère  de 
Polichinelle^ 

Les  accompagnernens  de  ce  morceau 
font  d'ailleurs  d'un  fautillant  &  d'une 
gaîté  incroyable.  Combien  cet  air  eft  loin 
de  vo  folcando  du  même  auteur  î  Dans 
ce  dernier ,  le  chant  ,  &  fur  tout  les. 
accompagnernens  appartiennent  abfolu- 
ment  aux  paroles  ;  c'eft  le  premier  ta-, 
bleau  qu'on  ait  fait  en  mufique  ;  c'eft  le 
premier  rayon  de  lumière  vers  la  ve'rké.. 
Les  Romains  entrèrent  dans  un  délire 
inexprimable,  ïorfcjrn'ils  entendirent  pous- 


5  06  Essai 

la  première  fois  cette  réunion  fublime 
des  fons  avec  î'exprefïion  jufle  des  pa- 
roles, 

Vinci  fut  donc  le  premier  infpiré ,  a 
ce  que  difent  les  anciens  profeffeurs  de 
Kome,  &  comme  créateur  il  mérita  la 
ftatue  qu'on  lui  érigea  dans  le  panthéon. 

Si  le  génie  de  Vinci  fentit  le  premier 
que  les  fons  pouvoient  peindre  les  agi- 
tations d'un  cœur  qui  compare  (es  mou- 
vemens  divers  à  ceux  d'un  vaiffeau.  tour- 
menté par  la  tempête , 

ISair  torna  innocente  , 

que  je  viens  de  citer ,  prouve  qu'il  n'a- 
voit  pas  fenti  que  la  mélodie  a  autant 
de  pouvoir  ,.  &  plus  encore  que  l'har- 
monie ;  c'eft-à-dire  ,  qu'elle  peut  des- 
cendre dans  le  fond  du  cœur  pour  y 
puifer  ck  exprimer  tous  les  fentimens 
moraux,  en  fuivant  les  nuances  infinies 
de  la  déclamation.  Oui  ;  même  après  le 
chef  d'œuvre  dont  je  viens  de  parler  , 


IUR      LA      MUSIQUE.        5  O  7 

on  ignoroic  encore  en  Italie  que  la  dé- 
clamation fut  la  fource  de  la  bonne  mu- 
fique. 

Pergole^e  naquit ,  &  ïa  vérité  fut  con- 
nue. L'harmonie  a  depuis  fait   des  pro- 
grès   étonnans  dans    fes  labirinthes  in- 
finis ;  les  exécutans  en  fe  perfectionnant 
ont  permis  aux  compofiteurs  de  déployer 
îa  richeïïes  des  accompagnemens  ;  mais 
Pergolc^e  n'a  rien    perdu  ;   la   vérité  d» 
déclamation  qui  conftitue  fes  chants  eft 
indeftructibïe  comme  la  nature.  C^eft  fans 
doute  un  malheur  irréparable   pour  l'art 
que  ce  divin  artifte  ait  fini  fa  carrière  à 
la  fleur  de  l'âge.  Ce  ne  fut  pas  fans  un 
plaifir  extrême ,  que  pendant  mon  féjour 
a  Rome ,  j'appris  de  plufieurs  Muficiens 
âgés ,   que   ma  taille  ,  ma  phyfionomie 
leur  rappeloient  Pergole^e,  il  m'apprirent 
que  la  même  maladie  menaçoit  auffi  Ces 
jours  chaque  fois  qu'il  fe  livroit  au  tra- 
vail. M.  V  crnct ,  qui  avoit  connu  &  aimé 
Pcrgok^e,  me  confirma  la  même  chofe 
a  Paris, 


5>o8  E    S    S    A    ï 

Duni  dont  j'ai  toujours  aimé  la  mu* 
fîque ,  parce  qu'elle  me  paroît  fimple  ,. 
naïve  &  vraie  ,  m'a  dit  qu'il  fortit  jeune 
encore  d'un  Confervatoire  de  Naples ,. 
pour  aller  à  Rome  compofer  un  opéra 
au  théâtre  de  Tordinona. 

Pergole^e  étoit  cette  année  chargé  du 
premier  opéra  ,  &  Duni  du  fécond.  Per- 
gote^e  avoir,  obtenu  des  fuccès ,  par  con* 
féquent  iï  avoit  des  ennemis  ,  Ton  opéra 
ne  réufïit  point  ;  on  où  lui  jetter  une 
orange  fur  la  tête  pendant  qu'il  étoit  au 
clavecin  pour  couduire  fon  ouvrage  ;  ïe 
chagrin  renouveïla  fon  crachement  de. 
iàng  ;  il  fe  retira  du  côté  de  Naples  chez 
îe  Duc  de  Mondragona  àont-i\  étoit  aimé; 
il  languit  &  s'éteignit  doucement  en 
compofant  le  Jlabat ,  d'autres  difent  un 
miferere. 

En  arrivant  à  Rome  Duni  s'étoit  pré- 
fente  à  lui,  en  lui  difant  ,  mon   maître  % 
je  ne  fils  quel  fort  m'attend ,  mais  je  fuis 
fur  que  mon  ouvrage  entier,  ne  vaut  pas 


SUR     I  A     MUSIQUE.        509 

fyfifeul  air  de  voire,  opéra  fi.  mal  accueilli, 
Celui  de  Duni  eut  du  fuccès  ;  celui  de 
Pergole^e  fut  repris  &  chanté  avec  délices 
l'année  fuivante  fur  tons  les  théâtres  d'I-* 
iaïie  ;  mais  l'ange  cre'ateur  étoit  defeendu 
au   tombeau. 

Avant  ïe  régne  de  Pergoh\e  ,  Lulli 
déjà  établi  à  Paris ,  avoit  quelques  pref- 
fentimens  de  îa  mufique  déclamée  \  (on. 
récitatif  le  prouve  ;  mais  il  ne  fut  que 
noter  la  déclamation ,  &  non  chanter  en 
-déclamant. 

Rameau  lui  fucceda  ;  il  étoit  moins 
feniible  ,  mais  plus  favant  &  plus  riche 
d'harmonie  ]  il  cGnnoiiTbit  la  mufique  des 
Vinci ,  Pcrgoleçe  ,  Léo  ,  Terradellas  ,  Bu- 
ranello  ,*  mais  il  avoit  commencé  fort 
tard  à  travailler  pour  le  théâtre  ;  il  fut 
contraint  de  fuivre  fa  manière  qu'il  ne 
regardoit  pas  comme  la  meilleure. 

a  Si  j'avois  trente  ans  de  moins  ,  di- 
>j  foit-il ,  à  l'abbé  Arnaud ,  j'irois  en  Italie, 
?j  Pergole^e  feroit  mon  modèle  ;  j'aiïujer- 


^  I O  E     «     S     A     S 

;>  tirois  mon  harmonie  à  cette  vérité  dtf 
55  déclamation  qui  doit  être  le  feule  guide 
»  des  Muficïens  ;  mais  a  foixante  ans  , 
p  Ton  fent  qu'il  faut  relier  ce  que  Fon 
*>  eft.  L'expérience  dit  afles  ce  qu'il  fau- 
W  droit  faire ,  mais  le  génie  refufe  d'o-, 
w  béir  5^. 

Cet  aveu  ne  peut  être  que  celui  d'un 
grand  homme  :  en  effet ,  Rameau  fut  un 
des  plus  grands  harmoniftes  de  notre 
fiècle.  Il  fit  des  chœurs  magnifiques,  où 
l'harmonie  non-feulement  *eft  favante ," 
mais  tiès  -  expreffive.  Son  monologue , 
triflcs  apprêts ,  pâles  flambeaux  Sfc.  Dans 
Cajlor  &  Pollux ,  eft  vrai ,  fur-tout  à  l'en- 
droit, non  non  je  ne  verrai  plus..,.  Cet 
endroit  eft  digne  de  Pergole^e.  Ses  airs 
de  danfe  font  variés ,  fort  adaptés  à  îa 
chofe  &  fur-tout  fort  dânfans.  Les  tour- 
nures de  fon  chant  on  vieilli  ;  mais  teî 
fera  le  fort  de  toute  mélodie  vague.  Son 
harmonie  fervira  de  modèle  ,  parce  que 
îe  cachet  du  maître  y  eft  empreint,  & 


SUR    t  A     MUSIQUE.'  ?  I  *' 

que  toute  cxprefficn  à  part  la  bonne 
harmonie  a  un  mérite  réel. 

L'Italie  ne  conférva  pas  long-rems  îa 
mélodie  (impie  &  vraie  de  Pergolc^e  j 
de  jour  en  jour  elle  abandonna  les  vrat- 
(èniblances  dramatiques ,  pour  faire  briller 
fes  chanteurs.  Pendanr  ce  tems,  îa  France 
étaloit  la  pompe  la  plus  brillante,  dans 
fes  opéras  de  Quinaut ,  &  s'amufoit  à 
chanter  délicieufement  les  récitatifs  de 
Lulli  6c  de  Rameau  ,  avec  toute  îa  pré- 
tention (  à  la  mefure  près  )  des  airs 
pathétiques. 

L'Allemagne  de  fon  côté,  fe  fortifîoic 
de  plus  en  plus  des  reflburces  de  l'har- 
monie. C'cft  alors  que  les  bouffons  Ita- 
liens arrivèrent  en  France.  Les  gens  de 
goût  n'eurent  qu'un  cri  pour  approuver 
cette  mufique  expreflive  &  pittoresque  (y). 
Le  refte  de  îa  nation  réfifta;  mais  eilc 
fut  obligée  de  céder  à  Pempire  de  la 
raifon  ôc  de  Pennui.  La  France  toujours 
accoutumée    à   perfectionner   ce   qui  iu* 


5*  i  2,  Essai 

Tient  de  fes  voïfins  ;  tenant  îe  milieu 
entre  l'Italie  &  l'Allemagne  i  adopta  la 
mélodie  italienne  qu'elle  unit  à  l'harmo- 
nie allemande  ;  c'eft  ce  que  Philidor 
exécuta  dans  plufieurs  chefs-d'œuvres. 

En  arrivant  à  Paris  je  donnai  (uccef- 
îivement  le  Huron  ,  Lueile ,  le  Tableau 
Parlant  ,  Silvain  ;  l'Amitié  à  l'Épreuve  y 
les  Deux  Avares,  Zémire  &  Azor,  l'Ami 
de  la  Maifon  ,  Céphale  &  Procris }  ïa 
Rofière  de  Saienci.  Gelt  a  cette  époque 
de  ma  carrière  -,  que  îe  Chevalier  Gluck 
nous  apporta  la  mafiue  d  Hercule  dônt- 
il  terraiîa  fans  retour  la  vieille  idole  fran- 
çaife  déjà  foible  des  coups  que  lui  avoienf. 
portés  les  Bouffons  Italiens  )  enfuite  Dura 
Philidor  &  Monfignu 

Nous  devons  beaucoup  ,  fans  doute  * 
au  Chevalier  Gluck  pour  les  chefs-dœuvres 
dont-il  a  enrichi  notre  théâtre  ;  c'étoit  à 
fon  génie  vraiment  dramatique,  qu'il  fal- 
loit  confier  l'adminiitration  d'un  fpectacle 
qu'il  a^oit  fait   renaître  par  fes  immor^ 

telles 


SÛR      t  À      M'bSÏ'Q'UR       513 

telles   productions ,    &    dont  -  il   auroit 
maintenu  fordre   &c    la   vigueur    par  Tes 
lumières  &  par  cette  tranfcendance  que 
donne  la  fupériorité  des  talens.  C'en1  fur 
tout  en  encourageant  les  gens  de  lettres , 
en  fe  faifant  remettre  les  difrérens  poëmes 
qu'ils  compofent,  qu'il  fèroit  aifé  à   un 
directeur,  tel  que  Gluck,  d'occuper  cha- 
que  Muficien  dans  le  genre   qui   lui  eft 
propre.  Un  jeune  compofiteur ,  un  exé* 
cutant  perdent  fouvent  plufieurs  années , 
&  quelque  fois  leur  vie  entière  a  chercher 
ce  qui  leur  convient  ;  tandis  qu'en  un. 
ïnftant  ils  pourroient  être  fixés  (1). 

Je  fais  que  la  fubordination  eft  diffi- 
cile à  établir  parmi  des  fujets  qui  nous 
fubjuguent  par  le  charme  des  pîaifirs  , 
mais  le  peu  de  mérite  de   ceux  qui  les 


(1)  Il  faudroit  traiter  féparément  la  réforme  des  abus 
de  nos  fpe&acles  lyriques  ;  c'eli  dequoi  je  m'occuperai 
peut-être  quelque  jour. 

Kk 


514,  Essai 

commandent  ,  eft   fouvent    la   véritable 
fource  de  leur  découragement. 

Si  la  nature  eût  doué  Lulli  du  génie 
créateur  de  Gluck  ,  de  quel  éclat  n'eût-il 
pas  fait  briller  l'opéra  de  Paris  dès  fa  naif- 
fance ,  étant  comblé  des  faveurs  dire&es 
de  Louis  XIV?  Mais  ce  Roi ,  ami  des 
arts  utiles  ôc  confolateurs  ,  ne  pouvoit 
mieux  choiiir  ,  puifque  Lulli  étoit  le  pre- 
mier Muficien  de  fon  tems.  C'eft  à  lui 
qu'il  fut  permis  de  créer  une  Académie 
royale  de  mufïque,  dont  il  fut  l'unique 
directeur. 

Sans  doute  que  dès  ïors  les  courtifans 
voulurent  s'emparer  de  l'autorité  fur  les 
fpeâacïes  ;  autorité  funefte  ,  qui  féduit 
bien  plus  fouvent  l'amateur  du  fexe  ,  que 
celui  des  arts  :  mais  que  pouvoient  -  ils 
contre  un  artifte  qui  avoit  l'honneur  ainfi 
que  Molière ,  d'approcher  de  fon  maître 
pour  le  confuîter  fur  [es  pîaifirs.  L'on 
dit ,  je  le  fais ,  qu'il  règne  parmi  les 
artiiles,trop  dejaloufie,  pour  qu'on  âoivç 


SUR     LA     MUSIQUE.  $  I  $ 

confier  à  l'un  d'eux  un  pouvoir  trop  étendu. 
Vains  préjugés  ,  vains  menfonges  ,  dont 
on  fe  fert  pour  éloigner  l'homme  de  ta- 
lent de  fa  véritable  place.  Le  Muficien 
médiocre    une  fois  parvenu  par  ies  im- 
portunes  follicitations    &    fes  bafTeiTes  , 
tremblera ,  fans  doute  ,  a  l'afpecl:  des  vrais 
talens  qu'il  éloignera  par  les  dégoûts  ;  maïs 
faites  choix  d'un  artifte  dont  la  juile  ré- 
putation vous  réponde  d'un  noble  défin- 
térerTement ,  dont  la  célébrité,  ce  phan- 
tome  charmant ,  repouiTeroit  l'envie  &  la 
cupidité  fi  elles  ofoient  le  tenter;  faites 
choix  de  Partifte  qui ,  après  de  nombreux 
fuccès  ,  aime  encore  à  prolonger  fa  gloire  , 
en    éclairant   les    jeunes   talens  de    fbn 
expérience  ;  faites  choix  de  l'homme  en- 
fin x   qui  a  le  droit  de    dire   à  f  homme 
célèbre  fon  égal  :  votre    génie  a  fu  vous 
ouvrir  en  Italie  une  route  nouvelle,  pour 
arriver    au   vrai  ;  pourquoi    vous  perdre    ** 
dans  le  chemin  brillant  que   vous   avez 
tracé  a  vos  émules  ;   en  courant  après  le 

Kka, 


5 16  Essai 

genre  auquel  vous  ne  pouvez  atteindre  ? 
LaifTez  là  ces  chœurs  terribles,  ces  airs 
de  dan  Tes  dont  la  nature  vous  a  caché  les 
refîbrts  ;  ne  privez  pas  l'Europe  des  fcènes 
touchantes  que  vous  produifez  fans  effort. 
Il  dira  a  cet  autre  ,  votre  mélodie  eft 
noble  &  pure  ;  vous  ne  produirez  plus 
ces  chants  fuaves  &  pathétiques ,  fi  vous 
cherchez  à  peindre  avec  trop  de  vérité 
&  d'énergie.  Vous  ,  toujours  correct  & 
fier ,  mais  n'ayant  qu'un  flyle  infle- 
xible y  qui  ne  peut  fe  prêter  aux  nuances 
infinies  des  partions ,  vous  ne  devez 
peindre  qu'en  grand ,  &  fur  des  paroles 
d'un  fens  vague  ;  enfin  Gluck  m'eût  dit 
à  moi-même  ,  la  nature  vous  donna  le 
chant  propre  à  la  fituation  ,  mais  c'eft 
aux  dépens  d'un  harmonie  plus  févère  & 
plus  compliquée  que  ce  talent  vous  fut 
donné.  Ce  n'efr.  qu'avec  des  efforts  qu'on 
parvient  quelques  fois  avec  fuccès  ,  à 
fortir  du  genre  auquel  nous  fommes  ap  - 
pelles  ;  mais  le  plus  fouvent  alors  on  pafîe 


SUR    IA     MUSIQUE.  $1J 

îe  but ,  ou  Ton  refte  au-defïbus  ,  &  c'erfc 
commettre  la  même  faute. 

L'ignorance  révolteroit  i'amour-propre 
fi  elle  cherchoit  à  prendre  ce  langage  ; 
mais  îa  vérité  préfentée  avec  intérêt  par 
l'homme  inftruit,  fut  toujours  bien  reçue 
des  vrais  talens ,  fur  -  tout  ïorfque  pour 
bien  remplir  fa  place ,  le.s  fuccès  d'autruà 
intérefïènt  le  directeur, 

FIN. 


Kfc  3 


NOTES. 

Page  J.  (a)  Les  Comtes  dlJdiken  ,  les  Bla- 
vier ,  les  Comtes  de  Bliftin  ,  les  Delchef,  les 
Eorlez,  les  Orval,Ies  Xhenemont,  toutes  famil- 
les nobles  ou  anoblies  par  des  places  honora- 
bles ;  c'eft  un  des  Foffés  ,  Tréfoncier  de  Liège  , 
qui  fonda  les  Capucins  de  Spa ,  &  qui  leur  fit 
don  du  terrein  immenfe  qu'ils  occupent.  Ils 
ont  par  reconnoifïance  placé  fon  portrait  &  (es 
armoiries  au  frontifpice  de  leur  Egîife  ;  &  dans 
la  place  la  plus  évidente  de  leur  Refe&oire  où 
{es  parens  ont  encore  le  plaifîr  de  le  voir  avec 
l'habit  de  St.  François  ;  avantage  qu'on  ne  pou- 
voit  trop  payer. 

Page  23.  (b)  L'on  pourroit  dire  aux  chan- 
teurs qui  fe  plaignent  qu'on  les  accompagne 
trop  fort  :  chantez  bien  &  vous  ferez  bien  ac- 
compagné. . .  .  Nous  n'entendons  point  par-là 
juitifier  les  abus  auxquels  des  orchefrres  mal 
dirigés  ne  fe  livrent  que  trop  fouvent ,  ni  infir- 
mer cette  régie  indifpenfablc,  que  les  inftrumens 
en  général  ne  doivent  accompagner  les  voix 
qu'avec  le  demi  jeu  ;  lequel  a  tous  [es  degrés  & 
fç$  nuances  comme  le  jeu  plein*   On  doit  hs 


NOTES.  5-19 

féntîr  dans  un  grand  chœur  même,  aînfi  que  dans 
une  ariette^ 

Page  3,9.  (c)  Dans  un  moment  où  TAdml- 
niftration  mettant  à  profit  les  progrès  des  lu- 
mières ,  s'occupe  des  moyens  de  perfectionnée 
la  Société  par  des  changemens  qui  tendent  au 
bonheur  des  hommes  ;  peut-être  s'occup'era-t-on 
aulTi  de  l'éducation  de  la  jeunefle  :  peut-être  fen- 
tira-t-on  qu'il  eft  tems  d'interdire  abfolument 
dans  les  Collèges  &  pendons  toutes  les  puni- 
tions corporelles  ?  punitions  que  la  Juftice  civile 
doit  feule  infliger  ,  &  dont  elle  n'ufe  même  que 
pour  des  crimes  d'un  certain  degré.  Si  dans 
pîufieurs  états  de  l'Europe,  on  a  tenté,  &  peut- 
être  avec  fuccès  ,  d'atténuer  le  mal  fait  à  la  So- 
ciété par  les  grands  criminels,  en  les  livrant  à 
des  fuplices  utiles  à  cette  même  Société  qu'ils 
avoient  blelTée  ;  ne  pourroit-on  pas,  à  plus 
forte  raifon ,  rendre  utile  aux  enfans  la  punition 
même  de  leurs  fautes  ,  qui  d'ordinaire ,  ne  font 
tort  qu'à  eux-mêmes?  Il  en  eft  cent  moyens  dans 
lefquels  il  eft  inutile  d'entrer  ici,  Obfervons 
feulement  que  ce  nouveau  régime  des  Collèges 
influerait  auflî  fur  les  pères  &  mères ,  qui ,  fur- 
tout  chez  le  petit  peuple ,  prodiguent  très-in- 
juftement  les  coups  à  leurs  enfants ,  &  en  font 

Kk  4 


5*20  NOTES. 

fou  vent  de  mauvais  fujets  ;  nous  avons  vu  & 
nous  ne  pouvons  retracer  cette  image  fans  gé- 
mir y  nous  avons  vu  des  mères  fatiguées  des 
pleurs  de  leurs  «nfans  encore  à  la  mamelle  ,  les 
frapper  au  point  de  fradurer  leurs  petits  mem- 
bres ,  &  ks  rendre  impotens  pour  le  refte  de 
leur  vie. 

Page  5z.  (d)  Le  Public  ne  fait  pas  qu'if 
doit  fouvent  tous  {qs  plaifirs  ,  &  la  parfaite 
exécution  de  nos  grands  Opéras  les  plus  diffi- 
ciles ,  aux  talens  de  deux  Artiftes  cachés  à 
fes ,  yeux.  J'ofe  dire  que  M.  Rey  &  M.  de  la 
Suze  méritent  la  reconnoifîànce  du  public  au- 
tant que  l'Acleur  le  plus  en  évidence.  Le  pre- 
mier, impétueux  &  fage  fuit  l'acteur  ou  le  dan- 
feur ,  en  conduifant  un  nombreux  orcheftre  dont 
il  a  mérité  la  confiance.  Il  fait  que  tel  chan- 
teur ou  danfeur  ralentira  le  mouvement  dans  tel 
endroit  &  que  l'inftant  après  il  faudra  le  prêt- 
fer  pour  fuivre  tel  autre.  Les  premières  repé- 
titions d'un  opéra  feroient  fouvent  un  cahosfj 
(es  talens  ou  fon  activité  n'en  éclairciffoient 
l'exécution.  L'Auteur  muficien  n'a  que  deux 
mots  à  lui  dire  ,  &  foudain  (es  volontés  font 
exécutées.  Cet  Artifte  eftimable  m'a  fauve  mil- 
le fatigues  que  j'euffe  fupporté  difficilement  ;  & 
il  l'cxiftencô  d^s  compofiteurs  eft  chère  au  pu- 


NOTES.  j2X 

blic,  c'eft  à  M.  Rey  plus  qu'à  leurs  Médecins 
qu'il  la  doit.....  Le  fécond  a  rinfpeâion  des 
chœurs  &  des  acteurs  lorfqu'ils  font  dans  la  cou- 
lifTe.  L'inftant  où  ils  doivent  paroître  fur  la 
fcène,  le  peu  de  minutes  qu'ils  ont  quelquefois 
pour  changer  d'habits  ,  il  a  tout  calculé  :  l'ac- 
teur peut  fans  crainte  rêver  à  fon  rôle.  M.  de  la 
Suze  veille  pour  tout  le  monde.  L'homme  qui 
obtient  un  fuccès  eft  toujours  l'homme  qu'il  ai- 
me :  fon  enthoufiafme  pour  le  bien  de  la  chofe 
eft  porté  au  point  que  par  les  traits  de  fon  vi- 
fage,  on  devine  après  la  repréfentation  fi  tout  à 
été  au  gré  de  (es  defîrs. 

Page  85.  (e)  Le  Collège  de  Liège  à  Rome, 
a  été  fondé  par  un  Liégois  nommé  Darcis ,  & 
c'eft  à  ce  bon  Fondateur  que  la  ville  de  Liège 
doit  prefque  tous  les  bons  Artiftes  qu'elle  a  pot 
fédés  &  qu'elle  poflede  encore. 

Tout  Liégeois  a  le  droit  d'y  demeurer  cinq 
années,  pourvu  qu*il  fe  préfente  avant  l'âge  de 
30  ans  ;  il  faut  être  né  à  Liège  ou  dans  l'en- 
ceinte de  trois  lieues  aux  environs  de  la  ville: 
cependant  le  Quartier  d'outre  Meufe  eft  exclus, 
parce  qu'il  régnoit,dans  le  tems  de  la  fondation* 
une  guerre  civile  entre  les  deux  Quartiers  de 
k  ville....  Ne  pourroit-on.  pas  abolir  cette 


ps  NOTES. 

exclufïon ,  puifque  la  concorde  eft  rétablie?  .  .^ 
Si  j'étois  né  deux  ans  plus  tard  ,  j'avois  part  à 
l'exclufion.. ..  Les  parens  du  Teftateur,  s'il  s'en 
préfente  ,  ont  des  prérogatives.  v 

Le  Collège  eft  fitué  in  Piazza  Monte  d'Oro, 
viecino  à  fan  Carlo,  al  Corfo....Il  y  a  18  cham- 
bres pour  les  étudians  en  droit ,  en  Médecine 
Chirurgie  ,  Mufique,  Peinture,  Architecture  & 
Sculpture.  *.  ►  On  y  eft  entretenu  de  tout,  excepté 
qu'il  faut  fe  procurer  (es  maîtres  en  ville  ,  & 
s'habiller  en  abbé JLes  Liégois  les  plus  nota- 
bles domiciliés  à  Rome,  font  les  Provifeurs  du 
Collège;  un  Prêtre  Liégois  en  eft  le  Recteur  & 
demeure  dans  le  Collège. 

Page  ip8.  (g)  En  appellant  ainfî  le  pays  de 
Liège,  j'éprouverai  fans  doute  des  contradic- 
tions :  l'on  pourroit  à  plus  jufte  titre  appelier 
ce  pays ,  plus  qu'aucun  autre ,  celui  des  vertus 
&  des  vices.  En  effet  dans  le  tems  de  ma  jeu- 
neffe  ,  la  vertu  syy  montroit  fans  oftentation  ,  & 
le  vice  fans  hypocrifie.  Qu'il  me  feroit  doux  de 
voir  dans  ma  patrie  fleurir  le  commerce  &  les 
arts ,  autant  qu'il  m'en  paroît  fufceptible  par  fa 
pofition  &  le  génie  de  (es  habitans  !  partout 
environné  de  Nations  auflî  commerçantes  que 
formidable»,  dont  il  fépare  les  limites ,  il  devroit 


NOTES.  y2f 

jouir  de  tous  les  avantages  de  la  liberté  &  de 
la  neutralité.  Si  FArtifte  y  trouvoit  de  l'encou- 
ragement ,  combien  de  têtes  vigoureufes  forti-, 
roient  du  petit  pays  de  Liège  ! 

On  en  peut  juger  par  Gafpart  Laireffe  ,  fur- 
nommé  le  Raphaël  Hollandois  :  Renekïn ,  inven- 
teur de  la  machine  hydraulique  de  Marly ,  dans 
un  tems  où  cette  partie  de  la  phyfique  étoit 
au  berceau  ;  Démarteau ,  inventeur  de  la  gra- 
vure à  la  manière  du  crayon  ;  Grand-Jean. , 
Oculifte  &  Chevalier  de  l'Ordre  du  Roi ,  aufll 
célèbre  par  le  fuccès  de  Tes  opérations ,  que 
par  fa  piété  infatigable  envers  les  pauvres  ; 
Pafchal  Taskin,  Luthier  du  Roi,feul  héritier 
du  génie  des  Ruchers  ;  MM.  de  Fajjln  &  Des- 
france ,  dont  les  Tableaux  acquièrent  ,  chaque 
jour,  un  plus  grand  prix. 

Feu  le  Chanoine  Hamal ,  dont  les  ouvrages- 
en  mufique  ne  font  pas  affez  connus  ;  &  fi  je 
ne  craignois  de  bleffer  la  modeftie  du  plus  ref- 
pectable  Magiflrat,  de  l'homme  conftamment 
adoré  du  peuple  &  dont  Anacharfis  nous  eût 
tranfmis  les  vertus  s'il  fût  né  parmi  les  Grecs  , 
ne  citerois-je  pas  M.  Fabry  ? 

Ls  caractère  du  Liégois  eft  un  ;  il  aime  la 
vérité, &  il  eft  inébranlable  lorfqu'il  croit  fui- 
vre  (es  traces  :  mais  il  devient  docile  lorfqu'a- 
vec  douceur  on  lui  montre  (es  égaremens.  Se- 


3r*4  NOTES. 

condé  par  une  imagination  vive  &  forte ,  îe 
travail  le  plus  obftiné  ne  le  décourage  pas.  Bon 
père ,  bon  mari  ,  bon  fils ,  bon  foldat  ;  il  a  reçu 
tous  ces  dons  de  la  nature  :  on  trouve  'le  Lié- 
geois dans  les  armées  de  toutes  les  Puiflànces  s 
mais  il  fera  bientôt  déferteur  s'il  n'eft  pas  re- 
connu pour  le  meilleur  foldat  de  fon  Régiment» 
Sa  tête  s  exalte  aifément  pour  le  bien  ,  quelque- 
fois pour  le  mal  ,  quelquefois  aufïi  imbéciîle  à 
l'excès,  il  fèmble  qu'il  n'y  a  que  la  médiocrité 
qui  lui  foit  refùfée.  Faut- il  être  furpris  que  par- 
mi ce  peuple  il  nailTe  quelquefois  un  monftre 
qui,  étonnant  l'Europe  de  (es  forfaits,  deshon- 
nore  une  Nation  qui  joint  la  franchife  helve- 
tienne  à  Ténergie  du  peuple  Anglois  ,  qui  at- 
tend avec  impatience  rinltrudion  que  les  chefs 
de  la  république  devroient  lui  faciliter.  Ce 
monftre  qui  la  deshonnore  eft-il  fi  dangereux  * 
non  :  il  ne  connoît  pas  l'hypocrifie  ;  il  marche 
en  plein  jour  la  tête  levée ,  &  le  glaive  de  la 
Juftice  faura  l'abattre. 

Que  les  États  de  Liège  ayent  îa  force  d'être 
unis  ,  non  pas  lorfqu'il  eft  queftion  de  leurs: 
droits  honorifiques  ou  lucratifs ,  mais  feule- 
ment lorfqu'il  s'agit  du  bien  public  ;  qu'ils  fâ- 
chent d'une  voix  unanime  protéger  le  com- 
merce a  récompenfer  publiquement  le  citoyen, 


NOTES,  ss$ 

homme  de  génie  ou  induftrieux  ;  qu'ils  fâchent 
établir  des  manufactures ,  foit  pour  la  tannerie* 
foit  pour  le  fer  ,  foit  polir  l'exploitation  du 
charbon  de  terre  ;  dès  qu'elles  feront  en  acti- 
vité &  en  raport  ,  qu'on  en  faffe  la  conceflion 
à  des  particuliers  dignes  de  récompenfe  ,  qui 
s'enrichiront  encore  en  payant  aux  Etats  I» 
rente  des  premiers  capitaux  ;  que  le  Prince  ,  fi 
connu  par  fa  bonté  &  par  l'amour  qu'il  porte  à 
fon  peuple  ,  daigne  par  quelques  diftindions 
flatteufes ,  engager  tour-à-tour  les  riches  mo- 
nafteres  à  fuivre  cet  exemple  ;  il  ne  faudra  pas- 
cinquante  ans  pour  voir  difparoître  les  mafures 
&  les  haillons  des  hàbitans  d'Outre-Meufe.  Ce 
n'eft  pas  dans  une  note  fans  doute ,  ni  par  un 
Mufïcien  que  doit  être  traité  un  fujet  aufli  im- 
portant :  mais  il  m'eft  bien  doux  ,  quoiqu'éloi- 
gné  de  ma  patrie  depuis  mon  bas  âge ,  de  lui 
prouver  que  je  n'ai  pas  cefle  d'être  citoyen. 

Page  zoS.  (h)  J'ai  remarqué  en  général  que 
les  ouvrages  que  j'ai  compofés  dans  la  belle 
faifon ,  fe  refTentent  de  fon  influence:  le  Uuron9 
le  Tableau  parlant  ,  V Ami  de  la  ma'ifon  ,  la 
Faujfe- Magie  ,  la  Rojïe/e  ,  Colinette  à  la  Cour  , 
la  Caravanne  &  Panurge  ,  font  ceux  qui  me 
femblent  avoir  une  certaine  fraîcheur  qui  les  dis- 
tingue. Si   les  circonstances  s'y  prétoient ,  je- 


526*  NOTES. 

travaillerois  pendant  l'Eté  fur  un  poëme  aima- 
ble ,  &  l'Hiver  fur  une  pièce  plus  férieufe  & 
plus  intriguée.  Au  refte  en  tout  tems  le  bon- 
heur dont  l'Artifte  joiiit ,  influe  infiniment  fur 
£es  productions. 

Page  z5j.  (i)  Lorfque  les  fens  font  trop  cal- 
mes ,  j'ai  fouvent  éprouvé  que  l'imagination  fe 
refufe  à  ce  qu'on  veut  en  arracher  ;  il  eft  dan«r 
gereux  alors  d'en  forcer  les  refïbrts  :  j'ai  éprou- 
vé dans  ce  cas  qu'il  eft  utile  de  faire  un  peu 
d'exercice  ,  foit  en  fe  promenant  à  grands  pas 
ou  en  s'agitant  de  quelqu'autre  manière  ;  après 
quoi  l'on  eft  fouvent  étonné  de  trouver  le  point 
jufte  qui  fait  naître  &  apprécier  les  idées.  Le 
contraire  eft  fouvent  nécefîaire  lorfque  l'imagi- 
nation trop  exaltée  fait  perdre  la  mefure  &  le 
jugement:  alors  une  lecture  étrangère  d'un  quart 
d'heure, une  vifite  dans  un  appartement  voifin, 
enfin  une  diverfton  quelconque ,  vous  rend  ce 
que  j'ai  appelle  le  point  jufte ,  exempt  de  lan- 
gueur ou  d'exagération. 

Page  zçz.  (  i  bis.  )  On  dira  que  Henri  ne  fut 
point  un  Prince  remarquable  par  (es  fentimens 
religieux.  A  quoi  donc  attribuer  l'idée  dont  je 
parle?  elle  eft  jufte  p*  "fqu'elle  a  réufli.   Ceft 


NOTE  S.  5-27 

peut-être  par  les  rapports  intimes  qu'ont  entre 
eux  tous  les  fentimens  honnêtes.  Henri  étoit 
bon  ,  donc  il  étoit  aimé  de  Dieu  &  des  hom- 
mes. 

Page  302.  (h)  Jamais  je  ne  fus  plus  tour- 
menté par  les  changemens  continuels  que  fai- 
foit  l'Auteur.  Dorât ,  fon  ami,  en  lui  critiquant 
la  tournure  de  {es  vers  ,  fubftituoit  fans  cefîe 
le  clinquant  de  l'efprit,  à  la  fenfibilité  qu'exige 
îa  paftorale.  J'avois  beau  dire  que, fur  tout  dans 
ce  genre ,  le  mieux  étoit  V ennemi  du  bien  ;  cha- 
que jour  amenoit  la  réforme  de  ce  qu'on  avoit 
fait  la  veille.  Je  me  promis  bien  de  ne  jamais 
plus  m'affocier  avec  des  têtes  légères  ,  qui  fui- 
vent  tour-à-tour  les  impulfions  qu'on  leur  doa- 
ne,fans  favoir  où  il  faut  s'arrêter. 

Page  394.  (  k  )  La  Cour  ne  récompenfè 
fouvent  les  talens  médiocres, que  parce  qu'ils  fa- 
vent  mettre  leur  perfonne  en  évidence.  Pendant 
que  l'homme  de  mérite  fe  confume  dans  fon 
cabinet ,  l'ignorant  emploie  fon  tems  à  captiver 
le  valet  qui  a  l'oreille  du  Maître  ;  &  ce  n'eft 
pas  avec  la  fierté  du  vrai  talent  que  l'on  peut 
intérefler  l'homme  qui  n'eft  riche  fouvent  que 
du  fruit  de  (çs  baffetfès  ;  il  crajnt  &  éloigne  le 


fzt  NOTES» 

mérite  qui  l'éclipferoit.  O  Grands  de  la  terre  \ 
iî  vous  n'appeliez  directement  à  vous  les  hom- 
jnes  que  la  renommée  vous  montre,  renoncez 
a  favoir  la  vérité ,  &  craignez  que  de  vils  efcla- 
Ves  ne  vous  fafïent  commettre  des  injuftices , 
que  les  fîécles  à  venir  ne  vous  pardonneront 
point.  Sachez  que  l'ignorant  porte  en  fon  cœur 
une  fecrete  envie  de  fe  venger  des  talens.  J'ai 
vu  de  près  le  manège  de  l'envie.  Sous  le  voile 
de  l'intérêt,  je  me  fuis  vu  noircir  en  votre  pré- 
fence  fans  ofer  me  défendre,  parce  que  devant 
vous  a  le  refpeâ:  interdit  l'explication. 

Page  403.  (I)  Je  répéterai   encore   que  le 
Rithmeaoù  le  mouvement  eft  fi  impérieux  qu'on 
pourroit  croire  avec  raifon  qu'il  décide  fouvent 
à  lui  feul  de  l'effet  de  la  mufîque.   Lorfqu'un 
mouvement  eft  bien  faifî ,  bien  marqué ,  lorfque 
les  phrafes  font  bien  fymmétriques  ;  effayons,  par 
exemple  ,  d'en  changer  l'intonation  ,  l'effet  n'eu 
fera   pas  détruit.  Confervez  au  contraire  l'in- 
tonation,  en  lui   fubftituant  un  autre  mouve- 
ment ;  tout  eft  anéanti  au  point  que  l'on  croira 
entendre  un  autre  morceau  de  mufîque.  La  fym- 
métrie  entre  les  phrafes  eft  néceffaire  pour  ren- 
dre la  mufique  danfante.   Dans  la  mufîque  vo- 
cale il  n'eft  pas  açtoins  utile  au  chant  de  rendre 

les 


NOTES.  $29 

les   phrafes  quarrées  autant  qu'on   le  peut.   îî 
Faudroit    en  quelque  forte  au  comportent  ,  urï 
Prote   muficien  qui   fe  chargeât   de    cette   eh- 
huïeufe  analife  ;  de  même  que  le  Prote  d'Impri- 
merie avertit  fouvent  l'homme  de  lettres  qui  , 
fans  le  favoir ,  a  verfifié  fa  profe*  En  ajoutant , 
en  retranchant  une   mefure   de  ritournelle  ,  en 
allongeant  une    note    portant  fur    une    fyllabe 
longue ,  on  établiroit  toujours  une   fymmétrie 
que  j'ai  moi  même  quelquefois  négligée*  Cette 
attention  minutieufe  échape  fouvent  à  l'Artifte 
qui  eft  entraîné  par  le  fentiment  :  elle  ne  coûte 
pas    moins  à   celui    qui  ne   trouvant  jamais  le 
chant  propre, ne  travaille  qu'avec  des  accords, 
Aurefte  la  fymmétrie  entre  les  phrafes  fera  tou- 
jours plus   exacte  fi  l'on  évite  les  mouvemens 
vifs  où  plusieurs  mefures  peuvent  fe  mettre  dans 
une  feule, en  indiquant  un  mouvement  plus  lent. 

Page  4:33.  (m)  Quoique  l'on  chante  fouvent 
dans  l'Opéra  comique  *  l'on  ne  chante  par  tou- 
jours. Il  y  a  chanter  pour  parler,  &  chanter 
pour  chanter*  Dans  Ij à  belle  &  Genrude  ,  par 
exemple  ,  lfabelle  chante  ,  quel  air  pur  !  avec 
tous  les  accompagnemens  de  l'orcheitre:  fa  mè- 
re qui  eft  dans  le  pavillon ,  ne  l'entend  point* 
Survient  Dorlis  qui  la  tire  par  fa  juppe,elle  fait 
un  petit  cri ,  la  mère  fe  levé  effrayée.  Il  faut 

LI 


J5°  NOTES. 

que  les  hommes  aiment  Singulièrement  le  plai- 
fn*,pour  fe  prêter  ain(î  aux  illuiïons  théâtrales: 
^s  font  bien;  car  plus  de  févérité  détiuiroit 
l'art  dramatique 

Page  4.73.  (i)  En  Frnnce  &  en  Allemagne 
les  hommes  chantent  1a  haute-contre,  &  ce  n'e# 
pas  fans  peine;  en  Italie,  ce  ne  font  pas  même 
les  femmes  >  auxquelles  cependant  la  nature  ac- 
corde fouvent  un  fuperbe  bas-deflus,  qui  fcft  la 
véritable   haute-contre,  mais    les    maJhcureufes 
victimes  que  l'avarice  &  la  barbarie  des  parens 
ont  fait  mutiler ,  après  avoir  chanté  le  deiTus ,  de- 
viennent bas-deffus  ou  haute- contre  à  Vàgc  de 
trente  ou  quarante  ans.  Si  Pftalïë  favoit  de  quel 
ceil  le  relire  de  l'Europe   voit   cet   attentat  en- 
vers l'humanité,  elle   auroit   depuis  long  tems 
reprimé   cet  abus  horrible   qui   deshonore  un 
des  arts  le  plus  noble.    Je  fais  que  l'Italie  ne 
peut  fe  pafTer  de  mufique,  ni  la  mufique    des 
voix  de  delTus  &  de  haute-contres  ;  mais  les  en 
fants  de  chœur  font  la  vraie  pépinière  qui  four- 
nirait à  tout.  Et  quel  mal  y  auroit  il,  quand, 
dans  quelques  états  de  l'Italie, on  laifTeroit  chan- 
ter les  femmes  fur  les  théâtres  ?  aucun.  Peut-être 
au  contraire  on   déracineroit  deux  crimes  à  la. 
fois ,  &  qui  font  également  contre  nature. 


notes.  sn 

Page  511.  (û)  M.  de  Lacombe  fit  im- 
primer en  175*8  ,  c'eft-à-dire  ,  avant  les  dif- 
putes  fur  la  mufique  &  les  ouvrages  qu'elles 
occasionnèrent,  \q  fpeâacle  des  beaux  Arts  i  où  il 
donne  les  vrais  principes  de  la  bonne  mufique, 
&  indique  la  fource  du  chant  dont  les  motifs  , 
dit-il ,  font  dans  la  déclamation. 

FIN  des  notes. 


LIj 


TABLE 

GÉNÉRALE 
DES     MATIERES 

Contenues  dans  ce  volume. 


A 

«/*2  ccent  de  la  langue;  fon  Influence  fur  la 
mufique,  page  1 14  &  fuiv.  Définition  de  l'ac- 
cent relativement  au  chant ,  p.  159*  Exem- 
ple ,  ibid  &  p.  16a 

Accompagnement  de  mufique  ,  p.  244,  245- 

&yi8 

ACCORD  des  injlriunens  à  cordes  ;  obfervations , 
p.  316.  Trop  de  jufteffe  y  devient  un  dé- 
faut ,  437 

AdEliNE,  (  Mademoifelîe  )  A&rice  de  la  Co- 
médie Italienne ,  437 

Albert  ,  C  le  Comte  d'  )  drame  en  deux  aéles , 
donné  au  Théâtre  Italien  ,  par  M.  Sédaine , 
mufique  de  M.  Grétry ,  p.  476  &  fuiv. ,  p« 
480.  Analyfe  de  la  mufique  ,  481 


DÈS    MATIERES.  5^3 

Alembert,  (  d'  )  réponfe  plaifante  que  lui  fit 
une  dame  ,  •    337 

Aliberti,  (Théâtre  ci'  )  fucces  que  le  jeune 
Grétry  eut  fur  ce  théâtre  où  Ton  joua  les 
Vendangsufes  ,  fou  premier  ouvrage  dramat;- 
tique  ,  120  &  fuiv. 

Alpes  ;  paflage  dans  la  chaîne  des  montagnes 
du  Tiroî  ,  p,  76  &  fuiv.  Comment  on  y  fait 
la  ramaffe  fur  un  traîneau  qui  -glifle  du  haut 
de  la  montagne,  145* 

Amant  Jaloux,  (Y)  cité  pour  exemple  ,  45 

&  4.6 

Amant  Jaloux  ,  (  Y  )  Comédie  en  trois  actes 
de  M.  d'He!e,p.  365*  &  fuiv.  Anafyfe  du 
premier  air  cité  en  exemple,  p.  370  &  fuiv. 
examen  d'autres  morceaux  de  mufïque  de  la 
même  pièce  ,  p.  378  &  fuiv.  Succès  de 
cette  Comédie  regardée  comme  modèle  des 
pièces  de  ce  genre,  385 

Ami  de  la  maison  ,  (  Y  )  Comédie  en  trois 
ades  en  vers  de  M.  Murmontel ,  mile  en 
mufique  par  M.  Grétry  ,  p,  269  &  fuiv. 
Analyfe  ,  271  &  fuiv. 

Amitié  à  I'Epreuve  ,  (Y  )  Comédie  en  trois 
a&es,  paroles  de  M*  Favart,  mufique  de  M. 
Grétry ,  25-5-  &  fuiv. 

Andjromaqub, Tragédie  lyrique  en  trois  a&ef, 


53*  TABLE 

par  M.  Pitra ,  p.  422  &  fuiv.  Obfervatîons 
fur  la  mufique  de  cet  Opéra,  p.  422.  Emploi 
diftind  des  infrrumens  de  mufique  fuivant  le 
caractère  des  perfonnages,  425 

Anseaume  ,  Auteur  du  Tableau  Parlant  ,  2o3 

&  fuiv. 

Arnaud  ,  (  l'Abbé  )  Ton  fentiment  vif  &  sûr  en 
mufique.,  p.  170.  Il  rafïure  M.  Grétry  après 
la  mauvaife  exécution  de  l'Opéra  âes  Maria- 
ges Samnites  chez  le  Prince  de  Conti,  178 

&    ÎÔ4. 

Artiste;  combien  il  a  d'obftacîes  à  vaincre,  1  &  2 
Avares  ,  (  les  deux  )  Opéra  comique  ,  parodes 
de   M.   Falbert,  Mufique  de  M.  Grétry,  p. 
2|6\    Analyfe,  Ji47&fbiv. 

Aucassin  &  Nîcolette,  ou  les  Mœurs  ami- 
dues,  Drame  en  trois  actes,  donné  aux  Ita- 
liens par  M.  Sedaine,p.  395)  &  fuiv.  Carac- 
tère antique  de  la  mufique,  p.  400.  Remar- 
que fur  l'emploi  des  genres  de  Mufique  , 
&  fur  le  choix  des  inflrumens  que  le  Corn- 
pofiteur  dramatique  doit  obferver,  402  &  fui. 

At^ENTURBS  de  voyage  du  jeune  Grétry ,  66 

6j  &  fuiv. 

B 

Baement  en  musique,  262  &  2% 


DES     M  A  T  I  E  R  E  S.        siï 

Basst.  Avantages  de  cette  partie  fondamentale 
de -la  mufique  ,  109 '&  110 

Basse  Fondamentale,  igi,  Obfervations  à 
ce  fujet ,  i£2  ôc  fuiv. 

Bâton  du  bateur  de  mufique  ;  Tes  divers  effets 
fur  l'orcheftre,  _     4<?  &  fuiv* 

Batteur  de  mefurê,  (  Mufîcien  )  quelles  doi- 
vent être  Tes  qualités  ,  Ton  intelligence  &  la 
confiance  qu'il  doit  infpirer,  .        48  ~&  fuiv. 

Benoit  XIV.  Ce  'Pape  fait  un  Règlement  con- 

■  tre  l'irrévérence  des  Romains  dans  les  Egli- 
fes  ,  86" 

C 

Car-Leau,  A&eur  célèbre,  de  h  Comédie  Ita- 
lienne à  Paris  ,  18%  £f  fuiv.  fp*  ijj/  'Il  fait 
puer  Yz-iiunm ,  &  accepte  le  principal  rôle, 
p.  181.   Exprefiion  admirable'  cju'ii  met  dans 

.  le  chant  ,  &  le  jeu  du  rôle  de  Blaife  dans 
l'opéra  de   I.ikiU  ,  201  &  -26$ 

Calonn£,(  M.  de  j  Contrôîeur-Généial,  2j$ 

ÇAMPrNADo  ,  kyeule  de  M.  Grétry  ,  r 

Caravane  ,  (  la  _)  Comédie  lyrique  eu  trois 
actes  ,  par  M.  More!  de  Chedeviîle  ,        4,26" 

Carle:  Vanloo  ,  Peintre  célèbre;  anecdote  de 
fon  ingénuité,  288 

Casau,  célèbre  Maître  de  Chapelle  àRome,8y, 

Ll  4 


Stf  TABLE 

Le  jeune  Grétry  le  choifit  pour  apprendre 
,  la  composition  \  ibii  &  ioo.  Cefl:  le  feu! 
maître  qu'il  avoue ,  102,  Confeils  que  ce  com- 
posteur donne  à  fon  élevé  ,  103.  Il  lui  fait 
faire  pour  dernier  efiai  jde  campontion  ,  le 
Magnificat  en  huit  parties  fans  unifions,  106" 

CèPHAXE  &  Progris  ,  Tragédie  en  trois  actes, 
par  M.  Marmontel,  330.  Dialogue  d'une  Chan- 
te ufe,  de  l'Opéra  avec  l'crcheftre  .  au  fujet 
de  la  mefure  ,  331  &  fuiv.  Changemens 
propofés  dans  la  marche  de  cet  Opéra,  332 

&  fuiv. 

Chant,  DiltinéHon  du  chant  pour  parler  ,  & 
du  chant  pour  chanter  ,  529 

Chirurgien,  compagnon  de  voyage  du  jeu- 
ne Grétry ,  à  Rome  ,  62,    Ses  efpiégleries  , 

63  &  fuiv. ,  9 s 

ChoisEUL  ,  C  le  Duc  de  )  Prote&eur  des  arts  , 

215  &  fuiv, 
Cimarosà  ,  Compofiteur  Italien  ,  213 

Clairon  ,  célèbre  A&rice  de  la  Comédie  Fran- 

çoife  ,     '  232. 

Claîrval  ,    excellent  Acleur  de  la  Comédie 

Italienne,  18c , 216  ,  265  &,   44I. 

Clefs  de  la  Muiîque  ;  embarras  qu'elles  cau- 
■  ient,  ^71  &  fuiv. 


DES    MATIERES.         537 

Colinette  A  LA  Cour  ,  Comédie  lyrique  e» 
trois  a&es,  par  M.  de  Santerre  ,  426 

Collège  fondé  à  Rome,  pour  des  Liégeois, 

5"2i  êc  fuiv. 
Comique  (  genre  )  favorable  à  la  mufique  ,  13  J 
Compositeur  dramatique ,  comparé  au  fym- 
phonifte  ,  35*3  &  fuiv.  Choix  raifonné  &  ufa- 
ge  convenable  que  le  compofiteur  doit  faira 
des  inftxumens  de  mufique  ,  404.  &  fuiv.  Ex- 
tension qu'on  peut  .donner  aux  procédés  du 
compofiteur  dramatique  ,  413  &  fuiv.  réfle- 
xions fur  l'art  &  les  fuccès  du  compofiteur 
dramatique  ,  408  &  fuiv. 

Compositions  de  Mufique.  Premiers  efiTais 
fans  le  fecours  des  régies  ,  32 

Çonfitebor  ,  Pfaume  mis  en  mufique  par  M, 
Grétry,qui  des  lors  fut  nommé  Maître  de 
Chapeile  ,  place  qu'il  n'accepta  point,    129 

Contrastes,  Ils  font  néceffaires  dans  les  arts, 

Cour  ,  (  la  )  Réflexions  fur  les  moyens  d'en 
obtenir  les  faveurs ,  J27  &  528 

Creutz,  (le  Cornu;)  Am.bafladeur  de  Suède 
en  France,  171.  Son  goût  &  fon  enthoufiaf- 
me  pour  la  mufique  ,  220  &  fuiv.  Ses  dif- 
fractions ,  223  &  fuiv. 


^8  TABLE 

D 

Dar d  anus  ,  Opéra  ,  dont  la  mufique  efl  de 
Rameau,  i6a 

Déclamation,  (la)  Vraie  fource  de  la  bon- 
ne mufique?3,  <?i  &  113.  M.  Grétry  va 
étudier  à  la  Comédie  Françoife  le  chant 
puifé  dans  la  déclamation  â  166.  Nouvelles 
Obfervations  à  ce  fujet ,  194  &  fuiv.  Exem- 
ples cités  de  la  mufïque  de  Y  Ami  de  la  Mai- 
Jbrr,2.j2  &  fuiv.  Le  vrai  en  mufique  efr.  imité 
de  la  déclamation ,  282  &  fuiv.  Remarques 
fur  la  déclamation  muficale,  413 

Del  Valette  ,  Tréfoncier  de  Notre-Dame  de. 
Presbourg,  5* 

De  profondis  ?  Pfaume  à  mettre  en  mufique  3 

<Ji 

Dérouvillê  ,  (  Mademoifelle  )  excellente 
Chanteufe  ;  fon  début  à  la  Comédie  Ita- 
lienne ,  dans  la  FaufTe  Magie  ,  310 

Desforges  ;  (  M.)  Auteur  de  Théodore  Se  Pau- 
lin en  trois  a<5tes ,  &  de  l'Épreuve  Villageoife , 
comédie   lyrique   en  deux  acies  ,  43 1 

DlTSFossés,  (  Marie- Jeanne)  mère  de  M.  Gré- 
try, 7.  Sa  feniibilhé,  24  &  jo.  Son  arri- 
vée à  Paris ,  2.52. 

Devin  du  Village  ,  paftorale  de  J>  1.  P^uf- 


DES    MATIERES.  55* 

feau,  ^2(5.  Fxamen  de  la  mufique,«52'7  &  fuiv. 
Dezaide,  Compofîteur  d'Opéra  François  ,  213 
D'Hfle  ,  Auteur  du  Jugement  de  Midas , 
Comédie  en  trois  acles  ,  jouée  à  la  Comédie 
Italienne,  35*3  &  fuiv.  De  Y  Amant  jaloux  , 
3  6^  gç  fuiv.  Des  frvénefnens  imprévus  ,  388 
&  fuiv.   Anecdotes  de    cet  Auteur  ,  388  & 

fuiv. 

Diderot.  Son  fentiment  en  mufique  ,  263  & 

264 

Dorât,  ami  de  M.  de  Pezai.  Sa  légèreté,  527 

Dogazon  ,  (  Madame  ;  célèbre  Actrice  de  la 
Comédie   Italienne  ,  496  &  fuiv. 

Duni  ,  Compofîteur  d'Opéras  comiques  Fran- 
çois ,  1 6"  4. ,  215  &  50S 

Durante  ,  célèbre  Compofîteur  Italien  ,  96 ,  97 

S  137 

E 

E  muet,  difficile  à  meltre  en  mufîque  ,  ijy. 
Exemples,  ijz&fuiv. 

Education  publique  ,  ('  réflexions  fur  F  )  710 

Electre  ,  Tragédie' lyrique  ,  mîfe  en   mufîque 

par  M.  Grétry,  &  qu'il  n'a  pas  encoi;e  offert 

à  l'Opéra ,  424. 

Elevé.  Procédés  qu'il  doit  fu ivre  dans  Qs  étu~ 


540  TABLE 

des  ,  ioo  &  fuiv.   Lettre  de   M.   Gre'try  far 
fa  manière  d'enfeigner  la  mufique  à  fa  &ié  , 

478  &  fuiv, 

Embarras  des  Riche/ïes  ,  Comédie  lyrique  en 

trois  aéfces  par   M.  de  Santerre  ,  4.26 

Equilibre  entre  la  mélodie  &  l'harmonie,  Quel 
en  eft  le  jufte  caradere ,  307  de  fuiv, 

Evénemens  Imprévus  ,  Ç  les  )  Comédie  en 
trois  aères  de  M.  d'Hele  ,  588.  Remarques 
fur  plufieurs  morceaux  de  mufique  de  cette 
Comédie,  396  &  fuiv. 

Epreuve  Villageoise,  (  Y  )  Coménij  en 
deux  ades,au  Théâtre  Italien,  par  M.  Des- 
forges ,  mufique  de  M.  Grétrv,  45  1 

Eurisechio  ,  célèbre  Maître  dç  Chapelle  à 
R.ome ,  8  r 

Exécution  de  la  Mufique.  Réflexions  à  cet 
égard  ,  09  &  100.  Ses  mouvemens  plus  ou 
moins  ralentis  fuivant  les  climats  ,  37/  & 
fuiv.  Citation  d'un  pafiage  de  l'efprit  des 
Joix  de  M.  Montefquieu  ,  qui  attefte  cette 
opinion  ,  577  &  378 

Expression  en  mufi que  ,  260  &  fuiv. 


Falbert  de  Quings*,  Auteur  du  Poème  des 


DES    MATIERES.         5-41 

deux  Avares  ,  246  &  249 

Familles    nobles  alliées  à  M.  Grétry,      y  18 

Favart  j  Auteur    de    l'Amitié    à  l'Epreuve  , 

2J5  &  258 

Fausse  Magie,  (la  )  Comédie  en  deux  actes 

par  M.  Marmontel,  306    &  fuiv.    Obferva- 

tions    fur    la   mufique  de  cette  pièce  ,   307 

&  fuiv* 

François  (le)  Son  peu  de  difpofîtion  pour 
la  mufique,  336'.  Son  goût  pour  le  change- 
ment &  la  plaifanterie,  737 

Fugue  instrumentale.  Premier  effai  fait  fans 
régies  de  composition,  32.  Exemple,  33  & 
fuiv.  Fugues  que  le  jeune  Grétry  fait  à  Ro- 
me ,  96  &  fuiv.  ,103.  Marche  &  defTein  de 
la  fugue,  110.  Exemple,  ni  &  112.  Fu- 
gue employée  avec  fuccès  dans  l'Epreuve 
Villageoife ,  432 

G 

Garât  ;  (  M.  )  excellent  chanteur  dans  les 
Sociétés  ,  407 

G^liotte.  Eloge  de  cet  excellent  Acteur  & 
Chanteur  de  l'Opéra ,  17^ 

Genève.  Séjour  du  jeune  Grétry  dan«  cette 
ville ,  146 


;42  TABLE 

Gitziello  ,  Chanteur  Italien  ,  %t6 

Gluck,  célèbre  Composteur  de  mufîque  théâ- 
trale ,  140.  Son  genre  doit  il  être  entière- 
ment imi^é  ?  ibid  &  fuiv. ,  212.  Il  tire  prin- 
cipalement (es  effets  de  l'harmonie ,  286.  Il 
affilie  à  deux  répétitions  de  Céphale  &  Pro^ 
cris  ,  fââf  Se  fuiv.  Caractère  de  fa  mufique , 
33 y.  Obfervations  far  l'air  que  chante  Achi- 
le  dans  l'Iphigénie  en  Aulide,  360  &  361  ; 
&;  fur  l'air  d'Orphée,  qui  veut  fléchir  les  dé- 
mons, 3  <5  2.  Il  a  donné  le  modèle  du  genre 
propre  à    la   Tragédie    lyrique  ,  410  ,411 

412  &  512 

Godefroi  de  Viltaneuse  ,  (  M.  )  Amateur 
des  beaux  arts  ,  375" 

Grétry,  nom  d'un  Hameau,  3 

Grétry  ,  (  M.  )  Compofiteur  de  mufique.  Ses 
titres  ,  p.  du  frontifpice.  Son  origine  ,  y  & 
fuiv.  Goût  de  Ton  père  &  de  fon  ayeul ,  pour 
le  violon  ,  6.  Sa  nailFance  en  1741  »  7.  Ac- 
cident de  fon  enfance ,  ibid.  Sa  première  & 
tri/te  expérience  de  mufique,  8.  Ses  premiè- 
res amours ,  10.  Enfant  de  choeur  à  la  Col- 
légiale de  St.  Denis,  n.  Ses  tourmens  a  cette 
école,  12  &  fuiv.  Il  a  le  crâne  enfoncé  par 
la  chute  d'une  folive,  19.  Son  début  pour  le 
ch:tnt  à  la  Collégiale  de  St.  Denis,  21  &  fuiv. 


DES  MATIÈRES.  y43 
Ses  fuccès ,  23  &  24.  Sa  voix  fe  fatigue,  & 
lui  occafïonne  un  flux  de  fang,  27.  Kégime 
à  obferver,  29  &  fuiv.  Ses  premiers  eflais 
de  compofition,  32  &  fuiv.  Leçons  qu'il  re- 
çoit de  M.  Rennekin,  Organise  ,  36  &  fuiv. 
Il  eft  enfeigné  par  M.  Moreau  ,  Maître  de 
Mufique  de  St.  Paul  de  Liège,  40.  Le  Cha 
noine  Harlez  l'engage  d'aller  à  Rome,  4r 
&  fuiv.  Il  compofe  une  méfie  en  mullque, 
4.3.  Ses  re'flexions  fur  l'exprefîion  muucale , 
4  i  &  fuiv.  On  exécute  fa  mefîe  qui  eut  beau- 
coup de  fuccès  &  qu'on  appella  les  Adieux 
du  jeune  Grétry  qui  alloit  quitter  Liège,  fa 
patrie  ,  48.  Ses  obfervations  fur  l'exécution 
de  la  muhque  ,  fur  la  conduite  d'un  orchef- 
tre  ,  fur  l'orgue  ,  fur  les  effets  des  mouve- 
mens  de  la  mefare ,  49  &  fuiv.  Son  départ 
de  Liège ,  74  &  fuiv.  Confeils  &  armes  que 
lui  donne  fon  ayeul  ,  c6  &  fuiv.  Son  voya- 
ge à  Rome ,  62  &  fuiv.  Un  Abbé  &  un  Chi- 
rurgien font  Ces  compagnons  de  route,  63. 
Petites  aventures  de  voyage,  66  &  fuiv.  Ses 
remontrances  à  un  moine  fur  fa  manière 
d'exercer  l'hofpitalité  ,73.  Sa  converfation 
avec  des  Commis  de  Finance  ,  78.  Son  adreffe 
à  fauver  fon  conducteur  qui  fiifoit  la  contre- 
bande ,  79.  Senfarions   qu'il   éprouve  à  fon 


/4*  TABLE 

arrivée  en  Italie ,  8 1  &.  fuiv.   Réflexions  fuf 
la  mufique  d'Eglife ,  87  &  fuiv.  ;  &  fur  la  mu- 
fique  du  Théâtre ,  90  &  fuiv.  Sa  maladie  à 
Rome,  p^.  &  fuiv.  Leçon  de  clavecin  &  de 
compofition  qu'il  reçoit  d'un  Orgctnifte,  96 
&  97.  La  manière  qu'il  contracte  pour  tou- 
cher le  clavecin  ,  98   6k  95?.  Comment  il  eft 
enfeigné  par  Cafali ,  102  ,  &  fuiv.  Il  eft  pré- 
fenté  à  M.  Piccini,  103.  Quelle  fut  la  récep- 
tion de  ce  Maître ,  103..  Réflexions  à  ce  fu- 
jet ,  ibid  &  ioy.  Imitation  infructueufe  qu'il 
fait  de  la  manière  de   travailler  de  ce  com- 
posteur j  ibid  &.  106,   Il  reprend  fon  travail 
ordinaire  &  fait  un  Magnificat  à  huit  parties 
fans  unifions,  ibid»  Il  eft  reçu  à  l'Académie 
des  Philarmoniques  de  Bologne,  107  &  fuiv. 
Pergolefe  eft  le  modèle  auquel  il  s'attache  , 
11  y.   Il  tombe   malade   par  les  efforts  qu'il 
fait   dans   fes  premières   comportions  ,  116. 
Il  fe  retire  chez  un  Hcrmïte  près  de  Rome , 
&:  y  recouvre  fa  fanté  ,  &  la  facilité  du  tra- 
vail ,  118.    Réflexions    adreflees  aux  jeunes 
Artiftes   ,  ibid   &    fuiv.    Il    eft    chargé    de 
mettre    en   mufique    deux   intermèdes    pour 
le     Théâtre    d'Aliberti  ,   120.    On     ne    lui 
donne   que  huit   jours  ,    121.    Son    fuccès , 
122.  Il  eft  demandé  chez  le  Gouverneur  pour 

avoir 


DES    MATIÈRES.       5*4; 
avoir  laifîe  répéter  un  air ,  123*.  Un   aîTaffin 
attente  à  fa  vie,  izé.  Cette   aventure    n'eut 
pas  de  fuite  quoique  le  coupable  fut  recon- 
nu, 127.   Il  envoyé  un  pfaume  en  mufique  à 
Liège ,  &  eft  nommé  à  une  place  de  Maître 
de  Chapelle   qu'il  n'accepta  point  *  128  8c 
129,    Un    Milord    pour    qui    il     avoit    fait 
des    concertos    de    flûte ,  Iuj   fait    une   pen- 
fïon,  130.  Remarques  fur  l'état  aduel  de  la 
mufique   Italienne  ,   1 3 1  &  fuiv.  Son  retour 
d'Italie ,  147  &  fuiv.  Son  fejour  à  Genève , 
14.6.  Il  eft  préfenté  à  Voltaire,  14.9  &  fuiv. 
Il  remet  en  mufique  le  petit  opéra  ftlfabellè 
&  Gertrude ,  de  Favart ,  iy8.  Leçon  burles- 
que d'un  Muficien  Maître  à  danfer ,  pour  fa 
préfenter  fur  le  théâtre,  162.  11  vient  s'établir 
à  Paris,  163»  Difficultés  qu'il  éprouve  d'avoir 
un  poème  à  mettre  en  mufique  ,  1  66.  Il  tra- 
vaille infruétueufement  l'opéra  des  Mariages 
Sumnites,  177.  Réuflite  du  Huron,  1  83  &  fuiv* 
Voltaire    lui    envoyé    le    Baron   d'Ocrante  9 
Opéra  comique,  que  les  Comédiens  Italiens 
refuferent,  le  croyant  d'un  jeune  homme  ,  189» 
Succès  de  Lucile,  ip8  &  fuiv.  Contradictions 
&  fuccès  de  la  mufique  du  Tableau  Variant^  208 
&  fuiv.  Sylvain ,  227.  Intérêt,  anecdotes,  anâ- 
lyfe  de  cette  pièce,  228  &  fuiv.  Les  Deux 

M  m 


Sî6  TABLE 

Avares ,  246,  &  fuiv.  Détails  fuir  fa  famille^ 
2C2  &  fuiv.  U  Amitié  à  T E preuve ,  275*  &  fuiv. 
Zémire&  A^or,  25*0  &  fuiv.  h'' Ami  de  la  mai- 
Jon926$  &  f.  Caractère  principal  de  fa  mu- 
iique  ,  28  6.  Le  Magnifique ,  Drame  en 
trois  acles  par  M.  Sedaine ,  291.  La  Ro/iere 
de  Salenci ,  paftorale ,  302  &  fuiv.  La  Frfw^ 
il/a^,ComédJe  en  deux  actes  par  M.  Mar- 
montel,  306  &  fuiv.  Observations  fur  le  rhit- 
me  de  la  mufîque ,  312  &  fuiv.  Régime  à 
ohferver  par  un  Compofiteur  de  mufique , 
517  &  fuiv.  Son  entretien  avec  J.  J.  Rouf- 
£eau  ,  319  &  fdiv.  Jugement  fur  cet  homme 
célèbre,  321  &  fuiv.  Examen  de  la  mufique 
du  Devin  du  Village  ,  326  &  fuiv.  Céphale 
&  Procris  ,  Tragédie  en  trois  a&es  ,  par  M. 
MarmonteI,350  &  fuiv.  Çhangemens  propo- 
fés  dans  la  coupe  de  ce  poëme,  332  &  fuiv. 
Obfervations  fur  la  mufique  fuivant  h$  diffé- 
rents caractères  d&s  peuples  qui  la  cultivent, 
3  3 y  &  fuiv.  Les  Mariages  Samnites ,  par  M. 
Durofoi,  339  &  fuiv.  Macroco  ,  Drame  burlef- 
que  9  par  M.  Laujon ,  33.3  &  fuiv.  Le  /«^e- 
77ze/i£  de  Midas  ,  Comédie  en  trois  aétes,  par 
M.  d'Hele ,  353  &  fuiv.  JJ Amant  Jaloux  , 
par  3<5y  &  fuiv.  Remarques  fur  le  plus  ou 
moins,  de  facilité  qu'on  éprouve  dans  le  tra- 


DES    MATIERES.       SAl 

vail,  ibid  &  fuiv.  Les  Evénement  imprévus  9 
Comédie  du  même  Auteur,  3 88  &  fuiv,  Au- 
■cajfin  &  Nicolette  ,  par  M.  Sedaine  ,  399  & 
fuiv.  Andromaque ,  Tragédie  en  trois  actes  , 
407  &  fuiv.  Plan  propofé  pour  rendre  la  li- 
berté au  compofiteur  dramatique,  &  de  lui 
affujettir  le  Poëte  lyrique ,  en  faifant  la  mu- 
fîque  avant  les  paroles ,  414 ,  41^  &  fuiv. 
Colinette  à  la  Cour ,  Comédie  lyrique  à  l'O- 
péra ;  Y  Embarras  des  Richejfes  ,  Comédie  ly- 
rique; ces  deux  drames  de  M.  Santerre ,  426". 
La  Caravanne,  Comédie  lyrique,  par  M.  Mo« 
rel  de  Chedeville,426'  &  fuivant.  U  Épreuve 
Villageoife ,  Comédie  lyrique  en  deux  acles  , 
donnée  aux  Italiens,  par  M.  Desforges,  431» 
"Richard cœur  de  Lio/z,  Comédie  en  trois  actes, 
43  8  Pamir  ^e  dans  tljle  des  Lanternes  ,  Co- 
médie lyrique  en  trois  actes  ,  par  M.  Morel , 
449  &  fuiv.  Le  Comte  d'Albert,  par  M.  Se- 
daine ,  476.  Les  Méprijes  par  rejjemblance , 
le  Prifonnier  Anglois  ,  le  Rival  Confident , 
Amphïtrion  ,  la  Barbebleue  ,  Afpafie  ,  497. 
Réflexions  fur  l'art  &  les  fuccès  du  Muficiea 
Compofiteur  pour  le  Théâtre ,  498  &  fuiv. 
Obfervations  fur  les  qualités  propres  à 
un   Directeur   de   l'Opéra    de    Paris  ,    y  13 

&  fuiv, 
M  m  2 


54g  TABLE 

Grétry  ,  frère  amé  de  l'Auteur  de  ces  Mémoi- 
res* 5j2&fuiv. 

^    H 

Haidn  ,  célèbre  Compofiteur  de  mufîque  inf- 
trumentale,  213  ,  238  ,  286  &  fuiv.  Ses  (Eu- 
vres  font  un  immenfe  Dictionnaire  de  chants, 
où  le  Compofiteur  dramatique  peut  puifer 
fans  fcrupule  ,  287  &  4,14 

HarLez  ,  Chanoine,  grand  Muficien  ,24.  Con- 
feils  &  encouragement  qu'il  donne  ,  41.  II 
fait  exécuter  la  Méfie  du  jeune  Grétry  ,47; 
&  lui  fait  donner  une  gratification  par  le 
Chapitre  de  la  Collégiale  de  St.  Denis,   48 

Harmonie,  (  de  1'  )  214*  Obfervations ,  236 
&  fuiv. ,  260  &  fuiv. ,  286,  307  &  fuiv. ,  343 
&  fuiv. ,  407  &  fuiv. ,  4 12 ,  461  &  fuiv. ,  503 

Henri  IV ,  y±6 

Henri  de  Prusse  ,  (  le  Prince  )  mot  flatteur 
qu'il  dit  à  l'Auteur  de  la  mufique  de  Richard 
cœur  de  Lion  ,  1^1 

Hermite  ,  fur  la  montagne  de  Millini  près  de 
Rome  ,  117.  Retraite  de  trois  mois  que  le 
jeune  Grétry  fait  dans  fon  hermitage  ,  ïbld* 
L'air  pur  de  cet  afyle  ,  ranime  fa  fanté  &  fon 
imagination,  118 


DES    MATIERES.       y4$ 

Homme  de  lettres.  Pourquoi  Tes  connoiffaiv. 
ces  l'éloignent  du  fentiment  de  la  mufique , 

172  &  fuiv. 
Hospitalité  mal  faite  par  des  Moines,      73 
Huron  ,  (  le  )  Opéra  comique ,  cité  pour  exem- 
ple,^. Récit  &  anecdotes  de  la  repréfenta- 
tk^n  de  cet  opéra,  1S3  &  fuiv. 

I 

Imagination,    Son  empire  dans  le  travail  , 

Instrumens  de  Mufique  ;  de  leur  emploi  ; 
exemples  ,  278  &  fuiv.  infiniment  à  cordes  ; 
m.inieve  de  les  accorder ,  315*.  Ohfervations, 
316.&  fuiv.  Choix  &  ufage  que  les  Com- 
posteurs doivent  en  faire,  404  &  fuiv.  Em- 
ploi diftinfl  des  inftrumens  dans  la  mufique 
d' Andromcque  ,  423 

Intonations.  Remarques  fur  les  divers  fens 
que  préfentent  les  intonations,     280 &  fuiv. 

Iomelli  ,Compofiteur  Italien,  491 

Isabelle  &  Gertrude  ,  Opéra  Comique,  re- 
mis en  mufique  par  M.  Grétry  étant  à  Ge- 
nève ,  158 

Italie.  Senfations  que  fait  éprouver  la  vue  de 
ce  beau  pays  ,  81  &  fuiv» 

"m  3 


S$o  TABLE 

Italien  ,  lmpofleur 3  2 1 6  &  fuiv. 

Italiens  ,  Compofiteurs  ;  leur  foiblefle  dans 
la  fcience  de  Pharmomie ,  489  &  fuiv. 

Jugement  de  Midas  ,  (  le  )  Comédie  en  trois 
a&es,  par  M.  d'Hele ,  373  &  fuiv.  ;  c'eft  une 
fctire  de  l'ancienne  mufique  Françoife  ,  3^8 

&  fuiv 


Lacombe  ,  (  M.)  2£2.  Auteur  du  Spectacle  des 
beaux  Arts  ,  imprimé  en  1738,  yji 

Laguerre,  (  Mademoifelle  )  Chanteufe  célèbre 
à  l'Opéra  ,  424. 

La  Houssaye  ,  premier  violon   de  la  Corné- 
dîe  Italienne,  47 

Lainez  ,  Acleur  de  l'Opéra  ,  424 

Lais  ,  célèbre  Acteur  &  Chanteur  de  l'Opéra , 

45*3  &  fuiv. 

Larivée,  célèbre  Acteur  de  l'Opéra,  42$ 

La  Ruette  ,  (  Madame)  excellente  Aclrice  & 

Chanteufe  de  la  Comédie  Italienne  ,  i8y  & 

216 

La  Ruette  ,  (  M.  )  bon  Pantomine  &  Acleur 

de  la  Comédie  Italienne  ,  185 

Laujeon  ,  ^Uiteur  de  Matroco  ,  Drame  burie£- 


DES  MATIERES,  571 
que  en  qur.'.re  acles  &  en  vers  ,  donné  à  la 
Comédie  Italienne ,  345  &  fuiv. 

Lebel  ,  premier  violon  de  la  Comédie  Italien- 
ne ,  184. 
Le  Clerc  ,  bon  Muficien  de  Liège ,  20 
Le  Vasseur  ,  (  M.  )  Auteur  de  la  partie  lyri- 
que ou  de  la  vérification  de  V  Amunt  Jaloux 

Le  Vasseur,  (  Mademoilie  )  Actrice  de  l'O- 
péra ,  424 

Liège,  Caractère  des  Kabitans  de  ce  pays  ;  fia- 
biles  hommes  qu'il  a  produits  dans  les  arts , 

722  &  J23 

Lucile  ,  Opéra  comique  ;  récit  &  anecdotes 
concermnt  cet  ouvrage  qui  eut  beaucoup  de 
fuccès  ,  108.  Forttine  du  quatuor,  oit  peut  on 
être  mieux  ,  199.  Analyfe  raiTonnée  du  mo- 
nologue de  Blaife,  202  &  fuiv. 

Lulli  ,  ancien  Composteur  François  ,  376  & 

Lustmni ,  Maître  de  Chapelle  à  Rome  ,  8y. 
NobleflTe  de  Ton  ftyie  muficai ,  86 

M 

Magnifique  ,  (  le  )  Drame  en  trois  actes  , 
donné  au  Théâtre  Italien  }  pai  Tsu  Sedaine-  , 

M  m  * 


Jjtt  TABLE 

291  &  fuiv.  Réflexions,  analyf:,  anecdote  de 
la  rofe  ,  292  &  fuiv. 

Magnificat.  Pfaume  mis  en  mufîque  à  huit 
parties  fans  unifions  ,  106 

Maître  de  Mufîque  de  la  Collégiale  de  St. 

Denis  de  Liège,  14.  Ses  cruautés  envers  fes 

.  jeunes  élèves,  ibid  &  fuiv. 

Maîtres  de  Mufiqua  &  autres  ;  qu'elles  doi- 
vent être  leurs  principales  qualités,  38  &  39 

Mariage  d'Antonio,  (  le  )  Comédie  en  un 
aère,  donnée  aux  Italiens ,  mife  en  mufîque 
par  Mademoifelle  Grétry ,  époufe  de  M.  Ma- 
rin ,  457  &  fuiv.  Lettre  de  M.  Grétry  au 
Journal  de  Paris  ,  ibid  &  fuiv, 

Mariages  Samnites  j  titre  du  premier  Ou- 
vrage que  M.  Grétry  mit  en  mufîque,  170, 
XjC  même  Sujet  traité  par  M.  du  Rofoy ,  339 
&.  fuiv.  Son  peu  de  fuccès  ,         340  &  fuiv. 

Marin,  (  Madame)  fille  de" M.  Grétry,  Auteur 
de  la  mufîque  du  Mariage  d'Antonio,  Co- 
médie en  un  acle  ,  45"6 

Marmontel  ,  (  M.  )  Il  arrange  le  fujet  du 
Huron  ,  tiré  du  Roman  de  l'Ingénu  , 
Soi  &  fuiv.  Auteur  du  Poëme  de  Lu- 
file  ,  198  &  fuiv.  De  Sylvain  ,  227.  De 
Zémire  &   Az^or ,  2$$  &  fuiv.  De  X /hnï  d& 


DES    MATIERES.       j|3 

la  Mai/on  ,  269  &  fuiv.  De  la  Fauffe  Ma-< 
gie  ,  306  &  fuiv.  De  Cephale  &  Procris  , 
Opéra  en  trois  actes,  330  &  fuiv.  Change- 
mens  propofés  dans  cet  Opéra,  332  &  fuiv. 
Facilité  de  ce  Poëte  pour  adapter  des  paro- 
les à  une  mufique  donnée,  414  &  4.15* 

Martini  ,  (  le  Père  )  céiébre  Compofiteur  de 
l'Académie  des  Philharmoniques  de  Bologne  , 

108 

JVÏatrûco  j  Drame  burlefque  en  quatre  ades  & 
en  vers  par  M.  Laujeon,  34,3  &  fuiv.  Exem- 
ple d'un  Vaudeville  employé  dans  l'ouver- 
ture ,  344.  &  fuiv.  Remarques  fur  les  diffi- 
cultés de  mufique  propre  à  ce  genre,  347. 
ci  Lotion  de  la  marche  finale  de  cette  pièce  , 

349  &  fuiv. 

Mélodie  ,  (  de  la  )  21 4,  Obfervations  ,  237 
&  fuiv.  ,  260  &  fuiv,  ,  307  ôç  fuiv.. ,  343  & 
fuiv.,  461  &  fuiv.,  5*03  &  fuiv. 

Mémoires.  Dans  quelles  vues  ils  ont  été  com- 
pofés  ,  2  &  fuiv.  ,  500  &  fuiv. 

Menageot,  Peintre,  Auteur  du  beau  Tableau 
de  la  mort  de  Léonard  de   Vinci ,  15*8 

Mi-.sse  en  Mufique.  Un  des  premiers  effais  de 
l'Auteur  avant  d'aller  à  Rome,        43  &  44 


574  TABLE 

Mesure.  Obfervations  fur  l'effet  de  {es  divers 
mouvemens,  y  3  &  fuiv. 

Modulation  ,  262 

Mœurs.  Obfervations  fur  les  mœurs  aclueiles  , 

211 

Monotonie  ;  combien  elle  eft  infuportabîe  fur 
tout  en  mufîque,  y  2  &  fuiv. 

Monsigni  ,  Compofiteur   d'Opéras   François  , 

16%, 169  &  213 

Moreau  ,  Maître  de  Mufîque  de  Su  Paul  de 
Liège ,  40.  Il  examine  une  Aîefle  en  mufîque 
de  fon  élève,  &  ne  peut  fe  détendre  d'un  fen- 
tîment  de  jalouse  ,  45  &  4.4 

Morel  de  Chedeville  ,  (  M.  )  Auteur  des 
poëmes  de  la  Caravane , 426.  De  Panurge  dans 
rljîe  des  Lanternes  ,  4.49.   T¥Afpajie  ,      497 

Motet-  en  chœur  à  quatre  parties.  Premier  effai 
fait  fans  régies  de  composition ,    32  &  fuiv. 

Musiciens  exécutants.  Torts  qu'ils  ont  d'ajou- 
ter des  notes  de  caprice  en  accompagnant, 

4.7 

Musique,  (  réflexions  fur  la  )  I  &  fuiv.  Prirv 
cipal  objet  de  la  mufîque  44..  Idée  qu'on  doit 
avoir  de  l'imitation  des  effets  Pnyuquès ,  ibid 
&  fuiv.  Exemples  tirés  du  Huron  ,  du  TaV 
bkau  parlant  )  dà  Tom-Jenes ,  de  Y  Amant  ja- 


DES    MATIERES.       55-5- 

loux ,  43*  &  fuiv.  Cara^ere  changeant  de  la 
mufique  113.  Mufique  théâtrale  des  Italiens, 
iji  &  fuiv.  Exemples  d'anciens  chants  Ita- 
liens,!^. Quaftion  fur  la  manière  de  fentir 
en  mufique,  172  &  fuiv.  La  mufique  fouvent 
méconnoiffable  en  pafTant  du  piano ,  dans  un 
orcheftre  &  fur  le  théâtre  ,  270  &  fuiv.  La 
mufique  peut  elle  couvrir  les  défauts  de  la 
poëiie?  296  &  fuiv.  Les  vers  confidérés  dans 
leurs  raports  avec  la  mufique  ,  297  &  fuiv» 
La  mufique  confidérée  chez  les  difFérens  peu- 
ples qui  l'a  cultivent,  3  3  y  &  fuiv.  Plan  pro- 
pofé  de  mettre  la  mufique  en  paroles,  au  lieu 
de  mettre  des  paroles  en  mufique,  414  &  fuiv. 
Obfervations  fur  l'ancienne  mufique  Fran- 
çoife  ,  427  &  fuiv. 

Musique  d'Eglife.  Obfervations  fur  fon  ftyle 
&  fon  caractère,  87  &  fuiv.  Comparaifon  de 
cette  mufique  avec  celle  du  Théâtre ,  90  & 
fuiv.  Obfervations  fur  le  genre  propre  à  cette 
mufique  ,  '     261  &  fuiv. 

Musique  de  Concert,  261  &  262.  Les  Œuvres 
d'Haidn   en  fournirent  abondamment  ,  2S6 

&*87 


S;6  TABLE. 

o 

Op&rà  de  Paris.  Qualités  nécefTaires  a  un 
Directeur  de  ce  Spectacle  pour  le  foutenir  & 
l'enrichir  ,  J13  &  fuiv. 

Opéras  Italiens ,  repréfentés  à  Liège, où  l'Au- 
teur prit  un  goût  paffionné  pour  la  mufique , 

21 

Orgue.  Réflexions  fur  les  moyens  de  perfec- 
tionner ce  grand  instrument.  fi  &  fuiv, 

Oprante ,  (  le  Baron  d'  )  Opéra  comique  de 
Voltaire,  189 

Ouvrages  diftingués  par  la  fraîcheur  des  idées» 

P 

Paesiello  ,  Compofiteur  Italien  ,  213 

Panurge  dans  flfle  des  Lanternes ,  Comédie 
lyrique  en  trois  ac~r.es  par  M.  Morel  de  Che- 
deville,  440 .•  Propofée  pour  modèle  du  gen- 
re entièrement  comique  .,  ibid  &  fuiv,  Ana- 
Jyfe ,  ibid 

Parade.  Obfervations  fur  la  manière  de  ren- 
dre ce  genre  en  mufique  fans  trivialité,  210 

Pergolese.  Excellence  de  fa  mufique,  46.  Ob-^ 
fervations  fur  le  Stabat  de  ce  célèbre  Corn- 


DES    MATIER  ES.      yjy 

polïteur  ,  SB  &  fuiv.  L'Auteur  le  choifît 
pour  modèle  ,113  &.  196.  Le  début  du 
jîabat  fuit  les  modulations  des  folies  d'Ef- 
pagne  ,  383*.  Obfervations  fur  le  génie  de 
ce   Compofîteur ,  joy 

Pezai  ,  (  M.  de  )  Auteur  de  la  Rofiere  de  Sa- 
Ienci ,  paftorale  ,  303  &  fuiv.  5527. 

Philarmoniques  de  Bologne,,  (Académie  des) 
Réception  de  l'Auteur  dans   cette  Société, 

108 

Philidor  ,  Compofîteur  François,  163.  Son 
zèle  généreux  à  procurer  un  poème,  167. 
Grand  Harmonifte  ,  '     212 

Philippe  ,  Aéteur  de  la  Comédie  Italienne  ;  fon 
zèle  &  (es  fuccès,  340  &  fuiv. 

Picini,  célèbre  Compofîteur  Italien,  103.  Le 
jeune  Grétry  lui  eft  préfenté ,  &  affifte  à  fon 
travail,  104.  Réflexions  fur  l'encouragement 
qu'un  grand  homme  peut  donner  à  un  élève 
timide,  ibïd  &  ioj.  Eloge  que  fait  Aï.  Pic- 
cini  du  premier  ouvrage  dramatique  donné 
par  M.  Grétry  fur  le  théâtre  d'Alberti  ;  128.  îl 
eft  renommé  pour  la  tendre  &  belle  expreffion 
idéale ,  213 

Pitra  ,(M.)  Auteur  des  paroles  d'Androm;-:- 
que  ,  4,22  &  fuiv% 


fS8  TABLE 

Poésie  confédérée  dans  (es  raports  avec  la  mu- 
fique  ,  295"  &  fuiv. 

Poète  dramatique.  Comment  un  Compofiteur 
adroit  peut  mafquer  les  défauts  de  (es  vers  , 
$2.  Procédés  nouveaux  propofés  dans  la 
compofition  du  Drame  lyrique,  416  &  fuiv. 

Ponctuation  de  la  mufique.  Remarques ,  282. 
Exemples,  283  &  284 

Prosodie  ,  (  la  )  confédérée  par  raport  à  la 
mufique,  131  &  fuiv. 

R 

Ramasse,  (  la  )  Defcente  rapide  fur  un  traî- 
neau lancé  du  haut  d'une  montagne  des  Al- 
pes ,  14$ 

Rameau, Compofiteur  d'Opéras  François,  164-, 

31J  ,  505?  &  fuiv. 

Raulet  ,  (  le  Bailli  du  )  Auteur  de  la  réduc- 
tion tflphigénie  en  Aulide  pour  l'Opéra  ,4.11 

Rebel  &  Francgeur  ,  Surintendans  de  la  mu- 
fique du  Roi ,  27  <5 

Récapitulation  du  plan  &  des  vues  de  ces 
Mémoires,  yoo  &  fuiv. 

Réflexions  morales  fur  l'Amour  paternel  & 
l'Amour  filial  ?  60  &  fuiv. 


DES    MATIERES.       yr* 

Régime  à  obferver  pour  un  flux  de  fang  ,  20 

&  fuiv. 
Rem  A  cle,  conducteur   des  jeunes  Liégeois  en 

Italie,  57  &  fuiv.  Il  fait  la  contrebande,  77. 

AdrelTe  pour  lui  fauver  la  vifite  des  Commis  , 

19 

Uenaud  ,  (  Mademoifelle  )  Adrïce  de  la  Co- 
médie Italienne ,  excellente  Chanteufe ,    257 

Rennekin  ,  célèbre  Organise  de  St.  Pierre  à 
Liège,  35*  &  fuiv.  Encouragement  qu'il  don- 
ne à  fon  élève,  42 

Rsy  ,  C  M.  )  profond  Muficien  à  la  tête  de  for- 
cheftre  de  l'Opéra  de  Paris ,  5*20 

Rhitme  ou  mouvement  muiîcal.  Observations, 
expériences,  312  &  fuiv.,  5-28  &  fuiv. 

Richard  cœur  de  lion, Comédie  en  trois  ac- 
tes par  M.  Sedaine  ,  438  &  fuiv.  Anaîyfe  de 
la  mufîque  ,  442  &  fuiv.  Heureux  change- 
ment du  dénoument ,  447.  Succès  foutenu 
de   cette  pièce,  448 

Rithjvîometre  ;  infiniment  propre  à  déter- 
miner les  mouvemcns  en  mufîque  ,  377  & 

fuiv. 

Romance  de  Richard  cceur  de  lion  ,439  & 
fuiv.  Combien  de  fois  repétée  avec  inten- 
tion dans  le  cours  de  la  pièce,  444  &  fuiv. 


f6ô  TABLE 

RoSALiES.  Tournures  muficales  employées  dans 
l'ancien  chant  ,364.  Exemple,  ibid 

Rosière  de  Salenci ,  Comédie  paftorale  de  M. 
de  Pe2ai ,  302  &  fuiv.  Analyfe  de  quelques 
morceaux  de  la  mufique  ,  303  &.  fuiv. 

Rousseau,  C  Jean-Jacques  )  315".  Son  entre- 
tien avec  l'Auteur  de  ces  mémoires  a  3 1 9  flc 
fuiv.  Idée  de  fon  caractère  &  de  (es  qualités 
morales,  320  &  fuiv.  Examen  de  fon  Devin 
du  Village  ,325  ,  &  fuiv.  Anecdote  des  mu- 
siciens de  l'Opéra  qui  voulurent  fe  venger  de 
RoufTeau,  32p.  Jugement  de  (es  écrits  fur  la 
mufique ,  yoi 


Sacchini,  Compofïteur  Italien,  213.  Carafe 

re  de  fa  mufique,  286  &  336'.  Examen   de 

fon  air  barbare  amour ,  4.89 

Saison  favorable  aux  productions  du   génie , 

y2y  &  fuiv. 

Santerre  ,  (  M.  )  Auteur  des  opéras  de  Co^ 

linette  à  la  Cour,  de  l'Embarras  des  richeffes , 

426 

Savetier  Philofophe,  (le)  titre  d'un  Opérai 
•    comique  de  madame  Cramer  >  1  jo 

Sedaine  ,  (  M.  )   Auteur  du    Magnifique  à  la 

Comédie 


DES    MATIERES.      ;£i 

Comédie  Italienne  ,  25}  i.  Singularite's  mufica- 
les  dans  l'ouverture  de  cette  pièce,  292.  Re- 
marques ilir  l'emploi  de  l'air  de  Henri  IV , 
ibid.  Difficultés  à  furmonter  en  mettant  (es 
paroles  en  mufîque ,  294  &  fuiv.  Aucafjin  & 
Nicolette ,  Drame  en  trois  actes  du  même  Au- 
teur ,  309  &  fuiv.  Richard  cœur  de  lion  y 
Comédie  en  trois  actes, 43 S.  Le  Comte  d 'Al- 
bert ,  476.  Amphitrion ,  la  Barbe  bleue ,  497 

Seigneur  bienfaifant,  (  le  )  Comédie  lyrique  , 
les  paroles  de  M.  Rochon  de  Chabane  ,  la 
mufîque  de  M.  Floquet ,  4.29 

Servante  MaîtrefTe,  f  la  J  Opéra  de  Pergo- 
\e(e  cité  en  exemple,  46 

Silvain  ,  poëme  de  M.  Marmontel  ,  Mufîque 
de  M.  Grétry ,  227.  Réflexions,  anecdotes, 
analyfe,  228  &  fuiv* 

Spectacle.  Le  Prince  Evêque  de  Liège  &  le 
Clergé  îont  dans  l'ufage  cTafîîûer  au  Spec* 
tacle ,  14 

Suard.  (  M.  )  Jugement  favorable  qu'il  porte. 
des  talens  de  l'Auteur  de  ces  Mémoires  , 
170.  Il  a  un  fentiment  vrai  de  la  mufique , 

Nn 


c6a  TABLE 

171.  Il  procure  la  connoiffance  de  M.  d'Hela , 
Auteur  de  plufieurs  bonnes  Comédies  ,  35*4 

SUZe.  (  M.  de  îa  )  Son  zèle  &  Tes  connoiflan- 
ces  pour  conduire  les  chœurs  &  les  Acteurs 
de  l'Opéra  de  Paris  ,  J20  &  y  2  1 

Symphonies.  Premiers  effais  qui  méritèrent  à 
l'Auteur  les  moyens  d'aller  faire  des  études 
à  Rome  ,  41  &  fuiv. 

Symphoniste  ,  comparé  au  compofiteur  dra- 
matique ,  3J"3  &  fuiv. 

T 

Tableau  parlant ,  (  le  )  Opéra  comique  cité 
pour  exemple  ,  45*.  Compofîtion  mulicale  de 
cette  parade  charmante  ,  2 1  o  &  fuiv.  Analyfe 
&  anecdotes  de  cet  Ouvrage,  21  £ 

2[apr ay  ,  (  M.  )  excellent  Maître  de  modulation , 

Terradellas  ,  célèbre  Compofiteur  Efpagnol , 
I  i  3.  Son  air  tremate  ,  moftri  di  crudelta ,  ren- 
ferme tout  ce  qui  constitue  le  vrai  beau  en 
mufique,  117 

Théodore  &  Paulin  ,  Comédie  lyrique  en 
trois  actes  par  M.  Desforges  ,  ££  1 


DES    MATIERES.       j-6*} 

Tirol  ,  (  femmes  du  )  dans  les  Alpes.    Leur 

portrait,  76 

ToM-Jones  ,  Opéra  comique  ,  cité  pour  exem- 
•    pie,  47 

Tragédie  ,  moins  favorable  pour  la  mufique 
que  le  comique*  135*.  Remarques  fur  le  genre 
de  mufîque  propre  à  la  Tragédie,  140  &  fuiv. 
Projet  d'une  Tragédie  lyrique  où  le  dialo- 
gue feroit  parlé,  148,  Comment  le  genre 
Tragique  pourroit  être  traité  en  mufîque  , 
407  &  fuiv.  Procédés  nouveaux  propofés  au 
Poëte  &  au  Mufîcien ,  ^16  Se  fuiv* 

Trial  ,  Directeur  de  l'Opéra  ,  177 

ffilAË  ,  Acteur  de  la  Comédie  Italienne  ;  fon 

zèle  infatigable  ,  2J7 

Tronchik  ,  Médecin,  (qs  confeils  qui  ne  font 
pas  iuivis,  28  &  29 

Tuyaux  d'Orgue.  (  gros  )  Propofés  pour  gui- 
der les  choeurs  des  Opéras  ,  yi 


Vaudevilles.  Ces  airs  font  fufceptibles  d'un* 
belle  baffe  &  d'une  bonne  harmonie  ,  3^.3   Se 

Nu 


$6$  TABLE 

fuiv.  Exemple  d'un  Vaudeville  employé  dans 
j   Couverture  de  Matroco  ,  344  &  fuiv. 

VernÈt  ,  Peintre  très-célébre ,  &  grand  con- 
noiCTeur  en  mufique ,  173, 

Vinci  ,  Compofîteur  Italien.  Examen  d'un  de 
(es  airs  ,  5-04  &  fuiv. 

Voix.  Réfbxions  fur  les  différences  des  voix, 

Voltaire  ,  14^.  Lettre  que  lui  écrit  M.  Gré- 
try  étant  à  Genève  ,  I48.  Invitation  &  bon 
accueil  que  ce  grand  homme  fait  au  jeune 
Muficien,  2  ^9  &  fuiv.  Délices  de  fa  demeu- 
re, &  de  fa  préfence,  15*4  &  fuiv.  Sa  grande 
fenfîbilité  jufKfiée  ,  i$6.  Ses  adieux,  163. 
Son  avis  fur  les  grands  talents,  288 

Wixssb,  célèbre  Maître  de  Flûte  à  Genève, 

130  &  146 

Voyage  à  Rome,  62  &  fuiv.  Retour  d'Italie 
par  le  Mont  Cenis  ,  143.  Singularité  d'un 
Baron  Allemand  ,  ïbid&  144..  Séjour  à  Genè- 
ve, 146. 

Zémire.  &  Azor,  pièce  en  vers  libres  par 
AL  Marmontel ,  ££$  &  fuiv.  Analyfe ,  263 


DES    MATIERES        f6$ 

&  fuiv.  Succès  de  cette  pièce  ,  266  &  fuiv. 
Cette  Opéra  joué  en  trois  langues ,  le  même 
jour  à  une  foire  en  Allemagne,  a6j 

FIN  de  la   Tabk. 


APPROBATION. 

J  ' A  1  lu  par  ordre  de  Monfeigneur  le  Garde- 
dès-Sceaux  ,  un  Ouvrage  intitulé  ,  Mémoires  ou 
Effai  Jur  la  Mujîque  ,  par  M.  GrÉTRY  ,  &  je 
n'y  ai  rien  trouvé  qui  m'ait  paru  devoir  en  em- 
pêcher l'impreffion.  A  Paris  ,  le  8  Décembre 
1788,   Suard. 


PRIVILEGE. 


L-jOUÏS,  TAR  LA  «TRACE  Ot  DlEW.Rot  DE  FKANC*  K*  DE  NAY4- 
F»f.  :  A  nos  aniés  *  féaux  Confrllerj ,  les  Gens  tenans  no*  Cour»  de  Piile- 
iveu,  Maitrei  dei  Reovct«s  "tdinaires  de  notre  Hôtel  ,  Grand  Co.ifeil ,  Prevot  4e 
Jaris,  BjuCj,  Scuichac»  ,  ItUfl   }Jt revint  Ciùls    il  fc.tr «s    ao<  Jt  ftic'ytrt   «p'S 


•ppat-tiendra  ;  SAMJT.  Netrt  amé  le  Sieur  GBETRY ,  Nom  a  fiiit  «pofer  mH 
déiîreroir  faire  imprimer  Se  donner  au  PuSIic  ,  fts  Mémoire  ou  Efeii  fur  la  Ma- 
nque i  s'A  nous  plaifok  lai  accorder  nos  Lettres  de  Permiflion  pour  ce  néced'aires. 
A  CEI  CAUSES,  voulant  favorablement  traiter  iferpofant,  nous  lui  avons  permit 
&  permettons  par  ces  Préfentes ,  de  taire  imprimer  ledit  Ouvrage  autant  de  foi» 
epie  bon  lui  fcmblera  ,  Se  de  le  vendre  ,  taire  velulte  &  débiter  par  tout  îotre  Royau- 
me ,  Voulou*  cju'il  joiiifle  de  l'effet  du  préfent  Privilège  ,  pour  lui  5r  fes  hoirs  à 
perpétuité,  pourvu  qu'il  ne  rétrocède  à  perfonne;  &  fi  cependatst  il  jugeoit  à  pro- 
pos d'en  faire  une  ceflion  ,  l'afle  qui  la  contiendra  fera  enrégiftré  en  la  Chambre 
Syndicale  de  Pari»  ,  à  peine  de  nullité  ,  tînt  du  Privilège  que  de  la  Ceflion  ,  * 
alors  ,  par  le  fait  feul  de  la  Ceflion  enrégiftréc  ,  la  durcé  du  préleat  Privilège  fera. 
réduite  à  celle  de  l'Expofant  ,  ou  à  eelle  de  dix  années,  à  compter  de  ce  jour. 
fi  l'Enpolant  décède  avant  l'expiration  defdltcs  dix  années  5  le  tout  conformément 
aux  article»  IV  &  V  de  l'Arrêt  du  Coufeil  du  jo  Août  1777,  portant  Règlement 
tur  la  dorée  dr»  Privilège  en  Librairie.  Faifons  défenfes  à  tous  Imprimeurs  , 
ZJbraires  ,  Se  autres  perfemnes  de  quelque  qualité  &  condition  qu'elles  foient  . 
J'en  introduire  d'impreûjon  étrangère  dan»  aucun  lieu  de  notre  obéiflance;  comme 
•nffi  d'imprimer  ou  faire  imprimer;  veudre  ou  de  fzire  vendre,  débiter  ni  contre- 
faire ledit  Ouvrage  fou»  quelque  prétexte  que  ce  puiffe  être  ,  fans  la  permiflion 
«SprelTe  &  par  écrii  dudit  Eïpofant ,  ou  de  celui  qui  le  repréfentera  ,  a  peine  de 
laific  S:  «onfifcatiem  des  exemplaires  contrefaits.de  fis  milie  livres  d'amende  qui  ne 
pourra  être  modérée  pour  la  première  foi»  ,  de  pareille  amende  Se  de  déchennee 
d'état  en  cas  de  récidive,  &  de  tous  dépens  ,  dommages  &  inttres  .conformément, 
a  l'Arrêt  du  Confeil  du  jo  Août  1777.  concernant  les  contrefaçons  :  A  la  chari>« 
«jt;e  cts  Préfrnie»  feront  enregiftrées  tout  au  long  fur  le  Regiftre  de  la  Commu- 
liauté  de»  Imprimeurs  Se  Libraires  de  Paris,  dans  (rois  mois  de  la  date  d'icelles  ; 
<jue  l'impreflion  dudit  Ouvrage  fera  faite  dans  notre  Royaume  Se  non  ailleurs ,  en 
bon  papier  &  beaux  caractères  ;  conformémenu  aux  Règlement  de  la  Librairie, 
à  pe:ne  de  déchéance  du  préfent  Privilège;  qu'avant  l'cxpofer  en  vent  le  Manuf- 
cric  qui  aura  fervi  de  copie  à  l'in-piefCon  dudit  Ouvrage  ,  fera  remis  dan»  le 
«néme  état  où  l'Approbation  aura  été  donnée,  es  mains  de  notre  très-cher  &  féal 
Chevalier  Garde. dès-Sceaux' de  France,  le  fieur  BaheNTIN  ;  qu'il  en  fera  enfui  te 
»cmis  deux  Exemplaires  dans  noire  Bibliothèque  publique  ,  un  dans  celle  de  notre 
Château  du  Louvre  ,  un  dans  celle  de  notre  très- cher  &  féal  Chevalier  ,  Chance 
lter  de  France,  le  fieur  DE  MAVPEOU.&un  dans  celle  dudit  fieur  EAREN- 
T]N  ;  le  tout  t  peine  de  nullité  des  Prclente»  ;  du  contenu  defquelles  vous 
mandons  &  enjoignons  de  taire  jouir  ledit  Expol'ant  Se  fe»  hoir»  pleinement  Se 
paisiblement  ,  fans  louffrir  qu'il  leur  loit  fait  aucun  trouble  eu  empêchement. 
Voulou»  qu'à  la  copie  des  Préfentes  qui  fera  imprimée  tout  au  long  au  commen- 
cement ou  à  la  fin  dudit  Ouvrage  ,  loit  tenue  pour  duement  fig.uriée  ,  &  q.i'aux 
copies  collaiiennées  par  l'un  de  nos  amés  &  feaux  Conleillcrs-Seerétaiies ,  foi  foit 
ajoutée  comme  à  l'original.  Commandons  au  premier  notre  Huiffier  ou  Sergcn; 
fur  ce  requis,  de  faire  pour  l'exécution  d'Tccllcs ,  tou»  actes  requis  &  nécetfaire», 
fans  demander  autre  permiflion  ,  Se  nonobftant  clameur  de  haro,  charte  normande, 
te  lettres  à  ce  contraires;  CAR  tel  elt  notre  plaifir.  DoKJJE'  à  Verfailles ,  le 
31  on-  du  mois  de  Décembre,  l'a»  de  grâce  mil  fept  cent  quatre-vingt-huit  ,  U 
it   no.rt  Règne   le  quinzième.    Par  le  j  Roi  «n  10.1  Uu.iù.l.  LE.   BEGUE. 


ERRA  TA. 

*  A  G  E  8 ,  ligne  7,  ma  grand'mere ,  ajoute^  maternelle. 
Page    15,    /igfle    i,   après  cz   qui    me  flattoit  le  plus, 

/i/èç   c'étoit  d'y    voir    toute    la    Troupe   Italienne , 

femmes  &  hommes  ;  car  chacun  d'eux  me  tegardoit 

comme  (on.  Élevé. 
Page   3  o ,  ligne  dernière  ,  un ,  life^ ,  une. 
Page  37,   ligne  3,  Oui,  —  Monfieur  ,    ne    pourriez, 

Ufei  Oui.  —  Ne  pourriez. 
Page  46  ,  ligne  4 ,  Léonore ,  life^  Ifabelle.  ' 
Page  61  ,  ligne  7,  donnée  ,   lije^  donné. 
Page  y 3  ,  <%•.<:  ■)  ,  ce  que  vaut  ,  life-  ce  que  veut. 
Page  97  ,  ligne  2,  ,   dans  celle ,  lïfe\  dans  celles. 
Page   117,  ligne  4,  ce  beau  morceau,  lifeç  ce  morceau 
Page  172  ,  ligne  dernière  de  la  Mujïque ,  <zv.z/2£  /<z  féconde 

note  ,  mette^  un  diefe  au  lieu  d'un  biquarre. 
Page  170,  ligne  3,  fut  le  fujet  ,  life^  furent  le   fujet. 
Page  179  ,  ligne  1 5  ,  cet  honnête  Artifte,  life^  cet  Arrifte 

diftingué. 
Page  196,  ligne  anté-pênultieme ,  d'un  Public,  Sec.  lifeç_ 

de  cette   partie  du  Public   qui  ,  dans  la  jouiiTance 

même  de  ces  plaifirs  ,  aime  à  pouvoir  s'éciairer  du 

flambeau  de  la  raifon. 
Page  23  j  ,  ligne  6,  celle  life^  celles. 
Page  144  ,  ligne  9  ,  travaillé  ,  life^  travaillé*".' 
Page  287 ,   ligne  anté- pénultième ,  vocale ,  li/e^  vocal. 
Page  288,  ligne  3  ,  muficale ,  l\fe\  mufical. 
Page   319,  ligne  4,  celle,  Hfe[  celles. 
Page  352,  ligne  2 ,  croioyent ,  life^  croyoient. 


t 


Page    388,  ligne   n,  après  à  la  fleur  de    l'âge,   &c; 

ïifi%  un  des  hommes  qui  avoient  le  plus  du  juftefle 

dans  leurs  idées ,  &  qui  échircirToient  le  mieux  celles 

des  autres. 
Page   391,   ligne  '3  ,  il  étoit   peu   de  chofe,  &c.   lifeç 

il  y  avoir  peu   de  chofts  qu'il  ne  pût  porter  à  leur 

perfection,  ou  du  moins  en  fuggérer  les  moyens. 
Page  394,  ligne  3  ,  fi   la  dernière   période.  .  .  eût  été 

reculée  ,  lifc^  fi  le  dernier  pétiode. . .  eût  été  reculé. 
Page  406,    ligne  pénultième  ,  qu'ils  ne  défireroient  plus. , 

life^  qu'ils    défireroient  de  ne  plus. 
Page    40S ,    ligne    j  ,    jufqu'au   traître ,    lifeç    jufqn'au 

fcélérat. 
Page  429,  ligne   8,  açcefïbir,  life^  acceffoire. 
Page   439,  ligne   10,  comme  fi  en  Mnfique  ,   &cc.  life-± 

comme   fi  elle  eût  été  le  feul  morceau  en  Mufique 

dans  l'Ouvrage. 
Page  457  ,  ligne  6  ,  analogue  ,   life^  analogues. 
Page  496,  ligne  9,  cherchons,  &c.  life^  ne  cherchons 

point  à   écarter   de  notre  ame  des   fenfations  dou- 

loureufes  ,   mais  tendres.   Eiles   peuvent  alléger   le 

poids    des    plus    grands   maux  ;  &  d'ailleurs    jamais 

l'homme   qui   aime   à  s'attendrir,  ne  fut  à  craindre 

pour  fes  femblables, 
Page  519,  ligne  ?i,  la  Juftice  civile  doit  feul  infliger, 

&  dont,  lifi{  la  Loi  doit  feul  infliger  aux  citoyens, 

&  dont,  &c. 
Page  530,  ligne  19,  un  des   Arts  le  plus  noble,  lifer 

un      deArts  les  plus  nobles. 


/