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Full text of "Nouvelles archives du Muséum d'histoire naturelle"

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NOUVELLES ARCHIVES 


DU MUSEUM 


D'HISTOIRE NATURELLE 


wii. 


Cette nouvelle série des Archives du Muséum, qui a commencé en 
1865, se compose, chaque année, de : 


1° Un RECUEIL DE MÉMOIRES inédits; 


2° Un BULLETIN, contenant des Descriptions d'espèces nou- 
velles ou imparfaitement connues, des Rapports sur l’ac- 
croissement des collections du Muséum, des extraits de la 
Correspondance des voyageurs de cet établissement, et d’autres 
pièces analogues. 


Ces deux parties ne peuvent se diviser ni faire l’objet d’abonne- 
ments séparés. 

Chaque publication annuelle se compose de 40 à 50 feuilles d’im- 
pression sur format in-4° grand raisin, et de-22 à 30 planches dans ce 
même format, les unes noires, les autres coloriées, selon la nature 
du sujet. 

La publication se fait en quatre fascicules par an, devant former 
ensemble un très-gros volume in-4°, accompagné de nombreuses 
planches. 


Prix de l’abonnement annuel. . . , . . . . . .. 50 fr. 
Prix des quatre fascicules de l’année, pris après 
leur entière publication, sans abonnement. . 55 fr. 


On ne reçoit d'abonnements que pour un an, 


Les abonnements, payables d'avance, doivent être exclusivement 
adressés à la librairie Théodore Morçaxb, rue Bonaparte. 5, à Paris. 


PARIS. — J. CLAYE, IMPRIMEUR, 7, RUE SAINT-BENOIT, — [1755] 


on. 


NOUVELLES ARCHIVES 


DU MUSEUM 


D'HISTOIRE NATURELLE DE PARIS 


PUBLIÉES 


PAR MM. LES PROFESSEURS-ADMINISTRATEURS 


DE CET ÉTABLISSEMENT 


_——— - OX PRÉ > 
TOME HUITIÈME 


FX — 


ÉDITÉ PAR L. GUÉRIN ET Cie 
DÉPOT ET VENTE A La 


LIBRAIRIE THÉODORE MORGAND, 5, RUE BONAPARTE, À PARIS 


1872 


NOMS 


DE 


MM. LES PROFESSEURS-ADMINISTRATEURS 


DU MUSEUM D'HISTOIRE NATURELLE 


PAR ORDRE D'ANCIENNETÉ. 


CAEVREUL...... pures Professeur de Chimie appliquée aux corps organiques. — 1830. 

BRONGNIART ,...., ve. Id. de Botanique, — 1833. 

BECQUEREL........... Id. de Physique appliquée. — 1838. 

Mine Enwanps,.,... Id. de Zoologie {Mamm. et Oiseaux); chargé de la Direction 
de la Ménagerie. — 1841, 

DECAISNE........... … Id, de Culture. — 1850. 

PRMMT 6, Re Id de Chimie appliquée aux corps inorganiques. — 4850. 

DE QUATREFAGES...... là d'Anthropologie. — 1855. 

PT SET PE ee” Id de Physique végétale, — 1857. 

DALANONSE....,.-.:.; Id de Minéralogie. — 1857. 

DRE. ir... Id de Géologie. — 1864. 

BLANOHARD.....,..... Id, de Zoologie (Insectes et Crustacés). — 1862. 

PAUL GERVAIS ........ Id. d’Anatomie comparée. — 1868. 


BerxarD (Claude)..., Id. 


PROMANES ue. nes Id. 
GAUDRF...…. . Eee Id. 


de Physiologie générale. — 1868. 
de Zoologie ! Moll. Annél. et Zooph.}. — 1869. 
de Paléontologie. — 41872. 


RECHERCHES 


POUR SERVIR A L’HISTOIRE 


DES 


LOMBRICIENS TERRESTRES 


EDMOND PERRIER 


AIDE =NATURALISTE AU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE, MAITRE DE CONFÉRENCES 


A L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE 


De tous les animaux, les Lombriciens ou Vers de terre sont peut- 
être ceux qu'on a le moins étudiés. 

I n'ya pas vingt ans qu'on a acquis les premières notions pré- 
cises sur nos Lombrics indigènes, et, malgré les travaux publiés jus- 
qu’à ce jour, Claparède pouvait encore écrire, il y a deux ans, sur le 
Lombric terrestre, un volumineux mémoire qui est loin d’avoir épuisé 
l'histoire anatomique de cet animal. 

Si nos Lombries indigènes ont tardé si longtemps à être connus, 
c’est bien pis encore pour les Lombrics exotiques. À peine en a-t-on 
signalé quelques espèces par des descriptions rapides, à peu près 
uniquement remplies par la liste des caractères extérieurs. 

C'est dire qne toute une classe d'animaux, aussi distincte de ses 


6 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


voisines que les oiseaux peuvent l'être des mammifères, ne nous est 
encore connue que par quelques-uns de ses types. C'est là ce qui nous 
a engagé à étudier avec soin la collection des Lombriciens du Muséum 
d'histoire naturelle de Paris. Monsieur le professeur Deshayes a bien 
voulu nous autoriser à faire sur les échantillons de la collection toutes 
les opérations qui nous paraîtraient nécessaires à leur étude; nous 
l'en remercions ici. Nous avons, en conséquence, ouvert un certain 
nombre de doubles et même quelques individus uniques, en prenant 
soin néanmoins qu'ils ne fussent, après cette opération, en aucune 
façon détériorés et puissent reprendre dans la liqueur la forme qu'ils 
avaient avant. 

Ce genre de recherches a dû limiter beaucoup l'étendue de nos 
études sur chaque animal. Bien des questions délicates ont dû être 
réservées; néanmoins nous en avons vu assez pour nous assurer que 
sous une apparence extérieure des plus uniformes, les Lombrics 
devaient présenter une variété de types presque aussi grande que 
celle qu'on observe chez les véritables annélides, variété qu'il était 
impossible de soupçonner à l'avance. 

Notre travail se composera de trois parties. 

Dans la première nous ferons un historique rapide des travaux 
publiés jusqu'à ce jour sur les Lombrics, et nous préciserons autant 
que possible les problèmes que pouvait soulever l'étude de ce groupe. 

La seconde partie sera consacrée à l'étude particulière de chacun 
des types que nous avons eus à notre disposition. 

Enfin, dans la troisième partie, nous exposerons les résultats 
généraux qui paraissent se dégager de notre travail. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, “ 


PREMIÈRE PARTIE. 


HISTORIQUE. — GÉNÉRALITÉS. 


Nous ne nous arrêterons pas ici sur les premières phases de 
l'histoire des Lombriciens. 

Linné les confondait avec tout ce qui était mou dans sa grande 
classe des Vers. Cuvier, les réunissant aux sangsues, en faisait l’ordre 
des Abranches de sa classe des Annélides; dans cet ordre. les Lom- 
brics étaient néanmoins séparés des sangsues à cause de la présence 
de soies locomotrices sur leurs téguments. Ils formaient pour la 
première fois une famille naturelle, celle des Annélides abranches 
sétigères. 

Telle était encore, en 1830, la manière de voir de Cuvier rela- 
tivement aux Lombriciens. 

C'était un progrès sur Lamarck qui, tout en plaçant dans un 
ordre particulier les Sangsues et les Lombrics, unissait à ces derniers 
un certain nombre d'animaux appartenant à un tout autre groupe. 
Dans la classification de Lamarck, les Lombriciens vrais ne forment 
qu'un seul genre de la famille des Annélides apodes échiurées. 

En 1820, dans son système des Annélides, Savigny réunit aussi 
dans un même ordre les Lombrices et les Échiures, qui sont maintenant 
des Géphyriens; mais il forme pour les Sangsues un ordre particulier. 
celui des Hirudinées. D'ailleurs, dans son ordre des Lombriciens. 
Savigny fait deux familles : Fune pour les Lombriciens vrais, l'autre 
pour les Échiures et les animaux analogues, qu'à l’exemple de 
Lamarck, il rapproche des Lombrics. Savigny est le premier qui ait 
indiqué quelques divisions dans le genre Lombric. Il sépara, sous le 


nom d’Hypogéons, des Lombrics qui avaient une rangée de soies dor- 


(] NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 
sales, de même qu'il créa le genre Clitellio pour des vers qui se rap- 
prochent de nos Naïs. 

De Blainville, en 4828, donna dans le Dictionnaire des Sciences 
naturelles une classification des Vers dans laquelle les Lombrics, consi- 
dérés comme famille distincte, concourent, avec la plupart des Anné- 
lides errantes, à former l’ordre des Entomozoaires Chétopodes homo- 
criciens. 

En 4838, M. Milne Edwards réunissait encore aux Lombriciens, 
pour former la famille des Annélides mésobranches terricoles, les 
Thalassémiens qui sont, comme nous l'avons dit plus haut, des Géphy- 
riens, et les Clyméniens qui sont de véritables Annélides. Plus tard, 
en 1841, il adopte purement et simplement, en changeant un peu les 
noms, le groupement de Savigny. 

Ce n’est qu’en 1845, dans une publication de Johnston ‘, que les 
Lombriciens apparaissent formant un ordre spécial. Grube a adopté 
cette manière de voir dans son ouvrage intitulé die Familien der Anne- 
liden; il fait avec les Lombriciens l’ordre des Annélides oligochètes et 
divise cet ordre en deux familles : Lumbricina, Naïdea. Ce nom d'Anné- 
lides oligochètes a été adopté par Claparède dans Les nombreux travaux 
qu'il a publiés sur ce sujet. Au contraire, d'Udekem a conservé le nom 
de Lombriciens, qu'avait créé Savigny et que nous n'avons aucune 
raison de rejeter. 

Nous arrivons à l'opinion de l’auteur français qui s’est le plus 
occupé des Annélides, M. de Quatrefages. 

M. de Quatrefages limite tout autrement que ses devanciers la 
classe des Annélides ; il réserve ce nom aux Vers diviques, à corps com- 
posé d'anneaux portant des pieds en forme de mamelon et armés de soies 
eæsertiles et rétractiles. 

_ Dans ce système, les Géphyriens, les Lombriciens et les Hirudi- 


4. Annals of Natural History, t. XVL. 1845. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 9 


nées forment autant de classes distinctes ayant une valeur équivalente 
à celle des Annélides proprement dites. Cette manière de voir parait 
la plus naturelle. Le mode d'existence des Lombriciens, l'absence 
chez eux de métamorphoses, la disposition tout autre de leur appareil 
locomoteur, l'absence constante d'appareils respiratoires comparables 
aux branchies des Annélides, l'hermaphroditisme à peu près général 
de toutes les espèces sont autant de caractères dont la valeur est 
certainement supérieure à celle des caractères qui séparent, par 
exemple, les Coléoptères des Orthoptères dans la classe des Insectes. 
Les Lombriciens, tels que les comprennent tous les naturalistes 
aujourd'hui, sont tout aussi différents des véritables Annélides que 
les Arachnides le sont des Insectes et des Crustacés. Si l’on adopte le 
nom de classes pour les groupes d’articulés dont nous venons de par- 
ler, il faut l’adopter aussi pour le groupe des Annélides, comme l’en- 
tend M. de Quatrefages, pour ceux des Lombriciens et des Hirudinées. 
Une certaine similitude trompeuse dans la forme extérieure ne peut 
être un argument suffisant contre cette manière de voir; aussi devons- 
nous nous étonner de cette rubrique : ORDRE DES ANNÉLIDES LOM- 
BRICINES, que M. Léon Vaillant a placée en tête de son tableau de la 
classification de ces animaux’, tableau qui n’est pour ainsi dire que 
le prologue d'un ouvrage devant compléter les trois volumes que 
M. de Quatrefages a publiés sur les Annélides, dans les Suites à 
Buffon de Roret. 


Les Lombriciens étant admis comme classe distincte, nous 
devons maintenant faire connaître les principaux travaux dont ils ont 
été l’objet. 


Les premiers mémoires anatomiques traitant spécialement des 


1. Annales des Sciences naturelles, 5° série, t. X. 
VIII. 2 


10 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Lombriés sont ceux de Montègre, Leo ? et Morren*. 1ls traitent du 
Lombrie comme l'ouvrage de Strauss traîté du hanneton. Les prinei- 
paux organes y sont décrits, mais avec de nombreusés erreurs; ainsi 
Montègre croyait les Lombriés vivipares, Leo prénd les testicules pour 
les ovairés et les vésiculés séminalés ou poches copulatrices pour des 
testicules. Néanmoins il donne aux canaux déférents qu’il a le pre- 
mier signalés, leur véritable signification. Morren commet les mêmes 
fautes, sans parler des canaux déférents. " 

En 1828, Dugès publie dans les Annales des Sciences naturelles un 
travaiF intitulé: Recherches sur la circulation, la respirahion et la repro- 
duction des Annélides abranches. Dans ce travail, Dugès décrit six espéces 
de Lombries sur lesquelles ses observations ont porté ; sa description 
de l'apparéil circulatoire est assez exacte ; il en est de même, au point 
de vue anatomique pur, de sa description des appareils génitaux; seu 
lement ses déterminations physiologiques sont fautives ; il prend, ui 
aussi, les testicules pour des ovaires, les vésicules séminales pour 
des testicules; mais il décrit et figure’ surtout fort bien les canaux 
déférents qu’il prend pour des oviductés. On retrouvé dans sa figuré 
les pavillons vibratiles terminaux de ces canaux; mais dans le texte il 
donne ées pavillons comme constitués par'le pelotonnement des ovi- 
ductes. 

L'erreur dans laquelle sont tombés presque tous les auteurs rela- 
tivement aux testicules s'explique par la quantité considérable de 
grégarines à tous les degrés de développement que renferment ces 
organes. Ces grégarines, lorsqu'elles sont à l’état de psorospermies ou 
de pseudo-navicules, ont effectivement la forme de pétits œufs et, 
chose remarquablé, j'ai trouvé des organismes en’ tout semblables 
dans les testicules d’un Perichæta venant de Calcutta et dans ceux! du 


1. Mémoires du Muséum d’'Hist. nat. 3° cahier, 4815. 
2. Diss. inaug. de structura Lumbrici terrestris, 1820. 
3. Lumbrici terrestris historia naturalis nee non analome, 18922, 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 41 


Ver des Antilles que j'ai désigné sous le nom de £udrilus decipiens. 11 
semble donc que ces grégarines soient un parasite constant du testi- 
cule des Lombriciens terrestres, 

Henle, le premier, décrivit exactément lé contenu des testicules‘. 
Stein ? leur attribua leur véritable signification ; mais #eckel *, prenant 
un terme moyen, vit, dans les véritables testicules, des ovaires et des 
testicules accolés, et Von Siebold* émit l'idée que chéz les Lombriés 
le testicule et l'ovaire étaient invaginés l’un dans Fautre. Pour 
Steenstrup, les glandes en question sont, chez: cértains Vers, dés tes- 
ticules, et, chez d’autres, des ovaires. 

{On voit par ces citations combien cette question est demeurée 
longtemps embrouillée. Par la découverte des véritables ovaires, 
Jules d'Udekem détermina enfin le véritable rôle de chaque partie ; äl 
montra que les glandes controversées étaient purement et simplement 
des testicules, que leur produit se déversait à l'extérieur par une paire 
de canaux s’ouvrant très en ayant de la ceinture etse terminant &ha- 
cun par deux pavillons vibratiles, englobés dans l'enveloppe membra- 
neuse des testicules. Quant aux ovaires, il les trouva vers le treizième 
anneau, de chaque côté de la chaîne ventrale; mais ne put voir 
comment ils communiquaient avec l'extérieur. On reproche à d'Udekem 
d'avoir attribué à de petits corps placés auprès des poches copula- 
trices le rôle de glandes capsulogènes, d'avoir considéré même 
quelquefois comme telles de véritables poches copulatrices. Ce 
reproche est fondé; néanmoins, le mode de sécrétion de la capsule qui 
enveloppe les œufs est encore à trouver, et il n’est pas démontré le 
moins du monde que ce soit la ceinture qui effectue cette sécrétion 
comme le veulent quelques auteurs. 


1. Müller’'s Archiv., 1835. Uber die Gattung Branchiobdella und über die Deutung der 
inneren Geschlechtsglider der Anneliden. 

2. Müller's Archiv., 1842. 

3. Müller’s Archiv., 1844. 

4. Manuel d'anatomie comparée. — (Trad. franç., pag. 227.) ; 


12 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Le travail de d’Udekem, couronné par l’Académie de Belgique 
en 1853, n'avait pas encore épuisé la question. En 1857, un étudiant 
en médecine de Leipzig, Ewald Hering, publia dans le Zeïtschrift für 
wissenschaftliche Zoologie de von Siebold et Külliker, un remarquable tra- 
vail qui complète les résultats de d’'Udekem. Hering a démontré que 
les ovaires étaient greffés sur les téguments et ne s’ouvraient pas 
directement à l'extérieur. Les œufs, à leur maturité, tombent dans la 
cavité générale du corps; ils sont alors recueillis par des pavillons 
vibratiles à pédoncule très-court, logés, pour le Lumbricus terrestris, dans 
le quatorzième anneau du corps et qui, eux, s'ouvrent à l'extérieur. 

Hering étudia en même temps avec soin l’accouplement des Lom- 
brics, confirma quelques-uns des faits trouvés par ses prédécesseurs, 
et signala le premier une paire de soies, plus grosses que les autres. 
situées au quinzième segment, au point même où s'ouvrent les canaux 
déférents. Nous retrouverons des soies analogues chez d’autres 
espèces; elles jouent dans le phénomène de l'accouplement un rôle 
variable, mais d’une importance probablement assez grande. Hering 
démontra enfin que la.semence n’est pas déposée directement dans les 
poches copulatrices; mais qu’elle est éjaculée dans une sorte de 
gouttière temporaire formée par les téguments pendant l’accouple- 
ment et qui va de la ceinture aux orifices des poches copulatrices. 
La semence chemine dans cette gouttière par l'effet de contractions 
rhythmiques exécutées par les parois du corps. Ce fait, vrai pour les 
Lombrics de notre pays, ne l’est sans doute pas pour ceux des Lom- 
briciens exotiques que nous trouverons pourvus d’un appareil copu- 
lateur bien développé. 

Les découvertes de d’'Udekem et de Hering furent assez vivement 
attaquées en 1858 par le docteur Williams (de Swansea) ‘ qui nia d’une 
manière absolue l'existence des canaux déférents, celle des pavillons 


1. Transactions of the Royal Society, vol. CXLVHI, 1858. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 15 


vibratiles découverts par Hering et même l'existence réelle des 
ovaires. 

Malheureusement pour lui, le docteur Williams s’est laissé entrai- 
ner par une idée préconçue; c’est ainsi qu'il n’a pas vu des choses que 
tous les observateurs consciencieux ont retrouvé sans trop de peine, 
ont pu revoir avec la plus grande netteté et qui ont été figurées de 
nouveau, en 1865°, par l’un de ses compatriotes, le docteur Ray Lan- 
kester. 

Toutefois le docteur Williams a introduit dans la science des 
idées morphologiques qui paraissent justes, quand on ne veut pas les 
exagérer, et qui ont été adoptées en particulier par Claparède et par 
Ray Lankester. 

Ce sont ces considérations morphologiques que nous allons 
maintenant exposer. 

Chez un grand nombre d’Annelés, il existe, dans chaque anneau 
du corps, des organes s’ouvrant à l'extérieur et présentant le plus 
souvent la forme de longs tubes tortueux, glandulaires sur une portion 
plus ou moins grande de leur longueur, munis intérieurement de cils 
vibratiles et se terminant, à l’intérieur du corps, par un pavillon béant 
et vibratile. Chez les Naïdiens ce pavillon traverse, en général, la 
cloison antérieure de l’anneau dans lequel est situé le tube tortueux ; 
il en résulte que chaque anneau du corps communique avec l’exté- 
rieur par l'intermédiaire d’un tube situé dans l’anneau suivant et 
s’ouvrant à l'extérieur à travers les téguments de ce dernier anneau. 
Williams a donné à cet appareil le nom d’organe segmentaire (segmental 
organ ) *. Les orifices de ces organes segmentaires sont chez nos Lom- 
brics et chez les Naïdiens situés en avant de chacun des faisceaux de 


soies de la rangée inférieure. 


1. Quarterly Journal of microscopical science, janvier 1865. 
2. Transactions of the Royal Society, vol. CXLVIE, 1858. Researches on the structure and 
homology of the reproductive organs of the Annelids. 


1h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Ces organes sont connus depuis longtemps. 

Willis, Morren, Leo les ont décrits chez le Lombric comme des 
vésicules aériennes, des espèces de trachées. Dugès constata que les 
tubes qui y sont annexés sont pourvus de cils vibratiles et contiennent 
un liquide aqueux. Henle! fit la même observation en ce qui concerne 
l'Enchytrœus, petit ver transparent, plus voisin des Naïs que des Lom- 
brics, mais habitant la terre humide, comme ces derniers. 

Déjà, en 1823, Gruithuisen les figure chez sa Maïs proboscidea ?, et 
en 1828 chez divers Chætogaster; il leur attribue, comme tous les au- 
teurs dont nous venons de parler, le rôle d'organes respiratoires. C’est 
aussi l'opinion de Siebold * qui signale le premier l'ouverture interne 
de ces organes dans les Tubifex rivulorum, Lumbriculus variegatus | Naïs 
elinguis, et même chez l’£nchytrœus albidus. Mais il n'a pu voir cet 
orifice chez les Lombrics dont les organes segmentaires sont compli- 
qués d'un appareil vasculaire très-développé. La première bonne des- 
cription de ces organes et de leur mode de terminaison, chez le Lom- 
bric terrestre, a été donnée en 1853, par Gegenbaur *, qui attribue à 
Leydig la découverte de l’orifice interne.de ces canaux; mais le Mémoire 
de Leydig sur la Branchiobdelle et la Pontobdelle FRE il est fait allu- 
sion n'est que de 1852. 

A peu près à la même époque, et un peu avant le travail précé- 
dent; d'Udekem publiait son mémoire sur le Tubifex rivulorum *, daté 
du 5 février 1853 et, pour la première fois, il attribuait nettement 
aux organes segmentaires le rôle d’ organes sécréteurs et excréteurs ; 
il les comparait aux reins des animaux supérieurs. Cette interpréta- 
tion de d'Udekem a été depuis universellement adoptée. 

L'est.ici que doit se placer le travail du docteur Williams dont nous 

4. Archiv. für Anatomie von J. Müller, 1837. Uber Enchytrœus. 
2. Nova Acla Academiæ Leopoldinæ curiosorum naturæ, t. XI. 
3. Manuel d'anatomie comparée, pag. A6, t.1. (Trad. franç., 1849.) 


4. Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, t. IV. 
5. Mémoires couronnés de l’Académie royale de Belgique, t. XXVNI, 1854-4855. 


= 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 19 


avons déjà parlé. Ce naturaliste, reprenant les travaux de ses devan- 
ciers, y ajoutant ses propres observations, considère l'existence des 
organes segméntaires comme l’un des traits fondamentaux de l'orga- 
nisation des Annelés. On les retrouve en effet chez les Hirudinées, chez 
à plupart des Annélides, et quelque chose d'analogue existe chez 
Ha Bônnéllie; comme Fa montré M. de Lacaze-Duthiers, et même chez 
les Rôtifères : à ce point de vue, M. Williams a raison d’attribuer une 
grande importance à ces organes ; il va beaucoup plus loin. 

Pour lui les organes segmentaires représentent en quelque sorte 
la portion génitale du zoonite. Ils ne se spécialisent pas de cette façon 
dans tous les anneaux; mais partout où se trouve un organe tenant 
en quelque façon à la génération c’est, selon M. Williams, par une 
transformation dé tout Forgane segmentaire ou de l’une de ses parties 
que l'organe en question est produit. Cette idée conduit M. Williams 
à dire qu'il n'existe pas d'autre eanal déférent que les organes seg- 
mentaires des anneaux où sont situés les testicules ; que les testicules 
sont greffés sur la base de ces organes et possèdent avec eux une 
ouverture extérieure commune ; qu’il en est de même pour les ovaires 
et les oviductes. 

Ce sont là manifestement des erreurs anatomiques qu'il eût été 
facile à M. Williams d'éviter. ? 

Toutefois il y a dans cette doctrine quelque chose à garder. Depuis 
le mémoire de Williams, depuis ceux de d’Udekem, l'étude des Lombri- 
ciens aquatiques a fait, entre les mains de Claparède, de grands progrès. 

Dans deux mémoires publiés par les archives de la Société dés 
sciences physiques et naturelles de Genève *, Claparède s'occupe de Ta 
structure dés Lombriciens, auxquels il donne le nom d’Annélides oli- 
dt 


1, Tome XVE, 4° partie, 1862... 
2. Recherches sur les Annélides, Turbellariés, etc, du golfe de Naples; et Recherches 
anatomiques sur les Oligochètes. 


16 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 

Il est surtout question dans ces mémoires du groupe des Naïdiens, 
et l’auteur y démontre que, dans tous ces animaux, les glandes géni- 
tales se développent indépendamment des organes segmentaires ; mais 
que les canaux déférents ne sont pas autre chose que des organes 
segmentaires diversement modifiés. Il va plus loin et soutient que les 
poches copulatrices ne sont également que des modifications de ces 
mêmes organes et parfois de leur portion inférieure seulement, la 
portion supérieure se terminant comme d'habitude en pavillon vibra- 
tile et allant se greffer sur l'organe segmentaire de l’anneau suivant. 

Ainsi Claparède admet les doctrines du docteur Williams, sauf 
cependant en ce qui touche les testicules et les ovaires qui, bien évi- 
demment, ne sont jamais greffés sur des organes segmentaires. 

Il est remarquable, en effet, que, chez tous les Naïdiens, les organes 
segmentaires disparaissent dans tous les segments génitaux et qu’à 
leur place on trouve des organes qui leur ressemblent jusque dans 
leur forme (canaux déférents, oviductes) ou tout au moins s'ouvrent 
à l'extérieur par un orifice à peu près placé comme le leur (poches 
copulatrices). 

Cette coïncidence perd peut-être un peu de sa valeur si l’on 
remarque que, chez les Naïdiens, les organes segmentaires manquent 
encore souvent dans les quatre ou cinq premiers anneaux du COrps, 
bien que ceux-ci ne contiennent ni canaux déférents, ni poches copu- 
latrices; que de plus ces mêmes anneaux sont fréquemment modifiés 
de manière à ne pas ressembler à ceux qui les suivent, comme on le 
voit chez plusieurs Naïs et chez les Dero, où le faisceau supérieur des 
soies disparaît. Néanmoins la coïncidence en question existe et, jointe 
à l'analogie de la forme et de la fonction, excrétive dans les deux cas, 
des canaux déférents et des organes segmentaires, elle suffit à donner 
un certain poids à l'opinion commune de Claparède et de Williams. 

Quand on passe des Naïdiens aux véritables Lombrics, une grosse 
difficulté se présente toutefois à ce sujet : c’est que chez ces derniers 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 17 


les organes segmentaires coexistent ordinairement avec les canaux 
déférents et les poches copulatrices, dans les anneaux génitaux. L'ho- 
mologie n’est donc plus possible et il fallait s’y attendre, dit Claparède, 
car, chez les Lombrics, l’orifice des poches copulatrices est situé tout 
autrement que celui des organes segmentaires. Le premier est très- 
rapproché de la paire de soies supérieures, tandis que les seconds sont 
compris au contraire entre les deux paires de soies inférieures. Quant 
au canal déférent, il traverse plusieurs anneaux sans appartenir plus 
spécialement à aucun d'eux et doit être, suivant Claparède, considéré 
comme un organe de nouvelle formation. 

De prime abord cette conclusion paraîtra étrange. Physiologique- 
ment, ces divers organes jouent chez les Lombrics le même rôle que 
chez les Naïs; anatomiquement, ils présentent exactement la même 
constitution; il est très-surprenant que dans des animaux aussi voisins, 
pour former des organes presque identiques dans la forme et dans la 
fonction, la nature ait employé des procédés différents. 

De deux choses l’une : ou l'homologie généralement acceptée pour 
les Naïs est aussi vraie pour les Lombrics, ou elle est fausse pour les 
deux groupes d'animaux, Tel est le dilemme qui semble s'imposer de 
lui-même aux naturalistes. 

Tandis que Claparède s’efforçait de l'esquiver, le docteur ay 
Lankester' proposait une solution, sans l'appuyer cependant sur aucun 
fait d'observation. 

Pour lui, on doit considérer le zoonite du Lombricien comme 
portant normalement quatre paires de soies symétriquement placées 
et quatre organes segmentaires s'ouvrant, deux dans la région ven- 
trale, deux sur les côtés, entre les paires de soies latérales; mais dont 
il ne peut cependant préciser davantage la position. Chez les Naiïs, 
l'organe segmentaire supérieur avorte constamment; chez les Lom- 


1. Quarterly Journal of microscopical science, janvier 1865. 
VIIL. 3 


\ 


18 NOUVELLES ARCHIVÉS DU MUSEUM. 


briciens cet avortement se produit aussi dans presque tous les 
anneaux, sauf cependant dans les anneaux génitaux où les organes 
segmentaires supérieurs persistent, pour former les canaux déférents 
et les poches copulatrices. . 

Cette théorie est ingénieuse; mais elle ne peut être défendue 
sérieusement que si toutes les conséquences qu'elle entraîne avec 
elles sont vérifiées par l'observation. Ces conséquences sont les sui- 
vantes : 

1° On ne voit pas à priori de raison pour que les poches copula- 
trices et les vaisseaux déférents occupent plutôt tel ou tel anneau que 
tel autre. On doit donc s'attendre à voir les positions relatives de ces 
organes varier dans les différents types de Lombriciens vrais; 

2° Dans un anneau qui présente déjà un organe segmentaire, on 
ne doit jamais trouver à la fois une poche copulatrice et un canal 
déférent ; 

3° Si la condition fondamentale du zoonite est réellement de 
posséder quatre organes segmentaires, on ne voit pas pourquoi 
l'organe supérieur avorterait toujours, sauf dans les anneaux géni- 
taux; on doit dans certains types en retrouver des traces, et ces types 
doivent pouvoir conserver, au moins dans quelques anneaux, quatre 
organes segmentaires; 

h° L'avortement doit pouvoir porter tout aussi bien sur le système 
inférieur que sur le système supérieur; il doit donc y avoir des types 
dans lequel c’est l'organe supérieur qui persiste et l'organe inférieur 
qui avorte ; 

5° I doit être possible de rattacher morphologiquement chaque 
série d'organes segmentaires à une autre série d'organes plus constants 
de manière à pouvoir affirmer, quand il n'y à qu'une seule paire 
d'organes segmentaires, que cette paire dépend de tel ou tel sys- 
tème ; 


6° Il doit enfin y avoir des cas où l'organe segmentaire et le 


LOMBRICIENS, TERRESTRES.  . 19 


canal déférent.soient assez évidemment semblables pour que l’homo- 
logie que l'on cherche à établir soit indiscutable. 

De toutes ces propositions, :la.deuxième.est absolumentexclusive; 
si, dans un seul cas, elle, n'est pas remplie, il faut rejeter de toute 
nécessité la théorie supposée; quant aux autres, si les conditions 
qu'elles expriment n'étaient, jamais réalisées, cela ne’ rendrait pas 
l'hypothèse absurde ; maïs celle-ci ne pourrait jamais être considérée 
comme démontrée; de plus. elle serait inutile parce qu'une théorie 
n'a d'autre but que,de grouper des faits en apparence différents et que, 
dans le cas actuel, il serait beaucoup plus court de constater purement 
et simplement ce qui existe et de l’'énoncer comme tune loi, que de 
faire une supposition gratuite et de la substituer à la réalité des faits. 

Au contraire, s'il existe des types dans lesquels se manifestent 
ces diverses conditions, diversement combinées, il y a avantage à 
accepter l'hypothèse tant que d’autres faits ne viennent pas l’infirmer; 
il y a de plus des chances pour qu’elle exprime réellement une loi de la 
nature; on peut s’en servir comme. d’un point de départ pour. de nou- 
velles investigations et prévoir à l'avance un certain nombre de com- 
binaisons organiques qu'il sera possible de rencontrer. 

IL était probable qu'un travail du genre de celui-ci pourrait servir 
d'épreuve à la théorie de Ray Lankester; après ce que nous venons 
de dire, la conclusion ressortira d'elle-même de l'exposé de nos 
observations anatomiques. 


Les questions relatives aux organes segmentaires et à l'appareil 
génital se trouvant ainsi posées, considérons maintenant les diverses 
parties de l’organisation des Lombrics, parties qui, pour avoir sou- 
levé moins de discussions, n’en sont pas moins intéressantes. 


Le système digestif des Lombrics se trouve exactement décrit 
dans tous les ouvrages qui ont traité d’une manière générale de l’ana- 


20 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


tomie de ces animaux; il est inutile d’en parler ici, d'autant plus que 
nous n'avons pas à indiquer de grandes modifications de cet appareil 
dans les types que nous avons examinés. 

Au contraire, il est bon d’indiquer ce que l’on connaissait de 
l'appareil circulatoire. Les meilleures figures qui en aient été données 
sont dues à M. de Quatrefages'. On y voit un vaisseau dorsal unique 
et deux vaisseaux médians sur la ligne médiane ventrale. Le premier 
de ces derniers vaisseaux est entre l'intestin et la chaîne ganglion- 
naire, le second.est au-dessous de la bandelette nerveuse. Le vaisseau 
dorsal est plus ou moins contractile; antérieurement il est uni au 
vaisseau ventral supérieur par une série de six paires de gros vais- 
seaux latéraux, en chapelet, éminemment contractiles, embrassant 
assez lâchement l'intestin et qui jouent le rôle de cœur. 

Le vaisseau dorsal et les deux vaisseaux inférieurs émettent cha- 
cun dans chaque anneau une paire de branches latérales ; il est pro- 
bable que les ramifications ultimes des branches émises par les vais- 
seaux ventraux et celles des branches du vaisseau dorsal s'unissent 
finalement en anses, ainsi que je lai constaté sur les Perichæta ?. Du 
reste, le vaisseau ventral supérieur dessert principalement l'appareil 
digestif, tandis que le vaisseau ventral inférieur est plus spécialement 
dévolu à la circulation périphérique. 

Dans un mémoire sur les Pericheæta . publié à la fois dans les 
Annales des Sciences naturelles* et dans le Recueil d’une société savante 
de Montpellier, M. Léon Vaillant donne une figure inédite de d’Uke- 
kem représentant l'appareil circulatoire -du Perichæta posthuma. Chez 
cet animal le vaisseau sous-nervien paraît manquer; M. Vaillant ne 
s'étend pas davantage sur ce point dans une communication‘ qu'il a 


1, Règne animal de Cuvier, grande édition de Masson; et Suites à Buffon, Annélides, pl. 1 
2. Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1871, 2° semestre, page 277. 

3. T. X, 5° série, 1868. 

4, Comptes rendus, 1871, 2° semestre, page 385. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. M 


adressée depuis à l’Académie des sciences. Nous avions fait nous- 
même à l’Académie, dans la séance précédente‘, une communication 
sur les Perichæta ; mais, préoccupé à ce moment d’autres recherches, 
nous n'avions pas porté notre attention sur ce point de manière à 
émettre une opinion suffisamment motivée. Nous regrettons de 
n'avoir pu jusqu'ici combler cette lacune. Quoi qu'il en soit, à part 
ce point réservé, à part aussi le nombre des cœurs latéraux qui 
n’est que de cinq paires, dont deux incomparablement plus dévelop- 
pées que les autres, l'appareil circulatoire des Perichæta ne paraît 
pas s'éloigner beaucoup de celui des Lombrics. Il y a cependant un 
point que nous avons indiqué dans la communication déjà visée et sur 
lequel nous insisterons ici, c'est le suivant : il est manifeste que du 
vaisseau ventral unique que nous avons observé naissent deux séries 
de branches dans chaque anneau, les unes réservées à l'intestin 
qu’elles embrassent étroitement et sur lequel elles émettent de nom- 
_breux rameaux; les autres, constamment accompagnées chacune 
d’une branche du vaisseau dorsal qui se divise comme elle, les rami- 
fications terminales des deux branches s’unissant finalement en anses; 
ces derniers sont uniquement consacrés à la circulation périphérique. 
Le vaisseau ventral en question cumulant ainsi les fonctions des deux 
vaisseaux sus et sous-nervien du Lombric, il ne serait pas étonnant 
que chez les Perichæta l'un de ces vaisseaux fût supprimé; mais une 
pareille remarque ne saurait en aucune façon tenir lieu d’une bonne 
observation, et la question, pour nous, demeure entière. 

Voilà, à notre connaissance, tout ce qui a été dit sur la consti- 
tution générale de l'appareil circulatoire des Lombriciens vrais, nous 
aurons Occasion de montrer dans la suite de ce travail quelles modi- 
fications nombreuses peut subir cet appareil dans le type Lombric. 


1. Comptes rendus, 1871, 2 semestre, page 277. 
2. PI. 1, fig. 45 et 46. 


22 NOUVELLES ARCHIVES DU: MUSÉUM. 


Un important mémoire de Claparède sur l’histologie du Lombric! 
ajoute quelques faits intéressants relativement aux détails de l’appa- 
reil circulatoire dont il montre la liaison avec les différents groupes 
d'organes. Malgré tout ce que ce travail contient de neuf et d’impor- 
tant, nous né croyons pas cependant que toutes les conclusions en 
soient rigoureusement exactes. C’est ainsi que la connection des folli- 
cules en voie de formation des soies avec des diverticulum de l'appareil 
circulatoire nous paraît demander à être revue. D'ailleurs Claparède 
s'est certainement mépris lorsqu'il refuse aux follicules sécréteurs 
des soies une véritable constitution cellulaire, et sa méprise tient sans 
doute au mode d'investigation qu'il a employé. Le durcissement par 
l'alcool concentré a dû donner aux éléments de ces follicules sécré- 
teurs uné cohésion qui a empéché la distinction des cellules. En : 
employant un procédé opposé on arrive à de tout autres résultats. 

Si l'on fait macérer pendant quelques heures un Lombric dans 
l'acide acétique très-dilué , ses tissus deviennent transparents, et leurs 
éléments se dissolvent avec une extrême facilité. Les fibres muscu- 
laires intérieures s’enlèvent alors fort bien par un simple raclage et on 
arrive sans peine à mettre à nu un grand nombre de follicules séti- 
gères, à différents degrés de développement, 

Chaque follicule est double”, de telle façon que les deux soies 
d'une même paire sont sécrétées simultanément; néanmoins chaque 
soie a ses cellules sécrétoires spéciales, au nombre de quatre ou cinq, 
pourvues d’un beau noyau brillant pouvant mesurer jusqu’à 15 z et d’un 
nucléole qui a environ 34 de diamètre. Quant aux cellules elles-mêmes, 
qui sont en forme de triangles à côtés courbes et à angles arrondis ?, 
elles ontenviron 62 y de large sur 50 de long et sont pourvues de parois 
très-épaisses , réfringentes, atteignant 2 ou 3 d'épaisseur. Leur con- 


1. Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, t. XVUL. 
4. PLi, fig 4,2, 3606, 
3. PL. 1, fig. 5. 


LOMBRICIENS :TERRESTRES. 23 
tenu est granuleux et on,y distingue souvent des stries qui, partant 
du noyau, se dirigent vers la soie. Ce qu'il y a de remarquable dans 
le développement des soies du Lombric ordinaire, c'est que la pre- 
mière chose qui apparaît n’est pas comme dans les Naïs ou dans les 
Annélides, le bout externe de la soie (crochets, pointes, etc.). 11 se 
forme d'abord une sorte de palette translucide’, triangulaire, dont l'un 
des sommets s’épaissit de manière à former le bout de la soïe. La 
soie et sa palette basilaire s’allongent d’abord simultanément, cette 
dernière passant de la forme triangulaire à une forme irrégulière- 
ment rectangulaire, puis sa résorption se fait et la soie demeure seule, 
plus où moins en forme d'S. 

Chez les Perichæta les choses se passent un peu autrement ; mais 
là encore il y a une production spéciale qui est formée avant la soie 
proprement dite. Ce mode de sécrétion n'ayant encore été signalé que 
chez les Lombriciens et se trouvant très-différent de ce qu’on observe 
soit chez les Naïs, soit chez les Annélides, il était bon de le signaler. 
Il est important de savoir si c’est là un caractère général appartenant 
au groupe des Lombriciens tout entier, ou s'il est particulier seule- 
ment à quelques espèces, 


En ce qui touche le système nerveux, il y a fort peu de choses À 
dire. Le seul fait important à rappeler, c’est la description donnée par 
M. de Quatrefages du système stomato-gastrique qui naît de nombreux 
ganglions très-étroitement rattachés eux-mêmes au collier œsopha- 
gien. Nous avons trouvé un ganglion analogue, maïs unique, chez les 
Perichæta*. La question de la constitution histologique des ganglions. 
de la répartition et de la terminaison des nerfs est d’ailleurs à peine 
entamée, malgré les travaux de Faivre® et de Claparède *. Nous 

+ PER g,4,2, 3, & et 5. 
2. PI. in, fig. 5 


3. Ann. sc. nal., t. V, 4° série, 1856, 
4. Zeitschrift für wissenschaft. Zoologie, 1. XVHI, 


2 ©  NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


n'avons rien à y ajouter nous-même dans cette partie de nos 
recherches ; mais nous y reviendrons plus tard et nous donnerons, au 
moins pour les espèces de notre pays, un travail étendu sur les rela- 
tions des diverses ramifications issues d’un même ganglion et sur 
leur mode de terminaison dans les organes. Ces relations nous servi- 
ront de base pour l'établissement ultérieur des lois morphologiques 
qui régissent le type Lombric. : 


Il nous reste à indiquer maintenant les iravaux purement des- 
criptifs ou de classification qui ont été publiés sur les Lombriciens. 

Le premier qui ait, depuis Linné, ajouté quelque chose à ce que 
l’on savait sur les espèces de Lombrics est Savigny. 

Il distingua le premier diverses espèces parmi les Lombriciens des 
environs de Paris, et créa pour des vers exotiques à neuf rangées de 
soies, dont une dorsale, le genre Hypogeon *. 

Après lui Dugès * décrivit et caractérisa un certain nombre 
d'espèces indigènes. 

Enfin le travail de ces deux auteurs fut refondu dans un mémoire 
de Hoffmeister, publié en 1845 et intitulé : « Die bis -jetzt bekannten 
Arten aus der Familie der Regenwürmer. » Dans ce mémoire, accompagné 
d’une planche coloriée, Hoffmeister décrit huit espèces de Lombrics 
et crée les trois genres Phreoryctes, Criodrilus et Helodrilus, qui méri- 
tent peut-être une place à part parmi les Lombriciens. 

M. Grube a publié, en 1851, sur la classe des Annélides, un tra- 
vail général dans lequel il est question des Lombrics comme d’un 
ordre de cette classe, ordre auquel il donne le nom d’Annélides Oligo- 
chèles; c'est la première fois que ce nom, donf s’est toujours servi 
Claparède, apparaît dans la science. Pour Grube, les Lombriciens se 
divisent en deux familles, les Lombriciens proprement dits et les 
Naïdiens. 


1. Système des Annéhdes. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 25 


Les premiers comprennent les genres : Lumbricus, Hypogeon, Peri- 
chœta, Criodrilus, Helodrilus, Phreoryctes, Euaxes et Lumbriculus. Ces deux 
derniers genres d’après leur groupement sont considérés comme fai- 
sant le passage aux Naïdiens; mais il n’est pas permis, ce nous semble, 
de les éloigner beaucoup des Tubifex et, à moins de former, pour eux 
et quelques autres, un groupe spécial parmi les Lombriciens, nous ne 
voyons pas qu'on puisse les maintenir dans la même famille que le 
genre Lombric et que ceux dont nous allons avoir à parler. 

Ici viennent se placer les travaux de Claparède, qui constituent 
plutôt une série de petites monographies qu'un travail d'ensemble. 

Néanmoins le savant génevois a proposé, en 1862, une classifi- 
cation des Oligochètes qu'il divise en deux familles : 

1° Les TERRICOLES, qui ont deux vaisseaux ventraux, des organes 
segmentaires dans les anneaux qui renferment les oviductes, les canaux 
déférents et les réservoirs de la semence; le clitellum placé très en 
arrière des pores génitaux mâles; enfin un réseau vasculaire entou- 
rant les organes segmentaires; 

2° Les Limrcores, dont le vaisseau ventral est unique, qui n’ont pas 
d'organes segmentaires dans les segments contenant les oviductes; 
les canaux déférents et les réceptacles de la semence; leur clitellum 
comprend toujours le segment porteur des pores génitaux mâles. Ils 
n'ont ni réseau, ni anses vasculaires embrassant les organes seg- 
mentaires. 

Dans la première famille, Claparède ne range avec certitude que 
le genre Lumbricus et, avec doute, les Hypogeon Sav., et les Criodrilus 
Hoffm. 3 

Dans la deuxième famille se trouvent les genres : 

Tubifex, Lamk. 

Limnodrilus, Clap. 

Clhtellio, Say. 

Lumbriculus, Grube. 


VIII. æ 


26 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Nemodrilus, Clap. 

Enchytrœus, Henle. 

Pachydrilus, Clap. 

Naïs, Müller. 

Stylaria, Linn. 

Chœtogaster, Von Baér. 

Euaxes, Grube. 

Serpentina, OErsted. 

Œolosoma, Ehrenberg. 

Ces trois derniers genres n’ont pas été ‘examinés par l’auteur, 
mais il les range cependant dans cette famille, non pas avec restric- 
tion, comme l’a écrit M. Vaillant’, mais, sans nul doute, ce qui n’est 
pas la même chose. Les genres que Claparède range avec restric- 
tion dans cette famille sont ceux qu'il place après le membre de 
phrase et peut-être aussi, et ce sont les Helodrilus, Hoffm.; Phreoryctes, 
Hoffm.; Mesopachys, OErsted; Dero, Oken. 

Nos recherches sur les Dero * nous permettent d'affirmer que ces 
animaux sont bien, en effet, de vrais Naïdiens très-voisins même des 
Maïs. 

Il ne reste donc comme douteux que les genres Helodrilus, Phreo- 
ryctes et Mesopachys, sur lesquels nous n’avons non plus aucune obser- 
vation personnelle. 

En ce qui concerne les familles mêmes de Claparède, nous ferons 
remarquer que leur diagnose est actuellement tout à fait erronée. 

Nous connaissons aujourd’hui, on le verra par la suite de ce mé- 
moire, de véritables Terricoles ayant leurs pores génitaux mâles avant, 
sur et après la ceinture. L'appareil circulatoire possède une grande 
variabilité qui ne semble guère autoriser à l'employer dans une carac- 


1. Note sur les Perichæta, Ann. sc. nat. (5° série), t. X. 
2. Archives de zoologie expérimentale et générale publiées sous la direction de M. H. 
de Lacaze Duthiers, t. Te, janvier 1872, 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 27 


téristique. I faut donc, de toute nécessité, rayer le premier de ces 
‘caractères et se tenir au moins sur la réserve en ce qui concerne le 
second. | 

Les caractères restant sont beaucoup plus importants, car ils 
paraissent se rattacher à une différence typique entre les deux familles 
d’Oligochètes admises par Claparède. 

Si dans les anneaux contenant l'appareil excréteur des orifices 
génitaux on trouve aussi des organes segmentaires, cela tient à ce que 
chez les Terricoles chaque anneau contient typiquement deux paires 
de ces organes, l'une inférieure, l’autre supérieure ; que généralement 
l’une ou l’autre de ces paires, quelquefois les deux, avortent dans la 
plupart des anneaux, sauf dans ceux qui contiennent l'appareil géni- 
tal où elles coexistent, Nous décrirons des genres dans lesquels c'est 
la paire supérieure d'organes segmentaires qui avorte (Zumbricus, 
Titanus, etc.); d'autres dans lesquels c’est la paire inférieure (Anteus, 
Rhinodrilus), d’autres enfin (Perichæta) où les deux paires manquent à 
la fois. D'autre part, si les organes segmentaires des Terricoles sont 
accompagnés de vaisseaux, cela tient à ce que, chez ces Vers, aux 
troncs longitudinaux principaux et aux anses latérales qui les unissent 
est surajouté un réseau capillaire très-complexe qui pénètre dans les 
parois du corps jusque sous l’hypoderme, accompagne tous les 
organes internes, envoyant des canaux dans toutes leurs parties! et 
que nous croyons jusqu'ici ne se rencontrer à ce degré de dévelop- 
pement que chez les Lombriciens vrais. | 

Ce sont là, à la vérité, des caractères anatomiques, presque histo- 
logiques, mais, il faut bien le reconnaitre, c’est à eux que les Lombrics 
doivent leur aspect spécial ; ils constituent leur véritable caractère et 
sont bien autrement liés au plan de leur organisation que la bifidité 
des soies. Celle-ci dépend simplement du mode particulier d'existence 


4. Voir la planche ur de ce mémoire relative aux Perichæta. 


28 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


des animaux qui les présentent; elle nous paraît devoir exister chez 
tous les Lombriciens vrais, mais les caractères propres aux Naïdiens 
peuvent certainement coexister avec la simplicité de la terminaison 
de ces organes; en sorte que la forme des soies ne doit pas être con- 
sidérée comme un caractère exclusif, ainsi que l’a fait un savant dont 
nous aurons tout à l'heure à examiner les travaux. 

En 1865, M. d’Udekem a publié dans les Mémoires de l'Académie 
royale de Bruxelles‘ un travail qu'il considère comme le résumé des 
connaissances acquises à cette époque sur les Lombriciens. 

Rejetant la classification de Grube comme trop peu précise, 
s'exprimant dans les termes les plus flatieurs sur la classification de 
Claparède, d’'Udekem, tout en ne faisant à cette dernière qu’un 
reproche grammatical, propose cependant une classification qui lui 
est propre et qui est basée sur les modes de reproduction. 

Pour d'Udekem, comme pour M. de Quatrefages, les Lombriciens 
forment une classe parallèle à celle des Annélides, des Géphyriens, des 
Hirudinées. Des Lombriciens, les uns se reproduisent uniquement au 
moyen d'organes sexuels, les autres peuvent se reproduire en outre 
par gemmes ou plutôt par une scission compliquée de bourgeonne- 
ment. Ce sont là les caractères qui distinguent les Agemmes des Gemmi- 
pares. 

L'ordre des Agemmes comprend trois familles : 

1° — Les Lombricidées, c'est-à-dire tous nos Lombriciens ter- 
restres ; 

2° — Les Tubifécidées, composées des Tubifex, des Limnodrilus et de 
quelques genres voisins qui se rapprochent d’ailleurs beaucoup des 
Naiïs par tous leurs autres caractères ; 


3° — Les Enchytricidées ne comprenant encore que le genre 
Enchytræus. 


1. T. XXXV, 4865. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 29 


Quant à l’ordre des Gemmipares il est constitué par les Maïs, les 
Dero, les Aulosomes, les Chætogaster et les genres voisins. 

On remarquera que, de tous ces animaux, les Lombricidées seules 
ont des œufs microscopiques, placés après la ponte dans une capsule et 
entourés d’albumen ; ils s’éloignent donc sous ce rapport, ainsi que 
sous beaucoup d’autres, des autres familles. Aussi n’est-on pas étonné 
de voir d’'Udekem citer, sans se récrier du tout, la classification de 
Claparède qui en fait sa première famille, celle des Oligochètes terri- 
coles, tandis qu'il rejette tous les autres genres dans la famille unique 
des Oligochètes limicoles. 

Nous n'avons à nous occuper ici que des Lombricidées de d’Ude- 
kem, équivalant aux Terricoles de Claparède. 

Claparède admet trois genres dans ses Terricoles, ce sont les genres 
Lumbricus, Linné, Hypogeon, Savigny, et Criodrilus, Hoffmeister. 

En 1863, époque où fut rédigé son travail, d'Udekem n’admet 
comme bien établis que les genres : 

Lombric. L. — Soies ventrales en deux ou quatre séries; vivant 
dans la terre humide. 

Pontoscolex *. — À quatorze séries de soies; vivant sur les bords 
de la mer. 

Perichæta. — Schmarda. — Soies disposées en anneaux autour du 
corps; terre humide. 

Hypogeon. — Savigny. Une série de soies dorsales. 

La première partie seule de ce travail a paru ; d'Udekem y décrit 
huit espèces de Lombrics qui sont celles adoptées par Hoffmeister, 
lequel considère comme de simples variétés un assez grand nombre 
d'espèces de Savigny et de Dugès. 

Voici la liste de ces espèces * : 


4. Écrit par erreur, sans doute, Penthoscolex, Schmarda. 
2. Nous rétablissons dans cette liste l'orthographe d’un certain nombre de noms qui ont éte 
imprimés, dans le recueil belge, d’une manière évidemment fautive. 


30 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


A. — Lumbricus agricola, Hoffmeister. 


Sxn. : Lumbricus terrestris, Linn., F. Muller. 
Enterion herculeum, Say. 
— terrestre, Say. 
Lumbricus gigas, Dugès. 


2. — Lumbricus communis, Hoffmeister. 


Sy. : Lumbricus anatomicus, Dugès. 
Enterion carneum, Say. 

—  caliginosum, Sav. 

—  cyaneum, Say. 

—  iclericum, Say. 
L. trapezoïdes, Dugès. 


» 


© 


— Lumbricus rubellus, Hoffmeister. 


Syn. : Enterion ferum, Say. 


h. — Lumbricus riparius, Hoffmeister. 
SN. : Enterion octaedrum, Say. 
—  chloroticum, Sax. 
—  virescens, Say. 
.. 5. — Lumbricus olidus, Hoffmeister. 
SyN. : Enterion fœtidum, Sav. 
—  rubidum, Saw. 
6. — Lumbricus stagnalis, Hoffmeister. 
Svn. : Lumbricus complanatus. 
7. — Lumbricus pictus, Hoffmeister. 
8. — Lumbricus agilis, Hoffmeister. 


SyN. « Enterion tetraedrum., Sax. 
Lumbricus amphisbæna, Dugès. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 41 

Les Mémoires précédents ne traitent guère que des Lombriciens 
indigènes. 

Le travail le plus riche en renseignements sur les espèces exo- 
tiques, qui ait été publié dans ces dernières années, sur les Lombri- 
ciens, est celui de Kinberg, daté de 1866", et qui à passé trop inaperçu. 

C’est un travail général sur le groupe tout entier des Annélides 
ayant pour but de faire connaître un grand nombre d'espèces nouvelles 
et postérieur à celui de Schmarda; il ajoute à la liste des Lombriciens 
onze genres nouveaux. Les Lombriciens sont d’ailleurs considérés 
comme une simple famille de la classe des Annélides. 

L'auteur ne paraît pas tenir compte des recherches anatomiques 
de d’Udekem, de Ray Lankester, de Hering, puisqu'il donne le nom 
vague de Tubercula genitalia à ce que les anciens auteurs appelaient la 
Vulve et qu'aujourd'hui nous savons être au contraire les orifices géni- 
taux mâles. 

Voici comment il établit sa classification : 


Soies de chaque RE | chez l'adulte, au nombre 


RES, (En PSS ain ASS CL Trigogenia, nov. 
2. — de huit 
À. — Partout géminées et rapprochées. 
Tubercules ventraux de chaque côté au nombre : 
= DOUBS Ta RTS ete tre st Lumbricus, Linn. 
8. — de deux. « . . +, . « « « . si Mandane, nov. 
B. — Alternant dans les anneaux antérieurs. . . . Geogena, nov. 


C. — Antérieures rapprochées par paires, posté- 
rieures écartées. Segment buccal : 


a. — Non allonge" re, Alyattes, nov. 
Bi iéhé di LEE SEE Eurydame, nov. 
D. — Géminées et distantes. , . . . . . . . t Hypogeon, Say. 
E. — Antérieures dorsales distantes; ventrales rap- 
prochées, postérieures toutes distantes. . Hegesypile, nov. 


1. Ofversigt af Kongl. vetenskaps. Akademiens Fürhandlingar, t. 23, 4866. Stockholm. 


32 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 
3. — de plus de huit. 


A. — Plus nombreuse en arrière qu’en avant. 
PUs papilliformes de la bouche : 
a. — Nuls, 
Lobe céphalique : 
+. — Terminal et supère, à bord postérieur : 


DS — ODSORM EE N 1 0 4 de Amynlas, nov. 


AR ARS 7 8 . 2 Nitocris, nov. 
ht. Torminal. stress res osthe Pheretima, nov. 
M à Du Se : Rhodopis, nov. 

B. — En nombre égal sur tout le corps . . . . . Perichæta, Schm. 
G. — Plus nombreuses en avant qu’en arrière. . . Lampito, nov. 


À la suite de ce tableau viennent des descriptions plus SÉLIéES 
qui permettent de faire les observations suivantes : 

Il n'existe pas de ceinture dans le genre Tritogenia, bien que les 
orifices génitaux mâles se montrent entre le 46° et le 17° anneau. Ce 
genre paraît devoir être conservé. On ne peut s'empêcher de le con- 
sidérer comme une sorte de passage au Phreoryctes , d'Hoffmeister, 
si bien étudié par Leydig. 

Dans le genre Lumbricus, tel qu’il est défini par Kinberg, nous 
trouvons, au milieu d'espèces nombreuses de provenances différentes 
et qui peuvent être de vrais Lombrics, un animal nommé L Eugeniæ 
dont la ceinture est composée des segments 43 à 17 ou 12 à 14, les 
orifices génitaux étant entre les segments 16 et 17 ou 45 et 16. Il ya 
là probablement une erreur de chiffre. C’est de 13 à 45 ou 12 à 14 
qu'il faut lire. Dès lors les orifices génitaux sont postérieurs à la 
ceinture et le Lumbricus Eugeniæ doit en conséquence être reporté à un 
autre genre. Nous donnerons la description de cet animal telle qu'elle 
est donnée par Kinberg à propos des Vers qui nous paraissent devoir 
s'en rapprocher. 

Du reste, Kinberg appelle Lombrics tous les Lombriciens qui ont 
quatre doubles rangées de soies rapprochées deux par deux, deux 
« tubercules ventraux » seulement, c’est-à-dire deux orifices génitaux 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 33 


mâles ; nous verrons plus loin que cette caractéristique est défectueuse 
et qu'il faut restreindre le genre Lombric aux Lombriciens qui possèdent 
quatre doubles rangées de soies simples, une ceinture et deux orifices 
génitaux mâles, situés en avant de la ceinture. Dans ce genre, ainsi 
défini, rentrent, avec une grande probabilité, les animaux suivants : 


L. Josephinæ. — Sainte-Hélène. 
L. infelix. — Port-Natal. 


La position reculée de la ceinture nous fait également laisser 
dans ce genre les Vers suivants, où Kinberg n'a pas vu d’orifices 
mâles (tubercules ventraux), bien qu’il nous paraisse douteux qu'on 
ne retrouve pas ces orifices dans le voisinage du quinzième anneau, 
comme d'habitude : 

L. armatus. — Buenos-Ayres. . 
L. Novæ-Hollandiæ. — Sydney. 

Ces données étendent, comme on le voit, beaucoup l'aire de répar- 
tition du genre Lombric, tel que nous le concevons en ce moment. 

Enfin, voici quelques animaux que nous sommes bien forcé de 
laisser aux incertæ sedis, puisque Kinberg ne signale chez eux ni cein- 
ture, ni « tubercules ventraux ». Ce sont ses : 


L. Helencæ. — Sainte-Hélène. 
L. Hortensiæ. — Sainte-Hélène. 


Vineti. — Madère. 
Pampicola. — Montevideo, 
Tellus. — Buenos-Avyres. 


Tahitana. — Tahiti. 
Capensis. — Le Cap. 
L. Apt. — Sau Francisco (Californie). 


FERRER 


a 


Le genre Mandane demande de nouvelles études; les espèces que 
Kinberg y range ne présentent que d’une manière incomplète le carac- 
tère générique important, celui d’avoir deux paires de « tubercules 
ventraux ». La position de la ceinture, là où elle est indiquée (4. litto- 


VINL. 5 


34 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


ralis K., anneaux 12-16), celle des orifices génitaux mâles là où Kin- 
berg les a vus (#. Patagonicus K., anneaux 16 et 48) indiquent des animaux 
à orifices génitaux postclitelliens. Si l'on admet, ce qui est probable ”, 
que, dans toute l'étendue du genre, la ceinture et les orifices génitaux 
oceupent la même position, on sera frappé de la ressemblance que 
présentent sous ce point de vue les Handane de Kinberg avec nos 
Acanthodrilus; néanmoins nous ne pouvons admettre la confusion des 
deux genres, les caractères fournis par Kinberg n'étant pas suffisants 
pour permettre de l’établir avec certitude. D'ailleurs nos Acanthodri- 
lus ont quatre pénis chitineux fort remarquables, fort visibles et dont 
Kinberg ne fait pas mention. Nous placerons done les Handane à eôté 
de nos Acanthodrilus, en attendant que de plus amples informations 
nous permettent de mieux juger des relations de ces deux coupes. 

Kinberg cite trois espèces de Mandane, elles proviennent du port 
Famine (Patagonie), de l’île de Magala et d'un étang du voisinage 
de Montevideo. 

La seule espèce de Geogenia de Kinberg présente de singulières 
affinités avec notre Rhinodrilus; mais le segment céphalique est trans- 
verse au lieu de former une sorte de trompe, comme chez ce dernier. 
Les mots : « Cingulum fossis ventralibus duobus instructum » semblentindi- 
quer que les orifices mâles sont situés sur la ceinture, et cette opinion 
est corroborée par le grand développement des soies ventrales de cet 
organe, chose que l’on voit aussi chez le Rhinodrilus. D'ailleurs, les 
soies dans les deux genres sont pourvues d’ornements qui ne différent 
que dans leur forme. Ajoutons enfin que, dans tous les deux, les ori- 
fices des organes segmentaires sont situés dans le voisinage des soies 
dorsales : ils sont en avant chez les Rhinodrilus, Kinberg les place en 
arrière chez les Gesgenia. C’est là une position singulière, dans l’état 


1. Nous y sommes autorisé, comme on le verra par l’étude des genres postclitelliens que 
nous avons eus à notre disposition. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 35 


actuel de nos connaissances, et qui nous paraîtrait suffisante pour dis- 
tinguer les deux genres, même en l'absence de la différence qui résulte 
de la forme du lobe céphalique, forme à laquelle les zoologistes me 
semblent avoir attaché une importance un peu exagérée. 

Quoi qu'il en soit, les Geogenia, qui proviennent de Natal, doivent 
évidemment être placés dans le voisinage des Rhinodrilus, parmi nos 
Lombriciens intraclitelliens. 

Le genre Alyattes, distingué dans le tableau synoptique, est con- 
fondu avec les Lombries dans le texte du mémoire; il doit évidemment 
en être séparé. La disposition de ses soies rappelle celle que nous 
aurons à décrire plus tard dans notre genre Titanus; mais les Alyaites 
mé paraissent avoir leurs orifices mâles avant la ceinture. Je main- 
tiendrai donc leur séparation ; ils proviennent de Buenos-Ayres. 

Les Eurydames diffèrent des Alyattes par la forme de leur segment 
céphalique; je ne sais trop où les placer n'ayant aucun renseignement 
sur la disposition de leur appareil génital, Ces deux genres font, dans 
l'esprit de Kinberg, la transition aux Æypogeons de Savigny, dont il 
paraît ne pas admettre la neuvièmé rangée de soies dorsales. 

Je n'ai pas vu de vrais Hypogeons, mais Grube et d'Udekem 
admettent ce genre tel qu'il a été délimité par son autear. Ce n'est 
donc que très-provisoirement qu'on doit eonsidérer comme lui appar- 
tenant les deux espèces: (4. Havaicus, de Oahu, et-#. Atys, de Buenos- 
Ayres) que Kinberg y range. D'ailleurs, la position reculée de la cein- 
ture chez l'une de ces espèces me fait pencher à rapprocher les Vers 
en question des Lombriciens à orifices génitaux mâles antérieurs à 
la ceinture. 

Le genre Hegesipyle, fondé sur un Ver de Natal (H. Hanno), est 
encore un passage des Lombrics aux Hypogeons sous le rapport dé la 
disposition des soies dont les dorsales sont écartées en avant, comme 
elles le sont toutes en arrière, les véntrales demeurant rapprochées 
en avant. Malheureusement, Kinberg n’a vu ni ceinture ni tuber- 


36 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


cules ventraux; voilà donc encore un genre aux éncerlæ  sedis. 

Restent les genres Amyntas, de Guam; Mitocris, de Rio-Janeiro; 
Pheretima, de Tahiti et de la Californie; Rhodopis de Java; Lampito, de 
Mauritius, tous créés par Kinberg, qui ajoute encore à la liste un Peri- 
chœta de Oahu. Ces genres ne sont que des variations sur le thème des 
Perichæta de Schmarda. Des différences de nombre entre les soies 
antérieures et postérieures, d’autres dans la forme du segment cépha- 
lique en font les frais. Nous croyons qu'avant d'accepter définitivement 
ces genres, une étude plus approfondie des animaux qui les composent 
serait à faire. Il nous paraît difficile de restreindre le genre Perichæta 
aux espèces qui ont le même nombre de soies sur tous les anneaux 
du corps; qu'il y en ait davantage sur les annéaux antérieurs que sur 
les anneaux postérieurs, ou que ce soit l'inverse, le type de la disposi- 
tion n’en demeure pas moins le même ; ces différences du plus au moins 
sont évidemment de peu de valeur. D'ailleurs, dans tous ces genres, les 
orifices mâles sont postclitelliens, comme chez les Perichæta. Nous ne 
ferons, en conséquence, des cinq derniers genres de Kinberg qu'un 
seul genre, celui des Perichæta, mais, par prudence et pour conserver, 
jusqu'à plus ample informé, l’œuvre d'un auteur consciencieux qui a 
sur nous l'avantage d’avoir vu les animaux en litige, nous diviserons 
le genre Perichæta, de Schmarda, en sous-genres, correspondant aux 
genres de Kinberg. 

L'importance du travail que nous venons d’analyser est des plus 
grandes. L'auteur y décrit onze genres nouveaux, tous exotiques et 
permet de se faire une idée plus juste de la répartition géographique 
de deux genres déjà connus. Malheureusement, il n’a pu éclairer son 
travail par des recherches anatomiques : sur beaucoup de points, les 
documents qu'il nous fournit sont encore trop insuffisants pour donner 
une idée bien nette des animaux dont il nous parle. Il n’en est pas 
moins vrai que c’est là que nous trouvons la première esquisse géné- 
rale des modifications que peuvent présenter les Lombriciens exotiques ; 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 37 


c'est Kinberg qui a le premier signalé les variations de position de 
ce qu'il appelle les « tubercules ventraux »; il avait vu, en 1865, 
leur disposition chez les Perichæta, disposition qu’en 1869 M. Vaillant, 
qui ne connaissait pas encore le travail de Kinberg, a signalée de nou- 
veau. On verra, par la suite, que les dispositions de cet orifice consti- 
tuent un caractère d’une grande valeur pour la détermination des 
grandes coupes de la classe des Lombrics. 

Il nous reste à parler maintenant du mémoire publié en 1869 par 
M. Léon Vaillant’ et ayant pour titre : Vote sur l'anatomie de deux espèces 
de PERICHŒTA et essai de classification des Annélides Lombricines. 

Nous avons déjà fait connaître la partie anatomique de ce travail. 
Nous allons nous occuper maintenant de l'essai de classification tenté 
par M. Vaillant. 

Dans la classification de M. Vaillant, l'Ordre des Annélides Lombri- 
cines est divisé en deux familles : celle des Lumbricina propria et celle 
des Waidea. Chacune de ces familles comprend deux tribus, à savoir 
les Lumbricina propria et les Enchytræina, pour la première ; les Naidea 
propria et les Chætogastrina pour la seconde. 

Ces divisions sont uniquement établies sur le caractère de la sim- 
plicité des soies ou de leur division en crochet double à leur extré- 
mité. Nous dirons plus loin ce que nous pensons de cette division. 

Bornons-nous pour le moment à la tribu des Lombricina propria qui 
fait l’objet de notre travail. M. Vaillant la décompose en onze genres; 
mais, ainsi que nous l’avons dit, il n’a pas eu connaissance du travail 
de Kinberg, publié trois.ans avant le sien, sans cela il eût certaine- 
ment admis quelques-uns des genres de cet auteur; de plus, il n'a 
pas cru devoir tenir compte des particularités présentées par les 
échantillons de la collection du Muséum, qu’il a examinés, et parmi 
lesquels il n’a signalé qu'une espèce nouvelle, déjà étudiée par 


1. Annales des Sciences naturelles, 5° série, t. X, pag. 225 et suiv. 


38 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


d'Udekem, mais inédite, le Perichæta posthuma. Ça été là, comme on 
le verra par la suite, une réserve un peu exagérée. Si nous ajoutions 
aux onze genres admis par M. Vaillant et dont un — le genre Æchino- 
drilus — est nouveau, les six genres de Kinberg que nous admettons 
provisoirement, cela porterait à dix-sept les genres de la famille des 
Lombricina propria, connus en 1869. 

Mais ce nombre doit être diminué. En effet, M. Vaillant appelle 
_ Lombriciens proprement dits tous les vers dont les soies sont simples. 
Or cette définition est on ne peut plus artificielle à notre point de 
vue. Nous en donnons la preuve : 

I w’y a pas de genres qui aient plus d’affinités que les Euaxes de 
Grube et ses Lumbriculus. Le renflement médian des soies des Euaxes 
se retrouve chez la plupart des soies de Naïs tandis que je n’en connais 
pas d'exemple chez les Lombriciens. À part le crochet terminal qui 
est simple au lieu d’être double, ces soies rappellent exactement celles 
des Zumbriculus, dont les Eua.res ont d’ailleurs toute l'organisation. 

Eh bien, M. Vaillant est conduit par sa méthode à classer les 
Euaxes parmi les Lombriciens tandis qu’il reporte les Lumbriculus aux 
Naïdiens. C’est là évidemment une séparation d'autant plus mal- 
heureuse que Grube, qui a soigneusement étudié les deux genres et 
qui attachait lui aussi une grande importance aux soies, avait laissé 
les Lumbriculus et les Euaxes parmi ses Lombriciens proprement dits, 
bien que les Lumbriculus vappelassent par leurs soies les Naïs. Nous 
avons dit les raisons qui paraissent avoir déterminé la manière de 
voir de Grube. Pour nous, nous n’hésitons pas à faire des £uaxes et des 
Lombricules des Naïdiens à cause de la simplicité relative deleur appa- 
reil vasculaire, de l'absence du gésier dans leur appareil digestif et de 
la conformation de leurs soies qui se rapprochent de celles des Naïs, 
malgré l’analogie apparente qu’on est tenté d'établir entre celles des 
Euaxes et celles des Lombrics. 

C'est donc là, à notre avis, une modification fâcheuse que M. Vail- 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 39 


lant a introduite dans le système de M. Grube. Ou il fallait laisser 
les Lombricules et les Zuares avec les Lombrics, ou il fallait reporter 
ces deux genres avec les Naïs, ce qui nous paraît la meilleure solution, 
comme M. Vaillant l’a parfaitement senti lui-même en ce qui concerne 
les Lombricules. 

Nous avons dit précédemment notre op'nion au sujet des Phreo- 
ryctes, Helodrilus, Criodrilus de Hoffmeister et des Trichodrilus, de Clapa- 
rède : nous ne reviendrons pas sur ce point. 

La création du genre Echinodrilus était nécessaire, comme l'indique 
très-bien M. Vaillant. 

Voyons maintenant sur quelle base ce savant à assis sa classifi- 
cation. 

Pour lui les caractères extérieurs tirés de la conformation et de 
la disposition des soies doivent actuellement primer tous les autres. 
Il repousse, en conséquence, les caractères tirés de la disposition des 
organes génitaux dont les orifices sont pourtant, avec la position de 
la ceinture, la forme du lobe céphaliqué, celle des soies et leur dis- 
position, à peu près les seuls signes extérieurs auxquels on puisse 
s'adresser pour l'établissement des coupes. 

M. Vaillant rejette ces caractères comme trop variables avec l’âge 
ou la saison. C’est peut-être là une raison pour un nomenclateur, ce 
ne pourrait en être une pour un zoologiste qui recherche les véritables 
affinités. La disposition des organes génitaux n'a peut-être pas une 
très-grande importance chez les animaux supérieurs, quoique dans ses 
grands traits elle présente néanmoins une assez grande constance et 
que tous les naturalistes en aient tenu compte. Mais chez les animaux 
inférieurs la conservation de l'individu cède le pas à là conservation 
de l’espèce; l'appareil génital prend une importance toute particu- 
lière; il envahit parfois toute l’économie et l’on ne peut songer à 
négliger les caractères qu'il fournit et qui d’ailleurs s'imposent d’eux- 
mêmes. En particulier, la classification des Nématoïdes de Dujardin 


h0 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


n'est-elle pas presque entièrement fondée sur la disposition des organes 
génitaux, et n'est-elle pas encore aujourd’hui acceptée par tous les 
helminthologistes? 

D'ailleurs, nous devons le dire, ce sont précisément les particu- 
larités que nous avons remarquées dans la disposition extérieure des 
orifices génitaux des Lombriciens du Muséum qui nous ont conduit à 
entreprendre le travail que nous publions en ce moment. C’est done, 
après l'exposé de nos recherches, que l'on pourra mieux juger de la 
valeur des caractères fournis par ces organes. 


DEUXIÈME PARTIE. 


ÉTUDE PARTICULIÈRE DES TYPES NOUVEAUX DE LOMBRICIENS. 


Il s’en faut que la collection du Muséum, si riche à certains 
égards, nous ait fourni de nombreux types de Lombriciens à étudier. 
Les vers de terre sont trop communs partout, ceux des pays étrangers 
ressemblent trop aux nôtres pour que les voyageurs songent à les récol- 
ter, à moins que par leur taille, comme certains vers du Brésil ou 
de Cayenne, ils ne s'imposent à l’attention. 

D'autres causes diminuent encore les ressources de l’anatomiste 
lorsqu'il s’agit d'animaux venant de loin. Parmi les échantillons qu’on 
rapporte les uns n'ont pas encore atteint leur maturité sexuelle et ne 
peuvent guère servir à une étude approfondie, les autres ont été trop 
contractés ou trop mal conservés par l'alcool pour qu'il soit possible 
de tirer quelque fruit de leur examen. 

Ces sortes de déchets étant laissés de côté, il ne nous est resté à 
disséquer qu'un très-petit nombre de vers appartenant à des genres 
différents. Fort heureusement leur répartition géographique nous a fait 
espérer tout d’abord que nos résultats présenteraient quelque intérêt. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. hl 


New-York, la Nouvelle-Calédonie, Cayenne, la Nouvelle-Hollande, 
le Brésil, Venezuela, Calcutta, les Antilles : — telles sont les prove- 
nances de nos vers. Il était difficile qu’elles fussent plus variées. — 
Aussi n’est-il pas étonnant que chacun des animaux que nous avons 
étudiés constitue un véritable type anatomique parfaitement distinct, 
mais isolé. C’est ce qu'il était facile de prévoir, sachant comment la 
collection du Muséum était composée. Il est fort probable qu'à mesure 
que nos connaissances sur les Lombrics s’étendront, un nombre plus 
ou moins considérable de ces vers viendront se ranger derrière les 
chefs de file que nous cherchons à faire connaître aujourd’hui, tandis 
que d’autres chefs de file — nombreux sans doute — viendront 
s'ajouter aux premiers. 

Nous allons décrire en détail successivement les Vers qui font 
l’objet de ce travail. Il nous est encore impossible, vu l'insuffisance 
des matériaux, d'établir un ordre scientifique rigoureux dans la série 
des genres à décrire; toutefois nous tâcherons de faire suivre autant 
que possible ces genres, suivant leur degré plus ou moins grand de 
ressemblance, sans chercher à établir rien d’absolu à cet égard. 

Un point sur lequel il est bon d’insister, c’est que les orifices des 
organes génitaux sont situés chez les véritables Lombrics exotiques que 
nous avons pu étudier, les L. americanus et Dictoris, au quinzième 
anneau, bien avant, par conséquent, de la ceinture qui est située après 
le trentième. Ce caractère qui leur est commun avec nos Lombrics 
indigènes avait été considéré par Claparède ‘ comme un caractère de 
l'ordre des Lombriciens proprement dits, caractère qui les distinguait de 
l'ordre des Enchytréens et de celui des Naïdiens où les orifices génitaux 
mâles sont situés dans la ceinture même. 

Il est non moins remarquable que de tous les Lombriciens étran- 
gers à l'Europe que nous avons examinés jusqu'ici, les Lumbricus ame- 


4. Recherches sur les Oligochètes. 
VII. 6 


A2 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


ricanus et Victoris soient les seuls animaux de leur ordre qui présentent 
le caractère que Claparède attribuait à l’ordre tout entier des Lombri- 
ciens. Déjà une exception de ce genre avait été signalée par M. Léon 
Vaillant à propos des Perichæta ; mais la disposition singulière des soies 
des Perichæta et quelques caractères anatomiques, particuliers, que 
présentèrent ces vers paraissaient devoir les isoler dans leur ordre. Il 
existe cependant, comme nous le verrons plus loin, un certain nombre 
de Lombriciens qui présentent la combinaison des caractères offerts par 
les Lombrics, d’une part, les Perichæta de l’autre, et en particulier 
cette situation des orifices génitaux en arrière de la ceinture qui avait 
frappé tout d'abord dans ce dernier groupe. Dans un assez grand 
nombre de Lombriciens, on trouve même les orifices génitaux mâles 
situés sur la ceinture, absolument comme chez les Naïs. Ce qui montre 
d’une manière bien évidente que la position des orifices génitaux ne 
saurait être prise en considération comme caractère de l’ordre. 

Nous n'avons pas, à l'heure qu’il est, un nombre de faits suffi- 
sants pour appuyer solidement une opinion quelconque au sujet de 
la valeur positive de ce caractère quant aux coupes secondaires ; tou- 
tefois il nous paraît jusqu'ici devoir être préféré à ceux que l’on pour- 
rait tirer de la disposition, assez uniforme d’ailleurs, des soies locomo- 
trices. Nous ne croyons pas non plus, comme nous l'avons déjà dit, 
avoir encore assez fait pour nous permettre de ranger les Lombries 
que nous connaissons dans un ordre rigoureusement scientifique. 
Ceci étant établi, nous pouvons choisir pour une disposition plus ou 
moins artificielle tels caractères qui nous conviendront, et comme 
ceux que l’on tire de la position des orifices génitaux sont parfaite- 
ment nets et en général faciles à observer, nous les choisirons pour 
grouper les vers que nous avons à faire connaître. 

A priori, trois groupes seulement semblent pouvoir être constitués. 
Ou les orifices génitaux mâles sont en avant de la ceinture, du Clitel- 
lum, et nous les dirons alors préclitelliens, ou ils sont sur la ceinture 


LOMBRICIENS TERRESTRES. A5 
même, c’est-à-dire éntraclitelliens, ou enfin ils sont en arrière de la 
ceinture et par conséquent postclitelliens. 

On peut, par abréviation, se servir de ces adjectifs pour désigner 
les groupes de Lombrics qui présentent le caractère auquel ils se 
rapportent, de telle façon que nous avons pour répartir ces vers les 
trois groupes suivants : 


ÏJ. — LOMBRICIENS PRÉCLITELLIENS. 


Parmi les animaux dont nous avons à parler dans ce mémoire, 
le seul genre Lombric appartient à ce groupe. 


IL —— LOMBRICIENS INTRACLITELLIENS. 


Nous pouvons dès à présent y classer deux genres nouveaux, 
originaires d'Amérique et qui sont créés pour des vers dont la lon- 
gueur dépasse de beaucoup 1 mètre ; nous étudierons ces genres sous 
les noms de Anteus et Titanus. 

Un troisième genre, qui également américain, mais de taille plus 
restreinte, prendra le nom de Rhinodrilus, à cause d’une espèce de 
trompe dont est pourvu l'animal qui le constitue. 

Viennent ensuite les genres Endrilus. nov., Geogenia, Kinberg. 


III. — LOMBRICIENS POSTCLITELLIENS. 


Nous y rangeons les genres : 
Mandane, Kinberg. 
Acanthodrilus, 

Digaster, 


hh NOUYVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 

Perionyx, 

Perichæta, Schmarda, 
dont trois sont nouveaux ; nous verrons d’ailleurs que, dans tous ces 
animaux. certains caractères spéciaux accompagnent toujours jusqu'ici 
la position particulière des orifices génitaux. 

Nous passons maintenant à l'étude des Lombriciens du premier 
groupe qui ne contient encore que le genre Lombric, et peut-être les 
genres Alyattes et Hypogeon de Kinberg. 


[. — LOMBRICIENS PRÉCLITELLIENS. 


GEN. LUMBRICUS. Linné. 
LUMBRICUS AMERICANUS, Ed. Perr.! 


Nous réservons ce nom à un ver originaire de New-York et qui 
représente dans cette partie des États-Unis notre Lombric terrestre. 
Il appartient du reste bien évidemment au même genre que ce dernier. 

L'échantillon que nous avons ouvert a été rapporté en 1864 par 
M. Milbert ; il est dans un état parfait de conservation. Voici sa 
description : 

« Longueur, 4 décimètre environ. 

« Ceinture après le trente et unième anneau, y compris la tête? 
— formée aux dépens de six anneaux; — orifices génitaux mâles situés 
au quinzième anneau. — Soies disposées par paires; quatre rangées 


1. PL 1, fig. 6, 7 et 8. 

2. En général, chez les Lombriciens, l'anneau qui entoure immédiatement la bouche porte 
antérieurement un petit prolongement dorsal, plus ou moins court. Ce prolongement entame 
quelquefois l'anneau en question; il en est toujours séparé au moins par un trait, et c’est à lui 
que je réserve le nom de lobe céphalique. L'anneau buccal, qui supporte le lobe céphalique, 
est compté, dès lors, comme ‘étant le premier anneau, bien que d'ordinaire il ne porte pas de 
soies, M, Vaillant ne compte pas cet anneau, qu’il réunit au lobe céphalique sous ce dernier nom. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. h5 


longitudinales de paires de soie en forme d’/ très-allongée. — Les 
soies de la ceinture sont droites dans la plus grande partie de leur 
longueur, pointues, recourbées seulement à leur extrémité interne. 
— Ces soies sont beaucoup plus grandes que celles des anneaux 
ordinaires et semblent, par conséquent, jouer un rôle spécial qui est 
probablement relatif aux phénomènes de la fécondation. » 

Le tube digestif se compose d'un pharynx entouré d’un tissu 
glandulaire qui occupe les sept premiers anneaux : l'œsophage à 
parois beaucoup plus minces s'étend sous la forme d'un tube droit, 
un peu élargi postérieurement, du septième anneau au seizième ; un 
gésier à parois fortement musculeuses occupe le seizième anneau. 
L'intestin, garni de sa couche hépatique, qui enveloppe aussi le 
vaisseau dorsal, commence aussitôt après et ne présente aucune 
particularité digne d'être signalée. Dans la portion du corps que 
traverse l'œsophage — entre le pharynx et le gésier — se trouvent 
les organes génitaux. Nous ne pouvons rien dire de la glande femelle, 
trop délicate pour être retrouvée sur un animal conservé dans l'alcool 
et dont on veut respecter d’ailleurs toutes les parties essentielles. 

Mais nous avons pu bien étudier l'appareil génital mâle. Il se 
compose de trois paires de testicules attachées respectivement à la 
partie postérieure et inférieure des cloisons qui séparent le neuvième 
anneau du dixième, le dixième du onzième, et le douzième du 
treizième. On peut donc considérer les testicules comme appartenant 
aux anneaux dix, onze et douze ; mais ils refoulent en arriére les cloi- 
sons, d’ailleurs très-minces, de ces anneaux, de telle façon qu’ils cou- 
vrent presque tout l'œsophage, au-dessus duquel ils se recourbent. Des 
trois paires de testicules, les deux premières sont peu volumineuses ; la 
troisième au contraire est presque triple de chacune des deux autres. 
Une disproportion analogue se retrouve comme on sait entre les trois 
paires de glandes génitales du Lombric terrestre. La similitude va 
même plus loin. 


A6 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Bien qu'ayant — au moins en apparence — trois paires de tes- 
ticules, le Lombric terrestre ne possède que deux paires de pavillons 
vibratiles greflées sur le canal déférent. La première paire dessert les 
deux petites paires de testicules, la seconde paraît réservée à la plus 
grosse. Chez le Lumbricus americanus, il n’y à aussi que deux paires de 
pavillons vibratiles, la première placée dans le dixième, la seconde 
dans le douzième anneau; c'est-à-dire que chaque pavillon vibratile est 
situé entre deux testicules qu’il paraît pouvoir desservir à la fois. 
D'ailleurs, ces pavillons ne sont pas, comme ceux du L. terrestre, 
enfermés avec le testicule dans une membrane commune ; ils sont 
parfaitement libres, comme cela doit être si, en effet, chacun d’eux 
doit desservir à la fois deux testicules. Le pavillon antérieur et le 
pavillon postérieur d’un même canal déférent sont très-différemment 
développés. Le pavillon postérieur est au moins trois fois plus volu- 
mineux que l’autre ; la membrane constitutive de chacun d’eux est 
d’ailleurs excessivement plissée et tortillée, incomparablement plus 
que dans tous les Lombriciens où nous avons pu l’étudier. 

il est bon de remarquer ici que la disproportion entre les pavil- 
lons dont nous venons de parler ne se retrouve pas chez Je Lombric 
terrestre. Faut-il voir là une confirmation de cette idée que chez 
l'espèce américaine chaque pavillon dessert deux testicules dont le 
dernier trois fois plus volumineux que les autres, tandis que dans 
l'espèce européenne le premier pavillon dessert deux testicules, et le 
second un seul, mais aussi gros que les deux autres pris ensemble, ce 
qui établit dans ce cas une compensation qui n’a pas lieu dans le 
premier ? Peut-être cela vaudrait-il la peine d’être examiné, mais il 
faudrait pour cela ou plus d'animaux que nous n’en avons eu‘, ou 
au moins des animaux plus frais. 

Le L. americanus possède deux paires de poches copulatrices situées 


4. Nos recherches n’ont pu être faites en général que sur un seul individu. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. A7 
dans le neuvième et le dixième anneau; ce sont simplement — du 
moins à l’état où je les ai vues — deux petites poches sphériques 
dépourvues de tout appendice ou diverticulum. 

Les organes segmentaires sont très-apparents dès le quatrième 
anneau ; nous les avons vus sûrement dans le neuvième, qui renferme 
en outre une poche copulatrice; dans le dixième, où l'on trouve en 
outre un testicule et auquel on pourrait attribuer le premier pavillon 
vibratile du canal déférent, ce que je n'ose pourtant faire d’une manière 
absolue à cause de la difficulté que j'ai éprouvée à me bien rendre 
compte de la position de ce pavillon relativement à la mince cloison 
contre laquelle il est appuyé. Dans le onzième et le douzième anneaux 
je ne puis affirmer la présence des canaux segmentaires, dont j'ai cru 
voir pourtant quelques traces difficiles à observer à cause de la grande 
dimension du pavillon vibratile, qui s'étend sur ces deux anneaux 
entre les deux paires de testicules postérieurs. Ils reparaissent bien 
nets au treizième anneau et dans tous les suivants; on les trouve en 
particulier dans le quinzième, où est l’orifice des canaux déférents. 

Ainsi, le Lombric américain possède : au neuvième anneau. 
une poche copulatrice et un organe segmentaire ; au dixième, un 
testicule, une poche copulatrice, un organe segmentaire ; au onzième, 
un testicule et le petitpavillon vibratile du canal déférent ; au douzième, 
le gros pavillon vibratile du canal déférent peut-être seul; au treizième, 
un testicule et un organe segmentaire. 

Les anneaux quatorze et quinze, qui contiennent chacun un organe 
segmentaire, sont traversés en même temps par le canal déférent. 

Ces faits, bien qu'il soit difficile d’en tirer aucune conclusion, 
sont importants à noter ; car il ne faut pas oublier que la question de 
l’'homologie du canal déférent chez les Lombrics est multiple. Eût-on 
une fois démontré au moyen de types bien choisis qu'il y a identité 
morphologique entre le canal déférent et les organes segmentaires, 
comme le premier traverse presque toujours plusieurs anneaux, il 


te) NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


resterait encore à savoir à quel anneau il faut le rapporter. Suivant 
qu'on le rapportera à tel ou tel anneau, on sera conduit à interpréter 
de façons différentes les divers organes qui peuvent être dans son 
voisinage, et c’est ainsi qu'une homologie douteuse peut jeter un 
doute sur beaucoup d’autres qui s’enchaînent avec elles. On ne peut 
donc mettre trop de précision dans la définition des rapports que l’on 
cherche à établir ; or cette précision dans l’idée résulte elle-même 
de la précision qui a été portée à l'étude anatomique du groupe 
d'animaux dont on s'occupe. , 

L'appareil circulatoire est constitué sur le plan de celui du 
Lombric terrestre ; les anses contractiles sont situés aux neuvième et 
dixième anneaux. On remarque des concrétions calcaires sur le gros 
testicule et dans les parois de l'intestin au neuvième anneau. 

Voici donc, aux États-Unis, un animal appartenant bien réelle- 
ment au genre Lombric proprement dit, mais se distinguant néan- 
moins par quelques caractères anatomiques d'ordre secondaire. 


LUMBRICUS VICTORES Ed. Perr. 


Ce Lombric, dont je donnerai ailleurs l'anatomie détaillée, se 
rapproche à certains égards du précédent, bien plus que de nos 
Lombrics indigènes, dont il a, comme lui, la taille et les couleurs. 

Les soies sont simples ; la ceinture occupe huit anneaux, elle com- 
mence après le vingt-cinquième anneau. Le vingt-sixième et le vingt- 
septième anneau sont encore distincts, on voit entre eux un pore dorsal. 
Ces pores se voient d’ailleurs sur tous les anneaux, sauf les anneaux 
antérieurs. Entre le septième et le huitième on voit déjà un point 


A. Je dédie cette espèce à M. Victor Borie, mon parent, qui a bien voulu, lorsqu'il remplis- 
sait les fonctions de directeur du Comptoir d’escompte de Paris, faire recueillir pour le Muséum 
par ses agents à l'étranger, les Vers de terre des localités qu’ils habitaient, notamment ceux 
d'Alexandrie, de Saïgon et de Sanghaï. 


LOMBRICIENS TERRESTRES®. 49 
très-pelit qui est peut-être un véritable pore ; mais entre le huitième 
et le neuvième anneau, le pore est parfaitement évident. 

Sur le côté des anneaux neuf, dix et onze se voient les orifices des 
poches copulatrices. 

Le quinzième anneau porte à sa face ventrale les orifices génitaux 
mâles. 

Les testicules, au nombre de trois paires, ont la forme ordinaire ; 
au-dessous d'eux on voit deux organes opalescents en forme de 
touffe et flottant dans la cavité générale. Ces organes ne sont pas 
autre chose que les pavillons vibratiles des canaux déférents qui ont 
ici une forme spéciale. Leur surface est couverte de prolongements 
digitiformes ou villosités couvertes de cils vibratiles et contenant 
chacun une anse vasculaire. Ce sont ces villosités qui donnent aux 
pavillons vibratiles cette apparence d’une touffe de filaments, que j'ai 
précédemment signalée. 

Les ovaires sont placés dans le quatorzième anneau sur le dos de 
la cloison antérieure et font saillie à l’intérieur du corps perpendi- 
culairement à cette cloison. Ce sont deux petits corps glandulaires, 
allongés et bosselés. Il est remarquable qu'ils soient ainsi visibles au 
lieu d'être, comme chez les autres Lombrics, si complétement appli- 
qués sur les téguments, qu'il soit besoin d’une préparation spéciale 


pour les voir. 


II. — LOMBRICIENS INTRACLITELLIENS 


OU A ORIFICES GÉNITAUX MALES SITUÉS DANS LA CEINTURE 
GEN. ANTEUS. Nov. gen. 


Etym. Antée, géant, fils de la Terre. 
Le genre nouveau que nous proposons ici ne comprend jusqu à 
présent qu'une seule espèce, originaire de Cayenne. 


VIII. 


5pO NOUVÈLLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Le Muséum en possède deux exemplaires dont l’un sans indiea- 
tion de provenance, l'autre provenant de Cayenne et donné à la col- 
lection par M. Eydard de Saint-Quentin, Ce dernier est le plus beau des 
deux échantillons. Sa longueur est de 1",16. C’est certainement de 
tous les Eombriciens connus celui dont la taille est le plus considé- 
rable. Cest la raison qui nous à fait assigner au genre le nonr que 
nous avons choisi. 

Ne connaissant qu'une seule espèce, nous n'avons pas à donner 
de caractéristique du genre; la description du ver dont il s'agit en 
tiendra lieu. Il est bon de remarquer d’ailleurs que nous connaissons 
trop peu de Eombriciens pour asseoir:sur des bases solides la caracté- 
ristique des différents genres à établir dans cette classe d'animaux. 
Tout ce que nous pouvons faire, c’est-de signaler séparémentvet d'isoler 
en leur donnant un nom générique particulier les Vers qui bien évi- 
demment ne peuvent être réunis dans un même: genre. Ce n’est que: 
plus tard, lorsque nous connaîtrons le plus grand nombre des Lombrics 
qui fouillent nos terres végétales, que nous pourrons grouper les: 
espèces qui se rapprochent le plus sous les: noms génériques précé- 
demment établis, ow sous des nomsnouveaux. Ce groupement une fois 
effectué, les caractères génériques se signaleront d'eux-mêmes; il n° Y 
aura plus qu’à les enregistrer. 


ANTEUS GIGAS: Ed. Perr, 


L'Anteus, auquel nous donnons le nom spécifique de Anteus gigas, 
a 1°,16 de long sur 3 centimètres de largeur environ dans la région 
de la ceinture et 2 centimètres dans la région postérieure. 

Si l’on observe l’animal par le dos, la ceinture, au moins dans 


les échantillons que j'ai pu voir, ne commence pas brusquement 


4. PL 1, fig. 43. 


LOMBRICIENS TERRESTRBS, 51 


comme dans la plupart de nos Vers. Déjà le huitième anneau est 
un peu modifié; l’épaississement et l’opacité des parois ne fait qu'aug- 
menter dans les anneaux suivants; toutefois, quand on coupe les tégu- 
ments, on n'aperçoit une modification bien marquée que dans le 
douzième ou treizième anneau, qui présente dans son épaisseur une 
mince couche glandulaire bien distincte. Dans le quinzième anneau 
l'épaisseur des parois du corps dépasse 2 millimètres ; cette épaisseur 
se maintient jusqu'au vingt-neuvième anneau. Le trentième est bien 
évidemment hors de la ceinture. 

Si l'on observe l'animal par sa région ventrale, la gradation est 
un peu moins marquée. Le treizième anneau (y compris le segment 
buecal) présente dans sa région centrale une région plus foncée qui 
semble indiquer une structure autre que celle du reste de l'anneau ; 
celui-ci est lui-même partie intégrante du Glitellum si on l’observe 
par la région dorsale. Petit à petit, à mesure que l'on s'éloigne de la 
tête, cet espace foncé augmente dans les anneaux suivants et forme 
dans chacun d’eux comme un îlot conservant la structure ordinaire 
des téguments quand les autres parties de l’anneau deviennent glandu- 
laires. 

Au dix-huitième anneau et jusqu'au vingt-neuvième inclusive- 
ment, l’ilot envahit toute la région ventrale. On voit alors une bande 
ventrale médiane moins consistante que le reste des parois du corps 
qui, dans l’animal conservé, se retire à l’intérieur de manière à laisser 
saillants les bords de la portion glandulaire des anneaux, qui forment 
ainsi, non plus une ceinture complète, mais une sorte de selle, un 
véritable clitellum. De chaque côté et à égale distance des deux lignes 
médianes ventrale et dorsale, chacun des anneaux de la ceinture 
porte sur son bord antérieur un orifice très-distinct. Il est facile de 
reconnaître que ces orifices sont exactement homologues des orifices 
des organes segmentaires. Ce sont d’ailleurs les seuls qu'il soit pos- 
sible de constater à la surface des anneaux; je. n’ai rien vu qui res- 


52 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM 


semblât à des pores génitaux spéciaux; je n'ai pas vu davantage de 
vestiges de pores dorsaux sur la ligne médiane. 

Les soies sont disposées, comme chez le Lombric ordinaire, en 
quatre rangées de paires, deux rangées sont franchement ventrales, 
deux latérales. Ces rangées sont constamment parallèles d'une extré- 
mité à l’autre du corps, et les soies de chaque paire sont toujours très- 
rapprochées l’une de l’autre. Ces soies ont du reste la forme enS allongée 
qui se retrouve chez le plus grand nombre des Lombriciens terrestres. 

Immédiatement en avant de la soie supérieure de chacune des paires 
de la rangée supérieure de soies se voit l’orifice des organes segmen- 
taires. Cette disposition est remarquable, car chez tous les Lombriciens 
terrestres connus jusqu'ici, c’est en avant des rangées de soies infé- 
rieures que s'ouvrent les organes segmentaires. Cette exception, toute 
remarquable qu’elle soit, ne prendra qu'un peu plus tard sa véritable 
signification, lorsque nous aurons étudié d’autres types, il sera pos- 
sible alors de montrer quelle est son importance morphologique. 

Tels sont les caractères extérieurs de l'animal que nous désignons 
sous le nom d’Anteus gigas. 

Les caractères anatomiques ne sont pas moins singuliers. Lorsqu'on 
ouvre l'animal par le dos, on voit que toute la partie antérieure du 
corps, jusqu'au neuviéme anneau inclusivement, est occupée par une 
masse ovoide, dure, résistante, nacrée, de laquelle semble partir l’in- 
testin et sur laquelle s'appliquent en partie des cloisons parfaitement 
continues, enfermant les testicules dans un sac complet. Il est dif- 
ficile de ne pas croire que cette masse n’est pas une sorte de pharynx 
musculeux résultant de la fusion avec le gésier de toute la partie 
de l'intestin ordinairement antérieure à cet organe. Mais si lon vient 
à fendre longitudinalement la masse en question, on reconnaît bientôt 


qu'elle est formée par la superposition de toutes les cloisons de la partie 
antérieure du corps, lesquelles sont épaissies, fibreuses, nacrées comme 
des aponévroses et s’emboîtent les unes dans les autres comme une 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 53 


série de cornets. Ces cloisons ne présentent d'orifice que pour le pas- 
sage du tube digestif et pour celui des vaisseaux; elles constituent à la 
partie antérieure du corps comme une sorte de squelette fibreux qui 
protége le système nerveux central, le pharynx, l’œsophage, le gésier 
etune partie de l'appareil génital. Elle donne à cette région une soli- 
dité considérable et la transforme en un véritable groin qui permet à 
l'animal de fouiller le sol sans danger pour les organes plus ou moins 
délicats situés dans la région antérieure de son corps. Dans aucun 
autre Ver nous n'avons vu d'une manière aussi marquée cette modifi- 
cation protectrice des cloisons. 

L'appareil digestif ne présente d'ailleurs aucune modification 
essentielle. L'appareil protecteur formé par les cloisons une fois 
ouvert, on peut constater l'existence d’un pharynx à parois épaisses et 
glandulaires; vient ensuite un Ͼsophage membraneux portant sur ses 
parois quelques corps glandulaires; enfin le gésier qui est enfermé 
dans les cloisons limitant le sixième anneau, mais qui se trouve rejeté 
en arrière à la hauteur du neuvième, entraînant avec lui les cloisons 
qui le maintiennent. Ces dernières conservant leur point d'attache 
antérieur se trouvent ainsi transformées chacune en une sorte de dé 
membraneux; elles s'appliquent exactement l’une sur l’autre dans 
toute leur partie antérieure, tandis que les fonds des deux dés sont 
distants de toute la longueur du gésier. Cette même disposition se 
répétant pour toutes les cloisons qui précèdent, on voit que l’appareil 
cloisonnaire protecteur présente une série de chambres dont la cavité 
aurait pour section un croissant, tandis que les sommets du croissant 
se prolongeraient beaucoup en avant. C'est au fond de ces chambres 
que sont placés les divers organes qui doivent être protégés et sur 
lesquels nous aurons à revenir. 

Ajoutons ici qu'à partir de la cloison postérieure au gésier, les 
cloisons suivantes, tout en conservant les mêmes caractères histo- 
logiques, se redressent peu à peu en s’écartant et constituent des 


b}/ NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


chambres plus vastes qui paraissent indépendantes de la masse anté- 
rieure et dans lesquelles se voient les organes génitaux; puis les cloisons 
s'amincissent et l’on arrive ainsi insensiblement aux minces cloisons 
membraneuses, planes circulaires, qui, dès le quinzième anneau, ont 
déjà pris le caractère qu’elles conserveront jusqu’à l'extrémité du corps. 

Si l'appareil digestif est constitué comme chez tous les Lombriciens, 
il n’en est pas de même de l’appareil circulatoire, au moins en ce qui 
touche les organes d’impulsion. 

Nous ne pouvons donner une description complète de cet appareil, 
borné que nous avons été dans nos recherches par la nécessité de 
conserver l'échantillon sans altérer en rien aucune de ses parties 
essentielles; mais nous pouvons signaler néanmoins quelques intéres- 
santes particularités. 

L'appareil vasculaire laisse voir tout d’abord un gros vaisseau 
dorsal, cylindrique dans la majeure partie de son étendue et contenant 
du sang coagulé, bleu foncé. Dans chaque anneau, ce vaisseau émet au 
moins une anse vasculaire qui embrasse étroitement l'intestin; nous 
ne pouvons rien dire des vaisseaux médians inférieurs ni des anses 
vasculaires périphériques. Mais le point remarquable est celui-ci : dans 
les anneaux douze, treize, quatorze, quinze, seize et dix-sept, le vais- 
seau dorsal se renfle en une série de grosses ampoules remplissant 
ordinairement chacune un anneau, mais dont quelques-unes pour- 
raient bien être doubles, car nous en avons compté huit bien distinctes 
non compris les bulbes antérieurs et postérieurs par lesquels les deux 
troncs du vaisseau dorsal s’abouchent dans cette poche moniliforme. 
Dans l'échantillon que j'ai disséqué toute cette partie moniliforme avait 
subi un déplacement considérable au moment de la mort de l’animal; 
elle s'était repliée sur elle-même, de sorte qu'il était difficile d’assi- 
_gner la place véritable qu’elle avait dû occuper. Pour avoir une 
idée de ce déplacement il suffira de consulter la figure 13 où l’on 
verra que, tout en correspondant à six anneaux au moins, la poche 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 55 


entière semble contenue dans les seizième et dix-septième an- 
neaux. 

Les paroïs de ce renflement moniliforme sont bien évidemment 
musculaires. On doit donc le considérer lui-même eomme un cœur 
véritable. La contractilité, que l’on constate en général dans tout le 
vaisseau dorsal, s’est ici concentrée en un seul point. Il s'est formé là un 
véritable cœur impair longitudinal, tout à fait exceptionnel jusqu'ici 
chez les Lombriciens. 

Ce cœur n'est pas du reste le seul' organe d'impulsion du sang. 
Eorsqu'on a ouvert les cloisons de la partie antérieure du corps, on 
remarque dans les poches qui dépendent du septième, du huitième, du 
neuvième et du dixième anneau deux anses vasculaires latérales, tout 
à fait analogues à celles qui constituent les cœurs latéraux chez les 
autres Lombriciens. De ces anses, celle du septième anneau est d’un 
petit calibre ; au contraire, celle du dixième est volumineuse et renflée 
en ampoule. Les autres vont graduellement en diminuant de calibre 
du dixième anneau au septième. 

Toutes les quatre ne sont peut-être pas également contractiles, 
mais elles sont morphologiquement équivalentes. On peut donc dire 
que l'Anteus gigas possède un cœur dorsal impair moniliforme el quatre 
paires de cœurs latéraux sous forme d’anses anastomotiques entre le 
vaisseau dorsal et le vaisseau ventral. | 

C'est dans le onzième et le douzième anneau, dans la ceinture 
même par conséquent et en arrière du gésier, contrairement à ce qui 
se voit chez les vrais Lombrics, que se trouvent les testicules. Ce sont de 
très-grosses glandes aplaties de haut en bas, refoulant derrière: elles 
les cloisons qui les suivent et attachées à la partie inférieure et médiane 
de la face postérieure de lai cloison qui les précède. Ces cloisons sont 
épaisses, nacrées, ne présentent d'autre orifice que celui que traversent 
l'intestin et les vaisseaux qui lui sont accolés. Chaque paire de testi- 
cules est donc complétement enfermée dans une poche parfaitement 


56 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 
close et ne communiquant à l'extérieur que par un seul orifice, celui 
de l’organe segmentaire. 

Ces organes! présentent d’ailleurs dans ces deux anneaux et dans 
les sept suivants qui font également partie de la ceinture un calibre 
plus considérable. Au lieu d’être pelotonnés comme chez la plupart 
des Lombries, ils sont simplement un peu flexueux; leur calibre est 
suffisant pour qu'on puisse les injecter facilement par leur orifice 
extérieur, qui est lui-même fort apparent sur la ceinture. Chacun 
d'eux est terminé par une sorte de houppe formée par une série de 
replis membraneux implantés sur sa portion terminale libre. Cette 
houppe constitue le pavillon vibratile au milieu duquel s'ouvre le 
canal. 

Bien que nous ayons soigneusement recherché les canaux défé- 
rents, nous n'avons rien vu qui pût en être considéré comme la trace. 
Nous croyons donc qu'ici les organes segmentaires des anneaux géni- 
taux en tiennent lieu. 

Dans les anneaux qui suivent le vingtième, les organes segmen- 
taires sont de bien plus petit calibre, plus ou moins pelotonnés, et leurs 
circonvolutions sont reliées par une membrane qui fait apparaître 
chacun d’eux comme une sorte de lame frangée aplatie dont l’appa- 
rence n'a, au premier abord, rien de commun avec celle que pré- 
sentent les organes segmentaires des anneaux antérieurs. 

Nous n'avons pas vu d’ovaires. Cette circonstance nous portait à 
penser que le Ver qui nous occupe n'était pas hermaphrodite, mais il 
y a dans le septième anneau, au moins, une poche sphérique qui res- 
semble beaucoup à une poche copulatrice; ce fait nous commande par 
conséquent une grande réserve en ce qui touche la dioïcité de l’Anteus. 

Si incomplets que soient les détails que nous venons de donner, 
on voit qu'ils sont plus que suffisants pour justifier l'établissement d'un 


4. PI. 1, 6g. 44. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 57 


genre nouveau, s’éloignant à bien des titres de tous les genres connus. 
Le Ver qui en est jusqu'ici l'unique représentant portait dans la collec- 
tion du Muséum le nom générique d’Æypogeon: mais il ne présente 
aucune trace de la rangée de soies dorsales attribuée à ce genre par 
Savigny. Ce n’est donc certainement pas un Hypogeon. 

Nous faisons dès à présent la même remarque pour le Ver brési- 
lien dont nous allons maintenant nous occuper et qui doit aussi con- 
stituer un genre nouveau. 


GEN. TITANUS. Nov. gen. 


L'est encore pour un Ver de très-grande taille qu'est fondé le genre 
dont nous allons parler. 

Le Muséum possède de ces Vers plusieurs échantillons venant du 
Brésil et dont le plus grand atteint 1",26 de long. Tous ces échantillons 
se rapportent à la même espèce qui est jusqu’à présent unique dans 
son genre et dont la description tiendra lieu, pour le moment, de carac- 
téristique pour ce dernier. 

Nous lui donnerons, à cause de son origine, le nom de : 


TITANUS BRASILIENSIEIS: Ed. Per, 


Longueur, pouvant atteindre un mètre vingt-six centimètres, plus 
grêle que le précédent, du moins si l’on s’en rapporte aux individus 
conservés dans l'alcool que j'ai eus à ma disposition; la portion anté- 
rieure du corps est moins fortement renflée; l’animal tout entier 
paraît beaucoup moins robuste. 

La ceinture commence après le quatorzième anneau (y compris 


1. PI. 1, fig. 45 et 16. 


VHI, 8 


58 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


l’anneau buccal) ; ses téguments me sont pas très-épaissis. D'ailleurs 
elle commence franchement et non pas graduellement comme, dans 
l’Anteus gigas. Elle comprend neuf anneaux et finit également brus- 
quement; elle est d’ailleurs incomplète et interrompue dans toute sa 
longueur par une large bande ventrale longitudinale, qu'on ne trouve 
pas bordée de bandelettes comme dans l'espèce précédente, C’est au 
point de jonction de cette bande et des bords de la çeinture propre- 
ment dite que se trouvent les orifices génitaux mâles, entre le dix- 
huitième et le dix-neuvième anneau. Ces orifices sont très-nets et 
bordés extérieurement par un petit bourrelet circulaire. 

Les soies présentent une disposition remarquable, analogue à 
celle qui a été signalée par Kinberg, dans les genres Alyattes et Eury- 
dames du Brésil et de Panama. En avant de la ceinture, elles forment 
comme d'ordinaire quatre doubles rangées. Les deux soies qui con- 
stituent chacun des termes de ces rangées sont très-rapprochées, 
presque contiguës, comme cela se voit chez presque tous les Lom- 
brics. En arrière de la ceinture, elles paraissent déjà plus écar- 
tées l’une de l’autre, et cet écart va en augmentant jusqu'à la partie 
postérieure du corps. Il en résulte que dans les deux derniers tiers 
du corps de l'animal on distingue non plus quatre, mais huit rangées 
de soies; seulement chacune de ces rangées, au lieu d’être formée par 
des paires de soies, est formée par des soies simples et isolées. Les 
quatre rangées d’un même côté sont parfaitement équidistantes et 
occupent, à elles quatre, tout le flanc de l'animal. La rangée supérieure 
et la rangée inférieure de droite sont séparées de leurs homologues 
de gauche par une distance égale au triple de celle qui sépare deux 
rangées consécutives du même côté, 

Ces soies sont d'ailleurs en forme d'S et ne présentent aucune 
particularité intéressante. 

Dans toute la région où les soies sont disposées par paires, l’orifice 
des organes segmentaires se trouve placé sur le bord antérieur de 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 59 


l'anneau, un peu en avant de la paire de soies inférieure et légèrement au-dessus 
de la soie supérieure de cette paire, relativement très-loin d’ailleurs de Ja 
paire de soie supérieure. 

Lorsque les soies de chaque paire s’écartent de manière à former 
huit rangées simples au lieu de quatre doubles rangées, on retrouve 
le même orifice en avant et au-dessus de chacune des soies qui for- 
ment la seconde rangée latéralé à partir de la région ventrale. 

Or, comme le démontre l'inspection de Fanimal et comme on 
pourrait d’ailleurs le conclure de sa position, cette soie est l'homo- 
logüe de la soie supérieure de chacune des paires inférieures des 
quatre rangées que l’on observe dans le premier tiers de l'animal. 
Il est donc évident que l'orifice ségmentaire s’est déplacé en même 
temps que la soie de manière à conserver avec elle les mêmes rela- 
tions de position. 

I ÿ a donc une liaison réelle entre l’orifice segmentaire et la soie 
qui lui correspond, et c’est là une loi morphologique qu'il était inté- 
ressant d'établir pour arriver à l'interprétation de certains faits. De 
cette loi nous pouvons conéluré tout d'abord ceci : c'est que les 
organes segmentaires que nous avons décrits chez l'Anteus gigas ne 
sont pas les homologues de ceux que l'on trouve chez le Titanus brasi- 
liensis et chez tous lès Lombrieiens qui ont été étudiés jusqu'ici. 

Si l’on ouvre par le dos le Titanus brasiliensis, on reconnaît immé- 
diatement que son appareil cloisonnaire est loin d’être aussi développé 
que celui de lAnteus gigas. On ne trouve ici rien qui ressemble au 
puissant appareil protecteur que nous avons précédemment décrit. 

L'appareil digestif est muni d’un pharynx glandulaire et d'un 
gésier; mais l'ésophage est excessivement court. Le gésier occupe 
éepéndant le sixièiné anneau, comme dans l’Anteus gigas. Seule- 
ment, au liéu d'être reporté en arrière par une élongation plus 
grande de l’æsophage et d'entraîner avec lui les cloisons limitantes 
de l'anneau dont il dépend et toutes les cloisons antérieures, ici 


60 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


le gésier commence avec l'anneau dont il fait morphologiquement 
partie et finit presque en même temps. Il en résulte que la cloison 
qui le maintient antérieurement et toutes les cloisons antérieures sont 
à peu près perpendiculaires à l’axe du corps de l'animal ; ces cloisons 
ne peuvent donc se recouvrir mutuellement et constituer un appareil 
défensif. La plus ou moins grande longueur de l'œsophage se montre 
ici comme l’une des causes dominatrices qui déterminent l'absence 
ou la présence de l'appareil protecteur formé par les cloisons anté- 
rieures. Ces modifications sont d’ailleurs probablement en rapport 
avec le genre de vie de l'animal, avec la nature des terrains dans 
lesquels il habite, la qualité des aliments dont il se nourrit, et ce sont 
là des rapports qu’il serait intéressant de connaître. 

Nous trouvons ici, en ce qui touche l'appareil circulatoire, un 
perfectionnement des plus inattendus et qui est fait pour étonner dans 
un groupe inférieur comme celui des Lombriciens. Cet appareil se 
compose essentiellement d'un vaisseau dorsal et d’un ou plusieurs vais- 
seaux ventraux, Chose dont nous n'avons pu nous assurer. Dans chaque 
anneau, une anse périviscérale unit le vaisseau dorsal au vaisseau 
ventral; dans les anneaux huit, neuf, dix et onze, cette anse prend un 
développement plus considérable, se renfle en une série d’ampoules 
irrégulièrement sphériques et constitue ainsi un vaisseau latéral, 
moniliforme, contractile, analogue à celui qui constitue les cœurs des 
Lombriciens ordinaires. Dans le quinzième anneau, les choses se passent 
tout autrement. Là, du vaisseau ventral naît de chaque côté une branche 
qui se renfle bientôt en une poche très-volumineuse occupant toute 
l'étendue du douzième anneau et la partie antérieure du quatorzièm'e ; 
elle est adossée à la cloison antérieure de ce dernier. Postérieure- 
ment cette poche coiffe un gros organe musculaire, en forme d'olive. 
large à sa base, terminé en pointe postérieurement et qui occupe 
toute la longueur des anneaux quatorze, quinze et seize’. Sa largeur à 


4, PL x, fig. 45 c'et 16. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, ôt 


la base est presque égale à celle de l'intestin qui se trouve comprimé 
entre les organes musculaires de chaque côté. Cet organe est de 
couleur blanc rosé, comme les parois mêmes du corps; de plus il est 
opaque. Au contraire, les parois de la poche antérieure, bien qu'évi- 
demment musculaires, sont transparentes et, dans l'animal conservé, 
colorées en bleu foncé par le sang coagulé qu’elles renferment. De 
l'extrémité de l'organe musculaire, un peu en dedans et un peu aussi 
avant la pointe de cet organe, naît un vaisseau d’assez fort calibre qui 
longe en remontant les paires extérieures de l'organe et vient s'ouvrir 
dans le vaisseau dorsal, à la hauteur de la cloison antérieure du 
quatorzième anneau. On reconnait évidemment dans cette description 
un cœur appartenant au quatorzième anneau, un cœur parfaitement 
constitué et non plus un simple vaisseau contractile comme ceux qui 
ont été décrits jusqu'ici, un cœur pourvu d’une oreillette semi-mem- 
braneuse, d'un ventricule à parois puissamment musculaires, se 
rapprochant, par conséquent, autant qu'il est possible, des cœurs des 
animaux supérieurs. 

Ce fait est certainement le premier de ce genre qui ait été signalé 
dans l’histoire des Lombriciens ; il constitue le terme le plus élevé 
des modifications que peuvent subir les parties contractiles de l’ap- 
pareil vasculaire de ces animaux. On ne peut même relever qu'un 
petit nombre de faits analogues dans l’histoire des Annélides marines. 
M. de Quatrefages a trouvé un cœur réduit à un ventricule, chez les 
Marphyses, de chaque côté du tube digestif entre l’œsophage et la 
portion dentaire de la trompe ‘. Il signale aussi chez les Arénicoles 
et chez les Polyophthalmes un appareil cardiaque plus complet et 
constitué, comme chez le Titanus brasiliensis, par une oreillette et un 
ventricule; seulement le mode de constitution de ces cœurs est ici 

tout différent et leur homologie très-difficile à établir, pour ne pas 


1. De Quatrefages. Hist. Nat. des Annélides. Suites à Buffon, 1. 1®, p. 64. 


62 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


dire plus. Chez le Polyophthalme d'Ehrenberg, l'intestin est couvert 
d’un riche lacis vasculaire qui aboutit à l'oreillette placée au-dessus de 
l'intestin ; célle-ci communique avec le ventricule qui envoie à son 
tour le sang dans un vaisseau se dirigeant vers la portion ventrale. 
La réunion sur la ligne médiane de chacun de ces vaisseaux latéraux 
donne naissance à une aorte abdominale dans laquelle le sang court 
d'avant en arrière; un autre vaisseau naît à la fois des deux ven- 
tricules, chemine au-dessus de l'intestin en se dirigeant vers la tête 
et constitue une aorte supérieure dans laquelle le sang marche d’ar- 
rière en avant. 

Chez notre Lombrie, les choses ne se passent pas ainsi. Lesang 
révient, par le vaisseau ventral, dans l'oreillette qu'il remplit, passe de 
là dans le ventricule et de celui-ci dans le vaisseau dorsal. H en 
résulte que dans la partie du vaisseau dorsal antérieure au treizième 
anneau, le sang marche d’arrière en avant et se dirige vers la tête; au 
contraire dans la partie du vaisseau qui suit le treizième anneau, le 
sang chemine d'avant en arrière; il suit une marche exactement 
inverse dans le vaisseau ventral, supposé unique, mais qui peut être 
double : c’est un point sur lequel mes recherches me pouvaient pas 
porter. Quant aux anses d’anastomose périviscérales du vaisseau 
dorsal et du vaisseau ventral, le sang les parcourt de haut en bas. 

Iln'est peut-être pas sans intérêt de remarquer que cette marche 
du sang telle que nous venons de la décrire et telle qu'elle résulte de 
la structure anatomique de l'animal est exactement contraire à celle 
que M. de Quatrefages a reconnüe dans le Lumbricus trapezoïdes !. 
Là le sang marche d'arrière en avant dans le vaisseau dorsal, et 
d'avant en arrière dans les deux vaisseaux ventraux. Dans les anses 
périviscérales la marche du sang est sans doute aussi de haut en bas. 


Il y a relativement aux organes segmentaires quelques faits 


1. Suites à Buffon. Hist. des Annélides, pl. 1. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 63 


remarquables à signaler. J'ai constaté leur existence ou du moins 
l'existence de tubes tout à fait analogues, dans les anneaux huit, neuf, 
dix et onze. Il m'a néanmoins été complétement impossible, sur trois 
échantillons dont les téguments étaient bien conservés et suffisamment 
distendns dans cette partie, d'apercevoir leurs orifices. C'est seulement 
entre le treizième et le quatorzième anneau que cet orifice apparaît 
pour la première fois, c’est-à-dire à la partie antérieure de l'anneau 
qui précède la ceinture; on le voit là avec la plus grande netteté. Entre 
le dix-huitième et le dix-neuvième anneau, il est remplacé par l’orifice 
génital mâle qui est plus grand et légèrement reporté en dedans. 1 


1214 


manque COMp tentre le dix-septième et le dix-huitième anneau. 


Nous aurons à approcher ces faits de ceux qui nous seront fournis par 
la disposition de l’appareil génital. 

De ce dernier je n’ai pu voir que la portion mâle. Elle se compose 
de deux longs testicules ovalaires, aplatis, fixés par un court pédon- 
cule à la partie postérieure, inférieure et médiane de la cloison anté- 
rieure du douzième anneau. Ces testicules! sont plus ou moins repliés 
sur eux-mêmes et autour de l'intestin; lorsqu'ils sont développés et 
étendus ils occupent toute la longueur comprise entre le douzième et 
le vingt-cinquième anneau, ils traversent par conséquent toute la cein- 
ture et ne finissent que bien au delà de l'orifice génital. Au-dessous 
de leur pédoncule naît de chaque côté un canal assez court, droit, qui 
n’est autre chose que le canal déférent; je n'ai pu m'assurer s'il se 
terminait antérieurement en pavillon vibratile; postérieurement il 
aboutit à une sorte d’empâtement qui occupe toute l'étendue du dix- 
huitième et du dix-neuvième anneau. On peut ouvrir cet empâtement 
et on reconnaît que ce n’est pas autre chose qu’une poche à parois 
musculaires s’ouvrant au dehors par l’orifice génital mâle et qui peut, 
jusqu’à un certain point. jouer le rôle de vésicule séminale. Je n'ai 


1. PI. 1, 6g. 45,4 


64 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


pas vu d’organe qu'on puisse considérer comme un organe copulateur 
proprement dit. La fécondation n’a très-probablement lieu que par 
simple rapprochement des orifices. 

Je n'ai rien vu que l'on puisse considérer comme une poche 
copulatrice. Il est singulier, d'autre part, que chez un animal de 
cette taille, comme chez l’Anteus, l'ovaire échappe à une recherche 
minutieuse. C'est pourquoi je me pose encore ces deux ques- 
tions : 

L'organe que j'ai indiqué chez l’Anteus gigas comme étant peut- 
être une poche copulatrice, a-t-il réellement cette destination ? 

L’Anteus gigas et le Titanus brasiliensis sont-ils vraiment herma- 
phrodites? 

Évidemment de nouvelles recherches sont nécessaires sur ce point : 
l’hermaphroditisme, s’il existe, a besoin d’une confirmation directe. 
L'hermaphroditisme de tous les Lombriciens a été conclu simplement 
de l'étude de nos Lombrics indigènes; nous en avons déjà assez dit 
pour montrer combien sont cependant peu généraux la plupart des 
caractères que nous présentent ces Vers. Nous ne pouvons, pour le 
moment, que soulever cette question de l'hermaphroditisme constant 
des Lombriciens sans la résoudre. Nous ajouterons cependant que, 
de même qu'il y a parmi les Annélides, ordinairement dioïques, 
quelques rares espèces hermaphrodites, il pourrait fort bien se trouver 
chez les Lombrics habituellement hermaphrodites un certain nombre 
de types dioïques. 

J'insisterai encore ici sur les points suivants : 

Dans les anneaux qui produisent les testicules et où aboutit le 
canal déférent, on ne voit pas les orifices des organes segmentaires et 
je n'ai pas constaté d’une manière certaine l'existence de ces organes, 
pourtant si visibles, quoique ne paraissant pas s'ouvrir au dehors dans 
les anneaux antérieurs. Cet orifice manque encore dans l'anneau qui 
précède celui où s'ouvre le canal déférent. Enfin l’orifice de ce canal 


LOMBRICIENS  TERRESTRES, 69 


a exactement les mêmes relations de position que l'orifice des organes 
segmentaires. 

Les individus d’après lesquels cette description est faite ont été 
rapportés du Brésil en 1837 par M. Gaudichaud. Ils sont.au nombre 
de trois; un quatrième ne porte aucune indication de localité; tous 
sont en assez mauvais état, 


GEN. RHINODRILUS, Nov. Gen. 


J'établis le genre Rhinodrilus pour un Ver de l'Amérique méri- 
dionale (Caracas, dans la république de Venezuela), qui se fait remar- 
quer, à première vue, par un prolongement en forme de trompe de 
son lobe céphalique, caractère jusqu'à présent unique chez les Lom- 
briciens terrestres. 

Bien que Hoffmeister ait distingué trois genres ! d'après la forme 
du lobe céphalique, je ne considérerais pas les caractères tirés de ces 
modifications de forme comme suffisants pour établir un genre nou- 
veau, si aucune modification organique n’accompagnait celle-ci. 
Aussi, tout en faisant allusion dans la composition du nom du genre 
à l'existence de la trompe ou plutôt du tentacule, caractère extérieur 
le plus saïllant de notre animal, n’ai-je pas l'intention d'indiquer que 
ce genre ne devra contenir que des Lombriciens pourvus d’une 
trompe. 

Cette trompe n’a du reste aucun rapport ayec l'appareil digestif, 
et n’a rien de commun avec ce que M. de Quatrefages appelle la 
trompe des Annélides, avec ce qui constitue la trompe des Naïs et des 
genres voisins. Elle est, au contraire, l'analogue de l’appendice cépha- 
lique de la Naïs proboscidea, appendice qui avait provoqué pour cet 


4. Lumbricus, Helodrilus, Criodrilus. 
VII. : 9 


66 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 
animal la création du genre Stylaria * et qui caractérise encore le genre 
Euaxes de Grube. 

On peut encore comparer l’appendice unique dés Rhinodrilus au 
prolongement en cône de la tête des Glycères. C’est une sorte de ten- 
tacule, et pas autre chose. 

C’est sur un échantillon unique qne notre genre est établi; la des- 
cription de cet échantillon devra tenir lieu par conséquent de carac- 
téristique pour le genre. Nous donnerons à l'espèce que nous allons 
décrire le nom de Rhinodrilus paradoæus, à cause des caractères jusqu'ici 
exceptionnels qu’elle présente. 


RHINODRILUS PARADOXUS Sp. n01.° 


Ce Ver a la taille de notre Lombric ordinaire (15 centimètres), 
dont il ne diffère à première vue que par sa trompe, qui a à ou 4 milli- 
mètres de long environ. 

La ceinture est située après le dix-huitième anneau et occupe les 
anneaux dix-neuf, vingt et vingt et un. Elle est peu marquée en 
dessus; mais en dessous elle est rendue très-distincte par deux ban- 
delettes longitudinales, légèrement ‘concaves vers la ligne médiane 


4. Comme le fait remarquer M. Vaillant, ce genre n’est peut-être pas aussi mauvais qu’on 
veut bien le dire, attendu que dans la Naïs proboscidea les faisceaux de soïes sont composés autre- 
ment que chez un certain nombre d’autres Naïs; suivant W.C. Minor, l'appareil digestif présente 
aussi quelques particularités. Quant au mode de reproduction asexuée, nous ne croyons pas la 
différence aussi fondamentale que le pense M. Minor, attendu que chez tous les Naïdiens que j'ai 
étudiés à ce point de vue, la scissiparité se complique toujours d’un double bourgeonnement qui 
se produit à la fois à l'extrémité postérieure du corps de l’ânimal qui se divise et au point 
même où la scission se produit. Je me suis expliqué sur ce point dans un travail relatif au Dero 
obtusa, qui a paru depuis quelque temps déjà ?. 

2. PI. 1, fig. 9, 40, 41 et 42 


À U} “ TS té, ra COR PE | (4 ‘ [nf 


iences and arts, vol. XXXV, janvier 1863) 
2. Comptes rendus de PAcadémie ds Sciences, 1870, et Avchsoss de A expérimentale de M. de Lacaze Duthiers, 
t. ler; janvier 1872. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 67 


et qui s'étendent sur les trois anneaux que nous avons désignés. 

C’est entre ces bandelettes que l’on voit les orifices génitaux, au 
nombre de deux, sur le sillon qui sépare le dix-neuvième anneau du 
vingtième, Ces orifices ont la forme de deux boutonnières transversales; 
de leur angle externe part, de chaque côté, un sillon arqué, longitu- 
dinal, parallèle aux bandelettes. Ce sillon traverse le vingtième anneau 
etse termine avec lui; son extrémité inférieure est unie à celle du sillon 
symétrique par un repli transversal, concave vers l'extrémité cépha- 
lique et plus profond que les sillons interannulaires. Les orifices géni- 
taux et les sillons qui en dépendent détachent ainsi entre les bande- 
lettes de la ceinture une sorte d’écusson, très-net sur l'individu con- 
servé dans l'alcool que j'ai examiné. Il y a évidemment à se demander 
ce que devient cette apparence chez l'animal vivant; mais fût-elle un 
accident comme on en voit tant sur les animaux conservés dans l'al- 
cool, il était bon de la signaler, non toutefois sans réserve. 

Les soies sont disposées sur quatre doubles rangées comme dans 
le genre Lumbricus. Elles présentent néanmoins quelques particula- 
rités caractéristiques et dont on n’a pas encore signalé d'exemples *. 

On sait que dans presque tous les Lombriciens étudiés jusqu'ici à ce 
point de vue, les soies sont toujourslisses et généralement en forme d'S. 

Nous avons vu toutefois, dans le Lumbricus americanus, une modi- 
fication légère des soies de la ceinture qui deviennent droites et très- 
longues relativement à celles du corps, qui sont en forme d'S. Chez le 
Rhinodrilus paradoæus, les soies du corps * sont bien en forme d'S, mais 
leur portion externe est un peu plus épaisse que leur portion interne ; 
de plus, toute leur portion externe présente de petits arcs chitineux 
saillants, à concavité externe, et qui sont assez irrégulièrement dispo- 
sés. C’est là déjà une exception, car chez tous les autres Lombriciens 

4. Il serait intéressant d’avoir une bonne figure des soies des Geogenia. Kinb. qui présen- 


tent aussi une ornementation, 
2. PI. 1, fig. 44 bis. 


68 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


les soies sont très-franchement lisses; toutefois cette ornementation 
passerait facilement inaperçue si l’on s’en tenait à l'examen des soies 
du corps, chez qui les petits ares chitineux, quoique très-nets, ne 
s'imposent cependant pas très-énergiquement à lattention. Sur les 
soies du corps, ces arcs ne sont en quelque sorte que les vestiges 
d’une structure très-remarquable présentés par les soies des an- 
neaux seize, dix-sept, dix-huit et dix-neuf qui précèdent immédiate- 
ment la ceinture ou en font déjà partie. 

Ces dernières soies ‘ sont parfaitement droites, de même largeur 
que les soies du corps, mais environ deux fois et quart plus longues; 
elles sont lisses pendant un peu plus de la moitié de leur longueur ; 
mais dans le reste qui forme la partie saillante à l’extérieur, on voit 
la chitine se soulever de manière à former une quantité de nids de 
pigeon régulièrement disposés et dont l'ouverture est dirigée vers la 
pointe extérieure de la soie. 

C'est là une ornementation dont'aucun autre exemple n’a été 
signalé. Il est évident que ces soies ont un rôle spécial à jouer dans 
l’accouplement, comme Hering l’a fait remarquer le premier, en ce 
qui concerne les vrais Lombrics. Il est difficile, dans le cas actuel, de 
se prononcer sur la nature précise de ce rôle; mais nous verrons dans 
un autre animal les soies du voisinage de la ceinture se modifier 
encore davantage, leur rôle se préciser en même temps et l’ensemble 
des soies d’un anneau constituer un véritable pénis. 

Quoi qu'il en soit, il y a là un fait à retenir : si dans la grande 
majorité des Lombrics terrestres connus, les soies se présentent avec 
un grand caractère de simplicité, le Rhinodrilus paradoæus nous montre 
que des complications plus ou moins grandes peuvent se produire 
dans la structure de ces organes. Ce qui est actuellement l'exception 
peut n'être qu'une exception apparente, car nous connaissons à peine 


1. PL 1, fig. 40 et 44. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 69 


quelques types isolés du groupe des Lombriciens, trop peu pour que 
toute généralisation ne soit pas encore prématurée. Aussi craignons- 
nous que M. Grube, et avec lui M. Léon Vaillant, n'aient accordé 
une trop grande valeur au caractère tiré de la simplicité des soies 
des Lombrics. Nous croyons même, nous le prouverons un peu plus 
tard, que leur mode de disposition ne peut dépasser la valeur d'un 
caractère générique. 

En ce qui concerne les organes segmentaires, nous retrouvons 
ici, comme dans l’Anteus gigas, leur orifice en avant des soies de la 
rangée supérieure, etcela a lieu dans tous les anneaux. Voici donc une 
seconde exception à cette règle généralement admise et sur laquelle 
avait insisté Claparède, que les organes segmentaires s'ouvrent en 
avant des soies de la région ventrale. 

Arrivons maintenant à l'anatomie proprement dite de l'animal. 

L'appareil digestif ne présente aucune particularité saillante. Un 
pharynx à parois épaisses et glandulaires, un œæsophage membraneux, 
un gésier à parois très-musculeuses, enfin un intestin; voilà sa con- 
stitution. Le gésier dépend du septième anneau; mais il est reporté 
un peu en arrière par l'allongement de l’œsophage et se trouve occu- 
per ainsi la longueur des neuvième, dixième et onzième anneaux. 
L'appareil circulatoire est essentiellement remarquable, du moins 
dans sa partie antérieure, la seule que j'ai observée, et encore pas 
aussi complétement que je l'aurais voulu. s 

Il se distingue tout d'abord par l'existence de deux vaisseaux 
dorsaux et de deux vaisseaux ventraux'; ces quatre vaisseaux sont 
tous situés sur la ligne médiane, les uns plus particulièrement en 
rapport avec l'intestin, les autres plus près des parois du corps. 

Voici maintenant comment ces vaisseaux sont reliés entre eux: 
les deux vaisseaux, dorsal et ventral, les plus éloignés de l'intestin, 


A, PI. 1, fig. 42. 


70 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


sont unis par des anses flottantes qu'on peut désigner sous le nom 
d’anses périphériques. Il m'a semblé qu'à la partie antérieure le vais- 
seau ventral se bifurquait; mais c’est là un fait qui me laisse encore 
quelques doutes que comprendront tous ceux qui ont essayé d'étudier 
des parties aussi délicates sur des animaux conservés depuis longtemps 
dans l'alcool et que l’on est dans l'obligation de ne pas détériorer, où 
il faut presque, par conséquent, voir Sans toucher. 

Quant aux deux vaisseaux plus voisins de l'intestin, ils sont réu- 
nis par des anses embrassant assez “étroitement l'intestin et qui 
deviennent plus libres et assez volumineux dans les anneaux 20, 21 
et 22, elles prennent même l'aspect irrégulièrement bosselé propre 
aux cœurs des Lombrics dont elles n'atteignent cependant pas le 
volume. C’est ce qu’explique l'existence dans les trois anneaux qui 
précèdent d'autant de paires d'organes que nous croyons être les véri- 
tables cœurs. Chacun de ces organes est en rapport par un vaisseau 
spécial d’une part avec le vaisseau dorsal inférieur, de l’autre avec le 
vaisseau ventral supérieur. De plus, sur chacun d'eux on distingue 
deux parties bien distinctes : l'une inférieure, à parois transparentes, 
gonflée par un sang bleuâtre coagulé, de forme sphérique; l'autre 
supérieure, blanche, opaque, plus volumineuse, de forme ovoïde et 
s’abouchant par son petit bout avec le vaisseau qui conduit au tronc 
dorsal. On ne peut s’empêcher de voir là un cœur muni de son oreil- 
lette, qui serait la partie inférieure de l'organe et de son ventricule qui 
serait la partie supérieure. C’est la détermination à laquelle nous nous 
arrêtons. 

Sur le ventricule on aperçoit quelques veines bleuâtres partant 
du sommet et disparaissant bien vite. L'existence de ces veines nous 
avait fait d’abord concevoir quelque doute, car elles semblaient être 
disposées en vue de produire une sorte d'irrigation dans l'organe qui 
aurait eu, dès lors, quelque analogie avec un appareil glandulaire ; 
mais l’apparence en question tient sans doute à ce que, sur certains 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 71 


points, près du sommet du ventricule, les fibres longitudinales s’écar- 
tent et laissent apercevoir la membrane interne et le sang qu’elle con- 
tient. D'ailleurs, la présence de l'oreillette et l'absence de tout autre 
appareil suffisant d’impulsion pour le sang démontrent bien que les 
organes en question ne peuvent être que des cœurs analogues à ceux 
du Titanus brasiliensis. Ici ces cœurs, au nombre de six, ont chacun 
un volume relatif moins considérable que les cœurs du Titanus, qui ne 
sont qu'au nombre de deux. C’est là évidemment une conséquence de 
leur nombre. Leur disposition anatomique est d’ailleurs la même : 
l'oreillette en rapport avec le vaisseau ventral, le ventricule en rapport 
avec le vaisseau dorsal interne. Dans ces deux vaisseaux, le cours du 
sang est donc le même que celui que nous avons décrit pour le Tita- 
nus. Quant aux vaisseaux externes, nous ignorons comment ils com- 
muniquent avec les autres; nous ne pouvons rien dire de la marche 
du sang à leur intérieur. 

Les organes génitaux sont constitués par une paire de glandes 
situées immédiatement en arrière du gésier et qui sont des testicules. 
Un canal déférent y aboutit de chaque côté. Ce canal est muni d'un 
pavillon vibratile, enfermé avec le testicule dans une membrane 
commune. 

Nous n'avons vu aucune trace de poches copulatrices; nous pou- 
_vons donc faire ici la réflexion que nous avons déjà faite à propos du 
genre précédent: 

Les Rhinodrilus sont-ils réellement hermaphrodites ? 


GEN. EUDRILUS', Nov. Gen. 


J'ai déjà présenté à l'Académie des sciences une note relative à l’or- 
ganisation d'un ver appartenant au genre dont je vais maintenant parler. 


4 Plus, fig. 26 à 30. 


72 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


A l’époque de ma communication je ne connaissais encore que 
l'échantillon vivant que j'avais disséqué ; j'ai depuis rencontré dans la 
collection du Muséum deux Lombriciens provenant, l’un de la Marti- 
nique, l’autre de Rio-Janeiro, qui rentrent évidemment dans ce genre 
et qui, dans tous les détails de leur anatomie, différent à peine du pre- 
mier Eudrilus que j'ai vu : l’Eudrilus decipiens. 

Toutefois je dois faire ici une remarque importante. Les deux 
vers que j'ai pu voir conservés dans l'alcool sont évidemment intra- 
clitelliens, quoique leurs orifices mâles soient rejetés entre le dernier 
et l’'avant-dernier anneau de la ceinture; au contraire, l'individu que 
j'ai eu vivant a été indiqué dans mes notes et dans ma communication 
à l'Académie comme postclitellien; toutefois j'ai indiqué un aréole 
partant de la ceinture et semblant la prolonger jusque sur les orifices 
mâles. 

Y a-t-il eu là une méprise de ma part? Je regrette de ne pouvoir 
le vérifier actuellement par suite de la destruction accidentelle de 
l'échantillon qui servit alors à mes recherches. 

Quoi qu'il en soit, les orifices mâles dans l'échantillon en ques- 
tion et dans ceux que j'ai actuellement sous les yeux se trouvent occu- 
per exactement la même position, c'est-à-dire le bord postérieur du 
dix-septième anneau. 

La ceinture qui occupait les anneaux 13, 44 et 15 dans l'Eudrilus 
decipiens, occupe les anneaux 13 à 18 inclusivement dans l'Eudrilus de 
la Martinique, et les anneaux 14 à148 dans celui de Rio-Janeiro, elle est 
du reste dans les deux cas assez peu distincte et les anneaux paraissent 
se modifier graduellement, surtout dans le ver de la Martinique. 

En somme, c’est seulement sur l'étendue en arrière de la ceinture 
que porte la différence ; comme elle englobe les orifices mâles dans les 
individus conservés, je range les £udrilus parmi les Lombriciens intra- 
clitelliens, tout en signalant un point douteux, propre d’ailleurs à 
infirmer la valeur des caractères tirés des orgânes génitaux, s’il était 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 73 
démontré qu'iln’y a pas eu erreur de ma part en ce qui touche l'ÆEu- 
drilus decipiens. 

Les Eudrilus sont d’ailleurs des vers fort remarquables. 

Leur taille est médiocre, leurs soies simples, disposées par paires 
sur quatre rangées latérales symétriques deux à deux. Les deux ran- 
gées d’un même côté sont très-rapprochées l'une de l’autre, 

Les orifices des organes segmentaires sont en avant des soies de 
la rangée supérieure comme dans les Anteus et les Rhinodrilus. 

Les orifices mâles s'ouvrent en avant des soies de la rangée 
inférieure. 

Si l'on suit la rangée supérieure des soies de chaque côté, en 
arrivant au quatorzième anneau on distingue immédiatement en avant 
des soies, ou même à leur place, un orifice très-net, quelquefois bordé 
d'un bourrelet, ce qui n'empêche pas l’orifice de l'organe segmen- 
taire, un peu réduit, d'occuper sa place habituelle; les soies de la 
rangée inférieure ne sont d’ailleurs aucunement modifiées. 

Quelle est la signification de ces orifices? Je l'indiquerai en par- 
lant des organes génitaux. 

L'appareil digestif des Eudrilus diffère à peine de l'appareil 
digestif des autres Lombriciens ; l'œsophage est très-court et le gésier 
situé vers le septième anneau. 

L'appareil circulatoire est constitué sur le plan de celui des Lom- 
bries proprement dits, quant à ses centres d’impulsion. Ces derniers 
sont en effet de simples anses latérales bosselées situées entre le gésier 
et l'appareil génital. 

Celui-ci est constitué d’une manière remarquable. 

Les testicules sont au nombre de trois chez l’Eudrilus decipiens ; 
chez les autres vers, je n’en ai vu que deux bien développés ; mais il 
m'a semblé qu’en avant s’en trouvait un autre bien plus petit et pour 
ainsi dire rudimentaire. 

De ces testicules part de chaque côté un canal déférent qui 


VIIL. 10 


7h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


arrive jusqu’au dix-septième anneau en se contournant diversement; 
là il aboutit dans une poche particulière sur laquelle nous aurons à 
revenir tout à l'heure. 

Dans cette poche aboutit encore constamment un tube qui se 
rattache à un organe allongé en forme de saucisse”, d'aspect nacré, 
qui rappelle par sa position la prostate des Lombriciens postclitelliens, 
mais qui ne présente en aucune façon l'aspect glandulaire de ces der- 
nières. 

On voit encore quelquefois sur la poche du dix-septième anneau 
un troisième appendice formé de deux culs-de-sac grelfés comme 
les branches d’un Y sur une tige commune. 

J'ignore quel peut être l’usage de ces appendices et je n'ai pu 
suivre d’une manière bien exacte leurs rapports avec le contenu de 
la poche, qui est lui-même assez exceptionnel. Ce n’est pas autre 
chose qu'un pénis* en forme de crochet charnu, fibreux, capable de 
faire saillie au dehors ainsi que je m'en suis directement assuré, 
mais qui demeure habituellement retiré à l’intérieur de la poche. 

C'est là, comme on le voit, un appareil copulateur des plus com- 
plets et des plus remarquables. 

L'appareil femelle n’est pas moins étrange. 

Il est situé dans le quatorzième anneau et son orifice extérieur 
n'est pas autre chose que l'orifice porté par cet anneau en avant de 
la paire supérieure de soies. 

On voit partir de cet orifice un tube qui se recourbe plusieurs 
fois en se dirigeant en arrière, se renfle finalement en une poche 
allongée à parois plus ou moins distendues et dont l'extrémité en cul- 
de-sac se dirige en avant. 

Greffés sur ce tube avant sa dilatation en poche, on voit d’abord 
un tube plus petit, entortillé de façons diverses, et juste en face de 


41. PI. u, fig. 26, vs. 
2. PI. n, fig. 27 et 28. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 75 


lui une sphère assez peu volumineuse, quelquefois deux qui présen- 
tent alors un aspect un peu différent. Je n’ai pu examiner ces derniers 
corps que sur deux individus conservés dans l'alcool, l'un depuis 
1826, l’autre depuis 1833. Mais cet examen ne peut laisser aucun 
doute; ce sont là des ovaires dans lesquels il est encore possible de 
reconnaître des œufs avec tous leurs éléments caractéristiques". 

Le membre vitelline assez épaisse a conservé sa forme sphérique ; 
le vitellus s’est un peu condensé et ramassé d’un côté; la vésicule 
transparente est encore bien nette et contient une, deux ou trois taches 
germinatives. 

De plus, chaque œuf paraît entouré d'une couche granuleuse 
assez épaisse que je m'abstiendrai d'interpréter à cause des chances 
d'erreur que présente l'examen histologique de pièces conservées, 
surtout depuis si longtemps. Il n’en demeure pas moins constant que 
les ovaires sont ici greffés sur un appareil qu'on ne peut considérer 
que comme une poche copulatrice. 

Je décrirai comme espèces distinctes les £udrilus de provenance 
différente que j'ai eus à ma disposition, bien que les caractères exté- 
rieurs qui les distinguent soient assez fugitifs. Il me semble que les 
dispositions anatomiques spéciales que je vais avoir à signaler moti- 
vent suffisamment cette distinction. ; 


EUDRILEUS LACAZIEK>:. Edmond Perrier. 


La longueur de ce ver est médiocre; sa partie antérieure est 
aplatie et se termine par un lobe céphalique simple; la partie posté- 
: 
4. PI. iv, fig. 76. 
2. Je dédie cette espèce à mon savant et excellent maître M. H. de Lacaze Duthiers, 


membre de l’Institut, professeur à la Sorbonne, ancien professeur au Muséum et à l'École nor- 
male, où il a bien voulu m'appeler à lui succéder. 


76 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


rieure va en Ss'amincissant beaucoup, elle est bien plus grêle que 
l’antérieure. 

Comme dans les autres espèces je ne signalerai que les carac- 
tères dont je n’ai pas eu à parler en définissant le genre. 

La ceinture, peu marquée, occupe les anneaux 43, 44, 15, 16, 17 
et 18, en tout six. | 

Les pores génitaux femelles du quatorzième anneau sont situés 
très-nettement en avant des soies supérieures qui sont bien distinctes. 

Le gésier, assez allongé, est situé à la hauteur du sixième anneau, 
sans que je veuille affirmer d’une manière bien positive qu’il lui appar- 
tient, les cloisons correspondantes se trouvant détruites. 

On trouve des vaisseaux latéraux contractiles dans les anneaux 8, 
9 et 10, peut-être 7. 

Les anneaux 11 et 12 contiennent chacun une paire de testicules 
bien développés; il y en a une autre, mais beaucoup plus petite, dans 
le dixième anneau. | 

Dans le quatorzième anneau, sur la base de la poche copulatrice, 
on ne voit à l'extérieur que le petit tube tortillé et à l’intérieur, 
c'est-à-dire vers l'axe du corps, un petit ovaire sphérique. 

Le canal déférent se rend à la bourse du pénis sans se tottiller 
sur lui-même; sur cette bourse sont grelfés la longue poche en forme 
de saucisse et l’appendice en Y, qui tous deux ont un aspect fibreux 
très-caractérisé. 

Dans tous les anneaux, même dans ceux qui contiennent les 
ovaires, il y a un organe segmentaire. 

Ces organes, à partir du quinzième anneau, se font remarquer 
par leur coloration jaune-orangé. Cette coloration répond à une por- 
tion glandulaire de l'organe; celui-ci se prolonge vers l'axe du corps 
en un petit tube transparent, entortillé à l'extrémité duquel j'ai cher- 
ché, sans l’y voir, un pavillon vibratile, Ces organes reposent sur la 
face postérieure de chaque cloison. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. v à à 


IL y au Muséum deux échantillons de l’£udrilus Lacazii, tous deux 
sont en assez mauvais état. 

Ils ont été rapportés de la Martinique par M. Plée; l’un date 
de 1826, l'étiquette de l’autre ne porte pas de date. 


EUDRIELUS PEREGRINUS!. Edm. Perrier. 


L'Eudrilus peregrinus est plus grand que le précédent; son lobe 
céphalique, bien distinct, entame postérieurement et très-nettement 
le segment buccal. 

La ceinture occupe cinq anneaux ; ses anneaux extrêmes sont le 
quatorzième et le dix-huitième. 

L’extrémité postérieure paraît moins rétrécie que dans l'espèce 
précédente. 

Les pores génitaux femelles du quatorzième anneau sont moins 
distincts, peut-être un peu plus reculés, et je n’ai pu distinguer à la 
loupe les soies qui doivent se trouver derrière eux. 

Pour ne pas trop détériorer l'échantillon unique du Muséum, je 
n'ai pas voulu découvrir le gésier qui se trouve avant le huitième 
anneau. Cet anneau contient une anse cardiaque ainsi que les deux 
suivants; ces derniers sont les plus développés. ; 

Les testicules sont situés aux onzième et douzième anneaux; je n'ai 
vu dans le dixième anneau qu'une sorte de toute petite masse glandu- 
laire, absolument indéterminable. 

Dans le quatorzième anneau, les organes femelles comprennent : 
la poche copulatrice, le petit tube entortillé qui est extérieur, une 
masse glandulaire située en face de lui, intérieurement et dans 
laquelle je n'ai pas vu d'œufs; enfin au-dessous du tube tortillé et exté- 


4. Je donne à ce Ver l’épithète de peregrinus à cause de sa provenance assez éloignée des 
Antilles, d’où proviennent les deux autres. 


78 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


rieurement à lui, mais greffé comme lui sur le pédoncule de la poche 
copulatrice un ovaire bien distinct et que j'avais sous les yeux quand 
j'ai parlé des ovaires des Eudrilus dans la description du genre. 

L'appendice en Y de la bourse du pénis est formé de deux branches 
très-inégales en longueur, appliquées l’une contre l'autre, tandis 
qu’elles sont égales dans l'espèce précédente. 

IL n'existe dans la collection du Muséum qu’un seul individu de 
cette espèce ; il a été rapporté de Rio-Janeiro, en 1855, par M. Gau- 
dichaud. 


EUDRILUS DECIPIENS Edm. Perr. 


Ce ver a été recueilli dans la terre d’un envoi de plantes des 
Antilles par M. Houllet, chef des serres au Muséum, qui m'avait déjà 
remis quelques jours auparavant plusieurs échantillons d’une espèce 
nouvelle de Perichæta et qui avait bien voulu, à ma demande, porter 
son attention sur la terre de l'envoi des Antilles qu'il venait de rece- 
voir. M. Houllet continue d’ailleurs à surveiller le dépotement des 
plantes qui lui sont envoyées, et il n’y a pas de doute que, grâce à lui, 
la collection de Lombriciens du Muséum de Paris ne s’accroisse 
rapidement et que l’histoire de ces singuliers animaux ne s’enrichisse 
de faits nombreux. 

A l’époque où cet £udrilus me fut remis, je n'avais encore étudié 
avec quelque soin que nos Lombrics indigènes et les Perichæta. Je ne 
connaissais de Lombriciensayant leurs orifices génitaux mâles non situés 
en avant de la ceinture que ces derniers et, comme les soies ne sont 
pas toujours très-visibles au premier coup d’œil, je crus d’abord avoir 
affaire à un Perichæta, ce qui aurait beaucoup augmenté l'aire d’exten- 
sion de ce genre. C’est à cause de cette erreur momentanée que j'ai 
nommé le ver qui nous occupe : Eudrilus decipiens. Quant au préfixe Eu 
dont j'ai fait précéder le mot grec qui veut dire ver, il provient de ce 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 79 


que le premier Lombricien terrestre chez qui un véritable appareil 
copulateur ait été signalé est précisément l'£udrilus decipiens; ce ver me 
semblait donc à ce moment plus parfait que les autres. Nous verrons 
que les Acanthodrilus sont aussi pourvus de pénis, autrement constitués 
d'ailleurs que ceux que nous avons décrits chez les divers Æudrilus ; 
nous avons vu aussi des Lombriciens chez qui l’organisation atteint un 
plus haut degré de perfection ; néanmoins il n’y a pas d’inconvénient 
sérieux à conserver le nom primitif que nous avons choisi et qui se 
trouve déjà consacré d’ailleurs par une communication faite à l'Aca- 
démie le 13 novembre 1871. 

La taille, la couleur, l'aspect général de l’Eudrilus decipiens sont, 
en tout, ceux de nos Lombrics. La bouche s'ouvre franchement au- 
dessous du lobe céphalique qui est très-aigu. Les soies forment quatre 
rangées; il m'a semblé que, assez souvent, chaque faisceau contenait 
plus de deux soies parfaitement développées; mais il faudrait exami- 
ner sur plus d'un individu si ce fait présente quelque constance; nous 
ne l’inscrivons ici qu'à titre de renseignement. La ceinture occupe les 
anneaux treize, quatorze et quinze; elle est continue. Les orifices 
génitaux mâles sont situés au dix-septième anneau, c’est-à-dire sur 
le deuxième anneau après la ceinture; ils se font remarquer par 
leur netteté et par l’aréole opaque et blanchâtre qui l'entoure. 

L'animal ayant été plongé vivant dans une solution faible d’acide 
chromique, nous avons vu sortir par l’un de ces orifices une sorte de 
crochet charnu à concavité tournée vers le bas et à pointe mousse 
beaucoup moins large que sa base. Au-dessous de ce crochet et en 
continuité de tissu avec lui se trouvait une poche sphérique égale- 
ment sortie au dehors et présentant le même aspect nacré. Nous 
avons cru d’abord à une simple hernie avec retournement en doigt 
de gant du canal déférent, mais un examen attentif nous a bien vite 
montré qu'il y avait là une spécialisation plus grande d’une partie 
du canal déférent et que nous avions affaire à un véritable pénis 


80 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


rétractile. Du côté où le pénis n’était pas sorti spontanément, nous 
pensions le voir au dedans du corps, mais nous n'avons vu à sa 
place qu'un empâtement discoïde assez épais, sur lequel venaient 
s'insérer le canal déférent et le canal excréteur de la poche allongée 
et fibreuse; nous avons dès lors pensé que cet empâtement, qui était 
beaucoup moins visible de l’autre côté, n'était autre chose qu'une 
bourse à l’intérieur de laquelle devait se trouver le pénis rétracté; 
nous avons donc déchiré les parois de cette bourse et nous avons trouvé 
à son intérieur le second pénis charnu recourbé autour de la poche’. 
Cela confirmait notre première observation : à savoir que bien réel- 
lement les £udrilus ont un pénis charnu distinct de toutes les autres 
parties de l'appareil génital, rétractile à la volonté de l'animal et 
enfermé quand il est rentré en dedans dans une poche particulière 
que nous avons déjà nommée bourse du pénis. C'est là un organe pour 
ainsi dire à demi externe, que l’on peut observer presque sans dissec- 
tion et qu'à ce titre nous avons décrit en même temps que les autres 
caractères zoologiques. 

Voyons maintenant les caractères anatomiques”. 

Le tube digestif se compose, comme d'habitude, d'un pharynx 
musculeux, qui occupe ici les cinq premiers anneaux, puis d'un 
œsophage très-court qui commence vers la moitié du cinquième 
anneau et se termine au commencement du septième; dans ce dernier 
se trouve le gésier qui l’occupe entièrement sans le dépasser, enfin 
vient l'intestin proprement dit. 

De l'appareil circulatoire je n'ai vu qu'un vaisseau dorsal et deux 
paires de cœurs latéraux dans les septième et huitième anneaux. 

Les anneaux neuf, dix et onze contiennent chacun une paire de 


testicules. Ces testicules ont la forme de langues recourbées au-dessus 


4. Pl 1, fig. 27 et 28. 
2, Voir pl. 1, fig. 26, et l'explication des planches. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. S1 


de l'intestin ; ils sont tous absolument égaux entre eux, tandis que chez 
les vrais Lombrics, qui présentent aussi trois paires de testicules, la 
paire postérieure est beaucoup plus grande que les deux autres. Les 
vers du genre Lumbricus et ceux du genre £Eudrilus sont du reste encore 
les. seuls où on ait constaté trois paires de testicules; partout ailleurs 
jusqu'ici il n’y a que deux paires de ces organes, où même une 
seule. 

Le douzième anneau renferme les poches copulatrices. Ici ces or- 
ganes sont complexes. Ils sont constitués par un tube qui se dirige d’a- 
bord obliquement en dehors et en bas, puis se recourbe brusquement, 
en suivant un trajet tortueux, pour remonter en dedans et en haut 
vers la ligne médiane. Arrivé un peu au-dessous de l'intestin, ce tube 
se recourbe de nouveau brusquement et descend parallèlement à la 
ligne médiane, puis il se recourbe une dernière fois en remontant sur 
l'intestin, parallèlement à l'axe longitudinal, en donnant naissance à 
un long renflement piriforme qui est la véritable poche copulatrice. 

Dans la seconde partie de son trajet, lorsqu'il se dirige oblique- 
ment de dehors en dedans et de bas en haut, ce tube donne naissance 
à deux appendices qui naissent vis-à-vis l’un de l’autre et se dirigent 
l'un en avant, l'autre en arrière. Le premier est une petite sphère 
glandulaire, supportée par un pédoncule assez court. D'après ce que 
nous avons vu dans les deux espèces précédentes, c'est là très-pro- 
bablement l'ovaire; mais nous n'avons pas d'observations précises 
sur ce point. Le second est un tube six ou sept fois replié sur lui- 
même et dont toutes les parties repliées se touchent de manière à 
figurer au premier abord un organe triangulaire compacte supporté 
par un pédoncule courbe *. 

Nous retrouverons une complication analogue dans une espèce de 
Perichæta ; mais ce qui est important à noter ici, comme dans [es autres 


4, Pl. nr, 6g, 26, pc. 
vi. 11 


82 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


espèces, c’est l’interversion des positions respectives des poches copu- 
latrices et des testicules. Dans tous les Lombriciens que nous avons 
étudiés jusqu'ici, les poches copulatrices sont au moins au nombre de 
deux paires et situées ordinairement en avant des testicules. Ici, il n°y 
a plus qu’une paire de ces poches, et elles sont situées, au contraire 
de ce qui arrive d'ordinaire, franchement en arrière des testicules. 

11 en résulte que non-seulement tous les organes essentiels de la 
génération, mais même les organes accessoires, sont reportés tous 
ensemble en arrière du gésier. 

De chaque côté du corps, il n’y a qu’un seul canal déférent, flot- 
tant assez librement dans la cavité générale. Après avoir subi plu- 
sieurs inflexions, ce canal passe en dehors de la bourse du pénis, se 
recourbe au-dessous où il se contourne plusieurs fois sur lui-même et 
remonte enfin pour venir s’aboucher dans la bourse du pénis. Immé- 
diatement au-dessus de lui s'ouvre le canal de la poche fibreuse allon- 
gée. Celle-ci est exclusivement formée par un long tube cylindrique 
légèrement flexueux dans lequel on peut distinguer deux parties 
obliquement séparées l'une de l’autre; l’une postérieure est légère- 
ment translucide; l’autre, antérieure, est blanche opaque et légère- 
ment nacrée. 

Le liquide que contient probablement cette poche et le sperme 
se mélangent-ils dans la poche située au-dessous du pénis, pour être 
de là éjaculés par cet organe dans les poches copulatrices ? 

Bien que nous ayons observé d’autres détails relatifs en particu- 
lier au système nerveux, nous ne les consignerons pas ici; ils sont 
trop incomplets pour avoir à nos yeux quelque valeur. 

Je n’ai pas non plus suffisamment étudié les organes segmentaires 
pour en parler ici. 

Avec ce ver s'en trouvait un autre, dépourvu de ceinture, plus 
petit et qui certainement n'était pas encore à l'état de maturité 
sexuelle. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 83 


En somme, on voit dès à présent que la position des orifices 
des organes segmentaires permet de distinguer deux groupes chez 
les Lombriciens intraclitelliens. 


PREMIÈRE TRIBU, — Orifices des organes segmentaires situés en 
avant des soies de la rangée ventrale. 


1. — Huit soies par anneau géminées à la partie antérieure du 
corps, isolées et formant huit rangées ad à la partie posté- 


ORDD 5 PTE ER Er TE Ru ME et Tilanus. 


DEUXIÈME TRiBu. — Orifices des organes segmenlaires en avant des 
soies de la rangée supérieure. 


A. — Soies géminées dans toute l'étendue du corps. 
A. — Un orifice spécial situé en avant des soies de la rangée 
inférieure pour les canaux déférents. 
a. — Lobe céphalique prolongé en tentacule. Soies or- 
DADeNUES SU RS ee sec + se . .  Rhinodrilus. 
B. — Lobe Sshatiue simple. oies sans ornements . . Æ£Eudrilus. 
B. — Point d'orifice spécial pour les canaux déférents. 
Un seul genre. . . . . . . . . JESRIS DNS ANNE 
III. — LOMBRICIENS POSTCLITELLIENS OU A ORIFICES GÉNITAUX 


#2 « - 
MALES SITUÉS APRÈS LA CEINTURE. 


Jusqu'ici les Lombriciens dont l’orifice génital est placé après la 
ceinture sont les plus nombreux que nous ayons rencontrés. 

Tandis que nous n’avons rien vu personnellement qui permette 
de distinguer plusieurs genres dans les Lombriciens antéclitelliens, 
tandis que les genres de Lombriciens intraclitelliens se réduisent à 
quatre, tous Américains, nous trouvons quatre genres bien caractérisés 
de Lombriciens postclitelliens, et leur répartition conduit à consi- 
dérer comme probable que ce type est beaucoup plus général que les 
deux autres. Nous trouvons, en effet, dans le groupe des postclitel- 


8/ NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


liens des vers provenant de la Nouvelle-Calédonie (Acanthodrilus) 
d’autres provenant de la Nouvelle-Hollande (Digaster), d’autres de 
l'Inde et des régions voisines (Perichæta). Cest là une aire de 
distribution beaucoup plus grande que celle des deux autres 
groupes. 

En effet, nous trouvons les Lombriciens antéclitelliens en Europe, 
dans l'Amérique du Nord et, comme viennent de nous le prouver de 
récents envois, en Égypte, à Alexandrie, à Damiette; c’est-à-dire dans 
trois régions qui ont toujours été considérées comme présentant sous 
tous les rapports la plus grande analogie. L'Amérique du Sud se mon- 
tre, jusqu’à présent, comme la patrie exclusive des Lombriciens intra- 
clitelliens; enfin en Asie et en Australie , nous trouvons le type 
type postclitellien. Cette diversité dans les stations est évidemment 
très-remarquable; en présence surtout de la limitation assez nette des 
stations des autres types, elle conduit à se demander si réellement le 
type principal des Lombriciens n’est pas précisément celui dont nous 
nous occupons ici. Notre Lombric terrestre, dont Claparède avait pris 
les caractères pour les étendre au groupe tout entier, serait ainsi 
presque une exception dans ce groupe. 

D'ailleurs la position des orifices génitaux n’est pas le seul carac- 
tère par lequel les Lombriciens postclitelliens se distinguent des 
autres animaux de la même espèce. On pourra voir dans les descrip- 
tions que nous allons donner quels sont les caractères qui coexistent 
avec celui-ci et l'on pourra ainsi en apprécier la valeur; mais nous 
n'insistons pas davantage ici, préférant conserver pour une autre 
partie de ce Mémoire des généralités qu’il y a avantage à grouper avec 
d’autres pour bien juger de leur signification. 

Dans une précédente communication à l’Académie, nous avons 
déjà distingué trois genres, dont voici les noms, ce sont : 

1° Les Acanthodrilus de la Nouvelle-Calédonie ; 

2* Les Digaster de la Nouvelle-Hollande ; 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 85 


3 Les Perichæta de Java, de l'Ile Bourbon, de Ceylan, de Calcutta, 
du Pérou, à peu près, en somme, de la région du Pacifique. 

Les deux premiers de ces genres sont nouveaux, le troisième est 
de Schmarda qui lui attribue cinq espèces ; M. Vaillant en a créé une 
sixième; Baird et Grube chacun une; nous en avons étudié une autre, 
ce qui porte au moins à neuf le nombre des Perichæta connus, sans 
compter les espèces dont Kinberg a fait des genres séparés. Nous 
décrirons ici trois Acanthodrilus. Quant au genre restant, il ne contient 
qu'une seule espèce. 

Nous aurons encore à ajouter à ce bilan des Lombriciens posteli- 
telliens cinq nouveaux Perichæta, et un genre très-voisin des Peri- 
chæta, et que nous nommerons Perionyx. 

Dans les deux premiers genres, les soies sont disposées comme 
chez les Lombrics; dans le troisième et le quatrième, elles sont nom- 
breuses et disposées en cercle sur les anneaux. Ce caractère particu- 
lier, joint à la position des orifices génitaux, aurait pu conduire à 
éloigner beaucoup les Perichæta et les Perionyæ des autres Lombri- 
ciens; mais on verra que le caractère tiré de la disposition des soies 
n’a pas une importance extrême et que ces genres ne diffèrent pas 
beaucoup, en somme, des autres genres du même groupe. 


GEN. ACANTHODRILUS, Nov. Gen. 


Trois espèces se placent dans ce genre; deux proviennent de la 
Nouvelle-Calédonie, une troisième de Madagascar. Des deux premières, 
l'une atteint presque les dimensions des Anteus et des Titanus; l'autre 
ne dépasse pas la taille de nos Vers de terre indigènes; ces deux 
espèces sont d’ailleurs, comme on le verra, parfaitement distinctes. 

Leur caractère le plus saillant, celui qui frappe tout d’abord, 
c'est l'existence de quatre orifices génitaux mâles au lieu de deux. 


86 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 

Par chacun de ces orifices, on voit saillir un faisceau de soies courbes, 
d'aspect nacré, très-longues et plus ou moins rétractiles, sans l'être 
toutefois d’une manière complète. Chacun de ses faisceaux constitue 
un véritable pénis. C’est la première fois que nous avons à signaler 
une aussi remarquable modification des soies locomotrices. Toutefois, 
les Rhinodrilus et même les Lombrics nous avaient déjà fait pressentir 
un rapport entre les soies et l'appareil de la génération. 

Les soies sont du- reste disposées par paires sur quatre rangées, 
comme chez les Lombrics. Ces rangées occupent plus spécialement la 
région ventrale de l’animal. 

Les pores dorsaux, que nous n’avons vus ni dans les Anteus ni dans 
les Titanus, apparaissent ici bien évidents. Les individus que nous 
avons examinés étaient trop détériorés pour que nous puissions dire 
rien d’absolument certain sur la position des orifices segmentaires. 
Cependant, sur l’Acanthodrilus obtusus, le plus grand des deux, il nous 
a semblé que les orifices s’ouvraient sur la ligne des soies de la rangée 
supérieure. Toutefois, les téguments présentaient de nombreuses solu- 
tions de continuité en forme de pointillé ; la cuticule avait en grande 
partie disparu; il nous est donc impossible d'affirmer la chose d’une 
manière tout à fait positive. 

Nous bornons là ces généralités et nous passons tout de suite à la 
description anatomique et zoologique des espèces. 

Nous appellerons la première : Acanthodrilus obtusus, parce que les 
soies de son pénis sont arrondies au bout; la seconde, Acanthodrilus 
ungulatus , parce que ces mêmes soies sont recourbées en forme de 
griffe, et la troisième, Acanthodrilus verticillatus, parce que ces soies 
semblent présenter une sorte de guillochage disposé en anneau. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. S7 


ACTANTHODRILUS OBTUSUS sp. nov.' 


Longueur, soixante-dix centimètres environ. Corps cylindrique, 
légèrement atténué en avant et en arrière. Ceinture peu apparente, 
mais placée avant les orifices génitaux mâles, qui occupent les dix- 
neuvième et vingt el unième anneaux. 

Les soies locomotrices ont la forme ordinaire, les soies péniales 
sont hérissées de pointes à leur extrémité, qui est légèrement recourbée 
et obtuse. Au centre du carré formé par les orifices entre lesquels 
elles font saillie, se trouvent les apparences de deux orifices qui me 
paraissent être le résultat d’une altération de l’animal, mais que je 
signale néanmoins pour ne rien laisser passer. J'ignore d’ailleurs à 
quoi de semblables ouvertures pourraient servir. Les pores dorsaux 
sont très-évidents, situés à la limite de chaque anneau; quant aux 
orifices des organes segmentaires, j'ai dit dans les généralités relatives 
au genre tout ce que j'ai pu observer. 

A l’œsophage fait suite un gésier musculeux, ovoïde, occupant les 
anneaux sept, huit et neuf, et sur lequel s’insère obliquement de haut 
en bas et d'avant en arrière, l'intestin proprement dit, lequel ne pré- 
sente rien de particulier. 

Sur la ligne médiane supérieure se voit le vaisseau dorsal duquel, 
dans les anneaux dix, onze, douze, treize et quatorze, partent cinq 
paires d’anses latérales, moniliformes et contractiles qui constituent 
dix cœurs latéraux analogues à ceux des vrais Lombrics. 

C'est au treizième anneau que l’on trouve une paire d'organes 
glandulaires qui sont très-probablement des glandes génitales. Leur 
aspect n’est pourtant pas celui que l’on est habitué à trouver aux tes- 
ticules, aussi ne chercherai-je à rien affirmer à cet égard. 


4. PI. où, fig. 47. 


88 NOUVELLES ARCHIVES DD MUSEUM. 


Aux anneaux dix-neuf et vingt et un se trouvent d’autres organes 
glandulaires en forme de languettes très-longues et pelotonnées, qui 
occupent exactement la position habituelle de la prostate, et se pro- 
longent en un tube excréteur contenant les spicules péniens. Sont-ce 
bien là des prostates ? 

Je n'ose pas l’affirmer. 

En effet, si j'admets que l’organe glandulaire du treizième anneau 
est un testicule, que ceux des anneaux dix-neuf et vingt-et-un sont 
des prostates, il se trouve que chaque testicule aura pour lui seul deux 
canaux déférents, deux prostates, deux pénis, ce qui paraît peut pro- 
bable. II se pourrait donc que les organes du treizième anneau fussent 
les ovaires ou toute autre chose. 

Où seraient alors les testicules ? 

L'apparence des organes des dix-neuvième et vingt et unième 
anneaux rappelle assez bien celle des glandes mâles des autres Lom- 
brics; mais nous aurions alors des testicules directement greffées sur 
leur canal déférent et sur leur pénis, ce qui, dans l’état présent de nos 
connaissances, paraît assez contraire à ce que nous savons du type 
Lombric. 

Nous devons donc, au moins en ce moment, accepter avec réserve 
cette interprétation ; en voici d’ailleurs une autre qui nous paraît pos- 
sible. 

Remarquons en premier lieu que, chez l'individu qui avait servi 
à nos études, la ceinture n’était pas apparente. L'époque de la géné- 
ration était donc passée ou à venir. Il est, en conséquence, possible 
que les testicules ne fussent pas encore développés ou fussent déjà 
flétris. Ils doivent être d’ailleurs au nombre de deux paires au moins. 
L'existence des prostates n’est pas une objection à cette manière de 
voir, car J'étude des Perichæta nous apprend que ces glandes persistent 
souvent alors que toutes les autres parties de l'appareil génital sont 
plus ou moins complétement dans un état momentané d'atrophie. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. s9 


Les deux paires de testicules, quand il n'y en a que deux, se mon- 
trent d’ailleurs presque toujours avec un égal développement; nous 
ne croyons cependant pas pouvoir attribuer avec certitude aux 
organes du treizième anneau la signification d'ovaires. 

L'étude histologique de leur substance n'a pu d’ailleurs nous 
donner aucun renseignement sur leur nature, comme cela arrive trop 
souvent pour les échantillons conservés dans l'alcool. 

Les poches copulatrices sont situées dans les anneaux huit et 
neuf; elles sont piriformes, sans aucun annexe. La seconde paire est 
beaucoup plus volumineuse que la première. 

Nous remarquons que chez l’Acanthodrilus obtusus les organes géni- 
taux essentiels sont situés en arrière du gésier, contrairement à ce 
que l’on trouve chez les Lombrics proprement dits. 

L'échantillon que nous avons étudié a été donné, en 1865, au 
Muséum d'Histoire naturelle, par le Musée des Colonies; il est ori- 
ginaire de la Nouvelle-Calédonie. 


ACANTHODRILUS UNGULATUS nov. sp. 


Tout d’abord, cette seconde espèce diffère de la première par sa 
taille, qui est beaucoup moindre, puisqu'elle ne dépasse pas un déci- 
mètre. Les caractères essentiels sont, du reste, les mêmes, mais plus 
apparents, parce que l’échantillon que nous avons examiné était juste 
à l’époque de sa maturité sexuelle. 

Le corps était fortement contracté par l'alcool. 

La ceinture, parfaitement nette, occupe quatre anneaux, les qua- 
torzième, quinzième, seizième et dix-septième. Elle est tailladée dans 
tous les sens par des incisions obliques provenant, au moins en partie, 
de la rupture des tissus, brusquement contractés par un alcool trop 


concentré. Elle entoure, du reste, le corps tout entier; à son bord 
VII. 12 


90 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


ventral postérieur, elle est seulement un peu entamée par une sorte 
de double écusson, formé de deux plaques elliptiques où les tégu- 
ments sont plus épaissis. C’est sur ces plaques que se trouvent les ori- 
fices génitaux mâles, au milieu des dix-huitième et vingtième anneaux 
et sur la même ligne que la rangée de soies inférieures. Les quatre 
pénis font saillie à l'extérieur et se distinguent immédiatement sur- 
tout à l'intérieur du corps par leur aspect nacré. Chacun d’eux est 
formé par quatre soies courbes *, diminuant graduellement d'épaisseur 
de la base au sommet et terminées par un crochet qui est tantôt sim- 
ple et régulièrement courbe, tantôt deux fois recourbé à angle droit; 
Sa pointe, qui est dans tous les cas très-aiguë, est reliée de chaque 
côté au reste de la soie par un repli chitineux légèrement et irrégu- 
lièrement dentelé à son bord libre. Ces replis et le crochet constituent 
ainsi une sorte de gouttière. 

Dans une certaine longueur, à partir du crochet, la surface de 
chaque soie est couverte de pointes acérées, dirigées vers l'extrémité 
libre et placées comme des écailles sur la soie. À mesure que l’on 
s éloigne de l’extrémité libre, ces pointes, d’abord très-serrées et pres- 
que contiguës, S'écartent de plus en plus et finissent par disparaître. 
Un autre caractère remarquable se manifeste encore dans toute la lon- 
gueur du premier‘tiers de la soie. À partir d’une petite distance du 
crochet, l’intérieur de la soie semble formé d’une série de disques alter- 
nativement clairs et obscurs, placés les uns au-dessus des autres; les 
disques obscurs paraissent plus épais que les disques clairs qui, de leur 
côté, Se continuent sans interruption avec le revêtement chitineux 
extérieur de la soie. Ces disques vont en s’élargissant et diminuant de 
plus en plus d'épaisseur, à mesure que l’on s'éloigne de l'extrémité 
crochue. Ils finissent par occuper toute l'épaisseur de la soie. A partir 
de ce moment, on cesse bientôt de les distinguer à l’intérieur de 


l. Pl. n, fig. 22 et 23. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 1 


celle-ci, qui devient alors marquée d’une série de sillons annulaires 
équidistants, très-rapprochés les uns des autres, et entre lesquels la 
substance chitineuse forme bourrelet. Puis ces sillons s’effacent peu à 
peu; la surface de la soie devient lisse, on n'y distingue plus que 
quelques stries longitudinales, irrégulières. 

Ces détails sont évidemment en rapport avec le mode de for- 
mation de la soie; mais nous ignorons jusqu'ici leur signification 
précise. 

Le tube digestif commence par un pharynx glandulaire gros- 
sièrement piriforme qui paraît occuper les quatre premiers anneaux. 
L'œsophage vient ensuite, membraneux et cylindrique comme d’habi- 
tude. Après le huitième anneau, il se renfle en un gésier musculeux 
qui occupe le neuvième anneau et empiète même un peu sur le 
dixième; puis vient l'intestin avec ses caractères habituels. 

Nous devons dire ici que ces relations sont celles que nous avons 
constatées sur l’animal que nous avons ouvert, mais nous n'avons pu 
nous assurer d'une manière absolument positive que la contraction 
n'avait pas produit quelque déplacement. Nous avons dû prendre des 
chiffres bruts qui, dans tous les cas, ne peuvent pas s'éloigner beau- 
coup de la réalité. 

De l'appareil circulatoire nous n'avons pu voir que le vaisseau 
dorsal qui se ramifie beaucoup à la surface du gésier. Mais chaque 
rameau vasculaire se trouvait transformé en une cordelette excessi- 
vement friable, condition aussi mauvaise que possible pour l'étude. 

Les testicules sont au nombre de deux paires, placés dans les 
anneaux onze et douze; leur forme est ovalaire et leur consistance 
uniformément pulpeuse. Chacun d'eux possède son canal déférent 
particulier qui aboutit à une prostate multilobée; le canal excréteur 
de cette prostate, uni au canal déférent, forme un canal beaucoup 
plus volumineux que chacun des premiers et dont les paroïs sont sou- 


tenues par les soies péniales. 


92 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Les deux prostates de chaque côté sont immédiatement conti- 
guës, de manière qu’elles semblent former une masse glandulaire 
unique. La prostate inférieure se réfléchit postérieurement et remonte 
un peu pour venir s'unir à son pénis par son extrémité postérieure, 
tandis que le pénis de la prostate antérieure part de la région 
moyenne de la glande. Ces deux glandes occupent, du reste, l'étendue 
de six anneaux, le premier faisant partie de la ceinture. 

Je n'ai pu voir les pavillons vibratiles qui doivent .terminer les 
canaux déférents. 

Remarquons qu'ici encore les testicules sont placés en arrière du 
gésier. 

Les poches copulatrices sont situées aux anneaux huit et dix. 
Chacune est munie d’un lobe postérieur, assez petit, et n’a pas d’au- 
tre appendice. Dans le neuvième anneau se voient plusieurs sacs glan- 
dulaires, séparés par une glande multifide. Cet appareil est-il l’ana- 
logue de celui qui occupe le treizième anneau de J'Acanthodrilus 
obtusus ? Est-ce un ovaire? Ce sont là deux questions auxquelles je ne 
puis répondre. 

IL est du reste suffisamment évident que les vers du genre Acan- 
thodrilus sont hermaphrodites. 

L'A. ungulatus vient, comme son congénère, de la Nouvelle-Calé- 
donie; il a été donné, comme lui, au Muséum en 1863, par le Musée 
des Colonies. | 


ACANTHODRILUS VERTICILLATUS. Edm. Per. 


Je range cet animal parmi les Acanthodrilus avec un léger point 
de doute, son appareil génital n'étant pas du tout développé et 
paraissant réduit aux quatre pénis formés de soies courbes, caracté- 
ristiques jusqu'ici des vers de ce genre. 

La longueur de cet animal est de 350 millim.; sa largeur de 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 95 
8 millim.; les soies lisses et en forme d’S sont disposées par paires et 
sur quatre rangées comme d'habitude. 

La lobe céphalique n’entame pas le premier anneau et paraît, au 
contraire, s'élargir à sa base de manière à ressembler à la partie 
supérieure d’un trèfle; mais cette apparence tient peut-être à un état 
particulier de conservation. 

La ceinture n’est pas apparente. 

Sur la face ventrale du corps on voit vers la région antérieure 
une paire de gros orifices. Ces orifices sont placés au milieu du vingt- 
cinquième anneau apparent; mais le rang de l'anneau auquel ils appar- 
tiennent est tout au plus dix-huit. En effet, ainsi qu'on peut s'en 
assurer en ouvrant l'animal, les plis des téguments, bien qu'en appa- 
rence tous identiques, sont loin de limiter des anneaux et l’on voit 
plusieurs plis correspondre à l'intervalle de deux cloisons. 

De plus on ne trouve pas de soies dans tous les intervalles de 
deux plis consécutifs; mais comme dans la région antérieure il arrive 
que les soies manquent parfois par avortement ou par usure, il devient 
assez difficile de supputer le nombre des anneaux compris dans un 
intervalle déterminé. Toutefois je crois ne pas me tromper beaucoup 
en disant que c’est le dix-huitième anneau qui porte les orifices en 
question, exactement au point où devrait se trouver une paire de soies 
ventrales. 

Le dix-septième anneau porte également deux orifices un peu 
plus petits. Les uns et les autres correspondent intérieurement à un 
sac contenant les soies péniales qui sont plus développées au dix-hui- 
tième anneau qu'au dix-septième, comme cela a lieu pour les orifices. 

Les soies sont courbes, terminées en pointe et annelées, chaque 
strie annulaire paraissant hérisste de pointes rangées en verticille, 
d’où le nom spécifique. Accolé au sac sétigère on aperçoit en arrière 
un petit sac glandulaire. 

Il existe un gésier. 


94 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 

L'animal dont je viens de donner une succincte description est 
de Madagascar. 

Il a été donné en 1861Fau Muséum par M. Coquerel, officier de 


marine. 


GENRE DIGASTER. — Nov. gen. 


Ce genre ne contient qu'une seule espèce, je : 


DIGASTER LUMBRICOIDES' Sp. nov. 


Il est difficile de ne pas confondre à première vue cet animal avec 
un Lombric ordinaire. Seule, la position des orifices génitaux en 
arrière de la ceinture révèle une organisation différente et appelle 
l'attention d’un anatomiste. 

La ceinture est placée après le douzième anneau; elle paraît un 
peu échancrée au-dessous à son bord postérieur et occupe trois 
anneaux; les orifices génitaux mâles s'ouvrent au bord antérieur du 
dix-septième anneau, et le seizième étant très-court, ils sont très- 
rapprochés de la ceinture. 

Tous les autres caractères, la forme Le corps, la disposition des 
soies, etc., sont d’ailleurs ceux des vrais Lombrics. 

Dès qu’on a ouvert l'animal, des différences importantes se révè- 
lent néanmoins aussitôt. La plus frappante porte sur l'appareil 
digestif. 

On le voit commencer d'abord par un pharynx, glanduleux 
comme d'habitude et occupant les quatre premiers anneaux. L'œso- 
phage se montre ensuite; mais à peine a- t-il été amorcé qu'il se 
renfle presque aussitôt en un premier gésier musculeux occupant le 


1. PI, 11, fig. 24 et 25, et pl. 1v, fig. 64 et 65. 


LOMBRICIENS TERRESTRES,. 95 


cinquième anneau et tout semblable au gésier des Lombrics ; dans le 
sixième anneau, l'œsophage reprend sa forme ordinaire; puis dans le 
septième anneau, il se renfle de nouveau et constitue un second gésier 
absolument identique au premier. C’est alors seulement que ecom- 
mence l'intestin. | 

L'existence de ces deux gésiers pouvant au premier abord 
paraître un fait accidentel, j'ai tenu à savoir exactement ce qu'il 
fallait en penser. Comme plusieurs individus de cette même espèce 
se trouvaient dans la collection, j'en ai choisi deux de provenance 
différente que j'ai ouverts; tous deux m'ont présenté les deux gésiers 
dans les mêmes conditions. On doit donc admettre qu'ils font bien 
réellement partie de l’organisation normale du ver dont nous nous 
occupons. Comme ce caractère est unique jusqu'ici, nous nous en 
sommes servi pour composer le nom du genre nouveau qu’il nous a 
fallu créer, le genre Digaster, dont l’étymologie se lit d'elle-même. 

Sur le tube digestif se trouve appliqué le vaisseau dorsal. Il donne 
naissance dans les anneaux huit, neuf, dix, onze et douze à des anses 
latérales embrassant l'intestin et dont la première est moins volumi- 
neuse que les autres. Ces anses constituent cinq paires de cœurs 
latéraux. 

Dans les anneaux dix et onze se trouvent des glandes en grappes 
assez volumineuses. Ce sont probablement les testicules. Il est intéres- 
sant de noter que leur aspect extérieur est tout différent de celui que 
présente habituellement le testicule des Lombrics, qui forme une 
masse pulpeuse compacte, et non pas un amas de grains disposés en 
grappe. Néanmoins les relations de ces glandes du Digaster avec les 
canaux déférents ne permettent guère de douter de leur nature. 

On voit, en effet, chaque canal déférent s'épanouir au-dessous 
de chacune des glandes en un petit pavillon vibratile à bords très- 
déchiquetés, exactement comme cela arrive pour les autres Lom- 
briciens. 


96 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


En arrière le canal déférent’ vient s'ouvrir dans une prostate 
aplatie, elliptique, dont les lobules, quoique bien limités, sont réunis 
de manière à former une masse compacte. C'est au bord antérieur de 
la glande que se termine le canal déférent. De ce point naît un canal 
plus volumineux qui s'ouvre à l'extérieur et qui joue probablement le 
rôle de pénis, bien que ses parois ne soient pas très-riches en éléments 
musculaires; tout au moins doit-il contribuer à l’éjaculation par la 
contraction de ses parois. 

Les poches copulatrices sont situées dans les anneaux 8 et 9 et 
s'ouvrent à leur bord antérieur; elles sont piriformes et courtement 
pédonculés. Elles sont situées, ainsi que tout le reste de l'appareil géni- 
tal, en arrière du second gésier. Immédiatement en avant de la cein- 
ture j'ai cru voir deux petits orifices. Faut-il les rattacher aux oviductes 
ou aux organes segmentaires ? Je l’ignore; il m'a d’ailleurs été impos- 
sible de retrouver les ovaires. 

Les Digaster forment, comme on voit, un type de Lombricien assez 
intéressant. Ils ont été rapportés de la Nouvelle-Hollande en 1846 par 
M. Jules Verreaux. Quelques-uns d’entre eux ont une origine plus 
précise ; ils viennent du voisinage du port Maquerie. 


GEN. PERICHZÆTA,., Schmarda. 


Bien que je me propose de publier dans un mémoire spécial mes 
recherches sur l’organisation des Perichæta, bien que j'aie déjà fait 
connaître par une note à l’Académie des sciences les principaux résul- 
tats d'un travail anatomique assez complet sur l’une des espèces de 
ce genre, je ne crois pas inutile de réunir ici ce que nous connaissons 
de l’organisation de ces animaux. On trouvera ainsi rassemblés dans 


1. Pi, 1, fg: 25. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 97 


ce travail tous les points essentiels de nos connaissances anatomiques 
sur le groupe des Lombriciens terrestres, et l’on pourra plus facilement 
se faire une idée complète des éléments qui constituent ce groupe. Je 
me bornerai ici comme précédemment à l'anatomie pure et simple; 
l'histologie a été à dessein laissée presque partout de côté, afin de ne 
pas altérer l'homogénéité d’un travail entrepris sur des matériaux qui 
ne pouvaient que bien rarement se prêter aux recherches de micros- 
copie. 

Le genre Perichæta a été fondé par Schmarda pour des vers dont le 
caractère essentiel est d’avoir sur chaque anneau un nombre considé- 
rable de soies isolées, équidistantes, formant un cerele tout autour de 
l’anneau et en son milieu. Ces soies sont du reste simples et en forme 
d’S à boucles très-allongées, comme chez les autres Lombrics. 
Schmarda décrit cinq espèces de Perichæta, les uns pourvus, les autres 
dépourvus de ceinture. Il est probable que ces derniers n'étaient 
dépourvus de cet organe que parce qu'ils n'étaient pas à l’époque de 
la maturité sexuelle. La ceinture est un organe d’une existence trop 
générale et trop constante dans toute la classe des Lombriciens pour 
qu'il soit permis de supposer — jusqu’à preuve évidente du contraire 
— que quelques espèces isolées dans un genre en sont complétement 
dépourvues à toutes les époques de leur existence, quand d'autres 
espèces du même genre la possèdent. 

Au caractère tiré des soies, énoncé par Schmarda, M. Léon Vail- 
lant en a ajouté un autre qui, à part les réserves à faire pour le 
mémoire déjà cité de Kinberg, était alors absolument exceptionnel : 
celui de la position des orifices génitaux mâles en arrière de la cein- 
ture. Il a de plus étudié une espèce nouvelle que d’'Udekem avait 
déjà eu occasion d'examiner. Ce Perichæta nouveau, qui fait partie 
de la collection du Muséum, a reçu de M. Vaillant le nom de Perichæta 
posthuma. Une autre espèce, le P. Cingulata de Schmarda, a été déter- 
minée par M. Vaillant dans la même collection. 


VIN. 15 


98 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Baird a décrit de son côté une espèce de la Nouvelle-Galles du 
Nord, le P. diffringens; Grube a signalé un Perichæta de Tahiti (P. tahi- 
tensis); enfin nous avons vu qu'après avoir subdivisé le genre Peri- 
chæta en quatre autres, Kinberg avait décrit autant de vers nouveaux 
que l’on doit rapporter à ce genre. Cela fait en tout douze espèces 
appartenant à ce genre de Schmarda. 

J'en ai moi-même ajouté précédemment une treizième, origi- 
naire de Calcutta et de la Cochinchine et que je propose d'appeler 
Perichæta Houlleti, du nom du savant et excellent chef des serres du 
Muséum, à qui j'en dois la connaissance. 

C'est de ce Perichæta que j'ai publié l'anatomie dans les comptes 
rendus de l’Académie des sciences. 

Auparavant, M. Vaillant avait publié dans les Annales des sciences 
naturelles l'anatomie des Perichæta posthuma et cinqulata. Xl a le premier 
signalé l'existence d’une sorte de prostate chez ces animaux, ainsi que 
la disposition générale de leur appareil circulatoire. 

Plus tard, dans une note à l’Académie publiée à la suite de la 
mienne, le même naturaliste a insisté sur quelques dispositions par- 
ticulières de l’appareil circulatoire et du système nerveux, ainsi que 
sur une prétendue préférence des Perichæta pour la terre qui enve- 
loppe les bulbes d'Orchidées. Je soupçonne que cette préférence pour- 
rait bien tenir simplement à ce que les plantes que nous recevons le 
plus souvent des pays qu'habitent les Perichæta sont précisément 
des Orchidées. 

Quoi qu'il en soit, il restait encore beaucoup à faire après le 
travail de M. Vaillant. J'ai été assez heureux pour combler quel- 
ques-unes de ces lacunes en faisant connaître la disposition des pavil- 
lons vibratiles qui terminent les canaux déférents, en décrivant pour 
la première fois les singuliers ovaires ombelliformes du Perichæta 


4. Comptes rendus, 1874, 2° semestre, p. 277. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 99 
Houlleti, et les entonnoirs sessiles qui servent d’oviductes. J'ai trouvé 
également chez les individus que j'ai observés une sorte de pénis 
rudimentaire, que M. Vaillant ne figure pas dans les espèces qu'il a 
eues entre les mains, bien qu’il existe au moins chez le P. posthuma ; 
enfin j'ai signalé des poches copulatrices de forme toute différente 
de celles qui avaient été décrites jusque-là. L'étude de l'appareil 
vasculaire, celle du sytème nerveux, ont été également complétées 
par la description du mode de terminaison des vaisseaux et par celle 
d’une partie au moins du système nerveux stomato-gastrique. Enfin 
j'ai également donné de nombreux détails sur les glandes annexes 
du tube digestif. 

On peut donc considérer les Perichæta comme étant, après le 
Lombric terrestre, les mieux connus de tous les Lombriciens terri- 
coles. Je vais donner une description succincte de l'organisation des 
espèces que j'ai étudiées et qui portent à dix-sept le nombre des 


Perichæta connus. 


PERICHÆTA HOULLETE Sp. nov. 


Longueur, 1 décimètre environ; ceinture commençant après le 
treizième anneau et oceupant les anneaux quatorze, quinze et seize, 
paraissant assez ordinairement dépourvue de soies, mais en présentant 
néanmoins dans certains cas. Soies au nombre de quarante-cinq à 
cinquante par anneau, simples et en forme d'S. — Les soies en voie de 
formation sont surmontés d’une sorte de bourrelet grumeleux, entouré 
par les cellules sécrétrices. | 

Orifices génitaux mâles situés sur le deuxième anneau qui suit la 
ceinture, entourés par une aire blanchâtre provenant de ce que les 
prostates se montrent à travers les téguments. — Sur la ceinture et 
en avant un orifice parfois peu distinct, qui ma paru en rapport avec 
les oviductes, et qui se retrouve dans toutes les autres espèces. Enfin 


100 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


des poches copulatrices au nombre de trois paires entre les anneaux 
six, sept, — sept, huit — et huit, neuf 

La couleur est celle de nos Lombrics; l'animal est venu de Cal- 
cutta dans Ja terre de plantes expédiées de ce pays; il était à son arri- 
vée parfaitement vivant. 

Voyons maintenant quelle est l’organisation anatomique de ce ver. 

L'appareil digestif se trouve comme toujours formé d'un pharynx 
glandulaire à parois très-épaisses, d’un œsophage assez allongé et 
membraneux, d’un gésier musculaire et d’un tube digestif propre- 
ment dit’. 

Le pharynx occupe les cinq premiers anneaux, il est piriforme, 
d'un blanc mat et recouvert de plusieurs couches de glandes qui s’ou- 
vrent à son intérieur par trois paires d'orifices. 

L'œsophage, très-légèrement conique et s’élargissant un peu 
d'avant en arrière, occupe les anneaux 6, 7, 8 et le commencement 
du 9°. 

Il présente sur sa longueur de remarquables appareils glandu- 
laires. Ce sont, en premier lieu, trois paires de houppes de tubes 
situés chaque paire dans un anneau différent. Ces tubes sont réfléchis 
sur eux-mêmes et contournés en spirale*. Ils contiennent des 
cellules pâles ovalaires pourvues d’un noyau. 

Dans le sixième anneau deux glandes piriformes sont appliquées 
de chaque côté de l'œsophage; leur gros boutest tourné en avant, leur 
petit bout se continue en arrière de chaque côté par un court canal 
excréteur qui vient s'ouvrir dans l’œsophage au point même où 
celui-ci traverse la cloison 6, 7. De chaque côté ces glandes se réflé- 
chissent en avant et se prolongent en un pédoncule tendineux qui 
les relie aux parois du corps*. 


4. PL, u, fig. 37 et 38. 
2. PI. u, fig. 44, 
3 PI. 11, fig. 38 ’, et fig. 42 et 43. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 401 


Du côté opposé de la cloison 6, 7, dans le septième anneau par 
conséquent, s'ouvrant néanmoins exactement au même point que les 
précédentes, se trouvent deux glandes en grappe formées d’acini sphé- 
riques, longuement pédonculés et formant les plus élégantes arbores- 
cences ‘. 

Get ensemble de glandes constitue l'appareil glandulaire le plus 
complexe qui ait encore été signalé chez les Lombriciens. — Il 
faut y voir autre chose qu'un simple appareil salivaire. — On se 
demande involontairement de quelle modification dans le régime de 
l'animal est corrélatif ce développement exubérant des glandes diges- 
tives, qui d’ailleurs se retrouve à peu de chose près dans les autres 
espèces. 

Le gésier occupe le neuvième anneau; il est suivi de l'intestin. Ni 
l'un ni l’autre ne présentent rien de particulier. 

J'ai retrouvé dans mes individus le diverticulum en doigt de gant 
de l'intestin que M. Vaillant signale dans les individus du Perichæta cin- 
gulata qu'il a étudiés, mais ils sont ici peu développés. Ces appendices 
existent aussi dans les autres espèces, ainsi que je m'en suis assuré. 

Je crains de n’avoir pas vu d’une manière tout à fait complète 
l'appareil circulatoire ; voici tout au moins ce que j'en puis dire avec 
certitude. 

Il existe un vaisseau dorsal et au moins un vaisseau ventral. Dans 
les segments 10, 44, 12, 13 et 14, ces vaisseaux longitudinaux sont 
réunis par des anses latérales dont les trois premières sont grèles 
quoique bosselées et contractiles; les deux dernières sont au contraire 
fortement renflées surtout à leur sommet supérieur et réunies au vais- 
seau dorsal par un très-court et très-mince canal ?. 

Cette disposition semblerait indiquer que le sang va du vaisseau 


1. PI. 1, fig. 38, h", et fig. &4. 
2. PI. 11, Gg. 46. 


102 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


dorsal dans les cœurs latéraux, lesquels, en se contractant, le chasse- 
raient dans le vaisseau ventral. Le cours du sang serait donc ici iden- 
tique à celui que M. de Quatrefages a assigné à ce liquide chez le 
Lombric, contraire à celui que l’anatomie nous oblige à lui attribuer 
dans deux de nos vers intraclitelliens. 

En arrière des cœurs les deux vaisseaux longitudinaux sont réu- 
nis par deux séries d’anses; les unes embrassent étroitement l'intestin 
auquel ils fournissent des branches vasculaires et sont en partie 
recouvertes par la couche hépatique ; les autres ont une disposition 
plus complexe. 

Du vaisseau dorsal naît une branche mince qui contourne l’intes- 
tin et se rapproche du vaisseau ventral, sans cependant s'unir à lui. 
Au point où arrive cette première branche , le vaisseau ventral donne 
naissance à une branche nouvelle de même calibre qui chemine côte 
à côte avec la première; ces deux branches se relèvent ensemble le 
long des parois du corps, se divisent et se subdivisent toujours paral- 
lèlement sans jamais se séparer et finissent par s'unir au-dessous de 
la couche hypodermique par des anses terminales. Nous rétrouvons 
donc ici, comme chez les animaux supérieurs, la veine et l'artère 
presque constamment ensemble ; seulement ici le réseau capillaire est 
presque entièrement supprimé, car on ne peut considérer comme tel 
les anses terminales dont nous venons de parler *. 

Dans le système nerveux nous signalerons seulement deux faits : 

1° L'existence sur le collier œsophagien d’un ganglion stomato- 
gastrique de chaque côté, analogue à ceux que M. Quatrefages a trouvés, 
mais en bien plus grand nombre, chez les Lombrics ?. 

2° Les curieuses modifications de volume que subissent les gan- 
glions de la chaîne ventrale. Jusqu'au dix-huitième anneau qui porte 


4. PI. 1x, fig. 46 et 47. 
2. PI. ur, fig. 50 et 52. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 103 
les orifices des organes génitaux, les ganglions vont en diminuant 
constamment; mais au dix-huitième anneau le ganglion se renfle, 
prend une forme en losange raccourci; son volume est au moins 
double de celui des ganglions précédents et souvent le nerf qui en 
part est lui-même beaucoup plus volumineux; on le perd au voisinage 
des orifices génitaux". 

Il est à remarquer que ce renflement des ganglions se produit, 
non pas au point où sont sécrétés les produits de la génération, mais 
dans l'anneau au travers duquel ils devront sortir à la suite de l’accou- 
plement. Ce renflement semble donc en rapport avec le genre parti- 
culier de sensibilité tactile que doivent présenter les organes copu- 
lateurs mâles, avec la production de l'orgasme qui doit précéder 
l'éjaculation du sperme et dont l'existence chez les Lombrics semble 
ainsi anatomiquement démontrée. Il n’est pas sans intérêt de rappeler 
ici que chez le Perichæta diffringens, M. Vaillant a vu non-seulement un 
renflement du ganglion déjà existant, mais encore, de chaque côté de 
ce ganglion, un ganglion surajouté, ce qui est un perfectionnement de 
plus de lappareil sensitif de cette région. 

L'appareil génital a pu être ici étudié dans tous ses détails. Cha- 
cune de ses parties se présente d’ailleurs avec une netteté beaucoup 
plus grande que chez notre Lombric indigène, netteté qui se retrouve 
pourtant dans certaines espèces du genre Lombric, dans le Lombric 
américain, par exemple, et dans le Lumbricus Victoris qui nous a 
été envoyé par M. le directeur de l'agence du comptoir d’escompte 
d'Alexandrie, à la demande de M. Victor Borie, et qui provient de 
Damiette. | 

L'appareil génital mâle se compose de ‘deux paires de testicules 
trilobés , situés dans les anneaux 11 et 12, en arrière par conséquent 
du gésier, comme nous l'avons vu jusqu'ici chez tous les Lombriciens 


1. PI, ox, fig. 54. 


104 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


intra et postclitelliens. Ces testicules, comme ceux de l’Eudrilus des 
Antilles, comme ceux de nos Lombrics indigènes, sont bourrés de gré- 
garines et de psorospermies à tous les états de développement. 

En arrière de chaque testicule, engagé par son pédoncule dans 
la cloison qui le suitse voit un pavillon vibratile assez grand *, à sur- 
face plissée et frisée et s’ouvrant librement dans la cavité générale 
et non pas dans l'enveloppe du testicule. Il suffit de déchirer avec 
un peu de soin les cloisons qui traversent les pédoncules de ces pavil- 
lons et celles que traverse le canal déférent pour avoir l'ensemble de 
ces organes flottant dans la préparation. Nous avons déjà constaté 
une disposition analogue, quoique avec une liberté moins grande du 
canal déférent chez divers Lombrics. — Le canal déférent vient se 
greffer postérieurement sur le canal excréteur d’une grosse glande 
multilobée, d’un blanc mat, que M. Vaillant a signalée le premier chez 
les Lombriciens du genre Perichæta et déterminée avec doute comme 
une prostate *. 

Nous avons vu qu’une glande analogue se retrouve avec quelques 
modifications peu importantes de forme chez tous les Lombriciens 
postclitelliens que nous avons étudiés jusqu'ici. Le canal déférent et 
le canal excréteur de la prostate une fois unis forment un tube rela- 
tivement fort gros, qui se replie sur lui-même en forme de crosse, 
avant de s'ouvrir au dehors et dont les parois sont fort épaisses et for- 
mées de deux plans de fibres musculaires, les unes longitudinales, les 
autres annulaires et transversales. 

J'ignore si ce tube est susceptible de saillir au dehors; mais cela 
est peu probable ; c’est à mon avis un pénis rudimentaire, et le premier 
pas vers la constitution de ce pénis parfaitement développé et contenu 
dans une bourse spéciale que j'ai fait connaître chez l’£udrilus deci- 


piens et les autres vers du même genre. 


4. PI. ni, fig, 53 et 54. 
2. PI. mi, fig. 55. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 105 

Les organes génitaux femelles sont aussi nets que les organes géni- 
taux mâles. Ils sont constitués par deux ovaires', situés dans le 
treizième anneau et formés par une sorte de sac aplati en disque dans 
l'épaisseur des parois duquel se développent les œufs. Ces sacs sont 
supportés par un pédoncule assez allongé fixé à la paroi antérieure de 
la cloison 13-14. 

Derrière cette cloison, au bord antérieur de Ia ceinture et à la 
base des pédoncules des ovaires, se montrent les oviductes®?; ce sont 
deux pavillons vibratiles en forme d’entonnoirs simples, sessiles, et qui 
m'ont paru s'ouvrir au dehors par un orifice commun; mais je dois 
mettre ici un léger point de doute, bien que cet orifice s’aperçoive 
assez nettement sur plusieurs échantillons de Perichæta de la collec- 
tion du Muséum. 

Les poches copulatrices sont au nombre de trois paires, situées res- 
pectivement dans les anneaux 7, 8 et 9, ou plutôt à cheval sur les cloi- 
sons antérieures de ces anneaux . Chacune d'elles est en effet consti- 
tuée de trois parties, deux postérieures à la cloison, une antérieure. Les 
parties postérieures à la cloison sont : 1° une grosse poche piriforme, 
la vraie poche copulatrice; 2° un tube replié plusieurs fois sur lui- 
même à la manière d’une flûte de Pan dont tous les tuyaux seraient 
unis entre eux et alternativement par chacun de leur bout. Ce tube 
s'abouche dans la poche au point où celle-ci s’insère sur la paroi du 
corps. En avant de la cloison se trouve une petite poche glandulaire 
bilobée s’ouvrant d’ailleurs au même point que le tube replié dont elle 
a la structure. On le voit, au premier abord, et à part quelques diffé- 
rences dans la position respective des parties, ces poches copulatrices 
ont exactement la constitution des deux poches copulatrices ovigères 
des Eudrilus. s 


4. PI. ru, fig. 60 et 61, ainsi que pl. u, fig. 37, o. 
2. PI. 11, fig. 37, et pl. m, fig. 62. 
3. PI nu, 6g. 37 pe, p'e', p''c", et pl. m, fig. 58 et 39. 


LA 
VIH. 1% 


106 * NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


PERICHÆTA ARFENES. Edm. Perrier. 


Je dois placer ici la description d'un Lombricien qui pourrait 
bien n'être pas autre chose que le P. posthuma, décrit par M. Léon 
Vaillant. Ce n'est donc que provisoirement et en attendant des docu- 
ments nouveaux que je distingue ce ver sous le nom de 2. affinis. 

On comprendra facilement les raisons de cétte distinction. 

Les vers que M. Vaillant a étudiés et dont plusieurs, étiquetés de 
sa main, sont dans la collection du Muséum, se trouvent compléte- 
ment ramollis par un séjour prolongé dans un alcool trop faible 
peut-être; leur système musculaire est presque complétement tombé 
en déliquescence. Au contraire, les individus qui font l’objet de cette 
description ont été plongés vivants dans de l'alcool concentré qui les a 
fortement contractés; c'est là une première difficulté pour la compa- 
raison qui élimine complétement les caractères extérieurs. 

Ces derniers vers sont d’ailleurs très-bien conservés et leurs 
caractères anatomiques ne concordent pas parfaitement avec ceux 
que M. Léon Vaillant a assignés aux Perichæta posthuma, passablement 
altérés qu’il a eus à sa disposition. 

De plus, l'origine des deux vers est différente, le P. posthuma 
provenant de Java, le nôtre étant originaire de Saïgon (Cochinchine), 
où il porte, en annamite, le nom de Trung Hd’. 

La longueur de l'animal contracté est de 4110 milllim. et sa lar- 
geur de 5 millim. La distance de la tête à la ceinture est de 
48 millim.; la ceinture a elle-même 5 millim. de longueur. 

Elle est formée des quatorzième, quinzième et seizième anneaux ; 
Sa position est donc la même que chez le P. posthuma et chez les 


autres Vers du même genre; le tubercule céphalique est petit, mais 
bien distinct. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 107 


Assez souvent, la ceinture est nettement limitée en avant et en 
arrière par un pore dorsal; dans quelques échantillons, deux autres 
pores situés entre ceux-là indiquent les limites des trois anneaux qui 
forment la ceinture et sur lesquels on distingue parfois nettement le 
cercle de soies caractéristique des Perichæta. 

Le premier orifice extérieur des poches copulatrices est situé 
entre le cinquième et le sixième anneau; un anneau plus bas, par 
conséquent, que dans le Ver décrit par M. Vaillant dont les figures 
indiquent la première paire de poches copulatrices entre le troisième 
et quatrième anneaux, lesquels sont dans notre nomenclature les 
quatrième et cinquième. 

Ces orifices sont au nombre de quatre de chaque côté’ et bien 
visibles à une forte loupe; le dernier se trouve entre les anneaux 
huit et neuf; tous sont situés sur le côté des anneaux. 

Le dix-huitième anneau porte les orifices génitaux mâles. Ceux-ci 
sont précédés et suivis d’une papille saillante *, très-apparente et dont 
le centre paraît perforé. Ces papilles correspondent chacune intérieu- 
rement à un petit amas glandulaire blanchâtre, sécrétant probablement 
une liqueur particulière pendant l’accouplement. 

Je signalerai ici, comme variété accidentelle, un individu chez 
qui il existait une paire de papilles sur le dix-septième anneau et 
deux autres en arrière du pore génital sur les anneaux dix-neuf et 
vingt. 

Dans un autre individu dont les anneaux paraissaient s'être 
ressoudés en avant de la ceinture après une mutilation partielle, le 
pore génital et les papilles d’un côté se trouvaient avoir reculé d’un 
anneau sur les organes homologues du côté opposé. J'ai placé ces deux 
individus à part dans la collection du Muséum. 


(4. PL av, fig. 66, pe. 
2. PI. 1v, fig. 66, m et j. 


108 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Dans tous les échantillons, les papilles étaient placées juste sur 
le cercle des soies. 

Je n'ai pas vu de pores latéraux correspondant aux pores des 
organes segmentaires; mais les pores dorsaux sont bien visibles. 

Quand on ouvre l’animal, on trouve toute la partie antérieure 
du tube digestif soutenu par d’épaisses cloisons, se recouvrant par- 
tiellement et constituant un appareil protecteur assez efficace. 

En les fendant par le haut on découvre le tube digestif qui se 
compose comme d'habitude : 1° d’un pharynx glandulaire occupant 
les quatre premiers anneaux; — 2° d’un œsophage assez court com- 
mençant avec le cinquième anneau et finissant avec le septième; — 
3 d'un gésier musculaire compris entre deux épaisses cloisons qui 
sont l’une la cloison antérieure du huitième anneau, l’autre la cloison 
postérieure du neuvième anneau; la cloison intermédiaire paraît 
supprimée. [ci le gésier correspond à deux anneaux; on trouve en 
effet deux ceintures de soies dans l'intervalle des cloisons qui le 
soutiennent; ce fait a son importance, comme nous le verrons tout à 
l'heure. 

L'intestin commence avec ses caractères habituels au dixième 
anneau. 

Au vingt-sixième anneau, on voit s'ouvrir dans l'intestin, deux 
larges cœcums latéraux, bosselés, ayant exactement la même appa- 
rence que l'intestin, étroitement appliqués à sa surface, sans cepen- 
dant contracter avec lui aucune adhérence. Ces cœcums remontent 
jusqu'au vingt-troisième anneau en diminuant graduellement de lar- 
geur. Leur aspect est assez différent de celui que présentent les mêmes 
organes chez le P. cingulata et le P. Houlleti. La, en effet, les cœcums 
ont une couleur plus blanche que celle de l'intestin, ils sont étroits 
et lisses, tous caractères qui les distinguent de ceux du ?. affinis. 

Dans son trajet l'æsophage porte à la hauteur des cinquième et 


sixième anneaux deux paires de houppes de tubes glandulaires 


LOMBRICIENS TERRESTRES,. 109 


analogues à celles du P. Houlleti, houppes qui se retrouvent aussi 
chez le P. cingulata de Schmarda, disséqué par M. Vaillant, mais 
qui n'ont pas été signalées par lui dans son mémoire. | 

Dans le quatrième anneau, adhérant à la face postérieure du 
pharynx se trouvent des glandes en grappe dont les petits acini 
sphériques sont parfaitement visibles à l'œil nu. | 

Ainsi le développement de l'appareil glandulaire que nous avons 
signalé chez le P. Houlleli se retrouve à peu près aussi considérable 
dans l'espèce qui nous occupe. 

On remarquera que l'appareil digestif que nous venons de décrire 
diffère sous quelques rapports de celui que M. L. Vaillant attribue au 
P. posthuma. En effet, M. Vaillant dit que chez le P. posthuma « il n'y a 
pas de gésier, ni de cœcums latéraux », toutes choses qui existent 
chez notre P. affinis, et qui suffiraient à elles seules pour établir une 
différence au moins spécifique. 

Malheureusement l'affirmation de M. Vaillant aurait besoin, 
croyons-nous, d'être contrôlée sur des individus en meilleur état que 
ceux qu'il a eus à sa disposition. En particulier, l'absence complète 
d'un gésier musculeux paraîtra quelque chose de bien extraordinaire, 
si l'on se souvient que cet organe a été rencontré chez tous les 
véritables Lombriciens terrestres, quelque différente que soit leur 
organisation. 

Aussi ai-je cru devoir éclaircir ce point particulier et j'ai ouvert 
à cet effet l’un des P. posthuma que M. Vaillant a lui-même étiquetés 
dans la collection du Muséum. Ces individus ont, comme je l'ai déjà 
dit, leur système musculaire très-ramolli par l'alcool, et la portion 
musculaire du gésier a participé à ce ramollissement et presque com- 
plétement disparu. Mais l'enveloppe fibreuse extérieure est demeurée 
sans altération, a conservé sa forme globuleuse caractéristique, son 
aspect nacré et tranche nettement sur la portion de l'œsophage qui 
la précède et sur l'intestin qui la suit; elle se trouve d’ailleurs éga- 


110 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


lement dans le huitième anneau, mais il est impossible de retrouver 
bien nettement les cloisons qui la maintiennent; sa position demeure 
donc encore un peu vague. 

Il n’en est pas moins certain que chez le P. posthuma le gésier 
existe comme chez les autres Perichæta. 

Quant aux cœcums latéraux, j'ai cru inutile, à cause de l’altération 
des échantillons du Muséum, de les rechercher, je laisse donc ce 
point indécis. tout en appelant l'attention sur ce que dans le P. afjinis 
les cœcums ressemblent tellement à l'intestin qu'il serait peut-être fort 
difficile de les distinguer avec certitude sur des échantillons tant soit 
peu altérés. 

L'appareil circulatoire est constitué comme chez les autres 
Perichæta; je signalerai particulièrement de gros eœurs latéraux aux 
treizième et quatorzième anneaux; ces cœurs sont simplement des 
vaisseaux bosselés contractiles. Dansles cinquième etsixième anneaux, 
qui contiennent les glandes en tubes de l'œsophage, l'appareil vascu- 
laire prend un développement tout à fait remarquable, qui ne m'avait 
pas frappé chez le P. Houlleti. On trouve là des vaisseaux formant de 
gros pelotons entortillés, qui semblent indiquer qu'il s’accomplit dans 
ces anneaux une modification assez importante du liquide des vaisseaux 
rouges. 

Les organes segmentaires sont ici très-rudimentaires, ce qui con- 
corde avec l'absence d'orifice extérieur attribuable à ces organes, 


absence sur laquelle nous avons déjà eu occasion d’insister *. 


4. On ne peut s'empêcher de rapprocher ces deux faits : 4° l'absence des organes segmentaires 
et de leur réseau vasculaire propre ; — 2° le développement énorme et dr des tubes 
glandulaires de l’œsophage et d’un appareil vasculaire qui leur est propre. 

Nous ne voulons certainement établir aucune homologie anatomique entre ces deux systèmes 
d'organes; mais, au point de vue physiologique, il est peut-être permis de se demander si les 
seconds ne seraient pas destinés à suppléer à l'absence des premiers. Le produit de leur sécré- 
tion serait rejeté dans l’œsophage et entraîné avec les autres déjections, au lieu d’être rejeté 
directement au dehors. 

A la vérité on se demande alors pourquoi ces tubes sont situés sur l’œsophage, circonstance 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 111 


L'appareil génital mâle se compose, comme chez les autres espèces, 
de deux paires de testicules situés dans les onzième et douzième 
anneaux, d'une paire de canaux déférents et d’une paire de prostates 
à peu près semblables à celles des autres espèces. 

Le canal déférent et le canal excréteur de la prostate se réunissent 
en un canal musculaire commun, semblable à celui que j'ai décrit 
chez le P. Houlleti. Ce canal musculaire existe également, ainsi que je 
m'en suis assuré, chez le P. posthuma; mais il n’a pas été décrit par 
M. Vaillant. : 

Les canaux déférents sont terminés chacun par deux pavillons 
vibratiles, rapprochés des pavillons symétriques, sur la ligne médiane 
au-dessous de l'intestin et immédiatement en contact avec la face pos- 
térieure du pédoncule de chaque testicule. 

La forme dc ces pavillons diffère peu de celle décrite pour le 
P. Houlleti. 

Les poches copulatrices sont au nombre de quatre paires situées 
dans les anneaux six, sept, huit et neuf. Nous avons vu que la cloison 
huit-neuf à disparu dans le Ver qui nous occupe; aussi trouve-t-on 
deux paires de poches copulatrices entre les deux cloisons qui main- 
tiennent le gésier, une pour chaque anneau; c’est même ce fait inat- 
tendu qui a éveillé notre attention et nous a conduit à découvrir que 
le gésier correspondait à deux anneaux. 

La constitution de ces poches copulatrices est du reste exactement 
celle que M. Vaillant a figurée et décrite pour le P. cingulata. 

Nous devons un grand nombre d'individus de cette espèce à notre 


qui semble devoir leur foire attribuer un rôle dans la digestion; mais est-il impossible que le 
liquide sécrété par ces tubes soit lui-même modifié de manière à pouvoir être utilisé partielle- 
ment par l'économie? La bile chez les animaux supérieurs n'est-elle pas, elle aussi, une sécrétion 
excrémentitielle d’une part, et utile à la digestion de l’autre ? 

Je prends cette hypothèse pour ce qu'elle vaut. C’est simplement une question que pose 
l'anatomie à l'expérience. 


412 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM, 


parent M. Victor Borie, qui a bien voulu, pendant qu'il remplissait les 
fonctions de directeur du Comptoir d’escompte de Paris, demander à 
ses agences à l'étranger les Vers des localités où elles étaient situées. 

Remarquons que s’il était prouvé que le P. affinis et le P. posthuma 
sont bien la même espèce, celle-ci se rencontrerait à la fois dans 
l'ile de Java et sur le continent, ce qui serait un fait géographique 


assez intéressant. 


PERICHÆTA ROBUSTA. Ed. Perr. 


Syn. : P. cingulata. L. V. pars. 


Dans sa note sur les Perichœta, déjà plusieurs fois mentionnée 
dans le cours de ce travail, M. Léon Vaillant a écrit à propos de ces 
Vers les phrases suivantes : 

« Au voisinage des orifices mâles, on trouve des papilles dont le 
rôle est d'assurer l’'adhérence des individus au moment de la copulation ; 
leur disposition n’est pas la même dans les deux espèces dqnt je m'oc- 
cupe ici. 

« Chez le P. Cingulata, ces papilles sont situées dans le quinzième 
anneau, exactement sur la ligne médiane, entre les ouvertures mâles ; 
je ne les ai pas vues sur tous les échantillons du Muséum ; quatre sur 
six seulement les offraient ; celui que j'ai disséqué en était précisément 
privé. » 

J'ai trouvé dans la collection du Muséum, en dehors des échan- 
tillons que j'y ai moi-même placés et de ceux dont M. Vaillant a fait 
son P. posthuma, neuf Vers appartenant au genre Perichæta et parmi 
lesquels je ne compte pas un animal de Ceylan, étiqueté P. cingulata 
et pour qui j'ai dû créer le genre Monmiligaster. 

De ces neuf Vers, l’un, originaire du Pérou, est hors de cause ; 
deux provenant des Indes orientales portaient, l'un la simple étiquette 


. LOMBRICIENS TERRESTRES. 113 
Enterion, l'autre était appelé P. cingulata, Schm.; un troisième, de 
taille considérable était dépourvu de toute étiquette; un quatrième, 
rapporté de l'Ile de France par M. Desjardins, est l'individu même 
déterminé et disséqué par M. Vaillant. Ces quatre échantillons pré- 
sentent ce caractère commun d’être absolument dépourvus de papilles 
dans le voisinage de leurs orifices génitaux mâles. Ce sont en consé- 
quence ceux qui se rapprochent le plus de l'individu dont M. Vaillant 
a donné l'anatomie et qui doit être considéré comme le Perichæla cin- 
gulata type. La description de Schmarda est trop incomplète pour qu'il 
soit possible de tenir compte d'autre chose dans la détermination de 
cette espèce que du travail de M. Vaillant, qui permet au contraire de 
la distinguer nettement. C’est donc au Ver décrit par M. Vaillant et à 
ceux qui lui ressemblent que nous appliquerons le nom de Perichæta 
cingulata. 

Voyons maintenant quels sont ceux que nous pouvons grouper 
avec lui. 

Ceux qui paraissent s’en rapprocher le plus sont les deux échan- 
tillons des /ndes orientales: mais l'examen de leur tégument ne montre 
pour les poches copulatrices qu’un seul orifice situé entre le septième 
et le huitième anneaux, et nous verrons que l'anatomie confirme ce 
fait. 

Nous sommes loin des quatre paires de poches copulatrices du 
P. cingulata: ces deux individus doivent donc être écartés. 

Le grand individu sans indication de provenance présente environ 
soixante-cinq soies par anneau; c’est beaucoup plus que M: Vaillant 
n’en assigne au P. cingulata. De plus, les orifices de ses poches copu- 
latrices sont au nombre de deux paires situées l’une entre le sixième 
et le septième anneau, l’autre entre le septième et le huitième *. C'est 
encore un individu à écarter. 

4. PI. av, fig. 74, pc. 
VII 


, L] 
114 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Restent les quatre individus que M. Vaillant signale comme pour- 
vus de papilles entre les orifices génitaux mâles". Mais ces individus 
se distinguent immédiatement par leurs formes plus massives, la 
moins grande longueur de la partie de leur corps postérieure à la 
ceinture, et aussi, nous allons le-voir, par leurs caractères anato- 
miques. 

Ils forment donc encore une espèce distincte. 

Il résulte de là que des six individus déterminés par M. Léon 
Vaillant comme étant des Perichæla cingulala, aucun ne présente les 
caractères propres au Ver qu'il a disséqué. II a eu la singulière fortune 
de mettre la main sur un échantillon unique, ayant des caractères spé- 
ciaux qui le rapprochent énormément du Perichæta posthuma et qui est 
beureusement demeuré dans la collection comme type de l'espèce à 
laquelle M. Vaillant à cru avoir affaire. 

Ces détails — que nous donnons à regret — étaient nécessaires 
pour guider les naturalistes qui auraient à rechercher dans la collec- 
tion du Muséum les échantillons visés par M. Vaillant et dont nous 
sommes responsable. 

Il est nécessaire d'ajouter d’ailleurs qu'entre le P. cingulata, tel 
que j'ai cru devoir le conserver, et le P. posthuma, il n'y à de différence 
bien établie que l'absence chez le premier de toute papille au voisi- 
nage des orifices génitaux et le nombre un peu moins considérable 
des soies portées par chaque anneau *. 

Je réserverai le nom de Perichæta robusta aux individus de l'Ile de 
France, recueillis par M. Desjardins — probablement en 1835 — et 


PL ge 61: 

2. Si l'on compare les diverses descriptions données soit par M. Vaillant, soit par nous des 
Perichæta cingulata, posthuma et affinis, on ne peut s'empêcher de se demander s'il y a 
réellement lieu de distinguer ces trois espèces. Il faudrait pour décider la question comparer 
des individus vivants ou tous également bien conservés. Nous conservons néanmoins, par défé- 
rence pour notre prédécesseur, les noms qu’il a adoptés, en restreignant néanmoins la signifi- 
cation du premier, comme nous venons de l'expliquer. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 115 


qui présentent entre les deux orifices mâles du dix-huitième anneau ! 
deux papilles saillantes admirablement distinctes. 

Voici la description zoologique et anatomique de ce Ver *, qui se 
distingue aussi nettement que possible du P. cingulata, ainsi qu'on 
va le voir : 

Longueur, 150 à 180 millim. 

Largeur, 6 à 7 millim. 

Distance de l'extrémité céphalique au bord antérieur de la cein- 
ture, 25 millim. 

Longueur de la ceinture, 5 millim. 

Nombre des soies de chaque anneau, 15. 

Les orifices génitaux mâles sont sur le dix-huitième anneau, tout 
à fait latéraux; entre eux se trouvent les papilles qui sont très-sail- 
lantes. Au milieu da premier anneau de la ceinture. sur la ligne ven- 
trale médiane se trouve un orifice que nous considérons comme celui 
des oviductes. 

Les orifices ‘des poches copulatrices, au nombre de deux paires, 
sont situés entre les anneaux sept et huit et les anneaux huit et neuf. 
Chacun d’eux est immédiatement suivi d’une petite papille que portent 
le huitième et le neuvième anneau. Ces papilles sont nettement visi- 
bles à l'œil: nu et se trouvent sur les trois échantillons. 

Les pores dorsaux sont très-visibles. Le tube digestif ressemble 
beaucoup à celui du P. Houlleti. L'œsophage est très-allongé et est 
muni de houppes glandulaires latérales. — Le gésier, très-volumineux, 


4. Nous rappellerons ici que nous comptons comme premier anneau l'anneau buccal que 
M. Vaillant réunit au lobe céphalique et qu'il laisse avec lui en dehors de sa nomenclature; nous 
comptons de plus la ceinture pour le nombre d'anneaux auxquels elle correspond morphologique- 
went et qui est ici de trois, comme M. Vaillant Va parfaitement vu, bien que dans sa nomen- 
clature il ne compile la ceinture que pour un anneau, ce qui peut avoir des incorvénients et n’a 
aucun avantage. L’anneau que nous numérotons dix-huit correspond à celui que M. Vaillant 
nomme le quinzième. 

2, Pl. iv, fig. 67. 


116 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


dépend du huitième anneau ; mais il est reporté bien plus en arrière 
par l'allongement de l’œsophage. L’intestin présente deux cœcums 
lisses, comme ceux du P. cingulata, étroits et s’ouvrant à la hauteur du 
vingt-sixième anneau, un anneau plus haut que chez les P. cingulata 
et affinrs. 

Les anses vasculaires contractiles qui servent de cœur sont situées 
dans les anneaux onze, douze et treize; de plus dans les anneaux de 
treize à vingt, inclusivement le vaisseau dorsal présente un aspect 
moniliforme exactement comme dans les Anteus, et ses parois paraissent 
musculaires. II semble que les huit poches consécutives qu'il présente 
dans cette région soient sa partie réellement contractile. 

Les testicules occupent les anneaux onze et douze ; ils ont cette 
forme trilobée que j'ai figurée chez le P. Houlleti, et sont tous quatre 
parfaitement égaux entre eux. 

La prostate ressemble aussi à celle que j'ai figurée; maïs le canal 
excréteur commun estun peu plus grêle, plus allongé et plus sinueux. 

Entre les deux prostates, deux petites glandes piriformes, mais 
aplaties horizontalement s'ouvrent à l'extérieur par chacune des 
papilles placées entre les orifices mâles et qui ne sont pas, en consé- 
quence, uniquement des organes d’adhérence. 

Les ovaires sont de petites grappes d'apparence glandultaire situées 
immédiatement en arrière de la cloison antérieure du treizième anneau 
et contenant des œufs bien reconnaissables. Dans le même anneau on 
voit deux petits corps qui remontent verticalement comme deux 
petites cornes de chaque côté de l'intestin, qu’elles placent comme 
entre deux parenthèses. 

J'ignore quel est l'usage de ces petits corps que j'ai pu suivre 
jusqu'au voisinage du point d'insertion des ovaires; j'ai pu constater 
que leurs parois étaient d’une remarquable richesse vasculaire; 
elles étaient comme brodées de minces vaisseaux décrivant à leur 
surface les arabesques les plus compliquées. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 117 


I n’y à que deux paires de poches copulatrices situées dans les 
anneaux huit et neuf. Comme chez le P. Houlleti, chaque poche se 
compose de trois parties; mais ces parties ont ici une forme un peu 
différente et de plus elles sont situées toutes les trois en arrière de la 
cloison antérieure de lanneau qui contient la poche proprement 
dite *. 

La poche principale est supportée par un assez long pédoncule, 
elle a la forme d’un œuf dont le gros bout serait fixé au pédoncule. La 
poche du huitième anneau était, dans l'échantillon que j'ai ouvert, 
plus volumineuse que celle du neuvième. — A côté d'elle se voit un 
tube assez long, libre, d'abord Jégèrement flexueux et qui, après avoir 
décrit quelques sinuosités, se renfle en un assez long spadice, présen- 
tant, d'espace en espace, quelques étranglements annulaires. Ce spa- 
dice est formé de deux parties emboitées l’une dans l'autre, l'extérieure 
transparente, l’intérieure opaque. Le tube est au contraire d'aspect 
nacré et s'enfonce dans les téguments à côté du pédoncule de la poche 
copulatrice, mais sans se confondre avec lui. Il est en dedans par 
rapport à lui. 

En arrière de ces deux premiers organes se voit une petite 
masse glandulaire, supportée par deux pédoncules, dont lun s'enfonce 
dans les téguments en arrière du pédoncule de la poche copulatrice, 
l'autre plus en dedans, encore plus en arrière, semble correspondre à 
la papille extérieure. 

Doit-on considérer ces deux pédoncules comme deux canaux 
excréteurs ? 

I] m'est impossible de répondre à cette question. 

Les organes segmentaires, sous forme de tubes extrêmement déli- 
cats, sont adhérents aux cloisons, ou disséminés sur la membrane péri- 


tonéale que tapisse la cavité générale. 


A. PI, 1v, fig. 68. 


118 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Aux trois individus, de l'Ile de France, de M. Desjardins. nous 
joignons un individu récolté à Manille par M. Barrot en 1852. 


PERICHÆTA ASPERGHELEUNMN. Edm. Perr. 


L'animal dont nous allons nous occuper est le grand individu, 
sans désignation d'origine, dont il a été question à propos du Perichæta 
robusta et dont voici les dimensions : 

Longueur, 370 millim. 

Largeur moyenne, 10 millim. 

Distance de l'extrémité céphalique au bord antérieur de la cein- 
ture, 30 millim. 

Longueur de la ceinture, 9 millim. 

Nombre des soies comptées sur l’un des anneaux antérieurs à la 
ceinture, environ 80. 

Le corps est un peu plus large en avant qu’en arrière de la cein- 
ture. Celle-ci est située après le treizième anneau (douzième sétigère) ; 
elle est composée de trois anneaux et porte sur le milieu de la face 
ventrale de son premier anneau un petit orifice (orifice femelle ?). 

Les orifices mâles sont situés de chaque côté de la face ventrale 
du dix-huitième anneau. 

Ils sont constitués d’une manière tout à fait exceptionnelle jus- 
qu'ici. 

De chaque côté du dix-huitième anneau on voit deux fortes papilles 
saillantes, au centre de chacune desquelles je m'attendais à voir à la 
loupe un orifice; mais il n’en est rien. Le pourtour de ces papilles 
est criblé, en avant et en arrière, de petits orifices formant deux lignes 
irrégulières, l'une en avant du cercle de soies, l’autre en arrière; 
ce cercle est interrompu par les papilles en question. 

Sur la papille de gauche j'ai compté onze orifices, dont cinq sur 
la ligne supérieure ; sur la ligne inférieure, quatre de ces orifices for- 


# 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 119 
maient une double ligne et ils étaient placés deux à deux l’un devant 
l’autre. 

Sur la papille de droite, il y a en tout quatre orifices en bas, cinq 
en haut; de plus, chaque papille présentait en outre vers l'extérieur 
la trace d’un petit orifice entre Les deux lignes en question, exactement 
sur le prolongement des orifices de soies. 

Ayant reconnu cette singulière conformation des papilles mâles, 
j'ai cherché à voir comment se trouvaient constitués les orifices des 
poches copulatrices dont il m'avait semblé au premier abord que l’ani- 
mal ne présentait que des traces sur les lignes de séparation des 
anneaux sept-huit et huit-neuf. Or voici ce que j'ai reconnu : de 
chaque côté, et sur leur bord postérieur, le septième et le huitième 
anneau portent une rangée de quatre petits orifices; juste en face de 
ces rangées se trouvent des rangées correspondantes de cinq orifices 
appartenant au bord antérieur des anneaux huit et neuf. 

De plus, extérieurement et au fond de la ligne de séparation des 
anneaux qui portent ces orifices, se trouve encore un petit orifice. 

La papille de gauche était évidemment monstrueuse; et c’est la 
papille de droite qu'il faut considérer comme le type de la disposition. 
Il résulte alors de notre description que les canaux déférents et les 
poches copulatrices paraissent s'ouvrir à l'extérieur chacun par dix 
orifices. Il semble donc que les orifices des poches copulatrices soient 
disposées en sens inverse de ceux des testicules, de sorte que l’ac- 
couplement ne pourrait avoir lieu que les animaux étant disposés tête 
bêche. | 

Il serait assez intéressant de voir ce fait déjà connu pour nos 
Lombrics, démontré ici par une disposition anatomique particulière. 

Toutefois les séries d’orifices correspondant aux poches copula- 
trices présentent comme les mamelons mâles quelques irrégularités 
de nombre; mais de fait essentiel, celui de la conformation identique 
des orifices mâles et de ceux des poches copulatrices, n’en paraît pas 


120 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


moins garder sa valeur démonstrative, au sujet des fonctions qu'ont à 
remplir ces dernières, — fonctions qui d’ailleurs ne sont plus discu- 
tées. Quant au rôle des petits orifices que je viens de décrire, l’ana- 
tomie de l'animal nous montrera ce qu’il faut en penser, et nous 
pourrons voir par là combien, en zoologie, il faut être prudent dans 
ses inductions, quelque séduisantes qu’elles paraissent. 

Le premier pore dorsal est situé entre le dixième et le onzième 
anneau ; tous les autres intervalles annulaires en sont pourvus, y com- 
pris ceux qui limitent la ceinture. Je n’ai vu sur la ceinture que de 
faibles traces de ces pores ainsi que des ceintures de soies. 

L'anatomie de l'animal est d’ailleurs exactement celle des autres 
Perichæta. 

Le pharynx glandulaire est peu développé et l’œsophage se renfle 
en une sorte de poche avant de se réunir au gésier qui est situé en 
arrière de la cloison postérieure du huitième anneau. 

L'intestin présente deux cœcums en forme de cornes de bélier, 
bosselés et ridés, qui commencent au vingt-septième anneau et 
remontent jusqu'à la cloison postérieure du vingt et unième. 

Dans le septième et le sixième anneau se trouvent les volumi- 
neuses touffes des glandes en tubes de l’œsophage que l’on voit bien 
nettement s’aboucher à des diverticulums latéraux de celui-ci. 

_ Le pharynx s'étend jusqu'au cinquième anneau. 

A cause de la grande taille de l'échantillon, l'appareil circulatoire 
apparaît avec la plus grande netteté; il présente une teinte violacée. 

Le vaisseau dorsal, qui se renfle un peu dans le dix-huitième 
anneau, conserve, à partir de là, un calibre plus grand jusqu’à son 
arrivée au gésier. Il diminue assez brusquementalors de diamètre, mais 
demeure bien net jusqu'aux deux ou trois premiers anneaux; je n'ai 
pas poussé plus loin son étude. 

Dans les anneaux dix, onze, douze et treize, 4l émet des anses 
latérales volumineuses probablement contractiles. Les plus considé- 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 121 


rables sont, comme d'ordinaire, celles des anneaux douze et treize. 

Dans les cinquième et sixième anneaux, des branches latérales 
presque aussi grosses que le tronc principal paraissent destinées au 
groupe des glandes en tube. 

Les testicules formés de plusieurs lobes occupent les anneaux onze 
et douze. 

La prostate présente ses caractères habituels; il en naît un tube 
d'aspect nacré qui, après être descendu en arrière, se recourbe 
sur lui-même en se renflant beaucoup et revient en avant s’enfoncer 
dans les téguments du dix-huitième anneau. Il n'y a là, comme on 
voit, rien qui diffère de ce qu'on rencontre d'habitude chez les autres 
Perichæta. 

Mais tout autour du point d'insertion du tube pénien se voient de 
petites glandes, tout à fait analogues à celles que nous avons vu 
dépendre des papilles qui accompagnent si souvent les orifices mâles 
des autres Perichæta. Chacune de ces glandes s'ouvre à l'extérieur 
par l’un des orifices que nous avons mentionnés; ces orifices sont 
donc simplement les analogues des papilles que nous venons de 
rappeler. 

Ainsi se trouve démontrée fausse l’idée qui ne peut manquer de 
naître, lorsqu'on observe seulement l'extérieur de l'animal, que les 
canaux déférents et les poches copulatrices s'ouvrent à l'extérieur 
par une sorte de trémie. 

Quant à l'absence de l’orifice mâle proprement dit, il tient seule- 
ment à ce que l'appareil génital de l'individu qui nous occupe n'avait 
pas encore atteint son complet développement. 

On trouve dans le treizième anneau des organes glandulaires 
ressemblant exactement à ceux du Perichæta robusta. 

Il n’y a que deux paires de poches copulatrices situées dans les 
huitième et neuvième anneaux. — Leur constitution ne diffère pas 


non plus de celle de beaucoup d’autres Perichæta. Une grosse poche 
VIN. . 46 


492 NOUVELLES ARCUIVES DU MUSEUM. 


ovoide ‘ supportée par un court pédoncule en est la partie principale. 
Immédiatement en avant pénètre dans les téguments un tube qui après 
s'être un peu tortillé se renfle en un assez court cul-de-sac. 

Autour de ces deux premières parties se trouve une couronne de 
petites glandes exactement semblables à celles qui entourent les ori- 
fices mâles. | 

C’est là une singulière concordance. À quoi servent ces petiles 
glandes? je l’ignore absolument. Peut-être sécrètent-elles un liquide 
propre à assurer l’adhérence des individus pendant l’accouplement ; 
mais ce ne peut être là qu'une simple conjecture. Leur existence 
parait d’ailleurs très-générale chez les Perichæta, et leur disposition 
ou plutôt celle de leurs orifices externes, — les papilles, de divers 
auteurs, — me paraît être un caractère que l’on ne doit jamais omettre 
dans les diagnoses spécifiques. 

Je n'ai pu voir ici la moindre trace d'organes segmentaires. 


PERICHÆTA QUADRAGENAMRHA. Edm. Perrier. 


SyN. : Perichæla cingulata. L. V. pars. 


Je désigne sous ce nom deux des Perichæta cingulata de M. Vaillant 
qui sont originaires des Indes orientales et dont les caractères exté- 
rieurs se rapprochent beaucoup, en effet, au premier abord, de ceux 
du P. cingulata. 

Les deux échantillons du Muséum me paraissent être un peu 
ramollis ; aussi les dimensions que je donne sont-elles peut-être légè- 
rement trop fortes pour la longueur qui est de 210 millim. 

Largeur, 4 millim. 

Distance de l’extrémité céphalique à la ceinture, 25 millim. 


HiPEN BE TE 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 123 

Longueur de la ceinture, 5 millim. 

Cette espèce est donc beaucoup plus grêle dans ses proportions 
que la précédente. 

En avant de la ceinture, les soies sont de quarante environ par 
anneaux ; de Ià le nom spécifique que j'ai choisi. 

La ceinture est située après le treizième anneau; elle est, comme 
d'habitude, formée de trois anneaux et porte sur le milieu de la face 
ventrale de son premier anneau un pore parfaitement évident (ori- 
fice femelle, probablement). Les pores mâles sont sur le dix-huitième 
anneau. 

Entre le septième et le huitième anneau, sur les côtés du corps, 
on aperçoit les orifices des poches copulatrices; il n’y a absolument 
qu'une paire de ces orifices‘, qui forment quatre paires chez les Peri- 
chœta cingulata, posthuma et affinis. | 

L'appareil digestif est constitué sur le type ordinaire. Le gésier 
dépend, du moins dans sa partie antérieure, du huitième anneau. 

Dans le quatrième et le cinquième anneau, l'œsophage est muni 
de glandes en tubes, comme cela arrive si fréquemment; il y a de 
plus, dans le cinquième anneau, une paire de glandes en grappes 
disposées comme chez le P. Houllen. 

Le vaisseau dorsal ne m'a pas présenté l'aspect moniliforme que 
j'ai signalé chez le P. robusta; des anses contractiles se trouvent aux 
treizième et quatorzième anneaux. 

Il y a deux paires de testicules situées dans les onzième et douzième 
anneaux. 11 m'a semblé que les testicules d’un mème côté se confon- 
daient presque par la base. 


4. Les diverses descriptions d'espèces que nous venons de faire montrent — j'insiste de 
nouveau sur ce point — combien il est important de signaler le nombre et la position des 
poches copulatrices. On arrive toujours à distinguer lears orifices à la loupe sur les individus 
bien développés, et ces orifices comptent parmi les meilleurs caractères spécifiques que l'on 
puisse employer. 


124 ; NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 

La poche copulatrice, unique de chaque côté, parait à cheval sur 
la cloison des anneaux sept et huit”. 

Dans le huitième anneau se trouve la poche véritable qui est 
très-volumineuse, probablement sphérique, maïs que j'ai trouvée vide 
et flasque. 

Dans le septième on voit un large tube, également mou, qui, après 
s'être pelotonné sur lui-même, se termine en cul-de-sac rejeté vers 
l’intérieur, mais embrassant la partie antérieure du peloton. 

Le tube et le canal excréteur de la poche se réunissent au moment 
de s’enfoncer dans les téguments. 

La prostate est très-profondément lobée; son canal excréteur, 
après s'être réuni au canal déférent, prend d’ailleurs l'apparence spé- 
ciale que nous avons eu à signaler chez la plupart des autres espèces. 

Jen’ai pas recherché les cœcums intestinaux, à cause de l’état des 
individus que j'ai eus entre les mains. 


PERICHÆTA ELONGA'TA. Edm. Perrier, 


Je désignerai sous ce nom deux Perichæla, dont l’origine me 
paraît actuellement singulière; ils sont étiquetés comme venant du 
Pérou, et auraient été donnés au Musée en 1867 par M. Baraquin. Ils 
sont, d’ailleurs, en fort mauvais état, tout à fait ramollis, ce qui est 
peut-être pour beaucoup dans leur singulière forme. 

Leur longueur est de 355 millim. 

Leur largeur ne dépasse pas 4 millim. 

Distance de l'extrémité céphalique à la ceinture, 23 millim. 

Ceinture, à millim. 

Ea ceinture et les pores génitaux occupent leur position habi- 


tuelle au quatorzième et au dix-huitième anneau. 


4. PI. 1v, fig. 69. 


\ 
LOMBRICIENS TERRESTRES. 125 

I'n°y à qu'une seule paire d’orifices pour les poches copulatrices 
celles-ci sont, en effet, au nombre d’une seule paire et composées cha- 
cune d’une simple poche, qui s'ouvre extérieurement entre le qua- 
trième et le cinquième anneau. 

L'œsophage s'étend jusqu'au dixième anneau; celui-ci contient 
le gésier, qui est très-allongé ; je n’affirmerai cependant pas que ce soit 
là la position morphologique de ce dernier. 

Les testicules sont situés aux anneaux onze et douze; les ovaires 
forment deux petites grappes accolées à la face postérieure de la 
cloison antérieure du treizième anneau. On distingue encore ici de 
chaque côté de l'intestin les deux corps que j'ai signalés chez les 
P. robusta et aspergillum. 

La prostate se fait remarquer par la dissociation considérable de 
ses éléments; elle prend ici tout à fait l'aspect d’une glande en grappe 
assez lâche, ce qui confirme la structure histologique que nous Jui 
avons attribuée chez le P. Houlleti, et qui est figuré pl. m1, fig. 56; 
ses canaux excréteurs se réunissent en un tube qui décrit une petite 
sinuosité, puis forme un arc assez considérable à concavité externe 
avant d'aboutir à l'orifice génital”. Dans ce parcours ce canal présente 
l'aspect nacré habituel. 

Nous n’ajouterons pas d’autres détails relativement à cette espèce 


qui est, on le voit, suffisamment caractérisée. 


Nota. — Il reste encore dans la collection du Muséum un Peri- 
chæta, originaire de Tourane (Cochinchine), mais qui est dépourvu 
de ses organes génitaux. 

En raison de ce fait et du peu de connaissance que nous avons 
des caractères vraiment spécifiques, des animaux qui nous occupent, 
en dehors de ceux qui fournissent les organes de la génération, je 


4. PI 1v, fig. 70. 


126 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


considère cet individu comme indéterminable pour le moment. 
Il provient de l'expédition faite en 1838 par MM. Eydoux et 
Souleyet. 


GENRE PERIONYX. 


Nous créons ce genre pour un animal voisin des Perichæta, mais 
qui s’en éloigne par le développement de sa ceinture, la disposition 
de ses orifices mâles, la position de ses poches copulatrices, enfin la 
netteté de ses organes segmentaires. 

Le lobe céphalique échancre aussi beaucoup plus profondément 
le premier anneau; mais ce caractère est peut-être plutôt spécifique 
que générique. 

Il est possible que la découverte de nouvelles espèces amène à 
confondre plus tard ce genre avec les véritables Perichæta. Cette coupe 
est donc plutôt pour nous actuellement un sous-genre qu'un véritable 
genre. 


PERIONYX EXCAVATXUS. Edm. Perrier. 


Étym,. — #egt, autour — &wé, ongle. 


Longueur de l'animal, 120 millim.; largeur, 4"°, 5 à la ceinture, 
et 3°",5 en moyenne. À 

Tous les individus que j'ai eus à ma disposition étaient fortement 
contractés par l'alcool. 

Le corps est sensiblement de même largeur, depuis la ceinture 
jusqu’à l'extrémité postérieure, qui est très-obtuse. La ceinture est un 
peu plus renflée que toute la partie du corps qui la suit; au devant 
d'elle, le corps diminue graduellement, mais assez rapidement 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 127 
d'épaisseur jusqu'à l'extrémité antérieure, qui est assez pointue‘. Les 
longueurs de ces différentes régions sont les suivantes : 

Partie du corps antérieure à la ceinture, 11°", 5. 

Ceinture, 6%, 5. 

Partie du corps postérieure à la ceinture, 102 millim. 

On voit par là que la ceinture est plus rapprochée de l'extrémité 
antérieure que dans les Perichæta, que. d’ailleurs, elle est elle-même 
relativement plus longue, ce qui n’est pas étonnant, puisqu'elle est 
formée de cinq anneaux bien distincts au lieu de trois. 

La bouche est nettement inférieure, le lobe céphalique court, 
obtus et rabattu sur elle, au moins dans les échantillons que j'ai 
observés, échancre profondément en arrière le premier anneau et 
pénètre jusqu’à son tiers postérieur. 

La ceinture commence après le douzième anneau et, par consé- 
quent, le treizième anneau en fait partie, tandis qu'il est en dehors 
chez les Perichæta. | 

Les pores génitaux mâles sont situés au milieu de la face ven- 
trale du dix-huitième anneau, exactement, par conséquent, sur l’an- 
neau où on les trouve chez les Perichæta. 11 n’y a de modifié que la 
ceinture qui empiète d’un anneau en avant et d’un anneau en 
arrière. 

Toutefois, les pores génitaux ont une apparence spéciale; ils sont 
très-petits, très-rapprochés l’un de l’autre ou, pour mieux dire, con- 
tigus et situés dans une fossette transversale qui frappe l'œil tout de 
suite, en arrière de la ceinture *. Cette fossette n’occupe pas toute la 
longueur de l'anneau; elle s’efface graduellement et très-vite sur les 
côtés, de sorte que le bord externe de chacun des bourrelets circu- 
laires qui entourent les pores fait suite aux téguments et n'en est 
séparé par aucun enfoncement; au contraire, en avant et en arrière 


4. PI. rv, fig. 73 et 74. 
2. PI. 1v, fig. 74, m. 


198 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


un sillon très-marqué plus allongé en avant qu'en arrière sépare très- 
nettement ces bourrelets du reste des téguments. 

Entre le septième et le huitième anneau, de même qu'entre Île 
huitième et le neuvième, on voit à la face ventrale, chacune très-rap- 
prochée de sa voisine sur le même anneau, deux boutonnières trans- 
versales qui sont évidemment les orifices des poches copulatrices ‘. 

Ici, par une conséquence naturelle du rapprochement des orifices 
mâles, les orifices des poches copulatrices sont beaucoup plus rap- 
prochés. Au lieu d'occuper les côtés du corps comme chez les Peri- 
chæta, ils occupent franchement la région ventrale. Ajoutons qu'ils 
sont réduits à deux paires, ce que nous avons rencontré d'ailleurs 
dans ce groupe. 

Les pores dorsaux sont plus gros et plus visibles dans les anneaux 
qui précèdent la ceinture que dans ceux qui suivent. On en voit un 
en avant et un Ln arrière de cet organe, mais assez petit; celui qui se 
trouve entre le onzième et le douzième anneau est assez souvent peu 
distinct, mais entre tous les anneaux qui précèdent ils sont visibles à 
l'œil nu; le premier qui soit bien distinct est entre le cinquième et le 
sixième anneau. 

Les soies sont petites, assez espacées, longues, minces, très-lége- 
rement courbées en forme d'S; on peut en compter environ une 
trentaine par anneaux; mais les caractères tirés du nombre des soies 
doivent être employés avec circonspection, car ce nombre varie sans 
doute avec la taille de l’animal. 

Les caractères anatomiques de notre animal le rapprochent, 
comme on devait s’y attendre des Perichæta; néanmoins il en est quel- 
ques-uns qui lui sont propres. 

Le tube digestif offre, comme d'habitude, un pharynx, un Ͼso- 
phage et un gésier. Le gésier occupe le douzième anneau, je n'ai pas 


1, PI 1v, fig. 74, pc. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 129 


vu de cœcums latéraux à l'intestin, bien que je les aie cherchés. 

L'appareil circulatoire est construit sur le type habituel. 11 existe 
des organes segmentaires bien évidents; mais je n’ai pu voir leur 
orifice extérieur. 

Les testicules sont situés dans les anneaux onze et douze; ils sont 
au nombre de deux paires, dont l'antérieure moins développée; il m'a 
semblé, mais ce fait aurait besoin d’une confirmation, que le testicule 
postérieur droit, qui est composé de plusieurs lobes, était en général 
plus développé que son homologue de gauche. 

La glande prostatique est bien développée, mais présente une 
forme générale circulaire dans laquelle sont à peine découpés 
quelques lobes. Le canal excréteur présente la forme qu'on lui con- 
naît chez les Pericheæta. 

Les ovaires, assez apparents et dont les œufs sont très-visibles à 
l'œil nu, sont situés dans le treizième anneau. Ils sont adhérents aux 
parois de la cavité générale et non pas pédonculés et flottants comme 
chez le Perichæta Houlleti; leur forme est d’ailleurs très-irrégulière. 

Les poches copulatrices sont situées dans les anneaux sept et 
huit, elles m'ont paru formées d’un simple sac piriforme; il n’y en a 
que deux paires. 

Je m'abstiendrai de donner plus de détails anatomiques sur cet 
animal. 

L'état de durcissement où se trouvent les nombreux échantillons 
que je possède m’'empêche d’entreprendre des recherches plus appro- 
fondies et qui eussent cependant été intéressantes, puisque Fanimal 
qui nous occupe est le premier qui, tout en se rattachant d'une 
manière évidente au type des Perichæta, S'en éloigne cependant à cer- 
tains points de vue. 

Les échantillons de ces Vers que possède le Muséum ont été 
recueillis, à la demande de M. Victor Borie, alors directeur du 
Comptoir d'escompte de Paris, par l'agence que cet établissement 

17 


VIIL. 


130 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 

possède à Saigon. Ils sont originaires de ce pays, où ils s'appellent, 
en annamite : Trung Khoan Co, et y ont été par conséquent distingués 
des vrais Perichæta, qui se nomment Trung Com. 


IV. — LOMBRICIENS ACLITELLIENS. 


Je forme ici un nouveau groupe qui contient peut-être un assez 
grand nombre de Lombriciens; mais mes observations personnelles 
ne me permettent encore d'y ranger qu'un seul genre, le genre Moni- 
ligaster, et encore non sans quelque doute. 

Les Lombriciens de ce quatrième groupe seraient dépourvus de 
ceinture. 


GENRE MONILIGASTER. N. G. 


Une seule espèce, le : 


MONILEGASTER DÆSH AYESIEZ. Edm. Perrier. 


Longueur, 150 millim.; largeur, 6 millim. Le corps est sensible- 
ment cylindrique; il diminue graduellement de largeur en avant, 
à partir du dixième anneau à peu près, pour constituer l'extrémité 
céphalique; en arrière, le diamètre du corps se conserve jusqu'aux 
derniers anneaux qui constituent une calotte sphérique terminant le 
corps. La partie antérieure et postérieure du corps sont remarqua- 
blement résistantes, comparativement surtout à la région moyenne ; 
mais ce peut être là une particularité individuelle. 

Le lobe céphalique est assez allongé, cylindrique, et ne m'a pas 
paru entamer le premier anneau. 

La structure des téguments de toute la région antérieure du corps 
semble différente de celle des deux tiers postérieurs et rappelle, jusqu’à 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 131 


un certain point. la ceinture des autres Lombriciens, mais avec une 
spécialisation bien moins marquée; on ne peut d’ailleurs distinguer 
aucune autre trace de ceinture proprement dite. 

Les soies sont petites, disposées par paires dans toute l'étendue 
du corps; les deux soies de chaque paire sont très-rapprochées l’une 
de l’autre; les paires de soies sont d’ailleurs disposées en quatre lignes 
latérales. 

Les orifices des organes segmentaires sont situés en avant des 
soies de la rangée supérieure et très-petits. 

Entre le septième et le huitième anneau, exactement sur chaque 
ligne inférieure de soies, on voit un orifice allongé transversalement 
en boutonnière et dont les lèvres sont légèrement denticulées. Un 
orifice tout à fait semblable se trouve entre les anneaux dix et 
onze; mais il est ici placé au milieu de la distance qui sépare les deux 
rangées de soies supérieure et inférieure. 

Tels sont les caractères extérieurs qui distinguent ce Ver. 

Son organisation est des plus singulières. F 

L'appareil digestif’ présente un pharynx et un œsophage très- 
courts, suivis d'un petit gésier musculaire qui occupe le sixième 
anneau; mais l'intestin ne commence pas après ce gésier; après lui, 
un second æsophage conduit à un deuxième gésier musculaire, qui 
commence au treizième anneau et ne finit qu'au vingt-deuxième , 
occupant ainsi toute l'étendue de dix anneaux. Ce gésier présente, sur 
sa longueur trois étranglements qui le divisent en quatre poches à peu 
près sphériques extérieurement et d’égal volume. Ces quatre poches, 
disposées bout à bout, donnent à cet appareil une apparence de cha- 
pelet que nous avons voulu rappeler dans la dénomination du 
genre. 

A la surface de ce gésier se voient des fibres longitudinales dis- 


1. PL. iv, fig. 77. 


132 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


posées l’une à côté de l’autre sans contracter d’adhérence entre elles 
et qui forment un étui à chaque poche; dans le sillon qui sépare les 
poches on voit une bandelette annulaire qui embrasse étroitement le 
pourtour de l'organe et sur la nature de laquelle je ne saurais me 
prononcer. 

Il m'est également impossible de dire à combien d'anneaux cor- 
respond morphologiquement le deuxième gésier; il me paraît difficile 
que chaque poche corresponde à un seul anneau, ce qui porterait 
seulement à quatre le nombre des anneaux correspondant au gésier 
tout entier qui en occupe dix. Nous avons vu d’ailleurs que chez le 
Perichæta afinis, le gésier simple correspondait à deux anneaux bien 
caractérisés. 

Le pharynx est rattaché aux parois du corps par de nombreuses 
cloisons transversales dans l'épaisseur desquels sont disposées de 
volumineuses plaques glandulaires ‘ dont la sécrétion est déversée dans 
le pharynx par une multitude de petits canaux visibles à la loupe; les 
cellules sécrétantes sont très-grandes et leurs noyaux très-petits. Ce 
sont là certainement des glandes salivaires. 

L'intestin ne nous a présenté aucune particularité dans sa région 
antérieure, la seule que nous ayons examinée. 

L'appareil circulatoire paraît constitué sur le type habituel; j'ai 
trouvé de volumineuses anses contractiles aux sixième, huitième et 
neuvième anneaux; il peut en exister davantage ; mais les recherches 
qui portent sur des animaux conservés depuis longtemps ne peuvent 
donner aucun résultat positif à cet égard. 

Les organes segmentaires peu développés dans les anneaux 
génitaux mâles sont bien évidents dans ceux qui suivent et dans ceux 
qui précèdent. 


L'appareil génital se présente avec un degré de complication tout 


J'PL NN 08. 16 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 133 


à fait exceptionnel; mais en même temps les divers organes qui le 
constituent sont d’une grande netteté. 

Le M. Deshayesi étant hermaphrodite, nous aurons à examiner 
l'appareil génital mâle et l'appareil femelle. 

Disons tout de suite que les quatre orifices que nous avons 
signalés dans la description extérieure de l’animal (deux entre les 
anneaux sept et huit, deux entre les anneaux dix et onze) dépendent 
d'autant de testicules distincts, disposés par paires dans la cavité 
générale. 

C'est là un fait jusqu'ici exceptionnel que les orifices des testi- 
cules soient aussi distants les uns des autres. 

Mais la constitution de chacune des deux paires d'appareils mâles 
est encore plus remarquable. 

Pour chacun d’eux il faut distinguer une partie essentielle, le 
testicule, une partie glandulaire accessoire et enfin les canaux qui 
mettent ces différentes parties en rapport entre elles ou avec l'exté- 
rieur. 

Voyons d’abord comment est composée la paire antérieure d'or- 
ganes mâles. 

Les testicules sont très-petits et forment chacun une petite masse 
ovoide, d’un blanc crayeux, située dans le huitième anneau. Dans 
l'échantillon que j'ai examiné, ces testicules n’étaient d’ailleurs pas 
complétement développés. 

Dans le septième anneau on voit de chaque côté deux grosses 
glandes, bien plus grosses que les testicules, contiguës l’une à l’autre 
de forme irrégulièrement pyramidale et de couleur jaunâtre. À une 
loupe même assez faible, ces glandes® se montrent formées d’une mul- 
titude de grains ovoides sur le dos de chacun desquels un petit trait 


rougeâtre indique la présence d’un vaisseau. Ces deux glandes d'un 


4. PI. 1v, fig. 59 et 80. 


134 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 

même côté sont réunies l’une à l’autre par une même enveloppe péri- 
tonéale. Du milieu de la base triangulaire de chacune de ces glandes 
naît un canal fibreux, blanchâtre, assez long et droit; bientôt ces deux 
canaux se réunissent en un seul, dont le calibre est à peine plus con- 
sidérable que celui des deux premiers, qui possède à peu près la même 
longueur que chacun d'eux, et finalement s'ouvre à l'extérieur par 
l'orifice déjà signalé entre le septième et le huitième anneau. 

Si, maintenant, on soulève le petit testicule du huitième anneau, 
on aperçoit facilement au-dessous de lui et très-près de l'intestin, un 
petit tube très-blanc, d'aspect nacré, entortillé comme le serait un gor- 
dius‘; et, de fait, comme j'avais déjà rencontré dans ce même anneau 
un petit nématoïde, j'ai pu me demander un instant si je n'avais pas 
affaire à un autre animal de ce genre. L'existence d’un tube entortillé 
symétrique et les connections de chacun d’eux m'ont vite détrompé. 

En effet, en suivant ce petit tube entortillé dans le voisinage du 
testicule, on le voit bientôt s'unir à une large expansion membraneuse, 
déchiquetée et frisée qui s'étend au-dessous du testicule et remonte 
en avant entre ce dernier et les cloisons antérieures du huitième 
anneau, dont elle tapisse presque toute l'étendue; un lobe de cette 
expansion flotte même, dans l'animal ouvert, au-dessus du tube 
digestif, et rencontre le lobe symétrique homologue. I n’y a pas du 
reste la moindre fusion entre cette expansion membraneuse et la 
cloison à laquelle elle est adossée. 

C’est là un large pavillon vibratile, plus développé que tous ceux 
que nous avons vus jusqu'ici. L'existence de ce pavillon confirme la 
détermination que nous avons faite de la glande du huitième anneau, 
comme dun testicule, nous en rapportant à son aspect extérieur. 
L'examen histologique n'a pu venir à notre SeCOUTS ; car ces glandes 
étaient certainement en voie de développement et, dès lors, ne conte- 


4 PE sv, fig. 79. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 135 
paient aucune trace des filaments spermatiques, seuls caractéris- 
tiques des testicules. 

Si maintenant l’on cherche à discerner la terminaison antérieure 
du petit tube tortillé, on le voit traverser la cloison antérieure du hui- 
tième anneau, passer dans le septième et venir enfin s'implanter dans 
l'angle de réunion des deux canaux excréteurs des glandes du septième 
anneau ; il en résulte que le canal commun qui fait suite aux deux 
canaux excréteurs particuliers des glandes du septième anneau doit 
contenir à un certain moment et le liquide sécrété par ces glandes et 
le sperme, comme cela a lieu pour le pénis rudimentaire des Perichæta. 

La structure des glandes du septième anneau est fort simple; si 
on fait à travers leur épaisseur une coupe, on voit sur cette coupe 
une série de courbes fermées, sur le pourtour desquelles est disposé 
un épithelium à longues cellules cylindriques dont il m'a été difficile 
de voir les noyaux, mais dont les parois sont bien nettes vers l’inté- 
rieur de la courbe où le contenu de la cellule prend une couleur bien 
moins foncée, en même temps que les granulations sont moins abon- 
dantes. Ces courbes sont réunies entre elles par un tissu transparent, 
semé de noyaux, qui est probablement du tissu conjonctif, dans l’épais- 
seur duquel serpentent des vaisseaux rouges. Je n'ai pas besoin de 
dire que les courbes dont je viens de parler ne sont pas autre chose 
que les sections des lobules sphériques, ou à peu près, dont la glande 
est composée. 

Ainsi ce premier appareil génital mâle se trouve constitué des 
mêmes parties que chez les Perichœæla, les Digaster, les Acanthodrilus. 
On remarque cependant cette différence que dans tous les Lombriciens 
étudiés jusqu'ici il faut chercher l’orifice des canaux déférents sur les 
anneaux qui suivent les testicules ; tandis qu'ici ces orifices sont au 
contraire placés sur l'anneau qui précède. 


1. PI, 1v, fig. 80. 


136 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Le deuxième appareil mâle comprend comme le premier, outre 
les testicules, des parties accessoires assez nombreuses, mais On ne 
peut s'empêcher d’être surpris de voir combien il est, néanmoins, 
différent du premier. 

Les testicules volumineux, de forme irrégulièrement ovoides, 
sont situés dans le dixième anneau et enveloppés d’une tunique péri- 
tonéale assez lâche qui semble les relier plus spécialement à la portion 
dorsale de la cloison antérieure. 

J'ai pu m'assurer par l'observation microscopique que ces tes- 


ticules contenaient de nombreux faisceaux de filaments spermatiques. 


Le dixième anneau contient, outre les testicules, un organe qui 
paraît glandulaire’ et qui est formé d'un nombre considérable de 
feuillets blancs, opaques, triangulaires, isolés les uns des autres et qui 
paraissent fixés dans toutes les orientations possibles sur un axe 
commun, de manière que les points d'insertion soient très-rappro- 
chés. Cet organe fait fortement saillie dans le neuvième anneau et 
occupe une grande partie du dixième. 

Entre lui et le testicule se trouve un tube pelotonné, assez sem - 
blable à celui du huitième anneau, mais peut-être d’un calibre un peu 
moindre. D'une part, ce tube est relié à l'enveloppe testiculaire qu'il 
traverse, et l'on peut constater tout autour de son point d'insertion 
une aréole blanchâtre, opaque et d’une résistance plus grande que 
l'enveloppe testiculaire. 

Y a-t-il là un épaississement de celle: ci, ou bien contient-elle un 
pavillon vibratile terminal? c’est ce dont je n'ai pu m'assurer. Quoi 
qu'il en soit, il ne saurait être douteux que Île tube pelotonné en ques- 
tion est un canal déférent. 

Par son autre extrémité ce tube se perd au milieu des feuillets 
de l'organe d'apparence glandulaire placé au-dessous du testicule. 


4. PL 1v, fig. 81. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 137 

Là que devient-il? 

Ne voulant détruire aucun des organes de l'échantillon unique de 
la collection, j'ai cru devoir renoncer à le suivre, ce qui aurait néces- 
sité lexcision de la plus grande partie des feuillets; mais je n'ai pas 
été peu étonné, en examinant au microscope l’un de ces derniers, de 
le trouver lui-même constitué par un tube extrémement pelotonné‘ 
et dont toute les circonvolutions étaient maintenues en contact par 
une délicate enveloppe extérieure. 

Doit-on supposer que c'est le canal déférent lui-même qui s'en- 
roule de manière à produire les feuillets en question? 

Il me semble que ce serait attribuer au canal déférent une lon- 
gueur bien considérable et un calibre bien restreint, car le diamètre 
de ces tubes ne dépasse pas 20u; d'autre part, la nature glandulaire 
de ces derniers ne paraît pas absolument évidente ; il est donc prudent 
de laisser la question indécise entre ces deux solutions; je penche 
cependant à considérer l'organe feuilleté comme une glande, 

En effet, de son extrémité opposée au testicule on voit naître un 
canal bien plus considérable que le tube pelotonné lui-même et dont le 
calibre semble indiquer qu'il est destiné à servir d'écoulement à une 
quantité plus considérable de matière que ce premier canal. 

Celui-ci se prolonge sans faire beaucoup de sinuosités jusque vers 
le dix-septième anneau; il est d’ailleurs parfaitement évident sans 
dissection et à la seule condition de soulever un peu les organes qui 
le recouvrent et en particulier un assez gros organe très-allongé qui, 
au premier abord, paraît s'étendre du douzième anneau au dix-sep- 
tième, à l'extrémité postérieure duquel il se réfléchit en dedans pour 
se terminer ensuite en cul-de-sac *. 

Le canal que nous avons décrit tout à l'heure passe au-dessous de 


A. PI. 1v, fig. 83. 
2. PI. 1v, fig. 77 vs et 81 vs. 


VIT. 


138 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


cet organe et s'ouvre finalement dans celui-ci, au point même où il se 
réfléchit. 

Cet organe allongé sert donc de réservoir au produit mixte con- 
stitué par les sécrétions de Ia deuxième paire de testicules et des 
glandes en tubes (?) qui lui sont annexées, si tant est que l'organe 
feuilleté soit une glande. 

Nous n'avons pas encore indiqué l’orifice externe de cet appareil 
si compliqué. 

Si l'on cherche à suivre l'organe allongé (Vésicule séminale ?) que 
nous venons de décrire en avant du douzième anneau, on le voit se 
transformer bientôt en un gros tube d'aspect nacré, de couleur jau- 
nâtre qui ne tarde pas à s’infléchir vers l'extérieur et se termine enfin 
sur la ligne d'insertion de la cloison qui sépare le dixième anneau du 
onzième. 

Son orifice externe n’est pas autre chose que l’orifice que nous 
avons signalé en ce point, dans notre description générale de l'animal. 

Cette seconde paire d'orifices est encore par conséquent une paire 
d'orifices mâles. Le Moniligaster Deshayesi possède donc quatre orifices 
mâles, comme les Acanthodrilus ; seulement ces orifices sont beaucoup 
plus espacés que dans ces derniers animaux, placés beaucoup plus en 
avant et Surtout dépourvus de ces remarquables soies péniales que 
nous avons figurées *. 

Ce second appareil mâle diffère, comme on le voit, beaucoup du 
premier; il se rapproche des appareils décrits dans les autres genres 
en ce sens que le canal déférent se dirige d’abord en arricre, et 
s'ouvre, comme chez les Eudrilus, dans une sorte de vésicule sémi- 
nale. Cependant l’orifice extérieur par où s'écoulent tous les produits 
de l'appareil se trouve finalement ramené sur l'anneau même qui 
contient le testicule; c’est encore un fait que nous n'avons rencontré 


4. PI. 1v, fig. 75, et pl. n, fig. 47, 24 et 22. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 159 
qu'une autre fois, chez l'Anteus gigas, et d’ailleurs dans des conditions 
toutes différentes, 

On se demande à quoi peut servir une complication si grande 
dans l'appareil mâle. A la vérité, le nombre des testicules n’est pas 
supérieur à celui que l’on trouve dans les autres groupes; mais 
dans quel but chaque paire de ces organes a-t-elle été pourvue d’an- 
nexes si différents et d’un mode d'excrétion si particulier? 

Peut-être la réponse à cette question est-elle indiquée par 
l'inégal développement des deux paires de testicules; il semble que 
chacune d'elles doive entrer en activité à des époques de l’année dif- 
férentes et {peut-être à des moments où les conditions extérieures ne 
sont plus les mêmes et nécessitent par conséquent un mode différent 
de fécondation. 

Mais ce n’est là qu'une hypothèse dont le fondement demande à 
être bien plus solidement assis que je n'ai pu le faire. 

L'accouplement doit se passer d’ailleurs autrement que chez la 
plupart des autres Lombriciens, car ici, bien que tous les autres 
organes essentiels ou accessoires de la génération soient parfaitement 
développés, je n'ai pas pu découvrir une trace de ces poches copula- 
trices dont l’existence est cependant si générale. 


L'appareil génital femelle se trouve donc réduit aux ovaires et 
aux oviductes qui présentent les uns et les autres de remarquables 
particularités. Au-dessus de l'intestin, entre les vésicules séminales (?) 
et immédiatement au-dessus d'elles, on voit deux bandelettes‘ granu- 
leuses, légèrement ondulées qui s'étendent, en flottant assez librement 
dans la cavité générale, maintenues seulement par les cloisons 
qu'elles traversent, du douzième anneau à la partie postérieure du 
quinzième. 


1. PL 1v, fig. 77, o et 84, o. 


140 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 

Ce sont là les ovaires beaucoup plus volumineux que partout 
ailleurs, bien que les œufs n’atteignent pas des dimensions très-con- 
sidérables. Is sont cependant visibles à l'œil nu comme de petites 
granulations prenant, quand lPœuf a acquis son maximum de déve- 
loppement, l'apparence d’une sphérule d’un blane de craie. Ces gra- 
nulations disparaissent vers l'extrémité postérieure du cul-de-sac 
ovarique, où l’on trouve une multitude d'œufs en voie de formation. 
Malgré le séjour prolongé de l’animal dans l’alcoo!, toutes les parties 
constitutives des œufs sont les plus faciles à distinguer. 

En suivant chaque ovaire antérieurement on le voit passer en 
sautoir au-dessus de la vésicule séminale' située de son côté, puis se 
réfléchir, passer au-dessous du canal excréteur de cette vésicule et se 
diriger vers la bandelette nerveuse ventrale, pour s’insérer très-près 
d'elle, au point de jonction des téguments et de la face postérieure de 
la cloison qui sépare le onzième anneau du douzième. 

L'insertion se fait si près de la bandelette nerveuse qu'en arra- 
chant la pénoncule de l'ovaire, on enlève en même temps une portion 
de cette bandelette dont tous les éléments, fibres et cellules, sont 
encore de la plus grande netteté. 

Dans ce trajet, l'ovaire n’est pas absolument libre; on voit flotter 
autour de lui un large pavillon vibratile, formé dans sa partie évasée 
d'une membrane très-délicate dont le bord supérieur ondule de 
chaque côté de l'intestin et sur un plan au moins aussi élevé. 

immédiatement au-dessous de cette partie évasée, le pavillon se 
prolonge en une sorte de cornet qui suit la même direction que 
l'ovaire et qui est fixé en dehors aux téguments par de délicats replis 
membraneux. 

Toute la portion dé ces cornets qui regarde extérieurement de 
chaque côté est marquée de stries alternativement transparentes et 


LOMBRIGIENS TERRESTRES. lat 
opaques et qui sont déjà visibles à l'œil nu ou tout au moins avec une 
faible loupe. Au contraire, la paroi interne se modifie de manière à 
présenter de nombreux replis en forme de feuillets, d'apparence bien 
évidemment glandulaire. 

Je n'ai pu découvrir l'orifice extérieur de ces pavillons; mais 
j'ai voulu du moins me rendre compte de la signification des appa- 
rences qu'ils présentaient et j'ai examiné à cet effet une portion de 
l’un d'eux au microscope. 

J'ai ainsi reconnu que la portion feuilletée était constituée par des 
cellules glandulaires très-volumineuses, à fort beaux noyaux nucléolés 
et dont la nature demeure inconnue. 

Quant aux stries opaques, elles sont produites par le grand déve- 
loppement de l’épithelium qui sur les bords de chaque strie se montre 
fortement cilié; on peut voir des œufs engagés entre deux stries 
voisines, comme si le sillon qu'elles limitent était le chemin que ces 
œufs doivent suivre pour arriver à l'extérieur. Cette distribution par- 
ticulière de la partie ciliée est encore un fait que je n'ai rencontré 
nulle autre part. 


On voit par les détails dans lesquels je viens d'entrer que le Woni- 
ligaster Deshayesi ne peut être rattaché à aucun des types de Lombri- 
ciens déjà étudiés. C'est encore un de ces points isolés, si nombreux 
jusqu'ici dans la classe qui nous occupe et que les découvertes ulté- 
rieures pourront seuls relier entre eux d’une manière rationnelle. 


L'échantillon, unique dans la collection que nous venons de 
décrire, est originaire de Ceylan; le Muséum le doit à M. Lechesnault. 
IL portait dans la collection l'étiquette : Perichæta cingulata. 


442 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Genre /NCERTÆ SEDIS : UROCHÆTA. Nov. Gen. 


UROCHÆTA HYSTREX. Edm. Perrier. 


Je laisse incertaine la place que doit occuper le Lombricien pour 
lequel je forme ce genre. II n’en existe que deux échantillons très- 
détériorés dans la collection du Muséum, et chez tous deux l'appareil 
génital est incomplétement développé. 

D'ailleurs l'Urochæta hystrix ne peut être raisonnablement rap- 
proché en ce moment d'aucun des types que nous avons étudiés 
jusqu'ici. 

La taille de ce Ver est celle de nos Lombrics ordinaires; mais 
ses soies ont une disposition tout à fait remarquable; à la région 
ventrale, dans la première moitié du corps, on distingue nettement 
de chaque côté deux rangées de soies isolées, parfaitement régulières, 
semblables à celles que l’on trouve chez certains Lombrics propre- 
ment dits, c’est-à-dire que les soies se succèdent sans interruption 
d’anneau en anneau. A la région dorsale, du moins à partir du 
deuxième tiers de la longueur, on distingue des soies assez espacées, 
mais ces soies alternent d’anneau en anneau de manière à former des 
quinconces fort réguliers. Dans le dernier quart les soies paraissent 
se multiplier beaucoup et rendent comme tuberculeuse la partie 
caudale de l’animal'; elles forment alors seize rangées telles que 
toutes les soies d’une rangée alternent d’anneau en anneau avec 
les soies des rangées voisines. Sur chaque anneau on trouve huit 
soies rangées symétriquement; il n’y en a jamais sur la ligne médiane 
dorsale. Il n’y en a pas non plus sur la ligne médiane ventrale. 


4. PL. 1v, fig. 85 et 86. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 143 

Cette disposition des soies en quinconce rapproche les Vers qui 
nous occupent des Geogenia de Kinberg et des Pontoscolex de Schmarda. 
Mais chez les premiers les soies n’alternent que dans la région anté- 
rieure du corps, tandis qu'ici l'alternance est surtout marquée à la 
région postérieure; chez les seconds, les soies paraissent alternér aussi 
bien à la région ventrale qu'à la région dorsale, et de plus il n'y aurait 
que quatorze séries au lieu de seize que j'ai pu constater chez les 
échantillons du Muséum. Je n'ai pas pu d'ailleurs consulter l'ouvrage 
même de Schmarda, et les diagnoses reproduites par d'Udekem et par 
M. Léon Vaillant sont trop brèves pour qu'il me soit possible d'appré- 
cier bien nettement la distance qui sépare les Pontoscolex des Urochæta. 

J'ai trouvé après le quatorzième anneau une ceinture composée 
de sept anneaux, mais incomplétement développée. Il m'a été impos- 
sible d’apercevoir aucune trace des orifices génitaux. 

L'anatomie m'a montré un tube digestif pourvu de glandes 
œsophagiennes et composé à la manière ordinaire, mais à gésier placé 
très en avant, comme nous l'avons vu chez plusieurs Intraclitelliens, 
et comme cela se voit encore, mais à un degré moindre, chez les 
Postclitelliens. 

Sur le dos de l'intestin court un vaisseau dorsal dont la partie 
antérieure présente un aspect franchement moniliforme semblant 
indiquer que la contractilité se localise ici comme chez les Anteus et 
certains Perichæta. 

Dans les trois anneaux qui suivent le gésier on voit de chaque 
côté de l'intestin de singuliers organes; ce sont de petites poches 
surmontées chacune d’une couronne de petits culs-de-sar * contenant 
chacun quelques noyaux; les poches sont du reste régulièrement 
striées verticalement. J'ignore ce que ces remarquables organes 
peuvent être. 


A. PI. iv, fig. 87. 
2. PI. 1v,: fig..87, 2..et.88. 


141 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 

En arrière d'eux se trouve une paire de glandes à lobules très- 
distincts qui m'ont paru être des testicules non encore complétement 
développés. C'est en arrière de ces glandes que commence la partie 
moniliforme du vaisseau dorsal. 

Je n'ai pas vu d'organes segmentaires. 

On conçoit que je n'ose m'aventurer à donner plus de détails; les 
animaux que j'ai entre les mains, quelque intéressants qu'ils soient, 
se trouvent trop détériorés pour m'inspirer une grande confiance dans 
mes recherches. 

Je crois pourtant devoir faire remarquer que par la position de 
son gésier et l'absence de toute prostate, l'Erochæta hystrix rappelle 
certains types intraclitelliens, 


Ici se termine lexposé des recherches anatomiques que nous 
avons entreprises dans le but de faire connaître l’organisation géné- 
rale des Lombrics. Il nous reste maintenant à grouper les faits que 
nous venons d'exposer de manière à faire ressortir les généralités qui 
peuvent se dégager de ces recherches. 

Tel est le but de la troisième partie de ce mémoire, que nous allons 
maintenant aborder. 

Mais auparavant, il n’est pas inutile de présenter dans un tableau 
synoptique l’ensemble des genres que nous avons pu examiner direc- 
tement et qui font partie de la collection du Muséum. 

Quant aux genres anciens, nous possédons, en général, trop peu de 
renseignements pour entreprendre de les ranger dans nos coupes; pour 
ceux de Kinberg en particulier, nous renvoyons à ce que nous avons 
dit du mémoire de ce savant, dans notre partie historique. 

Dans le tableau qui suit, nous ferons appel uniquement aux 
caractères extérieurs des animaux. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 145 


TABLEAU SYNOPTIQUE 


DES GENRES DE LOMBRICIENS TERRESTRES DE LA COLLECTION DU MUSÉUM 


I. — LOMBRICIENS ANTÉCLITELLIENS Où à orifices génitaux mâles 
situés en avant de la ceinture. 


Un:seul genre + à some ldagnerteiléauus. dur dust véunac Laslaiias Lise: 


IT. — LOMBRICIENS INTRACLITELLIENS OU à orifices génitaux mâles 
situés dans la ceinture. 


Soies disposées sur quatre rangées. 


A. — Orifices des organes segmentaires en avant des soies de 
la rangée ventrale 
Soies disposées par paires en avant de la ceinture, écartées 
les unes des autres en arrière et formant ainsi huit ran- 
gées distinctes 2... Qué de RS 


B, — Orifices des organes segmentaires en avant des soies de la 
rangée dorsale. 
a. — Appareil copulateur manquant complétement; orifices 
extérieurs de la génération, confondus avec ceux des 
organes segmentaires; soies toutes semblables. . . . .  Anleus, N. G. 
b. — Orifices mâles bien distincts situés sur les rangées 
des soies ventrales. — Soies de la ceinture modifiées en 
vue de la copulation et ornementées. — Lobe ira 
pbs en tentacule . . . Rhinodrilus, N. G. 
— Orifices mâles et orifices Gunsitehe _ dislinets; ces 
ne confondus avec ceux des poches copulatrices. 
Un pénis musculaire rétractile, mais enfermé dans une 
oc spétials 0. EI JOIN 27150 NSG: 


ILI. — LOMBRICIENS POSTCLITELLIENS Ou à orifices génitaux mâles 
situés en arrière de la ceinture. 


A. — Soies disposées par paires et sur quatre rangées. 
a. — Deux paires d’orifices génitaux mâles armés chacun 
d’un pénis composé d’un certain nombre de soies courbes 
et aiguës. . » . . . . «+.  Acanthodrilus, N. G. 
b. — Une seule paire Se géditave * “mâles: point 
d’appareil copulateur . . . . . . . . . . . + .… Digaskr,N.G, 
VIN. 19 


146 


NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


B. — Soies isolées, disposées de manière à former un cercle au 


à 


S 


IV. — LOMBRICIENS ACLITELLIENS, ou du moins paraissant 


mailieu de chaque anneau; une seule paire d’orifices 
mâles, 


. — Orifices mâles situés à la région ventrale, mais 


éloignés l’un de‘l’autre et placés sur le deuxième anneau 
après la ceinture qui est de trois anneaux. Orifices des 
poches copulatrices tout à fait latéraux. . . . . 


. — Orifices mâles contigus, rassemblés dans une fossette 


située sur l'anneau qui suit immédiatement la ceinture, 
celle-ci: formée de plus de trois anneaux. Orifices des 
poches copulatrices nettement situés à la face ventrale 
et presque contigus. Lobe céphalique entamant profon- 
dément en arrière le premier anneau. . . . . . . . . 


dépourvus de ceinture. 
Soies sur quatre rangées, par paires dans chaque rangée. 


— Orifices des organes segmentaires en avant des soies 
de la rangée supérieure. — Quatre orifices génitaux, 
deux sur la direction des soies de la rangée ventrale, 
deux entre les deux rangées de soies d’un même côté. 
Ce sont quatre orifices mâles . . . . . . . . . .« . . 


GENRE INCERTÆ SEDIS, — Soies en quinconce au moins à la 
partie postérieure du Corps … . +... « + + + ++ + + + » 


Perichæœta, Schmarda. 


Perionyzx, N. G. 


Moniligaster, N. G. 


Urochæta, N. G. 


Nous ajoutons ainsi neuf genres à la nomenclature adoptée. Aucun 


d'eux ne peut faire double emploi avec les genres adoptés avant 


Kinberg et qu'il resterait à répartir dans nos groupes; mais une étude 
attentive des genres proposés par Kinberg est à faire; le naturaliste 
suédois s’est placé à un point de vue particulier qui rend sés diag- 
noses presque inutiles pour nous. Toutefois son mémoire indique 


qu'il reste encore beaucoup à 


ce groupe si curieux des Lombriciens terrestres. 


apprendre avant d'arriver à connaître 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 147 


TROISIÈME PARTIE. 


DE L'ORGANISATION DES LOMBRICIENS EN GÉNÉRAL. 


Dans cette troisième partie nous nous proposons de passer en 
revue chacun des appareils qui jouent un rôle dans l’organisation des 
Lombrics, cherchant à apprécier la valeur des caractères que ces 
divers appareils peuvent fournir à la classification, ou à déduire de 
leurs modifications les lois morphologiques qui dominent l'organisa- 
tion du type Lombric. Nous aurons ainsi à étudier les organes locomo- 
teurs, les soies, — l'appareil digestif, — l'appareil circulatoire, — 
les organes excréteurs, — le système nerveux, — l'appareil de la géné- 
ration. Ce sont là les titres d'autant de paragraphes que nous ferons 
suivre d’une conclusion renfermant ce que ce mémoire aura établi 
d’essentiellement nouveau. 


DES SOIES ET DE LEUR DISPOSITION 


M. Grube et après lui M. Léon Vaillant ont pris pour base de 
leur classification des Lombriciens la nature et la disposition des soies 
locomotrices de ces animaux. Il est donc nécessaire de bien établir 
ici quel est le genre de services qu'il faut attendre de ces organes en 
ce qui touche les classifications. ; | 

Voyons d’abord ce qui est relatif à la forme des soies. 

11 est admis d’une manière générale que les soies des Lombriciens 
terrestres sont des soies simples, c’est-à-dire en forme de bâtonnets 
légèrement recourbés comme le serait une $ majuscule très-allongée. 
L'extrémité périphérique est terminée en pointe obtuse, l'extrémité 
interne plus ou moins arrondie. Jusqu'ici ces soies étaient les seules 


118 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


que l’on eût observées chez les Lombriciens et la constance du carac- 
tère était telle que M. Grube, professeur à l’université de Breslau, et 
à sa suite M. Léon Vaillant, avaient cru pouvoir en faire un véri- 
table critérium de l’ordre des Lombriciens terrestres. C’est aïnsi 
que ces auteurs se sont trouvés conduits à classer les Ænchytreus 
parmi les Lombriciens terrestres dont ils constitueraient une simple 
tribu. 

Je ne sais trop quelles autres analogies ont pourrait invoquer à 
l'appui de ce rapprochement. 

Si les Enchytrœus sont terrestres ou du moins vivent dans la terre 
humide comme les Lombrics, si leurs soies ne présentent jamais de 
crochet terminal, iln’en faut pas moins reconnaître que ces soies pré- 
sentent , elles aussi, des caractères spéciaux qui les séparent des soies 
de tous les vrais Lombriciens terrestres connus jusqu'ici. Au lieu d'être 
recourbées en S, comme les soies locomotrices des Lombrics, celles des 
Enchytréens sont droites d’abord, puis recourbées brusquement à angle 
droit à leur extrémité interne, etje n’ai pas été peu étonné de retrouver 
ce caractère des soies des Enchytrœus européens sur un Enchytrœus 
provenant de Cochinchine et que j'ai dû, comme tant d’autres choses, 
à l’obligeance de M. Houllet, chef des serres au Muséum d'Histoire 
naturelle de Paris. 

Or, ces différences ont tout autant de droit à l'attention des natu- 
ralistes et tout autant de valeur, comme caractère, que l'existence ou 
la non-existence d’un double crochet terminal. Je ne crois donc pas 
qu'on puisse s’en servir pour justifier le rapprochement tenté par 
MM. Grube d’une part et Vaillant de l’autre. 

De plus, si l’on considère que les téguments des ÆEnchytrœus, la 
constitution de leur ceinture, leur appareil génital, leur appareil cir- 
culatoire sont autant de points qui les rapprochent des Naïs, je crois 
que la considération des soies, telles que la présentent les auteurs dont 
je viens de parler, n’a guère d’autre valeur que celle qu’avaient les 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 119 


caractères artificiels, si ingénieusement employés du reste par les 
naturalistes anciens. 

Sans confondre pourtant les Enchytrœus avec les Naïs dont les 
éloigne leur genre de vie, la forme jusqu'ici spéciale de leurs soies et 
quelques caractères anatomiques secondaires, je ne crois pas non plus 
qu'il soit permis de les unir aux Lombriciens terrestres proprement 
dits. 

Il y a tout avantage à les séparer, à en faire un groupe à part, 
un ordre si l’on veut, équivalent à celui des Lumbricina, à celui des 
Naïdea et qu'on peut appeler l’ordre des ÆEnchytreida. C'était là, du 
reste, la manière de voir de d’Udekem, dont l'autorité, en pareille 
matière, n'avait d’égale que celle de Claparède. Ce dernier allait 
encore plus loin puisqu'il réunissait les Enchytrœus aux Naïs. 

Je crois avoir montré, d’ailleurs, qu'en ce qui concerne la sim- 
plicité des soies, il faut être prudent. Ce que nous connaissons des 
Lombriciens terrestres me paraît être insignifiant relativement à la 
masse de renseignements à recueillir. J'ai trouvé au Muséum seule- 
ment quelques dizaines d'espèces au plus, recueillies pour ainsi dire 
au vol sur toute la surface du globe. Sur ces quelques individus épars 
se trouvent déjà une dizaine de types nouveaux, modifiant beaucoup des 
idées qu’on s'était faites jusqu'ici du groupe des Lombrics. Et parmi 
ces types j'en trouve déjà dont les soies locomotrices présentent des 
complications spéciales de structure (Rhinodrilus), et d'autres qui se 
modifient profondément, se hérissent de pointes et se recourbent en 
crochet de manière à jouer un rôle tout nouveau pour elles, celui de 
Spicules copulateurs. N'est-ce pas là une sorte d'avertissement que des 
études plus suivies nous montreront des formes de soies différentes de 
celles que nous connaissons. N'est-ce pas tout au moins une invitation 
à la prudence? 

Si, d’ailleurs, l’on veut absolument trouver dans les soies des 
caractères différentiels entre les Lombrics et les Naïs, il n’est pas sans 


150 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


intérêt de rappeler ici certains faits que j'ai observés chez le Lombric 
terrestre et chez les Perichæta d’une part, chez le Dero obtusa et chez 
quelques Naïs de l’autre. 

Chez ces derniers‘, aux dépens d’une même masse de protoplasma 
granuleux, se forment des sphérules qui sont les premiers indices non- 
seulement des matrices des soies, mais encore des muscles destinés à 
les mouvoir. Ces masses, d’abord identiques ou à peu près, se diffé- 
rencient de plus en plus. Les unes s’allongent graduellement en fu- 
seau, ce seront plus tard les fibres musculaires ; les autres se gonflent 
en demeurant sphériques. Bientôt un noyau brillant, très-réfringent, 
apparaît à leur centre; puis un autre se forme à côté. Ce ne sont pas 
autre chose que les pointes du crochet double de chaque soie bifurquée. 
La hampe de la soie ne se forme qu'après, de sorte que celle-ci appa- 
raît d’abord par son extrémité périphérique, qui ne se modifie plus et 
grandit par son extrémité interne. Dans tous les cas, il semble qu'elle 
se forme aux dépens d’une cellule unique; tout au moins est-il impos- 
sible de décomposer en éléments plus simples la masse protoplas- 
mique au sein de laquelle apparaissent les premiers rudiments des 
crochets. | 

Chez les Lombrics et chez les Perichæta, les choses se passent 
autrement. 

Les plus jeunes matrices de soies que j'aie vues étaient com- 
posées de cinq grosses cellules, irrégulièrement triangulaires, pour- 
vues d’une épaisse membrane d’enveloppe, d’un noyau très-réfringent, 
nucléolé et entouré d’une masse granuleuse *. Ces cellules, en s’acco- 
lant, forment un follicule à l’intérieur duquel se voient, chez le Lom- 
bric, une lame transparente en triangle isocèle, homogène et inco- 
lore. L'une des cellules recouvre comme un chaperon la base du 


1. Voir : Archives. de Zoologie expérimentale, dirigées par M. de Lacaze Duihiers. — 
Janvier 4872. 
2. PL 1, fig. À à 5. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 151 


triangle et des stries granuleuses partant de son noyau se dirigent 
vers cette base. J'ignore si quelque chose d’analogue se retrouve sur 
les autres cellules, je ne l'ai point observé. 

Quoi qu'il en soit, cette lame triangulaire grandit, sans s'élargir 
par sa base, en même temps que son sommet s'épaissit, se colore en 
jaune et prend peu à peu l'aspect de la pointe d’une soie. À un cer- 
tain moment, la lame basilaire arrive ainsi à ressembler à une palette 
rectangulaire se raccordant par l’un de ses côtés étroits à la moitié 
externe d’une soie ordinaire. Ici donc la soie n'apparaît pas tout 
d'abord, elle est précédée d’une formation spéciale sur laquelle 
elle semble ensuite se former. D'ailleurs, quand la soie a acquis 
une certaine longueur, sa palette basilaire, loin de continuer à s’ac- 
croître, commence à se résorber et finit par disparaître sans laisser 
aucune trace. 

Chez les Perichæta, au lieu d’une palette, c’est une sorte de bourre- 
let rugueux qui apparaît d’abord, et la soie se montre au centre de ce 
bourrelet. 

Il y a, d'après sui, une différence essentielle entre la formation 
des soies chez les Lombriciens et les Naïdiens que j'ai étudiés, et l'on 
voudra bien reconnaître que ces différences ne semblent pas être 
purement accidentelles. Les faits recueillis sont encore trop peu nom- 
breux pour permettre une généralisation; cependant si la distinction 
que je signale venait à se confirmer, il faudrait, pour avoir le droit 
de rapprocher les Enchytræus des Lombriciens terrestres, en se fon- 
dant sur la forme de leurs soies, démontrer que chez eux les soies 
se forment comme chez ces derniers. Cette démonstration est encore 
à faire. 11 est possible qu’elle confirme le rapprochement que je cri- 
tique en ce moment; mais tous ceux qui ont examiné des soies d’'En- 
chytrœus v voudront bien reconnaître qu'à leur aspect on est plus tenté 
de les rapporter au mode de formation des soies des Naïs qu'à celui 


des Lombrics. 


452 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Voyons maintenant quels caractères nous fournit la disposition 
des soies sur le corps. 

Jl semble évident jusqu'ici que la disposition dominante des soies 
est celle que l’on peut constater chez notre Lombric indigène; elles 
forment le long des côtés du corps quatre bandes longitudinales dans 
chacune desquelles les soies sont disposées par paires. Il y a là quelque 
chose qui rappelle la disposition des pieds chez les Annélides. 

Néanmoins, cette disposition est loin d’être la seule. Nous avons 
vu que l’écartement graduel des soies d’une même paire nous fait 
passer chez les Titanus à une disposition nouvelle, les soies sont 
géminées et en quatre bandes à la partie antérieure du corps, isolées 
à la partie postérieure du corps de l'animal où elles forment huit 
bandes équidistantes. 

D’après Kinberg, on retrouve cette disposition dans les genres 
qu'il nomme Alyatte et Eurydame, originairesdes îles voisines de l’isthme 
de Panama ; au contraire, une disposition inverse s’observe, toujours 
suivant Kinberg, dans le genre Fegesipyle qui provient de Natal. Enfin 
l’écartement des soies d’une même paire, de manière à former huit 
bandes latérales équidistantes pour un même côté, se trouve réalisé 
dans toute l’étendue du corps chez les Hypogeons de Savigny, si l’on 
en croit cet habile observateur; de plus, une nouvelle rangée dorsale 
viendrait ici s'ajouter aux huit premières. 

Toutefois, Kinberg n'admet pas l’existence de cette neuvième 
rangée que nous n'avons jamais rencontrée; cela ne l'empêche pas de 
conserver le genre Hypogeon de Savigny. 

De nouvelles rangées peuvent cependant venir s’intercaler entre 
celles qui existent généralement. Et cela peut avoir lieu soit surtout 
en avant, comme dans le genre Lampito (Kinberg), de Mauritius, soit 
principalement en arrière comme dans les genres Amynthas, Nitocris, 
Pheretima, Rhodopis également de Kinberg et qui viennent, le premier 
de Guam, le second de Rio-Janeiro, le troisième de Californie et de 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 1535 


Taïti, le quatrième de Java. Enfin, si cette addition se fait unifor- 
mément dans toute l'étendue du corps, nous obtenons le genre Peri- 
chœta de Schmarda, auquel nous conduisent ainsi une série de modi- 
fications graduelles et pour ainsi dire ininterrompues. Les soies 
nouvelles peuvent d’ailleurs s'ajouter aux faisceaux de soies de deux 
paires sans que ceux-ci cessent de former quatre rangées longitu- 
dinales; on retrouve ainsi le Lumbricus mullispinus de Grube, pour 
qui M. Vaillant a proposé le genre £chinodrilus. 

Nous venons de supposer le cas d’une complication graduelle; 
mais, au lieu de s’écarter de l’autre, l'une des deux soies d'une même 
paire peut avorter et l'animal ne plus présenter que six soies sur 
chaque anneau comme les Tritogenia de Kinberg, ou même que quatre 
rangées de soies simples, comme cela arrive chez les Phreoryctes, si 
bien étudiés par Leydig. 

Enfin, on trouve encore signalées dans les auteurs deux autres 
modes de disposition des soies. 

Les Pontoscolex de Schmarda ont les soies alternes d'anneau en 
anneau, et cette disposition s’observe encore, mais à la partie 
antérieure seulement du corps, chez les Geogenia de Kinberg, origi- 
naires de Natal. Nous avons signalé une disposition analogue chez 
nos Urochæta. Les Megascolex de Templeton les ont rassemblées sur 
des papilles à la région dorsale. 

De ces genres, le dernier surtout aurait besoin d'être étudié 
de nouveau; Baird confond les Wegascolex avec les Pericheta. 

Quoi qu'il en soit, on voit combien peuvent être variées les 
dispositions que présentent les soies des Lombrics. D’après l’exa- 
men des individus du Muséum et les indications fournies par 
Schmarda et Templeton, j'avais pressenti qu'on devrait trouver un 
grand nombre de dispositions intermédiaires entre les Lombrics et 
les Perichæta d'une part, les Lombrics et les Pontoscolex de 


Schmarda de l’autre. Les descriptions données par Kinberg comblent 
VIN, 20 


4154 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


en partie ces lacunes sans qu'il cesse d’être probable que des com- 
binaisons nouvelles seront découvertes. Malheureusement, Kinberg 
paraît s'être arrêté à l'examen extérieur des animaux, de sorte qu'il 
est impossible de savoir quels rapports peuvent exister entre les 
dispositions des soies qu'il indique et l’organisation intérieure de 
ses Lombrics. Il est tout à fait impossible; à mon avis, de recon- 
naître sûrement des genres uniquement fondés sur la disposition 
des soies, celles-ci pouvant être disposées exactement de la même 
manière chez des animaux très-dissemblables, les Lombrics, les 
Acanthodrilus et les Rhinodrilus, par exemple. Il est d’ailleurs per- 
mis de se poser cette question : Ÿ a-t-il un rapport quelconque entre 
ces divers modes de disposition et l’organisation interne des Lom- 
briciens de telle sorte que ces dispositions puissent prendre à posteriori 
une importance que tout d’abord on ne voit pas de raison de leur 
assigner ? 

Jusqu'ici, la réponse à cette question paraît devoir être néga- 
tive. Nous venons de voir, en effet, la disposition à quatre rangées 
de paires persister dans les types les plus divers; inversement des 
animaux que tout porce à considérer comme voisins, les Perichæta 
et les autres Postclitelliens, par exemple, diffèrent tout à coup sous 
ce rapport. | 

Nous croyons donc devoir considérer comme très-artificielle une 
classification exclusivement fondée sur la disposition des soies, de 
même que nous croyons assez secondaire le caractère de simplicité 
invoqué par Grube pour caractériser sa famille des Lombriciens pro- 
prement dits et adopté plus tard par M. Léon Vaillant qui paraît d’ail- 
leurs n'avoir pas connu à ce moment le mémoire de Kinberg, mémoire 
publié en suédois et par conséquent peu consulté; ce caractère est 
tout au moins insuffisant pour justifier le rapprochement sous un 
même titre d'animaux aussi dissemblables d'ailleurs que les Enchy- 
trœus et les Lombriciens proprement dits. 


l 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 155 


Il nous semble que si quelque chose différencie bien nettement 
les Lombriciens vrais, c'est la nature de leurs téguments constitués 
par une cuticule et une couche hypodermique parfaitément décrite 
par Claparède', tandis que l’oû trouve à la place, chez les Naïs, 
un épithelium formé d'une couche unique de cellules nucléées et 
que le nitrate d'argent rend aussi nettes que possible; c’est la com- 
plication de leur appareil vasculaire constituant sous la peau un 
réseau très-complexe qu'on ne retrouve ni chez les Naïs ni chez 
les Enchytrœus; c’est enfin leur appareil digestif constitué sur un plan 
des plus uniformes et s’écartant d'une manière bien nette de ce que 
l’on trouve chez les autres membres de la classe des Lombriciens. 
C'est cet appareil digestif que nous allons maintenant étudier. 


APPAREIL DIGESTIF. 


Dans tous les Lombriciens terrestres connus, l'appareil digestif 
peut être considéré comme un tube droit étendu de l'extrémité anté- 
rieure à l'extrémité postérieure du corps et dont les parois se spé- 
cialisent en certains points pour l’accomplissement de fonctions 
déterminées. 

C’est ainsi qu’on trouve loujours chez les animaux de ce groupe : 

4° — Un pharynx glanduleux, piriforme, très-renflé ; 

. 2 — Un œsophage plus ou moins allongé, à parois minces, 
transparentes, légèrement musculeuses ; 

3° — Au moins un gésier renflé, en forme de tore ou d’anneau, 
à parois très-épaisses, très-musculaires et présentant toujours à 
l'extérieur un aspect nacré, analogue à celui des aponévroses des 
muscles des animaux supérieurs ; 

h° — Enfin, un intestin proprement dit, présentant souvent un 


A, Zeitschrift, loc. cit. 


156 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


repli intérieur désigné sous le nom de Typhlosolis par Morren et 
par les auteurs qui l’ont suivi, par Claparède en dernier lieu. L’'intes- 
tin est plus large que lœsophage, un peu moins que le gésier; il 
paraît souvent étranglé à la hauteür de chacune des cloisons interan- 
nulaires ou dissépiments. Ses parois sont molles, flasques, glandu- 
laires; elles présentent en outre un lacis vasculaire très-développé 
qui paraît être ici un appareil d'absorption, bien plus qu'autre chose. 
Ce lacis se retrouve, comme on sait, chez les Naïdiens, où il est peut- 
être destiné à la fois à l'absorption des matières nutritives et à la 
respiration. 

Je n’ai rencontré jusqu'ici aucune exception, par réduction du 
nombre des parties, au mode de constitution de l'appareil digestif 
que je viens d'indiquer. Le genre australien que j'ai nommé Digaster 
présente au contraire un degré de complication aussi remarquable 
qu'inattendu. Il y a à, sur le trajet de lœsophage, deux gésiers, 
musculeux, identiques entre eux, identiques aussi au gésier unique 
qu'on rencontre habituellement chez les Lombrics. L’un d'eux est 
situé comme d'habitude immédiatement en avant de l'intestin; l’autre, 
antérieur, est séparé de ce dernier par un tube membraneux, repre- 
nant le diamètre et la consistance ordinaire de l'œsophage. 

Cette disposition nous conduit à celle plus remarquable encore 
des Moniligaster, dont le deuxième gésier est formé de quatre poches 
musculaires consécutives et correspond à un nombre considérable 
d’anneaux. 

Les dispositions des parties du tube digestif relativement aux 
organes génitaux et aux organes d'impulsion du sang sont intéres- 
santes à étudier et d’ailleurs fort remarquables. 

Il se présente ici deux cas, suivant que les orifices génitaux sont 
placés ou non en avant de la ceinture. 

Chez les Lombriciens antéclitelliens que nous avons étudiés, le gésier 
s'est toujours trouvé placé en arrière des organes génitaux et de leurs 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 157 


organes accessoires, en arrière aussi des anses Ccontractiles ou cœurs 
latéraux de l'appareil circulatoire. Dans ces Vers, l'œsophage est 
d’ailleurs très-allongé et la ceinture rejetée relativement très-loin en 
arrière ; quelquefois presque au milieu du corps. 

Au contraire, chez tous les Lombriciens intra ou postclitelliens, 
le gésier est placé en avant des testicules et des ovaires, c'est-à-dire en 
avant des organes essentiels de la génération. Il est également en avant 
des centres d’impulsion du sang, que ce soient des cœurs dorsaux 
impairs, comme chez l'Anteus, ou des cœurs latéraux, comme chez 
les autres Lombriciens. 

Quant aux poches copulatrices, elles peuvent être situées en avant 
ou en arrière du gésier. Il ne nous parait pas possible d'exprimer 
encore par une loi générale leurs rapports de position avec l'appa- 
reil digestif. Nous ne saurions trop rappeler d’ailleurs que les lois que 
nous exprimons ici sont celles qui résultent des faits exposés dans ce 
travail, elles en sont le résumé et nous ne prétendons nullement 
que l'étude de plus nombreux Lombrieiens ne vienne pas les modi- 
fier en quelques points. Mais dans {une branche quelconque de la 
science il est impossible de procéder autrement. Une loi n’est jamais 
que l'expression des faits connus au moment où elle est énoncée. Il 
en est bien peu que le cours des temps n'ait pas modifiées. 


Si le tube digestif proprement dit se modifie à peine dans tout le 
groupe des Lombriciens terrestres, il n'en est pas de même des 
organes qui lui sont annexés et en particulier de ceux qui sont éhar- 
gés de l'élaboration des sucs digestifs. 

Les seuls dont l'existence puisse être actuellement considérée 
comme constante sont : le revêtement hépatique de l'intestin et les 
glandes pharyngiennes, qui sont probablement homologues de ce que 
l’on est convenu d'appeler glandes salivaires chez les animaux inver- 
tébrés et qui prennent une disposition des plus remarquables chez 


158 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


les Moniligaster. Chez les Perichæta, nous avons vu quel degré de com- 
plication pouvaient atteindre les glandes qui s'ouvrent dans l’œso- 
phage. Sur l'intestin même, M. Vaillant à signalé un cœcum qu'il a vu 
chez le P. cingulata de Schmarda, que j'ai retrouvé sur une espèce 
originaire du Saïgon, et voisine du ?. posthuma. L. V., et sur toutes les 
autres espèces. Jusqu'ici, les Perichœæta sont les seuls Lombrics qui se 
soient montrés aussi riches en organes glandulaires. Il ne faut pas 
oublier cependant que l'attention a été bien peu dirigée sur ce point, 
et il est probable que ces animaux ne demeureront pas aussi exCcep- 
tionnels à ce point de vue. 

Malheureusement, l'étude des glandes un peu délicates n'est 
possible que sur des individus frais, que l’on n’a pas essayé jusqu'ici 
de se procurer, bien que cela soit relativement facile, les Lombrics 
étant de tous les animaux mous ceux qui résistent le plus facilement 
aux voyages quand on les laisse dans la terre où ils ont été trouvés. 

Il résulte, comme on a pu le voir, de ce que nous venons de 
dire, que les caractères anatomiques tirés de la situation relative des 
organes digestifs et des autres organes des Lombrics coïincident par- 
faitement avec le caractère extérieur tiré de la position des orifices 
génitaux relativement à la ceinture, ce qui semble venir à l'appui du 
groupement que nous avons adopté dans nos descriptions et dans le 
classement de la collection du Muséum. 

Il semble que les orifices génitaux, en se retirant en arrière, 
aient entraîné avec eux tout l'appareil génital et aient ainsi forcé les 
organes essentiels à enjamber le gésier, comme ils avaient eux-mêmes 
enjambé, plus ou moins complétement, la ceinture. 

Nous devons cependant faire remarquer que les poches copula- 
trices sont demeurées indépendantes de ce mouvement de retrait, 
puisque chez les Lombriciens intraclitelliens on les trouve aussi bien 
en avant qu'en arrière du gésier. Nous ne sommes pas certain de leur 
existence chez tous les Lombriciens intraclitelliens. Chez FAnteus, où 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 159 


nous avons rencontré quelque chose qui leur ressemble, elles sont 
morphologiquement en arrière du gésier, bien qu'elles paraissent en 
avant par suite du refoulement à la hauteur du neuvième anneau, de 
ce dernier, qui dépend, comme nous l'avons dit, du sixième. 

Voilà donc un Lombricien intraclitellien où, par analogie, on 
croirait devoir chercher les poches copulatrices en avant du gésier, 
comme cela a lieu chez quelques postelitelliens et où elles sont 
cependant en arrière. La loi provisoire que nous avons énoncée s’ap- 
plique donc exclusivement, nous tenons à le préciser, aux organes 
génitaux essentiels, aux testicules et aux ovaires. 


DE L'APPAREIL CIRCULATOIRE, 


On sait que chez les Lombries ordinaires, l'appareil circulatoire 
se compose de trois vaisseaux longitudinaux; l’un dorsal, les deux 
autres ventraux et respectivement situés au-dessus et au-dessous de 
la chaîne nerveuse. Ces vaisseaux sont reliés entre eux par des anses 
latérales, accolées à l'intestin ou se ramifiant sous la peau. 

Le vaisseau ventral supérieur est particulièrement chargé de la 
circulation intestinale, le vaisseau sous-nervien de la circulation 
cutanée. 

Quelques-unes des anses latérales antérieures se renflent, prennent 
un aspect moniliforme, deviennent contractiles et constituent autant 
de cœurs latéraux. 

C’est là le type général que nous retrouvons chez la plupart des 
Lombriciens. 

Peut-être, chez les Perichæta, n’y a-t-il qu'un seul vaisseau ven- 
tral; mais c’est là un point encore douteux. Dans tous les cas, une 
relation qui paraît constante, c’est le voisinage des cœurs et des testi- 
cules, de telle sorte que les uns et les autres se trouvent parfois dans 


160 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


les mêmes anneaux. Néanmoins, règle générale, les anses contractiles 
sont en avant des testicules, entre ceux-ci et le gésier dans les Lom- 
briciens intra et postclitelliens, et tout à fait en avant dans les 
autres. 

Cette règle n’est pas infirmée pour les anses contractiles ordinaires 
des Anteus et des Titanus ; mais là, à ces anses viennent s'ajouter des 
organes d’impulsion spéciaux, plus perfectionnés et qui se trouvent en 
arrière des testicules. Ces organes se constituent d’ailleurs soit au 
moyen du vaisseau dorsal, soit au moyen des anses contractiles laté- 
rales, comme je l’ai montré chez les Titanus et les Rhinodrilus *. 

Ces modifications dans le mode de formation des organes d’im- 
pulsion ne sont pas les seules qui méritent d'être signalées. Ainsi, 
au contraire de la simplification que nous avons dubitativement 
signalée chez les Perichæta, une complication se manifeste chez les 
Rhinodrilus par l'addition d'un second vaisseau dorsal. L'appareil de 
la circulation périphérique, celui de la circulation intestinale, semblent 
ici séparés; les cœurs à oreillette et ventricule dépendent de ce der- 
nier système, ainsi que les anses contractiles qui les suivent. 

Par les quelques linéaments que nous venons de tracer, on voit 
que l'appareil circulatoire des Lombriciens est loin d’être encore 
bien connu. Il présente d'intéressantes modifications qu'il serait utile 
de pouvoir étudier dans tous les groupes. Là encore il est indispen- 
sable de s'adresser à des individus frais, qu'on ne peut malheureuse- 
ment se procurer que très à la longue. 


1. Voir dans ce Mémoire ce que j'ai dit précédemment au sujet de la constitution des 
cœurs latéraux véritables de ces genres et du cœur dorsal impair des Anteus, Perichæta et 
Urochæta, dans les chapitres relatifs aux diverses espèces de ces genres. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 161 


APPAREILS D'EXCRÉTION. 
ORGANES SEGMENTAIRES. 


Nous nous sommes, dans la première partie de ce travail, posé 
la question suivante : 

«-Doit-on, avec Ray Lankester, considérer les Lombriciens ter- 
restres comme typiquement pourvus de deux paires d'organes segmen- 
taires dans chaque anneau, toute la série supérieure de ces organes 
avortant généralement, sauf dans certains anneaux où les organes 
restants se modifient de manière à remplir certaines fonctions spé- 
ciales? » 

Si cela est, avons-nous dit, il doit se présenter des cas où l'avor- 
tement est moins complet que chez nos Lombrics indigènes, les 
seuls qui aient été bien étudiés; dans d'autres cas, lavortement 
peut avoir été déplacé et nous devons trouver la série supérieure 
revenant à son développement normal, coexistant avec la série infé- 
rieure, ou prenant sa place. i 

A la vérité, aucun de ces cas ne se fût-il présenté, nous n'avions 
pas le droit de conclure en toute rigueur contre l'hypothèse, mais 
si l’un ou plusieurs d’entre eux se rencontrent, cette dernière devient 
probablement, par ce seul fait, l'expression d'une réalité. 

Tout d'abord une question secondaire se présente. Comment 
distinguer l’un de l’autre les deux systèmes d'organes segmentaires, 
si l’un d’eux est seul développé? 

Comment caractériser chacun d'eux? 

Nous devons avant tout examiner cette question, et elle se trouve 
heureusement résolue par l'étude des animaux que nous avons eus 


à notre disposition. 
VIIT. 21 


162 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Dans la grande majorité des cas (Lumbricus, Acanthodrilus, etc.) 
l'orifice externe des organes segmentaires se trouve placé légèrement 
au-dessus des soies de la rangée inférieure et toujours en avant. 

Il semble donc déjà que cette relation prenne la valeur d’une loi 
morphologique. Mais nous avons vu que les soies de chaque paire 
ne demeurent pas toujours unies. Quand elles se séparent. comme 
chez les Titanus, de manière à former huit rangées longitudinales, 
que va-t-il arriver? L’orifice conservera-t-il sa position initiale rela- 
tivement aux lignes médianes dorsale et ventrale, ou se déplacera-t-il 
en même temps que les soies? 

Dans la première alternative, il est évident que nous devions 
chercher un autre point de repère pour déterminer la position de 
l'orifice en question; dans la seconde, il est non moins évident que 
ce point de repère est tout trouvé : c’est la position des soies loco- 
motrices. 

Eh bien, dans les Titanus, à mesure que les deux soies de la 
paire inférieure de chaque anneau s’écartent l’une de l’autre, nous 
voyons l'orifiee des organes segmentaires se déplacer avec la soie supé- 
rieure, demeurer toujours dans son voisinage, en avant et un peu 
au-dessus, dans les relations mêmes où il se trouvait quand les deux 
soies étaient géminées. 

On peut donc se croire autorisé par ce fait, malheureusement 
unique, à énoncer cette loi : 

« L'orifice externe de la série inférieure des organes segmentaires est 
intimement lié à la soie supérieure de chaque paire inférieure de soies; il 
est placé au devant et un peu au-dessus d'elle; il la suit dans tous ses 
déplacements ; ils se caractérisent mutuellement. » 

Ceci étant établi, il demeure évident que, par analogie, s’il 
existe un second système d'organes segmentaires, il devra proba- 
blement se trouver dans les mêmes relations morphologiques avec 
les soies de la rangée supérieure. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 163 


C'est, en effet, ce que nous trouvons chez les Anteus, les Rhino- 
drilus et les Moniligaster. Ici on voit une ligne d’orifices, en avant 
et au-dessus de chacune des soies supérieures de la rangée supé- 
rieure. Î} n'existe pas d’orifices en avant des soies de la rangée 
inférieure. Nous devons admettre en conséquence que, dans ces 
genres, nous avons affaire à un système d'organes segmentaires 
morphologiquement différent d& premier, système que nous appel- 
lerons système des organes segmentaires supérieurs. Le système des organes 
segmentaires inférieurs à avorté. 

Ainsi, il est rendu au moins fort probable par ce que nous 
venons de dire que les Lombries possèdent bien typiquement denx 
paires d'organes segmentaires par anneau. [I est même digne de 
remarque que ehez l’Anteus, dont les cloisons interannulaires anté- 
rieures sont si épaisses, ces organes segmentaires, sans presque se 
modifier, servent de canaux déférents. 

Malheureusement notre démonstration s'arrête à ces faits. Nous 
n'avons pas vu les deux systèmes d'organes coexister d'une manière 
évidente; cela rendrait la démonstration complète. Mais les disposi- 
tions que nous venons de signaler rentrent d'une manière trop 
frappante dans les conséquences de l'hypothèse de Ray Lankester, 
pour qu'il soit actuellement impossible de ne pas lui accorder quelque 
valeur positive. 

11 semble donc que l’on puisse prévoir dès ce moment qu'on 
trouvera des Lombrics à huit rangées de soïes. isolées chez qui les 
organes segmentaires s’ouvriront en avant des rangées de soies les 
plus élevées, qu’on en trouvera d’autres chez qui l’une des deux séries 
existera dans une partie du corps, l’autre série se montrant dans le 
reste de Fanimal, qu'enfin — au moins dans une certaine région du 
corps — les deux séries d’orifices pourront coexister. 

Il est bien fâcheux que Kinberg, qui a eu à sa disposition des Vers 
si eurieux et d'origines si diverses, n'ait donné aucun détail sur ce point. 


164 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM 


Il y a d’ailleurs parmi les Vers que j'ai décrits dans ce Mémoire, 
des animaux remarquables et qui réalisent presque ila démonstration 
que j'ai essayé d'établir : ce sont les £udrilus. Là, comme dans l’An- 
teus et le Rhinodrilus, les orifices des organes segmentaires sont en 
avant des soies de la rangée supérieure. Nous avons donc affaire 
à des organes segmentaires supérieurs. Ces orifices se retrouvent avec 
tous leurs caractères, mais un diamètre un peu plus grand sur les an- 
neaux seize, quatorze, quinze et treize qui font partie de la ceinture. De 
plus, le seizième anneau porte une paire d'orifices qui sont exactement 
situés sur le prolongement des deux rangées inférieures de soies, 
exactement dans la situation que devraient occuper les orifices des 
organes segmentaires inférieurs. Seulement ici, les paires inférieures 
des soies de l'anneau ont disparu, et les orifices en question se 
trouvent reportés à la partie postérieure de l'anneau; cela s'explique 
suffisamment par la grandeur de ces orifices et les modifications 
apportées à leurs usages. Ces orifices sont en effet ceux des canaux 
déférents. L'absence des soies qui devraient leur correspondre, corré- 
lative du grand développement de ces orifices, semble bien indiquer 
ici qu'il y à une liaison morphologique intime entre ces deux sortes 
d'organes; elle confirme l’opinion que nous avons émise relativement 
à la nature de ces orifices, tendant à les faire considérer comme 
ceux d'organes segmentaires inférieurs. Par conséquent, nous trou- 
vons ici, dans un même anneau, les deux catégories d'organes super- 
posées et, comme cela devait arriver quelque part, dans un rapport 
inverse à celui qu'on observe chez les Lombrics. Toutefois ces mêmes 
Eudrilus font naître une difficulté nouvelle. Leur quatorzième anneau 
porte, outre l’orifice segmentaire habituel, un orifice nouveau placé 
en arrière du premier et qui n’est pas autre chose que l’orifice com- 
mun d’un oviducte et d’une poche copulatrice. Par sa position, cet 
orifice rappelle celui des organes segmentaires et porterait à ratta- 
cher la poche copulatrice qui porte l'ovaire au système des organes 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 165 


segmentaires supérieurs. Comme cet organe el son orifice extérieur 
existent également dans le même anneau, on est bien forcé de 
repousser celte homologie, et la conséquence de ce fait semble être 
que les poches copulatrices, contrairement à une opinion que d’autres 
faits semblaient rendre probable, ne sont nullement des modifica- 
tions des organes segmentaires. Ajoutons cependant qu'ici la relation 
singulière que l'ovaire contracte avec les poches copulatrices peut 


servir à diminuer un peu la valeur de l’objection. 


Nous venons de nous occuper des Lombriciens qui portent huit 
soies sur chaque anneau. Que deviennent dans les autres les relations 
que nous avons tâché d'établir? Je laisse là une lacune que de plus 
heureux rempliront. Je n'ai pu observer parmi les Lombriciens pré- 
sentant plus de huit soies que les Perichæta et les Perionyr, et chez 
ceux-là il m'a été impossible de découvrir sur les téguments d’autres 
orifices que ceux des pores dorsaux, des poches copulatrices, des 
canaux déférents et des oviductes. 

À l’époque où j'ai eu des Perichæta vivants entre les mains, mon 
attention ne s'était pas encore portée sur les organes segmentaires, et 
je m'attachai d'autant moins à les rechercher que M. Vaillant ne 
les avait pas trouvés chez le P. cingulata et que je ne songeais en 
aucune façon à contrôler ses résultats, Je n’affirmerai donc pas posi- 
tivement ici que chez les Perichæta les deux systèmes d'organes 
segmentaires soient frappés d’avortement. Néanmoins cela ne me 
paraîtrait en aucune façon’ surprenant. Du moment que l’un de ces 
systèmes peut avorter d’une manière aussi persistante, que néanmoins 
l'avortement ne porte pas constamment sur l’un des systèmes de 
préférence à l’autre, il n’y a pas de raison pour que dans certains 
types l'avortement ne porte pas sur les deux systèmes à la fois”. 


41. Depuis le moment où ce passage a été écrit, il m’a été possible d'étudier à ce point de 


166 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Une autre question se pose ici : c'est celle de la nature des pores 
dorsaux, de leurs conditions d'existence ou de disparition, des carac- 
tères que l’on en peut tirer. Malgré mon désir d'aborder ce pro- 
blème, je ne crois pas avoir encore de documents suffisants pour le 
résoudre. 


SYSTÈME NERVEUX. 


Le système nerveux des Lombriciens terrestres n’a pas été de 
ma part l’objet de recherches approfondies. Il paraît se présenter 
avec un grand caractère d’uniformité. 

Il me suffira d’ailleurs de renvoyer aux travaux de Faivre‘ de 
Claparède*® et de M. de Quatrefages”® pour ce qui concerne l'anatomie 
ou l’histologie des Lombrics de nos pays. On peut lire d’autre part 
dans ce Mémoire même, au chapitre des Perichæta, un résumé de ce 
que M. Vaillant, d’une part, et moi, de l’autre, avons observé chez 
ces derniers animaux. 

Le plan général se trouvant le même, l'intérêt se porte surtout 
sur le système stomato-gastrique si complétement décrit par M. de 


vue d'assez nombreux Perichæta, conservés depuis peu dans l’alcool et en très-bon état ; or, à 
l'extérieur de leurs téguments, il m'a été absolument impossible de: découvrir aucune trace 
d'orifice latéral; je n'ai pas davantage trouvé à l’intérieur d’indice des tubes entortillés caracté- 
ristiques des organes segmentaires; mais j'ai trouvé à leur place soit un réseau glandulaire, soit 
. des tubes délicats pourvus de vaisseaux, et qui évidemment en tiennent lieu. Il me paraît certain 
qu'ici il y a un avortement incomplet des deux systèmes d'organes, et il n’est pas sans intérêt 
de rapprocher cet avortement de ce fait que précisément il a lieu chez des Vers pour qui le 
mode de distribution des soies rend illusoire la loi morphologique que nous avons 

ment énoncée. 

L'importance de ce rapprochement n’est pas diminuée par ce qui a lieu chez les Porn 
qui possèdent des organes segmentaires bien développés, mais dont il m'a été cependant impos- 
sible de retrouver les orifices extérieurs. 

4. Ann. Sc. Nat., 1856. 

2. Zeitschrift für wissensch. Zoologie, 1869. 

3. Règne animal. — Ed. Masson, et Annélides des Suites à Buffon de Roret. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 167 


Quatrefages pour le Lombric terrestre et dont j'ai indiqué quelques 
traces chez le Perichæta Houlleti, 

Il y aurait aussi un grand intérêt à connaître exactement la dispo- 
sition des branches nerveuses dans chaque anneau, leur rapport avec 
les différents organes contenus dans ces anneaux, leur mode de ter- 
minaison, enfin la manière exacte dont chaque anneau est mis en 
communication nerveuse avec ses voisins. Ce sont là des recher- 
ches que j'ai commencées sur quelques Lombrics indigènes, qui ne 
peuvent être continuées avec avantage,sur les divers types de la 
classe qu'après avoir été menés à bonne fin sur un type primitive- 
ment choisi. 

J'espère pouvoir publier bientôt un travail étendu sur ce point, 
en conséquence je ne m'étendrai pas davantage ici. 

Je dois dire pourtant que, même chez les vers les plus élevés, 
il m'a été impossible de rien voir qui pût être considéré comme 
un organe des sens bien défini. 

I y a bien dans la peau quelques parties qui semblent en rap- 
port avec le sens du toucher; mais le sens de la vue et celui de l'ouie 
paraissent complétement absents. Quant à l'odorat et au goût, qui se 
traduisent rarement à l'extérieur par des organes caractéristiques, on 
conçoit qu'il n’en puisse être ici question. 


APPAREIL GÉNITAL. 


Les Lombriciens sont actuellement considérés comme hermaphro- 
dites, tandis que les Annélides sont au contraire dioïques et c'est 
là un des caractères les plus frappants qui distinguent ces deux 

classes d'Annelés. 
- Toutefois des recherches encore récentes sont venues enlever à 
ces différences le caractère absolu qu’elles ont eu longtemps. 


168 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Parmi les Annélides et, dans des genres habituellement dioïques, 
il s’est trouvé quelques espèces véritablement hermaphrodites. Ces 
découvertes n’ont cependant pas supprimé la valeur zoologique du 
caractère mis en lumière par M. de Quatrefages. C’est, en effet, dans les 
Annélides tout à fait inférieures seulement que l’hermaphroditisme à 
été constaté ; il est en quelque sorte, chez elles, une marque de dégra- 
dation de l'organisme et n’a pas plus d'importance pour la caractéris- 
tique générale de la classe que l'absence de soies qui a été signalée 
par M. Strethill Wrigth, M; Dyster, puis par M. van Beneden père, 
chez l'Annélide qu'ils ont nommée le premier Phoronis hippocrepia et le 
troisième Crepina. 

De même il n’est pas impossible que chez les Lombriciens l’her- 
maphroditisme ne soit pas absolument général. Nous avons vu en 
effet que, chez quelques Lombriciens intraclitelliens, il semblait que 
les sexes pussent se trouver séparés. Ces faits ont toutefois besoin 
de confirmation. 

Dans tous les cas, la dioïcité coïnciderait ici avec un degré plus 
grand de perfection de l'organisme. De telle façon que si, d’une part, 
les Annélides en se dégradant semblent passer aux Lombriciens infé- 
rieurs, inversement les Lombriciens en se perfectionnant paraissent 
revenir aux Annélides, du moins sous le rapport de la constitution 
de l'appareil génital. 

L'hermaphroditisme est d’ailleurs de beaucoup le cas le plus 
général ; il y a donc lieu de considérer pour chaque ver : 

1° L'appareil génital mâle et ses accessoires ; 


2° L'appareil génital femelle et ses accessoires. 


4° — APPAREIL GÉNITAL MALE. 


L'appareil génital mâle se compose de parties essentielles ce sont : 
Les Testicules ; 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 169 

Et de parties accessoires : 

1° Les canaux déférents; 

2° Les glandes accessoires ; 

3° Les vésicules séminales ; 

k° Les organes copulateurs. 

Nous nous occuperons successivement de chacune de ces parties. 

Des testicules. — Les testicules peuvent être au nombre de une, 
deux ou trois paires. Je n'en ai jamais trouvé davantage. Dans le 
premier cas, les testicules sont linguiformes, diversement ondulés et 
très-volumineux (Titanus brasiliensis). 

Le second cas, qui paraît être le plus fréquent, s’observe chez les 
Anteus, Rhinodrilus, Acanthodrilus, Perichæta, Digaster. 

En général, les testicules sont alors égaux, diversement lobés et 
formés par une masse pulpeuse, blanchâtre , demi-transparente , au 
milieu de laquelle se voient quelques taches d’un blanc de craie. Outre 
les spermatozoïdes, j'ai vu presque toujours de nombreuses gréga- 
rines ou psorospermies, à tous les états de développement, remplir 
ces organes. Ce parasite paraît être eonstant dans les testicules des 
Lombriciens terrestres ‘, et sa forme varie très-peu avec les espèces 
de Lombrics qu'il habite. 

On doit signaler comme une exception remarquable les testicules 
en grappe des Digaster. 

On trouve enfin trois paires de testicules chez les Eudrilus et les 
vrais Lombrics. Seulement, chez les premiers de ces Vers, les trois 
paires de testicules sont quelquefois égales, tandis que chez les Lom- 
brics la première et la seconde paire sont bien moins développées 
que la troisième; cela m'a paru un fait général. 

J'ai déjà indiqué les rapports des testicules avec les organes voi- 
sins; je n’y reviendrai pas. J’ajouterai seulement que les testicules 


42 PL mi, fig. 63. 
VII. 


‘470 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


paraissent toujours attachés à la région postérieure et inférieure de la 
cloison antérieure des anneaux qui les contiennent. 
Je ne voudrais rien dire de général sur leur histologie, — les ani- 
maux conservés dans l’alcool ne se prêtant pas à ce genre d’études. 
Les indices de spermatozoïdes que j'ai pu voir semblent indiquer 
que ces éléments se développent exactement comme chez nos Lom- 
-briciens indigènes. 
1 ne paraît y avoir aucun rapport entre le nombre des paires de 
testicules et la famille à faquelle appartiennent les Lombrics; au con- 
traire, jusqu'ici le nombre de ces organes paraît constant dans le 
-même genre (Lumbricus, Perichæta, Acanthodrilus, ete.). 


Canaux déférents. — Règle générale, les canaux déférents sont 
au nombre de deux. Ils sont symétriques et constitués chacun par 
un canal étroit, appliqué contre la paroi ventrale du corps, souvent 
à demi enfoui dans le tissu musculaire du corps et par conséquent 
assez difficile à distinguer. 

D'une part, ce canal s’ouvre à l'extérieur directement ou indirec- 
tement; de l’autre, il se bifurque et chacune des branches nouvelles 
se termine par un épanouissement membraneux, en forme de pavil- 
lon, à surface plissée (Lumbrieus terrestris, L. americanus, Perichæta, etc.) 
ou papilleuse (L. Victoris). Ces pavillons sont formés de cellules con- 
stituant un épithelium vibratile très-actif. 

Les pavillons peuvent d’ailleurs affecter deux modes de disposi- 
tion différents : tantôt ils sont à peu près libres dans la cavité du 
corps, tantôt, au contraire, ils s'engagent dans la membrane d’enve- 
loppe du testicule et font ainsi corps avec la glande sécrétante. 

Ces deux dispositions se retrouvent dans le genre Lumbricus. 1] 
existe, comme on sait, dans les espèces de notre pays et dans toutes 
celles du genre que j'ai examinées, trois paires de testicules. On ne 
trouve jamais pour ces trois paires de testicules que deux paires de 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 174 
pavillons vibratiles situés chacun entre deux paires de testicules con- 
sécutives. 

Chez nos Lombrics ces pavillons vibratiles sont égaux, engagés 
dans le tissu enveloppant du testicule ét semblent desservir le pre- 
mier les deux petits testicules, le second le grand testicule seule- 
ment. C'est là du moins ce qui résulte des figures de d'Udekem. 

Chez le Lombric de Damiette dont j'ai déjà parlé, sous le nom 
de L. Victoris, les pavillons vibratiles ont la même situation et sont 
encore égaux; mais ils flottent librement dans la cavité du corps, et 
leur surface papilleuse apparaît dés qu'on ouvre l'animal comme un 
amas de villosités blanchâtres. 

Chez le Lumbricus americanus, les pavillons vibratiles sont encore 
libres; mais le pavillon postérieur prend un développement énorme 
et remplit toute la cavité générale, tandis que le pavillon antérieur 
conserve son volume normal. Chaque pavillon paraît du reste pouvoir 
desservir à la fois deux paires de testicules, et le développement 
énorme du second peut être considéré comme corrélatif du déve- 
loppement, lui-même très-considérable, de la troisième paire de tes- 
ticules. 

Ainsi, dans le genre Lombric, l'appareil génital est construit Sur 
deux types un peu différents, les pavillons vibratiles des canaux 
excréteurs du sperme pouvant être où non libres dans la cavité du 
corps. 

Il est d’ailleurs assez remarquable que les testicules étant au 
nombre de trois paires, les pavillons vibratiles demeurent néanmoins 
au nombre de deux seulement de chaque côté du corps. 

Faudrait-il voir dans les deux premières paires de testicules une 
division en deux lobes profonds d’une glande ne constituant primiti- 
vement qu'une seule paire? Je ne saurais le dire en ce moment; mais 
cette hypothèse ramènerait les Vers du genre Lumbricus au type qui 
paraît être le plus général chez les Lombriciens. 


172 NOUVELLES ARCHIVES DU :MUSEUM, 


D'ailleurs, chez les £udrilus, les trois paires de testicules sont 
bien évidemment indépendantes, et chacune m'a semblé posséder sa 
paire spéciale de pavillons vibratiles, engagée comme chez nos Lom- 
brics indigènes dans la membrane d’enveloppe du testicule ; toutefois 
mes observations sont incomplètes en ce qui touche le nombre de ces 
pavillons. 

Chez tous les autres Lombriciens que j'ai examinés, sauf peut- 
être les Moniligaster, les pavillons vibratiles sont en nombre égal à celui 
des testicules et toujours libres dans la cavité générale. 

Il est bon de noter ici que les Acanthodrilus et les Moniligaster, 
avec leurs quatre orifices génitaux et leurs quatre canaux déférents, 
portant ordinairement chacun son pavillon vibratile, semblent indi- 
quer qu'il faut considérer la paire unique de canaux déférents des 
autres Lombriciens comme résultant de la fusion de deux paires 
primitives qui ne demeurent séparées que par leur extrémité libre. 
C’est là un point de morphologie qu'il serait intéressant d'élucider 
par l'étude d’un plus grand nombre de types. 

Peut-on et doit-on considérer les canaux déférents comme homo- 
logues des organes segmentaires? Je n'hésite pas à répondre oui à 
cette question, et voici mes raisOns : 

le Chez l’Anteus gigas, ce sont les organes segmentaires eux- 
mêmes, sans aucune modification de position et presque sans aucune 
modification de forme, qui jouent le rôle de canaux déférents. 

2° Les orifices de ces canaux occupent toujours à peu près la 
même position que ceux des organes segmentaires correspondants. 

8° Leurs relations avec les soies sont évidentes, puisque chez le 
Rhinodrilus les soies voisines se modifient de manière à jouer un rôle 
nouveau en rapport avec le rôle, nouveau lui-même, que l'organe seg- 
mentaire modifié est appelé à jouer. — Ce rapport est encore plus évi- 
dent chez les Acanthodrilus, où les orifices des organes segmentaires 
devenus canaux déférents et ceux des sacs sétigères correspondants 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 173 


se confondent. Toutefois ce rapport cesse de se montrer pour l’un des 
systèmes d’orifices mâles chez les Moniligaster. 

4° L'existence démontrée de deux systèmes, d'organes segmen- 
taires correspondant à chaque série de soies, dans le type schéma- 
tique du Lombric, élimine l'objection provenant de la coexistence des 
organes segmentaires et des canaux déférents dans un même anneau. 

A la vérité un certain nombre de questions me paraissent encore 
obscures. 

On sait que, sauf chez les Anteus, les canaux déférents traversent 
généralement plusieurs anneaux, tandis que les organes segmentaires 
sont assez souvent à cheval sur deux anneaux, mais jamais plus, — 
habituellement même ils sont contenus tout entiers dans le même 
anneau. Gela étant, à quel anneau faut-il attribuer les canaux défé- 
rents? 

Doit-on en faire des dépendances de l'anneau qui porte leur ori- 
fice? C'est là la première idée qui se présente; elle est d’ailleurs con- 
forme à la manière de voir généralement adoptée pour les Naïs, où l'on 
ne considère que l’orifice externe des organes segmentaires pour 
caractériser ces derniers. Mais si l’on remarque que les organes seg- 
mentaires des Lombriciens terrestres ne portent jamais qu'un pavillon 
vibratile, tandis que les canaux déférents en portent deux. si l'on 
se souvient que chez les Acanthodrilus et les Moniligaster, ces canaux 
demeurent dédoublés dans toute leur étendue et ne portent alors 
chacun qu'un pavillon vibratile; si l’on ajoute enfin que les canaux 
déférents sont en général beaucoup plus volumineux que les organes 
segmentaires correspondants, on arrive à se demander s’il ne faut pas 
considérer chaque canal déférent comme résultant de la fusion de 
plusieurs organes segmentaires et il reste alors à déterminer le nombre 
et la position de ceux de ces organes qui se sont ainsi confondus. 

J'avoue qu’il ne m'est pas possible, dans l’état actuel de mes con- 
naissances, de décider ce qu'il faut penser de cette manière d'envi- 


174 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


sager les canaux déférents et des questions secondaires qui s'y ratta- 
chent. 

Une autre lacune qui me paraît importante à combler est celle-ci : 
dans les anneaux où se trouvent à la fois les organes segmentaires et 
les canaux déférents, quels sont les rapports exacts des uns et des 
autres ? 

Par l'inspection des orifices extérieurs il m'a été difficile de me 
faire une idée précise de ces rapports; quant aux dispositions inté- 
rieures, je n'ai encore que des données trop incomplètes pour qu'il 
me soit possible de formuler un jugement. 

Malgré l'attention que j'ai portée sur ce point, je crois donc 
devoir réserver encore mon opinion. Je reprendrai, je l'espère, ce 
sujet avec d’autres matériaux et je ferai mes efforts pour l’élucider. 
C'est là, du reste, il faut bien le reconnaître, la pierre de touche 
des idées morphologiques dont je viens de me déclarer partisan et 
auxquelles je renoncerais sans plus d’hésitation si les faits qui restent 
à découvrir ne venaient pas se coordonner facilement autour d'elles. 

Glandes accessoires. — C’est un fait très-remarquable que, parmi 
tous les Lombriciens que nous avons étudiés, ceux-là seulement dont 
les orifices génitaux mâles sont en arrière de la ceinture se soient 
montrés pourvus d'une glande accessoire plus ou moins assimilable à 
une prostate, et que d’ailleurs aucun d’entre eux n’en ait été privé. 
J'ignore si des exceptions se présenteront plus tard à cette loi, qui se 
présente cependant avec un caractère de netteté inspirant une grande 
confiance. 

Comment sont constituées ces glandes? J'ai pu le rechercher sur 
quelques échantillons vivants. 

Comme on peut le voir par la figure que nous en donnons !, la 
prostate lobée des Perichæta est constituée par un tissu conjonctif assez 


4, PI. ur, g. 56. — Perichæta Houlleti. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. -475 


lâche unissant un nombre considérable de culs-de-sac piriformes,, à 
contours granuleux et qui noircissent par le nitrate d'argent faible, 
tandis que le. tissu intersticiel demeure blanchâtre. On arrive ainsi à 
mettre bien nettement en évidence la constitution de ces organes. Les 
culs-de-sac se prolongent d’ailleurs en conduits grêles qui s’abouchent 
successivement les uns avec les autres et finissent par se rendre dans 
le canal excréteur unique de la glande, canal qui s'ouvre lui-même 
directement dans le canal déférent. 

Cette structure est évidente sans préparation chez le Perichæta 


elongata. 

Une structure analogue se voit chez les Acanthodrilus et les 
Digaster. 

Vésicules séminales. — Chez les Eudrilus, à la place de la prostate, 


on voit un simple tube à parois translucides en avant, d'aspect laiteux 
en arrière, à surface lisse et comme tendue par un liquide. Ce tube 
très-volumineux est quelquefois accompagné d’un diverticulum en 
forme d’Y; je n’ai pu en faire l'étude histologique. 

Mais tout porte à considérer cet organe comme une véritable 
vésicule séminale. C’est encore la signification qu’il convient, croyons- 
nous, d'attribuer à la longue poche à extrémité réfléchie dans 
laquelle vient s'ouvrir le canal excréteur de la deuxième paire de 
testicules chez les Moniligaster. 

Appareils copulateurs. — C'est principalement aussi chez les Lom- 
briciens postclitelliens que des appareils copulateurs nettement définis 
se sont montrés. Parmi les intraclitelliens, les Eudrilus sont pourvus 
d’un appareil de ce genre. De même que chez les intraclitelliens nous 
avons vu les centres d’impulsion du liquide sanguin se constituer au 
moyen de parties très-différentes de l'appareil circulatoire, et se COm- 
pliquer plus ou moins quand ils se constituaient aux dépens d’une 
partie déterminée; de même, nous allons voir dans la classe des Lom- 
briciens une certaine partie, se compliquant graduellement, donner 


176 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


finalement un pénis absolument parfait, et celui-ci se constituer dans 
d'autres cas au moyen de parties toutes différentes. 

Chez les Pericheta* qu'il a étudiés, M. Vaillant ne signale rien qui 

ressemble à un pénis; suivant cet anatomiste, le canal de la prostate 
cet le canal déférent s'unissent en un tube extrémement court qui 
s'ouvre directement au dehors. Ici donc, si l'on s’en rapporte aux 
figures et aux descriptions de M. Vaillant, il n'y aurait même pas de 
rudiment d’un pénis. 

Chez les Digaster et les Moniligaster, on voit déjà quelque chose de 
plus. Le canal déférent très-grêle vient se jeter dans le canal excréteur 
de la prostate, au point même où celui-ci sort de la glande*. I] en 
résulte un canal mixte beaucoup plus volumineux que le canal défé- 
rent, assez allongé, à parois flasques et molles, présentant quelques 
fibres musculaires et que l’on peut considérer comme le premier 
rudiment d’un pénis. 

En effet, chez le Perichæta Houlleti, ce canal se renforce de fibres 
musculaires longitudinales et annulaires formant une couche épaisse 
autour de ses parois et leur donnant avec une grande opacité, une 
solidité considérable et un aspect nacré. Ce canal est habituellement 
recourbé en fer à cheval, de manière que ses deux extrémités soient 
rapprochées l’une de l’autre. Bien que je sois tenté de croire le con- 
traire, il est possible qu’il fasse saillie au dehors lors de l’accouple- 
ment et joue à cet instant le rôle d’un véritable pénis. Quoi qu'il 
en soit, voilà une partie de l'appareil excréteur du sperme qui com- 
mence évidemment à se distinguer du reste du canal déférent, plus 
que la partie correspondante des Digaster et qui joue évidemment 
un rôle actif dans l’accouplement. Cela justifie pleinement notre 
détermination de cette partie comme un pénis rudimentaire. 


1. Perichæta posthuma. L. V. et P. cingulata. Schmarda. Ann. Sc. Nat. loc. cit. 
2. PI. u, fig. 25, et pl. 1v, fig. 79. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 177 


Enfin, chez les £udrilus, la spécialisation est complète. 

Le pénis est encore formé par l'extrémité du canal mixte résul- 
tant de la jonction du canal déférent et du canal issu de la poche 
homologue en apparence de la prostate; mais de nouvelles parties 
secondaires se surajoutent au pénis proprement dit. Ce dernier est 
rétractile ; il a la forme d’un crochet musculaire dont la concavité est 
tournée vers la queue de l’animal'. A sa base, ce crochet présente 
inférieurement une poche sphérique assez volumineuse qui peut, 
comme lui, rentrer à l'intérieur. C'est là une seconde vésicule ne 
jouant son rôle que immédiatement avant ou pendant la fécondation. 

Lorsque cet appareil copulateur si complet est rétracté, on ne 
l'aperçoit ni à l’intérieur ni à l'extérieur du corps ; cela tient à ce qu'il 
est alors renfermé dans une poche spéciale en forme d'ampoule circu- 
laire où ses diverses parties sont disposées comme l'indique la figure 27 
de la planche II. On voit alors le canal déférent et le canal de la 
vésicule séminale pénétrer isolément dans cette ampoule ou bourse du 
pénis; ils n'ont pas besoin de s’unir auparavant, les sécrétions qu'ils 
conduisent, si elles sont distinctes, tombant dans la poche rétractile 
dont j'ai déjà parlé et qui peut être considéré comme une seconde 
vésicule séminale. Dans le cas où on admettrait que la vésicule sémi- 
nale fût également glandulaire, cette seconde poche ne serait pas 
seulement un réservoir du sperme, ce serait un réservoir du liquide 
mixte qui est éjaculé. 

Je viens de décrire le plus haut degré de perfectionnement qu'at- 
teigne, à ma connaissance, le pénis musculaire, formé aux dépens des 
parois des canaux excréteurs des glandes par la simple addition des 
fibres musculaires. Mais le pénis peut encore se constituer au moyen 
d'organes empruntés à un autre système, le système locomoteur. 

Que faut-il pour faire un pénis? Un canal éjaculateur et un appa- 


4. PL. u, fig. 27 et 28. 
VIIL. 


178 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


reil de soutien quelconque destiné à donner à ce canal une rigidité 
suffisante pour pénétrer dans l’orifice des organes femelles. 

Tout à l’heure nous avons vu cette rigidité produite au moyen 
de fibres musculaires; nous allons la voir maintenant empruntée 
aux soies locomotrices. 

Que certaines soies puissent jouer un rôle dans l’accouplement, 
c'est là un point que Hering a le premier signalé. On les voit alors se 
modifier dans leurs formes, s’allonger beaucoup, de courbées qu’elles 
étaient devenir droites ‘, ou se couvrir d’ornements spéciaux *. Ce sont 
en général les soies de la ceinture qui se modifient ainsi; mais, chez 
les Rhinodrilus, ces soies sont en même temps les plus voisines des ori- 
_ fices génitaux mâles. Ainsi il ne saurait être douteux que les soies 
locomotrices puissent se prêter à une adaptation spéciale en vue 
de laccouplement. C'est d’ailleurs toujours au voisinage des soies, 
ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, que s'ouvrent soit les organes 
segmentaires, soit les canaux déférents. 

Chez les Acanthodrilus, les canaux déférents et les sacs sétigères 
des anneaux correspondants ont la même ouverture, de telle sorte que 
les soies sont appliquées à la paroi intérieure du canal déférent. Ces 
soies deviennent d’ailleurs plus nombreuses, prennent une forme spé- 
ciale déjà décrite dans la deuxième partie de ce mémoire *, et sont 
renforcées d'assez nombreuses soies de remplacement plus courtes et 
incolores. L'ensemble de ces soies forme un véritable pénis recourbé 
qui fait généralement saillie au dehors et qu'on ne peut mieux com- 
parer qu'aux longs spicules de certains Nématoïdes. 

Ici, on le voit, l'adaptation des soies au rôle d’organe copulateur. 
est complète ; leur forme et leur longueur paraissent les rendre tont 
à fait inaptes au rôle d'organes locomoteurs. 


4. Lombrics, pl. 1, fig. 8. 
2. Rhinodrilus, pl. 1, fig. 10 et 44. 
3. Acanthodrilus, pag. 87 et 90. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 179 


Tels sont les deux modes de formation du pénis qu’il m'a été 
donné d'observer chez les Lombriciens postelitelliens. 

J'ai dit que les organes copulateurs manquaient chez les autres. 
En effet, chez les antéclitelliens je n'ai rien vu qui rappelât même de 
loin un pénis. Mais chez les intraclitelliens, dans le genre Tilanus, si 
le pénis n'existe pas lui-même, on trouve quelque chose d'analogue à 
la bourse du pénis des £udrilus, également intraclitelliens. Là, le canal 
déférent, avant de s'ouvrir à l’intérieur, s’élargit en une sorte d'am- 
poule aplatie, ayant la forme d’une ellipse, dont le grand axe serait 
longitudinal ‘. Cette bourse est reliée aux parois du corps par trois 
brides latérales et extérieures ; son aspect étant le même que celui de 
la bourse du pénis des £udrilus, on s'attendrait volontiers à trouver , 
aussi un pénis dans son intérieur; mais si on vient à la fendre, on 
trouve simplement sur ses parois quelques papilles qui lors de l'ac- 
couplement font peut-être légèrement saillie à l'intérieur. On pourrait 
concevoir que ces papilles en s’allongeant et s’accolant l’une à l'autre 
puissent dans d’autres espèces former un vrai pénis; je ne serais 
donc pas surpris que cela ait été réalisé dans des types autres que 
ceux dont je me suis occupé, et qu’on le retrouvât en particulier 
chez quelques postclitelliens. 

De même l'existence de soies modifiées chez les Rhinodrilus, au 
voisinage des orifices génitaux, semble indiquer que le second mode 
de formation du pénis que j'ai indiqué chez les postclitelliens POUR 
aussi se rencontrer chez les intraclitelliens. 

Toutelois je dois faire remarquer que ces soies modifiées se trou- 
vant ici sur la ceinture, comme cela a lieu chez les Lombrics, il est 
possible que leur adaptation ait suivi une autre voie, car chez Îles 
Lombrics ces soies ne deviennent jamais pénis. Le second mode de 
formation de l'appareil copulateur a donc, en quelque sorte, une 


4. Plx, fig. 45. 


180 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


chance de moins que le premier de se rencontrer chez les Lombriciens 
intraclitelliens. 

J'ajouterai enfin que tous les Lombriciens à appareil copulateur 
bien développé se sont montrés en même temps porteurs d’une 
prostate ou d’une vésicule séminale. Il y a peut-être entre l'existence 
de ces deux organes une relation de cause à effet qu'il serait inté- 
ressant d'établir et qui deviendrait probable s’il se vérifiait que 
l'existence de ces accessoires ne peut cadrer avec la situation anté- 
clitellienne des orifices génitaux mâles, et qu’en même temps les 
animaux présentant cette disposition n’ont jamais que des organes 
copulateurs mâles rudimentaires. 

On voit combien de questions d'anatomie philosophique soulève 
l'étude des organes génitaux mâles des Lombrics. Puis-je espérer 
avoir jamais assezifdeHdocuments pour les résoudre? S'il inspire à 
d’autres le désir d'aborder ces question, mon travail n'en aura pas 
moins porté ses fruits, 

J'aborde maintenant l'étude comparative des organes génitaux 
femelles. 


9 __ APPAREIL GÉNITAL FEMELLE. 


Dans l’appareil génital femelle, nous trouvons aussi des parties 
essentielles : 

Les Ovaires; 

Et des parties accessoires qui sont : 

4° — Les Oviductes ; 

2° — Les Poches copulatrices. 

De ces diverses parties, les ovaires et les oviductes sont en 
général d’une délicatesse et d’une petitesse extrêmes; leur décou- 
verte ne remonte pas à plus de quinze ou vingt ans, et leur étude est 
toujours difficile. Aussi n’aurons-nous pas grand’chose à en dire à 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 181 


propos d'animaux conservés dans l'alcool et où tous les organes sont 
plus ou moins flétris. D'ailleurs, les ovaires ne peuvent être sûrement 
reconnus qu'au moyen de l'examen histologique, qui est trop souvent 
impossible sur les animaux conservés. Nous avons eu heureusement à 
notre disposition quelques individus vivants, d’autres assez bien 
conservés, ce qui nous permettra de donner néanmoins un certain 
nombre de détails qui paraîtront nouveaux. 

Ovaires. — Chez les Lombrics indigènes, les ovaires sont, comme 
on sait, de petits corps piriformes, intimement unis aux| tissus sous- 
jacents et situés de chaque côté de la chaîne ventrale dans le douzième 
ou le treizième anneau. Ils sont assez difficiles à voir et à étudier. 

Cette disposition n’est pas générale et il y a un certain nombre 
de Lombriciens chez qui les ovaires sont beaucoup plus faciles à 
apercevoir. 

Parmi eux se trouvent deux animaux que j'ai pu observer 
vivants : le Lombric de Damiette que j'ai appelé Lumbricus Victoris, 
et le Perichæta Houlleti. 

Chez le premier de ces animaux, les ovaires forment deux petites 
glandes étroites et mamelonnées suspendues perpendiculairement 
à la face postérieure de la cloison antérieure du quatorzième anneau. 
Ils sont très-évidents dans la préparation dès qu'on ouvre l'animal; 
mais on est porté à les méconnaître quand on se rappelle la disposi- 
tion ordinaire de ces organes chez les Lombrics. Aussi ne fus-je pas 
peu surpris, en portant ces petites glandes sous le microscope, de les 
trouver remplies d’œufs. Je me rappelai alors avoir vu chez d’autres 
Lombriciens conservés dans l'alcool, quelque chose d’analogue. Mal- 
heureusement, l’examen histologique de ces parties étant impossible, 
je n’avais pu m’assurer de leur nature, et je n’ai pu retrouver dans 
mes notes d'indications suffisamment précises à leur sujet. 

Chez le Perichæta Houlleti, les ovaires sont encore plu visibles 
et ont une forme toute spéciale. Ce sont des disques membra- 


182 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


neux ‘ remplis d'œufs et supportés par un long pédoncule très-grêle, 
Ce pédoncule est fixé à la base de la cloison postérieure du treizième 
anneau, il est traversé par des vaisseaux qui se rendent au disque, 
s’y épanouissent en rayonnant et forment, en se bifurquant, une anse 
double autour de la plupart des œufs. Les deux branches résultant de 
la bifurcation se réunissent de nouveau après s'être repliées et con- 
stituent un vaisseau de retour qui regagne le pédoncule. La membrane 
-qui forme le disque est formée d’une simple couche de cellules, à 
noyaux très-apparents. 

Nous avons eu occasion de signaler chez d’autres Perichæta des 
formes plus élémentaires. 

Rappelons encore ici les ovaires si évidents des Perionyx et des 
Moniligaster, et ceux des Æ£udrilus grelfés sur les poches copula- 
trices. 

Chez les Anteus et Titanus dont la taille est si considérable, j'espé- 
rais trouver quelque chose qui rappelât l'ovaire ; cela m'a été impos- 
sible. Rapprochant ce fait de l’absence, au moins chez les derniers, 
de poches copulatrices, on voit que là l’hermaphroditisme est loin 
d'être évident. Les Woniligaster nous montrent cependant que les 
ovaires peuvent exister sans qu'il y ait pour cela nécessairement des 
poches copulatrices. La question demeure donc entière. 

Oviductes. — Je n'ai étudié les oviductes que chez les Perichæta 
et chez les Moniligaster; je renvoié pour leur étude à ce que j'en ai 
dit en parlant de ces Vers et aux figures que j'en donne *. Chez les 
Perichæla, ces appareils ressemblent absolument à ceux que Hering à 
décrits chez le Lumoricus terrestris; ils sont plus développés et un peu 
plus complexes ch:z les Moniligaster. IL est probable que l’existence 
de ces organes est constante. | 


4. PI. an, fig. 60. 
2. PI. ui, fig. 62, et pl. 1v, fig. 81 et 84. 


LOMBRICIENS TERRESTRES, 183 


Rien n'indique jusqu’à présent qu’on doive les considérer comme 
des modifications des organes segmentaires. 

Poches copulatrices. — Les poches copulatrices soulèvent d’intéres- 
santes questions au point de vue morphologique. Elles varient non- 
seulement dans leur forme, mais encore dans leur nombre et dans 
leur position relativement aux autres organes de l'animal. Je n'ai 
aucun exemple bien constaté de leur variation de position relative- 
ment aux autres parties constitutives de l'anneau dans lequel elles 
sont situées, 

Les variations de forme et de nombre peuvent s'expliquer très- 
facilement par des réductions ou des avortements plus ou moins 
complets, portant soit sur la totalité, soit sur certaines parties de l’or- 
gane. 

Les variations de position relativement aux autres  viscères 
s'expliquent plus difficilement. À la vérité, nous avons constaté 
ailleurs un déplacement analogue du gésier; mais le gésier n'étant 
autre chose qu'une partie du tube digestif modifiée d’une certaine 
façon, on conçoit sans peine que cette modification puisse se produire 
plus haut ou plus bas. Ces changements, qui portent sur le point où 
un organe déjà formé subit une modification spéciale, n’ont pas la 
même importance que ceux qui portent sur la position relative de 
deux organes indépendants, lesquels, dans un même type, doivent 
toujours naître dans la même position et gardent pendant toute la 
durée de la vie de l’animal des traces plus ou moins évidentes des 
relations qu'ils présentaient d’abord. C’est là ce qu’on observe chez 
tous les animaux dont l'organisme ne peut être scindé en unités infé- 
rieures, plus ou moins près de s’équivaloir, chez les mollusques, par 
exemple, et jusqu’à un certain point chez les vertébrés où l'unité de 
l'individu prime, plus que partout ailleurs, l'individualité des unités 
inférieures, des segments dans lesquels on a voulu diviser ces 
animaux, à l’imitation des annelés. 


184 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 

Un Ver, au contraire, est en quelque sorte la réunion d'indivi- 
dualités nombreuses, placées bout à bout, plus ou moins incompléte- 
ment fusionnées, présentant d’un bout à l’autre les mêmes organes, 
répétés dans chaque anneau et capables de se modifier de manière 
à remplir telle ou telle fonction nécessaire à l'existence ou à la pro- 
pagation de l’individualité collective. 

Cette manière d'envisager un Ver conduit à penser que les rela- 
tions de position des organes ne sont fixes que dans un même anneau; 
mais qu'aucune loi morphologique nécessaire ne détermine la posi- 
tion de l'anneau dans lequel un organe, faisant partie d’un système 
donné, peut subir telle ou telle modification en vue d’une adaptation 
spéciale. La modification en question peut se produire dans un anneau 
ou dans un autre, suivant les conditions dans lesquelles l'animal est 
destiné à vivre. 

Ainsi, typiquement, les anneaux ayant tous la même constitution, 
lorsque dans l’un d’eux un organe en apparence nouveau apparaît, il 
y a toujours lieu de se demander si cet organe est bien en réalité une 
formation nouvelle, ou s’il ne résulte pas de quelque modification 
d’un organe préexistant. 

Nous aurions pu nous poser cette question pour les testicules et 
les ovaires qui sont évidemment homologues entre eux, mais il est 
bien probable que ce sont là des formations nouvelles; nous ne nous 
y sommes pas arrêtés. Nous nous sommes posé cette même question 
pour les canaux déférents et nous en avons peut-être avancé la solu- 
tion. Elle se représente maintenant pour les poches copulatrices. : 

Remarquons d'abord qu'avec la manière de considérer les annelés 
que nous venons de développer, les changements de position qu’elles 
présentent relativement aux autres organes n’ont plus rien d’extraor- 
dinaire, qu'on les considère comme des formations nouvelles ou 
comme de simples transformations d'organes préexistants. Il faut néan- 
moins choisir entre ces deux manières de voir. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. ne .. 


La dernière est, à priori, la plus probable. 

En effet, les orifices des poches copulatrices sont exactement 
placés comme le seraient ceux des organes segmentaires supérieurs, 
dans la plupart des Lombriciens, aussi tant qu'on n’a pas eu montré 
des cas où les poches copulatrices coexistaient dans le même anneau 
avec les deux paires d'organes segmentaires ou des organes qui en 
soient certainement dérivés, cette manière d'envisager les poches 
copulatrices s’imposait d'elle-même à l'esprit. 

Pour mon compte je n'ai longtemps rien vu qui fût contraire à 
cette manière de voir; puis les £udrilus sont venus présenter une 
exception assez singulière sous ce rapport, et dès lors j'ai dû revenir 
à la première interprétation. 

Néanmoins, je dois le dire, il faudrait pour l’établir solidement 
des faits plus nombreux que ceux que nous possédons actuellement. 
L'étude des organes segmentaires est délicate; elle se fait mal sur des 
individus conservés dans l'alcool; je crois donc qu'il est bon de réser- 
ver encore son jugement définitif, tout en indiquant néanmoins sa 
tendance vers une opinion déterminée. 

Voici maintenant les faits que j'ai pu observer, je les grouperai 
en signalant les lacunes que j'ai dû laisser dans mes recherches. 

Le nombre des poches copulatrices varie de quatre paires à une 
seule paire. Il existe quatre paires de poches copulatrices chez Îles 
Perichæta cingulata et posthuma et chez le P. afjinis; je n’en ai trouvé 
que trois paires chez le P. Houlleti et chez un autre d'espèce douteuse 
que j'ai observé. Il n'existe également que trois paires de poches 
copulatrices au plus chez les Lombrics; je n’en ai trouvé que deux chez 
le L. Americanus, chez les Acanthodrilus, les Perionyæ, certains Perichæta 
et les Digaster. Enfin il n’en existe qu’une seule chez les £udrilus et 
quelques Perichæta, et pas du tout chez les Titanus et les Moniligaster. 

Voilà donc un organe sujet à de nombreuses variations comme 
nombre; ses variations de position ne sont pas moins nombreuses. 


VIII. 24 


186 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


En effet, dans la grande majorité des cas, les poches copulatrices 
sont situées en avant des testicules, tout à fait dans la région antérieure du 
corps; c’est ce que l’on voit chez les Acanthodrilus, les Digaster, les Peri- 
chæta et bien d’autres genres que nous n’avons pas examiné directement. 

Chez les Lombrics il arrive le plus souvent que les poches copu- 
latrices se trouvent au moins en partie dans les mêmes anneaux que 
les testicules. C’est ce qui se voit chez le L. Americanus en particulier. 
Il semble que les organes génitaux ayant tous été ramenés en avant 
de la ceinture, il y ait eu empiétement de leurs diverses parties les 
unes sur les autres, de telle sorte que celles qui se trouvaient primi- 
tivement fournies par des anneaux différents sont maintenant placés 
dans les mêmes anneaux. 

Enfin chez les Eudrilus, les poches copulatrices, réduites à une 
seule paire, ont complétement enjambé les testicules et se trouvent 
maintenant situées en arrière, mais dans un anneau différent, Ainsi, 
dans tous les Lombriciens postclitelliens et intraclitelliens, quelle 
que soit la position des poches copulatrices, elles se sont jusqu’à pré- 
sent toujours montrées dans des anneaux différents de ceux qui ren- 
ferment les testicules. 

Au contraire, chez les Lombriciens antéclitelliens, ces deux sortes 
d'organes peuvent se trouver dans le même anneau. 

Il est possible que ce mode de disposition soit en rapport avec la 
place moins grande attribuée chez ces derniers à l'appareil génital 
remonté tout entier en avant du gésier et de la ceinture et n’occupant 
que sept ou huit anneaux environ, au lieu de dix à quinze anneaux qui 
lui sont dévolus, dans les postclitelliens; néanmoins nous ne devons 
jusqu'ici considérer ces résultats que comme provisoires. 

Chez les /ntraclitelliens, ce que l’on peut considérer comme les 
poches copulatrices, chez l’Anteus, sont deux organes placés en avant 
des testicules dans des anneaux différents. Chez les Tianus, je n’ai 
pas vu de poches copulatrices. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 187 


Je n'ai pas besoin d'’insister, je pense, sur la facilité avec laquelle 
s'expliquent les variations de nombre et de position des poches eopu- 
latrices, que l’on considère ces dernières comme des modifications 
spéciales d'organes préexistants qui ne pourraient être, eeci admis, 
que les organes segmentaires, ou que ce soient, au contraire, des 
organes nouveaux. 

La forme des poches copulatrices n’est pas moins variable que 
leur disposition, 

Chez les Lombries, ce sont de simples poches sphériques, plus 
ou moins volumineuses; chez les Perichæta étudiés par M. Léon Vail- 
lant, elles sont piriformes ‘et présentent sur le eôté un petit diverti- 
culum; nous avons retrouvé la même disposition chez un Perichæta 
très-voisin du ?. posthuma, si ee n’est le même dans un autre état de 
développement et qui provient de Cochinchine. Cet individu, préparé 
de manière à montrer ses organes internes, a été déposé par nous 
dans les collections du Muséum; il proyenait d'un envoi du Comptoir 
d’escompte de Saïgon. 

Chez le Perichæta Houlleti, dont nous avons fait une étude assez 
approfondie, les poches copulatrices sont plus complexes. Elles se 
composent, comme on l'a vu, de trois parties; l’une piriforme, plus 
grosse que les autres et assez longuement pédonculée, est la véritable 
poche copulatrice ; elle est attachée par l'extrémité de son tube excré- 
teur à la partie inférieure de la cloison antérieure de l'anneau qui la 
contient. Les deux annexes sont attachées au même point, mais l’une 
est en arrière de la cloison, l’autre en avant. Celle-ci est tout simple- 
ment une sorte de petite poche en massue, à peine renflée et légère- 
ment lobée à son sommet libre. La première partie est un tube cylin- 
drique plusieurs fois replié sur lui-même dans le même plan et dont 
toutes les parties sont reliées entre elles par une sorte de mésentère. 
Ce tube est aveugle à son sommet libre. 

La petite poche en massue et le tube replié ont d'ailleurs exacte- 


158 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


ment la même structure. Ils sont formés ‘ d’un tissu conjonctif assez 
épais dont les parois sont parcourues par de petits vaisseaux et qui 
limitent une cavité tapissée de petites cellules pâles à noyau très-pelit. 

Il n’est pas sans intérêt de noter que chez les £Eudrilus les poches 
copulatrices, malgré les particularités que présentent leur nombre 
et leur situation, se trouvent exactement constituées en apparence 
comme celles des Perichæta. 

Seulement *, la poche principale est plus allongée portée sur un 
long pédoncule et réfléchie sur lui; la petite poche en massue est, 
chose singulière, remplacée par l'ovaire, etil semble au premier abord 
que les deux annexes soient simplement reportés tous deux en arrière 
de la cloison antérieure de l’anneau, et non plus à cheval sur cette 
cloison comme dans le Perichæta Houlleti, 

Quelles peuvent être les fonctions du premier de ces deux annexes 
de la poche copulatrice que nous voyons reparaître sans aucun chan- 
gement notable dans deux types si différents et qui manquent d'ail- 
leurs dans des animaux très-voisins de ceux-là? Je l’ignore absolument 
et je ne connais aucun fait qui me permette d'émettre une hypothèse, 
même avec la plus grande réserve. 

Je bornerai donc là ce que j'avais à dire des poches copulatrices. 


Nous avons d’ailleurs maintenant passé en revue les divers sys- 
tèmes d'organes qui font partie de l’économie des Lombriciens. Notre 
tâche est donc de fait terminée. 

Toutefois, de même que nous avions commencé l'exposé de nos 
recherches en traçant un tableau de l’état de nos connaissances sur 
les Lombriciens au moment où nous avons entrepris notre travail, il 
ne sera pas sans utilité de résumer très-brièvement dans un chapitre 
spécial les faits nouveaux que nous espérons avoir mis en lumière et 


4. PI. nu, fig. 59. 
2. PI. u, fig. 26. 


LOMBRICIENS TERRESTRES 189 


les conséquences que nous croyons pouvoir en dégager. Ce chapitre 
sera naturellement notre conclusion, 


CONCLUSION. 


I. — Au point de vue de la classification des Lombriciens, nous 
avons, pour la première fois, appelé l'attention : 

1° — Sur la position des orifices génitaux mâles par rapport à la 
ceinture ; 1 

2° — Sur la position des orifices des organes segmentaires par rap- 
port aux soies. 

1°— En ce qui concerne les orifices génitaux mâles, nous avons mon- 
tré que leurs variations de position entraiînaient avec elles un certain 
nombre de variations concomitantes dans les caractères anatomiques. 
En sorte que la position anté, intra ou postcliellienne de ces orifices 
doit être considérée comme un des caractères les plus importants 
auxquels on doive avoir recours pour la répartition des genres. 

2° En ce qui concerne la position des orifices des organes segmen- 
taires, nous avons donné un point de repère qui permet de rapporter 
ces organes à deux séries différentes et donne par conséquent un carac- 
tère nouveau, presque toujours facile à utiliser, en rapport immédiat 
avec l’organisation interne de l'animal et qui a par conséquent une 
importance considérable. 

De ces faits résulte nécessairement ceci : que toute description 
générique est incomplète et insuffisante, au premier chef, si elle ne 
tient aucun compte de ces caractères, que nous considérons comme 
de premier ordre et qui sont seuls capables, à notre avis, de donner 
la véritable place des genres dans la classe, puisqu'ils sont eux-mêmes 
des caractères de familles ou de tribus. 

Après ces caractères viennent ceux tirés de la présence ou de 


190 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


l'absence d'appareils copulateurs externes, de la position des orifices 
des poches copulatrices, enfin de la disposition des soies, caractères 
qui peuvent être diversement combinés entre eux. 

> Il ressort du reste de notre travail que des dispositions de soies 
analogues doivent se rencontrer parallèlement dans des ordres et 
des familles différents. Cela est au moins démontré pour la disposi- 
tion des soies la plus fréquente, celle où ces organes forment quatre 
doubles lignes longitudinales. 

D'ailleurs, comme caractères distinctifs des ordres des Lombri- 
ciens, des Enchytréens et des Naïdiens, nous avons insisté sur le 
caractère tiré du mode de sécrétion des soies, caractère que nous 
avons le premier mis en évidence et qui entraîne presque forcé- 
ment avec lui l'isolement ou le groupement par paires de ces organes 
chez les Lombriciens par opposition à la fasciculisation qui s’observe 
chez les Enchytréens et les Naïs. 

La simplicité de l’extrémité n’est peut-être pas non plus sans 
quelque rapport avec ce mode de sécrétion ; mais comme la simplicité 
de l'extrémité se retrouve chez tous les Enchytréens et se retrouvera 
probablement aussi chez quelques Naïdiens, que d'ailleurs cette sim- 
plicité n’est en aucune façon exclue par le mode de sécrétion de la soie 
dans ces derniers ordres, elle ne peut être invoquée que comme carac- 
tère accessoire des Lombriciens proprement dits. 

h° Enfin nous avons caractérisé nettement et d’une manière com- 
plète un certain nombre de genres qui, groupés avec ceux dont l'étude 
anatomique avait déjà été si bien faite par d'Udekem, Claparède, 
Leydig, Grube et autres, pourront servir de base à une classification 
vraiment rationnelle des Lombriciens. 

IT. — Au point de vue anatomique : 

Nous avons donné un nombre assez considérable de détails nou- 
veaux sur l'appareil digestif dont nous avons démontré la remarquable 
uniformité de composition et sur l'appareil circulatoire, dont les cen- 


D LOMBRICIENS TERRESTRES,. 191 


tres d’impulsion nous ont présenté des dispositions aussi imprévues 
que compliquées. 

Les organes segmentaires et l'appareil reprodueteur ont été l'objet 
d'études attentives. Nous avons fait connaître pour la première fois 
d'une manière complète l'appareil femelle chez les Perichæta, le 
Lumbrieus Victoris, les Eudrilus et le Moniligaster Deshayesi. 

Cet appareil femelle n’était connu que chez nos Lombries indi- 
gènes. 

Enfin nous avons encore fait connaître, dans l'appareil mâle, 
diverses sortes d'organes absolument nouveaux ; en particulier. des 
appareils copulateurs de diverses formes. 

III. — Au point de vue morphologique : 

À° Nous avons établi les rapports qui existent entre la position des 
parties remarquables de l’appareil digestif et celle des organes essen- 
tiels de l'appareil génital. 

2° Nous avons montré qu'il y avait une liaison entre la position 
des orifices des organes segmentaires et celle des soies locomo- 
trices. | 

3° Cela fait, nous avons assis sur des bases anatomiques lhy- 
pothèse de l'existence typique de deux systèmes d'organes segmen- 
taires pouvant avorter plus ou moins complétement chez les Lom- 
briciens. É 

h° De là est résultée une interprétation très-claire de la nature 
morphologique des canaux déférents et peut-être des poches copula- 
trices, quoique de graves raisons puissent conduire à voir dans ces 
dernières des organes indépendants. 

5° Nous avons fait voir à l’aide de quelles parties de l’appareil cir- 
culatoire pouvaient se constituer les organes propulseurs du sang. 

6° Nous avons montré comment les organes copulateurs mâles 
pouvaient se constituer soit aux dépens de certaines parties des 
canaux déférents, soit aux dépens des soies locomotrices. 


192 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Ce sont là autant de considérations nouvelles qui ont été intro- 
duites dans l’histoire des Lombriciens. | 

Je le répète en terminant, les documents dont j'ai pu faire usage 
sont loin d’être assez complets pour que je puisse espérer avoir établi 
des lois définitives. Mais même ainsi, peut-être, les zoologistes ne 
trouveront pas inutiles les détails dans lesquels je viens d’entrer et 
que mon plus vif désir est de pouvoir compléter un jour. 


EXPLICATION DES PLANCHES 


Nota. — Dans toutes les figures d'anatomie, les mè.nes lettres ont été employées pour dési- 
gner les organes analogues. Ces lettres sont les suivantes : 


ph — Pharynx glandulaire. 
æ — OEsophage. 
g — Gésier musculaire. 
i — Intestin. 
c,c'c'" — Anses cardiaques latérales. 
n — Anneaux nerveux. 
vd — Vaisseau dorsal. 
w — Vaisseau ventral. 
t,t',l' — Testicules. 
o — Ovaires. 
m — Orifices génitaux mâles. 
f — Orifices génitaux femelles ou des oviductes. 
pr — Prostate. 
— Poches copulatrices, ou leurs orifices si la figure représente seulement les 
_ téguments extérieurs. 
l — Glande en tube accessoire des poches copulatrices. 
vs — Vésicules séminales. 
d — Canal déférent. 
v,0 — Pavillons vibratiles. 
s ou sg — Organes segmentaires. 
s — Follicules sétigères. 
k — Glandes accessoires autour des orifices génitaux. 


Dans quelques figures représentant des organes isolés ces lettres ont reçu une autre signifi- 
cation, mais, dans ce cas, on a toujours pris soin d’en avertir dans l'explication de la figure. 
25 


VIII. 


194 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


PLANCHE I. 


Figures 1, 2, 3et 4. — Follicules sécréteurs des soies du Lombric terrestre à divers états de 
développement. 
c — Cellules sécrétantes avec noyau nucléole et membrane d’enveloppe très- 
paisse. 
s — Stries allant du noyau vers la soie. 
r — Soies précédées de leur palette p. 
Fig. 5. — Les cellules sécrétantes et les soies isolées par l’action de l’acide acétique faible. 


Fig. 6. — LumBricus AMERIGANUS. Edm. Perrier. — Anatomie d'ensemble de la partie anté- 
rieure du corps. 

Fig. 7. — Inem. — Les pavillons vibratiles de l’un des canaux déférents. (Grossissement 
: 2 fois environ.) 

Fig. 8. — Inem. — Une soie prise dans la ceinture. (Grossissement : 90 fois. — Grandeur 


naturelle : Amm,8.) 


Fig. 9. — RHINODRILUS PARADOXUS. Edm. Perrier. — La partie antérieure de l’animal vue en 
dessous pour montrer la position relative de la ceinture et des orifices génitaux 
mâles, #2. 

A la partie supérieure de la figure on voit le lobe céphalique prolongé en tentacule. 

Fig. 10. — Inem. — L'une des soies ornementées de la ceinture, — L’extrémité inférieure 
seule est représentée grossie 280 fois. : 

Fig. 414. — Ipem. — Deux soies entières de ces mêmes anneaux, grossies 90 fois. 

Fig. 44 bis. — IpemM. — Une soie prise dans la région du corps postérieure à la ‘ceinture, 


grossie 90 fois. 
Fig. 42. — Inem. — Portion centrale de l'appareil circulatoire — vd, vaisseau dorsal ; #, vais- 
seau ventral: €,c',c", cœurs latéraux. 


Fig. 43: — ANTEUS Gi6AS. Edm. Perrier. — Anatomie de la région antérieure du corps. — 
cd, cœur dorsal; b, bouclier protecteur formé par les cloisons. 

Fig. 14. — Inem. — Organe segmentaire des anneaux qui contiennent les testicules, à peine 
grossi. 


Fig. 15. — TiTANUS BRASILIENSIS. Edm. Perrier. — Anatomie de la région antérieure du corps. 
p — Poche dans laquellé s’ouvre le canal déférent. 
n — Chaîne nerveuse. 
co — Cœur principal. 
Fig. 16. — Inem. — L'un des cœurs principaux et les vaisseaux dans lesquels il s’abouche. 
vec — Ventricule. 
or — Oreillette. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 195 


PLANCHE Il. 


. — ACANTHOPRILUS OBTUSUS. — Une soie pénialé grossie 280 fois {Pextrémité exté- 
rieure seulement). 


. — ACANTHODRILUS UNGULATUS. Edm. Perrier, — Anatomie de la région antérieure. 
pr, prostate. 

+ — Înem. — Deuxième testicule isolé pour montrer les deux lobes dont il se compose. 
. — Înem. — L'une des poches copulatrices. 

. — ÎnEM. — Extrémité de l’une des soïes péniales fortement grossie. 

. — ÎnEM. — Une soie péniale entière grossie 90 fois. 

. — Le MÈME, ouvert et vu en dessous pour montrer les 4 pénis chitineux et leurs rela- 
tions avec la ceinture. 


. — DiGasTER LumBRicoïnes. Edm, Perrier. — Anatomie de la région antérieure. — 
9,9, les deux gésiers. 
— Înem. — Union du canal déférent et du canal. excréteur de la prostate. 


. — EupriLus pEcIPiENS. Edm. Perrier. — Anatomie de la région antérieure du corps. 

— 0, ovaires; vs, vésicule séminale (?). 

. — InEM. — Bourse du pénis ouverte pour montrer la disposition du pénis rétracté à 
son intérieur, 

— Inem. — Le pénis saillant. 

. — Ibem: — Le collier œsophagien et les branches nerveuses qui en naissent et se 

dirigent vers la région antérieure du corps. 

. — IpEm. — Une des soies grossie 90 fois. 


. — PERICHÆTA HOULLETI. Edm. Perrier, — La portion antérieure du ver vue en dessus 
pour montrer la forme du lobe céphalique, de la ceinture et la position des ori- 
fices des poches copulatrices — pc. 

— Inem. — La ceinture et les régions voisines pour montrer les orifices mâles # et 

l’orifice femelle unique f. 

. — Inem. — Ceinture d’un individu paper: Elle s’est fendue, dans l'acide chro- 
mique, en croix de Saint-André. 

— IpEm. — Une soie fortement grossie. 

. — IpeM. — Epithélium particulier de la région céphalique. ent 280 fois. 

. — Ipem. — Hypoderme et corps spéciaux très-réfringents qu'il contient. 

— InEM. — Anatomie de la région antérieure du corps. 

Les glandes æsophagiennes sont enlevées pour laisser voir tous les détails de 
l'appareil génital. 

— IneMm. — La partie antérieure de l'appareil digestif. 

a — Tendons reliant le pharynx aux parois du corps. 
h — Glandes œsophagiennes en tubes. 


196 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


h! — Glandes compactes. 
h'" — Glandes en grappe: 


Fig. 39, — PericHæTA HouLLETI. — Orilices des pl yngi à l’intérieur de cet organe. 
Fig. 40. — Ivem. — Epithélium de l’intérieur du gésier. 

Fig. 41. — Inem. — L'une des glandes en grappe de l’œsophage. G — 

Fig. 42, — Inem. — L'une des glandes compactes de l’œsophage vue de ES G=—=1. 

Fig. 43. — Inem. — L'un des acini sécréteurs de cette glande. G— 90. 

de &$. — Inem. — L’un des tubes glandulaires de l'œsophage formant une double spirale et 


contenant des cellules pâles. G— 280. 


PLANCHE III. 


Fig. 45. — PericnæTa uouLcueri. Edm. Perrier. — Figure demi-schématique montrant l’en- 
semble de l'appareil circulatoire (partie antérieure). Les lignes pointillées indiquent 

théoriquement comment se fait la réunion des vaisseaux dans les parois du corps 
et comment nous supposons qu’elle s’accomplit dans la région céphalique 

Fig. 46 et 47. — Inem. — Anses terminales des vaisseaux et mode de bifurcation nie des 
vaisseaux afférent et éfférent. 

Fig. 48.. — Inem. — Terminaison des vaisseaux sous l’hypoderme. 

Fig. 49. — Inem. — Disposition des éléments contractiles des parois des anses cardiaques. 

Fig. 50. — Inem. — Partie antérieure de la chaîne nerveuse. 


Fig. 81. — Ipem. — Partie de la chaîne nerveuse voisine des orifices génitaux pour montrer 
les variations de volume que subissent les ganglions dans cette région, 

Fig. 52. — IDEM. — pire nerveux péri-œæsophagien montrant un ganglion stomato-gas- 
trique, $ 

Fig. 53. — IDEM. — sa pavillons vibratiles qui terminent les canaux déférents un peu grossis. 

Fig. 54. — IDEM. — see histologique des pavillons vibratiles des canaux déférents. 
G — 2 


Fig. 55. — IDE. — se prostate; formation du pénis rudimentaire au moyen de son canal 
excréteur et du canal déférent. 


Fig. 56. — Ipem. — Portion de la prostate traitée par le nitrate d'argent et ire la dispo- 
sition des culs-de-sac sécréteurs qui ont été colorés en noir. G— 

Fig. 87. — Inem. — Un faisceau de spermatozoïdes encore réunis à la sphère rt 

Fig. 58. — Inem. — La poche copulatrice et ses annexes, un peu grossie. 

Fig. 59. — Inem. — Les annexes de la poche copulatrice fortement grossis pour montrer leur 


structure. G — 90. 

pt — Membrane péritonéale. 
v — Vaisseaux. 

pe — Poche copulatrice. 

Fig. 60. — Ipem. — Un ovaire. G = 90. 
: 0 — es. 

v — Vaisseaux. 

po — Pédoncule. 


LOMBRICIENS TERRESTRES. 197 


Fig. 614. — PericaætA HouzerTi. — Un œuf entouré de son cul-de-sac ovarique. 
Fig. 62. — Inem. — Les pavillons vibratiles qui constituent les oviductes. 
Fig. 63. — Inem. — Grégarinides à divers états de développement occupant le testicule. 


PLANCHE IV. 


Fig. 64. — DIGASTER LUMBRICOÏDES. Edm. Perrier. — L'animal vu en dessous pour montrer la 
position des divers orifices de l'appareil génital, 
pc — Orifices des poches copulatrices. 
f — Orifices femelles (?). 
m — Orifices mâles. 


Nota. — La numérotation des anneaux dans cette figure ne concorde pas parfaitement avec. 
celle qui est dans le texte et qui doit être considérée comme non avenue. Un examen des plus 
attentifs des échantillons m’a déterminé à adopter cette nouvelle manière de voir. On comprendra 
l'embarras que j'ai dû éprouver à compter des anneaux sur des échantillons couverts de rides 
transversales, et dont les soies n’étaient apparentes que sur un petit nombre d’anneaux. Il faut 
considérer les orifices pe, p'c', comme dépendant des septième et huitième anneaux; les ori- 
fices » sont sur le dix-huitième, chacun d’eux est précédé et suivi d’une papille. C’est la dispo- 
sition connue déjà chez les Perichæta. 


Fig. 65. — Le MÊME, vu en dessus pour montrer les pores dorsaux. 


Fig. 66. — PericHæTa AFFINIS. Edm. Perrier. — L'animal vu en dessous pour montrer les 
orifices dépendants de l'appareil génital et les papilles où viennent s'ouvrir les 
conduits excréteurs des glandes accessoires, 7, 


Fig, 67. — PERICHÆTA ROBUSTA. Edm. Perrier. — L'animal vu en dessous. 
Fig. 68. — Le MÊME. — Une poche copulatrice et ses annexes un peu grossis. 


Fig. 69. — PERICHÆTA QUADRAGENARIA. Edm. Perrier. — Une poche copulatrice et le tube qui 
y est annexé. 


Fig. 70. — PERICHÆTA ELONGATA. Edm. Perrier. — La prostate montrant d’une manière évi- 
dente et sans préparation sa structure glandulaire. 


Fig. 74. — PERICHÆTA ASPERGILLUM. Edm. Perrier. — L'animal vu en dessous. Les orifices 
mâles et ceux des poches copulatrices sont entourés par un cercle de petits ori- 
fices glandulaires. 

Fig. 72. — Le Même. — Une poche copulatrice et ses annexes. 

Les petites glandes Æ sont disposées de la même manière autour du pénis. 


Fig. 73. — PERIONYX EXCAVATUS. Edm, Perrier, — L'animal vu en dessus pour montrer la 
forme de son lobe céphalique et la disposition de ses pores dorsaux. 

Fig. 74. — Le MÈME, vu en dessous, pour montrer la disposition des orifices de l'appareil 
génital. 


198 


Fig. 75. 


Fig. 76. 


Fig. 71. 


Fig. 78. 


Fig.-79. 


Fig. 80. 


Fig. 81. 


Fig. 82. 
Fig. 83. 


Fig. 84. 


Ce 


Fig. 85. 


Fig. 86. 
Fig. 87. 


Fig. 88. 


NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 
— AGANTHODRILUS VERTIGILLATUS. Edm. Perrier. — Les soies péniales; G — 16. 


— EupriLus PEREGRINUS. Édm. Perrier. — Portion d’ovaire grossie ; elle a été figurée 
afin de ne laisser aucun doute sur la détermination que j'ai faite des ovaires 
greffés sur les poches copulatrices. 

— Œufs; — b — Couche granuleuse sphérique de nature indéterminée que 
l’on voit autour des œufs. 


— MonuiGastrer Desmayesi. Edin. Perrier. — Anatomie de la portion antérieure du 
corps, montrant l'appareil digestif et les organes génitaux. 

— Le MÈME. — Structure des glandes salivaires placées dans l'épaisseur des cloisons 
de la partie antérieure du corps. Sur une partie de la préparation, les cellules 
du milieu sont enlevées et laissent voir de profil les cellules glandulaires. 

— Le MÊME. — Pavillon vibratile, canal déférent et glandes accessoires de l’un des 
testicules antérieurs. Un peu grossis. 

— Le MÈME. — Structure de l’un des lobules de la glande accessoire pr de la figure 
précédente. 

— Le MÈME. — Figure d'ensemble de la partie postérieure de l'appareil génital mon- 
trant le testicule l' de la deuxième paire et son appareil déférent, en ovaire 0, et 
son pavillon vibratile. 

L — Tube tortillé placé au-dessus du testicule qui est figuré relevé et vu en 
dessous. 
n — Feuillets d'apparence glandulaire formant au-dessous du testicule une 
assez grande masse à l’une des extrémités de laquelle pénètre le 
tube /, tandis que de l’autre sort le canal déférent d. 
ws — Grande poche s’ouvrant à l'extérieur (vésicule séminale?) et dans 
laquelle pénètre en k le canal déférent. 
o — Ovaire 
pv — Son sise vibratile. 

— Une portion de lovaire grossie 90 fois. 

— Structure des feuillets glandulaires de l'organe k de la figure 81. — Ils sont formés 
par un ou plusieurs tubes entortillés. 

— Pavillon vibratile des ovaires, montrant les stries couvertes de cils vibratiles entre 
lesquelles cheminent les œufs. 


— UrocHærTA HysTRix. Edm. Perrier. — Extrémité postérieure vue en dessus pour 
montrer la disposition des soies. 
— Le MÈME. — Extrémité postérieure vue en dessous. 
— Le MÊME. — Anatomie de la région autérieure de animal de la figure FR 
æ,y — Glandes génitales indéterminées. 
2,2 — Organes problématiques. 
— LE Môme. — Extrémite supérieure de l’un des organes z de la figure précédente. 


OSTEOLOGIE 


DU 


SPHARGIS LUTH 


(SPHARGIS CORIACEA ); 


PAR M. PAUL GERVAIS,. 


J'avais remarqué, il y a déjà plusieurs années, une singulière 
particularité anatomique du Sphargis, grand Chélonien marin, plus 
généralement connu sous le nom de Tortue luth, particularité qui 
consiste en ce que, dans cette espèce, la carapace est formée de 
petits compartiments osseux extrêmement nombreux, compara 
à de la marqueterie, et qu'elle est indépendante du squelette pro- 
prement dit. Cette observation me faisait vivement désirer de trou- 
ver l’occasion d'étudier le squelette complet de ce singulier reptile, 
-pour en établir la comparaison avec celui des Chélonées, dans la 
famille desquelles il a souvent été classé, quoique ses caractères exté- 
rieurs soient assez importants pour qu'on l'en sépare, ce qui a d’ail- 
leurs été fait par plusieurs zoologistes. 

Au mois de mai 1872, deux Chéloniens de cette espèce ont été 
pêchés sur nos côtes de l'Océan, où ils avaient été amenés par les 


200 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


courants, ce qui est un fait rare et digne d’être signalé‘. Ayant pu me 
procurer un de ces exemplaires, mort déjà depuis plusieurs jours, 
lorsqu'il fut envoyé à Paris, et dont l’anatomie complète était ren- 
due impossible par son état de putréfaction déjà assez avancé, j'en ai 
fait préparer le squelette que nos galeries ne possédaient pas encore. 

C'est de ce squelette que je vais donner la description; les 
planches jointes à ce Mémoire contribueront à faire ressortir l'intérêt 
qui se rattache à cette étude. Fy ai ajouté quelques indications relatives 
au squelette d’un animal de la même espèce provenant d'un sujet 
encore jeune. 

On y trouvera aussi une démonstration nouvelle que le fossile 
propre au miocène des environs de Montpellier que j'ai signalé autre- 
fois sous le nom de Sphargis pseudostracion, et que l’on avait antérieu- 
rement attribué à un poisson du groupe des Coffres, provient bien d'un 
animal du même genre que les Sphargis actuels. 


S L 
DU CRANE. 


Le Sphargis se rapproche plus par la forme de son crâne * des 
Chélonées, qui sont aussi des Chéloniens marins, que de tout autre 
groupe du même ordre. Il possède, en effet, comme elles, une double 


4. Il a déjà été fait de semblables captures dans les mêmes parages, mais à des intervalles 
éloignés. Ainsi de Lafont a communiqué à l’Académie des sciences de Paris, la prise d’un Sphar- 
gis, opérée le 4 août 1729 à l'embouchure de la Loire, et l’on en cite un autre qui fut pêché sur 
les côtes de Bretagne le 40 juillet 4765. Il en vient aussi de temps en temps sur les côtes de l’An- 
gleterre. La Méditerranée en voit également. Rondelet en signale un exemplaire pris de son 
temps par les pêcheurs de Frontignan (Hérault), et Amoreux a parlé, en 1778, d’un autre sujet 
dont s’emparèrent, à peu de distance du même lieu, les pêcheurs de Cette. C’est aussi sur un 
Sphargis de la Méditerranée qu’Alessandrini, de Bologne, a fait ses études anatomiques relatives 
à celte espèce de Chéloniens. 

2. PI. v, fig. 4-6. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 201 


voûte osseuse recouvrant la région crotaphydienne et qui continue de 
chaque côté, jusqu’à l'aplomb postérieur du segment occipital, l'arc 
postérieur du cercle orbitaire. Cette double voûte est due, comme on 
le sait, à l'extension considérable qu'ont prise les frontaux posté- 
rieurs, qui se joignent par leur bord supérieur à la presque totalité 
du bord correspondant des pariétaux, rabattus à droite et à gauche 
de la ligne sagittale et atteignant le bord antérieur du mastoidien éga- 
lement relevé en forme de crête, pour s'associer, sur la totalité de sa 
longueur, au bord supérieur du jugal. Les Emysaures, plus particuliè- 
rement l’Emysaure de Temminck*, sont au nombre des Chéloniens qui 
se rapprochent le plus sous ce rapport des Chélonées et des Sphargis, 
mais sans présenter précisément la même forme crânienne que ces 
Chéloniens marins, soit les Chélonées des différents genrés, soit le 
Sphargis lui-même. 

Cependant le Sphargis ne se laisse pas confondre avec les Chélo- 
nées par les détails de la conformation de son crâne, et il présente 
à cet égard des caractères propres qui l’éloignent des trois genres 
connus (dans cette famille*. C’est ce que nous allons examiner. 

Envisagé dans son ensemble, le crâne du Sphargis se fait remar- 
quer par une plus grande obliquité de l’orifice extérieur des narines 
et par une plus forte saillie de la partie symphysaire des os inter- 
maxillaires. Il présente, en outre, à la région intermaxillaire une 
grande échancrure médiane entamant fortement son bord antérieur, 
et une paire d’échancrures moins considérables, quoique très-appa- 
rentes encore, se remarque au commencement du bord tranchant des 
maxillaires, à peu de distance de la suture de ces os avec les inter- 
maxillaires. L’échancrure placée au-dessous du jugal et du temporal 


4. Voir pour la figure du crâne de cette espèce : J.-E. Gray, Catal. of Shield Reptiles in 
he Coll. of the brit. Mus., pl. xxxvin, fig. 2, pl. xxxix, et pl. xe, fig. 4. 

2. Ces genres sont ceux des Mydasea (P. Gerv.), comprenant les Chelone Mydas, virgata, 
maculosa et marmorala; des Caretta (Ritgen), pour le C. imbricata et des Thalassochelys 
(Fitzinger), pour les C. caouana et Dussumieri. 

vil. 26 


202 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


écailleux, en avant de la saillie inférieure de l'os de la caisse, est aussi 
plus prononcée et elle affecte une autre forme, étant augmentée en 
arrière par une entaille demi-circulaire faite aux dépens des 08 
jugaux et du temporal écailleux. La saillie de Ja branche descendante 
de los de la caisse qui fournit le point sur lequel joue l’excavation 
articulaire de la mâchoire inférieure est en même temps plus sail- 
lante, et la cavité qui soutient la membrane du tympan et sert de caisse 
auditive est plus allongée verticalement; cette cavité est également 
moins arrondie en avant. 

La partie épineuse ou médiane de l’occipital supérieur ne se pro- 
longe pas autant en arrière des pariétaux. 

Il y a des particularités également propres au Sphargis dans la 
proportion et les contours des os qui concourent à former la face infé- 
rieure du crâne de cette espèce. 

On peut citer comme tel l'isolement de la partie antérieure du 
vomer, entre les deux grandes perforations limitées, en dedans par cet 
os, en dehors par la pointe antérieure des palatins, perforations qui 
constituent les ouvertures postérieures des narines. Ces orifices sont 
ici plus rapprochés des intermaxillaires qu’ils ne le sont chez les 
Chélonées. 

Les arrière-narines des Chélonées, outre qu’elles sont sensible- 
ment plus reculées et que leur forme est tout autre, conservent cepen- 
dant les mêmes connexions; mais elles forment un double canal ouvert 
dans les palatins, et leur séparation est due à une cioison du vomer 
intimement soudée à ces derniers os; tandis que chez le Sphargis, 
les mêmes orifices sont représentés par une simple paire de grands 
trous ovalaires laissant voir sur le crâne dépouillé de ses parties 
molles la cavité orbito-crotaphydienne avec laquelle ces orifices com- 
muniquent. | 

Les palatins du Sphargis n’ont donc pas les mêmes contours que 
ceux des Chélonées. 


L] 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTA, 203 


Son vomer est également différent dans sa forme, et il en est de 
même pour les ptérygoïdiens, pour le sphénoïde et pour le basilaire. 

Ajoutons avant de décrire d’une manière plus spéciale chacun de 
ces os, que le crâne du grand Chélonien qui nous occupe s'éloigne en 
outre de celui des Chélonées par quelques autres particularités et qu'il 
atteint des dimensions supérieures aux leurs; ce qui est en rapport 
avec la grandeur totale de cet animal. 

Si nous commençons par la face supérieure du crâne, nous 
remarquons que les deux os appelés par Cuvier frontaux antérieurs *, 
mais que l’on pourrait tout aussi bien regarder comme les os propres 
du nez, ne se joignent sur la ligne médiane que par une petite partie 
de leur bord interne, tandis-que chez les Chélonées ils sont mis en 
rapport sur toute la longueur de ce bord. 

Les frontaux principaux * ont aussi une autre apparence. Hs sont 
un peu plus longs et moins larges. Le bord supérieur, servant à leur 
articulation avec les frontaux postérieurs et les pariétaux, ne forme 
pas, comme chéz les Chélonées, un angle droit dont les deux lignes 
touchent, Fune le pariétal correspondant, l'autre le frontal posté- 
rieur. 

À part quelques légers détails de ses contours et une apparence 
plus écailleuse, le frontal postérieur ‘ du Sphargis n'offre rien de bien 
particulier. De même que chez les Chélonées il forme une sorte de 
parallélogramme oblique recouvrant la plus grande partie de la fosse 
crotaphyte. 

Les pariétaux* sont plus larges en arrière, où ils ont aussi une 
apparence plus squameuse; ils sont en outre proportionnellement 
plus étroits en avant et ils recouvrent un peu moins les orbites. 

4. PI. v, fig. 4. 

2. Ibid., fig. 4, 3 et5, lettre a. 
3. 1bid., fig. 4 et 5, lettre f. 
4 
5 


. 1bid., fig. 4, 2 et 3, lettre g. 
. Ibid. fig. 4, 3, 5 et 6, lettre A. 


204 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Quant aux os jugaux :, les différences que l'on peut y reconnaître 
n’ont également qu'une faible importance. 

Mais la branche montante du mastoïdien est notablement plus 
étroite, et sa partie inférieure externe ne contribue pas autant que 
chez les Chélonées à l'encadrement de l’excavation de la caisse; sa 
saillie inférieure est toutefois plus forte et plus rejetée en dehors. 

Le temporal écailleux*? contribue au contraire pour une part 
plus grande à cet encadrement dont il fournit le contour antérieur, 
par suite du refoulement de l'os carré ou os de la caisse. 

L'os de la caisse* est, à son tour, plus développé dans sa branche 


descendante fournissant à la mâchoire inférieure son condyle articulaire. 

Ainsi que nous l’avons déjà dit, la saillie apophysaire de l’occipital 
supérieur * est moins forte dans le Sphargis, et les occipitaux externes 
ou opistotiques® sont plus renflés à leur point de jonction avec la 
saillie apophysaire des mastoidiens. 

Les occipitaux latéraux °, généralement appelés occipitaux externes 
bien qu'ils soient internes par rapport aux précédents, ont leur 
moitié supérieure plus déclive, et leur saillie servant de support au 
condyle occipital, qui est resté cartilagineux, dans les deux crânes 
adultes que nous possédons, est plus forte. 

C’est aussi un caractère de la saillie condylifère du basilaire ou 
occipital inférieur” du Sphargis que d’être plus élargie. Le col qui 
porte cette saillie est dans le même cas, et les deux masses latérales 
de la portion extérieure de cet os sont bien plus fortes. 

Il n’y a pas au bord postérieur du sphénoïde® de crête transver- 
. PL v, fig. 4, 2,3 et 5, lettre 1. 

. Ibid., fig. 2, 3, 5 et 6, lettre K. 

. Ibid. fig. 2, 3, 5 et 6, lettre L. 

Ibid., fig. 4, 2, 3 et 6, lettre p. 

Ibid., fig. 2 et 6, lettre o. 

Ibid., fig. 2 et 6, lettre q. 

. Ibid., fig. 2 et 6, lettre z. 

. Ibid., fig. 6, lettre 4. 


CD =] © JO We oo © — 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 205 


sale reproduisant la fossette prébasilaire des Chélonées, fossette sur- 
tout apparente chez les sujets adultes de cette famille, et la surface 
visible du sphénoïde est elle-même beaucoup plus étendue. Au lieu de 
former un triangle à peu près équilatéral, elle est irrégulièrement 
pentagonale, à bords latéraux et antérieurs se confondant presque 
en une courbe unique et à angles latéraux postérieurs tronqués. Sa 
longueur l'emporte sensiblement sur sa largeur. 

L'os dont il vient d'être question sépare sur une partie considé- 
rable de leur bord interne les ptérygoïdiens droit et gauche ‘ qui ne 
se réunissent l’un à l’autre qu’en avant et dans une étendue égalant 
environ le quart de leur longueur totale. Leur ligne de jonction est bien 
plus considérable chez les Chélonées et leur forme y est différente, aussi 
bien dans la portion de ces os qui touche aux palatins que dans celle 
par laquelle ils s’articulent avec la base de la saillie condylienne des 
os de la caisse. 

Les palatins * sont à peu près triangulaires, à base postérieure 
irrégulièrement coupée, à pointe antérieure remontant le long des 
maxillaires, jusqu'auprès de la fosse incisive où ces os vont toucher le 
vomer *, avec lequel ils sont plus largement en contact par le com- 
mencement de leur bord interne, c’est-à-dire en arrière. C’est entre 
eux et le vomer qu'est percée la double excavation des narines posté- 
rieures, excavation que nous avons déjà dit être considérable. En 
arrière les mêmes os touchent aux ptérygoiïdiens, et ils concourent avec 
eux ainsi qu'avec les maxillaires et les jugaux à fournir à la fosse 
crotaphydienne sa limite antérieure. L'entrée de cette fosse est com- 
plétée à la même face de crâne par les ptérygoïdiens, la saillie condy- 
lienne de l'os de la caisse et le bord antérieur excavé du temporal 


écailleux. 


4, PI. v, fig. 2, lettre s. 
2. Ibid., fig. 2, lettre s. 
3. 1bid., fig. 2, lettre d. 


206 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


La voûte palatine n'est pas pleine comme celle des Chélonées, et, 
indépendamment des deux grandes perforations des arrière-narines, 
qui laissent apercevoir à la fois les cavités orbitaires et les fosses 


SRE 


nasales, elle conserve au fond de l’excavation des os inter ires 


recevant la saillie de la mâchoire inférieure un véritable trou naso- 
palatin qui fait communiquer la partie antérieure de la surface palatine 
avec les narines, disposition qui n’a pas lieu chez les Chélonées, mais 
se retrouve chez d'autres Chéloniens et chez un grand nombre d’ani- 
maux appartenant à des ordres différents de celui-là. 

Une autre particularité du crâne du Sphargis réside dans l'appa- 
rence des os mêmes qui le constituent, principalement de ceux qui en 
forment la base et la voûte palatine. Ils ont dans leur structure aussi 
bien que dans les rapports qu'ils établissent les uns avec les autres une 
apparence plus écailleuse et par suite plus ichthyoïde que cela n’a lieu 
chez les Chélonées et chez les autres Chéloniens. L'apparence striée 
des os de la voûte crânienne est aussi plus marquée et ceux de 
la face sont extérieurement plus rugueux. 

La mâchoire inférieure ‘ offre des particularités plus caractéris- 
tiques encore. La symphyse mentonnière, au lieu d’être épaisse et 
doublement excavée aux points correspondant à la double saillie du 
bord gengival placée supérieurement en dehors des os intermaxillaires, 
comme cela à lieu dans les Chélonées, est au contraire relevée en une 

forte pointe médiane saillante qui va se loger avec la corne du bec, 
dont elle est garnie, dans l’excavation que nous avons signalée à la 
région intermaxillaire en arrière de son échancrure marginale. Les 
deux branches de cette mâchoire sont aussi plus minces et leur bord 
dentaire * est tranchant au lieu d’être épaissi et élargi dans sa portion 
interne en une plate-forme qui, dans les Chélonées, longe supérieu- 
rement l'os dentaire * jusqu’à son point de contact avec le coronoïdien 


4. PI. v, fig. 4. 
2. Ibid., fig. 4, no 4. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 207 


où surangulaire ‘, L’angulaire*? et l’operculaire * n’ont pas non plus la 
même forme. Quant à l’articulaire, il n’était point encore ossifié chez 
les deux grands exemplaires que nous avons étudiés, et je ne retrouve 
pas non plus de traces osseuses du complémentaire. 

Si, pour terminer cette description de la région céphalique, nous 
étudions l'os hyoïde, nous remarquons qu'il s'éloigne à son tour 
très-sensiblement de celui des Chélonées. Indépendamment de son 
volume plus considérable que chez la Chélonée franche, il a les cornes 
de la première paire’ ou paire antérieure moins prononcées et indi- 
quées seulement dans notre squelette par une double paire de points 
d’ossification engagés sur les côtés de Ja saillie antérieure du corps; 
le reste en est cartilagineux. Celles de la seconde paire sont plus 
fortes que dans la même Chélonée, mais également coudées et termi- 
nées par une portion cartilagineuse ; elles s’insèrent latéralement vers 
le point où le corps de l'hyoïde cesse d’être cartilagineux pour deve- 
nir osseux. [1 y a en arrière une troisième paire de semblables 
appendices *” beaucoup plus forte que la première, ici rudimentaire 
et presque nulle, moindre au contraire que la seconde, mais bien 
plus épaisse qu’elle, et dont la moitié seulement est ossifiée. De ces 
trois paires de cornes, la deuxième et la troisième répondent aux 
pièces nommées par E. Geoffroy cératohyal et entohyal (cornes 
moyennes et postérieures de Guvier ). La première paire reproduirait 
à son tour les cornes dites antérieures par Cuvier (glossohyiaux, 
E. Geffroy), qui seraient ici très-atrophiées. 

Le corps de l’os hyoïde* est bien plus grand que chez la Ché- 
PI, v, fig. 4, n°8. 
Jbid., n° 3. 
Ibid., n° 4, pl. vn, fig. 2. 
Ibid., pl. vu, fig. 2. 
. Ibid., lettre d. 
Ibid., lettre b. 


. Ibid. , lettre c. 
. Ibid. lettre 4. 


eHmamrmwr 


208 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


lonée franche. Il forme une sorte de trapèze appointi en avant, c’est- 
à-dire du côté de la langue, coupé carrément en arrière et sur les 
côtés ; sa moitié postérieure est seule ossifiée, Quoique plus semblable 
à celui des Chélonées, soit de la Chélonée franche, soit du Caret, qu’à 
celui des Grocodiles, il a cependant une certaine analogie avec ce 
dernier; mais il n’en conserve pas, dans la totalité de sa surface, le 
caractère cartilagineux et les cornes moyennes atteignent un plus 
grand développement. 

J'ai peu de choses à dire au sujet des organes des sens dont je 
ne veux Signaler ici que quelques parties osseuses. 

Le cercle ossifié de la sclérotique ‘ est composé de douze pièces 
irrégulièrement striées dont je donne la figure vue par les faces externe 
et interne. Leur disposition rappelle à quelques égards les mêmes 
pièces étudiées chez les Ichthyosaures, mais elles sont ici beaucoup 
plus petites, ce qui est aussi le cas pour les Chélonées. 

L'osselet de l’ouie *, unique comme chez les autres Chéloniens, 
est en forme de cône allongé, où mieux encore en forme de trom- 
petie grêle et à peu près droit. Il est effilé à sa partie allant vers 
l'oreille interne et coupé circulairement à son autre extrémité qui 
porte sur le tympan; cette extrémité est beaucoup plus épaisse que 
l'autre. L'os dont il s’agit est moins gréle, plus fort et moins ossifié 
que celui de la Chélonée franche, ‘et il différe encore davantage de 
celui de l'Émysaure de Temminck; il est également moins osseux. 
Sa longueur est de 43 millimètres. 


4. PI, v. fig. 7 et 7a. 
2. Ibid., fig. 8et8a. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 209 


LL. 
DE LA COLONNE VERTÉBRALE ET DES CÔTES. 


La colonne vertébrale’ se décompose comme celle des autres 
Chéloniens, en régions cervicale, dorsale, sacrée et coccygienne. 

Il y a huit vertèbres cervicales, en ne comptant pas comme ver- 
tèbre distincte la partie odontoide de l'axis, qui est libre, étant à la 
fois séparée du corps de cette vertèbre et de celui de l’atlas; le 
nombre des dorsales est de dix ; celui des sacrées de trois, et celui 
des coccygiennes de dix-huit. Dans la Chélonée Mydas, on compte 
huit vertèbres cervicales, dix dorsales, trois sacrées et dix-neuf 
coccygiennes *. 

Les vertèbres cervicales du Sphargis, sauf leur apparence plus 
trapue, ont une grande analogie de forme avec celles de la Chélonée 
Mydas. 

L'atlasé est de même formé d’un arc supérieur ou neurapophy- 
saire dont les deux moitiés ossifiées sont disjointes *, et il est com- 
plété inférieurement par une bande * répondant à celle qui existe à 
l'état osseux dans les mammifères et les oiseaux, mais cette bande 
ou arc inférieur de la vertèbre atlas reste ici cartilagineuse* et il y 
a au-dessous d'elle une pièce accessoire de consistance osseuse”, 
semblable à celle que Cuvier signale, dans la Chélonée Mydas, comme 
ayant une apparence rotuliforme. On pourrait voir dans l'arc carti- 
lagineux le corps de l'atlas non encore ossifié, el dans la pièce 


4. PI. vi et pl. vu, fi 
2. Cuvier attribue vingt vertèbres coccygiennes à cette espèce. 


5. Ibid., lettre d. 
6. 1bid., lettre e. 
VII. 


210 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM, 


accessoire devenue osseuse une portion de ce corps lui-même; mais 
ce sont deux pièces distinctes, et une masse en partie ossifiée, ana- 
logue à celle dont il est ici question, se remarque en arrière de la 
partie inférieure du corps de plusieurs des vertèbres suivantes’, ce 
qui ne permet pas d'accepter l'interprétation que nous venons de rap- 
peler; il en existe même une”, celle-ci entièrement osseuse, sous la 
masse odontoide que nous avons déjà dit être détachée de l’axis aussi 
bien que de l’atlas. 

Cette masse odontoïde* forme donc un os à part qui entre dans 
l'excavation inférieure du trou rachidien de l’atlas, et y occupe la 
place où devrait être le corps de cette première vertèbre. On sait que 
beaucoup d’anatomistes regardent l’odontoïide comme n'étant autre 
que le corps de l’atlas lui-même, que cet odontoïde soit soudé avec 
lui comme chez la Tortue matamata, ou qu’il adhère à la partie 
antérieure du corps de l’axis, ainsi que cela se voit chez les mammi- 
fères et chez les oiseaux. 

La face antérieure de l’odontoïde du Sphargis ‘ est un peu con- 
vexe; sa face postérieure, au contraire, est concave. 

La face antérieure de l’axis *, qui est convexe, s'articule avec la 
face postérieure de l'odontoide. 

La troisième vertèbre est également opistocélienne ou convexo- 
concave, c’est-à-dire convexe en avant et Concave en arrière. 

La quatrième est bi-convexe, ou à la fois convexe en avant et 
convexe en arrière. 

Les quatre vertèbres suivantes, c’est-à-dire les cinquième, sixième, 
septième et huitième, sont toutes procéliennes ou concavo-convexes, 


os 


PI. vi, fig. 4. 

PI. vi, fig. 4, lettre e. 
PI, vi, fig. 4. 

. 1bid., lettre c. 

PI. vi, fig. 5. 


e æ & je 


OSTEOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 211 


el par conséquent concaves en avant et convexes en arrière. Leur 
cavilé articulaire antérieure et leur condyle, ou saillie articulaire 
postérieure, tendent de plus en plus à s’élargir transversalement, 
au lieu que les mêmes surfaces convexes antérieurement et concaves 
en arrière, prises sur les deuxième et troisième vertèbres, ont la 
forme de calottes sphériques. 

On sait que les vertèbres dorsales des Chéloniens présentent des 
formes différentes en rapport avec les différents groupes de cet ordre. 
La loi qui régit ces différences nous est en grande partie expliquée par 
le degré plus ou moins avancé d’ossification auquel arrive la carapace 
résultant de la soudure des apophyses épineuses avec les plaques dor- 
sales qui entrent dans la composition de cette carapace et le degré 
_de jonction plus ou moins intime des côtes avec les os dermiques 
placés de chaque côté des plaques dorsales et en rapport avec elles. 
À un état de moins en moins complet de la carapace correspond un 
développement de plus en plus grand des vertèbres dorsales et de 
leurs arcs supérieurs. C’est surtout dans les Chéloniens marins que 
ce rapport est évident, et il se trouve confirmé chez le Sphargis par 
une disposition tout à fait spéciale *. 

Dans cette espèce, il n’y a ni fusion ni synostose de la carapace, 
soit avec les vertèbres dorsales ét sacrées, soit avec les côtes, et la 
cage thoraco-abdominale est aussi indépendante de la couverture 
osseuse qui la protége, que cela a lieu chez les Tatous. C'est une 
exception unique dans l’ordre des Chéloniens, exception à laquelle 
correspondent plusieurs dispositions tout à fait remarquables des 
mêmes régions du squelette. 

Les vertèbres dorsales ? sont, comme chez les autres Chéloniens, 
de forme biplane, c'est-à-dire aplaties sur les deux faces antérieure et 
postérieure de leur corps, sauf toutefois la première, qui est concave 


4. PI. vi, fig. 4 et 2, et pl. vu, fig. 4. 
2. PI. vi, fig. 6 et 7. 


212 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


sur sa face antérieure par laquelle elle s'articule avec la face posté- 
rieure ou convexe de la huitième cervicale et la dixième ou dernière 
qui est convexe en arrière, en vue de son articulation avec la première 
sacrée, elle-même concave en avant. 

Ces vertèbres différent par la forme de leurs corps de celles de la 
Chélonée franche en ce qu’elles sont plus épaisses, quoique, sauf pour 
la dixième, leur longueur dépasse encore sensiblement leur largeur. 
La partie moyenne de leur corps est un peu moins large que les 
extrémités articulaires et leurs arcs supérieurs ou parties neurapo- 
physaires ‘ sont renforcés au-dessus de l'articulation des côtes et élar- 
gis en une double masse renflée à leur extrémité ; le milieu en est un 
peu excavé en dessus, sauf pour la première de ces vertèbres. C'est 
entre ces masses épaissies que les apophyses épineuses, qui font par- 
tie des neurapophyses, s’articulent entre elles, cela par l'intermédiaire 
de lames médianes amincies qui partent en avant et en arrière des 
masses supra vertébrales elles-mêmes sur la ligne médiane, et se diri- 
gent l’une vers l’autre pour se réunir deux à deux par une suture en 
engrenage. Cette suture s'accomplit au-dessus de la partie moyenne 
de grandes perforations situées bilatéralement entre ces lames arti- 
culaires et les corps. perforations qui constituent des trous de conju- 
gaison relativement gigantesques. Les engrenages ne sont pas Synos- 
tosés et on les désarticule aisément *. 

La suture séparant les neurapophyses d’avec les corps vertébraux 
s’est conservée dans les deux sujets adultes que nous possédons, et il 
est évident qu'elle aurait persisté longtemps encore. Quant au contact 
articulaire des arcs neurapophysaires* les uns avec les autres, il se 
fait au-dessus de la jonction de deux corps consécutifs. Les trous de 
conjugaison sont au-dessus des corps, largement ouverts, ainsi que 


1. PI. vi, fig. 2, et pl. vu, fig. 4. 
2. Ibid. 
3. Ibid., et pl. vi, fig. 7, lettre d. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 213 


nous venons de le dire, à droite et à gauche de la colonne vertébrale, 
entre ces corps et les apophyses articulaires qui limitent leurs 
contours. 

Les côtes! sont insérées par une synchondrose analogue à celle 
des neuraphyses, au-dessus de la jonction des corps entre eux et à Ja 
base de la partie élargie de ces neuraphyses. Cette articulation se fait 
par l'intermédiaire de leur propre tête surmontant une sorte de col, 
après lequel chacune d'elles s’élargit brusquement pour se continuer 
en une lame ensiforme convexe en dehors, concave en dedans. 

La première et la dernière paire de côtes sont notablement plus 
petites que les autres. | 

Ainsi que nous l'avons déjà exposé, ces côtes, pas plus que les par- 
ties neurapophysaires des vertèbres dorsales, n’adhèrent à la carapace, 
et on peut les séparer de cette dernière sans qu’il soit besoin d’opérer 
aucune fracture, ce qui serait impossible si l’on avait affaire à tout 
autre Chélonien. 

Viennent ensuite les trois vertèbres sacrées ? qui sont également 
indépendantes de la partie ossifiée des téguments. Elles augmentent 
en dimension de la première à la troisième; leurs corps sont plus 
courts que ceux des dorsales et tous trois sont concavo-convexes. Les 
arcs neurapophysaires, non encore synostosés avec eux, sont épaissis, 
renforcés au-dessus par un double mamelon et en rapport les uns 
avec les autres par des apophyses articulaires beaucoup plus épaisses 
que celles des vertèbres dorsales ; aussi les facettes articulaires par 
lesquelles ces apophyses sont mises en rapport entre elles ont-elles 
la forme propre aux facettes de cet ordre; il en existe une paire en 
avant et une paire en arrière, et il n’y a plus ici d’engrenage médian 
s’opérant au moyen de deux lames amincies comme pour les vertèbres 
dorsales. 


1. PI. vi, fig. 4 et 2, et pl. vus, fig. 4. 
2. Ibid. 


214 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Il faut ajouter que Les apophyses transverses des vertèbres sacrées” 
qu'on pourrait aussi bien appeler des côtes sacrées, et par lesquelles 
ces vertèbres donnent attache à l’os des îles, ne sont pas seulement 
en rapport avec le corps de ces vertèbres, mais également insérées 
comme les côtes sur la base latérale externe de leurs neurapophyses et 
comme à cheval sur la double surface articulaire que présentent les 
vertèbres sacrées sur leur partie antéro-latérale. Leur synostose doit 
être tardive. 

Cette disposition, que l’on retrouve d’ailleurs au sacrum des jeunes 
Chélonées, se continue sur les vertèbres coccygiennes ‘, ou du moins 
sur les premières de ces vertèbres, dont les apophyses transverses 
sont également articulées, d’abord avec la base des neurapophyses et 
une petite partie de la surface antéro-supérieure des corps vertébraux, 
et, ensuite, plus complétement avec ces corps, de manière à reprendre 
peu à peu leur caractère de véritables apophyses transverses et à 
perdre celui de côtes qu’elles avaient d’abord. D’ailleurs, les apo- 
physes transverses? des dernières vertèbres coccygiennes sont déjà 
synostosées avec le corps des vertèbres auxquelles elles appartiennent. 
Il n’en existe pas pour les deux dernières de ces vertèbres. 

Les arcs neurapophysaires des premières coccygiennes* ont seuls 
conservé le caractère apophysaire propre à l’état d'ossification incom- 
plète des vertèbres précédentes, et un certain nombre de ces vertèbres, 
qui sont encore épophysées, quant à leurs apophyses transverses, 
ont leurs arcs supérieurs synostosés avec les corps qui les supportent; 
enfin toutes les dernières le sont à la fois par leurs ares et par leurs 
apophyses transverses. 

Les apophyses articulaires des vertèbres de la queue sont, 
comme celles de la région sacrée, les unes antérieures, les autres 


4. PI. vi, Gg. 4 et 2, et pl. vu, Gig. 4. 
2. Ibid., fig. 4,2 et 8 à 10; pl. vu, fig. 4. 
3. Ibid., fig. 8-40. 


OSTEOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 215 


postérieures, et elles établissent les mêmes rapports entre elles dans 
la succession de ces vertèbres. Les apophyses épineuses des vertèbres 
coccygiennes sont également renflées à leur partie libre *, et de même 
plus ou moins bimamelonnées, du moins les trois premières. 

La queue du Sphargis, quoique modelée dans sa partie vertébrale 
sur celle des Chélonées, a évidemment une force supérieure à celle 
de la même partie du corps envisagée chez ces Chéloniens; elle est 


non-seulement plus robuste, mais proportionnellement plus longue. 


CT 
DU PLASTRON. 


Le Sphargis est de tous les Chéloniens celui dont le plastron”* 
présente la moindre surface osseuse. Au lieu de former, comme dans 
les Chélonées, un bouclier osseux largement ouvert, il est vrai, dans 
son milieu, entre la pièce médiane dite entostérnal et la symphyse 
des xyphosternaux et dont les bordures internes portent de fortes 
dentelures osseuses dépendant des hyosternaux et les hyposternaux, 
il représente une ‘sorte d’anneau ovalaire, à grand diamètre antéro- 
postérieur et qui constitue à lui seul la charpente inférieure du tho- 
racogastre. Les deux épisternaux * y sont prolongés en avant en 
une pointe occupant la ligne médiane; les hyosternaux * portent 
latéralement une pointe semblable placée en dehors de leur partie 
médiane ; il y a une simple saillie au même point sur les hyposter- 
naux* et les xyphosternaux *, également aplatis et minces, four- 
nissent une paire de lames cultriformes qui se rejoignent en arrière. 


1. PI. vi, fig. 8 et 9, lettre a. 


6. 1bid., lettre d. 


216 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Ce plastron ne m'a pas montré d’entosternal, pas plus chez le Sphargis 
adulte que dans le très-jeune âge, et Ratke ', qui a représenté celui 
d’un sujet sortant de l'œuf, n’en signale pas non plus. Il est vrai que 
cet auteur n’a pas figuré non plus les hyosternaux qui, dans le jeune 
âge, restent ordinairement adhérents à la partie dermique du plastron. 


S FT, 
DE L'ÉPAULE ET DU MEMBRE ANTÉRIEUR. 


Si nous passons maintenant à l'étude de l'épaule”, nous consta- 
tons une grande ressemblance entre sa composition et sa forme avec 
celle des Chélonées. Elle est également formée de deux os pour 
chaque côté, et ces deux os sont à la fois épais et allongés. Le pre- 
mier*, qui est le moins long des deux, est bifurqué près de sa 
base, dont la surface terminale entre dans la composition de la cavité 
glénoide. Une de ses branches * répondant à l’omoplate proprement 
dite remonte vers la huitième vertèbre cervicale, et va s'attacher par 
sa partie épiscapulaire, restée cartilagineuse, à la Surface articulaire 
correspondante formée par la base externe de la partie neurapophy- 
saire de cette vertèbre, ce qui lui offre une surface d'attache plus 
large que celles destinées aux côtes par les vertèbres dorsales. La 
seconde branche* de lomoplate descend au plastron et va s’y 
mettre en contact avec sa correspondante de l’autre côté. Celle-ci 
représente évidemment l’apophyse acromion. 

Le second os° de l’épaule est l’apophyse coracoïde séparée en 


Ueber die Entwickelung der Schildkrôten, pl. 1v, fig, 5. 
PI, vu, fig. & et 4a, et pl. vin, fig. 6. 

PI. vu, fig. 4 et 4 a, lettres a et a. 

Ibid., lettre a. 

Ibid., lettre a'. 

lbid., lettre b. 


F © 9 
du. te RON 


1 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 217 


une pièce distincte ou d'une soudure tardive, comme cela a lieu 
chez les Chélonées. Il correspond au coracoïdien des oiseaux, est plus 
long que l’apophyse acromion et descend de chaque côté au-dessous 
d'elle et en dehors pour aller s'attacher plus bas encore au plastron. 

On pourrait compléter ces analogies avec l'épaule et le sternum 
des autres vertébrés, en comparant les épisternaux des Chéloniens ‘ 
à la clavicule, et leur entosternal au sternum lui-même. 

La cavité glénoiïde est formée par la réunion des deux os cora- 
cordien et omoplate dont la surface articulaire est recouverte par un 
épais cartilage cachant l'articulation synchondrique de ces deux os. 

L'humérus ? est bien plus fort que celui de la Chélonée franche, 
plus aplati et plus développé dans ses saillies d'attache musculaire. 
La grosse tubérosité y est beaucoup plus saillante; la petite, qui est 
dans le même Cas, se confond avec une crête deltoïdienne plus mar- 
quée et moins relevée, et se projette notablement en dehors. Le 
condyle s'élargit en s’aplatissant; il est comme sécuriforme en dehors, 
c'est-à-dire à sa partie épitrochléenne et plus épais à sa partie con- 
dylienne. Vers son tiers externe est une perforation”? correspondant 
à celle dite épitrochléenne ou du condyle interne qui existe dans cer- 
tains genres de mammifères, et que l’on retrouve aussi dans les Ché- 
lonées ainsi que dans un petit nombre d’autres reptiles, et, lorsque 
la partie articulaire inférieure du même os qui est encore cartila- 
gineuse, comme le sont aussi sa tête articulaire et le sommet de sa 
grosse tubérosité, a été enlevée, on remarque qu'elle partage très- 
nettement la partie inférieure de l’humérus en deux portions, dont 
l’interne ne peut être considérée que comme l’un des rayons primi- 
tifs de cet os principal du bras séparé des deux autres. Une disposi- 
tion analogue existe d’ailleurs chez les Chélonées, et je n’en parle ici 


1. PI vu, fig. 3, lettre a. 

2. Ibid., fig. 5. 

3. Ibid., fig. 5, lettre a. 
VIII, 28 


218 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


qu'à titre de rappel; sans m’étendre davantage à cet égard, m'étant 
proposé de ne traiter dans ce Mémoire que des questions qui ont 
rapport à la comparaison spéciale du Sphargis avec les Chéloniens 
dont il se rapproche le plus. 

Les deux os de l’avant-bras', quoique plus courts que ceux de 
notre grand squelette de Chélonée, lequel est cependant moins fort 
que celui du Sphargis ici décrit, sont aussi plus robustes etils portent 
une main bien plus allongée. Cest ainsi que le métacarpien, mesuré 
sur le Sphargis, a 0",16, tandis que celui du Mydas ou Chélonée 
franche n’a que 0",08, le reste de la rame antérieure étant en propor- 
tion avec ces mesures. 

Les os du carpe? sont au nombre de neuf. Deux radiaux, plus 
grands que les autres, constituent une première rangée, et ont en 
dehors d’eux un pisiforme, plus grand encore, aplati, à peu près 
carré, qui porte à la fois sur cette rangée et sur la seconde. 

La seconde rangée est de cinq os, tous les cinq également apla- 
tis, comme ceux en avant desquels ils sont placés et discoïdes, ce 
qui rappelle les os de la patte des Ichthyosaures. Chacun d’eux 
répond à l’un des cinq os métacarpiens. 

Entre la ligne de contact des deux os de la première rangée et 
du bord postérieur des troisième et quatrième os de la seconde, se 
trouve un os intermédiaire. 

Les métacarpiens interne et externe sont plus larges que les 
trois autres. Chacun de ces cinq os métacarpiens porte un doigt 
formé de phalanges grêles et allongées, en rapport avec les aptitudes 
natatoires de la patte dans la construction de laquelle ils entrent. 

Il ya deux phalanges au pouce et trois à chacun des quatre 
autres doigts. Les phalanges terminales sont moins longues que les 
autres. 


4, PI, vu, fig. 6., 
2. Ibid., fig. 7. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 219 


S . 
DE LA CEINTURE ILIAQUE ET DU MEMBRE POSTÉRIEUR. 


On observe aussi quelques différences entre le membre postérieur 
du Sphargis et celui des Chélonées. 

Ainsi les os innominés‘ n’y ont pas tout à fait la même forme. 

Les pubis* différent un peu sous ce rapport, et l'intervalle 
répondant aux trous obturateurs qui sépare chacun d'eux des is- 
chions * est moins grand. De leur côté. les os des îles sont moins 
épais. 

Ces trois os, bien distincts ici les uns des autres, se trouvent en 
contact dans la cavité cotyloïde à la formation de laquelle ils contri- 
buent tous les trois, et dont l’excavation est recouverte par un épais 
cartilage concave. 

L'intervalle entre les te et les ischions est aussi occupé par 
un cartilage, et il y en a un autre remontant vers le ventre, en avant 
de la symphyse des pubis. La branche supéro-externe des pubis est 
surmontée d’une saillie cartilagineuse analogue”. 

Le fémur® est moins différent de celui de notre grand squelette 
de Chélonée, et il n'est pas sensiblement plus grand, les membres 
postérieurs ne participant pas à l'allongement des membres anté- 
rieurs. 

Il en est de même pour les deux os : la jambe”. 


PI, vu, fig, 8, 8a et 8b. 


dd: 
Ibid. Rs yet 


enr wSN = 
S 
2 
: 


Ibid., fig. 10. 


220 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 

La patte ou partie terminale” est aussi dans ce cas; cependant 
les doigts y sont évidemment plus allongés. 

Il y a deux os au protarse ou première rangée du tarse; l'un, 
plus grand, en rapport avec les extrémités inférieures du tibia et du 
péroné ; l’autre, plus petit, sous la partie externe de l'extrémité du 
péroné. 

Quatre os forment la seconde rangée ou le mésotarse. Ils sont 
inégaux entre eux et ne correspondent pas aussi bien que ceux du 
mésocarpe aux rayons digitaux. Leur forme est aplatie et rappelle 
celle des pièces constituant les deux rangées de la partie carpienne. 

Le premier et le cinquième métacarpien sont plus larges que les 
autres, mais le premier l'emporte sensiblement en longueur sur le 
cinquième, dont la forme rappelle à quelques égards celle du pisi- 
forme. Le métatarsien médian est long de 75 millimètres. 

IL y a deux phalanges au premier et au cinquième orteil et trois 
à chacun des trois autres. Les phalanges terminales sont sensiblement 


les plus courtes. 


S VI. 
SQUELETTE DU FŒTUS. 


On trouvera aussi parmi les figures qui accompagnent ce 
Mémoire des détails relatifs au squelette du Sphargis jeune, détails 
pris sur un sujet qui venait de sortir de l'œuf”. Les sutures crà- 
niennes n'y montrent pas une apparence aussi manifestement 
ichthyoïide que dans les sujets adultes. Les frontaux antérieurs 
sont séparés en avant par un petit cartilage représentant les carti- 
lages du nez. Les os du carpe sont déjà formés, mais on ne dis- 


4. PI. vu, fig. 44. 
2. PI. vu. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 221 


tingue pas encore ceux du tarse, et il y a quelques dispositions 
particulières concernant les vertèbres. Ainsi les saillies des apophyses 
épineuses ou neurapophyses n’ont pas encore apparu, et les trous de 
conjugaison sont moins largement ouverts. 


S VIL. 
DE LA CARAPACE. 


Ainsi que nous l'avons dit, la carapace du Sphargis ! n'est point 
soudée avec les vertèbres dorso-lombaires et les côtes de cet animal, 
comme cela à lieu chez tous les autres Chéloniens; en outre, sa 
partie la plus importante ne paraît pas correspondre à celle, fournie 
par le dermato- squelette, qui, chez les autres Reptiles du même 
ordre, s’unit avec le névro-squelette du tronc pour former la boîte 
osseuse dans laquelle sont enfermés les viscères. 

Tout le dessus du corps est recouvert par un grand bouclier 
convexe*, parcouru par cinq carènes longitudinales, bouclier qui a 
fait donner à cette espèce le nom de Luth. 

Chez l'adulte, ce bouclier dorsal est constitué par un nombre 
extrêmement considérable de petits disques osseux irrégulièrement 
polygonaux ou subcirculaires et inégaux entre eux; ils y sont asso- 
ciés et articulés les uns avec les autres au moyen de sutures dentées 
plus visibles à la surface inférieure de la carapace qu'à sa surface 
supérieure, et que l’on rend très-transparentes en dégraissant cette 
carapace et la grattant, ce qui la rend à peu près diaphane. Après 
cette préparation, elle ressemble presque à de l'écaille, mais sa 
structure est osseuse. 

Il y a des disques plus grands que ceux qui viennent d’être indi- 


à. PLEx. 
2. Ibid., fig. 1; d’après un sujet nouvellement éclos. 


222 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUNM. 


qués, mais articulés de même, soit entre eux, soit avec ceux qui les 
bordent bilatéralement. Ces disques sont distribués selon sept séries 
longitudinales constituant les sept carènes relevées et tuberculées 
dont il a déjà été question. 

Cette curieuse disposition offerte par les petits disques du Luth 
et par les séries de ses plaques carénées est représentée dans notre 
planche IX* pour une zone tirée du milieu de cette carapace sur le 
côté droit, et dont une partie montre la surface externe *, l’autre 
montrant la surface interne *. 

La figure 4 de la même planche est celle d’un fragment de l’une 
des pièces fossiles découvertes dans les calcaires miocènes de Ven- 
dargues (Hérault), que j'ai décrites comme provenant d’une carapace 
de Sphargis, sous le nom de S. pseudostracion*, en rappelant qu’on avait 
cru y voir antérieurement une portion de la carapace d’un poisson du 
genre Cofre *. Sa comparaison avec la carapace des Luths actuels ne 
laisse aucun doute sur la convenance qu'il y a de l’attribuer à un 
animal du genre qui nous occupe. 

La plus grande partie de la surface visible sur ce fossile montre 
la face externe de la carapace qui, dans l'animal frais, est recouverte 
de fines couches épidermiques rappelant l’épithélium de certaines 
muqueuses, Près du bord externe, qui à été entamé obliquement, on 
commence à apercevoir les sutures dentées qui servent à l’attache 
des pièces osseuses les unes avec les autres. Une partie de cette plaque 
répond à l’une des séries carénées, et la coupe verticale, qui limite 
le bord inférieur de la pièce, ainsi que la partie gauche de celle-ci, 
coupée obliquement, laissent apercevoir la disposition finement spon- 
gieuse de la, partie profonde des plaques. Le Sphargis. fossile de 
. PI 1x, fig. 3 a à d. 

. Ibid. fig. 3.b, et 30. 
Ibid., fig. 3, 3b et 3d. 


Zool. et Pal, franc., p. 438, pl, 1x, fig. 1. 
Marcel de Serres, Dubrueil et Jeanjean, Caverne de Lunel-Viel, p. 251. 


CEE 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH. 223 


Vendargues était d’une dimension encore supérieure à celle des 
Sphargis actuels. 

Il s’en faut de beaucoup que le même nombre dé plaquettes 
osseuses se trouve déjà dans la carapace des Sphargis Luths au 
moment de leur naissance. Il est au contraire beaucoup moindre à 
cette époque, et ce n’est qu'avec l’âge qu'il augmente. Notre figure 1 
de la planche IX montre l'apparence de la carapace pendant les pre- 
miers temps de la vie. 

La partie dermato-squelettique du plastron ne possède pas le 
même caractère. Les plaques osseuses y sont plus rares où ne s’y 
voient bien que sur les parties marginales. Dans le plastron de l'exem- 
plaire pris sur nos côtes de l’ouest, la plus grande partie de la surface 
inférieure du tronc est occupée par des tubercules ovalaires, distants 
les uns des autres et formant des séries isolées, quoique disposées 
régulièrement par lignes longitudinales. Ces lignes sont au nombre 
de cinq principales, dont la médiane est double, comme on le voit 
déjà sur le plastron des sujets naissants où le plus grand écartement 
de ses deux branches répond à l'insertion du cordon vitellin. : 

Ce n’est pas à l'enveloppe composée de ces plaquettes osseuses, 
engrenées pour la plupart les unes avec Îles autres et réunies à la 
manière d’une mosaïque, que se borne le dermato-squelette des 
Sphargis. Il existe en outre, chez ces singuliers animaux, une grande 
plaque ossifiée’ placée au-dessus du point où le cou se joint à la 
colonne dorsale. Cette plaque, que Ratke a déjà vue dans le jeune 
Sphargis qu'il a disséqué*, acquiert dans l’âge adulte un développe- 
ment assez considérable. Elle a, dans notre exemplaire, 0*, 46 de long 
et 0”,24 de large dans ses parties les plus développées, mais ses COn- 
tours sont irréguliers, et la partie principale du disque qu'elle constitue 
est entourée de prolongements en forme de rayons qui lui donnent 


4. PI. vus, fig. 42, 12a et 12 b. 
2. Loc. cit., pl. 1v, fig. 3, lettre a. 


29h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


l'apparence d’une étoile, dont la portion antérieure manquerait. Elle 
est d’un seul morceau et très-différente par sa structure des disques 
cutanés dont nous venons de parler. On distingue à sa face infé- 
rieure, près du prolongement médian qui en forme pour ainsi dire 
la queue’, une facette articulaire par laquelle elle est en rapport avec 
le sommet émoussé de l’apophyse épineuse de la dernière vertèbre 
cervicale, laquelle dépasse en volume toutes les autres vertèbres de 
la même région. 

Cette plaque, qu’on ne saurait cependant attribuer au névro- 
squelette, est elle-même recouverte par la carapace dermique, et l’on 
voit sur cette dernière, au point où elle la recouvre, une impression 
indiquant le point spécial par lequel elle était en rapport avec elle. Ce 
n'est pas néanmoins que la pièce dont il s’agit soit particulière au 
Sphargis. Elle répond à la bande osseuse située au même lieu, en 
avant de la carapace chez les autres Chéloniens et sur laquelle 
s'appuie également l’apophyse épineuse de la erniène vertébre 
cervicale. 

Cuvier la représente à la lettre b° de la figure 5 de sa plan- 
che XIIT consacrée à la Trionyx*, et l’on serait tenté de se demander si 
dans les animaux de ce genre les granulations de la surface externe 
de la carapace ne répondent pas aux plaquettes engrenées de la cara- 
pace superficielle du Luth; mais l'analyse Mein démontre 
qu'il n’en est pas ainsi. 


Il ressort des faits consignés dans ce Mémoire que, tout en 
appartenant bien, comme les Chélonées, à l'ordre des Chéloniens, le 
genre Sphargis ne saurait être classé dans la même famille qu’elles. 
I doit évidemment constituer un groupe à part, ainsi que Font 


4. PI. vu, 6g. 42 b, lettre a. 
2. Oss. foss., t. V, 2° partie. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTW. 225 
déjà admis quelques auteurs, particulièrement MM. Gray", Fitzinger* 
et Cope*. 

Cette manière de considérer le genre Sphargis s'appuie sur plu- 
sieurs faits importants tirés de la considération du squelette. Tels 
sont la conformation du crâne, l'état rudimentaire de la carapace 
proprement dite, qui se trouve réduite à la plaque étoilée propre à la 
région cervicale, l'apparence du plastron et la présence d’une cara- 
pace supplémentaire formée par les nombreuses pièces osseuses, 
articulées les unes aux autres par engrenage, dont la réunion a fait 
donner à cette espèce le nom de Luth. 


4. Sphargidide, S.-E. Gray, Ann. of Philosophy, t. X, p. 212 (1825). Id., Cat, of Shield 
Reptiles, p. 70. 

2. Dermatochelidæ, Fitz., Syst. Reptil., p. 30. 

3. Athecæ, E. Cope, Americ. Assoc. for Advancement ‘of Science, t. XX p. 235; 4871. 
— Id., Descript. of the genus Protostega (Americ. Philos. Soc., mars 1872). 


VIL. 29 


226 NOUVELLES ARCHIVES DD MUSÉUM. 


EXPLICATION DES PLANCHES 


PLANCHE V. 
TÈTE OSSEUSE DU SPHARGIS. 


Fig. 4. — Vue en dessus. 

Fig. 2. — Vue en dessous. 

Fig. 3. — Vue de profil, avec la mâchoire inférieure (fig. 4). 
Fig. 5. — Vue de face. 

Fig. 6. — Vue en arrière. 

Ces figures sont réduites à : de la grandeur naturelle. 


Les lettres indiquant les différents os sont les mêmes pour chaque os que celles employées 
par Cuvier dans les figures du crâne des Chéloniens parues dans son ouvrage sur les O:sements 
fossiles. 


a Frontaux antérieurs. 
b Maxillaires supérieurs. es 
© Palatins. 

d Vomer. 

e Intermaxillaire, 

f Frontaux principaux. 
‘4 Frontaux postérieurs. 
h Pariétaux. 

à Jugaux. 

k Temporaux. 

L Tympaniques. 

m Mastoïdiens. 

n Rochers. 

o Occipitaux externes. 
p Occipital supérieur. 
qg Occipitaux latéraux. 
r Basilaire. 

$ Ptérvgoïdiens. 

t Sphénoïde. 


OSTÉOLOGIE DU SPHARGIS LUTH, 227 


Fig. 7 et 7a. — Le cercle de pièces osseuses de la sclérotique, vue en avant (fig. 7) et en 
arrière (fig. 7a). De grandeur naturelle. 

Fig. 8. — L’osselet en trompette de l’oreille moyenne et en 8 a la partie élargie par laquelle 
il s'applique sur le tympan. De grandeur naturelle. 


PLANCHE VI. 
COLONNE VERTÉBRALE. 


Fig. 4. — La colonne vertébrale, vue en dessous, depuis l’atlas jusqu'aux dernières vertèbres 

caudales ; e côtes sont attenantes aux vertèbres, 
— La même partie du squelette, vue eu dessus. 

Fig. . — La vertèbre atlas, vue en avant. 

Fig. 4. — L'odontoïde, vue en avant. 

Fig. 5. — La vertèbre axis, vue en avant. 

Fig. 6. — La première vertèbre dorsale, vue en avant. 

Fig. 7. — La sixième vertèbre dorsale, vue en avant, 

Fig. 8 — La première vértèbre caudale, vue en avant. 

Fig. 9. — La troisième vertèbre caudale, vue en arrière. 

Fig. 40. — La quatrième vertèbré caudale, vue en avant. 

Les dr mnt 1 et 2 sont réduites à ; de la Stdledr naturelle; les figures 3 à 40 sont ré 
duites à — 


PLANCHE VIl. : 
LES DIFFÉRENTES PIÈCES DU SQUELETTE,. 


Fig. 4. — Le crâne et la colonne vertébrale, vus de profil; les côtes droites ont été enle- 
vées, celles du côté gauche laissées en place. 

Fig. 2. — L'os hyoïde, 

Fig. 3. — Le plastron. 3 

Fig. 4 et a. — L'épaule : omopilaie et coracoïdien, Cr 

Fig. 5. — L'humérus. " 

Fig. 6. — Les deux os de l’avant-bras. rh 

Fig. 7. — Le carpe, le métacarpe et les phalanges digitales. 

Fig. 8. — Le bassin (os innominé), vu en avant. Il comprend le. pubis (a), l’ischion (b), 
l'os des îles, (c) et leurs prolongemenits cartilagineux (d, d' et d''). 

ig. 8a. — Le même, vu de profil. 

Fig. 8b. — Le même, vu en arrière. 

Fig. 9. — Le fémur. 

Fig. 40. — Les deux os de la jambe : tibia (a) et péroné (b). 


+ 


Ra, 


228 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Fig. 414. — Le tarse, le métatarse et les phalanges des orteils. 

Fig. 12. — L’os nuchal, placé au-dessus de la colonne vertébrale à la jonction du cou avec 
la région dorsale et un peu écarté de sa véritable position. 

Fig. 42 a. — Le même, vu en dessus, 

Fig. 126. — Le même, vu en dessous. En à est la facette par laquelle il s’articule avec 
l’apophyse épineuse de la dernière vertèbre cervicale. 


PLANCHE VIII. 
LE SQUELETTE DU SPHARGIS PEU DE TEMPS APRÈS L’'ÉCLOSION. 


Fig. 4. — Crâne, vu de profil. 

Fig. 4 a. — Le même, vu en dessous. 

Fig. 4 b. — Le même, vu en dessus. 

Fig. 2. — La mâchoire inférieure encore incomplétement ossifiée, vue de CRE 

Fig. 3. — La colonne vertébrale, dans toute son étendue; vue en dessus. 

Fig. 4. — La même, vue en dessous. 

Fig. 5. — Le plastron, encore attachéaux prolong ts fibreux int idiens. Les deux 
os de lépaule sont représentés au trait. 

Fig. 6. — Les épaules droite et gauche, avec les deux membres antérieurs en place. 

Fig. 7. — Le bassin {os innominé) et les trois pièces qui le composent, avec les deux mem- 
bres postérieurs. 

Les figures de cette planche sont toutes au double de la grandeur naturelle, 

Les lettres ont la même signification que sur les planches v et vu. 


PLANCHE IX. 
LA CARAPACE ET LE PLASTRON. 


Fig. 4. — La carapace du Sphargis nouvellement éclos (Sphargis coriacea), vu par sa face 
externe, 

Fig. 2. — Le plastron du même, vu par sa face externe. 

Fig. 3. — Une bande de la carapace du Sphargis adulte (Sphargis coriacea), prise sur la 
moitié de la largeur de cette carapace, à peu près vers le milieu du corps. Elle a été partagée 
en quatre tronçons, vus les uns par la face interne, qui montre mieux les sutures engrenées 
(fig. 3, 36 et 3 d), les autres par la face externe (fig. 3a et 3c). 

. Fig. &. — Portion de carapace fossile de Sphargis se se pseudostracion, P. Gerv.), prove- 
nant des calcaires bleus de Vandargues { Hérault). 

Toutes les figures de cette planche sont de grandeur naturelle. 


RECHERCHES 


SUR LA 


FAUNE CARCINOLOGIQUE 


DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE 


PAR 


M. ALPH. MILNE EDWARDS 


La distribution géographique des Crustacés dans l'hémisphère 
Sud a déjà fixé l'attention de plusieurs naturalistes, mais nos connais- 
sances à ce sujet sont encore très-incomplètes et ne feront des progrès 
sérieux qu'à la suite d’une étude approfondie de la faune marine d'un 
certain nombre de points appartenant à cette grande région du globe. 
Les nombreuses collections carcinologiques formées depuis quelques 
années à la Nouvelle-Calédonie et offertes au Muséum d'histoire natu- 
relle par divers voyageurs me permettront de remplir quelques-unes 
des lacunes qui existent dans cette partie de la zoologie, et fourniront 
un des termes de comparaison indispensables à la solution des ques- 
tions relatives au mode de répartition des formes organiques à la 
surface de la terre. 

La Nouvelle-Calédonie, située dans l'océan Pacifique à l’est de la 
Nouvelle-Hollande, sous le même parallèle que Madagascar et Rio de 
Janeiro, est entourée d’un grand nombre d’ilots et d'îles qui en sont 


230 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


des dépendances naturelles ; les plus éloignées sont les îles Loyalty, qui 
se trouvent à environ quinze lieues vers l’est. Toutes ces terres sont 
entourées de récifs madréporiques où les Crustacés, essentiellement 
marins, trouvent à la fois des retraites sûres et une nourriture abon- 
dante; aussi le nombre des individus, et même celui des espèces 
de cette classe qui y vivent, est-il extrêmement considérable. 

Les côtes sont très-découpées et en arrière de cette ceinture 
madréporique, dans les parties basses, existent des marécages cou- 
verts de palétuviers, où habitent d’autres Re propres aux eaux 
douces ou aux eaux saumâtres. 

Ces conditions, particulièrement favorables, ont permis à plusieurs 
voyageurs français de recueillir à la Nouvelle-Calédonie les nombreux | 
matériaux que je me propose aujourd’hui de mettre en œuvre. 

En 1861, M. l'amiral Jouan, alors commandant de la Bonite, fut 
le premier dont les recherches enrichirent sous ce rapport le Muséum 
d'histoire naturelle; bientôt après, M. Aubry Lecomte, directeur du 
musée des colonies, toujours plein de zèle pour la science, nous pro- 
cura un certain nombre de Crustacés provenant principalement des 
envois de M. Deplanche, chirurgien de marine. Depuis cette époque, 
M. Ed. Marie, sous-commissaire de la marine, le R. P. Montrouzier, 
M. Baudouin, alors capitaine d’infanterie de marine, M. Banaré et 
M. Delacour firent au Muséum des envois non moins intéressants ; 
enfin M. Balansa, quoique chargé spécialement de l'exploration bota- 
nique de la Nouvelle-Calédonie, y a formé une collection de Crustacés 
extrémement importante, tant par la variété des espèces que par 
l'excellent état des objets; à l’aide de certaines précautions il a su con- 
server les couleurs de la plupart de ces animaux, dont les teintes 
s'effacent en général si rapidement, et le nombre souvent énorme des 
individus qu'il a réunis permet d'apprécier exactement le degré de 
variabilité ou de fixité des caractères généralement employés pour la 
délimitation des groupes spécifiques. 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-GALÉDONIE. 231 
L'étude de cette faune locale m'aurait paru insuffisante si elle 
n'avait pas été faite comparativement à celle des faunes circonvoisines, 
et j'ai trouvé dans la riche collection du Muséum tous les éléments 
nécessaires à ce travail. Dans les conclusions de ce Mémoire je ferai 
connaître avec détails les résultats auxquels conduit cette comparaison, 
mais dès à présent je puis annoncer que la population carcinologique 
de la Nouvelle-Calédonie, loin d’être limitée à ce petit archipel, fait 
partie d’une grande faune dont le foyer principal semble être l'océan 
Indien, et dont les limites sont, à l’ouest, la mer Rouge et, à l’est, les 
stations extrêmes constituées par les îles Marquises et l'archipel des 
Sandwich. 


CHAPITRE PREMIER. 


GROUPE DES OXYRHINQUES. 


Genre SCHIZOPHRYS (Stimpson). 


Mirarax {restrictum)., Milne Edwards, Hist. nat. des Crust., 183%, t. I, p. 320. 

DIONE. Dehaan, Fauna japonica. Crust., p. 82. 

Scrizopanys (partim), White, Ann. and Mag. of nat. hist.; 2° série, t. II, p. 283, 1848, 
et Proceedings zoological Society of London, 1847, p. 222. 

SCHIZOPHRYS. Stimpson, American Journ. of sc. and urts, janvier 4860. 


1. SCHIZOPHRYXS ASPERA. 
Voy. pl. x, fig. 1. 


Milne Edwards, Op. cit.,t. I, p. 320. 
Dana, United States exploring Expedition, 1852, Crust., t. I, p.97, Es 1, fig. à 
DIONE AFFINIS. De Haan, Faun. jap., Crust., p. 93, pl. xxnt, fig. 
_ . no  — of the Acad. of the nat. sc. Philadelphia, 
1856, 5. 


282 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


ScHiZOPHRYS AFFINIS.  Stimpson, American Journ. of sciences and arts, janvier 1860. 

SCHIZOPHRYS ASPERA,  Stimpson, Âmer. Journ. of sc. and arts, janvier 1860. 

MiTHRAX SPINIFRONS. A. Milne Edwards, Annales de la Société entomologique de France, 
27 février 4867, 4° série, t. VII, p. 263. 

ScmizopmRys sernaTus. White, List of Crust. in British Museum, p. 9. — Ann. and Mag. of 
nat. hist., 2 série, t. Il, p. 283, avec figure dans le texte. — Pro- 
ceedings of the zool. Soc. of London, 1847, p. 222, avec figure dans 


le texte. 
— Adams and White. Voy. of Samarang. Crust., page 16, 1848. 
MiTHRAX AFFINIS. F. de Brito Capello, Journ. de sc. math., phys. e naturaes, Lis- 


bonne, 1871, n° 42, p. 3, pl. 1x, fig. 4. 


Le genre Schizophrys correspond exactement à la division des 
Mithrax triangulaires, établie par M. Milne Edwards dans son histoire 
naturelle des Crustacés; il correspond aussi au genre Dione de de Haan, 
mais ce nom ayant déjà été employé en 1816 par Hubner pour désigner 
un genre de Coléoptères n’a pu être donné à un genre de Crustacés, 
et M. Stimpson a appliqué aux espèces qui rentrent dans ce petit 
groupe la désignation de Schizophrys, employée par White pour deux 
espèces dont une ne doit pas être distinguée des Mithrax triangu- 
laires, tandis que l’autre se place probablement dans le genre 
Cyclomaia. 

Ce genre est représenté sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie 
par le S. aspera, qui vit en assez grande abondance sur les fonds 
rocheux. 

Cette espèce varie beaucoup dans ses caractères extérieurs, et 
les zoologistes qui n'ont eu qu’un petit nombre d'individus entre les 
mains ont souvent considéré comme spécifiques les particularités qui 
n'étaient qu'individuelles'. Le plus souvent le rostre est composé de 
deux cornes qui se terminent par deux pointes, l’une interne presque 
droite et longue, l’autre externe légèrement oblique en dehors et 
courte. Les bords latéro-antérieurs sont armés de six épines sub- 


équidistantes et. très-fortes, en arrière desquelles existe une autre 


4. Voyez pl. x, fig. 1. 


CRUSTACES DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 233 
épine plus faible, située sur la région branchiale postérieure. La cara- 
pace est couverte de granulations assez rapprochées, dont quelques- 
unes sont, sur les parties saillantes, plus grosses que les autres et res- 
semblent à de petites pointes; mais ces caractères ne se répètent pas 
exactement chez tous les individus, et j'ai été frappé des variations 
que j'ai vu exister à cet égard entre les individus. J'ai pu en étudier 
près de cinquante appartenant à des individus d'âge et de sexe diffé- 
rents, mais pris dans la même localité, et ce sont ces circonstances 
qui m'ont conduit à réunir sous un même nom spécifique tous les 
Crustacés indiqués plus haut dans la liste synonymique. Ainsi les mâles‘ 
sont en général plus plats et plus épineux que les femelles, les pattes 
antérieures sont aussi beaucoup plus longues chez les premiers que 
chez les seconds. Quelquefois chacune des cornes du rostre porte une 
petite épine supplémentaire, et il existe sur la carapace des pointes 
aiguës correspondant aux tubercules saillants que l'on rencontre d'or- 
dinaire dans cette espèce *. C’est un individu de cette variété et pro- 
venant de l'ile des Navigateurs que j'avais désigné précédemment sous 
le nom de Mithrax spinifrons. Les cornes rostrales sont parfois plus 
courtes, plus larges à leur base”, et j'ai vu de très-jeunes individus 
où elles étaient simples. J'en ai également vu où l'intervalle des tuber- 
cules saillants était entièrement lisse. 

D'ordinaire les poils crochus qui couvrent le corps de ce Mithra- 
cide accrochent une foule de débris qui forment au-dessus du test 
une couche plus ou moins épaisse masquant tous les détails. 

Le Schizophrys aspera paraît avoir une répartition géographique 
très-étendue, et suivant les localités il porte souvent des noms dif- 
férents. 

La provenance des individus types qui ont servi à la description 


A. Voyez pl. x, fig. 1. 
2. Ibid., g. 1. 
3. Ibid., fig 4° et Af. 


VIH. 


23h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


de cette espèce est malheureusement inconnue, mais il est probable 
qu’ils viennent de la mer des Indes. 

M. L. Rousseau a recueilli à Zanzibar et M. Grandidier a rap- 
porté de Madagascar (côte occidentale) de nombreux représentants 
de ce Crabe, sur lesquels on retrouve toutes les variations que j'ai 
signalées chez ceux de la Nouvelle-Calédonie. D’autres Schizophrys 
provenant de la côte de Malabar ont été envoyés au Muséum par 
M. Dussumier; nos collections en possèdent également du Japon, 
exactement semblables à ceux figurés par de Haan sous le nom de 
Dione affinis, et ne différant en rien des individus venant de la côte 
orientale d'Afrique ou de l'océan Pacifique. Enfin j'ai déjà dit que 
le Mithrax spinifrons (A Edw.) de l’île des Navigateurs ne devait pas 
être distingué du Schizophrys. aspera : tels sont les matériaux qui 
existent dans nos galeries, mais d’après les travaux de White, de Dana 
et de Stimpson, cette espèce se trouverait encore à Maurice, à Bor- 
néo et à l’île Ousima*. 

Le Schizophrys aspera est généralement d’un brun violacé, tirant 
parfois sur le verdâtre. 

Les plus grands individus que j'ai vus avaient les dimensions 
suivantes : 


sn ne Mon Le ot 0 mèt. 070 
Largeur depuis la pointe du rostre jusqu’au bord postérieur.. . . . . O0 — 056 


4. Le Schizophrys serrata de White n’est qu’une variété peu épineuse du S. aspera. — 
Le Mithrax affinis de M. Brito Capello provient de la collection cédée par M. Guérin-Méneville 
au musée de Lisbonne; il ne porte pas d'indication de provenance, mais il ne diffère pas sensi- 
blement du Schizophrys aspera. 


CRUSTAGÉS DE LA NOUVELLE CALÉDONIE. 239 


Genre CYCLOMAIHIA ({Stimpson). 


Mirarax (restrictum ). Fee Proceedings of the Acai. of nat. sc. of Philadelphia, 1856, 
16. 


CycLax (partim). Hell, Crustaceen fauna des rothen Meeres. Sitzungsb. der Akad. d. 
Wissenchaft. Wien. 4861, p. 304. 
CYCLOMAIA. Stimpson, American Journ. of sciences and arts, janvier 1860. 


Scmzopnys (partim). White. Ann. and Mag. of nat. hist., 2° série, L II, 1848, p. 283. 


Le genre Cyclomaia établit le passage entre les Mithracidés et les 
Micippidés; par la forme générale de leur corps, ces Crustacés se rap- 
prochent beaucoup des Cyclax de Dana, mais leurs pattes, au lieu d'être 
extrêmement grêles, présentent des proportions ordinaires. Ce genre 
ne comprend. jusqu’à présent que peu d'espèces. L'une", le Cyslomaia 
orbicularis de Stimpson, a été trouvée à l'ile Selio, dans le détroit 
Gaspard, par l’expédition américaine commandée par MM. Ringgold et 
Rodgers; la seconde a été décrite par M. Heller sous le nom de Cycla 
spinicinctus, mais je crois devoir la séparer des Cyclax pour la placer 
dans le genre Cyclomaïa ; cette dernière, dont l'existence a d'abord été 
signalée dans la mer Rouge, se trouve aussi dans l'archipel Samoa. 
Une troisième, signalée par White sous le nom de Schisophrys spini- 
gera, appartient, suivant toutes probabilités au genre Cyelomaia ; elle 
provient des Philippines. Enfin une nouvelle espèce se rencontre sur 
les côtes de la Nouvelle-Calédonie‘; je la désignerai sous le nom de 


Cyclomaia margaritata. 


4. Le Muséum possède d’autres spécimens de cette espèce provenant des îles Sandwich 
et Viti. 


236 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM, 


2. CYCLOMAIA MARGARETATA. 


Voyez pl, x, fig. 2 et 3, 


Cette espèce atteint une assez grande taille. M. Balansa en a 
recueilli un mâle qui, les pattes étendues, mesure quinze centimètres ; 
il l’a trouvée au milieu des rochers toujours couverts par la mer. 

Chez le mâle adulte’ la carapace est orbiculaire; sa largeur éga- 
lant sa longueur, elle est régulièrement bombée, à régions bien dis- 
tinctes et couvertes de gros tubercules perliformes et disposés réguliè- 
rement ; onencompte une vingtaine sur la région gastrique et de quinze 
à dix-huit sur les régions branchiales. Ceux de la région cardiaque 
sont au nombre de sept environ, mais un peu plus petits; dans l'inter- 
valle, le test est orné de granulations fines et nombreuses. 

Le front est large, peu avancé, son extrémité ne dépassant pas Îles 
épines de l’article basilaire des antennes externes. Il est formé de deux 
pointes médianes courtes et obtuses, et des angles orbitaires internes 
qui sont élargis et obtus; sur la ligne médiane le front se prolonge 
en bas bien au-dessous de la cloison inter-antennulaire. Les orbites 
sont profondes; leur bord sourcilier est bifissuré, mais beaucoup 
moins profondément que chezles Schizophrys et les vrais Mithrax. Les 
bords latéraux sont armés de six dents courtes, grosses et très-gra- 
nuleuses (en comptant l’angle orbitaire extorne), la seconde où hépa- 
tique est bifide, comme d’ordinaire dans ce genre. Le bord latéro-pos- 
térieur forme un arc de cercle, à grand rayon. 

Les régions ptérygostomiennes sont granuleuses; l’article si 
laire des antennes externes est plus large que long et armé en avant 
de 3 épines courtes et mousses? ; les fossettes antennulaires sont très- 


1. Voyez pl. x, fig. 2 
2. Voyez pl. x, fig. 2% 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, 237 


grandes. Le mérognathe ou troisième article des pattes-mâchoires 
externes est comparativement beaucoup plus élargi que le second 
ou ischiognathe, et présente une profonde échancrure à angle interne 
pour recevoir le quatrième article. 

Les pattes antérieures sont assez renflées, la main lisse, à doigts 
béants, l’avant-bras et le bras sont couverts de granulations. Les pattes 
ambulatoires sont fortes ; leurs deux derniers articles sont lisses, mais 
la jambe et la cuisse portent des tubercules pointus rangés sur une 
ou deux lignes longitudinales. L’abdomen du mâle est court; le 
cinquième article est plus étroit que ses voisins et le septième est 
très-surbaissé. 

Les jeunes de cette espèce‘ diffèrent tellement de l'adulte que 
si je n'avais pas eu sous les yeux tous les passages entre ces deux 
formes, je les aurais certainement considérées comme appartenant à 
un autre type spécifique. Leurs orbites sont plus larges; les régions 
branchiales sont moins renflées, aussi le corps est-il moins orbicu- 
laire ; les pointes rostrales sont triangulaires, beaucoup plus lamel- 
leuses, et relativement plus longues. Les gros tubercules de la cara- 
pace sont moins nombreux et les dents latérales moins grosses à leur 
base ; mais on voit ces caractères se modifier à mesure que la taille 
augmente. La couleur des Cyclomaias est d’un rouge brun marqué 
de taches jaunâtres sur la carapace et sur les pattes. 


Largeur de la carapace du mâle adulte. . . . . . . . . . . . . . O0 mèt. 045 
BONBMOOEs ce à se VS dt ee tete ont ‘ 0 — 041 
Longueur de la main. , . . . . . . . . . . .: . . + . . a.fl 001,088 
Largeur de la carapace du plus petit individu. . : . . + . .« + - . 0 — 01 
Longueur, ce fier pe is. + ie M SR 0 — 01 


4. Voyez pl. x, fig. 3. 


238 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Genre MICIEP P A. 


_Leach, Zoolog. Miscell., t. TX. 
Milne Edwards, Hist. nat. des Crustacés, 1834, t. I, p. 329. 


3. MICIPPA THALEHA (Herbst.) 
Voy. pl. xt, fig. 1. 


Cancer Tuazta. Herbst, Naturgesch. der Krabben und Krebse, pl. Lvi, fig. 3. 
—— Gerstaecker, Carcinologische beiträge. Archiv. für Naturgesch., 1851, 
p. 409. + 


Cette espèce, fort rare dans les collections, a été figurée assez 
imparfaitement par Herbst; elle a ensuite été confondue avec d’autres 
représentants du même genre’, jusqu'à ce que M. Gerstaecker ait de 
nouveau fait connaître l'individu qui avait servi de type à Herbst; 
malheureusement il s’est borné à le décrire et ne l’a pas fait repré- 
senter. 

M. E. Marie, sous-commissaire de la marine, a trouvé sur les 
côtes nord de la Nouvelle-Calédonie un de ces Micippes qui me paraît 
se rapporter à l'espèce de Herbst. Le front est long, très-déclive, 
formé de deux cornes rostrales réunies dans presque toute leur lon- 
gueur et divergentes vers leur extrémité ; la carapace est très-granu- 
leuse ; elle est bordée latéralement par des denticules espacés et peu 
saillants, si ce n’est en arrière des régions branchiales. Chez le 
Micippa Haanii (Stimpson) du Japon, le front présente à peu près la 
même forme, les pointes du bord latéral sont peu développées dans 


1. De Haan a décrit, dans la Faune japonaise (p. 98, pl. xxin. fig. 2.), un Micippe qu'il 
croyait identique au Cancer Thalia de “Herbst, mais qui s’en distingue par plusieurs caractères 
importants. Aussi M. Stimpson lui a-t-il donné le nom de #. Haani. (Proceedings of the 
Acad. of nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp. n° 10.) 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-GALÉDONIE. 239 


toute la portion antérieure, mais la région gastrique et les régions 
branchiales postérieures portent chacune deux épines très-longues et 
très-pointues. Le Micippa aculeata, décrit par M. Bianconi dans son 
travail sur la faune de Mozambique, prend place dans la division 
des Micippes dont les cornes rostrales ne portent pas de dents sur leur 
bord externe, mais dont les bords latéraux sont garnis d’épines très- 
développées. Le Wicippa pusilla du même auteur west peut-être que 
le jeune de l'espèce précédente. 

Le Micippa Thalia se tient dans les coraux à d'assez grandes pro- 


fondeurs. 
Longueur de la carapace d’un mâle. . : . ,.. ... . . . .. 0 mèt. 0? 
Largeur maximum de la carapace. . . , . . . . . . . . . , 0, 0 — 06 


4. MICIPPA PHILYRA (Herbst). 
Voyez pl. x1, fig. 2. 


Cancer Pæicyra. Herbst, Naturgesch. der Krabben und Krebse, pl. Lvm, fig. 4. 
Micippa PuizyrA. Leach, Zool. Miscell., t. HE, pl. cxxvin. 
— Desmarest, Consid. sur la classe des Crust., pl. xxu, fig. 2. 
— Guérin, /conographie, pl. vin bis, fig. 4. 
— Milne Edwards, Hist. nat. des Crust., t. 1, p. 330. 
_ Jouan, Notes sur quelques animaux observés à la Nouvelle-Calédonie, Mém. 
de la Suc. des sc. nat. de Cherbourg, t. IX, p. 38. 


Le Micippa philyra paraît plus commun que le précédent, il s’en 
distingue très-facilement par la disposition du front, qui est beaucoup 
plus large, garni de chaque côté d'une petite dent latérale et qui se 
courbe en bas, de façon à former avec la carapace un angle tout à 
fait droit. Les orbites sont complétement cloisonnées en dessus et en 
dessous, de façon à ressembler à des tubes, dans lesquels sont logés 
les pédoncules oculaires. L'article basilaire des antennes externes 
est très-grand, très-granuleux et la tigelle mobile s’insère sur les 


240 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


côtés du front, vers la moitié de la hauteur de sa portion lamelleuse. 

Presque tous les individus de cetie espèce que j'ai pu observer 
présentaient avec ceux de la mer des Indes de petites différences, 
mais trop peu importantes pour en autoriser la séparation spécifique ; 
les bords latéraux de la carapace ne portaient que des granulations , 
on n’y voyait aucune épine, si ce n’est sur la région gastrique posté- 
rieure; tous les autres caractères étaient les mêmes, et d’ailleurs, sur 
une femelle de cette espèce rapportée de Sumatra par M. Martin j'ai 
constaté les mêmes particularités. 

Le Micippa Philyra habite les mêmes récifs que le M. Thalia. 


Longueur de la carapace d’une femelle. . . . . . «4. . . 4. 0 mèt. 022 
ReISeuT MAXIMUM, 2 + + » +. » » + .OUIRIRT Cl MIE 0 — 


5. MICIPPA SPATULIFRONS (Nov. sp.). 
Voy. pl. x1, fig. 3. 


Cette espèce est de toutes celles du même genre la plus com- 
mune sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie, où elle habite aussi les 
fonds de coraux. | 

Le front est moins déclive, non-seulement que chez le #. Philyra, 
mais aussi que chez le #. Thalia; il forme un plan très-oblique et 
lamelleux, un peu resserré à sa base, au-dessous des orbites, où il 
présente une échancrure pour l'insertion de la tigelle mobile de l’an- 
tenne externe, il ne tarde pas à se dilater sensiblement et se termine 
par quatre pointes, dont deux médianes dirigées en bas et deux latérales 
qui se portent en dehors. 

Le bord orbitaire supérieur se prolonge peu de façon à laisser à 
découvert le pédoncule oculaire; en arrière il porte deux échancrures 
peu profondes, et son angle externe constitue une dent triangulaire et 
large à sa base. L'article basilaire des antennes externes est lisse et 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 241 


se termine en dehors par un bord presque droit, dont les angles sont 
faiblement marqués; son bord inférieur et interne ne se joint qu'à sa 
base à la partie correspondante de la carapace; il existe là un hiatus 
assez large, au-dessus duquel se trouve l'œil. L'épistome est séparé 
de la base de l’article basilaire de l'antenne par une fissure bien 
limitée. 

La carapace est très-aplatie, fortement déprimée de chaque côté 
de la région gastrique; elle est couverte de granulations, mais dépour- 
vue de pointes ou d’épines. Les bords latéraux sont presque droits, car 
les régions branchiales se renflent peu ; ils sont garnis de tubercules 
aplatis ou de denticules irréguliers, et il existe une très-petite épine 
sur la région branchiale postérieure. En arrière le bouclier céphalo- 
thoracique est bordé de tubercules très-serrés. 

Les pattes antérieures du mâle sont courtes et renflées; comme 
d'ordinaire dans ce genre} :les doigts ne’se touchent que par leur 
extrémité, et, dans leur portion béante, il n'existe pas de dents sail- 
lantes. La main chez le mâle est très-renflée. Les pattes ambulatoires 
sont courtes et ne présentent rien de remarquable à noter. L'abdo- 
men du mâle est très-petit, les différents articles en sont tous à 
peu près égaux. De même que chez les autres représentants du 
mème genre, le corps et les pattes portent des poils qui s’accrochent 
à tous les détritus que l’animal rencontre au milieu des rochers où 
il vit. ob .: 
Cette espèce est d'un rouge brique, quelquefois violacé et mar- 
quée de taches plus claires. Par la forme de son front, elle se distingue 
immédiatement des Micippa Thalia (Herbst), Haanii (Stimpson), miliaris 
(Gerstaecker), aculeata et pusilla (Bianconi), qui tous n’ont que deux 
pointes rostrales. Chez le Micippa spinosa de Stimpson, qui provient 
de Port-Jackson, le front offre à peu près la même inclinaison, mais 
il présente de chaque côté une sorte de lobe arrondi bien différent 
des cornes latérales du #. spatulifrons. Chez le M. hirtipes de Dana, 


VuL. 31 


2h12 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


il y a dé chaque côté de la lame frontale deux dents courtes et trian- 
gulaires qui n’existent pas Chez notre espèce. 

Le ‘Micippa spatulifrons ne paraît pas appartenir en propre à la 
faune dé la Nouvelle-Calédonie : lé Muséum en à reçu divers individus 
provenant de la mer Rouge et du cap de Bonné-Espérance. 


1} i,engueur de la carapace d’un mâle très-adulte. : +... :- 0. mèt. 028 
RM de un er Les es ss si: e . 0 — 022 
Longueur de la carapace des individus idées ns 8 D ee OR 
bagemnirgate ditoe ZHBA9)HI 20100 894 29H + 0 —: M6 


Genre CRIOGCARCINUS. 


Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés; 1834; t. 1, p: 334. 


G. CRIOCAROINUS SUPERCILIOSUS (Guérin). 
Voyez pl. xt, fig. 3 


CANCER SUPERCILIOSUS. Herbst, Vaturg. der Krabben und Krebse, pl. x1v, fig. 89: — 
… Voyez aussi Seba, t. IL, pl. xvu, fig. 14. 
berge SUPERCILIOSUS. Guérin (Manuscrit dans la nr. pe Muséum). 
Milne Edwards, Op. cit., t. 1, p.3 
Micippa sidi Gerstaecker, Carcinologische at —. Archiv. fur Natur- 
gesch., 1856, p. 109. 


Ce Crustacé, très-singulier par ses formes, doit se placer immé- 
diatément après les Micippes et avant les Paramicippes et les Pseudo- 
micippes. 

Ses caractères distinctifs semblent l'exagération de ceux du #i- 
cippa Thalia, et surtout du #. Philyra, maïs son aspect extérieur est Si 
singulier, ses orbites prolongées en forme de gouttières ouvertes en 
dessous et vers l'extrémité desquelles se trouvent des pédoncules 
oculaires très-longs et ne pouvant s’y reployer, les expansions spi- 
niformes du bord orbitaire et de la carapace sont tellement remar- 


CRUSTACÉS, DE. LA. NOUVELLE-CALEDONIE. 243 


quables,. qu'il est impossible de ne pas, le nan SNA 
des, Micippes. : 110) 

Le Criocarcin.est connu, han ses pas: puisque. Fi 
a donné une figure, et Herbst l'a également, représenté mais, d'une 
manière {rop .imparfaite pour permettre d'en bien-apprécier les carac- 
téres; celte espèce est toujours restée très-rare : il en existait un 
exemplaire dans les collections du Muséum, mais sans indication de 
provenance, et ‘aucun auteur iMmoôdérne né l'avait signalé et n'avait 
indiqué sa patrie. Dans, ces dernières années, nos collections se sont 
enrichies de deux individus en bon état de conservation, el provenant 
de la Nouvelle-Calédonie; lun est dà aw père’ Montrouzier, l'autre à 
M. Baudouin, capitaine d'infanterie de marine. 

La profondeur à laquelle se trouve ce Crabe, les fonds rocheux 
où il habite, son aspect pierreux et les nombreuses -corallines dont il 
se couvre PARAIEOES les difeuteés que Fon a sas se le PER 


Longueur totale de la, PHARES depuis l'extrémité! du, rostre, du la. ps postérieure 
OURS, . Je Ge de Ur ID VS ue vi Det - mèêt. 
Largeur au niveau di gone! branchiälés. . . . . . ue Q— bal 


Genre PFICROCEREUS. 
Alph. Milne Edwards, Ann. de la Société entomologique, 4° série, t. V, 4865, p. 136. 


Le genre Picrocerus doit se ranger à côté des Stenocinops, des 
Pises, des Criocarcins et des Tychés. 1 présente les longs pédoncules 
oculaires et les cornes rostrales très-développées des premiers, mais 
le bord sus-orbitaire, au lieu de donner naïssance à une épine fron- 
tale, S’avancé en forme de voûte au-dessus de l'œil. Le pédoncule 
oculaire, au lieu d'être enchâssé à sa base, est libre, et son articu- 
lation sur l’anneau ophthalmique étant reportée très en dehors, il 
peut se reployer contre la portion antérieure de la carapace. | 


2h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


‘Les Picrocères se distinguent des Pises et des Tyches par la con- 
formation du bord sus-orbitaire, par la disposition des pédoncules 
oculaires ét par la conformation des pattes-mâchoires; ils ne peuvent 
sé confondre avéc les Criocarcins, car céux-ci sont nettement carac- 
térisés par leur front déclive et par leurs orbites presque tubulaires. 


! )1#t 


7. PICROCERUS ARMATUS. 


Voyez pl. xin et pl. xu, fig. 2. 


PICROCERUS ARMATUS,., À, Milne Edwards, op. cit., p.137. Le mâle. est figuré pl. 1. 
INaAca us ? Jouan. Animaux observés à la Nouvelle-Calédonie. Mém. de la Société 
des sc. nat. de Cherbourg, t. AX, p. 37. | 


.Gette espèce, qui seule constitue le genre Picrocerus, n’a encore 
été signalée que sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie’, où elle paraît 
fort rare; on la trouve sur les récifs madréporiques à une assez 
grande profondeur. M. Baudouin et M. Deplanche en avaient d’abord 
découvert plusieurs mâles ; depuis, M. E. Marie en a recueilli une 
femelle sur les rochers qui entourent l’île Chabrol ou Lifou. 

La carapace est étroite en avant et pyriforme; les régions y sont 
bombées et portent des tubercules arrondis et très-clair-semés. Deux 
épines occupent la ligne médiane de la région gastrique : une paire 
de pointes analogues placées transversalement se voit sur le lobe 
cardiaque antérieur, une autre épine isolée sur le lobe cardiaque pos- 
térieur : chaque région branchiale est armée en arrière d’une pointe 
longue et cylindrique à côté de laquelle se remarquent deux ou trois 
tubercules spiniformes; enfin, en arrière, sur la ligne médiane, la 
carapace se termine par deux petites pointes. Les cornes frontales 
sont très-longues, aussi développées chez la femelle que chez le mâle 


4. Le Musée britannique de Londres possède quelques Picrocères provenant des Nouvelles 
Hébrides. 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALEDONIE. 95 

et légèremiént dirigées en bas; le bord orbitaire supérieur se prolonge 
béauéoup en déhors ét sé termine en arrière par une forte pointé: 
éntre lescornes frontales il existe une épine interanténnulaire dirigée 
en: bas et accompagnée de deux très-petites pointes latérales. 
: Les ‘bords Tatéraux sont garnis en arrière de l'angle orbitaire, 
d'une petite épine dirigée directement en déhors, puis de deux 
longues épines hépatiques à peu près égales, la première se portant 
en dehors et'én avant, la seconde en dehors. Deux épines plus Courtes 
et plus 'espacées se voient sur le bord branchial. 
! ‘Varticle basilaire-des antennes externes est long et étroit‘; il 
porte une pointe de chaque côté de l'insertion de la tigélle mobile ; 
celle-ci prend son origine en dehors de l'orbite et se voit à découvert 
à la base des cornes rostrales. Le bord externe de l’article basilaire est 
si intimement soudé à la carapace qu'il est impossible de voir les traces 
de la séparation primordiale de ces parties. Les fossettes anten- 
nulaires sont très-grandes et les antennes internes s’y replient 
très-obliquement ; l’épistome est long et étroit. Les pattes-mâchoires 
externes sont remarquables par la forme de leur mérognathe dont 
l'angle interne et inférieur se prolonge en une pointe aiguë; l’angle 
antéro-supérieur étant terminé par une courte pointe au dessous de 
laquelle s’insère la tigelle mobile de ces appendices buccaux *. 

Les pattes antérieures du mâle sont longues et un peu plus grosses 
que celles de la femelle ; la main est lisse, les doigts de la pince sont en 
contact dans touté leur longueur et à bords tranchants armés de très- 
fines denticulations. L’avant-bras est spinuleux et porte en dessus une 
pointe aiguë. Le bras est armé de trois épines acérées sur son bord 
postérieur et d’une quatrième au-dessus de l'articulation avec lavant- 
bras. Les pattes ambulatoires sont longues et lisses; leur dernier 
article est grêle et très-allongé. 


1. Voyez pl. xu, fig. 2. 
2. Ibid., fig. 2. 


246 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. ,, 

L'abdomen. du mâle est formé de sept.articles, libres/;le cin- 
quième est.le plus long de tous. Le troisième est 'armé.de, chaque 
côté d'une petite épine dirigée .en dehors. :L'abdomen de. la femelle 
est ovalaire et peu bombé. Son bourrelet médian, est, bien, marqué ; il 
présente aussi une série de bosselures latérales. Les premier, deuxième, 

troisième et quatrième articles. sont petits ; le sipauiRipe est de beau- 
re le plus, long et le plus large. 44 « 

La couleur de cette espèce: est, En rouge a sr a Mis 
se claires. Le corps.et. les ‘pattes, à l'exception. des mains; sont 
couverts. de, poils, crochus. peu épais. qui servent à fixer sur le 
FRERE de petits animaux et des débris sous-marins. 


Longueur de la carapace (le rostre compris) d'un mâle adulte... . . 0 mèt. 430 


Largeur au nivéau des régions branchiales. . .. . . . . . . . . 0 — 065 
Largéur totale les ! pattes étendues. . 1 2120404100, 4 4 10e O0 833 
Longueur de la carapace d’une femelle. .,. . : +. Éd A 0. —: 070; 


Largeur au niveau des régions branchiales, . . . . . + + + . . . 0 — 030 


Genre NACRE (Milne Edwards), 


MicROPHRYS. Milne Edwards, Observations sur le squelette umentarre des Crustacés 
décapodes, Annales des sciences naturelles ; de teg 3e série, 4854, 
t. XVI, p. 251, pl. u, fig. 1 et 2 

MicNia. Stimpson, Notes on north american LEE n° 2, Annals of the cts 
of natural history in New-York, t. var, 4860: 

PenicerA (partim). Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t, 1, p. 334. 

Pisa (partim). Milne Edwards, 0p. cit., t. I, p. 308 

_ Beil, Trans. zool. Soc., t. IE, p. 50, pl. 1x, fig. 6. 


Ce genre, dont l'établissement a été proposé en 1851 par M. Milne 
Edwards, correspond exactement à la division des Wilnia de M. Stimp- 


4. Voyez pl. xu, fig. 2b. 
2. Ibid., fig. 2°. 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 2h47 
son‘; il renferme plusieurs Crustacés rangés précédemment soit parmi 
les Pericères, soit parmi les Pises et chez lesquels les orbités Sont in 
complétement tubulaires, le rostre formé de deux cornes pointues, la 
tigelle mobile dés antennes externes insérée en dehors de l'orbite et 
à découvert sur les côtés du front. L'article basilairé ést asséz large, 
à dent latéro-antérieure bien développée, à bord externe se soudant 
au bord sous-orbitaire, de façon à fermer complétement l'orbite en 
dessous. L’abdomen de la femelle est Se 506 de $sépt articles dis- 
tincts; cé genre a pour types : 

4° Lé Microphrys Weddellii (M. Edwards) des côtes du Pérou ; 
2% Le M. bicornutus où Pericera bicornuta (Latreille) et comprend en 
outre les espèces suivantes : 
3° Microphrys aculeatus. Pisa aculeata (Bell). Milnia aculeata (Stimp- 
son) ; 
L° Microphrys platisoma, Milnia platisoma (Stimpson) ; 
25° Microphrys Styx (Herbst). Pisa Styx (Latreille). 


S. MICROPHRYS STYX. 
Voyez pl. x1, fig. à. 


Cancer Srrx. Herbst, Naturg. der Krabben und Krebse, pl. Lvim, fig. 6. 

Pisa STYx. Latreille, Encyclopédie méthod.; t: x, p. 141. 
Milne Edwards, Hist. natur. des Crust., t. I, p. 308. 

Maiznia Sryx. Stimpson, Notes on north american Crustacea, n° 2, Ann. of the Lyceum of 
nat. hist. in New-York, t. VIT, avril 4860. 


Cette espèce se trouve en grand nombre sur les côtes de la Nou- 
velle-Calédonie. Elle a été anciennement figurée par Herbst d'une 
manière si imparfaite que je crois utile de la faire représenter de 
nouveau ici et d'indiquer quelques-uns de ses caractères les plus 


1. Le nom de Milnia a déjà été employé par J. Haime pour désigner un Échinoïde. 


248 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


saillants. La carapace est peu élargie en arrière, ce qui lui donne 

un aspect différent du, H. bicornutus et surtout du #. Weddelli; les 
| régions y, sont bien marquées et couvertes de mamelons arrondis 
disposés régulièrement. Le front est formé, de deux pointes réunies à 
leur base, pointues à leur extrémité qui se contourne légèrement.en 
dedans. Une pointe sus-orbitaire se voit de chaque côté du rostre et se 
dirige en haut et en avant; c’est à peine si l’on voit.les traces des deux 
fissures qui dans le genre Pisa découpentle bord orbitaire supérieur. 
Le plancher de la cavité destinée à loger l'œil est formé par l'article 
basilaire de l'antenne externe qui, sans être aussi large que chez le 
Microphrys bicornutus, n’est pas séparé de l’angle orbitaire inférieur de 
la carapace par un hiatus comme chez les Pises. L'angle antérieur 
de cet article basilaire se prolonge sous forme d’épine en dehors de la 
tigelle mobile *. 

Les pattes antérieures sont courtes et chez le mâle les mors de 
la pince ne se touchent que par leur extrémité. Les pattes ambulatoires 
sont trapues, noueuses, garnies sur les premiers articles de dents 
spiniformes et terminées par des ongles extrêmement crochus. 

La couleur de ce crabe est d’un rouge violacé maculé de jaune, mais 
ces couleurs sont masquées par les débris dont sont toujours cou- 
vertes la carapace et les pattes. 

La répartition géographique du Micophrys Styx. s'étend depuis la 
mer Rouge jusqu'aux îles de l'Océanie. 


Longueur de la carapace d’un grand individu. . 4, 4, . « .1:4 à 0 mèt. 023 
Largeur bi ET TURN 78 UT ON UN Ce Die RU TT PA NT Du Ge ie Jen, Do œ + ee. + 0 cit 025 


4: Voyez pl: x, fig. 4°. 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, 249° 


Genre HYASTENUS. 


HYAsTENUS. White, Description of new Crustacea from the eastern seas. — Procee: 
dings of the zoological Society, 1847, p. 56. 
NaxiA {partim). De Haan, Fauna japonica; Crust., p. 96. 


— Gerstaecker, Archiv. fur Naturgesch., 1856, p. 444. 
CHORINUS (partim). Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t. 1, p. 315. 
- Adams et White. Voyage of Samarang. Crust., p. 13. 

Pisa (partim). Adams et White, op. cit., p. 9. 


En 1847, M. White forma le genre Æyastenus pour recevoir un 
Crustacé figuré par Seba et remarquable par la longueur de ses cornes 
rostrales et par plusieurs autres particularités importantes, et il le 
désigna sous le nom de Æ. Sebæ. Je crois utile de réunir à cette 
espèce un certain nombre d’autres Oxyrhinques qui ont été rangés 
par les zoologistes dans des genres très-différents, mais qui se rap- 
prochent par un grand nombre de caractères communs, et d'étendre 
dans ce but les limites du genre Æyastenus. 

Cette petite division, très-rapprochée des Pises, des Naxies et des 
Chorines, se distingue : 1° par la forme de ses bords sourciliers qui ne 
se prolongent pas en cornes latéro-frontales, 2° par l'insertion de la 
tigelle des antennes externes qui se fait sous le rostre, 3° par la dispo- 
sition de son front divisé en deux cornes plus ou moins longues, 
h° par ses orbites à bord externe bien constitué, 5° par ses pattes 
ambulatoires en général grêles dont les premières dépassent de beau- 
coup les autres, 6° par la soudure des quatrième, cinquième etsixième 
anneaux de l'abdomen de la femelle. 

Ainsi caractérisé le genre Hyastenus devra comprendre les espèces 
suivantes : 


4, HyASTENUS SEBE. Cancer araneus, cornutus alter. Seba, Thes., t. Il, pl. xvin, 
fig. 42, 1758.— Hyastenus Sebæ, White, op. cit., p. 517.— 
Ann. and Mag. of nat. hist., t. XX, p. 61, 1847.— Voyage 
of the Samarang. Crust., p. 11, 1848. 
VII. 32 


250 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM: 


2, HYASTENUS PLEIONE. Cancer Pleione. Herbst, Naturgeschichte der Krabben und 
Krebse, n° 249, pl. zviu, fig 6. — Naxia Pleione. Ger- 
staecker, Carcinologische Beiträge. — Archiv. fur Natur- 
gesch., 1856, p. 114. 


3, HYASTENUS DICANTHUS. : Naxia AN De Haan, Fauna japonica; Crust., p. 96, 
pl. xx1v, 


&. HYASTENUS ARIES. Pisa Aries. hs Encyclopédie méth., t. X, p. 140. — 
Chorinus Aries. Milne Edwards, Hist. nat. des Crust. 
. HYASTENUS VERRUCOSIPES (?). Chorinus verrucosipes. Adams et White. Samarang. Crust., 
| p- 13, pl. n, fig. 3. 

6, HYASTENUS PLANASIUS. Pisa planasia. Adams et White, op. eit., p. 9, pl. u, 
fig. 4et5 

7. HYASTENUS VERREAUXII. À. Milne Edwards. Collection du Muséum. Espèce très-voisine 
de l'H. dicanthus, mais ayant les régions hépatiques moins 
développées, l'angle orbitaire interne moins saillant et les 
cornes frontales plus longues et plus droites. De la Nouvelle- 
Hollande. 

8. HYASTENUS SPINOSUS, À. Milne Edwards. Collection du Muséum. Espèce voisine de 

la précédente, mais caractérisée par deux épines médianes 

sur la région gastrique et une épine en arrière de la cara- 

pace. De l'archipel Viti et de Mozambique. 


ot 


= 


A ces huit espèces vient s’en ajouter une autre qui fait partie de 
la faune de la Nouvelle-Calédonie et dont je donne ici les caractères. 


9. HYASTENUS ORYX (Vo0. sp... 
Voyez pl. xiv, fig. 4. 


Cette espèce doit se placer à côté de l’Hyastenus Sebæ (White) avec 
laquelle elle présente une grande analogie de formes et de propor- 
tions. La carapace est peu élargie, légèrement pyriforme et renflée en 
dessus. Le front est constitué par deux cornes longues, grêles, pointues 
à leur extrémité, plus écartées à leur base que chez l'A. Sebæ, et qui 
s’avancent en divergeant un peu. L’orbite est grande, et en dessus 
son bord présente une fissure large, mais peu profonde, qui limite en 
avant l’angle ou plutôt la dent orbitaire externe. 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 251 


La région gastrique est bombée et porte des tubercules assez 
gros et disposés régulièrement ; il en existe trois sur la ligne médiane, 
puis deux paires en arrière, Enfin on en voit quatre moins distincts 
de chaque côté. La région cardiaque antérieure très-saillante porte 
aussi de nombreux tubercules; la région cardiaque postérieure est 
armée d’une épine médiane qui se dirige en arrière, au-dessus du 
bord postérieur. Les régions branchiales sont aussi très-tubercu- 
leuses et sont garnies en arrière d'une épine dirigée en dehors. Ces 
trois épines qui se voient sur la portion postérieure de la carapace 
manquent chez le Hyastenus Sebæ, où on ne remarque que quelques 
tubercules. 

L'article basilaire des antennes s’élargit notablement en dehors 
et son angle antéro-externe se prolonge en une petite pointe". L'épis- 
tome est très-long et le cadre buccal s’élargit beaucoup en avant; 
aussi le mérognathe est-il très-dilaté à son angle antéro-externe. 

Les pinces sont très-grêles, même chez le mâle; les pattes ambu- 
latoires présentent la même particularité, et celles de la première 
paire dépassent de beaucoup les autres. 

L’abdomen du mâle est étroit et comme enchâssé dans le plas- 
tron sternal?. Il s’amincit régulièrement vers son extrémité; son 
septième article est long et en forme de languette. L’abdomen de la 
femelle est au contraire très-élargi et très-bombé*. 

Le corps et les pattes sont couverts de poils brunâtres trop courts | 
et trop peu serrés pour cacher les tubercules de la carapace; si on 
les enlève, on voit que le test est d’une couleur jaune marquée de 
taches d’un rouge vif. 


Longueur depuis la base du rostre jusqu'au bord postérieur de la carapace. 0,012 
Largeur de la carapaee. . . . . . . : - . « - + « . + FE Le ME 0,008 


4. Voyez pl. xiv, fig. 4*. 
2. Ibid., fig. 4°. 
3. Ibid., fig. 4. 


252 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


L'Hyastenus Oryx est facile à distinguer de l'A. Sebæ par les 
cornes frontales plus écartées, l’article basilaire des antennes plus 
large et à épine antérieure et les trois épines qui arment en 
arrière la carapace. LA. Oryx n’a été trouvé que sur les côtes de la 
Nouvelle-Calédonie. L'H. Sebæ vient des mers des Philippines et de la 


Cochinchine. 


Genre MENÆTIUS, 


Milne Edwards, Histoire naturelle des Crust., 1834, t. I, p. 338. 


10. MEN ÆTIUS MONOCEROS. 


Pisa moxoceros. Latreille, Encyclopédie, t. X, p. 139. 


J'ai pu examiner un très-grand nombre d'individus de cette espèce 
provenant soit des côtes de la Nouvelle-Calédonie, soit de la mer 
Rouge, soit de celles de la mer des Indes, et j'ai reconnu qu'elle 
variait beaucoup, non-seulement suivant les sexes, mais aussi suivant 
les individus. Les femelles sont toujours plus bombées et plus bosse- 
lées que les mâles; mais indépendamment de ces différences, qui sont 
constantes, on peut facilement remarquer que la pointe frontale est 
plus ou moins longue, plus ou moins élargie; que les découpures 
du bord latéral, tantôt très-marquées, tendent ailleurs à s’effacer; que 
les tubercules de la carapace sont parfois très-saillants, tandis qu'ils 
manquent presque complétement chez d’autres individus. Ces carac- 
tères différentiels ne semblent avoir aucune constance; et si on suivait 
l'exemple donné par plusieurs zoologistes, on en arriverait à distin- 
guer presque autant d'espèces que l’on a d'individus sous les yeux ; 
aussi, après avoir attentivement comparé des séries considérables 
d'exemplaires de cette espèce, provenant, soit de la même localité, 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE, 253 


soit de localités différentes, je suis arrivé à cette conclusion que l'on 
doit réunir au Menœtius monoceros les espèces suivantes : 


MeNærius XyPHiAs.  Pisa Xyphias. Latreille, Encyclopédie méthodique, t. X, p. 140. De 
l'île Maurice (?). 


M. ARABICUS. Inachus arabicus. Ruppell, Krabben des rothen Meeres, p. 284, pl. v, 
’ fig. 4. De la mer Rouge. 
M. PORCELLUS. White, Ann. and Mag. of nat. hist., 2° série, t. IT, p. 284, 4848. De 
l'ile Maurice. 
M. SUBSERRATUS. Adams et White. Voyage of Samarang. Crust., p. 48, pl. 1v, fig. 4 
et 2 


— Dana, Expl. Exped., Crust., t. 1, p. 122, pl. 1v, fig. 7. Des îles Philip- 
pines, Viti et Samoa. 


M. INORNATUS. Dana, op. cit., p. 125, pl. v, fig. 3. Des îles Hawaï. 
M. AREOLATUS. + Dana, 0p. cit., p. 124, pl. v, fig. 2. Des îles Soolo. 
M. ANGUSTUS. Dana, op. cil., p. 120, pl. 1v, fig. 5. Localité douteuse, 
M. TUBERCULATUS. Adams et White, Samarang Crust., p. 49. 
— Dana, op. cit., p. 493, pl. v, fig. 4. De l’ile Paumotu. 
M. DEPRESSUS. Dana, op. cit., p.124, pl. 1v, fig. 6. Des îles Loo-Choo. 
M. ruGosus. A. Milne Edwards, Notes sur l’île de la Réunion par Maillard, Crustacés, 
p. 7, pl. xvui, fig. 2, 
M. DENTATUS. Stimpson, Proceedings Acad. nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp. 


n° 28. Des îles Amakirrima. 


Genre XENOCARCINUS. 


“ 


White, Appendix lo Jukes’'s voyage of H. M. S. Fly. — Proceedings of the zoological 
Society, 4847, p. 419. 


11. XENOCARCINUS TUBERCULATUS. 
Voyez pl. xur, fig. 4. 


White, op. cit. 
Hess, Beiträge zur Kenntniss der decapoden Krebse ost Australien, 1865, p. 5. 


Cette espèce, très-remarquable par la singularité de ses formes, 
varie au moins autant que le Menœtius monoceros. Toute la carapace 


254 : NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


est fortement bosselée et porte latéralement des tubercules saillants ‘; 
tantôt, au contraire, elle est presque lisse?. Le rostre, chez les mâles et 
surtout chez les vieux individus, est long et assez grêle *; chez les 
jeunes, il est au contraire très-large et très-court*, et si l’on n'avait à 
sa disposition qu'un petit nombre d'individus, on serait conduit à 
multiplier beaucoup les espèces. J'ai examiné tous les exemplaires 
que possède le Musée britannique, à Londres, et ceux du Muséum de 
Paris, et j'ai pu suivre toutes les transitions qui rattachent l’une à 
l’autre les formes extrêmes. 

Le Xenocarcinus tuberculatus n’a jusqu’à présent jamais été figuré, 
il devait être représenté dans la description des Crustacés recueillis 
pendant l'expédition du capitaine Ross dans l’Hémisphère austral, 
mais ce travail commencé n’a jamais été achevé. 

Les premiers exemplaires connus de cette espèce venaient du 
groupe de Cumberland, en Australie; depuis, nos collections se sont 
enrichies de plusieurs ÆXenocarcinus trouvés aux îles Viti et à l’île 
Chabrol ou Lifou, appartenant au groupe des îles Loyalty. 

La couleur de la carapace et des pattes est rougeâtre maculée 


de jaune. 
Lonpupur.tolule : du COrDR.. nue ai nie es js. 0 mèt. 048 


taper oi mes. — Li .%.- 5 1,10 SANS 7 00) +... 06 — 007 


Genre CAMPOSCIA. 


Latreille, Régne animal de Cuvier, 2° édition, t. IV, p. 60 (1829). 
Milne Edwards, Hist. naturelle des Crust., t. 1, p. 282. 
De Haan, Fauna japonica Crust., p. 87. 


1. Voyez pl. xu, fig. 1. 
2. 1bid., fig. 16. 
3. 1bid., fig. 4°. 
&. Ibid., fig. 16. 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 255 


12. CAMPOSCIA RETUSA. 


Latreille, op. cit., p. 60. 

Milne Edwards, op. cit., p. 283, pl. xv, fig. 45 et 16. 

Guérin, /conographie. Crust., pl. 1x, fig. 4. 

Milne Edwards, Atlas du régie animal de Cuvier. Crust., pl. xxxnr, fig. 1. 
Stimpson, Proceedings Acad. nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp., n° 47. 
Blecker, Décapodes oxyrhinques de l'archipel indien, 1856, p. 5. 


La Camposcia retusa est assez abondante sur les côtes rocheuses de 
la Nouvelle-Calédonie, mais grâce aux poils qui couvrent tout son corps 
et qui accrochent des spongiaires et une foule de débris, elle se dérobe 
facilement aux recherches. Le Muséum en a reçu plusieurs exem- 
plaires provenant de cette région, par les soins du Père Montrouzier 
et de M. E, Marie. Nos collections en possèdent d’autres trouvés dans 
les mers de l'Inde par M. Lamarre-Picot, à l’île de la Réunion, par 
le docteur Coquerel, à Zanzibar, par M. L. Rousseau et à Djedda par 
Botta. M. Blecker signale également cette espèce dans l'archipel indien, 
et M. Stimpson l’a recueilli à l’île Ousima. 


Genre PARTHENOPE. 
Fabricius, Suppl. Entom. syst., p. 352. 
Latreille, Règne animal, 1re édition, t. III, p. 23. 
Milne Edwards, Hist. des Crust., t. I, p. 359. 


13. PARTHENOPE HORRIDA. 


CANCER HORRIDUS. Linné, Mus. Lud. Ulr., p. 442, et Systema naturæ, 1% édition, t. I, 
p. 4047, 4767. 
CANCER SPINOSUS. Rumphius, Rariteit Kamer, 1705, pl. 1x, 


_ ba, t. HE, pl. xx, fig. 2 
PARTHENOPE HORRIDA, Fabricius, op. cit. 
_ Latreille, Encyclop., t. X, p. 44, pl. ccLxxix, fig. 3 | copiée d’après 
Seba); pl. cezxxx, fig. 2 (copiée d’après Rumphius). 


256 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


PARTHENOPE HORRIDA. Leach, Zool. Miscell., t. If, pl. xcvur, 
— Desmarest, Consid. sur la cl. des Crust., pl. xx, fig. 4. 
— Guérin, /conographie. Crust., pl. vu, fig. 2. 
_ Milne Edwards, Règne animal. Crust., pl. xxvi, fig. 2. 


Cette espèce paraît rare sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie ; 
je n’en ai vu qu'un seul exemplaire rapporté par M. de Planche 
en 1863. Il ne différait en rien de ceux qui se trouvent dans l'océan 
Indien et à l’île Maurice. 


Genre CERATOCARCINUS. 


CERATOCARCINUS. White, Description of new Crustacea from the Eastern Seas. — Proceedings 
zool. Soc., 1847, p. 56. — Ann. and Mag. of nat. hist., t. xx, p. 62. 
— Dana, United States exploring Expedition, 1852, t. I, p. 439. 
HARROVIA. Adams et White. Voyage of Samarang. Grust., p. 55. 


14. CERATOCARCINUS DILATATUS. (Nov. 5p.). 


Voyez pl. xiv, fig. 2. 


Cette espèce se distingue facilement du Ceratocarcinus longimanus 
de White par la forme beaucoup plus élargie de la carapace; sa 
forme est d’ailleurs à peu près la même. Le front est large et se com- 
pose de deux cornes obtuses chez les individus adultes, aiguës et 
légèrement divergentes chez les jeunes. Latéralement la carapace se 
dilate et forme de chaque côté une pointe dirigée en dehors, et beau- 
coup plus forte que dans l’espèce de White. Le dessus du corps est 
mamelonné, les bosselures qui le couvrent sont ornées de granu- 
lations confluentes, tandis que, dans l'intervalle, le test est lisse. Le 
long des bords latéro-antérieurs, il existe une série de bosselures 
granuleuses nettement limitées en dedans. L’épine latérale est par- 
courue en dessus par un fsillon profond et bien marqué. La région 
gastrique est occupée par deux gros tubercules granuleux, en arrière 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 267 : 


desquels on en remarque deux autres ; une seconde paire de mamelons 
analogues occupe la région cardiaque; enfin, sur chacun des lobes 
branchiaux moyens, on remarque un tubercule. Ces bosselures gra- 
nulées manquent sur le Cératocarcin à longues mains. 

Entre les deux cornes rostrales, le front s'abaisse et limite en 
avant les fossettes antennulaires, qui sont disposées presque transver- 
salement'. L'article basilaire des antennes externes est large, et la 
tigelle mobile s’insère sous la corne rostrale, qui présente en dessous 
un sillon destiné à la recevoir. Les orbites sont petites et les pédon- 
cules oculaires peu mobiles; 

Les pattes de la première paire sont longues, le bras débordant 
de près des deux tiers de sa longueur le bord de la carapace. Elles 
sont granuleuses et marquées de sillons longitudinaux. Les pattes 
ambulatoires sont beaucoup plus grèêles que chez le Ceratocarcinus lon- 
gimanus, et la cuisse est garnie de quelques granulations. 

Le corps est d’un jaune rosé, sur lequel tranchent vivement des 
bandes d’un rouge vif. Sur les pattes on remarque une ornementation 
analogue. Cette vivacité des couleurs et cette teinte rouge se retrouve 
avec de légères variations dans toutes les espèces de ce genre; ainsi, 
chez le Ceratocarcinus longimanus, le fond de la carapace est rouge de 
sang avec cinq lignes transversales plus claires. Chez le C. speciosus, 
découvert par Dana dans l'archipel Viti, des bandes carminées figurant 
deux arcs dont les cordes seraient l’une vis-à-vis de l’autre sont 
disposées transversalement sur la carapace. Chez le C. albolineatus 
(Stimpson) * il existe également des bandes rouges et blanchâtres. 

Le C. dilatatus est très-rare à la Nouvelle-Calédonie ; on ne peut 


se le procurer qu’au moyen de dragages; l’un des exemplaires que 


4. Voyez pl. xiv, fig. 2, 

2. Cette espèce avait été rangée. par erreur dans la division des Leucosiens par Adams et 
White; mais depuis M. Stimpson lui a rendu sa véritable place zoologique. (Voyez Proceed. 
Acad. of nat. sc. of Philadelphia, 1856, sp. n° 39.) 

VIIL, : 33 


NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


258 
possède le Muséum a été découvert par M. Baudouin; l’autre par 


M. E. Marie. 
Longueur de la carapace {le rostre compris). . . : + + 0 mèt, 010 
Largeur à partir de l'extrémité des pointes latérales. . . . . . . : 0 — 042 


Genre LAMBRUS. 


Leach., Trans. of the Linn. Soc., t. IL, p. 310. 
Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t. 1, p. 352 
De Haan, Fauna japonica. Crustacea, p. 81. 


15. LAMBRUS HOPLONOTUS. 


Adams et White. Voyage of Samarang. Crust., p. 35, pl. vu, fig. 3 


Cette espèce est très-rare dans les collections et le seul exem- 
plaire qui a servi de type à la description de White et qui existe au 
Musée britannique ne porte aucune indication précise de localité 

M. Baudouin en a découvertune autre sur les côtes de la Nouvelle- 
Calédonie, dans les coraux à une certaine profondeur; il est un peu 
plus petit que celui qui a été figuré dans la partie zoologique du Voyage 

du Samarang, mais il présente les mêmes caractères : 


0, mèt. M2 
0 — 016 


Longueur de la carapace. . . . . « . . . . - . + . . 
Largeur à partir de la pointe ds ne latérales 


CURE TR ee Don 


16. LA MBRUS SCULPTUS (700. 59.) 
Voy. pl. xiv, fig. 3 
Cette espèce n’atteint jamais une taille considérable; elle vit au 


milieu des coraux du récif de Tio, où M. Balansa en a recueilli plu- 
sieurs exemplaires pêchés à dix mètres environ de profondeur. 


CRUSTACÉS. DE. LA NOUVELLÉ-CALÉDONIE. 259 


La carapace est triangulaire et dilatée en arrière; le front lamel- 
leux et très-avancé est aussi légèrement déclive et s’amineit graduel- 
lement vers son extrémité, qui est arrondie. Les régions sont bombées; 
un profond sillon longitudinal sépare les régions gastrique et cardiaque 
des portions latérales. Sur chacune d'elles existent des tubercules 
granuleux et comme framboisés. Les bords latéraux sont tuberculeux, 
mais ne portent ni dents ni pointes; ils sont terminés en arrière par 
une épine aiguë qui se dirige en dehors et légèrement en arrière. Un 
peu en dedans de cette épine il en existe une autre près d'un quart 
plus petite. Enfin le bord postérieur porte deux lignes transversales 
de tubercules. 

Les pattes antérieures sont longues, surtout chez le mâle ; la main 
aplatie en dessus est armée sur son bord externe d’une série de cinq 
grandes dents entre lesquelles existent d'ordinaire des tubercules plus 
ou moins saillants, le bord interne est serratiforme; entre ces deux 
bords, la face supérieure porte quelques tubercules framboisés. La 
face externe est parcourue longitudinalement par une ligne de granu- 
lations; les doigts de la pince, très-fortement courbés en bas, sont 
noirs à leur extrémité. L’avant-bras et le bras sont aussi armés de 
dents et de tubercules. Les pattes ambulatoires sont grèles et lisses. 

L'épistome est comme sculpté; il est creusé sur la ligne médiane 
d’une fossette profonde’. On remarque sur les régions ptérygosto- 
miennes, en dehors du cadre buccal, un sillon en forme de gouttière 
à parois parfaitement lisses, tandis que les parties voisines Sont très- 
granuleuses. Ce sillon s'étend depuis l'ouverture afférente des bran- 
chies jusqu’à la base de l'orbite; il est transformé en un tube par une 
sorte de plancher constitué par des poils longs et serrés qui s’in- 
sérent sur le bord de la patte-mâchoire externe. Lorsque les pinces 


sont repliées contre la carapace, on voit à la base des doigts une 


4. Voy. pl. xiv, fig. 8°. 


260 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


dépression correspondant à ce sillon. Il en résulte que lorsque l’ani- 
mal est enfoui dans le sable et que l'extrémité du corps seule paraît 
au dehors, l’eau peut facilement entrer par cette ouverture dans la 
chambre branchiale. Une disposition analogue se remarque chez 
le Lambrus crenulatus (de Saussure) et chez quelques autres espèces 
dont M. Stimpson a formé une petite division sous le nom de Platy- 
lambrus *. | 

Ce petit Lambre ressemble au L. dicanthus de de Haan, mais son 
front est plus long, plus déclive, ses épines latérales plus longues 
et dirigées plus en arrière; enfin les ornements du bord postérieur 
sont différents. Son front très-avancé le distingue de l'espèce précé- 
dente chez laquelle on retrouve la gouttière ptérygostomienne pour 
l'entrée de l'eau dans la chambre branchiale. 

Le Lambrus carenatus ne peut être confondu avec notre petite 
espèce, à cause de la forme en losange de sa carapace et des épines 
acérées qui en arment le bord postérieur *. 

Le corps et les pattes sont d’un rouge brun maculé de jaunâtre. 
Mais ces couleurs disparaissent sous les poils gris qui couvrent la 


carapace. 
Longueur de la carapace. ... . , . ,.. , . … de ts 0 MR DE 
Longueur mesurée depuis l'extrémité des épines Lisraie Sue rs 0. = 041 


4. Stimpson, Preliminary report on the Crustacea dredged in the quif stream (Bulletin 
of the Museum of comparative zoology of Cambridge, t. WE, p. 109). 

2, Le Lambre rapporté par Adams êt White au L. carenatus (Milne Edwards), et décrit 
et figuré dans la partie zoologique du voyage du Samarang (page 27, pl. v, fig. 3), est bien dif- 
férent de cette espèce; je proposerai de le désigner sous le nom de L. Whites. Quant au Lam- 
brus Jourdainii (voyez F. de Brito Capello, Journ. de sc. math. phys. et nat. de Lisbonne, 
4871, p. 8, pl. ur, fig. 6), il me paraît devoir être identifié au véritable L. carenatus (Milne 
Edwards). 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE. 


17 LAMBRUS AFFINIS (nov. 5p.). 


Voyez pl. x1v, fig. 4. 


Cette espèce est beaucoup plus abondante que les deux précé- 
dentes; on la trouve aussi au milieu des coraux, à la Nouvelle-Calé- 
donie et à l’île des Pins. 

La carapace est étroite et très-bombée; le front est large, lamel- 
leux, triangulaire, déprimé sur la ligne médiane ‘. Le bord orbitaire 
est interrompu par une fissure étroite. Les régions gastrique, car- 
diaque et branchiale sont garnies de tubercules en forme de mamelons 
qui manquent dans les parties déprimées de la carapace. La portion 
frontale et les régions hépatiques sont lisses. Les sillons branchio- 
gastriques et branchio-cardiaques sont très-profonds. Les ‘régions 
hépatiques sont nettement limitées en arrière par un sillon qui les 
sépare des régions branchiales; leur bord latéral est à peine ondulé, 
tandis que sur le bord des régions branchiales il existe une sorte de 
feston formé par environ six dents ou plutôt par six tubercules apla- 
tis et très-rapprochés; sur le bord postérieur il n'y a ni dents ni 
épines. 

L'article basilaire des antennes, l’épistome et les pattes-mâchoires 
externes sont lisses *. On n’observe aucune trace du canal extérieur 
afférent de la chambre branchiale qui existe sur les côtés du cadre 
buccal chez le Lambrus sculptus et chez le L. hoplonotus. 

Les pattes antérieures du mâle sont très-longues; chez la femelle 
elles sont un peu plus courtes, mais encore bien développées. L'une 
d'elles est un plus forte que l’autre. La main, en forme de prisme 
triangulaire dont une des faces serait tournée en haut, porte sur 


1. Voyez pl. xiv, fig. 4». 
2. Ibid., fig. 4°. 


262 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


ses bords des tubercules arrondis qui chez les grands individus tendent 
à devenir dentiformes, mais ne s'élèvent jamais beaucoup. Entre ces 
crêtes la surface des mains est généralement lisse. L’avant-bras est 
parcouru par deux ou trois bourrelets saillants légèrement rugueux. 
Le bras est garni en arrière, en dessous et sur son bord antérieur, 
de séries de tubercules semblables à ceux que l’on observe sur les 
mains. Les pattes ambulatoires sont longues, très-grêles et entière- 
ment lisses. 

L'abdomen du mâle est étroit en avant, son sixième article est 
armé d’une pointe spiniforme près de son bord postérieur ‘. L'abdo- 
men de la femelle est lisse, Le corps et les pattes sont d’un brun 
rouge marbré de jaune et presque entièrement glabres. Il n'existe 
que quelques petits bouquets de poils très-fins sur les gros tuber- 
cules de la carapace et des pinces. 

Cette espèce doit se placer à côté du ZLambrus gracihs (Dana), 
du L. turriger (Adams et White) et du L. lamellifrons (Adams et White). 
Elle se distingue facilement des deux premiers par l'absence de pointes 

sur le bord postérieur du bouclier céphalo-thoracique et du dernier 
| par sa carapace plus élargie au niveau des régions hépatiques, par 
son front moins avancé, par ses pattes antérieures dépourvues de 
grandes dents serratulées et par ses pattes ambulatoires plus longues 
et plus grêles. 

Le Lambrus afjinis n’est pas spécial à la faune de la Nouvelle-Ca- 
lédonie. Le Muséum en possède plusieurs exemplaires rapportés des 
Seychelles par M. L. Rousseau, de Cochinchine et de l'île Poulo-Con- 
dore par M. R. Germain. 


Lagauenr de lp -Carapargs ee re ess tte ee + N “ 0,026 
PR ee ds so . a se + : 0m,028 
Déhcebifiée Mai io. JIS ENS 29OSL 29) .onu 4 . 0,038 
Longueur de la portion du bras dépassant la carapace. . . . . . 0,027 


4. Voyez pl. xiv, fig. 4°. 


CRUSTACES DE LA NOUVELLE-CALEDONIE, 263 


Genre ŒTHR A. 


Leach. Zool. miscell. 

Lamarck, Histoire des animaux sans vertèbres, t. V, p. 624. 
Latreille, Règne animal, 2° édition, t. IV, p. 24. 

Milne Edwards, Histoire naturelle des Crustacés, t. 1, p. 370. 
De Haan, Fauna japonica. Crust., p. 81. ‘ 


18. ŒTHRA SCRUPFOSA. 


"CANCER scruposus. Linné, Wus. Lud. Ulr., p. 450. 
CancER PoLyNoME. Herbst, Naturg. der Krabben und Krebse, pl. Lu, fig. 4 et 5. 
ŒrurA DEeprEessA. Lamarck, op. cit., t. V, p. 265. 
_ Desmarest, p. 110, pl. x, fig. 2. 
Œrara scruposa. Milne Edwards, Hist. nat. des Crust., t. 1, p. 3714, et Atlas du Règne 
animal de Cuvier. Crustacés, pl. xxxvIm, fig. 2. 


Le genre Œthra constitue à lui seul le groupe des Cancériens cryp- 
topodes de M. Milne Edwards. Au contraire, pour de Haan, M. Stimp- 
son et M. Smith, il devrait rentrer dans la division des Oxyrhinques ; 
d’après l'examen que j'ai fait des caractères de l'Œthra seruposa, je 
suis disposé à partager cette manière de voir, tout en reconnaissant 
les analogies étroites qui existent entre cette espèce et certains Can- 
cériens, et, ainsi que l’a fait remarquer l’auteur de l'Histoire naturelle 
des Crustacés, on peut dire que ce genre établit le passage entre les 
Oxyrhinques (et particulièrement les Parthénopiens) et les Cyclome- 
topes. 

L'Œthra séruposa, qui pendant longtemps a été la seule espèce 
connue du genre‘, se trouve dans toutes les mers de l'Inde; on l'a 


41. Récemment M. Smith en a fait connaître une autre espèce, l'Œthra scutata, provenant 
de la Californie inférieure (American journ. of‘sc. and arts, et Ann. and Mag. of nat. hist., 
t. IV, p. 230). 


26/4 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 

rencontrée depuis l’île de la Réunion jusque sur les côtes de la Nou- 
velle-Calédonie, où le Père Montrouzier, M. E. Marie et M. Balansa en 
ont recueilli de beaux exemplaires. 


Longueur de la carapace d’une femelle adulte. . . . . . vo sah eo 0 "mèt:07 
RAR. suis ps purs 6.0 PL À ,GnIHQnE, ANRUSD, 0 — 010 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-GALÉDONIE. 265 


” 


EXPLICATION DES PLANCHES 


PLANCHE X. s 


Fig. 4. — ScaizopHRys ASPERA (À. M. Edwards), mâle appartenant à la variété Spinifrons, 
représenté de grandeur naturelle. 

Fig. 4°. — Région antennaire du même; cette figure est grossie, ainsi que les suivantes. 

Fig. 4. — Portion antérieure de la carapace, vue en dessus, pour montrer les trois épines de 

= chacune des cornes rostrales. 

Fig. 4°. — La même partie, vue de côté. 

Fig. 44, — Portion antérieure de la carapace d’un autre exempiaire dont les cornes rostrales 
sont simplement bifides. 

Fig. 4° et 1f. — Portion antérieure de la carapace de jeunes individus chez \sbbie les cornes 
rostrales sont courtes et le test presque lisse. 


Fig. 2. — CYCLOMAIA MARGARITATA (A. Milne Edwards), mâle, de grandeur naturelle. 

Fig. 2. — Région antennaire du même. 

Fig. 2b. — Patte-mâchoire externe, grossie. 

Fig. 2°. — Plastron sternal et abdomen du même individu. 

Fig. 2°. — Pince, vue en dehor 

Fig. 2e, — Trois des épines ou de la carapace pe pour montrer les granulatious qui 
les couvrent. 


Fig. 3. — CYCLOMAIA MARGARITATA, mâle très-jeune, grossi deux fois. 
Fig. 3°. — Région antennaire. 
Fig. 3°, — Épines latérales de la carapace, très-grassies. 


PLANCHE XL. 


Fig. 4. — Micippa rHALIA (Herbst), mâle, grossi d’un tiers. 
Fig. 14. — Région antennaire du même. 
Fig. 4b. — Front vu en avant. 

VII. 


Fig. 
Fig. 
Fig. 


22. 
”. 
| 


NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


— Micippa piLyrA (Herbst), mâle, grossi d’un tiers. 
— Carapace, vue de côté. 


. — Région antennaire. 
. — Front vu en avant, 


— Micippa sPATULIFRONS (A. Milne Édwards), mâle, de grandeur naturelle. 


. — Région antennaire. 

. — Front vu en avant. 

- — Abdomen du même individu, un peu grossi. 
. — Pince un peu grossie. 


— Micropgrys sryx (Herbst), mâle, grossi du double. 


. — Région antennaire du même. 

. — Plastron sternal et abdomen. 

.- — Pince, vue en dehors. 

. — Doigt de l’une des pattes ambulatoires. 


PLANCHE XII. 


— XENOCARCINUS TUBERCULATUS (White), mâle, grossi du double. 


+ — Le même, de grandeur naturelle. 
. — Abdomen et plastron sternal, 
- — Région antennaire, très-grossie, 


— Pince vue par sa face externe. 


.- — Les trois derniers articles d’une des pattes ambulatoires. 
. — Carapace grossie d’un mâle très-adulte. 


— Carapace grossie d’un très-jeune individu. 


— Région antennaire d’un PicROGERUS ARMATUS (A. Milne Edwards), mâle {de gran- 
deur naturelle, ainsi que les figures suivantes). 

— Patte-mâchoire du même. 

— Plastron sternal et abdomen. 

— Plastron sternal et abdomen d’une femelle. 


— CRIOCARCINUS SUPERCILIOSUS (Herbst), mâle (de grandeur naturelle). 


. — Front grossi et vu en avant. 


— Région antennaire grossie. 


Fig. 3°. — Pince grossie et vue en dehors. 


+ — Abdomen et plastron sternal, de grandeur naturelle. 


— Patte-mâchoire externe grossie., 


CRUSTACÉS DE LA NOUVELLE-CALEDONIE. 267 


PLANCHE XIII. 


PICROCERUS ARMATUS (A. Milne Edwards), individu mâle représenté de grandeur naturelle. 
(Les détails de la région antennaire et du plastron sternal sont figurés pl. xu, fig. 2.) 


PLANCHE XIV. 


Fig. 4. — HyasTENUS onyx (A. Milne Edwards), individu mâle (grossi). 
Fig. 1%, — Région antennaire du même. 

Fig. 4. — Patte-mâchoire externe. 

Fig. 4°, — Plastron sternal et abdomen d’un mâle. 

Fig. 14 — Abdomen d’une femelle. 

Fig. 1°. — Lignes indiquant les dimensions naturelles de la carapace. 


Fig. 2. — CERATOCARCINUS DILATATUS (A. Milne Edwards), mâle, grossi du double, 
Fig. 2* — Région antennaire du même. 

Fig. 2». — Pince vue en dehors. 

Fig. 2°. — Lignes indiquant les dimensions naturelles de la carapace. 


Fig. 3. — LamBrus scuLpTus (A. Milne Edwards), mâle, grossi du double, 
Fig. 3%, — Région antennaire du même 

Fig. 3. — Front vu en avant. 

Fig. 3°. — Pince vue en dehors. 

Fig. 34, — Lignes indiquant les dimensions naturelles de la carapace. 


Fig. 4&. — LamBrus AFrINIS (A. Milne Edwards), mâle, de grandeur naturelle. 
Fig. 4%. — Région antennaire du même. 
Fig. 4. — Front vu en avant. 


Fig. 4 — Abdomen. 


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BULLETIN 


NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM 


TOME VIII 


VI. 


JOURNAL D'UN VOYAGE 


DANS 


LE CENTRE DE LA CHINE 


ET DANS 


LE THIBET ORIENTAL . 
PAR 


M. L’'ABBE ARMAND DAVID 


GUORRESJPFUNUAN 


DE L'INSTITUT DE FRANCE ET DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE 


Pékin, 25 mai 1868. — En 1866, j'ai fait un premier grand voyage en 
Mongolie, pour le compte du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Les collec- 
tions que j'y ai formées et que j'ai envoyées en France ne sont pas très- 
brillantes : ces hauts plateaux Mongols, sont d’une pauvreté désespérante, 
sous tous les rapports. Néanmoins un certain nombre d'espèces animales et 
végétales nouvelles, les unes pour la science, les autres pour la géographie 
zoologique, ont été le prix de mes fatigues. Il est probable que ma campagne 
aurait eu des résultats bien plus considérables pour la science, si l'état de 
rébellion de la Chine occidentale ne m'eût pas empêché de pénétrer jusqu'au 
Kokonoor, à travers le Kansou, comme c'était mon dessein : cette région inex- 
plorée encore, et de difficile accès, doit renfermer des nouveautés de plus 
d'une sorte. 

Aussi, d'accord avec les prof iministrateurs du Muséum et d’après 
les avis particuliers du savant zoologiste, M. Milne-Edwards, vais-je entre- 


! NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


prendre un second voyage pour m'en approcher le plus possible, non plus 
par la Mongolie et le Kansou où triomphent les musulmans révoltés, mais en 
remontant le fleuve bleu, et à travers la grande province du Se-tchuan. Mon 
intention est de faire d’abord une étape de quelques mois dans la province 
centrale du Kiangsi, et de m’avancer ensuite vers les principautés indépen- 
dantes du Thibet oriental, pour entrer enfin dans le Kokonoor par sa pointe 
méridionale. Je présume qu'il me faudra environ trois ans pour terminer cette . 
exploration, et j'ai fait mes préparatifs en conséquence. Ma santé, qui n’est 
guère satisfaisante depuis plusieurs années, semble s’être raffermie depuis 
mon expédition en Mongolie; et, malgré les appréhensions et les prophéties 
de mes amis, elle me promet des forces suffisantes pour exécuter ma nouvelle 
entreprise. Au surplus, je me munis de médicaments; et le docteur Martin, 
médecin de la légation de France, a eu la bonté de me fournir de tout ce 
qui est nécessaire pour combattre la fièvre, et surtout la dyssenterie, dont je 
redouterais particulièrement une rechute. Ces climats orientaux usent vite la 
santé des Européens qui travaillent : l'un des effets singuliers que l’anémie a 
produits sur moi, c’est un affaiblissement de la mémoire ; c’est pourquoi je me 
suis résigné en voyage à noter au crayon les événements et les observations de 
chaque journée, dont je désire ne pas perdre le souvenir. Je me suis déjà bien 
trouvé de cette méthode dans mon exploration de la Mongolie ; et le conseil 
des professeurs du Muséum a fait imprimer, m'écrit-on, dans les Vouvelles 
Archives, mon Journal de voyage, avec mon itinéraire géologique, que je leur 
avais envoyé pour compléter mes renseignements et les notes dont étaient 
accompagnés les divers objets composant mes collections zoologiques, bota- 
niques et minéralogiques. Je comprends que les hommes d'étude acceptent 
avec avidité toutes les informations qu'on leur transmet sur les pays et les choses 
peu ou point connus ; et je continuerai à crayonner mes notes, et, s’il est pos- 
sible, d'une manière moins incomplète que par le passé. Elles pourraient 
tomber sous d’autres yeux que les miens, ou sous ceux des parents et des amis 
à qui les détails personnels ne sont jamais désagréables ni même superflus.… 

Me voilà donc à la veille de mon départ : enfin tout est prêt, ou à peu 
près. Je pense m’engager dans une expédition qui durera trois ans, et qui peut 
me mener bien loin de Pékin! et cependant je me sens aussi tranquille que 
s’il s'agissait d’une promenade. Je remercie la divine providence de cette dis- 
position de bonne augure. 


BULLETIN. 5 


Dès ce matin j'ai envoyé mes cinq caisses et malles à Tongtcheou, sur 
une de ces énormes brouettes en usage ici, qui ne me coûte que dix tiao ou 
ligatures de Pékin (environ huit francs). La ville de Tongtcheou, non loin de 
laquelle se trouve le village de Palikiao, qu'il faudrait prononcer et écrire Palit- 
chiao (pont de Pali), est bâtie au bord du Péy-ho, fleuve du nord (VA de ho, 
fleuve, doit se prononcer comme le J espagnol) ; elle sert de port à la capitale 
et n’en est éloignée que de cinq ou six lieues à l’est. Il faudra cependant toute 
la journée pour y arriver aux trois ou quatre hommes qui traînent péniblement 
mes bagages, sur une route souvent mauvaise, et par un temps qui est déjà 
extrêmement chaud. 

Le climat de la Chine septentrionale est remarquable par sa température 
extrême : car, l’été de Pékin, qui est sous le quarantième degré de latitude, 
donne une moyenne de chaleurs égale à celle du Caire (30° lat.), et son 
hiver, une moyenne de froids égale à celle d'Upsal (60° lat.) 

Le reste de ma journée est bien occupé par les visites que je fais aux 
légations de France, d'Angleterre, de Russie, d’Espagne <t des États-Unis. 
Quand on est si loin de la patrie, les nationalités disparaissent, et, tous les 
Européens, nous nous regardons comme des compatriotes perdus au milieu 
de ces masses chinoises, dont les sentiments diffèrent des nôtres encore plus 
que les traits physiques ; nous finissons par prendre un intérêt de famille 
les uns aux autres, à quelque nation européenne et à quelque croyance 
religieuse que nous appartenions. — Je n’ai donc qu’à me louer de l'accueil et 
des encouragements que je recois de tous les personnages distingués dont je 
me fais un devoir d'aller prendre congé, d’autant plus que je les connais tous 
personnellement ; et si les résultats de mon entreprise sont en rapport avec les 
souhaits qu’on m’exprime, je suis sûr de trouver dans mes explorations de quoi 
contenter les savants professeurs du Muséum. 

M. le comte de Lallemand désire favoriser le mieux possible mon voyage, 
et il me donne des lettres de recommandation pour les vicaires apostoliques 
du S. O., qui, en temps et lieu, peuvent ne pas m'être inutiles. I|me demande 
aussi d'examiner l’état des principautés thibétaines, pour savoir s’il y a lieu 
de persister à exiger légalement, du gouvernement de Pékin, des passe-ports 
pour les missionnaires destinés au Thibet : on ne sait pas encore au juste jus- 
qu'à quel point ces régions éloignées sont chinoises. Je promets à son Excel- 
lence d'écrire, dès ma première étape du Kiangsi, pour lui dire, en quoi 


Rs NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉNM, 


consistent mes espérances et les chances probables de ma campagne. 

Le docteur Martin, médecin de la légation de France, me donne aussi 
ses commissions. [l est en relation avec la Société d’acclimatation et désire 
lui faire quelque envoi d’animaux ou de plantes : on a mis à sa disposition 
une somme à cet effet. Je désirerais moi-même être de quelque utilité à cette 
Société pour nos essais d’acclimatation ; mais je doute fort que, dans les 
régions si éloignées et de si difficile accès, comme celles que je me propose 
de visiter, il me soit possible de satisfaire ses désirs. 

Le reste du personnel de la légation de France consiste, en ce moment, 
dans MM. le comte de Rochechouart, le comte de Montbel, Lemaire premier 
interprète, et un jeune élève de langues nouvellement arrivé, 

A la légation d'Angleterre, je ne puis m'empêcher d’être touché de la bien- 
veillance que me témoigne quoique étranger, sir Ruth. Alcock, ministre plé- 
nipotentiaire. Lady Alcock me montre une petite et gentille tortue à poils que 
son fils vient de lui porter de Hankeou : cet animal délicat que la dame élève 
soigneusement dans sa chambre n’a pas plus de cinq ou six centimètres de 
long; il a les yeux bleus et le dos couvert de longs poils verdâtres, ressem- 
blant à des toufles d’herbes marines, qui le tiennent à fleur d’eau. On dit 
qu'elle est très-rare dans a Chine centrale et qu’on n’a pu en obtenir un 
second échantillon à aucun prix. Pour moi, je craius fort que ces prétendus 
poils ne soient que des plantes aquatiques qu'on a établies en parasites, et 
d'une manière régulière, sur l’écaille du reptile amphibie : les Chinois sont les 
plus adroits fraudeurs du monde. 

26 mai 1868. — Je pars de Pékin à sept heures du matin, dans la 
charrette couverte de la maison, et arrive à Tongtcheou avant midi. En traver- 
sant les rues de la ville, je vois entre les mains d’un Chinoïs un Eurylæma! 
vivant, noir et violet; je ne puis m'expliquer la présence à Pékin de ce bel 
oiseau propre à la Malaisie et aux grandes îles méridionales. Dans les parties 
sablonneuses de la plaine que je traverse, j'aperçois pour la première fois des 
Sophora herbacea, plante que je n’ai rencontrée encore qu'en pleine Mongolie, 
Quant aux grands et beaux arbres du Sophora japonica, j'observe qu'ici leur 
feuillage n’est pas dévoré par ces myriades de chenilles d’une jolie phalène 
grise, qui le détruisent complétement à Pékin depuis deux ans. 

A Tongtcheou, je retrouve mon domestique Thomas et un autre servi- 
teur chinois; ils ont eu les plus grandes peines pour Jouer une barque cou- 


BULLETIN. 7 


verte, au prix de quinze {iao (six taëls) : c’est cher pour le court voyage d'ici 
à Tientsin. La raison en est que toutes les barques et toutes les voitures sont 
occupées par les vingt mille candidats qui étaient venus à la capitale pour con- 
courir au doctorat, et qui s’en retournent chez eux après avoir subi leursexamens. 

Le port de cette ville est encombré de barques impériales qui apportent 
du Sud le riz de l’empereur. C’est sans doute l’arrivée de ces immenses pro- 
visions qui à fait subitement baisser, de moitié, le prix des blés à Pékin; de 
même que celui de l’argent métallique, comme cela arrive toujours ici. D'un 
autre côté, on regarde comme assurée la récolte des moissons qui, cette année, 
s'annonce exceptionnellement belle, grâce aux fréquentes pluies qu'il y a eu 
depuis quelque temps. Il y avait longues années qu’on n’avait pas vu cela dans 
ces pays qui souffrent habituellement de la sécheresse. 

C’est vers une heure que nous nous mettons en mouvement, contrariés par 
un vent fort et frais du S. O. qui retarde notre marche, non moins que par 
cette multitude d’embarcations accumulées, à travers lesquelles nous sommes 
obligés de glisser, jusqu'à ce que nous ayons gagné le véritable fleuve du 
Péy-ho (les Chinois ne lui donnent point ce nom ici). La rivière, quoique peu 
large, est profonde, et il paraît que l'effet de la marée se fait sentir jusqu'ici, 
si loin de la mer; ce qui prouve combien est unie cette plaine immense, qui 
continue encore à s’agrandir par les dépôts des fleuves qui se déchargent dans 
notre golfe, lequel paraît de:tiné à disparaître entièrement. Il est probable 
qu’un lent mouvement oscillatoire d’exhaussement a aussi lieu sur une grande 
partie des côtes chinoises : c’est ce qui explique en partie les changements 
d'embouchure du grand fleuve Jaune. 

Quoique nous descendions le fleuve, ce n’est qu’à force de rames ou de 
perches que nous nous avançcons. Nous continuons à marcher jusque fort avant 
dans la soirée qui est fraîche et tranquille ; le vent est tombé. Les Chinois ne 
voyagent point la nuit; nos deux bateliers amarrent donc la barque, et avalent 
leur riz avec quelques herbes, pendant que mon Chinois chrétien et moi, nous 
terminons nos prières en suppliant le Créateur de cet admirable Cosmos de 
nous accorder que le dernier jour du long voyage que nous commençons se 
termine aussi paisiblement que cette première journée. 

27 mai. — La nuit a été calme et sereine. On se remet en marche avant 
le jour. Le fleuve est tranquille et plat comme un miroir; mais l’eau est sale et 


fangeuse. 


8 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Vers onze heures, se lève encore le vent du sud qui nous contrarie si fort 
et ralentit notre navigation. La traversée est distraite un moment par la pénible 
vue d’un cadavre d'homme, emporté par le courant : c’est un spectacle assez 
fréquent en Chine, parce qu'on jette à l’eau les corps des pauvres, qui n’ont pu 
s'acheter un cercueil. — En fait d'oiseaux, je n’aperçois que quelques bécas- 
seaux (Totanus glareola et hypoleucos) absolument semblables à ceux qui fré- 
quentent nos marais et nos rivières de France : ils rasent légèrement la surface 
des eaux en jetant leur petit cri d’effroi d'habitude. En réalité, ils ne sont 
point effrayés, parce que personne ici ne songe à molester ces jolies bêtes aux 
couleurs modestes, mais à la tournure si élégante, au vol si gracieux. II passe 
aussi, mais bien haut dans les airs, quelques Glareola orientalis, espèce qui 
ne diffère guère de notre perdrix de mer d'Europe que par la couleur du des- 
sous des ailes. Un autre oiseau intéressant que je vois aujourd’hui comme 
hier, c’est le Chibia brevirostris, Cab., on Drongo noir aux reflets métalliques ; 
il porte sur la tête, en forme de crins, quelques longues plumes sans bar- 
bules ; quelques notes de sa voix argentine, qu'il émet même la nuit, imitent 
fort bien le son d’une clochette. Ce bel oiseau vient du Sud, pour nicher en 
grand nombre sur les arbres qui entourent les maisons de la plaine ; les vil- 
lageois le respectent, non-seulement parce qu’il détruit beaucoup d'insectes, 
mais encore parce que, doué d’un grand courage (et quoique sa taille ne 
dépasse pas celle du merle) il éloigne le corbeau et le milan, ennemis de leurs 
basses-cours. 

Comme végétation, les bords du fleuve sont d’une tristesse souveraine : 
pas un buisson, pas une plante ligneuse, en dehors des quelques saules plan- 
tés dans les villages. Quant aux espèces herbacées, on n’en voit qu'un petit 
nombre ; et ce sont toujours les mêmes, Celles que j’aperçois en fleur, et que 
je crois reconnaître en passant sont : Rumex Hydrolapathum, Nasturtium am- 
phibium, Tournefortia arguzia, Mollucella incisa, le cosmopolite Pissenlit, 
Plantago major, Rehmannia glutinosa, Botriospermum sinense, Myosotis pedun- 
cularis. Quelques autres se disposent à fleurir bientôt : Leonorus, sibirieus, 


Aanthium orientale, Convolvulus arvensis, Calistegia pubescens, Youngia 
sonchfolia, et deux ou trois Polygonum. 
28 mai. — La nuit a été encore calme, et nous l’avons passée à l'ancre. 


Partis de nouveau avant le jour, nous nous croisons avec une multitude de 


barques de l'Etat, chargées de riz : chacune, me dit-on, en porte detrente à qua- 


BULLETIN, 9 


rante mille livres, Quoique favorisés par le vent du sud, ces bateaux remon- 
tent halés chacun par trois hommes ; ils sont neufs pour la plupart : car il n’y a 
que peu de temps qu'on en a fait construire un millier, pour remplacer ceux 
qui avaient été détruits par les rebelles, dans les années précédentes. 

Les Européens qui visitent Pékin s’étonnent d'y voir une population si 
inférieure, en nombre, à l’idée qu’ils s’en étaient faite d’après les relations 
anciennes. En effet, cette capitale qui a dû renfermer autrefois plusieurs mil- 
lions d'hommes, dans ses deux vastes quadrilatères de grandioses murailles, 
ne paraît plus en contenir maintenant que quelques centaines de mille. — A 
l'antique splendeur a succédé la misère et la ruine ; et cela en peu de temps. 
Quelle à été la cause principale de ce prompt dépérissement? La destruction, 
par les rebelles, des barques impériales, et l'occupation des provinces cen- 
trales, les plus riches en riz, par les bandes des Taïpings. — Il faut savoir 
que la ville de Pékin est censée contenir deux cent mille soldats {chy-jen, 
vexillaires d’origine tartare, qui vivent de la solde impériale et du riz que l’État 
leur fournit. Cette distribution d'argent et de riz, faite autrefois régulièrement 
chaque mois, suffisait abondamment pour l’entretien de ces soldats et de leurs 
familles (en Chine, les soldats sont ordinairement mariés). C’est aussi ce qui 
_entretenait le petit commerce de Pékin, presque exclusivement; car ne se 
fait point de grandes affaires commerciales dans cette capitale, où il n’y a pas 
de grande industrie. D’un autre côté, la province, très-peuplée, se suffit à 
peine à elle-même, et de plus, ne produit presque point de riz, premier objet 
essentiel en Chine. Depuis donc une vingtaine d’années, que la rébellion à 
privé l’empereur de presque tous ses revenus, Pékin s’est trouvé sans res- 
sources ; beaucoup de familles s’en sont éloignées pour chercher à vivre ail- 
leurs. Bientôt la pauvreté y est devenue générale, une sécheresse obstinée de 
plusieurs années s’étant aussi mise de la partie pour achever de ruiner le pays. 
Dans ces derniers temps la misère a été tellement grande, qu'il est mort de 
faim beaucoup de monde, quoique les pauvres chinois utilisent pour leur ali- 
mentation les herbes sauvages, les racines, les feuilles et l’écorce des arbres. 
Nous-mêmes, depuis assez longtemps, nous avions réduit sensiblement notre 
modeste ordinaire pour pouvoir secourir un peu les malheureux, ce qui n’a 
pas empêché beaucoup de nos chrétiens de la capitale et des environs de 
périr d’inanition pendant l'hiver et le printemps passés. 

Mais que la paix vienne à se rétablir dans l'empire avec l'ordre : en peu 


VIII. b 


10 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM, 


d'années Pékin et les autres villes déchues se repeupleront rapidement. Car, 
comme ces Orientaux se marient presque tous fort jeunes, les nouvelles géné- 
rations apparaissent vite et comme par enchantement, pour grouiller à leur . 
tour dans cette immense fourmilière humaine que nous appelons l’empire 
chinois. 

Cependant cette paix si nécessaire ne parait pas encore près de revenir: 

nous voyons cela en arrivant à Tientsin, vers cinq heures de l'après-midi. Car 
pour pénétrer dans cette ville, il nous faut faire ouvrir une véritable muraille 
de barques de guerre, qui barrent le fleuve, et la défendent contre les rebelles 
qui ne sont que peu éloignés d'ici. — En effet, cet hiver, ces bandes de mal- 
faiteurs, organisées dans la province centrale du Ho-nan, se sont unies à une 
partie de musulmans révoltés, sortie du Kan-sou, et ont tout à coup envahi 
les provinces du Chan-tong et du Pé-tchély, pillant, tuant et massacrant tout 
sur leur passage. Pékin même s’en est cru sérieusement menacé; nous y avons 
eu des alertes d'autant plus émouvantes, que la population nous croyait plus 
ou moins disposés à pactiser avec les rebelles. Un jour, un grand personnage 
du palais impérial est venu, travesti, nous avertir de songer à notre salut, 
parce que, à l'approche des brigands, la famille impériale se préparait à fuir 
en Tartarie, et que, en partant, on avait l'intention de faire main basse sur les 
chrétiens et sur les Européens de la capitale. On voulait d’abord assouvir cette 
invincible haine des Chinois contre tout élément étranger. La vérité est que 
les troupes impériales, mal organisées, mal payées, mal nourries, refusaient 
de marcher contre l’ennemi. Quelques milliers de soldats, soi-disant armés et 
formés à l’européenne, envoyés contre lui dès le commencement de l’irruption, 
“en avaient été surpris, pendant une matinée de brouillard, et taillés en pièces 
ou dispersés, en laissant dans les mains des rebelles les armes chèrement 
achetées aux Anglais et aux Américains. Ce qui est pis encore: les reste de 
l'armée s’accordait avec les ennemis pour ne pas se battre, et pour marauder, 
voler et incendier en commun ; ce qui avait échappé aux uns, était inévita- 
blement ruiné par les autres. Voilà les Chinois en action! 

La riche et commerçante ville de Tientsin est donc toute en émoi, menacée 
qu’elle est continuellement par les Nien-féi, qui en veulent surtout à ses 
richesses. Les deux rivières, qui s’unissent un peu au-dessus de la ville, sont 
presque entièrement couvertes, sur une grande étendue, d’une multitude de 
barques de toute provenance, et refugiées là pour se mettre à l'abri des 


BULLETIN. at 


canons. De temps en temps, en voit emportés par le courant les corps inani- 
més des victimes des brigands, des cadavres souvent mutilés avec une indé- 
cence atroce. Tout ce spectacle est peu égayant et peu rassurant pour Ceux 
qui ont à rester ici. Cependant on s’est presque habitué au danger (tant il y 
a longtemps qu'il dure), et l’on vit au jour le jour, Chinois et Européens. 

Ces derniers pourtant ne paraissent pas avoir à craindre pour leurs 
personnes; Car, il est déjà venu à Tientsin plusieurs canonnières européen- 
nes, pour les protéger et les recueillir au besoin. 

Quand j'approche de notre maison de la mission française, je suis 
agréablement ému en voyant flotter devant elle nos couleurs nationales sur 
les mâts de deux canonnières françaises, l’Aspic et le Lebrethon : c’est plus 
qu'il n’en faut pour faire respecter nos établissements. 

La mission et le consulat de France sont contigus, et bâtis sur un terrain 
impérial qui fut cédé à la France, à l’époque de l'expédition de Chine. On a 
utilisé le mieux possible les constructions en bois qui, dans les siècles passés, 
avaient l'honneur de loger Sa Majesté impériale, quand elle voyageait de la 
cour du nord (Pé-kin) à la cour du sud (Nan-kin), et vice versd. C'était sous 
la dynastie précédente : il y a donc bien longtemps de cela ! Cependant bien 
des Chinois souffrent encore amèrement de voir les diables d'Occident établis 
dans une résidence du Fils du cel. 

Je puis enfin débarquer, avant la nuit, au Ouang-haé-lou (nom de notre 
résidence), et embrasser mon excellent collègue M. Chevrier, qui dirige cette 
mission avec l’aide de quelques indigènes. Dès ce soir même, j'ai l'avantage 
de faire la connaissance de M. de Nercia, commandant de l’Aspic, et de 
M. Labarrière, commandant du Lebrethon. Ce dernier qui avait été averti de 
mon voyage, par notre ministre de Pékin, s’empresse de m'ofirir une place 
sur son bateau. I doit, dit-il, partir bientôt pour Changhay, quand seront 
terminées les réparations qu'on lui fait subir au bassin : c’est une canonnière 
faible, construite en Chine sur les plans de l'amiral Roze, avec une machine 
vieille et insuffisante pour bien tenir la mer. Cependant, l’occasion est si belle 
et le passage sur les bateaux marchands est si cher, que j'accepte avec recon- 
naissance l'offre de M. Labarrière. 

Je reçois aussi, ce soir, la visite d’un autre Français qui réside à Tientsin 
depuis plusieurs années; c'est celle de M. Coutris. Il me donne des détails 
très-intéressants ‘sur plusieurs choses : à propos des rebelles, qu'on dit 


12 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM, 


toujours se trouver non loin de la ville, il m'apprend en secret qu’il a cu le 
hardiesse d'aller deux fois, et seul, jusqu’au milieu d’eux. D’après lui, ils 
sont bien plus à redouter qu'on ne le pense; ils sont bien armés et bien 
disciplinés; mais les munitions de guerre leur font défaut. Ils en veulent 
surtout à la dynastie régnante. Cependant ils agissent avec précaution, à 
cause des Européens qu'ils croient favorables à l’empereur. Selon M. Coutris, 
c'est à tort qu'on leur attribuerait les massacres et les pillages qui sont 
commis par les impériaux eux-mêmes ou par les bandes du général Ly, 
déguisées en Tehang-mao (longs cheveux). Les véritables rebelles se 
comportent avec modération; mais la nombreuse canaille qu’ils entraînent à 
leur suite ne les imite point. Ils n’en veulent point aux Européens, disent-ils ; 
et, quant à Tientsin, s’ils voulaient s’en emparer, ils le feraient en moins de 
deux heures. Ils ont peu de poudre, mais assez de capsules et d'armes, 
quoiqu’ils aient perdu dernièrement quatre mille fusils que leur apportait un 
navire de Canton, et qui ont été pris par les hommes de l’empereur. Il y à 
parmi eux beaucoup de musulmans et quelques Européens, entre autres, dit-on, 
un ex-officier d'Aspromonte. M. Coutris a été lui-même fortement pressé de 
rester avec eux, mais en vain, quoique les mandarins ne lui paraissent pas 
préférables aux brigands. Après tout, ce sont des barbares et des voleurs. 
Leur chef, qui se fait appeler Yen-ouang (roi de l’enfer), a une autorité sans 
limites; il se laisse très-rarement voir de ses soldats; et alors; c’est pour leur 
donner ses ordres, sans parler et simplement par un signe. Il a un sérail de 
femmes ainsi que plusieurs de ses sujets. — Dans les combats, ce sont les. 
hommes qu’on a ramassés chemin faisant, qu'on place à la tête de la colonne 
pour se faire un rempart de leurs corps. Les rebelles ne se rasent pas et ils 
laissent croître toute leur chevelure; d’où leur vient le nom de Tchang-mao. 

À propos d'histoire naturelle, M. Coutris, qui est chasseur, m’apprend 
qu'il y a quelques Sen-pou-siang, ou Elaphurus davidianus, non loin de Tient- 
sin, vers l’ouest, dans une grande plaine humide et marécageuse; il y en a 
même tué un. J'ai lieu de croire que ces animaux sont des fugitifs du parc de 
Haé-dze, d'où moi-même j'ai eu les individus que j'ai envoyés en Europe. Il 
me dit aussi qu’en hiver les lièvres (Lepus sinensis) sont si nombreux dans les 
terrains incultes des environs, que dans une excursion qu'il y à faite, avec 
M. Chevrier, il en a pris au faucon trente-quatre, dans une seule après-midi ! 
Le lièvre chinois est un peu plus petit que celui d'Europe; mais ressemble à 


BULLETIN. 13 


celui-ci pour tout le reste. Vers la Mongolie, il y en a une autre espèce, 
appelée Tolaï par Pallas; elle est un peu plus grande que l’autre, et on ne 
peut guère l'en distinguer que par la couleur blanchâtre de ses fesses. — 
Les lapins sauvages sont inconnus en Chine, — Les lièvres et les lapins portent 
le même nom chez les Chinois, et passent dans leur esprit pour emblème de 
l'impureté, de même que le chien et la tortue. Aussi est-ce faire la plus 
vilaine injure possible à un homme que de l'appeler du nom de ces 
animaux. 

29 mai. — Toujours vent de sud. La journée se passe en visites actives et 
passives, du petit nombre de Français qui se trouvent à Tientsin. Il est à 
remarquer qu'il n’y à guère que les Français qui aient ici leurs établissements 
dans la ville chinoise : le consulat, la mission, la maison des sœurs de 
charité, les magasins de plusieurs négociants, se trouvent au beau milieu des 
habitations chinoises ; tandis que les Anglais, les Américains, les Russes, soit 
par défiance soit plutôt par répulsion contre la race jaune, sont allés se fixer 
à deux kilomètres plus au sud sur un terrain inhabité jusqu’à présent et qu’on 
appelle la concession européenne. Il est entièrement séparé et éloigné des 
quartiers chinois. 

M. Sandri, négociant italien, établi à Tientsin depuis l'expédition, m'ap- 
prend qu’il vient de faire un voyage en Europe, et que la maladie des vers à 
soie y dure toujours. Ce monsieur, qui s’est beaucoup occupé de sériciculture, 
m'engage à examiner dans mes voyages aux provinces centrales et occiden- 
tales, s’il n’y aurait pas là moyen de se procurer de la bonne graine de vers à 
soie. Il pense que les vers sauvages ne peuvent pas satisfaire en Europe. Quant 
à celui de l’Aïlante, et un autre qui vit sur des buissons au Chan-tong (sur le 
jujubier sans doute), il me dit qu’ils ne peuvent donner que des bourres peu 
précieuses. 

Aucune de ces quatre espèces de vers n’est élevée sérieusement dans 
notre province de Pékin, quoique les régions voisines, le Léao-tong et le Chan- 
tong, produisent plusieurs espèces de soie. 

Je trouve cultivée à Tientsin une jolie espèce de grande Centaurée (Jacea) 
à fleurs bleues ou roses ; c’est pour moi une nouveauté à ajouter à la courte 
liste des plantes ornementales de nos Chinois du Nord. 

Ce soir, presque tous les matelots de l'excellent équipage de l'Aspic, 
viennent chanter des cantiques à la mission qui n’est qu'à cinq pas de leur 


11 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


canonnière : c’est ce qu’ils font tous les jours, au grand plaisir de tout le 
monde; et c’est pour eux une innnocente récréation, laquelle leur rappelle 
agréablement la patrie, en même temps que leurs sentiments de religion. Une 
ville chinoise ne pourrait leur offrir aucune bonne distraction. Au contraire, 
rien ne saurait retenir l’homme, comme la religion, dans le sentiment du 
devoir, dans le respect de lui-même, et dans la patience. 

30 mai. — Grand vent d’est froid, ciel couvert, quelques grosses gouttes 
de pluie pendant la journée. 

Pas de nouveautés aujourd’hui. Je vois le jeune père de Beaurepaire qui 
a beaucoup de goût pour la botanique. Il m’'apprend que ses confrères, le 
père d’Argy et le père Eudes, s'occupent activement d'histoire naturelle, 
dans leurs vicariats de Changhay ; et qu’ils ont l'intention de travailler en com- 
mun, avec quelques autres collaborateurs, à un grand ouvrage scientifique 
sur la Chine. Je ne puis qu'encourager cet utile projet, parce que, actuelle- 
ment, il n’y a guère que les jésuites qui puissent disposer d'hommes suffisants 
pour une telle entreprise en Chine. 

Ce soir, il y a quelque émoi dans la ville; on parle d’un mouvement 
menaçant des rebelles. Les Tientsinois comptent beaucoup sur la puissance 
des canonnières européennes; l’Aspic et le Lebrethon ont fait déja quelques 
majestueuses promenades sur différents points du fleuve, pour rassurer les 
esprits, et pour montrer aux Tchang-mao qu’on les recevra à coups de canon, 
s'ils s’approchent trop d'ici. Je suis porté à croire cependant qu'on serait 
fort embarrassé s’il fallait leur envoyer un seul boulet... Je sais que le Lebre- 
thon n'a pas même une mèche prête. Heureusement que de loin Le lucciole 
sono lanterne ! 

31 mai. — Jour de la Pentecôte. Messe solennelle dans notre petite 
chapelle chinoise avec assistance des marins armés des deux vapeurs fran- 
çais, des officiers et des résidents européens catholiques de la ville. Après la 
messe, il y a, dans la mission, un grand déjeuner pour messieurs les officiers 
et les Français de Tientsin. Il me fournit l’occasion de faire la connais- 
sance de M. de Chalmaison, l’un des plus frénétiques chasseurs que j'ai 
vus de ma vie. 

Ce jeune monsieur est venu depuis deux ans s'établir à Tientsin avec sa 
femme pour satisfaire Sa passion pour la chasse. 11 à déjà beaucoup voyagé 
pour cela dans les Cordillères, à Java, etc. Ici, il ne trouve certes pas la 


BULLETIN. 15 


même richesse de la nature, la même abondance de gibier que dans ces 
régions tropicales; mais, à certaines époques de l’année, les lièvres et les 
oiseaux foisonnent dans les plaines stériles et les marais qui s'étendent entre 
Tientsin et la mer, vastes terrains salés, abandonnés naguère par l'Océan, 
et encore rebelles à la culture. 

Depuis six ans que j'habite le nord de la Chine, je n’ai eu que peu 
d'occasions d'étudier les productions et les animaux hydrophiles : et M. de 
Chalmaison, ainsi que M. Coutris, me donnent d’utiles renseignements sur les 
espèces animales qui fréquentent les bords de notre mer. Ainsi, j'apprends 
d'eux que le Chaçal (que je n’ai jamais vu encore en Chine) existe dans le 
pays; que la Panthère s’avance parfois jusque dans ces plaines si éloignées des 
montagnes ; qu’un Loup noir (sans doute une mélanisme) déjoue depuis long- 
temps tous les chasseurs des environs; que le Cygne à pattes rouges (Cygnus 
Davidi,Sw.) et la grue noire (Grus monacha) passent régulièrement à Takou, 
de même que plusieurs Ibis. M. de Chalmaison est aussi amateur de Coléop- 
tères; et parmi ceux qu'il a récoltés, je remarque un joli Carabe à taches 
caténulées, qui à échappé jusqu’aujourd’hui à mes recherches (Car. smarag- 
dinus). 

Pendant notre déjeuner, la conversation et les discussions se sont natu- 
rellement portées plusieurs fois sur les chrétiens chinois, et sur l'efficacité de 
nos efforts pour christianiser la Chine. Comme cela arrive d’ordinaire aux 
Européens, plusieurs de nos honorables invités soutiennent que c’est en vain 
que nous tentons d’inculquer à nos Chinois les maximes évangéliques. D’après 
eux, tous ces Orientaux seraient incapables de vertu, et il n'y aurait dans leur 
conversion que des motifs d'intérêt et de dissimulation; il serait donc plus 
sage de les laisser tranquilles dans leurs usages. Les missionnaires ne sont 
que trop habitués à entendre ces sortes d’objection. mais, en laissant de 
côté les raisonnements théologiques (non goûtés de tout le monde, quoique 
péremptoires) et en accordant qu’il manque au caractère chinois ce cachet de 
générosité qui est le propre des races occidentales, nous répondons que 
notre travail auprès de ce peuple est loin d’être inutile; qu’il y a parmi eux des 
âmes bien nées et faites pour le christianisme; que, dans les familles conver- 
ties depuis plusieurs générations, on reconnaît une modification sensible, en 
mieux, dans l’ensemble des sentiments et de la conduite. Chaque année, il ya 
une moyenne de quinze à vingt mille indigènes adultes qui sont admis au bap- 


16 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


tème, après une sérieuse épreuve, d'au moins un an, pour chacun. D'un 
autre côté, il est malheureux de devoir confesser que ce n’est point la pré- 
sence de nos Européens qui facilite notre œuvre de propagande religieuse : 
ceux-ci, pour la plupart, sont loin d’être des modèles de piété et de vertu! 
comme nous le disent souvent nos Chinois. 

Mais ce soir même la Providence permet que nous ayons un exemple de 
ce que peut le sentiment chrétien pour dompter même la passion la. plus 
vivace du Chinois, l’avarice : un marchand chrétien de Changhay, inconnu, 
vient offrir pour la construction de notre nouvelle église, la somme de cin- 
quante taëls (400 fr.) pour remercier ainsi Dieu d’avoir béni son voyage et 
son commerce. Et M. Chevrier, en acceptant ce cadeau si considérable pour un 
Chinois peu riche, me demande : « Que dirait M. N... s’il voyait ceci, lui qui 
a soutenu que les Chinois ne sont chrétiens que par intérêt et pour nous 
tromper ? » 

1°" juin 1868. — Le temps est beau et chaud ; le vent souffle du nord. 
Je fais une course à Su-tchu-lin, c'est le nom de la concession où quartier 
européen. Je vois là un bon nombre de jolies maisons confortables et élé- 
gantes, habitées par des négociants, mais, aucune, je crois, n'appartient à 
des Français. Des bateaux à vapeur armés de canons, sont ancrés devant le 
quai pour protéger les Européens. Du côté de terre, une muraille et des 
redoutes de terre, armées de canons et garnies çà et là de piquets de soldats 
_ chinois, doivent tenir l’ennemi en respect. Il est probable que, sans les Euro- 
péens, les rebelles se seraient déjà emparés de Tientsin qu'ils auraient pillé 
et brûlé immanquablement. Ce soir, on nous annonce encore qu'ils ne sont 
plus qu'à trois lieues de la ville. 

2 juin. — Beau temps encore. Rien de remarquable; les réparations 
du Lebrethon avançant lentement, trop lentement pour mon impatience. 

Je reçois de M. Coutris et prépare un Rolle (Zurystomus orientalis). Ce 
bel oiseau, dont la taille, les formes et les couleurs (vert, bleu et roux) rap- 
pellent un peu notre Rollier d'Europe, paraît remplacer celui-ci dans l’ex- 
trême Orient. Comme lui, il vit dans les régions chaudes, et, en été, il 
s’avance très-loin dans le Nord. M. Coutris m'a donné cet oiseau en vie : il 
est d’un caractère sauvage et cherche à mordre quand on le prend ; il mange 
volontiers du riz, du pain, de l’œuf dur, de la patate douce. Il aime à grim- 
per sur les meubles en s’aidant, comme les perroquets, de son bec qui est 


BULLETIN. 17 


d'un beau rouge orange de même que ses pattes. Pris à la main, il crie fort, 
un peu à la façon du Geai d'Europe. Ils étaient deux de la même espèce 
quand M. Coutris a abattu celui-ci, en le blessant d’un plomb à l'aile; leur 
vol était droit et rapide. Quelques ornithologistes voudraient faire de cet oiseau, 
grand voyageur, une espèce distincte de l’espèce linnéenne qui-habite l'Inde : 
je crois que c’est à tort. 

3 juin. — Vent fort et orageux, le ciel est couvert de poussière, et il 
tombe un peu de pluie vers le milieu du jour. Le Lebrethon, sur lequel il me 
tarde de partir pour Changhay, songe enfin à sortir du bassin. Il a mal choisi 
son jour; il manque de s’échouer au bord du fleuve, à cause de la violence 
du vent. Mais enfin il en triomphe; et en faisant retentir au loin un brillant 
coup de canon, il arrive triomphalement devant le consulat de France se 
placer à côté de l’Aspic. Le commandant, M. Labarrière, est un excellent 
officier de marine, plein d'activité et d'intelligence. Quant à M. de Nercia, 
l'estime et l'affection dont tout son équipage l'entoure, sont quelque chose 
d’exceptionnel. En lui, une grande et loyale piété rehausse les vertus et les 
qualités de son état. 

4 juin. — Beau temps, avec vent de terre. J’embarque ce matin mes 
caisses, pour partir demain sur la canonnière. Le soir, dîner en ville chez 
M. Sandri, en compagnie des deux commandants français, de M. Hubert, de 
M. Borel et de M. Chevrier. A table, discussions animées, mais bienveil- 
lantes, sur le salut des catholiques, etc. (l’un des convives est protestant), 
thème éternel de questions délicates et inconcluables, quand on ne part pas 
de principes bien compris. C 

5 juin. — Beau temps encore aujourd’hui; au matin, le vent souffle de 
l’est et du sud-est. Vers sept heures, le Lebrethon se met en mouvement et 
part pour Su-tchu-lin. Je termine, avant de m’embarquer le soir, mes der- 
niers préparatifs et mes visites. J’ai le regret de ne pouvoir aller saluer les 
respectables et saintes sœurs de charité, dont l'établissement est au centre de 
la ville chinoise, à une distance trop grande de la mission et du consulat de 
France. Elles sont là bien à la merci des Chinois, en cas de danger! Cepen- 
dant les bonnes œuvres qu’elles accomplissent et l'exemple de leur dévouement 
et de leurs vertus, leur ont acquis l’estime de toute la population chrétienne 
et païenne. Depuis six ans qu’elles sont ici, la confiance dont elles jouissent 
ne fait qu'augmenter, à en juger, du moins, par le succès toujours croissant 


VIII. (a 


48 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


de leurs œuvres, de leurs écoles, etc. Sur dix sœurs de charité qui dirigent 
lé grand établissement de Tientsin, six sont Françaises, deux RES: une 
Anglaise et une Italienne; quelques jeunes Chinoises postulent aussi pour 
devenir filles de la charité. 

6 juin. — Nous partons le matin de Su-tchu-lin, par une grande 
pluie battante, Le cours du fleuve est fort sinueux, et les bas-fonds sont 
nombreux : aussi notre canonnière, malgré la lenteur et les précautions de 
sa marche, ne peut-elle éviter de s’ensabler plusieurs fois, mais sans d'autre 
inconvénient que la perte du temps. J’apercois sur les bords de l’eau quel- 
ques Avocettes communes et des Lobivanellus inornatus ; sorte de grand Van- 
neau dont les aïles sont armées d’un éperon, et dont le bec est garni à sa 
base de deux lobes charnus jaunes. 

7 juin. — Nous voici arrivés à Takou. Nous laissons le fleuve. pour 
nous engager dans la mer. Celle-ci, d’abord calme, devient bientôt agitée; la 
canonnière roule beaucoup, et je commence à payer mon tribut à la navigation, 
par un violent mal de mer. 

Les oiseaux que je signale dans la rade sont le Larus cachinnans, le 
L. crassirostris, le Sterna hirundo et l’Huîtrier à long bec, espèce très-voisine 
de la commune. | 

8 juin. — Le temps devient meilleur et la mer plus calme, à mesure 
que nous approchons des îles Miao-tao, sur les côtes du Chantong dont les 
rochers apparaissent roux. On y aperçoit aussi des dunes; et, plus loin, 
des chaînes de montagnes à pics aigus, dont les formes semblent indiquer la 
nature calcaire. Dans les îlots que nous longeons, séjournent et nichent 
paisiblement un grand nombre de Goëlands et de Cormorans communs. 

C'est à dix heures et demie que nous entrons dans la rade de Yenthaé, 
en laissant à notre droite le village de Tchefou, du nom duquel les Européens 
appellent ces parages. La mer est très-belle ; sept navires à voile européens et 
six bâteaux à vapeur sont à l'ancre. Ici, j'ai le plaisir inattendu de recevoir la 
visite de M. Conolly, secrétaire de la légation anglaise de Pékin. Il est venu 
s'embarquer sur le vaisseau amiral anglais qui part pour le Japon; de là il 
ira, avec l’amiral, au fleuve Amour qu’il remontera pour parvenir ensuite à 
Kiachta, et retourner à Pékin à travers la Mongolie. C’est une promenade qui 
en vaut la peine. 

M. Conolly m'apprend que le célèbre ornithologiste, M. R. Swinhoe 


BULLETIN. 19 


consul d'Angleterre, est arrivé à Pékin le jour même de mon départ, et qu’il 
a été presque aussi contrarié que moi-même de ne pas m'y rencontrer, H 
ajoute qu'il y séjournera deux ou trois mois, après lesquels il repartira pour 
une exploration sur le Yangtzékiang, peut-être à travers la Chine intérieure. 
Le voyage qu'il a fait l'hiver dernier dans l’île de Haïnan, et qui a fatigué 
beaucoup sa santé, aurait été très-fécond en découvertes scientifiques. Ces 
nouvelles m'intéressent grandement. Je connais par les faits tout ce qu’il y a 
d'activité, d'énergie et de savoir dans ce naturaliste si heureux... Me lais- 
sera-t-il quelque chose à faire encore ? 

Je vois aussi M. Viguier, dont j'ai fait précédemment connaissance à 
Pékin. Ce jeune Parisien demeure ici en qualité de commissaire des douanes 
chinoises; il habite l’une de ces maisons blanches qu’on voit nichées sur la 
pointe du cap de Yenthaé. Il me montre un échantillon de la mine de quartz 
aurifère qu’on a découverte dernièrement, non loin d'ici, et l’on annonce 
qu'il va arriver d'Amérique une bande de mineurs et d’aventuriers, pour l’ex- 
ploiter, malgré la défense du gouvernement et l'opposition formelle des léga- 
tions européennes. Il est heureusement probable que cette nouvelle mine d’or 
n’est pas riche ; sans cela, elle ne serait pas restée si longtemps inconnne. 
Nos chercheurs d’or s’en retourneront donc gros Jean comme devant : O auris 
saçra fames | 

La baie de Yenthaé, ou Tehefou, est fort belle; les côtes qui l'entourent 
sont en pente douce, et le terrain ne s’élève que graduellement jusqu'à de 
médiocres montagnes qui ferment l'horizon. Le quartier des Européens fait 
bonne mine, et les environs de cette ville non murée, sont variés et jolis. Le 
climat y est sec et sain : ce serait donc un séjour agréable, Déjà, c'est un 
lieu de bains de mer et un rendez-vous de plusieurs Européens qui y viennent 
passer la saison chaude. On sait qu'ici la mer ne gêle plus en hiver, comme 
cela a lieu dans le reste du golfe du Tchély. 

Je vois ici de nombreuses barques chinoises occupées à la pêche des 
Maquereaux, des Dorades et des Turbots, 

Après midi, nous levons l’ancre, pour aller charger du charbon dans 
un petit ilot voisin qui appartient à la France. Pendant que l'équipage tra- 
vaille à monter la houille anglaise, dont il y à toujours là un dépôt, je 
descends à terre avec M. Labarrière, son second M. Gabet, et le docteur 
Jollet. 


20 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


La roche qui compose l’île est un grès très-siliceux et schisteux, d’une 
couleur roussâtre; quelques schistes offrent des traces de charbon dans les 
parties inférieures et plus calcaires, qu’on trouve vers la mer. — L'ilot très- 
stérile contient un village; on y cultive du blé, du maïs, etc. Plusieurs 
collines sont couvertes en partie de pins, de chênes à feuilles de châtaignier 
et de chênes à grandes feuilles; j'aperçois aussi quelques taillis de chênes 
destinés à l'entretien des vers à soie quercivores. 

Je rencontre déjà ici bien des plantes qui sont inconnues à Pékin : un 
Oxalis (corniculata ?), le Convolvulus soldanella, une sorte d’Acacia nain, 
un ARubus à fleurs roses, un Dolychos ligneux, un grand Carduus, un Statice 
à fleurs rouges, un Lychnis à fleurs blanches, le Thymus algeriensis non 
encore fleuri, etc. 

Beaucoup de Martinets à ventre blanc (Cypselus vittatus ?) voltigent sur 
les collines et autour du phare qui domine élégamment le pic le plus éminent 
de l’île. C'est en vain que nous brülons beaucoup de poudre en essayant 
d’abattre quelqu'un de ces oiseaux au vol puissant. Mais je ne suis pas plus 
heureux aujourd’hui que par le passé; quoique j'aie vu des milliers de ces 
Martinets, ici et ailleurs, jamais je n’ai eu la satisfaction d’en posséder un 
échantillon, pour en constater sûrement l’espèce. Je suis pourtant à peu près 
certain qu'il s’agit ici du Cyps. vittatus, Jard., et non du Cyps. apus ? de Pékin, 
ni d’un Dendrochelidon inconnu, à longue queue fourchue, que j'ai vu aussi 
dans la Chine septentrionale. 

Les autres oiseaux terrestres aperçus dans l’île sont l’Hirondelle commune 
et un Hobereau. En fait d'oiseaux aquatiques, il y a des Cormorans, des 
Goëlands et des Huîtriers ; M. Gabet tue un magnifiqne exemplaire de ces 
derniers, que je prépare pour le Muséum. 

Je ne vois ici presque point d'insectes, et le seul Lépidoptère nouveau est 
un Deilephila que je crois être le D. pinastri. La marée basse nous laisse voir 
des rochers calcaires couverts d’huîtres et d’autres coquilles ; il y à aussi des 
Anémones de mer; mais point d'Oursins, d’Astéries. On me dit que ces eaux 
abondent en Poulpes. 

Le soir, après avoir terminé l’approvisionnement de houille et de vivres, 
nous nous remettons en route sur une mer parfaitement plate et phosphores- 
cente ; la mer d'huile des marins. 

9 juin. — La matinée est belle et la mer encore calme. Mais bientôt 


BULLETIN, 21 


il vient un brouillard épais du S.-E., et l’on stoppe pendant une petite heure. 
Peu à peu le temps se refroidit et le ciel se couvre de nuages venant du 
Cap Chantong, d'où nous avons entendu, la nuit précédente le roulement 
lointain du tonnerre. Il paraît que ce cap est célèbre par ses brouillards 
immanquables. Je vois quelques grands Pétrels gris (Puflinus leucomelas ?) 
qui rasent en se dandinant les vagues agitées. 

10 juin. — Le voyage continue sans nouveautés; seulement la mer 
devient de plus en plus houleuse, et j'en souffre passablement : quel vilain 
mal que ce mal de mer! comme il avilit l’homme! | 

11 juin. — I] pleut, il vente du côté qui nous est contraire; la naviga- 
tion devient de plus en plus agitée et pénible. À midi, commence une épou- 
vantable tourmente, qui ne cesse qu'à minuit. Je souffre du mal de mer 
plus que jamais, et jusqu’à regretter de m'être embarqué sur ce bateau; le 
commandant, pourtant, a pour moi la plus grande bonté, les plus grands 
égards, pour lesquels je lui saurai toujours gré. 

Nous n’avancons pas d’un pas pendant ces douze mortelles heures, quoi- 
que la machine à vapeur fonctionne toujours de toutes ses forces pour lutter 
contre l'orage. 

12 juin. — Enfin, à uné heure après minuit, la tempête devient moins 
impétueuse ; et notre pauvre canonnière, toute ruisselante et sale par son 
combat contre les éléments, peut commencer à avancer. Peu à peu la mer se 
calme et la journée se fait bonne. Nous apercevons quatre soufileurs, gros 
cétacés d’une espèce que je ne connais pas (peut-être le Balænoptera 
… Swinhoei ?) 

Bientôt, la aude; jaune des eaux nous avertit que nous approchons de 
l'embouchure du Yangtzékiang; de même que la vue de la petite île pyrami- 
dale de Cha-wé-chan nous annonce le voisinage de la terre. Dans la soirée, 
nous pénétrons et jetons l’ancre dans le Yangtzékiang qui est tellement large 
à son arrivée à la mer, qu'on n’en aperçoit point les rives. 

13 juin. — La nuit a été belle et bonne; la matinée l’est aussi. Nous 
remontons le fleuve Bleu et pénétrons dans son affluent, le Wampo, sur 
lequel est bâti Changhay, jusqu’à la maison du commissaire français. C'est 
M. Conflans; il m'invite à aller déjeuner chez lui avec le commandant. 
Les bords de la rivière sont verdoyants; j'y vois des Hérons crabiers, des 
Coucous, des Pastors, des Drongos. Le petit et si vif Cisticola cursitans 


22 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


s'élève de temps en temps au-dessus des roseaux (phragmiles) en faisant 
“entendre son habituel tic, tie, tic, de sa voix la plus argentine. Cet oiseau me 
paraît différer peu ou point de celui que j'ai examiné autrefois dans les plaines 
d'Oristano, en Sardaigne. Je prends, suçant les parties tendres des roseaux, 
une sorte de gros Pentatoma d’un roux pourpre. Il y a très-peu d'insectes et 
les plantes offrent peu de variété. Je retrouve parmi celles-ci notre Trigeron 
canadense d'Europe. 

Nous arrivons à Changhay vers trois heures. La vue de cette ville me 
fait une grande impression : il y a si longtemps que je n’étais plus habitué à 
cet air de grandeur, d’aisance et de propreté ! 

Je descends dans notre Procure, chez M. Aymeri qui habite cette ville 
depuis longues années et y fait les affaires de toutes nos missions de Chine 
avec un zèle et une habileté au-dessus de tout éloge, et avec l’estime générale 
de la population européenne. 

14 juin. — Dimanche. Ciel couvert dès le matin; le soir orage et temps 
" assez frais. 

J'ai la satisfaction de rencontrer à Changhay les membres de la célèbre 
expédition du Mékong, qui viennent d'y arriver en même temps que moi. Ce 
sont M. Garnier, ancien camarade de M. Labarrière, qui a remplacé M. de 
Lagrée, décédé au Yun-nan, d’une affection du foie; M. de Carné, chargé 
de l’histoire anecdotique du voyage; M. Torel, chargé de la botanique; 
M. Joubert, s'occupant de géologie et des dessins ; et un autre monsieur 
dont j'ignore le nom. 1] n’y a pas malheureusement de zoologiste parmi eux. 

M. Garnier a la complaisance de me donner de très-utiles renseignements 
sur les régions qu'il a parcourues et vers lesquelles j’ai l'intention de m'appro- 
cher le plus possible. Il me dit que le cours du fleuve Bleu est souvent mal 
indiqué sur les cartes ; que ce fleuve est inférieur en grandeur au Mékong, 
qui, à la même distance de la mer, est beaucoup plus large que le Yangtzé.… 
L'expédition n’a pas pu aller plus haut que le Yun-nan, à cause des mahomé- 
tans révoltés. Il m'apprend que cette province paraît très-riche en oiseaux et 
en insectes, ainsi qu'en métaux de plusieurs espèces. Il est entrecoupé de 
hauts plateaux et de profondes vallées, réunissant les climats et les produc- 
tions les plus variés. 

J'ai aussi l'occasion de voir aujourd’hui M, Jamet, qui est revenu du 
Yun-nan, avec l'expédition. Ce missionnaire m’annonce que pendant l'été il 


BULLETIN. 23 


est impossible, ou au moins très-dangereux et très-long de remonter le Yang- 
izékiang, dont les eaux sont alors hautes et impétueuses. Dans les temps les 
plus favorables, la barque chinoise emploie trente et quelques jours pour 
franchir l’espace qui est entre Hankeou et Tchong-kin au Se-tchuan. 
Force m'est donc d’attendre jusqu’à l’hiver, pour songer à pénétrer dans les 
provinces occidentales. Comme ressources d'histoire naturelle, il me dit 
que le Se-tchuan est un pays déboisé, formé en grande partie de petites 
collines; mais que, sur les frontières occidentales et vers le Thibet, je trouve- 
rai de grandes montagnes encore boisées et nourrissant beaucoup d'animaux 
intéressants. 

15 juin. — Pluie torrentielle et longue dans la matinée. A propos de 
climat, M. Aymeri m’apprend que sur trois jours il y en a un de pluie à 
à Changhay : ce n’est plus Pékin ; là nous avons, dans l’année, au moins trois 
cents jours de sécheresse. 

Quelques Européens de Changhay aiment à tenir des oiseaux en volière, 
soit pour leur propre jouissance, soit le plus souvent pour les expédier aux 
jardins d’acclimatation d'Europe. La gent emplumée que je vois chez eux con- 
siste en quatre espèces de Faisans (Ph. torquatus, Reevesi, nyctemerus et 
pictus), le beau Satyre de Temminck, que je vois pour la première fois en vie ; 
la Bartavelle orientale; le Canard mandarin; la Tourterelle chinoise ; le Padda 
et le Munia acuticauda. — Quant aux Chinois, ils n’ont point de volières, et 
moins encore de faisanderies ; et les Faisans argentés et les Canards manda- 
rins qu'on voit ici ont été portés du Japon où l’on aime à élever les oiseaux. 

J'observe, sur les arbres des jardins de la ville, une quantité de cocons, 
d’un tissu extrêmemement fort et tenace, qui adhèrent aux branches par leurs 
extrémités allongées : je les prends pour des cocons de quelques bombyæ. 
Mais M. Fournier, frère coadjuteur de M. Aymeri, qui a du goût pour les 
choses de la nature, m'apprend qu'ils sont l’ouvrage d’un papillon diurne, 
très-connu à Changhay et dans toute la Chine méridionale; il est tout noir, 
avec quelques taches blanches aux ailes inférieures. Je pense qu’il s’agit du 
P. pammon. Jusqu'à présent, je ne connaissais, dans le genre Papilio, que 
des chrysalides nues. 

16 juin. — La pluie a cessé, le ciel est magnifique ; mais le temps est 
toujours assez frais pour la saison. 

D’après les nouveaux renseignements reçus, je me suis résolu à aller 


2h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


passer quelques mois dans le Kiangsi, où je pourrai commencer à faire quel- 
que chose pour l’histoire naturelle. Là, je trouverai chez mes confrères qui 
dirigent les missions de cette province centrale toutes les facilités pour mes 
opérations. Mais, quand il faudra aller travailler plus loin à l’ouest, il y aura 
une difficulté particulière, dont je n'aurais pas à me préoccuper en Europe : 
c’est la question de l'argent. En Chine, il n’y a d’autre monnaie que les 
sapèkes de cuivre. L'argent y est en lingots et il est considéré comme une 
marchandise. La valeur en change selon les temps et lieux; on l'échange 
‘contre les sapèkes, au fur et à mesure des besoins; mais l'Européen perd tou- 
jours à l'opération. 

Si j'ai à vivre dans les régions lointaines, pendant deux ou trois ans, 
l'argent qu'il m'y faudrait porter est en telle quantité, que le transport (qui 
doit se faire souvent à dos d'homme) me viendrait à coûter très-cher, sans 
compter qu’il exciterait les tentations des nombreux voleurs du.pays. Heureu- 
sement pour moi, cette fois encore, ce sont les missionnaires qui me tirent 
d'embarras : M. Lemonnier, procureur des missionnaires des provinces 
occidentales, a la bonté de se charger de me faire donner, par les commerçants 
chinois de ces régions, tout l’argent qui me sera nécessaire ; même à Moupin, 
principauté thibétaine indépendante, où il faudra que j'aille séjourner quelques 
mois. 
: A propos de Moupin, j'ai la chance de rencontrer chez M. Lemonnier un 
Chinois , ex-élève des missionnaires de cette contrée si riche en productions 
d'histoire naturelle. Celui-ci m’apprend que c’est le directeur du collége, 
M. Arnal, qui s’est surtout occupé de se procurer et faire préparer tous les 
oiseaux et mammifères intéressants et nouveaux, qui ont été envoyés à M. Dabry 
et à M. Perny, et par eux transmis en Europe, comme le Lophophorus L'huisi, 
l'Ithaginis Geoffroyr, le Crossoptilon thibetanum, etc. C’est donc à M. Arnal 
que revient le mérite de la découverte de ces espèces nouvelles ; et je suis 
étonné de ne voir jamais citer son nom dans les rapports et les descriptions 
qui en ont été faites : sie vos, non vobis..….! Ce jeune homme m’annonce que, 
bien que les recherches de M. Arnal aient duré deux ans, ses chasseurs ne 
sont point parvenus à lui procurer les échantillons de tous les animaux qui 
peuplent les bois de Moupin. 11 y aura donc encore quelques glanures pour 
moi, au moins dans les espèces les moins remarquables. 

Cette après-midi, je vais faire une seconde visite au consulat de France, 


BULLETIN, 25 


pour y voir les animaux que MM. Garnier et Ci° ont rapportés du Yun-nan. Il 
y a là un jeune Ours vivant, très-noir, à poil court, et à croissant blanc sur la 
poitrine (Ursus tibethanus). Cet animal diffère de mon Ours noir de Pékin par 
des teintes plus foncées, par les oreilles et les pattes relativement moins 
grandes, et par un naturel beaucoup plus doux. Quel est donc l'Ours péki- 
nois que je rapportais à l'espèce thibetaine, avant d’avoir eu des objets de 
comparaison ? 

Ces messieurs rapportent aussi un fragment d’une très-grande dent fos- 
sile, d’un carnivore inconnu (?), qui leur a été donnée par un missionnaire, 
M. Vincçot, de la partie orientale du Se-tchuan. 

Les oiseaux vivants qu’ils possèdent consistent en Thaumalea Amherstiæ, 
Ceriornis Temminckii, Phasianus...? (analogue au Ph. torqualus, mais sans 
collier) : c’est une variété remarquable et probablement une espèce nouvelle 
non encore décrite. Ils ont aussi deux Pigeons vivants qui ne me paraissent 
point différer du €. rupestris, Pall., si abondant dans les montagnes de 
Pékin. 

17 juin. — Je vais faire un tour à la campagne de Changhay. Les 
oiseaux que j'aperçois sont : Munia acuticauda, Cisticola cursitans, Suthora 
webbiana, espèce abondante dans cette pee et identique à celle de Pékin, 
où je ne l'ai rencontrée qu'en montagne. 

Les insectes sont peu abondants ; je récolte un Syntomis dont l'abdomen 
est elégamment annelé de jaune d’or, un Sesia aux ailes vitrées; et, sur 
l'Urtica nivea qui croît communément sur les murailles de la ville chinoise, 
je fais une bonne provision d’un joli Bupreste noir et blanc, et d’une espèce 
d’Agrilus. 

Les canaux et les flaques d’eau qui abondent autour de la ville 
m'offrent une petite Grenouille inconnue à Pékin, Rana gracilis, et un 
curieux petit poisson, une sorte de Gobius, qui se tient habituellement 
hors de l’eau. à la manière des grenouilles. Quand on le trouble, il se 
meut avec assez de vivacité, au moyen de ses nageoires pectorales, et file, 
en sautillant rapidement sur l’eau et sans s’y enfoncer, jusqu’au bord opposé. 

- La végétation est peu variée ; je remarque un Spiranthus à fleurs roses 
et à odeur de vanille. 

Les gens du pays me disent que les mammifères de la contrée con- 
sistent en une Civette qui vit dans des terriers, en une Taupe très-petite, etc. 


VII, d 


26 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM, 


Les animaux employés au travail des champs sont : le grand et beau 
Buffle arni, aux immenses cornes disposées en arc parfait, et le Zébu chinois : 
deux espèces qui ne vivent pas dans la Chine septentrionale. 

18 juin. — Pluie pendant toute la journée. Le baromètre est très-bas, et 
le temps toujours frais, au point que M. Aymeri porte la houppelande, 

A propos de baromètre, M. Garnier m'apprend que, dans ces mers, la 
hauteur moyenne barométrique est de 758%", 7. 

19 juin. — Temps couvert. Baromètre (à 2 heures) 754"*. Rien de 
nouveau. 

20 juin. — (à neuf heures et demie) Barom. 756" ; therm. 23°. Nous 
prenons, dans notre maison, une grosse Couleuvre que je mets en bouteille 
pour le Muséum. 

21 juin. — (Neuf heures.) Bar. 756". ; therm. 22°. 

22 juin. — (Neuf heures.) Bar. 754""; therm. 25°. Aujourd’hui il fait 
chaud, et la journée est fort belle. En compagnie de mon confrère, M. Taglia- 
bue, je fais une course à Sikawé, où les pères jésuites ont un grand et bel éta- 
blissement. J'observe en route qnelques petites troupes de Cyanopica Cyanea, 
qui parcourent familièrement et en babillant les haies et les arbres de la plaine; 
et dans un village, les Friquets (Passer montanus) offrent le curieux phéno- 
mène qu'ils sont presque tous atteints de mélanisme ! Dans le magnifique jardin 
du collége, on cultive plusieurs plantes européennes, que je n’ai pas encore 
vues en Chine, comme : le Dalhia, le Peuplier d'Italie, le Cerisier, etc. Le 
P. Pfister, mathématicien et astronome, s’occupe aussi d’entomologie; tandis 
que le P. Eudes est actuellement en train de collectionner les Poissons du 
Yangtzékiang. J'espère que leurs recherches profiteront aussi à nos collections 
nationales du Muséum. — On me parle encore du projet qu’on a de fonder à 
Nan-kin un institut scientifique, destiné à étudier la Chine sous tous ses 
aspects. 

Je trouve sous les pierres humides quelques Annélides, blanchâtres et très- 
longs, en forme de tænia : on m’apprend que c’est une espèce abondante au 
pays. 

23 juin. — Temps couvert et très-chaud ; vent de midi. 

Je fais mes préparatifs pour m'embarquer ce soir, pour le Kiangsi, sur 
un de ces grands bateaux de la compagnie Russel, qui font le service de 
Hankeou. M. Aymeri obtient pour moi, en ma qualité de missionnaire, la 


BULLETIN. 27 


demi-place, et je ne paye que 25 taëls au lieu de 50 taëls (400 francs), qui 
est le prix ordinaire. Ce serait encore fort cher pour l’Europe ; car il ne s’agit 
que d’un trajet de deux ou trois jours. 

Nos sœurs de charité tiennent, à Changhay, l'hôpital européen. Je vais 
les saluer et prendre leurs commissions pour le Kiangsi, où l’on songe à fon- 
der aussi une maison de sœurs. Depuis le départ de la sœur de Jaurias pour 
Pékin, c’est la sœur Pasquier qui est supérieure ici; et, parmi ses compagnes, 
je reconnais avec plaisir la sœur de Mervé, qui nous avait tous tant édifiés 
par son dévouement pendant notre longue traversée de France en Chine. Dans 
le monde, on donne facilement le nom de vertueuses aux personnes qui se 
consacrent aux œuvres de charité; mais il est toujours très-diffcile de sacri- 
fier, pour Dieu et le prochain, tous ses plaisirs, toutes ses satisfactions, pres- 
que toutes ses légitimes sympathies, et pendant toute sa vie... Le monde ne 
peut guère comprendre cela complétement. 

Vers le soir, grand orage et pluie, je m'embarque à huit heures. 

24 juin. — Pluie dans la matinée et presque tout le jour. Quoique tout 
le monde se soit embarqué hier soir, ce n’est que ce matin après minuit que 
le Hirado (nom Japonais de notre steamer) s’est mis en mouvement. Nous 
naviguons rapidement contre le courant de cet immense fleuve, dont nous ne 
pouvons encore presque point apercevoir les rives. Je suis le seul voyageur 
européen dans les grandes cabines; mais les petites cabines regorgent de 
Chinois, qui y fument tranquillement leur opium aux vapeurs nauséabondes, 
que le vent porte jusqu’à nous par bouffées. 

Le soir, on stoppe un moment devant Tchenkiang et Nankin, pour y 
prendre et laisser des hommes et des effets. Il monte quelques nouveaux VOya- 
geurs européens; je ne suis plus seul avec le brave M. Mac-Queen, Ecossais, 
commandant du vapeur. M. Diniz, bon catholique portugais, le juif Elias et 
le nouveau consul de Kiou-kiang, sont venus augmenter notre société. 

25 juin. — Aujourd’hui, notre navigation devient plus intéressante : le 
fleuve a ses bords plus rapprochés, l’on voit des montagnes au sud. Le temps 
est couvert, mais sans pluie jusqu’au soir, où il y a encore orage. Pendant 
l’averse, j’aperçois deux Marsouins d’une couleur blanchâtre ; nous sommes 
pourtant déjà bien loin de la mer. 

Près de Tatoung, d’où l’on va à Taï-ping, et près de Mokou (qui donne 
son nom à un thé) se voient de hautes montagnes, dont l’une a la crête très- 


28 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM, 


hérissée, en forme d’un peigne gigantesque. Quel excellent endroit pour des 
recherches d'histoire naturelle! J'espère que le P. Eudes ne manquera pas 
d'explorer ces régions qui appartiennent à sa mission. Déjà, près de nous, les 
côtes nous apparaissent couvertes d’une abondante végétation de broussailles, 
spectacle dont je n’ai jamais joui dans le nord de l’Empire où partout il y 
a pénurie de plantes. Plusieurs grands Papillons noirs, viennent voltiger sur 
notre navire à trois étages, qu'ils prennent sans doute pour un bosquet 
flottant. 

26 juin. —- Menace de pluie dès le matin, Ce sont les frontières du Kiangsi, 
que nous longeons déjà à notre gauche; bientôt nous passons devant l'ouver- 
ture du fameux lac Poyang, dont l’entrée est signalée par une tour placée 
pittoresquement sur un roc isolé. Les bords méridionaux de cette petite mer 
intérieure, font de loin, l'effet de falaises abruptes et nues. 

En nous approchant de Kiou-kiang, on aperçoit les bords du fleuve com- 
posés d’une terre de plus en plus rouge et pauvre. Ici la végétation paraît 
bien moins riche que celle que nous avons admirée hier. 

C’est à sept heures et demie, que nous arrivons et stoppons devant la ville 
des neuf fleuves. Mon bon et cher confrère, M. Rouget, averti de mon voyage, 
vient à ma rencontre au bateau, malgré une petite pluie fine qui mouille bien. 
Me voilà vite débarqué et rendu à l’aquatique résidence épiscopale de 
Mgr. Baldus, où il est superflu d'observer que je recois du respectable et 
savant vicaire apostolique du Kiangsi, l'accueil le plus paternel et le plus 
cordial; en un mot, je me retrouve en famille. 

La ville de Kiou-kiang est l’un des ports intérieurs ouverts au commerce 
européen; il y à là un petit nombre de maisons bâties à la manière occi- 
dentale : celle des missionnaires est de ce nombre. Elle est commode et assez 
grande pour y loger le séminaire du vicariat, qu’on y a transféré de l’intérieur 
de la province, où les chrétiens sont toujours plus ou moins molestés par une 
fraction des lettrés. 

La ville est construite, à côté du Yangtzé, sur plusieurs petites collines ; 
elle est entourée d’une muraille irrégulière, baignée par le fleuve du côté du 
nord, et du côté de l’est et de celui de l’ouest, par deux lacs d’eau limpide. 
Mais la plus grande partie de la population chinoise vit hors de l’ancienne 
enceinte, sur cette langue de terre étroite qui s’étend à l’ouest de Kiou-kiang, 
entre le fleuve et le grand lac. La position de cette ville, chef-lieu du dépar- 


BULLETIN. 29 


tement des Neuf-Rivièrex, en faisait autrefois un entrepôt d’un commerce im- 
portant et un riche centre de population. Mais cette grande prospérité a été 
anéantie dans la dernière guerre des rebelles Taï-ping, et il faudra longtemps 
pour qu'elle renaisse. 

Les petites collines qui bordent le Yangtzékiang, s'élèvent à mesure 
qu’on s’en éloigne vers le sud et le sud-ouest. Là, l'horizon est fermé par les 
sommets du Luc-han ou Ly-chan, la montagne la plus considérable du Kiangsi, 
qui me paraît avoir environ 4200 ou 1500 cents mètres d'altitude. 

Du côté du nord, au delà du fleuve, le pays est parfaitement plainier, 
et ce n’est qu’assez loin qu’on y aperçoit une chaîne de montagnes, vers le 
nord-ouest; elles appartiennent à la province du Houpé. 


KIANGSI KIOU-KIANG. 


27 juin. — Barom. 750"" ; therm. 27°. Beau temps. 

Ma première journée du Kiangsi est toute employée à reconnaitre 
les productions des environs de Kiou-kiang, avec un empressement et une 
avidité que le naturaliste peut seul comprendre : ce pays est si différent de 
ceux que j'ai examinés jusqu'ici! Et d’abord, je fais une excursion dans l’in- 
térieur de la ville murée qui est à peu près déserte depuis que les Taï-ping 
l'ont saccagée et brûlée. La plupart des habitations chinoises, sont rangées le 
long du fleuve et près de la concession européenne. La population ne paraît 
pas hostile aux Européens, quoique son naturel paraisse plus ardent que 
dans le Nord, les enfants, en particulier, paraissent sensiblement moins rete- 
nus et plus tapageurs qu'à Pékin; ils folâtrent et se querellent presque autant 
que des Européens. 

Je trouve ici une végétation presque toute nouvelle pour moi. Les lacs 
d'eau claire sont couverts de Trapa bicornis sur lesquels je vois courir des 
gracieux Parras (Hydrophasianus sinensis), aux longs doigts armés d'ongles 
démesurés. Les Chinois donnent le nom de Faisans d'eau (Choui-ki) à ces 
oiseaux noirs el blancs avec une tache dorée sur le cou, et dont la queue mince 
est très-lonzue. Quelques petites Sarcelles (Vettapus coromandelianus), à tête 
et collier noirs, butinent aussi parmi ces herbes aquatiques et volent successi- 
vement du lac sur les toits des maisons, et de là à l’eau. 


30 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


L'une des plantes les plus communes, est l’Ortie blanche ou Tchou-ma 
(Urtica nivea) ; elle-croit dans tous les vieux murs, dans tous les fossés. Je 
remarque plusieurs Fougères nouvelles pour moi, entre autres, l'espèce grim- 
pante, si délicate et si élégante ; plusieurs Rosiers, Ronces, Clémaltites, Aristo- 
loches, Smilax, Cucurbitacés, différant de leurs congénères du Nord. Je songe 
tout d’abord à récolter et préparer des échantillons de toutes ces plantes pour 
l'herbier du Muséum. 

Comme le pays est complétement déboisé, les oiseaux sont peu nombreux ; 
ceux que j'aperçois aujourd'hui, outre les espèces aquatiques déjà notées, 
le Martin-pêcheur vulgaire, et les Hérons blanc et cendré, sont : Acridotheres 
cristatellus, 1x0 sinensis, Suthora webbiana, Garrulax perspicillatus, Embe- 
riza cioides, Tinnunculus alaudarius, les Hirundo quitturalis et Daurica. Les 
Martinets communs de Pékin manquent ici comme à Changhay. 

Le Milan noir (M. melanotis) est aussi abondant ici que dans tout le reste 
de la Chine. Le seul Moineau du pays paraît être le Friquet, Passer montanus ; 
les Corbeaux sont, le C. sinensis, et le C. torquatus. La Pie commune (Pica 
media?) ne semble pas abondante ici comme dans le Nord. ER 

En fait d'insectes, je capture le Papilio Xuthus qui est très-nombreux, 
ainsi que le Thaïs Telamon, jolie espèce à longues queues, que je pensais jus- 
qu'aujourd'hui propre seulement à la Chine septentrionale. Je prends aussi 
les Piérides du chou et de la moutarde, les Vanesses et Atalante, le Colias 
de Pékin, un Macroglossa nouveau, etc. Les principaux Coléoptères qui 
m'offrent des formes nouvelles pour moi, sont deux Longicornes, deux Cétoines, 
deux Anomala. Il y a énormémement de Libellules, une entre autres qui à les 
ailes noires; ces méchantes bêtes détruisent les Lépidoptères. 

Mais, je ne dois pas laisser les Papillons sans noter que, parmi les espèces 
prises aujourd’hui, il y en a encore trois qui me paraissent les mêmes qu’en 
Europe : Polyommatus phoas, Satyrus phodra, et Argynnis adippe. 

Une jolie petite Cigale verte que j'ai récoltée abondamment à Changhay 
dans les herbes, ne se voit plus ici que rarement. 

En somme, quoique je sois assez content de ma première journée, je 
comprends déjà qu’il n’y aura point de grande nouveauté à me procurer dans 
ce pays; et je reporte mes principales espérances aux lointaines montagnes 
thibétaines. .. Toujours le futur ! 


Dans la conversation du soir, qui roule naturellement sur les objets de 


BULLETIN. 31 


mes recherches, monseigneur Baldus me dit que, dans la partie le plus occi- 
_dentale du Honan, où sa grandeur a résidé longtemps, avant de venir au 
Kiangsi, il existe des poissons-crieurs ! que les Chinois appellent oua-oua-yu, 
et qu’il en a même mangé. Qu'est-ce? des salamandres peut-être? — Nous ver- 
rons plus tard; cette information mérite attention. Monseigneur raconte aussi un 
curieux trait de mœurs des animaux, dans une région montueuse de son ancien 
vicariat : les chrétiens ayant pris ses petits à une louve, celle-ci parvint à 
trouver la maison où on les avait portés; mais ne pouvant reprendre ses petits, 
elle enleva ceux d’une chienne de la maison, les emporta dans* sa caverne et 
les éleva comme siens. Ces chiens furent vus plus tard ; et ils étaient sauvages 
comme de véritables loups; leur voix avait même un peu changé. On leur 
donna la chasse, et c’est avec beaucoup de peines qu’on parvint à en tuer 
deux. | - 

28 juin. — (à dix heures) Bar. 750""; therm. 25°. 

Ciel couvert au matin ; plus tard, pluie. 

Malgré le mauvais temps, je continue mes chasses. Les Sarcelles des toits 
sont nombreuses; j'en prends des échantillons. Ce sont des oiseaux peu sau- 
vages et dont quelques individus restent en permanence au haut de notre 
chapelle. , . 

Je vois passer deux Dicrurus que je prends pour le D. macrocercus. 

29 juin. — Bar. 749°*, Temps frais. 

Je tue deux Parrus d’un coup ; un troisième à mon approche plonge et 
disparaît sous l’eau pendant plusieurs minutes, pour aller reparaître au loin. 
Je suis étonné de voir faire ce manége à ces oiseaux dont les doigts ne sont ni 
palmés ni lobés. 

30 juin. — Barom. 750"*. Le temps se remet au beau. 

Le Ly-chan montre pour la première fois sa cime à nu. Je continue mes 
recherches sans grands résultats. 

4® juillet 1868. — Barom. 751"*. Temps chaud et ciel serein. 

Excursion à Nazareth avec les séminaristes et leur directeur M. Rouget. 
On a donné ce nom de Nazareth à une maison qu'on à bâtie à l’européenne 
vers l'extrémité méridionale du lac, et qui a logé aussi quelques années les 
élèves du séminaire. Aujourd’hui elle leur sert de lieu de promenade. À une 
lieue plus au sud encore, il y a la sépulture d’un célèbre lettré du pays, qui 
est environnée de grands arbres, presque les seuls du canton. S'il ÿ a donc 


32 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


des oiseaux dans la région, c’est là qu’ils doivent concourir. Je pousse jusque- 
là avec nos jeunes gens. Les petites collines que nous parcourons sont cou- 
vertes d'une meilleure végétation; il y a quelques Chênes, de petits Châtai- 
gniers qu'on coupe tous les ans et qui donnent néanmoins d'excellents petites 
châtaignes, des Pins à feuilles minces (P. sinensis), le beau Cunninghamia 
sinensis, une sorte de Platane à feuilles triangulaires, ou Liquidambar, et quel- 
ques autres essences inconnues de moi. Le Camphrier, qui abondait naguères 
dans ces régions, a complétement disparu par les ravages des rebelles, 
Plusieurs sortes de Xanthoxylon abondent dans les haies, et le Melia Azedé- 
rach? auprès des habitations. Ce qui m'étonne, c’est de ne rencontrer ici aucun 
exemplaire de l’Ailante, arbre si rustique et si commun dans tout le Nord. 

Quoique le soleil soit chaud, notre promenade est délicieuse. Avant de 
repartir, pour diner à Nazareth, je tue dans le bosquet funéraire un Geai, 
Garrulus sinensis, d'une espèce que je n’avais pas encore rencontrée; car celui 
de Pékin est le G. Brandti qu'on retrouve jusque dans la Sibérie. Les autres 
oiseaux acquis ce matin sont : le Cyanopica cyanea, V’Ixos sinensis, le Pako 
ou Acridotheres cristatellus, et un Milvus mélanotis. 

Chemin faisant, nous prenons aussi un très-joli Lézard, Tachydromus 
sex-lineatus, à longue queue très-mince, inconnu dans le Nord; il est gris en 
dessus, vert aux flancs, et vert pâle en dessous; il aime à grimper dans les 
buissons avec agilité; tandis que le seul petit lézard gris ocellé de Pékin 
(Eremias variabilis), a des goûts tout à fait terrestres. Nous récoltons encore 
quelques insectes nouveaux, entre autres, un Curculionide d’assez forte taille 
qui abonde sur les chatons du châtaignier nain qui couvre une partie de ces 
collines. 

J'observe que, ici comme dans le reste de la Chine, l’Acacia Julibrizin 
ou de Constantinople, est fort commun; est-ce son pays d'origine ? 

Il est presque nuit quand nous nous éloignons de Nazareth et de ces 
rizières où les Grenouilles commencent déjà leur ramage, auquel se mêle le 
cri si fort de la Foulque, Fuliea atra. Nous mettons une demi-heure à traverser 
en baleau le lac Tranquille, qui nous mène jusqu’à la porte même de notre 
maison. 

2 juillet. — Barom. 754""; therm. 29° 1/2 (à dix heures.) 

Ciel couvert au matin et vent assez fort; plus tard le temps devient plus 


chaud, et dans ma chambre le thermomètre monte jusqu'à 31°. Journée em- 


BULLETIN 33 


ployée en préparations; je vois un vol de Hérons gris se nsrviné vers l’ouest, 
en se tenant en forme de V à la manière des Grues. 

3 juillet. — Barom. 755" ; therm. 32°; vent du sud-ouest. Ciel serein. 

Pas de nouveañtés, si ce n’est que, pendant que je suis à herboriser, je 
rencontre des Chinois, qui portent des charges de tiges de haricot chanvre. 
Ges haricots, qui croissent spontanément et en abondance dans toutes les col- 
lines incultes, poussent de très-longs sarments ligneux dont les indigènes obtien- 
nent des fibres textiles, avec lesquelles on fait des tissus très-estimés et 
extrêmement solides. Voici comment on me dit qu’on procède pour extraire le 
fil: On suspend ces tiges à des cordes tendues autour d’un feu; et quand 
elles se sont ainsi chauflées peu à peu, les femmes chinoises séparent et divi- 
sent, avec leurs longs ongles, l'écorce qui vient facilement et qu’on lave après 
à l’eau. Ces longs fils naturels se tissent sans être tordus. 

h juillet. — Barom. 755"" ; therm. 31°: Vent sud-est. 

Ce matin, je tue sur le lac un second Parru en parfait état; un autre 
blessé disparaît sous l’eau, sans que je puisse voir où il en ressort pour respirer : 
ces beaux oiseaux peuvent donc y retenir leur respiration pendant plusieurs 
minutes. Je remarque que dans cette espèce d'Aydrophasianus, les mâles sont 
sensiblement plus petits que les femelles. Ces oiseaux ont le vol plus soutenu 
et plus haut que les Poules d’eau; il poussent souvent un cri fort, une sorte 
de ricanement très-curieux, qu'on entend aussi quelquefois la nuit, 

Mon domestique Ouang Thomas, ce même jeune Pékinois qui m'a 
accompagné dans le voyage de Mongolie, m'aide beaucoup, quand il le veut, 
dans mes chasses aux Insectes et aux Reptiles : rien n'échappe à ses yeux de 
lynx. Aujourd’hui il me porte, entre autres choses, la première Reinette que 
j'aie vue en Chine, c’est je crois, celle que les auteurs anglais distinguent 
sous le nom d’AHyla sinensis. Elle est d’un vert pâle en dessus, d’un blanchâtre 
argenté en dessous, avec une raie noirâtre dans la région des oreilles. Elle 
me paraît différer peu de l'espèce commune d'Europe, si tant est qu'elle 
en difière. 

Aujourd’hui, je vois encore entre les mains d’un enfant un échantillon du 
Rat commun du Kiangsi, qui n’est point le même qu'à Pékin. Il est surtout 
reconnaissable à la couleur roux de rouille qui s'étend de son cou sur son 
dos. ; 
5 juillet. — Barom. 754"; therm. 29 1/2°. 


vHi. 


34 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Le matin le ciel est couvert, l'atmosphère tranquille, le Ly-chan caché 
dans les nuages; dans l’après midi, vent violent de nord-est. En allant ce 
malin dire la messe dans l'établissement de lorphelinat, dans l'enceinte de la 
ville ancienne, je trouve croissant en abondance dans le jardin un Sureau 
yèble qui me paraît identique avec lespèce européenne. Mais il est impos- 
sible de décider la question d’identité sans avoir sous les yeux les objets de 
comparaison; aux deux extrémités de l’ancien continent la plupart des espèces 
végétales et animales doivent être différentes, quant à l’Yèble, je ne l’ai point 
observée dans la Chine septentrionale où croissent deux espèces de Sambucus, 
le S. racemosa, aux montagnes, et le S. Williamsii, dans la plaine. 

C'est aussi sous les décombres de ce même jardin qu’on prend pour moi 
une vipère très-venimeuse, le Trigonocephalus Blomhoffi, espèce que j'ai 
envoyée autrefois à Paris, provenant de la Mongolie. 

Cet orphelinat de Kiou-kiang n’est pas très-nombreux, les enfants qu’on 
_ y élève avaient été dispersés au temps des rebelles et à cause de la mauvaise 
volonté des lettrés du pays, de leur ancien établissement qui était à l’intérieur 
de la province. Les pelites filles abandonnées par leurs parents et recueillies 
par la charité chrétienne, sont assez nombreuses. Ici, à défaut des sœurs de 
charité, ce sont de bonnes femmes chinoises, qui les élèvent et les instruisent 
jusqu'à l'âge où on les marie. Malgré cela, la malignité chinoise des païens, 
ne manque pas de dire que les missionnaires ne recueillent ces pauvres aban- 
données que pour les envoyer aux lupanars d'Europe. Ils nous jugent d’après 
eux-mêmes; car ce n’est que dans un mauvais but qu'eux sauvent la vie aux 
petiteslilles d'autrui, chez lesquelles ils trouvent quelque disposition à la beauté. 
Quant aux petits garcons, les Chinois de cette contrée en exposent fort peu 
depuis que la guerre de rebelles a terriblement décimé le nombre des hommes 
dans les familles; aussi, le directeur de l’orphelinat me dit-il que, quand quel- 
qu'un des enfants de l'établissement parvient à l’âge de puberté, et qu'il est 
doué de qualités physiques suffisantes, il est avidement demandé pour être 
adopté par les familles chrétiennes dont les fils ont été tués pendant les 
troubles. 

6 juillet. — Bar. 753%"; therm. 29°. Temps orageux; vent du nord- 
est, il pleut le soir, 

Pour être plus rapproché des montagnes et avoir plus de facilités pour 
mes recherches d'histoire naturelle, je me résous et me prépare à aller m’éta- 


BULLETIN ET 


blir dans la maison, ou villa, de Nazareth où je me trouverais en pleine cam- 
pagne. Le local, que j'ai visité dernièrement, offre toutes les commodités 
voulues pour mon but; il y a une chapelle où se réunissent les quelques chré- 
tiens de l'endroit. Là, je ne serai qu'à une lieue, ou même moins, de la 
résidence épiscopale de Kiou-kiang, d’où il faudra que je tire toutes mes 
ressources d'alimentation pour moi et mon Chinois. Je fais donc aujourd'hui 
une bonne provision de riz, qui est bon et pas cher ici, de fromage, de hari- 
cots, d'ail confit dans le vinaigre, de thé et de sucre. Quoiqu'en Chine, nous 
prenions toujours le thé sans sucre. J'ai l'habitude d'acheter du sucre chi- 
nois partout où j'en trouve, pour boire de l’eau sucrée en guise de vin; car 
je me trouve mal d’user des boissons que les Chinois extraient des grains 
fermentés : malheureusement, il n’y a pas de sucre partout. Mais, ici comme 
ailleurs dans l’intérieur de la Chine, point de lait, point de vin de raisin, point 
de viande bovine si ce n’est par exception; item, pour le pain. Cependant, à 
Kiou-kiang un Cantonnais fait du pain à l'européenne pour les étrangers du 
port; mais il le vend à un prix si exorbitant, que je renonce à m'en pourvoir 
habituellement. Par bonheur, on trouve à acheter au pays quelques œufs, dif- 
férentes sortes de cucurbitacées; mais presque point de poisson en cette saison, 

7 juillet, — Bar. 750%; therm. 29°. Il pleut au matin et vente. Cest à 
trois heures et demie que je m’embarque dans le bateau de la maison, pour 
me transporter, avec tout mon avoir, dans mon ermitage de Nazareth. Un 
confrère chinois, le P. Yen, chargé de la procure de la mission, veut bien 
m'accompagner pour m'y établir au mieux. Mais à peine avons-nous dépassé 
le milieu du lac, tranquille jusque-là, que le vent devient violent et tourne 
contre nous ; bientôt, malgré les efforts de notre rameur, robuste mais peu 
expérimenté, nous nous trouvons poussés rapidement et engagés dans un 
dédale inextricable d’épaisses herbes aquatiques. Nous sommes là en dan- 
ger de chavirer et exposés à l'ouragan et à la pluie qui recommence, jusqu'à 
ce que nous parvenions à nous approcher de terre. Là nous louons un autre 
bateau qui essaye, mais en vain, de remorquer le nôtre malgré la brise. 
Enfin, par le secours d’un autre batelier de l'endroit qui connaît parfaitement 
les sinuosités praticables au milieu de ces lourds végélaux flottants, nous 
parvenons à nous dégager de l'embarras et à nous diriger à notre port, vers 
la pointe méridionale du lac. De là à Nazareth, il n'y a plus que vingt 
minutes de chemin; mais à cause de la pluie qui est tombée, les sentiers 


36 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


tracés à travers les rizières sont tellement boueux, glissants et peu commodes, 
qu’il est déjà bien tard quand nous et nos bagages sommes tous rendus à 
notre nouvelle demeure. Ce sont nos braves chrétiens qui nous aident à cela, 
non ‘pas gratis, mais avec un dévouement que nous ne pourrions attendre des 
autres Chinois. Chemin faisant, je trouve un Serpent curieux tué et trop abîmé 
pour que je puisse en profiter pour mes collections : il est petit, la queue finit 
brusquement et sans pointe mince ; il est d’un rouge orange au ventre et 
d’un noir d'acier en haut. Une femme chinoise qui vient de tuer ce reptile, 
me dit que c’est une espèce très-venimeuse. 

8 juillet. — Bar. 747"; therm. 26°. Pluie la nuit, toute la matinée et 
tout le jour, et très-forte. 

Le mauvais temps et les travaux d'installation nous empêchent de presque 
rien faire aujourd’hui pour nos collections. Dans l'intervalle des averses de 
l'après-midi, je sors sur les petits tertres verdoyants qui entourent la maison: 
peu d'insectes, quelques plantes inconnues, entre autres, un véritable petit 
Arbutus, genre que je n’avais pas rencontré précédemment en Chine. Dans le 
doute que c’est une espèce non encore décrite, je la désigne dans mes notes 
sous le nom de Arbutus kiangs'nensis. 

Le Faisan commun de Chine, Phas. torquatus, paraît abondant dans ces 
alentours ; pendant la pluie d'aujourd'hui, j'en vois qui s’approchent jusque 
tout près de ma fenêtre ; mais je me garde bien de les tirer, ayant pris pour 
principe de ne jamais tuer un animal qui ne m'est pas nécessaire pour mes 
collections d'histoire naturelle. Je trouve moins de peine à me nourrir au 
besoin de seul riz où de seul millet, que de tuer pour ma table ces pauvres 
créatures qui jouissent si joyeusement de la vie à laquelle elles ont droit et 
qui ne ne nuisent pas à la nature qu’elles embellissent au contraire. Cela 
n'accommode pas toujours mes gens, quand il s'agit de Faisans surtout ; mais 
je tiens ferme à ma méthode. 

C'est aujourd’hui que je rencontre le premier échantillon de cette splen- 
dide Cicindèle chinoise, si abondante dans les provinces méridionales, mais 
inconnue à Pékin et dans ses environs. Là, vit lespèce non moins belle, aux 
élytres rouge de feu, qui ne paraît être qu'une variété du €. tricolor de Si- 
bérie. Cinq autres espèces du même genre, propres au nord de l’Empire, ne 
paraissent pas exister sous cette latitude où, sans doute, j'en trouverai d’autres 
nouvelles pour moi. 


BULLETIN. 37 


9 juillet. — Bar. 747%; therm. 27° (à 8 heures). 

Pluie encore aujourd’hui et pendant toute la journée : c’est dommage. Je 
ne puis pas exécuter notre projet d’excursion concerté pour ce malin , c'est- 
à-dire aller jusqu’au pied du mont Ly-chan; cependant mon temps n’est pas 
tout à fait perdu. 

Augustin, l’un des serviteurs chrétiens de la mission, vient de la ville me 
porter, avec des provisions de bouche, une Tortue en vie : elle est d'un brun 
verdâtre, avec le cou vert et les yeux d’un jaune clair. C’est l'Emys Revesii, 
espèce commune dans les rizières du Sud. Il a aussi un autre exemplaire de 
Vipère, prise à l’orphelinat, ainsi que des Geckos, Platydactylus japonicus. La 
teinte générale de ces derniers est un noirâtre velouté avec des taches et des 
points gris comme aussi les yeux; j'observe que dans l'alcool ces couleurs se 
changent en gris marbré de brun. 

D'après mon Chinois, il se trouverait dans ce pays trois espèces de Tor- 
tues ; mais je crois qu'il se trompe et que les caractères de couleur qu’il m'in- 
dique ne sont que des différences d’âge d’une seule et même espèce. Je mets 

de côté, bien entendu, la Tortue exclusivement aquatique, et qui est la même 
qu'à Pékin, et en Mongolie dans le Hoang-ho, le Gymnopus perocellatus. 
Quant à la jolie petite espèce à poils que m'a montrée à Pékin Lady Alcock, 
et qui provient des affluents du Yangtzé, je n'ai pas assez de données pour 
former mon opinion sur sa distinction. 

La pluie continue jusqu’à la nuit. Vers le soir j'aperçois dans le riz un 
Héron noirâtre que je ne reconnais pas; le Macroule aussi y est, et nous 
régale jusque fort tard et même pendant la nuit, de son sonore et monotone 
chant ou cri, avec un immense accompagnement de coassements de Gre- 
nouilles qui se trouvent égayées et ragaillardies par l’abondante pluie. 

Je remarque encore ce soir le chant à trois notes d’un Coucou ; l'espèce 
de Pékin est la même qu’en Europe, et crie à deux notes comme elle. Mon oiseau 
d'aujourd'hui est peut-être le Cuculus micropterus de Gould dont M. Swinhoe 
parle dans ses écrits sur l’ornithologie chinoise. 

10 jüillet. — Bar. 746°*; therm. 26 1/2° (à 8 heures et demie). 

Encore la pluie aujourd’hui, et une pluie diluvienne. Cela diminue sin- 
gulièrement ma besogne du jour : j'ai le temps de réfléchir à autres choses 
qu’à celles du moment. Je ne suis distrait que par le bruit des goultières et 
par les coassements incessants et polyphones des Grenouilles qui fourmillent 


33 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


ici non-seulement dans les rizières, mais jusque dans la maison où elles 
s’aventurent hardiment, 

L'humidité accrue par ces pluies torrentielles fait répandre partout ces 
petits animaux; ils grimpent jusque sur les collines, et il est diflicile de 
trouver un mètre carré de terrain où l’on ne voit sautiller lestement un 
batracien qui vient fièrement empiéter sur le domaine d’autrui..… 

Leurs ennemis homériques ne font pas non plus défaut; non pour se 
battre contre ces innocents amphibiens que protége la grosse pluie, mais pour 
infester tous les recoins de notre grande maison. Ils en percent en tous sens 
les murailles de brique non cuite et les tendres boiseries de Cha-mou ou 
Cunninghamia lanceola. La nuit dernière a été fort bruyante par les ébats de 
ces héros de la Batrachomyomachie ; il semble que les Rats et les Souris de tout 
le canton se soient donné le rendez-vous dans les salles désertes et délabrées 
de cette grande masure. Jadis les missionnaires y élevaient les jeunes Ghi- 
nois choisis dans tout le vicariat pour étudier le latin et les sciences néces- 
saires pour entrer dans la carrière ecclésiastique. 

Mais je laisse là mes importuns tapageurs pour m'occuper de Eu. 
kiang et de ses alentours. 

Cette ville est fort ancienne et très-renommée dans toute la Chine; elle 
devait être considérable, à en juger par les murailles qui subsistent toujours. 
Mais ce qui reste aujourd’hui de la ville intérieure se réduit à fort peu de 
chose : il n’y a guère plus qu’une longue rue principale près de la porte la 
plus rapprochée du fleuve Bleu dont les eaux baignent ses remparts au nord, 
comme je l'ai déjà noté. Tout le reste de l’intérieur de l'enceinte consiste en 
collines qu’on laisse incultes en grande partie. 

Nos Chinois nous disent que ce sont les rebelles Taïpings qui ont ruiné 
la ville : mais il est à croire que, dès avant les ravages de ces saccageurs, 
une bonne partie en avait déjà disparu. Peu à peu la population commer- 
çante s'était transportée en dehors des murailles, le long du grand fleuve, où 
se font à peu près toutes les affaires du pays. C’est là que se trouve aussi la 
concession anglaise sur laquelle s'élèvent une douzaine de maisons euro- 
péennes habitées par autant d'Occidentaux. Parmi ceux-ci comptent le per- 
sonnel de la mission catholique et celui de la chapelle protestante. 

Avant que nos missionnaires transportassent ici leur résidence principale 
et épiscopale, il n’y avait point de chrétiens dans la contrée. 1l y en à main- 


BULLETIN, 39 


tenant un certain nombre de nouveaux, auxquels se sont ajoutés plusieurs 
familles anciennes transmigrées du Houpé, et s’en ajouteront d’autres qui 
ont demandé à se faire instruire dans la religion, car, il s’est manifesté un 
certain mouvement de conversion dans plusieurs lieux des environs. 

Les voisinages de Kiou-kiang sont assez remarquables : une série de 
lacs qui s'étendent sur la rive méridionale du Yangtzékiang, où est bâtie la 
ville, en font une région tout aquatique qui pourtant n'est point malsaine, 
Tous ces lacs communiquent avec le grand fleuve et en suivent le niveau qui 
varie considérablement aux différentes saisons de l’année. De vertes prairies 
flottantes de Trapa bicornis (chàtaignes d’eau) couvrent de grandes surfaces 
de ces eaux claires, et servent de refuge à l’élégant Parru de Chine, au cou 
d'or et à la queue longue, comme je l'ai déjà remarqué. L’Aigrette aux blancs 
panaches, le Héron gris, le Martin-pêcheur et quelques Macroules, sont les 
seuls oiseaux aquatiques qu’on apercoive sur le lac en cette saison, car la 
jolie petite Sarcelle à collier noir (Wettapus coromandelianus) n’y descend que 
rarement; elle aime plutôt à rester sur les toits les plus élevés de la ville et, 
en particulier, sur notre église. 

On devrait s'attendre à ce que l’on fût dévoré de cousins et de mous- 
tiques dans un pays si aqueux. Il n’en est pourtant rien, et voici, je crois, la 
raison : ces incommodes tyrans, suceurs de sang humain, ont besoin, pour se 
multiplier, d'eaux stagnantes où leurs larves puissent se développer à leur aise; 
mais nos lacs sont peuplés d’une multitude de poissons grands et petits, et 
de chevreites non moins nombreuses, qui ne cessent de faire une guerre à 
outrance à tous les insectes aquatiques, et détruisent ainsi la progéniture des 
mouches parasites. Voilà comment je m'explique la rareté des moustiques à 
Kiou-kiang. 

Ici, au contraire, nous nous trouvons dans cette campagne de Nazareth 
au milieu de rizières et de pelits étangs sans poissons, où les cousins naissent 
et se développent en grand nombre, pour le tourment des voisins. 

Le territoire kiangsinois s'étend encore quelques lieues au nord au delà 
du fleuve; et un village, à trois heures de distance d'ici, se trouve être la 
limite de trois provinces : Houpé, Ngan-hoei et Kiangsi. Une chaîne de mon- 
tagnes moyennes termine la plaine du nord, non loin du Yangtzé. Au sud 
les hautes montagnes sont encore plus rapprochées et ont pour contre-forts 
des collines très-accidentées qui arrivent jusqu’au fleuve. C'est sur elle et au 


40 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


milieu d’elles qu'était placée l’ancienne ville de Kiou-kiang dont les murailles, 
en bon état encore, suivent en serpentant les accidents et les ondulations 
capricieuses du terrain. 

Le sol, miné par les eaux le long du fleuve, laisse voir une sorte de pou- 
dingue ferrugineux très-rouge et fort compacte, qui dans certains endroits 
est formé d’une multitude de petites géodes : c’est, je crois, le terrain auquel 
les géologues anglais ont donné le nom de Limerite, et qui est aussi très- 
développé dans l'Inde. 

Sur ces collines je n’aperçois pas de roches compactes; une terre meuble 
très-rouge et ocreuse recouvre un sous-sol récent de cailloux roulés. 

On me dit que, avant que les rebelles vinssent ici porter le fer et le feu, 
tous ces coteaux étaient couverts de grands arbres. On n’y trouve plus main- 
tenant que de hautes herbes et d’humbles DER avec quelques planta- 
tions récentes de Pins (Pinus longifolia). 

Un Européen ne peut pas comprendre à quel point portent l'esprit de 
vandalisme et de destruction inutile ces hordes indisciplinées de brigands 
infâmes et d’assassins impitoyables que les étrangers décorent du nom de 
rebelles. Il y a quelques années quand ils vinrent à Kiou-kiang, ils y égor- 
gèrent tant de monde, que les victimes de leur barbarie, me dit-on, remplirent 
de leurs cadavres tout le bassin du lac principal, qui a bien une ou deux 
lieues de circonférence. La province voisine du Kiangan fut encore’ plus 
maltraitée; les missionnaires et nos chrétiens m’apprennent que de vastes 
étendues de cette région, jadis si peuplée, sont actuellement changées en 
véritables déserts, infestés de panthères et d’autres animaux sauvages. 

On représente la population de l’intérieur du Kiangsi comme étant fort 
hostile aux Européens et aux chrétiens; ici, on paraît s’habituer peu à peu 
aux étrangers. 

La position avantageuse de Kiou-kiang, placé sur le grand fleuve, et à 
peu de distance du lac de Poyang, en fait un entrepôt de commerce de thé 
assez considérable ; c'est là qu’on porte aussi une grande partie de la célèbre 
porcelaine du Kiangsi. Aussi les Européens s’étaient-ils hâtés d'y faire des 
établissements qui ont pu effectuer de bonnes affaires au commencement ; 
mais leur prospérité à diminué bientôt, en même temps que le nombre des 


Occidentaux. Le commerce passe entre les mains des Cantonais et des 
autres Chinois. 


BULLETINe M 


Cette nation a la bosse du négoce; et, quand elle sera plus au courant 
des langues et des connaissances de l’Europe, il pourra bien se faire qu’elle 
absorbe peu à peu les richesses du reste du monde... Il sera difficile de 
lutter contre la sagacité des Chinois, leur prudent sang-froid et leur esprit 
d'économie. Les Anglais n’y tiendront pas, et les juifs eux-mêmes auront 
beaucoup à faire ! , 

Le caractère de ce peuple varie selon les provinces. Mais une chose me 
frappe en observant les habitants de ce pays : je les trouve, contre mon 
attente, beaucoup plus bruyants que leurs compatriotes du Nord, plus dispu- 
teurs, plus tapageurs, plus actifs en un mot dans tous les sens. Il paraît aussi 
qu’il y a plus d’esprit et de finesse, mais aussi plus de corruption. Ici, les 
enfants se harcellent continuellement et se battent entre eux, presque aussi 
souvent que les Français; et j'ai beaucoup étonné mon estimable confrère, 
M. Rouget, qui dirige depuis douze ans les séminaristes du Kiangsi, quand 
je lui ai dit que, à Pékin, il n'arrive jamais qu’un de nos élèves rompe le 
silence en temps prohibé, ou viole les règles de la plus sévère tenue dans tout 
l'extérieur. Nous avons même besoin de les exciter à se divertir en récréa- 
tion, pour le bien de leur santé ; tant est grande leur apathie et leur réserve 
naturelle et acquise. 

Mais voilà un monologue bien long et qui me porte loin de mes bêtes 
et de mes plantes! Vers le soir, une interruption de là pluie me permet de 
faire une abondante chasse de Coléoptères dans les champs inondés, Nous 
prenons aussi et préparons une Souris qui paraît être la méme que celle de 
nos maisons de France : ceci est bon à constater. 

11 juillet. — Bar. 746%; ther. 27°. Il a plu toute la nuit, et la pluie 
. continue à être torrentielle le matin, pour cesser vers le milieu du jour. Nous 
pouvons donc sortir et prendre encore maints Insectes, entre autres une sorte 
de Dytisque fort joli qui porte sur les élytres des dessins imitant des carac- 
ières chinois, et que j'appellerais volontiers pour cela Dytiscus bis-sinensis. 
Le seul oiseau nouveau aperçu est le Parus minor, espèce répandue dans tout 
l'Empire chinois, mais moins commune au sud qu’au nord. Cet oiseau diffère 
peu de la grande Mésange d'Europe qu'il remplace ici ; au lieu de jaune, il a 
du blanc sale au ventre, mais sa voix me rappelle parfaitement celle de notre 
Charbonnière. 

12 juillet. — Bar. 751"; ‘therm. 27°. Encore la pluie aujourd’hui. 

f 


VIE, 


A2 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Il y a quelques oiseaux au pays; ils sont sans doute chassés des mon- 
tagnes par le mauvais temps : le Suthora webbiana, l'Ardetta flavicolhs, le 
Parus minor, l'Emberiza civides et un grand et magnifique Hochequeue (Eni- 
curus Leschenaultü) noir et blanc et à longue queue fourchue. C’est pour la 
première fois que je vois en vie ce bel oiseau; il vient se poser et chanter plain- 
tivement sous ma fenêtre, puis il véle sur le toit de la maison voisine pour S'y 
promener péndart quelques minutes de la manière la plus gracieuse : cette 
espèce vit solitaire dans les ravins les plus profonds et près des cascades des 
montagnes méridionales. 

La pluie continue toujours, quoique le baromètre monte d’un millimètre 
à quatre heures du soir. 

13 juillet. — Barom. 752"%, Therm. 26° (9 h. du matin). 

Pluie encore et grande humidité partout; mais, vers le soir, le temps 
commence à étré moins mauvais ; quelques rayons de soleil percent les gros 
nuages et font voler le Papilio pammon, une belle Vanesse noire teintée de 
bleu, et un grand Satyre, tous papillons inconnus à Pékin. Une Belette, d’une 
couleur de cannelle uniforme, profite aussi de l’occasion pour faire un tour de 
promenade sous mes yeux : je crois qu’elle demeure à la maison où elle doit 
déranger plus d’un rat. C’est une raison pour ne pas en vouloir trop au long 
et fluet quadrupède. 

15 juillet. — Barom. 752%*. Therm. 96°. 

Après un peu de pluie au matin, le temps se remet décidément au beau. 
Mes occupations de taxidermie et mes petites chasses de détail sont aujourd’hui 
égayées par la présence de nos jeune séminaristes, que M. Rouget a menés 
passer ici leur jour de congé. Nous revoyons, mais sans pouvoir le capturer, 
notre Enicurus qui chasse aux petits vers dans les rigoles voisines : €’est un- 
oiseau égaré par la tempête. 

15 juillet. — Barom. 751%", Therm. 29° (à 9 heures). Belle 
journée. | 

Je vais passer la journée à Kin-kiang. C’est la Saint- Henri, fête du 
vénérable monseigneur Baldus. Nos élèves chinois la célèbrent avec des Khoto 
où prostrations d'usage ici, un compliment en latin et en leur langue, et sur- 
tout avec un petit extraordinaire à leur table. Ici, il faut peu de chose pour 
s'égayer, et nous participons à la réjouissance commune. Elle ne coûte ni ne 
compromet point! 


BULLETIN, 43 


Sur le lac, se voient toujours les Parrus à longue queue, et les Sarcelles 
des toits sont fidèles à leur poste, 

16 juillet, — Barom. 752"°, 5, Therm.? I] fait très-chaud et serein. 

J'ai tout arrangé pour faire au mont Ly-chan une reconnaissance qui 
durera tout le jour. Je pars de très-bonne heure avec mon Thomas, Après avoir 
dépassé les collines, déjà vues en allant au Tombeau du lettré;, nous en tra- 
versons d'autres qui sont assez garnies de Pins médiocres, puis d’autres plus 
fraiches et ombragées de Cunninghammia et d'autres petits arbres; ensuite, 
nous enfilons une longue vallée, en marchant sur un chemin pavé cà et là de 
grosses pierres, antiques reliques d’une prospérité disparue. 

En montant toujours dans ce boyau, qui est très-fréquenté de porteurs 
de broussailles, seule production de la montagne, nous parvenons à une misé- 
rable pagode habitée par trois bonzes. Cet édifice n’a rien de remarquable 
que sa position à la jonction de deux vallées inclinées et de deux ruisseaux 
d’eau claire qui s’y rencontrent, puis s’éloignent en tombant de cascade en 
cascade. [} y à pourtant, peu avant d'arriver à la pagode, un remarquable 
pont de pierre fort ançien, Je me trouvais encore sur ce pont, arrêté pour 
respirer à l'ombre des premiers grands arbres que j'aie rencontrés, et incer- 
tain si je devais me hasarder à aller troubler mes solitaires, quand j’entendis 
un aboiement profond qui semblait venir de la pagode et qui me fit aussitôt 
prendre une décision négative. Sur ces entrefaites, arrive un bonze qui, de 
l'air le plus doucereux et le plus riant, m'invite à entrer dans la pagode et à 
accepter une tasse de thé et une pipe (je dois dire que je trouve toujours 
chez les Chinois beaucoup de politesse et de bonnes manières). Je remercie le 
bonze de mon mieux, en donnant pour excuse de mon refus que j'ai grand’- 
peur des chiens. Mais, des chiens! fait-il, nous n'en avons pas à la pagode. 
— Comment? je viens d'entendre l’aboiement d’un gros chien, qui m'a fait 
trembler de tous les membres. — Je vous dis que nous n'avons point de chien. 
— Où est donc, reprends-je, la maison voisine d’où peut venir l’aboiement 
que nous avons certainement entendu, mon suivant et moi. — Oh! je com- 
prends, dit alors mon interlocuteur ; vous avez entendu la Grenouille des cas- 
cades. — La Grenouille? — Qui, rien qu'une Grenouille. Et sur ce, il se met 
à me faire la description d’une grosse Grenguille noirâtre, qui vit dans les 
cascades deces montagnes, et dont la voix est extrêmement forte et profonde ; 
elle imite à s’y méprendre le cri lointain d’un gros chien. Alors, nous, ten- 


hf NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


dons attentivement l'oreille pour écouter #i au bruit des eaux se mêle encore 
le cynique coassement à trois temps; mais rien. la Grenouille aboyeuse a eu 
vent de nos mauvaises intentions. Elle se tait et se cache obstinément dans 
ses ruisselantes cavernes; c’est en vain que, descendus dans le ravin, nous 
perdons beaucoup de temps à la chercher. Elle est rusée et rare : il faudra 
revenir une aütre fois tout exprès pour lui donner la chasse. 

Ici, comme par toute la Chine et la Mongolie, le terrain qui entoure la 
pagode est sacré, et des arbres plus ou moins nombreux peuvent y croître sans 
trop de danger. Les espèces que j'y observe (outre celles déjà rencontrées 
plus bas) sont le Sferculia à feuilles de platane, un Érable, nouveau pour moi, 
dont les feuilles sont ovales, lancéolées et simples (je la désigne dans mes 
notes sous le nom de Acer ulmifolia) ; un Chêne à feuilles de laurier et à écorce 
très-lisse. Je récolte aussi une jolie Liliacée rose, et une plante énorme de la 
même famille, qui donne de longues fleurs blanc-et-noir, peu élégantes. 

En fait d'animaux, ceux que je parviens à capturer aujourd’hui sont le 
beau Merle indigo, Myiophonus cϾruleus, le Munia topela? deux grands 
Papilio noirs, P. bianor et P. arcturus ; et un Girin de grande taille, qui 
abonde sur ces ruisseaux de montagne. Plus bas, dans le même torrent, je 
récolte en abondance une nouvelle coquille aquatique, sorte de Paludine dure 
et rugueuse. Nous rencontrons aussi à la montagne, et plus abondant que plus 
bas, le joli Lézard vert et bleu, au corps si mince et si long. 

Quoique la journée soit très-chaude et qu'aucun nuage ne voile le soleil, 
le désir d'enrichir nos collections dans cétte première montagne nous fait 
courir et fatiguer extrêmement, et beaucoup plus qu’il ne convient dans ces cli- 
mats pernicieux et traîtres. Nous commençons à sentir cela dès notre voyage 
de retour; car l’action solaire à été tellement énervante sur moi que je sens 
avec étonnement manquer. subitement toutes mes forces. Un malaise insolite 
m'accable pendant la route; plusieurs fois je m’arrête en défaillant légèrement. 
Dans une de ces pauses forcées, pendant laquelle je m'avoue à regret que 
j'aurai à me tenir en garde contre ce soleil méridional (30° lat.), plus soi- 
 Sneusement encore que contre celui de Pékin (qui pourtant est tout aussi 
Chaud au thermomètre). Mon gaillard de domestique va se jeter tout en sueur 
dans les eaux froides du torrent et s’y laisse même endormir (comme il 


s’endormait jadis en Mongolie sur le dos de sa mule), imprudence qui peut lui 
coûter cher! 


BULLETIN. A5 


Enfin nous arrivons chez nous; mais ces neuf ou dix heures de marche 
m'ont paru bien longues. 

17 juillet. — Barom. 751"". Therm. 30°. Journée très-chaude encore, 
passée en préparations. Je me sens très-fatigué et mal à mon aise par le 
coup de soleil d'hier; espérons qu’il n’aura pas des suites graves. J'acquiers 

ce jour le premier échantillon d’un Lézard, ou Scinque, nouveau pour moi, le 
Plestiodon pulchrum. 

18 juillet. — Bar. 749°*. Therm, 30°. Temps moins chaud, vent d'est. 

Herborisation aux environs, sans grandes nouveautés. 

19 juillet. — Dimanche passé à Kiou-kiang avec mes confrères. Chaleur 
modérée, ciel nuageux, vent. Le soir, orage au loin. — Quand, il y a deux 
siècles et demi, l’humble Vincent de Paul jetait à Paris les fondements 
de sa congrégation de la mission, son esprit si sûr-et si pénétrant pouvait 
bien prévoir que sa nouvelle et modeste institution se répandrait dans la 
chrétienté (dont elle recevait en partage la partie la plus délaissée alors) et 
même dans les pays étrangers. Mais l'humilité extraordinaire de ce grand et 
saint ami des pauvres ne lui permettait pas certainement de soupçonner qu'un 
jour son nom, porté sur les autels, serait béni avec effusion et invoqué jus- 
qu’au cœur de cette impénétrable et mystérieuse Chine, dont on ne connais- 

‘sait guère que le nom de son temps. C’est ce que nous faisons aujourd’hui, 
nous aussi, ét avec le concours d’un bon nombre de Chinois chrétiens : la 
Saint-Vincent les à rassemblés de tous les environs dans la modeste église de 
Kin-kiang, pour assister à une messe solennelle chantée par l'évêque, où 
l'accompagnement d’harmonium n’a pas même manqué. 

20 juillet. — Barom. 751"*. Therm. 30°. Le temps se remet au beau. 
- Le vent souffle du N.-E. comme ces jours passés. 

Aujourd’hui, nos élèves de Kin-kiang viennent passer la journée à Naza- 
reth, et m’aident de leur mieux à chercher les insectes ; mais ceux-ci semblent 
diminuer en nombre. Je me prépare à retourner à la montagne de Ly-chan; 
je prends mes précautions pour pouvoir y rester plusieurs jours. C’est dans 
la maison des bonzes, à côté de la pagode, qu’il me faudra loger ; il n’y a pas 
d’autre maison dans ces parages. 

91 juillet. — Bar. 753". Therm. 27° à Nazareth. 

Orage dans la nuit avec pluie forte. Départ pour la pagode de Ly-chan 
vers sept heures passées. Il n'y à pas encore une heure que nous sommes en 


A6 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


route, que la pluie nous surprend et nous mouille avec nos paquets, sans avoir 
où nous réfugier. Nous continuons pourtant à nous avancer vers les mon- 
tagnes, malgré les réclamations des trois Chinois qui m’accompagnent : je 
compte sur mon baromètre dont la hauteur m'annonce le beau temps, En 
effet, la pluie cesse peu à peu, et nous arrivons à notre pagode vers dix heures 
et demie. LA, le baromètre ne marque plus que 717": tandis que le thermo- 
mètre se maintient à 27°. ; 

Les seuls oiseaux que j'aie rencontrés ce matin sont deux Cinclus Pal- 
lasii, que je ne parviens pas à capturer, pas plus que plusieurs #yiophonus 
cœruleus que je tire aussi en vain. Ce soir, je suis plus heureux avec l'Enicurus 
Leschenaulti et le Pomatorhinus stridulus, et j’acquiers un bel échantillon de 
chacune de ces espèces si intéressantes. 

Avant la nuit, j'ai le temps de monter jusqu'au sommet d'une haute 
colline d’où je puis jouir pour la première fois de la vue du Poyang, qui 
s'étend à perte de vue vers le Sud. De là, ce grand lac, que les barques 
mettent en moyenne huit à dix jours à traverser dans le sens de sa longueur, 
parait varié d’île et de golfes très-accidentés. 

22 juillet. — Barom. 717**. Therm. 26°. (Pagode de Ly-chan.) 

La nuit à été orageuse et le vent violent; mais au matin l’atmosphère 
est calme. Nous allons en excursion sur les pics voisins. [l'y en à quatre prin- 
cipaux rapprochés deux à deux : nous désignons sous le nom des Deux- 
Jumeaux-Inférieurs les moins élevés, et sous celui des Deux-Jumeaux-Supé- 
rieurs les plus hauts. Ceux-ci sont encore bien moins hauts que la masse cen- 
trale du Ly-chan. Sur les deux pics plus bas que nous atteignons aujourd’hui 
et où nous passons une heure et plus, notre baromètre descend à 685°" et 
682"%, tandis que le thermomètre se maintient à 29° et 28°. Les Jumeaux- 
Supérieurs nous paraissent avoir cent cinquante mètres de plus en hauteur ; 
et le sommet principal du Ly-chan en a autant encore de plus; ce qui lui 
donnerait une altitude de 4,200 à 4,300 mètres, c’est-à-dire un tiers de 
plus qu'il n’est marqué dans les premières caries anglaises. 

Malheureusement, les brouillards, dans lesquels nous nous trouvons bien- 
tôt enveloppés, nous empêchent de bien reconnaître les alentours, et les 
crêles les plus élevées de ce massifmontweux qui passe pour l’un des plus con- 
sidérables de toute la province. Excepté un cap roide et rocailleux, tout le 
reste de ces hauteurs paraît déboisé, même du côté du sud. Nous récoltons 


BULLETIN, 47 


ici quelques bons insectes de forme nouvelle. Quatre espèces de Papilio pren- 
nent leurs ébats sur ces cimes désertes; deux sont tachés de vert et ravissants 
de beauté (un Charaxes et le Pap. sarpedon). Les Pap. Authus et Machaon y 
sont très-nombreux. Les volatiles à plumes font, au contraire, entièrement 
défaut : pas une Perdrix, pas un Faisan, que j'espérais rencontrer dans ces 
montagnes. Nous reconnaissons des traces, (des arguments à posteriori) de 
Loup, animal qui est, dit-on, fort rare au pays. L'un des arbrisseaux les plus 
abondants que je rencontre ici est l’inélégant Fortunea sinensis. 

23 juillet. — Beau temps, avec vent assez fort. 

La journée est utilement employée à collectionner aux alentours de notre 
Pagode, Mes principales acquisitions sont : un Serpent nouveau, un bel 
échantillon de la grosse Grenouille aboyeuse des cascades, un Bufus aquatique, 
un Pomatorhinus, et un Engoulevent qui diffère du Caprimulgus Jotaka du 
Nord. Je pense que c’est l'espèce décrite par Swinhoe, sous le nom de €, Stie- 
tomus. En fait d'insectes, outre le P. bianor, la Vanesse bleue, et d’autres, 
une blessure naturelle d'un vieux Cedrela sinensis nous fournit une belle mois- 
son de coléoptères parmi lesquels figurent trois espèces différentes, de Lucanus 
et de jolies Cétoines. 

. Nos deux ou trois bonzes, les maîtres de la Pagode, nous voient avec 
étonnement poursuivre avec tant de fatigues nos petites bêtes ; ils se figurent 
et disent qu'elles nous serviront de médicaments. Ils sont assez polis et com- 
plaisants pour nous, excepté un vieux valétudinaire qui passe son temps à 
fumer l’opium et murmure de temps en temps. Ces hommes nous donnent 
l’eau chaude pour le thé, et ils nous laissent cuire le riz qui forme notre nour- 
riture avec des œu/fs pourris à la chinoise, et des ails salés. Quant à la chambre, 
ils n’ont pu nous céder qu’une pièce obscure et humide, renfermant deux 
tables couvertes de paille. C’est là-dessus que nous étendons le soir nos cou- 
vertures. Outre nous deux, nos braves bonzes logent chez eux (et un peu 
mieux que nous) quelques étudiants chinois qui sont venus ici pour se pré- 
parer aux examens, loin des distractions et de la chaleur de la plaine. — Il 
paraît que c'est un usage assez répandu au Kiangsi, que celui des jeunes lettrés 
qui vont ainsi s'établir dans les bonzeries solitaires des montagnes pour 
mieux étudier. Cette province d’ailleurs est célèbre par le grand nombre de 
lettrés et de mandarins qu’elle fournit à tout l'empire : c’est ce qui fait, en 
partie, que la population en est plus hostile aux Européens et au christianisme 


8 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


— Je suis étonné de voir que nos élégants futurs mandarins, qui ne sont plus 
de jeunes écoliers, mais des hommes de vingt à vingt-cinq ans, étudient leurs 
livres en lisant et chantant à haute voix; comme cela a lieu aussi dans nos 
écoles de Pékin. Les Chinois disent qu’en étudiant de la sorte, les choses se 
gravent mieux dans la mémoire; et je crois qu'ils ont raison. Seulement la 
fatigue qu'ils subissent en criant ainsi du matin au soir, doit contribuer beau- 
coup aux maladies de poitrine qui sont si communes chez les jeunes gens. 

24 juillet. — Barom re therm. 28°. Pagode de Ly-chan, à trois 
heures de l'après-midi. 

Après avoir préparé nos captures d’ his je poursuis en vain quelques 
Merles indigos (Myiophonus cϾruleus) que je vois se poser aussi bien sur les 
arbres que sur les rochers. Ces beaux oiseaux volent à la manière des Petro 
cincla dont ils semblent différer fort peu par l’ensemble des mœurs et même 
par le chant. Cependant ils affectionnent le bord des torrents et les ravins 
obscurs ; c’est là que je les rencontre le plus ordinairement, souvent en com- 
pagnie du grand Enicurus à queue fourchue; et aujourd’hui encore je tue un 
bel exemplaire de cette espèce. Je prends aussi, mais en mauvais état, un 
Munia topela, le premier et le seul échantillon ; cependant M. Swinhoe donne 
cette espèce comme commune dans tout le sud de la Chine. 

En fait de végétaux, l’herbier que je forme ici, renferme bon nombre 
de plantes remarquables. Les Fougères sont variées; l'espèce grimpante 
abonde partout. [l y a des Saxifrages, des Begonia, des Primevères. Je n’ai 
jamais rencontré de ces dernières plantes dans le nord de la Chine, bien que 
le sud en nourrisse bon nombre d’espèces. Quant aux arbres, outre ceux que 
j'ai rencontrés l’autre jour, j'observe encore une ou deux autres espèces de 
Sterculia, une sorte de Figuier élastique fort remarquable, un Corylus, un vrai 
Ulmus. Le Corylopsis n’est pas ici. 

Les roches schisteuses métamorphiques qui composent ces montagnes me 
rappellent beaucoup celles de Si-chan, de Pékin, qu’on emploie communément 
dans les bâtisses de la capitale. Il n’y a point de granite; mais je remarque 
des quartzites, des grès schisteux ; et, dans certains endroits, du calcaire bleu 
qui reparaît plus bas, non loin de la ville de Kin-kiang. 

Les eaux du torrent nourrissent, outre l'énorme Grenouille noirâtre 
aboyeuse, un joli petit Poisson, un Crabe et des Chevrettes. Les Mollusques 
sont extrèmement rares ; je ne trouve que trois espèces de Helix de petite taille. 


BULLETIN. 9 


?5 juillet. — Ciel serein, temps calme et très-chaud. 

Barom. 716"* ; therm. 26°, à six heures du matin. 

Dès le matin, nous quittons notre ermitage et ses peu saints solitaires, 
pour retourner à Nazareth. Mes porteurs de bagages, deux robustes et braves 
Chinois chrétiens, sont venus me chercher à point nommé, et nous ramènent 
au logis par une route plus directe et plus commode, mais qui a l'inconvénient 
de nous faire traverser plusieurs centres d'habitations. C’est ce que je n'aime 
pas beaucoup et tâche d'éviter le plus possible, pour ne pas exciter l’ennuyeuse 
et souvent malveillante attention de ces Chinois. 

[l'est à peu près midi quand nous rentrons chez nous, brûlés par le soleil, 
Ici, le baromètre note 754"", et le thermomètre 38° à l'ombre. 

26 juillet. — Octave de la Saint-Vincent de Paul. 

Après avoir mis ordre à mes collections rapportées de la montagne, nous 
allons passer la journée à Kin-kiang. J'ai le plaisir d'y trouver l’aimable con- 
frère M. Anot, qui vient de retourner de sa mission du centre de la province, 
et dont j'avais fait autrefois la connaissance à Pékin. Cet estimable mission 
naire, qui habite la Chine depuis plus de vingt ans, blâme beaucoup, que j'ose 
sortir au soleil, surtout pendant tout ce mois qu’il dit être mortel aux Euro- 
péens; il appuie ses assertions par plusieurs exemples regrettables qui ont 
privé la mission d'ouvriers jeunes et vigoureux. Ce que j'éprouve déjà des 
effets fâcheux de ce climat, sans trop oser l’avouer, me fait complétement 
adhérer aux bons conseils de M. Anot, malgré toute l’impatience que je sens 
d'utiliser le temps de mon séjour au Kiangsi. Je renonce donc au projet que 
j'avais formé d’aller explorer une région montueuse et boisée, de l’est de la 
province, où des chrétiens m'indiquent, entre autres curiosités, un Porc-épic, 
qui pourrait très-bien constituer une espèce particulière. 

M. Anot m’'apprend que dans la partie sud-est du Kiangsi, sur les limites 
du Fokien, il existe d'immenses montagnes boisées qui renferment un grand 
nombre d'animaux : Sangliers, Ours, Tigres. Il me parle d’une sorte de Lapin 
terrestre que les indigènes déterrent en creusant fort loin, et qui passe pour un 
aliment recherché. Je pense que c’est une espèce de gros Rhizomys. 

Quoique les ramifications des grandes montagnes visitées autrefois par 
M. Anot soient accessibles aux Européens qui fréquentent les provinces de 
Canton, de Fokien et de Tchékiang, je pense bien qu’une tournée dans cette 
région donnerait de bons résultats pour l'histoire naturelle. Je souhaite donc 


VIH, 9 


50 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


qu’il me soit donné plus tard l'opportunité et le temps d’aller les explorer à 
loisir. 

97 juillet. — Barom. 754""; therm. 85°. Beau temps; pas de nou- 
veautés. 

28 juillet. — Le temps continue à être serein et chaud, quoique tempéré 
par le vent d'ouest. 

(A onze heures.) Barom. 755*"; therm. 33°. 

Le petit Lézard, ou Scinque, à queue bleue paraît assez commun ici; tan- 
dis que le Lézard vert à longue queue est plus abondant dans les montagnes, 
au milieu des herbes et des buissons. Les Thaïs Télamon continuent à être 
aussi nombreux maintenant qu’il y a un mois. 

Vers le soir, je parviens à abattre un Héron de couleur noirâtre; son 
compagnon (le mâle sans doute) vient s'établir dans la même rizière pour 
faire entendre, pendant une partie de la nuit, un cri fort et monotone, qu’on 
peut imiter par la syllabe khla, khla, khla, répétée sur le même ton et à inter- 
valles égaux. 

29 juillet. — Barom. 753""; therm. 32° (à deux heures et demie). Temps 
chaud, avec vent. 

J'acquiers un grand Serpent noir annelé de rouge, peut-être le Lycodon 
rufuzonatus, espèce inconnue au Nord; et plusieurs autres reptiles. Une Belette 
que nous prenons aussi, ainsi qu'une petite Chauve-souris, me paraissent être 
les mêmes qu'à Pékin, c’est-à-dire le Mustela sibirica, et le Vesperus serotinus. 
Cette Belette, plus grande que celle d'Europe est répandue dans toute la 
Chine, et vient jusque dans les maisons; nous prenons la nôtre sous un tas 
de paille (le seul combustible de notre cuisine) où elle avait caché ses cinq 
petits. Dans l’après-midi le temps devient très-orageux. 

30 juillet. — (A sept heures du matin) Barom. 751"; therm. 30°. Ciel 
nuageux. 

Excursion à la tombe du Lettré. Jy capture quelques oiseaux nouveaux 
pour moi : Athene cuculoïdes, Picus Guerini, et un Phyllopneuste tenellipes. 

31 juillet. — Barom. 751"; therm. 30° (à sept heures du matin). 

Barom. 752"; therm. 32° (à quatre heures du soir). 

Il tonne et vente, mais sans pleuvoir; on commence à souffrir de la 
sécheresse sur ces collines. Mon jeune Chinois me rapporte encore cinq de 
ces beaux Papilio à taches vertes (P. Sarpedon), mais tous endommagés plus 


BULLETIN. b1 


ou moins. Cette espèce a le vol très-léger, mais moins violent que le Papillon 
vert à quatre queues ; elle aime à voltiger sur les arbres les plus élevés et ne 
se pose que rarement. La Nymphale à ailes glacées de vert, est assez com- 
mune dans les taillis. 

J'acquiers deux Turtur humilis, espèce méridionale, et un Lanius à tête 
et dos gris qui diffère de ceux que je connais, peut-être le L. Bucephalus. 

Le soir le tonnerre gronde encore au loin ; peut-être pleuvra-t-il bientôt. 

1 août 1868. — Barom. 755""; therm. 28° (à sept heures du matin). 
Le temps continue à être orageux ; il ne tombe que quelques gouttes de pluie. 

J'acquiers une belle Couleuvre annelée de noir et de blanc, et le Serpent 
aquatique vert qui ne diffère de celui de Pékin, que pour avoir moins de rouge 
aux côtés du cou (Amphiesma tigrinum). Dans l'après-midi, le vent devient 
frais et très-fort, et le baromètre monte à 794"", 

2 août. — Barom. 755""; therm. 27° (à sept heures du matin). 

Beau temps avec quelques nuages. Pas de nouveautés. 

3 août. — Chaleur au matin; le soir tempête, grand vent et pluie. 

Je vais passer une partie de la journée à Kin-kiang, chez M. Klein- 
wischter et MM. Atkinson; et nous rafraichissons nos souvenirs d'Europe en 
faisant de la musique. M. Kleinwischter est une de mes connaissances de Pékin ; 
je suis heureux de le revoir au Kiangsi, où il est placé comme commissaire de 
douane sinico-européenne. Il prend intérêt à l’histoire naturelle, et il a même 
envoyé plusieurs objets intéressants à Hambourg, sa patrie, entre autres, un 
Gypaëte vivant qu’il avait acquis à Pékin. 

Les emplois de la douane impériale occupés par les Européens, sont 
grassement rétribués; mais on à à subir de fréquentes humiliations de la part 
des jalouses autorités chinoises, M. Kleinwischter s'attend à être changé, 
contre son gré, pour avoir résisté un peu trop franchement aux volontés du 

mandarin de Kin-kiang. Les missionnaires ne connaissent que trop la malignité 
des magistrats chinois! 

4 août. — Barom. 755""; therm. 30° (à 9 heures du matin). Beau 
temps, vent. 

5 août. — Barom.(à 3 heures et demie du soir) 756"; therm. 22°. 
Beau temps, avec fort vent du sud-ouest. 

Dans une course aux grandes collines, je tue deux Alcyon pileatus, un Picus 

kalaënsis ; j'aperçois un Sifta ressemblant au S. Cæsia. 


52. NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Pas d’autres nouveautés; on commence à couper le riz au pays. 

6 août. — Barom. 755"; serein, très-chaud. 

Je fais, sans grands résultats, une excursion vers les montagnes. J’y trouve 
des collines couvertes de Tcha-you, plante que je n'avais pas encore observée : 
ce sont de grands Camelia à fleurs blanches de médiocres grandeurs, et qui 
donnent des fruits que les Chinois utilisent pour faire l'huile. Cette huile, de 
médiocre qualité, est surtout employée pour l'éclairage, et il s’en fait une bonne 
quantité dans toute la Chine centrale. 

Enfin aujourd’hui, mes chercheurs d’animaux m’en apportent deux en 
vie, fort intéressants : un Tchouan-chan-kia, perceur de montagnes, et un 
Kotze-ly, chien-civette (Manis Dalmanni, et Helictis moschata.) Le Pangolin 
se roule en boule, comme les Hérissons, et n’ose pas développer ses membres 
quand il se croit vu; mais, laissé seul dans la chambre, il se met à marcher 
comme un petit Crocodile, et d’une manière brusque. Le Kotzely fait aussi le 
mort tant qu’on ne le trouble pas ; mais il grogne à la manière du Blaireau, si 
on le touche. C’est la nuit qu'il prend ses ébats, ayant des mœurs compléte- 
ment nocturnes. Les Chinois me disent que ce joli quadrupède monte sur les 
arbres fruitiers pour en dévorer les fruits, comme les Pagura. 

7 août. — (A septheures) Barom. 752"" ; therm. 28°. 

— (A midi) Barom. 753"*; therm. 33°. 
— (A six heures du soir). Barom. 752""; therm. 34°. 

Journée très-chaude, employée à préparer nos mammifères et les plantes 

8 août. — Barom. (à sept heures du matin) 750"; therm. 30°. 

(A quatre heures du soir) 750"; therm. 35°. 

9 août. — Barom. 751"", Temps très-chaud au matin; soir, orage et un 
peu de pluie. 

10 août. — Barom. (à midi) 750"; therm. 29. 

— — (à A heures) 749""; therm. 28°. 

Temps couvert et vent de N.-E. — Acquisition de plusieurs coléoptères 
lamellicornes nouveaux. Nous récoltons un grand et bel œillet (Dianthus 
sinensis ?) sur nos collines voisines, dans les endroits très-découverts. Un 
œillet presque semblable, à pétales longuement ciliés, ne se trouve que dans les 
montagnes boisées, au nord de la Chine et en Mongolie. 

11 août. — Bar. (à 7 h. m.) 750%; therm. 27°. Quelques nuages au 
ciel, vent fort du N.-N.-E. pendant tout le jour. 


BULLETIN. 53 


Excursion aux grandes collines boisées ; j'y capture un Picus Guerini, un 
Lanius lucionensis, et deux exemplaires du Suya striata, petit oiseau à longue 
queue, qui aime à se poser à la cime des buissons en faisant entendre un cri 
monotone qui ressemble à celui de la cigale. 1 paraît rare au pays, et il ne se 
trouve que sur les montagnes arides et sauvages. En fait de plantes, la plus 
remarquable de celles que je rencontre aujourd’hui est un délicieux lis blanc 
tacheté de rouge, que je n’ai observé que dans une seule vallée élevée et 
boisée. | 

12 août. — Barom. (à 7h.) 750"" ; therm. 26°. 

ee — (à 5 h. soir) 750", 5 ; therm. 29°. Il vente fort 
tout le jour : le matin du S.-E., et le soir du N.-E. 

13 août. — Bar. (tout le jour) 750"* ; therm. 28°, Ciel nuageux, avec 
vent du S.-E. 

15 août. — Bar. (7h. mat.) 749" ; therm. 27°, avec ciel couvert. 

— — (à midi) 750"; therm. 31°. Ciel couvert et orageux. 

Tous ces jours se ressemblent pour nous, et se passent en préparations 
et en petites chasses d’entomologie. Nous nous disposons à rentrer à Kin- 
kiang pour les fêtes de l’Assomption ; le bateau est venu nous chercher. Maïs 
à peine y sommes-nous embarqués que nous avons la mauvaise chance d’être 
surpris par un vent impétueux et la pluie. Nous parvenons pourtant à gagner 
le bord de cette petite mer en fureur avant que d’être trop mouillés et à nous 
réfugier sous le devant de porte d’une maison voisine. Mais la pluie étant 
devenue torrentielle, nous nous hasardons à frapper à cette porte, sans trop 
espérer qu’on nous l’ouvre, et en nous rappelant que, dans une circonstance 
semblable, des Chinois, à qui nous demandions quelques minutes d’abri, 
aimèrent mieux nous laisser tremper jusqu’aux os, que de nous admettre même 
dans une étable qui était là tout ouverte. Mais ici, à notre grande satisfaction, 
on s’empresse de nous faire entrer, et, avec toute l’urbanité chinoise possible, 
le maître de la maison nous sert lui-même le thé et la pipe : je n’oublierai 
jamais ce bon accueil inattendu ! Tant que la pluie dure, cet homme qui paraît 
instruit et à son aise, qui est habillé très-proprément et tout de blanc, nous 
fait maintes interrogations sur l’Europe, sur les missionnaires, mes confrères, 
qu'il connaît personnellement et estime, quoique païen. Pendant notre long 
entretien, les femmes et les jeunes filles de la maison profitent d’un prétexte 
quelconque pour entrer dans la salle et passer devant nous afin d’avoir l'occa- 


54 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


sion de voir comment est fait un Siang-jen où homme d'Occident. De notre 
côté, nous observons qu'ici, comme à Pékin, il y a dans les familles aisées 
des types réguliers et qui ne feraient point mauvaise figure en Europe. 

15 et 16 août. — Temps couvert et pluvieux, avec fort vent du N.-E. 

Journées passées à Kin-kiang avec monseigneur Baldus et mes autres 
confrères, à célébrer les fêtes auxquelles affluent un grand nombre de chré- 
tiens anciens et nouveaux. Malgré les tracasseries et les vexations que les 
Chinois éprouvent d’ordinaire pour embrasser le christianisme, les conversions 
continuent à augmenter peu à peu, et c'est surtout dans ces circonstances 
que nous le constatons. Je retourne le soir du 16 à la campagne de Nazareth. 

17 août. — Bar. (à 9h.) 753" 1/2; therm. 27° 1/2. Temps couvert et 
calme. 
18 août. — Bar. (à 7 h. 1/2) 753" ; therm. 27°. Ciel calme, mi-couvert. 

—- — (à midi) 754"; therm. 31°. Menace d'orage. 

Quoiqu'il fasse un temps accablant, je fais une course aux petits taillis, 
sans y rien prendre de bon. Les riz mürissent, et les autres récoltes du pays 
paraissent prospérer, de manière qu'on est déjà sûr que l’année ne sera pas 
mauvaise. 

Aujourd’hui nous nous attendions à voir quelque queue de l'éclipse 
annoncée par les journaux pour l’Inde; mais ici on n'en aperçoit aucune 
trace. a 

19 août. — Beau temps, vent du N.-E. assez fort. 

Barom. (à midi) 753"; therm. 32°. 

—. (à5h.) 751%"; therm. 34°. 

Aujourd’hui, pour la première fois en Chine, j'entends le fameux Hoamy 
ou Leucodiopteron sinense, qui s'approche de ma maison; j’en tue un mâle 
adulte. C’est l’oiseau que les Chinois aiment le plus à tenir en cage, soit pour 
le chant, soit pour le combat. Je tue aussi une variété albine de l'Hirundo 
dauriea. J'observe que les Hirondelles de cette espèce, peu abondantes ici 
d'ordinaire, y apparaissent depuis quelque temps en grand nombre, dans les 
jours qu'il fait du vent. Il ne me paraît guère d’autres oiseaux au pays, excepté 
les Lanius schack et lucionensis, et l’Ixos qui. est toujours le plus abondant. 

20 août. — Bar. (à 8 h.) 749"*; therm. 29°. 

-- — (à6h. soir) 747%"; therm. 32°. Ciel couvert, vent fort 
du N.-E. 


BULLETIN, 55 


21 août, 22 août. — Journées sereines et très-chaudes passées à Kin- 
kiang ; je suis obligé d’y rester à cause de la maladie de mon aide chinois. Ce 
jeune homme, très-robuste, a trop compté sur sa bonne santé. Outre les bains 
froids pris en sueur, il a eu l’imprudence de dormir à la belle étoile, la nuit 
de l’Assomption, ne pouvant supporter la chaleur d’une chambre encombrée 
d'hommes. Il est pris de fièvres intermittentes, maladie difficile à guérir ici. 
Je soupçonne que son mal, comme aussi le malaise et l’affaiblissement dont je 
souffre moi-même, peut provenir en partie de notre alimentation presque 
entièrement végétale, que nous avons à la campagne, et qui consiste principa- 
lement en courges et en concombres mal préparés. L'indisposition de mon 
Ouang Thomé me contrarie beaucoup, parce qu’elle m’oblige à presque sus- 
pendre mes travaux. Je ne puis retourner sans lui à Nazareth, où lui seul est 
en état de me servir la messe et de m’aider dans mes chasses et préparations. 
Quoique cet homme soit avec nous depuis longues années, il n’a aucune 
confiance dans la médecine européenne, et il refuse de prendre la quinine que 
je lui offre : il préfère manger les gros médicaments chinois et boire force eau- 
de-vie du pays. Nous verrons s’il ne sera pas obligé d'en venir à mon remède. 

Depuis quelques jours, quatre énormes Pélicans sont venus s'établir sur 
le lac de Kin-kiang, dont les abondants poissons leur fournissent une nourri- 
ture facile. Je crois qu’ils appartiennent à la même espèce que ceux que j'ai 
eus à Pékin et que je pense être le Pel. crispus, ou le Philippinensis. 

J'observe aussi un curieux phénomène ornithologique. Un Hoamy, le roi 
des oiseaux chanteurs de la Chine, s’approche plusieurs fois avec curiosité 
jusqu’à notre église, pour écouter le son de l’orgue qu’on y joue : il est paraît-il, 
meilleur appréciateur de notre musique européenne que les Chinois. Ceux-ci y 
sont parfaitement indifférents. 

23 août. — Je vais passer la journée à Nazareth avec nos étudiants du 
séminaire chinois, En route, je vois plusieurs Hérons à ailes et cou blancs, 
ayant le dos roux obscur ; l'espèce est inconnue au Nord. 

Bar. (à 40 h.) 752*°; therm. 35° 1/2. 

— (à 3h.) 750**; therm. 35° 1/2. 

Du 25 août au 1° septombre 1868. — Je suis obligé de rester à Kin-kiang 
à cause de la maladie de mon homme qui est accablé par la fièvre, et d’une 
manière alarmante. Il consent enfin à prendre de ma quinine, et ses attaques 
cessent à la deuxième administration du remède. 


56 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Après les fortes chaleurs que nous avons eues ces jours passés, le temps 
commence à se refroidir considérablement à cause surtout d’un vent frais du 
Nord qui souffle quotidiennement. Une très-grande pluie, qui tombe le 31 août, 
abaisse encore beaucoup la température. 

2 septembre. — Je vais encore passer la journée à la campagne avec nos 
étudiants. Le baromètre (à 4 h.) y note 752""; le thermomètre, 25°. Nous 
poussons notre excursion jusqu’au bosquet de la sépulture du Lettré, où je tue 
un Sitta sinensis, analogue au S. cϾsia d'Europe, et un Phylloscopus plum- 
beitarsus, petit Gobe-mouche que j'ai aussi pris à Pékin. 

Des lettres que je reçois de Changhay m'’apprennent l’arrivée dans cette 
ville de notre vénéré confrère, M. Salvayre, procureur général de notre con- 
grégation, qui vient faire la visite ou inspection de nos missions de Chine. 
Comme il désire me voir et me parler, je me détermine à faire le voyage de 
Changhay en laissant ici mon aide chinois se rétablir de ses fièvres. 


VOYAGE A CHANGHAY ET NING-PO AU TGHÉKIANG. 


6 septembre au 20 septembre. 


Mon voyage à Changhay, et de là à Ving-po dans le Tchékiang, n'offre 
rien de particulier pour l’histoire naturelle ; le temps est le plus souvent mau- 
vais et pluvieux. En descendant rapidement le fleuve qui commence à grossir 
beaucoup, je rencontre à bord de l’Hirado M. Wylie, missionnaire protestant 
qui réside en Chine depuis vingt ou trente ans et qui a écrit de savants 
ouvrages sur la langue et l’histoire de l'Empire. Il vient de faire une tournée 
de cinq mois au Se-tchuan, pour en examiner les dispositions des habitants 
par rapport au christianisme et pour y répandre des bibles : c’est plus qu’au- 
cun autre révérend n’a encore fait ici dans le même but. Ces messieurs, ordi- 
nairement embarrassés d’une famille, ne peuvent guère se hasarder dans les 
entreprises périlleuses ; il y en a même quelques-uns qui entremêlent leurs 
travaux apostoliques de lucratives fonctions commerciales. Ainsi, à Changhay, 
j'ai passé plusieurs fois devant la maison d’un Clergyman, lequel est devenu 
fort riche par le négoce, et qui, ces jours-là même, faisait publier sur les 
journaux qu'il avait telle grosse dot à donner à chacune de ses filles quand 
on voudrait les épouser. — M. Wylie, en compagnie d’un seul domestique, 


BULLETIN, 57 


a remonté le feuve Yangtzé jusqu’à Souy-fou ; de là il s'est rendu à Tchentou, 
et à poussé jusqu’à Hangtchang dans le Chensi méridional ; puis il est redes- 
cendu par le fleuve Han à Han-Koou. 11 me dit qu’il n'a trouvé partout que 
des dispositions pacifiques dans les populations et il s’en dit très-satisfait. I 
est probable que s’il avait dû séjourner quelque temps au Se-tehuan, il aurait 
raison de parler différemment, par rapport à la bienveillance chinoise, Néan- 
moins les renseignements qu'il a la bonté de me donner, servent à me rassu- 
rer sur mon futur voyage. 

Après avoir consacré, deux ou trois jours à Changhay et à mes entre- 
tretiens avec M. Salvayre, je vais en sa compagnie et en celle de M. Aymeri, 
faire une visite à monseigneur Delaplace. Dix-sept heures de traversée nous 
portent à Ving-po, admirable port de Tchékiang, connu et fréquenté par 
les Européens, depuis l’époque de leurs premiers voyages à l'extrême 
Orient. 

Outre monseigneur Delaplace, j'ai le plaisir de faire la connaissance de mes 
confrères MM. Montagneux, Bret, Guillot, Rizzi, etc; ainsi que celle des 
sœurs de la charité qui tiennent dans cette ville un grand établissement de 
bienfaisance. | 

Une seconde grande maison des sœurs vient d’être laissée et abattue, 
parce qu'on s'était aperçu à temps que toutes les boiseries étaient mangées par 
les termites ou fourmis blanches. Je passe à Ving-po trois jours qui sont attris- 
tés par une grosse pluie presque incessante. C’est ici que j'observe pour la 
première fois le Copsychus saularis, élégant oiseau noir et blanc, ami des 
habilations humaines : une paire s’est cantonnée au jardin de la missionÿ 
Ils sont curieux pour leur voix forte et pénétrante, pour leur humeur belli- 
queuse, et surtout pour la manière dont ils lèvent la queue toujours en trois 
temps, et l’abaissent ensuite tout d’un coup, en l’élargissant en forme d'éven- 
tail. 1 : 
Dans mon voyage de retour au Kiangsi, je vois sur le Yangtzé beaucoup 
de Canards sauvages, des Hérons gris, des Aigrettes, des Garzettes, des Cra- 
biers à cou noir, des Sternes et quelques Vanneaux à pieds jaunes, Lobivanel- 
lus cinereus. Partis de Changhay le 18 après minuit, nous arrivons à Kin-Kiang 
le 20 à sept heures du matin. 

20 à 22 septembre. — Mon homme étant passablement bien rétabli, 
nous recommençons nos excursions autour de la ville, en attendant que 


VIII. h 


58 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


vienne le moment de pouvoir partir vers le Se-tchuan, c’est-à-dire, après les 
grandes eaux. L'inondation est cette année plus tardive que d’ordinaire. 
Ouang Thomé qui a l'œil assez exercé, me dit que pendant mon abscence il 
a vu sur les murailles de la ville un oiseau de la taille d’un Geai, violet en 
dessous et brun en dessus, et portant deux pinceaux de plumes noires sur 
les deux côtés de la tête, en forme de petites cornes. Je ne connais point 
_ cette espèce et ne Ja voit point notée dans les catalogues de M. Swinhoe : 
le récit de mon homme est-il une fable ? Il n’avait aucun intérêt à metromper ; 
et des chrétiens venus du Houpé me disent qu’en effet il existe dans leurs 
montagnes des oiseaux de cette sorte qui y vivent deux à deux, dans les 
vallées solitaires... Nous verrons. 

23 septembre. — A cause de l’état de faiblesse de Ouang Thomé, je 
prends un autre Chinois vigoureux pour m’accompagner aujourd’hui jusqu’à 
la montagne du Ly-chan. Partis de bonne heure, nous arrivons jusqu'à la 
pagode et au delà. Nous voyons l’'iridée rouge tachetée, Pardanthus sinen- 
sis, très-commun au bord des torrents, ainsi qu’un Rhuta à fleurs blanches. 

Dans les bois de la montagne, je tue encore deux Merles indigos (Myio- 
phonus cœruleus); un Pouillot à pieds blancs ( Phylloscopus tenellipes), un 
autre oiseau fort joli, noir et blanc, avec les pattes très-blanches, qui fré- 
quente le bord des ruisseaux (Ænicurus Scouleri) que je rencontre pour la 
première fois. Je me procure aussi, en revenant sur les buissons de la plaine, 
deux exemplaires d'un grand Garrulax (G. perspecillatus) à front et joues 
noirs, C’est un oiseau criard et difficile à tuer : il justifie pleinement son nom 
générique par son babil continuel et ses cris perçants, Les autres prises de la 
journée consistent en une Grenouille aboyeuse, des Crabes et Crevettes de 
ruisseau, et des Goujons du torrent du Ly-chan. F 

Les insectes et les papillons diminuent ; mais le Thaïs telamon continue 
toujours à être commun, et il n’y a que des individus jaune pâle. 

Pendant la course, j'ai aperçu et reconnu deux oiseaux rares du pays; ce 
sont le Cinele pallas et le Ruticille fuligineux. 

24 septembre (à Nazareth). — Bar. (à 4 heures du soir) 756%; 
therm. 24°. 

I à commencé à pleuvoir hier au soir ; il pleut ce matin et toute la jour- 
née, Mon temps n’est pas perdu, je l'emploie en préparations taxidermiques et 
à sécher nos plantes, pendant que mon homme court les rues et les marchés 


BULLETIN, 29 


pour acquérir toutes les espèces de poissons d'eau douce qu'il peut rencontrer, 
Ici, il nous a été facile d’avoir des bouteilles à large goulot, pour les collec- 
tions dans l'alcool, Mais l’eau-de-vie qu'on nous vend me paraît faible, et je 
suis obligé de la renouveler plusieurs fois pour conserver mes poissons et mes 
reptiles. Je possède déjà, pour le Muséum, une trentaine d'espèces de pois- 
sons et autant de reptiles. 

25 septembre. — Temps très-couvert et petite pluie: fine. Bar. (à 
Al-heures) 760" ; therm. 22° 4/2. 

26 septembre. — Ciel moins lourd, mais temps incertain; pluie au 
soir. Bar. (à 11 heures) 761" ; therm. 22°. 

Je quitte définitivement la campagne de Nazareth et rentre à la résidence 
des confrères de Kin-kiang , pour y organiser l'envoi de mes collections à 
Paris, et pour me préparer à mon grand voyage vers le couchant. * 


pu 27 SEPTEMBRE 1868 au AA OCTOBRE, A KIN-KIANG. 


D'après ce que me disent les habitants du Kiangsi, il y a cette année 
plus de mauvais temps et de pluies qu'à l'ordinaire : c'est un contre-temps 
pour moi; je perds beaucoup de journées, el j'éprouve de grandes difficultés 
à sécher les échantillons des plantes et des animaux. J'en perds même quel- 
ques-uns complétement. C’est ce qui fait que mon herbier est moins volumi- 
neux qu’il n'aurait été avec une saison meilleure. Le jour de saint Michel 
(29 sept.) la pluie tombe par torrents, el le fleuve, qui était déjà plus haut 
qu’en été, a monté encore; et il monte toujours dans les premiers jours d'oc- 
tobre. Voilà plus d'un mois que notre maison (la résidence centrale de la 
mission), est complétement investie par les eaux du lac qui communique avec 
le Yangtzé ; nous n’en sortons qu'en barque. Un grand nombre de petites 
maisons chinoises des: alentours ont été démolies, et les familles sont allées 
s'établir ailleurs. 

Iliparaît que cette crue des eaux, si longue et si tardive, est'tout à fait 
extraordinaire. Aujourd'hui, 10 octobre, le niveau du ‘fleuve n’est que d'un 
pied et demi au-dessous de la plus forte inondation qui ravagea Hankoou, il ÿ 
a trois ans. Nous avons appris dernièrement que le fleuve jaune, de son côté, 
a débordé et changé de lit, sur-une grande étendue. Il court ici les bruits les 


60 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


plus étranges, d’après lesquels, ce seraient les eaux du Hoang-ho qui se déver- 
seraient en parties dans celles de Yangtzékiang ! Je ne connais pas l’intérieur 
de la Chine et ne sais dire si cela est possible; mais je pense que si cette 
communication se faisait, elle aurait lieu plus bas qu'ici. Le fait est qu'à Kin- 
kiang même le fleuve couvre la plaine du nord, jusqu’à perte de vue; et que 
l’eau étant entrée dans notre cuisine et notre réfectoire, non-seulement les 
Grenouilles et les Crapauds, mais les poissons eux-mêmes y prennent leurs 
ébats. 

Un de ces soirs pluvieux, un oiseau des révérences Cp de crainte, 
sans doute, de se mouiller la nuit dehors, entre dans une de nos chambres 
et se laisse, pour son malheur, prendre par mon chasseur qui en fait une 
magnifique peau. 

A propos d’oiseaux, des Chinois chrétiens du Houpé, venus s'établir ici, 
me parlent d’un Faisan particulier qui existe dans les montagnes de leur pro- 
vince, et qui ne scrait ni le Faisan commun, ni le Faisan doré, ni le 
vénéré, ni le pu ni la Perdrix, ni le Faisan amherst : ils l’appellent 
hoa-ky. 

Le 9 octobre, notre compador achète sur le marché un de ces curieux 
Esturgeons au museau excessivement long qui forme le tiers de la longueur 
totale de l'animal : c’est un jeune individu. Je n’ai aucun moyen de le 
préserver, dans l'alcool ou autrement ; les Chinois l’appellent ici Kouy-yu, 
ou poisson précieux, et l’estiment beaucoup pour la table. Dans un livre de 
voyages anglais, je vois une figure de ce poisson cartilagineux, qui existerait 
aussi, parfaitement identique, dans les eaux du Mississipi. 

Cette inondation extraordinaire qui afflige le pays me contrarie aussi 
particulièrement, soit en retardant mon départ définitif pour le Se-tchuan, soit 
en m'empêchant de collectionner les poissons. On ne pêche guère plus sur le 
lac et point sur le fleuve. Désirs) l’un de ces jours, jai fait une assez 
abondante prise de petits poissons, à notre porte même ; et voici comment : la 
veille, comme beaucoup d’autres soirs, les dévots païens avaient exécuté une 
grande procession nocturne en bateaux sur le lac; il y avait une immense 
profusion de lanternes en papier de toutes couleurs, dont ils déposaient un très- 
grand nombre sur les eaux, pour se rendre ainsi favorables les dieux aqua- 
tiques et calmer leur courroux, en même temps que l’inondation. Or l'huile 
qui coûte le moins ici et qu’on emploie dans les lampes est le Tong-you, huile 


BULLETIN. 61 


vénéneuse extraite des noix de l’Eleococca verrucosa. Les petits poissons, avalant 
de cette huile abondamment répandue sur les eaux du lac, mouraient en foule, 
ou venaient empoisonnés se faire prendre au bord; j'ai ainsi acquis plusieurs 
bonnes espèces que j'aurais en vain demandées aux pêcheurs. 

Quoique cette tardive crue des eaux nous soit très-contraire, j'ai eu avis 
que je ne tarderai pas à recevoir ici mes compagnons de voyage, avec qui 
je dois remonter le Yangtzé-kiang. Je me hâte donc de terminer l'emballage 
de mes collections que j'expédie pour le jardin des plantes de Paris, sans 
en retenir de doubles, tant mes provisions sont modestes! Elles consistent 
en une dizaine de mammifères, une trentaine d'espèces d'oiseaux, en cin- 
quante ou soixante espèces de poissons et de reptiles. Le nombre d'espèces de 
Coléoptères monte à trois cent trente-cinq; il y a cent espèces d'Hémiptères, 
quarante-deux d'Hyménoptères, trente et une de Diptères ; une soixantaine 
d'espèces de Névroptères et d'Orthoptères, autant et plus de Lépidoptères. Soit 
en tout siæ cent trente espèces d'insectes. L’herbier ne compte qu'environ 
deux cents espèces de plantes. Voilà, avec quelques coquilles et quelques 
autres objets, quelles ont été mes acquisitions dans cette première étape forcée 
du Kiangsi. 

Selon ce que me disent mes confrères et les Chinois qui connaissent le 
sud de la province, il y aurait là à faire de bien plus riches acquisitions d’his- 
toire naturelle ; mais, d’après mes informations, je comprends qu'une expé- 
dition profitable dans ces régions me prendrai de six à dix mois. Pour le 
moment, j'ai hâte d’aller ailleurs, tout en souhaitant que la Providence me 
fournisse l’occasion et les moyens de les explorer plus tard. 

12 octobre. — Les eaux continuent à monter à Kin-kiang, et ont atteint 
presque le niveau de l’inondation de l’an 4866. II tombe toujours des pluies 
très-fortes et très-longues. Les autres années, le beau temps avait commencé 
déjà à cette époque, pour durer jusqu’à la fin de l'hiver, d’après les hommes 
du pays. Il faut avouer que jusqu'ici les éléments ne favorisent pas beaucoup 
mon voyage et mon entreprise d'exploration! 

Comme je le prévoyais, je recois aujourd'hui des lettres de Changhay 
qui m’annoncent l’arrivée, pour demain, des jeunes missionnaires destinés au 
Se-tchuan et au Yunan. En conséquence, je m’empresse de faire mes dernières 
dispositions de voyage ; je regrette que, malgré ma quinine que je lui prodigue, 
mon garçon a de fréquentes rechutes de fièvre : il ne prend pas les précau- 


62 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


tions nécessaires pour se guérir et commet beaucoup d’imprudences. Jagpere 
au moins que cette leçon lui servira pour l'avenir. 

13 octobre. — À huit heures du matin, arrive l’AHirado, avec MM. Gen- 
nevoise, Bompas, Pourias et Pellé, qui vont être mes compagnons de voyage 
jusqu’au Se-tchuan. Ces jeunes missionnaires viennent faire une visite à mon- 
seigneur Baldus, pendant que leurs deux autres confrères, MM. Turgis et 
Provôt, voyagent sur un autre bateau. 

M. Cunnem, l'employé de la compagnie Russel, à fait des difficultés 
pour accepter mon billet, ou ficket, que j'avais pris à Changhay pour Han- 
koou, avec la faculté de m'arrêter à Kin-kiang ; il finit pourtant par se 
rendre, quand le brave M. Mac-Queen se charge de mon affaire. Je ne sais 
pourquoi l’administration de ces bateaux fait payer un prix égal de Changhay 
à Hankoou et à Kin-kiang, quoique cette dernière ville soit d’un quart moins 
éloignée. 

Nous nous embarquons et partons à neuf heures : les voyageurs euro- 
péens du bateau sont assez nombreux. 

14 octobre. — À cause du mauvais temps et du fort courant, nous sommes 
obligés de nous arrêter pendant une partie de la nuit. C’est à une heure après 
midi que nous arrivons à Hankoou. Nous descendons à la procure de la mission 
italienne où nous recevons un excellent accueil du P.: Graziano de Carli, 
de Venise, L'inondation est tellement considérable, que cette ville semble une 
seconde Vénise, nous dit notre procureur, 

15 octobre. — Le temps devient meilleur, mais reste frais. Nous allons 
faire une visite et déjeuner à Ou-tchan-fou, chez monseigneur Zanoli, vicaire 
apostolique du Houpé,dont cette grande ville est la. capitale. Pour cela, il 
nous faut traverser en bateau le fleuve qui est très-large ici et bordé d’une 
infinité d'embarcations chinoises de toute grandeur. Outchang, Hankoou et 
Hanyang, trois villes séparées l’une de l’autre par le Yangtzé et par le Han, 
grosse rivière qui naît au Kanzou, forment l’un des plus grands centres de: 
population de l’empire chinois, sans pourtant y compter les six. ou sept mil- 
lions d'âmes ! dont on parlait autrefois. L’évêque. catholique a son établisse- 
ment principal et son séminaire dans le chef-lieu, dans une maison bâtie à 
l'européenne. Une petite fête religieuse y à réuni aujourd’hui plusieurs des 
missionnaires du vicariat. J'ai le plaisir d'y rencontrer le-P, Celso, qui a les 
cheveux blancs comme la neige quoiqu'il n’ait que trente-huit ans. Ce:père 


BULLETIN, 63 


porte un intérêt particulier aux oiseaux et aux animaux du pays, dont il trouble 
la paix quand l’occasion s’en présente. Je ne perds aucune occasion d'acquérir 
des renseignements sur les productions des pays que je parcours. Le P. Celso 
qui connaît une grande partie du Houpé me dit que cette province nourrit, 
outre les autres Faisans ordinaires de Chine, le Tsen-ky à ventre blanc, ou 
Faisan amherst. Celui-ci formerait, d’après lui, trois espèces! Je pense que 
ce bon père, qui n’est pas naturaliste, prend pour différences spécifiques les 
variétés d'âge et de sexe qui sont ordinaires au genre Thaumalea. 

Il me dit merveilles d’un petit oiseau à longue queue et à couleur d’or, 
qui habite les broussailles des hautes montagnes l'Ofhopyga, ou le Pericro- 
cotus ?). Il m’apprend que le Merle noir à bec jaune (que j'ai vu en cage chez 
le P. de Carli), et qui ne vit point dans le nord de la Chine, est abondant ici 
dans la plaine, sur les arbres qui bordent les canaux, mais ne visite point les 
montagnes ; que la femelle de cette espèce est noire comme le mâle, sans en 
avoir le bec jaune. Ce Merle, que je pense être le Merula mandarina de 
Gould, me paraît avoir. des proportions un peu plus fortes que le Merle 
d'Europe; le bec est plus robuste et la queue un peu fourchue. Son cri et son 
chant sont aussi plus forts et différents : c’est donc sûrement une espèce bien 
distincte. 

Quant aux mammifères, le P. Celso m'informe qu'un Muntjac (Cervulus 
sinensis ?} est commun dans les montagnes, où vivent aussi, d’après lui, 
deux espèces de Sangliers, deux espèces de Renards, le Tigre, l'Ours, et beau- 
coup de petits mammifères. 

Ce soir, nous sommes invités à dîner au consulat de France, par M. Gué- 
naud qui fait l'intérim pendant l'absence du titulaire, M. Dabry; nous trou- 
vons chez lui tous les résidents français de Hankoou, c’est-à-dire M. Giraudet, 

vice-chancelier, et M. Dupuis, négociant d’armes. Comme les eaux sont 
débordées, le consulat s’en trouve complétement entouré; et c'est en bateau 
que nous arrivons jusqu’à la porte. Ce phénomène de grande inondation est ici 
plus commun qu’on ne pensait, et les terrains concédés aux Européens par la 
Chine sont le plus exposés" à l’eau. Aussi, n’y a-t-il pas lieu d'espérer que 
Hankoou devienne un grand établissement européen, comme l'avait fait croire 
d'abord sa situation centrale. Cette année, le débordement est causé par les 
eaux du Han, plus que par celles du Yangtzé. Les maisons européennes de 
Hankoou sont assez nombreuses, mais le commerce diminue, et nos compa- 


‘64 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


triotes s’en retournent peu à peu à Changhay et ailleurs. C’est cette dernière 
ville qui est et sera l’entrepôt commercial principal de tout l'extrême 
Orient. 

Je vois chez M. Guénaud le lettré chinois du consulat, un chrétien d’une 
honnêteté et d’une religion rares. Cet homme, très-instruit dans les livres de 
son pays, me dit qu'il y est fait mention de neuf espèces de poules sauvages 
qui vivent dans l'empire (gallinacés), et que le Hoaky est de ce nombre. C’est 
lui qui a surtout aidé M. Dabry pour ses acquisitions, informations ét tra- 
ductions d'histoire naturelle; il a même remonté le Yangtzé jusqu’au Se- 
tchuan pour y acheter des poissons. 11 me dit que Tchong-kin lui a fourni plus 
de quinze espèces de ces derniers qu’on ne pêche jamais à Hankoou ; et 
que le Houpé est séparé du Se-tchuan par de grandes montagnes souvent 
boisées. 

De son côté, M. Guénaud, qui est grand chasseur, me confirme les récits 
du P. Celso, en me disant qu'il fait souvent des parties de chasse aux collines 
qui bordent les lacs de la rivière Han; et qu’ordinairement il lui arrive d’en 
rapporter plusieurs Ghevrotins, lesquels n’ont point de cornes. Sont-ce des 
Cervulus, ou bien une autre espèce inconnue de Cervide de petite taille ? 

Jusqu'en ces derniers temps, il résidait à Hankoou une douzaine de mili- 
taires français qui étaient employés par le gouvernement chinois comme officiers 
instructeurs de l’armée impériale : ils viennent d’être congédiés, sous le pré- 
texte qu'on manque d'argent pour les payer. Le chancelier provisoire du 
consulat est l’un de ces militaires renvoyés. 

Je suis loin de blèmer les Européens qui cherchent à se faire un peu de 
fortune en acceptant des emplois du gouvernement impérial. Mais il est remar-. 
quable que, soit en Chine soit au Japon, ce sont des Français surtout qui se 
sont chargés de la fondation des chantiers et des arsenaux, et de l'instruction 
des armées indigènes; c’est-à-dire de fournir à ces nations toujours hostiles 
à nous, quoi qu’on fasse, les moyens de combattre avant tout les Européens, 
quand elles se croiront assez fortes. Il est certain que, dans le cas d’une rup- 
ture avec les peuples de l'extrême Orient, les puissances occidentales auraient 
désormais plus de difficultés pour leur imposer leurs volontés, que par le 
passé, grâce aux intérêts personnels des commerçants et des particuliers. 

Comme topographie, si Hankoou est bâti trop bas, Outchang se trouve 
au contraire dans une belle position, sur de petites collines qui s'élèvent jus- 


BULLETIN. 65 


qu’à une quarantaine de mètres au-dessus du fleuve. Les pierres de construc- 
tion que je vois dans ces deux villes, consistent en grès rouge et en un très- 
beau granite à petits grains. Avant d'arriver à Hankoou, nous avons vu plus 
bas des carrières de pierre à chaux et de marbre blanchâtre. Les bois de con- 
struction viennent en grands radeaux par les fleuves, surlout du Hou-nan et 
du Se-tchuan : c’est du pin et du sapin, et j'en remarque de très-larges 
planches. Ici, le pays est complétement deboisé. 

Malgré la surabondance des eaux des fleuves, et des lacs, on me dit que 
le climat de ces régions est très-sain. 

16 octobre. — Le temps continue à se rétablir, et la nouvelle lune 
commence bien. Nous nous réjouissons de pouvoir bien commencer notre 
voyage; car c’est ce soir que nous allons nous remettre en route. Outre les 
quatre missionnaires avec lesquels je suis venu de Kiou-kiang à Hankoou, il 
y en à trois autres qui nous avaient précédés sur un autre vapeur appartenant 
à une autre compagnie anglaise qui a eu la complaisance de leur donner un 
passage entièrement gratuit: ce sont MM. Provot, Clément et Turgis, 
tous trois Angevins. M. Provot et M. Gennevoise ont été déjà au Se-tchuan, et 
c'est à eux que nous confons le soin de nous piloter jusqu’à Tchong-kin. Ce 
dernier confrère surtout, à cause de son expérience et de ses dispositions 
exceptionnelles, a la bonté de vouloir se charger de pourvoir aux besoins com- 
muns de la bande : il sera notre tangkia, notre économe, le régulateur de 
uotre famille, laquelle se compose maintenant de nous huit missionnaires, et 
de trois guides et domestiques. Il a déjà fait de grandes provisions de vivres, 
renforcé notre vestiaire par l'achat de vestes ouatées, en prévision du froid 
qui arrive, et loué deux barques sur lesquelles nous allons voyager jusqu'à la 
ville de Cha-che. Là, nous serons obligés de chercher une autre grande em- 
barcation, pour continuer notre voyage jusqu’au Se-tchaan. 

Nous aurions bien pu nous embarquer ici définitivement dans un seul 
bateau qui nous aurait portés jusqu’à Tchong-kin, sans avoir les désagréments 
d’un transbordagé ; mais il faudrait aller par le Yangtzékiang. Or les circuits 
nombreux que le grand fleuve forme de Hankoou jusqu’à Cha-che occasion- 
nent une grande perte de temps; tandis qu’il ne nous faudra qu'une huitaine 
de jours, pour arriver à ce dernier point, en naviguant en deux petites bar- 
ques, par les lacs et les canaux qui se succèdent dans cette direction. 

17 octobre. — Très-belle nuit et très-belle matinée. Nous nous sommes 


VIII. ? 


66 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


embarqués hier au soir; mais comme les Chinois ne voyagent point la nuit, 
ce n’est que ce matin que nous nous mettons en marche, et de très-bonne 
heure. Notre première journée passe sans incident remarquable : chacune de 
nos barques n’a que quatre hommes pour la gouverner, et nous nous sommes 
aussi distribués quatre à quatre sur chaque*bateau. | 

Les Chinois de notre suite, nos malles et les autres bagages sont commo- 
dément placés, sans danger de se mouiller. De temps en temps, l’un des bate- 
liers descend à fond de cale pour en retirer l’eau qui y pénètre toujours par 
les fissures, en plus ou moins grande quantité. Ces bateaux à fond plat sont 
calfatés, non pas avec du goudron, mais avec l'huile épaissie de l’Æleococca 
verrucosa, Où éong-you; ils sont garnis d’une couverture en planches unies 
ensemble au moyen de ficelles et non de clous. C’est làa-dessous qu’est notre 
chambre, où nous avons étendu nos couvertures de lit, Les hommes de notre 
suite et du bord dorment sous des toits de nattes en bambou, qu’on étend le 
soir, soit sur le devant, soit sur le derrière de la barque. Ce seul et unique 
appartement du milieu dont nous ne pouvons pas sortir est bien petit pour 
quatre hommes ; ce n’est qu’au milieu que nous pouvons nous tenir debout. Il 
nous sert de chambre à coucher, de salle à manger et de salon d'étude. Ces 
bateaux marchent, selon l'opportunité, à la voile, à la rame, à la perche, ou 
halés par les bateliers. — Bientôt nous laissons le grand fleuve pour prendre, 
à notre droite, un étroit canal qui nous mène vers les lacs alimentés par le 
Han. 

18 octobre. — Beau temps, vent d’ouest. Nous entrons dès le matin dans 
un. grand lac. Jusqu'ici nos hommes ont halé les bateaux tant qu'a duré le 
canal; mais ici, les bords sont loin, il faut ramer. Désespérant de faire notre 
journée ordinaire, à cause du vent qui est contraire, on suspend la marche ; 
l’on s'arrête de bonne heure, pour passer tout ce jour et la nuit au bord d’une 
des petites îles montueuses qui dominent ces eaux. 

Pour mon compte, je ne suis point fâché de ce petit contre-temps qui me 
fournit l’occasion de descendre à terre et d'y faire mes observations. Les roches 
qui constituent cet îlot sont sédimentaires, et consistent en grès quartzeux et 
en argilles. Près de quelques maisons je vois des meules de moulin en cal- 
caire bleu. On me dit qu’en hiver ce lac n’existe pas, que toute cette région 
est sèche alors et les îles actuelles ne sont que des montagnes qui surgissent 
au milieu d’une plaine immense. 


BULLETIN. 67 


Notre îlot est sec, et la végétation en est misérable. J'y récolte un Teu- 
crium à belles fleurs bleues, et un Lin à larges feuilles. En fait d'animaux, je 
vois des lièvres, un Faucon pèlerin, le Pakoou Accridotheres cristatellus, \’Ixos 
sinensis en vols nombreux, trois espèces de Tourterelles (sinensis, humilis et 
rupicola), le Pinson des Ardennes, le Rouge-queue (Phænicurus aurorea), 
le Roitelet modeste (Reguloïdes chloronotus), plusieurs Pouillots que je ne 
reconnais pas, l'£rythrosterna leucura, un beau Gobe-mouche (Perierocotus 
cinereus ?) l'Authus campetris, l’Alouette des champs et le Tarin d'Europe. Il 
n'ya point d'oiseaux aquatiques; sans doute parce que ces lacs sporadiques ren- 
ferment peu de poissons. 

Quoique ma santé ait été relativement bonne depuis quelque temps, ce 
soir je me trouve très-souffrant et pris d’un malaise insolite et inexplicable 
pour moi. Je ne sais à quelle cause attribuer mon mal, si ce n’est à une inno- 
cente tasse de thé sans sucre, que j'ai bue à mon retour au bateau. Pendant 
la nuit mes douleurs d'estomac et de ventre sont tellement violentes, que j'ai 
la pensée d’un empoisonnement!.. Les souffrances deviennent si insupportables 
que je m'évanouis bientôt; mais heureusement, la nature vient à mon aide, et 
d’abondantes évacuations me soulagent peu à peu et me rendent à la vie. Par- 
tout ailleurs qu'ici je n'aurais jamais pensé à l’empoisonnement ; mais en Chine 
c'est dit-on un moyen très-vulgaire de se défaire des hommes. Moi qui exé- 
cute de nombreux voyages pour l’histoire naturelle, je sais que ces populations 
soupçonneuses et hostiles aux Européens croient que je suis un espion des 
Occidentaux qui cherche à pénétrer jusque dans les parties les plus reculées 
de leur empire, soit pour y faire des cartes, soit pour y découvrir leurs mines 
de métaux précieux! On sait maintenant que plusieurs missionnaires sont 
morts du poison (entre autres, M. Delamarre à qui les lettrés chinois en vou- 
laient d’une manière particulière et dont ils réussirent à suborner les domes- 
tiques). Déjà plusieurs fois pendant mon séjour dans la campagne de Kiou- 
kiang, il m'était venu des doutes à l’occasion de douleurs d’entrailles d’une 
nature toute nouvelle que j'éprouvais après avoir pris mes aliments ou le thé; 
mais je n’osais point m'arrêter à mes soupçons, d’aufant plus que les symp- 
tômes n'étaient point graves encore. Le fait est que désormais, que mes craintes 
soient fondées en raison ou non, j'ai droit de me tenir sur mes gardes, sans 
craindre le reproche d’une manie. 

19 octobre. — Très-beau temps, point de vent. Nous nous remettons en 


68 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


mouvement, et avançons à force de rames pendant toute la journée; cepen- 
dant nous ne parvenons à faire qu'environ soixante-dix lys de route. Les îlots 
et les maisons abandonnées s'élèvent partout au milieu du lac; l’inondation 
qui dure depuis quatre mois ne commence pas encore à diminuer. Pourtant la 
population, d'assez chétive apparence, ne semble pas trop impatiente de ce 
déluge auquel elle est sans doute habituée périodiquement. — Aujourd’hui non 
plus, je ne vois pas d'oiseaux aquatiques, si ce n’est quelques vols de Canards 
sauvages qui fendent rapidement les airs vers le soir. Nous nous arrêtons et 
passons la nuit contre un petit tertre couvert de maisons qui constituent le 
village de Siao-choui-kang ; ce nom, qui signifie le trou de la petite eau, est 
loin d’être justifié en ce moment. 

20 octobre. — Beau temps, un peu nuageux, vent contraire. 

Nous voyageons sans incident remarquable, tantôt dans des lacs, tantôt 
dans les canaux où nos bateliers préfèrent toujours haler leurs barques que 
de ramer. J’aperçois deux Cormorans, les premiers du voyage à l’intérieur. 

24 octobre. — I commence à pleuvoir pendant la nuit, et la pluie con- 
tinue le jour ; nous avançons peu aujourd'hui. Pas de nouveautés. Nous tou- 
chons à la fin de ce premier grand lac, plus ou moins continu, qu’on nous dit 
n'exister que dans les grandes eaux. Cette année, l’inondation dure plus long- 
temps que d'ordinaire ; et ici les eaux couvrent la plaine sur une longueur de 
300 lys de l’est à l’ouest, sur 7 ou 8 lys de large. De nombreux groupes de 
maisons et d’arbres sont répandus comme des îles sur cette mer tempo- 
raire. 

22 octobre. — La pluie qui avait cessé la nuit, a recommencé ce matin; 
nous marchons peu et toujours au milieu de la chaussée de l’ancien canal. 
Aujourd'hui, j'aperçois plusieurs oiseaux, mais aucune espèce nouvelle : 
des Poules d’eau, des Goëlands, des Parrus, le Héron cendré, le Milan govinda, 
un grand Buzard, peut-être le €. spilonotus, abondent ; le Corbeau à collier 
blanc, la Corbine à gros bec, la Pie commune, la Pie bleue, le Pasteur 
huppé, l'Étourneau cendré, la Pie-grièche schach, le Martin-péêcheur 
de Bengale qui diffère très-peu du nôtre, la Bergeronnette jaune, le Moineau 
friquet. 

23 octobre. — Un vent violent et irrégulier succède à la pluie de la nuit. 
Nous voguons tantôt rapidement, tantôt avec peine, dans ce canal tortueux 
dont les bords commencent à devenir plus jolis. Les raffales du vent, qui 


BULLETIN. 69 


souffle du nord, nous fatiguent beaucoup, en secouant fortement nos plates 
barques et les poussant souvent contre la rive opposée. ; 

Nous parvenons pourtant à la douane de Kiou-Kouang dont les em- 
ployés font aussi chez nous leur visite obligatoire : nous sommes à moitié 
route de Hankoou à Cha-che, distance qu’on nous dit être de 525 lys. Il se 
met bientôt à pleuvoir et à souffler un grand mauvais vent, et force nous est 
de nous arrêter ici. Nos matelots s’attendent à la continuation du mauvais 
temps pour demain; car c’est le neuvième jour du neuvième mois, et ce 
jour, disent-ils, il y a des orages et des ouragans, de même que le troisième 
jour du troisième mois : Kiou yué, kiou; San yué, san: pou Young Chang 
tchouan (c'est-à-dire, le neuvième jour du neuvième mois et le troisième 
jour du troisième mois, il est imprudent de naviguer). C’est un proverbe du 
pays. 

Les bords du canal, qui se bifurque en ce lieu, sont assez agréables et 
boisés ; et comme il n’y a d'arbres que là, c’est le rendez-vous d’une immense 
multitude d'oiseaux appartenant aux espèces communes. 

24 octobre. — Très-mauvaise nuit passée à l'ancre devant la douane ; 
et très-mauvaise matinée. La journée est perdue pour le voyage. Le temps se 
refroidit sensiblement, et le thermomètre dans l'intérieur de la barque ne 
marque plus que 46° (nous sommes près du trentième degré de latitude). La 
pluie continue jusqu’au soir avec le vent violent et orageux. 

25 octobre. — Temps frais; le vent s’est calmé la nuit, et la pluie a cessé 
aussi. On part de bonne heure, et nous filons rapidement au travers de deux 
petits lacs, nommés Ta-thiédze et Siao-thiédse (grand plat et petit plat). 
Puis, nous nous engageons de nouveau dans les canaux, où la navigation est 
plus sûre et bien plus agréable pour moi. De petits Grèbes ressemblant au 
Podiceps minor, sont abondants dans ces eaux. Chemin faisant, je mets en 
peau et préserve au sel et au poivre (faute d’autres matières sous la main) 
deux beaux Garrulax perspecillatus que j'ai abattus le long des canaux. 

26 octobre. — Il pleut fort depuis hier soir; nous ne pouvons partir 
ni le matin ni dans l'après-midi. La pluie ne cesse que vers la nuit. 

27 octobre. — Le temps s’est amélioré. Nous partons de bonne heure. 
En traversant un lac de deux ou trois lieues de long, je vois passer des bandes 
d'Oies que je ne reconnais pas à leur voix, qui est nouvelle pour moi. Il y a 
aussi des oiseaux qui ressemblent à des Parrus, mais qui sont plus blancs et 


70 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


ont le ventre tout blanc; sont-ce des jeunes de l’Aydrophasianus sinensis ? I] 
passe encore devant moi beaucoup de Canards, et un gros Héron à couleurs 
obscures. En cheminant ensuite sur les bords du canal, j'y aperçois une 
sorte de Calamodyta, de petite taille et à couleurs foncées, que je ne connais 
pas non plus. Les Pies bleues sont toujours très-abondantes. 

Le Sophora est assez commun ici, avec le Melia et un Acacia qui res- 
semble au lebbed d'Égypte. 

Dans l'après-midi, les terrains que le canal traverse sont plus Da. et 
les champs ne sont plus inondés ; mais les pluies abondantes ont tellement 
détrempé la terre qu’il est presque impossible de marcher sur la chaussée qui 
encaisse le canal. Il y à ici quelques Bécassines qui semblent appartenir à l'es- 
pèce ordinaire. 

Mais ce que nous voyons ce soir avec grand intérêt, ce sont les fameux 
Cormorans pêcheurs. Ces oiseaux réduits en domesticité, au point de se pro- 
pager dans l’esclavage, procurent d'immenses pêches aux Chinois. Nous 
voyons plusieurs bateaux très-bas, portant chacun vingt à trente de ces 
oiseaux. Quand le pêcheur veut les faire pêcher, il les pousse à l’eau, en les 
touchant du bout de sa longue perche; sans quoi ces bêtes obéissantes et 
très-familières ne s’y jettent pas. Les Cormorans plongent alors de tous les 
côtés, et ne reparaissent à la surface des ondes que pour respirer ou pour 
rapporter le poisson qu’ils ont saisi et qu’ils ne peuvent pas avaler à cause d’un 
anneau métallique qu’ils ont au cou. Leur maître les empoigne alors par leur cou 
et retire la proie qui est dans leur sac; puis les rejette dans l’eau jusqu à ce 
qu'on ait ainsi dépeuplé cette partie du lac ou de la rivière. Il ne faut que 
peu d'instants pour accumuler une grande quantité de poissons ; mais ceux-ci, 
étant toujours plus ou moins meurtris par le bec du Cormoran, sont moins 
estimés pour la table que ceux qu'on prend aux filets. Les pêcheurs chinois 
ont le plus grand soin de ces oiseaux qui leur sont si utiles; quand ils les 
voient fatigués de la pêche, ils les remettent sur les perchoirs, et les y 
laissent longtemps immobiles, pour sécher le plumage; celui-ci paraît se 
mouiller davantage chez les oiseaux domestiques que chez les sauvages. De plus, 
quand on n’a pas l’occasion de les faire travailler, on les fait baigner régulière- 
ment un à un. Les oiseaux se laissent prendre et reprendre avec docilité et 
quand on les remet ensemble, ils cäquettent de plaisir, à la manière des Canards. 
La. démarche des Cormorans domestiques est embarrassée et très-disgracieuse., 


BULLETIN, 71 


28 octobre. — Le temps est douteux au matin, mais il se soutient sans 
pluie. Jusque vers le milieu du jour, notre navigation se fait dans des canaux 
dont les bords élevés sont garnis d’arbres : l'espèce dominante ici est le Stil- 
hngia sebifera, ou arbre à suif, Je vois passer des bandes innombrables de 
Sturnus cineraceus et des Oies sauvages, Anser albifrons? — Dans l’après- 
midi, nous traversons le dernier grand lac qui a six lieues de long, et qu’on 
nomme Tchang-hou (long lac); une brise du N. et du N.-E. favorise notre 
navigation. 

Aujourd’hui, comme les jours précédents, nous avons fréquemment 
passé devant des pêcheries au filet carré. Un"système de longues perches en 
bambous sert à abaisser et à relever cet immense filet dont le milieu est 
ordinairement muni d’un bout allongé en forme de verveux renversé, ou d’une 
nasse en osier. [1 y a, à côté, une cabane où, nuit et jour, un vieillard, un 
enfant ou une femme, est occupé à faire fonctionner cet appareil, au moyen 
d’une corde et sans efforts. Ils doivent sans doute prendre du poisson ; mais, 
quoique nous ayons regardé très-souvent relever le filet des eaux, jamais 
il ne nous est arrivé d’y en voir aucun... Cette observation a été faite par 
d'autres voyageurs. i 

Le soir, nous arrivons dans le dernier canal que nous ayons à parcourir, 
près duquel se trouvent les terres impériales bordées d’un beau quai en pierre 
de taille calcaire. Mais il est trop tard pour que nous puissions arriver aujour- 
d'hui à notre port de Cha-che ; nous nous arrêlons donc pour passer la nuit, 
amarrés tranquillement près d’un grand pont de pierre. Pendant une bonne 
partie de la nuit, notre sommeil est interrompu par les chants et la musique 
des Chinois qui passent et repassent sur le pont : c’est, sans doute, quelque 
cerémonie, quelque procession religieuse des païens. 

29 octobre. — Ce matin, nous arrivons enfin à Cha-che : c’est ici que se 
termine le canal, et que finit aussi cette première partie de notre navigation; 
c'est ici que nous devons quitter nos deux barques et nous transporter avec 
tous nos effets, par terre, de l’autre côté de cette ville, qui est un marché per- 
manent et très-considérable, pour nous y rembarquer sur une grande barque 
du Se-tchuan, laquelle devra nous porter à notre destination. Mais en Chine les 
choses ne se font pas vite : quoiqu'il n’y ait que quelques kilomètres de dis- 
tance entre cette extrémité du canal et le bord de Yantzékiang, et que le port 
du grand fleuve regorge de grosses embarcations vides, on nous dit qu’il 


12 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


faudra non-seulement tout aujourd’hui, mais peut-être plusieurs jours, avant 
que nous soyons prêts à nous remettre en route : les Changleang ou pour- 
parlers inévitables pour louer la barque qu’il nous faudra nous obligeront 
donc à attendre avec patience. Heureusement il y a ici une petite chrétienté 
avec une résidence de missionnaire, sous les murailles de la ville de Kin- 
tcheou, et c’est là que nous allons attendre. 

Après avoir donc payé nos braves bateliers et leur avoir fait le cadeau de 
règle en sapèkes, nous nous transportons sur deux autres petites barques avec 
nos effets, et quoique contrariés beaucoup par un vent très-violent, nous arri- 
vons de canal en canal au quartier de la mission, vers une heure de l'après- 
midi. Il yaici près de deux cents chrétiens; ils sont bien pauvres et vivent 
presque tous en faisant des parapluies de papier huilé. On dit que la popula- 
tion païenne du pays est fort hostile au christianisme. 

La maison du missionnaire et la chapelle des chrétiens, ou Koung- 
kouan, sont peu éloignées de l’une des portes de Kin-tcheou; en y entrant, 
nous sommes plus étonnés que contrariés de trouver le logis vide : le P. Lo, 
prêtre indigène, qui savait sans doute que des confrères européens devaient 
passer ici, est allé en mission depuis plusieurs jours. Il n’est pas téméraire de 
soupçonner que ce bon père a craint d’être trop dérangé par la présence 
des étrangers. C’est égal! nous nous installons très-bien dans cette maison 
vide; les chrétiens sont là pour nous rendre, moyennant quibus, tous les petits 
services dont nous avons besoin. 

La ville de Kint-cheou est bien murée, entourée de grands canaux pleins 
d’eau, et très-ancienne, puisque Confucius en parle comme d’un centre déjà 
antique de son temps; ce qui en porte l’âge à plusieurs milliers d'années. 
Une partie de la population qui habite l’intérieur des remparts est composée 
de Tartares-Mantchous qu'on y a établis à l’avénement de la dynastie actuelle- 
ment régnante. Ces Tartares avec leurs familles ne diffèrent plus des Chinois, 
qu'en ce que les femmes laissent croître le pied à sa grandeur naturelle. Ici, 
comme dans toutes les grandes villes centrales où ils se trouvent, ils occupent 
un quartier séparé, et sont tous militaires par état. Ils reçoivent du gouverne- 
ment une solde et des distributions de riz, et possèdent de bonnes terres pour 
leur entretien et pour celui de leurs chevaux. 

30 octobre. — Le temps continue à se maintenir bon; et le vent, qui 
est assez fort, sèche la terre qui était par trop humide à cause des grandes 


BULLETIN. 73 


pluies passées. Tout ce pays est plainier, et d'aucun côté on n'apercoit les 
montagnes ; seulement vers le nord-ouest on distingue au loin un léger renfle- 
ment du terrain qui s'élève, dit-on, en avançant dans la même direction, jus- 
qu'à former de véritables collines. 

Les environs de Kin-tcheou passent pour être très-fertiles, et cette année 
la récolte du riz a été fort bonne. Aussi y a-t-il allégresse dans la population, 
et rencontrons-nous de fréquentes processions de païens qui vont aux pagodes, 
ou Miao, remercier Fo de l’abondance des moissons. 

La pierre calcaire qu’on emploie ici dans les constructions est grisâtre et 
remplie de coquilles marines; on me dit qu’elle provient du sud-ouest du 
Yang-tzé, à plus de 200 lys d'ici. Le charbon minéral vient aussi de 
plusieurs centaines le lys de distance, des montagnes de l’ouest et du nord- 
ouest. (Tang-yang-shien : c’est de l’anthracite qui brûle sans fumée et en 
répandant peu d’odeur ; il contient un peu de soufre. 

Ici, j'ai la bonne fortune de trouver de l'excellente déni de fer à bon 
marché : la douane en a saisi plusieurs sacs, je ne sais pour quelle cause, et 
cherche à s’en défaire, Nous en achetons une bonne provision à raison de 
38 sapèkes (à peu près quatre sous) la livre, pour suppléer au plomb de chasse 
qui manque en Chine et coûle très-cher à Changhay. Il est vrai que la gre- 
naille use vite le fusil et casse les dents; mais ces inconvénients importent peu 
à moi qui ne chasse pas le gibier pour la table et qui tire les bêtes le moins 
possible et seulement quand les chasseurs indigènes ne suflisent pas pour mes 
acquisitions de zoologie. 

Un vieux chrétien de Siang-yang, domicilié à Cha-che, me répète encore 
que le fameux hoaky vit dans les montagnes septentrionales du Houpé. 
D'autres chrétiens originaires des montagnes qui sont à quatre journées nord- 
ouest de Kin-tcheou me confirment aussi les détails déjà reçus à Hankoou et 
relatifs à une grande chaîne montueuse et boisée qui forme la frontière du 
Houpé et du Se-tchuan dans leur pays, et où vivraient beaucoup d'animaux 
sauvages. Il est dommage que les voyages soient si difficiles et si lents en 
Chine et que je ne puisse pas visiter des pays qui paraissent si intéressants ! 
Quant à notre phasianide, nommé hoaky, je pense que ce n ‘est qu'une 
question de synonymie, bien que j'aie entendu parler à Hankoou d'une 
nouvelle espèce de faisan qu'un voyageur anglais aurait rapporté je ne 
sais d'où. 

VIH. 


Î 


7h NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


31 octobre. — Le beau temps continue, l’atmosphère:s’attiédit, et le vent 
souffle du sud. 

Nosguides, qui ont couru tout hier pour trouverune barque, nous lannon- 
cent qu’ils en ont arrêté une, grande et convenable, maïs :qui ne pourra se 
mettre ën route que dans six ou sept jours. . 

La maison que nous Hhabitons en maîtres temporaires a son petit jardin 
entouré d’une ‘haute muraille : un beau Sterculia platanifolia y croît à côté 
d’un cyprès à deux feuilles et-d'an thuya de petite dimension; il y ‘a aussi un 
pied de ‘vigne, rareté portée de je me sais où. Les fleurs iconsistent «dans le 
Chrÿsanthème des Indes, la reine-marguerite; le pardanthe, l’hémerocalleà 
larges feuilles, la tomate portée d'Europe, tetc. 

Aujourd'hui je’revois ici le freux, Corvus pastinator, que je n'avais point 
rencontré depuis mon départ de Pékin, où l’on en a toute l’année; j'entends 
aussi le cri d’un petit oiseau granivore ‘qui me paraît nouveau. Point d’autres 
particularités ornithologiques. Malgré mes recherches et celles de mes bien- 
veillants confrères, ‘de M. Bompas en particulier, je ne trouve:au jardin ique 
très-peu de coquilles et d'insectes ; on dirait qu’il y en a pénurie au pays. 

1° novembre 1868. — Dimanche de la Toussaint. Très-belle ‘journée. 

Nous célébrons notre fête catholique avec une pompe sans exemple ici : 
‘il a messe chantée et'solennelle en :toute règle, aveciconcours des:chrétiens 
‘chinois qui paraissent goûter assez le chant et les fonctions ecclésiastiques. Il 
‘est vraïque notre petite escouade de ‘missionnaires a la chance rare de compter 
dans son sein plusieurs ex-maîtres de cérémonies et de chant religieux. 

2 ‘novembre. — Journée belle et chaude. En compagnie d’une partie de 
mes confrères, je vais faire une :promenade de reconnaissance ‘à une lieue de 
distance nord-ouest de Kin-tcheou. Hl:ylà, au milieu des champs, des terrains 
incultes‘et assez accidentés, destinés en partie:aux sépultures, ‘avec.des brous- 
saillés et des arbres; nous y rencontrons'le Turdus Naumanni, le>Cisticola eur- 
sitans qui devient de moins en ‘moins commun à mesure qu'on s'éloigne vers 
T'ouest, un sylvain Cyanecula, l'authus cervinus, V'alauda cohvax., la :caille 
Commune, le faisan à collier. Sur les-canaux j’aperçois, ‘pour la première fois 
en Chine, un busard des marais, àitête blanchâtre, le Circus OTUgINOSUS SANS 
doute et un'grand martin-pêcheur noir et blanc, Alcedo rudis. 

Vers le soir, :mon Ghinois :capture quelques exemplaires d’un curieux 
petit papillon, une sorte de Psyché aux ailes transparentes, qui voltigeait en 


BULLETIN. 79 


grand nombre autour d’un arbrisseaw dont il ne sait pas me dire le nom. — 
Au coucher du soleil la clarté de Vatmosphère nous permet d'apercevoir versle 
nord-ouest des coines qui paraissent éloignées de nous de. quelques lieues 
seulement. 

3 novembre. — Ciel voilé au matin; un peu de pluie à huit. heures, puis 
le temps s'améliore pour le reste du jour. 

Pas de nouveautés ; nous attendons toujours qu’on ait fini les longs prépa 
ratifs de la barque louée : les Chinois comptent le temps pour rien. Nous nous 
apercevons qu'un vieux et cérémonieux cuisinier qui s’est imposé à nous adroi- 
tement profite de l’occasion pour filouter le plus possible sur le prix et la 
. qualité de nos provisions; comme il ne s'agit que de peu de jours, nous pre- 
nons patience. [1 nous en faut beaucoup en Chine! — Outre le calcaire à fos- 
siles qui vient ici du sud-ouest et de l’ouest, je vois aussi du grès qu'on me 
dit provenir du sud du fleuve Bleu. 

4 novembre. — Comme l’on ne peut pas s’embarquer encore d’'aujour- 
d'hui, nous profitons du temps très-beau, mais chaud, qu'il fait, pour exécuter 
une course au sud du Ta-kiang (grand fleuve), seul nom que les Chinois de 
l’intérieur donnent au fleuve Bleu. Pas de capture et d'observations utiles pour 
l’histoire naturelle ; nous abattons quelques freux (corvus pastinator) qu’on 
cuisinera ce soir chez nous comme si c’étaient des pigeons. Nous aperéevons 
un vol en ligne oblique de treize immenses pélicans (P. Crispus?) qui vont se 
poser devant nous sur la plage : nous aurions bien envie de posséder un de 
ces gigantesques palmipèdes ; mais, pendant que nous essayons de nous en 
approcher au travers des petites dunes mouvantes qui bordent le fleuve, un 
malheureux lièvre saute de nos pieds pour çourir dans la plaine nue, et donne 
ainsi l'éveil à nos pacifiques oiseaux. 11 s’envolent lourdement et gagnent un 
îlot inaccessible formé par les boues. 

Les champs d’au delà du Sie md sont déboisés et parfaitement 
plats, à perte de vue : c’est une terre d’alluvion profonde et exceliente. Du 
côté nord, le fleuve est bordé d’une grande et magnifique chaussée sur laquelle 
court la route qui mène jusqu’à Itchang. Plus bas que le niveau des eaux de 
la grande artère de la Chine, s'étendent vers Kin-tcheou de beaux jardins pota- 
gers et des champs fertiles : on les voit de loin hérissés de tumulus et d’autres 
sépultures. Les plantes que j'y vois cultivées en cette saison consistent en 
raves, en paélsaé (brassica sinensis), en carottes et en cannes à sucre. Je dis- 


76 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


tingue aussi une espèce de Xanthoxylon épineux qui est commun ici dans les 
haies; une sorte de grand laurier qui forme un grand arbre; le saule soupi- 
rant; le planera? sans épines et à écorce caduque; le sophora du Japon, 
un acicia, etc.; mais point d’ormeaux. 

à novembre. — Il fait très-beau temps et assez chaud. Nous disposons 
tout pour nous embarquer ce soir. Ce sont les chrétiens du lieu qui s'offrent 
à transporter nos bagages jusqu’au bord du Takiang, c’est-à-dire à trois 
quarts d'heure de notre maison, et nous avons trente ou quarante colis les 
uns plus lourds que les autres. Nous nous sommes même chargés de porter à 
nos frais des caisses d’outils et d’armes destinés à un armurier européen 
qui est au service d’un grand mandarin du Kouy-tcheou. Mais notre pares- 
seuse barque ne se trouve au point du fleuve où elle avait promis de monter; 
et force nous est de nous transporter à nuit close et avec de grandes difficultés 
jusqu'au port de Cha-che. Nous y arrivons après deux heures d’efforts, et non 
sans perdre quelques objets en route. Nous avons lieu de penser que ce 
malentendu, dit involontaire, a été ménagé par nos Chinois pour pouvoir 
pécher dans l’eau trouble. 

6 novembre. — Nous partons de bon matin et par un beau temps, et 
remontons le fleuve sans rien voir de particulier, si ce n’est quelques mouettes 
et goëlands. 

Le pays continue à être plat. 

Notre barque est assez commode et faite pour porter les voyageurs; c’est 
tout ce que j'ai vu de mieux encore en fait d’embarcation chinoise. Nous 
sommes installés, tous les huit Européens, dans trois chambres garnies de 
petites fenêtres de planches. L’équipage consiste, pour le moment, en une 
vingtaine d'hommes que le capitaine a loués à Cha-che, pour aller jusqu’à 
lichang; là il en faudra trouver d’autres qui connaissent mieux les difficiles 
passages à traverser pour arriver jusqu’à Tchongkin. Le maître batelier ou 
capitaine est un jeune homme, à manières prévenantes ; mais il est doublé de 
sa mère, intrépide fumeuse d’opium, veuve peu timide, qui prend souvent sur 
elle de donner les ordres à l’équipage. Cette femme, à la mine pâle et presque 
cadavéreuse, se montre rarement, et seulement dans les circonstances solen- 
nelles, hors de sa chambrette, où elle passe presque tout son temps à déguster 
les vapeurs de la drogue qui mine sa santé et sa bourse. Mais telle est la 
tyrannie du vice de l’opium, que jamais ou presque jamais 1l n’arrive que ceux 


BULLETIN, 77 


qui y tombent parviennent à s’en défaire, même quand ils voient clairement 
qu'ils hâtent par là leur ruine et leur mort. 

. Ici les Chinois appellent l’opium Ya-pien, imitation du son européen ; 
à Pékin, on le désigne sous le nom de Yang-yen, fumée ou tabac des Occi- 
dentaux. | 

7 novembre. — Aujourd’hui le temps est un peu pluvieux et triste. Dans 
la matinée, notre navigation n'offre rien de remarquable ; nous avançons 
presque toujours halés par nos hommes : quand le courant est trop fort d’un 
côté, ceux-ci remontent sur la barque, et l’on passe à l’autre bord du fleuve, 
en ramant en cadence. Le cri ou chant que les bateliers de ces contrées 
emploient pour s’aider à ramer ensemble est quelque chose qu’on n'oublie 
jamais quand on l’a entendu une fois : d’abord, l’un des hommes pousse, sur 
le ton le plus élevé possible, quelques longues notes chevrotantes qui rap- 
pellent assez le cri de rappel des montagnards écossais, ou l’/rrintzina des 
contrebandiers basques ; et, chaque fois, ses compagnons lui répondent à 
lunisson un formidable Heou, achromatiquement ascendant ou descendant. 
selon la circonstance. 

Quand il arrive qu’on va à la voile et que le vent vient à faiblir, nos 
matelots ne manquent pas de se mettre à siffler pour invoquer le dieu des 
brises. Il est curieux de retrouver, chez presque tous les peuples du monde, 
cet usage identique d'appeler le vent en sifflant; je pense qu’il n’y à dans 
cette unanimité qu’une question d'harmonie imitative. 

Comme la vie rigoureusement sédentaire de nos étroits appartements est 
très-peu commode, nous profitons de toutes les occasions que la marche de la 
barque est ralentie par le courant, pour descendre à terre : Changpo, comme 
disent nos gens, afin de dégourdir nos jambes rebelles encore à la posture de 
celles des tailleurs, à laquelle elles sont condamnées ici dans notre embarcation 
mandarinale, comme elles l’étaient à Pékin dans les fiacres couverts. : 

Étant donc allés à terre, cette après-midi, au nombre de six sur huit 
voyageurs, et ayant laissé malheureusement le chemin qui longe le fleuve, 
pour suivre une grande chaussée qui semblait devoir abréger notre route, tout 
en nous faisant éviter de traverser une ville ou Forum considérable, nommée 
Kiangkeou, qui se trouvait devant nous, il nous est arrivé de nous engager 
dans les terres et autour d’un lac impassable que nous croyions pouvoir con- 
tourner pour aller plus haut retrouver le fleuve. Maïs pas du tout : plus nous 


78 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. , 


marchons, et plus nous nous éloignons de notre barque-maison et plus nous 
nous engageons dans un dédale de maraïs inextricables. Quelques Chinois 
que j'avais rencontrés et interrogés nous avaient bien dit que le reste de cette 
journée ne nous suffirait pas pour faire le tour que nous nous proposions ; 
mais mes ardents et jeunes camarades répugnaient à revenir sur les pas et 
espéraient faire l'impossible à force d'énergie et d’agilité : en avant, toujours, 
répondent-ils. Mais à force d'aller en avant les forces s’épuisent, et le dîner 
nécessaire pour’ les réparer laisse passer son heure ; d’un autre côté, la nuit 
arrive à grands pas et ne nous laisse guère plus voir que l’effrayante longueur 
du lac qui semble s'agrandir à mesure que nous nous efforcons d'en voir la 
fin... C'est alors que nous songeons enfin à la retraite; mais, hic opus, hic 
labor ! La nuit devient obscure et, pour comble de contre-temps, il recom- 
mence à pleuvoir. Cependant, guidés un peu par les indications d’un brave 
paysan, nous parvenons enfin à retrouver la ville de Kiangkeou, que nous avions 
si malheureusement cherché à éviter + force nous est d'en traverser plusieurs 
rues en faisant le moins de bruit possible ; heureusement que cette pluie, si 
désagréable d’ailleurs, rend les voies désertes ; et nous ne donnons pas l'éveil 
aux gens qui boivent et fument dans les boutiques. Avant d’avoir excité leur 
attention, nous arrivons au bord du fleuve qui va nous guider au bateau; 
mais un Canal par lequel les eaux du lac susdit se déchargent dans le 
Yangtzé nous arrête bientôt : nous n'avons pas d'argent pour payer la 
barque qui passe les voyageurs. Nous appelons pourtant le batelier qui 
vient à nous, et nous trouve installés sur sa nacelle avant qu'il ait eu de temps 
de nous reconnaitre et surtout de se douter de notre pauvreté extrême. Arrivés 
au bord supérieur, nous descendons lestement à terre, en laissant M. Provôt | 
chercher majestueusement dans sa poche quelques sapèkes qu'il dit avoir 
encore; il réussit à en trouver pour la valeur de trois ou quatre centimes. I 
les met dans la main de notre pauvre charron, et se hâte de se perdre dans les 
salutaives ténèbres...! qu'y at-il à faire dans ce cas? 

Il s'agit maintenant de retrouver notre embarcation ; nous espérions que, 
ne nous voyant pas revenir, nos gens auraient deviné notre mésaventure et 
se seraient arrêtés pour nous attendre! Nous oubliions que nous étions en 
Chine! — Nous continuons donc à côtoyer le fleuve le plus diligemment 
possible ; il ‘pleut toujours, et l'obscurité est parfaite. Nous passons devant des 
maisons et des villages : M. Provôt, qui parle le mieux d’entre nous le chinois 


BULLETIN. 79 


de ces parages, demande des nouvelles de notre désiré bateau. Ceux qui se 
sont aperçus de son passage disent. qu’il doit être monté encore bien plus 
haut ; il emploie toute son éloquence pour décider quelqu'un à nous guider ou 
au moins à nous donner une lanterne de papier. Mais : point d'argent, point 
de Suisse! — Lao-pan, crie-t-il à toutes les maisons où nous: voyons encore de 
la lumière, ayez pitié de pauvres voyageurs égarés ; venez nous guider au 
bateau mandarinal : nous vous y payerons bien. Mais il a beau supplier et 
prodiguer le titre honorifique de Lao-pan. (monsieur), il n’obtient ni guide ni 
lanterne, Dans les provinces du centre de la Chine, on donne le titré de Lao- 
pan aux hommes du peuple de quelque importance : ces paroles signifient 
littéralement vieille planche, et devaient primitivement être réservées à un 
maître batelier. Nous marchons donc tristement, en trébuchant souvent et 
tombant les uns après les autres. Notre chemin est souvent interrompu par 
des éboulements de terrain : ce sont alors de véritables difficultés et des dangers 
réels; notre voyage nocturne paraît éternel ! 

Enfin, en ma qualité de voyageur expérimenté, je me mets à la tête de 
la bande. — L'impossibilité de nous arrêter là nous oblige à redoubler 
d'efforts; mais bientôt une maisonnette abandonnée nous barre le chemin ; 
nous avons, d’un côté, le fleuve à pie à notre gauche, de l’autre un marais 
compliqué où nous ne pouvons pâs nous engager bonnement. Que faire? La 
maisonnette qui nous arrête si mal à propos a un toit qui s’avance de deux 
pieds ; il y a là quelques paquets de tiges de sorgho : voilà, dis-je, pour passer 
notre nuit; nos forces sont épuisées; il n’y a plus moyen de faire un pas en 
‘avant: Sur ce, nous nous groupons silencieusement, et nous nous asseyons ou 
couchons les uns contre les autres, en songeant, sans le dire tout haut, que si 
la faim et la fatigue ne nous tuent pas, il n’en sera pas peut-être de même du 
froid; car nous sommes trempés de sueur et de pluie, et il souffle un vent 
froid, piquant. 

Mais il est un Dieu. pour les enfants! (Ce dernier nom nous convient 
aujourd’hui.) Il ne s'était pas encore passé trois quarts d’heure depuis notre 
halte de désespoir ; la brise n'avait pas encore glacé nos membres , quelques- 
uns d’entre nous- n'avaient pas encore terminé leurs prières du soir et celles 
qui remplacent pour le missionnaire en voyage la récitation du Bréviaire, 
quand tout à coup nous voyons poindre une lumière; elle s’avance vers nous... 
Deo gratias ! nous voilà sauvés. 


80 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


En effet, deux des Chinois que nous avions en route priés en vain de 
nous guider, et auxquels je n’avais pas pour ma part épargné les épithètes 
que leur dureté méritait, s'étaient ravisés après coup, par une inspiration 
salutaire du ciel, et s'étaient mis bravement en route pour nous éclairer et 
mener jusqu’à notre bateau. Il nous fallut encore quatre longues heures de 
pénible marche pour y arriver; mais enfin nous y parvinmes, grâce à Dieu, 
à trois heures après minuit, après avoir passé par mille petits dangers et avoir 
tous fait plus ou moins de chutes dont aucune dangereuse. La plus regrettable 
a été celle de M. Bompas qui, en cheminant philosophiquement au bord d’une 
haute chaussée, s’est laissé tout à coup choir dans le vide et est allé, à dix 
ou douze pieds plus bas, s’enfoncer dans la molle boue d’une rizière. Notre 
vieux guide (un seul nous a suivis) a fait aussi plusieurs culbutes remar- 
quables; mais lui n’y prend pas tant garde, un autre Dieu que nous 
le protége! Au milieu de notre course à travers champs, cet homme gai, 
bavard et assez bien mis d’ailleurs, a eu le talent de faire ouvrir une guin- 
guette; on y a chauflé du thé et du Chao-tsiou (eau-de-vie de sorgho) : nous‘ 
avons bu le premier, il a bu le second et si bien bu qu’il en est gris; et nous 
pouvons croire, sans jugement téméraire, que ce n’est pas pour la première 
fois. Ses chutes donc ne l’en rendent que plus intéressant et ne l'empêchent 
pas de nous mener à notre port de salut. 

Les bons Messieurs Turgis et Pellé étaient dans les transes, ne sachant 
que penser et que faire... Deux fois ils avaient envoyé nos hommes pour nous 
chercher ; mais ceux-ci, à la chinoise, n'avaient pas poussé bien loin leurs 
investigations... Bref, nous voici chez nous, le cœur plein de reconnais- 
sance pour la miséricordieuse Providence qui veille sur les missionnaires, et pour 
le bon vieux guide qui nous à tirés d’embarras et d’un grand danger. Aussi 
nous hâtons-nous de lui donner plusieurs ao, ou longues files de sapèkes, 
avec un bon souper et du Chao-tsiou, ad libitum, ce qui ne l'empêche pas de 
nous escamoter un autre rouleau de monnaie qui ne lui était pas destiné. 

Douze ou treize heures de marche forcée et autant et plus de jeûne 
avaient creusé notre estomac : nous dévorons donc activement nos plats en 
retard et allons donner à nos membres un repos dont rarement ils ont eu plus 
besoin. En somme, la journée a été plus périlleuse et pénible que malheu- 
reuse; nous ne l’oublierons pas pourtant aisément, et elle servira As leçon 
pour l'avenir. 


BULLETIN. s1 


Notre lac, d’éternelle mémoire, est à peu de distance au N.-0. de 
Kiangkeou, et paraît avoir plusieurs lieues de circonférence. 11 n’est point 
indiqué sur la carte du capitaine Blakiston, qui n’en a sans doute aperçu que 
la crique qui y mène, et qui n’en parle point dans sa relation si intéressante 
(Five morath on the upper Yangtze) dont j'ai reçu une copie de l’obligeance 
de M. Hollingworth, négociant anglais. : 

Dans la journée, j'ai apercu beaucoup d'oiseaux aquatiques sur le lac, 
et sur ses bords quelques faisans et des geais chinois. 

8 novembre, dimanche. — Malgré la grande fatigue, nous nous levons 
de bonne heure afin de pouvoir commencer à sanctifier le jour du Seigneur 
par la célébration de la messe, avant le départ de la barque. 

‘sde temps est couvert et doux. Vers midi, les collines apparaissent des 
deux côtés du fleuve; les plus élevées sont au sud et ont de cent à deux 
cents mètres de hauteur. La végétation y paraît abondante, les pins sont les 
arbres les plus ordinaires. Chemin faisant et tout en me réjouissant que le 
pays plat, si stérile pour le naturaliste, va bientôt finir, je revois mon martin- 
pêcheur (Ceryle rudis), une poule d’eau, des gazelles blanches en troupe, 
une farlouse que je ne reconnais pas au bord de l'eau. Les oiseaux connus 
sont plus abondants que jamais. | 

Je prends un Terias nouveau pour moi et déux LÉycoua nouveaux sur les 
digues couvertes de gazon brouté, parmi lequel fleurissent encore quelques 
pissenlits en retard. Le curculiouite vert des Armoises se voit encore coïn- 
munément sur le sable. Le colias jaune pâle de Pékin est aussi ordinaire ici ; 
il m'a semblé voir une seconde espèce de colias orange. Je vois aussi passer 
un thecla soyeux, fort joli et de grande taille, que je ne connais point. 

Nous voyons les montagnes s'élever à mesure que nous nous avançons 
vers l’ouest. Derrière la ville de Ki-kiang-shien, au sud du fleuve, nous distin- 
guons de lointaines montagnes qui paraissent avoir mille mètres de haut. 

L'arbre à suif est l’un des plus abondants du pays que nous traversons ; 
M. Provôt nous montre aussi les premiers arbres à cire que nous rencontrons 
et qui sont sans feuilles : ce sont, ce me semble, des fraxinus véritables, de 
moyenne grandeur. Notre confrère nous apprend que c’est sur cette plante 
qu'on élève les petits insectes qui donnent cette belle cire transparente qu’on 
estime tant en Chine. 

9 novembre. — Il tombe une petite pluie le matin. 


VII. 


82 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Les collines paraissent de plus en plus boisées, et les maisons blanchies 
à la chaux se détachent agréablement sur le fond verdoyant du paysage. Vers 
le sud, un léger brouillard nous empêche de distinguer clairement les der- 
nières montagnes par lesquelles finissent, à nos yeux, ces jolies collines 
arrondies qui s'élèvent en amphithéâtre à mesure qu’elles s’éloignent de 
nous. 

Nous passons, vers 9 heures, en face d’une ville considérable appelée 
Dje-kiang-shien, auprès de laquelle se dresse, du côté de l’est, une haute tour 
conique qui fait bel effet. | 

Après diner, en marchant sur la rive droite, nous nous engageons au 
milieu de petites collines recouvertes de cailloux roulés siliceux et provenant, 
je crois, de la dégradation d’un poudingue superficiel. Quant aux parois 
du lit du fleuve, on voit, au-dessous de l’alluvion, des couches soulevées du 
côté sud-est et composées de grès tendre et d’argile rouge. La roche calcaire 
se voit çà et là plus en dedans. 

Les pins sont encore les arbres les plus abondants ; il y a aussi des chênes, 
des camphriers et d’autres essences nouvelles pour moi. Des orangers et des 
palmiers à chanvre (Chamærops excelsa) entourent les habitations, ainsi que de 
grands bananiers : ce sont les premiers que j’apercois. En un mot, quoique 
nous suivions toujours la même latitude, la flore se modifie et change avec la 
longitude, et le paysage devient de plus en plus joli. 

© En fait d'animaux, pas de nouveautés. Je vois un Turniæ, des Turtur 
sinensis , l’'{xos sinensis par vols nombreux, le milan, l’épervier et la créce- 
relle. J'entends un Garrulas qui me paraît nouveau : peut-être le Garr. sannio 
de Swinhoe. 

Les élégants Terias, les rapides Colins aux ailes de soufre, les Lycæna 
bleus, voltigent autour des fleurs peu nombreuses en cette saison : quelques 
labiées, l'Oxalis corniculata ! vieille et chère connaissance de mon enfance ; 
le cosmopolite Taraxacon, un Polygomme aux petites fleurs roses. En lon- 
geant les jardins, j'y reconnais le bel nie cames malvacé aux grandes fleurs 
blanches, roses et jaunes. 

Le niveau des eaux du Yangtrékiang s’abaisse tous les jours; et ici il est 
en ce moment plus bas de quinze à vingt pieds qu'il y à une quinzaine de 
jours. 


10 novembre. — I] à plu un peu toute la nuit et il continue à pleuvoir 


BULLETIN. 83 


tout le jour. Cela ne nous empêche pas de continuer notre route, halés tou- 
jours par nos vigoureux matelots qui ne paraissent pas trop incommodés de 
la pluie. Les Chinois du Nord la redoutent tellement qu'ils suspendent tout 
voyage, toute occupation extérieure, pour peu qu'il pleuve. 

Aujourd'hui nous passons certains endroits, certains coudes du fleuve, 
où le courant est déjà rapide et le balage y est laborieux. Différemment 
qu'hier, ici c’est au nord, à notre droite, que les collines sont le plus 
élevées ; les montagnes de la rive méridionale ne paraissent plus à cause du 
brouillard, 

Les eaux du Yangtzé baissent toujours et me permettent d’apercevoir çà 
et là dans la vase des cailloux roulés blancs siliceux, pareils à ceux des col- 
lines examinées hier. Il y a aussi en évidence la roche vive dont les couches 
s’ouvrent à l’ouest et consistent en grès tendre dépourvu de fossiles, et en 
argile rouge souvent marbré de bleu. 

Après une halte de deux heures à laquelle nous oblige la pluie devenue 
par trop forte, nous reprenons notre navigation à trois heures jusqu’à la 
nuit. | 

J'ai aperçu sur le bord de l’eau le Charadrius longipes, qui représente le 
pluvier doré de l'extrême Orient. 

11 novembre. — Le temps se découvre. Ce matin, nous passons heureu- 
sement notre premier véritable rapide, qui est d’une violence médiocre. Les 
collines des deux rives sont aujourd’hui composées de gros poudingue 
solide ; et celles de la rive droite, hautes de deux cents à quatre cents mètres, 
affectent d'ordinaire la forme pyramidale; les strates consérvent jusqu’au 
sommet leur forme horizontale primitive. 

Nos bateliers nous apprennent que nous approchons d'Achang; en effet, 
de bonne heure, nous apercevons la haute tour qui annonce cette ville au loin; 
plusieurs de mes confrères, devançant la barque par terre, se donnent la 
satisfaction de monter jusqu’au sommet de ce beau monument. A midi, nous 
passons en face d’une pagode perchée, comme uñ nid d’aigle, sur la pointe 
aiguë d’une montagne qui est taillée à pic du côté du fleuve et par l’action 
séculaire des eaux. 

C’est à trois heures de l’après-midi que nous arrivons et nous arrêtons à 
Itchang. En approchant de cette ville, les montagnes diminuent de hauteur, 
mais offrent le même aspect et la même composition géologique que plus bas. 


84 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


12 novembre. — Beau temps, fort vent du sud-est. (Halte d’Itchang.) 
D’après nos conventions, notre capitaine a le droit de s'arrêter dans ce port 
pendant deux jours, pour y renouveler, ou, du moins, renforcer son équipage. 
Le nombre des barques que nous voyons ici est bien inférieur àe lui de 
Chache; mais notre batelier y trouvera les gens qu'il lui faut. 

Pour moi, je ne suis point contrarié de cette halte, et je me propose 
d'employer tout mon temps à reconnaître les productions naturelles de la 
contrée. En compagnie de plusieurs de mes confrères, je vais passer la journée 
à terre, dans les montagnes de la rive du sud du côté opposé à la ville. Il 
nous faut pour cela traverser le fleuve, qui est encore très-large ici. Ges col- 
lines souvent pyramidales et assez aiguës ont une hauteur de trois à cinq cents 
mètres au-dessus du niveau du fleuve Bleu; elles sont formées de grès un peu 
rougeätre disposé en couches presque toujours horizontales. 

Nous suivons la vallée d’un clair ruisseau qui semble provenir de mon- 
tagnes plus élevées qui bornent à l’ouest notre horizon, et dont l’une a un 
sommet en têle ronde assez curieux. Le massif du nord-ouest vers Ou-chan 
ne paraît pas lrès-considérable encore : c’est un renflement du sol parsemé 
d'innombrables petites collines. De même, les collines basses de la partie 
N.-E., qui est derrière la ville, sont couchées en masses irrégulières et con- 
fuses sur de vastes renflements du sol, Sans offrir aucun sommet ou pic 
remarquable. 

Cette ville d'Itchang, vue de ces hauteurs, ne paraît pas considérable 
pour son étendue; la partie murée en est médiocre. Le canal qui sépare en 
deux les faubourgs n’est point une rivière distincte venant du Nord, comme 
l'indique la carte du Yangtzé de Blakiston, mais un bras du même fleuve 
détaché plus haut pour former une île sur laquelle s'étend une partie de la 
ville extérieure. 

Les collines et les montagnes, taillées à pic sur la rive opposée à la ville, 
sont assez jolies; elles sont habitées dans les vallons. Les chamærops, les 
bambous, les pamplemousiers aux énormes fruits acides, s’entremêlent aux 
chênes à feuilles de châtaignier, au sophora, au fortunea sinensis et à d’autres 
arbres communs, et donnent ainsi au paysage une apparence de région semi- 
tropicale. La végétation herbacée ici, aussi, est très-peu variée; les plantes 
que j'observe fleuries sont un ou deux pyrethrum, l’érigeron canadense, des 
violettes, une clématite rose, une sorte d’abelia, le bel arbuste malvacé ren- 


BULLETIN. - 85 


contré plus bas, des potentilla, des aster, des chrysanthemum blancs croissant 
dans les rochers suspendus sur le fleuve. Je récolte aussi une gentiane curieuse 
à grande fleur rose et blanche, un erioph@rum? qui vit dans les rocs. Plu- 
sieurs fougères sont nouvelles pour mes yeux. Le pays n’est pas boisé; il y à 
pourtant quelques pinus sinensis, des biota; et, près des habitations, des 
sterculia, des pawlonia et des saules ainsi qu’une sorte de laurus à écorce 
blanche et à fruits noirs. Je récolte les graines d’un joli petit cratægus à fruits 
rouges et ceux d’un smilax, genre nombreux dans toute là Chine. 

En cherchant les insectes sous les pierres, nous prenons deux très- 
petites grenouilles comme je n'en ai jamais vu: elles sont adultes. Leur cou 
leur générale est un gris-roux ayant sur le dos des lignes brunes et angu- 
leuses symétriquement tracées sur les deux côtés : j'appellerais ce pygmée des 
batraciens anoures de Chine, Ranina symetrica. Certainement son volume est 

des centaines de fois plus petit que celui de ma Rana latrans, des cascades 
du Kiang-si, espèce bien distincte de la grenouille, grosse aussi, des rizières, 
Rana tigrina. Je retrouve aujourd’hui et transcris mes notes sur la grenouille 
aboyeuse : « Taille très-grande. Dessus brun avec des petits points noirs et 
des taches nombreuses plus foncées; dessous, blanc sale ou jaunâtre. Une 
tache noirâtre derrière l'œil. Les vieux individus ont des couleurs plus claires 
et parfois le fond en est jaunâtre sale, avec des points noirâtres et d’autres 
taches obscures. OEil grisâtre. Vit sous les rochers des cascades. » 

Je prends ici un Colias edusa ? espèce qui ne vit pas à Pékin, et les 
Vanessa cardu et atalanta? On ne voit presque point de coléoptères ni 
de traces d’insectes, si ce n’est quelques outhophagus. Ce pays doit être 
pauvre pour l’entomologie. Nous n’apercevons non plus que peu d'oiseaux; 
le milan govinda est seul très-abondant et plane continuellement au-dessus de 
la ville et des barques, sur les mâts desquels il vient se reposer parfois : les 
rochers des montagnes voisines doivent lui fournir un abri facile. 

Nous récoltons aussi quelques hélix, des bulinus; et les coquilles me 
paraissent devenir ici plus communes qu'ailleurs en Chine. 

Après une journée fort agréable, nous regagnons notre barque en repas- 
sant le grand fleuve agité, cette fois, par le vent d’est ou sud-est. Le ciel 
continue à être serein. 

13 novembre. — Beau temps, ciel serein, atmosphère tranquille. Cette 
nuit, le niveau de l’eau s’est élevé de cinq pieds : il doit avoir plu beaucoup 


86 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


plus haut. Le soleil se couche encore par un très-beau ciel serein qui nous 
permet d'observer de nombreuses étoiles filantes. 

J'ai passé ma journée à ranger mes petites collections pendant que 
M. Gennevoise et nos gens de service couraient à la ville pour faire les pro- 
visions de route nécessaires d'ici à la ville de Kouy-fou: c'est dans cet inter- 
valle qu’aura lieu la partie de notre navigation réputée la plus périlleuse. 

144 novembre. — Matinée de brouillards; après diner le ciel s’éclaircit. 
Nous allons faire une promenade aux collines de la rive méridionale, et nous 
y faisons, cette fois, une prise abondante de petits bousiers fort jolis, de trois 
ou quatre espèces ou formes nouvelles pour nous. Le vanessa brun-bleu, si 
commun à Canton, se montre aussi assez abondant ici avec ses congénères 
rencontrés avant-hier. 

Outre le chêne à feuilles entières comme celles du châtaignier, nous 
voyons aussi quelques pieds de chênes à feuilles ordinaires, 

Sur les rochers de la rivière, nous apercevons le premier échantillon du 
merle de roche bleu, qui me paraît être semblable au merle solitaire 
d’occident, Petrocincla Cyanea. J’observe avec étonnement que les étour- 
neaux cendrés et les pasteurs, si communs plus bas, manquent complétement 
dans ces parages. Qui sait pourquoi ? Il faut peut-être à ces oiseaux la plaine 
ou son voisinage; ici nous n'avons plus que les montagnes qui vont devenir 
de plus en plus considérables à mesure que nous avancerons vers l’ouest. 

15 novembre. — Pluie toute la journée. Enfin nos gens sont prêts; ils 
nous annoncent que nous repartirons ce soir, [l arrive dans notre barque beau- 
coup de nouveaux bateliers portant chacun leur lit et leur paquet : c’est que 
désormais il nous faudra beaucoup plus de monde pour traîner notre embar- 
cation dans les grands rapides qui foisonnent plus haut. 

Nous recevons la visite d’un chrétien important d’Ischang, qui vient nous 
offrir en cadeau-quelques petites bagatelles et s’excuser de n'avoir pasinvité les 
Cheu-fou (pères spirituels) à dîner chez lui, attendu un récent incendie qui 
lui a causé de grandes pertes et même brûlé la plus grande partie de sa 
maison. Îl paraît que c’est un brave homme, qui rendait beaucoup de services 
aux Européens voyageant dans ces parages ; et nous regrettons vivement le 
malheur qui lui est arrivé : les exceptions à la règle sont d'autant plus remar- 
quées qu'elles sont plus rares. 

Aujourd'hui notre cher procureur a une scène assez orageuse avec le 


BULLETIN. 87 


maître batelier : celui-ci prétend que l’argent que nous lui donnons (deux 
cents taëls, puis beaucoup de gratifications obligatoires et convenues pour lui 
et tout l'équipage) ne suffit pas à ses frais et qu’il va être en perte au bout du 
voyage. Il demande un changement de contrat: il se lamente et pleure même 
de concert avec sa mère. Mais M. Gennevoise ne se laisse pas tromper à ces 
chinoiseries, habituelles à ces hommes. I lui promet un plus gros cadeau s’il 
fait son devoir à notre satisfaction. 

His dictis, nous partons, c’est-à-dire que nous quittons la rive gauche 
pour aller nous amarrer à la rive droite d’où, demain, il nous sera plus Er 
de prendre notre élan définitif. 

16 novembre. — Pluie la nuit, et le matin encore ; l’on part néanmoins 
de très-bonne heure, et on est aidé par une forte brise favorable. Il ne nous 
faut que deux heures pour arriver aux fameuses gorges dites d’Itchang. En 
attendant, le chemin ou sentier de halage devient de plus en plus difficile, 
souvent nos hommes doivent grimper ou sauter comme des singes, et deux 
chefs de chiourme ne léur épargnent pas les coups de fouet sur le dos, pour 
les exciter au travail dans les moments critiques. Ce spectacle nouveau nous 
révolte d’abord et nous fâche même; maïs comme nous voyons que les battus 
ne trouvent rien à redire à ce mode d’agir à leur égard, nous comprenons 
que c’est un usage du pays, qui est justifié par pures difficulté des 
passages à surmonter. 

Jusqu’à l'entrée des gorges, les collines, taillées à lpie par le fleuve, 
continuent à offrir les mêmes couches horizontales de grès et de conglomérat 
que plus bas, et deviennent de plus en plus boisées. Bientôt il n’est plus 
possible de haler, nos gens remontent sur la barque. Puis, lentement et avec 
difficulté, à cause de la cessation du vent, nous dépassons cette si imposante 
entrée des gorges. Là, le lit du fleuve se resserre jusqu’à deux ou trois cents 
mètres de largeur, tandis qu'un peu plus bas ses eaux occupaient majes- 
tueusement un espace qu’il faut"compter par kilomètre. Ce qui nous étonne 
beaucoup, c’est de voir que le Yangtzékiang, si étroitement encaissé ici par 
les montagnes, coule cependant avec une lenteur inaccoutumée ; nous nous 
attendions à un phénomène tout contraire. La profondeur de l’eau doit être 
très-grande. 

Cette entrée des gorges d’Itchang est l’une des scènes de la nature les 
plus belles qu’on puisse voir. Les deux bords du fleuve, taillés souvent à pic. 


bb] NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


s'élèvent à plusieurs centaines de mètres de hauteur ; de nombreuses cascades 
latérales, dont les eaux tombent en vapeurs, et des groites, suspendues sur ces 
hautes murailles verticales, donnent au paysage un aspect excessivement pitto- 
resque. Une végétation assez abondante, et verte encore, orne les rochers. 

_ La vallée du Yangtzékiang et tous les petits vallons de côté semblent être 
formés par l’action multe séculaire des eaux. Leur immense profondeur indique 
une très-haute antiquité. Comme composition, ce sont toujours les mêmes grès 
gris disposés en couches horizontales, surtout vers le sommet des montagnes, 
et supportés par le calcaire bleu qui est, au contraire, soulevé du côté 
ouest. | 

Nous nous avançons lentement et à force de rames sur ces eaux silen- 
cieuses : on dirait un fleuve souterrain. C’est dans l'après-midi seulement que 
nous passons devant la douane chinoise : nous n’y avons pas de longues 
formalités à remplir. On nous rapporte que, il y a deux semaines, il a péri 
vingt-trois barques en dix jours contre un seul écueil, que les eaux cachaient 
alors et que nous voyons immédiatement au-dessus de cette douane. 

Il y a peu d'oiseaux dans ces rochers, qui retentissent sans cesse du cri 
des rameurs. Nous en voyons un qui nous intéresse beaucoup par sa beauté 
et parce que c’est la première fois que nous le rencontrons. C'est le Ruticilla 
leucocephala, qui ne se rencontre qne sur les pierres baignées par les eaux 
courantes où il cherche des larves d’insectes. Il est gros comme une petite 
grive, d’un beau rouge, roux brillant, avec la tête d’une blancheur de neige, 
tandis que le cou et les ailes sont noirs. 

17 novembre. — 11 n'a pas plu la nuit, il ne pleut pas au matin ; mais 
le ciel est menaçant. Nous partons de bonne heure, en traversant des 
montagnes tout aussi curieuses que celles d'hier. La végétation paraît plus 
abondante et plus verdoyante, parce que, sans doute, les pluies sont plus 
fréquentes vers le centre de la chaîne. 

Les fleurs jaunes d’un joli Pyrethrum sént les plus abondantes ; je vois 
aussi près de l’eau une Marguerite blanche, et un Saule nain dont les bouts 
sont fleuris. Les rochers suspendus sur le fleuve abritent aussi dans leurs 
crevasses une petite et très-verte Fougère cordiforme. 

Les roches consistent encore en calcaires, en grès calcaires, disposés en 
couches horizontales ou un peu ouverts à l'Ouest. Aujourd’hui, comme hier au 
soir, nous apercevons de longues raies noirâtres et. multiformes qui se dessi- 


BULLETIN, sg 


nent en zones horizontales sur la pierre calcaire d'un gris-bleuâtre. Je pense 
que c’est du quartz pyromaque. 

Ces gorges si abruptes sont pourtant cultivées par les Chinois partout où 

ils ont pu former de petits champs, au moyen de murs en gradins qui 
me rappellent les Oliviers en amphithéâtre de la Ligurie ; j'y vois du blé et 
des légumes. Les Orangers, les Pamplemousiers, les Palmiers à chanvre, 
les Bananiers sont communs et mêlés au Pawlonia, au Sterculia, au Tong- 
chou ou Eleococca, au Croton-sebiferum, au Biola qui, ici, laisse pendre ses 
ramilles en festons à la manière de certains Sapins, aux Bambous au feuillage 
si gai, si vert, si élégant. Les Pins ordinaires de Chine couronnent toutes les 
hauteurs en compagnie de quelques Chênes; mais nulle part je n’aperçois de 
grands arbres ; et même dans les lieux qui me semblent les plus inacces- 
sibles, les arbres paraissent mondés et privés régulièrement de leurs branches 
d'en bas. 
Aujourd'hui je revois encore mon beau Rouge-queue à calotte blanche ; 
il paraît assez commun, et souvent il est accompagné d’autres oiseaux | 
grisâtres à queue blanche que je suppose être des jeunes du Ruticilla fuli- 
ginosa. Pas d’autres oiseaux, si ce n’est des Milans et des Crécerelles qui 
restent tranquillement perchés au-dessus de nos têles sans s’épouvanter des 
cris des rameurs. 

Je regrette beaucoup de ne pouvoir descendre à terre pour mieux 
examiner les fraîches montagnes que nous traversons : le chemin est 
interrompu à chaque instant par des berges verticales et très-hautes, el 
il faudrait trop souvent passer d’un bord à l'autre du fleuve en retenant 
pour moi la chaloupe qui est nécessaire aux haleurs. 

Vers onze heures nous arrivons à un village appelé Lantho, où un 
ruisseau vient déboucher du Nord : j'y vois des ouvriers occupés à tailler 
des meules de moulin dans une roche qui de mon bateau me paraît être du 
granit. Après-midi, nous sommes invités à descendre à terre afin d'alléger 
le bateau qui doit franchir ce soir plusieurs rapides, vers la Pagode de 
Koaun-lin-miao. Ces rapides sont bordés de blocs de granit, et ici tout le lit 
du fleuve paraît en être constitué et obstrué. Je rencontre sur la rive des 
galets de porphyre, de pétrosilex et de grès. 

Ces collines, qui bordent immédiatement le Yangtzé, sont plus basses el 
moins aiguës que les montagnes sédimentaires qui les suivent des deux 


VIIL. l 


90 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


côtés et qui peuvent avoir de quinze cents à deux mille pieds de haut au 
moins. 

En attendant que notre bateau ait dépassé péniblement et très-lente- 
ment les dangereux écueils, je collectionne sur les coteaux voisins : jy prends 
la très-petite Grenouille symétrique sous les pierres, un petit Lézard gris, 
Phrynocephalus, à grosse tête, deux nouvelles espèces d'Hélix, plusieurs 
Coléoptères, entre autres, un grand Nebria noir qui se creuse des galeries 
dans le sable. Une Gentianée, à corolle divisée en quatre et d’un bleu pâle 
rayé, est très-abondante. 

18 novembre. — Temps couvert et toujours menaçant; les nuages 
semblent peser sur les montagnes. 

L'on part au point du jour. Des bandes de Hérons blancs rasent l’eau, 
tandis que d’autres se voient sur les îlots de granit, occupés encore à se 
faire la toilette du matin avant de se répandre par la campagne. Je crois 
qu'il y a là, mêlées ensemble, l’Aigrette, la Garzette et peut-être aûssi la 
troisième espèce de Chine. Du haut des collines boisées que nous longeons, 
j'entends le chant énergiqué et assez agréable d’un Garrulax ? que je ne 
connais pas. 

De bonne heure et avant d’être retardé par d’autres bateaux (on y hale 
les barques une à une et en les distançant beaucoup, à cause de la fréquente 
rupture des cordes) nous franchissons un fort rapide formé encore par 
l'amoncellement de grands et nombreux rochers granitiques. Là nous voyons 
les débris d’un récent naufrage, et les pauvres naufragés sont assis sur les 
tas de coton qu'ils ont pu sauver de l’eau. Les endroits dangereux que nous 
passons ces deux jours portent le nom général de Yao-dja-hou, et commen 
cent à Houng-lin-miao. Le premier grand rapide s'appelle Hoang-lin-dxe, le 
second Houng-che, et le troisième Taé-che. Près de Chan-theou-pin se voit 
une belle pagode près de laquelle un torrent venant du Sud s’est ouvert uñ 
passage au fleuve au milieu d'innombrables blocs arrondis de granit. 

Nous àavançons peu aujourd’hui : toute la journée se passe à franchir péni- 
blement plusieurs rapides qui se succèdent, aux environs du village dé Chan- 
theoupin. Nous avons devant nous les noires et hautes montagnes d’Ou-chan. 

Je tue sur les rochers un Petrocincla tout bleu, qui, au lieu d’une simple 
variété du P, Manillensis, me paraît être identique avec le Mérle bleu du 
solidaire d'Europe. 


BULLETIN. 91 


19 novembre. — Ciel chargé et sombre. Hier nous n’avons fait qu'une 
lieue de route à cause des rapides, et notre bateau ayant, en outre, perdu 
deux heures de temps précieux pour se charger (non gratis) d’une partie des 
marchandises d'une barque setchuanaise qui a fait naufrage ici dernièrement. 

Ce matin nous dépassons un autre rapide très-violent, au milieu de 
bancs de rochers granitiques qui s’avancent dans le fleuve. Nous voyons 
encore une barque très-grosse brisée et couchée sur les flancs : c’est peut- 
être aujourd’ hui même qu'elle s'est perdue sur ces rochers dangereux. 

Étant descendu à terre dans l après-midi, je récolte le petit Saule fleuri 
des rochers, un véritable Buis que je vois pour la première fois en Chine et 
qui est aussi en fleur. Je trouve aussi le Vitex incisa que je n'avais encore 
rencontré au Sud. Un Papillon noir et blanc et nouveau pour moi voltige 
sur des buissons impénétrables : il a les allures d’un Satyrus. 

Aux granits des rapides succèdent des protogynes et des amphibolites ; 
puis, près de l'entrée des gorges de Lou-han, se trouvent des couches de 
quartzites et de gneiss, s’ouvrant au N.-E. ; et, à l’entrée même de Lou-kan, 
recommencent les calcaires et les sédiments arénaires dont les strates 
s'ouvrent aussi au N.-E, Les couches supérieures sont grisâtres, et celles de 
dessous bleuâtres et assez tourmentées : leur inclinaison étant ici en sens 
inverse qu'au delà des granits, il est évident que c'est l’éruption de cette 
roche cristalline qui a formé ces montagnes. 

Un bon vent nous favorisant, nous montons cette fois assez rapidement 
à travers les gorges qui paraissent moins grandioses que celles d’Iichang ; et 
nous arrivons au soir aux rapides de Tsin-tlan, où un long village est 
pittoresquement aligné sur la rive droite, et un autre sur la rive gauche. 
Les trois rapides de Tsin-tan sont réputés les plus dangereux par les 
navigateurs chinois. Nous voyons étendus sur la plage les cotons et les 
débris de deux récents naufrages ; et c’est ici que, il y a trois ans, les onze 
Missionnaires des Missions étrangères ont fait naufrage et ont eu tous leurs 
effets perdus. 

C'est cette fréquence des sinistres et la nécessité de maintenir beaucoup 
de haleurs supplémentaires dans ces parages dangereux qui ont donné 
origine à ces deux grands bourgs suspendus aux flancs de la montagne, au 
moyen de nombreuses colonnes de bois qui soutiennent les maisons. 

Ici les roches consistent en gros conglomérats et en schistes verdâtres, 


92 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


dont les puissantes assises sont relevées à l’Est et au N.-E, Dans la journée 
j'ai aperçu un Cireus noirâtre, qui pourrait bien être le C. Æruginosus 
d'Europe. 

20 novembre. — Les nouvelles gorges dans lesquelles nous continuons 
à voyager aujourd’hui sont aussi parsemées de rapides, mais de moindre 
impϾtance. 

Je prends sur des schistes calcaires friables une nouvelle espèce d’Helix 
aplatie. J'aperçois un autre Circus, ou faucon quelconque inconnu. Le 
tendre et gracieux Ad. Capillus veneris tapisse partout les creux des rochers : 
à Pékin, cette fougère européenne est souvent remplacée par une forme 
voisine et dont, à cause de ses folioles arrondies, on a voulu faire une espèce 
distincte, sous le nom d’Ad. Capillus junonis. 

Vers onze heures, un gros bateau qui marchait devant nous et avait 
presque franchi un rapide à tout à coup sa corde rompue, et le courant 
l’entraîne sur le nôtre, qui était déjà engagé dans le passage dangereux. 
Heureusement on parvient à en parer une partie du choc qui pouvait causer 
notre ruine. 

Nous voyons avec plaisir, et avec effroi à la fois, que nos bateliers font 
l'acquisition d’une seconde longue corde de bambous : nous n’aurons donc 
jamais fini avec ces périlleux rapides ? 

Ces gorges moins obstruses, à mesure que nous nous avançons vers 
l'Ouest, sont plus peuplées aussi : elles sont cultivées jusqu’au haut des 
montagnes. 

Nous arrivons vers la nuit vis-à-vis Koun-scheon-shien, où l’on amarre la 
barque pour passer la nuit. Nous avons eu à passer plusieurs autres rapides 
qui paraissent assez mauvais. A une demi- lieue au-dessous de cette petite ville, 
nous avons élé emportés, en tourbillonnant, par un vortex entre deux rochers 
très-dangereux : nous nous sommes bien tirés de ce mauvais pas, à force de 
temps et de cordes. Les bateliers disaient que c'élaient les diables qui 
soulevaient et agitaient sous nous les ondes désordonnées. Non loin de là 
gisait une barque naufragée et moitié coulée. 

Les roches continuent à avoir la même direction ; ce ne sont plus des 
calcaires, mais des grès micacés, des psamides mêlées de marne rougeâtre. 
Dans les fentes de ce grès micacé je prends un joli nouveau petit Æelix, 
très-strié. 


BULLETIN, 93 


La ville de Kong-tcheou est entourée de murailles ; elle s'étend irré- 
gulièrement, au nord du fleuve, sur les flancs d’une montagne, ayant à son 
côté occidental un ruisseau assez fort. Là, les bords du Yangizé se rappro- 
chent comme deux murailles menaçÇantes, et, plus usées au bas que dans le 
haut, semblent vouloir tomber dans les eaux. Un peu plus bas, deux bancs 
de galets occupent et obstrüent le milieu du grand fleuve : ce doit être un 
terrible passage à l’époque des grandes eaux. | 

Dans cette après-midi, nous avons eu la pluie ; mais elle a cessé 
la nuit. 

21 novembre. — Temps incertain au matin. Nous remontons et nous 
avançons lentement et péniblement et toujours halés à cause des forts courants. 
A deux ou trois kilomètres au-dessus de Kong-tcheou, nous voyons sur 
notre gauche les premières mines de charbon. Ce minéral n'y paraît pas 
abondant, et on l'extrait de deux ou trois montagnes fort raides où les 
schistes noirâtres carbonifères sont en couches presque verticales. L'aspect 
général du sol cultivé ici est d’une couleur rougeâtre. 

Depuis deux jours je vois (sans pouvoir m'expliquer pourquoi) les blocs 
de rochers divers qui bordent le fleuve, recouverts comme d’un vernis luisant 
noirâtre ou plombé. Cela provient-il d’un composé de fer que les eaux 
auraient déposé sur ces pierres roulées ? — Les schistes de grès micacés que 
j'ai examiriés en face de la ville où nous avons passé la nuit dernière, sont 
aussi très-communément parsemés d’une substance rouge cristallisée qui 
pourrait être de l’arsenic sulfuré. 

Vers dix heures, nous nous arrêtons et descendons à terre pour laisser 
à notre barque franchir le grand rapide de Yé-thang ; c’est le plus fort que 
nous ayons encore rencontré, mais il n'est pas long. Les couches de grès 
gris et de marne calcaire rouge sont ici très-redressées et alternent entre elles. 
Un peu plus haut que le village, je trouve des Coguilles bivalves marines 
silicifiées et incrustées dans une roche verdâtre fort dure, ainsi qu’une autre 
coquille univalve incomplète. Ces fossiles; qui doivent appartenir à des 
formations très-anciennes, paraissent très-rares ici et sont inconnus des 
Chinois à qui je les ai montrés. Cette roche à ‘coquilles silicifiées est 
inférieure au grès gris, et celui-ci au calcaire compacte qui, ici, couronne 
toutes les hauteurs. 

Après avoir franchi heureusement le Yé-thang, un vent favorable (chose 


94 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


x 


rare pour nous dans ce voyage) nous porte bientôt à l'autre rapide, peu 
aimable, de Mon-khoou-tan (rapide de la Chienne) que nous passons égale- 
ment bien ; et nous arrivons vers la nuit à Patoung, où nous nous arrêtons pour 
aujourd’hui. — Je note que ce mot de {an ou thang, par lequel on désigne 
un rapide, est prononcé différemment, selon les lieux, par les Chinois 
riverains : voilà pourquoi aussi je l’écris différemment. 

22 novembre. — Nous avons passé la nuit au-dessous de la petite ville 
de Patoung (les huit cavernes) : ce n’est guère qu’une longue rue perchée et 
échelonnée horizontalement à notre gauche, sur le versant très-rapide de la 
montagne. Les maisons, hissées sur des murs et des colonnades de perches et 
d'arbres, ont un aspect particulier, assez pittoresque, qui rappelle certains 
hameaux des vallées élevées des Alpes. On vend là du charbon minéral 
réduit en pains. 

Je continue à trouver ici les mêmes couches de grès très-relevées et 
allernant avec l’argilite rouge ou taché de bleu ; elles supportent du calcaire 
gris compacte fort dur et que l’action atmosphérique use en fentes et en lignes 
saillantes dues sans doute à des filons siliceux qui résistent mieux aux 
agents naturels. 

Vers midi, nous passons devant une rivière venant du Nord et nommée 
Siang-kheou (bouche sonore). La pluie, qui à commencé pendant la nuit, 
continue toute la journée. Le temps est refroidi, et les montagnes principales 
de la gorge d’Ouchan, où nous entrons, apparaissent couvertes de neige. Le 
vent nous étant contraire aujourd'hui, c’est avec lenteur que nous procédons ; 
et c'est encore laborieusement et avec danger que nous surmontons différents 
rapides. Au moment le plus critique de l’une de ces ascensions, un bateau 
emporté par le courant s'engage imprudemment dans la très-longue corde 
avec laquelle on hale le nôtre; les haleurs tombent tous à la fois, et notre 
lourde barque est entraînée par le rapide et par les vortex violents, au milieu 
du fleuve, vers les écueils inférieurs. Mais grâce à Dieu, quoiqu'il n’y eût que 
peu de monde à bord, il ne nous arrive pas malheur et nous revenons enfin 
vers le rivage sans encombre, mais après avoir perdu beaucoup de temps. 

Asupédiatement Lo de FpÉnéiRes dans les gorges d’Ouchan, où continue 
la même it logique, nous passons un autre rapide fort raide et 
très-bruyant : 5 : les bateliers lui donnent le nom de Mou-tchou-tang (rapide de la 
truie). Ensuite les bateliers remontent tous à bord, parce que, dans les 


LA 


BULLETIN, 95 


gorges, les hautes berges à pic ne permettent plus de haler : nous nous 
trouvons là quinze bateaux, ayant tous les voiles déployées ; mais, fante de 
vent, nous n’avançons guère, quoique l’on rame à toute force. Dans l’inté- 
rieur des gorges, les montagnes assez élevées n’offrent aux regards que du 
calcaire gris à couches très-soulevées vers le S.-0. ; leur sommet blanc de 
neige contraste avec le vert sombre des Orangers qui croissent à quelques 
centaines de mètres au-dessous dans les vallons. 

Dans l’après-midi, nous passons devant des blocs énormes de rochers 
noirâtres et plus ou moins cubiques qui sont accumulés d’une manière 
étrange sur la rive méridionale du fleuve. Les Chinois disent qu'il y a 
quelques années, ces rochers donnaient de la fumée! Je n’y vois pourtant 
rien qui semble y annoncer un volcan ; et les taches à raies noirâtres qui 
entrecoupent le calcare bleuâtre me paraissent être formées par du silex 
pyromaque, en rognons et en masses qui sont empâtés dans la roche 
sédimentaire. Îlest pourtant possible qu’une combustion spontanée des houilles 
très-sulfureuses qu’on rencontre fréquemment dans ces régions ait produit là 
un volcan temporaire et restreint qui aura brisé la pierre qui les contenait. 

Grâce à la pluie et au vent contraire, nous n’avons fait aujourd’hui que 
fort peu de route. 

23 novembre. Belle matinée. Le soleil, que nous ne voyons plus depuis 
longtemps, se lève splendide et dore la neige des montagnes dont l'éclat 
contraste avec le sombre profond de la végétation des régions inférieures. 
Les oiseaux égarés par ce rare beau temps chantent de bien plus belle voix 
et répondent aux échos ; je reconnais les sons harmonieux et puissants du 
Leucodiopteron sinense. Mais ce n’est ici ni le lieu ni le temps de jouir de la 
nature : dès avant midi nous nous retrouvons dans un rapide très-violent et 
très-difficile où les bateliers ont longtemps à lutter contre la violence du 
courant, ‘en halant de toutes leurs forces au moyen de deux cordes, avant de 
nous tirer au-dessus du goufre, 

Vers le milieu de la journée nous arrivons à la frontière du Houpé et du 
Setchuan. La limite du Nord est marquée par un petit torrent qui s'ouvre 
un passage au milieu de très-hautes montagnes, un peu au-dessous du 
viage de Péi-che. On nous dit qu'il y a là, gravés sur une grande pierre 
que les eaux couvrent en &é moment une série de caractères indiquant la 
séparation des deux provinces. égales en étendue à deux grands royaumes 


96 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


d'Europe. La limite de la rive du Sud est au commencement du village de 
Péi-che, et non à la fin comme semble l'indiquer la gravure de Blakiston. 

Les roches sont ici toutes calcaires, et les murailles à pic des mon- 
tagnes s'élèvent à une hauteur considérable. Les strates conservent à peu 
près leur position primitive horizontale, les couches intérieures sont veinées 
de spath; celles d'en haut, plus grossières, forment une masse énorme de 
plusieurs centaines de mètres d'épaisseur. Les cavernes sont très-fréquentes 
dans toutes ces gorges d'Ouchan et quelques-unes très-pittoresques. 

L'on nous dit qu'il y a encore 70 lys de route de Péi-che à la ville 
d'Outchang, la première qu’on rencontre en entrant au Setchuan par le 
Yangtzé. 

. À une lieue au-dessus de la frontière, les montagnes qui encaissent et 
resserrent le fleuve prennent un aspect encore plus, grandiose ; les berges de 
la rive septentrionale sont presque verticales et s'élèvent jusqu'à deux et 
trois mille pieds. Des arbustes et des arbres rabougris croissent en paix sur 
ces immenses murailles où aucun bûcheron ne peut les atteindre. 

24 novembre. — Temps couvert, vent d’Est. Toujours des rapides de 
distance en distance. Nous arrivons à Outchang après dix heures du matin. 
En cheminant sur les bords du fleuve je rencontre le Jasmin jaune à l’état 
sauvage ; il est très-abondant sur les coteaux et porte à la fois les fleurs et 
les fruits mûrs. J’y vois aussi le Buis à petites feuilles, le Aus cotinus et 
deux autres Sumacs, ainsi que d’autres plantes inconnues pour moi. Les 
divers Helix, déjà récoltés, abondent aussi sur ces terrains qui continuent à 
être calcaires. Les montagnes qui sont derrière la petite ville murée d’Out- 
chang sont arrondies et médiocrement élevées. 

FN y a ici aussi un rapide important et difficile au-dessous duquel bon 
nombre de barques attendent leur tour pour se faire haler par les nombreux 
tireurs de l’endroit. Nous y perdons beaucoup de temps, sans compter qu’un 
horrible remous de l’eau fait entre-choquer violemment et dangereusement les 
bateaux arrêtés et amarrés à la rive : le nôtre reçoit d’un voisin un choc 
vigoureux qui faillit enfoncer son flanc et pour lequel notre capitaine ne 
manque d'exiger un bon dédommagement pécuniaire. 

C'est un peu au-dessus de ce rapide que s’est noyé, au printemps passé, 
M. Maret, des Missions étrangères, jeune prêtré de grande espérance. 

A demi-lieue plus haut qu'Outchang nous devons nous arrêter encore et 


BULLETIN. 97 


perdre tout le reste de cette journée, pour franchir le rapide très-court mais 
très-incliné de Shia-ma-thang. Près de quatre-vingts tireurs, quand notre tour 
_est venu, mettent plus de demi-heure à faire franchir à la barque l'espace de 
cinq ou six mètres ! — En attendant notre tour de passer, les barques se 
heurtent ici aussi rudement, et un lourd bateau est emporté par le vortex 
droit contre le nôtre, au risque de nous briser : ce sont alors dés cris et une 
confusion indescriptibles. Mais on pare encore le coup, et tout rentre dans 
l’ordre. 

Il pleut un peu tout le soir. Les montagnes qui paraissent à l'Est- 
Nord-Est d'Outchang semblent être fort élevées. 

25 novembre. — 11 pleuvine et fait froid. 

Après avoir passé la nuit au-dessus du Shïa-ma-thang, nous nous remet 
tons en voyage et nous avançons lentement à cause des rapides qui fourmil- 
lent toujours. On nous apprend qu'il ÿ a encore soixante lys de route jusqu’à 
la grande ville de Kouy-fou. Chemin faisant, je tire un émerillon adulte qui 
va tomber et se perdre dans le fleuve. Je tue aussi un Totanus hypoleucos et 
un autre Petrocincla cyanea, très-adulte. Les autres seuls oiseaux aperçus 
sont les Corvus sinensis et pastinator, qui remplacent en Chine nos Corbines 
et nos Freux. 

Les roches calcaires et les grès continuent toujours; et ici aussi les 
pierres qui bordent l’eau sont communément recouvertes d’un enduit noir et 
d’une sorte de stalagmite de fer. Je recueille sur la rive deux morceaux 
isolés de porphyre vert et rouge, roche qui n'existe point dans ces régions : 
je suppose qu'ils y ont été portés d’ailleurs par quelque collectionneur ou 
voyageur curieux. 

26 novembre. — Nous avons passé cette nuit à trente lys de Kouy-fou, 
à l'entrée de la gorge de Fong-siang (la boîte au vent). La pluie, qui avait 
continué un peu tout hier, a cessé pendant la nuit; et ce matin nous avons 
le plus beau soleil de tout notre voyage. Un faible vent d’est aide notre 
ascension ; mais bientôt un petit rapide nous arrête encore. On profite de la 
halte pour. déjeuner. 

: Les montagnes de cette gorge sont fort élevées et calcaires, absolument 
semblables géologiquement à celles des gorges précédentes. L'enduit de fer 
est toujours sensible sur les pierres que l’eau baigne de temps en temps. 

Vers midi, nous dépassons un rocher élevé d’une quinzaine de pieds au- 


VIIL, m 


88 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


dessus du fleuve et fameux pour les fréquents naufrages’ qu’il occasionne. On 
dit qu'autrefois un empereur envoya des ordres pour détruire tous les rochers 
semblables qui obstruent la navigation, mais que les gens du pays 
empêchèrent qu'on ne fit sauter ce rocher par la poudre, parce qu'ils pensent 
superstitieusement qu’à sa destruction, toute la ville de Kouy-fou deviendrait 
la proie des flammes. 

Vers onze heures du matin, nous arrivons en vue de Kouy-fou; et 
MM. Genevoise, Provôt et moi, nous débarquons auprès d’une belle tour 
blanche, pour aller par terre jusqu’à la résidence de M. Vinçot, qui se trouve 
dans la partie la plus haute de la ville. Kouy-fou est un chef-lieu dé 
département ; il est entouré de belles murailles ; les rues en sont belles et 
bien peuplées. 
= M. Vinçot est un missionnaire qui habite la Chine depuis. quinze ou 
viugt ans ; il parle la langue du pays avec une: perfection d’accent rare, H! 
séjourne d'ordinaire au Tchong-king et il est venu passer quelques mois ici 
pour les affaires de la Mission. Quel bonheur pour nous de retrouver un 
Français, un ami véritable, au milieu de ces populations si peu sympathiques 
pour nous ! Il est superflu de: noter que ce digne et vénérable confrère nous. 
fait l'accueil le plus cordial qui va nous refaire un peu de tant d'émotions; du 
voyage. Tous nos jeunes confrères viennent aussi diner avec nous chez 
M. Vinçot ; nous trouvons même moyen de nous y caser pour passer tous la: 
nuit dans cette maison. nouvellement achetée, qui paraît neuve, mais dont. 
toutes les boiseries sont dévorées à. l’intérieur par les termites ou fourmis 
blanches. C’est pour la première fois: que je rencontre ces insectes. destruc- 
teurs au Nord du Yangtzékiang. 

Les montagnes calcaires à flancs escarpés du côté du fleuve finissent 
à une lieue au-dessous,de Kouy-fou ; vers le N.-E. de la ville l’on en-aperçoit 
d'autres qui. peuvent avoir plus de mille mètres au-dessus du fleuve. 
M. Vinçot nous dit que sous le pittoresque Cap à pic qui limite la gorge: de: 
Fong-siang,, il y a aussi des, traces de volcans, et que naguère les rochers y 
fumaient encore. Je doute de ce fait dont il n’a point été témoin, et, dans 
tous les cas, je pense, qu'il ne s'agirait que de l'inflammation momentanée 
d'un dépôt de charbon: sulfureux. 

27 novembre, — Le temps, qui à été très-beau hier elce matin, se gâte. 
dans l'après-midi, et il pleut un peu vers le soir. 


BULLETIN. 99 


M. Vincot, qui est observateur et possède des connaissances en chimie 
et dans les sciences physiques, me donne beaucoup de renseignements sur 
ces pays qu'il connaît fort bien. I} h’apprend : 4° qu’il y a de la houille avec 
soufre, dans plusieurs endroits des environs de Kouy-fou ; 2 que des sources 
de sel sônt exploitées sur trois points de ce district; 3 que la galène argen- 
lifère est répandue en abondance dans toute la chaîne de montagnes qui 
s'étend, à trois lieues au sud du grand fleuve et parallèlement à son cours, 
jusqu'à la province de Kong-tcheou, sur une longueur d’une soixantaine de 
lieues et avec la profondeur d’une dizaine de lieues ; 4° que le cuivre se 
trouve aussi communément dans les mêmes montagnes. Un Chinois chrétien, 
sous la direction de M. Vinçot, va essayer quelque exploitation de ee dernier 
mMinérai ; et il me montre quelques échantillons de ces métaux. H y a du 
cuivre natif, sulfuré et carbonaté mêlés ensemble; la galène est à petites 
lames. 

Il m'apprend encore que Tchougkin abonde en sulfate de fer, que les 
Chinois obtiennent de la houille au moyen de grands arrosages ; ce sel, at 
Setchuan, se vend à vil prix, et M. Vinçot en fait de l'acide sulfurique, qui 
ne lui revient qu'à trente franés pour les 400 kilos, tous frais payés. Avec 
cét acidé il a fait dé l'acide nitriqué , puis de la stéarine, tous les autres 
acides, ete. 

Il a enseigné à des Chinois la manière de séparer l'or qui se trouve 
dans les lingots d'argent de ces pays et qui en contiennent communément 
Œuarante parties sur mille. Mais Popération faite dans les petits creusets de 
terre cuite est chanceuse ; et pour la faire en grand, il faudrait une coupe de 
Platine de la valeur de vingt-cinq à trente mille francs. 11 me dit qu'il 
connait des Chinois qui s’engageraient à faire faire de gros bénéfices à 
VEüropéen qui voudrait leur procurer le susdit creuset d’or blanc (c'est 
ainsi qu'on nomme souvent le platiné en Chine). | 

M. Vincot me dit encore qué le Yun-nan est réellement très-riche en 
métaux, que la rébellion, qui ruine actuellement cette province, y a 
commencé pour cette raison que lé gouvernement éxigeait, d’après la loi 
chinoise, qu’on continuât encore après l'épuisement de certaines mines, à 
payer lès droits d'exploitation qui sont aëécordés in æternum ! Cette obligation 
d'impôt sans fin serait cause que les Chinois n’ouvrent point les mines qu’ils 
craignent pouvoir être bientôt épuisées. 


100 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


M. Vinçot s’est procuré un certain nombre d’ossements fossiles, chezl es 
marchands de drogues ; il paraît que c’est la ville de Souy-fou surtout qui 
est l’entrepôt de ce genre de commerce. Ici, dans les environs de Kouy-fou, 
il à lui-même ramassé plusieurs espèces de dents fossiles, dans la terre 
meuble qui garnit le bas des montagnes. Une grande grotte découverte 
dernièrement aurait fourni beaucoup d’ossements fossiles qui ont été aussitôt 
brisés et pulvérisés dans les pharmacies du pays. Il m’apprend encore qu'il 
existe des bancs de coquilles fossiles à cinq ou six journées au N.-0. de 
Gouy-fou, près de Suthin, à Thiè-shan et à Ten-tchio. 11 y aurait à faire là 
une course bien intéressante. 

Les chrétiens chinois que je questionne me disent qu’il existe de grandes 
montagnes boisées, à deux ou trois journées du nord de Kouy-fou, avec des 
bois consistant principalement en sapins de deux sortes. Que plusieurs quadru- 
pèdes sauvages, entre autres un Singe verdâtre, vivent dans ce pays, avec le 
Tragopan, le Faisan à collier, le Faisan doré, le Faisan vénéré et un autre 
Faisan à couleurs modestes qu’ils nomment Tsin-ki et qui a les formes du 
Faisan doré. Ils veulent sans doute parler du jeune de cette espèce. 

Les oiseaux que je vois à Kouy-fou sont : Milvus melanotis, Pica media, 
Turtur sinensis, Coccothraustes vulgaris, Passer montanus, [xos sinensis, Parus 
minor, PhϾnicurus aurorea, Ruticilla leucocephala, Ruticilla fuliginosa, Cop- 
sychus saularis, Motacilla lucionensis, et les Corbeaux communs. 

Vers le soir, nous rentrons dans notre barque, sans M. Genevoise qui a 
reçu ici une lettre de son évêque, M‘ Desflèches, qui le destine à diriger la 
Mission de Kouy-fou. Nous avons quelque peine à retrouver notre bateau 
qui est monté à deux lys plus haut, après avoir terminé sa visite obligatoire 
de la douane. Il nous faut pour cela traverser les vastes rues provisoirement 
improvisées sur la plage, et où se sont établies toutes les industries de la ville 
pour être plus à portée des nombreux voyageurs. À l’époque des grandes 
eaux, tous ces lieux en sont couverts, jusqu'aux murs de la ville parfois. 

La soirée est très-calme ; jusque fort avant dans la nuit, nous entendons 
de la musique, de différents points du fleuve. Ce sont les Hoa-niang qui, dans 
de petites nacelles couvertes et ornées de lanternes coloriées, courent chercher 
fortune autour des bateaux voyageurs. Ces malheureuses pauvres créatures, 
bien parées, bien fardées, chantant et jouant la guitare avec l’accompagne- 
ment du violon du conducteur, perdent bien leur temps auprès de notre 


BULLETIN. 101 


bateau qui n’ouvre pas même les fenêtres pour les voir : aussi ne s’y arrêtent 
elles point. Leur chant et leur musique ne sont pas désagréables, quoique 
fort monotones et sans harmonie. — Depuis plus de six ans que je suis 
et je voyage en Chine, je dois dire, à Ja louange de cet empire, que je 
n'y avais encore jamais rencontré de ces infortunées tentatrices. Mais il 
paraît qu'il y a certaines villes où les mauvaises mœurs et les mauvaises 
traditions sont héréditaires ; et la riche ville de Kouy-fou, avec ses nombreux 
employés de la douane impériale et avec les nombreux bateliers et voyageurs 
qui y passent continuellement, a une triste réputation sous ce rapport-là. On 
dit la même chose de Canton et de quelques autres ports. L'homme est plus 
ou moins corrompu partout; mais, même au sein du paganisme, il y à une 
grande différence entre un pays et un autre. Et en Chine, en général, l’effron- 
terie et l’ostentation du vice sont heureusement plus rares qu’on ne pourrait le 
croire ; la pudeur et la décence y sont respectées, au moins au dehors. 
D'ailleurs, comme presque tout le monde s’y marie de bonne heure et qu’on 
tient beaucoup à l’honneur des familles, il reste peu de personnes pour se 
jeter dans le désordre ; et (faut-il le dire?) certains écarts y sont plus rares 
que dans notre Europe déchristianisée ! 

Je ne dois pas quitter Kouy-fou sans noter que, dans le jardin de la 
Mission, j'ai vu, entre autres arbres, de grands et beaux Pistachiers ou Téré- 
binthes, dont j'ai recueilli la graine mûre, pour l’envoyer au Muséum. Je 
n'avais jamais rencontré encore ces plantes en Chine. 

28 novembre. — Nous partons de bonne heure de Kouy-fou, par un 
temps couvert et assez frais. Les collines qui bordent le fleuve sont moins 
élevées à notre droite; elles sont bien cultivées jusqu’à leur sommet. Les 
couches sédimentaires qui les forment consistent en grès, marnes et conglo- 
mérats. 

Dans l’après-midi, la corde avec laquelle on hale notre barque se rompt, 
et nous nous trouvons entraînés assez loin en arrière. — Nous voyons deux 
autres bateaux naufragés. — Chemin faisant, je capture plusieurs Rutcilla 
leucocephala et Rut. fuliginosa. Ces deux Rouges-queues ont plus d’analogies 
entre eux qu'avec tous les autres et devraient constituer un genre séparé des 
Phœnicurus ordinaires, ils se tiennent constamment sur les pierres des torrents 
et des rivières, vivant d'insectes aquatiques, ont les mêmes allures, la même 
humeur batailleuse, le même genre de voix et de cri. Le Ruticilla fuliginosa a un 


102 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


joli chant qu'il fait entendre en plein hiver ; et quand deux mâles se rencon- 
trent, c’est un assaut de ramage, de courbettes, de mimiques, très-curieux let 
amusant, qui s'établit entre eux. On sait que le mâle adulte de cette espèce test 
d’un bleu obscur, avec la queue rousse, tandis que la femelle est grisâtre avec 
la queue blanche. Une fois j'ai rencontré une femelle qui, avec la queue 
blanche, avait le cou bleu comme le vieux mâle, J'ai trouvé le Rouge-queue 
fuligineux à Pékin et même en Mongolie ; mais jamais le Rouge-queue à tête 
blanche ne s’avance jusqu’au nord de l'empire, 

Le Cincle pallas et le Merle bleu indigo (Myiophonus) sont aussi deux 
oiseaux que je vois fréquemment sur les bords des torrents qui aboutissent au 
grand fleuve. Je prends encore aujourd'hui la première Musaraigne que j'aie 
trouvée en Chine : elle est d’un gris noir, avec la queue cylindrique assez 
longue. 

29 novembre. — Dimanche, comme toujours en jour de fête, nous nous 
levons de très-bonne heure pour pouvoir célébrer les saints mystères avant 
qu’on ne se mette en route. 

Vent d'ouest assez frais. Le temps continue à être couvért, mais sans 
pluie. Nous voyageons aujourd’hui à la suite de treize bateaux qui transpor- 
tent un grand mandarin de Pékin et sa suite. Les chevaux que nous avons vus 
hier marchant en file le long du fleuve doivent appartenir à ce magistrat lettré 
qui est énvoyé au Setchuen pour y présider les grands examens du baccalau- 
réat. Vers onze heures on noüs annonce que, un peu plus haut, une grande 
barque a péri ce matin et que plusieurs hommes s’y sont noyés. Cela n'est pas 
gai. Encore aujourd'hui nous passons plusieurs rapides; et dans l’un d’eux, 
une barque semblable à la nôtre à :sa corde -cassée devant nous et est 
entraînée par le courant nous ne savons où. Une autre qui marchait après 
nous se heurte contre les rochers et paraît perdue : nous la laissons se 
débattre à son aise derrière nous, à la mode chinoise. | 

Sur les collines de grès schisteux de la rive droite, je prends: un petit 
Helixæ strié nouveau; et d’un coup de fusil j'abats deux Crécerelles qui se 
battaient ensemble sans se: préoccuper de notre voisinage : mes Chinois en 
feront bombance ce soir. ; 

30 novembre. — La nuit a été sereine, et la journée est très-belle. 
Montagnes pyramidales avec les couches horizontales de grès et de marne 
rouge. | 


BULLETIN. 108 


Nous perdons presque toute la journée à franchir les deux grands rapides 
de Miao-tchy-dze et de Fang-yañg. Dans le premier notre barque avait 
passé déjà le pas difficile quand un petit bateau de voyageurs, emporté par le 
Gourant; engage son gouvernail dans nos cordes: et pour sauver cette 
malheureuse embarcation et nous-mêmes , nous coupons les deux cordes qui 
nous tirent, et notre barque est entraînée au loin et en grand danger de faire 
naufrage. Grâce à Dieu, on en est quitte pour la peur et du temps perdu. 

J'observe qu'il arrive très-rarement aux barques mandarinales d'avoir 
de ces sortes d'accidents; c'est que, d’un côté, elles sont toujours:moins Char- 
gées, et, de l’autre, elles sont mieux pourvues d'hommes et de bons engins. 

Dans ces passages difficiles, je voyage à pied le plus possible; aujour- 
d'hui je parcours la rive septentrionale en: franchissant plusieurs torrents 
latéraux dont les eaux bondissent dans le grand fleuve en cascades écumantes, 
Partout où, comme ici, les couches sédimentaires sont dans une position 
horizontale, les bérges s’usent en murailles verticales, et le passage des cours 
d’eau offre de grands obstacles. 

L'arbre des Pagodes, que nous avons commencé à voir depuis plusieurs 
jours, est un grand et beau figuier (Ficus. indiea ?) à feuilles ovales et 
persistantes. Les Chinois multiplient cet arbre en en faisant avaler les 
graines aux oiseaux. Le Hoamy se voit ici.en cage et paraît commun au-pays, 
d’après ce que: disent les indigènes qui viennent curieusement m'aider dans 
mes recherches d'insectes. 

1#° décembre 1868. — Temps menaçant au matin, pluie vers le soir. 
Nous nous arrêtons quelque temps: devant Yun-yang qui est une ville (sans 
murs) assez considérable, bâtie en amphithéâtre, ayant des rues dallées. Ici: 
aussi il y a une communauté de chrétiens : quelques-uns d’entre eux viennent 
faire visite aux Missionnairés voyageurs, avec des cadeaux, d'excellentes 
oranges mandarines et d'énormes citrons ou pamplemousses. Nous allons 
saluer leur curé chinois, le P. Lo; qui me donne des renseignements: sur 
Moupin;, où il:a étudié autrefois: 

décembre. — Petite pluie tout le jour. Hier nous avions eu encore 
notre corde de halage rompue ; aujourd'hui il y a aussi des rapides, mais 
nous les franchissons sans accident. 

Depuis Yun-yang, les roches calcaires ont cessé; on a maintenant des 
strates horizontaux de grès schisteux. Le pays devient de plus en plus joli, 


404 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


la campagne est verte, et les champs de Cannes à sucre sont communs le 
long des collines. Je récolte deux belles Fougères, et je prends un Lanrus 
schach. Le Merle solitaire et les Ruticilles continuent à être assez abondants. 
J'entends le cri étrange d’un oiseau que je ne reconnais pas et qui a 
quelque analogie avec celui du Garrulas perspicillatus; mais cette espèce 
ne vit plus en decà du Houpé et de la grande plaine. 

3 décembre. — Ciel couvert et menaçant. Nous arrivons au soir devant 
la ville de Ouan-shien, qui est l’un des plus jolis endroits que nous ayons vus 
encore. À une lieue au-dessous de cette ville, nous avons traversé à pied une 
grande plage de galets qui est inondée en été : c’est là que M. Blakiston 
indique des lavages d’or que nous ne voyons point. Les pierres roulées du 
fleuve consistent ici en porphyres variés, beaux et de toutes les nuances ; mais 
le vert tacheté de rouge et le rouge sont les couleurs les plus abondantes, 

Cependant les roches qui composent les montagnes continuent à n’offrir 
que des couches de grès, de marne et de conglomérats dans la partie 
inférieure. 

En passant devant les boutiques de la ville, jy vois établis beaucoup de 
crabes, qui ne me paraissent point diflérer de l’espèce commune de Chine, 
Telphusa sinensis. 

Nos cuisiniers ont la bonne fortune d’acheter deux jeunes individus de 
ce remarquable esturgeon à long nez dont j'ai déjà parlé comme vivant aussi 
dans le Mississipi : c’est un très-bon poisson. 

On dit qu'Ouan-Shien est très-prospère, et que les mœurs y sont loin 
d’être exemplaires. Pour nous, nous n'avons pas lieu de nous louer cette fois- 
ci de la politesse de cette population : en traversant la partie inférieure de 
la ville avec mes confrères pour nous rendre à notre barque qui nous avait 
devancés, nous avons été entourés et suivis d’une foule malveillante qui, 
malgré notre air pacifique et modeste, ne nous à pas épargné les vilaines 
épithètes, les menaces et même quelques coups de pierres. — En Chine comme 
en France, ce ne sont pas les gens de bien et de vertu qui font les troubles 
et les révolutions. — Ici aussi il y a un petit nombre de chrétiens indigènes, 
et à la nouvelle du passage des nouveaux Chen-fou (pères spirituels), ils ne 
manquent pas de venir nous saluer et nous offrir des cadeaux d’oranges 
mandarines ; mais ils prennent pour cela la nuit, pour n'être pas vus des 
paiens, qui sont ici très-hostiles au christianisme. 


BULLETIN. 105 


Les plus belles pierres abondent auprès d’Ouan-Shien, et l’on y voit 
une grande profusion d’escaliers, de ponts, de sépultures en pierre de taille 
et des chemins pavés en grandes dalles. Le grès porte des empreintes de 
végétaux, et le calcaire métamorphosé en marbre contient beaucoup de débris 
de coquilles. Il y a de la houille, mais je ne sais pas l'endroit précis d’où on 
l’apporte. 

4 décembre. — Belle matinée. Nous partons assez tard, à cause de 
quelques-uns de nos bateliers qui sont allés passer la nuit en ville. Nous 
suivons maintenant une direction à peu près méridionale; le fleuve est 
toujours plus ou moins encombré de rochers, dont quelques-uns énormes 
rendent la navigation très-pénible et dangereuse. C’est tous les jours, depuis 
longtemps, que nous voyons des bateaux brisés et naufragés, et que nous 
sommes soumis à de fatigantes émotions chaque fois que notre corde de 
bambou s’accroche aux pierres et qu’elle est en danger de se briser en nous 
laissant à la merci des courants et des vortex. 

Dans l'après-midi, nous descendons à terre pour laisser notre barque 
franchir le rapide de Fou-than : c’est un lieu très-périlleux et tout rempli 
d’une quantité d'énormes blocs de grès. Je visite quelques vallons boisés où 
je rencontre l’Ürocissa sinensis, le Hoamy, le Bulco japonieus, etc. J'y tue 
trois exemplaires d’une charmante petite espèce de Mésange, Psaltria Con- 
cinna, que je rencontre pour la première fois. Cet oiseau, déjà rencontré dans 
l'Himalaya, a la tête fauve ainsi que la gorge, et l'iris d’un jaune clair ; il est 
peu farouche et parcourt par petites troupes les Chênes et les Bambous, en 
compagnie du Parus minor. Je prends une autre Fougère à feuilles de 
Geranium. 

Un arbrisseau à fleurs synanthérées, une sorte d’Eupatorium de trois ou 
quatre mètres de haut, est assez commun dans les taillis. Le pays devient de 
plus en plus boisé, et les coteaux sont assez bien garnis d'arbres. 

La soirée est aussi belle que le jour. À peine commençait-on à se reposer 
sur notre grande barque et sur la nacelle des rameurs, que notre sommeil est 
interrompu par les gémissements étranges d’un de nos bateliers qu’on dit être 
atteint d’hydrophobie : ses cris ont quelque chose qui tient de ceux d’un chien 
lié à la corde. On se lève pour lui administrer quelques médecines qui parais- 
sent le calmer. 

5 décembre. — Beau temps ; le vent nous est: favorable le matin. Vers 


VLIL. LL 


106 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


midi, la corde s'étant encore rompue ou échappée, nous avons quelques 
moments d'alarme et de danger. Aujourd’hui le fleuve est plus dégagé, les 
collines sont plus éloignées ; vers le sud, on voit des montagnes assez élevées. 
Le pays est fort joli et couvert de végétaux verdoyants; les maisons sont 
d'ordinaire cachées sous l’épais feuillage des Bambous, des Orangers, des 
Biota, des Figuiers sacrés, etc. On ne voit plus ici le Palmier à chanvre qui 
était commun dans les gorges. 

Quoique la roche qui forme les rives du fleuve soit toujours du grès 
calcaire, les galets qu’on voit sur la plage consistent en porphyre, quartz et 
pétrosilex, provenant sans doute de quelque poudingue que les eaux désa- 
grégent dans les grandes profondeurs. 

6 décembre, dimanche. — Après nos fonctions religieuses célébrées de 
grand matin dans notre petite communauté, nous partons au point du jour et 
procédons sans grand incident aujourd’hui. Le ciel est voilé, le vent manque; 
et comme à cause des accidents des berges, nos haleurs sont obligés de passer 
souvent d'un bord à l’autre du fleuve, nous n’avançcons que lentement, car, 
chaque fois, c’est un grand coude en arrière que le courant fait faire à notre 
lourde barque. 

Nous passons dans la matinée devant le roc isolé de Che-pao-tchaé, sur 
lequel s'élève pittoresquement un groupe de pagodes; on y parvient par un 
escalier monumental construit sur les flancs du rocher en forme de tour à 
neuf étages. 

Notre pauvre prétendu enragé fait pitié à voir ; il se plaint amèrement de 
son père adoptif qui, dit-il, lui refuse l'argent qui lui est dû. Celui-ci, qui 
est maître timonier, le bat et le maltraite avec la dernière dureté. Le jeune 
homme se jette plusieurs fois dans l’eau, soit pour s’y noyer, soit pour éteindre 
le feu intérieur qui le brûle. Est-ce effet de la rage, de la folie, du Tehy ? 
Les Chinois donnent ce nom à une espèce de spleen extemporaire qui les saisit 
quand ils se concentrent après avoir reçu un affront ou un déplaisir violents. 
J'en ai vu mourir en moins de vingt-quatre heures; ce malheur ne leur arrive 
pas quand ils se répandent en pleurs et en plaintes. 

Le soir, notre bateau est amarré au rivage; et pendant que nous ter- 
minons nos prières et que nos bateliers sont occupés à dévorer leur riz, sur 
le devant de la barque, le pauvre malade, à qui l’on avait lié les mains et les 
pieds pour l'empêcher de se jeter encore dans l’eau, parvient à se hisser sur 


BULLETIN. 107 


le bord de la petite nacelle, au fond de laquelle on l’a laissé tout nu et gre- 
lottant de froid, saute dans l’eau tout à coup et est emporté par le courant, 

sans qu'aucun de ses camarades ni son père adoptif bougent de leur place 
pour le repêcher et lui sauver la vie. Nous ne nous en apercevons que quand 
il est déjà bien loin de nous. Il faut avouer qu'il n’y à pas beaucoup de cœur 
dans ces païens. Sur les reproches que, dans notre émotion et dans notre 
colère, nous leur adressons sur leur dureté impardonnable , ils nous répon- 
dent qu’ils vont brûler des pétards en son honneur! et tout est fini là. Je n’aï 
pas encore noté que presque toutes les prières et toutes les cérémonies reli- 
gieuses des Chinois se réduisent à brûler des pétards et des cierges; et les 
bateliers surtout sont prodigues de ces sortes de dévotions. 

7 décembre. — Temps brumeux; vent faible et contraire. Le pays est 
accidenté et toujours fort joli; les geais à longue queue bleue et d’autres 
oiseaux animent les coteaux assez bien garnis d'arbres à huile et d’autres que 
je ne reconnais pas. L'on n’aperçoit plus les montagnes hautes qui font suite 
aux premières collines encaissant le fleuve. De bonne heure nous passons 
en face d’une île élevée et boisée assez grande. 

L'on voit des hommes portant dans des hottes le sable aurifère qu'ils 
recueïllent sur le rivage. Ce sable, qui contient de nombreuses parcelles de 
mica couleur d’or et d'argent, doit être bien pauvre en métal précieux : les 
gens qui s’occupent du lavage paraissent les plus malheureux du pays et sont 
d’ailleurs peu nombreux. Je pense donc que ce fleuve, malgré son nom de 
Kin-cha-kiang (fleuve à la poudre d’or), n'est pas plus riche en or que toute 
autre rivière. La roche vive continue à n'être que du grès plus ou moins 
grossier. 

Depuis deux ou trois jours, le fleuve varie beaucoup en largeur, et il ya 
souvent des bancs de rochers ou de galets qui s’avancent dans son lit; il y a 
aussi de fréquents îlots de récifs. Aussi la navigation est-elle difficile, et nous 
n’avancons que lentement. Je crois qu'il ne sera jamais rt à un vapeur 
de monter jusqu'ici. 

Un peu au-dessous de Famous nous avons encore à passer un 
fort rapide. Cette ville est jolie et agréablement assise sur deux où trois 
collines verdoyantes et bien boisées où l’on discerne de nombreuses et belles 
pagodes. Nous nous arrêtons pour la nuit à une lieue au-dessus de Tchoung- 
tcheou; le ciel se couvre de brouillards. 


108 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


8 décembre. (mm. Conc.) — Beau temps, calme, mais ciel voilé. Le 
fleuve est tantôt étroit, tantôt très-large, de manière que nos tireurs sont 
obligés de haler avec une corde de plusieurs centaines de mètres de longueur, 
dans certains endroits où les eaux paraissent avoir autant de largeur qu’à 
King-kiang. 

Les rives sont toujours composées de couches à peu près horizontales de 
grès calcaire, sous lequel on voit la marne rouge et bariolée comme avant. 
Plus tard, les couches sont soulevées vers le sud-ouest. : 

Pendant la promenade de l'après-midi, je vois dans les bambous deux 
petits oiseaux verts, inconnus, qui me paraissent être des Zosterops, sans 
couleur rousse aux flancs : c’est peut-être le Z. simplex du sud de la Chine, 
que je ne connais pas. Je récolte aussi au bord d’une fontaine une charmante 
espèce de Parnassia, à pétales blancs terminés par des cils longs et minces. 

Nous nous arrêtons pour la nuit à Yangthoutchy, d’où l’on aperçoit, der- 
rière les collines immédiates, d'assez hautes montagnes des deux côtés de la 
rivière. 

9 décembre. — Ciel voilé comme hier, matinée tranquille. Nous recom- 
mençons de bonne heure notre navigation, qui s'exécute assez paisiblement, 
quoique la rivière soit bien inégale, On nous dit que dans les grandes eaux il 
y à ici aussi des rapides violents et dangereux. Du haut des collines voisines, 
j'entends le sifflement d’un oiseau qui me rappelle le merle mandarin que j'ai 
vu à Hankeou, chez le P. Graziano. 

Ce matin, quelques hommes viennent en bateau nous présenter un livre 
rouge et demander de l'argent pour contribuer à la construction d’une 
pagode... C’est la mère de notre maître barquier, l’intrépide fumeuse 
d’opium, qui se charge de faire l’aumône aux quêteurs, qui n’insistent pas 
auprès de nous quand nous nous déclarons chrétiens. Je dois noter que les 
Chinois de ces provinces centrales et occidentales paraissent bien plus attachés 
à leurs superstitions que leurs compatriotes du Nord; ici les pagodes sont 
plus nombreuses, mieux tenues et plus belles, et les bonzes eux-mêmes 
paraissent plus à leur aise, mais non plus vertueux. 

Nous passons encore aujourd'hui un grand rapide qu’on dit être fort 
dangereux en été. Les roches stratifiées de grès, de marne et de conglo- 
mérats continuent à se voir, de même que le 


S cailloux roulés de porphyre 
dans le lit du fleuve. D’ 


un heureux coup de fusil j’abats, à une grande dis- 


BULLETIN. 109 


tance, deux Tourterelles à grand collier (Turtur sinensis); les nombreux 
Chinois qui m'ont vu tirer s’extasient sur la bonté de l’arme européenne. Je 
capture aussi deux Drymæca extensicauda et un Suya striata. Ces oiseaux, 
par petites bandes dans les hautes herbes et les buissons des coteaux décou- 
verts, semblent avoir dans leurs mœurs beaucoup d’analogie avec notre 
Cisticola cursitans du sud de l’Europe et de l’Asie. 

10 décembre. — Temps couvert et humide. Vers onze heures, nous pas- 
sons devant la tour blanche qui annonce le voisinage de Fong-thou et qui se 
dresse pompeusement sur une colline à notre gauche. En face de cette tour, 
sur la rive opposée, se trouve une grande plage de rochers et de cailloux où 
l’on nous dit qu’il existait jadis une petite ville, ou forum, qui a été aban- 
donnée, parce que les diables hantaient l'endroit sous forme humaine. 

Vers midi, nous parvenons à Fong-thou, dont l'aspect est fort joli à cause 
de ses pagodes, de ses tours et des collines verdoyantes qui l'entourent. La 
rivière est toujours fort accidentée ; les rochers, les rapides ne cessent point. 
Je ne trouve pas, comme Blakiston, que les environs de cette ville soient boi- 
sés que le reste du pays. Au contraire, il y a deux jours que nous croyons ne 
plus voir les arbres diminuer sur les montagnes. Cependant les plantations de 
cannes à sucre sont plus communes et donnent au paysage une teinte générale 
de vert tendre fort agréable et comparable à celle des moïissons au printemps. 

Il pleut dans l’après-midi, avec vent d'ouest, et nous sommes obligés de 
nous arrêter à quelques lys au-dessus de Fong-thou : c’est la première fois, 
depuis notre départ de Chache, qne nous suspendons notre marche à cause 
du mauvais temps; jusqu'ici les pluies avaient été de peu d'importance. 
Cependant, une heure avant la nuit, on peut se remettre en voyage. 

À quelque distance au-dessous de Fong-thou s'élève une jolie colline 
conique, couverte d'arbres et surmontée d’une pagode. On nous raconte qu’on 
conserve dans ce sanctuaire le corps sec d’une sainte déifiée, dont on a doré 
le visage. Nos Chinois prétendent qu'aucune embarcation ne peut passer les 
rapides de ce lieu sinon par sa permission; et, quand ils y arrivent, les bate- 
liers ont soin de brûler force pétards pour implorer sa miséricorde. 

Les galets sont plus abondants et variés au rivage; mais les roches vives 
sont toujours du grès gris. Les collines sont moins raides; et derrière celles-ci, 
les nuages nous permettent à peine de distinguer des montagnes peu con- 
sidérables. 


410 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


11 décembre. — Ciel couvert, brouillard léger et petite pluie. On marche 
bien le matin; la rivière est étroite et assez bonne. Vers onze heures, nous 
passons devant un village nommé Ly-che-tchen, dont nous notons les maisons 
remarquables par leur blancheur et par les poutres et les soliveaux qui sont 
intercalés et se croisent dans la muraille, à peu près comme cela a lieu dans 
le pays basque. Vers midi, nous avons notre corde de halage cassée et un 
* moment d'émotion ; mais on nous reprend bientôt, et nous continuons la route. 
Une barque qui nous suit immédiatement a aussi sa corde rompue aux mêmes 
rochers que nous, mais sans plus d’inconvénients. 

A une heure, nous quittons notre bateau afin d’éviter les longueurs d’un 
grand détour du fleuve, et nous allons, partie à pied sur des collines boueuses 
et glissantes, et partie en petite embarcation, à Fout-cheou où nous arrivons 
le soir, chez M. Sabatier, des Missions étrangères. 

Fout-cheou, bâti sur les flancs d’une montagne qui fait angle à la jonc- 
tion du Yangtzékiang et du Pen-shui-ho, rivière aux eaux claires qui naît dans 
le Koueï-tcheou, est une fort grande ville qu'on dit peuplée de quatre à cinq 
cent mille habitants. La résidence du missionnaire est en dehors de la porte 
orientale ; je m'y installe, avec les camarades qui m'ont suivi, pour attendre 
l'arrivée de notre barque. 

12 décembre. — Il pleut beaucoup la nuit et au matin. Nuit et journée 
passées chez M. Sabatier (de Moutiers), revenu malade de Kouey-tcheou, 
pour s’en retourner en France, et retenu ici par Monseigneur Desflèches. Nous 
envoyons chercher nos autres confrères pour rester tous ensemble ici jusqu’à 
demain. Mais ce n’est que tard dans l'après-midi qu'ils nous rejoignent, tandis 
que notre grande barque continue à monter et ne s’arrête qu’à dix lys plus 
haut, à notre grand déplaisir. 

Les environs de Fou-tcheou sont fort montueux, surtout vers le sud, 
dans la direction de Pen-shouy et de You-yang. M. Sabatier m'apprend que 
ces parages-là sont fort propres pour une exploration d'histoire naturelle et 
contiennent de grandes montagnes avec des bois, des tigres, des pan- 
thères, etc. Il me parle du Singe noir du Kouy-tcheou, qui est très-grand, à 
longue queue et fort difficile à obtenir; ce sont les Miaotre seuls qui de pren- 
nent en vie. Le Copsychus saularis est très-abondant sur les toits et dans 
les égouts de la ville. 

13 décembre, dimanche. — Encore pluie toute la nuit et le matin. De 


BULLETIN. ait 


bonne heure, nous célébrons la sainte messe , afin de pouvoir parlir au point 
du jour pour rejoindre notre bâtiment. Nous avons la chance d'y parvenir 
vers neuf heures, sans trop nous mouiller. 

Ici aussi nous laissons un de nos compagnons. M. Provôt a reçu des 
lettres de son vicaire apostolique qui l’avertissent de s'arrêter dans cette ville 
d'où il devra se diriger vers Pen-shouy, quoique les nouvelles qui viennent de 
ce pays-là annoncent de fort mauvaises dispositions des païens contre les éta- 
blissements chrétiens. 

La rivière de Pen-shouy-ho qui débouche dans le Yangtzé, à Fou-tcheou, 
est considérable et navigable au loin: elle est fort dangereuse, et les bateaux 
qui font cette navigation ont une forme particulière : ils sont très-solidement 
construits, pointus et relevés aux deux bouts; ils sont munis d’un double gou- 
vernail en forme d’énorme rame, placé à chaque extrémité. Il paraît que dans 
certains rapides de ce cours d’eau, les vortex sont tels qu’il arrive que des 
bateaux y sombrent et disparaissent entièrement. 

Le combustible qu’on brûle à Fou-tcheou consiste en broussailles et en 
paille. Nous avons pourtant vu près d’ici de la houille en poudre. Le Bananier 
est assez commun dans cette ville et très-gros; il y a aussi des Cicas revo- 
luta. Mais ces plantes n’y sont pas spontanées. 

Les montagnes sont élevées le long du fleuve et n’offrent que des roches 
calcaires caverneuses et des grès gris. Le Milan est très-abondant dans toutes 
ces gorges; je vois aussi une petite Buse au vol rapide, sans doute le 
B. Poliogenys. 

En s’éloignant de Fou-tcheou, les collines diminuent de hauteur et de 
raideur ; les flancs en sont lentement inclinés et cultivés jusqu’à la cime. Les 
Bambous verdoyants abondent toujours, et la contrée offre assez d’arbres, de 
médiocre taille, qu’on y laisse croître pour les besoins de la navigation. Ce 
sont surtout les Tuïa, le Chêne et une sorte de Frêne, qu’on emploie à cet 
usage, Les bandes de Hérons blancs sont très-abondantes sur le fleuve, 

14 décembre. — Après avoir eu de nouveau la corde de halage rompue 
dans un rapide, hier soir, un peu au-dessous du village considérable de Ling- 
che, nous nous sommes arrêtés et avons passé la nuit en face de cet endroit, 
Nous y débarquons et laissons les naufragés et les balles de coton que nous 
avions recueillis dans les gorges d’Ouchan. 

Linche est bâti sur la rive sud, à côté d’un torrent; les collines qui 


412 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


l’adossent et qui l’avoisinent sont boisées çà et là et ont des sommets étendus 
et assez plats. Elles n’ont guère que cinq cents à mille pieds d'élévation au- 
dessus du fleuve. 

Vers neuf heures du matin, nous atteignons l’île que Blakiston appelle 
de l’Ecrivain; et là encore nous avons un moment d'émotion désagréable en 
voyant notre corde se casser immédiatement au-dessus d’un rocher dange- 
reux. On a le bonheur de nous ressaisir avant que le courant ne nous emporte 
trop loin. Véritablement ces bateliers sont trop imprudents! Ils s’obstinent à 
employer, pour haler le bateau, des cordes de bambous trop minces ou trop 
fatiguées par leur continuel frottement sur les rochers de la rive, lesquels se 
voient usés et cannelés souvent profondément par cette action séculaire. Par- 
fois nous nous surprenons effrayés en voyant notre barque se balancer lour- 
dement au milieu des flots et des récifs, à la merci d’une corde longue de cent 
et deux cents mètres, et grosse au plus comme deux doigts, laquelle doit 
résister aux efforts de vingt haleurs et de quarante et même de quatre-vingts 
dans les rapides violents. Il est vrai que ces cordes de bambous tressées ou 
tordues sont très-solides et résistantes quand il ne faut pas trop les plier; la 
nature siliceuse qui en forme l'extérieur les rend très-dure contre le frottement 
du rocher. Aujourd'hui encore le ciel est tout couvert, mais la pluie a cessé. 
Nous marchons assez bien, notre bateau étant allégé de trente ou quarante 
quintaux de marchandises qu’on a débarquées la nuit dernière : il est vrai que 
nous nous trouvons aussi privés de plusieurs haleurs qui s’arrêtent en route, 
à mesure qu'ils rencontrent leurs maisons. 

Vers deux heures nous franchissons, sans trop de peine, le rapide de 
Houang-yéli-thang (rapide de la marte jaune), qui est au bout d’un îlot de 
galets ; en été il est violent et périlleux. Dans un coude que fait ici le fleuve, 
j'apercois deux ou trois groupes d’oiséaux aquatiques posés sur le sable : ce 
sont peut-être des oies sauvages. Je suis étonné de voir que, dans cette 
saison, il y ait si peu de palmipèdes sauvages sur ces eaux; je m'attendais 
au contraire, sachant quelle est l'énorme quantité de ces oiseaux qui passent 
à Pékin eu se dirigeant vers le sud. Il est possible que les cris assourdissants 
dont les rameurs font continuellement résonner ces gorges soient cause que 
les oiseaux de toute sorte fuient en d’autres lieux. 

Vers quatre heures, nous passons devant de nombreuses mines de 
houille et auprès d'un marché à charbon que l’on nomme Koua-kouang-yao. 


BULLETIN. 113 


Le soir nous nous arrêtons un peu plus bas que la petite ville de Tchang- 
cheou. Deux prêtres chinois qui y résident viennent nous faire une agréable 
visite sur notre barque : c’est l’occasion de casser la têle à une bouteille de 
cognac tenue en réserve. Les Chinois n’apprécient point les vins rouges 
d'Europe, mais ils goûtent l’eau-de-vie et les liqueurs douces. Le vieux 
P. Tchoung est aimable et gai; il parle le français assez bien et nous 
demande si nous n’aurions pas quelques livres à lui donner. Il désirerait sur- 
tout les ouvrages de sainte Thérèse, qu'il aime à lire, quoiqu'il n’ait pas, dit- 
on, des goûts exclusivement extatiques, comme sa patronne de prédilection. 

13 décembre. — Ciel couvert; pas de pluie au matin. 

Nous passons devant la ville de Tchang-cheou, que nous laissons à notre 
droite, en tenant la rive opposée, à cause des grands bancs de galets qui 
rendent la navigation difficile auprès de cette ville. Tchang-cheou est dans une 
position pittoresque, sur une petite colline assez jolie et entourée d’autres 
collines où l’on aperçoit de belles pagodes. Une atmosphère de brouillards 
l'enveloppe : elle provient sans doute du charbon minéral qu'on y brûle et 
qui donne beaucoup de fumée. | 

L'on voit beaucoup de Hoche-queues à dos noir (Motacilla lucionensis ?) 
se promener sur la rive plate; tandis que quelques Hirondelles cendrées (Cotyle 
sinensis) rasent la surface des eaux en chassant aux insectes volants. Ici encore 
la roche consiste en calcaire, dont on fait de la chaux, et en grès divers. Les 
collines sont élevées de quelques centaines de pieds seulement et ne sont point 
escarpées : elles sont cultivées en rizières et verdoyantes de bambouseraies. 
Celles-ci deviennent de plus en plus abondantes et prospères à mesure que 
nous avançons vers l'Occident. 

Quelques lys plus haut que la ville, la rivière se trouve partagée en deux 
branches, en cette saison, par une île de galets. Nous y voyons une grande 
barque à voyageurs, ou mandarinale, enfoncée dans l’eau et brisée. C'est hier 
soir que le naufrage a eu lieu, pendant qu'on se laissait emporter par le cou- 
rant; le capitaine, qui est des amis du nôtre, est venu le voir à bord. Je vérifie 
que tous ces amas de galets si fréquents proviennent d'anciens poudingues 
dont les assises sont cachées sous les couches de calcaire et de grès. 

Vers midi, nous passons devant le forum de Chang-péi-touo, bâti sur la 
rive méridionale autour d’une anse qu'y forme le fleuve; les maisons font 
l'effet de grands poulaillers hissés sur de longues perches. On nous y porte à 


VU, 0 


114 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


vendre des Anguilles rousses à queue mince, semblables à celles de Pékin. 

Vers le soir, nous atteignons le village de Lotchy, sis sur notre droite. 
Depuis Chang-péi-touo, la rivière est très-accidentée et nous avons marché 
dans la direction S.-0., ayant sur le côté septentrional de petites collines 
couvertes de cannes à sucre. Derrière elles se trouvent des montagnes qui 
vont en s'élevant vers l’ouest et qui doivent avoir près de cinq cents mètres 
d’élévation au-dessus du Yang-tzé-kiang. 

16 décembre. — Le temps, qui s'était éclairci et mis au beau hier au 
soir, est ce matin tout brumeux, et nous ne pouvons voir qu’à quelques pas 
devant nous. Nous avons passé la nuit à quelque distance au-dessus de Lo-tchy, 
qui parait être un chantier de construction de barques. De là j'ai aperçu aussi, 
sur la rive nord, de jolies montagnes de même hauteur que celles de la rive 
sud, et formant une chaîne dont la direction semble du S.-0. au N.-0.; elles 
paraissent peu boisées. 

Les fortifications dont tous les sommets plats sont munis, ce que nous 
voyons fréquemment ici depuis quelques jours, de même que dans les monta- 
gnes d'Ouchan, commencent à devenir plus rares vers l'Ouest. Ce sont des lieux 
de refuge où les campagnards se retirent dans les temps de troubles, pour 
mettre leur vie et leur avoir à l'abri des déprédations des rebelles ou brigands. 

Depuis que nous sommes entrés au Setchuan, je vois mêlées aux Bam- 
bous des touffes de Roseau véritable (Arundo donax). Je n’avais point encore 
rencontré en Chine cette plante de notre patrie, tandis que le petit Roseau des 
marais (Phragmites) est partout abondant en Chine comme en Mongolie, et au 
sud comme au nord de l'empire. 

Vers huit heures, nous passons le long de plusieurs îles de rochers placés 
au milieu du fleuve, que Blakiston indique sous le nom d’ile de Fuzzeler. 
J'ignore la signification de ce de midi nous dépassons le village con- 
sidérable de Mou-toung (et n Hou-toung, comme l’a écrit ce dernier 
voyageur). Un peu plus haut, le fleuve est partagé en deux par des bancs de 
rochers très-considérables. Ce sont des calcaires et des grès compactes. 

Avant de nous arrêter pour la nuit, nous passons un endroit où le fleuve 
est si large et si peu profond sur les bords, que notre barque est halée par 
une corde longue de quatre à cinq cents mètres. Là nous trouvons encore un 
bateau semblable au nôtre qui vient d'y faire naufrage ce soir même : ila été 
frappé et brisé par une embarcation plus petite qui était entraînée par le 


BULLETIN, 115 


courant. Plus bas, nous avons déjà vu une autre barque brisée et plantée sur 
un rocher. Que d'accidents, que de naufrages! Parviendrons-nous sans mal- 
heur jusqu’à Tchougkin, qui n’est plus qu'à peu de distance ? Je commence à 
me trouver très-fatigué au moral et au physique, et il me tarde d’en finir avec 
cette navigation tyrannisante… 

17 décembre. — Temps pluvieux. Cette nuit on a été sur le qui-vive, à 
cause des voleurs qui maraudaient autour de nous. I] paraît que les pirates 
d'eau douce infestent de préférence certains points du grand fleuve, et les 
bateaux voyageurs évitent de s’isoler le plus possible. 

De bonne heure nous franchissons le grand rapide d’Y-lo-dre, rempli de 
vilains tourbillons : c’est le dernier, dit-on, avant d'arriver à Tchongkin. Nous 
ÿ Courons encore un péril : à peine avions-nous passé le point difficile, qu'une 
autre barque se détache de ses tireurs devant nous, et le courant l’entraîne sur 
la nôtre, en grand danger de nous briser ensemble et nous engloutir dans le 
vortex; heureusement qu'elle ne fait que friser légèrement notre navire. 

Ce matin, le fleuve est fort accidenté : rochers qui s’avancent dans les 
eaux, récifs de toute façon, cachés et patents, bancs de galets, courants, tout 
conjure pour rendre la navigation tourmentée. Une grosse barque git 
échouée sur les pierres, à quinze ou vingt pieds au-dessus du niveau actuel 
du fleuve. 

Les roches du rivage consistent en poudingues noircis par le fer et en 
des grès gris, plus durs qu’en bas. Un grand nombre d’Hirondelles de rivage 
se voient posées sur les sables où volant sur les eaux. Elles jettent un petit cri 
de rappel, assez grave, qui rappelle celui du petit Martinet, qui est commun 
dans le nord de la Chine comme en Europe; mais ce n’est point la même 
espèce. Elle en diffère surtout par ses couleurs cendrées grisâtres, et est 
propre aux parties septentrionales. 
| Vers midi, nous passons devant la douane qui a la charge de contrôler 
les barques descendantes ; nous n'avons donc point à nous y arrêter. Bientôt 
après, nous avons en vue, à notre gauche, une chaîne de montagnes pointues, 
qui se dirige vers le sud. 

C'est vers trois heures que nous apercevons enfin Tchongkin. Le temps 
s’est mis au beau, il fait un doux soleil; et les deux villes de Li-min-fou et 
de Tchongkin, qui sont séparées par une grande rivière venant du Nord, font 
le plus bel effet. Ces deux riches cités forment un centre de population très- 


116 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


considérable; un grand nombre de jonques et de bateaux sont échelonnés le 
long du rivage. Sur la rive sud, côté opposé à la ville, il n’y a guère que des 
faubourgs ; les montagnes y sont plus raides, et l’on aperçoit de loin l’une 
d'elles, de forme pyramidale, qui est surmontée d’une longue tour en forme 
d’aiguille. Sur le fond vert sombre des Orangers et d’autres arbres à feuillage 
persistant se dessinent agréablement les maisons blanchies à la chaux. quand 
les touffes de Bambous ne les couvrent pas entièrement. 

Les collines de la rive septentrionale, sur lesquelles sont assis les deux 
fou, ou chef-lieu de département, sont assez plates, un peu élevées vers le 
nord-est. Les énormes couches horizontales de grès dur, coupées en berges 
verticales du côté du fleuve, soutiennent les murs crénelés de Tchongkin et 
semblent former ensemble d’imposantes murailles d’une hauteur prodigieuse. 

Nous débarquons vers cinq heures, et, après avoir monté en chaise une 
série d’escaliers en pierre très-inclinés, nous parvenons à la nuit tombante à 
la résidence de monseigneur Desflèches, vicaire apostolique du Setchuan 
oriental. Mon baromètre y indique l’altitude de 274 mètres. 

18 décembre. — Première journée à Tchongkin, point d'incidents 
notables. Le temps se gâte et tourne à la pluie vers le soir. 

La résidence de M:' Desflèches est une très-grande maison chinoise, 
c'est-à-dire qu'elle consiste en plusieurs compartiments construits princi- 
palement en bois et n'ayant que le rez- de-chaussée, et plus ou moins séparés 
par des cours intérieures ; elle est dans le centre de la ville et contient la 
chapelle principale des chrétiens qui sont assez nombreux ici. La population 
de Tchongkin est considérable (les Missionnaires lui donnent au moins cinq 
cent mille habitants), riche et très-active. On me dit que les païens y sont 
très-hostiles aux chrétiens et aux Européens ; il y à six ou sept ans, ils 
avaient, dans une émeute, détruit et brûlé toute cette maison épiscopale. Les 
missionnaires européens sont encore obligés de se montrer le moins possible, 
et Monseigneur tient à ce que nous ne sortions jamais qu'en chaise couverte, 
afin de ne pas exciter la malveillante curiosité des Chinois. 

19 décembre. — Temps pesant, avec petite pluie durant tout le jour. 

20 décembre. — Temps pluvieux. On nous dit qu'il pleut très-souvent 
ici, et que le soleil ne s’y voit que par excephion : c'est un climat qui 
donnerait facilement le spleen. 

Je reçois beaucoup d’utiles renseignements sur le Setchuan, de monsei- 


BULLETIN. 117 


gneur Desflèches et du bon M. Favan, qui vivent dans cette province depuis 
plus de trente ans. Ce dernier, qui maintenant se porte bien pour son âge, 
me dit que l’usage inévitable du thé sans sucre, lui avait dans le temps 
causé une insomnie tellement tenace qu’il a été douze ans sans pouvoir dormir ! 
il en était devenu presque fou. Et ce n’est qu'à force d’opium, et en s’abste- 
nant scrupuleusement du thé, qu’il a recouvré la faculté de dormir et la santé 
première. Monseigneur Desflèches me recommande, comme un endroit favo- 
rable pour acquérir de bons objets d'histoire naturelle, la ville de Kouan-shien, 
à quelques journées au N.-0. de Tchentou, qui est le rendez-vous commer- 
cial de toutes les principautés barbares et même de Kokonoor. Ici, à Tchongkin, 
il n’y a rien de particulier pour les collections, et les quelques raretés qu’on 
y vend par hasard proviennent de l'Ouest, du Yun-nan et du Kouy-tcheou, 
et même du Chensi. 

21 décembre. — Quoique le ciel soit uniformément et épaissement 
couvert, il ne pleut pas aujourd’hui. 

D'après mes informations, passées et présentes, le point le plus avan- 
tageux pour mes recherches d'histoire naturelle paraît devoir être la 
principauté indépendante de Moupin. Pour m'y rendre il me faudra aller 
d’abord à Tchentou, capitale du Setchuan. 11 y a deux voies pour parvenir à 
cette grande ville, la voie du fleuve et la voie de terre ; la première demande 
une trentaine de jours, et la seconde une dizaine seulement. Je me détermine 
à voyager par terre, en envoyant par eau mes quatre ou cinq malles ou caisses, 
dont le transport à dos d'homme serait par trop coûteux, en profitant du 
bateau qui doit porter à Tchentou mes jeunes compagnons de route, 
MM. Bompas et Pellé. 

En attendant que tout soit disposé pour continuer mon voyage, je vais 
reconnaitre les voisinages de Tchong-kin. Je pars donc après déjeuner, en 
chaise couverte, pour un petit collége que monseigneur Desflèches a établi à 
trois petites lieues au S.-0. de la ville; j'emporte mes instruments, et j'y resterai 
deux ou trois jours, si je trouve à utiliser mon temps. La campagne est 
admirablement bien cultivée et paraît très-fertile ; la terre produit en toute 
saison. Les champs consistent surtout en rizières alimentées par la pluie, et 
qu’on voit établies jusqu’au haut des collines. Dans les endroits culminants 
sont creusés de grands bassins qui tiennent en réserve les eaux tombées du 
ciel. On voit maintenant les Fèves en fleur, les petits Pois, des Navets et des 


118 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


Raves, le pé-tsaé ou Chou chinois, des Épinards, le Froment. II y à quelques 
plantes sauvages fleuries, comme un Fumaria où Corydalis, une Autir- 
rhinée, etc. 

Le petit collége, ou Probatorium, où l'on commence à instruire une tren- 
taine de jeunes Chinois, qui aspirent à entrer au Séminaire, est un enclos 
assez vaste renfermant beaucoup d'arbres et de Bambous qui servent de 
refuge aux oiseaux du canton qui, du reste, est très-peu boisé. J'y rencontre 
l’Urocissa sinensis, le Garrulaæ sannio, le Pomathorinus stridulus, le Copsychus 
saularis, le Suthora webbiana, le Parus minor, le P, à calotte fauve ou 
Psaltria concinna, le Reguloïdes proregulus, un Abrornis nouveau de pelite 
taille et masqué de fauve aux joues et à la tête, le Yanthia cyanura, le Munia 
aculicanda, le Fringilla montifringilla, l’Hesperiphona melanura, le Passer 
montanus, et l’Autour. 

Les arbres du bosquet consistent en Chênes de deux espèces, en Biosta 
orientalis, et plusieurs autres que je ne connais pas: Dans le jardin croissent 
et prospèrent quelques pieds du fameux Van-mou ou Lan-mou, ce prétendu 
Cèdre au bois incorruptible, dont ont tant parlé les anciennes lettres et descrip- 
tions de la Chine. A l'aspect général de la plante, à la forme et à l’odeur aro- 
matique de ses feuilles, qui sont persistantes , je reconnais que c’est un vrai 
Laurier, bien qu’à cette époque il n’y ait aucun des organes de fructification. 
Le Laurus nan-mou est un des plus beaux arbres qu’on puisse voir; il croît 
très-haut et très-droit. Son bois odorant, et inattaquable par les insectes xylo- 
phages, est très-recherché pour en faire des colonnes et des poutres d’une 
durée éternelle, d’après les Chinois. On peut voir près de Pékin, dans l’une 
des principales sépultures impériales des Ming, une trentaine de ces colonnes 
qui sont remarquables par leurs proportions gigantesques, et qui ont été 
transportées à grands frais autrefois du sud, où maintenant le Nan-mou est 
devenu très-rare, 

22 décembre. — Quoique le ciel eût commencé hier soir à s’éclaircir 
par exception, ce matin il se met à pleuvoir fort et pour toute la journée. 

Les deux prêtres chinois qui dirigent le Probatorium ont fait leurs 
études dans le collége de Moupin (où autrefois les Missionnaires étaient allés 
chercher un refuge contre Ja persécution des mandarins chinois). Ils me 
confirment qu'il y a là le bœuf sauvage ? le Gaélu qu’ils nomment Onagre, le 
Chevrotin, le Faisan à camail blanc, le Lophophore ou Pae-mou-ki. Le mont 


BULLETIN. 119 


Ta-shué-thang, aux neiges perpétuelles, ne serait qu'à peu de journées de 
Moupin. D’après ces mêmes messieurs, le Faisan ordinaire de Tchongkin n'a 
point de collier blanc; et en été ce pays serait fréquenté par un oiseau 
chanteur et imitateur, à couleurs belles et variées. 

À cause du mauvais temps, je ne puis sortir de la maison : c’est 
dommage ! car une foule d'oiseaux se font entendre aux alentours. Cependant 
je parviens à capturer trois exemplaires du joli Abrornis à tête fauve et à 
croupion jaune, comme Île Reguloïdes chloronotus, dont il a la taille et les 
allures ; mais son cri est doux et plus fort. 

A propos de Moupin, le P. Lô m'apprend encore que dans les bois de 
ces montagnes vit un curieux quadrupède, fou, stupide, à jambes courtes et 
qui vit dans les trous et sur les arbres ; il crie comme un petit enfant, et 
pour cette raison, les Chinois le nomment Chan-tché-oua (Ailurus?). 11 me 
cite aussi une Salamandre gigantesque, Oua-oua-yu, qu'il a vu prendre 
autrefois et qui pesait une vingtaine de livres. C’est sans doute le poisson 
criant des habitants du Houpé et peut-être le même gros Batracien qu'au 
Japon. Il est intéressant, en tout cas, de vérifier son existence sur le grand 
continent. 

23 décembre. — Le temps se met au beau. Je passe la matinée parmi 
les Bambous et les arbres du jardin, à poursuivre les nombreux petits oiseaux 
qui les fréquentent. 11 y a un petit Phyllopneuste ou Abrornis d’un verdâtre 
obscur, que je ne parviens pas à acquérir; il est très-vif, toujours en 
mouvement et se cachant dans les feuilles et les broussailles les plus touffues; 
de nombreuses familles de Suthora et de Mésange à tête rousse, voyageant 
en compagnie des Roitelets à joues fauves. Je capture mon premier échan- 
tillon du Garrulax à joues blanches (G. Sannio). Le Pinson des Ardennes et 
le Pinson à masque noir sont abondants sur les Biota, dont ils mangent les 
pepins. 

Après-midi, je retourne à la ville ; le temps est très-beau, et la vue des 
fleurs déjà nombreuses dans les champs fait rêver le printemps, quoique 
nous commencions à entrer dans l'hiver. En longeant une plage de gravier, 
un peu en haut de Tchongkin, j'observe que les caillous roulés y consistent 
en calcaire, en marbre et en porphyre rougeâtre et verdâtre. 

En rentrant chez monseigneur Desflèches, je suis agréablement surpris d'y 
voir arriver en même temps mon ami M. Mihière, dont j'ai fait autrefois 


120 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


connaissance à Pékin. Ce digne missionnaire vient de Kouet-tcheou et doit 
se rendre par Canton dans la Mission du Kouang-si, dont il vient d'être 
nommé préfet apostolique. Avant d’aller à son nouveau poste, il a l'intention 
de faire le voyage de la capitale de l’empire, afin d'y obtenir des passe-poris 
en règle. 

24 décembre. — Pas de pluie, mais ciel couvert. Je fais mes préparatifs 
pour partir, après la fête, pour Tchen-tou. 

M. Mihière m'engage à visiter le Kouey-tcheou, où il dit qu'il y à 
beaucoup à faire pour l’histoire naturelle. Cette province ne renferme pas de 
hautes montagnes, mais consiste dans un immense plateau gonflé jusqu’à une 
altitude assez considérable ; il y existe encore pas mal de bois et de terrains 
vides. On y trouverait tous les Faisans de la Chine occidentale, et un autre gros 
Gallinacé inconnu, dit-il, appelé Ma-mou-ky. Les Tourterelles sont de trois ou 
quatre espèces. À Shuy-mou, près de Vgan-shuen, se trouve le Faisan 
Amberst, avec le Faisan doré, et un autre Faisan à panache rouge, qui 
différerait de ces deux espèces. 

M. Mihière me dit que le printemps serait la bonne saison pour aller au 
Kouey-tcheou; qu'il faudrait partir par terre de Tchongkin, et qu’en huit 
Journées de route on arriverait à Tsen-yi, son ancienne résidence, où il y 
aurait déjà un bon endroit pour collectionner. 

25 décembre. — Noël. Bonne journée, couverte le matin, sereine le soir. 
J'ai l'honneur de célébrer les Messes de minuit et de l'aurore, dans la chapelle 
de la résidence épiscopale où ont afflué en grand nombre les chrétiens de la 
ville. À midi, nous sommes invités à diner chez les prêtres indigènes où les 
principaux chrétiens veulent saluer et traiter les Missionnaires nouvellement 
arrivés, Pour moi, j'aime mieux passer ma journée en compagnie de monsei- 
gneur Desflèches et du vieux et gai M. Favan. Tous les deux m'indiquent le 
district de Longaufou, comme digne d’être exploré, à légal de Kouan-shien 
où viennent à aboutir les principales productions des pays des Mantze. 

26 décembre. — Bonne journée sans pluie. On a loué une barque pour 
porter MM. Bompas et Pellé à Kia-tin ; là il leur faudra chercher une autre 
embarcation pour parvenir jusqu’à Tchentou : c’est à leur obligeance que je 
confie mes malles, qui mettront environ un mois pour ce voyage. Quant à 
moi, je ne pourrai partir que demain à midi, par terre. 

M. Mihière, qui a visité autrefois Tchentou, me recommande de m'y 


BULLETIN. 121 


procurer les semences d’un arbre à blancs fruits ronds qu'on utilise quelquefois 
en guise de savon : je crois qu’il a tout bonnement en vue le Welia azederach, 
espèce déjà introduite en Europe. 

27 décembre. — Pas de pluie. 

Monseigneur Desflèches, évêque de Sinite, vicaire apostolique de cette 
partie de la province de Setchuan, est un homme d’une santé délicate, souf- 
frant de rhumatismes fréquents; mais il est très-actif encore, et s'occupe 
beaucoup du chinois, qu’il connaît fort bien. Pour l'usage des missionnaires 
il a fait arranger et imprimer la carte de cette province sur une grande échelle; 
avec un volume de texte correspondant : c’est une reproduction, avec additions 
latines, de la grande carte réservée exclusivement pour l'usage des manda- 
rins. Elle comprend, mais d’une manière très-inexacte, toutes les principautés 
indépendantes de l'Ouest et du Thibet, et au delà. Monseigneur Desflèches 
n'a que cinquante-six ans, et cependant c’est l’un des évêques les plus anciens 
de Chine. M. Favan a une soixantaine d’années, et se porte assez bien depuis 
qu’il a été guéri de son indomptable insomnie de douze ans de durée. Il était 
arrivé en Chine en compagnie de notre confrère, monseigneur Baldus, vicaire 
apostolique du Kiang-si. 

D'après ces messieurs et les Chinois du pays, le climat de Tchongkin 
n'est pas beau ; il y pleut fort souvent, en moyenne la moitié des jours de 
l’année. Le ciel y est habituellement nuageux ou brumeux, sans compter 
l’épaisse fumée produite par la houille qu’on y brûle. L’été y est fort chaud; 
et, cette année, on y a noté 43 degrés de chaleur à l'ombre. L'hiver est doux, 
et rarement le thermomètre descend à zéro degré, ou au-dessous. La tempé- 
rature de 6 degrés passe déjà pour du froid, et les habitants portent alors des 
habits de ouate et de peau. Les maisons de la ville sont bâties en partie en 
bois, qui vient ici par les fleuves et qui n’est pas cher. L'humidité y est 
pourtant très-grande, et toute la population se ressent du mauvais climat : 
on me dit qu'habituellement il y a une moitié des habitants de Tchongkin qui 
sont malades... 

À propos des chrétiens, monseigneur de Sinite me parle de l’opposition 
qui a été organisée contre la conversion des païens : à Tchongkin personne 
ne peut embrasser le christianisme, sans se voir mettre à la porte de toutes 
les maisons et privé de tout emploi, de tout moyen pour vivre. Ailleurs on est 
obligé de retarder et d'empêcher par prudence les conversions en masse des 


vin p 


122 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


indigènes, de crainte de voir les nouveaux chrétiens maltraités, attaqués et 
incendiés, comme cela a eu lieu plusieurs fois dans la province. 

C'est seulement à une heure et demie que tout est prêt pour nous mettre 
en route. M. Favan, procureur de la Mission, a fait avec un entrepreneur de 
voyages un contrat le plus avantageux possible, pour me transporter à Tchentou 
en dix ou douze jours. — Ici, il n’y a pas de route carrossable, pas de 
voitures, pas de mulets, pas d’ânes, très-peu de chevaux et à l’usage des 
courriers. — Tout se porte à dos d'homme, ou en brouette. On a loué trois 
hommes pour ma chaise et trois autres pour mes bagages indispensables et 
ceux de l’inséparable Pékinois qui m’accompagne (y compris, bien entendu, 
notre literie). Ces vigoureux porteurs font dix lieues par jour en moyenne, et 
se payent à raison de trois mille six cents sapèkes chacun pour le voyage en- 
tier. De plus, d’après l'usage qui fait loi, en arrivant à Tchentou, je céderai à 
mes porteurs la chaise qui a été achetée à mes frais ; en outre, tous les deux 
jours, je leur donnerai à tous un cadeau pour le pourboire, et à la fin du 
voyage un autre présent obligatoire de neuf cents sapèkes. Ici on a douze 
ou quinze cents sapèkes pour un taël, ou once d'argent; mais le taël y est 
plus fort qu’à Changhay et à Pékin. M. Favan a pris ses précautions pour 
me faire tenir mon argent à Tchentou, au fur et à mesure de mes besoins, 
sans être obligé de le porter avec moi; ce qui constituerait un grand em- 
barras et un danger véritable, surtout vers cette fin de l’année chinoise. 

Ce soir nous ne faisons guère qu’une trentaine de lys de chemin, et nous 
nous arrêtons pour passer la nuit à Lao-tsaopou, pas loin d’une première 
chaine de petites montagnes d’où l’on extrait de la houille, 

28 décembre. — Cette nuit, il a soufflé d’abord un assez fort vent, puis 
il a commencé à pleuvoir; et nous avons de la pluie pendant tout le jour. 
Néanmoins nous cheminons assez bien sur la grand'route qui mène de 
Tchongkin à la capitale de la province : c’est un chemin dallé, large d'environ 
un mètre et demi. Comme le pays est tout montueux, une grande partie de la 
route consiste en escaliers. Pour épargner les forces de mes porteurs, je 
descends de ma chaise dans ces pas difficiles ; mais ces hommes n'aiment 
pas trop cela, je ne sais pourquoi. Ils ne sont pas sans doute accoutumés à 
cet acte de généreuse humanité, de la part de leurs clients chinois. 

Aujourd’hui nous traversons deux autres chaînes de montagnes un peu 
plus élevées que celles d'hier et plus rustiques; elles sont assez boisées et 


BULLETIN. 193 


se trouvent à une quinzaine de lieues à l’ouest de Tchongkin. Par toutes ces 
montagnes on voit aussi des mines de charbon; j'ai vu des hommes portant 
de la houille très-noire, et d’autres de la houille grise. En examinant des 
morceaux de schistes carbonifères, j'y ai remarqué les mêmes traces ou 
empreintes de calamites que j'ai observées dans les spécimens de San-yu, 
près Pékin. Les montagnes que nous avons traversées à quatre ou cinq lieues 
de Tchongkin offrent des blocs de calcaire à veines blanches ; mais après 
reparaissent les mêmes grès gris ou jaunâtres, les mêmes marnes rougeâtres 
et verdâtres, que dans le lit du Yangtzékiang. 

Les plantes que je vois sur les coteaux incultes consistent en Pinus 
sinensis, Cunninghamia lanceolata, Biota orientalis, deux Chênes à feuilles 
caduques et un Peuplier assez beau ayant de la ressemblance avec espèce 
à grandes feuilles du Nord. J'y vois aussi un composé ligneux à fleurs jaunes, 
et le premier Bambou que j'aie rencontré se préparant à fleurir. Les Bambous 
de Chine ne fructifient qu’une fois, et alors toute la bambouseraie provenant 
du même type meurt ensemble. Le Pteris à feuilles plus allongées que le 
Pi.-aquila est plus abondant ici que l'espèce commune. 

Les petits oiseaux sont assez nombreux. Je n’ai rien vu de nouveau si ce 
n'est un grand Busard à croupion blanc, et un oiseau noir non reconnu ; 
peut-être un Drongo. Une compagnie de Garrulaæ sannio cherchait tranquil- 
lement sa nourriture derrière et sur une maisonnette de la campagne. 

La pluie cesse vers le soir, et ‘nous faisons halte, pour la nuit, dans la 
ville de Laé-fong-yi. Avant d’y arriver, nous avons passé auprès d’une usine 
à porcelaine, où un ruisseau Tait mouvoir la machine à écraser la pierre qu’on 
y emploie ; je crois que ce n’est autre chose qu’un grès blanchâtre que j'ai vu 
dans le voisinage. Le fait est que je n’ai aperçu nulle part ici de kaolin, de 
pegmatite ou de granit, 

Aujourd'hui, chemin faisant, j'ai observé beaucoup de personnes dont la 
peau est aussi blanche que celle des Européens. En général, les habitants du 
pays paraissent être à leur aise et sont assez bien mis. Le long de la route 
nous avons rencontré souvent de beaux arcs de triomphe, construits avec 
d'énormes blocs de grès, artistiquement travaillés : quelques-uns de ces 
monuments feraient bonne figure même en Europe, pour leur forme élégante 
et plus élancée que cela n’a lieu d'ordinaire dans les constructions chinoises. 
On me dit que ces arcs, ou paé-lou, sont érigés par les communes ou par des 


424 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


familles riches, soit pour perpétuer le souvenir de quelque grand acte de 
bienfaisance, soit le plus souvent pour célébrer la vertu et l’abnégation de 
quelque jeune fille ou veuve qui a refusé de se marier, pour mieux se dévouer 
au soin de vieux parents, ou de neveux abandonnés. 

Parmi les pierres de taille qui pavent le chemin, j'en observe qui 
contiennent de nombreuses coquilles fossiles, qui forment souvent de jolis 
dessins sur les dalles polies par le frottement des passants. Mais ces coquilles 
sont si brisées el perdues duns la pâte de la roche calcaire qu’on ne peut y 
rien distinguer, si ce n’est que ce sont des fragments d'espèces marines 
très-anciennes. 

29 décembre. — 11 pleut toute la journée ; et le soir il neige au village 
où nous nous arrêtons de bonne heure, à cause du mauvais temps. 

Aujourd'hui nous voyageons toujours dans les petites collines, peu 
élevées et entièrement cultivées, qui occupent la plus grande partie de cette 
province et qui ont à peu près la même hauteur, en dehors des arêtes formées 
en divers sens par des chaînes de montagnes peu considérables. Ces colli- 
nettes innombrables, qui paraissent les restes d’un plateau, dont leurs sommets 
indiquent la hauteur, sont entrecoupées de vallées d'érosion formées par 
l’action séculaire des forces atmosphériques. Leurs couches horizontales de 
grès et de marne se correspondent partout, excepté dans les chaînes mon- 
tueuses où les dépôts plus anciens ont été mis à nu. C’est dans ceux-ci que les 
formations carbonifères sont accessibles et qu’on exploite la houille. 

Je rencontre encore des hommes portant dans des paniers et dans des 
sacs du charbon bitamineux d'excellente qualité, comme celui que j'ai 
observé précédemment à Sartchy, en Mongolie ; on en fait aussi du coke. 

Tout le pays que nous parcourons aujourd’hui est admirablement cultivé. 
Les Fêves en fleur ont un pied de hauteur ; les petits-Pois sont aussi fleuris : 
le Froment est très-beau et abondant. Les Navets qu’on vend ici sont très- 
grands et excellents ; quelques-uns sont arrondis, les autres longs d’un pied 
avec le gros bout à la partie inférieure. Ce seraient plutôt des Radis que 
des Navets. Nous voyons aussi des champs couverts de Pavots, déjà hauts d’un 
pied. 

En fait d'animaux, je rencontre ce matin un bel oiseau inconnu, qu'aucun 
naturaliste n'a signalé en Chine : c’est un Saxicola ou Dromolea, tout noir 
dessus et dessous, excepté à la queue qui est blanche à la base et aux côtés ; 


BULLETIN, 125 


il est un peu plus petit que le Merle et ressemble beaucoup au Sax-cachinnans 
de l’Europe méridionale. Il butinait dans les buissons et parmi les Fèves. En 
cas de nouveauté, je lui donnerais volontiers le nom de Dromolea imprevisa. 

Dans les lieux incultes abondent lEmberiza ciopsis et l’'Emb. castaneiceps. 
Je trouve encore en quantité le Psaltria coucinna, en compagnie du Suthora ; 
le Drymoica extensicanda est aussi très-commun dans les légumes et les 
herbes vertes : c’est un oiseau familier et gai. 

Nous n'avons fait dans la journée que soixante lys de route; l'endroit où 
nous passons la nuit s'appelle Taé-can-tchang. C'est environ trois cents 
sapèkes que je dépense pour les frais d’auberge, en souper et chambre, pour 
moi et mon domestique ; le déjeuner et le diner ensemble nous ont coûté une 
centaine de sapèkes pour chacun. Ce total de cinq cents sapèkes, qui équi- 
valent à deux francs et demi, est la moyenne de mes frais quotidiens de nour- 
riture et d’auberge pour deux hommes. Je déjeune et dîne avec mes porteurs, 
au riz pur, ne pouvant digérer les fragments salés et pimentés de rave et de 
carotte dont ceux-ci l’assaisonnent; mais, le soir, je me paye le luxe de 
quelques œufs ou d’un peu de viande de porc, la seule qu’on trouve à 
acheter dans les centres populeux. 

39 décembre 1868. — Il à neigé la nuit, et il continue à neiger toute la 
journée; aussi ne faisons-nous, aujourd’hui encore, que soixante lys de 
chemin. 

Vers midi, nous traversons la ville murée de Py-Chan, je crois, où l’on 
nous dit qu’il y a des chrétiens et une résidence de missionnaire : le temps ne 
nous permet pas d'aller lui faire une visite. Au nord de cette ville s'étend, dans 
la direction du nord-est, une chaîne de montagnes assez boisées qui peuvent 
- avoir jusqu'à huit cents mètres d’élévalion au-dessus du reste du pays. Une 
autre chaîne apparaît au loin vers l'occident, en courant vers le sud-ouest, On 
exploite dans ces montagnes de la houille qui me paraît fort belle, d'après 
les échantillons que je rencontre sur la route. Vers deux heures nous traver- 
sons une rivière tortueuse, sur un beau pont de pierre planchéié et couvert 
d’un toit; et nous venons bientôt après nous arrêter au village de Hoang- 
kouo-chou (arbre au fruit jaune, ficus nitida). 11 continue à tomber de la neige, 
mais elle ne s’arrête que sur quelques toits de chaume; tandis que les mon- 
tagnes sont parfaitement blanches dans leur moitié supérieure. 

Les roches du pays parcouru continuent à être du grès, dont la couleur 


126 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


devient rouge ou bariolée çà et là. Il y a une profusion d’ares de triomphe, 
bâtis avec cette pierre, comme aussi d'énormes plaques couvertes d’inscrip- 
tions en l’honneur des âmes généreuses qui ont contribué à construire cette 
route, toute pavée de pierres de taille. Il est probable que c’est l'abondance 
et la bonté de la matière qui a porté les Chinois de cette contrée à ériger ces 
monuments dans lesquels ils déploient souvent un goût réellement artistique ; 
de même qu’en Grèce et en Italie, la facilité d’avoir le beau marbre a sug- 
géré de bonne heure l'idée de s’en servir jusqu'au point d’en faire des 
chefs-d'œuvre. Je pense que si les Grecs et les Italiens se fussent trouvés 
placés par la Providence dans les pampas d'Amérique ou sur les plateaux 
de Mongolie, ils n'auraient pas plus excellé dans les arts que d’autres 
peuples. 

L’aubergiste chez qui nous dormons aujourd’hui est un grand amateur 
d'oiseaux de bataille. 11 élève dans d’élégantes petites cages deux espèces 
de Suthora : le S. webbiana, et la seconde, à tête rousse, qui provient de 
Junnau et de l'ouest du Setchuan, et dont le plumage général a une teinte 
plus grise que celui de son congénère. Les Chinois se passionnent pour les 
combats d'oiseaux, et attribuent des prix fous à ceux qui se battent bien; 
quelquefois la valeur d’un beau mulet! Les coqs, les perdrix fauves, les 
Copsychus et les Suthora sont les espèces le plus souvent élevées pour les 
combats. J'ai vu un de ces derniers, gros comme le pouce, se mettre en fureur 
à un petit sifflement de son maître; au point que la cage ayant été ouverte, 
au lieu de profiter de sa liberté, il se jeta sur la figure du pauvre Chinois et 
saisit si tenacement la peau de son front que nous eùmes toutes les peines du 
monde à lui faire lâcher prise sans emporter pièce. 

31 décembre. — La nuit est froide, mais la neige cesse, ma montre 
s'étant arrêtée et les nuages empêchant de voir la position de la lune, je me 
lève bien avant le jour avec mon domestique, qui (par raison de sécurité et 
d'économie} dort toujours dans la même pièce que moi. Nous avons depuis 
longtemps roulé et ficelé chacun notre lit, et préparé nos paquets; et nous 
attendons, en faisant nos prières de coutume, que nos porteurs viennent nous 
prendre pour partir au point du jour. Mais ceux-ci ne s’éveillent point, et la 
nuit continue longtemps à être noire, en nous laissant grelotter à notre 
aise dans notre humide taudis. J1 était à peine minuit quand je me suis 
habillé, impatient de regagner aujourd'hui le temps perdu par la pluie 


BULLETIN, 127 


et la neige; car, quoique nous nous trouvions à notre cinquième jour- 
née de voyage, nous ne sommes encore qu'à moins de trois cents lys de 
Tchongkin. 

Le jour ayant enfin commencé à poindre, nous nous remettons en route 
par un beau temps, et, après avoir parcouru bravement quatre-vingts lys, nous 
venons dormir dans une grande auberge de la ville murée de Youn-tchang- ‘ 
shien. Là nous avons quelques difficultés avec l'aubergiste qui veut se faire 
payer plus cher que de coutume. 1l faut savoir que souvent les Chinois vendent 
leurs objets et leurs services non pas selon la valeur de la chose, mais selon 
l'importance et la richesse présumée de l'acheteur. 

Rien de nouveau en route, si ce n’est que j’ai pris une musaraigne d’un 
noir de taupe, au bord d’une rizière. Outre les oiseaux ordinaires, j'ai ren- 
contré la bécassine commune, le héron blanc et des étourneaux qui me sem- 
blent différents de l'espèce de Pékin (Sturnus cineraceus) : c'est sans doute 
le St. sericeus dont je n’ai pas encore fait la connaissance. 

1" janvier 1869. — Ciel couvert; température douce. Fait plus de cent 
lys de roule ; passé plusieurs villes. 

J'observe beaucoup de forgerons, de faiseurs de clous : le fer doit abon- 
der au voisinage, il est très-mou. Les champs semés de pavots paraissent 
devenir plus nombreux. Partout je vois porter de la houille, à dos d’homme et 
de bœuf; on commence aussi à rencontrer quelques mulets, qu'on dit provenir 
du Yun-nan. À mesure que nous nous approchons du centre de la province, 
le peuple a l’air plus industrieux et plus prospère. 

Nous arrivons pour la nuit à la populeuse ville de Long-tchen-shien 
devant laquelle nous admirons sur une colline une tour blanche à neuf étages 
et plusieurs arcs de triomphe fort beaux, sous lesquels passe la voie publique ; 
quelques-uns de ceux-ci ont des colonnes de vingt-cinq à trente pieds, d’une 
seule pierre : c’est toujours le même plan d’architecture. 

Long-tchen est très-grande ; elle a des portes doubles, plaquées de fer. 
Une rivière la sépare d’une seconde ville également murée et dont les portes 
sont aussi doubles et ferrées. C’est donc ici un centre considérable de popu-: 
lation. Les maisons des rues principales sont grandes et paraissent pros- 
pères : les auberges sont incomparablement plus belles que dans le nord de 
la Chine; les rues sont pavées de grandes dalles de grès. 

J'observe dans les boutiques beaucoup de soufre, de gypse fibreux, de 


128 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM, 
sulfate de fer, de l’arsenic rouge, etc. La houille vient des montagnes qui 
sont à l’ouest de la ville, pas très-loin. 

Au sortir de la ville, nous avons encore à passer sous toute une série 
d’arcs de triomphe plus ou moins chargés de sculptures et d'inscriptions. 
Ces monuments, d’un style assez uniforme, ne laissent pas que de produire 
un effet imposant, dont on est étrangement frappé quand on a voyagé dans 
d’autres parties de la Chine, si pauvres et si monotones. 


(La suite à un prochain fascicule.) 


REMARQUES 


SUR 


L’IBIS SINENSIS 


DE M. L'ABBÉ A. DAVID 


PAR M. E OUSTALET 


ATTACHÉ AU LABORATOIRE D'ORNITHOLOGIE 


ant: 
. 


{PLANCHE : VI 


M. l’abbé David a envoyé récemment au Muséum un fort bel Ibis, qui 
lui semble différer, sous certains rapports, de l’/bis nippon, Temm., et il en a 
donné la description succincte dans une lettre datée de Shangaï, 10 mars 1872, 
et adressée à M. le professeur Milne Edwards ‘. 

Cet Ibis, dit-il, est un mâle adulte, et présenté les dimensions sui- 


vantes : 
Longuour:totale…. if: ta sie yetioe fr: slar Om, 78 
— CO HU OUPOFIE 2. 1 sonate gere = 0,64 
— DR MD, Ur ne ia se à À 2: 0,15 
— OU DÉS RS PORN Eee Mere 175 


L'iris est rose jaunâtre, le bec noir et rouge à l'extrémité, les pieds et 
les ongles rouges. La tête, dans sa majeure partie, est nue et couverte d’une 
peau ridée rouge; la nuque est garnie d’une toufle de plumes effilées, de 


1. Voyez Comptes rendus de l'Académie des Séiences, n° du 8 juillet 1872. 
2. Cette mesure est prise de l'angle-dela bouche à l'extrémité du bec. 


VII, q 


130 © NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


couleur gris cendré, dont les plus longues mesurent A1 centimètres. La 
même teinte grise s’étend sur le dos et les ailes; elle s’éclaircit sur la poi- 
trine et passe au blanc sur le ventre; elle est remplacée par du rose orangé 
sur la queue, les pennes des ailes et les parties environnantes. On ne remarque 
pas, ajoute M. l’abbé David, de différences entre les sexes adultes, et les jeunes 
sont couverts d'un duvet cendré uniforme. Cet Ibis vit sédentaire dans la 
vallée du Tché-kiang, où il se nourrit de petits poissons et de sangsues. 

* I niche dans les endroits isolés, sur les arbres les plus élevés, et pond deux 
œufs que le mâle et la femelle couvent alternativement. Les parents veillent 
altentivement sur les pelits, jusqu’à ce que ceux-ci soient en état de voler, 
et les défendent contre leurs ennemis et en particulier contre les milans. 

M. l'abbé David fait remarquer que, dans l’espèce nommée Mippon, 
suivant la description de Temminck, les adultes sont blancs et roses, et les 
jeunes de couleur grise, tandis que tous les individus adultes qu'il a eu l’oc- 
casion d'observer dans le Tché-kiang sont d’un cendré clair dans les parties 
supérieures, non-seulement au printemps, mais pendant toute l’année d’après 
les chasseurs. Aussi, sur l'étiquette jointe à l'individu qu’il a envoyé, le 
savant voyageur a inscrit : 

« {bis nippon, Temm. ?? Q] vieux adulte. A cause de la couleur cendrée 
qui. orne les parties supérieures de l'oiseau chinois, et qui n’est pas indiquée 
dans l'Ibis du Japon, je propose le nom d’/bis sinensis pour cette race grise 
à toutes les saisons. » 

Ayant pu étudier de près, dans le laboratoire d’ornithologie, le magni- 
fique exemplaire envoyé par M. l'abbé David, j'ai eu naturellement le désir 
de le comparer d’une part à la description et aux figures de l'Ibis nippon 
données par Temminck, de l'autre aux échantillons de la même espèce con- 
servés dans les galeries et dans les magasins du Muséum . 

Nous devons à Temminck et à Schlegel deux belles figures de l’Ibis 
nippon; la première se trouve dans les planches coloriées (pl. priv), la 
deuxième dans la Fauna japonica (Aves, pl. Lxxt). Ces figures ont été exé- 
cutées, l’une d’après un individu en plumage parfait, rapporté par M. Bür- 
ger, l’autre d'après un exemplaire mâle adulte recueilli au Japon par M. von 
Sicbold, et conservé au Musée des Pays-Bas. Dans la première figure, celle 
des Planches coloriées, le bec est noir et sensiblement arqué, surtout à l'ex- 
trémité; la face est nue et colorée en rouge, la huppe est allongée et de 


BULLETIN. 131 


couleur grise, le cou blanc en dessous et grisâtre en dessus, le dos gris 
cendré, les couvertures des ailes d’une nuance plus élaire, les pennes primaires 
et secondaires teintées d’un rose assez vif, la queue rose en dessous, princi- 
palement dans la région médiane, la poitrine grisâtre, le ventre et les cuisses 
lavés de blanc et de gris. 

L'autre figure diffère sensiblement de la première : la coloration géné- 
rale est plus blanche, le bec plus violacé, et les parties qui sont peintes en 
gris dans la première sont seulement d'une {einte salie dans la deuxième. 
Les rectrices intermédiaires, surtout dans le voisinage de la tige, sont com- 
plétement roses. 

Voici, du reste, les descriptions données par Schlegel dans la Fauna japo- 
nica (p. 117) et par Temminck dans les Planches coloriées : Bec sensiblement 
courbé, d’un brun violacé, passant au roux à l'extrémité. Têle en grande partie 
couverte d’une peau nue qui monte, en longeant le bord postérieur de l'oreille, 
sur l’occiput, et qui s’avance en pointe jusque vers le menton, précisément 
sous l’aplomb de l'angle postérieur des narines; toutes ces parties nues Ont 
une belle teinte vermillon, de même que les pieds. Doigts antérieurs réunis à 
la base au moyen d’une membrane échancrée qui s'étend jusqu’à la première 
phalange de ces doigts. Ongles d’un brun de corne tirant au jaunâtre à la 
pointe. Queue faiblement arrondie. Première rémige de 44 lignes, deuxième 
de 6 lignes plus courte que la troisième, qui ne dépasse guère la quatrième, 
quoique celle-ci soit la -plus grande de toutes. La nuque est garnie d'une 
houppe toufflue composée de plumes longues, étroites, subulées et pointues 
par le bout, que l'oiseau a la faculté d’étaler en large coifle. Ces plumes 
occipitales, ainsi que toutes les parties supérieures du cou et le dos, ont une 
teinte: cendrée blanchâtre. Les grandes et les petites couvertures des ailes, 
de même que les longues plumes du recouvrement, sont d’un blanc très- 
faiblement nuancé de rose ; toutes les pennes des ailes et de la queue sont 
d'un beau rose clair, et les baguettes de ces plumes ont une teinte orange 
lustrée; les parties inférieures du corps, l'abdomen et les couvertures du 
dessous de la queue sont d’un blanc pur. 

Temminck ajoute * : 

« Le plumage des adultes est d’un beau blanc, offrant sur la queue et 


4, Fauna japonica, Aves., p. 417. 


132 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSÉUM. 


les rémiges une jolie nuance aurore. On observe dans les jeunes individus 
une forte nuance couleur de plomb, sur le cou et le dos, et le blanc des autres 
parties est en général moins pur que dans les adultes. » 

En parcourant récemment l'ouvrage de Radde ‘, j'y ai trouvé, au sujet 
de l'Tbis nippon, quelques renseignements fort intéressants. Le savant voya- 
geur raconte que, se trouvant, le 5 avril 1858, chez les Birar-Tunguses, non 
loin du poste de Kasatkena, il a eu l’occasion d'observer, au bord d’un de 
ces petits lacs si fréquents dans cette contrée, trois individus de l'espèce 
décrite par Temminck. Ces oiseaux se tenaient sur le rivage couvert de 
carex élevés, mais ils étaient très-farouches, et s’envolaient à la première 
alerle, en faisant briller au soleil la belle couleur orangée de leurs ailes et de 
leur queue; aussi, pendant deux jours, Radde et son compagnon, un chef 
Tunguse nommé Gantimur, firent-ils de vains efforts pour en approcher à 
portée de fusil; ils furent même obligés de renoncer à leur tentative, et ce 
n'est que plus tard que Radde put étudier, au Musée de l’Académie, un jeune 
individu de cette espèce, tué par M. Maak dans son voyage à l’Ussuri, en 
janvier 1859. Il en donne une description minutieuse, et, après avoir signalé 
quelques particularités dans la disposition des plumes qui limitent la porlio 
dénudée de la face, il dit? : 

« Le plumage tout entier de ce jeune oiseau présente une belle couleur 
grise, à peine nuancée de jaune. Cette couleur est fort intense sur le cou, la 
tête et le dos, mais passe presque complétement au-blanc sur la région infé- 
rieure du corps, et principalement sur les couvertures du dessous de la queue 
et sur les cuisses. Les plames de la huppe, déjà fort allongées, sont également 
d’un beau gris, avec les tiges d’un brun noirâtre et quelques raies transver- 
sales très-étroites et plus ou moins étendues dans le sens de la largeur. En 
examinant attentivement les petites plumes du dos, de la poitrine et du ventre, 
on voit qu'elles ont la base d'un blanc pur et la tige blanche ; au contraire, la 
plupart des couvertures supérieures (surtout les grandes), de même que les 
plumes scapulaires et toutes les rémiges présentent déjà dans leur portion 
basilaire une belle teinte saumonée; cette couleur est encore plus vive sur la 
tige de ces OS DE ds A lola uuduust . ! 52 

1. Reisen im Süden von Oit. Sibirien, in den Jahren, 1855-59 incl. von Gustav. Radde. 
Saint-Petersburg. 4863. P. 341 et 342 
2. Radde, op. cit., p. 342. 


BULLETIN. M : 


Quant aux rémiges, la première et la deuxième sont presque entièrement d'un 
noir grisâtre dans leur moitié antérieure, et celte teinte sombre s'étend en 
mourant sur la portion terminale des rémiges 3 à 6, où elle offre déjà un 
passage sensible à la nuance saumonée. Quelques vestiges dé la teinte noi- 
râtre se retrouvent aussi sur les plumes avoisinant le pli de l'aile, La queue, 
formée de douze pennes, est à peine arrondie à l'extrémité; les plumes qui la 
composent sont d’un rose saumoné à la base et d’un gris blanchâtre au som- 
met, la portion intermédiaire offrant des transitions insensibles d'une nuance 
à l’autre; la teinte grise de l’extrémité s'étend non-seulement sur les barbes, 
mais sur la tige elle-même. Les pieds sont robustes et relativement assez 
courts; dans le jeune oiseau ils sont d’une couleur brun-jaunâtre agréable 
à Pœil. » 

Celle description, donnée par Radde, ne pourrait-elle pas convenir presque 
de point en point à l'Ibis envoyé par M. l'abbé David? Mais, avant d'insister 
sur ce fait, il convient d'examiner en détail les échantillons d'Ibis nippon 
contenus dans la collection du Muséum. 

Le premier individu que l’on ait recu à Paris provient du Japon et a 
été échangé à Temminck ; on est, par conséquent, parfaitement certain de sa 
détermination spécifique. Dans cet exemplaire (g7), le bec, sensiblement 
arqué, est d’an noir à reflets violacés, dans la majeure partie de son étendue, 
mais la base et l'extrémité, qui sont maintenant décolorées et d’une nuance 
d'ocre jaune, étaient probablement, dans l'oiseau vivant, d'une nuance plus 
où moins rougeâtre. De même la face, qui est dénudée jusqu'en arrière des 
oreilles, et couverte d’une peau ridée et comme parcheminée, avait sans doute 
une coloration beaucoup plus vive. La nuque est ornée d’une aigrette de 
plumes étroites, un peu repliées en gouttières, et dont les plus longues mesu- 
rent 40 centimètres; ces plumes sont d’un blanc sale. La même teinte s'étend 
sur le devant du cou, le ventre et les couvertures des ailes; mais les plumes 
scapulaires sont d’une nuance plombée. Les rémiges et les rectrices sont d’un 
blanc grisâtre, avec la tige d’un rose orangé. Le ventre présente aussi quelques 
reflets rosés. Les tarses et les pieds, dont la coloration primitive est effacée, 
sont maintenant d'une teinte jaunâtre, ainsi que les ongles. 

Il ya dans les galeries du Muséum un deuxième exemplaire d'Ibis nip- 
pon (o7 adulte?), dont la conservation ne laisse rien à désirer ; il a été 
envoyé des environs de Pékin, en 4867, par M. Fontanier. 


134 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


Le bec de cet oiseau est d’un noir violacé, assez fortement arqué, pris- 
matique à la base et arrondi à l'extrémité qui est rouge. La peau nue et 
r'dée sur le front, qui revêt la face, dessine une sorte de masque, d’un beau 
rouge vermillon, derrière lequel commence une huppe fort élégante, com- 
posée de plumes effilées, de 5 à 9 centimètres de long. Ces plumes ont leurs 
bords légèrement enroulés et semblent se continuer, dans la région postérieure 
du cou, par d’autres plumes plus larges, à barbes très-déliées, qui s'étendent 
jusqu'à l’origine des plumes scapulaires. Celles-ci sont étalées, aplaties et d’un 
blanc jaunâtre, tandis que les couvertures des ailes, la poitrine et le ventre 
ont des reflets roses. On remarque aussi sur le ventre des plumes longues et 
soyeuses. La première rémige de chaque côté est tout entière d’un gris légè- 
rement rosé avec la tige couleur de chair; la deuxième présente déjà le long 
du bord externe et du bord interne des taches roses claires ; la troisième n’a 
plus de gris que dans le voisinage de l'extrémité, et la quatrième est entière- 
ment d'un blanc rosé, sauf un ou deux points obscurs. Enfin les autres pennes 
primaires et les secondaires sont complétement roses, avec Ja tige orangée. 
Les rectrices ont les mêmes reflets couleur de chair, surtout dans le voi- 
sinage de la tige. Les pieds sont d’un beau rouge vermillon, avec les ongles 
bruns. | 

Enfin, parmi les oiseaux en peau des collections du Muséum, il se 
trouve un troisième Ibis nippon (,0?) envoyé du nord de la Chine, en 1854, 
par M. de Montigny, et présentant, exactement comme le précédent, des pas- 
sages de la teinte grise à la teinte couleur de chair sur les pennes primaires des 
ailes : en effet, la première de ces rémiges est grise dans toute son étendue, 
sauf le long du bord interne ; la deuxième offre en dedans une bande claire 
beaucoup plus allongée; la troisième n’est tachée de brun que près du som- 
met, et la quatrième est entièrement blanche ou plutôt rosée. La face supé- 
rieure de la queue, dans sa portion médiane, et la face interne des ailes sont 
d’une belle nuance rose. Le reste du plumage est d’un blanc rosé : cette teinte 
est un peu salie sur les couvertures des ailes et nuancée de jaunâtre sur la 
poitrine. 

Si maintenant je mets en regard d’une part les dimensions de l’{bis 
nippon , telles qu’elles nous sont données par Temminck et par Radde, et telles 
que j'ai pu les mesurer sur les exemplaires du Muséum, de l’autre les 
dimensions de l’/bis sinensis, indiquées par M. l'abbé David, et vérifiées sur 


BULLETIN. 135 


l'individu envoyé par le savant voyageur, j'obtiens le tableau comparatif 
suivant ! : 


IBIS 
IBIS NIPPON. TEMM. SINENSIS 
À. Day. 
s u 
LA n 
E £ 8 a f meneriiies ax. DV 
a 2 ‘a + DU MUSÉÈUM MUSÉUM 
æ 
(1) (2) (3) 
Longueur totale 0,792 0,636 0,800 0,700 0,780 0,780 
Longueur de la queue..,......,, 0,158 0,165 0,150 0,130 0,105 0,150 
Longueur du bec?.............. 0,169 0,143 | 0,135 0,155 0,155 0,175 
Hauteur du bec 0,022 0,026 0,030 0,020 0,023 0,025 
Largeur du bec 0,022 0,026 £,030 0,020 0,022 0,025 
Longueur du tarse ses 0,079 0,077 0,084 0,079 0,072 0,080 
Longueur du doigt médian...... 0,063 0,063 0,072 0,068 0,072 0,068 
Longueur de l’ongle de ce doigt. . 0,013 0,014 0,015 0,013 0,012 0,012 
Longueur du pouce 0,022 0,024 0,032 | 0,027 0,028 0,026 
Longueur de l’ongle du pouce.... 0,009 0,013 0,012 0,012 0,011 0,012 


Que résulte-t-il de toutes ces données ? Évidemment que l’Ibis nippon est 
sujet à diverses variations, COmme taille et comme plumage; que les jeunes 
individus, comme Temminck le constate, ont une forte teinte plombée sur le 
cou et sur le dos, et toutes les autres parties d’un blanc plus ou moins sale, 
tandis que les adultes sont blancs avec des nuances roses, principalement sur 
le milieu dés rectrices et des rémiges; qu’enfin il est souvent facile de retrouver 
chez ces derniers, au moins sur les pennes primaires, des traces de la livrée 
grise du jeune âge. Mais il y a un certain nombre de caractères qui ressortent 
de la description de Temminck et qui ne font défaut dans aucun des individus 
que j'ai eus sous les yeux, par exemple : la face nue jusqu'en arrière des oreilles, 
couverte d'une peau ridée, principalement sur le front, et colorée en rouge 
vermillon, le bec sensiblement arqué, d’un noir violet, avec la commissure et 
l'extrémité rougeâtre; la nuque ornée d’une aigretle de plumes étroites et 


4. Les mesures évaluées en pouces ont été coaveriies en millimètres. 
2. Cette mesure est prise de l'angle de la bouche à l'extrémité du bec. 


4136 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


subulées, la tige des rectrices et des rémiges de couleur orangée, les tarses 
écailleux et d’un beau rouge vermillon, etc. Or, ces caractères se retrouvent 
exactement les mêmes dans l’/bis sinensis, et celui-ci, présentant les mêmes 
dimensions en moyenne, ne se distinguerait du véritable Nippon que par la 
coloration grise de son plumage qui subsisterait à tous les âges, au lieu de 
disparaître d'assez bonne heure, comme chez ce dernier, en ne laissant de 
traces que sur les grandes pennes des ailes. Mais est-ce là une différence 
suffisante pour établir une nouvelle espèce en faveur des Ibis du Tché-kiang, 
maintenant surtout que l’on sait qu’un assez grand nombre d'oiseaux sont 
susceptibles de se reproduire sous la livrée du jeune âge? Je ne le crois pas, 
et en émettant cette opinion, je suis heureux de pouvoir m'appuyer sur l'au- 
torité incontestée de mon savant maître M. J. Verreaux, qui serait porté à con- 
sidérer l'individu envoyé par M. l'abbé David comme un jeune de lIbis 
nippon. Sans aller tout à fait aussi loin, ne pourrait-on pas admettre que 
l'Ibis sinensis de M. l’abbé David n’est qu'une race locale de l’/bis nippon, 
race dans laquelle les individus, sous l'influence d’un climat, d’une nourriture, 
d’un genre de vie particuliers, conserveraient très-longtemps, sinon toute leur 
vie, cette livrée grise qui dans d’autres parties de la Chine et au Japon dis- 
paraît après la mue? Car, il faut bien le remarquer, l’Ibis nippon n’est pas, 
comme le croyait Temminck, une espèce spéciale au Japon et aux îles de la 
mer de Chine; elle a été déjà rencontrée non-seulement dans le Céleste 
Empire, comme le prouxent les échantillons envoyés au Muséum par MM. Fon- 
tanier.et de Montigny, mais encore dans la Sibérie orièntale, comme l’indiquent 
les individus observés par Radde ; il n’y a donc rien d'étonnant à ce que cet 
oiseau se trouve aussi dans la province de Tché-kiang. Si l’on admet ces con- 
clusions, il y a lieu d'adopter pour l’/bis nippon la diagnose suivante : 

Adult. : Alba, remigibus roseo-linctis, rachidibus auroreis, occipite 
longe cristato, facie nuda, rostri nigri base apiceque flavis; pedibus fusco 
rubentibus. 

Juv. : Fusco-cinerea, remigibus pallide cinereis, rachidibus auroreis, 
facie nuda, rostri nigri base et apice flaventibus, pedibus brunneo vel fusco 
rubentibus. 

. Var. sinensis : Omni ætate juveni simillima. 
Syx. : bis nippon, Temm., col. 551: — Temm. et Schleg., Faun. japon., Aves, 
p. 447 et pl. Lxx1. — Schleg:, Handi., Dierk., p. 84, pl. vi. = Schleg. de Dier., p. 244. 


BULLETIN. 137 
— Geronticus nippon, G. R. Gray, List. Birds Brit. mus. (1844), 4 II, p. 9. — Nipponia 
Temmincki, Reich. Syst. av. pl. exLt, p. 538. — Nipponia nippon, Bp. Consp. av. (1 855), t. IL, 
p. 452. — Ibis mppon, Rob. Swinhoë, bis (1861), p. 261, n° 20. — Blackiston, Jbis (1862), 
p. 331, note. — Rob. Swinh., Proc. zool. Soc. (1863), p. 348, n° 3241. — Schleg., Mus. Pays- 
Bas (1863), p. 9. — Rob. Swinh., /bis (1867), p. &13, note. — Radde, Reise mi Süd. von Ost.- 
Siber. (1863), p. 541. — Geronticus (Nipponia) nippon, G. R. Gray, Hand-list gen. and sp. 
B. Brit. Mus. (1871), t. TE, p. 40, n° 40232. — Toki des Japonais, — Var. : Jbis sinensis, 
A. Dav., Comples rend. Ac. scienc. N° du 8 juillet 4872. 


PROVENANCE : Japon (1849), par Temminck. — Province de Tché-ly, 
environs de Pékin (1867), par M. Fontanier. — Chine septentrionale (1854), 
par M. de Montigny. — Sud de la Sibérie orientale, Birar-Tunguses, Urgun 
(1858), d'après M. Radde. — /4., Ussuri (1859), par M. Maack. — Province 
de Tché-kiang (1872), par M. l'abbé David. 


ADDITIONS 


AU JOURNAL DU VOYAGE 


DE 
M. L’ABBÉ ARMAND DAVID 


PAR 


M. J. VERREAUX. 


La description des oiseaux de la collection de M. l'abbé David, qui sont 
nouveaux pour la science, et qui ont été insérés dans le précédent volume de 
ce recueil, n’a pu être accompagnée de figures; mais aujourd'hui il m'est 
possible de remplir en partie cette lacune regrettable, et je m'empresse de 


vin. r 


138 NOUVELLES ARCHIVES DU MUSEUM. 


profiter de cette circonstance pour faire représenter les espèces dont les 
noms suivent et dont les caractères ont été indiqués dans l’article sus-men- 
tionné. 


EXPLICATION DES PLANCHES 


PLANCHE LI. 


1. — Picus Mursi, J. Verr. G 
Fig. 2. — Picus Mursi, J. Verr. © 
3. — Picoides funebris, J. Verr. G juv. 


PLANCHE Il. 


1. — Milna Jerdonii, J. Verr. 

2. — Proparus Swinhoëi, J. Verr. 
Fig. 3. — Mecistura vinacea, J. Verr. 

k. — Alcippe pœæcilotis, J. Verr. 


PLANCHE III. 


4. — Suthora qularis, J. Verr. . 
. 2. — Suthora Alphonsiana, J. Verr. 
Fig. 3. — Yuhina diademata, J. Verr. 
4. — Carpodacus Edwardsii, J_ Verr. 


PLANCHE IV. 


Fig. 1. — Carpodacus vinaceus, J. Nerr, & 
Fig. 2. — Carpodacus vinaceus, J. Verr. @ 
Fig. 3. — Carpodacus trifasciatus, 3. Verr. & 


PLANCHE V. 


1. — Parus Pekinensis, J. Verr. 
2. — Silva ruficapilla, J. Verr. 

Fig. 3. —" Alcippe cinereiceps, J. Verr. 
4. — Mecistura fuliginosa, 3. Verr. 


FIN DU TOME HUITIÈME. 


TABLE DES MATIÈRES 


MÉMOIRES. 


N° 4. Recherches pour servir à l’histoire des Lombriciens terrestres, par M. E. Perrier, . 1 
N° 2. Ostéologie du Sphargis luth (Sphargis coriacea), par M. Paul Gervais. . , . . . 499 


N° 3. Recherches sur la Faune carcinologique de la Nouvelle-Calédonie, par M. eue 
NUOS BONE see ve. . rex Vars Nid “+. 229 


BULLETIN. 


N° 4. Journal d’un voyage dans le centre de la Chine et dans le Thibet oriental, par 

M. l'abbé Armand David, correspondant du Muséum d’histoire naturelle. . 
N° 2. Remarques sur l’Ibis sinensis de M. l’abbé A. David, par M. Oustalet. . . . . . . 129 
N° 3. Additions au journal du voyage de M. l’abbé A. David, par M. J. Verreaux. . . . 137 


TABLE DES PLANCHES. 


MÉMOIRES. 


PI. 4, 2, 3, 4. Lombriciens terrestres. 

PI. 5, 7, 8, 9. Sphargis coriacea. 

PI. 40. Schizophrys aspera; Cyclomaia margaritata. 

PI. 44. Micippa Thalia: M. Philyra; M. Spatulifrons; Microphrys Styx. 

PI. 12. Xenocarcinus tuberculatus; Picrocerus armatus; Criocarcinus superciliosus. 
PI. 43. Picrocerus armatus. 


PI. 44. Hvyastenus Oryx; Geratocarcinus dilatatus: Lambrus sculptus. L, Affinis. 


BULLETIN. 


= 


. 4. Picus Mursii; Picoïdes funebris. 

PI. 2. Milna Jérdoni; Proparus Swinhœi; Mecistura vinacea; Alcippe pæcilotis. 

PI. 3. Suthora gularis; S. Alphonsiana ; Yuhina diademata ; Carpodacus Edwardsii. 
PI, 4. Carpodacus vinaceus; C. trifasciatus. ; 

PI. 5. Parus Pekinensis, Silva ruficapilla Alcippe cinereiceps; Mecistura fuliginosa. 
PI. 6. Ibis sinensis. 


PARIS, — J. GLAYE, IMPRIMER, 7, RUE SAINT-BENONT, — [2340] 


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Mémoires. T. VII PL 6. 


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Nouvelles Archives du Muséum Memoires. T. VIII. PL. 10 


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1. Schizophrys aspera. — 2 ét $: Cyclomaia margaritata . 


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Nouvelles Archives du Muséum. | Mémoires. T. VIIL PL. 11 


Arnoul lith. { Eup B ecquet, Paris. 


1. Micippa FRA 2: Micippa Phylira. 
Micippa spatulifrons. se. Microphrys Styx. 


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Nouvelles Archives du Museum. 


Memoires. T. VII. PL. 12. 
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1 Xenocarcinus tuberculatus._ 2. Picrocerus armatus. 


3. Criocarcinus superciliosus | 


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Nouvelles Archives du Muséum. Memoires. T. VIIL. PL.14 


Arnoul th. mp Becquet, Paris. 
1. Hyastenus Oryx. o_ Ceratocarcinus dilatatus. 


3. Lambrus sculptus._ 4. Lambrus affinis. 


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y Milna Jerdont, J.Ver 


2. Proparus iv inhoïi, J.Ver. 
3. Mécistura vinacea, J.Ver 

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4. Alcippe pœcilotus, J.Væ 


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Nouvelles Archives du Museum. 


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1 Parus Pekinensis , krmDavid 


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8, Alcippe cinereiceps, J. Ver. 
4  Mecistura fuligimosa, J. Ver. 


Nouvelles Archives du Museum. T | 
T.8.Bulletin. PL. 6. 


J.Hrret del. Imp Becquet, Paris. 


[bis chinensis , A. Dav.